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Full text of "Questions diplomatiques et coloniales : revue de politique extérieure"

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Q  UESTIONS 

tLOMATIOUES  ET  COLONIALES 


REVUE    1>E    POUTIQUE  EXTÉRIEURE 


PARAISSANT     L.E    1"   ET   LE   16   DE   CHAQUE    MOIS 


SEPTIÈME  ANNÉE.  —   1903 
TOME  ZV  (Janvier-Juin) 


-<1^ 


PARIS 

RÉDACTION    ET   ADMINISTRATION 

1»,   RUE   BONAPARTE 

1903 


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às:^i2  F  141  1"  Janvier  1903 


QXJEJSXIOJ^^âi 


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liplomatipes  et  CillOBiàles 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LE    1"    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


soAo^cAjŒiE: 


-Germain La  question  du  Maroc i 

^  '  :itur  ti'Oran. 

Vti^e  de  Vilers La  crise  de  l'argent  en  Indo-Chine 8 

1.  .:>:  de  ".a  C<.»cbiu chine. 

•  Le  conflit  anglo-germano-vénézuélien 18 

■:  Sasset. Le  XIIP   congrès  international  des  orientalistes  à 

1    'tcoU-  ^upérienre  HambOUrO -^ 

•  L-- lires  d  AUer.  ^ 

-,  Ptnon Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX'  siècle. . .      33 


:',net Madagascar.  —  Les  territoires  miUtaires 

.  -it  ia  Rt'unJon. 

CHROIVIQUES  OE  LA   QUIIVZAIIVE 


-tx^ignements  politiques 

-'iseignements  économiques 

'  .ainations  olficielles 

:  biographie  —  Livres  et  Revues. 


49 
57 
60 
()-2 


OARXES    EX    GI\AVUI\ES 


l^:^.e  du  Maroc 

'^rtedu  Venezuela. 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION^ 
19*     RUE     BONAPARTE    -     PARIS,     6- 

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Aspe-Flenrimont,  cons.  du  com.  extér.  —  G.-K.  Anton,  prof,  à  l'Unir.  d'Iéna.  — 
D'Attanonz,  explorateur.  —  Baron  d'Avril,  anc.  minist.  plénipot.  —  Lient.  A.  Baoot, 
Explorateur.  —  R.  Ballly,  capit.  de  réserve  d'Btat-Major.  —  W.  Beanmont,  pabliciste. 

—  Daniel  Bellet,  pnbliciste.  —  Henry  Bidon.du  Journal  des  Débats,  —  G.  Blondel, 
prof,  à  l'Ecole  des  Hantes-Étndes  commerc.  —  Georges  Bohler^ubliciste.  —  A. 
bonhonre.  gonTerneur  des  Colonies.— P.  Bonrdarle,  publiciste.--  H:.  Brenler,  direc- 
teur de  la  Mission  iTonnaise  en  Chine.  —  L.  Bmnet,  député  de  la  Réunion.  —  Jean 
Bronhes,  prof,  à  rUniTersité  de  Fribourg  (Suisse).  —  D' Maurice  Bnret.  ^  G.  Capus, 
docteur  es  sciences.  —  V^*  Robert  de  Calz  de  Saint-Aymonr  du  Journal  des  Débats» 

—  MgrOharmetant,dir.des  écoles  d'Orient.  —  De  Ck)ntenBon,  anc.  attaché  milit.  en 
Chine.— Jean  de  Cners  de  Oogolin,  publiciste.  —  D^  Le  Danteo,  profes.  agrégé  à 
Bordeaux.  —  Pierre  Dassier,  pnbliciste.  —  P.  Deoharme,  attaché  au  min.  des  Colo- 
nies. —  V .  Démontés,  agrégé  de  l'Univ.  —  H.  Danrys,  publlciste.  —  O.  Depont,  du 
Serrice  des  aff.  indiff.  de  rÂlgérie.  —  £.  Duboo,  anc.  officier  de  marine.  —  Varoel 
Dubois,  orof.  à  la  Sorbonne.  —  J.-L.  Delonole,  M.  desR.  au  Cons.  d'Eut.  —  Deluns- 
Montand,  anc.  ministre.  —  £.  Dontté,  profes.  à  la  chaire  d'arabe  d*Oran.  —  A.  Da- 
ohône,  chef  de  bur.  au  Min.  des  Colonies.  —  H.  Dnmolard,  anc.  prof  à  TUniT.  de  Tokyo. 

—  Le  contre-amiral  Th.  Dnpuis.  —  Léon  Dyé.  —  Aloide  Ebray,  pnbliciste.  — 
P.  D'Espagnat,  explorateur.— Eug.  Etienne,  député,prés.duOroupe  diplomatique  et 
colonial.  —  Far-East,  publiciste.  — A.-A.  Fauvel,  anc.  off.  des  douanes  chinoises. — 
Ed.  Fazy.  agrégé  de  Tu niversité.  —  G.-B.-M.  Flamand,  explorât.,  prof,  à  l'Ecole  des 
Sciences  d  Alger.  —  Fleury  Ravarin,  député.  —  F.  Foorean,  explorateur.  —  J.-H. 
Franklin,  de  l'Agence  Havas.  —  J.  Franoonie,  pnbliciste.  —  H.  Froidevanx,  agr. 
d'hist.  et  de  géogr.  doct.  es  lettres.  —  O.  Gabiat,  ancien  député.  —  E.Gamanlt,  de  la 
Ch.  de  com.  de  la  Rochelle.  —  Oh.  Garnier,  charéé  de  mission.  —  G.  Garreau,  sénateur 
d'Ule -et -Vilaine.— E.-F.  Gkintier,  anc.  dir.  à  Madagascar.-  Arthur Giranlt,  prof. 
&  rUniT.  de  Poitiers.  —  Jules  Gay,  agrégé  de  l'Université.  —  Gervais  Cour  telle- 
mont,  explorateur.  —  A.- J.  Gk)uin,  ancien  officier  de  marine.  —  A.  Grandidier,  mem- 
bre de  l'Institut.  —  Alexandre  Guasco,  pnbliciste.  —  A.  Guillot,  vérif.  d.  douanes 
de  Modane.  —  Oamille  Guy,  gouTemeur  des  Colonies.  —  Halot,  consul  du  Japon 
à  Bruxelles.  —  Halvdan  Koht,  de  rUniv.  de  Christiania.  —  G.  Hanotaux,  de 
l'Académie  française.  —  H.  Hauser,  doct.  ès-lettres.  —  G.  Jaoqueton,  publiciste.  — 
Louis  Jadot,  publiciste.  —  A.  Jouannin,  du  Comité  de  V Asie  française.  —  L.  Kry- 
szanowskl,  publiciste.  —  Paul  Labbé,  explorateur.  —  J.  de  Lamare,  explorateur. 

—  A.  Layeo,  secr.  de  la  Société  bretonne.  —  Le  Filliatre,  administ.  des  colonies.— 
Louis  Léger,  membre  de  l'Institut.  —  Ch.  Lemire,  résident  de  France  honoraire.  — 
Le  Mire  de  Vilers,  anc.  député,  anc  ministre  plénipot.  —  Henri  Lorin,  prof,  à  i'UnlT. 
de  Bordeaux.  —  O.  liadrolle,  explorateur.  —  F.  de  Mahy,  député,  anc.  ministre.— 
Jean  de  Maroillao,  enseigne  de  raisseau.  —  Paul  Masson,  prof,  à  l'Unir.  d'Aix- 
Marseille.  — G.  Mandeville,  publiciste.  —  Ch.  Miohel,  explorateur.  —  Pierre  Mille, 
publiciste.—  R.  Moreux,  profess.  de l'Univ.— Ned-Noll,  publiciste.—  Ch-  Noufflard. 
chef  de  serv.  à  l'Oâ.  Colonial.  —  Maurice  Ordinaire,  anc.  dépoté.  —  -{-Le  prince  Henri 
d'Orléans.—  Colonel  de  la  Panouse,  du  Comité  de  VAsie  française,  —  H.  Pasquier, 

S nblidste.  —  Edouard  Payen,  du  Journal  des  Débats,— -B..  Pensa,  publiciste.— £[.  de 
^ejerimhoff,  Direct,  au  gouvern.  généial  de  l'Algérie.  —  Jean  de  laPeyre,  publiciste. 

—  £d.  Picard,  docteur  en  droit.  —  U.  Pila,  de  la  Ch.  de  com.  de  Lyon.  —  Maurice 
Pouyanne,  juge  suppléant  à  Alger.  —  D*"  L.  Raynaud,  direct,  du  Service  sanit.  k 
Alger.  — E.  Roux,  lient,  de  vaisseau.  —  J.  Roux,  prof,  à  l'école  de  comm.  de  Limoges. 

—  André  Siegfîried.  —  A.  Terrier,  du  Comité  de  V Afrique  française,  —  J.  Thierry, 
député.  —  D'  Henry  Thierry.  —  P.  Thirion,  agr.  d'histoire  et  de  géogr.  —  D'^  Georges 
Treille.  —  CF. Usborne, Indian  Civil  Service.  —  f  Général  Venukoff.—  P.  Vuillot, 

Çubliciste-géographe.  —  M.  Wahl,  inspect.  hon.  de  l'Instr.  publioue.   —  J.  Xior,  à 
'ananarive.  —  A.  Zimmermann,  cons.  imp.  de  Légat,  à  Berlin  —  M.  Zimmermann, 
profes.  d'hist.  etde  géogr.  col.  prés  la  Ch.  de  com.  de  Lyon.  —  X...  Y...  Z...,  etc. 


APERÇU    DE    QUELQUES    SOMMAIRES 


Sommaire  da  n»  iS9 

J.  Franoonie  :  Les  Trusts  américains  :  le  Trust  de  l'Océan.  —  René  Morenz  :  Le  pro- 
tectorat des  missions  catholiques  du  Levant.  —  Aspe-Flenrimont  :  Au  Dahomey.  A 
propos  dune  Conférence. 

Cartes  et  gravures  :  Les  lignes  de  navigation  du  nord  do  l'Atlantique. 

Sommaire  dn  a*  i30 

Robert  de  Caix  :  La  réorganisation  du  Chari.  —  Gabriel  Lonis-Jaray  :  Les  nationalités 
en  Autriche-Hongrie.  —  Maurice  Bnret  :  La  santé  des  troupes  alliées  en  Chine.  — 
R.  C.  :  Le  raid  du  lieutenant  Cottenest.—  Pierre  Dassier  :  Les  intérêts  français  au  Brésil. 
Cartes  et  gravnres  :  I.  Cartes  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie.  —  II.  Itinéraire 

du  raid  Cottenest 


QUESTIONS 
DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

LA  QUESTION    DU  M4R0C 


I^  situation  politique  de  Tempire  chérifîen  mérite,  en  ce 
moment,  toute  notre  attention. 

Cette  situation  est,  il  est  vrai,  constamment  troublée;  le 
Maroc  vivant  dans  un  état  d'équilibre  anarchique  particulier. 
Chacun  sait  que  l'autorité  du  sultan  ne  s'étend  que  sur  une 
partie  de  son  empire,  celle  où  le  Maghzen,  c'est-à-dire  le  gouver- 
Dement  chérilîen,  perçoit  les  impôts  régulièrement  et  qu'on 
.appelle  à  cause  de  cela  «  Bled-maghzen  »  ;  quant  à  l'autre  partie, 
W  sultan  n'y  perçoit  pas  d'impôts  réguliers,  il  y  lève  de  temps 
^n  temps  des  contributions  à  main  armée,  et  pour  cela  elle  est 
apj)elée  a  Bled-siba  »,  c'est-à-dire  pays  de  l'insoumission.  Ces 
àeux  pays  sont  d'étendue  variable  suivant  l'autorité  de  chaque 
Miltan  et  son  influence  religieuse,  et  ces  variations  constituent 
I»*  caractère  le  plus  apparent  de  l'instabilité  du  gouvernement 
Diarocain. 

Mîiis  cette  instabilité  ne  va  pas  sans  un  certain  équilibre  qui 
Jure  habituellement  sçtns  autres  variations  que  celles  signa- 
lée^ plus  haut,  jusqu'au  moment  où  des  questions  religieuses 
interviennent  pour  troubler  la  faible  organisation  chérifienne 
^t  la  mettre  immédiatement  en  péril  ;  c'est  ce  qui  vient  de  se 
pnxluîre. 

Depuis  le  commencement  de  novembre,  un  Chérif,  c'est-à- 
lire  un  descendant  de  Mahomet,  a  levé  l'étendard  de  la  révolte 
Migieuse,  dans  une  contrée  qui  a  pour  ville  principale  la  petite 
cité  de  Taza,  située  sur  la  route  d'Oran  et  Tlemcen  à  Fez,  à 
une  centaine  de  kilomètres  à  l'est  de  Fez  (c'est  à  peu  près  la 
distance  de  Compiègne  à  Paris).  Le  prétendant  a  trouvé  là  le 
concours  de  la  tribu  Tamazirt  des  Riata. 

Or,  cette  tribu  et  ses  voisines  étaient  restées  jusqu'à  présent 
tranquilles  grâce  à  l'influence  de  Mouley  Ismaël,  l'oncle  du 

Oirsar.  Dipl.  «t:Col.  —  t.  xv,  — .n«  141.  —  1"  janvier  1903  1 


2  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

sultan,  le  protecteur  de  la  célèbre  mosquée  de  Mouley  Idris, 
aux  privilèges  séculaires,  violés  récemment  par  ordre  du 
sultan,  à  l'occasion  de  Tassassinat  d'un  Anglais,  dont  le  meur- 
trier y  avait  cherché  asile.  Malheureusement  Mouley  Ismaël  est 
mort  il  y  a  six  mois,  et  avant  que  le  projet  du  sultan  d'épouser 
une  de  ses  filles  et  de  rattacher  ainsi  cette  puissante  tribu  à  la 
cause  du  souverain  régnant  ait  pu  être  réalisé. 

Soutenu  par  le  mécontentement  de  ces  Berbères,  le  préten- 
dant a  chassé  de  la  ville  de  Taza  le  caïd  et  les  agents  que  le 
Maghzen  y  entretenait,  d'ailleurs  sans  aucune  espèce  d'autorité 
réelle,  et  a  proclamé  la  déchéance  du  sultan. 

Aussitôt  le  Maghzen  envoya  une  colonne  expéditionnaire  de 
2.000  hommes,  sous  les  ordres  de  Mouley  El  Kébir,  frère  du 
sultan,  pour  s'emparer  de  Mohammed  El  Roguî  (c'est  le  nom  de 
l'agitateur,  que  d'autres  appellent  Omar  Zerhouni,  et  que  l'on 
nomme  aussi  Bou  Hamara  parce  qu'il  est  constamment  monté 
sur  une  ânesse). 

Le  4  novembre  eut  lieu  la  rencontre.  Le  combat  dura  six 
heures  et  le  frère  du  sultan  fut  battu. 

Le  sultan  quitta  Fez  ;  il  alla  camper  aussitôt  à  Ras-el-Mà,  à 
deux  heures  de  Fez,  où  il  resta  huit  jours,  n'osant  pas  aller  plus 
loin,  et  attendant  des  nouvelles;  mais  la  révolte  paraissant 
s'étendre,  il  craignit  que  le  soulèvement  d'autres  tribus  ber- 
bères ne  vînt  couper  sa  route  vers  Rabat.  Il  se  dirigea  donc  sur 
Mequînez,  où  il  fit  son  entrée  le  18,  renvoyant  à  Fez  Abd-el- 
Kérim  Ben  Sliman,  son  ministre  des  Affaires  étrangères,  pour 
surveiller  les  événements.  Là,  il  chercha  à  recruter  rapidement 
de  nouvelles  troupes  pour  les  envoyer  contre  les  Riata  ;  puis 
cédant  aux  objurgations  de  ses  conseillers,  il  renonça  à  se 
rendre  à  Rabat  et  se  remit  en  route  pour  Fez,  où  il  rentra  sans 
aucune  solennité,  au  milieu  de  la  froideur  de  la  population. 

Toute  lamehalla  du  sultan,  comprenant  près  de  10.000  hom- 
mes placés  sous  la  direction  du  frère  du  ministre  de  la  Guerre, 
le  Menehbi,  fut  lancée  vers  Taza;  c'est  cette  expédition, 
dirigée  contre  les  Béni  Ouaraïn  et  les  Riata^  qui  vient  de  subir 
un  nouveau  désastre.  Les  troupes  du  sultan  s'enfuirent  en 
désordre  vers  Fez,  abandonnant  des  canons,  des  fusils,  des 
munitions,  des  botes  de  somme. 

La  bataille  a  eu  lieu  le  24  en  un  point  appelé  Bab-Hamma. 
Le  lendemain  Bou  Hamara  a  campé  sur  l'Oued  Innaouen,  à 
El  Hadjira,  et  son  autorité  s'étend  actuellement  au  Sud  du 
RifiF,  dans  la  région  de  Taza  et  jusqu'à  Si  Allai,  à  quelques 
kilomètres  de  Fez. 

Présentement   nous  n'avons  pas  d'autres  inforipations.  Le 


4  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

sultan  est  encore  à  Fez,  mais  beaucoup  d'Européens  en  sont 
partis,  et  M.  Harris,  correspondant  du  Times  et  conseiller  habi- 
tuel du  sultan  avec  sir  Mac-Lean,  cet  ancien  sous-officier  an- 
glais qui  prétend  commander  Tarmée  marocaine^  s'est  enfui 
jusqu'à  Tanger,  à  marches  forcées,  pour  aller  de  la  part  du  sul- 
tan demander  secours  à  sir  Arthur  Nicholson,  ministre  d'An- 
gleterre à  Tanger. 

En  ce  qui  nous  concerne,  nous  devons  être  particulièrement 
inquiets,  car  nous  ne  savons  pas  si  parmi  l'artillerie  marocaine 
tombée  entre  les  mains  des  insurgés  ne  se  trouvent  pas  des 
instructeurs  français. 

La  situation,  comme  nous  le  disions  au  commencement,  est 
donc  des  plus  graves. 

Pour  bien  la  comprendre,  il  est  nécessaire  de  se  rendre 
compte  que  dans  la  rivalité  d'influences  qui  s'est  établie  entre 
la  France  et  l'Angleterre,  depuis  la  désastreuse  convention  de 
Madrid,  TAngleterre  a  poursuivi  le  jeu  le  plus  téméraire  et  le 
plus  dangereux  pour  la  paix  du  monde.  Ayant  affaire  depuis  la 
mort  de  Ba  Ahmed,  l'ancien  vizir,  à  un  jeune  sultan  qui  n'a 
reçu  aucune  éducation  politique  marocaine,  très  ami  des  nou- 
veautés, et  par  suite  très  accessible  aux  impressions  d'une  sug- 
gestion prolongée,  les  agents  anglais,  ses  conseillers,  ont  entre- 
pris de  le  lancer  dans  une  série  de  réformes  aussi  mal  conçues 
que  peu  préparées,  et  qui  devaient  inévitablement  amener  les 
soulèvements  qui  viennent  de  se  produire  à  Méquinez,  à  Fez, 
chez  les  Zemmour,  et  l'autre  jour  à  Tetouan,  jusqu'aux  portes 
de  Tanger,  de  manière  à  rendre  l'appui  de  l'Angleterre  indis- 
pensable et  à  produire  des  incidents  capables  de  jeter  le  sultan 
entre  ses  bras. 

Le  soulèvement  des  tribus  mécontentes  de  payer  des  impôts 
nouveaux,  mal  assis  et  de  plus  en  plus  lourds,  l'irritation  pro- 
fonde du  parti  vieux-musulman  qui  voit  avec  peine  l'introduc- 
tion de  méthodes  étrangères  et  de  fonctionnaires  infidèles,  sont 
aujourd'hui  évidents;  et  ce  qui  fait  la  gravité  de  la  situation, 
c'est  que  ce  programme  :  multiplier  les  réformes,  multiplier  les 
emplois  donnés  aux  Anglais,  multiplier  les  impôts,  produire  une 
révolte  générale  et  obtenir  ainsi  que  le  sultan  et  la  cour  chéri- 
fienne  sortent  de  leur  réserve  prudente  et  se  jettent  dans  les  bras 
de  l'Angleterre,  semble  à  la  veille  de  se  réaliser  en  entier. 

Avec  une  désinvolture  extraordinaire,  le  correspondant  du 
Times  à  Tanger,  bien  informé  comme  on  le  sait,  et  espérant 
peut-être  forcer  la  main  à  son  gouvernement,  écrivait  lui- 
même  :  «  Les  Marocains  sont  convaincus  qu'en  cas  de  néces- 
«  site  l'Angleterre  ne  pourra  refuser  son  assistance  armée  au 


LA   QUESTION   DU  MAROC  3 

«  saltan.  Impossible  de  les  détromper,  parce  qu'ils  rejettent 
c  l'entière  responsabilité  de  la  rébellion  sur  l'Angleterre  qui 
«  a  répandu  les  idées  européennes  et  introduit  des  chrétiens 
«  à   la  Cour.  » 

Certes  un  pareil  jeu  est  infiniment  dangereux  pour  TAngle- 
teire  et  pourrait  tourner  à  sa  confusion. 

Le  gouvernement  anglais  paraît  d'ailleurs  Tavoir  compris. 
Il  semble  que  sur  un  mot  d'ordre  donné  la  presse  anglaise 
soit  devenue  tout  à  coup  beaucoup  plus  prudente,  car  les  nou- 
velles marocaines  s'y  font  rares  ou  insignifiantes.  De  plus,  Je 
Foreign  Office  a  cru  devoir  marquer  sa  position  dans  une  inter- 
view bien  moderne  donnée  au  correspondant  du  Matin  h 
Londres.  Si  cette  interview  est  exacte,  le  Foreign  Office  sou- 
tient (et  il  est  naturel  qu'il  cherche  à  le  faire  croire)  que  le 
mouvement  révolutionnaire  est  provoqué  moins  par  les  ré- 
formes que  le  sultan  a  inaugurées  que  par  ses  mœurs  et  sa 
ivmduite  personnelle;  que  le  gouvernement  anglais  désire  aussi 
vivement  que  le  gouvernement  de  la  République  le  maintien 
du  statu  quo  au  Maroc;  enfin  qu'il  est  opposé  à  une  politique 
•rintervention. 

Le  même  jour,  au  Conseil  des  ministres  espagnols,  à  propos 
des  événements  du  Maroc,  le  ministre  des  Affaires  étrangères 
fil  connaître  qu'il  avait  reçu  la  nouvelle  de  Berlin  que  TAlle- 
magne  observerait  une  attitude  analogue  à  celle  de  la  France 
•-t  de  l'Angleterre,  Il  ajoutait  que  le  gouvernement  espagnol 
maintiendrait  les  mesures  déjà  adoptées  et  qu'il  imiterait  les 
{puissances  en  vue  du  maintien  du  statu  quo. 

Cette  prudence  de  l'Europe  est  à  la  fois  significative  et  heu- 
reuse. Elle  montre  le  parti  que  nous  pourrions  tirer  de  la 
situation  actuelle. 

On  dirait  que  l'Europe  hésite  à  assumer  des  responsabilités 
collectives,  et  que  nous  pourrions  enfin  reprendre  au  Maroc  la 
!^ituation  qui  nous  est  légitimement  due. 

Malheureusement  notre  politique  marocaine,  qui  devrai tOtre 
proportionnée  au  rôle  que  nous  donne  notre  situation  privi- 
légiée d'unique  voisine  de  l'empire  chérifien,  est  compromise 
depuis  i880.  Sous  le  gouvernement  de  M.  de  Freycinet,  et  par 
la  faute  de  l'amiral  Jaurès,  la  convention  de  Madrid  plaça  le 
régime  de  la  propriété  européenne  au  Maroc  sous  la  protection 
Je  toutes  les  puissances  contractantes,  auxquelles  on  étendit 
le  traitement  de  la  nation  la  plus  favorisée;  du  coup, la  situation 
privilé^ée  à  laquelle  nous  donnent  droit,  et  notre  ancienne  po- 
litique, et  les  traités  qui  l'ont  sanctionnée,  et  notre  voisinage,  a 
'ut/  une  atteinte  profonde.  Il  est  bien  évident  que  cette  concession 


n  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

d'ordre  particulier,  ne  peut  et  ne  doit  pas  avoir  de  répercussion 
sur  la  politique  générale  actuelle  ;  mais  il  ne  reste  pas  moins 
vrai  qu'il  y  a  là  une  difficulté,  et  que  pour  avoir  au  Maroc  le 
rôle  prépondérant  seul  digne  de  nous,  il  est  nécessaire  d'avoir 
une  politique  ferme  qui  y  rétablisse  et  y  remette  sur  le  pied 
qui  lui  est  dû  Tinfluence  de  la  France. 

Malheureusement  encore,  si  nous  en  devons  croire  certaines 
rumeurs,  nous  paraissons  être  engagés  depuis  quelque  temps 
dans  une  politique  de  négociations  méditerranéennes  qui 
nous  met  dans  une  position  assez  difficile  pour  dénoncer  les 
machinations  anglaises,  ou  pour  inspirer  confiance  au  sultan  , 
actuel  du  Maroc,  alors  que  la  seule  politique  qui  soit  naturelle- 
ment dévolue  à  la  France  dans  ces  régions,  la  seule  qu'elle 
doive  revendiquer  hardiment,  c'est  d'être  reconnue  comme  la 
garante  indiquée  de  l'intégrité  de  l'empire  chérifien. 

Seulement  il  est  bien  entendu  que  cette  intégrité,  qui  doit 
être  admise  par  les  puissances  intéressées,  doit  être  défendue 
et  protégée  par  nous  seuls;  et  que  nous  devons  concevoir 
notre  action  comme  distincte  de  l'action  des  autres  nations, 
sous  peine  de  sVxposer  de  nouveau,  et  avec  de  plus  grands 
risques  encore,  aux  périlleuses  difficultés  qui  ont  marqué 
l'action  collective  des  puissances  européennes  en  Chine. 

Vne  politique  d'entente,  surtout  avec  l'Espagne,  est  évidem- 
ment nécessaire,  mais  toute  politique  d'entente  qui  conduirait 
soit  à  des  conventions  pouvant  nous  lier  les  mains,  soit  à  une 
intervention  collective  vis-à-vis  du  sultan  ou  de  l'agitateur  doit 
être  écartée.  Toute  action  combinée  avec  l'Angleterre  et 
l'Espagne,  par  exemple,  ne  pourrait  longtemps  rester  limitée 
aux  puissances  contractantes,  et  aboutirait  fatalement  à  Tinter- 
nationalisalion  du  Maroc. 

Ce  serait  une  humiliation  pour  la  France,  seule  voisine 
immédiate  du  Maroc  et  destinée  à  être  son  unique  protectrice. 
Ce  serait  peut-être  un  désastre. 

Que  notre  Hotte  ne  tarde  pas  davantage  à  suivre  les  vais- 
seaux étrangers  le  long  des  cotes  de  l'Atlantique,  prête  à 
débarquer  s'il  le  faut;  que  la  division  d'Oran  concentrée  sur 
la  route  d'Oudjda  dise  à  tous  ceux  qui  voudraient  pêcher  en 
eau  trouble  notre  volonté  formelle,  et  s'il  y  a  lieu,  efficace,  de 
laisser  seul  le  sultan  venir  à  bout  de  cette  querelle  intérieure, 
sans  immixtion  quelconque  des  puissances;  et  notre  volonté 
non  moins  arrêtée,  dans  le  cas  d'un  débarquement  étranger 
au  Maroc,  de  nous  mettre*  immédiatement  en  roule  dans  la 
direction  de  Fez. 

Que  celte  ferme  résolution  de  laisser  le  Maroc  libre  de  ses 


LA   QUESTION  DU   MAROC  7 

destinées  reste  raffirmation  décisive  et  le  caractère  spécial  de 
la  politique  française  :  nous  voulons  dire  la  protection  de 
l'intégrité  politique  et  territoriale  du  Maroc  par  la  France  seule. 
.  Certes  notre  situation  politique  n'était  pas  brillante  au 
lendemain  de  la  guerre  de  1870,  lorsque  ces  mêmes  Riata, 
s'étant  révoltés,  infligèrent,  en  1876,  une  grave  défaite  au  sultan 
Mouley  El  Hassan;  et  cependant,  malgré  nos  revers  récents, 
le  gouvernement  français  d  alors,  sous  le  ministère  Dufaure, 
n'hésita  pas  à  entamer  les  négociations  qui  amenèrent  succes- 
sivement :  la  visite  de  l'empereur  du  Maroc  à  Oudjda,  son 
entrevue  avec  le  général  Osmont,  la  revue  qu'il  passa  de  nos 
troupes,  et  la  demande  qu'il  fit  d'officiers  français  pour  ins- 
truire Tartillerie  de  son  armée,  demande  qui  fut  l'origine  de 
notre  mission  militaire  française,  si  brillante  alors,  aujourd'hui 
en  si  médiocre  posture. 

Ces  résultats  correspondaient  à  la  situation  exceptionnelle 
que  nous  devait  donner  le  privilège  du  voisinage,  ils  y  ajou- 
taient le  privilège  d'une  mission  militaire.  On  aurait  dû  les 
poursuivre  jusqu'à  l'affirmation  de  cette  protection  —  nous  ne 
disons  pas  protectorat  —  de  l'empire  chérifien  que  nous  seuls 
pouvons  exercer,  puisque  nous  ne  l'exercerions  contre  per- 
sonne, tandis  que  l'étranger  l'exercerait  nécessairement  contre 
nous. 

Bien  au  contraire,  nous  avons  laissé  s'amoindrir  les  avan- 
tages que  nous  donnaient  ces  privilèges;  souhaitons,  puisque 
les  mémos  circonstances  se  reproduisent,  que  M.  Delcassé  y 
trouve  l'occasion  d'effacer  enfin  les  conséquences  d'une  poli- 
tique funeste  et  de  rétablir  notre  prépondérance  politique  au 
Maroc. 

Saint-Germain, 

Sénateur  d'Oran. 


LA   CRISE  DE   L'ARGENT 

EN    INDO-CHINE 


Monnaie  vient  de  monere,  aviser,  parce  que  le  coin  dn 
prince  garantit  la  loyauté  de  Tinstrument  d'échange;  elle  n'a 
d'autre  capacité  libératoire  que  sa  valeur  intrins»^que,  à  moins 
que  le  gouvernement  émetteur  ne  constitue  des  réserves  repré- 
sentant la  différence  entre  la  valeur  fiduciaire  et  la  valeur 
réelle  ou  que  son  crédit  n'inspire  une  entière  confiance.  Dans  ce 
cas,  la  monnaie  devient  un  billet  de  banque  métallique. 

Dans  la  plupart  des  pays  d'Extrême-Orient,  il  n'existe  pas  de 
monnaie  d'ilitat,  sauf  la  sapèque  en  zinc  ou  en  cuivre.  Les  mar- 
chandises s'échangent  contre  une  autre  marchandise,  le  lingot 
d'argent,  barre  ou  piastre  de  commerce. 

Pour  les  remises  sur  TEurope,  le  lingot  d'argent  est  échangé 
contre  une  autre  marchandise,  le  lingot  d'or,  la  livre  sterling. 

Aucune  loi  n'interdit  au  comn^erce  de  régler  ses  comptes  en 
or.  Cette  transformation  s'imposera  d'elle-même  le  jour  où  la 
baisse  de  l'argent,  due  à  la  surproduction  en  rendra  l'usage 
trop  incommode;  probablement  elle  serait  déjà  accomplie  si  le 
bimétallisme  latin,  hollandais  et  indien  n'avait  pas  maintenu 
les  cours.  La  piastre  paraît  destinée  à  jouer  le  même  rôle  que 
la  sapèque. 


Dans  les  contrées  qui  n'ont  pas  de  remises  à  faire  en  Europe 
provenant  d'emprunts  contractés  en  or  ou  de  salaires  payés  à 
des  étrangers,  et  dont  la  balance  commerciale  se  règle  en 
faveur  des  exportations,  la  baisse  du  métal  blanc,  au  rapport 
du  métal  jaune,  ne  présente  pas  de  sérieux  inconvénients,  parce 
que  l'élévation  des  salaires,  des  impôts,  des  denrées  de  consom- 
mation courante,  évalués  en  argent,  est  moins  rapide  que  l'ac- 
croissement du  prix  des  marchandises  exportées  sur  l'Europe 
ou  entrant  dans  le  marché  mondial.  Il  semble  même  que  dans 
son  ensemble  la  richesse  publique  doive  s'accroître. 

Admettons  une  marchandise  dont  la  valeur  est  de  4  piastres 
sur  lesquelles  2  reviennent   à  la  main-d'œuvre   et  2  au  pro- 


LA   CBtSE  D2  L'AiieSffT  EN   INDO-CHINE  9 

jTir'taire  du  sol  ainsi  qu'aux  intermédiaires.  Si  l'argent  métal 
U\is5e  de  50  % ,  le  prix  de  vente  s'élèvera  à  6  piastres  qui  se 
ivpartîront  au  début  de  la  manière  suivante  :  main-d'œuvre 
2  piastres  1/2,  propriétaire  du  sol  et  intermédiaires  3  piastres  4  /2  ; 
*ïf*\i  b**néfice  supplémentaire  pour  le  propriétaire  et  les  inter- 
médiaires d'une  piastre  et  demie.  Quant  à  l'ouvrier,  Taccroisse- 
ment  du  salaire  d'une  demi-piastre  le  couvrira  certainement  de 
i  lugmentation  du  prix  de  la  vie  matérielle. 

La  marge  pour  l'exportation  étant  plus  forte,  la  marchandise 
fMjurra  alors  pénétrer  sur  des  marchés  qui  jusque-là  lui  étaient 
frmés:  comme  conséquence  la  demande  augmentera,  la  pro- 
iuction  s'accroîtra,  les  cultures  se  développeront. 

Ainsi  s'expliquent  l'augmentation  des  affaires  en  Extréme- 
»  Prient  et  l'accroissement  inouï  de  richesse  qui  se  sont  manifestés 
4"puis  vingt-cinq  ans  dans  les  colonies  de  Gochinchine  et  des 
l'fHroits. 

De  ce  fait,  les  banques  émettant  du  papier  fiduciaire  ont 
r'alisé  des  bénéfices,  puisque  leurs  billets,  livrés  au  taux  de 
>  fr.  35,  3  fr.,  4  fr.,  3  fr.,  2  fr.  50  la  piastre,  sont,  par  suite  de 
M  baisse  du  métal  blanc,  remboursables  en  piastres  à  2  fr. 

Par  contre,  les  banques  libres  risquent  de  voir  chaque  année 
l-ur  capital  amoindri,  si  elles  consentent  des  prêts  à  longue 
e  héance.  Pour  conjurer  ce  péril,  leurs  avances  ne  dépassent 
f  is  trois  mois  et  elles  n'escomptent  que  du  papier  court.  De 
f'ius,  un  taux  d'intérêt  très  élevé,  42  à  15  %,  les  couvre  de  cet 

Quant  aux  budgets  de  ces  Etats,  ils  ne  sont  pas  atteints  ;  au 
.'  ntraire,  le  développement  des  cultures  qui  entraîne  Taccrois- 
.-»^raent  des  droits  de  sortie,  des  impôts  fonciers  et  persDU- 
ri*ds,  le  paiement  en  or  des  taxes  douanières,  l'augmentation 
•*e  la  consommation  assurent  une  plus-value  de  recettes  qui 
l-^passe  de  beaucoup  celle  des  dépenses,  bien  que  le  taux  des 
mjMjts  directs,  si  on  les  évalue  en  or,  diminue  chaque 
.innée. 

Quelques  personnes,  il  est  vrai,  supportent  des  pertes  assez 
f'nsidérables  : 

1*  Les  indigènes  qui  ont  la  manie  d'enfouir  leurs  capitaux 
Irms  des  cachettes.  En  1877,  une  piastre  valait  5  fr.  35,  aujour- 
(j  hui  2  fr. ,  en  moins  3  fr.  35.  Sont-ils  bien  intéressants? 

2**  Les  importateurs  de  marchandises  européennes  qui  ne 
;Murraient  du  jour  au  lendemain  augmenter  le  prix  de  leurs 
colonnades  et  de  leurs  autres  articles  sans  arrêter  la  vente. 
Il«»ureuseinent  la  facilité  et  la  rapidité  des  communications 
iv^e  les  métropoles  permettent  d'éviter  les  gros  approvision- 


10  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLONULES 

nemonts  d'autrefois.  Ajoutons  que,  pour  se  couvrir  de  ce  risque, 
ia*plupart  des  négociants  sont  à  la  fois  importateurs  et  expor- 
tateurs ;  ce  qu'ils  perdent  d'un  côté,  ils  le  gagnent  de  l'autre; 

3"  Les  Européens  et  indigènes  ayant  placé  leurs  capitaux 
dans  des  immeubles  urbains  ou  industriels.  Rarement  l'éléva- 
tion des  loyers  compense  la  diminution  de  la  valeur  de  la 
piastre  ; 

4**  De  môme  les  -entrepreneurs  de  transports  maritimes  ou 
fluviaux  dont  les  tarifs  ne  sauraient  se  modifier  selon  les 
variations  du  change  ; 

5**  Les  officiers  ministériels,  notaires,  avocats,  défenseurs, 
huissiers  dont  les  honoraires  sont  fixés  en  piastres. 

En  résumé,  il  n'est  pas  téméraire  de  dire  qu'avec  l'élévation 
des  changes  dans  les  pays  ne  possédant  pas  de  régime  moné- 
taire et  les  variations  des  cours  gênant  les  transactions  com- 
merciales qui  ont  besoin  de  stabilité,  la  richesse  publique  ne 
souffre  pas,  qu'elle  a  plutôt  tendance  à  s'accroître. 


«  « 


Mais  les  colonies  de  domination  européenne  ne  vivent  pas 
dans  un  isolement  complet  ;  les  deux  races  se  pénètrent,  il  en 
résulte  de  nouveaux  besoins  qui  se  traduisent  par  des  paie- 
ments en  or  :  entretien  de  troupes  blanches  et  de  fonction- 
naires métropolitains,  pensions  de  retraite  payées  en  France, 
achat  de  matériel,  construction  de  travaux  publics  exigeant  des 
emprunts,  etc.,  etc.  D'où  la  nécessité,  pour  se  rendre  un  compte 
exact  de  la  situation,  d'établir  les  profits  et  pertes.  Si  les  pre- 
miers sont  supérieurs  aux  seconds,  la  colonie,  malgré  des  souf- 
frances individuelles,  continuera  à  prospérer  ;  dans  le  cas  con- 
traire, elle  marchera  à  une  faillite  inévitable. 

L'Inde  britannique  nous  fournit  à  cet  égard  de  très  utiles 
indications.  Avant  1873,  les  intérêts  de  la  dette  payables  en 
Angleterre,  provenant  de  la  construction  des  voies  ferrées,  et 
non  comprise  la  dette  viagère  très  élevée,  représentant  les 
pensions  des  officiers  et  fonctionnaires  admis  à  la  retraite, 
s'élevaient  à  142.657.000  roupies, au  change  de  un  schilling  dix 
pences  et  demi;  en  1893,  vingt  ans  après,  ils  étaient  de 
264.785.000  roupies  au  change  de  un  schilling  trois  pences. 

Obligé  de  remplir  ses  engagements  envers  ses  créanciers 
métropolitains,  et  escomptant  une  amélioration  des  changes, 
le  gouvernement  indien  épuisa  successivement  toutes  les  res- 
sources de  trésorerie,  mais  bientôt  il  fut  obligé  de  reconnaître 


LA  CRISE   DB  l'aRGKNT  EN  INDO-CHINE  il 

<jn  impuissance.  Comme  il  n'était  pas  possible  de  prélever  de 
nouvelles  taxes  sur  les  indigènes  déjà  surchargés  d'impôts  sans 
provoquer  une  insurrection,  on  adopta  le,  bimétallisme  et  on  re- 
haussa arbitrairement  la  valeur  de  la  roupie.  C'était  un  artifice 
hnancierdont  la  portée  échappa  aux  natifs;  leurs  salaires  et 
li^  impôts  ne  subirent  pas  de  modification  en  roupies;  mais 
!-s  marchandises  d'exportation,  dont  le  prix  se  trouva  ainsi 
*aivlevé,  ne  purent  plus  lutter  avec  les  produits  asiatiques 
1  autres  provenances  ;  il  en  résulta  un  effondrement  des  cours 
|ui  amena  une  ruine  générale.  Depuis,  la  prospérité  de  l'Inde 
j^  <  est  pas  relevée  et  chaque  année  plusieurs  millions  de  cul- 
:ivateurs  meurent  de  la  famine. 

Par  sa  mauvaise  administration,  l'Angleterre  a  réduit  ses 
sujets  à  la  misère.  Un  peu  plus  tôt,  un  peu  plus  tard,  elle  en 
-ubira  le  juste  châtiment. 

Les  Indes  néerlandaises  ne  sont  pas  en  meilleure  posture. 
l'ar  suite  d'aune  exportation  excessive  des  capitaux  vers  les 
I*ays-Bas,  les  populations  de  l'intérieur  de  Java  sont  réduites 
^  la  misère  et  décimées  par  dos  disettes  périodiques.  En  gens 
avisés,  les  Hollandais,  reconnaissant  la  nécessité  de  réparer 
l'urs  fautes,  préparent  l'émission  d'un  emprunt  de  4  à  500  mil- 
lions contracté  aux  frais  de  la  métropole  dont  le  produit  sera 
afi»*cté  aux  travaux  d'irrigation. 

Chacun  sait  que  la  perle  des  Philippines  est  due  aux  vices  et 
I  Tincapacité  de  l'administration.  Ruinés  par  les  tributs  exa- 
^♦^•rés  payés  à  l'Espagne,  les  Tagals  ont  chassé  leurs  exploi- 
teurs. 

La  réforme  monétaire  du  Japon  ne  lui  a  pas  fourni  les  res- 
sources qu'exigeait  le  paiement  en  or  du  matériel  militaire 
^heté  en  Europe.  Après  avoir  affecté  à  ces  dépenses  l'indem- 
nité de  la  guerre  chinoise,  il  a  fallu  avoir  recours  à  l'emprunt. 
Les  finances  de  cet  Etat  comme  celles  du  Siam  ^inspirent  peu 
Jt*  confiance. 

Au  Mexique,  les  résultats  furent  différents.  Ce  pays,  grand 
[•roducteur  d'argent,  semblait  au  premier  abord  devoir  être  le 
plus  profondément  atteint  ;  il  n'en  fut  rien.  Grâce  à  un  gou- 
vf^rnement  prudent  et  économe,  les  droits  de  douane  payables 
"D  or  dépassent  l'intérêt  delà  dette  extérieure  et  les  frais  d'ac- 
•juisid'on  de  matériel  fait  à  l'étranger.  Largement  protégées, 
'industrie  locale  et  l'agriculture  se  développent  rapidement. 
'>He  prospérité   incontestable  ne  parait  ni  factice    ni   passa- 

•vre. 

EnfJochînchîne,  jusqu'à  la  constitution  de  l'unité  indo-chi- 
ftoise  d'une  façon  générale,  abstraction  faite  de  quelques  inté- 


12  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

rets  particuliers,  nous  n'eûmes  pas  à  souffrir  de  la  baisse  de  la 
piastre.  Si  nous  devions  payer  en  or  les  frais  de  souveraineté 
militaire,  la  solde  du  personnel  européen,  les  subventions  aux 
compagnies  de  navigation,  l'opium,  le  matériel  des  travaux 
publics  et  des  télégraphes,  nous  n'avions  ni  dettes  ni  emprunts  ; 
un  développement  sans  précédent  de  la  richesse  publique,  dû 
en  partie  à  un  bon  régime  de  la  propriété,  nous  assurait  un 
accroissement  d'impôts  qui  nous  permettait  de  faire  face  à  ces 
charges.  En  1898,  numéro  du  l**"  juillet,  j'écrivais  dans  cette 
Revue  : 

«  La  Cochinchine,  qui  a'  pu  supporter  rabaissement  du 
«  change  et  la  piastre  de  5  fr.  35  à  2  fr.  50  et  les  épreuves 
«  financières  de  1888-1889-1890*,  traversera,  sans  que  sa  pros- 
((  périté  soit  compromise,  lacri*^e  inévitable  que  provoquera  la 
«  réforme  monétaire  de  Tlnde,  dont  la  conséquence  ne  paraît 
«  pas  devoir  dépasser  une  perte  au  change  de  0  fr.  50,  ranio- 
«  nant  ainsi  le  cours  de  la  piastre  à  2  fr.  (le  cours  d'aujourd'hui  , 
«  mais  aux  conditions  suivantes  : 

«  l^^Que  la  colonie  ne  paiera  que  ses  dépenses  de  souverai- 
«  neté  civile  et  militaire  et  que  la  métropole  renoncera  à  exiger 
«  un  tribut  de  vassalité  ; 

«  2**  Que  le  gouvernement  général  ne  prélèvera  pas  sur  le 
«  budget  des  participations  exagérées  et  injustifiées; 

«  3**  Que  la  colonie  sera  administrée  avec  sagesse,  prudence 
«  et  modération  ; 

<(  4"  Que  la  sécurité  ne  sera  pas  compromise  par  des  impôts 
«  vexatoires  frappés  sur  les  indigènes.  » 


Ces  conditions  ne  furent  pas  remplies. 

Voulant  exécuter  de  grands  travaux  publics  en  Annam  et  au 
Tonkin,  sachant  que  la  métropole  ne  consentirait  pas  à  accor- 
der des  subventions  nécessaires,  le  gouvernement  général  crut 
pouvoir  trouver  en  Cochinchine  des  ressources  suffisantes  pour 
équilibrer  le  budget  de  Tlndo-Chine  entière  et  prendre  à  la 
charge  de  la  colonie  les  dépenses  militaires  indigènes  s'élevant 
à  plus  de  12  raillions.  Afin  de  payer  les  emprunts  destinés  à 
Texécution  des  chemins  de  fer,  de  nouveaux  impôts  furent 
frappés  sur  le  sel,  le  tabac,  l'arec,  les   bambous,  le  dross  dos 

-    1  Le  contingent  de  la  Cochinchine  en  1888  fut  fixé  à  11.791.000  fr. 


LA    CRISK   DE   L'aRGENT   EN   ^DO-CHINE  13 

'•ipes  d'opium,  et  perçus  avec  une  rigueur  qui  mécontenta  les 

•atribuables. 

Telles  nous  paraissent  être  les  vues  qui  présidèrent  à  la  con- 
<:tutionde  Tunité  indo-chinoise.  Cette  conception  était  fausse. 
L'->  différents  Etats  qui  forment  la  colonie,  Cochinchine,  Cam- 

•  «lg:e»  Annam,  Tonkin,  haut  et  bas  Laos,  ne  sont  pas  arrivés 
4Ufflème  degré  de  civilisation;  leurs  populations  parlent  des 

mjnies  difTérentes,  ne  professent  pas  la  même  religion  ;  leur 

r^^anisation  sociale  varie  à  Tinfini  et  s'étend  du   collectivisme 

imilial  delà  Chine  à  la  féodalité  et  à  la  monarchie  absolue.  Il 
L  y  a  même  pas  communauté  de  race  :  Annamites,  Cambod- 
.v?n5,  Laotiens,  Muongs,  Thas,  sauvages,  diffèrent  essentielle- 
iit^nt  de  caractère  ethnique  et  sont  par  tradition  ennemis  les 
13-  des  autres.  Centraliser  l'administration  dans  de  semblables 

unditions  ne  pouvait  conduire  qu'à  la  confusion. 
Au  point  de  vue  budgétaire,  les  inconvénients  furent  encore 
;!n>  graves.  La  Cochinchine,  malgré  sa  prospérité  proverbiale, 
•wc    ses   3    millions   d'habitants  et  son   petit   territoire    de 
'i».000  kilomètres  carrés  dont  la  moitié  encore  en  friche,  était 

mpuissante  à  assurer  en  partie  la  défense  des  17  autres  mil- 
ri>  d'habitants  répandus  sur  530.000  kilomètres  carrés,  à 
n^truire  Toutiliage  économique,  très  coûteux  dans  ces  vastes 

-j^i'tns.   Dès  l'origine,  l'unité  indo-chinoise  se  trouve  grevée 

une  dette  ^e  350  millions,  sept  fois  son  revenu  ordinaire. 
Lf s  nouvelles  taxes  ayant  été  mises  en  recouvrement  avant 
versement    des    premiers  termes    de  l'emprunt,    l'argent 

îK'nda  dans  les  caisses,  on  en  usa  largement:  des  subventions 

'in^ut  accordées  avec  une  extrême  libéralité  aux  établissements 
"  luniaux  de  la  métropole  et  de  l'Extrême-Orient.    Avait-on 

-M»in  d'argent  pour  une  œuvre  quelconque,  on   s'adressait  à 

]:uIo-Chine  dont  les  cais3es  étaient  toujours  ouvertes.  On 
irmenta  le  personnel  déjà  trop  nombreux;  une  exposition 
internationale  très  coûteuse  fut  décidée.  Si  Tachât  du  matériel 
^>  voies  ferrées  et  Texpédition  de  Chine,  les  grands  travaux 
r\»M-utés  sur  tous  les  points  du  territoire,  ont  donné  aux  affaires 
iLf  activité  factice  et  temporaire,  l'élévation  exagérée  du  prix 
I-  la  main-d'œuvre  annamite  entrave  le  développement  des 

illares  et  la  balance  commerciale  de  Tlndo-Chine  se  règle  par 
iri  excédent  des  importations  sur  les  exportations  de  40  mil- 
::«»rjs  de  francs,  tandis  qu'avant  Tunité  indo-chinoise  la  propor- 
i<D  était  renversée. 

La  baisse  de  la  piastre  à  2  fr.,  annoncée  en  1898,  a  précipité 
une  crise  financière  que  les  moins  clairvoyants  prévoyaient. 

Pour  Texercice  1901,1e  budget  se  balance  à  23  millions  de 


14  QUESTIONS   UIPLOMATlQUEsi  BT   COLONIALES. 

piastres  ;  les  trois  quarts  des  dépenses  sont  payés  en  francs  et 
les  trois  quarts  des  recettes  en  piastres  ;  de  sorte  que  les  varia- 
tions du  change  agissent  efTectivement  sur  la  moitié  de  la 
somme  totale —  H. 500. 000  piastres  —  une* baisse  de  10  cen- 
times cause  un  déficit  de  i. 150.000  fr.;  de  40  centimes,  la 
piastre  à  2  fr.,  de  4.600.000  fr. 

Dans  trois  ou  quatre  î^ns,  lorsque  les  chemins  de  fer  seront 
achevés,  en  admettant  que  les  frais  d'exploitation  des  nouvelles 
lignes  soient  couverts  par  les  recettes  du  trafic,  ce  qui  est  peu 
probable,  le  paiement  des  annuités  de  la  dette  augmentera  de 
5  millions  (13.340.000  fr.  au  lieu  de  8.355.000  fr.).  D'où  nn 
déficit  certain  de  9  millions  et  demi  auquel  s'ajoutent  peut-t^tre 
les  pertes  provenant  d  une  nouvelle  baisse  de  la  piastre,  elle 
est  aujourd'hui  à  1  fr.  97.  Les  plus-values  des  impôts  ne  sau- 
raient couvrir  cet  accroissement  inévitable  des  charges.  Il 
n'est  donc  pas  contestable  que  l'Indo-Chine  se  trouvera  pro- 
chainement dans  une  situation  budgétaire  aussi  périlleuse  que 
celle  de  l'Inde  anglaise  en  1893. 


«  « 

A  l'occasion  de  rétablissement  de  Tétalon  d'or  au  Siam, 
M.  François  Deloncle  a  vu  dans  cette  mesure  une  entreprise 
hostile  envers  la  France  et  jeté  le  cri  d'alarme.  Ces  craintes  ne 
paraissent  pas  fondées.  Que  la  cour  de  Bangkok  conserve  ou 
démonétise  le  tical,  la  situation  métallique  de  rExlreme-Orient 
ne  sera  pas  sensiblement  modifiée.  Il  semble  plutôt  que  les 
financiers  siamois  ont  voulu  faire  une  spéculation  d'une  mora- 
lité contestable. 

Tout  d'abord  l'échange  devait  se  faire  au  taux  de  17  ticaux 
par  livre  sterling.  Sur  la  réclamation  de  la  Banque  de  l'Indo- 
Chine  et  des  banques  anglaises,  un  second  décret  fixa  le  taux  à 
20  ticaux-  par  livre.  Mais  alors  les  maisons  chinoises  protes- 
tèrent et  menacèrent  de  suspendre  leurs  paiements.  Le  gou- 
vernement royal  se  trouve  dans  le  plus  grand  embarras. 
Il  devra  renoncer  à  son  projet  ou  le  modifier  complètement. 
Nous  apprenons  que  les  banques  anglaises  ont  renoncé  à  leurs 
protestations,  le  gouvernement  siamois  leur  ayant  promis  de 
larges  bénéfices  dans  plusieurs  opérations  financières,  constitu- 
tion d'une  banque  d'Etat,  emprunt  contracté  à  Londres,  etc. 

Les  difficultés  de  nos  voisins  ne  résolvent  pas  les  nôtres,  et 
l'introduction  de  l'étalon  d'or,  faite  au  pair,  loyalement,  ne 
créerait  pas  des  ressources  qui  n'existent  pas,  ne  comblerait  pas 


LA    CRISB   DE  l'aRGENT  EN   INDO-CHINE  15 

00  déficit,  hélas  !  trop  réel.  Ce  nouveau  régime,  du  moins  à  ses 
débuts,  ne  ferait  que  troubler  le  marché  et  inquiéter  les  indi- 
gènes. Nous  ne  voyons  pas  le  moyen  de  retenir  le  métal  jaune 
dans  un  pays  dont  les  importations  dépassent  les  exportations 
de  30  ou  40  millions.  Si  la  Chine  conserve  la  piastre  lingot,  elle 
devrait  à  grands  frais  envoyer  à  Saigon  l'or  nécessaire  à  Tachât 
du  riz;  en  fin  de  compte,  nous  en  supporterions  les  consé- 
quences. 

On  a  proposé  de  dresser  le  budget  des  dépenses  en  or  et  celui 
des  recettes  en  piastres.  Cet  expédient  ne  ferait  qu'augmenter 
le  déficit.  Au  lieu  d'avoir  à  payer,  comme  aujourd'hui,  41  mil- 
lions en  or,  l'aléa  de  change  porterait  en  plus  sur  7  millions  1/2 
l'*  piastres,  15  millions  de  francs,  de  dépenses  locales. 

Dans  le  vain  espoir  de  donner  plus  de  stabilité  aux  recettes, 
quelques  personnes  préconisent  la  fixation  de  la  valeur  de  la 
piastre  en  francs,  au  1''' janvier  de  chaque  exercice.  Elles  n'ont 
certainement  pas  réfléchi  aux  conséquences  d'une  pareille  dis- 
position. Les  importateurs  profiteraient  de  la  hausse  qu'ils  pro- 
voqueraient au  besoin,  pour  payer  les  droits  de  douane  (14  mil- 
lions etdemi  de  francs,  6  millions  de  piastres)  :  d'où  une  diminu- 
tion des  recettes.  En  ce  qui  touche  les  contributions  directes,  les 
'-^^ujettis  attendraient  la  hausse,  au-dessous  du  cours  officiel 
^ur  verser  l'impôt,  signe  de  soumission  aux  lois  du  domina- 
teur. D-autre  part,  les  comptables,  notables  de  villages  ou  per- 
cepteurs européens,  seraient  mêlés  à  des  spéculations  coupables 
d  il  faut  prévoir  que  plusieurs  succomberaient  à  la  tentation. 
—  Exemple  :  un  comptable  fait  payer  le  2  janvier  au  cours  offi- 
ciel, transforme  la  recette  en  or.  puis,  lorsque  la  piastre  baisse, 
?erse  au  Trésor  et  bénéficie  de  la  différence  des  changes  ;  si  la 
piastre  monte,  un  déficit  de  caisse  se  produit. 

Etablir  le  budget,  recettes  et  dépenses,  en  francs  serait 
adopter  l'étalon  d'or,  sans  prendre  les  dispositions  transi- 
toires indispensables.  Déjà  l'expérience  a  été  tentée.  En  1886, 
le  cours  de  la  piastre  étant  tombé  à  Saigon  de  4  fr.  80  à  3  fr.  75, 
>  budget  de  la  colonie  fut  dressé  en  francs,  sous  prétexte  que 
la  baisse  de  5  fr.  35  à  3  fr.  75  constituait  un  dégrèvement  réel 
en  faveur  des  indigènes  et  qu'en  raison  du  développement  de 
la  richesse  publique,  il  était  équitable  de  rétablir  les  rôles  dans 
leur  intégralité.  L'erreur  était  manifeste,  la  piastre  conserve  en 
Asie  une  valeur  libératoire,  différente  de  sa  traduction  en  or, 
pour  la  main-d'œuvre  et  les  produits  du  cru.  Sous  peine  de 
provoquer  une  insurrection,  il  fallut  renoncer  à  ce  système 
trop  simpliste.  Comment  paierait-on  le  prix  de  marchandises, 
se/,  opium,  alcool,  fixé  en  or  avec  des  piastres  à  cours  variable? 


.«»  iL-BSnOÎIS  DIPLOMATIOUES   ET   COLONIALES 

ik.r*-  i:if  lumneabition  d'impôts  à  20  %,  ce  serait  livrer  les 
••iiï»;iiuuLiriMirs  À  la  rapacité  des  débitants,  entretenir  un  conflit 
►'••!u.ni«fat  -tacv  la  population  et  les  agents  de  la  Régie.  Cette 
•♦ii:^ -Uiii-sa  'ciiLénieuse  ne  tient  pas  suffisamment  compte  de 
.   aiuu  pal  Ivque  indigène  qui  n'est  pas  à  négliger,  bien  au 

"jan>  'e  ;vurnal  des  chambres  de  commerce,  M.  Rueff  expose 

u  >*  Uii\-  G  avec  beaucoup  de  compétence  et  de  lucidité,  mais 
[tr  ^u/H*:»^  qull  indique  produirait  de  nouvelles  complications. 

••  kl7  Arriver  à  l'étalon  d'or  dont  Tadoption  ne  peut  tarder,  il 
î},iri  :  îaulile  et  même  dangereux  de  passer  par  Tétape  du 
at'jx-udUsme,  en  introduisant  au  cours  jforcé  la  pièce  de  cent 
!s.ix>  diins  la  colonie.  Plusieurs  essais  de  ce  genre  furent  tentés 
4\iuit  1875,  tous  échouèrent.  Les  écus  de  5  francs,  grevés  d'une 
as>urïuioe  de  1,5  %  h  l'aller  et  au  retour,  n'étaient  acceptés  en 
Kxlrènie-Orient  qu'à  leur  valeur  vénale,  et  drainés  par  les 
i'ht^tt}-  banquiers  indiens),  étaient  rapatriés  en  Europe  où  ils 
rv'troùvaient  leur  valeur  fiduciaire.  Les  trésors  français  et 
i\H:hinchinois  ainsi  que  le  commerce  subirent  de  ce  chef  des 
Inertes  considérables. 

En  réalité,  ces  diverses  mesures  ne  sont  que  des  artifices 
fiscaux  destinés  à  dissimuler  le  déficit  du  budget  de  Tlndo- 
Chine.  Deux  moyens  permettront  de  le  combler  : 

1°  Augmenter  les  impôts  dans  la  proportion  nécessaire,  ce 
serait  dangereux.  Les  principaux  objets  de  consommation  locale 
ont  déjà  été  lourdement  frappés  et  les  Annamites  commencent 
à  se  fatiguer  de  l'accroissement  continu  des  charges  publiques. 
En  outre,  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  que  la  dernière  expédi- 
tion de  Chine  n'a  pas  été  favorable  à  l'influence  européenne. 
Les  Asiatiques  ont  constaté  la  mauvaise  organisation  des 
troupes  alliées  et  la  supériorité  militaire  incontestée  des  Japo- 
nais; aussi  ces  populations  semblent-elles  vouloir  se  ressaisir 
et  échapper  à  la  domination  étrangère  qui  les  exploite  avec 
trop  d'âpreté.  Ajoutons  que  le  traité  siamois  du  7  octobre  n'est 
pas  fait  pour  rétablir  notre  prestige  près  de  nos  sujets. 

2"*  Réduire  provisoirement,  à  partir  de  d904,  le  contingent  de 
l'Indo-Chine  de  11.400  à  3  millions.  Le  Gouvernement  et  le  Par- 
lement, malgré  les  observations  réitérées  de  la  minorité  de  la 
Chambre,  ont  autorisé  divers  emprunts  jusqu'à  concurrence  de 
350  millions,  charges  évidemment  au-dessus  des  ressources  de 
la  colonie;  il  est  donc  juste  que  la  métropole  subisse  en  partie 
les  conséquences  de  cette  mauvaise  administration  dont 
l'entière  responsabilité  lui  incombe. 

Cette  dernière  disposition  permettrait  seule  de  conjurer  le 


JJL   CRISE   DE  l'argent  EN  INDO-CHINE  17 

féril  qui  menace    rindo-Chine  et  risque  de  la  conduire  à  la 

ruine. 


Ce  point  acquis,  faut-il  établir,  dans  la  colonie,  l'étalon  d'or 
•iont  les  avantages  sont  incontestables  et  qui  s'imposera  d'ici 
quelques  années  ?  Doit-on  substituer  le  lingot  de  métal  jaune 

Q  lingot  de  métal  blanc,  la  livre  sterling  à  la  piastre  ?  La 
-•lution  dépend  en  majeure  partie  des  puissances  voisines 
avec    lesquelles    nous   entretenons   nos   principales    relations 

"lumerciales.  En  Tétat  actuel  de  la  question,  beaucoup  plus 
^•Eopliquée  que  ne  le  croient  les  économistes  européens,  une 
It^cision  immédiate  prise  sous  l'impression  des  difficultés  pen- 
bntes  nous  ferait  courir  des  aventures  dont  personne  ne 
-turait  prévoir  les  conséquences.  Aussi,  avant  d'arrêter  nos 
rn-^olutions,   serait-il   prudent   de   provoquer   une    conférence 

oiemationale  à  laquelle  seraient  conviés  les  représentants 
•1-?  différents  pays  à  métal  blanc  :  Chine,  Asie  russe,  Corée, 
Philippines,  Hong-kong,  Indo-Chine,  Straits  Settlements, 
iûdes  néerlandaises  et  Mexique. 

Peut-être  les  délégués  parviendraient-ils  à  s'entendre  sur  les 
ije<uresà  prendre  dans  un  intérêt  commun;  tout  au  moins 
ijus  serions  éclairés  sur  les  vues  des  différents  gouverne- 
ments. 


Le  Myre  de  ViLERs, 

Ancien  député  de  la  Gochinchine. 


QcssT.   Du»!-.  «T  Col.  —  t.  xt. 


LE    CONFUT    ANGLO-GERMANO-VÉNÉZUÉLIEN 


Le  conflit  anglo-germano- vénézuélien  que  l'on  put  craindre, 
un  moment,  de  voir  s'aggraver  et  s'étendre,  à  la  suite  des  me- 
sures coercitives  plus  ou  moins  brutales  prises  par  les  escadres 
alliées,  allemande  et  anglaise,  peut  être  considéré,  dès  à  présent, 
comme  virtuellement  terminé,  grâce  au  président  Roosevelt 
qui  a  su  déterminer  les  puissances  intéressées  à  soumettre  leurs 
différends  à  la  Cour  permanente  d'arbitrage  instituée  par  la  con- 
férence de  la  Haye.  On  ne  peut  que  se  réjouir  d'enregistrer 
enfin  ce  recours  à  une  juridiction  pacifique  créée  si  pénible- 
ment, en  1899,  et  dont  l'Europe  parut  presque  aussitôt  ne 
tenir  aucun  compte  ;  mais  n'est-ce  pas  un  curieux  et  un  édifiant 
spectacle  de  voir  aujourd'hui  les  Etats-Unis  obliger  l'Angle- 
terre et  l'Allemagne  d'admettre,  pour  la  solution  de  leur  que- 
relle avec  le  Venezuela,  la  procédure  de  l'arbitrage  qu'ils  ont 
naguère  si  implacablement  refusée  à  la  malheureuse  Espagne? 

Quant  à  la  fameuse  doctrine  de  Monroô,  en  vertu  de  laquelle 
les  Etats-Unis  se  sont  déclarés  les  protecteurs  de  l'indépendance 
et  des  territoires  de  toutes  les  autres  républiques  américaines, 
on  a  pu  constater  que  les  cabinets  de  Londres  et  de  Berlin, 
sans  la  reconnaître  en  termes  formels,  ont  dû  faire  préalable- 
ment, l'un  et  l'autre,  des  déclarations  explicites  de  désintéres- 
sement territorial,  ce  qui  équivaut  pratiquement  désormais  à  la 
reconnaissance  de  la  doctrine  par  les  puissances  européennes. 

Rappelons  maintenant  les  causes  apparentes  et  les  premiers 
événements  du  conflit. 


L'Allemagne  possède  au  Venezuela  des  intérêts  considérables. 
Le  nombre  de  ses  nationaux  y  atteint  presque  le  millier*.  Son 
commerce  en  1901,  bien  qu'en  diminution  sensible  sur  le 
chiffre  de  1891,  s'élevait  encore  à  21  millions  de  francs  environ. 
Les  trois  quarts  de  l'exportation  du  café  passent  par  les  maisons 
allemandes  de  Maracaïbo  et  Puerto-Cabello.  L'ensemble  des 
firmes  et  plantations   allemandes   présente  une   valeur  totale 

1  Population  du  Venezuela  en  1898,  2.444.816  habitants,  dont  25.000  créoles  et 
44.129  étrangers  :  13.558  Espagnols,  11.081  Colombiens,  6.154  Anglais,  3.729  Hollan- 
dais, 3.179  Italiens,  2.545  Français,  962  Allemands,  232  Nord-Américains.  —  Com- 
merce en  1898  :  74  millions,  5  aux  exportations  et  42,8  aux  importations.  — 
Budget  1901  :  37  millions.  —  Revenu  des  douanes  en  1901  :  21  millions  300.000  Tr. 


LE    CONFLIT  ▲N6L0-GERMAN0-VÉNÉZUÉLIEN  19 

«le  iOO  millions  de  francs  environ.  L'entreprise  la  plus  impor- 
tante, mais  la  plus  directement  soumise  aux  répercussions  des 
:/oubles  et  du  mauvais  état  des  finances  de  la  République,*  est 
li  Compagnie  allemande  des  chemins  de  fer  du  Venezuela^ 
f'tndée  en  1888,  au  capital  de  75  millions  de  francs,  exploitant 
la  ligne  de  180  kilomètres  qui  réunit,  depuis  1894,  Caracas  à 
Valencia  par  une  série  de  86  tunnels  et  de  182  viaducs  et  ponts 
métalliques  ;  elle  jouit  bien,  en  principe,  d'une  garantie  natio- 
nale de  7  %,  mais,  depuis  1896,  l'Etat,  réduit  aux  abois  par  les 
flsurrections,  ne  lui  a  versé  que  des  sommes  dérisoires  et  n^'a 
nj^mepu  lui  rembourser  les  frais  de  transport  de  troupes;  les 
*iercices  de  1901  et  1902  ont  été  désastreux. 

Les  intérêts  de  l'Angleterre  sont  moins  importants,  bien  que 
;e  nombre  de  ses  nationaux  dépasse  6.000.  Le  chemin  de  fer  de 
LaGuayra  à  Caracas  (38  kilomètres),  qui  escalade  hardiment  les 
1.000  mètres  de  différence  d'altitude  répartis  sur  une  distance, 
^.  vol  d'oiseau,  de  10  kilomètres,  entre  la  mer  et  la  capitale, 
lexploitation  du  port  de  La  Guayra,  appartiennent  à  des  com- 
pagnies anglaises  ;  mais  les  maisons  de  commerce  britanniques 
f«»ot  moins  d'affaires  que  les  maisons  allemandes.  Le  pavillon 
iDglais  détient  cependant  la  première  place  dans  le  mouvemçnt 
fe  la  navigation. 

La  France  occupe  aussi  une  place  très  honorable  dans  l'exploi- 
tation économique  du  pays;  le  nombre  de  ses  nationaux  était  de 
2.3i5  en  1898;  on  aura  une  idée  de  l'importance  de  ses  tran- 
sitions et  de  ses  intérêts  en  se  rappelant  que  l'ensemble  de  ses 
créances,  solennellement  reconnues  par  traité,  s'élève  à 
li  millions  de  francs. 

L'Allemagne,  comme  d'ailleurs  presque  toutes  les  puissances 
européennes,  était  en  conflit  aigu  et  incessant  avec  le  Venezuela 
depuis  1898.  Au  cours  des  insurrections  qui  se  sont  succédé 
tiepuis  cette  date,  un  certain  nombre  de  négociants  allemands 
araient  été  sérieusement  lésés.  Tantôt  le  gouvernement  véné- 
zuélien omettait  de  solder  les  fournitures  faites  à  ses  troupes, 
tantôt  de  payer  les  réquisitions  de  toute  sorte  imposées  en 
u^mps  de  guerre  ou  d'indemniser  du  pillage,  tantôt  enfin  de 
rembourser  les  emprunts  forcés  levés  sur  les  négociants  étran- 
gers comme  sur  les  citoyens  du  pays.  Une  commission  d'indem- 
riités  avait  bien  été  créée,  en  janvier  1901,  sur  la  demande 
f-xpresse  du  cabinet  de  Berlin;  mais  elle  avait  rejeté  la  majo- 
rité des  demandes  en  dommages  et  intérêts  et  prétendu  régler 
Vs  dettes  reconnues,  en  papier  sans  valeur.  L'Allemagne  dut 
-entreprendre  elle-même  l'examen  et  la  liquidation  des  récla- 
mations de  ses  ressortissants. 


.^/^ZT^^^^ 


^.-^s^  5T  COtOMALES 

y^      ..  ^.^  3tdl^ la  victoire  des  troupes 

^^  .  ,,^  ^  loin  d'être  domptée  et  pour- 

,<itrtt4    raison  du   président  Castro, 

..    .  i#. 

.  -  4t*  >ttjVts  allemands,  le  refus  de  payer 

.  ^W,iK><>  fr.  réclamée  par  l'Allemagne  et 

.:.  votraetée  par  le  gouvernement  légal   à 

,^^^ni<*  de  chemin  de   fer,  les  destructions 

^i>*v>  sur  la  ligne  par  les  insurgés,  les  diffi- 

^     vat  instant  par  les  autorités  à  l'arrivée  des 

j.-^.omviMs,    un   rédoublement   de  contributions 

^v  rtiai^^^  allemandes  déjà  éprouvées  par  Tarret 

^  iifain^S  provoquèrent  l'irascibilité  assez  naturelle 

.tiemf*  de  son  côté,  avait  de  non  moins  grandes  rai- 
*t  -t»  nfeùndre  du  président  Castro  ;  le  blocus  de  rOréiio- 

"  "Jr  1^  canonnières  gouvernementales  nuisait  considcra- 
oA^Htt  à  son  commerce  de  la  Trinité  ;  ses  nationaux  et  ses 

*^, prêtaient  aussi  malmenés  que  ceux  de  l'Allemagne.  Ses 
^,^j^ii^^5  restaient  également  impayées.  Aux  réclamations  an- 
'tois^*  le  Venezuela  riposta  par  une  demande  de  satisfac- 
tKUi  »u  sujet  de  la  vente  aux  insurgés  du  vapeur  e'cossais  Ban 
f^h  qui,  sous  le  nom  de  Libertador,  monté  en  guerre  par 
un  équipage  indigène,  ravitaillait  à  ce  moment  Tinsurrection, 
en  dépit  de  toutes  les  croisières. 

Les  deux  grandes  puissances  se  crurent  atteintes  dans  leur 
dignité  par  les  vivacités  de  langage  d'un  chef  d'Etat,  réduit 
aux  abois  par  les  difficultés  extérieures  et  intérieures,  et  réso- 
lurent de  mettre  fin  à  une  situation  qui  pouvait  encore  se 
traiter,  avec  un  peu  de  patience,  par  de  fermes  remontrances  ou 
une  saisie  de  douanes.  On  connaît  dès  lors  les  événements. 

Seize  navires  anglo-allemands,  déplaçant  au  total  48.000  ton- 
nes, montés  par  4.500  marins,  disposant  de  315  pièces  d'artil- 
lerie et  mitrailleuses,  de  30  tubes  lance-torpilles,  s'approchent 
des  eaux  vénézuéliennes. 

Le  7  décembre,  remise  d'un  ultimatum  au  président  Castro 
par  les  ministres  d'Allemagne  et  d'Angleterre  à  Caracas,  présen- 
tation impérative  de  deux  notes  à  payer  de  13  et  20  millions, 
demande  expresse  de  garanties  immédiates,  sans  attendre  le 
résultat  des  négociations  engagées  par  la  République  vénézué- 
lienne avec  des  financiers  nord-américains  pour  le  règlement 
définitif  des  questions  en  litige.  Surviennent  ensuite  la  saisie 
de  navires  vénézuéliens  dans  le  port  même  de  La  Guayra  ; 
l'attaque  sommaire,  par  un  croiseur  allemand,  sans  déclara- 


22  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

tien  de  guerre,  de  deux  canonnières,  vite  désemparées  et  cou- 
lées à  fond  sous  le  prétexte  extraordinaire  qu'elles  n'ont  aucune 
valeur  militaire.  L'Angleterre,  qui  n'est  généralement  pas 
arrêtée  par  des  scrupules  de  ce  genre,  n'hésite  pas  à  déclarer 
officiellement  qu'elle  n'est  pour  rien  dans  cette  exécution  facile 
qui  ne  servit  qu'à  gagner  des  s^Tnpathies  au  Venezuela.  La 
presse  européenne,  celle  de  Berlin  exceptée,  s'accorde  avec  les 
journaux  américains  pour  blâmer  une  inutile  brutalité  ;  le 
Venezuela  y  répond  par  la  mise  en  liberté  des  sujets  anglais  et 
allemands  incarcérés  dans  un  premier  mouvement  de  colère. 

Puis,  c'est  la  continuation  de  la  saisie  de  la  marine  vénézué- 
lienne ;  c'est  le  bombardement  du  fort  de  Puerto-Cabello,  tou- 
jours sans  déclaration  de  guerre,  après  un  simple  ultimatum 
local  accordant  deux  heures  de  délai  pour  désavouer  la  saisie 
d'un  vapeur  anglais  par  une  bande  d'énergumènes. 

A  la  destruction  et  à  la  capture  de  bateaux,  au  bombarde- 
ment pacifique,  succède  le  blocus  pacifique.  Mais  les  Etats- 
Unis  se  fâchent,  exigent  une  déclaration  de  guerre  et  le  blocus 
effectif  :  l'amiral  Dewey  concentre  son  escadre,  dite  de  ma- 
nœuvre, composée  de  8  cuirassés,  10  croiseurs  et  d'un  nombre 
respectable  de  contre-torpilleurs  et  de  torpilleurs.  Après  de 
longues  hésitations,  l'Angleterre,  qui  sort  à  peine  des  épreuves 
de  la  guerre  sud-africaine  et  qui  redoute  les  suites  d'une  aven- 
ture mal  engagée,  fait  entendre  raison  à  l'Allemagne  et  la 
décide  enfin  à  déclarer  la  guerre  formellement. 

Entre  temps,  toutes  les  puissances  créancières  du  Venezuela, 
craignant  de  ne  plus  trouver  un  bolivar  en  caisse  après  que 
les  deux  grandes  nations  se  seront  servies,  présentent  simul- 
tanément leur  note  à  payer.  L'Italie  demande  2.800.000 
francs,  et  désireuse  de  parler  en  grande  puissance,  envoie  trois 
croiseurs  appuyer  fièrement  ses  revendications.  Les  Etats-Unis, 
eux-mêmes,  par  précaution,  afin  de  se  munir  d'un  motif  maté- 
riel d'intervention,  et  au  besoin  d  une  excuse  utile,  exhibent  à 
leur  tour  une  facture  de  500.000  francs.  La  France  se  contente 
d'affirmer  la  priorité  de  ses  droits. 

L'Angleterre  devient  de  plus  en  plus  mécontente  de  figurer 
dans  ce  concert  de  porteurs  de  contraintes  et  cherche  une 
excuse  à  cette  compromission  en  déclarant,  par  l'organe  de 
M.  Balfour,  qu'elle  est  surtout  entrée  en  lice  pour  laver  un 
affront  fait  à  son  pavillon. 

Survient  la  demande  d'arbitrage  de  M.  Castro;  la  presse 
américaine  appuie  cette  demande  vigoureusement,  dénonce 
les  ambitions  allemandes  sur  l'île  Margarita  et  le  Brésil  méri- 
dional; elle  manifeste  habilement  sa  confiance  dans  l'amitié  et 


LK  CONFLIT  ANGLO-GERMANO-VÉNÉZUÉLIEN  %3 

la  bonne  foi  de  la  Grande-Bretagne  et  lui  conseille  d'arrêter  son 
alliée  dans  la  voie  des  mesures  coercitives  qui  seraient  de 
nature  à  faire  sortir  les  Etats-Unis  de  leur  neutralité. 

Londres,  Berlin  et  Rome,  après  avoir  longuement  réfléchi, 
acceptent  le  principe  de  l'arbitrage  sous  réserve  des  garanties 
d'exécution;  puis,  sur  les  instances  de  M.  Roosevelt,  consentent 
finalement  à  recourir  à  la  Cour  arbitrale  permanente  de  la  Haye. 

Pendant  tous  ces  pourparlers,  le  blocus  effectif  est  étendu 
intégralement  aux  côtes  vénézuéliennes  et  les  croiseurs  anglo- 
gennano-italiens  se  livrent  au  passe-temps  des  captures  inoffen- 
sîves,  mais  essentiellement  désagréables,  des  navires  vénézué- 
liens transportant  des  marchandises  pour  le  compte  des  neutres. 


Que  pouvait-il  sortir  de  ce  conflit?  Assurément,  rien  de 
bon  pour  la  paix  du  monde.  Le  mécontentement  du  commerce 
américain,  plus  particulièrement  lésé  par  un  blocus,  dont  on  ne 
pouvait  prévoir  la  durée,  aurait  fort  bien  pu  créer  de  graves 
incidents  et  mettre  aux  prises  les  Etats-Unis  avec  les  puissances 
intervenantes. 

D'un  autre  côté,  le  président  Roosevelt,  reculant  devant  la 
responsabilité  d'un  arbitrage  qui  eût  associé,  au  moins  morale- 
ment, les  Etats-Unis  aux  mesures  exécutoires  imposées  au 
Venezuela  par  une  sentence  arbitrale  facile  à  prévoir,  devait 
forcément  décliner  pour  lui-môme  les  fonctions  d'arbitre,  en 
donnant  pour  raison  le  motif  si  habilement  créé  par  la  créance 
invoquée  au  dernier  moment,  qu'il  ne  pouvait  être  à  la  fois  juge 
et  partie. 

Les  arrière-pensées  du  concert  anglo-germano-italien,  ou 
plutôt  de  TAUemagne,  se  trouvèrent  ainsi  déjouées. 

Il  était  visible  que  Guillaume  II,  après  avoir  appelé  Tltalie 
à  la  rescousse,  maintenait  TAngleterre  en  ligne,  malgré  les 
invectives  décochées  par  la  presse  anglaise  à  l'égard  de  Venne- 
mie  déclarée,  espérant  que  les  négociations  prochaines  brouil- 
leraient peut-être  les  cartes  ou  laisseraient  des  germes  d'irrita- 
lion  capables  de  déterminer  tôt  ou  tard  avec  la  grande 
République  quelque  vive  explication. 

Celte  redoutable  éventualité  paraît  aujourd'hui  conjurée  ^  et 
tout  fait  prévoir  que  l'Allemagne  saura  comprendre  que  son 

I  i^g  Daily  Mail  résume  à  peu  près  l'impression  générale  dans  ces  lignes  ; 

,  Voilà  donc  terminé  un  des  incidents  les  moins  glorieux  de  ces  dernières  années. 
Ce  qu'il  T  avait  de  juste  dans  nos  réclamations  a  été  obscurci  par  notre  diplomatie 
.îiepteet  irréfléchie.  L'alliance  avec  l'Allemagne  dans  une  affaire  suspecte  a  réveillé 
la  suspicion  de  la  nation  entière.  » 


24  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

alliée  momentanée,  entraînée  par  surprise  à  sa  remorque,  est 
actuellement  décidée  à  se  retirer  d'une  aventure  dangereuse  et 
impopulaire,  et  que,  renonçant  à  ses  prétentions  rigoureuses  à 
l'égard  du  faible  Venezuela,  Guillaume  II  ajournera  sine  die  le 
règlement  de  comptes  qu'il  croyait  pouvoir  entamer  avec  la 
grande  rivale  économique  du  Nouveau-Monde. 

Les  Etats-Unis,  un  moment  embarrassés  par  l'offre  des  alliés 
de  recourir  à  leur  arbitrage,  ont  trouvé,  comme  nous  venons  de 
le  dire,  le  moyen  de  se  dégager  et  de  rendre  en  même  temps 
service  à  la  cause  du  droit  et  de  la  paix.  Il  semble  que  l'éta- 
blissement d'une  commission  internationale  de  la  dette  véné- 
zuélienne jusqu'à  règlement  complet  des  créances  étrangères 
soit  le  meilleur  moyen  de  concilier  les  intérêts  des  créanciers 
et  les  susceptibilités  américaines. 

On  est  heureux  de  constater  que  la  France  apparaît  en  excel- 
lente posture  dans  le  différend  actuel.  Elle  a  su  résoudre  juridi- 
quement et  sans  brutalité  ses  difficultés  avec  le  Venezuela;  les 
puissances  ont  reconnu  spontanément  un  droit  d'antériorité  à 
ses  créances.  Quelle  que  soit  l'issue  du  conflit,  elle  ne  peut 
que  recueillir  d'heureux  résultats  de  son  attitude. 

Les  événements  actuels  doivent  cependant  lui  servir  de  leçon 
et  dessiUer  ses  yeux  au  moment  où  certains  idéologues,  con- 
fiants dans  le  progrès  des  sentiments  pacifiques  et  des  idées  de 
justice  parmi  les  peuples,  prédisent  la  fin  des  conflits  brutaux. 
L'attentat  consommé  par  TAngleterrc  contre  les  paisibles  répu- 
bliques sud-africaines,  les  encouragements  à  la  violence  don- 
nés jadis  par  Guillaume  II  à  son  corps  expéditionnaire  de  Chine, 
les  rigueurs  excessives  déployées  à  Tégard  du  Venezuela  alors 
qu'il  suffisait  d'exercer  une  simple  saisie  de  douanes,  leur 
infligent  un  éclatant  démenti.  Il  est  manifeste  que  le  droit  des 
nations  faibles  ou  naïvement  débonnaires  sera  plus  cynique- 
ment violé  qu'autrefois,  et  la  guerre  de  demain  aura  un  caractère 
aussi  brutal  que  par  le  passé.  En  pareille  matière,  les  illu- 
sions sont  mortelles  ;  nous  devons  plus  que  jamais  nous  péné- 
trer «du  principe  que,  pour  être  assuré  de  vivre  en  paix,  il  faut 
disposer  d'un  outil  de  guerre  assez  fort  pour  ôter  à  nos  agres- 
seurs éventuels,  quels  qu'ils  soient,  toute  pensée  et  toute  espé- 
rance de  pouvoir  un  jour  nous  imposer  leur  domination. 


LE 

ïffl^  CONGRÈS  INTERNATIONAL  DES  ORIENTALISTES 

A    HAMBOURG 


Dans  sa  session  de  Rome,  en  .octobre  1899,  le  XIP  Congrès 
international  des  Orientalistes  avait  désigné  Hambourg  comme 
siège  de  la  future  session,  en  1902.  Ce  qui  avait  déterminé  ce 
choix,  ce  n'est  pas  la  place  que  tient  Hambourg  dans  This- 
toire  des  études  orientales.  On  ne  trouve  guère  h  signaler  dans 
le  passé,  comme  s'étant  distingué  dans  ses  recherches,  que  Ilinc- 
kelmann,  l'éditeur  du  Qoràn,  Bertheau,  Baur.  Quant  aux  orien- 
talistes et  aux  voyageurs  comme  Barth  dont  cette  ville  est  la 
patrie,  ils  y  ont  tenu  moins  de  place  que  dans  les  endroits  où  ils 
enseignèrent  et  où  ils  passèrent  leur  vie  *.  Il  n'y  a  pas  aujourd'hui 
Je  ville  d'université  allemande  qui  ne  soit  plus  qualifiée  que 
Hambourg  dîins  cet  ordre  d'études. 

Mais  une  considération  s'imposait;  la  situation  particulière 
de  ce  port,  la  seconde  ville  commerciale  de  l'Europe,  pour  le 
commerce  de  TOrient  et  les  colonies  allemandes  *.  Aussi  une 
s**clion  coloniale  (lalX*)  avait  été  ajoutée  aux  huit  autres  :  lin- 
.iruistique  générale,  Inde  et  Iran,  Indes  orientales  et  Océanie, 
Asie  orientale  et  centrale;  Sémitisme  en  général,  Islam,  Kgyp- 
tologie  et  langues  africaines.  Action  réciproque  de  TOrient  et 
de  r Occident.  Chacune  de  ces  sections  était  placée  sous  la  pré- 
sidence provisoire  d'un  savant  allemand  et  il  est  aisé  de  prévoir 
que  la  IX*  devait  être  la  plus  importante. 

II  n'en  fut  pas  ainsi  :  les  futurs  membres  apprenaient  bientôt 
que  les  points  qui  devaient  y  être  traités  touchaient  de  trop  près 
à  des  questions  controversées  sur  des  matières  politiques,  éco- 
nomiques et  religieuses.  On  ne  reconnut  d'ailleurs  ces  incon- 
vénients éventuels  que  lorsque  le  gouvernement  allemand  eut 

ï  La  brochure  de  M.  Behamaxn,  Ramburg's  Orientalisterij  Hambourg,  1902,  in-.So, 
n  est  qu'une  liste  de  noms  insignifiants  pour  la  presiiue  totalité  :  elle  ne  saurait  faire 
illusion  sur  l'importance  de  Hambourg,  comme  centre  d'orientalisme. 

•  On  trouvera  des  renseignements  sur  Hambourg  qui  tend  à  devenir  la  tête  de  ligne 
k  foute  Ja  navigation  allemande  et  qui  est  déjà  le  principal  port  de  Ihinterland  alle- 
mand, dans  l'excellent  volume  de  M.  de  Rousiers,  Hambourg  et  l'Allemagne  contem- 
poraine (Paris»  1902,  in-18  jés.),  qui  a  été,  ici  même,  l'objet  d'un  compte  rendu.  Ce 
•roc  le  chapitre  V  a  de  trop  sommaire  sur  l'histoire  de  la  navigation  peut  être  com- 
'>'f'té,  en  ce  q^i^  concerne  le  Levant,  par  l'élégante  plaquette  récemment  publiée  : 
UamJburg's  Bhederei  und  die  Levante  imlXlen  Jahrhundert,  Hambourg,  1902,  in-S". 


26  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  1£T  CQLÛHIAUM 

décidé,  pour  le  mois  d'octobre,  Touverture  d'un  congrès  colonial 
qui  priva  celui  de  Hambourg  de  la  section  qui  faisait  sa  princi- 
pale raison  d'être. 

Conformément  au  règlement,  un  comité  d'organisation  se 
forma,  composé  de  notabilités  de  Hambourg,  parmi  lesquelles 
on  voyait  iigurerj*  outre  les  sénateurs  et  les  principaux  fonction- 
naires, Ye  ministre  résident  de  Russie  et  le  consul  général  d'An- 
gleterre. Ce  comité,  assez  nombreux,  choisit  dans  son  sein  un 
comité  central  présidé  par  M.  Mônckelberg,  le  premier  bourg- 
mestre. On  doit  reconnaître  que  le  comité  prit  tout  le  soin  pos- 
sible pour  s'acquitter  de  sa  tâche  d'organisation. 

Elle  ne  fut  cependant  pas  facilitée  partout.  S'inspirant  des 
précédents  du  X®  Congrès  (Genève,  1894),  du  XI"  Congrès 
(Paris,  1897),  du  XIP  (Rome,  1899),  le  comité  avait  demandé 
que  des  avantages  fussent  accordés,  sur  les  chemins  de  fer  alle- 
mands, aux  congressistes.  Une  lettre  du  ministre  prussien  des 
travaux  publics  (11,  c.  3497),  lignée  Von  der  Leyden,  fit  savoir 
au  bourgmestre  qu'il  n'y  avait  pas  de  faveur  à  espérer,  étant 
donnée  la  durée  des  billets  ordinaires  d  aller  et  retour  *.  Sans  se 
laisser  arrêter  par  cette  lin  de  non-recevoir,  le  comité  lança  ses 
invitations,  et  de  toutes  parts  on  répondit  à  son  appel.  L'Air 
lemagne,  l'Autriche,  la  Belgique,  la  Chine,  la  Confédération 
argentine,  le  Danemark,  l'Egypte,  l'Espagne,  la  Franco,  la 
Grèce,  la  Hongrie,  l'Inde,  l'Italie,  le  Japon,  le  Mexique,  le 
Monténégro,  la  Norvège,  le  Paraguay,  les  Pays-Bas,  la  Perse,  le 
Portugal,  la  Roumanie,  la  Serbie,  le  Siam,  la  Suède,  la  Tur- 
quie et  les  principaux  savants  de  ces  pays,  ainsi  que  de  l'An- 
gleterre, de  rÉcosse,  des  Etats-Unis  et  de  la  Suisse,  se  firent 
représenter.  M.  le  gouverneur  général  Revoil  m'avait  délégué 
comme  représentant  de  l'Algérie,  avec  mission  de  proposer 
Alger  comme  siège  du  futur  congrès. 

L'accueil  fait  par  la  ville  de  Hambourg  fut  des  plus  sympathi- 
ques. Je  ne  ferai  pas  la  description  des  fêtes  organisées  par  le 
Congrès  et  le  gouvernement  :  il  me  suffit  d'énumérer  une  récep- 
tion du  Sénat  à  THôtel  de  Ville,  une  représentation  de  gala  au 
théâtre  de  la  ville,  une  excursion  en  bateau  jusque  dans  la  mer 
du  Nord,  une  fête  nautique  à  l'Alsterlust,  enfin  un  banquet  au 
Jardin  zoologique.  Toutes  ces  fêtes  réussirent  parfaitement. 

La  séance  d'ouverture  du  Congrès,  qui  était  également  la  pre- 
mière séance  plénière,  eut  lieu  le  vendredi  5  septembre  à  l'heure 
tardive  de  dix  heures  et  demie.  M.  Senior  Behrmann  fut  acclamé 

1  II  est  à  remarquer  que,  dans  cette  lettre  officielle,  M.  Mônckelberg  était  simple- 
ment qualifié  de  Rochwohlgeboren.  Or  le  bourgmestre  de  Hambourg  en  fonctions  a 
le.  rang  de  chef  d'État  et  son  titre  officiel  est  Seine  Magnificenz, 


LB    XIII*   CONGRÈS   IKTERNATIONAt  DES   ORIENTALISTES  W 

comme  président  du  Congrès  et  M.  le  bourgmestre  Mônckelberg 
président  d'honneur.  Le  bureau  fut  élu  sur  la  proposition  du 
président;  il  comprenait  deux  vice-présidents  (MM.  Brinck- 
mann  de  Hambourg  et  Kautsch  de  Halle)  et  trois  secrétaires 
MM.  Sieveking  de  Hambourg,  Bertholet  de  Bàle,  et  Jackson  de 
New- York).  \^n  certain  nombre  de  délégués  vinrent  apporter  les 
salutations  de  leurs  gouvernements  et  Theure  était  très  avancée 
quand  on  aborda  la  proposition  de  M.  Naville,  de  Genève,  ten- 
dant à  supprimer  la  publication  des  Actes  du  Congrès  et  à 
les  remplacer  par  un  simple  résumé. 

Cette  proposition,  très  grave,  ne  tend  rien  moins  qu*à  sup- 
primer le  Congrès  comme  réunion  scientifique.  Les  arguments 
de  M-  Naville  sont  les  suivants  :  les  volumes  en  question,  ren- 
fermant les  Actes,  ne  paraissent  que  longtemps  après  le  Con- 
jurés; ils  sont  disparates,  renfermant  des  travaux  sur  les 
langues  les  plus  diverses.  Ce  furent  les  raisons  mises  en 
avant.  Il  en  existait  une  autre  qu'on  ne  jugea  pas  à  propos  de 
produire  :  c'est  l'accroissement  des  dépenses  et  la  difficulté  d'y 
faire  face  avec  les  seules  souscriptions. 

Mais  ces  difficultés  sont  toutes  d'ordre  intérieur  et  une  simple 
réglementation-  peut  aisément  les  faire  disparaître.  En  ce  qui 
loncerne  le  retard  de  la  publication,  il  n'y  a  qu'à  décider  que 
tout  travail  qui  ne  serait  pas  remis,  ne  vaj*ietui\  dans  le  délai 
cîe  trois  mois  après  la  clôture  de  la  session,  serait  exclu.  La 
Commission  de  publication  devrait  se  charger  de  corriger  les 
épreuves  et  de  donner  le  bon  à  tirer. 

Quant  au  second  argument,  il  ne  tendrait  rien  moins  qu'à 
supprimer  les  journaux  des  diverses  sociétés  asiatiques  ou 
orientales,  qu'il  s'agisse  de  celles  de  Paris,  de  Londres,  de 
Leipzig,  de  Florence,  de  New-Haven,  etc.  On  voit  en  effet  dans 
ces  publications  des  articles  sur  l'Extrême-Orient  voisiner  avec 
des  études  berbères  ;  des  mémoires  d'égyptologie  avec  des  tra- 
vaux sur  l'arabe  ou  le  turk,  etc.  Ce  contact  est  utile  au  con- 
traire, surtout  à  une  époque  où  l'on  tend  trop  à  se  spécialiser 
^i  à  ignorer  ce  qui  se  passe  en  dehors  du  dotnaine  restreint  où 
J  on  s'est  cantonné. 

En  ce  qui  concerne  la  question  pécuniaire,  qu'on  n'a  pas 
mise  en  avant  et  qui  était  la  plus  importante,  on  peut  avoir 
recours,  pour  la  régler,  à  divers  moyens  :  soit  une  allocation 
supplémentaire  du  gouvernement  du  pays  où  se  tient  le  Con- 
grès ;  soit  une  élévation  de  cotisation  pour  les  membres  qui 
feulent  posséder  les  Actes  ;  soit  enfin  pleins  pouvoirs  accordés 
à  A/ commission  de  publication  pour  restreindre  l'étendue  des 
rolames  dans  la  mesure  du  reliquat  des  fonds. 


28  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

Les  difficultés  qu'on  faisait  valoir  ne  sont  donc  pas  insur- 
montables; en  revanche,  le  maintien  du  projet  Naville  [fera 
rapidement  baisser  le  niveau  du  Congrès.  Il  ne  faut  pas  ou- 
blier que  les  congressistes  peuvent  se  diviser  en  deux  caté- 
gories :  les  orientalistes,  qui  viennent  lire  un  mémoire  et  dis- 
cuter une  question,  et  les  amateurs,  séduits  par  les  avantages 
matériels  qui  sont  faits  à  cette  occasion,  la  facilité  du  voyage 
et  des  excursions,  les  fêtes  données,  etc.  Cette  seconde  catégorie 
se  soucie  peu  d'avoir  ou  non  les  volumes  des  mémoires  qu'elle 
écoule  souvent,  quand  elle  les  retire,  chez  les  bouquinistes. 
Aussi  le  nombre  des  adhérents  de  cette  catégorie  ne  fera  que 
s'accroître  en  raison  directe  des  attractions  dont  le  Congrès  est 
Toccasion.  Mais  en  sera-t-il  de  même  en  ce  qui  concerne  l'élé- 
ment sérieux?  Il  est  bien  évident  —  et  le  fait  s'est  déjà  produit 
pour  Hambourg  à  l'annonce,  dans  le  troisième  bulletin,  de  la 
proposition  de  M,  Naville  —  que  ceux  des  orientalistes  qui 
ne  pourront  pas  se  rendre  au  Congrès  s'abstiendront  de  sous- 
crire pour  ne  retirer  qu'un  volume  de  résumés,  souvent  et  for- 
cément incomplets,  ce  qui  ne  les  dispensera  pas  d'acheter  les 
diverses  revues  où  seront  dispersés  les  mémoires  qu'ils  au- 
raient trouvés  réunis  dans  les  Actes  du  Congrès. 

Mais  ces  revues  elles-mêmes  ne  seront-elles  pas  bientôt 
encombrées  si,  en  dehors  de  leurs  articles  ordinaires,  elles  doi- 
vent encore  publier  les  mémoires  de  leurs  nationaux  ?  Et  il  ne 
faut  pas  oublier  que  plusieurs  pays  ne  possèdent  pas  d'organes 
de  ce  genre.  En  outre,  quel  intérêt  aurait  Tauteur  d'un  mé- 
moire à  le  soumettre  à  un  Congrès,  alors  qu'il  est  obligé  de 
le  publier  ailleurs  ?  Les  congrès  se  réduiront  donc  à  n'être 
qu'une  petite  parlotte  entre  deux  douzaines  d'orientalistes,  et 
aussi  une  concurrence  à  V Agence  Cook  en  raison  des  facilités 
accordées  aux  touristes. 

Ces  considérations  engagèrent  les  savants  les  plus  autorisés, 
tels  que  MM.  de  Goeje,  Nœldeke,  Goldziher,  Guidi,  etc.,  à  s'op- 
poser à  l'adoption  de  la  proposition  de  M.  Naville  et  à  décider 
qu'elle  serait  renvoyée  à  une  commission.  Mais  comment 
serait  nommée  cette  commission  ?  Le  bon  sens  indiquait 
qu'elle  devait  se  composer  de  délégués  élus  à  raison  d'un  par 
section  :  ce  sont  évidemment  les  congressistes,  faisant  acte 
de  présence  dans  ces  dernières,  qui  sont  intéressés  à  la  chose.- 
Mais  rheure  était  avancée,  les  estomacs  criaient  famine,  la 
confusion  ne  faisait  que  croître  et  ce  fut  au  milieu  d'un  cer- 
tain tumulte  que  M.  Behrmann  annonça,  sans  que  l'assemblée 
fût  appelée  à  voter,  la  constitution  d'une  commission  unani- 
mement favorable  à  la  proposition  Naville. 


I 


LE    XIU*    CONGRÈS  INTERNATIONAL   DES   ORIENTALISTES  ^9 

Conformément  à  Tusage,  la  présidence  des  sections  fut  ré- 
servée aux  orientalistes  étrangers.  C'est  ainsi  que  celle  de 
.Inde  fut  réservée  à  M.  Rhys  Davids,  de  Londres;  celle  de 
riran  à  M.  Salemann,  de  Pétersbourg  ;  celle  des  rapports  entre 
!a Grèce  et  TOrient  à  M.  Cumont,  de  Bruxelles;  celle  de  TAsie 
orientale  à  M.  Thomsen,  de  Copenhague  ;  la  section  sémitique 
Lvnérale  fut  présidée  par  M.  Buhl,  de  Copenhague  ;  la  section 
iiiulsumane  par  M.  de  Goeje,  de  Leyde  ;  celle  d'égyptologie  par 
\l.  Xaville,  de  Genève.  La  troisième  section,  Australasie  et 
' kéanie,  ne  réussit  pas  à  se  constituer.  Enfin  la  présidence  de 
la  section  des  langues  africaines  me  fut  dévolue. 

11  me  suffira  d'énumérer  la  liste  des  principaux  mémoires 
lus  dans  chaque  section  :  je  ne  saurais,  bien  entendu,  repro- 
iiiire  le  détail  des  discussions  auxquelles  quelques-uns  d'entre 
tux  donnèrent  lieu,  encore  moins  les  analyser. 

Section  I.  —  Linguistique  générale. 

^liEDiA  i^Scutari)  :  Sur  la  prononciation  des  palatales  dans  les  divers  dialectes 

albanais, 
Thurnevsen   (Fribourg-en-Brisgau)  :    Le  futur  périphrastique   en  ancien 

indien, 
••r'Hâ.NNSON  (Upsala)  :  Une  loi  phonétique  indo-germanique. 

Section  U,  —  A.  Inde. 

WicKBEMASiNGHE  (Oxford)  :  Progrès  dcs  recherches  archéologiques  à  Ceylan, 

FuvcHER  (Paris)  :  V École  française  d* Extrême-Orient. 

."^TEiN  (Rawalpindi)  :  Voyage  d'exploration  archéologique  dans  le  Turhestan 

lîENDAL  (Cambridge)  :  Note  sur  Vhisloire  du  canon  pâli  dans  le  Nord  de 

ilnde. 
pjiNGOT  (Francfort)  :  Progrès  du  bouddhisme  dans  r  Inde  et  dans  V  Ouest. 
KuHN'  (Munich)  :  État  des  travaux  relatifs  à  la  rédaction  d'un  manuel  aryo- 

indien. 
L.  DE  Se  H  BOEDER  (Vienne)  :  Plan  d'aune  édition  critique  du  Mahabharata. 
f'':LLÊ  'Bologne)  :  Cartographie  ancienne  de  Vlnde. 
irRAMARE  (Genève)  :  Le  Yajamana,  son  rôle  dans  les  sacrifices  d'après  les 

Srxtes  brahmaniques* 

Section  n.  —  B.  Iran. 

-M.ssoN  CNew-York)  :  Sur  quelques  questions  relatives  à  V ancienne  histoire 

de  la  Perse, 
if'.  ART  (Paris)  :    Résultats  linguistiques   de  V exploration   de    la    Perse  de 

jr.  de  Morgan. 
Chalatîanz  (Moscou)  :  La  légende  des  héros  ai^mcniens, 
KiKOTE  'Grazj  :  Le  verbe  sémitique  en  pehlivi. 


30  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

Section  IV.  —  Asie  centrale  et  orientale. 

KuNOS  (Budapest)  :  Sttr  le  rythme  des  langues  turkes. 

Balint  (Klausenburg)  :  Sur  la  question  des  Huns. 

MiKAMi  (Tokyo)  :  Sur  V Institut  historiographique  de  VUniversité  orientale 

de  Tokyo. 
Donner  (Helsingfors)  :  Fouilles  et  inscriptions  en  ancien  turk  et  en  ouïgour 

dans  le  Turkestan, 
MuRAKAMi  (Tokyo)  :  Relations  du  Japon  et  de  POuest. 

Section  V.  —  Sémitique. 

BuDDE  (Marbourg)  :  La  suscription  du  livre  deJérémie, 

Klein  (Stockholm)  :  Sur  le  livre  de  Daniel, 

Halévy  (Paris)  :  Sur  f  origine  du  syllabaire  cunéiforme, 

GkJTHE  (Leipzig)  :  Sur  les  travaux  de  la  Société  allemande  de  Palestine. 

Kotelmann  (Hambourg)  :  Le  sens  des  couleurs  chez  les  anciens  Hébreux. 

Oppert  (Paris)  :  La  traduction  du  grand  cylindre  de  Gudea. 

Oppert  (Paris)  :  Sur  un  carré  magique  babylonien. 

Homme L  (Munich)  :  Etymologie  du  nom  de  Moab. 

Halévy  (Paris)  :  Origine  de  l'alphabet  sémitique. 

Section  VI.  —  Islam. 

Merx  (Heidelberg)  :  L'introduction  de  V éthique  d'Aristote  dans  la  philosophie 
arabe. 

Sobernheim  (Beriin)  :  Les  inscriptions  de  Baalbeck. 

Seybold  (Tubingen)  :  Un  récit  des  Mille  et  Une  Nuits. 

Montet  (Genève)  :  Une  mission  scientifique  au  Maroc, 

M™«  DE  Lebedev  (Saint-Pétersbourg)  :  Sur  les  droits  de  la  femme  musul^ 
mane  dans  le  mariage. 

Hess  (Fribourg-en- Suisse)  :  Chants  des  Bédouins  de  Qahtan,  avec  repro- 
duction par  le  phonographe. 

Grûnert  (Prague)  :  Vétymologie  chez  les  Arabes.  ^ 

Section  VII.  ^  A.  Eg^ptologie. 

LORET  (Lyon)  :  Horus  le  faucon. 

Schmidt  (Copenhague)  :  Les  cercueils  de  momie  datant  de  la  X J//«  dynastie. 

LiEBLEiN  (Christianua)  :  Sur  les  noms  d*Aménophis  IV, 

Cap  ART  (Bruxelles)  :  Sur  un  nouveau  papyrus  du  Livre  des  morts. 

Breastedt  (Chicago)  :  La  bataille  de  Kadech. 

LoRET  (Paris)  :  Les  procédés  d'éclairage  chez  les  anciens  Égyptiens. 

Th.  Reïnach  (Paris)  :  Sur  ladiOtede  la  colonie  juive  d'Alexandrie. 

Section  Vn.  —  B.  Langues  afk>icaines. 

U.   Basset  (Alger)  :    Rapport  sur   les  études  berbères  et  haoussa  de  1897 

à  1902. 
Stumme  (Leipzig)  :  De  la  métrique  en  berbèi'e  et  en  haoussa. 
Benecke  (Berlin)  :  Principes  d^une  grammaire  comparée  des  langues  bantou. 


LE   Xm*  CONGRÈS  INTERNATIONAL   DES  ORIENTALISTES  31 

Section  vm.  ~  Influence  respective  de  TOrient 
et  de  l'Occident. 

Lehm ANN  (Charlotte nbourg)  :  Vimmigration  des  Arméniens  en  rapport  avec 

T émigration  des  Thraces  et  des  Iraniens. 
Chalatianz  (Moscou)  :  La  version  arménienne  de  la  Chronique  universelle 

d'Hippolyte, 
Bréhier  (ClennoDt-Ferrand)  :  Influence  des  Orientaux  sur  la  civilisation 

occidentale  au  commencement  du  moyen  âge. 
Deissmaxn  (Ileidelberg)  :  Uhellénisation  du  monothéisme  sémitique, 
Adler  (Londres)  :  Les  Juifs  de  Vlnde  et  le  pape  au  xvi«  siècle. 
Karoudès  (ÂthèDes)  :  La  prétendue  ville  des  Byzantins  dahs  la  chronique 

du  roi  d'Assyrie  Asar  Haddon. 

Au  cours  des  séances,  des  vœux  furent  émis  par  les  diverses 
sections  :  le  10  septembre,  ils  furent  soumis  au  vote  de  rassem- 
blée générale  de  clôture  qui  les  adopta.  Voici  les  principaux  : 

Section  n.  —  A.  —  Vœu  pour  la  publication  du  Mahavansa. 

—  Le  XIII*  Congrès  se  permet  d'exprimer  au  gouvernement  français 
•ie  rindo-Chine  ses  respectueux  remerciements  pour  la  part  faite  aux 
études  orientales  par  la  création  de  TËcole  archéologique  de  l'Ëxtri^me- 
Orient  et  de  lui  adresser  ses  félicitations  pour  les  résultats  obtenus. 

—  Félicitations  au  vice-roi  et  au  gouvernement  de  l'Inde  britannique 
T»«Dur  les  encouragements  donnés  aux  études  orientales  lors  de  la  mission 
dp  M.  Stein  en  Kachgarie. 

—  Vœu  tendant  à  ce  que  le  gouvernement  de  Tlnde  vienne  en  aide  à  la 
publication  du  manuel  indo-aryen  de  MM.  Kuhn  et  Scherman, 

—  Vœu  relatif  à  la  publication  des  cartes  de  l'Inde  recueillies  par 
M.  Pulle. 

—  Vœu  relatif  à  la  réorganisation  de  la  Société  des  études  gypsies. 

Section  IV.  —  Projet  d'une  association  internationale  pour  Texplora- 
tion  historique,  archéologique,  linguistique  et  ethnographique  de  l'Asie 
centrale  et  de  l'Extrême-Orient  par  des  Comités  indépendants  nationaux, 
groupés  autour  d'un  Comité  central  résidant  à  Saint-Pétersbourg. 

Section  V.  —  Vœu  tendant  à  ce  que,  dans  les  recherches  faites  pour 
J-5  établissements  de  chemins  de  fer  en  Orient,  le  côté  archéologique  ne 
-oit  pas  négligé. 

Section  VI.  —  La  section  musulmane  se  désiste  en  faveur  do  lacom- 
n]i>»ion  nommée  par  l'Association  internationale  des  Académies  (Paris, 
i»  avril  i90i)  des  pouvoirs  qui  lui  avaient  été  confiés  pour  la  publication 
J-  VEncyclopédie  musulmane, 

La  proposition  de  M.  Naville,  tendant  à  la  suppression  de  la 

fubUcation  des  Actes  du  Congrès,  fut  ensuite  votée  à  une  faible 

monté    où  ne  dominaient  pas  les  orientalistes  de  profession. 


32  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

J'ai  exposé  plus  haut  les  motifs  qui  faisaient  regretter  Tadop- 
tion  de  cette  motion.  Il  appartiendra  aux  congrès  futurs  de 
revenir  sur  cette  décision  qui  ne  les  engage  en  aucune 
façon. 

Renchérissant  sur  cette  mesure,  M.  Rhys  Davids  avait  pro- 
posé six  articles  qui  liaient  les  mains  h  tous  les  congrès  futurs 
et  leur  enlevaient  le  droit  de  régler  leur  organisation  inté- 
rieure. Devant  les  protestations  unanimes  de  l'assemblée,  dont 
M.  Gaster  se  fit  l'interprète,  il  dut  déclarer  que  c'était  simple- 
ment une  indication  qu*il  avait  prétendu  donner.  Quatre  arti- 
cles furent  admis,  sous  le  bénéfice  de  ces  explications,  et  n'en- 
gagent nullement  l'avenir,  puisque  les  congrès  futurs  ont  le 
droit  de  ne  tenir  aucun  compte  des  opinions  de  M.  Rhys 
Davids. 

Enfin  la  deuxième  question  était  la  détermination  du  siège 
du  XIV®  congrès.  J'étais  officiellement  chargé  par  le  gouverne- 
ment général  de  l'Algérie  de  proposer  Alger.  Cette  ville  fut 
choisie  par  acclamation,  la  proposition  du  gouvernement  japo- 
nais en  faveur  de  Tokyo  n'ayant  obtenu  aucune  voix. 

Le  prochain  Congrès  aura  donc  lieu  à  Alger,  aux  vacances  de 
Pâques  190o. 

René  Rasset, 

Correspondant  de  l'Institut, 
Directeur  de  l'EcoU  supérieure  des  lettres  d* Alger, 
Délégué    du    gouvernement    de    l'Algérie 
«  au  XIII*  Congrès  international 
des  orientalistes. 


LES  MISSIONS  CATHOLIQUES  FRANÇAISES 

AU  XIX«  SIÈCLE 


L'essor  prodigieux,  au  xix*  siècle,  de  certaines  puissances 
industrielles  et  exportatrices,  a  été,  chez  nous,  une  source  d'illu- 
>Hjn>  dangereuses.  L'on  a  trop  souvent  cru  que  Tinlluence  d'un 
iptMiple  se  mesurait  seulement  aux  chiffres  de  ses  exportations 
»"t  de  ses  importations,  et  au  nombre  d'hectares  de  ses  domaines 
••  'Icmiaux.  Une  nation  comme  la  nôtre,  qui  a  un  long  passé  et  de 
;.'lorieuses  traditions,  possède,  par  le  monde,  une  clientèle;  elle 
•li-p<)se  de  forces  morales  qui,  pour  n'être  pas  immédiatement 
ippréciables  en  chiffres,  n'en  sont  pas  moins  de  très  précieux  élé- 
im'nts  d'influence,  d'autant  plus  précieux  souvent  qu'ils  sont  plus 
mpondérables.  Notre  histoire,  l'action  de  nos  compatriotes  nous 
'nt  donné  et  nous  donnent  encore,  pourrait-on  dire,  des  colonies 
morales,  où,  sans  posséder  le  sol,  la  France  possède  les  âmes.  Il 
^n  estencore  ainsi,  dans  une  certaine  mesure,  dans  cette  Egypte, 
•  ù  la  trace  du  génie  français  est  partout  imprimée,  et  où 
t.  ni  dliommes,  qui  craignent  de  le  dire  tout  haut,  pensent  tout 
!as  à  la  France  comme  à  la  métropole  naturelle  des  pays 
l'Jrient.  Que  les  missions  catholiques  françaises  soient,  pour  la 
France,  le  moyen  le  plus  efficace,  parce  qu'il  est  le  plus  vraiment 
'!»siiitéressé,  de  gagner  ou  de  garder  la  confiance  et  l'amitié  des 
l'Hiples  lointains,  c'est  ce  qu'aucun  des  Français  qui  ont  eu,  à 
U  [ranger,  la  responsabilité  de  nos  intérêts  nationaux  ne  mécon- 
:i.ùl.  A  peine  de  rares  politiciens  de  cabinet,  ou  quelques  «  intel- 
!^i:tuels»  au  retour  d'un  trop  rapide  voyage,  où  ils  n'ont  voulu 
voir  que  ce  qui  était  déjà,  au  départ,  dans  leur  esprit,  ont-ils 
.  irtois  contesté  cette  vérité  à  laquelle  tous  nos  hommes  d'utat, 
l'itlles  que  fussent  leurs  origines  et  leurs  croyances,  ont 
>ndu  un  éclatant  hommage. 

Aussi  est-ce  véritablement,  au  point  de  vue  national,  auquel 
-iil  nous  voulons  nous  placer  ici,  une  œuvre  excellente  qu'est 

n  Irain  d'accomplir  le  R.  P.  Piolet  en  consacrant  à  toutes  les 
îiiissions  catholiques  françaises,  dans  le  monde  entier,  el  en 

ii-anl  paraître  sous  sa  direction,  un  ouvrage  admirablement 
"lité  et  illustré,  dont  M.  Etienne  Lamy  a  composé  la  Préface 
QoKar.  DiFL.  «t  Col.  —  t.  xv,  3 


34  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

et  dont  M.  Brunetiore  doit  écrire  la  conclusion*.  Le 
P.  Piolet,  bien  connu  de  tous  les  «  coloniaux,  »  est  lui-même 
un  missionnaire;  de  longs  séjours  à  Madagascar  lui  ont 
permis  de  consacrer  à  notre  grande  île  africaine  des  volumes 
très  appréciés;  non  content  d'être  un  apôtre  de  la  foi  chré- 
tienne, il  s'est  fait  encore  un  apôtre  de  la  foi  coloniale  dont 
il  est  l'un  des  plus  ardents  promoteurs  dans  l'opinion  française. 
Arracher  les  Français  à  leurs  divisions  du  dedans,  retremper 
Fâme  de  la  race  dans  les  luttes  et  les  salutaires  efforts 
delà  vie  du  dehors,  refaire,  par  la  colonisation,  une  France  très 
forte  et  digne  de  son  passé  et  de  ses  destinées,  voilà  la  tâche  à 
laquelle  il  a  voué  ses  forces  et  sa  vie.  Son  dernier  ouvrage,  la 
France  hors  de  France  ^,  est  un  chaleureux  et  convaincant 
plaidoyer  en  faveur  de  Témigration  aux  colonies  et  de  la  mise 
en  valeur,  par  nous-mêmes,  de  notre  superbe  domaine  d'outre- 
mer, hç^^  Missions  catholiques  françaises  tendent  au  même  but  : 
montrer  les  éléments  de  la  vitalité  française  hors  de  France,  étu- 
dier Texpansion  de  notre  activité  nationale  dans  Tune  de  ses  plus 
imposantes  manifestations,  prouver,  par  l'exemple,  aux  Fran- 
çais, que  leur  race  est  encore  capable  de  toutes  les  audaces  et  de 
toutes  les  initiatives. 

Cinq  volumes  entiers  ont  paru;  ils  sont  consacrés,  le  pre- 
mier aux  missions  d'Orient,  le  second  à  celles  d'Abyssinie, 
d'Inde  et  dlndo-Chine,  le  troisième  à  celles  de  Chine  et  du 
Japon,  le  quatrième  à  celles  de  FOcéanie  et  de  Madagascar,  le 
cinquième  à  celles  d'Afrique  ;  le  dernier  enfin  parlera  des 
missions  d'Amérique.  Les  missionnaires  de  chaque  province 
ont,  en  général,  raconté  eux-mêmes  leur  œuvre;  il  en  résulte, 
peut-être,  dans  cet  ouvrage,  comme  dans  toutes  les  œuvres 
collectives,  certaines  inégalités,  certaines  disproportions  ;  mais 
il  en  résulte  aussi  une  grande  variété  de  ton  et  vme  grande 
sûreté  d'informations.  Ces  hommes  simples,  vivant  an 
milieu  de  populations  étrangères  à  notre  civilisation  et  à 
nos  mœurs,  ont  écrit  simplement  ;  ils  ont  dit  leurs  efforts, 
leurs  succès,  leurs  déboires  et  aussi  leurs  espoirs;  ils  ont 
énuméré  les  œuvres  fondées,  les  églises  élevées,  donné  les 
chiffres  des  convertis,  dénombré  leur  petit  troupeau.  Le  texte  est 
appuyé  de  nombreuses  et  excellentes  photographies  prises  sur 
place;   non  seulement  elles  rendent  agréable  et  instructif   le 

*  Les  Missions  catholiques  françaises  au  XIX*  siècle ^  publiées  sous  la  direction  du 
p.  J.-B.  Piolet,  avec  la  collaboration  do  toutes  les  sociétés  de  missions.  Illustra- 
tions d'après  des  documents  originaux.  L'ouvrajje,  qui  paraît  par  livraisons,  com- 
prendra 6  volumes  ini-4*.  Cinq  sont  déjà  parus  et  le  sixième  est  en  cours  de  publica- 
tion. Paris,  Armand  Colin  et  C»»-,  éditeurs. 

2  Paris,  Alcan,  i  vol.  in-8P. 


LES  MISSIONS   CATHOLIQUES   FRANÇAISES   AU   XU^   SIÈCLE  35 

seul  fait  de  feuilleter  ces  beaux  volumes,  mais  encore  ellescons- 
lituent  d'admirables  documents,  à  la  fois  précis  et  vivants,  Le 
missionnaire  et  la  sœur  de  charité  y  apparaissent  dans  leur 
tâche  de  chaque  jour,  moins  occupés  de  réunir  de  nombreuses 
assemblées  pour  les  prêcher  que  de  prouver  la  supériorité  de 
leur  foi  par  Fexcellence  de  leurs  œuvres;  nous  les  voyons 
recueillant  les  orphelins,  instruisant  les  enfants,  soignant  les 
malades,  les  lépreux,  nourrissant  ceux  qui  ont  faim,  penchant 
leurs  mains  consolatrices  sur  les  agonies  délaissées.  Grâce  aux 
photographies,  nous  vivons  vraimentde  la  vie  des  missionnaires 
el  (le  celle  de  leurs  néophytes^;  elles  sont  les  témoins  irrécu- 
sables qui,  du  fond  de  la  Chine  ou  de  la  Mésopotamie,  viennent 
témoigner  de  l'activité  inlassable  et  du  patient  labeur  de  nos 
compatriotes  *. 

La  première  impression  qu'éprouve  le  lecteur,  rien  qu'à 
feuilleter  ces  pages  élégantes,  c'est  qu'il  est  en  présence  d'une 
force,  non  pas  précisément  internationale,  mais  supranationale. 
Lon  passe  des  vieilles  races  les  plus  anciennement  civilisées, 
i:omme  les  Chinois  ou  les  Annamites,  aux  peuplades  les  plus 
primitives;  nous  sommes,  avec  le  premier  volume,  chez  les  Turcs, 
à  Constantinople»  en  Egypte;  nous  sommes  avec  le  cinquième 
parmi  les  noirs  du  Congo,  avec  le  sixième  parmi  les  peu- 
plades les  plus  incultes  de  l'Amérique  du  Sud.  Et  nulle  part 
ou  n'a  l'intuition  plus  nette  de  cette  vitalité  et  de  cette  puis- 
sance du  catholicisme,  qui  pénètre  chez  tous  les  peuples  sans 
f^xiger  d'eux  aucune  abdication  de  leur  indépendance  natio- 
nale ;  et  nulle  part,  non  plus,  l'on  ne  comprend  mieux  quel 
précieux  avantage  c'est,  pour  notre  pays,  qu'un  si  grand 
nombre  de  ses  nationaux,  hommes  et  femmes,  fasse  aimer, 
yms  tant  de  climats  divers,  le  nom  de  la  France,  comme  celui 
delà  puissance  secourable,  juste,  mère  des  grands  dévouements. 

A  mesure  que  l'on  tourne  les  pages,  le  cadre  et  le  décor 
changent  :  tantôt  ce  sont  les  glaces  du  Nord,  les  fourrures,  les 
traîneaux,  et  tantôt  TEquateur  avec  ses  forets  tropicales  et 
s**s  immenses  fleuves.  Tantôt  ce  sont  des  Chinois,  aux  cheveux 
tombant  en  natte  dans  le  dos,  qui  remplissent  la  nef  de  la  cha- 
pelle et  que  la  photogravure  nous  montre,  et  tantôt  C(^  sont  des 
noirs  aux  cheveux  crépus,  ou  des  Indous  ;  mais  le  missionnaire 
reste  le  même  ;  il  enseigne  la  même  doctrine,  il  pratique  les 
m»*mes  œuvres,  se  faisant  tout  à  tous,  soignant  les  malades, 
>ecourant  les  misères  ;  seulement  les  moyens,  les  méthodes, 

'  Sîirnalons  aussi  la  valeur»  au  point  dp  vue  (ii>  la  géographie  physique,  d'un 
U.n  nombre  de  ces  phojographies.  Par  exemple,  pour  ne  prendre  que  le  seul 
i-^-tûe  m,  voyez  p.  21,  34^69,  16-),  2«,  27^',  S^S.-^iOS,  333,  339,  345,429,  etc.     '     * 


36  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

les  formes  extérieures  de  Tapostolat  et  de  la  charité  varient; 
nous  avons  sous  les  yeux  un  perpétuel  travail  A" adaptation^ 
dont  tous  ceux  qui  s'occupent  des  questions  coloniales  pourront 
faire  leur  profit  et  tirer  d'utiles  leçons.  C'est  une  preuve,  sans 
cesse  renouvelée  sous  nos  yeux,  de  cette  plasticité  de  TEglise 
catholique  qui  a  su  vivre  au  milieu  des  nations  les  plus  diverses, 
depuis  les  Romains  jusqu'à  nos  jours;  c'est  ce  que  M.  Etienne 
Lamy  a  montré,  dans  sa  belle  préface  consacrée  à  V Apostolat, 
Dans  tout  TOrient  musulman,  depuis  Constantinople  jusqu'en 
Perse,  les  missionnaires  ont  un  rôle  particulier  :  ils  ne  cherchent 
pas  à  gagner  les  maîtres  turcs,  mais,  pour  ainsi  dire,  à  ressusci- 
ter, en  les  ramenant  dans  l'unité  catholique,  les  nationalités, 
chrétiennes  depuis  les  temps  les  plus  anciens,  mais  qu'un  long 
isolement  sous  la  férule  musulmane  a  laissé  s'endormir  dans 
les  vieilles  hérésies  orientales.  Les  ramener,  les  instruire, 
former  un  clergé  catholique  national,  c'est  la  tâche  des 
missionnaires  en  Orient,  c'est  celle  que  le  pape  Léon  XIII  a 
tout  particulièrement  encouragée.  L'institution  du  séminaire 
des  Pères  Blancs,  à  Jérusalem,  est  un  des  multiples  efforts,  qui 
tendent  vers  ce  but  :  refaire  une  église  catholique  orientale. 
Rentrées  dans  l'Eglise  romaine,  les  peuplades  orientales 
cessent  d'être  des  isolées  ;  elles  deviennent,  par  le  fait  même, 
des  protégées  de  la  France,  qui  a,  en  vertu  des  Capitulations 
et  des  traités,  et  par  la  volonté  expressément  formulée  du 
Saint-Siège,  le  Protectorat  exclusif  des  catholiques  dans  l'em- 
pire ottoman.  La  religion,  en  Orient,  est  le  symbole  et  le  rem- 
part de  la  nationalité  ;  les  patriarches  ont  un  rôle  civil  et  poli- 
tique autant  qu'un  rôle  religieux;  ils  sont  vraiment  des 
conducteurs  de  peuples.  De  là  les  difficultés  diplomatiques  qui 
ne  manquent  guère  de  surgir  à  chaque  élection  :  lors  de  l'expé- 
dition de  Mitylène,  l'une  des  concessions  obtenues  par  la 
diplomatie  française  a  été  la  reconnaissance  par  le  Sultan  du 
patriarche  chaldéen  catholique.  Tous  les  gouvernements  qui  se 
sont  succédé  en  France  ont,  jusqu'ici,  rempli  leur  tâche  protec- 
trice et  ils  en  ont  recueilli  les  fruits.  L'empereur  Guillaume  II 
a  été  étonné,  pour  ne  pas  dire  plus,  lors  de  son  retentissant 
voyage  en  Terre-Sainte,  du  peu  d'enthousiasme  des  populations 
pour  le  César  germanique  et  du  nombre  des  drapeaux  français 
qui  flottaient  au  vent  sur  les  villes  pavoisées.  Quand  il  a 
séjourné  à  Beyrouth,  les  villages  maronites  de  la  montagne, 
sauvés  en  1860  par  nos  troupes,  se  contraignirent,  ces  jours-là,  à 
ne  pas  allumer  de  lumières  pour  que  l'on  ne  pût  pas  prétendre 
qu'ils  avaient  illuminé  (I,  p.  32)  !  Cet  Orient  catholique,  qui  est 
en  même  temps  un  Orient  français,  nous  apparaît  ici  sous  un 


LES  MISSIONS  CATHOLIQUES  FRANÇAISES  AU   XIX*  SIÈCLE  37 

aspect,  non  pas  nouveau,  puisque,  pour  ne  parler  que  des  plus 
récents,  d'excellents  ouvrages,  comme  le  beau  livre  de 
M.  Etienne  Lamy*  ou  l'attachant  volume  de  M.  Ludovic 
de  Contenson  *  nous  Tont  fait  connaître  et  aimer,  mais  tou- 
jours intéressant,  d'autant  plus  que  les  rivalités  nationales 
vont  toujours  en  s'accentuant  dans  cette  Asie  Mineure,  cette 
Syrie  et  cette  Babylonie  qui  sont  la  route  terrestre  de  l'Inde. 
Les  régions  du  Tigre  et  de  TEuphrate,  presque  inconnues  il  y  a 
quelques  années,  et  où  les  missions  françaises,  dirigées  par 
des  hommes  de  haute  valeur,  comme  M*?'"  Altmayer,  des  Frères 
'  prêcheurs,  archevêque  de  Babylone,  s'efforcent  de  ramener  à 
Vunité  les  indigènes  nestoriens,  prennent  et  prendront  de  plus 
en  plus,  si  le  chemin  de  fer  de  Bagdad  se  fait,  une  impor- 
tance capitale.  L'incident  de  Koweït  est  révélateur  à  cet  égard; 
et  ce  ne  sera  pas,  pour  la  France,  un  médiocre  avantage,  le  jour 
venu,  que  d'avoir,  dans  ces  régions  longtemps  inaccessibles, 
toute  une  clientèle  que  les  missionnaires  lui  auront  préparée. 
Les  efforts  des  missionnaires  français  en  Orient,  leurs  établis- 
S4:»ments  d'instruction,  leurs  séminaires,  l'appui  moral  et  l'aide 
pécuniaire  que  leur  donnç  le  gouvernement,  sont  des  faits  assez 
connus  pour  qu'il  ne  soit  pas  besoin  d'y  insister.  L'hiver  dernier, 
dans  le  Bulletin  du  Comité  de  l'Asie  française  de  février, 
M.  Jean  Imbart  de  la  Tour  en  résumait  encore  l'importance. 
Nous  n'avons  pas,  en  Orient,  le  plus  fort  chiffre  d'exportations  et 
d'importations  ';  mais  nousy  avons,  depuis  les  temps  de  Fran- 
çois I*%  de  Henri  IV,  de  Richelieu,  dont  il  ne  faut  pas  séparer  le 
P.  Joseph,  l'un  des  plus  ardents  promoteurs  des  missions 
d'Orient,  une  longue  tradition  protectrice  qui  nous  donne, 
malgré  les  âpres  jalousies  d'aujourd'hui,  une  somme  d'influence 
que  Ton  peut  nous  envier,  mais  que  l'on  ne  nous  ravira  que  si 
nous  le  voulons  bien. 

A  l'origine  des  missions  françaises  d'Ethiopie,  c'est  encore  le 
nom  du  grand  patriote  que  fut  le  P.  Joseph  qui  apparaît  ; 
c'est  lui  qui  envoya,  pour  ramener  cette  chrétienté  séparée, 
deux  capucins,  qui  furent  pendus,  à  Gondar,  avec  la  corde 
franciscaine.  Les  capucins  ont,  encore  aujourd'hui,  la  mis- 
sion du  Harar,  tandis  que  les  Lazaristes  ont  celle  de  l'Ethio- 
pie proprement  dite.  L'histoire  n'oubliera  pas,  quand  elle 
racontera  la  réouverture  de  la  vieille   hthiopie  à  la  civilisa- 


*  La  France  du  Levant,  par  M.  Etienne  Lamy.  Pion,  éditeur,  1  vol.  in-8». 

*  Chrétiens  et  musulmans^  voyages  et    études;  avec    une  préface  de  M.  Jules 
LuAins.  Pion,  éditeur,  1901,  1  vol.  in-l2. 

^  Voyez  le  livre  de  M.  A.  Martineau,   Le  commerce  français  dans  le  Levant, 
Pâm,  Guillaumin  ;  Lyon,  Rey,  l.vol.  in-8o. 


38  Ot'ESTIOHS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLOnALES 

tion  européenne  et  à  la  propagande  catholique,  les  noms  de 
M*""  de  Jacobi»,  de  M'' Taurin,  et  celui  de  M.  Coul beaux,  naguère 
supérieur  de  la  mission  des  I^azaristes.  En  Abyssinie,  comme 
en  Orient,  Feffort  des  missionnaires  est  moins  de  convertir  des 
peuplades  païennes  que  de  ramener  à  la  foi  catholique  les  Ethio- 
piens qui  ont  embrassé,  au  viii*  siècle,  l'hérésie  monophysite. 
Au  moment  où  l'Abyssinie,  longtemps  isolée  au  milieu  d'une  mer 
de  musulmans,  rentre  en  contact  avec  l'Europe  et  semble  en  voie 
de  devenir,  dans  TAfrique  partagée  d'aujourd'hui,  la  seule  puis- 
sance africaine  indépendante,  il  n'est  pas  indifTérent,  pour 
l'avenir  de  nos  rapports  avec  l'empire  des  Négus,  que  les 
grandes  missions  catholiques  y  soient  dirigées  par  des  religieux 
français.  En  tête  du  second  volume  des  Missions  catholiques 
françaises,  nous  trouvons  78  pages  qui  forment  une  étude 
d'un  puissant  intérêt  sur  la  vie  religieuse  des  Abyssins  et  des 
(iallas. 

A  Aden  et  aux  Seychelles,  à  Ceyian,  dans  plusieurs  provinces 
de  la  péninsule  indoue,  en  Birmanie,  au  Siam,  au  Laos,  dans  la 
presqu'île  de  Malacca,  dans  Flndo-Chine  française,  nous  retrou- 
vons encore  les  religieux  et  les  religieuses  de  France.  Signalons 
l'histoire,  très  peu  connue,  du  schisme  de  Goa»et  du  concordat 
de  1857  avec  le  Portugal  ;  et  ne  passons  pas  sans  noter  que,  si 
les  missionnaires  protestants  anglais  sont,  là  comme  partout,  le 
plus  grand  des  obstacles  au  succès  des  missions  catholiques,  le 
gouvernement  anglais,  du  moins,  accorde  aux  missionnaires,  de 
quelque  nationalité  qu'ils  soient,  non  seulement  une  complète 
tolérance,  mais  le  plus  efficace  et  le  plus  bienveillant  des  appuis. 
D'ailleurs,  puisque  nous  en  sommes  sur  ce  sujet,  constatons 
également  que  l'une  des  impressions  qui  se  dégagent  des 
volumes  dont  nous  parlons  est  le  mutuel  appui  que  se  prêtent, 
partout  et  toujours,  sauf  de  rares  exceptions,  les  missionnaires 
et  les  fonctionnaires  français  dans  nos  colonies  et  dans  les  pays 
étrangers,  M»^  Pallu  fut,  au  temps  de  Louis  XIV,  le  premier 
ouvrier  de  l'influence  française  au  Siam,  et  M.  Doumer,  lors  de 
son  voyage  à  Bangkok,  se  plaisait  à  adresser  au  supérieur  du 
collège  de  l'Assomption  des  éloges  bien  mérités  pour  tous  les 
services  rendus  à  la  langue  et  à  l'influence  française.  Le  nom 
de  M*'  Pigneaux  de  Béhaine,  au  début  de  ce  siècle,  est  insépa- 
rable de  riiistoire  de  nos  premières  interventions  en  Indo- 
Chine  ;  et  M.  de  Lanessan  disait,  il  y  a  peu  d'années,  de 
M»^  Puginier  qu'il  était  «  l'homme  qui  connaissait  le  mieux 
le  Tonkin  '  »  I  Ainsi  la  France  d'hier  se  relie  à  celle  d'aujourd'hui 
par  d'indissolubles  liens. 

^  La  Colonisation  française  en  Indo-Chine^  p. '22,  Alcan,  éditeur,  ia-12. 


LES    MISSIONS   CATBOUQUES   FRANÇAISES  AU   XIX''   SIÈCLE  39 

Le  troisième  volume  du  P.  Piolet  nous  conduit  on  Chine  et  au 
Japon,  vieilles  terres  de  missions,  où,  depuis  saint  François- 
Xavier,  tant  d'efforts  ont  été  faits,  et  où  Ton  compte  cictuelle- 
ment  environ  700.000  catholiques.  Les  Français  (Lazaristes, 
Jésuites,  Prêtres  des  Missions  étrangères  de  Paris,  etc.)  y  diri- 
gent les  plus  florissantes  missions,  et  Ton  sait  que  le  Protectorat 
des  catholiques,  dans  Tempire  chinois,  appartient  à  la  France 
qui  Ta  jusqu'ici  toujours  exercé  avec  vigilance  et  énergie.  Le  récit 
des  tragiques  événements  de  1900,  dil  à  la  plume  de  AI»'  Favier, 
est  fait  avec  une  émouvante  simplicité  dans  ces  pages  poignantes. 
Le  martyre  de  plusieurs  religieux,  l'odyssée  mouvementée  de 
plusieurs  autres,  la  constance  des  chrétiens  chinois,  sont  des 
morceaux  d'un  haut  intérêt  historique  et  dramatique.  Ils  sont, 
sans  en  avoir  l'intention,  la  plus  éclatante  réponse  aux  calomnies 
que  Ton  a  tenté  de  répandre  à  propos  du  rt^le  des  missionnaires 
durant  la  dernière  guerre. 

Avec  le  tome  IV  nous  pénétrons  dans  le  domaine  de  l'Océanie. 
Ici  encore,  les  missionnaires  français  tiennent  la  première 
place  :  c'est  le  champ  que  les  Pères  de  Picpusetles  Maristes  ont 
travaillé  avec  succès  ;  ici  encore  l'influence  française  a  marché 
de  pair  avec  l'évangélisation.  Dans  ces  îles  lointaines,  les 
missionnaires  ont  été,  après  les  grands  navigateurs  du  com- 
mencement du  siècle,  les  vrais  «  découvreurs  »  ;  et  si  nous 
n'avons  pas  su  acquérir,  dans  le  Pacifique,  un  plus  vaste 
domaine,  c'est  faute  d'avoir  écouté  les  appels  des  religieux 
français;  c'est  à  eux,  en  tout  cas,  que  nous  devons  cette 
Nouvelle-Calédonie,  si  riche  en  mines  et  si  ostensiblement 
convoitée  par  les  Australiens;  aux  Marquises,  à  Tahiti,  ce  sont 
les  missionnaires  qui  ont  été  les  précurseurs  du  drapeau  français, 
et,  encore  aujourd'hui,  dans  ces  îles  qui  seront  pour  nous  si 
précieuses  après  Touverture  du  canal  de  Panama,  et  que  mena- 
cent de  deux  côtés  les  ambitions  américaines  et  australiennes, 
les  missions  catholiques  sont  le  meilleur  soutien  de  l'influence 
française.  Perdus  au  milieu  de  nombreuses  populations  indi- 
gènes, comme  en  Papouasie,  ou  isolés  dans  les  îlots  polyné- 
siens, les  missionnaires  se  sont  livrés  à  des  travaux  d'ethno- 
graphie, dont  ils  nous  donnent  aujourd'hui  un  aperçu;  ils  cons- 
tatent l'inéluctable  disparition  de  presque  toutes  ces  races,  au 
contact  des  Européens;  du  moins  est-il  digne  de  leur  charité  de 
pencher  leurs  mains  secourables  vers  ces  agonies  de  peuples, 
de  les  retarder  et  de  les  embellir.  L'Océanie  est  le  pays  de  la 
lèpre  et  le  courage  des  religieux  et  des  religieuses  n'a  reculé 
ni  devant  Thorreur  de  la  maladie,  ni  devant  le  danger  de  la 
contag'fon.  A  la  léproserie   de  Molokaï,  dans  les  îles  Hawaï, 


40  QUB8T10K8   DIPLOMATIQUES   KT  COLONIALBS 

deux  pnHres,  cinq  frères  et  six  religieuses  soignent  un  millier 
de  lépreux;  c'est  là  que  mourut,  en  1888,  victime  du  terrible 
fléau,  après  avoir,  seize  années  durant,  vécu  au  milieu  de  son 
lamentable  troupeau,  le  P.  Damien,  à  qui  la  justice  des  Anglais 
a  élevé  un  monument  et  à  qui  la  Belgique,  sa  patrie,  et  tout  le 
monde  civilisé  ont  rendu  hommage. 

A  la  fin  du  même  volume,  le  P.  Piolet  a  lui-même  consacré 
à  Madagascar  une  très  intéressante  étude;  il  a  retracé,  en 
quelques  pages  précises,  pleines  de  foi  et  de  patriotique  émo- 
tion, l'histoire  des  temps  héroïques,  de  ces  trente-cinq  années 
de  luttes  où  Tinfluence  française,  négligée  parle  gouvernement 
de  Napoléon  III  et,  dans  ses  premières  années,  par  celui  de  la 
République,  fut  efficacement  soutenue  par  des  hommes  comme 
Jean  Laborde  et  par  les  missionnaires  jésuites.  Là,  du  moins, 
les  efforts  des  missionnaires  ne  furent  pas  vains  ;  Madagascar 
est  française.  Le  P.  Piolet  consacre  ses  dernières  pages  à  décrire 
l'organisation,  les  progrès,  les  travaux  et  les  luttes  des  diffé- 
rentes missions  qui  se  partagent  la  grande  île  *. 

Par  l'ouvrier,  on  juge  de  la  valeur  de  l'œuvre  :  presque  tout 
le  tome  V  est  l'œuvre  de  M*"^  Leroy,  ancien  vicaire  apostolique 
du  Congo  français,  supérieur  des  Pères  du  Saint-Esprit.  Ethno- 
graphie de  l'Afrique,  croyances  et  coutumes  des  races  noires, 
lutte  contre  les  esclavagistes,  pénétration  européenne,  nous 
trouvons  sur  tous  ces  sujets,  qui  intéressent  au  premier  chef 
notre  politique  africaine,  des  renseignements  souvent  inédits, 
toujours  recueillis  sur  place  par  les  hommes  qui  ont  le  plus 
longtemps  vécu  «dans  les  ténèbres  de  l'Afrique  ».  Le  témoi- 
gnage du  P.  Comte,  des  Pères  Blancs,  sur  la  question  si  délicate 
de  nos  rapports  avec  les  musulmans  de  TAlgérie-Tunisie,  et 
principalement  avec  les  Kabyles,  est  h  joindre  à  l'enquête  si  inté- 
ressante faite  ici  sur  l'avenir  de  T Islam  ;  les  résultats  enre- 
gistrés par  les  Pères  Blancs,  malgré  tous  les  obstacles,  sont  de 
nature  à  faire  réfléchir.  La  tragique  histoire  de  l'établissement 
des  missions  sur  le  Tanganyika  et  de  leur  lutte  contre  les 
Arabes  marchands  d'esclaves,  le  récit,  si  mortifiant  pour  notre 
patriotisme,  de  l'établissement  d'un  centre  d'influence  fran- 
<;aise  dans  l'Ouganda,  où  notre  politique  ne  sut  pas  profiter  des 
succès  de  nos  missionnaires  et  où  les  indigènes  payèrent  de 
leur  sang  le  crime  d'avoir  appelé  la  France  et  arboré  son  dra- 
peau, sont  racontés  par  M»'  Leroy  en  des  pages  émouvantes. 

Le  P.  Piolet,  qui  a  mené  à  bien  la  lourde  tâche  de  diriger  et  de 

\  Signalons,  dans  ce  volume,  pour  les  géographes,  à  la  page  223,  la  belle  photo- 
graphie d'un  geyser  de  la  Nouvelle-Zélande;  et  dans  le  tome  V,  les  vues  des  pages 9 
et  48  :  le  Sahara. 


LES    MISSIONS  CATBOUOUES   FRANÇAISES  AU   XIX*   SIÈCLE  41 

surveiller  la  publication  de  ces  beaux  volumes,  voudra  bien  nous 
permettre,  en  terminant,  d'exprimer  quelques  souhaits,  dont 
quelques-uns  pourraient  être  encore  réalisés.  L'un  de  ces 
vœux  serait  que  l'ouvrage  ne  se  terminât  pas  sans  un  cha- 
pitre, court  et  substantiel,  sur  le  Protectorat  français  ;  ce 
serait  le  complément  naturel  de  l'œuvre.  Autre  souhait  :  de 
petites  cartes,  très  simples,  où  auraient  été  marqués  tous  les 
noms  cités,  auraient  été  bien  utiles  et  bien  agréables  au  lec- 
teur; ne  poiirrait-on  pas  les  insérer  à  la  lin  du  sixième  volume? 
Il  y  aura  un  Index  nominum  et  rerum  ;  mais  ne  serait-il  pas 
possible  de  faire  une  sorte  de  tableau  résumant  tous  les  docu- 
ments statistiques  réunis  dans  les  six  tomes,  qui  deviendraient 
ainsi  un  instrument  de  travail  de  premier  ordre? 

Mais  le  bien  que  nous  pensons  de  ces  beaux  volumes  nous 
rend  peut-être  trop  ambitieux  ;  le  P.  Piolet  nous  pardonnera, 
♦*ii  faveur  de  notre  admiration  sincère  pour  le  durable  et  solide 
monument  qu'il  est  en  train  d'élever  à  la  gloire  des  missions  et 
à  la  gloire  de  la  France. 

René  Pi  non. 


MADA&ASCiR 

LES    TERRITOIRES    MILITAIRES 


M.  L.  Brunet,  député  de  la  Réunion,  vient  de  mettre  la  dernière  main 
à  une  étude  très  remarquable  et  très  complète  sur  Madagascar.  Dans  cette 
étude,  M.  L.  Brunet,  après  avoir  fait  l'historique  des  événements  qui  ont 
déterminé  la  campagne  de  1896  et  de  la  campagne  elle-même,  examine  suc- 
cessivement l'annexion,  la  colonisation  et  l'organisation  de  la  grande  île, 
puis  en  dégage  les  résultats  actuels.  Grâce  à  l'obligeance  du  député  de  la 
Réunion,  nous  pouvons  donner  aujourd'hui  à  nos  lecteurs  la  primeur  d'un 
des  plus  intéressants  chapitres  de  cette  œuvre,  celui  qui  est  consacré  aux 
territoires  militaires.  En  voici  les  passages  essentiels.  N.  D,  L.  R. 

Le  jour  où  le  drapeau  de  la  France  rempla(:a  sur  le  palais  de 
la  reine  l'étendard  hova,  tout  le  monde  comprit  que  c'en  était 
fait  d'une  fiction  qui,  depuis  près  d'un  siècle,  plaçait  les  na- 
tions européennes  en  face  d  un  «  roi  de  Madagascar  »,  fiction 
créée  de  toutes  pièces  par  sir  Robert  Farquhar,  quand  son  gou- 
vernement l'avait  obligé  à  se  soumettre  aux  traités  et  à  rendre 
Madagascar  à  la  France. 

Mais  après  la  conquête  il  eût  été  imprudent  d'installer  immé- 
diatement une  administration  purement  civile.  L'armée  jouis- 
sait, parmi  les  populations  malgaches,  du  prestige  que  lui  don- 
nait la  victoire  ;  elle  était  désignée  pour  façonner  le  pays  à  la 
nouvelle  organisation  que  voulait  établir  la  France,  et  les 
officiers  étaient  mieux  placés  que  les  fonctionnaires  civils  pour 
briser  les  résistances  et  assurer  l'ordre. 

Le  général  Gallieni  organisa  le  pays  en  territoires  militaires, 
subdivisés  eux-mêmes  encercles  et  en  secteurs;  il  poursuivit 
les  rebelles,  non  seulement  au  moyen  des  troupes  régulières, 
mais  en  utilisant  toutes  les  ressources  locales,  en  créant  des 
milices,  en  armant  les  villages  ;  enfin  il  occupa  progressivement 
les  provinces,  déplaçant,  au  fur  et  à  mesure  de  la  pénétra- 
tion, les  postes  de  première  ligne.  Des  blockhaus,  aussi  rap- 
prochés que  possible  les  uns  des  autres,  assuraient  la  protec- 
tion des  alentours  et  permettaient,  le  cas  échéant,  la  concentra- 
tion de  nos  soldats  sur  un  point  menacé. 

La  circulaire  du  12  octobre  1896  avait  déterminé  les  attri- 
butions des  officiers  placés  à  la  tête  des  cercles  : 

L  e  commandant  du  cercle  exerce  les  fonctions  de  résident.  Dans  toute 


MADAGASCAR.    —  LES  TERRITOIRES  MILITAIRES  43 

retendue  de  son  commandement,  il  est  responsable  de  la  tranquillité  du 
cercle  qui  lui  est  confié. 

Sa  mission  comprend  deux  parties  bien  distinctes  :  i^  avec  ses  postes 
avancés,  gagner  peu  à  peu  du  terrain  en  avant  de  manière  à  diminuer  pro- 
gressivement rétendue  des  régions  occupées  par  les  insurgés  ;  2®  organiser 
en  même  temps  les  zones  en  arrière,  en  y  rappelant  les  populations,  en 
faisant  reprendre  les  cultures  et  surtout  en  mettant  les  villages  et  les  habi- 
tants à  l'abri  des  nouvelles  incursions  des  fahavalos. 

Il  est  à  remarquer  que  les  officiers  placés  à  la  tète  des 
cercles  et  des  secteurs,  sans  oublier  les  responsabilités  qui 
leur  incombaient  au  point  de  vue  de  la  défense,  montrèrent  une 
véritable  émulation  dans  l'exercice  de  leurs  attributions  civiles. 

Investis  d'une  grande  autorité,  pouvant  agir  en  de  certains 
cas  d'après  leur  propre  initiative,  désireux  de  seconder  Tu^vre 
de  leur  chef  et  s'inspirant  de  ses  idées,  ils  se  transformaient  en 
instituteurs,  en  agriculteurs,  voire  en  maîtres  charpentiers,  se 
donnant  tout  entiers  à  leur  tâche  et  heureux  de  s'y  donner.  Les 
résultats  obtenus  furent  considérables.  On  vit  des  villages,  à 
l'aspect  riant  et  prospère,  se  former  et  grandir  presque  du  jour 
au  lendemain.  Le  commandant  du  cercle  faisait  rebAtir  les 
maisons,  reconstituer  les  rizières,  créer  des  potagers  et  des  plan- 
tations d'arbres  fruitiers,  pour  le  compta  des  habitants  du  vil- 
lage, et  par  eux;  et  par  eux,  aussi,  était  assurée  en  même 
temps  la  construction  des  routes  et  des  travaux  d'utilité  géné- 
rale. 

Mais  la  révolte,  apaisée  sur  un  point,  renaissait  sur  d'autres. 
Beaucoup  de  territoires,  pacifiés  en  apparence,  ne  Tétaient  pas 
complètement  en  réalité.  Ne  serait-il  pas  imprudent  d'en 
remettre  Tadministration  à  des  fonctionnaires  civils?  Sur  plu- 
sieurs points,  on  eut  recours  à  un  terme  moyen  :  Tautorité  fut 
déclarée  civile,  mais  confiée  à  des  officiers  placés  hors  cadre. 

«  On  prévoit  donc  de  nouvelles  opérations  militaires,  disait 
«  un  journal  qui  s'était  élevé  contre  cet  état  de  choses.  11  y  en 
*£  aura  encore,  il  y  en  aura  toujours.  Les  Malgaches  n'ont  qu'à 
«   se  bien  tenir. 

«  Du  reste,  qu'ils  se  tiennent  mal  ou  qu'ils  se  tiennent  bien, 

•  ils  savent  ce  qui  les  attend  :  ils  seront  pacifiés  quand  même, 
ft  envers  et  contre  tous,  à  jet  continu,  jusqu'à  épuisement 
«   d'humaine  chaleur  malgache. 

a  Quand  les  indigènes  de  Madagascar  ne  seront  plus  que  cent, 
a   on  les  pacifiera  encore;  quand  ils  ne  seront  plus  que  dix,  on 

•  les  pacifiera  toujours  ;  quand  il  n'en  restera  plus  qu'un,  on  le 
«   pacifiera  jusqu'à  sa  mort.  » 

Ces  lignes  sont  empreintes  de  malveillance.  Ce  n'est  pas  la 


44  QUESTIOIVS  DlPLOMATiaCES  ET  COLOHIALES 

France  qui  colonise  ainsi,  on  le  sait  bien.  Ce  n'est  pas  la  France 
qui  extermine  les  indigènes  et  chasse  les  survivants  qu'on  livre 
à  la  famine  et  à  la  peste.  Il  faut  chercher  de  pareils  procédés 
ailleurs  que  chez  nous. 

Les  instructions  et  les  actes  du  gouverneur  général  de  Mada- 
gascar protestent  contre  de  semblables  accusations. 

Est-ce  à  dire  que  des  abus  n'aient  pas  existé? 

11  y  en  a  eu,  nous  n'hésitons  pas  à  le  reconnaître  ;  mais,  à 
peine  révélés,  ils  furent  réprimés  et  châtiés  par  celui  qui  a  la 
responsabilité  du  pouvoir. 

Ces  abus,  a-t-onméme  cherché  à  les  dissimuler?  Au  contraire, 
c'est  le  Journal  officiel  qui  les  a  signalés. 

Imaginez  un  vaste  pays,  en  partie  seulement  pacifié,  n'ayant 
ni  administration  ni  traditions,  ne  possédant  pas  de  voies  de 
communication,  sauvage  presque.  En  quelques  années  il  s'agit 
de  l'assujettir  à  Tautorité  et  à  la  loi. 

Faut-il  s'étonner  que  l'homme  qui  avait  accepté  de  résoudre 
un  pareil  problème,  et  qui  Ta  résolu,  ait  eu  à  se  plaindre  quel- 
quefois de  certains  de  ses  collaborateurs,  en  petit  nombre  heu- 
reusement, qui,  placés  dans  les  postes  éloignés,  méconnurent 
les  ordres  de  leur  chef  ou  les  violèrent?... 


M.  L.  Brunet  fait  ici  justice,  avec  documents  à  l'appui,  des  critiques  que 
certains  hommes  politiques  avaient  cru  pouvoir  élever  contre  l'adminis- 
tration militaire  à  Madagascar.  Il  réduit  à  leurs  réelles  et  infîmes  propor- 
tions les  quelques  actes  d'arbitraire  que  Ton  a  pu  constater  et  montre,  par 
la  longue  suite  des  circulaires  si  formelles  et  si  précises  du  général  Gallieni, 
le  souci  constant  du  gouverneur  de  donner  à  notre  colonie  une  adminis- 
tration sincère,  bienveillante  et  toujours  équitable.  Il  poursuit  alors  en  ces 
termes  : 

On  a  signalé  aussi  les  dépenses  excessives...  Au  regard  de 
ces  dépenses,  il  serait  intéressant  de  mettre  les  travaux 
effectués.  Nous  les  avons  énumérés  d'autre  part;  nous  ne  pou- 
vons y  revenir,  et  d'ailleurs  on  les  connaît  assez.  Un  fait  indé- 
niable, il  est  vrai,  c'est  que  les  ressources  actuelles  de  Mada- 
gascar ne  sont  pas  suffisantes  pour  faire  face  aux  dépenses  que 
omportent  l'administration  de  cette  colonie  et  en  mt^me  temps 
la  création  de  tout  son  outillage  économique. 

Mais  disons-le  nettement,  une  œuvre  considérable  a  été 
entreprise  ;  il  faut  faire  en  sorte  qu'on  aboutisse.  L'avenir  de 
Madagascar  dépend  du  succès  final.de  son  chemin  de  fer  et  des 
embranchements,.. 


.  MADAGASCAR.   —  LES  TERRITOIRE  MILITAIRES  45 

«    • 

L*aiiteur  étudie  ensuite  la  question  de  la  main-d'œuvre.  Il  rappelle  Tabo- 
lilion  de  la  corvée  et  les  réformes  apportées  par  le  général  Gallieni,  aux 
conditions  du  travail.  Il  cite  les  diverses  circulaires  publiées  à  cet  effet 
pir  le  gouverneur  et  montre  avec  quelle  prudence  celui-ci  a  préparé  et 
suivi  Tapplication  de  ses  décrets.  11  arrive  alors  à  Texposé  de  la  situation 
fmancière  : 

Le  compte  définitif  (lu  budget  cleMadagascar  pour  l'année  1900, 
arrêté  au  mois  de  septembre  1901,  donnait  ; 

En  recettes 19.310.78o  fr.  24 

Kn  dépenses 17.662.244  fr.  73 

D'où  un  excédent  de  recettes  de 2.248,540  fr.  51) 

Cet  excédent  devait  porter  la  caisse  de  réserve  à  la  somme  de 
5. 076. 211  fr.  16,  supérieure  au  maximum  réglementaire. 

a  II  est  intéressant,  dit  le  général  Gallieni  *,  de  noter  les 
»  accroissements  constants  de  recettes  réalisés  par  le  budget 

*  local  depuis  Toccupation  : 

Exercice  1896 385.451  fr.  76 

—  1897 1.598.689  fr.  38 

—  1898 2.527.091  fr.  79 

—  1899 909.  265  fr.  17 

—  1900 2.248.540  fr.  51 

*  C'est  grâce  à  ces  ressources  qu'il  nous  a  été  possible  d'exé- 
-  cuter  certains  grands  travaux  publics  (tel  que  la  route  de 

•  rOuest)  que  n'avaient  pas  prévus  les  lois  d'emprunt,  ou  aux- 
«  quels  avaient  été  affectés  des  fonds  insuffisants.  >> 

Enfin  Ton  a  pu  constater,  sur  le  premier  semestre  1901,  un 
»*xcédent  de  recettes  de  742.763  fr.  35;  et  le  deuxième  semestre 
s'est  clos  aussi  par  un  excédent  de  recettes. 


s 


M.  L.  Brunet  conclut  alors  en  ces  termes  : 

Telle  est  la  situation, 'impartialement  exposée.  La  période  cri- 
tique est-elle  réellement  passée,  comme  Ta  dit  et  comme  le  croit 
le  général  Gallieni?  Nous  Tignorons.  La  vérité  est  que  les  som- 
mes prévues  pour  la  construction  du  chemin  de  fer  seront  dépas- 
M>es;  mais  nous  avons  confiance  que  la  France  n'abandonnera 
pas  à  ses  seules  ressources  un  pays  qui,  à  peine  annexé  à  notre 
territoire,  fait  preuve  de  tant  de  ressort  et  de  tant  d'énergie. 

1  Lettre  au  Secrétaire  général.  Journal  officiel  du  5  octobre  1901. 


46  QUESTIONS   DIPLOMATIQUKS   BT   COLONIALES      ' 

Madagascar  a  accompli  en  quelques  années  un  effort  qui,  sous 
le  rapport  économique  et  à  raison  des  travaux  faits,  la  place 
au  premier  rang  des  colonies  du  monde  entier.  Il  faut  essayer 
de  réaliser  des  économies  sur  les  frais  d'occupation  et  d'admi- 
nistration. 

Madagascar  est  en  grande  partie  pacifiée,  excepté  dans  le 
Boueni,  où  la  rébellion  est  à  Tétat  endémique.  On  y  circule 
avec  plus  de  sécurité  qu'au  Tonkin  ou  dans  nos  colonies 
d'Afrique.  Les  indigènes  ont  appris  à  nous  connaître;  ils 
savent  que  nous  ne  leur  voulons  aucun  mal,  et  qu'au  contraire 
ils  ont  tout  à  craindre  d'une  révolte  que  suivrait  la  répression. 
Dans  ces  conditions,  est-il  nécessaire  de  continuer  à  entretenir 
un  corps  d'occupation  aussi  important  ?  Nous  avons  là  plus  de 
15.000  hommes  pour  une  population  de  deux  millions  et  demi 
d'indigènes.  Nous  sommes  loin  des  4.000  hommes  dont  parlait, 
en  1896,  le  ministre  de  la  guerre  Cavaignac. 

Il  semble  que  le  moment  soit  venu  de  diminuer  l'armée  d'oc- 
cupation et  d'assurer  ainsi  à  la  colonie  un  disponible  annuel  de 
plusieurs  millions. 

Au  fur  et  à  mesure  de  la  pacification,  Tadministration  civile 
doit  remplacer  l'administration  militaire.  Ce  principe  a  été  pro- 
clamé souvent  par  le  gouverneur  général  lui-même. 

Les  commandants  de  cercle  sont  investis  d'un  pouvoir  illi- 
mité et  sans  contrôle  immédiat.  Pour  quelques-uns  d'entre  eux, 
l'indigène  est  un  serf;  le  colon  gène,  c'est  un  intrus;  mais  il 
ne  faut  pas  conclure  de  l'exception  à  la  généralité  et  tenir  pour 
règle  courante  et  ordinaire  ce  qui  est  souvent  la  conséquence 
d'un  aveuglement  passage r'ou  des  caprices  d'un  cerveau  morbide 
sur  lequel  influent  en  même  temps  et  le  climat,  la  fièvre,  elles 
dangereux  conseils  de  l'isolement... 

F^a  meilleure  politique  est  encore  d'être  juste  et  bon  pour  les 
indigènes.  Le  Malgache  a  d'excellents  instincts  ;  il  faut  qu'il  soit 
poussé  à  bout  pour  se  soulever. 

Dans  sa  circulaire  du  18  septembre  1901,  adressée  à  un  cer- 
tain nombre  d'administrateurs  militaires  et  de  commandants  de 
cercle,  le  gouverneur  général  s'exprimait  ainsi  : 

Jo  vous  ai  souvont  signalé,  comme  l'un  des  principes  essentiels  d'une 
bonne  administration  à  Madagascar,  la  nécessité  de  toujours  tenir  compte 
de  la  diversité  des  races  et  des  régions,  de  l'état  social  et  des  coutumes  des 
différents  groupes  de  populations. 

L'application  de  cette  règle  est  particulièrement  importante  pour  le  re- 
crutement judicieux  des  fonctionnaires  indigènes. 

Nous  devons  en  effet  nous  efforcer  d'utiliser  le  plus  et  le  mieux  possible 
réU-moni  indigène,  de  façon  à  nous  éviter  les  frais  d'administration  qu'en- 


MADAGASCAR.   —   LES   TERRITOIRES  MILITAIRES  4T 

traînerait  la  multiplicité  des  agents  européens,  et  intéresser  plus  directe 
meQt«i  les  sujets  malgaches  à  Toeuvre  de  progrès  que  nous  poursuivons  ici, 
en  faisant  appel  à  la  collaboration  soit  de  leurs  chefs  naturels,  acquis  à 
notre  cause,  soit  de  l'élite  intellectuelle  formée  sous  notre  direction. 

On  le  voit,  le  général  Gallieni  est  resté  fuièle  à  la  politique  de 
race,  qu'il  s'était  promis  de  suivre  au  moment  où  il  prenait  le 
gouvernement  général.  Il  va  même,  dans  un  arrêté  du  24  sep- 
tembre 1891,  jusqu'à  prévoir  «  les  groupements  susceptibles 
t  d'une  organisation  en  protectorat  intérieur  sous  le  contrôle 
<  d'un  fonctionnaire  français  résident  ». 

On  ne  peut  contester  les  résultats  de  cette  politique.  Prenons 
Texemple  d'un  territoire  très  rapproché  de  Tananarive,  Mandja- 
kandriana. 

Ce  cercle  militaire  avait  été  créé  par  arrêté  du  24  mars  1900. 
Il  était  divisé  en  sept  secteurs  et  deux  sous-secteurs.  Le  l*""  jan- 
vier 1901  une  province  civile,  agrandie  et  composée  de  quatre 
districts,  remplaça  le  cercle  militaire  :  les  prestations  furent  sup- 
primées, faisant  place  à  un  impôt  de  capitation.  Il  nous  serait 
bien  diificile  de  faire  ici  un  travail  «comparatif.  Toutefois  Ton 
ne  saurait  négliger  des  indications  qui  sont  contenues  dans  les 
rapports  de  l'administrateur  et  reproduites  par  le  Journal 
officiel  : 

Avec  le  deuxième  trimestre  une  amélioration  sensible  se  produisit  ; 
nombre  d'indigènes,  qui  avaient  quitté  le  pays,  rentrent  chez  eux.  Aux 
buttes  primitives,  aux  mottes  de  gazon  succèdent  les  maisons  en  pisé, 
plus  confortables.  Les  terrains  depuis  longXemps  incultes  sont  défrichés; 
les  impôts  rentrent  avec  facilité;  en  un  mot,  tout  laisse  supposer  que  la 
confiance  revient...  Le  nombre  des  naissances  excède  celui  des  décès  de 
U98,  bien  que  les  premiers  mois  de  1001  aient  été  marqués  par  une  très 
grande  mortalité,  due  à  une  épidémie  attribuée  au  paludisme... 

Que  les  pouvoirs  remis  au  général  Gallieni,  qui  concentre 
entre  ses  mains  l'autorité  militaire  et  Tautorité  civile,  restent 
donc  entiers  :  cela  est  nécessaire.  Mais  dans  les  provinces 
apaisées,  au  fur  et  à  mesure  de  l'accoutumance  des  indigènes 
à  l'autorité  française,  il  est  nécessaire  aussi,  on  ne  saurait 
trop  insister  sur  ce  point,  que  l'administration  militaire  rem- 
place le  régime  militaire. 

Ainsi  se  justifieront  les  déclarations  faites  par  le  gouverneur 
général  aux  indigènes,  après  la  déposition  et  l'exil  de  Rana- 
valo  :  a  Ces  quelques  mois  qui  viennent  de  s'écouler  vous  ont 
n  montré  ce  que  veulent  dire  ces  mots  :  Madagascar  colonie 
a  française...  La  France  vous  considère  maintenant  comme  ses 
«  propres  enfants.  » 


48  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONULES 

Ainsi  s'affirmera  renseignement  patriotique  donné  par  luî/a 
ses  collaborateurs  militaires  :  a  Toutes  les  mesures  que  nous 
«  devons  prendre  pour  remplir  notre  mission,  politiques,  /Uiili- 
«  taires,  administratives,  n'ont  qu'un  but  :  faciliter  les  'entre- 
«  prises  à  nos  colons  et  à  nos  commerçants.  » 

Nous  avons  enregistré  impartialement  les  protestations  éle- 
vées contre  des  actes  isolés,  dont  personne  ne  voudrait  rendre 
responsable  l'administration  supérieure  ;  nous  avons  'iignalé  les 
embarras  financiers  qui  pourraient  résulter  de  tant  de  grands 
travaux,  entrepris  simultanément;  mais  lorsque  l'histoire 
jugera,  avec  le  recul  des  années,  reflfort  fait  à  Madagascar  depuis 
la  prise  de  possession,  elle  dégagera  Tœuvre  des  circonstances 
qui  l'ont  entourée  et  parfois  contrariée,  elle  négligera  les  faits 
contingents,  et  s'étonnera  qu'en  un  temps  si  court,  on  ait  pu 
doter  ce  vaste  pays  de  tant  d'œuvres  utiles,  en  même  temps 
que  d'institutions  qui  ne  se  rencontrent  pas  toujours  dans  les 
États  nés  depuis  longtemps  à  la  civilisation  et  au  progrès. 


L.  BruiNet, 

Député  de  la  Réunion. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


^ 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES 


I.  —  EUROPE. 

France.  —  Le  traité  franco-siamoîs.  —  Nous  avons  publié  précé- 
demment le  texte  de  la  conventiou  signée  le  7  octobre  par  M.  Del- 
cassé  et  le  plénipotentiaire  siamois  Phya-Sri  ';  nous  avons  égale- 
ment donné  le  texte  de  la  déclaration  additionnelle  du  7  décembre 
par  laquelle  le  gouyernement  siamois  s'engage  à  ne  pas  élever  de 
nouTelles  fortifications  dans  les  provinces  de  Battambang  et  de 
Sîem-reap  ainsi  que  dans  la  région  de  *2o  kilomètres  sur  la  rive 
droite  de  Mékong  ^. 

Nous  reproduisons  donc  simplement  aujourd'hui  Texposé  des 
motifs  du  projet  de  loi,  déposé  à  la  Chambre  le  6  décembre  par 
M.  Delcassé,  et  auquel  les  deux  documents  précités  sont  joints  en 
annexes. 

Voici  cet  exposé  des  motifs  : 

Messieurs, 

Lorsque,  le  3  octobre  1893,  le  gouvernement  de  la  République  signait 
avec  le  gouvernement  siamois  un  traité  et  une  convention  destinés  à  clore 
les  incidents  qui  avaient  troublé  les  relations  des  deux  pays,  il  comptait 
que  ces  accords  rétabliraient  les  bons  rapports  entre  la  France  et  le  Siam 
et  ouvriraient,  pour  leur  profit  commun,  une  période  de  paix  et  de  mu- 
tuelle amitié. 
Les  faits  ne  répondirent  pas  à  cette  légitime  espérance. 
Dès  le  lendemain  de  la  conclusion  du  traité,  nous  étions  obligés  de 
protester  contre  la  violation  de  stipulations  que,  d'autre  part,  le  gouver- 
nement siamois  affîrmait  observer  scrupuleusement. 

Ces  trop  fréquentes  contestations  provenaient  de  ce  que  les  deux  gou- 
vernements n*entendaient  pas  de  même  les  clauses  du  traité  de  1893. 

Tandis  que  nous  prétendions  exiger  du  gouvernement  siamois  Taccom- 
plissement  de  toutes  les  obligations  qui,  selon  nous,  découlaient  natu- 
TvIJement  du  texte  de  nos  accords,  le  gouvernement  siamois  s'appliquait 
à  s'en  dégager  par  une  interprétation  aussi  restrictive  que  possible. 

De  là    d'incessantes  discussions  et  des  malentendus  dont  le  plus  grave 
portait  sur  J 'exercice  de  notre  droit  de  protection. 

1  Qi^s/.  Dipl-  et  Col    yo  oct    t.  XIV.  p.  492. 
^tSiV/-,  i5  déo..  t-  XIV,  p.  761. 


50  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONULES 

Nos  ageots  au  Siam,  s*appuyant  sur  l'article  4  de  la  convention  annexée 
au  traité  du  3  octobre,  admettaient  à  la  protection  française  toutes  les 
personnes  nées  sur  territoire  devenu  français,  ou  descendant  d'anciens 
prisonniers  de  guerre  transportés  et  détenus  au  Siam  à  la  sudte  d'expé- 
ditions sur  la  rive  gauche  du  Mékong  dont  le  dernier  traité  uous  recon- 
naissait la  possession. 

Ils  soutenaient  que  le  statut  personnel  des  anciens  habitants  de  la  rive 
gauche  ne  pouvait  être  déterminé  par  le  fait  de  leur  détention  en  territoire 
étranger,  ot  que  dos  actes  de  contrainte  ne  sauraient  avoir  des  effets 
juridiques. 

Le  gouvernement  siamois,  par  contre,  se  considérait  uniquement 
comme  tenu  à  ne  pas  mettre  obstacle  au  retour  sur  la  rive  gauche  des 
anciens  habitants  de  cette  région  et  refusait  de  reconnaître  la  validité  des 
patentes  de  protection  délivrées  par  nos  agents  à  ceux  qui  continuaient 
de  résidiîr  sur  le  territoire  du  royaume. 

Des  points  de  vue  aussi  opposés  n'étaient  pas  conciliables. 

Aussi  des  négociations  souvent  reprises  n'aboutirent-elles  qu'à  mieux 
marquer  les  divergences  qui  nous  séparaient  et  rimpossibihté  absolue  de 
rétablir  des  relations  normales  tant  que  seraient  maintenues  dans  leur 
rigueur  les  interprétations  dont  chaque  gouvernement  s'inspirait. 

Bien  plus,  sous  l'appréhension  d^une  intervention  violente  de  notre  part 
pour  régler  les  questions  qui  nous  divisaient,  les  Siamois,  depuis  1893, 
s'appliquaient  à  nous  tenir  à  l'écart  de  leur  vie  politique,  économique, 
administrative. 

Ils  faisaient  appel  à  des  concours  extérieurs  pour  réaliser  les  progrès 
qu'ils  sentaient  nécessaires,  et  ainsi,  à  la  place  de  l'influence  qu'aurait  dû 
nous  assurer  notre  situation  de  grande  puissance  limitrophe,  grandissaient 
au  Siam  des  influences  étrangères  dont  les  progrès  ne  pouvaient  manquer 
de  s'imposer  à  notre  attention. 

En  se  prolongeant,  une  pareille  situation  n'aurait  bientôt  plus  laissé 
de  place  à  aucun  accommodement. 

Le  gouvernement  siamois,  se  rendant  compte  du  péril,  a  manifesté  le 
vif  désir  d'y  mettre  fin  et  de  reprendre  des  négociations  auxquelles  le 
gouvernement  de  la  République  a  consenti  à  se  prêter,  convaincu  qu'une 
solution  pacifique  sauvegarderait  aussi  bien  nos  intérêts  et  ménagerait 
mieux  l'avenir. 

En  signalant  l'accord  du  7  octobre,  le  gouvernement  a  été  guidé  par  une 
double  préoccupation  :  renouer  avec  le  Siam  des  rapports  amicaux  à  la 
faveur  desquels  notre  influence  se  développerait  sans  entraves  :  obtenir 
immédiatement  pour  l'Indo-Chine  de  nouveaux  éléments  de  force  et  de 
prospérité  et  ajouter  à  ses  garanties  de  sécurité  dans  l'avenir. 

Et  tout  d'abord,  nous  avons  tenu  à  régler  la  question  des  protégés.  De 
précédentes  négociations  avaient  clairement  établi  —  et  la  lecture  du 
Livre  jaune  n'a  pu  laisser  de  doutes  sur  ce  point  —  que  le  gouvernement 
siamois  ne  se  résignerait  pas  à  ce  que  l'extension  de  la  pratique  des  pro- 
tections eût  pour  effet  de  soustraire  à  sa  juridiction  une  partie  considé- 
rable, peut-être  la  majorité,  de  la  population  résidant  sur  son  territoire. 
Mais,  d'autre  part,  nous  ne  pouvions  ni  ne  voulions  accepter  un  traite- 
ment moins  favorable  que  celui  qu'a  consacré,  au  profit  de  l'Angleterre, 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  5J 

la  convention  du  29  novembre  1899.  Nous  avons  donc  réclamé  et  nous 
avons  obtenu  la  reconnaissance  de  notre  droit  de  protection  sur  toutes  les 
personnes  d'origine  indo-chinoise  et  venues  au  Siam  depuis  notre  établis- 
sement en  Indo-Chine,  ainsi  que  sur  leurs  enfants  jusqu'à  la  troisième 
jiêné  ration. 

La  re\-ision  de  nos  listes  de  protégés,  admise  par  nous  depuis  plusieurs 
années,  sera  effectuée  exclusivement  par  nos  agents  au  Siam.  Cette  opé- 
ration accomplie,  communication  des  listes  sera  faite  aux  autorités  sia- 
moises, qui  pourront  alors  présenter  des  observations  au  sujet  des  ins- 
criptions à  leur  sens  injustifiées. 

Eniin,  une  clause  spéciale  nous  reconnaît  —  ce  que  le  gouvernement 
siamois  s'était  jusqu'ici  obstinément  refusé  à  admettre  —  la  protection 
des  Chinois  actuellement  inscrits  sur  nos  listes  et,  pour  l'avenir,  elle  nous 
assure  le  bénéfice  de  toutes  les  facilités  ou  privilèges  que  le  gouvernement 
Siamois  accorderait  à  n'importe  quelle  puissance  pour  la  protection  des 
Asiatiques  nés  en  dehors  de  ses  possessions. 

Le  maintien  d^une  garnison  française  à  Chantaboun,  localité  que  nous 
nous  étions  d'ailleurs  engagés  à  évacuer  le  jour  où  le  traité  de  i893  serait 
exécuté,  était  également  incompatible  avec  le  rétablissement  de  relations 
amicales  entre  les  deux  pays;  le  gouvernement  siamois  considérait  la 
présence  de  nos  irotipes  dans  cette  ville  comme  une  humiliation  et 
tomnie  une  menace.  Invoquant  l'accord  établi,  il  nous  a  demandé  le 
rappel  de  nos  troupes  qu'il  réclamait  avec  une  insistance  croissante  depuis 
plusieurs  années.  On  verra  à  quelles  conditions  nous  y  avons  consenti. 

Nous  n'avons  pas  cru  non  plus  devoir  refuser  au  Siam  l'abrogation  de 
celle  des  dispositions  des  articles  3  et  4  du  traité  de  1893  qui,  en  créant 
ie  long  du  Mékong  une  zone  où  les  troupes  des  deux  pays  ne  pouvaient 
pénétrer,  servait  moins  à  garantir  notre  frontière  qu'à  permettre  aux 
rebelles  et  aux  malfaiteurs,  de  plus  en  plus  nombreux,  des  deux  rives  du 
fleuve  d'échapper  à  toute  poursuite.  Responsable  de  la  sécurité  de  la  rive 
droite  du  Mékong,  le  gouvernement  siamois  acquiert  la  facilité  d'y  entre- 
tenir des  troupes  régulières  pour  l'assurer.  Mais,  pas  plus  hier  que 
demain,  il  ne  pourra,  ni  dans  le  rayon  de  25  kilomètres  sur  la  rive  droite, 
lii  dans  les  provinces  de  Battarabang  et  de  Siem-Reap,  élever  de  forti- 
ûi:ation3.  Et  seuls  aussi,  demain  comme  hier,  nous  aurons  le  droit  de 
faire  circuler  des  bâtiments  armés  tant  sur  le  Mékong  et  ses  affluents  que 
sur  les  eaux  du  Grand  Lac. 

Devant  cette  double  preuve  de  notre  bonne  volonté  et  de  nos  intentions 
Tjacifiques,  le  Siam  ne  pouvait  désormais  nous  refuser  les  avantages  qui 
nous  paraissaient  les  plus  propres  à  atteindre  le  deuxième  résultat  que 
cous  poursuivions,  c'est-à-dire  fortifier  l'Indo-Chine  et  assurer  éventuelle- 
EDent  un  vaste  champ  d'expansion  à  notre  industrie. 

Le  gouvernement  siamois  aurait  voulu  nous  faire  accepter,  comme 
compensation  de  l'évacuation  de  Chantaboun,  la  partie  du  Luang-prabang 
située  sur  ia  rive  droite  du  Mékong  qui  était  restée  sous  sa  suzeraineté. 
Xons  n  avons  pas  cru  devoir  nous  prêter  à  cette  combinaison.  La  cession 
o!î'erte  était,  en  effet,  plus  apparente  que  réelle  ;  elle  eût  simplement  con- 
sacré une  situation  de  fait  déjà  tout  à  notre  profit,  puisque  le  roi  de 
Luaii*r-prabang>    notre  protégé,  administre  et  continuera    d'administrer 


52  QUESTIONS  DIPLOItATIQUBS  BT  COLONIALV» 

librement  cette  partie  de  son  royaume  sous  une  suzeraineté  qui  lui  laisse 
la  plénitude  de  ses  pouvoirs.  Nous  avons  préféré  régler  certaines  des  con- 
testations territoriales  entre  notre  autre  protégé,  le  souverain  du  Cam- 
bodge, et  celui  du  Siam;  c'est  ainsi  que  les  provinces  de  Melou-prey,  de 
Tonle-repou  et  de  Bassac,  qui  pénétraient  comme  un  coin  dans  nos  pos- 
sessions et  par  où  il  était  facile  de  menacer  les  territoires  cambodgiens, 
y  seront  désormais  incorporées. 

En  outre,  sur  la  rive  gauche  du  Grand  Lac,  la  frontière  est  reportée  à 
25  kilomètres  environ  au  delà  du  cours  d'eau  qui  formait,  depuis  1867, 
la  limite  des  deux  États,  ajoutant  ainsi  de  précieuses  pêcheries  à  celles 
que  nous  avions  le  droit  d'exploiter.  Sans  parler  de  la  province  lao- 
tienne de  Bassac,  nous  restituons  ainsi  au  Cambodge  la  plus  grande  partie 
des  territoires  qui  lui  avaient  été  enlevés  avant  1867. 

Le  gouvernement  de  Bangkok,  en  s'engageant  à  n'envoyer  et  à  n'entre- 
tenir que  des  troupes  siamoises,  commandées  par  des  officiers  siamois, 
dans  la  partie  du  bassin  du  Mékong  qui  lui  appartient,  nous  a  concédé  une 
garantie  d'un  autre  ordre  qu  il  suffît  de  signaler  pour  en  faire  apprécier 
toute  l'importance. 

Enfin,  en  stipulant  que,  dans  ce  même  bassin  du  Mékong,  le  gouverne- 
ment siamois  devra  se  mettre  d'accord  avec  le  gouvernement  de  la  Répu- 
blique pour  tous  les  travaux  :  ports,  canaux,  chemins  de  fer,  qu'il  ne 
pourrait  exécuter  exclusivement  avec  un  personnel  et  des  capitaux  sia- 
mois, nous  nous  sommes  prémunis  contre  le  développement  d'influences 
rivales  dans  une  région  si  proche  de  nos  possessions. 

Le  gouvernement  ne  croit  pas  avoir  à  insister  sur  la  valeur  d'un  accord, 
qui,  sans  sacrifices  ni  en  hommes  ni  en  argent,  augmente  considérable- 
ment l'étendue  et  la  sécurité  de  nos  possessions  d'Indo-Chine,  tout  en 
rétablissant  avec  le  pa^s  voisin  des  relations  confiantes  qui  commencent 
déjà  à  porter  leurs  fruits. 

En  effet,  comme  conséquence  de  la  convention,  et  pour  nous  donner 
une  preuve  manifeste  de  ses  sentiments  d'amitié,  le  gouvernement  sia- 
mois vient  de  nous  notifier  sa  résolution  : 

1®  D'instituer  immédiatement  au  département  sanitaire  un  service  de 
travaux  d'assainissement  ayant  à  sa  tète  un  ingénieur  français  et  assuré 
par  des  ingénieurs  également  français. 

L'ingénieur,  chef  de  ce  service,  aura  le  titre  de  conseiller  au  départe- 
ment sanitaire; 

2<>  De  créer  à  Bangkok  un  institut  bactériologique,  dirigé  exclusivement 
par  des  médecins  français  ; 

30  D'engager  sans  délai  un  certain  nombre  de  professeurs  et  d'institu- 
teurs français  pour  l'enseignement  de  notre  langue  dans  les  collèges  et 
écoles  du  Siam  ; 

4<»  De  réserver  à  des  Français  une  vaste  concession  de  forêts  de  teck 
dans  la  vallée  du  Mé-ing  ; 

5^  Enfin  d'allouer  une  subvention  à  la  Compagnie  française  de  naviga- 
tion, qui  assure  deux  fois  par  mois  le  service  postal  entre  Bangkok  et 
Saigon. 

Ces  différentes  décisions,  prises  quelques  jours  après  la  signature  du 
traité»  et  que  d'autres  analogues  doivent  suivre  au  fur  et  à  mesure  que 


RBNSEIGNEMEiNTS  POLITIQUES  53 

» 

l'occasion  s'en  présentera,  montreiU  que  le  gouvernement  siamois  est 
sincèremenl  désireux  de  faire  désormais  aux  Français,  dans  ses  diverses 
idministrations  et  dans  les  concessions  qu'il  pourrait  avoir  à  accorder, 
la  part  qui  revient  justement  aux  nationaux  d'une  grande  puissance  voi- 
^^ine  et  amie. 

A  cet  égard  encore,  la  convention  du  7  octobre  n'a  point  manqué  son 
but. 

EIn  conséquence,  le  gouvernement  soumet  à  la  Chambre  un  projet  de 
ioi  dont  voici  Tarticle  unique  : 

«  Le  président  de  la  République  est  autorisé  à  ratifier  et,  s'il  y  ^  lieu,  à 
faire  exécuter  la  convention  conclue  le  7  octobre  1902  entre  le  gouverne- 
ment de  la  République  française  et  celui  de  S.  M.  le  roi  de  Siam. 

«  Une  copie  authentique  de  cet  acte  et  de  la  déclaration  additionnelle  du 
4  décembre  1902  sera  annexée  à  la  présente  loi.  » 

Nécrologie.  —  Mort  dé  Jf"*®  JonnarL  —  M"''  Jonnart,  fenjme  du 
député  du  Pas-de-Calais,  ancien  gouverneur  général  de  l'Algérie,  et 
fille  de  M.  Aynard,  député  de  Lyon,  est  morte  le  22  décembre  d'une 
crise  d'éciampsie,  après  avoir  donné  le  jour  à  une  petite  fille. 

Nous  nous  associons  bien  vivement  au  deuil  de  M.  Jonnart  et 
nous  prions  l'ancien  gouverneur  de  l'Algérie  de  croire  à  l'expression 
sincère  de  notre  douloureuse  sympathie. 

Angleterre.  — Le  «  Livre  bleu  »  sur  les  affaires  d'Abyssinie.  —  Un  Livre 
bleu  a  été  distribué,  le  iâ  décembre,  au  Parlement  britannique,  qui 
contient  deux  traités  signés  i*un  entre  l'Angleterre  et  l'Abyssinie, 
l'autre  entre  l'Angleterre,  l'Italie  et  l'Abyssinie. 

Le  traité  avec  l'Angleterre  prévoit  la  démarcation  suivante  entre 
le  Soudan  et  TAbyssinie. 

La  frontière  courra  de  Khor-Um-lIogar  à  Gallobat  jusqu'au  Nil  Bleu 
aux  rivières  Baro,  Pibor  et  Akobo,  et  de  là  à  Melile,  puis  elle  aboutira  à 
l'intersection  du  6«  latitude  Nord  avec  le  35^  de  longitude  Est  du  méridien 
de  Greenvich. 

Mc'nélik  s'engage  à  ne  rien  construire  ni  laisser  construire  à  travers  le 
Nil  Bleu,  les  lacs  Tsana  et  Tusobat  qui  empêcheraient  leurs  eaux  de  se 
déverser  dans  le  Nil. 

Ménélik  permet  à  l'Angleterre  de  choisir  dans  le  voisinage  de  Itang, 
sur  les  bords  de  la  rivière  Baro,  un  territoire  ne  dépassant  pas  400  hec- 
tares et  ne  bordant  pas  la  rivière,  sur  une  étendue  de  plus  de  2  kilomè- 
tres. Le  territoire  sera  loué  par  Ménélik  au  gouvernement  anglo-égyp- 
tien qui  en  aura  l'administration,  l'occupera  comme  station  commerciale 
et  ne  pourra  s'en  servir  ni  pour  un  objet  politique,  ni  pour  un  objet  mili- 
taire. 

Ménélik  concède  aux  Anglais  le  droit  de  construire  à  travers  le  terri- 
toire abyssin  un  chemin  de  fer  qui  reliera  le  Soudan  à  l'Ouganda.  Le 
tracé  en  sera  choisi  de  concert  entre  l'Angleterre  et  Ménélik. 


54  '  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Le  second  traité  porte  modification  de  la  frontière  entre  l'Abys- 
sinie  et  l'Erythrée  et  entre  l'Erythrée  et  le  Soudan. 

.  La  frontière  avec  l'Erythrée  commencera  au  confluent  du  Khor-Um- 
Hogar  et  de  la  Setit  ;  elle  suivra  cette  dernière  rivière  jusqu'à  son  con- 
fluent avec  le  Maieteb  ;  elle  suivra  le  Maieteb  de  façon  à  laisser  à  l'Ery- 
thrée le  mont  Ala-Tacura  et  rejoindra  le  Mareb  à  son  confluent  avec  le 
Maiambessa.  , 

La  déhmitation  sera  faite  de  manière  à  laisser  à  l'Erythrée  la  tribu 
Canama. 

L'article  2  du  traité  dit  que  la  frontière  entre  le  Soudan  et  l'Erythrée, 
établie  le  16  avril  1901,  sera  remplacée  par  une  frontière  partant  de  Sab- 
derat  et  passant  par  Abu-Jamal  pour  aboutir  au  confluent  du  Khor-Um- 
Hogar  et  de  la  Setit. 


Turquie.  —  La  situation  en  Macédoine.  —  Depuis  longtemps  la 
Macédoine  est  un  sujet  permanent  de  graves  préoccupations  pour  les 
différents  cabinets  européens  :  on  redoute  toujours  que  la  situation 
déplorable  de  ce  malheureux  pays  ne  provoque  des  complications 
qui  pourraient  faire  renaître  la  question  si  troublante  des  Balkans. 
Des  événements  tout  récents  viennent  encore  d'augmenter  ces  inquié- 
tudes en  les  précisant.  De  nouveaux  actes  de  brigandage  et  de  révolte 
se  sont  produits  qui  ont  déterminé  des  mesures  de  répression  terri- 
bles de  la  part  des  autorités  locales,  et  les  dépèches  ont  signalé  des 
faits  si  révoltants  de  véritable  barbarie  que  toute  l'Europe  s'est 
émue. 

Des  tentatives  très  sérieuses  ont  été  faites  alors  par  les  puissances 
le  plus  directement  intéressées,  la  Russie  et  l'Autriche,  afin  d'obte- 
nir du  gouvernement  ottoman  les  réformes  les  plus  urgentes  que 
réclame  ce  lamentable  état  de  choses.  La  Porte  a  paru  reconnaître 
le  bien  fondé  des  réclamations  qui  lui  ont  été  adressées  :  elle  a  même 
manifesté  l'intention  d'étudier  l'application  d'une  politique  sincère- 
ment réformatrice.  Mais  on  ne  sait  que  trop  combien  il  y  a  loin  en 
Turquie  entre  les  intentions  et  les  actes.  Rien  de  décisif  n'a  été 
arrêté,  et  en  attendant  la  discorde  et  l'anarchie  continuent  de 
régner  en  Macédoine.  Les  solutions  diverses  suggérées  par  les  esprits 
inventifs  des  principaux  nouvellistes  de  France  et  de  l'étranger  ne 
tirent  guère  à  conséquence,  et  jusqu'à  nouvel  ordre,  ne  peuvent 
être  pris  au  sérieux. 

La  question  macédonienne  reste  donc  le  point  noir  de  lasituation 
européenne.  Nous  nous  réservons  d'ailleurs  de  lui  consacrer  dans 
une  prochaine  livraison  une  étude  approfondie,  désireux  de  mettre 
nos  lecteurs  à  même  de  se  former  une  opinion  raisonnée  sur  l'un  des 
plus  graves  problèmes  de  la  politique  internationale. 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  55 


n.  —  AFRIQUE. 

Algérie.  —  La  question  touareg  résolue.  —  Le  lieutenant  Guillo- 
Lohan,  des  affaires  indigènes,  vient  de  rentrer  à  In-Salah  après  une 
tournée  de  police  de  près  de  trois  mois,  pendant  laquelle  il  a  par- 
couru, dans  tous  les  sens,  le  pays  des  Touareg  et  particulièrement 
le  Hoggar. 

Cette  brillante  reconnaissance,  organisée  d'après  les  instructions 
du  commandant  Laperrine,  pour  faire  suite  aux  très  nombreuses 
opérations  de  police  exécutées  cette  année  dans  le  Sahara  par  le 
gouvernement  de  l'Algérie  et  dont  la  plus  remarquable  jusqu'ici 
avait  été  le  raid  du  lieutenant  Cotlenest,  est  la  dernière  du  pro- 
gramme que  s'était  tracé  le  gouvernement  de  l'Algérie,  dans  ces 
régions,  pour  l'année  1902. 

Ainsi  se  trouve  résolue,  presque  sans  coup  férir,  la  question 
touareg,  qui  avait  paru  si  longtemps  grosse  de  surprises. 


m.  —  OCMlANIE. 

Etablissements  français  d'Océanie.  —  Les  projets  de  réforme  de 
M.  Edouard  Petit,  —  Le  gouverneur  des  Etablissements  français  de 
rOcéanie,  M.  Edouard  Petit,  à  l'occasion  de  l'ouverture  de  la  session 
ordinaire  du  Conseil  général,  le  10  novembre  dernier,  a  prononcé 
un  discours  dans  lequel  il  a  insisté  sur  la  nécessité  de  créer  des 
taxes  nouvelles  par  suite  de  l'application  de  la  loi  de  finances  de 
1900.  Les  impôts  proposés  par  l'Administration  sont  :  un  impôt  sur 
la  propriété  bâtie;  un  droit  ad  valorem  de  4  %  sur  la  vanille  exportée  ; 
enfin,  un  droit  à  la  sortie  sur  le  coprah  de  10  francs  par  1.000  kilo- 
grammes. De  ce  même  discours,  nous  détachons  le  passage  suivant, 
sur  une  question  qui  n'intéresse  pas  d'ailleurs  seulement  cette 
colonie  : 

Nous  avons,  a  dit  M.  Petit,  partageant  entièrement  vos  idées  sur  ce 
jioint,  demandé  au  département  la  suppression  d'emplois  que  nous  croyons 
peu  nécessaires  ou  trop  coûteux,  ces  emplois  étant  donnés  à  des  fonc- 
tionnaires coloniaux  déjà  fatigués  venant  de  France  et  y  retournant  sou- 
vent très  vite,  après  avoir  vu  quelles  sont  les  difficultés  de  la  vie  maté- 
rielle en  Océanie,  grâce  à  des  congés  de  convalescence  justifiés  d'ailleurs 
par  leur  état  de  santé. 

Ces  mouvements  fréquents  de  personnel  entraînent  des  frais  de  voyage 
énormes,  de  grosses  dépenses  de  solde  pour  des  séjours  souvent  très  pro- 
longés en  France,  charges  vraiment  disproportionnées  avec  les  recettes 


56  OUKSTlOItS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

d'un  budget  comme  le  nôtre.  On  a  également  signalé  les  congés  adminis- 
tratifs comme  une  source  d*importantes  dépenses,  mais  je  dois  à  la  vérité 
d'affirmer  que  ces  congés  n'ont  été  accordés  sous  mbn  administration 
qu'à  six  fonctionnaires  et  à  leurs  familles  ayant  accompli  la  période  régle- 
mentaire de  séjour  dans  la  colonie  et  à  des  gendarmes  plus  nombreux, 
mais  dont  la  plupart  avaient  résidé  davantage  en  Océanie,  dans  des  postes 
souvent  difficiles. 

Les  congés  de  convalescence  sont,  au  contraire,  fréquents  et  partant 
plus  onéreux  pour  la  colonie  que  ceux  des  congés  administratifs. 

Les  frais  de  transport  du  personnel  nous  accablent. 

L'éloignement  extrême  de  cette  colonie,  pour  ainsi  dire  placée  aux  an- 
tipodes de  la  France,  mérite  d'appeler  tout  particulièrement  la  haute 
attention  de  M.  le  ministre  des  Colonies.  C'est  une  des  causes  principales 
de  nos  préoccupations  financières. 

A  cette  situation  unique  doit,  en  toute  justice,  correspondre  un  régime 
spécial. 

Nous  établirons  ce  régime  avec  l'aide  du  département  en  simplifiant 
quelques  rouages  de  notre  administration  locale.  On  a  certes  singulière- 
ment exagéré  en  disant  que  cette  administration  comportait  la  présence 
d'une  «  nuée  de  fonctionnaires  »  venant  de  France,  car  ces  fonctionnaires 
sont  très  rares  en  réalité,  mais  il  est  cependant  possible  de  remplacer 
économiquement  quelques-uns  de  ces  derniers  en  confiant  leur  emploi  à 
des  enfants  du  pays,  suffisamment  instruits,  connaissant  la  langue  et  les 
coutumes  des  indigènes,  très  aptes  en  conséquence  à  occuper  des  postes 
qui  les  mettent  en  rapports  constants  avec  eux. 

On  jugera  combien  une  réforme  sur  ce  point  est  nécessaire  quand  on 
saura  qu'une  somme  d'environ  100.000  francs  de  frais  de  voyage  et  de 
solde  de  congé  pour  les  fonctionnaires  et  gendarmes  partis  en  France,  y 
séjournant  ou  en  revenant,  figure  au  budget  de  la  colonie  de  1902. 

La  prospérité  commerciale  de  cette  colonie  s'accentue.  Les  statistiques 
accusent  une  augmentation  de  1.255.432  francs  pour  l'année  1901  sur 
celle  de  1900,  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  ne  pas  faire  des  écono- 
mies comme  celle  qui  pourrait  résulter  d'une  réforme  des  congés. 


k 


RENSEIGNEMENTS   ÉCONOMIQUES 


1.  —  ASIE. 


Inde.  —  La  récolte  du  eoion  m  1901-1902*.  —  D'après  le  rapport 

tinal    du  directeur   général  des  slatisLiques  du  gouvernement  de 

rinde,    en  date  du  18  février  1902,  la  surface  cultivée  en  colon 

pour   la    saison    1901-1902   s'élevait   à  5.758.321   hectares  contre 

5.774.037  hectares  en  1900-1901,  soit  une  diminution  de  2,4  %  par 

rapport  à  1900-1901,  mais  présentait  une  augmentation  de  0,7  % 

comparée  aux  superficies  ensemencées  des  cinq  années  précédentes. 

Le  rendement  de  la  récolte  est  estimé  à  356.825.925  kilogrammes 

contre  385.449.546  kilogrammes  en   1900-1901  ;  elle  présente  une 

diminution  de  7,4  j{;  par  rapport  à  celle  de  Tannée  précédente  et  une 

diminution  de  2,4  %  comparée  à  celles  des  cinq  dernières  années. 

Les  provinces  qui  ont  produit  le  plus  de  coton  durant  la  saison 
1901-1902  sont  les  suivantes  : 

Bombay 80.379.595  kilogrammes 

Provinces  du  Nord-Ouest  et  Ouest ...  48 .  277 .  U  6  — 

Berar. 44.448.722  — 

Inde  centrale 40.741.190  — 

G* est  le  Bengale  et  la  Birmanie  qui  ont  fourni  les  plus  faibles  ré- 
coltes, respectivement  3.649.550  kilogrammes  et  2.378.250  kilo- 
grammes. 

II.  —  AFRIQUE. 

Ile  Maurice.  —  Le  commerce  de  Maurice  avec  la  France^.  —  Nous  re- 
levons dans  le  dernier  Bulletin  du  comité  commercial  consul- 
tatif français  de  Port-Louis  les  indications  suivantes,  relatives  aux 
transactions  commerciales  entre  la  France  et  l'ancienne  île  de 
France. 

Depuis  deux  ans,  les  importations  de  France  ont  un  peu 
augmenté,  environ  650.000  roupies  par  an  ;  c*est  bien  peu,  et  l'on  ne 
peut  même  pas  dire  que  ce  soit  rigoureusement  exact,  car,  parmi 
les  marcbandises  venues  de  France,  il  doit  y  en  avoir  qui  provien- 
nent de  Belgique,  d'Allemagne  et  de  Suisse,  et  les  statistiques  de  la 
doaane  ne  permettent  pas  de  les  distinguer. 
Nous  nous  sommes  souvent  demandé  pourquoi  les  importations 

<  Buiieiin  économique  de  V Indo-Chine. 
s  Journal  des   Chambre*  de  commerce. 


58  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

de  France  à  Maurice  avaient  diminué  et  pourquoi  certains  articles 
que  la  France  nous  fournissait  jadis  à.  peu  près  exclusivement  ne 
nous  viennent  plus  maintenant  que  de  pays  étrangers. 

Peut-être  cela  vient-il  de  ce  que  l'on  ne  cherche  pas  assez  en 
France  à  se  conformer  aux  goûts  et  aux  habitudes  des  marchés 
étrangers  où  la  concurrence  est  libre  ;  ceci  s'appliquerait  surtout 
aux  tissus  ;  on  est  installé  en  France  pour  fabriquer  tel  ou  tel  genre, 
et  Ton  n'en  sort  pas  ;  tandis  que,  dans  les  pays  voisins,  on  se  plie  à 
toutes  les  préférences,  et  on  fabrique  tout  ce  qui  est  demandé. 

Il  y  a  d'autres  articles  pour  lesquels  la  France  s'est  laissée  sup- 
planter ;  cela  ne  viendrait-il  pas  de  ce  que  Ton  ne  cherche  pas  assez 
à  lutter  contre  la  concurrence  étrangère,  que  l'on  ne  s'y  inquiète 
pas  assez  de  ses  progrès. 

Le  temps  actuel  est  un  temps  de  concurrence  à  outrance  ;  les 
peuples  se  disputent  les  marchés  du  monde.  Dans  cette  luUe  pour  la 
vie,  la  France  semble  faiblir  ;  mais  elle  n'est  pas  la  seule  :  l'Angle- 
terre a  aussi  perdu  une  partie  du  terrain  sur  lequel  elle  a  été  si 
longtemps  souveraine;  des  concurrents  nouvellement  entrés  dans 
l'arène,  l'Allemagne  et  les  Étals-Unis,  ont  rapidement  grandi  et  ga- 
gnent de  plus  en  plus  du  terrain  ;  ils  proGtcnt  actuellement  de  ce 
que  la  guerre  sud-africaine  fait  perdre  à  l'Angleterre. 

Pourquoi  donc  ne  ferait-on  pas  en  France  ce  que  fait  l'Alle- 
magne pour  ouvrir  des  débouchés  à  son  industrie?  L'Allemagne 
vise  à  exploiter  tous  les  marchés  et  elle  y  réussit  ;  est-ce  grâce  à  une 
meilleure  fabrication  ?  En  général,  si  ses  produits  ne  coûtent  pas 
chers,  ils  ne  sont  pas  non  plus  bien  bons;  mais  elle  cherche  î\ 
imiter  ce  qui  se  fait,  ce  qui  plait  ailleurs. 

Surtout,  ses  commerçants  n'attendent  pas  que  l'on  vienne  à 
eux  ;  ils  ont  partout  des  représentants  munis  d'albums,  d'échantil- 
lons, de  catalogues  qui  sont  distribués  largement;  et  ces  représen- 
tants déploient  beaucoup  d'activité,  sollicitent  des  ordres  et  offrent 
des  facilités  de  paiement,  des  crédits,  qui  assurent  souvent  leur 
succès;  ces  intermédiaires  représentent  soit  des  syndicats,  soit  des 
particuliers  et,  restant  sur  les  lieux,  ils  acquièrent  une  connaissance 
parfaite  des  goûts,  des  habitudes  du  pays  et  de  la  sécurité  que  les 
clients  peuvent  offrir. 

Nous  soumettons  ces  observations  et  nous  souhaitons  qu'il  soit 
fait  quelque  chose  dans  l'intérêt  de  l'industrie  française  et  du  com- 
merce français. 

III.  —  AMÉRIQUE. 

États-Unis.  —  Le  mnmerce  en  1902.  —  L'Office  fédéral  de  sta- 
tistique des  États-Unis  a  publié  les  chiffres  relatifs  au  commerce 
international  des  États-Unis  durant  l'année  fiscale  qui   a  pris  fin  le 


RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  59 

30  juiD  1902.  Ce  commerce  s'est  élevé  à  2.258.808.932  dollars,  soit 
environ  il  milliards  300  millions  de  francs  (non  compris  les  métaux 
précieux).  Ce  total  est  supérieur  à  celui  des  années  précédentes,  — 
1901  excepté,  —  où  le  commerce  extérieur  de  la  confédération 
n'avait  pas  été  inférieur  à  2.283.634.971  dollars. 

Les  exportations  figurent  dans  les  chiffres  de  1902  pour 
1.355.481.861  dollars  contre  1.460.442.806  Tan  dernier;  et  les 
importations  pour  923.327.071  dollars  contre  823.172.165.  En  sorte 
que  la  balance  en  faveur  des  États-Unis  est  de  452.154.790  dollars 
seulement,  soit  une  diminution  de  185  millions  par  comparaison  à 
1901  :  c'est  la  principale  caractéristique  du  commerce  américain 
pendant  cette  année.  La  diminution  des  exportations  doit  être  attri- 
buée surtout  à  la  médiocrité  de  la  récolte  des  céréales  ;  l'augmen- 
tation des  importations  s'explique  à  la  fois  par  la  nécessité  où  s'est 
trouvée  l'industrie  de  se  procurer  des  matières  premières  et  par  la 
prospérité  générale  qui  pousse  à  l'acquisition  d'objets  de  luxe, 
manufacturés  au  dehors. 

Quant  à  la  provenance  des  importations  américaines,  nous  pou- 
vons constater  avec  satisfaction  que  la  France,  très  distancée  par 
l'Angleterre  et  l'Allemagne,  fait  de  constants  efforts  pour  regagner 
le  terrain  perdu.  C'est  ce  que  montre  le  tableau  suivant  : 

1897  1902 

Angleterre 167.947.820  165.865,720  dollars. 

Allemagne .  111.210.613  101.999.080 

France 67.:)30.2:34  82.886.276  — 

Italie 19.007.352  30.557.332  — 

Hollande 12.824.126  19.649.598  — 

Suisse 13.849.782  17.790.2*3  — 

Belgique 14.082.414  16.502.770  — 

Autriche-Hongrie 8.157.328  10.154.031  — 

Espagne 3.631.973  8.270.703  - 

Russie 3.199.659  7.308.469  — 

Au  premier  rang  des  acheteurs  des  États-Unis  figurent  : 

Angleterre 548.595. 1 17  dollars 

Allemagne 175.148.010  — 

France 71.512.984  — 

Hollande 75. 135. 656  — 

Belgique 46.128.102  — 

Italie 31.388.135  — 

Amérique  anglaise H 1 .  486 .  948  — 

Mexique 39.872.670  — 

Cuba 26. 623 .  500  — 

Chine 24.715.861  — 

♦ 


NOMINATIONS  OFFIttELLES 


MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

L*exequatur  est  accordé  à  M.  :  Pierangeli,  vice-consul  de  Belgique  IrBasha 

MINISTÈRE  DE  LA  GUERRE 
TronpeH  métropoUUilne*. 

INFANTERIE 

Sahara.  —  M.  le  lieul,  Bricoque  est   nommé  adjoint  au  command.  milit.  sup 
rieur  des  oasis  sahariennes. 

GÉNIE 

Afrique  Oooidentale.  —  Sont  désig.  pour  le  service  des  travaux  publics  : 

Au  Sénégal»  MM.  le  chef  de  bat.  Belle  et  les  capit.  Frirj  et  Gérard; 

A  la  Côte  d'Ivoire,  M.  le  capil.  Lefort  et  M.  Voffic,  d'admin.  de  2*  cl.  Borne. 

Madagascar.  —  Sont  désig.  pour  le  service  des  travaux  publics  à.  Mada- 
gascar : 

MM.  le  capit.  liefroighej,  le  lieut,  Vannière  et  les  offic.  d^admin,  de  2*^  cl.  Du- 
rand et  Marest. 

SERVICE   DE   SANTÉ 

Maroc.  —  M.  le  méd.-maj.  de  2*  cl.  JafTroj  est  désig.  pour  la  mission  mili- 
taire française  au  Maroc. 

Troupes  coloniale*. 

ÉTAT-MAJOR  GÉNÉRAL 

Indo-Chine.  —  M.  le  gén.  de  brig.  Piel  est  nommé  au  command.  de  l'artil- 
lerie à  Hanoi. 

INFANTERIE 

Afrique  Occidentale.  —  M.  le  chef  de  batailL  Hubert  est  désig.  pour 
servir  à  l'état-maj.  partie. 

Sont  désig.  pour  servir  au  !•'  sénégalais  : 

MM.  le  chef  de  bataill.  Dessort,  le  capit.  Dufour-LorioUe  et  le  sous-lieut. 
Fournier. 

Chine.  —  Les  sous-lîeut.  dont  les  noms  suivent  sont  désig.  pour  servir  : 

M.  Hennon,  au  iV  rég.  ;  M.  Texier  au  !«•  rég.  et  M.  Bruyère  au  16'  rég. 

Indo-Chine.  —  M.  le  capit.  Frantz  est  désig.  pour  servir  à  i'état-major  des 
troupes  de  l'Indo-Chine; 

Sont  désig.  pour  servir  en  Cochinchine  : 

MM.  le  chef  de  6a/at//.  Grimaud  ;  le  capil.  Monziols;  les  lieul.  Desmoulins-Baron, 
Julien  et  Veillât;  les  sous-lieut.  Grégoire,   Gilquin,  Chauffîn  et  Fouques. 

Sont  désig.  pour  servir  au  Tonkin  : 

MM.  le  chef  de  bataill.  I^uypéroux  ;  les  capit.  Civet,  Miolle,  Irigaray,  Gaillard 
et  du  Réau;  les  lieul.  Pierre,  Badin«  Péri  et  Fagot;  les  sous-lieut.  Charbonnier, 
Bailly,  Jourdy  et  Frech. 

Madagascar.  —  Sont  désig.  pour  servir  à  Madagascar  : 

MM.  le  co/o?ie/ Bel  in,  les  chefs'de  bataill.  Millot  et  Kuntz;  les  capit,  Burguièrc, 
Diétrich,  Galiand,  Disdier  et  Jollras; 

MM.  les  lieul.  Croll,  Brusseaux  et  Cellier;  les  sous-lieut.  Masson,  Noél,  Jeux, 
Tiret,  Garron,  Jadart,  L'Herrou,  Le  Borgne  et  Pelud; 

M.  le  capit,  Paris  de  Bollardière  est  placé  à  l'état-maj.  partie,  du  corps 
d'occupat.; 

VLAe  chef  debalaill,  Toquènne  est  afTecté  au  3*  sénégalais  ;  M.  le  chef  de 
bataill.  Lecomte  au  2*  malgaches  ;  M.  le  capit.  Thaï  au  3*  malgaches  ;  M.  le   lieut. 


NOMINATIONS  OFFICIELLES  61 

Cutois  à  la  10*  comp.  du  1"  malgaclies  ;  M.  le  lieul,  Corcuff  à  la  12'  comp.  du 
!•' malgaches  ;  M.  le  lieuL  Maurv  au  i"  malgaches. 

Xartinique.  —  M.  le  capit,  Mareuge  est  placé  à  la  4«  comp.  du  bataill.  de  la 
coloQÎe. 

NouTelle-Calédonie.  —  M.  le  lient.  Bertrand  est  désig.  pour  servir  au  bataill. 
de  la  colonie. 

ARTILLERIE 

Indo-Cniiiie.  — -  M.  le  capil.  Gélin  est  désig.  pour  servir  à  la  brigade  de 
réserve  au  Tonkin,  comme  adjoint  au  colonel  command.  l'artillerie. 

Xadagascar.  —  M.  le  capit,  Pejrègne  est  désig.  pour  servir  à  l'état-maj. 
des  troupes. 

Sont    désig.  pour  servir  : 

A  la  direct,  d'artill.  à  Tananarive,  M.  le  capit.  Isabey;  à  la  direct,  à  Majunga, 
M.  le  capit.  Ostermann  ;  aux  balt.  à  Diego-Suarez,  MM.  les  capit.  Joseph  et 
Jacobi. 

Officiers   iVadminittration. 

Indo-C^ine.  —  Sont  désig.  pour  servir  : 

Aux  travaux  du  Mékong,  MM.  les  offic.  (Vadmin.  de  2*  cl,  Igert  et  Mayot; 

Au  Tonkin,  M.  Voffic.  d'admin.  de  2*  cl.  Choiselat. 

Xadagrasoar.  —  M.  Gaj,  offic.  d'admin.  de  !'•  cL,  et  Masson,  offic.  d'admin. 
de  2*  c/.,  sont  désig.  pour  servir  à  Madagascar. 

Martiniqne.  —M.  Baux,  offic,  d'admin.  de  2*  cl.,  est  désig.  pour  servira  la 
Martinique. 

CORPS    DU    COMMISSARIAT 

Indo-Chine.  — M.  le  commiss,  de  l'*  cl.  HafTner  est  nommé  commiss.  de  Tins- 
cription  maritime  en  Cochinchine. 

SERVICE   DB  SANTB 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  méd-maj,  de  2*  cl  Conan  est  aflecté  au  scr- 
Tice  de  santé  du  chemin  de  fer  de  Kayes  au  Soudan  ; 

M.  le  méd.  aide-maj.  de  l"  cl.  Cocliin  est  désig.  pour  servir  en  Afrique  Occi- 
denUle. 

Ck>n^.  — M. le  méd.-maj,  de  2'  cl,  Ollivier  est  nommé  chef  du  service  de'santé 
au  Coogo  français. 

Indo-Chine.  —  MM.  Dumas,  me'd.-maj.  de  i"  cl.,  Philippe  et  Vincent,  méd. 
aides-maj.   de  l»"»  c/.,  sont  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine. 

Xadagrasear.  —  M.  le  méd.  aide-maj.  de  l»*'  cl.  Boucher  esl  désig.  pour  servir 
à    Madagascar. 

—  M.  le  méd.  aide-maj.  Honorât  est  désig.  pour  servir  &  la  Grande-Comore. 

MUVISTÉRE   DE    LA   liAaUVE 

ÉTAT-MAJOR  DE  LA  FLOTTE 

Mers  d'Orient-  —  M.  le  capit.  de  vaiss.  Poidelouë  est  nommé  au  command. 
du  Montcalm, 

M.  le  capit.  de  /régate  Lallemand  de  Driésen  est  désig.  pour  cmbarq.  comme 
second  sur  le  Montcalm. 

Sont  désig.  pour  faire  partie  de  l'état-major  de  M.  le  contre-amiral  Le  Do,  à  bord 
du  Monicalm  : 

Bn  qualité  de  chef  d'état-maj.,  M.  le  capif.  de  frégate  Jourden  ; 

En  quaiilé  d'aide  de  camp,  M.  le  lieut.  de  vaiss.  Abaquesné  de  Parfouru  ; 

En  qualité  de. mécanicien  de  division,  M.  le  mécan.  en  chef  Pacaud; 

Eu  qualité  d'aumdnier  de  division,  M.  l'a^ô^Manse; 

En  qualité  de  commissaire  de  division,  M.  le  commis,   ppal,  Flandrin  ; 

En  qualité  de  médecin  de  division,  M.  le  méd,  en  chef  de  2*  cl.  Léo. 

Soot  dési^.  pour  embarq.  sur  le  Montcalm  : 

JkfM.  \^B  lieut.  de  vaiss,  Catiche-Junca  et  le  m<fcanic.  ppal.    de  l""*  cl.   Geay. 

Coohinohine.  —  M.  le  capit.  de  frégate  Testu  de  Balincourt  est  nommé  au 
command.  du  Slyx  à  Saigon  ; 

M.  Venseig.  de  wxiss.  Le  Mée  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Takou  à  Saigon; 


6â  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

Sénégal.  —  M.  Venseiff.  de  vaiês.  Payer  est  désig.  pour  embarq.  sur  VArdenl, 
dans  la  station  locale  du  Sénégal. 

SSRVICB   DB   SANTÉ    • 

Tonkin.  —M.  le  méd.  de  2*  cl.  Brugère  est  désig.  pour  embarq.  sur  VEstoc, 
station  locale  d'Annam  et  Tonkin. 

CORPS    DU  COIOCISSAJIIAT 

Mers  d^Orient.  —  M.  le  commiss.  de  i^  cl.  Granier  est  désig.  pour  remplir  les 
fonctions  de  commiss.  de  la  force  navale  des  mers  d'Orient. 

MKWISTÈRE   DES   COLONIES 

Par  décret  en  date  du  16  décembre  1902,  ont  été  nommés  à  l'emploi  d'adminis- 
trateur adjoint  de  3«  classe  des  colonies  : 

M.  Boveil  (Auguste-Louis-Henri),  adjoint  de  1"  classe  des  affaires  civiles  de 
Madagascar. 

M.  Roméas  (Louis-Alexandre-Marie),  adjoint  de  1"  classe  des  affaires  civiles  de 
Madagascar. 

M:  Dupuy  (Joseph-Pierre),  adjoint  de  1'*  classe  des  affaires  indigènes  du  Haut- 
Sénégal.  ' 

M.  Corblin  (Albert),  chef  de  station  de  1«  classe  du  Congo  français. 

M.  de  Lesquen  (Paul-Francois-Marie),  chef  de  station  de  l"  classe  du  Congo 
français. 

M.  Bonneveau  (Jean),  aide-chancelier  de  résidence  à  Mayotte. 

M.  Treillard  (Joseph),  adjoint  de  l*"*  classe  des  affaires  indigènes  de  la  Guinée. 

M,  Didelot  (Pierre-Jean-Henri),  adjoint  de  !'•  classe  des  affaires  civiles  de 
Madagascar. 

•■»  9  mf 

BIBLIOGRAPHIE  —  UVRES  ET  REVUES 


Rapport  général  sur  Torganisation  et  le  fonctionnement  de 
l'Exposition  des  Colonies  et  pays  de  protectorat  en  1900,  par 

M.  Charles-Roux,  ancien  député,  délégué  dos  ministères  des  Affaires 
étrangères  et  des  Colonies.  —  Imprimerie  Nationale,  1902. 

En  un  volume  de  près  de  500  pages,  M.  Charles- Roux,  après  avoir  rap- 
pelé les  vicissitudes  par  lesquelles  passa  la  préparation  de  l'exposition 
coloniale,  décrit  les  services  et  les  travaux  d'installation  ;  il  y  a  là  une 
reproduction  de  documents  originaux  qu'on  ne  saurait  trouver  nulle  part 
ailleurs.  Il  convient,  en  outre,  de  signaler  spécialement  le  chapitre  iv, 
dans  lequel  le  commissaire  général  retrace  avec  bonheur  ce  qu'ont  été  les 
marchandises  et  les  produits  présentés  au  public  dans  chaque  pavillon.  Le 
chapitre  iv  évoque  eu  termes  colorés  ce  que  furent  les  fêtes  coloniales 
organisées  dans  les  jardins  du  Trocadéro  et  parfois  au  delà.  Le  chapitre  vu 
donne  le  résumé  des  publications  coloniales  faites  à  l'occasion  de  l'expo- 
sition coloniale;  le  bilan  se  traduit  par  32  volumes,  dont  pltisieQrs  sont 
d'une  valeur  remarquable  sans  parler  de  Vlntroduction  Généiaie^  due  à  la 
plume  de  M.  J.  Charles-Roux  lui-même,  et  qui  constitue  une  admirable 
synthèse  de  science  coloniale.  Enfin,  nous  apprenons  que  l'exposition 
coloniale  a  coûté  en  tout  5.768.840  francs,  sur  lesquels  les  colonies  inté- 
ressées ont  cçntribué  pour  3.948.520  francs,  ce  qui  a  réduit  à  1.820.320  francs 
la  part  de  l'État  qui  est  de  la  sorte  restée  inférieure  de  50.000  francs,  à  la 
dotation  spéciale  votée  par  le  Parlement  :  fait. très  rare  qui  méritait  d'être 
signalé.  En  résumé,  le  travail  de  M.  Charles-Roux  clôt  dignement  la 
série  des  publications  de  la  section  coloniale  ;  il  fait  à  chacun  sa  part  en 


BIBLIOGRAPHIE  —  UVRES  ET  REVUES  63 

éloges  et  en  regrets,  et  il  expose  dans  une  conclusion  substantielle  ce  que 
l'exposition  des  Colonies  aurait  pu  être,  si...  on  lui  avait  donné  assez  de 
tomps,  de  place  et  d'argent. 

Aspe-Fleurimont. 

Der  portng^iesische  Kolonialbesitz  und  sein  wirtschaftli- 
eher  "Wert  (Le  domaine  colonial  portugais  et  sa  valeur  économique) y  par 
RcDOLF  Wagner.  —-  Deutsche  Export-Hevue,  n®'  i3  et  14,  1902. 

Coup  d'œil  d'ensemble  sur  la  valeur  économique  de  territoires  dont 
TAngleterre  et  TAllemagne  ont  déjà  discuté  la  liquidation.  Le  gouverne- 
ment portugais  ne  possède  pas  les  moyens  financiers  nécessaires  pour 
obtenir  un  rendement  suffisant  de  ses  colonies.  Dans  l'Est-Africain  portu- 
srais.  il  est  obligé  de  confier  à  de  grandes  compagnies  à  charte  le  soin 
d'administrer  le  pays,  de  percevoir  les  impôts,  d'exploiter  les  divers  mono- 
poles, d'exécuter  les  travaux  publics.  Le  service  de  navigation  sur  la  voie 
fluviale  Schiré-Zambèze  est  assuré  par  une  compagnie  hambourgeoise; 
les  steamers  de  la  grande  ligne  interocéanique  allemande  de  l'Afrique 
orientale  ont  touché  au  port  de  Chinde  59  fois  en  1900.  Le  Sud-Ouest 
Africain  portugais,  dépourvu  de  grandes  artères  fluviales,  doit  être  pourvu 
de  chemins  de  fer  de  pénétration  et  de  routes  permettant  d'exploiter  faci- 
lement les  richesses  minérales  et  agricoles  du  pays;  les  capitaux  allemands 
sont  intéressés  à  diverses  entreprises;  la  Compagnie  franco-portugaise  de 
Mossamédès  possède  une  concession  de  23  millions  d'hectares.  Les  autres 
colonies  portugaises  sont  insignifiantes  :  elles  ne  subsistent  que  grâce  au 
voisinage  des  colonies  anglaises;  Goa  et  Daman, autrefois floris.santes, sont 
aujourd'hui  des  villes  mortes;  Macao  est  ruiné  par  llong-kong.  «  Quand 
1  heure  de  la  liquidation  aura  sonné,  conclut  l'auteur,  il  faut  espérer  que 
le  traité  secret  anglo-allemand  procurera  à  l'Empire  quelques  territoires 
Qtilisaliles.  »  Le  Zambèze,  la  Tigerbai  et  Macao  à  l'Allemagne,  Timor  et 
les  Pays-Bas  avec  leurs  colonies  sous  le  protectorat  allemand  :  quelle 
perspective  pour  le  commerce  allemand!  în  cauda  venenum,  —  G.  B. 

Ouvrages  déposés  au  bureau  de  la  Revue. 
La  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX^  siècle,  publiées 
âous  la  direction  du  P.  Piolbt  avec  la  collaboration  de  toutes  les  sociétés  de  mis- 
sions. —  Illustrations  d'après  des  documents  originaux.    —  Tome  IV.   Océanie, 
Madagascar.  Les  79*  et  80«  livraisons  viennent  de  paraître.  Paris,  1902,  librairie 
A.  Colin. 
L* Irrigation    dans    la   Péninsule  ibérique  et  dans  V Afrique  du    JVorrf,  par   Jean 
Brtvhes,  professeur  de  géographie  à  l'Université   de  Fribourg.  —  Un  vol.  grand 
in— 8°  de  578  p.  avec  cartes  et  gravures.  C  Naud,  éditeur.  Paris.  1902. 
Cinq  cartes    d* Afrique,    nouvelle  édition   1903,    par  M.  le  général    Niox.   Charles 

Dclagrave,  éditeur.  Paris»  1903. 
Géof/rfiphie  agricole  de  la  France  et   du  monde,  \^av   J.   du  Plessis   de  Grenéd.\n. 
L'n  voL  în-8o  de  424  p.    avec  118    figures   et  cartes  dans  le    texte.  Masson  et  C'«, 
éditeurs.  Paris,  1903. 
L'Épopée  portugaise.  —  Histoire  coloniale,  par  Almada  Negreiuos.  Une  broch.  in-8* 

de  80  p.  avec  cartes.  A.  Challamel,  éditeur.  Paris,  1902.     . 
L'Œuvre  militaire  delà  Galissoniere au  Canada,  par  îSylvain  Girerd.  Une  broch. 

in-S"  de  46  pages.  Bibliothèque  de  la  Revue  Forézienne.  Saint-Etienne,  19C2. 
Lf«  Voix  lorraines,    par   J.-M.  Laborde.    Une  broch.    petit    in-8'    de  54   p.  Henri 
CharJes-L.avauzelle.  Paris,  1902. 

LES  REVUES 

REVUES  FRANÇAISES 
Arwmte  et  IfArine  (14  d^c).  Jean  Kyros  :  Aux  manoeuvres  allemandes  en  1902. — 
^ic  i  La  mission  du  Bourg  de  Bozas.    —  C.    M.    Vaisseau-école  de    la  marine 


64  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

italienne  k  Toulon.  —  Le  mont  Pelé.  —  {2i  déc).  La  question  de  la  Méditerranée 

.  au  point  de  vue  allemand.  — Reynaud  :  Hambourg.  —  Cab  :-Lord  Charles 
Beresford.  —  Le  budget  de  la  marine. 

Bnlletiii  du  Cimiité  de  I*Afrlqiie  française  {déc.  1902).  La  jonction  des 
territoires  du  Chari  et  de  Zinder.  —  Victor  Démontés  :  Les  Chambres  d'agricul- 
ture de  l'Algérie.  — Auguste  Tbbribr  :  Autour  du  lac  Tchad. 

Bnlletin  da  Comité  de  l'Asie  française  (déc.  1902).  Affaires  de  Siam.  —  Le 
traité  franco-siamois.  —  E.  P.  :  L'évacuation  de  Clianghaï.  —  Remé  Mobeux  :  La 
«  China  Association  »  de  Changhal  et  le  traité  anglo-chinois,  —  L.  Coqubt  : 
La  France  et  le  commercé  du  Japon.  —  ••*  :  L'insurrection  au  Seu-tchouan.  — 
R.  M.  :  Japonais  et  Russes  en  Corée.  —  Formose  sous  Tadministration  japonaise 
en  1901. 

La  France  de  drniain  (15  dec),  Gabriel  Bonvalot  :  Propos  d'un  Français.  — 
H.  Langevin  :  Allemands  et  Français. 

Journal  des  Cliaiubres  de  coa&inerce  (10  déc).  Jules  Rueff  :  La  question 
du  métal  argent. 

La  Quinzaine  eoionlale  (5  déc).  J.  Chailley-Bert  :  La  politique  indigène 
dans  les  colonies.  —  Le  traité  franco-siamois.  —  Les  frais  de  vojage  et  de  congé 
du  personnel  colonial. 

La  Réforme  économique  (14  déc).  **'  :  Les  ports  francs.  —  Cii.  Geobgeot  : 
La  colonisation  et  la  main-d'œuvre.  —  Jean  Bbunues  :  Progrés  des  cultures  de 
coton  et  de  canne  à  sucre  en  Egypte.  —  (21  déc).  P.  S.  :  Le  nouveau  tarif  doua- 
nier de  l'Allemagne.  —  Ch.  Georgeot  :  Vers  le  Simplon. 

La  Revife  (ancienne  Revue  des  Revues)  (13  déc).  Victor  Garcin  :  La  Chine  et 
l'Angleterre.  —  Jean  Chantavoine  :  Les  deux  Allemagnes. 

Revue  commerciale  de  Rordeaux  (12  déc).  P.  Cambna  o'Almeida  :  Les 
chemins  de  fer  prussiens  d*aprés  un  rapport  consulaire  anglais.  —  (19  déc). 
Henri  Lorin  :  La  question  du  Siam.  —  H.  Hanappier  :  L'éruption  volcanique  du 
Guatemala. 

Revue  de  Radagascar  (10  déc).  Une  date  dans  l'histoire  économique  de 
Madagascar.  —  Hitako  :  La  culture  du  riz  et  le  trafic  du  futur  chemin  de 
fer. 

Revue  c»cnérale  des  Sciences  (15  déc).  A.  Hausky  :  Les  travaux  de  l'expé* 
dition  russo-suédoise  pour  la  mesure  d'un  arc  de  méridien  au  8pitzberg. 

IL  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 

Revues  portugaises. 

Revue    Portugaise  Coloniale  et  Rarltime   (20  novembre).    Oscar    Gooin  : 

Rapports  entre  la  France  et   le  Portugal  de   1094  à  1662  (fin).  —  Eduardo  da 

Costa  :  Le  district  de  Mozambique  en  1898  (l^^"*  article).  —  Silva  Telles  :  La 
'  transportation  pénale  et  la  colonisation  (2'  article). 

Revues  italiennes. 
Rivisia    Hoderna  Poiitica  e  Leiteraria    {{•^novembre).    Sénateur  Pieran 

toni  :  Le  colonel    Alexandre   Monti  et    la    légion  italienne  dans  la    guerre  de 

Hongrie  (1848-1819). 
La  RaSMCgna  IVaxionale  (16  novembre  1902).  Joseph  Ravenna  :   L'àme  slave. 

(Etude  sympathique  à  l'épanouissement  de   la  Russie  à   notre  époque,  où   il  est 

insisté  sur  le  conservatisme  de  l'aristocratie  russe,  sur  l'attachement  du  peuple  au 

tsar,  et  conclu  que  nul  bouleversement  ne  menace  l'empire.) 
L'Esploraxione  Commerciale  (15  novembre).  M.  Civita  :  Quelques  impressions 

touchant  les  exportateurs  italiens  (critique  de  l'inertie  italienne  en  face  de  l'habi- 
leté allemande  et  française  à  envahir  le  marché  américain). 
Rivista  Geo^^rafica  Italiana  (novembre  1902).  Antonio  Loperpido  :  Notes  sur 

la  triangulation  de  l'Erythrée.  —  Olinto  Marinelli  :  Un  traité  de  cartographie.  — 

G.  D.  :  Le  XXI*  Congrès  géologique  italien. 
La  Rassegfoa  Internazlonale  (novembre  1902).  Robert  Piscicelli-Taeogi  :  La 

poste  électrique.  —  François  Sylos  Sersale  :  Le  Mad  Mullah,  le  faux  prophète  des 

Somali.*. 


UAdministrateur-Oérant  :  P.  Campain. 


paris.  —  IMPRIMERIE  F.   LEVÉ,  RUE  CASSETTE,   11. 


Sommaire  da  n»  131 

f.  fallot:  Malte  et  Bizerte    :   L'Angleterre  dans  la  Méditerranée.  —  Panl  Labbé  :  Les 

progrès  la  colonisation  en  Sibérie.  —  Rising-San  :  La  politique  intérieure  du  Japon. 

-  J.  FraBConie  :  Le  congrès  international  de  navigation  de  Dusscldorf. 

Cirteset  gnvarea:  I.  La  mer  Méditepranée  {Malte  et  Bizerte).  —II.  L'ile  do  Malte.  — 

III.  Le  port  de  la  Valette.  —  IV.  Le  port  de  Bizerte. ___^___ 

Sommaire  du  n'*  139 

Hfari  PrtideTaax  :  Les  Colonies  à  l'Exposition  d'Anvers.  —  J.  Frnnconie  :  Le  trust  de 
: .  ci?r.  —  Xieng-La  :  La  défense  maritime  des  Colonies.  —  Gabriel  Louis-Jaray  : 
Us  nationalités  en  Autriche- Hongrie. 

Cartes  et  Gimviires  :  I.  Carte  d'ensemble  des  Colonies  françaises  et  anglaises. 
—II.  Carte  des  Antilles. 

Sommaire  do  n*  133 

Manriee  Bmret  :  La  Peste.  —  Paul  Labbé  :  La  Transbaïkalie  tt  h  colonisatiou  russe.  — 
lieog-La  :  La  défense  maritime  des  colonies  {suite). 

Cènes  et  graTmr«8  :  I.  Li»s  Foyers  actuels  do  la  Peste.  —  II.  Itinéraires  maritimes  et  Ur- 
rtsires  de  la  Peste.  —  III.  Les  Postes  saniteires  de  la  mer  Rouge.  —  IV.  Le*  Colonies  d'Océ- 
ue  —  V.  L^lndo^hine. 

Sommaire  du  a*  134 

•••  L'œuTre  française  en  Afrique  occidentale.  —  E.  Peyralbe  :  Le  percement  du  8im- 
fl-n.  —  Xieag-La:  La  défense  maritime  des  Colonies  {suite  et  fin).—  J.-U.  F.  :  Bizerte, 
l'iprès  une  étude  de  M.  René  Pinon, 

C&rtes  et  graTares  :  L  Carte  des  voies  de  communications  entre  PAngleferre,  la  France, 
.1  âUe  ei  le  Levant.  —  II.  Madagascar,  Maurice  et  la  Réunion.  —  III.  Méditerranée 
Q  cidentale.  —  IV.  Afrique  Occidentale. __^ 

Sommaire  da  n9  13S 
S^bert  de  Caiz  :  Affairen  du  Siam.  —  J.  Denais-Darnays  :  Fédéralisme  et  socialisme 
en  Australasie.  — Hemri  Loria  :  Impressions  sur  l'Espacrne  d'aujourd'hui. 
Cartea  et  gr%YVTta  :  I   La  presqu'île  de  Malacca.  —  II.  Carte  de  TAustralasie. 

Somouilre  du  a»  186 

'*^  :  Le  traité  franco-siamois.  —  Reoè  Hevry  :   Le  rapprochement  franco-italien.  — 

A&gaftte  Terrier  :  La  délimitation  de  Zinder. 
LArtrà  et  GraTures  :  L  Carte  du  Siam.  —  II.  La  nouvelle  frontière  franco-siamoise.  — 

I.î.  Afrique  occidentale  française,  3*  territoire  militaire. 

SoBimalre  da  a»  18t 

Heari  Peasa  :  L'avenir  de  la  Tunisie.  L'industrie  européenne  et  l'industrie  indiçône.  -^ 
"'    L'œuvre  française  en  Afrique  Occidentale.  —  Henri  Bohler  :  Les   coulisses  du 
jÂLcermanisme  autrichien.  —  René  Horenx  :  Le  premier  congrès  colonial  allemand. 
Cartes  et  gravares  :  Carte  de  l'Afrique  Occidentale. 

SoBimaIre  da  a»  13S 

*'•  :  Le  Uvre  jaune  et  les  affaires  de  Siam.  —  E.  Pfyralbe  :  France   et   Simplon.  — 

Pa^l  Labbé  :  La  région  du  fleuve  Amour. 
liTifa  et  graYares  :  L  Graphique  comparatif  des  projets  Frasne-Vallorbe  et  de  la  Fau- 

^.e.  —IL  Carte  des  Toies  d'accès  au  Simplon. 

Sommaire  da  a»  130 

y  tre  eaqvëte  :  A  propos  des  affaires  de  Siam  :  Opinions  do  MM.  Oodin,  le  Comte 
i  Aunay,  Bertbelot,  Le  Myre  de  Vilers,  Denys  Cochinj  Fiourens,  Senart.  et  du  journal 
i>  Temps,  —  Haorice  Bnret  :  Les  villes  de  santé  dans  nos  Colonies.  —  Georges 
B«iiler  :  La  lutte  tchèque-allemande. 

Cartea  et  sravufea:  Répartition  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie. 

Sommaire  da  a*  140 

^Hre  eiiqmête  s  A  propos  des  affaires  de  Siam  ;  opinions  de  MM.  François  Deloncle,  le 
^4roa  d'Estoamelles,  de  Constant,  Gerville-Réache,  H.  Cordier,  Marcel  Monnier, 
C^âries  Lenûre.  —  ***  :  L'œuvre  française  en  Afrique  occidentale.  —  Paul  Labbé' : 
Li  régioo  da  fleuve  Amour,  la  proTince  Maritime. 

'  vrt9ft  et  gravurea  :  L  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  l'Afrique  occidentale, 
—  II.  La  région  du  fleuve  amour. 

PRIMES    A    NOS    ABONNÉS 

L  administration  de  la  Revue  se  charge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
'n  achats  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
'^  Paris,  pour  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  l'étranger  : 

'^iresser  directement  à  Fanministrateur  de  la  Revue,  19,  rue 
iilNAPAHTE,  Paris,  Vie. 


n   n   n   n   11    n   11    a    n 


DENTIFRICES 


ÉLIXIR,  POUDRE  et  PÂTE 

dés  RR.  PP. 

BENEDICTINS 

de  l'Abbaye  deSOT7LAC 

A.  SEGUIN,  BORDEAUX 

Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

8zpo8îtio&  Universelle  Paris  1900 


MODELE  do  aACOH 


un   K    n   n    ci    n    h    n 


IGRAINESI  ,,s^^^^ 


^NÉVRALGIES  «GRIPPE 
DÉPRESSION  «aURMENADC 
,    CO.UQUES  PÉRIODIQUES 

CEREBRINE 

\  (Ceca-n«la»-Aat)gé*[aui  P*Bio4iia) 
■^- — ... — ■ 

UtU  UUU  dote  (  une  talller^o t>rt J«  à  n'importe  auel 
mdmeni  d'an accts ieUwra^ne  ou  de  S'évralgit 
U  fait  dysparaUre en  moint  dt  40  a  u  ttiinutet. 

.*  ic  Ttooii  ot»  TotiTii  LU  raiiHiciit 

«tMtrttacl*  4uPrlol«iBpt,  1  J4,Hue  de  t'ffïreai:»,  P»rliu 

rrii  tt  nu,  i  ftrli,  6'  ;  I"  |Wi  tiuf ,  S'  60  ;  m«ltl  il,  6'  86. 


1 W*"    ^B*»*  *'^;^'*  «ert«*"1 


A-c; 


10 


GORSTIPATION 


Guépisonl^'o'^-aTJâPOUDRE  LAXATIVE  .^ 

certaine  Une  cuillerée  6  café  dana  un  derot-Terre  d'emu  i«j 
»>M  ^  A  a^iiMM  couchant.  —  Le  Ftocon  ooar  une  cure.  2  fr  (M)  f 
Ln  10  JOURS  QUINIT.  Pharmacien»  1»  Rue  MlobeMo-Gointr 


Vin  Désîk 


Cl  touille  lei  poomoni,  régularise  les  battements  du  cœur.  »ctlTe  le  iraTail  de  la  dlretiion. 
Phomme  débilité  7  puise  la  forée,  la  Tlrnevr  et  la  eaiitè.  L^bomme  qui  dépense  beaucoup  <^ 
rentretient  par  l*otace  régulier  de  ce  cordial,  eiUcace  dans  tous  les  cas,  éminemment  Aià 
Herttflmaf  et  agréaDie  au  goût  comme  une  liqueur  de  table. 

* ' DÉpOT  ChNTRAL  t  80.  Rne  Pèanipor.  Parle.  KT  TOUTES  PHABMA01gf«* 


M.  L.  DEBROAS,  10,  rue  Nouvelle,  Paris  (IXe),  est  seul  chargé  de  la  p^ 
^.ominftrrialR,  industrielle  et  financière  des  Questions  Diplomatiques  et  Col 


tUPQTMKRIV!    V       1  RV'R 


RTT»    OA.qSKTTB.      M 


mit  ï"  142  15  Janvier  1903 


QUEtSTIOIV.Î^' 


^  COLLL, 


Diplomatiques  et 


REVUE  DE  POtlTIDUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LE    1"    ET    LE    15    DE    CHAQUE    MOIS 


SOlVCIVIL^rEiS 


*•  Notre  expansion  coloniale  et  les.  partis  politiques, , .  65 

-ne  Henry La  question  de  la  Macédoine 82 

La  question  du  Maroc 7; 105 

/'^«  Enquête A  propos  des  affaires  de  Siam.  —  Opinions  de  M.  G. 

Chastenet,  d*un  collaborateur  dTxtrênpLe-.Orient,  de 
M.  Robert  de  Caix  {Journal  des  Débats),  —  Protes- 
tation de  l'Association  des  écrivains   militaires, 

maritimes  et  coloniaux  ;  Président ^  M.  H.  Houssaye .  108 

:ff3eignements  politiques .« 116 

'tiseignements  économiques 122 

'coinations  officielles 125 

>::liographie  —  Livres  et  Revues 127 

Péninsule  des  Balkans  :  indications  orographiques 84 

Là  Turquie  d'Europe 87  et  88 

•^  Péninsule  des  Balkans  d  après  le  traité  de  Sau-Stefano 01 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19»     RUE     BONAPARTE     -     PARIS,     6- 

Abonnement  annuel 

Franee  et  Colonies,  jjb  francs;  Etranger  et  Union  postale,  20  francs.; 

La  Livraison  :    France  :  0,75  j     Etranger  :  1  fr. 


!FRINCIPAUZ    COLLABORATEURS 


Aspe-Flenrlmont,  cons.  da  com.  extér.  —  Q.-K.  Anton,  prof,  à  l'Unir.  d'Iéfna.  — 
D'Attanoox,  explorateur.  «^  Baron  d'Ayril,  anc.  minist  plônipot.  —  Lient.  A.  Baoot, 
Ezploratear.  —  R.  BalUy,  capit.  de  réserre  d'Etat-Major. — w.  Beanmont,  publiciste. 

—  baniel  Bellet,  publiciste.  — Henry  Bidon. du  Journal  des  Débats,  —  Q.  Blondel, 

§rof.  à  l'Ecole  des  HauteB-Ëtndes  commerc.  —  Gheorges  Bohler^ubliciste.  —  A. 
lonhonre*  gouTemeur  des  Colonies.-—  P.  Bonrdarie,  publiciste.  —  El.  Brenier,  direc- 
teur de  la  Mission  lyonnaise  en  Chine.  —  L.  Bmnet.  député  de  la  Réunion.  —  Jean 
Bmnhes,  prof,  à  rUnirersité  de  Fribourg  (Suisse).  —  J)'^  Manrioe  Bnret.  —  G.  Oapns, 
docteur  es  sciences.  -^  V^  Robert  de  Gaiz  de  Saint-Aymour  du  Journal  des  Débats, 

—  MgrG]iarmetant,dir.des  écoles  d'Orient.  —  De  Oontenson,  anc.  atuché  milit.  en 
Chine.— Jean  de  Gners  de  Cogolin,  publiciste.  —  Dr  Le  Danteo,  profes.  agrégé  à 
Bordeaux.  —  Pierre  Dassier,  publiciste.  —  P.  Deoharme,  attaché  au  min.  des  Colo- 
nies.—V.  Démontée,  agrégé  de  l'Univ.—  H.  Daorya,  publiciste.  ->  O.  Depont,  du 
Serrice  des  aff.  indis.  de  rAlgérie.  —  E.  Dnboo,  anc.  officier  de  marine.  —  Maroel 
Dnbois,  prof,  à  la  Sorbonne.  —  J.-L.  Delonole,  M.  des  R.  au  Cons.  d'Eut.  — Deluns* 
Montana,  anc.  ministre.  —  E.  Dontté,  profes.  à  la  chaire  d'arabe  d'Oran.  —  A.  Dm- 
ohène,  chef  de  bnr.  au  èlin.  des  Colonies.  —  H.  Dnmolard,  anc.  prof  à  TUniT.  de  Tokyo. 

—  Le  contre-amiral  Th.  Dnpnis.  —  Léon  Dyè.  —  Aloide  Ebray,  publiciste.  — 
P.  D'Espagnat,  explorateur.— Eng.  Etienne,  député,  pr&.  du  Groupe  diplomatique  et 
colonial.  —  Far-East,  publiciste.  — A.-A.  Fanvel.  anc.  oflf.  des  douanes  chinoises.— 
Ed.  Fazy,  agrégé  de  rUnirersité.  —  Q.-B.-M.  Flamand,  explorât.,  prof,  à  l'Ecole  des 
Sciences  d'Alger.  —  Flenry  Ravarin,  député.  —  F.  Fonrean,  explorateur.  —  J.-H. 
Franklin,  de  l'Agence  Havas.  —  J.  Franoonie,  publiciste.  —  H.  Froidevanz,  agr. 
d'hist.  et  degéogr.  doct.  es  lettres.  — G.  Qabiat,  ancien  député.  —  E.  Qarnanlt.  de  la 
Ch.  de  com.  de  la  Rochelle.  —  Gh.  Qamler,  chargé  de  mission.  —  G.  Garrean,  sénateur 
d'IUe -et -Vilaine.— K.-F.  Oantier,  anc.  dir.  à  Madagascar.—  Arthur Giranlt,  prof, 
à  rUniv.  de  Poitiers.  —  Jnles  Gay,  agrégé  de  l'Université.  —  Ghervais  Gourtelle- 
mont,  explorateur.  —  A.-J.  Gonln,  ancien  officier  de  marine.—  A.  Grandldier,  mem- 
bre de  l'Institut.  —  Alexandre  Gnasoo,  publiciste.  —  A.  Gnillot,  yérif.  d.  douanes 
de  Modane.  —  Gamille  Gnr,  gouyemeur  des  Colonies.  —  Halot,  consul  du  Japon 
à  Bruxelles.  —  Halvdan  Koht,  de  rUniv.  de  Christiania.  —  G.  Hanotanx,  de 
l'Académie  française.  —  H.  Hauser,  doct.  és-lettres  —  G.  Jaoqneton,  publiciste.  -^ 
Louis  Jadot,  publiciste.—  A.  Jouannin,  du  Comité  de  V Asie  française,  —  L.  Kry- 
BzanowBkl,  publiciste.  —  Paul  Labbé,  explorateur.  —  J.  de  Lamare,  explorateur. 

—  A.  Layeo,  secr.  de  la  Société  bretonne,  —  Le  Filliatre,  administ.  des  colonies. — 
Louis  Léger,  membre  de  rinstitut.  — Oh.  Lemire,  résident  de  France  honoraire.  — 
Le  Mire  de  Vilers,  anc.  député,  anc.  ministre  plénipot.  —  Henri  Lorin,  prof,  à  l'Unir, 
de  Bordeaux.  —  G.  Vadrolle,  explorateur.  —  F.  de  Maby,  député,  anc.  ministre.— 
Jean  de  Maroillao,  enseigne  de  raisseau.  —  Paul  Masson,  prof,  à  l'Unir.  d'Aix- 
Marseille.  —  G.  MandeviUe,  publiciste.  —  Gb.  Miobel,  explorateur.  —  Pierre  Mille, 
publiciste.  —  R.  Moreuz,  profess.  de  l'Unir.—  Ned-Noll,  publiciste.—  Gb.  Noufllard. 
chef  deserr.  à  l'Oft.  Colonial.  —  Maurice  Ordinaire,  anc.  dépoté.—  -{-Le  prince  Henri 
d'Orléans.—  Colonel  de  la  Panouse,  du  Comité  de  V  Asie  française,— A,  Pasquler, 
publiciste.  — Edouard  Payen,  du  Jowmal  des  Débats,—  H.  Pensa,  publiciste.— H.  de 
Jpeyerimboff,  Direct,  au  gouvern.  généi-al  de  l'Algérie.  —  Jean  delà  Peyre,  publiciste. 

—  Ed.  Picard,  docteur  en  droit.  —  U.  Pila,  de  la  Ch.  de  com.  de  Lyon.  —  uaurloe 
Pouyanne,  juge  suppléant  à  Alger.  —  D^  L.  Raynaud,  direct,  du  Serrice  sanit.  à 
Alger.  — £.  Roux,  lieut.  de  raisseau.  —  J.  Roux,  prof,  à  l'école  de  comm.  de  Limoges. 

—  André  Siegfried.  —  A.  Terrier,  du  Comité  de  V Afrique  française.  —  J.  Tbierry, 
député.— Df  flenry  Thierry.  — P.  Tbtrion,  agr.  d'histoire  et  de  géogr.—Di- Georges 
Treille.  —C.-F.  Usborne,  lodian  Ciril  Serrice.  —  f  Général  Venukoff.—  P.  Vuiliot, 

Çubliciste-géographe.  —  M.  Wabl,  inspect.  hon.  de   l'Instr.  publique.   —  J.  Xior,  à 
'ananarire.  —  A.  Zimmermanu,  cons.  imp.  de  Légat,  à  Berlin  —  M.  Zimmermann, 
profes.  d'hist.  et  de  géogr.  col.  prés  la  Ch.  de  com.  de  Lyon.  —  X...  Y...  Z...,  etc. 


APERÇU    DE    QUELQUES    SOMMAIRES 


Sommaire  da  n*  4  30 
Bobert  de  Caix  :  La  réorganisation  du  Chari.  —  Gabriel  Lonfs-Jaray  :  Les  nationalités 
en  Autriche-Hongrie.  —  Maurice  Baret  :  La  santé  des  troupes  alliées  en  Chine.  — 
R.  C.  :  Le  raid  du  lieutenant  Cottenest. —  Pierre  Dassier  :  Les  intérêts  français  au  Brésil. 
Cartes  et  graynres  :  I.  Cartes  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie.  —  il.  Itinéraire 

du  raid  Cottenest 

Sommaire  da  n»  f  3f 

£.  Fallet:  Malte  et  Bizerte  :  L'Angleterre  dans  la  Méditerranée.  —  Paul  Labbé  :  Les 
progrès  la  colonisation  en  Sibérie.  —  Rising-San  :  La  politique  intérieure  du  Japon. 
—  J.  Franconie  :  Le  congrès  international  de  navigation  de  Dusseldorf. 

^artes  et  gravures:  I.  La  mer  Méditerraoée  {Afalte  et  Bizerte).  -^11.  L'île  de  Malte.  — 
III.  Le  port  de  la  Valette.  —  IV.  Le  port  de  Bizerte. 


<U    ^^'^UL-..  . 


QUESTIONS  J 

DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES^' o., 


NOTRE   EXPANSION    COLONIALE 

ET    LES    PARTIS    POLITIQUES 


La  discussion  prochaine,  devant  le  Parlement,  de  la  con- 
Tention  franco-siamoise  du  7  octobre  dernier;  les  protestations 
énergiques  qu'elle  a  soulevées,  les  critiques  précises  et  auto- 
risées qu'elle  a  suscitées  ;  la  vive  émotion  qu'elle  a  excitée,  en 
France,  dans  les  milieux  compétents;  Tindignation  unanime 
qu'elle  a  provoquée  dans  nos  colonies  d'Extrême-Orient;  enfin, 
les  dispositions  présumées  ou  annoncées  des  différents  groupes 
parlementaires;  tout  cet  ensemble  de  circonstances  nous  a  paru 
rendre  tout  à  fait  opportune  une  revue  —  même  très  rapide  et 
yjmmaire  —  de  la  conduite  des  partis  touchant  notre  politique 
étrangère  et  notre  expansion  coloniale  depuis  1870. 

Ne  sont-elles  pas,  en  effet,  une  invitation  à  rappeler  les  leçons 
du  passé,  ces  déclarations  publiques  qui  nous  font  prévoir  la 
rencontre  paradoxale,  dans  un  même  vote  d'où  peut  dépendre 
l'avenir  de  notre  grande  colonie  indo -chinoise,  des  noms  de 
M.  Denys  Cochin  et  de  M.  Jaurès?  N'est-ce  pas  ainsi  qu'il  y  a 
vingt  ans,  les  voix  de  M.  Clemenceau  et  de  ses  amis  se  sont 
unies,  dans  des  votes  désastreux  pour  notre  puissance  extérieure, 
à  c^ux  des  députés  de  la  droite  monarchiste?  De  tels  rappro- 
chements, quelles  que  soient  les  raisons  qu'invoquent  les  par- 
Us  pour  les  justifier  ou  les  excuser,  méritent  d'être  soulignés. 


Deux  traditions  contradictoires,  et  selon  les  circonstances  du 
moment,  tour  à  tour  dominantes,  ont,  depuis  trente  ans,  inspiré 
lu  politique  extérieure  du  parti  républicain  en  France  :  Tune, 
celle  du  sentimentalisme  humanitaire,  héritée  des  philosophes 
du  xviii*  siècle,  des  utopistes  et  des  idéalistes  de  1848,  l'autre, 
tout  empirique,  née  de  la  pratique  des  affaires  et  de  la  cons- 

QcmsT.  DiPL.  KT  Col.  —  t.  jly.  —  n«  142.  —  15  janvier  1903  5 


66  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

cience  des  responsabilités*  ;  de  môme,  il  est  facile  de  relever  la 
trace,  dans  les  conceptions  de  ces  partis  divers  qui  constituent 
l'opinion  dite  conservatrice,  de  deux  traditions  concurrentes  : 
tradition  du  patriotisme  instinctif,  héréditaire  qui  se  traduit 
par  le  culte  passionné  du  drapeau,  et  en  cas  de  péril  national, 
comme  en  1870,  par  Téclosion  des  plus  généreux  dévouements; 
tradition  doctrinaire  faite  de  rattachement  au  libéralisme  poli- 
tique de  1789  et  de  Louis-Philippe  et  au  libéralisme  écono- 
mique de  Napoléon  III. 

C'est  ce  conflit  de  deux  traditions  qui  a  produit  dans  notre  vie 
politique,  et  dans  chacun  des  deux  partis,  ces  contradictions 
étranges,  ces  incohérences,  en  apparence  inexplicables,  qui  ont 
été  si  nuisibles  aux  grands  intérêts  nationaux. 

Après  1870,  les  forces  conservatrices  étaient,  à  peu  près  sans 
exception,  des  forces  monarchistes  :  bonapartistes  et  royalistes  ; 
mais  divisées  sur  la  question  dynastique,  et  par  suite,  paraly- 
sées, elles  se  trouvaient  en  général  d'accord  sur  les  grandes 
lignes  de  la  politique  extérieure  et  de  la  politique  économique. 
Les  souvenirs  du  règne  de  Louis-Philippe  et  du  gouvernement 
de  Napoléon  III  s'unissaient  et  se  mêlaient  dans  l'esprit  des  con- 
servateurs pour  y  implanter  quelques  idées  maîtresses  qui 
sont  restées,  et  qui,  en  dépit  du  temps  et  des  événements, 
restent  encore  dans  une  certaine  mesure,  les  principes  direc- 
teurs du  «  conservatisme  »  français. 

De  Louis-Philippe  et  de  Guizot  les  conservateurs  avaient 
recueilli  Tidée  de  «  l'entente  cordiale  »  avec  l'Angleterre,  qui 
empêchait  la  France,  sous  peine  d'être,  à  chaque  instant, 
acculée  à  des  affaires  Pritchard,  d'orienter  sa  politique  vers  une 
expansion  coloniale  sérieuse  et  suivie.  Napoléon  111  leur 
avait  légué,  lui  aussi,  l'exemple  d'une  entente  non  moins  «  cor- 
diale »  avec  FAngleterre,  et  le  principe,  érigé  en  dogme  par 
Michel  Chevalier  et  ses  disciples,  du  libre  échange  et  du  laisser- 
faire  économique.  A  l'esprit  chimérique  de  l'Empereur,  il 
paraissait  inutile  d'acquérir  des  colonies;  puisque  tous  les 
marchés  allaient  s'ouvrir,  à  quoi  bon  faire  des  dépenses  pour 
occuper  des  territoires?  Quant  à  s'assurer  des  marchés  pri- 
vilégiés, le  libéralisme  économique  ne  pouvait  ni  le  vouloir  ni 
le  concevoir.  Si  la  Nouvelle-Calédonie  fut  acquise,  ce  ne  fut 
guère  qu'avec  Tintention  d'y  faire  des  expériences  péniten- 
tiaires; et  la  Cochinchine  ne  fut  définitivement  annexée  que 
grâce  à  la  persévérance  des  amiraux,  malgré  la  diplomatie 
impériale   qui,   chaque   fois    qu'elle  le  put,   ne   manqua  pas 

'  Voyez  sur  ce  point  le  beau  livre  de  M.  Georges  Goyau  :  L'idée  de  pairie  et 
V humanitarisme.  Essai  d'histoire  française.  Paris,  Perrin,  1902,  in-16. 


NOTRK   EXPANSION   COLONIALE  ET  LES  PARTIS  POLITIQUES  67 

d'entraver  l'œuvre  des  marins.  Le  traité  de  1867,  avec  le  Siam, 
dont  nous  portons  encore  les  lourdes  conséquences  et  qui  recon- 
naissait au  roi  de  Bangkok  les  deux  provinces  de  Battambang 
et  de  Siem-reap  qu'il  avait  acquises,  contre  tout  droit  et  toute 
justice,  d'un  prétendant  usurpateur,  en  est  un  triste  exemple. 

Les  dix  années  qui  suivirent  la  guerre,  employées  à  la 
reconstitution  intérieure  de  la  France,  à  la  mise  en  défense 
des  frontières  et  dominées  par  les  luttes  politiques  qui  abouti- 
ront à  la  fondation  de  la  République,  ne  permirent  pas  l'essor 
colonial.  Les  hommes  politiques  de  Técole  du  duc  de  Broglie  et 
de  M.  de  Gontaut-Biron,  naturellement  absorbés  par  le  très 
légitime  et  très  urgent  souci  de  rendre  à  la  France  ses  forces 
militaires  et  sa  place  de  grande  puissance,  et  de  réparer  les  désas- 
tres de  1870,  admirent  comme  un  axiome  que  «  la  France  est 
une  puissance  exclusivement  continentale  et  européenne^  »  et 
conçurent  toute  tentative  d'agrandissement  hors  du  continent 
comme  un  affaiblissement,  comme  une  dérivation  des  forces 
nationales  loin  de  leur  vrai  et  unique  but  :  TAlsace-Lorraine* 

Un  moment  vint  où  les  circonstances  extérieures  firent  que. 
cette  politique,  qui,  dans  les  dix  premières  années  de  la  recon- 
stitution nationale,  avait  été  une  nécessité  salutaire,  se  trouva 
insuffisante;  mais  ceux  qui  l'avaient  pratiquée  comme  une  néces- 
sité temporaire  continuèrent  à  la  prôner  comme  un  principe 
immuable,  à  l'enseigner  comme  une  doctrine  hors  de  laquelle 
il  ne  pouvait  y  avoir,  pour  la  France,  que  ruine  et  déchéance. 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  discuter  la  question  —  qui  en 
sera  toujours  une  —  de  savoir  si  la  France,  uniquement  préoc- 
cupée du  cruel  démembrement  des  provinces  de  TF^st,  inat- 
tentive î\  tout  ce  qui  se  passait  dans  le  reste  du  monde,  et  par  là 
même,  s'abandonnant  plus  complètement  aux  dissensions  de  la 
[Hjlitique  intérieure,  aurait  eu  plus  de  chances  de  rentrer  en 
possession  de  ces  provinces  perdues  et  aurait  aujourd'hui  une 
situation  plus  forte,  une  puissance  mieux  assise,  une  plus 
grande  prospérité  économique.  Pour  notre  part,  nous  ne  le 
croyons  pas.  Nous  pensons  au  contraire  que  le  mouvement 
général  de  la  vie  politique  et  économique  dans  le  monde 
imposait  à  la  France  d'avoir  une  politique  coloniale.  La  nais- 
sance des  impérialismes^  c'est-à-dire  la  constitution  de  grands 
empires    économiques,  tendant  à  se  suffire  à  eux-mêmes  et  à 

'  Duc  DE  Broglîe  :  Discours  au  Sénat,  11  décembre  1884. 

-  Cf.  le  comte  de  Cuaudordy.:  «  Je  n*ai  jamais  cessé  d'être  contraire  <^  ces  projets 
-  (d'expansion  coloniale)  qui  ne  tendent  à  rien  moins  qu'à  abaisser  rinlluence  conti- 
t-r  Dentale  de  la  France.  Or  je  considère  que  tout  sonavenirest  sur  le  continent,  Klle 
«  ne  doit  pas  un  seul  instant  détourner  ses  regards  de  l'Alsace  et  de  la  Lorraine.  » 
Considérations  sur  la  politique  extérieure  et  coloniale  de  la  France^  p.  xi. 
Pion,  i897. 


68  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLONULES 

accaparera  leur  profit  de  nouveaux  marchés,  la  conquête  des 
continents  jusqu'alors  inexplorés  qui  en  a  été  la  conséquence, 
créaient  pour  la  France  le  devoir,  si  elle  voulait  garder  sa 
place  parmi  les  nations  puissantes  et  son  rang  parmi  les  peu- 
ples riches,  de  prendre  sa  part  d'un  «  partage  du  monde  »  qui, 
une  fois  achevé,  sera  sans  lendemain.  «  Est-ce  que  vous  ne 
«  sentez  pas,  s'écriait  Gambetta  lui-môme,  qui  cependant 
«  n'était  pas  un  partisan  de  l'expansion  hors  d'Europe  et  de 
«  la  Méditerranée,  que  les  peuples  étouffent  dans  ce  vieux  con- 
«  tinent  *  ?»  Il  comprenait  qu'à  l'heure  historique  où  arrivait 
le  monde  «  pour  assurer  non  pas  sa  grandeur,  non  pas  sa 
«  gloire,  non  pas  sa  puissance,  mais  sa  sûreté  et  son  pain  du 
«  lendemain,  la  France  a  une  politique  plus  efficace  à  suivre 
«  que  de  regarder  couler  l'histoire  sans  s'y  mêler  '  ».  Et  il  tra- 
çait lui-même  la  juste  frontière  de  cette  «  politique  de  conser- 
«  vation  coloniale  *  »  :  «  11  faut  étendre  notre  domaine  colonial 
«  partout  où  il  est  manifeste  qu'étendre  est  le  seul  moyen  de 
«  conserver*  »,  formule  excellente,  essentiellement  élastique 
et  qui  n'a  pas  cessé,  même  aujourd'hui,  de  trouver  son  appli- 
cation. 

La  contre-partie  nécessaire  de  l'adoption  d'une  politique  d'ex- 
pansion coloniale,  était  la  pratique  d'une  politique  douanière 
défensive,  l'abandon  des  maximes  sacro-saintes  du  libéralisme 
économique.  Protection  et  colonies  sont  les  deux  aspects  d'une 
môme  évolution  économique,  qui  allait  directement  à  l'encontre 
des  principes  qui  avaient  été  appliqués  sous  Louis-Philippe  et 
sous  Napoléon  111  \  Mais  si  quelques-uns  des  théoriciens  poli- 
tiques des  anciens  partis,  des  orléanistes  surtout,  étaient  atta- 
chés aux  doctrines  héritées  des  monarchies  disparues,  chez  la 
plupart  des  conservateurs,  l'opposition  à  l'expansion  coloniale 

*  Discours  à  la  Chambre,  i""  décembre  1881. 

>  Cité  par  Reinach  :  Le  ministère  Gambetta,  p.  413,  Paris,  Charpentier,  1884, 
in-8«. 

s  Nous  empruntons  cette  expression  irés  juste  au  beau  livre  de  MM.  Marcel 
Dubois  et  Auguste  Terrier  :  Un  siècle  d'expansion  coloniale,  p.  377,  Paris,  Cbal- 
lamel,  1902,   in.8*. 

*>  Reuiach,  t6t(i.,  p«  413. 

6  C'était  là  la  conception  de  J.  Ferry.  Il  considérait  les  colonies  comme  le  com- 
plément économique  de  la  mère  patrie  et  comme  un  débouché  privilégié  ouvert  à 
ses  produits.  «  Le  système  protecteur,  a-t  il  écrit,  est  une  machine  à  vapeur  sans 
«(  soupape   de  sûreté,  s'il    n'a  pas  pour  corrélatif  et  pour  auxiliaire  une  saine   et 

tf  sérieuse  politique  coloniale La  consommation  européenne  est  saturée  :  il  faut 

u  faire  surgir  des  autres  parties  du  globe  de  nouvelles  couches  de  consommateurs, 
«  sous  peine  de  mettre  la  société  moderne  en  faillite  et  de  préparer,  pour  Taurore 
((  du  xx^  siècle,  une  liquidation  sociale  par  voie  de  cataclysme  dont  on  ne  saurait 
«  calculer  les  conséquences.  »  (Préface  de  :  Le  Tonkin  et  la  mère  patrie.  (1890) 
Cf.  Discours  au  Sénat,  en  réponse  au  duc  de  Broglie  (11  décembre  1884),  et  dis« 
cours  à  la  Chambre,  du  28  juillet  1885. 


NOTRE  EXPANSION   COLONIALE   ET   LES   PARTIS   POLITIQUES  69 

était  plutôt  le  résultat  de  Tignorance  où  la  plupart  d'entre  eux 
étaient  alors  de  tout  ce  qui  dépassait  les  bornes  de  l'Europe  ; 
l'Asie,  l'Afrique  apparaissaient  encore  comme  des  pays  mysté- 
rieux, impénétrables,  d'où  les  marins,  les  aventuriers  rappor- 
taient les  «  épices.  »  Une  bonne  partie  du  pays,  d'ailleurs,  par- 
tageait ces  ignorances  et  ces   illusions.  Toute  la  diplomatie, 
presque  sans  exception,  élevée  dans  les  traditions  des  anciennes 
chancelleries  et  peu    instruite   de    la    géographie  extra-euro- 
péenne, manifesietit,  par  une  mauvaise  volonté  chagrine,  son 
ennui  d'être  obligée  de  s'occuper  de  ces  vagues  pays,  peuplés  de 
sauvages,  qu'elle  distinguait  mal  les  uns  des  autres.  La  résis- 
tance au  mouvement  colonial  n'empêcha  pas  les  conservateurs 
de  voter  les  tarifs  protecteurs,  favorables  à  notre  agriculture; 
ils  n'aperçurent  pas  le  lien  qui  unissait  l'expansion  coloniale  et 
l'adoption  des  nouveaux  droits  de  douane.  En  outre,  une  poli- 
tique intérieure,  que  nous  n'avons  pas  à  apprécier  ici,  en  por- 
tant la  lutte  des  partis  sur  le  terrain  religieux,  fermait  les  yeux 
même  aux  plus  éclairés  des  conservateurs  sur  les  desseins  exté- 
rieurs de  Gambetta  et  de  Ferry  ;  ils  n'y  voyaient  que  prétextes 
à  une    opposition  violente,  systématique,   pour  laquelle  tout 
moyen  semblait  bon  ^  En  sorte  que  l'on  pourrait  dire  que, 
d'une  part,  la  politique  «  anticléricale  »  de  Gambetta  et  de  J. 
Ferry  empêcha  peut-être  les  conservateurs  patriotes  de  rendre 
justice  à  leurs  efforts   à  l'extérieur,  et  que,  d'autre  part,  les 
œmités  républicains  de  province,  souverains  maîtres  des  élec- 
tions, n'acceptèrent,  à  contre-cœur,  la  politique  et  les  expédi- 
tions coloniales  qu'en  raison  môme  de  la  politique  «  anticlé- 
ricale »  suivie  à  l'intérieur. 

Si  nos  entreprises  coloniales,  depuis  1881,  furent  souvent 
mal  conduites,  échouèrent  parfois  ou  ne  réussirent  qu'imparfai- 
tement, une  lourde  part  de  responsabilité  incombe  aux  partis 
d'extrême  gauche  et  de  droite,  confondus  dans  une  môme  oppo- 
sition. L'histoire  d'hier  est  celle  que  l'on  oublie  le  plus  volon- 
tiers; peut-être  n'est-il  pas  inopportun  de  rappeler  quelques 
traits  de  cette  histoire  d'hier,  dont  les  chapitres  s'appellent  la 
Tunisie,  l'Egypte,  le  Tonkin. 


La  Tunisie  et  l'Egypte,  pays  méditerranéens,  touchent  de  près 
à  la  politique  traditionnelle  de  la  France  et  impliquent  sa  puis- 

i  Nous  ne  voulons  pas  dire  ici,  bien  entendu,  que  ceux  qui  employaient  ces 
moyens  eussent  conscience  d'être  nuisibles  à  la  patrie  :  mais  c'était,  finalement,  le 
résultat  de  leur  opposition.  (Voir  plus  bas  ce  que  nous  disons  de  la  Tunisie  et  du 
TooJcin.) 


70  QUESTIONS   DIPLOBiATIQUES    l£T   COLONIALES 

sance  sur  la  grande  Mer  intérieure  :  ropposition  de  droite  n'osa 
guère  prétendre,  directement  et  sans  ambages,  que  la  France 
devait  s'abstenir  d'y  jouer  son  rôle,  comme  elle  le  soutint  plus 
tard  pour  le  Tonkin;  mais,  sous  couleur  de  critiquer  lopportu- 
nité  de  l'intervention,  les  voies  et  moyens  employés,  elle  se 
déchaîna  contre  les  ministères  qui  eurent  le  courage  de  défendre 
nos  intérêts  dans  des  circonstances  critiques. 

La  Chambre,  le  23  mai  1881,  par  430  voix,  le  Sénat,  le  27, 
à  l'unanimité,  ratifièrent  le  traité  de  Kassar-Said,  signé  le  12  mai 
par  le  Bey  et  le  général  Bréart  ;  mais  déjà,  à  cette  occasion,  dans 
les  deux  assemblées,  des  réserves  significatives  furent  formu- 
lées par  les  porte-paroles  de  la  droite  et  de  Textrême-gauche; 
l'on  vit  des  royalistes,  des  bonapartistes,  soudain  saisis  d'étranges 
scrupules  constitutionnels,  se  demander,  au  moment  d'approu- 
ver l'acte  à  jamais  mémorable  qui  plaçait  la  Tunisie  sous  le 
Protectorat  de  la  France,  si  le  gouvernement  avait  le  droit  de 
s'engager,  comme  il  Tavait  fait,  sans  l'assentiment  du  Parle- 
ment. Au  Sénat,  M.  de  Gontaut-Biron,  dont  les  éminents  ser- 
vicesaugmentaient  l'autorité,  se  fit  l'interprète  modéré  de  ces  pu- 
deurs alarmées*.  A  la  Chambre,  M.  J.  Delafosse,  député  bona- 
partiste, fut  plus  net,  et  si  l'on  ose  dire,  plus  radical  :  il  railla 
l'expédition  de  Kroumirie,  constata  que  Ton  avait  fait  la 
guerre  sans  la  faire,  et  corsa  ces  médiocres  chicanes  en  déplo- 
rant que  Ton  eût  mécontenté  la  Porte  et  même  que  l'on  n'eût 
pas  associé,  à  la  solution  des  affaires  de  Tunis,  ritalie  et  l'Angle- 
terre! Il  se  rencontrait  ainsi  avec  M.  Clemenceau,  qui  préludait 
à  l'opposition  acharnée  qu'il  allait  faire  à  Gambetta  et  à  Ferry 
en  déplorant  le  refroidissement  «  des  amitiés  cimentées  sur  le 
champ  de  bataille  »,  manière  habile  de  regretter  que  l'on  eût 
contrarié  l'Italie  pour  assurer  Tunis  à  la  France!  M.  Cunéo 
d'Ornano,  avcîc  sa  franchise  habituelle,  exposait  nettement  les 
principes  économiques  et  coloniaux  de  la  plupart  des  membres 
de  la  droite  lorsqu'il  disait,  dans  la  même  séance  :  «  Faut-il 
«  aller  jusqu'à  déployer  tout  cet  appareil  officiel  pour  obtenir 
«  que  le  bey  de  Tunis  concède  plutôt  à  nos  nationaux  qu'à  de 
«  loyaux  concurrents  telles  exploitations  ou  tels  monopoles  ? 
((  Non.  J'estime  qiùon  doit  tolérer  la  libre  concurrence  des 
«  nationaux  de  tous  les  pays.,.  Chacun  doit  avoir  sa  place  ati 
«  soleil!  » 

Au  vote,  il  ne  se  trouva  qu'un  opposant;  mais  une  grande 
partie  de  la  droite  et  de  l'exlréme-gauche  s'abstinrent. 

Aux  élections  qui  suivirent  (21  août  1881),  les  conservateurs, 

^  Cf.  u'EsTouRNELLEs  DE  CoNSTANT  :  La  poHUque  française  en  Tunisie.  Pion, 
in-8%  p.  184. 


NOTRE   EXPANSION   COLONIALE  ET  LES  PARTIS   POLITIQUES  71 

pour  la  première  fois,  se  servirent  de  la  question  coloniale  pour 
attaquer  le  gouvernement  républicain.  L'insurrection,  en 
Tunisie  et  dans  le  Sud  oranais,  était  dans  sa  période  aiguë,  et 
les  candidats  de  droite  se  plaignaient,  dans  leurs  professions 
de  foi,  des  dépenses  occasionnées  par  Texpédition,  et  critiquaient 
la  conduite  des  opérations  militaires.  Dans  les  réunions  publi- 
ques, il  était  de  règle  de  plaisanter  les  Kroumirs,  qui,  à  Paris, 
sur  les  boulevards,  sur  les  scènes  des  petits  théâtres  et  dans  les 
salons,  étaient  devenus  à  la  mode.  Mais  la  Tunisie  était  popu- 
laire, autant  que,  quatre  ans  plus  tard,  le  Tonkin  sera  impo- 
pulaire; les  républicains  triomphèrent  aux  élections,  en  même 
temps  que  nos  soldats  domptaient  Tinsurrection. 

A  la  rentrée  des  Chambres,  après  que  le  «  grand  ministère  » 
Gambetta  eut  remplacé  le  cabinet  Ferry-Barthélemy  Saint- 
Hilaire,  un  débat  passionné  s'engagea  sur  la  question  tuni- 
sienne. Le  système  du  Protectorat,  dont  aujourd'hui  tous  les 
partis  reconnaissent  le  succès  complet  en  Tunisie,  fut  attaqué 
avec  la  plus  grande  véhémence.  Au  Sénat,  le  duc  de  Broglie 
mena  l'attaque  contre  le  ministère*.  A  la  Chambre,  M.  Dela- 
fosse  reprit  ses  critiques  du  mois  de  mai,  avec  plus  de  virulence 
encore  :  «  Le  traité  conclu  avec  le  Bey,  disait-il,  est  une  faute 
«  aussi  grande,  une  témérité  aussi  dangereuse  que  Texpédition 
«  elle-même;  il  est  inexécutable;  et  s'il  était  exécutable,  il  ne 
s  faudrait  pas  l'exécuter'.  »  Admirable  matière  à  méditer  sur 
les  inconvénients  qu'il  y  a,  pour  les  hommes  politiques,  à  pro- 
phétiser! L'on  entendit,  dans  la  môme  séance,  M.  Camille  Pel- 
letan  exposer  ses  principes  :  «  Le  Protectorat,  dit-il,  établit  un 
«  équilibre  absolument  instable  qui  doit  verser  du  côté  de 
£  l'annexion,  et  la  République  n'a  pas  besoin  de  conquêtes.  » 
In  manifeste  signé  des  députés  de  rextrème-gauche,  parmi 
lesquels  MM.  Clemenceau,  deLanessan,  Pelletan,  Henry  Maret, 
Clovîs  Hugues,  etc.,  attaquait  violemment,  à  propos  de  la 
Tunisie,  la  politique  «  opportuniste^  ».  Ainsi,  à  droite  comme 
à  gauche,  avec  plus  ou  moins  de  violence,  mais  avec  la  même 
décision,  lopposition  combattait  ce  qu'elle  aurait  dû  consi- 
dérer, avec  la  France  tout  entière,  comme  la  politique  vrai- 
ment nationale. 

Nous  ne  saurions  ici  suivre,  dans  leur  complexité,  la  série  de 
négociations  diplomatiques  et  de  débats  parlementaires  dont  la 
lamentable  conclusion  fut  la  France  éliminée  de  l'Egypte,  la 

*  Discours  du  10  décembre  1881. 
'  Discours  du  l»""  décembre  1881. 
»  Joseph  RKiifACH,  ouvrage  cité,  p.  434. 


72  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONULES 

vallée  du  Nildevenue  anglaise.  Mais  il  faut  dire  que  la  responsa- 
bilité de  M.  de  Freycinetfut  partagée,  dans  une  forte  proportion, 
par  M.  Clemenceau  et  ses  amis,  et  par  la  droite  monarchiste. 

C'est  au  début  de  Tannée  1882,  pendant  l'éphémère  durée  du 
«  grand  ministère  »,  que  les  agissements  d'Arabi  pacha  mirent 
la  question  égyptienne  à  l'ordre  du  jour  de  la  politique  euro- 
péenne. Dans  les  premiers  jours  de  janvier,  une  note,  inspirée, 
au  dire  des  journaux  anglais,  par  Gambetta  à  lord  Granville,  fut 
rédigée  d'un  commun  accord  par  les  deux  gouvernements  ;  ils 
se  déclaraient  unis  pour  faire  face  au  péril  qui  menaçait  le 
gouvernement  du  khédive;  mais,  quelques  jours  après,  le 
26  janvier,  Gambetta  quittait  le  pouvoir  et  M.  de  Freycinet 
prenait  le  portefeuille  des  affaires  étrangères.  Il  en  résulta  un 
changement  immédiat  dans  l'attitude  de  la  diplomatie  anglaise. 
Le  23  février,  M.  J.  Delafosse  demanda  au  ministre,  dans  une 
interpellation,  quels  étaient  ses  projets.  Pour  Torateur  de  la 
droite,  il  n'y  avait  pas  de  question  d'Egj'pte  :  «  Si  on  veut 
<(  examiner,  disait-il,  les  événements  tels  qu'ils  se  sont  pré- 
«  sentes,  on  reconnaîtra  qu'à  l'heure  actuelle,  il  n'y  a  pas  à 
«  proprement  parler  de  question  égyptienne.  Il  y  a  eu  une  note 
«  malencontreuse,  un  appel  prématuré  aux  puissances;  mais 
«  toute  l'agitation  diplomatique  qui  s'est  produite  autour  de  cet 
ce  incident  est  absolument  factice.  »  Dans  sa  réponse,  M.  de 
Freycinet  se  borna  à  demander  «  le  maintien  de  la  situation 
«  prépondérante  de  la  France  et  de  l'Angleterre  ».  Le  1"  juin, 
les  gouvernements  français  et  anglais  invitèrent  les  autres 
cabinets  européens  à  se  faire  représenter  à  une  conférence 
réunie  à  Constantinople  ;  seule  la  Porte  résista.  Nouvelle  inter- 
vention de  M.  Delafosse,  qui  attaqua  l'Angleterre  et  se  prononça 
pour  une  politique  d'entente  avec  la  Turquie.  M.  de  Freycinet, 
pour  toute  réponse,  déclara  qu'il  ne  se  lancerait  pas  «  dans  une 
a  politique  d'aventures  »  et  que,  de  tous  les  moyens,  il  en  était 
un  qu'il  excluait,  c'était  «  une  intervention  militaire  en 
Egypte.  »  Cette  politique  de  tergiversation  et  d'atermoiements 
amenèrent  Gambetta  à  la  tribune  pour  répliquer  au  ministre  des 
Affaires  étrangères  :  «  Vous  venez,  s'écria-t-il,  de  livrer  à  TEu- 
«  rope  le  secret  de  vos  faiblesses.  Il  suffira  de  vous  intimider 
:<  pour  vous  faire  consentir.  » 

L'on  ne  voulait  rien  faire  sans  l'Europe  ;  et  pendant  qu'on 
interpellait  dans  les  parlements,  qu'on  négociait  dans  les 
chancelleries,  nos  nationaux  étaient  massacrés  à  Alexandrie  ; 
chaque  jour  d'inaction  compromettait  davantage  nos  intérêts. 
M.  de  Freycinet  se  décida,  le  18  juillet,  à  demander  aux  Cham- 
bres de  timides  crédits,  formellement  destinés  à  remettre  en 


NOTRE  EXPANSION  COLONIALE  ET   LES   PARTIS  POLITIQUES  73 

état  notre  flotte;  c'est  ce  que  vint  souligner  à  la  tribune, 
M.  Clemenceau,  afin  qu'il  n'y  eût  pas  d'équivoque  possible;  à 
cette  seule  condition  il  vota  les  crédits.  La  droite,  méfiante, 
doutant  que  les  crédits  fussent  réellement  destinés  à  la  marine, 
vint  faire,  à  cette  heure  grave,  le  procès  du  régime.  L'un  de  ses 
chefs  expliqua  ainsi  son  vote  :  «  En  faisant  l'expédition  de 
«  Tunisie,  dit-il,  vous  avez  mécontenté  T Angleterre  et  Tltalie 
«  sans  avantages  pour  la  France.,,  Qu'étes-vous  allé  faire  en 
«  Egypte?..,  Vous  avez  été  assister  impassibles  au  massacre  de 
«  vos  compatriotes  et  à  l'humiliation  du  drapeau  de  la  France. 
a  Le  crédit  qui  vous  est  demandé  n'est  pas  un  crédit  maritime... 
<r  S'il  s'agissait  d'un  crédit  maritime,  je  n'hésiterais  pas  à  le 
«  voter.  »  Le  crédit  fut  voté,  malgré  64  opposants,  presque  tous 
de  droite.  La  discussion  vint  au  Sénat  le  23  juillet;  par  203  voix 
contre  5  et  80  abstentions,  presque  toutes  de  droite,  le  projet  de 
loi  fut  adopté;  on  entendit,  ce  jour-là,  le  duc  de  Broglie  exposer 
une  fois  de  plus  l'opinion  de  son  parti  sur  la  politique  extérieure 
et  coloniale;  s'adressant  à  la  majorité,  il  s'écriait  :  «  Cette  fois 
•c  encore,  je  le  sais  d'avance,  vous  n'écouterez  pas  nos  avis,  vous 
c  voterez  les  crédits,  et  la  même  majorité  bienveillante  qui  a 
«  suivi  le  gouvernement  à  travers  les  montagnes  des  Kroumirs 
^  et  qui  a  trouvé  bon  qu'on  la  menât  à  Tunis  sans  la  consulter, 
a  va  monter  encore,  je  n'en  doute  pas,  sur  le  navire  qu'on  vous 
«  demande,  par  le  projet  de  loi  présent,  de  faire  sortir  du 
«  port...  Eh  bien!  laissez-nous  sur  la  rive,  et  si  nous  ne  joi- 
»  gnons  pas  nos  votes  aux  vôtres,  nos  vœux  vous  suivront, 
«  comme  ils  suivront  partout  le  drapeau  national.  » 

Lorsque  enfin,  le  29  juillet,  le  gouvernement  se  décida  à 
demander  aux  Chambres  l'autorisation  d'envoyer  des  troupes 
pour  garder  le  canal  de  Suez,  la  confusion  des  idées  et  le 
trouble  des  esprits  étaient  au  comble;  par  416  voix  contre  73, 
les  crédits  furent  refusés,  après  un  discours  violent  et  incisif  de 
M.  Clemenceau.  Gambetta  lui-même  avait  voté  contre,  pen- 
sant peut-être  obliger  le  gouvernenaent  à  une  intervention 
plus  complète  et  plus  énergique,  ou  persuadé  que  le  moment 
d'ag-ir  était  passé. 

L'Egypte  était  perdue  pour  nous.  L'extrême  gauche  et  la 
droite,  par  leurs  critiques  impitoyables,  avaient  favorisé  l'inac- 
tion du  ministre  responsable;  dans  toute  cette  affaire  qui  tou- 
chait si  directement  les  intérêts  français  dans  la  Méditerranée, 
les  partis  d'opposition  n'avaient  jamais  voulu  voir  qu'une 
Europe  qu'ils  croyaient  menaçante,  qu'une  Angleterre  dont  il 
fallait,  avant  tout,  ménageries  susceptibles  appétits*. 

*  C'est  contre  ce  manque  d'indépendance  de  la  politique  française  que  Gambetta 


74  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 


La  conqut^te  du  Tonkin  n'avait  pas,  aux  yeux  des  adver- 
saires de  ]a  politique  coloniale,  l'excuse  de  toucher  à  la  poli- 
tique méditerranéenne,  partant  européenne  ;  elle  était  bien 
vraiment  une  opération  coloniale  et  l'expérience  n'avait  pas 
encore  appris  alors  que  la  séparation  entre  «  la  politique  »  et 
«  la  politique  coloniale  »  n'existe  que  dans  les  cartons  des 
bureaux  ministériels.  La  France,  pour  la  première  fois,  en 
allant  au  Tonkin,  dans  l'intention  hautement  proclamée  de 
s'assurer  des  voies  de  pénétration  vers  la  Chine  méridionale,  se 
lançait  résolument  dans  la  politique  coloniale.  Aussi  les  débats, 
dans  les  Chambres,  cessèrent-ils  d'avoir  l'apparence  de  discus- 
sions «  à  côté  »  ;  l'opposition  attaqua  directement  et  sans  réti- 
cences, la  conception  même  de  la  politique  coloniale.  Dans  son 
magistral  discours  du  H  décembre  1884,  au  Sénat,  le  duc  de 
Broglie  définissait  nettement  des  principes  qui  étaient  ceux  de 
toute  l'opposition  conservatrice. 

«  Un  grand  développement  colonial  est  un  luxe  et  un  sur- 
it croit  de  puissance  pour  une  nation  qui  déborde  de  force  et  de 
<c  prospérité.  Pour  une  nation  momentanément  affaiblie,  c'est 
«  une  charge  quilagrève,  qu'elle  ne  peut  porter  longtemps,  et 
«  qui,  avant  de  lui  échapper,  peut  avoir  amené  la  ruine  tout  à 
«  la  fois  de  la  colonie  et  de  la  métropole...  Je  ne  crois  pas  que 
«  la  politique  coloniale  poursuivie  avec  Tétendue,  avec  Téclat 
«  qu'on  lui  donne  aujourd'hui...,  la  politique  coloniale  ambi- 
«  tieuse  et  conquérante,  soit  à  aucun  degré  une  compensation 
«  des  malheurs  que  nous  avons  éprouvés  en  Europe.  Je  m'esti- 
«  merais  heureux  de  pouvoir  espérer  qu'elle  n'en  amènera 
«  pas,  à  un  jour  critique,  l'aggravation  et  le  complément*.  » 

Avec  l'éminent  académicien,  le  débat  s'élevait  jusqu'aux 
principes  ;  dans  l'atmosphère  plus  enfiévrée  de  la  Chambre, 
les  passions  se  donnaient  plus  libre  cours  et  les  discussions 
étaient  plus  violentes,  mais  les  arguments,  développés  avec 
moins  d  ampleur,  étaient  au  fond  les  mêmes.  M.  Clemenceau, 
au  nom  des  radicaux,  M.  Delafosse,  M.  P.  de  Cassagnac,  tous 
deux  députés  bonapartistes,  ne  cessaient  de  revenir  sur  le  danger 
des  expéditions  coloniales,  réclamaient  Tévacuation  du  Tonkin 
en  établissant  le  facile  bilan  de  ce  qu'il  coûtait  et  de  ce  qu'il  rap- 
portait ;  quant  à  Tavenir,  que  Jules  Ferry  invoquait  avec  con- 

protestait  (18  juillet  1882)  :  u  Quant  à  l'étrangçr,  disait-il,  on  en  parle  beaucoup  et 
R  dans  des  sens  trop  divers  pour  la  détermination  des  calculs  de  la  politique  qui  doit 
«  le  mieux  servir  les  intérêts  de  la  France.  » 

^  Comparez,  dans  le  comte  de  Chaudordy,  loc,  cit.,  des  idées  et  des  expressions 
analogues.  Vojez  notamment,  pp.  14-15. 


NOTRE  EXPANSION  COLONIALE  ET  LES   PARTIS  POLITIQUES  75 

fiance,  ils  s'obstinaient  à  n'y  voir  que  périls,  dépenses  et  illu- 
sions. Au  milieu  de  ces  discussions  orageuses.  M»""  Freppel, 
applaudi  par  la  gauche  et  le  centre,  froidement  accueilli  par  la 
droite,  était  presque  seul  à  proclamer  que,  sans  en  demander 
davantage,  dès  lors  que  le  drapeau  était  engagé,  il  votait  les 
crédits  pour  le  Tonkin*.  Le  vaillant  évêque,  Alsacien  et 
patriote,  reconnaissait,  dans  la  politique  coloniale,  les  traditions 
delà  vieille  France;  au  grand  scandale  des  députés  qui  sié- 
geaient de  son  côté,  ce  c'est  vous,  républicains,  s'écriait-il,  qui 
«  êtes  appelés  à  reprendre  Vœu vre  de  Richelieu,  dé  Colbert  et 
«  de  la  Restauration.  »  Les  discussions  de  la  Chambre  ne  res- 
taient pas,  d'ailleurs,  sur  le  terrain  des  principes  ;  elles  dégé- 
néraient en  mêlées  où  Tinjure  paraissait  le  meilleur  des  argu- 
ments, elles  inspiraient  les  polémiques  furibondes  des  jour- 
naux, elles  se  résumaient,  pour  la  masse  du  public,  dans  cette 
épithète  de  «  Tonkinois  »  que  les  feuilles  de  droite  et  d'ex- 
tréme-gaiiche  jetaient,  comme  une  suprême  flétrissure,  à  la  face 
de  Jules  Ferry.  La  politique  coloniale,  la  conquête  du  Tonkin, 
où  luttaient  si  héroïquement  nos  soldats  et  nos  marins,  devenait 
la  grande  arme  des  tournois  parlementaires  et  des  batailles 
électorales.  Aux  élections  de  1885,  le  Tonkin  servit  de  «  plate- 
forme »  à  l'opposition  de  droite  ;  elle  lui  dut,  en  partie,  le 
succès  relatif  qui  fit  entrer,  au  premier  tour  de  scrutin,  200  con- 
servateurs à  la  Chambre.  Quelques  succès  de  plus,  et  sans  doute, 
le  Tonkin  eut  été  abandonné,  à  moins  que,  comme  cela  s'est 
vu,  l'opposition,  changeant  d'attitude  une  fois  au  pouvoir,  n'eût 
adopté  précisément  la  politique  qu'elle  venait  de  combattre. 

Pour  quelques  hommes  éclairés,  les  questions  coloniales 
étaient,  en  elles-mêmes,  importantes  et  capitales,  mais,  pour  la 
plupart  des  membres  d'une  opposition  implacable  et  décidée 
à  une  obstruction  systématique,  elles  n'étaient,  dans  les  luttes 
passionnées  de  la  politique  intérieure,  qu'un  instrument,  qu'un 
moyen  ;  en  sorte  que  les  partis  d'opposition,  qui  se  réclamaient 
de  la  vieille  France  et  qui  prétendaient  la  continuer  perdaient 
«le  vue,  dans  l'ardeur  de  la  lutte,  le  souci  de  ses  intérêts  inter- 
nationaux. Passionnés  pour  la  gloire  française,  et  ayant,  presque 
tous,  des  frères  ou  des  parents  dans  l'armée  ou  la  marine,  les 
députés  conservateurs  se  donnaient  l'air  de  dédaigner,  parce  que 
trop  lointains,  les  succès  de  nos  armes  aux  colonies;  la  fausseté 
de  leur  attitude  politique  les  obligeait,  si  Ton  peut  dire,  à  bou- 
der contre  leur  propre  cœur.  La  France  les  voyait  avec  surprise 
confondre  leurs  bulletins  avec  ceux  de  Clemenceau,  de  Pelletan, 
de  Laisant  et  de  toute  Textrême-gauche,  pour  chasser  du  pou- 

•  Vojez  notamment  Discours  :  7"  série,  p.  188,  et  8»  série,  p.  148. 


76  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

voir  les  hommes  qui  —  Tinstinct  populaire  ne  s'y  trompait  pas 
—  rendaient  peu  à  peu  à  la  France  sa  place  dans  le  monde.* 

Et  cependant,  qu'il  était  joyeux,  ce  réveil  de  la  vieille  France, 
au  bruit  du  canon  de  la  Tunisie  et  de  rindo-Chine.  Dernière- 
ment, un  «  colonial  »  convaincu  et  pratiquant.  M.  Ballande, 
député  progressiste  de  Bordeaux,  le  rappelait  d^ns  un  magistral 
article  de  la  République  nouvelle  *  : 

«  Il  faut  avoir  couru  le  monde  au  moment  où,  en  Indo-Chine 
«  et  en  Tunisie,  le  canon  français,  pour  la  première  fois  depuis 
«  la  grande  guerre,  faisait  entendre  sa  voix,  pour  comprendre 
«  à  quel  pointée  réveil  si  prompt  et  si  énergique,  a  irrité  la 
«  jalousie  de  nos  ennemis,  et  pour  mesurer  l'importance  natio- 
cc  nale  de  cette  reconquête  de  notre  influence  dans  le  monde. 

«  Ah  !  le  ministère  d'alors  n'avait  ni  les  éloges  du  Times,  ni 
«  ceux  du  NeiV'York  Herald!  » 

L'opinion    publique    française  a  été  indulgente,    bien  que 

l'événement  leur  ait  donné  tort,  à  ceux  qui,  avec  le  duc  de 

Broglie,  combattirent,  au  nom  de  préoccupations  patriotiques, 

la  politique  coloniale;  mais  elle  est  sévère  ajuste  titre  pour  ceux 

qui,  sceptiques  sur  les  principes,  ont  subordonné  nos  grands 

intérêts  coloniaux  à  d'immorales  coalitions  parlementaires. 

• 
«  • 

Le  temps  a  marché  ;  en  dépit  des  oppositions  intérieures, 
plus  redoutables  que  les  résistances  extérieures,  notre  empire 
colonial  s'est  reconstitué  et  il  s'organise.  Le  succès,  comme 
l'avait  prédit  J.  Ferry  répondant  aux  faciles  critiques  de  la  droite 
monarchiste  ou  de  l'extrême  gauche  humanilariste,  a  justifié 
l'effort.  L'orientation  coloniale  de  notre  politique  extérieure, 
non  seulement  n'a  pas  affaibli  la  France,  mais  lui  a  rendu 
dans  le  monde  sa  place  légitime. 

Est-ce  h  dire  que  notre  politique  coloniale  ne  prête  pas  à  des 
critiques  justifiées  et  qu'il  faille  défendre  toutes  ses  pratiques 
et  toutes  ses  méthodes,  on  pourrait  presque  dire  plutôt  son 
absence  de  méthode.  Non,  sans  doute;  mais  il  faut  aussi  faire 
la  part  des  circonstances,  et  en  premier  lieu,  des  résistances 
que  les  ministres,  décidés  à  agrandir  notre  empire  colonial, 
trouvaient  dans  une  opinion  publique  mal  préparée  aux  affaires 
lointaines  et  surexcitée  contre  les  hommes  qui  en  avaient  pris 
la  responsabilité.  Les  pires  pratiques  de  nos  campagnes  colo- 
niales, et  particulièrement  ce  «  système  des  petits  paquets  » 
qui  nous  a  coûté  si  cher  en  hommes  et  en  argent,  n'ont-elles 
pas  été  précisément  le  résultat  naturel  des  «  nécessités  parle- 

1  Numéro  du  28  décembre  1902. 


XOTRB    EXPANSION    COLONIALE   ET   LES   PAKTIS   POLITIQUES  77 

mentaîres  »  et  de  l'acharnement  des  oppositions  ?  Reculer  le 
plus  longtemps  possible  Téchéance  fatale  des  expéditions  mili- 
taires, au  risque  d'en  rendre  les  conditions  plus  pénibles,  plus 
coûteuses,  et  le  succès  moins  assuré  et  moins  complet;  se  lais- 
ser acculer  à  des  impasses  pour  paraître  avoir  la  main  forcée  par 
les  événements,  dissimuler,  sous  des  euphémismes  appropriés, 
remploi  nécessaire  de  Tarmée,  ce  sont  là  jeux  de  ministres 
parlementaires,  c'est  la  répercussion  naturelle,  sur  la  conduite 
des  affaires  extérieures,  d'un  régime  faussé  par  les  empiéte- 
ments du  pouvoir  législatif.  Dans  de  pareilles  conditions,  il 
faudrait  à  un  ministre  une  énergie  peu  commune,  pour  ne  pas 
mériter  le  terrible  jugement  de  l'amiral  Courbet  et  n'être  pas 
l'un  des  «  polichinelles  »  dont  les  parlementaires  tiennent  les 
ficelles;  et  encore  un  tel  ministre,  qui  voudrait  affranchir  de  la 
mesquine  tyrannie  des  couloirs  la  gestion  des  grandes  affaires 
du  pays,  comme  tenta  de  le  faire  Gambetta,  serait-il  bien  vite 
jeté  bas  par  la  masse  irresponsable  d'une  assemblée  qui,  par 
nature,  se  défie  des  supériorités  et  les  redoute  comme  un  péril. 

* 
*  * 

Vers  le  même  temps  où  la  politique  coloniale  entrait  défini- 
tivement dans  notre  politique  nationale  et  commençait  à  n'être 
plus  ^lère  ouvertement  contestée  dans  son  principe,  une  évo- 
lution de  même  nature  s'accomplissait  dans  la  politique  inté- 
rieure, et  modifiait  sensiblement  lattitude  et  les  procédés  d'une 
grande  partie  de  l'opposition  de  droite.  Le  nombre  des  députés 
monarchistes  diminua  dans  le  Parlement  ;  les  rangs  des  répu- 
blicains modérés   s'accrurent  de  nombreuses  recrues,  surtout 
parmi  les  hommes  jeunes,  moins  attachés  à  des  doctrines  poli- 
tiques que  décidés  à  faire  passer  avant  tout  les  grands  intérêts 
de  la  patrie.  Dés  lors,  l'opposition  à  la  politique  d'expansion 
coloniale   vint  surtout  de   l'extrême-gauche,  dominée  par  les 
collectivistes  et  les  révolutionnaires  ;  dans  les  questions  tou- 
chant à  la  politique  extérieure  du  pays,  l'on  cessa  de  voir  ces 
alliances  monstrueuses  qui  avaient  uni  l'opposition  de  droite  à 
l'opposition  de  gauche  aux  dépens  de  l'intérêt  national.  Six 
années  de  paix  intérieure,  de  1892  à  1898  environ,  nous  don- 
nèrent six  années  fécondes  pour  notre  expansion  coloniale,  où 
la  politique  française  brilla  d'un  vif  éclat,  conclut  l'alliance 
njs.se,  conquit  Madagascar  et  régla,  parle  monde,  à  notre  avan- 
tage, bon  nombre  de  questions  importantes;  de  celte  période, 
notre  empire  colonial  sortit  à  peu  prés  achevé,  en  bonne  voie 
d'organisation  administrative  et  de  mise  en  valeur  économique. 
On  sait  assez  quelles  crises  violentes  de  notre  vie  politique 


78  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

rallumèrent  dans  le  public  et  dans  le  Parlement,  des  passions 
qui  paraissaient  éteintes  ;  il  en  résulta  une  désorganisation,  un 
déclassement  des  anciens  partis  et  une  modification  grave  de 
leur  attitude  vis-à-vis  de  l'expansion  coloniale.  L'avènement 
au  pouvoir  d'hommes  qui,  en  I88i,  avaient  signé  une  protesta- 
tion contre  rétablissement  du  Protectorat  en  Tunisie,  qui 
avaient  refusé  les  crédits  pour  le  Tonkin  et  Madagascar,  qui 
avaient  enfin,  avec  le  concours  des  droites  monarchistes,  jeté 
bas  les  ministères  Gambetta  et  Ferry  et  vilipendé  leurs  chefs, 
causa,  parmi  les  hommes  d'Etat  fidèles  aux  maximes  politiques 
des  créateurs  de  notre  empire  colonial,  et  jusque  dans  le 
grand  public,  formé  et  converti  par  eux  à  l'idée  de  l'expansion 
au  dehors,  une  profonde  et  légitime  inquiétude. 

Les  grandes  crises  de  ces  dernières  années  ont  ainsi  provoqué 
la  réapparition  de  théories  que  Ton  croyait  mortes  et  de  passions 
qui  semblaient  éteintes.  Un  débordement  d'humanitarisme, 
d'antimilitarisme,  tel  que  nous  n'en  avions  jamais  connu  depuis 
i868  et  1869,  a  envahi  notre  littérature,  nos  assemblées  et  une 
partie  de  l'opinion  ;  en  même  temps,  dans  l'opposition  de  droite 
les  partis  monarchistes  reprirent  courage;  on  vit  reparaître 
l'opposition  systématique  qu'avaient  connue  les  assemblées 
d'il  y  a  vingt  ans. 

Serions-nous  à  la  veille  de  voir  renaître,  à  droite,  une  opposi- 
tion hostile  à  l'expansion  coloniale,  comme  nous  l'avons  vue  re- 
fleurir à  gauche?  C'est  ce  que  les  incidents  très  caractéristiques 
qui  ont  déjà  marqué  la  discussion  engagée  au  sujet  du  Siam, 
depuis  le  traité  du  7  octobre,  permettent  de  se  demander.  Sans 
doute,  presque  personne,  aujourd'hui,  n'ose  plus  se  déclarer  fon- 
cièrement hostile  à  la  politique  coloniale;  personne  ne  songe, 
espérons  le,  à  proposer  l'abandon  de  nos  colonies  ;  mais,  plus  ou 
moins  déguisés,  les  vieux  arguments,  les  prétextes  peu  sincères 
reparaissent.  A  gauche,  Ton  déclare  —  le  ministre  actuel  des 
Colonies  lui-même  —  que  notre  domaine  colonial  est  assez  vaste, 
qu'il  ne  nous  reste  qu'à  l'organiser,  à  le  mettre  en  valeur,  qu'il 
faut  se  garder  d'y  envoyer  nos  officiers  pour  y  gagner  dosgalons 
et  des  croix.  Nous  connaissons  l'argument  et  la  thèse  ;  c'est  avec 
elle  que  l'on  a  masqué  les  pires  reculades,  les  plus  funestes 
méprises  de  notre  politique.  A  droite.  Ton  va  critiquant  notre 
système  colonial;  l'on  réclame  l'abaissement  des  droits  de 
douane;  l'on  ressuscite  les  arguments  un  peu  rouilles  de  M.  de 
Broglie,  de  M.  Delafosse  ou  de  M.  Cunéo  d'Ornano;  l'on  reparle 
des  «  colonies  de  fonctionnaires  »  et  l'on  déclare  que  l'alFaire  de 
Siam  —  comme  jadis  celle  d'Egypte  —  est  sans  importance. 
Bref,  une  campagne  étrange  se  dessine,  où  M.  Jaurès  et  M.  Denys 


NOTRE   EXPANSION  COLONIALE  ET   LES  PARTIS  POLITIQUES  79 

Cochîn  travaillent,  chacun  dans  sa  sphère,  mais  avec  une  ardeur 
égale,  à  faire  ratifier  un  traité  désastreux. 

Les  hommes  et  les  idées  ne  se  transforment  que  très  lente- 
ment et  vingt  années  n'y  suffisent  pas;  les  sophismes  doctri- 
naires d'antan  réapparaissent  encore  sous  la  plume  ou  dans  les 
discours  des  hommes  qui  se  croient  eux-mêmes  les  plus  sympa- 
thiques à  l'expansion  coloniale.  Les  politiciens,  et  d'ailleurs  tous 
les  hommes,  sont  sujets  à  ces  contradictions  ;  l'éducation,  le  mi- 
lieu, Tatmosphère  ramènent,  pour  ainsi  dire  fatalement,  sur  cer- 
taines lèvres,  certains  mots.  C'est  ainsi  qu'il  arrive,  encore 
aujourd'hui,  que  le  discours  d'un  orateur  conservateur  évoque, 
comme  un  écho  lointain,  le  souvenir  de  Guizot,  et  qu'il  serait 
facile  d'y  retrouver  ce  patriotisme  sincère,  mais  un  peu  étroit, 
et  à  l'endroit  des  choses  coloniales,  ce  scepticisme  (lécouragé  et 
cette  nuance  de  sympathie  pour  une  politique  anglophile,  qui 
se  comprenaient  mieux  dans  les  dissertations  de  M.  de  Broglie. 

M.  Denys  Cochin  est  un  a  colonial  »,  de  même  que  M.  Del- 
cassé  pense  rester  fidèle  aux  grandes  traditions  de  la  politique 
nationale,  et  que  M.  de  Chaudordy,  en  dénonçant  «  le  vieil  et 
f  détestable  esprit  colonial  »,  en  indiquant  comme  but  à  notre 
action  extérieure  «  le  rapprochement  de  la  France  et  de  l'An- 
«  gleterre,  »  croyait  s'inspirer  des  intérêts  majeurs  du  pays. 
Comment  donc  advient-il  que  telle  harangue  du  ministre,  tel 
discours  du  chef  éminent  de  la  droite  royaliste,  ou  tel  passage 
des  écrits  du  diplomate,  rendent  le  même  son  et  semblent 
trahir  une  commune  origine?  Si  l'on  était  encore  au  xviii"  siècle 
on  en  voudrait  trouver  la  cause  dans  quelque  influence  de 
salon;  ne  serait-ce  pas,  plutôt,  que  certains  principes  généraux, 
communs  à  des  hommes  d'opinions  très  éloignées,  à  d'autres 
égards,  finissent  par  engendrer  fatalement  des  accords  sur- 
prenants sur  des  questions  où  l'on  s'attendait  à  les  trouver 
en  contradiction. 

• 

Le  traité  franco-siamois  du  7  octobre  dernier  a  eu  cette  for- 
tune, qu'il  méritait,  de  passionner  Topinion;  mais  il  a  eu  aussi 
cette  disgrâce  de  renouveler  les  divisions  anciennes  et  les  coali- 
tions que  l'on  croyait  mortes.  L'influence  d'un  ministre,  la 
reviviscence  des  vieilles  opinions  et  des  passions  mal  éteintes, 
ont  divisé  les  «  coloniaux  »  eux-mêmes.  L'on  voit,  comme  autre- 
fois, l'extrême-droite  et  l'extrême-gauche  se  tendre  la  main  ; 
mais,  cette  fois,  elles  marchent  d'accord  avec  un  ministre  pour 
combattre  cette  réunion  de  patriotes  et  d'hommes  de  bonne 
volonté  que  l'on  appelle  le  parti  colonial.  Certes,  les  combinai- 


80  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

sons  qui  s'ébauchent  sont  faites  pour  surprendre  :  un  ministre 
des  Affaires  étrangères  qui  signe  un  traité  que  tous  les  hommes 
compétents  déclarent  néfaste  et  qui  est  salué  —  symptôme 
significatif  —  par  les  journaux  étrangers  avec  une  joie  visible 
et  des  compliments  hypocrites;  une  extrême-gauche  collectiviste, 
antimilitariste  et  anticoloniale  qui  va  peut-être  se  trouver  d'ac- 
cord avec  une  extrême-droite  monarchiste  pour  applaudir  à  ce 
traité,  pendant  que  tous  les  anciens  amis  et  les  disciples  de  Gam- 
betta  et  de  Ferry,  depuis  M.Etienne,jusqu'au  prince  d'Arenberg 
et  à  M.  Doumer,  s'efforcent  d'en  empêcher  la  ratification!  Voilà, 
n'est-il  pas  vrai,  d'étranges  rapprochements  qu'il  était  bon  de 
mettre  en  lumière,  et  qui  dénotent  le  désarroi  des  esprits  et 
le  prodigieux  détraquement  de  toute  notre  machine  politique. 

Ce  sont  jeux  parlementaires,  dira-t-on.  Oui,  mais  de  ces  jeux 
parlementaires,  c'est  finalement  le  pays  qui  souffre.  Un  mi- 
nistre tombé  se  remplace,  mais  la  vallée  du  Mékong,  quand 
nous  l'aurons  perdue,  un  ministre  ne  pourra  pas  nous  la  rendre, 
non  plus  que  celle  du  Nil  ou  du  Bas-Niger.  M.  Jaurès  et  ses 
amis  sont  logiques  avec  eux-mêmes  quand  ils  combattent 
toute  expansion  coloniale  ;  socialistes  et  internationalistes  avant 
d'être  patriotes,  peu  leur  chaut  du  Mékong  et  des  provinces 
cambodgiennes.  Que  M.  Denys  Cochin  et  le  petit  nombre 
d'amis  qui  le  suivent  y  prennent  garde,  qu'ils  redoutent  les 
jugements  du  pays  ;  même  en  un  temps  où  la  France  n'avait 
pas  encore  pris  goût  aux  affaires  coloniales  et  ne  s'intéressait 
guère  à  ses  possessions  d'outre-mer,  elle  a  été  sévère  pour  ceux 
qui  nous  ont  fait  perdre  l'Egypte  et  qui  ont  été  les  adversaires 
de  l'expédition  tunisienne.  Si  la  droite  veut  être  vraiment  une 
opposition  sérieuse  et  utile,  elle  ne  doit  plus  se  mettre  en  tra- 
vers de  l'opinion  publique,  quand  il  s'agit  de  notre  expansion 
coloniale;  elle  ferait  bien  de  s'affranchir  enfin,  dans  ces  ques- 
tions, des  calculs  et  des  influences  de  l'esprit  de  parti,  et  de 
considérer,  avant  tout,  les  intérêts  permanents  de  la  patrie. 

D'un  autre  côté,  l'histoire  se  demandera  si  l'erreur  capitale 
de  Gambetta  et  de  Ferry  n'a  pas  été  précisément  de  placer 
toute  une  catégorie  de  Français  dans  l'angoissante  alternative 
ou  de  paraître  déserter  leurs  principes  religieux,  en  soutenant 
des  ministres  qui  s'en  étaient  déclarés  les  adversaires  impla- 
cables, ou  de  risquer,  en  combattant,  de  parti  pris,  ces  mêmes 
hommes  d'Etat,  de  méconnaître  les  grands  intérêts  nationaux. 

Dans  la  situation  actuelle,  rien  de  semblable  n'apparaît. 
Nous  savons,  car  il  faut  tout  dire,  que  Ton  voudrait  faire  croire 
à  ceux  qui  regardent  une  rupture  entre  la  France  et  le  Saint- 
Siège  comme  le  prélude  de  longs  déchirements  et  d'une  dé- 


NOTRE   EXPANSION   COLONIALE  BT  LES  PARTIS  POLITIQUES  81 

chéance  de  notre  pays  au  regard  de  l'étranger,  que  M.  Delcassé 
seul  est  en  mesure  d'opposer,  à  la  violence  des  passions  sec- 
taires, rintrépide  fermeté  d'un  ministre  décidé  à  ne  pas  sacrifier 
aux  haines  ou  aux  utopies  de  ses  coreligionnaires  politiques 
les  grands  intérêts  extérieurs  dont  il  a  la  charge.  Mais  est-il. 
démontré  que  le  successeur,  quel  qu'il  soit,  de  M.  Delcassé  se 
ferait  fatalement  l'instrument  docile  des  passions  dont  on  re- 
doute l'explosion?  Est-il  pareillement  démontré  que  M.  Del- 
rassé  lui-m«^me  n'hésiterait  pas  à  descendre  du  pouvoir  plutôt 
.:|ue  de  permettre  que  l'on'  touche  au  Concordat  et  à  l'ambassade 
du  Vatican?  Il  est  permis  au  moins  de  poser  la  question. 

En  un  pareil  procès,  il  convient  d'élever  le  débat  plus  haut 
que  les  questions  de  personnes,  si  importantes  qu'elles  soient. 
A  supposer  que  M.  Delcassé  puisse  être  vraiment  le  champion 
que  Von   espère  trouver  en  lui,  pense-t-on  que  ce  serait  une 
■  hase  digne  et  profitable  de  paraître  attacher  le  sort  de  la  poli- 
tique traditionnelle  de  la  France  à  la  ratification  de  traités  et 
d»^  conventions  diplomatiques,  certainement  contraires  à  l'inté- 
r -l  national?  On  commettrait  ainsi  une  grave  erreur,  une  lourde 
méprise. 

\ous  voulons  espérer,  au  contraire,  quelque  spécieuses  que 
>oient  les  raisons  que  Ton  fait  valoir,  quelle  que  soit  la  ditt'é- 
rpnce  des  temps  et  des  circonstances,  nous  voulons  espérer 
-jiià  droite  eomnie  à  gauche,  on  se  gardera  de  renouveler  les 
fautes  du  passé,  à  l'occasion  de  cette  convention  franco-siamoise 
*ijj  7  octobre,  qui  met  en  question  l'avenir  de  notre  grande 
•donie  de  rindo-Chine  et  de  l'influence  française  dans  tout 
1  Extrême-Orient. 


••• 


Qusvr.  DiPi-  *T  Col.  —  t.  xt. 


LA  QUESTION  DE  LA  MACÉDOINE 


Le  grand  public  commence  enfin  à  se  douter  que  la  question 
arménienne  n'est  pas  la  seule  posée  dans  TEmpire  ottoman, 
et  que  les  hommes  qui  luttent  en  Macédoine  sont  moins  des 
«  bandits  y>  que  des  révolutionnaires. 

L'idée  communément  répandue,  d'après  laquelle  toute  diffi- 
culté en  Orient  peut,  si  Ton  n'y  met  pas  bon  ordre,  troubler  la 
paix  européenne,  donne,  de  prime  abord,  à  la  question  macé- 
donienne une  importance  toute  spéciale. 

De  plus,  se  posant  quelques  mois  après  que  les  Boers  ont 
déposé  les  armes,  elle  pourrait  bien  fixer  tout  ce  qu'a  de  faculté 
sentimentale  la  trop  égoïste  Europe. 

Par  le  fait  même  qu'elles  répondent  à  une  préoccupation 
latente,  les  nouvelles  de  cette  Turquie  d'Europe,  géographique- 
ment  si  proche,  et  pourtant  d'ordinaire  si  isolée  et  si  peu 
connue,  nous  arrivent  enfin  plus  complètes,  plus  nettes  et  plus 
significatives. 

Le  Temps  publie  des  renseignements  intéressants.  Le  Novoié 
Vrémia^  tenu  au  courant  par  le  Russe  bien  connu  à  Paris  qui 
signe  Vogine,  suit  la  crise  avec  un  soin  méticuleux.  Le  corres- 
pondant du  Sviet^  M.  Povolni,  vient  de  faire  une  conférence  à 
Paris  entre  deux  voyages  dans  les  Balkans.  M.  Michaïlowsky, 
président  du  «  haut  comité  macédo-andrinopolitain  »,  quitte  la 
France  après  un  assez  long  séjour,  avec  Tespoir  que  des  députés 
des  partis  les  plus  différents  interpelleront,  dès  la  rentrée,  sur  la 
politique  suivie  en  Orient.  Il  va  à  Londres  où  des  membres  de 
la  Chambre  des  communes  —  parmi  lesquels  le  fils  de  celui 
qui  flétrit  autrefois  les  «  atrocités  bulgares  »  —  suspectent  déjà 
le  rapport  optimiste  et  anti-bulgare  de  sir  Alfred  Billioti,  consul 
anglais  à  Salonique.   Si  la  presse  triplicienne  se  montre  — 
et  pour  cause  —  plus  réservée,  quelques  journaux  et  quelques 
agences,  surtout  en  Autriche,  s'efforcent  de  dire  toute  la  vérité, 
notamment  Vlnformation   de    Vienne,   et    la  Politik   et    les 
Narodni  Listy  de  Prague. 

Je  me  propose  de  rechercher  quelles  sont  les  causes  du 
mouvement  révolutionnaire  macédonien ,  quel  en  est  le  but , 
quelles  peuvent  vraisemblablement  en  être  les  conséquences, 
non  seulement  balkaniques,  mais  aussi  européennes. 


LA  QUESTION   DE  LA  MACÉDOINE  83 

Mais  je  me  déclare  incapable  d'exposer  la  situation  de  la 
iMacédoîne  sans  indiquer  les  lointaines  origines  historiques 
des  difGcultés  présentes  et  sans  montrer  le  lien  qui  existe 
encore  entre  la  Turquie  d'Europe  d'aujourd'hui  et  les  autres 
régions  jadis  occupées  par  les  Turcs.  Le  lecteur  pressé  sau- 
tera peut-être  cette  première  partie,  forcément  un  peu  aride  : 
je  doute  que  son  étude  y  gagne  en  clarté. 

I 

LA    PÉNLNSULE   DES    BALKANS 

La  péninsule  sud-orientale  de  l'Europe  paraît  appelée  par  sa 
configuration  et  sa  situation  à  jouer  dans  le  monde  moderne  un 
rôle  de  premier  ordre. 

La  plus  grande  artère  européenne,  le  Danube,  gagne  la  mer 
à  travers  sa  plaine  septentrionale.  Ses  côtes  déchiquetées  sont 
baignées  par  trois  mers.  Située  au  nord  du  bassin  oriental  de 
la  Méditerranée,  elle  possède  les  ports  européens  les  plus  pro- 
ches du  canal  de  Suez.  Elle  peut  commander  l'Adriatique  à  sa 
sortie  et  fermer  la  mer  Noire. 

Dans  la  région  privilégiée  de  Constantinople,  elle  possède  à 
la  fois  un  détroit  et  presque  un  isthme  entre  l'Europe  et  cette 
Asie  occidentale  qui,  après  une  longue  torpeur,  paraît  à  la 
veille  de  s'éveiller  :  «  Un  avantage  presque  unique  sur  la 
«  terre,  écrit  Elisée  Reclus,  est  celui  que  donnent  à  la  péninsule 
a  de  Thrace  la  proximité  et  le  parallélisme  des  rivages  de  deux 
tf  continents.  Deux  axes  se  croisent  en  cette  région  de  l'ancien 
*  monde,  celui  des  masses  continentales  et  celui  des  mers  inté- 
«  Heures .  » 

Et  pourtant,  la  péninsule  des  Balkans  ne  s'anime  que  lente- 
ment :  ses  multiples  nationalités  ont  été  trop  longtemps 
opprimées  par  le  Turc,  qui  les  domine  encore  en  partie. 

«  • 

La  péninsule  semble  faite  pour  défendre,  aux  temps  de 
danger,  les  nationalités  qui  s'y  établissent,  et  leur  permettre, 
aux  époques  plus  calmes,  de  se  développer  dans  l'abondance. 

Ses  hautes  chaînes  sont  comme  d'inexpugnables  repaires.  A 
l'Ouest,  les  Alpes  se  prolongent  le  long  de  l'Adriatique;  les 
massifs  se  succèdent  à  travers  l'Albanie  et,  sous  le  nom  de 
chaîne  du  Pinde,  la  jonction  se  fait  avec  le  système  grec.  Au 
Xord-Est,  les  Balkans  proprement  dits,  prolongement  trans- 
danubien des  Carpathes,  vont  finir  perpendiculairement  à 
la  mer  Noire.  Entre  les  Alpes  et  les  Balkans  s'étale  le    haut 


84 


QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    KT  COLONIALES 


plateau  de  Mœsie,  centre  orographique  de  la  péninsule,  appuyé 
à  l'Est  au  mont  Vitoch  qui  le  lie  aux  Balkans,  et  dominé  à 
rOuest  par  le  Char  Dagh  qui  rejoint  les  monts  d'Albanie.  Entre 
TArchipel  et  les  Balkans,  auxquels  le  rattache  le  mont  Rilo, 
s'étend  le  massif  indépendant  du  Rhodope,  avec,  à  l'Ouest,  la 
montagne  de  Périm. 


INDICATIONS 
OROGRAPHIQUES 
W 


ASIE 
INEURE 


Dans  ces  montagnes  et  dans  les  plateaux  qui  en  descendent, 
s'élèvent  des  citadelles  naturelles.  Les  petits  cirques  de  la 
Tchernagora  (Monténégro),  —  Niegoush,  Cettigné,  —  où  la 
plaine  est  au  fond  de  l'entonnoir  de  roches  calcaires  abruptes, 
soutinrent  plus  de  sièges  que  ces  arènes  fortifiées  d'Arles,  aux- 
quelles elles  ressemblent.  Ailleurs  ce  sont  de  hautes  plaines 
fermées,  comme  celle  de  Vieille-Serbie,  comme  celle  d'Uskub 
entre  le  Char  Dagh  et  le  Kara  Dagh,  comme  celle  de  Monastir 
encastrée  dans  le  vaste  plateau  qui  s'étale  à  l'Orient  des  monts 
d'Albanie.  Au  sud  d'Uskub,  c'est  «  le  chapelet  de  plaines  closes 
«  ceinturées  de  collines  que  les  montagnes  aiguës  surplom- 
«  bent '  ». 

Au  Nord  de  la  péninsule,  s'étend,  —  à  l'Est  du  plateau  serbo- 

1  Victor  Béuard.  En  Macédoine^  p.  147. 


LA   QUESTION   DE    LA   MACÉDOINE  85 

LosTiiaque,  —  la  vaste  plaine  danubienne.  Au  Sud,  se  creusent 
vers  TArchipel  la  vallée  de  la  Maritza  avec  ses  deux  plaines 
supérieure  et  inférieure,  la  vallée  du  Vardar  avec  sa  plaine 
macédonienne,  et  la  vallée  du  Salamvrias  (Pénée)  avec  la  plaine 
de  Thessalie. 

Or,  cette  péninsule,  où  une  nation  ne  peut  guère  périr  une 
fois  qu'elle  s'y  est  fixée,  a  été,  à  travers  les  siècles,  le  réceptacle 
de  races  nombreuses.  Des  empires  s'y  sont  succédé  ou  com- 
battus, —  tous  encore  vivants,  chacun  dans  le  souvenir  d'une 
partie  de  la  population,  qui  rêve  de  le  restaurer. 


La  Grèce  antique  fut  concentrée  au  Sud.  Mais  des  Doriens 
arrêtés  en  route  sont  probablement  les  ancêtres  des  Albanais 
d'aujourd'hui.  Des  colonies  grecques  essaimèrent  dans  les  îles 
et  sur  les  côtes  du  Nord-Est.  Les  Macédoniens  répandirent  la 
civilisation  hellénique. 

L'Empire  romain  laissa  ces  colonies  de  Kout/o-Valaques,  — 
Ir^res  des  Roumains  de  la  rive  gauche  du  Danube,  —  qui 
vinrent  s'établir  dans  la  chaîne  du  Pinde  et  dans  quelques 
.iutres  massifs,  quand  les  légions  évacuèrent  la  Transylvanie. 

L'Empire  d'Orient,  «  création  artificielle  gouvernant  vingt 
-  nationalités  différentes  *  »,  se  maintint  par  rhellénisme  et  par 
hi  religion  orthodoxe,  dont  les  Byzantins  s'efforçaient  déjà"  de 
f^jjre  une  religion  grecque. 

Mais,  dans  la  période  trouble  des  grandes  migrations  bar- 
bares, la  péninsule,  située  la  première  —  bien  qu'un  peu  à 
iniuehe  —  sur  la  grande  route  des  peuplades  en  marche,  n'avait 
pas  été  épargnée.  La  plupart  des  invasions  y  tourbillonnèrent 
♦?t  se  dissipèrent  comme  une  tourmente.  Deux  peuples  se  fixè- 
rf»nt  ilélinitivement,  les  Jougo-Slaves,  puis  les  Bulgares. 

Appelés  par  lléraclius,  les  Jougo-Slaves  colonisèrent  proba- 
Uement,  au  début,  depuis  la  Save  jusqu'en  Thrace.  Ceux  du 
\ord-Ouest  s'appelaient,  et  s'appellent  encore.  Croates,  et  ceux 
du  Sud-Est,  Serbes. 

Les  Grecs  avaient  refoulé  ces  Slaves  un  peu  vers  le  iSord- 
«hjest,  quand  les  Bulgares  païens  —  de  race  touranienne  ou 
<;uralo-aItaïque  —  s'établirent  en  conquérants,  surtout  dansla 
rpirîonqui  s'étend  au  Nord  et  au  Sud  des  Balkans  proprement 
dits.  Us  y  trouvèrent  une  population  slave  peu  dense  que  les 
Grecs  n^avaient  pu  ni  complètement  refouler,  ni  sérieusement 

'  A-  IUmbaud. 

'  A-  Rambacd  :  «  Le  baptême  orthodoxe   conférait  le  droit  de  cité  ».  —  Compa- 
rer avec  la  conversion  à  Tlslam  dans  l'Empire  ottoman. 


86  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONULES 

helléniser.  On  prétend  qu'il  existe  aujourd'hui  certaines  régions 
bulgares  où  les  habitants  des  villes  sont  petits  et  bruns  et  par- 
lent une  langue  corrompue,  tandis  que  les  paysans  d'alentour 
sont  grands  et  blonds  et  parlent  une  belle  langue  slave  :  les 
Bulgares  se  seraientdès  l'origine  groupés  dans  des  villes.  Ce  qui 
semble  le  plus  certain,  c'est  que  les  Bulgares,  de  civilisation  pri- 
mitive et  bientôt  évangélisés  par  Cyrille  et  Méthode,  se  sont 
fondus  dans  la  population  slave,  comme  les  Francs  parmi  les 
Gallo-Bomains.  D'où  le  peuple  bulgare  actuel,  peu  différent  du 
peuple  serbe  et  séparé  de  lui,  moins  par  une  question  de  race, 
que  par  le  souvenir  des  empires  aux  frontières  variables  qui  les 
ont  successivement  groupés. 

C'est  contre  l'empire  côtier  des  Grecs  que  se  sont  élevés  ces 
empires  slaves  de  la  montagne. 

D'abord,  le  premier  empire  bulgare  :  le  tsar  Siméon  (892-927) 
règne  de  la  frontière  hongroise  jusqu'à  Constantinople.  Au 
début  du  xi''  siècle,  le  tsar  Samuel  règne  sur  l'Albanie  et  la 
Macédoine  actuelles.  La  capitale  et  la  métropole  religieuse  sont 
h  Okhrida.  Son  empire  est  détruit  par  les  Grecs  en  i018. 

Ensuite,  l'empire  appelé  vlaquo-bulgare,  dont  les  tsars 
étaient  soit  des  Slaves,  soit  des  Koumans  venus  d'au  delà  du 
Danube,  soit  plus  probablement  des  Valaques.  Tirnovo,  dans  la 
Bulgarie  actuelle,  était  sa  métropole  et  sa  capitale.  Son  grand 
empereur  fut  le  tsar  Johannitsa  le  Romaïoctone,  qui  lutta  pour 
la  possession  de  la  Thrace  contre  l'empereur  latin  Baudoin,  et 
le  vainquit  à  la  bataille  d'Andrinople  (1205).  Jamais  cet  empire 
ne  domina  les  pays  serbes  qui  avaient  commencé  à  s'organiser 
dès  le  XII*'  siècle,  sous  la  dynastie  des  Némanyas,  anciens 
joupa/is,  —  ou  chefs  de  clans —  de  Rascie  *. 

En  4346,  Stéphane  Douchan  le  Grand,  dont  la  métropole  est  à 
Petsch  ou  Ipek,  en  Vieille-Serbie,  se  fit  sacrer,  à  Uskub,  tsar 
serbe.  Il  fut  l'allié  des  Bulgares.  Maître  de  tous  les  pays  serbes 
et  de  la  Macédoine,  il  menaça  Constantinople. 

Le  Turc  mit  fin  à  cette  lutte  entre  Slaves  et  Grecs  pour  l'hégé- 
monie des  Balkans.  La  Macédoine,  devenue  indépendante,  fut 
conquise,  après  la  bataille  de  la  Maritza  (1371).  Les  Serbes, 
unis  aux  Bosniaques  qui  ont  eu  jusqu'alors  une  histoire  à  peu 
près  indépendante,  furent  écrasés  au  Champ  du  Merle  (Kossovo 
Poljé,  1389).  La  Bulgarie  fut  occupée.  La  chrétienté,  qui  inter- 
vint, fut  défaite  à  Nicopolis  (1396).  La  ville  de  Constantinople, 
déjà  dépouillée  de  son  empire,  succomba  en  1453. 

Les  Ottomans  régnèrent  en  maîtres  sur  toute  la  péninsule 
pendant  de  longs  siècles. 

1  Sandjak  de  Novibazar  actuel.  Novibazar  s'appelait  Rascia. 


LA    QUESTION   DE   LA  MACÉDOINE  87 


Sous  le  gouvernement  des  sultans,  les  rivalités  nationales, 
sans  but  immédiat  et  pratique,  s'apaisent.  Les  Grecs  tendent 
à  monopoliser  les  aspirations  chrétiennes  :  ils  sont  civilisés 
depuis  plus  longtemps  que  les  Slaves;  leur  patriarche  de  Cons- 
tantinople  devient  vraiment  le  chef  du  monde  orthodoxe  balka- 
nique, quand  —  après  Téglise  autocéphale  de  Tirnovo,  détruite 
par  les  Turcs  dès  1393,  —  disparaissent,  en  4766,  les  deux 
églises  d'Ochrida  et  d'ipek. 

Mais,  au  xix**  siècle,  les  nationalités  ressuscitent  dans  la 
péninsule  comme  dans  le  reste  de  l'Europe.  Leurs  efforts 
héroïques,  tantôt  encouragés,  tantôt  étouffés  par  les  grandes 
puissances,  n'ont  jusqu'ici  pu  aboutir  qu'à  raffranchissement 
partiel  de  la  péninsule. 

Au  Nord  et  au  Sud,  les  noyaux  des  principales  nationalités  se 
sont  constitués  en  Etats. 

La  Grèce  actuelle  est  libérée  dès  1829  *.  Mais  elle  regarde 
vers  les  îles  et  les  côtes  d'Asie,  vers  la  Crète  déjà  autonome, 
vers  TEpire,  vers  la  région  hellénique  située  au  Nord  de  sa 
frontière  thessalienne,  vers  la  Chalcidique,  vers  Conslanti- 
nople. 

Le  royaume  actuel  de  Roumanie  n'a  jamais  été  complètement 
soumis  aux  Ottomans.  Pleinement  indépendant  (1877-1878),  il 
ne  regarde  pas  du  côté  des  Balkans  :  les  Koutzo-Valaques  sont 
trop  peu  nombreux  et  trop  éloignés  ;  la  «  Romania  irredente  » 
est  ailleurs. 

Le  Nord-Ouest  de  la  péninsule  est  en  grande  partie  occupé 
par  deux  Etats  serbes  :  le  Monténégro,  que  ne  put  jamais  sub- 
merger le  Ilot  islamique,  et  la  Serbie,  dont  l'indépendance  fut 
reconnue  au  traité  de  Berlin  après  plus  de  soixante-dix  ans  de 
luttes.  Mais  les  Serbes  sont  la  nation  la  plus  morcelée  par  les 
frontières  politiques.  Bon  nombre  d'entre  eux  habitent  cette 
partie  de  la  Hongrie  méridionale  désignée  sous  le  nom  de 
Banat  ;  d'autres,  dans  le  royaume  de  Croatie  et  dans  la  province 
de  Dalmatie.  Nous  en  retrouverons  dans  ce  qui  resté  de  la  Tur- 
quie d'Europe.  Bon  nombre  ont  môme  affaire,  à  la  fois,  au 
Sultan  et  au  Habsbourg  :  ils  forment,  —  les  uns  chrétiens,  les 
autres  musulmans  —  environ  les  deux  tiers  de  la  population  de 
Bosnie  et  d'Herzégovine,  juridiquement  toujours  turques,  mais 
occupées  par  les  Austro-Hongrois  en  vertu  du  traité  de  Berlin; 
ils  peuplent  ce  sandjak  de  Novibazar  qui,  à  la  fois  fossé  entre 

1  Sauf  les  fies  Ioniennes,  cédées  par  l'Angleterre  en  1864,  et  la  Tliessalie,  annexée 
en  1881. 


90  QUESTIONS   DtPLOMATIQUIfiS   ET   COLONIALES 

les  deux  Etats  serbes  et  couloir  par  où  rAutriche-Hongrie 
s'avance  vers  le  Sud,  est  administré  par  les  Turcs  et  occupé 
par  des  garnisons  austro-hongroises.  L'attention  des  Serbes,  se 
portant  successivement  sur  les  régions  où  la  nation  est  le  plus 
menacée  ou  a  le  plus  de  chance  d'agir  avec  succès,  ne  peut  donc 
pas  se  concentrer  sur  les  frères  de  Turquie  :  c'est  là  pour  eux 
une  cause  de  faiblesse. 

A  la  difTérence  des  Serbes  et  des  Grecs,  les  Bulgares  peuvent 
s'occuper  exclusivement  de  ce  qui  se  passe  en  Turquie.  Ils  ont 
même  l'immense  avantage,  au  point  de  vue  macédonien,  de 
n'être  pas  tout  à  fait  affranchis  :  leurs  entreprises  ne  sont  pas 
des  menées  étrangères.  Le  traité  de  San-Stefano  avait  créé  du 
Danube  à  la  mer  une  grande  Bulgarie  indépendante  avec,  pour 
débouchés,  Kavala  et  la  rive  gauche  de  Vardar.  Le  traité  de 
Berlin  découpa  en  trois  tronçons  cet  Etat  nouveau  que  venaient 
d'esquisser  les  diplomates  russes  :  toute  la  Macédoine  et  la  côte 
de  l'archipel  furent  laissées  à  la  Turquie;  la  principauté  de 
•  Bulgarie,  vaguement  vassale  de  Constantinople,  fut  limitée  au 
versant  Nord  des  Balkans  et  à  la  haute  vallée  de  la  Strouma  ; 
au  Sud  des  Balkans  proprement  dits,  la  Roumélie  Orientale  fut 
organisée,  par  une  conférence  européenne  en  province  auto- 
nome de  l'empire  turc.  En  1885,  la  Roumélie  proclama  son 
union  avec  la  principauté.  Les  deux  tronçons  ainsi  soudés 
s'occupent  du  troisième,  dans  les  limites,  toutefois,  que  j'aurai  à 
indiquer. 

•    • 

Entre  la  Bulgarie,  la  Serbie,  les  provinces  d'occupation 
.  austro-hongroise  et  le  Monténégro,  au  Nord,  et  la  Grèce,  au 
Sud,  subsiste  donc  encore  une  Turquie  d'Europe. 

Elle  comprend  : 

i^*  A  rOuest,  les  deux  vilayets  de  Scutari  et  de  Yanina,  où 
les  Albanais  sont  en  énorme  majorité  ; 

2**  A  l'Est,  Constantinople  et  le  vilayet  d'Andrinople,  où  domi- 
nent les  musulmans  et  les  Grecs  ; 

S"*  Entre  ces  deux  groupes  extrêmes,  les  trois  vilayets  de 
Salonique,  de  Monastir  et  de  Kossovo  (chef-lieu  Uskub),  qui 
correspondent  assez  exactement  à  la  Macédoine  et,  tout  au  Nord, 
à  la  Vieille-Serbie.  Ils  sont  en  majorité  Slaves. 

Le  traité  de  San-Stefano,  —  d'ailleurs  trop  bulgarophile  et 
panslaviste,  —  affranchissait  du  joug  turc  toute  la  Macédoine 
slave  *. 

1  Les  Turcs  conservaient,  outre  la  province  d'Andrinople  et  leurs  provinces  orien- 
tales, les  pays  grecs  du  Sud-Ouest  et  la  Chalcidique  avec  Salonique  :  les  Slaves, 
et  spécialement  les  Bulgares,  préoccupaient  alors,  seuls,  les  Russes.  —  Voir  la 
carte  ci -contre. 


LA    QUESTION    DE   LA   MACÉDOINE 


91 


L'Europe  réunie  en  congrès  à  Berlin  préféra  rendre  la  Macé- 
doine aux  Turcs.  Elle  le  lit  en  sauvant  la  face  :  par  le  fameux 
article  23,  des  réformes  furent  imposées  à  la  Turquie  par  les 
puissances  : 

ft  Des  règlements  analogues  (au  règlement  de  la  Crète), 
t  adaptés  aux  besoins  locaux,  seront  également  introduits  dans 
<y  les  autres  parties  de  la  Turquie  d'Europe,  pour  lesquelles  une 


/  CARTE  DE  LA  PENINSULE 
DES  BALKANS  D'APRES  LE 
TRAITÉ  DE  SAN  STEFANO 


«  organisation  particulière  n  a  pas  été  prévue  par  le  présent 
tt  traité.  La  Sublime  Porte  chargera  des  commissions  spéciales, 
9  au  sein  desquelles  l'élément  indigène  sera  largement  repré- 
¥.  sente,  d'élaborer  les  détails  de  ces  nouveaux  règlements  pour 
*r  chaque  province.  Les  projets  d'organisation  résultant  de  ces 
«  travaux  seront  soumis  à  Texamen  de  la  Sublime  Porte,  qui, 
tf  avant  de  promulguer  les  actes  destinés  à  les  mettre  en  vigueur, 
M  prendra  l'avis  de  la  commission  européenne  instituée  pour  la 
«  Koumélie  Orientale.  » 

Les  commissions  spéciales  furent  plus  ou  moins  sérieusement 
convoquées  par  la  Sublime  Porte.  En  1880,  la  conférence  de 
Constantinople  discuta  longuement  et  donna  son  avis  à  la 
Porte  *.  Et  ce  fut  tout. 

L'Europe,  une  fois  qu'elle  eut  replacé  la  Macédoine  sous  le 


A  Oû  trouvera  les  procès-verbaux  de  la  Conférence  de  (Constantinople  dans  le  Livre 
blea  antrlais  :  Turkey,  n»  15,  1880,  Correspondance  respecting  tlie  new  law  for  the 
European  provinces  of  Turkey^  2  volumes. C-2103  et  G-2703-1. 


92  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

joug  turc,  ne  tint  pas  les  promesses  faites  à  Berlin  et  solennelle- 
ment consignées  dans  l'article  23. 

L'Europe  est  la  vraie  responsable  de  Fétat  révolutionnaire 
actuel  de  la  Macédoine. 

II 

LE    RÉGIME    HAMIDIEN 

Les  Turcs  auraient  pu,  au  moment  de  la  conqu(^te,  anéantir 
tous  ceux  qui  repoussaient  lassimilation,  c'est-à-dire,  au  point 
de  vue  islamique,  la  conversion.  Leur  invasion  n'eût  probable- 
ment pas  beaucoup  plus  ému  la  chrétienté.  Ce  système  barbare 
a  réussi  aux  Prussiens  entre  FElbe  et  les  pays  polonais.  Les 
Anglais  Font  plus  d'une  fois  pratiqué  :  «  Les  Français,  disait 
«  Fun  d'eux,  ne  savent  pas  coloniser  :  ils  ne  se  débarrassent  pas 
tt  des  populations  indigènes.  » 

Sans  doute,  c'est  une  circonstance  atténuante  pour  les  Turcs 
de  n'avoir  ni  massacré,  ni  converti  de  force  leurs  sujets.  Ils 
n'ont  cependant  acquis  sur  eux,  par  cette  mansuétude  d'au- 
trefois, ni  le  droit  absolu  du  maître  sur  l'esclave,  ni  même 
le  droit  de  les  entraîner  dans  leur  ruine.  Or,  FEtat  turc  est 
une  «  théocratie  à  deux  étages  »,  et  pour  passer  do  Fétage 
inférieur  à  Fétage  supérieur,  il  n'existe  qu'un  moyen  :  la 
conversion.  En  haut,  sont  les  musulmans,  quelles  que  soient 
leur  race  et  leur  nationalité  d'origine.  Toutes  les  fonctions 
publiques  leur  sont  réservées.  Ils  peuvent  aspirer  <\  tous  les 
emplois.  Ils  sont  seuls  soldats.  La  cité  n'existe  que  pour  eux. 
En  bas,  sont  les  chrétiens,  —  les  sujets  ou  ratas^  que  l'Etat 
musulman  ne  connaît  guère  que  pour  leur  faire  payer  la 
captution  [khavadj).  Ils  ne  seraient  que  des  troui)eaux  mal 
exploités,  si  on  ne  tolérait' i)as  les  communautés  qu'ils  forment 
en  se  groupant  autour  de  leurs  évéques  et  de  leurs  métropo- 
lites, et  si  leurs  municipalités,  ou  plus  exactement  leurs  paroisses 
/OU  diocèses,  ne  leur  permettaient  pas  d'avoir,  sous  la  cité 
musulmane,  une  existence  collective,  embryon  de  vie  natio- 
nale. 

Toutes  les  réformes  libérales  que  FEtat  ottoman  a  acceptées 
ou  annoncées  au  cours  du  xix^  siècle  n'ont  été  que  des  réformes 
de  fa<:ade  ou  de  vaines  promesses  faites  à  l'Europe.  La  tenta- 
tive la  plus  loyalement  énergique,  celle  du  sultan  Mahmoud, 
s'est  heurtée  à  une  Turquie  déjà  trop  cristallisée  pour  être 
modifiée.  Le  Hatti  shérif  du  3  novembre  1839,  qui  garantissait 
aux  sujets  ottomans  de  toutes  religions  leur  vie  et  leur  fortune, 
et  le  Hatti    liumayoun   si    profondément    révolutionnaire  de 


LA   QUESTION   DE   LA   MACÉDOINE  93 

février  1856,  qui  proclamait  la  liberté  et  l'égalité»  de  tous  les 
sujets  de  l'Einpire  et  leur  admission  dans  l'armée  et  à  toutes  les 
fonctions,  ne  furent  que  des  déclarations  platoniques.  La  Cons- 
titution de  décembre  1876  créait  un  Sénat,  une  Chambre,  un 
Ministr*re  responsable;  elle  établissait  la  liberté  de  la  presse,  la 
liberté  de  réunion,  l'inamovibilité  de  la  magistrature  et  Tins- 
truction  primaire  obligatoire  :  elle  ne  fut  jamais  mise  en 
vifîueur;  mais  elle  permit  à  la  Turquie  de  répondre  à  l'Europe, 
qui  lui  proposait  certaines  réformes,  que  ces  réformes  étaient 
contraires  à  la  Constitution  !  n 

Les  quelques  réformes  réalisées  n'ont  aucune  portée  pratique. 
Les  conseillers  chrétiens  sont  nommés  par  le  vali  parmi  les 
îîens  dont  il  est  silr  ;  ils  sont  traités  comme  le  méritent  des  non- 
musulmans  ;  ils  ne  savent  d'ailleurs  pas  le  turc,  et  ne  peuvent 
pas  se  tenir  au  courant.  Les  adjoints  chrétiens  aux  valis,  insti- 
tués en  1896,  quand  l'opinion  européenne  s'émut  des  troubles 
arméniens,  servent  les  valis  comme  employés  subalternes  et 
obséquieux,  ou  roulent  leurs  cigarettes. 

L'immuable  machine  turque  continue  à  marcher,  sans  subir 
d'autres  changements  sérieux  que  ceux  qui  marquent  de  temps 
à  autre  son  détraquement,  d^année  en  année  plus  lamentable. 

Le  raïa,  —  impatient  quand  il  voit,  au  delà  des  nouvelles 
frontières,  ceux  qui  étaient  il  y  a  quelques  années  ses  compa- 
gnons de  servitude  former  des  Etats  indépendants,  —  sent 
peser  sur  lui  de  plus  en  plus  lourdement  les  rouages  faussés  ou 
hors  d'usage  de  l'Etat  turc  hostile. 

Un  vali  répondait  au  colonel  Yankof,  —  Bulgare-Macédo- 
nien, aujourd'hui  membre  du  comité  Michaïlowsky,  —  qui  lui 
avait  demandé  pourquoi  les  Turcs  ne  consentaient  pas  à  faire 
dans  TEmpire  une  place  meilleure  aux  Jougo-Slaves  :  «  Parce 
M  que,  laborieux  comme  vous  êtes,  vous  nous  devanceriez,  et 
«  l'Empire  ottoman  s'écroulerait.  »  .L'exemple  de  ce  qui  se 
passe,  depuis  l'occupation  autrichienne,  en  Bosnie,  où  les 
grands  propriétaires  musulmans*  marchent  à  la  ruine  et  où 
les  sortes  de  métayers  chrétiens  qui  cultivent  le  pays  com- 
mencent à  acquérir  la  terre,  est  bien  fait  pour  moutrer  que  ce 
vali  n'avait  pas  tort.  Mais  il  aurait  dû  aussi  donner  une 
deuxième  raison  :  Tlslam  est  devenu  immuable  ;  il  est  hostile 
à  tout  progrès  :  «  En  Asie  Mineure,  me  disait  M.  Michaïlowsky, 
•  les  derviches  s'opposent  à  la  construction  des  chemins  de  fer, 
u  qui,  prétendent-ils,  bouleversent  Tordre  divin.  » 

Le  vali,  qui  me  reçjut  en  1899  à  Scutari  d'Albanie,  venait 

<  Bien  que  Slaves  et  de  la  même  race  que  les  paysans  chrétiens. 


94  QUESTIONS   DIPLOMATIQUISS   GT   COLONIALES 

d'avoir  à  lutter  contre  toute  la  garnison  révoltée  et  était 
enquêté  par  de  hauts  fonctionnaires  venus  de  Constantinople  : 
il  avait  voulu  faire  exécuter  de  grands  travaux  publics,  et 
notamment  canaliser  et  assainir  la  rivière  qui  porte  à  la  mer 
les  eaux  du  lac  de  S  eu  tari  à  travers  des  marécages  où  l'on  prend 
la  terrible  fièvre  de  la  Boïana.  De  même,  le  cours  inférieur  du 
Vardar,  de  la  Strouma,  restent  fermés,  inutiles. 

Quelques  chemins  de  fer  ont  bien  été  construits  :  —  ligne 
de  Constantinople  à  Belgrade  par  Andrinople  ;  lignes  de  Cons- 
tantinople à  Salonique,  de  Salonique  à  Mitrovitza,  et,  avec 
bifurcation  près  d'Uskub,  à  Belgrade  ;  ligne  de  Constantinople 
h  Monastir.  Mais  les  conditions  auxquelles  les  concessions  ont 
été  faites  annulent  d'avance  une  bonne  partie  des  avantages 
que  le  pays  pourrait  tirer  de  ces  chemins  de  fer  :  la  garantie 
d'intérêts,  notamment,  fonctionne  de  telle  façon  que  les  com- 
pagnies peuvent  restreindre  le  trafic  sans  être  atteintes  dans 
leurs  revenus.  La  ligne  de  Constantinople  à  Salonique,  qui 
s'éloigne  de  la  mer  pour  une  raison  stratégique  facile  à  com- 
prendre, aurait  besoin  d'être  rattachée  à  la  côte  par  quelque 
embranchement,  vers  Kavala  ou  Orfano;  mais  la  compagnie 
s'est  engagée  à  ne  pas  construire  cet  embranchement  sans  exé- 
cuter en  même  temps  vers  le  Nord  un  travail  correspondant, 
d'intérêt  stratégique  et  non  commercial.  Les  petits  ports  de 
l'Archipel  restent  ainsi  sans  communication  avec  Tintérieur. 

Plus  encore  que  les  embranchements,  les  routes  manquent 
aux  chemins  de  fer,  et  d'une  façon  plus  générale,  à  la  Turquie 
d'Europe.  Un  impôt  spécial  a  été  créé  pour  la  voirie;  mais 
il  se  perd  dans  les  budgets  en  déficit.  Quand  quelques  rares 
tronçons  de  routes  sont  construits  par  des  valis  réformateurs, 
ils  ne  peuvent  l'être  que  par  la  corvée  obligatoire,  —  autre 
fléau. 

Des  fonds  ont  été  réunis  pour  créer  des  institutions  de  crédit 
rural.  Or,  dans  les  rares  vilayets  ou  sandjaks*  où  ces  institu- 
tions ont  fonctionné,  on  a  fait  souscrire  par  les  paysans,  qui 
ne  savent  pas  le  turc,  seule  langue  officielle,  des  obligations 
telles,  que  la  ruine  s'en  est  suivie  à  l'échéance.  Personne  n'a 
plus  recours  à  ces  prêts  qui,  eux,  soutiennent  bien  l'emprun- 
teur ((  comme  la  corde  le  pendu  ». 

Tous  ceux  qui  font  une  enquête  en  Turquie  d'Europe,  et  sur- 
tout en  Macédoine,  constatent  que  ces  régions  devraient  être 
parmi  les  plus  riches  du  monde,  et  par  la  faute  des  Turcs,  sont, 
au  contraire,  parmi  les  plus  misérables.  Je  choisis,  entre  bien 

1  Subdivision  du  vilayet. 


LA   QUESTION  DE  LA  MACÉDOINE  95 

d'autres,  un  passage  de  M.  Victor  Bérard  *,  sur  la  plaine  macédo- 
nienne de  la  basse  vallée  du  Vardar  :    . 

««  ...Et  pourtant,  ce  pays...   semblait  disposé  par  la  nature 

«  pour  être  un   paradis  pour  Thumanité...   La  plaine  pour  le 

«  blé,  la  colline  enterrasses  pour  les  vergers  et  les  vignes,  la 

«  montagne  pour  les  forêts  et  les   troupeaux,   le  fleuve  pour 

«  Firrigation,   les  sources    pour  l'arrosage,   et  la  mer  toute 

«  proche  pour  l'échange  des  produits  ;  il  semble  que  Thomme 

«  n'aurait  eu  (ju'à  se  laisser  vivre,  en  surveillant  le  travail  de 

«  la  terre  et  des  eaux.  L'esprit  se  reporte  involontairement  aux 

tt  vallées  de  Toscane...  D'IIskub  àSalonique,  pendant  soixante 

«  lieues,  pas  une  forêt  à  l'horizon,  pas  un  verger,  pas  un  arbre, 

e  sinon  quelques  cyprès  autour  des  mosquées  de  Kuprulu,  et 

«  quelques  platanes  tordus   et  boueux  dans  les    cailloux  du 

«c  fleuve.   Pas   de  verdure.   Pas   de  culture.  De  loin  en  loin, 

«  quelques  pans  de  chaumes  moissonnés,  et  la  brousse   des 

€  chardons  et  des  joncs  *.  »     , 

Et,  comme  des  Anglais  qui  viennent  de  chasser  au  marais, 
montent  dans  le  train  avec  leurs  rabatteurs  : 

«  Une  chasse  aux  canards,  aux  sarcelles,  au  gibier  d'eau, 
a  voilà,  sous  la  latitude  de  Naples,  au  bord  de  l'Archipel,  sur 
«  Tune  des  grandes  routes  du  monde,  tout  ce  que  le  Turc  a  su 
«  faire  de  la  plus  fertile  des  plaines,  et  voilà  pourquoi  le  con- 
a  cerl  européen  travaille  à  maintenir  l'intégrité  de  l'Empire 
(r  ottoman.  » 

De  même,  M.  Georges  Gaulis'  : 

M  La  plaine  de  Koumanovo  est  aux  trois  quarts  livrée  aux 

«  herbes  ou  aux  roseaux  ;  ses   céréales   réputées  ne  poussent 

c  qu'en  des  oasis,  autour  des  centres  habités.  La  plaine  d'Uskub 

«ç  n'offre   pas  un  coup  d'œil  plus  riant.    La  culture   du   pavot 

cf  s'est  développée  autour  de  la  ville  ;  les  champs  de  blé  pour- 

«  rissent  au  delà,  mais  à  trois  kilomètres  il  n'y  a  plus  rien,  si 

t<  ce  n'est  par  taches...  En  pleine  sève  cette  splendide  contrée 

«  meurt  tuée  par...  l'anarchie.  » 

La  situation  des  propriétaires  et  des  paysans  est  intolé- 
rable. 

Le  spéculateur  qui  afferme  la  dîme  la  fixe  arbitrairement  et 
sans  appel,  et  la  perçoit  sans  contrôle.  Il  faut,  jusqu'à  ce  qu'il 
passe,  laisser  la  moisson  dans  le  champ.  Si  le  dîmier  tarde,  la 
moisson  pourrit   ou  s'égrène,  sous  les  yeux  du  paysan  impuis- 

*  Victor  Béhab».  Kn  Macédoine. 

«  Ibid  ,   p.  130. 

3  Bulgai-ie  et  Macédoine  {Revue  de  Paris,  i*^  nov.  1902,  p.  87). 


96.  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALBS 

sant,  qui  doit  encore  s'estimer  bien  heureux  quand  le  dîmier 
n'exige  pas  en  argent  ce  qu'il  dit  lui  être  dû. 

Les  autres  impôts  étaient  jadis  demandés  à  la  municipalité, 
qui  les  répartissait  librement  entre  ses  membres,  les  percevait 
et  en  était  seule  responsable.  Aujourd'hui,  c'est  l'individu  qui 
doit  l'impôt.  Le  gendarme  turc  s'installe  au  village,  y  exigeant 
«  bon  souper,  bon  gîte...  »  ;  il  reçoit  l'argent  sans  donner  de 
reçu,  et  perçoit  souvent  deux  fois.  Telle  est  une  des  seules 
sérieuses  réformes  à  l'européenne  qui  ait  été  vraiment  réalisée  : 
une  réforme  à  rebours. 

Le  village  est  encore  bien  heureux  si  quelque  taxateur  irré- 
gulier ne  prélève  pas  aussi  sa  part  après,  ou,  de  préférence, 
avant  le  gendarme  du  Sultan. 

Dans  la  Vieille-Serbie,  l'Albanais  vient,  à  la  Saint-Georges 
(23  avril),  fixer  la  contribution  qu'il  réclamera  au  Slave  à  la 
Saint-Michel  (29  septembre),  sous  peine,  bien  entendu,  de  pil- 
lage, d'incendie  et  de  meurtre.  Cela  se  passe  avec  des  formes  : 
une  sorte  de  taille  de  bois,  semblable  à  celle  de  nos  boulan- 
gers, le  tchetel,  sert  de  feuille  d'impôt  *. 

Ailleurs,  ce  sont  des  bandits  qui  enlèvent  quelque  paysan  ou 
négociant.  Ils  font  connaître  aux  siens  la  date  à  laquelle  il 
sera  exécuté  au  cas  où  une  rançon  qu'ils  indiquent  n'aurait 
pas  été  payée.  Si  les  chrétiens  avaient  le  droit  de  se  montrer 
les  armes  à  la  main,  les  bandits  de  ce  genre  auraient  vite 
disparu.  Le  gouvernement  turc  le  sait  :  en  1890,  Halil  Rifaat 
pacha,  vali  de  Monastir,  fit  distribuer  douze  fusils  par  village  : 
l'ordre  régna  vite  dans  toute  la  région  ;  mais  le  vali  fut  envoyé 
en  Asie  Mineure.  Depuis,  en  1900,  son  successeur  a  recom- 
mandé aux  intéressés  de  payer  bien  régulièrement  les  rançons 
pour  ne  pas  irriter  les  brigands*.  C'est  ainsi  que  certain  roi 
de  France  payait  les  Northmans  pour  ne  pas  s'attirer  d'af- 
faires. 

Le  fonctionnaire  opère  d'ailleurs  parallèlement  aux  bri- 
gands :  le  bakchich  fait  concurrence  à  la  rançon.  En  effet,  les 
fonctionnaires  touchent  rarement,  de-ci,  de-là,  un  mois  de 
traitement.  Vivre  sur  le  pays  est  le  seul  moyen  de  subsister 
que  leur  procure  le  gouvernement  turc.  Ils  ont  pour  cela  des 
procédés  devenus  classiques.  Par  exemple,  une  fausse  affiche 
révolutionnaire  apposée  dans  un  village  permet  d'arrêter  les 
notables  et  de  ne  les  relâcher  que  contre  argent  comptant. 
C'est  bien  la  rançon,  avec  la  franchise  et  un  certain  courage 
en  moins. 

i  V.  BÉRARD.  En  Macédoine,  p.  115. 

*  Wkdar.  Le  mouvement  révolutionnaire  macédonien.  —  VHumanité  nouvelle^ 
p.  6. 


LA   QUESTION  DE  LA  MACÉDOINE  97 

Les  mouchards  foisonnent.  L'espionnage  fait  partie  du 
régime. 

La  justice  ne  présente  aucune  garantie.  Sous  le  voile  des 
principes  dont  on  fait  montre,  à  Tusage  de  TEurope,  les  juges 
sont  nommés  par  le  vali  parmi  les  hommes  d'affaires  de  sa 
clientèle.  Les  faux  témoins  musulmans  sont  devenus  une  ins- 
titution. Les  prisons  sont  abjectes.  La  question  n'est  pas  aussi 
abolie  qu'on  s'efforce  de  le  faire  croire. 

Ni  la  propriété,  ni  Thonneur,  ni  la  vie  des  raïas  ne  sont  ga- 
rantis contre  la  fantaisie  et  la  convoitise  des  fonctionnaires  du 
Grand  Turc  et  de  leurs  amis.  C'est  en  étudiant  la  Turquie 
qu^on  peut  vraiment  comprendre  la  vieille  maxime  romaine  : 
Jus  privatum  sub  tutelajuris  publici  latet\ 

Dans  un  pareil  milieu,  les  résistances,  les  vengeances  et  les 
décisions  désespérées  sont  fatales.  Celui-ci  a  à  venger  sa 
femme  ou  sa  fille  ;  celui-là,  sentant  sa  vie  en  danger,  et  traqué, 
S'est  enfui  ;  cet  autre  a  eu  son  champ  confisqué  ;  cet  autre  était 
à  bout  :  il  a  pris  son  fusil  et  gagné  la  montagne  *.  Les  outla^^'s 
se  retrouvent.  Ils  forment  des  bandes,  —  comme  jadis  plus  au 
Nord,  en  pays  dalmate  par  exemple,  les  haïdouks.  Les  cadres 
de  la  révolution  nationale  sont  ainsi  créés  par  l'Empire  ottoman 
lui-même. 

Et  il  y  a  plus  que  tout  ce  que  je  viens  d'esquisser. 

Il  est  aujourd'hui  établi  que  les  événements  arméniens 
avaient  été  organisés  à  l'avance  et  que  le  signal  en  a  été 
donné  de  Constantinople.  Le  massacre  devient  un  dogme  du 
panislamisme  et  un  des  moyens  de  règne  d'Abdul-Hamid.  Le 
Turc  regrette  de  ne  pas  avoir  pris  jadis,  en  s'installant,  la  pré- 
caution de  faire  maison  nette  et  cherche  à  réparer  ce  qu'il  re- 
garde aujourd'hui  comme  une  faute.  Or,  dès  1898,  le  général 
Saadéddin  pacha,  qui,  d'après  TenquOte  anglaise,  a  organisé 
les  massacres  de  Crète,  fut  envoyé  en  Macédoine.  Selon 
M.  Wédar*,  il  eut  pour  mission  :  «  1°  de  fonder  dans  chaque 
«  ville  des  comités  musulmans  ;  2*^  de  leur  distribuer  des 
•:  armes;  3**  d'organiser  le  silence  forcé  hors  de  la  Macédoine, 
«  de  façon  que  la  nouvelle   des   massacres   soit  connue  très 

1  Depuis  le  mois  d*avril  19032,  un  journal  —  le  Mouvement  macédonien,  206,  bou- 
krard  Raspail  —  a  été  fondé  à  Paris  pour  dénoncer  les  «  atrocités  macédoniennes.  » 

*  Quelques  oaois  avant  sa  mort,  M.  Pierre  d'Espagnat  a  écrit  un  «  roman  macédo- 
ajcD  »  intilalé  :  Avant  le  massacre  (Fasquelle,  1902).*  Il  a  eu  le  tort  d'y  mettre  en 
r^ne  des  Bulgares  loquaces  comme  des  Grecs  et  tout  imprégnés  des  souvenirs  de 
Tantique  Hellas  :  le  Bulgare  est  taciturne  ;  il  supporte  toutes  les  persécutions  en 
silence  jusqu'au  jour  où,  brusquement,  il  fonce  silencieusement  sur  l'adversaire. 
Mats  M.  d'Espagnat  a  bien  montré  la  progressioa  des  souffrances  et  de  Tindigna- 
tiao,  toute  la  genèse  de  la  révolution. 

»  Op.  cit.,  p.  6. 

QoKST*  DiPL.  BT  Col.  —  t.  xv.  1 


98  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

«  tard  en  Europe  ».  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  des  comités 
musulmans,  officiellement  encouragés,  sont  aujourd'hui  cons- 
titués dans  toute  la  Macédoine.  Depuis  le  printemps  dernier, 
toute  la  population  musulmane  est  armée.  De  fréquents  conci- 
liabules ont  lieu  dans  les  mosquées.  Les  tètes  se  montent.  On 
parle,  tantôt  de  reconquérir  les  territoires  perdus,  et  tantôt  de 
courir  sus  à  la  population  chrétienne  de  Tinlérieur*. 

La  crainte  du  massacre  plane  sur  la  population  chrétienne, 
l'exaspère,  et  peut  la  pousser  à  bout. 

Sous  le  régime  d'Abdul-Hamid,  l'Etat  ottoman,  incapable 
d'être  cet  Etat  rudimentaire  qu'est  l'Etat-gendarme,  est  sûre- 
ment l'Etat-brigand.  Il  se  prépare  peut-être,  une  fois  de  plus,  à 
être  TEtat-massacreur. 

Le  régime  hamidien  est  la  cause  du  mouvement  révolution- 
naire macédonien. 

Comment  pareil  régime  peut-il  durer? 

II! 

POURQUOI  LA  TURQUIE  PEUT  SE  MAINTENIR  EN  EUROPE? 

Le  Turc  se  maintient  en  Europe  parce  qu'il  est  militaire- 
ment très  fort  et  appuyé  par  des  amis  puissants;  parce  que  ses 
sujets  chrétiens  d'hier  et  d'aujourd'hui  sont  affaiblis  par  leurs 
prétentions  contradictoires;  parce  que  les  grandes  puissances 
directement  intéressées  à  la  solution  du  problème  balkanique 
se  jalousent,  et  craignant  de  troubler  la  paix,  prolongent  le 
statu  quo. 

Autant  TEtat  ottoman  s'est  montré  incapable  de  transforma- 
tions constitutionnelles,  administratives  et  juridiques,  autant 
il  a  su  se  créer  une  armée  puissante,  à  la  fois  fanatique  et 
adaptée  aux  besoins  de  la  guerre  moderne.  Dès  1826,  le  sultan 
Mahmoud  supprimait  à  coups  de  canon  les  vieux  corps  indis- 
ciplinés des  janissaires  et  des  spahis.  De  Moltke  présidait 
à  l'organisation  de  l'armée  nouvelle.  Depuis,  la  mission  alle- 
mande de  J882,  avec  von  der  Goltz,  a  dirigé  son  rajeunisse- 
ment. A  mesure  que  s  avancent  vers  Bagdad,  à  travers  le  pla- 
teau d'Asie  Mineure,  les  rails  allemands  du  chemin  de  fer  qui 

1  M.Anatole  Leroy-Beaulieu  écrit  dans  VEuropéen  du  l*'  novembre  1902  :  «  En 
«  Europe  comme  en  Asie,  le  Sultan  s'eflbrce  de  rétablir  l'ordre  par  Ja  terreur.  Le 
a  pillage,  le  viol,  le  massacre  sont  ses  instruments  habituels  de  gouvernement  dans 
«  les  vallées  du  Vardar  et  de  la  Struma  aussi  bien  que  sur  les  rives  du  lac  de  Van 
«  ou  sur  les  bords  escarpés  du  haut  Euphrate.  Les  chrétiens  de  Macédoine,  les 
«  Slaves  surtout»  se  voient,  i  leur  tour,  menacés  d'anéantissement.  » 


LA  QUESTION  DE   LA   MACÉDOINE  99 

doit,  à  travers  toute  la  Turquie  d'Asie,  unir  le  Bosphore  au 
♦rolfe  Persique,  les  corps  d'Asie  deviennent  rapidement  mobili- 
sables sur  rEurope.  Les  chances  de  succès  d'une  révolution 
chrétienne  diminuent. 

L'Empire  allemand  veut  ranger  de  son  côté  cette  force  nou- 
velle qu'il  a  contribué  à  développer;  certains  de  ses  sujets  rê- 
vent pour  lui  d'une  Asie  occidentale  transformée  en  Inde  ger- 
manique. Il  lie  partie  avec  l'Empire  ottoman,  qui  participe  de 
la  force  de  son  nouvel  ami  et  devient  intangible. 

En  même  temps  la  finance  internationale  se  prononce  pour 
le  Turc,  débiteur  à  qui  elle  a  beaucoup  prêté,  et  qu'elle  ne  veut 
point  voir  disparaître. 


En  second  lieu,  parmi  les  sujets  du  Sultan  en  Turquie  d'Eu- 
rope, les  Turcs  sont  tout  dévoués  au  Padischah.  Les  autres  mu- 
sulmans, —  Albanais,  Mohadjirs  ou  musulmans  émigrés  des 
provinces  perdues,  Pomaks  ou  Bulgares  convertis  à  ITslam,  — 
ne  souffrent  guère  du  régime  ottoman  :  ses  défauts  sont  com- 
pensés, pour  eux,  par  les  privilèges  qu'il  leur  accorde. 

Les  Valaques,  trop  peu  nombreux  pour  pouvoir  penser  à 
constituer  un  Etat  indépendant,  craignent  l'intolérance  natio- 
nale de  l'Etat  nouveau  qui  les  engloberait. 

Les  Juifs  ne  souffrent  guère  du  régime  que  parce  qu'il  n'est 
pas  favorable  aux  affaires.  Ils  savent  s'entendre  avec  le  Turc. 

Les  Grecs,  vaincus  en  1897,  ne  veulent  pas  de  sitôt  courir 
une  aventure  nouvelle  ;  mais  ils  tiennent  à  sauvegarder  l'avenir, 
lis  voient  dans  les  revendications  des  autres  chrétiens  une 
atteinte  portée  à  la  Grande  Idée,  au  rêve  de  reconstitution  de 
l'Empire  d'Orient  :  tout  effort  fait  pour  morceler  la  côte  qui  va 
de  la  frontière  grecque  actuelle  à  Constantinople  est,  à  leurs 
veux,  sacrilège.  Ils  aimeraient  mieux  soutenir  les  Turcs  que 
iaisser  triompher  les  Slaves. 

Les  Slaves  ainsi  isolés  sont  divisés  entre  eux  :  Serbes  contre 
Bulgares.  Sauf  la  Vieille-Serbie,  sur  laquelle  les  Bulgares  n'ont 
jamais  élevé  de  prétentions,  et  la  partie  orientale  du  vilayet  de 
Salonique,  que  les  Serbes  ne  revendiquent  pas,  tout  est  liti- 
gieux entre  les  deux  nationalités. 

Il  est,  en  effet,  malaisé  de  les  distinguer  les  uns  des  autres. 
Je  les  ai  montrés  peu  différents  par  la  race  et  divisés  surtout 
par  des  souvenirs  historiques  incertains.  La  langue  n'est  point 
un  critérium  :  les  dialectes  mixtes  dominent.  La  religion  n'est 
pas  un  signe  probant.  Sans  doute,  les  Bulgares  ont  obtenu  en 
1871   la  création  d'une  église  autocéphale,  —  l'exarquat,  — 


100  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  BT  COLONIALES 

tandis  que  les  Serbes  de  Macédoine  continuent  de  relever  du 
patriarche  grec  de  Constantinople.  Mais  l'exarquat,  de  création 
récente,  n'a  pas,  sur  certains  points,  rallié  tous  ceux  qui  sont 
susceptibles  de  se  croire  Bulgares.  Dans  bien  des  régions,  au 
contraire,  sa  propagande  a  fait  des  progrès  anormaux  :  elle  a 
été  favorisée  par  le  fait  que  l'évêque  du  patriarche  est  grec,  et 
par  là  même  antipathique  aux  Slaves.  On  ne  peut  même  pas 
s'en  rapporter  à  l'option  personnelle  de  chacun  :  les  mômes 
familles,  les  mêmes  villages,  oscillent  de  l'une  à  l'autre  église, 
de  l'une  à  l'autre  nationalité.  Ces  Slaves  macédoniens  sont  en 
grande  partie  des  «  androgynes  ».  L'Etat  slave  qui  les  tiendra 
un  jour  les  fixera  sans  doute,  mais  ils  sont  encore  malléables. 
D'où,  la  bataille  acharnée  qui  se  livre  depuis  peu  pour  leur 
possession. 

Autrefois,  quand  les  Turcs  étaient  maîtres  de  toute  la  pénin- 
sule, rinfluence  serbe  pouvait  seule  rivaliser  quelque  peu  avec 
Tinflucnce  grecque.  Les  Serbes,  plus  cultivés  que  les  Bulgares, 
avaient  des  écoles.  Elles  ont  été  peu  à  peu  fermées  au  cours  du 
xix**  siècle,  quand  les  Serbes  apparurent  aux  Turcs  comme  des 
révoltés.  Les  dernières  furent  supprimées  pendant  la  dernière 
guerre  serbo-turque  (1876). 

Quand  Texarquat  fut  créé  avec  l'appui  des  Russes,  l'influence 
bulgare  grandit.  Mais,  longtemps,  les  Serbes,  occupés  ailleurs, 
n'eii  furent  pas  jaloux  :  des  livres  furent  imprimés  à  Belgrade 
pour  la  propagande  bulgare.  Le  traité  de  San-Stefano  marqua 
l'apogée  de  la  poussée  bulgare. 

11  fut  suivi  d'une  période  d'accalmie  pendant  laquelle  le  roi 
Milan  rogna  en  Serbie  et  le  royaume  de  Bulgarie  ne  se  préoc- 
cupa que  de  la  Roumélie  Orientale. 

Ce  n'est  guère  qu'en  1886,  après  la  défaite  du  royaume  de 
Serbie  par  la  principauté  de  Bulgarie  agrandie  de  la  Roumélie 
Orientale,  que  commence  la  lutte  serbo-bulgare  en  Macédoine. 

La  Serbie  constate  que  l'Autriche-Hongrie  prolonge  sans 
terme  son  occupation  de  la  Bosnie.  Elle  vient  de  voir  échouer 
ses  revendications  sur  la  région  de  Vidin  '.  Elle  se  tourne  vers 
le  Sud.  Salonique  lui  apparaît  comme  le  débouché  nécessaire. 
N'ayant  pas,  à  la  différence  de  la  Bulgarie,  d'église  nationale  en 
JViacédoine,  elle  ne  peut  y  avoir  d'écoles  confessionnelles.  Mais 
il  existe  dans  l'Empire  ottoman  un  autre  type  d'écoles  :  les 
écoles  du  ministère  de  l'Instruction  publique.  Elle  obtient  l'au- 
torisation de  fonder  des  écoles  de  ce  type,  d'abord  en  Vieille- 
Serbie,  au  lendemain  du  premier  voyage  du  roi  Alexandre  à 

*  C'est  pour  revendiquer  la  région  de  Vidin  que  la  Serbie  fit  la  guerre  de  1885 
contre  la  Bulgarie. 


LA    QUESTION  DE  LA  MACÉDOINE  iOi 

Saint-Pétersbourg,  puis  dans  toute  la  Macédoine,  après  la 
guerre  tnrco-grecque  *.  Sa  propagande  n'est  pas  politique.  Elle 
n'a  qu'un  caractère  national  et  scolaire.  Elle  veut  éveiller  et 
grouper  les  Serbes,  sous  le  régime  turc,  afin  de  rattraper,  avant 
tout  démembrement,  le  terrain  qu'elle  prétend  avoir  perdu. 
Elle  s'appuie  volontiers  sur  les  Ottomans  et  cherche  à  s'entendre 
avec  le  patriarche  grec.  D'autre  part,  la  Russie  trouve  irrégu- 
lier que  l'exarque  bulgare  continue  à  séjourner  à  Constanti- 
nople  et  h  exercer  son  action  en  Macédoine  depuis  qu'est  créé 
un  Etat  bulgare  aux  frontières  duquel  il  devrait  limiter  son 
activité.  Elle  craint  en  même  temps,  et  ajuste  titre,  qu'une  trop 
grande  Bulgarie  cesse  définitivement  de  faire  partie  de  sa  clien- 
tèle. La  Russie  soutient  donc  les  Serbes,  qui  sont  des  orthodoxes 
sans  reproches  et  qui  limitent  Tinlluence  bulgare.  Consuls 
russes  et  consuls  serbes  collaborent  souvent.  C^est  grâce  à  la 
Russie  que  le  patriarche  a  nommé  un  Serbe,  M^"^  Firmilian, 
évt^que  d'Uskub  en  remplacement  d'un  Grec,  face  à  l'éveque 
bulgare  de  l'exarque.  La  Serbie  accepterait  dans  l'avenir  un 
partage  de  la  Macédoine  ou  de  la  Bulgarie,  et  dès  maintenant, 
l'établissement  de  sphères  d'influences. 

Les  Bulgares,  au  contraire,  revendiquent  toute  la  Macédoine, 
et  pour  en  préparer  l'annexion,  demandent,  comme  mesure 
transitoire,  la  création  d'une  grande  province  macédonienne 
jouissant  de  droits  étendus.  L'autonomie  politique  les  préoccupe 
avant  tout.  Les  Macédoniens  qui  luttent  pour  Tidée  bulgare  ont 
été  alternativement  soutenus,  de  Bulgarie,  par  les  ministères 
russophobes,  qui  avalent  les  mains  libres  et  voulaient  se  faire 
pardonner  leur  politique  triplicienne,  et  retenus  par  les  minis- 
t»*res  russophiles. 

On  verra  bientôt  dans  quel  sens  se  sont  modifiées  les  idées 
des  Macédoniens  bulgares  et  comment  on  peut  entrevoir  un 
certain  rapprochement  serbo-bulgare  en  Macédoine. 

Mais  il  reste  établi  que  les  rivalités  entre  raïas  et  les  pré- 
tentions contradictoires  des  petits  Etats  affranchis  de  la  pénin- 
bii]e  permettent  aux  Turcs  d'être  les  plus  forts  tant  que  l'Eu- 
rope sera,  elle  aussi,  divisée  par  la  question  balkanique. 


La  France,  préoccupée  surtout  par  la  question  d'Egypte, 
soutient  immuablement  la  théorie,  érigée  en  principe,  de  l'in- 
tégrité de  l'Empire  ottoman.  Ses  véritables  intérêts  dans  l'Em- 

f  Récompense  de  la  neutralité  serbe,  comme  des  bérats  furent  la  récompense  de 
la  neutralité  bulgare 


102  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

pire  immédiat  du  Sultan  sont  en  Syrie.  L'entreprise  hasardeuse 
et  antirusse  qu'on  cherche  à  lui  faire  couvrir  en  l'engageant 
financièrement  dans  l'entreprise  de  Bagdad  n'a,  pour  elle,  que 
des  liens  indirects  avec  les  questions  d'en  deçà  du  Bosphore. 
En  Turquie  d'Europe,  si  des  nationaux  français  ont  d'impor- 
tants capitaux  engagés,  notamment  dans  des  entreprises  de 
chemins  de  fer  et  de  quais,  la  France  n'a  pas  de  grands  inté- 
rêts nationaux  :  le  protectorat  de  la  tribu  albanaise  des  Mir- 
dites  ne  nous  absorbe  pas  beaucoup.  Pour  ne  pas  avoir  d'af-. 
faires,  nous  diminuons  progressivement  le  nombre  dos  protégés 
indigènes  inscrits  sur  les  registres  de  nos  consulats.  —  La 
France  ne  figure  pas  parmi  les  grands  lutteurs  engagés  pour 
leur  compte  dans  la  crise  balkanique. 

L'Angleterre,  autrefois  si  passionnée  par  tous  les  problèmes 
balkaniques,  semble  aujourd'hui  distraite  par  l'Afrique  et  par 
l'Asie.  Le  point  de  frottement  entre  la  Russie  et  elle  s'est  dé- 
placé :  il  faut  aujourd'hui  le  chercher  dans  les  mers  chinoises. 
Il  sera  probablement  demain  sur  les  côtes  persanes.  Une  (lotte 
anglaise  a  beau  continuer  à  séjourner  une  partie  de  l'année  à 
Salonique,  et  le  ministère  anglais  actuel  a  beau  chercher  mala- 
droitement à  poser  la  question  des  Détroits,  l'écrivain  qui  se 
cache  sous  le  nom  de  Calchas  me  paraît  exposer  très  exactement 
la  politique  anglaise  de  demain  :  «  La  grande  expansion  de  la 
«  Russie  dans  l'Asie  centrale  et  dans  le  bassin  de  l'Amour  ne 
«  commença  qu'immédiatement  après  la  guerre  de  Crimée  et 
«  fut  le  résultat  direct  de  l'effort  que  nous  fîmes  pour  lui  barrer 
«  la  route  ailleurs.  Après  Sébastopol  et  après  le  Congrès  de  Ber- 
<r  lin,  la  Russie  aurait  été  bien  au-dessous  de  sa  tâche  si  elle 
«  n'avait  pas  tendu  toutes  ses  forces  vers  l'Asie  *.  »  Conclusion  : 
laisser  la  Russie  libre  d'agir  dans  les  Balkans,  c'est  un  peu  se 
débarrasser  d'elle  en  Asie.  Et  ailleurs  :  «  Là  où  il  n'y  a  que 
«  lutte  pour  l'agrandissement  de  l'Allemand  ou  du  Slave  aux 
«  dépens  l'un  de  l'autre,  les  intérêts  anglais  dans  l'avenir  poli- 
«  tique  des  Balkans  ou  de  l'Asie  Mineure  ne  valent  pas  les  os 
«  d'un  grenadier  anglais  '.  » 

Comme  le  laisse  entendre  Calchas,  la  lutte  me  paraît  circons- 
crite entre  trois  grandes  puissances  :  l'Allemagne,  l'Autriche- 
Hongrie  et  la  Russie.  —  L'Italie  a  bien  des  prétentions  sur  la 
région  côtière  de  l'Albanie.  Mais,  là,  elle  ne  heurte  quel'Au- 
triche-Hongrie,  et  l'Allemand,  allié  commun  des  deux  inté- 
ressés, saura  bien,  tant  que  durera  la  Triple  Alliance,  les 
mettre  d'accord. 

i  Fortnightly  Review,  oct.  1900  :  Why  not  a  trealy  with  Russia  ? 
2  /6w/.|  juill.  1901  :  Russia  and  herprobleins. 


LA  QUESTION  DE  LA  MACÉDOINE  103 

UEmpire  allemand,  —  nous  Tavons  vu,  —  est  doublement 
iatéressé  aux  questions  balkaniques  :  d'une  part,  il  est  l'ami  de 
l'Empire  ottoman  ;  d'autre  part,  son  chemin  de  fer  de  Bagdad 
et  les  projets  qui  s'y  rattachent  sont  la  continuation  du  Drang 
nach  Osten  européen,  qui  rejoint  l'Asie  à  travers  la  pénin- 
sule. 

L'Autriche-Hongrie,  associée  à  TAllemagne  pour  la  création 
et  l'exploitation  du  Z>/-«/ig^ primitif  de  TEurope  centrale,  a,  dans 
les  Balkans,  des  intérêts  distincts  de  ceux  de  son  associée.  Elle 
cherche  à  s'assurer  deux  débouchés  maritimes  vers  la  Méditer- 
ranée, par  la  domination  de  la  côte  sud-orientale  de  l'Adria- 
tique et  par  l'ouverture  sur  l'Archipel  du  débouché  de  Salo- 
nique.  Ses  habiles  menées  en  Albanie  tendent  à  lui  frayer  la 
première  voie.  Le  chemin  de  fer  qu'elle  prolonge  actuellement 
de  Sarajevo  vers  Novibazar  rejoindra  un  jour  Mitrovitza  et  le 
chemin  de  fer  qui  en  descend  déjà  vers  Salonique  :  ce  sera 
rinstniment  de  la  seconde  percée.  La  voie,  jusqu'à  la  mer, 
cf>upe  la  Macédoine  en  deux.  D'où,  des  tentatives  possibles 
d'annexion  du  côté  d'Uskub,  et,  en  tout  cas,  une  raison  pour 
rester  en  Bosnie  et  pour  empêcher  de  se  rapprocher  les  deux 
Etats  serbes  qui,  en  arrivant  à  se  toucher,  barreraient  la  route 
autrichienne  future.  D'où  aussi  une  politique  consistant  à  attirer 
dans  sa  sphère  d'influence  les  petits  Etats  balkaniques,  afin  de 
sVn  faire  comme  des  «  marches  «.contre  la  Russie.  L'Autriche- 
Hongrie  sent,  en  efi'et,  que  cette  politique  austro-balkanique 
inquiète  la  Russie,  et  craint  en  mc^me  temps  que  cette  dernière 
ne  soit  animée  du  môme  esprit  qu'en  1878. 

Toutefois,  quand  la  Russie  fut  absorbée  en  Asie,  les  deux 
adversaires,  l'un  occupé  ailleurs  et  l'autre  rassuré,  s'entendi- 
rent, sans  résoudre  aucune  des  difficultés  pendantes  entre  eux, 
pour  ne  pas  continuer  la  lutte  :  ils  traitèrent,  en  1897,  sur  la 
base  du  statu  quo  dans  la  péninsule  balkanique. 

Les  Macédoniens  considérèrent  la  signature  de  ce  pacte 
comme  un  désastre  :  ils  y  virent  une  garantie  de  l'intégrité  et 
de  l'immuabilité  de  l'Empire  ottoman. 

Les  Bulgares  macédoniens  achevèrent  d'être  exaspérés  quand 
ils  virent  les  ministres  russophiles  de  la  principauté  de  Bulga- 
rie se  résigner  à  la  politique  austro-russe  et  tenir  le  raisonne- 
ment suivant  :  «  Cène  sont  ni  les  Macédoniens,  ni  les  Bulgares 
«  de  la  principauté,  ni  les  Serbes  du  royaume  qui  résoudront  la 
«  question  macédonienne.  Ce  sont  les  grandes  puissances  :  elles 
c  décideront  sans  tenir  compte  des  protestations  des  intéressés, 
c  L'important  est  donc  de  se  développer,  de  devenir  prospères 
♦  et  forts,  et  de  gagner  ainsi  la  confiance  des  grandes  puis- 


104  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

«  sances.  Alors,  mais  alors  seulement,  au  jour  du  partage,  la 
«  Bulgarie  aura  la  part  à  laquelle  elle  a  droit.  Peu  importent  les 
«  progrès  de  Texarquat.  L'Etat  bulgare  arrivera  toujours  à  assi- 
«  miler  les  populations  qui  lui  seront  confiées.  L'exarquat  au 
«  contraire  a  été  établi  à  Nisch  et  dans  la  Dobroudja.  Or,  Nisch 
«  est  serbe  et  la  Dobroudja  est  roumaine.  En  tout  cas,  nous  ne 
«  voulons  plus  entendre  parler  de  l'agitation  en  Macédoine.  Elle 
«  nous  fait  un  tort  considérable.  Elle  nous  discrédite  auprès 
«  des  puissances,  a 

Alors,  les  Bulgares  macédoniens,  pressés  d'agir,  prirent  une 
grave  résolution.  «  Nous  venons  de  nous  séparer,  me  disait 
<c  M.  Michaïlowsky,  de  nos  amis  les  Slaves  du  centre  et  les  Slaves 
«  du  Nord  (il  aurait  pu  ajouter  :  et  du  gouvernement  bulgare). 
«  Ils  nous  disent  d'attendre.  La  patrie  est  aux  abois.  La  na- 
«  tion  serait  peut-être  anéantie,  quand  nos  amis  se  décideraient 
t  à  agir.  »  ^ 

L'Europe,  pour  s'assurer  la  paix,  préfère  paralyser  et  masquer 
une  cause  de  trouble  et  d'anarchie,  plutôt  que  de  la  faire  cou- 
rageusement disparaître.  Se  rendant  compte  qu'ils  ne  peuvent 
rien  sans  l'Europe,  les  Bulgares  macédoniens  prétendent  lui 
poser  ce  dilemme  :  ou  la  liberté  en  Macédoine,  ou  des  troubles 
qu'on  n'arrivera  pas  à  limiter  aux  Balkans. 


Bené  Henry. 


LA  QUESTION    DU  MAROC 


Les  événements  du  Maroc  suivent  un  cours  capricieux  et 
parfois  surprenant,  mais  tel  que  le  prévoyaient  tous  ceux  qui 
sont  quelque  peu  au  courant  de  l'anarchie  dans  laquelle 
s'enlise  le  pouvoir  chérifien  sous  la  poussée  anglaise;  cette 
incohérence  des  faits  ne  peut  déconcerter  que  ceux  qui  s'atten- 
dent à  trouver  dans  la  succession  des  événements,  au  Maroc 
comme  ailleurs,  un  enchaînement  logique  et  régulier. 

Nous  avons  appris  successivement  que  la  mission  française, 
commandée  par  le  colonel  Saint-Julien  et  conduite  par  le  pre- 
mier secrétaire  de  la  Légation  de  France  avait  quitté  Tanger 
pour  se  rendre  à  Fez,  mais  avait  dû  s'arrêter  à  El-Ksar. 

Cet  arrêt,  explicable  tant  que  nous  supposions  le  départ  de  Fez 
des  Européens  et  du  baronnet  Mac  Lean,  chef  de  la  mission 
anglaise,  ne  Test  plus  guère  depuis  que  nous  savons  que  sir  Mac 
Lean  n'a  pas  quitté  le  sultan  ;  les  hypothèses  les  plus  diverses 
circulent  à  ce  sujet. 

Il  est  aussi  difficile  de  comprendre  pourquoi  les  dépt^ches 
annonçant  que  l'artillerie  du  sultan  a  été  capturée  par  Bou- 
Hamara  ne  disent  rien  du  sort  des  instructeurs  français;  le  si- 
lence que  Ton  garde  sur  leur  compte  laisse  supposer  que  cette 
artillerie  leur  avait  été  retirée,  mais  nous  ne  savons  ni  pour- 
quoi, ni  dans  quelles  circonstances  cette  marque  de  défaveur  a 
pu  se  produire. 

Nous  avons  appris  que  les  troubles  se  sont  étendus  jusqu'aux 
portes  de  Tanger,  forçant  les.  habitants  d'un  village  à  chercher 
refuge  chez  M.  Harris,  le  correspondant  du  Times, 

On  nous  informe  également  que  la  surexcitation  des  Zemmour 
augmente,  que  la  route  de  Fez  à  Rabat  est  coupée  par  le  soulève- 
ment des  tribus,  et  cela  paraît  infirmer  les  renseignements 
d'après  lesquels  les  principaux  contingents  du  sultan  auraient 
été  levés  dans  cette  tribu  insurgée  la  veille.  D'ailleurs,  on  donne 
des  nouvelles  fâcheuses  touchant  le  peu  de  solidité  de  ces  con- 
tingents qui  sont  rassemblés  à  Fez  au  nombre  de  i5  à 
20.000  hommes. 


106  QUKSTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

Vers  TEst  et  dans  le  voisinage  de  la  frontière  algérienne,  les 
dépêches  indiquent  que  Bou-Hamara  entretient  des  intelli- 
gences avec  Bou-Amama,  notre  vieil  adversaire,  dont  rinlluence 
grandit  ainsi  ;  on  assure  également  qu'aux  portes  d'Oudjda, 
comme  aux  portes  de  Figuig,  l'agitateur  envoie  des  émissaires 
destinés  à  recueillir  Tadhésion  des  tribus. 

On  annonce  enfin  que  Mouley  Mohammed  le  Borgne,  frère  du 
sultan,  enfermé  à  Mequinez,  et  que  ce  dernier  avait  dû  précipi- 
tamment mettre  en  liberté  afin  de  créer  une  diversion  en  parais- 
sant utiliser  les  services  de  celui  que  la  révolte  acclamait  comme 
le  sultan  de  demain,  a  été  mis  de  nouveau  en  prison  à  Fez.  De 
récentes  dépêches  annoncent,  au  contraire,  qu'il  est  mis  à  la 
tête  de  Tune  des  colonnes  qui  marchent  contre  le  prétendant. 

En  résumé,  et  tout  en  faisant  la  part  des  fausses  nouvelles,  qui 
nous  viennent  surtout  de  Madrid  en  ce  moment,  il  semble  que 
la  totalité  du  Bled-Siba,  depuis  le  jour  où  Bou-Hamara  a  envoyé 
des  émissaires  jusqu'au  Sous,  au  Tafilet  et  au  Uif,  est  en  état 
de  révolte  au  moins  latente,  et  trouve  dans  les  événements 
actuels  un. motif  de  cohésion  bien  inattendu  pour  tous  ceux 
qui  connaissent  l'état  divisé  et  anarchique  de  ces  régions. 

Il  semble  en  revanche  que  la  partie  du  Maroc  qui  constitue  le 
Bled-Maghzen  se  divise,  et  que  le  sultan  a  eu  une  certaine  peine 
à  mettre  en  mouvement  ses  provinces  habituellement  fidèles. 

Si  Ion  s'arrêtait  à  ces  aspects  généraux  de  la  situation  : 
union  des  différents  éléments  berbères,  Ritfains,  Beraber  et 
Chleuh,  qui  constituent  presque  l'intégralité  du  Bled-Siba,  en 
face  de  la  désunion  du  pays  Maglizen,  Berbères  soumis  ou  ara- 
bisés etCheurfa,  on  serait  tenté  d'en  conclure  que  la  ruine  du 
sultan  est  inévitable,  et  que  le  succès  de  Bou-Hamara  est  certain. 

Il  est  difficile  de  le  faire.  Cette  cohésion  politique  des  uns 
n'entraîne  pas  nécessairement  la  cohésion  des  efforts  militaires 
des  contingents  envoyés  par  les  tribus,  et  d'autre  part,  la 
désunion  du  Maghzen  ne  rend  pas  inévitables  la  défaite  des 
troupes  du  sultan  et  l'occupation  de  Fez. 

La  prise  de  Fez  est  une  opération  difficile  pour  des  tribus 
mal  armées  ;  d'ailleurs  les  ressources  en  argent  ne  manquent  pas 
au  sultan  pour  acheter  les  consciences.  Nous  apprendrions, 
un  de  ces  jours,  ou  sa  mort  ou  celle  de  son  frère,  que  la  situa- 
tion politique  serait  seulement  modifiée  suivant  l'impression 
que  le  sultan  ou  son  successeur  auront  gardée  des  sentiments 
et  de  l'attitude  de  certaines  puissances,  durant  la  crise. 

Notre  conduite  doit  être  déterminée  par  cette  seule  considé- 
ration. Ainsi  que  nous  l'avons  toujours  pensé,  notre  poli- 
tique au  Maroc  doit  être  d'éviter  tout  ce  qui  peut  favoriser 


r 


LA  QUESTION   DU  MAROC  107 

faction  des  puissaaces  étrangères  dans  ce  pays,  ou  leur  union 
concertée  à  son  sujet;  et  réciproquement,  de  prouver  en  toutes 
circonstances  au  sultan  que  nous  sommes  les  protecteurs  natu- 
rels de  son  indépendance  et  de  sa  puissance. 

Nous  reproduisons,  à  ce  sujtt,  une  note  publiée  par  l'agence 
Paris-Nouvelles^  et  qui  vise  une  entente  anglo-espagnole  éven- 
tuelle : 

i<  Le  journal  El  Pais  prétend  que  la  Grande-Bretagne  désire 
«  une  entente  complète  avec  l'Espagne  concernant  les  affaires 
<^  du  Maroc  ;  les  négociations  seraient  commencées. 

«  L'Angleterre  propose  un  accord  stipulant  que  les  garnisons 
«  d'AIgésiras,  Tarifa,  Ceuta  et  Melilla  seront  renforcées,  et  au 
«  dernier  moment,  une  escadre  combinée  des  deux  puissances 
«  serait  envoyée  à  Tanger. 

«  Le  vice-amiral  Camaro  recevra  des  instructions  concernant 
«  les  vaisseaux  espagnols  disponibles.  » 

Cette    information,  comme  on   pouvait  s'y   attendre,  a  été 
immédiatement  démentie  par  les  agences  officieuses  de  Madrid. 
Est-ce  une  raison  suffisante  pour  croire  qu'il  n'y  avait  aucune 
réalité  dans  cette  information?  N'est-on  pas  en  droit  de  la  consi- 
dérer comme  une  sorte  de  ballon  d'essai?  Quoi  qu'il  en  soit,  il 
y  a  là  un  ordre  d'éventualités  qui  doit  être  surveillé  très  atten- 
tivenaent    par  notre  gouvernement,  car  si  quelque  semblable 
accord  venait  à  se  produire,  il  y  aurait  lieu  d'aviser  sans  re- 
tard :  la   situation  comporterait  alors,  de  notre  part,  des  déci- 
sions immédiates. 


X. 


NOTRE    ENQUETE 

SUA 

LES    AFFAIRES     DE     SIAM 


OPINIONS 


DE   M.    G.    ChASTENCT,   d'un   C0LLAB0RATEi:i\    d'ExTRÊME-OrIENT,    DE 

M.  Robert  de  Caix  {Journal  des  Débats),  —  Protestation 
des  écrivains  militaires,  maritimes  et  coloniaux. 


i 


Comme  on  l'a  vu,  notre  enquête  sur  le  traité  du  7  octobre  nous  a  valu 
de  nombreuses  adhésions  à  la  politique  que  nous  avons  toujours  préco- 
nisée en  cette  occasion.  Nous  reproduisons  aujourd'hui  deux  nouvelles 
lettres  auxquelles  nous  croyons  devoir  joindre  la  correspondance  si 
intéressante  également  que  M.  Robert  de  Caix  vient  d'adresser  au  Journal 
des  Débats,  Enfin  nous  sommes  heureux  de  pouvoir  ajouter  à  ces  divers 
documents  l'énergique  protestation  rédigée  par  le  comité  de  l'Association 
des  journalistes  militaires,  maritimes  et  coloniaux  et  destinée  par  lui  aux 
membres  du  Parlement. 

Il  nous  semble  qu'ainsi  se  trouve  définitivement  établie  la  démonstra- 
tion que  nous  nous  étions  proposé  de  faire  dès  le  lendemain  de  la  signa* 
ture  du  traité,  c'est-à-dire  que  la  convention  est  mauvaise»  inutile,  dan- 
gereuse même  et  que  sa  ratification  par  le  Parlement  serait  une  lourde 

faute. 

N.  D.  L.  R. 

LETTRE  DE  M.  G.  GHASTENET 

Monsieur  le  Directeur, 

Vous  me  demandez  mon  opinion  au  sujet  du  traité  du 
7  octobre  1902. 

J'ai  trop  de  conliance  dans  la  compétence  et  l'habileté  de  notre 
ministre  des  Affaires  étrangères  pour  ne  pas  craindre,  en  pre- 
nant dès  à  présent  position ,  de  risquer  un  jugement  téméraire. 

Sans  doute,  à  examiner  ce  traité  comme  un  marché  ordinaire, 
et  pour  ainsi  dire  dans  sa  matérialité  et  ses  résultats  immédiats, 
la  balance  des  abandonnements  réciproques  paraît  peu  à  notre 
avantage. 

Au  seul  point  de  vue  territorial,  c'est  au  plus  si  Ion  peut  pré- 
tendre que  les  provinces   de  Bassac  et  de  Mélou-prey,  insa- 


NOTRE  ENQUÊTE   SUR  LES   AFFAIRES  DE   SIAM  109 

lubres  et  peu  fertiles,  compensent  nos  droits  sur  Angkor  et 
Battambang. 

Nous  renonçons  en  outre  aux  positions  stratégiques  d'où, 
constamment  en  éveil  sur  les  menées  perfides  et  sourdement 
agressives  de  la  cour  de  Bangkok,  nous  pouvions  du  moins 
peser  sur  elle  par  la  menace  d'une  action  toujours  prête  ;  nous 
acceptons  la  suppression  de  la  zone  neutre  établie  par  la  conven- 
tion de  1893  sur  la  rive  droite  du  Mékong;  nous  admettons  une 
définition  restrictive  de  notre  droit  de  protection  sur  les  sujets 
chinois,  cambodgiens  et  annamites;  nous  consentons  enfin  à 
évacuer  Chantaboun. 

Toutes  ces  concessions  ne  se  peuvent  apparemment  expliquer 
que  par  les  sentiments  les  plus  conciliants  et  dans  le  sens  d'une 
politique  d'entente  et  d'amitié. 

Il  semble  bien,  en  effet,  qu'une  telle  politique  ne  pouvait  être 
sincèrement  inaugurée  tant  que  dureraient  les  rapports  créés 
entre  les  deux  pays  par  le  traité  de  1893.  Le  Siam  y  voyait 
une  humiliation  et  une  menace  permanentes. 

Il  s'en  vengeait,  à  la  manière  des  faibles,  en  s'efforçant  de  nous 
susciter  des  rivaux,  en  proscrivant  les  Français  de  son  adminis- 
tration et  en  livrant  son  armée  et  sa  flotte  à  des  officiers  anglais 
ou  japonais.  Ne  fallait-il  pas  en  finir  et  substituer  à  une  situa- 
tion aussi  fausse  et  aussi  irritante  un  nouvel  état  de  choses, 
dans  lequel  notre  influence  se  relèverait  et  se  développerait  en 
un  concours  réciproque  de  bonnes  volontés  ? 

Mais  d'autre  part,  n'est-ce  pas  un  leurre  de  désarmer  et  de 
renoncer  à  l'avantage  du  terrain,  pour  tenter  d'arriver  à  une 
entente  loyale  avec  un  peuple,  ou  plutôt  avec  un  souverain, 
qui  nous  a  donné  tant  de  preuves  d'hostilité  et  de  mauvaise  foi  ? 

Entre  les  deux  méthodes,  l'une  de  contrainte,  l'autre  de  per- 
suasion, grande  est  la  difficulté  de  choisir. 

Le  texte  du  traité  qu'il  a  soumis  au  Parlement  montre  dans 
quel  sens  a  penché  l'honorable  M.  Delcassé. 

Il  nous  fournira  ses  raisons,  et  on  doit  espérer  qu'il  nous 
apj)ortera  quelque  chose  de  plus  que  ce  que  le  texte  du  traité 
paraît  nous  donner. 

Mais  est-il  bien  sûr,  ou  seulement  probable,  que  le  ministre 
nous  fera  connaître  toutes  ses  raisons? 

Souvent  en  effet  la  diplomatie  a  des  raisons  que  la  raison  ne 
doit  pas  livrer  aux  commentaires,  et  l'opinion  ignorante  des 
difficultés  ne  se  prononce  presque  toujours  que  d'après  les 
résultats.  '     ' 

Du  nioinSjéclairées  par  leur  patriotisme, nos  Chambres  françai- 
ses ont  montré  qu'elles  avaient  le  juste  sentiment  des  conditions 


iiO  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLOtOALES 

dans  lesquelles  doit  s'exercer  l'action  diplomatique  d'un  pays. 

Alors  que,  dans  d'autres  circonstances,  elles  s'étaient  montrées 
plus  ombrageuses  et  plus  susceptibles,  elles  ont,  au  contraire, 
accordé  à  tous  les  ministres  qui  se  sont  succédé  au  quai  d'Or- 
say un  large  crédit  presque  sans  contrôle. 

Mais  ce  qui  fait  Fautorité  d'un  ministre,  fait  aussi  sa  respon- 
sabilité. 

G.  Chastenet, 

Député  de  la  Gironde. 

LETTRE  DUN  COLLABORATEUR  DEXTRjfiiME- ORIENT 

Monsieur  le  Directeur, 

Comme  la  presque  unanimité  de  ceux  dont  vous  avez  déjà 
recueilli  les  avis,  mon  opinion  très  nette  est  que  le  nouveau 
traité  n'a  rien  d'avantageux  pour  nous  ;  et  quand  je  le  compare 
à  celui  de  1893,  il  prend  à  mes  yeux  l'aspect  d'une  véritable 
reculade.  Mais  j'estime  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  m'étendre  sur  ce 
point,  car  je  ne  pourrais  que  répéter  à  vos  lecteurs  les  raisons 
déjà  énumérées  et  très  probantes  qui  justifient  cette  manière  de 
voir. 

Plus  que  les  clauses  elles-mêmes  de  la  nouvelle  convention, 
ce  qui  me  frappe  et  ce  qui  me  choque,  c'est  la  nécessité  où  nous 
nous  trouvons  de  recommencer  si  fréquemment  avec  le  Siam 
—  le  dernier  Livre  jaune  en  fait  foi  —  des  négociations  qui  ont 
pour  but  de  modifier  les  traités  qu'il  a  signés  avec  nous  et  qu'il 
déclare  ne  pouvoir  exécuter. 

On  fonde  grand  espoir,  pour  transformer  un  état  de  choses 
que  notre  gouvernement  avoue  peu  favorable  à  nos  intérêts, 
sur  la  bonne  volonté  dont  nous  ferions  preuve  si  le  Parlement 
ratifiait  la  convention  du  7  octobre  dernier.  11  me  semble  cepen- 
dant que,  dans  la  période  qui  s'est  écoulée  depuis  la  signature 
du  traité  d'octobre  1893,  si  nous  avons  péché  par  quelque  point, 
ce  ne  peut  être  par  manque  de  bonne  volonté.  Je  ne  vois 
aucune  raison  pour  que  cette  attitude  ait  dans  ra\^enir  de  meil- 
It^urs  effets  que  par  le  passé.  J'en  vois  d'autant  moins  que  nos 
heureux  rivaux  dans  la  vallée  de  la  Ménam  ont  basé  leurs 
succès  sur  une  manière  de  faire  très  différente  de  la  nôtre  : 
pour  avoir  mis  la  main,  d'une  façon  plus  ou  moins  dissimulée, 
sur  un  état  vassal  du  Siam,  ils  ne  paraissent  pas  être  plus  mal 
vus  à  Bangkok  et  tout  au  contraire  y  sont  aussi  respectés"  que 
pur  le  passé. 

Le  public  français  peut  trouver  étrange,  au  premier  abord, 
que  le  Siam  se  jette  ainsi  dans  les  bras  de  l'Angleterre  qui  peu 


NOTRE  ENQUÊTE  SUR  LES  AFFAIRES  DE   SIAM  lit 

à  peu  domine  son  administration,  accapare  ses  services  publics, 
et  le  dépouille  de  ses  états.  Si  Ton  y  réfléchit,  cette  conduite 
semble  logique,  ou,  du  moins,  l'on  comprend  qu'entre  deux 
maux  le  Siam  ait  choisi  celui  qu'il  estimait  le  moins  grave. 

Pris  comme  dans  un  étau  entre  les  possessions  coloniales  de 
deux  grandes  puissances  rivales,  sa  finesse  asiatique  ne  lui  a 
pas  caché  qu'il  était  incapable  de  résister  simultanément  aux 
entreprises  de  ses  voisins.  Mais  l'un  d'eux  lui  ayant  offert  de  le 
soutenir  contre  l'autre,  il  n'a  pas  tardé  à  accepter  cet  appui, 
quelque  onéreux  qu'il  dût  être,  car  je  ne  crois  pas  qu'il  se  fît 
grande  illusion  à  ce  sujet. 

L'Angleterre  en  effet  proclame  hautement  qu'elle  est  prête 
à  soutenir,  matériellement  au  besoin,  les  petits  Etats  qui 
s'adressent  à  elle,  tandis  que  le  renom  de  la  France  est  à  cet 
égard  moins  grand,  en  Extrême-Orient  comme  en  d'autres 
régions  du  globe  :  les  discours  de  nos  gouvernants  ne  laissent- 
ils  pas  à  penser  que  nous  désirons  la  paix  à  tout  prix? 
A  diverses  reprises  le  Siam  a  pu  constater  que  nous  hésitions  à 
heurter  l'hostilité  britannique.  Dés  lors  ses  hésitations  cessèrent 
et  son  parti  fut  pris.  Il  devint  délibérément  notre  ennemi,  et  je 
suis  convaincu  que  toutes  les  manifestations  de  notre. bonne 
volonté,  quelque  grande  que  soit  celle-ci,  ne  changeront  rien  à 
cet  état  de  choàes  :  au  contraire. 

Ma  conclusion  est  très  nette  :  Quels  que  soient  nos  traités 
avec  cette  petite  puissance  asiatique,  notre  situation  au  Siam 
ne  pourra  qu'empirer  tant  que  nous  ne  modifierons  pas  du  tout 
au  tout  notre  attitude  et  notre  politique  à  son  égard. 

Un  Collaborateur  d'Extrême-Orient. 


CORRESPONDANCE  DE  M.  ROBERT  DE  GAIX 

au  Journal  des  Débats, 

Bangkok,  le  4  décembre. 

Tout  un  faisceau  d'intérêts  étrangers  se  concentre  à  Bangkok,  c'est-à- 
dire  que  les  nouvelles  y  affluent  :  à  peine  est-on  débarqué  que  l'on  apprend 
des?  faits  intéressants,  bien  avant  de  pouvoir  prétendre  tenter  de  faire  un 
tal)leau  d'ensemble  de  cette  prodigieuse  fourmilière.  On  se  préoccupe  assez 
ici,  surtout  dans  certains  milieux  commerciaux  allemands  et  danois 
directement  intéressés,  de  la  politique  active  menée  par  les  Anglais  dans 
le  Malacca  siamois.  Tout  ce  qu'on  a  publié  il  y  a  quelques  semaines  sur 
raction  britannique  à  Kélantan  et  à  Trenganou  était  vrai  et  même  fort  en 
deçà  de  la  vérité,  malgré  tous  les  démentis  apaisants  qui  ont  été  publiés 
à  Londres. 

Il  est  parfaitement  exact  que  le  drapeau  siamois  a  été  amené  à  Kélantan 


112  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

et  remplacé  par  celui  du  sultan  local,  vassal  cependant  de  Bangkok.  Quel-^ 
que  temps  après,  le  gouverneur  de  Singapour  venait  à  bord  d'une  canon- 
nière sanctionner  par  sa  présence  ce  changement.  Il  l'accentuait  môme  en 
plaçant  auprès  du  sultan  un  fonctionnaire  britannique  qui  devait  prendre 
le  rôle  envahissant  d'une  sorle  de  maire  du  palais  joué  jusque-là  par  un 
résident  siamois.  Quant  aux  fameux  Sikhs,  signalés  par  le  télégramme 
Havas  qui  attira  tant  l'attention,  ils  se  trouvent  bien  à  Kélantan  et  à  Tren- 
ganou  :  la  seule  inexactitude  des  dépêches  aurait  été  la  modération  de  leurs 
statistiques.  Ces  soldats  anglo-indiens  ne  seraient  pas,  en  effet,  au  nombre 
de  trois  cents,  comme  on  l'avait  dit,  mais  bien  de  près  du  double.  Il  est 
vrai  qu'ils  sont  venus  discrètement,  par  petits  paquets,  former  ce  total  res~ 
pectable  et  qu'ils  sont  non  pas  au  service  anglais,  mais  à  celui  des  petits 
sultans  malais  dont  ils  forment  la  garde.  Mais  ce  sont  des  soldats  anglo- 
indiens,  commandés  par  des  oiïiciers  anglais  de  la  retirtd  Ust. 

Tels  sont  les  faits  accomplis  :  si  les  Anglais  ont  trouvé  un  terrain  favo- 
rable dans  les  sultanats  malais  où  on  préférait  l'ordre  britannique  au 
désordre  ruineux  et  arbitraire  des  Siamois,  la  situation  n'en  est  pas  moins 
fort  intéressante  et  instructive  pour  les  autres  voisins  du  Siam.  A  Bangkok, 
on  a,  il  est  vrai,  commencé  par  se  plaindre  doucement,  par  demander  à 
l'Angleterre  de  revenir  sur  les  mesures  prises  par  le  gouverneur  de  Singa- 
pour. Les  Anglais  ont  immédiatement  fait  comprendre  à  leurs  amis  qu'il 
valait  beaucoup  mieux  ne  pas  insister.  Ils  auraient  même  avisé  le  gou- 
vernement siamois  qu'ils  ne  répondaient  pas  des  conséquences  que  pour- 
rait avoir  l'envoi  de  navires  siamois  portant  des  soldats  aux  plages  des 
petits  sultanats  malais.  Bangkok  se  Test  tenu  pour  dit,  et  à  l'heure  actuelle, 
poursuit  amicalement  des  négociations  dont  l'issue  serait  la  consécration 
de  la  mainmise  britannique  sur  Kélantan  et  Trenganou. 

Voici,  en  effet,  quelles  seraient  les  bases  d'un  arrangement  dont  on 
annonce  la  conclusion  comme  imminente.  La  suzeraineté  siamoise  sur 
Kélantan  et  Trenganou  serait  reconnue,  mais  des  conseillers  anglais 
auraient  la  haute  main  sur  les  finances  et  l'administration  des  deux  sultans 
qui  conserveraient  du  reste  leur  garde  de  soldats  anglo-indiens.  Un  des 
conseillers  britanniques  déjà  désigné  serait  M.  Duff,  le  directeur  du  syndi- 
cat qui  a  dojà  la  haute  main  sur  toute  la  matière  exploitable  des  petits 
sultanats  malais.  Les  Anglais  s'arrangeraient  même  de  manière  à  assurer 
un  traitement  de  faveur  aux  marchandises  importées  via  Singapour,  au 
détriment  de  celles  qui  transitent  au  Malacca  siamois  en  passant  par  le 
centre  de  distribution  que  tend  à  devenir  Bangkok.  Les  marchands  de 
Singapour  se  plaignent  de  ce  que  les  articles  venant  de  Bangkok  entrent 
en  franchise  à  Kélantan  et  à  Trenganou.  Ils  voudraient  qu'ils  acquittassent 
un  droit  de  3  J[  ad  valorem  comme  les  produits  qui  arrivent  de  Singapour. 
Les  négociateurs  britanniques  soutiennent  leur  point  de  vue.  En  vain  le 
Siam  fait  observer  qu'on  prétend  en  réalité  lui  imposer  des  douanes  inté- 
rieures, que  les  articles  étrangers  importés  à  Trenganou  et  à  Kélantan  via 
Bangkok  ont  dt'^jà  payé  le  droit  de  douane  à  leur  entrée  sur  le  territoire 
siamois.  Exiger  un  nouveau  payement  à  leur  entrée  au  Malacca  serait 
les  taxer  de  C  %  alors  que  les  marchandises  venant  de  Singapour  ne 
payeront  que  3  %.  Il  faudra  donc  mettre  dans  un  grand  état  d'infériorité  le- 
commerce  de  Bangkok  ou  instituer  tout  un  système  difficile,  encombrant. 


NOTRE  ENQUÊTE  SUR  LBS  AFFAIRES  DE  SIAM  113 

(Je  passe-debout  ou  de  ristournes.  Cependant,  rien  n'y  fait,  et  devant  la 
volonté  arrêtée  des  négociateurs  britanniques,  le  Siam  devrait  s'incliner  et 
>e  soumettre,  dans  le  prochain  arrangement,  à  la  prétention  de  Singapour. 
Peut-être  les  Anglais  ne  se- sentent- ils  pas  une  sollicitude  extrême  pour 
un  centre  de  distribution  où  tend  à  dominer  le  commerce  allemand,  comme 
U»  prouve  un  premier  coup  d*œil  sur  les  navires  rencontrés  par  le  voyageur 
oui  remonte  jusqu'à  la  capitale  les  eaux  surpeuplées  de  laMénam.Nous 
navons  pas  à  résoudre  ce  problème  et  notre  pays  n'a  guère  à  se  préoccu- 
per du  traitement,  même  commercial,  que  le  gouvernement  anglais  fera 
>uhir  au  Malacca  siamois.  Nos  intérêts  économiques  y  sont  nuls  :  peut-être 
le  seraient-ils  moins  si  le  gouvernement  siamois  n'avait  systématiquement 
ivfasé,  là  comme  ailleurs,  les  concessions  que  demandaient  nos  nationaux  ; 
n»ais,  ici,  nous  avons  à  nous  soucier  du  fait  incontestable  l>ien  plus  que 
de  ses  causes.  D'autre  part,  depuis  la  déclaration  anglo- française  du 
1."  janvier  1896,  nous  n'avons  plus  à  nous  préoccuper  du  respect  ou  de  la 
vùilation  de  la  souveraineté  siamoise  dans  les  sultanats  malais  vassaux  de 
îiangkok.  L'action  britannique  à  Kélantan  et  à  Trenganou  nous  intéresse 
surtout  comme  une  indication  et  comme  un  exemple.  Elle  prouve  que, 
j>atieiiiinent,  la  mainmise  des  Anglais  sur  le  Malacca  siamois,  réservé  à 
leur  influence  par  la  Déclaration  de  1896,  s'étend  et  que  Singapour  marche 
•^arjïi  trêve  à  la  rencontre  de  la  Birmanie  britannique.  Mais  ce  qui  se  fait 
ch^^z  les  petits  sultans  malais  peut  se  faire  chez  les  principicules  laotiens 
ce  la  rive  droite  du  Mékong.  Les  griefs  des  populations  sont  les  mêmes, 
la  supériorité  de  la  puissance  européenne  voisine  n'est  pas  moins  grande. 
Lt^s  mêmes  mesures  peuvent  être  prises  pour  exercer  Tinfluence  nécessaire 
-ans  porter  une  atteinte  plus  grave  aux  droits  du  gouvernement  de 
Bangkok.  Si  ce  dernier  voit  d'un  œil  amical  certaine  action  au  Sud-Ouest 
de  ses  domaines,  il  ne  saurait  être  plus  malveillant  pour  une  action  iden-  . 
îlijue  qui  s'exercerait  au  Nord-Est,. ou  bien  alors  c'est  une  duperie  que  de 
rechercher  avec  zèle  son  amitié.  Un  usage  discret,  mais  sensible  de  la 
:\.Tce  a  beaucoup  contribué,  en  dehors  même  du  travail  d'absorption  que 
p^iursuit  l'Angleterre  sur  toute  la  jeune  aristocratie  siamoise  de  plus  en 
plus  anglicisée,  à  affermir  les  excellents  sentiments  du  Siam  à  son  égard. 
Les  derniers  événements  sont  une  nouvelle  preuve  de  l'excellence  de  sa 
iiiéthode.  Partout  un  peu  d'autorité  influe  heureusement  sur  les  sentiments  : 
Ir-s  grands  pédagogues  l'ont  toujours  su  et  cette  vérité  est  plus  vraie  encore 
lorsqu'elle  s'applique  aux  races  très  souples  qui  habitent  sous  le  ciel  dissol- 
vant de  cette  Asie  tropicale. 

R0BE1{T   DE   CaIX. 

proxestahon  de  l'association  professionnelle 
dksiëcrivainset  publigistes  militaires  mari- 

TUftSS  ET  COLONIAUX. 

Après  avoir  examiné  à  fond  les  diverses  clauses  du  projet  de  traité  du 
T  octobre  1902  avec  le  gouvernement  siamois,  le  Comité  de  l'Association 
a  é  mi  ri  à  r unanimité  l'avis  suivant  : 

Le  traité  soumis  à  la  ratification  du  Parlement  fait  perdre  à 
la    France  un    territoire   de   61.300   kilomètres    carrés  ;    les 

QnmsT.  OiPL.  »T  Col.  —  t.  xv.  8 


114  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   GOLOffULES 

12.300  kilomètres  carrés  qu'il  semble  rendre  à  notre  domina- 
tion appartenaient  déjà  au  roi  de  Cambodge,  notre  protégé  : 
contre  des  avantages  illusoires  nous  abandonnons  une  partie 
du  royaume  de  Luang-prabang,  la  zone  neutre  de  la  rive  droite 
du  Mékong,  la  zone  neutre  de  Battambang  et  Angkor,  Chanta- 
boun,  nos  casernes,  nos  forts,  tous  les  bénéfices  d'une  occupa- 
tion de  neuf  années,  15  millions  de  francs  dépensés  pour  cette 
occupation. 

Si  le  traité  du  7  octobre  dernier  devenait  définitif,  nous  per- 
drions notre  droit  exclusif  de  navigation  sur  le  Mékong  qui. 
ouvert  aux  Siamois,  ne  tarderait  pas,  à  la  suite  de  concessions 
inévitables,  à  devenir  une  voie  d'eau  internationale,  ce  à  quoi 
le  gouvernement  français  s'est  toujours  énergiquement  opposé 
depuis  le  jour  de  loccupation  de  Saigon. 

Dans  un  avenir  désormais  rapproché,  lorsque  les  Siamois 
auront  construit  le  chemin  de  fer  de  Battambang  à  Bangkok, 
tout  le  commerce  des  riz  et  du  poisson  serait  détourné  de  sa 
voie  naturelle  par  Saigon  pour  être  dirigé  sur  la  vallée  de 
Ménam.  Ce  serait  un  préjudice  énorme  causé  au  commerce 
cochinchinois. 

Battambang  deviendrait  un  centre  de  contrebande  pour 
l'introduction  des  cotonnades  anglaises  se  substituant  aux 
cotonnades  françaises  ;  il  deviendrait  impossible  d'empêcher  la 
fraude  sur  cette  marchandise  d'un  prix  considérable. 

Cela  est  si  vrai,  qu'en  1882,  six  mois  après  l'établissement 
de  la  régie  en  Basse-Cochinchine,  nous  fûmes  obligés  de 
demander  au  roi  du  Cambodge  la  constitution  d'une  zone 
neutre,  pour  nous  permettre  de  suivre  les  contrebandiers. 

Aujourd'hui,  le  Cambodge,  au  point  de  vue  fiscal,  est  entré 
sous  l'administration  coloniale  ;  les  mêmes  faits  sur  sa  fron- 
tière siamoise  se  produiraient,  avec  la  différence  que  le  roi 
Norodom  était  notre  vassal,  tandis  que  le  roi  du  Siam  est 
indépendant. 

Au  point  de  vue  militaire,  il  y  aurait  un  véritable  péril  à 
permettre  aux  Siamois  de  s'établir  sur  les  bords  du  Grand 
Lac;  c'est  de  là,  en  effet,  qu'en  cas  de  guerre,  partirait  une 
expédition  qui  prendrait  à  revers  toutes  nos  défenses. 

En  ce  qui  touche  notre  influence  dans  les  pays  d'Orient,  nous 
nous  placerions  dans  la  plus  fâcheuse  posture.  Après  avoir 
accordé  notre  protection  aux  Laotiens,  aux  Cambodgiens  ainsi 
qu'aux  Chinois  immatriculés  dans  nos  consulats,  nous  aban- 
donnerions ces  Asiatiques  à  toutes  les  représailles  du  gouverne- 
ment siamois,  qui  les  punirait  d'avoir  eu  foi  en  la  France,  en 
les  ruinant  et  les  accablant  de  mauvais  traitements. 


NOTRE   ENQUÊTE   SUR  LES  AFFAIRES  DE   SIAM  115 

En  conséquence,  le  Comité  de  l'Association  des  écrivains  et 
publieistes  militaires  maritimes  et  coloniaux  sans  distinction 
de  parti  ou  d'opinions  politiques  estime  que  le  projet  de  traité 
conclu  le  7  octobre  dernier  avec  le  gouvernement  siamois  est 
contraire  aux  intérêts  et  à  la  dignité  de  la  France  et  de 
nature  à  lui  faire  perdre  son  prestige  vis-à-vis  de  nos  sujets 
iDdo-chinois  et  de  nos  protégés  asiatiques;  qu'en  réponse  aux 
mauvais  procédés  dont  la  cour  de  Bangkok  n'a  cessé  d'abreuver 
nos  agents,  ledit  traité  concède  au  Siam  des  avantages  de 
toute  nature  que  ce  pays  aurait  à  peine  obtenus  après  une 
campagne  victorieuse. 

Le  Comité  émet  le  vœu  que  ce  traité  ne  soit  pas  ratifié  par 
le  Parlement. 

Il  décide  que  sa  délibération  relative  au  traité  franco-siamois 
■^era  envoyée  individuellement  à  tous  les  membres  du  Sénat 
et  de  la  Chambre  des  députés. 

Pour  le  Comité  : 

Le  président  y 
Henry  Houssaye. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES 


h 


I.  —  EUROPE. 

France.  —  Nos  forces  navales  de  T  Extrême-Orient  et  de  H  Atlantique.  — 
Au  mois  d'avril  dernier,  M.  de  Lanessan  réorganisait  nos  forces 
navales  des  mers  d'Exlrème-Orient  et  de  Tocéan  Atlantique.  C'était 
une  conception  nouvelle  de  la  répartition  de  nos  escadres. 

Dans  les  mers  de  Chine,  il  réunissait,  sous  l'autorité  d'un  même 
commandant  en  chef,  l'escadre  d'Extrême-Orient  et  les  divisions 
navales  du  Pacifique  et  de  Tocéan  Indien,  dans  le  but  de  former  une 
importante  force  navale  de  douze  croiseurs  répartis  en  deux  divi- 
sions, dont  une  volante,  l'autre  restant  dans  les  mers  de  Chine.  En 
même  temps,  il  créait  une  division  cuirassée  de  réserve  à  Saïgon 
et  établissait  des  défenses  locales  au  moyen  de  petites  canonnières. 
Dans  l'Atlantique,  la  division  navale  de  l'Atlantique  et  la  division  de 
Terre-Neuve  et  d'Islande  étaient  réunies  à  l'escadre  du  Nord  qui  pre- 
nait le  nom  de  «  force  navale  de  l'Atlantique  ».  Le  but  de  cette  réorgani- 
sation était  de  restreindre  l'éparpillement  des  unités  de  combat  et 
d'en  former  des  forces  présentant  une  valeur  militaire. 

La  conception  nouvelle  était-elle  bonne?  On  nef  pouvait  le  voir, 
expose  le  Temps  dans  un  article  très  étudié,  qu'à  l'expérience,  et 
son  application  n'a  duré  que  six  mois,  et  l'essai  n'en  a  pas  été  fait 
avec  toute  l'impartialité  possible,  soit  en  raison  des  circonstances 
imprévues,  soit  en  raison  des  vues  différentes  du  successeur  de 
M.  de  Lanessan  sur  l'utilisation  des  forces  navales.  Le  30  décembre 
en  effet,  a  paru  au  Journal  officiel  un  décret  qui  rapporte  purement  et 
simplement  les  mesures  prises  il  y  a  quelques  mois. 

Les  motifs  de  ce  décret  sont  exposés  dans  un  rapport  dont  les  rai- 
sons ne  sont  pas  convaincantes.  On  y  déclare  que  nos  bâtiments  dans 
ces  mers  lointaines  pourraient  constituer  difficilement  en  cas  de 
guerre  de  véritables  forces  de  combat  et  que  chacun  d'eux,  isolé,  ne 
pourrait  affronter  la  lutte  que  dans  des  cas  exceptionnels;  on  n'en 
a  jamais  disconvenu  et  c'est  pour  cela  que  l'organisation  supprimée 
aujourd'hui  voulait  les  grouper  et  en  former  un  faisceau  solide. 
La  subordination  des  chefs  des  divisions  au  commandant  en  chef 


ï 


RlilNSEIGNEMEiNTS   POLITIQUES  117 

de  Tescadre  est  indiquée  dans  le  rapport  comme  difficile  à  réaliser 
en  raison  de  réloignement.  Mais  croit-on  que  les  opérations  d'un 
navire  dans  Tocéan  Pacifique  seront  mieux  dirigées  de  Paris  que  de 
Saigon?  Cependant  le  rapport,  pour  démontrer  le  bien-fondé  de  cçtle 
opinion,  dit  que  lorsque  la  catastrophe  de  la  Martinique  eut  amené  le 
renforcement  de  la  division  stationnée  aux  Antilles,  c'est  du  centre 
du  gouvernement  et  non  du  commandant  en  chef  de  la  force  navale 
de  FAllanlique  qu'est  partie  la  direction.  L'exemple  ne  vaut  pas 
dans  la  circonstance,  car  les  opérations  que  faisaient  les  croiseurs 
naviguant  aux  Antilles  n'avaient  aucun  rapport  avec  des  opérations 
de  guerre.  Si,  il  y  a  six  mois,  on  a  jugé  utile  la  réunion  de  forces 
navales  indépendantes  à  des  escadres,  c'est  en  vue  des  circonstances 
d'un  conQil  armé  où  une  direction  unique  est  essentiellement  dési- 
rable et  non  pour  faire  remplir  aux  croiseurs  un  rôle  de  navire- hôpi- 
tal, dans  des  événements  où  leur  valeur  militaire  n'avait  rien  à  voir. 

Les  raisons  exposées  par  le  rapport  ne  semblent  donc  pas  suffi- 
santes pour  amener  la  dislocation  de  forces  dont  une  trop  courte  expé- 
rience n'a  pas  permis  de  reconnaître  la  valeur  ou  les  inconvénients. 

Le  décret  dans  sa  concision  fait  table  rase  de  la  tentai ive  ;  le  rap- 
port nous  apprend  cependant  qu'on  laissera  survivre  la  division  cui- 
rassée de  réserve  de  Saïgon. 

Esi>agne.  —  Mort  de  M,  Sagasta.  —  La  mort  subite  de  M.  Sagasla, 
le  4  janvier,  au  lendemain  du  jour  où  il  venait  d'abandonner  le  pou- 
voir, a  causé  une  vive  émotion  en  Espagne  et  dans  toute  l'Europe. 
Certes  son  rôle  était  fini,  et  bien  que  restant  le  chef  nominal  du  parti 
des  libéraux,  M.  Sagasta  n'apparaissait  plus  comme  devant  avoir  une 
influence  active  sur  les  destinées  de  son  pays.  Mais  on  ne  saurait 
non  plus  oublier  les  services  signalés  qu'il  a  rendus  à  la  monarchie 
espagnole  et  pour  contre-coup  la  place  si  importante  qu'il  détient 
dans  notre  histoire  eontemporaine. 

Turquie.  —  La  question  des  Dardanelles,  —  La  question  d'Orient 
vient  de  se  réveiller  d'une  façon  assez  inattendue.  Le  6  janvier, 
Taoïbassade  anglaise  de  Constantinople  a  remis  à  la  Porte  une^^pro- 
teslalion  contre  l'autorisation  donnée  récemment  à  quatre  contre- 
torpilleurs  russes  de  traverser  les  Dardanelles  pour  gagner  la  mer 
Noire.  Le  gouvernement  britannique,  disait  la  note  diplomatique  de 
l'ambassadeur,  considère  que  ce  fait  constitue  une  violation  des 
traités  internationaux  aux  termes  desquels  le  détroit  est  fermé  aux 
navires  de  guerre  de  tous  les  pays;  il  prend  acte  de  l'autorisation 
accordéeaux  bâtiments  de  guerre  russes  ;  il  la  considère  comme  cons- 
tituant un  précédent  pour  le  jour  où  l'Angleterre  croirait  devoir  pré- 
senter une  demande  analogue. 


118  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Or,  il  convient  de  faire  remarquer  que  le  fait  dont  se  plaint  la 
Grande-Bretagne  remonte  au  22  septembre  dernier;  le  Foreign 
Office  a  pris  le  temps  de  la  réflexion  ;  en  outre,  il  importe  de  faire 
remarquer  que  la  Russie  n'a  été  autorisée  à  faire  passer  ses  torpil- 
leurs qu'après  des  négociations  assez  laborieuses  et  en  prenant 
l'engagement  de  les  désarmer,  de  sorte  que  la  Porte  pût  les  traiter 
comme  des  navires  de  commerce. 

Pourquoi,  à  Londres,  montre-t-on  aujourd'hui  pareille  émotion  ? 
Le  Daily  Oraphk  s'en  explique  d'une  façon  qui  semble  très  précise. 

Si  les  navires  de  guerre  russes,  battant  pavillon  commercial,  peuvent 
sortir  de  la  mer  Noire,  et  après  s'être  ravitaillés  à  Toulon,  rejoindre  l'es- 
cadre française  de  la  Méditerranée,  on  se  trouve,  dit-il»  en  présence  d'une 
situation  pleine  de  dangers  pour  l'Europe  et  surtout  pour  l'Angleterre. 
Nous  sommes  heureux  d'apprendre  que  lord  Lansdowne  ait  protesté 
contre  ce  fait,  et  nous  espérons  qu'il  recherchera  l'occasion  prochaine 
d'établir  les  droits  de  l'Angleterre  à  un  privilège  accordé  par  le  Sultan  aux 
navires  de  guerre  du  Tsar. 

Cette  explication  cependant,  pour  ingénieuse  qu'elle  soit,  ne  doit 
pas  être  prise  trop  à  la  lettre.  Ce  n'est  pas  un  péril  méditerranéen 
que  redoute  l'Angleterre.  Ses  préoccupations  sont  d'un  ordre  très 
différent  et  la  campagne  de  presse,  qui  a  suivi  l'annonce  de  la  protes- 
tation anglaise,  les  a  clairement  fait  ressortir. 

Ce  qui  inquiète  l'Angleterre,  c'est  l'influence  de  jour  en  jour  plus 
considérable  de  la  Russie  à  Constantinople.  Avec  l'assentiment  secret 
de  l'Allemagne,  qui  y  trouve  d'ailleurs  elle-même  son  avantage,  le 
gouvernement  du  Tsar  est,  en  effet,  en  train  d'imposer  à  la  Porte  une 
sorte  de  protectorat  moral  contre  lequel  la  Porte  n'a  pas  les  moyens 
effectifs  de  se  défendre.  Trop  longtemps  absorbée  par  ses  propres 
anxiétés,  l'Angleterre  a  dû  laisser  faire  la  Russie.  Mais  aujourd'hui, 
libre  de  toute  entrave,  elle  sort  de  son  Indifférence  forcée,  pour 
venir  à  la  rescousse  de  la  Porte  qui,  probablement,  n'en  est  pas 
f&chée. 

Ce  qui  montre  bien  que  l'action  de  l'Angleterre  vise  l'Allemagne 
tout  autant  que  la  Russie,  c'est  que  les  journaux  anglais,  sans 
attendre  les  commentaires  allemands,  ont  immédiatement  pris  à 
partie  le  gouvernement  allemand. 

Nous  savons  très  bien,  écrivait  le  Times  dès  le  6  janvier,  que  nous  ne 
devons  pas  compter  sur  le  concours  de  l'Allemagne. 

Jamais  l'Allemagne  n'a  employé  pour  des  objets  d'intérêt  général  pour 
l'Europe  l'influence  qu'elle  a  acquise  auprès  de  la  Porte.  Jamais  elle  ne 
fera  rien  qui  porte  atteinte  à  ses  bonnes  relations  avec  son  «  voisin 
d'Orient  »,  pour  prêter  assistance  à  l'Angleterre.  Dans  tous  nos  différends 
avec  la  Russie,  nous  pouvons  bien  compter  avoir  l'Allemagne  contre  nous. 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  119 

Le  Standard^  de  son  côté,  à  la  même  date,  n'était  pas  moins  acerbe 
pour  rAllemagne  ;  il  allait  mémo  jusqu'à  la  menace  : 

Depuis  quelque  temps,  écrivait-il,  en  effet,  l'Allemagne  affiche  à 
l'égard  du  Sultan  une  affection  qui  n'est  pas  complètement  désintéressée, 
puisqu'elle  a  déjà  procuré  aux  Allemands  de  profitables  concessions.  L'Al- 
lemagne désire  également  rester  en  bons  termes  avec  la  Russie,  aujour- 
d'hui surtout  que  des  arrangements  commerciaux  entre  les  deux  pays  vont 
devoir  être  renouvelés.  Les  ministres  de  Guillaume  II  cependant  feront 
bien  de  réfléchir  que  toutes  les  clauses  de  traités  internationaux  sont  obli- 
gatoires pour  les  puissances  signataires.  Le  gouvernement  allemand  a 
signé  le  traité  de  i871,  qui  a  expressément  maintenu  le  principe  de  la  clô- 
ture des  détroits. S'il  s'avise  de  dire  aujourd'hui  qu'il  ne  veut  plus  se  préoc 
cuper  des  Dardanelles,  nous  pourrons,  de  notre  côté,  imiter  cette  politique 
d'abstention  sur  d'autres  sujets  qui  lui  tiennent  de  très  près. 

Il  est  juste  de  reconnaître  que  les  journaux  allemands  se  sont  em- 
pressés de  payer  les  journaux  anglais  de  retour.  Le  Nouvelliste  de 
Hambourg  écrivait  en  effet  à  la  date  du  9  janvier  : 

La  presse  anglaise  mène  grand  bruit  à  propos  de  ce  qu'elle  appelle  une 
grave  violation  des  traités  qui  ferment  les  Dardanelles  et  le  Bosphore  aux 
bâtiments  de  guerre  de  toutes  les  nations.  Elle  insiste  sur  ce  point  que  si 
des  bâtimeuts  de  guerre  russes  peuvent,  en  arborant  le  pavillon  de  com- 
merce, quitter,  sans  être  inquiétés,  la  mer  Noire  pour  ensuite,  après  un 
nouvel  armement,  se  joindre  à  Fescadre  française  de  la  Méditerranée,  il  en 
résulte  une  situation  dangereuse  pour  l'Europe,  et  en  particulier,  pour 
l'Angleterre.  Aussi,  les  journaux  anglais  expriment-ils  l'espoir  que  lord 
Lansdowne  saisira  la  première  occasion  qui  s'offrira  à  lui  pour  faire  préva- 
loir les  droits  de  l'Angleterre  contre  le  privilège  que  le  Sultan  a  eu  la  fai- 
blesse^d'accorder  aux  bâtiments  de  guerre  du  Tsar.  Nous  doutons  fort  ((u'une 
pareille  démarche,  de  la  part  de  l'Angleterre,  doive  être  couronnée  de 
succès.  La  Turquie  est  trop  aux  mains  de  la  Russie  pour  pouvoir  se  sous- 
traire à  la  volonté  de  cette  puissance  et  l'on  sait  que  l'influence  anglaise  est 
devenue  très  faible  à  Constantinople.  Soit  dit  en  passant,  le  Times  insinue 
que  l'Allemagne  prendrait  ici  parti  pour  la  Russie, 

C'est,  en  effet,  notre  espoir,  car  nous  n'éprouvons  aucune  velléité  de 
donner  notre  concours  à  une  politique  dont  le  résultat  le  plus  clair  serait 
de  nous  faire  les  champions  de  l'Angleterre  contre  la  Russie  et  de  nous 
exposer  en  même  temps  à  être  attaqués  par  la  France. 

On  lisait  d'autre  part  dans  la  Gazette  de  Voss^  ce  même  9  janvier  : 

Il  est  incontestable  que,  dans  le  cas  particulier,  il  y  a  eu  violation  fla- 
grante des  traités  et  que  l'Angleterre  est  fondée  à  protester.  Mais  la  ques- 
tion des  Dardanelles  n'a  plus  aujourd'hui,  même  pour  l'Angleterre  l'impor- 
tance qu'elle  avait  autrefois.  La  situation  maritime  de  l'Angleterre  en 
Orient  est  aujourd'hui  considérablement  renforcée,  par  ce  motif  que  l'An- 
gleterre est  maîtresse  de  l'Egypte  et  de  Chypre.  Quoiqu'il  en  soit,  les  pro- 
testations ne  peuvent  avoir  aucune  chance  de  succès  tant  qu'elles  se  rédui- 


120  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES    ET  GOLONULES 

sent  à  la  forme  de  notes  diplomatiques.  Or,  il  n'est  guère  probable  que 
l'Angleterre  recourra  à  d'autres  moyens  pour  procéder  contre  l'empire  du 
Tsar.  On  peut  donc  s'attendre  à  voir  le  conflit  actuel  sur  la  question  des 
Dardanelles  s'évanouir  bientôt  en  fumée,  ce  qui  permettra  une  fois  de  plus 
à  la  Russie  d'en  arriver  à  ses  fins. 

On  le  voit,  Tattitude  de  rAllemagne  est  bien  celle  que  Ton  pouvait 
prévoir  et  l'Angleterre,  dans  cette  afTaire  des  Dardanelles,  a  contre 
elle  l'action  combinée  des  Russes  et  des  Allemands.  Réussira-t-elle, 
malgré  la  sympathie  de  la  Porte  pour  son  initiative,  cela  est  bien 
douteux.  En  attendant,  elle  cherche  à  gagner  par  quelques  habiles 
paroles  la  neutralité  bienveillante  de  TAutriche.  Cest  ainsi  que  le 
Times  vient  de  publier,  dans  cet  esprit,  une  communication  significa- 
tive de  son  correspondant  viennois  : 

L'attitude  prise  par  la  presse  austro-hongroise,  en  ce  qui  concerne  l'at- 
titude de  l'Angleterre  dans  la  question  des  Dardanelles,  accuse  un  certain 
embarras,  écrit  le  représentant  du  Times.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  pro- 
testation anglaise  se  dirige  contre  la  Russie,  puissance  avec  laquelle  l'Au- 
triche maintient,  depuis  1897,  un  accord  relatif  aux  Balkans,  lequel  se 
trouverait  d'ailleurs  fortifié,  et  peut-être  élargi,  à  la  suite  de  la  visite  que  le 
comte  Lamsdorff  vient  de  faire  à  Vienne. 

C'est  à  la  suite  de  cette  visite  que  l' Autriche-Hongrie  et  la  Russie  se 
proposent  de  faire  de  nouvelles  démarches  à  Constantinople,  afin  d'amé- 
liorer la  situation  en  Macédoine.  II  n'y  aurait  donc  rien  d'étonnant  à  ce  que 
le  gouvernement  austro-hongrois  s'abstînt  de  s'associer  à  la  protestation 
anglaise,  d'autant  plus  que  cette  protestation  est  considérée  comme  ayant 
pour  le  moment  un  caractère  théorique,  tandis  que  la  question  macédo- 
nienne a  une  importance  pratique  et  immédiate. 

Les  organes  les  plus  influents  de  la  presse  s'abstiennent,  il  est  vrai,  de 
mettre  en  avant  d*une façon  brutale  ces  considérations;  cependant,  elles  se 
lisent,  pour  ainsi  dire,  entre  les  lignes  d'un  article,  d'ailleurs  amical  pour 
TAngleterre,  que  consacre  aujourd'hui  à  la  question  des  Dardanelles  la 
Neue  Freie  Presse, 

On  voit  combien  différent  est  le  ton  du  Times  quand  il  parle  de 
l'Autriche  ou  quand  il  parle  de  l'Allemagne.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est 
certain  que  la  démarche  de  l'Angleterre  est  l'indication  d'un  réveil  de 
la  question  d'Orient.  C'est  là  une  considération  qui  mérite  d'appeler 
notre  plus  grande  attention. 

n.  —  ASIE. 

Cochinchine.  —  Le  demie)-  recensement  de  Ja population,  —  Le  recen- 
sement du  27  décembre  1901  a  accusé  une  différence  en  plus  de  près 
de  500.000  âmes  sur  les  évaluations  antérieures.  Dans  les  deux  muni- 
cipalités constituées  de  Saigon  etCholon,  laissées  libres  du  choix  des 
voies  et  moyens  qui  leur  paraîtraient  les  meilleurs,  on  a  commis  Ter- 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  i^i 

reur,  d'ailleurs  très  excusable,  de  suivre  une  méthode,  excellente 
ponr  Tinlérieur,  mais  insuffisante  pour  de  fortes  agglomérations  ur- 
baines. Par  suite,  les  chiffres  donnés  par  le  dénombrement  de  ces 
deux  villes  sont  restés,  surtout  pour  Cholon,  fort  au-dessous  de  la 
réalité.  Sans  ce  léger  mécompte,  il  est  probable  qu'on  aurait  atteint 
et  même  dépassé  le  chiffre  rond  de  3  millions  d'habitants. Comme  les 
documents  et  les  estimations  les  plus  dignes  de  foi  ne  permettent  pas 
d'évaluer  la  population  de  la  Cochinchine,  au  moment  de  ioccupa- 
lion  française,  à  plus  de  1. 500.000  âmes,  il  en  résulte  que  cette  popu- 
lation a  doublé  en  quarante  ans,  et  ce  taux  d'accroissement,  très 
considérable  si  on  le  compare  à  celui  des  divers  pays  d'Europe,  s'ex- 
plique aisément.  Pour  TAnnamite,  en  effet,  la  Cochinchine  est  encore, 
à  bien  des  égards,  une  terre  vierge,  un  pays  de  colonisation  et  de 
peuplement,  puisque  le  quart  à  peine  de  sa  surface  est  mis  actuelle- 
ment en  valeur.  En  tout  cas,  ces  chiffres  sont  grandement  satisfai- 
sants. 

in.  —  AFRIQUE. 

Maroc.  —  La  situatmi  au  Maroc.  —  Les  dernières  nouvelles  du 
Maroc  sont  assez  contradictoires  el  il  n'est  pas  très  facile  de  se 
former  une  opinion  sur  ce  qui  passe  On  a  d'ailleurs  lu  plus  haut  les 
quelques  pages  que  nous  consacrons  à  celle  question. 

Alors  que  sa  situation  semblait  fort  critique,  le  sullan,  par  une 
manœuvre  assez  habile,  avait  réussi  à  raffermir  colablement  son 
autorité.  Il  fil  venir  auprès  de  lui  son  frère  Mouley  Mohammed  qui, 
depuis  son  avènement,  était  maintenu  en  captivité  et  dont  le  nom 
servait  de  porte-drapeau  à  la  rébellion.  Il  le  promena  à  ses  côtés  et 
rallia  ainsi  à  sa  cause  un  certain  nombre  d'indécis.  D'autre  part, 
Bou  flaœara,  à  cause  des  fêtes  religieuses  du  Ramadan,  restait  dans 
rinaclion  et  on  en  profitait  dans  l'entourage  du  sultan,  pour  le  repré- 
senter comme  découragé  et  prêta  battre  en  retraite.  Puis  de  nou- 
velles informations  sont  venues  nous  apprendre  que  le  mouvement 
insurrectionnel  continuait,  au  contraire,  ses  progrès.  Les  dépêches 
anglaises  ont  raconté  aussi  que  l'influence  anglaise  perdait  du  ter- 
rain à  la  cour  du  sultan,  tandis  que  l'influence  française  y  devenait 
prépondérante.  Enfeomme,  on  ne  sait  rien  de  certain  et  nous  ne 
pouvons  que  déplorer  la  pauvreté,  l'insuffisance  des  renseignements 
qui  nous  sont  donnés  et  qui  se  succèdent  avec  une  rapidité  et  une 
incohérence  invraisemblables.  On  ne  reçoit  guère  de  nouvelles  du 
Maroc  que  par  la  voie  anglaise,  et  cette  source  d'informations  nous 
est  trop  justement  suspecte  pour  que  nous  ne  réclamions  pas 
avec  insistance  quelques  renseignements  officiels  que  notre  gouver- 
nement doit  avoir  le  moyen  de  se  procurer  directement. 


RENSEIGNEMENTS   ÉCONOMIQUES 


I.  —  AMÉRIQUE. 

Guyane.  —  Le  commerce  de  la  colonie  en  1901.  —  Le  mouvement 
général  du  commerce  de  la  Guyane  en  1901  est  représentée  par  les 
chiffres  suivants  : 

DifTér.  en  faveur 
1901  1900  de  1901 

Importations 12.224.340  9.762.044        +  2.462.296 

.       Exportations 8.775.638  6.583.513  2.192.125 

20.999,978        16.345.557  4.654.421 

IMPORTATIONS 

La  valeur  des  importations  de  toute  nature  et  de  toute  provenance 
effectuées  pendant  Tannée  1901  s*est  élevée  à  lâ.â24.340  francs. 
Dans  ce  chiffre,  les  marchandises  nationales  figurent  pour  8.782.776 
francs,  dont  8.424.750  francs  de  France  et  358.020  francs  des  colo- 
nies françaises,  et  celles  d'origine  étrangère  y  sont  comprises  pour 
3.441.564  francs,  se  décomposant  comme  suit  :  207.410  francs  des 
entrep/yts  de  France  et  des  colonies  ;  980.627  francs  de  Tétranger  par 
navires  français  et 2.233.527  francs  par  navires  étrangers. 

Pendant  l'année  de  1901),  la  valeur  totale  des  importations  avait 
été  de  9.762.044  francs,  soit  une  différence  de  2.462.296  francs,  en 
faveur  de  Tannée  courante  dont  1.715.309  francs  pour  les  marchan- 
dises françaises  et  746.987  francs  pour  les  marchandises  étrangères. 

Cette  augmentation  provient  de  l'accroissement  des  transactions 
commerciales  résultant  des  récentes  découvertes  de  mines  d*or  à 
Inini,  en  même  temps  que  de  l'introduction  d*une  quantité  plus  con- 
sidérable de  marchandises  pour  les  services  publics. 

EXPORTATIONS 

La  valeur  des  exportations  a  atteint  pendant  1901  le  chiffre  de 
8.775.638  francs.  Les  denrées  et  les  autres  produits  du  cru  entrent 
dans  ce  chiffre  pour  8.404.513  francs  dont  8.173.593  francs  pour  la 
France,  600  francs  pour  les  colonies  françaises  et  330.320  francs 
pour  Tétranger.  Le  commerce  de  la  réexportation  y  figure  pour 
371.125  francs. 

Pendant  la  période  correspondante  de  1900,  Tensembie  du  com- 
merce d'exportation  s'était  élevé  à  6.583.513  francs,  d*où  pour  1901 
une  augmentation  de  2.192.125  francs  portant  sur  Tor,  la  gomme  de 
balata»  les  roches  phosphatées  et  les  marchandises  d'importation. 


RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  123 

—  Le  mouvement  d»  la  navigation  pendant  Vannée  1901.  —  Le  mou- 
vement  de  la  navigation  présente  à  l'entrée  243  navires  montés  par 
3.291  hommes  et  jaugeant  47.503  tonneaux,  et,  à  la  sortie,  231  na- 
vires du  port  de  46.036  tonneaux  et  équipés  de  3.173  hommes. 

L*année  1900  accusait,  à  l'entrée,  187  navires  jaugeant  43.100  ton- 
neaux et  équipés  de  2.852  hommes,  et,  à  la  sortie,  170  navires  de 
40.371  tonneaux  et  2.640  hommes,  soit  pour  Tannée  1901,  à  rentrée, 
en  plus,  56  navires  de  5.405  tonneaux  et  439  hommes,  et,  à  la 
sortie,  en  plus  61  navires  de  5.665  tonneaux  et  533  hommes. 


II.  —  OCÉANIE. 

Australie.  —  Nouvelles-Galles  du  Sud  ^ .  —  Conditions  de  Vimjwrtution 
des  eaux-de-viefrançaises  et  autres  durant  Vannée  1901 .  —  Le  nouveau  tarif 
douanier  de  TAustralie  est  en  vigueur  depuis  le  8  octobre  1901. 
Avant  celte  date,  chacune  des  colonies  avait  son  tarif  spécial;  le 
nouveau  régime  uniGe  les  conditions  douanières  de  toute  TAustralie, 
ce  qui  modifie  sensiblement  la  situation  des  Nouvelles-Galles  du  Sud 
au  point  de  vue  des  droits  sur  les  alcools  et  vins  importés.  Jusqu^ici 
le  droit  sur  l'alcool  de  consommation  avait  été  de  14  sh.  par  gallon 
(4  litres  54)  proof  (56®)  avec  réduction  proportionnelle  à  la  force, 
jusqu'à  16  sh.  5  d.  p.  ou  47®;  en  dessous  de  la  limite  de  47®  le 
droit  n'était  plus  abaissé. 

Sous  le  nouveau  tarif,  les  alcools  en  fûts  ou  en  bouteilles  paient 
sur  la  base  de  14  sh.  par  gallon  pour  proof  (56®)  ou  au-dessous,  et 
proportionnellement  au  degré  pour  la  force  au-dessus  de  proof. 
11  s'ensuit  que  les  cognacs  en  bouteilles,  qui  sont  habituellement 
expédiés  de  France  à  47/48®,  et  qui  avaient  payé  jusqu'ici  23  sh.  8  d. 
de  droits  par  caisse  de  2  gallons,  sont  taxés  à  28  sh.,  soit  une  diffé- 
rence en  pins  de  4  sb.  4  d. 

Dans  ces  conditions,  il  devient  avantageux  d'importer  Talcool  en 
fût  à  56®. 

Ce  procédé  présente  de  nombreux  inconvénients  et  la  situation 
reste  défavorable  pour  les  bonnes  marques.  Il  y  a  lieu  de  redouter 
pour  l'Australie  une  affluence  d'eaux-de-vie  inférieures  en  bien  plus 
grande  quantité  que  précédemment. 

Le  nouveau  régime  douanier  a  encore,  d'une  autre  façon,  porté 
préjudice  aux  intérêts  de  nos  maisons  de  Cognac  ;  jusqu'alors,  les 
eaux-de-vie  fabriquées  avec  les  vins  d'Australie  avaient  payé  en 
N.  S-  W.  le  même  droit  que  les  eaux-de-vie  importées;  actuellement, 
le  droit  d'accise  est  réduit  à  11  sh.  par  gallon  au  lieu  ds  14  sh. 

Malgré  l'infériorité  incontestable  des  brandies  australiens,  la  con- 

>    D'aprôfl  le    Bulletin  de   la  Chambre  de   commerce   française    de   Sydney. 


i24  OUESTIOWS   DIPLOMATIQUES   BT   COLONIALBS 

sommation  de  cet  article  a  pris  un  grand  développement  et  le  privi- 
lège qui  lui  est  accordé  n'en  peut  qu*augmenter  la  vente. 

Voici  quelle  a  été,  pour  1901,  la  quantité  des  brandies  importés 
enN.  S.  W.,  soit  d'Europe,  soit  des  autres  colonies  australiennes. 

Le  total  des  importations  de  brandy  pour  1901  est*  : 


1°  En  fûts. 

71  barriques  (d'euviron  :i6  gallons) 

3.0:i3  qr.  casks      —      28      —       

4.176  gallons. 
57.484       — 

431  octaves              —       17      — 

7.327       — 

Total 

68.987  gallons, 

Le  tout  paraît  être  de  provenance  française  à  Texception  de 
i.8o7  gallons  qui  viennent  de  Victoria. 

2°  En  caisses, 

12.765  caisses  Victorian  Brandy,  25.530  gallons.  42.765  caisses 
que  l'on  peut  considérer  comme  venant  de  France,  85.530  gallons. 

Nous  arrivons  donc  à  un  total  d'importations  d'eau-de-vie  de 
180.047  gallons,  dont  27.387  de  fabrication  australienne  et  152.660 
qui  sont  à  peu  près  exclusivement  de  provenance  française. 

Le  rhum  jouit  d'une  grande  faveur  pendant  les  mois  d'hiver  et  la 
consommation  divise  cet  article  en  deux  classes  : 

1"  Les  rhums  en  fût,  de  qualité  commune  et  à  très  haut  degré. 
Il  en  a  été  importé,  en  1901,  4.149  fûts,  i-oit  environ  16.596  gallons. 

2°  Les  rhums  en  caisses,  dont  la  plus  grande  partie  est  d'exporta- 
tion française  et  sont  d'un  prix  beaucoup  plus  élevé;  il  en  a  été 
importé  en  1901  :  3.447  caisses,  soit  6.894  gallons. 

En  terminant,  nous  donnons  les  chiffres  de  l'importation  en  N.  S.W, 
des  whiskies,  genièvres  et  schnapps  durant  4901,  le  tout  provenant 
d'Europe,  mais  principalement  du  Royaume-Uni,  de  l'Allemagne  et 
des  Pays-Bas. 

Whiskies 638  hogshcads  (environ)  3 .  828  gallons. 

—       6.668  quaier  casks     —  186.704        — 

—       2 .  200  cet  aves  —  37 .  400        — 

—       174.427  caisses  —  348.8r)4        — 

Total 576 .  786  gallons. 

Genièvres 30.8:i3  caisses        61 .706  gallons. 

Schnapps 4r).6:'.3       —  91.306         — 

Gins i:).063      —  30.126        — 


Total 183.238  gallons. 

Soit  un  total  général  de  950.312  gallons  d'alcools  divers  pour  une 
population  de  1.250.000  âmes. 

1  ij'indication   de   la   provenance  ne  peut  être  garantie  comme   rigoureusement 
exacte. 


NOMINATIONS  OFFICIELLES 


MINISTÈaE  DES  AFFAIBES  ÉTRANGÈRES 

L'exequatur  est  accordé  à  M.  James  Lewis,  vice-consul  de  S.  M.  Britannique  à 
Grenoble  ; 
M.  Robert  Johoson,  vice-consul  d'Angleterre  à  Amiens.  4 

MI3I1STÊRE  DES  FIIVANCES 

M.  de  Colomb  (E.  J.  A.)  est  nommé  trésorier  payeur  du  Tonkin. 

MINISTÈRE  DE  LA  GUERRE 
TronpeH  méiropollUilnes. 

INFANTERIE 

Indo-Cllilie.  —  M.  le  capit.  Greil,  détaché  au  gouvern.  général,  est  nommé 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

CAVALBRIB 

M.  le  chef  cTescad.  breveté  de  la  Villestreux  est  désig.  pour  occuper  le  poste 
d'attaché  mîlit,  à  l'ambassade  de  France  en  Suisse. 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  capiL  Costet,  command.  le  2»  escad.  de  spahis 
sénégalais,  est  noouné  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

CSongrO-  —  M.  le  lieuL  Avon,  détaché  au  Chari,  est  nommé  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur.. 

ARTILLERIE 

Indo-Clline.  —  M.  le  capit.  Reùbel.'en  service  en  Indo-Chine,  est  nommé  che- 
Talier  de  la  Légion  d'honneur. 

GÉNIE 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  Voffic.  d'admin.  Ramus,  en  service  au  Soudan, 
est  nomme  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Madagascar.  —  MM.  les  capit.  Defrance,  Sabatier  et  Voffic.  d'admin.  Parfait, 
en  service  à  Madagascar,  sont  nommés  chevalier  de  la  Légion  d'honueur. 

GENDARMERIE 

Madagr^tacar.  —  M.  Clavel,  lieut.- trésorier  à  la  comp.  de  Madagascar,  est 
nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Nouvelle-Calédonie.  —  M.  Rentz,  lient,  à  la  comp.  de  la  colonie,  est  nommé 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Réunion.  —  M.  Tupin,  lieut,- trésorier  à  la  comp.  de  la  Réunion,  est  nommé 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Troupes  coloniales. 

ETAT-MAJOR  GÉNÉRAL 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  général  de  hrig.  Houry,  command.  sup.  des 
troupes  de  l'Afrique  Occidentale,  est  promu  au  grade  de  commandeur  dans  la  Légion 
d'honneur. 

Indo-Chine.  —  M.  le  commiss.  ppal.  de  !'•  cl.  Malhis,  chef  des  services  administ. 
de  rindo-Chine,  est  nommé  commiss.  général. 

INFANTERIE 

Afilqne  Oooidentale-   —  MM.  les  capit.  Noton,  du  l"  sénégalais  ;  Fabiani  et. 
Pa&quicr,  du  2*  sénégalais,  sont  nommés  chevaliers  de  la  Légion  d'honneur. 

Indo-Chine.  —  M.  le  capit.  Feist  est  désig.  pour  servir  en  qualité  d'oiïic. 
dordonn.  près  M.  le  général  de  Beylié  en  Cochinchine. 

>|  le  capit.  Ibos,  de  l'état-maj.  partie,  au  Tonkin,  est  nommi  chevalier  de  la 
Lés^îon  d'honneur. 


126  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

MM.  les  capil.  Garde  et  Gérente,  du  4«  tonkinois,  sont  nommés  chevaliers  de  la  ^ 
Légion  d'honneur. 

Madagascar.  —  MM.  les  capit,  Boutonnet,  Dudouis,  Labat,  Mîlhau,  en  service 
à  Madagascar  ;  Vacher  et  Bachot,  du  2*  malgaches,  sont  promus  chevaliers  de  la 
Légion  d'honneur. 

Nouvelle-Calédonie.  —  M.  le  capit.  Reboul,  en  service  au  bataill.  de  la  colonie» 
est  promu  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

ARTILLERIE 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  capit.  Nisse,  de  la  direction  d'artill.  du  Séné- 
gal, est  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Indo-Chine.  —  M.  le  chef  d'escad.  Barbier,  de  la  direct,  d'artill.,  et  M.  le  capiL 
Chérier,  du  rég.  de  la  Cochinchine,  sont  nommés  chevaliers  de  la  Légion  d'honneur. 

M.  le  capit.  Petiot,  en  service  au  Tonkin,  est  nommé  chevalier  de  la  Légion 
d'hftnneur. 

Madagascar.  —  M.  le  capit.  Maubay,  attaché  aux  batt.  de  la  colonie,  est 
nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Réunion.  —  M.  le  tieul.-col.  Sordoillct,  command.  sup.  des  troupes  de  la  Réu- 
nion, ept  nommé  offîc.  de  la  Légion  d'honneur. 

Officiers    d administration. 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  Voffic.  d'admin.  Sensevin,  de  la  direct,  d'artill. 
du  Sénégal,  est  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Indo-Chine.  —  M.  Dusséré,  offic.  d'admin^.  à  la  direct,  d'artill.  du  Tonkin,  est 
promu  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Martinique.  —  M.  Martin,  offic.  d'admin.  à  la  direct,  d'artill.  de  la  Martinique» 
est  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Nouvelle-Calédonie.  —  M.  Dumas,  offic.  d'admin.  à  la  direct,  d'artill.  de  la 
Nouvelle-Calédonie,  est  promu  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

SERVICE   DE  SANTÉ 

Afrique  Oooidentale.  —  MM.  les  méd.  aides-maj.  de  1"  cl.  Duperron  et 
Durand  sont  désig.  pour  servir  en  Afrique  Occidentale. 

Guadeloupe.  —  MM.  le  méd  -maj.  de  2^cl.  Sarrat  et  le  tnéd.  aide-maj.  de  l'*c/, 
Levet  sont  dé.sig.  pour  servir  à  la  Guadeloupe. 

Inde.  —  M.  le  jnéd.  aide-maj.  Maratraj  est  désig.  pour  servir  dans  Tlnde 
française. 

Indo-Chine.  —  Sont  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine: 

MM.  le  méd.  ppal  de  2«  cl.  Laurent,  le  méd.  maj.  de  2«  cl.  Lafaurje  et  les  méd. 
aides-maj .  de  i"  cl.  Girard,  Léger,  Berntmd,  Mcsiin,  Hcrmant,  Sarrailhé,  Gensol- 
len  et  Sallet. 

Indo-Chine.  —  MM.  le  méd.-maj.  de  i^*  cl.  Guèrin  et  le  méd.-maj.  de  2'  cl. 
Bouysson,  en  service  au  Tonkin,  sont  nommés  cijevaliers  de  la  Légion  d'honneur. 

Sont   désig.  pour  servir  à  la  brigade  de  réserve  de  Chine  au  Tonkin  : 

MM.  le  méd.-maj.  de  2"  cl.  Nielsen,  Mathis  et  Rey  ;  les'  méd.  aides-maj.  de  i^*  cL 
Margerie,  Brachet,  Martin  et  Guichoux  ;  le  pharm.  aide-maj.  de  !•"«  cl.  Boissière. 

M,  le  pharm. -maj.  de  i"  cl.  Loste  est  désig.  pour  l'hôpital  de  Haîphong. 

M.  le  méd.  ppal  de  2*  cl.  Brou-Duclaud  est  nommé  directeur  par  intérim  du 
service  de  santé  de  la  Cochinchine. 

M.  le  pharm.-maj.  de  1"  cl.  Pluchon  est  désig.  pour   1  hôpital  de  Saigon. 

Madagascar.  — -  M.  le  méd.-maj.  de  2"  cl.  Neiret  est  désig.  pour  servir  à  l'ins- 
titut Pasteur  de  Tananarive. 

Sont  dé.sig.  pour  servir  à  Madagascar  : 

MM.  les  méd.  aides-maj.  Brisemuer,  Levier,  Hœlewyn,  Esserteau,  Eberlé,  Fran- 
ceschetti  et  Poux. 

Nouvelle-Calédonie.  —  M.  le  méd.  maj.  de  2«  cl.  Audibert  est  désig.  pour 
servir  à  la  léproserie  des  îles  Belep. 

CORPS    DU    COMMISSARIAT 

Afrique  Occidentale.  —  M.  Brochard,  commiss.  en  Afrique  Occidentale,  est 
nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 


BIBLIOGRAPHIE  —  LIVRES  ET  REVUES  127 

MITVISTÉaE   DE    UL   HARIIVE 

Atlantlq^Tie.  —  M.  le  lieut.  de  vaiss.  Talon  est  désig.  pour  embarq.  sur  le 
Trovde, 

Coollinobixie.  —  M.  Venseig.  de  vaiss,  Henry  est  désig.  pour  embarq.  sur  le 
Tffkou  k  Saigon. 

Mers  d'Orient.  —  M.  le  Heui.  de  vaiss.  Latron  est  désig.  pour  embarq.  sur  le 
Montcalni. 

MM.  les  enseig.  de  vaiss.  Le  Mée,  Millot,  Litre,  Pertus  et  Vaspij\  de  l""*  cl.  Thi- 
Uiudic-r  &oat  désig.  pour  faire  partie  de  la  mission  hydrographique  à  bord  du 
Benffaii. 

M.  le  mécanic.  inspeci.  Perruissc  est  désig.  pour  les  fonctions  de  mécanicien  de 
l  e.>«,'adre  d'Extrême-Orient. 

CORPS    ou   COlflflSSARIAT 

£xtrême-Ori6nt.  —  M.  le  commiss.  en  chef  de  !'•  cl.  Mauceron  est  nommé 
coniiiiiss.  de  Tescadre  d'Extrême-Orient. 

M.  le  commis,  de  2*  cl.  Fourgous  est  désig.  pour  embarq.  sur  la  Surprise. 

MIIVISTÈRE    DES   COLONIES 

M.  Bonhoure  (Louis- Alphonse),  gouverneur  de  3*  cl.  des  colonies,  gouvern.  de  la 
<  V«le  française  des  Somalis,  a  été  nommé  gouvern.  de  "i®  cl.  des  colonies. 

M.  de  Bréchade  (Gabriel)  a  été  nommé,  pour  une  période  de  deux  années,  mem- 
bre suppléant  du  conseil  privé  de  la  Nouvelle-Calédonie. 

M.  V'êrignon  est  nommé  directeur  de  l'administration  pénitentiaire  à  la  Guyane. 

M.  Bravard  est  nommé  directeur  de  l'administration  pénitentiaire  à  la  Nouvelle- 
CaK'iit^nie. 

BIBLIO&RÂPHIE  --  LIVRES  ET  REVUES 

IjSl  Mendiante  turque,  par  M.  Maurice  Trubert,  premier  secrétaire 
d'ambassade.  Un  vol.  in-16.  —  H.  Oudin,  éditeur,  Paris,  1902. 
L'ouvrage  que  nous  signalons  ne  rentre  peut-être  pas  d'une  façon  abso- 
lue dans  la  catégorie  de  ceux  dont  nous  avons  le  devoir  de  nous  occuper. 
Mais,  outre  que  le  nom  et  la  qualité  de  son  auteur  lui  donnent  en  quoique 
>iDrte  droit  de  cité  chez  nous,  il  faut  bien  reconnaître  qu'en  dépit  de  son 
caractère  surtout  littéraire,  ce  volume  contient  d'intéressants  souvenirs 
sur  h*s  pays  peu  connus  que  M.  Trubert  a  eu  occasion  de  visiter  au  cours 
de  <a  carrière  :  Dalmatie,  Monténégro,  Albanie,  Floride,  Louisiane  et 
C  anada.  C'est  à  ce  titre  que  nous  le  recommandons  à  nos  lecteurs. 

Cinq  cartes  d*Aft*iquet  nouvelle  édition  lî>03,  par  M.  le  général  Niox, 
en  un  fascicule.  —  Librairie  Ch.  Delagrave,  Paris,  1903. 

11  n'existe,  au  moment  précis  où  le  roi  de  Portugal  et  l'empereur  d'Alle- 
magne se  rencontrent  avec  le  roi  d'Angleterre  pour  délibérer  sur  leurs 
intérêts  en  Afrique,  aucune  carte  détaillée  d'un  prix  accessible  au  public, 
qui  donne  Vétat  rigoureusement  exact  des  connaissances  géographiques  sur  le 
continent  noir.  Par  des  tracés  établis  hâtivement,  le  public  a  pu  suivre 
lœuvre  de  la  mission  Foureau-Lamy,  par  exemple,  les  eilorts  d'autres 
explorateurs  au  cœur  de  la  terre  mystérieuse  qu'arrosa  le  sang  de  tant  de 
martyrs- 
Mais  rien  de  définitif  et  d'exact  n'existait  encore. 

Cette    passionnante    étude   est  désormais   possible,    grâce    aux  deux 
superbes  cartes  en  couleur  de  V Afrique  Centrale  : 
A.     —    SÉNÉGAL  ET   NiGER. 

B. Congo  et  Nil,  pour  l'exécution  desquelles  le  général  Niox  et  ses 


128  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

distingués  dessinateurs  ont  su  réunir  ces  deux  qualités,  si  rarement  unies  : 
Texactilude  et  Tabondance  des  renseignements  et  la  grande  clarté. 

C.  —  La  carte  d'ensemble,  qui  bénéficie  des  dernières  explorations, 
en  ce  qu'elle  rectifie  plusieurs  erreurs  graves  de  géographie  physique, 
permet  de  saisir,  d'un  coup  d'œil,  la  situation  respective  des  Etats  euro- 
péens sur  le  continent  africain  et  résume  toutes  les  questions' politiques  et 
diplomatiques  en  suspens. 

D.  —  La  Région  Saharienne  Française  contient  les  tracés  détaillés 
des  étapes  de  la  mission  Foureau-Lamy.  Elle  montre  avec  une  saisissante 
netteté  toutes  les  routes  de  caravanes,  toutes  les  voies  utilisables  pour 
porter  l'influence  française  de  la  Méditerranée  vers  le  lac  TchW. 

E.  —  Enfin  la  grande  carte  d'ALOÉniE  et  Tunisie  était  impatiemment 
attendue  des  gens  soucieux  de  voir  enfin  consignées  avec  précision  les 
modifications  innombrables  qui  se  sont  produites  dans  le  nombre  et 
l'importance  des  centres  habités  de  notre  France  du  Nord- Africain.  L'en- 
semble de  celte  publication,  qui  doit  être  incorporée  au  grand  Atlas  de  géo- 
graphie du  général  Niox,  fait  honneur  aux  traditions  géographiques  et  car- 
tographiques de  la  librairie  Ch.  Delagrave. 

Ouwages  déposés  au  bureau  de  la  Revue. 

La  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX*  siècle,  publiées 
sous  la  direction  du  P.  Piolet  avec  la  collaboration  de  toutes  les  sociétés  de  mis- 
sions. —  Illustrations  d'après  des  documents  originaux.  —  Tome  VI  et  dernier. 
Missions  d'Aménque.  Les  81*,  82«  et  83*  livraisons  viennent  de  paraître.  Paris, 
1903,  librairie  A.  Colin. 

Les  Armoines  de  la  République  sud-africaine  {Transvaal).  Une  broch.  in-8*  de 
39  pages,  par  Joseph  Joubbrt.  Paris,  1903.  A.  Challamcl,  éditeur. 

La  Protection  industrielle  en  Orient,  par  César  Bonnet.  Une  broch.  in-8'  de 
15  pages.  Paris,  1903.  L.  Larose,  éditeur. 

LES  REVUES 

I.  —  REVUES   FRANÇAISES 

Les  Annales  eolonlales  {i*"^  janv.).  Marcel  Dubois  :  Contre  le  trust  de  l'Océan. 
—  Marcel  Ruedel  :  Au  Congrès  colonial  de  1903.  —  Pierre  Dassier  :  La  crise 
du  café  à  Java. 

AraïKée  et  Marine  (28  déc).  Les  événements  du  Venezuela.  —  Alchamp  :  Les 
massacres  de  l'Oued-Zarga.  —  G.  Presseq-Rolland  ;  Le  traité  franco-siamois.  — 
Ce  qu'on  pense  en  Angleterre  de  notre  conception  navale.  —  (4  janv.).  Jacques 
DU  Taurat  :  L'armée  chinoise  du  Nord.  —  Les  affaires  du  Venezuela.  —  Ver- 
seau :  En  traversant  TAtlaniique.  —  (11  janv.).  Capitaine  H.  de  Mallebay  : 
Impressions  d'un  officier  français  en  Espagne.  —  Le  service  de  santé  dans  l'armée 
allemande. 

Journal  des  Chambres  de  commerce  (10  janv).  Henri  Blancheville  :  Début 
de  l'industrie  en  Turquie.  —  Jules  Rueff  :  La  question  du  métal-argent. 

Revue  commerciale  de  Bordeaux  (2  janv.).  Henri  Lorin  :  Au  Conseil  géné- 
ral du  Sénégal.  —  (9  janv.),  J.-Ch.  de  Tourmond  :  Le  Congrès  pan-américain.  — 
A..Imbert  :  Les  tabacs  d*Algérie. 

Revue  Française  (janv.).  G.  Vasco  :  L'Afrique  Occidentale,  son  essor.  — 
G.  Démange  :  La  colonne  de  Kong.  —  Léon  Paquier  :  Macédoniens  et  Albanais. 

Revue  politique  et  parlementaire  (10  janv,).  L.  Boudenoot  :  L'armée  en 
1903.  —  René  Millet  :  Nos  frontières  dans  l'Afrique  du  Nord.  Tripolilaine,  Maroc. 

n.  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 
Revues  belges. 
Mouvement  géograpiiique  (11  janv.).  L.  Maskens  :  Le  Soudan  anglo-égjptien. 
L*utilisation  de  la  crue  du  Nil. 

UAdministrateur-Oérant  :  P.  Campain. 

paris.  —  imprimerie  F.  levé,  rue  cassette,  17. 


Sommaire  da  n»  189 

IB»ui  Fr»UeYmitx  :  Les  Colonies  à  l'Exposition  d'AnTers.  —  J.  JTraneonie  :  Le  trust  de 
l'acier.  —  Xieng-L«  r  La  défense   maritime  des   Colonies.  —  Gabriel  Loais-Jany  : 
I         Us  nationaliiés  en  Autriche -Hongrie. 

Cartes  et  Gravnrea  :  L  Carte  d'ensemble  des  Colonies  françaises  et  anglaises. 
—  11.  Carte  des  Antilles. 


Sommaire  du  n*  133 

Xamiee  Baret  :  La  Peste.  —  Paol  Labbè  :  La  Transbaïkblie  et  h  colonisation  russe.  ^ 
XicBs-La  :  La  défense  maritime  des  colonies  {suite). 

Cartes  et  s^aTares  :  L  L»s  Foyers  actuels  de  la  Peste.  —  II.  Itinéraires  maritimts  et  ter- 
restres de  la  Peate.  —  Itl.Les  Postes  sanitaires  de  la  nier  Rouge.  —  IV.  Les  Colonies  d*Ocô- 
>ai«.—  V.  L'Iado^Ihine. 

sommaire  du  n*  184 

**•  :  L'œoTTO  française  en  Afrique  occidentale.  —  R.  Peyr.ilbe  :  Le  percement  du  Sim- 
plon.  —  Xieag-La:  La  défense  maritime  des  Colonies  {mite  et  fin).  —  J.-U.  F.  :  Bizerte, 
d'après  une  élude  de  M.  René  Pinon, 

Cartes  et  sravares  :  I.  Carte  des  voies  de  communications,  entre  l'Angleterre,  la  France, 
l'Italie  et  le  Levant.  —  II.  Madagascar,  Maurice  et  la  Réunion.  —  lU.  Méditerranée 
Occidentale.  —  IV.  Afrique  Occidentale . 

Sommaire  du  n»  185 
Stbeit  de  Caix  :  Affaires  du  Siam.  —  J.  Denala-Dnrnaya  :  Fédéralisme  et  socialisme 
en  Aastralasie.  —  Heari  Lorla  :  Impressions  sur  TEspaRne  d'aujourd'hui. 

Cartes  et  graTvrea  :  I   La  presqu'île  de  Malacca.  —  II.  Carte  de  TAustralasie. 

Sommaire  du  n»  188 

"^  :   Le    traité  franco-siamois.  —  Hené  Henry  :    Le  rapprochement  franco-italien.  — 

Aagaste  Terrier  :  La  délimitation  de  Zinder. 
Carte»  et  Gravarea  :  1.  Carte  du  Siam.  —  II.  La  nouyelle  frontière  franco-sia^poise.  — 

111.  Afrique  occidentale  française,  3*  territoire  militaire. 

Sommaire  du  n»  1 37 
Heari  Peaaa  :  L'aTenir  de  la  Tunisie.  L'industrie  européenne  et  l'industrie  indigène   — 
***  :  L'oeorre  française  en  Afrique  Occidentale.  —  Henri  Bohler  :  Les  coulisses  du 
pangermanisme  autrichien.  —  René  Mor^az  :  Le  premier  congrès  colonial  allemand. 
Cartea  et  grayarea  :  Carte  de  rAfrique  Occidentaile. 

Sommaire  du  n»  138 

***  :  Le  livre  jaone  et  les  affaires  de  Siam.  —  E.  Peyralbe  :  France  et  Simplon.  — 
Panl  Ijabbé  :  La  région  du  fleuve  Amour. 

Cartraet  icravarea  :  i.  Graphique  comparatif  des  projets  Frasne-Vallorbe  et  de  la  Fau- 
cille. —  II.  Carte  des  voies  d'accès  au  Simplon. 

Sommaire  du  n»  139 
Ketre  enqaête  :  A  propos  des  affaires  de  Siam  :    Opinions  de  MM.    Oodin,  le  Comte 
d'Aonay,  Bertbelot,  Le  Myre  de  Vilers,  Denys  Cochin,  Flourens,  Senart.  et  du  journal 
Le  Tempe,  —  Manriee  Baret  :  Les  villes  de  santé  dans  nos  Colonies.  —  Georgea 
Bohler  :  La  lutte  tchèque- allemande. 

Cartea  et  gravares  :  Répartition  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie. 

Sommaire  du  n<»  140 

Velre  eaqaête  s  A  propos  des  affaires  de  Siam  ;  opinions  de  MM.  François  Deloncle,  le 
baron  d'Estourn elles,  de  Constant,  Gerville-Réache,  H.  Cordier,  Marcel  Monnier, 
Charles  Lemire.  —  **'  :  L'œuvre  française  en  Afrique  occidentale.  —  Faoi  Labbé  ; 
La  régîou  du  fleuve  Amour,  la  province  Maritime. 

Cart^  et  gravarea  :  I.  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  l'Afrique  occidentale. 
—  II.  La  région  du  fleuve  amour. 

Sommaire  du  n»  141 

Saiat-Gennala,  sénateur  d*Oran  :  La  question  du  Maroc.  —  Le  Myre  de  Vilerg,  ancien 
dépaté  de  la  Cochinchine  :  La  crise  de  l'argent  en  Indo^Chine.  —  ***  :  Le  conflit 
anglo- germano-vénézuélien.  —  René  Basset,  directeur  de  1  Ecole  supérieure  des  Lettres 
d'Alger  :  Le  XIII*  congrès  international  des  orientalistes  à  Hambourg. —  Kené  Piuon: 
Les  missions  catholiques  françaises  au  zix*  siècle.  —  L.  Bronet,  député  de  la, Réunion: 
Madagascar.  —  Les  territoires  militaires. 

Cartea  et  grayarea  :  Carte  du  Maroc.  —  Carto  du  Venezuela. 

PRIMES    A    NOS    ABONNÉS 

L'administration  de  la  Revue  se  charge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
les  achats  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
de  Paris,  ponr  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  l'étranger  : 
8*adre8ser  directement  à  Tadministrateur  de  la  Revue,  19,  rue 
BONAPARTE,  Paris,  Vie. 


a   an   a  a   a   a   a   a 


DENTIFRICES 


ÉLIXIR,  POUDRE  et  PATE 

des  RFi.  PP. 

BENEDICTINS 


de  1' 


de 


Ai  SEGUIN,  Bordeaux 

Membre  du  Jury,  Hors  Conmurs 

Ezpûsîtion  UuîTerstlla  Paris  1900 


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la  Bourse)  h    Parla. 


Dépôts  de  fonds  à  intérêts  ea  compte  ou  à  échéance 
fixe  (taux  des  dépôts  de  3  à  5  ans  :  3 1/2  0/0  net  d'impôt 
etde  timbre};— Ordres  de  Bourse(Kranc6  etEtranger); 
—  Souscriptions  sans  frais  ;  —  Vente  aux  guichets 
de  valeurs  livrées  immédiatemont(Obl.de  Ch.  de  fer, 
Obi.  et  Bons  à  lots,  etc.)  ;  —  Escompte  et  encais- 
sement de  GoupQus;  —  Mise  en  règle  de  titres; 


—  Avances  sur  titres  ;  —  Escompte  et  Eue 
ment  d'ellets  de  commerce  ;  —  Garde  de  Titr 
Garantie  contre  le  remboursement  au  pair 
risques  de  non-vérification  des  tirages;  —  1 
ports  de  fonds  (France  et  Etranger);  —  Bill 
crédit  circulaires;— Lettres  de  crédit  ;  —  R 
gnements;  —  Assurances  ;  —  Services  de  c 
pondant,  etc. 

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de  la  durée  et  de  ia  dimension) 

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Diplomatiques  et  CÉiltes 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEÙflE 

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soi^cmlajleie: 


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^-fjste  Terrier La  délimitation  de  TEthiopie 129 

îfiïè  Henry La  question  de  Macédoine 143 

lêxandre  Guasco  ...  Le  paludisme  et  l'initiative  privée  en  Corse 157 

'.  Denais-Darnays  . . .   Fédéralisme  et  socialisme  en  Australasie 167 

'fHé  Moreux Le  traité  franco-siamois  et  Topinion  allemande 184 

CHROMIQUES   DE  \^A.   QUUWZiklIWE 

lements  politiques 188 

dents  économiques 109 

Sooinations  officielles , 202 

Bibliographie  —  Livres  et  Revues '. 207 

CARTES    EX    ORikVURES 

Frontière  entre  le  Soudan  Anglo-Egyptien  et  l'Ethiopie 132 

Délimitation  de  TAIrique  Orientale 133 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19»      RUE     BONAPARTE     -     PARIS.     6* 

Abonnement  annuel 

Fraue  et  Colonies,  i  s  francs;  Etranger  et  Union  postale,  20  francs.^ 

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SIÈQE  SOCIAL  :  14,  rue  Bergère 
Succuii8AL«  f2,  Place  de  l'Opéra,  Paris 


Prétident  du  Conteil  d'adminiitrcUion]: 
M.  Emile  Mkrcet,  O.  sjjft. 

Directeur  général  adminialrateur  ;  M.  Alexii  Ro8TARD,  0.  ijff. 


OPtRATIONS  OU  COMPTOIR  : 

Bons  à  échéance  fixe.  Escompte  et  R«*couTremeDt8,  Comptes  da 
Chèques,  Lettres  de  Crédit,  Ordres  de  fiourse,  Avances  sur 
Titres,  Chèaues,  Traites,  Envois  de  fonds  en  Province  et  à 
l'Etranger,  Garde  de  Titres,  Prêts  hypothécaires  maritimes. 
Garantie  contre  lesriaques  de  remhoursement  au  pair,  Paie- 
ments de  Coupons,  etc. 

AGENCES 

BVEBAUX  DE  ÇVAmTUBm  DAMS  VAAIS 


A.  i47,  boul'St-Germain; 

B.  108,  rue  de  RIyoII; 

0.  23,  bould  Diderot. 
D.  11,  me  Rambuteau; 
£.  16,  rue  deTurbigo; 
F.  21, pi  de  la  République; 
Q-.  24,  rue  de  Flandre; 
H.  2,  rue  du  4-Septembre  ; 

1.  84,  boul**  Magenta; 
K.  92,  b*  Richard-Lenoir; 
L.  86,  rue  de  Clichy; 
M.  87,  avenue  Kléber  ; 


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O.  11,  b-*  Montparnasse  ; 
P.  27,  f»  Saint-Antoine; 
R.53.  b"»  Saint-Michel; 
S.  2,  rue  Pascal  ; 
T.  l,  avenue  de  Villiers  ; 
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V.  85,  avenue  d'Orléans; 
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Asnières  :  8,  rue  de  Paris  -  Charenton  :  50,  rue  de 
Paris,  Enohien  :  47,  Grande-Rue.  Levallois- 
Peiret:  3,place  République.  Neuilly-sur-Seine  :  92, 
ayenue  de  Neuilly. 

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Abbeville,  Agen,  Ai x-en- Provence,  Alais,  Amiens,  Angoulôme, 
Arles,  Avignon,  Bagnères-de-Luchon,  Bagnols-sur-Cèxe, 
Beaucaire,  Beaune,  Bel  fort,  Bergei-ac,  Béziers,  Bordeaux, 
La  Bourboule,  Caen,  Calais,  Cannes,  CarcaFsonne,  Castres 
Cavaillon,  Cette,  Chagny,  Chalon-sur-Saône,  Chftieaurenard, 
Clermont-Ferrand^  Cognac,  Condé-sur-Noireau,  Dax,  Deau- 
ville-Trouville,  Dieppe,  Dijon,  Dunkerque,  Elbeuf,  Epinal, 
Firminy.  Fiers.  Gray,  Le  Havre,  Haiebrouclrvlssoire,  Jarnac, 
La  Ferié-Mace,  Lésignan,  Libourne,  Lille,  Limoges,  Lyon, 
Manosque,  Le  llans,  Marseille,  Alazamet,  M  ont*  de-Marsan, 
Le  Mont-Dore,  Montpellier,  Nancy,  Nantes,  Narlwnne,  Nice, 
Nîmes,  Orange,  Orléans,  Périgueux,  Perpignan,  Reims, 
Remiremont,  Roanne,  Houbaix,  Rouen,  Royal,  Sainl-Cha- 
mond,  Sainl-Dié,  Saint-Etienne,  Salon,  Toulouse,  Tourcoin*» 
Vichy,  Villefranche-sur-Saône,  Villeneuve-sur-Lot,  Vire."" 

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Tunis,  Sfax,  Sousse,  Gabés,  Majunga, 
Tamalave,  TananarÎTc,  Diégo-Suarez,  Mananjary. 

AOEVCES  A  L'éTEAMOCm 

Londres,  Liverpool,  Manchester,  Bombay,  Calcutta, 
San-Francisco,  New-Orléans,  Melbourne,  Sydney, 
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LOCATION  DE  COFFRES-FORTS 

Le  Comptoir  tient^^un  service  de  coffres-forts  à  la  disposition 
du  public,  14,  rue  Bergère,  2,  place  de  l'Opéra,  i41,  b* 
Saint  Germain^  et  dans  les  principales  Agences. 


Uoe  clef  spéciale  unique  est  remise  à  chaque  locataire.  —  La 
combinaison  est  faite  et  changée  à  son  gré  par  le  locataire. 
—  Le  locataire  peut  seul  ouvrir  son  coffre. 

BONS  k  ÉCHÉANCE  FIXE 
Intérêts  payés  sur  les  sommes  déposées  : 

De6moisiusqu*à  1  an.  1 1/2%  i  DeISmois  juBqu'à2aDS.21/2S 
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Les  Bons,  délivrés  par  le  Comptois  National  aux  taux  d'in- 
térêts ci-dessus^  sont  à  ordre  ou  au  porteur,  au  choix  du 
Déposant.  Les  intérêts  sont  repréctentés  par  des  Bcns  «Tmté' 
rits  également  à  ordre  ou  au  porteur,  payables  semcîstriel- 
lement  ou  annuellement,  suivant  les  convenances  du  Dépo- 
sant. Les  Bon8  de  capital  et  d'intérêt»  peuvent  être  en- 
dossas et  sont  par  consi^uent  négociables. 

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Ville»  d'eaux  :  Nice,  Cannes,  Vichy,  Dieppe,  Trouville- 
Deauville,  Dax,  Royat,  Le  Havre,  La  Bnurnoule,  Le  Mont- 
Dore,  Bagnères-de-Luchon,  eic;  ces  agences  traitent  tou- 
tes leâ  oiMirations,  comme  le  siège  social  et  les  autres 
agenc<^,  de  sorte  que  les  Etrangers,  les  Touristes,  les  Bai- 
gneurs peuvent  continuer  à  s  occuper  d'afTaires  pendant 
leur  villégiature. 

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accompagnées  d'un  carnet  d'identité  et  d'indications  et  offreot 
aux  voyageurs  les  plus  grandes  commodités,  en  même 
temps  qu'une  sécurité  incontesubie. 


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QUESTIONS  ^w.^,;;, 

DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES^ 


LA.  DÉIiHITÂIION  DE  L'ÉTfflOPIE 


Rien  n'est  plus  incertain  et  changeant  que  la  cartographie 
africaine.  Les  explorateurs  ne  sont  pas  les  seuls  qui  la  modi- 
Gent  :  les  diplomates  aussi  remanient  chaque  année  frontières 
ef  sphères  d*influence-  Regardez  les  diverses  cartes  d'Afrique 
orientale  publiées  en  ces  deraières  années  :  il  n'en  est  pas  deux 
^m  donnent  à  TEthiopie  les  mêmes  limites.  Toutes  vont  être 
oUigées  de  les  corrifferune  fois  encore,  car  les  traités  conclus 
le  15  mai  dernier  à  Addis-Ahaba  entre  la  Grande-Bretagne, 
rilalie  et  TEthlopie,  et  qui  ont  été  récemment  communiqués  au 
Parlement  britannique  et  à  la  Chambre  des  députés  italienne, 
établissent  une  répartition  nouvelle  des  territoires  de  ces  trois 
puissances. 

n  était  difficile,  jusqu'à  ce  jour,  de  ne  pas  s'égarer  dans 
renchevêtrement  des  actes  diplomatiques  qui  avaient  tenté  de 
délimiter  l'Afrique  orientale.  On  peut  cependant  en  rappeler 
en  quelques  mots  Thistoire,  qui  fera  mieux  comprendre  la 
portée  des  nouveaux  actes. 

Le  premier  partage  d'ensemble  de  l'Afrique  orientale  fut 
opéré  en  1891  par  l'Angleterre  et  l'Italie.  L'Italie,  engagée  à 
fond  dans  la  politique  crispinienne,  projetait  alors  de  mettre  la 
main  sur  l'Ethiopie  tout  entière  et  de  joindre  ses  possessions  de 
la  côte  de  l'Erythrée  à  celles  du  Benadir  :  le  roi  d'Italie  trouve- 
rait la  dignité  impériale  à  Axoum.  L'Angleterre,  désireuse  de 
sassurer,  dans  l'Est  du  Soudan  égyptien,  l'appui  des  «  solides 
alliés  »  auxquels  elle  allait  confier  la  garde  de  Kassala,  accepta 
de  reconnaître  et  de  proclamer  les  ambitions  abyssines  et  deux 
traités  répartirent  entre  l'Angleterre,  qui  n'était  pas  maîtresse 
du  Soudan  égyptien,  et  l'Italie,  qui  arrivait  à  peine  au  plateau 
QiTssT.  DiPL.  ST  Col.  —  t.  zy.  —  n^  143.  —  i«<^  février  1903  9 


130  OUKSTtONS  DIPLOMAnOUES  ET   COLONIALES 

abyssin,  les  territoires  compris  entre  le  Nil,  la  mer  Rouge  et 
l'océan  Indien.  Le  24  mars  1891,  M.  di  Rudini  et  lord  Dufferin 
signaient  à  Rome  un  traité  réglant  la  frontière  entre  «  les 
fi  sphères  d'influence  respectivement  réservées  à  la  Grande- 
ce  Bretagne  et  à  Tltalie  »,  de  l'Océan  jusqu'au  Nil  Bleu  :  cette 
frontière  suivait  le  cours  du  Djouba  (Juba)  de  la  mer  jusqu'au 
G®  degré  latitude  Nord,  ce  parallèle  jusqu'à  son  intersection 
avec  le  35"  degré  Est  Greenwich,  et  ce  35''  jusqu'au  Nil  Bleu. 
Le  13  avril  de  la  même  année,  second  traité  réglant  la  fron- 
tière entre  la  mer  Rouge  et  le  Nil  Bleu  :  partant  de  Ras-Kasar, 
elle  allait  vers  le  Sud-Ouest,  par  Sabderat  et  l'Atbara,  jus- 
qu'au 35°  degré  Est  Greenwioh  qu'elle  suivait  jusqu'au  Nil  Bleu. 
Les  parts  étaient  ainsi  nettement  définies  à  l'Ouest. 

La  question  de  TEst  fut  réglée  de  même  par  une  convention 
anglo-italienne  du  5  mai  1894  qui  donnait  au  Somaliland  un 
arrière-pays  s'étendant  jusqu'au  8''  degré  latitude  Nord.  L'Angle- 
terre, non  seulement  attribuait  à  l'Italie  et  s'offrait  à  elle-même 
des  territoires  sur  lesquels  elle  ne  possédait  aucun  droit,mais  aussi 
violait  le  traité  qu'elle  avait  elle-même  conclu  le  8  février  1888 
avec  la  France  pour  garantir  l'intégrité  du  Harrar,  en  tra- 
çant la  limite  entre  le  Somaliland  etnos  établissements  d'Obock. 

Et  cependant,  dès  le  10  slytH  1891,  Menelik  avait  adressé  aux 
puissances  européennes  une  circulaire  protestant  contre  les  ten- 
tatives d'absorption  de  l'Angleterre  et  de  l'Italie  et  définissant 
les  frontières  de  son' empire  :  elles  atteignent,  disait-il,  la  ville 
de  Tomat  au  confluent  de  TAtbara  et  du  Setit,  et  de  ce  point  de 
Tomat  vont  jusqu'à  Karkog  sur  le  Nil  Bleu,  puis  au  Nil  Blanc,  au 
Sobat,  au  lac  Rodolphe,  etc.  Du  côté  du  Somaliland,  la  circu- 
laire réclamait  également  un  certain  nombre  de  tribus  englo- 
bées dans  la  sphère  anglaise,  les  Habroual,  les  Gadaboursi. 
«  En  indiquant  aujourd'hui,  concluait  Menelik,  les  limites 
«  actuelles  de  mon  empire,  je  tâcherai,  si  le  bon  Dieu  veut  bien 
«  m'accorder  la  vie  et  la  force,  de  rétablir  les  anciennes  fron- 
ce tières  de  l'Ethiopie  jusqu'à  Khartoum  et  jusqu'au  lac  Nyanza 
«  avec  tous  les  pays  galla.  Je  n'ai  point  l'intention  d'être  spec- 
«  tateur  indifl'érent,  si  des  puissances  lointaines  se  présentent 
«  avec  l'idée  de  se  partager  l'Afrique,  l'Ethiopie  ayant  été  pen- 
ce dant  plus  de  quatorze  siècles  une  lie  des  chrétiens  au  milieu 
c(  de  la  mer  des  païens.  Comme  le  Tout-Puissant  a  protégé 
«  l'Ethiopie  jusqu'à  ce  jour,  j'ai  la  confiance  qu'il  la  protégera 
a  et  l'agrandira  aussi  dans  l'avenir.  Mais  je  suis  certain  qu'il  ne 
(c  partagera  jamais  l'Ethiopie  entre  d'autres  puissances.  » 

Cette  conviction  religieuse  s'appuyait  aussi  sur  une  force  que 
ne  soupçonnait  pas  TEurope,  ni  surtout  l'Italie,  poussée  par 


LA   DÉLIMITATION  DE  L'ETHIOPIE  131 

une  politique  mégalomane  à  Tassaut  de  Tempire  du  négus.  La 
dénonciation  du  traité  d'Ucciali,  le  12  février  1893,  allait  préci- 
piter les  événements.  L'invasion  et  rannexion  du  Tigré  par  les 
Italiens  rapprocha  de  Menelik  le  ras  Mangascha,  et  le  général 
Baratieri  prit  en  janvier  1895  Toffensive  contre  lui.  Les  Italiens 
s'enthousiasmaient  aux  nouvelles  de  victoire  que  leur  envoyait 
la  marche  triomphale  de  Baratieri  :  celui-ci  battait  Mangascha 
à  Coatit,  à  Sénafé,  enlevait  Adigrat  et  entrait  en  vainqueur  à 
Adoua,  la  capitale  historique  du  Tigré,  et  à  Axoum,  la  ville 
sainte  de  TEthiopie.  Mais  Menelik  réunissait  pendant  ce  temps 
toute  FEthiopie  sous  ses  ordres,  et  en  décembre  1895,  il  annon- 
çait son  entrée  en  lutte  par  le  coup  de  tonnerre  du  massacre 
de  la  colonne  Tosellià  Amba-Alaghi.  Les  troupes  inexpérimen- 
tées, envoyées  d'Italie  en  toute  hâte,  n'empêchèrent  point  la 
catastrophe  finale  :  Axoum  et  Adoua  furent  réoccupées  par 
Menelik,  Makallé  dut  capituler,  et  le  1"  mars  1896,  Baratieri 
était  complètement  écrasé  à  Abba-Garima,  près  d'Adoua. 

Cette  campagne  sauvait  Tindépendance  éthiopienne  et  la 
politique  crispinienne  en  fut  irrémédiablement  atteinte.  Le 
major  Nerazzini  fut  envoyé  auprès  du  négus  pour  négocier  la 
paix  et  le  26  octobre  1896  le  traité  d'Adoua  mettait  fin  aux  hos- 
tilités, en  annulant  le  traité  d'Ucciali  et  en  proclamant  l'indé- 
pendance absolue  et  sans  réserve  de  l'empire  éthiopien. 

Le  major  Nerazzini  et  Menelik  avaient  tenté  de  régler  aussi 
la  question  de  la  frontière  entre  TErythrée  et  l'Ethiopie,  mais 
ils  n'avaient  pu  se  mettre  d'accord,  et  le  traité  d'Adoua  avait 
décidé  qu'il  serait  procédé  dans  le  délai  d'un  an  à  rétablisse- 
ment des  frontières  définitives  :  en  attendant,  on  adoptait 
comme  frontière  provisoire  le  cours  des  rivières  Mareb,  Belessa 
et  Mouna. 

Mais  ce  n'était  pas  avec  l'Italie  seule  que  l'Ethiopie  était 
appelée  à  régler  ses  frontières.  Les  conventions  anglo-ita- 
liennes des  24  mars  et  15  avril  1891,  et  du  5  mai  1894,  tom- 
baient, victimes,  elles  aussi,  de  la  victoire  d'Adoua,  et  Menelik 
devait  s'entendre  avec  ses  deux  autres  voisines,  la  France  et 
l'Angleterre. 

Avec  la  France  la  question  fut  vite  réglée.  Au  cours  de  cette 
mission  de  1897,  qui  fut  l'origine  des  relations  nouvelles  entre 
la  France  et  l'Ethiopie,  notre  envoyé,  M.  Lagarde,  obtint  non 
seulement  la  ratification  de  la  convention  conclue  le  9  mars 
1894,  entre  le  négus  et  MM.  Ilg  et  Chefneux,  pour  la  construc- 
tion d'un  chemin  de  fer  de  Djibouti  à  Harrar,    mais  aussi  la 
signature    d'une   convention,    du    20   mars    1897,   demeurée 
secrète  en  son  texte,  mais  dont  on  sait    qu'elle   donne  à  la 


is: 


5o' 


^ 


La  Délijr 
de  1 
AFRI003< 

0         100       200 


Kil  omèi 


2s 


SuZUtÙL'du^  ConUÙ 


LA   DÉLIMITATION  DE  L*ÉTHIOPIE 


133 


"S/^iÈLi^ît^ 


\^;>  'u^t^^-i^-^  1   ,%7  ii-j^^Éà-t^ 


134  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

France  une  bande  de  terrain  d'une  centaine  de  kilomètres  au 
ilrnitdela  côte  du  golfe  d'Obock-Djibouti.  D'après  les  rensei- 
friif^ments  donnés  dans  un  ouvrage  récent  :  Djibouti^  mer 
liouge^  Abyssinie^  par  MM.  Angoulvant  et  Vignéras,  la  ligne 
frontière  est  constituée  par  une  ligne  idéale  partant  de  Djabela 
sixv  la  frontière  franco-anglaise  de  1888,  passant  à  Gobad  et  de 
la  remontant  par  Daimouhi  et  Adghèna-Marei,  puis  gagnant 
Doumeirah  par  Essaga,  en  côtoyant  Raheïta.  «  Mais  il  était 
0  hien  entendu,  ajoutent  ces  auteurs,  qu'aucune  puissance 
R  étrangère  ne  pouvait  se  prévaloir  de  cet  arrangement  — 
li  convention  privée  avec  l'Ethiopie  -^  pour  intervenir,  sous 
«  quelque  forme  ou  sous  quelque  prétexte  que  ce  fût,  dans  les 
«f  n'^^ions  situées  au  delà  de  la  zone  placée  sous  l'autorité 
ti  <lirecte  de  la  France.  Nous  gardions  ainsi  dans  ces  régions  — 
(<  et  c'était  un  des  avantages  de  la  convention  du  20mars  1897 
H  —  sans  dépenses  d'occupation  et  d'administration,  une 
i<  inlluence  prépondérante  exclusive  de  toute  autre  interven- 
<i  lion  étrangère  ;  et  l'Ethiopie  ne  pouvait  trouver,  dans  la  pos- 
«  session  que  nous  lui  en  reconnaissions,  que  le  gage  tangible 
w  de  la  loyauté  d'une  politique  ayaht  pour  objectif  le  maintien 
t<  i\v  Tintégrité  de  l'empire.  »  Toute  question  de  frontière 
l'Iïutninsi  réglée  entre  la  France  et  l'Ethiopie;  le  règlement 
ilrvail  être  plus  tard  non  moins  facile  entre  la  France  et  l'Italie 
i\\\\  se  mirent  d'accord,  par  des  protocoles  du  24  janvier  1900  et 
il  II  10  juillet  1901,  pour  déterminer  la  ligne  du  ras  Doumeirah 
v^*I^  lintérieur,  laquelle  a  laissé  à  l'Erythrée  le  sultanat  de 
li;i!]<^ïta. 

Kji  même  temps  que  nous  réglions  avec  Ménelik  notre  fron- 
tlrrr  f^les  autres  questions  confiées  à  la  diplomatie  de  M.  La- 
fiîirrh^,  l'Angleterre  s'entendait,  elle  aussi,  avec  le  négus  pour 
\iv  di" limitation  du  Somaliland.  La  frontière  arrêtée  par  le  traité 
ri  rif^  lu -italien  du  5  mai  1894  était  abandonnée,  et  par  des  actes 
sipi^H  par  M.  Rennell  Rodd,  l'un  avec  Menelik  le  14  mai  1897, 
Tu  II  Ire  avec  le  ras  Makonnen  le  4  juin  de  la  même  année,  une 
iM I II velle  lignç  était  tracée  entre  le  Somaliland  et  l'Ethiopie,  de- 
farnri  à  laisser  à  celle-ci  les  tribus  des  Habroual  et  des  Gada- 
l>nuï\si.  Des  premiers  pourparlers  avaient  été  échangés  à  ce 
mriiiient  pour  la  délimitation  à  l'Ouest,  entre  le  Soudan  égyp- 
lit^n  cl  l'Ethiopie  :  ils  n'aboutirent  pas. 

ITautre  part,  le  major  Nerazzini  avait  conclu,. en  cette  même 
ïi tintée  1897,  la  convention  de  délimitation  prévue  au  traité 
(lAdoua.  Le  texte  de  cet  acte  n'a  pas  été  publié.  Mais  les  propo- 
silinns  que  Menelik  avait  fait  agréer  par  l'officier  italien  sont 
iiïniuies  :  partant  de  Tomatau  confluent  du  Setit-Tacazzé  et  de 


LA   DÉLr3«ITATI0N   DE  L'ÉTUIOPIE  135 

TAtbara,  la  frontière  allait  en  ligne  droite  au  Nord-Est  au  point 
de  Todluc  sur  le  Gasc-Mareb ;  suivait  le  Mareb  jusqu'au  con- 
fluent de  TAmbessa  ;  mais,  de  là,  au  lieu  de  continuer  le  long 
du  Mareb-Belessa-Mouna,  choisi  provisoirement  par  le  traité 
d'Adoua,  elle  se  dirigeait  au  Nord-Est,  de  façon  à  laisser  à 
l'Ethiopie  les  districts  du  Sera^,  de  l'Oculé-Kusaï  et  du  Scimen- 
zana.  Dès  que  le  parti  africaniste  italien  connut  les  bases  de 
c»*tte  convention,  il  protesta  avec  véhémence,  faisant  remarquer 
qu'elle  renonçait  à  des  districts  occupés  depuis  longtemps  par 
l'Erythrée  et  à  des  positions  stratégiques  importantes  telles  que 
Adi-Ugri  et  Adi-Caié.  Il  demandait  qu'on  revînt  à  la  ligne 
Mareb-Belessa^Mouna  du  traité  d -Adoua. 

C*est  en  présence  de  cette  situation  confuse  que  se  trouvèrent 
en  1899  les  nouveaux  ministres  d'Angleterre  et  d'Italie,  le 
colonel  Harrington  et  le  capitaine  Ciccodicola.  Leur  qualité 
d'officiers  ajoutant  sans  doute  à  leur  prestige  de  diplomates,  ils 
surent  prendre  peu  à  peu  une  situation  morale  considérable 
auprès  du  négus.  t)ès  Tannée  1900,  le  capitaine  italien  obtenait 
du  souverain  Fabandon  de  la  convention  Nerazzini  et  le  10  juil- 
let il  signait  à  Addis-Ababa  une  convention  qui  reconnaissait 
l'omme  frontière  la  ligne  Tomat^Todluc-Mareb-Belessa-Mouna  : 
il  était  toutefois  entendu  que  le  gouvernement  italien  ne  pour- 
rait jamais  céder  le  territoire  au  Nord  de  cette  ligne,  abandonné 
par  Menelik. 

Les  bases  de  l'entente  entre  TEthiopie  et  Tltalie  ainsi  jetées, 
TAngleterre  rentra  en  scène.  Elle  procéda  d'abord,  de  concert 
avec  l'Italie,  à  une  description  des  limites  du  district  de  Tomat 
par  où  l'Erythrée  occidentale  s  appuyait  au  cours  de  TAtbara 
convention  ColH-Talbot,  16  avril  1901).  Puis  te  fut  la  grave 
question  de  la  frontière  occidentale  générale  de  TEthiopie, 
qu'elle  posa  à  Menelik  par  l'entremise  du  colonel  Harrington 
a-ssisté   du  capitaine  Ciccodicola. 

Ce  fut  de  la  part  du  colonel  Harrington  une  remarquable 
habileté  diplomatique  que  de  dissiper  ainsi  les  soupçons  et  les 
inquiétudes,  qu'avaient  fait  naître  dans  l'esprit  du  néi^nis  les 
visées  anglaises  sur  son  pays.  Au  lendemain  de  Fachoda, 
l'armée  de  Kitchener  paraissait  prête  à  se  lancer  à  l'assaut  du 
plateau  éthiopien  et  les  postes  avancés  du  négus  s'attendaient  à 
1  attaque.  La  guerre  du  Transvaal  détourna  sur  une  autre  partie 
de  TAfrique  les  disponibilités  militaires  de  la  Grande-Bre- 
tiigne.  On  pouvait  croire,  il  semblait,  il  y  a  deux  ans,  que  la 
tentative  contre  l'Ethiopie  n'était  que  partie  remise  :  TAngle- 
terre  ajournait,  disait-on,  le  règlement  de  la  frontière  pour  se 
réserver  des  motifs  d'intervention  et  peut-être  des  sujets  de 


i36  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONULBS  * 

conflits.  Mais  guérie  pour  quelques  années  du  désir  de  tout 
effort  militaire,  elle  a  préféré  la  manière  douce  à  la  manière 
forte  que  les  attaques  de  certains  publicistes  et  de  certains 
auteurs  anglais  contre  Menelik  faisaient  prévoir,  et  c'est  par 
la  diplomatie  qu'elle  a  cherché  à  s'introduire  auprès  de 
Menelik. 

Le  15  mai  1902,  le  colonel  Harrington  signait  à  Addis-Ababa, 
avec  le  négus,  un  traité  qui  déterminait  la  frontière  occidentale 
et  dont  voici  le  texte  : 

Article  premier.  —  La  frontière  entre  le  Soudan  et  rÉthiopie,  telle 
qu*elle  résulte  de  Taccord  entre  les  deux  gouvernements,  sera  :  la  ligne 
marquée  en  rouge  sur  la  carte  annexée  au  présent  traité  en  double  exem- 
plaire, et  qui,  partant  du  Khor  Um  Hagar,  passe  par  Gallabat,  rejoint  le 
Nil  Bleu,  la  rivière  Baro,  suit  le  cours  du  Pibor  et  de  l'Akobo,  ce  der- 
nier jusqu'à  Melile,  et  de  ce  point  gagne  Tintersection  du  6«  degré  de 
latitude  Nord  avec  le  35*  degré  de  longitude  Est  de  Greenwich. 

Art.  2.  —  La  frontière,  définie  à  Tarticle  précédent,  sera  déterminée  et 
marquée  sur  le  terrain  par  une  commission  de  délimitation  dont  les  mem- 
bres seront  nommés  par  les  deux  hautes  parties  contractantes,  qui  se 
chargent  en  outre  de  faire  connaître  à  leurs  sujets  respectifs  le  tracé  de  la 
frontière  tel  qu'il  résultera  de  la  délimitation. 

Art.  3.  —  S.  M.  Tempereur  Menelik  II,  roi  des  rois  d'Ethiopie,  s'engage 
envers  le  gouvernement  de  S.  M.  Britannique  à  ne  pas  construire  ni  per- 
mettre de  construire  sur  le  Nil  Bleu,  le  lac  Tsana  ou  le  Sobat,  d'ouvrage 
quelconque  pouvant  gêner  la  marche  de  leur  cours  vers  le  Nil,  à  moins 
d'entente  avec  le  gouvernement  de  S.  M.  Britannique  et  le  gouvernement 
du  Soudan. 

Art.  4.  —  S.  M.  l'empereur  Menelik,  roi  des  rois  d'Ethiopie,  s'engage  à 
laisser  le  gouvernement  de  S.  M.  britannique  et  le  gouvernement  du 
Soudan  choisir,  dans  le  voisinage  d'Itang,  sur  la  rivière  Baro,  un  territoire 
d'un  seul  tenant,  dont  la  longueur,  en  bordure  de  la  rivière,  ne  pourra 
excéder  2.000  mètres  et  dont  la  superficie  n'excédera  pas  400  hectares  :  ce 
territoire  sera  cédé  à  bail  au  gouvernement  du  Soudan  pour  être  admi- 
nistré et  occupé  en  qualité  de  station  commerciale,  aussi  longtemps  que 
le  Soudan  sera  sous  le  gouvernement  anglo-égyptien.  Il  est  entendu  entre 
les  deux  hautes  parties  contractantes  que  le  territoire  ainsi  cédé  à  bail  ne 
pourra  servir  à  aucun  objet  politique  et  militaire. 

Art.  5.  —  8.  M.  l'empereur  Menelik,  roi  des  rois  d'Ethiopie,  concède  au 
gouvernement  de  S.  M.  Britannique  et  au  gouvernement  du  Soudan  le 
droit  de  construire,  à  travers  le  territoire  abyssin,  un  chemin  de  fer  reliant 
le  Soudan  à  l'Ouganda. 

Le  tracé  de  ce  chemin  de  fer  sera  déterminé  par  accord  mutuel  entre 
les  deux  hautes  parties  contractantes. 

Le  présent  traité  entrera  en  vigueur  dès  que  sa  ratification  par  S.  M.  Bri- 
tannique aura  été  notifiée  à  l'empereur  d'Ethiopie. 


--«•■ 


LA  DÉUMITATION  DE  l'ÉTHIOPIB  137 

En  foi  de  quoi,  S.  M.  Menelik  II,  roi  des  rois  d*Éthiopie,  en  son  nom,  et 
le  lieutenant-colonel  John  Lane  Harrington,  au  nom  de  S.  M.  le  roi 
Edouard  VII,  souverain  du  Royaume-Uni  de  Grande-Bretagne  et  d'Irlande 
et  de  l'empire  britannique  au  delà  des  mers,  empereur  des  Indes,  ont 
signé  le  présent  traité,  en  double  original,  écrit  en  anglais  et  en  amha- 
n<]ue,  identiquement,  les  deux  textes  étant  officiels,  et  y  ont  apposé  leurs 
sceaux. 
Fait  à  Âddis-Âbaba.  ce  15  mai  1902. 

L.  S.  John  Lane  Harrington, 

.  lieutenant-colonel. 
Sceau  de  S.  M.  Cempereur  Menelik  IL 

Le  même  jour,  Menelik  signait  encore  avec  le  colonel  Har- 
riii^on  et  le  capitaine  Ciccodicola  une  note  annexe  au  trait*'* 
ci-dessus  et  au  traité  italoréthiopien  du  10  juillet  1900  et  déli- 
mitant la  frontière  respective  du  Soudan  égyptien,  de  TErythrée 
et  de  l'Ethiopie.  Le  district  de  Tomat  était  rendu  au  Soudan  ; 
ritalie  obtenait  en  échange  le  territoire  compris  entre  le  Marel» 
»'t  le  Setit-Maieteb.  Cette  note  annexe  est  ainsi  conçue  : 

S.  M.  Tempereur  d*Ethiopie,  Menelik  II,  le  major  Ciccodicola,  ministre 
•iltalie  en  Ethiopie,  et  le  lieutenant-colonel  Harrington,  agent  d»' 
S.  M.  Britannique  en  Ethiopie,  ont  arrêté  ce  qui  suit  : 

Article  premier. —  La  frontière  conventionnelle  entre  l'Ethiopie  et 
.'Erythrée,  précédemment  déterminée  par  la  ligne  Tomat-Todluc,  est 
codifiée  de  la  manière  suivante  : 

La  nouvelle  frontière  part  du  confluent  du  Khor  Um  Hagar  avec  le 
Seiit,  suit  le  cours  de  cette  rivière  jusqu'à  sa  jonction  avec  le  Maieteb, 
•ait  le  cours  du  Maieteb  de  façon  à  laisser  à  l'Erythrée  le  mont  Ala  Tacura 
-i  rejoint  le  Mareb  à  son  confluent  avec  le  Mai  Ambessa. 

La  ligne  qui  va  du  confluent  du  Setit  et  du  Maieteb  au  confluent  du 
Mareb  et  du  Mai  Ambessa  sera  déterminée  par  des  délégués  italiens  et 
•éthiopiens  de  façon  à  laisser  à  l'Erythrée  la  tribu  des  Canama. 

Art.  2.  —  La  frontière  entre  le  Soudan  et  l'Erythrée,  au  lieu  d'être 
celle  qui  a  été  délimitée  par  les  délégués  anglais  et  italiens  en  exécution 
ie  la  convention  du  16  avril  1901,  sera  déterminée  par  une  ligne  menée  de 
SalKierat  au  confluent  du  Khor  Um  Plagar  avec  le  Setit  et  passant  par 
Abu  Jamal. 

Le  présent  arrangement  entrera  en  vigueur  aussitôt  que  la  ratification 
:ar  les  gouvernements  britannique  ei  italien  aura  été  notifiée  à  l'empe- 
reur d'Ethiopie. 

En  foi  de  quoi,  S.  M.  l'empereur  d'Ethiopie,  Menelik  II,  en  son  nom  et 
rj  nom  de  ses  successeurs;  le  major  Ciccodicola,  au  nom  de  S.  M.  Victor- 
Emmanuel  III,  roi  d'Italie,  et  de  ses  successeurs;  et  le  lieutenant-colonel 
iiarringtoa,  au  nom  de  S.  M.  Edouard  VII,  roi,  etc.,  etc.,  et  de  ses  suc- 
esseurs,  ont  signé  la  présente  note  en  triple  exemplaire,  écrit  en  italien, 

9* 


138  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

en  anglais  et  en  amharique,  chaque  texte  étant  officiel,  et  y  ont  apposé 
Ipurs  sceaux. 

Fait  à  Âddis-Âbaba,  ce  15  mai  1902. 

L.  S.  John  Lane  Harrington, 

lieutenant-colonel. 
L.  S.  Major  Federico  Ciccodicola. 

Sceau  de  S.  M,  Cempereur  Menelik  IL 

La  carte  ci-jointe  fait  apprécier,  avec  plus  de  clarté  que  notre 
t  xposé,  le  tracé  de  la  ligne  nouvelle  qui  séparera  définitivement 
l'Ethiopie  et  le  Soudan  égyptien.  Tout  d'abord,  l'Italie  reçoit 
une  extension  de  territoire  au  Sud  du  Mareb  en  compensation 
tle  sa  renonciation  au  district  de  Tomat  et  en  rémunération  de 
Toccupation   de   Kassala  pendant    la  reconquête   du   Soudan 
é^^yptien.  Puis  la  frontière  va  par  Métamma-Gallabat,  où  périt 
en  1889  le  négus  Jean,  après  sa  victoire  sur  les  Derviches, 
jusqu'au  Nil   Bleu   qu'elle  coupe  en  amont  du  poste  anglais 
l'îimaka,  laisse  à  l'Ethiopie  les  territoires  aurifères  des  Beni- 
Cliongoul,  accède  à  la  rivière  Sobat,  Taffluent  de  droite  du  Nil 
(ïitr  où  revint  de  Fachoda  la  mission  Marchand  et  qui  est  formé 
du  Baro  et  du  Pibor  (Djouba).  Longeant  vers  le  Sud  la  rive 
droite   du    Pibor,  puis  vers   le   Sud-Ouest  la    rivière   Akobo 
(Djouba)  jusqu'à  Melile,  la  délimitation  aboutit  à  l'intersection 
du  6*  degré  latitude  Nord  avec  le  33*  degré  Est  Greenwich.  Au 
delà,  la  frontière,  entre  l'Ethiopie  et  l'Ouganda  d'une  part  et 
entre  l'Ethiopie  et  le  Benadir  italien,  d'autre  part,  reste  à  déter- 
miner :  c'est,  avec  la  région  comprise  entre  la  Mouna  et  notre 
colonie  de  Djibouti  parallèlement  à  la   côte  d'Assab,  la  seule 
partie  de  VAfrique  orientale  qui  ne  soit  pas  encore  délimitée. 
J^e  lieutenant  de  vaisseau   A. -H.  Dyé,  qui  commandait  la 
tlutiille  de  la  mission  Marchand,  a  fait  ressortir,  dans  une  com- 
munication au    Comité   de  l'Afrique  française  l'intérêt  de   la 
nouvelle  frontière  pour  TEthiopie  : 

L'accès  des  Abyssins  au  Sobat,  superbe  voie  fluviale  navigable  en  touie 
i^aison,  constitue  un  point  très  important.  Il  a  été  rendu  possible  par  les 
uxfniilitions  du  dedjaz  Thessama,  rayonnant  de  Goré  vers  les  basses 
vallées  du  Baro  et  de  la  rivière  Pibor.  A  noter  aussi  que  les  noirs  de  cette 
réfîion  paient  aux  Abyssins  un  tribut  en  ivoire  et  en  civette.  Sans  doute 
U^y<  négociateurs  anglais  ont  jugé  que  le  Soudan  nilotique  était  suffisam- 
ment  pourvu  d'immensités  marécageuses,  et  ils  n'ont  pas  réclamé  avec 
Ltop  d'âpreté  les  quelques  3.600  milles  carrés  de  marais  attribués  ainsi  à 
rKiliiopie,  entre  les  rivières  Baro,  Pibor  et  Akobo.  Ce  sont  de  tels  terri- 
t^ïii^a  qui  faisaient  dire  à  un  commandant  anglais  remontant  en  1898  le 
Sohat  de  concert  avec  les  officiers  de  la  mission  Marchand  :  «  Si  tous  ces 
ro&eaux  et  ces  herbes,  qui  s'étendent  jusqu'à  l'horizon  comme  un  océan. 


LA   DÉLIMITATION  DE  L'ÉTHIOPIB  139 

pouvaient  être  mis  en  vente,  nous  aurions  fait  au  Soudan  une  riche  ac^jui- 
sition  d'une  valeur  incalculable  !  » 

Au  point  de  vue  stratégique,  ces  marais  constituent  plutôt  une  barrière, 
une  cuirasse  pour  le  Soudan  égyptien;  ainsi,  on  se  rappelle  qu'ils  arrêtè- 
rent, en  1897,  la  marche  de  la  mission  de  Bonchamps,  qui  comptait 
atteindre  le  Nil  et  montrer  la  route  aux  Abyssins.  Lorsque  l'armée  éthio- 
pienne du  dedjaz  Thessama  vint,  en  juin  1898,  séjourner  quelques  heures 
au  confluent  du  Sobat  et  du  Nil  Blanc,  on  sait  qu'elle  se  détermina  ii 
contourner  les  marais  par  le  Sud,  en  franchissant  la  rivière  Akobo.  bans 
cette  belle  marche  au  Sud  du  Sobat  et  jusqu'au  Nil,  le  dedjaz  Thossania 
fut  soutenu  par  l'indomptable  énergie  de  l'adjudant  français  Faivrf*, 
détaché  auprès  de  lui  par  le  ministre  de  France  en  Ethiopie. 

Les  expéditions  de  Thessama,  puis  Je  retour  de  la  mission  Marcliiind 
par  le  Sobat  et  le  Baro,  où  fut  abandonnée  la  flottille  française  du  Xil  :i  la 
garde  d'un  chef  abyssin,  attirèrent  l'attention  du  négus  Menelik  sur  1  im- 
portance de  la  rivière  Baro  comme  débouché  des  provinces  occideniali  > 
de  son  empire.  Le  crochet  de  la  ligne  frontière  jusqu'à  la  naissant  f;  il n 
Sobat  montre  la  répercussion  de  cet  ensemble  de  faits  sur  le  résultat  iN'^ 
négociations. 

L'importance  de  Taccès  donné  à  TEthiopie  sur  le  Soljnt  a 
surpris  ceux  qui  se  rappelaient  Tintransigeance  qui  pousi^riU 
certains  Anglais,  il  y  a  trois  ans  à  peine,  à  refuser  d'adraellro 
une  avancée  de  l'Ethiopie  dans  le  bassin  du  Xil.  Il  faut  chen  lu*r 
les  raisons  de  cettç  concession  dans  les  stipulations  du  traiti'  Ju 
15  mai,  qui  ne  se  réfèrent  point  à  la  délimitation  et  qui  ^tmt 
peut-€^tre  cependant  les  plus  dignes  de  remarque  :  nous  voiil -us 
parler  des  articles  3,  4  et  5.  L'Angleterre  a  dû  payer  sur  le  Siljat 
les  avantages  qu'elle  obtenait  ici.  A-t-elle  fait  un  mauvius 
marché  ?  Qu'on  en  juge. 

L'article  3  promet  que  TEthiopie  n'établira,  sur  le  Nil  Bleu,  hi 
lac  Tsana  ou  le  Sobat,  aucun  ouvrage  qui  puisse  gêner  la  man  Ik^ 
de  leur  cours  vers  le  Nil.  Le  Times  du  15  décembre  en  a  mon  In** 
ainsi  la  portée  : 

Pour  apprécier  l'importance  réelle  de  cette  stipulation,  il  faut  se  reporfi^r 
aux  plus  récentes  conclusions  auxquelles  les  spécialistes  sont  arrivés,  rifn- 
tivement  à  l'utilisation  des  eaux  du  haut  Nil  ;  et  notammentà  ce  rapport  ite 
sir  William  Garstin  que  le  gouvernement  a  déposé  au  Parlement  l'anuiV 
dernière  et  qui  est  probablement  Tun  des  documents  les  plus  intéressés  ni  :5 
•ju 'ait  jamais  signés  un  technicien.  Après  une  enquête  a]>profoudie  sur  plar[*, 
sir  William  Garstin  a  été  amené  à  conclure  que  nul  endroit  ne  se  pirii* 
mieux   à  rétablissement  d'un  grand  réservoir  que  le  lac  Tsana,  la  ^{inU' 
nappe  d'eau  profonde  et  de  grande  dimension  qui  se  rencontre  dans  la  |. vir- 
ile septentrionale  du  plateau  abyssin,  origine  du  Nil   Bleu,  qui  est  uiu- 
route  commerciale  très  importante  et  dont  les  eaux  sont  incomparablement 
plus  fertilisantes  que  celles  du  Nil  Blanc:  le  lac  Tsana  jouera  peut-étrf'  nn 
jour,  dans  le  système  d'iprigation  de  l'Egypte,  un  rôle  aussi  important  ^jyii 


140  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   £T  COLONIALES 

les  ouvrages  grandioses  d'Âssouan  et  d^Âssiout.  Aussi,  la  garantie  qui  nous 
est  donnée  par  le  traité  pour  la  préservation  du  lac  et  de  la  rivière  présente- 
t-elle  une  importance  capitale.  En  outre,  cette  concession  est  d'un  bon 
augure  pour  le  succès  des  démarches  que  Ton  pourrait,  à  l'occasion,  être 
amené  à  faire  auprès  de  Menelik  afin  d'obtenir  son  consentement  à  l'utili- 
sation de  ces  masses  d'eau  par  le  moyen  de  telles  installations  que  nos  ingé- 
nieurs pourraient  projeter. 

Cette  dernière  phrase  est,  croyons-nous,  Taveu  bien  clair  que 
TAngleterre  ne  renonce  pas  à  étendre  son  action  en  Ethiopie.  Le 
iraité  du  15  mai  tend  à  placer  entre  les  mains  anglaises  les  tra- 
vaux publics,  barrages,  canalisations,  qui  pourraient  être  faits 
dans  les  territoire  du  négus  :  il  ne  le  dit  pas,  mais  le  Times  le 
lui  fait  dire,  et  avec  lui  tous  les  autres  journaux. 

L'article  4  cède  à  bail  à  l'Angleterre  une  enclave  éthiopienne 
dans  le  voisinage  de  Itang  sur  le  Baro.  Elle  ne  pourra  servir,  dit 
le  traité,  à  aucun  objet  politique  et  militaire  et  le  Times,  de  son 
côté,  nous  assure  que  «  ladministration  britannique  pourra 
«  utiliser  cette  clause  pour  prendre  sa  part  du  commerce  im- 
c(  portant,  —  commerce  d'ivoire  principalement,  —  qui  se  fait 
.  «  dans  cette  région.  »  Mais  n'est-ce  pas  déjà  un  objet  politique 
—  et  peut-être  militaire  aussi,  —  que  poursuit  le  futur  chemin 
de  fer  du  Cap  au  Caire,  dont  l'article  5  autorise  le  passage 
éventuel  sur  territoire  éthiopien  et  qui  passera  nécessairement 
près  d'Itang  ?  Empruntons  encore  cette  intéressante  citation  à 
la  communication  du  lieutenant  de  vaisseau  Dyé  : 

La  phrase  relative  au  droit  de  construction  du  chemin  de  fer  est  à  des- 
sein très  vague.  lie  rebord  occidental  du  plateau  éthiopien,  entre  le  Nil 
Bleu  et  le  lac  Rodolphe,  est  encore  trop  peu  connu  pour  que  le  tracé  de  la 
voie  ferrée  puisse  être  ébauché.  Un  fait,  dès  à  puésent  acquis,  c'est  qu'il 
semble  inutile  de  tenter  la  construction  du  chemin  de  fer,  en  amont  de 
Khartoum,  le  long  du  magnifique  chenal  navigable  constitué  par  le  Nil 
Blanc.  Dans  toute  cette  partie  de  la  plaine  nilotique,  le  sous-sol  est  telle- 
ment marécageux,  que  les  frais  de  construction  de  Tinfrastructyre  ne 
répondraient  en  rien  au  rendement  du  transit  qu  il  est  permis  d'espérer. 
D'autre  part,  pour  conserver  entièrement  à  la  grande  ligne  du  Cap  au 
Caire  son  caractère  impérial  et  stratégique,  il  est  probable  que  l'on  ne  se 
hasardera  pas  à  escalader  le  plateau  éthiopien,  même  si  les  ingénieurs 
réussissaient  à  faire  circuler  le  rail  à  travers  ce  chaos  de  pics  et  de  ravins,' 
de  vallées  et  d'arêtes  montagneuses.  Il  est  donc  très  probable  que  le  grand 
transafricain  anglais  remontera  la  vallée  du  Nil  Bleu  jusqu'aux  environs  de 
Roseiras,  puis  suivra  vers  le  Sud,  vers  l'Ouganda,  la  lisière  Ouest  des  pla- 
teaux éthiopiens  au  pied  de  la  brusque  ascension  des  montagnes.  La  voie 
ferrée  couperait  ainsi  la  rivière  Baro  juste  dans  les  environs  d'Itang,  point 
où  l'article  4  du  traité  prévoit  l'octroi  à  l'Angleterre  d'une  concession  terri- 
toriale. Sur  les  rives  de  la  rivière  Baro,  Itang  est  située  dans  la  zone  de 


LA    DÉUMITATION  DE   L*ÉTHI0PIE  141 

transition  entre  les  marécages  nilotiqués  et  les  premiers  contreforts  rocheux 
qui  se  dressent  à  quelques  kilomètres  dans  le  Nord- Ouest.  Ce  sera  le  port 
amont  des  vapeurs  anglais  qui  viendront,  avant  la  construction  du  chemin 
de  fer,  écouler  par  la  voie  du  Sobat  une  partie  des  produits  du  plateau 
éthiopien,  dont  le  rebord  occidental  est  d'une  merveilleuse  fertilité.  Les 
vapeurs  de  rivière  pourront  y  remonter  à  Tépoque  des  eaux  hautes  et 
moyennes.  En  outre,  dès  que  la  réalisation  totale  du  transafricain  sera 
résolue,  le  port  d'Itang,  à  Textrémité  du  Sobat  et  du  Baro  navigables, 
pourra  servir  de  chantier  initial  pour  les  travaux  de  la  voie  ferrée  vers  le 
Nord  et  vers  le  Sud;  il  jouerait  alors  le  même  rôle  que  les  ports  fluviaux 
des  grands  fleuves  sibériens  pour  la  construction  du  transasiatique 
russe. 

Cette  œuvre  grandiose  du  chemin  de  fer  du  Cap  au  Caire  importait 
autrement  aux  Anglais  que  la  possession  de  quelques  kilomètres  carrés  de 
terre  en  plus  ou  en  moins. 

.  Les  maîtres  des  steppes  et  des  marécages  de  l'immense  vallée  du  Nil  se 
souciaient  peu  d'agrandir  encore  les  vastes  espaces  couverts  d'herbes 
improductives.  Ils  ont  eu  la  sagesse  d'accorder  à  l'Ethiopie  Taccès  au 
Sobat,  préférant  la  réalisation  des  gi*ands  travaux  de  caractère  impérial  que 
Ton  vient  d'exposer  à  la  possession  des  marais  d'entre  Baro  et  Djouba. 

Les  Français,  amis  fidèles  et  désintéressés  de  TEthiopie,  se 
réjouissent  certes  du  règlement  des  difficultés  de  frontières  à 
l'Ouest  et  de  l'accès  qui  lui  est  ouvert  au  Nil.  Mais  il  leur  paraît 
que  la  concession  d'Itang,  le  droit  de  passage  du  chemin  de  fer 
et  l'article  relatif  à  la  circulation  des  eaux  du  Nil  Bleu  et  du 
Tsana  offrent  de  réels  dangers.  Ils  nous  sembleraient  moins 
graves  si  dqus  ne  savions  que,  depuis  la  paix  du  Transvaal,  la 
politique  britannique  a  repris,  à  Addis-Ababa  comme  ailleurs, 
toute  son  activité.  5f*en  a-t-on  pas  eu,  il  y  a  quelques  jours,  une 
preuve  décisive  :  le  concours  donné  par  TEthiopre  aux  opérations 
engagées  dans  le  Sud  du  Somaliland  contre  le  mahdi  de 
rOgaden?  Le  ras  Makonnen  va  diriger  les  troupes  qui  doivent 
permettre  aux  Anglais  de  se  défaire  de  ce  redoutable  adversaire. 
L'Italie  elle-mt^me,  fort  bien  servie  par  les  talents  du  capitaine 
Ciccodicola,  reprend  auprès  du  négus  une  place  chaque  jour 
plus  importante. 

Nous  voudrions  pouvoir  dire  que  notre  situation  s'améliore 
également.  Malheureusement  les  moyens  mis  en  œuvre  à 
Addis-Ababa  sont  insuffisants  :  on  n'a  môme  pas  encore  con- 
stitué auprès  de  notre  ministre  la  petite  escorte  d'officiers  qui 
loi  permettrait  de  tenir  le  rang  et  de  jouer  le  rôle  du  représen- 
tant de  la  puissance  ipaîtresse  de  Djibouti  et  maîtresse  du 
chemin  de  fer,  ^ 

Et  pourtant  l'occasion  s'offre  à  nous.  Menelik  va  parcourir  en 
personnB  dans  quelques  jours  la  ligne  du  chemin  de  fer  français 


142  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

(le  Djibouti  à  Addis-Harrar  qu'on  a  inaugurée  le  25  décembre 
dernier,  et  le  gouvernement  français  a  décidé  qu'une  force 
navale  serait  envoyée  pour  saluer  le  souverain.  L'inauguration 
impériale  se  passera- t-elle  en  discours,  en  fêtes,  en  banquets  et 
t^n  coups  de  canon?  Ne  profiterons-nous  pas  de  Tinfluence,  de 
la  situation  privilégiée  que  nous  donne  le  chemin  de  fer,  pour 
renforcer  notre  représentation  à  Addis-Ababa  et  pour  accentuer 
i!otre  action  en  face  de  rivaux  agissants,  tout  au  moins  pour 
faire  décider  le  prolongement  de  notre  voie  ferrée  jusqu'à 
TAouache? 

Ici  comme  sur  plusieurs  points  où  s'exerce  notre  expansion 
coloniale,  nous  pouvons  réclamer  Tappui  de  la  Russie  qui 
^iTait  d'autant  plus  efficace  en  Ethiopie  que  cette  puissance  y 
jouit  d'une  inlluence  religieuse  incontestée.  Cet  appui,  des 
rivalités  personnelles  nous  avaient  empêchés  d'en  user  jusqu'à 
{•V  jour.  Or  le  titulaire  de  l'agence  russe  en  Ethiopie  vient  d'être 
changé,  et  tout  fait  croire  que  M.  Lichine,  le  nouveau  ministre 
de  la  puissance  alliée,  prêtera  à  notre  représentant  le  concours 
luyal  et  constant  que  le  colonel  Harrington  a  toujours  trouvé 
îiuprès  du  capitaine  Ciccodicola. 

Saurons-nous  en  profiter?  Le  moment  est  venu,  et,  puisque 
Menelik  a  pu  se  convaincre  que  nous  étions  pour  lui  des  colla- 
borateurs dévoués  et  désintéressés,  n'acceptera-t-il  point, 
irattendra-t-il  pas,  quand  il  sera  en  terre  française,  à  Djibouti, 
)|ue  nous  lui  demandions  de  rendre  cette  collaboration  plus 
intime,  plus  confiante,  plus  fréquente  aussi? 

Auguste  Terrier. 

P.  S.  —  Cet  article  était  écrit  quand  est  parvenue  la  nouvelle  que  Tinau- 
LTuration  du  chemin  de  fer  de  Djibouti  à  Addis-Harrar  par  Menelik  était 
ajournée. 

«  L'empereur  Menelik,  disent  les  nouvelles  de  Djibouti,  fidèle  observa- 
i*  teur  du  carême,  et  craignant  d'autre  part  d'avoir  à  remonter  à  Addis- 
'<  Ababa  en  saison  des  pluies,  a  fait  savoir  à  MM.  Ilg  et  Chefneux  aue  lo 
'<  carême  d'une  part,  et  la  saison  des  pluies  de  l'autre,  l'obligeant  à  trûler 
't  des  étapes  et  à  ne  pas  s'arrêter  plus  d'un  jour  à  Djibouti,  il  valait  mieux 
■  ajourner  le  voyage  à  la  fin  de  la  saison  des  pluies,  c'est-à-dire  à  l'automne 
'.«  prochain,  de  manière  à  séjourner  au  moins  une  quinzaine  de  jours  à 
(t  Harrar,  une  huitaine  à  Djibouti  et  sur  la  ligne.  » 

Et  pourtant,  notre  Conseil  des  ministres  avait  déjà  arrêté  sa  participation 
aux  fêles  du  17  février  :  le  cuirassé  léna  et  le  croiseur  Linois  étaient  dési- 
liués  pour  aller  saluer  le  Né^us  à  Djibouti.  Faut-il  voir  dans  cet  ajourne- 
ment une  conséquence  des  intrigues  des  légations  étrangères  à  Addis- 
Ababa,  comme  1  a  dit  une  dépêche  du  Temps?  En  tout  cas,  ce  déplorable 
Ciintretemps  est  un  argument  nouveau  en  faveur  de  la  nécessité  de  renfor- 
cer notre  action  diplomatique  en  Ethiopie  :  venant  après  la  publication  du 
iraité  anglo-éthiopien,  il  signifie  que  nous  ne  devons  plus  nous  complaire 
dans  le  mystère  qui  nous  a  caché  jusqu'à  ce  jour  la  portée  réelle  de  notre 
influence  en  Ethiopie.  —  A.  T. 


LA  QUESTION  DE  MACÉDOINE 


Dans  un  premier  article  *,  j"ai  posé  la  question  de  Macé- 
doine —  «  qui  n'est  ni  plus  ni  moins  que  notre  vieille  con- 
naissance, la  question  d'Orient  »  —  et  j'ai  recherché  les  causes 
pour  lesquelles,  après  tant  d'années  de  troubles  chroniques  et 
isolés,  on  a  ébauché  l'automne  dernier,  et  on  nous  annonce 
pour  le  printemps,  une  révolution. 

Aujourd'hui,  je  voudrais  préciser  le  but  du  soulèvement, 
^^quisse^  l'organisation  des  comités,  et  indiquer  les  consé- 
quences probables  —  non  seulement  balkaniques,  mais  euro- 
péennes —  des  faits  actuels. 


LA    TACTIQUE   MACEDONIENNE 

Des  Bulgares  macédoniens  veulent  faire  une  Macédoine  auto- 
nome —  et  au  besoin  indépendante  —  sans  plus  se  préoccuper 
k  la  principauté  de  Bulgarie  que  des  autres  petits  Etats  de  la 
f»énînsule. 

La  scission  entre  eux  et  la  principauté  a  des  causes  multiples. 

Environ  200.000  Bulgares  de  Macédoine  vivent  hors  de 
Turquie,  au  moins  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année  : 
toute  une  partie  de  Sofia  est  macédonienne.  La  plupart  sont  des 
journaliers  agricoles  ou  des  ouvriers,  qui  retournent  passer 
l'hiver  en  Turquie.  Mais  beaucoup,  et  non  les  moins  agités, 
appartiennent  à  ce  prolétariat  intellectuel  qui,  une  fois  sorti  des 
^x)Ies  bulgares  de  Macédoine  et  de  la  principauté,  ne  sait  com- 
ment gagner  sa  vie.  Une  petite  partie  a  été  casée  par  l'Etat  bul- 
^'are  dans  Tannée,  dans  l'Université,  dans  les  lycées.  Les  autres 
font  de  la  politique.  Peu  à  peu,  un  grand  nombre  de  ceux-là, 
trouvant  que  leur  influence  n'est  pas  en  proportion  de  leur 
valeur,  se  sont  aigris.  Ils  ont  rendu  la  Bulgarie  responsable  de 
leur  trop  piètre  existence.  Si  jamais  la  Macédoine  s'afi'ranchit, 
ils  veulent  qu'elle  soit  à  eux,  sans  qu'ils  aient  à  partager 
avec  les  <r  frères  »  du  Nord. 


'  Voir  Qtiest.  Dipl-  et  Col.,  15  janvier,  t.  XV,  p.  82. 


i44  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

En  1896,  le  prince  Ferdinand  a  voulu,  comme  gage  de  récon- 
ciliation avec  la  Russie,  exiger  que  l'exarque  vînt  résider  à 
Sofia  et  mît  fin  au  schisme.  L'exarque  menaça  alors  d'entrer  en 
relations  avec  Rome'.  Toute  une  partie  du  clergé  macédonien, 
menacé  dans  son  existence  même,  n'a  pas  encore  pardonné  au 
prince. 

Vers  la  rac^me  époque,  pour  des  raisons  financières,  l'Etat 
bulgare  n'a  pas  pu  garder  la  haute  main  sur  la  propagande 
macédonienne,  dont  se  sont  emparés  les  comités,  c'est-à-dire  les 
Macédoniens.  D'où,  une  accélération  du  mouvement. 

Enfin,  la  politique  de  modération  et  de  prudence  sagement 
imposée  à  l'Etat  bulgare  par  la  Russie,  ennemie  des  coups  de 
tète,  a  fait  déborder  le  vase  *. 

Il  n'y  a,  d'ailleurs,  pas  simplement  opposition  d'une  idée 
nationale  macédonienne  à  l'idée  ijationale  bulgare.  L'idée  socia- 
liste et  internationaliste  a  fait  son  apparition  en  plein  Orient. 
De  jeunes  Macédoniens,  revenant  des  Universités  françaises  et 
suisses,  ont  apporté  et  propagé  les  nouveaux  dogmes  subversifs 
de  l'Occident.  On  s'est  surtout  inspiré  des  révolutionnaires 
russes  :  Dobroloubof,  Tchiernichevski.  Si  on  parle  d'une  Macé- 
doine futur  centre  de  la  fédération  des  Balkans,  on  y  met  comme 
condition  que  les  Balkans  se  soient  préalablement,  débarrassés 
de  leurs  dynasties,  et  jusqu'à  un  certain  point,  de  leurs  églises. 

La  supériorité  que  peut  s'arroger  ce  nouveau  parti,  c'est  qu'il 
élimine,  par  son  principe  même,  les  causes  nationales  de  divi- 
sion. Plus  de  Bulgares,  de  Serbes,  de  Grecs  et  de  musulmans, 
ennemis  les  uns  des  autres  :  rien  que  des  Macédoniens. 

Sans  doute,  la  réalisation  d'un  pareil  accord  ne  peut  être  entre- 
vue que  dans  un  avenir  incertain.  Mais,  dés  maintenant,  le  parti 
bulgare  de  la  Macédoine  autonome,  tout  en  mettant  la  division 
parmi  les  Bulgares,  même  enMacédoine,  aj  été  un  pont  entre  une 
partie  des  Bulgares  et  une  partie  des  Serbes.  L'idée  d'une  Bulgarie 
autonome  est  moins  faite  pour  effrayer  les  Serbes  du  moment 
où  l'autonomie  n'a  plus  pour  but  de  préparer  l'annexion  à  la 
principauté.  D'autre  part,  beaucoup  de  Serbes  sont  las  de  la 
politique  turcophile.  Elle  est  stérile.  Elle  rend  les  Slaves  macé- 
doniens de  plus  en  plus  réfractaires  à  la  propagande  serbe.  La 
politique  modeste  des  réformes  nationales  et  scolaires  apparaît 
insuffisante  en  présence  des  menaces  de  massacres  dont  les 
Albanais  —  Kurdes  d'Europe  —  donnent  déjà  un  avant-goût  aux 
paysans  de  Vieille-Serbie.  Les  réformes  politiques,  l'autonomie, 

1  Victor  Berard.  En  Macédoine,  p.  245  et  suivantes. 

'  Par  animosité  contre   la   Russie,  plus   d'un    des  membres   du   comité   SaraTof 
souhaite  l'occupation  austro-hongroise. 


LA   QUESTION   DE   MACÉDOINB  145 

apparaissent  comme  indispensables.  Des  Serbes  en  viennent 
donc  à  adopter  Tarticle  essentiel  du  programme  bulgare. 

Cet  été,  à  Belgrade,  «  la  Société  des  habitants  de  Vieille- 
Serbie  et  de  Macédoine  »,  sorte  de  comité  serbe  turcophile,  a 
été  empêchée  de  tenir  une  assemblée  par  des  professeurs  et  des 
étudiants  de  Belgrade,  qui,  une  fois  vainqueurs,  ont  proclamé 
la  nécessité  de  la  politique  autonomiste. 

Ainsi  tend  à  remporter  en  Macédoine  une  politique  révolu- 
tionnaire d'hommes  d'action  exaspérés.  Ils  reprennent  pour  le 
compte  de  la  Macédoine  la  parole  que  dut  prononcer  en  Italie 
le  roi  Charles-Albert  :  «  ,.,fara  da  se,  »  L'Italie  ne  s'est  pas  faite 
ainsi,  mais  Vltalie  —  et  avec  elle,  l'Europe  —  a  été  profondé- 
ment agitée  par  des  procédés  identiques.  La  Macédoine  entre 
dans  la  période,  non  des  Cavour,  —  Cavour  est  peut-être  à 
Sofia,  —  mais  des  Mazzini  et  des  Garibaldi. 

* 
♦  ♦ 

Ce  sont  bien  des  carbonari  et  des  chefs  de  partisans  qui 
entrent  en  scène  avec  les  «  comités  »  et  les  ce  bandes  ». 

Il  paraît  qu'il  existe,  en  Macédoine,  des  comités  exclusive- 
ment macédoniens,  sans  lien  avec  le  dehors,  longtemps  rudi- 
mentaires,  nettement  socialistes  et  partisans  de  Taction  révo- 
lutionnaire. Boris  Sarafof  s'occupe  actuellement  de  les  orga- 
niser. Mais  les  comités  qui  ont  jusqu'ici  fait  parler  d'eux  sont 
nés  dans  la  principauté  et  y  ont  actuellement  leur  centre. 

Ces  comités  locaux,  constitués  dans  chaque  ville  de  la  princi- 
pauté, surtout  par  les  Macédoniens  immigrés,  se  sont  fédérés, 
vers  1890,  en  un  a  haut  comité  macédo-andrinopolitain  *  ». 

En  4895,  une  première  incursion  fut  faite  en  Turquie  par 
Boris  Sarafof,  alors  tout  jeune  homme.  Il  occupa  pendant  un 
jour  la  petite  ville  de  Melnik.  Le  haut  comité  semble  ne  pas 
être  responsable  de  cette  expédition.  Les  Macédoniens,  qui 
n'étaient  nullement  préparés  à  le  soutenir,  le  désavouèrent. 
L'État  bulgare  sévit. 

De  1895  à  1899,  le  haut  comité  et  ses  filiales  fonctionnèrent 
comme  un  vaste  bureau  de  bienfaisance  pour  réfugiés.  Il  prit 
pour  base  de  ses  revendications  l'article  23  du  traité  de  Berlin 
et  en  appela  aux  Puissances.  Mais,  peu  à  peu,  les  hommes 
d'Etat  qui  en  faisaient  partie  disparurent,  et  le  pouvoir  passa 
aux  agitateurs.  Boris  Sarafof  fut  nommé  président  en  1899. 


<  Les  comités  prétendent  étendre  leur  action  au  vilayet  d'AndrinopIe,  —  bien  qu'il 
Q»^  existe  qu'une  minorité  bulgare,  —  à  cause  des  prétentions  de  l'exarque  sur 
plusîears  diocèsca. 

QoxsT.  DiFi..  «T  Col.  —  t.  xv.  10 


146  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONULES 

C'est  l'époque  où  fut  émis  l'emprunt  patriotique  *  ;  où  des 
sommes  furent  extorquées  par  la  violence  à  de  riches  Bulgares  ; 
où  furent  assassinés,  —  par  des  indépendants  trop  zélés,  dit-on, 
—  des  curateurs  d'écoles  macédoniennes  serbes  *;  où  le  Macédo- 
nien-Bulgare Soyan  Dimitroff  assassina  en  Roumanie  l'institu- 
teur Michaliénu,  Macédonien-Valaque,  qui,  dans  son  journal 
Peninsula  AaZAraw/cû,  avait  dénoncé  des  Macédoniens-Bulgares, 
dont  deux  furent  condamnés  à  Monastir. 

On  se  souvient  des  incidents  diplomatiques  qui  suivirent. 
Sarafof  fut,  sur  les  sommations  de  la  Roumanie,  arrêté,  jugé 
et  acquitté  dans  la  principauté.  Pendant  le  procès,  il  avait 
démissionné,  et  un  congrès  extraordinaire  élut  président 
M.  Michaïlowsky,  à  qui,  six  mois  après,  fut  adjoint  comme  vice- 
président  le  colonel  Tzontchef.  Les  modérés  semblaient  l'em- 
porter :  Michaïlowsky  avait  reçu  le  mandat  de  suivre  une  poli- 
tique à  la  fois  plus  énergique  que  celle  de  1895  à  1899,  et  plus 
correcte  que  celle  de  Sarafof.  Mais  les  trois  quarts  des  sociétés 
de  Bulgarie,  se  prononçant  pour  Sarafof,  abandonnèrent  le  haut 
comité  ainsi  transformé.  Elles  élurent  président  l'ingénieur 
Stanichef. 

Sarafof  reste  en  marge.  11  s'occupe  de  Faction  sans  assumer 
à  nouveau  les  responsabilités  quasi  officielles. 

Michaïlowsky  a  présidé  à  l'insurrection  de  cet  automne.  11 
était  probablement  débordé  par  les  impatients.  Il  désirait  se 
montrer  en  Macédoine  où  Tinfluence  de  Sarafof  est  prépondé- 
rante. 11  voulait  aussi  attirer  l'attention  de  l'Europe  avant 
d'entreprendre  sa  tournée  d'hiver  en  Occident.  Des  bandes 
d'émigrés  macédoniens  passèrent  en  Macédoine  et  tentèrent  de 
déterminer  un  soulèvement  général.  On  se  battit  surtout  dans 
la  montagne  de  Périm  et  dans  le  vilayet  de  Monastir,  où  le 
colonel  Jankof,  qui  en  est  originaire,  avait  été  peu  auparavant, 
pendant  un  séjour  en  congé  régulier,  acclamé  par  ses  compa- 
triotes enthousiasmés  '.  Les  résultats  ne  furent  pas  brillants. 
On  ne  réunit  guère  que  3.000  hommes.  Les  bandes  hostiles  de 
Sarafof,  qui  n'avait  pas  donné  le  signal  et  ne  voulait  pas 
laisser  discréditer  la  révolution,  barrèrent  sur  plusieurs  points 
la  route  aux  bandes  de  Michaïlowsky  et  ne  les  laissèrent 
guère  opérer  que  là  où  existait  une  préparation  à  peu  près 

>  Le  comité  émit  des  titres  et  les  capitalistes  gros  et  petits  durent  souscrire  bon 
gré  mal  gré. 

)  Ces  écoles  ne  peuvent  pas  s'ouvrir,  ou  subsister,  sans  un  garant,  ou  curateur  : 
en  assassinant  quelques  curateurs  et  terrorisant  les  autres,  on  espérait  amener  la 
fermeture  des  écoles. 

s  Pour  la  géographie  des  centres  insurrectionnels,  voir  Oaulis,  Bulgarie  et  Macé- 
doine (Revue  de  Paris,  i"  nov.  1902,  p.  95  et  sui?.]. 


LA   QUESTION   DB  MAGÉOOINB  147 

suffisante.  La  Turquie  s'en  prit  à  la  principauté  de  Bulgarie. 
La  Bulgarie,  tout  en  échelonnant  des  troupes  sur  sa  frontière, 
répondit  à  peu  près  comme  le  ministre  Bratiano  à  l'Angleterre, 
lors  de  la  révolution  balkanique  qui  précéda  la  guerre  turco- 
nisse  :  ic  Ce  sont  des  sujets  turcs  qui  rentrent  chez  eux  ;  je  n'y 
•  puis  rien.  » 

Aujourd'hui,  tout  est  calme.  Les  insurgés  se  sont  en  grande 
partie  réfugiés  dans  la  principauté.  La  neige  et  le  froid  rendent 
impraticables  le  Rhodope,  la  montagne  de  Périm  et  les  sommets 
qui  dominent  Monastir.  Mais  que  se  passera-t-il  au  printemps  ? 

Entre  Michaïlowsky  et  Sarafof  il  ne  semble  guère  y  avoir,  en 
Aiit,  qu'une  querelle  de  coteries.  —  Michaïlowsky  déclare  qu'il 
y  a  en  Macédoine  des  nationalités  distinctes,  mais  qu'elles  doi- 
vent s'effacer  devant  le  danger  commun  :  quelle  différence  pra- 
tique avec  l'internationalisme  de  Sarafof?  —  Michaïlowsky  est 
bien  convaincu  que  la  Macédoine  ne  peut  réussir  qu'avec  Taide 
les  puissances,  et  il  a  tenté,  en  Angleterre  et  en  France,  de  sou- 
l**ver  Fopinion  pour  faire  pression  sur  les  gouvernements  :  «  Ce 
nt?  sont  pas  les  Canaris  et  les  Botearis,  dit-il,  qui  ont  affranchi 
la  Grèce;  c'est  l'Europe,  et  je  lui  fais  appel.  »  Mais  il  affirme 
que,  si  l'Europe  est  sourde,  la  Macédoine  ne  peut  plus 
attendre,  et  il  annonce,  comme  Sarafof,  la  révolution  pour  les 
premiers  beaux  jours. 

Si  la  révolution  éclate,  que  se  passera-t-il  en  Macédoine  ? 

Puisqu'il  y  aura  vraisemblablement  marche  parallèle  du 
comité  Sarafof,  du  comité  Michaïlowsky  et  des  comités  exclu- 
sivement macédoniens*,  les  bandes,  -*•  cadres  toujours  prêts  du 
<">ulèvement,  —  recevront  toutes  leur  mot  d'ordre.  Tout  paysan 
qui,  sans  probablement  savoir  de  quel  groupement  il  lui  vient, 
a  été  armé  d'un  fusil  par  quelque  agent  mystérieux,  devra 
exécuter  sa  consigne,  qui  est  le  plus  souvent  de  rejoindre  une 
bande. 

Mais  combien  y  a-t-il  en  Macédoine  de  fusils  entre  les 
mains  des  chrétiens?  M.  Gaulis  parle  de  125.000  Martini  et 
Mauser  vendus,  en  1897,  avec  50  millions  de  cartouches,  par 
la  principauté  à  un  groupe  bulgare,  et  de  toute  la  «  pacotille 
patriotique  »  de  1'  «  Ethniki   Hetairia  >),  —  comité  grec  de  la 

*  Ces  lignes  étaient  écrites  quand  a  été  connue  la  nouvelle  d'une  entrevue  entre 

MH.  Michallowskj  et  Sarafof.  «  La  fusion  des  deux  fractions  du  parti  macédonien... 

petit   être  considérée  comme  faite  en  principe,  en  vue   de  l'insurrection  en  Macé- 

i-'ioe    au    printemps  prochain,  suivant  les   uns  en  avril,  suivant  les  autres  en  fin 

'écrier  déjà  ;  mais    cette  fusion  ne   sera  un  fait  accompli  qu'après  la  réunion  très 

&rochaioe  d'un   ^rand  congrès  macédonien  à  Sofia  ».  Le  Temps,  23  janvier  1903.  — 

L  «^  nécessaire  d'ajouter  que  MM.  Michaïlowsky  et  Sarafof  ont  d'autres  fois  déjà, 

a  ea  rain,  tenté  de  «e  réconcilier. 


I 


148  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

guerre  de  1897,  —  achetée  à  bureau  ouvert  par  Sarafof,  à 
Athènes  ^  Combien  de  ces  armes  sont  entrées  en  Macédoine  ? 
Un  Français  qui  connaît  bien  la  péninsule  m'a  affirmé  que  les 
Bulgares  de  Turquie  disposent  au  maximum  de  20.000  fusils. 
Question  capitale,  à  laquelle  les  seuls  initiés  pourraient  actuel- 
lement répondre. 

Dès  le  début,  les  insurgés  auront  à  lutter,  —  sans  parler  des 
formidables  réserves  d'Asie,  —  contre  une  armée  régulière  de 
80.000  hommes.  Des  bandes  de  bachibouzouks  —  volontaires 
musulmans —  se  formeront  en  quelques  jours,  s'élèveront  vite 
à  une  vingtaine  de  mille  hommes  et  tomberont  sur  les  villages 
chrétiens,  privés  de  leurs  défenseurs.  Ce  sera  le  recommence- 
fe  ment  de  ces  «  atrocités  bulgares  »  de  1876,  où,  d'après  un  rap- 

Y  port  anglais,  65  villages  furent  détruits  et  15.000  personnes 
\t.  massacrées;  d'après  le  consul  américain,  100  villages  et  plus 

de  30.000  personnes.. 
Au  fond,  et  bien  que  cela  soit  atroce,  c'est  peut-être  plutôt 

Y  sur  ces  hécatombes  que  sur  la  résistance  des  bandes  dans  la 
Ç  montagne — trop  connue  des  gendarmes  turcs  et  des  musul- 
I  mans  albanais  —  que  comptent  les  chefs  révolutionnaires  : 
f  «  Nous  périrons  pour  attirer  l'attention  sur  nous  »,  dit  Michaï- 
|;''  lowsky,  qui  sait  bien  que  la  partie  est  hasardeuse  et  répète 
r  souvent  :  «  Nous  tentons  de  transporter  une  montagne  avec 
'y  «  une  cuiller.  » 

Emouvoir  l'Europe  par  des  massacres  inouïs  ;  déterminer 
une  telle  agitation  dans  la  péninsule  que  les  petits  Etats  se 
trouvent  engagés  dans  la  lutte  sans  que  leurs  gouvernements 
puissent  penser  à  résister;  acculer  l'Europe  aune  guerre  géné- 
rale en  envenimant  la  question  d'Orient  :  c'est  bien  là  toute 
la  tactique  macédonienne  des  comités. 

Doux  puissances  semblent  avoir  pris  d'avance  en  main  les 
intérêts  de  l'Europe,  — et  peut-être  aussi  ceux  de  la  Macédoine. 

II 

l'entente    AUSTRO-RUSSE 

Moralement,  et  jusqu'à  un  certain  point,  juridiquement, 
c'est  l'Europe  qui  devrait,  pour  couper  le  mal  à  la  racine,  mettre 
(in  au  régime  hamidien  en  Macédoine. 

En  efl'et,  toutes  les  grandes  puissances  ont  signé  le  traité  de 
Berlin.  Elles  ont  négligé  d'imposer  l'exécution  de  l'article  23. 
Elles  n'en  ont  pourtant  pas  seulement  le  droit.  Elles  en  ont 

1  Gaulis,  op,  cit.,  p.  92. 


:-^ 


U»»iî.ii  I  i  , 


LA   QUESTION   DE   MACÉDOINE  149 

contracté  le  devoir  le  jour  où  elles  ont  rétabli  la  domination 
turque  sur  les  pays  slaves. 

Un  grand  congrès,  suite  de  celui  de  Berlin,  devrait  se  réunir, 
reprendre  la  tâche  de  la  conférence  de  Constàntinople  (^t  la 
mener  à  bout  *. 

La  difficulté  n'est  pas  de  trouver  les  réformes  possibles.  On 
ua  que  Tembarras  du  choix  entre  les  projets  antérieurs,  — no- 
tamment ceux  de  1876  pour  une  grande  Bulgarie  et  ceux  de 
1880  pour  la  Turquie  d'Europe  actuelle.  Les  précédents  récents 
et  les  modèles  encore  existants  abondent  dans  les  pays  voi-- 
sins  :  — Serbie,  depuis  l'établissement  de  l'autonomie  jusqu'à 
Tévacuation  de  la  citadelle  de  Belgrade  par  les  troupes  tur- 
ques; Liban,  depuis  l'intervention  française;  Crète,  formelle- 
ment désignée  par  l'article  23  ;  Roumélie  Orientale,  de  1880  à 
1885,  si  ce  qui  suivit  ne  devait  pas  rendre  plus  prudent  ; 
Egypte,  notamment  pour  les  tribunaux. 

On  entrevoitaisément  les  grands  principes  à  adopter  :  — dans 
les  vilayets  actuels ,  ou  dans  des  circonscriptions  plus  grandes 
et  mieux  adaptées  à  la   carte  ethnographique,   des  gouver- 
neurs chrétiens  seraient  nommés  avec  le  concours  de  rËurope, 
Les  garnisons  turques  n'auraient  plus  qu'un  rôle  exclusive- 
ment militaire;  une  milice  locale  serait  chargée  de  la  police; 
les  musulmans  n'auraient  pas  plus  que  les  chrétiens  le  droit  de 
port  d'armes.  Des  tribunaux  impartiaux  seraient  organis<f^s.  On 
renoncerait  complètement  au  régime  occidental  et  individua- 
liste :  on  développerait,  sans  partialité,  les  différentes  commu- 
nautés religieuses  et  nationales,  —  en  trouvant  une  combinai- 
son nouvelle  pour  les  Serbes  actuellement  sans  église  natio- 
nale ;  —  (par  cette  méthode  seulement,  on  arrivera  à  faire  vivre 
en  paix  les  divers  groupements  enchevêtrés  et  à  dégager  la  vraie 
physionomie  du  pays).  Pendant  une  période  transitoire,  l'Eu- 
rope interviendrait  plus  énergiquement,  et  présiderait  à  rétablis- 
sement du  régime  nouveau  :  en  1876,  il  fut  déjà  question  d  en- 
voyer temporairement  en  pays  bulgare  une  gendarmerie  mixte 
européenne,   dont  le   contingent   avait,  je   crois,   été   fixé    h 
3.000  hommes*. 

1  D*autres  sujets  aussi  pourraient  et  devraient  être  traités  :  la  situation  de  T Ar- 
ménie est  toujours  des  plus  précaires  ;  la  situation  de  fait  de  la  Roumélie  Oneniale 
devrait  être  consacrée;  le  dernier  mot  n'a  pas  été  dit  sur  la  Crète,  etc. 

<  Voici,  d'après  une  note  de  presse,  quelles  sont  les  réformes  qu'a  proposée»,  dan^ 
sa  conféreDce  de  décembre  1902,  M.  Povolni,  correspondant  du  Sviet  : 

c  Partant  de  ce  fait  que,  d'une  part,  aucune  réforme  n'est  possible  en  Macêiloiae 
«  avec  le  maintien  du  régime  des  pachas  turcs,  et  que,  de  l'autre,  Tabolitioa  df  la 
«  domination  du  Sultan  dans  cette  province  provoquerait  aussitôt  les  convoiliacs  dt 
u  divers  Etats,  le  conférencier  prbpose  un  terme  moyen  :  réserver  à  la  Turquie  nnt 
«  position  strictement  indispensable  pour  le  maintien  de  sa  souveraineté,  par  \  en- 


150  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

D'ailleurs,  toute  réforme  sérieuse  en  Turquie  d'Europe  serait 
bonne,  —  comme  toute  issue  ouverte  dans  une  chaudière  à 
trop  haute  pression  permet  de  prévenir  une  explosion. 

Mais  ce  qui  est  difficile,  c'est  de  vouloir  assez  énergique  ment 
des  réformes  pour  les  imposer  au  Sultan. 

Les  représentations  isolément  et  successivement  faites  à 
Constantinople  par  différentes  ambassades  n'ont  eu  pour  ré- 
sultat que  d'amener  la  Sublime  Porte  à  jouer  une  nouvelle 
comédie  à  l'usage  de.  l'Europe.  Le  Sultan  a  signé  en  décembre 
un  iradé  impérial  qui,  prétend-il,  réorganise  la  Turquie  d'Eu- 
rope. Parmi  une  série  de  phrases  alambiquées  et  hypocrites  et 
de  recommandations  faites  aux  gouverneurs  à  très  haute  voix, 
afin  que  les  puissances  entendent,  on  ne  découvre  qu'une  inno- 
vation :  des  commissions  et  des  fonctionnaires  nouveaux  seront 
nommés  par  le  Sultan.  Ils  compliqueront  encore  la  machine 
turque  ;  ils  aideront  à  arrêter  entre  les  provinces  et  Yldiz  Kiosk 
les  plaintes  des  raïas*. 

Une  pareille  façon  d'agir  n'a  provoqué  aucune  protestation 
collective.  L'Europe  a  paru  se  rendormir. 

«  tretien  des  garnisons  dans  les  principaux  centres  et  conférer  le  reste  (administra- 
«  tion  intérieure,  affaires  économiques,  etc.)  aux  populations  de  ce  pays,  qui,  pour 
«  se  garantir  contre  les  exactions  possibles  de  la  soldatesque  turque,  organiseraient 
«  une  police  et  une  milice  indigènes.  Un  arrangement  pareil  a  subsisté  en  Serbie 
((  pendant  plu»  de  cinquante  ans  sans  avoir  donné  lieu  à  des  conflits,  car  le  Turc, 
«  une  fois  qu'il  se  sait  dessaisi  de  la  surveillance  et  de  la  domination  sur  les  indi- 
«  génesi  s«  désintéresse  de  leurs  affaires  et  se  confine  dans  son  milieu  musulman. 
<f  Afin  d'éviter  des  collisions  entre  les  diverses  nationalités  de  la  Macédoine,  le  futur 
^<  statut  fqui  devrait  être  étendu  sur  la  Vieille-Serbie  où  la  situation  est  encore  plus 
«  critique,  et  sur  l'Albanie  où  des  fermentations  de  troubles  se  font  sentir)  stipule- 
«  rait  l'égalité  absolue  des  langues  et  nationalités  et  le  règlement  de  la  question 
«  agraire  par  l'abolition  du  système  féodal  turc.  Comme  les  populations  de  la  Ma- 
a  cédoine  sont  dès  à  présent  dans  un  état  d'animosité  les  unes  contre  les  autres  et 
«  que,  copiant  les  procédés  de  leurs  maîtres,  elles  liquident  leurs  querelles  par  des 
«  moyens  violents,  il  est  nécessaire  de  faire  précéder  Tintroduction  de  ces  réformes 
«  par  une  occupation  européenne  provisoire  qui  habituerait  la  Macédoine  à  un 
«  régime  d'ordre  et  de  légalité.  Toutefois,  afin  d'empêcher  que  cette  occupation 
«  puisse  être  exploitée  par  certaines  puissances  qui  ont  des  visées  annexionnistes  sur 
«  la  Macédoine,  il  faudrait  faire  la  répartition  des  rayona  d'occupation  de  façon  à 
«  ne  pas  les  exposer  à  une  tentation  de  ce  genre.  M.  Povolni,  après  une  étude  ap- 
«  profondie  de  la  situation,  propose  la  répartition  suivante  :  Vieille-Serbie  et  san- 
«  djak  de  Dibra,  où  sévit  le  problème  serbo-albanais,  à  la  France,  la  plus  désinté- 
«  ressée  de  toutes  les  puissances;  les  sandjaks  de  Skopié  (Uskub)  et  de  Bitolia 
«  (Monastir),  agités  par  le  problème  serbo-bulgare,  à  la  Russie;  le  vilayet  de  Scu- 
«  tari  et  le  sandjak  d'Elbassan (convoitises  austro-italiennes),  à  l'Angleterre;  le  vilajet 
(c  de  Yanina  (problème  gréco-albanais),  à  l'Allemagne;  les  sandjaks  de  Gueuridjé, 
«  Serfidjé  et  Salonique  (conflit  gréco-serbo-bulgaro-valaque),  à  l'Italie;  les  sandjaks 
«  de  Sérés  et  Drama  (conflit  gréco-bulgare),  à  TAutriche-Hongrie.  » 

ï  On  trouvera  le  texte  de  cet  iradé  dans  la  Revue  d'Orient  et  de  Hongrie  du 
10  décembre  1902.  La  récente  nomination  du  président  du  comité  turc  des  réformes 
comme  grand  vizir  ne  peut  avoir  aucune  importance,  si,  comme  je  le  crois,  les 
réformes  étudiées  par  ce  comité  sont  sans  portée.  —  Pour  les  questions  qui  se  posent 
à  propos  des  plus  récents  projets  d.e  réforme,  voir  le  Mouvement  macédonien , 
journal  des  mieux  documentés,  dont  le  rédacteur  en  chef  est  M.  RadefT. 


LA   QUESTION   DE   MACÉDOINE     '  151 

Mais  la  Russie  s'est  mise  à  l'œuvre,  —   avec  TAutriche- 
Hongrie. 


Quelque  patiente,  et  en  apparence  effacée,  qu'ait  été,  depuis 
la  guerre  turque,  Taction  russe  dans  les  Ralkans,  la  Russie  ne 
pouvait,  en  aucun  cas,  se  désintéresser  des  événements  actuels. 
Si  l'Asie  Ta  absorbée,  elle  n'a  pas  pour  cela  oublié  les  frères 
slaves  et  orthodoxes  des  Ralkans  au  point  de  ne  pas  s'inquiéter 
quand  ils  sont  en  péril.  D'autre  part,  la  paix  européenne  est  la 
condition  nécessaire  de  l'expansion  russe  en  Asie,  et  un  danger 
de  guerre  générale  ne  peut  pas  menacer  en  Europe  sans  que  le 
Tsar,  qui  prît  l'initiative  de  la  conférence  de  La  Haye,  ne  s'en 
émeuve. 

Il  y  a  plus  :  la  Russie,  obéissant  à  la  loi  d'oscillation  d'Occi- 
dent en  Orient  et  d'Orient  en  Occident  qui  semble  devoir  dé- 
sormais la  régir,  s'intéresse  chaque  jour  un  peu  plus  aux  affaires 
d'Europe. 

Son  évolution  en  Asie,  elle-même,  la  ramène  vers  l'Ouest. 
Sans  doute,  en  Extrême-Orient,  les  affaires  de  Chine  et  l'alliance 
anglo -japonaise  la  préoccupent  toujours.  Mais  le  Transsibérien 
est  achevé  ;  Port-Arthur  est  relié  à  Moscou  ;  le  chemin  de  fer  de 
Mandchourie  est  occupé  militairement.  Dans  cette  zone,   un 
but  est  atteint  :  la  mer  libre  du  Pacifique.  Au  contraire,  l'expan- 
sion russe  vers  l'autre  mer  libre  asiatique  —  l'océan  Indien  t- 
désormais  décidée,  mais  à  peine  ébauchée,  est  compromise.  Or, 
ce  n'est  pas  surtout  l'Angleterre  qui,  —  inquiète  pour  l'Inde  et 
jalouse  de  la  Perse,  — menace.  Le  chemin  de  fer  allemand  de 
Ragdad  enfève  une  partie  de  son  utilité  au  futur  chemin  de  fer 
russe  à  travers  la  Perse.  Economiquement  et  militairement,  il 
menace  la  Russie  *.  L'Allemand  devient  pour  l'Empire  des  Tsars 
un  adversaire  asiatique.  Mais  le  chemin  de  fer  de  Ragdad  n'est 
que    le  cours  inférieur  du  Drang  nach   Osten  européen.  Pour 
avoir  prise  sur  l'Allemand  en  Asie,  la  méthode  la  plus  sûre 
est  d'agir  en  Europe. 

En  m^me  temps,  ces  «  Sociétés  de  bienfaisance  »  russes,  qui, 
en  4878,  avec  les  Axakof  et  les  Katkof,  ont  forcé  la  main  au 
Tsar  et  lancé  l'armée  russe  dans  les  Ralkans,  se  reconstituent  et 
s'ag-itent  à  Saint-Pétersbourg  et  à  Moscou. 

L'armée  russe,  qui  s'adapte  rapidement  à  son  rôle  mondial, 


1  Quand  sera  refait  par  les  colons  allemands  le  gigantesque  «  grenier  à  blé  »  du 
Tigre  et  de  l'Kaphrate,  les  blés  russes  seront  concurrencés.  Nous  avons  vu  que  le 
chemio  de  fer  de  Bagdad  rendra  mobilisable  l'armée  turque  d'Asie  :  la  Russie  pense 
à  sa  frontière  caucasienne.  —  Voir  :  Vinfluence  de  V expansion  asiatique  sur  les 
poUHgue9  russe  et  allemande  {Rev.  bleue,  24  mai  1902). 


152  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  BT   COLONIALES 

nouveau,  sera  bientôt  fragmentée  en  armées  indépendantes  les 
unes  des  autres  :  elle  pourra  faire  face  à  la  fois  à  tous  les  ennemis 
possibles.  Pendant  les  événements  de  Chine,  il  fallut,  pour  agir 
en  Mandchourie,  drainer  les  régiments  d'Europe.  Aujourd'hui 
l'armée  d'Extrême-Orient  peut,  avec  ses  réserves  sibériennes,  se 
suffire  à  elle-même.  L'armée  du  Caucase  est  depuis  longtemps 
autonome.  L'armée  du  Turkestan,  qui  encadrerait  les  éléments 
>de  l'Asie  centrale,  est  en  pleine  organisation.  L'armée  russe 
d'Europe  aura  bientôt  ses  coudées  franches.  La  Kussie,  toujours 
pacifique,  peut  enfin  parler  plus  haut  en  Europe  et  y  jouer  le 
rôle  qui  lui  revient. 

Dès  le  début  d'octobre,  elle  se  montre  aux  fAtes  de  Chipka. 
Le  général  Kouropatkine,  ministre  de  la  guerre,  Vy  représente 
officiellement.  Des  membres  des  Sociétés  de  bienfaisance  y  sont 
délégués.  Les  troupes  bulgares  osent  pour  la  première  fois 
manœuvrer  au  Sud  des  Balkans,  en  Roumélie  Orientale.  En 
même  temps,  les  Russes  donnent  de  fermes  conseils  de  pru- 
dence que,  deux  mois  et  demi  après,  répète  en  termes  impératifs 
rofficiel  Messager  de  U Empire  *  :  la  Russie  n'oublie  pas  les 
Slaves  des  Balkans,  mais  elle  veut  agir  à  son  heure,  dans  le 
silence  et  la  paix,  et  d'accord  avec  la  seule  Autriche-Hongrie. 
Peu  après,  le  comte  Lamsdorf,  ce  bénédictin  qui  déteste  les 
déplacements  et  la  vie  mondaine,  a  quitté  le  doux  Livadia,  où 
il  était  auprès  du  Tsar.  11  est  allé,  par  le  rude  hiver  oriental,  à 
Belgrade,  à  Sofia  et  à  Vienne.  Le  voilà  rentré  en  Russie. 

Qu'a  t-il  été  dit  dans  ces  entrevues  rapides  entre  le  ministre  de 
Nicolas  II  et  les  souverains  et  ministres  de  Serbie,  de  Bulgarie, 
et  surtout  d'Autriche-Hongrie?  Des  résolutions  ont-elles  été 
prises,  et  quelles  résolutions? 

Je  ne  prétends  pas  faire  de  révélations  :  au  moment  où 
j'écris,  rien  de  ce  qui  s'est  passé  n'a  été  divulgué.  On  ne  peut  que 
faire  des  hypothèses  et  chercher  à  découvrir  la  plus  vraisem- 
blable. 

» 

A  supposer  que  la  Russie  et  l'Autriche-Hongrie  aient  adopté, 
ou  soient  sur  le  point  d'adopter,  un  plan  d'action  commune, 
.  est-il  possible  qu'elles  se  soient  seulement  engagées  l'une  à 
l'égard  de  l'autre  à  limiter  le  foyer  d'incendie  ? 

Elles  s'arrangeraient  de  façon  à  retenir,  quoi  qu'il  arrive,  la 
Bulgarie  et  la  Serbie.  Elles  feraient  savoir  aux  Macédoniens 
qu'ilsn'ont  à  compter  sur  aucune  aide.  Si  les  comités  donnaient, 
quand  même,  le  signal  de  la  révolution,  elles  assisteraient, 

1  Voir  le  passage  essentiel  de  cette  Aote  dans  le  Temps  du  Vô  décembre  1902. 


LA    QUESTION    DB    MACÉDOINE  153 

impassibles,  au  massacre.  On  verrail,  en  pleine  Europe,  se 
reproduire  les  événements  d'Arménie.  Si  la  Bulgarie  ou  même 
la  Serbie  leur  échappaient,  elles  se  contenteraient  de  rétablir, 
comme  apn>s  la  guerre  turco-grecque  de  1897,  les  frontières 
acliielles,  Une  politique  aussi  férocement  étroite  est,  en  Tespèce, 
invraisemblable*. 

Plaçons-nous  exclusivement  au  point  de  vue  le  plus  stricte- 
ment utilitaire.  La  cause  du  mal  est  trop  évidente  pour  que  les 
deux  puissances  intéressées  ne  Taient  pas  aperçue.  Pourquoi  se 
conlentt*raienl-elles  d'avoir  recours  à  des  remèdes  empiriques 
qui,  employés  isolément,  sont  par  trop  insuffisants?  Il  est  évident 
que  rAutrichft-Hongrîe  et  la  Russie  limiteront  la  liberté  d'action 
des  petits  Etals  balkaniques,  H  est  certain  qu'elles  ne  veulent 
pas  —  la  Russie  surtout  —  entendre  parler  des  comités  révolu- 
tionnaires macédoniens.  Mais  elles  savent  que  les  réformes,  en 
Macédoine  et  en  Vieille-Serbie,  sont  la  condition  d'une  détente  : 
elles  aimeront  mieux  prévenir  Tincendie  qu'avoir  à  le  limiter 
pendant  un  temps  indéterminé- 

J'ai  le  ferme  espoir  qu'avec  ou  sans  le  concours  postérieur 
d#>s  autres  puissances,  elles  présenteront  au  Sultan  un  pro- 
gramme de  réformes  :  unies  et  résolues,  elles  disposent,  pour 
les  faire  aboutir,  d'une  force  d'intimidation  suffisante. 

Mais  se  contenteront-elles  de  régler  dans  les  Ralkans  les 
affaires  du  Sultan  et  de  ses  sujets?  Dans  l'imbroglio  balka- 
nique, tous  les  problt>mes  sont  solidaires.  Aucun  ne  sera  vrai- 
ment n^solu  tant  (jue  les  autres  continueront  à  se  poser.  L* Au- 
triche-Hongrie et  la  Russie  ne  cherchent-elles  pas  à  mettre  fin 
à  leur  propre  rivalité,  à  transformer  en  une  paix  véritable  la 
tn^ve  de  1807?  La  question  présente  un  double  intérêt  :  la  paix 
dans  les  Balkans  —  et  peut-être  aussi  Texistence  de  la  Triple 
Alliance  — dépend  de  la  réponse  qui  lui  sera  donnée. 

Si  la  Russie  a  encore  des  visées  sur  un  territoire  de  TEmpire 
turc.  C'est  en  Asie,  du  côté  de  TArraénie,  qu'elle  regarde.  Là 
aussi  elle  a  du  reculer  en  1878  :  elle  a  perdu  à  Rerlin  la  grande 
route  d'Erzeroura  en  Perse  et  les  sources  de  TEuphrate  que  lui 
cédait  le  traité  de  San-Stefano.  Des  hautes  montagnes  armé- 
niennes, elle  dominerait  le  chemin  de  Bagdad  et  l'entreprise 
allemande.  Elle  aurait,  en  avant  du  Caucase,  une  formidable  cita- 
delle. Les  Arméniens,  traqués  par  les  Kurdes  et  les  soldats  de 
rislam,  sont  mûrs  pour  une  annexion-  Dans  cette  région,  TAu- 
Iriche-Hong^rie  n'a  aucun  intérêt. 

Dans   les    Balkans,  au  contraire,  la  lîussie  n'apparaît  plus 

*  Elle  âcrattt  H  ailleurs,    cûaira;re  k  la    noie    du  Messager  de  l'Empire  qui  parle 


154  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

comme  un  envahisseur  menaçant.  Sans  doute,  elle  tient  à  con- 
server et  h  développer  son  influence  à  Sofia  et  à  Belgrade.  Mais 
elle  sait  maintenant  que  la  Bulgarie  surtout  ne  se  résignera 
jamais  au  rôle  d'Etat  feudataire.  Sa  principale  préoccupation 
est  que,  en  dehors  des  petits  Etats  affranchis,  le  Slave  des  Bal- 
kans, —  doublement  Slave  à  ses  yeux,  parce  qu'il  est  ortho- 
doxe, —  ne  soit  pas  annexé  par  une  grande  puissance.  Son 
différend  avec  TAutriche-Hongrie  est  singulièrement  simplifié. 

Du  côté  de  l'Albanie  et  de  la  côte  Adriatique,  aucune  consi- 
dération essentielle  ne  l'empêche  de  donner  carte  blanche  à 
rAutriche-Ilongrie.  A  la  différence  de  l'Allemagne,  elle  n'a  pas 
à  se  préoccuper  du  conflit  austro-italien  :  il  ne  peut  que  lui 
profiter.  Tout  ce  qu'elle  aurait  à  exiger,  c'est  que  le  Monténégro 
ne  soit  pas  enclavé  *. 

Au  contraire,  sur  le  chemin  de  Salonique,  il  y  a  des  Slaves 
orthodoxes.  La  Bussie  ne  peut  donc  pas  consentir  à  une  occupa- 
tion austro-hongroise  de  la  Vieille-Serbie  et  de  la  Macédoine 
occidentale.  Mais  TAutriche-Hongrie  ne  pourrait  penser  à  cette 
occupation  que  pour  s'assurer  Salonique  et  la  voie  libre  jusqu'à 
la  mer.  Or,  la  Russie  ne  doit  pas  beaucoup  plus  se  préoccuper 
de  Salonique,  ville  judéo-internationale,  que  lorsqu'elle  la 
laissait  à  la  Turquie  par  le  traité  de  San-Stefano.  Reste  le 
chenfin  de  fer,  en  partie  construit  et  en  partie  projeté,  de  Vienne 
et  de  Budapest  à  Salonique  par  Sarajevo.  Ne  peut-on  pas  le 
rendre  distinct  des  territoires  slaves  qu'il  traverse?  Le  Danube, 
enserré  dans  son  cours  inférieur  entre  la  Roumanie  et  la  Bul- 
garie, n'en  est  pas  moins,  de  par  les  traités,  une  voie  interna- 
tionale largement  ouverte  à  l'Autriche-Hongrie  :  il  lui  assure 
pleinement  son  débouché  nécessaire  vers  la  mer  Noire.  Quelle 
différence  entre  une  voie  fluviale  et  une  voie  ferrée?  C'est  une 
solution  analogue  à  la  solution  danubienne  qui  peut  mettre 
fin  à  l'ultime  difficulté  austro-russe  dans  les  Balkans. 

Alors  le  pacte  austro-russe  de  1897,  jusqu'ici  atermoiement 
heureux,  mais  précaire  et  négatif,  deviendrait  une  entente  har- 
monieuse. 

Le  Habsbourg  ne  serait  plus  tenu  à  cette  obligation  de  cher- 
cher à  Berlin  un  allié  contre  le  Busse,  que  Bismarck  lui  imposa 
tacitement  par  le  don  d'intérêts  balkaniques  non  encore  déli- 
mités et  précisés. 

Je  n'ai  cas  l'intention  de  montrer  ici  que  cette  obligation  fut 
une  des  principales  raisons  d'être  de  la  Triple  Alliance.  Je  l'ai 

I  Bien  qu'il  possède  les  ports  de  UulicgDO  et  d*Antivari,  le  traite  de  Berlin,  le 
frappant  d'une  servitude  au  profit  de  TAutriche,  ne  lui  laisse  pas  la  mer  libre.  — 
V^oir  sur  cette  question,  comme  sur  toutes  celles  relatives  à  l'application  du  traité  de 
Berlin,  Max  Choublier  :  la  Question  d Orient  depuis  le  traité  de  Berlin  (Roms- 
seau),  p.  33  et  suiv. 


LA  QUESTION    DE  MACÉDOINE  155 

fait  dans  un  récent  article  *  ;  j'ai  cherché  à  y  établir  que  le 
Habsbourg  tendra  de  plus  en  plus  à  reprendre  sa  pleine  liberté 
d'action.  J'ajouterai  seulement  quelques  remarques  à  propos 
des  faits  récents  qui  nous  occupent. 

Le  comte  Lamsdorf,  après  avoir  parlé  à  Vienne  de  la  question 
macédonienne,  a  «  peut-être  estimé,  dit  le  Temps,  qu'il  ne  fal- 
<c  lait  pas  perdre  cette  occasion  de  traiter  avec  son  collègue  du 
«  Ballplatz  d'autres  questions  internationales  et  d'examiner  si 
«  l'entente  austro-russe  dans  les  Balkans  ne  comporte  pas,  à 
«c  titre  de  conséquence,  un  rapprochement  plus  général,  surtout 
«  en  présence  du  relâchement  des  liens  [de  la  Triple  Alliance  et 
«  du  caractère  offensif,  même  à  l'égard  de  ses  alliés,  de  la  poli- 
<  tique  économique  et  douanière  de  l'Allemagne  »  . 

En  tout  cas,  l'archiduc  François-Ferdinand  —  qui  commence 
décidément  à  prendre  une  part  active  au  gouvernement  — 
semble,  bien  qu'il  n'aime  pas  les  démonstrations,  s'ôtre  plus  que 
jamais  mis  en  avant  pendant  le  séjour  à  Vienne  du  comte 
Lamsdorf.  Or,  il  est  intéressant  de  noter  que  le  premier  acte 
important  de  l'archiduc  héritier  d'Autriche-Hongrie  —  sa  visite 
au  Tsar  —  est  suivi  d'une  indication  concordante. 

Enfin,  dans  la  crise  actuelle,  TAutriche-Hongrie  est  loin  d'em- 
boîter, comme  trop  souvent,  le  pas  à  l'Allemagne.  Elle  ne  se  laisse 
pas  arrêter  par  l'idée  que  les  intérêts  balkaniques  de  son  allié 
pourraient  devenir  opposés  aux  siens.  Elle  négocie  avec  la  Russie, 
tandis  que  ses  alliés  de  la  Triple  Alliance  *  se  taisent.  Le  conflit 
austro-russe  s'apaise  dans  les  Balkans.  Qui  sait  si  nous  ne  verrons 
pas,  sur  un  théâtre  encore  plus  vaste,  l'Allemagne  engager  une 
lutte  économique  et  diplomatique  contre  la  Russie  et  TAu- 
triche-HoBgrie  réconciliées? 

Ces    conséquences  indirectes,  incertaine  saussi',  des  affaires 
de  Macédoine  seraient  pour  la  France  d'une  importance  capitale. 
Nous  ne  devons  pas  regarder  du  côté  de  la  Macédoine  seule- 
ment   parce  que  la  paix  européenne  pourrait  y  être  menacée*. 

1    Le   Rapprochement  franco-italien  {Quest.  Dipl.  et   CoL,  io  octobre  1902). 

3  Je  ne  crois  pa.«  que  le  voyage  du  Kronprinz  à  Saint-Pétersbourg  ait  atténué  la 
pt^rtê-c  de  ces  faits. 

3  Depuis  que  cet  article  a  été  composé,  M.  Gabriel  Hanotaux  a  écrit  :  c  Le  comte 
Lasnsdorf  s'est  déplacé  lui-même,  on  ne  sait  pas  grand'chose  de  ce  qui  s'est  fait 
aa  cours  de  soo  voyage  circulaire.  Mais  il  est  probable  c{ue,  si  les  hommes  d*.^tat  se 
recherchent  et  se  rencontrent,  ce  n'est  pas  pour  se  dire  des  choses  désagréables. 
A  cette  besogne,  les  diplomates  ordinairement  accrédités  suffisent.  II  faut  donc  sup- 
poser qu'on  a  remis  sur  pied,  et  peut-être  complété^  l'arrangement  de  1897 .entre  la 
Kossie  et  l'Autriche.  Tout  porte  à  croire  que  rien  ne  passera  dans  les  Balkans,  qui 
s'ait  été  prévu  et  ré^Ié  entre  les  deux  puissants  voisins.  Ils  ont  pris  leurs  précautions 
pour  échapper  aux  influences  adverses  qui  les  portent  à  se  heurter.  » 

*  Edouard  Hervé  **  adopte  la  cause  des  Slaves  du  Sud  et  des  Slaves  du  centre, 
res  peuples  pleins  àe  sève  et  d'avenir,  tournés  vers  la  France  et  trop  négligés  par 
elle,  n  attire  constamment  nos  regards  sur  cette  presqu'île  des  Balkans,  oi^  toutes 
les  espérances  et  tous  les  regrets  semblent  s'être  aonné  rendez-vous  pour  s'y  livrer 


t 


156  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   £T   COLONIALES 

Ou  les  puissances  directement  intéressées  vont  se  contenter  de 
faire  à  l'édifice  turco-européen  vermoulu  quelques  réparations 
de  crépissage,  qui  cacheront  peut-être  les  lézardes,  mais  ne  retar- 
deront que  de  quelques  années  ou  de  quelques  mois  la  recons- 
truction devenue  indispensable.  Ou  elles  iront  jusqu'au  fond  des 
choses,  et  la  France  —  tout  en  sauvegardant  par  ailleurs  ses 
intérêts  plus  immédiats  —  pourra  voir  changer  bientôt  à  son 
avantage  le  groupement  général  des  puissances. 

Les  opprimés  courageux  passionnent  toujours  le  public  fran- 
çais, quand  ils  arrivent  à  lui  faire  connaître  leur  existence  et 
leurs  efforts.  Mais  parfois  nous  arrivons  à  nous  reprendre  en 
songeant  que  nous  avons  des  devoirs  plus  étroits  à  l'égard 
d'opprimés  qui  ne  sont  pas  des  étrangers.  Or,  quand  il  s'agit 
des  Slaves  des  Balkans,  nous  pouvons  écarter  ce  légitime  scru- 
pule :  leur  cause  est,  par  un  certain  côté,  solidaire  de  la  cause 
d'une  France  qui  doit  être  européennement  forte.  C'est  la  plus 
complète  adhésion  que  je  puisse  donner  à  leurs  revendications  : 
il  nous  faut  les  soutenir  de  toute  notre  puissance  et  en  toute 
occasion. 

Depuis  quelques  années,  trop  de  différends  ont  existé  entre 
!a  France  et  la  Russie.  Lors  des  massacres  d'Arménie,  notre 
initiative  a  été  paralysée  par  la  politique  réaliste  et  personnelle 
de  la  Russie.  En  Orient,  les  vieux  droits  que  la  France  tient  des 
capitulations  et  de  la  trsidition  sont  froissés  par  un  protectorat 
orthodoxe  naissant.  Alors  que  notre  alliée  refusait  de  prendre 
part  à  la  conférence  sucrière  de  Bruxelles,  nous  sommes  entrés 
m  rapport  avec  l'Angleterre  et  les  puissances  tripliciennes,  et 
nous  avons  traité  avec  elles.  Nous  blesserons  la  Russie  «  à  la 
tt  prunelle  de  l'œil  »,  si  nous  aidons  l'Allemagne  à  pousser  plus 
avant  l'entreprise  de  Bagdad.  —  Au  contraire,  en  Macédoine, 
les  intérêts  et  l'idéal  des  deux  puissances  amies  me  paraissent 
parfaitement  concorder.  Nous  n'aurons  pas,  prochainement,  h 
ménager  notre  appui  aux  projets  de  réformes  élaborés  par  la 
Russie  d'entente  avec  rAulriche-Hongrie. 

René  Hknry. 


iie  suprêmes  combats,  sur  cette  Macédoine  surtout,  où  déjà  plus  d'uue  fois  s'est  joué 
le  sort  de  l'Europe  orientale,  où  le  monde  romain  a  établi  sa  prééminence  sur  le 
monde  grec,  où  les  légions  de  POccident,  conduites  par  Antoine  et  par  Octave,  ont 
*'U  raison  des  partisans  de  Brutus  et  de  Cassius,  ce  champ  clos  où  viendront  se 
heurter  tôt  ou  tard  les  ambitions  sociales  que  suscitent  les  crises  de  l'Orient.  Di- 
plomates, s'écrie>t-il,  regardez  du  côté  de  Pydna  et  de  Philippes.  Militaires,  étudiez 
le  bassin  de  l'Axius.  Le  jour  où  s'ouvrira  l'héritage  de  l'empire  d*Orient,  c'est  là 
qu'il  se  réglera  ».  —  Paul  Deschanel,  Discours  de  réception  à  l'Académie  française. 


LE   PALUDISME 

ST    L'INITIATIVE    PRIV^B    EN    CORSE 


EIn  exposant,  dans  les  Queslions\  les  doléances  de  la  Corse, 
nous  avons  insisté  sur  la  nécessité  d'assainir  le  littoral  de  VWv. 
Tous  les  gouvernements  ont  compris  cette  nécessité,  mais  îl> 
en  sont  trop  souvent  restés  aux  intentions.  Nous  avons  dit  qui^, 
d^s  le  lendemain  de  Tannexion,  la  France  avait  commencf* 
d'utiles  travaux  et  qu'elle  les  avait  continués  dans  des  condi- 
tions diverses;  que  des  résultats  avaient  été  obtenus,  mais  qu'il 
restait  encore  beaucoup  à  faire.  La  plaine  orientale,  notam- 
ment, si  belle  en  hiver  et  au  printemps,  devient,  quand  arrivi' 
lété,  une  région  désolée;  on  la  fuit  et  ceux  qui  s'y  aventurent, 
ou  que  leur  condition  condamne  à  y  séjourner,  sont  exposi^s 
à  devenir  les  victimes  de  la  fièvre  paludéenne.  Chacun  sait  qu'il 
est,  notamment,  très  dangereux  de  sortir  avant  le  lever  du 
>«3leil  ou  après  son  coucher  et  que,  pour  avoir  quelque  chanc<' 
d'échapper  au  fléau,  il  faut  avoir  bien  soin,  durant  la  nuit,  df 
jrarder  la  maison.  Le  mal  n'est  même  pas  localisé  d'une  façon 
absolue,  et  il  arrive  quelquefois  que  ses  effets  se  font  senti i' 
à  une  certaine  dislance,  et  à  des  altitudes  où  il  semble  qur 
Ton  ne  devrait  pas  le  redouter. 

Uans  un  pays  qui,  à  tort  ou  à  raison,  passe  pour  tout  attendn^ 
des  pouvoirs  publics,  Tinitiative  privée  vient  de  donner  un 
exemple  de  nature  à  produire  les  meilleurs  effets.  Il  est  bon, 
iK'S  lors,  de  faire  connaître  ce  qui  a  été  fs^it.  Les  quelques  pages 
qui  vont  suivre  n'ont  pas  seulement  un  intérêt  documentaire, 
elles  sont  écrites  avec  la  pensée  qu'elles  pourront  faire  quelqn*' 
bien.  Montrer  ce  qui  a  été  déjà  obtenu,  quand  on  vient  de  cohj 
mencer,  c'est  encourager  à 'poursuivre,  et  c'est  indiquer  ce  qnr 
Ton  est  en  droit  d'attendre  d'un  labeur  persévérant;  c'est  aussi 
donner  à  d'autres  la  pensée  de  tenter  les  mêmes  efforts.  Ce  qui 
a  été  réalisé  en  Corse  peut  être  imité  dans  la  métropole  ou  lc> 
colonies  partout  où  Ton  a  à  lutter  contre  le  paludisme. 

Certes,  ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  les  Corses  ou  leurs  amis 
ont  cherché  la  solution  du  problème,  si  intéressant  pour  eux  n 
résoudre,  de  l'assainissement  de  l'île.  De  nombreuses  études  ont 
paru  indiquant  divers  moyens,  quelques-unes  examinant  1» 
question  dans  tous  ses  détails  et  d'une  façon  très  sérieuse.  Il]) 
a  quelques  années,  M.  Bourgougnon,  ingénieur  à  Bastia,  adress;+ 

t  \^  Gcabco  :  Les  doléances  de  la  Corse  {Quesl,  Dipl.  et  Ço!,,  t.  XUI,  p.  15). 


I 


l 


158  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   BT   GOLONIALBS 

au  Conseil  général  un  travail  des  plus  consciencieux  :  on  1861, 
M.  Limperani  en  avait  mis  un  sous  les  yeux  des  membres  du 
Conseil  d'hygiène  et  de  salubrité  publique  de  Tarrondissemenl 
iIg  Bastia.  En  1869,  M.  Regulus  Carlotti  fit  paraître  une  notiee 
—  Ou  mauvais  air  en  Corse  —  dans  laquelle  il  recherchait  les 
viiuses  du  paludisme,  son  action  et  les  moyens  de  le  faire  dispa- 
raître. Il  n'y  a  pas  longtemps,  en  1899,  M.  Pierre  Sorba,  con- 
ducteur des  ponts  et  chaussées,  a  publié  une  brochure  sur  les 
Travaux  d'assainissement  en  Corse,  qui  renferme  d'utiles 
iq^erçus.  M.  le  D'  Pitti-Ferrandi  a  écrit,  en  1901,  une  thèse 
sur  Le  paludisme  et  les  régions  palustres  de  la  Corse.  Nous 
mentionnons  ea  passant,  car  nous  n'avons  pas  la  prétention 
il*^  donn^  une  bibliographie  complète;  nous  retenons  sim- 
plement ceci  que  s'il  y  eut  des  rapports  officiels,  il  y  eut  aussi 
iics  études  privées.  Les  découvertes  récentes  ont  fait  passer,  dans 
\v  monde  de  ceux  qui  pensent,  de  la  théorie  à  la  pratique,  de 
la  recherche  de  ce  qui  est  à  faire  à  la  mise  en  œuvre  de  ce  qui 
v^i  possible  pour  tous.  «  Aide-toi,  le  ciel  t'aidera,  »  dit  un  pro- 
verbe bien  souvent  répété.  Le  Gouvernement,  ce  ciel  de  la  terre 
jiour  tant  de  gens  qui  ont  les  yeux  braqués  sur  lui,  a  de  nom- 
breuses et  lourdes  préoccupations;  il  a  de  gros  soucis  d'argent, 
il  est  fort  loin  ;  il  lui  est  difficile  de  tout  entreprendre  en  même 
trmps.  Qu'il  agisse  de  son  côté,  nous  n'y  contredirons  pas;  mais 
a^nssons  aussi  du  nôtre,  nous  y  trouverons  le  double  avantage 
do  le  forcer  à  nous  aider  —  car  on  sourit  à  ceux  qui  ont  quelque 
tMilregent,  —  et  de  nous  protéger,  en  attendantque,  parles  grands 
moyens,  l'Etat  nous  débarrasse  complètement  et  définitivement 
lie  l'ennemi.  Ainsi  pensèrent  probablement  les  fondateurs  de  la 
Ligue  corse  contre  le  paludisme.  Tant  que  la  théorie  miasma- 
tique fut  tenue  pour  vraie,  il  y  avait  peu  à  attendre  d'une  ac- 
tion privée  :  quelque  bonne  volonté  que  Ton  eût  de  se  défendre, 
il  était  difficile  de  ne  pas  respirer.  Aujourd'hui,  l'adversaire 
«Haut  démasqué,  il  est  permis  de  compter  sur  la  victoire. 


On  sait*  que  l'agent  le  plus  actif  de  la  propagation  des  fièvres 
f paludéennes  est  un  moustique  qui,  par  sa  piqûre,  inocule  à 
l'homme  l'hématozoaire  du  paludisme.  Les  expériences  faites 
f^ii  France,  en  Angleterre,  en  Italie,  ont  paru  concluantes. 
11  a  été  démontré,  d'autre  part,  que  l'évolution  du  parasite  de 
la  fièvre,  chez  l'homme,  était  enrayée  par  la  quinine,  et  que, 
lie   plus,   ce  dernier  produit  était  utilement   employé  comme 

1  Voir  D'  Lb  OAifTBc  :  Le  paludisme  {Quest,  DipL  el  Col.,  t.  XII,  p.  333). 


LIS  PALUDISME  ET  l'INITIATIVE  PRIVÉE  EN   CORSE  159 

moyen  piéventif.  11  s'agissait  donc  de  se  protéger  contre  la 
piqûre  des  moustiques  pour  se  garantir  soi-même,  et  par  voie 
Je  conséquence,  arrêter  la  contagion  portée  de  l'un  à  l'autre 
pdf  Y  anophèle,  11  fallait  aussi  se  préoccuper  de  rendre  cette 
piqûre  inoffensive  au  cas  où  elle  aurait  lieu. 

Puisqu'il  s'agit  de  moustiques,  suffisait-il  d'user  des  préser- 
vatifs employés  de  tout  temps  par  les  habitants  des  pays  chauds 
victimes  des  agressions  nocturnes  de  tous  ces  petits ,  bandits 
ailés  qui,  en  sonnant  du  cor,  s'abattent  sur  eux  avec  un  redou- 
table acharnement?  Nous  lisions  dernièrement,  dans  un  petit 
volume  in-12  sur  l'histoire  naturelle  des  Antilles,  publié 
rn  1667  par  un  M.  de  Rochefort,  ce  passage  qui  retint  notre 
.ittention.  «  Pour  s'exempter  de  ces  deux  sortes  de  bêtes  (Mous- 
»  tiques  et  Maringouins),  on  a  coutume  de  placer  la  maison  en 
t  un  lieu  un  peu  haut  élevé,  de  lui  donner  air  de  tous  côtés  et  de 

coupper  tous  les  arbres  qui  empeschentle  vent  d'Orient  qui 

-  souffle   presque  ordinairement  en  ces  îles  (Antilles),  et  qui 

-  chasse  au  loin  ces  malins  et  importuns  ennemis.  Ceux  aussi 
^  qui  ont  des  logis  bien  fermez  et  des  lits  bien  clos,  n'en  sont 

-  [>oint  incommodez.  —  Mais,  si  l'on  en  est  travaillé,  on  n'a  qu'à 

•  fumer  du  tabac  en  la  chambre,  ou  de  faire  un  feu  qui  rende 
<  beaucoup  de  fumée,  car  par  ces  moyens  on  met  en  fuite  ces 

*  petits  perturbateurs  du  repos  des  hommes.  » 

On  ne  connaissait  pas,  à  cette  époque,  les  fidibus  antimous- 
tiques^  mais  on  usait  d'un  procédé  analogue  à  celui  dont  on  se 
M^rt  aujourd'hui.  L'expérience  est  ancienne,  et  les  illusions  le 
•H)nt  aussi.  Les  boîtes  renfermant  les  fidibus  sont  recouvertes 
d'étiquettes  alléchantes.  Quand  vous  lisez  sur  elles  sonni  Iran- 
quilli^  vous  vous  bercez  de  cet  espoir  que  vous  allez  béatement 
jouir  d'.un  paisible  sommeil.  Vous  brûlez  avec  confiance  votre 
petit  cône  aromatique  qui  enfume  la  pièce  où  vous  vous 
enfermez,  au  point  d'en  rendre  l'air  à  peu  près  irrespirable. 
Hélas!  vous  engourdissez  le  moustique,  vous  ne  le  tuez  point; 
et  aux  heures  si  douces  des  premières  lueurs  du  jour,  alors 
qu'il  fait  si  bon  dormir,  vous  êtes  réveillé  par  un  bourdonne- 
ment trop  connu,  ou  par  une  piqûre  trop  cuisante.  Les  poudres 
Je  pyrèthre  et  de  chrysanthème,  les  fumées  et  les  odeurs  sont 
insuffisantes  pour  éloigner  l'ennemi  ;  on  ne  peut  donc  en  user 
contre  l'anophèle.  Il  fallait  trouver  des  moyens  radicaux.  Ces 
moyens  ont  été  déjà  exposés  à  cette  place,  avec  autorité.  Les 
anciens  portaient  casques  et  cuirasses  pour  se  garantir  des 
coups  de  lance  et  d'épée;  on  a  pensé  que  l'on  pouvait  cuirasser 
les  maisons  et  affronter  soi-même  l'adversaire,  la  visière 
baissée.  On  a  garni  portes  et  fenêtres  de  toiles  métalliques  ;  on 


W'/- 


160  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  BT  COLONIALES 

a  inventé  des  capuchons  en  forme  de  sacs  garnis  de  la  même 
toile,  afin  de  défendre  le  visage. 

Si  Ton  doit  se  mettre  à  Tabri  des  insectes  vivants,  il  est  un 
moyen  plus  sûr  encore  d'avoir  raison  d'eux,  c'est  d'empêcher^ 
leur  reproduction,  en  allant  les  combattre  où  ils  se  multiplient, 
c'est-à-dire  dans  Teau  des  mares  et  des  étangs  où  ils  déposent 
leurs  œufs.  Des  expériences  faites  en  divers  pays  ont  très  bien 
réussi.  A  Cuba,  les  Américains  ayant  observé  que  la  propaga- 
tion de  la  fièvre  jaune  était  due  à  un  moustique,  le  stegomya^ 
n'ont  pas  hésité  à  user  de  ce  procédé.  On  a  remarqué  qu'il  suf- 
fisait d'une  légère  couche  de  pétrole,  sur  la  surface  de  l'eau, 
pour  supprimer  les  larves,  M.  Laveran  évalue  à  une  quantité, 
variant  de  10  à  15  centimètres,  le  pétrole  exigé  pour  couvrir  un 
mètre  carré  de  surface,  et  il  considère  qu'il  convient,  pendant 
\{-  les  chaleurs,  de  répéter  l'expérience  environ  tous  les  quinze 

jours.  Le  peuplement  des  étangs  avec  de  petits  poissons  est 
également  conseillé,  de  même  que  la  suppression  des  bouquets 
|-  d'arbres  entourant  les  maisons. 

ri  '  Pour  propager  l'habitude  de  telles  précautions  et  la  rendre 

j,V  générale,  il  ne  suffit  pas  de  faire  des  coirimunications  aux  So- 

R;  ciétés  savantes,  aux  Académies,  et  de  rédiger  des  mémoires  si 

f^  '  intéressants  soient-ils.  11  faut  évidemment  commencer  par  le 

r  ;  '-^  rapport  du  savant  qui  pose  les  principes  et  indique  la  ligne  à 

rj.  suivre;  mais  une  théorie  ne  peut,  à  elle  seule,  réveiller  Tinitia- 

t»;,  tive  individuelle.  Quelques-uns  feront  bien  le  nécessaire  pour 

^  se  garantir  eux-mêmes;  mais  faute  d'une  action  d'ensemble,  la 

^-  protection  sera  si  limitée  qu'elle  ne  paraîtra  point  appréciable. 

k  Livré  à  soi-même,  on  ne  sait  pas,  on  ne  peut  pas,  on  est  em- 

?  prunté,  on  se  heurte  à  des  dépenses  que  l'on  est  incapable  de 

faire.  La  quinine,  par  exemple,  médicament  curatif  et  pré- 
ventif, dans  l'espèce,  coûte  fort  cher,  et  une  population  pauvre, 
livrée  à  elle-même,  ne  peut  s'en  procurer  qu'une  quantité 
insuffisante. 


t 


k. 


M.  Laveran  avait  émis  le  désir,  devant  l'Académie  de  méde- 
cine, de  voir  se  créer  une  société  pour  l'assainissement  de  la 
Corse.  Ce  désir  a  été  réalisé. 

Au  printemps  de  l'année  1902  s'est  formée,  à  Bastia,  une 
Ligue,  la  première  de  ce  genre,  pour  lutter  contre  le  palu- 
disme. L'honneur  de  cette  création  revient  à  M.  le  D'  Félix 
Battesti,  de  Bastia,  praticien  distingué  qui  connaît  et  aime  son 
pays  et  qui  s'est  fait  un  devoir  de  lutter  avec  suite  contre  le 
fléau  dont  tant  de  générations  ont  souffert.  M.  Battesti  est  le 
président  effectif  de  la  Ligue  dont  M.  Laveran  a  la  présidence 


LE    PALUDISME   ET  l'INITIATIVE   PRIVËIS  EN  CORSE  161 

d'honneur.  M.  le  D*"  Pitti-Ferrandi  en  est  le  secrétaire,  et  M.  le 
D'^  Thiers^  le  trésorier.  Un  comité  d'organisation  a  été  cons- 
titué avec  diverses  personnalités  locales  pouvant,  par  ieur^^si- 
tuation  ou  leurs  études,  lui  prêter  un  concours  utile. 

Nous  ne  pouvons  mieux  faire,  pour  donner  une  idée  du  pro- 
^rramme  de  la  Ligue,  que  de  le  reproduire  par  extraits,  tel  qu'il 
a  paru  dans  les  journaux  du  pays. 

«  La  Ligue  corse  contre  le  paludisme  se  propose  :  d'abord  de 
ï  diffuser  et  de  vulgariser  le  plus  largement  possible,  à  travers 
p  tout  le  département,  surtout  dans  les  régions  insalubres,  les 
«  moyens  les  plus  simples,  les  plus  pratiques  et  les  plus  sûrs 
-^  d'éviter  le  paludisme  et  de  le  combattre  tel  qu'il  découle  des 

*  découvertes  scientifiques    les  plus   récentes  et    les  mieux 

*  établies 

«  De  faciliter...  la  mise  en  pratique  de  ces  moyens  :  4® en 
^    procurant  aux  membres  adhérents  de  la  Ligue,  à  Taide  d'une 

«    très  faible  cotisation  annuelle,  la  quinine ;  2**  en  deman- 

'-'   dant    aux    différentes    administrations   de    l'État,   ponts   et 

*  chaussées,  douanes  et  postes,  de  faire  usage,  dans  les  en- 
^  droits  malsains  de  toiles  métalliques  pour  garantir  leurs 
«  enaploy es  contre  les  piqûres  des  moustiques,  ces  installations 
w  devant,  en  outre,  servir  d'exemples  et  de  modèles  aux  parti- 
•î  culiers  qui  désireront  y  avoir  recours  ;  3*"  en  se  mettant  à  la 
-  disposition  de  tous  ceux  qui  auront  besoin  de  conseils  ou  de 
a   renseignements  touchant  la  question  du  paludisme. 

«  Enfin  la  Ligue  se  propose  de  pét\tionner  auprès  du  Gouver- 
«  nement,  avec  Fappui  de  toute  la  représentation  insulaire 
^  (sénateurs,  députés,  conseillers  généraux  et  d'arrondisse- 
"    menls)  pour  essayer  de  hâter  l'application  de  l'assainissement 

qui  ne  doit  pas  être  perdu  de  vue,  car  il  constitue  le  remède 
a    radical  contre  le  fléau.  » 

La  Ligue  comprend  des  membres  donateurs  dont  les  libéra- 
litt's  peuvent  être  variables,  et  des  membres  adhérents  dont  la 
rolisation  est  de  1  franc  par  an,  et  par  personne.  Moyennant  ce 
très  faible  versement,  on  reçoit  une  carte  qui,  remise  à  l'un  des 
pharmaciens  dont  le  nom  est  inscrit  à  son  verso,  permet  de 
recevoir  un  flacon  de  sulfate  de  quinine,  de  30  grammes  et  abso- 
lument pur,  au  prix  très  réduit  de  3  fr.  oO.  Une  petite  cuiller  de 
bois,  délivrée  en  même  temps  que  le  flacon,  permet  de  doser  le 
médicament  d'une  façon  appropriée  aux  divers  cas.  De  plus,  la 
carte,  valable  pour  une  année,  est  accompagnée  d'une  notice 
expliquant  le  mode  d'emploi  de  la  quinine  comme  moyen  pré- 
ventif et  curatif.  Il  y  a  eu  entente  entre  les  pharmaciens  de  la 
Corse  pour  pouvoir  arriver  à  donner  la  quinine  avec  un  bénéfice 
QussT.  Dipu  BT  Col.  —  t.  xv.  11 


162  ODBSTIONS   DIFLOMATIOUKS   BT  GOLONIALBS 

restreint,  et  la  Ligue  est  décidée  à  s'imposer  d'importants  sacri- 
fices pour  les  dédommager  dans  la  mesure  du  possible. 

Au  6  avril  dernier,  la  Ligue  avait  reçu  Tadhésion  de  17  phar^ 
maciens  de  Tîle  dont  8  de  l'arrondissement  de  Bastia,  1  de  celui 
de  Calvi,  7  de  celui  d'Ajaccio,  et  2  de  Tarrondissement  de  Corte. 
Aujourd'hui  tous  les  pharmaciens  de  Tile,  sauf,  croyons-nous, 
une  ou  deux  exceptions,  ont  adhéré. 

Aussitôt  formée,  la  Ligue  s'est  mise  à  l'œuvre  et  a  fait,  auprès 
des  diverses  administrations,  les  démarches  nécessaires.  Vpici 
les  résultats  obtenus  depuis  quelques  mois,  résultats  qui  ont  pu 
être  constatés  par  M.  le  D*"  Laveran  dans  le  voyage  qu'il  a  fait  en 
Corse  au  mois  de  septembre  dernier  \ 

La  Compagnie  des  chemins  de  fer  départementaux,  dont  les 
lignes  traversent  les  contrées  les  plus  malsaines,  a  mis  la  qui- 
nine à  la  disposition  gratuite  de  ses  employés  en  aussi  grande 
quantité  qu'ils  le  désirent;  mais  si,  à  ce  point  de  vue,  la  Com- 
pagnie seconde  largement  le  mouvement  qui  s'est  produit,  on  ne 
peut  en  dire  autant,  jusqu'à  présent,  en  ce  qui  concerne  l'instal- 
lation des  toiles  métalliques  dans  les  maisonnettes  de  la  voie 
où  elles  sont  presque  partout  nécessaires.  La  dépense  serait 
relativement  peu  élevée,  d'autant  plus  que  l'on  trouverait  une 
compensation  dans  l'amélioration  de  la  santé  des  employés.  Le 
service  médical  et  pharmaceutique  coûte,  en  effet,  à  la  Compa- 
gnie 20.000  francs  environ;  or,  les  trois  quarts  des  maladies  à 
soigner,  sur  la  ligne  du  chemin  de  fer,  proviennent  du  palu- 
disme. Les  enfants  scrofuleux,  lymphatiques,  de  constitution 
débile,  issus,  pour  la  plupart,  de  parents  cachectiques,  récla- 
ment un  traitement  long  et  suivi,  et  consomment  une  grande 
quantité  d'huile  de  foie  de  morue.  De  plus,  depuis  la  dernière 
grève,  si  nos  renseignements  sont  exacts,  chaque  employé 
malade  a  droit  à  quinze  jours  de  solde  entière,  —  tandis  qu'un 
auxiliaire  reçoit,  de  son  côté,  des  appointements  pendant  cette 
période  —  et  à  cinq  mois  et  demi  de  demi-solde.  Les  preuves 
de  la  contamination  par  l'anophèle  étant  considérées  aujour- 
d'hui comme  évidentes,  et  déterminant  les  mesures  à  prendre 
pour  organiser  la  lutte  contre  la  maladie,  qui  ne  voit  l'intérêt 
de  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  départementaux  à  l'emploi 
des  toiles  métalliques?  MM.  Laveran  et  Félix  Battesti  ont  pu, 
sans  rien    craindre,   coucher,   les  fenêtres   ouvertes,  à  Casa- 

1  M.  le  D^"  Laveran  a  présenté  à  l'Académie  de  médecine  un  Rapport  sur  son 
voyage  en  Corse  au  mois  de  septembre  dernier.  Nous  renvoyons  nos  lecteurs  à  ce 
Rapport  ;  ils  j  trouveront  des  renseignements  très  utiles,  notamment  sur  la  multipli- 
cité des  anophèles  dans  l'ile  et  sur  leurs  lieux  d'élection. 


LE   PALUDISME  ET   l'INITATIVJB  PRIVÉE   EN   CORSE  163 

bianda,  l'un  des  points  les  plus  malsains  de  la  côte  orientale, 
pendant  que,  tout  autour  d'eux,  on  était  contraint,  sous  peine  de 
^ave  dommage,  de  fermer  soigneusement  chaque  ouverture 
avant  la  tombée  de  la  nuit. 

La  Ck>mpagnie  des  chemins  de  fer  départementaux  parait 
cependant  comprendre  l'intérêt  qui  s'attache,  pour  elle,  à  proté- 
ger son  personnel  par  tous  les  procédés  qu'indique  la  science, 
aidée  de  l'expérience.  Dans  un  compte-rendu  présenté  à  la 
Ligue  Corse  contre  le  paludisme,  dans  la  séance  du  21  décembre 
1902,  M.  le  D'  F.  Battesti  a  fait  observer  que,  sur  l'initiative 
du  directeur  de  la  Compagnie  en  Corse,  M.  Fontaine,  dont  il 
loue,  avec  raison,  la  vive  sollicitude  et  dont  nous  connaissons 
la  ferme  et  intelligente  activité,  une  maisonnette  cantonnière 
a  été  garnie  à  titre  d'essai  et  que,  dès  l'été  prochain,  dix  mai- 
:^onnettes  seront  protégées. 

Grâce  à.  Fadaptation  des  masques  et  des  toiles  métalliques 
d'une  part,  à  la  distribution  de  sels  de  quinine  d'autre  part,  les 
Compa.gnies  italiennes  des  chemins  de  fer  ont  diminué,  dans  de 
très  importantes  proportions,  le  nombre  des  malades  sur  leurs 
diverses    lignes.    Un  correspondant  du  Temps  a  donné,  pour 
Tannée  1901,  des  chiffres  significatifs  qu'il  est  intéressant  de 
reproduire.  Sur  la  ligne  Rome-Pise  et  un  parcours  de  300  kilo- 
mètres comprenant,  pour  le  personnel  des  gares,  \  .906  individus, 
1 .592  furent  complètement  protégés.  Nous  ne  pouvons  mieux 
faire  d'ailleurs  que  de  citer  le  journal  lui-même  :  «  Entre  réci- 
II  divîstes  et  primitifs,  la  moyenne,  pour  les  premiers,  a  été  de 
«  23  % ,  et  de  36  %  pour  les  seconds,  alors  que  précédemment 
i€  cette    moyenne   était   respectivement    de  60    et    80    %    de 
ff  sujets  malades. 

«  Sur  les  lignes  Rome-Sulmona,  Rome-Orte  (60  kilomètres) 
«c  et  dans  le  rayonnement  de  Foggia  (178  kilomètres),  sur  un 
Il  total  de  1 .600  individus  complètement  protégés  et  406  incom- 
'.  plètement,  des  premiers,  478  ont  été  atteints,  dont  446  récidi- 
«  vistes  et  32  primitifs,  soit  29  %  ;  des  seconds,  82  sont  tombés 
«T  malades,  dont  32  récidivistes  et  50  primitifs,  soitune  moyenne 
u  de  20  %. 

tf    Dans   la  Sicile  occidentale,  les  protégés  ont  donné  une 

«  moyenne  de  fiévreux  de  9  %  et  les  non  protégés  une  de  60  %. 

«  En  Sardaigne,  sur  60  individus  protégés,  aucun  malade. 

«  Dans  le  Latium,  sur  810  paysans  protégés  la   proportion 

*  des  fiévreux  est  descendue  à  13  %,  alors  que  cette  proportion 

«  a  été  de  35  pour  les  non  protégés. 

a  En  Lombardie,  en  Vénétie  et  en  Emilie,  sur  217  personnes, 
«  18  malades,  soit  8,5  %  contre  56  %  dans  le  chiffre  des  non 
«  protégés. 


164  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES    ET  COLONIALES 

<r  Dans  certaines  localités  de  VAgro  Romano^  où  la  popula- 
•t  tion  des  malades  était  ordinairement  de  25  à  30  % ,  aucun  cas 
<c  de  fièvre  ne  s'est  produit  parmi  les  293  personnes  sou- 
«  mises  aux  expériences...  lo 

La  Croix-Rouge  italienne  a  fait,  dans  VAgro  Romano,  en 
1901,  une  campagne  antimalarique  des  plus  instructives.  Elle 
a  reconnu,  notamment,  Tefficacité  des  défenses  mécaniques. 
Aucun  membre  de  son  personnel  mis  en  action,  ne  fut  atteint 
d'infection  paludéenne.  Sur  la  via  Cassia,  elle  a  fait  appliquer 
les  défenses  mécaniques,  avec  toiles  métalliques,  à  la  caserne 
du  poste  de  gendarmerie.  Tandis  que,  dans  les  années  précé- 
dentes, et  dans  la  première  période  de  l'année  1901,  les  carabi- 
niers qui  résidaient  dans  ce  poste  étaient  souvent  atteints  de 
fièvre,  ils  en  furent,  depuis  l'application  des  défenses,  absolu- 
ment indemnes.  Ceux  de  nos  lecteurs  qui  désireraient  avoir, 
sur  cette  campagne,  des  renseignements  très  détaillés,  pour- 
raient se  référer  au  rapport  adressé  par  le  D"^  Paul  Postempski 
au  président  de  l'Association  de  la  Croix-Rouge  italienne. 

Dans  Texcursion  qu'il  a  faite  en  Corse  au  mois  de  septembre 
dernier,  pour  explorer  certaines  régions  malariques,  le  prési- 
dent d'honneur  de  la  Ligue  a  rencontré  Vanophèle  dans  de 
très  larges  proportions.  Habituellement,  sur  100  moustiques, 
on  trouve  2  anophèles;  il  en  a  reconnu  400  sur  100  dans  les 
gares  et  toutes  les  localités  de  la  côte  orientale.  A  Lumio,  vil- 
lage près  de  Calvi,  et  dans  la  vallée  de  Casaluna,  entre  Ponte- 
Leccia  et  Gavignano  où  l'on  prétendait  qu'il  n'y  a  pas  de  mous- 
tiques bien  qu'il  y  eût  des  fièvres,  MM.  Laveran  et  Battesti  ont 
rencontré  ces  insectes  et  leurs  larves  en  abondance. 


Aussitôt  après  la  fondation  de  la  Ligue,  son  président  se  mit 
en  devoir  d'entrer  en  relations  avec  les  chefs  des  diverses 
administrations  dont  les  agents  sont  susceptibles  de  vivre  dans 
des  régions  malariques.  L'honorable  docteur  reçut  le  meilleur 
accueil.  MM.  Brunet,  conseiller  d'Etat  et  directeur  général  des 
Douanes,  Philippe,  directeur  de  l'hydraulique  agricole  au 
ministère  de  l'Agriculture,  Bonafous,  ingénieur  en  chef  des 
ponts  et  chaussées,  Chanal,  vice-recteur  à  Ajaccio,  ont  secondé 
les  efforts  de  la  Ligue  de  la  façon  la  plus  louable. 

Les  Douanes,  sur  les  indications  qui  leur  ont  été  fournies, 
font  distribuer  la  quinine,  sous  forme  de  comprimés,  dosés  à 
0.05  centigrammes,  à  tous  les  agents  établis  sur.  les  lieux 
contaminés.  Afin  d'avoir  l'assurance  que  le  médicament  est 
absorbé,  les  chefs  de  l'administration  le  font  prendre,  en  leur 


LE    PALUDISME    ET   l'INITIATIVE  PRIVÉE   EN    CORSE  165 

présence,  par  leurs  subalternes.   Dans  chaque  poste  est  affi- 
cbée  une  instruction  de  la  Ligue  relative  à  Femploi  de  la  qui- 
nine à  titre    préventif  et  curatif.  Les  Douanes   ont  aussi   fait 
mstaller  des  toiles  métalliques  à  leur  caserne  de  Porto-Vecchio, 
h  plus  malsaine  de  la  côte,  et  ont  Tintention  d'agir  de  même 
pour  leurs  autres  casernes;  celles  de  Tizzano,  de  Roccapina,  de 
Portopollo  seront,  très  probablement,  protégées,  de  la  mt^me 
manière,  cette  année. 

L  administration  des  ponts  et  chaussées  n'a  pas  hésité  à  faire 
.^tablir  des  toiles  métalliques  dans  les  maisonnettes  de  ses  can- 
loaniers  situées  au  sein  de  régions  malsaines,  telles  que  celles 
i'Aleria,  des  environs  de  Calvi,  de  Porto-Vecchio.  Le  travail 
Q  est  pas  encore  entièrement  terminé,  mais  il  le  sera  très  vrai- 
semblablement dans  le  courant  de  cette  année.  Le  phare  d'Alis- 
tn\  au  Nord  d'Aleria,  est  complètement  garni  de  toiles  mé- 
liUiques.  L'administration  compte  ne  pas  s  arrêter  en  si  bonne 
voie  et  a,  dit-on,  Fintention  de  protéger  toutes  les  habitations 
lèses  agents  que  Vanophèle  pourrait  menacer. 

Le  domaine  de  Casabianda,  dépendant  du  ministère  de 
/agriculture,  a  dépensé  3.000  francs  de  toiles  métalliques  en 
1902,  et  Ton  compte  persévérer  dans  cette  voie.  C'est  M.  Rafmi, 
ingénieur  des  ponts  et  chaussées,  qui,  ayant  Casabianda  sous  sa 
iirection,  a  donné  le  plan,  fort  bien  compris,  des  toiles  dont  il 
A\git  et  veillé  ù.  leur  pose  comme  il  Ta  fait  d'ailleurs  à 
Alistro. 

Certaines  vallées,  pour  être  assainies,  celles  par  exemple  du 
Tavignano,  du  Golo,  de  Casaluna,  n'exigeraient  que  des 
-unîmes  insigniliautes.  Il  suffit,  en  effet,  d'une  simple  (laque 
ieau  pour  rendre  malsaine  toute  une  localité  ;  or  ces  vallées  en 
renfernaent  plusieurs.  Le  plus  vulgaire  cantonnier,  ayant  des 
instruclious  détaillées,  suffirait  pour  rendre,  à  cet  égard,  de 
très  appréciables  services  ;  les  médecins  de  la  Croix-Rouge  ita- 
lii^nne  ont  observé  qu'il  suffit,  dans  VAgro  Romano,  pour 
infester  une  localité,  des  mares  produites  par  Teau  que  laissent 
•^i  happer  les  abreuvoirs  où  les  bestiaux  vont  se  désaltérer.  Les 
anophèles  se  multiplient  dans  ces  mares. 

M.  Battesti  a  publié  une  notice  qui,  grâce  à  Tobligeante 
entremise  du  vice-recteur  de  la  Corse,  a  été  insérée  in  extenso 
dans  le  Bulletin  de  V Enseignement  primaire  du  département. 
>>tte  notice  a  été  remise  à  tous  les  employés  du  chemin  de  fer 
If»  la  (^rse,  à  ceux  des  ponts  et  chaussées;  elle  a  été  aussi 
envoyée  au  desservant,  au  maire  et  à  l'instituteur  de  presque 
tous  les  villages. 
La  Ligue   fait  paraître,  dans  le  même  Bulletin,  une  étude 


166  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   £T  COLONIALES 

complète  avec  figures,  destinée  aux  instituteurs,  sur  la  nou- 
velle étiolôgie  de  la  fièvre  :  son  but  est  de  leur  procurer 
des  notions  suffisantes  pour  leur  permettre  de  les  répandre 
autour  d'eux  par  des  causeries  et  des  conférences.  M.  Battesti 
comptait  l'an  dernier,  remettre  un  vœu  de  la  Ligue  au  conseil 
général,  relativement  à  ces  conférences,  pour  que  le  ministre 
donne  au  vice-recteur  de  la  Corse  des  instructions  à  ce  sujet. 

Le  7  décembre  dernier,  une  conférence  a  été  faite  à  Bastia,  à 
laquelle  assistaient  plusieurs  membres  de  renseignement  pri- 
maire laïque  de  cette  ville.  La  Ligue  a,  de  plus,  obtenu  un  con- 
cours empressé  des  inspecteurs  primaires  des  arrondissements 
de  Corte,  Sartene  et  Calvi.  Enfin,  elle  a  obtenu,  de  40  écoles, 
l'exposition,  dans  leurs  salles,  de  photographies  d^anophèles 
considérablement  agrandies,  pour  habituer  les  enfants  à  distin- 
guer le  moustique  dangereux  de  son  frère  inoffensif.  La  Ligue 
espère  que,  peu  à  peu,  toutes  les  écoles  de  la  Corse  recevront 
des  reproductions  photographiques  semblables  et  en  orneront 
leurs  murs. 

Par  ce  qui  précède,  on  vient  de  voir  avec  quel  entrain  la 
campagne  est  conduite,  quel  bien  on  peut  attendre  de  ce  mou- 
vement provoqué  par  l'initiative  privée.  Certes,  Tintervention 
de  TEtat  est  nécessaire,  car  il  est  seul  en  mesure  d'entreprendre 
les  grands  travaux  d'assainissement,  le  dessèchement  des 
marais,  l'endiguement  des  rivières,  la  construction  des  canaux 
permettant  de  mettre  les  eaux  stagnantes  en  communication 
régulière  et  facile  avec  la  mer  ;  mais  comme  nous  venons  de  le 
montrer,  il  y  avait  autre  chose  à  entreprendre,  et  la  Ligue  la 
fait. 

ALEXANDRE    GuASCO. 


i 


FÉDÉRAmSME    ET    SOCIALISME 

EN    AUSTRALASIE* 


La  démocratie  australasienne  a  triomphé  en  politique  ;  nul 
obstacle   ne  s'oppose  à  ce  qu'elle  dirige  à  son  gré  les  forces 
considérables  dont  la  Fédération  dispose.  Quelle  va  être  son 
orientation?  Malgré   certains  articles   de  la  Constitution,  les 
questions    extérieures  ne   pourront,  de  longtemps  du  moins, 
absorber  Tactivité  du  Parlement  intercolonial.  Restent  les  pro- 
blèmes économiques  et  sociaux,  et  la  Fédération  peut  les  abor- 
der au  même  titre  que  chacune  des  colonies.  Cet  ordre  de  sujets 
sera,  certainement,  le  plus  souvent  examiné  dès  que  les  diffi- 
cultés pratiques  soulevées  par  la  nouvelle  organisation  poli- 
tique   auront  été  résolues.  Il  est  déjà  familier  aux  hommes 
politiques   de  TAustralasie.  Des  conditions  mômes  dans  les- 
quelles Toccupation  du  continent  et  des  îles  s'est  effectuée,  il 
est  en    effet    résulté  un  état  social  si    mal  équilibré  que  les 
pouvoirs    publics  ont  dû  constamment  s'appliquer  à  y  porter 
remède.  Malgré  la  résistance  qu'ils  ont  opposée,  les  privilégiés 
étaient  trop  peu  nombreux  pour  empêcher  l'Etat  de  se  préoc- 
cuper   surtout    du    sort  de   la  masse.  Depuis  longtemps    la 
démocratie  australienne  a  obtenu,  soit  par  la  loi,  soit  par  voie 
adniinistrative,  une  condition   exceptionnellement  favorable. 
Eât-ce   à    dire  que,  dans  ce  milieu  neuf,  l'on  puisse  constater 
Tavènement  d'un  ordre  social  inconnu  au  vieux  monde?  Les 
chefs    socialistes  Taffirment  volontiers^  afin  de  donner  quelque 
crédit    à    leurs    conceptions    utopiques.    Mais   la    réalité   des 
choses  les  contredit  :  les  Australasiens  ne  se  sont  point  mis 
en    peine    d'imaginer  et  d'appliquer    systématiquement     un 
corps    de    doctrines;    ils   n'ont   constitué,  politiquement,    un 
parti    ouvrier  distinct  que    pendant   un  laps  de  temps  assez 
court-  Leur  effort  a  consisté  surtout  à  rechercher,  par  des  me- 
sures   prises   dans  l'intérêt  du  plus  grand  nombre,  selon   les 
nécessités  du  moment,  comment  il  serait  possible  d'assurer  à 
la  presque  totalité  des  habitants  une  condition  de  vie  meilleure 
que  par  le  passé;  c'est  dans  cet  esprit  pratique  que  les  minis- 
tères de  toutes  nuances  ont  contribué  aux  progrès  réalisés. 

1  Voir  les  QuewUoru  DipUmatiquei  et  ColoniaUa  du  l*'  octobre  1902. 


168  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

I 

Entre  tous  les  pays  occupés  par  les  Européens,  il  n'en  est 
aucun  qui  présente  avec  les  colonies  d'Australasie  une  suffi- 
sante analogie  pour  servir  de  terme  de  comparaison.  Tant  par 
le  climat  et  la  nature  du  sol  que  par  le  mode  d'appropriation, 
le  continent  australien,  la  Tasmanie,  et  môme  jusqu'à  un 
certain  point  la  Nouvelle-Zélande,  ont  une  très  particulière 
originalité.  Sur  les  800  millions  d'hectares  qu'abrite  le  dra- 
peau britannique,  un  dixième  à  peine  se  prête  à  la  colonisa- 
tion, telle  qu'elle  est  pratiquée  généralement  dans  des  contrées 
où  l'élément  indigène  n'existe  pas,  et  plus  des  deux  tiers  du 
continent  sont  à  peu  près  inutilisables.  Tout  l'hinterland  est  en 
effet  constitué  par  des  plateaux  granitiques,  recouverts  d'ondu- 
lations sablonneuses  ou  d'argiles  marécageuses;  la  pluie  y  est 
rare  et  la  végétation  arborescente  presque  nulle.  Si  les  côtes,  la 
région  montagneuse  du  Sud-Est  et  les  bassins  du  Murray  et  du 
Cooper's  Creek  offrent  un  sol  plus  favorable,  avec  de  grandes 
plaines  herbeuses  et  des  forêts  d'eucalyptus  géants,  l'irrégula- 
rité des  pluies  et  la  chaleur  extrême  rendent  fort  difficile,  sur- 
tout pour  des  Européens,  l'exploitation  agricole  du  pays.  La 
Tasmanie  et  la  Nouvelle-Zélande  sont  dans  une  condition  meil- 
leure, avec  un  climat  plus  régulier  et  plus  tempéré.  Mais  les 
premiers  colons,  qui  prirent  pied  sur  le  continent,  n'ont  pas 
clairement  vu  tout  d'abord  quelles  modifications  il  eût  convenu 
d'apporter  dans  leur  manière  d'approprier  la  terre  des  îles  : 
toute  l'histoire  sociale  de  TAustralasie  porte  la  marque  des 
erreurs  commises,  au  début,  dans  l'occupation  du  sol  et  dans 
•  le  choix  des  procédés  d'exploitation. 

Lprsque,  après  deux  siècles  d'incertitude  et  de  dédain  pour 
une  terre  qu'ils  jugeaient  ingrate  et  désolée,  les  Anglais  en- 
voyèrent des  convicts  dans  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  nul 
n'avait  songé  qu'un  établissement  colonial  pût  être  créé,  et, 
par  conséquent,  aucune  réglementation  n'avait  été  préparée. 
Officiers,  fonctionnaires,  immigrants  libres,  accaparèrent  telle 
quantité  de  terres  qui  leur  convint  :  la  Tasmanie  et  le  terri- 
toire actuel  de  Victoria  furent  ainsi  occupés,  après  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud,  sans  que  le  gouvernement  intervînt,  sinon  par 
des  mesures  tardives  et  inefficaces,  pour  empêcher  la  constitu- 
tion de  domaines  immenses  que  les  propriétaires  ne  pourraient 
mettre  en  valeur.  Les  méthodes  adoptées  pour  l'attribution  des 
terres  en  Australie  Occidentale  et  en  Australie  Méridionale  ne 
donnèrent  pas  de  meilleurs  résultats  :  dans  la  première  de  ces 


FÉDÉRALISME   ET  SOCULISME   EN   AUSTRALASIE  169 

deux  colonies,  des  concessions  de  terres  étaient  faites  gratuite- 
ment à  tous  les   immigrants  qui,  pour  la  plupart  inaptes    à 
la  culture,  s'empressaient  de  revendre  leur  part  aux  grands 
propriétaires;    dans    la   seconde,   la  terre  était  vendue  aux 
enchères    et    les   plus  riches     l'accaparaient.    En     Nouvelle- 
Zélande,   les  deux  systèmes   furent  employés  tour  à  tour  et 
k  résultat   fut  identique.  La  loi    agraire  impériale  de  i8i2, 
qui  ordonnait  la  vente  aux  enchères  et  fixait  la  mise  à  prix 
à  I   livre  Tacre,  demeura  inefficace.  Il  manquait  toujours  la 
disposition  législative  la  plus  nécessaire,  celle  qui  eût  limité 
la  surface   pouvant   être  acquise    par    une  môme    personne. 
Lorsque   Gipps,  gouverneur  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  en 
1837,  imagina  d'interdire  Toccupation  du  centre  du  continent, 
il  était  trop  tard  :  les  squatters  avaient  poussé  leurs  troupeaux 
ians  les  territoires  fertiles  des  Darling  Downs  et  pris  posses- 
sion du  pays.  Dans  toute  TAustralie,  avant  que  fût  terminée  la 
première  moitié  du  xix*  siècle,  un  régime  de  grande  propriété 
tlait  fondé,  qui  n'a  pas  cessé  depuis  lors  d'aller  en  s'exagérant. 
Ainsi   bannis  de  la  presque  totalité  des  campagnes,  la  plupart 
des  immigrants  se  sont  établis  sur  les  territoires,  de  dimensions 
restreintes,  qui,  dès  Tabord,  avaient  été  réservés  pour  la  fonda- 
tion des  villes.  Et  les  villes  ont,  par  suite,  pris  une  extraordi- 
naire extension  :  tandis  que  d'immenses  régions   sont  à  peu 
près  désertes  —  TAustralie  Septentrionale  n'est  peuplée  que 
de  1.500  blancs  et  de  3.500  Chinois  — Melbourne,  au  dernier 
recensement,  comptait  469.880    habitants,    Sydney    432.625, 
Adélaïde    148.644,  soit  environ  35  à  40  %    de  la    population 
totale  de  Victoria,  de  la  Nouvelle-Galles  et  de  l'Australie  Méri- 
dionale. Le  rapport  de  la  population  urbaine  à  cell^  des  cam- 
pagnes est  à  peu  près  la  même  dans  le  Queensland,  qui  ren- 
f*?rine  les  trois  villes  de  Brisbane  (118.000  h.),  Rockhampton  et 
Townsville;  il  est  plus  élevé  encore  en  Nouvelle-Zélande. 

Cette  répartition,  étrange  à  première  vue,  de  4  millions  et 
lemi  d'hommes,  qui  disposent  de  800  millions  d'hectares,  est  en 
L-onformité  parfaite  avec  l'organisation  économique  :  une  abon- 
dante main-d'œuvre  n'est  pas  nécessaire  si  ce  n'est  dans  les 
centres  industriels,  car  l'agriculture  est  peu  développée  et  les 
conditions  offertes  à  l'élevage  sont  si  heureuses  que  le  person- 
nel qui  s'y  applique  peut  être  fort  restreint.  Les  conditions  phy- 
>iques,  et  surtout  la  rareté  et  l'irrégularité  des  pluies,  ont 
amené  les  colons  à  ne  donner  à  l'agriculture  qu'une  extension 
modeste,  proportionnée  presque  exactement  aux  besoins  locaux. 
Dans  les  régions  où  l'on  s'est  efforcé,  comme  ont  fait  les 
(/ueensiandais,    d'établir  des  puits  artésiens   et   des   canaux 


170  QURSnOlfS  BH>UMUTI0aB8  R  COLOJCIALKS 

d'irrigation,  les  céréales  sont  produites  à  si  grands  frais  que 
l'exportation  en  est  à  peu  près  impossible.  D'ailleurs,  les  pre- 
miers immigrants  ignoraient  tout  de  Tagriculture.  Parmi  les 
443  persojines  libres  et  les  1.163  convicts  qui  accompagnaient  le 
premier  gouverneur,  en  1788,  celui-ci  «  ne  trouva,  parmi  ses 
subordonnés,  qu'un  très  petit  nombre  de  charpentiers,  artisans 
indispensables  des  pays  neufs,  et  un  seul  homme  (son  domes- 
tique) ayant  quelques  notions  de  jardinage.  Personne,  autour 
de  lui,  ne  connaissait  rien  à  Tagriculture  *  ».  Seule  entre  toutes 
les  colonies,  dès  le  milieu  du  siècle,  la  Tasmanie  réalisait 
d'importants  progrès  grâce  à  l'afflux  d'un  certain  nombre  de 
fermiers  expérimentés  qu'elle  attira  de  Grande-Bretagne  vers 
185S  pour  remplacer  les  premiers  colons  partis  à  la  recherche 
de  l'or.  Le  climat  plus  régulier  et  plus  humide  rendait  le  suc- 
cès possible  ;  le  succès  est  venu  et  Tile  n'a  pas  connu  les  crises 
sociales  des  colonies  voisines  :  l'exploitation  de  l'or  dans  le 
district  de  Macquarie  aura  pour  conséquence  de  faire  sortir 
a  Tile  somnolente  »  de  sa  torpeur.  Les  grands  propriétaires  qui 
avaient,  dès  Torigine,  accaparé  le  sol,  Tutilisèrent  seulement 
pour  l'élevage  des  moutons  et  des  bêtes  à  cornes.  La  richesse 
des  prairies  naturelles,  la  douceur  du  climat  qui  rend  inutile  la 
construction  d^étables,  l'absence  de  tout  animal  de  proie  étaient 
autant  de  conditions  favorables.  Aussi  les  moutons,  en  1891 , 
étaient-ils  125  millions,  dont  la  moitié  en  Nouvelle-Galles;  sur 
les  12  millions  de  bétes  à  cornes,  le  Queensland  en  possédait 
6.200.000;  et  à  ces  chiflfres  il  faut  encore  ajouter  180.000  che- 
vaux. En  trente  ans,  les  bêtes  à  cornes  avaient  triplé,  les  che- 
vaux quadruplé,  les  moutons  sextuplé  '.  La  laine,  les  peaux,  et 
grâce  à  l'emploi  des  procédés  frigorifiques,  l'exportation  de  la 
viande  de  boucherie  et  l'industrie  laitière  assurent  aux  squat- 
ters des  profits  considérables,  dont  ils  ne  font  que  médiocre- 
ment bénéficier  la  corporation  des  tondeurs  de  moutons  qui 
constituent  proprement  le  prolétariat  rural.  Quant  au  proléta- 
riat urbain,  s'il  est  employé,  pour  une  part,  dans  les  industries 
dérivées  de  l'élevage  et  dans  les  sucreries,  il  a  bien  d'autres 
rôles  encore.  11  est  occupé  dans  les  mines  de  houille'  qui 
entourent  Sydney  de  tous  côtés  sur  une  distance  de  100  milles, 
ou  bien  dans  les  mines  de  cuivre  de  Kapunda  et  de  Burra-Burra 
qui  ont  rapporté  100  millions;  en  trente  ans;  surtout  il  se 
consacre  à  l'extraction  de  l'or,  dont  la  valeur  exportée  en  1899 

1  L.  Vmouiuiiix.  V Évolution  sociale  en  Austraiasie,  p.  2S. 
>  Avec  un  bond  maximum  de  5.615.000  à  61.830.000  en  NouTelle-Galles. 
s  Dites  de  Newcastle,  découvertes  en  1810.  Elles  ont  produit  5  millions  de  tonnes 
en  1900. 


ï 


FÉDéRALISMB  RT  SOCIALISME   EN   AUSTRALASIB  171 

D  a  pas  été  inférieure  à  6.246.731  livres  sterling.  De  plus,  toutes 
les  industries  possibles  ont  été  créées,  car  TAustralasien  a  mis 
^m  patriotisme  à  n'importer  aucun  objet  manufacturé;  le  lux<* 
des  coRstructions  est  très  grand,  au  point  même  que  Sydney  et 
Melbourne  sont  —  quant  à  la  valeur  de  leurs  édifices  —  les 
deuxième  et  troisième  villes  de  l'empire  britannique;  les  ser- 
vices publics,  la  voirie,  la  marine  marchande  absorbent  le  sur- 
plus de  la  main-d'œuvre  disponible.  Faut-il  quelques  chiffres 
poiur  fixer  exactement  l'importance  relative  des  différente^ 
>onrces  de  la  richesse  australasienne?  Nous  constatons  qu'en 
1891  •  : 

La  production  pastorale  a  une  valeur  de  48.409.050  liv.  st.,  soit  41,2  î 

La.    production     minière  —  13.450.690      —       soit  11,7  J 

La    production    agricole  —  21.998.000      —       soit  18,7  X 

La  production  industrielle  —  33.747.000      —      soit  28,4  ?; 

Et  dans  ce  pays  où  tout  le  monde  travaille,  —  puisque  les 
p^^rsonnes  qui  ont  des  moyens  d'existence  indépendants  ne  for- 
ment que  15  %  de  la  population  en  Victoria,  9  %  en  NouvelL - 
<ialles,  5  %  en  Australie  Méridionale  et  Nouvelle-Zélande' . 
\''.^  %  en  Queensland,  —  un  dixième  seulement  de  la  popu- 
lation est  appliquée  à  l'agriculture  (416.319  personnes  eu 
1881). 

La  rareté  de  la  main-d'œuvre,  il  convient  de  le  constater,  est 
pour  beaucoup  aussi  dans  cet  état  de  choses.  Les  indigènes 
sont  à  peine  200.000,  dans  l'Ouest  et  le  Nord  du  continent,  aprr  ^^ 
avoir  d'ailleurs  prouvé  qu'ils  étaient  tout  juste  capables  do 
pa^se^  de  la  vie  nomade  à  la  vie  pastorale.  Les  Maoris,  qui  en 
Nouvelle-Zélande  ont  survécu  aux  guerres  d'extermination  du 
milieu  du  siècle  (environ  40.000),  sont  plus  intelligents;  il 
ont  adopté  la  civilisation  européenne  et  ont  usé  de  leurs  droits 
civiques  pour  envoyer  quatre  des  leurs  au  parlement  de  Wel- 
lington; mais  l'élevage  est  encore  le  seul  mode  qu'ils  em- 
ploient pour  participer  à  la  productivité  générale.  Les  blam  s 
ne  sont  devenus  nombreux  que  par  lafflux  des  chercheur^ 
d'or,  généralement  inaptes  à  la  vie  agricole,  et  peu  enclins  h 
l'accepter  sous  un  ciel  brûlant.  Entre  ceux  qui,  après  quelqui* 
temps,  ont  abandonné  les  mines,  les  uns,  plus  aventureux, 
ont  été  embauchés  pour  la  garde  des  troupeaux,  les  auln*'- 
ont  reflué  vers  les  villes  pour  y  reprendre  le  métier  d'autrefoiîi, 
avec  la  perspective  de  toucher  les  hauts  salaires  que  la  pros»- 
périté  publique  permettait  d'affecter  aux  producteurs.  Lors- 

*  Chittns  extraits  de  table«ax  très  complets  et  variés,  dressés  d'après  les  staU!»-^ 
tiques  officielles,  par  M.  Vioouroux,  loc,  cit.,  p.  183. 


S 


172  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES   ET    COLONIALES 

que  des  crises  économiques  ont  éclaté  en  ^874,  4885,  4891, 
la  main-d'œuvre  urbaine  fut  surabondante  et  Touvrier  austra- 
lien devint  turbulent  et  inquiet;  il  se  prit  à  redouter  par- 
dessus tout  Tabsence  de  travail  industriel;  il  exigea  que 
des  mesures  fussent  prises  pour  lui  en  procurer  et  surtout 
pour  écarter  la  concurrence  que  les  Chinois,  sobres  et  pa- 
tients, pouvaient  lui  faire  dans  les  métiers  les  plus  humbles 
comme  dans  les  plus  savants  *.  Par  jalousie,  il  ferma  à  peu  près 
le  continent  à  l'immigration  asiatique  et  supprima  ainsi  une 
main-d'œuvre  abondante  et  peu  coûteuse,  dont  l'emploi  serait 
bien  utile  pour  que  les  exportations  australasiennes  puissent 
augmenter.  On  n'eut  pas  une  telle  prévoyance  :  la  question  des 
sans-travail  appelait  l'attention;  c'était  elle  qu'on  voulait  ré- 
soudre d'abord,  avec  d'autant  plus  de  raison  d'ailleurs  que 
l'effervescence  du  monde  ouvrier  était  grande,  et  que  son  agi- 
tation ne  laissait  pas  d'inquiéter  les  hommes  politiques  et  les 
classes  aisées. 

II 

Dans  un  pays  où  la  classe  moyenne  n'existait  pas,  les  salariés 
avaient  rapidement  pris  conscience  de  la  force  que  leur  donne- 
rait l'avantage  du  nombre  au  regard  du  petit  groupe  des  privilé- 
giés, du  moment  qu'ils  sauraient  s'organiser.  D'ailleurs  les  riches 
mêmes  leur  avaient  donné  l'exemple,  lorsqu'ils  constituèrent 
une  association  pour  résister  à  la  loi  agraire  impériale  de  1842 
et  obtenir  les  trois  F  :  lenure  du  sol  /ïjre,  fermage  fixe  et  vente 
libre  [freé)  de  leurs  droits.  Dès  4840,  les  groupements  ouvriers 
songèrent  à  réclamer  la  réduction  de  la  journée  de  travail. 

Comme  toujours,  ainsi  que  le  remarque  M.  Vigouroux,  les 
typographes  et  les  ouvriers  du  bâtiment  prirent  la  tète  du 
mouvement  syndical.  En  1844,  les  maçons  de  Dunedin  obte- 
naient la  journée  de  huit  heures;  la  même  réglementation  était 
introduite  à  Sydney  en  4855  et  à  Melbourne  en  1859,  sans  avoir 
rencontré  une  grande  résistance  parce  que,  d'une  part,  la 
morte-saison  est  inconnue  dans  ce  climat  chaud,  et  que,  d'autre 
part,  les  ouvriers  avaient  spontanément  proposé  une  réduction 
de  un  shilling  sur  leur  salaire  quotidien.  Quinze  ans  plus  lard, 
presque  tous  les  corps  de  métiers  avaient  obtenu  que  la  durée 
du  travail  fût  limitée  à  quarante-huit  heures  par  semaine  avec 
le  repos  dominical  complet.  Comme  cette  réforme  ne  laissait  pas 
de  susciter  pratiquement  quelques  difficultés,  les  ouvriers  se 

1  En  1838,  les  tondeurs  de  moutons  du  Queensland  avaient  fait  une  pétition 
contre  les  Chinois. 


FÉDÉRALISME   ET  SOCIALISME   EN  AUSTRALASIB  173 

groupèrent  pour  la  défense  de  leurs  intérêts.  En  1871  apparaît 
le  Conseil  des  métiers  et  du  travail  de  la  Nouvelle-Galles;  un 
peu  plus  tard,  le  Comité  du  Trades  hall  de  Melbourne  devient 
le  porte-parole  de  tous  les  ouvriers  de  la  ville  ;  une  association 
nationale  des  mineurs,  diverses  unions  ouvrières,  des  syndi- 
cats de  marins  sont  créés,  et  un  premier  congrès  ouvrier  se 
réunit  à  Sydney  en  1879.  La  solidarité  de  tous  les  syndicats 
{•ermit  aux  marins  d'obtenir  que  les  Chinois  ne  fussent  plus 
employés  sur  les  bâtiments  marchands.  Sept  ans  après,  une  des 
a>sociations  ouvrières  les  plus  puissantes,  TUnion  amalgamée 
Je^  tondeurs  de  moutons,  exigea  de  même  façon  la  proscription 
de  la  main-d'œuvre  asiatique  ou  polynésienne.  A  celte  époque 
:  ailleurs^  à  la  suite  du  congrès  ouvrier  de  Melbourne,  les  syn- 
dicats ont  accompli  de  très  grands  progrès,  ils  sont  officiellement 
reconnus,  et  bien  qu'ils  ne  renferment  qu'une  partie  des  sala- 
riés, ils  sont  admis  à  parler  en  leur  nom.  Les  employeurs  de 
Victoria  qui,  inquiets  de  l'organisation  ouvrière,  viennent  de 
former  entre  eux  une  Union,  acceptent  de  discuter  avec  le 
r-omité  du  Trades  hall  et  de  fixer,  d'accord  avec  lui,  les  con- 
iitions  auxquelles  les  débardeurs  de  Melbourne,  alors  en 
jrrAve,  reprendraient  le  travail. 

Dans  cette  occurrence, les  employeurs  avaient  constaté  la  force 
trt  la  solidarité  des  corporations  ouvrières;  ils  l'éprouvèrent  à 
nouveau  quand  les  Unions  de  métiers  d'Australasie  souscri- 
nrent  4.000  livres  sterling  pour  les  déchargeurs  de  Londres, 
iprès  que  ceux-ci,  en  1889,  eurent  décidé  de  cesser  le  travail.  Ils 
vi.*yaient  les  groupements  se  multiplier  et  une  seule  année  suf- 
nre  à  quelques  meneurs  pour  obtenir  15.000  adhésions  à  la 
Fédération  Queenslandaise  du  travail.  Ils  ne  pouvaient  se 
méprendre  sur  les  ambitions  des  syndicats,  dont  le  plus  tur- 
tiulent  et  le  plus  difficile  à  réduire  —  l'Union  amalgamée  des 
tondeurs  de  moutons  —  prétendait  exiger  l'exclusion  des  non- 
^^Tidiqués.  Prudemment,  les  chefs  d'industrie,  armateurs,  éle- 
veurs, s'étaient  groupés  dans  chaque  Etat,  s'étaient  mis  en  rela- 
tions par  l'intermédiaire  du  syndicat  des  armateurs  et  avaient 
pris  leurs  mesures  pour  soutenir  le  conflit  qu'avec  raison  ils 
prévoyaient  imminent. 

Au  début  de  1890,  la  crise  éclata  à  la  suite  du  refus  des 
squatters  des  Darling  Downs  d'accepter  les  prétentions  de 
rUnion  amalgamée  des  tondeurs.  Ceux-ci  voulurent  empêcher 
l'exportation  de  la  laine  tondue  par  les  non-syndiqués,  et  ils 
obtinrent  J'appui  de  tous  les  syndicats  ouvriers,  jusques  et  y 
compris  celui  des  officiers  de  la  marine  marchande.  Le  12  juillet, 
W.  G.  Spence,   président  de  TUnion  amalgamée,  lançait  un 


ï 


174  0UK8TIONS   DIPLOMATIQUKS    ET  GOLONULES 

appel  demandant  à  toutes  les  Unions  australasiennes  «  de  créer 
«  autour  du  continent  un  cordon  d'unionisme  assez  fort  pour 
«  empêcher  Texpédition  d'une  seule  balle  de  laine  tondue  par  les 
«  non-syndiqués  ».  Un  mois  plus  tard,  les  officiers  de  marine 
étaient  en  grève  et  le  commerce  maritime  était  paralysé  dans 
tous  les  ports  de  l'Australasie  et  de  la  Nouvelle-Zélande.  Tous 
les  syndiqués  cessaient  le  travail,  —  ce  qui  avait  pour  résultat 
de  diminuer  rapidement  les  ressources  des  comités  des  Trades 
Halls  et  de  permettre  aux  employeurs  de  remplacer  les  syndi- 
qués, considérés  comme  démissionnaires,  par  des  sans-travail 
alors  fort  nombreux.  Très  disciplinés,  les  employeurs  tinrent  à 
Sydney,  du  8  au  12  septembre,  une  conférence  intercoloniale 
au  cours  de  laquelle  ils  décidèrent  de  s'organiser  dans  toute 
TAustralasie  et  d'assurer  le  respect  de  la  liberté  du  travail. 
Maîtres  des  gouvernements,  ils  faisaient,  à  ce  moment  même, 
réprimer  vigoureusement  les  désordres  auxquels  s'étaient  livrés 
quelques  grévistes.  Du  5  au  14  novembre,  les  marins  et 
ouvriers  durent  partout  reprendre  le  travail*.  Seuls,  les  ton- 
deurs résistèrent  encore  pendant  sept  mois,  jusqu'au 
13  juin  1891.  Ils  essayèrent  même  d'user  de  violence,  et  pour 
intimider  les  squatters,  ils  tentèrent  de  faire  dérailler  les  trains 
qui  portaient  des  non-syndiqués;  mais  les  troupes  duQueens- 
land  les  continrent  facilement,  et  dans  la  convention  qu'ils 
signèrent  en  se  soumettant,  ils  durent  reconnaître  la  liberté  du 
travail,  sans  obtenir  d'autre  concession  que  la  journée  de  huit 
heures. 

L'organisation  syndicale,  si  parfaite  qu'elle  eût  été  du  côté 
des  salaires,  était  en  somme  apparue  impuissante  à  briser  la 
résistance  patronale.  Elle  sortait  affaiblie,  diminuée  de  là  lutte 
soutenue  qui  n'avait  profité  qu'aux  employeurs.  Elle  essaya 
vainement,  en  1892,  de  provoquer  un  nouveau  mouvement 
pour  protester  contre  la  réduction  des  salaires  qui,  presque 
partout,  furent  diminués  d'un  quart.  L'abondance  de  la  main- 
d'œuvre,  privée  d'emploi  et  toujours  prête  à  se  substituer  aux 
syndiqués  en  grève,  explique  l'échec  essuyé.  Mais  les  chefs  du 
parti  voulurent  assigner  à  leur  insuccès  une  autre  cause;  ils 
déclarèrent  n'avoir  été  accablés  que  par  la  loi,  parce  que  la  loi 
étajt  faite  par  les  capitalistes  dans  leur  intérêt.  Donc  la  loi 
devait  être  modifiée  et  l'action  politique  s'imposait,  à  la  place 
de  l'action  syndicale  inefficace.  Quelques  habiles  l'avaient  dit 
d'ailleurs  au  congrès  ouvrier  néo-zélandais  de  1885  et  à  celui 
qui  fut  tenu  en  1886  à  Adélaïde.  L'heure  paraissait  excellente 

1  Voir  l'histoire  détaillée  de  cette  grève  dans  Vigouroux,  loc.  ct^.,  pp.  196-206. 


FÈDÉRALISMB  ET  SOCIALISME  EN  AUSTRALASIE  475 

pour  jeter  dans  la  lutte  des  partis  politiques  les  gros  bataillons, 
bien  disciplinés,  du  prolétariat  :  presque  partout  les  conserva- 
teurs et  les  libéraux  étaient  égaux  en  forces,  et  la  réalité  du 
pouvoir  devait  appartenir  à  qui  les  départagerait.  Nombreuses 
étaient  les  circonscriptions  oii  les  électeurs  ouvriers  étaient 
assurés  de  la  majorité;  et  sans  qu'ils  eussent  jusqu'alors  songé 
à  porter  sur  le  terrain  politique  la  lutte  des  classes,  ils  avaient 
px^uvé  leur  puissance  en  envoyant,  dès  1880,  le  mineur 
DuBcan  Melville  représenter  à  Sydney  les  mineurs  de  New- 
tmstle,  et  en  faisant  pénétrer  un  travailleur  manuel  dans  chacun 
des  parlements  de  Victoria,  Nouvelle-Galles  et  Queensland,  en 
1888.  A  partir  de  1890,  ce  qui  n'avait  été  qu'un  accident  devînt 
une  tactique,  et  le  parti  ouvrier  organisé  présenta  des  candi- 
dats de  classe,  qui  souvent  se  dénommèrent  socialistes,  sans 
ivoir  d'autre  programme  que  la  ferme  volonté  de  défendre  les 
intérêts  de  leurs  commettants  et  de  faire  voter  des  lois  socialo^. 
Nul  marxiste  ne  rêvait  d'une  société  nouvelle,  s'édiliant  sur 
les  ruines  de  celle  où  nous  vivons. 

Grâce  à  une  étroite  entente  avec  les  libéraux-radicaux,  six 
ouvriers  furent  élus  en  Nouvelle-Zélande  ;  Tannée  suivante 
1891),  les  candidats  du  Labour  party  obtenaient  103.787  suf- 
frages et  35  élus  sur  les  125  membres  que  compte  le  parle- 
ment néo-gallois.  Les  scrutins  de  4893  leur  assurèrent  11  sièfçes 
sur  95  en  Victoria*,  15  sur  72  au  Queensland,  H  sur  54  en 
Australie  Méridionale.  Ce  fut  à  peu  près  Tapogée  de  leurs 
triomphes  électoraux,  sauf  au  Queensland  où  leur  nombre 
>*éleva  de  15  à  20  en  1896,  à  l'heure  même  où  ils  reperdaient 
JO  sièges  sur  les  35  qu'ils  avaient  enlevés  à  Sydney.  Dans  les 
assemblées  délibérantes,  les  députés  ouvriers  ne  jouèrent  pas 
le  rôle  auquel  ils  semblaient  destinés  par  le  nombre  de  leuris 
commettants;  ils  furent  bien  vite  réduits  à  n'être  qu'un  rounge 
de  la  machine  parlementaire,  un  appoint  auquel  conservateurs 
et  libéraux  faisaient  appel  tour  à  tour,  soit  pour  renverser,  soit 
pour  défendre  un  ministère.  C'est  tout  au  plus  si  le  Labour 
party  obtenait,  de  temps  à  autre,  quelque  réforme,  comme 
prix  de  son  concours.  Les  chefs  se  laissèrent  ga^rner  par  des 
avantages  personnels,  se  plurent  à  concevoir  des  ambitions  cl 
obtinrent  parfois  des  portefeuilles  —  en  Nouvelle-Galles,  en 
Victoria,  en  Australie  Méridionale  —  dans  des  cabinets  libé- 
raux, mais  à  l'expresse  condition  de  ne  point  appliquer  au 
pouvoir  les  réformes  bruyamment  réclamées  dans  l'opposition. 
Le  gouverneur  du  Queensland  se    plut  bien  à  constituer  un 

'  Grâce  à  îa  grande  crise  économique  qui  avait  réduit  un  ouvrier   sur   neuf  au 
dbéma^  complet  :  Victoria  comptait  alors  50.000  sans-trayail. 


176  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET  COLONIALES 

cabinet  purement  ouvrier;  mais  ce  cabinet  n'eut  qu'une  exis- 
tence éphémère  :  il  fut  renversé  le  jour  même  où  son  chef 
donna  lecture  de  la  déclaration  ministérielle.  En  Nouvelle- 
Zélande,  où  les  leaders  du  parti  ouvrier  sont  plus  puissants  que 
partout  ailleurs,  les  ministères  qu'ils  constituent  et  soutiennent 
font  simplement  de  la  politique  radicale-socialiste. 

En  réalité,  l'action  parlementaire  du  Labour  party  austra- 
lasien  est  essentiellement  opportuniste  ;  elle  s'inspire  des  cir- 
constances pour  réclamer  ou  abandonner  ses  revendications,  et 
pratique  habituellement  la  politique  de  bascule.  Aucun  corps 
de  doctrines,  auci;n  idéal  dogmatique  n  oblige  le  parti  à  une 
attitude  invariable.  Seuls,  les  chefs  de  la  Fédération  austra- 
lienne du  Travail,  établie  dans  le  Queensland,  ont  demandé 
que  a  la  réorganisation  de  la  société  fût  immédiatement  com- 
«  mencée  sur  cette  base  (nationalisation  et  administration  par 
«  l'Etat  de  tous  les  moyens  de  production  et  d'échange),  et  pour- 
«  suivie  jusqu'à  la  réalisation  absolue  de  la  justice  sociale  ».  Cette 
formule,  donnée  en  1890,  n'a  pas  été  comprise  ni  adoptée  par 
les  membres  du  VI*  Congrès  ouvrier  intercolonial,  tenu  à 
Ballarat,  l'année  suivante,  pour  arrêter  le  programtne  du  parti 
ouvrier.  Ce  programme  comprend  deux  chapitres  :  l'un  qui 
touche  à  la  politique  générale,  l'autre  qui  concerne  spéciale- 
ment les  intérêts  des  ouvriers.  Ni  dans  le  premier  ni  dans  le 
second,  une  réorganisation  complète  de  la  société  n'est  réclamée 
comme  nécessaire  ni  même  envisagée  comme  profitable.  En 
matière  politique,  le  Congrès  a  demandé  l'extension  du  suf- 
frage universel  par  la  suppression  du  cens,  la  décentralisation 
administrative,  le  développement  de  renseignement  laïque 
par  la  gratuité  et  Tobligation,  la  création  d'un  système  national 
d'irrigation,  et  l'établissement  d'un  impôt  sur  la  plus-value 
foncière^  déduction  faite  des  améliorations  effectuées  par 
l'occupant.  Pour  les  classes  laborieuses,  le  programme  com- 
porte les  articles  suivants  *  :  journée  légale  de  travail  dans 
toutes  les  occupations  :  huit  heures  au  maximum  ;  —  inspec- 
tion périodique  de  toutes  les  chaudières  et  machines  par  des 
inspecteurs  sortis  de  la  classe  ouvrière;  —  privilège  donné  à 
l'ouvrier  pour  son  salaire  sur  le  produit  de  son  travail  ;  — 
interdiction  du  marchandage  dans  tous  les  travaux  effectués 
pour  le  compte  du  gouvernement;  —  suppression  de  la  loi 
relative  aux  engagements  de  maître  à  serviteur';  —  amende- 
ment des  lois  relatives  à  la  responsabilité  des  employeurs,  à 
l'apprentissage  et  aux  syndicats  professionnels;  —  lois  spé- 

1  Nous  le  donnons  d'après  l'ouvrage  de  M.  Vigouroux,  p.  281,  note. 

2  Nous  en  parlerons  plus  loin. 


1 

FÉDÊRAUSME  ET  SOCIALISME  EN  AUSTRALASIB  177.  ij 

eiaJes  intéressant  les  mineurs  et  les  marins; —  création  d'un  "f 

ministère  du  travail  dont  le  chef  responsable  aurait  le  droit  de  l 

convoquer  les  représentants  des  organisations  patronales  et 
ouvrières  pour  adopter  des  mesures  de  conciliation  en  cas  de 
conflits  industriels;  —  exécution  dans  l'intérieur  de  chaque 
culonie  de  tous  les  travaux  eCFectués  pour  le  compte  de  son 
gouvernement,  dans  la  mesure  du  possible;  —  suppression 
absolue  de  tous  les  subsides  accordés  par  les  gouvernements 
ioloniaux  à  l'immigration;  —  apposition  d'une  marque  spéciale 
>ur  tous  les  meubles  fabriqués  par  les  Chinois  ;  —  vote  de  toutes 
les  mesures  «  susceptibles  d'assurer  au  salarié  une  rémuné- 
ration convenable  et  équitable  pour  son  travail  »  ;  —  extension 
des  attributions  de  l'Etet  comme  employeur. 

Il  y  a,  certes,  un  certain  nombre  de  ces  revendications  que 

l'on   peut    discuter;   plusieurs  mènent  au   socialisme  d'Etat, 

d'autres  dénotent  un  singulier  égoïsme.  Mais  l'ensemble  n'est 

pas,  à  tout  prendre,  aussi  redoutable  pour  l'ordre  social  actuel 

•|ue  les  déclarations  électorales  des  socialistes  du  Vieux-Monde. 

En  Australasie,  l'Etat  s'est,  parle  fait  des  circonstances,  trouvé 

**Titraîné    à    intervenir    plus  activement   dans  les   problèmes 

♦^onomiques  :  tantôt  il  légifère,  tantôt  il  se  fait  le  protecteur 

bienveillant   des    classes   laborieuses.  Les  revendications  du 

Labour  par  ty  n  oui  aucun  caractère  révolutionnaire;  elles  ne 

^mt  que  la  conséquence  du  régime   social  adopté,  dans   son 

^prit  général,  par  tous  les  partis  politiques  et  par  toutes  les 

«lasses  de  la  société. 

III 

La  grande  extension  du  rôle  de  TEtat  est  chose  naturelle  dans 
tfn  pays  où  aucun  contrepoids  n'existe  à  son  omnipotence,  dans 
une  société  égalitaire  qui  ne  comprend  ni  aristocratie  ni  grou- 
(it^ments  anciens  et  agissants.  MOme  dans  les  plus  grandes 
villes,  la  vie  municipale  est  minime;  les  élections  municipales 
i.nt  lieu  au  suffrage  restreint  basé  sur  le  montant  des  imposi- 
tions, et  les  magistrats  communaux,  ne  représentant  que  la 
fraction  la  moins  nombreuse  de.  la  population,  manqueraient 
il'uii  point  d'appui  dans  l'opinion  pour  résister  à  la  très  grande 
centralisation.  Ils  n'y  songent  pas  d'ailleurs  et  n'ont  mOme  pas 
suivi  les  municipalités  anglaises  ou  américaines  dans  le  mou- 
vement qui  les  a  entraînées  à  exploiter  elles-mêmes  les  ser- 
vices publics.  Les  eaux,  la  voirie,  Thygiène  sont  fréquemment 
confiées  à  des  particuliers;  les  travaux,  même  les  plus  impor- 

Qnssr.  OiPL.  »T  C0L#  —  T.  XV.  12 


178  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

tants,  sont  mis  en  adjudication,  et  la  ville  se  borne  à  insérer 
dans  le  cahier  des  charges  des  clauses  garantissant  un  salaire 
minimum  et  la  journée  de  huit  heures  aux  ouvriers  de  l'entre- 
prise. Melbourne  seule  exploite  directement  des  cairières  et 
des  abattoirs. 

L'Etat  ne  se  contente  pas  d  un  rôle  aussi  effacé.  Obligé, 
au  début  des  colonies,  à  assurer  la  vie  matérielle  de  tous, 
il  ne  s'en  est  jamais  désintéressé,  et  sachant  par  expé- 
rience quels  abus  le  plus  fort  ou  le  plus  riche  pouvait  com- 
mettre, il  a  gardé  l'habitude  d'intervenir  dans  tous  les  rap- 
ports auxquels  peut  donner  lieu  le  contrat  de  travail.  Parfois, 
comme  a  fait  TEtat  néo-zélandais,  il  est  devenu  le  plus  grand 
propriétaire  foncier  de  la  colonie  et  le  plus  grand  entrepreneur  ; 
il  possède  les  voies  ferrées,  une  banque  nationale  qui  consent 
des  avances  d'argent  à  un  taux  inférieur  à  celui  des  banques 
privées,  une  assurance  d'btat  sur  la  vie,  une  caisse  de  re- 
traites pour  la  vieillesse;  il  songe  même  à  devenir  seul  dispen- 
sateur de  la  fortune  et  à  jouer  un  rôle  quasi  providentiel.  C'est 
le  socialisme  d'Etat,  dont  M.  Reeves,  aujourd'hui  agent  général 
de  la  Nouvelle-Zélande  à  Londres,  après  avoir  été  ministre  du 
travail,  salue  l'avènement  comme  le  triomphe  de  la  démo- 
cratie *.  Mais  la  Nouvelle-Zélande  n'est  pas  suivie  par  les  au- 
tres colonies,  où  la  nécessité  seule  a  déterminé  l'intervention 
en  des  matières  généralement  réservées  à  l'initiative  privée. 

En  revanche,  les  gouvernements  australasiens  ignorent  les 
monopoles  de  tabacs  ou  d'allumettes,  les  fabriques  de  tapis 
ou  de  porcelaines.  Très  soucieux  d'assister  les  malheureux, 
ils  n'ont  pas  jugé  nécessaire  d'inventer  l'assistance  publique. 
C'est  à  des  sociétés  particulières*  qu'ils  confient,  en  les  sub- 
ventionnant, le  soin  d'entretenir  les  orphelinats,  asiles  et 
hospices  pour  aliénés,  vieillards,  malades,  jeunes  détenus. 
Ils  encouragent  les  mutualités  en  leur  donnant  la  person- 
nalité civile  complète  et  en  les  exonérant  du  timbre.  S'ils 
assument  la  charge  de  l'enseignement  primaire,  laïque,  gratuit 
et  obligatoire  pour  la  majorité  des  enfants,  ils  admettent  la 
concurrence  et  abandonnent  à  la  bonne  volonté  des  particu- 
liers l'enseignement  secondaire  et  supérieur.  Ils  n'ont  pas 
souci  d'instaurer  une  religion  officielle,  mais  sont  d'accord 
avec  le  peuple  tout  entier  pour  protéger  les  divers  cultes  et 
prêter  même  assistance  à  certaines  œuvres  confessionnelles. 
Au  contraire  du  rêve  despotique  des  apôtres  du  collectivisme, 
ils  laissent  à  tous  les   citoyens  une   très   grande   somme    de 

1  Cf.  Metin,  loc.  cit.,  p.  229. 
s  Notamment  à  l'Armée  du  Salut. 


FÉDÉRAUSMB  ET  SOCIALISME   EN  AUSTRALASIB  179 

liberté  morale  et  religieuse,  tout  en  cherchant  à  combattre  par 
des  règlements  sévères  1  alcoolisme  et  la  prostitution. 

C'est  surtout  dans  le  domaine  économique  que  les  interven 
tions  de  Thitat  sont  fréquentes,  et  envahissantes  jusqu'à 
Texcès  :  on  dirait  que  les  Australasiens  ont  besoin  d'être  main- 
tenus en  une  sorte  de  curatelle,  et  de  même  que  la  Nouvelle- 
Zélande  a  institué  en  1872  un  service  pour  gérer  les  biens  des 
mineurs  et  des  incapables,  de  même  toutes  les  colonies,  depuis 
leur  fondation,  se  sont  montrées  soucieuses  de  guider  Tindividu 
dans  le  chemin  de  la  fortune.  De  grands  sacrifices  ont  été  con- 
sentis  pour  la  création  d'un  enseignement  technique,  industriel 
et  agricole,  et  de  bureaux  d'informations  ouverts  au  public. 
Partout,  il  existe  des  offices  nationaux  de  placement  :  celui  de 
Sydney  a  -42  succursales  et  a  effectué  82.000  placements,  de 
1891  à  4  898  ;  celui  de  iVouvelle-Zélande  en  a  fait  2i.000  pen- 
dant la  même  période.  Pour  donner  du  pain  aux  sans-travail  *, 
non  seulement  il  est  accordé  des  concessions  presque  gratuites 
déterres  sous  le  nom  de  «  baux  à  perpétuité  »,  mais  encore 
tous  les  gouvernements  consentent  à  leurs  locataires  des 
avances  de  fonds  pour  la  mise  en  valeur  de  leurs  domaines. 
Plusieurs  systèmes  de  colonies  agricoles  *,  de  villages  coopéra- 
tifs où  même  communistes  —  ainsi  qu'il  a  été  fait  dans  la  vallée 
du  Murray,  —  ont  été  employés  par  les  divers  Etats  pour  assurer 
aux  sans-travail  une  situation  aisée  de  petits  propriétaires. 

Un  ouvrier  en  chômage  n'a-t-il  pas  de  goût  pour  l'agricul- 
ture? L'État  ne  se  désintéresse  pas  de  lui  :  parfois,  comme  a 
fait  la  Nouvelle-Galles,  il  accorde  des  permis  de  chemins  de 
fer  et  une  somme  d'argent  (à  titre  de  prêt)  à  5  ou  6.000,  pros- 
pecteurs de  terrains  aurifères  ;  le  plus  souvent  il  accueille  les 
malheureux  dans  une  entreprise  quelconque  de  travaux  publics. 
Une  période  d'affaissement  économique,  succédant  à  un  boom 
exagéré,  est  un  fait  qui  s'est  plusieurs  fois  renouvelé  en  Austra- 
lasie,et  naturellement  le  nombre  des  sans-travail  était  considé- 
rable. C'est  pour  les  occuper  surtout  que  l'Etat  s'est  fait  entre- 
preneur, multipliant  les  constructions  somptueuses  Rétablissant 
des  chemins  de  fer  —  à  raison  de  823  milles  par  an,  de  1882  à 
1^31  —  dans  des  contrées  à  peine  habitées,  plantant  jusque 
dans   les    déserts   des  poteaux  télégraphiques,  multipliant  les 

i  «  11  est  du  devoir  du  gouvernement  de  donner  du  travail  à  qui  n'en  a  pas  »,  di- 
sait en  1886  John  Ballance,  ministre  des  Terres  en  Nouvelle-Zélande.  Cf.  Vigouroux, 
p.  224,  et  Mbtin,  p.  450. 

3  Cf.  de  longs  et  intéressants  détails  dans  les  ouvrages  déjà  cités  de  Vigouroux  et 
de  M-ETiN.  Ces  tentatives  ont  presque  partout  échoué. 

*  ViGOCHOux,  loc.  cit..,  p.  173,  donne  comme  exemple  le  palais  du  Parlement 
de  Melbourne,  encore  inachevé,  pour  lequel  il  a  été  dépensé  25  millions  de  francs. 


180  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    BT   COLONIALES 

routes  ou  faisant  creuser  des  puits*.  La  Nouvelle-Galles,  en 
d891,  n'employait  pas  moins  de  45.000  personnes  ;  de  4892  à 
1898,  Victoria  dépensa  281.965  livres  sterling  en  travaux  pu- 
blics pour  occuper  les  sans-travail  ;  en  Nouvejle-Zélande,  c'est 
plus  de  la  moitié  des  bras  disponibles  que  TÉtat  emploie.  Là, 
comme  en  Victoria,  les  ouvriers  sont  constitués  en  groupes  coo- 
pératifs pour  l'exécution  d'un  travail  donné  :  c'est  le  Buttygang- 
System,  S'il  faut  citer  des  chiffres,  nous  rappellerons  que, 
avant  le  1"  janvier  1897,  il  avait  été  dépensé  par  l'Australasie 
131.787.359  livres  pour  les  chemins  de  fer  et  les  tramways, 
20.790.183  pour  les  eaux;  3.837.414  pour  les  télégraphes  et 
les  téléphones  ;  56.628.050  pour  divers  autres  travaux  publics  *. 
C'est,  en  somme,  la  presque  totalité  des  emprunts  contractés 
par  les  btats,  —  soit  246  millions  de  livres  sterling,  environ 
6  milliards  150  millions  de  francs,  à  la  fin  de  Tannée  1900. 

Les  ouvriers  victimes  du  chômage  ne  sont  pas  seuls  à  béné- 
ficier de  la  protection  de  l'j^tat;  ceux  qui  travaillent  sont  égale- 
ment favorisés  :  pour  eux,  TAustraiie  méridionale  a  les  a  Ho- 
mestead  blocks  »,  la  Nouvelle-Zélande  a  les  «  Workmen's 
homes  »,  destinés  les  uns  et  les  autres  à  assurer  aux  salariés 
un  domicile  confortable,  entouré  d'un  petit  jardin.  Surtout,  les 
Etats  ont  tous,  à  Texception  de  la  Nouvelle-Galles,  adopté  un 
régime  douanier  tout  favorable,  par  l'élévation  des  tarifs,  au  dé- 
veloppement de  la  production  intérieure.  La  Nouvelle-Zélande, 
depuis  l'avènement  du  cabinet  radical-socialiste  Seddon,  a  des 
taxes  absolument  prohibitives  pour  .  certains  articles  manufac- 
turés. Le  protectionnisme,  destiné  à  garantir  des  salaires 
élevés  aux  agents  de  production,  va  jusqu'à  écarter  de  l'Austra- 
lasie toute  immigration  —  c'est-à-dire  la  concurrence  de  la 
main-d'œuvre,  —  surtout  lorsque  l'immigration  est  chinoise 
ou  polynésienne.  Pour  développer  la  richesse  publique,  les 
Etats  font  rechercher  les  améliorations  possibles  dans  la  fabri- 
cation industrielle,  introduisent  des  animaux  reproducteurs, 
entretiennent  à  Londres  des  agents  généraux  qui  ont  mission 
de  vulgariser  les  produits  de  leur  pays  d'origine.  Victoria,  qui  a 
des  établissements  frigorifiques  modèles,  donne,  comme  le 
Queensland,  des  primes  à  la  culture  de  la  betterave  sucrière,  et 
organise  l'exportation  du  beurre  et  du  fromage'.  L'Australie 
Méridionale  se  charge  d'exporter  en  Elirope  les  lapins  qui,  ja- 
dis, étaient  le  iléau  de  la  colonie,  et  les  vins  pour  lesquels  elle 
mène  grande  réclame  sans  parvenir  à  les  vendre  à  un  prix 
rémunérateur. 


1  839  puits  ont  été  creusés  en  1899  par  les  soins  du  QuôensUnd. 
*  Cf.  ViGoUROux,  loc.  ciL^  p.  181. 
3  Cf.  Metin,  loc.  cit.,  p.  233. 


FÉDÉRALISME   ET  SOCIALISStB   EN  AUSTRALASIE         '      '        181 

IV 

Ces  initiatives  généreuses  de  FEtat,  cette  tutelle  si  hardi- 
ment prévoyante,  sont  parfois  poussées  un  peu  loin,  et  les 
gouvernements  australasiens  font  assez  souvent  sentir  à  leurs 
sujets  quels  abus  peuvent  compenser  les  bienfaits  d'une 
extrt^me  réglementation.  Les  deux  ministères  «  des  Terres  »  et 
«  du  Travail  »,  qui  existent  dans  toutes  les  colonies,  ont  préparé 
et  fait  adopter  une  législation  agraire  et  une  législation  indus- 
trielle dont  beaucoup  d'articles  sont  fort  discutés  et  blâmés  avec 
énergie  par  les  .grands  propriétaires  et  par  les  manufacturiers 
les  plus  notables  :  le  souci  de  plaire  au  nombre  a  peut-être  fait 
omettre  parfois  quelques  règles  de  justice. 

Il  est  certain  que  l'occupation  du  sol  en  Australie  et  en  Nou- 
velle-Zélande n'eut  pas  lieu  avec  la  méthode  et  la  prévoyance 
nécessaire.  Les  squatters  avaient  pris  possession  de  territoires 
immenses,  sans  se  soucier  en  rien  de  les  mettre  en  valeur. 
Lorsque  la  loi  agraire  impériale  de  1842  vint  frxer  les  droits  du 
•  gouvernement,  il  était  trop  tard  :  la  grande .  propriété  était 
partout  le  régime  dominant;  elte  s'étendit  davantage  encore 
pendant  les  périodes  de  spéculation,  alors  que  les  transactions 
sur  la  terre  furent  le  plus  nombreuses  ;  toutes  les  bonnes 
terres  se  trouvèrent  aliénées  dès  1870  A  cette  date,  la  Nouvelle- 
Zélande  se  préoccupa  la  première  d'entraver  la  spéculation  et 
de  faire  coloniser  par  l'Etat;  en  488i,  les  projets  formés  furent 
repris,  et  l'Australie  Méridionale  prit  part  au  mouvement;  en 
1892,  tous  les  Etats,  sauf  la  Tasmanie,  étaient  gagnés  à  la  cause 
de  la  réforme  agraire  mais  sans  s'accorder  sur  les  moyens  delà 
réaliser.  Le  but  à  atteindre  était  celui-ci  :  entraver  le  dévelop- 
pement de  la  grande  propriété,  et  même,  s'il  est  possible,  pro- 
voquer son  morcellement.  Une  limite  maxima  a  été  posée  à 
Tacquisition,  voire  à  la  location  des  terres  publiques;  l'impôt 
progressif  sur  la  fortune  foncière  et  sur  les  revenus,  établi  en 
Victoria  dès  d877,  a  été  adopté  par  l'Australie  Méridionale  et 
par  la  Nouvelle-Zélande  ;  ces  deux  dernières  colonies  y  ont 
ajouté  une  lourde  taxe  sur  la  plus-value  foncière  et  ont  frappé 
d'un  impôt  de  20  %  les  propriétaires  habitant  hors  du  pays  *. 

Mais  le  procédé  de  morcellement  le  plus  efficace  est  le  rachat 
parle  gouvernement  des  domaines  les  plus  considérables.  Une.  loi 
del891  [Landfor  settlements  Ac/) a  autorisé  l'Etat  néo-zélandais 
à  dépenser  jusqu'à  50.000  livres  par  an  pour  cet  objet  ;  le  cré- 

1  Cf,  ViGOUROOx,  loc,  cit.t  p.  2i3,  et  Mbtin,  loc.  ciV.,  p.  34. 


{ 

182  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

dit  a  été  porté  à  500.000  livres  en  1897.  Le  Queensland  et  l'Aus- 
tralie Occidentale  consacrent  100.000  livres  annuellement  au 
même  but;  Victoria  et  l'Australie  Méridionale  sont  également 
entrées  dans  cette  voie.  Dès  1894,  la  Nouvelle-Zélande  allait 
plus  loin,  en  instituant  l'expropriation  pour  cause  d'utilité 
publique  S  mesure  extrême  que  le  Parlement  d'Adélaïde  a  seul 
imitée.  Les  terres  mises  par  un  procédé  quelconque  à  la  dispo- 
sition de  rhtat  sont  divisées  en  lots  de  faible  importance  et 
concédées  à  des  colons  agricoles,  non  point  en  pleine  propriété, 
mais  en  location  pour  999  ans  :  c'est  le  «  bail  à  perpétuité  » .  Les 
résultats  n'ont  pas  été  mauvais  parce  que  les  cultivateurs  réser- 
vent leurs  forces  pour  l'exploitation  :  la  surface  cultivée  aug- 
mente deux  fois  plus  vite  que  la  population.  Mais  toute  l'entre- 
prise est  marquée  au  coin  du  socialisme  le  plus  net  :  c'est  la 
nationalisation  du  sol  qui  se  poursuit  activement.  Il  est  vrai 
que,  même  en  Nouvelle-Zélande,  la  grande  propriété  couvre 
encore  les  trois  quarts  de  la  colonie:  3.500  propriétaires  possè- 
dent 1 1  millions  d'hectares,  répartis  en  lots  variant  de  400  à 
40.000  hectares. 

é 

Les  grandes  agglomérations  d'hommes  qui  se  sont  formées 
dans  les  principales  villes  de  l'Australasie  ont,  dès  longtemps, 
pesé  sur  les  gouvernements  coloniaux  pour  obtenir  une  législa- 
tion favorable  atix  travailleurs  de  l'usine,  dont  M.  Coghlan, 
statisticien  officiel  de  la  Nouvelle-Galles,  évaluait  le  nombre  à 
247.159  en  1898  *.  C'est  dans  l'association  que  les  ouvriers  pen- 
sèrent trouver  la  force  nécessaire  pour  lutter  contre  les 
employeurs;  ils  multiplièrent  donc  les  syndicats,  en  les  main- 
tenant d'ailleurs  strictement  sur  le  terrain  professionnel  ;  ils  se 
groupèrent  dans  les  Trades  Councils  (conseils  des  Métiers)  et 
dans  les  Trades  Halls  (Bourses  du  travail),  sans  réussir  à 
englober  la  majorité  des  travailleurs. 

Les  Etats  les  plus  avancés  au  point  de  vue  social  ont  tenté  de 
rendre  le  syndicat  obligatoire  :  telle  la  Nouvelle-Zélande,  avec 
la  loi  de  1894  sur  la  conciliation  et  l'arbitrage  obligatoires;  tels 
encore  la  Nouvelle-Zélande  et  aussi  le  Queensland  et  l'Australie 
Occidentale  avec  leurs  lois  d'hygiène  et  de  protection  physique 
de  la  femme  et  de  l'enfant,  et  leur  institution  des  Spécial  Boards^ 
véritables  <r  conseils  de  travail  »,  destinés  à  régler  les  condi- 

1  Cf.  Coghlan.  The  Revue  sevem  of  Australia,  1897-98,  p.  345-7. 

'  Le  propriétaire  exproprié  reçoit  une  indemnité  raisonnable.  La  loi,  d'après 
M.  Metin,  p.  37,  a  été  déjà  appliquée  à  77  domaines,  ce  qui  a  entraîné  pour  l'Etat 
une  dépense  de  près  de  35  millions  de  francs. 


FÉDÉRALTSME  ET  SOCIALISME  EN  AUSTRALASIE  183 

tions  de  Tapprentissagc  et  à  fixer  un  minimum  de  salaire  pro- 
fessioanel.  On  a  même  été  plus  loin,  et  la  Nouvelle-Zélande  a 
posé  la  question  des  retraites  ouvrières  ;  son  exemple  entraîne 
aujourd'hui  la  Fédération  australienne  dans  un  mouvement 
presque  unanime. 


Mais  pour  socialistes  que  paraissent  être  ces  lois,  du  moins 
en  leurs  tendances,  elles  n'ont  rien  qui  doive  nous  engager, 
nous  Européens,  à  conclure  qu'aux  antipodes,  les  théories  socia- 
listes ont  fait  victorieusement  leurs  preuves;  en  cette  cir- 
constance, comme  en  la  plupart  des  autres,  le  sons  pratique  des 
Australasiens  a  seul  déterminé  l'adoption  de  cette  législation; 
car  si  elle  est  extrêmement  favorable  aux  ouvriers,  elle  est  en 
même  temps  harmonisée  avec  l'organisation  sociale  actuelle. 
Sauf  en  Nouvelle-Zélande,  nous  pouvons  donc  dire  qu'en  Aus- 
tralasie  il  n'y  a  point  d'esprit  vraiment  socialiste,  non  plus 
qu'il  n'y  a  de  mesures  légales  inspirées  par  la  prétention  de 
renouveler  le  Vieux-Monde.  Dans  la  société  très  démocratique 
lies  colonies  australasiennes,  le  grand  rôle  réservé  naturelle- 
ment à  la  main-d'œuvre  devait  lui  assurer  une  place  impor- 
tante parmi  les  préoccupations  gouvernementales  et  des  avan- 
tages très  spéciaux  chez  une  nation  dont  elle  constitue  la 
presque  totalité  et  dont  elle  fait  la  prospérité.  L'organisation 
des  forces  ouvrières  et  leur  immixtion  dans  la  vie  politique 
ont  accéléré  le  mouvement,  mais  le  mouvement  existait  aupa- 
ravant qui  entraine  tous  les  Etats  à  faire  les  plus  louables 
efforts  en  vue  de  supprimer  la  misère  et  même,  pour  les 
ouvriers  laborieux,  le  prolétariat.  De  grands  progrès  ont  été 
effectués  :  nulle  part  le  travailleur  n'a  une  condition  aussi 
favorisée.  En  revanche,  la  dette  est  énorme  dans  toutes  les 
colonies  et  pèse  lourdement  sur  leur  essor,  de  môme  que  les 
avantag'es  consentis  à  la  production  entravent  le  commerce. 
11  serait  peu  prudent  de  vouloir  tout  imiter  et  tout  copier  de 
la  jenne  Australasie. 

Joseph  DeiNais-Darnays. 


] 


LE   TRAITÉ   FRÀNCO-SIÀMOIS 

ET  L'OPINION  ALLEMANDS 


La  presse  allemande  vient  d'opérer,  à  l'égard  du  traité 
franco-siamois,  un  brusque  et  complet  changement  d'attitude 
qui  nous  semble  avoir  passé  beaucoup  trop  inaperçu  et  sur 
lequel  nous  croyons  nécessaire  d'insister  un  peu  aujourd'hui. 

On  se  souvient  sans  doute  de  la  prodigalité  d'informations 
dont  usèrent  les  différentes  agences  au  lendemain  de  la  signa- 
ture du  protocole  de  Paris.  Pendant  plusieurs  jours,  nos  jour- 
naux furent  encombrés  des  commentaires  de  la  presse  étran- 
gère. A  en  croire  ces  habiles  découpures,  le  doute  n'était  pas 
permis  :  nous  venions  de  remporter  un  éclatant  succès  diplo- 
matique. La  presse  allemande  faisait  chorus  avec  un  ensemble 
inquiétant.  La  Gazette  de  Francfort^  un  des  plus  grands  jour- 
naux d'Allemagne  —  et  peut-être  le  plus  important  et  le  mieux 
documenté  en  matière  de  commerce  et  de  finances,  écrivait  gra- 
vement qu'il  fallait  se  demander  si  l'heure  du  partage  du  Siam 
n'avait  pas  -  sonné.  Gela  dépassait  véritablement  la  mesure. 
Toutes  les  revues  spéciales  de  Berlin  étaient  manifestement 
dans  le  même  état  d'esprit. 

Pendant  ce  temps,  l'opinion  française  s'était  émue  et  s'était 
dessaisie.  Presque  tous  ceux  qui  connaissaient  les  questions 
d'Extrême-Orient  jugeaient  d'une  façon  identique  le  nouveau 
traité,  c'est-à-dire  qu'ils  le  trouvaient  désastreux.  L'étude 
impartiale  de  l'importante  enquête  que  nous  avons  publiée  ici 
même  *  ne  peut  laisser  aucun  doute  à  cet  égard. 

C'est  à  ce  moment  précis  que  se  produisit  un  changement 
total  dans  les  appréciations  de  la  presse  allemande.  Le  thème 
général  des  nouveaux  articles  consacrés  au  traité  franco-siamois 
fut  le  même  dans  tous  les  journaux  :  «  Les  Français,  disait- 
«  on,  protestent  contre  leur  succès  diplomatique;  nous  ne 
«  comprenons  plus  I  » 

Sur  ce  leitmotiv^  les  longues  dissertations  s'étendaient  avec 
prolixité.  On  prenait  une  peine  infinie  à  nous  convaincre  que 

l  Voir     NOTBB    ENQUÊTE      A  PROPOS     DES   AFFAIRSS    DE    SlAM    (QutBt.     DipL   et     Col,^ 

lei^  et  15  décembre  1902,  15  janvier  1903). 


LE  TRAITÉ   FRANCO-SIAMOIS  ET  L'oPINION   ALLEMANDE 


185 


nous  ayions  tort 'de  n'être  pas  contents.  Tant  de  sollicitude  n*^ 
saurait  nous  toucher.  Nous  sommes  seuls  juges  de  nos  affaires  ; 
seuls  nous  prétendons  veiller  à  nos  intérêts  nationaux,  ot 
nous  entendons  demeurer  seuls  maîtres 'de  nos  résolutions. 

Nous  avions  d'autant  plus  le  droit  d'être  défiants  que  cer- 
taines  phrases  maladroites  démontraient  clairement  qu'on 
éprouvait  un  certain  dépit  de  notre  attitude.  Un  article  paru 
ims  VExport  mit  tout  au  point.  Cette  importante  revue  com- 
merciale allemande  reproduisit,  en  le  renforçant  de  ses  com- 
mentaires approbatifs,  un  article  d'un  journal  quotidien  dont  la 
teneur  était  en  substance  la  suivante  :  «  Le  grand  commerce 
«  allemand  ne  peut,  se  désintéresser  de  la  question  siamoise. 
c  Nos  intérêts  économiques  sont  trop  considérables  à  Bangkok 
I  pour  que  nous  puissions  nous  taire.  Depuis  quejques  années, 

•  nous  avonâ  fait  au  Siam  des  progrès  considérables.  Or,  los 
«  Français  sont  des  coloniaux  protectionnistes;  il  serait  donr 
•«  infiniment  regrettable  qu'une  partie*  du   royaume    siamois 

•  tombât  entre  les  mains  de  la  République;  ce  serait  une  partii^ 
a  du  marché  mondial  qui  nous  échapperait.  La  comparaison  dr 

•  la  part  de  notre  pavillon  dans  le  mouvement  du  port  d»' 
«  Bangkok  et  dans  celui  du  port  de  Saigon  ne  nous  permc** 
-  pas  d'en  douter  un  seul  instant.  »  • 

H  nous  est  impossible  de  nier  que  les  progrès  .de  TAllemagin^ 
au  Siam  sont  considérables.  M.  Robert  de  Caix  le  signalai  I 
encore  dans  une  correspondance  reproduite  dans  notre  Revue/, 
et  nous  le  démontrerons  nous-même,  de  façon  péremptoire, 
dans  cette  brève  étude,  en  extrayant  simplement  d'un  rapporl, 
du  consul  d'Allemagne  à  Bangkok  les  quelques  chiffres  sui- 
vants : 


Mouvement  des  vapeurs  à  Bangkok 

en  1901. 

ENTRÉE 

SORTIE 

NOMBRE 

DBS 
NAVIRKS 

• 
TONtlAGE 

NOMBRE 

DES 
NAVIRES 

TONNAOK 

i 

Total  du  moaTement 

576 

272 

542.808 
291.156 

564 
262 

522.849 
274.06fi 

Paît  de  VAUemagne  seule 

Pirt  des  autres  puissances ...... 

30  & 

251.652 

302 

248.783 

Ainsi  donc,  à  Bangkok,  plus   de  la  moitié  du    mopvemonl 

^  Qvet/.  Dipl.  et  Col.,  i5  janvier  )903,  p.  113. 


186  OUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLONULES 

maritime  se  fait  sous  pavillon  allemand.  Oii  comprend,  dans 
ces  oonditions,  que  TÂllemagne  ait  le  souci  de  garder  cet 
avantage  et  mène,  plutôt,  4e  rjngnotter. 

Or,  les  négociants  de  Hambourg  craignent,  parait-il,  qu'une 
augmentation  de  Tinfluence  française,  au  détriment  de  Tinfluence 
britannique,  ne  vienne  arrêter  l'essor  du  commerce  germa- 
nique tandis  qu'ils  semblent  envisager,  avec  la  plus  grande 
philosophie,  avec  une  certaine  bienveillance  même,  les  pro- 
grès de  rinfluence  anglaise. 

Ce  qui  est  intéressant  et  ce  qui  est  grave  aussi,  c'est  que  cette 
théorie  qu'il  y  a  avantage  à  favoriser  l'Angleterre  au  détriment 
de  la  France,  là  où  l'Allemagne  a  des  intérêts  économiques  à 
défendre,  semble,  malgré  toutes  les  apparences,  être  une  des 
directrices  de  la  diplomatie  de  Berlin,  Il  ne  faut  pas* prendre 
trop  au  sérieux  les  querelles  qui  surgissent  assez  fréquem- 
ment entre  l'Allemagne  et  l'Angleterre  et  que,  périodiquement, 
détaillent  avec  une  certaine  acrimonie  les  différents  correspon- 
dants du  Times  *  en  Extrême-Orient.  L'Allemagne  ne  se  sent 
liée  que  par  son  intérêt.  Il  est  certain  qu'elle  cherchera  toujours 
à  obtenir  des  avantages,  même  aux  dépens  de  l'Angleterre  ; 
mais  il  n'en  reste  pas  moins  avéré  que  l'article  de  VExport 
reflète  très  exactement  Topinion  des  classes  dirigeantes  de 
l'Empire.  Une  fois  le  dilemme  posé  irrévocablement  :  faut-il 
favoriser  l'Angleterre  ou  la  France  ?  l'indécision  cesse  à  notre 
détriment. 

Nous  devons  d'autant  plus  méditer  ce  fait'  ({xinn  diplomate 
allemand  des  plus  distingués,  M.  de  Brandt,  écrivait  dernière- 
ment, dans  ses  Souvenirs^,  là  page  suivante  que  nous  livrons, 
dans  sa  traduction  littérale,  aux  réflexions  de  ceux  que  préoc- 
cupe l'avenir  de  notre  politique  extérieure  ^  : 

«  Le  but  final  de  la  politique  française  dans  les  provinces  du 
«  Sud  et  du  Sud-Ouest  de  la  Chine,  comme  dans  la  péninsule 
«  indo-chinoise,  est  l'exploitation  de  ses  conquêtes  présentes  ou 
«  futures  par  les  seuls  commerçants  et  industriels  français,  à 
«  l'exclusion  aussi  complète  que  possible  de  toute  concurrence 
«  étrangère.  Les  nouvelles  conquêtes  coloniales  de  la  France 
«  sont  en  grande  partie  perdues  pour  le  moîide,  et  elles  le 
«  seraient  tout  à  fait,  si  la  République  se  sentait  capable 
a  d'écarter  complètement  la  concurrence  étrangère.  Cette  puis- 
ce  sance  forme  contraste,  à  ce  point  de  vue,  avec  l'Angleterre 

1  Cf.,  par  ex.,  le  Time*  du  2  janvier  1903. 

*  Trente-trois  ans  en  Extrême-Orient,  par  M .  Von  Brandt,  ancien  ambassadeur 
impérial,  chez  Wigand,  à  Leipzig,  1901.  3  volumes. 
»  Von  Brandt,  op.  cit. y  t.  m,  p.  199. 


LE   TRAITÉ  FRANCO-SIAMOIS  ET' L'OPINION  ALLEMANDE  187 

«  qui  (quoi  qu'on  pense  des  motifs  de  sa  politique)  ne  s'est 
«  jamais  réservé  de  privilèges  exclusifs  et  a,  pendant  les 
«  soixante  ou  soixante-dix  dernières  années,  pratiqué  la  poli- 
«  tique  de  la  porte  ouverte  à  Tégard  de  la  concurrence  étrangère. 
•«  C^esi  pourquoi,  pendant  mon  séjour  en  Chine^  fai  pu  dire 

•  que  la  politique  française  coloniale  devnit  être  regardée 

•  comme  hostile  et  qu^elle  était  beaucoup  plus  dangereuse 
z  pour  le  développement  des  intérêts  allemands  que  l'attitude 
«  de  r Angleterre,  L'histoire  des  relations  de  la  Chine  avec  les 
«  puissances  étrangères  depuis  1893  n«L  pu  que  me  confirmer 
<r  dans  mon  opinion*.  » 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  des  dispositions  de  la  diplo- 
matie et  du  grand  commerce  allemands  à  l'égard  soit  du  traité 
de  Paris  de  1902,  soit  de  la  politique  française  en  général,  nous 
montre  assez  ce  qu'il  faut  penser  du  trouble  aflecté  et  de  la 
feinte  consternation  de  la  presse  allemande  au  mois  d'octobre 
et  de  son  dépit  naïvement  sincère  d'aujourd'hui. 

On  brûle  du  désir,  croyons-nous,  de  corriger  la  Carte  politique 
d Extrême-Orient  éditée  chez  MM.  Klasing  et  Bielefeld,  où  toute 
la  région  siamoise  d'influence  française  était  déjà  indiquée 
comme  faisant  partie  de  notre  Indo-Chine.  Mais  il  y  a  loin  heu- 
reusement, —  nos  rivaux  trop  pressés  qui  savent  le  français  ne 
devraient  pas  l'ignorer,  —  entre  la  coupe  et  les  lèvres  ! 


René  Moreux. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


t. 


p,  RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES 


I.  —  EUROPB. 

France.  —  La  convention  franco-siamôùte. —  La  campagne  énergique, 
menée  dès  le  premier  jaur,  contre  le  traité  du  7  octobre,  par  tous 
leâ  esprits  les  plus  clairvoyants  et  les  plus  compétents  du  monde 
colonial,  vient  d'obtenir  un  premier  résultat.  Le  ministre  des  Affaires 

V  étrangères  a  dû  renoncer  &  demander  au  Parlement  la  discussion 
?:  immédiate  de.  sa  convention.  Peut-être,  prévoyant  Téchec  final 
$  '  auquel  il.  s'exposait,  cherche  t-il  quelque  moyen  qui  pourrait  lui 
Ç  permettre  de  donner  une  apparente  satisfaction  aux  critiques  les 
^  plus  ^embarrassantes.  Peut-être  espère-t-il,  en  gagnant  du  temps, 
Ç  ^  obtenir  un  vote  distrait  de  la  lassitude  du  Parlement.  Quoi  qu'il  en 
r  soit,  une  dépêche  ffavas  de  Bangkok  nous  a  appris  que  le  délai  de 
f^  '  .  la  ratification  du  traité,  primitivement  fixé  au  7  février;  était  reporté 
A  au  30  mars.  Le  gouvernement  aurait,  dit-on,  préféré  une  date  plus 
i  éloigné^  encore  et  avait  demandé,  à  ce  que  Ton  assure,  un  nouveau 
y  délai   de  six  mois.  L'information  officielle  nous  prouve  que  cette 

V  demande  n'a  pu  recevoir  satisfaction. 

l  —  La  discussion  du  budget  à  la  Chambre;  le  rapport  de  M,  Bienvenu- 

Martin  et  le  rapport  ^  M.  Dubief.  —  La  discussion  du  budget  se  pré- 
cipite ht  la  Chambre  avec  une  extrèiqe  rapidité  :  les  discussions  gé- 
nérales sont  supprimées  ou  singulièrement  rétrécies  et  les  chapitres 

^  se  votent  successivement  pour  ainsi  dire  sans  débat.  G*cst  dans  ces 

conditions  notamment  qu'a  été  adopté  le  budget  des  colonies,  sur  le 
rapport  de  M.  Bienvenu-Martin;  mais  si  nous  ne  pouvons  rien 
signaler  d'une  discussion  qui  n'a  pas  eu  lieu,  nous  devons  cependant 
dire  quelques  mots  du  consciencieux  travail  de  M.  Bienvenu-Martio. 
Nous  voudrions  surtout  parler  du  chapitre  que  le  rapporteur  a 
consacré  aux  dépenses  militaires  des  colonies,  et  pour  cela  nous  ne 
pouvons  mieux  faire  que  citer  : 

i  Les  dépenses  militaires,  écrit  M.  Bienvenu-Martin,  forment  presque  les 

'  cinq  sixièmes  du  budget  colonial. 

\  Les  crédits  demandés  pour  cette  catégorie  de  dépenses  au  projet  de 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  189 

budget  s'élèvent  à  93.720.415  francs  en  diminution  de  2.4U.546  francs  sur 
ies  crédits  de  même  nature  alloués  poujr  1902.  Il  est  vrai  que  les  prévisions 
do  chapitre  relatif  à  la  défense  des  colonies  ont  été  réduites  de  2  millions  ; 
c'est  une  dépense  non  supprimée,  mais  simplement  ajournée.  L'économie 
réelle  par  rapport  à  1902  ne  serait  alors  que  de  411.546  francs.  Mais  le 
gouvernement  a  été  dans  Tobligation  d'inscrire  au  budget  de  1903  les  frais 
d'entretien  des  troupes  stationnées  au  Congo  auxquels  il  est  pourvu  pour 
1902  au  moyen  de  crédits  supplémentaires,  soit  950.000  francs  de  plus  à  la 
charge  du  prochain  budget.  Si  on  tient  compte  de  cette  dépense  nouvelle, 
on  constate  que  les  diminutions  effectives  s'élèvent  à  près  d'un  million  et 
demi.  Le  gouvernement  s'est  donc  efforcé  d'alléger  le  fardeau  des  dépenses 
militaires.  La  Commission  -a  d'autant  plus  le  devoir  de  le  constater  qu*en 
:»pêrant  quelques-unes  de  ces  réductions  M.  le  Ministre  des  colonies  a 
donne  satisfaction  à  des  desiderata  formulés  par  la  précédente  Comp:iis- 
sîon  du  budget. 

De  son  côté,  la  Commission,  après  avoir  examiné  avec  attention  les 
divers  crédits  qui  vous  étaient  demandés,  leur  a  fait  subir  de  nouvelles 
rt-duciions  qui  s'élèvent  à  670.521  francs,  de  telle  sorte  que  l'ensemble 
des   dépenses  militaires  pour  1903  soit  fixé  à  93.050.894  francs. 

Ces  diminutions  ne  sont,  pour  la  plupart,  que  des  économies  de  détail 
résultant  d'un  examen  plus  serré  des  prévisions  et  des  besoins.  Elles 
laissent  intacte  la  question  de  l'organisation  défensive  de  nos  colonies. 
Cette  question  est  capitale;  nous  croyons  qu'il  est  urgent  de  la  résoudre, 
maïs  il  n'appartenait  pas  à  votre  Commission  de  vous  apporter  une  solu- 
tion. 

M.  le  Ministre  des  Colonies  a  récemment  institué  un  comité  consultatif 
de  la  défense  des  colonies;  il  convient  d'attendre  le  résultat  de  ses  délibé- 
rations. Ce  comité,  créé  par  le  décret  du  29  juillet  1902,  ne  limitera  évi- 
•iemment  pas  sa  mission  d'études  aux  points  d'appui  de  la  flotte;  il  aura  à 
rechercher  d'une  manière  générale  quelles  sont  les  colonies  qui  peuvent 
être  défendues  et  qui  méritent  de  l'être.,  quels  sont  les  éléments  néces- 
i^aires  à  leur  défense,  quelles  sont  les  garnisons  qui  peuvent  être 
supprimées  ou  réduites,  celles  qu'il  importerait  de  renforcer,  le  cas 
échéant;  il  donnera  sou  avis  sur  l'importance,  la  composition  et  la  répar- 
ution des  effectifs;  en  un  mot,  il  dira  dans  une  vue  d'ensemble  ce  que 
comporte  l'organisation  rationnelle  de  la  défense. 

Jl  serait  chimérique  de  vouloir  doter  à  la  fois  toutes  nos  colonies  de 
movens  suffisants  pour  résister  victorieusement  à  une  agression.  Une 
tiireille  conception  ne  pourrait  être  réalisée  qu'au  prix  de  sacrifices  incal- 
culables, qui  dépasseraient  de  beaucoup  les  forces  contributives  de  la 
métropole  et  qui  de  plus  seraient  pour  certaines  de  nos  possessions  hors 
de  proportion  avec  l'intérêt  qui  s'attache  à  leur  conservation. 

Une  sorte  de  classement  est  donc  à  opérer  entre  nos  diverses  colonies. 
Tant  que  cette  étude  préliminaire  n'aura  pas  été  faite,  il  ne  sera  possible 
d'apporter  aux  chapitres  des  dépenses  militaires  que  des  modifications 
secondaires. 

Ce  n'est  pas  une  raison  cependant  de  négliger  des  réformes  plus  mo- 
destes .. 


190  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

£t  après  avoir  énuméré  un  certain  nombre  da  ces  réformes  de 
détail,  telles  que  la  question  des  vivres,  celle  des  accessoires  de  la 
solde,  etc.,  M.  Bienvenu-Martin  conclut  : 

Les  charges  que  les  dépenses  militaires  imposent  au  budget  métropoli* 
tain  peuvent  et  doivent  être  allégées  par  la  contribution  des  colonies. 
Cette  contribution  est  juste,  puisque  la  présence  d'un  corps  d'occupation 
ou  d  une  garnison  est  à  la  fois  une  garantie  de  sécurité  et  un  élément  de 
prospérité.  La  loi  de  finances  du  13  avril  1900  en  a  d'ailleurs  consacré  le 
principe,  puisqu'elle  porte  dans  son  article  33,  dernier  paragraphe,  que 
«  des  contingents  peuvent  être  imposés  à  chaque  colonie  jusqu'à  concur- 
«  rence  du  montant  des  dépenses  militaires  qui  y  sont  effectuées  ». 

Quatre  colonies  supportent  actuellement  une  contribution  ;  Tlndo-Chine, 
la  Guinée  française,  la  Côte  d'Ivoire  et  le  Dahomey. 

Le  contingent  fourni  par  Tlndo-Chine  a  été  progressivement  élevé  :  il 
est  prévu  pour  1903  au  chiffre  de  12,365.470  francs,  soit  près  des  deux  cin- 
quièmes de  la  dépense  totale  qui  s'élève  en  chiffres  ronds  à  32.300.000  fr. 
Dans  ce  dernier  chiffre  n'entre  pas,  d'ailleurs,  la  part  réservée  à  l'Indo- 
Chine  dans  le  crédit  de  8  millions  inscrit  au  chapitre  54  pour  la  défense 
des  colonies. 

Chacune  des  trois  autres  colonies  fournit  un  contingent  de  10.000  fr. 

Nous  ne  concluons  pour  le  moment  à  aucune  augmentation  de  ces 
diverses  contributions. 

Mais  il  est  des  colonies  qui  coûtent  cher  à  la  métropole  et  qui  pour- 
raient, ce  nous  semble,  participer  dans  une  mesure  progressive  aux  dé- 
penses militaires  qu'elles  occasionnent;  il  s'agit  de  certaines  colonies  de 
l'Afrique  Occidentale  et  de  Madagascar. 

Les  dépenses  militaires  de  l'Afrique  Occidentale,  déduction  faite  des 
bataillons  stationnés  à  la  Côte  d'Ivoire  et  en  Guinée,  atteignent  environ 
13  millions;  celles  de  Madagascar  dépassent  26  millions  et  dans  ces  chiffres 
ne  sont  pas  compris  les  travaux  en  cours  d'exécution  à  Dakar  et  à  Diégo- 
Suarez.  La  situation  financière  du  Sénégal  et  des  territoires  de  la  Séné- 
gambie  et  du  Niger  n'est  pas  mauvaise.  Elle  pourrait  aisément  supporter 
une  contribution  qui  serait  modérée  au  début.  Il  en  est  de  même  de  Mada- 
gascar où  les  recettes  du  budget  local  suivent  une  marche  ascendante. 

Nous  estimons  que,  sinon  en  1903,  du  moins  à  partir  de  1904,  cette 
contribution  devra  être  versée. 

La  réduction  des  charges  militaires  doit  être,  suivant  nous,  une  des 
préoccupations  constantes  de  l'Administration  coloniale.  Si  nous  la  récla- 
mons avec  tant  d'insistance,  c'est  d'abord  pour  adoucir  le  fardeau  qui  pèse 
de  ce  chef  sur  les  contribuables  métropolitains;  c'est  aussi  pour  une  autre 
raison.  On  reconnaît  qu  il  est  actuellement  impossible  de  leur  demander 
de  nouveaux  sacrifices  pour  notre  empire  colonial.  Et  cependant  il  a  d'au- 
tres besoins  que  celui  de  la  sécurité.  Sa  mise  en  valeur  est  à  peine  com- 
mencée; elle  exigera  des  efforts  persévérants  et  beaucoup  d'argent,  ne 
serait-ce  que  pour  établir  les  moyens  de  communication  nécessaires,  tels 
que  routes  et  chemins  de  fer,  créer  ou  améliorer  les  ports.  Si  l'on  sollici- 
tait pour  les  travaux  de  cette  nature  le  concours  financier  de  la  métropole, 
on  ne  manquerait  pas  de  répondre  que  les  charges  de  celle-ci  ne  peuvent 


RBNSEI6NBMENTS  POLITIQUES  191 

être  augmentées  et  de  dire  qu'il  n'y  a  plus  de  place  dans  le  budget  colo- 
nial pour  des  dépenses  nouvelles,  fussent-elles  productives.  La  force  de 
l'objection  serait  singulièrement  atténuée  si  de  larges  économies  étaient 
pratiquées  dans  les  chapitres  militaires. 

Le  rapport  de  M.  Dubief  sur  le  budget  des  Affaires  étrangères  est 
loia,  malheureusement,  de  présenter  la  même  valeur  que  celui  de 
M.  BienTenu-Martin.  Dans  Timporlante  mission  qu*il  lui  avait  été  con- 
fiée, M  .Dubief  a  vu  surtout  Toccasion  de  faire  un  peu  de  publicité  à  ses 
idées  personnelles  —  très  exclusivement  personnelles  par  bonheur  — 
sur  notre  politique  extérieure.  Sans  se  préoccuper  autrement  de 
ropinion  raisonnée  de  la  Commission  du  budget,  dont  il  se  trouvait 
pourtant  en  Foccasion  le  porte-parole,  l'honorable  rapporteur  pré- 
tend trancher  de  sa  haute  autorité  toutes  les  plus  graves  questions 
et  les  plus  délicates.  A  propos,  par  exemple,  de  notre  ambassade 
auprès  du  Vatican,  M.  Dubief,  qui  n*a  pas  reçu  de  la  Gomtnîssion 
mandat  d*en  proposer  la  suppression,  la  propose  cependant  parce 
qu'il  y  a,  dit-il,  antithèse  entre  la  foi  et  la  science.  De  même,  et  pour 
les  mêmes  raisons  d'une  clairvoyance  nationale  si  élevée,  il  propose 
de  diminuer  de  50.000  francs  le  crédit  afférent  aux  missions. 

Nous  avons  assez  souvent  déjà  exposé  notre  sentiment  à  ce  sujet 
pour  que  nous  n'ayons  pas  besoin  d'y  revenir,  surtout  devant  des 
arguDQents  aussi  peu  sérieux.  Les  idées  de  M.  Dubief  ne  triomphe- 
ront pas  encore  celte  année;  il  ne  saurait,  malgré  tout,  se  faire  beau- 
coup d'illusion  sur  ce  point.  Néanmoins  nous  ne  pouvons  nous 
empêcher,  au  moins  pour  le  principe,  de  protester  contre  les  regret- 
tables tendances  d'un  esprit  que  l'on  souhaiterait  voir  plus  impartial 
-l  plus  préoccupé  des  véritables  intérêts  de  notre  politique  étran- 
gère. 

Allemagne.  —  Les  déclarations  de  M.  de  Bûlow.  —  La  discussion  du 
budget  au  Reichstag  a  fourni  à  M.  de  Bulow  l'occasion  de  faire 
quelques  importantes  déclarations.  A  propos  du  conflit  vénézuélien, 
le  chancelier  allemand  s'est  borné  à  rester  dans  le  vague  et  à  énoncer 
an  certain  nombre  de  généralités  sur  l'accord  des  puissances  co- 
intervenantes  etsur  la  justice  de  leur  cause  ;  mais  sur  d'autres  points 
de  la  politique  extérieure  de  l'Empire,  il  s'est  montré  plus  formel. 
C'est  ainsi  qu'au  sujet  des  relations  de  l'Empire  avec  la  France,  M.  de 
Bulow  s'est  exprimé  en  ces  termes  : 

Je  suis,  moi  aussi,  pénétré  de  cette  idée  que  des  relations  paisibles  et 
imicales  entre  l'Allemagne  et  la  France  répondent  également  à  la  prospé- 
nié  des  deux  pays,  et  que  même  il  existe  un  certain  nombre  de  questions 
au  sujet  desquelles  ces  deux  nations  peuvent  marcher  de  pair  à  leur  avan- 
uge  réciproque. 

Je  m'efforcerai  également,  pour  ma  propre  part,  d'entretenir  à  l'avenir  les 


192  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   £T   GOLOUIALES 

meilleures  relations  avec  cette  nation  voisine  avec  laquelle  nous  avons 
croisé  le  fer  dans  un  temps  qui  est  passé,  mais  dont  nous  avons  aussi  peu 
méconnu  les  brjUantes  qualités  que  les  services  qu'elle  a  rendus  au  progrès 
de  la  civilisation,  et  son  importance  comme  un  des  plus  puissants  pion- 
niers de  la  civilisation  humaine. 

Quant  aux  relations  avec.  TAngleterre,  l'union  et  la  concorde 
s'imposent  plus  que  jamais  : 

Je  me  jréjouis  de  pouvoir  dire,  continue  M.  de  Bûlow,  que  dans  les  rela- 
tions, aussi  bien  entre  les  monarques  qu'entre  les  cabinets  de  Berlin  et 
de  Londres,  aucun  changement  n'est  survenu,  et  que  ces  relations  con-. 
servent  le  caractère  amical  qu'elles  ont  depuis  longtemps.  J'espère  qu'avec 
le  temps,  l'opinion  publique,  en  Allemagne  et  en  Angleterre,  se  laissera 
guider  par  la  même  pensée/ 

Quoique  chacune  des  deux  puissances  puisse,  à  elle  seule,  mener  à 
bien  ses  propres  adaires  dans  les  questions  mondiales,  de  telle  sorte  que 
l'une  n'ait  pas  besoin  de  recourir  à  l'autre,  tout  en  étant  cependant 
amenée,  par  de  nombreux  et  puissants  intérêts  à  être  vis-à-vis  de  Tautrc 
en  relations  pacifiques  et  amicales,  il  y  a  pourtant  des  questions,  cqmme 
par  exemple  actuellement  celle  du  Venezuela,  où  l'une  et  l'autre  peuvent, 
sans  danger,  ni  pour  elles-mêmes,  ni  pour  les  autres  relations,  ni  pour  la 
paix  du  monde,  marcher  sur  la  inême  lign«. 

Enfin, *sur  une  intervention  de  M.  Bebel,  le  chancelier  a  été  amené 
à  préciser  son  opinion  relativement  aux  relations  entretenues  par 
l'Allemagne  à  l'étranger  : 

.  M.  Bebel,  dit-il,  a  déclaré  qu'il  existait  à  sa -connaissance  un  article  écrit 
par  un  ofBcier  de  marine  en  inactivité,  d'après  lequel  la  flotte  allemande 
devrait  devenir  assez  forte  pour  triompher  de  la  flotte  anglaise.  Je  réponds 
qu'il  s'agit  là,  cela  va  sans  dire,  d'une  peinture  fantaisiste  comme  il  s'en 
trouve  aussi  djans  la  littérature  d'autres  pays. 

On  ne  peut  tenir 'aucune  source  autorisée  pour  responsable  de  sem- 
blables articles,  et  aucun  homme  sensé,  en  Allemagne;  ne  le  prend  au 
sérieux. 

•  Vous  pouvez  voir  à  quel  point  il  s'agit,  ici,  d'images  fantaisistes  par  ce 
seul  fait  que  notre  flotte,  aprèys  même  la  complète  exécution  des  plans  de 
constructions  maritimes,  n'occupera  que  le  quatrième  ou  le  cinquième 
riing  parmi  les  flottes  du  monde. 

En  construisant  nos  navires,  nous  ne  poursuivons  aucun  but  agressif, 
mais  seulement  la  défense  des  côtes  allemandes,  la  représentation  des 
intérêts  allemands  sur  la  mer  et  la  protection  de  nos  nationaux  à 
l'étranger. 

M.  Bebel  a  dit  ensuite  que  l'expression  :  «Notre  avenir  est  sur  la  mer,  » 
contenait  une  idée  agressive  contre  d'autres  puissances.  Nous  n'y  pensons 
aucunement,  cela  va  san«  dire,  et  l'expression  de  l'empereur  n'a  certes 
pas  dû  signifier  que  nous  voulions  repousser  des  mers  l'une  quelconque 
des  puissances  étrangères.  Mais  nous  avons  un  droit  aussi  valable  que 
tout  autre  peuple  de  voguer  sur  les  mers.  La  Hanse  a  eu  ce  droit  il  y  a 
déjà  des  siècles,  et  le  nouvel  empire  allemand  le  possède  aussi. 


RI^NSElGJHEMtliVTS    POLlTlQUElâ  193 

Le  comte  de  Billow  a  terminé  ainsi  son  discours  : 

M.  Schadler  a,  au  commencement  ctes  t1  ébats  sur  le  budget,  dit,  entre 
siaLres  choses,  que  dans  le  monde  il  exisstait  pour  nous  plus  de  haine  que 
lî  4mour.  *ïe  trouve  que  cette  génentlitê  i^&i  liiusse.  Je  crois  que,  dans  le 
«lomaitie  politique,  nous  avons  des  amis  isur  qui  nous  pouvons  compter. 
Je  crois  que  le  monde  ne  $'est  pas  fermé  aux  rayons  du  génie  du  peuple 
allemand. 

Si  j'ai  parlé,  il  n'y  a  pas  longtemps,  de  poùteâ  qui  ne  nous  sont  pas  favo- 
raiiles  —  ici  le  comte  de  Bùlow  fait  allusion  ù  M.  Rudyard  Kipling^  —  je 
me  souviendrai  avec  plaisir»  aujourd'hui,  qu'il  y  a  quelques  jours  un  autre 
poêle,  mi'belge,  mi-fraui;ais,  celui*là,  favorabk*  à  l'Allemagne,  —  M.  Mae- 
i^riiuk  ^*  a  appelé,  ici^  à  Berlin  mômiÎT  ^e  petipb'  allemand  :  «  la  con- 
science morale  du  monde  »,  et  cela  non  sans  raison. 

Mais  même  s^il  existait  coiUre  nous  tant  de  Imin;;  et  tant  d'aversion,  je 
?uis  d*avis  qu'en  politique  la  haine  et  Peuvie  —  et  la  haine  provient  ordi- 
L^iiremt^nt  de  Teavie,  —  sont  encore  plus  douces  que  la  pitié.  Gardons 
noire  poudre  sèche.  Ne  nous  querellons  pas  trop  rntre  nous  et  personne 
ne  uous  offensera. 

Ke  pourrai t-oo  un  peu  méditer  dans  notre  France  sur  ces  paroles 
du  chancelier  allemand?  La  leçon  qu'il  donnait  ainsi  au  Reichstag 
ne  st^raii  pas  inutile  pour  nos  parte  m  ëuia  ires  du  Palais-Bourbon  et 
du  Luxembourg. 

£âpagne.  —  VimiaUaiiùn  de  Jf,  Cambon  à  Madrid.  —  M.  Cambon, 
notre  Qouvel  ambassadeur  à  Madrid,  a  présenté  le  15  Janvier  ses 
l^îtres  de  créance  au  roi  Alphonse  XIII  et  a  prononcé  à  cette  occa- 
>fïOD  le  discoui'S  suivant  : 
Sire, 
J*ai  rbonneur  de  dépoi^or  entrr^  les  mains  de  Vol  re  Majesté  les  lettres 
cm  m'accréditent  en  qualité  d'amba^ssadeur  do  la  liépublique  française. 

Quelles  qu'aient  êiè  les  vicissitudes  de  leur  bis  Loire,  l'Espagne  et  la 
France  eurent  toujours  de  rêci])roqut\s  synifiuthicft  nées  moins  du  voisi- 
aajse  que  de  la  communauté  d'idues  et  de  sentimojits.  Leur  civilisation 
lire  son  origine  des  mêmes  îiources,  leurs  aspirations  tendent  au  même 
ïiléal  :  grandeur  morale  et  liberté*  Les  pages  do  le  ors  glorieuses  annales 
«•ont  illustrées  également  par  le  courage  et  la  générosité  de  ceux  qui  les 
écrivirent. 

La  nation  française  a  suivi  aiuîsi,  avec  un  profond  et  attentif  intérêt,  le 
oommencement  du  règne  de  Votre  Majesté,  sous  Téi^nde  tutélaire  de  votre 
Auguste  Mère,  La  France  eotière  fait  dos  vœux  pour  le  bonheur  de  Votre 
Majesté  et  la  prospérité  de  TEspagne, 

Je  suie  Finterprète  de  M.  le  Présideut  do  îa  Uépublique  et  de  son  gou- 
Ternement,  en  apportant  à  Votre  Majesté  rexprestîion  de  confiance  de  voir 
se  resserrer  davantage  les  liens  d^amitir*  qui  exisieni  entre  les  deux  pays. 
C*est  pour  moi  un  grand  honneur  d'avoir  été  élu  pour  collaborer  à  une 
«Btivre  si  ûoble,  et  j'ose  espérer  que  la  bienveillance  de  Votre  Majesté  et 
tle  *on  gouveriierneut  facilitera  cetLe  tùciie. 


194  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

Le  roi  a  répondu  en  ces  termes  : 

Monsieur  l'ambassadeur, 

Il  me  plaît  de  recevoir  les  lettres  qui  vous  accréditent  à  ma  cour  comme 
ambassadeur  de  la  République  française. 

L'Espagne  et  la  France  étant  unies  par  les  liens  d'une  vieille  amitié, 
rien  ne  m'est  plus  agréable  que  l'assurance  que  vous  apportez  de  l'attentif 
intérêt  avec  lequel  la  République  a  suivi  les  commencements  de  mon 
règne. 

Les  vœux  que  vous  m'exprimez  soit  pour  ma  prospérité,  soit  pour  celle 
de  mon  peuple,  correspondent  à  ceux  non  moins  sincères  que  je  fais  pour 
le  bonheur  de  la  nation  française  et  de  l'illustre  homme  d'État  qui  la 
dirige. 

Avant  ce  moment,  Monsieur  l'ambassadeur,  vous  aviez  montré  par  votre 
conduite  l'affection  que  vous  portiez  à  l'Espagne. 

Dans  des  circonstances  critiques,  alors  que  vous  étiez  comme  aujour- 
d'hui investi  de  la  représentation  officielle  de  la  France,  vous  avez  obtenu 
des  titres  à  notre  considération  et  à  notre  amitié. 

La  collaboration  que  vous  nous  offrez  si  noblement  obtiendra  l'appui 
décidé  de  mon  gouvernement,  et  dans  l'accomplissement  de  la  tâche  con- 
fiée à  votre  zèle  et  à  votre  intelligence  par  M.  le  Président  de  la  Répu- 
blique, chaque  jour  rendra  encore  plus  cordiaux  les  rapports  qui  existent 
si  heureusement  entre  les  deux  peuples. 

n.  —  AFRIQUE. 

Haroc.  —  Lasittiation.  —  Il  est  toujours  aussi  difficile  de  savoir 
d'une  manière  précise  ce  qui  se  passe  au  Maroc.  Les  dépêches  nous 
arrivent  nombreuses  chaque  jour  et  de  toutes  les  sources  ;  mais  que 
nous  les  recevions  directement  ou  qu'elles  nous  parviennent  par  Lon- 
dres ou  par  Madrid,  les  nouvelles  sont  toujours  confuses,  souvent 
contradictoires,  rarement  confirmées  par  des  faits  certains.  Le  préten- 
dant BouHamara  semble  bien,  cependant,  avoir  repris  l'offensive.  On 
est  de  nouveau  assez  inquiet  à  Fez,  car  on  nous  signale  un  redouble- 
ment d'activité  dans  les  préparatifs  de  défense  du  sultan,  qui  ne 
paraît  pas  d'ailleurs  avoir  grande  confiance  dans  la  solidité  de  ses 
troupes.  Il  compterait  plutôt,  d'après  des  informations  récentes,  sur 
certains  concours  amicaux,  celui  notamment  des  chérifs  d'Ouazzan, 
protégés  de  la  France  et  très  influents  parmi  les  tribus  berbères  favo- 
rables au  prétendant.  Les  chérifs  d'Ouazzan,  en  effet,  sur  les  solliei- 
tations  du  sultan,  seraient  partis  pour  Fez  et  l'on  estime  que  leur 
intervention  pourrait  contribuer  puissamment  à  tirer  le  Maghzen  de 
sa  position  critique.  On  dit  aussi  que  l'oncle  d'Abd-el-Aziz,  Mouley 
Arafa,  va  se  rendre  à  Oudjda  pour  tenter  de  réconcilier  les  Iribus 
qui  se  battent  dans  cette  région  et  empêcher,  de  ce  côté,  tout  mou- 
vement de  révolte. 


Renseignements  politiques  195 

D  antre  part,  on  a  appris  que  la  Banque  de  Paris  et  des  Pays-Bas 
renaît  de  consentir  un  prêt  de  7  millions  et  demi  au  sultan,  qui  se 
trouve  très  à  court  d'argent.  L'importance  politique  de  ce  prêt  n'est 
pas  douteuse  ;  et  bien  que  Ton  tienne  encore  secrètes  les  conditions 
auxquelles  il  aurait  été  fait,  on  est  en  droit  de  supposer  que  la  cause 
française  en  tirerait  avantage.  On  ne  s'y  est  pas  trompé  en  Angle- 
terre, et  les  journaux  anglais  en  ont  déjà  exprimé  leur  inquiétude  et 
leur  ennui,  lis  ont  même  cherché  à  atténuer  reflet  produit  par  cette 
nouvelle  en  insinuant  qu'une  banque  anglaise  avait  été  également 
pressentie  pour  avancer,  elle  aussi,  7  millions  et  demi  au  sultan, 
ïâis  rien  n'est  venu  confirmer  cette  dernière  information,  qui  semble 
Men  tendancieuse. 

Enfin  une  dépèche  du  29  janvier  a  annoncé  l'arrivée  à  Fez  de  la 
aission  militaire  française,  dont  l'action  peut  avoir  une  sérieuse 
influence  sur  la  marche  ultérieure  des  événements. 

Afrique  Occidentale  française.  —  Le  secrétariat  général  du  gouverne- 
mÊKt  général.  Un  emprunt  de  65  millions.  —  Aux  termes  d'un  arrêté  du 
â6  décembre,  il  est  créé  au  gouvernement  général  de  l'Afrique  Occi- 
dentale française  un  secrétariat  général  du  gouvernement  général. 
L'organisation  et  les  attributions  de  ce  secrétariat  général  sont  fixées 
perle  même  arrêté. 

Le  personnel  du  secrétariat  général  du  gouvernement  général  sera 
r^mté  soit  dans  le  personnel  des  administrateurs  et  des  affaires 
.cdigènes  de  l'Afrique  Occidentale  française,  soit  parmi  les  fonction- 
lûres  et  employés  des  autres  services.  Ce  personnel  est  placé  hors 
3dres  et  conserve  dans  cette  position  les  droits  à  l'avancement. 

Le  Journal  officiel  du  Sénégal  si  dépendances  du  27  décembre  1902  a 
publié  un  arrêté  dont  voici  le  texte  : 

Abtici^  premier.  —  Il  y  a  lieu  pour  le  gouvernement  de  l'Afrique  Occi- 
ieiztale  française  de  contracter  un  empnmt  de  la  somme  de  65  millions  de 
r'raocs,  remboursable  dans  un  délai  de  cinquante  années,  avec  la  garantie 
eipresse  du  gouvernement  de  la  République  française,  pour  permettre 
1  «riécution  des  travaux  d'utilité  publique  et  d'intérêt  général  suivants  et  le 
rcnitoursement  anticipé  des  emprunts  ci-après  : 

;.  —  Travaux  d'assainissement Fr.      5.450.000 

1  Travaux  d'aménagement  des  ports 12.600.000 

>. Travaux  d'ouverture  des  voies  de  pénétration  : 

a)  Etude  du  chemin  de  fer  reliant  Kayes  à  la  ligne  de 

Dakar- Saint-Louis 500.000 

6)  Amélioration  des  fleuves  Sénégal  et  Niger 5 .000.000 

c)  Chemin  de  fer  de  la  Guinée 17.000  000 

d)  Chemin  de  fer  et  port  de  la  Côte  d'Ivoire ^ 0.000.000 

A  reporter 50.550.000 


196  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES    ET    COLONIALES 

Report 50 .  550 .  000 

4.  —  Capital  restant  à  rembourser  sur  les  emprunts  de  8  mil- 
lions et  de  4  millions  contractés  par  la  colonie  de  la 
Guinée  en  1899  et  1901  pour  la  construction  de  son 
chemin  de  fer  (y  compris  les  indemnités  dues  pour 
remboursement  anticipé) 11.648.053 

5.  —  Capital  restant  à  rembourser  sur  remprunt  de  5  millions 
contracté  en  1892  par  la  colonie  du  Sénégal  (y  «compris 
l'indemnité  pour  remboursement  anticipé) 2.654.662 

A  valoir  et  divers 147.285 

Total  égal Fr.    65 .  000  OOO 

Art.2.  —  Les  colonies  de  l'Afrique  Occidentale  française,  intéressées  dans 
l'emprunt  projeté,  devront  iiiscrire  aux  dépenses   obligatoires  de   leurs 
budgets  respectifs  et  au  fur  et  à  mesure  de  la  réalisation  des  portions  de 
l'emprunt  en  ce  qui  les  concerne,  les  sommes  nécessaires  pour  faire  face  à 
^i  leurs  intérêts  et  à  leur  amortissement.  Ces  sommes  seront  versées  à  titre 

de  contribution  spéciale  au  budget  du  gouvernement  général  chargé   de 
pourvoir  aux  charges  globales  de  l'emprunt. 

Madagascar.  —  La  population  m  1902.  —  D'après  un  tableau  com- 
muniqué par  le  gouvernement  général  de  Madagascar,  la  population 
indigène  de  rile  s'élèverait  à  S.501. 691  indigènes  et  la  population 
européenne  [y  compris  les  assimilés  non  militaires)  à  8.906,  dont 
2.175  dans  la  province  de  Tarn  a  ta  ve,  1.655  dans  le  territoire  de 
Diégo-Suarez,  1.213  dans  la  province  de  Majunga,  906  à  Tananarive- 
ville,  etc.. 

Les  Européens  ou  assimilés  exercent  à  Madagascar  des  professions 
ort  variées.  On  compte  parmi  eux  1.662  négociants  et  employés  de 
commerce,  606  agriculteurs  et  éleveurs,  117  menuisiers,  charpen- 
tiers et  charrons,  88  ferblantiers,  forgerons,  serruriers  et  mécani- 
ciens. Parmi  les  autres  professions  nous  relevons,  13  médecins 
civils,  10  pharmaciens,-  20  avocats,  7  journalistes,  4  photographes, 
27  tailleurs,  couturières  et  modistes,  etc. 
y  Une  correspondance   arrivée   de   Madagascar  par  le    Melbourne 

t  annonce  que  le  général  Gallieni  vient  de  prendre  plusieurs  arrêtés 

qui  marquent  une  nouvelle  étape  dans  le  développement  et  l'organi- 
sation progressifs  de  la  colonie. 
Les  trois  cercles  militaires  de    Tulear,    Mandritsara  et  de    la 
.  Grande-Terre  sont  transformés  en  provinces  et  ont  été  placés,  à  la 

:?  date  du  15  décembre,  sous  l'administration  civile. 

Le  fait  que  cette  mesure  a  pu  être  prise  montre  qu'on  est  certain 
l  désormais  de  la  sécurité  et  de  Tesprit  des  indigènes  dans  ces  régions 

où  la  pénétration  et  l'occupation  avaient  présenté  de  sérieuses  diffi- 
cultés. 
La  colonisation  militaire  notamment  continue  à  donner  de  bons 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  lÛt 

résultats.  Il  est  intéressant  de  signaler  en  particulier  qu'ellt*  u 
réussi  presque  partout  sur  le  plateau  central,  grâce  à  la  recomman- 
dation, suivie  d'effet,  quia  été  faite  aux  soldats-colons  d'éviter  <h> 
se  lancer  dans  de  trop  grandes  entreprises,  ou  de  tenter  lI*\s 
expériences  cuUurales  que  la  composition  assez  pauvre  du  sol  d*'s 
régions  centrales  rendrait  des  plus  aléatoires.  On  compte  actuellt- 
mcnt  56  soldats-colons,  presque  tous  sur  le  plateau  central. 


m.  —  AMÉRIQUE. 

États-Unis.  —  Le  traité  pour  U  canal  de  Panama,  —  Un  traité  vioni 
dVtre  conclu,  à  Washington,  entre  la  Colombie  et  les  États-Uni-, 
touchant  les  conditions  dans  lesquelles  les  Ëtats-Unis  obtiendrortt 
l  autorisation  d'achever  le  canal  de  Panama.  Ce  traité,  qui  est  Im  s 
long  contient  notamment  les  clauses  suivantes  : 

Les  territoires  situés  dans  la  zone  du  canal  seront  neutres.  Les  Eçaf^* 
Unis  garantiront  la  neutralité  de  ces  territoires  et  la  souveraineté  de  fi 
ColomJjie  sur  eux. 

Une  commission  américano-colombienne  sera  créée  pour  élaborer  h* 
rr^glement  de  police  et  d'hygiène,  et  les  faire  appliquer. 

Les  États-Unis  répudient  toute  intention  de  porter  atteinte  en  quoi  «)tii» 
ce  soit  à  la  souveraineté  de  la  Colombie  ou  d'augmenter  leur  territoiin 
jjx  dépens  de  la  Colombie  ou  d'autres  républiques  de  TApérique  centrair 

i  de  l'Amérique  du  Sud.  Ils  désirent  au  contraire  accroître  la  puisj^iLii^'^ 
i^  ces  républiques,  faire  naître,  développer  et  maintenir  leurprospériîi*  v\ 
I-ur  indépendance. 

La  Colombie  s'engage  à  ne  céder  ni  louer  à  bail,  à  aucune  puissaiirf. 
accan  des  territoires  situés  dans  certaines  limites  définies,  pour  y  établii 
cne  station  de  charbon  ou  pour  tout  autre  objet  qui  pourrait  comun-- 
mettre  la  construction,  la  protection,  la  sécurité  et  le  libre  usage  du  cartnl. 

Les  États-Unis  aideront  matériellement  la  Colombie  pour  emprtiîh  i 
luute  occupation  desdits  territoires. 

Panama  et  Colon  sont  déclarés  ports  francs  pour  les  navires  et  les  nini 
chandises  devant  passer  par  le  canal. 

Le  canal  sera  ouvert  à  la  navigation  dans  les  quatorze  années  qui  ^fl - 
Tront  réchange  des  ratifications  de  la  convention. 

Nous  ne  pouvons,  pour  notre  part,  que  nous  féliciter  de  la  coni  hi- 
sion    de  celte  entente  entre   la  Colombie  et  les  Étals-Unis,  pus- 
qu'elle  était  indispensable  pour  la  reprise  et  Tachèvement  de  Toeuvi 
française  commencée  par  M.  de  Lesseps. 

Venezuela.  —  Le  conflit  avec  les  puissances,  —  Les  événements  ^ni 
pris,  un  moaoent,  au  Venezuela,  une  singulière  tournure  du  fait  fî 


l 


198  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Tattitude  assez  déconcertan:ite  de  rAUemagne.  Puisqu'on  était  tombé 
d'accord  pour  régler  à  Tamiable  le  différend  survenu  entre  le  pré- 
sident Castro  et  les  puissances,  il  semblait  que  la  période  militaire 
du  conflit  eût  dû  prendre  fin.  M.  Bowen,  le  ministre  des  Etats-Unis 
chargé  des  intérêts  du  Venezuela,  élait  parti  pour  Washington, 
où  il  allait  prendre  part  à  la  conférence  diplomatique  des  représen- 
tants des  puissances  co-intervenantes,  laquelle  devait  préparer  le 
récours  au  Tribunal  de  La  Haye,  sinon  même  régler  directement 
toutes  les  questions  en  litige.  Dans  ces  conditions,  on  était  allé 
jusqu'à  suggérer,  surtout  aux  Etats-Unis,  que  le  blocus  des  côtes  du 
Venezuela  n'avait  plus  aucune  raison  d'être.  Sans  pousser  les  choses 
si  loin,  on  pouvait  du  moins  estimer  que,  le  blocus  continuant,  il 
ne  pouvait  plus  être  question  d'actes  de  guerre. 

Or,  des  actes  de  guerre  se  sont  produits,  aussi  graves  qu'inexpli- 
cables. Sans  qu'on  sache  encore  trop  pourquoi,  la  canonnière  alle- 
mande Fanthersi\o\x]\x  forcer  l'entrée  du  lac  de  MaracaYboet  a  engagé 
un  duel  d'artillerie  avec  le  fort  de  San-*Carlos,  qui  commande  la 
passe. Après  avoir  perdu  deux  hommes  et  eu  quelques  blessés,  elle  a 
dû  se  retirer  devant  le  feu  des  Vénézuéliens.Mais  le  reste  de  l'escadre 
allemande  est  venu  à  la  rescousse,  et  un  combat  plus  sérieux  encore 
que  le  précédent  s'est  engagé,  qui  s'est  terminé  par  la  prise  du  fort 
et  sa  destruction. 

Toutefois,  pendant  ce  temps,  les  négociations  se  poursuivaient 
régulièrement  à  Washington  et  M.  Bowen  se  montre  toujours  très 
optimiste  quant  à  l'heureux  résultat  de  ses  conférences  avec  les  re- 
présentants des  puissances  alliées. 

Il  serait  certainement  très  désirable  de  voir  enfin  terminé  un  con- 
flit qui  n'a  que  trop  duré  pour  les  intérêts  généraux  de  l'Amérique 
et  de  l'Europe.  Il  restera  à  déterminer  et  à  expliquer  la  part  de  res- 
ponsabilité de  chacun  et  notamment  à  dégager  quel  a  été  le  véri- 
table mobile  de  l'Allemagne  en  cette  affaire.  C'est  une  étude  que 
nous  nous  proposons  d'ailleurs  de  faire  incessamment. 


RENSEIGNEMENTS   ÉCONOMIQUES 


I.  —  ASIE. 


Indo-Chine.  —  Le  commères  et  la  navigation.  —  Le  ministèrr  do^ï 
Colonies  vient  de  recevoir  du  gouverneur  général  de  rindo-Chiîio  \m 
rspport  présentant  le  mouvement  du  commerce  et  de  la  navigalion 
de  cette  colonie  pendant  le  premier  semestre  1902. 

Le  commerce  extérieur  s'est  élevé,  pour  ce  semestre,  à  202.19:i.7Hr» 
francs,  chiffre  supérieur  de  40.303.962  francs  à  celui  de  la  période 
correspondante  de  l'année  1901. 

Cette  très  forte  plus-value  se  répartit  entre  les  importations  ot  les 
exportations. 

A  l'importation,  le  mouvement  avec  la  France  donne  la  pres4[ui' 
totalité  de  l'augmentation  constatée.  Il  est  dû  principalemenl  iy 
1  énorme  quantité  de  fers,  rails,  etc.,  nécessités  par  la  constnn  linu 
des  chemins  de  fer. 

A  l'exportation,  la  plus-value  est  provoquée  par  les  sorties  des  riz 
à  destination  des  divers  pays  de  rExtrème-Orient.  11  résulte  surtout 
de  ce  fait  que  l'exportation  a  été  régulière  cette  année. 

Le  mouvement  de  la  navigation  présente,  au  total,  une  différence 
en  faveur  de  1902  de  105  navires  et  de  111.243  tonneaux. 

Dans  ce  mouvement,  l'Allemagne  occupe  toujours  le  premier  raii^^ 
tant  par  le  nombre  de  ses  navires  que  par  leur  tonnage  totil  :  \:\ 
France  vient  en  seconde  ligne,  suivie  de  l'Angleterre  et  de  la  Norv<  ^f. 
Ces  quatre  puissances  fournissent  d'ailleurs  le  mouvement  pre^r[ii(^ 
entier  de  la  navigation. 

II.  —  AFRIQUE. 

■adagascar.  —  La  situation  économiqtM.  —  Le  général  Gallienî  vii  nt 
de  faire  publier  sur  la  situation  économique  de  Madagascar  en  llHH 
on  document  tout  à  fait  remarquable  où  toutes  les  questions  relaf  <  ves 
non  seulement  au  commerce,  mais  encore  à  l'industrie,  à  l'agrii  lil- 
tare  et  à  la  colonisation  sont  passées  en  revue.  L'Union  colorn;i|+^ 
française  a  eu  l'heureuse  idée  de  demander,  à  propos  de  cet  ouvra |:(e, 
une  conférence  à  M.  Clément  Delhorbe,  secrétaire  général  du  coruitr* 
de  Madagascar.  Aussi,  hier  soir,  les  convives  que  réunissait  le  diiu  r 
mensuel  de  cette  Société  ont-ils  eu  sur  Madagascar  les  rensei^nn- 
ments  les  plus  intéressants. 

M.  Delhorbe,  qui  a,  à  diverses  reprises,  voyagé  dans  la  grandi*  Wc, 


200  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

et  qui,  de  par  ses  fonctions  au  Comité  de  Madagascar  en  suit  la  vie 
pas  a  pas,  a  fait  un  tableau  très  pittoresque  et  cependant  très  précis 
des  progrès  réalisés  depuis  1896.  A  cette  époque,  le  commerce  de 
Ma^lagascar  n'atteignait  que  17  millions  et  demi.  Il  a  été,  en  1901, 
de  oii  millions.  Cette  progression  est  belle,  elle  l'est  plus  encore  si 
l'oD  songe  que  de  1896  à  1898,  premières  années  du  gouvernement 
du  général  Gallieni,  il  a  fallu  réprimer  Tinsurrection  et  ne  se  préoc- 
cuper que  bien  peu  du  développement  économique. 

Aujourd'hui,  tout  est  changé  et  la  sécurité  qui  règne  dans  Tlle  per- 
met de  travailler  sans  distraction  aucune  à  la  mise  en  valeur.  Les 
n^^ultats  déjà  obtenus  sont  tels  que,  dans  aucune  autre  colonie  dans 
le  jiionde,  on  n'en  peut  trouver  d'analogues  réalisés  en  si  peu  de 
temps.  Madagascar  a  construit  des  routes,  balisé  ses  ports,  ouvert  le 
unnal  des  pangalanes,  inauguré  le  premier  tronçon  de  son  chemin  de 
IV  r,  établi  des  lignes  télégraphiques,  fait  de  Diégo-Suarez  une  place 
forle  de  premier  ordre,  recruté  des  commerçants,  des  colons,  naéme 
însiuUé  un  théâtre.  Il  ne  faut  que  continuer  dans  la  voie  si  largement 
tracée  si  on  veut  faire  de  Madagascar  ce  qu'elle  doit  être,  une  grande 
colonie  prospère. 

La  conférence  de  M.  Delhorbe  a  été  très  applaudie.  Plusieurs 
des  points  que  l'orateur  avait  touchés  ont  provoqué  de  la  part  de 
quelques  auditeurs  des  observations  non  moins  intéressantes  d'où  on 
a  pu  conclure  que,  si  à  Madagascar  les  impôts,  et  le  gouverneur  en 
est  iui-méme  convaincu,  auront  besoin  d'être  remaniés  non  pas 
quant  à  leur  chiffre  global,  mais  quant  à  leur  répartition,  l'avenir 
commercial  pouvait  être  attendu  brillant  par  suite  des  besoins  énor- 
mes de  bétail  qu'a  l'Afrique  du  Sud  et  que  Madagascar  peut  très  faci- 
lement satisfaire. 


III.  —  AMÉRIQUE. 

Canada.  —  Le  commerce  extérieur,  —  Un  état  préliminaire  des 
rèf^iiilats  du  commerce  extérieur  du  Canada  du  1"  juillet  1901  au 
30  Juin  1902  qui  vient  d'être  publié,  donne  les  chiffres  suivants  : 

D'abord  un  tableau  comparatif  des  exportations  et  importations  des 
cinq  dernières  années  : 

Années  Exportations  Importations 

1902 S  2it .725.763  $  202.791 .575 

1901 196.487.632  181.237.988 

1900 191 .894.723  180.804.316 

1899 158.896.905  154.051 .593 

1898 164.152.683  130.098.006 


RENSEIGNICMENTS   ÉCONOMIQUES  201 

AiDsi  on  peut  dire  que  le  commerce  du  Canada  a  augmenté,  en 
chiffres  ronds,  de  $  120.250.000  en  cinq  ans,  dont  $47.500.000  pour 
les  exportations  et  S  72.750.000  pour  les  importations. 

Le  commerce  spécial,  en  ce  qui  concerne  les  exportations,  ne 
comprenant  que  les  produits  canadiens,  donne  la  progression 
suivante  : 

1902 $196.105.240 

1901 177.431.386 

1900 168.972.306 

1899 137.360.792 

1898 144.548.662 

L'augmentation  des  exportations  en  commerce  spécial  est  donc 
de  S  57.500.000,  en  cinq  ans  de  plus  de  33  %  :  et  cette  proportion 
dépasse  probablement  tout  ce  qui  s'est  vu  jusqu'ici  dans  l'histoire 
des  nations.  Si  la  population  n'a  pas  augmenté  autant  qu'on  l'espé- 
rait, on  ne  peut  pas  dire  du  moins  que  les  Canadiens  aient  manqué 
d'entreprise  ni  d'initiative  commerciale. 

L'augmentation  se  trouve  d'ailleurs  porter  principalement  sur  la 
production  industrielle  et  agricole,  comme  on  peut  le  voir  en  com- 
parant les  chiflfres  1901  et  1902  : 

1901  1902 

Minéraux $  39.982.573  $  34.947.574 

Pêcheries 10.720 .352  14.059.070 

Produits  forestiers....  30.005.857  32.119.429 

Animaux  et  produits . .  55 .  499 .  527  59 .  245 .  433 

Produits  agricoles 24.977.662  37.238.165 

Produits  industriels. . .  16.012.502  18.462.970 

Divers 44.642  32.599 

Le  rendement  de  droits  de  douane  a  suivi  une  progression  à  peu 
près  égale  : 

1902 $32.423.862 

1901 29.106  980 

1900 28.889.no 

1899 25.734.229 

1898 22.157.788 


i 


ï 


NOMINATIONS  OFFICIELLES 


MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

Sont  promus  dans  la  Légion  d'honneur  : 

Au  grade  de  commandeur  : 

M.  Rouvier,  minist.  plénip.  de  i"  cl.,  à  Lisbonne. 
Au  grade  d'officier  : 

MM.  le  comte  de  Turenne  d'Ajnac,  minist,  plénipot,  ;  le  marquis  d'Héricourt, 
coneul  général  k  Leipzig,  et  de  Roccà  Serra,  conseiller  khédivial  au  Caire. 
Au  grade  de  chevalier  : 

MM.  Deluns-Montaud,  minisl.  plénip.;  Bernard,  consul  à  Cagliari;  Collomb, 
consul  à  Trébizonde;  Giamarchi,  consul  à  Ostende;  de  la  Bordère,  consul  à 
Tambassade  de  Madrid;  de  Valicourt,  consul  &  Valence;  Bertrand,  consul  à  Ben- 
ghazi; Salin,  chef  de  bureau;  Petitpas  La  Vasselais,  chef  du  service  télégr.  au 
Ministère;  Béon,  secrél.  de  la  Ch.  de  comm.  française  de  Bruxelles;  Wagner, 
rédacteur  en  chef  de  l'office  télég.  central  du  Temps  à  Vienne  ;  Fourrière,  direct, 
de  la  Comp.  franc,  de  TA.  O.  à  Liverpool  ;  le  D**  Robert,  méd.  de  la  Société  franr. 
de  bienfaisance  de  Madrid;  le  D*"  Rouvier,  profess.  à  la  Faculté  de  méd.  de  Beyrouth  : 
M.  Blanc,  industriel  à  Turin. 

L'exequatur  a  été  accordé  à  : 

M.  José  Teixidor  y  Jugo,  consul  d'Espagne  à  Toulouse  ; 

M.  Rafaël  Osorio,  consul  de  Colombie  à  Saint-Nazaire  ; 

M.  German  BûUe,  consul  du  Mexique  à  Lyon  ; 
K:  M.  Rufino  de  la  Serna,  consul  de  la  république  Argentine  au  Havre  ; 

E  '  M.  Pablo  Brandela,  vice-consul  de  la  république  Argentine  à  Pau  ; 

]'.-.  M.  E.  Tournut,  vice-consul  des  Pays-Bas  à  Arzew  (Algérie)  ; 

K  M.  Arthur  Valabrègue,  agent  consulaire  d'Italie  à  Montpellier. 

i-  MINISTÈRE  DE  LA  GUERRE 


TronpeN  métropollUilnes. 


;  GBNIE 

^  Afrique  Oooldentale.  —  M.  le  capit.  Mathy  est  désig.  pour  servir  au  Sénégal. 

\  GENDARMERIE 

f  Quyane.  —  M.  le  capit.  Beck  est  désig.  pour  servir  à  Cajenne. 

SERVICE  VÉTÉRINAIRE 

^''  Indo-Ohlne.  -*  M.  Berque,  vétér.  en  i",  est  désig.  pour  servir  aux  batt.  de  la 

brig.  de  réserve  de  Chine  au  Tonkin. 

SERVICE  OE   LA   TRÉSORERIE 

^  Ohlne.  —  M.  Mitre,  payeur  partie,  de  2«  cl,  au  corps  d'occupat.,  est    nommé 

]  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Trovpes  eolovlales. 

INFANTERIE 

Afrique  Oooidentale.  —  Sont  nommés  : 

Command.  du  l***  territ.  milit.  à  Tombouctou,  M.  le  lieut.'Col.  Dagneaud  ; 

Oommand.  du  cercle  de  Kong,  M.  le  chef  de  bat,  Siere; 

Adjoint  au  command.  du  2*  territ.  milit.,  M.  le  capit.  Haillot; 

Adjoint  au  command.  du  3*  territ.  milit.,  M.  le  capit.  Sourisseau; 

Command.  du  cercle  de  Dori,  M.  le  capit,  Stauber; 

Command.  du  cercle  de  Yatenga,  M.  le  capit.  Noire  ; 

Command.  du  cercle  de  Mossi  à  Ouagadougou,  M.  le  capit,  Pinchon  ; 

Command.  du  cercle  de  Zinder,  M.  le  capit.  Buck; 

Command.  du  secteur  de  Bandama  (Côte  d'Ivoire),  M.  le  capit.  Talpomba; 

Command.  de  la  région  de  Lobi  (Guinée),  M.  le  capit.  Bouchez'; 


NOMINATIONS   OFFICIELLES 


âo:^ 


Gommand.  de  la  l»"»  compag.  des  gardes-frontières  du  Sahel  à  Nioro,  M.  le  capit, 
Sognj;  de  la  2*  compag.  à  Sokolo,  M.  le  capit.  Rajnal  ; 

Oommand.  de  la  comp.  des  gardes-frontières  de  Kong  à  Dabakala  (Côte  d'Ivoire), 
M.  le  eapit.  Conrad  ; 

MM.  les  capit.  Moriason    et    Desportes   sont  placés  h  Tétat^maj.    des   troupes 
de  lA.  O. 
Sont  affectés  :   . 

MM.  les  capit.  Simonot  au  {•'  sénégalais  À  Kaédi  et  Bruyère  au  bataill.  de  la 
Célc  d'Ivoire  ;  ' 

M.  le  lieut.  Bock  est  affecté  à  l'ôtat-major  des  troupes  de  l'A.  O.  et  M.  le  lient. 
Feuillu  est  détaché  auprès  du  gouv.  général  ; 

M.  le  lieut.  Chambert  est  nommé  offic.  de  renseig.  du  i*^  territ.   milit.  à  Tom- 
bottctou  ; 

M.  le  lieut.  Aymés  est  nommé  offic.  de  renseig.  du  2*  territ.  milit.  à  Bobo-Diou- 
lasso; 
M.  le  lieut.  Poincelet  est  misa  la  disposit.  du  command.  du  l»'  territ.  milit.; 
M.  le  lieut.  Cabanes  est  mis  à  la  disposit.  du  command.  du  3*  territ.  milit.  ; 
M.  le  lieut.  Collin  est  mis  à  la  disposit.  du  command.  du  Baoulé  (Cèle  d'Ivoire)  ; 
M.  le  lieut.  Pierre  est  mis  à  la  disposit.  du  command.  de  Kong; 
M.  le  lieut.  MaFse  est  mis  à  la  disposit.  du  command.  du  cercle  de  Macina; 
M.  le  lieut.  Verlaque  est  nommé  command.  du  cercle  de  Gourounsi  à  Léo  ; 
M.  le  lieut.  Langlumé  est   nommé  adjoint  au  command.   du  cercle  de  Yatenga 
à  Léo; 
M.  le  lieut.  Barreau  est  nommé  adjoint  au  command.  du  cercle  de  Bobo-Dioulasso  ; 
M.  le  lieut.  Marc  est  nommé  adjoint  au  command.  du  cercle  de  Lobi; 
M.  lé  lieut.  Goudalmaest  nommé  command.  du  cercle  de  Koury  ; 
M.  le  lieut.  Quillichini  est  nommé  command.  du  cercle  de  Djerma; 
M.  le  lieut.  Bertrand  est  nommé  command.  du  cercle  de  Zinder  ; 
M.  le  lieut.  Schiffer  est  nommé  command.  du  cercle  de  Kong  (Côte  d'Ivoire)  ; 
M.  le  lieut.  Carpentier  est  nommé  adj.'  au  command.  du  cercle  de  Baoulé-Nord 
(Côte  d'Ivoire)  ; 
M.  le  lieut.  Guignard  est  nommé  administ.  de  Grand-Lahou  (Côte  d'Ivoire)  ; 
M.  le  lieut.  Castaing  est  placé  à  la  !'•  compag.  des  gardes-frontières  du  Sahel 
à  Goombou  ; 

M.  le  Ueut.  Venet  est  placé  à  la  l"  compag.  des  gardes-frontières  du  Sahel   à 
Sokolo  ; 

M.  le  lieut.  Gâteau  est  placé  à  la  compag.   des  gardes- frontières  du  Sahel  de 
Macioa; 

M.  le  lieut.  Fourcade  est  placé  à  la  compag.  des  gardes-frontières  du  Sahel  de 
Mossi  à  Tengodogo  ; 

M.  le  80U8-lieut.  Philippe  est  placé  à  la  compag.  des  gardes-frontières  de  Kong 
(Côte  d'Ivoire)  ; 
M.  le  lieut.  Perrière  est  détaché  à  la  flottille  du  Niger; 
M.  le  lieut.  Etienne  est  nommé  trésorier  du  14*  colonial  ; 
M.  le  lieut.  Eymard  est  nommé  ofilc.  d'habill.  du  14*  colonial  ; 
M.  le  lieut.  Blaive  est  nommé  porte-drapeau  du  1*'  sénégalais  : 
MM.  les  lieut.  Bosch  et  de  Moustié  ;  les  sous-lieut.  Duhamel  et  Raymond    sont 
affectés  au  !•'  sénégalais; 
MM.  les  lieut.  Marin,  Roussel,  Bonnet  et  Perrin  sont  affectés  au  2*  sénégalais; 
MM.  les  lieut.  Gâté,  Maille  et  Blanchard,  sont  affectés  au  bataill.  de  Zinder  ; 
M«  le  lieut. •colonel  Destenave  est  promu  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 
OoniTO.  —  M.  le  capit.  Probst  est  nommé  adj.-maj.  du  rég.  indigène  du  Congo; 
Onjane.  —  M.  le  capit.  Chabalier  est  désig.  pour  servir  à  la  Guyane, 
Indo-Chine.  —  Sont  affectés  : 

MM.  le  colonel  Dumont,  au  3*  tonk.  ;  les  chefs  de  bat,  Baudouin,  au  5*  tonk.,  et 
Gary,  au  18*  colonial;  les  capit.  Cibaud,  à  l'état-maj.  partie,  et  Noguès,  à  l'état- 
maj.  de  la  brig.  de  réserve  de  Chine  au   Tonkin  ;   les  lieut.  Lucas,  au  2*^  tonk.  ; 
Carassoo,  au  9*  colonial,  et  Dubois  au  l*'  tonk.  ; 
M.  le  lieut.  Giraud  est  désig.  pour  servir  en  Cochinchine  ; 
M.  le  lieul.  Albrecht  est  affecté  k  la  comp.  de  tirailleurs  cambodgiens. 


204  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

M.  le  lieui.-col.  Brenot  est  nommé  command.  de  la  défense  du  cap  Saint- Jacques . 

M.  le  capit.  Fouquet  est  nommé  adjudant-major  au  rég.  de  tiraill.  annamites. 

Sont  désignés  pour  servir  : 

MM.  le  capit.  Billes  au  1*^  tonkinois  :  le  capit.  Sanceau  au  3«  tonk.  ;  le  capit 
Dupuis  à  l'état-maj.  à  Bac-Ninh;  le  capit.  Philippe,  et  le  capit.  Peltier  au  4*  tonk.  ; 
le  capit.  Jarty  au  2*  tonk.;  le  capit.  Godefroj  et  le  lient.  Butault  au  9*  colonial;  le 
lieul.  Masson  au  ir  tonk.  ;  le  lient.  Lenoir  au  9*  colonial,  comme  adjoint  au  tréso- 
rier; le  lient.  Demante.au  4*  tonk.;  le  lient.  Noël  au  2*  tonk. 

Sont  affectés  :  *  . 

Au  4*  tonkin.  :  MM.  le  chef  de  bataillon  Tipveau;  les  lient.  Gaurette  et  Mercier; 

Au  2*  tonkinois  :  M.  le./i>u/.  Jour^y; 

A  Téfat-maj.  partie.  :  M.  le  lieul,  Thierry. 

M.  le  lient, -col.  Diguet  est  nommé  command.  du  2*  territ.  milit. 

M.  le  lieut.-col.  Louvel  est  nommé  command.  des  troupes  à  Quang-tchéou-wan. 

MM.  les  lient.  Theurej  et  Robert  sont  affectés  au  il*  colonial  en  Cochinchine; 
MM.  les  lient.  Pochelu  et  Bernard  sont  placés  au  rég.  de  tiraill.  annamites. 

Madagascar.  -^  Sont  désig.  pour  servir  : 

Au  l«c  malgaches  :  MM.  le  capit.  Milhau,  les  lient.  Simon,  Bornand  et  Talin 
d'Eyzac  ; 

Au  2*  malgaches  :  MM.  le  chef  de  batail.  Robard;  le  capit»  Chérel;  les  lient. 
Lebaud,  Brand  et  Guénot; 

Au  3»  sénégalais  :  MM.  les  capit.  Quinque  et  Corre,  les  lient.  Bloin,  Durlot  et 
Brégand ; 

Au  bataill.  de  Diégo-Suarez  :  MM.  le  lient.  Eliasgowiez  de  Gejsz  et  le  aons-lieut. 
Rouyez  ; 

Au  i3«  colonial  :  MM.  les  capit.  Vézet,  Labat  et  Rej,  les  lient.  Delfaud,  Jalat  et 
Leriche  ; 

Au  13«  colonial  :  MM.  les  lient.  Ribes  et  Brun. 

M.  le  capit.  de  Rostang  est  désig.  pour  servir  à  Madagascar. 

Sont  désignés  pour  servir  : 

Au  3«  sénégalais  :  MM.  le  capit.  Tralboux,  leB  lient.  Gontet,  Musotte,  Millasseau 
et  Lenhard; 

Au  i5*  colonial  •  MM.  le  capit.  Boutonnet,  les  lient.  Guillot  et  Ga'net. 

M.  le  lient.  Gharnoz  e.st  affecté  au  bataill.  de  Diégo-8uarez. 

ARTILLERIE 

Afrique  Oooidentale.  —M.  le  chef  d'escadron  Bernardy  est  nommé  ^com- 
mand. sup.  des  troupes  d'artillerie  au  Soudan. 

M.  le  capit.  Esmenjaud  est  affecté  à  la  Compagnie  de  conduct.  au  Soudan. 

M,  le  capit.  Gillet  est  désig.  pour  la  i**"  batt.  bis  à  Dakar. 

M.  le  capit.  Ducatillon  est  désig.  pour  servir  à  la  Côte  d'Ivoire. 

M.  le  capit.  Thiéry  est  désig.  pour  servir  à  la  Côte  d'Ivoire. 

MM.  le  capit.  Heyd  et  le  sous-lieut.  Tisseyre  sont  désig.  pour  serv'rau  Sénégal. 

Indo-Chine.  —  M.  le  colonel  Richard  est  désig.  pour  servir  au  Tonkin. 

M.  le  capit.  Constant  est  désig.  pour  servir  à  la  brigade  de  réserve  de  Chine  au 
Tonkin. 

M.  le  capit.  Schultz  est  désig.  pour  servir  à  la  4*  batt.  du  groupe  de  réserve  au 
Tonkin. 

M.  le  lient.  Rodallec  est  désig.  pour  servir  au  Tonkin. 

Sont  désignés  pour  servir  : 

A  la  direct,  du  Tonkin  à  Hanoi,  M.  le  chef  d'escad.  Ramade; 

Au  rég.  du  Tonkin  (4»  gr.)  à  Hanoï,  M.  le  chef  d'escad .  .BArbier  ; 

Au  rég.  de  Cochinchine  au  cap  Saint-Jacques,  M.  le  chef  d'escad.  Delestre  ; 

A  la  4*  batt.  du  gr.  de  rés.  de  Chine  à  Son-tay.<  M.  le  capit.  Bianchi; 

A  la  direct,  du  Tonkin  à  Halphong,  M.  le  capit.  Prado  ; 

A  la  direct,  du  Tonkin  à  Hanoi,  MM.  les  capit.  Petiot  et  Couarde; 

A  la  lo«  batt.  à  Quang-tchéou-wan,  M.  le  capit.  Salvat; 

A  la  12<!  batt.  au  cap  Saint-Jacques,  M.  le  capit.  Pocard  du  Cosquer  de  Kerviller; 

A  la  2'  batt.  du  gr.  de  rés.  de  Chine  à  Dapcau,  M.  le  capit.  Camp; 

A  la  direct,  du  Tonkin  (chefferie  de  Cao-bang),  M.  le  capit.  Schultz; 


NOMINATIONS   OFFICIELLES  205 

A  la  4»  batt.  à  Lang>son,  M.  le  capiL  Petitdent; 
A  la  18*  batt.  à  Hanoi,  M.  le  capit.  Giraud  ; 
A  la  8«  balt.  à  Hongay^M.  le  capit,  Hiestand; 
A  la  suite  du  rég.  à  Hanoi,  M.  le  capiL  Queffélec; 

A  la  3*  batt-  du  gr.  de  rés.  de  Chine  à  Sontay,  M.  le  capil.  Poutignat  ; 

A  la  T  balt.  à  Hanoi,  M.  lé  capit.  Terrial  ; 

A  la  18«  batt.  à  Hanoï,  M.  le  capit.  Morlière  ; 

A  la  5*  batt.  à  Lao-kay.  M.  le  capit.  Colas  ;  ^ 

A  la  7*  batt.  à  Haiphong,  M.  le  capit.  Bourgoin  (A.>L.). 

A  la  16*  balt.  à  Hanoi,  M.  le  capit.  Le  Roy  d'EtiolIes; 

A  la  4«  batt.  (dét.  à  la  chefierie  de  Hué),  M.  le  capit.  Bourrienne; 

A  la  suite  du  rég.  du  Tonkin,  M.  le  capit.  Souriau  ;^ 

A  la  6*  batt.  à  Sa!gon,  M.  le  capit.  Ouerrini; 

A  la  9*  batterie  (dét*.  à  la  direct,  de  Cochinchine  au  cap  Saint-Jacques),  M.  le 
capit.  Midol  ; 

A  la  suite  du  rég.  à. Viétri,  M.  le  capit.  Boulanger; 

A  la  i**  balt.  du  gr.  de  rés.  de  Chine  à  Sontay,  M.  le  lient.  Civette: 

A  la  4*  batt.  du  gr.  de  rés.  de  Chine  À  Sontay,  M.  le  iieut.  Derepas; 

A  la  5*  comp.  d'ouvriers  à  Hanoi,  M.  le  lient.  Madec; 

A  la  3*  batt.  à  Saigon,  MM.  les  sous-tient.  Cauvin  et  Claquin; 

A  la  4*  batt.  du  gr.  de  rés.  de  Chine  à  Sontay,  M.  le  sous-tient.  Jacquier; 

A  la  $•  balt.  du  gr.  de  rés.  de  Chine  à  Sontay,  M.  le  sons-Ueut.  Candelot; 

A  la  8«  batt.  à  Moncay,  M.  le  sous-lient.  Diraison. 

Madagascar.  —  M.  le  lient. -col.  Fourcade  est  nommé  direct,  de  l'artill.  à 
Diégo-Suarez. 

MM.  les  capit.  Sarrien,  Mérier  et  le  lient.  FoUiet  sont  désig.  pour  servir  i  Mada- 
gascar. 

Sont  désig.  pour  servir  :  •  • 

A  la  5«  batt.  bis  à  Tananarive,  M.  le  capit.  Bourrât;  au  détach.  de  la  5'  comp. 
d'ouvriers,  MM.  le  capU.  Dalbavie  pt  le  /tew/.  Gauthé;  à  la  5«  batt.,  M.  le  capit. 
Robert  ; 

A  la  direct,  de  Tananarive,  M.  le  capit.  de  Vignes  de  Puylaroques; 

A  la  2*  batt.  montée,  M.  \q  capit.  Joseph; 

A  la  suite  des  batt.,  M.  le  capit.  Dumont;  ' 

A  Tétat-major,  M.  le  capH.  Lemoine; 

A  la  suite  des* batt.,  M.  le  capit.  Chéruy; 

A  la  I»  batt.  à  pied.  M.  le  capit.  Prévôt  ; 

A  la  suite  des  batt.,  MM.  les  lient.  Garnier^  Rouanet  et  Beulaygue; 

A  la  7«  batt.  à  pied,  M.  le  lient.  Lapeyre.  , 

Hartinique.  —  MM.  les  capit.  Bizard  et  Aulard  et  le  sous-lient,  Verlaque  sont 
désig.  pour  servir  à  la  Mar.tinique. 

M.  le  capil.  François  est  affecté  à  la  2^  batt. 

NoxLVelle-Calédoille.  —  M.  le  chef  d'escadron  Bonnardot  est  désig.  pour  ser- 
vir en  Nouvelle-Calédonie. 
Réunion.  —  M.  le  capit.  Girard  est  désig.  pour  servir  à  la  Réunion. 
M.  le  capit.  Lemoine  est  adjoint  au  command.  sup.  des  troupes.  ♦ 

Officiers  d'administration. 
Indo-Chine.  —  M.  Pleyber,  offic.  d'admin.  de  2*  p/.,  est  désig.  pour  servir  au 
Tonkin. 

M.  le  chef  armurier  Baine  est  désig.  pour  servir  aux  batt.  de  la  brigade  de  ré- 
serve de  Chine  au  Tonkin. 

SERVICE   DB   SANTÉ 

Afrique  Occidentale  —  M.  le  méd.  aide-maj.  Duperron  est  adjoint  à  la  mis- 
sion d'études  du  ch.  de  fer  de  la  Côte  d'Ivoire. 

Indo-Chine.  —  M.  le  méd.  ppal  de  1»"«*  cl.  Debrieu  est  nommé  direct,  du  ser-" 
vice  de  santé  de  Tlndo-Chiae. 

M.  le  méd.  ppal  de  i'«  cl.  Hénaff  est  nommé  chef  du  service  médical  de  la  Co- 
chinchine. 

M.  le  méd.-maj.  de  2*  cl.  Poumayrac  est  désig.  pour  servir  à  la  brig.  de  réserve 
de  Chine  au  Tonkin. 


^ 


r 


L 


206  OUKSTIONS  DIPLOMATIQUES   BT  COLONIALES 

MM.  les  méd.  aides-maj.  de  1^*  cl,  Carajon,  Bourragué,  Koun  et  Mouzels  sont 
désig.  pour  servir  en  lndo*Chine. 

COaPS    DU    COMMISSARIAT 

Quadeloiipe.  —  M.  le  cammigs,  de  2*  cl.  Bousquet  est  design,  pour  servir  à  la 
Guadeloupe. 

Qayane.  —  M.  le  eommins.  de  2«  cl.  Toussaint  esl  désig.  pour  senrir  à  la 
Guyane. 

Indo-Ohl&e.  —  M.  le  cammiss.  ppal  de  3«  cl.  JuUiot  de  la  Morandière  est  désig. 
pour  le  service  administ.  de  Halphong. 

M.  le  commise,  de  1'*  cl.  Faulon  est  affecté  au  service  admin.  du  4*  territ.  milit» 
à  Laokaj; 

M.  le  commiss.  de  i^^  cl,  Motais  est  désig.  pour  le  service  admin.  de  l'Annam,  à 
Hué. 

Sont  désignés  pour  servir  en  Indo-Chine  : 

MM.  lea  commise,  de  !>'•  cl.  Varangot  et  Véron. 

Océanie.  —  M.  le  commise,  de  2«  cl.  Sossotte  est  design,  pour  servir  à  Tahiti. 

Réunion.  ^  M.  le  commiee,  de  2«  cl.  Chabaud  est  désig.  pour  servir  à  la 
Réunion. 

HINISTÉHE   DE   LA   HARIIVE 


BTAT-MAJOR  DB  LA  FLOTTE 

Levant.  —  M.  Venseign.  de  vaies.  Lemaresquier  est  désig.  pour  embarquer  ^ur 
le  Condor f  k  Constantinople.  ^ 

Xera  d'Orient.  —  M.  le  lieui.  devaiee,  Deman  est  nommé  au  com.  de  l'Estoc. 
S  ;  M.  le  lient,  de  vaiss.  Rigal  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Montcalm. 

M.  Venseig,  de  vaise.  Jpsset  est  désig.  pour  embarq.  sur  la  Comète, 

M.  ïaspirant  de  !'•  cl.  Olive  est  désig.  pour  TExtréme^Orient. 

Ooéan  Indien.  —  M.  le  capit.  de  vaiss.  Forestier  est  nommé  au  command.  de 
la  division  navale  de  l'océan  Indien  et  de  V In  f émet, 

SBBVICB  DB   SANTÉ 

Mers  d'Orient.  —  M.  i«  méd.  de  2«  cl.  Prigent  est  désig.  pour  embarq.  sur 
la  Surpriee. 

huvistère  des  colonies 

Par  décret  en  date  du  13  janvier  1903,  ont  été  promus  et  nommés  dans  l'ordre  na- 
tional de  la  Légion  d'honneur  : 

Au  grade  d'officier, 
M.  Bloch,  directeur  au  ministère  des  Colonies. 

Au  grade  de  chevalier. 
M.  Gabelle,  chef  du  cabinet  du  ministre  des  Colonies  ; 

M.  Chambeurlant,  sous-chef  de  bureau  à  l'adm.  cent,  du  minis.  des  Colonies; 
M.  Samarj  (Paul),  gouvern.  d^i^*  cl.  des  colonies; 
M.  Paiihés,  conseiller  à  la  cour  d*appel  de  Tlndo-Chine; 
M.  Chapeljnck,  procur.  gén.  chef  du  serv.  judic.  du  Sénégal; 
M.  De  Lalande-Calan,  adinin.  de  !'•  cl.  des  serv.  civils  de  l'Indo-Chine ; 
M.  Vergnes,  admin.  en  chef  de  2«  cl.  des  colon,  à  Madagascar; 
M.  Thomann,  administ.  adj.  de  2*  cl.  des  colon,  à  la  Côte  d'Ivoire; 
M.  Galvan,  chef  de  bureau  de  1^  cl.  des  secret,  gén.  des  colonies; 
M.  Naudot.  chef  du  serv.  de  l'enregistr.  et  des  domaines  à  la  Guyane  ; 
M.  Huet,  insp.  de  i^*  cl.  de  la  garde  civile  indig.  de  Madagascar; 
M.  Depincé,  ancien  résident  de  1^^  cl.  en  Annam  et  au  Tonkin; 
M.  Cazeau  (Louis),  ingénieur  à  Hanoi  ; 
M.  Cornet  (Eruest),  industriel  à  Pondichéry  ; 
M.  Besson  (Léon),  commerçant  à  Madagascar; 
M.  Trouillet  (Jean-Paul),  publiciste; 
M.  Cousin,  membre  du  conseil  sup.  des  colonies; 
M.  Pielri  (Nicolas),  commis  de  direction  des  postes; 


BIBLIOGHAPUIIS   —   LlVRbiS   ET   REVUES  207 

M.  Bobj  de  la  Chapelle,  recev.  partie,  des  Gnances,  est  nomme  directeur  de  la 
banque  de  la  Réunion  ; 

MM.  Poroi  (Adolphe),  entrepreneur  de  travaux  publics,  et  Vincent  (Gusiav*  ,, 
ootaire.  sont  nommés  conseillers  privés  titulaires  du  conseil  privé  des  établissemerit» 
rran(,*ais  de  l'Océanie,  pour  une  période  de  deux  années;  et  MM.  Martin  (Louis),  m*- 
gociant,  Merihes  (Henri),  propriétaire,  conseillers  privés  suppléants  du  même  ccnt^oil 
pendant  la  même  période  ; 

M.  Drollet  (Edouard),  négoc.  présid.  de  la  ch.  de  commerce  de  Papeete,  uni 
nommé,  pour  une  période  de  deux  années,  délégué  au  conseil  privé  des  établi^.^t;- 
ments  français  de  l'Océanie,  pour  la  représentation  des  intérêts  des  lies  Gambief^ 
Tubual  et  Râpa; 

M.  Rognon  (Charles- Amédée),  secret,  général  du  gouvem.  de  la  Guadeloupi;,  a 
été  nommé  secret,  gén.  de  !'•  cl.  des  colonie»; 

M.  Rey  (Yictor-François-Frédéric)  est  nommé  secrétaire  général  du  gouverut?* 
ment  de  la  Nouvelle-Calédonie. 


BIBUOGRAPHIE  —  UVRES  ET  REVUES 


La  colonisation  ft^ançaise  avec  dea  obsei^vations  spéciales  sur  l'Afriiju& 
occidentale,  par  L.  Aspe-Fleurimont.  Paris,  Giard  et  Brière,  1902»  ^r. 
in -S®,  48  p.  (extrait  de  la  Revue  internationale  de  sociologie). 

Cette  brochure  est,  sous  des  apparences  modestes,  un  bon  résumé  i\e 
notre  œuvre  coloniale  et  des  conditions  où  elle  s'accomplit.  L'auteur,  cou- 
seiller  du  commerce  extérieur,  a  professé  l'an  dernier  à  Caen  un  cours 
libre  sur  la  colonisation,  et  c'est  en  quelque  sorte  la  somme  de  son  ensei- 
gnement  qu'il  livre  aujourd'hui  au  public. 

Après  avoir  établi  par  l'évolution  des  conditions  économiques  générales 
la  nécessité  où  s'est  trouvée  la  France  d'entreprendre  l'œi^vre  colonisatrice^ 
J  indique  comme  indispensable  de  compléter  l'action  politique,  aujourdhui 
terminée  à  peu  près,  par  une  mise  en  valeur  rapide  des  territoires  occupr^. 
On  tiendra  compte  naturellement  de  leurs  caractères  divers  :  colonies  do 
peuplement,  d'exploitation,  de  commerce,  mixtes,  mais  toujours  l'on  ten- 
dra, à  la  colonisation. 

Au  point  de  vue  économique,  la  première  question  est  celle  du  travail  : 
les  commerçants  ne  font  pas  travailler  au  sens  propre  du  mot,  et,  surtom 
en  Afrique,  il  nous  faut  recruter  une  main-d'œuvre  abondante,  stable  ^r 
peu  coûteuse.  Or  nous  n'en  avons  pu  créer;  la  corvée,  le  contrat  indivi- 
duel libre,  Témigration,  voire  Témigration  forcée,  ne  peuvent  sulïire.  Pcui- 
étre  serait-il  bon  de  généraliser  le  système  imaginé  par  M.  Doumer  (arn  Li* 
»iu  26  août  1899)  à  Tégard  de  la  main-d'œuvre  libre  tonkinoise  :  création  do 
livrets  de  travail  et  application  de  pénalités  à  l'ouvrier  indigène  qui  n'aurait 
pas  tenu  ses  engagements. 

L'auteur  établit  ses  conclusions  générales  :  dans  tout  notre  empire  exirsi- 
furopéen,  et  surtout  en  Afrique,  il  nous  faut  trouver  une  main-d'œuvrt* 
iboodante,  des  capitaux  importants,  un  bon  régime  terrien.  Nous  ajoutOM> 
que  l'Etat  devrait  apporter  son  concours  à  l'initiative  privée,  sans  jamai?i 
viser  à  confisquer  celle-ci. 

Ouvrages  déposés  au  bureau  de  la  Revue. 

La  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX*  siècle,  publiti^j^ 
sous  la  direction  da  P.  Piolet,  avec  la  collaboration  de  toutes  les  sociétés  de  mi>- 
siona.  —  Illustrationa  d'après  des  documents  originaux.  —  Tome  VI  et  derium. 


208  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONULKS 

Missions   d Amérique,  La  84*   livraison  vient  de  paraître.  Paris,  1903,  librairie 

A.  Colin. 
Théories  de  la  colonisation  au  XIX*>  siècle  et  rôle  de  VÈtat  dans  le  développement 

des  colonies^  par  Charles  et  Raymond  Pbty  de  Thozbe.  Un  vol.  ln-4»  de  850  pages. 

Ouvrage  couronné  par  rAcadémic  rojale  de  Belgique.  Hajez,  éditeur.  Bruxelles, 

1902. 
Le  Centenaire  de  Victor  Hugo.  Mémoires  de  la  délégation  de  la  ville  de  Prague, 

rédigés  par  Emmanuel  de  Cenkov.  Un  vol.  in-i^*.  Prague,  1902. 
Recherche  d'une  solution  de  la  question  indigène  en  Algérie,  par  Paul  Azan.  Une 

broch.  in-8*  de  88  pages.  Augustin  Challamel,  éditeur.  Paris,  1903. 
La  question  du  Maroc,  par  Jean  Hess.  Un  vol.  in-18  de  458  pages.  Dujarric  et  C<*, 

éditeurs.  Paris,  1903. 

LES  REVUES 

I.  —  REVUES  FRANÇAISES 

Annales  des  seienees  politiques  (15  janv.),  Z.  :  Les  puissances  maritimes  en 
Extrême-Orient.  —  L.  Renault  :  Un  premier  litige  devant  la  cour  d'arbitrage  de 
la  Haye.  —  P.  de  Rousiers  :  Le  congrès  de  la  houille  blanche. 

Annales  coloniales  (15  janv,  et  1«'  fév.).  Enquête  sur  le  Maroc  :  Que  djBvons- 
nous  faire? 

Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  fl^rançalse  (janv,).  La  situation  nouvelle 
au  Maroc.  —  A.-H.  Dyé  :  La  délimitation  de  l'Ethiopie.  —  Victor  Démontés  : 
Les  oasis  sahariennes.  —  Robert  de  Caix  :  Un  livre  anglais  sur  l'Ethiopie. 

Bulletin  du  Comité  de  l'Asie  Française  {Janv.),  Robert  de  Caix  :  La  poli- 
tique franco-siamoise  et  le  traité  du  1  octobre  1902.  —  Affairt^s  de  Siam.  — 
Jean  Imbart  de  la  Tour  :  Autour  de  TArabie.  —  Ed.  Paybn  :  Le  problème  mo- 
nétaire en  Indo-Chine. 

Bulletin  de  la  Société  de  géographie  de  Marseille  (3»  trim.  1902).  Paul 
Caffarbl  :  Marseille  capitale  coloniale  de  la  France.  —  Ernest  Fallot  :  le  Com- 
merce et  l'Industrie  à  Malte. 

Journal  des  Chambres  de  eommeree  (25  janv.).  Henri  Blancheville  :  Le 
commerce  français  et  les  rapports  consulaires.  —  Jules  Rueff  :  La  question  du 
métal-argent. 

Le  Mémorial  diplomatique  (11  et  iHjanv.).  B.  S.  :  La  question  macédonienne. 

La  QuIuEulne  eolonlale  (25  janv.).  J.  Chailley-Bbrt  :  Le  budget  des  colonies 
pour  1903. 

La  Réforme  économique  (18  janv.).  Ch.  Gborgeot  :  L'importation  des  ma- 
chines  étrangères.   —   P.   Vehgne   :  Les   États-Unis    et  la  culture    du    coton. 

—  (25  janv.).  D.  Aubry  :  La  loi  douanière  allemande. 

Revue  commerciale  de  Bordeaux  (16  janv.),  Henri  Lorin  :  Navigation  flu- 
viale et  reboisement.  —   (23  janv.).  Louis  Laffitte   :  Le  commerce  maritime. 

—  A.  Imbert  :  La  production  et  le  commerce  des  figues  en  Algérie. 

Revue  d'histoire  diplomatique.  C.-B.  Favre  :  Politique  et  diplomatie  de 
Jacques  Cœur.  —  P.  Coqubllb  :  La  Négociation  de  1806  entre  la  France  et 
l'Angleterre.  —  Ed.  Troplong  :  Relations  diplomatiques  de  la  France  et  de  la 
Russie  au  commencement  du  xix*  siècle. 

Revue  générale  des  sciences  (15  janv.),  J.  Machat  :  La  Géographie  physi- 
que du  Maroc. 

IL  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 

*  Revues  belges. 

Bulletin  de  la  Société  d*étndes  coloniales  (janv.).  Octave  Collet  :  Le 

tabac  à  Sumatra. 
Belgique  coloniale  (18  janv.).  R.  V.  :  La  situation  au  Maroc. 

L'AdministraUur-Oèrant  :  P.  Campain. 

PARIS.  —  IMPRIMERIE  F.   LEVÉ,  RUE  CASSETTE,   17. 


APERÇU    DE    QUELQUES    SOMMAIRES 


Somma tre  da  n*  134 

••*  :  L  œurre  française  en  Afrique  occidentale.  —  B.  Peyralbe  :  Lô  percement  du  Sim- 
p!on.  —  Xieag-L'a  :  La  défense  maritime  des  Colonies  (suite  et  fin),^  J.-U.  F.  :  Bizerle, 
d'après  une  éluàe  de  M.  Hené  Pinon, 

Cartes  fi  snvsres  :  I-  Carte  des  Toies  de  communications  entre  l'Angleterre,  la  France, 
riialie  et  le  Levant.  —  II.  Madagascar,  Maurice  et  la  Réunion.  —  Ilf.  Méditerranée 
Occideniale.' —  IV.  Afrique  Occidentale. 

Sommaire  du  n»  tSS 

Kabert  de  Caix  :  Affaire»  da  Siam.  —  J.  Denais-Darnays  :  Fédéralisme  et  socialisme 
en  Aostralaaie.  —  Heari  Lorio  :  Impressions  sur  THlspafi^e  d'aujourd'hui. 

Carten  et  gravures  :  I   La  presqu'île  de  Malacca.  —  II.  Carte  de  l'Australasie. 

Somauilre  du  n»  4  36 

***  :   Le   traité  franro-siamois.  —  Keoè  Henry  :   Le  rapprochement  franco-italien.  *-. 

Aagaste  Terrier  :  La  délimitation  de  Zinder. 
Cartes  et  Gravares  :  L  Carte  du  Siam.  —  IL  La  nouyelîe  frontière  franco-siamoise.  — 

111.  Afrique  occidentale  française,  3*  territoire  militaire. 

Sommairo  du  n<>  4  37 

Heiri  PcBsa  :  L'arenir  de  la  Tunisie.  L'industrie  européenne  et  l'industrie  indigène.  — 

**' :  L'œuvre  française  en  Afrique  Occidentale.  —  Henri  Bubler  :  Les  coulisses  du 

jangermanisme  autrichien.  —  René  Moraux  :  Lo  premier  congrès  colonial  allemand. 

Cartes  et  gravares  :  Carte  de  TAfrique  Occidentale. 

Sommaire  du  n<»  4  38 

***  :  Le  livre  jaune  et  les  affaires  de  Siam.  —  E.  Peyralbe  :  France   et  Simplon.  — 

Paal  I^bbé  :  La  région  du  fleure  Amour. 
Cartes  et  gravares  :  1.  Graphique  comparatif  des  projets  Frasne-Vallorbe  et  de  la  Fau- 

«cille.  —  IL  Carte  des  voies  d'accès  au  Simplon. 

Sommaire  du  n»  130 
Kttn  CBqaêta  :  A  propos  des  affaires  de  Siam  :    Opinions  de  MM.    Godin,  le  Comte 
«i'Aanay,  Berthelot,  Le  Myre  de  Vilers,  Denys  Cochin,  Flourens,  Senart.  et  du  journal 
Le  Temps,  —  Manriee  Baret  :  Les  Tilles  do  santé  dans  nos   Colonies.  —  Georges 
Bsklcr  :  La  lutto  tchèque-aUesnandc 

Caries  et  gravares  :  Répartition  des  nationalHés  en  Autriche-Hongrie. 

Sommaire  do  n?  140 
>etre  aiqméte  s  A  propos  des  affaires  de  Siam;  opinions  de  MM.  François  Deloncle,  lo 

UroD    d'ÊstoarneUes,  de  Constant,    OerviUe-Réache,    H.    Cordier,   Marcel  Monnier, 

C&aries  Lemiro.  ~  *'*  :  L'œuvre  française  en  Afrique    occidentale.  —  Pani  Labbé  : 

La  région  du  fleuve  Amour,  la  province  Maritime. 
Cartes  et  gravares  :  I.  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  TAfrique  occidentale. 

—  II.  La  région  du  fleuve  amour. 

Sommaire  do  n»  141 
%»iÊ%-GenÊain,  sénateur  d'Oran  :  La  question  du  Maroc.  —  Le  Myre  de  Vilers,  ancien 
député  de  la  Cochinchine  :  La  crise  de  Tardent  en  Indo^Chine.  —  *'*  :  Le  conflit 
asflo^ germano-vénézuélien.  —  René  Basset,  directeur  de  1  École  supérieure  des  Lettres 
d'.Uger  :  Le  XIII*  congrès  international  des  orientalistes  à  Hambourg. —  René  Piuon: 
La  missions  catholiques  françaises  au  six*  siècle.  —  L.  Brnnet,- député  de  la, Réunion: 
Madagascar.  —  Les  territoires  militaires. 

Cartes  et  gravares  :  Carte  du  Maroc.  —  Carte  du  Venezuela. 

Sommaire  da  a*  i  49 

*~  :  Notre  expansion  coloniale  et  les  partis  politiques.  —  René  Henry  :  La  question  de  la 
Eacêdoine. —  X.  :  La  question  du  Maroc.  —  Notre  Enquête  :  A  propos  des  atfaires  de 
Sîsa;  opinions  de  M.  G.  Chastenet,  d*nn  collaborateur  d'Ëxtréme-Orient.  du  M.  Robert 
àtC9iT{Joum€U  des  Débals);  protestation  de  TAssociation  des  écrivains  militaires, 
i^htimes  et  coloniaux,  Président,  M.  H.  Houssi^e. 

Ciftcs  et  gravares  :  I.  Péninsule  des  Balkans  :  indications  orographiques.  —  IL  La 
Tsiquie  d'Snrope.  —  III    La  Péninsule  des  Balkans  d'après  le  traité  de  San-Stcfano. 

PRIIMES    A    NOS    ABONNÉS 

Uadministratioii  de  la  Revue  se  cl^arge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
les  adiats  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
de  Paris,  pour  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  Tétranger  : 
s  adresser  directement  à  Tauministrateur  de  la  Revue,  19,  rue 
BOHAPARTE,  Paris,  VI». 


a   Cl   n   iz   a   n  a   a   a   a 


n^DENTIFRICES 


ÉLIXIR,  POUDRE  et  PÂTE 

des  RR.  PP. 


BENEDICTINS 


de  r 


de 


A.  SEGUIN,  BORDEAUX 

Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

Exposition  VaiTerseUo  Faris  1900 


MODÈLE  du  FLACON 


Cl   n   n   11   u    a   ci    u    n   li 


OLIVER 

]VIv^.OMHVE  à  ÉORITXJI^EJ  VISIBLE) 


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GOHSTIPÂTIOIV 


GuériHonî:èé^^^^WUÏÏIil  LAXATIVE  ROCHER 

certaine       IJue  cuillerée  a  café  dans  un  demi'TOrre  d'eau  le  soir  en  v 
•-M  ^j«   «AtiMA       couclianl.— Le  Fiacon  pour  une  cure.  2 fp50  franco. 
EN  10  JOURS  GUINET,  Pharmacien,  1,  Ru»  MJcheMe-Comte,  PAI11& 


Vîtt  Désiles 


Cordial  Régénérateur 

ellODlfla  les  poumoDf,  régularise  leB  battements  du  cœur,  «ctiTe  le  IrsTall  de  la  dlffett^on. 
*homme  déDilHé  7  puise  laforoe,  la  Ti^near  et  U  em&tè.  L'bomme  qui  dépense  beaucoup 
'entretient  par  lUisage  régulier  de  ce  cordial,  erucace  dans  tous  les  cas,  émioetnmeot  dl 
•rtfAMst  et  agréable  au  goût  comme  une  liqueur  de  table. 


.  d*aetlTlti« 
tSf oetif  fi 


•Anillr*  144 15  rÉYRIER  1903 

QUE  8TIO]>Sr^^ 

Diplomatiques  et  CtttOfiiies 

REVUE  DE  POLITIDUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LB    !•'    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


H    ^    I  I 


SOTVdTMLAJUElS 


% 


PAgM 


:  Fallût Le  commerce  du  Sahara 209 

i  crges  Bohier La  question  du  Venezuela 226 

l:f'ulés  FIgueiras...   Une  première  occupation  allemande   au  Venezuela 

(XVr  siècle) 240 

^:nel  Louis«Jaray. .  La  presse  politique  en  Bohême,  Moravie  et  Silésie.  245 

^âasdgnements  politiques 259 

S&aeipements  économiques 205 

feninations  olf icielles 208 

tibliographie  —  Livres  et  Revues 271 

■ne  da  Sahara 212  et  213 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
199      RlUE     BONAPARTE    -     PARIS.    6- 

Abonnement  annuel 

Fiaice et  Colonies,  15  francs;  Etranger  et  Union  postale,  20  francs. 

^^  l  Livraison  :    France  :  0,75  J     Etranger  :  1  fp. 


COIPIOIR  DATIOMl  D  WIFTE 

DE   PARIS 

Capital  :  160  millions  de  francs 

ENTIÉnEMENT   VERSÉS 


SIÈGE  SOCIAL  :  14,  ruo  Bergère 
SuccuRSALB^2,  Place  de  l'Opéra,  Paris 


Président  du  Conseil  d'administration]: 
U.  Emile  Mekcet,   O.  ^. 

Directeur  général  administrateur  ;  M.  Alexi.4  Rostakd,  0.  ig». 


OPÉRATIONS  OU  COMPTOIR  : 

Bons  à  échéance  aie,  Escompte  et  Recouvrements,  Comptes  da 
Chèques,  Lettres  de  Crédit,  Ordres  de  Bourse,  Avances  sur 
Titres,  Chèques,  Traites,  Envois  de  Ibnds  en  Province  et  à 
lEtranfçer,  Garde  de  Titre»,  Prêts  hypothécaires  maritimes, 
tjaraniie contre  lesrisquesde  remboursement  au  oair.  Paie- 
ments de  Coupons,  etc. 

AGENCES 

BOmjBAUX  DE  ÇUAmTUm  DAMS  PAAIS 

A.  U7,  boul^St-Germain- 

B.  108,  rue  de  Rivoli; 

0.  23,  bouW  Diderot. 

D.  11,  rue  Rambuteau  ; 

E.  16,  rue  deTurbigo; 

F.  21,pl.de la  République; 
G-.  24,  rue  de  Flandre  ; 
H.  2,  rue  du  -i-Septembre  ; 

1.  84,  boul**  Magenta; 
K.  92,b'«itichard.Lenoir; 
L.  86,  rue  de  Clichy; 
If.  87,  avenue  Kléber  ; 


N.  35,avenue  Mac-Mahon; 
O.  11,  b**  Montparnasse; 
P.  27,  fip  Saint. Antoine  ; 
R.53.  b-^Saint-Michel; 
S.  2,  rue  Pascal  ; 
T.  1,  avenue  de  Villiers  ; 
U.49,aT.  Champs-Elysées; 
V.  85,  avenue  d^Orléans  ; 
X.  69,  rue  du  Commerce  ; 
Y.  124,  fï'Saint  Honoré. 
Z.  89,  B'«  Haussmann. 


BmUBAUX  DB  BAMUSUB 

Asnièves  :  8,  rue  de  Paris  -  Charenton  :  50,  rue  de 
Pans,  Enohien:  47,  Grande-Rue.  Levallois- 
Perret:  3,place République.  Neuilly-sur-Seine  •  9-> 
avenue  de  Neuilly. 

AOBVCES  E«  raOVIIf CB 

Abbeville,  Agen,  Aix-en-Provence,  Alais,  Amiens,  Angouléme 
Arles,  Avignon,  Bagnères-de-Luchon,  Bagnols-sur-Cèze' 
Beaucaire,  Beaune,  Bel  fort,  Bergei-ac,  Béziers,  Bordeaux 
La  Bourboule,  Caen,  Calais,  Cannes,  Carcahsonne,  Castres 
Uvailion,  Cette,  Çhagny,  Chalon-sur-Saône,  Châleaurenard 
Uerraont-berrand,  Cognac,  Condé-sur-Noireau,  Dax  Deau- 
viile-rrouville,  Dieppe,  Dijon,  Dunkerque,  Eilieuf,  Epinal, 
Firmioy,  Fiers.  Gray,  Le  Havre,  Ha2el)rouck,Issoire,  Jarnac 
La  Ferie-Macé,  Lésignan,  Lihourne,  Lille,  Limoges.  Lyon 
Manosque.  Le  Mans,  Marseille,  Mazamet,  Mont- de-Marsan! 
Le  Mont-Dore,  Montpellier,  Nancy,  Nantes,  Narbonne.  Nice 
Çtimes,  Orange.    Orléans,    Périiueux,   Perpignan"  Reims! 


AGENCES  DANS  LES  COLO  MES  ET  PAYS  DE  PROTECTeRAT 

Tunis,  Sfax,  Sousse,  Gabés,  Majunga, 
Tamatave,  Tananarive,  Diégo-Suarez,  Mananjary. 


AOEHCES  A  L*BTBAHOEB 

Klres,  Liverpool,  Manchester,  Bombay,  Calcutta 
ar.-lrancisco,  New-Orléans,  Melbourne.  Svdnev 


Lond 
S 
Tanger, 


LOCATION  DE  COFFRES-FORTS 

Le  Comptoir  tient  un  service  de  coffrea-forts  à  la  dirjpoiiiion 
du  public,  14,  rue  Bergère,  2,  place  de  V Opéra,  Ul,  b* 
Saint  Germain,  et  dans  les  principales  Agences. 


S2 


o 


Une  clef  spéciale  unique  est  remise  à  chaque  locataire.  —  La 
combinaison  est  faite  et  changée  à  son  gré  par  le  locataire. 
—  Le  locataire  peut  seul  ouvrir  son  coffre. 

BONS  A  ÉCHÉANCE  FIXE  ' 
Intérêts  payés  lur  les  sommes  déposées  : 

DeBmoisjusqu^à  1  an.  1 1/2^  i  De  18  mois  jusqu'à  2  an8.2 1/2% 
De  1  an  jusqu'à  18  mois.2  %     |  A  2  ans  et  au  delà 3% 

Les  Bons,  délivrés  par  le  Comptoir  National  aux  taux  d'in- 
térêts ci'dessuii,  sont  à  ordre  ou  au  porteur,  au  choix  du 
Déposant.  Les  intérêts  sont  représentes  par  des  Bons  d'inté- 
rêts également  à  ordre  ou  au  porteur,  payables  semestriel- 
lement ou  annuellement,  suivant  les  convenances  du  Dépo> 
sant.  Les  Bons  de  capital  et  d'intérêts  peuvent  être  en- 
dossa et  sont  par  conséquent  négociables. 

VILLES  D'EAUX,  STATIONS  BALNÉAIRES 

Le  Comptoir  National  a  des  agences  diins  les  principales 
Villes  d'eattx:  Nice,  Cannes,  Vichy,  Dieppe,  Trouville- 
Deauville,  Dax,  Hoyat,  Le  Havre,  La  Bourboule,  Le  Mont- 
Dore,  Bagnôres-de-Luchon,eic.  ;  ces  agences  traitent  tou- 
tes les  opérations,  comme  le  siège  social  et  les  autres 
agenc<;s,  de  sorte  que  les  Etrangers,  les  Touristes,  les  Bai- 
gneurs peuvent  continuer  à  s'occuper  d'affaires  pendant 
leur  villégiature. 

LETTRES  DE  CRÉDIT  POUR  VOYAGES 

Le  Comptoir  National  d'Escomptb  délivre  des  Lettres  de 
Crédit  circulaires  payables  dans  le  monde  entier  auprès  de 
ses  agences  et  correspondants;  ces  LeUres  de  Créait  sont 
accompagnées  d'un  carnet  d'identité  et  d'indications  et  offrent 
aux  voyageurs  les  plus  grandes  commodités,  en  même 
temps  qu'une  sécurité  incontesuible. 


Silons  des  ÀccrédiUs,  Brasch  office,  2,  plice  de  l'Opéri 

Spécial  department  for  iravellers  and  letters  of  crelit  Lugga- 
ges  stored.  Lctiersof  crédit  cashcd  anddaiivcrcd  throughout 
ihe  world.  —  Exchange  oflTice. 

Tue  Comptoir  National  receivcs  and  seuls  on  parsels 
addressed  lo  them  in  the  name  of  tb^iir  clients  or  beirere  of 
crédit. 


QUESTIONS 

DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 


LE    COMMERCE   DU  SAHJ^À  " 

Depuis  Tantiquité  la  plus  reculée,  les  nations  de  TAsie  ou  de 
FEurope  ont  entretenu  des  relations  commerciales  avec  la  partie 
da  continent  africain  à  climat  tropical,  que  Ton  connaît  sous 
le  nom  de  Soudan.  Le  plus  ancien  des  historiens,  Hérodote, 
qui  vivait  au  v*  siècle  avant  notre  ère,  a  conservé  le  récit  du 
voyage  effectué  dans  ces  régions  par  cinq  jeunes  gens  de  la 
peuplade  des  Nasamons,  qui  nomadisait  entre  la  Grande-Syrte 
et  I  oasis  d'Aoudjila.  En  véritables  précurseurs  des  explorateurs 
modernes,  ces  jeunes  gens,  poussés  par  l'amour  des  découvertes, 
s'enfoncèrent  dans  le  Sahara,  dans  la  direction  du  Sud-Ouest. 

*  Ils  franchirent  un  vaste  espace  sablonneux,  et  après  bien  des 

*  jours  de  naarche,  ils  aperçurent  dans  une  plaine  des  arbres 
-  venus  naturellement*.  »  Le  pays  était  habité  par  des  nègres 
qu'ils  prirent  pour  des  enchanteurs.  Faits  prisonniers,  ils  tra- 
versèrent une  région  de  marécages  et  arrivèrent  dans  une  ville, 
bâtie  auprès  d'un  grand  fleuve,  habité  par  de  nombreux  croco- 
diles, qui  coulait  de  l'Ouest  à  l'Est,  et  qu'Hérodote  prit  pour  la 
branche  supérieure  du  Nil.  On  se  trouve  évidemment  en  pré- 
sence du  récit  d*un  voyage  au  Soudan  .et  aux  rives  du  Niger  *. 

Les  relations  avec  le  pays  des  nègres  ont  continué  sans  inter- 
ruption à    travers  les   siècles.   Leur  point   de  départ  unique 

I  Histoires  d'Hérodote,  II,  32. 

•  Un  ««Tant  commentateur  de  ce  texte,  M.  Vivien  de  Saint-Martin,  prétend  que 
les  Nasamons  visitèrent  l'oasis  d'Ouargla.  La  direction  suivie  par  les  voyageurs,  la 
description  du  pajs  visité,  la  mention  d'un  fleuve  analogue  au  Nil,  l'observation 
relative  à  Texistence  d'arbres  «  venus  naturellement  »,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  du 
psilinier,  tout  proteste  contre  cette  interprétation.  L'impression  rapportée  par  les 
Nasamons  d'une  contrée  où  tout  était  nouveau  pour  eux  et  leur  paraissait  merveil- 
kax,  qui  les  portait  à  se  demander  s'ils  n'avaient  pas  rêvé,  s*ils  n'avaient  pas  été 
les  jouets  de  puissants  enchanteurs,  est  très  naturelle  chez  les  premiers  explorateurs 
da  Soudan.  Elle  ne  s*exp tiquerait  pas  si  les  Nasamons  avaient  vi.«ité  Ouargla,  où  ils 
n'aaraieat  rien  trouvé  qui  différât  sensiblement  de  ce  qu'ils  voyaient  chaque  année  à 
Aoudjila  Un  voyageur  contemporain,  M.  Emile  Baillaud,  a  écrit  récemment  :  «  Le 
Niger  »cra  pour  moi  une  de  ces  contrées  d'où  Ton  revient  comme  d'un  rêve.  »  {Sur 
Uf  routes  du  Soudan^  p.  89.)  N'est-ce  pas  la  même  idée,  exprimée  à  vingt-cinq 
»êdes  d'iotenralle,  sous  la  forme  propre  à  chacune  des  deux  époques  ? 

QtxiwT.  DiPL.  BT  Col.  —  t.  xv.  —  n»  144.  —  15  février  1903»  14 


210  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  JST  COLONULES 

a  été  jusqu'à  une  époque  assez  récente  l'Afrique  méditerra- 
néenne, la  Berbérie,  où  les  peuples  civilisés  d'Asie  et  d'Eu- 
rope se  sont  établis  de  très  bonne  heure,  parce  qu'ils  y  ont 
trouvé  un  climat  et  un  sol  presque  identiques  à  ceux  de  leur 
pays  d'origine.  De  là  ils  dominaient  les  routes  qui  gagnent  le 
Soudan  à  travers  le  Sahara,  cet  immense  désert  interposé 
comme  une  barrière  ininterrompue  qui  se  dresse  entre  les  pla- 
teaux de4a  Berbérie  et  les  vastes  plaines  et  les  larges  vallées  du 
Soudan.  Depuis  l'antiquité,  l'Afrique  Mineure  a  servi  de  base 
d'opérations  aux  transactions  commerciales  entretenues  aVec  le 
Soudan.  C'est  par  l'intermédiaire  des  caravaniers  que  Ton  a 
obtenu  les  premiers  renseignements  sur  ce  pays  des  noirs,  si 
longtemps  mystérieux  et  qui  vient  seulement  de  livrer  ses  der- 
niers secrets. 

Ce  commerce  transsaharien,  dont  on  a  souvent  exagéré  l'im- 
portance, a  été  cependant  assez  considérable  pour  faire  la  fortune 
d'Ouargla,  qui  fut  une  grande  ville  au  xiv*  siècle  de  notre  ëre, 
et  celle  de  Djerba  jusqu'au  milieu  du  xix"  siècle,  et  pour  amener 
de  nos  jours  la  prospérité  de  Tripoli.  Depuis  une  trentaine 
d'années  il  a  subi  une  décroissance  presque  continue  sous  Tin- 
fluence  de  trois  causes  différentes  :  le  manque  de  sécurité  des 
routes  qu'il  devait  parcourir;  les  révolutions  successives  et  les 
guerres  dévastatrices  dont  le  Soudan  a  été  le  théâtre  ;  enfin 
l'ouverture  de  courants  commerciaux  concurrents  dirigés  vers 
la  côte  occidentale  depuis  que  des  comptoirs  européens  s'y  sont 
établis  et  que  leur  zone  d'action  s'est  étendue  progressivement 
vers  l'intérieur  du  continent.  De  ces  trois  causes  de  décadence, 
la  seconde  disparait  par  suite  de  la  pacification  du  Soudan  ;  la 
première  est  appelée  à  s'atténuer  de  plus  en  plus  à  mesure  que 
la  France  remplira  mieux  dans  le  Sahara  la  mission  de  police 
dont  elle  a  accepté  la  charge  par  les  arrangements  internatio- 
naux qu'elle  a  signés  ;  la  troisième  au  contraire  est  permanente 
et  prendra  chaque  jour  plus  de  force.  Plus  la  colonisation  euro- 
péenne s'affermira  dans  le  Soudan,  plus  elle  développera  les 
moyens  de  transport  et  les  voies  de  communication,  et  plus  les 
ports  de  la  côte  occidentale  verront  leur  trafic  s'accroître.  Est-ce 
à  dire  que  la  totalité  des  produits  du  Soudan  prendront  cette 
voie  nouvelle,  et  que  l'antique  commerce  des  caravanes  dispa- 
raîtra complètement  devant  les  progrès  de  la  colonisation  euro- 
péenne au  Soudan  ?  Cette  opinion  rencontre  depuis  quelques 
années  de  nombreux  partisans.  Elle  ne  semble  pas  cependant 
pleinement  justifiée.  En  effet,  chacun  des  ports  qui  seront  amé- 
nagés sur  la  côte  occidentale  deviendra  évidemment  le  centre 
d'une  zone  d'attraction  pour  les  produits  à  exporter  et  de  distri- 


LE  COBfMERGE   DU   SAHARA  211 

bution  pour  les  produits  à  importer.  Mais  Tétendue  de  cette 
zone  ne  sera  pas  illimitée;  elle  sera  déterminée  par  des  condi- 
tions de  topographie  locale  et  aussi  par  des  copditipns  écono- 
miques, telles  que  le  coût  des  transports  comparé  à  la  valeur 
des  marchandises.  Certaines  régions  éloignées  de  la  mer,  et  par 
conséquent  voisines  du  désert,  auront  probablement  toujours 
a^^ntage  à  utiliser  les  voies  septentrionales.  Il  serait  d'ailleurs 
bien  étrange  que  le  résultat  de  rétablissement  de  la  civilisation 
européenne,  à  la  fois  dans  les  pays  situés  au  Nord  et  dans  ceux 
situés  au  Sud  du  Sahara,  fût  de  mettre  lin  aux  relations  entre 
ces  pays  qui,  malgré  des  difficultés  énormes,  avaient  toujours 
existé  auparavant.  S'il  en  était  ainsi,  la  colonisation  de 
TAfrique  aurait  pour  conséquence  de  rendre  infranchissable  la 
barrière  désertique  qui  coupe  le  continent  en  deux  parties,  et  de 
plonger  dans  une  mort  définitive  et  irrémédiable  toute  une 
région  du  globe.  Cette  victoire  admirable  de  Thomme  sur  la 
nature  indomptée,  que  des  sauvages,  réduits  à  leurs  seules 
forces,  ont  su  remporter  pendant  des  siècles  en  traversant  le 
Sahara,  la  civilisation  y  mettrait  un  terme  en  la  rendant 
inutile  !  Une  telle  supposition  est  inadmissible. 

Certainement  l'avenir  du  commerce  saharien  est  limité  ;  il  est 
peu  de  chose  si  on  le  met  en  parallèle  avec  les  perspectives  infi- 
nies qui  s'ouvrent  devant  celui  de  la  côte  occidentale.  Mais  il  ne 
disparaîtra  pas.  La  colonisation,  qui  apporte  avec  elle  le  progrès 
partout  où  elle  s'installe,  ne  peut  pas  tarir  la  seule  source  de  vie 
qui  existe  dans  la  plus  grande  partie  de  ces  contrées  déshéritées  : 
le  coinmerce  de  transit. 

Il  serait  même  regrettable  de  voir  se  produire  cette  éventua- 
lité que  quelques-uns  envisagent  avec  sérénité.  Dans  une 
région  aussi  pauvre  que  le  Sahara,  où  la  culture  n'est  possible 
que  sur  les  espaces  restreints  que  couvrent  les  oasis,  le  com- 
merce de  transit  —  avec  l'industrie  des  transports  et  Félevage 
des  bétes  décharge  qui  en  découlent  — est  le  seul  moyen  d'exis- 
tence honnête  que  puissent  connaître  les  populations.  Si  nous 
voulons,  comme  nous  en  avons  accepté  la  tâche  difficile,  y  faire 
régner  une  sécurité  au  moins  relative  et  mettre  fin  au  brigan- 
dage, nous  avons  un  intérêt  politique  de  premier  ordre  à  favo- 
riser le  maintien  de  courants  commerciaux  réguliers  entre  le 
Soudan  et  TAIgérie-Tunisie.  La  question  du  commerce  saharien 
mérite  l'attention  de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'avenir  de 
notre  empire  africain.  Pour  la  traiter  utilement,  il  est  néces- 
saire de  ne  pas  se  laisser  égarer  par  les  mirages  nés  dans  l'ima- 
gination de  certains  voyageurs  enthousiastes,  mais  de  réduire 
les  choses  à.  leurs  proportions  exactes  et  de  se  placer  sur  le  ter- 


CARTE 

DU 

SAHARA 


214  QUESTIONS     DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

rain  solide  de  la  réalité,  le  seul  qui  convienne  aux  commerçants 
et  aux  hommes  d'affaires.  C'est  dans  cet  esprit  que  j'ai  eu 
l'occasion  de  l'étudier  dans  l'extrême  Sud  de  la  Tunisie,  au 
cours  de  deux  missions  successives  que  m'avait  confiées  le 
Gouvernement  du  Protectorat.  L'enquête  à  laquelle  je  me  suis 
livré,  dans  cette  partie  reculée  et  rarement  visitée  de  nos  posses- 
sions, m'a  conduit  à  la  conviction  que,  si  le  commerce  français 
ne  doit  pas  compter  sur  le  Sahara  pour  édifier  de  grandes  et 
rapides  fortunes,  il  aurait  tort  cependant  de  négliger  complète- 
ment ce  pays,  et  que,  s'il  sait  utiliser  avec  prudence  et  sagacité 
les  éléments  qui  sont  à  sa  disposition,  il  y  trouvera  une  rému- 
nération avantageuse  de  ses  capitaux. 


On  a  souvent  comparé  le  Sahara  à  une  mer.  Cette  compa- 
raison, qui  était  devenue  classique,  vérification  faite  par  de 
nombreux  explorateurs,  s'est  trouvée  inexacte  au  point  de  vue 
topographique.  Elle  ne  peut  s'appliquer  qu'aux  régions  recou- 
vertes de  dunes  de  sable,  éveillant  assez  exactement  l'idée  de 
vagues  furieuses  subitement  solidifiées,  qui  n'occupent  qu'uoe 
faible  partie  de  la  superficie  totale  du  Grand  Désert.  Mais  si  l'on 
se  place  au  point  de  vue  économique,  on  est  frappé  de  voir  la 
vieille  comparaison  revêtir  un  caractère  frappant  de  vérité. 
Comme  l'Océan,  le  Sahara  est  un  immense  espace  inutilisable 
pour  l'industrie  humaine,  que  l'on  traverse  sans  y  séjourner, 
au  milieu  duquel  les  seuls  points  habitables  et  exploitables, 
disséminés  comme  des  îles,  sont  les  oasis.  Les  pays  qui  l'envi- 
ronnent au  Nord  et  au  Sud  jouent  le  rôle  de  véritables  rivages, 
et  les  villes  où  aboutissent  les  caravanes  après  la  pénible  tra- 
versée du  désert  sont  appelées,  dans  le  langage  imagé  des 
Arabes,  des  ports.  Les  oasis,  seuls  lieux  de  culture  et  d'habita- 
tion permanente,  sont  des  escales  de  ravitaillement;  quand  les 
caravanes  les  ont  quittées,  elles  sont  abandonnées  à  elles- 
mêmes,  livrées  à  leurs  seules  forces  et  à  leurs  ressources  pro- 
pres, exactement  comme  un  navire  en  pleine  mer.  Elles  ne 
peuvent  compter,  pour  ne  pas  mourir  de  faim,  que  sur  les 
vivres  qu'elles  transportent  avec  elles  ;  elles  doivent  même  se 
munir  de  l'eau  nécessaire  à  leur  subsistance  pendant  un  nombre 
de  jours  qui  atteint  quelquefois  dix  à  douze.  Comme  aux 
époques  où  la  sécurité  des  mers  n'était  pas  assurée,  elles  sont 
obligées  de  se  protéger  par  une  force  armée  capable  de  résister 
aux  attaques  des  pirates. 

Ces  rapprochements  permettent  de  se  rendre  compte  des  con- 
ditions exceptionnelles  dans  lesquelles  s'exerce  le  commerce  du 


LK  COMMERCE  DU   SAUARA  2lt^ 

Sahara.  Elles  amènent  à  établir  une  distinction  nécessaire 
nlre  les  transactions  qui  ont  pour  objet  Tapprovisionnement 
>>  escales,  sorte  de  commerce  local,  et  celles  qui  poursuivent 
les  échanges  entre  les  deux  rives  de  Tocéan  saharien,  véritable 
'.runierce  de  transit. 

Les  oasis,  qui  sont  pour  les  caravanes  de  simples  échelles, 
^at  les  seuls  points  cultivés  du  Sahara.  Elles  sont  habitées  par 
ne  population  sédentaire  et  agricole  relativement  dense,  qui, 
T  suite  des  conditions  climatériques  et  agronomiques  du 
.  ys  ne  peut  produire  qu'une  partie  des  denrées  qu'elle  con- 
-  mme,  et  ne  sait  pas  fabriquer  les  objets  manufacturés  qu'elle 
oiploie.  Ces  cultivateurs  des  oasis,  attachés  au  sol  par  les  tra- 
.  aï  incessants  que  nécessite  son  exploitation,   ont  donc  été 
ilurellement  conduits  à  échanger  la  datte  qu'ils   produisent 
' .  abondance,  et  qui  occupe  une  des  premières  places  dans 
ilimentation  de  tous  les  indigènes  de  l'Afrique  du  Nord,  contre 
>  grains,  la  viande  de  boucherie,  la  laine,  et  les  mille  pro- 
:iil>(le  l'industrie  humaine  que  leur  apportent  chaque  année, 
■r]  moment  de  la  récolte,  les  nomades  de  la  lisière  du  Sahara, 
'^habitants  du  littoral  de  l'océan  désertique,  éleveurs  et  com- 
j  nranls,  intermédiaires  forcés  entre  les  cultivateurs  des  oasis 
■\  ^01  du  Tell  méditerranéen,  vivent  sous  la  tente  et  se  dépla- 
ît par  tribus  entières,  avec  leurs  familles  et  leurs  troupeaux, 
- jpant  l'hiver  dans  le  voisinage  des  forêts  de  palmiers,  où 
i-hamidité  relative  permet  à  leur  bétail  de  trouver  un  peu 
'  î'iarriture,   pendant  qu'ils  s'approvisionnent  de  dattes,  et 
M'Qtant  Tété  sur  les  plateaux  du  Nord,   où  ils  trouveront 
:  re  des  pâturages  et  où  ils  se  procureront  les  céréales  et  les 
iîrr^  marchandises  dont  ils  <ftit  besoin  pour  la  campagne  pro- 
S'ine. Tel  est  le  tableau  que  présente  le  mouvement  de  la  vie 
'  numique  dans  le  Sahara  septentrional,  où  se  trouvent  tous 
-^^Tands  groupements  d'oasis  :  Sous  et  Oued-Noun,  Tafilet  et 
• -ui^,  Gourara,  Touat   et  Tidikelt,  Mzab  et  Ouargla,  Zibàne 
Oued-Rir,     Sour   et  Djerid,  Nefzaoua,   Gabès,  Djerba  *    et 
-^•/i>,  Fezzàne  tripolitain.  C'est  dans  la  partie  de  l'immense 
Wdra  qui  dépend  de  notre  Algérie  que   le  mouvement  des 
fî^nges  locaux  a  été  le  mieux  étudié.  On  a  recueilli  quelques 
i'Tres  qui   permettent  d'apprécier  l'importance  des  transac- 
Q>  effectuées  par  les  tribus  du  Sud  oranaîs,  Harayane,  Trafi, 
liied  Sidi  Cheikh,  etc.,  dans  leur  déplacement  annuel  vers  le 
nrara  et  le  Touat.  Le  général  Colonieu  estimait  à  17.000  cha- 
a^raux  et  à  environ  4.000  hommes  et  1.400  femmes  et  enfants 

'  B.eii  qofi  Djerba  soit  une  tle,  son  rôle  économique  est  celui  d'une  véritable  oasis. 


216  OUfiSTIONS   DIPLOMATIQUBS  ET  COLONIALES 

le  nombre  des  botes  et  des  gens  qui  avaient  fait  le  voyage  en 
1860  \  Une  statistique  dressée  par  les  bureaux  arabes  et  <îitée 
par  M.  Schirmer*,  d'après  le  journal  le  Temps^  établit  que 
<r  3.411  hommes  et  14.194  chameaux  sont  allés  d'Algérie  au 
«  Touat  en  1886-1887  :  ils  y  ont  importé  pour  427.000  francs 
«  de  denrées  alimentaires  et  de  laine,  et  en  ont  rapporté  des 
e  dattes  pour  976.000  francs.  Il  est  des  années  où  les  échanges 
a  sont  encore  plus  considérables.  »  Ce  commerce  représentait 
donc  une  somme  de  1.500.000  francs  à  2  millions  avant  l'occu- 
pation des  oasis  par  les  troupes  françaises.  Mais  les  troubles 
qui  ont  accompagné  la  conquête,  pendant  les  années  1900  et 
1901,  ont  momentanément  interrompu  les  transactions.  Elles 
n'ont  repris  que  dans  l'hiver  de  1901-1902.  Pendant  cette  cam- 
pagne, 2.344  personnes,  dont  1.851  hommes,  358  femmes  et 
135  enfants,  ont  fait  le  voyage  du  Gourara  ;  7.752  chameaux 
ont  été  employés  aux  transports.  La  valeur  des  produits  impor- 
tés dans  les  oasis  a  été  de  243.804  francs  et  celle  des  produits 
exportés  de  401.715  francs'.  Le  total  n'est  que  de  650.000  fr.  ; 
il  est  inférieur  de  plus  de  moitié  à  celui  qui  avait  été  constaté 
antérieurement.  Cette  diminution  est  la  conséquence  de  la 
misère  que  deux  années  de  troubles  ont  répandue  dans  les 
oasis;  le  retour  de  la  paix  et  de  la  tranquillité  y  mettra  un 
terme. 

Sur  la  lisière  méridionale  du  Sahara,  ie  commerce  revêt  une 
physionomie  différente.  Dans  cette  partie  du  désert  qui  est  la 
plus  rude,  on  ne  trouve  pas  les  grandes  palmeraies  du  Nord. 
Aussi  la  datte  n'est-elle  plus  le  principal  objet  des  transactions. 
Elle  est  remplacée  par  un  autre  produit  naturel,  le  sel,  qui  ne  se 
.  trouve  nulle  part  au  Soudan,  êft  qui  s'y  vend  à  des  prix  très 
élevés,  1  franc  le  kilogramme  sur  certains  points.  Deux  gise- 
ments de  ce  condiment  précieux  sont  exploités  au  Sahara  : 
celui  de  Taoudeni  dans  la  partie  occidentale  du  désert,  et 
celui  de  Bilma  dans  la  partie  centrale.  Il  est  exploité  en  plaques 
semblables  à.  de  grandes  dalles,  pesant  de  25  à  45  kilogrammes. 
Le  sel  extrait  du  premier  est  amené  par  les  Berabich  à  Tom- 
bouctou,  qui  joue  sur  le  rivage  méridional  du  Sahara  et  pour  la 
grande  vallée  du  Niger  le  rôle  de  port.  Il  y  arrivait  autrefois, 
a-t-on  assuré  à  M.  Dubois,  de  50  à  60.000  chameaux  par  an. 
Pendant  Tannée  qui  a  suivi  notre  occupation,  ce  nombre  est 
tombé  à  14.000*.  Mais  ces  chiffres  ne  s'appliquent  pas  unique- 

i  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie^  1892,  p.  37. 

«  Le  Saharay  p.  3&i. 

8  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  d'Alger,  2»  trimestre  1902,  p.  244  et  suiv. 

^  Tombouctou  la  MyslérieiMe,  par  Fklix  Dubois,  p.  290. 


XE  COMMERCE  DU   SAHARA  217 

ment  au  commerce  du  sel.  Le  Soudan  central  s'approvisionne 
(Je  sel  à  Bîlma,  dans  l'oasis  de  Kaouar,  à  peu  près  ^  moitié 
routeentre  lePezzâne  et  le  Tchad.  Il  est  transporté  sur  les  grands 
marchés  de  cette  région  (Zinder,  Sokoto,  Kano,  autrefois 
Kouka)  par  les  Touareg  Kel-Oui  de  TAïr  ou  par  les  Tibbous  du 
Tibesti.  On  sait  que  ce  produit  donne  lieu  à  des  transactions 
considérables,  mais  on  ne  possède  aucun  chiffre  permettuni 
d'en  apprécier  Timportance  *.    . 

Très  différent  est  le  commerce  de  transit  à  travers  le  Sahara, 
qui  se   propose  d'effectuer  des   échanges  entre    l'Afrique  du 
\ord  méditerranéenne  et  les  contrées  du  Soudan,  comme  on  eu 
lait  ailleurs  entre  l'Europe  et  l'Amérique.  C'est  par  cette  unique 
voie  que,  jusqu'à  une  époque  très  récente,  le  bassin  supérieur 
du  Niger,  les  pays  haoussa  du  Soudan  central  et  les  Etats  des 
rives  du  Tchad  ont  été  approvisionnés  en  produits  européens, 
tels  que    cotonnades,  soieries,  étoffes  de  drap,  chaussures  *?t 
••oiffures  arabes,  coutellerie,  mercerie,  parfumerie,  verroterie, 
bimbeloterie,  bougies,  savon,  thé  et  sucre.  Ce  n'est  que  depuis 
une  vingtaine  d'années  que  ces  divers  produits  commencent  à 
arriver  également  au  Soudan  par  la  côte  occidentale.  En  paie- 
ment de  ces  marchandises,  les  pays  noirs  ont  pendant  long- 
temps surtout  donné  des  esclaves  qui  alimentaient  non  seule- 
ment le  Maroc,  l'Algérie,  la  Tunisie,  la  Tripolitaine  et  l'Egypte, 
aiais  aussi  l'Asie  Mineure  et  la  Turquie.  Depuis  que  les  mar- 
iés du  Nord  se  sont  successivement  fermés  à  ce  commence 
krbare,  et  depuis  que  la  conquête  du   Soudan    en   suppri- 
aiant  la  traite  empêche  même  l'exportation  clandestine   des 
^aves,  les  caravanes  qui  apportent  les  produits  européens  ne 
trouTcnt  plus  en  échange  que  de  la  poudre  d'or,  de  l'ivoire,  des 
plumes  d'autruche,  de  la  cire  et  des  cuirs.  Cette  pénurie  de 
Diarchandises  à  exporter  du   Soudan  est  probablement  l'une 
des  principales  causes  de  la  diminution  qui  s'observe  dans  Tîni- 
portance  du  commerce  transsaharien.    Mais  on  peut  prévoir 
qalln'y^i^q^'^^^  circonstance  passagère,  car  à  mesure  qu<?  le 
Soudan  pacifié  sera  l'objet  d'une  exploitation  économique  pins 
ntionnelle  et  mieux  entendue,  de  nouveaux  produits  viendront 
certainement  prendre  la  place  de  l'esclave  dans  les  mercuriales 
dn  pays.  Ce  phénomène  s'est  déjà  manifesté  dans  les  régions 
voisines  de  la  côte  occidentale. 

Le  commerce  transsaharien  n'est  pas  fait,  comme  celui  des 
♦>asis  septentrionales,  par  des  populations  entières  qui  se  déplM- 
cent  suivant  les  saisons  avec  leurs  familles  et  leurs  troupeaux. 

'  n  faut  mentionner  également  la  Sebkha  d'Ijil,  au  nord  de  l'Adrar,  dont  le  âcl 
pénètre  aa  Soudan  par  les^  deux  importants  marchés  de  Nioro  et  de  Banamba: 

14' 


218  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

Il  est  entre  les  mains  de  grands  négociants,  véritables  arma- 
teurs, qui  ne  quittent  pas  les  ports  sahariens,  et  qui,  au  lieu 
d^affréter  des  navires,  louent  ou  achètent  des  chameaux  de 
charge  pour  transporter  leurs  marchandises  à  travers  le  désert. 
Telle  est  par  exemple  la  maison  Arbib,  de  Tripoli,  qui  a  une 
succursale  à  Manchester  pour  Tachât  des  cotonnades  qu'elle 
expédie  au  Soudan.  Ces  négociants  sont  obligés  de  disposer 
d'importants  capitaux,  car  les  opérations  engagées  sont  toujours 
à  longue  échéance  :  une  caravane  reste  en  moyenne  dix-huit 
mois,  et  parfois  plusieurs  années,  avant  de  revenir  à  son  point 
de  départ.  Les  agents  d'exécution  sont  d'abord  le  chef  de  cara- 
vane et  les  chameliers  qui  sont  les  employés  ou  les  associés 
du  négociant,  propriétaire  des  marchandises.  Mais  pour  effec- 
tuer une  traversée  aussi  dangereuse  que  celle  du  grand  désert, 
il  faut  avoir  recours  à  des  guides  capables  d'indiquer  les  routes 
et  les  points  d'eau,  qui  varient  avec  les  années,et  à  des  hommes 
armés  en  état   de    protéger  hommes  et  marchandises  contre 
les  attaques  des  pillards.  Ce  métier  est  fait  par  les  nomades 
sahariens,  pour  la  plupart  touareg,  dont  c'est  la  seule  indus- 
trie. Lorsque  le  salaire  qu'ils  retirent  de  la  conduite  des  cara- 
vanes est  insuffisant  pour  les  faire  vivre,  leurs  exigences  à 
l'égard  des  voyageurs  à  leur  merci  n'ont  plus  de  limites  et  ils 
finissent  par  n'avoir  plus  d'autre  ressource  que  le  vol.  Chacune 
des  grandes  routes  du  Sahara  est  ainsi  placée  sous  la  domina- 
tion d'un  groupe  de  tribus  qui  exploite  les  droits  de  passage  sur 
toute  l'étendue  de  son  territoire,  et  qui  souvent  se  livre  à  des 
razzia  (incursions    de  pillage)   sur   les  territoires  des    autres 
tribus. 

Les  routes  par  lesquelles  on  peut  franchir  le  grand  désert  d'un 
bord  à  l'autre  sont  en  nombre  restreint;  la  nature  elle-même 
les  a  pour  ainsi  dire  tracées  en  accumulant  partout  ailleurs  des 
obstacles  sous  les  pas  des  voyageurs  :  absence  de  l'eau  nécessaire 
à  la  vie  des  hommes  et  des  bêtes,  absence  du  fourrage  néces- 
saire à  Talimentation  des  animaux,  dunes  de  sables  mouvants, 
montagnes  arides  et  escarpées,  plateaux  pierreux  dépourvus  de 
toute  végétation  qu'on  appelle  «  hamada  »,  et  que  redoutent 
particulièrement  les  pieds  des  chameaux,  etc.  C'est  en  recher- 
chant les  points  d'eau  les  plus  rapprochés  les  uns  des  autres,  en 
évitant  le  plus  possible  les  dunes  et  les  hamada,  que  les  cara- 
vanes arrivent  à  accomplir  ce  pénible  voyage.  Le  nombre  des 
routes  dont  il  est  presque  impossible  de  s'écarter,  pour  faire  la 
traversée  du  Sahara  se  réduit  à  cinq.  La  plus  occidentale  a  son 
point  d'aboutissement  sur  l'Atlantique,  à  Mogador.  Mais  en 
réalité  les  caravanes  ne  se  forment  qu'au  Sud  de  l'Atlas,  dans 


LE  COMMERCE  DU   SAHARA  219 

I  oasis  de Tendouf.  Le  voyage  dure  cinquante-cinq  jours.  II  faut 
traverser  plusieurs  régions  de  dunes,  entre  autres  celles  d'Iguidi.  | 
Leiplorateur  Lenz,  qui  a  fait  ce  voyage,  est  resté  à  deux  I 
reprises  sept  jours  sans  rencontrer  d'eau  *.  C'est  à  Tombouctou 
quesi  le  point  d'arrivée  au  Soudan.  Cette  ville,  placée  sur  la 
lisière  du  Sahara,  à  la  partie  septentrionale  du  grand  coude  du 
%er,  est  le  lieu  d'échange  des  produits  du  Soudan  occidental  et 
de  ceux  qui  viennent  du  Nord  par  le  désert.  M.  Félix  Dubois 
évaluait,  en  1896,  à  20  millions  l'importance  du  commerce  de 
vtte  ville  *.  Mais  dans  ce  total,  dont  on  ne  connaît  pas  le  détail, 
.'•>  échanges  locaux,  le  sel  en  particulier,  occupent  de  beaucoup 
3  première  place.  II  est  probable  que  la  part  du  commerce  trans- 
•iharien  est  fort  peu  élevée.  L'évaluation  plus  récente  de  M.  Bail- 
iud  '  ne  dépasse  pas  4  millions,  non  compris  le  riz  qui  fait  l'ob- 
;  t  de  transactions  importantes.  Dans  ce  chiffre  le  commerce  du 
>ahara  ne  compte  que  pour  125.000  francs.  D'après  un  rapport 
i'^  M.  Lacoste,  consul  de  France  à  Mogador  \  la  grande  caravane 
tTombouctou  arrivée  à  Tendouf  en  1887,  avant  l'établissement 
i^s  postes  français  sur  le  Niger,  apportait  pour  un  million  de 
marchandises,  dont  environ  100.000  francs  d'esclaves,  autant 
!  ivoire  et  430.000  francs  de  plumes  d'autruche.  De  Tombouctou 
[•art  une  autre  route  plus  orientale,  qui  gagne  en  quarante-cinq 

lurs*  les  oasis  du  Touat  à  travers  le  Tanezrouft,  Tune  des  parties 
•^  plus  déshéritées  du  Sahara,  où,  d'après  des  renseignements 
-ligènes,  on  reste  de  sept  à  huit  jours  sans  eau.  Du  Touat  elle 
lignait  l'Algérie,  soit  à  Ouargla  par  la  vallée  de  l'Oued-Miya, 
^  :t  à  TlemOen  par  la  vallée  de  l'Oued-Saoura  et  Figuig.  Cette 
rute  était  suivie  par  les  pèlerins  de  la  Mecque.  Au  point  de  vue 
•xmmercial,  elle  était  entre  les  mains  des  Mozabites  qui  ont 
mployé  leurs  bénéfices  à  créer  les  jardins  du  Mzab,  dans  une 
!-*>  parties  plus  sauvages  du  Sahara.  Depuis  que  la  France  a 
^ii>  fin  en  Algérie  au  commerce  des  esclaves,  les  quelques 
aarchandises  arrivées  à  In-Salah  par  cette  voie  gagnaient  Fez 
MT  le  Tafilety  et  plus  rarement  Tripoli  par  Rhadamès.  L'occu- 
;«itioa  du  Touat  a  achevé  de  tarir  —  momentanément,'  il  faut 
'opérer  —  tout  trafic  avec  le  Soudan.  Les  trois  dernières  routes 
îînssahariennes  mettent  en  relations  le  Soudan  central  et  la 
'•^eion  du  Tchad  avec  le  littoral  de  la  Méditerranée  dans  la  partie 

'  Efitre  Bir  Tarmanan  et  Taoadeni  et  entre  Bir  Oiman  et  Ara«uan.  Tombouctou^ 

II  p.  48  et  saÎT. 

•  TùfiAouetou  Ut  Mystérieuse,  p.  305. 
^  Sw  le$  routes  du  Soudan,  p.  122. 
^  (^té  par  ScBiRMER,  Le  Sahara,  p.  359. 
'  l^apréa  nn  itinéraire  recueilli  par  Larobau.   Le  Sahara,  premier  voyage  d^ex- 

Mofotiofi,  p.  364. 


2^0  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  £T   CCMLONULES 

OÙ  cette  mer/pénétrant  profondément  dans  le  continent,  découpe 
les  golfes  de  Gabès  et  de  la  Syrte.  C'est  du  fond  de  ces  baies, 
qui  réduisent  dans  des  proportions  très  sensibles  la  distance  à 
parcourir,  qu'est  toujours  parti  le  courant  commercial  le  plus 
actif  à  destination  du  Soudan.  Pendant  des  siècles  Tile  de 
Djerba,  admirablement  située  dans  la  partie  la  plus  méridionale 
du  golfe  de  Gabès  et  habitée  par  une  race  de  marchands  incompa- 
rables, a  été  le  principal  débouché  du  Soudan  sur  la  Méditer- 
ranée et  le,  port  des  échanges  entre  le  Maghreb  et  l'Orient.  Cette 
lie  au  climat  merveilleux,  dont  les  Romains  avaient  déjà  fait 
une  sorte  de  ville  d'hiver,  devint,  lorsque  la  civilisation  arabe, 
eut  pris  possession  de  l'Afrique  du  Nord,  TuiLe  des  plus  impor- 
tantes places  commerciales  du  bassin  méditerranéen.  La  vie 
fastueuse  que  menaient  les  négociants  djerbiens  dans  les  palais 
entourés  de  jardins  magnifiques,  dont  il  reste  aujourd'hui  quel- 
ques échantillons  bien  déchus  des  magnificences  du  passé,  est 
demeurée  dans  les  souvenirs  des  indigènes  au  même  degré  que 
les  splendeurs  légendaires  de  la  Tombouctou  d'autrefois.  Les 
caravanes  traversaient  l'étroit  bras  de  mer  qui  sépare  Djerba  du 
continent  ;  sous  l'escorte  des  Ourghamma,  elles  gagnaient 
Rhadamès,  d'où  les  Touareg  Azdjeur  les  conduisaient  par  Uhat 
jusqu'au  puits  d'Asiou;  de  là,  la  protection  des  Kel-Oui  leur 
permettait  de  traverser  l'Aïr  et  les  suivait  jusqu'à  Zinder,  à 
l'entrée  du  Soudan.  D'après  tous  les  renseignements  que  l'on  pos- 
sède, cette  route  est  la  meilleure  des  routes  transsahariennes. 
Les  caravanes  parties  d'In-Salah  allaient  parfois  la  rejoindre  en 
longeant  la  base  méridionale  du  Hoggar  \  L'itinéraire  que  j'en 
ai  dressé  *  permet  de  constater  qu'elle  évite  les  sables  sur 
presque  tout  son  parcours,  que  l'eau  y  est  relativement  abon- 
dante, puisqu'on  en  trouve  en  des  endroits  connus  tous  les  trois 
ou  quatre  jours  au  maximum,  et  que  le  fourrage  qui  alimente 
les  bêtes  de  somme  s'y  rencontre  en  plus  grande  quantité  que 
sur  les  autres.  Aussi  les  indigènes  disent-ils  que  la  route  du 
golfe  de  Gabès  au  Soudan  est  la  route  des  chevaux,  tandis  que 
les  autres  sont  des  routes  de  chameaux.  Le  voyageur  allemand 
Barth,  qui  l'a  parcourue  en  partie,  a  recueilli  une  tradition 
d'après  laquelle  un  troupeau  de  bœufs  aurait  pu  la  suivre  et 
arriver  heureusement  à  destination.  Lorsqu'en  1846  l'esclavage 
fut  aboli  en  Tunisie,  une  crise  terrible  éclata  dans  le  commerce 
saharien;    la    mine  de   Djerba   en  fut    la  conséquence.  Les 

1  C'est  du  moins  ce  que  l'on  peut  inférer  du  récit  que  nous  ont  conservé  le 
général  Daumas  et  de  M.  de  Chancel  :  Le  grand  désert,  itinéraire  d'une  caravane, 

s  Etude  sur  le  développement  économique  de  l'extrême  Sud  tunisien,  par  E.  Fallot. 
Tunis,  4899  (Extrait  du  Bulletin  de  la  direction  de  V Agriculture  t  du  Commerce 
de  Tunisie), 


LE   COMMKRCB   DU   SAHARA  ^1 

Ourghamma,  qui  ne  pouvaient  plus  vivre  du  tribut  qu'ils  tiraient 
des  rares  caravanes  circulant  encore,  se  mirent  à  les  piller,  cp 
qui  les  amena  à  éviter  leur  territoire.  Le  manque  de  sécurité 
dans  le  Sud  tunjsien  éloigna  ce  qui  restait  du  courant  com- 
mercial. 

Les  négociants  de  Rhadamès,  devenus  les  maîtres  du  com^ 
Hi^rce,  dirigèrent  leurs  caravanes  sur  la  route  de  Tripoli,  où 
elles  comptaient  sur  la  protection  des  garnisons  turques,  et  où 
les  esclaves  pouvaient  encore  circuler  librement.  C'est  ainsi  que 
Djerba  a  cesse  d'être  une  place  commerciale  et  que  Tripoli, 
beaucoup  moins  bien  situé,  et  qui  n'était  auparavant  qu'un 
point  sans  importance,  hérita  de  sa  prospérité  vers  la  fin  du 
siècle  dernier  et  devint  la  principale  métropole  du  commerce 
transsaharien.  Cette  ville  est  également  la  tête  de  ligne  d'une 
autre  voie  commerciale,  placée  sous  la  protection  des  Tibbous, 
qui  passe  par  le  groupe  des  oasis  de  Fezzâne  et  par  cello  de 
Kaouar,  et  aboutit  après  trois  mois  de  marche  à  la  pointe  septen- 
trionale du  Tchad.  Plusieurs  voyageurs  européens  l'ont   [>ar- 
courue;  le  dernier  en  date,  notre  compatriote  le  colonel  AÎon- 
teil,  a  résumé  en  ces  termes  son  impression  :  «  La  route  du 
rt   Boumou  àMourzouk,  dit-il*,  est  incontestablement  la  plus 
H    dure  de  toutes  celles  du  Sahara.  Non  pas  que  les  points  d>au 
a   soient  très  distants,  mais  à  cause  des  dangers  qu'elle  présente 
fi    et  du  peu  de  fourrages  qu'on  y  rencontre.  Les  Touareg  et  les 
•'    Ouled  Sliman  du  Kanem  tombent  fréquemment  sur  les  cara- 
ts   vanes,  et  les  Toubbous,  pour  les  éviter,  ne  prennent  aucun 
tf    repos.  La  marche  de  nuit  ne  serait  pas  possible  dans  toute  la 
'^   région  entre  le  Tchad  et  Kawar,  si  la  route  n'était  exactement 
«   dans  la  direction  du  Nord  du  monde.  Il  n'y  a  en  effet  aucune 
n   trace  de  sentier,  seulement  quelques  repères  fixes  de  dislaniïe 
«    en  distance,  mais  la  polaire  est  la  meilleure  des  directrices. 
-   Quand,  au  lieu  d'aller  dans  le  Nord,  les  caravanes  se  rendent 
cf  dans  le  Sud,  fréquemment  elles  s'égarent.  »  Tripoli,  ayant 
pour  son  commerce  avec  le  Soudan  le  choix  entre  deux  routes, 
utilise  Tune  ou  l'autre  selon  le  degré  de  sécurité  que  les  év^^^ne- 
ments  politiques  du  moment  y  font  régner.  Il  s'est  créé  dans 
cette  ville  un  véritable  marché,  au  sens  où  nous  Tentendons  en 
Europe,  où  les  Sahariens  s'approvisionnent  à  leur  gré  de  tous 
les  produits  dont  ils  ont  besoin,  et  où  ils  trouvent  du  crédit,  La 
période  la  plus  brillante  de  ses  affaires  a  été  de  1872  à  iSSL 
Plus   tard   les   exploits  de  Rabah  et  les  événements  qui  ont 
amené  la  chute  de  ce  marchand  d'esclaves  ont  complètenif?nt 
interrompu  les  relations  pendant  plusieurs  années;  elles  ont  à 


I  De  Saint'Loui»  à  Tripoli  par  le  Tchad,  p.  392. 


i 


VA  QUESTIONS  DIPLOMATIOUES  ET  COLOmALBS 

peine  repris  depuis  sa  mort  dans  une  très  faible  mesure.  Les 
rapports  des  consuls  européens  fournissent  périodiquement 
sur  IMmportance  des  transactions  des  renseignements  qui,  pour 
n'avoir  pas  la  valeur  de  véritables  statistiques,  permettent  d'en 
suivre  approximativement  les  fluctuations.  En  1889,  on  évaluait 
à  8  millions  1/2  le  mouvement  commercial  entre  Tripoli  et  le 
Soudan.  En  1895,  il  tombait  à  7  millions  dont  2  millions  1/2 
repr^'sentant  Timportatîondes  produits  européens.  En  1896, 
Timportation  n'était  plus  que  de  240.000  francs  et  l'exportation 
de  3.300.000  francs.  En  1897,  le  total  était  réduit  à  3.590.00O 
francs,  dont  1.290.000  à  Timportatiori  et  2.300.000  à  l'exporta- 
tion ;  cette  année,  2.827  chameaux  étaient  partis  pour  le  Soudan  * . 
Depuis  1898,  les  routes  du  Tchad  étant  fermées  par  les  événe- 
ments du  Soudan,  le  commerce  s'est  rejeté  sur  la  route  la  plus 
occidentale  qui  part  de  Benghazi  sur  la  Méditerranée,  et  par  les 
oasis  d'Aoudjilaet  de  Koufra,  gagné  le  Ouadaï.  C'est  peut-être 
l'antique  route  des  Nasamons.  Elle  n'a  été  parcourue  par  au- 
cun voyageur  européen  et  nous  est  à  peu  près  entièrement 
inconnue.  On  sait  par  un  rapport  dii  consul  d'Angleterre  à  Ben- 
ghazi qu'en  1896-1897  il  est  parti  par  cette  voie  17  caravanes 
dont  une  comptait  550  et  une  autre  340  chameaux.  Elles  ont 
importé  pour  700.000  francs  de  marchandises  diverses  et  ont 
rapporté  pour  425.000  francs  de  plumes  d'autruche  et  pour 
187.500  francs  d'ivoire.  En  1898,  le  commerce  soudanais  de  la 
Tripolilaine,  presque  entièrement  effectué  avec  le  Ouadaï,  était 
évalué  à  5  millions  de  francs. 


Toile  est  l'organisation  du  commerce  dans  le  Sahara.  Ainsi 
qu'on  a  pu  l.o  constater,  la  France  n'y  a  jamais  pris  aucune 
part;  car  si  Paris  ro(,*oit  pour  les  travailler  la  presque  totalité 
des  plumes  d'autruche  exportées  du  Soudau,  c'est  par  le  moyen 
d'intermédiaires  étrangers.  L\^tablissement  de  nos  postes  dans 
le  Sud  algérien,  qui  aurait  dû,  par  la  sécurité  qu'ils  appor- 
taient, attirer  les  caravanes,  a  eu  au  contraire  pour  effet,*  à 
cause  do  la  suppression  de  la  vente  des  esclaves,  de  les  rejeter 
à  rOuost  et  à  TEst  de  notre  territoire  sur  le  Maroc  et  la  Trîpo- 
litaine.  Mais  dos  événements  récents  ont  fait  disparaître  cette 
cause  de  la  préférence  donnée  aux  marchés  de  nos  voisins  : 
établis  maintenant  sur  le  littoral  méridional  de  l'océan  saha- 
rien, nous  interdisons  également  le  départ  des  esclaves.  Les 

1  Mi^HUCHv  of/tctti  du  commerce,  t.  XXX «-p.  56.  Tous  ces  chiffres  empniniÀ& 
aux  r»p(H»rU«  consulaires  français  ue  concordent  pas  avec  ceux  qu'ont  fournis  les 
rapports  anglais. 


.  LK  COMMERCE    DU   SAHARA  223 

caravaniers,  qui  ne  transportent  plus  désormais  que  de  la  mar- 
chandise licite,  peuvent  choisir  le  marché  vers  lequel  ils  se  diri- 
geront, etleur choixne  seraplusdéterminé  que  par  les  facilités  et 
le  degré  de  sécurité  de  la  route  à  parcourir  et  par  les  avantages 
qu'on  saura  leur  offrir  au  point  d'arrivée.  Il  semhle  donc  que  la 
transformation  que  notre  établissement  au  Soudan  va  faire 
subir  au  commerce  transsaharien  fournit  à  la  France  une  occa- 
sion excellente  de  s'emparer  de  ce  commerce.  Il  lui  suffira, 
pour  atteindre  ce  but,  de  s'outiller  convenablement.  Jusqu'à 
présent  les  rares  tentatives  faites  par  nos  compatriotes  pour 
prendre  part  au  commerce  du  Sahara  ont  toutes  échoué,  parce 
qu'ils  ont  méconnu  les  conditions  réelles  de  ce  commerce  et 
qu'ils  ont  voulu  agir  uniquement  par  eux-mêmes  en  se  substi- 
tuant aux  intermédiaires  indigènes.  C'est  pour  cela  que,  dans 
toutes  nos  tentatives  dans  le  désert,  nous  avons  trouvé  devant 
nous  aussi  bieil  les  chefs  des  tribus  nomades  que  les  notables 
commerçants  des  oasis.  Se  sentant  menacés  par  l'arrivée  des 
Français  dans  le  monopole  commercial  qui  est  leur   unique 
moyen  d'existence,  ils  ont  entrepris  une  lutte  désespérée,  appe- 
lant le  fanatisme  religieux  au  secours  de  leurs  intérêts  maté- 
riels, et  ils  n'ont  reculé  pour  se  défendre  ni  devant  la  trahison 
ni  devant  l'assassinat.  Force  est  bien  de  reconnaître  que  leur 
conduite  a  été  logique.  Mais  le  jour  où  ils  auront  compris  que 
nous  ne  voulons  pas  être  pour  eux  de  redoutables  concurrents, 
que  nous  désirons  au  contraire  encourager,  faciliter  et  déve- 
lopper leurs  opérations  en  nous  y  associant,  leur  hostilité  tom- 
bera. Or  cette  conduite  est  pour  nous  la  seule' intelligente,  la 
seule  qui  puisse  nous  permettre  d'arriver  à  un  résultat,  dans  un 
pays  comme  le  Sahara,  où  l'Européen  ne  peut  rien  faire  sans 
le  concours  de  l'élément  indigène. 

Le  seul  moyen  raisonnable  pour  un  Français  d'y  faire  des 
affaires  consiste  à  aller  s'établir  avec  de  l'argent  et  des  mar- 
chandises dans  l'un  des  ports  du  désert,  sous  la  protection  de 
nos  soldats.  Prétendre  en  sortir  pour  s'avancer  hors  du  terri- 
toire soumis  et  pacifié  serait  commettre  la  folie  d'exposer  sa 
vie  sans  aucun  profit  pour  son  entreprise.  Mais  ce  qui  lui  est 
interdit  à  lui-même,  il  peut  sans  imprudence  le  faire  faire  par 
des  indigènes  dont  il  aura  éprouvé  la  solvabilit<3.  En  procédant 
comme  on  procède  depuis  des  siècles  à  la  côte  occidentale,  où 
les  comptoirs  de  Saint-Louis  font  des  avances  de  marchandises 
à  des  traitants  noirs  qui  vont  les  vendre  tout  le  long  du  Séné- 
gal et  jusqu'au  Soudan,  on  obtiendra  des  résultats  aussi  satis- 
faisants. Si  l'on  sait  choisir  les  Arabes  avec  lesquels  on  se  liera 
d  intérêts,  on  n'aura  pas  plus  de  mécomptes  qu'avec  les  noirs. 


224  QUKSTlONtf  DIFLOMATIQUKS   KT  COLOIflALBS 

Les  négociants  de  Tripoli  ne  procèdent  pas  différemment.  En 
considérant  le  chiffre  élevé  des  bénéfices  que  laisse  le  commerce 
saharien»  malgré  les  nombreux  aléas  qui  le  grèvent^  on  verra 
que  des  capitaux  français  trouveraient  une  large  rémunération 
à  coopérer  avec  les  négociants  indigènes.  Deux  comp^e^  d'opé- 
rations, publiés  dans  les  Rapports  de  la  mission  Mircher  à  Hha- 
damès,  font  ressortir  des  bénéfices  de  32  et  de  43  %.  Le  consul 
général  d'Angleterre  à  Tripoli  évalue  ces  mêmes  bénéfices  à 
50  %  *.  Tout  récemment  les  indigènes  qui  sont  allés  commercer 
au  Gourara  pendant  Thiver  1901-1902  ont  réalisé  un  bénéfice 
net,  très  exactement  calculé,  qui  est  un  peu  supérieur  à  60  %  '. 
En  janvier  4896,  Gaston  Méry,  venu  à  Tombouctou  avec  une 
pacotille  de  50.000  francs,  avait  pu  l'écouler  au  bout  d*un  mois 
avec  200  %  de  bénéfice  '.  Voici  enfin  un  dernier  exemple,  cité 
par  le  consul  d'Angleterre  à  Benghazi^  :  un  commerçant, 
parti  pour  le  Ouadaï  avec  5.000  piastres  de  marchandises,  en 
a  rapporté  pour  30.000  piastres,  ayant  ainsi  sextuplé  son  capital 
en  quelques  mois. 

La  France  est  établie  sur  les  deux  rives  du  Sahara  ;  elle  do- 
mine TAlgérie-Tunisie  et  le  Soudan;  elle  a  actuellement  aux 
quatre  angles  du  rectangle  saharien  des  postes,  dont  certains 
ont  été  et  qui  tous  peuvent  devenir  les  grands  ports  du  com- 
merce désertique  :  Béni-Ounif,  près  de  Fîguig,  terminus  du 
chemin  de  fer  oranais,  et  Tombouctou,  sur  le  Niger  à  TOccident  ; 
Zinder,  la  porte  d'entrée  du  Soudan  central,  et  Tatahouine, 
dans  l'extrême  Sud  tunisien,  à  l'Orient.  Chacun  de  ces  points 
réunit  les  conditions  nécessaires  pour  en  faire  un  marché  im- 
portant, où  les  transactions  locales  seront,  avec  l'aide  des  indi- 
gènes, le  point  de  départ  d'un  commerce  lointain,  que  rendront 
possibles  les  dispositions  libérales  adoptées  par  la  douane  en 
Algérie  et  en  Tunisie.  J'ai  visité  Tatahouine  ^  et  j'en  ai  rapporté 
l'impression  très  nette  que  l'ouverture  en  cet  endroit  d'un  en- 
trepôt bien  approvisionné  de  marchandises  européennes,  en 
même  temps  qu'il  alimenterait  une  population  de  25  à  30.000 
habitants,  qui  ne  trouvent  aucune  ressource  à  150  kilomètres  à 
la  ronde,  aurait  bientôt  attiré  les  caravanes  du  dehors.  Les  né- 

1  Report  on  the  Trade  and  Economie  State  oi  the  Vilajet  of  Tripoli  during  tUe 
past  forty  years.  June  13,  1902  (Diplomatie  and  Consular  Reports.  Miscellaneous 
séries,  n*  578). 

s  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  d'Alger,  2«  trimestre  1902,  p.  250. 

3  BA.ILLAUD.  Sur  Us  routes  du  Soudany  p.  130. 

^  Trade  of  Benghazi  for  year  1897  {Diplomatie  and  Consular  Reports.  Tripoli, 
Annual  séries,  n9  2153). 

fr  C'est  un  poste  militaire  français  à  136  kilomètres  au  Sud  de  Gabès.;  il  est  doté 
d'un  bureau  de  poste  et  de  télégraphe  ;  il  s'j  tient  un  marché  où  viennent  parfois  de 
petites  caravanes  de  Rhadamès  et  de  l'oasis  voisine  de  Sinaoua. 


LE   COMMERCE   DU   SAHARA  225 

gociants  de  Rhadamès  y  envoient  quelquefois  acheter  du  blé  et 
de  rhuile,  mais  n  y  trouvent  rien  d'autre.  Ils  ne  demanderaient 
pas  mieux  que  de  profiter  de  la  sécurité  qui  règne  maintenant 
sur  toute  la  route  pour  venir  y  prendre  les  produits  qu'ils  en- 
voient à  Rhat  et  au  Soudan,  s'ils  devaient  y  trouver  ce  qu^ils 
trouvent  à  Tripoli.  Quelques-uns  possèdent  des  immeubles  k 
Tunis,  c^  qui  montre  qu'on  pourrait  traiter  avec  eux  sans  trop 
de  risques.  Plusieurs  négociants  de  Djerba,  qui  ont  des  intérêts 
à  Tunis,  à  Tripoli  et  même  à  Gonstantinople,  ne  demanderaient 
pas  mieux  que  de  reprendre  les  opérations  commerciales  avec 
le  Soudan,  s'ils  trouvaient  un  appui  dans  des  capitaux  français, 
L  ne  maison  de  commerce  qui  voudrait  faire  preuve  d'initiative 
intelligente  en  ouvrant  un  comptoir  à  Tatahouine,  aurait  Toc- 
casion,  tout  en  servant  ses  intérêts  financiers,  d'entreprendre 
une  oîuvre  utile  et  véritablement  patriotique.  Non  seulement 
elle   pourrait  s'assurer   le  concours   de  commerçants   expéri- 
mentés de  Djerba  et  de  Rhadamès,  mais  encore  elle  pourrait 
sans  difficultés  entrer  en  relations,  de  l'autre  côté  du  désert, 
avec  le  grand  négociant  targui  de  Zinder,  Mâllem  Yaro,  qui 
envoie  ses  caravanes  jusqu'à  Tripoli.  Ce  personnage  a  accueilli 
DOS  troupes  avec  un  tel  empressement  et  leur  a  rendu  de  tels 
services  que. nos  officiers  lui  ont  proposé  de  l'investir  de  Tauto- 
rité* politique  à  la  place  du  sultan  rebelle.  11  a  refusé,  préférant 
>e  consacrer  à  ses  affaires  commerciales. 

Lorsque  la  France  se  sera  décidée  à  créer  un  poste  dans  l'Air, 
re  poste  communiquera  sans  peine,  par  des  raids  analogues  i\ 
•;elui  que  le  lieutenant  Cottenest  vient  d'accomplir  d'In-Saluh 
autour  du  Hoggar,  avec  les  postes  que  nous  entretenons  dans 
le  Sud  tunisien,  où  un  tnaghzen  solidement  organisé  ne  de- 
mande que  l'autorisation  de  faire  au  loin  la  police.  Ce  jour-là 
les  caravanes  circuleront  en  toute  sécurité  entre  la  Tunisie  et  le 
Soudan  et  Tantique  route  de  Djerba  au  Tchad  sera  rouverte  au 
commerce. 

E.  Fallot, 

Ancien  chef  du  service  du  commerce  et  de  l'immigration  à  Tunii^. 


QoiST.  DiFL.  ET  Col.  —  t.  xv.  t^ 


LA  QUESTION  DU  VENEZUELA 


Notre  revue  a  déjà  examiné  ,daiis  le  numéro  du  l^^  janvier, les 
causes  apparentes  et  les  premiers  événements  du  conflit  véné- 
zuélien. Il  semblait  alors  que  l'acceptation,  par  les  puissances 
intervenantes  et  le  président  Castro,  de  recourir  à  la  Cour  d'ar- 
bitrage de  La  Haye  pour  régler  leurs  différends,  devait  avoir 
pour  conséquence,  dans  l'intérêt  même  des  créanciers,  la  levée 
immédiate  du  blocus  des  côtes  vénézuéliennes  et  le  rétablis- 
sement des  relations  normales.  Il  n'en  a  rien  été. 

Au  moment  même  où  M.  Bowen,  ministre  des  Etats-Unis  âi 
Caracas  et  réprésentant  conventionnel  des  intérêts  du  Vene- 
zuela, se  rendait  à  Washington  pour  discuter,  avec  les  représen- 
tants des  nations  alliées,  les  préliminaires  de  la  procédure  amia- 
ble de  l'arbitrage  et  régler,  peut-être,  leurs  réclamations  ainsi 
que  celles  des  nations  non  intervenantes,  sans  aller  jusqu'à  La 
Haye,  les  croiseurs  allemands,  impatients  de  faire  leurs  preuves 
aufarement  que  sur  des  canonnières  désemparées  et  sans  défen- 
seurs, ouvraient  le  feu  sur  le  fort  vénézuélien  de  San-Carlos, 
commandant  l'entrée  de  la  lagune  de  Maracaïbo. 

Grâce  à  la  modération  du  gouvernement  des  Etats-Unis,*  qui 
feignit  d'ignorer  officiellement  cet  incident  intempestif  consi- 
déré à  tort  ou  à  raison,  par  la  presse  européenne  et  américaine, 
comme  une  tentative  préméditée  d'embrouiller  les  cartes  quand 
même,  M.  Bowen  a  pu  commencer  et  mener  relativement  à 
bonne  fin  des  négociations  séparées  avec  chacune  des  puis- 
sances intéressées.  Ce  n'a  pas  été  sans  peine  et  il  est  intéressant 
de  retracer  en  quelques  lignes  les  difficultés  des  pourparlers. 

On  apprit  tout  d'abord,  dès  la  première  conférence,  que  le 
Venezuela,  reconnaissant,  en  principe,  les  dettes  contractées, 
offrait  en  garantie  les  30  %  des  revenus  douaniers  de  La  Guayra 
et  de  Puerto  Cabello  (3.125.000  francs  environ)',  mais  deman- 
dait, par  contre,  que  toutes  les  puissances  créancières,  y  com- 
pris celles  qui  n'avaient  pas  encore  tiré  l'épée  ou  fait  parler  le 

1  Voici  quelques  détails  économiques  sur  le  Venezuela,  empruntés  à  la  presse  alle- 
mande :  Dette  au  1*'  janvier  1901,  24'^. 230.406  francs.  -^  Budget  1901-1902, 
37.000.000  francs.  —  Recettes  douanières  en  1901, 24.267. 618  francs.  —Commerce  en 
1898,  74  millions.  — Etablissements  de  crédit  :  Banque  du  Venezuela,  au  capital  de 
12  millions  dont  3/4  payés,  administre  les  finances  de  l'Etat;  a  distribué  ua  dividende 
annuel  de  12  %  dans  les  douze  derniers  exercices;  —  Banque  de  commerce  de 
Caracas,  au  capital  de  6  millions  (dont  3/4  payés)  ;  dividende  annuel  de  8  %  depuis 
1890  ;  —  Banque  de  Maracaïbo,  au  capital  de  1.250.000  francs;  divideude  annuel  de 
7,72  %  en  1900. 

Culture  du  café  :  170.000  hectares  donnant  839.0U0  sacs  de  46  kilos  ;    80  %   des 


LA  QUESTION  DU  VENEZUELA  227 

(^OD,  fassent  mises  sur  le  même  pied  que  TÂllemague,  l'Angle- 
terre et  l'Italie,  au  point  de  vue  du  paiement  des  créances.  La 
France,  ayant  réglé  délSnitivementses  différends  financiers  avec 
le  Venezuela  bien  avant  le  conflit,  et  possédant  des  droits  anté- 
rieurs incontestables,  n'entrait  pas  en  ligne  de  compte  et  se  fai- 
sait confirmer  purement  et  simplement  par  le  président  Castro 
la  priorité  de  ses  droits  et  octroyer,  comme  garantie  spéciale, 
13  %  des  revenus  douaniers. 

Les  ambassadeurs  des  trois  puissances  co-intervenantes,  ne 
voulant  pas  admettre  Tégalité  de  traitement,  suspendirent 
aussitôt  toute  discussion  et  demandèrent  des  instructions  k  leurs 
îiouvemements  respectifs.  Ceux-ci,  croyant  comprendre  que  la 
trarantie  de  13  %  reconnue  à  là  France  réduisait  à  17  %  celle 
qui  était  réservée  aux  autres  créanciers,  approuvèrent  formel- 
lement leurs  représentants.  L'émotion,  d'abord  très  vive,  ne 
tarda  pas  à  se  dissiper  devant  la  déclaration  de  M.  Bowen  que  la 
^rarantie  française  étaitabsolumeiitindépendante  des  30  %  accor- 
dés, sans  restriction,  à  l'ensemble  des  autres  puissances. 

Le  concert  anglo-germano-italien  reprit  les  négociations, 
mais,  ne  voulant  pas  cependant  en  être  pour  ses  frais  d'inter- 
vpnlion  armée,  demanda  à  percevoir  exclusivement  les  30  % 
pendant  un  an  et  jusqu'à  concurrence  d'une  certaine  somme  à 
Jéterminer,  après  quoi  toutes  les  puissances  créancières  partici- 
jeraient  h  la  garantie  proportionnellement  à  leurs  droits. 
X.  Bowen,  comprenant  qu'il  ne  s'agissait,  en  l'espèce,  que 
lune  question  d'amour-propre  et  de  prestige  en  somme 
"Dcevable,  admit  l'éventualité  d'un  traitement  privilégié  pen- 
lant  im  mois  seulement,  mais  à  condition  que  le  blocus  fût 
immédiatement  levé.  Les  co-intervenants  exigèrent  alors  qu'il 
leur  fût  attribué  complètement  les  2/3  des  30  % ,  ou  bien  la 
jouissance  exclusive  de  la  totalité  pendant  six  mois.  Le  diplo- 
mate américain,  estimant  que  cette  contre-proposition  était 
ontraire  aux  principes  du  droit  international,  demanda  que 
la  question  du  traitement  privilégié  fût  soumise  à  la  Cour 
^arbitrage  de  La  Haye.  Au  môme  moment,  le  Venezuela,  dési- 
r«»ui  de  faire  preuve  de  bonne  volonté,  se  déclara  prêt  à  payer 
immédiatement  une  somme  de  137.500  fr.  à  chacune  des  trois 
puissances  pour  faire  face  aux  réclamations  les  plus  pressantes. 

piântationt  sont  grevés  d'hypothèques  12  %,  Exportation  annuelle  :  650.000  sacs. 
Eublissements  industriels  peu  importants  :  tanneries,  fabriques  de  cigarettes,  de 
-bo^otat,  brasseries.  —  Richesses  minérales  considérables  :  or,  cuivre,  fer, 
2?pbalte,  charbon  et  pétrole;  deux  Compagnies  de  mines  d'or  ayant  donné  en  1900 
os  toul  de  3.500  onces;  mines  de  cuivre  d'Aroa  de  111.336  hectares  avant  fourni,  de 
iSl8 à  1S91,  72.267.060  tonnes;  trois  sociétés  d'exploitation  d'asphalte.  L'Ile  Magarita 
possède  des  mines  de  marbre,  de  sel  et  des  pêcheries  de  perles.  Réseau  ferré  : 
^fi  kilomètres,  capital  toUl  192.300.000  francs. 


228  OUKSTIONS  PIPtOMATIOKJES  BT  COLONULES 

Les  trois  gouvernements,  renouvelant  leur  tactique  du  début, 
essayèrent  encore  d'engager  officiellement  la  responsaliilité  des 
Etats-Unis,  en  demandant  au  président  Roosevelt  de  trancher 
la  question  du  traitement  séparé.  Le  président  déclina  cet 
honneur  et  répondit  habilement  qu'il  se  croyait  obligé  de  rester 
en  dehors  de  la  controverse  pour  les  mêmes  raisons  émises  ati 
début  du  conflit.  Les  ambassadeurs  durent  se  rejeter,  bien  qu'à 
contre-cœur,  sur  M.  Bowen,  et  il  fut  enfin  décidé,  le  9  février, 
que  la  question  serait  portée  à  La  Haye  et  le  blocus  levé  dès  la 
signature  des  protocoles  préparatoires  établis  séparément  par 
chaque  puissance.  A  Theure  actuelle,  la  discussion  continue  et 
la  signature  tant  désirée  n'est  pas  encore  donnée. 

En  attendant  ce  premier  règlement,  les  puissances  ont  exa- 
miné la  procédure  qu'il  conviendrait  d'observer  dans  la  marche 
des  négociations  ultérieures.  Voici  ce  qu'elles  auraient  adopté 
provisoirement  : 

Les  réclamations  de  chaque  puissance  seraient  soumises  à 
une  commission  distincte  composée  d'un  représentant  de  cette 
puissance  et  du  représentant  du  Venezuela;  en  cas  de  désaccord, 
le  roi  d'Espagne,  ou  le  président  Loubet,  serait  chargé  de  dési- 
gner un  arbitre,  probablement  le  ministre  d'Espagne  ou  de 
France  au  Venezuela.  Dans  le  cas  où  l'accord  se  ferait  définiti- 
vement, si  le  Venezuela  ne  s'acquittait  pas  promptement  et 
intégralement  envers  Tune  quelconque  des  puissances,  le  gou- 
vernement belge  serait  chargé  de  l'administration  des  douanes 
dans  des  conditions  identiques  à  celles  où  ce  gouvernement 
administre  les  douanes  persanes. 

On  voit,  par  ce  qui  précède,  que  l'Allemagne  et  l'Angleterre 
—  nous  ne  parlons  pas  de  l'Italie  qui  se  montre  avec  raison 
bonne  fille  —  ont  usé  et  abusé  très  longtemps  de  la  patience 
américaine  en  prolongeant  à  plaisir,  sur  le  terrain  brûlant  de 
Washington,  des  négociations  qui  pouvaient  se  dérouler  aussi 
bien,  sinon  mieux,  dans  les  salons  pacifiques  de  la  Cour  d'arbi- 
trage de  La  Haye.  L'opinion  publique  américaine  a  émis  à  ce 
sujet  de  graves  soupçons  sur  les  intentions  secrètes  des  deux 
principaux  alliés  et  a  clairement  parlé  de  provocation  mani- 
feste. Il  est  intéressant  de  rechercher  si  Guillaume  II  et 
Edouard  VII  ont  réellement  nourri  le  dessein  de  provoquer  les 
Etats-Unis  en  exécutant  une  reconnaissance  d'avant-garde 
contre  la  doctrine  de  Monroe,  et  dans  ce  cas,  quelles  ont  été 

leurs  raisons  déterminantes. 

« 
«  « 

L'intervention  anglo-allemande  au  Venezuela,  a-t-ondit  non 

sans  quelque  raison,  n'est  que  le  prélude  d'une  attaque  Ion- 


LA  QUESTIOU  hV  VÉflÉZirÉlA  2^ 

guement  préméditée  contre  le  <c  péril  américain  )»,  bien  plus 

immédiat  qne  le  «  péril  jaune  j>. 
«  La  République  des  Etats-Unis,  écrivait  naguère  M.  E.  Le- 

a  vasseur,  peut  être  comparée   à   une    pieuvre  gigantesque, 

•^  étendant  ses  bras  et  ses  ventouses  sur  l'Amérique  du  Sud, 

•  sur  le  Japon  et  la  Chine,  sur  l'Afrique  et  l'Europe.  » 

«  Les  tentacules  de  cette  pieuvre,  déclarait  M.  Edro.  Théry  *, 
•'  complétant  l'image  du  célèbre  économiste,  ce  sont  les 
«  trasts,  qui  ont  exalté  l'impérialisme,  provoqué  la  guerre 
•'  contre  l'Espagne  et  qui,  après  avoir  transformé  le  régime 
•  économique  américain,  en  accaparant  les  principales  produc- 
'  tiens  des  Etats-Unis,  vont  essayer  de  transformer  en  mono- 
«  pôle»  internationaux,  au  profit  des  milliardaires  américains, 
**  les   principales  industries  de  l'univers.  » 

Il  est  évident  que  la  vieille  Europe  tout  entière,  épuisée 
par  pins  de  trente  années  d'armements  colossaux,  paralysée 
parles  rivalités  de  ses  empires,  obligée  d'aller  chercher  au  delà 
des  mers  la  majeure  partie  des  matières  premières  nécessaires 
à  son  industrie, est  menacée  dans  ses  œuvres-vives  économiques 
par  cette  jeune  et  robuste  Amérique  dont  les  charges  militaires 
4?t  navales  ne  sont  devenues  réellement  lourdes  que  depuis 
l'exercice  1900-1901  et  qui,  non  seulement  possède  sur  son 
propre  territoire  tout  le  blé,  le  bétail,  le  fer,  le  charbon  exigés 
par  l'alimentation  de  sa  population  et  de  ses  usines,  mais  peut 
fucore  conjurer  ou  provoquer  h  sa  guise  une  disette  européenne 
"t  faire,  snr  tous  les  points  du  globe,  une  vive  concurrence  aux 
HTNlnits  fabriqués  du  Vieux  Monde.  Mais  il  est  non  moins  évi- 
tant qne  les  deux  premières  victimes  désignées  de  la  concur- 
rence américaine  sont  l'Angleterre  et  l'Allemagne. 

Ces  deux  nations  industrielles,  en  quête  de  débouchés  écono- 
miques de  plus  en  plus  rares,  se  heurtent  partout  au  bloc  de 
f'mte  ou  d'acier  yankee;  elles  ne  peuvent  se  passer  que  très 
•lifiBeilement  des  arrivages  des  Etats-Unis. 

La  France,  qui  se  nourrit  sur  elle-même,  dont  l'industrie  de 
iuxe  est  indétrônable  et  dont  la  production  métallurgique, 
nsodeste  mais  très  soignée,  trouve  un  écoulement  tout  naturel 
'1  ius  ses  armements,  ses  grands  travaux  publics  et  Toutillage 
•k  son  immense  domaine  colonial,  est  bien  moins  compromise 
qae  ses  deux  voisines,  surtout  si  elle  se  décide  enfin  à  adopter 
ane  politique  économique  rationnelle* 

Le  tableau  suivant  montre  la  supériorité  incontestable  des 
Etats-Unis  sur  ses  deux  aînées  économiques  : 

^  Edm.  Th^bt.  —  Histoire  économique  1890-1900  (1902). 


âdO  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

Part  proportionnelle  dans  la  prodnotion    mondiale   du  oharbon, 
de  la  fonte  et  de  raoier,  et  la  oonsommation  du  onivre  en  1900. 

Charbon  Fonte  Acier         Caivre  consommé 


Btats-Unis. 

30.62  % 

34.41  % 

37.73  % 

34.02  % 

Allemagne. 

19.59 

20.80 

22.98* 

24.12 

Angleterre. 

29.83 

22.09 

10.88 

19.18 

France  

4.35 

6.63 

'    5.69 

8.66 

Alors  que  la  balance  du  commerce  extérieur  des  Etats-Unis, 
au  cours  de  la  période  1899-1901,  accuse  un  excédent  d'expor^ 
tations  annuel  de  2  milliards  8  millions  de  francs,  le  commerce 
anglais  a  supporté  en  1900  un  excès  d*importations  de  i  mil- 
liards 4  millions  en  aggravation  de  93  %  sur  l'exercice  1890; 
celui  de  TAUemagne  a  également  subi,  la  même  année,  un 
excès  d'importations  de  1  milliard  5  millions. 

A  dix  ans  d'intervalle  (1890-1900),  les  exportations  annuelles 
des  Etats-Unis  vers  l'Angleterre  ont  augmenté  rfc  48  % ,  pas- 
sant de  2.342  millions  de  francs  à  3.469;  les  exportations  an- 
glaises vers  les  Etats-Unis  ont  subi  par  contre  une  diminution 
^  38  % ,  tombant  de  802  à  494  millions  de  francs  ;  le  tribut 
commercial  annuel  payé  par  l'Angleterre  à  l'Union  est  passé  de 
1.540  millions,  en  1890,  à  2.975  en  1900. 

En  1890,  les  Etats-Unis  envoyaient  en  Allemagne  pour 
497  millions  de  marchandises;  en  1900,  ils  en  ont  expédié  pour 
1.302  millions  —  soit  une  augmentation  de  162  %  —  dont  485 
de  céréales;  en  1901,  les  exportations  allemandes  aux  Etats- 
Unis  n'ont  atteint  que  498  millions,  soit  un  recul  de  5  %  sur  le 
chiffre  de  1890,  320  millions'.  Dans  la  décade  1890-1900,  la 
balance  du  commerce  annuel  germano-nord-américain  est 
passé  d'un  solde  positif  de  37  millions  de  francs  en  faveur  de 
l'Allemagne  à  un  tribut  moyen  de  820  millions  payé  à  l'Union  *. 

Ces  chiffres  montrent  déjà  avec  éloquence  combien  l'Angle- 
terre et  l'Allemagne  sont  menacées  par  les  progrès  gigantes- 
ques d  une  rivale  dont  les  hauts  fourneaux  produiront  en  190o, 

1  Elles  se  sont  relevées,  en  1902,  de  73  millions  de  francs  environ. 
*  Résultats  connus  de  l'exercice  commercial  1902  en  millions  de  francs  : 

Importations  ^    Exportations 

1901  1902  1901  1902 

Allemagne 6.176  6.915  5.539  6.085 

Angleterre 13.330  13.506  7.131  7.243 

1900-1901    19011902     1900-1901    1901>19OS 

Etats-Unis 4.115  4.514  7.43R  6.910 

Voir  :  Les  intérêts  de  l'Allemagne  en  Amérique  (A.  Drisse.  Revue  de  Géogt'aj>hié 
janvier  1903). 


LA  QUESTION  DU  VENEZUELA  231 

de  1  aveu  même  du  Times ^  deuxiois  plus  dé  fonte  que  ceux  de 
la  Grande-Bretagne  '. 

•  « 
La  concurrence  économique  nord-américaine  n'est  pas  seu- 
lement redoutable  en  Europe  même;  elle  menace  encore  le 
commerce  des  puissances  occidentales  en  Extrême-Orient  et 
dans  toute  l'Amérique  du  Sud.  Décidés  aujourd'hui,  du  moins 
en  apparence,   à  entr'ouvrir  leur  immense   marché  intérieur 
aux  matières   premières  et  aux  articles  fabriqués  étrangers, 
les  Etats-Unis  espèrent  compenser  cette  tolérance  en  submer- 
geant de  leurs  produits  tous  les  marchés  du  monde,  la  Chine,  \^ 
Japon,    les  républiques  latino-américaines.  La  conquête  des 
Philippines  leur  a  déjà  permis  de  coopérer  plus  facilement  h  * 
Texploitation  économique  de  l'Extrême-Orient  où  leurs  mar- 
chandises, transitant  par  le  Pacifique,  se  font  dès  aujourdliui 
préférer  aux  articles  similaires  allemands,  anglais  et  japonais  '; 
l'ouverture  du  canal  de  Panama,  probablement  réalisée  dans 
une    dizaine   d'années,   et   la    trustification    progressive    des 
grandes  entreprises  de  navigation,  mettront  encore  à  leur  dis- 
position les  moyens  d'écouler  rapidement  et  à  bon  compte,  à 
travers  le  Pacifique  et  le  long  des  côtes  occidentales  de  TAmé- 
rique  du  Sud,  la  surproduction  industrielle  de  leurs  districts 
orientaux.  En  attendant  1910  ou  1915,  ils  ne  perdront  aucune 
occasion  de  répondre  aux  sentiments  hostiles  et  peut-être  aux 
barrières  ultra-protectionnistes  de  leurs  rivaux  européens,  par 
an  redoublement  d'amitié  et  de  flatterie  intéressées  à  l'égard  de 
la  Chine  et  de  déclarations  protectrices  envers  les  républiques 
sud-américaines  plus  ou  moins  menacées  ouvertement  par  les 
ambitions  anglo-allemandes'.  La  complaisance  exceptionnelle 

*  Eo  1902,  la  production  de  fonte  des  Etats-Unis  est  estimée  à  17  millions  1/2  de 
toADCs,  celle  de  l'acier  à  15  millions  de  tonnes,  respectivement  en  augmentation  du 
2  miilioDs  et  1  million  sur  1901.  En  1871,  les  Elals-Vnis  ne  produisaient  fjHc 
1.700.000  tonne*  de  fonte  et  73.000  t.  d acier. 

*  Les  Etats-Unis  livrent  actuellement  au  Japon  des  locomotives  au  prix  de 
lO.OOO  francs,  alors  que  l'Angleterre  demande,  au  minimum,  75.000  francs.  Pour  le 
mdnc  de  Gokteik  en  Birmanie,  l'entreprise  américaine  demandait  15  livres  sterling 
-^  toDoe  de  métal  et  un  délai  de  construction  d'une  année:  l'entreprise  angUif^e 
ci&ail  la  tonne  à  26  liv.  st.  10  sh.  et  demandait  trois  années  pour  la  construction. 
Y.ik  1901,  les  Etats-Unis  ont  exporté  en  Asie  pour  245  millions  de  francs  de  march^n* 
4.§es,  soit  une  augmentation  de  180  %  en  dix  ans.  San-Francisco  est  aujourd'hui 
le  point  de  départ  de  six  lignes  régulières,  dont  une  japonaise,  vers  la  Chiue  ot  le 
Japon.  •  1\  faut  que  les  Etats-Unis  aient  la  flotte  marchande  la  plus  considérable 
qui  ait  jamais  navigué  sur  l'Océan  et  que  la  richesse  et  l'énergie  américaine ,  f^n 
possession  d'Hawal  et  du  canal  du  Panama,  transfèrent  la  souveraineté  du  Pacifique 
»  Fétendard  étoile  )>.  (Discours  du  secrétaire  du  Trésor,  avril  1902.) 

1  Citons  à  ce  sujet  une  des  clauses  du  traité  passé  en  janvier  1903  avec  la  Colom- 
bie pour  la  construction  du  canal  de  Panama.  «  Les  Etats-Unis  répudient  toute 
c  intention  de  porter  atteinte  en  quoi  que  ce  soit  à  la  souveraineté  de  la  Colombie 


232  QUBSTIOKS   DIPLOMATIQUES  BT   COLONIALES 

témoignée  en  faveur  de  la  cour  de  Pékin,  désireuse  d'effectuer 
en  argent,  et  non  en  or,  le  versement  de  Tindemnité  chinoise  *, 
Tattitûde  menaçante  observée  dans  le  conflit  vénézuélien  actuel 
vis-à-vis  des  puissances  intervenantes^  sont  significatives.  Con- 
descendance  et  protection  n'ont  d'autre  but  que  d'attirer  la 
clientèle  au  détriment  des  maisons  anglaises  et  allemandes. 
L'Angleterre,  grâce  à  son  immense  empire  colonial,  pourra 
lutter  encore  longtemps  contre  la  grande  République,  s'appro- 
visionner dans  l'Inde  et  TAfrique  anglaise,  et  y  écouler  ses 
articles  successivement  refoulés  des  marchés  sud-américains 
par  l'invasion  yankee.  Mais  il  n'en  sera  pas  de  même  de  T Alle- 
magne qui  fait  actuellement  deux  milliards  de  francs  d'affaires 
avec  l'Extrême-Orient  et  l'Amérique  centrale  et  méridionale, 
et  dont  les  médiocres  territoires  de  protectorat  n'absorbent  jus- 
qu'ici qu^une  très  infime  partie  de  son  commerce  extérieur  et  ne 
lui  fournissent  qu'une  quantité  insignifiante  de  denrées  colo- 
niales; cette  puissance  peut  se  trouver  gravement  aitteinte  au 
point  de  vue  économique,  si  les  Etats-Unis  se  donnent  la  peine 
d'accaparer   les  matières   premières  qu'elle   puise  librement 
jusqu'à  présent  dans  toutes  les  régions  du  Nouveau  Monde. 

• 
»  • 

N*est-on  pas  en  droit  d'affirmer,  après  ces  constatations,  que 
l'Angleterre  et  l'Allemagne  seront  incapables  d'arrêter  ou 
même  de  retarder  la  violente  poussée  de  sève  américaine  et  de 
conjurer  la  ruine  ou  la  triste  médiocrité  suspendue  sur  leur 
tête,  si  elles  se  maintiennent  sur  le  terrain  des  moyens  de  lutte 
légaux  et  pacifiques?  N'est-il  pas  évident,  en  se  mettant  à  leur 
place,  qu'elles  n'ont  aucun  intérêt  à  gaspiller  leur  temps  et 
leurs  forces  dans  une  guerre  de  tarifs  qui  n'aura  aucune  issue 
décisive  et  tournera  fatalement  à  leur  confusion?  Ne  saute-t-il 
pas  aux  yeux  qu'elles  ne  peuvent  conjurer  le  danger  américain 
qu'en  essayant  de  renverser  d'un  commun  effort  et  sans  scru- 
pules un  colosse  encore  facilement  vulnérable?  Une  guerre 
brutalement  entreprise  sous  un  futile  prétexte,  comme  celui 
du  Maine ^  par  exemple,  qui  a  provoqué  la  guerre  hispano- 
américaine  ;  une  exécution  à  main  armée,  par  surprise,  me- 

a  ma  d'autres  républiques  de  i^ Amérique  cenérale  ou  de  l'Amérique  du  Sud.  ils 
«  désireml  au  cen traire  accreiire  la  pmssmnee  de  ces  républiques^  fairu  neâire, 
•  déueiepper  ei  mainlemr  leur  prospérilé  et  leur  tudépendance,  »  Voir  !•  texte  dn 
tnité  éMoas  les  Quest.  DipL  ei  Col.,  1-  férrier  1903,  p.  191.  ^  Cette  déelanlioB  peut 
éCve  sucera  ii  Theora  actuelle;  mais  boos  avonone  Ârancfaeineiit  que  le  désiaCéreBse- 
ment  américain  tums  apparaît  aussi  tronrpeorqne  ceint  de  l'Angletene,  proloogeant 
l'oecapatien  de  l'Egypte  peur  la  seele  gioire  platonique  d'j  ramener  la  prospérité, 
t  Les  Etats-Unis  est  éU  les  seuls  k  accepter  le  paiement  en  aillent  ;  tontes  les 
nntres  puissances  intcrrcnantes  s'j  sont  énergiqnement  refusées. 


LA    QUESTION  DU   VENEZUELA  'ii'SA 

sure  radicale  qui,  à  vrai  dire,  n'est  pas  de  nature  à  effrayer  les 

deux  nations,  ne  trancherait-èllè  pas  nettement  la  situation? 
Les  escadres  anglo-allemandes,  Suivies  dé  près  par  un  convoi 
de  250.000  hommes  d'élite  et  un  armement  monstre,  ne  per- 
mettraient-elles pas  aux  puissances  alliées  d'anéantir  rapide- 
ment la  marine  naissante  de  la  République  des  Etats-Unis,  d^' 
ruiner  son  commercé,  de  brûler  ses  chantiers  de  construction, 
d'incendier  ses  villes,  ses  cités  de  l'acier,  de  s'emparer  de  ses 
colonies,  de  mettre  la  main  sur  l'isthme  si  convoité,  de  partagor 
à  l'amiable  les  meillem^s  régions  de  l'Amérique  méridionale,  el 
de  frapper  enfin  sur  les  vaincus  une  contribution  de  guerre  ca- 
pable d  ajourner  ^^Vie  die  leur  relèvement?  On  peut  ^tre  certain 
que  Guillaume  II  a  déjà  songé  aux  détails  de  cette  lutte  gigan- 
tesque et  qu'il  en  a  fait  élaborer  le  plan  par  son  état-ïnajor. 

Mais  les  deux  rivaux  européens,  alliés  malgré  eux,  ont  penlii 
trop  de  temps  à  se  consulter,  à  se  quereller  et  à  se  duper  réci- 
proquement par  des  accords  secrets  sur  la  liquidation  des  puis- 
sances faibles.  La  guerre  hispano-américaine  leur  offrait  jadiv 
l'occasion  unique  de  masquer  leurs  véritables  mobiles  sous  uni' 
apparence  généreuse  et  chevaleresque  :  ils  Tout  laisi^i^ 
«rbapper.  Une  simple  démonstration  navale  aurait  suffi  ponr 
sauver  TEspagne  et  retarder  par  suite  l'évolution  américain*'  : 
ils  n'osèrent  la  tenter. 

Peut-être  que  Guillaume  II  eût  été  plus  entreprenant  et  plu> 
docile  aux  suggestions  anglaises  dévoilées  aujourd'hui,  s'il 
avait  pressenti  Vimportance  des  tributs  commerciaux  quM 
illait  être  forcé  de  payer  les  années  suivantes  aux  Etats-Uni^ 
nctorieux.  Mais  Fempereur,  alors  en  mauvais  termes  ave*^ 
l'Angleterre  qu'il  considérait  comme  sa  rivale  économique  \u 
pins  immédiate  et  la  plus  dangereuse,  manqua  de  clairvoyanco . 
Incertain  de  la  direction  des  sympathies  de  la  France,  crai- 
gnant d'être  mystifié  par  son  allié  éventuel  et  de  favoriser 
1  indostrie  anglaise  au  détriment  de  l'industrie  allemande  qui 
oommençait  à  prendre  son  essor,  il  recula  devant  Taventuro. 

LMlemagne  n'a  donc  qu'à  s'en  prendre  à  elle-même  si  h> 
Etats-Unis  ont  pu  mettre  si  facilement  la  main  sur  un  domain*' 
eobnial  qu'elle  convoitait  depuis  longtemps,  et  conquérir  non 
'^ulement  le  droit  de  cité  dans  le  monde  entier,  mais  la  fon-i' 
Décessaire  pour  faire  prendre  désormais  au  sérieux  la  doctrin* 
de  Moitfoe. 

•  ♦ 

Il  y  a  quelque  temps  la  question  du  canal  de  Panama  aurait 
pu  encore  constituer  un  casus  belli  avec  les  Etats-Unis.  A 
létonAernent  général,  l'Angleterre,  et  l'Allemagne  avec  e)l(\ 


234-  0UIS8TIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

renonça  à  tout  droit  de  contrôle  sur  la  future  artère  inter- 
océanique (traité  Hay-Pauncefote). 

Plus  tard,  Topposition  faite  par  les  Etats-Unis  aux  desseins 
ambitieux  de  T Allemagne  en  Chine  faillit  faire  perdre  patience 
àGuillauitie  II  :  celui-ci  s'empressa  de  liquider  l'entreprise  in- 
ternationale qu'il avaitorganisée  beaucoup  pluspour  provoquer  le 
démembrement  du  colosse  céleste  que  pour  défendre  les  intérêts 
de  la  civilisation  ;  il  annonça,  à  qui  voulut  l'entendre,  que  le  péril 
jaune  était  momentanément  conjuré  et  qu'il  fallait  préparer 
aussitôt  la  guerre  contre  le  péril  américain. 

Enfin,  la  violente  campagne  de  presse  américaine,  entreprise 
contre  l'Allemagne  à  Foccasipn  des  sondages  prolongés  du  croi- 
seur impérial  Vineta  dans  les  parages  immédiats  de  l'île  Mar- 
garita  et  des  bruits  d'achat  de  cetie  île  par  les  négociants  alle- 
mands du  Venezuela,  fit  redouter  une  rupture.  Contrairement  à 
toute  attente,  l'Allemagne  déclara  officiellement  qu'elle  ne 
songeait  nullement  à  acquérir  une  station  navale  ou  un  simple 
dépôt  de  charbon  dans  le  golfe  du  Mexique. 

Pourquoi  cette  attitude  pacifique  au  lieu  des  foudres  annon- 
cées quelques  mois  auparavant? 

Revenu  de  son  premier  emballement,  Guillaume  II  avait  com- 
pris tous  les  aléas  d'une  action  où  l'Angleterre  pouvait  le  laisser 
isolé  à  la  moindre  difficulté,  ou  même  se  retourner  contre  lui  au 
règlement  de  compte.  La  Grande-Bretagne  n'était  d'ailleurs  pas 
en  état  de  lui  prêter  un  concours  efficace  :  TafFaire. sud-africaine 
n'était  pas  encore  terminée  ;  le  gouvernement  anglais,  préoccupé 
des  progrès  des  Russes  en  Mandchourie,  précipitait  les  pourpar- 
lers de  l'alliance  anglo-japonaise;  les  succès  de  l'Allemagne  dans 
l'affaire  du  chemin  de  fer  de  Bagdad,  coïncidant  avec  un 
redoublement  d'influence  russe  en  Perse,  attiraient  également 
son  attention  sur  le  golfe  Persique.  Il  fallait  donc  giagner  du 
temps,  attendre  la  capitulation  des  Boers  et  se  concilier  la» 
bonne  volonté  du  cabinet  britannique.  En  prévision  d'un  insuc- 
cès à  Londres,  on  amuserait  le  tapis  en  Amérique,  on  cherche- 
rait à  se  réconcilier  en  apparence  avec  les  Anglo-Saxons  de 
Washington. 

Dès  lors  tîhangement  à  vue,  pirouette  complète.  La  mission 
du  prince  Henri  fut  une  surprise  pour  le  monde  entier.    ' 

L'Angleterre  elle-même,  si  rapidement  au  courant  de  ce  qui 
se  trame  dans  les  cours  étrangères,  fut  stupéfaite,  et  craignant 
de  voir  se  conclure  un  accord  à  son  détriment,  s'efforça  de  pro- 
voquer une  réception  plutôt  fraîche  au  frère  de  Guillaume  II, 
porteur  du  rameau  d'olivier  :  on  sait  que  ses  révélations  sen- 
sationnelles manquèrent  leur  effet  et  n'eurent  pour  résultat 


LA  OOBSTION  DU   VENEZUELA  235 

que  de  soulever  une  certaine  tension  entre  Londres  et  Berlin. 
L*é?olation  subite  du  Kaiser  paraissait  naturelle.  Ses  des- 
seii^s  maritimes  étaient  loin  d'être  accomplis';  ses  intérêts 
eommerciaux  dans  le  Nouveau  Monde,  ses  lignes  de  navigation 
sud-américaines  représentant  ensemble  un  capital  de  6  mil- 
liards de  francs,  —  les  60  %  des  capitaux  allemands  d'outre- 
mer, —  étaient  encore  insuffisamment  protégés.   Il  y  avait 
ensuite  la  question  du  renouvellement  des  traités  de  commerce. 
Enfin,  l'Allemagne  ne  pouvait  oublier  que  les  Etats-Unis  et  les 
Républiques  latino-américaines  étaient  ses  mères  nourricières; 
son  comqierce   avec  l'Amérique    se    chiffrait    en   1901    par 
2.773  millions  de  francs  (presque  le  1/4  de  son  commerce  exté- 
rieur) dont  1.825  pour  l'Amérique  du  Norjd;  les  céréales,  les 
denrées  coloniales,  les  matières  premières  qu'elle  en  retirait, 
représentaient  plus  .d'un  milliard.   L'éventualité  d'un  conflit 
prochain    avec    l'Amérique    du    Nord   étant    provisoirement 
ajournée,  il  était  de  bonne  politique  de  retirer  tous  les  avan- 
tages possibles  de  Texpectative. 

Le  frère  de  Guillaume  11  alla  donc  en  Amérique,  sans  y  être 
invité,  pour  donner  Taccolade  forcée  aux  frères  anglo-saxons, 
rappeler  lourdement  aux  Etats-Unis  ht  part  prépondérante  re- 
venant aux  émigrés  allemands  dans  le  rapide  développement, 

^  Eo  1907,  la  flotte  allemande  compreodra  :  l**  37  cuirassés,  dont  24  modernes, 
coDs:ruits  après  1890;  2®  44  grands  croiseurs  dont  H  postérieurs  à  1892;  3*  38  pe- 
tits croiseurs  dont  la  tnoitié  modernes. 

A  theure  actuélU^  elle  peut  faire  partir  dans  un  délai  de  huit  Jourg^  vers  les 
eûtes  d'Amérique  : 

18  cuirassés  d'escadre  modernes  (toujours  prêts). 
6  cuirassés  garde-côtes  (i/2  prêts). 
4  cuirassés  lancés  en  1884  (actuellemept  en   remaniement,  mais 
pouvant  être  rapidement  mobilisés). 
3  grands  croiseurs  (prêts). 
6  petits  croiseurs  (id.), 
50  torpilleurs  de  haute  mér  {id.). 
Son  ayant-garde,  actuellement  dans    les  eaux    vénézuéliennes,  comprend  1  gros 
croiseur,  3  petits  croiseurs,  1  canonnière. 

Son  escadre  d'Extrême-Orient,  forte  de  3  grands  croiseurs,  5  petits  croiseurs, 
4  canonnières  et  2  tocpilleurft  de  haute  mer,  peut  se  concentrer  en  un  clin  d'œil 
devant  Manille  ou  filer,  sur  HawaJ  et  sur  San-Prancisco.  12  croiseurs  auxiliaires 
peuvent  renforcer  rapidement  ces  escadres. 

Le  ravitaillement  peut  être  partout  assuré  par  un  convoi  de  cargo-boats  chargé  de 
bouille. 

Enfin  il  est  possible  d'embarquer-  en  huit  jours,  k  bord  des  grands  paquebots  im- 
médiatement  disponibles,  un  corps   expéditionnaire   de  50.000  hommes  d'élite. 

Les  Etats-Unis  peuvent  mettre  sur  pied,  en  15  jours,  dans  l'Atlantique  Nord, 
16  vaisseaux  de  ligne,  8  croiseurs  cuirassés,  16  croiseurs,  une  dizaine  de  canonnières, 
12  contre-torpilleurs  et  18  torpilleurs  d'escadre,  sans  compter  les  unités  de  protec- 
tion immédiate. des  côtes. 

Les  cercles  maritimes  admettent  qu'un  bateau  allemand  vaut  deux  bateaux  amé- 
ricains en  raison  de  la  supériorité  d'instruction,  d'armement  et  de  Thomogénéité  du 
personnel  de  la  marine  allemande. 


236  QUESTIONS  ùlPLOUXriQVB&   ET  COLONIALES 

la  prospérité  et  la  culture  intellectuelle  de  la  République  et  ra- 
nimer  le  Deutschtum  chez  les  10  millions  de  citoyens  améri- 
cains de  sang  allemand  plus  ou  moins  dilué  :  le  çboc  joyeux 
d'une  bouteille  de  Champagne  du  Rhin,  lancée  par  la  main 
délicate  de  M"'  Alice  Roosevelt  contre  les  flancs  du  yacht  Me- 
teor,  remplaça  le  fracas  des  bombardements.  Le  Bund  national 
des  Allemands  des  Etats-Unis  éleva  des  arcs  de  triomphe  au 
prince  qui,  malgré  son  tact  habituel,  ne  put  éviter  de  com- 
mettre une  lourde  faute,  sous  rinfloence  de  ia  chaleur  corn- 
municatiye  des  banquets,  en  lançant  à  tout  citoyen  américain 
portant  un  nom  à  consonnance  germanique  cette  apostrophe  : 
Souviens-toi  que  tu  es  Allemand. 

L'ambassadeur  extraordinaire,  mal  informé  et  secondé  par 
Tambassadeur  ordinaire,  M.  de  HoUeben,  revint  bredouille  :  les 
Etats-Unis,  embrassés  malgré  eux,  ne  s'étaient  pas  déridés  et 
n'avaient  même  pas  fait  allusion  à  ce  petit  dépôt  de  charbon 
rêvé  par  l'Allemagne  en  vue  des  côtes  du  Venezuela. 

9 
O     « 

Guillaume  II,  feld-maréchal  des  armées  allemande  et 
anglaise,  grand  amiral  de  la  flotte  allemande,  joint  aux  qualités 
militaires  qu'on  lui  reconnaît  officiellement,  dans  son  empire, 
le  don  des  manœuvres  rapides  et  déconcertantes. 

L^annonce  de  l'envoi  à  Washington  de  la  statue  de  Frédéric 
le  Grand,  pour  faire  le  pendant  de  celles  de  Rochambeau  et  de 
Lafayette,  n'ayant  pas  produit  plus  d'effet  sur  l'âme  yankee  que 
l'offre  du  rameau  d'olivier,  le  Kaiser  exécuta  son  mouvement 
d'arme  favori  et  changea  son  fusil  d'épaule.  La  guerre  sud- 
africaine  était  terminée,  l'alliance  anglo-japonaise  signée  :  le 
neveu  combla  l'oncle  de  prévenances,  refusa  de  recevoir  les 
généraux  boers,  accabla  l'armée  anglaise  d'éloges,  convia  lord 
Roberts  et  le  marquis  de  Lansdowne  aux  manœuvres  impériales 
pour  leur  montrer  la  Buren  Taktik^  et  multiplia  ses  séductions 
sur  les  ministres  anglais.  L'état-major  allemand  sortit  de  ses 
cartons  le  fameux  plan  de  campagne  traité  jadis  en  cas  concret 
sur  la  carte  du  Kriegspiel  mondial.  On  se  remit  à  causer  de 
l'imminence  du  péril  américain  et  des  moyens  d'y  faire  face. 

Les  insurrections  de  Haïti,  de  Colombie  et  du  Venezuela  bat- 
taient alors  leur  plein.  Le  président  Castro,  persuadé  que  l'An- 
gleterre et  TAlIemagne  encourageaient  les  insurgés,  se  montrait 
particulièrement  désagréable  à  l'égard  des  nationaux  anglais  et 
allemands  :  les  intérêts  des  deux  nations  allaient  être  grave- 
ment compromis  si  Ton  n'y  mettait  ordre.  Le  croiseur  allemand 
Vineta  fut  rejoint  par  trois  navires  de  guerre  :  deux  b&timents, 


LA  QUESTION  DU   VBNéZUÉLA  237 

écoles  de  cadets,  en  voyage  d'instruction  dans  T Amérique  du  \ 

Sud,  reçurent  Tordre  de  rallier  sans  se  h&ter  les  eaux  vénézué-  H 

lieimes.  La  division  Scheder  se  mit  bientôt  en  branle-bas  de  châ-  4 

timent.  Une  escadre  anglaise  se  disloqua  habilement  entre  les  i 

différentes  Antilles,  prêtes  à  se  concentrer  à  la  moindre  alerte.  I 

Les  Etats-Unis  ne  pouvant  ou  négligeant  «  de  rétablir  Tordre  dan^  ] 

leur  rue  )»,  les  navires  anglo-allemands  allaient  s'en  charger. 
Peut^tre  qu'une  répression  trop  vigoureuse,  une  saisie  de  ter- 
ntoire,  soulèverait  Topinion  publique  américaine  et  provoque-  *  * 

rait  un  conflit  irrémédiable. 

Après  la  première  application  de  la  méthode  allemande,  faite 
aux  dépens  de  la  malheureuse  canonnière  haïtienne  Crête-à^ 
Pierrot^  l'Angleterre  se  laissa  convaincre  de  renforcer  Tescadre 
(le  la  Méditerranée  ;  en  même  temps  Tescadre  allemande  de  In 
Baltique  cachait  son  activité  sous  le  masque  des  évolutions  et 
manœuvres  annuelles.  Nous  savoos  aujourd'hui  que  les  Etats-* 
l'ois,  méfiants  à  juste  titre,  mobilisèrent  et  concentrèrent  en 
même  temps  une  flotte  de  8  cuirassés,  10  croiseurs  et  un  nom- 
bre considérable  de  torpilleurs  et  contre-torpilleurs,  dans  la  mer 
•les  Caraïbes,  sous  le  commandement  de  Tamiral  Dewey,  dont 
Il  prophétie  est  bien  connue  :  «  La  première  grande  guerre  des 
Etats-Unis  se  fera  contre  V Allemagne.  » 


Après  quatre  mois  de  négociations  avec  TAngleterre  et  de 
i^quetteries  empressées  àTégarddu  Foreign  Office^  Guillaume  H 
♦^  décida  à  aller  chasser  à  Sandrigham.  11  se  plaignit  d'abord 
imèrement  à  son  oncle  des  attaques  incessantes  de  la  pressa*! 
njrlaise  contre  l'Allemagne,  puis,  entre  deux  tirés,  détermina 
Eilouard  Yll,  peu  soucieux  de  se  lancer  dans  la  politique  person- 
nelle, à  ne  plus  tolérer  les  insolences  du  président  Castro,  les 
adultes  au  pavillon  et  aux  nationaux  britanniques,  et  à  exiger 
alio,  à  Taide  d'une  action  commune  anglo-allemande,  le  paie-* 
iient  des  fameuses  créances  sans  cesse  ajourné.  On  allait  enfin 
«iter,  à  cette  occasion,  pour  la  première  fois,  cette  fameuse  doc- 
u'ine  non  écrite  de  Monroe  que  Ton  n'avait  pas  encore  violée  et 
lonl  il  importait  de  préciser  la  portée.  Guillaume  H  écarta 
'priori  la  solution  de  Tarbitrage  préalable,  employée  peu  de 
aiois  auparavant  avec  succès  par  la  France  pour  la  reconnais- 
^ance  d'une  créance  double  de  celles  de  TAngleterre  et  de 
•  Mlemagne  réunies.  On  connaît  la  suite. 

^iuel  sera  le  résultat  final  de  l'engagement  d'épée  déjà  des- 

MUé? 

L'insistance  avec  laquelle  TAUemagne  a  essayé  d'embrouiller 


T'^' 


UNE    PREMIÈRE 
OCCUPATION   ALLEMANDE   AU  VENEZUELA 

XV1«    SIÈCLE    (1526-1546) 


Les  querelles  de  rAUemagne  avec  le  Venezuela  soulèvent 
une  question  historique  dont  on  ne  s'est  guère  occupé  en 
France.  Mais  la  presse  berlinoise  n  a  pas  manqué  de  rappeler 
avec  orgueil  que  le  Venezuela  avait  été,  au  xvi*  siècle,  occupé  et 
administré  par  des  Allemands  et  Tun  des  principaux  organes 
d'outre-Rhin  la  dénommé  ce  la  plus  ancienne  des  colonies  alle- 
mandes *  » . 

Il  est  bien  vrai  que  l'empereur  Charles-Quint,  se  trouvant  à. 
court  d'argent,  avait  en  1528  affermé  sa  colonie  du  Venezuela 
aux  riches  banquiers  d'alors,  les  Welser  d'Augsbourg.  Par  un 
traité  en  date  du  27  mars  de  cette  année,  il  autorisait  ces  der- 
niers, en  échange  des  fonds  qu'ils  lui  remirent,  à  exploiter  et  à 
administrer  le  pays  à  leur  guise.  Les  Welser,  qui  songeaient 
moins  à  coloniser  qu'à  se  procurer  de  l'or,  envoyèrent,  comme 
premier  gouverneur  au  Venezuela,  Ambroise  Allinger,  à  qui  ils 
adjoignirent  comme  lieutenant  Bartolomé  Sailer.  Ceux-ci  arri- 
vèrent à  Coro  *  au  commencement  de  l'année  1529,  avec  quatre 
cents  hommes  et  quatre-vingts  cavaliers.  Ils  ne  tardèrent  pas  à 
s'enfoncer  dans  l'intérieur  des  terres  à  la  recherche  des  mines, 
et  poussant  leurs  incursions  jusqu'à  Sainte-Marthe,  ils  laissè- 
rent dans  tous  les  pays  qu'ils  traversaient  des  traces  sanglantes 
de  leur  passage.  Faisant  bon  marché  de  la  vie  des  indigènes, 
ils  les  mettaient  à  mort  par  bandes  et  le  désespoir  força  les 
Indiens  à  prendre  les  armes.  Alfinger  fut  battu  en  différentes 
rencontres  et  reçut  plusieurs  blessures.  La  moitié  des  Allemands 
succomba  sous  les  flèches  des  naturels;  presque  tous  les  autres 
moururent  d'épuisement  et  de  fatigue,  torturés  par  la  soif  insa- 
tiable de  l'or.  En  peu  de  temps,  les  Allemands  furent  réduits 
à  un  très  petit  nombre  d'hommes. 

Cependant  Alfinger,  ainsi  que  son  lieutenant  et  les  compa- 

1  Berliner  Tageblait,  14  décembre  1902. 

s  Coro  (Etat  Falcon),  première  capitale  du  Venezuela  et  ville  épiscopale  jusqu^ea 
1606,  époque  à  laquelle  on  transféra  le  siège  du  gouvernement  à  Caracas. 


UNE   PREMIÈRE   OCCUPATION  ALLEMANDE  AU   VENEZUELA  241 

paons  qui  lui  restaient,  s'était  laissé  persuader  que  bien  loin, 
dans  rintérieur  du  pays,  se  trouvait  une  maison  toute  d'or.  Ils 
s  engagèrent  en  une  expédition  aventureuse  dans  les  montagnes 
de  la  Nouvelle-Grenade  (septembre  1530),  et  faisant  porter  aux 
Indiens,  deux  à  deux,  des  charges  que  les  mulets  auraient 
trouvées  trop  pesantes,  ils  s'enfoncèrent  toujours  plus  avant.  Les 
malheureux,  épuisés  de  fatigue,  s'arr{^taient-ils;  Alfinger  leur 
faisait  couper  la  tête  pour  les  séparer  et  ne  pas  arrêter  la  mar- 
che*. La  maison  d'or  ne  parut  point  et  Alfinger  dut  revenir  sur 
ses  pas.  Mais  il  ne  devait  point  rentrera  Coro;  attiré  dans  une 
embuscade  par  les  Indiens,  il  périt  assassiné. 

La  malheureuse  ambition  du  premier  gouverneur  allemand 
devait  continuer  à  hanter  ses  successeurs  et  à  exercer  sur  leur 
administration  les  plus  fâcheuses  conséquences.  Pendant  plus 
de  quinze  ans,  les  délégués  des  Welser  rêvèrent  des  palais  d'or, 
des  grands  royaumes  féeriques,  où  l'or  se  trouvait  partout,  dans 
les  eaux  des  fleuves,  comme  dans  les  flancs  des  montagnes,  et 
sans  cesse  à  la  recherche  du  pays  fortuné  de  VEl  Dorado^  ils 
épuisèrent  leurs  forces  et  leurs  ressources  dans  des  expéditions 
fônestes  et  sans  cesse  renouvelées  *. 

Le  premier  successeur  d' Alfinger  fut  Johann  que  Ton  appe- 
lait El  Alenion.  Nous  ne  savons  rien  de  son  administration, 
sinon  qu'il  fit  un  peu  oublier  aux  Espagnols  les  cruautés  de  son 
prédécesseur  et  qu'il  mourut  avant  d'avoir  eu  le  temps  de 
ï'engager  dans  aucune  expédition. 

Les  Welser  choisirent  pour  lui  succéder  George  Hohermuth, 
originaire  de  Spire,  et  que  les  Espagnols  désignèrent  pour  cette 
raison  sous  le  nom  de  George  de  Spira.  Il  arriva  au  Venezuela, 
accompagné  d'un  jeune  lieutenant,  Philippe  de  Hutten,  et 
d'hommes  passionnés  pour  les  aventures.  Hohermuth  était  un 
homme  probe  et  honnête,  un  général  consommé,  et  avec  cela, 
dirent  les  historiens  espagnols,  un  bon  chrétien,  aimé  des  sol- 
dats et  de  la  population.  Il  avait  toutes  les  qualités  nécessaires 
pour  devenir  un  excellent  gouverneur.  Malheureusement,  la 
malédiction  qui  semblait  s'attacher  à  tous  les  représentants  des 
Welser  s^appesantit  sur  lui;  la  fièvre  de  l'or  le  tortura,  au  point 
qu'il  en  devint  véritablement  fou  furieux,  et  Tinsensé  ici 
démente)^  comme  l'appelle  Herrera,  ne  voulut  pas  goûter  un 
instant  de  repos  avant  d'avoir  pénétré  dans  TEl  Dorado.  A  peine 

*  Docomenls  inédits  communiqués  par  Thistorien  vénézuélien  Aristides  Rojas. 

2  Cf.  AxToicio  DE  Hbrrbba  :  Décades,  4  vol.,  Madrid,  1601  ;  —  Gonzalo  Oviedo  : 
la  Bistoria  de  las  Indias  (1547)  ;  —  Lopez  de  Gom ara.  :  Historia  de  las  Indias 
Anvers,  1554);  -^  Pibrbe,  martyr  d'Anghiera  :  Décades  Oceanicas  (Colon,  1518);  — 
VcMZHT  et  HcjasRT  :  Le  Venezuela  (Pion  et  Nourrit.  Bibliothèque  illustrée  de* 
fojafes). 

Oostr.  DiFL.  w  Coi-'  —  ».  xt.  16 


242  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET    COLONIALES 

arrivé  à  Coro,  il  nomma  un  vice-gouverneur,  Federmann,  pour 
le  remplacer  dans  ses  fonctions  administratives,  et  s'engagea 
dans  une  aventureuse  expédition.  Pendant  trois  ans  il  courut 
les  montagnes,  souffrant,  lui  et  sa  troupe,  de  tous  les  genres 
de  misères;  ils  revinrent  à  Coro,  sans  avoir  trouvé  d*or,  à  bout 
de  forces  et  dans  le  dénûment  le  plus  absolu. 

Durant  Tabsence  de  George  de  Spira,  Federmann  avait  et*'* 
nommé  gouverneur.  Soldat  de  grand  talent,  homme  d'un 
caractère  ferme  et  énergique,  c'était  un  successeur  dij^rie 
d'Hohermuth;  mais  il  eut  hâte  de  suivre  les  traces  de  ce  der- 
nier et  s'engagea  dans  les  montagnes  de  la  Nouvelle-Cirenacle 
en  une  expédition  qu'il  nous  a  décrite  lui-môme  dans  riiistoiro 
de  ses  aventures  qui  parut  en  iS5o,  après  sa  mort. 

Federmann  ne  revenant  pas,  on  le  considéra  comme  cessant 
ses  fonctions,  et  l'évéque  de  Coro,  Bastidas,  fut  chargé  par 
YAufliencia  de  Saint-Domingue  de  prendre  en  mains  le  gouver- 
nement du  Véné/uéla.  Mais,  sur  ces  entrefaites,  George  de  Spira 
revint  de  son  expédition,  et  de  par  les  droits  des  Welser,  se  trouva 
rétabli  en  sa  charge  de  gouverneur.  Ce  ne  devait  pas  être  pour 
longtemps,  et  il  méditait  déjà  une  seconde  expédition  lorsque  l 
mourut  dans  l'hiver  de  1S40. 

L'évéque  Bastidas  lit  alors  nommer  gouverneur  le  jeune  lieu- 
tenant d'Hohermuth,  Philippe  de  Hulten.  D'un  caractère  roma- 
nesque et  aventureux,  généreux  et  confiant,  mais  en  nionie 
temps  faible  et  tiuiide,  il  ne  devait  être  qu'un  instrument  entre 
les  mains  de  Bastidas.  L'astucieux  Espagnol,  en  effet,  ne  Tavait 
fait  élever  à  la  dignité  de  gouverneur  que  pour  mieux  dirîj^^or 
lui-même  les  affaires  du  Venezuela,  et  il  lui  imposa,  pour  ainsi 
dire,  la  condition  d'organiser  une  expédition  dans  l'intérieur 
du  pays.  Les  Welser  confirmèrent  Philippe  dans  ses  fonctions, 
et  ils  lui  donnèrent  même  comme  lieutenant  un  membre  cle 
leur  famille,  Bartolomé  Welser,  pour  l'accompagner  t\  lu 
recherche  de  ces  Amazones  qui  occupaient,  disait-on,  bien  loin, 
sur  les  confins  d'un  fleuve  immense  (le  Marafton),  un  pays  vaste 
et  fertile  qui  renfermait  dans  son  sein  de  l'or  en  abondance. 
Philippe,  qui  n'avait  jamais  ambitionnné  que  la  gloire,  se 
voyait,  comme  malgré  lui,  entraîné  h.  la  recherche  du  métal  fas- 
cinant; aussi  quitta-t-il  Coro  avec  des  pressentiments  sinistres 
qui,  hélas!  ne  devaient  que  trop  tôt  se  réaliser. 

En  effet,  tandis  que  Hutten  et  Bartolomé  erraient  à  travers 
les  forêts  et  que  les  soldats  se  querellaient  avec  les  employés  et 
les  habitants  de  Coro,  un  aventurier  espagnol,  Juan  de  (lar- 
vajal,  qui  avait  suivi  les  expéditions  des  Allemands,  usurpa  le 
itre  de  gouverneur,  triomphant  ])ar  la  ruse  et  l'audace  (lo    lu 


UNE   PREMIÈRE   OCCUPATION   ALLEMANDE   AU    VENEZUELA  243 

confiance  et  de  la  timidité  de  Hutten.  Il  Tinvita  à  dîner  à 
Tocuyo  *  et  l'obligea  à  conclure  avec  lui  un  traité  par  lequel  il 
reconnaissait  la  légitimité  de  ses  prétentions.  Mais  Carvajal  ne 
se  contenta  pas  de  ce  résultat,  et  dans  la  Semaine  Sainte  d<^  i^îlti 
il  surprit,  vers  minuit,  Philippe  de  Hutten  et  Bartolomé  \\  i*lsei\ 
et  les  assassina  traîtreusement  ainsi  que  deux  nobles  Espa- 
gnols. 

L'indignation  que  causa  la  perfidie  de  l'usurpateur  fut  uni- 
verselle: Espagnols  et  Allemands  furent  unanimes  pour 
réclamer  le  châtiment  de  Carvajal.  Don  Juan  Pérez,  homme 
juste  et  courageux,  fut  délégué  par  Charles-Quint  dans  les  fonc- 
tions de  justicier.  Il  fit  arrêter  Carvajal  et  condamna  le  iniitre 
.\  être  pendu. 

Philippe  et  Bartolomé  étaient  morts  en  braves,  «  méritant, 
disent  les  chroniqueurs,  des  lauriers  et  des  palmes  ».  C»>lte 
catastrophe  causa  aux  Welser  d'Augsbourg  une  profondi*  dou- 
leur; ils  commencèrent  à  détourner  leurs  regards  du  Venezuela. 
Les  vingt  années  d'aventures  aussi  funestes  qu'audacieu>t*s  de 
leurs  délégués  ne  leur  avaient  procuré  que  mécomptes  et  <ir*et*p- 
tions  de  toutes  sortes.  Frappés  à  la  fin  dans  leurs  plus  cli^res 
affections  par  la  mort  d'un  des  leurs,  ils  revêtirent  le  noir  en^pe 
de  deuil,  et  bientôt  après  ils  abandonnèrent  tous  leurs  droits  sur 
le  Venezuela,  qui  retomba  sous  l'administration  dire»  tr  lie 
»J)arles-Quint. 

Telle  est  dans  ses  grandes  lignes  l'histoire  de  la  domination 
^lemande  au  Venezuela  de  1528  à  1546.  Les  Welser  nrnit  eu 
^Hoime  été  que  les  fermiers  de  Charles-Quint;  le  bail  résilié, 
tous  les  droits  ont  cessé  et  les  Allemands  d'aujourd'hui  n*'  peu- 
vent guère  s'appuyer  sur  les  titres  acquis  par  leurs  ancêtres  pour 
justifier  une  occupation  du  Venezuela.  En  revanche,  ils  tnjuve- 
Tdient  peut-être  dans  cette  histoire  quelques-unes  des  raisons 
Ju  peu  de  sympathie  dont  jouit  actuellement  au  Vén<*/uéla 
Vlf^ment  allemand.  C'est  précisément  ce  peu  de  sympathie  qui 
-xplique  rinsuccèsde  la  révolution  et  le  recul  momentané  subi 
par  le  g:énéral  Matos.  Le  président  Castro,  en  elfet,  est  moins 
limé  que  redouté  par  ses  compatriotes,  et  la  fin  de  sa  diclaluie, 
qui  n'a  cessé  d'être  troublée  par  laguerre  civile,  serait  sans  lioute 
accueillie  par  un  immense  soupir  de  soulagement.  M;iis  la 
'évolution  est  encouragée   secrètement  par  les  Allemands,  et 


'  Tocujo,  ville  de  l'Etat  Lara,  située  par  9o  35'  latitude  Nord,  72o40'  J.nii.^jtude 
'*ntst^  sur  la  rive  droite  de  la  rivière  de  ce  nom,  dans  une  vallée  qui  s'im  lioc  un 
;  ."U  vers  rOuest.  Productions  :  café,  quinquina,  peaux  de  biques  et  de  bu-uffl,  hlé, 
:3.nne  à  sucre,  fruits.  —  Dans  les  environs,  mines  d'antimoine,  de  liisinnih,  ilô 
cuivre,  de  fer,  d'argent  et  de  plomb.  —  Fondée  par  Carvajal  le  1  décembre  t5t,i. 


244  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

bien  que  ron  s'accorde  à  représenter  Matos  comme  un  esprit 
aimable  et  une  grande  intelligence,  on  sait  qu'il  est  Fhomme 
des  Allemands  et  on  Taccuse  de  recevoir  d'eux  des  secours  et 
des  munitions.  Il  a  d'ailleurs  été  élevé  en  Allemagne,  et  on  lui 
donne  au  Venezuela  le  même  surnom  qu'autrefois  au  successeur 
d'Alfinger;  on  l'appelle  Matos  «  el  Aleman  ».  Cependant  le  Véné- 
zuélien est  ausçi  peu  rancunier  qu'ami  du  changement.  Au 
XVI*  siècle,  malgré  le  mauvais  souvenir  qu'avait  laissé  Alfinger, 
on  accueillit  avec  joie,  à  Coro,  Hohermuth  et  Hutten,  et  aujour- 
d'hui, si  les  Allemands  consentaient  à  régler  pacifiquement  leurs 
différends,  le  bombardement  du  fort  San-Carlos  serait  bien  vite 
oublié.  Il  ne  serait  pas  impossible  alors  que,  grâce  à  un  revire- 
ment d'opinion  en  faveur  des  Allemands,  le  général  Matos 
regagnât  l'affection  de  bon  nombre  de  ses  concitoyens,  et  nul  ne 
peut  prévoir  ce  qui  arriverait. 


GONZALÈS    FiGUEIRAS. 


Ll  PRESSE  POLITIQUE 

Elf     BOHÊME,   MORAVIE    ET    SILÉSIB  ' 


Dans  la  lutte  politico-nationale  entre  Tchèques  et  Allemands, 
la  presse  est  non  pas  le  seul,  non  pas  même  toujours  le  prin- 
cipal, mais  un  des  plus  importants  moyens  d'action.  Tout  à  la 
fois  cause  et  effet  par  rapport  à  Topinion  publique,  le  journal 
est  souvent  autant,  parfois  plus  que  le  suffrage,  surtout  en 
Aufa-iche,  un  des  signes  extérieurs  de  Tétat  d'esprit  d^une 
nation,  en  même  temps  que  de  son  développement  cultural. 

C'est  à  ce  point  de  vue  que  nous  voudrions  ici  esquisser  la 
situation  présente  de  la  presse  dans  ce  qui  fut  jadis  le  royaume 
de  Bohême,  et  ce  qui  est  aujourd'hui  le  principal  champ  de 
combat  entre  Tchèques  et  Allemands,  dans  les  trois  pays  de 
la  couronne  [Kronland  selon  l'expression  allemande)  :  Bohème, 
Moravie  et  Silésie. 

On  ne  trouvera  donc  pas  ici  un  catalogue  de  tout  ce  qui  peut 
paraître  comme  journal  quotidien  dans  cette  partie  de  l'empire, 
mais  seulement  les  organes  les  plus  importants  quant  à  leur 
nombre  de  lecteurs,  leurs  inspirateurs  ou  les  tendances  nou- 
relles  qu'ils  révèlent.  Toutes,  les  fois  que  nous  le  pourrons, 
nous  indiquerons  le  chiffre  de  leiu*  tirage  :  quoique  nous  ayons 
puisé  ces  renseie^nements  à  des  sources  très  autorisées,  ils  sont 
d'un  ordre  trop  délicat  pour  que  nous  puissions  les  donner 
autrement  que  sous  réserve  :  ils  suffiront  cependant,  je  crois, 
pour  indiquer  la  diffusion  des  feuilles  que  nous  nommerons. 

Pas  plus  que  nous  ne  voulons  faire  un  catalogue,  nous  ne 
pouvons  faire  ici  une  étude  des  partis  :  à  l'heure  actuelle  sur- 
tout, cela  demanderait  une  série  d'articles  pour  indiquer  avec 
nuance  et  précision  les  caractéristiques  de  chacun  d'entre  eux. 
Sous  nous  contenterons  en  ce  moment  de  marquer  d'une  note 
rapide,  et  forcément  superficielle,  la  couleur  politique  ou  la  ten- 
dance des  divers  journaux. 

Je  crois  pourtant  qu'on  aura  une  idée  suffisamment  com- 
plète de  la  presse  de  Bohême,  Moravie  et  Silésie,  quand  on 
aura  esquissé  Taspect  en  quelque  sorte  extérieur  d'un  journal, 
les  partis  auxquels  se  rattachent  les  plus  importantes  feuilles 
et  l'influence  que  celles-ci  peuvent  avoir  sur  la  population. 


s  V.  Quest.   Dipl.  et  CoL^  15  juillet  et  15  août  1902. 


246  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 


L  ASPECT   DU    JOURNAL 


Sauf  la  différence  de  langue  et  le  nombre  de  pages,  tous  les 
journaux,  tchèques  comme  allemands,  ont  le  même  aspect  : 
comme  en  beaucoup  d'autres  choses,  les  Tchèques  ont  été  si 
imprégnés  de  civilisation  allemande  pendant  les  deux  derniers 
siècles,  que  leurs  mœurs,  leurs  coutumes  et  leurs  journaux  ne 
diffèrent  point  de  ceux  de  leurs  adversaires;  leur  format  est 
celui  des  feuilles  d'Allemagne,  à  peu  près  de  grandeur  moitié 
moindre  que  celui  de  nos  journaux  français;  les  organes  impor- 
tants ont  8,  12,  16,  jusqu'à  24  pages;  les  plus  petits,  de  4  à  8; 
beaucoup  publient  des  suppléments  hebdomadaires  ou  plus  fré- 
quents; certains,  des  suppléments  illustrés,  mais  assez  rare- 
ment. Comme  en  Allemagne,  l'annonce  y  est  très  développée  : 
on  peut  dire  qu'elle  remplit  la  moitié  du  journal,  même  quand 
il  y  a  16,  20  ou  24  pages  :  quoique  bon  marché,  Tannonce  et 
la  réclame,  auxquelles  on  a  recours  plus  fréquemment  qu'en 
France,  sont  une  facilité  pour  l'extension  des  journaux.  La 
plupart  des  feuilles  n'ont  qu'une  édition  par  jour  (quelques- 
unes  même,  de  moindre  importance,  tous  les  deux  jours)  ;  à 
Prague,  quelques  grands  organes  ont  une  édition  principale 
[Hauptblatt  en  allemand)  le  matin  et  une  édition  réduite  à 
4  pages  le  soir  [Abendblatt]  pour  les  nouvelles  de  la  journée. 

Les  journaux  écrivent  naturellement  surtout  sur  la  politique 
intérieure,  dont  là-bas  tout  le  monde  s'occupe  beaucoup  plus 
qu'en  France,  et  ils  sont  certainement  l'une  des  causes  de  la 
difficulté  à  résoudre  la  moindre  question  divisant  les  deux 
nationalités.  Aussi,  sauf  quelques  exceptions,  rejettent-ils  au 
second  plan  les  questions  économiques  et  sociales,  si  impor- 
tantes pour  l'Autriche  à  l'heure  présente,  et  les  articles  litté- 
raires. Généralement  c'est  sous  une  rubrique  spéciale  qu'ils 
réunissent  les  nouvelles  économiques  courantes  :  les  journaux 
allemands  l'intitulent  souvent  :  National-CEkonom.  Quant  à 
la  littérature,  en  dehors  du  feuilleton,  qu'il  est  souvent  diffi- 
cile d'y  faire  rentrer,  elle  n'est  guère  représentée  que  par 
quelques  contes,  des  critiques,  des  comptes  rendus  et  des  «  au 
jour  le  jour  »  relatant  les  petits  événements  du  monde  artis- 
tique et  littéraire  ;  toutefois  certaines  feuilles  tendent  à  publier 
de  temps  à  autre  des  suppléments  où  se  rencontrent:  nouvelles, 
causerie,  vers.  J'en  ai  un  entre  les  mains  intitulé  «  la  Poésie 
moderne  française  »,  où  l'on  a  traduit  en  vers  tchèques  des 
pièces  de  nos  plus  contemporains  versificateurs  :  Verhaeren, 


L\   PHES&E    POLITIQUE    EN   BOlll^MEj    MOflAVlE    ET   SILÉSIE  247 

Tailhade,  Verlaine,  Kaha,  FL  de  Régnier,  ^Tristan  Corbière, 
ixiinl**  Uobert  de  Montesquîou-Fezensac^  été...  Je  n'ai  jamais 
autant  regretté  de  ne  pouvoir  lire  le  tchèque  que  devant  cette 
traduction,  en  vers  je  vous  prie,  de  qiielt[ues-uns  des  vers  no- 
tuirf*>  (les  Hortensias  hleus. 

Mai*:    letj;  journaux  ^-occupent    presque  autant  de   politique 
extérieure  que  de  politique  intérieure,  ce  qui  nous  change  des 
hainludes  fnincuises  ;  le  monde  tchèque  U>\xi  entier  et  l'Aile- 
tnagne  qui  enserre  leur  pays  les  intéressent  plus  que  tout  autre 
Étal.  tj?[iendant   ils  s  intéressent  presque   autant   aux  choses 
franÇiiises  :  ehaqiu^  jour  un  grand  nombre  il<^  dépêches  les  ren- 
seignent sur  elles.  Parfois  même,  les  journaux   tchèques   s'en 
occupent  pins  qu'il  ne  faudrait  et   Ttm    y  a  pu  lire  de  longs 
iirticles  virulente^  |Hïur  ou  eonlre  les  quesliims  intérieures  qui 
nous    divisi^iit.    Même   ceux    qui    eu    France   partagent  leurs 
itlée^    se    sentiraient   choqués,   s'ils    les   pouvaient    lire,    des 
rxpn'ssions  que  de  regret  la  Ides  excès  de  plume  laissent  passer 
4a ns    de^    journaux     qui    [irécheni     l'eutenle    franco-tchèque. 
UuVntre  nous  ht  polémique  entraîne  à  jeter  à  ses   adversaires 
ile&  ép  il  hé  tes  comme  «  handits  cosmopolites  »  ou  «  vendus-  à 
Rome,   Genève  ou  Berlin    h,  cela  est  di'   maigre  importance; 
mais    quand    on    les    rencontre    dans    un    journal    étranger, 
**ïDplny»^>es  comme  avec  conviction,  eeiui-là  même  ou  ceux-là 
ipii    les     auraient    involonlairement,  je    l'espère,  inspirées  de 
France,  ne  pourraient  qu  épniiivcr  un  serrement  de  cœur  en  les 
i>*y~ant   appliquer  k  toute  une    catégorie  d<'   ses  concitoyens. 
Uan^lintérèt  même  de  la  cause  qu'ils  défendent,  ceux  qui  se 
;*melament  nois  amis  en  Hohénie,  devraient    sentir  le   déplo- 
rable eiTet  que  de  lels  articles  produisent  en  France,  et  surtout 
produira îenl,  s'ils  y  étaient  connus,  étiez  les  gens  raisonnables 
Jetons  les  partis  :  leur;^  adversain^s   ne  jiourraient  leur  jouer 
plu^  méchant  tour  que  de  traduire  el  publier  chez  nous  de  tels 
passages.  Cela  nous  paraîtrait  i\  tous  aussi  déplacé  qu'à  eux  si 
îwiijs  nous   mêlions    inconsidérément  de  prendre  violemment 
farti  t^ntre  les  diverses  tractions  politiques  tehèques,  d'injurier 
li-s  uns  pour  soutenir  les  autres  :  cela  ne  serait  certes  pas  utile 
i ceux  q non   soutifMidrait  et  nous  manquerions  de  la  réserve 
<juentre  nations  dillerenles  on  se  doit  garder.  Les  meilleurs 
unis  des  Tchèques  en  France   souhaitent  qu'ils   ne  compro- 
metient  pas  leur  propre  cause  par  des  manifestations  qui  par- 
tent, je  le  veux  bien,  d^in  naturel  sincère   <t  croyant  tout  ce 
(pi 'on  écrit  chez  nous  h  la  légère,  mais  qui  manquent  vraiment 
tropd\ine  retenue  indispensable. 

Au  reste,  la  France  est  encore  mal  connue  en  Bohème  :  les 


248  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET^ICOLONULKS 

journaux  publient  nombre  de  dépêches,  articles  ou  traductions 
concernant  les  choses  françaises,  mais  pas  un,  à  ma  connais- 
sance, n'a  de  correspondant  à  Paris,  pas  un  ne  publie  des  arti- 
cles venant  de  France,  faits  par  un  Tchèque  connaissant  bien 
notre  pays,  ou  par  un  Français,  dont  on  traduirait  la  prose  :  il 
y  a  eu  seulement  quelques  articles  donnés  il  y  a  assez  long- 
temps à  un  ou  deux  journaux  de  Prague  par  quelques  per- 
sonnes après  leur  passage  en  Bohème,  par  M.  P.  Dareste, 
entre  autres,  je  crois,  mais  ces  collaborations  n'ont  pas  con- 
tinué. Les  journaux  et  le  peuple  tchèques  ne  connaissent  donc 
la  France  que  par  quelques-uns  des  leurs  (en  très  petit  nombre) 
qui  y  ont  séjourné  et  ont  su  nous  apprécier,  et  par  un  grand 
nombre  d'autres  qui  ne  nous  aperçoivent  qu'à  travers  des  répu- 
tations de  romans,  des  spectacles  «  bien  parisiens  n,  ou  des 
dires  de  Français  intéressés,  dont  ils  s'exagèrent  Tinfluence 
politique  et  qui,  reçus  à  Prague  et  contraints,  j'imagine,  par 
les  circonstances,  ont  «  bluffé  »,  si  Ton  me  permet  l'expression. 
Les  journaux,  désireux  de  multiplier  les  relations  franco- 
tchèques,  feraient,  je  crois,  une  réforme  utile  en  publiant 
quelques  correspondances  françaises  bien  informées  et  d'esprit 
pondéré. 


Pour  mieux  fixer  Taspect  d'un  journal  de  ce  pays,  je  vou- 
drais, à  titre  de  spécimen,  décrire  brièvement  un  numéro  pris 
au  hasard.  Voici,  par  exemple,  un  exemplaire  de  la  Polilik  : 
c'est  un  journal  fondé  il  y  a  quarante  et  un  ans  à  Prague,  dirigé 
depuis  cinq  ans  par  un  publiciste  distingué  et  prudent, 
M.  Bretter.  Cet  organe  est  d'opinion  vieux-tchèque,  mais  il  est 
surtout  rinterprète  des  Tchèques  devant  Topinion  austro-hon- 
groise et  européenne  :  c'est  en  effet  le  seul  quotidien  de  sen- 
timent tchèque,  mais  écrit  en  allemand  ;  il  tire  de  là  sa  grande 
importance,  quoique  son  tirage  n'oscille  qu'aux  environs  de 
10.000  numéros;  il  la  tire  aussi  de  ce  fait  qu'il  est  intime- 
ment uni  au  plus  répandu  journal  de  Bohême,  dont  nous 
reparlerons  plus  loin,  les  Narodni  Polilika, 

Le  numéro  ^que  j'ai  sous  les  yeux  a  24  pages  du  format 
ordinaire  des  journaux  allemands  :  en  première  page,  un 
article  sur  les  projets  de  chemin  de  fer  et  un  feuilleton  tra- 
duit de  Sienkievvicz  ;  puis  une  page  sur  la  politique  générale 
intérieure,  une  autre  sur  la  politique  extérieure  et  un  second 
feuilleton  ;  sous  le  titre  de  Tageschronik,  7  colonnes  (la  page 
est  de  3  colonnes)  sur  une  multitude  de  faits  où  se  cou- 
doient entrefilets  politiques,  comptes  rendus  de  réunions,  nou- 


U  PRESSE   POLITIQUE  EN  BOHÊME,    MORAVIE   ET   SILÉSIE  249 

Telles  locales,  avec  des  réclames  pour  finir  ;  puis  encore  des 
chroniques,  c'est-à-dire  un  assemblage  de  petites  nouvelles,  ce 
que  nous  appelons  en  France  des  «  échos  »,  une  sur  le  sport, 
une  sur  les  associations  ou  sur  la  littérature  et  l'art,  une  sur 
le  Palais  de  Justice,  et  cette  douzaine  de  colonnes  d'au  jour  le 
jour  se  termine  par  les  «  petites  nouvelles  »  qui  sont  intitulées 
Mosaik.  Avec  quatre  colonnes  de  nouvelles  télégraphiques 
\Drahtnachrichten)  de  l'intérieur  et  de  l'étranger,  se  termine 
la  partie  politique  du  journal.  Les  quatre  pages  suivantes  sont 
un  véritable  journal  économique  et  financier  :  une  chronique 
sur  le  marché  des  sucres,  si  importants  pour  la  Bohême,  des 
échos  et  comptes  rendus  de  toute  sorte,  groupés  sous  le  nom  de 
^ational-Œkonom  et  pour  terminer  les  cours  et  nouvelles  de 
la  Bourse  des  valeurs  et  des  marchandises.  Cet  ensemble  rem- 
plit les  douze  premières  pages  du  journal  :  les  douze  suivantes 
sont  le  domaine  exclusif  de  l'annonce  et  de  la  réclame. 

Tel  est,  sauf  différences  de  langue,  d'étendue,  et  sauf 
quelques  changements  de  minime  importance,  le  schéma  d'un 
journal  tchèque  ou  allemand  de  Bohême  :  on  voit,  sans  que 
[insiste,  les  qualités  qu'il  possède  et  les  défauts  qui  nous  cho- 
queraient, du  moins  selon  nos  coutumes  françaises. 

II 

LES    JOURNAUX    ET    LES  PARTIS 

Pris  dans  leur  ensemble  et  sauf  exceptions  particulières,  les 
journaux  tchèques,  comme  les  journaux  allemands  de  Bohême, 
Moravie  et  Silésie,  forment  comme  trois  couches  successives  : 
les  plus  anciens  sont  plutôt  vieux-tchèques  ;  ensuite  des  organes 
^e  sont  fondés  ou  sont  devenus  jeunes-tchèques  ;  enfin  les 
nouveaux  partis,  radicaux,  socialistes-nationalistes  et  même 
agraires,  ont  voulu  à  leur  tour  posséder  leurs  quotidiens. 

Les  Vieux-Tchèques,  le  parti  dominant  avant  les  «  Poncta- 
tions  »  de  i890,  détiennent  à  Prague,  outre  le  journal  la  Po- 
liiik  dont  nous  venons  de  parler,  son  frère  tchèque  les  Na- 
rodni  Politikn  (la  Politique  nationale).  C'est,  sans  contredit,  le 
plus  important  organe  de  tout  le  Nord  de  TAutriche  et  il  laisse 
?^sez  loin  derrière  lui  tous  ses  concurrents  tchèques  ou  alle- 
mands :  son  tirage  ne  se  monte  pas  à  moins  de  60  à  100.000 
exemplaires  et  il  va,  dit-on  parfois,  jusqu'à  120  et  130.000. 
'"est  donc  un  organe  de  toute  première  importance,  dans  les 
mêmes  mains  que  la  Politik  et  avec  une.  administration  ju- 
melle. Malgré  leur  défaite  politique,  les  Vieux-Tchèques  ont  su 
lui  garder  sa    valeur  et  le  maintenir  dans  leur  pouvoir.    A 


L 


250  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Prague,  les  Vieux-Tchèques  ont  encore  un  autre  organe,  Hlas 
Naroda  (la  Voix  nationale).  Son  directeur,  le  D*"  Bastyr,  an- 
cien conseiller  municipal  de  la  ville,  a  cherché  à  lui  donner 
une  originalité;  il  met  au  premier  plan  les  questions  sociales 
et  économiques  et  le  principal  collaborateur  qui  les  traite  est 
le  D""  Albin  Braf,  professeur  à  TUniversité  tchèque  et  Tun  des 
remarquables  esprits  de  la  Bohême  contemporaine;  il  publie 
des  suppléments  littéraires  où  Ton  peut  voir  la  signature 
d'Emmanuel  de  Cenkov,  poète  délicat  et  traducteur  de  romans 
de  Victor  Hugo;  il  fait  l'essai  d'un  supplément  illustré  quoti- 
dien; ses  efforts  n'ont  encore  qu'à  moitié  réussi,  car  le  tirage 
du  journal  est  d'environ  6.000. 

Les  autres  organes  plus  ou  moins  vieux-tchèques  sont  de 
beaucoup  moindre  importance  :  c'est,  àPilsen,  li^Pézens/îé Listi/ 
(Gazette  de  Pilsen)  qui  ne  se  sépare  en  rien,  comme  du  reste 
presque  tous  les  organes  vieux-tchèques,  des  journaux  jeunes- 
tchèques,  si  ce  n'est  par  l'inspiration  intime,  certaines  ten- 
dances, la  manière  et  un  peu  la  classe  sociale  à  laquelle  ils 
s'adressent  et  surtout  dont  ils  émanent.  Il  tire  de  1.500  à  3.000. 
A  côté  de  lui,  un  organe  de  très  minime  importance,  VÉcho^ 
le  successeur  de  la  Pilsner  Reform,  est  à  Pilsen  ce  que  la 
Politik  est  à  Prague  :  l'organe  vieux-tchèque  écrit  en  alle- 
mand, ici  surtout,  à  Tusage  de  cette  ancienne  génération  qui 
disparaît  de  Tchèques  élevés  à  Tallemande,  ne  connaissant 
guère  que  l'allemand  et  en  tout  cas  très  mal  le  tchèque,  mais 
devenu  Tchèques  de  cœur  depuis  le  grand  réveil  national.  C'est 
la  génération  qui  a  aujourd'hui  de  60  à  70  ans  et  dont  un  grand 
nombre  parlent  encore  allemand  avec  leurs  enfants  ;  ceux-ci  ont 
aujourd'hui  de  30  à  50  ans  et  parlent  les  deux  langues,  Talle- 
mande  et  la  tchèque  ;  leurs  enfants  ou  leurs  petits-enfants,  la 
génération  qu'on  élève  aujourd'hui,  par  une  étrange  erreur, 
fruit  d'un  nationalisme  exagéré,  n'apprend  plus  ou  apprend 
mal  Tallemand.  Quels  que  soient  à  d'autres  points  de  vue  les 
effets  de  cette  situation  qui  va  naître,  si  on  n'y  porte  remède,  le 
résultat,  à  notre  égard,  sera  la  disparition  ou  l'affaiblissement 
des  journaux  tchèques  écrits  en  allemand  *. 

En  Bohème,  les  Vieux-Tchèques  ont  quelques  autres  petits 
organes,  par  exemple  à  Budweis,  Budivoj,  qui  n'a  que  deux 
éditions  par  semaine  et  qui  peut  tirer  de  1.000  à  1.500  exem- 
plaires au  plus;  en  Moravie,  à  Brunn,  ils  en  possèdent  un 
quotidien,  y)/o/-flt'5/ïY/  Orlice,  qui  tire  de  3  à  4.000. 

Sur  l'aile  droite  des  Vieux-Tchèques,  le  parti  catholique  ultra- 

1  Au  moment  où  je  corrige  les  épreuves  de  cet  article,  on  m'annonce  que  VEcho 
vient  de  disparaître  à  son  tour. 


LA  PRESSE    POUTIOUE   EN   BOHÊME,    MORAVIE  ET   SILÉSIE  251 

montain,  appelé  souvent  «  clérical  »,  uni  à  ce  qu'on  pourrait 
appeler  le  parti  conservateur,  a  quelques  organes  :  en  Bohême^ 
(»ù  il  est  jusqu'à  présent  de  faible  importance,  il  ne  posst^de 
qu'un  quotidien,  le  Kaioliché  Listy  (Gazette  catholique),  qui 
parait  à  Prague  :  il  est  dirigé  par  M.  Vanecek,  inspiré  par  l'ar- 
chevêché, et  imprime  2  à  3.000  numéros.  En  Moravie  et  en 
Silésie,  le  parti  a  une  bien  plus  grande  influence  :  en  Moravie 
>urtout,  où  il  est  représenté  à  Brunn  par  le .  Hlas  (la  Voix) 
lirage  de  6  à  7.000)  et  à  Olmutz  par  le  NasineCy  qui  a  trui** 
•Citions  par  semaine  à  3.000.  En  Silésie,  le  Opavshy  Tydenniky 
qui  paraît  à  Troppau  deux  fois  par  semaine  (2.000  numéros), 
•^st  un  organe  conservateur. 

Les  Jeunes-Tchèques  sont  le  parti  dominant  depuis  1891  et 
jusqu'en  ces  derniers  temps  presque  le  seul  représenté  dans  les 
«isseinblées  électives  :  leur  organe  officiel,  en  quelque  sorte,  est 
le  Sarodni  Listy  (Gazette  nationale).  Fondé  à  Prague  par  Gregr, 
(■e  vétéran  des  luttes  nationales  avec  le  baron  Hieger  qui  lui 
survit,  il  est  aujourd'hui  dirigé  par  son  fils,  M.  Prokop  Gregr, 
homme  encore  jeune  et  de  savoir,  mais  qui  n'a  pas  ou  ne  veut 
pas  avoir  sur  ses  collaborateurs  l'autorité  suffisante  pour  impri- 
mer au  journal  une  direction  uniforme;  chaque  rédacteur  a^it 
un  peu  à  sa  guise  et  il  arrive  parfois  que  le  journal  est  en  ilé- 
<accord  avec  le  club  des  députés  jeunes-tchèques.  Malgré  cela, 
••'est  certainement  un  des  plus  importants  organes  de  la  presse 
<!♦•  Bohême  :  c'est  un  de  ceux  qui  s'occupent  le  plus  des  choses 
le  France,  surtout  par  la  plume  de  M.  Vaclav  Illadik,  par  ail- 
leurs dramaturge  original  et  directeur  de  la  revue  littéraire 
Umir.  Si  son  tirage  est  moindre  que  celui  des  Narodni  Pofi- 
tika  lies  évaluations  varient  de  20  à  40.000),  la  situation  poli- 
tique lui  donne  une  importance  plus  grande,  comme  porte- 
pan)le  de  parti  politique. 

Les  Jeunes-Tchèques  ont  une  quantité  d'autres  organes, 
quelques-uns  importants  par  leur  diflusion  ou  leurs  inspira- 
teurs :  c'est  en  Bohème,  à  Pilsen,  le  Plzensky  Obzor  (Revue 
^lePilsen's  qui  tire  à  1.200,  à  Kuttenberg  le  Podvysocké  Lisfy^ 
journal  hebdomadaire  (600  numéros),  mais  organe  du  dépiUé 
au  Reichsrath,  D*"  Pacak,  un  des  directeurs  du  mouvement 
jeune-tchèque,  à  Benesov  le  Hlasy  od  Blanika,  journal  bi- 
mensuel (600  numéros),  que  dirige  le  député  Engel,  ancien 
président  du  club  jeune-tchèque,  homme  avisé  et  habile,  qui, 
malheureusement  pour  son  parti,  se  retire  de  la  politique  t't 
exerce  aujourd'hui  la  médecine  à  Karlsbad.  C'est  enfin  en  Mo- 
ravie, à  Brunn,  le  Lidové  Noviny ,  organe  du  député  Stransky, 
chef  des  Jeunes-Tchèques  moraves  (8  à  10.000  numéros). 


352  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

A  côté  de  ces  partis  déjà  anciens  se  sont  formés  depuis 
quelques  années  de  nouvelles  fractions  politiques,  les  agraires, 
les  radicaux  et  les  socialistes  nationalistes  :  les  premiers,  géné- 
ralement alliés  des  Vieux-Tchèques,  n'ont,  à  ma  connaissance, 
qu'un  journal,  Obrana  Zemedelcu^  à  Prague;  les  radicaux  pos- 
sèdent un  organe  à  Prague,  le  Radikalni  Listy  (Gazette  radi- 
cale), dont  le  rédacteur  en  chef  est  le  D*^  Baxa,  député  à  la  Diète 
(deux  éditions  par  semaine  à  2.000  ou  3.000  exemplaires),  un 
autre  en  Moravie,  à  Olmutz,  le  Pozoi\  dont  trois  éditions  de 
\  .300  numéros  paraissent  chaque  semaine.  Cette  presse  nais- 
sante, se  développant  à  la  gauche  des  Jeunes-Tchèques  et  par- 
fois luttant  contre  eux  avec  assez  de  vivacité,  trouve  encore 
des  nationalistes  qui  les  dépassent  dans  la  personne  des  socia- 
listes nationalistes  :  ceux-ci  sont  soutenus  par  la  Ceskà  Démo- 
kracie  (Démocratie  tchèque),  qui  parait  à  Prague  trois  fois  par 
semaine  sous  la  direction  du  jeune  député  Klofac  (4.000  numé- 
ros), et  par  le  Nasé  Snaby  (Nos  Souhaits)  de  Pilsen  (tirage  de 
4.000). 

C'est  en  quelque  sorte  hors  cadres  que  Ton  doit  placer  l'organe 
du  parti  universitaire  ^  populaire,  dit  «  réaliste  »,  le  Cas  (le 
Temps)  :  dirigé  par  le  D'  Herben,  sa  politique  est  celle  de  l'es- 
prit éminent  qui  exerce  une  influence  si  profonde  sur  la 
Bohème  contemporaine,  sur  ses  adversaires  eux-mêmes  sans 
qu'ils  s'en  doutent,  le  D*^  Masaryk,  professeur  à  l'Université 
tchèque  de  Prague.  Ce  n'est  pas  surtout  à  leur  journal,  qui  ne 
tire  pas  à  plus  de  8.000,  ce  n'est  pas  non  plus  à  leur  parti  poli- 
tique que  les  «  réalistes  »  doivent  leur  importance,  c'est  uni- 
quement à  la  qualité  de  leur  état-major  universitaire  et  sur- 
tout à  la  haute  valeur  de  leur  chef,  dont  nous  étudierons  peut- 
être  un  jour  les  idées,  toutes  différentes  de  celles  des  autres 
partis  tchèques. 

•  • 

Les  trois  séries  de  journaux  allemands,  qui  font  comme  pen- 
dant aux  trois  séries  de  journaux  tchèques,  sont  les  organes 
libéraux-progressistes,  les  plus  anciens,  ensuite  les  populistes, 
enfin  la  floraison  des  petites  feuilles  pangermanistes. 

Les  plus  importants  et  les  plus  anciens  de  ces  journaux  sont 
généralement  libéraux,  soutenant  le  Deutsche  Fortschritts^ 
partei  :  c'est  à  Prague,  le  Prager  Tagblatt  (13  à  20.000), 
dirigé  par  M.  Henri  Tewelès,  toujours  absolument  loyaliste,  et 
la  Bohémia  (IS.OOO)  dont  le  rédacteur  en  chef  est  M.  Willo- 
mitzer.  Ce  dernier  journal  parut  un  certain  temps  avoir  quel- 
ques tendances  ou,  si  l'on  veut,  quelques  faiblesses  pangerma- 
nistes; aujourd'hui  il  donnerait  plutôt  la  main  aux  Allemands 


LA  PRESSB   POLITIQUE   EN   BOHÊME,    MORAVIE   ET   SILÉSIE  253 

chrétiens-sociaux  dans  le  genre  Lueger.  A  Pilsen,  le  Pilsener 
Tagblatt  suit  la  même  politique.  A  Reichenberg,  un  organe 
important  est  de  la  même  nuance,  le  Reichenberger  Zeitun^ 
(!5.000);  mais  dans  la  région  allemande  du  Nord  et  de  TEst  de 
la  Bohême,  ils  n'ont  que  deux  autres  petits  organes  :  à  Eger 
VEgerer  Zeitung  (3.000  exemplaires),  trois  éditions  par  semaine) 
qui  encore  évolue  vers  le  pangermanisme,  et  à  Téplitz  le 
Teplitz  Schœnauer  Anzeiger  qui  paraît  trois  fois  par  semaine 
et  tire  à  4.000.  Par  contre,  en  Moravie  et  en  Silésie,  ce  sont 
encore  eux  qui  ont  le  plus  de  journaux  :  à  Brunn  le  Mœhrisch 
SchUssischer Correspondent ^kO\mutz le  Mœhrisches  Tagblatt^ 
à  Igiau  le  Mœhrischcr  Grenzbote^  à  Troppau  enfin  le  Deutsche 
Wehr  (plutôt  chrétien  social  et  antisémite),  mais  aucun  n'a 
acquis  une  grande  diffusion. 

Le  parti  populiste  nationaliste,  dénommé  Deutsche  Volks- 
partei  et  le  parti  radical-national  ou  pangermaniste,-4ZZûfeM/^c/i, 
dun  développement  assez  récent*,  ne  possèdent  encore  aucun 
organe  important  :  ils  se  sont  développés  non  pas  dans  quel- 
ques milieux  allemands  du  centre  de  la  Bohême,  mais  sur  la 
bordure  Nord  et  Est,  plus  influencée  parle  voisinage  de  TAUe- 
magne  et  où  la  population,  surtout  la  population  bourgeoise  suit 
plus  volontiers  leur  mouvement,  facilement  secouée  par  la 
crainte  d'une  oppression  slave  ;  aussi  est-ce  là  tout  le  long  de 
cette  frontière,  dans  la  suite  des  riches  petites  villes  indus- 
trielles qui  la  jalonnent,  que  Ton  se  trouve  en  présence  d'une 
floraison  de  feuilles  à  maigre  tirage,  pour  la  propagande  locale. 
Les  populistes,  par  exemple,  sont  soutenus  par  le  Deutsche 
Volkszeitung  à  Reichenberg,  la  Deutsches  Volksblatt  à  Komo- 
tau,  les  Saager  Nachrichten  à  Saaz,  le  Nordbœmische  Volks- 
zeitung à  Tetschen,  la  Wochenblatt  à  Leitmeritz,  la  Gablonzer 
Tagblatt  à  Gablonz,  etc.  Les  pangermanistes  ont  à  leur  dévo- 
tion :  à  Eger  les  Egerer  Nachrichten^  à  Brux  la  Volkszeitung^ 
à  Saaz  le  Saager  Zeitung^  à  Trautenau  le  Trautenauer  Zei-- 
tung^  à  Asch  le  Ascher  Zeitung^  à  Brunn,  en  Moravie,  la 
Deutsches  Blatt,  etc.  Toutes  ces  feuilles  ont  un  tirage  limité 
qui  ne  dépasse  pas  5.000,  généralement  entre  1.000  et  3.000; 
la  plupart  ne  paraissent  que  deux  ou  trois  fois  par  semaine  :  ce 
sont  en  somme  de  véritables  feuilles  locales  et  de  combat,  répar- 
ties dans  toutes  ces  cités  de  10  à  20.000  ûmes  échelonnées  le 
long  de  la  frontière. 

«  « 

C'est  en  dehors  de  cette  répartition  en  deux  groupes  qu'il 

i  Pour  en  connaître  la  curieuse  histoire  en  Autriclie  même,  V.  Georges  BOhler  : 
Les  coulisses  du  pangermanisme  autrichien  {Quest.  Dipl.  et  Col.;  1"  nov.  1902). 


k. 


254  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

faut  placer  les  journaux  socialistes  internationaux  et  les  jour- 
naux gouvernementaux  quasi  officiels. 

Les  premiers  sont  écrits  en  tchèque,  s'adressent  aux  ou- 
vriers, dont  la  grande  majorité  dans  Tensemble  et  une  grande 
partie  dans  les  régions  allemandes  sont  tchèques,  et  défen- 
dent devant  eux  la  pure  doctrine  marxiste  :  étrangers  à  toute 
idée  de  droit  d'Etat  bohémien,  ils  ne  demandent  que  le  respect 
de  leur  langue  et  gardent  les  meilleurs  rapports  avec  les  socia- 
listes internationalistes  de  langue  allemande.  Leurs  principaux 
organes  sont,  à  Prague,  le  Pravo  Lidu  (Droit  du  Peuple),  dirigé 
parle  député  au  Reischrath  Xémec  et  qui  vend  de  8  à  12.000  nu- 
méros, et  à  Pilsen,  le  plus  grand  centre  industriel  tchèque  après 
Prague  et  la  seconde  ville  de  Bohême,  la  Nova  Doba  (Nouvelle 
Époque)  qui  tire  à  1.500.  Mais  il  y  a  encore  dans  la  monarchie 
austro-hongroise  d'autres  organes  sociaux-démocrates  de  langue 
tchèque.  C'est  à  Vienne  qu'ils  sont  nés,  à  Vienne  où  la  classe 
ouvrière  tchèque  est  si  développée  qu'elle  compte  peut-être  de 
200  à  300.000  individus  :  c'est  là  que  s'est  fondé  le  Délnické 
LisLy  (^Gazette  des  Ouvriers;,  quotidien  tchèque  socialiste,  qui 
depuis  a  trouvé  dans  la  capitale  un  imitateur. 

Si  les  socialistes  internationaux,  par  leur  langue,  se  rattachent 
plutôt  aux  Tchèques,  les  journaux  gouvernementaux,  écrits  les 
uns  en  tchèque,  les  autres  en  allemand,  sont,  comme  toute 
Tarmature  de  la  monarchie,  plutôt  allemands,  mais  naturelle- 
ment très  réservés  et  se  donnant  souvent  Tapparence  de  l'impar- 
tialité. Cette  presse  gouvernementale  n'est  pas  ce  que  nous 
enlendons  en  France  par  pn»sse  officieuse,  des  journaux  amis 
de  gouvernement,  où  celui-ci  fait  paraître  à  Toccasion  les  nou- 
velles qu'il  juge  utiles;  c'est  une  presse  tout  à  fait  dans  la  main 
du  gouvernement  et  qui  tieni  le  milieu  entre  le  journal  offi- 
cieux et  la  feuille  oflicielle.  Dans  chaque  capitale  de  pays  de  la 
Couronne,  il  y  a  au  moins  un  de  ces  organes  :  à  Prague,  le 
Prazslié  Noviny  (Journal  de  Prague)  en  tchèque  et  le  Pragcr 
Zcitung  en  allemand,  tous  deux  dirigés  par  M.  Hiibscher  et  qui 
peuvent  tirer  à  2.000;  i\  Troppau,  la  capitale  de  la  Silésie,  le 
Troppauer  Zcitung.  C'est  en  Moravie,  à  Brunn,  la  capitale,  (|ue 
cette  presse  est  surtout  développée  :  le  sentiment  national  y  est 
plus  tiède  qu'en  Bohême,  le  Morave  est  plus  mou  de  tempéra- 
ment, plus  dirigeable,  ^^t  Brunn  ne  compte  pas  moins  de  tnùs 
journaux  gouvernementaux,  deux  en  allemand,  le  Morgen  Post 
et  le  Briinner  Zcitung^  et  un  en  tchèque,  le  Moravské  Noviny 
(Journal  morave),  qui  se  vend  à  plus  de  20.000  exemplaires, 
c'est-îVdire  plus  qu'aucun  autre  journal  de  Moravie. 

En  résumé,  la  presse  tchèque  en  Bohême  est  surtout  con- 


LA   PRESSE    POLITIQUE   EN   BOHÊME,    MORAVIE  ET   SILÉSIE  *25o 

centrée  à  Prague,  où  sont  tous  les  principaux  organes,  et  à 
fMIsen,  et  ce  sont  les  Vieux-Tchèques  et  les  Jeunes-Tchèques  qui 
>e  partagent  la  grande  majorité  des  lecteurs  ;  en  Moravie,  Brunn 
'*t  Olniutz  groupent  les  journaux  surtout  catholiques  ou  ch*ri- 
raiix  et  jeunes-tchèques;  en  Silésie,  la  presse  tchèque  est  sur- 
tout catholique  et  antisémite;  quant  aux  organes  allemands, 
les  progressistes  lihèraux,  encore  les  plus  importants,  domi- 
nent dans  le  centre  de  la  Bohème  (à  Prague  et  à  Pilsen)  et 
»*n  Moravie  et  laissent  la  série  des  petites  villes  du  Nord  et  de 
TEst  de  la  Bohème  être  le  domaine  réservé  des  petites  feuilles 
allemandes  populistes  et  pangermanistes. 


m 

LES    JOIRNAL'X    ET    LKIR    I.NFLUKNCK 

On   ne  peut  pas  dire  que  les  journaux  sont  extrêmement 
répandus,  mais  leur  diffusion  est  cependant  relativement  déve- 
loppée :  on  peut  évaluer  (d'une  façon  extrêmement  approxima- 
tive qu'aux  3.700.000  Tchèques  de  Bohème  (d'après  le  recen- 
^ement    de   i890\   la  presse  tchèque   fournit    170   à   200.000 
numéros  quotidiennement  (sauf  quelques  feuilles  qui  ne  pa- 
nii^'ient  que  deux  ou  trois  fois  la  semaine),  aux  1.600.000  de 
Moravie  de  oO  à  60.000,  aux  140.000  de  Silésie  de  4  à  8.000; 
.jiiant  aux  Allemands,  les  2.200.000  de  Bohème  lisent  80  à 
luô.OOO  exemplaires,  les  700.000  de  Moravie  de  25  à  40.000, 
;-s  290.000  de  Silésie  de  10  à  15.000.  Ces  chiffres,  dans  leur 
[nVision   indéterminée,  scmhlent  indiquer  une  plus  grande 
diffusion  relative  des  journaux  tchèques;  mais  nous  ne  parlons 
ici  que  de    la  presse   locale  et  une  grande  partie  de  Télément 
iilleinand,  de  condition  sociale  généralement  plus  élevée,  lit  les 
^ournaiix  allemands  de  Vienne  ou  d'Allemagne,  ce  que  ne  font 
[Kt-i  ou  extrêmement  peu  les  Tchèques;   puis  le  grand  centre 
Ichèque  de  Prague  est  favorisé,  car  ses  journaux  se  lisent  dans 
tnut  le   pays  à  la  façon  de  ceux  d'une  capitale,  sans  qu'on  se 
i-nvé    pour  cela  du  petit  journal  local. 

€es  chi/Tres  n'indiquent  pas  évidemment,  de  même  qu'en 
I  »ut  pavs,  le  nfmibre  de  lecteurs  ;  mais  en  Bohème  surtout  —  car 
Ï--  associations,  sortes  île  cercles,  y  sont  extrêmement  déve- 
hppées  ilan^  toutes  les  classes  de  la  société  —  \qs  deutsches 
iffitiS  ou  Cnsino  allemands  et  les  Beseda  tchèques  ont  leur 
Halle  de  lecture  où  les  journaux  passent  de  main  en  main. 
On  peut  tlojic  parler  «Fune  sérieuse  inffuence  des  journaux 
*-n  Bohénje  ;  mais  elle  n'est  pas  exclusive,  peut-être  même  pas 


256  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONULES 

prédominante.  Deux  faits  semblent  le  prouver  :  les  journaux 
vieux-tchèques  ont  un  nombre  sensiblement  plus  élevé  de  lec- 
teurs que  tous  autres  journaux  de  même  langue  et  cependant, 
si  leur  influence  occulte  subsiste  encore,  ils  ne  sont  point  les 
maîtres  de  l'opinion;  en  sens  inverse,  les  journaux  agraires- 
politiques  n  existent  presque  pas  et  cependant  un  mouvement 
très  vif  s'est  fait  sentir  en  faveur  des  hommes  de  ce  parti,  ame- 
nant aux  dernières  élections  vingt  et  un  députés  agraires  à  la 
Diète,  Ces  deux  faits  s'expliquent  en  partie  par  bien  des^auses 
politiques,  que  nous  ne  pouvons  indiquer  en  ce  moment,  mais 
^  aussi,  je  crois,  par  cette  circonstance,  qu'à  la  campagne  surtout 
le  journal  n'a  pas  encore  atteint  l'électeur,  ou  trop  rarement, 
pour  se  rendre  maître  de  son  esprit. 

Cette  dernière  hypothèse'  ne  doit  pas  cependant  se  produire 
très  fréquemment,  car  les  journaux,  comme  en  Allemagne,  se 
vendent  très  peu  au  numéro  et  presque  exclusivement  par 
abonnement  :  les  principaux  organes  reviennent  à  environ 
0  fr.  10  le  numéro,  les  petites  feuilles  0  fr.  05. 

L'influence  de  la  presse  quotidienne  est  limitée  d'autre  part 
de  deux  manières.  Le  journal  écrit  en  tchèque  n'a  absolument 
aucune  influence  sur  la  population  allemande,  qui  ne  comprend 
pas  la  langue  et  ne  cherche  pas,  sauf  exception,  à  s'enquérir 
des  choses  de  l'autre  nationalité.  Le  même  phénomène  se  pro- 
duit en  sens  inverse  pour  le  journal  écrit  en  tchèque  :  si  les 
Tchèques  connaissent  l'allemand,  ce  qui  n'est  pas  du  reste 
vrai  ni  pour  le  peuple,  ni  pour  les  générations  nouvelles  qui  ne 
l'apprennent  plus  ou  qu'à  peine,  leur  conscience  nationale  est 
trop  développée  pour  en  subir  la  moindre  influence,  politique 
j'entends.  Ce  ne  sont  donc  que  des  élites  qui  lisent  les  journaux 
de  l'autre  nationalité,  et  il  y  a  entre  elles  deux,  comme  dans  la 
politique,  une  cloison,  qui  n'est  peut-être,  comme  disait  jadis 
le  ministre  tchèque  Kaizl  qu'une  muraille  de  papier,  <r  papier- 
wand  »,  mais  qui  agit  actuellement,  en  notre  matière  surtout, 
grâce  à  la  diff'érence  de  langue,  comme  une  cloison  étanche. 

L'autre   limite  est  l'existence,  surtout  chez   les  Tchèques, 
d'une  immense  floraison  de  journaux  autres  que  la  presse  poli- . 
tique  quotidienne,  feuilles  de  corps  de  métier,  revues,  périodi- 
ques,  illustrés,  journaux  humoristiques,  etc..  *  :  la  Bohème, 

1  Un  obligeant  correspondant  m'adresse  un  catalogue  de  ce  qui  paraît  comme 
journaux  ou  périodiques  tchèques,  à  l'heure  présente  :  j'y  compte  environ  360  orga- 
nes à  Prague,  240  dans  le  reste  de  la  Bohême,  45  à  Brunn,  80  en  Moravie,  5  en 
Silésie  autrichienne,  8  à  Vienne,  et  en  dehors  de  l'empire  austro-hongrois,  68  dans 
les  Etats-Unis  de  l'Amérique  du  Nord  (signe  d'une  émigration  considérable),  2  en 
Allemagne  (1  en  Silésie  prussienne  et  1  à  Berlin)  et  1  en  France  :  le  Slosansky 
Yestnikf  qui  paraît  à  Paris,  soit  un  total  d'à  peu  près  300  feuilles  î 


LA  PRESSE    POLITIQUE  EN   BOHÊME^   MORAVIE   ET  SILÉSIE  257 

dans  laquelle  les  Tchèques  semblent  trop  à  l'étroit  pour  leur 
jeune  ambition,  fourmille  d'  «  écrivassiers  »  comme  de  politi- 
ciens, qui  tous  se  sentent  nés  pour  de  grandes  renommées,  et 
les  feuilles  pullulent,  rattachées  souvent  à  tel  ou  tel  parti  poli- 
tique. Voici,  par  exemple,  le  Kuryr^  journal  illustré  quotidien 
vieux-tchèque  de  Prague,  la  Ceska  Revue  (Revue  tchèque), 
revue  jeune-tchèque,  VAletheia,  revue  catholique,  Rozhledy^ 
Torgane  de  la  jeune  école  de  critique  littéraire,  Osifêta,  Lumir^ 
une  revue  littéraire,  et  les  revues  du  parti  réaliste,  autrefois 
Atheneum^  aujourd'hui  Nase  Doba  (Notre  r^poque),  que  dirige 
le  professeur  Masaryk,  revue  critique  et  philosophique,  et  Obzor, 
Nàrodohospodcirasky  (Revue  d'économie  politique),  revue  éco- 
nomique, dont  le  rédacteur  en  chef  est  le  D'  Josef  Gruber, 
professeur  à  T Université  tchèque,  un  des  esprits  les  plus  avertis 
sur  les  choses  économiques.  J'en  cite  quelques-unes  et  j'en 
omets  cent  autres,  mais  c'est  un  devoir,  pour  nous  autres  Fran- 
çais, de  ne  pas  passer  sous  silence,  en  parlant  de  revues, 
l'œuvre  de  M.  Charles  Hipman  :  je  dis  Toeuvre,  car  ce  n'est 
certes  pas  par  esprit  de  lucre  que  M.  Hipman  a  voulu  créer  à 
Prague  une  revue  en  langue  française,  écrite  par  des  Tchèques 
et  à  laquelle  ont  collaboré  quelques  Français.  Cette  revue,  la 
Nation  tchèque^  de  format  in-8®  et  d'une  centaine  de  pages,  n'a 
eu  à  ma  connaissance  que  deux  numéros,  un  qui  a  paru  en  1895 
chez  Vilimek  et  un  en  1896  chez  Stolar;  mais  elle  a  pris  une 
autre  forme,  celle  d'une  œuvre  continue,  intitulée  Les  Tchèques 
au  XIX*  siècle  (éditée  à  La  Nation  tchèque ^  Prague),  rédigée 
sous  la  direction  de  M.  Hipman,  et  paraissant  depuis  trois  ans 
par  fascicule  :  c'est  du  reste,  par  les  illustrations,  autant  une 
œuvre  d'art  qu'un  monument  élevé  à  la  gloire  du  peuple 
tchèque.  Ainsi  nous  trouvons  au  Nord  de  TAutriche  une  revue 
française,  comme,  à  l'extrême  Sud,  nous  avons  vu  paraître  un 
journal  écrit  en  français,  qui  subsiste  toujours,  et  qui  au  reste 
n'est  pas  comparable  :  la  Pensée  slave  de  Trieste*. 

•  • 
L'influence  réelle  que  la  presse  tchèque  exerce  chez  elle,  elle 
prétend  l'étendre  même  à  l'étranger,  et  cela  d'une  façon  assez 
ingénieuse.'  Les  Tchèques  ont  créé  à  Prague  une  sorte  de 
>  bureau  tchèque  »  qui  se  compose  de  trois  personnes,  connais- 
sant bien  le  français,  mêlées  au  mouvement  politique  et  au 
journalisme  :  elles  rédigent  la  a  Correspondance  tchèque  »,  c'est- 
à-dire  que,  quand  un  événement  important  de  quelque  nature 

*  V.  Quest.  Dipl.  et  Col.,  15  août  1902,    notre    article    sur    les   nationalités   en 
Aathcbe-Hongrie  :  «  Slovènes  et  Italiens.  » 

QuBST.  DiFL.  «T  Col.  —  t,  xv.  il 


258  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   CaLONIALES 

qu'il  soit  se  produit  dans  le  pays,  elles  écrivent  sur  lui  une 
courte  note  qu'on  expédie  gratuitement  comme  dépêche  à  une 
douzaine  de  journaux  de  Paris,  qui  l'insèrent  assez  souvent. 
On  saisit  nettement  la  volosité  d'influer  sur  l'opinion  étrangère 
par  rintermédiaire  des  grands  organes.  Au  reste  la  Correspon- 
dance est  encore  en  quelque  sorte  inorganisée  :  elle  n'a  ni 
unité  ni  direction;  chacun  écrit  au  petit  bonheur.  Il  lui  fau- 
drait quelque  organisaition  et  joindre  un  service  de  lettres  à 
celui  des  dépêches,  si  elle  voulait  se  développer.  Mais  Tinstitu- 
tion  est  originale  et  mérite  d'être  signalée. 


H  pourrait  être  intéressant  de  discerner  non  plus  Tinfluence 
que  la  presse  exerce,  mais  celle  qui  s'exerce  sur  elle,  soit 
directement  par  les  courants  de  l'opinion  publique,  soit  d'une 
façon  occulte,  par  exemple  par  l'aristocratie  sur  plus  d'un 
journal,  ou  par  l'élément  Israélite  surtout  sur  les  journaux 
allemands;  mais  cela  nous  entraînerait  trop  loin. 

(Quelles  que  soient  les  inspirations  qui  les  guident,  journaux 
tchèques  et  jonmaiix  allemands  doivent  se  rappeler  qu'ils  ont 
une  grande  œu>Te  à  aocomfiir^  celle  de  l'éducation  de  leur 
peuple;  des  esprits,  là-bas,  le  sentent  et  laissent  entendre  qu'on 
se  perd  un  peu  dans  les  luttes  stériles  sur  des  questions  de 
mince  portée,  au  plus  grand  avantage  de  la  haute  aristocratie 
et  de  la  classe  des  politiques  de  profession  ;  des  gens  commen- 
cent à  se  lasser  de  ces  combats  qui  ne  mènent  à  aucun  résultat 
et  arrivent,  tout  en  restant  bon  Tchèque  ou  bon  Allemand,  à  se 
désintéresser  quelque  peu  de  ces  batailles  futiles.  De  part  et 
d'autre  un  grand  effort  doit  être  fait,  sinon  pour  donner  le  spec- 
tacle d'un  baiser  de  Lamourette,  du  moins  pour  reprendre  la  tra- 
dition des  grandes  pensées,  tout  à  la  fois  conservatrices  des 
grands  idéais  et  conciliatrices  dans  les  petites  choses  :  il  fau- 
drait pour  cela  beaucoup  de  grands  dévouements  et  de  grands 
hommes,  continuateurs  des  Palacky,  des  Gregr  et  des  Rieger, 
et  c'est  peut-être  hélas  !  ce  qui  manque  trop  à  la  Bohême 
contemporaine  et  à  sa  presse. 

Gabriel  Louis-Jaray. 


<:HROiNI0UES  DE  U  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES 


I.  —  BUROPB. 

France.  —  Le  budget  des  affaires  étrangères  à  la  Chambre  des  députés. 
—  La  discussion  du  budget  des  affaires  étrangères  fournit  généra- 
lement à  la  Chambre  Toccasion  de  passer  en  revue  les  principalefi 
questions  soulevées  par  Tapplication  de  notre  politique  extérieure. 
Ce  débat  n'a  pas  eu  lieu  cette  année,  le  gouvernement  et  la  commis- 
sion ayant  demandé  à  la  Chambre  —  qui  s'est  rangée  à  leur  avis  — 
de  procéder  sans  retard  au  vote  du  budget  de  manière  à  éviter  \m 
inconvénients  d'un  nouveau  douzième  provisoire.  La  discussion  de& 
articles  a  donné  lieu  cependant  à  quelques  incidents,  sur  lesquels 
nous  croyons  utile  d'insister  un  peu  aujourd'hui. 

M.  Marcel  Sembat  a  d'abord  réclamé  la  suppression  de  l'ambassade 
da  Vatican.  C'est  là  une  démonstratiQn,  toute  platonique,  que  le 
parti  soctalisle  se  croit  obligée  de  faire  «chaque  année,  et  qui  chaque 
année  a  le  même  succès.  Le  débat  a  d'ailleurs  été  très  court  cette 
fois  et  la  Chambre  a  repoussé  la  demande  de  M.  Sembat  par  3^3  voix 
contre  215.  Nous  n'aurions  même  pas  parlé  de  cet  intermède  si  peu 
intéressant  si  nous  n'avions  eu  la  surprise  de  trouver  parmi  les 
partisans  de  la  motion  Sembat  le  nom  de  M.  Doumer.  Il  est  profon- 
dément regrettable,  et  nous  le  déplorons  vivement,  qu'un  homme 
de  gouvernement  aussi  distingué,  un  colonial  aussi  éclairé  qu& 
M.  Doiimer  se  laisse^  en  pareille  circonstance,  entraîner  à  prêter  son 
nom  et  son  autorité  à  une  manifestation  puérile  et  ridicule  d'intran- 
sigeance sectaire. 

Après  M.  Sembat,  M.  Dejeante  est  venu  faire  sa  manifestation  cou- 
tomière  en  réclamant  la  suppression  du  crédit  relatif  aux  écoles^ 
**i  établissements  religieux  en  Orient  et  Extrême-Orient.  En  quelques 
mois,  le  ministre  des  Affaires  étrangères  a  combattu  cet  amendement 
de  tradition, et  ses  paroles  ont  été  chaleureusement  applaudies  par  le 
centre,  la  droite,  et  une  grande  partie  de  la  gauche. 

M.  Senobat  est  alors  arrivé  à  la  rescousse  et  a  appuyé  ramende- 
meai  de  M.  Dejeante  en  faisant  à  son  tour  leproces  des  missioijoaires 
d'Orient  et  d'Extréme-OrienL  Puis  M.  Dubief,  oubliant  étrangement 
9&a  rôle  de  rapporteur,  a  surenchéri  encore  en  rééditant  fous  les 
lieux  communs  débités  quotidiennement  à  ce  sujet  par  une  certaine 
presse,  dont  les  préoccupations  ne  vont  guère  au  delà  des  ^Hroitt-s 
limites  de  l'horizon  électoral. 


260  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONULES 

M.  Denys  Cochin  a  répondu  à  l'un  et  à  l'autre  par  un  éloquent 
plaidoyer  en  faveur  de  l'œuvre  française  des  Missions;  mais  pas  plus 
que  nous  n'avons  relevé  les  attaques  nous  ne  croyons  nécessaire 
d'insister  sur  la  défense.  La  cause  est  depuis  longtemps  entendue  par 
tous  les  esprits  vraiment  soucieux  de  notre  avenir  national.  Nous 
relèverons  seulement,  dans  le  discours  de  M.  Denys  Cochin,  un  point 
particulier  qui  nous  semble  mériter  une  plus  grande  attention. 

M.  Dubief  avait  signalé,  comme  étant  de  nature  à  fortifier  son 
argumentation  contre  les  Missions,  rencyclique  du  patriarche  d'Ar- 
ménie, Joachim  III,  par  laquelle  le  patriarche  fait  défense  expresse 
et  absolue  au  peuple  orthodoxe  de  fréquenler  les  écoles  confession- 
nelles étrangères.  M.  Denys  Cochin  s'est  exprimé  à  son  tour,  à  ce 
sujet,  de  la  façon  suivante  : 

H.  Denys  Cochin. ]—  M.  le|rapporteur,dit  Dubief,  vient  de  prononcer  des 
paroles  fort  graves.  Le  patriarche  orthodoxe  aurait  interdit  aux  enfants 
qui  sont  sous  sa  juridiction,  à  tous  ceux  sur  lesquels  il  peut  avoir  de 
rinfluence,  d'aller  dans  les  écoles  des  autres  confessions. 

Je  réponds  d'abord  à  M.  le  rapporteur  que  je  me  permets  de  croire  que, 
les  écoles  fussent-elles  laïques,  le  patriarche  orthodoxe  aurait  donné  les 
mêmes  instructions  ;  seulement  je  m'émeus  de  ces  instructions  et  je  me 
demande  ce  qu'elles  signifient.  Je  parle  ici,  non  du  protectorat  d'Extrême- 
Orient  qui,  comme  vous  l'avez  dit  très  bien,  repose  sur  des  traditions  et 
non  sur  des  actes  positifs,  mais  de  ce  protectorat  du  Levant  qui  repose 
sur  des  traités.  Si  jamais  nous  devons  y  renoncer  —  ce  qu'à  Dieu  ne 
plaise  —  il  devrait  être  échangé  contre  autre  chose.  Nous  ne  pouvons 
renoncer  à  des  droits  écrits  sans  compensation.  Je  parle  donc  de  ces 
droits  que  nous  exerçons  en  vertu  de  traités  dans  le  Levant. 

Je  m'adresse,  en  même  temps  qu'à  M.  le  rapporteur,  à  M.  le  ministre  ; 
je  m'inquiète  de  voir  que  ce  protectorat  est  depuis  quelque  temps  fort 
battu  en  brèche;  que  parmi  les  puissances  celles  qui  peut-être  devraient 
avoir  le  soin  le  plus  jaloux  de  ne  pas  marcher  sur  nos  plates-bandes,  de  ne 
pas  trop  s'occuper  de  propager  leur  influence  là  où  nous  avons  l'intention 
de  maintenir  la  nôtre,  n'évitent  pas  toujours  avec  un  soin  assez  scrupu- 
leux de  nous  porter  ombrage. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  me  livrer  à  des  logogriphes  ni  de  vous  donner  à 
deviner  des  rébus.  Je  suis  partisan  et  ami  résolu  de  l'alliance  russe  ;  mais 
j'ai  dit  autrefois,  et  je  rappelle  mes  paroles,  que  l'amitié  de  la  France  avait 
ses  charges  :  lorsque  deux  amis  sont  liés,  chacun  doit  prendre  les  conve- 
nances de  l'autre  ;  il  n'est  pas  juste "(Ju'un  seul  porte  les  charges,  agréables 
sans  doute,  mais  quelquefois  lourdes  de  l'amitié.  {Très  bien!  très  bien!) 

Nous  avons  un  protectorat  en  Syrie —  et  ici  je  demande  à  mes  collègues 
de  l'extrême  gauche  de  me  faire  grâce  et  de  ne  pas  m'arrêter  quand  je 
dirai  que  ce  protectorat  est  surtout  catholique,  et  que  si  l'on  parle  surtout 
français  dans  ce  pays,  c'est  à  cause  des  écoles  catholiques  qui  y  existent. 
Les  choses  étant  ainsi,  nous  devons  nous  inquiéter  de  voir  s'élever  contre 
nous,  contre  le  protectorat  des  Latins  un  protectorat  des  Grecs  qui 
s'affirme  de  jour  en  jour  davantage.   Depuis  cinq  ou  six  ans,  depuis  li> 


i-fmps  des  grandes:  discussion:*  au  sujei  de  TArménie,  la  polilique  de  nos 
vobioîi  et  alliés  a  bieti  changé  :  cotU*  politique,  autrefois  si  dure  pour  les 
dissidents  ei  les  Grecs  du  temps  du  prinœ  Lolmuof,  aujourd'hui  plus 
humaine^  el  —  je  m'en  félicite  —  plus  courtoise,  lendi  îiit-elle  à  étahîîr 
coDtre  le  (>rotectora1  des  Latius,  que  nous  revendiquoDS^  un  protectorat 
dn*  Grecs  orthodoxes  ou  non,  que  d'autres  exerceraient,  et  qui  gagnerait 
peu  à  peu  sur  le  oôlre? 

Voilà  les  questions  sur  lesquelles  num  attention  a  été  appelée  par  les 
paroles  de  M.  le  rapporteur  lorsqu'il  a  parlé  du  mauvais  procédé  du 
pat  ri  arc  h  e  or  thod  ox  e . 

Je  ne  vois  pas  dans  l'acte  de  ce  jjatriarche  une  mesure  t'h^ricale  catho- 
lique, d'autant  plus  qu'il  n'est  pas  catholique,  maiss  je  suis  tenté  d'y  voir 
un  acte  spécialement  aoLi- français  et  dirigé  contra  le  protecLorat  latin  que 
uou  s  e  xe  ro  o  n  g.  (  Appta  udùi^ejn  eut  s .  | 

A  un  point  de  vue  tout  à  fait  diiVérent  de  celui  que  signalait  M«  le  rap- 
porteur, mais  qui  ne  peut  êcliapper  à  sa  compéteocp  eu  malî*'i"e  d'aJTaires 
étrangères,  je  signale  avec  lui  le  fait  à  M.  le  ministre  des  aiïaires  étrau- 
Itères  et  je  lui  demande  si  très  ferui émeut,  dans  les  eonversatious  qu'il 
aura,  il  ne  défendra  pas  tes  droits  de  rinHueuce  que  novis  tenons  de  notre 
protectorat  latin  contre  Jequel  je  ne  voudrais  pas  voir  élever  un  protectorat 
*>rt hûd 0 X e .  {A ppiaudissem ents.) 

Le  ministre  des  AJÎaires  étrangères  ne  pouvait  point  ne  pas  répon- 
dre à  M,  Deoys  Cochin,  Il  l'a  fait  en  quelques  mots  brefs,  trop  Lrofs, 
car  Ion  remarquera  que  sa  réponse  manque  de  précision  et  reste 
à  côlé  de  la  question.  Nous  aurions  voulu  quelque  déclaralioQ  plus 
tonclaante  et  plus  pratique.  Voici  la  réponse  de  M,  Del  cassé  : 

M.  le  ministre  des  AJTatrea  étrangèrea,  —  La  Chamhre  me  permettra 
de  rectifier  tout  d'iibord  une  affirmation  de  notre  honora ïdp  colléji^ue 
M.  Denys  Cochin,  M.  Denys  Coeliin^  s'ero parant  de  la  circulaire  du  pn- 
triarche  arménien  visée  par  Thouorahle  M,  Dubief,  est  venu  se  plaindre 
que  la  question  de  la  Uussic  contraiiât  la  nôtre. 

Or,  la  circulaire  du  patriarche  arménien,  [>our  d'ux  qui  sont  hien 
iafonnes,  —  et  la  Chambre  voudra  hien  croire  que  je  suis  hiPii  informé^  — 
fn  la  preuve  la  plus  écIataEite  de  lu  corïcurrence  victorieuse  et  du  plein 
succès  de  nos  écoles  on  Orient. 

Cette  concurrence  n'est  nullement  gênée  par  Taction  do  la  Rust^ie,  Et  je 
ne  peuï  que  regretter  très  haut  ijue,  s'armant  de  nouvellos  qu  ou  ne  prend 
^  assez  i-oin  de  contrôler,  d'articles  de  journaux  duut  (Ui  iu>  recherche 
pt^  asse^  r inspiration,  et  j>reuant  pour  des  faitt^  acquis  d<*s  allirmations 
{Erxtuite^,  on  représente  la  Russie  comme  ayant  eu  Orient^  en  Syrie,  une 
attittidepeu  favorable  aux  intérêts  français,  {Très  bien!  îrt!s  bien!) 

La  vérité,  et  je  remercie  M.  Cocliiu  de  m'avoir  doijn*î  rocrusion  de  l'aï- 
limier  ici,  c'est  que  Tattitude  de  la  Hvissic  en  Orient  «st  collt-  d'uEu^  alliée 
loyale  et  sincère  et  qui,  malgré  des  intérêts  partictiliers  nullement  néglî- 
fgeables,  ne  perd  jamais  de  vue  les  iniërets  supérieurs  (jui  nous  ont  unis, 

lijez  à  cet  égard  le  Litre  jaune  relaiif  à  la  dêmoustraiion  de  Mityléne,  il 
De  laissera  de  doutes  qu'à  ceux  qui  veulent  douter  quaud   même. 


2d2  QUESTIONS  D1PI01IA.TIQUES   ET  G0L01<IIALES 

Je  comprends  à  merveille  qu'à  Tétranger  on  s'ingénie  à  ccéer  des  nuages 
entre  deux  grandes  nations  qui  ont  manifesté  dans  ces  derniers  temps,  à 
plusieurs  reprises  et  avec  éclat,  à  quel  point,  pour  leur  commun  avantage, 
elles  se  sentent  solidaires  ;  ces  efforts  sont  condamnés  à  rester  vains,  mais 
je  ne  parviens  pas  à  découvrir  les  raisons  qui  font  tenir  un  langage  de 
.nature  à  entretenir  au  dehors  Tillusion  qu'fis  pourraient  bien  ne  pas  Têtre 
toujours.  (Applaudissements,) 

Finalement,  celte  longue  discussion  a  abouti,  naturellement,  au  rejet 
•de  Famendement  de  M.  Dejeante.  Le  crédit  pour  les  écoles  et  établis- 
45ements  religieux  d'Orient  et  d*Extréme>Orient  a  été  intégralement 
Toté  ;  toutefois  la  Chambre  a  cm  devoir  adopter  par  340  voix  contre  88 
la  motion  suivante  de  M.  Michel  : 

La  Chambre  invite  le  Gouvernement  à  accorder  une  part  de  plus  en  plus 
grande  aux  établissements  laïques  sur  le  crédit  affecté  aux  écoles  d'Orient 
et  à  mettre  les  instituteurs  laïques  au  moins  sur  le  même  pied  que  les  con- 
^péganistes. 

Le  reste  du  budget  des  aflaires  étrangères  a  été  voté  sans  dis- 
cussion. 

—  Zé  «  Livre  jaune  »  sur  les  a  f aires  de  Macédoine,  —  Le  ministre  des 
Affaires  étrangères  a  fait  distribuer  au  Parlement,  le  29  janvier,  un 
Livre  jaune  sur  les  affaires  de  Macédoine.  Ce  recueil,  copieux  et  ins- 
tructif, montre  d'abord  la  gravité  de  la  situation  en  Macédoine  depuis 
un  an;  les  pièces  publiées  à  cet  égard  sont  tristement  éloquentes  et 
précises.  11  montre  aussi  Tacuité  prochaine  et  finale  du  conflit  si  des 
mesures  promptes  et  décisives  ne  sont  pas  prises.  C*est  d'ailleurs  ce 
que  nous  n'avons  cessé  nous-mêmes  de  répéter. 

Nécrologie.  —  Mort  de  M.  du  Bourg  de  Boeas,  —  Une  dépèche  datée 
d*Accra  (Guinée  anglaise)  nous  a  apporté  la  triste  nouvelle  de  la  mort 
de  l'explorateur  du  Bourg  de  Bozas,  survenue  le  2  février,  à  la  Côte 
d'Ivoire,  à  la  suite  d'un  accès  de  fièvre  pernicieuse. 

Le  vicomte  du  Bourg  de  Bozas,  dont  nous  suivions  les  travaux  avec 
une  vive  sympathie,  avait  quitté  Djibouti  le  2  avril  1901.  Il  était 
arrivé  sur  les  rives  du  Nil,  à  hauteur  du  troisième  parallèle  Nord, 
près  de  Némoulé,  vers  le  15  septembre  1902. 

De  ce  point,  M .  du  Bourg  de  Bozas  se  dirigea  vers  Brazzaville*  On 
•ne  croit  pas  qu'il  ait  pu  arriver  à;  Accra.  Sa  dernière  lettre,  datée- des 
bords  du  Nil,  14  octobre,  annonçait  qu'il  comptait  gagner  l'Atlanlàqae 
par  les  voies  les  plus  rapides  en  passant  par  Semio,  poste  français 
sur  rOubangui.  Il  est  vraisemblable  que  le  jeune  explorateur  —  il 
n'avait  que  trente-deux  ans,  —  est  mort  dans  celte  région,  avant 
d'atteindre  le  but  extrême  de  son  voyage,  mais  après  en  avoir 
accompli  la  partie  la  plus  difficile  et  celle  qui,  au  point  de  vue  scien- 
tifique, avait  le  plus  grand  intérêt. 


RrafSEIOirratffifTS  POLITIQUES  263 


n.  —  ASIE. 


Chine.  —  L'évacuation  de  Ghanghm.  —  VEchodeChim^  arrivéX.Mar- 
seillepar  le  dernier  courrier,  donne  les  détails  suivants  sur  le  départ 
deChanghaï  des  troupes  françaises  de  la  garnison,  sous  les  ordres 
du  Iieutenaot-colonel  Diguet  : 

Le  départ  s'effectua  dans  la  matiaée  du  26  décembre.  M.  Ratard,  consul 
général..  M.  Kammerer,  consul  suppléant,  tous  les  membres  du  consulat, 
ainsi  que  les  Français  de  Changhaî,  étaient  présents.  Les  troupes  défi- 
lèrent en  portant  les  armes  et  pénétrèrent  sur  la  concession  internationale. 
De  l'autre  calé  du  pont,  qui  sépare  les  deux  concessions,  le  colonel  alle- 
mand, comte  de  Schlippenbach,  et  ses  officiers,  se  plaçant  près  du  lieute- 
oant-cobnel  Diguet  et  du  commandant  Lambert,  se  joignirent  aux  troupes. 
La  musqué  allemande,  prenant  la  tête,  fit  entendre  plusieurs  airs  popu- 
laires allemands,  alternant  avec  les  clairons  du  bataillon. 

Une  fois  le  pont  de  Hongéou  franchi,  le  comte  de  Schlippenbach  et  ses 
officiers  prirent  congé  après  avoir  souhaité  bon  voyage. 

Une  réception  eut  lieu  à  bord  de  V Amiral-Exelmans  par  les  officiers 
français.  Le  colonel  Desino  et  son  aide  de  camp,  les  officiers  [allemands, 
le  capitaine  anglais  Rose,  de  la  prévôté  internationale,  y  assistaient,  ainsi: 
que  le  commandant  Sennes,  du  Pascal. 

Le  départ  eut  lieu  aux  accents  de  la  Sfarseilîaisef  jouée  par  la  musique 
municipale. 

m.  —  AFRiQuir. 

Maroc  —  La  situaUan.  —  Nous  disions,  il  y  a  quinze  jours,  que  le 
sultan  consacrait  tous  ses  e^rts  à  se  gagner  les  concours  intéresses 
des  tribus  douteuses  ou  même  rebelles,  [espérant  venir  à  bout  du 
prétendant  par  la  trahison.  {  Ce  système  semble  lui  avoir  assez 
Men  réussi.  Le  29  janvier,  en  effet,  les  troupes  impériales,  com. 
mandées  par  le  ministre  de  la  guerre  en  personne,  surprirent  l'armée 
Iv  prétendant  et  lui  infligèrent  une  sanglante  défaite.  Les  rebelles, 
après  une  résistance  acharnée,  durent  abandonner  leur  camp  avec 
leurs  bagages  et  leurs  munitions  ;  les  canons,  perdus  le  23  décembre, 
kreid  repris,  et  le  prétendant  lui-même  ne  dut  son  salut  qu'à  la 
faite.  Le  bruit  courut  au  premier  moment  qu'il  avait  été  fait  prison- 
Bîersnr  le  champ  de  bataille.  Cela  n'était  pas  exact;  il  est  certain 
que  Bon-Tamara  a  pu  échapper  à  la  poursuite  des  cavaliers  de  Eh- 
Xefaedi-el-Menebhi  ;  et  actuellement  on  ne  sait  encore  exactement 
ce  qull  est  devenu.  Les  dernières  lettres  de  Fez  assurent  qu'il  a  été 
trahi  et  capturé  par  les  Benr-Ouara,  et  que  ceux-ci  ont  été  attaqués 
à  leur  tour  par  d'autres  tribus  voisines  qui,  ayant  coopéré  virtuelle- 
ment à  la  défaite  du  prétendant,  le  29,  ne  veulent  pas  laisser  aux 


264  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

.  Beni-Ouara  seuls  le  mérite  de  cette  capture.  Une  autre  version,  plus 
*  accréditée  dans  les  njilieux  diplomatiques  de  Tanger,  prétend  que 
Bou-Hamara  s*est  réfugié  chez  les  Riak  (qui  lui  seraient  encore 
fidèles. 

Quoi,  qu'il  eo  soit,  la  cause  du  prétendant  vient  de  subir  un 
échec  qui  pourrait  bien  être  définitif.  Le  sultan  a  retrouvé  à  peu 
près  son  prestige  et  son  autorité.  Le  danger  d'une  crise  immédiate 
se  trouve  écarté  pour  le  moment,  et  cela  est  fort  heureux,  à  tous  les 
points  de  vue  ;  car  nous  ne  semblions  guère  en  mesure  de  pouvoir 
faire  triompher  nos  intérêts  essentiels  si  les  circonstances  avaient 
exigé,  comme  on  a  pu  le  craindre  un  instant,  notre  intervention 
immédiate  et  formelle. 

Afrique  Occidentale  française.  —  La  mission  Rougtêr-Belh.  —  Le 
gouverneur  général  de  l'Afrique  Occidentale  française  a  constitué 
une  mission  pour  faire  les  études  d'une  voie  ferrée  entre  Thiès  et 
Kayes. 

La  mission  sera  formée  en  deux  groupes. 

Le  premier,  avec  le  colonel  Rpugier,  marchera  sur  Kayes  en  faisant 
une  reconnaissance  rapide  du  terrain  ;  à  l'arrivée  de  ce  groupe  à 
.Kayes,  le  colonel  Rougier  reprendra  la  direction  du  chemin  de  fer, 
le  commandant  Belle  remplacera  le  colonel  Rougier  comme  chef  de 
mission  et  le  capitaine  Friry  partira  à  la  rencontre  du  deuxième 
^oupe  en  faisant  toutes  les  opérations  de  détail  sur  le  terrain. 

Le  deuxième  groupe,  sous  la  direction  du  commandant  Belle,  com- 
mencera les  opérations  de  détail  sur  le  terrain  à  Thiès  et  les  pour- 
suivra jusqu'à  la  rencontre  du  capitaine  Friry.  Après  la  jonction,  tout 
le  personnel  montera  à  Kayes  pour  la  rédaction  du  projet* 

Niger.  —  La  tiavigahilitè  du  Niijer.  —  Une  dépêche  du  Dahomey 
nous  annonce  que  la  flottille  du  Niger,  remontant  le  fleuve,  sous  le 
commandement  du  capitaine  Fourneau,  est  arrivé  saine  et  sauve,  et 
sans  avoir  éprouvé  aucun  accident,  le  10  janvier  dernier,  à  Karimama 
dans  la  région  de  Say,  oCi  elle  a  transporté  quatre-vingt-dix-huit 
tonnes  de  marchandises. 

C'est  la  quatrième  fois  qu'une  flottille  française  franchit  les  rapides 
réputés  infranchissables  de  Bouzza.  Après  les  premières  montées, 
accomplies  par  le  commandant  Toutée  et  par  le  capitaine  Lenfant, 
on  a  discuté  avec  passion  la  question  desavoir  si  le  Niger  pouvait 
devenir  une  voie  de  communication  pratique.  Nos  ofûciers  laissent 
discuter  et  font  comme  le  philosophe  qui  prouvait  le  mouvement  en 
'    marchant  :  ils  prouvent  la  navigabilité  du  Niger  en  y  naviguant. 


RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES 


I.  —  EUROPE. 


Italie.  —  Le  commerce  itaîo-allemand.  —  La  statistique  des  impor- 
tations et  exportations  de  rAllemagne  à  Tégard  de  l'Italie  donne, 
pour  le  premier  semestre  de  Tannée  1902,  les  résultats  suivants  : 

Importations  allemandes 196. 6 14.857  quintaux. 

—  —  2.840.160.000  marks. 
Exportations  destinées  à  l'Allemagne.  157.891.312  quintaux. 

—  —               —  2.286.725.000  marks. 

Soit,  par  comparaison  avec  le  premier  semestre  des  années  1900 
et  1901  : 

Importations  avec  1901 —    11.070.115  quintaux. 

—  —  -h    88.173.000  marks. 

—  avec  1900 --      5.889.103  quintaux. 

—  —  —  152.092.000  marks. 
Exportations  avec  1901 +      7 .  402 .  620  quintaux. 

—  —  4-  150.705.000  marks. 

—  avec  1900.: —  779.292  quintaux. 

—  —  —    39.752.000  marks. 

Parmi  les  objets  sur  lesquels  il  y  a  de  notables  diminutions  à 
l'exportation,  notons  les  vins,  les  poissons  frais,  les  figues  sèches, 
la  cire,  les  asphaltes. 

Sont  an  contraire  en  augmentation  :  les  huiles  d*olives,  les  fruits 
de  table,  les  tissus  de  soie,  les  laines  naturelles,  les  marbres,  les 
pierres  précieuses,  les  chapeaux  de  paille  (866.683  chapeaux  en 
I9(fâ  contre  307.692  en  1900). 

Arimportation,  nous  constatons  les  progrès  de  TAUemagne  en  ce 
qui  concerne  les  cotonnades,  les  fers  et  fontes,  les  bières,  les  ma- 
hines  industrielles,  les  locomotives  et  locomobiles,  les  charbons. 

Il  y  a  régression  pour  les  machines  électriques. 


—  Le  commerce  des  soies  en  1900  et  1901.  —  Le  montant  tolal  (en 
milliers  de  lires)  de  Timportalion  en  1901  a  été  de  189.202  contre 
i6!i.293  en  1900  :  celui  de  l'exportation  a  été  de  508.657  en  1901, 
alors  qu^en  1900  il  avait  été  de  450.841. 

Les  principaux  pays  ayant  pris  part  à  ce  trafic  sont  : 


266  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

i^  A  Vimportation  en  Italie. 

1900  1901 

milliers  de  lires. 

France 54J43  56.643 

Allemagne 13.116  16.410 

Angleterre 1 .642  1 .  126 

Autriche-Hongrie.. 16. 141  15.436 

SuiB8e 13.487  15.385 

Turquie 7.640  7.104 

Indes  anglaise» 1 .04^  1 .574 

Chine 45.770  67.982 

Japon 8.818  7.289 

2^  A  Vexportation  de  l'Italie. 

Sur  France 61.185  85.782 

—  Allemagne 129.685  141.865 

—  Angleterre 29.582  29.345 

—  Autriche-Hongrie 20.785  18.890 

—  Espagne 481  342 

—  Suisse 129.556  133.496 

—  Turquie 5 .292  9.347 

—  Egypte 7.413  8.788 

—  Tunisie i.ll3  975 

—  Etats-Unis 50.413  65.024 

—  République  Argentine 5.152  2.174 

Au  point  de  vue  des  quantités,  le  commerce  spécial  de  Tltalie  dans 
cette  branche  peut  se  résumer  comme  suit,  par  catégories  : 


Cocons 

Soie  moulinée  grège  (simple 
et  moulinée  ou  torse) 

Déchets  de  soie  grèges 

Déchets  de  soie  ouvrés 

Tissus  de  soie  (compris  la 
bonneterie,  rubans,  galons, 
dentelles  et  tulles). 

Articles  confectionnés  (com- 
pris la  passementerie  et 
boutoos) 


UNITÉS 


Quiat. 


kg. 


1000 


IMPOR- 
TATION 


27.197 

19.330 

13.036 

481 

191.349 
7i.872 


EXPOR- 
TATION 


1.973 

67.426 
23.107 
10.061 

959.783 

51.785 


1901 


IMPOR- 
TATION 


34.542 

23.349 

17.260 

398 

199.119 

102. -«3 


EXPOR- 
TATION 


2.663 

79.787 
23.771 
11.050 

1.100.607 

72.661 


Si  Ton  se  reportait  aux  tableaux  concernant  les  années  précé- 
dentes, il  serait  facile  de  se  rendre  compte  du  développement  tou- 


RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  267 

jours  croissant  des  exportations   italiennes  de  tissus  soyeux   et 
d  articles  confectionnés. 

II.  —  AFRIQUE. 

Côte  dlyoire.  —  Le  mouvemmi  minùr;  la  sihiation  financière  et  écono- 
mqw.  —  Le  mouvement  minier  s'accentue  chaque  jour.  En  1901^  peu 
de  permis  de  recherches  a^aiesl  été  deanmdés.  Les  prospecteurs  se 
lK)rnaient  d'ailleurs,  en  général^  à  n'explorer  les  terrains  aurifères 
qa  à  la  surface.  Mais  à  la  suite  des  résultats  obtenus  pendant  cette 
campagne  et  en  présence  des  éefaAntrllcms  recueillis,  un  grand  mou- 
Tement  s  est  dessiné  dès  la  En  de  i90L  Aussi,  au  cours  de  Tannée  i90â, 
l'administration  a-t-elle  dû  accorder  plus  de  800  permis  de  recherches 

00  d'exploration. 

Vue  centaine  d'ingénieurs  ou  de  prospectems  réputés  ont  entre- 
pris des  études,  notamment  dans  les  régio^ns  du  Sanwi,  de  Tlndémié 
et  dn  Bondonkou. 

La  situation  financière  de  la  Cdte  d'TToire  est  excellente.  Au  mois 
de  juin  1902,  le  gouvernement  local  a  pu,  en  eflFet,  malgré  les 
dépenses  entraînées  par  les  travaux  entrepris  à  Bingenille,  verser 
aoe  somme  importante  à  la  caisse  de  réserve  de  la  colonie  dont  le 
Dootast  atteint  aujourd'hui  le  chiffre  de  400.000  francs. 

On  peut,  dès  à  présent,  prévoir  que  les  recettes  de  Texercice  1902 
dépasseront  les  prévisions  budgétaires  d'au  moins  350.000  francs.  Ce 
résultai  est  dû  surtout  à  la  création  de  l'impôt  de  capitation,  qui 

1  existait  pas  antérieurement  à  1901  et  dont  le  recouvrement  s'opère 
issez  facilement. 

Le  nombre  des  factoreries  augmente  depuis  que  la  création,  à 
firand-Bassam,  du  warf,  oà  Ton  peut  facilement  débarquer  200  tonnes 
par  jour,  a  fait  disparaître  les  difficultés  de  toutes  sortes  qui  exis- 
taient autrefois,  à  cause  de  la  àarre  pour  l'embarquement  et  le  débar- 
quement des  marchandises. 

Le  nouveau  chef-lieu  de  la  Côte  dlvoire,  Kngerville,  s'étend 
chaque  jour.  11  est  maintenant  doté  d'un  nombre  de  maisons  suffis 
sant  pour  loger  tous  les  services.  Au  cours  de  1902,  on  y  a  construit 
me  briquetterie  qui  peut  débiter  40.000  tuiles  ou  briques  chaque 
:Bois,  et  d'importasts»  ateliers  à  bois  et  à  fer,  mus  à  la  vapeur,  qui 
^>Qt  en  mesure  d'effectuer  la  plupart  des  réparations  aux  pièces  de 
machine  que  l'on  était  autrefois  obligé  de  renvoyer  en  Europe.  Quant 
a  la  Dttki-d  flHKvre,  oa  la  trouve  faeilemen.t.  Dans  la  plupart  des  vil- 
lages situés  dans  le  rayon  de  Bingerville,  de  nombreuse  indigènes 
df^mandent  enx-oiéiiies  k  être  employés  comme  hommes  de  peine. 


NOMINATIONS  OFFIGELLES 


MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

L'exequatur  a  été  accordé  à  : 

M.  Maurice  Peron,  vice-consul  d'Uruguay,  à  BouIogne-sur-Mer  ; 

M.  A.  Naud,  agent  consulaire  d'Angleterre,  aux  Sables-d'Olonne  ; 

M.  A.  G.  Buchanan-Bax,  vice-consul  de  Sa  Majesté  Britannique,  à  Fécamp; 

M.  Henrj-Joseph  Meagher,  consul  de  Sa  Majesté  Britannique,  à  Fort-de-France  ; 

M.  Pompeyo  Diaz  y  Cossio,  consul  d'Espagne,  à  Cette  ; 

M.  J.-B.  Beverioi,  vice-consul  d'Italie,  à  Bône  (Algérie)  ; 

M.  Paul-Apollinaire  Burdese,  vice-consul  d'Italie,  à  Toulon  ; 

M.  William  F.  Dotj,  consul  des  Etats-Unis  d'Amérique,  à  Tahiti  ; 

M.  le  D'  Augustin  Uribe,  consul  de  la  république  de  Colombie,  au  Havre; 

M.  Viengué,  secret,  dambass.  de  2*  c/.,  est  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur. 

MINISTÈRE  DE  LA  GUERRE 

Troapes  métropoliCalnes. 

SBAVICB   VBTéRINAIRB 

Indo-Chine.  —  M.  le  vétér.  en  2*  Moussillac  est  désig.  pour  servir  au  Tonkin. 
Troupes  coloniales. 

UfFAMTERIB 

Afiriqne  Oooidentale.  —  M.  le  chef  de  bat.  Tandart  est  désig.  pour  serv.  au 
rég.  indigène  du  Congo. 

Ont  été  désignés  pour  servir  : 

Au  {«i*  sénégalais  :  MM.  les  capil.  Vargoz  (comme  capit.-major),  Léonard  et 
Chabalier. 

Au  2«  sénégalais  :  M.  le  capit.  Laurens;  MM.  les  lieut.  Citerne,  Vis  et  le  sous- 
lieut,  Dumont. 

Indo-Chine.  —  Les  officiers  ci- après  sont  désig.  pour  servir  au  Tonkin  : 

M.  le  colonel  Ytasse,  au  4«  tonkinois; 

M.  le  chef  de  bat.  Lagarrue,  au  bat.  des  tiraill.  chinois; 

M.  le  chef  de  bat.  Thoreux,  au  9-  rég.  ; 

M.  le  capit.  de  Tavernier,  à  la  3*  comp.  du  9«  rég.  ; 

M.  le  capit,  Guille,  à  la  1"  comp.  du  l"  tonk.  ; 

M.  le  capit.  Aupetit-Durand,  à  la  14«  comp.  du  2*  tonk.; 

M.  le  capit.  Dez,  à  la  i^*>  comp.  du  4'  tonk.  ; 

M.  le  lieut.  Icart,  à  la  suite  du  9«  rég.  ; 

M.  le  sous'lieut.  Chaperot,  à  la  13»  comp.  du  10«  rég.; 

M.  le  lieut.  Beneyton,  à  la  2*  comp.  du  le^tonk.  ; 

M.  le  lieut.  Reydellet,  à  la  T. comp.  du  1"  tonk.j 

M.  le  lieut.  Rondet,  à  la  suite  du  2"  tonk.  ; 

M.  le  sou8-lieut.  Ferrand,  à  la  suite  du  2«  tonk.  ; 

M.  le  lieut.  Castaing,  à  la  14*  comp.  du  2*  tonk.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Kermorvant,  à  la  suite  du  3*  tonk.; 

M.  le  lieut.  Cocquebert  de  Touly,  à  la  6"  comp.  du  4*  tonk.  ; 

MM.  les  capit.  Savin,  de  l'Orza  de  Montorzo-Reichemberg,  Marseille,  Jénot, 
Pages  et  Bénezech  ; 

MM.  \&s  lieut.  Verna,  Majade,  Malandain,  Gérard  et  Gœtz; 

MM.  \es  sous-lieut.  Wergand,  Lantlieaume  et  Devaux; 

M.  le  lieut,  Madaule  est  nommé  offic.  d'ordonn.  du  colonel  Beaujeuz,  command. 
la  brig.  de  réserve  au  Tonkin. 

Sont  affectés  : 

MM.  le  capit.  Michelangeli,  à  la  *•  comp.,  et  le  capit.  Thiéry,  à  la  !!•  comp.  du 
l«r  tonkinois; 

M.  le  capil.  Lauzanne,  à  la  1*^  comp.  du  2*.  tonk.; 

M.  le  capit.  Gonnesseau,  comme  adj.-maj.  au  3«  tonk.; 


NOBUNATIONS  OFFICIELLES  269 

H.  le  capit.  Habert,  à  la  3«  comp.  du  3*  tonk.  ; 

M.  le  eapit,  Raulin,  à  la  6*  comp.  du  4*  tonk.  ; 

M.  le  capit.  Robin,  à  la  8*  comp.  du  9*  colonial  ; 

M.  le  lieut.  Abadie,  à  la  ii^  comp.  du  2*  tonk.; 

M.  le  lieut.  Guyon,  à  la  8*  comp.  du  4*  tonk.  ; 

M.  le  lieut.  Caillette,  à  la  {^^  comp.  du  18*  colonial; 

M.  le  lieut.  Baffoj,  à  la  2*  comp.  du  18^  colonial  ; 

M.  le  capit.  Chapelle,  comme  major  au  5®  tonk.  ; 

M.  le  capit.  Gérôme,  comme  trésorier,  et  le  lieut.  Blandin,  comme  offic.  d'approvis., 
»a  18'  colonial; 

M.  le  capit.  Peigné,  à  la  o«  comp.  du  5®  tonk.  ; 

M.  le  capit.  Collot,  à  la  o**  comp.  du  18®  colonial  ; 

M.  le  capit.  Dumestre,  à  la  8<^  comp.  du  rég.  de  tiraill.  annamites; 

M.  le  capit.  Sigonney,  à  la  12«  comp.  du  18«  colonial. 

Sont  déâig.  pour  servir  en  Cochinchine  : 

M.  le  chef  de  bat.  Huilier  ;  M.  le  capit.  Cailleau  et  MM.  les  lieut.  Boissv,  Morel, 
Càaumont  et  Mathieu. 

Sont  affectés  : 

M.  le  capit.  Cuttier,  à  la  9^  comp.  du  H*:  rég.; 

M.  le  capit.  Evrard,  à  la  suite  du  rég.  de  tiraill.  annamites; 

M.  le  êous'lieut.  Moreau,  à  la  S^^  comp.  du  11®  rég.  ; 
If.  le  colonel  Gouttenégre,  au  2<^  tonk.  et  commandant  du  !«''  territ.  milit.  ; 
M.  le  lieut. -col.  Mondon,  au  3*  tonk.  et  commandant  du  3*  territ.  milit. 
M.  le  capit.  Hos  est  placé  à  l'état-major  des  troupes  de  l'Indo-Ghine  (service  géo- 
ermphique)  : 

M.  le  lieul.  Hugon,  de  l'état-major  partie,  est  nommé  chancelier  du  cercle  de 
Bae-QuaDg  ; 

M.   le    lieut.   Billotte   est  placé   à  l'état-major  comme   officier  d'ordonnance   du 
iréaéral  Coronnat. 
Kadasrasoar.  —  Ont  été  désignés  pour  servir  à  Madagascar  : 
M.  le  chef  de  bat.  Ernst; 

MM.  les  capit.  Vanwœtermeulen  et  Bertrandon; 

MM.  les   lieut.    Pichon,  Barbassat,  Thiry,  Guerrier,    Boinet,   Jouannetaud    et 
.Uibcrt  ; 
MM.  les  sous-lieut.  Crozes,  Lefrançois,  Clerc,  Hinzelîn,  Fons  et  Roux. 
Sont  affectés  : 

M.  le  chef  de  bat.  Rotti,  au  3«  sénégalais  ; 
M.  le  eapit.  Claustre,  au  15<^  rég.  comme  adj. -major; 
M.  le  capit.  Poslh,  au  2^  malgaches  comme  adj  .-major; 
M.  le  capit.  Minarj,  à  la  6<^  comp.  du  Z^  sénégalais; 
M.  le  sous-lieut.  Gilles,  à  la  4«  comp.  du  l^r  malgaches; 
M.  le  sous-lieut.  Nivet,  à  la  12»  comp.  du  le'  malgaches  ; 
If.  le  sous-lieut.  Robert,  à  la  6^  comp.  du  2*^  malgaches; 
M.  le  sous-lieut.  Riou,  à  la  3«  comp.  du  15«  rég,  ; 
M.  le  sous-lieut.  Le  Goupil,  à  la  7«  comp.  du  15«  rég.  ; 

M.  le  lieut.  Gillet  passe  à  l'état-major  partie,  et  est  nommé  substitut  au  conseil 
ie  guerre  de  Diégo-Suarez. 

ARTILLERIE 

Officiers    d'administration, 

Afrique  Occidentale.  —  M.  Voffic  d'admin,  de  1*  cl.  Chauvenet  est  désij:. 
KMT  servir  aux  travaux  du  chemin  de  fer  du  Dahomey  ; 

M.  Voffic.  d*admin.  de  2«  cl.  Olivier  estdésig.  pour  servir  aux  travaux  du  chemin 
de  fer  de  Kayes  au  Niger. 

SERVICE   DE   SANTE 

Afrique  Occidentale.  —M.  le  méd.  ppal    de  2*   cl.  Merveilleux  est  désifj. 
\'OnT  servir  en  Afrique  Occidentale. 
Les  méd.''maj.  de  1'*  cl.  dont  les  noms  suivent  sont  affectés  : 
A  ITiôpital  de  Kati,  M.  do  Biran; 
A  rhôpitai  de  Kajes,  M.  Le  Moine  ; 
M.  Je  méd.-maj.  de  2*  cl.  Dor  est  désig.  pour  servir  à  Tombouctou. 


270  QUESTIONS   l>n%OlfATlQUES  ,BT  GOLONIALKS 

Les  méd.  aides^maj.  de  1'*  cl.  dont  les  noms  suivent  sont  affectés  : 

ADori,  M.  Charezieux; 

A  Bandiagara,  M.  Donnet  ; 

Au  chemin  de  fer  du  Niger,  M.  GrosfiUez; 

A  Kati,  MM.  Léger  et  Guiliemet; 

A  Dakar,  M.  Ayraud; 

A  la  mission  des  travaux  du  chemin  de  fer  au  Dahomey,  M.  Prouvost. 

Sont  désig.  po^r  servir  en  Afrique  Occidentale  : 

MM.  les  méd.  aides-maj.  de  l'*  cl,  Mongie  et  Thézé'. 

Indo-Chine.  —  Sont  affectés  : 

Au  4-  lonk.  à  Bac-Ninh,  M.  le  méd.~maj.  de  i"  cl.  Sévère  ; 

A  la  légation  de  Hué,  M.  le  méd.-maj.  de  1"  cl.  Vivien. 

Au  11**  colonial  au  cap  Saint-Jacques,  M.  Dubruel,  méd.  maj.  de  2«  cl.  ; 

Aux  batt.  d'artill.  au  cap  Saint-Jacques,  M.  Patriarche,  méd. -maj.  de  2«  cl.\ 

A  l'hôpital  de  Saigon,  M.  Revault,  méd.  aide-maj.  de  1"  cl.; 

A  rhôpital  de  Quang-Yen,  M.  Piuchon, pharm.-maj.  de  1~  cl.; 

M.  le  méd. -maj.  de  i'^  cl.  Thomas  est  nommé  chef  du  service  de  santé  de  la  brig. 
de  réserve  au  Tonkin  ; 

M.  le  méd.-maj.  de  1<^«  cl.  Bousquet  est  désig.  pour  le  18*  colonial; 

M.  le  méd. -maj.  de  2*  cl.  Guilloteau  est  détaché  à  la  comp.  des  chemins  de  fer 
de  Hankéou  à  Pékin  ; 

M.  le  méd. -maj.  de  2*  cl.  Huot  est  affecté  au  18*  colonial  ; 

M.  le  méd.  aide^maj.  de  i**  cl.  Moursou  est  attaché  à  l'état-maj.  de  rartill.  de  la 
brig.  de  réserve  à  Sontaj. 

Sont  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine  : 

MM.  les  méd. -maj.  de  2«  cl.  Pujol,  Bouillon  et  ReRoul  ; 

MM.  les  méd.  aides-maj.  de  1'*  cl.  Barot,  Ledoux,  Tardif,  Génies  et  Mercier. 

Ghiadelonpe.  —  M.  Lamj,  méd.  maj.  de  2<>  c/.,  est  désig.  pour  servir  à  la 
Guadeloupe. 

Hadagasoar.  —  Sont  désig.  pour  servir  à  Madagascar  : 

MM.  les  méd.  aides-maj.  de  i^^  cl.  Martin,  Grillât,  Navarre,  Lasserre  et  Lescure. 

Nonvelle-Calédonie.  —  Sont  désig.  pour  servir  en  Nouvelle-Calédonie  : 

MM.  le  méd.-maj.  de  2«  cl,  Foutrein,  les  méd.  aides-maj.  Le  Roy  et  Le  Bouvier, 
et  le  pharm.  aide-maj.  de  l'«  cl.  Bonnot. 

CORPS    DU    COMMISSARIAT 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  commUs»  de  2«  cl.  Briolaj  est  affecté  au  ser- 
vice des  approvisionnements  à  Saint-Louis. 

Guyane.  —  M.  le  commise,  de  !'«  cl.  Longueteau  est  nommé  chef  des  services 
administ.  à  la  Guyane. 

Madagascar.  —  Sont  désig.  pour  servir  à  Madagascar  : 

MM.  le  commiss.  ppal  de  3"  cl.  Cartier;  les  commise,  de  l'®  cl.  Ride,  Théodore 
et  Martin  ;  les  commiss.  de  2*>  cl.  Sossolte,  Bousquet  et  Ghabaud. 

Martinique.  —  (M.  le  commise,  de  1**  cl.  Douenel  est  désig.  pour  servir  à  la 
Martinique  comme  commiss.  de  rinscription  maritime. 

MINIS^TÉBE   DE    LA    MAEME 

STAT-MAJOR  DE   LA  FLOTTE 

Cooliinolline.  —  M.  le  lieul.  de  vcciss.  Douillet  eat  nommé  au  command.  d'un 
torpilleur  de  la  défense  mobile  de  Saigon. 

Congo.  —  M.  Venseig,  de  vaiss.  de  Parseval  est  désig,  pour  embarq.  sur  Ï'AL- 
cyon. 

Mers  d'Orient.  —  M.  le  capit.  de  vaisseau  Bonifay  est  nommé  au  command.  du 
Montcalm. 

M.  Venseig.  de  vaiss.  Vincent  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Montcalm. 

Océan  Indien.  —  M.  le  capit,  de  frégate  Rochas  est  nommé  au  commaDd.  de 
la  Sièvre  à  Madagascar. 

Ooôan  Indien.  —  M.  le  lieut.  de  vaiss.  Allemann  est  désig.  pour  embarq.  sur 
Vlnfernet  en  qualité  d'adjudant  de  division. 


BIBLI06RAPHIIS  —  LIVRES  ET  REVUES  271 

H.  le  mécanic,  ppal  de  1'«  cl.  Trotobas  est  désig.  pour  embarq.  sur  VInfemet  en 
qualité  de  mécanic.  de  division. 

Pacifique.  —  M.  le  capil.  de  vaiss.  Adigard  est  nommé  au  commaod.  de  la 
diriâion  navale  du  Pacifique  et  du  Protêt. 

Terre-Henve.  —  M.  le  capit.  de  vaisseau  de  Faubournet  de  Montferrand  esl 
Qominé  au  command.  de  la  divis.  navale  de  Terre-Neuve  et  du  Lavoisiei*.  • 

SBAVICE  DE   SANTÉ 

Océan  Indien.  —  M.  le  méd.  deU«  cl.  Soûls  est  désig.  pour  embarq.  sur  Vin- 
f^rnet  en  qualité  de  médecin  de  division. 

CORPS    DU   COMMISSARIAT 

Océan  Indien.  —  M.  le  commiss.  de  i^^  cl.  Delignj  est  désig.  pour  embarq. 
^ar  Vlnfeimet  en  qualité  de  commissaire  de  division. 

Cooltinohilie.  —  M.  Mao,  commit  ppal  de  3«  cl.,  est  désig.  pour  servir  à  l'ar- 
^ml  de  Saison. 

MIIVI^TÈRE    DES   COLONIES 

Par  décret  en  date  du  26  janvier  1903,  ont  été  nommés  : 

Président  de  la  Cour  d'appel  de  la  Réunion,  M.  Gamin  du  Tremblay; 

Président  du  tribunal  de  première  instance  de  Saint-Denis  (Réunion),   M.  Thonon; 

Substitut  du  procureur  général  de  la  Réunion,  M.  Dessaignes  ; 

Subetitiit  du  procureur  général  de  la  Guadeloupe,  M.  Michaux. 

BIBLIOfrRlPHIE  —  UVRES  ET  REVUES 

Géogri^iliie  ag^rioole  de  la  France  et  du  inonde,  par  J.  du 

Plessis  de  Grénédan.  1  vol.  in-8«  de  424  p.  Paris,  1903,  Maeson  et  C'«, 
éditeurs. 

O  précis  de  géographie  agricole  est  consacré  à  l'étude  de  la  production 
lîîricole  dans  les  diverses  parties  du  globe  et  à  l'utilisation  industrielle  et 
x^mmerciale  des  différents  produits  du  sol.  La  France,  son  empire  colo- 
aidl  et  le  monde  forment  les  trois  parties,  dont  chacune  comprend  tout 
"Cïiemble  un  chapitre  de  géographie  agricole  générale  et  une  statistique 
jritique  de  chaque  culture  en  particulier.  La  dernière  partie  est  complé- 
•-♦*  par  uu  tableau  sommaire  des  institutions  agricoles  des  principales 
rjations  comparées  à  la  France.  Dé  nombreux  graphiques  et  cartes  com- 
•^i.f'leDt  cet  ouvrage  que  recommandent  a  première  vue  le  nom  de  son 
inieur,  rintérét  du  sujet,  et  son  utilité  pratique. 

Ijem  Annairies  de  la  Républiqne  ^snd-africaine  (Trancrvaal), 

l»ar  Joseph  Joubert.   Une  brochure  in-B*  de   39  pages.    Paris,  1903, 

Augustin  Challamel,  éditeur. 

Cette  brochure  est  intéressante  au  double  point  de  vue  héraldique 
"î  historique.  L'auteur  y  décrit  en  détail  les  curieux  et  pittoresques  attri- 
«uts  des  écussons  du  Transvaal  et  de  TÉtat  libre  d'Orange,  et  il  en  profite 
^ar  rappeler  les  origines  des  Boers,  les  traits  saillants  de  leur  histoire, 
L-nirs  mœurs  caractéristiques  et  en  particulier  leurs  dramatiques  treks 
TU  émigrations.  L'écrivain  a  su,  tout  en  faisant  une  œuvre  surtout  ins- 
tnîctiTC,  Tentremêler  d'épisodes  émouvants,  qui  mettent  bien  en  relief 
'^  admirables  vertus  de  ce  peuple  héroïque,  au  sang  franco-hollandais,  et 
Jual  rinlrépidité  a  fait  l'admiration  de  l'univers. 

Ouitrages  déposés  au  bureau  de  la  Revue. 

La  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX'  siècle,  publiées 

âoos  la  direction  du  P.  Piolet,  avec  la  collaboration  de  toutes  les  sociétés  de  mis- 

^ffos. Illustrations  d'après  des  document*  originaux.  —  Tome  VI  et  dernier. 

Uimans  tt Amérique.  Les  8a«  et  66*  livraisons  viennent  de  paraître.  Paris,  1903, 


272  QUESTIONS   DIPJÛOMATIQUKS    ET   COLONIALES 

Le  Japon  politique^  économique  et  social,  par  Henry  Dumolard,  ancien  professeur 
de  droit  français  à  l'Université  de  Tokvo.  Un  vol.  in-18  Jésus.  Armand  Colin,  édi- 
teur. Paris,  1903. 

Histoire  contemporaine  :  La  chute  de  l'Empire.  Le  gouvernement  de  la  Défense 
nationale,  V Assemblée  nationale,  par  Samuel  Denis.  Tome  IV.  Un  vol.  io-8«  de 

.   670  pages.  Plon-Nourrit  et  C'«.  Paris,  1903. 

La  question  de  la  Vieille-Sei*bie,  par  Paul  Orlovitch.  Une  broch.  de  50  pages. 
Hachette  et  C^'^,  éditeurs.  Paris,  1903. 

LES  REVUES 

I.  —   REVUES   FRANÇAISES 

Armée  et  Marine  (15  fév.).  D'  J.-A.  Bussikrb  :  L'école  de  médecine  de  Pondi- 
chérj.  —  Le  recrutement  des  officiers.  —  Télégraphie  militaire  allemande.  —  Le 
colonel  Ljnch.  —  Georoks  Touoouze  :  Les  causes  réelles  de  la  famine  bretonne. 

—  La  baie  Ponty. 

Revue  eommeretale  de  Berdeaax  (30  janv.),  J.-Cn.  Tourmond  :  M.  Roose> 
velt  et  les  trusts.  —  George  Jobnston  :  L'Etat  et  la  marine  marchande  en  Alle- 
magne. —  (6  fév,).  Henri  Lorin  :  La  culture  du  coton  dans  l'Afrique  Occidentale. 

Revue  des  Deux  Mondes  (!•'  fév.).  René  Pinon  :  La  Tripolitaine. 

Revne  fraaeo-BiUBnlaïaiie  (janv.).  P.  Carcassonne  :  Choses  du  Maroc. 

Revue  générale  des  scleneen  (30  janv,).  Augustin  Bernard  :  Les  productions 
naturelles,  Tagriculture,  l'industrie  et  le  commerce  au  Maroc. 

Revue  de  Madagasear  (10  janv.).  Lépreux  :  Aperçu  sur  l'état  de  la  colonisation 
militaire  k  Madagascar. 

Revue  politique  el  parlementaire  (10  fév.).  Charles  Dup'ut  :  Le  service  de 
deux  ans  et  les  dispenses.   —  Aurblikn  Valadb  :  L'œuvre  du  Japon  à  Formose. 

—  A. -A.  Fauvel  :  L'enseignement  français  en  Orient  et  en  Chine. 

Revne  des  troupes  coloniales  (janv.).  Capit.  Gadoffre  :  Vallée  du  Yang-tsé  : 
les  troupes   chinoises  et  leurs  instructeurs. 

H.  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 
Revues  italiennes, 

L'Esplorastone  Commereiale  (31  décembre  1962).  Pippo  Vizoni  *.  La  Stella 
Polare  dans  les  mers  arctiques.  —  Commissaire  civil  Martini  :  Rapport  sur  la 
colonie  de  l'Erythrée.  —  G.  Griffini  :  Traités  relatifs  aux  frontières  entre  le 
Soudan,  l'Ethiopie  et  l'Erythrée.  —  (15  janvier  1903).  P.  Paolo  Manna  :  Les 
Ghekhu,  voyage  en   Birmanie  orientale, 

Rassegua  Interuaxtonale  (janvier  1903).  Silvio  Ghelli  ;  Vers  rOrient  (notes 
sur  le  problème  Adriatique,  où  sont  avouées  les  grandes  inquiétudes  inspirées  par 
l'Autriche,  et  proclamés  les  souhaits  les  plus  vifs  pour  le  développement  des  voies 
de  communication  avec  la  France  et  la  Suisse). 

RIvista  Geo|;rafica  Italiana  (décembre  1902)  :  L'expédition  scientifique  anglaise 
de  l'Ouganda  et  une  lettre  du  D'  Aldo  Castellani. 

Rassegna  IVamionale  (l***  janv,  1903).  Roberti  :  Le  mariage  de  Louis  XV.  — 
Eugène  Obbrti  :  Le  barrage  du  Nil  en  aval  d'Assouan.  —  (i6janv.  1903).  Mario 
Foresi  :  Quelques  détails  sur  la  vie  de  Napoléon  à  l'ile  d'Elbe. 

Rivlsta  Moderna  (i^^  janv.  1903).  ***  Un  programme  italien  en  Orient  (A  propos 
du  voyage  du  comte  de  LamsdorCf  aux  cours  balkaniques,  l'auteur  pense  que  les 
progrès  du  slavisme  ne  sauraient  pourtant  arracher  à  l'Italie  la  domination  des 
deux  rives  de  l'Adriatique).  —  R.  Cap.  Perini  :  Le  mouvement  colonial  au 
XIX*  siècle  (continue  dans  le  numéro  du  16  janvier  1903). 

Litalla  Coloniale  {janvier  1903).  Antoine  Monzilli  :  Le  renouvellement  des 
traités  de  commerce  (ému  de  la  dénonciation  par  l'Autriche  du  traité  de  1901, 
l'auteur  montre  que  les  résultats  ont  cependant  été  plus  avantageux  pour  TAutri- 
che-Hongrie).  —  A  propos  du  Venezuela  (bref  tableau  de  sa  situation  géographie 
que,  économique  et  politique).  —  Belcredi  :  Au  Maroc  (expose  la  compétition 
actuelle,  insiste  sur  les  difficultés  qui  empêchent  toute  ingérence  européenne). 

U Adm%nistr(Uewr'Oèrant  :  P.  Campain, 

paris.  —  IMPRIMERIE  F.  LEVE,  RUE  CASâSTTE,   17. 


APERÇU    DE    QUELQUES    SOMMAIRES 


Sommaire  du  no  13S 

Rf bert  lie  Caix  :  Affaires  du  Siam.  —  J.  Denais-Darnays  :  Fédéralisme  et  socialisme 
fn  Aostralasie.  —  Henri  Loria  :  Impressions  sur  T Espagne  d'aujouri'hui. 
Cirte^et  gravures  :  I    La  presqu'ila  de  Malacca.  —  II.  Carte  de  l*Au*»tralasie. 

S»ommatre  du  n<>  4  86 

'";  Le  traité  franco-siamois.  —  René  Henry:    Le  rapprochement  franco-italien.  — 

Aigiste  Terrier  :  La  délimitstion  de  Zinder. 
Lirttset  Onrares  :  I.  Carte  du  Siam.  —  II.  La  nouvelle  frontière  franco-si^oise^  — 

!!1.  Afrique  occidentale  française,  3*  territoire  militaire. 

Sommaire  du  n»  437 

Hfsri Pensa:  L'arenir  de  la  Tunisie.  L'indastrie  européenne  et  l'industrie  indigène.  — 
"*:L'œoTre  française  en  Afrique  Occidentale.  —  H«*iirl   Bublôr  :  Les  couUsscs  du 
-u^^rtnanisme  autrichien.  —  René  Morrnx  :  Le  premier  congrès  colonial  allemand.^ 
Cartes  et  i^^rayores  :  Carte  de  TAfrique  OcciHentale. 

Sommaire  da  n^  4  38 

"'  Le  livre  jaune  et  les  affaires  do  Siam.  «  E.   Peyralbe  :  Franco   et   Simpion.  — 

PiilLabbè  :  La  région  du  fleuve  Amour. 
iiripset  graTiires  :  1.  Graphique  comparatif  des  projets  Frasne-VaUorhe  et  de  la  Fao- 

.e.  —II.  Carte  des  voies  d'accès  au  Simpion. 

Sommaire  do  n»  4  30 

^tffeiqoéta  :  A  propos  des  affaires  do  Siam  :  Opinions  do  MM.  Qodin,  le  Comte 
.AsDiT,  Berthelot,  te  Myre  de  Vilers,  Donys  Cochin,  Flourens,  Senart.  et  du  journal 
j  îtmps,  —  Maurice  Baret  :  Les  villes  de  santé  dans  nos  Colonies.  —  Georges 
i«tà€r  :  La  Jutte  tchèque-allemande. 

CtrtM  et  Kravnre^  :  Répartition  des  nationalités  en  Autricbe-Honprrie. 

Sommaire  do  n"*  140 

ître  esqoête  s  A  propos  des  affaires  de  Siam  ;  opiuions  de  MM.  François  Deloncle,  le 
ircn  d'Estouro elles,  de  Constant,  GerviUe-Réache,  H.  Cordier,  Marcel  Monnier, 
i:jria  Lemire.  —  **'  :  L'œuvre  française  en  Afrique  occidentale.  —  Pani  Labbé  : 
~  regiOQ  du  fleuve  Amour,  la  province  Maritime. 

«'t^ et  gravures  :  I.  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  l'Afrique  occidentale. 
-iLaréjrion  dn  fleuve  amour. 

— — ^ ■ F 

Sommaire  do  n»  f  4t 

^.ii^eniain,  sénateur  d'Oran  :  La  question  du  Maroc.  —  ÏjQ  Myre  de  Vilers,  ancien 

•  :5t'  de  la  Cochinchine  :  La  crise  de  l'argent  en  Indo; Chine.  —  '"*  :    Le  conflit 

^'^germano-Ténézuélien.  —  René  Basset,  directeur  de  1  École  supérieure  des  Lettres 

'-/v:  Le  XIII*  congrès  international  des  orientalistes  à  Hambourg. —  René  Piuon: 

--^'âissioDs  catholiques  françaises  au  xix*  siècle.  —  L.  Brnnet,  député  de  la  Réunion: 

-•-igascAT.  —  Les  territoires  militaires. 

Cartes  et  graynrea  :  Carte  du  Maroc.  —  Carte  du  Venezuela. 

Sommaire  dn  n*  4  4^ 

'^  >ir;  expansion  coloniale  et  les  partis  politiques.  —  René  Henry  :  La  question  de  la 
•i  Hàne. —  X.  :  La  question  du  Maroc.  —  Notre  Bnqnête  :  A  propos  des  affaires  de 
■•-  opLiioDS  de  M.  G.  Chastenet,  d'un  collaborateur  d'Extrême-Orient,  de  M.  Robert 
'  -T^' Journal  tlet  Débats);  protestation  de  TAssociation  des  écrivains  militaires, 
"lises  et  coloniaux.  Président,  M.  H.  Houssaye.  »*r.j 

■-"'»  et  la^Tires  :  ï.  Péninsule  des  Balkans  :  indications  orographiques. —  II.|La 
'7:it  dKurope.  —  111    La  Péninsule  des  Balkans  d'après  le  traité  de  San-Stefano. 

Sommaire  dn  n  143 

-Tste Terrier:  La  délimitation  de  l'Ethiopie.  —  René  Henry:  La  question  de  Macé- 
Alexandre  Gaasco:   Le  paludisme  et    l'initiative  privée   en    Corse. — 

'^tais-Darnays  :    Fédéralisme  et    socialisme  en,  Australasie.  —  René  Morenx  : 

'-''iité  franco-siamois  et  l'opinion  allemande. 
"'' rt  griTares  :    I.  Frontière  entre  le    Soudan    Anglo-Egyptien    et    l'Ethiopie.  — 

•^baitation  de  TAfrique  Orientale. 

PRIMES    A    NOS    ABONNÉS 

^administration  de  la  Revae  se  charge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
•^^hals  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
'Paris,  pour  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  1  étranger  : 
^^-teaser  directement  à  Tadministrateur  de  la  Revue,  19,  rue 
-■J5APARTE.  Paris,  Vie. 


a   a  ti  a  n    a   iz.,  aa.ii^ 


DENTIFRICES 


ÉLIXIR,  POUDRE  et  PATE 


des  RR.  PP. 


BENEDICTINS 


de 


A.   SKGUIN,   BORDEAUX 

Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

Exposition  Univoisello  F&ris  1900 


IWODElEdoaACQH 


u   n   a   a   a    a   n    ci    n 


OLIVJER 

IW4A.OHIIVE3  à  ÉORITUREl   VISIBL 


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col»' 


11* 


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GOSSTIPÂTIOII 


Guéri8on^'^^;^^',i£P0UDRE  LAXATIVE  i| 

certaine  IJi^  cuillerée  à  café  daat  un  demi-Terre  d'eau  I 
_„  --  ,^,,mm.  couchant.  —  Le  F4*con  pour  une  cure,  2 fr.5C 
EN  10  JOURS  GUINBT.  PharoiMien,  1,  Rm  Michal-le-Gocai 


Fin  DésileS 


Cordial  Kégénérateur 

Slloillfle  lea  poumons,  réffularlse  les  battements  du  cœur,  «ctlve  le  traT&ll  de  la  digestion, 
•homme  déDiUté  y  puise  la  forée,  la  Tlra«nr  et  la  eacté.  L'homme  qui  dépense  l>eaucoup 
rentretlent  par  inisage  régulier  de  ce  cordial,  cincace  «aas  tous  les  cas,  éminemment  di{ 
^    "* i  et  «gnapie  au  goût  comme  une  liqueur  de  taU*. 


:"  ilrii'P  145  !•'  JfiES  1903 


QUESTIONS 


\}  <^^''' 


^^     "i 


Diplomatipes  et  Colirales 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LB    1"    ET    LE    IS    DE    CHAQUE    MOIS' 


SOlidQiiLAJŒtE: 


PftgO» 


"-m  Bohler Le  chemin  de  fer  de  Bagdad. —  Les  intérêts  français 

et  allemands  en  Turquie 273 

^■^landre  Guasco.. . .   Les  Boxeurs  et  les  troubles  du  Se  tchouan ^^c)(> 

%e-Fleurimont Le  projet  d'emprunt  du  gouvernement  général   de 

l'Afrique  occidentale  française 305 

:  ^eyralbe Le  Congrès  national  des  travaux  publics 311 

Pioseignements  politiques  .'. 317 

Sîmgnements  économiques 3:28 

hoinations  officielles 33^ 

si^liographie  —  Livres  et  Revues 334 

h  chemin  de  fer  de  Bagdad 287 

li  Tille  ^  Tcheng-tou-fou 2(iî> 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19.     RUE     BONAPARTE    -     PARIS.     6« 

Abonnement  ^innuel 

Piaee  et  Colonies,  ib  francs;  Etranger  et  Qnion  postale,  20  francs. 

La  Livraison  :    France  :  0,75  J     Etranger  :  1  fr. 


COIÏTNR  lATIlINÂl  DWiriK 

DE   PARIS 

Capital  :  150  millions  de  firanos 

ENTIÈREMENT  VERSÉS 


SIÈGE  SOCIAL  :  14,  rue  Bergère 
SuccuRBALB  :J2,  Place  de  TOpéra,  Paris 


Président  du  Conseil  tT administration]: 
M.  Emile  MEBCter,   O.  ^. 

Directeur  général  administrateur  ;  M.  Aleiiâ  Rostard,  0.  iff. 


OPÉRATIONS  OU  COIPTOIA  : 

Bons  à  échéance  ftze.  Escompte  et  RecouTremenU,  Comptes  de 
Chèques,  Lettres  de  Crédit,  Ordres  de  Bourse,  A^nces  sur 
Titres,  Chèques,  Traites.  Envois  de  londs  en  Province  et  à 
l'Etranger,  Garde  de  Titres,  Prêts  hypothécaires  maritimes. 
Garantie  contre  lesrisques  de  remboursement  au  pair,  Paie- 
ments de  Coupons,  etc. 

AGENCES 
mammAVX  &b  çuartizr  &axs  tami» 


A.  i47,  boul'St•Ge^nain; 
B.  108,  rue  de  RîtoU; 

0.  23,  bouH  Diderot. 
D.  11,  rue  Rambuteau; 
£.  16,  rue  deTurbigo; 

F.  21, pi  de  la  République; 

G.  24,  rue  de  Flandre; 
H.  2,ruedu4-Septembre; 

1.  84,  bouH  Magenta; 
K.  92,  b'  Richard-Leaoir; 
L.  86,  rue  de  Clichy; 
M.  87,  avenue  Klébor  ; 


N.  35,aYenne  Mac-Mahon; 
O  71,  b**  Montparnasse; 
P.  27,  (8  Saint- Antoine  ; 
R.  53,  b' Saint-Michel; 
S.  2,  rue  Pascal  ; 
T.  1 ,  avenue  de  Villiers  ; 
U.49,av.Champs-Elysées; 
V.  8>,  avenue  d'Orléans; 
X.  69,  rue  du  Commerce  ; 
Y.  124,  fi  Saint  Honoré. 
Z.  89,  B*'  Haussmann. 


BUmBAUX  DB  BAMLISUX 

Asntères  :  8,  rue  de  Paris  -  Charenton  :  50,  mode 
Paris,  Enohien  :  47,  Grande-Rue.  Levallois- 
Perret:  3,place  République.  Neuilly-sur-Seine :  92, 
avenue  de  Neuilly. 

AOBHOBS  BH  VBOVniOB 

Abbevilie,  Agen,  Aix-en-Provence,  Alais,  Amiens,  Angoulème, 
Arles,  Avignon,  Bagiières>de-Luchon,  Bagnols-sur-Cèze, 
Beaucaire,  Beaune,  fi«l Tort,  Bergerac,  Béziers,  Bordeaux, 
La  Bourboule,  Caen,  Calais,  Canneii,  Carca^sonne,  Castres 
Cavaillnn,  Cette' Cbagny,  Cbulon-sur*Saône,  Ciifli  eau  renard, 
Ciermont-Ferrand,  Cognac,  Condésur-Noireau,  Dax,  Deau- 
ville-Trouville,  Dieppe,  Dijon,  Dunkcrque,  Elbeuf,  Epioal, 
Firminy,  Fiers.  Gray,  Le  Havre,  Ha2el>rouck,lHsoire,  Jarnac, 
La  Ferlé- JMace,  Lésignun,  Liboutne,  Lille,  Limoges,  Lyon, 
Manosque,  Lu  Mans,  Marseille,  Mazaroet,  Mont- de-Marsan, 
Le  Moni-Dore,  Montpellier,  Nancy,  Nantes,  Narlwnne,  Nice, 
Nîmes,  Orange,  Orléans,  Périgueux,  Perpignan,  Reims, 
Reniiremont,  Roanne,  Rouhaix,  Rouen,  Royat,  Saint-Cha- 
mond,  Saint-Dié,  Saint-Etienne,  Salon,  Toulouse,  Tourcoing, 
Vichy,  Villefrancbe-sur-baône,  Villeneuve- sur- Lot,  Vire. 

AGENCES  DANS  LES  COLO  I^IES  ET  PAYS  DE  PROTECTORAT 

Tunis,  Sfax,  Sousse,  Gabés,  Majunga, 
Tamatave,  Tananarive,  Diégo-Suarez,  Mananjary. 

AOBHCBS  A  L'éTRAHOEB 

Londres,  Liverpool,  Manchester,  Bombay,  Calcutta, 
San-Francisco,  New-Orléans,  Melbourne,  Sydney, 
Tanger. 


LOCATrON  OE  COFFRES-FORTS 

Le  Comptoir  tient  un  service  de  coffres-forts  à  la  dispoiiûoD 
du  public,  14,  rue  Btfrgère,  2,  place  de  VOpéra^  /47,  6* 
Saint  Germain,  et  dans  les  principales  Agences. 


Une  clef  spéciale  unique  est  remise  à  chaque  locataire, 
combinaison  est  faite  et  changée  à  son  gré  par  le  loc 
-"  Le  locataire  peut  seul  ouvrir  son  coffre. 


locataire. 


BONS  k  ÉCHÉANCE  FIXE 
Intérêts  payés  sur  les  sommes  déposées  : 

De 6  mois  jusqu'à  1  an.  1 1/2%  i  De  18  mois  jusqu'à  2  ans.2 1/2% 
De  1  an  jusqu'à  18  moi8.2  %     I  A  2  ans  et  au  delà 3% 

Les  Bon<«,  délivrés  par  le  Cohptotr  Natioîial  aux  Uuz  d'in- 
térêts ci-dessus,  sont  à  ordre  ou  au  porteur,  au  choix  da 
Déposant.  L<'S  intérêts  sont  repréMjnlos  par  des  Bons  d'inté- 
rêts également  à  ordre  ou  ou  porteur,  payables  seniestrifl- 
lement  ou  annuellement,  suivant  les  convenances  du  Dépo- 
sant. I.e«  Bons  décapitai  et  d'intérêts  peuvent  être  en- 
doss.^s  et  sont  par  conséquent  négodables. 

VILLES  D'EAUX,  STATIONS  BALNÉAIRES 

Le  CoMprniR  National  a  dos  agences  d  «ns  les  principale» 
ViWet  d'eaux'.  Nice,  Cannes,  Vicliy,  Dieppe,  Trouville- 
Deauville,  Dax,  Royat,  Le  Havre,  La  Bnurboule,  Le  Mont- 
Dore,  Bagnôres-de-Luchon,  etc.  ;  ces  agences  traitent  tou- 
tes les  opèrati>ns,  comme  le  siège  social  et  les  autre» 
agencos,  de  M>rte  que  les  Etrangers,  les  Touristes,  les  Bai- 
gneurs peuvent  continuer  à  s  occuper  d'afl'aiies  pendant 
leur  villégiature. 

LETTRES  DE  CRÉDIT  POUR  VOYAGES 

Le  Comptoir  National  dEscomptk  délivre  des  Lettres  de 
Crédit  circulaires  payables  dans  le  monde  entier  auprès  de 

.  ses  agences  et  coirespondanis;  ces  LeUres  de  Crédit  sont 
accompagnées  d'un  carnet  d'identité  et  d'indications  et  offrent 
aux  voyageurs  les  plus  grandes  commodités,  en  même 
temps  qu'une  sécurité  incontesuble. 


Silons  des  Accràditis,  BriDcb  office,  2,  plies  de  l'Opârt 

Spécial  department  for  travellers  and  letters  of  creJil  Lugga- 
ges  stored.  Letters  of  crédit  cashed  and  delivered  throughout 
the  world.  —  Ëxchange  office. 

The  Comptoir  Natioxal  reçoives  and  seods  on  parsels 
addressed  to  them  in  the  name  of  tb^^lr  clients  or  bearers  of 
crédit. 


/ 


QUESTIONS  ;  r 

DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALE^*"  :^ 


LE  CHEMIN  DE  FER  pE  BAGDAD   ' 

LBS  INTÉRÊTS    FRANÇAIS   ET  ALLEMANDS 
EN    TURQUIE 


D'après  les  dernières  informations,  l'Allemagne,  ou  plutôt  le 
syndicat  franco-allemand  du  chemin  de  fer  de  Bagdad,  est  sur 
le  point  d'obtenir  du  gouvernement  ottoman  les  garanties  né- 
cessaires pour  entreprendre  la  construction  de  la  première  sec- 
tioQ,  Konia-Eregli,  du  futur  Petit  Transasiatique  (Bosphore  — 
folfe  Persique),  déjà  amorcé  par  la  ligne  allemande  Haïdar^- 
Pacha-Ismidt-Eskichéir-Konia  (749  kilomètres).  On  se  rappelle 
que  la  concession  de  cette  grandiose  entreprise  fut  accordée  en 
principe  à  Guillaume  II,  lors  du  dernier  voyage  de  ce  souverain 
en  Palestine  et  à  Constantinople  (novembre  1898),  et  confirmée 
solennellement  par  un  iradé  en  date  du  18  février  1902.  Le 
devis  en  est  connu  aujourd'hui  et  se  monte  à  600  millions  de 
francs  :  de  Tavis  même  des  Allemands  les  plus  chauvins,  il  ne 
peut  être  réalisé  sans  la  coopération  des  capitaux  français. 
Aussi  est-il  intéressant,  à  la  veille  du  premier  appel  de  fonds 
^ur  le  marché  de  Paris,  d'analyser  la  valeur  de  l'œuvre  que  nous 
allons  entreprendre  de  concert  avec  TÂllemagne,  de  peser  ses 
avantages  et  ses  inconvénients,  d'envisager  les  intérêts  qu'elle 
va  favoriser  ou  contrarier,  de  discuter  l'opportunité  de  respec- 
ter ceux-ci  ou  ceux-là,  de  savoir,  en  un  mot,  si  nous  allons 
travailler  encore  une  fois  pour  le  roi  de  Prusse,  au  détriment  de 
Tinfluence  française  en  Extrême-Orient. 

Il  est  indispensable  d'exposer,  au  préalable,  les  résultats  de  la 
politique  allemande  dans  un  pays  où  l'Allemagne  était  encore 
presque  ignofée  il  y  a  moins  d'un  tiers  de  siècle  et  qu'elle  pré- 
tend transformer  aujourd'hui  en  satellite  docile  de  sa  Weltpo^ 
litik  et  exploiter  surtout  à  son  profit  exclusif. 

• 
•  • 

Le  temps  n'est  plus,  en  effet,  où  le  prince  de  Bismarck  jugeait 

inutile  de  prendre  connaissance  du  courrier  de  Gon3tantinople. 

(ta0T.  DiPL.  BT  Col.  —  t.  zv.  —  n»  145.  —  1*'  mars  1903.  IS 


274  QUESTIONS  DIPLOBIATIQUES  ET  GOLOKULES 

La  guerre  russo-turque  de  1877-1878  a  ramené  rattention  de 
l'Empire  allemand  vers  le'Bosphore  et  FAsie  Mineure,  et  depuis 
cette  époque,  le  courrier  d'Orient  a  été  si  bien  pris  au  sérieux 
que  Sir  Ashmead  Bartlett  a  pu  déclarer,  en  1900,  ^ue  «  les 
Allemands  étaient  en  train  d'absorber  la  Turquie.  »  Constanti- 
nople  n'est  même  aujourd'hui  que  la  première  étape  du  Drang 
nach  dem  nahen  und  fernen  Osten^  qui  aboutit  déjà  à  Kiao- 
tchéou,  et  «dont  les  points  intermédiaires  sont  marqués,  pour 
l'avenir,  à  Bagdad,  aux  Indes  néerlandaises  et  peut-être  aux 
Philippines. 

Depuis  1882,  date  de  l'envoi  en  Turquie  de  la  mission  mili- 
taire von  der  Goltz,  chargée  de  continuer  la  réorganisation  de 
l'armée  turque  déjà  commencée  par  une  mission  française 
entre  la  guerre  de  Crimée  et  la  guerre  russo-turque,  TAlle- 
magne  est  devenue  persona  gratissimcu  auprès  de  la  Sublime 
Porte  et  a  su  en  obtenir  les  concessions  et  les  commandes  les 
plus  rémunératrices.  Son  ambassade  a  été  merveilleusement 
secondée  parla  haute  finance,  la  «  Deutsche  Bank  »  en  particulier  ; 
aussi  le  commerce  du  ZoUverein  avec  la  Turquie  (Europe  et 
Asie)  s'élève  aujourd'hui  à  85  millions  de  francs  et  les  inté- 
rêts financiers  allemands  engagés  en  Turquie,  à  1.025  millions, 
dont  500  au  titre  de  la  Dette,  245  dans  les  chemins  de  fer  et 
280  dans  les  banques,  entreprises  industrielles  et  sociétés 
diverses .^-Mais  tout  cela  n'est  qu'un  hors-d'œuvre,  une  mise  en 
appétit  :  le  but  de  la  politique  de  Guillaume  II  est  de  conquérir 
le  premier  rang  dans  l'exploitation  économique  du  Levant;  en 
d'autres  termes,  de  déposséder  la  France  de  la  situation  morale 
et  commerciale  acquise  depuis  des  siècles,  d'y  tenir  en  échec 
TAngleterre  et  d'en  détourner  la  poussée  russe  en  la  faisant 
dériver  complaisamment  sur  la  Perse,  l'Afghanistan  et  l'Extrême- 

Orient.' 

« 

Constantinople  est  le  quartier  général  de  l'influence  alle- 
mande en  Turquie  :  l'ambassadeur  Marshall  von  Bieberstein  y 
est  le  plus  écouté  et  le  mieux  accueilli  des  représentants  étran- 
gers. Le  Sultan  se  sent  en  confiance  auprès  de  lui  :  il  apparaît 
au  contraire  gêné  et  mortifié  devant  les  autres  diplomates  qui 
ne  négligent  aucune  occasion  de  lui  adresser  des  remontrances 
parfaitement  justifiées,  mais  particulièrement,  blessantes  pour 
son  amour-propre  de  despote  absolu.  A  Tinvetse  des  autres 
nations  qui  donnent  des  ordres  impératifs  et  adressent  des  som- 
mations menaçantes  à  l'Etat  moribond,  l'Allemagne  affecte  de 
ne  pas  connaître  A' Homme  malade  et  manifeste  hypocritement 
son  étonnèment  ïorsqu^on  parle  d'une   façon  aussi   irrespec- 


LE  GHKMIN  DE  FER  DE  BAGDAD  275 

tueuse  d'un  Empire  sur  lequel  plane  l'aigle  protecteur  de  la 
Gennania  et  ramitié  d'un  Hohenzollernrî)epuis  son  voyage  de 
1898  et  sa  visite  au  tombeau  de  Saladin,  Guillaume  II  est 
rhomme  le  plus  populaire  à  Constantinople  :  son  portrait  figure 
dans  tous  les  café^TTie  second  de  ses  fils,  le  prince  Adalbert, 
le  futur  grand-amiral  allemand,  partage  sa  popularité  depuis  la 
yisite  qu'il  fit  au  Sultan  en  1901,  au  cours  de  la  croisière 
d'Orient  du  bâtiment-école  Charlotte,  L'escale  des  cadets 
allemands  à  la  Corne  d'Or  fait  désormais  partie  du  programme 
de  navigation;  en  novembre  1902,  les  officiers  et  les  aspirants 
du  Stein,  autre  bàtiment-école,  ont  été  admis  en  effet  au 
Selamlik  et  présentés  au  Sultan  qui  leur  a  prodigué  des  déco- 
rations et  les  a  retenus,  dans  son  palais  d'Yildiz  Kiosk,  à  un 
banquet-concert  présidé  par  ses  cinq  jeunes  fils. 

Le  prestige  de  Guillaume  II  rejaillit  également  sur  les  na- 
tionaux allemands,  qui  sont  particulièrement  respectés  et  esti- 
més dans  la  capitale.  Solidement  rattachés  à  la  mère  patrie  par 
la  Société  Teutonia  (250  membres),  groupés  en  Vereine  ou- 
vriers, en  chorales,  en  sociétés  de  gymnastique,  en  clubs 
variés,  patronnés  directement  par  leur  ambassadeur,  accueillis 
et  renseignés  indistinctement  avec  la  mt^me  obligeance  par 
leurs  agents  consulaires,  ces  émigrés  font  généralement  de 
bonnes  affaires  et  ne  tiennent  nullement  à  quitter  un  pays  qui 
leur  est  si  favorable.  Ils  peuvent  recevoir  des  soins  excellents 
iaus  un  hôpital  allemand  desservi  par  des  diaconesses. 

hiBûrgerschuleà^  Péra,  fondée  en  1868,  compte  600  élèves 
dont  la  moitié  d'origine  allemande  ;  le  gouvernement  impérial 
lui  alloue  une  subvention  annuelle  de  37.500  francs  et  fournit 
le  personnel  enseignant?:  Outre  ce  lycée,  il  existe  en  Turquie 
d'Europe  cinq  écoles  allemandes  plus  modestes,  mais  d'un  ca- 
ractère plus  pratique,  ]es  Eisenbahnschulen  (écoles  des  chemins 
de  fer),  fondées  et  administrées  par  la  Compagnie  des  chemiùs 
de  fer  orientaux  à  Jédikulé  (quartier  S.-O.  de  Stamboul),  Salo- 
nique,  Andrinople,  Uskub  et  Philippopoli  :  400  enfants  y  reçoi- 
vent une  excellente  instruction  primaire.  Deux  écoles  ana- 
k^es  ont  été  créées  en  Turquie  d'Asie,  à  Haïdar-Pacha  et  à 
Eskichéir,  par  les  soins  de  la  Compagnie  allemande  des  Chemins 
de  fer  ottomans  d'Anatolie.vUn  iradé  impérial,  rendu  en  juin 
1902,  a  reconnu  d'utilité  publique  et  exempté  de  l'impôt  foncier 
et  même  des  droits  de  douane  les  diverses  écoles  précitées  ainsi 
que  les  établissements  allemands  de  bienfaisance  fondés  en 
Anatolie j  en  Palestine  et  en  Syrie  * . 

I  Le  nombre  des  égUses,  écoles,  hospices,  orphelinats  et  cimetières  allemands  en 
Torqaie  d*Asie  et  Turquie  d* Europe  s'élève  à  53. 


276  QUESTIONS  DIPLOMATIQUKS   KT  COLONIALES 

On  trouve  des  Allemands  dans  toutes  les  branches  de  Tadmi- 
nistration  centrale  ottomane,  où  ils  occupent  des  situations  très 
élevées  :  douanes,  postes  et  télégraphes,  finances,  travaux 
publics,  mines,  forêts,  domaines,  marine  et  guerre.  Canons, 
fusils,  munitions,  torpilles  et  torpilleurs  sont  en  majeure  partie 
de  fabrication  allemande.  Krupp  a  bien  fourni,  dans  les  dix  der- 
nières années,  pour  cent  millions  de  francs  de  matériel;  les 
canons  modernes,  qui  hérissent  le  Bosphore  et  les  Dardanelles, 
sortent  de  ses  usines  ;  il  a  reçu  récemment  encore  une  com- 
mande importante  de  canons  de  campagne  à  tir  rapide  destinés 
aux  corps  d'armée  de  Turquie  d'Europe.  En  janvier  1903,  le 
ministère  de  la  Guerre  ottoman  a  commandé  200.000  Mauser  à 
des  manufactures  d'armes  allemandes  et  leur  a  versé  un  premier 
acompte  de  700.000  francs.  ' 

La  marine  turque,  possède  un  amiral  allemand,  mais  ce  der- 
nier n'a  pu  secouer  l'inertie  ottomane  ni  réaliser  le  moindre 
progrès  ;  les  navires  de  guerre  turcs  n'ont  aucune  valeur,  et 
faute  de  charbon,  sont  plus  en  détresse  qu'en  réserve  dans  les 
différents  ports.  Il  n'existe  aucun  stock  de  combustible;  les 
machines  sont  dans  un  piteux  état.  Les  chantiers  Germania^  à 
Kiel,  construisent  en  ce  moment  deux  croiseurs-torpilleurs  pour 
le  compte  du  Sultan  et  remanient  ce  fameux  cuirassé  Assar-i- 
Teivfiky  qui,  d'abord  envoyé  aux  chantiers  génois  AnsaldOy  est 
resté  ensuite  en  souffrance  à  Kiel  pendant  les  trois  années  qu'ont 
duré  les  pourparlers  du  contrat  de  réparation. 

L'armée  turque  a  reçu  plus  facilement  l'empreinte  allemande  ; 
son  organisation  actuelle  est  l'œuvre  de  von  der  Goltz.  Les 
quelques  officiers  prussiens  encore  détachés  au  ministère  de  la 
Guerre  n'ont  pas  cependant  l'influence  qu'on  leur  a  parfois  attri- 
buée ;  ils  ne  sont  en  réalité  que  les  représentants  attitrés  des 
maisons  allemandes  d'armement  et  d'équipement.  L'arsenal  de 
Top-Hané  comprend  un  nombre  notable  d'instructeurs  et  d'ou- 
vriers d'art  allemands.  Un  grand  nombre  d'officiers  turcs  sont 

détachés  dans  des  corps  de  troupe  prussiens. 

# 

Une  des  causes  de  la  faveur,  dont  jouissent  les  Allemands  en 
Turquie,  est  le  rôle  important  qu'ils  ont  su  se  réserver  dans  la 
constitution  du  réseau  ferré  européen  et  asiatique  «  En  Turquie 
d'Europe,  ils  ont  construit  et  exploitent  la  ligne  Salonique- 
Monastir  (219  kilomètres);  ils  ont  en  outre  une  part  prépondé- 
rante dans  la  direction  des  chemins  de  fer  orientaux.  En  Asie 
Mineure,  leur  réseau  d'Anatolie  (1  .t)33  kilomètres)  représente 
un  capital  actions  et  obligations  de  200  millions  de  francs 


LE  CQEHIN  DE  FER  DE  BAGDAD  277 

environ.  La  gare  terminus  des  chemins  de  fer  orientaux  se 
troiive  à  Stamboul,  à  trente  minutes  en  bateau  de  Haïdar- Pacha, 
port  concédé  à  VAllemagne  en  novembre  1901  et  tête  de  ligne 
du  premier  tronçon  du  futur  chemin  de  fer  de  Bagdad.  Il  n'existe 
qu'une  solution  de  continuité  dans  la  ligne  de  communication 
allemande  :  ce  sont  les  quais  du  port  de  Constantinople,  encore 
aax  mains  de  la  Compagnie  française  dirigée  par  M.  Granet. 
La  Deutsche  Bank,  dont  le  capital  social  sera  prochainement 
porté  de  187.500.000    à  225  millions   et  dont    les    réserves 
atteignent  63  millions,  ne  tardera  pas  à  fournir  au  Sultan  les 
41  millions  nécessaires  pour  racheter  les  quais  en  question  et  à 
prendre  sur  eux  une  première  hypothèque  équivalant  à  une 
véritable  acquisition  \  «iAprès  que  les  quais  auront  été  achetés 
o  par  les  Allemands,  écrivait   la  Deutsche   Zeitung  en  no- 
«  vembre  1902,  nous  pourrons  établir  des  tarifs  qui  mettront  fin 
«  à  toute  concurrence  non  allemande  ;  nous  grouperons  tous  les 
•  chemins  de  fer  et  les  quais  (Constantinople  et  Haïdar-Pacha) 
«  en  un   grand  trust  allemand  placé   sous  le  contrôle  de  la 
a  Deutsche  Bank.  Les  chemins  de  fer  ne  transporteront  que 
«  des  marchandises  allemandes.   Par   ce  moyen,  la  Turquie 
«  deviendra  une  province  allemande.  »  Il  ne  faut  pas  prendre 
évidemment  ces  lignes  au  pied  de  la  lettre  ;  mais  elles  n'en 
sont  pas  moins  les  indices  d'une  campagne  qu'il  est  intéres- 
sant de  connaître  et  de  faire  échouer,  le  cas  échéant*.:- 
^  I    I  .1        I  ■  I  II 

'  *  On  se  rappelle  que  le  gouvernement  ottoman,  à  l'instigation  de  la  Deutsche 
Bank,  institua,  en  octobre  1899,  une  commission  chargée  d'étudier  la  question  du 
rachat  par  TÉtat,  autrement  dit  par  la  haute  fiuance  allemande,  et  que  cette  com- 
iDÎiaion  avait  obtenu  du  Sultan  la  suspension,  pendant  la  durée  de  ses  travaux,  des 
droits  de  qoai  perçus  par  la  Compagnie.  A  la  suite  de  la  démonstration  navale  de 
Mitylène,  la  Compagnie  recouvra  l'exercice  de  &es  droits  et  obtint,  comme  rembour- 
sei&eot  de  l'arriéré  de  deux  années,  la  perception  de  la  taxe  sur  les  fruits  entrant  à 
Constantinople.  La  somme  de  rachat  fut  finalement  fixée  à  41  millions  da  francs, 
Tileur  des  quais  et  terrains  en  bordure  payables  dans  un  an,  avec  un  dédit  de 
575.000  francs,  ou  la  permission  à  la  Société  de  jouir  de  ses  prérogatives,  dans  le  cas 
où  le  paiement  ne  pourrait  être  effectué  dans  le  délai  déterminé.  Ce  délai  étant 
arrivé  à  expiration  le  25  août  1902,  la  Société  des  quais  a  fait  protêt  par  acte  notarié 
contre  les  ministres  ottomans  des  Affaires  étrangères,  des  Finances  et  des  Travaux 
pabiîcs  pour  le  non-paiement  du  dédit  et  Tempéchement  pour  la  Société  de  jouir  de 
•es  droits.  Aucune  solution  n'est  encore  intervenue,  mais  il  est  probable  que  la 
Deutsche  Bank  fournira  au  Sultan  les  fonds  nécessaires.  La  question  a  été  d'ailleurs 
traitée  lors  du  dernier  voyage  à  Constantinople  (nov.  1902]  de  M.  H.  Gwinner, 
directeur  général  de  cette  banque,  qui  a  été  reçu  en  audience  particulière  par  le 
Soltaa  et  a  reçu  le  grand  cordon  de  l'Osmanié.  M.  Gwinner  aurait  décidé  d'établir 
noe  succursale  de  la  Deutsche  Ban](  à  Constantinople  pour  faire  une  concurrence 
plus  active  à  la  Banque  Ottomane. 

«^>La  Deutsche  Zeitung  écrivait  en  décembre  1899  :  «t  Le  gouvernement  n*a  pas 
aiiuellement  Targent  nécessaire  au  rachat  et  ne  saurait  se  charger  lui-même  de 
lattBÛnisttation  des  quais.  Il  devrait  donc  se  trouver  quelqu'un  qui  fournit  les 
fomb  et  se  chargeât  de  l'exploitation.  Ce  serait  la  Compagnie  des  chemins  de  fer 
crieDtanx  ou  d'Anatolie.  Comme  la  Deutsche  Bank  est  derrière  l'une  et  l'autre, 
ce  serait  la  Banque  allemande  elle-même.  Par  conséquent,  si  les  quais  devenaient 


278  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

•   • 

L'influence  allemande  n'est  pas  seulement  localisée  à  Cons- 
tantinople  et  en  Anatolie  :  elle  s'exerce  encore  et  s'affirme  de 
plus  en  plus  en  Syrie  et  en  Palestine*.  Elle  est  certes  loin 
d'être  comparable  à  celle  de  la  France,  jusqu'ici  prépondérante; 
mais  on  ne  peut  méconnaître  qu'elle  a  fait  de  grands  progrès 
depuis  le  pèlerinage  intéressé  de  Guillaume  II  au  Saint-Sépulcre, 
vies  merveilleux  résultats  de  la  colonisation  des  Templiers  alle- 
mands contribuent  d'ailleurs  à  la  développer.  Ces  protestants 
wurtembergeois,  fixés  en  Palestine  depuis  1868,  sont  au  nombre 
de  \  .800,  répartis  en  cinq  colonies  :  Jaffa,  Sarona,  Rephaïm, 
Haïfi'a  et  Jérusalem.  Leurs  vignobles  et  leurs  exploitations  agri- 
coles, d'une  valeur  totale  de  10  millions  de  francs,  sont  de  véri- 
tables fermes-modèles.  Ils  ont  renoncé  à  la  nationalité  alle- 
mande pour  former  un  petit  peuple  autonome,  ayant  une 
administration,  un  budget,  des  écoles,  des  temples  et  un  hôpi- 
tal particuliers  '  ;  mais  les  flatteries  de  Guillaume  II,  les  progrès 
économiques  et  les  succès  militaires  de  l'Empire  allemand  ont 
réveillé  leurs  sentiments  germaniques.  Ils  condescendent  déjà 
à  recourir  aux  consuls  allemands  pour  les  démarches  à  faire 
auprès  des  autorités  turques  :  ils  ne  tarderont  pas  à  revenir  fran- 
chement dans  le  giron  du  Deutschtumi 

Outre  les  Templiers,  il  existe  encore  en  Palestine  et  en  Syrie  un 
millier  d'Allemands,  dont  500  à  Beyrout  et  à  Smyrne.  Leurs  tran- 
sactions avec  la  mère  patrie  et  les  sujets  ottomans  sont  parti- 
possession  allemande,  ne  fût-ce  qu'à  bail,  tous  les  transports  et  les  communications 
seraient  aux  mains  des  Allemands  depuis  la  frontière  orientale  rouméliote  jusqu'au 
golfe  Persique.  Les  conséquences  économiques  et  politiques  de  ce  fait  seraient 
incalculables,  »  Le  rapprochement  entre  les  lignes  de  1899  et  de  1902  est  suggestif. 
Il  prouve  que  le  rachat  des  quais  par  l'Allemagne  est  prémédité  depuis  longtemps 
et  que,  s'il  n'a  pas  ^té  tenté  plus  t6t,  c'est  à  cause  de  la  dépression  profonde  du 
marché  berlinois  à  la  suite  des  krachs  retentissants  de  la  Leipziger  et  de  la  Dresdner 
Bank.  Aujourd'hui  la  Deutsche  Bank  se  trouve  en  excellente  situation  pour 
tenter  l'opération;  ses  réserves  s'élàvent  à  63  millions  de  francs  dont  12.500.000  prêtés 
récemment  à  la  Porte  comme  avances  sur  le  produit  de  la  conversion  des  pêcheries. 

1  Relire  à  ce  sujet  le  très  intéressant  article  de  M.  René  Moreux  :  Le  protectorat 
des  missions  catholiques  du  Levant  (Quest.  Dipl.  et  Col,,  {•'  juillet  1902^. 
V  2  En  1850,  le  pasteur  Christophe  Hoffmann,  voulant  entreprendre  la  réforme  morale 
du  luthérianisme,  annonça  une  seconde  descente  du  Sauveur  sur  la  terre,  en  Pales- 
tine, et  fonda  une  nouvelle  religion,  basée  sur  les  lois  morales  posées  par  le  Christ, 
et  sur  le  travail  manuel  exécuté  dans  la  simplicité  de  la  nature  et  aussi  près  que 
possible  du  Temple  de  Jérusalem.  En  1867,  ses  principaux  disciples,  qui  avaient  déjà 
fondé  des  colonies  agricoles  dans  le  Wurtemberg,  crurent  le  moment  propice  d'aller 
s'établir  aux  Lieux-tiaints ;  les  «t  Templiers  »,  nom  pris  parla  secte,  renonçant  à  la 
nationalité  allemande,  devaient  y  vivre  désormais  sans  lois,  selon  TEvangile,  l'équité 
et  leur  conscience.  Ce  furent  d'admirables  colons  qui  eurent  à  supporter  les  plus 
rudes  épreuves  pour  transformer  en  terrains  cultivés  les  solitudes  malsaines  d'Haïffa, 
de  Rephalm,  de  JafTa  et  de  Sarona.  Leurs  doctrines  se  sont  modifiées  depuis  :  les  uns 
ont  tourné  au  pur  déisme;  les  autres  se  sont  rapprochés  sensiblement  du  luthéria- 
nisme;  la  plupart  d'entre  eux  ont  apporté  un  peu  plus  d*esprit  pratique  dans  leur  vie 
et  pensé  au  temporel  plus  sérieusement  qu'autrefois. 


LE   CflEMIN  DE  FER  DE   BAGDAD 


279 


ciilièrement  facilitées  par  la  Société  allemande  d'Orient  et  de 
Palestine  dont  Toi^ane  financier,  la  Banque  allemande  de 
Palestine^  créée  en  mai  1899  au  capital  de  562.500  francs,  fai-.- 
sait  déjà  en  1902  pour  54  millions  de  francs  d'affaires.  Une 
autre  Société,  Gesellschafl  zur  Forderung  der  deutscfpen 
Ansiedlungen  in  Palestina  (Société  pour  le  développement  des 
colonies  spontanées  allemandes  en  Palestine),  fondée  en  1900 
an  capital  de  161 .000  francs,  seconde  l'établissement  des  colons 
dans  le  pays  en  leur  faisant  Tavance  du  premier  capital. 

L'influence  allemande  s^appuie  encore  sur  l'active  propagande 
des  Missions  catholiques  et  protestantes  allemandes  *,  de  l'Asso- 
ciation catholique  de  Terre-Sainte,  en  particulier,  dont  l'activité, 
secondée  par  un  budget  annuel  de  250.000  francs,  devient  de 
plus  en  plus  inquiétante.^'appuyant  sur  [le  caractère  religieux 
mixte  de  son  Empire,  Guillaume  II  ne  désespère  pas  d'obtenir 
on  jour  le  protectorat  des  chrétiens ,Hlont  la  France  semble 
malheureusement  se  désintéresser  :  le  discours  qu'il  a  prononcé 
à  Aix-la-Chapelle  en  juin  1902*  —  dans  lequel  il  se  posait  en 
champion  de  Tidée  religieuse,  plaçait  son  empire,  sa  maison  et 
lui-même  sous  la  protection  de  Dieu,  et  citait  avec  «  orgueil  et 
joie  »  le  brevet  de  piété  que  LéonXllIJvenait  de  décerner  au  peu- 
ple allemand  et  à  l'armée  allemande  —  est  la  preuve  manifeste 
qu'il   espère  profiter  du  premier  èonflit  grave  qui  viendrait  à 

-m 

^  Etablissements  allemands,  religieux  et  de  bienfaisance,  en  Palestine  et  Syrie  : 
Jérusalevi  :  asile  de  vieillards  des  sœurs  [de  la  Miséricorde  ;  hôpital  et  dispensaire 
.sraèlîte  allemand  ;  hospice  catholique  avec  chapelle  et  école  defîlles,  hôpital  de  dia- 
Ci»fcesiâes  ;  asile  Jesus-Hilfe  ;  hospice  de  l'ordre  Saint-Jean  de  Jérusalem  ;  orphelinat 
de  fUles  à  Talithe-Koumi  ;  orphelinat  juif  allemand  ;  orphelinat  syrien  et  colonies  agri- 
coles de  Bi r- Salem  ;  église  et  école  communale  évangéliques  ;  terrain  de  la  Dormi- 
uoQ  ;  —  Jaffà  :  école  évangélique  ;  —  Taghba  :  hospice  catholique  du  lac  Tibériade  ; 
—  Mont  Carmel  :  sanatorium;  —  Haïffa  :  école  évangélique;  hospice  catholique  de 
âoeors  de  la  Miséricorde;  —  Bethléem  :  église,  école  et  orphelinat  évangéliques ;  — 
B^ts  Dschala  :  église  et  école  évangélique;  —  Hébron  :  école  évangélique;  —  Bets 
Mhur  :  école  évangélique  ;  —  Beyrout  :  orphelinat  et  école  de  filles  de  l'Association 
4es  diaconesses  de  la  Westphalie  rhénane;  hôpital  de  l'ordre  de  Saint-Jean  ;  maison 
d'été  des  diaconesses.  Les  Templiers  allemands  possèdent  des  écoles  particulières, 
également  reconnues  d'utilité  publique  :  deux  à  Jérusalep,  deux  à  Halffa,  deux  à  ' 
Sarona,  une  à  Jaffa.  Les  écoles  protestantes  allemandes  sont  assistées  par  V  Union 
évangélique  de  Jérusalem.  Jérusalem  compte  à  l'heure  actuelle  quatre  communautés 
allemandes  catholiques  :  sœurs  de  Saint-Charles,  Lazaristes,  Bénédictins,  Francis - 
•Tains  de  la  Custodie. 

^  «  n  ne  faut  pas  oublier  que  la  base  première  de  l'Empire  est  la  simplicité  et  la 
«  crainte  de  Dieu.  Je  compte  que  tous,  ecclésiastique  ou  laïques, vous  m'aiderez  à  main- 
«  tenir  la  religion  dans  le  peuple,  afin  de  conserver  à  la  race  germanique  la  saine  vigueur 
«  qa'eUe possède.  Cela  concerne  d'une  façon  égale  les  deux  religions.  C'est  avec  orgueil 

■  et  joîe  que  je  vous  fais  savoir  que  le  Pape  a  déclaré  au  baron  de  Loô,  mon  repré» 
<  sentant  lors  du  jubilé,  qu'il  avait  toujours  eu  une  haute  idée  de  la  piété  du  peuple 

■  allemand,  et  en  particulier  de  l'armée  allemande.  Le  baron  de  Loê  a  été  chargé  de 
1  me  dire  que  TEinpire  allemand  était  le  pays  de  l'Europe  où  régnaient  encore  les 
«  bonn»  mœurs,  l'ordre,  la  discipline,  le  respect  de  l'autorité  et  de  l'Eglise,  et  où 
7  tout  catholique  pouvait  pratiquer  librement  sa  religion,  et  que  le  Pap6]eit  remerciait 


:i 


r 


QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

surgir  entre  le  Vatican  et  le  gouvernement  de  la  République. 
Il  est  puissamment  secondé  dans  ses  desseins  par  l'Ordre  des 
Bénédictins  allemands,  gardien  du  terrain  de  la  Dormition  de  la 
Sainte- Vierge^  que  lui  remit  gracieusement  le  Sultan  en  1898 
et  qu'il  rétrocéda  aussitôt  à  l'Association  catholique  allemande 
de  Terre-Sainte  pour  y  faire  élever  une  église  monumentale*. 
On  vient  d'ailleurs  d'annoncer  *  qu'à  l'occasion  de  sa  prochaine 
visite  au  Pape  et  au  roi  d'Italie,  il  s'arrêtera  à  Cassin,  l'abbaye 
mère  des  Bénédictins,  dont  l'abbé,  le  P.  Krug,  est  un  Allemand; 
et  qu'il  visitera  la  basilique  bénédictine  de  Saint-Paul  de  Rome, 
également  administrée  par  un  abbé  allemand. 

Est-ce  par  pure  coïncidence  que  Guillaume  II,  à  la  veille  de 
partir  pour  Rome,  a  cru  devoir  affirmer  sa  foi  et  venger  la  Bible 
et  l'Evangile  attaqués  par  le  professeur  allemand  Delitzsch?  La 
proclamation  du  Credo  impérial  n'a-t-elle  pas  plutôt  pour  but 
de  se  ménager  de  nouvelles  sympathies  auprès  de  Léon  XIII? 


Examinons  maintenant  par  quels  résultats  pratiques  se  tra- 
duit l'influence  allemande  en  Turquie,  et  d'une  façon  générale, 
avec  le  Levant. 

V  Si  nous  ouvrons  le  Handbuch[i%Q^)At  la  Deutsche  Levante- 
Linie^  nous  constatons  que  depuis  1889,  date  de  l'inauguration 
de  la  Compagnie  allemande,  jusqu'à  la  fin  de  1901,  les  exporta- 
tions et  importations  de  Hambourg  à  destination  ou  provenant 
du  Levant  se  sont  accrues  dans  les  proportions  suivantes  : 


PORTS  RUSSES 

EGYPTE, 

TURQUIE 

TURQUIE 

ALGER 

DE  LA 

ROUMANIE 

r.RBCB 

ET  LR  RESTE 

d'europe 

d'asie 

MER   NOIRE 

DE    L'AFRIQUE 
DU  NORD 

Exportations. 

891  % 

1.556  % 

621   % 

9.)   % 

307   % 

1.094    % 

Importations. 

424  % 

159    % 

4i    % 

22  % 

m  % 

2.162  % 

«  l'empereur  d'Allemagne.  Cela  m*autori&e  à  exprimer  l'opinion  que  nos  deux  grandes 
«  religions  doivent  s'efforcer,  l'une  à  côté  de  l'autre,  de  maintenir  et  de  fortifier  la 
«  crainte  de  Dieu  et  le  respect  du  culte.  Que  nous  sojrons  des  hommes  modernes,  que 
ik  nous  agissions  sur  un  terrain  ou  sur  un  autre,  peu  importe;  quiconque  ne  base 
A  pas  sa  vie  sur  la  religion  est  perdu.  C'est  pourquoi  je  jure  de  mettre  tout  l'Empire, 
«  l'armée,  moi-même  et  ma  maison  sous  les  auspices  de  la  Croix  et  sous  la  protec- 
«'  tion  de  Celui  qui  a  dit  :  «  Le  ciel  et  la  terre  passeront,  mais  mes  paroles  ne  passe- 
«  rontpas.  »  (Discours  de  Guillaume  II  à  Aix-la-Chapelle  y  juin  1902.) 

1  Les  Bénédictins  français  ont  obtenu  la  concession  d'un  séminaire  syrien  sur  le 
Mont  des  Oliviers  dominant  le  terrain  de  la  Dormition.  ils  veulent  ainsi  manifester 
contre  l'intrusion  des  Bénédictins  allemands. 

»  Tempsy  23  février  1903. 


LE  CBBMIN  DE  FER  DE  BAGDAD 


281 


Si  nous  consultons  maintenant  la  dernière  publication  du  Bu- 
reau statistique  de  Hambourg,  Commerce  et  navigation  de  Ham- 
bourg en  1901,  nous  remarquons  qu^au  cours  des  dix  dernières 
années  le  commerce  total  de  ce  port  avec  le  Levant  est  passé 
de  87  à  197  millions  de  francs,  en  augmentation  de  126  %. 

En6n,  si  nous  compulsons  le  Statistiches  Jahrbuch  de  1902, 
pour  avoir  une  idée  du  commerce  total  du  ZoUverein  avec  le  Le- 
vant, nous  arrivons  aux  résultats  suivants  en  millions  de  francs  : 


1 
d'Eorope 

URQUIE 

d'Afrique 

d'Asie 

KGYPTK 

GRÈCE 

BULOARIB 

ROUMANIE 

1802 

P'jrutioos. 

.;»:>rlatioii». 

35 
49,125 

16,875 
10 

5,5 

4,75 

2.5      . 
7 

51,625 
49,25 

Total... 

84,125 

26,875 

10,25 

9,5 

100,875 

PORTS* 

RUSSES 

DE  LA 

MER  NOIRE 


57 


1901 

-jv-ruiions. 


'Y''>r^ioDS. 


Total. 


8,623    r        0 I     29 

37,625 

31,25     \     0,375   I  15,25 

46,875 


84.500 


40,025 

11,30 

2,5 

59,75 

20,625 

8,125 

7,375 

42,50 

60,625 

18,625 

9,875 

102,25 

80 


95 


Total  général  des  importations  et  exportations  en  1892 288,125 

Total  général  des  importations  et  exportations  en  1901 310,875  > 

Soit  une  augmentation  de  28,40  %. 

D'après  la  source  précitée,  le  commerce  de  TAUemagne  avec 
1  Empire  ottoman  n'atteignait,  en  1880,  que  8.500.000  francs  : 
:1a  donc  décuplé  en  vingt  ans.  Il  n'occupe  encore  que  le  qua- 
trième rang  après  l'Angleterre,  la  France  et  l'Autriche.  Au  cours 
Je  la  période  1892-1901,  la  moyenne  annuelle  des  marchandises 
allemandes  importées  s'est  élevée  à  44  millions,  soit  les  15  % 
environ  du  total  des  importations  ottomanes  :  les  armes,  avons- 
nous  dit,  figurent  dans  ce  chiffre  pour  une  large  part. 

• 

A  l'inverse  des  autres  puissances  qui  cherchent  à  monopo- 

*  Commerce  de  Hambourg  seulement.  Les  données  manquent  sur  le  commerce 
^^  aatres  ports  allemands. 

•  Commerce  avec  la  Serbie  :  15.375  en  1892  et  18.375  en  1901. 


28d  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  BT  COLONIALES 

liser  la  fourniture  d'une  seule  marchandise,  l'Allemagne  ré- 
partit son  exportation  en  Turquie  sur  le  plus  grand  nombre 
d'articles  possible.  La  vigilance  de  son  attaché  commercial  à 
l'ambassade  de  Constantinople  et  de  ses  agents  consulaires, 
l'activité  de  ses  commis  voyageurs,  la  profusion  de  ses  cata- 
logues sensationnels,  le  soin  apporté  dans  les  livraisons,  ses 
emballages  criards,  le  souci  de  se  plier  aux  exigences  des  ache- 
teurs en  ce  qui  concerne  la  couleur,  la  forme  et  les  dimensions 
des  articles,  enfin  les  grandes  facilités  de  paiement  accordées 
aux  clients,  lui  permettent  de  répandre  partout  les  produits  les 
plus  divers,  la  camelote  à  bon  marché  comme  l'article  soigné. 
L'exportation  de  ses  draps  a  presque  doublé  dans  les  six  der- 
nières années  ;  celle  de  ses  fers,  aciers  et  machines  a  déjà  dé- 
trôné la  fourniture  anglaise  de  même  nature;  ses  horribles 
savops,  sa  parfumerie  vulgaire  ont  presque  le  pas  aujourd'hui 
sur  leis  fins  articles  de  toilette  français  ;  soii  exportation  de  dro- 
guerie pourvoit  à  la  moitié  de  la  consommation  totale  de  TEm  ' 
pire  ottoman;  les  70  %  de  la  cérésine,  employée  pour  la  fabri- 
cation des  cierges,proviennent  des  usines  chimiques  allemandes. 
Il  ne  faut  pas  s'exagérer  toutefois  les  dangers  de  la  concurrence 
allemande;  celle-ci  ne  sera  réellement  redoutable  que  lors- 
qu'elle sera  secondée  par  des  représentants  attitrés  permanents 
et  des  maisons  de  commission  aussi  bien  outillées  que  les 
maisons  françaises,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  actuellement;  mais 
pour  cela,  il  faut  des  capitaux,  et  la  haute  finance  de  Berlin, 
rendue  circouspecte  par  les  krachs  retentissants  de  1901,  ne  se 
laissera  pas  tenter  encore  par  des  entreprises  extérieures  aléa- 
toires, pas  plus  d'ailleurs  qu'elle  ne  s'est  laissé  séduire  par  les 
territoires  de  protectorat  impériaux  qui  végètent  plus  [que  mé- 
diocrement. 

Le  commerce  de  l'Allemagne  avec  la  Mésopotamie  est  encore 
insignifiant,  500.000  fr.  environ  :  aussi  la  navigation  allemande 
a-t-elle  jugé  inutile,  du  moins  jusqu'à  présent,  de  créer  un 
service  régulier  entre  Hambourg  et  le  golfe  Persique*.  Le  che- 
min de  fer  de  Bagdad  changera  probablement  les  conditions 
dans  quelques  années  et  il  est  probable  que  notre  exportation 
sucrière*  en  Mésopotamie  et  dans  l'Irak  sera  alors  gravement 

1  Les  marchandises  allemandes  à  destination  de  Bagdad  partent  généralement  de 
Trieste  ou  de  Gènes,  et  les  produits  arabes  destinés  à  Hambourg  ou  Berlin  sont 
d'abord  débarqués  à  Trieste.  -^  La  Russie  a  créé,  en  1901,*  une  ligne  Odessa-golfe 
Persique. 

*  Le  marché  du  sucre  à  Bagdad  est  actuellement  aux  mains  de  deux  grandes  raffi- 
neries de  Marseille.  «  Les  habitants,  déclare  le  consul  allemand,  sont  habitués  aux 
«pains  français  et  n'en  changeront  pas.  Le  sucre  allemand  ne  pourra  entrer  en  conc- 
lu curi*enceque8i  les  pains  sont  semblables  en  qualité  et  en  forme  àceux  de  Marseille,  » 


! 

I  U   CHEMIN  DE   FER  DE  BAGDAD 

î  tvmpromise.  L^exploitation  économique  de  ces  régions  se  pré- 
pare activement  dans  les  milieux  coloniaux  de  Berlin  et  de 
Hambourg  :  le  Comité  de  la  Kolonial  Gesellschaft  yient  à  cet 
effet  d'envoyer  sur  les  lieux  une  mission  scientifique  et  com- 
merciale dans  le  but  d'étudier  l'utilisation  des  forces  hydrau- 
liques do  Tigre  et  de  l'Euphrate,  le  rétablissement  de  Tancien 
.système  d'irrigation  et  la  création  d'une  grande  industrie  co- 
tonnière.  Des  projets  de  grandes  exploitations  de  sériciculture, 
iHerhge  de  chèvres  d'Angora,  etc.,  sont  également  étudiés  en 
Anatolie.  Mais,  répétons-le,  pour  créer  toutes  ces  entreprises, 
il  faut  des  capitaux,  et  les  rares  capitaux  allemands  disponibles 
sont  trop  timorés  pour  se  risquer  au  loin  sans  garantie  absolue 
de  succès.  j 

En  Syrie,  le  commerce  allemand,  malgré  tous  les  efforts  du  | 

•onsul  impérial  de  Beyrout,  ne  peut  entrer  jusqu'ici  en  concur-  | 

rence  sérieuse  avec  le  commerce  français. 

L'importation  des  produits  turcs  en  Allemagne  s'est  accrue  de 
233  %  dans  les  vingt  dernières  années  ;  mais  elle  est  encore 
Ift'S  faible  comparée  à  celles  des  autres  puissances.  L'Angleterre 
Achète  en  efFet  à  la  Turquie  quinze  fois  plus  que  TAllemagne, 
la  France  dix  fois  plus,  l'Autriche-Hongrie  trois  fois  plus.  Elle 
omprend  des  céréales,  des  fruits  variés  (dattes,  figues,  citrons, 
ranges,  etc.),  des  confitures,  de  la  pâte  d'abricot,  de  la  noix  de  j 

ialle,  de  la  réglisse,  des  œufs,  de  Thuile  d'olive,  de  l'asphalte,  j 

•ie  la  laine,  du  coton,  du  tabac,  des  tapis,  des  éponges,  du 
hrorae,  un  peu  de  soie,  etc.  Le  port  de  Haïffa,  dont  les  progrès 
«nt surtout  dus  aux  colonies  de  Templiers,  expédie  des  crus 
mriés  sur  Hambourg  *. 

•  * 
Le  développement  commercial  de  l'Allemagne  en  Turquie,  et 
'1  une  façon  générale  dans  le  Levant,  est  dû  au  concours  de  plus 
•'D  plus  actif  de  la  Compagnie  de  navigation  hambourgeoise 
^utsche-Levante  Linie,  Cette  Compagnie,  non  subventionnée, 
ommença  son  service  en  1889  avec  4  vapeurs  :  elle  en  pos- 
^de  aujourd'hui  27.  Elle  fait  une  vive  concurrence  au  Lloyd 
«ntrichien  de  Trieste  ;  ses  tarifs  sont  très  bas,  la  manutention 
ies  colis  irréprochable  ;  aussi  de  nombreuses  maisons  autri- 
'liiennes  préfèrent-elles  expédier  leurs  marchandises  du  Levant 
par  Hambourg  au  lieu  de  les  diriger  par  Trieste.  Son  capital 
^ial  est  de  7  millions  et  demi  de  francs;  ses  recettes,  en  1901, 

'  Les  vio5  rouges  produiis  par  les  vignobles  des  Templiers  sont  :  VAffenihaUr, 
^^tlnung  der  Kreuzfahrer  (Espérance  des  Croisés);  les  vins  blancs  portent  les 
woade  Sarona  Gold  (or  de  Sarona),  Perle  dt  Jéricho.  Le  bon  vin  de  Sarona, 
'''oda  à  Stvttgard,  revient  à  125  francs  l'hectolitre. 


Î84  QUESTIONS   DlPLOMATlQUiSS   ET   COLONIALES 

ont  atteint  12  millions  et  demi.  Le  plan  de  navigation  actuel 
comporte  12  lignes  directes  partant  de  Hambourg,  6  de  Anvers, 
et  une  alternativement  de  Rotterdam  et  de  Newcastle  avec  escale 
à  Alger,  Messine,  Malte,  Alexandrie,  le  Pirée,  Smyrne,  Haïdar- 
Pacha,  Derindjé,  Constantinople,  Dedeagatch,  Bourgas,  Varna, 
Kustendjé,  Galatz,  Braïla,  Odessa,  Nikolaïev,  Novorossik,  Ba- 
toum,  Samsoun,  Trébizonde,  Mariopol,  Taganrog.  Un  service 
régulier  de  Palestine  et  de  Syrie,  avec  escale  à  Beyroul,  Jaflfa, 
Haïffa  et  Akka,  a  été  inauguré  en  octobre  1898.  En  outre,  une 
nouvelle  ligne  a  été  organisée  de  concert  avec  la  grande  Com- 
pagnie allemande  Hamburg-Amerika  pour  relier  directement 
les  ports  américains  avec  le  Levant.  Enfin  un  service  de  tou- 
ristes pour  rOrient  fonctionne  chaque  année  à  partir  du  mois 
de  mars. 

Le  gouvernement  bulgare  s'était  engagé  en  1900,  pour  une 
durée  de  cinq  années,  à  payer  à  la  Compagnie  une  subvention 
annuelle  de  112.-500  francs  en  vue  de  l'établissement  d'une  com- 
munication directe  entre  les  ports  bulgares  et  les  ports  euro- 
péens occidentaux  pour  l'exportation  des  céréales;  mais  le  traité 
n'avait  pas  été  approuvé  par  le  Sobranié.  Sur  intervention 'de 
M.  Danew,  président  du  Conseil,  la  subvention  a  été  votée  pour 
1902  par  81  voix  contre  49  *. 

Pour  en  finir  avec  les  intérêts  de  TAUemagne  en  Turquie  et 
dans  le  Levant,  ajoutons  que  les  Allemands  possèdent  à  peu 
près  les  deux  tiers  de  la  Dette  roumaine'  et  une  notable  partie 
de  la  Dette  hellénique  contractée  avant  la  guerre  gréco- 
turque. 

«  • 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  l'Allemagne  a  ti?é  les  plus 
grands  profits  de  ses  intrigues  auprès  de  la  Sublime  Porte  et  de 
ses  démonstrations  d'amitié  intéressée  à  l'égard  du  Sultan. 
11  ne  faut  pas  oublier  toutefois  que  la  France  occupe  encore  le 
premier  rang  en  Turquie  au  point  de  vue  économique  et  moral. 
p]n  dépit  de  notre  inertie  coupable,  de  nos  fautes  continuelles, 
nos  intérêts  y  sont  très  supérieurs  à  ceux  de  n'importe  quelle 
autre  nation  et  se  chiffrent  par  2  milliards  i/2  de  francs 
ainsi  décomposés  :  60  %  de  la  Dette,  soit  1.764  millions;  che- 

1  La  première  arrivée  à  Varna  du  paquebot  rapide  Therapia,  au  mois  d'octo- 
bre 1902,  a  eu  lieu  en  grande  cérémonie.  Un  banquet  fut  offert  au  prince  Ferdinand 
de  Bulgarie,  à  bord  de  ce  bÂtiment,  par  le  directeur  de  la  Compagnie,  le  consul 
général  Koihe.  De  cordiaux  télégrammes  furent  échangés  entre  le  prince  et  Guil- 
laume II.  La  Bulgarie  essaie  vainement  depuis  quatre  années  de  faire  accréditer  un 
représentant  diplomatique  à  Berlin  :  rechange  de  télégrammes  et  la  future  conclusion 
d'un  traité  de  commerce  rendront  l'Allemagne  plus  accommodante  à  Tavenir. 

^  La  Dette  roumaine  s*élève  à  1.500.000.000  francs;  la  France  en  possède  on  tiers. 


LE  CHEMIN  DE  FER  DE  BAGDAD  28Ç 

mins  de  fer,  366  millions  ;  banques,  176  millions;  entreprises 
industrielles,  162  millions;  propriétés  foncières,  62  millions, 
dont  5i  au  titre  de  la  Turquie  d'Asie.  La  Banque  ottomane  est 
(ran^se.  Notre  commerce  dépasse  1 50  millions  de  francs,  soit 
presque  le  double  du  commerce  allemand.  Sur  les  4.505  kilo- 
mètres de  voies  ferrées  existant  actuellement  en  Turquie  d'Asie 
et  d'Europe,  1.365 — dont  510  en  Europe  (ligne  de  Salonique- 
Constantinople)  — ont  été  construits  parles  Français,  1.252  par 
les  Allemands,  1.264  par  les  Autrichiens,  515  par  les  Anglais. 
Sur  les  55.242.510  francs  produits  par  Texploitation  des  diffé- 
rentes Compagnies  —  recettes  brutes  et  garanties  —  la  France- a 
perçu  20.485.445  francs,  soit  un  peu  plus  des  37  %  de  l'ensemble. 
En  Turquie  d'Asie,  nous  possédons,  en  totalité  ou  en  majeure 
partie,  1.165  kilomètres  de  voies  ferrées  représentant  un  peu 
plus  de  200  millions  de  francs  \  Les  quais  de  Salonique,  Cons- 
lantinople,  Smyme  et  Beyrout,  et  les  phares  des  détroits  ont  été 
construits  et  sont  encore  exploités  par  nous. 

BejTout  est  une  véritable  ville  française  :  les  Jésuites  français 
y  possèdent  une  Université  et  une  Faculté  de  médecine.  Le 
commerce  de  Smyrne,  190  millions  de  francs,  est  presque  tout 
entier  entre  les  mains  de  45  maisons  françaises  représentant  un 
capital  de  22.506.000  francs.  Enfin,  sur  les  3.000  religieux  et 
religieuses  qui  vivent  en  Orient,  2.500  sont  français  :  ils  desser- 
rent 5.000  écoles,  dont  300  vraiment  dignes  de  ce  nom  avec 
'^J.OOO  élèves  (chiffre  indiqué  par  M.  Delcassé),  et  secourent 
lOO.OOO  malades  ou  indigents'.     - 

Les  intérêts  des  deux  partenaires  du  syndicat  franco-allemand 
du  chemin  de  fer  de  Bagdad  étant  ainsi  esquissés,  examinons 
lipuvre  commune  qu'ils  vont  entreprendre. 

• 

Le  futur  chemin  de  fer  de  Bagdad  ',  concédé  définitivement  à 
lAUemagne,  en  février  1902,  pour  une  durée  de  quatre- vingt- 

*  Chemin  de  fer  Smyrne-Cassaba  et  prolongements  :  521  kil.  722  à  1™44;  — 
ci.inuDde  fer  Merifine-Adana  (syndicat  franco-belge),  67  kilomètres  à  1"*44;  — 
oemin  de  fer  Moudania-Brousse  (syndicat  franco-belge),  41  kilomètres  à  1  mètre  ; 
-chemin de  fer  de  Jaffa  à  Jénisaleoi,  86  kil.  659  à  1  mètre;  —  chemin  de  fer 
>'  rroQt-Dunas-Mzérib-Hamah,   450  kilomètres,  dont  192  à  1-44. 

^  Les  17  millions  de  catholiques  allemands  (Alsaciens-Lorrains  exceptés)  envoient, 
«>leià  des  mers,  1.100  religieux  et  500  religieuses  environ  ;  les  Français  fournissent 
^pt  fois  plus  de  missionnaires  et  dix-sept  fois  plus  de  religieuses  avec  un  budget 
\f>  Qullions)  huit  fois  plus  considérable  que  le  budget  allemand. 

'  Par  raite  d'an  accident  matériel,  nous  ne  pouvons  donner  aujourd'hui  la  carte 
■i  eus«inble  que  nous  avons  fait  spécialement  dresser  pour  accompagner  cet  article. 
N^'Qs  la  publierons  ultérieurement. 

Kn  attendant,  le  croquis  ci-joint  (page  287)  permettra  de  se  rendre  compte  des 
^^2<»les  lignes  du  projet  de  Bagdad.  . .    . 


286  QUESTIONS     DIFLOHATIQUBS  BT  GOLOMIALKS 

dix-neuf  ans,  est  déjà  amorcé  vers  TEsi,  avons-nous  dît,  par  la 
branche  méridionale  des  chemins  de  fer  d'AnatoIie  Haïdar- 
Pacha  —  Eskicbéir-Konia  (749  kilomètres).  II  se  développera 
sur  une  longueur  approximative  de  2.200  kilomètres  et  sera 
construit  à  voie  normale.  La  longueur  totale  sera  donc  de 
3.000  mètres  environ,  soit  la  moitié  de  celle  du  Transsibérien 
ou  les  deux  tiers  du  Transcanadien. 

Les  travaux  seront  exécutés  pour  une  seule  voie;  mais  les 
expropriations  faites  en  vue  de  l'établissement  d'une  deuxième. 
La  ligne  devra  être  étabfie  assez  solidement  pour  permetlîi^e  la 
circulation  de  trains  à  grande  vitesse  (75  kilomètres  à  Fheure 
parcourant  la  distance  Gonstantinople-^Bagdad  en  cinquante* 
cinq  heures  :  la  Compagnie  d'AnatoIie  s*e«gage  à  cet  efTet, 
moyennant  une  subvention  annuelle  de  350.000  francs  pendant 
trente  ans,  à  mettre  la  ligne  Haidar-Pacha-Konia  en  état  de 
supporter  la  circulation  des  trains  rapides  (remplacement  du 
kilomètre  de  rails  pesant  126  tonnes  par  un  nouveau  matériel 
du  poids  de  176  tonnes).  Des  express  internationaux  circuleront 
également  entre  Haïdar-Pacha  et  Alep,  à  une  vitesse  minimum 
de  45  kilomètres  à  l'heure,  portée  à  60  kilomètres  au  bout  de 
dix  ans.  La  ligne  entière,  à  partir  de  Konia,  sera  divisée,  pour 
la  construction,  en  sections  de  200  kilomètres  et  les  travaux 
commencés  dans  un  délai  de  vingt  et  un  mois  après?  la  remise 
du  firman  de  concession  et  achevés  dans  leur  totalité  dans  un 
délai  de  huit  ans. 

Le  tracé  définitivement  adopté  part  de  Konia,  passe  à  Cara- 
man,  Eregli,  franchit  le  Taurus  un  peu.  au  Nord  des  Portes  de 
Cilicie,  touche  à  Adana,  reliée  par  voie  ferrée  à  Mersine  sur  le 
golfe  d'Alexandrette,  à  Kazanili,  Kilis,  Tell-Habesch,  coupe 
FEuphrate  en  ce  point,  continue  sur  Mossoul  par  Harran,  Ras 
el  Aîn  et  Nisibin,  longe  la  rive  droite  du  Tigre  par  Tekrit  et 
Sadidjé  et  arrive  à  Bagdad;  au  delà  de  cette  ville,  il  recoupe 
TEuphrate  à  Mousseyib,  passe  à  Kerbela,  à  Nedjef,  descend  la 
rive  droite  du  fleuve  par  Zobéir  et  Basra  (Bassorah)  et  aboutit 
enfin  à  Fao,  sur  le  Chatt-el-Arab,  du  moins  provisoirement.  Les 
chemins  de  fer  français  de  Syrie,  ligne  Rayak-Hamah-Alep, 
se  raccorderont  par  la  section  Alep-Tell-Habesch  à  la  grande 
artère.  Divers  embranchements  sont  prévus  :  sur  Marasch, 
centre  cotonnier  de  la  vallée  du  Djihan;  de  Tell-Habesch  sur 
Biredjik;  de  Hauran  sur  Ourfa;de  Nisibin  sur  Mardin;  de 
Sadidjé  sur  Hit  (Euphrate)  et  Khanekin  (frontière  de  Perse). 

Des  gares  militaires  et  des  quais  d'embarquement  seront 
établis  pour  une  somme  de  4  millions  de  Ifrancs;  les  mili- 
taires voyageront  à  quart  de  place.  Des  ports  seront  aménagés 


LE  CHEMIN  DE  FER  DE  BAGDAD 


287 


à  Haïdar-Pacha,  Bagdad,  Bassôrah,  et  sur  un  point  du  golfe 
Persique  qui[n'est  pas  encore  désigné,  Koueït  ou  Kadhima.  Le 
port  de  Haïdar-Pacha,  concédé  en  septembre  i901  à  la  Com- 
pagnie des  chemins  de  fer  d'AnatoIie,  au  lendemain  du  départ 


sensationnel  da  notre  ambassadeur»  est  en  constructioi;*et  sera 
probablement  terminé  au  printemps  de  1903  *. 


i  La  conVeotiOD  d«  ]a  concession  du  pont,  -des  quais,  docks  et  entrepôts,  de 
Haldar-Pacha,  accordée  à  la  Société  des  chemins  de  fer  d'Anatolie,  prérojant  le  cas 


288  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES    ET  COLONULBS 

Les  concessionnaires  de  la  ligne  auront  le  droit  d'exploiter 
les  mines  situées  dans  un  rayon  de  10  kilomètres  de  part  et 
d'autre  de  la  voie. 

« 
*  • 

Le  réseau  jouira,  aux  termes  de  la  première  convention,  d'une 
garantie  kilométrique  composée  d'une  annuité  de  12.000  francs 
et  d'une  somme  forfaitaire  de  4.500  francs  pour  couvrir  les  frais 
d'exploitation.  Si  les  recettes  kilométriques  brutes  dépassent 
4.500  francs,  mais  sans  excéder  10.000  francs,  le  surplus  revien- 
dra entièrement  au  gouvernement.  Dans  le  cas  où  ces  mêmes 
recettes  dépasseraient  10.000  francs,  Texcédent  au  delà  de  ce 
dernier  chiffre  serait  partagé  entre  le  gouvernement  et  le 
concessionnaire,  à  raison  de  60  %  en  faveur  du  premier  et  de 
40  7o  en  faveur  du  second. 

Les  affectations  spéciales  à  déterminer  d'un  commun  accord 
entre  le  gouvernement  et  la  Compagnie,  en  vue  d'assurer  le  ser- 
vice des  garanties  précitées,  ne  sont  pas  encore  définitivement 
arrêtées.  On  ne  peut,  en  effet,  faire  état  du  revenu  des  dîmes  et 
de  la  taxe  sur  les  moutons  des  sandjaks  traversés,  puisque  l'in- 
demnité russe  est  déjà  gagée  sur  ces  ressources.  11  avait  été  ques- 
tion de  relever  les  droits  de  douane  et  d'affecter  l'augmenta- 
tion de  recettes  ainsi  réalisée  au  service  des  nouvelles  garan- 
ties :  mais  on  a  écarté  cet  expédient  qui  n'aurait  pas  été  accepté 
par  toutes  les  puissances.  D'après  les  dernières  informations, 
un  nouvel  accord  aurait  été  signé  dans  les  premiers  jours  de 
février  1903  pour  l'exécution  immédiate  des  travaux  de  la 
section  Konia-Eregli  :  la  garantie  de  construction  serait  abais- 
sée à  11.000  francs  et  la  garantie  d'exploitation  maintenue 
à  4.500  francs;  la  première  gagée  sur  un  emprunt  gouverne- 
mental émis  à  4  % ,  remboursable  en  quatre-vingt-dix-neuf  ans, 

d'une  Société  anonyme  ottomane  pour  l'exploitation  de  ce  port,  la  Société  d'Anatolie, 
après  avoir  exécuté  la  majeure  partie  des  travaux,  a  procédé  à  sa  constitution 
sous  la  raison  *•  Société  du  Port  de  Hatdar-Pacha,  tête  du  chemin  de  fer  dAna- 
lotie.  Le  capital  est  de  8  millions  de  francs,  dont  60  %  versé.  Le  conseil  se  compose 
de  M.  Schrader,  membre  du  Reichstag,  président;  de  M.  Gwinner,  directeur  de  la 
Deutsche  Bank,  viee-pré^'den^;  de  MM.  Steindhal,  directeur  adjoint  de  la  Deutsche 
Bank,  de  MM.  Zander  etHuguenin,  directeurs  du  chemin  de  ferd'AnatoIie,  administra- 
teurs, La  Société  est  autorisée  à  émettre  12  millions  d'obligations  5  H  ;  8  millions 
seront  émis  prochainement  et  absorbés  probablement  par  la  Deutsche  Bank. 

La  baie  de  Haïdar-Pacha  est  à  4  kilomètres  de  la  Corne  d'Or  :  elle  mesure 
800  mètres  du  Nord  au  Sud  et  600  mètres  de  l'Est  à  l'Ouest;  sa  profondeur  atteint 
6  à  1  mètres,  à  50  mètres  du  rivage.  Le  bassin  aura  une  superficie  de  8  hectares 
draguée  à  8  mètres  et  circonscrite  par  de  puissants  brise-lames  de  35  mètres  de 
largeur  à  la  base  et  composés  de  blocs  de  10  tonnes.  Le  port  sera  accessible  A  toute 
heure  du  jour  et  de  la  nuit.  £n  attendant  qu'il  soit  livré  à  Texploitation,  la  Deutsche- 
JéCvante  Linie  fait  escale  à  Derindjé,  petit  port  situé  dans  la  bftie  d'Ismidt. 


lE  CHEMIN  DE  FER  DE  BAGDAD  289 

fLI*!.'"^"?"'  ^r}^..''^'  particulier  de  la  section  Konia- 
Eregh,  sur  1  excédent  disponible  de  la  garantie  déjà  consentie 
à  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  d'Anatolie.  II  serait  fait 
prochainement  un  emprunt  partiel  de  S4  millions  et  les  conces- 
sionnaires recevraient  269.000  francs  en  obligations  pour  cha- 
cun des  premiers  200  kilomètres  de  la  ligne  construite  et  exploi 
tee.  Mais  tout  ceci  nest  pas  encore   confirmé  officiellement 


•     • 


fJ:  -n*'^  ^^ï^'"'^'"*''*^^  '*  ligne  entière  sont  évalués  à 
600  millions  de  francs.  D'après  un  contrat  intervenu  entre  la 
Compagnie  allemande  des  chemins  de  fer  d'Anatolie  et  la  Com- 
pagnie française  Smyme-Cassabaet  prolongements,  ilaétédécidé 
que  le   capital  nécessaire  serait  fourni  à  raison  de  40  •/    nar 

-:dlnfZ"''f.  .."^rP"  ^*  ^'^^''  2®  '/-  P«^  »««  Puissanceslpos- 
s  -dant  des  intérêts  financiers  en  Turquie. 

•  ^^  ""fn*;'!^  allemand  ne  semble  pas  disposé  jusqu'ici  à  four- 

Zl^L  l  ^"T'a    V  '■r«°°«°t  ■•  i»  °'a  pas  grande  confiance 
dans  la  réussite  de  1  entreprise.  Les  actionnaires  de  la  Compa- 
gnie d  Anatohe  ont  même  clairement  spécifié,  à  l'assemblée  du 
2i  juin  1902,  qu  ils  entendaient  rester  en  dehors  de  la  nouvelle 
compagnie  et  refuser  toute  coopération  qui  pourrait  tourner  à 
eur  détriment.  L'Allemagne  a  cherché  aussitôt  à  se  concilier 
les  bonnes  grâces  de  la  Russie  en  lui  offrant  ses  40  •/     Mais 
M.  de  Wittc  a  très  mal  pris  ce  qui  pouvait  être  interprété  comme 
me    plaisanterie   :  le    Messager  financier  russe  a    décliné 
offre  dans  une  note  sensationnelle,  visiblement  officieuse   en 
faisant  ressortir  les  profonds  aléas  d'une  affaire  qui  peut  provo- 
quer,   en  cas   de  réussite,  une  concurrence  dangereuse  pour 
ILmpire,  et  en  conseillant  aux  sujets  russes  de  réserver  leurs 
capitaux  à  des  entreprises  nationales  d'un  intérêtplus  immédiat 
.  Le  marché  français  se  fait  également  tirer  l'oreille,  non  sans 
raison.  On  a  absolument  besoin  de  lui,  c'est  notoire  :  on  compte 
qu  il  fera  les  premiers  frais  en  fournissant  ses  407.  immédiate 
ment  etd  un  seul  coup.  Il  faut  espérer  que  nos  financiers  se 
montreront  plus   pratiques  que  d'habitude  et  regarderont  plus 
aut  qu  une  simple  spéculation  de  Bourse.'  Qu'il?  se  rappellent 
.s   discussions  du  dernier  Congrès  colonial  allemand  aï  sujet 
du  r.hemin  de  fer  de  Bagdad  ',  les  fanfaronnades  du  D'  Hasse  » 

er..ope  defin««uers  fr.nça.«do,ve  y  participer  pour  40  %.  La  Deutsche  Bank  es?  à  la 
<kiaR.  Dm.  MX  Cot,  —  t.  xt. 


290  OUBSnOlfS   DIPLOMATIQUES  BT  COLONIALES 

et  de  ringénieur  Schneider  ^  et  qu'ils  sachent  exiger,  dans 
les  pourparlers  actuelleinent  en  cours  pour  fixer  la  part  à  réser- 
ver dans  lentreprise  au  matériel  et  au  personnel  français,  quk 
un  boulon  allemand  doit  correspondre  un  boulon  français.^ 

rLa  perspective  du  raccord  àla  future  grande  ligne  des  chemins 
de  fer  syriens  ne  doit  pas  nous  suffire.  Notre  influence  à  Mossoul 
et  à  Bagdad  est  jusqu'ici  prépondérante,  celle  de  rAlIemagne 
presque  nulle  :  ce  serait  faire  un  marché  de  dupes,  comme 
cela  nous  arrive  malheureusement  trop  souvent,  en  fournis- 
sant à  nos  concurrents,  bénévolement  et  sans  compensations 
sérieuses,  les  moyens  de  grandir  à  nos  dépens.  ' 


Ceci  posé,  examinons  si  nous  ferons  une  bonne  affaire  en 
engageant  240  millions,  probablement  davantage,  dans  le  che- 
min de  fer  de  Bagdad.  Il  semble  tout  d'abord  que  le  placement 
ne  peut  pas  être  mauvais,  puisque  TEtat  ottoman  accorde  déjà 
une  garantie  de  4  ®/o  et  que  c'est  le  Conseil  d'administration  de 
la  Dette  publique  qui  en  effectuera  le  paiement.  Pouvons-nous 
compter  sur  un  rendement  supérieur,  en  d'autres  termes  sur 
une  plus-value  de  nos  futures  actions  ?  C'est  bien  douteux. 

Le  mouvement  de  marchandises  sera  probablement  très 
limité  et  se  réduira  à  l'enlèvement  des  produits  locaux  et  au 
transport  des  importations  étrangères  arrivant  par  Haïdar- 
Pacha  ou  le  golfe  Persique  à  destination  de  l'Anatolie,  de  la 
Mésopotamie  et  de  l'Irak,  importations  relativement  peu  consi- 
dérables, qui  s'élèvent  péniblement  aujourd'hui  à  60  millions 
de  francs  pour  les  deux  dernières  régions  *.  Le  fret  européen  i 
extrême-asiatique  suivra  toujours  la  voie  maritime  en  raison  ' 
de  son  bon  marché.  i 

La  source  de  recettes  la  meilleure  et  la  plus  sûre  sera  la  cir-  i 


culation  de  la  majeure  partie  des  250.000  voyageurs  qui  tra- 

téte  de  TafTaire...  L'idée  de  ce  chemin  de  fer  a  élé  conçue  par  l'intelligence  alle- 
mande; des  Allemands  ont  fait  les  études  préliminaires;  des  Allemands  ont  écarté 
tous  les  obstacles  qui  en  empêchaient  Texécution.  A/o/re  indtutrie  seule  doit  en 
profiter.  {Alldeutsche  Blatter,  17  novembre  1899.) 

^  L'entreprise  est  et  doit  rester  une  œuvre  allemande,  réalisée  avec  un  matériel  et 
fin  personne)  allemands...  La  locomotive  allemande  sera  l'éducatrice  la  plus  efllcace 
de  l'Orient  :  en.  entendant  ses  grondements,  TArabe  ne  dira  plus  -.  Alla  Francia 
çiats  :  Min  Alemannia.  {Die  Deutsche  Bagdad  Bahn,  1900.) 

^  Le  vilayetde  Mossoul,  qui  compte  3  millions  d'habitants,  reçoit  par  caravanes 
12  millions  de  marchandises  et  exporte  plus  de  6  millions  de  céréales  et  de  fruits. 

La  population  des  deux  vilayets  de  BasrÀ  et  de  Bagdad,  compterait  6  millions 
d'habitants  au  maximum  ;  leur  commerce  total  est  de  100  millions,  les  12  %  environ 
du.  commerce  ottoman  extérieur. 

En  1901.,  les  exportations  turques  à  destination  de  la  Perse,  transportées  à  dos  de 
chameau,  représentaient  2.500  ciiargements  de  wagon. 


LE  CHEMIN  DE  FER  DE  BAGDAD 


291 


versent  chaque  année  le  canal  de  Suez  et  qui  préféreront,  à 
l'avenir,  le  trajet  terrestre  Europe  centrale  —  Haïdar-Pacha  — 
jrolfe  Persique,  permettant  de  voyager  plus  vite,  de  réduire  les 
fatigues  d'un  grand  parcours  maritime  et  d'éviter  la  traversée 
si  pénible  de  la  mer  Rouge  :  le  trajet  Londres-Bombay  ne 
demandera  plus  que  onze  jours,  au  maximum,  au  lieu  de 
quinze.  Le  transport  de  250  à  300.000  pèlerins  musulmans  aux 
tombeaux  sacrés  deNedjef,  Kadmeïn  et  Kerbela,parrembranche- 
ment  Kanekin-Sadidjé,  et  de  ceux  qui  se  rendront  à  la  Mecque  par 
Tell-Habesch-Alep  et  Damas  ne  sera  pas,  par  contre,  aussi  rému- 
nérateur qu'on  le  pense  :  les  trains  de  pèlerins  musulmans  équi- 
valent en  effet  à  un  déraillement  au  point  de  vue  de  la  conser- 
vation du  matériel,  et  puis  il  n'est  pas  démontré  que  les 
Arabes  consentent  à  monter  dans  un  wagon  chrétien,  ou  à  faire 
une  forte  dépense,  pour  aller  accomplir  leurs  dévotions. 

On  parle  avec  beaucoup  d'enthousiasme  de  la  renaissance 
agricole  des  régions  traversées  par  la  future  ligne  et  Ton  cite 
complaisamment  les  rendements  merveilleux  de  l'antiquité. 
MM.  Rohrbach  et  Sprenger  prétendaient  naguère  que  la  Méso- 
potamie septentrionale  et  le  Sawàd  *  (terre  noire  de  Babylonie) 
pouvaient  donner  par  an  10  millions  de  tonnes  de  blé. 
D'autres  voyageurs  entrevoyaient  la  possibilité  de  fonder  une 
-industrie  cotonnière  capable  d'approvisionner  les  filatures  alle- 
mandes, et  peut-être  européennes,  et  de  porter  un  coup  mortel 
au  coton  américain.  D'autres  annonçaient  que  les  bassins  de 
pétrole  et  de  naphte  d'Erbil,  de  Kerkouk  et  de  Hit,  encore 
inexploités,  feraient  une  concurrence  victorieuse  aux  produits 
de  Batoum.  D'autres  enfin  admettaient  la  possibilité  d'une  colo- 
nisation allemande  en  masse  dans  le  bassin  du  Tigre  et  de 
l'Euphrate. 

Des  économistes  plus  sérieux,  Fitzner,  Wagner,  During 
Pacha,  Von  der  Goltz,  ont  jeté  une  douche  d'eau  froide  sur  ces 
imaginations  surexcitées  et  montré  qu'avant  de  songer  à  une 
exploitation,  à  une  colonisation  quelconque,  il  fallait  tout 
d  abord  rétablir  en  partie  le  réseau  de  canaux  d'irrigation,  exis- 
tant autemps  des  Califes  mais  entièrement  comblés  aujourd'hui', 
dessécher  d'immenses  marécages,  reboiser  des  montagnes, 
modifier  le  climat,  refaire  en  un  mot  une  création.  A  la  suite 
de  leurs  observations  sensées,  l'Association  coloniale  allemande 
^'est  décidée  à  envoyer  une  expédition  économique  chargée  de 
fournir  des  renseignements  précis  sur  les  conditions  actuelles 

t  La  superficie  de  ce  Sawàd,  appréciée  par  Sprenger  à  24  millions  d'hectares,  a 
été  socceésiremeiirréduite  à  12  millions,  à  6,  puis  finalement  à  21/2  é 

s  Q  (andrait  déposer  deux  milliards  pour  reconstituer,  ce  réseau  dand  son  inté* 
mté. 


292  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONULES 

du  pays  et  d'étudier  les  moyens  de  chasser  le  désert  :  il  faut 
attendre  les  comptes  rendus  de  cette  expédition  pour  se  pro- 
noncer. 

D'après  le  rapport  de  1901  du  consul  d'Autriche-Hongrie  à 
Bagdad,  on  ne  cultive  à  l'heure  actuelle  que  les  3  %  de  la  sur- 
face autrefois  cultivée.  Les  deux  vilayets  de  Bagdad  et  de  Bas- 
sorah  ne  donnent  annuellement  que  60  à  65  millions  de  francs 
de  riz,  de  blé  et  d'orge  et  80  ou  120.000  tonnes  de  dattes. 
Il  n'existe  que  30.000  bœufs  ou  vaches  pour  les  travaux  de 
l'agriculture.  Les  domaines  du  Sultan,  situés  à  proximité  du 
tracé  du  chemin  de  fer,  occupent  le  meilleur  quart  de  la  surface 
cultivée  *  :  il  ne  reste  donc  pas  grand'chose  pour  la  grande 
colonisation.  .Celle-ci  est  d'ailleurs  jugée  impraticable  par  tous 
ceux  qui  connaissent  l'administration  ottomane 2. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  la  rénovation  économique 
de  l'Asie  Mineure  apparaît  dans  le  domaine  des  faits  réalisables 
mais  encore  très  lointains,  et  que  le  gouvernement  ottoman 
assume  pour  de  longues  années  une  très  lourde  charge  en 
s'engageant  à  payer  30  à  35  millions  de  garantie  annuelle  à 
la  future  ligne.  En  vain  fera-t-on  remarquer  que,  de  1890 
à  1900,  les  revenus  de  la  dîme  des  vilayets  de  Kutahia,  Erto- 
grul,  Ismidt  et  Angora,  traversés  par  les  chemins  de  fer  d'Ana- 
tolie,  se  sont  accrus  respectivement  de  47,  66,  87  et  109  %  ;  les 
conditions  ne  sont  plus  les  mômes  en  Mésopotamie  et  en  Baby- 
lonie  où  le  désert  est  la  règle  et  la  main-d'œuvre  presque  nulle . 
Il  faudra  au  moins,  cinquante  années  pour  obtenir  de  pareils 
résultats. 

La  renaissance  industrielle  sera  peut-être  plus  facile  à  pro- 
voquer que  la  renaissance  agricole.  Les  forces  naturelles  son.1 
abondantes  et  faciles  à  capter;  les  richesses  minières  paraissent 
facilement  exploitables.  Mais  pour  utiliser  ces  ressources,  il 
faut  des  capitaux  considérables  que  la  haute  iinance  allemande 
n'osera  peut-être  pas  risquer.  Ces  capitaux,  nous  pourrons  les 
fournir  en  partie,  après  une  étude  approfondie  des  entreprises 
à  créer;  mais  de  même  que  nous  devons  exiger  des  avantages 
sérieux  pour  notre  industrie  en  compensation  de  notre  concours 
financier  dans  l'œuvre  du  chemin  de  fer,  il  faudra  obtenir  dans 
les  futures  entreprises  industrielles  du  Tigre  et  de  TEuphrate 

1  Ces  domaines  sont  exempts  d'impôts  :  les  autres  grandes  propriétés  sont  grevées 
d'une  taxe  qui  atteint  généralement  les  22  %  du  revenu. 

2  La  petite  colonisation  serait  une  très  mauvaise  affaire  (Hermann,  inspecteur 
des  exploitations  agricoles  des  chemins  de  fer  d'Anatolie,  administrateur  d'ixne 
partie  des  domaines  du  Sultan).  —  La  colonisation  est  irréalisable  au  point  de  vue 
politique  (Paul  Lindenberg).  —  La  colonisation  grande  ou  petite  n'est  qu'un  vain  mot 
(Daring  Pacha).  —  La  colonisation  est  impossible  pour  le  moment  (Von  der  GoUz). 


LE  CHEMIN  DE  FER  OE  BAGDAD  293 

(les  concessions  proportionnelles  à  l'importance  de  notre  coopé- 
ration. Ce  sera  le  seul  moyen  de  ne  pas  apparaître  diminués 
dans  une  région  où  notre  prestige  est  jusqu'ici  prépondérant 
el  où  notre  abstention  serait  interprétée  comme  une  déchéance 
dans  rOrient  tout  entier. 

«  « 

L'opportunité  de  fayoriseç  l'œuvre  franco-allemande  en  Asie 
Mineure  étant  admise  —  et  cela,  contre  des  garanties  sérieuses 
et  intangibles —  il  reste  à  examiner  s'il  est  bien  politique  de  lier 
partie  avec  TAUemagne  dans  une  affaire  qui  contrarie  vive- 
ment la  Russie  et  qui  est  loin  d'être  vue  d'un  très  bon  œil  en 
Angleterre,  à  en  juger  d'après  les  récents  incidents  de  Koueït. 

La  presse  de  Saint-Pétersbourg  prétend  avec  insistance  que 
Qous  avons  tort  de  seconder  une  entreprise  qui  va  léser  considé- 
rablement les  intérêts  économiques  de  la  Russie,  porter  le  plus 
grand  préjudice  à  son  commerce  de  céréales  et  créer  une  con- 
mirence  désastreuse  à  la  future  ligne  ferrée  Erivan-Djoulfa- 
Hamadan-Bender-Bouchéir.  A  quoi  bon  l'alliance  franco-russe 
>i  nous  contrarions  les  intérêts  russes  ? 

.Vous  sommes  particulièrement  heureux  de  nous  expliquer  à 
•e  sujetH^'alliance  franco-russe  ne  doit  pas  signifier  servilité 
complète  de  la  France  à  l'égard  de  la  Russie,  annihilation  de 
toute  volonté,  concours  perpétuel  de  notre  épargne.  Après 
avoir  fourni  à  notre  alliée  près  de  sept  milliards  de  francs,  nous 
Dous  sommes  engagés  à  fond  en  Extrême-Orient  pour  servir 
^a  politique,  alors  que  nous  avons  été  abandonnés  à  nous- 
mêmes  dans  l'affaire  de  Fachoda  :  nous  avons  bien  le  droit 
maintenant  de  penser  un  peu  à  nous,  tout  en  respectant  scrupu- 
leusement et  même  avec  cordialité  les  clauses  du  contrat 
d'alliance  ^*' 

•"La  Russie  ne  nous  a-t-elle  d'ailleurs  pas  montré  que  les  inté- 
r^^ts  passent  avant  tout  lorsqu'il  s'agit  de  défendre  ou  de  déve- 
lopper son  influence  chez  les  autres.  Comment  qualifier  son 
action  en  Syrie  et  en  Palestine  au  moment  où  l'Allemagne  et 

'  Les  Russes  ne  pourraient  certes  raisonnablement  nous  demander  de  renoncer  à, 
katfs  les  entreprises  qui  ne  leur  seraient  pas  particulièrement  agréables  ;  notre 
liliance  avec  eux  porte  sur  des  points  précis  qui  ne  sauraient  être  affectés  par  une 
■^olUboration  financière  au  chemin  de  fer  d'Asie  Mineure.  La  Russie  elle-même  ne 
^e«t  jamais  gênée  pour  faire  ses  propres  afiaires,  même  lorsqu'elles  ne  sont  pas 
directement  en  harmonie  avec  les  nôtres. ..  Les  susceptibilités  de  la  Russie  seront 
■iistant  moins  graves  à  l'égard  du  chemin  de  fer  de  Bagdad  que  la  part  de.  la  direc- 
ttoQ  française  j  sera  plus  étendue  et  plus  assurée.  Nous  avons  donc  toutes  les  rai« 
Kosde  faire  preuve  dans  la  circonstance  d'exigences  avec  lesquelles  notre  facilité  de 
>retears  inlassables  et  de  rentiers  sans  aucune  prétention  à  l'activité  n'était  peut- 
^  pas  assez  habituée  de  compter  ceux  qui  sont  toujours  prêts  à  s'adresser  à  notre 
bi- de  laine.  (Bulletin  du  Comité  de  VAsie  ffançaise,  février  1902.) 


r 


294  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

l'Italie  battent  en  brèche  le  protectorat  français?  Il  serait 
pénible  d'insister  sur  ce  point.  •^ 

u'  Nous  reconnaissons  volontiers  que  le  chemin  de  fer  de  Bagdad 
permettra  à  la  Turquie,  dans  une  dizaine  d'années,  de  rassem- 
bler plus  rapidement  des  forces  considérables  vers  Erzeroum  et 
d'accélérer  le  transport  de  ses  troupes  d'un  bout  à  l'autre  de 
l'Empire.  Mais  le  colosse  russe  n'est-il  et  ne  sera-t-il  pas  toujours 
assez  fort  dans  le  Caucase  et  la  mer  Noire  pour  ne  pas  s'alarmer 
outre  mesure  de  cette  éventualité  ?H  serait  d'ailleurs  puéril  de 
s'exagérer  la  portée  militaire  du  futur  chemin  de  fer  :  son  utili- 
sation permettra  degae:ner  quinze  jours  à  peine  dons  la  concen- 
tration à  Erzeroum  du  6*  corps  (Badgad)  et  du  5*  (Damas).  On  no 
saurait  considérer  cette  avance  comme  un  danger  sérieux. 

Le  dommage  économique  paraît  mieux  fondé,  mais  il  ne 
résiste  pas  davantage  à  l'analyse.  Ce  ne  sera  guère  que  dans  un 
quart  de  siècle,  au  plus  .tôt,  que  l'on  pourra  faire  revivre  une 
partie  des  greniers  d'abondance  de  Babylonie.  D'ici  là,  la  Russie 
aura  suffisamment  développé  son  réseau  ferré  pour  répartir 
plus  uniformément  sur  son  immense  territoire  les  blés  qui 
pourrissent  actuellement  sur  place,  faute  de  moyens  de  commu- 
nications, alors  que,  quelques  centaines  de  kilomètres  plus 
loin,  des  milliers  de  paysans  meurent  littéralement  de  faim  ; 
dans  vingt-cinq  ans,  elle  aura  à  nourrir  35  ou  40  millions  de 
bouches  de  plus. 

Reste  la  concurrence  faite  au  chemin  de  fer  Tiflis-Tabriz- 
Bender-Bouchéir.  «Malgré  toute  notre  bonne  volonté,  nous 
n'apercevons  pas  de  concurrence  possible.  Notre  alliée  n'a 
jamais  eu  la  sincère  prétention  d'accaparer  à  son  profit  les 
voyageurs  et  les  marchandises  de  l'Europe  occidentale  et  cen- 
trale à  destination  des  Indes.  Le  Transpersan  russe  (1.300  kilo- 
mètres) ne  nous  semble  pas  présenter  un  caractère  de  grande 
communication  internationale  y,  il  nous  apparaît  plutôt  comme 
une  ligne  d'intérêt  local,  à  portée  politique,  au  profit  exclusif 
de  la  Russie,  comme  un  moyen  de  déboucher  en  mer  libre,  si 
l'Angleterre  ne  lui  barre  pas  toutefois  le  chemin  en  prolon- 
geant sur  Mobamerah,  par  Kerman,  son  amorce  significative 
Quetta-Nouschki. 

Nos  alliés  ne  peuvent  donc  persévérer  raisonnablement  dans 
les  griefs  qu'ils  ont  articulés  contre  nous.  Il  est  naturel  qu'ils 
regrettent  leur  chemin  de  fer  projeté  Tripoli-Bagdad  *,  mais 
nous  n'avons  aucune  raison  de  nous  associer  à  leurs  regrets: 

Nous  ne  devons  pas  nous  préoccuper  non  plus  du  méconten- 

<  .  f 

*  Tripoli,  en  Syrie. 


prȕ" 


LE  CBKMIN  DE  FER  DE  BAGDAD  295 

tement  de  TAngleterre.  Cette  puissance  est  arrivée  trop  tard 
pour  réaliser,  sans  garantie^  le  tracé  Alexandrette-Bassorah, 
indiqué  en  1837  par  le  colonel  anglais  Ghesnay  :  on  ne  peut  être 
partout  à  la  fois,  en  Egypte,  en  Afrique  Australe,  en  Asie  Mi- 
neure. Le  cabinet  britannique  n'a  pas  renoncé,  11  est  vrai,  à  son 
projet  de  communication  du  Gap  aux  Indes  parle  Caire,  laMecque, 
les  oasis  de  Nedjed,  Koueït,  Mohamerah,  Kerman,  Nouschki, 
Ouetta,  mais  il  devra  marquer  longtemps  le  pas  à  Yildiz  Kiosk, 
avant  d'obtenir  Tautorisation  de  passage  qui  lui  a  été  déjà  net- 
\ement  refusée.  Le  Sultan,  conscient  des  visées  anglaises  sur 
ITémen,  ne  tient  nullement  à  favoriser  une  puissance  qui  s'est 
constamment  enrichie  à  ses  dépens  et  qui  Ta  mis  récemment 
en  posture  ultra-humiliante  à  Koueït;  le  chemin  de  fer  impé-^ 
rial  qu'il  fait  construire  de  Damas  à  la  Mecque  peut  être  consi- 
déré, provisoirement  du  moins,  comme    un  barrage  que  ne 
franchira  pas  le  rail  anglais.  Il  sera  de  bonne  politique  de  faci- 
liter la  construction  de  ce  b&rrage  en  fournissant,  moyennant 
{garantie,  les  capitaux  que  les  mosquées  sont  impuissantes  à 
extirper  des  fidèles  musulmans  et  les  ingénieurs  que  le  génie 
ottoman  ne  réussit  pas  à  improviser. 

^Ën  résumé,  nous  avons  intérêt  à  marcher  avec  TAUemagne 
dans  l'aCTaire  de  Bagdad.  Il  est  extrêmement  regrettable  que 
nous  ne  puissions  marcher  seuls;  mais  puisqu'il  en  est  autre- 
ment, il  faut  tirer  le  meilleur  parti  des  circonstances.  Nos  pro- 
tégés et  nos  clients  de  Mossoul  et  de  Bagdad  ne  comprendraient 
d*ailleurs  pas  notre  abstention.  Mais  avant  de  donner  notre 
concours,  il  est  sage  d'exiger  pour  le  présent  et  l'avenir  des 
ivantages  en  rapport  avec  l'importance  de  notre  coopération 
financière  et  une  part  sérieuse  dans  l'exploitation  économique  de 
la  Mésopotamie  et  de  la  Babylonie  régénérées  par  la  locomotive  ^.^ 

Henri  Bohler. 


*  CoiLsolter,  poar  plus  de  détails,  les  nombreux  articles  publiés  dans  la  Revue  Aêien 
orgaae  d«  la  Société  asiatique  allemande)  par  MM.  Rohrbach,  Waohsii,  Fitznea, 
Dôms-PACBA,  -von  osa  Golts,  etc.  —  Max  v.  Oppbnhbim  :  Von  MUtêlâneer  zum 
PertiMcker  Golf  durch  den  Uauran,  die  SyrUche  WUsle  und  Mesopotamien 
Berlin,  i«99,  1»00).  —  P.  LnfOKifBBBo  :  Auf  deutschen  Pfaden  im  Orient  (1902).  ^ 
DeuUch€  Oniemehmungen  inPaléstina  {Deutsche  KolonialZêitung,  9jaav.  1802). 
—  Bcan^B  :  Le  Danger  allemand  (1897).  —  Les  Allemande  à  Con^tantinople 
'.Eewme  de  Paris^  1898).  —  D'  Kbauss  :  Deutsch-TUrkische  Handelsbeziehungen 
(tW).  ^  Bulletin  du  Comité  de  VAeie  française. 


LES  BOXEURS 

ET  IJSS  TROUBLES  DU  SE-TGHOUAK 


On  s'est  beaucoup  occupé  des  troubles  suscités  par  lesBo^teurs 
dans  la  Chine  septentrionale  ;  on  a  moins  parlé  de  ceux  qui  ont 
sévi  dans  les  provinces  reculées,  parce  que  les  intérêts  matériels 
et  moraux  .engagés  dans  les  événements  paraissaient  moins 
grands  et  Tétaient  [en  réalité.  Quelques  lettres  publiées,  ici  et 
là,  dans  la  presse  quotidienne  ou  dans  des  Revues  spéciales, 
quelques  dépêches  envoyées  en  Europe  ont,  néanmoins,  fait 
entrevoir  que  le  mal  n'était  pas  localisé,  que  l'agitation  se 
révélait,  ailleurs  que  dans  le  Nord,  par  d'inquiétantes  explo- 
sions. Tong-fou-siang  est  loin  d'être  le  seul  ennemi  des  Occi- 
dentaux, et  partout  la  haine  de  l'étranger,  latente  parce  qu'on 
le  craint  encore,  se  manifeste,  sur  plusieurs  points,  par  des 
expéditions  à  main  armée.  Le  Se-tchouan,  la  province  la  plus 
vaste  de  la  Chine,  est  aussi  une  des  plus  menacées  par  les 
hordes  de  bandits  et  par  les  menées  des  sociétés  secrètes. 


Limitée  par  le  Kan-sou  et  le  Chen-si  au  Nord,  par  le  Hou-pe 
à  l'Est,  par  le  Kouy-tcheou  et  le  Yun-nan  au  Sud,  par  le  Thibet 
à  rOuest,  le  Se-tchouan  (les  Quatre  Fleuves)  est  une  immense 
région  comptant  aujourd'hui,  dit-on,  60  millions  d'àmes.  Ce 
chiffre  est,  peut-être,  exagéré;  mais  en  l'abaissant  à 55  millions 
on  est,  probablement,  dans  la  vérité.  La  grande  majorité  se 
compose  de  Chinois.  Il  y  a  un  certain  nombre  de  Man-tze,  ou 
barbares,  et  de  Lolos  que  Ton  dit  être  les  descendants  de  la 
population  primitive.. 

Le  Se-tchouan,  qui  possède  des  montagnes  dont  les  hauts  som- 
mets sont  couverts  de  neiges  étemelles,  de  profondes  vallées, 
des  plaines  magnifiques,  est  arrosé  par  une  multitude  de  cours 
d'eau.  Il  est  traversé  par  le  célèbre  Yan-tse-kiang  qui,  dans  son 
parcours  à  travers  la  province,  reçoit  le  nom  de  Fleuve  aux 
Sables  d'or,  Kin-cha-Kiang.  Le  Se-tchouan  produit  en  abon- 
dance des  plantes  médicinales,  textiles  et  tinctoriales,  du  thé, 
du  sucre,  du  riz,  beaucoup  de  fruits  semblables  à  ceux  d'Europe. 
Il  renferme,  dans  son  sol,. du  fer,  de  l'argent,  del'étain,  de  la 


I 


LES  BOXEURS  ET  LES  TROUBLES   DU   SE-TGHOUAN  297 

houille  et  du  pétrole  ;  dans  ses  forêts  se  multiplient  les  animaux 
siQvages,  la  panthère,  Tours  noir,  le  loup,  le  sanglier,  le  che- 
yrmly  le  daim  et  aussi  le  hiang-tchang  ou  civette  à  musc. 

Au  point  de  vue  administratif,  le  Se-tchouan,  gouverné  par 
un  vice-roi,  comprenait,  en  1890,  20  préfectures  et  143  sous-pré- 
fectures. Le  vice-roi  réside  à  Tcheng-tou -fou,  grande  ville  ayant 
plus  de  600.000  âmes,  ancienne  capitale  des  rois  de  Tchou,  qui 
montre  aux  étrangers  de  vieux  temples,  d'anciens  palais,  des 
ponts  antiques,  des  monuments,  en  un  mot,  dignes  d'être 
admirés.  Au  point  de  vue  religieux,  il  y  a  aujourd'hui  au  Se- 
tihouan  de  25  à  30.000  musulmans,  3.500  protestants  et 
7i.l23  catholiques.  Les  autres  habitants  suivent  la  doctrine  de 
iinfucius,  les  pratiques  du  bouddhisme  ou  de  la  religion  de  Lao- 
beu,  s  adonnent  au  culte  des  ancêtres  et  des  génies  de  toute 
yjrte  bienfaisants  ou  malfaisants.  L'Eglise  catholique  a  divisé  le 
Se-tchouan  en  3  vicariats  apostoliques,  TOccidental,  l'Oriental 
»'t  le  Méridional  ;  elle  y  a  3  évoques,  125  missionnaires  euro- 
p»^ens,  82  prêtres  indigènes,  3  frères,  571  religieuses  indigènes 
f^l  6  européennes,  600  écoles  fréquentées  par  10.682  élèves, 
M  œuvres  de  charité  et  d'assistance  et  2  collèges.  L'Europe, 

I    -I  d'une  façon  générale  les  pays  chrétiens,  sont  surtout  repré- 

I    tentés  au  Se-tchouan  par  les  missionnaires. 

I  La  province  du  Se-tchouan  a  été  souvent  bouleversée,  dans  le 
'  ïiurs  du  xix°  siècle,  par  le  brigandage  dont  les  mandarins  ont 
l*^.  fréquemment  aussi,  les  complices  avérés  ou  cachés.  Plu- 
Mmrs  missionnaires  ont  payé  leur  apostolat  de  leur  vie.  Nous 
["jurrions  écrire  une  longue  histoire  des  malheurs  du  Se-tchouan 
♦•n  écrivant  seulement  celle  du  dernier  siècle.  La  guerre  civile, 
(tourne  pas  remonter  plus  haut,  qui  bouleversa  l'Empire,  se  fit 
j^otir,  dans  ce  pays,  de  déplorable  façon.  La  ville  de  Tchong- 
Kin,  grande  cité  de  plusieurs  centaines  de  mille  âmes,  impor- 
tant marché,  fut  le  théâtre  d'abominables  tueries  quand  elle  fut 
prise  par  les  insurgés.  «  Au  moment  oiiils  (les  insurgés)  allaient 
prendre  d'assaut  la  ville  dont  j'ai  parlé,  écrivait  le  5  sep- 
tembre 1856  M«'  Perocheau,  vicaire  apostolique  du  Se-tchouan, 
les  impériaux  ont  promptement  déposé  leurs  uniformes  et 
*^ndossé  des  habits  ordinaires.  Les  rebelles  entrés  dans  la  ville 
et  ne  voyant  point  de  costumes  officiels  ont  deviné  la  fraude. 
Aussitôt  ils  ont  massacré  tous  les  hommes  de  la  ville  depuis 
iH  ans  jusqu'à  60,  pour  ne  pas  manquer  un  seul  soldat  ni  un 
>eul  prétorien.  »  Ce  n'était  qu'un  commencement;  en  1861, 
H.  Delamare,    missionnaire  apostolique,  estimait  à  plus   de 


298  QUESTIONS  DCPLOMATIQUifiS  ET  GOLOMIÀLK» 

cent  mille  le  nombre  des  victimes  que  ^la  guerre  civile  avait 
faites.  «  Depuis  cette  époque  (1859),  disait-il  dans  une  lettre  datée 
de  Tcheng-tou-fou,  des  bandes  de  scélérats  ont  surgi  en  diverses 
localités,  et  ont  porté  successivement,  dans  presque  toute  la  pro- 
vince le  pillage,  l'incendia,  les  brutalités  de  tout  genre,  le  car- 
nage et  la  mort.  La  terreur  et  la  désolation  sont  générales.  Les 
autorités  civiles  et  militaires  sont  impuissantes  à  apaiser  cette 
rébellion,  par  suite  de  l'incurie  ou  de  la  connivence  de  certains 
chefs  de  l'armée.  »  Nous  faisons  grâce  à  nos  lecteurs  des 
affaires  de  détail. 

Il  y  eut  des  troubles  en  1865.  C'est  dans  ces  troubles,  suscités 
par  un  parti  puissant,  composé  surtout  de  lettrés  et  appuyé  par 
le  mandarin  du  lieu,  que  M.  Eyraud  Jaillit  perdre  la  vie  à  Yeou- 
yang  et  que  plusieurs  de  ses  fidèles  furent  tué^;  que  son  suc- 
cesseur, M.  Mabileau,  après  avoir  subi  les  plus  grossières 
injures,  fut  jeté,  le  29  août,  dans  la  rivière  qui  coule  au  bas  de  . 
la  ville,  et  achevé  au  cours  de  la  nuit  qui  suivit.  Le  corps  du 
pauvre  prêtre,  quand  il  fut  reconnu,  portait,  suivant  le  procès- 
verbal  officiel,  la  trace  de  82  blessures  dont  chacune  était  mor- 
telle. Après  cette  mort,  la  persécution  continua,  et  au  15  jan- 
vier 1866,  M.  Perny  comptait  de  onze  à  douze  cents  familles 
errantes  dans  le  Se-tchouan  oriental. 

Dans  la  môme  ville  de  Yeou-yang,  chef-lieu  d'un  vaste  dis- 
trict habité  par  des  peuples  aborigènes  soumis  aux  Chinois, 
des  brigands  armés  attaquèrent  le  2  janvier  1869,  sous  l'œil 
paterne  des  mandarins,  l'enceinte  murée .  entourant  l'église 
ainsi  que  les  autres  établissements  de  la  paroisse,  firent  sauter 
la  porte,  entrèrent  et  massacrèrent  M.  Rigàud,  deux  sémina- 
ristes indigènes  et  une  cinquantaine  de  chrétiens.  Ces  bandits 
promenèrent  ensuite  le  fer  et  le  feu  partout  autour  d'eux.  Les 
désastres  de  Yeou-yang  furent  dus  à  la  connivence,  avec  les 
rebelles,  des  mandarins  et  de  leur  entourage. 

Le  1*^  juillet  1886,  une  foule  ameutée  démolit  et  pilla  les 
établissements  des  protestants,  anglais  et  américains,  de  Tchong- 
kin;  il  en  fut  de  même  du  consulat  anglais  et  de  trois  grandes 
.  maisons  de  riches  chrétiens.  Le$  émeutiers  attaquèrent  ensuite 
la  mission  catholique  qu'ils  saccagèrent.  Le  soulèvement  avait 
été  causé  par  l'imprudence  des  missionnaires  protestants  qui, 
ayant  amené  leurs  femmes  et  leurs  enfantis  avec  eux,  les 
avaient  installés  dans  une  grande  pagode  située  à  16  kilomètres 
de  la  cité,  et  qui  s'étaient  établis  aussi  sur  des  points  regardés 
par  le  peuple  comme  des  lieux  de  bonheur  pour  la  cité.  Les 
pillages  et  Tincendie  se  propagèrent  vite  au  dehors. 

En   1890,    la  station  catholique    de  Long-ehoui*tchen  fut 


■  ■■JPI" 


300  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

détruite,  et  toute  la  sous-préfecture  de  Ta-tsiou  livrée  à  Tin- 
cendie  et  au  pillage. 

Les  événements  de  1898  sont  de  date  encore  trop  récente 
pour  qu'ils  soient  sortis  de  la  mémoire  de  ceux  qui  sont  attentifs 
aux   choses  de  l'Extrême-Orient.    Plusieurs    sous-préfectures 
furent  dévastées.  Dans  le  vicariat  apostolique  du  Se-tchouan 
f.'  oriental,  cette  dévastation  commença  vers  la  fin  de  septembre. 

L'évêque  télégraphia  auseminaire.de  la  rue  du  Bac,  à  la  date 
du  24  octobre  :  «  Catholiques  pillés,  tués,  aux  cris  de  Mort  aux 
Français!  Dix  mille  fugitifs.  »  En  décembre,  les  destructions  se 
poursuivaient  encore  dans  toute  la  province  et  il  y  eut,  cette 
i  fois  aussi,  des  victimes.  Les  brigands  étaient  forts  de  Tappui,  au 

moins  tacite,  des  mandarins  et  des  lettrés.  Le  chef  des  rebelles 
était  un  homme  ignorant  et  grossier^  jadis  condamné  à  mort, 
Yu-Man-Tzé. 

En  1898,  la  ville  de  Souy-fou,  au  Se-tcheou-fou,  au  confluent 
du  Min  et  du  Yan-tse-kiang,  entrepôt  des  produits  du  Yun-nan 
que  Ton  achemine  vers  le  centre  de  la  Chine,  fut  assiégée,  et 
dans  le  Se-lchouan  méridional,  11  sous-préfectures  furent 
entièrement  dévastées.  M.  Fleury,  missionnaire  au  Se-tchouan 
^  oriental,  qui  avait  été  prisonnier  de  Yu-Man-Tzé,  écrivait  dans 

I  une  lettre  publiée  par  la  Revue  des   Missions  catholiques, 

b  numéro  du  11    août  1899  :  «  La  moitié  de  la  mission  du  Se- 

^\  tchouan  oriental  dévastée,  une  partie  de  celle  du  Se-tchouan 

t  occidental  et  méridional  également  détruite,  30  chrétiens,  la 

j^  plupart  martyrisés  sous  mes  yeux,  1.000  païens  mis  à  mort  par 

^  la  milice  régulière,  un  missionnaire  européen  prisonnier  des 

ft  bandits  pendant  200  jours,  2  prêtres  indigènes  massacrés,  tels 

\  sont  les  événements  qui  se  sont  passés  depuis   ma  dernière 

Y  lettre.  Cette  dernière  lettre  est  un  peu  vieille,  mais  vous  vou- 

\  drez  bien  m'excuser,  carie  missionnaire  prisonnier  c'était  moi.  » 

t. 

♦ 
\  •  « 

Par  ce  qui  précède,  il  était  tout  naturel  de  penser  que  la 
tourmente  éclatant  dans  le  Nord  dût  avoir  un  inévitable  contre- 
coup dans  le  Se-tchouan  si  souvent  agité  et  renfermant  tant 
d'éléments  de  désordre.  Il  y  eut  des  semaines  marquées  par  des 
meurtres  et  des  brigandages,  suivies  de  jours  de  répit. 

Dès  que  le  ciel  s'assombrit,  les  protestants  partirent,  et  pen- 
dant de  longs  mois  les  seuls  Européens  restés  au  Se-tchouan 
furent,  avec  le  vaillant  consul  de  France,  M.  Bons  d'Anty,  les 
missionnaires  catholiques.  Le  vice-roi  poussa  ces  derniers  à 
quitter,  eux  aussi,  le  pays,  mais  ils  résistèrent  à  ses  avis,  et 


I 


N>;V. 


LES   BOXEURS   ET  LES  TROUBLES   DU   SE-TCUOUAN 


301 


force  lui  fut  de  les  protéger,  et  au  besoin  d'assurer  leur  sécu- 
rité en  faisant  garder  leurs  demeures  par  des  soldats. 

Il  était  à  craindre  que  la  cour  en  fuite  ne  fût  poursuivie  par 
les  alliés  et  ne  se  réfugiât  au  Se-tchouan  ;  de  nouvelles  calami- 
tés Feussent  accompagnée;  sa  présence  eût  été  le  signal  de 
malheurs  de  toute  sorte  pour  les  Européens  et  leurs  amis. 
L'Empereur  s'étant  arrêté  à  Si-ngan-fou,  on  en  fut  quitte  pour 
la  peur. 

S'étendant  vers  l'Ouest  comme  ils  l'avaient  fait  à  TEst,  ga- 
gnant du  terrain  de  proche  en  proche,  étant  favorisés,  d'autre 
part,  par  l'état  d'esprit  des  mandarins  inférieurs  et  des  lettrés 
que  nous  avons  vus  si  souvent  hostiles  aux  Occidentaux,  par  la 
facilité  de  recruter  ces  bandes  armées  qui,  à  tant  de  reprises, 
terrorisèrent  la  population  paisible  de  la  province,  les  Boxeurs 
pénétrèrent  dans  le  Se-tchouan. 

A  la  date  du  3  août  <902,  M**^  Dunand,  vicaire  apostolique 
du  Se-tchouan  occidental,  écrivait  aux  Missions  catholiques  que 
«  depuis  longtemps  les  Boxers  se  préparaient,  se  recrutant  par- 
tout, s'^exerçant  au  maniement  des  armes,  et  surtout  se  livrant 
aux  pratiques  mystérieuses  des  initiations  en  vertu  desquelles 
ils  sont  constitués  invulnérables....  fanatisés  au  point  de  ne 
plus  craindre  la  mort  ».  M.  de  Guébriant,  qui  accompagna 
M^  Favier,  lors  de  son  dernier  voyage  en  France,  considère 
que  les  pratiques  de  sorcellerie,  caractéristique  de  la  secte  des 
Boxers,  ont  été  importées  au  Se-tchouan  par  des  gens  du 
Chan-si  et  qu'un  grand  nombre  de  mandarins  ajoutent  foi  à 
ces  pratiques. 

Le  sang  commença,  le  12  mai,  à  couler  àNgan-gô,  et  l'on 
C4impta  M  morts  avec  10  blessés  à  Yuen-yan-fou.  Les  réguliers 
eurent  vite  raison  de  ce  commencement  de  guerre  civile.  Les 
Boxeurs  s'étaient  mis  en  campagne  avec  trop  de  hâte. Mieux  pré- 
parés à  la  fin  du  mois  de  juin  dernier,  ils  attaquèrent  diverses 
localités;  à  Tse-yang-hien,  à  Jen-cheou,  à  Pen-chan,  ils  purent 
piller,  brûler,  tuer  tout  à  leur  aise,  et  s'acheminèrent  vers  la 
capitale.  Au  nombre  de  plusieurs  milliers,  sous  la  conduite 
d'un  fils  du  grand  juge  de  la  province,  ils  entrèrent  à  Sou-kia- 
ouan,  une  des  vieilles  chrétientés  de  la  contrée,  livrèrent  aux 
flammes  l'église,  le  presbytère  et  les  maisons  des  chrétiens; 
quant  à  ceux-ci,  ils  étaient  impitoyablement  massacrés  dès 
qu'ils  étaient  reconnus,  écorchés,  coupés  en  morceaux  comme 
le  prêtre  chinois  Pierre  Houang.  La  fureur  de  ces  fanatiques 
s'exerçait  sur  tout  ce  qu'ils  rencontraient;  les  propriétés  et  les 
personnes  des  riches  païens  ne  furent  pas  épargnées. 

Au  commencement  du  mois  d'août,  les  chrétiens  affolés  et  les 


302  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COUMHAilS 

païens  honnêtes,  tous  les  gens  paisibles  qui  se  trouvaient  dans 
la  sphère  d'action  des  Boxeurs,  fuyaient  de  tous  côtés,  ceux  des 
campagnes  refluant  vers  les  villes  fortifiées,  et  ceux  des  villes  se 
réfugiant  dans  les  campagnes. 

Toutes  les  chrétientés  non  entourées  de  murs  furent  détruites 
dans  les  environs  de  la  capitale ,  et  2.000  victimes  rougirent  le 
sol  de  leur  sang.  Le  15  août  1902,  30.000  Boxeurs  étaient  cam- 
pés tout  autour  de  Tcheng-tou-fou,  et  l'attaque  de  la  grande  cité 
fut  fixée  au  16  septembre  ou,  en  style  chinois,  au  15  de  la  hui- 
tième lune  :  ce  jour-là,  d'après  le  plan  des  société»  secrètes,  les 
étrangers  devaient  être  expulsés  et  les  chrétiens  exterminés. 

VEcho  de  Chine,  dans  son  numéro  du  29  octobre  1902,  a 
donné  le  récit  exaét,  mais  incomplet,  croyons-nous,  de  la  tenta- 
tive des  Boxeurs  contre  la  capitale,  au  mois  de  septembre.  Après 
avoir  dit  que  le  foyer  du  mouvement  est  à  Tcheng-tou  même,  il 
ajoute  :  «  La  ville  est  enfermée  dans  un  cercle  de  flammes  qui 
dévorent  lés  faubourgs  et  les  environs,  jusqu'aux  limites  du  pla- 
teau. Oui,  depuis  près  de  deux  mois,  on  pille,  on  brûle  et  on 
tue  sous  les  murs  mêmes  de  la  capitale.  Le  15  et  le  16  du  pré- 
sent mois,  les  bandits,  enhardis  par  l'impunité,  ont  eu  laudace 
de  pénétrer  dans  l'intérieur  de  l'enceinte,  et  nous  avons  assisté  à 
l'invraisemblable  spectacle  d'une  immense  cité  bondée  de 
mandarins  et  de  personnages  officiels  à  en  craquer,  défendue 
par  une  garnison  d'au  moins  quatre  mille  soldats  bien  équipés 
et  armés,  terrorisée  par  une  centaine  de  chenapans  et  de  fous 
qui  n'avaient,  pour  tout  fourniment,  que  de  mauvais  couteaux, 
des  mousquets  à  mèche  *,  etc.  » 

Dès  Taube  du  15,  sous  une  pluie  torrentielle,  les  opérations 
.  des  Boxeurs  commencèrent  par  l'envoi  d'une  centaine  des  leurs 
dan3  là  ville.  Ces  bandits,  probablement  «  sous  l'influence  de 
breuvages  qui  leur  ôtaienlTusage  de  leurs  facultés  en  doublant 
leur  fureur  fanatique  des  transports  d'une  ivresse  spéciale  », 
couraient  dans  les  rues  de  la  ville  en  cherchant  à  soulever  la 
population,  aux  cris  de  :  «  A  mort  les  Occidentaux  !  A  mort  les 
chrétiens  !  »  Ils  frappaient  de  droite  et  de  gauche  les  gens  qu'ils 
rencontraient,  pour  la  plupart  villageois  se  rendant  au  marché, 
ouvriers  allant  au  travail,  petits  boutiquiers  occupés  à  leur 
devanture.  De  nombreuses  victimes  furent  ainsi  immolées; 
bientôt  la   panique  fut  générale,  et  toutes  les  maisons  se  fer- 

I  Lé  ùuméro  de  décembre  1902  du  Bulletin  du  Comité  de  l'Asie  Fmnçaise  ren- 
ferme une  lettre  fort  intôresftante  d'un  témoin  qui  raconte  les  événements  des  45  et 
!(}  septembre.  L'auteur  de  cette  lettre  rend  hommage  au  calme  et  au  sang-froid  du 
représentant  de  la  France,  M.  Bons  d'Anty,  dont  la  seule  présence  a  été  a  la  sau- 
vegarde des  étrangers  et  des  chrétiens  qui  vivent  daHs  Teheng-tou-foUé  » 


LES   BOXBUAS  ET  LES  TROUBLES  DU  SE-TeUOUAN  303 

mërent.  Ces  hommes  étaient  conduits  par  une  Kouan-in  vivante, 

c  est-à-dire  par  une  femme  représentant  la  déesse  Kouan-in, 

qui  est,  un   peu,  pour  les  Chinois  ce  que  Vénus  était  pour  les 

Romains.  Les  provocations  des  bandits  restèrent  sans  écho;  ils 

ne  connaissaient  pas  assez  bien  la  topographie  de  la  ville;  les 

Chinois  ont  horreur  de  la  pluie  ;  et  les  chefs  des  Boxeurs  qui 

i      s'étaient  présentés  chez  le  vice-roi  pour  demander  Fautorisa- 

I      tion  de  massacrer  les  étrangers  et  de  piller  leurs  habitations 

I      avaient  été  éconduits. 

Après  plusieurs  heures,  les  mandarins,  qui  jusque-là 
s'étaient  montrés  impassibles,  se  décidèrent  à  mettre  le  holà! 
I>es  patrouilles  furent  envoyées  à  la  rencontre  de  cette  avant- 
garde  et  bientôt,  des  deux  côtés,  il  y  eut  des  morts  et  des  blessés. 
I^  Kouan-in  resta  parmi  les  morts.  Le  coup  était  manqué. 
\L  Bons  d'Anty,  accompagné  du  lieutenant  Marquis,  officier 
de  la  mission  Hourst,  et  du  docteur  Erdinger,  était  à  la  capitale 
pour  y  rassurer  les  Européens  et  leur  prêter  le  secours  de  son 
influence. 

Dans  la  soirée  du  16  septembre,  les  Boxeurs,  campés  dans  un 
hameau  des  environs,  ayant  appris  que  la  pluie  avait  fait  crouler 
un  pan  des  murs  de  l'enceinte,  voulurent  se  précipiter  par  la 
brèche  dans  la  ville,  mais  ils  furent  repoussés. 

Le  17  eut  lieu  une  autre  alerte;  mais  ce  ne  fut  qu'une  alerte, 
fft  petit  à  petit  l'ordre  parut  se  rétablir.  Le  25,  un  nouveau 
préfet,  Tsen,  lit  son  entrée  dans  la  ville  aux  applaudissements 
lie  tous  les  honnêtes  gens. 

La  situation  ne  laisse  pas  que  de  continuer  à  être  critique  au 

Se-tchouan,  comme  elle  Test,  d'ailleurs,  dans  beaucoup  d'autres 

r^ons  de  la  Chine.  On  ne  brise  pas  facilement,  avec  d'antiques 

habitudes,   de   vieux   préjugés  et  de  tenaces  rancunes  ;  on  ne 

menace  pas,  non  plus,  de  bouleverser  des  intérêts  sans  effrayer 

<}uelque   peu  ceux  qui  sont  en  possession.   Toute  révolution, 

lente  ou  rapide,  s'accompagne  de  luttes.  La  Chine,  d'autre  part, 

renferme  des  énergies  qui  trouvent  à  se  donner  carrière  pour  le 

mal,  sous  le  couvert  de  prétextes  facilement  intelligibles  à  des 

populations  déjà  prévenues. 

Il  est  fréquemment  question  de  prêtres  catholiques,  quand  on 
relève  les  noms  des  victimes  après  les  troubles  ;  c'est  que  les 
missionnaires  ne  craignent  pas  d'entrer  et  de  s'établir  dans  les 
profondeurs  du  pays,  et  qu'ils  restent  à  leurs  postes,  quels  que 
soient  les  événements.  Ce  sont  des  Occidentaux,  des  «  diables 
étrangers  »  que  l'on  a  sous  la  main  ;  ils  pâtissent  pour  ceux  que 
que  Ton  ne  peut  atteindre.  Il  est  question  des  chrétiens,  parce 
que  ceux-ci    sont  considérés  comme  les  amis  des  Européens  et 


304  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   KT    COLOKIALKS 

tout  prêts,  dès  lors,  à  leur  ouvrir  les  portes  de  la  Chine,  on 
acceptant  des  nouveautés  et  une  civilisation  qui  répugnent  à 
des  doctrines,  à  des  idées  acceptées  depuis  de  longs  siècles 
dans  les  terres  du  Fils  du  Ciel.  Sur  les  longues  bannières  aux 
couleurs  rouge  et  blanche  des  brigands  qui  ravagèrent  certains 
districts  du  Hou-pé,  à  la  fin  de  1898,  on  lisait  ces  mots  :  «  Au 
service  de  l'Empereur!  Destruction  de  tout  ce  qui  vient  d'Eu- 
rope! » 

Que  Tonne  s'y  trompe  pas,  l'ennemi  n'est  ni  le  prêtre  ni  le  chré- 
tien,c'est  l'Occidental  et  celui  qui  l'accueille.  Il  n'est  pas  nécessaire 
de  se  livrer  à  de  longues  recherches  pour  en  fournir  de  nombreux 
exemples  ;  bornons-nous  à  rappeler  le  siège  des  Légations  et  les 
événements,  qui,  la  même  année,  s'accomplirent  au  Yunnan  à 
l'autre  extrémité  de  l'Empire.  Tsen-Ta-Jen,  gouverneur  duYun- 
nan,  en  1883,  répondit  un  jour  à  Li-Hong-Tchang  qui  l'invi- 
tait à  rendre  visite  au  consul  anglais  :  «  Excellence,  si  vous 
voulez  ma  tête,  prenez-la  ;  mais  aller  visiter  un  Européen, 
jamais!  >  Tous  n'ont  pas  la  même  intransigeance  et  trouvent 
que  la  vie  a  du  bon;  mais  beaucoup,  sachant  fort  bien  dissimu- 
ler, pensent,  au  fond,  comme  Tsen-Ta-Jen. 

Le  vice-roi  actuel  du  Se-tchouan  est  un  homme  jeune  encore, 
rigide,  courtois  vis-à-vis  des  Européens,  et  qui  se  montre  poli 
envers  les  missionnaires  ;  il  est,  dit-on,  peu  accessible  aux  con- 
seils, et,  partant,  il  serait  malaisé  d'obtenir  de  lui  ce  qu'il  ne 
croirait  pas  devoir  accorder  spontanément. 

Aux  dernières  nouvelles,  les  chrétiens  dispersés  rentraient 
chez  eux,  mais  c'était  pour  y  mourir  de  dénuement,  et  le  pays 
était  encore  infesté  de  bandits.  M*^"*  Dunand,  peu  de  jours  aupa- 
ravant, s'était  vu  dans  la  nécessité,  pour  se  rendre  aux  établis- 
sements de  la  Mission  situées  à  deux  journées  de  marche  de 
Tcheng-tou-fou,  d'être  escorté  par  une  escouade  de  soldats  bien 
armés.  Il  appartient  à  la  France  de  faire  valoir  les  droits  qu'elle 
tifent  des  traités,  d'appuyer  les  réclamations  légitimes  pour  leur 
permettre  d'aboutir  dans  le  sens  le  plus  préjudiciable  au  main- 
tien du  bon  ordre^  et  d'empêcher,  par  voie  de  conséquence,  des 
gens  paisibles  dont  le  seul  crime  est  d'avoir  l'esprit  ouvert  à  la 
civilisation  occidentale,  de  périr  jusqu'au  dernier  de  misère  et 
de  faim. 

Alexandre  Guasco. 


f 


\ 


LE    PROJET    D'EMPRUNT 

DU   GOUVERNEMENT   GÉNÉRAL 

DB    X^'AFRIQUE    OCCIDENTALE    FAANÇAISE 


Récemment  les  Questions  Diplomatiques  et  Coloniales  ont 
publié  une   série  d'études  sur  VŒuvre  française  en  Afrique 
occidentale^.  Va  réorganisation,  due  aux   décrets    des    l**"  et 
15  octobre  1902,  y  était  examinée  ainsi  que  les  travaux  publics 
destinés  à  constituer  l'outillage  économique  de  ces  vastes  pos- 
sessions qui,  jusqu'ici,  ont  été  bien  mal  partagées  à  cet  égard. 
Mais  tout  cela  coûte  fort  cher  et  notre  collaborateur  se  deman- 
dait,  avec  raison,  à  Taide  de  quelles  ressources  Ton  y  pour- 
voirait.   Le   dernier  courrier  de  Dakar  nous  renseigne  à  cet 
égard.  A  la  date  du  20  décembre  1902,  le  gouverneur  général, 
M.  Roume,  a  pris  deux  arrêtés  importants  :  l'un  relatif  à  un 
emprunt    de  65  millions  qui  devra   être  contracté  «  avec  la 
%«   garantie  expresse  du  gouvernement  de  la  République  fran- 
3   i^aise    »,  par  conséquent  avec  l'autorisation  des   Chambres, 
lautre  rendant  exécutoires  les  budgets  locaux  de  nos  cinq  colo- 
nies ouest-africaines,  lesquelles,  à  titre  de  dépenses  obligatoires  y 
sont    tenues  de  contribuer,  dans  une  proportion  déterminée, 
aux  charges  nouvelles  que  va  assumer  le  gouvernement  général 
de  l'Afrique  Occidentale. 

Examinons  si  cet  emprunt  de  65  millions  se  justifie  dans  ses 
divers  éléments  et  si  la  garantie  de  TEtat  s'impose. 

Nos  colonies  africaines  ne  progresseront  réellement  que  si  le 
séjour  y  devient  moins  dangereux  et  si  les  moyens  de  pénétra- 
tion s'y  perfectionnent.  On  conçoit  donc  fort  bien  que  le  pre- 
mier souci  du  gouverneur  général  ait  été  d'assainir  les  villes  de 
Saint-Louis,  Rufisque  et  Dakar  si  souvent  désolées  par  la  fièvre 
jaune  et  les  autres  maladies  tropicales.  Nous  craignons,  seule- 
ment, que  la  dépense  de  5.450.000  francs,  prévue  à  cet  effet, 
ne  soit  trop  faible.  C'est  le  chapitre  sur  lequel  il  faut  le  moins 
lésiner;  toute  dépense,  utilement  faite  à  cet  égard,  si  élevée 
soit-elle,  est  de  l'argent  gagné  pour  l'avenir  tant  en  économies 
de  précieuses  existences  humaines  qu'en  afflux  de  capitaux 
privés,  dorénavant  plus  certains  que  la  mort  rapide  et  traîtresse 
ne  les  viendra  pas  dévorer. 


1  QueMi.  Dipl'  et  Col.,  1«  nov.  1902,  15  déc.  1902. 

QuBST.  OiPi..  ^  Col.  —  i.  xv.  20 


306  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Le  second  chapitre  de  dépenses  prévues  monte  au  joli  chiffre 
global  —  et  sans  détails  —  de  12.600.000  francs  pour  travaux 
(V aménagement  des  ports.  Voilà  certes  un  intitulé  un  peu 
bref,  surtout  s'il  est  permis  d'émettre  le  soupçon  que  les  ports 
des  trois  villes  —  déjà  nommées  —  Dakar,  Rufisque  et  Saint- 
Louis  seront  seuls  à  en  profiter,  celui  de  la  Côte  d'Ivoire 
figurant  à  part  au  point  de  vue  de  la  dépense.  On  nous  dit 
qu'il  faut  doter  Dakar  d'un  port  de  commerce,  vraiment 
digne  de  ce  nom,  à  côté  du  port  militaire  en  construction; 
mais  pourquoi?  Est-ce  à  cause  de  la  richesse  des  régions  voi- 
sines ?  Nullement.  Le  sol  n'accepte  que  la  culture  des  ara- 
chides et  l'on  sait  que  cellesci'  s'exportent  surtout  par  le  port  de 
Rufisque.  La  vérité  est  que  l'on  veut  faire  de  Dakar  le  grand 
port  de  commerce  du  Sénégal  et  de  Thinterland  soudanais  ; 
c'^est  dans  ce  but  que  le  projet  de  M.  Roume  inscrit  une  somme 
de  500.000  francs  pour  les  études  préliminaires  d'un  chemin  de 
fer  devant  relier  la  voie  de  Kayes  au  Niger  à  la  ligne  de  Dakar 
à  Saint-Louis,  avec  le  concours  vraisemblable,  puisqu'il  découle 
de  conventions  antérieures,  de  la  Compagnie  d'exploitation  de 
ladite  ligne  de  Dakar  à  Saint-Louis.  Du  jour  où  la  nouvelle  voie 
de  pénétration,  que  l'on  va  étudier,  sera  construite,  la  ville  de 
Saint-Louis,  d'accès  déjà  si  pénible  à  cause  de  la  barre  du  fleuve 
Sénégal,  sera  mortellement  atteinte  au  point  de  vue  écono- 
mique; tout  le  transit  avec  Kayes  et  le  Soudan  lui  échappera; 
elle  ne  conservera  que  le  modeste  bénéfice  de  la  gomme  avec 
les  escales  du  cours  inférieur  du  fleuve.  Nous  ne  voyons  pas 
d'utilité  à  dépenser  de  l'argent,  sauf  pour  les  services  et  les 
travaux  d'hygiène,  pour  une  station  aussi  compromise. 

II  faut  renoncer  au  système  des  petits  paquets  que  Ton  donne 
aux  uns  et  aux  autres  pour  leur  faire  plaisir,  mais  qui  ne  ser- 
vent à  rien.  Si  la  France  n'avait  pas  éparpillé  ses  millions  dans 
dix  ou  douze  ports,  elle  aurait  pu  doter  Marseille,  Bordeaux, 
Le  Havre  et  Dunkerque  des  aménagements  qui  leur  manquent 
et  dont  le  défaut  les  met  dans  un  si  grand  état  d'infériorité  à 
l'égard  des  ports  étrangers.  Ne  recommençons  pas  en  Afrique 
la  faute  commise  chez  nous  et  profitons  des  leçons  de  l'expé- 
rience. Nous  espérons  donc  que,  sur  ce  chapitre  B  [Travaujo 
(Vaménagement  des  ports:  42.600.000  fr.),  le  Parlement  se 
livrera  à  des  investigations  minutieuses  pour  écarter  la  partie 
de  la  dépense  qui  ne  serait  pas  absolument  utile  et  productive. 

Notre  époque  a  prononcé  la  faillite  des  fleuves  en  tant  que 
moyens  de  pénétration  efficaces.  Il  est  même  probable  que,  au 
début,  chez  nous,  du  mouvement  d'expansion  coloniale  qui 
remonte   à  vingt-cinq    a,nnées,   on   serait  parti    avec   moins 


LE  PROJET    D'eMPRXJNT   DE  L*APRIQUE   OCCIDEP^'ALE   FRANÇAISE      307 

d  entrain,  on  aurait  hésité  davantage  à  engager  Targent,  le 
sang  et  le  bon  renom  de  notre  pays,  si  l'on  avait  prévu  les  cen- 
taines et  les  centaines  de  millions  qui  devaient  être  nécessaires 
pour  la  pénétration  économique  de  nos  nouvelles  possessions 
lointaines.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  vin  étant  tiré,  il  faut  le  boire, 
mais  au  meilleur  compte  utile  possible.  Cela  nous  amène  à 
rechercher  si  les  cinq  millions,  que  demande  le  gouverneur 
général  pour  Vamélioration  des  fleuves  Sénégal  et  Niger,  consti- 
tuent, ou  non,  une  dépense  pratique. 

Commençons  par  le  Sénégal.  Depuis  un  temps  immémorial, 
la  gomme  descend  le  cours  de  ce  fleuve  pour  être  embarquée 
à  Saint-Louis  à  destination  de  TEurope.  La  conquête  du  Soudan 
1  donné  une  certaine  activité  à  la  batellerie  pour  les  transports 
•J'hommes,  de  vivres  et  de  matériaux  —  les  vapeurs  de  faible 
tonnage  et  à  fond  presque  plat  ne  pouvant  remonter  jusqu'à 
Kaves,  sans  rompre  charge,  que  pendant  quatre  mois  de  Tan- 
L^^e,  à  cause  de  la  baisse  régulière  des  eaux  après  la  fin  des 
pluies  d'hivernage.  Aujourd'hui  l'ère  de  ces  gros  transports  est 
.lo?e  et  il  serait  regrettable  de  dépenser  plusieurs  millions  pour 
tieiliter  au  commerce  local  ses  transactions  avec  le  Soudan, 
ilors  que,  depuis  longtemps,  il  se  contente  de  l'état  de  choses 
actuel,  alors  aussi  qu  onmet  à  l'étude  une  voie  ferrée  qui  reliera 
iirectenaent  Kayes  à  Dakar,  ce  qui  limitera  Tusage  du  fleuve 
àux  besoins  très  restreints  de  ses  rives  habitées  par  les  tribus 
aiaures.  Les  deux  choses  s'excluent  donc  et  le  Parlement  devra 
choisir  entre  elles;  nous  ne  doutons  pas  qu'il  opte  pour  reporter 
sur  la  future  ligne  projetée  la  sollicitude  financière  que  Tunique 
•-»)mmerce  local  de  Saint-Louis  lui  demande  de  répandre  sur  ce 
moven  de  transport  sans  aucun  avenir  que  va  devenir  le  fleuve 
Ntnégal  *.  A  moins  que,  à  peu  de  frais.  Ton  puisse  toute  Tannée 
laire  aller  les  navires  jusqu'au-dessous  de  Bakel,  auquel  cas  il 
serait  plus  simple  et  moins  coûteux  de  faire  descendre  jusque-là 
•?  chemin  de  fer  de  Kayes. 

Pour  le  Niger,  la  situation  difl'ère  quelque  peu,  bien  que  nous 
Lnf  puissions  pas  nous  défendre  de  Timpressicm  que  c'est  un  peu 
/t.  Il  V  a  une  grande  œuvre  économique  à  entreprendre  pour 
itiliser  le  bief  du  Niger  compris  entre  Tombouctouet  Bammako, 
ft  aussi  celui  qui  est  en  amont  de  ce  dernier  point.  Mais,  faute 
It*  voies  ferrées  qui  desservent  actuellement  ces  deux  fractions 
Tune  artère  qui  offrira  plus  tard  des  avantages  incontestables 
iu  commerce    et  à  la  colonisation,  Ton  peut  craindre  que  la 


»  Voir  dans  le  Bulletin  du  Comité  de  i^  Afrique  française,  numéro  de  janvier  1903, 
-,».  15.  les  conclofiions  du  rapport  du  lieutenant  Mazerat  au  gouverneur  du  Sénégal, 
xicfaant  te»  travaux  h  faire  en  vue  d'améliorer  la  navigation  de  ce  fleuve. 


308  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

préoccupation  d'améliorer  une  partie  du  cours  du  Niger  ne  soit 
bien  hâtive.  Qu'on  se  livre  à  des  études  aussi  complètes  que 
possible,  rien  de  mieux;  mais  il  semble  qu'il  soit  préférable 
d'attendre,  pour  réaliser  les  projets  qui  en  découleront,  l'heure 
où  la  locomotive  sifflera  sur  les  rives  du  «  Fleuve  des  Griots  ». 
Le  transport  du  matériel  fluvial  sera  alors  facile  et  rapide, 
tandis  que,  à  l'heure  actuelle,  il  serait  pénible,  sinon  impos- 
sible, et  en  tout  cas,  fort  onéreux. 

Les  remarques,  qui  précèdent  nous  conduisent  toutes  à  celte 
conclusion  que  l'eff'ort  principal  doit  porter  sur  la  mise  en 
œuvre  du  moyen,  moderne  par  excellence,  de  pénétration  des 
pays  neufs,  quand  ils  sont  mal  outillés  en  chemins  qui  mar- 
chent,  suivant  le  mot  de  Pascal,  autrement  dit  en  fleuves  et 
rivières  facilement  navigables  en  toutes  saisons.  Ce  moyen 
moderne  de  pénétration  économique,  c'est  le  chemin  de  fer.  La 
Guinée  a  commencé  le  sien  au  moyen  de  ses  seules  ressources; 
les  dépenses  de  construction,  qui  avaient,  jusqu'ici,  dépassé  de 
beaucoup  les  prévisions  du  capitaine  Salesses,  semblent  ^tre 
entrées  en  pleine  voie  de  décroissance.  Cependant  cette  jeune 
colonie,  naguère  si  florissante,  succomberait  sous  le  fardeau  des 
charges  que,  de  ce  chef,  elle  a  assumées,  si  l'on  ne  venait  pas  à 
son  aide.  D'ici  quelques  mois,  son  emprunt  de  12  millions  aura 
été  absorbé  et  la  voie  ne  sera  pas  livrée  à  l'exploitation  au 
delà  de  Kindia,  à  150  kilomètres  de  Conakry.  A  l'origine,  on 
escomptait  les  plus-values  croissantes  des  recettes  de  la  co- 
lonie ;  mais  depuis  lors,  la  crise  annoncée  par  des  gens  clair- 
voyants a  éclaté.  L'année  1901  accuse  une  diminution  d'un 
tiers  (16  millions  au  lieu  de  24  millions  en  1900)  dans  le  mou- 
vement commercial.  Le  budget  local,  grâce  à  la  progression 
constante  dans  les  rendements  de  l'impôt  de  capitation,  sup- 
porte assez  bien  les  conséquences  de  cette  situation  fâcheuse  ; 
mais  la  prudence  exige  impérieusement  qu'on  n'aille  pas  plus 
loin  en  fait  de  dépenses.  Cependant^  si  l'on  ne  devait  pas  pousser 
plus  loin,  jusqu'au  Niger  même,  la  voie  ferrée  commencée,  l'on 
peut  dire  que  les  12  millions  déjà  empruntés  auraient  élé 
employés  en  pure  perte.  Une  ligne  qui  n'aboutit  nulle  part  est 
un  instrument  coûteux  et  inutile.  Dans  le  projet  d'emprunt  de 
1*5  millions,  qui  va  être  soumis  au  Parlement,  la  continuation 
des  travaux  de  construction  du  chemin  de  fer  de  la  Guinée  est 
comprise  pour  17  millions.  C'est  fort  bien;  mais  jusqu'où  ira- 
t-on  avec  cette  somme?  A  peine  jusqu'à  la  moitié  de  la  distance 
qui  sépare  le  Niger  supérieur  de  la  côte.  Or  nous  ne  pensons 
pas  qu'on  se  fasse  beaucoup  d'illusion  sur  la  nature  et  Timpor- 
tance  du  trafic  que  produira  le  Fouta-Djallon;   ce  n'est  pas 


/ 


LB  PROJET   d'emprunt  DE   L'aFRIQUE  OCCIDENTALE   FRANÇAISE       309 

Texportation  du  bétail  qui  pourra  jamais  suffire  à  faire  vivre 
ce  chemin  de  fer.  Le  commerce  côtier  ira-t-il  s'établir  à  Timbo? 
C'est  douteux  ;  cela  lui  coûterait  fort  cher  sans  rien  lui  rapporter, 
au  contraire,  attendu  que  les  caravanes  lui  vendraient  le 
caontchouc  à  un  prix  aussi  élevé  à  Timbo  qu'à  Conakry,  et 
n  accepteraient  pas  de  payer  les  marchandises  européennes  à  des 
taux  moins  avantageux  que  ceux  actuellement  pratiqués  h  la 
cote.  Est-ce  à  dire,  dans  ces  conditions,  qu'il  faut  abandonner 
l'entreprise?  Non  pas;  mais,  puisqu'on  Ta  commencée,  il  faut 
la  terminer  le  plus  rapidement  possible,  en  lui  affectant  franche- 
ment de  suite  les  35  millions  indispensables  pour  la  conduire  à 
bonne  fin.  Pour  tout  dire,  nous  voudrions  que,  en  dehors  des 
travaux  d'assainissement  qui  s'imposent  absolument,  toutTeffort 
financier  du  gouvernement  général  portât  sur  l'achèvement  du 
chemin  de  fer  de  Conakry  au  Niger;  nous  ne  serons  à  même  de 
mettre  en  valeur  les  immenses  territoires  de  la  boucle  qu'à  ce 
moment-là,  et  il  est  prudent  de  ne  pas  laisser  drainer  nos 
richesses  agricoles  par  l'Angleterre  qui  poursuit,  dans  le  silence, 
sa  ligne  de  Sierra-Leone  vers  les  confins  septentrionaux  du 
Libéria,  au  Sud  de  nos  territoires  soudanais. 

Nous  dirons  peu  de  choses  de  la  somme  de  10  millions,  que 
le  gouverneur  général  propose  d'affecter  au  port  et  aune  partie 
des  travaux  du  chemin  de  fer  de  la  Côte  d'Ivoire.  On  ne  s'est 
encore  arrêté  à  aucun  projet  définitif,  malgré  la  multiplicité  — 
peut-être  à  cause  de  cela  même  —  des  propositions,  purement 
-péeulatives  sur  les  mines  d'or  pour  la  plupart,  qui  sont  sou- 
mises au  pavillon  de  Flore.  Le  pays  est  riche  en  produits 
forestiers  et  s'il  est  relativement  peu  développé,  faute  de  faciles 
communications  à  travers  la  forêt  impénétrable,  c'est  bien  à  lui 
que  peut  s'appliquer  le  mot  fameux  du  colonel  Thys  :  «  En 
«  Europe,  le  chemin  de  fer  est  la  résultante  d'un  mouvement 
«  commercial;  aux  colonies,  il  le  précède  et  le  suscite.  » 

Notons  enfin  que  le  projet  d'emprunt  de  M.  Roume  ne  pré- 
vf^it  aucune  affectation  pour  la  continuation  du  chemin  de  fer  du 
Dahomey;  cela  implique,  sans  doute,  l'intention  de  laisser  la 
?olonie  faire  face,  comme  actuellement,  à  une  partie  de  la 
JApense,  le  reste  étant  assumé  par  la  Compagnie  concessionnaire. 
Nous  en  aurions  fini  avec  les  observations  fort  courtes,  que 
nous  a  suggérées  ce  projet  d'emprunt,  si  ce  projet  ne  compor- 
tait, sous  les  numéros  4  et  S,  deux  articles  dont  Tintitulé 
surprend  au  premier  abord.  Puisque  la  Guinée  avait  con- 
tracté, sur  sa  seule  signature,  un  emprunt  de  12  millions 
de  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations,  ou  de  la  Caisse 
des  retraites  pour  la  vieillesse  —  c'est  presque  tout  un  —  avec 


310  OUBSTIOIfS  DIPLOMATIQUES   ET  GOLONULBd 

remboursement  graduel  et  moyennant  un  intérêt  annuel  de 
•4  fr.  10   %,  croyons-nous;   puisque  le  Sénégal  avait,  de.  son 
côté,  obtenu  une  avance  de  5  millions  dans  des  conditions  à 
peu  près  identiques  — sauf  une  légère  différence  en  moins  dans 
le  taux  de  l'intérêt,  fixé,  pour  lui,  à  3  ÏFr.  80  %  —  on  est  réelle- 
ment fondé  à  se  demander  pourquoi  le  gouverneur  général,  au 
lieu  de  limiter  l'emprunt,  qu'il  projette,  à  50  millions  de  francs, 
ainsi  qu'on  lui  en  avait  récemment,  dans  la  presse,  prêté  l'in- 
tention, le  majore  de  15  millions  afin  de  permettre  à  la  Guinée 
et  au  Sénégal  de  rembourser,  par  anticipation  et  moyennant 
indemnité,  celles  de  nos  Caisses  publiques  que  nous  avons 
nommées?  L'emprunt  de  65  millions  dont  il  s'agit  sera-t-il  fait 
à  3  fr.  20  ou  à  3  fr.  50  %  ?  Peut-être,  si  le  Parlement  —  ce  qui 
n'est  pas  sûr  —  accorde  la  garantie  de  TEtat.   En   ce  cas,  ce 
serait  un  avantage  pour  la  Guinée  et  pour  le  Sénégal,  dont  la 
charge  des  intérêts  annuels  serait  diminuée  proportionnelle- 
ment.   C'est  là,  sans  nul  doute,  le  motif  de  la  majoration  de 
15  millions  î\  laquelle  s'est  décidé  M.  Roume,  lequel  —  il  faut 
l'en  féliciter  hautement  —  désireux  de  voir,  par  lui-même  les 
deux  colonies  (Côte  d'Ivoire  et  Dahomey)  de  son  gouvernement 
qu'il  ne  connaissait  pas,  vient  de  partir  pour  les  visiter,.malgré 
leur  triste  et  proverbiale  insalubrité,  tout  au  moins  sur  le  bord 
des  lagunes. 

Toutefois,  la  question  de  savoir  à  quel  taux  l'emprunt  sera 
émis  reste  entière  ;  sans  la  garantie  de  l'Etat,  ce  taux  sera 
nécessairement  élevé,  5  %  peut-être,  s'il  est  couvert;  avec  la 
signature  de  la  France,  on  peut  espérer  du  3  fr.  20  %  au  maxi- 
mum. En  ce  cas,  puisqu'il  est  indispensable  de  doter  notre 
Afrique  Occidentale  de  l'outillage  qui  lui  manque,  l'on  ne  peut 
que  se  borner  à  souhaiter  que  le  Parlement  rejette  les  chapitres 
de  dépenses  qui  ne  sont  pas  strictement  indispensables  et  en 
reporte  le  montant  intégral  sur  ceux  dont  le  but  direct  est  la 
.mise  en  valeur  de  régions  immenses  si  fermées  encore  à  notre 
action  économique. 

Aspe-Fleurimont, 

Conseiller  du  Commerce  extérieur. 


i 


LE 

CONGRÈS  NATIONAL  DES  TRAVAUX  PUBLICS 


Le  deuxième  Congrès  national  des  travaux  publics  français 
s'est  tenu  à  Paris,  du  9  au  13  février,  dans  l'hôtel  de  la  Société 
des  Ingénieurs  civils  de  France.  Il  comptait  environ  300  parti- 
cipants, parmi  lesquels  figuraient  de  nombreuses  notabilités  de 
Tindustrie  et  du  commerce. 

Les  questions  portées,  à  Tordre  du  jour  du  Congrès,  avaient 
été  réparties  entre  cinq  sections  spéciales  : 

i"  SectioQ  :  Ports  maritimes  et  fluviaux.  Président  :  M.  Reymond; 

2*        —  Voies  navigables.  Président  :  M.  Doniol  ; 

3«       —  Outillage  économique  des  ports  et  voies  navigables.  Prési- 

dent :  M.  Dumont  ; 

4«  Chemins  de  fer  et  tramways.  Président  :  M.  Prévet; 

5*^  Utilisation  industrielle  et  agricole  des  eaux,  alimentation 

des  villes,  travaux  d'assainissement  et  d'hygiène  publi- 
que. Président  :  M.  Garnier. 

Les  étroites  limites  de  ce  compte  rendu  nous  interdisent  de 
mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  toutes  les  très  intéressantes 
discussions  auxquelles  ont  donné  lieu  les  questions  soumises  à 
Texamen  du  Congrès.  Nous  nous  bornerons  à  mentionner,  parmi 
les  vœux  très  nombreux  votés  par  le  Congrès,  les  plus  impor- 
tants et  les  plus  caractéristiques,  en  nous  arrêtant  cependant  un 
peu  plus  longuement  sur  les  questions  qui,   par   leur  portée 
internationale,  rentrent  davantage  dans  le  cadre  de  la  Revue. 
Sur  le  programme  de  la  i""®  section,  comprenant  les  travaux 
à  exécuter  dans  les  grands  ports  français,  un  rapport  très  com - 
plet  de  M.  Jean  Hersent  avait  été  distribué  aux  membres  du 
Congrès.  Après  avoir  étudié  et  discuté  les  projets  des  commis- 
sions parlementaires  des  grands  travaux,  le  rapport  concluait  : 
«    Il  importe   que  les  ports   maritimes  ne  cessent  d'attirer 
«  Tattention  de  notre  gouvernement;  il  faut  qu'ils  prennent 
«  rang'  parmi  Tune  des  plus  puissantes  forces  de  la  nation. 

«  Tous  les  efforts  matériels  et  financiers  doivent  converger  à 
X  l'amélioration  de  quelques-uns  de  nos  grands  ports  indispen- 
«  sables  au  développement  de  notre  commerce  et  de  la  navi- 
«  gatioD. 

«  Si  nos  finances  publiques  ne  permettent  pas  de  remplir  un 
o  programme  réclamé  par  les  circonstances,  que  les  pouvoirs 


3i2  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

«  publics  s'adressent  à  Finitiative  privée  qui  sera  certainement 
«  disposée  à  Taider  de  son  concours. 

«  Des  exemples  nombreux  le  prouvent  suffisamment  par  les 
«  capitaux  français  engagés  à  l'étranger  dans  des  sociétés  con- 
«  cessionnaires  de  travaux  publics.  » 

S'inspirant  de  ces  conclusions,  le  Congrès,  après  avoir  émis 
un  vœu  en  faveur  de  la  création  de  zones  franches  en  nombre 
limité,  dans  des  ports  convenablement  choisis,  a  adopté  un  vœu 
général  sur  les  ports  ainsi  conçu  : 

«  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  les  pouvoirs  publics  avisent 
«  aux  mesures  les  plus  propres  à  hâter  Texécution  des  travaux 
«  déjà  étudiés  et  pour  lesquels  les  concours  financiers  sont 
«  assurés. 

«  Le  Congrès  estime  en  outre  qu'il  y  a  lieu,  pour  les  besoins 
«  de  l'avenir  et  pour  chacun  des  ports  suivants  :  Dunkerque  — 
«  Le  Havre  et  la  Basse-Seine  —  Nantes  et  la  Basse-Loire  —  Bor- 
«  deaux  et  la  Gironde  —  Cette  —  Marseille  et  les  jonctions  au 
«  Rhône,  d'établir  un  programme  d'ensemble  des  travaux  futurs 
«  en  tenant  compte  des  progrès  des  constructions  navales  et  de 
^  la  concurrence  transocéanique,  afin  que  les  plus  grands 
«  paquebots  puissent  entrer  et  transborder  à  toute  heure,  le 
«  long  des  quais,  en  eau  profonde. 

<(  Il  serait  rationnel  que  ce  programme  soit  élaboré  par  des 
«  commissions  mixtes  composées  également  de  représentants 
«  de  l'Administration  et  de  représentants  de  l'activité  commer- 
«  ciale,  industrielle  et  maritime  des  régions. 

«  Le  Congrès  estime  qu'il  ne  lui  appartient  pas  de  fixer  un 
«  ordre  de  priorité  entre  les  différents  ports,  la  solution  dépen- 
«  dant  des  voies  et  moyens  à  créer  pour  chaque  région.  » 

Enfin  des  vœux  spéciaux  ont  été  émis  en  faveur  des  ports  du 
Havre,  de  Nantes,  de  Bordeaux  et  de  Marseille.  Les  travaux 
demandés  pour  le  port  du  Havre  étant  considérables,  le  Congrès 
propose  «  qu'en  vue  de  soulager  les  finances  publiques,  il  soit 
«  fait  appel  à  Tinitiative  privée  pour  la  réalisation  de  ce  pro- 
«  gramme  ». 

Parmi  les  vœux  votés  sur  la  proposition  de  la  2®  section 
(voies  navigables,  rapporteur  M.  Mallet),  et  de  la  3*  section 
(outillage  économique  des  ports,  rapporteur  M.  Marsaux),  signa- 
lons ceux  ou  le  Congrès  recommande  aux  pouvoirs  publics 
et  à  la  commission  sénatoriale  actuellement  saisie  du  projet 
Baudin  les  canaux  du  Nord  et  du  Nord-Est,  la  Loire  navigable, 
le  canal  de  la  Loire  au  Rhône,  le  canal  de  Marseille  au  Rhône, 
le  canal  latéral  au  Rhône,  ainsi  qu'un  vœu  concernant  l'aménage- 
ment des  ports  fluviaux,  dont  nous  citerons  le  passage  suivant  : 


LE   CONGRÈS  NATIONAL  DES  TRAVAUX   PUBLICS  313 

«  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  l'infrastructure  des  ports  soit 
e  exécutée  à  l'aide  des  mêmes  ressources  que  les  voies  navi- 
«  gables  elles-mêmes. 

«  La  superstructure  et  l'outillage  seront  concédés  soit  à  des 
«  particuliers,  soit  à  des  collectivités,  telles  que  des  Chambres 
0  de  commerce  isolées  ou  groupées  ensemble  avec  des  contrats 
<'  extrêmement  souples,  permettant  de  parer  aux  nécessités  du 
«  commerce,  au  fur  et  à  mesure  de  ses  transformations. 

t  Toutefois,  dans  le  cas  d'insuffisance  budgétaire,  le  Congrès 
*  estd'avis  que  l'Etat  pourrait  avoir  recours,  pour  la  construction 
t  comme  pour  l'outillage  et  l'exploitation  des  ports,  à  des  con- 
«  cessionnaires  qui  supporteraient  tout  ou  partie  des  dépenses 
«  de  premier  établissement  et  les  récupéreraient  par  les  pro- 
i  duits  de  l'exploitation.  » 

Des  questions  inscrites  au  programme  de  la  4°  section  (che- 
mins de  fer  et  tramways,  rapporteur  M.  Gallotti),  trois  ont  par- 
ticulièrement attiré  notre  attention  :  les  voies  d'accès  au  Sim- 
ploD,  les  projets  de  M.  le  commandant  Pech  pour  la  défense  des 
intérêts  français  et  notamment  du  port  de  Marseille  contre 
Faclion  du  Saint-Gothard  et  du  Simplon;  les  projets  de  raccor- 
dement des  voies  ferrées  françaises  aux  voies  italiennes  entre 
Marseille  et  la  Haute-Italie. 

La  première  question  a  provoqué  une  ample  et  brillante  dis-, 
cussion  dans  la  section  d'abord,  puis  dans  la  séance  plénière  du 
llfémer.  Le  projet  ditrfe  la  Faucille  (Lons-le-Saunier  Genève), 
en  faveur  duquel  M.  H:  Haguet  avait  présenté  un  court  et 
substantiel  mémoire  annexé  au  rapport  de  M.  Gallotti,  a  été 
vivement  combattu  par  les  représentants  des  Chambres  de 
«ommerce  de  Lyon,  de  TArdèche,  de  Valence,  ainsi  que  par 
M.  Mallet,  de  la  Chambre  de  commerce  de  Paris,  et  par  M.  le 
commandant  Pech,  au  nom  des  intérêts  de  Marseille  et  des  dépar- 
tements de  la  vallée  du  Rhône.  Inquiets  ajuste  titre  des  dom- 
mages dont  ces  intérêts  sont  menacés  par  le  percement  du  Sim- 
plon*, les  Marseillais  et  les  riverains  du  Khône  voient  naturel- 
lement d'un  œil  peu  favorable  les  projets  destinés  à  faciliter  les 
••«immunications  entre  le  reste  de  la  France  et  le  Simplon.  La 
ligne  de  la  Faucille,  étant  la  mieux  appropriée  à  cet  objet,  leur 
f»arait  dangereuse  entre  toutes,  d'autant  plus  que  la  dépense 
relativement  élevée  qu'elle  exigerait  pourrait  retarder  Texécu- 
tion  des  projets  sur  lesquels  ils  comptent  pour  sauvegarder 
^urs  intérêts,  tels  que  le  canal  de  Marseille  au  Rhône  et  le 
canal  latéral  au  Rhône, 

'  Voy.àccsujet  Quest.DipLet  Col.,  15  nov.  1902,  p.  390. 


314  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

C'est  d'une  préoccupation  analogue  que  nous  semble  s'ins- 
pirer l'opposition  faite  par  Lyon  au  chemin  de  fer  de  la  Faucille. 
Bien  que  possédant  déjà  une  voie  d'accès  vers  la  Haute -Italie, 
la  ligne  du  Mont-Cenis,  les  Lyonnais  en  veulent  une  vers  le 
Simplon  et  dans  ce  but  ils  demandent  la  rectification  et  le  dou- 
blement de  la  ligne  Bellegarde-Saint-Gingolf,  concurremment 
avec  l'exécution  du  tronqon  Frasnes-Vallorbe. 

Pour  le  commandant  Pech,  la  ligne  de  la  Faucille  serait 
nuisible  à  l'intérêt  national  parce  qu'elle  attirerait  vers  Gênes 
tout  le  trafic  de  la  région  du  Jura  et  parce  qu'elle  aboutirait  à 
Genève,  en  territoire  étranger.  Pour  mettre  Marseille  en  état 
de  lutter  victorieusement  contre  Gênes,  pour  le  trajet  avec  la 
Suisse,  M.  Pech  propose  une  ligue  de  Lyon  à  Soleure  par 
Bourg,  Pontarlier,  Chaux-de-Fonds;  comme  voie  d'accès  au 
Simplon,  il  est  partisan  de  la  ligne  Saint-Amour-Bellegarde- 
Saint-Gingolf,  complétée  par  la  construction  d'un  tronçon 
direct  de  Chagny  à  Nuits-sous-Ravières,  qui  réduirait  de 
30  kilomètres  le  trajet  de  Paris  vers  la  Suisse  et  l'Italie. 

La  cause  de  la  ligne  de  la  Faucille  a  été  éloquemment 
défendue  par  M.  Prévet,  président  de  la  4'  section,  d'abord 
devant  la  section,  puis  en  séance  plénière.  Nous  ne  reprodui- 
rons pas  ici  tous  les  arguments  qu'il  a  fait  valoir  en  faveur  de 
ce  projet  dont  les  lecteurs  des  Questions  connaissent  les  sérieux 
avantages.  Nous  nous  contenterons  de  puiser  dans  son  intéres- 
sant exposé  quelques  faits  de  nature  à  préciser  l'état  actuel  de 
la  question. 

Nos  lecteurs  savent  que  la  principale  (on  pourrait  même  dire 
la  seule)  objection  qui  soit  faite  au  projet  de  la  Faucille  repose 
sur  la  dépense  élevée  que  nécessiterait  sa  réalisation.  Cette 
dépense  avait  été  évaluée,  d'une  façon  très  approximative,  à 
130  millions  par  la  Compagnie  P.-L.-M.  Or  il  résulte  des  études 
qui  se  poursuivent  en  ce  moment  sur  le  terrain  même  et  au 
Simplon  sous  la  direction  de  M.  l'Ingénieur  en  chef  Barrant, 
études  prescrites  en  novembre  dernier  par  le  ministre  des 
Travaux  publics,  que  le  coût  des  travaux  de  la  ligne  projetée 
de  Lons-le-Saunier  à  Genève  serait  certainement  inférieur  à 
100  millions  et  ne  dépasserait  probablement  pas  la  somme  de 
90  millions. 

D'autre  part,  la  France  est  dès  maintenant  assurée  de  trouver 
en  Suisse  un  concours  financier  important  pour  la  construction 
de  la  ligne  de  la  Faucille.  Le  Président  du  Conseil  d'Etat  du 
canton  de  Genève  vient  en  effet  d'adresser,  en  date  du  4  février, 
au  Conseil  fédéral  une  lettre  par  laquelle  il  le  prie  de  vouloir 
bien  informer  officiellement  le  gouvernement  français  «  que  le 


LE  CONGRÈS  NATIONAL  DES  TRAVAUX  PUBLICS  315 

«  gouvernement  du  canton  de  Genève  est  décidé  à  s'intéresser 
«  d'une  façon  effective,  se  portant  fort  pour  une  participation 
«  de  vingt  millions,  à  l'entreprise  de  la  ligne  d'accès  au  Simplon 
«  par  la  Faucille,  et  se  déclare  prêt  à  étudier  telle  combinaison 
«  financière  propre  à  assurer  ou  à  hâter  l'exécution  d'un  projet 
ft  dont  la  réalisation  est  d'un  intérêt  capital  pour  la  Suisse  tout 
«  entière  ».. 

L'exécution  du  tronçon  de  17  kilomètres  Frasnes-Vallorbe 
devant  coûter  à  la  France  au  minimum  20  millions,  il  s'ensuit 
que  Técart  entre  les  deux  projets  ne  serait  plus  que  de  40  à 
50  millions.  C'est  encore  une  forte  dépense  sans  doute,  mais  à 
ce  prix  la  France  serait  mise  en  possession  d'une  voie  d'accès 
vers  le  Simplon  qui  lui  permettrait  de  lutter  victorieusement 
contre  la  concurrence  du  Gothard. 

Le  Congrès  Ta  bien  compris  et  dans  sa  séance  plénière  du 
H  février,  convaincu  par  la  chaude  et  lumineuse  éloquence  de 
M.  Ch.  Prévet,  il  a  adopté,  à  l'unanimité  moins  12  voix,  le 
vœu    suivant  : 

«  Le  Congrès,  considérant  la  prochaine  ouverture  du  Simplon, 
a  prenant  acte  à  la  fois  des  offres  de  concours  faites  par  le 
«  Conseil  d'Etat  de  la  république  et  canton  de  Genève  et  des 
c<  déclarations  du  Conseil  fédéral  aux  Chambres  de  la  Confédé- 
«  ration  suisse, 

«  Emet  le  vœu  :  que  le  gouvernement  français  prenne  les 
«  mesures  nécessaires  pour  hâter  la  construction  de  la  ligne  de 
«  Lons-le  Saunier  à  Genève,  » 

La  4*  section  était  saisie  par  la  Société  pour  la  défense  du 
Commerce  de  Marseille  de  divers  projets  ayant  pour  but  de 
mettre  les  ports  français  de  la  Méditerranée  en  relations  directes 
avec  Turin  et  la  Haute-Italie.  Après  une  discussion  forcément 
un  peu  sommaire,  vu  l'absence  de  données  techniques  et  finan- 
cières précises,  le  Congrès  a  émis  les  vœux  suivants. 

1*  :  «  Que  la  construction  de  la  ligne  établissant  des  relations 
«  directes  entre  Nice  et  Turin  soit  réalisée  dans  le  plus  bref  délai. 

î*  ;  «  Le  Congrès  considérant  l'intérêt  que  présenterait  l'éta- 
«  blissement  d'une  ligne  de  Sisteron  à  Turin  par  Gap, 
«  Mont- Dauphin  et  Torre  Pellice,  émet  le  vœu  que  les  études  en 
«  soient  poursuivies  avec  la  plus  grande  activité.  » 

La  5"  section  a  eu  principalement  à  étudier  la  question  de  la 
houille  blanche  (utilisation  des  forces  hydro-électriques)  sur 
laquelle  avalent  été  déposés  de  nombreux  documents,  entre 
autres  un  remarquable  mémoire  de  M.  le  comte  d'Agout.  Les 
discussions  ont  porté  surtout  sur  le  régime  légal  qu'il  convient 
d  appliquer  aux  entreprises  hydro-électriques. 


'^ 


316  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  GOLONULES 

Le  Congrès  a  été  unanime  à  reconnaître  la  nécessité  d'une  loi 
sur  les  distributions  d'énergie;  mais  en   ce   qui  concerne  les 
{  cours  d'eau  non  navigables  qui  ne  sont  pas  du  domaine  public, 

[  il  a  émis  le  vœu  «  que  l'industrie  hydraulique  sur  ces  cours 

"t:  «  d'eau  demeure,  comme  actuellement,  libre  de  toute  entrave 

»  «  et  que  des  mesures  législatives  soient  prises  pour  assurer  aux 

y  «  exploitants  des  usines    hydrauliques   d'utilité   publique   le 

[;  «  maximum  de  liberté  compatible  avec  le  bon  fonctionnement 

y"  «  des  entreprises  d'utilité  publique  qu'elles  alimentent  ». 

La  5"  section  a  fait  également  adopter  par  le  Congrès  un  vœu, 
r^  renouvelé  du  Congrès  de   1900,  tendant  à   ce  que  le  projet 

\  d'adduction  des  eaux  françaises  du  lac  Léman  à   Paris  soit 

;  immédiatement  mis  à  Tétude. 

\  Telles  sont  les  principales  questions  que  le  deuxième  Con- 

grès national  des  travaux  publics  a  eu  à  étudier  et  à  résoudre. 
Comme  nos  lecteurs  ont  pu  le  remarquer,  notamment  à  propos 
des  travaux  à  exécuter  dans  les  ports  et  de  la  «  houille  blanche  », 
les  congressistes  se  sont  montrés  nettement  partisans  de  l'ini- 
tiative privée.  Avant  de  se  séparer,  ils  ont  tenu  à  affirmer  de 
nouveau  cette  tendance  par  le  vœu  suivant  : 

VŒU  GÉNÉRAL 

«  Dans  le  but  d'imprimer  une  activité  désirable  et  soutenue  à 
«  l'exécution  des  grands  travaux  reconnus  indispensables,  qui 
«  ne  doivent  pas  souffrir  des  insuffisances  budgétaires, 

«  Le  Congrès  émet  l'avis  que  l'Etat  pourrait,  dans  certains 
«  cas,  concéder  la  construction  et  l'exploitation  de  ports  mari- 
ce  times  et  fluviaux,  ainsi  que  de  canaux,  à  des  villes,  com- 
«  munes,  départements,  chambres  de  commerce  ou  fédérations 
«  de  villes,  communes,  départements,  chambres  de  commerce, 
«  syndicats  ou  corporations. 

«  A  cet  effet,  invite  les  pouvoirs  publics  à  examiner  cette 
«  question,  afin  de  lui  donner  une  solution  pratique.  » 

Tous  ceux  qui,  comme  nous,  pensent  que  l'avenir  de  notre 
pays  est  dans  le  progrès  de  l'initiative  privée  féliciteront  le 
Congrès  national  des  travaux  publics  d'avoir  émis  ce  vœu  qui, 
s'il  se  réalisait,  ouvrirait  la  voie  à  Tœuvre  de  la  décentralisation 
tout  au  moins  sur  le  terrain  économique. 

E.  Peyralbe. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES 


I.  —  EUROPE. 

France.  —  Le  irailé  franco-siamois.  —  Le  ministre  des  Affaires 
étrangères  vient  de  prendre,  à  propos  de  la  convention  franco-sia- 
moise du  7  octobre,  une  importante  décision.  Il  a  avisé  la  commis- 
sion des  affaires  extérieures,  chargée  par  la  Chambre  d'examiner  le 
traité,  que  de  nouvelles  négociations  étaient  engagées,  sur  de  nou- 
velles bases,  avec  le  gouvernement  de  Bangkok.  M.  Eug.  Etienne, 
président  de  la  commission,  a  aussitôt  donné  acte  à  M.  Delcassé  de 
sa  communication  et  Ta  informé  que  la  commission  suspendait,  en 
conséquence,  son  exanïen  Hne  die.  Voici  d'ailleurs  le  texte  de  ces 
deux  lettres  : 

Lettre  de  M.  Delcassé. 

Paris,  24  février. 
Monsieur  le  Président, 

M.  le  ministre  des  Colonies  vient  de  me  communiquer,  en  me  le  recom- 
mandant, un  projet  de  M.  le  gouverneur  général  de  Tlndo-Chine,  projet 
dont  l'exécution  exigerait  des  négociations  préalables  avec  le  gouverne- 
ment siamois. 

J'ai  écrit  à  M.  Doumergue  pour  le  prier  de  vouloir  bien  me  fournir  sur 
ce  projet  certaines  précisions  qui  me  permettront  de  prendre  une  résolu- 
tion. 

Dans  ces  conditions,  je  vous  serai  obligé  de  demander  à  la  commission 
d'attendre,  pour  me  convoquer,  que  je  sois  en  mesure  de  lui  apporter  des 
renseignements  définitifs. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  président,  l'assurance  de  ma  haute  consi- 
dération, 

Delcassé. 

Lettre  de  M.  Eug.  Etienne. 

Pari»,  2i)  février. 
Monsieur  le  Ministre, 

Par  lettre  du  24  courant,  vous  me  faites  Phonneur  de  m'informer  que 
M.  le  ministre  des  Colonies  vient  de  vous  communiquer,  en  vous  le 
recommandant,  un  projet  de  M.  le  gouverneur  général  de  Tlndo-Chine, 
projet  dont  l'exécution  exigerait  des  négociations  préalables  avec  le  gou- 
vernement siamois. 

Vous  ajoutez  que  vous  avez  écrit  à  M.  Doumergue  pour  le  prier  de  vou- 


318  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET  COLONIALES 

loir  bien  voua  fournir  sur  ce  projet  cerUdaes  précisions  qui  tous  permet- 
tront de  prendre  une  résolution. 

Dans  ces  conditions,  vous  me  priez  de  demander  à  la  commission  d'at- 
tendre pour  vous  convoquer  que  vous  soyez  en  mesure  de  lui  apporter  deS 
renseignements  définitifs. 

Je  dois  vous  faire  connaître,  'monsieur  le  ministre,  que  la  commission 
était  prête  à  vous  entendre  sur  le  projet  de  traité  dont  elle  avait  été  saisie, 
et  aussi  à  déposer  ses  conclusions  et  son  rapport  sur  le  bureau  de  la 
Chambre. 

Mais,  déférant  à  votre  désir,  elle  ajourne  ses  travaux  jusqu*au  moment 
où  vous  voudrez  bien  lui  faire  connaître  qu'elle  pourra  utilement  les 
reprendre. 

Agréez,  etc. 

Le  président  de  la  commission  des  affaires 
extérieures  et  coloniales, 
Etienne. 

Nous  ne  pouvons,  naturellement,  que  nous  féliciter  d'un  ajourne- 
ment qui  semble  bien  préparer  le  retrait  définitif  de  cette  déplorable 
convention  du  7  octobre.  Nous  attendons  cependant  d'être  mieux 
fixés  sur  les  intentions  ultérieures  du  ministre  des  Affaires  étran- 
gères pour  apprécier  justement  sa  décision. 

Belgique.  —  Un  nouveau  bassin  fiouiller,  —  On  nous  écrit  de 
Bruxelles  : 

La  question  à  l'ordre  du  jour  en  Belgique  est  en  ce  moment  la 
découverte  et  le  mode  d'exploitation  de  tout  un  nouveau  bassin 
houilier  dans  le  Nord  du  pays. 

Jusqu'à  présent  nous  possédions  deux  grands  bassins  :  celui  de  la 
province  de  Liège  et  celui  de  la  province  de  Hainaut;  nous  en  aurons 
donc  bientôt  un  troisième  :  celui  de  la  province  de  Limbourg. 

Nous  devons  ajouter  cependant  que  l'existence  de  ce  nouveau 
bassin  avait  été  certifiée  en  1877  déjà  par  MM.  Cornet  et  Lambert, 
qui  prétendaient  alors  qu'il  y  avait  une  prolongation  du  bassin 
houilier  hollandais  vers  le  Limbourg  belge;  on  avait  même  procédé, 
à  ce  moment,  à  un  sondage  intéressant  à  Lanaeken;  mais,  malgré 
les  travaux  de  René  Malherbe,  malgré  les  objurgations  de  Van  den 
Burck,  l'État  était  resté  sourd  à  ces  appels. 

Heureusement  quelques  personnalités,  se  fiant  aux  raisonnements 
de  ces  savants,  continuèrent  les  recherches  pour  vérifier  l'existence 
de  ce  gisement  houilier,  et  grâce  à  leur  ténacité  et...  à  leurs  capitaux, 
ils  peuvent  enfin  affirmer  la  découverte  d'un  bassin  présentant  unç 
composition,  une  étendue  et  une  richesse  remarquables. 

Mais  il  ne  suffisait  pas  de  découvrir  les  gisements  miniers,  il  fallait 
encore  trouver  le  moyen  d'exploiter  les  richesses.  Les  nombreuses 
propositions  émises  se  réduisent  en  somme  à  trois  principes  : 


Ri£NSEI6NEMENTS   POLITIQUES  319 

i*  L*idée  collectiviste  :  exploitation  par  TËtat  ; 
^  L^Étal  resterait  propriétaire  des  gisements  et  afifermerait  le  droit 
d'exploitation  ; 

3**  L*£tat  se  réserverait  une  partie  du  nouveau  bassin  houiller  afin 
de  Texploiter  pour  ses  besoins  personnels. 

L'idée  collectiviste  nous  paraît  contraire  à  Tintérét  générai.  En 
effet,  TÊtat  est  mauvais  industriel,  parce  que  l'Etat  c'est  Tadminis- 
IratioD,  et  qui  dit  administration,  dit  bureaucratie  et  hiérarchisme. 
Certes,  comme  le  disait  récemment  V Indépendance  helge^  nos  ingé- 
nieurs des  chemins  de  fer  et  des  ponts  et  chaussées  sont  des  hommes 
capables,  tout  disposés  à  marcher  de  Tavant,  à  appliquer  les  progrès 
el  ^  prendre  à  cœur  les  intérêts  qui  leur  sont  confiés  ;  mais,  englobés 
dans  l'administration,  ils  sont  ligotés,  paralysés,  momifiés;  ils  ne 
peuvent  faire  montre  d'initiative  et  ils  en  arrivent  à  se  soucier  fort 
peu  du  rendement  de  leur  travail. 

«  Ces  messieurs,  nous  en  sommes  convaincus,  ne  pourront  prendre 
«  en  mauvaise  part  ce  raisonnement,  dont  ils  seront,  au  contraire,  les 
•i  premiers  à  reconnaître  la  justesse  et  le  bien  fondé,  et  avec  nous, 
c  ils  diront  que  confier  à  TËtat  rétablissement  des  nombreux  sièges 
.:  d'exploitation  nécessaires  dans  la  Campine,  c'est  s'exposer,  à  coup 
K  sôr,  à  la  lenteur  excessive  des  procédés  administratifs  et  à  Texploi- 
4  talion  la  plus  coûteuse  et  la  plus  onéreuse.  » 

Nos  bâtiments  d'administration  ne  sont-ils  pas  ceux  qui  coûtent  le 
pins  cher  et  demandent  le  plus  de  temps?  N'est-ce  pas  un  scandale 
que  de  voir,  par  exemple,  entamer  la  construction  du  canal  du  Cen- 
tre —  qui  devait  permettre  la  jonction  de  nos  bassins  houillers  du 
Sod-Est  du  pays,  —  en  1878  pour  ne  la  terminer  qu'en  1908...  peut- 
être?  Dépense  de  plusieurs  millions  et  trente  ans  pour  une  œuvre 
atile  dont  le  rapport  eût  été  immédiat.  Est-ce  qu'une  société  privée 
aurait  demandé  un  tel  laps  de  temps  et  autant  de  millions? 

Or,  il  est  incontestable  que  les  travaux  à  établir  dans  le  Limbourg 
sont  des  plus  considérables  et  des  plus  urgents.   Examinons  d'abord 
'a  qaeslion  de  savoir  combien  de  sièges  d'exploitation  seraient  néces- 
saires pour  les  40.000  hectares  d'étendue  que  présente  le  nouveau 
Àassio. 

Les  ^sements  actuellement  exploités  nous  fournissent  les  indica- 
tions suivantes  :  le  bassin  du  Uainaut  pour  une  étendue  de 
G3.534  hectares  comprend  228  sièges  d'exploitation,  celui  de  la  pro- 
vince de  Liège  pour  une  étendue  de  23.882  en  comprend  90  et  le 
petit  bassin  de  la  province  de  Namur  22  pour  4.122,  soit  en  tout 
340  sièges  d'exploitation  dont  265  en  activité  pour  91.538  hectares, 
c'est-à-dîre  un  siège  par  350  hectares  environ.  Si  nous  appliquons 
cette  même  proportion  pour  le  nouveau  bassin,  nous  arrivons  au 
chiffre  de  HO  sièges  pour  exploiter  l'étendue  du  gisement  connue 
letaellement. 


320  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  BT  COLONIALBS 

D'aulre  part,  si  nous  noas  servons  du  même  procédé  comparatif 
pour  établir  le  prix  de  chacun  des.sièges  d'exploitation,  nous  voyons 
que  ce  prix  s'élèvera  à  7  millions  environ  par  siège. 

Il  faudrait  donc,  dans  le  système  collectiviste,  confier  à  TËlat 
exploitant  un  capital  énorme,  tout  en  retardant  pendant  des  années 
et  des  années  Tutilisation  de  notre  nouvelle  richesse  minière. 

La  conclusion,  c'est  qu'au  point  de  vue  économique  de  la  produc- 
tivité, c'est-à-dire  au  painl  de  vue  de  l'intérêt  général,  il  serait  blâ- 
mable de  confier  à  l'État  le  monopole  d'exploitation  de  notre  nou- 
veau bassin  houiller. 

La  seconde  proposition  consiste  à  laisser  l'Ëtat  propriétaire,  mais 
non  exploitant.  L'Ëtat  creuserait  les  puits,  construirait  les  bâtiments, 
mais  devrait  ensuite  remettre  l'exploitation  de  ces  installations,  par 
des  concessions  limitées  à  trente  ans  maximum,  à  Findustrie  privée 
qui  extrairait  le  charbon  à  de  meilleures  conditions  que  ne  le  ferait 
l'État. 

Ce  système  présente,  de  l'avis  d'un  grand  industriel  du  Hainaut, 
les  mêmes  inconvénients  que  l'exploitation  par  l'État  ;  si  TËtat  n'a 
pas  les  capacités  industrielles  d'un  exploitant,  comment  pourrait-il 
posséder  le  moyen  de  faire  intelligemment  et  économiquement  la 
mise  à  fruit.  Le*  prix  de  revient  de  l'installation  serait  grevé  de 
charges  telles  que  le  capital  engagé  ne  pourrait,  dans  bien  des  cas, 
être  que  peu  ou  pas  rémunéré.  Ces  charges  se  répercuteraient  pen> 
dant  toute  l'existence  des  mines  et  celles-ci,  au  lieu  de  devenir  une 
source  de  richesses  et  de  revenus  pour  le  pays,  pourraient  n'être 
qu'une  cause  de  déficit  permanent. 

En  ce  qui  concerne  l'exploitation  par  affermage  à  temps,  —  procédé 
employé  en  Angleterre  et  en  Russie  —  le  même  industriel  déclare 
que  le  fermier,  quelle  que  soit  la  réglementation  à  laquelle  il  est 
soumis,  gaspille  la  concession  qui  lui  est  confiée  :  il  exploite  les 
meilleures  veines;  il  évite,  au  grand  détriment  de  la  propriété,  d'y 
faire  les  travaux  préparatoires  qui  doivent  assurer  la  conlinuité  de 
l'exploitation,  etc.  Dès  que  le  bail  est  fini,  il  abandonne  le  charbon- 
nage, n'y  laissant  que  des  couches  peu  fructueuses  à  exploiter,  des 
travaux  mal  entretenus  et  des  installations  ruinées.  Alors  le  proprié- 
taire ne  pourrait  que  diflicilement  remettre  la  mine  à  bail  et  bien 
souvent  elle  resterait  inactive  pendant  une  longue  période  de 
temps. 

Dans  l'état  de  choses  actuel,  la  troisième  proposition  nous  parai  l 
la  meilleure;  l'État  se  réserverait  une  partie  du  gisement  suffisante 
pour  assurer  les  besoins  en  cas  de  nécessité  et  se  mettrait  de  cette 
façon  à  l'abri  des  trusts  et  des  grèves.  En  tout  cas,  elle  n'annihile- 
rait pas,  comme  les  deux  premières,  les  efforts  de  Tinitlative  privée 
et  ne  remettrait  pas  entre  les  mains  des  administrations  de  l'Etat, 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  321 

mauvais  industriel,  une  entreprise  qui  doit  avoir  une  grande 
iDflnence  s^r  le  développement  de  notre  expansion  industrielle.  Nous 
aurons  d'ailleurs  l'occasion  de  revenir  ultérieurement  sur  cette 
importante  question.  —  Emile  Pels. 

Turquie.  —  La  question  de  Macédoine.  —  Les  ambassadeurs  d'Au- 
triche-Hongrie et  de  Russie,  le  baron  Calice  et  M.  Zinoview,  ont 
présenté,  le  21  février,  à  la  Porte  un  projet  de  réformes  pour  les 
vilayets  de  Monastir,  Salonique  et  Kossovo,  en  l'accompagnant  de 
mémorandums  identiques  de  leurs  gouvernements  respectifs. 

Voici  le  texte  de  ce  document  : 

Les  gouvernements  d'Autriche-IIongrie  et  de  Russie,  animés  du  désir 
sincère  de  voir  écartées  les  causes  de  troubles  qui  se  produisent  depuis 
«jTielque  temps  dans  les  vilayets  de  Salonique,  de  Kossovo  et  de  Monastir, 
sont  persuadés  que  ce  but  ne  saurait  être  atteint  que  par  Tapplication  de 
réformes  tendant  à  améliorer  les  conditions  des  populations  desdits 
Tïlayets. 

Ainsi  qu'il  résulte  des  communications  adressées  récemment  par  la 
Porte  aux  ambassadeurs  résidant  à  Constantinople,  le  gouvernement  otto- 
man a  reconnu  lui-même  la  nécessité  d'aviser  aux  moyens  de  renforcer 
raction  des  lois  et  de  réprimer  les  abus. 

En  prenant  acte  de  ces  bonnes  dispositions,  les  gouvernements  d'Au- 
triche-Hongrie et  de  Russie  ont  cru  cependant  que,  dans  l'intérêt  du  main- 
tien de  la  tranquillité  et  de  Tordre  dans  les  contrées  susmentionnées,  il 
•serait  de  la  plus  haute  importance  de  compléter  les  règlements  nouvelle- 
ment arrêtés,  et  dans  cet  ordre  d'idées,  ils  »ont  tombés  d'accord  sur  la 
uécessité  de  recommander  au  gouvernement  ottoman  l'application  de  cer- 
taiaes  dispositions  qui  peuvent  se  résumer  ainsi  : 

Pour  assurer  le  succès  de  la  mission  conflée  à  l'inspecteur  général, 
celui-ci  sera  maintenu  à  son  poste  pour  une  période  de  plusieurs  années 
céterminée  d'avance,  et  il  ne  sera  pas  révoqué  avant  l'expiration  de  cette 
période  sans  que  les  puissances  soient  préalablement  consultées.  A  ce 
sujet,  il  aura  la  faculté  de  se  servir,  si  le  maintien  de  l'ordre  public  le 
rend  nécessaire,  des  troupes  ottomanes,  sans  avoir  chaque  fois  recours  au 
gouvernement  central. 

Les  valis  seront  tenus  de  se  conformer  strictement  à  ses  instructions. 

Pour  la  réorganisation  de  la  police  et  de  la  gendarmerie,  le  gouverne- 
ment ottoman  se  servira  du  concours  de  spécialistes  étrangers. 

La  gendarmerie  sera  composée  de  chrétiens  et  de  musulmans  dans  une 
proportion  analogue  à  celle  des  populations  des  localités  en  question. 

Les  gardes  champêtres  seront  chrétiens  là  où  la  majorité  de  la  popula- 
tion est  cbrétienne,  vu  les  vexations  et  les  excès  dont  la  population  chré- 
tienne n'a  eu  que  trop  souvent  à  sou£frir  de  la  part  de  certains  malfaiteurs 
amautes  et  vu  que  les  crimes  et  les  délits  commis  par  ces  derniers  restent 
àMûs  la  pinpart  des  cas  impunis.  Le  gouvernement  ottoman  avisera  sans 
retard  aux  moyens  de  mettre  fin  à  cet  état  de  choses. 

QtmÊT.  DiPi.-  »•«'  Col.  —  t.  xv.  21 


322  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

Les  nombreuses  arrestations  opérées  à  la  suite  des  derniers  troubles 
dans  les  trois  vilayets  ayant  excité  les  esprits,  le  gouvernement  otto- 
man, pour  accélérer  le  retour  à  la  situation  normale,  accordera  une  am- 
nistie à  tous  les  accusés  ou  condamnés  pour  faits  politiques,  ainsi  qu'aux 
émigrés. 

Pour  assurer  le  fonctionnement  régulier  des  institutions  locales,  le 
budget  des  revenus  et  dépenses  sera  dressé  dans  chaque  vilayet  et  les  per- 
ceptions provinciales  contrôlées  par  la  Banque  ottomane  seront  destinées 
en  premier  lieu  aux  besoins  de  l'administration  locale. 

Le  paiement  des  services  civil  et  militaire,  y  compris  le  mode  de  per- 
ception des  dîmes,  sera  modifié  et  l'afTermage  en  gros  sera  aboli. 

En  même  temps  le  Messager  du  Oouvemement^  de  Saint-Pétersbourg, 
publiait  le  communiqué  suivant  : 

Observant  sans  relâche  la  vie  politique  des  peuples  de  même  rehgion 
que  la  Russie,  le  gouvernement  impérial  n'a  pas  cessé  d'être  renseigné  à 
temps  par  ses  agents  concernant  le  véritable  état  des  choses  et  d'attirer 
Tattention  la  plus  sérieuse  de  la  Porte  sur  la  nécessité  urgente  d'une 
amélioration  de  la  situation  des  chrétiens  des  vilayets  de  Salonique, 
Kossovo  et  Monastir. 

L'ambassadeur  de  Russie  à  Constantinople,  mandé  à  Yalta  au  mois  d'oc- 
tobre 4902,  a  été  chargé  de  l'élaboration  d'un  projet  concernant  les 
réformes  les  plus  importantes  et  il  a  reçu  en  même  temps  des  instructions 
en  vertu  desquelles  il  a  fait  remarquer  au  Sultan  qu'il  était  absolument 
nécessaire  qu'il  fit  mettre  le  plus,  tôt  possible  ces  réformes  à  exécution, 
afin  de  supprimer  radicalement  les  causes  du  mécontentement  de  ses 
sujets. 

Une  communication  dans  le  même  sens  a  été  remise  aussi  à  Turkhan 
pacha,  ambassadeur  de  Turquie,  qui  a  fait  une  visite  à  l'empereur  de 
Russie  à  Livadia.  Le  gouvernement  turc  s'est  déclaré  prêt  à  suivre  les 
conseils  amicaux  qui  lui  étaient  donnés  ;  mais  l'iradé  relatif  aux  [réformes 
publié  en  novembre  1902  ne  contenait  pas  des  garanties  suffisantes  tou- 
chant l'amélioration  de  la  situation  des  chrétiens  et  n'a  pas  eu,  par  con- 
séquent, pour  effet,  de  calmer  complètement  les  esprits. 

Malgré  les  conseils  donnés  aux  États  des  Balkans,  les  comités  révolu- 
tionnaires, formés  pour  exciter  les  populations  contre  la  Porte,  ont  continué 
leur  agitation.  En  raison  de  cette  situation  extrêmement  inquiétante,  l'em- 
pereur de  Russie  a  chargé  le  ministre  des  Affaires  étrangères  de  se  rendre 
au  commencement  du  mois  de  décembre  à  Belgrade  et  à  Sofia  et  d'y  faire 
en  son  nom  une  communication  ayant  la  teneur  suivante  : 

Les  efforts  do  la  Russie  tendent,  comme  par  le  passé,  à  engager  la  Porte 
à  faire  le  plus  tôt  possible  des  réformes  dans  les  trois  vilayets  européens. 
Il  est  donc  indispensable  que  les  États  slaves  aient  de  leur  côté  recours 
aux  mesures  qu'ils  pourront  prendre  pour  maintenir  la  tranquillité  dans 
les  Balkans  et  s'opposent  aux  projets  révolutionnaires.  Ce  n'est  qu'en  agis- 
sant ainsi  qu'ils  pourront  compter  sur  la  Russie. 

Le  roi  de  Serbie  et  le  prince  de  Bulgarie  se  sont  empressés  d'assurer  au 
comte  Lamsdorf  que  leurs  gouvernements  s'efforceraient  de  réprimer  à 


I 

\ 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES 

lavenir  toute  agitation  et  attendraient  les  résultats  de  l'action  de  la  Russie 
en  faveur  des  chrétiens.  Ces  promesses  ayant  éié  remplies,  le  gouverne** 
ment  impérial  a  exprimé  son  entière  approbation  au  gouvernement  bul- 
gare au  sujet  des  mesures  prises  dans  les  derniers  temps. 

Le  comte  Lamsdorf  s*est  rendu  de  Belgrade  à  Vienne,  où  des  pour- 
parlers spéciaux  ont  eu  lieu  entre  les  deux  ministres  des  Affaires  étraa- 
•z**m>y  conformément  à  Tentente  conclue  en  1897,  Ces  pourparlers  ont 
aiK}uti  à  la  fixation  des  bases  fondamentales  des  réformes  projetées  pour 
L's  trois  vilayets. 

Au  commencement  de  janvier,  le  programme  des  réformes  a  été  commu- 
niqué aux  ambassadeurs  de  Russie  et  d'Autriche-Hongrie,  à  Constaati- 
nople,  qui  ont  été  chargés  d'élaborer  un  projet  plus  détaillé,  après<  a/veir 
examiné  les  conditions  locales. 

Ce  projet  a  été  adopté  par  les  deux  gouvernements  etl  communiqué 
confidentiellement  le  17  février  aux  puissances  signataires  des  traités:  qui 
ODt  été  priées  d'appuyer  la  Russie  et  TAutriche-Hongrie  si  elles  apprau- 
Ttient  le  projet.  La  France,  Tltalie,  TAllemagne  et  l'Angleterre  j  ont 
ôeclaré  qu'elles  étaient  entièrement  disposées  à  agir  dans  ce  sens  et  les 
vnbassadeurs  de  Russie  et  d'Autriche-Hongrie  ont  été  alors  chargés  de 
^•re^enter  le  projet  de  réformes  au  Sultan. 

Le  communiqué  expose  ensuite  d'une  façon  résumée  les  proposi- 
tions relatives  aux  réformes  et  contient  en  outre  les  passages  sui- 
vanls  : 

Les  mesures  qui  pourront  être  développées  largement  dans  l'avenir  sont 
considérées  comme  suffisantes  pour  assurer  une  amélioration  importante 
up   la  situation  des  chrétiens.  En  outre,  on  organisera  dans   quelques- 
r»^ons,  sous  la  direction  des  ambassadeurs,  un  soigneux  contrôle  qm- 
sera  exercé  par  les  consuls  au  sujet  de  l'application  des  réformes. 

En  notifiant  les  résultats  obtenus  aux  représentants  de  la  Russie  dans  la 
(.re»qu*ile  des  Balkans,  le  gouvernement  impérial  a  jugé  nécessaire,  pour 
.'enseigner  le  mieux  possible  les  peuples  slaves,  de  rappelerjde  nouyeau  à 
re>  représentants  les  principes  qui  le  guident  dans  cette  circonstance. 

Les  États  des  Balkans  qui  jouissent  d'une  existence  indépendante,  grâce 
iu\  ssacrifices  de  la  Russie,  peuvent  compter  de  la  far'on  la  plus  certaine 
iur  la  sollicitude  la  plus  constante  du  gouvernement  impérial,  en  ce  qui 
concerne  leurs  besoins  réels,  et  sur  la  puissante  protection  que  la  Russie 
donne  aux  intérêts  moraux  et  matériels  des  chrétiens;  mais  ils  ne  doivent 
]>a>  oublier  que  la  Russie  ne  sacrifierait  pas  une  goutte  du  sang  de  se«) 
ni>,  ni  la  plus  petite  partie  de  l'héritage  du  peuple  russe/jsi  les  États 
•laves,  agissant  contrairement  aux  sages  conseils  qui  leur  ont  été  donnés 
4  temps,  prenaient  la  résolution  d'obtenir  par  des  moyens  violents  et 
révolutionnaires  uue  modification  de  Tordre  de  choses.existant  dans  la 
presqu  île  des  Balkans. 

Oo  s'attendait  généralement  à  ce  que  la  Porte  opposât  à  ce  projet 
de  réforme  sa  force  traditionnelle  d'inertie  et  tous  les] moyens  dila- 
toires gai  lai  sont  accoutumés.  Il  n'en  a  rien  été.  Le  Sultaa  semble 
Bfoir  Foolu,  celte  fois,  faire  preuve  de  prévenance  rare  enrers  l*Ehi<-' 


324  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

rope,  car  il  a  répondu  sans  délai  et  dans  un  sens  satisfaisant  à  Tini- 
tiative  austro-russe.  Le  22  février,  en  effet,  le  lendemain  même  de 
la  communication  du  baron  Calice  et  de  M.  Zinoview,  le  ministre 
ottoman  des  Affaires  étrangères,  Tewfik  pacha,  remit  personnelle- 
ment aux  ambassadeurs  de  Russie  et  d' Autriche-Hongrie  une  note 
identique  déclarant  que  la  Porte  accepte  les  propositions  concernant 
les  réformes  pour  la  Macédoine.  Il  est  dit  dans  la  note  que  ces  pro- 
positions complètent  les  résolutions  que  le  gouvernement  turc  a  déjà 
prises  lui-même  et  a  commencé  d'exécuter. 

La  note  porte  en  outre  que  le  gouvernement  turc  accepte  les  pro- 
positions qui  lui  sont  faites  dans  un  esprit  amical  et  a  déjà  donné 
Tordre  de  les  mettre  à  exécution. 

Cette  apparente  bonne  volonté,  ainsi  spontanément  témoignée 
par  la  Porte,  et  la  préoccupation  manifeste  de  la  Russie  et  de  l'Au- 
triche-Hongrie  de  maintenir  rigoureusement  le  statu  quo  dans  les 
Balkans,  réussiront-elles  à  écarter  définitivement  la  crise  qui  appa- 
raissait imminente,  on  peut  et  on  doit  Tespérer,  bien  que  la  situation 
reste  encore  bien  menaçante.  Les  gouvernements  des  puissances  les 
plus  directement  intéressées  semblent  tous  d'accord  pour  garantir 
énergiquement  la  paix.  Les  déclarations  officielles  et  les  actes  mômes 
des  cabinets  de  Rome,  d'Athènes,  de  Sofia  et  de  Belgrade  ne  peuvent 
laisser  aucun  doute  à  ce  sujet.  Le  gouvernement  bulgare  a  dissous 
les  comités  macédoniens  de  la  principauté  et  fait  arrêter  les  princi- 
paux de  leurs  membres.  Le  gouvernement  grec  a  ordonné  des 
mesures  de  surveillance  très  rigoureuses,  surtout  à  Volo,  pour  empê- 
cher que  les  agitateurs  macédoniens  ne  passent  la  frontière  gréco- 
turque,  et  un  certain  nombre  d'arrestations  ont  même  été  opérées. 
Le  gouvernement  serbe  s'est  montré  non  moins  énergique,  et  à  la 
Chambre  italienne,  M.  Baccelli,  sous-secrétaire  d'État  aux  Affaires 
étrangères,  aussi  bien  que  l'amiral  Morin,  chargé  de  l'intérim  des 
Affaires  étrangères  en  remplacement  de  M.  Prinetti,  se  sont  très 
nettement  prononcés  pour  une  politique  de  paix  et  le  maintien  du 
statu  quo  territorial. 

Néanmoins  on  continue  à  être  très  inquiet  et  les  craintes  d^un 
conflit  armé  restent  toujours  très  vives. 


n.  —  AFRIQUE. 

Algérie.  —  Dans  VExtrême-Sud.  —  Suivant  des  nouvelles  reçues 
d'Aïn-Sefra,  cent  indigènes  de  la  tribu  des  Amour,  se  rendant  à  Beni- 
Abbas,  ont  été  attaqués  le  19  février  par  cent  dissidents  de  la  tribu 
française  des  Doui-Menia,  au  moment  où  ils  procédaient  au  charge- 
ment de  leurs  chameaux  à  Assi-el-Begri. 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  3^5 

Quatre  indigènes  de  la  tribu  des  Amour  furent  tués,  six  autres 
furent  blessés.  Cent  cinquante  chameaux  et  une  partie  des  appmvi- 
sioaneineots  leur  ont  été  enlevés.  Le  poste  de  El-Morra  s'est  mis  à  la 
poursuite  des  pillards. 

La  Iribu  des  Doui-Menia  est  sous  le  protectorat  français  depuis 
l'accord  conclu  à  Oran  en  1870;  elle  est  sujette  française  depuis 
denxaDS. 

D'autre  part,  des  correspondances  duGourara  arrivées  ces  jours-ci 
à  Alger  annoncent  que  les  grandes  caravanes  annuelles  remontent 
vers  le  Nord,  notamment  vers  le  cercle  de  Géryville.  Les  indigènes 
Tenus  an  Gourara  et  au  Touat  s'en  retournent  enchantés  de  la  sécu- 
rité qu'ils  ont  maintenant.  La  facilité  et  la  bienveillance  qu'ils  ont 
partout  rencontrées  les  ont  rendus  très  heureux. 

On  espère,  dans  les  oasis,  que  les  transactions  se  feront  de  plus  en 
plus  nombreuses  et  que  les  bénéfices  réalisés  engageront  les  Hnnyris, 
qui  nous  ont  délaissés  cette  année,  à  revenir  Tan  prochain  faire  leui's 
échanges  et  leurs  achats. 

Lorganisation  définitive  des  territoires  du  Sud  est  attendue  dans 
les  oasis  avec  impatience. 

laroc.  —  La  situation.  —  Les  nouvelles  de  Tanger  sont  toujours 
aussi  abondantes,  mais  malgré  leur  prolixité  elles  ne  nous  apprennen  t 
rien  de  précis. 

La  colonne  commandée  par  El-Menebhi  se  trouve  encore  a  dfx 
beures  de  marche  de  Fez.  Le  14,  cette  colonne,  aidée  de  fractions  de 
la  tribu  des  Hiaïna  soumises  au  Makhzen,  a  attaqué  d'autres  parties 
de  la  même  tribu  favorables  au  prétendant.  A  la  suite  de  ce  combat, 
uQâenvoyéà  Fez  37  têtes  coupées  et  93  prisonniers.  La  colonne 
s  est,  en  outre,  emparée  de  nombreux  troupeaux  de  bétail  et  de  beau- 
coup de  grains.  Les  pertes  subies  par  les  troupes  chérifiennes  dans 
cet  engagement  sont  assez  importantes.  Aucune  rencontre  n'a  encore 
tu  lieu  depuis  le  29  janvier  avec  les  forces  proprement  dites  du 
prétendant.  Celui-ci  était  campé   le  14  dans  le  territoire   des  Sen 


En  somme,  la  situation  actuelle  semble  devoir  se  prolonger  sans 
ùggraver;  car  si  le  Makhzen,  peu  populaire  et  en  butte  k  dos 
embarras  financiers  qui  le  paralysent,  demeure  à  peu  près  impuis- 
^Qt  contre  les  révoltés,  Bou-Hamâra,  bien  que  soutenu  par  les  sym- 
pathies platoniques  de  toutes  les  populations  des  villes  et  des  cam- 
pagnes, ne  peut  compter,  de  son  côté,  que  sur  quelques  tribus  indis- 
âplinées  et  incapables  d'un  effort  prolongé. 

Higéria.  —  Frise  de  Kano,  —  Les  Anglais  se  sont  emparés  de  la 
Tille  de  Kano,  le  3  février,  et  Témir  a  pris  la  fuite. 


QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

Uoe  noie  communiquée  aux  journaux  anglais  donne  les  détails 
suivants  relatifs  à  la  situation  actuelle  des  Anglais  à  Kano. 

Cki{ne  sait  encore  rien  de  précis  en  ce  qui  concerne  les  opéra- 
tions militaires  qui  suivront  immédiatement,  selon  toute  probabi- 
lité, Toccupation  de  Kano.  On  estime  cependant,  dans  les  cercles 
bien  informés,  que  l'occupation  de  Kano  n'implique  nullementla  fin 
des  opérations  actuelles. 

On  n'a  pas  encore  d'informations  relativement  à  l'envoi  par  le 
oolonel  Morland  d'une  colonne  k  la  poursuite  de  l'émir;  mais,  en 
tout  cas,  celui-ci  ayant  un  mois  d'avance  dans  sa  fuite,  il  n'est  pas 
vraisemblable  qu'il  soit  pris.  Il  est  possible  qu'il  songe  à  se  réfugier 
dans  la  sphère  française,  plutôt  que  dans  le  Sokoto,  vers  lequel  il 
sait  sans  doute  que  les  prochains  mouvements  anglais  seront 
dirigés. 

Le  voyage  de  la  commission  anglo-française  pour  la  délimitation 
d-e  la  frontière  continue  par  le  Niger  vers  le  Sokolo.  Les  officiers 
commissaires  des  deux  pays  se  sent  joints  et  devaient  commencer 
leurs  travaux  vers  les  premiers  jours  de  janvier  en  se  dirigeant  vers 
Say. 

Il  n'est  pas  probable  que  les  opérations  de  Kano  aient  retardé  la 
marche  de  la  commission  qui  possède  une  escorte  assez  forte  pour 
ne  pas  craindre  une  attaque. 

Kano  est,  comme  on  sait,  une  des  plus  grandes  villes  de  l'Afrique 
centrale.  Elle  se  trouve  à  peu  près  à  moitié  chemin  entre  le  Niger  el 
le  Tchad.  Elle  a  été  reconnue  à  l'Angleterre  par  le  traité  franco- 
anglais  de  1898.  Les  Anglais  avaient  essayé  de  l'occuper  pacifique- 
ment en  1899  et  en  i900,  mais  n'avaient  pu  y  réussir. 

Ethiopie.  —  Les  progrès  de  Chiflumce  italimne  m  Ethiopie.  —  Le  der- 
nier courrier  de  l'Ethiopie  nous  apporte  la  nouvelle  de  nouveaux 
succès  obtenus,  à  Addis-Ababa,  par  la  diplomatie  italienne. 

On  n'a  pas  oublié  qu'il  y  a  quelque  temps  l'empereur  Menelik 
informait,  par  lettre  autographe,  la  Sublime  Porte  qu'à  l'avenir  la 
protection  des  sujets  éthiopiens  à  Jérusalem  serait  confiée  au  consul 
italien.  L'aboune  Matheos  vient  de  rentrer  à  Addis-Ababa,  après 
avoir  accompli  un  pèlerinage  aux  ruines  du  temple  de  Salomon  et 
le  journal  Djibouti  constate,  à  ce  propos,  que  le  prélat  éthiopien  n'a 
pas  eu  recours  seulement  aux  bons  offices  du  consul  italien  de  Jéru- 
salem, mais  qu'il  s'est  adressé  aussi  à  celui  de  Jaffa;  de  plus,  il  a 
averti  de  son  retour  par  l'intermédiaire  du  consulat  italien  d'Aden. 
On  voit  ce  que  devient  le  protectorat  des  chrétiens  exercé,  naguère, 
par  la  France;  on  voit  aussi  que  Tltalie  utilise  l'article  17  du  traité 
d'Ucciali,  stipulant  que  le  roi  d'Ethiopie  c  a  la  faculté  de  se  servir 
«  des  agents  du  gouvernement  italien  pour  ses  relations  avec  les 


j 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  327 

3  puissances  étrangères  ».  L'Italie  obtient,  d*ailleurs,  des  avantages 
fort  appréciables  sur  d'autre^  terrains;  le  journal  Djibouti  nous 
apprend  que  la  ligne  téléphonique  entre  Addis-Ababa  et  Adis-Alem 
a  élé  installée  sous  la  direction  du  lieutenant  Bardi,  avec  un  matériel 
Yeau  de  Rome,  que  les  employés  de  la  ligne  sont  italiens  et  que  les 
bureaux  italiens  dWddis-Ababa  doivent  être  reliés  à  la  ligne  télégra- 
phique du  Tigré,  qui  vient  de  Massaouah  et  d*Asmara. 

L*inQuence  de  Monlecitorio  est  en  hausse  à  la  cour  de  Menelik, 
aussi  bien  que  celle  du  Foreign  Office;  nos  rivaux  et  nos  concur- 
rents gagnent  tout  le  terrain  que  nous  perdons  1 

IV.  —  AMÉRIQUE. 

Venezuela.  —  La  situation.  —  La  signature  des  protocoles  com- 
portait, comme  conséquence,  la  levée  du  blocus  et  la  reddition  des 
navires  vénézuéliens  capturés.  Ces  deux  conditionsontété  exécutées, 
bien  qu'avec  assez  de  mauvaise  grâce  de  la  part  de  TAUemagne. 

Quoi  qu'il  en  soil,  les  relations  diplomatiques  sont  régulièrement 
rétablies  entre  TAngleterre,  Tltalie,  l'Allemagne  et  le  Venezuela  et 
!a  négociation  des  protocoles  avec  les  puissances  non  intervenantes 
se  poursuit  actuellement. 

11.  Bowen  a  déjà  conféré  avec  les  représentants  de  France,  d'Es- 
pagne et  de  Belgique  et  discuté  les  projets  des  protocoles,  qui 
avant  d'être  signés  devront  être  nécessairement  communiqués  aux 
gouvernements  respectifs  de  ces  puissances. 

En  attendant,  !tf.  Bowen  va  procéder  dès  maintenant,  avec  les 
représentants  des  puissances  coopérantes,  à  l'élaboration  du  second 
groupe  de  protocoles  visant  la  procédure  à  suivre  pour  porter  devant 
la  Cour  de  La  Haye  la  question  du  traitement  privilégié.  M.  Bowen, 
désirant  retourner  le  plus  tôt  possible  à  Caracas,  soumettra  la  con- 
vention à  la  signature  des  puissances  coopérantes.  Les  autres  nations 
n'ont  donc  qu'à  se  presser  si  elles  désirent  un  règlement. 

Un  arrangement  vient  d'intervenir  entre  M.  Lopez  Baralt, 
ministre  des  Affaires  étrangères  du  Venezuela,  et  M.  Quiévreux, 
consul  de  France,  prorogeant  de  six  mois  le  délai  pour  la  ratification 
de  la  convention  commerciale  conclue  entre  la  France  et  le  Venezuela 
en  1902. 

La  ratification  et  la  mise  en  vigueur  de  cette  convention,  qui 
accorde  aux  cafés  vénézuéliens  le  tarif  minimum,  sont  subordonnées  à 
Texéculion  par  le  Venezuela  des  engagements  pris  dans  le  protocole 
da  19  février  1902  pour  le  règlement  des  réclamations  françaises. 
Le  nouveau  délai  permettra  au  Venezuela  de  se  mettre  en  règle,  sur 
ce  point,  avecla  France  comme  avec  les  autrespuissances  réclamantes. 


'm 


RENSEIGNEMENTS    ÉCONOMIQUES 


I.  —  EUROPE. 


Italie.  —  La  marine  marchande  en  1901  *.  —  Nous  empruntons  les 
renseignements  suivants  au  rapport  annuel  du  directeur  général  de 
la  marine  marchande  italienne  : 

Au  31  décembre,1901,  le  nombre  des  navires  inscrits  s'élevait  à 
5.337  voiliers  de  573.207  tonneaux  nets  et  471  vapeurs  représentant 
424.711  tonneaux.  Comparativement  au  31  décembre  1900,  il  y  a  eu 
une  diminution  de  174  voiliers,  mais  une  augmentation  dans  le  ton- 
nage de  7.043  tonneaux.  Los  vapeurs  ont  augmenté  de  25  pour 
47.867  tonneaux  nets.  De  220  nouveaux  voiliers  inscrits  en  1901,  46 
de  86.473  tonneaux  ont  été  achetés  à  l'étranger.  Des  vapeurs,  23 
(42.076  tonneaux  nets)  ont  été  construits  en  Italie,  28  (24.820  tonneaux) 
achetés  à  Tétranger. 

Parmi  les  voiliers,  4.489  jaugeaient  de  1  à  100  tonneaux;  473  de 
101  à 500;  375,  plus  de  500  tonneaux.  Des  471  Tapeurs  inscrits,  67 
étaient  en  bois,  404  en  fer  et  acier  avec  un  tonnage  total  de 
671.398  tonneaux  bruts  et  424.711  nets,  et  la  force  motrice  de 
90.674  chevaux  nominaux  et  405.528  indiqués. 

139  vapeurs  jaugeaient  de  1  à  100  tonneaux  :  84  de  101  à  600;  52 
de  601  à  1.000  ;  88  de  1.001  à  1.600;  48  de  1.601  à  2.000;  60  plus  de 
2.000  tonneaux. 

Le  mouvement  maritime  italien  de  1901  comporte  à  Tentrée 
112.757  navires,  jaugeant  ensemble  32.540.360  tonneaux  et  ayant 
débarqué  12.316.529  tonnes  de  marchandises  :  sur  ces  chiffres,  la 
navigation  internationale  ligure  avec  26.569  navires,  20.101.330  ton- 
neaux et  9.822.739  tonnes  de  marchandises;  celle  d'escale  avec 
1.210  navires  900.228  tonneaux  et  577.237  tonnes  ;  celle  de  cabotage 
avec  71.538  navires,  10.360.614  tonneaux  et  1.916.553  tonnes  de  mar- 
chandises. —  12.118  navires  ont  fait  relâche  (1.162.499  tonneaux). 
La  grande  pèche  a  été  faite  par  1.322  bateaux,  jaugeant 
15.669  tonneaux. 

A  la  sortie,  on  note  112.780  navires,  jaugeant  32.496.105  tonneaux 
et  ayant  embarqué  4.881.115  tonnes  de  marchandises.  La  navigation 
internationale  figure  avec  26.699  navires,  20.173.215  tonneaux, 
2.571.551  tonnes  de  marchandises;  celle  d*escale  avec  1.536 navires, 
1.310.454  tonneaux  et  415.723  tonnes;  celle  de  cabotage  avec 
71.105  navires,  9.834.268  tonneaux  et  1.893.841  tonnes  de  marchan- 
dises. 

1  Bulletin  de  la  Chambre  de  commerce  française  de  Milan  (janvier  1903). 


RENSEIGNEMENTS  ÉG0NOMIq6eS  329 

Portugal.  —  Le  commerce  du  Portugal  avec  ses  colonies,  —  D'après  la 
statistique  officielle,  le  commerce  d'importation  et  exportation  entre 
la  fflélropole  et  le  Mozambique  fut  de  : 

coDios     reis 

1898 1.009.000.000 

1899 1.245.800.000 

1900 1.813.500.000 

1901 1.152.100.000 

Entre  l'Inde  portugaise  et  la  métropole,  les  chiffres  sont  de  : 

1890 123.700.000 

1893 103.000.000 

1898 56.800.000 

1899 30.000.000 

1900 34.500.000 

1901 37.800.000 

Russie.  —  Commerce  avec  la  France.  —  Les  échanges  commerciaux 
entre  la  France  et  la  Russie  ont  atteint  les  chiffres  suivants  : 

1900       1901 

Trafic  général 88.723  88.055 

Exportations  russes  en  France 57.450  61 .203 

Importations  françaises  en  Russie 31 .  273  86 .  852 

Excédent  des  exportations  russes 26.117  34.331 

Ces  chiffres  (qui  sont  exprimés  en  millions  de  roubles)  sont  loin  de 
reoxde  TAllemagne  et  de  TAngleterre. 

L'excédent  des  exportations  russes  sur  les  importations  françaises, 
qui  avait  diminué  en  1900,  a  progressé  de  nouveau  en  1901 . 

Les  exportations  russes  à  destination  de  la  France  comprennent  : 
les  denrées  alimentaires  (presque  exclusivement  des  céréales)  ;  les 
matières  premières  et  demi-ouvrées;  les  animaux,  les  objets 
fabriqués. 

Si  Ton  compare  les  chiffres  de  Timporlation  française  en  Russie  pour 
iesdeux  dernières  années,  on  s'aperçoit  que  la  réduction  porte  princi- 
palement sur  les  caoutchoucs,  gommes  et  résines,  dont  l'importation 
avait  été  exceptionnellement  forte  en  1900.  Les  vins  en  fût  ont  égale- 
ment subi  une  sensible  diminution,  insuffisamment  compensée  par 
Taugmentation  des  vins  en  bouteilles.  Les  eaux-de-vie  ont  peu  varié. 
Légers  progrès  sur  les  laines  et  soieries  ;  notable  recul  sur  la  soie 
grège.  Les  machines  et  les  produits  métallurgiques  sont  plutôt  en 
diminution.  De  même  pour  les  huiles  végétales  et  les  couleurs.  Les 
antres  articles  sont  à  peu  près  stationnaires.  Quant  aux  articles 
divers,  comprenant  surtout  les  conserves  alimentaires,  la  parfu- 
merie, la  quincaillerie,  confectionSi  etc.,  ils  accusent  une  très  modeste 
amélioration. 


330 


QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 


II.   —    ASIE. 

Chine.  —  Le  commerce  maritime  de  Hoiig-kong  m  1901.  —  Le  tonnage 
h  rentrée  et  à  la  sortie  s'est  élevé  à  19.325.384  tonneaux,  soit 
880.250  tonneaux  de  plus  qu'en  1900. 

Il  est  à  remarquer  que  165.128  tonneaux,  compris  dans  celte 
augmentation,  résultent  du  Fait  que  le  tonnage  des  chaloupes  de  mer 
faisant  du  trafic  entre  la  colonie  et  les  ports  voisins  a  été  compris 
dans  le  chiffre  total,  alors  que  les  années  précédentes  il  avait  été 
compté  à  part. 

Le  nombre  des  arrivées  s'élève  à  45.349  navires  déplaçant 
9.681.203  tonneaux  et  celui  des  départs  à  45.171  navires  jaugeant 
9.644.181  tonneaux. 

Le  mouvement  de  la  navigation  anglaise  a  été  le  suivant  en  tonnes  : 

Entrées  Sorties  Total 


Navigation  maritime 

—  fluviale , 


2.917.780     2.897.200     5.814.980 
1.697.242     1.701.417     3.398.6r,9 


4.615.022    4.598.617     9.213.639 


et  celui  de  la  navigation  étrangère  : 


Navigation  maritime. 
—  fluviale . . . 


Entrées 

2.637.552 
48.545 


Sorties 

2.609.902 
49.. •'OS 


Total 

5.247.454 
98.048 


2.686.097     2.659.405     5.345.502 

Les  chaloupes  à  vapeur  qui  font  du  trafic  entre  Hong-kong  et  les 
ports  voisins  donnent  à  l'entrée  82.564  tonneaux  et  à  la  sortie  le 
même  chiffre. 

Voici  le  mouvement  concernant  les  jonques  : 

Entrées  Sorties  Total 


Commerce  extérieur 

—           local.. 

....     1.631.272     1.634.896 
666.248         668.699 

3.266.168 
1.334.947 

2.297.520     2.303.595 

4.601.115 

Il  ressort  de  ces  chiffres  que  le  mouvement  maritime  anglais 
représente  30,1  %  ;  le  mouvement  fluvial  anglais,  17,2  %  ;  le  mouve- 
ment maritime  étranger,  27,5  %  ;  le  mouvement  fluvial  étranger, 
0,5  %  ;  le  mouvement  des  chaloupes  à  vapeur,  0,9  %  ;  le  mouvement 
des  jonques,  pour  le  commerce  extérieur,  16,9  %  ;  et  pour  le  com- 
merce local,  6,9  % . 

Le  nombre  exact  de  navires  de  construction  européenne  (en  excep- 


REPfSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  331 

tant  les  vapeurs  fluviaux  el  les  chaloupes  à  vapeur),  qui  sont  entrés 
dans  le  port  de  Hong-kong  en  1901,  a  été  seulement  de  682  dont 
337  anglais  et  345  étrangers.  On  voit  par  là  que  ces  682  navires  ont 
donoé  3.570  entrées  ;  ils  représentent  un  déplacement  de  5.555.332 
tODoeaux. 

Il  ressort  du  rapport  concernant  le  commerce  maritime  en  1901 
que,  bien  qu'il  y  ait  une  diminution  très  sensible  dans  le  nombre  de 
navires  naviguant  sous  pavillon  anglais  (cette  diminution  est  due  sur- 
tout an  retrait  de  quelques  vapeurs  fluviaux),  il  existe  cependant  une 
augmentation  de  58.441  tonneaux  en  faveur  du  tonnage  anglais. 


m.  —  AMÉRIQUE. 


Saint-Pierre-et-Miqnelon.  —  Le  commerce  général,  —  L'Office  colo- 
nial vient  de  recevoir  les  statistiques  du  commerce  de  Saint-Pierre- 
et-Miquelon  pendant  Tannée  1901.  Nous  extrayons  de  ces  documents 
les  renseignements  qui  suivent  : 

IMPORTATIONS 

1901  1900  Diff.  1901 

De  France 4.368.848  4.292.265  4-    7fi.583 

Colonies  françaises 70.154  89.204  —    19.050 

DeTétranger 5-.390.773  4.944.568  +  440.215 

Totaux 9.829.775  9.326.037  4-503.738 

EXPORTATIONS 

En  France 9.152.295  10.576.405  —  1.424.110 

Aux  Colonies  françaises 1.156.058  1.621.611  —      465.553 

A  l'étranger 1.444  427  1.269.437  +       174.990 

Totaux 11.752.780  13.467.453  —  1.714.673 

RÉCAPITULATION 

Importation. 9.829.775  9.326.037  +      503.738 

Exportation 11.752.780  13.467.453  -   1.714.673 

Totaux 21.582.555  22.793.490  -  1.210.935 

EnFrance 13.521.143  14.868.':60  —1.347.527 

Aux  Colonies  françaises 1.226.212  1.710.815  —      484.603 

A  l'étranger 6.835.2QD  6.214.005  -f      621.195 

Totaux 21.582.555  22.793.490  —  1.210.935 


NOMINATIONS  OFFiaELLES 


MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

L'exquatur  a  été  accordé  à  : 

M.  Julien  Botto,  consul  de  Turquie  à  Nice; 

M.  de  Oertzen,  consul  général  d'Allemagne  au  Havre  ; 

M.  Luis  Villar  j  Peralta,  consul  d^Espagne  à  Perpignan. 

MINISTÈRE  DE  LA  GUERRE 
TroapeH  métropolt laines. 

OBNIE 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  capil.  Jolivet  est  désig.  pour  le  service 
des  construct.  milit.  au  Sénégal. 

SERVICE    DE   SANTK 

Sud-Alg^érien,  —  Les  méd.  aides-maj.  dont  les  noms  suivent  sont  désig.  : 
3  M.  Villa  pour  la  comp.  des  oasis  sahariennes  du  Tidikclt  ;  M.  May  pour  la  comp. 

des  oasis  sahariennes  du  Gourara  ;  M.  Taillade  pour  la  comp.  des  oasis  sahariennes 
du  Touat. 

SERVICE   VÉTÉRINAIRE 

Madagr&BCar.  —  MM.  les  vélér.  en  2*  Durour,  Dorât  et  Dasté  sont  placés  h.  c. 
pour  serv.  à  Madagascar. 

Trovpen  coloniales. 

INFANTERIE 

Afrique  Occidentale.  —  M.  le  Ueut.  Lebégue  est  aiTecté  à  la  4«  comp.  du 
l»»"  sénégalais; 
M.  le  Ueut.  Bock  est  détaché  auprès  du  lient. -gouverneur  du  Sénégal  ; 
M.  le  capit.  Lauqué  est  affecté  an  l***  sénégalais  : 
M.  le  Ueut.  Rémond  est  affecté  à  la  comp.  de  discip.  du  Sénégal; 
M.  le  capil.  Pérignon  est  affecté  au  bataill.  de  tiraill.  sénégalais  de  Zinder. 
Indo-Chine.    —    M.    le    Ueut.    Potet  est  désig.  pour  servir  au  rég.   de  tiraill. 
^  annamites. 

Madagascar.  —  M.  le  Ueut.  Deleltre  est  désig.  pour  servir  à  Madagascar. 

ARTILLER'3 

l  Afrique  Occidentale.  —  Sont  affectés  : 

f  Aux  travaux  militaires  :  M.  le  capit.  en  2«  Periquet; 

^  A  la  sous-direct,  de  Saint-Louis  :  M.  le  Ueut.  Quérillac. 

l  Indo-Chine.  —  Sont  nommés  : 

ï  Sous-directeur  d'artillerie  à  Saigon  :  M.  le  chef  d'escad.  Dupont; 

'  Command.    du   groupe  des    batteries  de    réserve  de  Chine  :  M.   le  chef  d*escad. 

Pitault; 

A  la  3*  batt.  à  Saigon  :  M.  le  capit.  Pocard  du  Gosquer  de  Kerviller  ; 
^,  Command.  la  comp.  du  train  des  équipages  à  Lang-son  :  M.  le  capit.  Morliére; 

A  la  18<:  batt.  à  llalpliong  :  M.  le  capit.  Bourgoin  ; 
,  A  la  12'  batt.  au  cap  Saint-Jacques  :  M.  le  capit,  en  2*  Pol; 

1  Au  détach.  de  la  6»  comp.  d'ouvriers  à  Saigon  :  M.  le  capit,  Midol; 

A  la  5»*  batt.  de  Lao-kay  :  M.  le  lient.  Gamas; 

A  la  7*  batt.  à  Lao-kay  :  M.  le  soui-Ueut.  Landriau. 

CORPS    DU    COMMISSARIAT 

Afrique  Occidentale.  —M.  Boy,  agent  comptable  de  2»  cl.,  est  désig.  pour 
servir  à  l'hôpital  de  Kayes. 

Indo-Chine.  —  M.  Bigault  de  Fouchères,  agent  comptable  de  2*  cl.,  est  désig. 
pour  servir  au  Tonkin. 


i 


NOMINATIONS  OFFIQELLES  333 

8BRVICB  DB  SANTâ 

Afriqne  Oooidentale.  —  M.  le  méd.-maj.  de  2*  cl.  Houillon  est  nommé  adjoint 
du  med.  inspecL  des  services  sanit.  de  l'A.  O.  F. 

M.  le  méd,  aide-maj.  de  !'•  cl.  Fontgrous  est  désig.  pour  servir  en  Afrique 
Occidentale. 

CoogO.  —  M.  le  méd.  aide-maj.  de  i^  cl.  de  Goyon  est  désig.  pour  servir 
b.  c.  au  Congo. 

Onadelonpe.  —  M.  le  méd,  aide-maj.  de  l'*c/.  Théléme  est  désig.  pour  servir 
à  la  Guadeloupe. 

Indo-Chine.  —  >IM.  les  méd,  aides-maj.  de  l'<>  cl.  Arathon,  DeunfT,  Fistié  et 
Andrieux  sont  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine. 

Kadagasoar.  —  MM.  les  méd.  aides-maj,  de  i^*  cl.  Gavasse  et  Masse  sont 
désig.  pour  servir  à  Madagascar. 

MINISTÈRE   DE    LA   MARINE 

ÂTÀT-MAJOR  DE   LA  FLOTTB 

Atlantique.  —  Sont  désig.  pour  embarq.  sur  le  Tage  : 

MM.  les  lieul.  de  vaiss.  de  Pina  et  Jourdain  et  le  mécanic,  ppal  de  2«  cl.  Dupuj. 

Cochinoliine.  —  M.  le  Ueut.  de  voies.  Merveilleux  du  Vignaux  est  nommé  au 
cominand.  du  Bengali; 

M.  le  /l'eu/,  de  vaiss.  Ratjé  est  nommé  au  command.  du  Vauban. 

Madagasoar.  —  M.  le  capif.  de  frégate  Buchard  est  nommé  au  command.  du 
Pouiroyeur  et  de  la  marine  à  Diégo-Suarez. 

i^nnt^iési(^.  pour  embarq.  sur  la  Nièvre  (mission  hydrographique  de  Madagascar)  : 

MM.  le  lieui.  de  vaiss.  Dumoulin,  les  enseig,  de  vaiss.  Sagon,  Vivielle,  Bou- 
îrouz  et  les  aspirants  de  4'*  cl.  Denantes  et  de  Carpentier. 

Mers  d'Orient.  —  M.  le  capit.  de  vaiss.  Poideloue  est  nommé  au  command.  du 
Chdteaurena  u  It. 

Pacifique.  —  M.  le  capit,  de  frégate  Prat  est  désig.  pour  embarq.  comme 
»*fond  sur  le  Protêt. 

Sont  désig.  pour  embarq.  sur  le  Protêt  : 

Eo  qualité  d'adjudant  de  divis.,  M.  le  Ueut.  de  vaiss.  Daveluy;  en  qualité  de 
mecanic.  de  div.,  M.  le  mécanic.  ppal  de  l""»  cl.  Thévenot. 

M.  le  mécanic.  ppal  de  2«  cl.  Duboux  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Protêt. 

Terre-Nenve.  —  Sont  désig.  pour  embarq.  sur  le  Lavoisier  à  Toulon  : 

MM.  le  capit.  de  frégate  Banon  comme  offîc.  en  second;  le^lieut.  de  vaiss.  de 
Marçuerje  comme  adjudant  de  divis.  ;  le  Ueut.  de  vaiss.  de  Crousnilhon  ;  les  enseig. 
de  taiss,  Lacloche,  Gilard  et  Decoux:  le  mécanic.  ppal  de  l*"*  cl.  Pons  comme 
uei-anic.  de  division,  et  le  mécanic.  ppal  de  2^  cl.  Valet. 

CORPS    DU   C03)IMISSA.RIAT 

Gochinchine.  —  M.  le  commiss,  de  3«  cl.  Boubennes  est  désig.  pour  servir  à 
Saison. 

Pacifiqne  —  M.  le  commiss.  de  l"  cl.  Ducorps  est  désig.  pour  embarq.  sur  le 
Protêt  en  qualité  de  commiss.  de  division. 

Terre-Nenve.  —  M.  le  commiss.  de  l»"*  cl.  de  Marquiessac  est  désig.  pour 
embarq.  sur  le  Lavoisier  en  qualité  de  commiss.  de  division. 

SERVICE  DE   SANTÉ 

Crète.  —  M.  le  méd,  de  i'«  cl,  Meslet  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Condor. 

Indo-Ghine.  —  M.  le  méd.  de  2*  cl.  Michel  est  désig.  pour  embarq.  sur  le 
Bengali  (mission  hydrographique  de  l'Indo-Chine). 

Levant.  —  M.  le  méd.  de  {'•  cl.  Ruban  est  dé.sig.  pour  embarq.  sur  le  Vautour 
i  Constantioople. 

Paoifiqae.  —  M.  le  méd.  de  l"  cl.  Michel  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Protêt 
en  qualité  de  méd.  de  division. 

Terre-Nenve.  —  M.  le  méd,  de  !••«  cl,  Gléramt  est  désig.  pour  embarq.  sur  le 
Latoisier.  eu  qualité  de  méd.  de  division. 


334  QUESTIONS   DIPLOMATIQOBS  ET  COLONIALES 

HEVISTÈRE   DES   COLONIES 

Par  décret  en  date  du  19  février  1903,  ont  été  nommés  : 
Président  du  conseil  d*appel  de  Sa'nt-Pierre  et  Miquelon,  M.  Vigne; 
Conseiller  à  la  cour  d'appel  de  l'Inde,  M.  Gàigneron  de  Marolles. 
Par  décret  en  date  du  17  février  1903,  M.   Gamin  (Louis- Adrien)  a  été  nommé 
notaire  à  la  résidence  de  Saint-Denis  (Réunion). 

Par  décret  en  date  du  12  février   1903,  M.  Poulin  (Jean-Adrien-Gaston    a  été 
nommé  administrât,  de  3^^  cl.  des  services  civils  de  l'Indo-Ghine. 
Sont  nommés  dans  le  personnel  des  administrateurs  coloniaux  : 

A  l'emploi  d'administrateur  en  chef  de  2«  classe. 
M.  Estèbe  (Frédéric), 

A  Vemploi  d'administrateur  de  1"  classe. 
MM.  Aubert  ( Franco is-Brunot) ;  Hinault  (Homère-Charles);  Pobéguin  (Charles - 
Henri). 

A  Vemploi  d'administrateur  de  2«  classe, 
MM.  Brousseau  (Georges);  Gerbinis  (Louis-Martial);  Bénévent  (Charles-Marie  ; 
Vienne  (Georges-Emile)  ;  Bobichon  (François-Henri). 

A  Vemploi  d'administrateur  de  3*  classe. 
MM.  Bruel  (Gilbert-Georges)  ;  Fournier  (René-Victor-Edward-Maurice)  ;  Bonnel 
de  Méziéres  (Albert-Louis-Marie-Joseph. 

A  Vemploi  d* administrateur  adjoint  de  i^*  classe. 
MM.  Rouhaud  (Antoine- Jean)  ;  Delafosse  (Ernest-François)  ;  Thomann  (Georges); 
Talva?  (Georges- Eugène)  ;  Pujol  (Auguste- Joseph)  ;  Bastard  (Eugène- Joseph)  ;  Mam- 
baye  Hamadou  (Fara  Biram-Lô)  ;  Bernard   (Antoine- Victor)  ;  de  RolUMontpellier 
(Paul- Auguste)  ;  Micheau  (Jean-Marie)  ;  Lamblin  (Auguste). 

A  Vemploi  d'administrateur  adjoint  de  2*  classe. 
MM.  ChafTaud  (Edouard)  ;  Alglave  (Marcel-Emile)  ;  Bonnassiés  (Gabriel-Lucien)  ; 
Maire     (Jean-Marie)  ;      Demaray     (Eugène)  ;     Leniez    (Pierre-Charles)  ;     Ravon 
(Célestin)  ;  Cochard  (Georges -Joseph)  ;  Tellier  (Théophile- Antoine)  ;  Silvie  (Armand- 
Justin)  ;  Deltel  (Gaston-Alfred)  ;  Cadier  (Edmond-Emilien). 

A  Vemploi  d'administrateur  adjoint  de  3«  classe. 
MM.      Marchand     (Charles-Réray)  ;     Charles     (Victor- Antoine)  ;     Teyssandier 
(Antoine),  adjoints  des  affaires  civiles  de  Madagascar. 


BIBLIOGRAPHIE  —  LIVRES  ET  REVUES 


i 


L'Œuvre     militaire    de    La    Galissonniôre     au     Canada, 

par  Sylvain  Girerd.  i  broch.  in-S»  de  46  p.  Saint-Etienne,  1902. 

C'est  aux  deux  années  pendant  lesquelles  Michel  de  La  Galissonnière 
exerça  les  fonctions  de  gouverneur  général  à  la  Nouvelle-France  que 
M.  Girerd  a  consacré  une  étude  dont  la  brièveté  n'exclut  pas  l'intérêt.  Une 
première  partie,  bien  documentée,  est  consacrée  à  fixer  la  situation  du 
Canada  en  1747  par  rapport  aux  colonies  anglaises  :  limites  incertaines, 
succession  de  coups  de  main  de  la  part  des  Anglais,  insufiBsance  des 
moyens  de  défense  (500  soldats  réguliers  seulement!). 

La  Galissonnière,  chargé  de  l'intérim  du  gouvernement  pendant  la 
captivité  du  marquis  de  la  Jonquière,  que  les  Anglais  avaient  pris,  était 
âgé  de  54  ans  et  n'avait  que  de  médiocres  états  de  services  —  exception 
faite  du  combat  soutenu  par  lui  en  1744  sur  la  frégate  la  Gloire  en  vue  du 
cap  Saint- Vincent.  —  Très  instruit,  il*  ne  passait  pas  pour  un  homme 
d'action.  M.  Girerd  montre  excellemment  comment  il  donna  un  absolu 
démenti  à  sa  réputation.  Aussitôt  débarqué,  il  étudia  le  Canada  et  se- 
convainquit  de  la  nécessité  d'en  faire,  comme  nous  dirions  aujourd'hui, 
une  colonie  de  peuplement  et  non  une  colonie  d'exploitation,  et  il  réclama 


BIBLIOGRAPUIK  —  LIVRES  ET  REVUES  335 

des  colons,  fussent-ils  mendiants  ou  de  mauvaise  vie.  Mais,  vu  les  cir- 
constances, il  dut  se  consacrer  surtout  à  l'œuvre  militaire  :  une  forte 
gatroison  à  Québec,  un  camp  volant  pour  empêcher  les  débarquements  et 
des  brûlots  contre  les  escadres  anglaises,  tel  est  son  programme  de  dé- 
fense; il  le  compléta  par  des  forts  sur  TOhio  ;  il  quitta  le  Canada  en  1749. 

La  France  et  les  autres  nations  latines  en  Afk*ique,  par 

E.  RoUARD  DE  Gard,  i  vol.  in-8*>  br.  de  182  p.  Paris,  Pedone,  1903. 

Le  savant  auteur  de  cet  ouvrage,  professeur  à  la  Faculté  de  Droit  de 
Toulouse,  s'est,  avec  un  rare  bonheur,  appliqué  à  mettre  en  lumière  les 
difficultés  que  nous  ont  suscitées  depuis  vingt  ans,  en  Afrique,  les  nations 
latines  —  Italie,  Portugal,  Espagne  —  dont  il  semble  qu'elles  avaient 
iutérét  à  s'entendre  avec  nous  plutôt  qu'avec  l'Angleterre  et  l'Allemagne. 
Les  Italiens  en  Tunisie,  en  Egypte  et  dans  le  Harrar,  où  ils  se  sont 
entendus  avec  l'Angleterre,  les  Portugais  au  Congo,  au  Dahomey,  à 
Ziguinchor  et  à  Massabi,  les  Espagnols  dans  le  golfe  de  Guinée,  sur  le 
littoral  saharien  ou  dans  les  affaires  marocaines,  ont,  à  diverses 
reprises,  manifesté  à  notre  égard  des  dispositions  peu  amicales. 

M.  Rouard  du  Card  raconte  sommairement  les  faits,  les  apprécie  —  non 
sans  sévérité  parfois  pour  notre  diplomatie  —  et  commente  brièvement  les 
coQventions  intervenues  entre  les  parties.  Le  texte  complet  de  ces  actes 
diplomatiques  et  plusieurs  cartes  ajoutent  encore  à  l'intérêt  de  l'ouvrage. 

L'Epopée  portugaise,  par  AlmadaNegreiros.  In-8«.  Paris,  Challamel, 
La  brochure  de  M.  Almada  Negreiros  est  un  intéressant  précis  d'histoire 
coloniale  :  elle  s'ouvre  par  un  résumé  chronologique  des  découvertes,  con- 
quéios  et  explorations  des  navigateurs  et  explorateurs  portugais,  le  tout 
indiqué  d'une  manière  précise,  mais  un  peu  sommaire.  La  seconde  partie 
intitulée  :  «  Les  colonies  actuelles  du  Portugal  »,  est  un  botf  tableau  géogra- 
phique et  économique  de  cet  empire  encore  immense,  aujourd'hui  divisé 
en  huit  gouvernements  civils  et  militaires,  et  couvrant  2.200.000  kilomètres  ]4 

carrés,  soit  22  fois  la  surface  de  la  mère  patrie.  Plusieurs  cartes  éclairent  M 

cette  partie  de  l'ouvrage  où  abondent  les  statistiques  intéressantes  sur  l'ac- 
tivité économique  des  colonies.  Les  chiffres  justifient  d'ailleurs  l'auteur  de 
louer,  comme  il  fait,  l'énergie  des  Portugais  :  depuis  1890,  en  effet,  le  com- 
merce colonial  a  doublé  pour  la  Guinée,  le  Cap-Vert  et  l'Angola,  il  a  triplé 
pour  San-Thomé  et  le  Mozambique. 

La  Belgiqae  morale  et  politique  (1830-1900),  par  M.  Maurice 
WiLîiOTTE,  avec  une  préface  de  M.  Emile  Faguet,  de  l'Académie  fran- 
çaise. —  Paris,  A.  Colin, 

Sous  une  forme  élégante,  humoristique  parfois,  M.  Wilmotte  trace,  à 
grands  traits,  l'histoire  de  son  pays,  depuis  qu'il  est  devenu  autonome. 
Ce  libéral  intelligent,  après  un  tribut  naturel  payé  au  souvenir  des  anciens 
chefs  de  son  parti,  les  Rogier,  Frère-Orban  et  Bara,  a  mis  convenable- 
ment en  lumière  les  œuvres  du  parti  catholique  et  ses  réformes  démocra- 
tiques. Pourquoi,  après  cette  impartiale  constatation,  M.  Wilmotte 
forme-t-il  le  rêve  de  la  restauration  du  passé  libéral  au  moyen  de  Vavenir 
socialiste?  C* est  ce  qui  ne  s'explique  point,  car  lui-même  ne  manque  pas  de 
railler,  à  maintes  reprises,  les  utopies  collectivistes.  A  lire,  en  entier, 
le  chapitre  consacré  à  l'Etat  Indépendant  du  Congo  et  au  roi  Léopold  IL 
dont  il  trace  un  portrait  fort  curieux  :  roi  constitutionnel,  diplomate 
avisé,  esprit  entreprenant,  à  longue  portée,  et  remarquablement  entendu 
en  affaires. 


336  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

Ouvrages  déposés  au  bureau  de  la  Revue, 

La  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX*  siècle^  publiées 
sous  la  direction  du  P.  Piolet,  avec  la  collaboration  de  toutes  les  sociétés  de  mis- 
sions. —  Illustrations  d'après  des  documents  originaux.  —  Tome  VI  et  dernier. 
Missions  d Amérique.  Les  87»  et  88*  livraisons  viennent  de  paraître.  Paris,  1903, 
librairie  A.  Colin. 

LAlmanach  illustré  du  Marsouin^  annuaire  des  Troupes  Coloniales  pour  i903,  par 
NedNoll.  Uu  vol.  in-8o  de  186  pages,  avec  cartes  et  gravures.  H.  Cbarles-Lavau- 
^elle,  éditeur.  Paris,  1903. 

L'Inde  d" aujourd'hui^  étude  sociale,  par  Albbrt  Métiji.  Un  vol.  in-18  jésus  de 
304  pages.  Armand  Colin,  éditeur.  Paris,  1903. 

Essai  sur  révolution  de  la  civilisation  indienne,  par  le  marquis  di  la  Mazelière. 
Deux  vol.  in-16  avec  gravures.  Plon-Nourrit  et  C*«,  éditeurs,  Paris,  1903. 

Compagnies  et  Sociétés  coloniales  allemandes,  par  Pierre  Dbcharme.  Un  vol.  in-8* 
de  307  pages.  Masson  et  C»«,  éditeurs.  Paris,  1903. 

V Année  coloniale,  publiée  sous  la  direction  de  Cii.  Mourey  et  Louis  Brufcel  (troi- 
sième année).  Un  vol.  in-S**  de  328  pages.  Société  de  l'Annuaire  colonial. 
Paris,  1902. 

Le  commandant  Lamy,  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  campagne 
(1858-1900),  par  le  commandant  Reibell.  Un  vol.  in-8«  de  576  pages  avec  un  por- 
trait et  11  cartes.  Hacbette  et  C^«,  éditeurs.  Paris,  1903. 

LES  REVUES 

I.  —  REVUES  FRANÇAISES 

Armée  et  Marine  (22  févr.).  La  question  macédonienne.  — Sic  :  Mort  du  vicomte 
du  Bourg  de  Bozas.  —  Le  canon  américain  de  16  pouces.  —  Bou>Tellis  :  Les 
insurgés  de  Margueritte.  —  II.  C.  :  Mi.ssion  du  D'Assas.  —  Cab  :  Réforme  du 
recrutement  et  de  Tinstruction  des  officiers  de  marine  en  Angleterre. 

Annales  Coloniales  (15  févr.).  Henri  Jumelle  :  Sur  une  filasse  appelée  «  Ramie 
indigène  »  à  Madagascar.  —  Léon  Paquier  :  Le  Yùn-Nan. 

Bnlletin  du  Comité  de  l'Afrique  française  [févr.).  Les  événements  du  Maroc. 
—  Nos  intérêts  en  Etbiopie.  —  Victor  Démontés  :  La  colonisation  officielle  et  le 
peuplement  français  en  1902.  — La  délimitation  de  Zinder. 

Bulletin  du  Comité  de  I^Asie  française  (févr.).  Le  traité  avec  le  Siam.  — 
Le  budget  des  afTaires  étrangères  à  la  Cbambre  des  députés.  —  Henrv  Bidou  : 
La  question  mandchouriennc.  —  J.  F.:  La  question  monétaire  en  Extrême-Orient. 

La  France  de  demain  (15  féur.).  Arthur  Maillet  :  L'Abyssinie. 

La  Quinzaine  (16  févr.).  Charlks  he  Vitis  :  Le  Venezuela. 

La  Héforme  économique  (13  févr.).  J.  Domergue  :  La  nouvelle  législation 
sucrière  de  l'Autriche-Hongrie.  —  D'Aubry  :  Le  nouveau  tarif  autrichien.  — 
(22  févr.).  J.  Desmëts  :  Les  crises  commerciales  en  France  et  le  mojende  les  pré- 
venir. 

Revne  Bleue  (14  févr.)  Jacques  Bardoux  :  L'opinion  britannique  et  les  projets 
d'alliances  continentales. 

Revue  Coloniale  (sept.-oct.).  M.  Vigoureux  :  La  Nouvelle-Calédonie.  —  Capit. 
Roche  :  Délimitation  entre  le  Congo  français  et  la  Guinée  espagnole. 

RcTue  commerciale  de  Bordeaux  (13  févr.).  P.  Camena  d'Almeida  :  Aperçu 
sur  la  géographie  économique  de  l'Angleterre.  —  Aluert  Poncin  :  La  question 
marocaine.  —  (20  févr.).  Alfred  Imbert  :  La  production  et  la  consommation  du 
liège  en  Algérie. 

Revue  des  Deux  Mondes  (15  févr.).  Comte  Hbnry  de  Castries  :  Le  Maroc 
d'autrefois  :  les  corsaires  de  Salé. 

Revue  Générale  des  sciences  (15  févr.).  Augustin  Bernard  :  Le  commerce  au 
Maroc. 

IL  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 
Revues  belges. 

Le  Mouvement  géoi^rapliique  (22  févr.).  La  jurisprudence  de  l'Etat  Indépen- 
dant du  Congo.  -7-  Le  Nil  entre  le  lac  Albert  et  Dufile. 

^^^ U Adminisfrateur-Oèrant  :  P.  Campain. 

PARIS.  —  IMPRIMERIE  F.   LEVÉ,  Rim  CASSETTE,   17. 


APERÇU    DE    QUELQUES    SOMMAIRES 

Sommaire  dn  n»  186 

•*•  :  Le    traité  franco-siamois.  —  Kenè  Henr j  :   Le  rapprochement  franco-italien.  — = 

Aignste  Terrier  :  La  délimitation  de  Zinder. 
Cartes  et  GraTores  :  L  Carte  du  Siam  —  IL  La  nouvelle  frontière  franco-siamoise.  — 

111.  Afrique  occidentale  française,  3*  territoire  militaire. 

Sommaire  dn  n»  4  37 
Hewi  Pensa  :  L'avenir  de  la  Tunisie.  L'industrie  européenne  et  l'industrie  indiçône   — 
***  :  L»'ceaTre  française  en  Afrique  Occidentale.  —  H^nri  B«ihler  :  Les   coulisses  du 
pangermanisme  autrichien.  —  Uené  Mormx  :  Le  premier  congrès  colonial  allemand. 
Cartes  et  sravores  :  Carte  de  TAlrique  Occidentale. 

Sommaire  do  n»  4  88 

••"  :  Le  livre  jaune  et  les  affaires  de  Siam.  —  K.  Pf yralbe  :  France  et  Simplon.  — 
Paal  Kabbè  :  La  région  du  fleuve  Amour. 

Carifs  et  f[:raTnre8  :  1.  Graphique  comparatif  des  projets  FrasnO'Yallorbe  et  de  la  Fau- 
cille. —  il.  Carte  des  voies  d'accès  au  Simplon. 

Sommaire  du  no  13]l 

Fetre  eniiaêtd  :  A  propos  dos  afTaires  do  Siam   :    Opinions  de  MM.    Godin,  le  Comte 

d'Aon^y,  Bertbelot,  Le  Myre  de  Vilers,  Denys  Cochin,  Flourens,  Senart.  et  du  journal 

Le  Temps.  —  Maurice  Baret  :  Les  villes  do  santé   dans   nos   Colonies.  —  Georges 

B»hler  :  La  lutte  tchèque-allemande. 

Cïartotf  et  gravoren  :  Répartition  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie. 

Sommaire  dn  n**  140 
39tre  enquête  t  A  propos  des  affaires  de  Siam  ;  opinions  do  MM.  François  DelonclOj  le 

haron    d'^stoornelles,  de  Constant,    GerviUe-Réache,    H.    Cordier,   Marcel  Monnier, 

Charles  Lemiro.  —  ***  :  L'œuvre   française   en    Afrique    occidentale.  —  Funi  Labhé  : 

L»  r^iou  da  fleuve  Amour,  la  province  Maritime. 
Cartes  et  gravares  :  I.  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  TAfriquo  occidentale. 

—  IL  La  région  du  fleuve  amour. 

Sommaire  da  ■&<>  141 
âaiat-Geraiain,  sénateur  d'Oran  :  La  question  du  Maroc.  —  Le  Myre  de  Vilers,  ancien 
député  de  la  Cochinchine  :  La  cribO  de  Tardent  en  lndo;Chine.  —  ***  :  Le  conflit 
anglo- germano-vénézuélien.  —  René  Basset,  du  ecteur  de  1  École  supérieure  des  Lettres 
4  Al^er  :  Le  Xlll*  congrès  international  des  orientalistes  à  Iltimbourg. —  René  Piuou: 
Les  missions  catholiques  françaises  au  zix*  siècle.  —  L.  Brunet,  députe  de  lu  Réunion: 
Madagascar.  —  Les  territoires  militaires. 

Cartes  et  gr«vores  :  Carte  du  Maroc.  —  Carte  du  Venezuela. 

Sommaire  dn  n*  149 

'**  :  Notre  expansion  coloniale  et  les  partis  politiques.  —  Reké  Henry  :  La  question  de  la 
llacédoine. —  X.  :  La  queiition  du  Maroc.  —  Notre  Enquête:  A  propos  des  affaires  de 
Sia^i;  opinions  de  M.  G.  Cliasienet,  d'un  collaborateur  d'Extrême-Orient  de  M.  Robert 
le  Caix  [Journal  des  Débats)  ;  protestation  de  l'Association  des  écrivains  militaires, 
Bïaritimea  et  coloniaux.  Président^  M.  H.  Houss^ye. 

Chartes  et  ^ravares  :  I.  Péninsule  des  Balkans  *  indications  orographiqnes.  —  II.  La 
Tarqoie  d'Europe.  —  III    La  Péninsule  des  BalkaMS  d'après  le  traité  de  San-Stefano. 

Sommaire  dn  n  14*1 
Aagaste  Terrier  :  La  délimitation  de  ]'Ëihio|iie.  —  Reué  Henry:  La  C{uestion  de  Macé- 

âuioe.  —  —  Alexandre   Gaasco:   Le   paludisme  et    l'initiative  privée   en    Corse.  — 

J.    DeaAis-Daroays  :    Fédéralisme  et    socialisme  en  Australasie.  —  René  Moreax  : 

Le  traivé  franco-siamois  et  l'opinion  allemande. 
'.'arte4  et  ^Tores:   I.   Frontière  entre   le    Soudan    Anglo-Egyptien    et    l'Ethiopie.   — 

iL  Délimitation  de  l'Afrique  Orientale. 

Sommaire  du  n»  4  44 

£.  Fallet  :  Le  commerce  du  Sahara.  —  Geur^t-s  Bohler  :  La  question  du  Venezuela.  — 
(*«Baalèa  Figaeiras  :  Une  première  occupation  allemande  au  Venezuela  (xvi<>  siècle). — 
Gabriel  Lunia-Jaray  :  La  pres>e  politique  on  Bohème,  Moravie  et  Siiéi-ie. 
Cartes  et  gravures  :  Carte  du  Sahara 

PRIIMES    A    NOS    ABONNÉS 

L'administration  de  la  Revue  se  charge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
les  adiats  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
le  Paris,  pour  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  l'étranger  : 
tadresser  directement  à  Tadministrateur  de  la  Revue,  19,  rue 
BOHAPARTE,  Paris.  Vie. 


iz   a   n   a  a   n  a   a   a 


DENTIFRICES 


ÉLIXIR,  POUDRE  et  PÂTE 


des  RR,  PP. 


BENEOICTINS 


A.  SEGUIN,  Bordeaux 

Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

Espositiozi  U3ii7ôxsell9  Paris  1900 


HODÊLE  du  FLACON 


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café  dans  uo  domi-Torra  d'eau  le  »5ti 

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EN  iO  JOURS  QUINET.  Pharmacien,  l,ltae  BCchel-le-^omU.j 


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7«^«  IMÉE  F  146  '  15  Mars  1908 


i\>  v.OLLrj\ 


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Diplomatiques  et  Coloniales^ 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LE    !•'    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


so:^]vi:.^%jœ^e: 


Casimir  Pralon  '. Les  affaires  macédoniennes 

*** La  question  du  Congo 

J.  Xior. Situation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire 

Maurice  Buret Quatre  plaies  coloniales 

Henri  Hantich La  Bohême  en  deuil 


CHROMIQUE»  OE  I^A.   QUIIVZA.IIVE 


Renseignements  politiques 

Renseignements  économiques 

Nominations  officielles 

Bibliographie  —  Livres  et  Revues. 


CARXES    EX    GnA.\rtJREia 

La  Côte  d'Ivoire 


RÉDACTION  ET  ApMINISTBATION 
19,     RUE     BONAPARTE'-     PARIS,    6« 

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France  et  Colonies,  15  francs;  Etranger  et  Qnion  postale,  20  francs, 

La  Livraison  :    France  :  0,75  ;    Elrafiger  :  1  fr 


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DENTIFRICES 


ÉLIXIR,  POUDRE  et  PATE 

des   KK.   PP. 

BENEDICTINS 


del 


Abbaye  de  SOI7LAC 


A.    SEGUIN,   BORDEAUX 

Membre  du  Jury,  Hors  Conoours 

Exposition  Universells  Paria  1900 


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NOD£LE  du  FLACON 


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^POUDRE  LAXATIVE  II 


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CLiL^iiiH  ^ ^  ^^^j    _  |^„  tMtt^-^in  [-.onr  une  cori'  '!•     M 


Cordial  Hégéaérateur 

Olrmlfl«  l«i  poumons.  rcBuUrlse  ks  bailfuiLTii*  .;..  .r>cjr,  J^^'^e  lo  UaTsIl  do  U  gie«B>^"'^ 


r©T.Lrelent   [i*r  ruSà^e    léeuUef  de  ce    Cuulial,  t'ilrcaco   d 
ffir±iïiii.Bt  r.L  iLroaLJift  au  froal  coniirve  iini>  iMU'^'ir  de  laUle 


r^AlfeV  146"      ' 15  Mabs  1903 

QXJHSTIOISré^f  Ai  1  1  v:- 


Diplomatiques  et 


REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LE    !•'    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


M    ^    >  » 


SOKO^AJEIVES 


'  Page» 

tifmip  Pralon Les  affaires  macédoniennes 337 

"' La  question  du  Congo 346 

I J.  liop Situation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire 354 

I  turice  Buret Quatre  plaies  coloniales 363 

*i  vi  Hanlich La  Bohême  en  deuil 374 

GHROMIQUES  OE  l^A   QUIIVZA.IIVE 

;  E£]]seignements  politiques 376 

ifiHrigaements  économiques 392 

I  ÏDiDinallons  officielles 395 

I  ïiHiographîe  —  Livres  et  Revues 399 

CARXES    EX    GRA.\rUREia 

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Président  du  Comeil  dTadmihiêtrationl: 
M.  Emile  Miacir,   O.  :j^. 

Directeur  général  administrateur  ;  M.  Alexis  RoftTAKB,  0*  iji* 


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Chèques,  Lettres  de  Crédit, Ordres  de  Bourse,  ATances  sur 
Titres,  Cbèaues,  Traites.  Envois  de  fonds  en  Province  et  à 
l'Etranffer,  Garde  de  Titres,  Prêts  h jpotliécaires  maritimes. 
Garantie  contre  lesrisques  de  remboursement  au  pair,  Paie- 
ments de  Coupons,  etc. 


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T.  1 ,  aTenue  de  Villiers  ; 
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Cavaillon,  Cette,  Chagny,  Chalon-sur-Saône,  Chflteaurenard, 
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ville-Trouviile,  Dieppe,  Dijon,  Dunlterque,  Elbeuf,  Epinal, 
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QUESTIONS 

DIPLOMATIQUES  ET  COLONI^LÇS 


'rf>:'i 


LES    AFFAIRES   MACÉDONIENNES 


Les  lecteurs  des  Questions  connaissent  déjà  les  données  du 
problème  macédonien  :  elles  ont  été  clairement  présentées  par 
M.  René  Henry  dans  les  numéros  du  15  janvier  et  du  1®*"  février. 
Nous  nous  proposons  aujourd'hui  plus  particulièrement  d'exa- 
miner quelle  peut  être,  en  cette  affaire,  la  politique  la  plus 
propre  à  sauvegarder  à  la  fois  les  intérêts  des  populations  macé- 
doniennes et  la  paix  de  l'Europe,  et  de  montrer,  à  la  lumière 
des  Livres  jaunes  récemment  publiés  par  notre  ministère  des 
Affaires  étrangères  et  des  événements  survenus  dans  les  der- 
nières semaines,  ce  qui  a  été  fait  dans  la  voie  ainsi  définie. 

Théoriquement,  le  problème  macédonien  comporte  quatre 
solutions  :  séparation  d'avec  la  Turquie  et  annexion  en  bloc  à 
l'un  des  Etats  chrétiens  des  Balkans  ;  —  démembrement  et  rat- 
tachement des  diverses  fractions  aux  Etats  balkaniques  corres- 
pondants; —  autonomie;  —  maintien  sous  la  domination  otto- 
mane, mais  introduction  dans  le  régime  politique  de  réformes 
qui  rendent  cette  domination  supportable  aux  populations 
chrétiennes. 

Solutions  théoriques,  avons-nqus  dit;  car,  pour  quiconque 
est  au  courant  de  la  situation  politique  dans  les  Balkans,  la 
première  apparaît  immédiatement  comme  inacceptable.  Si 
I  Europe,  au  lieu  d'assumer  la  charge  de  faire,  un  peu  malgré 
eux,  le  bonheur  des  peuples  balkaniques,  leur  laissait  les  cou- 
dées franches  et  assistait,  impassible,  aux  luttes  des  nationalités 
adverses,  il  est  probable  que  tôt  ou  tard  l'une  d'elles,  la  natio- 
nalité bulgare,  réussirait  à  imposer  sa  domination  aux  autres 
et  à  gouverner  un  jour  tout  le  Nord  de  la  péninsule,  en  absorbant 
SQCcessivement  la  Macédoine,  la  Thrace,  la  Serbie,  et  même, 
dans  un  avenir  plus  éloigné,  TAlbanie  et  le  Monténégro.  Entre 
tous  le  peuple  bulgare  parait  posséder  la  vitalité  nécessaire 
pour  jouer  dans  les  Balkans  le  rôle  rempli  jadis  en  Allemagne 
par  le  peuple  prussien,  et  agglomérer,  bon  gré  malgré,  en  une 
QtBSt.  DipIm  bt  Col.  —  t.  iy.  —  if«  146.  «-  15  mars  1903.  22 


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338  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

nation  cohérente  et  ordonnée  le  chaos  des  races  et  des  peuples 
qui  s'enchevêtrent,  se  coudoient  pêle-mêle-  et  se  disputent 
parmi  le  dédale  des  montagnes  et  des  vallées,  autour  du  plateau 
de  Mœsie.  Et  avec  la  vitalité,  les  Bulgares  semblent  bien  avoir 
~la  froide^  énergie  dénuée  de  scrupules,  là  persévérance  calcu- 
latrice, Tinstinct  politique  d'organisation  indispensables  à  cette 
rude  tâche  de  constructeurs  de  nations. 

Mais  cette  conquête  de  la  pén^insule  par  les  Bulgares  suppo- 
serait une  succession  effroyable  de  guerres,  auprès  desquelles 
pâliraient  les  campagnes  de  la  Prusse  du  xvii®  au  xix"  siècle 
et  qui  nous  ramèneraient  en  plein  moyen-âge,  aux  pires  jours 
des  luttes  intestines  entre  les  petits  Etats  italiens.  Ce  n^est  que 
par  le  fer  et  parle  feu  que  les  Bulgares  pourraient  assujettir 
des  races  dont  ils  sont  exécrés,  et  c'est  pour  éviter  les  atrocités 
d'une  pareille  conquête  que  l'Europe,  s'interposant,  s'efforce 
de  créer  pacifiquement  dans  les  Balkans  un  état  d'équilibre 
politique  acceptable  pour  tous,  et  partant  durable. 

Devenue  ainsi  l'arbitre  des  destinées  dos  peuples  balka- 
niques, l'Europe  peut-elle  enlever  la  Macédoine  à  la  Turquie 
pour  l'annexer  en  totalité  à  la  Bulgarie?  Evidemment  non.  En 
admettant  même  que  la  Turquie  se  résignât  ou  fût,  sans  trop 
de  peine,  contrainte  à  subir  pareille  amputation,  c'est  en  Macé- 
doine même  que  l'annexion  rencontrerait  d'irréconciliables 
adversaires  :  Serbes,  Grecs,  Albanais,  Turcs,  Koutzo-Valaques  — 
qui,  juxtaposés  aux  Bulgares,  peuplent  les  vilayets  de  Kossovo, 
Monastir,  Salonique  —  refuseraient  d'accepter  la  suprématie 
de  ceux-ci.  Ce  serait,  contre  les  Bulgares,  les  mêmes  révoltes 
que  contre  les  Turcs,  d'où  nécessité  de  répressions,  forcément 
sanglantes  dans  un  pays  où  la  vie  humaine  pèse  peu,  de  la 
part  d  un  peuple  jeune,  fruste,  mal  façonné  à  Texercice  de 
l'autorité.  Ainsi  l'Europe  manquerait  entièrement  son  but  ;  au 
lieu  de  guérir  le  mal,  elle  ne  ferait  que  le  déplacer. 

Si  le  rattachement  en  bloc  de  la  Macédoine  &  la  Bulgarie  est 
inadmissible,  ne  peut-on  pas  concevoir  le  morcellement  de  cette 
province  entre  les  différents  Etats  existants? 

C'est  une  solution  séduisante;  c'est  celle  que,  dès  1878,  les 
Busses  avaient  esquissée  à  San-Stefano  en  rattachant  à  la 
Bulgarie  la  plus  grande  partie  des  vilayets  de  Salonique  et  de 
Monastir  et  une  partie  de  celui  d'Uskub.  L'annulation  par  le 
Congrès  de  Berlin  de  ces  clauses  du  traité  de  San-Stefano  fut 
une  grande  faute,  et  pour  les  chrétiens  de  Macédoine,  un  grand 
malheur.  A  cette  époque,  au  lendemain  de  Plewna,  sous  l'im- 
pression des  défaites  turques,  les  populations  musulmanes 
établies  sur   les   territoires  annexés  à  la  Bulgarie  se  fussent 


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LES  AFFAIRES  lUCÉDONIENNES  339 

aisément  résignées  à  ce  changement  de  Inaitre  ;  Tanimosité 
entre  Serbes  et  Bulgares,  aigufsée  depuis  par  vingt-cinq  années 
de  compétitions  stériles  et  par  les  souvenirs  de  la  campagne 
de  1885,  eût  moins  qu^aujourd'hui  rendu  pénible,  pour  les 
Serbes  des  mêmes  territoires,  la  suprématie  bulgare;  enfin, 
séparés  par  la  Grande  Bulgarie  du  reste  de  la  Turquie,  les 
vilayets  d^\lbanie,  PEpire,  la  Vieille-Serbie,  la  Ghalcidique,  s'en 
fussent  certainement  détachés  peu  à  peu.  En  déchirant  le  traité 
<le  San-Stefano,  le  Congrès  de  Berlin  a  retardé  de  vingt-Cinq 
années  —  et  peut-être  davantage  t—  Fémancipation  des  chré- 
tiens de  Macédoine,  le  règlement  de  la  question  d'Orient.  La 
situation  politique  en  Turquie  d'Europe  est  aujourd'hui  aussi 
compliquée  qu'en  1878;  les  difficultés  d'une  solution  pratique 
se  sont  même  accrues,  parce  qu'au  lieu  d'avoir  affaire  à  une 
Turquie  humiliée,  affaiblie,  PEurope  se  trouve  en  présence 
d'un  Empire  fortifié  par  vingt-cinq  ans  de  résistance,  par  ses 
victoires  de  1897  sur  la  Grèce,  par  l'impunité  des  massacres 
d'Arménie,  et  de  populations  qu'a  exacerbées  et  surexcitées  les 
unes  contre  les  autres  une  longue  période  de  querelles  violentes 
et  souTent  sanglantes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  pour  réparer  l'erreur  ou  la  faute  du  Con- 
grès de  Berlin,  l'Europe  peut-elle  aujourd'hui  reprendre,  en  les 
cMnplétant  et  perfectionnant^  les  clauses  du  traité  de  San- 
Ste&no,  et,  laissant  à  la  Turquie  une  partie  du  vilayet  d'Andri- 
nopie,  donner  à  la  Bulgarie  la  vallée  de  la  Strouma,  à  la  Grèce 
Salonique  et  la  vallée  de  la  Vistritza,  à  la  Serbie  la  Vieille- 
Serbie?  Nous  ner  le  croyonis  pas.  Si,  par  l'incapacité  du  gouver- 
nement ottoman  à  instituer  dans  ses  possessions  un  régime 
acceptable  pour  les  populations  chrétiennes,  l'Europe  se  voit 
obligée  de  démembrer  la  Turquie  d'Europe,  nous  croyons  que 
seule  la  constitution  de  la  Macédoine  en  un  Etat  autonome, 
placé  au  début  sous  le  contrôlé  et  la  tutelle  des  grandes  puis- 
sances, peut  satisfaire  les  intérêts  des  diverses  nationalités 
établies  dans  cette  région  et  assurer  pour  l'avenir  la  paix  dans 
les  Balkans. 

Races,  nationalités,  religions  s'entremêlent  en  Turquie  d'Eu- 
rope d'une  manière  si  confuse  qu'on  ne  sait  comment  s'y 
reconnaître  :  on  dirait  d'une  ruche  sur  laquelle  se  seraient 
abattus  cinq  ou  six  essaims  ennemis,  et  dont  chaque  alvéole 
serrirait  de  champ    clos   aux  combats   des   abeilles  rivales. 

La  répartition  que  nous  avons  indiquée  plus  haut,  la  plus 
généralement  acceptée,  la  seule  géographiquement  possible, 
n'englobe  qa'une  fraction  de  la  Turquie  d'Europe  :  encore  s'en 
faut-Il  de  beaucoup  qu'elle  puisse  s'efTectuer  sans  contestations. 


340  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

Dans  le  vilâyet  d'Andrinople,  les  Bulgares  du  Rhodope  pour- 
raient être  rattachés  à  la  Bulgarie;  les  Grecs  de  la  côte,  qui 
actuellement  ne  souffrent  pas  trop  sous  lautorité  ottomane, 
continueraient  sans  doute  à  s'en  accommoder.  Mais  comment 
les  Grecs  de  Sérès  prendraient-ils  leur  annexion  à  la  Bulgarie  ; 
que  diraient  les  Bulgares,  les  Serbes,  les  Koutzo-Valaques  de 
Salonique  et  de  Serfidjé  de  leur  rattachement  à  la  Grèce  ;  les 
Albanais  de  Prizrend,.de  leur  rattachement  à  la  Serbie? 

Admettons  cependant  que  ces  populations  acceptent  le  nou- 
vel ordre  de  choses  et  sourient  à  leurs  nouveaux  maîtres.  Il 
resterait  encore  à  régler  le  sort  d'une  grande  partie  des  vilayets 
de  Kossovo  et  de  Monastir.  Ici  vraiment  on  n'aperçoit  pas  de 
solution  satisfaisante  :  à  qui  donner  Uskub  et  Monastir,  où 
Serbes,  Bulgares,  Koutzo-Valaques,à  peu  près  égaux  en  nombre 
et  animés  d'une  égale  aversion  les  uns  contre  les  autres,  refu- 
seront sans  aucun  doute  d'accepter  paisiblement  la  suprématie 
d'une  nationalité  sur  les  deux  voisines?  A  quelque  parti  qu'on 
se  range,  ne  sera-t-on  pas  obligé  de  favoriser  une  race  au  dé- 
triment des  autres,  et  par  suite  de  recourir  à  la  force  pour 
imposer  aux  sacrifiés  le  statut  adopté? 

Partager  la  Macédoine  en  fractions  qui,  suivant  leur  situation 
géographique,  seront  rattachées  à  tel  ou  tel  Etat  chrétien  des 
Balkans,  ce  n'est  pas  résoudre  le  problème  macédonien,  c'est 
seulement  le  déplacer;  ce  n'est  pas  instituer  dans  la  péninsule 
un  état  d'équilibre  durable,  c'est  au  contraire  multiplier  les 
causes  de  discorde.  Sans  doute  Grecs  annexés  à  la  Bulgarie, 
Bulgares  annexés  à  la  Serbie,  et  ainsi  de  suite,  souffriraient 
moins  que  sous  le  régime  turc  actuel;  leur  vie,  leurs  propriétés 
seraient  respectées  ;  n'ayant  plus  à  redouter  massacres  et  pil- 
lages, sous  la  domination  d'une  nationalité  chrétienne,  ils  res- 
pireraient tout  d'abord  à  Taise.  Mais  ils  ne  tarderaient  pas  à 
s'apercevoir  de  la  nullité  de  leur  action  politique  :  encore 
inexpérimentés,  méfiants,  jaloux  de  leur  autorité,  les  peuples 
balkaniques  auraient  forcément  la  main  lourde  pour  les  races 
subordonnées  :  celles-ci  se  plaindraient,  et  leurs  clameurs 
iraient  éveiller  un  écho  au  cœur  des  Etats  voisins  de  même 
race.  Les  Grecs  de  Bulgarie  se  tourneraient  vers  la  Grèce  ;  les 
Serbes,  les  Bulgares  de  Grèce  en  appelleraient  respectivement 
à  leurs  frères  de  Serbie,  de  Bulgarie.  Et  ainsi  toute  là  péninsule 
retentirait  de  récriminations  qui,  à  la  première  occasion,  dégé- 
néreraient en  cris  de  guerre.  En  partageant  la  Macédoine  entre 
la  Bulgarie,  la  Serbie,  la  Grèce,  on  améliorerait  peut-être 
momentanément  la  situation  des  populations  chrétiennes, 
mais  on  .préparerait  sûrement  pour  l'avenir  de  graves  conflits 


|-v  nr-jrv-.--  -  ---  - 


LES  AFFAIRES  MACÉDONIENNES  341 

OÙ  tous  les  Etats  de  la  péninsule  seraient  engagés  et  qui,  bien 
probablement,  ne  se  résoudraient  que  par  les  armes,  en  sorte 
que,  pour  sauver  quelques  centaines  de  raïas,  on  s^exposerait 
i  provoquer  quelque  jour  une  explosion  générale  où  périraient 
des  milliers  d'hommes. 

Nous  indiquerons  tout  à  l'heure  pourquoi  l'Europe ,  tout  en 
imposant  au  Sultan  les  réformes  qu'exige  la  situation  misérable 
des  populations  chrétiennes,  doit  s'efforcer  de  maintenir  en 
Turquie  d'Europe  le  statu  quo  territorial;  mais  dès  maintenant 
nous  n'hésitons  pas  à  affirmer  que  si,  par  l'obstination  du  gou- 
vernement ottoman  à  persister  dans  ses  procédés  barbares  de 
domination,  l'Europe  se  voit  contrainte  à  lui  arracher  ses  pro- 
vinces chrétiennes,  la  constitution  avec  ces  provinces  d'un  nou- 
vel Etat  autonome  pourra  seule  donner  satisfaction  à  tous  les 
intérêts  et  assurer  dans  les  Balkans  un  état  d'équilibre  durable 

Puisque  le  mélange  des  races  en  Macédoine  est  tel  qu'on  ne 
peut  concevoir  aucun  fractionnement  territorial  logique,  puisque 
le  rattachement  de  telle  ou  telle  division  à  l'un  des  Etats  exis- 
tants amènerait  forcément  l'oppression,  par  la  race  dominante, 
d  une  partie  des  populations  annexées,  il  faudrait  renoncer  à 
débrouiller  cette  confusion  inextricable  et  se  résoudre  à  en 
tirer  parti,  telle  quelle.  Bien  plus,  il  faudrait  travailler  à  Tac- 
croître,  à  la  rendre  plus  intime  encore,  si  intime  que  la  con- 
fusion se  mue  en  fusion. 

Au    lieu  d'entretenir  l'antagonisme   par  la  séparation  des 
races  et  des  religions,  au  lieu  de  continuer  à  opposer  le  Serbe 
au  Bulgare,  le  Bulgare  au  Grec,  le  chrétien  au  musulman,  ame- 
ner progressivement  toutes  ces  populations  à  vivre  en  bonne 
harmonie  ;  en  leur  donnant  des  droits  égaux,  faire  naître  et 
grandir  en  elles  la  conscience  d'une  valeur  égale;  en  leur  créant 
des  intérêts  communs  les  amener  à  se  sentir  solidaires  les 
unes  des  autres,  telle  devrait  être  la  l&che  de  l'Europe.  Certes 
nous  ne  la  tenons  pas  pour  aisée  :  substituer  Tordre  à  l'anar- 
chie, la  fraternité  à  la  haine,  n'est  chose  ni  facile  ni  rapide. 
Tutrice  du  jeune  Etat  qu'elle  aurait  créé,  l'Europe  aurait  à  le 
tenir  en  lisières  pendant  de  longues  années;  pour  guider  ses 
premiers   pas,  elle   devrait  non   seulement  lui  imposer  une 
forme  de  gouvernement  déterminée,  mais  même  mettre  à  sa 
téte^des  hommes  de  son  choix.  C'est  seulement  lorsque,  avec  le 
temps,  les  inimitiés  de  races  et  de  religions  se  seraient  apai- 
sées, que  la  Macédoine  autonome  pourrait  progressivement  être 
admise  à  la  liberté  politique,  puis,  émancipée  du  contrôle  de 
I  Europe,  se  gouverner  elle-même. 
On  verrait  alors  cette  Macédoine  autonome  devenir  le  lien 


342  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONULES 

commun  entre  les  différents  Etats  balkaniques.  Possédant  dans 
son  sein  des  représentants  de  toutes  les  races  et  de  toutes  les 
religions,  n'étant  par  suite  suspecte  à  aucune,  mais  sympa- 
thique à  toutes,  elle  servirait  d'intermédiaire  entre  les  natio- 
nalités adverses,  les  rapprocherait  et  aiderait  à  résoudre  leurs 
différends.  Et  qui  sait  si  quelque  jour  elle  ne  deviendrait  pas 
le  noyau  d'une  vaste  confédération,  où  fraterniseraient  Bul- 
gares, Serbes,  Grecs,  Monténégrins,  voire  même  peut-être 
Albanais  et  Turcs,  et  qui,  s'étendant  de  la  Save  et  du  Danube 
à  la  mer,  engloberait  toute  la  péninsule? 

La  Macédoine  autonome  !  certes  c'est  un  rêve  admirable  et 
que  l'Europe,  excédée  par  la  mauvaise  foi,  Tinertie,  la  mala- 
dresse inepte  et  brutale  du  gouvernement  ottoman,  pourrait  à 
bon  droit  être  tentée  de  réaliser  de  suite.  Pour  qu'elle  résiste  à 
la  tentation,  il  faut  de  solides  raisons  et  nous  allons  voir  qu'elle 
en  a  des  plus  sérieuses. 

Nous  avons  indiqué  d'un  mot  les  difficultés  d'ordre  intérieur 
que  la  constitution  de  la  Macédoine  en  Etat  autonome  rencon- 
trerait dans  la  situation anarchique  du  pays  lui-même.  La  ques- 
tion économique  ne  serait  pas  non  plus  sans  donner  quelque 
embarras.  Contrée  naturellement  fertile,  la  Macédoine  est 
actuellement  dans  une  misère  profonde.  Sans  doute  les  abus  du 
régime  turc  en  sont  la  principale  cause,  et  quelques  années 
d'une  administration  honnête  et  intelligente  suffiraient  pour 
ramener  la  prospérité.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'Etat  macé- 
donien naîtrait  à  la  vie  avec  un  crédit  nul,  qu'il  posséderait  par 
contre  une  dette,  assez  lourde  même,  ayant  forcément  hérité 
d'une  part  proportionnelle  de  celle  de  la  Turquie,  qu'il  aurait 
à  faire  face  à  des  dépenses  considérables  pour  assurer  tous  ses 
services  publics,  et  que  l'Europe  devrait  se  préoccuper  de  lui 
servir  tout  à  la  fois  de  banquier  et  de  conseil  judiciaire. 

Une  autre  grave  difficulté,  venant  celle-ci  de  Fextérieur, 
menacerait  TEtat  naissant.  Jusqu'ici  nous  n'avons  envisagé  que 
la  Macédoine,  laissant  en  dehors  de  nos  considérations  l'Al- 
banie. 11  n'est  cependant  pas  possible  d'émanciper  la  première 
sans  se  préoccuper  de  la  seconde.  Dans  la  Turquie  d'Europe 
démembrée,  une  fois  la  Macédoine  constituée  en  Etat  autonome, 
que  deviendrait  cette  région  d'âpres  montagnes,  peuplée  de 
tribus  aux  mœurs  farouches,  accoutumées  à  tous  les  désordres, 
impatientes  de  toute  loi  ?  Rattacher  l'Albanie  à  la  Macédoine, 
impossible  :  ce  serait  fixer  au  flanc  de  l'édifice  en  construc- 
tion un  baril  de  poudre  toujours  prêt  à  faire  explosion  ;  ce  I 
serait  compliquer  à  plaisir,  sinon  rendre  tout  à  fait  impos- 
sible, la  pacification  de  la  Macédoine,  son  avènement  à  la  vie 


b 


LES  AFFAIRES  MACÉDONIENNES  34,3 

civilisée  et  à  la  liberté  politique.  Confier  le  soin  de  maîtriser, 
d'ëduquor  et  de  coloniser  TAlbanie  à  l'une  des  puissances 
européennes?  Certes  les  compétiteurs,  Autriche,  Italie,  ne  se 
feraient  pas  prier;  mais  ce  serait  du  coup  déchaîner  dans  les 
Balkans  toutes  les  convoitises  européennes,  et  compromettre 
loute  l'œuvre  en  voie  d^élaboration.  L'Europe  unie  peut  espé- 
rer résoudre  pacifiquement  la  question  balkanique,  mais 
Tunioa  suppose  le  désintéressement  de  tous  :  du  jour  où  Tune 
des  puissances  pourra,  de  la  solution  adoptée,  tirer  un  bénéfice 
particulier,  c'en  sera  fait  du  concert  de  toutes.  Chacune  voudra 
k  son  tour  faire  prévaloir  ses  intérêts,  obtenir  une  compensa- 
tion, et  nous  en  reviendrons  aux  pires  jours  où,  par  égoïsme  in- 
dividuel et  par  méfiance  réciproque,  les  puissances  laissaient 
massacrer  Arméniens  et  Cretois.  Si  l'on  veut  libérer  la  pénin- 
sule balkanique  du  régime  turc,  il  faut  résolument  en  fermer 
la  porte  à  toutes  les  ambitions  particulières  des  grandes  puis- 
sances, 

L'Albanie  devrait  donc  ou  demeurer  possession  ottomane  ou 
constituer  de  son  côté  une  principauté  indépendante.  Dans  la 
pratique,  cette  alternative  ne  se  poserait  pas  longtemps,  une 
Albanie  ottomane,  mais  coupée  du  reste  de  l'Empire  par  une 
Macédoine  autonome,  ne  devant  pas  tarder  à  s'émanciper  com- 
plt*tement  et  à  s'ériger  en  Etat  indépendant. 

De  toute  façon,  turque  ou  autonome,  l'Albanie  devrait  t^tre 
étroitement  surveillée  par  l'Europe,  pour  t^tre  maintenue  hors 
d'état  de  nuire  au  développement  normal  des  Etats  voisins. 
Accoutumés  par  la  coupable  tolérance  des  Turcs  à  vivre  aux 
dépens  des  raïas,  à  descendre  dans  les  plaines  de  la  Vieille- 
Serbie,  dans  la  vallée  du  Vardar  pour  y  ramasser  leur  butin, 
les  Albanais  se  feraient  difficilement  au  nouvel  ordre  de  choses. 
Quelques  leçons  sévères  seraient  probablement  nécessaires  pour 
leur  apprendre  à  le  respecter  et  les  contenir  derrière  leurs  fron- 
tières. Ces  leçons,  ce  n'est  pas  la  Macédoine  qui  pourrait  les 
leur  donner;  sa  police  n'y  suffirait  pas,  absorbée  qu'elle  serait 
d'ailleurs  par  le  soin  de  maintenir  la  paix  intérieure.  Ici  encore 
FEurope  serait  amenée  à  étendre  son  rôle  de  tutrice  et  à  faire 
protéger,  par  un  corps  de  troupes  spécial,  probablement  une 
gendarmerie  internationale,  les  frontières  de  l'Etat  pupille. 
Ainsi  contenue  dans  ses  limites  et  livrée  à  elle-même,  que 
deviendrait  l'Albanie  ?  Nul  ne  peut  le  dire.  Probablement, 
après  bien  des  luttes  intérieures  de  tribu  à  tribu,  elle  finirait 
par  se  pacifier  et  s'organiser.  Mais  il  y  faudrait  de  longues 
années,  pendant  lesquelles  l'Europe  serait  constamment  tenue 
fD  souci  de  ce  côté. 


344  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   BT  COLONIALES 

Etat  intérieur  de  la  Macédoine,  question  albanaise,  on  ne 
saurait  nier  que  TEurope  se  trouverait  en  présence  de  difficultés 
considérables  le  jour  où  elle  déciderait  la  constitution  de  la 
Macédoine  en  un  Etat  indépendant.  Elle  saura  pourtant  les 
résoudre  si  elle  s'y  voit  contrainte  par  la  mauvaise  volonté  du 
Sultan. 

Mais  nous  arrivons  à  la  question  capitale  :  Comment  l'Eu- 
rope pourrait-elle  procéder  à  la  libération  de  la  Macédoine? 
Pense-t-on  que  la  Turquie  se  résignerait  placidement  à  la  perte 
de  la  plus  grande  partie  de  ses  provinces  européennes?  Assuré- 
ment non.  S'il  existe  dans  l'Empire  ottoman  une  institution 
solide,  sérieusement  organisée,  c'est  l'armée.  Seule,  au  milieu 
de  la  désagrégation  générale  de  cet  édifice  vermoulu,  elle  fait 
honorable  figure.  Hier  encore  elle  triomphait  sur  les  champs  de 
bataille  de  Thessalie,  et  si  la  médiocrité  de  son  adversaire  de 
1897  ne  lui  a  pas  permis  de  donner  toute  sa  mesure,  les  souve- 
nirs de  Plewna  sont  là  pour  nous  rappeler  de  quoi  le  soldat  turc 
est  capable.  Le  Sultan  n'a  pas  entretenu  et  développé  son  armée 
depuis  vingt-cinq  ans,  à  grands  frais,  sous  la  direction  d'officiers 
allemands  largement  rémunérés,  pour  se  laisser  sans  résistance 
dépouiller  aujourd'hui  du  quart  ou  du  cinquième  de  ses  Etats. 
11  faudrait  les  lui  arracher.  Et  qui  chargerait-on  de  cette  beso- 
gne? Une  armée  internationale?  Non;  un  corps  expéditionnaire 
international  sans  cohésion  peut  suffire  contre  des  bandes  de 
Boxeurs,  ou  sur  un  théâtre  d'opérations  restreint  tel  que  la  Crète  ; 
à  l'armée  ottomane  il  faudrait  opposer  un  adversaire  sérieux, 
obéissant  à  une  direction  unique,  agissant  avec  méthode.  Ce 
serait  donc  l'armée  d'une,  ou  tout  au  plus  les  armées  alliées  de 
deux  des  grandes  puissances  européennes;  en  l'espèce,  ce  ne 
pourrait  être  que  Tarmée  russe,  ou  les  armées  russe  et  autri- 
chienne. 

Nous  arrivons  ainsi  à  cette  étrange  anomalie  :  sous  prétexte 
de  s'opposer  à  l'oppression  et  au  massacre  de  chrétiens  par  les 
Turcs,  la  Russie  ou  l'Autriche,  ou  toutes  deux  réunies,  enver- 
raient leurs  soldats  se  faire  tuer  par  ces  mt^mes  Turcs.  Est-il 
vraisemblable  d  ailleurs  qu'une  fois  ces  derniers  mis  à  la  raison, 
leurs  vainqueucs  ne  demandent  pas  un  légitime  dédommage- 
ment de  leurs  sacrifices  ?  Ce  serait  trop  de  générosité  :  la  Russie 
exigerait  sans  doute  des  compensations  en  Arménie;  l'Autriche, 
en  Albanie.  Mais  alors  interviendraient  l'Allemagne  et  l'Italie, 
la  première  hostile  à  l'extension  de  la  Russie  en  Asie  Mineure,  la 
deuxième  à  la  prise  de  possession  par  l'Autriche  du  littoral  de 
la  mer  Ionienne  ;  peut-être  aussi  l'Angleterre,  jalouse  des  pro- 
grès des  Russes  vers  la  Perse  et  trop  heureuse  de  pêcher  en 


LES  AFPAIRBS  MACÉDONIENNES  345 

eau  trouble.  Le  conflit  se  généraliserait,  si  même  il  ne  s'était 
envenimé  dès  le  début,  FAUemagne  prenant  parti  pour  son 
fidèle  client,  la  Turquie. 

Du  moment  où,  pour  régler  la  question  d'Orient,  on  a  recours 
à  la  force,  nul  ne  sait  où  les  choses  s'arrêteront,  nul  ne  sait  s'il 
ne  se  produira  pas  une  conflagration  générale,  où,  bon  gré  mal 
gré,  seraient  entraînées  toutes  les  puissances,  même  celles  qui, 
comme  la  France,  auraient  été  à  l'origine  les  plus  désintéressées 
dans  le  litige.  On  comprend  donc  que  la  diplomatie  européenne 
recule  devant  un  démembrement  de  la  Turquie  d'Europe,  puis- 
que d'une  part  la  condition  première  d'un  démembrement  serait 
une  guerre  très  sérieuse  par  elle-même,  susceptible  en  outre  de 
déchaîner  l'incendie  dans  toute  l'Europe,  et  puisque,  d'autre  part, 
l'œuvre  d'organisation  des  Etats  émancipés,  conséquence  du 
démembrement,  apparaît  comme  remplie  de  difficultés  inextri- 
cables et  d'une  large  part  d'aléa. 

Il  faut  bien  le  dire,  de  toutes  les  solutions  propres  à  assurer  la 
paix  et  le  bien-être  aux  populations  macédoniennes,  la  plus 
simple  est  encore  l'amélioration,  par  les  soins  du  gouvernement 
ottoman  lui-même,  du  régime  administratif  actuel,  de  manière 
à  en  faire  disparaître  les  abus,  sans  déterminer  un  bouleverse- 
ment politique  général  dont  nul  ne  saurait  prévoir  avec  certi- 
tude les  conséquences.  Dans  l'état  d'animosité  où  les  diverses 
nationalités  se  trouvent  à  l'égard  les  unes  des  autres,  si  étrange 
que  cela  puisse  paraître,  beaucoup  préfèrent  rester  sous  la 
duniination  ottomane,  pourvu  que  celle-ci  ne  se  fasse  pas  trop 
lourdement  sentir,  plutôt  que  de  s'exposer  à  être  subordonnées  à 
une  autre  nationalité  chrétienne.  Jamais  l'axiome  de  Machiavel  : 
«  Diviser  pour  régner  »,  ne  trouva  d'application  plus  probante 
qu'ici  où  cette  jalousie  réciproque  des  populations  chrétiennes 
constitue  le  plus  solide  appui  du  régime  turc.  Grecs  et  Serbes 
de  Macédoine  aiment  mieux  obéir  au  Sultan  qu'à  un  maître 
bulgare,  et  inversement,  pour  peu  que  le  Sultan  garantisse  leur 
vie  et  leurs  propriétés.  Le  tout  est  donc  de  savoir  si  le  gouver- 
nement ottoman,  après  avoir  pendant  tant  d'années  donné 
l'exemple  de  tous  les  abus,  toléré  constamment  les  exactions  et 
les  dilapidations,  est  capable  de  réagir  et  d'introduire  dans  l'ad- 
ministration turque  ordre  et  probité.  On  peut,  on  doit  se 
demander  si  Abd-ul-Hamid  aura  la  volonté  de  réaliser  ces 
réformes  que  l'état  de  la  Macédoine  réclame  de  toute  nécessité, 
et  si,  avec  la  volonté,  il  en  aura  le  pouvoir. 

Casimir  Pralon. 


LA.  QUESTION  DU  CONGO 

AGITATION     ANGLO  -ALLEMANDE 


Un  concert  de  plaintes  irritées  s'élève  depuis  quelque  temps 
dans  les  milieux  commerciaux  anglais  et  allemands  contre 
le  Congo  français  et  le  Congo  belge.  Il  y  a  environ  un  an, 
M.  Aspe-Fleurimont  a  examiné  et  discuté  ici  môme*, dans  de 
clairvoyants  articles,  les  doléances  et  les  revendications  de  la 
Chambre  de  commerce  de  Liverpool  et  de  la  maison  Holt  et  O^  : 
il  a  conclu  avec  raison  à  leur  irrecevabilité.  Mais  la  Holtite 
aiguë  de  janvier  et  février  1902  réapparaît  aujourd'hui  sous 
une  forme  intermittente  plus  violente  et  plus  dangereuse  : 
Hambourg  ressent  à  son  tour  les  atteintes  du  mal  de  Liverpool, 
et  cela,  au  lendemain  même  de  la  croisière  des  escadres 
anglaise  et  allemande  sur  les  côtes  du  Venezuela.  Voilà  les 
premiers  résultats  d'un  rapprochement  contre  nature  ! 

Anglais  et  Allemands  dénoncent  tour  à  tour  les  méfaits  des 
tribunaux  et  des  commerçants  congolais  et  demandent  des  répa- 
rations, pour  un  passé  définitivement  jugé,  sur  un  ton  qui  n'a 
rien  de  diplomatique.  Il  est  même  à  craindre  que  les  récrimi- 
nations portées  au  Parlement  anglais  ne  donnent  lieu  à  des 
paroles  peu  amicales  à  l'égard  de  la  France  et  de  la  Belgique. 

Bien  qu'il  ne  faille  pas  prendre  au  tragique  les  manifesta- 
tions de  cette  nouvelle  crise,  il  est  utile  de  les  faire  connaître 
à  l'opinion  publique. 

•  • 

M.  Aspe-Fleurimont,  conseiller  du  commerce  extérieur,  écri- 
vait, le  15  février  1902  : 

Les  négociants  anglais,  alléguant  que  les  sociétés  coucessionnairos 
françaises  du  Congo*  émettent  la  prétention  de  les  empocher  de  con- 
tinuer leur  ancien  commerce,  entretiennent  en  Angleterre  une  agita- 
tion dont  le  but  est  de  mettre  en  cause  l'Acte  de  Berlin  de  1885  dont  le 
régime  des  concessions,  que  la  France  a  établi  en  1899  pour  mettre  en 
valeur  ses  possessions  congolaises,  constituerait  (c'est  du  moins  leur  avis) 

*  Relire  dans  les  Questions^  pour  saisir  exactement  l'iDcident  actuel,  les  articles 
suivants  :  La  Crise  du  Congo  français,  par  Henri  Lorin  (1*'  déc.  1900);  —  Le 
Congo  français  et  la  colonisation,  par  M.  Paul  Bourdarib  (15  fév.  1901)  ;  —  La 
Belgique  et  l'Eltat  du  Congo,  par  Kmile  Pbls  (!"'  mars  1901)  ;  —  Le  Congo  français  : 
Une  expérience  coloniale,  par  Aspe-Fleurimont  (15  nov.  1901)  ;  —  L'Angleterre  et 
le  Congo  :  Concessionnaires  français;  négociants    britanniques    (15  février  1902). 

2  Rappelons  que  le  régime  des  concessions  a  été  organisé  par  les  décrets  de  mars 
1899  signés  par  M.  Guillain,  ministre  des  Colonies  d'alors.  Il  existe  45  sociétés  con- 
cessionnaires. 


LA  QUESTION  DU   GQKGO  347 

une  violation  flagrante  et  permanente.  La  presse  anglaise  continue  à 
tioaneravec  ensemble;  dix  chambres  de  commerce  de  la  Grande-Bretagne 
oQi  sollicité  le  gouvernement  d'Edouard  VII  d'intervenir  auprès  du  nôtre; 
uQ  veut  agiter  les  chancelleries.  * 

Nous  avons  la  conviction  que  notre  ministre  des  Affaires  étrangères 

.•(  notre  département  des  Colonies  sauront  remettre  les  choses  au  point, 
ri  la  chambre  de  commerce  de  Liverpool  obtenait,  par  hasard,  que  le 
çiouTeroement  d'Edouard  VII  s'occupât  de  ses  doléances  sans  fonde- 
ment. 

Il  y  a  chcse  jugée  ;  le  débat  est  clos  et  l'on  devrait  n'en  plus  parler. 

Les  clameurs  britanniques  s'étaient  peu  à  peu  calmées  dans 
1»^  courant  de  l'année,  lorsque  le  premier  Congrès  colonial  alle- 
mand* du  10  octobre  1902  vint  les  ranimer  sournoisement. 

Voici  en  effet  quelles  furent  les  déclarations  émises  par  le 
consul  Ernest  Vohsen,  à  la  troisième  section  du  Congrès,  sur 
r.Vcle  international  du  Congo  et  la  liberté  de  commerce  et  de 
parcours  qu'il  garantit  : 

1.  —  L'Allemagne  possède  de  grands  intérêts  économiques  sur  la  côte 
oaidentale  de  l'Afrique,  dans  la  région  des  lacs  de  TEst  africain  et  dans 
la  région  du  Niger-Bénoué,  intérêts  qui  ont  été  particulièrement  affirmés 
récemment  dans  cette  dernière  contrée  par  l'envoi  d'une  mission  écono- 
:aique  et  l'établissement  de  deux  stations  du  gouvernement  à  Garoua  et  à 
Dikoa  (bassin  du  Tchad). 

1  —  D'accord  avec  la  Société  internationale  d'exploration  africaine  et 
eaaDt  compte  des  représentations  formulées  par  les  Chambres  de  com- 
aerce  de  Hambourg,  Brème»  Mannheim,  etc.,  le  gouvernement  allemand, 
jni  a?ait  déjà  favorisé  la  création  de  la  Société  africaine  allemande 
r3il877,  provoqua  en  1884  la  réunion  à  Berlih  d'une  conférence  interna- 
•jonale  d'où  sortit  l'Acte  du  Congo.  Les  articles  1  et  5  spécifiaient  la 
iberté  de  commerce  dans  le  bassin  du  Congo  et  de  la  navigation  sur  le 
Niger  et  fixaient  une  zone  de  libre  commerce  à  Tintérieur  de  laquelle  le 
commerce  de  toutes  les  nations  signataires  devait  être  débarrassé  de  toute 
entrave  susceptible  d'arrêter  ou  de  borner  même  son  développement. 

3.  —  Les  stipulations  de  ces  articles  sont  restées  lettre  morte  et  ont  été 
récemment  violées  par  la  France,  dans  le  Congo  français,  au  détriment 
•ies  ioiérêts  allemands  ;  les  clauses  concernant  la  sécurité  de  la  navigation 
•^^du  transit  commercial  sur  le  Congo  et  le  Niger-Bénoué  n'ont  jamais 

lé  exécutées.  La  commission  internationale  prévue  aux  articles  18  et  24 
'te  TAcle  pour  étudier  la  régularisation  des  deux  fleuves  n'a  pas  été  encore 
réunie. 

4.  —  Dès  le  !•'  juillet  1889,  tous  les  terrains  non  occupés  par  les  indi- 
gènes dans  la  zone  de  libre  commerce  de  TÉtat  du  Congo  furent  déclarés 
propriétés  d'Éiat  ;  en  1892,  la  récolte  de  caoutchouc  fut  grevée  de  si  lourds 
impôts  que  cet  article  fut  virtuellement  soustrait  au  libre  commerce.  Or 

'  Voir  le  compte  rendu  général  de  ce  Congrès,  par  M.  Renb  Morbuz,  Quest,  Dipl, 
ti  CoJ.,  déc.  1902. 


i 


348  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLONULES 

la  condition  préalable  de  la  liberté  de  commerce  est  le  maintien  du  droit 
pour  les  indigènes  de  disposer  entièrement  des  produits  du  sol  et  de  la 
chasse,  ainsi  qu^  cela  se  passait  dans  toutes  les  colonies  anglaises  et  fran- 
çaises de  rOuest  africain  avant  la  signature  de  TActe  du  Congo  et  s'y  passe 
encore  aujourd'hui,  à  l'exception  toutefois  de  TÉtat  du  Congo  et  du  Congo 
français  spécialement  visés  par  Tarticle  !•'  de  Taccord  international. 

5.  —  Au  Congo  français,  le  pays  situé  à  Tin  té  rieur  de  la  zone  de  libre 
commerce  a  été  presque  totalement  réparti  entre  plusieurs  sociétés  con- 
cessionnaires qui,  par  analogie  avec  les  compagnies  de  même  nature  de 
rÉtat  du  Congo,  sont  investies  du  droit  exclusif  d'exploitation  des  terri- 
toires concédés.  II  en  résulte  que  les  factoreries  établies  à  la  côte  sont 
coupées  complètement  de  l'intérieur,  atteintes  dans  leurs  œuvres  vives  et 
dans  l'impossibilité  absolue  de  créer  de  nouvelles  entreprises  commer- 
ciales. 

6.  —  Par  le  traité  anglo-allemand  de  1893,  T Allemagne  a  fait  étendre 
aux  bassins  du  Niger  et  de  la  Dénoué  les  clauses  de  liberté  de  commerce 
et  de  parcours  contenues  dans  TActe  de  Berlin.  Mais  il  a  été  fait  jusqu'ici 
bien  peu  de  chose  pour  améliorer  la  navigation  entre  la  côte  et  le  terri- 
toire allemand  :  établissement  de  dépôts  de  charbon  et  de  bois  le  long  du 
fleuve  et  de  son  affluent,  d'entrepôts  douaniers,  sondage,  balisage  du 
fleuve,  etc. 

7.  —  Après  avoir  pris  Vinitiative^  en  1884,  de  relever,  après  entente  inter- 
nationale, la  situation  matérielle  et  morale  des  indigènes  de  V Afrique  centrale, 
de  poser  solennellement  le  principe  de  solidarité  et  d'égalité  de  toutes  les 
nations  intéressées,  d'assurer  la  liberté  du  commerce  sans  restriction^  l'AHe- 
magne,  constatant  que  toutes  les  clauses  de  l'Acte  du  Congo  sont  restées  inexé- 
cutées,  doit  provoquer  une  nouvelle  conférence  des  puissances  signataires  pour 
redresser  les  infractions  commises  et  en  éviter  le  retour. 

Remarquons,  en  passant,  que  l'Angleterre  est  quelque  peu 
sermonnée  dans  la  déclaration  6  ;  mais  elle  ne  s'en  est  nulle- 
ment émue. 

Le  Congrès  colonial  allemand  consacra  les  propositions  du 
consul  Yohsen  en  adoptant  solennellement,  en  séance  plénière, 
le  vœu  suivant  : 

Le  Congrès  colonial  allemand  de  1902  est  d*avis  que  les  conditions 
actuelles  du  régime  du  commerce  et  de  la  navigation,  ainsi  que  du  droit 
indigène  dans  le  territoire  du  Niger  et  le  bassin  du  Congo,  ne  sont  pas  en 
concordance,  dans  leurs  points  essentiels,  avec  les  stipulations  de  TActe 
du  Congo.  Il  considère  comme  une  nécessité  expresse  l'ouverture  de  négo- 
ciations entre  les  puissances  signataires  à  l'effet  d'en  garantir  l'exécution. 

Liverpool  tressaillit  d'aise  à  la  lecture  de  ce  compte  rendu  et 
se  mit  aussitôt  en  relations  avec  Hambourg  pour  poser  la  ques- 
tion de  la  re vision  de  l'Acte  de  Berlin  au  commencement  de 
1903.  Les  pourparlers  furent  engagés  dans  le  plus  grand  secret. 


LA  QUESTION  DU  CONGO  349 

Le  H  février  1903,  le  correspondant  du  Temps  à  Londres 
télégraphia  ce  qui  suit  : 

La  question  du  commerce  anglais  au  Congo  français  sera  portée  devant 
l'assemblée  de  TAssociation  des  Chambres  de  commerce  qui  aura  lieu  à 
LcMidres  au  commencement  de  mars. 

Les  Chambres  de  commerce  de  Liverpool  et  de  Birmingham  ont  déjà 
envoyé  des  résolutions  demandant  que  des  mesures  soient  prises  pour 
protéger  le  commerce  britannique  dans  le  bassin  du  Congo. 

Celle  de  la  Chambre  de  commerce  de  Liverpool  dit  que  les  principes  et 
les  agissements  introduits  au  Congo  français,  dans  TÉtat  libre  du  Congo 
et  dans  les  autres  parties  du  bassin  du  Congo,  sont  en  opposition  directe 
avec  le  traité  de  Berlin,  et  demande  que  toutes  les  puissances  signataires 
de  cette  convention  se  réunissent  pour  examiner  les  réformes  à  apporter. 

Le  26  du  même  mois,  la  Deutsche  Kolonial  Zeitung^  dont 
les  attaches  officielles -sont  bien  connues,  publiait  le  factum 
suivant  : 

Après  vingt  années  d'activité  dans  le  Congo  français,  la  Compagnie  John 
Holt  et  G^,  de  Liverpool,  a  été  condamnée  à  30.000  francs  de  dommages  et 
intérêts  pour  avoir  établi  des  comptoirs  sur  la  rivière  Ngoumié,  dans  la 
zone  de  concession  accordée  à  M.  Gazengel  ;  le  jugement  spécifiait  que 
les  comptoirs  devaient  disparaître  dans  un  délai  de  deux  mois.  La  Com- 
pagnie paya  Tamende,  donna  Tordre  à  ses  comptoirs  d'évacuer  leurs  em- 
placements, mais  ne  se  trouva  pas  en  mesure  d'exécuter  l'évacuation  dans 
le  délai  déterminé.  M.  Gazengel  obtint  alors  par  jugement  une  somme  de 
£.000  francs  à  titre  de  nouveaux  dommages  et  intérêts.  La  Compagnie 
anglaise  fit  vainement  valoir  qu'en  1883  le  gouvernement  français  lui 
avait  abandonné  le  terrain  occupé,  avec  l'autorisation  expresse  de  faire  du 
commerce  avec  les  indigènes.  D'autres  concessionnaires  français,  encou* 
rages  par  les  succès  de  Gazengel,  adressèrent  des  plaintes  en  dommages 
cootre  deux  autres  maisons  anglaises. 

Ces  incidents  furent  examinés  à  la  Chambre  de  commerce  de  Liver- 
pool, et  le  19  novembre  1902,  M.  Mac  Arthur,  de  là  Chambre  des  com- 
munes, demanda  au  sous-secrétaire  d'Etat  des  Affaires  étrangères  des 
éclaircissements  sur  les  entraves  apportées  à  la  liberté  du  commerce  dans 
le  Congo  français  au  préjudice  des  maisons  anglaises;  lord  Cranborne 
répondit  que  des  négociations  avaient  été  ouvertes  à  ce  sujet  avec  le  gou- 
zernemeni  français  et  des  propositions  fermes  présentées  au  quai  dOrsay. 
La  Chambre  de  commerce  ne  se  tint  pas  pour  satisfaite.  Il  fut  établi  que 
les  concessionnaires  qui  s'étaient  montrés  les  plus  acharnés  contre  les 
sujets  britanniques  étaient  Belges  et  non  Français,  La  Chambre  décida 
alors  d'attirer  sur  ce  fait  l'attention  des  chefs  des  maisons  de  commerce 
françaiFes  de  VOuest  africain  et  de  reporter  de  nouveau  la  question  au 
Parlemeot. 

Nous  avions  prévu  que  les  indigènes  seraient  fortement  lésés  par  le  sys* 
tème  des  monopoles.  Les  maisons  anglaises  et  allemandes  achetaient  les 
produits  du  pays  à  des  taux  raisonnables  ;  les  concessionnaires  fixèrent 


350  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

les  prix  à  leur  gré  et  il  s'ensuivit  des  révoltes.  C'est  ainsi  que  les  indigènes 
se  sont  encore  soulevés  contre  les  employés  de  la  Société  du  Haut-Ogoué, 
ont  massacré  le  personnel  noir  de  ses  comptoirs  et  pillé  les  magasins. 
L'administration-  ât  k^  colonie  ne  pouvant,  en  raison  de  la  marche 
fâcheuse  des  affaires,  retirer  des  ressources  suffisantes  des  concession- 
naires, essaie  maintenant  d'en  ol^tenir  aux  dépens  des  indigènes  et  veut  leur 
extorquer  un  impôt  sur  les  huttes.  Ce  procédé  occasionne  de  fréquentes 
révoltes  :  un  capitaine  fut  tué  dans  Tune  des  dernières.  Une  expédition 
répressive  eut  lieu,  mais  les  troupes  furent  battues  et  durent  rétrogiader. 

Tournons-nous  maintenant  vers  l'État  du  Congo,  le  premier  coupable. 
M.  E.-D.  Morel,  qui  bataille  habilement  en  Angleterre  pour  la  liberté  du 
commerce  au  Congo,  a  publié  récemment  dans  A/fairs  of  West  Afrim 
^London,  Heinemann)  le  texte  du  procès-verbal  de  l'arrestation  d'un  com- 
merçant autrichien,  M.  Rabinek  : 

«  Le  soussigné  Saroléa  Louis,  sous-lieutenant  de  la  force  publique,  com- 
mandant de  la  colonne  volante  du  lac  Tanganika,  a  procédé  à  l'arrestation 
du  dénommé  Rabinek  eu  raison  d'un  ordre  d'amener  rendu  le  17  décembre 
1900  par  le  tribunal  d'Albertville.  Le  dénommé  se  trouvait  â  bord  du  na- 
vire anglais  Scotia,  à  l'ancre  dans  le  port  de  Mpueto«  » 

Le  27  octobre,  lord  Cranborne,- questionné  par  le  député  Sir  Charles 
Wilkes,  répondit  qu'il  n'était  pas  prouvé  que  l'arrestation  ait  eu  lieu  à 
bord.  La  preuve  est  aujourd'hui  connue. 

Vattitude  de  V Allemagne  vis-à-vis  des  maisons  étrangères  qui  font  du 
commerce  dans  les  territoires  de  protectorat  a  été  toujours  jugée  très 
correcte  dans  les  cercles  commerciaux  de  l'Angleterre.  Dans  un  discours 
remarquable  prononcé  en  novembre  dernier  à  l'ouverture  de  la  session 
d'hiver  de  VAfrican  Society  de  Londres,  lord  Avebury  critiqua  avec  raison 
les  entraVes  à  la  liberté  du  commerce  reconnue  par  traité.  Mais  il  commit 
une  erreur  en  prétendant  que  l'Angleterre  était  seule  à  la  respecter,  et 
s'attira  la  réplique  suivante  de  M.  Swanzy  :  «  Dans  la  colonie  allemande 
où  je  fais  des  affaires,  nous  sommes  traités  sur  le  même  pied  que  les 
Allemands;  les  fonctionnaires  impériaux  se  sont  toujours  montrés  très 
amicaux  à  notre  égard.  Je  sais  qu'il  en  est  ainsi  au  Cameroun.  Je  pourrais 
prier  le  secrétaire  de  la  Chambre  de  commerce  de  Liverpool,  M.  Helm 
mon  ami,  d'appuyef  mes  assertions,  cari/  n'est  pas  juste  de  Inissei' Subsister 
un  sentiment  hostile  à  V égard  de  V Allemagne,  Nous  serons  toujours  bien  trai- 
tés par  elle,  J^avoue  qu'on  ne  peut  pas  en  dire  autant  de  la  France.  Nous 
sommes  fort  malmenés  au  Congo. 

'  La  crise  d'Holtite  se  produisit  bientôt  après.  Le  3  mars  1903, 
M.  Holt,  président  de  la  section  africaine  de  la  Chambre  de 
commerce  de  Liverpool,  répéta  encore  une  fois  à  l'Association 
des  Chambres  de  commerce  anglaises  que  la  France  ne  s'était 
pas  conformée  à  ses  obligations  au  Congo.  Un  autre  orateur 
demanda  l'envoi  d'une  délégation  au  Foreign  Office.  Le  prési- 
dent ayant  fait  remarquer  que  des  négociations  étaient  déjà 
ouvertes  entre  l'Angleterre  et  la  France  au  sujet  des  faits  incri- 
minés, M.  Holt  se  tourna  alors  contre  la  Belgique  et  dénonça 


LA  QUESTION   DU   CONGO  351 

la  conduite  hypocrite  de  l'Etat  Libre  devenu  lui  véritable 
enfer^  une  insulte  à  Vhumanité.  Sur  sa  proposition,  TAsso- 
ciation  émit  le  vœu  que  l'Angleterre  s'entendît  avec  les  autres 
grandes  puissances  signataires  de  l'Acte  de  Berlin,  pour  étudier 
les  modifications  qu'il  convenait  d'y  apporter. 

Le  soir  même  de  cette  séance,  la  section  africaine  de  la 
l'hambre  de  commerce  de  Liverpool  donna  un  grand  banquet 
où  il  fui  naturellement  question  des  concessions  du  Congo 
français.  Les  membres  du  Foreign  Office,  sir  Charles  Dilke  et 
quelques-uns  de  ses  collègues  de  la  Chambre  des  communes, 
lambassade  allemande  et  un  grand  nombre  de  représentants 
allemands  de  l'Association  ouest-africaine  et  de  la  Compagnie 
de  navigation  allemande  Woermann  de  l'Ouest  africain  y 
assistaient. 

Le  président,  M.  John  Holt,  après  avoir  porté  des  toasts  à 
Edouard  VII  et  Guillaume  II,  souhaita  la  bienvenue  aux  Alle- 
mands, venus  tout  exprès  de  Hambourg,  et  revint  sur  son 
thème  du  matin.  Les  concessions  françaises,  dit-il,  sont  très 
arbitraires.  II  importe  de  faire  toutes  les  démarches  possibles 
pour  obtenir  de  la  France  des  indemnités  et  la  liberté  du  com- 
merce dans  son  territoire. 

Le  député  M.  Mac  Arthur,  qui,  ainsi  que  nous  l'avons  vu, 
dénonça  l'incident  Holt  à  la  Chambre  des  communes  le  19  no- 
vembre 1902,  déclara  à  son  tour  que  toutes  les  nationalités 
devaient  avoir  place  dans  l'Ouest  africain  et  que,  les  grands 
monopoles  établis  dans  le  Congo  français  et  l'Etat  Libre  étant 
luntraires  aux  stipulations  de  l'Acte  de  Berlin,  il  porterait  de 
nouveau  la  question,  avant  quinze  jours,  à  la  Chambre  des 
communes. 

Après  le  blâme  formel  infligé  aux  Français  et  aux  Belges,  il 
♦^nvenait  de  faire  l'éloge  des  Allemands,  de  vanter  leur  respect 
des  traités  et  du  droit  international,  de.  célébrer  leur  tolérance 
à  Fégard  du  commerce  anglais  dans  ces  fameux  territoires  de 
protectorat  qui,  nés  en  1884,  sont  encore  loin  dé  sortir  de  cette 
crise  de  croissance  déplorée  naguère  par  le  Congrès  colonial. 
^iC  fut  naturellement  à  M.  John  Holt  que  revint  l'honneur  de 
faire  rougir  de  plaisir  les  Hambourgeois  et  Brômois,  si  em- 
pressés à  soutenir  les  intérêts  anglais.  Un  citoyen  de  Brômé, 
particalièrement  ému,  énonça  l'espoir  qu'Allemands  et  Anglais 
marcheraient  toujours  la  main  dans  la  main  dans  l'Ouest 
africain...  comme  au  Venezuela. 

M.  Cookson,  de  Liverpool,  apprit  alors  à  l'assemblée  que 
tétait  grÀce  à  M.  Holt  et  à  lui  que  les  Français  avaient  pu  pé- 
nétrer au  Congo  :  ceux-ci  devaient  donc  reconnaître  les  droits 


352  QUESTIONS  DIPU>IIATIQUES  BT  GOLOtOALES 

antérieurs  des  Anglais  ou  leur  accorder  des  indemnités;  leur 
conduite  était  vraiment  extraordinaire  pour  un  gouvernement 
civilisé*. 

L'explorateur  Harry  Johnston  clôtura  enfin  la  discussion  en 
constatant  que  partout,  excepté  dans  ses  possessions  du  Congo, 
la  France  a  ouvert  ses  territoires  au  commerce  international. 

II  suffira  aux  Anglais,  déclara-t-il,  d'exposer  clairement  leurs  arguments 
pour  obtenir  de  la  France  d'être  traités  avec  justice.  Les  maisons  Holt  et 
Cookson  ayant  précédé  les  maisons  françaises  au  Congo,  elles  ont  de 
justes  sujets  de  plainte. 

Il  faudrait  que  la  France  limitât  ou  annulât  certaines  concessions  dans 
ces  régions.  Nous  ne  pouvons  que  souhaiter  que  l'État  Libre  du  Congo  et 
le  Congo  français  suivent  Texemple  de  l'Angleterre,  qui  ouvre  aux  Belges 
et  aux  Français  les  vastes  territoires  de  la  Compagnie  du  Niger.  Il  faut 
que  la  France  ouvre  ses  territoires  au  commerce  international. 


Telles  sont  les  dernières  manifestations  anglo- allemandes 
contre  notre  colonie  congolaise,  manifestations  que  M.  Eug. 
Etienne  qualifiait  spirituellement  comme  il  suit  : 

Leurs  doléances  rappellent  celles  de  certains  chasseurs  qui  trouvent 
intolérable  que  le  propriétaire  fasse,  un  beau  jour,  garder  ses  territoires  où 
ils  avaient  pris  l'habitude  de  tirer  en  toute  liberté  le  poil  et  la  plume.  Chez 
nous,  ces  chasseurs  se  contentent  d'être  de  mauvaise  humeur;  ils  ne  font 
pas  de  procès  au  propriétaire. 

Nous  espérons  qu'elles  n'auront  nullement  intimidé  le  quai 
d'Orsay,  déjà  saisi  de  la  question  par  le  Foreign  Office,  et  que 
notre  ministre  des  Affaires  étrangères  saura  remettre  les  choses 
au  point  et  clore  définitivement  l'incident  par  un  énergique  : 
«  En  voilà  assez!  » 

Il  faut  que  l'on  sache  une  fois  pour  toutes,  à  Liverpool  comme 
à  Hambourg,  que  notre  pays  a  perdu  assez  de  ses  enfants  et 
dépensé  assez  de  millions  sur  la  terre  congolaise  pour  avoir  le 

1  «  Les  administrateurs  coloniaux  français  connaissent  mes  titres  de  propriété.  Les 
,  concessionnaires  français  ont  attaqué  nos  comptoirs;  ils  ont  frappé  nos  gens;  nos 
droits  sont  clairement  établis,  et  si  Ton  veut  nous  évincer,  il  faut  nous  donner  des 
indemnités  ;  mais  nous  sommes  parfaitement  disposés  à  rester.  » 

L'orateur  proposa  ensuite  la  réunion  d'une  conférence  ou  d'une  cour  arbitrale 
qui  reconnaîtrait  les  droits  des  commerçants  anglais. 

«  Le  ministre  français  des  Colonies  s'est  gravement  trompé.  Les  Anglais  désirent 
rivement  le  voir  sortir  de  son  embarras.  Les  concessionnaires  français  ne  savent  pas 
faire  du  commerce,  ce  n'est  pas  le  cas  des  Anglais  ;  c'est  la  colonie  française  qui  en 
souffrira.  Le  gouvernement  français  ne  peut  pas  ne  pas  reconnaître  la  justice  de 
nos  réclamations.  En  toute  honnêteté,  ce  sont  les  négociants  de  Liverpool  qui 
doivent  être  considérés  comme  les  pionniers  du  Congo.  »   : 


LA   QUESTION   DU   CONGO  353 

Jroit  de  Fadministrer  et  de  Texploiter  à  sa  guise  en  respectant 
toutefois,  comme  c^est  son  habitude,  les  intérêts  supérieurs  de 
la  civilisation.  Nous  n^avons  pas  versé  notre  sang  pour  favoriser,, 
âu  détriment  de  nos  colons,  les  traitants  anglais  et  allemands. 

Il  faut  proclamer  bien  haut  qu'une  demande  d'arbitrage  pour 
une  affaire  jugée  en  toute  équité  selon  nos  lois  nationales  serait 
considérée  comme  une  démarche  antiamicale. 

Nous  espérons  donc  que  les  paroles  si  sages  et  si  jiidicieuses, 
prononcées  le  4  mars  par  M.  Paul  Gambon  à  l'Association  des 
Chambres  decommerce  du  Royaume-Uni*,, produiront  une  salu- 
taire impression  sur  les  cerveaux  surexcités  des  négociants  de 
Liverpool  et  que  M.  Mac  Arthur  essaiera  vainement  de  créer 
un  nouvel  incident  à  la  Chambre  des  communes. 

Quant  à  TAllemagne,  nous  ne  voyons  pas  quelle  raison 
sérieuse  pourrait  l'engager  à  prendre  en  cette  affaire  une  atti- 
tude malveillante  et  agressive  à  Tégard  de  la  France  :  à 
différentes  reprises,  au  contraire,  on  a  pu  constater  que  les 
deux  puissances  pouvaient  pratiquer,  pourleur  avantage  mutuel, 
une  politique  d'équitable  entente  sur  le  terrain  des  questions 
coloniales. 

♦  ♦il 


*  «  n  est  parfaitement  vrai  que  je  considère  comme  mon  premier  devoir  de  tra- 
vailler au  développement  des  bonnes  relations  entre  nos  deux  pays. 

e  Ce  n'est  pas  seulement  l'intérêt  de  l'Angleterre  et  de  la  France  d'être  en  bons 
ternes  et  de  se  prêter  le  concours  de  leurs  finances,  de  leur  commerce  et  de  leur 
iadustrie.  C'est  Tintérét  du  monde  entier,  et  ce  serait  vouloir  porter  atteinte  à 
ridée  même  de  progrès  que  de  chercher  à  éloigner  l'une  de  l'autre  ces  deux  grandes 
BAtions  qui  se  sont  associées  si  souvent  pour  faire  prévaloir  dans  le  monde  les 
principes  de  justice  et  de  liberté. 

•  Vous  représentez  ce  qu'il  j  a  de  plus  vivant,  et,  je  puis  dire,  de  plus  exigeant, 
«iaas  les  intérêts  de  la  Grande-Bretagne,  et  vous  savez  mieux  que  personne  quel 
trouble  profond  jetterait  dans  les  affaires  du  globe  une  mésintelligence  entre  les 
4e«x  nations.  De  moins  en  moins,  les  peuples  se  laissent  guider  par  des  questions 
é  amoar-propre  et  par  des  ambitions  dynastiques.  De  moins  en  moins,  nous  les 
voyons  disposés  à  courir  les  aventures.  Ils  savent  ce  qu'ils  risquent  d'y  perdre,  sans 
Toir  clairement  ce  qu'ils  peuvent  y  gagner. 

lUs  se  sentent  nécessaires  les  uns  aux  autres,  et  ils  ont  une  tendance  chaque  jour 
plos  marquée  à  s'unir  dans  leurs  grandes  entreprises. 

«Entre  la  France  et  l'Angleterre,  j'ai  beau  chercher,  je  ne  vois  vraiment  aucune 
•question  essentielle  pouvant  les  diviser,  et  je  vois  au  contraire  des  intérêts  considé- 
rables pouvant  et  devant  les  unir.  Nos  échanges  s'élèvent  à  deux  milliards.  Notre 
commerce  et  nos  industries  ne  se  font  pas  concurrence,  puisque  nos  produits  ne 
«ont  pas^les  mêmes,  et  nos  marchés  financiers  seraient  fort  embarrassés  de  se 
passer  l'un  de  l'autre.  Ce  sont  là  des  vérités  que  personne  n*ignore  dans  le  monde 
ées  affaires,  et  qu'on  ne  saurait  trop  opposer  à  certains  égarements  de  l'opinion 
pabliqne.  Noos  avons  besoin  les  uns  des  autres.  Nous  n'avons  aucun  motif  sérieux 
de  dissentiments,  et  nous  devons  toujours  chercher  à  concilier  Aos  intérêts,  et  nous 
inspirer  de  ces  sentiments  de  mutuel  respect  qui  sont  seuls  dignes  de  deux  grandes 
nationfi.  » 

QuuT.  DiPL.  iT  Col.  —  t.  xv.  23 


SITUATIOiN  ÉCONOMIQUE  DE  LA  COTE   D'IVOIRE 


Nos  possessions  de  la  côte  occidentale  d'Afrique  sont  géné- 
ralement peu  connues  ;  mais  parmi  elles  la  Côte  d'Ivoire  paraît 
presque  mystérieuse,  malgré  les  récits  des  Binger,  des  Monnier, 
des  d'Ollone.  Aussi,  nos  commerçants  et  nos  colons  hésitent-ils 
à  pénétrer  ce  coin  de  terre  et  à  y  tenter  des  exploitations  qui 
pourraient  être  très  productives.  Puissent  les  quelques  rensei- 
gnements qui  suivent,  et  que  nous  avbns  vérifiés  sur  place, 
montrer  que  notre  jeune  colonie  est  digne  d'attirer  les  capitaux 
français  et  que  son  avenir  est  plein  de  promesses  ! 

C'est  vers  1842  qu'eurent  lieu  les  premières  tentatives  d'oc- 
cupation de  la  basse  Côte  d'Ivoire  alors  dénommée  «  établis- 
sements français  de  la  Côte  d'Or  »  :  par  des  traités  passés  avec 
les  indigènes,  la  France  s'engageait  à  payer  une  redevance  aux 
chefs  du  pays  qui,  en  échange,  nous  cédaient  des  terrains  sur 
la  côte  et  promettaient  de  protéger  nos  nationaux. 

Un  peu  plus  tard  des  postes  militaires  furent  créés  à  Asssinie 
et  Grand-Bassam  et  Faidherbe  construisit  le  poste  de  Dabou, 
qui  sert  aujourd'hui  de  résidence  à  l'administrateur.  A  la  suite 
de  la  campagne  anticoloniale  qui  précéda  la  guerre  de  1870,  les 
postes  furent  évacués,  mais  le  gouvernement  maintint  à  Assinie 
un  agent  officiel,  M.  Verdier,  dont  les  efforts  nous  conservèrent 
la  suprématie  dans  ces  régions.  Plus  récemment,  des  agents  de 
Vefdier  et  des  explorateurs  officiels  signèrent  quelques  traités 
avec  des  chefs  indigènes  ;  ces  traités  n'avaient  d'autre  but  que 
la  reconnaissance  de  notre  pavillon  et  notre  possession  fut  en 
réalité  délimitée  par  des  conventions  conclues  avec  les  puis- 
sances dont  les  zones  d'influence  avoisinent  les  nôtres.  Les 
conventions  anglo-françaises  du  10  août  1889,  du  26  juin  1891, 
du  14  juin  1898  et  celle  du  8  décembre  1892  entre  la  France  et 
le  Libéria  déterminèrent  les  frontières  de  la  Côte  d'Ivoire. 

Notre  nouvel  établissement  reçut  en  1889  une  première  orga- 
nisation qui  ressemblait  beaucoup  à  un  protectorat  ;  ceux  qui 
l'avaient  conçue  n'avaient  oublié  qu'une  chose,  c'est  qu  un  pro- 
tectorat exige  un  état  protecteur  et  un  état  protégé:  or  il  naan- 
quait  le  second  de  ces  facteurs.  Il  n'y  avait  pas  à  la  Côte 
d'Ivoire  d'état  organisé  comme  à  Madagascar,  au  Cambodg'e,  en 
Tunisie  ou  à  Tahiti  ;  chaque  tribu  vit  encore  indépendante  de  sa 
voisine  et  il  n'y  avait  aucun  pouvoir  central  indigène.  Les 
vices  de  Jnotrè  première  organisation  furent  vite  constatés,  car 
on  la  modifia  en  1891  ;  malheureusement  la  nouvelle  concep- 


1-»^ 


SITUATION   ÉCONOMIQUE   DE  LA   CÔTE  D*IV01RE  33S^ 

bon  ne  fut  pas   plus  heureuse.  Tous  nos  établissements;  du 

^Ifedu  Bénin  furent  réunis  pour  former  le  gouvernement  de  . 

la  Guinée  française  qui  ne  dura  que  quelques  mois,  et  la  Côte 
d  Ivoire  fut  enfin  constituée  en  colonie  indépendante  le 
10  mars  1893.  Les  décrets  du  17  octobre  1899  et  du 
1"  octobre  1902,  qui  la  placent  sous  l'autorité  du  gouverneur  de 
TAfrique  occidentale,  laissent  subsister  son  autonomie  admi- 
ni>trative  et  financière  :  le  premier  de  ces  décrets  lui  a  ajouté 
les  riches  régions  soudanaises  d'Odjenné,  de  Kong  et  de  Touba. 

La  Côte  d'Ivoire  est  administrée  actuellement  par  un  lieute- 
oaDt-gouvemeur  résidant  à  Bingerville  ;  ce  haut  fonctionnaire 
♦^l  assisté  d'un  secrétaire  général  et  de  tous  les  chefs  de  seryipe 
habituels  d'une  colonie  (finances,  douanes,  justice,  travaux 
publics,  service  de  santé,  etc.).  Le  pays  est  divisé  en  régions 
lu  cercles  militaires  dirigés  par  des  fonctionnaires  et  des  offi- 
•  iers  et  dans  lesquels  l'administration  est  particulièrement  dif- 
icile,  les  indigènes  ne  formant  pas  de  groupements  et  n'ayant 
lias  (le  chefs  reconnus.  La  vallée  de  la  Comoë,  le  Baoulé  et  la 
répon  de  Kong  sont  effectivement  occupés  par  nos  troupes,  à 
la  suite  de  pénibles  efforts  et  de  très  douloureuses  pertes;  mais 
[■artout  ailleurs  notre  autorité  est  méconnue. 

Au  point  de  vue  géographique,  on  dénomme  Côte  d'Ivoire  la 
région  comprise  entre  les  5®  et  10"  degrés  de  longitude  Nord 
Ttles  5*  et  10*  degrés  de  latitude  Ouest  (méiridien  de  Paris). 
k  relief  du  sol  va  s'élevant  progressivement  de  la  mer  au 
plateau  soudanais  ;  des  observations  déjà  faites  ',  il  résulte  que 
i«  soulèvements  montagneux  sont  d'une  façon  générale  paral- 
1%  à  la  mer;  les  premiers  seuils  rocheux  se  retrouvent  en 
effet  sur  le  Cavally,  la  Sasandra,  le  Bandama  et  la  Comoe  à 
une  distance  de  20  à  70  kilomètres  au  plus  de  leur  embouchure. 

Tout  le  long  du  rivage  s'étend  un  chapelet  de  lagunes  sép^- 
îm  de  la  mer  par  une  bande  de  sable  qui  atteint  souvent 
1.200  mètres  de  largeur  :  ces  lagunes  reçoivent  les  cours  d'eau 
Tt'nant  de  l'intérieur  et  communiquent  avec  la  mer  par  leurs 
embouchures;  cette  communication  n'a  lieu  qu'aux  hautes  eaux 
et  les  difficultés  de  la  barre,  jointes  à  la  faible  profondeur  des 
tmbouchures,  empêchent  toute  communication  par  bateau  de  1^ 
mer  dans  les  lagunes,  et  inversement.  Le  long  de  la  bande  de 
sable  qui  sépare  les  lagunes  de  la  mer  sont  semés  de  petits 
filages  de  pêcheurs  qui  font  aussi  un  peu  d'élevage  ;  chaque 
village  a  son  parc  à  bœufs,  son  étable  et  beaucoup  de  volaille^. 

Après  les  lagunes,  on  trouve  quelques  savanes,  puis 
i  immense  forêt  qui  s'étend  jusqu'à  près  de  400  kilomètres  dans 

^UplQfrr«c«ote  eftt  d«  ràdminifttratour  Tfaomaim  dans  la  Sasaodra  (avril  )i»dâ). 


356  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

l'intérieur  formant  une  large  bande  boisée,  dans  laquelle  les 
seuls  espaces  découverts  sont  ceux  qui  entourent  les  villages  ; 
les  indigènes  cultivent  dans  ces  éclaircies  le  manioc,  le  maïs  et 
la  banane.  La  forêt  a  tous  les  caractères  de  la  végétation  tropi- 
cale, elle  est  très  dense  ;  les  rares  pistes  qui  permettent  de  la 
traverser  épousent  les  formes  du  terrain  et  sont  encombrées  de 
lianes,  de  racines,  de  troncs  d'arbres  qui  rendent  la  circulation 
très  lente.  L'an  dernier,  nos  troupes  ont  ouvert  de  Tiassalé, 
point  terminus  de  la  navigation  fluviale  sur  le  Bandama,  à 
Singrobo,  au  débouché  de  la  forêt,  une  percée  de  16  mètres  de 
large,  qui  rend  la  forêt  plus  facile  de  la  mer  vers  le  Soudan. 

On  trouve  dans  cette  zone  des  milliers  de  singes,  quelques 
panthères,  et  surtout  des  fourmis  et  des  serpents,  ces  derniers 
souvent  venimeux.  11  est  indispensable,  quand  on  se  déplace 
dans  cette  région,  d'avoir  du  sérum  anti venimeux  dans  sa  phar- 
macie de  voyage.  On  trouve  aussi  beaucoup  de  gibier  à  plumes, 
des  volailles  domestiques,  quelques  chiens  et  des  chats. 
L'épaisseur  de  la  forêt,  l'humidité  persistante  qu'elle  entretient 
est  un  obstacle  absolu  à  l'élevage  :  aussi  ne  vdit-on  ni  chevaux, 
ni  mulets,  ni  bœufs.  L'expédition  Monteil  a  perdu  tous  les 
équidés  qu'elle  avait  amenés  d'Europe;  depuis,  deux  nouvelles 
tentatives  d'acclimatement  de  chevaux  et  de  mulets  ont  échoué. 
Peut-être  plus  tard,  en  transformant  des  hauteurs  boisées  en 
savanes  où  pénétrera  un  peu  le  soleil,  pourra-t-on  faire  vivre 
quelques  équidés,  mais  pour  le  moment  il  ne  faut  pas  y  songer. 

Plus  au  Nord,  la  forêt  s'éclaircit  pour  faire  place  à  la  savane, 
coupée  de  loin  en  loin  par  des  ruisseaux  dont  le  cours  est 
marqué  par  une  forte  bande  de  végétation  :  chacun  de  ces  cours 
d'eau, presque  à  sec  une  partie  de  l'année,  devient  torrentueux  à 
la  saison  des  pluies.  Nous  sommes  là  dans  la  zone  de  transition 
entre  la  forêt  dense  et  la  région  soudanaise  :  les  villages  de- 
viennent de  plus  en  plus  nombreux  au  fur  et  à  mesure  que  l'on 
s'avance  dans  l'intérieur;  ils  sont  dissimulés  dans  des  bouquets 
de  bois  et  l'on  passe  auprès  d'eux  sans  s'en  douter.  Beaucoup 
ne  sont  du  reste  que  des  campements  provisoires  placés  auprès 
des  terrains  de  cultures  {lougans)  que  les  indigènes  changent 
tous  les  ans  et  où  ils  cultivent  le  mil,  le  maïs,  le  manioc,  les 
pois  du  Cap,  etc..  La  zone  que  nous  venons  de  dépeindre  couvre 
le  cours  moyen  de  tous  les  fleuves  ;'elle  est  connue  et  exploitée 
dans  la  Comoé  depuis  quelques  années  ;  le  Raoulé  qui  en  fait 
partie  est  occupé  depuis  trois  ans. 

La  troisième  zone  de  la  colonie  appartient  au  climat  souda- 
nais, comme  végétation  et  comme  régime  météréologique  ;  le 
terrain  est  très  mamelonné  et  couvert  de  savanes;  elle  com- 


COTE  D'IVOrRE 

J-XIOR 
Juillet  1902 

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1. 


358  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONULES 

prend  les  cercles  d'Odjenné,  de  Touba  et  de  Kong;  ce  sont  des 
régions  riches  où  Ton  récolte  le  coton,  Tindigo  et  le  caoutchouc; 
on  y  trouve  aussi  beaucoup  d'or.  L'industrie  existe  grâce  au 
coton  et  à  Tindigo  qui  permettent  la  confection  des  pagnes 
blancs  et  rouges  que  portent  si  fréquemment  les  indigènes;  on 
y  fait  aussi  un  peu  d'élevage. 

L'hydrographie  delà  Côte  d'Ivoire  estsimple  ;  on  trouve  perpen- 
diculairement à  la  mer  les  quatre  grands  bassins  à  peu  près  pa- 
rallèles du  Cavally,  de  la  Sasandra,  du  Bandama  et  de  la  Comoë. 

La  première  de  ces  vallées  qui  ait  été  parcourue  est  celle  de 
la  ComoC  pour  laquelle  il  y  a  un  véritable  engouement  au  point 
de  vue  minier;  cette  vallée  ne  représente  qu'une  très  faible 
partie  de  notre  établissement.  Si  les  bassins  du  Bandama,  de 
la  Sasandra  et  du  Cavally  sont  moins  connus  au  point  de  vue 
minier,  ils  le  sont  cependant  assez  pour  que  l'on  puisse  dire 
que  leurs  productions  forestières  et  végétales  peuvent  être 
mises  en  parallèle  avec  les  richesses  pif)blématiques  de  la 
Comoë.  On  a  donc  grand  tort  dans  les  milieux  officiels  de  ne 
considérer  notre  établissement  que  par  Toptique  d'anciens 
explorateurs  qui  en  sont  encore  à  l'époque  où  Ton  ne  connais- 1 
sait  à  la  Côte  d'Ivoire  que  la  vallée  de  la  Comoë  et  la  région  des  ! 
lagunes.  Les  régions  de  Kong,  du  Baoulé  et  de  la  Sasandra  sont 
de  beaucoup  les  plus  peuplées  et  les  plus  riches, c'est  elles  qu'il! 
faut  désigner  à  l'attention  des  futurs  colons  :  vouloir  le  nier,  c'est 
reculer  encore  de  plusieurs  années  Téclosion  d'un  pays  qu'une 
politique  trop  vieille  de  douze  ans  s'obstine  à  retarder.  Espérons 
que  l'intervention  active  de  M.  Roume  dans  cette  partie  de  son 
gouvernement  général  modifiera  l'esprit  par  trop  stationnaire 
qui  a  prévalu  jusqu'à  ce  jour. 

Au  point  de  vue  climatologique,  on  peut  partager  la  Côte 
d'Ivoire  en  deux  régions  bien  distinctes.  La  région  forestière, 
dont  la  température  varie  entre  18*  et  38"*  et  où  la  saison  des 
pluies  dure  de  fin  mars  à  novembre  avec  une  petite  interrup- 
tion en  juillet  et  en  août  :  le  climat  est,  dans  cette  partie,  assez 
pénible  pour  les  Européens  à  cause  de  l'humidité;  c'est  le 
climat  tropical,  mais  il  faut  reconnaître  qu'il  n'y  a  pas  de 
décès  parmi  les  Européens  qui  ne  font  pas  d'excès,  de  travail 
ou  autre.  En  n'allant  pas  au  soleil,  en  usant  de  la  quinine  et  en 
se  nourrissant  bien,  on  a  des  chances  de  ne  pas  être  malade. 

La  deuxième  zone  comprend  la  région  soudanaise,  beaucoup 
plus  saine  que  la  première;  la  saison  sèche  y  dure  neuf  mois  de 
l'année  et  il  n'y  a  pas  de  paludisme;  les  Européens  y  vivent  bien. 

Population,  —  Main-d'œuvre.  —  Le  recensement  de  1901 
a  constaté  la  présence  de  1.902.395  indigènes  dans  les  cercles 


SITUATION   ÉCONOMIQUE   DE   LA   CÔTE  d'IYOIRE  1    359 

00  régions  où  notre  autorité  est  effective  \  soit  environ!  un  quart 
de  la  colonie;  les  régions  les  plus  peuplées  sont  celles  de  Kong 
et  du  Baoulé  qui  ont  une  moyenne  de  12  habitants  par  kilomètre 
carré. 

Les  principaux  centres  de  la  colonie  sont,  sur  le  bord  de  la 
mer  :  Grand-Bassam,  Âssinie,  Jacque  ville,  Grand- Lahou,  Fresco, 
Sasandra,  San- Pedro,  Béréby,  Tabou  et  Cavally.  Les  villages 
côtiers  nombreux  comprennent  une  quarantaine  de  cases  en 
bois,  abritant  chacune  une  famille  de  quatre  à  cinq  personnes. 

Dans  l'intérieur,  en  dehors  des  grands  centres  comoie  Tias- 
salé,  Toumodi,  Bonaké,  Odjenné,  Kong,  Bondoukou,.Satama, 
Sokouro,  etc.,  qui  ont  de  1.000  à  5.000  habitants,  les.  villages 
sont  formés  de  groupements  de  10  à  50  cases  environ.-  La 
suppression  de  l'esclavage  a  permis  de  créer  dans  la  haute 
côte  des  villages  dits  de  liberté  où  chaque  famille  a  sa  case  ; 
mais  généralement  un  village  est  formé  d'un  certain  nombre 
d  enclos  circulaires  d'une  centaine  de  mètres  de  diamètre  : 
adossés  au  mur  d'enceinte  de  ces  enclos  sont  de  petites  cases 
qui  servent  de  logements  aux  esclaves  ou  aux  ouvriers  dn 
maître  ou  du  patron,  suivant  la  façon  dont  on  le  dénomme, 
qui  est  seul  propriétaire  de  l'ensemble.  Le  nombre  des  enclos 
de  ce  genre  diminue  de  plus  en  plus  et  tend  à  disparaître.     ! 

La  libération  des  esclaves  a  eu  pour  effet  de  rendre  lo 
recrutement  de  la  main-d'œuvre  difficile  et  son  prix  assez 
élevé  ;  en  principe,  à  la  Côte  d'Ivoire,  l'homme  ne  travaille 
qu'aux  cultures  ou  à  sa  case  dans  le  pays  qu'il  habite  ;  le  reste 
du  temps,  il  chasse  ou  se  repose  et  c'est  la  femme  qui  travaille  ; 
aussi  est-il  très  difficile  de  trouver  parmi  les  autochtones  .des 
ouvriers.  Les  ouvriers  d'art  n'existent  pas  et  il  faut  aller  cher- 
cher au  Sénégal  ceux  dont  on  a  besoin.  Le  prix  de  la  main- 
d'œuvre  diffère  beaucoup  suivant  les  régions  :  il  ne  dépasse  pas 
2  fr.  50  pour  les  ouvriers  et  1  fr.  pour  les  manœuvres  dans  la 
haute  Côte  ;  dans  la  basse  Côte,  les  ouvriers  d'art  qui  viennent  de 
l'extérieur  se  paient  jusqu'à  4  fr.  par  jour,  les  manœuvres  1  .fr. 

Le  long  de  la  côte  de  Béréby,  entre  le  Cavally  et  la  Sasandra, 
on  trouve  quelques  peuplades  de  travailleurs  que  l'on  dénomme 
Kroumen;  les  Kroumen  font  un  métier  analogue  à  celui  des 
Saints-Mariens  de  Madagascar  :  c'est  parmi  eux  que  les  paque- 
bots recrutent  leurs  manœuvres  et  ce  recrutement  n'est  pas 
l'une  des  moindres  originalités  du  voyage.  I^es  villages  de  cette 
région  portent  tous  la  dénomination  générale  de  Béréby.  Il  y 
a  Grand-Béréby,  Moyen-Béréby,  Petit-Béréby,  etc.  A  hauteur 

*  On  a  d'ailleurs  reconnu  que  ce  recensement   n'était  pas   absolun^ent  exact,  les 
indisiènes  ayant  dissimulé  leur  nombre  réel  pour  payer  moinâ  d'ànp&tsiie  capitalion. 


360  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLOfKIALKS 

du  premier  d'entre  eux,  les  navires  venant  d'Europe  stoppent 
et  font  des  appels  à  l'aide  de  leur  sirène  et  de  leur  sifflet  jusqu'à 
ce  que  Ton  voie  sur  la  plage  un  certain  nombre  de  nègres 
courir  à  leur  pirogue,  les  mettre  à  la  mer  malgré  la  barre  qui 
les  rejette  maintes  fois  sur  la  plage  et  venir  grimper  à  bord 
à  l'aide  de  cordages  au  milieu  de  cris  de  toute  sorte  ;  une 
partie  d'entre  eux  retourne  ensuite  à  terre  dans  les  pirogues 
qui,  bousculés  par  la  houle,  chavirent,  sont  remises  d'aplomb, 
pour  recommencer  à  chavirer  un  peu  plus  loin  et  ainsi  jusqu'à 
la  plage.  Gela  ne  g^ne  en  rien  les  Kroumen  qui  nagent  comme 
des  poissons  et  semblent  prendre  un  véritable  plaisir  à  ces 
bains  forcés.  Pendant  ce  temps,  quelques-uns  de  ceux  qui  sont 
montés  à  bord  se  font  reconnaître  par  le  maître  d'équipage  et 
s'engagent  pour  un  voyage  (aller  et  retour)  jusqu'à  Matadi, 
soit  vingt-cinq  jours  environ  d'absence.  D'autres  discutent  le 
prix  de  leur  passage  jusqu'à  Grand-Lahou,  Grand-Bassam  ou 
Porto-Novo  où  ils  vont  remplacer  un  certain  nombre  de  leurs 
camarades  travaillant  pour  des  administrations  publiques  ou 
des  maisons  de  commerce.  C'est  la  conséquence  de  contrats 
collectifs  passés  par  les  villages  avec  des  engagistes  :  Tadmi- 
nistration  française,  qui  a  un  représentant  à  Béréby,  facilite 
beaucoup  le  recrutement  de  ces  travailleurs  qui  constituent  une 
main-d'œuvre  appréciable.  Leur  salaire  varie  de  1  franc  à 
i  fr.  50  par  jour;  mais  ils  sontnourris,  ce  qui  majore  leur  paie 
journalière  d'environ  50  centimes.  Ces  travailleurs  sont  utilisés 
tout  le  long  de  la  côte  et  dans  les  basses  vallées  de  la  Comoë 
et  du  Bandama^  mais  ils  ne  vont  pas  volontiers  loin  dans 
l'intérieur  :  ils  sont  très  recherchés  par  les  colons  et  les  com- 
merçants de  la  côte.  Jusqu'en  1901,  les  navires  étrangers,  en 
particulier  les  anglais,  recrutaient  à  leur  passage  de  nombreux 
Kroumen  sous  le  prétexte  de  les  employer  à  bord,  puis  les 
débarquaient  dans  une  de  leurs  colonies  où,  bon  gré,  mal  gré, 
ils  étaient  obligés  de  travailler  pour  vivre  et  gagner  le  pécule 
nécessaire  pour  leur  voyage  de  retour.  Le  gouvernement,  saisi 
de  plaintes  par  les  indigènes,  vient  de  réglementer  ces  engage- 
ments et  a  imposé  une  taxe  de  100  francs  par  chaque  Krou- 
man  embarqué  sur  un  bateau  étranger. 

Le  portage  est  assuré,  dans  toute  la  colonie,  par  une  race 
spéciale  qui  vient  du  Soudan,  la  race  dioula  :  le  dioula  est 
l'intermédiaire  entre  le  vendeur  européen  et  l'acheteur  indi- 
gène; il  se  rend  à  la  côte  à  petites  journées,  y  achète  une  paco- 
tille qu'il  transporte  ensuite  très  loin  dans  Tintérieur,  en  utili- 
sant d'abord  des  pirogues  dans  la  partie  navigable  des  cours 
d'eau,  puis,  moyennant  une  faible  redevance,  les  femmes  des 


SITUATION  ÉCONOMIQUE   DE  LA   g6tE   D*IV0IRE  361 

villages  qu'il  traverse,  ou  même  des  captives.  Notre  répulsion 
pour  remploi  des  femmes  au  portage,  répulsion  très  humaine 
et  que  Ton  ne  peut  qu'encourager,  nous  a  valu  de  graves  diffi- 
culiés.  La  révolte  du  Baoulé  provient  en  partie  de  là. 

Habitués  à  voir  travailler  et  porter  les  femmes  alors  qu'ils 
ne  faisaient  rien  eux-mêmes,  les  hommes  ont  été  profondément 
vexés  de  ce  que  nous  les  obligions  à  participer  au  transport  du 
ravitaillement  des  troupes,  d'où  un  mécontentement  général  qui 
s'est  traduit  par  un  soulèvement.  Heureusement,  au  fur  et  à 
mesure  de  notre  installation,  les  besoins  ont  diminué  et  le 
calme  est  en   partie   revenu  le  long  de  la  ligne  d'étapes. 

Système  dC échanges,  —  Les  monnaies  françaises  ont  cours 
1^  et  sont  d'un  emploi  usuel  sur  la  côte.  Dans  Tintérieur,  il 
nen  est  pas  de  même,  la  monnaie  de  billon  est  totalement 
inconnue  ;  Tan  dernier,  des  indigènes  m'ont  refusé  des  pièces  de 
5  et  de  10  centimes  sur  la  route  de  Tiassalé  au  Soudan  qui  est 
très  fréquentée  par  les  caravanes  commerciales  et  par  nos 
troupes.  Les  pièces  d'argent  étant  seules  acceptées  dans  tout  le 
pays  que  nous  occupons,  la  plus  petite  monnaie  est  en  fait  la 
pièce  de  50  centimes.  La  monnaie  du  pays  qui  tend  à  dispa- 
raître est  la  manille,  sorte  de  bracelet  en  cuivre  dont  le  cercle 
d  2  à  3  centimètres  de  diamètre,  dont  la  valeur  nominale  est 
de  20  centimes  et  qui  pèse  de  140  à  150  grammes  ;  on  voit  par  là 
conabien  cette  monnaie  est  encombrante  et  lourde.  Les  habitants 
du  Baoulé  les  recherchent  beaucoup  pour  les  couper  en  mor- 
<>;aux  qui  leur  servent  de  balles  pour  la  guerre. 

Dans  l'intérieur,  le  système  d'échange  est  la  traite  :  la  poudre 
d  or,  le  caoutchouc,  les  vivres  de  toute  sorte  sont  troqués  par 
l'indigène  contre  des  étoffes,  du  sel,  du  savon,  des  allu- 
mettes, etc. 

Colonisation,  —  La  population  européenne  comprend 
378  représentants,  dont  142  militaires  et  136  fonctionnaires  ou 
colons.  La  colonisation  n'existe  pour  ainsi  dire  pas,  à  peine 
trouve-t-on  une  dizaine  d'exploitations  agricoles  créées  par  des 
Européens,  portant  sur  la  culture  du  café,  du  cacao,  du  caout- 
chouc, du  tabac  et  de  la  vanille  :  la  plus  ancienne  et  la  plus 
prospère  est  la  plantation  de  café  d'Elima,  créée  par  M.  Verdier, 
qui  comprend  près  de  150.000  plants  et  sur  laquelle  on  trouve 
une  usine  pour  la  préparation  des  cafés. 

Sur  le  Cavally,  une  société  française  exploite  une  concession 
Je  1.500  hectares;  la  Société  coloniale  française  de  la  Guinée 
possède  à  Dabou  une  plantation  de  caoutchouc,  de  cacao,  de 
tabac  et  de  vanille  ;  la  mission  catholique  possède  en  ce  point 
une  plantation  de  cacao  et  de  café  de  200  hectares  ;  la  maison 


362  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

Fraissinet  exploite  aussi  plusieurs  concessions  près  de  la  mer. 
Il  n'y  a  pas  de  petite  colonisation  agricole;  les  concessions 
territoriales  de  faible  étendue  sont  des  parcelles  de  terrain 
demandées  pour  la  construction  de  maisons  d'habitation  ou  de 
magasins.  La  zone  boisée,  qui  s'étend  sur  plus  de  200  kilomè- 
tres dans  rintérieur,  est  d'ailleurs  un  gros  obstacle  à  la  coloni- 
sation ;  cependant  la  législation  locale  a  été  conçue  dans  un 
esprit  libéral,  elle  n'impose  dans  Tintérieur  qu'une  redevance 
variant  de  5  à  50  centimes  par  hectare  et  par  an  pour  les  cul- 
tures riches  et  de  5  à  25  centimes  pour  les  terrains  d'élevage  ; 
les  droits  sont  doubles  dans  la  région  côtière.  Jusqu'à  présent, 
d'ailleurs,  toutes  les  exploitations  coloniales  ont  été  dégrevées 
de  ces  droits  à  titre  gracieux. 

Au-dessus  de  10.000  hectares,  les  concessions  sont  données 
par  le  ministre,  qui  a  examiné  la  possibilité  d'en  octroyer  : 
nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  revenir  ici  sur  les  difficultés 
que  soulève  Toctroi  des  grandes  concessions  en  Afrique,  au 
moment  où  les  Anglais  après  des  essais  pénibles  sont  obligés  de 
substituer  l'action  gouvernementale  à  celle  des  compagnies 
d'exploitation.  Nous  pouvons  affirmer  en  tout  cas  que  ce  système 
aurait  ici  de  grandes  chances  d'insuccès,  le  caractère  des  indi- 
gènes, fétichistes  sauvages,  sans  aucune  organisation  politique, 
ne  se  prêtant  nullement  à,  la  colonisation  par  des  compagnies 
concessionnaires. 

Une  grande  concession,  antérieure  à  la  législation  actuelle,  a 
cependant  été  accordée  il  y  a  plusieurs  années  :  c'est  celle  de 
M.  Verdier  qui,  comme  patriote  et  comme  colon,  a  rendu  de 
grands  services  à  la  France.  A  la  suite  de  difficultés  malencon- 
treuses, cette  concession  lui  fut  illégalement  retirée  :  après 
examen  de  l'affaire,  le  conseil  d'État  donna  raison  à  M.  Verdier 
et  condamna  l'Etat  à  lui  rendre  ses  terrains  et  à  lui  payer 
une  indemnité  de  1.500.000  francs.  La  grosse  faute  adminis- 
trative et  l'injustice  flagrante,  que  le  conseil  d'Etat  a  ainsi  répa- 
rées, pèsent  lourdement  sur  la  colonie  dont  le  budget  est  grevé 
d'une  annuité  de  125.000  francs  à  payer  à  la  Compagnie  fran- 
çaise de  Kong,  qui  a  succédé  à  M.  Verdier.  Cette  Compagnie  a 
créé  quelques  comptoirs  dans  l'intérieur  et  un  embryon  d'orga- 
nisation commerciale  :  elle  a  une  chaloupe  qui  remorque  des 
chalands  de  10  à  40  tonnes  entre  Grand-Lahou  et  Tiassalé. 

J.    XlOR. 


QUATRE   PLAIES    COLONIALES 


Les  petites  causes  ont    souvent  de  grands    effets.  Sail-mi 
pourquoi  Félevage  du  bétail  et  des  chevaux,  industrie  si  pm^- 
père  autrefois  dans   rAmérique  du    Sud,    est   à    la  veille  *\t^ 
cesser?  Sait-on  pourquoi  l'île  Maurice  ne  possède  plus  de  trou- 
peaux? Connait-on  les  raisons  de  Teffroyable  consommation  -^ri  '  d 
chevaux   faite   pendant  la    guerre    sud-africaine  par  rarnnio  1 
anglaise?  Enfin,  savons-nous  pourquoi,  dans  certains  districts 
de  rinde,  les  chevaux  n'ont  jamais  pu  s'acclimater  ?  Les  aduiî- 
rabies  prairies  américaines  sont  cependant  toujours  aussi  wr-  | 
doyantes  ;  on  pourrait  en  dire  autant  des  vallées  de  Maurice  ;  ' 
les  raids  de   French    n'expliquent  pas  la  mort  de    plus    il'-  j 
200.000  chevaux;  enfin  les  stations  hindoues,  fatales  à  certain r. 
animaux,  sont  souvent  les  plus  belles  et  les  plus  fréquentiM'^i 
par  les  Européens. 

Sait-on  enfin  pourquoi  l'Afrique  est  restée  si  longtemps  hi 
continent  mystérieux  ? 

A  cause  d'un  insecte  et  d'un  infiniment  petit  qu'on  ne  piiil 
voir  qu'au  microscope  et  qui  mesure  dans  ses  plus  gramli*^ 
dimensions  quelques  millièmes  de  millimètre,  une  vingtaiih, 
tout  au  plus. 

L'insecte  s'appelle  tsé-tsé  en  Afrique,  burra-dhang  dnn^ 
l'Inde,  mouche  du  Paraguay  en  Amérique;  quant  à  l'infitii- 
ment  petit,  il  est  représenté  par  un  de  ces  organismes  élémi'ii* 
taires  que  les  biologistes  classent  au  dernier  échelon  de  réchell*' 
des  êtres  vivants  et  il  a  été  baptisé  du  nom  un  peu  barbin  i! 
de  trypanosome. 

Comment  la  mouche  tsé-tsé  et  le  trypanosome  arrivenUiN 
à  produire  de  semblables  effets?  Il  n'y  a  pas  longtemps  ipu' 
nous  sommes  fixés  sur  ce  point  intéressant  de  la  médeciin' 
exotique,  mais  l'intérêt  qui  s'attache  à  la  question  touche  \h' 
trop  près  l'industrie  et  le  commerce  des  colonies  pour  qu'uii 
ne  s'attarde  pas  quelques  instants  à  son  étude. 

Il  existe  dans  la  zone  intertropicale  quatre  maladies  qui  p<ir- 
tent  des  noms  différents  suivant  les  contrées,  s'appelleiil 
nagana  en  Afrique,  surra  dans  l'Inde,  mal  de  cadeiras  diiri> 
l'Amérique  du  Sud,  dourine  en  Algérie,  et  sont  dues  au  trypn- 


364  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

nosome  comme  le  paludisme  de   Thomme  est  dû  à  Théma- 
tozoaire. 

Passons  donc  en  revue  dans  une  esquisse  aussi  rapide  el 
aussi  nette  que  possible  chacun  de  ces  fléaux  que  Livingstone 
considérait  comme  l'obstacle  le  plus  grand  à  la  pénétration  des 
Européens  dans  les  contrées  inexplorées  de  l'Afrique. 


Le  nagana  était  connu  depuis  fort  longtemps  dans  la  plus 
grande  partie  du  continent  africain  lorsque  le  médecin  anglais 
Bruce  étudia  d'une  manière  complète  la  maladie  à  Ubombo,  au 
Zoulouland,  en  1896.  Les  explorateurs  l'avaient  signalée  par- 
tout où  ils  avaient  rencontré  la  mouche  tsé-tsé.  Le  Sud  et  le 
Sud-Est  de  l'Afrique  semblent  plus  particulièrement  éprouvés 
par  le  nagana.  Le  D'  Scloss  au  Congo  belge,  l'Allemand  Koch 
dans  l'Afrique  orientale  allemande,  Stordy  dans  l'Afrique 
orientale  anglaise,  ont  tour  à  tour  confirmé  les  recherches  de 
Bruce.  En  18S7,  Livingstone  avait  observé  la  maladie  sur  les 
rives  du  Zambèze.  Un  médecin  français,  le  D""  Morel,  l'a  récem- 
ment rencontrée  sur  le  Chari  et  ses  affluents.  Nous  reviendrons 
sur  les  constatations  de  ce  dernier  observateur.  L'Anglais 
Brumpt,  en  mission  au  Somaliland  en  1900,  vit  tous  les  cha- 
meaux, unes  et  mulets  de  la  caravane  succomber,  et  dut  inter- 
rompre son  voyage.  Bien  avant  lui,  en  1867,  un  vétérinaire 
anglais,  Hallen,  s'était  trouvé  aux  prises  avec  les  mOmes  diffi- 
cultés pendant  l'expédition  d'Abyssinie.  Enfin,  on  se  rappelle 
encore  les  envois  considérables  de  chevaux  faits  par  l'Angle- 
terre dans  rAfrique  du  Sud,  pour  remplacer  les  victimes  du 
nagana  bien  plus  que  celles  de  la  guerre. 

Les  animaux  que  le  mal  peut  terrasser  sont  nombreux,  et 
parmi  eux,  il  convient  de  citer  le  cheval,  la  mule,  Tâne,  le 
bœuf,  le  chien,  le  chat  et  beaucoup  d*autres  dont  l'énuméra- 
tion  serait  trop  longue.  La  maladie  dure  de  quelques  jours  à 
quelques  semaines  et  exceptionnellement  plusieurs  mois.  Le 
cheval,  l'ône  et  le  chien  meurent  fatalement,  mais  quelques 
représentants  de  la  race  bovine  sont  susceptibles  de  guérison. 
Les  ânes  de  Massai,  les  moutons,  les  chèvres  et  les  porcs  résis- 
teraient bien,  en  général,  à  l'invasion  du  nagana.  D'après 
Livingstone  et  Foà,  les  animaux  sauvages  jouiraient  d'une 
immunité  particulière,  mais  M.  Laveran,  qui  a  particulièrement 
étudié  le  nagana  et  son  parasite,  estime  que  les  animaux  sau- 
vages n'ont  qu'une  tolérance  plus  grande  pour  le  trypanosome, 
car  la  tsé-tsé  puise  très  souvent  en  eux  le  germe  de  la  maladie 
pour  le  transporter  ensuite  sur  des  individus  sains. 


HM'-r^  ~  -I 


QUATRE   PLAIES  COLONIALES  365 

Tandis  que  la  plupart  des  animaux  domestiques  qui  peuvent 

être  utilisés  aux  colonies  sont  exposés  à  mourir  du  nagana, 
Ihomme  parait  être  réfractaire  aux  atteintes  du  mal.  FoSt  rap- 
porte avoir  été  piqué  un  grand  nombre  de  fois  par  la  mouche 
t^tsé sans  dommage  sérieux.  Cependant  divers  médecins  ont 
signalé  cinq  cas  où  le  trypanosome  a  été  trouvé  dans  le  sang 
J'homnaes  atteints  de  fièvre  et  d'anémie.  Ces  observations  sont 
encore  trop  peu  nombreuses  pour  qu'il  soit  possible  d'admettre 
rinfection  de  T homme  par  la  maladie. 

Les  principaux  symptômes  sont  les  suivants  :  de  la  fièvre, 
un  amaigrissement  lent  et  progressif,  de  l'enflure  des  membres 
et  de  i'abdomen/parfois  du  larmoiement  qui  aboutit  à  Finflam- 
uation  des  yeux  et  à  la  cécité.  L'animal  perd  peu  à  peu  l'ap- 
pétit, devient  inerte  et  paresseux  ;  sa  force  musculaire  diminue 
A  il  finit  par  s'éteindre  doucement,  sans  souffrance  apparente. 

La  mouche  tsé-tsé^  nous  le  savons  déjà,  doit  être  incriminée 
dans  la  production  du  nagana.  Elle  appartient  à  la  famille  des 
(ilossines  et  est  cataloguée  en  histoire  naturelle  sous  le  nom  de 
Glossina  morsitans.  On  pensait  autrefois  qu'elle  était  veni- 
meuse et  que  son  venin  était  la  cause  de  tout  le  mal.  11  n'en  est 
rien  pour  l'excellente  raison  que  cet  insecte  ne  possède  pas  de 
.s'Iandes  à  venin.  Le  mécanisme  de  l'infection  a  été  bien  élucidé 
par  Bruce,  c'est  le  suivant  :  la  mouche  tsé-tsé  va  sucer  le  sang 
Jes  animaux  a  naganés  »,  puis  se  pose  sur  des  animaux  sains  et 
inocule  à  ceux-ci  les  trypanosomes  qu'elle  a  recueillis  sur  ceux- 
là  et  qui  sont  restés  adhérents  à  sa  trompe  minuscule  et  acérée. 
Elle  joue  dans  la  propagation  du  nagana  un  rôle  absolument 
•^imparable,  en  somme,  à  celui  que  remplit  le  moustique  dans 
la  propagation  du  paludisme. 

La  mouche  Lsé-tsé  est  un  peu  plus  grande  que  la  mouche 
«lomestique.  Sa  tête  brune  est  pourvue  d'une  trompe  et  de  deux 
antennes;  les  ailes  ovales  et  très  allongées  s'imbriquent  com- 
plètement au  repos.  Le  thorax  est  gris  roux  et  zébré  de  quatre 
bandes  noires.  L'abdomen  est  à  six  segments  et  de  couleur 
jaunâtre.  Une  bande  longitudinale  claire  ponctue  le  dos  de 
linsecte  lorsqu'il  est  à  jeun.  Mais  il  prend  une  teinte  générale 
rosée,  puis  rouge,  lorsqu'il  s'est  gorgé  de  sang. 

L^habitat  de  prédilection  de  la  tsé-tsé  est  une  sensitive,  le 
Mimosa  polyacantha^  qui  pousse  au  bord  des  cours  d'eau,  et 
qu'évitent  avec  soin  les  pagayeurs  nègres.  L'ombre  humide  des 
marais  et  des  arroyos  et  les  broussailles  servent  aussi  de  refuge 
H  celte  mouche.  11  suffit  de  s'éloigner  des  endroits  frais  pour 
Inviter.  C'est  pourquoi  les  Fellahs,  peuples  pasteurs  du  Ghari, 
emmènent  leurs  troupeaux  loin  des  rivières,  pendant  la  saison 


366  QUESTIONS  DIPLOMATIQUSS  ET  COLONIALES 

des  pluies;  ils  ne  laissent  près  des  cours  d'eau  que  le  bétail 
destiné  à  T alimentation  et  prennent  soin  de  le  tenir  enfermé 
pendant  le  jour  dans  des  cases  sombres  et  enfumées  ;  ils  atten- 
dent la  nuit  pour  le  conduire  à  Tabreuvoir  ou  au  p&turage,  car 
la  tsé-tsé  ne  sort  de  sa  retraite  que  le  jour.  Son  vol  est  très 
léger,  silencieux  et  extrêmement  rapide  lorsqu'elle  est  à  jeun, 
mais  il  s'alourdit  considérablement  lorsqu'elle  est  gorgée  de 
sang.  On  ne  sent  pas  son  contact  et  très  peu  sa  piqûre  ;  son 
repas  dure  trente  secondes  environ.  Elle  reste  dangereuse  pen- 
dant les  quarante-huit  heures  qui  suivent  la  piqûre  d'un  ani- 
mal nagané.  Passé  ce  délai,  la  mouche  n'est  qu'exceptionnelle- 
ment infectante.  En  un  mot,  la  tsé-tsé  est  l'intermédiaire 
nécessaire  et  indispensable  à  la  transmission  du  germe;  des 
animaux  malades  ne  donneront  jamais  le  nagana  à  des  ani- 
maux sains  vivant  avec  eux  si  la  tsé-tsé  n'intervient  pas. 

Je  ne  décrirai  pas  le  trypanosome  qui  est  représenté  par  une 
masse  de  protoplasma  vivant,  pourvue  d'un  long  cil  qui  lui  sert 
d'organe  de  locomotion.  Je  me  contenterai  de  dire  qu'après  sa 
pénétration  dans  l'organisme  de  l'animal  sain,  il  est  rapidement 
entraîné  par  la  circulation,  se  fixe  et  s'attache  aux  globules  du 
sang  qu'il  dépouille  de  leur  hémoglobine,  se  multiplie  avec 
une  rapidité  incroyable  et  finit  par  anémier  l'individu  qui 
l'héberge. 

L'examen  du  sang  des  animaux  malades  ne  permet  pas  d'y 
déceler  le  parasite  dans  tous  les  cas.  On  ne  trouve  ce  dernier 
que  lorsqu'il  s'est  multiplié  en  très  grande  abondance.  C'esl 
pourquoi  les  inoculations  sur  des  animaux  témoins  doivent 
toujours  corroborer  l'examen  direct  du  sang  des  animaux 
malades,  et  dans  ces  conditions,  il  arrive  souvent  que  Tinocu- 
lation  soit  couronnée  de  succès,  alors  que  l'examen  microsco- 
pique du  sang  infectant  n'a  pas  permis  d'y  découvrir  le  trypa- 
nosome. 

Le  D^  Morel,  que  j'ai  cité  plus  haut,  a  rapporté  qu'il  était  à 
peu  près  impossible  de  conserver  le  bétail  au  Chari,  c'est-à-dire 
entre  les  5'  et  15*  degrés  de  latitude  Nord  et  les  10*  et  18"  degrés 
de  longitude,  pendant  toute  la  saison  des  pluies.  Les  indigènes 
de  l'Oubangui  et  du  Gribingui  attribuent  les  épizooties  à  une 
mouche  [nyana  kété^  petite  bête)  sans  pouvoir  préciser  cepen- 
dant son  mode  d'action.  Cet  insecte  n'est  autre  que  la  tsé-tsé. 
Dans  certains  districts  du  Chari,  les  indigènes  l'appellent 
encore  boadjani  pour  la  différencier  de  la  mouche  ordinaire  : 
teubann.  A  Fort-Lamy,  situé  à  80  kilomètres  du  lac  Tchad 
le  D' Morel  eut  l'occasion  d'observer  une  épidémie  de  nagana 
qui  aitteignit  lés  chevaux  d'un  peloton  de  spahis  envoyé  de 


i 


OUATRE  PLAIBS  COLONIALES  3d7: 

iiuulféi  à  Massa-Kouri  dans  le  Dagana,  et  qui  séjourna  sur  la 
rive  droite  du  Chari  en  face  de  Goulféi.  En  moins  d'un  mois 
^pt  chevaux  sur  vingt-trois  tombèrent  malades.  Quelque  temps 
apr^s,  le  D'  Morel  partit  en  colonne  et  ne  revint  à  Fort-Lamy 
qu'à  la  saison  sèche.  Tous  les  chevaux  qui  avaient  été  piqués 
étaient  morts.  Plus  tard,  à  Fort-Crampel,  le  même  observateur 
\it  encore  des  chevaux  atteints  de  nagana  et  constata  dans  la 
rt^ioD  la  présence  de  la  mouche  tsé-tsé.  Nous  trouvons  donc 
Jaos  ces  faits  Texplication  des  épizooties  annuelles  qui  sévis- 
"^nt  dans  la  région  du  Chari  et  rendent  absolument  impossible 
•  u  vouée  à  Tinsuccès  toute  expédition  dirigée  dans  cette  con- 
tre pendant  la  saison  des  pluies. 

iJn  a  tout  essayé  dans  le  traitement  de  cette  terrible  maladie, 
^s  prand  succès.  Tout  récemment,  M.  le  D'  Laveran  a 
l-^monlré  que  le  nagana  offre  cette  double  particularité  : 
1  abord,  de  ne  pouvoir  être  transmis  à  l'homme;  ensuite,  d'être 
:ijm  ou  du  moins  très  efficacement  combattu  par  le  sérum 
•^itrait  du  sang  humain. 
C'est  en  vain  que  M.  Laveran  a  essayé  d'immuniser  les 
l -vidés  avec  un  sérum  difTérent  de  celui  qui  circule  dans  nos 
'?ines  :  aucun  autre,  pas  même  celui  du  singe,  ne  guérit  les 
uimaux  atteints  de  nagana,  ni  ne  protège  les  sujets  sains 
'iposés  à  la  contamination.  Le  sérum  humain  a  donc  des  pro- 
iriétés  microbicides  très  particulières,  qu'on  ne  retrouve  pas 
Jans  celui  d'un  grand  nombre  d'autres  animaux. 
La  méthode  des  inoculations  a  été  employée  pour  immuniser 
Ifs  sujets  atteints  de  cette  maladie,  mais  une  seule  opération  de 
ce  genre  est  insuffisante  pour  amener  la  guérison.  En  eifet,  au 
kut  d*un  laps  de  temps  variable,  les  trypanosomes  reparais- 
>ent;  mais  le  nagana  s'atténue  au  fur  et  à  mesure  que  les  ino- 
culations se  multiplient. 

Pour  le  moment,  du  moins,  il  est  impossible  d'instituer  en 
.^nd  un  semblable  traitement  destiné  à  des  animaux  de  forte 
iaille,  comme  les  bovidés,  en  raison  même  de  la  difficulté  à  peu 
près  insurmontable  de  se  procurer  les  quantités  de  sérum 
nécessaires  aux  inoculations.  Le  spectacle  de  gens  se  faisant 
saigner  pour  guérir  les  bêtes  ne  saurait  être  goûté  que  par  les 
pitis  fervents  adeptes  de  la  protection  des  animaux,  et  encore 
à  la  condition  qu'eux-mêmes  ne  soient  pas  destinés  à  la 
saignée. 

M.  Laveran  pense  qu'on  pourrait  obtenir  de  bons  résultats  en 
^oculaBt  certains  animaux  et  en  utilisant  ensuite  leur  sérum 
pour  immuniser  les  autres  contre  la  contagion. 


368  QUESTIONS   DIPLOHATIOOES   ET  COLONIALES 


•   # 


Le  surra  est  une  autre  épizootie  qui  présente  certains  traits 
de  ressemblance  avec  le  nagana.  Griffîth  Evans  découvrit  le 
parasite  —  encore  un  trypanosome  —  en  1880,  dans  le  Penjab. 
J.-H.  Steel  le  retrouva  en  Birmanie  en  1885.  Depuis  lors,  le 
vétérinaire  anglais  Lingard  a  signalé  le  surra  au  Penjab,  à 
Bombay,  dans  le  Rajputana,  en  somme  dans  le  Nord  de  l'Inde. 
Le  Deccan  serait  indemne  et  le  fléau  serait  inconnu  dans  les 
possessions  françaises.  On  a  observé  la  maladie  en  Chine  (pro- 
vince de  Shan),  en  Perse,  au  Tonkin  (1888),  à  Nha-trang  (1901) 
sur  les  chevaux  de  Tlnstitut  Pasteur,  à  Java,  à  Sumatra  et  à 
nie  Maurice  (1902). 

Pour  beaucoup  d'auteurs,  le  surra  serait  identique  au  nagana. 
On  constate  en  eff'et  une  ressemblance  presque  complète  des 
deux  parasites;  déplus,  les  victimes  sont  encore  représentées 
par  les  bêtes  de  somme  ou  les  bovidés;  enfin,  la  marche  de  la 
maladie  oiîre  une  grande  similitude  de  part  et  d'autre.  Les 
différences  minimes  qu'on  a  pu  signaler  semblent  résulter  d'une 
erreur  d'observation. 

Gomme  la  tsé-tsé  n'existe  pas  dans  Tlnde,  elle  est  remplacée 
par  une  mouche  indigène  communément  appelée  burra-dhang, 
et  qui  n'est  autre  qu'un  des  nombreux  représentants  de  la 
famille  des  »  Tabanides.  C'est  un  taon  [Tabanus  tropicus  ou 
Tabanus  lineola)  qui  se  charge  de  trans?porter  le  trypanosome 
du  surra  des  animaux  malades  aux  animaux  sains. 

La  relation  de  deux  épidémies  récentes  de  surra  observées 
dans  les  Indes  hollandaises,  à  Pasœrœan,  en  1901-1902,  et  dans 
l'île  Maurice  il  y  a  quelques  mois  (février  à  septembre  1902), 
sera  infiniment  plus  instructive  que  la  description  clinique  la 
mieux  faite. 

A  Pasœrœan  *,  la  maladie  affecta  une  allure  tantôt  sévère, 
tantôt  bénigne.  Les  cas  graves  s'annonçaient  par  une  éruption 
pustuleuse  avec  production  de  croûtes  et  de  petits  abcès  super- 
ficiels, sur  diverses  parties  du  corps,  notamment  au  cou,  au 
ventre,  entre  les  pattes  du  devant,  mais  plus  particulièrement 
aux  pattes  de  derrière.  Les  naseaux  étaient  sec&;  les  yeux 
rouges,  enfoncés  et  larmoyants.  La  fièvre  était  élevée  et  les 
animaux  succombaient  parfois  au  bout  de  deux  heures  ou  dans  ^ 
les  vingt-quatre  heures  qui  suivaient  l'apparition  de  la  maladie. 

Dans  les  cas  de  moindre  gravité,  on  constatait  les  symptômes 
précédents,  sécheresse  des  naseaux,  yeux  larmoyants  et  rouges,  ; 

1  Nous  devons  les  détails  suivants  &  M.  le  D'  Vincent,  médecin  inspecteur  des 
troupes  coloniales. 


QUATRE  PLAIES  GOLONULES 


369 


très  atténués.  L'immense  majorité  des  animaux  atteints  de 
surra  succombait  au  bout  de  trois  à  quatre  semaines  ;  un  certain 
nombre  se  rétablit,  mais  très  lentement.  Chez  un  bœuf,  on 
observa  une  véritable  sueur  de  sang,  on  voyait  perler  des  goutte- 
lettes rutilantes  à  la  surface  de  la  peau,  sans  aucune  trace  de 
piqûre.  Chez  quelques-uns,  on  constata  des  hémorragies  par  les 
naseaux,  par  les  oreilles,  ou  un  jetage  verdâtre  abondant. 

Au  début  de  Tépizootie,  on  inocula  du  sang  d'un  buffle  malade 
d'abord  à  des  marmottes,  puis  à  un  lapin.  Dans  le  sang  du  lapin, 
on  trouva  des  trypanosomes,  ce  qui  démontrait  que  la  maladie 
était  bien  le  surra. 

Aussitôt,  des  mesures  de  protection  furent  prises.  Par  décret 
du  résident  de  Pasœrœan,  daté  du  24  août  1900,  le  sous-district 
de  Kasembon  fut  déclaré  infecté.  Les  étables  furent  robjet 
d  une  visite  sérieuse  et  les  animaux  malades  isolés.  Il  fut,  en 
outre,  ordonné  de  séparer  autant  ■  que  possible  les  animaux 
dans  les  prairies  et  d'allumer  de  grands  feux,  afin  de  chasser 
le^  insectes  et  les  mouches  et  de  mettre  les  animaux  à  Tabri 
des  piqûres. 

Ces  mesures,  prises  dès  la  constatation  du  surra,  ne  tardèrent 
pas  à  amener  la  prompte  disparition  de  la  maladie  à  Pasœrœan, 
puisque  le  dernier  cas  eut  lieu  le  30  août.  Le  bilan  de  cette 
petite  épizootie  se  résume  ainsi  :  30  cas,  dont  23  décès  sur 
397  animaux. 

L'année  suivante,  on  apprit  dans  la  deuxième  quinzaine  de 
mai  que  des  bœufs  avaient  été  subitement  atteints  de  fièvre  et 
de  faiblesse  générale  et  étaient  morts  en  quelques  heures. 
L'examen  des  animaux  qui  avaient  succombé  révéla  les  mêmes 
signes  que  ceux  que  Ton  avait  observés  en  1900,  et  on  admit 
immédiatement  qu'on  se  trouvait  en  présence  de  nouveaux  cas 
de  surra. 

Cette  opinion  ne  tarda  pas  à  être  confirmée  d'une  façon  tn's 
nette  :  dans  les  derniers  jours  de  mai  1901,  un  cheval  apparte- 
nant à  un  employé  d'une  sucrerie  tomba  malade,  présentant 
les  mêmes  symptômes  que  les  bœufs.  L'examen  du  sang  dt*  ce 
cheval  permit  de  reconnaître  le  parasite  du  surra. 

Du!*'  au  14  juin,  sept  autopsies  furent  pratiquées  qui,  toutes, 
démontrèrent  les  mêmes  lésions  anatomiques;  mais  Texamen 
microscopique  du  sang  de  ces  animaux  ne  révéla  pas  la  pré- 
sence du  trypanosome,  et  des  inoculations  de  ce  sang  à  des 
lapins  ne  donnèrent  que  des  résultats  négatifs. 

Mais  le  18  juin,  un  bœuf  de  charrue,  pris  dès  la  veille  de  forte 
fièvre,  fut  examiné  :  il  était  couché,  sans  qu'il  fût  possible  de 
le  faire  lever.  Les  symptômes  assez  graves  qu'il  présentait  ne 

QUBST.  DiFL.  IT  Cou  —  T.  XY.  21 


^ 


370  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

tardèrent  pas  à  s'atténuer  et  Tanimal  se  rétablit  au  bout  de  peu 

de  temps.  Mais  lexamen  du  sang  de  ce  bœuf,  fait  par  MM.  Schat 

et  W.-J,  Esser,  démontra  la  présence  d'une  grande  quantité  de 

trypanosomes  chez  cet  animal. 

'  Aussitôt  que  ce  résultat  fut  connu  de  l'administration,  h. 

mesures   que    nous  allons    indiquer   furent  immédiatement 

^  ordonnées.  Dès  le  19  juin,  on  déclara  le  district  de  Pasœrœan 

r  contaminé  et  les  mesures  les  plus  sévères  furent  édictées  :  on 

prescrivit  l'isolement  dos  animaux  malades,  le  maintien  de  cet 

r  isolement  pendant  trente  jours  pour  ceux  qui  avaient  guéri, 

une  propreté  rigoureuse  des  étables,  le  lavage  des  animaux  avec 
de  Teau  alcaline  el  une  série  d'autres  mesures  assez  sévères  qui 
furent  accueillies  très  froidement  par  les  habitants. 

L'épidémie,  qui  avait  débuté  en  mai,  atteignit  son  maximum 
d'intensité  en  juillet,  commença  ensuite  à  décroître  et  s'éteignit 
complètement  en  octobre.  L'administration  déclara  officielle- 
ment, à  la  date  du  11  octobre,  que  toutes  les  mesures  qui  avaient 
été  prises  étaient  rapportées  et  que  l'épidémie  de  surra  pou- 
vait être  considérée  comme  terminée. 

On  déclara  en  outre  que,  sur  71  animaux  atteints  d'une  façon 
grave,  66  avaient  succombé,  et  que  si  les  pertes  n'avaient  pas 
été  sérieuses,  on  le  devait  :  l*"  àla  vigilance  de  l'administration 
qui  avait  au  début  annoncé  au  public  qu'une  malade  grave 
sévissait  parmi  les  bœufs  ;  2""  aux  premières  mesures  que  l'on 
avait,  prises,  alors  qu'on  ignorait  encore  la  nature  de  la  maladie  ; 
3"*  aux  mesures  plus  rigoureuses  prescrites  ensuite. 

On   observa   d'une    façon    constante    que    les   bœufs   dits 
«  Madœreesche  »  étaient  moins  disposés  à  contracter  le  surra  que 
les  bœufs  javanais  purs  et  que,  s'ils  étaient  atteints  de  la  maladie, 
r  ils  résistaient  beaucoup  plus  que  ces  derniers. 

I  Ce  fait  a  été  constaté  par  M.  Mulder  à  la  fabrique  Kentjonk, 

I  où  la  mortalité  fut  considérable  parmi   les  bœufs  javanais, 

f  tandis  qu'elle  fut  très  rare  parmi  les  bœufs  dits  «  Madœreesche  »    i 

^  qui,  malgré  leur  nombre,  n'ont  présenté  en  général  que  des   I 

t  atteintes  légères  de  la  maladie. 

î'  En  ce  qui  concerne  le  mode  de  contagion  et  de  propagation 

j  de  la  maladie,  on  avait  remarqué,  au  mois  de  juillet,  dans  les 

\  étables  et  tout  autour  des  animaux  malades,   une  abondance 

-  extrême  de  mouches.  On  pensa  que  ces  insectes  devaient  servir 

&  la  propagation  de  la  maladie  ;  on  en  recueillit  sur  des  bœufs 
malades  et  on  constata,  nettement,  chez  ces  mouches,  la  pré- 
sence des  trypanosomes. 

On  prit  aussi  des  mouches  sur  le  cou  d'un  bœuf  atteint  de 
surra  et  présentant  à  ce  niveau  des  plaies  ulcérées  et  saignantes  ; 


QUATRE  PLAIES  COLONIALES  37i 

l'eumen  de  ces  mouches  démontra  la  présence  des  parasites 
qui  furent  également  trouvés  sur  toutes  les  mouches  prises 
dans  les  étables  ou  dans  leur  voisinage  immédiat. 

Afin  d'être  bien  fixé  sur  le  rôle  que  jouaient  ces  insectes  dans 
h  transmission  et  la  propagation  du  surra,  on  inocula  à  un 
lapin  quelques  gouttes  du  liquide  provenant  des  organes  des 
mouches  recueillies  :  le  lapin  présenta  tous  les  caractères  du 
surra  et  succomba  au  bout  de  quatre  semaines. 

Une  autre  expérience  non  moins  concluante  fut  faite.  Dans 
une  prairie  où  il  n'y  avait  pas  eu  d'animaux  malades,  on  trouva 
m  ^and  nombre  de  mouches  et  leur  examen  permit  de  coasta'- 
terTabsence  de  trypanosomes. 

On  amena  dans  cette  prairie  un  cheval  atteint  du  surva,  dont 
le  sang  contenait  le  parasite  ;  des  mouches  se  posèrent  aussitôt 
en  grand  nombre  sur  lui;  on  en  prit  immédiatement  quelques- 
unes  dont  Fexamen  ne  révéla  pas  la  présence  de  l'hématozoaire. 
D'autres  mouches  restées  quinze  secondes  ou  tine  demi- 
minute  sur  le  corps  de  l'animal  renfermaient  un  petit  nombre 
de  parasites.  D'autres,  restées  plus  longtemps,  avaient  sucé  une 
telle  quantité  de  sang  qu'elles  avaient  pris  une  coloration  rou- 
^eâtre;  ces  insectes  examinés  au  microscope  contenaient  un 
irrand  nombre  de  trypanosomes. 

L  épidémie  de  l'île  Maurice  eut  conifiie  point  de  départ  Tim- 
l^rtation  dans  l'île  d'un  chargement  de  bœu£s  atteints  de  surra 
♦^henus  de  l'Inde.  Un  certain  nombre  de  ces  animaux  avait  suc- 
combé pendant  la  traversée  ;  le  navire  qui  les.  portait  fut  mis  en 
quarantaine, mais  des  morts  nouvelles  s'étant  produites^  bord 
et  la  cause  de  ces  décès  restant  ignorée,  on  donda  au  navire  la 
iibre  pratique  et  la  cargaison  de  bœufs  malades  fut  mise  à  terre. 
l  ne  épidémie  se  déclara  bientôt  avec  une  intensité  incroyable, 
attaquant  tous  les  troupeaux  et  menaçant  de  ruiner  le  commerce 
M  florissant  de  l'élevage.  Le  D*^  Lesur  a  donné  des  détails  sur 
-ette  épidémie  :  «(  La  mouche  tsé-tsé  est  inconnue  k  Maurice, 
dit-il,  mais  nous  avons  de  grandes  quantités  de  mouches 
piquantes  qui  tourmentent  tes  animaux  au  travail.  Rien  de 
^  plus  ordinaire  que  de  voir,  chez  des  animaux  à  robe  claire  ou 

•  blanche,  le  poil  taché  de  sang  par  la  piqûre  de  ces  insectes  qui 
-  se  posent,  par  véritables  essaims,  sur  les  animaux  de  trait, 
<  D  après  ce  que  nous  voyons  à  Maurice,  il  né  me  semble  pas* 
'  douteux  que  le  surra  ne  soit  propagé  par  les  espèces  banales 

*  de  mouches. piquantes,  comme  par  la  tsé-tsé.  » 

Dans  cette  épidémie  tous  les  chevaux  piqués  succombèrent, 
tandis  que  20  à  25  %  des  bovidés  malades  périrent. 


372  QUESTIONS   DIPLOMATIQUBS    ET  COLONIALES 


#    # 


Je  ne  ferai  qu'esquisser  le  mal  de  cadeiras  (maladie  de  la 
croupe)  et  la  dourinCy  celle-ci  étant  déjà  connue  et  décrite 
depuis  longtemps,  celui-là  offrant  une  analogie  presque  com- 
plète avec  le  surra  et  le  nagana. 

Le  mal  de  cadeiras  existe  au  Paraguay,  en  Bolivie,  dans 
la  République  Argentine  (province  de  Santa-Fé)  et  au  Brésil 
(district  de  Matto-Grosso).  Le  trypanosome  incriminé  dans  la 
production  de  la  maladie  est  voisin  de  ceux  du  surra  et  du 
nagana.  La  mouche  considérée  comme  le  vecteur  du  germe  est 
une  stomyxès  [Stomyxes  calcitrans)  ;  c'est  du  moins  Topinion  de 
M.  Elmassian,  directeur  de  l'institut  bactériologique  de  l'As- 
somption, capitale  du  Paraguay.  Les  chevaux,  les  chiens,  les 
moutons,  les  chats,  les  singes,  les  rats  et  les  souris  peuvent 
être  atteints  par  la  maladie  dont  les  symptômes  ressemblent 
beaucoup  à  ceux  du  nagana.  Les  bovidés  seraient  réfractaires. 

Le  nom  de  la  maladie  tient  à  une  particularité  symptoma- 
tique  :  à  la  fin  de  la  maladie  survient  une  paralysie  du  train 
postérieur  qui  donne  à  l'animal  une  démarche  déhanchée  carac- 
téristique, d'où  l'appellation  de  «  mal  de  la  «  croupe  ». 

La  dourine^  qui  a  existé  en  France,  en  Allemagne,  en  Suisse, 
et  qui  a  partiellement  disparu  de  l'Europe  à  cause  de  certaines 
mesures  radicales  (abatage  ou  castration  des  étalons  contaminés), 
existe  encore  en  Navarre,  en  Hongrie,  en  Turquie,  au  Maroc, 
en  Algérie,  en  Tunisie,  dans  toute  l'Asie  Mineure  et  en  Perse. 
Elle  a  été  tout  récemment  importée  aux  Etats-Unis  (Illinois). 

Elle  atteint  exclusivement  les  équidés  reproducteurs  et  recon- 
naît pour  cause  un  trypanosome  qui  offre  quelques  points  de 
ressemblance  avec  les  trois  autres.  Mais,  ici,  l'intervention  d'un 
insecte  est  inutile  dans  la  propagation  de  la  maladie  qui  se 
communique  du  mâle  à  la  femelle  au  moment  de  l'accouple- 
ment. Comme  dans  le  mal  de  cadeiras,  la  phase  terminale  est 
caractérisée  par  la  paralysie  du  train  postérieur. 

Si  la  dourine  se  rapproche  du  nagana,  du  surra  et  du  mal 
de  cadeiras  par  quelques  symptômes  communs  aux  quatre 
maladies  et  par  la  présence  du  trypanosome  dans  le  sang  des 
animaux  dourinés,  elle  s'en  différencie  nettement  par  son  mode 
de  propagation  qui  est  tout  à  fait  spécial. 

Il  convient  donc  d'adopter  les  conclusions  de  M.  Laveran*  qui 


1  Conclusion  d*une  étude  sur  la  répartition  géographique  des  maladies  à  trjpano- 
somes.  JanuSy  nt*  livre,  15  mars  1902  (MM,  A.  Lavbrati  et  F.  Mbsnil). 


QUATRE   PLAIES  COLONIALES  'Ail} 

sont  les  suivantes  :  «  Le  surra,  le  nagana  et  le  mal  de  cadeiras 
«  sont  des  maladies  évidemment  très  voisines,  mais  qu'il  if  *'st 
«  pas  encore  possible  de  réunir  sous  un  même  nom  ;  quant  à 
«  la  dourine,  ir  semble  bien  qu'elle  constitue  une  espèct>  k 
c  part.  » 

Cette  étude,  quelque  brève  qu'elle  soit,  nous  familiarise  avt^c 
un  point  intéressant  de  la  pathologie  exotique  dont  Timpr^r- 
tance  n'échappera  à  personne.  On  cherche  souvent  bien  loin  la 
cause  de  certains  échecs.  Si  nous  étions  bien  habitués  à  ceiU* 
idée  que  notre  Europe  est  un  pays  totalement  différent  dt^s 
autres  continents,  nous  ne  serions  pas  tentés  de  vouloir  attri- 
buer à  ces  échecs  des  causes  en  quelque  sorte  «  européennes  * , 
mais  nous  chercherions  plutôt  le  secret  de  nos  insuccès  diins 
la  colonie  qui  en  est  le  théâtre.  Notre  ignorance  n'accusenut 
pas  l'insuffisance  alimentaire  pour  expliquer  la  mort  dect  cï- 
taines  de  mulets  (expédition  de  Madagascar)  ;on  n'incrimineiail 
ni  la  fatigue,  ni  Teau,  ni  la  mauvaise  qualité  de  l'herbe  ihi 
veldt  comme  les  Anglais  l'ont  fait  au  Transvaal  pour  expliqua  r 
la  mortalité  de  leurs  chevaux  et  comme  nous  Tavons  fait  no\\>- 
mêmes  au  Tonkin;  nos  voisins  ne  s'étonneraient  pas  de  ne  pi  m- 
voir  quitter  la  côte  du  Somaliland  sans  courir  à  un  échec  pour 
lequel  les  soldats  du  Mullah  ne  feront  rien,  mais  que  la  tstVis^^ 
amènera  fatalement;  les  éleveurs  de  Maurice  ou  de  la  Répu- 
blique Argentine  ne  s'obstineraient  pas  à  lutter  contre  le  minus- 
cule ennemi  qui  terrasse  et  anéantit  leurs  troupeaux,  ils  iraii^u* 
à  la  recherche  de  prairies  nouvelles  ou  de  vallées  que  la  tsé4^c 
ne  connaît  pas. 

L'étude  de  ces  questions  est  fertile  en  enseignements  Jo 
toute  sorte.  L'industrie,  le  commerce  et  la  défense  des  coloniis 
sont  intéressés  d'une  manière  directe  à  bien  la  connaître  el  h 
se  familiariser  avec  les  règles  d'hygiène  qui  en  découleul. 
Malheureusement,  les  querelles  de  nos  politiciens  ont  le  iliui 
de  nous  intéresser  infiniment  plus  que  «  ces  misérables  qm^s- 
tions  vétérinaires  »  qui,  parce  qu'elles  sont  méconnues,  nmt- 
coûtent  une  vingtaine  de  millions  de  francs  chaque  année  —  i  »' 
qu'il  faut  pour  créer  dix  sanatoria  de  tuberculeux  ou  dix  vMh  ^ 
de  santé  pour  nos  admirables  soldats,  aux  colonies. 

Maurice  Buret. 


% 


LÀ  BOHÊME  EN  DEUIL 


Une  grande  et  noble  figure,  un  des  principaux  héros  de  la 
Renaissance  tchèque,  qui  portait  allègrement  sur  ses  robustes 
épaules  soixante  ans  d'histoire  de  la  Bohême,  vient  de  dispa- 
raître de  la  scène  politique  où  il  a  rempli  un  rôle  très  actif 
jusqu'au  seuil  de  la  vieillesse  :  le  D' Rieger  n'est  plus^ 

Tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  l'approcher,  que  ce  fût 
lorsqu'il  était  encore  le  chef  écouté  de  la  nation,  ou  bien  lors- 
qu'il dut,  pour  un  temps,  céder  le  pas  à  des  patriotes  plus 
jeunes  et  plus  fougueux  que  lui,  tous  étaient  frappés  du 
charme  qui  émanait  de  ses  qualités  à  la  fois  viriles  et  affables; 
on  en  trouvait  le  reflet  dans  sa  parole  vibrante,  dans  son  franc 
et  brillant  regard  et  dans  l'exquise  distinction  de  ses  manières. 

Il  aimait  beaucoup  la  France;  il  fit  en  1849-1850  un  séjour  de 
plusieurs  mois  à  Paris  et  entretenait  depuis  lors  des  relations 
suivies  avec  nombre  d'hommes  politiques  et  de  littérateurs.  Il 
manifesta  encore  dernièrement  ses  vives  sympathies  pour  la 
France  en  venant  à  Tâge  de  quatre-vingt-deux  ans  à  Paris 
pour  voir  l'Exposition  de  1900. 

Ses  amis  français  lui  ayant  offert  à  cette  occasion  une  fête 
intime,  il  ne  se  fit  pas  prier  pour  prendre  la  parole  et  charma 
les  assistants  par  l'étonnante  vivacité  de  son  esprit,  par  l'ex- 
traordinaire facilité  et  l'élégance  de  son  élocution  en  français. 

Véritable  oi^nisateur  de  la  nation  dont  il  était  issu,  il  prit, 
pendant  soixante  ans,  une  part  si  active  à  tout  ce  qui  s'est  fait 
d'important  dans  la  vie  politique,  littéraire,  artistique  et  écono- 
mique de  la  Rohême,  qu'écrire  sa  biographie  c'est  résumer 
l'histoire  de  la  nation  tchèque  depuis  sa  renaissance  politique. 

Pour  se  rendre  compte  de  ce  qu'il  fut  en  réalité  pour  son 
pays  et  de  ce  que  les  Tchèques  lui  doivent,  il  suffit  de  se  rap- 
peler le  degré  primitif  d'éducation  politique  et  Tétat  de  fai- 
blesse générale  où  se  trouvait  la  Rohême  avant  1848. 

Ressuscité  comme  par  miracle,  le  peuple  tchèque  se  relevait 
peu  à  peu  de  son  long  engourdissement;  il  prenait  conscience  de 
son  individualité  nationale  et  annonçait  son  réveil  par  quelques 

1  Né  à  Semily,  prés  de  Turnov,  Rieger  étudia  le  droit,  et  s'étant  signalé  par  sa 
collaboration  à  plusieurs  revues  tchèques,  il  devint  vite  chef  de  la  jeunesse  univer- 
sitaire de  Prague.  Membre  du  Comité  national,  il  eut  un  rôle  très  en  vue  dans  la 
révolution  de  1848.  Nommé  au  cours  de  cette  mémorable  année  député  au  Parle- 
ment de  Vienne,  il  resta  depuis  lors  sur  la  brèche  jusqu'en  1891,  défendant  avec 
talent  et  beaucoup  de  vigueur  la  cause  de  la  nation  tchèque.  Appelé  ensuite  à  la 
Chambre  Haute,  il  prit  même,  sous  le  ministère  Kœrber,  plusîesrs  fois  part  aux 
débats  de  cette  assemblée.  Le  nom  de  Rieger  est  attaché  aussi  à  une  grande  œuvre 
littéraire,  \  Encyclopédie  tchèque,  dont  la  publication  fut  commencée  sous  sa  direc- 
tion, en  1859. 


LA  BOHÉMB  EN  DEUIL  375 

essais  littéraires,  poétiques,  historiques  et  philologiques,  dont  le 
nombre  et  rimportance  allaient  croissant  surtout  depuis  1830. 

Cette  première  étape  purement  littéraire  franchie,  la  liste  des 
héroïques  évocateurs  du  peuple  tchèque,  où  brillaient  déjà  les 
noms  des  Dobrovsky,  des  Safarik,  des  lungmann  et  des  Palacky, 
qui  reconstitua  de  toutes  pièces  Thistoire  de  la  Bohème,  s'aug- 
menta d'une  troupe  d'hommes  d'action,  de  légistes  et  d'orateurs 
politiques  que  réunit  autour  de  lui  le  jeune  et  ardent  Rieger. 

Ce  fut  lui  qui,  secondé  par  ses  fidèles  amis,  pétrit  alors  cette 
masse  inerte  qu'était  avant  1848  le  peuple  tchèque,  sous  le  rap- 
port politique,  qui  groupa  et  disciplina  les  forces  agissantes, 
enflamma  les  foules,  organisa  l'action,  fixant  sagement  les 
étapes  à  franchir,  et  contribua  ainsi,  dans  une  large  mesure,  à 
élever  ce  peuple,  naguère  inconscient  et  asservi,  au  rang  d'une 
nation  fière  du  rôle  que  la  Providence  lui  a  assigné  dans  l'his- 
toire des  nations  civilisées, 

La  tâche  qu'avaient  assumée  les  apôtres  de  la  seconde  géné- 
ration de  la  renaissance  tchèque  était  des  plus  diificiles;  les 
succès  devaient  être  lents,  laborieux  et  peu  éclatants,  parce 
qu'il  fallait  que  les  représentants  de  la  nation  sortissent  du 
cadre  étroit  de  la  Bohême  pour  aller  défendre  les  intérêts  et 
les  droits  imprescriptibles  de  leur  pays  dans  le  Parlement  cen- 
tral, où  les  intérêts  particuliers  des  pays  soumis  aux  Habs- 
bourg sont  subordonnés  à  l'intérêt  général  de  la  monarchie. 

A  Vienne,  le  programme  des  Tchèques  était  double  :  il  fal- 
lait pourvoir  d'abord  aux  besoins  matériels  et  intellectuels  de 
la  nation,  et  préparer  ensuite  la  réalisation  du  programme 
idéal,  qui,  fondé  sur  le  passé,  doit  assurer  dans  l'avenir  l'auto- 
nomie de  la  Bohême. 

Dans  un  moment  d'extrême  impatience,  le  peuple,  jugeant 
trop  lents  les  procédés  et  la  marche  du  parti  national  qui  avait 
Rieger  à  sa  tête,  trouvant  les  progrès  réalisés  peu  en  rapport  avec 
leffort  dépensé,  se  détourna  pour  un  temps  de  son  ancien  chef. 

Le  grand  patriote,  vieilli  au  service  de  sa  nation,  ne  garda 
point  rancune  de  cette  inconstance  de  la  faveur  populaire,  et 
heureusement,  il  vécut  assez  longtemps  pour  voir  le  peuple  re- 
venir de  son  égarement  momentané,  et  reconnaître  les  services 
de  son  ancien  chef.  En  fermant  les  yeux,  le  vénéré  patriarche  de 
la  nation  tchèque  put  emporter  dans  l'éternité  la  conviction  que 
Tœuvreà  laquelle  il  avait  consacré  toute  sa  vie  et  un  labeur  inin- 
terrompu ne  .périra  pas,  et  que  les  arrière-petits-fils  de  la  géné- 
ration actuelle  répéteront  son  nom  avec  piété  et  reconnaissance. 

Henri  Hantich, 

Pro''esseur  à  l'Académie  commerciale  de  Prague. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES 


I.  —  EUROPE. 

France.  —Le  dibatsttr  îa  politique  extérieure,  — On  serappellequ'îln'y 
avait  pas  eu  de  discussion  générale,  à  la  Chambre,  sur  le  budget  des 
Affaires  extérieures.  Ce  débat  a  eu  lieu  les  il  et  12  mars  courant.  On 
avait,  en  effet,  groupé  toutes  ensemble  les  diverses  interpellations 
déposées  depuis  la  rentrée  du  Parlement;  le  ministre  a  répondu  dans 
un  même  discours  à  tous  les  interpellateurs,  et  la  Chambre  a  ap- 
prouvé ses  déclarations  par  403  voix  contre  131. 

Engagé  daus  ces  conditions,  le  débat  ne  pouvait,  en  effet,  avoir 
d'autre  sanction.  En  réunissant  ainsi  toutes  les  différentes  ques- 
tions qu'a  pu  soulever,  dans  ces  derniers  temps,  notre  politique 
étrangère,  et  en  généralisant  la  discussion,  au  point  de  la  transfor- 
mer en  une  sorte  de  jugement  global  et  rétrospectif  du  ministère  de 
M.  Delcassé,  il  était  certain  que  la  Chambre  se  mettait  dans  l'obliga- 
tion absolue  d'approuver  en  bloc  un  ensemble  de  faits  qu'elle  avait 
tous  approuvée  en  détail,  puisque,  depuis  cinq  années,  le  Parlement 
a  constamment  maintenu  sa  confiance  au  ministre.  Il  est  aussi  non 
moins  évident  qu^une  telle  méthode  était  profondément  regrettable 
puisqu'elle  permettait  en  quelque  sorte  d'esquiver  les  plus  impor- 
tantes questions  sur  lesquelles  on  aurait  voulu  justement  obtenir 
des  explications  précises  et  positives. 

Sept  orateurs  ont  successivement  exposé  leurs  griefs  et  formulé 
leurs  desiderata  :  MM.  Millevoye,G.  Berry,  Charles  Benoist,  de  Près- 
sensé,  Raiberti,  Sembat,  F.  Deloncle;  ils  ont  parlé  un  peu  de  tout,  et 
plus  spécialement  de  Talliance  russe,  du  Venezuela,  des  troubles  de 
Macédoine,  de  la  question  siamoise,  de  nos  intérêts  &  Mascate,  du 
Maroc,  de  la  cour  arbitrale  de  La  Haye  et  du  désarmement. 

M.  Delcassé  a  pris  ensuite  la  parole  et  voici  le  résumé  de  ses 
déclarations  : 

M.  Delcassé.  —  Je  répondrai  brièvement,  mais  avec  précision,  aux  dif- 
férentes questions  qui  m'ont  été  posées. 

M.  Deloncle  m'invite  à  me  mettre  en  travers  des  projets  de  l'Angle- 
terre sur  Mascate,  et  il  considère  que  ces  projets  ne  sont  pas  douteux, 
puisque  les  journaux  les  ont  annoncés. 

La  France  et  l'Angleterre,  si  elles  ont  à  Mascate  égalité  de  charges,  ont 


RBIfSEIGNEHENTS  POLITIQUES  377 

iossi  égalité  de  droits.  Je  ae  Tai  pas  oublié.  L'Angleterre  a  toutefois  con- 
senti à  modifier  ses  dépôts  de  charbon,  pour  nous  donner  satisfaction. 

J'ai  teou  la  main  à  ce  que  le  traité  de  1862  soit  exécuté  et  la  Chambre 
peut  être  assurée  que  je  continuerai. 

En  ce  qui  concerne  le  Maroc,  M.  Delafosse  a  exprimé  la  crainte  que  les 
troubles  n'amènent  des  interventions  contraires  à  nos  intérêts.  Prévoyant 
les  événements  actuels,  nous  avons  prévenu  le  gouvernement  marocain, 
nous  l'avons  averti. 

De  l'état  des  choses  au  Maroc  dépend,  dans  une  large  mesure,  le  déve- 
loppement de  nos  colonies  algériennes.  La  protection  de  ces  graves  inté- 
rêts, qui  ne  regardent  que  nous,  s'accorde  avec  ceux  qui  nous  sont  com- 
muns avec  les  autres  puissances. 

Il  est  un  point  qui  doit  être  hors  de  contestation,  c'est  qu'aucun  chan- 
gement ne  peut  être  fait  sur  la  côté  méditerranéenne  du  Maroc,  qui  soit 
de  nature  à  affecter,  d'une  façon  quelconque,  la  liberté  nécessaire  du 
détroit  de  Gibraltar. 

A  quoi  eût  servi  une  démonstration  navale?  A  rien,  sinon,  peut-être,  à 
exciter  le  fanatisme  des  populations  de  Tintérieur  et  à  mettre  en  péril  ceux 
que  nous  avions  mission  de  protéger. 

Comment  devons-nous  envisager  les  événements  de  l'intérieur?  L'indé- 
pendance du  Maroc  est  une  garantie  essentielle  de  l'intégrité  de  l'Algérie, 
et  toute  atteinte  à  sa  complète  indépendance  serait  une  atteinte  à  notre 
colonie. 

Au  point  de  vue  économique,  c'est  la  France  et  l'Algérie  qui  occupent 
le  premier  rang  dans  les  échanges  du  Maroc  avec  l'étranger. 

Quand  les  soulèvements  se  sont  produits,  nous  avons  pris  nos  précau- 
tions le  long  de  la  frontière.  Je  crois  que  les  troubles  s'apaisent.  En  tout 
cas,  notre  position  est  très  nette  et  notre  vigilance  sera  toujours  en 
éveil. 

M.  d'Estournelles  et  M.  Jaurès  m'ont  reproché  de  ne  pas  faire  plus  sou- 
vent appel  à  la  cour  d'arbitrage  de  La  Haye,  et  ils  m'ont,  notamment, 
adressé  des  reproches  à  propos  du  conflit  vénézuélien.  Notre  abstention  a 
été  motivée  par  ce  fait  que  la  demande  d'arbitrage  s'imposait  d'elle- 
même  à  l'attention  des  puissances  intéressées. 

Nous  avions  réglé  nos  difficultés  avec  le  Venezuela  en  février  1902,  mais 
il  en  était  subsisté  d'autres.  Je  puis  annoncer,  aujourd'hui,  qu'un  protocole 
intervenu  entre  notre  ambassadeur  et  le  représentant  du  Venezuela  à 
Washington  accueille  nos  réclamations  et  stipule  que  nous  serons  rem- 
tK)ursés  sur  les  33  %  de  recettes  douanières  accordées  aux  puissances. 

On  voit  donc  qu'étant  réclamants,  nous  ne  pouvions  pas  être  média- 
teurs, et  pour  le  règlement  de  nos  intérêts,  nous  n'avions  pas  à  avoir 
recours  à  la  cour  de  La  Haye. 

Tous  les  conflits  ne  peuvent,  d'ailleurs,  pas  être  soumis  à  la  conférence 
de  La  Haye.  Quand  nous  sommes  allés  à  La  Haye,  il  ne  s'agissait  nulle- 
ment du  désarmement,  il  s'agissait  de  limiter  les  armements. 

Pas  plus  que  MM.  Jaurès  et  d'Estournelles,  je  ne  suis  fermé  à  l'amourde 
1  humanité,  mais  je  songe  d'abord  à  la  France,  qui  est  aussi  dans  l'huma- 
nité, et  ipii  est,  à  mes  yeux,  la  portion  de  beaucoup  la  plus  chère  de 
l'humanité.  (Applaudissements.) 


378  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLONULES 

Et,  à  propos  du  désarmement,  je  dis  que  je  ne  sais  pas  si  les  peuples 
consentiront  jamais  à  n'avoir  plus  en  eux-mêmes  les  garanties  de  leur 
propre  sécurité. 

Moi,  qui  ai  trouvé  dans  notre  diplomatie  un  appui  sûr  de  la  paix;  moî, 
qui  vois  une  armée  chaque  jour  plus  forte,  je  dis  qu'il  n'appartient  pas  à  la 
France  de  prendre  une  pareille  initiative. 

Dans  tous  les  cas,  ce  n'est  pas  moi  qui  la  prendrai.  {Vifs  applaudisse- 
ments.) 

Cela  n^implique  nullement  notre  renoncement  aux  idées  généreuses. 
M.  Charles  Benoist  nous  a  dit  que  nous  faisions  de  la  politique  bour- 
geoise. 

M.  Oharlea  Benoist.  —  C'est  une  question  que  je  vous  posais. 

M.  Deloassé.  —  Il  m'a  semblé  que  M.  Charles  Benoist  ^e  félicitait  de 
notre  rapprochement  commercial  et  politique  avec  l'Italie,  mais  il  Ta  fait 
en  termes  tels  que  je  me  demandais  si  je  n'y  étais  pas  resté  considérable- 
ment étranger. 

Il  a  critiqué  notre  politique  en  Afrique,  et  cependant  le  drapeau  de  la 
France  s'est  considérablement  agrandi  sur  la  carte  d'Afrique. 

M.  Charles  Benoist.  —  Sur  la  carte. 

M.  Deloassé.  —  A-t-il  oublié  toutes  les  annexions  que  nous  devons  à 
notre  seule  diplomatie  ou  les  a-t-il  passées  volontairement  sous  silence  ? 
M.  Charles  Benoist  n'a  pas  parlé  de  la  Macédoine,  mais  notre  éminent 
collègue  M.  de  Pressensé  en  a  parlé. 

Il  nous  a  dit,  avec  une  émotion  qu'il  n'était  pas  le  seul  à  partager,  les 
souffrances  de  la  Macédoine  et  de  l'Arménie  :  est-ce  que  la  France  aurait 
manqué  à  ses  traditions  ? 

N'a-t-elle  pas  montré,  depuis  cinq  ans,  tout  l'intérêt  qu'elle  portait  aux 
Arméniens  ?  N'a-t-elle  pas  exercé  une  surveillance  qui  a  empêché  le  retour 
des  massacres  ? 

C'est  la  même  politique  que  nous  suivons  en  Macédoine,  où  les  esprits 
sont  dans  un  état  d'irritation  extrême. 

Je  sais  qu'il  y  a  des  difficultés  sans  nombre,  qu'il  faut  compter  avec  les 
aspirations  des  populations  diverses  de  la  Macédoine.  Mais  ce  n'est 
qu'avec  les  autres  puissances  que  nous  pourrons  arrêter  ceux  qui  spéculent 
sur  le  désespoir  des  Macédoniens. 

Ce  qui  exaspère  surtout  les  populations  macédoniennes,  très  attachées 
au  sol  et  aux  produits  du  sol,  c'est  de  se  voir  pillées  et  dépouillées  par  les 
gendarmes,  qui  se  livrent  à  ces  excès  parce  qu'ils  ne  sont  pas  payés. 

L'Autriche  et  la  Russie  veulent  énergiquement  le  maintien  du  statu  quo 
dans  les  Balkans,  mais  elles  ont  été  d'accord  avec  les  grandes  puissances 
pour  reconnaître  qu'il  était  urgent  d'appliquer  en  Macédoine  un  remède 
pour  empêcher  l'explosion  de  la  misère  exaspérée. 

C'est  ainsi  qu'on  a  été  amené  à  proposer  les  réformes  :  réforme  finan- 
cière, réforme  de  gendarmerie,  réformes  simples  mais  indispensables. 

!Pour  leur  exécution,  il  fallait  un  gouverneur  à  pouvoirs  étendus,  qui  ne 
fût  pas  exposé  à  se  voir  contrarié,  chaque  matin,  par  des  ordres  venus  du 
Sultan. 

Le  paysan  se  calmera  ainsi  peu  à  peu  et  les  puissances  pourront  alors 
rechercher  ce  qu'il  conviendra  de  faire  par  la  suite. 


HENSBI6NEMENTS  POLITIQUES  379 

La  Porte  a  accepté,  intégralement,  sans  modification,  le  programme 
qu'on  lui  a  soumis.  Nous  sommes  convaincus  que,  stimulée  par  Tactive 
mr^âllance  des  puissances,  la  Porte  mettra  autant  de  sincérité  à  les 
appliquer  qu^elle  a  mis  d'empressement  à  les  accueillir.  Elle  y  a  intérêt. 

11  ne  faut  pas  se  disimuler  qu'il  y  a  là  une  situation  sérieuse  que,  seuls, 
les  efforts  communs  des  puissances  pourront  faire  disparaître. 

L'éqmlibre  européen  que  nos  prédécesseurs  se  sont  toujours  attachés  à 
maintenir,  maintenu  également  par  nous  avec  méthode  et  fermeté,  doit 
être  consolidé. 

Nous  nous  sommes  appliqués  à  faire  disparaître  des  antagonismes  fac^ 
tices  et  à  opérer  des  rapprochements  difficiles.  Nous  y  avons  réussi. 

Vis-à-vis  de  Tltalie,  l'entente  s'est  parachevée  à  la  satisfaction  des  deux 
pays.  Quelques  esprits  chagrins  peuvent  la  critiquer^  les  faits  n'en  subsis- 
tent pas  moins  et  l'accord  est  solidement  établi. 

En  cultivant  Talliance  qui  doit  rester  la  pierre  angulaire  de  notre  poli- 
tique en  Europe,  nous  maintiendrons  notre  indépendance  et  nous  consolide- 
rons notre  empire  colonial. 

Comme  on  le  voit,  le  discours  de  M.  Delcassé  a  été  surtout  un 
très  habile  plaidoyer  en  faveur  de  sa  politique  générale,  et  il  a  eu  soin 
d'esquiver  toutes  les  questions  délicates  auxquelles  il  lui  eût,  sans 
doute,  été  difficile  de  répondre  avec  précision. 

M.  Ribot,  qui  a  pris  la  parole  après  le  ministre,  a  fait  en  quelque 
sorte  la  critique  de  ce  plaidoyer;  mais  étant  donné  l'étendue  du  sujet 
à  traiter,  le  nombre  et  la  diversité  des  questions  soulevée»,  il  n'a  pu 
malheureusement  donner,  sur  tous  les  points,  à  cette  critique  toute 
la  netteté  désirable.  Son  discours  n'en  a  pas  moins  été  très  intéres- 
sant et  très  remarquable. 

M.  Ribot  a  d'abord  exposé  ce  que  doit  être  notre  politique  géné- 
rale, notamment  au  point  de  vue  de  l'alliance  russe  ; 

X.  Ribot.  —  Notre  politique  doit  être  une  politique  de  paix,  niais  une 
politique  fière,  une  politique  qui  ne  soit  jamais  une  politique  d'efifacement. 

Elle  doit,  en  second  lieu,  garder  la  base  solide  qui  lui  a  été  donnée  par 
TaUiance  avec  un  grand  pays.  Sur  ce  point,  nous  sommes  aussi  d'accord, 
non  seulement  avec  M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères,  mais  aussi  avec 
nos  honorables  collègues  de  l'extréme-gauche,  car  M.  Jaurès  a  bien  voulu 
me  dire  —  et  j'ai  pris  acte  de  ses  paroles  —  qu'il  considère  à  cette  heure 
l'alliance  russe  comme  nécessaire  à  la  politique  française.  L'alliance  franco- 
russe  est,  en  effet,  une  garantie  d'équilibre  en  Europe,  et  elle  peut  avoir 
nne'action  décisive  dans  certaines  éventualités. 

M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  vient  de  dire  qu'elle  s'est  précisée, 
fortifiée.  Personne  ne  s'en  réjouit  plus  que  moi;  seulement  cette  alliance, 
^  et  nous  sommes  bien  d'accord  assurément  —  cette  alliance  doit  être  pra- 
tiquée dans  l'esprit  même  où  elle  a  été  faite,  et  personne  ne  veut,  ni  M.  le 
ministre  des  Affaires  étrangères,  ni  moi,  qu'elle  soit  étendue  avec  sa  force 
obligatoire  à  tous  les  problèmes  qui  peuvent  surgir  et  à  toutes  les  hypo- 
thèses diplomatiques. 


.380  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  BT  COLONULES 

Non  !  ce  qui  fait  la  force,  ce  qui  fera  la  durée  de  cette  alliance,  c'est  pré- 
cisément que  nous  avons  gardé  le  droit  à  une  indépendance  égale  dans 
toutes  les  questions  qui  n'ont  pas  été  prévues. 

Certes,  M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  a  absolument  raison. 
Quand  deux  pays  sont  liés  comme  la  France. et  la  Russie,  ils  doivent,  dans 
toutes  les  questions,  même  dans  celles  qui  sont  étrangères  aux  traités  ou 
aux  conventions  intervenus,  s^  mettre  d'accord  ;  cela  est  une  force  pour  la 
politique  commune  qu'ils  pratiquent,  mais  il  faut  que  cela  résulte  de  con» 
versations  où  chacun  garde  sa  liberté,  sa  dignité,  son  indépendance,  nul 
ne  pouvant  être  engagé  dans  une  action  politique  dont  il  n'aurait  pas  déter- 
miné librement  le  but  et  mesuré  l'étendue. 

M.  Jaurès.  —  Vous  blâmez  alors  la  convention  de  Corée? 

M.  Ribot.  —  Je  ne  blâme  rien. 

M.  Jaurès.  —  Je  vous  demande  pardon  ;  il  faut  préciser. 

M.  Ribot.—  Je  n'ai  rien  à  préciser;  je  sais  que  M.  le  ministre  des 
AiTaires  étrangères  est  d'accord  avec  moi  sur  ce  point. 

M.  Jaurès.  —  Mais  non,  puisqu'il  l'a  signée  ! 

M.  Edouard  Vaillant.  —  Il  a  mis  la  France  au  service  de  la  Russie. 

M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères.  —  Il  n'y  a  pas  de  con- 
vention ! 

M.  Ribot.  —  Il  s'est  expliqué  dans  des  termes  qui  répondent',  je  crois, 
au  sentiment  général  de  la  Chambre  et  du  pays. 

J'ai  donc  le  droit  de  dire  que  l'alliance  franco-russe  reste  une  des  bases 
les  plus  solides  de  notre  politique,  et  sur  ce  point  encore  je  ne  pense  pas 
rencontrer  de  contradiction. 

Cette  alliance,  d'ailleurs,  ne  nous  a  constitués  à  l'tHat  d'hostilité  avec 
aucun  des  pays  d'Europe.  Cela  n*a  pas  été  dans  son  intention  et  cela  n'a 
pas  été,  très  heureusement,  dans  ses  effets.  Et  quand  je  jette  un  regard 
sur  l'état  actuel  de  l'Europe  et  que  je  le  compare  à  ce  qu'il  a  été  à  d'autres 
époques,  à  l'époque  môme  où  cette  alliance  a  été  conclue,  je  me  réjouis 
très  sincèrement  de  l'amélioration  de  nos  relations  avec  certaines  puis- 
sances. 

Parlant  alors  de  la  question  de  Macédoine,  M.  Ribot  a  déclaré 
approuver  pleinement  la  politique  suivie  par  M.  Delcassé  en  cette 
occasion  et  exposée  dans  les  Livres  jaunes.  Puis,  arrivant  à  la  ques- 
tion du  Siam,  dont,  au  contraire,  le  minisire  s'était  soigneusement 
abstenu  de  parler,  il  s'est  s'exprime  ainsi  : 

M.  Ribot.  —  Si,  dans  cette  question  d'Orient,  où  nous  avons  des  intérêts 
communs  avec  l'Europe,  M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  a  suivi  la 
ligne  qui  lui  est  indiquée,  j'aurai  peut-être  pour  ma  part  quelques  réserves 
à  faire  sur  d'autres  points  de  la  politique  où  nous  avons  des  intérêts  qui 
nous  sont  plus  exclusivement  propres,  moins  commuas  avec  l'ensemble 
de  l'Europe. 

Jo  ne  veux  pas,  vous  le  comprenez,  engager  à  cette  heure  un  débat  com^ 
plet;  le  temps  ni  mes  forces  n'y  sufffiraient;  mais  si  je  vous  disais,  sans 
entrer  dans  une  discussion  qui  aura  son  heure,  peut-être  un  peu  tardive. 


*l 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  $81 

si  je  TOUS  disais  qu'au  Siam,  par  exemple,  notre  diplomatie  n*a  pas  eu 

toujours  Tallure  de  confiance  en  elle-même  qu*il  aurait  fallu,  et  que  peut-  j 

éire  nous  nous  sommes  ménagé  ainsi  à  nous-mêmes  quelques  difficulU':"  I 

dont  nous  a^ons  aujourd'hui  de  la  peine  à  sortir,  vous  me  contredinv.  i     i 

assurément, —  mais,  au  fond,  je  crois   que  vous  n'auriez  pas  tout  à  faii 

rtison. 

Le  tort  de  notre  diplomatie,  voyez-vous,  ç*a  été  de  ne  pas  sentir  assez  U 
force  et  les  avantages  qu'elle  pouvait  et  qu'elle  devait  tirer  du  traité  «li^  I 

1896  avec  l'Angleterre.  •     « 

Oui,  avant  cette  date,  notre  diplomatie  au  Siam  était  un  peu  incertaine; 
CD  en  faisait  un  reproche  [au  ministre  des  Affaires  étrangères  et  on  avait 
tort,  car,  à  cette  époque,  nous  n'avions  pas  déterminé  avec  l'Angleterre  l**^  ^*!  <•• 

sphères  d'influence,  et  les  conflits  avec  lie  Siam  pouvaient,  à  un  moment 
donné,  prendre  un  caractère  plus  large  et  plus  dangereux.  Mais,  depuis 
1896,  l'Angleterre  s'est  fixé  à  elle-même  sa  zone  d'influence  —  et  elle  ue 
met  pas  une  réserve  excessive,  vous  en  conviendrez,  quand  il  s'agit  d'u^^^'r 
des  libertés  qu'elle  s'est  ménagée  ;  elle  ne  verrait  pas,  certainement,  d'un  * 

mauvais  œil  que  nous-mêmes,  dans  notre  région,  c'est-à-dire  dans  la  vallée  i 

dn  Mékong,  nous  usions  un  peu  de  la  situation  privilégiée  qui  nous  a  été 
reconnue.  mJ 

11  ne  s'agit  pas  de  porter  là  l'esprit  de  conquête,  non  !  Je  ne  crois  pu:^ 
qu'il  soit  de  l'intérêt  de  la  France  d'annexer  toujours  à  ses  possessions  lic  ^*^ 

Bouvelles  zones,  de  nouveaux  territoires  et  d'y  envoyer  des  fonctionnaireh: 
ce  n'est  pas  du  tout  ma  pensée.  Ce  qui  est  essentiel,  c'est  que,  dans  ceti^* 
zone  du  bassin  du  Mékong,  nous  ne  laissions  s'établir  aucune  influeQii^ 
qui  pourrait  contrarier  la  nôtre. 
M.  Etienne.  —  Toute  la  question  est  là. 

X.  Ribot.  —  Toute  la  question  est  là,  en  effet.  * 

C'est  que  nous  fassions  comprendre  au  Siam,  de  manière  qu'il  ne  puk^r 
pas  s'y  tromper,  que  nous  voulons  que  notre  influence  dans  cette  régiou, 
au  point  de  vue  économique  et  au  point  de  vue  politique,  soit  une  influenci' 
prépondérante. 

Si  vous  faites  comprendre  cela  au  Siam  —  et  je  crains  que  toute  la  polt- 
tique  faite  depuis  1896  n'ait  pas  été  dirigée  tout  à  fait  dans  ce  but;  c'e^| 
peut-être  ce  qui  rend  difficile  la  communication  des  cc^réspondances  quVni 
demande  —  si  vous  le  faites  comprendre  au  Siam,  tout  le  reste  sera  pi  u 
de  chose;  toutes  les  difficultés  s'évanouiront  d'elles-mêmes;  vous  ferez  Im 
traité  que  vous  voudrez,  peut-être  même  n'en  ferez-vous  pas  du  tout  —  ■  i 
cea  peut-être  au  fond  ce  qui  vaudrait  le  mieux. 

Enfin  H.  Ribot  a  donné  en  ces  termes  son  sentiment  sur  le  Maroc 

X.  Ribot.  ^  Reste  la  question  du  Mafoc.  Ici,  j'ai  approuvé  les  paroIi<> 
de  M.  le  ministre.  Cependant  je  ne  trotive  pas  la  situation  très  favorahli 
elle  peut  devenir  dangereuse.  Il  y  a  Tanger.  Jamais  l'Europe  ne  souffrin 
que  l'Angleterre,  qui  occupe  déjà  Gibraltar,  occupe  Tanger. 

Je  m'inquiète  de  ce  que  le  Maroc  pourra  trouver  dans  l'emprunt  frnn- 
çais  on  précédent  pour  en  conclure  d'autres  avec  d'autres  nations.  Bienr^^  ^ 


382  QUESTIONS  DIPLOJUnQUfiS  ET  COLONIALES 

on  parlera  de  gages,  de  nomination  de  commissaires,  ce  qui  mène  vite  à 
une  flotf  àm  nmmf  Hum. 

Il  y  a  là  quelque  chose  qui  mlnquiète  un  peu. 

II  faudrait  fortifier  notre  action  au  Maroc;  elle  y  est  insuffisante,  car  elle 
ne  répond  pas  à  notre  situation  en  Algérie.  Nous  ne  devons  pas  oublier 
que  nous  sommes  une  puissance  musulmaiie  et(que  tput  ce  qui  se  passe  au 
Maroc  a  son  contre-coup  en  Algérie. 

Je  ne  doute  pas  que  M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  ne  fasse  tout 
son  possible  pour  développer  notre  influence.  Mais  il  a  tort  de  laisser  courir 
certaines  idées,  certains  bruits  au  sujet  d*uQ  partage  éventuel  du  Maroc... 

De  partage  du  Maroc,  il  n'y  en  a  pas  de  possible;  il  faut  le  dire  hau- 
tement à  la  tribune. 

Je  n*en  donnerai  qu'une  raison.  Si  on  l'abordait,  il  y  a  une  question  que 
vous  ne  pourriez  pas  résoudre,  celle  de  Feai,  ville  religieuse,  située  sur  le 
passage  de  l'Algérie  à  l'Atlantique  et  qui  constitue  une  porte  sur  TAlgérie. 

Le  débat  s'e^t  arrêté  là,  H.  Delcassé  ayant  préféré  ne  pas  répondre 
à  M.  Ribot,  et  Vqn  est  passé  au  vote.  Comme  nous  le  disions  en 
commençant,  les  résultats  de  ce  brillant  tournoi  oratoire  auront 
donc  été  purement  négatifs,  et  nous  devons  le  regretter  d'autant  plus 
qu'il  est  certain  maintenant  que  la  Chambre,  épuisée  par  un  zèle  de 
deux  journées,  n'abordera  plus  de  quelque  temps  l'examen  de  notre 
politique  étrangère.  Combien  est  plus  profitable  le  système  parle- 
mentaire anglais  qui,  par  des  questions  presque  quotidiennes,  oblige 
le  gouvernement,  à  tenir  le  Parlement  au  courant  des  moindres 
détails  de  son  acUon  extérieure  et  à  collaborer  en  quelque  sorte  jour- 
nellement avec  lui  ! 

Deuxnouveam  Litnres  jaunes. —  Le  ministère  dés  Affaires  étrangères 
vient  de  publier  deux  Livres  jaunes^  l'un  sur  l'évacuation  de  Changhaî 
(1900-1903),  l'autre  sur  les  affaires  de  Macédoine  (janvier-février  1903). 

Le  premier  contient  le  texte  des  communications  échangées  entre 
le  consul  général  de  France  à  Changhaî,  le  ministre  des  Affaires 
étrangères  et  les  représentants  des  gouvernements  intéressés  par 
l'occupation  simultanée,  en  1900,  de  la  concession  internationale,  et 
le  retrait  simultané  des  troupes  étrangères  en  1902-1903.  Une  des 
pièces  les  plus  importantes  du  recueil  est  la  dépêche  suivante 
adressé  par  H.  Delcassé  aux  représentants  de  la  France  à  Saint-Pé- 
tersbourg, Londres,  Vienne,  Rome,  Washington,  Tokyo  et  Berlin  : 

Paris,  le  3  octobre  1902. 
Au  mois  de  juillet  dernier,  le  gouvernement  chinois  s*est  adressé  au 
gouvernement  britannique,  qui,  le  premier,  avait  débarqué  des  troupes  à 
Changhaî  à  la  suite  des  événements  de  i900,  pour  lui  demander  et  le  prier 
de  demander  à  la  France,  à  l'Allemagne  et  au  Japon  l'évacuation  de  cette 
ville  par  les  troupes  étrangères  qui  y  sont  encore  stationnées.  La  proposi- 
tion anglaise,  tendant  à  ce  que  ces  troupes  soient  retirées  simultanément 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES  383 

le  1*'  novembre   prochain,  est  soumis   à  l'examen  des  gouvernemenis 

intéressés.  Il  parait  utile  de  rappeler,  pour  votre  information,  les  faits  qui 

OQt  motivé  l'occupation  de  Changhai  par  des  contingents  étrangers. 

Au  mois  de  juin  1900,  alors  que  Tinsurrection  des  Boxeurs  menaçait  U 
sécurité  de  tous  les  étrangers  dans  le  Nord  de  la  Chine  et  que  les  puiâ^ 
saoces  étaient  privées  de  toute  communication  avec  le  gouvernemenc 
impérial,  les  vice-rois  de  Ou-tchang  et  de  Nan-king,  dans  la  pensée 
d  éviter  à  leur  pays  l'aggravation  d*un  conflit  international,  dont  les  con- 
séquences leur  paraissaient  redoutables,  s'étaient  portés  garants  du  main- 
tieo  de  l'ordre  dans  la  région  soumise  à  leur  influence.  De  son  «6té,  le 
corps  consulaire  à  Changhaî  avait  promis  à  ces  hauts  mandarins  que  les 
goa?ernement8  alliés  s'abstiendraient  d'intervenir  dans  les  provinces  c&u- 
trales  et  méridionales,  tant  que  la  tranquillité  n'y  serait  pas  trofiblée. 

Au  mois  de  juillet,  l'Angleterre,  jugeant  que  ses  intérêts  à  Changbai 
n'étaient  pas  suffisamment  garantis  par  les  promesses  des  mandarine, 
résolut  de  coopérer  aux  mesures  de  police  dont  le  vice-roi  de  Nan-kin<^ 
irait  assumé  la  charge.  Le  27  juillet,  l'amiral  Seymour  se  rendait  auprès 
de  lui  afin  d'obtenir  que  les  forts  de  Woosung  fussent  momentanément 
cédés  au  gouvernement  britannique  pour  y  établir  un  campement  de 
troupes  anglaises  et,  sur  le  refus  du  vice- roi,  proposait  le  débarquement 
immédiat  de  3.000  hommes  en  vue  de  la  défense  de  la  concession  interna- 
tionale à  Changhaî.  Lieou-Kouen-Yi  n'opposa  pas  d'objection  à  ce  dernier 
projet. 

C'est  alors  que  le  corps  consulaire,  réuni  en  assemblée  et  avisé  de  lit 
mobilisation  d'une  partie  de  la  garnison  de  Hong-kong  qui  se  tenait  pn^ti^ 
à  partir  au  premier  appel,  décida  l'envoi  d'un  télégramme  identique  à 
chacun  des  gouvernements  intéressés  pour  demander  qu'une  force  combi- 
née de  lO.OOO  hommes  fût  envoyée  à  Changhaî,  toute  action  isolée  nt* 
pouvant  que  nuire  aux  intérêts  généraux  en  cause. 

.\u  reçu  du  télégramme  de  M.  de  Bezaure,  le  gouvernement  de  la  Repu  ^ 
blique  estima  que,  si  des  troupes  étrangères  étaient  débarquées,  nous  nou^ 
trouverions  dans  la  nécessité  de  suivre  Texemple  qui  nous  était  ain^i 
donné,  et  décida  qu*en  ce  cas  un  bataillon  d'infanterie  ainsi  qu'une  batte- 
rie d'artillerie  seraient  sans  retard  détachés  à  Changhai  pour  la  défense  dr 
notre  concession.  Toutefois,  afin  de  prévenir  tout  malentendu,  M.  di* 
Beziure  fut  invité  à  marquer  au  vice-roi  Lieou-Kouen-Yi  que  notre  déci- 
sion était  inspirée  par  le  ferme  désir  de  maintenir  l'intégrité  du  territoire 
ctlinois,  tout  en  coopérant  avec  les  troupes  indigènes  pour  la  sauvegarri^^ 
de  nos  intérêts. 

Ainsi,  tandis  que  les  troupes  britanniques  entraient  à  Changhaî,  un 
détachement  de  marins  de  nos  croiseurs  y  débarquait  de  son  côté,  et  il  y 
*^tait  remplacé  quelque  temps  après  par  un  contingent  venu  d*Indo-Chine. 

Deux  autres  puissances  ne  tardèrent  pas  à  prendre  des  dispositions  aua* 
logues.Le  3  septembre,  le  consul  d'Allemagne  notifiait  à  ses  collègues  l'in- 
teotion  de  son  gouvernement  de  faire  débarquer  un  détachement  di^: 
iSO  hommes,  qui  arriva  le  6  à  Changhaî,  et,  de  son  côté,  le  Japon  envoya 
'JOO  hommes  trois  jours  après. 

L'année  suivante,  le  rétablissement  de  l'ordre  dans  le  Tche-li  et  1+ 
reirût  graduel  des  troupes  internationales  qui  avaient  opéré  dans  cettt* 


I: 


ï 


384  OUBSTIOMS    DIPLOMATIQUES  BT  COLONIALES 

province  ne  marquèrent  pas,  ainsi  que  l'aurait  désiré  le  vice-roi,  le  terme 
de  roccupation  de  Ghanghaï. 

Cependant,  le  14  septembre  de  la  même  année,  le  corps  consulaire, 
saisi  par  le  consul  des  États-Unis  d'une  démarche  de  Lieou-Kouen-Yi 
tendant  à  obtenir  l'évacuation,  décida  que  la  question  serait  soumise  à 
l'examen  des  gouvernements  intéressés. 

Le  lendemain,  l'Angleterre  retirait  750  hommes,  ce  qui  ramenait  son 
contingent  à  957  hommes.  A  ce  moment,  le  contingent  allemand,  qui  avait 
été  renforcé  depuis  le  mois  de  septembre  1900,  s'élevait  à  1.200  hommes; 
le  contingent  japonais  était  réduit  à  200  boxâmes.  Quant  au  contingent 
français,  il  comprenait,  comme  au  début  de  l'occupation,  750  hommes. 

C'est  le  1«>'  août  1902  que  le  cabinet  de  Saint-James  s'est  fait  officielle- 
ment, auprès  des  cabinets  de  Paris,  de  Berlin  et  de  Tokyo,  l'interprète  du 
désir  du  vice-roi,  de  voir  cesser  enfin  l'occupation  de  Changhaî. 

Je  vous  ai  fait  connaître  que  le  gouvernement  de  la  République  ne  voit 
aucune  objection  à  cette  mesure,  à  la  condition  qu'elle  soit  concertée  et 
simultanée,  et  qu'elle  comprenne  tous  les  contingents  étrangers.  Il 
demeure  entendu,  d'autre  part,  que,  si  une  puissance  quelconque  est 
amenée  dans  l'avenir  à  débarquer  des  troupes  à  Changhaî,  nous  nous 
réservons  d'y  renvoyer  telle  force  que  nous  jugerons  à  propos. 

Actuellement,  le  gouvernement  britannique,  qui  a  déclaré  que  ses 
intentions  étaient  entièrement  conformes  aux  nôtres,  suggère  de  fixer 
l'évacuation  simultanée  au  !«'  novembre  prochain. 

J'ai  prié  nos  représentants  auprès  des  gouvernements  allemand  et  japo- 
nais de  s'enquérir  si  ceux-ci  seraient  disposés  à  accepter  cette  date. 


Le  second  Livré  jaune^  sur  les  affaires  de  Macédoine,  est  un  fasci- 
cule de  16  pages  seulement,  qui  contient  quelques-uns  des  docu- 
ments diplomatiques  échangés  entre  le  ministre  des  Affaires  étran- 
[  gères  et  nos  ambassadeurs  à  Saint-Pétersbourg  et  à  Constantinople 

I  ainsi  qu'entre  M.  Delcassé  et  certains  de  nos  ministres  et  consuls  en 

[  Turquie,  en  Grèce  et  en  Bulgarie,  dans  la  période  allant  du  23  jan- 

î  vier  au  25  février. 

\  La  plupart  de  ces  dépêches,  qui  ont  trait  à  Tétat  des  esprits  en 

^:  Bulgarie  el  dans  les  vilayets  macédoniens,  ainsi  qu'aux  dispositions 

^  du  gouvernement  bulgare,  n'ajoutent  rien  à  ce  que  Ton  sait  déjà. 

F  Le  document  le  plus  intéressant  est  celui  par  lequel  notre  ministre 

à  Athènes,  M.  d*Ormesson,  fait  part  à  H.  Delcassé  de  Timpression 
produite  en  Grèce  par  la  publication  du  précédent  Livré  jaune. 
Voici  le  texte  de  cette  dépêche  de  M.  d'Ormesson  :    - 

Athènes,  11  février  1903. 

Je  viens  d'avoir  aujourd'hui  avec  le  ministre  des  Affaires  étrangères  une 

conversation  au  cours  de  laquelle  il  m'a  soumis,  en  termes  très  mesurés 

d'ailleurs,  les  doléances  du  gouvernement  grec  au  sujet  de  notre  Livre 

jaune. 

,  M.  Skousès  a  constaté  avec  inquiétude  qu'il  n'est  fait  mention,  dans  le 

\  xlocument  publié,  que  des  populations  bulgares  de  Macédoine  et  aucune- 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  385 

méat  de  Télément  grec  qui  semble  oublié;  il  redoute  que  celui-ci  ne  soit 
sacrifié  aux  Slaves  plus  remuants. 

J'ai  répondu,  à  titre  tout  personnel,  que  je  ne  comprenais  pas  ces 
inquiétudes,  ne  voyant  rien  dans  le  Livre  jaune  de  nature  à  les  justi- 
fier :  qu'il  ne  s'agissait  pas  de  modifier  le  statu  quo  territorial,  ou  d'orga- 
niser un  régime  nouveau  au  bénéfice  d'une  race  et  au  détriment  des 
autres  ;  que  l'élément  hellénique,  étant,  au  dire  de  mon  interlocuteur,  le 
plus  nombreux,  devra  bénéficier  des  r'^formes  dans  une  mesure  encore 
plus  large  que  les  autres  ;  que  je  ne  pensais  pas  que  les  Grecs  puissent  s'ins- 
crire en  faux  contre  les  abus  dénoncés  ;  que  s'il  n'était  pas  question  dans 
k  Litre  jaune  des  populations  grecques  de  la  Macédoine,  c'était  sans  doute 
parce  que  celui-ci  visait  surtout  une  action  à  exercer  à  Constantinople  ou 
à  Sofia,  mais  que  la  France  ne  les  oublierait  pas  et  leur  savait  gré  de  leur 
altitude  pacifique;  que  des  articles  comme  ceux  de  certains  journaux  grecs 
étaient  injustes  et  maladroits  et  que  j'espérais,  dans  l'intérêt  de  la  Grèce, 
ijue  l'opinion,  mieux  renseignée,  se  calmerait  et  attendrait  pour  connaître 
les  intentions  de  TËurope  qui  certainement  ne  sauraient  être  préjudiciables 
a  l'élément  hellénique,  l'Europe  en  ayant  souci  comme  des  autres  élé- 
ments chrétiens. 

D'Ormesson. 

Notre  ministre  des  Affaires  étrangères  a  répondu  au  comte  d'Or-> 
messon  : 

Paris,  le  12  février  1903. 
Vous  avez  été  bien  inspiré  en  répondant  à  M.  Skousès,  et  j'approuve 
entièrement  votre  langage.  Nous  ne  demandons  de  privilège  pour  personne 
en  Macédoine,  mais  une  condition  tolérable  pour  tous,  à  quelque  race 
qu'ils  appartiennent. 

Delcassé. 

Ace  propos,  M.  Delcassé  a  fait  part  aux  ambassadeurs  de  la  Répu- 
blique française  à  Constantinople,  Saint-Pétersbourg,  Londres, 
Berlin,  Home,  aux  ministres  de  France  à  Athènes,  Sofia,  Belgrade  et 
Bucarest,  de  sa  réponse  au  gouvernement  d'Athènes  : 

Paris,  16  février  1903. 

Le  ministre  de  Grèce  a  donné  communication  à  mon  département  de 
deux  télégrammes  de  son  gouvernement  qui  se  plaint  de  l'agitation  causée 
par  les  comités  bulgares  en  Macédoine.  Le  gouvernement  hellénique,  qui 
prétend  d'ailleurs  que  les  Grecs  sont  plus  nombreux  que  les  Bulgares  en 
Macédoine,  demande  des  réformes  dans  l'ordre  administratif  et  exprime 
le  désir  que  les  grandes  puissances  fassent  des  représentations  à  Sofia. 

11  a  été  répondu  à  M.  Delyanni  que  nous  n'épargnions  les  conseils  de 
modération  ni  à  Sofia  ni  à  Constantinople,  et  que  nos  efforts  tendaient  à 
ce  que  les  chrétiens,  entre  lesquels  nous  ne  voulons  faire  aucune  distinc- 
tion, jouissent  d'une  adminisration  plus  régulière  de  façon  que  leur  sort 
étant  plus  supportable,  ils  ne  soient  pas  tentés  de  se  révoU.r. 

Quelques  jours  avant  cette  démarche  de  M.  Delyanni,  notre  représen- 
tant à  Athènes  m'avait  fait  savoir  que  le  gouvernement  hellénique  s'était 
QoMT.  DiPL.  ET  Col.  ^  t.  xv.  23 


386  QUESTIONS  DIPLOMATIQUKS   KT  COLONIALES 

plaint  de  ce  que  le  gouvernement  de  la  République  n*eût  pas,  dans  notre 
récent  Livre  jaune  sur  la  Macédoine»  marqué  assez  d'intérêt  à  Félément 
grec  de  la- région  macédonienne.  M.  d*Ormes8on  a  répondu  au  ministre 
des  Affaires  étrangères,  en  conformité  avec  mes  vues,  que  nous  ne  deman- 
dons de  privilèges  pour  personne  en  Macédoine,  mais  une  condition  tolé- 
rahle  pour  tous. 

Je  crois  utile  de  vous  faire  part  de  ces  indications  à  titre  d 'in forma* 
tion. 

Dblcassé. 

Voici,  d'autre  part,  le  communiqué  adressé  par  l'intermédiaire  de 
l'agent  diplomatique  de  Bulgarie  à  Paris  à  M.  Delcassé  : 

Paris,  le  15  février  1903. 

D'ordre  du  ministre  des  Affaires  étrangères,  je  suis  chargé  d'avoir  l'hon- 
neur de  remettre  à  Votre  Excellence  la  communication  suivante  : 

«  Le  Conseil  des  ministres,  dans  sa  dernière  séance,  a  pris  la  décision 
a  de  dissoudre  définitivement  les  comités  macédoniens  existant  en  Bul- 
<i  garie.  Ëa  prenant  cette  mesure,  le  gouvernement  se  rend-  parfaitement 
«  compte  des  difficultés  contre  lesquelles  il  aura  à  lutter  pour  la  mettre 
«  en  exécution.    . 

«  Considérant  que  l'existence  de  ces  comités  a  été  largement  tolérée, 
u  que  leur  activité,  par  suite  du  but  patriotique  qu'ils  poursuivent,  leur  a 
«  gagné  la  sympathie  entière  de  toutes  les  classes  de  la  société,  le  gou ver- 
te nement  princier,  avec  leur  dissolution,  non  seulement  va  s'attirer  l'hosti- 
a  lité  de  ces  comités,  mais  encore  il  risque  de  perdre  sa  popularité  dans  le 
(«  pays.  Cependant,  malgré  ces  considérations  d'un  caractère  si  sérieux,  le 
«  gouvernement  princier  n'a  pas  hésité  à  donner  aux  grandes  puissances 
«  une  nouvelle  preuve  de  sa  loyauté,  comptant  sur  les  grandes  puissances 
«  pour,  en  échange,  lui  faciliter  sa  tâche  par  l'application  la  plus  rapide 
a  des  réformes  projetées.  » 

En  portant  ce  qui  précède  à  la  connaissance  de  Votre  Excellence,  je 
dois  encore  ajouter,  d'après  mes  instructions,  que  le  gouvernement  prin- 
cier estime  qu'il  est  de  toute  nécessité  et  de  toute  urgence  d'introduire 
sans  retard  en  Macédoine  des  réformes  efficaces,  seules  capables  de  paci- 
fier les  esprits  des  deux  côtés  de  la  frontière  et  de  rendre  aux  malheu- 
reuses populations  de  la  Macédoine  la  confiance  en  un  avenir  meilleur, 
susceptible  de  leur  garantir  d'une  manière  sûre  et  permanente  et  leur  sé- 
curité personnelle,  et  leur  vie,  et  leurs  biens. 

Zolotowitz. 

Enfin,  la  dernière  dépèche  du  Livré  jaune  est  celle  par  laquelle 
M.  Constans,  notre  ambassadeur  à  Constantinople,  informe  M.  Del- 
cassé de  l'acceptation  par  le  Sultan  du  plan  de  réformes  austro-russe, 
et  fait  part  au  ministre  de  ses  impressions  à  la  suite  de  ses  derniers 
entretiens  avec  le  grand  vizir,  Ferid  pacha,  et  le  ministre  des  Affaires 
étrangères,  Tewfikpacha. 

Péra,  1»  28  février  1903. 
Je  me  suis  rendu  hier  auprès  du  grand  vizir  et  du  ministre  des  Affaires 
étrangères  pour  renouveler  les  recommandations  que  je  leur  avais  faites 


RKffSEIGNKMEIfTS   POLITIQUES^  387 

en  Mie  de  Inacceptation  et  de  Tapplicatioa  du  programme  conietiu  dans  la 
note  remise  conjointement,  le  2i  février,  par  les  ambassades  de^  Rossie  et 
d'Authche-Hongrie  à  S.  A.  Férid  pacha.  J'aireçude  mas  deux  ioterloca- 
leurs  Tassurance  que  le  gouvernement  impérial  avait  accepté,  sans  au- 
caoe  restriction  ni  modification,  le  projet  de  réformes  proposé. 

Là  rapidité  avec  laquelle  cette  adhésion  a  été  donnée  n'a  pas  manqué 
de  surprendre  ici  les  personnes  qui  ne  savaient  pas  que,  depuis  quelques 
joors,  le  Sultan  avait  compris  le  danger  auquel  il  s'exposerait  en  opposant 
QD  refus  aux  demandes  concertées  par  les  gouvernements  russe  et  autri- 
chien et  acceptées  par  les  puissances. 

Le  Sultan  parait  décidé  à  donner  suite  aux  réformes  annoncées  et  qui, 
loin  d*étre  en  contradiction  avec  celles  déjà  édictées  par  lui,  les  complè- 
tent et  les  améliorent,  et  je  vais,  en  communiquant  à  nos  agents  dans  les 
TÎIayets  de  Sak>niquei  Monastir  et  Kossovo  la  substance  du  projet  de  ré- 
formes, les  inviter  à  me  rendre  compte  de  son  application. 

Grâce  à  leur  surveillance  et  à  celle  des  agents  des  autres  puissances, 
placés  dans  les  principaux  centres  de  Macédoine,  il  sera  aisé  de  s'assurer 
«le  la  façon  dont  les  autorités  locales  mettent  à  exécution  le  plan  de  ré- 
formes accepté  par  le  gouvernement  ottoman. 

Turquie.  —  La  queslion  macidonimn$.  —  La  situation  ne  semble 
guère  s'améliorer  en  Macédoine.  Chaque  mouvement  de  bandes 
augmente  Tinquiélude  de  la  Forte  sur  l'avenir  et  par  suite  fait  douter 
de  Tefficacité  des  réfoitnes  dont  TappUcalion  demande  forcément  du 
temps.  Les  pourparlers  entre  le  gouvernement  turc  et  les  ambas- 
sadeurs de  Russie  et  d'Autriche  continuent  cependant  d'une  façon 
suivie  et  quelques  premières  satisfactions  ont  été  données  aux  puis- 
sances. Un  millier  de  personnes  ont  été  amnistiées,  dont  cent  Bul- 
gares et  le  reste  Macédoniens.  On  annonce  qu'on,  va  entamer  pro- 
chainement la  réforme  financière.  D'autre  part,  la  réorganisation  de 
la  gendarmerie  et  des  gardes  champêtres  semble  commencée.  Il 
est  même  intéressant  de  remarquer,  à  ce  propos,  que  l'Allemagne  a 
trouvé  là  une  nouvelle  occasion  d'affirmer  son  influence  auprès  de  la 
Porte.  C'est,  en  effet,  à  trois  officiei-s  allemands  qu'a  été  confiée  cette 
réorgaoisation  de  la  gendarmerie  :  les  généraux  Ruedgisch  et  Auler 
pacha  et  le  majortFitzau.  L'empereur  Guillaume  II  ne  perd  pas  son 
temps. 

Les  ambassadeurs  de  France  et  d'Italie  ont  exprimé  au  Sultan  la 
satisfactkm  de  leurs  gouvernements  au  sujet  de  l'adoption  du 
pian  de  réformes  et  l'espoir  de  sa  sincère  exécution.  Cette  démarche 
a  été  enregistrée  avec  satisfaction  par  la  presse  austro-russe. 

Par  contre^  les  journaux  russes  continuent  à  commenter  sévè- 
rement l'alCîtude  de  l'Angleterre.  C'est  ainsi  que  les  Novosti àonnutnl 
à  entendre  que  l'or  anglais  est  un  facteur  actif  de  la  propagande 
macédonienne  révolutionnaire  dans  les  Balkans. 

Oa  ne -peut  douter,  disent  les  NovosUy  que  tout  dernièrement,  comme 


388:  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES    BT  COLONIALES 

eu  1876,  il  y  a  eu,  derrière  la  source  visible,  une  autre  source,  de  laquelle 
les  agitateurs  des  Balkans  tiraient  toute  leur  force.  Sans  ce  soutien  secret, 
la  propagande  révolutionnaire  macédonienne,  après  Téchec  qu'elle  reçut  à 
Tautom ne  dernier,  eût  cessé.  11  est  à  peine  nécessaire  de  nommer  le  ^nlîeu 
étranger,  milieu  malfaisant,  le  seul  possible,  qui  fournit  ces  ressources 
matérielles. 

f/orgune  panslaviste  Sviei,  qui  s'occupe  avec  assiduité  des  affaires 
de  la  péninsule  balkanique,  déclare  sans  ambage  n*accorder  aucun 
crédit  à  la  Porte,  eu  ce  qui  touche  les  intentions  loyales  qu'elle  pro- 
fère; la  célérité  avec  laquelle  le  plan  de  réformes  austro-hongrois  a 
été  accepté  à  Yildiz-Kiosk  lui  semble  a  plus  que  suspecte  ».  Faisant 
allusion  au  communiqué  russe,  le  journal  panslaviste  déclare  que  la 
patrie  slave  a  le  devoir  de  rester  le  guide  et  le  protecteur  de  sa 
parente  méridionale.  Si  cela  devient  nécessaire,  elle  sera  prèle  encoro 
h  sacrifîer  son  sang  et  son  argent  pour  la  rédemption  et  le  salut  de 
celte  alliée. 

Le  projet  de  réformes,  ajoute  le  Sviel,  omet  plusieurs  points  essentiels. 
Par  exemple,  aucune  mention  particulière  n'est  faite  de  la  constitution 
(les  tribunaux  macédoniens  sur  rimpariialité  desquels,  tels  qu'ils  sont 
îrrtueilement  formés,  on  ne  peut  avoir  absolument  aucunt»  conBance,  qu'il 
s'îfgisse  d'affaires  politiques,  civiles  ou  criminelles.  Les  réformes  à  apporter 
dans  l'administration  générale  de  la  province  sont  seulement  esquissées  à 
grands  traits,  vaguement  :  le  projet  reste  susceptible  d'être  amélioré  et 
développé.  Mais  il  faudrait,  pour  traiter  avec  le  rusé  monarque  d*Yildiz 
Kiosk  et  le  conseil  non  moins  rusé  de  Stamboul,  avoir  iixé  tout  d'abord, 
et  jusque  dans  le  détail,  les  points  importants. 

11  est  ialéressant,  à  ce  sujet,  de  rapprocher  de  ces  commentaires 
russes  les  déclarations  suivantes  du  correspondant  viennois  du 
Standard,  Ce  dernier  écrit,  à  la  date  du  9  mars  : 

Si  Ton  demande  ici  aux  gens  influents  ce  qu'ils  pensent  de  ce  fait  que 
TAngleterre  s'est  réservé  entière  liberté  d'action  au  sujet  des  réformes  en 
Turquie,  au  lieu  d'accepter  purement  et  simplement  ce  que  la  Russie  et 
TAutriche  jugeaient  opportun  de  proposer,  ils  n'hésitent  pas  à  répondre 
que,  puisque  la  Russie  doit  choisir  pour  le  théâtre  de  son  action  entre 
l'Orient  et  l'Kxt^éme-Orient,  il  est  naturellement  plus  conforme  aux  inté- 
i;èts  de  l'Angleterre  qu'elle  soit  engagée  en  Europe  plutôt  qu'en  Asie  et 
que,  par  suite,  une  guerre  en  Orient,  telle  qu'elle  pourrait  résulter  d'un 
conflit  entre  la  Bulgarie  et  la  Turquie,  serait  plus  agréable  à  la  politique 
anglaise  que  l'activité  des  Russes  du  côté  de  la  Chine,  de  la  Perse  ou  de 
l'Afghanistan,  puisque  cette  activité  reviendrait  à  une  agression  de  la 
part  de  la  Russie. 

Tout  ceci,  ajoute  le  correspondant,  peut  paraître  assez  sensé  eC  raison- 
nable, si  l'on  ne  considère  que  la  rivalité  permanente  qui  existe  entre 
l'Angleterre  et  la  Russie;  mais  on  laisse  alors  hors  de  cause  des  confei- 
vlçrations  d'un  ordre  encore  plus  élevé  que  celles  qu'impose  cette  rivalitc^ 


r 


t  e^i  uii  Signe  cdracléhsiique  de  la  faiblesse  qui  résulte  pour  la  monar- 
chie austro-hongroise  des  discussions  intérieures,  que  Ton  soit  obligé  de 
rappeler  aux  Autrichiens  et  aux  Hongrois  ces  considérations  supérieures 
auxquelles  ils  devraient  être  les  premiers  à  songer.  Ëst-il  absolument 
nécessaire,  et  peut-il  être  dans  les  intérêts  de  rAutriche-Hongrie  que  la 
Russie  soit  autorisée  à  jouer  le  rôle  de  protecteur  en  Orient,  un  rôle  qui, 
àuD  moment  donné,  pourrait  se  transformer  eh  celui  d*arbitre?  Ëstil  bon 
que  non  seulement  aux  petits  États  des  Balkans,  mais  à  la  Turquie  elle- 
même,  on  enseigne  chaque  jour  que  c'est  la  Russie,  et  la  Russie  seule,  qui  a 
adonner  des  ordres  et  que  c'est  à  sa  seule  volonté  qu'on  doit  obéir? 


n.  —  AFRIQUE. 

Algérie.  —  Le  voyage  de  M,  Revoil  à  Paris,  —  M.  Revoil,  gouver- 
neur général  de  l'Algérie,  arrivé  le  15  mars  à  Marseille,  est  attendu 
à  Paris,  où  l'appelle  le  règlement  d'un  certain  nombre  d'affaires 
algériennes.  Le  gouverneur  sera  prochainement  reçu  à  l'Elysée  par 
le  Président  de  la  République,  avec  qui  il  conférera  de  son  voyage 
prochain  en  Algérie. 

laroc.  —  La  situation.  —  La  situation  ne  s'est  pas  sensiblement 
modifiée  au  Maroc.  Quelques  engagements  ont  eu  lieu  entre  les 
troupes  de  El  Menehebi  et  les  rebelles,  tantôt  favorables,  tantôt  mal- 
heureuses pour  le  Makhzen.  On  continue  à  parler  de  la  capture  immi- 
nente du  prétendant  qui  serait,  dit-on,  prisonnier  de  la  tribu  des 
Thouls.  Mais  d'autres  nouvelles  contradictoires  circulent  aussi.  Des 
émissaires  des  Kabyles  des  environs  de  Melilla  auraient  assuré  avoir 
visité  le  campement  de  Bou-Hamara  et  avoir  constaté  que  celui-ci 
dispose  encorede  beaucoup  de  partisans. 

Le  Libéral  de  Madrid  publie,  à  ce  sujet,  les  réQexions  suivantes 
qu'il  est  à  propos  de  noter  : 

A  plusieurs  reprises,  nous  avons  dit  que  l'état  actuel  d'anarchie  ne  ces- 
sera au  Maroc  que  par  l'intervention  d'agents  extérieurs. 

Actuellement  une  période  de  fièvre  aiguë  et  de  crise  est  inévitable.  La 
Fâque  musulmane  commence  le  10  mars;  à  cette  occasion,  des  milliers 
d'hommes  dominés  par  le  fanatisme  religieux  vont  camper  autour  de  Fez; 
tout  l'Islam  occidental  y  sera  réuni,  chacun  voulant  déposer  au  sépulcre 
de.  Muley  Dris  ses  ofTrandes  et  dire  ses  prières.  Si,  dans  ces  jours  d'excita- 
tion religieuse,  Bou-IIamara  parvient,  lui  qui  représente  l'intransigeance 
traditioQnelle  de  la  religion  musulmane,  à  s'approcher  de  Fez,  il  est  très 
probable  que  les  légions  d'exaltés  lui  ouvriraient  les  portes  et  le  recevraient 
en  triomphe.  Une  fois  cette  occasion  ^passée,  si  Bou-Hamara  la  laisse 
échapper,  il  est  à  peu  près  sûr  qu'aucune  autre  ne  se  présentera  plus  pour 
lai.  Mais,  de  toute  façon,  de  grands  troubles  sont  imminents. 

Les  troubles,  limités  d'abord  aux  environs  de  Tesa,  s'étendent  rapidement 


380  QUESTIONS  OIPLOttATIQUBS   BT   GOLONULBS 

vers  les  possessions  espagnoles.  Les  nouvelles  d^assassinat  de  sujets  espa- 
gnols circulent  avec  -insistance.  Les  négociants  cherchent  un  refuge  dans 
les  possessions  algériennes,  Tincendie  de  la  révolte  s'étend  et  TËspagne 
seca  peut-être  bientôt  assiégée  dans  ses  possessions  africaines.  Des  mesures 
défensives  sont  indispensables. 

Congo  français.  —  Lér$tour  de  M,  Orodet. —  M.  Grodet,  commis- 
saire général  du  gouvernement  au  Congo  français,  rentre  en  France, 
appelé  à  Paris  par  le  ministre  des  Colonies,  qui  désire  avoir  des  ren- 
.seignemenls  très  précis  sur  notre  colonie.  Pendant  l'absence  de 
M.  Grodet,  l'intérim  du  gouvernement  est  conûé  à  M.  Gentil. 

Ajoutons  que  M.  Henri  Bobichon,  administrateur  des  colonies, 
vient  d*étre  désigné  par  M.  Doumergue  pour  seconder  M.  Gentil  dans 
l'œuvre  qui  lui  a  été  confiée  au  Congo.  Il  s'embarquera  à  Bordeaux 
te  16  à  destination  de  Libreville. 

Afrique  occidentale.  —  Le  voyage  de  M.  Roume.  —  M.  Roume,  gou- 
Temeur  général  de  l'Afrique  occidentale,  est  en  train  de  visiter  le 
Dahomey.  Une  dépêche  nous  apprend  qu'il  est  arrivé  le  5  mars, 
dans  la  matinée,  à  Kotonou.  Pendant  que  le  gouverneur  général  se 
rend  compte  par  lui-même  des  besoins  des  pays  qui  constituent  son 
vaste  gouvernement,  M.  Camille  Guy,  qui  lui  a  succédé  à  la  tête  du 
gouvernement  du  Sénégal,  comme  lieutenant-gouverneur,  a  visité 
la  Casamance  et  est  allé  jusqu'à  Bathurst,  dans  la  Gambie  anglaise, 
où  le  gouverneur  lui  a  fait  une  réception  très  chaleureuse. 

Abyssinie.  —  Le  retour  de  M,  Lagarde.  —  Démenti  à  plusieurs 
reprises  et  de  la  façon  la  plus  formelle,  le  retour  en  France*  de 
M.  Lagarde,  notre  ministre  auprès  de  l'empereur  Ménélik,  est 
aujourd'hui  chose  officielle.  Nous  ne  voulons  pas  encore  juger,  sur 
des  apparences  que  les  événements  sembleraient  cependant  nous 
donner  le  droit  d'apprécier  comme  des  réalités,  l'action  politique  et 
diplomatique  de  M.  Lagarde.  Nous  nous  réservons  de  le  faire  défini- 
livement  lorsqu'il  aura  pu  présenter  sa  défense.  Pour  le  moment 
nous  nous  bornerons  à  enregistrer  avec  satisfaction  le  choix,  qui 
paraît  arrêté,  de  son  successeur.  Le  gouvernement,  assure-t-on,  a 
décidé  d'envoyer  en  Abyssinie  le  colonel  Toutée.  11  est  certain  que 
nous  avons  tout  avantage  à  être  représenté  auprès  du  Négus  par  un 
officier  supérieur  plutôt  que  par  un  fonctionnaire  civil,  étant  donné 
que  l'Angleterre  et  l'Italie,  entretiennent  déjà  dans  le  pays  d'impor- 
tantes missions  militaires.  D'autre  part,  le  brillant  passé  du  colonel 
Toutée,  la  haute  situation  qu'il  occupe  à  l'École  supérieure  de  guerre 
témoignent  hautement  en  sa  faveur. 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  391 


m.  —  AMâBIQUB. 

États-Unis.  —  Une  croisière  sensationnelle,  —  On  parle  depuis  quel- 
que temps  d'une  croisière  qu*une  escadre  imposante  des  Ëtats-Unis, 
sons  le  commandement  de  Tamiral  Barker,  entreprendrait  en  mai 
prochain,  jusque  dans  les  eaux  portugaises;  on  lui  a  même  attribué 
la  portée  d'une  démonstration  navale,  à  Tappui  de  la  doctrine  .de 
Monroe. 

Suivant  le  Worldy  le  département  de  la  marine  de  Washington  ne 
se  proposerait  rien  moins  que  d'établir  le  blocus  de  Lisbonne,  blocus 
plus  que  pacifique,  tout  amical,  puisque  le  programme  comporterait 
le  gracieux  assentiment  du  gouvernement  du  roi  Carlos,  et  des  fêtes 
données  à  la  noblesse  et  à  la  marine  portugaises  à  bord  de  lescadre. 

Tous  les  vaisseaux  américains  seraient  groupés  à  l'entrée  du  Tage, 
où  ils  resteraient  assez  longtemps  pour  démontrer  quMls  peuvent 
traverser  l'Atlantique  en  emportant  assez  de  charbon  pour  leur 
permettre  de  prendre  l'offensive  sur  une  grande  échelle  et  dans  un 
rayon  d'action  étendu. 

Le  Portugal  aurait  été  choisi  pour  cette  démonstration  parce  que 
les  Ëtats-Unis  n'entrevoient  aucune  probabilité  d'hostilités  futures 
avec  lui.  Du  reste,  les  assurances  de  Washington  iraient  au-devant 
de  toutes  les  susceptibilités  portugaises. 

L'escadre  comprendrait  le  Kearsage^  Y  Illinois^  Ylndiana^  le  Maine^ 
ïlowa  et  le  Massaehussils,  et  peut-être  le  cuirassé  Texas  et  les  croi- 
seurs San-Franàsco  et  Albany^  outre  les  navires  charbonniers. 

A  la  hauteur  des  Âçores,  les  navires  de  combat  referaient  du  char- 
bon et  s'approvisionneraient  de  manière  à  atteindre  le  Portugal  prêts 
à  l'action.  La  croisière  serait  conduite  comme  une  opération  de 
guerre  réelle.  Des  croiseurs  éclaireraient  la  route  et  les  cuirassés 
protégeraient  les  navires  de  charbon  et  d'approvisionnements. 


RENSEIGNEMENTS    ÉCONOMIQUES 


1.  —  EUROPE. 


Allemagne.  —  Progrès  ds  la  narigaHon  en  Chine.  —  Les  statistiques 
officielles  mootrent  quel  essor  la  flotte  marchaQde  d'Allemagne  a 
pris  dans  TEmpire  du  Milieu. 

L'effort  des  compagnies  maritimes  allemandes  a  été  considérable, 
surtout  dans  la  vallée  du  Yang-tsé.  Les  résultats  obtenus  ont  été 
particulièrement  remarquables.  En  1899,  TAllemagne  était  au  qua- 
trième rang  des  nations  naviguant  sur  le  fleuve  Bleu  ;  en  1900,  elle 
était  déjà  au  troisième;  en  1901,  elle  était  au  deuxième.  Au  reste, 
les  chiffres  que  nous  donnons  se  passent  de  commentaires. 


Part  des  différentes  puissances  dans  la  navlgration  du  Yang-tsé. 


NATIONS 


Angleterre 

Allemagne 

Chine 

J  apon 

Amérique 

Russie 

Autres  puissances. . . 


Totaux 19.98 


1898 


55 


12.28 
0.60 
5.32 
0.98 

o.n 

0.13 
0.51 


61.5 
3 

26.6 
5 

0.9 
0.6 
2.4 


100 


1899 


2  o 


13.45 
0.51 
6.29 
1.58 
0.23 
0.20 
0.51 


22.83 


^1 


59 

2.5 
27.5 

6.9 

1 

0.9 

2.2 


100 


1900 


=  S 


14.30 
2.62 
5.90 
2.2T 
0.28 
0.15 
0.48 


26.0 


5  5 


55 
10.1 
2i.7 
8.7 
1.1 
0.6 
1.8 


100 


1901 


S  2 


15.73 
5.36 
5.26 
3.07 
0.50 
0.19 
0.58 


30.69 


51.2 
17.0 
17.1 
10 
1.6 
0.6 


100 


Le  pourbentage  de  l'Angleterre  a  donc  constamment  diminué 
depuis  quatre  ans,  bien  que  son  tonnage  sur  le  Yang-tsé  ait  crû 
d'une  façon  continue. 

Comme  l'indique  le  tableau  ci-aprés,  l'augmentation  enregistrée 
par  TAUemagne  a  été,  par  contre,  absolument  étonnante.  Seuls,  le 
Japon  et  l'Amérique  ont  vu  leurs  tonnages  se  développer  en  propor- 
tion avec  l'accroissement  total  de  la  navigation  sur  le  Yang-tsé.  La 
Russie  se  place  honorablement  au  quatrième  rang,  dans  cette  aug- 
mentation relative,  avec  60  % .  L'Angleterre  n'arrive  qu'au  cin- 
quième rang. 


HENSKtUNKMKnTS   ÉCOKUMIOUBS 


393 


iigmentation   du  tonnage  de   chaque  puissance  anr 
de  1898  à   1901. 

le  Yaog-taé, 

NATIONS 

AUOMUNTATtÛN 
BN    MILLIONS 

AUaMENT*.TIOK 

Aof l?l«rfe _  . . . 

.1.45 

m  % 

2Ùi 

11 

-I 

/«pcin .                                    ...*.,*..., , . , 

AaiArique   . .„ 

IUsfi«,.. *...,^ 

AwtMs  &Giis4nee3. ... , _  , 

Cbifi*^ 

LVflTort  obstiné  de  FAllemagne  ne  s'est  pas  local ké  à  la  seule 
tatléedu  fleuve  Bteu.  La  ntatistique  suivante,  qui  donne  la  pari  de 
diique  puissance  dans  la  nuvi^ution  des  portï^  h  traité  du  nord  de  la 
Chme,  prouve  que  le  pavîlloa  des  marchands  de  Hambourg  Qolte 

-  ment  Ticlurieusemenl  dans  la  mer  Jaune  et  dans  le  golfe  du 
iiIl 

Part  dea  diS'ôrentes  puipaances  dans  la  nairi^ation  des  ports 
à  traité  du  Nord  de  la  Chine 


NATJON.S 


183S 


PB 
TOPÎNKâ 


:'L:i:„f]j.i  'ru- 
m  -'      ^ 

nci^sie  .  ,  .  , 

S-ivr^ç,  ,,,^ ., 

Autres  pitys.      . .    , , 

Totaux 


2.  OU 

0.33 
O.Oti 

0,17 

O.Oi 


*.:ï3 


OSNTAOE 


t(>.« 
1.3 

3fL7 
0.4 


lUO 


1901 


M 


DR 
TOMMES 


2.91 
l.BO 

t. 04 
0/21 

0  08 
0  Ofi 
0.10 


$  n 


Î'OVR- 
i:EN"TA01". 


n.2 
te. 7 

3-3 

1.3 
t. 
t. 6 


lOO 


Fandi:»  que  le  pourceotage  de  l'Angleterre  ne  croissait  que  de 
1,7  %,  celui  de  l'Allemagne  croissait  de  9,4  %  et  celui  du  Japon  de 
15,*  \. 

Ainsi  que  nous  le  disions  plus  haut,  tout  eommeulaire  ne  pourrait 
rfu'afraibiir  la  portée  de  ces  chitTres. 

ttaiie.  —  Du  Bulletin  du  MUmfhre  des  Affaires  éiranghres  d'Italie,  un 
fisckule  a  été  consacré  k  TAlgérie  où  résident,  d'après  le  recen* 
sem^^ntde  1901,  38.791  Italiens,  Nous  y  trouvons,  sur  les  rapports 
rumm«rciaux  de  notre  grande  colonie  et  de  ritalie»  d'intéressants 
reoseignements.  L'Italie  ne  vient  d'ailleurs  qu'au  septième   rang, 


394  QUESTIONS  DIPLOMATIQOES   ET   COLONULES 

après  i'ADglelerre,  le  Maroc,  l'Espagne,  la  Belgique,  TAHemagne,  la 
Tunisie,  et  avec  un  total  de  2.520.000  francs  à  rimportation  et 
3.809.000  francs  à  Texportation. 

Les  principales  denrées  importées  par  ritalie  sont  :  la  soie  brûle, 
le  soufre,  les  pommes  de  terre,  les  légumes  secs,  les  filets  pour  la 
pèche,  les  vêtements,  les  Fromages,  la  papeterie...  A.  l'exportation 
destinée  à  rilalie,  nous  relevons  :  les  phosphates  (1.453.000  francs), 
les  poissons  secs  ou  salés,  le  tabac,  les  peaux,  le  crin  végétal,  le 
sucre,  le  minerai  de  plomb,  les  vins,  les  laines. 

Le  Bulletin  déplore  que  les  articles  italiens  soient  insufGsamment 
connus. 

IL  —  AMÉRIQUE. 

Cuba.  —  Importations  françaises,  —  Notre  chiflFre  d'afTaires  à  Cuba 
est  d'environ  30  millions  par  an. 

D'après  un  rapport  du  consul  de  France  à  la  Havane,  nous  faisons 
deux  fois  plus  d'affaires  en  coton  qu'en  soieries.  Sur  13  millions  de 
francs  de  mousseline  importés  en  1901,  nous  en  plaçons  pour 
812.000  francs,  chiffre  dérisoire,  considérant  que  sur  certains  mar- 
chés notre  article  Tarare,  de  Lyon,  de  Calais,  vient  au  premier  rang. 
Notre  bonneterie,  nos  confections  sont  un  peu  mieux  partagées. 
D'autre  part,  les  industriels  sont  en  instance  auprès  du  Congrès 
cubain  pour  l'admission  en  franchise  de  machines  propres  à  la 
fabrication  locale  du  tissu  de  coton. 

Nos  tissus  de  soie  jouissent  d'une  sorte  de  monopole  :  nous  avons 
plus  de  la  moitié,  près  des  deux  tiers  des  affaires. 

Les  produits  chimiques  représentent  pour  nous,  après  les  tissus,  la 
plus  grosse  somme  de  transaction  :  2  millions  et  demi  de  francs  sur 
une  demande  de  près  de  13  millions.  Nous  fournissons  à  peine  le 
huitième  des  étoffes;  nous  tenons,  dans  cette  branche,  presque  le 
quart  des  affaires  :  produits  pharmaceutiques  et  parfumerie  sont  les 
causes  de  notre  succès,  car  nous  en  avons  presque  le  monopole. 

La  demande  de  métaux  étrangers  est  de  près  de  25  millions  :  nous 
fournissons  seulement  le  dixième  de  ce  chiffre.  Notre  papeterie 
subvient  au  huitième  seulement  des  demandes  locales  ;  encore  sont- 
ce  nos  cartonnages  et  nos  imprinaés  qui  occupent  la  place  d'honneur 
dans  cette  série  d'articles.  Nous  imprimons  des  calendriers,  des 
réclames-chromos,  des  étiquetions  pour  marques  de  cigare  :  de  là  un 
courant  d'affaires.  Notre  papier  à  lettre,  notre  papier  à  copier,  notre 
papier  à  cigarette  pourraient  trouver  une  plus  large  clientèle. 

Nos  denrées  alimentaires  ne  ^oQt  presque  pas  connues  à  Goba.  Sur 
un  chiffre  d'importation  de  32.b^0.105  francs  en  1901,  nous  n'avons 
importé  que  419.627  francs. 

Notre  industrie  des  cuirs  est  également  presque  nulle  ici. 


NOMINATIONS  OFFiaELLES 


MIKISTÈRE  DES  AFFAUES  ÉmANGÈmBS 


L'ezquatar  a  été  accordé. à  : . 

}i.  Robert  Deiarue-Lebon,  mce-consul  de  Danemark  k  Dieppe. 


MINISTÈRE  DU  COMMERCE 


Sont  nommés  conseillers  du  commerce  extérieur  de  la  France  : 

MM. 

Artaud  (Adrien),  de  la  maison  J.-B.  et  A.  Artaud  frères,  président  de  la  société  | 

pour  ia  défense  du  commerce  de  Marseille  ;  I 

Aboucaya  (Léon),  de  la  maison  Aboucaja  frères,  fabric.  de  cuirs  vernis  à  Paris  ;  1 

Barr^re (René-Henri),  éditeur  géographe  à  Paris;  i 

Battier  (Ch.),   secrétaire  de  la  chambre  de  commerce  française  de  Montevideo  ; 

Baudoin  (Paul-Piç^rre-Jacques),  ingénieur  métallurgiste  à  Paris  ;  I 

Bernard  Passerieu,  chargé  de  mission  à  Madagascar  ;  | 

Bernbeim   (Gustave-Eugène- Lucien),    de    la  maison    Gustave  Bernheim  et  C^*,  '     I 

fabricant  de  tissus  à  Paris  ;  1 

Bosc  (Jean- Jacques),  propriétaire  d'une  maison  de  tannerie  à  Nîmes  (Gard)  ;  . 

Bernus  (H.),  président  de  la  chambre  de  commerce  de  la  Basse-Terre  (Guadeloupe)  ; 

Bloch  (Armand-Aron),  fabricant  de  ferrures,  boulonnerie,  fonderie,  etc.,  à  Paris:  i 

Bogaert,  négociant  à  Hué,  président  de  la  chambre  mixte  d'agriculture  et  de  com-  | 

mercede  l'Annam;  j 

Biondet  (Romain),  négociant-commissionnaire,  administrateur  de  la  Banque  de  la 
Martinique  à  Fort-de-France  ;  I 

Brault  (Alfred),  industriel  céramiste,  à  Choisy-le-Roj  (Seine)  ;  | 

Caillet  (Henri -Jules),  ingénieur  (matériel  monorail  Caillet)  à  Paris;  I 

Cassoute  (Paul),  négociant-exportateur  à  Marseille;  j 

Cbarton  (Claude- Joseph),  négociant-exportateur  de  vins,  vice-président  du  sjndi-  j 

cat  des  vins  et  spiritueux  de  l'arrondissement  de  Beaune; 

Cbauvris  (Camille-Eugène),  de  la  maison  Chollet  neveu  et  C"  (cuirs  et  peaux)  à 
Paris; 

Daudj,  négociant  à  Grând-Bassam  (C6te  d*I voire)  ;  | 

Derobert,  de  la  maison    Derobert  et  Fravd,  à  Falfou  (province  de  Quang-Nam,  i 

Annam);  I 

Debraine  (Eugène-Ernest),  administ.  des  magasinsdu Petit  Saint-Thomas  à  Paris; 

Desplaoques  (Henri- Jules)  représentant  de  fabriques  françaises  à  Paris  ; 

Drejfus  (Paul-Louis),  dit  Dreyfus  Hing,  commissaire-exportateur  &  Paris; 

Docartn  (Désiré),  manufacturier  à  Comines  (Nord)  ; 

Dotnic  (Jules),  fabricant  de  liqueurs  à  Saint-Marcellin  (Isère); 

Faaqueux  (Arthur),  chargé  du  service  de  la  correspondance  à  l'agence  du  Crédit 
IjODnais  à  Odessa  (Russie);  | 

F&ure  (Emmanuel),  de   la  maison    Faure  et    Soustre  (exportation   de  grains  et 
iannes)  à  Bordeaux; 

Ferme  (Gabriel),  négociant-commissionnaire  à  Paris; 

Fevre  (Désiré- Pierre- Alexandre),  exportateur  de  primeurs  à  Alger; 

Fontaine  (Lucien- Joseph),  de  la  maison  Fontaine  frères  et  Vaillant,  fabricant  de 
sermrerie  décorative  à  Paris  ; 

Fried,  Cabricant  de  perles,  13,  rue  du  Caire  à  Paris; 

Friedmann   (Georges),  de  la  maison  Levy   et  Friedmann,    commissionnaire  en 
marchandises  à  Paris  ; 

Fnmouze  (Jean- Victor),  de  la  maison  Fumouze  frères,  fabricant  de  produits  chi- 
miques à  Paris  ; 

Cialland  ( Alexandre- Jeao-Baptiste),  distillateur  à  Saint-Denis  (Seine)  ; 

Gaveau  (Louis-Etienne),  de  la  maison  Gaveau,  faliricant  de  pianos  à  Paris; 


i 


396  QUESTIONS   DIPLOUATIQUKS    KT   COLONIALES 

Gente  (Gabriel),  gérant  ^- de  '  la  -n^aison   Cauderlier  (exportations  de  lins),  à  Riga 
(Russie)  ; 
Grosieux,  négociant  à  Phang-kang  (Annam]  ; 

Hainet  (Hippoljte-Etienne),  entrepreneur  de  serrurerie,  administrateur  des  hauts 
fournaux  de  la  Sambre -à  Paris; 
Hanriat  (Adélin-François),  épicier  en  gros  à  Paris; 
Heftler  (Victor-Raphaël),  ingénieur  à  Cleveland-Ohio  (États-Unis); 
Heim,  délégué  de  la  Gujane  au  comité  consultatif  de  l'agriculture  et  du  commerce 
lies  cq)onies  à  Paris  ; 
Iloulet  (Eugène-Victor),  fabricant  de  bronzes  d'art  à  Paris  ; 

Jacquet  (Ferdinand-Barthélemj),  de   la  maison  Waker  et  Jacquet,  commission- 
exportation  (tissus  et  modes)  à  Paris  ; 
Jeangirard  (Georges-Louis),  négociant  commissionnaire  à  Paris,  maison  àBonnbay; 
Julien  (Louis),  négociant  à  Cette  (Hérault); 

Lambert  (Emile- Auguste-Alexandre),  de  la  maison  Desmazures  et  Lambert,  fabri- 
cant de  produits  chimiques  à  Paris  ; 
Lapadu  (L.-E.),  négociant  à  Batavia; 

Lavenir  (Jean- Alexandre-Joseph),  docteur  es  sciences,  directeur  commercial  de   la 
fabrique  de  produite  pharmaceutiques  P.  Astier  à  Paris  ; 
Lattes  (Lucien),  de  la  maison  Siebel  et  Lattes,  banquier  à  Paris; 
Lavy  (Aimé),  secrétaire  du  conseil  de  la  compagnie  de  navigation  a  Est-Asiatique  » 
à  Paris; 

Levj  (Henri-Hénoch),  fabricant  de  confections  à  Paris; 

Levy  (Raphaël),  de  la  maison  Levj  Hermanos,  commiss. -export,  à  Paris  (comptoir 
aux  Philippines; 
^ewin  (8imon),  négociant  au  Cap  (Afrique  du  Sud);  « 

L'Huissier  (Henry),  négociant  à  Buenos-A jres  ; 

Lob   (Sylvain),  chef  de   la  succursale  à  Munich  de   la   maison   Ulmo,  de   I^yon 
(soieries-lainages)  ; 
LuUing,  fabricant  exportateur  de  vins  de  Champagne  à  Reims  ; 
Mathieu  (Félix),  direct,  de  la  comp.  bordelaise  de  produits  chimiques^  Bordeaux  ; 
Meiliassoux   (Gabriel-Félix),  administrateur  de  la  sucrerie-raffinerie  de   Ripicini 
(Roumanie),  juge  au  tribunal  de  commerce  de  Roubaix  (Nord); 
Mêle  (Jean-de-Dieu),  négociant-distillateur  à   Alger; 

Mengeot    (Jean-Marie-Nicolas),   vice-président   de  la    Soc.    de    géog.   comm.  do 
Bordeaux  ; 
Michel  (Charles),  explorateur,  chef  d'une  importante  exploitation  vinicole  à  Paris  ; 
Morisson  (Louis-Alexandre),  courtier  en  marchandises  à  Paris; 
Moulot,  imprimeur,*export.  de  matériel  d'impr.  à  Marseille  ; 
Meyer  (Lucien),  construct.-mécan.  à  Paris; 
Neton  (Albéric),  chargé  de  mission  en  Indo- Chine; 
Origet  (Maurice),  courtier  en  marchandises  à  Paris; 
Olivari  (Antoine),  manufacturier  à  Nice  ; 
Perin,  armateur  à  Paimpol  ; 

Perrin  (Antonin),  de  la  maison    Goiffon,    Perrin,   Dunand    et  Ricot,  présid.  du 
synd.  de  l'ind.  des  cuirs  et  peaux  à  Lyon; 

Pupin  (Henri-Ernest),  courtier  en  marchandises  à  Paris; 

Ramelot  (Antoine-Eugène),  présid.  du  synd.  général  du  commerce  et  de  Tindustrie 
du  Havre,  membre  de  la  ch.  du  comm.  du  Havre; 
Ravat  (Joseph-Marius),  directeur  commercial  de  la  maison  Doyen  et  C««  de  Reims; 
Renier  (Léon-Prosper),  gérant  de  la  société  générale  des  annonces  k  Paris  , 
Richy  (Lazare- Haïm),  commissionnaire-exportateur  k  Paris  ; 

Rivolier  (Alexis),  présid.  de  la  chambre  syndicale  des  fabricants  d'armes  de  Saint- 
Etienne  ; 

Rondet   (Maurice-François),  de  la  maison  Rondet,   Schon  et  C»«,  constructeur  de 
matériel  pour  les  chemins  de  fer  à  Paris  ; 
Rueff  (Jules),  libraire-éditeur  à  Paris; 

8alomon  (René),  de  la  maison  Salomon,  exportateur  de  raisins  de  table  à  Thomerj 
^Seine-et-Marne)  ; 

Saudray  (Henri-Emile-Jean-Marie),  commiss.  en  marchand.,  présid.  de  la  ch.  syod. 
des  agents  représent,  pour  l'exportation  à  Paris  ; 


NOiaNATIONS   OFFICIELLES  397 

Schoeegans,  de  U  maison  Denis  frères,  secrétaire  de  la  chambre  de  commerce  de 
Saigon; 

Schoeg  (Henri),  négociant  à  Santiago  de  Cuba  ; 

Siegfried  Gis  (Jules],  de  la  maison  Huilard,  Siegfried  et  C*«  à  Suresnes  ; 

Sfochman  (Oscar),  fabricant  de  bustes  et  mannequins  à  Paris; 

Tiâsier  (Marcel-Louis),  négociant  en  vins  à  Saint-Amour  (Jura)  ; 

Tellière  (Ange),  négociant  en  huiles  et  savons  à  Paris; 

Tnxiiiiet,  membre  du  conseil  supérieur  des  colonies  ; 

Vert  (Baptiste),  négociant  en  eaux-de-vie  à  Jarnac  (Charente)  ; 

Waiier  (Jules),  de  la  maison  Waller  frères,  commission  pour  l'exportation  et  l'im- 
pr.r;atioD  des  céréales,  farines,  sucres,  huiles  et  alcools  à  Paris  ; 

Weili  (Daniel-Félix),  commissionnaire  en  machines  industrielles  à  Paris. 

UNISTÈRE  DK  LA  GUERRE 
Tr*apes  e*loalales. 

INFANTBRIB 

Âôiqne  Oooidentale.  —  MM.  le  Heut.  Loison  et  le  aoua-iieut.  Dufour  sont 
J(<iir.  pour  servir  au  l**"  sénégalais  : 

MM.  le  chef  de  bataiU.  Tandart  et  le  Heut.  Albin  sont  désig.  pour  servir  au 
:*  j^eoégalais. 

Congo.  —  Ont  été  désignés  pour  entrer  dans  la  composition  du  rég.  indigène  du 
<  cQgo,  et  ont  reçu  l'afTectation  ci-aprés,  savoir  : 

lieut.'CoL  command.  :  M.  Grave,  command.  sup.  des  troupes  au  Congo. 

Cheft  de  bataiU.  : 

i^bataill.,  M.  Largeau;  2*  bataill.  M.  Rouvel. 

Cnpit.  adjud.-maj.  : 

l'r  bataiU.,  M.  Grosdemange;  2«  bataill.,  M.  Génin; 

\^  comp.  :  M.  le  capit,  d'Adhémar  ;  MM.  les  lient,  Faure  et  Guex  ; 

7  <^omp.  :  M.  le  capit,  Colonna  de  Leca;  MM.  les  Heut.  Boisot  et  Gauckler  ; 

3'  comp.  :  M.  Xecapit,  Brochet;  MM.  les  lient.  Hardellot  et  Brûlé; 

4'  «omp.  :  M.  le  capil.  Fouque;  MM.  les  Heut.  Favard  et  Poupard  ; 

?comp.  :  M.    le  capit.  de  Gommerj;  MM.  les  lient,  Charreau  et  Denisart; 

N*  comp.  :  M.  le  capit.  Rejmond;  MM.  les  tient.  Martin  (J.-J.)  et  Courrier; 

?comp.  :  M.  le  capit.  Arnould  ;  MM.  les  lient.  Simond  et  Sockeel  ; 

Suite  :  M.  le  capit.  Noton;  M.  le  lient.  Delaunaj;  MM.  les  sons-lient.  Clément  et 
bureau. 

Indo-Chine.  —  Sont  désig.  pour  servir  au  Tonkin  : 

MM.  les  capit.  Dubois  de  Saligny,  Darnault,  de  Marquessac,  Changeux  et 
l^llecocq;  les  Heut.  Castaing,  Desmoulin-Baron,  Thébault,  Marabail  et  Ollivon  ;  les 
*^rj%-lieut.  Magnin,  Chenaud,  Peignot  et  Mathis. 

MM.  le  capit.  Régnier  et  le  lient,  Wendt  ^ont  désig.  pour  servir  au  5*  tonkinois. 

MM.  les  soui'lient.  Richard  et  Delaissey  sont  désig.  pour  servir  au  18*  rég. 

HadagaBOar.  —  Ont  été  désig.  pour  servir  à  Madagascar  : 

MM.  les  chefs  de  bat.  Bethouard,  Manger  et  Leblanc;  MM.  les  capit.  Wan- 
«iertermeulen  et  Bertrandon  ;  MM.  les  lient,  Barbassat,  Thiry,  Boinet,  Jouannetaud, 
'Meure  et  Alibert;  MM.  les  sova-lieut,  Hinzelin,  Fons,  Roux,  Crozes,  Lefrancois 
1  Clerc. 

Sont  affectés  : 

M.  le  capit.  Calendini  à  la  3*  comp.  du  batail.  de  Diégo-Suarez  ;     . 

M.  le  capit.  Maupin  à  la  16*  comp.  du  3*  sénégalais  ; 

M.  le  capit.  Dussaulx  à  la  12*  comp.  et  M.  le  lieul.  Ardant  du  Picq  à  la  10«  comp.' 
iB  i^  malgaches  ; 

M.  le  Heut.  Morvan  k  la  5«  comp.  du  iZ^  colonial; 

M.  le  Heut.  Bachellez  à  la  2^  comp.  du  i^^  malgaches; 

M.  le  capit,  Dudouis  est  affecté  au  2^  malgaches. 

ARTILLERIE 

Afrique  Oooidentale.    —  M.  le  lient,  col.  Romey  est  nommé  direct.  d*artill. 
i  Ittkar. 
Indo-Chine.  —  M.  le  capit,  Denain  est  désig.  pour  servir  au  Tonkin. 


L 


398  QUESTIONS  D11'U>IIAT1QUES  ET  GOLOMIALIfS 

Xàdagmsoar.  —  Sont  désig.  poar  serrir  aa  délaoii.  dbu vriera  à  Tanmnarive  : 

MM.  le  eapil.  Blanc  et  le  lieut.  Beulajgue; 

M.  le  capit.  Jacquin  est  désig.  poar  servir  au  détach.  d*<mvrîers  de  Diégo-Suarez. 

SBRVICE  DS  SAHTB 

Afirique  Oooidentale.  —  M.  le  méd.  ppal.  de  2*  cl.  Simon  est  désig.  pour 
nervir  à  Dakar. 

Les  méd.'tnaj.  de  1"'  cl.,  dont  les  noms  sairent  sont  désignés  pour  servir  : 

Au  l^'  sénégalais,  M.  Carrière;  à  Saint-Louis,  •  MM.  Brossier  et  Lajret;  au 
14«  d'infant,  col.  à  Dakar,  M.  Leclerc. 

M  le  méd. -ma j.  de  2*  cl.  Bonnescuelle  de  Lespinois  est  désig.  pour  senr ir  au 
iiataill.  de  la  Côte  d'Ivoire. 

Les  méd.  aides-maj.  de  i^  cl.  dont  les  noms  suivent  sont  désig.  pour  servir  : 

A  Bandiagara,  M.  Quesseveur;  au  service  général  à  Saiot-Lottls,  M.  Marmey;  à 
Ouagadougou,  M.  Vallet;  au  chemin  de  fer  de  la  Côte  d'Ivoire,  M.  Rousseau;  au 
.•ervice  général,  M.  Pejrot  :  à- Oao,  M.  Le  Goaon;  à  Kourj,  M.  Ouzilleau;  à 
Thiéfl,  M.  Penaud;  k  Dakar,  M.  Pistre;  au  3'  territ.  milit,  M.  Heckenroth;  à  Kou- 
liicoro,  M.  Bouiliez;  à  Goumbou,  M.  Cacbin,  au  l^c  sénégalais,  M.  Duporron. 

M.  le  pharm.  aide-maj.   de  l"  cl.   Bouyer  est   désig.  pour  servir  à  Dakar. 

M.  \e  pharm. -ma j.  de  2«  cl.  Guilloteau  est  désig.  pour  servir  en  Afrique  Occi- 
dentale. 

Guyane.  —  M.  Nédélec,  méd.  aide^maj.  de  f®  cl.  est  placé  hors  cadres  à  la 
Guyane. 

Indo-Ohine.  -—  Sont  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine  : 

MM.  le  méd.-maj.  de  l"  cl.  Ilecoules  et  le  méd.  aide^maj.  de  1**  cl.  Rouf- 
fiandis. 

M.  le  méd.  aide-maj.  de  1'*  cl.  Paucot  est  affecté  à  l'ambulance  de  That-kné,  au 
Tonkin. 

M.  le  méd.  aides-maj.  de  1**  cl.  8ibiril  est  affecté  au  10«  colonial  à  Hué. 

Bont  désignés  pour  servir  à  Saigon  : 

MM.  leH  méd.-maj.  de  2«  cl.  Hagen  et  Cognacq. 

Ooeanie.  —  M.  le  pharm.  aide-maf.  de  l'«  cl.  Taupin  est  désig.  pour  servir  à 
Tahiti. 

Madagrasoar.  —  M.  le  méd.-^naj.  de  2*  cL  Mauras  est  désig.  pour  servir  au 
!*■*  malgaches; 

M.  le  méd.  aide-maj.  de  !«'  cl.  Le  Corre  est  désig.  pour  servir  à  Thôpital  de 
Diégo-Suarez. 

CORPS    DU    COMMISSARIAT 

Afrique  Oooidentale.  —  Les  commise,  de  i'*  cl.  dont  les  noms  suivent  sont 
nommés  sous-ordonnateurs  : 

A  Tombouctou,  M.  Marin  ;  à  Bobo-Dioulasso,  M.  Gérardin. 

Les  commiss.  de  2*  cl.  dont  les  noms  suivent  sont  nommée  : 

Au  service  des  approvisionnements  à  Saint-Louis,  M,  Dunand*ilenrj;  à  Ivati, 
M.  Lasne-Desvareilles;  M.  Briolay  est  mis  à  la  disposit:  du  gouverneur  général. 

NoUTelle-Oalédonie.  —  M.  le  commise,  de  3«  cl.  Lièvre  est  homme  chef  des 
services  administ  de  la  Colonie. 

HtNiMTÊafi  DB   liA    HIUUIVE 

Atlantique.  —  MM.  le  lieut,  de  vniss.  Leloup  et  Venseig.  de  vaiss.  Homan  sont 
désig.  pour  embarquer  sur  le  Tage  k  Fort-de-France. 

M^re  d'Orient.  —  M.  Venseig.  de  vaiss.  Delort  est  désig.  pour  embarq.  sur  la 
Décidée. 

M.  Venseig.  de  vaiss.  Koy  est  design,  pour  embarq.  sur  la  Surprise. 

Ooéan  Indien.  —  M.  le  lieut,  de  vaiss.  Gaillard  lest  désig.  pour  les  fonctions 
d'adjudant  de  la  division. 

Sont  désig.  pour  embarq.  sur  la  Nièvre  (Mission  hydrog.  à  Madagascar)  : 

M.  Venseig,  de  vaiss.  Dukers  (X.-J.-M.). 

MM.  les  aspirants  de  1'«  cl.  Carbonnier  (H.-M.-L.);  Bain  de  la  Coquerte 
(F.-b\-C.):  Gigli(lI.-F..C.-C.).  ... 

Paoiflqne.  —  MM.  les  aspirants  de  i"  cl.  Guirand,  Le  Douget,  Blin  et  l^ascal 
sont  désig.  pour  enftbarq.  sur  la  Durance  à  Nouméa  :     .    '  . 


BtBLlOGRAPUlK  LIVRES  ET  RRVUKS  399 

mmsTÈKE  DES  coLmnsB 

Par  décret  en  date  du  17  février  i9(^,  M.  Laurans,  procureur  do  la  République  à 
l»oaii  (Nord),  a  été  nommé  substitut  du  procureur  général  de  riDdo-Ciiitie. 

Par  arrêté  du  ministre  des  colonies  en  date  du  2S^  février  1903,  M.  le  capitaine  de 
fréffate  Favereau,  chef  de'  la  2«  section  de  l'état-major  'général  au  ministère  de  la 
,  a  élé  nommé  membre  du  comité  consultatif  de  défense  des  colouies. 


BIBUO&RAPHIE  ~  UVRES  ET  REVUES 

Les  Lazaristes  À  Madagascar  au  XVII*  siècle,  —  par  Henri 
Froidbvaux.  1  vol.  in<12.  Paris,  Cli.  Poussielgue,  éditeur. 

Ce  livre  se  rattache  à  Tintéressant  mouvement  qui  porte  un  assez  grand 
anmbre  de  bons  esprits  vers  les  recherches  historiques  ayant  pour  objet 
DUS  anciennes  et  nos  nouvelles  colonies.  A  côté  des  études  spécialement 
politiques  économiques,  ou  sociologiques,  les  .études  d'histoire  coloniale 
oot  également  une  utilité  pratique,  car  elles  apportent,  elles  aussi,  leur 
L'oouogeQt  d'enseignements  profitables  et  de  leçons  opportunes. 

Peut-on  nier,  par  exemple,  que  certaines  tentatives  de  colonisation, 
faites  «ans  prévoyance,  sans  esprit  de  suite  ni  méthode,  que  les  dissen- 
mOqs  résultant  des  contradictions  et  des  entraves  que  l'intérêt  mercan- 
ule.  que  Tesprit  cupide  des  traitants  opposèrent  souvent  aux*  conseils  de 
kl  prudence  et  de  l'humanité,  comme  à  Taction  civilisatrice  des  missions 
a  l'égard  des  populations  indigènes,  expliquent  trop  bien,  en  pareil  cas, 
ki  insuccès  et  les  revers  enregistrés  par  nos  annales,  en  dépit  des  trésors 
•l'béroisme,  de  ténacité  et  d'abnégation  qu'ont  dépensés  sur  ces  terres 
lointaines  nos  soldats,  nos  colons  et  nos  missionnaires. 

rWt  précisément  une  page  de  cette  histoire,  —  page  à  la  fois  intéres- 
<inte  et  douloureuse,  qui  se  déroule  au  Sud-Est  de  Madagascar,  autour 
dp  Fort-Dauphin,  —  que  M.  Froidevaux  nous  a  retracée;  il  l'a  fait  avec 
Kjii  talent  accoutumé  que  connaissent  lûen  nos  lecteurs,  avec  Térudition 
loyale,  curieuse  et  précise,  qu'il  met  en  œuvre  d'une  façon  aisée  et  tou- 
/jun;  claire,  et  qui  est  la  marque  précieuse  de  tous  ses  travaux.  —  J.  H. 

Ouvrages  déposés  au  bureau  de  la  Hevue. 
U  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX*  siècle^  publiées 

joas  U  direction  du  P.  Piolet,  avec  la  coilaboratioD  de  toutes  les  sociétés  de  mis- 

Moos.  ~  Illustrations  d'après  des  documents  originaux.  —  Tome  VI  et  dernier. 

Hissions  d Amérique.  Les  89*  et  90*  livraisons  viennent  de  paraître.  Paris,  1903, 

librairie  A.  Colin. 
loyales  au  Maroc  (1899-1901),  par  le  marquis  ue  Sbgonzac.  Un  vol.  in-S"  jésus  de 

MM  pages  avec  178  photographies  et  une  carte  en  couleur,  hors  texte.  A.   Colin, 

éditeur.  Paris,  1903. 
Aifiénagemenl  des  eaux  â  Java,  par  le  capitaine  T.  Bernard,  de  Tartillerie  colo- 

liale.  Un  vol.  in*4*  de  80  pages  avec  IS  figures  dans  le  texte  et  16  planches  hors 

exte.  Ch.  Béranger,  éditeur.  Paris,  1903. 
LAlcoolei  son  histoire  en  Russie,  par  Lolis  Skarzynski.  Un  vol.  in-8o  de  188  pages. 

Arthur  Rousseau,  éditeur.  Paris,   1902. 
liPérou^  par  Auguste  Plane.  Un   vol.  in-16  de  350  pages,  avec  23  gravures  hors 

texte  et  2  cartes.  Ploo-Nourrit  et  C»*,  éditeurs.  Paris.  1903. 
Gtrmains  et  Slaves  (Origines  et  croyance»),  par  André  Lefevre.  Un  vol.  in-lR  de 

)20  pages  avec  15  ligures  dans  le  texte  et  un  atlas  de  32  cartes.  Schleicher  frères 

et  Q^  éditeurs.  Paris,  1903. 
la  Bohême  d^aujouriV hui,  par  Hbnbi  IIanticu,  professeur  à  l'Ecole  commerciale 

frinco-tclièque  de  Prague.  Une  brochure  Ap  40  pages  (extrait  de  la  Revue  hebdo^ 

taadaire).  Paris,.  1902. . 


■^r- 


400  QUBSTIONS  DIPLOMATIQUES   KT   GOLOlflALBS 

Le  Port  de  la  Rochelle.  Notice  descriptive  publiée  par  les  soins  de  la  Chambre  de 
commerce  de  la  Rochelle,  1903. 

LES  REVUES 

I.  _  REVUES  FRANÇAISES 

Armée  et  Harlae  (l***  mars).  Les  affaires  du  Venezuela.  —  J.  db  Montbut  :  Le 
lieutenant  Contât.  —  Manœuvres  d'automne  en  1903.  —  (8  mars).  Les  fêtes  navales 
de  Villefranche.  —  Les  jeunes  soldats  aux  colonies.  —  Phaqoa  :  La  déCen»e  et 
les  garnisons  des  Pyrénées.  —  Verseau  :  La  défense  des  côtes.  —  Georges  Tor- 
DOUZE  :  La  décision  des  Conseils  supérieurs  de  la  Guerre  et  de  la  Marine. 

Annales  eolonlales  (1®''  mars).  Paul  Ravaisse  :  Le  Maroc  :  Que  devons-nous 
faire?  —  Henri  Chevalier  :  Le  désastre  des  Tuamotou.  Interview  de  M,  J.  Ghessé. 

Bulletin  de  la  Société  de  g^éeg^raphle  eommereiale  de  Paria  (w*  iO,  il. 
12  de  1902).  G.  Borelli  :  Le  Dahomey,  ses  progrès,  son  chemin  de  fer,  son  rôle 
dans  notre  empire  africain.  —  De  Roquefeuil  :  De  Tamatave  à  Tananarive,  avec- 
deux  cartes,  etc.,  etc. 

Dnlletin  de  la  Société  de  géopaphie  d'Oran  {ocl.-déc.  1902).  Camim.i: 
Fidel  :  Les  intérêts  économiques  de  la  France  au  Maroc.  —  D^  Romary  :  Notice 
sur  la  montagne  de  sel  du  Djebel-Amour. 

Bévue  Bleue  (28  fév  ).  L.  Delpon  de  Visseg  :  Les  conflits  futurs  entre  l'Alle- 
magne et  les  Etats-Unis.  —  (14  mars).  Edmond  Plauchut  :  L'esclavage  dans  le 
Nord  delà  Nigritie. 

Bévue  commerciale  de  Bordeaux  (6  mars).  Henri  Lorin  :  La  France  et  le 
Siam. 

Bévue  des  Deux  Monde»  (l'^^  mars).  René  Pinon  :  Les  événements  du  Maroc. 

Bévue  g^énérale  des  Selences  (28  fév.).  Edm.  Doutté  :  Les  Marocains  et  la 
Société  marocaine. 

Bévue  de  Hadaipasear  (10  fév.).  Henri  Froidevaux  :  Les  Lazaristes  2\  Mada- 
gascar. —  (10  mars).  Moricbau  :  Quelles  entreprises  peut-on  tenter  à  Mada- 
gascar? 

Bévue  politique  et  parlementaire  (10  mars).  Charles  Michel  :  Affaires 
d^Ethiopie  :  Les  intérêts  français  et  le  traité  anglo-éthiopien  du  13  mai  1902. 

IL  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 
Revues  italiennes. 

Bulletin  de  la  Soelété  |péo|prapliiqne  italienne  (déc.  1902).  Angblo  Ma- 
FINI  :  La  vallée  de  Gherghèr  (en  Erythrée).  —  Francesco  Paolo  Garofalo  :  Con- 
tribution k  la  géographie  historique  de  l'Afrique  (entre  la  Mauritanie  Tingitane 
et  l'Egypte). 

La  Bassegna  IVamionale  (1*'  fév.  1903).  La  question  religieuse  aux  Philippine^ 
(envisage  successivement  la  question  des  écoles,  les  rapports  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat,  le  problème  de  la  mainmorte,  les  négociations  avec  le  Vatican).  —  (16  féo.). 
Barthélémy  Mitrovic  :  Le  Monténégro  dans  l'histoire  de  la  littérature  serbo- 
croate. 

L*ftalia  Coloniale  (févr.).  Lamrerto  Vannutelli  :  L'industrie  minière  dans  le 
Sud-Africain.  —  Gregory  d'ARRBLA  :  La  Palestine  d'aujourd'hui  et  de  demain 
(aujourd'hui  l'agriculture  est  dans  l'enfance,  l'industrie  n'existe  pas,  et  la  Turquie, 
par  sa  domination  égoïste,  constitue  le  pire  obstacle  au  progrès;  demain,  c'est  la 
mise  en  Vcaleur  du  pays  par  l'Allemagne,  l'Angleterre,  l'Italie).  —  F.  Canella  : 
Les  richesses  minérales  de  TAbyssinie. 

Bivista  Hodema  (1«^  fév.).  R.  Cap.  Perini  :  Le  mouvement  colonial  au  xix*  siè- 
cle, IIL  —  GiULio  Fradeletto  :  Sur  une  ligne  de  l'Adriatique  aux  Indes  orien- 
tales (nécessité  pour  l'Italie  qui  a  fait,  en  1900,  65  millions  d'échanges  avec 
l'Inde  anglaise,  de  créer  une  ligne  commerciale  directe).  —  B.  db  Luca  :  Inter- 
views sur  les  Balkans  (conversations  avec  MM.  Vouitch,  Stourdza,  DanefI). 

L*Esplorazione  Commerciale  (16  janv.).  Giulio  Fradeletto  :  De  Venise  aux 
Indes  orientales.  —  (!«■'  fév.).  Sur  la  côte  des  Somalis. 

. L'Admintsiratêur-Oérant  :  P.  Campain. 

PARIS.  —  IMPRIMERIE  F.   LEVE,  RUE  CASSETTE,   il. 


APERÇU    DE    QUELQUES    SOMMAIRES 

Sommaire  du  n^  137 

fl«iri  Pfiua  :  L'arenir  de  la  Tunisie.  L'industrie  européenne  et  Tindustrie  indigène  — 
"*:  L'œaTre  française  en  Afrique  Occidentale.  —  Henri  Bohler  :  Les  coulisses  du 
p&Qgermanisme  autrichien.  -^  René  Morêux  *.  Le  premier  congrès  colonial  allemand.  \% 

CitêB  et  gravnres  ;  Carte  de  rAfrique  Occidentale. 

Sommaire  da  a»  4  88 

***  :  Le  lirre  jaune  et  les  affaires  de  Siam.  >-  fi.  Peyralbe  :  Franco   et   Simplon.  — 

PailLabbè  :  La  région  du  fleuve  Amour. 
Ctftes et  srayares  :  l.  Graphique  comparatif  des  projets  Frasne-Vallorbe  et  de  la  Fau* 

cille.  -^II.  Carte  des  voies  d  accès  au  Simplon. 

Sommaire  du  no  4  30 

Katre  eiqnête  :  A  propos  des  affaires  de  Siam  :  Opinions  de  MM.  Qodin,  le  Comte 
d'Âonaj,  Bertbelot,  Le  Myre  de  Yilers,  Denys  Cochin,  Flourons,  Senart.  et  du  journal 
Le  Temps.  —  Maurice  Bnret  :  Les  villes  do  santé  dans  nos  Colonies.  —  Georges 
fi«Uer  :  La  lutte  tchèque-allemande. 

Cartes  oC  grayarea  :  Répartition  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie. 

Sommaire  da  a*"  140 

>'itre  eiqiête  s  A  propos  des  affaires  de  Siam  ;  opinions  do  MM.  François  Deloncle,  le 
btron  d'Estooroelles,  de  Constant,  GerviUe-Réache,  H.  Cordier,  Marcel  Monnier, 
Charles  Lemire.  —  ***:  L'œuvre  française  en  Afrique  occideoiale.  —  Paoi  Labbè  : 
Li  région  du  fleuve  Amour,  la  province  Maritime. 

Ctfta  et  graviircs  :  L  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  l'Afrique  occidentale. 
~  II.  La  région  du  fleuve  amour. ^____^___^.^^_^ 

Sommaire  dn  n»  f  41 

9ÛBt-6emii]i,  sénateur  d*Oran  :  La  question  du  Maroc.  —  Le  Myre  de  Yilers,  ancien 
dépnté  de  la  Cochinchine  ':  La  crise  de  Tardent  en  Indo-Chine.  —  ***  :  Le  conflit 
anglo* germano-vénézuélien.  —  René  Basset,  directeur  de  T École  supérieure  des  Lettres 
d'.\lger  :  Le  XIII"  congrès  international  des  orientalistes  à  Hambourg.  —  René  Pinon  : 
Les  missions  catholiqaes  françaises  au  zix*  siècle.  —  L.  Brnnet,  député  de  la.  Réunion: 
Midagascar.  —  Les  territoires  militaires. 

Cartes  et  gravttrea  :  Carte  du  Maroc.  —  Carte  du  Venezuela. 

Sommaire  do  a*  i4S 

'*'  :  Notre  expansion  coloniale  et  les  partis  politiques.  —  René  Henry  :  La  question  de  la 
Macédoine.  —  X.  :  La  question  du  Maroc,  -r  Notre  Bnqoête  :  A  propos  des  affaires  de 
Siam;  opinions  de  M.  G.  Chastenet,  d'un  collaborateur  d'Extrême-Orient,  de  M.  Robert 
iiCùi  [Journal  des  Débats);  protestation  de  Ji' Association  des  écrivains  militaires, 
miitimes  q)  coloniaux,  Pr^siV/en^  M.  H.  Houssa^e. 

CtftM  et  graYBres  -.  I.  Péninsule  des  Balkans  :  indications  oro graphiques.  —  II.  La 
Torqnie  d'Europe.  —  III   La  Péninsule  des  Balkans  d'après  le  traité  de  San-Stefano. 

Sommaire  dn  n  f  4*1 

Aagiste Terrier  :  La  délimitation  de  rEthiopie.  —  René  Henry:  La  (question  de  Macé- 
doine.   Alexandre  Gaasoc  :  Le  paludisme  et   Tinitiative  privée  en   Corse.  — 

i,  DeBais-Dama^fl  :  Fédéralisme  et  socialisme  en  Australasie.  —  René  Morenx  : 
i^  traité  franco-siamois  et  Topinion  allemande. 

Cin«  et  ivaTurea  :  I.  Frontière  entre  le  Soudan  Anglo-Egyptien  et  PEthiople.  [— 
II.  Délimitation  de  l'Afrique  Orientale. 

Sommaire  da  n9  144 

E.  Fallot  :  Le  commerce  du  Sahara.  —  Georges  Bohler  :  La  question  du  Venezuela.  — 
OoBzalès  Figaelraa  :  Une  première  occupation  allemande  au  Venezuela  (xyi«  .«iècle). — 
Gabriel  Lonis-Jaray  :  La  presse  politique  en  Bohême,  Moravie  et  Silésie. 
Cartes  et  grmvnrea  ;  Carte  du  Sahara. 

Sommaire  du  a»  i4S 

fiwi  Behier  :  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad  :  Les  intérêts  français  et  allemands  en 
Torqoie.  —  Alexandre  Gaasco  :  Les  Boxeurs  et  les  trouble  du  Sc-tchouan.  —  Aspe- 
f leoriaoBt  :  Le  projet  d'emprunt  du  gouvernement  général  de  TAfriquo  occidentale 
ffiacaise.  —  E.  Peyralbe  :  Le  Congrès  national  des  travaux  publics. 

Ctftes'et  GraTures  :  I.  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad.  —  II.  La  ville  de  Tchong-tou-fou. 

PRIMES    A    NOS    ABONNÉS 

L'administration  de  la  Revue  se  charge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
1^  achats  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
<l^  Paris,  pour  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  létranger  : 
i'adregger  directement  à  l'administrateur  de  la  Revue,  19,  rue 
BORAPARTE,  Paris,  Vie. 


y 


a   a   a   a  a    a   a    □    □  r 


DENTIFRICES 


ELIXIR,  POUDRE  et  PATE 

des  RR.  PP. 

BENEDICTINS 

de  libbaye  de  SOXTL  AC 

A.   SEGUIN,   BORDEAUX 

Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

Espoâitîon  UnivêrssUo  Paris  1900 


MODELE  dDFUCQH 


a   a   n   a   n    a   u    tj    n  i 


OLIVER 

JVtA^OHIIVB  à  ÉORITXJFtEl   VISI33L 


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CONSTIPATION 


Gaéri8on,7;;^;S"G;î>'^^P0||DRE  LAXATIYE  RO 

certaino  -Une  cuillei'ée  &  café  dant  an  demi-verre  d'eau  ï*-  $• 
•->>  ^^  .M....*  couchant.  —  Le  FJacon  pour  une  cure.  2  fr.  50  fr 
gif  lO  JOURS  QUIWET,  Pharmacien,  1,  Rne  Mlcliel"le-Corote. 


Fin  Désiles 

Cordial  Régénérateur 

SIIODifle  les  poumons,  régularise  les  battements  du  cœur.  actlTe  le  traTall  de  la  dlffettion.  , 
liomme  débnité  y  puise  la  foroe,  la  Tigiaenr  et  la  sactè.  L*homme  qui  dépense  beaucoup  d'x 
rentretient  par  rusage  régulier  de  ce  cordial,  e'iicacc  dans  tous  les  cas,  éminemment  olgei 
f^rtUiant  et  agréaoie  au  goût  comme  une  liqueur  de  table. 
** DéPÔT  CbNTRAL  î  80.  Rue  Béanmar.  Paria.  KT  TOUTES  PHABMACIBS* 


M.  L.  DEBROAS,  10,  rue  Nouvelle,  Paris  (IXe),  est  seul  chargé  de  la  puL 
mmerciale,  industrielle  et  financière  des  Questions  Diplomatiques  et  Colc' 


:  '=  insËi  y*  147  1"  Avril  1903 

j  ^  ^  _    

QUESTION®:     - 

Diplomatiques  et  Coloniales 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LE    !•'    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


1 1  ^  I  « 


SOlVIM^^IJEiE: 


l^Dfiel  Louîs-Jaray. .   Les  finances  dTtat  en  Allemagne 401 

.:  Breton La  question  de  Terre-Neuve,-  Saint- Pierre  et  Miquelon  il  l 

^spe-Fleurîmont La  question  du  coton 4i9 

.  Xjor .   Situation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire 433 

heDsdgaameats  politiques 4  'il) 

He&aeigiiements  économiques 457 

^uDiBations  officielles 4(i0 

Sibliograpfaie  —  Livres  et  Revues AiVl 


k  Saint-Pierre  et  les  Miquelon Mo 


REDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19*      RUE     BONAPARTE     -     PARIS,     6* 

Abonnement  annuel 

fnice  et  Colonies,  i  s  francs;  Etranger  et  Union  paîtale,  20  francs. 

La  Livraison  :    France  :  0,75  J     Etranger  :  1  fr 


coimit  HATiMÀi  nmn 

98  PARIS 

Capital  :  160  milUons  de  francs 

ENTIÉBEMBNT  VERSÉS 


n0ttt0>0t^^*<^0i 


SIÈGE  SOCIAL  :  14,  rue  Bergère 
Succursale  :%  Place  de  VOpéra,  Paris 


Président  du  Conseil  é^administration'/, 
M.  Emile  BIebckt,  O.  ^. 

Directeur  générât  adminiatrateur  ;  M.  AlezU  Rostamd,  0.  ^« 


OPtiATIONS  DU  COiPTOm  : 

BoD«  à  échéance  ftxe,'  Escompte  et  Recouvrements,  Comptes  da 
Chèques,  Lettres  de  Crédit,  Ordres  de  Bourse,  Avances  sur 
Titres,  Chèques,  Traites.  Envois  de  fonds  en  Province  et  à 
TE* ranger.  Garde  de  Titres,  Prêts  hypotliécaires  maritimes. 
Garantie  contre  lesriaques  de  remboursement  au  pair,  Paie- 
ments de  Coupons,  etc. 

A6ENCES 

BUEBAUZ  MB  ÇUAmTISa  BAMS  VAmiS 


A.  141.  bool'^St-GermaiD; 

B.  108,  rue  de  Rivoli; 

C.  23,  boal<>  Diderot. 

D.  11,  rue  Raxnbuteau; 

E.  16,  ruo  de  Turbigo; 

F.  21, pi  de  la  République; 
Q>.  24,  rue  de  Flandre; 
H.  2,  ruo  du  4-Septembre  ; 
I.  81,  boul'  Magonta; 
K.  92,  b^  Richard-Lenoir; 
L.  86,  rue  de  Clichy; 
M.  87,  avenue  Klôbor  ; 


N.  35,avenue  Mac-Mahon; 
O  11,  b^  Montparnasse  ; 
P.  27,  ft  Saint-Antoine  ; 
R.  53,  b^  Saint-Michel; 
S.  2,  rue  Pascal  ; 
T.  I ,  avenue  de  Villiers  ; 
U.  49,  av.  Champs-Elysée  s; 
V".  8 S  avenue  d'Orléans; 
X.  69,  rue  du  Commerce  ; 
Y.  124,  f«  Saint  Honoré. 
Z.  89,  B*^  Haussmann. 


Asnièi^es  :  8,  rue  de  Paris  -  Charenton  :  50,  rue  de 
Paris,  Enohien  :  47,  Orande-Ruo.  Levallois- 
Perret  :  3,place  République.  NeuiUy- sur-Seine  :  92, 
avenue  de  NeuIUy. 

.  AOESCss  KM  vaovuios 

Abbeville,  A^en,  Aix-en- Provence,  Alais,  Amiens,  Angoulème, 
Arles,  Avignon,  Bapnères^de-Luchon,  Bagnols-sur-Cèze, 
Beaucaire,  Beaune,  Btiltorl,  Bergerac,  Béziers,  Bordeaux, 
La  Bourboule,  Caen,  Calais,  Cannes,  Cdrcaî'sonoe,  Castres 
Cavaiilon,  Cette,  Chagny,  Chalon-sur-Saône,  Cliflteaurenard, 
Clprmont-Ferrand,  Cognac,  Condé-sur-Noireau,  Oax,  Deau- 
ville-Trou  ville,  Dieppe,  Dijon,  Dunkerque,  Ellniur,  Ëpioal, 
Firminy,  Fiers.  Gray,  Le  liavre,  Ha:el»rouck,lssoire,  Jarnac, 
La  Ferié'Miicé,  Lésignan,  Libourno,  Lille,  Limoges,  Lyon, 
Manosque,  Le  Mans,  AAarseille,  Mazamet,  Moni-de-Marsan, 
Le  Moot-Dore,  Montpellier,  Nancy,  Nantes,  Narbonne,  Nice, 
Nîmes,  Orange,  Orléans,  Périgueux,  Perpignan,  Reiiu.»», 
Remiremont,  Koanne,  Roubaix,  Rouenj  Royal,  Sainl-Cba- 
mond,  Saint-Dié,  Saint-Etienne,  Salon,  Toulouse,  Tourcoing, 
Vichy,  Villefranche-sur-Saône,  Villeneuve  sur-Lot,  Vire. 

AGENCES  QANi  LES  COLO  MES  ET  PAYS  DE  PROTECTORAT 

Tunis,  Sfai,  Sousse,  Gabès,  Majunga, 
Tamatavc,  Tananarive,  Dlégo-Suarcz,  Mananjary. 

ACBJiCCg  A  L'STmAVOCa 

Londres,  Liverpool,  Manchester,  Bombay,  Calcutta, 
Sau-Francisco,  New-Orléans,  Melbournei  Sydney, 
^anger. 


LOCATION  DE  COFFRES-FOltS 

Le  Comptoir  tient  un  service  de  coffres-forts  à  la  dUposiv 
du  public,  14,  rvte  Bergère,  2,  plaee  de  COpéra,    /*., 
Saint  Germain,  et  dans  les  principales  Agences. 


Une  clef  spéciale  unique  est  remise  à  chaque  locataire.  -  La 
combinaison  est  faite  et  changée  à  son  gré  par  le  loca:a.! 
—  Le  locataire  peut  seul  ouvrir  son  coffre. 

IONS  k  tCHtANCE  FIXE 
Intérêts  pftyés  sur  les  sommes  déposées  : 

DeOmois  jusqu'à  1  an.  1  \f2%  i  De  18 mois  jusqu'à  2  an*.2!    *  1 
De  1  an  jusqu'à  t8  moi8.2  %     I  A  2  ans  et  au  delà SM 

Les  Bons,  délivrés  par  le  CoMrroiR  Natio!<al  aux  toux  r"  .- 
téréts  ci-dessus,  sont  à  ordre  ou  au  porteur,  au  chojx 
Déposant.  Les  intérêts  sont  représentés  par  des  Bons  d.'. 
rets  également  à  ordre  ou  au  porteur,  payables  s«ne^îr: 
lement  ou  annuellement,  suivant  les  convenances  du  De^  - 
sant.  Les  Bons  de  capital  et  d'intérêts  peuvent   être  tr-  - 
dossis  et  sont  par  conséquent  négociables. 

VILLES  D'EAUX,  STATIONS  OALNIaINES 

Le  CoMproiR  National  a  des  agences  dans  les  priocîpa  e^ 
ViUes  deauxi  Nice,  Cannes,  Vidiy,  Dleope,  Trouj,'- 
Deauville,  Dax,  Royat,  Le  Havre,  La  Bourboule,  Le  Mou- 
Dore,  Bagnôres-de-Luchon, etc.;  ces  agences  traitent  t. -• 
tes  les  opi'raliins,  comme  le  siège  sodal  el  les  aui^.- 
agencos,  de  sorte  que  les  Etranger»,  les  Toorisles,  \^  Ba 
gneurs  peuvent  continuer  à  s'occuper  d  affaires  penJi^ 
leur  Tillegialure. 

LETTRES  DE  CNtOIT  POUB  V0YA6ES 

Le  Comptoir  Natiosial  d'Escompte  délivre  des  Uttra  -i" 
CrAdit  circulaires  payables  dans  le  monde  entier  auprès  le 
ses  agences  et  correspondants;  ces  Lettres  de  Crédit  •î'nî 
accompagnées  d'un  carnet  d'identitéet  d*indi<ations  et  orTrrr : 
aux  voyageurs  les  plus  grandes  commodités,  en  meae 
temps  qu'une  sécurité  incontestable. 


Siloni  des  Accriditâi,  Braich  offics,  2,  plus  del'ûjiân 

Spécial  departTient  for  travellers  and  Iclters  of  crelii  Lo-si- 
g3s  siored.  Letiers  of  crédit cashed  and  di  ivered  thrau^t- 
ihe  world.  —  Exchange  office. 

The  Comptoir  Natiosial  receives  and  seuls  on  pir>sf> 
addresscd  to  them  in  tlie  narae  of  th^ir  cUsnti  or  beirers  .i 
crédit. 


QUESTIONS 


-.•''i'tf;T 


DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 


us  FINANCES  D'ETAT  EN  ALLEMAGNE 


Pour  qui  examine  les  récentes  statistiques  des  finances  d'Etat 
ea  Allemagne,  quelques  impressions  très  nettes  se  dégagent  de 
cette  lecture  :  le  mouvement  d'extension,  puis  de  dépression 
^^onomique  a  fait  sentir  très  vivement  son  influence,  princi- 
palement sur  le  budget  impérial;  mais,  résultat  inattendu,  la 
crise  a  relevé  le  crédit  des  Etats  de  très  sensible  manière  et 
certains  fonds,  par  suite  de  circonstances  extérieures  et  des 
bas  cours  cotés  aux  temps  de  grande  prospérité,  tendent  à 
devenir  des  fonds  internationaux,  ce  qu'ils  n'étaient  pas  jusqu'à 
(V  jour. 

D  autre  part  cette  crise,  quelle  que  soit  son  acuité  au  point 
Je  vue  économique  général,  ne  peut  affecter  bien  profondé- 
ment les  finances  d'Etat  allemandes,  car  les  budgets  ont  des 
réserves  dans  les  facultés  d'emprunt  qu'ils  conservent  :  la  dette 
e>t  faible  par  rapport  à  la  nôtre;  la  plus  grande  partie  a  été 
contractée  pour  l'acquisition  d'un  domaine  industriel,  qui  en 
^i  la  contre-partie  fructueuse  et  la  politique  de  l'amortisse- 
ment fonctionne  avec  continuité. 

Quelques  comaientaires  et  quelques  chiffres  montreront  la 
réalité  de  ces  observations  et  les  conclusions  qu'on  en  peut 
tirer*. 


# 
•  « 


Les  finances  publiques  ne  pouvaient  pas  ne  pas  se  ressentir 
de  la  crise  économique  qui  a  sévi  en  Allemagne  en  1901,  a 
causé  de  si  lourdes  pertes  et  qui  pèse  encore  sur  l'industrie  et 
le  commerce;  les  impôts  indirects  ont  été  surtout  affectés, 
•omme  il  est  naturel  :  sans  doute,  leur  total  n'a  pas  diminué, 

'  Tous  les  chiffres  cités  le  sont  en  marks;  on  sait  que  1  mark=  1  fr.  25.  Je 
rappelle  que  le  budget  allemand  part  du  l***  avril  et  non  du  .!«>'  janvier,  comme  en 
Fnace  :  il  chevauche  donc  sur  deux  années. 

QciST.  DiPL.  bt;.Col.  —  T.  XV.  —  N«  147.  —  !•'  AVRIL  1903  26 


402  QUESTIONS   DIFLOMATIQUKS    KT   GOLONULKS 

mais  lour  progression,  jusqu'alors  constante,  s'est  arrêtée  *  :  or, 
en  Allemagne  comme  en  France,  les  dépenses  augmentent  con- 
tinuellement, et  il  faut  que  les  recettes  présentent  la  mt>me 
progression,  pour  que  le  budget  soit  en  équilibre  :  si,  comme 
c'est  le  cas  pour  l'Empire  en  1902,  les  évaluations  d'un  certain 
nombre  d'impôts  indirects  présentent  une  diminution  de  63  mil- 
lions par  rapport  à  la  somme  que  l'augmentation  normale  aurait 
dû  procurer,  il  n'est  point  étonnant  que  le  déficit  s'ensuive. 

Dès  1900,  le  budget  impérial  s'est  réglé,  pour  la  prenaière 
fois  depuis  un  grand  nombre  d'années,  par  un  déficit  de  2  mil- 
lions ;  et  en  môme  temps  les  impôts  perçus  par  l'Empire  et 
répartis  entre  les  Etats  confédérés  présentaient  une  moins- 
value  de  6  millions  et  demi.  Cette  dernière  considération  a 
autant  d'importance  pour  le  budget  impérial  que  pour  celui  des 
Etats,  voici  comment  :  il  y  a  une  sorte  de  compte  courant  entre 
l'Empire  et  les  Etats  ;  l'Empire  perçoit  les  impôts  indirects  et 
il  répartit,  après  un  prélèvement  de  130  millions,  les  contribu- 
tions provenant  des  tabacs,  de  l'alcool,  du  timbre  et  des  douanes 
entre  les  Etats,  au  prorata  de  la  population.  En  regard  de  cette 
dette  de  l'Empire,  les  Etats  sont  débiteurs  des  a  contributions 
matriculaires  »  :  on  appelle  ainsi  les  sommes  que  versent  les 
Etats  pour  subvenir  aux  dépenses  impériales  dans  la  mesure  où 
ces  dépenses  ne  sont  pas  couvertes  par  des  recettes  propres* 
Mais,  en  fait,  depuis  assez  longtemps,  ces  deux  dettes  s'équili- 
braient à  peu  près,  et  chaque  Etat  avait  pris  l'habitude  de  régler 
son  budgetpropre,  comme  s'il  était  absolument  autonome,  sans 
aucune  dette  vis-à-vis  de  l'Empire.  Quel  bouleversement  dans 
ces  budgets,  si,  par  suite  de  la  diminution  des  recettes,  on  leur 
réclame  d'importantes  contributions! 

Or  l'affaissement  général  des  ressources  se  marque  encore 
plus  en  1901-1902.  Le  déficit  est  d'environ  44  millions  dans  le 
budget  impérial  et  18  millions  pour  les  impôts  à  répartir,  soit 
en  tout  62  millions  que  supporte  en  définitive  le  budget  d'em- 
pire :  il  est  dû  à  un  recul  considérable  de  toutes  les  recettes 
provenant  de  trafics,  qu'il  s'agisse  de  postes  et  télégraphes,  de 
chemins  de  fer  ou  de  valeurs  mobilières. 

On  était  dès  lors  obligé  d'envisager  sérieusement  les  réalités 

i  Les  impôté  de  douane,  du  timbre,  sur  le  sucre,  le  sel,  les  alcools,  les  brasseries, 
ont  produit  :  en  1895-1896,  733  million<«;  en  1900,  896  millions,  soit  une  augmenta- 
tion annuelle  moyenne  de  32  millions.  Or,  en  1901-1902,  le  rendement  est  de  909  cnil^ 
lions;  pour  1902-1903  l'évaluation  est  de  9l0  millions  :  avec  la  progression  anté- 
rieure,  elle  aurait  été  de  960  millions.  Les  impôts  sur  les  postes  et  télégraphes, 
imprimerie  impériale,  chemin  de  fer  rendaient  :  en  1895,  75  millions;  en  1899, 
107  millions.  En  1900  et  1901,  à  la^uite  de  la  réforme  postale  et  de  la  crise  écono- 
mique, ils  tombent  à  81  et  78  millions.  En  1902,  on  évalue  leur  rendement  à  115  mîU 
lions  5.  Si  Tancienne  plus-value  s'était  maintenue,  ils  rendraient  130  millions  5. 


LES  FINÂNGBS   O'ÉTAT  EN  ALLEHAGNE  403 

pour  rétablissement  du  budget  de  1902-1903.  Il  était  impos- 
sible de  Tasseoir  sur  des  évaluations  exagérées  comme  Tannée 
précédente;  et  de  même  qu'en  France,  après  les  déficits  voilés 
dans  les  budgets  gouvernementaux  de  1901  et  de  1902,  il  fallut 
arriver  au  déficit  avoué  de  1903,  de  même  en  Allemagne,  après 
les  moins-values  non  présumées  de  1900  et  1901,  oii  dut  en 
1902-1903  montrer  dès  l'élaboration  du  budget  la  réalité  des 
choses.  Le  budget  se  présentait  de  la  façon  suivante  :  les  dé- 
penses ordinaires  s'élevaient  à  2  milliards  151  millions,  soit  à 
13 millions  de  plus  que  les  évaluations  de  l'année  précédente*; 
quant  aux  recettes,  les  évaluations  sincères  étaient  infé- 
rieures de  18  millions  6  pour  les  impôts  impériaux,  de  26  mil- 
lions 7  pour  les  impôts  à  répartir,  aux  évaluations  de  Tannée 
précédente.  On  se  trouvait  ainsi  en  présence  d'un  déficit  de 
38 millions  900.000  marks. 

Pour  le  combler  il  y  avait  trois  méthodes  :  faire  appel  aux 
contributions  matriculaires  des  Etats,  créer  de  nouveaux  impôts 
f empire  ou  emprunter. 

Le  premier  procédé  est  le  procédé  normal  :  les  versements 
des  Etats  doivent  combler  les  déficits  du  budget  d'empire.  Mais 
la  situation  financière  des  Etats  permet-elle  pareil  procédé?  La 
Prusse,  pour  maintenir  l'équilibre  de  son  budget,  doit,  selon  son 
ministre  des  finances,  aller  jusqu'à  l'extrême  économie  et  aban- 
donner l'espoir  des  anciens  excédents*;  la  Bavière  maintient 
josle  l'équilibre  de  son  budget^;  le  Wurtemberg  laisse  aperce- 

■  Quelqaes-unes  de  ces  augmentations  de  dépenses  sont  intéressantes.  La  loi  du 
li  mai  1901  augmente  le  taux  des  pensions  payées  aux  anciens  combattants  de  1810 
^t  des  guerres  antérieures  t  le  crédit  total  est  de  31  millions,  soit  16  millions  de 
pins  qu'en  1901.  L'Allemagne  voudrait-elle  avoir  elle  aussi  ses  «  dettes  de  la  guerre 
k  sécession  h,  qui  augmentent  à  mesure  que  le  temps  passe?  Le  budget  des 
Aliaire»  étrangères  et  Colonies  augmente  de  2.360.000  marks;  grâce  à  cette  aug- 
watatioD  l'Allemagne  pourra  poursuivre  l'extension  méthodique  de  ses  postes  con- 
ï^res  :  en  1902,  ce  sont  2  consulats  créés  en  Chine  (à  Itchang  et  à  Nankin)  et  1 
Il  Nicaragua  (à  Managua)  ;  grÀce  à  elle  aussi  le  gouvernement  pourra  subventionner 
olBce  de  renseignements  pour  l'émigration  que  la  Société  coloniale  s'offre  à  orga- 
niser moyennant  une  subvention. 

^  Le  budget  de  1902-1903  prévoit  2.614  millions  de  recettes  (diminution  de  34  mil- 
l!'Xi!<  sar  le  précédent  exercice),  2.461  millions  de  dépenses  ordinaires  (augmentation 
'ie  X>  millions)  et  146  millions  de  dépenses  extraordinaires  (10  millions  de  diminution), 
^w  les  34  millions  de  moins«values  en  recettes,  32  sont  dus  à  une  préi>omption  de 
HsKAation  da  produit  net  sur  les  chemins  de  fer  :  ce  produit  s'est  élevé  à  515  mil- 
joas  eo  1X91.1898.  o20  en  1898-1899,  315  en  1899-1900,  546  en  1900-1901,  499  en 
l'^M9«iII  a  été  évalué  à  533  y^chiffre  exagéré)  pour  1902-1003  et  à  485  en  1903- 
fiOL  Le  projet  de  budget  pour  1903-1904  montre  que  la  situation  empire  :  les 
?erettes  ont  diminué  de  11  millions;  les  dépenses  ordinaires  augmentent  de  48  mil- 
1«»9, 1^  extraordinaires  de  il  millions;  d'où  un  déficit  de  12  millions  que  l'on 
coivrin  par  un  emprunt. 

^  Le  budget  de  1902  1903  se  monte  à  464  millions.  Les  chemins  de  fer,  qui  four- 
^■*cQt  une  grosse  part  des  recettes,  voient  le  produit  net  baisser  depuis  1891:  en 

i^,  53 millions;  en  1898,  48  mUlions;  en  1899,  49  millions;  en  1900,  46. 


L 


404  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

voir  quelques  excédents  grâce  à  une  caisse  de  réserve  qu'il  s'est 
ménagée  *  ;  la  Saxe  voit  ses  dépenses  augmenter  considérable- 
ment et  ses  recettes  rester  stationnaires  :  aussi  doit-elle  aug- 
menter ses  impôts  sur  le  revenu  et  le  capital* ;  le  grand-duché 
de  Hesse  n'est  pas  dans  une  meilleure  situation.  Les  petits 
Etats,  comme  ceux  de  Thuringe,  ne  peuvent  faire  face  à  de  nou- 
velles dépenses  ;  leur  sort  est  encore  plus  misérable,  car  leurs  res- 
sources sont  moins  élastiques;  sans  impôts  indirects,  sans  che- 
mins de  fer,  ils  tirent  leurs  principaux  bénéfices  de  l'impôt  sur 
le  revenu.  Or,  M.  de  Thielmann,  dans  le  discours  qu'il  pronon- 
çait au  Reichstag,  pour  soutenir  son  projet  de  budget,  rappelait 
que,  selon  les  calculs  faits  pour  les  Etats  de  Thuringe,  demander 
24  millions  de  contributions  matriculaires  nouvelles,  c'était 
faire  augmenter  de  15  7o  ^^  montant  de  Timpôt  sur  le  revenu 
dans  ces  Etats,  et  de  25  "/o  ^^  ^'^^  voulait  détaxer  les  basses 
classes.  Demander  la  totalité  du  déficit,  soit  59  millions,  c'était 
augmenter  cet  impôt  de  57  %! 

Il  était  impossible  de  bouleverser  à  ce  point  les  finances  des 
Etats  de  la  monarchie  :  établir  un  nouvel  impôt,  c'était  trop 
tard  pour  y  songer;  on  venait,  d'autre  part,  d'augmenter  l'impôt 
des  loteries  et  du  timbre  ;  puis  il  était  possible  d'espérer  que  la 
crise  serait  passagère  et  que  la  prospérité  budgétaire  d'antan 
renaîtrait.  Pour  toutes  ces  raisons,  le  ministre  se  décida  à 
indiquer,  seulement  pour  l'avenir,  des  impôts  nouveaux,  et  il 
cita  en  première  ligne  la  bière  et  le  tabac,  car  il  faudrait  des 
impôts  productifs.  Pour  l'instant,  l'emprunt  sera  le  remède 
provisoire  :  on  ne  demandera  que  24  millions  comme  contribu- 
tions aux  Etats  et  l'Empire  empruntera  35  millions. 

En  réalité,  il  emprunte  plus  que  cela  :  il  emprunte  non  seule- 
ment cette  somme,  non  seulement  143  millions  de  dépenses 
extraordinaires,  considérées  en  Allemagne  comme  rentrant  nor- 
malement dans  ce  cadre,  mais  encore  20  millions  pour  des 

i  Le  budget  du  Wurtemberg  de  1900  1901  est  arrêté  par  un  excédent  de  1  millîoo  9 
(dépenses  :  84  millions  ;  recettes  :  86)  ;  mais  sans  compter  14  millions  5  pour  cons- 
tructions et  chemins  de  fer,  pris  à  des  excédents  antérieurs.  Le  budget  de  1902 
espère  un  excédent  de  3  miUions  (dépenses  :  86  ;  recettes  :  89),  mais  en  prévojant 
un  emprunt  de  28  millions  pour  les  chemins  de  fer  et  une  dépense  de  8  millions  7 
sur  la  caisse  des  excédents.  Le  produit  net  des  chemins  de  fer  baisse  depuis  1S98  : 
19  millions  en  1898,  17,4  en  1899, 16,7  en  1900. 

^  La  très  grosse  augmentation  du  budget  saxon  ressortira  de  ce  tableau  (chiffres 
en  millions  de  marks)  : 

Années.  Recettes.        Dépenses.        Excédents.    Recettes  des 

ch.  de  fer. 

1898-1899  (résultats) 252,3  249  3,4  54,1 

1899-1900        —       261,4  255,5  5,8  32,2 

1900-1901         —       213,6  269  4,6  33 

1902-1903  (évaluations)...        333  333 


LES   FINANCES  b'kTAT   EN  ALLEMAGNE  405 

Jépenses  d'établissement  de  postes  et  télégraphes,  que,  jusqu'à 
présent^  on  avait  compris  dans  le  budget  ordinaire.  C'est  donc 
m  K*alité  53  millions  que  TEmpire  doit  emprunter  pour  «  bou- 
cler •  son  budget  de  1902-i903. 

Ainsi,  pour  les  deux  années  IflOl  et1902-03,le  déficit  se  monte 
àil7millions  de  marks,  soit  146  millions  de  francs.  C'est  encore 
as&eit  éloigné  des  318  raillions  de  déficit  du  budget  français  pour 
19€1  et  1902.  Mais,  si  nous  avons  le  triste  honneur  de  précéder 
l'Allemagne  dans  cette  voie,  c'est  bien,  semble-t-il,  un  même 
mouvement  de  dépression  économique,  dû  à  des  causes  peut- 
^tre  diverses,  qui  emporte  les  deux  nations  vers  une  crise  bud- 
gétaire. Et  ce  mouvement  paraît  se  prolonger  plus  qu'on  ne 
[«asait.  Le  projet  de  budget  pour  1903-1904  se  présente  dans 
4s conditions  très  défavorables:  les  recettes  sont  présumées 
rmdre  23  millions  de  moins,  les  dépenses  augmenter  de  24  mil- 
lions et  il  faut  joindre  h  cela  les  insuffisances  de  l'exercice 
précédent  se  montant  à  48  millions.  Cela  fait  un  déficit  de 
95  millions,  qu'il  faut  encore  couvrir  par  l'emprunt,  en  môme 
temps  que  les  dépenses  du  budget  extraordinaire  (122  millions 
i?  dépenses  normales  et  22  millions  pour  les  postes  et  télé- 
^Hpbes),  Ainsi  Tempire  n'a  pu  se  résoudre  ni  à  créer  de  nou- 
Teaux  impôts,  ni  h  augmenter  les  contributions  matriculaires, 
et  il  se  fait  autoriser  à  emprunter  encore  219  millions  sur 
Î39  millions  de  ressources  extraordinaires  nécessaires  :  La 
crise  continue;  toutefois  elle  sera  peut-être  moins  profonde  pour 
rAllemagnc  que  pour  nous  et  elle  aura  même  eu  chez  nos  vol- 
ons un  heureux  effet. 

*  « 
Cette  crise  a,  en  effet,  contribué  à  améliorer  le  crédit  de  l'AUe- 
nfâ^e,  j^entends  k  faire  gagner  plusieurs  points  à  sa  Rente  et  à 
lui  permettre  d'emprunter  à  meilleur  compte. 

b  :r%,  impérial  et  le  3  "/o  prussien  avaient  atteint  le  pair  en 
t8ï*î,mais  ta  période  de  grande  prospérité  industrielle  les  fit 
îétiH^^aJer  jusqu'à  un  minimum  atteint  en  septembre  1900;  à 
lii  fin  m&me  de  cette  période,  le  3  Yq  impérial  cotait  84,60  et 
r-ndail  3,54%,  le  SVs  Vq  impérial  cotait  92,75  et  rendait 
^,^"*i,^.  La  faiblesse  de  ces  cours  s'explique  par  une  double 
tansç  :  la  tendance  du  capitaliste  et  même  de  l'épargne  alle- 
mande, le  caractère  exclusivement  national  de  ces  fonds.  L'Al- 
lemand, c^mme  TAnglaîs  du  reste,  n'a  pas  le  même  souci  que 
iKïiis de  Vépargce  et  du  capital  à  transmettre  à  sa  famille  et, 
voyant  leïT  bénéfices  industriels  considérables  faits  entre  1895 
«t  ISÛfl,  il  croyait  qu'il  y  avait  mieux  à  faire  qu'à  placer  son 
argent  à  372t  même  37^  Yo^  Aussi  vit-on  les  capitaux  se  porter 


L 


406  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLOMULES 

sur  les  valeurs  à  rendement  variable;  et,  comme  la  demande  en 
était  abondante,  les  dividendes  montaient  à  10  et  15  Yqî  ^^  ^^^^ 
songeait  aux  valeurs  à  revenu  fixe,  on  cherchait  quelque  rente 
exotique  qui  pût  rétribuer  largement  son  propriétaire.  Le 
résultat  de  cette  situation  fut  de  limiter  le  marché  des  rentes 
d*Etat  à  quelques  riches  particuliers  et  à  certains  établisse- 
ments financiers  ou  sociétés,  comme  les  sociétés  d'assurances, 
obligés  de  placer  leurs  fonds  en  valeurs  de  tout  repos.  Cette 
situation  était  si  réelle  que  les  ventes  à  terme,  pourtaïnt  autori- 
sées pour  les  rentes,  n^existaient  pour  ainsi  dire  pas. 

Le  marché  était  d'autant  plus  limité  qu'il  était  exclusivement 
national.  Les  étrangers  ne  remployaient  pas  leurs  disponibilités 
en  fonds  allemands.  Soit  que  Thabitude  n'en  fût  pas  prise,  car 
ces  rentes  ne  datent  pas  de  fort  longtemps,  soit  que  le  marché 
n'en  fût  pas  assez  large,  soit  pour  tout  autre  motif,  les  valeurs 
d^Etat  n'étaient  pas  un  fonds  international. 

Ce  dédain  des  capitalistes  étrangers  et  des  capitalistes  alle- 
mands explique  les  bas  cours  que  nous  signalons. 

Mais  cette  baisse  même,  d'une  part,  la  crise  économique,  de 
l'autre,  firent  affluer  les  demandes.  Les  hauts  rendements  do 
ces  fonds  d'Etat  finirent  par  attirer  l'attention  des  étrangers. 
Quand  ils  cotaient  le  pair,  ils  n'étaient  pas  intéressants:  on  pou- 
vait avoir  un  revenu  analogue  ailleurs,  avec  des  titres  à  marché 
large  et  auxquels  on  était  habitué;  mais  pouvoir  placer  son 
argent  en  valeurs  excellentes  rendant  3  7*2  et  374  n'est  pas  chose 
si  aisée  à  tiouver  qu'elle  ne  dût  frapper  les  esprits.  Aussi  le 
capital  étranger  entra-t-il  en  scène,  et  cela,  semble-t-il,  surtout 
à  partir  de  septembre  1900  :  à  cette  date,  l'Allemagne,  qui  ne 
pouvait  trouver  chez  elle  des  préteurs,  à  prix  modérés,  s'adressa 
aux  Etats-Unis  et  y  émit  pour  80  millions  de  bons  du  Trésor  4  %  , 
remboursables  en  quatre  ans.  Le  capital  américain  était 
«  amorcé  »  en  quelque  sorte  :  il  vendit  et  rapatria,  après  un 
notable  bénéfice,  ces  bons  du  Trésor  qui  montèrent  à  102  fr.  50 
(alors  que  l'émission  avait  été  faite  au  pair)  et  remploya  ses 
disponibilités  en  consolidés  prussiens  ou  impériaux.  Le  mou- 
venient  s'accentua  tout  naturellement:  l'attention  était  éveillée, 
le  bénéfice  notable.  Hollandais,  Belges  et  Français,  autant 
qu'Américains,  souscrivirent  aux  récents  emprunts  et  ache- 
tèrent des  titres  sur  le  marché;  et  ainsi  les  fonds  allemands, 
surtout  le  3  7o  impérial  et  le  3  %  prussien,  tendent  aujour- 
d'hui à  devenir  un  grand  fonds  international,  au  même  titre 
que  les  fonds  anglais  ou  français. 

Celte  cause  ne  fut  pas  la  seule  agissante  :  la  débâcle  récente, 
qui  a  emporté  plusieurs  sociétés  et  atteint  nombre  d'industries, 


LES   FINANCES   D'ÉTAT   EN   ALLEMAGNE  407 

mit  la  prudence  au  cœur  des  capitalistes  et  de  Tépargne  aile* 
mande;  et,  de  mOme  qu'en  France,  après  Tengouemeut  pour  les 
valeurs  à  dividende  variable,  on  les  abandonna  pour  se  porter 
vers  les  valeurs  à  rendement  fixe  et  assuré,  de  môme  en  Alle- 
magne, l'optimisme  de  jadis  reçut  un  tel  coup  que  les  capita- 
listes achetèrent  des  fonds  de  tout  repos,  à  intérêt  constant. 

Les  rentes  furent  les  premières  à  profiter  de  ce  changement 
de  dispositions  :  le  3  ^/q,  qui  était  à  84,50  en  septembre  1900, 
monta  pendant  tout  le  courant  de  1901  ;  les  deux  emprunts  de 
janvier  1902,  emprunt  impérial  de  115  millions,  emprunt  prus- 
sien de  185  millions  purent  être  pris  ferme  par  un  consortium 
au  taux  de  89  fr.  20;  le  public  répondit  ^  lappel  des  banquiers 
et  porta  en  février  1902  le  3  %  à  93,25,  gagnant  deux  points  et 
demi  en  un  mois.  Quant  au  3  Y2  impérial,  qui  restait  à  92,73  en 
septembre  1900,  il  marquait  102,50  en  février  1902.  Celte  hausse 
ne  fut  pas  une  simple  affaire  de  spéculation,  car  elle  se  main- 
tient, et  un  an  après,  les  mômes  cours  sont  cotés  à  la  Bourse  de 
Berlin.  Il  est  même  à  croire  que  la  hausse  n'a  pas  dit  son  der- 
nier mot  et  que  les  3^0  rejoindront  le  pair  qu'ils  n'ont  pas  vu 
depuis  1894.  Car  la  différence  reste  encore  grande  entre  le  taux 
de  capitalisation  de  ces  rentes  et  celles  des  principaux  pays 
étrangers  :  quand  on  céda  au  consortium  de  banquiers  les  deux 
emprunts  allemands  à  89,20  en  1902,  le  2  7o  des  Etats  Unis 
marquait  108  y.2  ^^^  consolidés  anglais  27^,  et  272  ^  partir 
d'avril  1903,  se  tenant  à  92  V4,  la  rente  française  à  100,50,  la 
ronle  fédérale  suisse  à  100,  la  rente  belge  37o  ^  99,50,  la  rente 
hollandaise  à  95,50  ^ 

Si,  donc,  la  dépression  économique  a  relevé  le  taux  des  rentes 
alleoiandes,  elle  ne  la  pas  encore  fait,  semble-t-il,  de  manière  à 
eorrespondre  au  crédit  réel  de  TAllemagne.  Diverses  circon- 
stances financières  empêcheront  sans  doute  ces  fonds  d'égaler 
les  autres  fonds  '%  mais  on  peut  croire  que  la  hausse  n'a  pas  dit 
>on  dernier  mot. 


'  La  Bavière  a  emprunté»  en  janvier  1902,  86  million?  de  3  1,2  :  un  consortium 
•ie  banquiers  sVn  est  chargé  et  l'a  offert  au  public  à  99,85  En  février  1902,  Ham- 
boarg  a  emprunté  55  millions  en  3  %  qu'un  consortium  a  placé  au  taux  de  90,50. 

-  Une  des  cau-^es  de  l'arTaissement  du  crédit  d'Etat  parait  êire  la  répétition  con- 
saQt^  des  emprunts  :  chaque  année  plusieurs  États  de  l'Empire  empruntent;  dans 
lesdcitx  premiers  mois  de  1902,  il  y  eut  4  emprunts  :  1  d'Empire,  1  de  Prusse,  1  de 
BiTière.  i  de  Hambourg  et  on  en  prévoit  d'autres.  La  dette  impériale,  qui  éiait  de 
i96  millions  en  1887,  monte  à  1.740  en  1893,  à  2.378  en  1900,  à  2.R10  millions  en 
°*fs  1902.  C'est  la  politique  des  petits  emprunts  qui  est  suivie,  contrairement  à  ce 
'^ni  se  passe  en  France,  et  qui  est  dû  au  fédéralisme  d'une  part,  à  la  nécessité  de  ne 
?«  charger  la  dette  flottante  (certaines  difficultés  do  trésorerie  sont  nées  des  avances 
c-écessitées  par  les  assurances  ouvrières),  et  au  particularisme  qui  refuse  d'autoriser 
u  emprunt  plus  considérable  que  celui  exactement  nécessaire  pour  Tannée  :  on  n*a 
liit  exception  à  ceci  que  pour  le  programme  naval  de  Ilohenlohc  qui  permet  un 
•^mpront  de  800  millions  utilisable  par  tranche  d'ici  1917. 


408 


QUESTIONS  DlPLOMATlQUIfS  BT  COLONIALES 


La  crise  financière  qui  atteint  les  budgets  allemands  apparaît 
aux  yeux  de  Tobservateur  comme  infiniment  moins  périlleuse 
que  celle  dont  souffrent  d'autres  pays.  C'est  que  ces  budgets  ont 
une  sorte  de  réserve  négative  dans  la  faculté  d'emprunt  très 
large  qu'ils  conservent  :  le  tableau  suivant  mettra  en  relief 
cette  constatation. 


ETATS 


Empire... 

Prusse 

B»Tiëre . . . 

Saxe 

Wurtemberg 

Bade 

Hes»o , 

Hambourg.. 
Autres  Etats 


DBTTBS   PUBLIQUES,  CONTIIB-PARTIB  OOMANIALS  BT  AM0RT18SBMBNT8 
0AN8    LBS     BUD0BT8     ALLBMAND8    BN     MARS     1902    (MILLIONS     OB    MARKS) 


Montant 
la  dette 


2.^(0 
6.730 
1.699 
930 
309 
411 
315 
471 
300 


14.181 


Évaluation 

de  la  valeur  en  capital 

des  cbemios  de  fer 


Rer.  capit.à4%  1.625 
Capit.  d'établis.  7.985 
Rer.capit  à4%  1245 
Capit.  d'établis.      9  2 

—  613 

-  548 


Arrérages 

de 
la  dette 


939 
235.5 
ft2,l 
29.9 
18.2 
14.6 
9,6 
17,4 


40,3 
2.4  (c) 
9.2 

2.9  {d) 

3.9 

0,6 

(/•) 


RBVBNONBT  OU  DOMAINE  (6) 


Chemins 
de  fer 


65 
530 
46,6 
33,9 
1.67 
18 
11  W 


Antres  domaines 


83.6 

24.4 

p.  les  seul,  forêts    8j 

Id.  9,9|| 

Id. 

Id.  2 

Id.  21,8 


(a)  L'amortissement  a  dû  être  supprimé;  il  était  de  9  millions  5  en  1899-1900. 

(6)  Nous  ne  déduisons  naturellement  pas  decererenu  net  les  charges  financières  cor- 
respondantes au  capital  d'établissement,  qui  a  été  payé  par  l'emprunt  ou  les  budgets 
ordinaires. Les  chiffres  cités  pour  TEmpire  et  la  Prus«e  sont  les  éTaluailons  du  budget  de 
1902-1903,  les  autres  les  réalisations  du  budget  de  1900-1901. 

(c)  L'amortissement  atteignait  11  millions  5  en  moyenne  avant  la  crise. 

(d)  Sauf  une  somme  de  11  millions,  la  dette  wurtembergooise  est  une  dette  amortissa- 
ble entièrement  amortie  d'ici  1950. 

(«)  Cette  somme  est  versée  par  la  Prusse  qui  eiploite  les  chemins  de  fer  de  Hesse. 
(/)  Pour  l'emprunt  de  février  1902,  l'amoitissement  commence  en  1903  et  atteint  on 
minimum  do  H  %  par  an  du  montant  de  Temprunt. 


Que  Ton  veuille  bien  songer  à  notre  situation  en  France, 
avec  une  population  d'un  tiers  plus  faible,  et  supportant  une 
dette  d'État  de  30  milliards  environ!  La  dette  de  l'Allemagne 
n'est  que  d'un  peu  plus  de  14  milliards  de  marks,  soit  environ 
48  milliards  de  francs.  Mais  ce  n'est  pas  tout  :  dans  des  budgets 
qui  sont  des  budgets  de  crise,  on  a  réussi  à  maintenir  un  amor- 
tissement de  62  millions  de  marks  environ!  La  politique  de 
l'amortissement  est  poursuivie  avec  une  continuité  remarquable. 
Il  n'est  pas  besoin  de  créer  un  amortissement  automatique  et 
forcé,  comme  pour  l'amortissable  français.   On  l'a  fait  cepen- 


LES  FIPfANCeS   D  ÉTAT  EN   ALLEMAGNE 


409 


dant,  dans  quelques  Etats  :  en  Wurtemberg,  à  Hambourg;  mais 
ailleurs,  on  amortit  des  rentes  consolidées. 

Enfin,  cette  dette  de  48  milliards  de  francs  est  elle-même  en 
grande  partie  purement  apparente,  car  elle  a  une  contre-partie 
magnifique  :  elle  a  été  employée  à  des  achats  producteurs  de 
bénéfice,  qui  normalement  doivent  venir  en  déduction  des 
charges  de  la  dette.  En  France,  on  a  calculé*  que  12  milliards, 
soit  40  7o  de  notre  dette,  avaient  servi  aux  guerres,  6  mil- 
liards 74,  soit  20  7oi  à  de  grands  travaux  publics,  10  milliards, 
soit  30  **/o,  à  combler  des  budgets,  1  milliard,  soit  3  7oi  à  des 
indemnités  politiques.  Sans  doute,  nombre  de  ces  emplois 
ont  été  utiles  au  pays,  ont  augmenté  la  richesse  nationale  ;  mais 
combien  peu  d'entre  eux  sont  actuellement  productifs  de  reve- 
nus immédiats  déchargeant  d'autant  le  poids  de  la  dette  !  Dans 
les  budgets  d'iitat  allemands,  au  contraire,  la  caractéristique  est 
Fénorme  rendement  de  ce  qu'on  appelle  le  domaine,  c'est-à-dire 
les  chemins  de  fer,  —  pour  le  rachat  ou  la  construction  des- 
quelles on  a  dépensé  la  majeure  partie  de  la  dette,  —  les  forêts, 
les  industries,  etc..  11  suffit  d'examiner  le  tableau  ci-dessus  pour 
être  frappé  de  ce  phénomène.  Le  budget  impérial  est  encore 
le  moins  favorisé  et  cependant  les  chemins  de  fer  impériaux 
[d'Alsace- Lorraine)  compensent  plus  de  la  moitié  des  charges 
d'emprunt.  En  Prusse,  les  chemins  de  fer  rapportent  le  double 
de  ce  que  coûte  la  dette,  sans  parler  du  reste  du  domaine  : 
forêts,  mines,  hauts  fourneaux,  salines,  etc.,  qui  s'étend  chaque 
jour  et  auquel  on  rêve  d'ajouter  quelques  mines  en  vue  de  la 
consommation  de  houille,  pour  affranchir  l'Etat  des  exigences 
du  S)Tidicat  des  charbonnages.  En  Bavière,  les  chemins  de  fer 
suffisent  presque  aux  charges  de  la  dette  et  la  différence  est  lar- 
gement comblée  par  les  revenus  d'un  domaine  important  en 
forêts  (21  millions),  mines,  brasserie,  vignoble,  bains  et  banque. 
La  situation  est  la  même  en  Wurtemberg,  qui  possède,  outre 
ses  chemins  de  fer,  un  service  de  navigation  sur  le  lac  de  Cons- 
tance, des  forêts,  des  mines,  des  hauts-fourneaux,  des  salines  et 
un  établissement  thermal. 

La  Saxe,  le  grand-duché  de  Bade  et  le  grand-duché  de  Hesse 
ont  dans  leurs  bénéfices  de  chemins  de  fer  de  quoi  payer  les  arré- 
rages de  leur  dette  et  plus  encore,  et  leurs  forêts  ajoutent  au  total. 

Hambourg,  lui-même,  s'il  ne  possède  ni  chemins  de  fer,  ni 
forêts,  trouve  dans  les  bénéfices  de  son  service  des  eaux,  de  ses 
usines  à  gaz,  de  ses  locations  d'immeubles,  etc.,  de  quoi  payer 
les  charges  de  ses  emprunts  et  garder  un  reliquat. 

*  D'après  un  travail  inédit  de  M.  Jules  Grenard,  rédacteur  à  Tadministration 
de»  monnaies. 


410  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES    BT  COLONIALES 

En  somme,  pour  résumer  cette  situation,  il  faut  se  souvenir 
que  si  Tensemble  des  Etats  allemands  a  une  dette  de  14  mil- 
liards de  marks,  si  cette  dette  cause  une  charge  annuelle  en 
arrérages  d'environ  483  millions,  les  chemins  de  fer  d'Etat  à 
eux  seuls,  sans  parler  du  reste  du  domaine  et  des  industries 
d'i!*tat,  rapportent  environ  71  y  millions. 

Il  ne  s'agit  point  ici  de  la  question  de  l'exploitation  des  che- 
mins de  fer  par  l'Etat*,  il  s'agit  seulement  de  la  constatation 
suivante  :  la  majeure  partie  de  la  dette  est  une  dette  apparente, 
que  balance  une  valeur  achetée,  productive  de  revenus 

« 
«  • 

Cette  esquisse  des  finances  d'Etat  en  Allemagne  montre  suf- 
fisamment, je  crois,  leurs  solides  réserves,  pour  nous  permettre 
de  conclure  en  leur  faveur  :  la  crise  qu'elles  subissent  n'est  sans 
doute  que  superficielle  et  transitoire.  S'ils  ne  font  pas  à  l'em- 
prunt des  appels  trop  répétés  ou  trop  considérables,  s'ils  conti- 
nuent cette  admirable  politique  d'amortissement,  les  Etats  alle- 
mands sont  assurés  d'avoir  pour  longtemps  ce  qui  permet  la 
bonne  politique,  je  veux  dire  d'excellentes  finances. 

Il  ne  faut  pas,  au  reste,  leur  en  faire  un  trop  grand  hon- 
neur et  vouloir  opposer  la  solidité  teutonne  à  la  fragilité 
française  :  ils  n'ont  pas,  comme  nous,  à  payer  les  charges 
d'un  vieux  passé  historique  ;  leur  empire  a  vingt-trois  ans;  ils 
n'ont  pas,  comme  nous,  à  régler  la  «  douloureuse  »  d'une 
grande  politique  suivie  depuis  des  siècles  :  leurs  Etals,  sauf  la 
Prusse,  ne  la  font,  par  l'intermédiaire  de  FEmpire,  que  depuis 
1870;  ils  n'ont  pas  connu, au  mt^me  degré  que  nous,  le  malheur 
des  indemnités  effroyables  se  joignant  aux  défaites,  et  quel 
beau  fonds  de  roulement  et  d'amortissement  que  notre  cadeau 
de  5  milliards!  Disons  donc  seulement  qu'ils  sont  servis  par  les 
circonstances  :  celles-ci  les  firent  à  la  fois  vainqueurs  et  tard 
venus,  sans  la  lourde  charge  des  vieilles  politiques,  des  gloires 
et  des  défaites  dont  le  lourd  poids  pèse  sur  nos  finances  natio- 
nales. 

Gabriel  Louis-Jaray. 


1  Ce  que  nous  disons  ne  préjuge  en  rien  cette  question  ;  il  s'agirait  de  savoir 
si  l'Etat  n'aurait  pas  fait  encore  une  meilleure  aiïaire,  si  cela  avait  été  possible,  en 
ne  contractant  pas  cette  dette  et  en  accordant  des  concessions  à  de  grandes  compa- 
gnies, qui  auraient  pajé  des  redevances  appropriées  (telle  l'exploitation  du  gaz  à 
Pariii)  :  il  s^agirait  aussi  de  savoir  si  un  système,  bon  en  Allemagne,  l'est  aussi  en 
France. 


I^  QUESTION  DE  TERRE-NEUVE 


SAINT-PIERRE    ET    MIQUELON 


Comme  suite  au  très  intéressant  article  de  M.  Henri  Lorin  ^ 
sur  la  question  de  Terre-Neuve,  il  n'est  peut-être  pas  inutile  do 
mettre  sous  les  yeux  des  lecteurs  non  seulement  une  descrip- 
tion sommaire  des  îles  Saint-Pierre  et  Miquelon,  mais  aussi  un 
exposé  de  leur  trafic  afin  de  bien  faire  ressortir  leur  importance 
capitale  au  point  de  vue  commercial  français. 

Point  n'est  besoin  de  résumer  à  nouveau  le  côté  historique 
de  la  question;  de  nombreux  écrivains,  dans  des  brochures  ou 
des  ouvrages,  dans  cette  revue  même,  ont  exposé,  mieux  qui? 
nous  le  pourrions  faire,  nos  droits  imprescriptibles,  reconnus 
de  la  manière  la  plus  précise  par  les  jurisconsultes  anglais 
dans  des  documents  officiels  aujourd'hui  déniés  sans  vergogne* 

La  mise  au  point  de  la  situation  des  deux  plaideurs,  en 
revanche,  importe  toujours.  Pour  le  moment,  nous  resterons  sur 
notre  territoire  propre,  mince  débris  de  nos  belles  colonies  per- 
dues du  Nord- Amérique.  Nous  montrerons  la  valeur  commer- 
ciale de  notre  petite  France  transatlantique  afin  d'empêcher 
que  cette  valeur  soit  trop  dépréciée  par  le  gouvernement  de 
Londres,  si  jamais  l'heure  arrive  d'une  transaction  amiable  et 
de  bonne  foi. 


« 

«      4 


Tout  le  monde  a  vu  sur  la  carte  les  petits  îlots  perdus  de 
Saint-Pierre  et  Miquelon,  à  peine  détachés  de  la  côte  Sud  ai' 
Terre-Neuve.  On  a  même  à  leur  égard  une  opinion  tirée  de  In 
lecture  de  quelques  récits  de  voyageurs  qui  ont  peut-être  poussr 
trop  au  tragique  la  première  impression  de  leur  visite.  Celtf 
impression  peut  se  résumer  ainsi  :  petits  rochers  continuelle- 
ment battus  par  la  tempête,  perpétuellement  noyés  dans  unv 
brame  intense,  rendus  inaccessibles  par  une  ceinture  d'écueils, 
incapables  de  produire  quoi  que  ce  soit.  De  chacun  de  ces  qua- 
lificatifs désobligeants,  quelque  chose  est  à  retenir  malheureu- 
sèment;  leur  exagération  seule  est  de  trop. 

En  revanche,  sur  ces  rochers  qui  semblent  dénués  de  toutes 
les  faveurs  naturelles,  il  se  traite  pour  vingt-cinq  millions  d'af- 
faires par  an.  Il  est  dès  lors  peut-être  bon  d'éclairer  Topinion 

i  Quest.  DipL  et  Col.,  t.  XIII,  p.  641-653. 


412  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

aussi  exactement  que  possible  afin  de  la  mettre  en  mesure 
d'apprécier  sainement  les  offres  qui  pourraient  venir  de  Lon- 
dres et  d'appuyer  de  tout  son  pouvoir  les  efforts  que  ne  peut 
pas  ne  pas  faire  notre  gouvernement  pour  régler  définitivement 
les  difficultés  pendantes  depuis  de  si  longues  années. 


Notre  colonie  se  compose  des  deux  îles,  Saint-Pierre  et 
Miquelon,  séparées  l'une  de  l'autre  par  un  canal  de  5  à  6  kilo- 
mètres de  largeur. 

Miquelon  elle-même  est  double  et  formée  de  deux  îlots  aux 
formes  massives,  tous  deux  situés  sur  un  môme  méridien. 
L'îlot  Nord,  Grande  Miquelon  ou  Miquelon  tout  simplement,  est 
d'une  superficie  d'un  peu  plus  H. 400  hectares.  L'îlot  Sud, 
nommé  Petite  Miquelon  ou  Langlade,  a  9.000  et  quelques 
hectares.  Une  bande  de  sables  de  10  kilomètres  de  long  et  de 
4  à  500  mètres  de  large  relie  ces  deux  îlots.  Cet  isthme  était,  à  la 
fin  du  xviii*  siècle,  percé  d'un  chenal  accessible  aux  embarca- 
tions. Aujourd'hui,  il  n'en  est  plus  de  même;  l'on  peut  aller  à 
pied  sec  de  Langlade  à  Miquelon. 

Dans  sa  partie  Nord,  à  son  point  de  jonction  avec  Miquelon, 
cet  isthme  s'épanouit  pour  abriter  derrière  ses  dunes  un  grand 
bassin  dit  le  «  Barrachois  de  Miquelon  »  qui,  dans  l'Est,  com- 
munique constamment  avec  la  mer  par  un  chenal  très  court 
pouvant,  en  certaines  circonstances  de  marées,  donner  passage 
à  des  bâtiments  de  très  faible  tirant  d'eau. 

Le  goulet  franchi,  le  navire  trouve,  parfaitement  abritée,  une 
étendue  d'eau  de  3  kilomètres  de  long  sur  2  de  large,  offrant 
partout  des  fonds  de  3  à  S  mètres.  Ce  beau  lac  intérieur  est  le 
seul  point  qu'il  §erait  possible  de  transformer  en  un  port  très 
convenable,  mais  démuni  d'un  avant-port  abrité,  d'une  rade. 
Ce  très  gros  désavantage  a  seul  empêché  de  faire  les  petits  tra- 
vaux indispensables  et  peu  coûteux  que  nécessiterait  l'appro- 
fondissement du  goulet.  Le  besoin  ne  s'en  fait  pas  sentir  vive- 
ment. Cependant  si  Miquelon  sortait  de  l'abandon  dans  lequel 
nous  l'avons  laissée,  si  un  transit  venait  à  s'établir  entre  nos 
îles,  le  creusement  du  goulet  du  Barrachois  s'imposerait  pour 
permettre  la  circulation  des  bâtiments  qui  ne  pourraient  en 
toute  sécurité  effectuer  que  dans  le  lac  leurs  opérations  de 
chargement  et  de  déchargement. 

Les  assises  de  l'île  sont  formées  de  porphyres  pétro-siliceux 
violets  ou  rougeàtres  qui  donnent  aux  falaises  de  chauds  coloris 
lorsque  la  pluie  vient  en  raviver  les  teintes.  Ces  roches  sortent 
d'une  pièce  de  la  mer  et  n'offrent  aucune  découpure,  aucune 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON 


413 


anfractuosité  autorisant  le  navigateur  à  avoiîr  seulement  l'es- 
poir d'un  abri  complet.  La  côte  est  toute  en  hautes  falaises 
rébarbatives,  du  haut  desquelles  tombent  des  rafales  violentes 
dont  doivent  se  défendre  les  voiliers  qui  approchent  trop  près  la 
côte. 

Cette  particularité,  commune  d'ailleurs  à  tous  les  rivages 
abrupts  et  élevés,  puis  la  présence  de  l'isthme  de  sable  dont 
nous  avons  parlé  ci-dessus,  et  qu'il  est  très  malaisé  de  recon- 
naître la  nuit  ou  par  brume,  ont  été  la  cause  de  bien  des  nau- 
frages. De  là  est  venue  la  dénomination  populaire  de  «  Cime- 
tière des  goélettes  »  donnée  à  ces  rivages  peu  hospitaliers  qui 
ont  servi  de  tombeaux  à  deux  cent  deux  navires  perdus  de  i816 
à  1901.  Maintenant  deux  grands  phares,  un  sur  chacune  deB 
iles  Miquelon,  avertissent  le  navigateur  de  rapproche  de  la  terre 
ferme. 

Certes,  l'aspect  extérieur  n'a  rien  de  séduisant  et  le  marin 
qui  cherche  avant  tout  la  sécurité  pour  les  planches  qui  le  por- 
tent s'éloigne  de  cette  côte.  Telle  est  la  véritable  cause  de 
l'abandon  dans  lequel  est  restée  Miquelon  qui  ne  possède  encore 
aujourd'hui  qu'un  demi-millier  d'habitants.  Nous  allons  voir 
cependant  qu'une  ère  de  prospérité  semble  devoir  s'ouvrir 
pour  ce  petit  coin  de  la  terre  française.       * 

L'île  de  Saint-Pierre  est  de  be^iucoup  la  plus  petite  de  notv 
deux  îles  puisqu'elle  ne  couvre  que  2.600  hectares.  Bien  que  la 
nature  du  sol  et  du  sous-sol  de  Saint-Pierre  soit  identique  à  la 
nature  de  la  substructure  de  Miquelon,  la  formation  géologique 
de  ces  deux  îles  paraît  différente.  Miquelon  paraît  sortie  d'une 
première  et  unique  poussée  du  sein  des  flots;  après  quoi  le 
calme  a  régné.  Saint-Pierre  au  contraire  semble  avoir  été 
formée  par  une  série  de  petites  convulsions  sismiques,  élevanl 
un  cap  ici,  découpant  une  baie  là,  poussant  un  rocher  isolé  au 
loin  en  pleine  mer  ou  des  îles  plus  près  pour  fermer  la  rade.  Si 
cenestdans  le  Nord-Ouest,  face  à  Miquelon,  les  côtes  sont  moins 
abruptes.  De  petites  anses  offrent  durant  l'été  des  abris  aux 
nombreuses  embarcations  de  pèche  qui  exploitent  les  eaux 
territoriales;  les  rafales  sont  moins  dures.  La  rade  ouverte  au 
Xord-Est,  face  à  Terre-Neuve,  est  fermée  au  Nord-Ouest  par  h 
côte  même  de  l'île  qui  se  termine  au  cap  de  l'Aigle,  majestueux 
éperon  de  pierre  rouge;  à  l'Est,  par  Tîle  aux  Chiens,  long  rochi^r 
de  1.500  mètres  de  long  et  de  200  mètres  de  large  sur  lequel 
habite  une  population  de  650  âmes  ;  au  Sud-Ouest,  par  la  côti.^ 
de  Pîle  qui  dans  une  sinuosité  abrite  le  Barrachois;  enfin  an 
Sud-Est  s'ouvre  ime  petite  passe. 
Cette  passe  laisse  entrer  les  grosses  mers  d'hiver  jusque  dans 


414  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  £T  COLONULES 

le  port;  et  l'on  a  dû  s'en  défendre  en  construisant  un  brise- 
lames  en  pierres  sèches.  Seul  et  unique  travail  que  la  nature  a 
laissé  à  faire  aux  hommes  :  ceux-ci,  trop  à  Tétroit,  ont  eu,  il  est 
vrai,  à  creuser  un  chenal  de  200  mètres;  et,  plus  tard,  par  suite 
du  développement  de  l'armement,  ils  se  sont  trouvés  (et  se 
trouveront  encore)  dans  Tobligation  d'approfondir  le  Barrachois 
pour  augmenter  la  surface  d'ancrage. 

Mais  en  dehors  de  ces  travaux  de  très  minime  importance 
d'ailleurs  et  qui  ne  devinrent  nécessaires  qu'à  la  suite  du  pro- 
grès considérable  de  l'armement  local,  le  navigateur  n'a  rien  eu 
à  faire  pour  posséder,  en  la  rade  de  Saint-Pierre,  un  abri 
excellent  et  d'accès  aisé  pour  son  bâtiment. 

Cette  rade,  comme  nous  l'avons  dit,  se  continue  parle  Barra- 
chois où  trouvent  place  les  2i0  goélettes  saînt-pierraises.  Mais 
le  Barrachois  est  prolongé  lui-même  par  un  étang  envasé, 
soumis  à  la  marée;  quelques  travaux  de  dragage  suffiraient  à 
le  transformer  en  bassin  à.  flot.  L'utilité  ne  s'en  fait  pas  sentir 
pour  l'instant. 

Ce  qui  manque  à  Miquelon,  nous  le  trouvons  donc  ici,  et  cela 
explique  la  formation  de  la  ville  de  Saint-Pierre  sur  ce  véri- 
table rocher  moins  grand  dans  son  ensemble  que  le  Paris  de  la 
rive  gauche. 

Bref  le  marin  a  trouvé  là,  après  sa  longue  traversée  de  l'Atlan- 
tique, un  port  où  se  reposer...  Cela  fut  suffisant  pour  que  cette 
île  ne  pût  pas  ne  pas  ôtre  choisie  comme  centre  de  pêche  parles 
nombreux  voiliers  basques,  normands  et  bretons  qui  fréquen- 
tent ces  parages  depuis  avant  Christophe  Colomb.  Car  c'est  une 
chose  avérée  aujourd'hui  que  le  célèbre  Génois  fut  devancé  par 
nos  hardis  compatriotes  sur  le  continent  qui,  par  un  juste  retour 
des  choses  d*ici-bas,  ne  porte  pas  son  nom  malgré  toute  la  gloire 
qui  lui  revient.  Jean  Cousin,  maître  patron  de  Dieppe,  décou- 
vrit l'Amazone  en  1488,  quatre  ans  avant  que  Christophe  (]lolomb 
découvrit  le  San-Salvador.  Le  second  de  Cousin  s'appelait 
Pinçon.  Il  aurait  été  banni  à  son  retour  en  France  et  se  serait 
réfugié  à  Gênes,  où  il  aurait  retrouvé  Colomb  qui  l'a  emmené. 

Les  îles  Saint-Pierre  et  Miquelon,  situées  sur  la  latitude  de 
la  vallée  de  la  Loire  (47°),  sont  dotées  d'un  climat  froid.  La 
ligne  hisotherme  -h  5**  qui  les  traverse  passe  aux  îles  Pœroé 
par  62"  de  latitude.  Cette  difl'érence  considérable  entre  la  tempé- 
rature moyenne  de  notre  colonie  et  celle  du  centre  de  la  France 
est  due  à  la  non-influence  du  courant  du  Gulf  Stream  qui  laisse 
loin  dans  le  Nord  nos  malheureux  rochers  et  continue  sa  route 
pour  adoucir  le  climat  de  notre  douce  France. 

L'été  n'est  jamais  chaud;  les  ardeurs  du  soleil  sont  tempe- 


ILE  DE  SAriMT-PIERRE 
ET  LES  MIQUELON 


a  A>/, 


\ 


416  QUESTIONS   DIPLOMATIQUBS    BT   GOLOIOALBS 

rées  par  des  brumes  fréquentes.  L'hiver  est  long  et  froid;  le 
thermomètre  descend  parfois  jusque  —  1 8**  et  atteint  fréquem- 
ment chaque  hiver  — 10**  et  —  12**.  Cependant  les  gens  du  pays 
disent  que  depuis  quelques  années  le  climat  se  radoucit.  Ils  en 
donnent  pour  preuve  que  la  rade  autrefois  était  souvent  assez 
solidement  prise  par  les  glaces,  pour  que  des  traîneaux  à  che- 
vaux puissent  librement  circuler  entre  Saint-Pierre  et  l'île  aux 
Chiens.  La  chose  ne  s'est  pas  vue  depuis  de  longues  années. 

De  fin  novembre  à  fin  mars  la  neige  couvre  tout  le  pays  et 
ici  comme  partout  elle  est  un  bienfait  pour  la  terre  qu'elle  pro- 
tège des  rigueurs  du  froid. 

Au  cœur  de  Thiver,  lorsque  souffle  le  vent  sec  de  Nord-Ouest, 
la  neige  se  soulève  en  tourbillons  de  poussière  impalpable, 
elle  s'introduit  à  travers  fenêtres  et  portes  les  mieux  closes  et 
sous  le  nom  de  «  poudrin  »  devient  Tennemi  des  habitants 
emprisonnés  chez  eux.  Ces  tempêtes  peu  fréquentes  sont  tou- 
jours suivies  d*un  temps  sec  et  calme  qui  permet  aux  Saint- 
Pierrais  de  se  livrer  aux  plaisirs  du  patinage,  de  la  chasse  aux 
canards,  éders,  oies  sauvages  qui  abondent  sur  les  étangs 
glacés  et  sur  les  rivages. 

Les  vents  de  Sud-Est  amènent  une  élévation  de  température, 
mais  aussi  la  pluie  et  la  brume.  C'est  en  juin  et  juillet  que  la 
brume  est  la  plus  fréquente  au  grand  dam  de  nos  pêcheurs. 

En  résumé,  le  climat  est  froid,  mais  parfaitement  sain. 

Sur  ce  sol  rocailleux,  sur  ces  collines  de  130  à  200'mètres 
d'altitude,  sous  ce  climat  inclément  que  peut  produire  la  terre? 
D'abord  en  existe- t-il  ?  Malheureusement,  non  sur  Saint-Pierre, 
mais  quelque  peu  sur  Miquelon. 

Le  rocher  de  Saint-Pierre  est  recouvert  d'une  couche  de 
tourbe  dont  l'imperméabilité  retient  l'eau  de  pluie,  ce  qui  est 
cause  de  l'existence  de  nombreux  étangs.  Sur  cette  tourbe 
pousse  une  mousse  très  épaisse,  des  lichens  et  un  peu  d'herbe 
que  paissent  quelques  bestiaux  :  vaches  laitières,  moutons  et 
bœufs  qui  attendent  l'abattoir.  Puis  sur  les  collines,  entre  les 
rochers,  rampe  un  arbrisseau  rabougri,  aux  branches  tordues, 
de  la  famille  du  pin.  Parfois,  dans  les  endroits  abrités  du  veut, 
au  fond  des  ravins  cet  arbrisseau  atteint  1  mètre  à  1"50  de 
hauteur  et  voilà  toute  la  flore  de  Saint-Pierre.  Durant  l'hiver, 
le  pays  est  couvert  de  neige  et  parfois  de  glace;  l'on  marche 
alors  indlfl'éremment  sur  les  étangs  glacés  ou  sur  la  brousse 
comme  sur  les  prairies  et  les  routes  gelées. 

Miquelon,  mieux  partagée  que  Saint-Pierre,  mais  lui  ressem- 
blant étrangement  avec  ses  collines  rocheuses  de  250  mètres 
d'altitude  et  ses  nombreux  étangs,  a   suffisamment  de  terre 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON  417 

pour  permettre  la  création  de  véritables  établissements  agri- 
coles spécialisés  à  Télève  du  bétail,  des  animaux  de  basse-couc, 
ainsi  qu'ù  la  production  de  certains  légumes.  Rien  de  sérieux' 
n'a  été  fait  jusqu'à  présent  dans  cet  ordre  d'idées.  L'île  est 
restée  en  friche.  Des  centaines  d'hectares,  uniquement  à  Tétat 
nature,  sont  un  habitat  superbe  pour  les  perdrix  blanches  et  les 
lapins  qui  peuplent  presque  seuls  ce  pays.  Ils  y  ont  pullulé. 
Mais  maintenant   les  Saint-Pierrais  font  à  ces  animaux  une 
chasse  qui  ne  cesse  pas  que  d'être  destructive.  L'administration 
a  bien  établi  Tobligation  du  permis  de  chasse  de  10  francs;  elie 
fixe  bien  une  date  d'ouverture  et  de  fermeture  de  la  chasse. 
Mais  trois  gendarmes  sont  les  seuls  représentants  de  Tautorité 
et  ne  peuvent  empêcher  la  destruction  du  gibier.  A  Saint-Pierre 
comme  en  France  ce  n'est  pas  le  fusil  qui  détruit  le  gibier, 
mais  le  braconnier  au  printemps.  Certes  les  lièvres,  perdreaux, 
lapins  constituent  une  richesse  qu'il  est  bon  de  protéger,  mais  le 
pos'^esscur  d'une  terre  qui  ne  retire  que  ce  produit  ne  sait  pas 
exploiter  son  bien  et  c'est  le  cas  des  nombreux  concessionnaires 
qui  se  sont  présentés  pour  recevoir  gratuitement  des  mains  de 
r.idministration  des   surfaces   de    terrain   considérables  qu'il 
leur  suffisait  d'enclore  —  et  de  quelle  manière  rudinaentaiLpe! 
—  pour  en  devenir  légitimes  propriétaires. 

De  nombreux  ruisseaux,  peuplés  de  truites,  sillonnent  tout  le 
pays.  Ils  permettraient  l'irrigation  aisée  de  vastes  prairies.  Des 
bois  étendus  et  de  la  brousse  assurent  dès  maintenant  uncliauf- 
fa;:e  économique  et  les  matériaux  nécessaires  pour  la  coastruc- 
tiun  de  maisons  et  hangars. 

Tout  le  sol  est  couvert  d'une  végétation  rare  et  très  serrée. 
Des  mousses,  des  lichens,  des  petites  plantes  aux  feuilles  dures 
^i  aussi  de  l'herbe  forment  au  sol  peu  profond  un  tapis  épais 
»»t  moelleux  dans  lequel  le  pied  enfonce.  Le  sommet  des  col- 
lines est  dénudé  et  de  place  en  place  la  roche  apparaît  enlevant 
tout  espoir  d'un  labour  profond.  Quelques  très  rares  bestiaux 
trouvent  là  une  très  ample  nourriture  que  l'on  regrette  de  ne 
p;is  voir  utiliser.  Un  simple  labour  qui  mettrait  à  nu  les  racines 
Jes  mauvaises  herbes,  quelques  journées  de  soleil  pour  dessé- 
cher et  le  feu  pour  transformer  en  cendres  ces  masses  herba- 
cées, et  l'on  engraisserait  la  terre  ;  on  la  rendrait  capable  de 
faire  fructifier  les  graines  qu'on   lui  confierait    :   pommes  de 
ttTre,  choux,  prairies...  Les  minimes  exploitations  agricoles  des 
p»*cheurs  et  habitants  perdus,  isolés,  dans  tous  les  trous  de  la 
cùle  sont  une  preuve  flagrante  de  la  possibilité  d'exploitation 
agricole  de  nos  îles.  Dès  que  les  premiers  rayons  du  soleil  de 
printemps  ont  découvert  la  terre  de  son  manteau  de  neige  ppo- 

QoBST.  Dipf..  BT  Col.  —  t.  xv.  27 


418  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES    ET    COLONIALES 

tectear,  la  végétation  se  développe  avec  une  vitesse  inconnue 
dans  des  pays  plus  tempérés.  La  puissance  de  la  végétation  est 
si  grande  dans  ces  terres  vierges  que  plusieurs  récoltes  de 
fourrage  sont  possibles  malgré  la  brièveté  des  beaux  jours. 
Cela  donne  à  penser  que  les  ressources  naturelles  ne  manquent 
pas  totalement.  «  C'est  le  fond  qui  manque  le  moins  ». 

Un  membre  du  hardi  petit  peuple  qui  fut  des  premiers  à 
fréquenter  ces  parages,  M.  L.  de  Bayonne,  avec  un  esprit  d'ini- 
tiative qu'on  ne  saurait  trop  louer,  va  tenter  de  faire  sortir  de 
terre  les  richesses  qu'elle  recèle  et  rendre  la  population  de 
Saint-Pierre  indépendante,  en  partie  seulement,  de  la  colonie 
du  Canada  en  ce  qui  touche  sa  subsistance. 

Aujourd'hui  les  fruits,  les  légumes,  la  viande,  le  pain...  tout 
vient  de  Sydney  (Cap-Breton),  de  Halifax  ou  de  Boston.  Saint- 
Pierre  n'a  pas  huit  jours  à  vivre  sur  elle-même.  Cette  situation 
déplorable  à  tous  égards  est  en  voie  de  changer  et  Ton  peut  espé- 
rer que  dès  1904  les  jardins  potagers  et  les  troupeaux  seront 
suffisants  sur  Miquelon  pour  assurer  le  ravitaillement  de  la 
population  saint-pierraise  en  gros  légumes  et  viandes  tout  au 
moins.  Quant  au  blé,  il  n'y  a  guère  lieu  d'y  songer,  pour  le 
moment  comme  pour  l'avenir;  les  farines  américaines  sont  à  si 
bon  compte  et  si  près!  Mais  qu'est-ce  qu'un  agriculteur  en  face 
des  20.000  hectares  disponibles  sur  la  Grande  et  la  Petite  Mique- 
lon !  Ici  comme  partout,  il  faut  quelques  capitaux,  des  bras  et 
une  énergique  initiative. 

Pendant  quelque  temps  on  espéra  trouver  dans  le  sous -sol 
une  compensation  à  la  pauvreté  de  la  surface.  I/espoir  de  rencon- 
trer un  affleurement  de  la  colossale  couche  de  charbon  qui  forme 
le  terrain  même  de  l'île  du  Cap-Breton  s'était  fait  jour...  Mais 
des  fouilles,  des  recherches,  des  analyses  poursuivies  aussi  bien 
sur  place  qu'à  l'Ecole  des  mines  ne  dévoilèrent  aucune  mine  de 
quoi  que  ce  soit.  On  crut  un  moment  avoir  trouvé  de  l'or.  De 
rares  parcelles  d'un  beau  jaune  brillaient  dans  le  caillou...  ce 
n'était  que  du  cuivre.  On  cite  quelques  pauvres  minières  de 
terre  de  Sienne,  d'ardoise,  de  fer,  mais  si  peu  riches  qu'on  ne  les 
exploite  pas. 

Tristes  pays,  dira-t-on!  Eh  oui  !  !  La  nature,  quf  a  si  libéra- 
lement fait  les  choses  pour  certaines  îles,. a  réellement  bien  mal 
présidé  à  la  naissance  de  nos  pauvres  îlots  vêtus  de  neige,  battus 
par  la  tempête  l'hiver,  enveloppés  de  brume  l'été.  Mais  la  ierre 
n'est  pas  tout. 

Si  la  nature  n'a  pas  donné  à  ces  pays  terre -neu viens  le  mer- 
veilleux décor  des  îles  fortunées  des  Antilles  et  de  TOcéanie,  elle 
a  doté  les  eaux  environnantes  d'une  richesse  telle  qu'elle  peut 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUBLON  419 

être  comparée  aux  plus  riches  mines  du  monde  :  d'or,  de  dia- 
mant, d'argent,  de  charbon  ou  de  fer.  Richesse  telle  que  des 
milliers  d'hommes  vivent  de  son  exploitation  depuis  deux 
cents  ans.  Cette  richesse,  c'est  la  morue,  dont  la  capture,  la 
préparation,  le  transport  assurent  rien  qu'en  France  le  travail 
d'une  quinzaine  de  mille  hommes  et  l'existenee  de  quatre-vingt 
mille  personnes  peut-être. 

La  mer  est  une  mine  qui  peut  être  rendue  inépuisable,  si  son 
exploitation  est  intelligemment  réglementée.  Avantage  précieux 
sur  toute  autre  mine.  Déjà  des  règlements  internationaux  sont 
intervenus  pour  empêcher  la  destruction  du  phoque  dans  les 
mers  de  Behring  et  du  Labrador.  Peut-être  sous  peu  cet  exemple 
devra-t-il  être  suivi  si  Ton  ne  veut  pas  voir  la  morue  disparaître 
delà  côte  de  Terre-Neuve  aussi  bien  que  des  bancs.  A  l'heure 
actuelle,  la  morue  se  fait  rare  sur  la  côte  Est  de  Terre-Neuve  et 
diminue  de  grosseur  sur  les  bancs  au  grand  détriment  de  tous  : 
Français,  Anglais,  Américains.  La  situation  ne  peut  qu'empirer, 
car  la  chasse  qui  est  donnée  à  ce  très  précieux  poisson  est  plus 
impitoyable  que  jamais.  Le  nombre  des  navires  augmente  chaque 
année  si  les  moyens  ne  se  perfectionnent  guère. 

L'inépuisement  des  fonds  de  pêche  devra-t-il  être  obtenu  par 
le  repeuplement  artificiel,  ou  par  une  restriction  dans  la 
destruction,  ou  par  les  deux  moyens  réunis?  Nous  ne  saurions 
le  dire.  La  question  sort  d'ailleurs  de  notre  compétence.  Mais 
il  nous  parait  à  peu  près  certain  que  d'ici  une  époque  qui  peut 
ne  pas  être  très  éloignée,  une  réglementation  devra  voir  le  jour. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'exploitation  de  la  mer  a  attiré  des  Fran- 
çais depuis  plus  de  deux  siècles,  les  attire  toujours;  nous  allons 
voir  ce  qu'ils  ont  fait,  comment  ils  opèrent. 


LA    VILLE   DE    SAINT-PIERRE 

Le  centre  commercial  de  la  pêche  est  la  ville  de  Saint-Pierre, 
construite,  ainsi  que  nous  l'avonsdit,  aufond  d'une  baie  spacieuse 
et  parfaitement  abritée. 

Venant  du  Sud,  le  voyageur  aperçoit  tout  d'abord  des  écueils, 
d^?5  roches  et  les  collines  dénudées  de  Tîle  surmontées  par  le 
grand  phare  de  Galantry.  Puis  peu  à  peu  les  lignes,  les  détails  se 
précisent  et  une  annexe  de  Saint -Pierre  apparaît  :  un  faubourg 
i'iolé  en  mer,  un  groupe  de  maisons  sur  la  crête  de  Tîle  aux 
Chiens  dominé  par  le  clocher  blanc  d'une  petite  église  blanche. 


420  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Cinq  cents  habitants  vivent  là,  dans  des  maisons  de  planches 
peintes  en  gris  clair  qui  s'alignent  sur  deux  rangs  pendant  près 
d'un  kilomètre.  Ces  maisons  espacées  les  unes  des  autres  laissent 
voir  entre  elles,  pour  ainsi  dire  en  transparence,  TOcéan  qui, 
comme  fond,  tire  impeccablement  sa  grande  ligne  d'horizon 
immuable.  Et  cela  n'est  pas  banal  que  ce  bourg  bâti  dans  la 
mer,  h  peine  surélevé  de  quelques  mètres  au-dessus  des  hautes 
eaux  et  si  proches  de  la  grève,  devant,  derrière,  que  les  maisons 
reçoivent  toujours  des  embruns  de  quelque  côté  que  vienne  la 

temnète. 

En  France,  une  île  est  comparable,  en  plus  petit:  c'est  l'île  de 
Sein,  dont  les  habitants  vous  disent  froidement:  «  Tôt  ou  tard  la 
«  mer  viendranous  chercher  dans  notre  lit.  »  Et  de  fait  la  mer  a 
déjà  enlevé  des  parties  de  l'île,  des  maisons;  à  ce  point  que  cer- 
tains ont  songé  à  l'évacuation  d'office  de  l'île  de  Sein.  «  D'oflice», 
certainement,  car  les  hommes  qui  habitent  ces  îlots  perdus  dans 
les  Ilots  aiment  la  mer  par-dessus  tout.  Us  l'aiment  dans  sa 
fureur  comme  dans  ses  calmes  ;  ils  ne  peuvent  se  rassasier  du 
spectiicle  toujours  changeant  qu'elle  offre  aux  spectateurs,  qui 
simplement  se  donnent  la  peine  d'ouvrir  les  yeux  à  la  succession 
ininterrompue  de  décors  toujours  variés,  produits  par  le  passage 
d'un  nuage,  d'une  nuée  dans  le  ciel,  d'une  ride  sur  la  mer.  Ils 
l'aiment  celte  mer  qui  demain  sera  leur  tombeau,  plus  que  le 
paysan  n'aime  sa  terre;  et  ils  l'aiment,  d'autant  plus  qu'elle 
résiste  h  leurs  efforts  pour  lui  arracher  ses  richesses. 

Peu  à  peu  le  navire  se  rapproche  et  va  donner  dans  la  passe 
du  Sud-Est  balisée,  éclairée  par  deux  feux  de  port.  Alors  s'étale 
devant  vos  yeux  le  panorama  de  la  rade  et  de  la  ville. 

La  rade  remplie  de  voiliers  :  goélettes  locales,  bricks  et  trois- 
inats  métropolitains,  au  milieu  desquels  circulent  de  nom- 
breuses embarcations.  ,    ,         . 

La  ville,  qui  s'étend  à  droite  en  un  long  faubourg,  le  long  de 
la  route  du  Cap  fi  l'Aigle,  étage  ses  maisons  sur  les  pentes  de  la 
montagne,  les  aligne  serrées  sur  les  quais  du  Barrachois, 
enfin  égrène  les  dernières  jusque  sur  les  pentes  du  cap  Noir  et 
de  Galantry.  La  colline  du  Calvaire  qui  domine  la  ville  est 
dominée  elle-même  par  la  Montagne,  nom  quelque  peu  pré- 
tentieux donné  par  les  Saint-Pierrais  aux  accumulations  de 
pierres,  aux  éboulis  de  roches  qui  ne  dépassent  pas  200  mètres 
d'altitude  et  forment  tout  le  terrain  de  l'île. 

La  population  sédentaire  est  de  plus  de  5.000  habitants  doni 
900  Anglais;  mais,  en  été,  cette  population  est  augmentée  duii 
milliers  d'àmes  et  plusieurs  mille  autres,  vivant  en  mer,  en 
dépendent  en  fait. 


SAINT-PIERRE    ET   MIQUELON  421 

Les  habitations,  toutes  bâties  en  bois  du  Canada,  sont  bien 
comprises,  bien  défendues  contre  le  froid  de  par  leur  système 
de  construction.  Celles  des  armateurs,  des  négociants,  la  plupart 
autrement  dit,  sont  chauffées  d'une  manière  parfaite,  grâce  à 
un  système  américain  de  circulation  de  vapeur  fournie  par  le 
fourneau  de  la  cuisine  placé  au  rez-de-chaussée  ou  dans  le  sous- 
sol.  L'eau  chaude  est  économiquement  distribuée  à  la  salle  de 
baios,  aux  cabinets  de  toilette. 

Les  rues  se  coupent  à  angle  droit;  elles  sont  bien  alignées, 
empierrées  et  d'un  aspect  non  coquet,  mais  propre.  La  ville  est 
wlairéeà  Télectricité,  et  le  téléphone  relie  toutes  les  principales 
maisons  de  commerce.  Bref,  Taisance  est  apparente  et  bien  des 
petites  villes  de  France,  de  plus  de  5.000  habitants,  n'offrent 
pa^  les  commodités  de  cette  bourgade  perdue  au  milieu  de 
l'Océan. 

Deux  câbles  télégraphiques  la  relient  à  Brest.  L'un  apparte- 
oant  à  une  Compagnie  anglaise,  l'autre  à  une  Compagnie  fran- 
çaise. Par  celui-ci  arrivent  journellement  les  nouvelles  de  France. 
Jusqu'à  cette  année,  tout  le  personnel  de  notre  câble,  sauf  un 
^ul  employé  arrivé  depuis  deux  ans,  était  anglais.  La  chose 
menaçait  de  durer  encore  longtemps,  lorsque  le  directeur  vint 
i  commettre  un  vol.  L'administration  de  Paris  s'est  vue  alors 
dans  l'obligation  de  s'en  séparer  et  l'a  remplacé  par  un  Fran- 
çais. Inutile  de  qualifier  la  triste  situation  dans  laquelle  se 
trouvait  la  France. 

En  sus  de  ces  relations  directes  télégraphiques  avec  la  mère- 
patrie,  Saint-Pierre  communique  bi-hebdomadairement  avec 
SjJney  (Cap-Breton)  par  un  vapeur  français.  Cela  est  incontes- 
tablement peu  et  il  serait  fort  à  désirer  qu'un  service  postal 
réifulier  fonctionnât  chaque  semaine  pour  apporter,  au  moins 
pendant  six  à  huit  mois  de  l'année,  les  courriers  déposés  à 
New-York  par  la  malle  du  Havre. 

Kn  sus  un  service  côtier  pourrait  être  fait  entre  notre  colonie 
•*t  Plaisance,  sur  la  côte  Sud  de  Terre-Neuve,  pour  profiter, 
iifike  au  chemin  de  fer  qui  relie  cette  côte  Sud  à  la  capitale, 
'Jes  vapeurs  qui  passent  fréquemment  à  Saint-Jean.  En  cela  il 
ne  faut  pas  être  trop  exigeant,  car  le  trafic  commercial  de  cette 
ii^^le  ne  couvrirait  pas  les  frais.  Mais  le  minimum  à  exiger 
>erail  un  service  hebdomadaire  avec  l'Amérique,  Boston,  Hali- 
fax ou  Sydney.  L'occasion  d'ailleurs  s'en  présente,  puisque  le 
traité  postal  passé  entre  le  gouvernement  et  la  Société  conces- 
>ionnaire  vient  d'arriver  à  expiration.  Réellement  cela  ne 
î^mble  pas  demander  beaucoup  qu'à  sept  jours  de  France,  en 
ligne  directe  on  reçoive  ses  correspondances  chaque  huitaine. 


422  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES    ET  COLONIAL^ 

En  {général,  les  ressources  de  la  ville  sont  assez  restreintes. 
On  trouve  Tindispensable  et  rien  de  plus.  Les  boutiques  sont 
médiocrement  pourvues.  Notre  colonie  est  entièrement  tribu- 
taire de  l'Amérique  pour  son  alimentation. 

Une  manufacture  transforme  la  farine  américaine  en  biscuit 
de  mer;  une  autre  fabrique  des  vêtements  imperméables  à 
l'usage  des  pôcheurs  ;  une  troisième  fournit  de  la  peinture  pour 
la  carène  des  navires.  A  ces  trois  petites  usines  il  faut  Joindre 
un  grand  chantier  de  réparations  de  navires  en  bois;  deux  bers 
ou  cales  de  halage  pour  les  caréner;  un  fondeur,  forgeron,  mé- 
canicien et  Ton  aura  fait  le  tour  de  l'industrie  locale.  Je  passe 
sous  silence,  bien  entendu,  toutes  les  petites  professions  indus- 
trielles indispensables  à  toute  agglomération  telles  que  maitres- 
maçons,  serruriers,  tonneliers.  La  matière  première  provient 
entièrement  de  l'extérieur. 

Le  bois  faisant  défaut,  nos  armateurs  achètent  leurs  goélettes 
en  Amérique,  où  elles  sont  fort  bien  construites  et  à  très  bon 
marché;  ils  se  contentent  de  les  réparer  l'hiver.  La  francisation 
de  ces  navires  étrangers  ne  coûte  que  0  fr.  09  par  tonneau  de 
jauge,  mais  Tacte  coûte  10  francs  :  ce  prix  minime  ne  peut 
mettre  obstacle  à  l'armement  local  qui  se  développe,  il  explique 
la  non-présence  d'un  chantier  de  construction  dans  un  port 
d'armement  actif. 

La  ville  est  fort  bien  alimentée  en  eau.  Celle-ci  provient  des 
nombreux  étangs  que  l'on  rencontre  partout  dans  la  Montagne 
et  dont  quelques-uns  ont  été  captés  par  l'administration  locale 
et  entourés  d'une  barrière  pour  empêcher  que  Veau  n'en  fût 
souillée  par  les  habitants  ou  les  animaux. 

Ce  qui  étonne  le  plus  l'arrivant,  peut-être,  c'est  Tabsence 
totale  d'arbres.  On  cite,  et  l'on  va  voir  comme  une  curiosité, 
sur  la  route  de  Gueydon,  le  jardin  d'un  grand  armateur  qui  a 
réussi,  en  vingt-cinq  ans  de  séjour,  à  faire  pousser  une  demi- 
douzaine  d'arbres  autour  de  sa  maison.  Us  ont  maintenant  6  à 
7  mètres  de  haut  et  semblent  trouver  suffisante  la  terre  qu'à 
force  de  patience  et  de  travail  Ton  a  confectionnée  à  leur  inten- 
tion. Par-ci  par-là  on  trouve  un  jardinet  de  quelques  mètres, 
produisant  des  légumes  dont  la  culture  sert  de  distraction  à 
l'armateur  ou  au  pêcheur. 

Pour  sortir  de  la  ville,  plusieurs  routes  carrossables  se  pré- 
sentent à  nous  : 

Dans  le  Nord,  la  route  de  Gueydon  ou  route  du  Cap  à  l'Aigle, 
qui,  accrochée  aux  flancs  de  la  Montagne,  domine  toute  la 
rade.  Elle  est  abritée  des  vents  du  Nord,  court  entre  les  habi- 
tations de  riches  armateurs  et  borde  de  nombreuses  graves. 


SAINT-FIEURË   ET   MIQUELON  4^3 

Ces  graves  que  nous  rencontrerons  partout  ne  sont  autre 
chose  que  des  surfaces  de  terrain,  plan  ou  très  en  pente,  peu 
importe  d'ailleurs,  recouvert  de  gros  galets  sur  lesquels  la 
morue  est  mise  à  sécher.  Chaque  gros  armateur  a  ses  graves 
situées  aux  environs  immédiats  de  son  habitation  ou  de  ses 
magasins. 

La  route  de  Gueydon  se  termine  au  bel  éperon  qui  ferme  la 
rade  dans  le  Nord,  à  la  belle  falaise  rouge  du  Cap  à  TAigle. 

Dans  le  Sud-Ouest,  une  large  route  traverse  Tîle  et  mène  à  ,  1 

l'étang  du  Savoyard.   Cette  route  est  dite,  dans  sa  première  .  i 

moitié,  route  de  VIphigénie,  puis  elle  prend  le  nom  de  route  I 

de  la  Cléopdtre,  du  nom  des  navires  dont  les  commandants  ! 

furent  gouverneurs  de  l'île  et  que  montaient  les  marins  qui 
firent  les  terrassements.  Au  sommet  de  sa  course,  la  route 
sélargit  en  un  rond-point  au  milieu  duquel  se  dresse  une 
modeste  pyramide  destinée  à  rappeler  la  mémoire  des  hommes  I 

qui  s'employèrent  à  développer  les  colonies  économiquement  1 

et  sans  bruit.  i 

Une  autre  voie  a  été  tracée  par  les  matelots  de  la  Cana- 
dienne  et  porte  le  nom  de  leur  navire.  Elle  contourne  la  rade, 
tile  à  travers  des  graves  et  conduit  au  phare  de  Galantry.  En 
sus  de  cette  dizaine  de  kilomètres  de  route,  on  ne  trouve  plus 
que  des  chemins  rocailleux,  à  peine  tracés  dans  la  Montagne  et 
suivis  uniquement  par  les  bestiaux  et  les  voitures  à  bœufs  qui 
transportent  en  ville  quelques  fagots,  quelques  pierres.  j 

Le  long  de  la  route  du  Savoyard  se  succèdent  deux  douzaines 
depetites  maisons  de  campagne,  —  des  bastides,  dirait  un  Méri- 
dional, —  qui  servent  de  but  de  promenade  à  leur  propriétaire 
le  dimanche.  En  été,  le  déjeuner  sur  l'herbe,  le  plaisir  de  la 
balançoire  sont  la  saine  récompense  du  labeur  de  la  semaine! 
Autour  de  quelques-unes  d'entre  elles  on  a  transformé  en 
prairie  5  ou  6  hectares  de  terrain  limités  aux  pentes  toutes 
proches  des  collines  qui  ne  peuvent  admettre  entre  leurs 
roches  que  de  la  brousse. 

Aux  extrémités  de  chacun  des  chemins  de  Tile,  on  trouve  un 
SToupe  de  cabanes  habitées  Tété  par  les  pécheurs  de  Tile  aux 
Chiens  qui  viennent  là  pour  être  plus  à  proximité  de  leurs  lieux 
depAche.  En  hiver,  ces  cabanes  sont  presque  toutes  abandon- 
nées. 

L'Administration  de  notre  colonie  est  des  plus  simples.  A  sa 
t^te,  un  gouverneur,  homme  politique  changeant  assez  fré- 
quemment et  vivant  peu  au  milieu  de  sc^s  administrés.  Il  est 
assisté  d'un  conseil  privé  de  trois  membres  qui  est  en  même 
temps  conseil  d'administration.  Ces  trois  membres  sont  le  chef 


424  QUESTIONS   DIPLOMATIOUKS' BT   COLONIALKS 

des  services  administratifs,  le  chef  du  service  judiciaire  et  un 
conseiller  privé  choisi  parmi  les  commerçants  ou  armateurs 
influents.  A  côté  du  gouverneur  se  trouve  le  service  de  Tinté- 
rieur  chargé  de  la  police  générale,  de  la  perception  des  contri- 
butions et  impôts  de  toutes  sortes,  de  Tordonnancement  des 
dépenses  de  la  colonie.  Enfin,  la  justice  est  représentée  par  un 
conseil  d'appel,  un  tribunal  criminrf,  un  tribunal  de  première 
instance,  un  tribunal  de  commerce  et  des  juges  de  paix. 

Le  personnel  est  heureusement  fort  réduit;  les  mêmes  juges 
se  trouvent  parfois  être  membres  des  juridictions  successives. 

L'administration  maritime,  dont  l'importance  est  considé- 
rable, y  est  représentée  par  un  commissaire  de  première  classe 
des  colonies.  Les  douanes,  l'administration  des  phares,  Fassis- 
tancè  publique,  Tinslruction  publique...  ont  chacun  leur  ser- 
vice en  fonctionnement  et  ne  laissant  rien  à  désirer. 

Aridité  du  sol,  austérité  de  l'existence;  en  résumé,  rien  de 
riant  dans  ce  pays.  Malgré  cela,  une  population  entreprenante, 
intelligente,  active  et  travailleuse  vit  sur  ce  rocher  perdu  de 
l'exploitation  de  la  mer.  Bretons,  Normands,  Basques  y  appor- 
tent leurs  qualités  si  diverses  et  maintiennent  dans  ces  parages 
du  monde  les  nobles  traditions  des  grands  ancêtres  des  siècles 
passés  qui  sont  la  gloire  de  la  France. 

La  mer  est  partout.  De  tous  côtés,  on  la  voit,  on  la  sent,  on 
l'aime,  car  elle  crée  la  vie.  Transplantez  ce  rocher  au  milieu 
des  riches  plaines  de  France  et  pas  un  homme  ne  consentira  à 
y  planter  sa  tente.  Perdu  au  contraire  dans  cette  mer  brumeuse 
et. sauvage,  5  à  6.000  âmes  l'hiver,  10.000  Tété,  y  trouvent  sur 
ce  rocher  à  gagner  leur  vie  et  celle  de  milliers  d'autres  exis- 
temces,  car  il  est  le  centre  d'exploitation  de  la  plus  riche  mine 
du  monde. 

*  * 

LES    LIKUX    DE    PÊCHE 

Les  principaux  emplacements  où  se  capture  actuellement  la 
morue  sont  les  bancs  dits  de  Terre-Neuve.  Ils  tiennent  ce  nom 
de  la  grande  île  dont  ils  sont  à.  proximité.  Ces  bancs  sont  de 
très  vastes  plateaux  sous-marins  sur  lesquels  la  sonde  donne 
moins  de  100  mètres  d'eau,  tandis  que  tout  à  leurs  alentours 
la  sonde  accuse  des  fonds  de  500  mètres;  et  quelques  milles 
marins  *  plus  loin,  des  fonds  de  3  à  4.000  mètres. 

Quand  on  vient  de  France  et  que  Ion  navigue  par  une  lati- 

*  Un  mille  marin  vaut  i.832  '^iiètres. 


SAINT-PIERRE   ET   MÏQUELON  4^5 

ludetrès  Nord,  on  rencontre  un  petit  banc  dît  «  le  Bonnet  fla- 
mand »  par  47**  de  longitude  et  47**  de  latitude.  Ce  haut  fond 
est  renommé  par  la  grosseur  des  morues  que  Ton  y  pt^che.  Mais 
son  éloigneraent  de  Saint-Pierre,  la  grande  profondeur  de  Teau 
qu'on  y  trouve  (450  à  200  mètres  d'eau)  qui  nécessite  de  très 
longues  touées  de  câble  ne  permettent  guère  qu'à  de  grands 
navires  de  la  pratiquer.  Quelques  trois-màts  de  Fécamp  s'y 
arrj'lent  parfois  au  début  de  la  saison. 

Plus  loin  dans  l'Ouest,  le  navigateur  rencontre  le  «  Grand 
Banc  »  qui  s'étend  entre  le  51"  etle57*'  degré  de  longitude,  le  44® 
elle  47*  degré  de  latitude.  Ce  vaste  plateau  a  la  forme  générale 
d'un  triangle  et  couvre  environ  H5.000  kilomètres  carrés.  Les 
fonds  y  varient  entre  50  et  400  mètres.  C'est  le  lieu  de  pèche  le 
plus  fréquenté. 

Puis,  continuant  de  courir  vers  TOuest,  on  rencontre  des 
bancs  de  petite  étendue;  ce  sont  le  «  Banc  à  Vert  »,  le  «  Banc  de 
Saint-Pierre  »  au  Xord  duquel  se  trouve  notre  colonie,  le 
«  Banc  de  Misaine  »,  puis  plus  au  Sud  le  «  Banquereau  »  et 
le  banc  de  Tîle  de  Sable. 

Ces  hauts  fonds  successifs  sont  séparés  les  uns  des  autres  par 
des  fossés  de  150  à  300  mètres  de  profondeur  que  les  pécheurs 
ne  fréquentent  presque  jamais. 

Bien  entendu,  nous  sommes  ici  en  pleine  mer  où  la  liberté 
est  la  plus  complète.  Anglais,  Américains,  Français  s'y  rencon- 
trent. Chaque  place  est  au  premier  occupant.  Il  y  a  place  pour 
tous. 

Comme  lieux  de  pèche  en  pleine  mer,  on  doit  ensuite  citer  le 
golfe  du  Saint-Laurent,  c'est-à-dire  toute  l'étendue  d'eau  com- 
prise entre  les  côtes  du  Labrador,  de  Terre-Neuve,  de  l'île  du 
Cap-Breton,  de  l'île  du  Prince-Edouard  et  d'Anticosti.  Les 
goélettes  de  Saint-Pierre  fréquentent  ces  parages  au  début  de 
la  saison,  lorsque  le  mauvais  temps  est  encore  trop  à  craindre 
sur  les  bancs.  Elles  suivent  le  poisson  dans  ses  déplacements 
jusque  sur  la  côte  du  French  Shore,  trouvent  au  besoin  dans 
les  baies  de  cette  côte  un  abri  autorisé  et  poissonneux.  Elles 
appellent  cela  «  défiler  le  golfe  ». 

Viennent  ensuite  les  eaux  territoriales  :  en  première  ligne, 
la  bande  de  3  milles  de  mer  qui  entoure  nos  possessions  de 
Saint-Pierre  et  de  Miquelon,  et  dans  laquelle  tous  droits  de 
p<*cho  sont  très  strictement  réservés  à  nos  nationaux  sans 
contestation  possible.  En  second  lieu,  le  French  Shore,  ou 
Rivage  français  de  Tîle  anglaise  de  Terre-Neuve.  C'est  une 
longue  étendue  de  côte  d'environ  1.000  kilomètres  qui  com- 
prend toute  la  côte    Ouest    de    Terre-Neuve  et  la    côte    Est 


■^v 


426  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

de  la  grande  presqu'île  Nord.  Sur  le  French  Shore,  notre 
droit  de  pèche  est  exclusif,  indéniablement,  dans  la  bande  de 
3  milles  d'eau  territoriale.  Au  surplus,  suivant  les  traités,  nos 
pécheurs  ont  le  droit  d'installer  à  terre  des  habitations,  des 
sécheries,  des  ateliers,  bref,  ont  la  possibilité  de  désarmer  leurs 
navires  sans  que  les  autorités  anglaises  aient  le  droit  de  venir 
s'enquérir  de  quoi  que  ce  soit;  à  la  condition  cependant  que  les 
lois  et  stipulations  de  traités  ne  soient  pas  enfreintes.  Et  cela 
arrive  parfois,  paraît-il,  lorsque  cédant  à  des  motifs  divers,  nos 
pêcheurs  vendent  aux  Terre  Neuviens  de  Talcool  en  contre- 
bande. Nos  installations  ne  peuvent  être  que  temporaires. 

« 

LA    MORUE.   SA  PRÉPARATION 

Avant  de  parler  des  dispositifs  de  capture,  il  est  bon,  nous 
semble-t-il,  de  dire  quelques  mots  sur  la  préparation  néces- 
saire à  faire  subir  à  la  morue,  pour  la  rendre  susceptible  de  se 
conserver  propre  à  Talimentation,  en  quelque  climat  qu'on  la 
transporte,  et  pendant  un  an  ou  deux. 

La  morue  est  un  poisson  malacoptérygien  assez  répandu, 
puisque  Ton  en  trouve  en  Norvège,  en  Islande,  à  Terre-Neuve, 
au  banc  d'Arguin  sur  la  côte  d'Afrique,  ainsi  qu'à  l'île  Saint- 
Paul  au  milieu  de  la  partie  Sud  de  l'océan  Indien.  Elle  atteint 
assez  souvent  encore  la  taille  de  i"10,  mais  la  morue  moyenne 
ne  dépasse  plus  guère  70  centimètres  aujourd'hui. 

Les  grandes  qualités  nutritives  de  sa  chair,  la  facilité  de  sa 
conservation  l'ont  toujours  fait  rechercher,  non  seulement  en 
Europe,  mais  aussi  par  les  gens  de  couleur  des  Antilles  et  du 
golfe  du  Mexique.  D'autre  part,  rien  à  peu  près  n'est  perdu  dans 
ce  poisson;  et  les  issues  des  morues,  c'est-à-dire  les  parties 
séparées  du  corps  du  poisson  pendant  la  préparation,  sont  con- 
servées. Ces  issues  sont  :  latente,  les  viscères,  la  langue,  la  rogue, 
le  foie,  la  raquette. 

La  tête  est  utilisée  journellement  à  faire  la  soupe  des 
pécheurs  et  aussi  à  boetter  les  casiers  à  homards  sur  le 
French  Shore  aussi  bien  que  les  casiers  à  coucous  *  sur  le 
Banc.  Malgré  cette  utilisation,  une  partie  des  têtes  de  morue 
est  rejetée  à  la  mer  ainsi  que  les  intestins.  En  revanche,  la 
langue,  soit  fraîche,  soit   conservée  dans  le  sel,  est  de  vente 

1  Escargot  de  mer  qui  sert  d'appât  à  défaut  de  harengs,  d'encornets  ou  de 
capelans. 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON  427 

courante  parmi  les  pécheurs.  Elle  constitue  à  leurs  yeux  un 
mets  délicat.  La  raquette,  ou  partie  de  l'épine  dorsale  enlevée, 
sert  à  faire  de  la  soupe  de  poisson.  On  la  conserve  dans  le  sel 
également.  Beaucoup  d'armateurs  .laissent  à  leurs  marins, 
comme  bénéfices  supplémentaires,  la  raquette  et  la  lane:ue  des 
morues  qu'ils  ont  prises.  La  rogue  n'est  autre  chose  que  la  masse 
des  œufs  de  morue.  C'est  un  produit  recherché  sur  nos  côtes 
pour  la  pèche  de  la  sardine,  il  y  acquiert  parfois  des  prix  fort 
élevés.  Sa  venteconstitue  parla  même  un  bénéfice  important  pour 
l'armateur.  Le  foie  est  soigneusement  retiré  et  mis  dans  des 
barils  où  de  sa  décomposition  sort  Thuile  médicinale  si 
renommée.  Les  huiles  de  deuxième  qualité  servent  dans  la 
tannerie. 

Dès  que  les  embarcations  ont  rallié  avec  leur  capture,  soit  les 
cabanes  à  terre,  soit  le  bateau  à  la  mer,  les  marins  se  mettent 
à  trancher  la  morue.  L'opération  se  pratique  sur  une  table  et 
demande  deux  hommes  et  un  mousse.  Le  mousse  apporte  un 
poisson  au  premier  pécheur,  qui  d'un  coup  de  couteau  lui  ouvre 
le  ventre  de  l'anus  à  la  tête  et  jette  d'un  côté  le  foie,  de  l'autre 
la  rogue  et  laisse  glisser  sous  lui  les  viscères.  La  morue  est 
aussitôt  saisie  par  le  deuxième  pécheur  qui  brise  la  colonne 
vertébrale  au  sommet  de  la  tête,  puis  d'un  coup  de  couteau 
donné  à  plat  détache  l'arête  du  collet  à  la  hauteur  de  l'anus  et 
termine  le  travail  en  enlevant  les  résidus  qui  pourraient  encore 
adhérer  à  la  chair. 

La  morue,  ainsi  habillée,  est  jetée  au  saleur,  généralement  le 
second  du  navire,  qui  dispose  à  fond  de  cale  le  poisson  bien  à 
plat  et  le  couvre  d'une  épaisse  couche  de  sel.  Le  poisson  peut 
rester  ainsi  plusieurs  mois  sans  se  gâter  le  moindrement.  Ce 
travail  a  besoin  d'être  bien  fait  suivant  les  règles,  car  le  prix  du 
poisson  baisse  vite  dès  qu'une  malfaçon  s'est  produite. 

En  cet  état  de  salaison,  la  morue  est  dite  «  verte  »  et  constitue 
un  mets  que  beaucoup  préfèrent  à  la  morue  fraîche,  souvent 
trouvée  fade. 

Aussitôt  le  navire  arrivé  à  Saint-Pierre,  ou  en  France,  la 
morue  est  débarquée,  puis  de  suite  lavée  à  grande  eau  de  mer 
et  enfin  mise  à  sécher,  soit  au  soleil  sur  les  graves  du  French 
Shore  ou  de  Saint-Pierre,  soit  dans  des  sécheries  à  vapeur 
comme  à  Bordeaux.  Les  graves  sont  des  champs  de  galets  spé- 
cialement disposés  à  cet  usage,  à  proximité  même  du  quai  de 
débarquement  et  des  magasins. 

La  morue  subit  d'ordinaire  trois  «  soleils  »  ;  entre  chacun,  elle 
est  mise  en  tas  pour  lui  éviter  l'humidité  de  la  nuit.  Au  milieu 
du  jour,  la  morue  est  retournée  sur  son  lit  de  galets  de  telle  façon 


428  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET    COLONULES 

que  la  dessiccation  soil  bien  égale  partout.  Puis,  lorsqiiele  poisson 
se  tient  bien  raide  quand  on  le  prend  par  la  queue,  il  est  classé 
par  dimensions  et  mis  en  magasins,  en  attendant  son  envoi  sur 
les  lieux  de  consommation. 

Toutes  ces  manipulations  sont  effectuées  par  des  enfants  dits 
«  graviers  »  et  par  des  femmes,  qui  tous  travaillent  sous  la  direc- 
tion d'un  chef  de  grave,  vieux  marin,  véritable  chef  de  chan- 
tier dont  le  rôle  est  important,  car  de  ses  décisions  des  centaines 
de  quintaux  de  morues  peuvent  voir  leur  valeur  baisser  de  10 
à  20%. 

Tout  ce  travail  est  évidemment  simple,  mais  il  demande  à 
ôtre  bien  exécuté.  Une  morue  qui  n'est  pas  exactement  recou- 
verte de  sel  subit  un  commencement  de  décomposition;  elle  est 
alors  dite  douce  et  mise  au  rebut.  Telle  autre  sera  échauffée 
pour  avoir  subi  un  coup  de  soleil.  Telle  autre  sera  mal  tranchée 
.ou  flambée  ou  décolletée,  si  le  coup  de  couteau  est  mal  donné. 
Celle-ci  sera  tachée  de  sang,  celle-là  sera  pucée  ou  rouge  ou 
saumonée  ou  brisée.  Autant  de  raisons  pour  Tacheteur  de  refu- 
ser le  poisson. 

Bref,  dans  ce  métier,  comme  dans  tout  autre,  il  faut  posséder 
un  certain  tour  de  main  et  il  ne  faut  surtout  pas  aimer  ses  aises 
ni  la  propreté. 

Le  Breton. 


LA  QUESTION  DU  COTON 


Depuis  quelque  temps,  Tindustrie  cotonnière  d'Europe  se 
préoccupe  des  tentatives  d'accaparement  que  méditent  les  Etats- 
Unis*.  Les  Allemands  ont  fondé,  en  4  900,  sous  Tégide  de  la 
Société  coloniale  allemande,  une  société  d'études  dont  le  prin- 
cipal représentant  au  Togoland,  M.  Callovay,  a  fait  récemment 
connaître,  après  deux  années  d'expériences,  à  quelles  condi- 
tions cette  colonie  pouvait  produire  du  coton  ainsi  que  son  prix 
de  revient;  il  est  probable  que,  à  raison  de  certaines  difficultés 
provenant  du  climat  à  peu  près  continuellement  pluvieux  de 
ce  pays,  de  nouveaux  essais  seront  faits  au  Cameroun  *.  Les 
Anglais  viennent,  à  leur  tour,  de  fonder  au  capital  de  1.230.000 
francs,  la  British  Cotlon  Groa'ing  Association  dont  l'objet  est 
de  poursuivre  des  études  analogues  dans  les  territoires  dépen- 
dant de  leurs  diverses  stations  commerciales  de  TOuest  afri- 
cain; le  gouvernement  a  promis  son  appui  pour  faciliter  les 
transports  terrestres,  et  de  son  côté,  la  puissante  maison  d'ar- 
mement Elder,  Dempster  et  0\  dans  le  but  de  favoriser  cette 
nouvelle  culture  en  Afrique,  a  fait  savoir  que  ses  navires  en 
amèneraient  gratuitement  les  produits  en  Angleterre  pendant 
les  premières  années. 

Dans  notre  pays,  enfin,  vient  de  se  fonder,  sous  les  auspices 
d'importantes  personnalités  du  monde  industriel,  V Association 
cotonnière  coloniale  dont  le  président  est  M.  A.  Esnault-Pelte- 
rie,  président  du  Syndicat  général  de  l'Industrie  cotonnière 
française;  le  siège  social  est  établi,  à  Paris,  rue  Saint-Fiacre, 
n'^3. 

L'objet  de  ce  groupement  est  de  se  livrer,  dans  nos  colonies, 
et  notamment,  dans  les  parties  de  notre  Afrique  Occidentale 
qui  avoisinent  le  Haut-Dahomey  et  les  rives  du  Niger,  à  des 
recherches  scientifiques  et  pratiques,  afin  de  déterminer  les 


La  production  mondiale  du   coton  est,  en  moyenne,  de  14  millions  de  halles  de 
>  livres,  sur  lesquelles  les  États-Unis  figurent,  à  eux  seuls,  pour  lO.oOO.OOO  balles. 


1 
cOOl  ,  . 

Cette  énorme  proportion,  qui  grandira  encore,  leur  permet  d'aspirer  à  un  monopole 
de  matière  première,  à  l'aide  duquel  ils  espèrent  inonder  le  monde  entier  de  tissus 
qu  ils  fabriqueront  eux-mêmes.  On  va  construire  près  de  Saint-Louis  du  Mississipi 
une  va*le  usine  qui  comptera  12.000  métiers  et  oCO.OOO  broches  pouvant  fabriquer,  à 
elle  seule,  le  dixième  de  la  production  totale  de  la  France. 

2  Voir  Bulletin  du  Comité  de  VAfnque  Française,  aux  «  Renseignements  colo- 
niaux »,  une  intéressante  étude  de  M.  Emile  Baillaud,  qui  examine  spécialement  le 
résultat  des  tentatives  allemandes  dans  la  culture  du  coton   en  Afrique   occidentale. 


430  QUESTIONS   DII'LOHATIQUES  ET   COLONIALES 

terrains  les  plus  propices  à  raison  de  leur  composition  chimique 
et  de  leur  situation  climatérique,  et  aussi,  pour  arriver  à 
découvrir  les  espèces  y  convenant  et  qui  seront  industrielle- 
ment utilisables,  soit  en  introduisant,  en  vue  de  les  acclimater, 
des  graines  de  coton  d'Egypte  et  d'Amérique,  soit  en  sélection- 
nant et  en  améliorant  le  coton  indigène  qui  pousse  actuelle- 
ment à  Tétat  sauvage  et  dont  les  soies,  trop  courtes  et  inégales, 
sont,  jusqu'ici,  sans  intérêt  pour  la  consommation  européenne. 

Pour  atteindre  son  but,  V Association  cqtonnière  coloniale 
se  propose  d'envoyer  des  missions  et  de  subventionner  des 
colons  déjà  au  courant  des  choses  et  gens  du  pays.  Elle  n'a, 
par  elle-même,  aucun  caractère  d'exploitation  agricole  ou 
commerciale. 

Ses  moyens  d'action  sont  étendus,  eu  égard  à  son  objet,  tout 
entier  d'études,  bien  qu'elle  ne  possède  pas  de  capital  propre- 
ment dit,  n'ayant  pas  cru  devoir  (et  elle  a  bien  fait]  recourir  à 
la  forme  de  la  Société  anonyme.  Ses  adhérents  prennent  un 
engagement  de  six  années;  ce  délai  est  considéré  comme  néces- 
saire pour  obtenir  des  résultats  probants  ;  ils  sont  divisés  en 
quatre  catégories;  les  cotisations  les  plus  élevées  sont  de 
1.000  francs  par  an.  11  va  de  soi  que,  du  jour  où  l'on  croira 
pouvoir,  à  bon  escient,  entreprendre  en  grand  la  culture  et 
l'achat  du  coton  au  point  de  vue  commercial  et  industriel,  on 
sera  appelé  à  recourir  à  la  puissance  des  capitaux  de  la  Société 
anonyme.  Pour  Tinstant,  la  forme  adoptée  paraît  heureuse,  et 
en  tout  cas,  fort  bien  appropriée  à  l'objet  qu'ont  en  vue  les 
créateurs  de  ce  groupement  qui,  se  composant  exclusivement 
d'industriels  et  de  commerçants,  sait  parfaitement  ce  qu'il  veut 
et  où  il  va. 

11  semble,  toutefois,  que  les  préoccupations  de  V Association 
cotonniers  coloniale  ne  doivent  pas  se  borner  à  la  détermina- 
tion des  terrains  les  plus  propices  à  la  culture  du  coton  et  au 
choix  des  meilleures  espèces.  La  question  du  travail  indigène 
mérite  assurément,  de  sa  part,  une  étude  approfondie,  et  pour 
ainsi,  dire,  concomitante.  On  sait,  en  effet,  que  le  noir  a 
l'aversion  de  l'effort,  et  surtout,  de  l'effort  régulier;  or  c'est 
précisément  cette  régularité  qui  s'impose  dans  toute  entreprise 
de  ce  genre  que  l'on  veut  mener  à  bien.  Les  colons  d'Indo- 
Chine  avaient  éprouvé  cette  difficulté  ;  malgré  des  contrats  de 
travail  bien  en  règle,  les  indigènes  désertaient  leur  poste,  dès 
qu'ils  avaient  quelque  argent  ou  même  par  pure  fantaisie;  des 
amendes,  auxquelles  ils  s'exposaient,  ils  ne  se  souciaient 
guère,  ne  possédant  rien,  ou  la  fuite  leur  permettant  de  se  sous- 
traire à  toute  contrainte  pécuniaire. 


LA   QUESTION   DU    COTON  431 

M.  Paul  DouTOer  emprunta  donc  aux  législations  coloniales 

étrangères  une  mesure  qui,  chez  nous,  constitue  une  innovation; 

par  un  décret  du  27  août  1899,  il  décida  que  tout  manquement, 
de  la  part  d'un  indigène,  aux  obligations  découlant  d'un  contrat 
ré^lièrem'ent  passé  devant  les  autorités  administratives  com- 
pétentes, se  traduirait  en  une  pénalité  pouvant  aller  jusqu'à 
cinq  jours  de  prison.  Jusqu'ici,  nos  colons  de  l'Afrique  Occiden- 
tale ne  bénéficient  pas  d'un  régime  analogue,  de  sorte  qu'ils 
n'ont  aucun  moyen  de  coercition  à  l'égard  des  travailleurs  qu'ils 
emploient.  Dans  les  toutes  petites  entreprises  de  culture,  on  peut 
encore  se  tirer  d'affaire  par  des  choix  de  personnel  indigène 
bien  faits  et  par  une  surveillance  attentive.  Mais,  du  jour  où,  sur 
des  chantiers  agricoles  étendus,  il  faudra  recourir  à  plusieurs 
centaines  de  noirs,  il  en  sera  tout  différemment.  Dans  certaines 
régions,  où  Vesclava^e  de  case  existe,  on  s'arrangera  avec  les 
rhefs  ;mais  ailleurs?  Et  puis,  cet  esclavage  de  case,  si  doux  soit- 
il,  tendra  lui-même  à  disparaître  sous  l'influence  de  notre  civili- 
sation. Comment  procédera-t-on,  par  la  suite,  si,  d'ores  et  déjà. 
Tonne  songe  pas  à  organiser  le  travail  indigène?  Le  problème  de 
la  main-d'œuvre  est  le  principal  de  ceux  qui  intéressent  l'avenir 
de  nos  colonies  africaines  ;  les  pouvoirs  publics  ne  l'ignorent 
donc  pas;  mais,  sous  la  préoccupation  de  ne  pas  froisser  des 
«enliments,  faussement  humanitaires  en  l'espèce,  ils  en  reculent 
sans  cesse  la  solution.  C'est  dans  le  but  de  hâter  celle-ci  que 
\ Association  cotonnière  coloniale  sera  heureusement  inspirée, 
<\  elle  joint  ses  efforts  à  ceux  des  Sociétés  scientifiques  et  des 
individualités  oui  demandent,  depuis  longtemps,  que  le  Pavil- 
lon de  Flore  aborde  cette  question  capitale  en  confiant  son 
examen  à  une  commission  composée,  moins  de  négociants 
cùliers  —  que  cela  n'a  jamais  semblé  beaucoup  intéresser  — 
que  de  colons  véritables  et  de  techniciens  coloniaux. 

Mais  là  ne  paraît  pas  devoir,  à  notre  sens,  se  borner  le  champ 
d'études  de  V Association  cotonnière.  Qu'il  soit  récolté  directe- 
ment ou  acheté  aux  indigènes,  le  coton  sera  nécessairement 
acheminé  hors  de  ses  lieux  de  production  vers  la  France.  L'exa- 
men des  conditions  de  transport  s'impose  donc  de  lui-même. 
Du  moins,  il  est  à  la  veille  de  s'imposer;  car  dans  l'état  actuel, 
l'on  ne  saurait  raisonnablement  songer  à  faire  venir  du  coton 
de«i  rives  du  Niger,  faute  de  moyens  de  locomotion  faciles, 
rapides  et  bon  marché.  lien  sera  différemment  bientôt,  puisque 
Ton  annonce,  pour  190S,  l'ouverture  totale  de  la  ligne  de  Kayes 
au  Niger, 

Dans  quelques  années  également,  le  Haut-Dahomey  sera 
relié  à  là  Côte  par  le  chemin  de  fer  concédé  à  M.  G.  Borelli;  le 


432  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

chemin  de  fer  de  la  Guinée  sera  poussé  —  espérons-le — jus- 
qu'à Kouroussa  et  celui  de  la  Côte  d'Ivoire  dirigé  vers  le  Baoulé. 
I  Les  plantations  de  coton  ne  manqueront  donc  pas  de  moyens 

I  de  transport;  le  pointdélicat  est  de  connaître  si  celui  ci  pourra 

se  faire  à  un  prix  assez  bas.  Voici  un  exemple  :  de  Koulikôro, 
point  terminus  du  chemin  de  fer   du   Soudan,  la  marchandise 
atteindra  Kayes,  après  un   parcours  de  550  kilomètres;  puis 
elle  empruntera  la  voie  fluviale  du  Sénégal  (près  de  1.000  kilo- 
mètres) pour  aboutir  à  Saint-Louis  où  elle  sera  chargée  sur  des 
navires  à  destination  de  l'Europe,  après  avoir  supporté  150  fr. 
de  frais  se  décomposant  ainsi  :  1**  du  Niger  à  Kayes,  55  francs  la 
tonne,  à  raison  de  0  fr.  10  la  tonne  kilométrique;  2**  de  Kayes 
en  France,  via  Saint-Louis,  70  francs  la  tonneau  minimum; 
3*  les    frais  de   manutention,   transbordements,    assurances, 
divers,  pour  25  francs  la  tonne.  Admettons,  comme  prix  moyen 
du  coton  de  cette  provenance,  le  chiffre  de  850  francs  la  tonne; 
il  faudrait  donc  que  celle-ci  ne  coûte  pas  plus  de  700  francs,  au 
point  de  départ  sur  le  iNiger.  On  le  voit,  l'étude  des  prix  de 
revient  sera  nécessairement,  à  Taide  des  divers  éléments  qui 
viennent  d'être  simplement  ébauchés,  le  commencement  des 
efforts  de  Y  Association  cotonnière  coloniale  dont  l'initiative, 
née  de  préoccupations  patriotiques,  est  louable  à  tous  égards, 
spécialement  au  point  de  vue  industriel,  et  doit  recevoir  Tappro- 
bation  et  le  concours  des  véritables  amis  de  notre  expansion 
coloniale. 

1  Aspe-Fleurimont, 

f 

Conseiller  du  Commerce  extérieur  de  la  France. 


I 


SITUATION  ECOIVOMIQUË  DE  LA  COTE  D'IVOIRE 


?  i 


CULTURES.    ANIMAUX.    —    INDUSTRIES. 

La  colonie  a  installé  depuis  nombre  d'années  un  jardin  d'essai 
à  Dabou  et  tout  récemment  un  autre  à  Bingerville.  Le  jardin  de 
Dabou  date  de  Faidherbe;  il  contient  de  très  nombreux  arbres 
fruitiers  tropicaux  que  Ton  ne  retrouve  nulle  part  ailleurs  en 
iVfrique  occidentale;  il  a  été  fort  utile  pour  les  colons  auxquels 
le  jardinier  chef  a  distribué  en  une  année  3.000  pieds  de  café, 
H.OOO  boutures  de  caoutchouc  et  800  plants  de  cacao. 

Dans  la  région  des  lagunes,  la  grande  richesse  du  pays  est  le 
palmier  qui  fournit  l'huile  et  Tamande  de  palme  ;  les  cultures 
Ihs  plus  répandues  sont  le  mil,  le  maïs;  on  trouve  aussi  pen- 
danl  la  saison  sèche  quelques  produits  maraîchers.  La  pèche 
est  d'un  grand  rapport,  car  les  indigènes  ne  vivent  presque  que 
de  poissons. 

Dans  la  zone  forestière,  on  exploite  surtout  les  produits  de  la 
foret:  Tacajou,  le  caoutchouc,  la  gomme  et  la  cire;  la  vanille 
**sttrès  fréquente,  mais  les  habitants  ne  savent  pas  la  féconder 
el  laissent  perdre  ce  produit  naturel  qui  pourrait  être  d'un  bon 
rapport.  Cette  zone  comprend  les  bassins  moyens  de  Tlndénié, 
du  Baouié,  de  la  Sasandra  et  du  Cavally;  on  y  retrouve  les 
productions  de  la  zone  côtière  avec  en  plus  de  Tigname  et  un 
peu  d'arachide.  Le  terrain  est  riche  en  humus  et  se  prête  à  la 
culture  sans  le  moindre  engrais  :  les  indigènes  se  bornent  à 
changer  de  temps  en  temps  leur  champ  de  place,  de  manière  à 
permettre  à  la  terre  qui  a  déjà  rapporté  de  s'amender.  Dans  la 
ré«:ion  de  Bouaké,  de  suite  après  la  forêt,  on  trouve,  outre  lo« 
cultures  déjà  signalées,  de  nombreux  goyaviers,  citronnieni, 
papayers  et  kolatiers,des  cannes  à  sucre  et  du  tabac.  Les  légumes 
européens  viennent  très  bien  pendant  neuf  mois  de  Tannée. 

Les  animaux  de  basse-cour  et  le  gibier  à  poil,  ainsi  q«e  les 
biches,  sont  nombreux,  mais  il  y  a  peu  de  bœufs  :  il  en  existe 
une  race  très  petite,  mais  qui  ne  suffit  pas  aux  besoins  locaux. 

Enfin,  dans  la  zone  soudanaise  (régions  de  Touba,  d'Odjenné, 
de  Kong   et  de  Bondoukou),  les  cultures  les   plus   répandues 

*  La  première  partie  de  cette  étude  a  paru  dans  notre  numéro  du  l.'i  ni::rs  [Quest. 
bipl.  ei  Col.,  t.  XV,  p.  3o4). 

QuBST.  I)i(*L.  IT  Col.  —  t.  xv.  2S 


434  QUESTIONS     DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

sont  :  le  m,  le  manioc,  le  mil,  Tarachide,  Tigname,  la  banane; 
les  arbres  les  plus  communs  sont  :  le  kolatier,  le  caïlcédra,  le 
karité,  lé  palmier  et  deux  arbustes  qui  peuvent  devenir  une 
source  de  richesses,  le  coton  et  Tindigo.  Les  légumes  européens 
viennent  à  merveille  et  tous  les  postes  ont  de  fort  beaux  jar- 
dins; les  rivières  sont  poissonneuses;  enfin  les  bois  que  Ton 
retrouve  dans  la  région  de  Kong  contiennent  des  éléphants  assez 
nombreux,  mais  qui  ne  sont  pas  chassés. 

Les  bœufs  et  les  moutons  vivent  bien;  les  chevaux  sont  nom- 
breux, de  petite  taille,  mais  résistants  à  la  fatigue. 

Le  coton  et  Tindigo,  très  cultivés  dans  d'immenses  cham|)s 
qui  s'étendent  à  perte  de  vue,  donnent  lieu  aux  seules  industrie*^ 
du  pays  :  le  tissage  et  la  teinture.  Chaque  village  a  une  dizaine 
de  métiers,  installés  en  plein  air,  et  dont  les  piliers  de  soutien 
sont  des  arbres;  les  hommes  font  les  tisserands,  tandis  que  le> 
femmes  récoltent  le  coton,  le  cardent  et  le  filent. 

L'indigo  est  préparé,  sur  place,  à  la  mode  indigène.  La  cou- 
leur ainsi  obtenue  est  d'un  fort  bon  teint;  tous  les  pagnes  à 
bandes  bleues  et  blanches  que  portent  les  habitants  de  la  Côte 
d'Ivoire  viennent  de  cette  région. 


lAPi.niT.VTioN  minïerp:. 


Au  point  de  vue  minier,  on  est  encore  dans  la  période 
d'études  ;  il  est  h  peu  près  certain  que  les  filons  de  la  Gold  Coast 
parallèles  h  la  mer  se  prolongent  jusqu'ù.  la  Comoë  et  même 
jusqu'au  Bandama.  D'après  des  renseignements  que  j'ai  re- 
cueillis auprès  de  Tun  des  plus  anciens  prospecteurs  de  lln- 
dénié,  certains  filons  du  Swansi  auraient  des  longueurs  de 
plusieurs  milles  et  seraient  très  inclinés,  en  sorte  que  Textrac- 
tion  et  le  broyage  n'exigeraient  pas  des  transports  coûteux. 
Enfin,  partout  ailleurs,  et  en  particulier  dans  la  haute  Cote, 
on  trouve  de  Tor  d'alluvion.  Pour  l'exploiter,  les  indigènes  ont 
creusé  des  trous  au  hasard  près  des  marigots  :  lorsque  le  lavage 
de  la  terre  extraite  d'un  trou  ne  donnait  plus  de  rendemenl, 
ils  allaient  en  creuser  un  autre  plus  loin  et  ainsi  de  suite.  Les 
pépites  sont  assez  rares,  surtout  si  Ton  lient  compte  que  les 
habitants  les  considèrent  comme  des  fétiches  et  les  conservent 
précieusement  :  celles  qu'on  voit  entre  leurs  mains  constituent 
donc  la  production  de  plusieurs  années.  La  poudre  d'or  était 
la  monnaie  courante  employée  dans  tout  l'intérieur  avant  notro 
arrivée,  elle  Test  encore  dans  les  régions  où  nous  n'avons  pas 


SITUATION   ÉCONOMIOLE    DE    LA    CÔTE   d'iVOIHE  435 

pt'uétré  :  dans  le  Baoïilé  et  la  région  de  Kong,  les  indigènes 
paient  Timpôt  en  or.  Cependant,  à  l'exportation  en  douanes, 
l'orn  a  atteintque  le  chiffre  très  faible  de  60.000  francs  en  1900. 

Quelles  que  soient  les  richesses  véritables  de  la  Côte  d'ivoire, 
UD courant  d'opinion  peut-(^tre  hàtif  s'est  formé  depuis' plusieurs 
années  pour  la  recherche  et  l'exploitation  de  ces  richesses.  Les 
pivmières  Compagnies  ont  ét«»  formées  en  1887,  4894  et  1897  ; 
f^nfin  la  découverte  de  riches  filons  dans  la  (lold  Coast,  en  IPOO, 
a  produit  un  engouement  véritable  pour  la  cote  de  Guinée.  Plus 
Je  mille  permis  de  recherches  ont  été  délivrés  en  4904  et  4902; 
rî's  permis  portent  sur  la  région  comprise  entre  la  frontière  de 
la  ttte  d'Or  et  la  Bandama,  sauf  toutefois  la  zone  réservée  de 
part  et  d'autre  du  tracé  de  la  voie  ferrée  projetée.  En  4904, 
seize  sociétés  se  sont  constituées  et  cinq  nouvelles  se  sont 
^'Dcore  formées  depuis  le  commencement  de  4902.  Ces  sociétés 
ont  à  leur  disposition  un  capital  nominaf  de  TîO  millions  :  à 
signaler  tout  particulièrement  un  groupe  de  sociétés  anglaises, 
liées  eu  4901  et  4902,  et  qui  semblent  vouloir  faire  le  trust  de 
liir  à  la  Côte  d'Ivoire. 

Les  plus  importantes  sont  l'/vory  Coast  consoUtaded^^xx  capi- 
lal  de  12.500.000  francs,  dont  le  siège  social  est  à  Londres,  et 
\kory  Coast  goldfields^  dont  le  capital  social  nominal  est  de 
13  millions  :  ces  deux  sociétés  ont  pour  filiales  Ylvory  Coast 
trust,  fondé  à  Londres  en  4902  au  capital  de  425.000  francs,  et 
ïlivri/  Coast  trading,  au  capital  de  4.250.000  francs.  VIvory 
ioast  golclfields,  dont  le  conseil  d'administration  comprend 
•leux  Anglais,  deux  Français,  un  Américain,  un  Allemand,  a 
Hiheté  l'an  dernier  un  grand  nombre  de  permis  d'exploitation 
<le  prospecteurs  français;  mais  depuis  4902  cette  société  a  con- 
stitué à  l'aide  de  son  personnel  propre  une  mission  d'études 
'|ui  comprend  six  prospecteurs  anglais,  un  ingénieur  anglais  et 
lieux  ingénieurs  français. 

Seules,  les  recherches  en  cours  pourront  nous  renseigner  sur 
(♦'S  richesses  aurifères  de  la  Côte  d'Ivoire.  Tant  qu'elles  n'auront 
[•tiÀ  donné  de  résultats,  nous  mettrons  la  petite  épargne  en  garde 
'►nlre  les  affirmations  d'explorateurs  qui  n'ont  d'autres  données 
<|ueles  dires  toujours  exagérés  des  indigènes,  même  lorsqu'ils 
>ontde  bonne  foi.  Si  l'on  se  place  au  point  de  vue  économique, 
l'i  période  de  recherches  dans  laquelle  on  vient  d'entrer  donne 
un  nouvel  élément  d'activité  à  la  colonie  par  l'afflux  d'un  per- 
^•nnel  nombreux.  L'arrivage  d'un  matériel  important  et  de 
prtjspecteurs  de  toutes  nationalités,  en  vue  de  la  campagne 
IM2-I903,  donnera  encore  de  la  vitalité  à  ce  pays  et  multipliera 
!♦?>  chances  de  découvertes  heureuses. 


T%'m 


436  OUESTIOMS   DIPLOMATIOIES   ET   COLONIALES 


OrriLLAGK    ECONOMigi  E. 

I.ta  colonie  est  en  relations  avec  la  France  par  des  courriers 
postaux  réguliers  partant  du  Havre  et  de  Marseille  une  fois  par 
mois.  La  durée  du  voyage  est  de  quatorze  jours.  En  outre,  les 
mêmes  compagnies  et  des  compagnies  de  navigation  allemandes 
et  anglaises  envoient  des  cargo-boats  qui  prennent  des  mar- 
chandises tout  le  long  de  la  côte  occidentale  d'Afrique.  Le 
prix  rlu  voyage  de  France  à  Grand-Bassam  est  de  700  francs  en 
première,  de  500  francs  en  seconde  et  de  300  francsen  troisième; 
le  prix  de  la  tonne  de  marchandises  est  de  33  à  45  francs. 

Les  moyens  de  débarquement  sont  primitifs,  sauf  à  (irand- 
Uassam  où  depuis  deux  ans  on  utilise  un  wharf.  Le  paquebot 
mouille  à  un  demi-mille  du  rivage  environ  et  des  canots  de 
grande  taille  viennent  recevoir  sous  palan  les  marchandises 
placées  au  préalable  dans  des  tonneaux  étanches  ;  ces  tonneaux 
sont  ensuite  transportés  à  terre  par  les  canots  et  roulés  naturel- 
lement par  la  lame  jusqu'à  la  plage,  si  Tétat  de  la  barre  fait 
chavirer  les  embarcations  qui  les  portent.  L'embarquement  ou 
le  débarquement  des  marchandises  s'opère  ainsi  sur  toute  la  côte, 
de  l'embouchure  du  Cavally  à  celle  de  la  Comoë,  grâce  à  la  pré- 
sence dans  tous  les  villages  d'équipes  de  piroguiers  habitués  à 
franchir  la  barre.  Pour  les  passagers,  c'est  moins  facile  et  à 
certaine  saison  l'embarquement  est  même  dangereux  ;  il  vaut 
mieux  ah>rs  ajourner  son  départ  ou  se  rendre  par  terre  à  (irand- 
Bassam  pour  utiliser  le  wharf.  Les  indigènes  chavirent  presque 
toujours  sans  danger  parce  qu'ils  connaissent  la  tactique  pour 
recevoir  les  lames  et  ne  pas  se  laisser  entraîner;  mais  les  Euro- 
péens doivent  être  très  prudents  s'ils  ne  veulent  pas  être  vic- 
times d'accident. 

J'ai  débarqué  à  (irand-Lahou,  en  mars  dernier,  un  jour  où  la 
mer  était  favorable,  et  j'ai  pu  me  rendre  parfaitement  compte 
de  ce  qu'est  la  barre.  C'est  une  énorme  lame,  dont  la  hauteur 
varie  entre  1  mètre  et  3  à  G  mètres,  suivant  l'état  de  la  mer. 
Quand  cette  lame  atteint  les  premiers  hauts  fonds,  elle  est 
brisée;  mais  elle  va  se  reformer  plus  loin  en  une  deuxième  lame 
moins  haute  que  la  première,  qui  roule  encore  un  certain  temps 
et  forme  enfin  une  troisième  lame,  qui  vient  heurter  la  dune  de 
sable  avec  force.  De  la  plage,  on  dirait  trois  gros  rouleaux  d'eau 
qui  se  déroulent  et  se  reforment  sans  cesse  :  Thabileté  des  piro- 
guiers et  toute  leur  manœuvre  consistent  à  marcher  aussi  vib^ 
que  la  lame,  d'un  rouleau  au  rouleau  suivant.  Chaque  canot  est 


SITUATION   ÉCONOMIQUE  DE   LA   CÔTE  d'iVOIRE  437 

monté  par  une  douzaine  de  pagayeurs,  assis  sur  des  banquettes, 
«et  qui  obéissent  au  barreur  placé,  debout  à  l'arrière.  Celui-ci 
reganie  une  personne,  placée  à  terre,  qui  le  prévient  du  moment 
où  le  rouleau  arrive  à  hauteur  de  l'embarcation,  car  il  est  diffi- 
nle  de  s'en  rendre  compte  exactement  sur  mer.  A  ce  signal,  tous 
Ie<  piroguiers  s'excitant  de  la  voix  font  force  de  rame  et  arri- 
vent à  suivre  un  moment  la  lame  ;  quand  celle-ci  les  dépasse,  ils 
oes:5ent  de  ramer  et  attendent  de  se  trouver  à  nouveau  sur  le 
r«juleau  pour  recommencer  leur  manœuvre;  à  la  troisième  fois, 
•jj  l'équipe  est  bonne,  on  a  atteint  le  dernier  rouleau  qui  s'étale 
sur  environ  300  mètres  jusqu'à  la  plage.  Les  pagayeurs  multi- 
plient leurs  cris  et  leurs  coups  d'aviron  et  l'on  a  la  sensation 
d^tre  entraîné  rapidement  sur  une  surface  plane  qui  en  deux 
ou  trois  secondes  vous  jette  à  terre  ;  la  sensation  se  termine  par 
une  brusque  secousse.  Tous  les  piroguiers  sautent  aussitôt  à 
terre  pour  tirer  l'embarcation  à  sec  avant  que  la  lame  suivante 
arrive,  et  elle  est  là  environ  45  secondes  plus  tard;  il  n'y  a  donc 
pas  de  temps  à  perdre. 

Pour  embarquer,  la  manœuvre  est  plus  difficile.  Le  canot  est 
ilabord  traîné  sur  la  plage,  puis  poussé  vivement  par  les  piro- 
l^uiers  au  moment  où  la  lame  se  retire,  Tavant  droit  à  la  mer, 
de  manière  que  quand  le  premier  rouleau  arrive,  il  se  brise  sans 
passer  par-dessus  Terabarcation  et  sans  trop  mouiller  les  voya- 
geurs qui  sont  déjà  dedans.  Dès  que  le  rouleau  est  passé,  les 
pa«:ayeurs  sautent  dans  la  barque  et  à  force  de  rames  poussent 
le  plus  vite  possible  sur  la  seconde  lame  qui  ramène  Tembar- 
cation  en  arrière;  dès  que  le  mouvement  en  recul  s'atténue,  les 
pagayeurs  se  remettent  à  ramer  en  poussant  droit  sur  le  nouveau 
rouleau.  Il  faut  bien  une  dizaine  de  minutes  pour  franchir  les 
Irois  rouleaux  ;  lorsque  l'embarcation  flotte  au  delà  de  la  pre- 
mière vague,  il  n'y  a  plus  rien  à  craindre;  mais  cette  première 
vague  est  dure  à  franchir.  Pour  peu  que  le  canot  ne  soit  pas 
absolument  droit  à  la  lame,  il  est  rejeté  sur  la  plage  par  le  tra- 
vers et  avec  violence  ;  le  voyageur  projeté  sur  le  sable  peut 
s  estimer  heureux  quand  il  ne  reçoit  qu'une  douche  salée  :  trop 
souvent,  des  Européens  qui  ont  voulu  s'embarquer  malgré 
lavis  des  piroguiers  ont  dû  renoncer  à  leur  projet,  après  avoir 
eu  un  bras  ou  une  jambe  cassés. 

Quelquefois  môme,  mais  très  rarement,  on  a  constaté  des 
accidents  plus  graves.  La  lame,  arrivant  avec  une  extrême  vio- 
lence, renversait  la  barque  sur  les  passagers  qui  périssaient  em- 
prisonnés, étouffés  sous  cet  énorme  poids.  Ces  accidents  sont 
dus  surtout  à  l'imprudence  de  gens  qui  veulent  s'embarquer 
malgré  l'avis  des  piroguiers.  En  tout  cas,  on  peut  être  tran- 


^ 


A:ïH  questions    DIPLOMATIQUKS    £T   COLONIALES 

quille  pour  le  débarquemenf;  dès  l'instant  qu'un  canota  pu 
venir  jusqu'au  vapeur  mouillé  en  mer,  il  lui  sera  possible  dv 
revenir  h  terre  sans  trop  de  difficulté,  et  le  voyageur  inexpéri- 
menté en  sera  quitte  tout  au  plus  pour   un  petit  bain  de  mer. 

La  barre  n'est  réellement  difficile  que  pendant  de  courtes 
périodes.  Les  statistiques  de  ces  dernières  années  établissent 
qu'elle  est  possible  au  moins  vingt-cinq  jours  sur  trente;  c\'>l 
plus  qu'il  n'eu  faut  pour  permettre  les  transactions  avec  les 
cargo-boats  qui,  n'étant  pas  postaux,  peuvent,  le  cas  échéant, 
attendre  deux  ou  trois  jours  mouillés  au  large  que  la  mer  de- 
vienne plus  clémente. 

Le  wharf  de  Grand-Bassam  remédie  en  partie  à  ces  difficultés; 
son  utilité  est  incontestable,  car,  grâce  à  lui,  on  peut  débar- 
quer (ît  embarquer  sans  danger  par  tous  les  temps  ;  mais  sa 
faible  longueur, et  aussi  l'agitation  permanente  de  lamerqui  ne 
permet  pas  aux  navires  d'accoster,  nécessitent  une  double  mani- 
pulation des  marchandises,  ce  qui  est  encore  une  grande  gène. 

Dans  rintention  de  vaincre  ces  difficultés,  la  colonie  a  mis  à 
Tétude  la  création  d'un  port  artificiel,  puis  d'un  chemin  de  fer: 
le  commandant  du  génie  Iloudaille  a  été  chargé  de  l'étude  et  de 
rétablissement  de  l'avant-projet:  il  a  depuis  deux  ans  terminé 
sa  mission  et  son  projet  a  retju  l'approbation  du  Comité  de> 
travaux  publics  des  colonies. 

L^ne  ligne  télégraphique  va  de  Tembouchure  du  Cavally  à 
celle  de  la  Comoé.  en  suivant  la  mer.  Cette  ligne  vient  d'être 
rattachée,  en  mai  dernier,  au  réseau  anglais  de  la  Côte  d'Or.  La 
Côte  d'Ivoire  est  reliée,  par  un  fil  qui  longe  la  Comoë  et  passe 
par  Boudoukou,  Dabakala  et  Kong,  à  cet  admirable  réseau  de 
TAfrique  Occidentale  française,  qui,  partant  de  Dakar,  couvre 
toutes  nos  possessions  jusqu'au  Dahomey. 

Les  communications  postales  sont  établies  de  Grand-Bassam 
avec  tous  les  points  occupés  par  des  Eluropéens. 

Je  dois  constater  qu'il  s'est  produit  depuis  quelque  temps  des 
améliorations  très  sensibles.  Au  portage  à  dos  d'homme  — seul 
système  de  transport  jusqu'à  présent  employé  et  qui  limite  le 
transit  des  marchandises  à  des  quantités  très  faibles  —  se  subs- 
titue, sous  la  pression  de  nos  fonctionnaires  et  de  nos  officiers, 
le  transport  par  les  ânes  et  les  bœufs.  Grâce  à  la  route  ouvert*^ 
par  nos  troupes,  le  rendement  du  portage  humain  devient  aussi 
plus  considérable;  les  porteurs,  qui  ne  faisaient  que  de  12  à 
13  kilomètres  par  jour  dans  le  sentier  indigène,  en  font  facile- 
ment 25  maintenant.  Sur  les  lagunes  et  la  partie  navigable  des 
fleuves,  les  bateaux  à  vapeur  et  les  chalands  sont  plus  nom- 
breux. A  Grand-Bassam,  capitale  commerciale  de  la  colonie, 


SITUATION   ÉCONOMIQUE   DE   LA    CÔTE   D'IVOIHE 


439 


l'effort  est  nettement  marqué.  Outre  le  wharf  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut,  une  voie  Decauville  part  de  l*extrémité  de 
iappontement  et  dessert  les  magasins  des  factoreries.  Depuis 
Tan  dernier,  de  nombreuses  maisons  particulières  et  des  maga- 
sins ont  été  élevés  et  des  constructions  on  cours  occupent  en- 
core quantité  d'ouvriers  et  de  manœuvres. 

Hnfin,  une  capitale  administrative  vient  d'être  créée  dans  la 
lagune  d'Abidjean  dans  un  site  élevé  et  sain  :  les  ateliers  des 
travaux  publics  de  la  colonie  y  ont  élé  installés. 


SITUATION   lUIDGÉTAIIlE. 


Le  budget  de  1902  pour  la  colonie  prévoit  2.235.000  francs 
Je  recettes  et  de  dépenses;  de  1897  à  1900,  il  a  suivi  les 
variations  suivantes  : 


ANNÉES 

RECETTES 

Y     COMPRIS    LES     PRÉLKVEMKNTS 
SUR   LA    CAISSE   DE   RESERVE 

DÉPENSES 

|l897 

1898 

1.730.498 
1.771. 183 
1.927.765 
2.002.268 

l. «23. 927 
1.531.176 
1.901.029 
2.037.998 

1 1899 

1900 

Les  excédents  des  recettes  sur  les  dépenses  étaient  versés,  en 
lin  d'année,  h  la  caisse  de  réserve  qui  dépassait  200.000  francs 
au  1*"  janvier  1902. 

Recettes.  —  Les  recettes  sont  de  quatre  sortes  :  1**  les  contri- 
butions directes  (impùt  de  capitation,  de  colportage  et  rede- 
vances pour  concessions  minières),  420.000  francs;  2"  les  pro- 
duits divers  (postes,  imprimerie,  amendes,  droits  de  greffe  et 
enregistrement,  etc.;,  70.000  francs;  3**  le  produit  de  Taliéna- 
tion  des  terrains  domaniaux  et  les  redevances  territoriales, 
l'i.OOO  francs;  4"  les  contributions  indirectes,  soit  : 

Taxe  de  consommation 1 .  678 . 000 

Droits  de  sortie  sur  les  l)ois .iO.OOO 

Droits  de  magasinage 1 .000 

Produit  des  amandes 1 .000 

L'impôt  de  capitation,  prévu  par  un  arrêté  du  14  mai  1901, 
frappe  les  indigènes  de  tout  sexe  âgés  de  plus  de  dix  ans  d'une 


440  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   GOLONULES 

taxe  de  2  fr.  50;  il  est  payé  en  réalité  par  un  très  petit  nombre 
d'individus  et  on  aura  de  la  peine  à  recueillir  les  350.000  francs 
inscrits  au  budget  à  ce  titre. 

La  plus  grosse  ressource  est  celle  donnée  par  les  taxes  de 
consommation  qui  sont  perçues  par  le  service  des  douanes.  Le 
système  douanier  de  la  Côte  d'Ivoire,  comme  aussi  celui  du 
Dahomey,  est  dominé  par  la  convention  du  14  juin  1898,  qui 
favorise  tout  particulièrement  Tindustrie  anglaise.  Cet  acte 
paralyse  pour  vingt-six  ans  encore  tous  les  efforts  que  pourraient 
tenter  nos  nationaux,  et  nous  sommes  surpris  que  nos  plénipo- 
tentiaires aient  pu  en  accepter  la  rédaction  et  M.  Hanotaux 
lui  donner  la  sanction  de  sa  signature.  On  n'engage  pas  ainsi 
le  régime  douanier  de  deux  colonies  pour  une  période  de 
trente  années  ;  c'est  une  faute  qui  pèse  et  pèsera  encore  très 
lourdement  sur  la  vie  économique  de  toute  TA frique  Occiden- 
tale française.  Je  suis  surpris,  comme  bien  d'autres,  de  l'habileté 
avec  laquelle  les  plénipotentiaires  anglais  sont  arrivés  à  intro- 
duire une  clause,  purement  économique,  dans  une  convention 
conclue,  dans  le  principe,  pour  la  délimitation  des  possessions 
françaises  et  anglaises  dans  la  boucle  du  Niger  et  pour  la  déli- 
mitation des  mômes  possessions  à  TEst  du  Niger. 

11  semble  que  ce  document  n'aurait  dû  traiter  que  de  fron- 
tières; mais  l'article  9  et  dernier  s'exprime  ainsi  :  «  A  Tinté- 
«  rieur  des  limites  tracées  sur  la  carte  (ces  limites  comprennent 
«  la  Côte  d'Ivoire,  le  Dahomey,  etc.),  les  citoyens  français  et 
«  protégés  français,  les  sujets  britanniques  et  protégés  britan- 
«  niques,  pour  leurs  personnes  comme  pour  leurs  biens,  les 
«  marchandises  et  produits  naturels  ou  manufacturés  de  la 
«  France  et  de  la  Grande-Bretagne  jouiront  pendant  trente 
«  années,  à  partir  de  l'échange  des  ratifications  de  la  conven- 
«  tion  mentionnée  à  l'article  5,  du  même  traitement  pour  tout 
«  ce  qui  concerne  la  navigation  fluviale,  le  commerce,  le 
«  régime  douanier  et  fiscal  et  les  taxes  de  toute  nature,  » 

Il  ne  s'agit  plus  de  délimitation  dans  cet  article  et  nos  pléni- 
potentiaires paraissent  avoir  été",  dans  la  circonstance,  d'une 
naïveté  d'autant  plus  regrettable  que,  seuls,  les  produits  anglais 
sont  débités  au  Dahomey  et  à  la  Côte  d'Ivoire,  tandis  qu'il 
n'entre  pas  de  produits  français  dans  les  établissements  anglais 
de  la  môme  région. 

L'application  de  ce  tex^te  n'eut  pas  d'effet  sur  les  recettes 
douanières,  car  les  droits  anciens  furent  remplacés  par  des  taxes 
de  consommation  équivalentes  le  jour  même  de  l'application 
de  la  convention.  La  quotité  de  ces  taxes  est  fixée  par  le  tableau 
suivant  : 


SITUATION    ÉCONOMIQUE  DE   LA   CÔTE   d'IVOIRE 


441 


DÉSIGNATION  DES  MARCHANDISES 

UNITÉS 

SURLKSQUELLB8 

PORTENT 

LES    DROITS 

DROITS 

Cidres,  bières   limonades. 

hectolitre 

la  pièce 
cent  kilos 

"  % 
10  % 

15.00 

5.00 

15.00 

^0.00 

60.00 

156.00 

50.00 

60.00 

2.50 

70.00 

10.00 

1.00 

100.00 

200.00 

5.00 

Vins  ordinaires  titrant  moins  de  16" 

Vins  ordinaires  titrant  16«  et  au-dessus 

Vennouih,  vins  aromatisés  et  liqueurs 

Vins  mousseux 

Alcool  pur  suivant  dosage,  l'alcool  pur  étant  à  90». 
Liaoeur  de  traite  titrant  moins  de  25° 

Autres  liqueurs • 

Armes  de  traite 

Poudre  de  traite 

Plomb  en  barre 

Sel  marin 

Tabacs  en  feuilles 

Tabacs  manufacturés 

Pétrole 

Matériaux  de  construction 

Marchandises  non  dénommées 

Les  objets  nécessaires  à  Tindustrie  (machines,  treuils,  rails, 
chaudières  à  vapeur,  etc.  ;  ciment,  tôles  ondulées,  sacs  pour 
emballage  des  amandes  de  palme),  les  vivres  frais  et  les  ani- 
maux vivants  ne  paient  pas  de  taxe. 

Grâce  aux  taxes  de  consommation,  les  recettes  douanières 
ont  continué  d'augmenter,  ainsi  que  le  montre  le  tableau  ci- 
après  : 

Tableau  des  perceptions  douanières  depuis  1805. 

Années  1895 1.004.485  francs. 

—  1896 1.219.320  — 

—  1897 1.170.847  — 

—  1898 1.337.902  — 

—  1899 1.548. 240  — 

—  1900 1.762.565  — 

—  1901 1.528.577  — 

Ces  recettes  vont  augmenter  encore  sensiblement  par  suite 
des  droits  d'entrée  que  la  Côte  d'Ivoire  exige,  depuis  cette  année, 
à  la  frontière  du  Soudan.  Une  grande  quantité  de  marchandises 
est  en  effet  acheminée  de  Saint-Louis,  par  le  Sénégal,  la  voie 
ferrée  du  Sénégal  au  Niger  et  le  deuxième  territoire  militaire, 
vers  la  Côte  d'Ivoire  :  ces  objets  entraient  autrefois  en  franchise, 
mais  depuis  peu  les  maisons  de  commerce  et  les  dioulas  doivent 
acquitter  les  taxes  de  consommation,  ce  qui  est  légal  et  con- 
forme à  l'esprit  de  la  convention  de  1898.  Mais  cela  ne  fit  pas 
l'affaire  des  négociants  sénégalais  et  la  Chambre  de  commerce 
de  Saint-Louis  a  protesté  par  l'organe  de  son  président,  M.  Ra- 


44^  QUIilSTLÔNS   DIPLOMATIQL'ES   ET   COLONIALES 

baud,  contre  la  double  taxe  dont  sont  frappés  les  objets  prove- 
nant du  Sénégal  :  droits  de  douane  à  Saint-Louis  et  taxe  de 
consommation  à  Tentrée  dans  la  colonie.  La  Côte  d'Ivoire  dit  bien 
aux  commerçants  de  se  faire  rendre  les  droits  de  douane  h 
la  sortie  du  Sénégal;  mais  cette  dernière  colonie  ne  l'entend 
pas  ainsi,  et  depuis  bientôt  un  an  on  discute  à  ce  sujet  sans  pou- 
voir aboutir.  Signalons,  en  passant,  que  c'est  là  un  des  nom- 
breux conflits  entre  les  colonies  de  l'Afrique  Occidentale  que  le 
gouverneur  général  était  mal  placé  pour  trancher  jusqu'au 
décret  du  1"  octobre  dernier.  Gouverneur  du  Sénégal,  il  pouvait 
(^tre  en  effet  suspect  de  partialité  en  faveur  de  sa  colonie,  quels 
que  fussent  d'ailleurs  son  indépendance  et  son  autorité  person- 
nelle. La  situation  nouvelle,  que  lui  crée  le  décret  du  i"  oc- 
tobre 1902,  lui  permettra  à  l'avenir  de  solutionner  tous  ces 
petits  conflits  sans  les  laisser  aussi  longtemps  en  suspens. 

Dépenses.  —  Les  prévisions  de  dépenses  pour  1902  sont 
données  par  le  tableau  suivant  : 

Contingents  coloniaux,  dettes  exigibles 192.242  92 

Dépenses  cradmini^tration 463.870    » 

Police  gï^nérale  et  prison 198.157     » 

Frais  de  perception  et  de  régie 5(|6.7î6    » 

Travaux  publics,  Jeux,  phare,  flottille 2U  .858    » 

Services  divers 207  212  19 

Admimslration,  eic,   de  la  haute  Cote  d'Ivoire 231  759  20 

Frais  de  passage,  de  route,  de  séjour 80.500    » 

Vice-consulat  de  France  ù  Monrovia 15.000    » 

Dépenses  d'ordre 106.174  69 

Dépenses  do  colonisation I5.O00    » 

Ce  qui  frappe  dans  le  chapitre  des  dépenses,  c'est  que  cette 
petite  colonie,  encore  à  ses  débuts,  verse  un  contingent  sérieux 
à  la  métropole.  Ce  contingent  est  formé  par  les  dépenses  détail- 
lées ci-après  : 

Subvention  pour  les  dépenses  d'Ktat 10.000  >• 

—  à  l'École  coloniale 2.0f>0  » 

—  au  Jardin  de  Xogent-sur-Marne 4  .500  » 

—  à  rOffîce  colonial 500  » 

—  à  la  Section  géographique 2.000  » 

Tous  les  frais  du  vice-consulat  de  Monrovia 15.000  » 

Annuité  payée  à  la  Compagnie  de  Kong 125.000  » 

La  conclusion  est  que  la  colonie  de  la  Côte  d'Ivoire  paie  tous 
ses  frais  d'administration  et  subventionne  la  métropole  pour 
156.000  :  sa  situation  financière  paraît  donc  très  satisfaisante. 

Un  emprunt  de  800.000  francs,    destiné   à  couvrir  les  frais 


SITUATION    ÉCONOMIOUK   DE   LA    CÔTK   DIVOIRE 


443 


crinstallation    du  nouveau  clief-iiou  de   la  colonie,  est  amorti 
par  annuiK»s  de  r>5.000  francs. 


cOM.MKnri:. 

Les  premières  statistiques  ^louanières  de  la  Côte  d'Ivoire 
datent  de  onze  ans,  elles  ont  été  établies  sur  Tordre  du  re- 
l^retté  gouverneur  Mouttet  ;  d'après  ces  documents,  le  mouve- 
ment commercial  a,  dans  son  ensemble,  suivi  une  progres- 
sion ascendante,  que  montre  le  tableau  ci-aprés  : 


ANNÉES 

IMPORTATIONS 

EXPORTATIONS 

TOTAUX 

1890 

1.127.621 
2.529.714 
1.979.578 
2.475.487 
3.124.0:;? 
2.999.596 
4.63S.413 
4.579.112 
5.527.3:12 
6.379.S.X6 
9.080.87.1 
7.285.9'>3 

1   672.270 
3.001.353 
3.738.714 
4.362.096 
4.'69.4'0 
3.706.45! 
4.701.140 
4.3S8.906 
5.0i'6.b41 
5.8«3.255 
8.074.589 
6.542.703 

2.799.891 

5.531.067 

5.718.312 

6.837.583 

7.193.452 

6.7»  6  047 

9.339.543 

8.968.018 

10.5.3.993 

12.2i3.141 

17.155.462 

13.828.696 

1891 

1892 

1893 

1894 

1895 

i 

1896 

1897 

1898 

1899..... 

1900 

1901 

Le  chiffre  de  1ÎK)1,  quoique  inférieur  à  celui  de  1900,  dépasse 
encore  celui  des  années  antérieures.  Plusieurs  causes  expli- 
(|uent  du  reste  l'augmentation  des  transactions  commerciales 
en  1900.  D'une  part,  les  commentants,  effrayés  par  l'épidémie 
«le  lièvre  jaune  île  1899,  s'efforcèrent  d'évacuer  tous  les  stocks 
(le  produits  ilu  pays  ^qu'ils  avaient  en  magasin,  dès  que  la 
levée  des  quarantaines  permit  aux  bateaux  de  prendre  des 
marchandises,  c'est-à-dire  au  début  de  i90(L  D'autre  part  le 
«lécrel  de  novembre  1899,  rattachant  à  la  Côte  d'Ivoire  les 
régions  d'Odjenné,  de  Kong  et  de  Touba,  avait  fait  espérer  aux 
négociants  de  Bassam  et  de  Lahou  d'importants  débouchés  vers 
le  Soudan  et  ils  s'étaient  approvisionnés  en  conséquence.  Ces 
régions  peuplées  et  riches  devaient,  pensaient-ils,  leur  fournir 
<le nombreux  clients:  mais  l'écoulement  espéré  n'a  pu  se  faire. 
La  révolte  du  Baoulé  a,  dès  1900,  coupé  les  communications 
entre  la  Haute  et  la  Basse  Côte  et  les  magasins  sont  restés 
encombrés,  ce  qui  explique  la  diminution  des  importations  de 
1901.  Mais  il  n'est  pas  douteux  qu'avec  la  paix,  le  mouvement 
commercial  vers  le  Soudan  se  produira  :  on  peut  même  dire 
(pi'il  est  déjà  commencé,  car  j'ai  vu  au  printemps  dernier  de 


i 


444  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

nombreux  convois  de  porteurs  circuler  sur  la  route  de  Tiassalé 
à  Kong.  D'ailleurs,  les  statistiques  douanières  du  premier 
semestre  de  1902  donnent  des  chiffres  supérieurs  à  ceux  de  la 
mi>me  période  de  1901. 

Il  faut  souhaiter  cependant  que  notre  commerce  s'organise, 
ce  qu'il  n  a  pas  fait  jusqu'à  présent.  A  deux  ou  trois  exceptions 
près,  nos  négociants  suivent  les  errements  du  passé;  comme 
les  premiers  traitants,  ils  attendent  dans  leurs  comptoirs  du 
littoral  la  venue  des  marchands  indigènes;  ils  ne  tentent  pas 
de  pénétrer  dans  l'intérieur.  Seuls,  MM.  Dutheil  de  la 
Rochère  et  Audéoud  ont  donné  sous  ce  rapport  un  exemple  à 
suivre  :  ces  deux  intrépides  colons  parcourent  eux-mêmes,  à 
pied,  le  Baoulé  et  les  régions  de  Kong  et  de  Sikasso,  installant 
le  long  des  routes  des  magasins  approvisionnés  d'objets  recher- 
chés des  indigènes  (perles,  verroteries,  bijoux  en  métal, 
pagnes  de  tous  genres,  chapeaux  de  paille  et  chaussures)  ;  leurs 
échanges  portent  surtout  sur  le  caoutchouc.  Le  succès  a  répondu 
à  leurs  efforts  et  leurs  premières  campagnes  ont  été  très  fruc- 
tueuses :  cela  devait  être.  L'indigène  subit  la  loi  universelle  du 
désir  qui  agit  avec  tant  de  force  sur  l'homme,  quel  que  soit 
son  degré  d'intelligence  et  de  civilisation.  Pour  oblei^ir  les 
objets  qui  excitent  son  désir,  il  lui  faut  des  produits  à 
échanger  et  il  travaille  pour  se  les  procurer.  Ainsi,  sans  la 
moindre  pression,  sans  aucune  violence,  par  la  seule  force  du 
désir,  l'indigène  est  amené  progressivement  au  travail.  Par- 
tout où  s'installent  des  magasins  de  traitants,  les  noirs  arri- 
vent en  peu  de  temps  à  travailler  assez  pour  gagner  les  sommes 
nécessaires  à  l'achat  de  boubous  aux  couleurs  éclatantes,  de 
verroteries  et  de  bijoux  en  fer-blanc.  Sur  le  marché  de  Bouaké, 
trois  coquillages  nacrés  de  S  centimètres  .de  diamètre,  comme 
on  en  trouve  des  quantités  le  long  de  la  mer,  s'échangent 
pour  un  mouton;  quant  aux  coraux  et  aux  perles,  ils  se  ven- 
dent à  prix  d'or.  Malheureusement,  nos  commerçants  man- 
quent d'initiative  ;  ils  sont  timides,  n  osent  pas  pénétrer  dans 
l'intérieur  et  ne  font  aucun  effort  pour  supplanter  les  impor- 
tateurs étrangers. 

Une  constatation  d'actualité  après  la  menace  de  fièvre  jaune 
qui  vient  d'effrayer  toute  la  colonie,  c'est  que  les  épidémies  de 
ce  terrible  fléau  ne  ralentissent  en  rien  le  courant  commercial  : 
Tune  des  plus  violentes  fut  celle  de  1899,  et  c'est  précisément 
en  1899  et  en  1900  que  les  transactions  atteignirent  le  chiffre 
le  plus  élevé.  Cela  tient  à  ce  que  les  maisons  européennes  ont 
à  leur  service  des  indigènes  très  intelligents  qui  suppléent  les 
Européens  même  pendant  une  absence  de  longue  durée.  D'ail- 


SITUATION   ÉCONOMIQUE   DE  LA   CÔTE   d'iVOIRE 


445 


leurs»,  les  aborigènes  (apoUoniens,  jack-jack,  dioulas,  etc.)  ont 
des  aptitudes  commerciales  très  développées  ;  sans  savoir  écrire, 
ils  traitent  de  grosses  affaires  avec  les  commis  noirs  des  mai- 
sons de  commerce  qui  vont  les  voir  chez  eux.  Ces  commis  trans- 
portent avec  eux  des  marchandises,  qu'ils  donnent  aux  indi- 
gènes, sur  la  simple  promesse  de  ces  derniers  qu'à  telle  ou  telle 
époque  ils  remettront  à  un  bateau  passant  sur  la  côte  une  quan- 
tité déterminée  d'huile  ou  d'amande  de  palme,  de  caoutchouc, 
de  cire  ou  de  gomme.  Au  passage  du  bateau  indiqué,  les  indi- 
gènes viennent  à  bord,  remettent  au  capitaine  les  objets  con- 
venus et  retirent,  pour  la  forme,  un  reçu  qu'ils  ne  savent  du 
reste  pas  lire.  Comme  on  le  voit,  c'est  une  organisation  bien 
primitive  :  le  cas  d'indigènes  manquant  à  leur  parole  est  telle- 
ment rare  que  je  n'ai  pu  arriver  à  m'en  faire  citer  un  seul. 

Importations.  —  Le  tableau  suivant  indique  la  marche  des 
importations  pendant  les  trois  dernières  années  : 


DESIGNATION  DES   ARTICLES 


Animaux  Tivants 

Produits  et  dépouilles  d'animaus 

Pêche» 

Substances  animales  brutes 

Matières  dures  à  tailler 

Farines  alimentaires 

Fruits  et  graines 

Denrées  coloniales  de  consommation 

Huiles  et  sucs  végétaux 

Espèces  médicinales 

Bois 

Filaments,  tiges»  fruits  à  ouvrer 

ProduitK  et  déchets  divers 

Boissons 

Marbres,  pierres,  combustibles,  minéraux. 

Métaux 

Produits  chimiques 

Teintures  préparées 

Couleurs 

Compositions  diverses 

Poteries 

Verres  et  cristaux 

Fils 

Tissus 

Broderies  et  vêtements 

Papier  et  ses  applications 

Peaux  et  pelleteries  ouvrées 

Ouvrages  en  métaux , 

Armes,  poudres  et  munitions 

Meubles 

Ouvrages  en  bois , , 

Instruments  de  musique 

Ouvrages  de  sparterie  et  vannerie , 

Ouvrages  en  matières  diverses 


VALEUR    DES    IMPORTATIONS 


1899 

1900 

1901 

9.  in:; 

9.636 

13.043 

147.983 

175.9^9 

2  8.047 

n.967 

27.394 

40.929 

269 

953 

749 

3:; 

1.560 

3.158 

1T2.7H 

177  042 

296.562 

i:j.029 

5.715 

4.472 

340.656 

365.121 

314.862 

16.  "722 

23.045 

21.524 

i.irio 

1  609 

»i 

12.622 

32.636 

26.653 

m 

» 

413 

22.098 

19.516 

34.008 

916.878 

1.360.706 

941.510 

86.684 

112.187 

181.853 

85. 8n 

152.877 

97.481 

14i.68i 

175.873 

151.378 

1.845 

3.020 

365 

15.392 

17.716 

22.194 

173.339 

219. i62 

171  024 

55.3i9 

48.148 

48.669 

69.562 

322.381 

195.132 

53.451 

84.715 

80.969 

1.640. 797 

2.731.929 

1.671.929 

60.181 

95.992 

91.926 

11.080 

21.612 

26.193 

23.i01 

32.932 

40.854 

1.395.950 

2.139  569 

1.684.201 

535.041 

165.247 

227.346 

6.237 

15.656 

45.495 

216.029 

336.708 

442  94C 

9.3i7 

25.278 

17.896 

5.847 

9.051 

6.744 

131.301 

169.588 

173.470 

446 


QUESTIONS    DIPLOMATIQUES   ET   GOLOMALEh 


I 


Les  principaux  articles  d'importation  *  ^ontles  tissus,  les  bois- 
sons et  les  métaux.  Les  tissus  sont  en  coton,  de  qualité  infé- 
rieure, mais  teints  avec  des  couleurs  éclatantes  qui  plaisent 
aux  clients  de  ces  pays.  Les  usines  de  Manchester  fournissent 
presque  exclusivement  le  marché;  les  tissus  français  et  alle- 
mands ne  se  vendent  pas  ;  nos  compatriotes  eux-mêmes,  après 
quelques  tentatives  inutiles  pour  introduire  les  toiles  de  la 
métropole,  ontlini  par  s'approvisionner  en  Angleterre. 


Tableau  des  importations  de  tissas  de  1809  à  1001 

ANNÉES 

ORIGINE  FRANÇAISE 

ORIGINE  ÉTRANGÈRE 

1800 

97.016 
131.194 
or;.  637 

1.543.121 
2.600,7:^5 
1.400.511 

1000 

1001 

Je  fais  ici  la  même  constatation  que  j'ai  déjà  faite  il  y  a  cinq 
ans  à  Madagascar,  c'est  que  notre  marché  des  toiles  jue  sait 
pas  se  mettre  à  la  portée  du  consommateur  noir  et  fabriquer  à 
bon  marché  des  articles  qui  lui  plaisent.  Il  a  fallu,  pour  intro- 
duire nos  produits  à  Madagascar,  Ténergique  volonté  du  géné- 
ral Gallieni  qui  a  protégé  notre  industrie  nationale  par  tous  les 
moyens  en  son  pouvoir  et  a  pu  obtenir,  grâce  à  son  habilet<^ 
gouvernementale,  de  certaines  chambres  de  commerce  fran- 
çaises, la  fabrication  de  modèles  aimés  des  Malgaches  comme 
dimensions,  couleurs  et  dessins.  Actuellement,  un  tarif  doua- 
nier protecteur,  maintenu  malgré  les  protestations  de  TAngle- 
terre,  permet  à  nos  toiles  de  lutter  avec  les  toiles  anglaises  à 
Madagascar.  Hélas  !  aucun  tarif  protecteur  ne  peut  être  appli- 
qué à  la  t^ôte  d'Ivoire,  car  la  malencontreuse  convention  du 
14  juin  1898  le  rendrait  inutile. 

L'entrée  des  alcools  est  tombée  de  1.360.706  en  1900  à  941.510 
en  1901  ;  mais  ici  je  fais  une  constatation  satisfaisante,  c'est 
que  nos  vins  tiennent  tout  le  marché  local  et  que  nos  cidres, 
bières  et  limonades  y  occupent  la  première  place  ;  en  revanche, 
les  alcools  purs  sont  presque  tous  étrangers. 

Les  métaux  et  les  ouvrages  en  bois  ont  donné  lieu  à  des 
entrées  qui  s'élèvent  à  1.640.797  en  1899;  à  2.731.929  en  1900 
et  à  1.684.201  kilos  en  1901.  Cet  afflux  relativement  considé- 
rable a  pour  cause  les  travaux  entrepris  depuis  trois  ans  et  qui 

1  Ces    renseignements  statistiques  sur  le    mouvement    commercial   de  la   Côte 
•d*Ivoirc  n'ont  encore  été  publiés  nulle  part. 


I     .^ip^^w 


'^TT' 


SITUATION   ÉCONOMIQUE    DE    LA    CÔTE   D'iVOIRE 


447 


attestent,  mieux  que  toute  autre  chose,  Timportant  mouvement 
qui  se  produit  vers  la  Côte  d'Ivoire. 

L'augmentation  des  farineux  alimentaires  du  papier,  des 
meubles  et  des  ouvrages  en  bois  est  consécutive  à  Tinstallation, 
dans  une  partie  de  la  colonie,  de  nos  troupes  et  des  services 
coloniaux. 

Le  commerce  de  la  poudre  et  des  armes  de  traite,  qui  était 
interdit  depuis  de  longues  années,  a  été  rendu  libre  au  mois  de 
mars  dernier;  l'entrée  de  ces  matières  vaudra  à  la  colonie  une 
recette  annuelle  de  5  à  600.000  francs  de  droits,  mais  au  point 
do  vue  politique  l'effet  est  désastreux.  Dès  qu'elles  ont  été  de 
nouveau  armées,  les  populations  de  l'intérieur  n'ont  pas 
li«»sité  à  se  soulever,  et  les  pertes  si  cruelles  que  nous  avons 
subies  depuis  cette  époque  nous  prouvent  durement  que  la 
décision  proclamant  libre  le  commerce  des  armes  et  de  la 
poudre  a  été  prématurée. 

Exportations.  —  Les  exportations,  dont  nous  donnons  ci- 
dessous  le  tableau  comparatif  pour  1900  et  1901  permettent  de 
se  rendre  compte  des  richesses  naturelles  de  la  Côte  d'Ivoire. 
Sauf  le  café  qui  paraît  devoir  bien  s'acclimater,  tous  les  pro- 
duits naturels  sont  spontanés. 


DESIGNATION 

DES    PUODUITS 


PAYS 

D& 

DESTINATION 


France 
llltranger 


Acajou 

Amandes  do  palmes )  Eî"*"^^ 

^  I  étranger 

CalV  ^  France 
/  Etranger 

'--"'«^''O- • iKler 

»"''*-!«  P»'- ÎEuaTgor 


i  France 

'f  Etranger 

;  France 

!  Etranger 


Ivoire. 


Poudre  d'or. 


QUANTITÉ 

1900  1901 


151.^63 
1.056.599 

208.145 
320.800 

5H.825 
4.980 

80.289 
4.652.725 

1.200.018 
215.583 

3.783 
8.216 

i:{.392 
11.650 


lu.  096 
68U.182 

212.355 
273.542 

62.801 
9.060 

91.028 
2.593.372 

1.2i8.914 
465.093 

10.734 
17.134 

39.108 
25.112 


niFPKRENCE 


—  18.367 
—  376.417 

-f-  4.210 

—  46.658 

4-  5.976 
—  4.080 

-h  10.739 
—2.059.353 

-+-    18.896 
+  189.510 

H-  6.915 
+  8.918 

-h  25.716 
4-  03.46J 


L'ivoire  et  Tor  ont  subi  une  baisse  sensible,  elle  provient  de 
et»  que  rindigène  chasse  et  lave  moins  depuis  l'occupation  du 


448  QUKSTiONS    DIPI.OMATIQUBS   ET   COLONIALKS 

pays  par  nos  troupes,  La  France,  F  Angleterre  et  FAllemafaie 
profitent  seules  des  exportations,  et  encore  cette  dernière  en 
reçoit-elle  très  peu.  Une  constatation  consolante,  c'est  que  si 
l'ensemble  ^les  exportations  a  diminué  dans  une  forte  pro« 
portion,  ce  qui  parait  Hre  le  résultat  de  l'état  de  guerre  actuel, 
cette  diminution  a  porté   surtout  sur  le  commerce  étranger. 

• 

l 

I  CONCLUSION. 

Ç  II  faut  reconnaître  que  de  toutes  nos  colonies  de  l'Afrique 

?  Occidentale,  c'est  celle  de    la  Côte   d'Ivoire  qui  a  le   moins 

^  progressé  :  alors  que    partout  ailleurs  une  impulsion  vigou- 

reuse était  donnée   tant  aux   opérations  militaires  qu'à  l'or- 
ganisation administrative    et    coloniale,  la  Côte   d'Ivoire  res- 
tait stationnaire.  Les  mutations  incessantes  du  personnel  colo- 
•  niai,   les  épidémies  de  fièvre  jaune,  les  difficultés  de  pénétra- 

[  tion  de  la  zone  forestière,  l'hostilité  très  vive  des  habitants  ont 

:;  longtemps  arrêté  tout  progrès.  Le   moment  semble  venu  où 

f:  elle  va  prendre  son  essor.  Nos  troupes  parviennent  enfin,  au 

prix  de  bien  cruelles  pertes,  à  pacifier  le  Baoulé  qui  fut  jusqu'à 
ce  jour  le  centre  de  la  résistance.  Nul  doute  que  derrière  elles. 
jr  comme  cela  s'est  produit  ailleurs,  nos  colons  et  nos  commer- 

[  çants  viennent  s'installer.  Cependant  nous  ne  saurions  engager 

^  nos  compatriotes  de  tenter  une  exploitation  sans  gros  capitaux; 

;  l'Européen  ne  saurait,  sous  un  pareil  climat,  faire  autre  chose 

que  diriger  ou  surveiller. 

La  colonie  est  actuellement  prospère,  sa  situation  financière 
^  est  bonne,  son  mouvement  commercial  progresse;  enfin  on  y 

:  trouve  une  certaine  main-d'œavre  :  on  peut  donc  avoir  pleine 

confiance  dans  son  avenir,  surtout  si  son  lieutenant-gouverneur 
est  bien  décidé  à  aider  par  tous  les  moyens  l'exploitation  colo- 
niale. J'ai  tout  lieu  de  croire  que  tel  est  le  cas  :  je  souhaite  donc 
vivement  que  les  capitaux  français  se  portent  vers  cette  colonie 
dont  les  richesses  naturelles  sont  si  nombreuses,  qu'ils  y  luttent 
pied  à  pied  contre  les  capitaux  étrangers,  malgré  les  con- 
ditions défectueuses  dans  lesquelles  les  place  la  convention  de 
juin  1898,  et  que  là,  comme  en  Indo-Chine,  comme  à  Mada- 
gascar, nous  ayons  bientôt  une  nouvelle  victoire  économique 
à  enregistrer 

J.    XlOR. 


i 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES 


L  —  EUROPE. 

France.  —  Le  budget  des  Affaires  étrangères  au  Sénat.  —  La  discussion 
du  budget  des  Affaires  étrangères  au  Sénat  a  été  très  courte,  et  cette 
fois  encore  nous  devons  répéter  notre  regret  de  la  place  si  restreinte 
faite  à  notre  politique  extérieure  dans  les  débats  parlementaires. 
Deux  orateurs  seulement  ont  pris  la  parole,  pour  lu  discussion  géné- 
rale :  M.  le  comte  d'Aunay ,  qui  a  traité  de  la  question  de  Macédoine,  et 
M.  le  vice-amiral  de  Guverville  qui  a  demandé  des  explications  sur  la 
situation  au  Maroc.  Au  premier,  M.  Delcassé  s'est  borné  à  répondre 
qu'il  n'avait  rien  à  ajouter  aux  déclarations  faites  récemment  par  lui 
devant  la  Chambre  des  députés.  Au  second,  le  minisire  a  fait  la  ré- 
ponse suivante  qui  ne  semble  pas  témoigner  d'un  grand  optimisme  : 

M.  Delcassé,  ministre  des  Affaires  étrangères.  —  M.  Tamiral  de  Cuver- 
ville  a  parlé  du  Maroc.  Messieurs,  il  m'est  impossible,  à  l'heure  actuelle, 
quelque  désir  que  j'en  aie,  de  constater  un  changement  dans  la  situation 
du  Maroc.  Je  voudrais  pouvoir  dire  qu'elle  s'est  améliorée  :  il  semble  plu- 
tôt que  l'insurrection,  après  avoir  subi  un  temps  d'arrêt,  veuîllo  faire  tle 
nouveaux  progrès. 

Une  longue  habitude  fait  que  le  Maroc  souffre  moins  de  cet  état  violent 
d'anarchie  auquel  ne  résisterait  pas  longtemps  un  pays  organisé.  Nous  ne 
verrions  pas,  cependant,  sans  appréhension  l'agitation  révolutionnaire  se 
rapprocher  de  notre  frontière  algérienne,  nous  obligeant  ainsi  à  renforcer 
les  coûteuses  mesures  de  précaution  que  nous  avons  dû  prendre  à  la  lin  du 
mois  de  décembre. 

Le  fanatisme  musulman  est  contagieux,  et  il  n'est  plus  douteux,  à 
l'heure  actuelle,  que  le  mouvement  insurrectionnel  soit  dû  à  un  réveil  du 
fanatisme. 

Heureusement,  les  nouvelles  de  la  cote  et  des  ports  continuent  de  repré- 
senter la  tranquillité  comme  absolue  et  les  étrangers  comme  en  parfaite 
sécurité;  de  sorte  que,  libres  de  préoccupations  de  ce  cofé,  nous  pouvons 
à  l'intérieur  redoubler  de  vigilance  pour  la  protection  éventuelle  de  nos 
intérêts  exclusifs. 

On  a  passé  ensuite  à  la  discussion  des  articles  qui  ont  tous  été  votés 
très  rapidement.  Deux   incidents  cependant   se  sont  produits  qui 

Q0B8T.  DiPL.  iT  jCol.  —  T.  XV.  29 


450  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

méritent  d'être  relevés.  A  Toccasion  du  chapitre  iv  (traitement  des 
ageûts  diplomatiques  ^t  cottsnlairwi)^  M.  Clemenceiaa  a  demandé  le 
rappel  de  notre  ambassadeur  auprès  du  Vatican,  comme  consé- 
quence des  déclarations  faites  précédemment,  au  Sénat  même,  par 
le  président  du  Conseil  lors  de  la  discussion  du  budget  des  Cultes. 
M.  Clemenceau  a  rappelé  en  effet  que  M.  Combes  avait  déclaré  que 
«  les  relations  sont  actuellement  plus  tendues  qu'elles  ne  l'ont  jamais 
(c  été  depuis  Napoléon  P',  entre  l'Église  et  la  République  d,  etqae  le 
gouvernement  se  trouvait  désarmé  vis-à-vis  du  Saint-Siège.  Le  séna- 
teur du  Var  a  cru  devoir  faire  observer  qu'une  arme  cependant  res- 
tait à  la  disposition  du  gouvernement,  arme  d'ailleurs  classique,  le 
rappel  de  son  ambassadeur.  M.  Delcassé,  vivement  pressé  de  répon- 
dre,  a  déclaré  que  «  rien  dans  les  rapports  entre  la  Républtqiie  et  le 
«  Saint-Siège  ne  lui  paraissait  de  ttature  à  justiBer  une  parc^e  me* 
«  BOPt  ».  M.  Glemenceaa  a  ripo«fté,  avec  toute  l'ironique  insislaace 
dont  il  est  coutumier,  que  le  ministre  des  Affaires  étrangères  lai 
semblait  en  parfaite  contradiction  d'opinion  avec  le  président  du 
Gonsieil.  Puis  le  Sénat  a  repousfsé  la  motion  de  M.  Ctemenoean  par 
492  voiK  contre  Ifô. 

Le  second  incident  a  été  la  manifestalion  très  platonique  de 
M.  Delpech  quia  réclamé  la  snpppsssion  des  allocations  aux  établis- 
sements français  en  Extrême-Orient.  Cette  motion  a  été  également 
refOi»8ée,  et  cette  fois  sans  débat»  par  182  voix  contre  77.  Il  est  inté- 
ressant, à  ce  propos,  de  souligner  l'importance  de  la  majorité  qui  par 
deux  fois  s'est  retrouvée,  au  Sénat,  pour  défendre  notre  politique 
traditionnelle. 

—  Noire  réseau  télégraphique  sous-marin.  —  La  question  des  cébies 
sous-marins  vient  heureusement  de  faire  un  progrès  sensible.  Le 
ministre  du  Commerce,  M.  Trouiilot,  a  déposé  le  12  mars,  sur  le 
bureau  de  la  Chambre,  un  projet  de  loi  préparé  d'accord  avec 
M.  ftouvier,  ministre  des  Finances,  et  M.  Alexandre  Bérard,  sous- 
sccrétaire  d'Etat  des  Postes  et  des  Télégraphes,  et  portant  antorisa- 
tion  de  faire  figurer  au  budget,  pendant  une  période  de  trente -cinq 
ans,  une  annuité  à  l'aide  de  laquelle  PËtat  poursuivra  l'établissement 
du  réseau  télégraphique  sous-marin  indispensable  à  la  sécurité  et  à 
Texpansion  commerciale  et  industrielle  de  notre  domaine  colonial. 

De  l'exposé  des  motifs  du  projet,  nous  détachons  les  passages  sui- 
vants, qui  en  précisent  la  portée  et  qui  expliquent  la  conduite  dn 
gouvernement  en  cette  occasion  : 

On  sait  que  le  Parlement  a  manifesté,  à  diverses  reprises,  l'importaDce 
qu*il  attache  à  la  constitution  d*uD  réseau  national  de  câbles  sous-marins 
apurant  à  la  métropole  des  communications  rapides  et  directes  avec  se» 
possessions  d'outre- mer. 


'\ 


1 


RENSEIGNBMENTS   POLITIQ UiSS  451 

Les  crédits  spéciaux  quïl  a  déjà  votés  ont  permis  d'assurer  la  sécurité 
Je  DOS  relations  avec  Tlndo-Ohine,  par  rétabiissement  du  câble  de  Ton-' 
raae  à  Amoy,  de  relier  Oran  à  Tan^r  et  enfin  de  raeheter  tout  un  réseam 
de  câbles  qui  donnent  à  nos  colonies  du  Sénégal,  de  la  Guinée,  de  la  Où^ 
d'Ivoire,  du  Dahomey  et  du  Congo,  les  moyens  de  communiquer  directe^ 
ment  entre  elles  par  lès  lignes  françaises. 

Mais  le  gouvernement  a  pensé  que  ce  n'était  là  qu'une  partie  de  Tœuvre 
à  accomplir. 

Le  câble  dont  rétablissement  lui  a  paru  le  pins  urgent  et  le  plus  dési- 
rable est  celui  de  Brest  à  Dakar,  qui  reliera  directement  la  France  à  se» 
colonies  de  la  côte  occidentale  d^Âfrique,  et  constituera  une  voie  téiégra^ 
pliique  de  premier  ordre,  rapide,  sûre,  et  exempte  des  défectuosités  et^s 
incertitudes  de  la  voie  actuelle.  Le  Sénégal  étant  relié  au  Brésil. par  un 
câble  direct,  il  en  résultera  une  amélioration  sensible  des  relatioQS<4;élégra^ 
jîbiques  entre  la  France  et  TAmérique  du  Sud  où  les  intérêts  français  sont 
si  importants. 

Eq  outre,  il  a  paru  au  gouvernement  qu'il  devait  faire  cesser  au  plus 
tût  1  isolement,  au  point  de  vue  télégraphique,  de  notre  colonie  de  la  Réu- 
nion, en  posant  un  câble  entre  cette  île  et  Madagascar  qui  est  reliée  au 
réseau  télégraphique  général  par  le  câble  de  Majunga  à  Mozambique.  Afin 
de  doubler  les  voies  télégraphiques  dont  pourront  disposer  nos  deux  colo- 
nies, le  gouvernement  a,  d'autre  part,  négocié  avec  le  gouvernenreirt  anglais 
l>our  l'obtention  du  droit  d'atterrissage  à  Tile  Maurice  d'un  cÂble  venant 
de  la  Réunion.  De  la  sorte,  ces  colonies  disposeront,  pour  atteindre  le 
coiuinent,  de  deux  voies  bien  distinctes  :  la  voie  actuelle,  par  le  câble  de 
Uajunga-Mo^^mbique,  et  la  voie  Maurice-les-Seychelles-Zanzibar. 

Enfin,  il  a  été  engagé  avec  le  gouvernement  hollandais  des  pourparlers 
••/j  vue  de  la  pose  d'un  câble  entre  Saigon  et  Pontianak,  dans  l'île  de 
llornéo,  avec  atterris-sement  à  l'ile  de  Poulo-Condor,  câble  que  le  gouver- 
nement hollandais  prolongera  jusqu'à  Batavia. 

La  nouvelle  ligne  française,  en  permettant  aux  possessions  néerlandaises 
'le  communiquer  avec  leur  métropole  sans  emprunter  les  lignes  anglaises, 
issureraiî  à  nos  lign<»s  d'Extrême-Orient  un  trafic  rémunérateur. 

On  connaît  assez  noire  sentiment  sur  cette  question  des  càhiee 
sous-marins  et  avec  quelle  insistance  noiis  avons  toujours  réclamé 
(a  constitution  d'un  réseau  français  autonome  des  communications 
télégraphiques  sous-marines.  Nous  ne  pouvons  aujourd'hui 
qu'applaudir  à  rétablissement  du  câble  Brest-Dakar  qui  est  un  pre- 
mier pas  dans  la  voie  que  nous  avons  si  ardemment  préconisée; 
mais  nous  constatons  avec  regret  que  nos  communications  avec 
la  Réunion  et  Madagascar  restent  dans  la  dépendance  absolue  des 
réseaux  anglais. 

—  Fédération  des  imlustriêh  et  commerçants  françdis ,  —  Sous  ce  Utre 
vient  de  se  constituer  à  Paris  un  important  groupement  dont  la 
réunion  préparatoire  a  eu  lieu  le  24  mars  1903,  sous  la  présidence 


I 


45^  OU  ESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

de  M.  Fouruier,  président  de  la  Chambre  syndicale  du  commerce 
dexporlalion.  Dans  une  conférence  très  applaudie,  M.  Georges 
Blondel,  le  distingué  professeur  de  l'Ecole  des  Hautes  Etudes 
commerciales,  a  exposé  la  genèse  et  l'organisation  des  grandes 
associations  allemandes  d^industrie  et  de  commerce,  dont  Faction 
sur  la  vie  économique  de  nos  voisins  d'outre-Rhin  est  devenue  si 
puissante  depuis  quinze  ans  surtout.  C'est  un  exemple  à  imiter,  en 
Tadaplant  aux  besoins  et  au  tempérament  de  notre  pays  dans  le- 
quel, faute  de  cohésion,  les  efforts  des  individus  et  des  groupements 
(Chambres  de  commerce,  Syndicats,  etc.)  restent  trop  souvent  sté- 
riles, 

L*ordre  du  jour  suivant  a  été  ensuite  voté  à  l'unanimité  des 
dCk)  personnes  présentes  : 

«  L'assemblée,  après  avoir  entendu  Texposé  de  M.Georges  Blondel 
sur  les  institutions  industrielles  et  commerciales  et  les  conclusions 
de  M.  Paul  Fournier,  président  de  la  séance,  sur  la  nécessité  de  leur 
adaptation  aux  besoins  de  l'industrie  et  du  commerce  de  la  France. 

a  Confie  au  bureau  du  Comité  d'initiative  le  soin  de  préparer  les 
voies  et  moyens  pour  réaliser  les  idées  exposées  et  notamment  de 
rédiger  les  statuts  qui  seront  soumis  à  Tapprobation  d'une  assem- 
blée ultérieure.  » 

Nécrologie.  —  Mort  de  Vexplorakur  Roussel,  —  Un  càblogramme  a 
récemment  annoncé  la  mort,  au  cap  Lopez,  de  l'explorateur  Alexis 
Rousset,  administrateur  des  colonies,  au  moment  où  il  rentrait  d'une 
mission  dans  le  bassin  du  Chari.  Il  venait  de  reconnaître  par  la 
rivière  Fafa,  affluent  du  Bahr  Sara,  qui  se  jette  dans  le  Chari,  une 
route  plus  courte  que  celle  qui  a  été  suivie  jusqu'ici  pour  passer  du 
bassin  du  Congo  dans  le  bassin  du  Tchad,  soit  de  Krébedgé  (fort 
Sibut)  à  Gribingui  (fort  Crampel).  Krébedgé  étant  par  5*45  et  Gri- 
bingui  par  T*»!,  le  nouveau  poste  créé  au  confluent  de  la  Fafa  et  de  la 
Faba  est  situé  par  un  peu  moins  de  6*  Nord.  C'est  donc  un  gain  de 
prés  de  200  kilomètres,  ce  qui  est  grandement  appréciable  au  point 
de  vue  de  la  facilité  des  ravitaillements  du  bataillon  du  Tchad. 

Antérieurement  à  cette  exploration,  M.  Rousset  avait  parcouru 
toute  la  région  du  Ban  gui';  il  avait  reconnu  et  dessiné  une  boucle 
qui,  parlant  de  Bangui,  englobait  Ouadda  et  ses  collines  d'arrière, 
avec  la  haute  M'Poko,  inexplorée  jusque-là. 

Pendant  les  opérations  des  trois  grandes  missions  africaines  contre 
Rabah,  M.  Rousset  commandait  le  cercle  de  Krébedgé,  où  il  assura 
le  raviwaillement  de  nos  troupes  et  lit  preuve  de  grandes  qualités. 

M.  Gentil  venait  de  le  choisir  comme  son  chef  de  cabinet,  el  ii 
allait  recevoir  la  juste  récompense  qui  depuis  longtemps  lui  était 
due. 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  453 

Allemagne.  —  La  Triph  AlliancB  :  le^t  déclarations  de  M,  dé  Billow. 
•— On  se  rappelle  les  déclarations  faites  à  la  Chambre,  le  4  juillet 
dernier,  par  M.  Delcassé  à  roccasion  du  renouvellement  de  la  Triple 
.        Alliance. 

«Nous  avons  acquis  la  certitude,  disait  alors  notre  ministre  des 
«  Affaires  étrangères,  que  la  politique  de  l'Italie,  par  suite  de  ses 
a  alliances,  n'est  dirigée  «i   directemmt  ni   hidireetement   contre  la 
!         er  France...  et  quen  aucun  cas  y  et  sous  aucune  forme^  V  Italie  ne  peut  de- 
i        «  venir  ni  V instrument  ni  l'auxiliaire  "d'une  agression  contre  notre  pays,  » 
A  cette  époque,  commentant  les  paroles  de  M.  Delcassé*,  nous 
I        exprimions  les  doutes  patriotiques  que  cette  assurance  ne  parve- 
I        naît  pas  à  dissiper,  et  nous  ajoutions  que  «  l'expression  des  senti- 
\        «  ments  et  des  vues  du  gouvernement  italien,  dont  M.  Delcassé  se 
«  faisait  ainsi  l'interprète,  aurait  dû  se  retrouver  tout  au  moins 
I        c  dans  un  document  diplomatique  émanant  de  la  Consulta  ».  , 

Depuis  lors  aucun  document  confirmant  les  paroles  de  M.  Del-' 
I  cassé  n'a  été  publié  par  le  gouvernement  italien.  Tout  récemment 
même,  le  16  mars,  M.  fiaccelli,  ministre  intérimaire  des  Affaires 
étrangères  en  l'absence  de  M.  Prinetti,  ayant  l'occasion  de  s'expli- 
quer sur  les  relations  franoo-italiennes,  s'est  borné  à  faire  des 
déclarations  relatives  aux  questions  méditerranéennes  mais  qui  se 
taisent  soigneusement  sur  le  point  précis  qui  nous  intéresse  le  plus^ 
c'est-à-dire  la  coopération  éventuelle  de  l'Italie  avec  l'Allemagne  en 
>       cas  de  guerre  contre  la  France. 

I  Par  contre,  quelques  jours  plus  tard,  le  20  mars,  M.  de  Bulow 

^        sexpliquait,  devant  le  Reichstag,  sur  la  politique   extérieure  de 

l'Empire,  et  la  précision  de  ses  déclarations,  sur  cette  question  même 

(de  la  Triple  Alliance,  forme  un  contraste  saisissant  avec  le  silence 
inquiétant  du  ministre  italien.  Voici  en  eflTet  comment  s'est  exprimé 
M.  de  Btilow  : 

Le  renouvellement  en  temps  voulu  de  la  Triple  Alliance  est  une  preuve 
qu'elle  ne  repose  pas  sur  une  installation  polilique  accidentelle,  passagère 
ou  artificielle,  mais  sur  des  intérêts  et  des  besoins  permanents,  existant 
également  pour  les  trois  puissances  contractantes.  La  Triple  Alliance 
n'impose  à  une  extension  extérieure  de  chacun  de  ses  membres  aucune 
autre  limite  que  celles  qui  résultent  du  maintien  du  statu  quo  et,  par  là 
même,  du  maintien  de  la  paix. 

Son  renouvellement  ne  s'est  pas  effectué  sans  embarras  ni  sans  difîi- 
eulté,  car,  en  Autriche-Hongrie  et  en  Italie,  la  Triple  Alliance  a  des  ad- 
versaires qui  ont  été  soutenus  par  des  courants  de  Textérieur  hostiles  à 
celle-ci.  On  a  maintenu  à  l'alliance,  en  la  renouvelant,  son  caractère  dé- 
fensif.  Nous  restons  fidèles  à  la  Triple  Alliance  avec  une  fidélité  tout  alJe- 

»  Quest,  Dipl.  et  Col,  15  juiUet  1902,  t,  XIV,  p.  11  i  et  suiv. 


L 


454  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

JBiiiiëe,  mais  nous  avons  aussi  toutes  les  garanties  possibles,  nous  assu- 
rait que  nos  alliés  resteront  fidèlement  à  nos  côtés. 

La  Triple  Alliance  n'a  rien  à  voir  avec  les  [questions  douanières  et  de 
politique  commerciale.  * 

Nous  avons  à  cette  alliance  un  intérêt  qui  n  est  pas  moindre  que  celui 
des  autres  puissances,  mais  qui  n'est  pas  plus  considérable  de  la  valeur 
même  d'un  atome.  Cette  affirmation  que  la  [Triple  Alliance  a  perdu  de 
son  importance  n'est  qu'une  plaisanterie  inoffensive  à  laquelle  nous  lais- 
sons bien  volontiers  se  livrer  ceux  qui  caressaient  l'espoir  que  l'alliance 
ne  serait  pas  renouvelée. 

La  Triple  Alliance  n'a  changé,  en  effet,  ni  de  caractère  ni  d'importance. 
Elle  maintiendra  le  même  équilibre  international  qu'elle  a  maintenu  jus- 
qu'à présent.' 

Parlant  ensuite  de  la  déclaration  faite  le  4  juillet  dernier  par 
M.  Delcassé  à  la  Chambre  française,  M.  de  Blilow  a  ajouté  : 

Le  baron  de  Hertling  a  commenté  aussi  la  réponse  qu'a  faite  M.  Delcassé. 
à  la  Chambre  française,  à  une  interpellation  au  sujet  du  renouvellement 
de  la  Triple  Alliance.  Lorsque,  à  cette  occasion,  M.  Delcassé  a  affirmé  quo 
l'Italie  n'était  pas  obligée  de  participer  à  une  attaque  contre  la  France, 
mon  honoré  collègue  des  Affaires  étrangères  a  simplement  voulu  dire  que 
la  Triple  Alliance  était  une  alliance  pacifique  dont  personne  n'avait  à 
craindre  une  attaque  injustifiée.  Il  y  a  longtem[)s  que  l'opinion  publique 
•en  Allemagne  est  convaincue  de  cela.  Nous  ne  pouvons  cependant  que 
nous  réjouir  de  voir  cette  conception  du  caraciêre  pacifique  de  la  Triple 
Alliance  s'imposer  en  France. 

Il  n*est  pas  besoin  d'insister  davantage  sur  l'importance  recti- 
ficative de  ces  déelarations.  On  voit  par  là  combien  nous  avions 
raison  de  faire  toutes  nos  réserves  au  sujet  d'un  optimisme  qui  nous 
semblait  plutôt  inspiré  par  les  nécessités  d*une  politique  ministé- 
rielle que  par  les  réalités  de  la  situation. 

Turquie.  —  La  question  de  Macédoine,  —  C  est,  pour  le  moment,  la 
crise  ministérielle  bulgare  qui  est  le  point  le  plus  important  dans 
l'ensemble  des  questions  se  rattachant  aux  affaires  de  Macédoine.  Le 
général  Paprikof,  ministre  de  la  Guerre  de  Bulgarie,  a  donné  sa 
démission,  parce  que,  en  vue  de  complications  possibles,  il  était  par- 
tisan de  préparatifs  militaires  estimés  exagérés  par  le  reste  du  gou- 
vernement. A  propos  de  son  remplacement,  il  y  a  lutte  entre  deux 
inûuences  contraires,  l'une  plus  belliqueuse,  l'autre  plus  pacifique. 
On  voudrait,  naturellement,  que  ce  fûl  celte  dernière  qui  l'emportât. 
Par  malheur,  elle  est  contrecarrée,  au  profil  de  la  tendance  opposée, 
par  l'espèce  de  temps  d*arrét  qui  semble  s'être  produit  dans  k  mise 
à  exécution  des  réformes. 

Le  grand  vizir,  dans  une  interview  avec  le  correspondant  du  Novm 


j 


RENSEIGNEMENTS  POEITIQUES  455 

Vrkmj  a  bieo  insisté  sur  les  résultats  obtenus  et  sur  la  bonne 
Tolontédu  gouvernement  ottoman  à  réformer  dans  le  sens  de  la  note 
austro-russe.  Maison  voudrait  que  des  actes  suivissent  ces  paroles. 
Or,  on  ae  peut  que  regretter  que,  malgré  les  demandes  instanti?^;  di-s 
ambassadeurs  de  Russie  et  d*Autriche*Hofigrie,  la  Porte  n*ait  pas  en- 
core  remis  le  règlement  des  réformas  sur  la  base  du  memoraiidiiut 
austro«>russe,  ee  qui  entretient  le  soupçon  qu'elle  n'exécuternit  ces 
réformes  qu*à  contre-cœur.  Des  troubles  continuent  d'être  signali^s, 
d'autre  part,  sur  différents  points  de  la  Macédoine;  il  semblera) I 
qu'il  y  eût  là  une  raison  d'enlever  tout  prétexte  aux  agitateurs. 


IL  —  AFRIQUE. 

Afriqut  Oecidentale  française.  —  L'emprunt  de  65  mUlicns.  — 
M.  Doumergne,  ministre  des  Colonies,  a  déposé  le  24  mars  sur  U* 
bureau  de  la  Cbambre  le  projet  autorisant  le  gouvernement  génenM 
de  l'Afrique  Occidentale  à  emprunter,  à  un  taux  d'intérêt  qui  n  !  srr- 
dera  pas  3,50  % ,  une  somme  de  65  millions  remboursable b^  en 
Claquante  ans.  Ces  65  milHons  seraient  ainsi  répartis  : 

1°  Travaux  d'assainissement 5.450.000     Fr. 

2»  Travaux  d'aménagement  des  ports 1 2. 600. 00* »    — 

3«  Travaux  d'ouverture   des  voies  de    pénétration  : 

a)  Etudes  du  chemin  de  fer  reliant  Kayes  à  la^ligne 

Dakar^ Saint- Louis  et  amélioration  des  fleuves 

Sénégal  et  Niger 5.500.000    — 

6)  Chemin  de  fer  de  la  Guinée i7.00O.0O0    ^ 

c)  Chemin  de  fer  de  la  Côte  d'Ivoire 10.000.000    ^ 

4o  Capital  restant  à  reinbourser  pour  les  emprunts  de 
8  millions  et  4  millions  contractés  par  la  colonie 
delà  Guinée  en  1899  et  en  1901  pour  la  cons- 
truction de  son  chemin  de  fer,  y  compris  les 
indemnités  dues  pour  remboursement  anticipé.  i  i  .648.0B'I    — 

5®  Capital  restant  à  rembourser  sur  l'emprunt  de  5  mil- 
lions contracté  en  1892  par  la  colonie  du  Sénégal.  2.654.6*V^    -^ 

6»  Divers  et  à  valoir 147 . 2H":     — 

Total 5o.0O0.i>00     IV. 

Maroc.  —  La  situation,  —  Le  Temps  a  reçu  de  Tanger  la  cotï  l'-^- 
pondance particulière  suivante  qui  présente  un  exposé  inléressant  ^l 
très  exact,  semble-t-il,  de  la  situation  actuelle  au  Maroc  : 

Tanger,  H  mars. 
La  situation,  qui  semblait  récemment  s'être   quelque  peu  modiin^*'  a 
Tavantage  du  makhzen,  apparaît  actuellement  aussi  incertaine  qu'a^^nt  \** 


456  QL'ESTIo^s  diplomatiques  et  coloniales 

combat  du  29  janvier,  dans  lequel  les  forces  chérifiennes  avaient  réussi  à 
disperser  les  partisans  du  prétendant.  Si  le  manque  de  cohésion  des 
rebelles  et  les  difficultés  de  ravitaillement  qu'ils  éprouvent  dès  qu'ils  quit- 
tent leur  pays  montagneux,  écartent  Thypothèse  d'un  second  coup  de 
main  contre  Fez,  la  situation  des  troupes  du  sultan  n'est  pas,  il  faut  en 
convenir,  beaucoup  plus  brillante.  L'esprit  des  soldats  n'est  rien  moins 
que  favorable  à  une  offensive  vigoureuse  contre  les  insurgés  et  la  position 
choisie  par  ces  derniers  dans  la  région  montagneuse  du  territoire  des 
Senhadja,  la  plus  inaccessible  à  la  cavalerie,  paralyse  les  mouvements  de 
la  colonne  expéditionnaire.  On  est  convaincu  maintenant  que  TassuraDce 
donnée  à  diverses  reprises  par  le  ministre  de  lajGuerre  de  la  capture  immi- 
nente du  prétendant  n'avait  pour  but  que  de  calmer  l'impatience  de  son 
souverain  et  que  de  contrecarrer  en  somme  les  agissements  de  quelques 
vizirs  trop  enclins  à  profiter  de  son  absence  pour  le  supplanter  dans  les 
bonnes  grâces  de  Mouley  Abd  El  Aziz.  Après  avoir  opéré  sans  résultat 
quelques  razzias  contre  les  fractions  les  plus  faibles  de  la  tribu  de  Hiaîna, 
El  Menehebi,  fort  découragé,  vient  d'ailleurs  de  rentrer  avec  une  partie 
des  troupes  à  Fez  où  il  essaie,  dit-on,  de  convaincre  ses  collègues  du 
makhzen  du  bon  effet  que  produirait  la  présence  du  sultan  à  la  tête  de  la 
colonne  expéditionnaire.  En  attendant,  Bou-Hamàra,  qui  .semble  plus  con- 
fiant que  jamais  dans  le  triomphe  final  de  sa  cause,  ne  cesse  d'envoyer 
aux  populations  rurales  de  toutes  les  régions  du  Maroc  des  proclamations 
dans  lesquelles  après  avoir  fait,  en  termes  assez  mesurés  d'ailleurs,  le 
procès  du  makhzen,  il  sollicite,  au  nom  de  l'Islam,  leur  intervention  pour 
renverser  le  régime  actuel.  Aucune  des  tribus  habitant  la  partie  du  Maroc 
soumise  de  fait  au  sultan  n'a  encore  répondu  par  un  concours  effectif  à 
son  appel,  mais  ces  excitations  incessantes,  s'exerçant  sur  des  popula- 
tions d'un  loyalisme  douteux,  ont  pour  effet  d'accentuer  tous  les  jours 
davantage  l'état  latent  d'anarchie  qui  sévit  d'un  bout  à  l'autre  du  pays. 

...Il  parait  que  les  événements  de  la  région  de  Tâza  passionnent  vive- 
ment, à  l'heure  qu'il  est,  les  populations  de  la  frontière  algéro-marocaine. 
Le  prétendant  maintient,  dit-on,  une  correspondance  très  active  avec  le 
vieil  agitateur  Bou  Amama  et  avec  les  chefs  des  tribus  les  plus  turbulentes 
de  la  région.  On  assure  même  que  c'est  à  la  suite  de  ses  excitations  que 
la  tribu  de  Zenaga  se  serait  déclarée  en  révolte  ouverte  contre  le  pacha  de 
Figuig  et  l'aurait  obligé  à  relâcher  des  prisonniers.  Enfin  on  ajoute  que  la 
révolution  du  Maroc  ne  serait  pas  étrangère  à  la  récente  série  d'attaques 
de  convois  français  par  des  nomades  marocains. 

Telle  est,  en  somme,  la  physionomie  actuelle  de  la  situation.  Elle  n'est 
pas  certainement  très  flatteuse  pour  le  makhzen,  mais  elle  n'est  pas  sus- 
ceptible non  plus  d'une  crise  aiguë  immédiate.  Comme  je  l'ai  déjà  dit,  elle 
peut  se  prolonger  pendant  quelques  mois  encore  sans  s'aggraver... 


i 


RENSEIGNEMENTS   ÉCONOMIQUES 


I 


ï.  —  EUROPE. 


France.  —  Le  commerce  des  colonies  en  1901.  —  Le  Journal  officiel  a 
publié  le  20  mars  de  nombreux  tableaux  sur  le  mouvement,  en  1901, 
du  commerce  général  des  colonies  et  pays  de  protectorat  qui  relèvent 
du  ministère  des  Colonies.  Ce  mouvement  s*est  élevé  à  une  somme 
totale  de  839.129.459  fr.  C'est  une  augmentation  de  38.719.746  fr. 
sur  1900  et  de  237.146.546  francs  sur  la  moyenne  de  la  période 
quinquennale  antérieure  à  1901. 

A  rimportation,les  valeurs  ont  atteint  le  chiffre  de  474.610.977  fr. 
Elles  ont  été  ainsi  supérieures  de  38.386.837  francs  à  celles  de 
l'année  précédente,  et  dé  157.230.720  francs  à  la  moyenne  quinquen- 
nale . 

Les  exportations  ont  atteint  le  chiffre  de  364.318.482  francs,  en 
augmentation  de  20.132.910  francs  sur  l'année  précédente,  et  de 
76.913.826  francs  sur  la  moyenne  quinquennale. 

Allemagne.  —  Le  budget  cohnial ,  —  Le  projet  de  budget  pour  1903, 
soumis  actuellement  aux  délibérations  du  Reichstag,  comprend  les 
prévisions  suivantes  pour  les  diverses  possessions  (en  marks)  : 


Togo 

Cameroun 

Sud-Ouest-Africain.. . . 

Est-Africain 

Nouvelle-Guinée 

Carolineset  Mariannes. 

Samoa 

Kiao-tchéou 


Par  comparaison  avec  1902,  ces  prévisions  présentent  les  aug- 
mentations et  diminutions  suivantes  : 


Recettes 

Dépenses 

Subvention  gou 
vernementale 

1.005.500 

1.095.500 

» 

2.082.900 

3.665.500 

1.582.600 

2.i72..380 

8.431.400 

6.260.020 

3.096.700 

8.771.500 

5.614.800 

107.500 

990.000 

882.500 

50.950 

428.600 

377.650 

291.000 

•i41.000 

•i-;o.ooo 

455.000 

12.876.000 

12.421.000 

9.350.930 

:i().7o9.:i00 

27.388.:)70 

L 


It^  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Recettes  Dépenses  Subvention 

Togo,,. -4-460.500  —  554.5W  —  1.015. 000 

Cameroun +    51.400  —  371.100  —      629.500 

8ud-0aest-Africain....  -f  347.380  —  1.027.500  —  i. 374.880 

Est-Afncain —    89.5%  -^  660.004  +       749.600 

Nouvelîe-Guinée +      7.500  -f  168.000  4-       160.500 

CarolineÊetMariannes.  -h     17.850  -f  90.500  4-        72.630 

Samoa. +    20.000  -f  99.600  +        79.600 

Kiao-tchr;ou -h     95.000  -f  472.000  —      378.000 

+  910.034       —       662.996      —  1.577.030 

Les  ressources  propres  aux  colonies  sout  évaluées  à  910,034  marks 
en  plus;  les  dépenses  sont  en  diminution  de  662.996  marks  et  la 
subvention  gouvernementale  est  en  conséquence  inférieure  de 
]  .573.030  marks  à  celle  de  1902. 

Suivant  leur  nature,  les  dépenses  se  décomposent  comme  suit  : 

Dépenses  Dépenses  Fonds  de 

permanentes  extraordinaires  réserve 

Tat^o... 066.964  H6.600  11.936 

Caiîîeroim 3.255.707  399.000  10.793 

Siid-Ouest-Africain 6.762.123  1.654.860  14.417 

Est-Africain 7.379.239  1.317.000  15.261 

Nouvelle-Guinée 875.535  109.500  4.965 

GarolineE^et  Mariannee.  284.205  142.500  1.895 

Samoa 348.170  184.200  8.630 

Kiao-tchéou 5.345.316  7.470.000  60.684 

25.216.259  11.393.660  128.581 

L'administration  centrale  demande  831.^61  marks  (en  plus 
128.457  marks);  un  crédit  nouveau  de  70.000  marks  (dont  iO.OOO  de 
fonds  extraordinaires]  est  prévu  pour  des  travaux  de  cartographie. 


II.  —  AMÉRIQUE. 

Pérou  et  Chili.  —  Les  mines  au  Pérou;  ïea  intèrits  français  au  Chili. 
—  Un  de  nos  correspondants  nous  écrit  de  Sarmiento  à  la  fin  de 
février  : 

Koufi  avonis  visité  plusieurs  villes  du  Chili  et  du  Péi*au.  Daus  ce  dernier 
payi  notamment,  les  Américains  sont  en  voie  d'accaparer  complètemeni 
Itîs  iri nés  de  cuivre.  Actuellement,  il  existe  un  chemin  de  fer  reliant  le 
Callao  à  la  Oroya.  Ce  voyage  que  j'ai  fait  est  des  plus  intéressants,  car  on 
suït^tliins  des  gorges  abominablement  sauvages  et  nues,  la  vallée  du  Rima 
ÏK)ur  arriver  à  franchir  les  Andes  sous  un  tunnel    situé  à  4.776  mètre*^ 


IIBriSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  459 

d'altitude,  et  pour  descendre  sur  le  versant  oriental  des  Andes,  à  3.770 
mètres  (à  la  Oroya).  Cette  voie  ferrée  ne  transporte  les  voyageurs  que 
deux  fois  par  semaine,  mais  par  contre,  plusieurs  trains  circulent  journel- 
lement ])0ur  descendre  le  minerai  en  sacs  aux  quais  d*embarquement  du 
CaJlao. 

Cette  voie  ne  suffira  plus  au  trafic  quand  les  Américains  exploiteront  la 
mine  de  cuivre  du  Cerro  de  Pasco;  aussi  un  chemin  de  fer  s'embranchant, 
près  de  la  Qroya,  sur  la  voie  actuelle,  est  dès  maintenant  en  construction. 
J'ai  vu  les  travaux  au  Cerro  de  Pasco;  on  se  tient  à  des  altitudes  variant 
de  4.000  à  5.000  mètres.  La  mine  actuelle  de  cuivre  du  Cerro  est  l'an- 
cienne mine  d'argent  qui  a  rendu  le  Pérou  si  célèbre  ;  comme  toujours 
ici,  après  l'argent,  on  trouve  la  poche  de  cuivre,  et  cette  dernière  peut 
permettre  une  exploitation  intensive  de  cent  aos.  On  peut  dire  d*une  façon 
générale  que  le  Pérou  n'est  qu'une  vaste  mine,  quoique  le  développement 
agricole  puisse  espérer  un  bel  avenir  dans  une  terre  qui,  comme  en 
Egypte,  n'a  besoin  que  d'être  irriguée  pour  produire  tout  ce  que  l'on  veut. 
II  n'y  a  plus  de  guano. 

Nous  avons  trouvé  au  Chili  et  au  Pérou  le  meilleur  accueil  et  j'ai  eu 
personnellement  l'honneur  de  diner  chez  les  présidents  de  ces  deux 
républiques.  Le  Chili  parait  las  de  la  domination  de  l' Allemagne,  qui 
règne  en  maîtresse  sur  le  marché  de  Valparaiso  (qui  est  en  somme  uae 
nlle  allemande)  et  sur  l'armée  chilienne  par  ses  instructeurs.  La  France 
ne  semble  vouloir  faire  aucun  effort  de  ce  côté,  et  j'ai  partout  entendu  les 
plaintes  les  plus  vives  sur  l'abandon  oîi  les  pays  étaient  laissés  par  nous. 
Songez  qu'il  n'y  a  pas  une  ligne  française  de  navigation  à  vapeur  qui 
double  le  cap  Horn  ou  Magellan  ;  le  Pacific  Steam  et  le  Cosmos  régnent 
en  maîtres  et  font  des  prix  de  fret  exorbitants, 

Guyane.  —  La  production  de  For.  —  La  quantité  d'or  déclarée  à 
rentrée  à  Cayenne  pendant  Tannée  1902  a  été  de  4.643  kilog.  983, 
contre  4.021  kilog,  442  pendant  l'année  1901. 

Les  placers  les  plus  productifs  pendant  l'année  1902  ont  été  ceux 
du  Haut-Maroni  (ïnini)  qui  figurent  dans  le  total  ci-dessus  pour 
1108  kiiog.  342,  ceux  de  la  Haute-Mana  (1.058  kilog.  653),  ceux  de 
l'Approuague  (629  kilog.  555),  etc. 

Dans  le  courant  des  mois  de  janvier  et  février,  30  familles  de  cul- 
tivateurs sinistrés  de  la  Martinique,  eompreoiant  71  adultes  et  58  en- 
fants, ont  été  installées  sur  des  terrains  du  domaine  de  TEtat  dans 
nie  de  Cayenne  (Baduel,  Montabo,  Montjoly).  Chaque  famille  a 
été  pourvue  d'une  concession  de  i  ou  2  hectares  de  bonnes  terres, 
propres  à  la  petite  culture.  Les  travaux  de  débroussaillement  et 
d'aménagemeot  définitif  des  terrains  se  sont  effectués  avec  le  con- 
coars  de  la  maia-d*œavre  pénale. 


NOMINATIONS  OFFICIELLES 


MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

L'excquatur  a  été  accordé  à  : 

M.  Prosper  Lecomte,  consul  de  Guatemala  au  Havre; 

M.  Macario  Grisolia,  con^u/ d'Italie  à  Fort-de-France; 

M.  Tejedor,  cotisul  de  la  république  de  Cuba»  à  Saint-Nazaire ; 

M.  (iuillermo  Petriccione,  consul  de  la  république  de  Cuba,  à  Marseille; 

M.  Guido  de  Lucchi,  vice-consul  d'Italie  à  Sousse. 


I 


MINISTÈRE  DE  LA  «VERRE 

TronpcN  mélropolilainea. 

INFANTERIB 

Oasis  sahariennOS.  —  M.  le  lieut.  Camon,  de  l'infant.,  est  affecté  aux  affairas 
indigènes  du  Gourara. 

CAVALERIE 

Afrique  Occidentale.  —  Sont  affectés  : 

M.  le  capif.  Aguttes,  au  2<  escadron,  et  M.  le  lieut.  Plassereaud,  au  l^**  escadron 
de  spahis  sénégalais. 

Oasis  sahariennes.  —  M.  le  lieut.  Rousseau,  du  2«  spahis,  est  affecté  à  a 
comp.  du  Gourara. 

GKME 

Madag^asoa^.  —  Sont  mis  à  la  disposit.  du  minisire  des  Colonies  pour  le  serwc 
des  trav.  publics  à  Madagascar  : 

MM.  les  capit.  Ribard,  Girod  et  Pachellcrv  ;  le  lieut.  lioiicz,  le  souS'lieul.  Mau- 
bernard  et  Vof/ic.  d'admin.  Kernaves. 

TronpcM  coliintulcH. 

INFANTERIE 

Afrique  Occidentale.  —  M.  le  colonel  Belin  et  M.  le  capit.  Maillaud  sont 
désig.  pour  servir  au  l^"^  sénégalais; 

M.  le  capit.  Galland  est  désig.  pour  serv.  à  l'état-maj.  partie; 

MM.  le  capit.  Bonnin  de  Fraysseix  et  le  lieut.  Simon  sont  désig.  pour  servir  à 
l'état-maj.  partie,  à  Saint-Louis; 

M.  le  capit.  Clouscard  est  désig.  pour  servir  au  balaill.  de  la  Côte  d'Ivoire. 

Ghuyane.  —  MM.  le  capit.  Lagrange  et  le  /tei//.  Régnier  sont  désig.  pour  servir 
au  bâtai  11.  de  la  Guyane. 

Indo-Chine.  —  M.  le  capit.  Galand  est  nommé  offic.  d'ordonn.  de  M.  le  général 
(;lamorgan,  command.  la  2«  brig.  au  Tonkin  ; 

M.  le  capif.  Vache  est  nommé  major  de  la  3«  brig.  en  Cochinchine; 

M.  le  capit.  Evrard  est  affecté  à  la  2«  comp.  du  !!•  rég. 

Sont  désignés  pour  servir  en  Cochinchine  : 

MM.  les  capit.  Cahen  et  Dupeuble,  les  lieut.  Deguilloux,  Chauvet,  Dô,  Malafosse. 
Duhamel  et  Richard; 

M.  le  lieut.  Pelissier  de  Féligonde  est  affecté  à  la  2«  comp.  du  rég.  de  tiraill. 
annam.  ; 

M.  le  lieut.  Roux  est  désig.  pour  servir  au  18"  colonial  au  Tonkin; 

M.  le  lieut.  Dano  est  désig.  pour  servir  au  bataillon  de  Quang-tchéou-Wan. 

Sont  désig.  pour  servir  au  Tonkin  : 

MM.  les  capit.  Revol,  Giudicelli,  Bastide,  Salmon  et  Hugues; 

MM.  les  lieut.  Fauchon,  Saint-Gés,  Bonnet,  Schnéegans; 

M.  le  sous-lieut.  Bertin. 


NOMINATIOiNS   OFFICIELLES  i61 

^ûDt  affectés  : 

M.  le  capit,  Hasselot,  à  la  suite  du  10'  rég.  ; 

M.  le  capit.  de  Rauglaudre,  à  la  suite  du  2^  tonkinois; 

M.  le  capit.  Lahache,  au  bat.  de  tiraill.  chinois  comme  capit.-major  ; 

M.  le  lient.  Gilbert  est  nommé  au  command.  de  la  sect.  de  discipline  de  Tlndo- 
Chine  ; 

M.  le  lient.  Lacome,  à  la  16*  comp.  du  2«  tonkinois; 

M.  le  lient.  Pommier,  à  la  16*  comp.  du  10«  rég.  ; 

M.  le  lient.  Selmer,  à  la  2*  comp.  du  10»  rég.  : 

M.  le  lient.  Beigbeder-Calaj,  à  l'état-major  partie,  et  est  nommé  chancelier   du 
cercle  de  Lang-Son  ; 

M.  le  lient.  d'Alverny,  à  l'état-major  partie,  et  est  nommé  officier  de  renseig.  ihi 
i'  territ.  milit.  ; 

M.  \e  sons-lien  t.  Ruaux,  au  bataillon  de  tiraill.  chinois,  comme  offic.  comptable; 

M.  le  capit.  Révéron  •,  à  la  suite  dii  2«  tonkinois  ; 

M.  le  capit.  Treille,  a  la  12<'  comp.  du  9«  rég.  ; 

M.  le  chef  de  bat.  Lunet  de  la  Jonquière,  au  4«  bat.  du  3'  tonkinois; 

M.  le  capit.  Danoux,  à  la  2«  comp.  du  i*'  tonkinois; 

M.  le  capit.  Driard,  à  la  i5*  comp.  du  2«  tonkinois: 
M.  le  capit.  Hesse,  au  9'  rég.  comme  adjudant-major  au  3*  bat.  ; 
M.  le  capit.  Leroux,  à  l'état-major  des  troupes  de  l'Indo-Chine  ; 
M.  le  lient.  Edel,  à  la  suite  du  10*  rég.  ; 
M.  le  lient.  Lacoste,  à  la  3*  comp.  du  2*  tonkinois; 
M.  le  sons'lieut.  Defert,  à  la  suite  du  iO*  rég.; 
M.  le  sonS'lieut.  Arnould  (E.-C.-ll.),  à  la  12'  comp.  du  10«  reg.  ; 
M.  le  sons-lieut.  Rajnaud,  à  la  i"^»  comp.  du  9«  rég.; 
M.  le  sonS'lieut.  Marquer,  à  la  5*  comp.  du  3«  tonkinois  ; 
M.  le  sons-lieut.  Braconnier,  à  la  10«  comp.  du  4*  tonkinois. 
Madagascar.  —  Sont  désignés  pour  servir  à  Madagascar  : 
MM.  les  capit.  Guillaumet,  Oudart,  Thibaut  et  Duchan ;  MM.  les  lient.  Maugeard, 
Barbaza,  Lefranc  et  Planche;  MM.  les  sous-tient.  Vallin  et  Janiaud. 
Sont  affectés  : 

Au  3*  sénégalais,  comme  adj.-maj.,  M.  le  capit.  Mas; 
Au  conseil  de  guerre  de  Tananarive,  comme  rapport.,  M.  le  capit.  Fortin; 
A  la  9»  comp.  du  1"  malgaches,  M.  le  capit.  Thibaut  ; 

Au  iô*  colonial,  comme  adjoint   au   trésorier,  M.   le  lient.  Ganet;  comme  ollic. 
d'iiabilL,  M.  le  lient.  Greusard; 
Au  3*  sénégalais,  M.  le  lient.  Castel  ; 

M.  le  capit.  Cardon  est  placé  à  rétat-mkjor  du  corps  d'occupation. 
Nouvelle-Galédonie.  —  M.  le  lient.  Faucon  est  désig.  pour  servir  au  bataillon 
<le  la  Nouvelle-Calédonie. 

ARTILLERIE 

Indo-Chine.  —  Sont  affectés  : 

A  la  direct,  d'artill.  de  Hanoi,  M.  \echef  d'escad.  Perroud  et  M.  le  capit.  Bianciii; 

A  la  4*  batt.  du  groupe  des  batl.  de  réserve  de  Chine  au  Tonkia,  M.  le  capit. 
Schultz  ; 

A  la  suite  du  rég.  du  Tonkin,  à  Hanoi,  M.  le  capit.  Débats; 

Au  service  géogr.  de  l'Indo-Chine,  M.  le  capit.  Bierlé; 

A  la  !:>«  batt.  du  rég.  du  Tonkin  à  Hué,  M.  le  lient.  Rodallec  ; 

A  la  1*  batt.  du  rég.  du  Tonkin  à  Ha-giang,  M.  le  lient.  Madec 

Madagr&SOar.  —  M.  le  Ueut.-col.  Deviterne  est  nommé  commantl.  «lu  i.roui»f 
des  batteries  de  Diégo-Suarez. 

Sont  affectés  : 

A  la  8-  batt.  à  Diégo-Suarez,  MM.  [es  capit.  Duniont  et  Laguarigue  deSurvillicrs  : 

A  la  2*  batt.  à  Diégo-Suarez,  M.  le  capit.  Charbonnel  ; 

Capit.-major  du  groupe  des  batt.  de  Diégo-Suarez,  M.  le  capit.  Joseph: 

A  la  3«  batt.  à  Tananarive,  M.  le  capit.  Chéruy. 

SERVICE   DE   SANTÉ 

Martiniqne.  —  M.  le  méd^-maj.  de  l'®  cl.  Rimbert  est  désijj:.  pour  remplir  1«^ 
fonctions  de  direct,  du  service  de  santé  à  la  Martinique. 


462  QUESTIONS   DlPLOMATIQUiSS  ST   COLONIALES 

MINISTÈRE  DE  LJl  HAUME 

ÉTAT-ICAJOR  VE  LA   FUyTTB 

Atlantique.  —  Sont  désig.  pour  embarq.  sur  le  Tage  k  Fort-de-Fraace  : 

M     Je  capU.  de\frégate  Lejay,   comme  second;  M.  le  lient,  devais».  Millault  et 

\\    Je  micanic,  ppal  de  l"  cl,  Demore. 
Coohinohine.  —  M.  le  lient,  de  vaias.  Brandilj  est  nommé  direct,  des  mouTc- 

MitMUs  ilu  port  à  Saigon. 
Crète.  —  Sont  désig.  pour  embarq.  sur  le  Condor  : 
MM.  le  lient,  de  vaiss.  Bienaymé  et  Yefiseig.  de  vaiss.  Ferai. 
Levant.  —  M.  le  mécanic,  ppal  de  2'  cl.  Rousseau  est  désig.  pour  embarq.  sur 

le  V(jMionr  à  Constantinople. 
Ooéan  Indien.  —  Sont  désig.  pour  embarq.  sur  VInfernet  : 
MM.  le  capit.  de  frégate  Allemaml;  le  lient,  de  vaiss.  Roussel  ;  Venetig.  de  vaiss. 

\\  iir^thorn  et  le  mécanic.  ppal  Thomas. 
Sénéffal.  —  M.   Venseig.  de  vaiss.  Frôchen  est  désig.  *pour  embarq.    sua    le 

iiûrffind. 

MIMlSVÈaE  M£8  CO^eilIES 

ï'ui-  arrêté  du  ministère  des  Colonies  en  date  du  11  mars  1903,  M.  Massol  (George^^ 
Chatliîs],  commis  principal  du  secrétariat  général  de  Majotte,  a  été  inscrit  d*oflBoeà 
U  ^ihlo  du  tableau  d'avancement  de  1  année  1903,  pour  l'emploi  de  sons-chef  du 
Liii'{*uu  de  2*  classe  des  secrétariats  généraux  des  colonies. 


«IKUOGKAPHIE  —  UVHES  ET  REVUES 


L 


La  Belgique  oommereiale  som  Tempereur  Gliarles  VI.  Li 
Compagnie  d*08tende,  par  Michel  Huisman,  docteur  en  droiu 
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I  '<*{  ouvrage  expose  d'une  manière  très  complète  les  diflicultés  ÎBextri- 
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vvnr  Ë^iècles.  La  lecture  de  ce  livre  fait  admirer  et  aimer  ce  vaillant 
l*»'iiplc  belge  qui  ne  renonça  pas  à  lutter  pour  son  développement  écooo- 
tïuiii^o  flans  des  conditions  que  l'incurie  de  rAotriche  et  le  jalousie  de  la 
1K>1!niide  et  de  l'Angleterre  aggravaient  de  jour  en  jour.  Cette  constance 
l'i  ii^ne  ténacité  promettaient  et  ont  produit  la  prospérité  et  la  richesse 
%W  lii  Belgique  industrielle  et  commerciale  du  .\ix*  siècle. 

O.  Cabe. 

La  Question  de  la  Vieille-Serbie,  par  Paul  Orlovtfch.  —  Paris, 
llacheue,  1903.  br.  in-8«  de  49  pages. 

t  c^st  une  brochure  toute  d'actualité  que  présente  au  {Mifalîc  finnçais 
>1 .  1  '«ul  Orlositch,  qui  adjure  ses  lecteurs  d^avoir  pitié  des  soulEraiices  de 
U  Vieille-Serbie.  Voici  sa  thèse  :  L'auteur  rêve  d'une  pins  grande 
Serine  qui  engloberait  la  Macédoine  tout  entière,  et  il  demande  la  liilo- 
hkiHMi  de  la  Ligue  albanaise,  auxiliaire  dévouée  de  la  poiîtîqae  tafque. 
Le.^  \  ioux-Serbes  sont  dans  une  situation  de  tous  points  intôjêraliie.  n 
\(^  { ^rlovitch  ne  croit  pas  pouvoir  mieux  la  comparer  qu'a  celle  des  Armé- 
meai^  en  Asie-Mineure,  vers   î8T:;-l87r».   La  lutte  des  deux  naûonatiiês. 


BWU06RAPH1K  —  UVRKS  ET  REVUES  463 

verbe  et  albanaise,  est  très  vive  autour  de  Kossovo;  les  Serbes  perdent  du 
terrain  au  profit  des  Albanais,  —  ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  Tinfluence 
turque  y  gagne  quelque  chose.  Les  puissances  européennes  voisines,  TAu- 
triche  et  Tltalie,  cherchent  naturellement  à  pécher  en  eau  trouble  et  à 
diriger  le  mouvement  albanais.  Il  y  a  tendance  chez  les  Albanais  à 
réclamer  du  Sultan  Térection  en  province  autonome,  sous  un  vali  alba- 
nais, des  vilayets  de  Kossovo,  Scutari,  Monastir  et  Janina  :  jamais  les 
Serbes  ne  se  soumettront  à  une  pareille  confiscation  de  leur  nationalité; 
!es  200.000  individus  de  leur  race  qui  vivent  dans  le  district  de  Kossovo 
réclament  l'intervention  de  la  Russie  pour  les  protéger  à  la  fois  contre  les 
( Tuautés  albanaises  et  contre  les  menées  autrichiennes. 

La  Traite  des  Blancs,  roman  de  nuxurs  coloniales,  par  Michel  Mathey. 
1  vol.  in-18  de  300  pages.  Chez  Juven,  éditeur,  1902. 

Sous  ce  titre,  qui  vise  évidemment  à  attirer  l'attention,  l'auteur,  qui 
signe  d'un  pseudonyme  —  et  cela  se  comprend  eu  égard  aux  vérités  un  peu 
dures  qu'il  prodigue,  —  fait  le  procès  de  l'expansion  congolaise.  Il  évoque 
(les  spectacles  bien  navrants  et  de  trop  cruelles  réalités  :  erreurs"*  de  Tad- 
miaistration,  manœuvres  plus  ou  moins  effrontées  de  spéculateurs  sans 
>crupules,  imprudences  d'un  personnel  souvent  mal  choisi,  etc.,  etc.  En 
tout  état  do  cause,  ce  livre  fait  compi'endre,  sans  les  justifier,  pourquoi  des 
esprits  sérieux  se  sont  tenus  à  Técart  du  mouvement  congolais.  Il  faut 
«ulemenl  regretter  divers  passages,  un  peu  poussés  de  ton,  où  les  cri- 
îujues,  contre  tout  et  contre  tous,  vont  vraiment  trop  loin;  il  est  fâcheux 
'Ptjpi.oser  entre  eux  administrateurs  et  militaires,  missionnaires  et  com- 
.-iierrautâ,  attendu  que  tous  doivent  contribuer,  chacun  suivant  son  rôle, 
.1  Teiipansion  coloniale  de  la  France  et  à  son  bon  renom  :  les  commer- 
v>anu  par  intérêt  bien  compris,  les  missionnaires  par  vocation  civilisa- 
trice, les  militaires  et  les  administrateurs  par  les  bienfaits  d'une  domina- 
tion ferme,  sans  doute,  mais  paternelle  ot  tutélairo,  se  donnant  pour  lâche 
rétablissement  d'un  régime  de  justice  et  do  paix  parmi  des  populations 
«auvages  ou  barbares,  jusqu'alors  «lécimées  par  leurs  perpétuelles  et  san- 
jçlaïues  querelles,  et  que  nous  trouvons  presque  partout  en  proie  aux  pires 
misères  physiques  et  morales. 

Sauf  ces  réserves,  le  livre  est  bien  écrit  et  d'une  lecture  intéressante 
|>ourles  hommes  faits. 

A.-F. 
Ouvrages  déposés  au  bureau  de  la  Revue. 

la  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX^  sièclCy  publiées 

dous  la  direction  du  P.  Piolet,  avec  la  collaboration  de  toutes  les  sociétés  de  mis» 

»ioDs.  —  Illustrations  d'après  des  documents  originaux.  —  Tome  VI  et  dernier. 

Uissions  d'Amérique.  Les  91*  et  92*  livraisons  viennent  de  paraître.  Paris,  1903, 

librairie  A.  Colin. 
fartes  publiées  par  le  service  géographique  du  ministère  des  Colonies  et  éditées 

par  la  maison  A.  Challamel. 
I.  Carte  de  la  Guinée  française,  dressée  par  A.  Meunier.  Echelle   :  1/500.000.  — 

En  quatre  feuilles. 
il-  Carte  du  Tonkin  et  du  Ha  ut- Laos,  dressée  par  le   commandant  Friquegnon. 

tlcfaelle  :  1/500.000.  —  En  quatre  feuilles. 
III.  Carte  de  Madagascar,  dressée  sous  la  direction  de  Emile  Gautier.  Echelle  : 

1  oOO.OOO.  Une  feuille. 
U$  ports  maritimes  de  V Amérique  du  yiord  sur  l'Atlantique,  par  \o  baron  Qui- 

NETTE  DE  RocHBUOMT,  iuspecteuT  général  des  ponts  et  chaussées,  et  H.  Vétillart, 

ingénieur  en  chef  des  pohts  et  chaussées.   Deux  vol.  in-H^  et   un  atlas  in-folio. 

Vvc  Ch.  Dunod,  éditeur.  Paris,  1003.      . 


L 


•rr^rr 


464  QUESTIONS   DIPLOMATIQLt£â   ET   GOLONIALKS 

Les  lois  et  coutumes  de  la  guerre  sur  lerre^  d'après  le  droit  international  moderne 

et  la  codification  de  la  conférence  de  La  Haye  de  1899,  par  A.  Méhighnac.  Un  vol. 

in-8».  A.  Chevalier,  Marescq  et  C»',  éditeurs.  Paris,  1903. 
Vœuvre  de  la  Finance  à  Madagascar  :  La  conquête,  l'organisation,  le  général  (id- 

lieni,  par  Louis  Brunet,  député  de  la  Réunion.  Un  vol.  grand  m-S"  de  39 i  pai,'e> 

avec  plans  et  gravures.  A.  Challamel,  éditeur.  Paris,  1903. 
Sibérie  et  Californie,  par  Albert  Borde.\ux.  Un  vol.  in-16  de  340  pages  avec  îrra- 

vures  et  carte.  Plon-Nourrit  et  C*<^,  éditeurs.  Paris,  1903. 


LES  REVUES 

L  —  REVUES   FRANÇAISES 

Annales  de»  sciences  politiques  [mars).  M.  B.  :  L'armée  italienne.  —  Fblv- 
r.ois  Maury  :  Anvers  :  Belges,  Allemands,  Français.  —  Paul  Matter  -.  Le  Co<le 
pénal  et  la  clémence.  —  René  Henry  :  Le  Congrès  slave  de  Prague  (1848). 

Annales  eolonlales  (15  mars).  Charles  Rivière  :  Ce  que  coûte  une  colonie  : 
L'Algérie.  —  Gaston  Bordât  :  La  Perse  et  l'Europe. 

Armée  et  Marine  (22  mars).  La  médaille   de   Chine  :   un   oubli  à  réparer.  — 
Gabriel  Cluzklaud  :  Le  costume  militaire  depuis  un  siècle. —  Maurice  R(>i s 
Saint-Nazaire,  la  nouvelle  entrée  du  port.  —  (29  mars).  Georges  Toudouze  :  la 
puissance  maritime  de  la  Grèce  et  les  espérances  panhelléniques.  —  Manœuvre^ 
combinées  de  terre  et  de  mer.  —  L'expédition  arctique  du  D»"  Jean  Charcot. 

Bulletin  du  Comité  de  TAfrlque  Française  [mars).  Auguste  Terbieb  :  Lj 
politique  française  en  Ethiopie.  —  Nai'tilus  :  La  prise  commerciale  de  Kano. — 
Ed.  Payen  :  L'Algérie  d'il  y  a  quarante  ans  et  l'Algérie  d'aujourd'hui.  —  la 
délimitation  de  Libéria. 

Bulletin  du  Comité  de  l'Asie  Française  [mars).  Robert  de  Gaix  :  LaFra&c 
et  le  8iam.  —  Le  traité  Tranco-siamois.  —  La  politique  étrangère  à  la  CIiiffii« 
des  députés.  — J.  L  T.  :  Les   intérêts   français  dans   l'Asie  Occidentale. -l.< 

■  Livre  jaune  sur  l'évacuation  de  Changhal.  —  J.  F.  :  La  situation  monétaire  vO  j 
Extrême-Orient  :  Siam,  Philippines,  Indo-Chine.  — René  Morbux  :  La  situit^-fi  i 
politique  au  Japon.  —  Jules  Legras  :  Les  infériorités  de  la  société  sibérienne.         | 

4)uinzaine  coloniale  (10  mars).  Le  réirime  forestier  de  PAlgérie.  —  (25  nmn . 
La  proposition  Suchetet.  I 

Béforme  économique  (l.'i  mars),  J.  Domergue  :  La  question  du  Zollvereiaeup^  J 
péen.  —  T.  Lalouvet  :  La  Convention  de  Bruxelles.  —  (22  mars).  D.  Aubrv  :  La  ," 
question  douanière.  —  P.  Vergne  :  Le  régime  des  sucres  et  le  budget  «ic  | 
l'Algérie.  —  J.  Dësmets  :  L'Industrie  métallurgique  au  Canada. 

Bévue  Bleue  (28  mars).  L.  Delpon  de  Vissec  :  Les  affinités  franco -américaines 

Bévue  commerciale  de  Bordeaux.  —  1 13  mars).  Henri  Benoist  ;  Le.s  che-  i 
mins  de  fer  en  Russie.  —  J.  Lagler-Porquet  :  La  genèse  d'une  colonie.  . 

Bévue  i^énérale  des  Sciences  (l'i  mars).  En.  Doutté  :  Les  Marocains  et  1^  '' 
société  marocaine.  ■ 

i 

II.  —  REVUES  ÉTRANGÈRES  1 

Revues  belges. 

Beliplque  coloniale  (22  mars).  Em.  Cammaerts  :  Le  Transmandchourien. 

Bulletin  de  la  Société  d'études  eolonlales  {mar$).  Ethnographie  de  la  cùu 
nord-est  de  la  Nouvelle-Guinée.  —  Les  <o«:iétes  secrètes  dans  l'Afrique  Occiden- 
tale. •! 

r 


L* Administrateur-Gérant  :  P.  Gampain. 

PARIS.   —  imprimerie  F,   LEVÉ,   RUE  CASSETTE,    il. 


APERÇU    DE    QUELQUEâ    SÔMMAIHEÔ 

Sommaire  du  iio  i  38 

♦••  :  Le  livre  jaune  et  les  aflfaires  de  Siam,  —  E.  Peyralbe  :  France  et  Simplon.  — 
Paul  Labbé  :  La  région  du  fleuve  Amour. 

Cartes  et  gravures  :  1.  Graphique  comparatif  des  projets  Frasne-Yallorbe  et  de  la  Fau- 
cille. —  il.  Carte  des  voies  d'accès  au  Simplon. 

Sommaire  du  np  139 

Notre  enqoêtd  :  A  propos  des  afTaires  de  Siam  :  Opinions  de  MM.  Oodin,  le  Comte 
d'Aanay,  Berthelot,  Le  Myrc  de  Vilers,  Denys  Cochm,  Plourens,  Senart.  et  du  journal 
Le  Temps.  —  Maurice  Baret  :  Les  villes  do  santé  dans  nos  Colonies.  —  Georges 
Behler  :  La  lutte  tchèque -allemande. 

Carteii  et  gravures  :  Répartitioir  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie. 

.  Sommaire  du  n°  140 

Kotre  enqnête  t  A  propos  des  affaires  de  Siam;  opinions  de  MM.  François  Deloncle,.le 
baron  d'^stournelles,  de  Constant,  GerviUe-Réache,  H.  Cordier,  Marcel  •  Monnier, 
Charles  Lemire.  —  *'"  :  L'œuvre  française  en  Afrique  occidentale.  —  Paul  Labbé  : 
La  région  du  fleuve  Amour,  la  province  Maritluie. 

Cartes  et  gravares  :  l.  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  l'Afrique  occidentale. 
—  II.  La  région  du  fleuve  amour. 

Sommaire  du  n»  t4t 

SuBt-Germain,  sénateur  d'Oran  :  La  question  du  Maroc.  -^  Le  Myre  de  Yilers,  ancien 
député  de  la  Cochinchine  :  La  crise  de  l'argent  en  Indo^Chine.  —  ***  :  Le  conflit 
angIo« germano-vénézuélien.  —  René  Basset,  directeur  de  l'École  supérieure  des  Lettres 
d'Alger  :  Le  XIII*  congrès  international  des  orientalistes  à  Hambourg. —  René  PJuon: 
Les  missions  catholiques  françaises  auxix*  siècle.  —  L.  Bronet,  député  de  la  Réunion: 
Madagascar.  —  Les  territoires  militaires. 

Cartes  et  gravaree  :  Carte  du  Maroc.  —  Carte  du  Venezuela. 

Sommaire  du  n*  i  49 

**•  :  Notre  expansion  coloniale  et  les  partis  politiques.  —  ReLè  Henry  :  La  question  de  la 
Macédoine. —  X.  :  La  question  du  Maroc.  —  Notre  EuqDête  :  A  propos  des  afl'aires  de 
Siam;  opinions  de  M.  G.  Chastenet,  d'un  collaborateur  d'Kxtréme-Orient  do  M.  Robert 
àe  CÛTL  [Journal  des  Débats);  protestation  de  TAssociation  des  écrivains  militaires, 
maritimes  et  coloniaux,  Président  y  M.  H.  Houssa^e. 

Cartes  et  gravares  :  I.  Péninsule  des  Balkans  :  indications  oro graphiques.  —  IL  La 
Targuie  d'Europe.  —  III   La  Péninsule  des  Balkans  d'après  le  traité  de  San-Stefaoo. 

Sommaire  du  n  i4't 

Aegaste  Terrier  :  La  délimitation  de  TËihiopie.  —  René  Henry:  La  (^[uestion  de  Macé- 
doine.   Alexandre  Gaasco  :  Le  paludisme  et    Tinitiative  privée  en   Corse.  — 

J.  Déliais- Darnaj^s  :  Fédéralisme  et  socialisme  en  Australasie.  —  René  Moreax  : 
Le  traité  franco-siamois  et  l'opinion  allemande. 

Carte*  et  gravures  :  I.  Frontière  entre  le  Soudan  Anglo-Egyptien  et  TEihiople.  [— 
11.  Délimitation  de  TAfrique  Orientale. 

Sommaire  du  n^  i44 

E.  Fallot  :  Le  commerce  du  Sahara.  —  Georges  Bobler  :  La  question  du  Venezuela.  — 
Gonzalès  Figaeiras  :  Une  première  occupation  allemande  au  Venezuela  (xvi^^  siècle). — 
Gabriel  LonisJaray  :  La  presse  politique  en  Bohème,  Moravie  et  Silésie. 
Cartes  et  gravares  :  Carte  du  Sahara 

Sommaire  du  n»  t4S 

Heiri  Bobler  :  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad  :  Les  intérêts  français  et  allemands  en 
Turquie.  —  Alexandre  Gaasco  ;  Les  Boxeurs  et  les  trouble  du  ^c-tchouan.  —  Aape- 
fleiLrimoot  :  Le  projet  d'emprunt  du  gouvernement  général  de  l'Afrique  occidentale 
française.  —  E.  iPeyralbe  :  Le  Congrès  national  des  travaux  publics. 

Cartes  et  Gravures  :  L  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad.  —  II.  La  ville  de  Tcheng-tou-fou. 

Sommaire  da  n»  146 

Casimir  PraloB  :  Les  aflaires  macédoniennes.  —  ***:  La  question  du  Congo.  —  J.  Xior  : 
Silnation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire.  —  MaariceBoret  :  Quatre  plaies  coloniales. 
Heari  HanUcb  :  La  Bohême  en  deuil. 

Cartes  et  gravures  :   La  Côte  d'Ivoire. 

PRIMES    A    NOS    ABONNÉS 

L'administration  de  la  Revue  se  charge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
les  achats  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
de  Paris,  pour  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  l'étranger  : 
s'adresser  directement  à  Tadministrateur  de  la  Revue,  19,  rue 
BONAPARTE,  Paris,  Vie. 


a   a  11  a  a   n   n   ci 


DENTIFRICES 


ELIXIR,  POUDRE  et  PATE 

des  RR.  PP. 

BENEDICTINS 


de  1' 


de 


SOITLAC 


A.  SEGUIN,  Bordeaux 

Membre  DU  JuRr,  Hors  Concours 

EspDsitio:a  ITnivtrsoUô  raris  1900 


MODÈLE  dit  FUCOH 


a   n  a   a   a    a   n    n 


OLIVER 


\^ 


60* 


C.ti 


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CONSTIPATION 


^POUDRE  LAXATfVI 


certaine  ■    "'^  'N*'*  -f-  j..mi-T<jf.  ;_ 

,  . ,1    —    1^,0  t'^i^H^g   pour  U<i»    'fi^     5  *^'« 


Cordial  Hégénérateur 

|ll0iliD«  tel  p^oumoDt,  ra^tiltrlae  leâ  baitemcnti  du  cœur,  icUYC  Jâ  IrtTiU  di  11  $Jt**^°^j 
tliommc  tféîïlltté  y  puise  ia  rofÊ«,  1a  vi|^it«iir  et  U  saMè*  L'iiotôïui  qiïî  arpente  l>ttiiCOti 
fntret;«nt  ti«r  l'uiâg'e  régiUter  <le  ce  coidiaK  cificacc  d^)»  ious  lei  etâ^  étainexamaït  i 
■HM^at  «t  mgriiDie  iti  ^oûl  cDtnïne  une  iMttictir  de  t^îiie. 


"^  kSftrS'*' 1^'     '  15  AVRIL  1903 

QUESTION*.,,  ,  „> 

Nplomatipes  et  ÙÊMà 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LE    !•'    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


I 
I 


SO]M[IiiLA.IJE^IS 


isimir  Pralon Les  affaires  macédoniennes 465 

s!ng  Sun L'évolution  de  la  politique  intérieure  et  extérieure 

du  Japon 483 

luis  Jadot Le  contesté  boliviano  brésilien  :  le  territoire  de  TAcre  497 

Franconle. Le  congrès  colonial  de  1903 504 

Révoil Les  Tribunaux  répressifs  et  la  question  des  indigènes 

lorneur  général  gn  Algérie.  —  Discouvs  prouoiicé  à  la  Chambre 

des  députes,  le  4  avril  1900 509 

Renseignements  politiques .  532 

i^en^nements  économiques 538 

dominations  officielles 540 

Bibliographie  —  Livres  et  Revues 544 

-  La  frontière  boliviauo-brésilienne 498 

-  Le  territoire  contesté  de  l'Acre ÎjOO    et  501 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19»      RUE     BONAPARTE     -     PARIS,     6* 

Abonnement  annuel 

France  et  Colonies,  1 5  francs;  Etranger  et  Union  poUale,  20  francs. 

La  Livraison  :    France  :  0,75  j     Etranger  :  1  fp 


msm  mmki  BweiE 

DB   PARIS 

Gapltal  :  160  millionB  de  firanos 

ENTIÈREMENT  VERSÉS 


9m0^^t0W*0*t*f^*0*f*0 


SIÈGE  SOCIAL  :  14,  rue  Bergère 
SuccuMALB  :!2,  Place  de  TOpéra,  Paris 


t^iiident  du  Conseil  éTadminittration]: 
M.  Emile  Mescbt,  O.  t)^. 

Directeur  général  administrateur  ;  M.  AlexU  RostarDi  0.  ^« 


MMWMWMMMWW 


OPiRAnONS  DU  COMPTOIR  : 

Boos  à  échéance  fixe.  Escompte  et  Recouvremeots,  Comptes  da 
Chèques,  Lettres  de  Crédit,  Ordres  de  Bourse,  Avances  sur 
Titres,  Chèques,  Traites,  Envois  de  fonds  en  Province  et  à 
rEtrancer,  tiarde  de  Titres,  Prêts  hypothécaires  maritimes, 
Garantie  contre  lesrisques  de  remboursement  au  pair,  Paie- 
ments de  Coupons,  etc. 

AGENCES 
■UmBAUX  SB  ÇUJJlTISm  sams  pamis 


A.  147,  boul'St-Gennaiii; 

B.  108,  rue  do  Rivoli; 

0.  23,  boul<i  Didierot. 

D.  11,  rue  Rambuteau; 

E.  16,  ruo  de  Tarbigo; 

F.  21  ,pr.  de  la  République; 

G.  24,  rue  de  Flandre  ; 
H.  2,  rue  du  4-Septembre  ; 

1.  84,  boul*^  Magenta; 
K.  92,  b«*  Richard-Lenoir; 
L.  86,  rue  de  Clichy; 
M.  87,  avenue  Kléber  ; 


X.  S5,avenue  Mac-Mahon; 
O.  71 V  b**  Montparnasse  ; 
P.  27,  fs  Saint- Antoine  ; 
R.53,b' Saint-Michel; 
S.  2,  rue  Pascal  ; 
T.  1,  avenue  de  Villiers  ; 
n.49,aT.  Champs-Elysées; 
V.  83,  avenue  d'Orléans  ; 
X*  69,  rue  du  Commerce  ; 
Y.  124,  f>  Saint  Honoré. 
Z.  89,  B'*  Haussmann. 


BUBEAUZ  SB  BAjniEUB 

Asnières  :  8,  rue  de  Paris  ^  Charenton  :  30,  rue  de 
Paris,  Enohien  :  47,  Grande-Rue.  Levallois- 
Perret  :  3,plac6  République.  Neuilly-sur-Seine  :  92, 
avenue  de  Neuilly. 

AOBVOBS  BB  PBOVXBOB 

Abbeville,  Agen,  Aix-en-Provenoe,  Alais,  Amiens,  Angoulémc, 
Arles,  Avianoo,  Baflrnères-de-Luchon,  fiagnols-sur-Cèze, 
Beaucaire,  Beaune,  Belfort,  Bergerac,  Béziera,  Bordeaux, 
La  Bourboule,  Caen,  Calais,  Cannes,  Carcaeitonoe,  Castres 
Cavailion,  Cette,  Chagny,  Chalon-sur-Saône,  ChAteaurenard, 
Ctermont-Ferrand,  Cognac,  Condé-sur-Noireau,  Dax,  Deau- 
ville-TrouvilIe,  Dieppe,  Dijon,  Duokerque,  Eibeuf,  Epinal, 
Firmioy.  Fiers,  tiray,  Le  Havre,  Ha£el)rouck,Is8oire,  Jarnac, 
La  Fene-Mace,  Lèoignan,  Libourne,  Lille,  Limoges,  Lyon, 
Manosque,  Le  Âfan^,  Marseille,  Mazamet,  Mont- de-Marsan, 
Le  Mont-Dore,  Montpellier,  Nancy,  Nantes,  Narbonne,  lïice, 
Nîmes,  Orange,  Orléans,  Périgueux,  Perpignan,  Reims, 
Remiremont,  Roanne,  Roubaix,  Rouen,  Royat,  Saint-Cba- 
mond,  Saiot-Dié,  Saint-Etienne,  Salon,  Toulouse,  Tourcoing, 
Vichy,  Villefranche-sur-Saône,  Villeneuve-sur-Lot,  Vire. 

AGENCES  QANS  LES  COLO  MES  ET  PAYS  DE  PROTECTORAT 

Tunis,  Sfax,  Sousse,  Gabès,  Majunga, 
Tamatavo,  Tananarive«  Diégo-Suarez,  Mananjary. 

AOBBOBS  A  X.'BTBAXOBB 

Londres,  liverpool,  Manchester,  Bombay,  Calcutta, 
San-Francisco,  New-Orléans,  Melbourne,  Sydney^ 


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du  public,  14,  rue  Bergère,  2,  place  de  VOpéra,  /**. 
Saint  Germain,  et  dans  les  principales  Agences. 


Une  clef  spéciale  unique  est  remise  à  chaque  loeat&ir<.  -> 
combinaison  est  faite  et  changée  k  son  gré  par  le  ioan 
^  Le  locataire  peut  seul  ouvrir  son  coffre. 

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DeBmois  jusqu'à  1  an.  1 1/2%  i  De  18  mois  jusqu'à 2  aos.2U 
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téréts  ci-dessus,  sont  à  ordre  ou  au  porteur,  au  dt-^itl 
Déposant.  Les  intérêts  sont  représentés  par  des Baai  im\ 
rétt  également  à  ordre  ou  au  porteur,  payables  smit^ 
lementou  annuellement,  suivant  les  convenances  doDéjf 
saàt.  1.08  Bons  décapitai  et  d'intérètt  peuveoi  être  S 
dusses  et  sont  par  conséquent  négodables. 

VILLES  D'EAUX,  STATIONS  BALNÉAIRES 

Le  CoMproiR  National  a  des  agences  dans  les  pnoc-^ 
ViUeê  efeaux:  Nice,  Cannes,  Vichy,  Dieppe,  Troirib 
DeauvlUe,  Dax,  Royat,  Le  Havre,  La  Bourboule,  LeJM 
Dore,  Bagnôres-de-Luchon,  eic  ;  ces  agences  initeni  w 
tes  les  opérations,  comme  le  siège  social  et  les  4j» 
agences,  de  sorte  que  les  Etrangers,  les  Tourbies,  le?» 
gneu/s  peuvent  continuer  à  sWuper  d'affaires  {h^cW 
leur  villégiature. 

LETTRES  OE  CRÉDIT  POUR  V0YA6ES 

Le  Comptoir  National  d'Escomptb  délivre  des  Utir^  * 
CrAdit  circulaires  payables  dans  le  monde  entier  aapr' --' 
ses  agences  et  correspondants;  ces  Lettres  deCrediO' 
accompagnées  d'un  carnet  d'identitéetd'indioilioBset  c^'f«; 
aux  voyageurs  les  plus  grandes  commodité»,  ec  £«■- 
temps  qu'une  sécurité  incontestable. 


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Spécial  department  for  iravellers  and  letters  of  crédit  Uzr- 
ges  stored.  Letters  of  creditcashed  anddelivared  thwai. 
ihe  vrorld.  —  Ëxchange  office. 

Thb  Comptoir   National  reçoives  and  sends  oo  pi^'' 
addressed  to  them  in  tbe  name  of  th«ir  eli«at«  or  \>^*-^^' 
crédit. 


QUESTIONS 
DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 


'g^^-bOlLEGE 


LES  AFFAIRES  MACÉDONJENNESi*'  ^  ,    -^ 


;  Après  Texpérience  de  tant  d'années,  où,  pour  toute  réponse 
;.  aux  remontrances  de  TEurope,  le  gouvernement  ottoman  a 
accumulé  les  faux-fuyants,  les  atermoiements,  les  promesses 
î  vaines,  on  comprend  que  beaucoup  de  bons  esprits  mettent  en 
"  doute,  ou  même  nient,  la  possibilité  d'amender  sérieusement 
l'administration  turque. 

Cependant  la  diplomatie,  dont  c'est  le  devoir  d'être  patiente, 
n'a  pas  voulu  se  laisser  rebuter  par  tant  de  preuves  successives 
j    de  mauvaise  foi  :,  aussi  longtemps  qu'une  lueur  d'espérance 
f    permettait  encore  de  croire  à  la  réalisation  des  réformes,  elle 
j    n'a   pas  voulu   écarter  la    solution  la  plus   simple,    la   plus 
\    logique  du  problème   macédonien.  Avant   de  se  lancer  dans 
l'inconnu    d'un    démembrement    de    la    Turquie    d'Europe, 
avant  de  prononcer  en  Macédoine  la  déchéance  du  Sultan,  elle 
lui  a  donné,  une  dernière  fois,  les  moyens  de  se  réhabiliter, 
et  en  modifiant   ses  procédés  de  gouvernement,    de   ressaisir 
l'autorité  prête   à  lui  échapper.  Seulement,  instruite  par   ses 
précédentes  écoles,  elle  ne  se  contente  pas  aujourd'hui  de  pro- 
messes vagues  ;  elle  a  soumis  à  la  Porte   un  programme  de 
réformes  précis  et  l'a  mise  en  demeure  de  l'exécuter. 

Les  lecteurs  des  Questions  connaissent  déjà  ce  programme  : 
nous  y  reviendrons  tout  à  l'heure,  mais  auparavant  il  est  néces- 
saire de  rappeler  en  quelques  mots  les  événements  et  les  négo- 
ciations qui  en  ont  précédé  la  rédaction  et  la  présentation. 

La  lecture  du  premier  Livre  Jaune  publié  par  notre  ministère 
(les  Affaires  étrangères  montre  que  la  question  macédonienne, qui 
a  commencé  à  émouvoir  l'opinion  publique  seulement  dans  les 
derniers  jours  de  Tannée  1902,  préoccupait  déjà  depuis  plusieurs 
mois  les  gouvernements  européens.  C'est,  en  particulier,  avec 
une  satisfaction  légitime  que  nous  devons  constater  l'intervention 

*  Voir  Queêt.  Dipl.  et  Col.,  n»  du  15  mars. 
QuBST.  Dipl.  et  Col.  —  t.  xv.  —  if«  148.  —  45  aveu.  1903.  30 


466  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

très  active  du  gouvernement  français,  dès  le  mois  de  mars  1902, 
auprès  des  puissances  étrangères  et  de  la  Porte  pour  amener 
un  règlement  amiable  des  affaires  macédoniennes.  Il  convient 
aussi  de  louer  nos  agents  diplomatiques  en  Orient,  tant  pour 
l'énergie  de  leurs  réclamations  en  faveur  des  populations 
macédoniennes  que  pour  l'intelligence  et  Timpartialité  avec 
lesquelles  ils  se  sont  appliqués  à  tracer  les  bases  d'un  plan  d'ac- 
tion auprès  de  la  Porte  et  ^  définir  les  réformes  à  exiger  d'elle. 
Le  rapport  de  notre  consul  à  Salonique  du  45  décembre  1902, 
où  sont  exposés,  après  les  causes  du  mal  macédonien,  les 
remèdes  à  y  apporter  d'urgence,  est  un  modèle  de  clarté,  de 
logique.  Toutes  les  réformes  édictées  dans  la  note  austro-russe 
du  21  février  s'y  trouvent  déjà  indiquées  ;  et  Ton  ne  peut  que 
regretter  que  les  rédacteurs  de  ladite  note  n'aient  pas  adopté 
dans  sa  totalité  le  programme  de  M.  Steeg  :  ils  ne  se  fussent 
pas  exposés  à  voir  le  leur  taxé  d'insuffisance.  Ainsi,  par  son 
gouvernement,  par  ses  agents,  la  France  a  bien  jusqu'ici  joué 
le  rôle  que  lui  traçaient  ses  traditions  en  Orient,  son  devoir  de 
co-signataire  du  traité  de  Berlin,  sa  situation  de  grande  puis- 
sance démocratique,  éprise  de  liberté  et  d'humanité. 

La  Russie  et  l'Autriche  avaient  dans  les  Balkans  des  intérêts 
trop  considérables  pour  ne  s'être  pas,  dès  le  début,  émues  de^ 
troubles  de  Macédoine.  Il  était  naturel  qu'elles  apportassent 
une  sollicitude  toute  particulière  à  surveiller  et  à  modérer  l'agi- 
tation, et  qu'elles  prissent  la  tète  d'un  mouvement  européen  en 
vue  d'établir  en  Turquie  d'Europe  un  régime  de  paix  durable. 

Absorbée  par  la  liquidation  de  la  guerre  sud-africaine,  l'An- 
gleterre ne  pouvait  accorder  aux  affaires  d'Orient  qu'une  atten- 
tion distraite.  Cependant  elle  ne  s'en  est  pas  désintéressée  et 
nous  verrons  même  que,  tout  en  donnant  à  l'intervention  de  la 
Russie  et  de  l'Autriche  l'appui  de  son  adhésion,  elle  a  jalouse- 
ment évité  de  paraître  suivre  à  la  remorque  ces  deux  puis- 
sances et  formellement  réservé  sa  liberté  d'action. 

Il  est  une  puissance  dont  le  rôle,  si  effacé  jusqu'ici  dans  les 
pourparlers  relatifs-aux  troubles  de  Macédoine,  ne  peut  manquer 
d'étonner  :  c'est  l'Allemagne.  On  connaît  l'intimité  des  rapport 
qui  depuis  quelques  années  se  sont  établis  entre  les  deux 
empires,  allemand  et  ottoman.  On  sait  la  place  que  tiennent  à 
Constantinople  les  agents  allemands,  diplomates,  fonctionnaires 
et  militaires  au  service  de  la  Turquie,  banquiers,  commer- 
çants, industriels.  On  se  rappelle  les  manifestations  de  sym- 
pathie, justement  illustrées  par  nos  caricaturistes,  des  deux 
souverains  l'un  envers  l'autre.  Il  y  avait  pour  Guillaume  II, 
dans  les  affaires  de  Macédoine,  une  belle  partie  à  jouer.  C'était 


LES   AFFAIRES  MACÉDONIENNES  467 

le  moment  de  montrer  que  la  politique  allemande,  si  brutale  à 
l'égard  des  petits  débiteurs  insolvables  ou  récalcitrants,  savait, 
à  loccasion,  se  faire  généreuse  et  s'intéresser  à  une  noble  cause  ; 
que  les  démonstrations  sensationnelles  d*amitié  à  Tégard  du 
Sultan  étaient  autre  chose  que  pur  cabotinage,  que   simple 
réclame  d'un  courtier  avide  d'écouler  sa  pacotille.  En  usant  de 
son  influence  pour  amener  le  Sultan  à  eflfectuer  spontanément 
les  réformes  que  la  volonté  de  l'Europe  lui  impose  aujourd'hui, 
Fempereur  d'Allemagne  eût  probablement  fait  preuve  de  clair- 
voyance et  servi  utilement  les  intérêts  de  son  pays,  car  il  eut 
ainsi  légitimé  et  consolidé  cette  influence  elle-même,  et  avec 
les  sympathies  des  habitants  de  la  Macédoine,  gagné  au  com- 
merce allemand  une  nombreuse  clientèle.  Le  gouvernement  de 
Berlin  a  préféré  rester,  ou  paraître  rester,  indifl'érent  aux  souf- 
frances de  la  Macédoine,  et  cette  indifl'érence  s'est  reflétée  jus- 
qu'en ces  derniers  temps  dans  la  sécheresse  et  la  brièveté  des 
entrefilets  que  la  presse  allemande,  sans  doute  bien  stylée,  leur 
consacrait.  Peut-être  faut-il  chercher  la  cause  de  cette  attitude 
dans  la  crainte  de  compromettre,  en  irritant  la  Porte,  l'entre- 
prise du  chemin  de  fer  de  Bagdad.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'Alle- 
magne regrettera  peut-être  un  jour  son  efl'acement  dans  cette 
circonstance.  N'annonce-t-on  pas  déjà  qu'à  Gonstantinople  l'au- 
torité de  son  ambassadeur  décline,  éclipsée  par  celle  du  repré- 
sentant de  la  Russie? 

Mais  arrivons  à  l'exposé  des  faits.  Nos  lecteurs  se  souvien- 
nent* des  tentatives  d'insurrection  qui  se  produisirent  en 
octobre  dernier  en  Macédoine,  particulièrement  dans  le  vilayet 
de  Monastir  et  dans  la  vallée  de  la  Strouma  au  nord  de  Serès. 
L'insuffisance  de  la  préparation,  le  mauvais  choix  du  moment, 
surtout  l'hostilité  réciproque  des  comités  condamnaient  le  mou- 
vement à  un  échec  :  il  n'aboutit  qu'à  une  série  ^de  troubles 
locaux,  où  les  Turcs  devaient  forcément,  au  prix,  il  est  vrai, 
parfois  de  pertes  sérieuses,  finir  par  l'emporter,  d'autant  plus 
que  le  gouvernement  ottoman  avait  pris,  sans  tarder,  des 
mesures  sérieuses  pour  enrayer  et  réprimer  la  révolte  :  à  ses 
troupes  actives,  normalement  réparties  en  Macédoine  il  avait 
ajouté  l'appoint  de  nombreux  bataillons  de  rédifs  spécialement 
convoqués  dans  les  régions  troublées. 

Pendant  ce  temps  la  diplomatie  européenne  était  entrée  en 
action,  morigénant  à  la  fois  le  gouvernement  bulgare  et  le 
gouvernement  ottoman,  pressant  le  premier  de  s'opposer  à  la 
constitution  des  bandes  sur  le  territoire  de  la  principauté  et 
aux  menées   des  comités  Zontchew,  le   second  de  supprimer, 

1  Article  de  M.  René  Henry  du  lo  février. 


468  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

par  l'octroi  de  réformes  appropriées,  les  causes  du  mécontente- 
ment des  populations  macédoniennes. 

Du  côté  bulgare,  le  gouvernement  du  prince  Ferdinand,  pré- 
sidé par  M.  Danew,  protestait  de  sa  bonne  volonté,  de  son  désir 
de  désarmer  les  bandes,  mais  arguait  d'impuissance  :  et  de 
fait,  nous  devons  reconnaître  qu'il  se  trouvait,  sans  en  être 
entièrement  responsable,  dans  une  situation  bien  embarras- 
sante. C'est  au  moment  où  la  présence  du  grand-duc  Nicolas, 
envoyé  spécial  du  tsar,  aux  fêtes  de  Chipka,  où  la  visite  du  roi 
de  Roumanie  aux  champs  de  bataille  de  Plewna  réveillait 
l'enthousiasme  populaire,  que  l'Europe  venait  lui  enjoindre  de 
refréner  cet  enthousiasme.  11  était  pourtant  invraisemblable 
que  les  toasts  échangés  sur  le  terrain  des  combats  de  1877  ne 
rappelassent  pas  aux  Bulgares,  avec  le  souvenir  des  victoires 
des  Russes  et  des  Roumains,  celui  des  déceptions  qui  avaient 
suivi,  le  souvenir  de  cette  Grande  Bulgarie  mort-née,  et  qui 
depuis  vingt-cinq  ans  aspire  à  revivre.  Il  était  impossible  que 
la  présence  aux  fêtes  de  Chipka  du  général  russe  Ignatiew,  le 
plus  actif  promoteur  du  panslavisme,  venu  h  la  suite  du  grand- 
duc  Nicolas,  ne  donnât  pas  lieu  à  de  bruyantes  démonstrations 
en  faveur  de  la  Macédoine  libre. 

Aussi,  pour  donner  aux  injonctions  de  l'Europe  une  apparence 
de  satisfaction,  M.  Danew  mettait  officiellement  aux  arrêts  dans 
sa  maison  le  général  Zontchew,  revenu  blessé  de  Macédoine, 
et  annonçait  sa  prochaine  traduction  devant  les  tribunaux;  il 
faisait  désarmer  quelques  membres  des  bandes  et  arnHer 
quelques  chefs  particulièrement  compromis;  en  même  temps 
il  affirmait  à  la  tribune  le  désintéressement  de  la  Bulgarie  dans 
la  question  macédonienne,  son  respect  de  Tautorité  du  Sultan, 
sa  volonté  de  laisser  les  grandes  puissances  régler  avec  ce  der- 
nier le  sort  de  ses  sujets  chrétiens.  Mais  le  général  Zontchew, 
en  dépit  de  ses  arrêts,  devenait  l'objet  de  continuelles  ovations: 
les  comités  redoublaient  d'activité,  et  trouvaient  dans  la  néces- 
sité de  secourir  les  nombreux  Macédoniens,  accourus  chaque 
jour  en  Bulgarie  chercher  un  refuge  contre  la  répression  turque, 
un  prétexte  utile  pour  couvrir  leurs  agissements  ;  enfin  le  gou- 
vernement bulgare  se  voyait  obligé  non  seulement  d'autoriser 
les  quêtes,  représentations,  concerts  de  charité  en  faveur  des 
réfugiés,  mais  même  de  venir  directement  en  aide  à  ces  malheu- 
reux et  de  demander  à  cet  effet  un  crédit  au  Sobranjé,  toute? 
mesures  qui,  si  légitimes  qu'elles  fussent,  ne  pouvaient 
qu'entretenir  et  développer  parmi  le  public  bulgare  les  senti- 
ments d'hostilité  à  l'égard  de  la  Turquie. 

Du  côté  ottoman,  les  remontrances  des  ambassadeurs  avaient 


t:-i 


m 


LES  AFFAIRES  MACÉDONIENNES  469 

fini  par  émouvoir  la  Porte  :  le  3  décembre,  elle  faisait  paraître 
un  iradé  relatif  à  l'administration  des  vilayets  de  la  Turquie 
d'Europe  et  chargeait  deux  commissions  de  surveiller,  Tune  ,1 

surplace,  en  Macédoine  môme,  l'autre  à  Constantinople,  Tappli- 
cation  des  mesures  prescrites.  C'était,  pourrait-on  croire,  faire 
acte  de  bonne  volonté  ;  en  réalité,  incompétence,  inertie  ou 
mauvaise  foi,  les  mesures  édictées  apparaissaient  à  l'examen 
fort  insuffisantes.  Sans  doute  l'iradé  du  Sultan  ordonnait  la 
réorganisation  de  la  gendarmerie,  de  la  police,  des  tribunaux, 
avec  introduction  d'éléments  chrétiens,  prescrivait  la  création 
(Fécoles  et  attribuait  quelques  fonds  à  des  travaux  publics; 
mais  il  ne  touchait  ni  au  mode  de  perception  de  la  dîme,  ni  à 
l'irrégularité  du  paiement  des  fonctionnaires  et  agents  de  tout 
ordre,  ces  deux  plaies  de  l'administration  turque  unanimement 
reconnues  et  signalées  comme  les  plus  douloureuses  et  dange- 
reuses. Rien  non  plus  n'était  changé  au  système  de  centralisa- 
tion excessive  en  vigueur  dans  tout  TEmpire  ottoman;  les  valis 
continuaient  à  relever  étroitement  d'Yldiz-Kiosk  et  demeu- 
raient, ainsi  que  Tinspecteur  général  créé  par  l'iradé,  révocables 
à  merci. 

Il  n'est  donc  pas  surprenant  que  ces  mesures  n'aient  satisfait 
personne  et  qu'en  Macédoine  la  déception  d'un  espoir  trompé, 
bien  loin  d'apaiser  le  mécontentement,  en  ait  déterminé  un 
redoublement.  D'ailleurs,  contrairement  à  l'attente  générale,  la 
mauvaise  saison,  si  exceptionnellement  rigoureuse  pourtant, 
n'avait  pas  totalement  interrompu  les  agissements  des  bandes  : 
celles-ci  avaient  renoncé  aux  entreprises  à  grande  envergure, 
mais  continuaient  à  affirmer  leur  vitalité  par  des  attentats 
isolés,  meurtres,  pillages,  par  de  petits  engagements  contre  les 
troupes  turques.  Enfin  l'autorité  judiciaire  graciait  à  la  vérité 
un  grand  nombre  des  révoltés  d'octobre,  mais  les  paysans  ainsi 
libérés  ne  rentraient  chez  eux  que  pour  trouver  leurs  foyers 
dévastés  et  incendiés  ou  pour  servir  à  nouveau  de  victimes  aux 
violences  de  la  gendarmerie  et  de  la  troupe,  qui,  sous  prétexte 
de  rechercher  les  armes,  se  livraient  aux  pires  exactions,  aux 
plus  odieuses  brutalités. 

Aussi  chacun,  tant  dans  la  péninsule  que  dans  les  gouverne- 
ments européens,  comprenait  l'inanité  de  la  prétendue  réorga- 
nisation ordonnée  par  le  Sultan,  et  l'imminence  d'une  insurrec- 
tion générale,  inévitable  au  printemps,  si  des  mesures 
énergiques  ne  venaient  de  suite  la  rendre  inutile  et  la  faire 
avorter.  C'est  alors  que,  renonçant  à  prolonger,  par  l'intermé- 
diaire de  son  ambassadeur  à  Constantinople,  un  échange  inu- 
tile de  pourparlers  et  de  discussions  avec  la  Porte,  le  gouver- 


1 

^1 


470  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONULES 

nement  russe  se  décida  à  une  action  plus  vigoureuse  et  plus 
directe.  Le  13  décembre  il  affirmait  dans  un  communiqué  offi- 
ciel sa  double  volonté  de  maintenir  dans  les  Balkans  le  statu 
quo  politique,  mais  d'obtenir  pour  les  chrétiens  de  Turquie 
d'Europe  un  régime  administratif  tolérable.  Le  22  du  même 
mois,  le  comte  LamsdoriT  se  mettait  en  route,  pour  aller  étudier 
sur  place,  à  Belgrade  et  Sofia,  puis  concerter  et  arrêter  défini- 
tivement à  Vienne  avec  le  comte  Goluchowski  les  moyens 
d'atteindre  ce  double  but. 

Tandis  que,  revenu  à  Saint-Pétersbourg,  le  ministre  russe 
s'occupait  de  donner  aux  conclusions  de  ses  entretiens  avec  son 
collègue  d'Autriche- Hongrie  une  forme  concrète,  le  mois  de 
janvier  s'écoulait  sans  incident  nouveau.  Troubles  locaux, 
incendies,  pillages,  assassinats,  se  poursuivaient  en  Macédoine 
et  en  Vieille-Serbie,  mais  sans  sortir  du  cadre  ordinaire  des 
faits-divers  auxquels  depuis  tant  d'années  ces  malheureux  pays 
sont  accoutumés  à  servir  de  théâtre.  Cependant,  au  milieu  de 
cette  accalmie  relative,  une  rumeur  s'élevait  qui,  peu  à  peu, 
prenait  corps  et  venait  réveiller  la  nervosité  générale  :  la  Tur- 
quie mobilise,  elle  appelle  ses  régiments  d'Asie  !  et  de  son  côté 
la  Bulgarie  s'arme,  elle  envoie  ses  soldats  garnir  la  frontière 
de  Macédoine  !  En  même  temps  d'Autriche-Hongrie,  de  Russie 
venaient  des  bruits  de  mouvements  de  troupes,  d^appels  de 
réservistes.  Qu'y  avait-il  au  juste  de  fondé  dans  ces  nouvelles  à 
sensation?  Il  est  difficile  de  le  distinguer  au  milieu  des  nou- 
velles contradictoires  qui  s'entremêlaient  :  naturellement 
chacun  des  gouvernements  intéressés  faisait  démentir  formel- 
lement les  mesures  belliqueuses  qu'on  lui  attribuait  ;  mais  cest 
si  bien  la  procédure  classique  de  la  part  d'Etats  qui  s'apprê- 
tent à  la  guerre  que  l'opinion  publique  ne  prenait  au  sérieux 
ni  leurs  dénégations,  ni  leurs  explications  justificatives.  Et  tou- 
jours, de  plus  en  plus  haut,  montait  la  clameur  des  comités 
macédoniens  :  «  L'insurrection  au  printemps  prochain  !  »  de  telle 
sorte  que  l'Europe  voyait  déjà  la  paix  balkanique  à  la  merci 
d'une  fonte  de  neiges  prématurée. 

Enfin,  avec  le  mois  de  février,  après  une  gestation  de  plu- 
sieurs semaines,  l'œuvre  des  chancelleries  russe  et  austro- 
hongroise  vit  le  jour.  Dans  la  première  quinzaine  de  ce  mois, 
les  gouvernements  de  Saint-Pétersbourg  et  de  Vienne  soumet- 
taient à  l'examen  des  puissances  signataires  du  traité  de  Berlin 
un  programme  précis  de  réformes  à  imposer  au  Sultan,  pour 
les  trois  vil ayets  de  Macédoine,  puis,  leur  approbation  obtenue, 
présentaient  à  la  date  du  21  février  ledit  programme  au  gou- 
vernement ottoman  dans  une  note  commune.  Le  23,  Tewfik 


LES   AFFAIRES   MACÉDOMENiNES  471 

pacha,  ministre  des  Affaires  étrangères,  notifiait  aux  ambassa- 
deurs de  Russie  et  d'Autriche-Hongrie  l'acceptation  du  Sultan  ; 
quelques  jours  après,  on  apprenait  que  ce  dernier,  allant  plus 
loin  encore,  s'apprêtait  à  étendre  aux  vilayets  d'Albanie  (Ja- 
nina,  Scutari)  et  à  la  Thrace  (vilayet  d'Andrinople)  les  réformes 
exigées  de  l'Europe  pour  la  Mact^donie  seule. 

Le  gouvernement  bulgare  n'avait  pas  voulu  le  céder  à  la 
Turquie  en  docilité  à  l'égard  de  l'Europe,  ou  plus  exactement 
de  la  Russie  :  le  1 2  février,  le  ministère  Danew  avait  proclamé 
l'illégalité  et  prononcé  la  dissolution  des  comités  macédoniens 
et  ordonné  l'arrestation  d'un  grand  nombre  de  leurs  membres 
les  plus  influents,  entre  autres  des  deux  chefs  de  l'organisation, 
le  général  Zontchew  et  le  professeur  Mikhaïlowsky. 

Ainsi,  du  jour  où  la  volonté  des  grandes  puissances  s'est 
imposée  d'une  manière  formelle  et  dans  un  sens  bien  défini, 
elle  a  été  obéie  :  pourtant  ce  serait  faire  preuve  d'un  opti- 
misme excessif  que  d'envisager  la  question  macédonienne 
comme  définitivement  résolue,  et  la  paix  dans  les  Balkans 
comme  assurée.  Deux  causes  paraissent  avoir  déterminé  la 
prompte  soumission  des  gouvernements  ottoman  et  bulgare, 
et  si  Tune  de  ces  deux  causes  ne  peut  éveiller  qu'une  satisfac- 
tion sans  mélange,  on  n'en  saurait  dire  autant  de  la  seconde. 
La  première  de  ces  deux  causes,  c'est  l'unanimité  et  la  cordia- 
lité de  l'entente  entre  les  grandes  puissances.  Entre  la  présen- 
tation aux  différents  cabinets  du  programme  austro-russe  et  la 
notification  par  ceux-ci  de  leur  approbation,  il  ne  s'écoula  que 
le  délai  strictement  indispensable  de  trois  jours,  et  si  l'un  des 
gouvernements  consultés,  le  gouvernement  anglais,  crut  devoir 
formuler  quelques  réserves,  ce  ne  fut  nullement  sur  le  principe 
même  ou  sur  le  sens  de  l'intervention  austro-russe,  mais  sur 
le  détail  des  réformes  proposées.  Il  ne  suffisait  pas  que  cette 
communauté  de  vues  se  révélât  dans  le  secret  des  correspon- 
dances entre  les  chancelleries  :  il  fallait  qu'elle  s'affirmât  publi- 
quement ;  il  fallait  surtout  qu'elle  s'exprimât  assez  hautement 
devant  le  Sultan  pour  convaincre  son  scepticisme  et  impres- 
sionner son  obstination.  Aussi,  le  jour  même  où  les  ambassa- 
deurs de  Russie  et  d'Autriche-Hongrie  remettaient  leur  mémo- 
randum à  la  Porte,  les  représentants  des  autres  puissances, 
France,  Allemagne,  Angleterre,  Italie,  recevaient-ils  l'ordre 
d'en  appuyer  énergîquement  les  revendications.  En  outre, 
depuis  lors,  soit  dans  leurs  réponses  à  des  interpellations  au 
Parlement,  soit  dans  des  communiqués  officiels  à  la  presse, 
chacun  des  gouvernements  intéressés  a  trouvé,  ou  fait  naître, 


472  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

une  occasion  d'exposer  sa  politique  balkanique,  sans  que  jas- 
qu'ici  aucune  divergence  de  vues  ait  apparu.  Puisse  ce  sextuor 
se  poursuivre  ainsi  sans  fausse  note  jusqu'au  point  d'orgue 
final  OÙ  retentira  le  cri  d'allégresse  d'une  Macédoine  réorga- 
nisée et  pacifiée  ! 

La  deuxième  cause  de  la  prompte  acceptation  par  la  Porte 
du  programme  austro-russe  est  moins  flatteuse  pour  la  diplo- 
matie européenne  et  moins  suggestive  d'espérance  pour  Tave- 
nir.  Elle  réside  en  effet  dans  la  modestie  môme  des  réformes 
exigées.  On  sait  que  celles-ci  se  résument  dans  les  cinq  princi- 
paux points  suivants  :  1**  nomination  d'un  inspecteur  général 
pour  un  délai  de  trois  ans,  avec  autorité  supérieure  sur  les  valis 
et  droit  de  réquisitionner  les  troupes  ;  2**  réorganisation  de  la 
police  et  de  la  gendarmerie  avec  l'aide  de  spécialistes  euro- 
péens, ainsi  que  du  corps  des  gardes  champêtres;  3**  répres- 
sion du  brigandage  des  Albanais  ;  4**  amnistie  pour  les  faits  se 
rapportant  aux  troubles  récents  ;  5"  création  de  budgets  pro- 
vinciaux, administrés  par  la  Banque  ottomane,  en  vue  d'assu- 
rer le  paiement  régulier  des  traitements  aux  fonctionnaires  et 
aux  troupes,  et  modification  du  système  de  perception  delà 
dîme  par  l'abolition  de  l'affermage. 

Passons  en  revue  ces  différents  points.  En  ce  qui  concerne 
l'inspecteur  général,  la  durée  de  ses  fonctions  parait  bien 
courte  pour  lui  permettre  d'acquérir  une  réelle  autorité  et  de 
l'employer  à  une  action  efficace.  Mais  voici  qui  est  plus  grave  : 
cet  inspecteur  général,  nommé  par  le  Sultan  seul,  est  un  mu- 
sulman ;  comme  tel,  il  aura  vraisemblablement  les  yeux  tour- 
nés vers  Constantinople  plutôt  que  vers  les  populations 
placées  sous  son  administration;  son  intérêt  personnel  le  main- 
tient dans  une  dépendance  étroite  d'Yldiz  Kiosk,  lui  commande 
de  ne  rien  faire  qui  puisse  déplaire  au  Palais  ;  et  pour  peu 
qu'il  ait  médité  sur  les  mésaventures  de  Berowitch  pacha  en 
Crète  *,  il  se  sentira  peu  enclin  à  imiter  le  zèle  de  ce  fonction- 
naire trop  libéral.  Puis  son  autorité  est  mal  définie  :  les  valis 
doivent  obéir  à  ses  instructions,  dit  la  note  austro-hongroise; 
mais  elle  ne  spécifie  aucune  sanction  à  lappui  de  cette  pres- 
cription ;  sans  pouvoir  disciplinaire  sur  les  valis,  sans  le  droit 
de  les  destituer,  comment  l'inspecteur  général  fera-t-il  res- 
pecter et  exécuter  ses  ordres  ?  On  peut  se  demander  si  la  créa- 
tion d'un  nouveau  fonctionnaire  n'aura  pas  pour  résultat 
d'alourdir    encore  la  machine   administrative  turque,  et  en 

1  Berowitch  pacha,  gouverneur  de  Crète  en  1896,  avait  cherché  à  satisfaire  les 
populations  chrétiennes  et  à  concilier  leurs  intérêts  avec  ceux  des  populations 
musulmanes.  Disgracié  brutalement,  il  dut  s'exiler  de  Turquie  et  vit  aujourd'hui 
misérablement  à  Venise  d'une  petite  pension  que  lui  sert  la  Crète. 


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LES  AFFAIRES  MACEDONIENNES  473 

augmentant  réparpillement  des  responsabilités,  d'accroître 
l'anarchie  et  de  favoriser  l'action  dissolvante  des  intrigues  du 
Palais.  Peut-être  aussi  eût-il  été  sage  d'édicter,  pour  les  valis 
comme  pour  l'inspecteur  général,  des  mesures  propres  à  re- 
hausser leur  situation,  tout  en  les  plaçant  sous  le  contrôle  de 
TEurope,  et  en  leur  donnant  une  certaine  indépendance  à 
l'égard  du  gouvernement  central. 

La  réorganisation  de  la  police  et  de  la  gendarmerie  par  des 
spécialistes  européens  ne  peut  qu'être  approuvée,  sous  réserves 
que  ces  spécialistes  seront  pris  de  préférence  parmi  les  natio- 
naux d'Etats  neutres,  et  non,  comme  le  Sultan  paraissait  tout 
d'abord  disposé  à  le  ÎFaire,  parmi  des  officiers  allemands  déjà 
engagés  au  service  de  la  Turquie,  c'est-à-dire  doublement  sus- 
pects. Mais  on  doit  s'étonner  que  le  même  paragraphe,  relatif 
aux  agents  de  police,  aux  gendarmes,  aux  gardes  champêtres, 
n'ait  rien  spécifié  à  l'égard  de  la  justice.*  Il  semble  pourtant 
qu'à  côté  des  organes  de  répression,  ou  même  avant  ceux-ci, 
on  doive  se  préoccuper  de  la  force  qui  les  fera  mouvoir,  et  s'at- 
tacher à  ce  que  cette  force  soit  intelligente,  impartiale,  éclai- 
rée, désintéressée,  toutes  qualités  dont  les  tribunaux,  en  pays 
ottoman,  demeurent  déplorablement  dépourvus. 

La  note  austro-hongroise  recommande  la  répression  du  bri- 
gandage albanais.  Voilà  qui  parait  bien  timide.  Depuis  des 
années  tous  les  rapports  des  consuls  en  Vieille-Serbie,  tous  les 
récits  des  voyageurs. qui  ont  parcouru  les  régions  occidentales 
des  vîlayets  de  Monastir  et  d'Uskub  relatent  mille  faits  de  ban- 
ditisme sauvage  à  l'actif  de  ceux  qu'on  a  appelés  les  Kurdes 
d'Europe  :  et  l'on  se  contente  d'inviter  la  Porte  à  «  chercher  sans 
fc  retard  les  moyens  propres  à  faire  cesser  cet  état  de  choses  »  ! 
Il  semble  que  les  diplomates  auraient  pu  préciser  davantage, 
parler  plus  ferme  et  ordonner  purement  et  simplement  le 
désarmement  des  Albanais  résidant  ou  voyageant  dans  les  trois 
vilayets  de  Macédoine.  C'eût  été  les  mettre  sur  le  même  pied 
que  les  chrétiens,  auxquels  le  port  des  armes  est  interdit  et 
qui  se  voient  ainsi  exposés  sans  défense  aux  pistolets,  sabres, 
poignards  dont  l'accumulation  à  sa  ceinture  fait  de  tout  bon 
Amaute  un  arsenal  ambulant. 

De  l'amnistie  rien  à  dire,  sinon  qu'elle  comporte,  dans  un 
pays  aussi  profondément  troublé,  certains  tempéraments  :  il 
importe  de  jxe  pas  rendre  au  banditisme  les  criminels  de  métier, 
qui,  sous  couvert  de  politique,  vivent  de  brigandage,  ni  les  agi- 
tateurs sans  scrupules  qui  cherchent  dans  l'insurrection  l'inté- 
rêt de  leurs  ambitions  personnelles.  Et  voilà  encore  où  apparaît 
la  nécessité  de  tribunaux  impartiaux,  aptes  à  choisir,  d'après 


474  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

les  seules  considérations  d'équité,  parmi  la  tourbe  innombrable 
qui  encombre  les  geôles  turques,  les  victimes  inoffensives  à 
libérer,  et  les  individus  dangereux  h  maintenir  incarcérés. 

La  note  austro-russe  prescrit  l'abolition  de  l'affermage  de  la 
dîme.  Sans  aucun  doute,  cet  impôt  est  celui  qui  pèse  le  plus 
lourdement  sur  les  populations  et  dont  la  perception  donne  lieu 
aux  pires  abus  ;  mais  il  suffit  de  lire  le  rapport  de  M.  Steeg 
auquel  nous  avons  fait  allusion  pour  voir  que  l'impôt  foncier, 
l'impôt  sur  les  salaires  ou  revenus,  l'impôt  sur  les  troupeaux,  la 
corvée,  etc.,  ne  sont  guère  plus  équitablement  répartis.  En  réa- 
lité, il  semble  qu'une  revision  complète  de  l'assiette  des  contri- 
butions s'imposerait,  et  que  cette  revision  devrait  être  sinon 
effectuée,  du  moins  contrôlée  par  des  inspecteurs  financiers 
européens. 

Et  ceci  nous  amène  à  une  autre  réforme,  dont  le  programme 
austro-russe  ne  fait  pas  mention,  qui  pourtant  paraît  être  d'une 
importance  capitale,  à  savoir  la  participation  à  l'administration 
des  populations  intéressées.  On  sait  que  le  statut  organique  de 
i  880,  rédigé  pour  la  Macédoine,  par  la  commission  de  la  Roumélie 
Orientale,  en  application  de  l'article  23  du  traité  de  Berlin,  avait 
prévu  et  réglementé  cette  participation  :  des  conseils  adminis- 
tratifs élus  devaient  seconder  et  contrôler  les  valis  (gouverneurs 
de  vilayets),  les  mutessarifs  (préfets  de  sandjaks),  les  kaïmakams 
(sous-préfets  de  cazas),  les  mudirs  (chefs  des  nahiès,  correspon- 
dant à  nos  cantons),  les  moukhtars  (maires).  En  réalité,  ce  n'est 
guère  que  dans  la  commune  que  fonctionnent  les  conseils  ainsi 
institués  :  le  nahiè,  ou  canton,  n'a  jamais  eu  d'existence  que 
sur  le  papier  ;  dans  les  circonscriptions  supérieures,  les  conseils 
administratifs  sont  sans  autorité  ;  ils  se  composent  d'individus 
choisis  par  le  fonctionnaire  même  dont  ils  seraient  appelés  à 
contrôler  les  actes,  et  se  recrutent  d'ailleurs  uniquement  dans 
la  ville  oîi  ce  dernier  réside,  en  sorte  que  les  habitants  des  cam- 
pagnes, de  beaucoup  la  majorfté,  n  y  sont  pas  représentés.  On 
comprend  que,  dans  l'état  d'anarchie  où  se  trouve  la  Macédoine, 
les  diplomates  européens  ne  se  soient  pas  souciés  d'accroître  les 
chances  de  désordre  en  accordant  aux  populations  des  libertés 
politiques  pour  lesquelles  elles  n'étaient  pas  préparées;  mais 
n'eût-il  pas  été  légitime  et  sage  de  les  admettre  à  collaborer  à 
la  direction  d'une  administration  dont  elles  font  tous  les  frais  et 
dont  le  bon  fonctionnement  est  leur  premier  intérêt? 

Nous  venons  d'énumérer  les  principales  critiques  que  l'on  peut 
adresser  au  programme  austro-russe  :  on  voit  qu'elles  justifient 
les  paroles  de  lord  Lansdowne  à  la  Chambre  des  communes,  le 


LES   AFFAIHES   MACÉpONIENNES  475 

13  mars  :  «  Ce  projet  est  loin  d'être  complet  ou  parfait  ;  mais  il 
«  a  du  moins  le  mérite  de  contenir  des  dispositions  très  utiles 
«  et  d'avoir  produit  une  détente  dans  la  situation  intolérable 
u  qui  avait  été  créée  dans  la  péninsule  des  Balkans.  » 

Que  faut-il  au  juste  penser  de  cette  détente  ?Nous  n'oserions 
rien  prononcer  à  cet  égard?  Le  projet  .austro-russe  n'a  certaine- 
ment suscité  aucun  grand  enthousiasme  dans  la  péninsule  : 
proclamé  insuffisant  à  Sofia,  à  Belgrade,  à  plus  forte  raison  en 
Macédoine  par  les  chrétiens,  il  a  par  contre  paru  intolérable  aux 
Albanais,  jaloux  des  concessions  faites  aux  «  raïas  ».  Et  si 
déplorable  est  la  réputation  que  vingt-sept  ans  de  despotisme 
sans  contrôle  ont  valu  à  Abdul-Hamid,  que  beaucoup  de  bons 
esprits  ont  cru  découvrir,  sous  les  manifestations  d^hostilité  des 
Albanais  au  projet  austro-russe,  les  machinations  du  Sultan  lui- 
même;  celui-ci  chercherait  à  démontrer  l'impossibilité  des 
réformes  en  tirant  les  ficelles  de  l'épouvantail  albanais.  Nous  ne 
croyons  pas  à  tant  de  duplicité  ;  ce  serait,  dans  la  circonstance, 
de  la  part  d'Abdul-Hamid,  jeu  trop  dangereux.  L'Europe  a  senti 
trop  profondément  l'humiliation  de  s'être  laissé  duper  en  1896 
en  Arménie  pour  renouveler  aujourd'hui  ses  fautes  d'alors.  Si 
le  Sultan  veut  conserver  la  Macédoine,  et  avec  elle  ses  posses- 
sions d'Europe,  il  n'a  qu'un  moyen  :  obéir  franchement  aux 
injonctions  austro-russes.  Au  reste,  il  semble  bien  que  ce  soit 
le  parti  qu'il  ait  pris  :  l'homme  qu  il  a  désigné  pour  présider  à 
Taccomplissement  des  réformes  en  qualité  d'inspecteur  général, 
Hussein-Hilmi  pacha,  passe  pour  bon,  intelligent,  courageux; 
il  s  est  mis  à  l'œuvre  sans  tarder,  et  si  l'insurrection  prédite  en 
Macédoine  pour  le  printemps  qui  s'ouvre  peut  être  évitée,  il  sem- 
ble qu'Hilmi  pacha  soit  l'homme  propre  à  l'empêcher  d'éclater. 
Mais  l'insurrection  peut-elle  être  évitée  ?  Telle  est  la  question 
que  l'Europe  entière  se  pose  avec  angoisse,  et  que  les  nouvelles 
arrivant  quotidiennement  de  la  péninsule  rendent  malheureu- 
sement de  plus  en  plus  obscure.  Nous  avons  déjà  dit  que  le  gou- 
vernement bulgare  avait  fait  arrêter  les  chefs  des  comités  macé- 
diens  organisés  sur  son  territoire,  et  qu'il  surveillait  la  fron- 
tière pour  empêcher  les  mouvements  des  bandes.  Mais  les 
comités  dits  «  intérieurs  »,  qui  travaillent  la  Macédoine  sous  la 
direction  de  Boris  Sarafof,  sont  plus  remuants  que  jamais  ;  chaque 
jour  nous  apporte  le  récit  de  nouveaux  méfaits  commis  par 
leurs  adhérents.  En  Bulgarie  même,  malgré  l'attitude  correcte 
du  gouvernement,  la  population  continue  à  se  passionner  en 
faveur  des  frères  macédoniens];  et  forcément  les  rapports  demeu- 
rent tendus  entre  Constantinople  et  Sofia  :  dans  cette  dernière 
capitale,  l'opinion  publique  est  divisée;  tout  un  parti  envisage 


476  QUESTIONS   DIPLOHATIOUBS    BT   C0L0N1AMC8 

avec  pessimisme  l'avenir  immédiat,  à  tel  point  que  le  ministre 
de  la  Guerre  a  cru  devoir  démissionner  sur  le  refus  de  ses  collè- 
gues d'autoriser  une  demande  de  crédits  pour  l'armée,  et  qu'une 
grave  crise  ministérielle  en  est  résultée. 

Le  champ  reste  donc  malheureusement  ouvert  à  toutes  les 
hypothèses.  Ou  le  gouvernement  ottoman,  s'appliquant  loyale- 
ment à  la  tâche  que  lui  a  tracée  la  diplomatie  européenne,  y 
réussira,  et  par  l'introduction  en  Macédoine  d'un  régime  admi- 
nistratif tolérable,  calmera  l'irritation  des  populations  chré- 
tiennes, contiendra  les  musulmans,  ruinera  le  crédit  des  bandes, 
et  avec  l'ordre  ramènera  dans  le  pays  la  prospérité  :  la  diplo- 
matie n'aurait  alors  qu'à  poursuivre  son  œuvre  en  continuant  à 
donner  au  Sultan  l'appui  de  ses  conseils  et  de  son  autorité  modé- 
ratrice sur  les  petits  Etats  balkaniques  limitrophes  de  la  Macé- 
doine. Ou  les  réformes  échoueront  :  en  ce  cas,  le  devoir  de 
l'Europe  varierait  avec  les  causes  de  l'échec,  selon  que  la 
responsabilité  en  devrait  être  imputée  au  gouvernement  otto- 
man ou  aux  populations  macédoniennes  elles-mêmes.  Il  nous 
reste,  pour  clore  cet  exposé  de  la  question  macédonienne,  à 
examiner  rapidement  ces  deux  hypothèses.. 

Voici  la  première.  Après  plusieurs  semaines*  d'attente,  la      j 
diplomatie  européenne  acquiert  la  conviction  que  le  gouverne-      j 
ment  ottoman  cherche  encore  une  fois  à  la  jouer,  et  que,  sous      | 
des  apparences  de  soumission,  il  résiste  à  ses  ordres;  ou  encore,      j 
les  efforts  sincères  mais  malheureux  de  ce  même  gouvernement      j 
achèvent  de  démontrer  son  incapacité  h  se  régénérer  et  à  réali- 
ser les  réformes  promises.  Dans  Tun  comme  dans  l'autre  cas, 
l'Europe,  responsable  du  sort  des  chrétiens  en  Macédoine,  se 
voit  acculée  à  une  issue  unique  :  émanciper  ces  populations  du 
joug  turc.   Quelle  forme  prendrait  cette  émancipation?  Nous 
l'avons  dit  dans  notre  article  précédent  :  la  seule  qui  nous  pa- 
raisse admissible  serait  l'autonomie,  la  constitution  de  la  Macé- 
doine en  un  Etat,  tributaire  de  la  Turquie  si  l'on  veut,  mais  ayant 
une  organisation  politique  propre,  et  à  sa  tête  un  gouvernement 
désigné  par  les  grandes  puissances.  Par  quel  moyen  l'Europe 
réaliserait-elle  cette  émancipation?  Pacifiquement,  cela  va  de       j 
soi,   si  la  chose  était  possible,  par  la  réunion  d'un  Ck)ngrès       j 
européen  appelé  à  corriger  et  compléter  l'œuvre  de  celui  de       .^ 
Berlin  ;  mais  au  besoin,  si  le  Sultan  s'avisait  de  tenir  tète  à 
l'Europe,  par  la  force. 

*  A  la  date  où  nous  écrivons,  la  Porte  n'a  pas  encore,  en  dépit  des  demandes 
réitérées  des  ambassadeurs  russe  et  austro-hongrois,  communiqué  à  ceux-ci 
les  règlements  destinés  à  préciser  les  mesures  d'application  des  réformes  en  Macé- 
doine. 


LES   AFFAIRES   MACÉDOMENNES  477 

Quels  seraient,  dans  ce  cjbls  extrême  où  les  puissances 
se  verraient  contraintes  de  recourir  à  Vultima  ratio  ^  les 
moyens  de  coercition  qu'elles  pourraient  mettre  en  œuvre 
contre  TEmpire  ottoman?  Nous  avons  déjà,  précédemment, 
mentionné  les  causes  qui  excluent  Temploi  d'une  armée 
internationale.  D'autres  considérations  nous  paraissent  inter- 
dire également  la  participation  à  la  guerre  des  armées  des 
petits  Etats  balkaniques  ;  appeler  ceux-ci  à  coopérer  à  la  libé- 
ration de  la  Macédoine,  ce  serait  ouvrir  le  champ  à  leurs  ambi- 
tions égoïstes  et  rivales,  et  préparer,  pour  Theure  du  règlement 
des  comptes,  une  liquidation  des  plus  difficiles.  L'émancipation 
de  la  Macédoine,  ordonnée  par  un  congrès  des  grandes  puis- 
sances, ne  nous  paraît  pouvoir  être  effectuée  que  par  la,  ou  les, 
armées  d'une  ou  de  deux  de  ces  puissances,  déléguées  à  cet 
effet  par  les  quatre  ou  cinq  autres.  L'armée  russe  serait  certes 
de  taille  à  accomplir  seule  cette  tâche;  mais  dans  l'état  politi- 
que actuel  de  l'Europe,  où  double  et  triple  alliances  se  contien- 
nent et  se  jalousent  réciproquement,  il  est  douteux  qu'une 
entente  se  fasse  en  vue  de  donner  carte  blanche  à  la  Russie 
pour  une  action  isolée,  tandis  qu'il  ne  paraît  pas  impossible 
d'obtenir  l'adhésion  générale  à  une  coopération  des  armées 
russe  et  austro-hongroise.  Ce  serait  d'ailleurs  la  suite  logique 
des  événements  antérieurs,  le  prolongement  de  l'action  combi- 
née des  deux  grands  Empires  orientaux. 

Nous  sommes  donc  amenés  à  envisager  l'éventualité  d'une 
guerre  de  la  Russie  et  de  l'Autriche-Hongrie  alliées  contre 
TEmpire  ottoman.  Une  telle  guerre  aurait  forcément  pour 
théâtre  d'opérations  principal  la  Macédoine  et  la  Thrace,  où  sont 
déjà  rassemblées  une  grande  partie  des  forces  ottomanes,  et 
d'où  l'on  menacerait  l'Empire  à  la  tête,  dans  sa  capitale. 
L'armée  russe  serait  sans  doute  chargée  des  opérations  de  ce 
côté.  Dans  l'impossibilité  où  la  flotte  turque  se  trouverait  de 
prendre  la  mer,  les  troupes  du  tsar  pourraient  en  toute  sécu- 
rité être  transportées  d'Odessa,  de  Kherson,  de  Sébastopol  à 
Varna  et  Bourgas,  têtes  des  voies  ferrées  qui  se  réunissent  dans 
la  vallée  de  la  Maritsa,  d'où  l'armée  russe  se  porterait  soit  vers 
la  vallée  de  la  Strouma,  soit  plus  vraisemblablement  sur  Andri- 
nople  et  Constantinople.  De  son  côté  la  flotte  russe  pourrait 
atteindre  directement  cette  dernière  ville  après  avoir  ruiné  les 
ouvrages  défensifs  du  Bosphore.  Pendant  ce  temps  l'armée 
austro-hongroise  aurait  pour  mission  de  détruire  les  forces 
turques  restées  en  Vieille-Serbie,  et  vers  Monastir,  et  en  outre 
de  contenir  les  populations  musulmanes,  surtout  d'empêcher 
les  Albanais  de  venir  ravager  la  vallée  du  Vardar,  les  plaines  de 


478  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES   KT    COLONIALKS 

Kossovo,  de  Monastir  et  d'Ochrida  :  rôle  ingrat  et  difficile  dans 
i  (*s  régions  extrêmement  accidentées,  pauvres  et  dépourvues 
<it^  routes,  mais  non  moins  indispensable  que  le  rôle  dévolu 
arix  troupes  russes.  Les  armées  autrichiennes  auraient  à  leur 
disposition  les  chemins  de  fer  de  Belgrade  à  Uskub  et  Saloni- 
n  itjiie,  ainsi  que  la  route,  médiocre  mais  carrossable,  qui,  venant 
ih'  Sarajewo,  tête  du  réseau  bosno-herzégovinien  *,  traverse  le 
sandjak  de  Novi-Bazar  et  rejoint  à  Mitrowitza  la  ligne 
d'IJskub-Salonique.  Nous  admettons,  on  le  voit,  que  les  armées 
russe  et  austro-hongroise  emprunteraient  pour  leurs  mouve- 
ïïients  les  territoires  de  la  Serbie  et  de  la  Bulgarie  :  les  armées 
iU'  ces  deux  Etats,  tenues,  comme  nous  l'avons  dit,  en  dehors 
(ji^s  opérations  actives,  seraient  occupées  à  la  garde  strictement 
ilr»fensive  de  leurs  frontières  respectives. 

Tel  nous  paraît  pouvoir  être,  dans  ses  lignes  essentielles,  le 
jilan  d'une  action  militaire  de  la  Russie  et  de  l'Autriche- 
llongrie  contre  la  Turquie.  Nous  donnons  dans  une  annexe 
ipielques  indications  sur  les  forces  que  cette  dernière  puissance 
|iL)urrait  mettre  en  ligne. 

La  deuxième  hypothèse  que  nous  avons  envisagée  est  celle 
*l\m  insuccès  des  réformes  causé  par  l'opposition  des  popula- 
liuns  macédoniennes  elles-mêmes.  Cette  hypothèse  n'est  mal- 
ih^ureusement  que  trop  vraisemblable  dans  Tétat  d'exaspération 
IMissionnée  auquel  des  années  de  souffrances  et  la  propagande 
i\i'S  comités  ont  amené  ces  populations.  Il  existe  parmi  les  chré- 
(Il^s  de  Macédoine  un  nombreux  parti  qui  rejette  formellement 
(nute  idée  de  réconciliation  avec  le  gouvernement  ottoman,  et 
(jui  se  refuse  à  admettre,  avec  une  réforme  de  Tadministration 
^ilLomane,  un  renforcement  du  lien  qui  les  attache  à  la  Turquie. 
One  ces  adversaires  irréductibles  du  Sultan,  prêts  à  tout  ris- 
<1  lier  pour  conquérir  leur  indépendance,  l'emportent,  et  c'est 
«humain  l'insurrection  partout.  L'Europe  se  trouverait  alors  en 
l-(ce  d'un  dilemme  cruel  :  comment  apaiser  la  révolte  sans 
vrrser  des  Ilots  de  sang?  Donner  carte  blanche  au  Sultan  pour 
lit  répression,  on  sait  trop  ce  que  cela  signifie  lorsque  le  souve- 
liiin  en  exercice  s'appelle  Abdul-Hamid,  lorsqu'il  a  sur  la 
i/nnscienceune  part  des  atrocités  bulgares  de  1876  et  les  massa- 
rri^H  d'Arménie  de  1896.  D'un  autre  côté,  l'empêcher  d'agir  ne 
serait-ce  pas  favoriser  l'insurrection  et  avec  elle  livrer  la  Tur- 
<Hiie  d'Europe  à  toutes  les  horreurs  des  guerres  de  races  et  de 
r.  ligions?  Dans  une  pareille  conjoncture,  deux  déterminations, 
nous  semble-t-il,  s'imposeraient  au  choix  des  grandes  puis- 
^^inces  :  ou  adopter  le  projet  d'une  occupation  internationale  de 

I  Réseau  ù  voie  de  0"»16, 


LES   AFFAIRES   MACÉDONIENNES  479 

la  Macédoine,  comme  autrefois  de  la  Crète,  en  répartissant  les 
troupes  des  différentes  nations  suivant  un  plan  analogue  à  celui 
de  M.  Povolni  rappelé  ici  dans  l'article  de  M.  René  Henry  du 
13  janvier;  ou,  ce  qui  serait  plus  simple,  moins  onéreux,  mais 
moins  efficace  aussi,  obliger  le  Sultan  à  adjoindre  à  ses  corps 
de  troupes,  chargés  de  réprimer  Tinsurrection,  des  commis- 
saires européens  ayant  pour  mission  de  surveiller  et  de  con- 
trôler leurs  opérations  et  de  s'opposer  à  toute  rigueur  injustifiée. 

Nous  en  avons  fini  avec  cet  exposé  de  la  question  macédo- 
nienne, où  nous  nous  sommes  efforcés  de  conserver  une  impar- 
tialité complète  tant  dans  le  récit  succinct  des  évéjiements 
passés  que  dans  l'indication  des  éventualités  à  prévoir,  des  diffi- 
cultés à  surmonter  et  des  solutions  possibles.  On  a  vu  qu'à 
l'heure  actuelle  le  problème  macédonien  continue  à  faire  peser 
sur  l'Europe  un  redoutable  inconnu  ;  nous  croyons  avec  toute 
la  diplomatie  qu'il  est  du  plus  haut  intérêt  de  le  résoudre 
pacifiquement;  mais  nous  croyons  surtout  qu'^Y  faut  le 
résoudre.  En  1878,  les  puissances  ont  pris  à  Berlin  l'engage- 
ment d'assurer  aux  chrétiens  de  Macédoine  un  régime  de 
tolérance  et  d'équité;  vingt-cinq  années  durant,  elles  ont 
failli  &  leurs  promesses  ;  aujourd'hui,  talonnées  par  l'exas- 
pération des  Macédoniens,  elles  se  décident  à  esquisser  un 
commencement  d'action  ;  il  ne  leur  est  plus  permis  de  s'arrêter 
avant  d'avoir  achevé  l'œuvre  entreprise.  Laisser  se  perpétuer 
plus  longtemps  dans  le  Balkan  ottoman,  avec  les  pratiques 
abominables  d'une  administration  oppressive  et  imbécile, 
l'anarchie  qu'elle  engendre,  ce  ne  serait  pas  seulement  fournir 
aux  politiciens  qui  nient  la  possibilité  du  concert  européen  un 
prétexte  à  de  nouveaux  sarcasmes,  ce  serait,  chose  plus  grave, 
conserver  dans  le  flanc  de  l'Europe  un  foyer  d'incendie  toujours 
prêt  à  se  rallumer  et,  dans  sa  conflagration,  à  embraser  le 
continent  entier. 

Casimir  Pralon. 

ANNEXE 

Nous  donnons  ci-après  quelques  indications  sur  les  forces 
militaires  des  différents  Etats  balkaniques.  Ces  renseignements 
sont  tirés  de  l'ouvrage  annuellement  publié  à  Berlin  sous  le 
nom  de  V.  LœbelVs  Jahresberichte^  édition  de  1901. 

EMPIRE  OTTOMAN 

On  sait  que  le  service  militaire  est  dû  par  les  musulmans  seuls.  Encore 
ceux-ci  peuvent-ils  se  racheter  au  bout  de  trois  mois  de  services  moyen- 


480 


QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONULBS 


nant  une  somme  de  50  livres  turques  :  il  y  a  en  outre  d'assez  nom- 
breuses exceptions  à  l'obligation  du  service  militaire. 

Les  hommes  appelés  servent  6  ans  dans  l'armée  active,  dont  3  ans  sous 
les  drapeaux  (nisams)  et  3  ans  dans  la  réserve  (ichtiats);  ils  passent 
ensuite,  sous  le  nom  de  redifs,  8  ans  dans  l'armée  de  réserve,  armée  qui  a 
des  cadres  organisés  dès  le  temps  de  paix  (jusqu'au  grade  de  général  de 
division  inclus)  et  recrutés  sur  les  mêmes  bases  que  les  cadres  de  l'armée 
active.  Enfin  les  redifs  libérés  passent  dans  l'armée  territoriale  (mustah- 
fizs) où  ils  demeurent  6  ans.  On  forme  en  outre,  avec  l'excédent  des  con- 
tingents, des  bataillons  de  dépôts  (ilavehs)  dont  les  cadres  seuls  existent 
en  temps  de  paix. 

Sur  le  pied  de  paix,  l'armée  ottomane  comprend  7  corps  d'armée,  dont 
3  en  Europe,  plus  2  divisions  indépendantes. 

Les  corps  d'armée  d'Europe  sont  : 


N 

Batail- 
lons 

18  AMi 

Esca- 
drons 

i 

Batte- 
ries 

RBD 

Batail- 
lons 

IFS 

Esca. 
drons 

ILAVBHS 

Bataillons 

MOSTAHFIZS 

1"  corps  (Garde)  : 

Constantinople 

(2diT.d'inf.,ldecaT.) 

2"  corps  : 

Amlrinople 

(2div.  d'inf.,ldecav.) 

3'  corps  : 

Salomque 

(5div.  d'inf.,ldecav.) 

20 
34 
80 

23 
30 
37 

39 
49 

17 

64 
64 
64 

16 
16 
16 

124 
147 
169 

Aucune  or- 
ganisation en> 
temps  de  paix: 
on    constitue 
les   corps   de 
mustahfizs  au 
moment     d  u 
besoin. 

Les  autres  corps  d'armée  sont  :  4«  Ersinghian  (Arménie),  5*  Damas, 
6"  Bagdad,  T*»  Yémen.  Les  2  divisions  indépendantes  sont  celles  de  Tri- 
poli et  du  Hedjaz. 

L'etï'ectif  de  paix  est  d'environ  260.000  hommes  :  500  hommes  par 
bataillon,  100  chevaux  par  escadron,  6  pièces  par  batterie.  L'infanterie 
des  3  corps  d'Europe  est  armée  d'un  Mauser  à  chargeur  de  7™"»65  :  celle 
des  autres  corps,  d'un  Mauser  à  répétition  de  9"">5,  ou  d'un  Marlioi-Henri 
de  11«»™4.  Le  matériel  de  l'artillerie  de  camj[>agne  est  formé  de  canons 
Krupp  de  90°»«^  (batteries  montées),  80™"  (batteries  à  cheval)  et  70»* 
(batteries  de  montagne)  et  d'obusiers  Krupp  de  120"*™. 

Sur  le  pied  de  guerre,  l'armée  turque  doit  constituer  8  corps  d'armée  de 
nisams  (par  le  dédoublement  du  3«  corps),  12  corps  de  redifs  et  5  corps  de 
mustahfizs.  Mais  l'expérience  a  démontré  qu'en  Turquie  l'organisation 
préparée  durant  le  temps  de  paix  subit  toujours  de  sérieuses  modifications 
à  la  mobilisation.  Lors  de  la  guerre  turco-grecque,  on  trouvait  dans  un 
même  régiment  des  hommes  de  toutes  les  classes  et  provenant  de  corps 
de  troupes  différents.  L'armée  turque  mobilisée  devrait  mettre  sur  pied 
environ  1  million  de  combattants;  en  réalité,  le  nombre  des  hommes 
instruits   ne  dépasse    pas   505.000    fantassins,    25.000   cavaliers,    68.000 


LES  AFFAIRES  MACÉDONIENNES  481 

hommes  des  autres  armes  ou  services,  dont  la  mobilisation  totale  exigerait 
2  à  3  mois.  Il  faut  y  ajouter  environ  90.000  gendarmes,  dont  20.000 
montés. 

Mais  dans  le  cas  d'une  guerre  dans  les  Balkans,  la  Turquie  ne  pourrait 
songer  à  dégarnir  l'Arménie,  ni  ses  provinces  lointaines  d'Asie  ou  d*Atri- 
que.  Lœbell  estime  à  355.000  fusils,  14.000  sabres,  1.044  canons  les  forces 
disponibles  pour  une  campagne  dans  la  péninsule.  Ce  chiffre  se  grossi- 
rait sans  doute  de  l'effectif  des  volontaires  albanais,  formés  en  «  ban- 
nières »  de  400  à  600  hommes  et  atteignant  un  total  de  30.000  à  40.000. 

Jjœbell  estime  que  la  mobilisation  et  la  concentration  de  ces  forces  en 
Turquie  d'Europe  ne  demanderait  pas  plus  de  3  semaines.  Ce  délai  nous 
parait  bien  court;  mais  on  ne  doit  pas  perdre  de  vue  que,  d'après  les  ren- 
seignements fournis  par  la  presse,  le  Sultan  aurait  déjà  convoqué  un 
grand  nombre  de  bataillons  de  redifs,  tant  dans  les  vilayets  d'Europe 
qu'en  Asie  Mineure,  qu'il  aurait  donné  des  ordres  pour  la  remise  en  état 
des  vaisseaux  de  la  Compagnie  de  navigation  Mahsusseh,  en  vue  de  trans- 
ports de  troupes,  et  que  peut-être  môme  ces  transports  auraient  déjà  com- 
mencé. Si  difficile  qu'il  soit  de  démêler  la  vérité  au  milieu  des  nouvelles 
contradictoires  et  des  démentis  officiels  plus  ou  moins  sincères,  il  semble 
que  les  forces  régulières  (non  compris  la  gendarmerie),  actuellement  réu- 
nies en  Macédoine,  s'élèvent  au  moins  à  80.000  fantassins  et  3.000  cava- 
liers. 

BULGARIE 

Service  militaire  obligatoire  :  dans  l'armée  active,  10  ans  dont  2  (infan- 
terie) ou  3  (autres  armes)  sous  les  drapeaux  ;  dans  l'armée  de  réserve 
Tans;  dans  l'armée  territoriale,  8  ans  (4  ans  dans  chaque  ban). 

Pied  de  paix  :  Effectif,  35.000  hommes  répartis  en  6  divisions  (48  batail- 
lons, 48  cadres  de  bataillons  de  réserve,  20  escadrons,  63  batteries}. 

Pied  de  guêtre  :  Première  ligne  :  6  divisions  d'infanterie  actives,  1  divi- 
sion de  cavalerie,  6  divisions  d'infanterie  de  réserve^  en  tout,  174  batail- 
lons, 28  escadrons,  115  batteries  à  6  pièces. 

Deuxième  ligne  :  6  brigades  d'infanterie  de  réserve  (24  bataillons,  6  es- 
cadrons, 18  batteries). 

Troisième  ligne  :  48  bataillons  de  territoriale. 

L'effectif  des  combattants  atteint  : 

Première  ligne  :  100.000  fusils,  4.500  sabres,  312  canons. 

Deuxième  et  troisième  lignes  :  88.000  fusils,  2.500  sabres,  120  canons. 

Armement  :  Infanterie,  Mannlicher  à  répétition  de  8°™.  Artillerie,  ca- 
nons Krupp  de  87™"  (batteries  attelées)  et  75"»™  (batteries  de  montagne), 
et  obusiers  de  campagne  du  Creusot. 

SERBIE 

Service  militaire  obligatoire  :  11  ans  dans  le  premier  ban,  dont  18  mois 
(infanterie)  ou  2  ans  (autres  armes)  sous  les  drapeaux  (en  réalité,  pour  des 
raisons  budgétaires,  le  temps  de  présence  se  réduit  en  moyenne  à  14  ou 
15  mois,  beaucoup  d'hommes  ne  font  que  5  mois  de  service  actif)  — 
deuxième  ban,  6  ans  —  troisième  ban,  8  ans  —  arrière-ban,  5  ans. 

Qi:i8T.  DiPL.  KT  Col.  —  t.  xv.  31 


'W^ 


482  QUESTIONS   DIHtOMATIQUES    BT  GOLONIALKS 

Fièd  de  paix  :  ËfTectif  théorique,  23.000  hommes  organisés  en  5  divi- 
gions  d'infanterie  et  1  de  cavalerie. 
Pied  de  guen'e  : 


Bataillons 

Escadrons 

Batteries 
(à  4  pièces) 

Fusils 

Sabres 

CaooQS 

l'aligne  :  5  divisions 
d'infanterie  et  1   de 
caTalerie 

90 
60 

45 

•26 

iO 

5 

i6 
20 

58.000 
56.000 
40.000 

4.700 

1.700 

800 

216  i 
120 

2*  ligne  :   5  divisions 
de  réserve 

3*  liene 

Un  rapport  de  l'attaché  inilitaire  russe  Léontschew,  cité  par  Lœbell. 
évalue  à  un  chiffre  plus  fort,  à  250.000  hommes,  les  forces  que  la  Serbie 
pourrait  mettn*  sur  pied,  mais  ce  chiffre  parait  exagéré. 

Armement  :  La  Serbie  posséderait  i  20.000  fusils  neufs  à  répétition  à 
petit  calibre;  Tancien  armement  se  composait  de  Mauser  de  10"""15  et  de 
fusils  russes  système  Berdan.  Artillerie  :  canons  de  Bange  de  80""». 


GRÈCE 

Service  militaire  obligatoire,  avec  de  nombreuses  exemptions.  Service 
actif,  2  ans  (pour  les  dispensés,  3  mois  seulement).  Service  dans  larésene, 
8  à  42  ans,  suivant  les  armes  et  la  catégorie  de  recrutement.  Service  dans 
l'armée  territoriale,  8  ans;  dans  la  réserve  de  Tarmée  territoriale,  10  ans. 

Pied  de  paix  :  Effectif  théorique  25.000  hommes,  effectif  réel  environ 
14.000,  répartis  en  3  divisions  (20  bataillons  d'infanterie,  8  d'evzooes 
(infanterie  légère),  12  escadrons,  14  batteries). 

Pied  de  guerre  :  Première  ligne  (armée  active  et  réserve)  :  6  divisions, 
comprenant  55  •  bataillons,  18  escadrons,  29  batteries  (à  6  pièces},  soit 
61.000  fusils,  2.700  sabres,  174  canons. 

Deuxième  ligne  :  Armée  territoriale  et  sa  réserve,  environ  ITO.OOO 
hommes,  pour  lesquels  aucune  organisation  n'est  prévue  et  qui  serviraient 
sans  doute  surtout  de  réservoir  aux  troupes  de  première  ligne. 

En  raison  de  l'insuffisance  des  mesures  préparatoires  de  la  mobilisa- 
tion, il  est  d'ailleurs  bien  douteux  que  les  chiffres  officiels  donnés  ci- 
dessus  puissent  être  atteints. 

Armement  :  Infanterie,  fusil  Mannlicher  à  répétition,  dont  60.000  ont  été 
achetés;  pour  le  reste,  fusil  Gras  modèle  1874.  Artillerie,  canons  Krupp 
ée  87  et  75"»"'. 


L'EVOlJTfON 


i>K   r.A 


POUTIQIE  INTÉRIEURE  ET  EXTÉRIEURE  DU  JAPON 


l.e  journal  japonais  Japan  Weckly  Mail,  uq  des  organes  les  plus  sérieu.\ 
«le  Vokabama,  nous  a  fait  l'honneur,  dans  deux  de  ses  derniers  numéros,  de 
«  onsacrcr  cinq  de  ses  colonnes  à  l'examen  critique  des  études  publiées  par 
les  QuestionSj  les  l«»'mars,  15  avril,  15  juin  et  !•'  août  1902,  sur  l'alliancp 
anglo-japonaise,  l'alliance  franco-russe  en  Extrême-Orient  et  la  politique 
iotérieure  du  Japon.  L'honorable  rédacteur  s'est  quelque  peu  formalisé  de 
la  sévérité  de  nos  appréciations,  et  tout  en  reconnaissant  que  les  base^ 
<ie  la  politique  russe  en  Extrême  Orient  avaient  été  exactement  définies,  u 
ij'claré  que  les  Ouestions,  «  revue  sérieuse  et  réputée  bonne  observatrice  "» 
rataient  trèfi  insuflisamment  renseignées  sur  le  Nippon,  qu'elles  avaient 
complètemonl  dénaturé  le  caractère  désintéressé  de  l'alliance  anglo-japo- 
naise et  exagéré  à  plaisir  la  gravité  de  la  situation  financière  du  Japon  au 
moment  do  la  conclusion  de  l'accord. 

Nous  ne  pouvions  évidemment  espérer  du  louable  patriotisme  et  di» 
iamour-propre  du  Japan  Weekly  Mail  la  reconnaissance  de  l'éventualité 
lit*  la  banqueroute  que  le  vicomte  Watanabé,  ministre  des  Finances  dans 
le  dernier  Cabinet  Ito,  avait  franchement  proclamée  à  la  tribune  ;  nouîi 
n'avions  pas  non  phis  la  prétention  de  l'amener  à  adhérer  tï  nos  conclusiouij, 
qui  sont  cependant  souvent  les  siennes,  et  à  convenir  que  les  finances 
japonaises  avaient  besoin  d'être  restaurées  par  les  capitaux  anglais.  Notre 
confrère  reconnaîtra  cependant  que  les  faits  ont  connrmé  toutes  nos  pré- 
visions :  l'évacuation  partielle  de  la  Mandchourie  par  les  troupes  russes, 
sage  mesure  que  nous  avions  prédite  le  i"'  mars  1902,  s'est  réalisée  trois 
ou  quatre  mois  plus  lard;  l'emprunt  auquel  nous  faisions  allusion  a  éti- 
contracté  en  octobre  1902  sur  la  place  de  Londres  ;  le  montant  exact  di^ 
cet  emprunt  et  les  nécessités  auxquelles  il  devait  faire  face  avaient  éti^ 
annoncés  dans  notre  article  du  !•'  août  dernier. 

Les  Questions  paraissent  donc  mieux  renseignées  que  ne  le  croit  Iv 
Japan  Weekly  Mail,  dont  notre  correspondant  est  d'ailleurs  un  lecteur 
-»>sidu.  Il  est  en  outre  puéril  de  croire  et  d'écrire  que  nos  observations 
^«>nt«lictées  par  un  esprit  de  parti  pris  et  d'hostilité  à  l'égard  du  Japon.  La 
«••rrespondance  que  nous  publions  ci-dessous  montrera  d'ailleurs  ample- 
ment que,  si  nous  sommes  prêts  à  blâmer  les  actes  que  nous  estimons 
rkheux  pour  le  maintien  de  la  paix  en  Extrême-Orient  et  la  marche  du 
.I.i(M)u  vers  le  progrès,  nous  n'hésitons  pas,  par  contre,  à  signaler  ceux  qui 
>oni  à  l'honneur  d'une  puissance  aux  succès  de  laquelle  nous  avons  large^ 
mt'ui  contribué  et  applaudi,  et  avec  laquelle  nous  entretenons  les  phif* 
cordiales  relations.  N.  D.  L.  H. 


Tokic»,  le  2:i  janvier  1903. 

Lu  Chambre  des  députés,  élue  au  mois  d'août  1902  et  convo- 
quée le  9  décembre  dernier,  n'aura  pas  siéf^é  lonji^temps:  après 
quelques  jours  d'existence,  un  décret  impérial  a  renvoyé  de- 
vant le  corps  électoral  les  37fi  représentants  coupables  de  s'être 
♦uei^iquement  opposés  à  une  augmentation  des  charges  pu- 


l 


484  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONULES 

bliques  résultant  du  projet  d'accroissement  naval,  dont  la  Revue 
a  déjà  parlé,  dans  le  15  juin  1902  *.  Cet  événement  est  gros  de 
conséquences. 

L'opinion  publique  japonaise,  bien  que  faiblement  repré- 
sentée par  970.000  électeurs,  sur  une  population  évaluée  à 
plus  de  46  millions  d'habitants  *,  semble  vouloir  s'affranchir 
aujourd'hui  de  la  folie  impérialiste  qui  s'est  emparée  de  ses 
hommes  d'Etat,  du  clan  militaire  des  Satsouma  en  particulier, 
au  lendemain  des  victoires  faciles  de  la  guerre  sino-japonaise- 
La  froide  interprétation  des  clauses  du  traité  d'alliance  anglo- 
japonaise  a  eu  le  bon  effet  de  lui  faire  entrevoir  les  périls 
auxquels  une  solidarité  trop  étroite  avec  l'Angleterre  pouvait 
exposer  le  pays.  La  période  de  réflexion  pratique  a  succédé  à 
celle  des  fanfaronnades  belliqueuses  de  la  première  heure,  et 
nombre  de  personnages  politiques  se  demandent,  à  l'heure 
actuelle,  s'il  ne  serait  pas  plus  sage  de  préparer  un  rappro- 
chement loyal  et  sincère  avec  la  Russie,  rapprochement  qui 
n'a  tenu  qu'à  un  fil,  au  lieu  de  ruiner  la  nation  dans  le  seul 
but  désintéressé  de  tirer  les  marrons  du  feu  pour  l'Angle- 
terre fortement  échaudée  par  l'aventure  sud-africaine. 

Les  récentes  tournées  en  Europe  et  en  Amérique  du  prince 
Komatsu,  du  marquis  Ito,  du  comte  Matsukata,  du  vicomte 
Watanabé  et  du  baron  Shibusawa,  les  entretiens  que  ces 
hautes  personnalités  ont  eus  avec  les  ministres  et  les  hommes 
influents  des  grandes  puissances,  les  discours  comptes  rendus 
qu'ils  ont  prononcés  à  leur  rentrée  au  Japon  devant  les  di- 
verses sociétés  politiques  et  commerciales  dont  ils  font  partie, 
ont  calmé  les  esprits  les  plus  montés  contre  l'Occident  et  con- 
firmé l'opinion  publique  dans  l'orientation  nouvelle  que  lui 
avait  déjà  indiquée  son  simple  bon  sens. 

Tokio  sait  actuellement  que  le  Japon  est  et  sera  désormais 
pris  au  sérieux,  et  que  personne  en  Europe  ne  songe  à  lui  con- 
tester, ni  son  avènement  au  rang  de  grande  puissance,  qu  il 
justifie  par  ses  progrès  et  ses  succès  économiques,  ni  la  part 

1  Consulter  dans  les  QuM^tofu  :  Politique  du  Japon,  par  Fab-East,  15  mars  1901; 
Politique  intérieure  du  Japon,  par  H.  Daurys,  13  août  1901  ;  /^  traité  ang la- japo- 
nais, l^'mars  1902;  Valliance  franco-russe  en  Extrême-Orient,  15  avril  1902; 
La  situation  en  Extrême-Orient,  15  juin  1902  ;  La  politique  intérieure  du 
Japon,  par  Rising-Sun,  l«r  août  1902.  Lire  en  outre  Le  Japon  politique,  écono- 
mique et  social^  par  H.  Dumolard.  Arm.  Colin.  —  N.  D,  L.  R. 

s  Pour  être  électeur,  il  faut  payer  un  impôt  annuel  de25  fr.  (10  yen)  au  mioi- 
mum.  Le  maréchal  Yamagata,  dont  les  tendances  conservatrices  sont  manifestes, 
avait  reconnu  cependant  la  nécessité  de  développer  le  suffrage  restreint  et  dépoâ*? 
avant  1899,  lors  de  son  dernier  ministère,  un  projet  plus  radical  que  la  loi  de  1900. 
Devait  être  électeur  tout  citoyen  payant  5  yen  d'impôt  foncier,  ou  3  yen  d'impôt  sur 
le  revenu,  ou  encore  3  yen  de  patente  commerciale.  Avant  la  loi  de  1900  qui  a 
régi  les  dernières  élections,  il   fallait  payer  31  fr.  50   d'impôt  pour  étr«  électeur. 


LA    POLITIQUE   INTÉHIELIRE   ET   EXTÉRIEURE   DU   JAPON  485  1 

qui  somljle  hiî  reveiur  pquitablement  dans  l'œuvre  d'exploi- 
tation internationale  entreprise  dans  TEmpire  du  Milieu.  i 

Ce  point  étant  acquis,  les  députés  japonais,  guidés  par  deux  I 

chefs  d'élite,  le  marquis  Ito  et  le  comte  O'Kuma,  ont  compris 
qu'il  était  opportun  de  mettre  un  terme  au  terrible  surmenage 
imposé  au  pays  depuis  1896,  de  réaliser  les  réformes  inté- 
rieures sans  cesse  ajournées,  de  développer  le  commerce  et 
rindustrie,  de  proportionner  les  futurs  armements  aux  res- 
sources de  la  nation  et  de  diminuer  enfin  les  charges  excep- 
tionnelles pesant  sur  le  contribuable  depuis  1898.  Mais  ils  se 
sont  heurtés  à  Tentr^tement  du  général  Katsura  *  qui,  docile 
aux  volontés  de  Londres,  n'a  pas  su  ou  pu  se  dégager  de  Ten- 
grenage  impérialiste  et  saisir  révolution  irrésistible  qui  s'est 
accomplie  dans  les  idées  en  matière  de  politique  intérieure 
et  extérieure,  évolution  que  ne  peut  enrayer  une  dissolu- 
tion de  Parlement  et  qui  aura  finalement  raison  du  ministère. 

Il  est  intéressant  de  retracer  cette  évolution  et  d'en  examiner 
les  causes. 


La  campagne  électorale  du  mois  d'août  1 902  s'était  déroulée, 
contrairement  à  l'habitude,  dans  le  plus  grand  calme.  Le  gou- 
vernement avait  pris  en  effet  des  mesures  énergiques  pour 
sauvegarder  la  sincérité  du  vote  et  supprimer  les  désordres 
sanglants  provoqués  jadis  par  les  Soshi^  bandes  d'assommeurs 
à  la  solde  des  candidats  tarés*.  Le  marquis  Ito,  de  son  côté, 
avait  adressé  à  ses  adeptes,  les  Seiyukaïj  de  rigoureuses  ins- 
tructions pour  la  préparation  honnête  des  élections. 

a  Le  parti  Seiyukaï,  disait-il  dans  son  manifeste,  doit 
(ï  donner  le  bon  exemple  aux  candidats  des  autres  partis  et 
«  s'abstenir  avec  soin  de  toute  pression  illégale  sur  les  élec- 
«  leurs.  Une  Chambre  saine  ne  peut  être  engendrée  que  par 
«  un  corps  électoral  et  des  comités  sains.  » 

Les  nouveaux  députés,  dont  le  nombre  avait  été  porté  de 
300  à  376  par  application  d'une  nouvelle  loi  sur  les  districts 
électoraux,  étaient  ainsi  répartis  : 

Seiyukaï  (constitutionnels  libéraux) 192 

Mushozoku  (indépendants) 36 

Kensei'honto  (progressistes) 92 

Teikokuto  (impérialistes) 17 

Divers  (Jininkai  et  Doshikai) 39 

^  Le  cabinet  Katsura  est  en  fonctions  depuis  le  mois  de  mai  1901. 

^  Il  n'j  a  eu  que  1.200  arrestations  à  l'occasion  des  élections.  Le  tiers  à  peine 
des  inculpés  a  été  condamné  à  des  peines  légères.  Dans  les  campagnes  électorales 
antérieures,  il  y  avait  eu  jusqu'à  15  ou  20.000  arrestations  et  des  centaines  de  vic- 
times. Le  gouvernement  a  dépensé  300.000  francs  pour  la  police  des  élections. 


486  QUKsrioMS  i>ii*LuMAriui:i£s  kt  colomalks 

Il  y  avait  eu  730  candidats. 

Ainsi  qu'on  le  voit,  le  parti  Seiyukai,  débarrassé  par  les 
comités  électoraux  des  éléments  de  moralité  douteuse,  avait 
maintenu  ses  positions,  c'est-à-dire  la  majorité  absolue,  et  cela, 
grâce  à  l'action  personnelle  de  son  chef  et  au  remarquable 
manifeste  électoral  élaboré  par  ce  dernier.  Les  déclarations 
aussi  sensées  que  patriotiques  du  vieil  homme  d'Etat  avaient 
eu  raison  de  la  mauvaise  impression  produite  par  les  malversa- 
tions éhontées  de  feu  Hoshi  Toru  et  consorts.  Elles  se  résu- 
maient en  quatre  termes  :  sauvegarde  de  la  moralité  adminis- 
trative, développement  économique  du  pays,  bonnes  relations 
avec  les  puissances  étrangères,  harmonie  entre  les  dépenses 
militaires  et  les  ressources  de  la  nation  *. 

La  nouvelle  Chambre  se  trouva  bientôt  en  face  de  délicats 
problèmes  posés  par  le  Cabinet  Katsura. 

Le  parti  Seiyukai  apprit,  dans  les  premiers  jours  d'octobre, 
que  Tamiral  Yamamotoi  ministre  de  la  Marine,  avait  élaboré 
un  nouveau  plan  d'accroissement  de  la  flotte,  comportant,  pen- 
dant six  années  et  à  partir  de  1904,  une  dépense  annuelle  de 
50  millions  de  francs.  Au  même  moment,  une  note  officieuse 
du  gouvernement  faisait  connaître  que  la  flotte  de  guerre  japo- 
naise, défalcation  faite  des  navires  démodés  et  sans  valeur,  ne 
comptait  plus  qu'un  tonnage  véritablement  efficace  de  180.000 

i  Pour  bien  saisir  l'état  d'âme  de  la  nouvelle  génération  politique,  il  est  indispen- 
sable de  donner  les  caractéristiques  principales  du  programme  du  marquis  Ito  : 
Observer  strictement  la  Constitution  de  TKmpire,  maintenir  l'exercice  du  pouvoir 
souverain  dans  le  sens  constitutionnel,  de  façon  à  sauvegarder  les  droits  et  les 
libertés  de  chacun.  —  Reconnaître  au  Mikado  le  droit  absolu  de  choisir  ses  minis- 
tres, soit  dans  les  partis,  soit  dans  les  clans,  soit  en  dehors.  —  Développer  la  pros- 
périté et  la  civilisation  du  pays.  —  Afin  d^assurer  le  travail  harmonieiuc  de  la 
machine  administrative  et  d'j  maintenir  l'équité  et  la  justice,  surveiller  activement 
la  conduite  des  fonctionnaires,  éviter  les  formalités  administratives  inutiles,  définir 
clairement  les  devoirs  et  les  responsabilités  de  chaque  emploi;  maintenir  une  stricte 
discipline  dans  les  services;  recruter  les  fonctionnaires  parmi  les  sujets  instruits  et 
expérimentés  sans  distinction  d'opinion.  —  Ne  vouloir  en  principe  que  des  hommes 
inféodés  à  tel  ou  tel  parti  politique  conduisant  souvent  à  prendre  des  gens  douteux 
et  incapables,  il  faut  rompre  définitivement  avec  cette  pratique.  —  S'efforcer  d'entre- 
tenir  de  bonnes  relations  avec  les  puissances  étrangères;  veiller  au  bien*étre  des 
sujets  étrangers  résidant  dans  TEmpire  et  leur  étendre  tous  les  bienfaits  accordés  ù 
la  nation.  —  Compléter  la  défense  nationale  conformément  à  la  marche  des  épé' 
nements  à  intérieur  et  à  l'extérieur;  assurer,  dans  les  limites  des  ressources  de 
la  nation,  la  protection  effective  des  droits  et  des  intérêts  de  VEmpire.  —  Encou- 
rager et  développer  l'instruction  ;  élever  le  caractère  de  la  nation  de  façon  que 
ses  qualités  morales  soient  en  rapport  avec  la  grandeur  des  devoirs  qui  lui  incom- 
bent. —  Renforcer  les  bases  économiques  de  la  vie  nationale  en  encourageant  les 
entreprises  agricoles  et  industrielles,  le  commerce  et  la  navigation  ;  compléter  les 
moyens  de  communication.  —  Développer  l'autonomie  de  l'administration  munici- 
pale. —  Servir  au  peuple  de  guide  éclairé  et  fidèle.  Pour  cela,  former  un  parti 
discipliné,  prêt  à  se  consacrer  comme  un  seul  homme  aux  intérêts  publics;  éviter 
le  retour  des  anciens  abus.  —  En  un  mot  :  paix  honorable  à  ^extérieur,  progrès 
bien  ordonné  et  continu  à  l'intérieur. 


LA   POLITIQUE   IiNTÉRIEURE   ET   EXTÉRIEURE   DU   JAPON  487 

ionneaux  sur  un  total  de  239.573  et  contre  les  214.000  des 
escadres  franco-prusses  d'Extrême-Orient;  elle  ajoutait  que  les 
récents  programmes  de  constructions  navales  de  la  Russie  et  de 
la  France  faisaient  prévoir,  pour  Tannée  1907,  un  total  de 
360.000  tonneaux  dans  les  mers  de  Chine  et  qu'il  était  dès  lors 
indispensable  d  augmenter  la  marine  japonaise  de  120.000  ton- 
neaux pour  être  en  mesure  de  faire  face  aux  éventualités  de 
l'avenir.  On  ne  devait  pas  d'ailleurs  en  rester  là  ;  le  baron  Soné, 
ministre  des  Finances,  déclarait  en  effet,  dans  une  allocution 
privée,  qu'il  fallait  s'attendre  à  voir  surgir  un  troisième  et 
ronme  un  quatrième  programme  naval,  lorsque  les  finances 
nationales  seraient  en  meilleur  état ^ 

Ces  nouvelles  surprirent  profondément  le  pays.  L'élément 
modéré  et  pratique  s'était  déjà  laissé  bercer  par  l'idée  que  les 
armements  avaient  atteint  la  limite  des  ressources  nationales  et 
que  l'alliance  avec  l'Angleterre  permettrait  enfin  de  respirer 
tranquillement  quelques  années,  de  remettre  de  l'ordre  daijs 
les  finances  et  de  développer  le  commerce  asiatique.  On  pensait, 
avec  juste  raison,  qu'en  mettant  une  excellente  armée  de 
250.000  hommes  à  la  disposition  de  la  nouvelle  alliée,  celle-ci 
compenserait  l'insuffisance  présente  ou  future  de  la  flotte  japo- 
naise em  renforçant,  ou  tout  au  moins  en  ne  diminuant  pas, 
l'escadre  anglaise  d'Extrême-Orient.  Amère  désillusion  !  Au 
lendemain  même  du  lancement  des  deux  derniers  bateaux  pré- 
vus par  le  grand  fTogramme  post  bellum  de  1896,  le  gouver- 
nement envisageait  déjà  l'éventualité  d'un  abandon  et  la  néces- 
sité de  ne  compter  que  sur  ses  propres  forces.  Alors,  pourquoi 
une  alliance,  pourquoi  se  brouiller  presque  avec  la  Russie  et  la 
France,  si  l'honneur  déjà  périlleux  de  donner  la  main  à  l'An- 
gleterre se  traduisait  par  un  surcroît  de  charges  budgétaires? 

La  désillusion  fut  encore  plus  vive  quand  on  apprit  par  quels 

I  Rappelons  que  l'efTectif  de  la  marine  japonaise  a  doublé  depuis  1895  et  qu'il 
«'omprend  aujourd'hui  28.308  officiers  et  marins  en  service  actif  et  une  réserve  ûiS 
4.00Ô  hommes.  Le  tonnage  a  presque  quintuplé  ei  s  élève  à  250.000  tonneaux  répartis 
en  40  gros  navires  et  160  petits.  La  force  active  à  mettre  efficacement  en  ligne  corn- 
preod  :  6  cuirassés  d'escadre  filant  18  nœuds  (dont  4  de  15.000  tonneaux  et  2  de 
12.600  tonneaux)  ;  6  croiseurs  cuirassés  (9.800  tonneaux)  filant  20  à  21  nœuds  ;  7  croi- 
seurs protégés  de  l'*  classe  (4  à  5.000  tonneaux),  de  16  à  22  nœuds;  7  croiseurs 
protégés  de  2«  classe  (2.500  à  4.000  tonneaux)  de  17  à 20  nœuds;  6  avisos  de  20  à 
iâ  nœuds  ;  23  torpedo-destroyers,  dont  3  à  moteurs  turbine,  de  300  tonneaux  en 
moyenne  et  de  30  à  31  nœuds  de  vitesse  ;  60  torpilleurs  de  60  à  150  tonneaux  et  de 
20  à  S7  nœuds.  Pour  mémoire  :  2  anciens  cuirassés  et  2  canonnières  cuirassées 
réservées  pour  la  défense  des  côtes,  12  petits  croiseurs  et  13  canonnières  non  pro- 
t^ées.  La  Compagnie  de  navigation  à  vapeur  Nippon  Yusen  Kaisha  met  aux 
ordres  du  gouvernement,  en  cas  de  guerre,  36  vapeurs  de  2.500  à  2.600  tonneaux  et 
de  ii  à  15  nœuds.  1\  existe  5  arsenaux  maritimes.  La  marine  japonaise  manque 
d'enseignes  et  d'aspirants  ;  on  parle  de  créer  une  autre  école  navale. 


! 


488  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

moyens  le  cabinet  Katsura  se  proposait  de  faire  face  aux  nou- 
velles dépenses. 

Les  députés  crurent  tout  d'abord  qu'elles  seraient  couvertes 
par  un  nouvel  emprunt  contracté  en  Angleterre.  Le  marché  de 
Londres  venait  de  souscrire  en  effet,  dans  d'assez  bonnes  con- 
ditions, à  un  emprunt  japonais  de  125  millions,  portant  intér»^t 
à  5  %,  emprunt  nécessité  par  de  graves  embarras  financiers*; 
il  était  permis  d'espérer  que  la  haute  finance  anglaise  ne  se 
bornerait  pas  à  ce  faible  sacrifice.  Il  n'en  fut  rien. 

Le  gouvernement  japonais,  après  avoir  vainement  battu  le 
rappel  de  fonds  à  Londres  et  à  New- York,  dut  annoncer  que  les 
conditions  financières  des  marchés  occidentaux  étaient  peu  pro- 
pices à  un  emprunt  et  que  les  crédits  nécessaires  à  l'exécution 
du  futur  programme  naval  seraient  obtenus  en  maintenant  la 
surtaxe  immobilière  établie  en  1898  par  le  comte  Matsukata 
pour  cinq  ans  et  donnant  un  revenu  annuel  de  20  à  21  millions 
de  francs*;  la  différence  serait  réalisée  à  l'aide  d'économies 
administratives,  et  au  besoin,  par  voie  d'emprunt  intérieur. 

La  perspective  du  maintien  de  la  surtaxe  immobilière,  ad- 
mise par  le  maréchal  Yamagata  et  la  Chambre  des  pairs, 
groupa  aussitôt  les  Seiyukaï  et  les  progressistes  de  la  Chambre 
basse  dans  une  protestation  commune.  Le  marquis  Ito  et  les 
comtes  Okuma  et  Inouyé,  divisés  jusque-là  par  leurs  idées  po- 
litiques, se  rapprochèrent  momentanément,  et  tout  en  admet- 
tant à  regret,  et  malgré  l'opinion  d'une  grande  partie  de  leurs 
adeptes,  la  nécessité  d'un  accroissement  de  la  flotte,  firent  con- 
naître au  Cabinet  qu'ils  s'opposeraient  au  maintien  d'un  im- 

*  Cet  emprunt  fut  couvert  deux  fois  avec  une  prime  de  2  %.  H  avait  pour  but 
d'achever  le  programme  post  hélium  de  1896  tel  qu'il  avait  été  primitivement  arrêté. 
IJ  était  impossible  de  le  placer  à  l'intérieur  :  le  paj's  était  saigné  à  blanc  ;  la  moitié 
des  émissions  de  bons  du  Trésor,  bien  que  remboursables  au  bout  de  six  mois  et 
rapportant  7  %,  restaient  pour  compte  et  devaient  être  absorbées  par  la  Banque  do 
Japon.  Le  gouvernement  se  trouvait  dans  l'alternative  d'abandonner  les  grands  tra- 
vaux ou  d'emprunter  à  l'étranger;  il  avait  dû  battre  monnaie  avec  l'indemnité  chi- 
noise pour  les  troubles  boxeurs  et  en  faire  état  dans  les  recettes  du  budget  1902-1S03. 
Le  nouvel  emprunt  devait  :  1°  couvrir  le  montant  des  bons  du  Trésor  non  places 
dans  le  public  dans  la  3i*  période  fiscale  1900-1901,  soit  32  millions  de  franco:  j 
2<»  recompléter  le  fonds  de  réserve  naval  largement  entamé  pour  faire  face  aux  de-  ; 
penses  du  corps  expéditionnaire  ;  S»  rembourser  un  emprunt  fait  à  la  banque  de  1 
Formose;  4°  faire  face  à  l'emprunt  de  Formose  en  1902.  i 

L'affaire  fut  conclue  par  le  Crédit  mobilier  du  Japon  et  la  banque  anglaise  de  ^ 
Ilongkong-Changhal.  Les  conditions  d'émission  furent  vivement  criliquées  par  la 
presse  japonaise.  Celle-ci  rappela  que  le  comte  Matsukata  avait  obtenu,  en  1897,  une 
émission  de  4  %  à.  86;  s'il  avait  placé  du  5  %,  il  aurait  obtenu  vraisemblablement 
le  taux  de  107  Vs*  ^^  Matsukata  1897  donnait  du  4,65  «o,  le  nouveau  titre  donnera 
r»,iO  %,  Foit  une  majoration  de  0,35  Vo. 

*-  Cette  surtaxe  avait  été  adoptée  par  la  Diète  au  cours  de  la  session  1898-1899 
La  taxe  sur  les  propriétés  rurales  était  portée  de  2  V2  ^  ^Vs  %  ;  celle  sur  les  pro- 
priétés urbaines,  à  5  Vo  • 


LA    POLITIQUE    INTÉRIEURE   ET  EXTÉRIEURE   DU  JAPON  489 

pôt  particulièrement  lourd  aux  contribuables  des  campagnes. 

Le  mécontentement  fut  à  son  comble  à  la  nouvelle  que  le 
gouvernement,  non  content  de  prévoir  de  nouveaux  arme- 
ments, élaborait  encore  un  programme  de  construction  de 
chemins  de  fer  et  de  téléphones,  échelonné  sur  une  période  de 
dix  ans  à  partir  de  1904,  et  portant  de  75  millions  à  325  millions 
de  francs  les  crédits  à  dépenser  au  titre  des  voies  ferrées,  pos- 
térieurement au  31  mars  1903.  Le  marquis  Ito  déclara  nette- 
ment que  Textension  du  réseau  ferré  et  téléphonique  ne  pré- 
sentait pas  le  même  caractère  d'urgence  que  l'accroissement 
naval  et  que  le  nouveau  ppgramme  pouvait  être  d'ailleurs 
réalisé  à  l'aide  des  recettes  des  chemins  de  fer  de  l'Etat  éva- 
luées annuellement  à  22  millions  de  francs  '  ;  une  partie  des  I 
fonds  destinés  aux  travaux  publics  devait  être  reportée  à  la  | 
marine  de  guerre.  Le  parti  progressiste  fut  moins  accommo- 
dant que  les  Seiyukaï  et  annonça  qu'il  repousserait  ce  nou- 
veau projet  sans  même  le  discuter. 

Le  Cabinet  Katsura,  très  inquiet,  fit  appel  à  la  bonne  volonté 
du  marquis  Ito,  maître  de  la  majorité  de  la  Chambre  basse,  à 
l'effet  d'établir  un  compromis  avant  l'ouverture  de  la  Diète.  A 
la  suite  de  négociations  entre  le  chef  des  Seiyukaï  et  le  maré- 
chal Yamagata,  l'homme  de  confiance  de  la  Chambre  des  pairs 
et  l'inspirateur,  dit-on,  du  général  Katsura,  le  président  du 
Conseil  consentit  à  réduire  à  170  millions  le  crédit  de  325  mil- 
lions primitivement  destinés  aux  chemins  de  fer,  et  admit  I 
l'éventualité  d'une  faible  détaxe  immobilière  en  cas  d'excé- 
dent budgétaire;  mais  il  demanda  en  échange  l'acceptation 
sans  restriction  du  programme  naval  et  la  transformation  de  la 
surtaxe  temporaire  de  1898  en  impôt  définitif.  Le  marquis  Ito, 
partagé  entre  ses  amis  du  Genro  et  du  Cabinet,  d'une  part,  et 
son  parti  de  l'autre,  refusa  finalement  d'entrer  dans  une  voie 
que  ses  partisans,  MM.  Ozaki  Yukio  et  Suyematsu  plus  parti- 
culièrement, désavouaient  d'une  façon  formelle. 

Le  discours  du  Trône,  le  dépôt  du  budget,  les  allocutions 
prononcées  par  le  général  Katsura,  les  ministres  des  Finances  et 
de  la  Marine,  à  l'ouverture  de  la  session  parlementaire,  fixèrent 
alors  les  idées  officiellement  :  l'imminence  d'un  grave  conflit 
entre  le  Cabinet  et  la  Chambre  apparut  aussitôt. 

Le  budget  1903-1904,  comparé  au  précédent,  se  présentait 
ainsi  : 

^  Le  marquis  Ito  faisait  observer  que  le  programme  des  travaux  publics  post  beî- 
lum  avait  été  établi  dans  l'espoir  que  les  emprunts  intérieurs  assureraient  sa  réali- 
sation. L'état  actuel  du  marché  s'opposait  à  rémission  de  tout  emprunt  intérieur, 
il  devenait  nécessaire  de  recourir  désormais  aux  ressources  ordinaires  du  budget. 


I 
L 


L 


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490  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLOMAUES 

1003-1004  1002-1008 

(en  yen  =  2  fr.  50) 

Recettes  ordinaires 2:)2. (66.389  226. 414.613 

Hecetteft  extraordinaire» 20 .941 .061  56.318.351 

Total 25:1.407.456  282.432.964 

I>épeDBe&  ordinaires 181 .  177.672  177.596.965 

Dépendes  extraordinaires 70.299.478  104.156.228 

ToUl 251 .877.2(0  281 .753.193 

Excédent  des  recettes  sur  les  dé- 
penses   1.930.216  679.171 

Les  budgets  supplémentaires  (fonderie  nationale  de  Waka- 
matsu,  2  millions  de  yen;  achat  d'actions  de  la  Banque  sîdo- 
japonaise  3  millions,  etc.)  présentaient  un  total  de3.38S.000  yen 
aux  recettes  et  de  6.239.000  aux  dépenses. 

Le  projet  de  budget  accusait  en  somme  une  réduction  globale 
de  dépenses  de  75  millions  de  francs  environ*.  Les  députés 
n^avaient,  à  cet  égard,  aucune  objection  sérieuse  à  formuler; 
mais  la  satisfaction  résultant  de  cette  réduction  ne  pouvait  se 
maintenir  longtemps  devant  le  dépôt  de  deux  projets  de  budgets 
extraordinaires,  l'un  de  170  millions  de  francs  pour  chemins  de 
fer  et  de  35  millions  pour  téléphones,  l'autre  de  250  millions 
pour  Faccroissement  de  la  flotte  de  guerre*,  soit  une  note  totale 
de  455  millions  représentant  une  annuité  de  45  millions  S 
pendant  dix  ans,  7,3  %  du  budget  annuel. 

L'amiral  Yamamato  donnait  des  renseignements  précis  sur 
les  unités  à  mettre  en  chantier  :  3  cuirassés  de  15.000  tonnes, 
3  croiseurs  de  1"  classe  de  10.000  tonnes,  2  croiseurs  de  2*  classe 
de  5.000  tonnes,  soit  8  gros  navires  déplaçant  au  total  85.000 
tonnes.  Le  ministre  de  la  Marine  déclarait  sans  détours  que  le 
Japon  ne  devait  compter  que  sur  ses  propres  forces,  que  l'al- 
liance anglo-japonaise  n'avait  pas  été  conclue  pour  permettre 
aux  deux  puissances  de  compléter  mutuellement  leurs  forces 
navales  et  militaires  par  des  appoints  d'importance  équivalente, 
et  qu'il  était  prudent  de  prévoir  l'éventualité  d'une  guerre 
contre  une  seule  nation,  éventualité  qui  n'impliquait  pas  d'ail- 
leurs le  concours  des  deux  puissances  contractantes. 

Le  Cabinet  confirmait  enfin  le  maintien  de  la  surtaxe  immo- 
bilière sous  prétexte  qu'elle  constituait  uiie  charge  facilement 
supportable  :  c'était  lancer  une  véritable  déclaration  de  guerre 

'  La  commission  du  budget  de  la  Chambre  opérait  de  son  c6té  une  nouTeUe  ré- 
duction de  46.250.000  francs. 

^  i36.2o0.000  francs  pour  constructions  neuves,  62.500.000  pour  annemeDt<;  et 
machines.  21.250.000  pour  constructions  d'arsenaux. 


LA    POLITIQUE   INTÉRIEURE   ET   EXTÉRIEURE   DU   JAPON  491 

à  des  députés  presque  tous  élus  sur  un  programme  de  dégrè- 
vement d'impôts. 

Le  général  Katsura  crut  pouvoir  triompher  de  l'intransigeance 
de  la  Chambre  en  suspendant  les  séances  pendant  quelques 
jours;  il  pensait  ainsi  intimider  les  députés  par  la  perspective 
d'une  dissolution  et  d'une  nouvelle  campagne  électorale  oné- 
reuse. Après  de  pressantes  démarches  faites  par  le  baron  Ko- 
dama,  gouverneur  de  Formose,  naguère  ministre  de  la  Guerre, 
auprès  du  marquis  Ito,  et  par  le  prince  Konouyé,  président  de 
la  Chambre  des  pairs,  auprès  de  M.  Kataoko,  président  de  la 
Chambre  basse,  le  premier  ministre  proposa,  à  une  délégation 
des  partis  constitutionnels  et  progressistes,  d'abaisser  la  taxe 
mobilière  à  3  %  :  l'entretien  des  prisons  étant  transféré  du 
budget  des  communes  au  Trésor,  la  taxe  pesant  sur  la  popula- 
tion rurale  se  trouvait  ramenée  de  ce  fait  à  2  1/2  %,  c'est-à- 
dire  à  l'ancien  taux.  On  comblerait  le  déficit  à  l'aide  d'écono- 
mies réalisées  sur  les  travaux  publics  et  l'administration.  Les 
deux  partis  ne  voulurent  rien  entendre  et  rejetèrent  les  pro- 
positions gouvernementales.  Placé  dans  l'alternative  de  se  dé- 
mettre ou  de  dissoudre  la  Chambre,  le  Cabinet  Katsura  adopta 
le  deuxième  parti  et  fixa  les  nouvelles  élections  au  l"mars  1903. 
C'était  la  sixième  dissolution  en  douze  années. 

Cette  mesure  de  rigueur  provoqua  une  nouvelle  scission  au 
sein  du  Genro^ce  conseil  de  vieux  hommes  d'Etat,  économistes 
et  soldats,  qui,  pendant  plus  de  trente  ans,  avait  été  le  véritable 
maître  de  la  situation  politique.  Ces  vieux  amis,  sans  rompre 
leurs  relations  cordiales,  s'étaient  déjà  séparés  une  fois  en 
deux  camps  lors  de  la  chute  du  dernier  cabinet  Ito.  Leur  récon- 
ciliation politique  n'aura  été  qu'éphémère.  A  l'heure  actuelle, 
nous  trouvons  :  d'un  côté,  le  marquis  Ito,  les  comtes  Inouyé  et 
Okuma  s'appuyant  sur  la  Chambre  des  représentants  libérale  et 
pacifique;  de  l'autre,  le  marquis  Yamagataet  le  comte  Matsu- 
kata,  soutiens  du  cabinet  Katsura,  forts  de  l'appui  de  la  Chambre 
des  pairs  conservatrice  et  impérialiste*.  La  prochaine  consulta- 
tion électorale  du  mois  de  mars  décidera  de  la  victoire. 


La  résistance  de  la  Chambre  des  députés  aux  tendances  impé- 
rialistes du  général  Katsura  provenait  d'une  plus  saine  appré- 
ciation de  Talliance  anglo-japonaise. 

Les  maladresses  officielles  de  langage  de  lord  Cranbome  au 
lendemain  même  de  la  conclusion  de  l'accord,  les  mesures  prises 

*  Les  deux  camps  comptent  à  la  fois  des  représentants  des  clans  de  Satsouma  et 
de  Chosbou. 


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L 


492  QUKSTIONS    DIPLOMATIQUES    KT    COLONLALKS 

contre  rimmigration  japonaise  au  Canada  et  en  Australie ,  malgré 
les  appels  à  la  tolérance  lancés  par  M.  Chamberlain  aux  gouver- 
nements de  ces  deux  grandes  colonies,  avaient  extrêmement 
mortifié  et  mécontenté  les  amis  sincères  de  TAngleterre  *.  Les 
articles  de  la  presse  européenne  sur  les  conséquences  des  conflits 
qui  pouvaient  surgir  éventuellement  en  Extrême-Orient  entre 
l'alliance  anglo-japonaise  et  Talliance  franco-russe  n'étaient 
pas  restés  inaperçus  et  sans  commentaires.  Enfin  les  hautes  per- 
sonnalités qui  avaient  compté,  quoi  que  Ton  dise,  sur  le  con- 
cours pécuniaire  de  la  Grande-Bretagne  pour  remettre  à  flot  les 
finances  et  parer  aux  dépenses  supplémentaires  d'armement 
imposées  par  la  grande  alliée,  avaient  été  amèrement  désillu- 
sionnées par  la  réserve  de  la  haute  finance  anglaise  et  les  longs 
pourparlers  qu'il  avait  fallu  entamer  pour  obtenir  péniblement 
un  prêt  ridicule  de  125  millions  de  francs. 

Les  esprits  qui  consentent  à  tenir  compte  des  enseignements 
de  l'histoire  et  des  facteurs  économiques  pour  se  faire  une  opi- 
nion rationnelle  sur  la  politique  extérieure  qu'il  convient 
d'adopter  pour  leur  pays,  ne  pouvaient  d'ailleurs,  le  premier 
mouvement  d'orgueil  disparu,  méconnaître  le  danger  de  se 
confier  entièrement,  de  lier  le  sort  de  la  patrie,  à  une  puissance 
qui  a  toujours  abandonné  ses  alliés  au  moment  critique,  et  dont 
le  commerce  et  la  navigation  en  Extrême-Orient  se  heurtent  à 
chaque  pas  à  la  concurrence  japonaise  souvent  victorieuse.  Ces 
esprits,  de  plus  en  plus  nombreux  aujourd'hui,  se  sont  rappelés 
que,  lors  de  la  guerre  sino-japonaise,  la  diplomatie  anglaise  a 
tout  mis  en  œuvre  pour  arrêter  le  Japon  dans  le  cours  de  ses 
triomphes,  pour  rendre  les  puissances  occidentales  garantes  de 
l'intégrité  de  l'empire  chinois  et  pour  les  entraîner  dans  une 
action  collective  où  elle  s'abstint  hypocritement  de  figurer  au 
dernier  moment.  Ils  se  sont  rappelés  aussi  que  Tescadre  chi- 
noise, dissimulée  dans  la  rade  de  Weï-haï-veï,  fut  préservée 
d'une  destruction  ou  d'une  capture  complète  par  les  saluts 
intempestifs  des  navires  de  l'amiral  anglais  Freemantle  aux 
croiseurs  japonais  arrivant  par  surprise,  à  la  faveur  du  brouil- 
lard; que  Tescadre  anglaise  eut  encore  l'impudence,  quelques 
jours  après,  de  venir  croiser  entre  la  côte  de  Weï-haï-weï  et  la 
flotte  japonaise  pour  gêner  le  débarquement  des  troupes,  et  que 
l'amiral  Ito  dut  l'inviter  par  deux  fois  à  se  retirer  ;  qu'à  la  prise 
de  Port-Arthur,  les  Japonais  trouvèrent  une  liasse  de  dépêches 

*  Lord  Cranborne  avait  déclaré  à  la  Chambre  des  Communes  que  l'Angleterre 
était  assez  forte  pour  ne  solliciter  aucune  alliance  et  avait  simplement  consenti  à 
prendre  une  main  qui  s'oiTrait.  Le  Cabinet  anglais  avait  dû  réparer  Teffet  déplo- 
rable produit  par  cette  fanfaronnade. 


LA   POLITIQUE  INTÉRIEURE   ET   EXTÉRIEURE    DU   JAPON  493 

de  ramiralFreemantle,  informant  jour  par  jour  Li-Hong-Tchang 
des  mouvements  de  la  flotte  japonaise  ^  ;  et  enfin,  que  le  4  avril 
1898,  le  Japon  dut  évacuer  Weï-haï-weï  pour  le  remettre  aux 
mains  des  Anglais.  Ces  mêmes  esprits  ont  dû  se  rappeler 
encore  que  ce  fut  grâce  à  la  prudence  et  à  l'habileté  de  Tamiral 
commandant  l'escadre  française  dans  les  mers  de  Chine  que  se 
dénoua  pacifiquement  le  conflit,  soulevé  en  mai  189S  par  la 
volte-face  de  l'Angleterre,  entre  le  Japon,  maître  de  la  Mand- 
chourie,  d'une  part,  la  Russie,  l'Allemagne  et  la  France,  d'autre 
part,  conflit  dans  lequel  les  escadres  alliées  pouvaient  facile- 
ment anéantir  la  flotte  naissante  japonaise,  et  cela  pour  le  plus 
grand  bien  de  la  Grande-Bretagne,  la  première  intéressée  à 
Técrasement  d'un  rival  dangereux. 

11  est  permis  de  croire  que  les  réminiscences  du  passé,  jointes 
aux  constatations  décevantes  du  présent,  ont  produit  une 
influence  salutaire,  car  les  partisans  de  l'entente  avec  la  Russie 
n'ont  pas  eu  de  peine  à  recruter  de  très  nombreux  adeptes. 
L*évacuation  de  la  Mandchourie,  bien  qu'eff'ectuée  avec  une 
sage  lenteur  par  les  troupes  russes,  la  diminution  visible  de  la 
pression  russe  en  Corée,  ont  très  atténué,  sinon  fait  disparaître 
les  seules  causes  de  conflit  et  ramené  bien  des  sympathies  au 
gouvernement  de  Saint-Pétersbourg.  Lors  de  la  signature  de 
la  dernière  convention  mandchourienne,  la  Société  de  l'Amour 
[KokurgO'kaï),  fondée  autrefois  dans  le  but  de  s'opposer  à  la 
mainmise  de  la  Russie  sur  la  Mandchourie,  n'a  pas  hésité  à 
exécuter  une  pirouette  complète,  et  à  se  transformer  en  Société 
pour  le  développement  de  l'amitié  russo-japonaise  [Nichi-ro- 
shinko'kai)y  où  figurent,  à  côté  du  ministre  de  Russie,  à  Tokio, 
président  honoraire,  le  prince  Konouyé,  les  comtes  Matsukata, 
Okuma,  Inouyé,  le  baron  Kaneko,  le  vicomte  Enomoto, 
M.  Uchida,  ministre  du  Japon  à  Pékin,  et  à  laquelle  le  marquis 
Ito  vient  d'adhérer.  Cette  société  possède  actuellement  deux 
filiales,  l'une  à  Hakodate,  l'autre  à  Wladivostok  :  elle  s'est 
donné  pour  tâche  d'amener  les  deux  peuples  russe  et  japonais 
à  mieux  se  connaître  et  s'apprécier  réciproquement,  de  déve- 
lopper leurs  relations  économiques  et  de  favoriser  l'étude  de 
leur  langue. 

Une  deuxième  société  analogue  a  été  encore  fondée  à  Moscou  ; 
elle  doit  chercher  au  Japon  des  marchés  pour  les  produits 
russes  et,  en  même  temps,  un  débouché  en  Russie  pour  les 


'  Consulter  à  ce  sujet  le  remarquable  livre  de  MM.  René  Pinon    et  Jean    de  ! 

Marcillac  La  Chine  qui  s'ouvre  (Perrin  et  C^«,  1900),  dont  les  conclusions  sont 
encore  vraies  à  Theure  actuelle,  et  qu'il  est  indispensable  de  lire,  à  notre  avis,  pour 
bien  saisir  les  dessous  politiques  de  l'Extrême-Orient. 


\ 


494  QUESTIONS   DIPIOKATIQIIKS   ET   COLONIALES 

articles  japonais  ;  elle  a  obtenu  réceauaoït  rétablissement  d^un 
consulat  japonais  à  Odessa. 

I.e  Japon  n'aura  qu'à  se  féliciter  de  ce  chai^;ement  d*atti- 
tude,  à  condition  toutefois  que  son  gouvernement  s'abstienne 
de  tout  acte  agressif  à  l'égard  de  la  Russie,  et  se  confonaant  à 
l'évolution  de  l'opinion  publique  éclairée,  s'affranchisse  com- 
plètement de  la  pression  anglaise. 

Tout  bien  considéré,  les  intérêts  respectifs  de  la  Russie  et  du 
Japon  ne  se  contredisent  nullement.  Dans  les  premiers  jours 
d'octobre  1902,  le  comte  Matsukata  déclarait  à  l'Association 
économique  commerciale  et  industrielle  [Shako  Keizaï-kaï) 
que  la  Sibérie  constituait  un  débouché  d'une  valeur  inappré- 
ciable pour  les  articles  japonais,  poteries,  charbon,  thé,  etc.  La 
Russie,  en  effet,  n'est  pas  encore  suffisamment  outillée,  et  ne 
le  sera  pas  de  longtemps,  pour  subvenir  elle-même  aux  besoins 
de  ses  marchés  de  Sibérie  et  à  plus  forte  raison  de  celui  de 
Mandchourie,  qu'elle  considère  à  juste  titre  dans  sa  sphère 
d'influence  et  qu'elle  annexera  un  jour,  plus  ou  moins  ouver- 
tement, par  la  force  même  des  choses.  Les  Japonais  n'auront 
qu'à  gagner  au  rétablissement  de  l'ordre  dans  ces  régions;  leur 
commerce  y  gênera  bien  plus  celui  de  l'Angleterre  et  des  Etats- 
Unis  que  celui  de  la  Russie.  Ils  peuvent  d'ailleurs  s'en  rendre 
compte  par  les  rapports  des  consuls  qu'ils  ont  établis  récem- 
ment à  Kharbin  et  à  Dalny  et  par  l'augmentation  de  trafic  de 
la  ligne  japonaise  subventionnée  qui  fait  le  service  entre 
Tsuruga  (5ford-Ouest  du  Japon)  et  Vladivostok  depuis  le  mois 
de  janvier  1902.  Moins  ils  se  montreront  méfiants  à  l'égard  de 
leur  puissante  voisine,  plus  ils  trouveront  de  facilités  et  de  tolé- 
rance de  la  part  des  autorités  de  Sibérie  orientale  et  de  Tamiral 
Alexieff,  gouverneur  du  Liao-tong,  qui,  partisan  convaincu 
d'une  entente  avec  le  Japon,  a  reconnu  récemment  aux  négo- 
ciants nippons  le  droit  d'acquérir  des  terrains  à  Dalny,  droit  que 
le  Japon  refuse  encore  aux  étrangers  sur  son  propre  territoire. 

Le  clan  des  irréductibles  de  Tokio,  encouragé  par  l'Angle- 
terre, essaie  naturellement  de  contrarier  le  courant  renaissant 
de  l'amitié  russo-japonaise  en  propageant  de  fausses  nouvelles 
et  en  exagérant  la  portée  des  intrigues  russes  en  Corée.  C'est 
ainsi,  par  exemple,  que  le  professeur  Tomizu,  de  retour  d'un 
voyage  en  Mongolie  (octobre  1902),  a  révélé  à  ses  crédules  com- 
patriotes que  la  Russie  était  souveraine  maîtresse  dans  cette 
région,  que  des  troupes  considérables  étaient  casernées  à  Kou- 
lon,  que  le  chemin  de  fer  projeté  de  Kiakta  à  Pékin  par  Ourga 
et  Kalgan  était  définitivement  tracé  et  les  travaux  de  la  section 
Koulon-Kiakta  commencés.  Ces  cris  d'alarme  n'ont  pas  heureu- 


LA   POLITIQUE   INTËKIEUKE   OU    BXTÉRlEURIi:  DU   JAPON  495 

sèment  trouvé  d'échos  :  la  Mongolie  n'est  pas  la  Mandchourie  ! 
Et  puis  la  Russie  a  bien  le  droit  de  construire  un  chemin  de  fer 
sur  la  Route  du  thé,  route  qui  n'intéresse  qu'elle  et  la  Chine. 

Enfin,  les  nouvelles  forgées  incessamment  sur  l'attitude 
agressive  de  la  Russie  en  Corée  ne  résistent  pas  à  un  examen 
sur  place.  Depuis  la  récente  visite  à  Tokio  de  M.  Pavlow, 
ministre  de  Russie  en  Corée,  après  les  déclarations  franches  et 
loyales  de  M.  Iwolsky,  son  collègue  au  Japon,  il  y  a  accord 
tacite  entre  les  deux  nations  jusqu'ici  rivales,  et  cela  malgré 
toutes  les  interprétations  que  Ton  peut  donner  de  la  présence  de 
M.  Wapber  dans  la  capitale  coréenne  *.  La  Russie,  on  ne  saurait 
trop  le  répéter,  reconnaît  au  Japon  le  droit  de  déverser  en 
Corée  le  trop-plein  de  sa  population  et  d'exploiter  économi- 
quement le  pays  sous  la  réserve  de  respecter  son  indépen- 
dance, du  moins  momentanément;  ses  agissements,  dénaturés 
par  les  agences  anglaises,  n'ont  d'autre  but  que  de  maintenir 
une  influence  légitime  sur  un  voisin  immédiat,  quelquefois 
incommode,  de  faire  apprécier  au  gouvernement  mikadonal  la 
valeur  de  sa  complaisance  et  d'éviter]  la  mainmise  précipitée 
qu'une  crise  aiguë  d'impérialisme  japonais  pourrait  provoquer. 

Les  renforts  envoyés  actuellement  à  l'escadre  russe  d'Ex- 
trême-Orient' ne  sauraient  effrayer  le  Japon  et  détruire  ses 
bonnes  dispositions  en  faveur  d'un  rapprochement  définitif.  La 
Russie  ne  renforce  son  escadre  que  dans  le  but  naturel  de  dé- 
fendre efficacement  ses  domaines  extrême-orientaux  et  d\HTe 
prête  h  toute  éventualité  tant  que  subsistera  la  provocation  de 
Talliance  anglo-japonaise.  Elle  ne  nourrit  aucune  idée  agressive 
et  se  contente  de  développer  ses  moyens  défensifs.  La  manifes- 
tation de  sa  force  est  d'ailleurs  la  meilleure  garantie  du  main- 
tien de  la  paix  et  un  moyen  excellent  de  favoriser  l'éclosion 
d'une  amitié  et  d'une  entente  qui  auraient  dû  se  prononcer  de- 
puis longtemps. 

En  résumé,  le  Japon  se  rend  compte  que  l'amitié  anglaise 

'  M.  Wœber  était  chargé  d'affaires  à  Séoul  en  iN9.'i  lorsque  l'empereur  de  Corée 
dut  quitter  son  palais  envahi  par  les  soldats  japonais  et  se  réfugier  à  la  légation 
russe  où  il  séjourna  six  mois.  II  est  naturellement  en  excellents  termes  avec  le  sou- 
verain. Aussi  le  gouvernement  russe  l'a-t-il  choisi  pour  représenter  le  tsar  aux  fêtes 
da  iO«  anniversaire  du  couronnement  du  monarque  coréen.  Ces  fêtes  ayant  été 
ajournées,  M.  Waeber  reste  toujours  à  Séoul  ;  les  Japonais  prétendent  qu'il  n'y  est 
pas  inactif. 

'  D'après  le  Dat7^  Telegraph  du  lu  mars  1903,  l'escadre  russe  d'Extrême-Orient 
compte  6  cuirassés,  8  croiseurs  de  U*"  classe,  i  croiseurs  de  2*,  4  croiseurs  de  3^, 
(canonnières,  15  torpilleurs,  soit  un  total  de  170.000  tonneaux:  l'escadre  anglaise 
ne  compterait  que  4  cuirassés,  i  croiseurs  de  l""»,  4  croiseurs  de  2«,  1  croiseur  de  3*» 
19  canonnières,  6  torpilleurs.  L'amirauté  anglaise  aurait  décidé  d'expédier  trois  nou- 
veaux croiseurs  de  !'«  classe. 


496 


QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   GOLONULES 


intéressée  n'est  et  ne  peut  être  éternelle  et  qu'il  est  prudent 
de  préparer  Tavenir.  Une  guerre,  m^me  heureuse,  lui  serait 
d'ailleurs  particulièrement  funeste,  ainsi  que  je  l'établirai  dans 
une  prochaine  lettre. 

RisixG  Si:n. 


Tokio,  le  15  mars  1903. 

L'appel  au  corps  électoral  n'a  pas  été  favorable  au  Cabinet  Katsura  :  il 
Irj  ut  d  ailleurs  reconnaître  que  celui-ci  s^est  abstenu  de  toute  pression  et 
h'o.El  contenté  de  faire  appel  au  patriotisme  des  électeurs.  534  candidats 
(248  Seiyukai,  131  progressistes,  108  indépendants,  26  ixnpériali6te.s 
2\  Jininkai)  se  sont  présentés  pour  les  376  sièges  de  députés.  Progres- 
sistes et  constitutionnels  s'étaient  solennellement  engagés  à  se  soutenir 
réciproquement  et  à  ne  combattre  que  les  candidats  favorables  au  gouver- 
nement. Les  Seiyukai  ont  perdu  9  voix  et  ne  disposent  plus  par  suite  de 
la  majorité  absolue;  les  progressistes  ont  conservé  leurs  92  voix;  les 
deux  partis  réunis  comptent  275  voix  et  sont  ainsi  en  mesure  de  continuer 
la  résistance  contre  le  Cabinet.  Ce  dernier  semble  peu  disposé  à  recoin- 
niencer  les  hostilités  et  se  bornera  à  convoquer  la  Diète  le  8  mai  pour 
l'xpédier  quelques  lois  en  souffrance;  le  budget  ne  serait  même  pas  discuté; 
celui  de  1902-1903  servirait  par  suite  pour  l'exercice  1903-1904.  Cette  situa- 
ticin  ne  pourra  cependant  s'éterni«er  ainsi:  il  faudra  bien  convoquer  la 
Diète  à  rautomne  1903  pour  la  discussion  du  budget  1904-1905  et  il  est 
probable  oue  le  mécontentement  actuellement  comprimé  se  détendra  avec 
violence.  Dans  le  cas  où  le  général  Katsura  abandonnerait  ses  fonctions, 
le  Mikado  appellerait  alors  au  pouvoir  le  marquis  Ito  avec  un  cabinet 
SLuyukai-progressiste.  La  Chambre  des  Pairs  entrerait  aussitôt  en  action  ; 
le  parti  Yamagata,  hostile  au  gouvernement  de  partis,  y  disposerait  de 
\  2^  voix,  sur  un  total  de  209,  et  pourra  ainsi  faire  preuve  à  l'égard  du 
niiirquis  Ito  de  la  même  intransigeance  que  la  Chambre  basse  est  en 
irain  de  manifester  au  général  Katsura.  Le  calme  politique  n'est  donc  pas 
prêt  de  renaître. 

R.  S. 


i 


LE  CONTESTÉ  BOLIVIANO-BRÉSILIEN 

LE   TERHITOmE  DE  L  ACRE 


Le  24  mars  dernier  parvenait  à  Paris,  venant  de  Rio-de- 
Janeiro,  le  télégramme  suivant   qui  enlevait   provisoirement 
au  conflit  survenu  entre  le  Brésil  et  la  Bolivie,  à  propos  du  ter- 
ritoire de  l'Acre,  le  caractère  extrêmement  aigu  et  inquiétant 
qu'il  avait  pris  depuis  quelques  mois  : 

Un  accord  préliminaire  a  été  sigaé  à  La  Paz,  le  21  de  ce  mois,  entre  le 
Brésil  et  la  Bolivie,  en  vertu  duquel  le  Brésil  est  chargé  de  maintenir  l'or- 
dre dans  tout  le  territoire  de  l'Acre,  au  Nord  et  au  Sud  du  10«  parallèle. 
Les  troupes  boliviennes  s'arrêteront  à  l'Orson,  pouvant  établir  leurs  avant- 
postes  à  l'Abunan.  Un  corps  de  troupes  brésiliennes  ira  se  placer  dans 
TÂcre  méridional,  entre  les  Acréens,  en  armes,  et  les  Boliviens,  dans  le 
but  d'éviter  des  conflits.  Un  délai  de  quatre  mois  est  fixé  pour  la  négocia- 
tion d'un  accord  définitif.  Si,  ce  délai  expiré,  une  entente  directe  n'est  pas 
intervenue,  les  questions  seront  soumises  à  un  arbitre. 

Signé  :  Rio  Buaxco. 

Quelle  était  la  nature  et  l'histoire  de  ce  litige  ?  C'est  ce  que 
nous  allons  expliquer  brièvement. 

Le  27  mars  1867,  la  Bolivie  signa  avec  le  Brésil  un  traité 
désastreux,  par  lequel  elle  modifiait  les  frontières  fixées  en  1777 
par  l'Espagne  et  le  Portugal  et  abandonnait  au  Brésil  un 
immense  territoire  de  20.000  lieues  carrées  environ  dans  le 
bassin  de  l'Amazone.  Dans  ce  traité,  fidèlement  exécuté,  la  nou- 
velle frontière  boliviano-brésilienne  était  déterminée  par  une 
ligne  oblique  partant  à  l'Est  du  Rio  Madeira,  à  la  hauteur  du 
10*20'  de  latitude,  et,  à  l'Ouest,  des  sources   du  Rio  Javary. 

En  1877,  les  deux  pays  éprouvèrent  le  besoin  de  procéder  à 
une  délimitation  de  frontières  plus  minutieuse  et  de  dresser 
(le  cette  région  une  carte  définitive.  Une  commission  brési- 
lienne, divisée  en  deux  sections,  établit  cette  délimitation  à 
TEst  et  à  l'Ouest,  et  la  Bolivie  accepta  sans  objection  ce  tracé 
conforme  au  traité  de  1867.  Dans  le  rapport  présenté  à  ce  sujet 
par  M.  Sinimbu,  ministre  des  Affaires  étrangères  du  Brésil,  il 
est  dit  à  la  page  7  :  «  Le  gouvernement  bolivien  a  approuvé  le 
ff  procès-verbal  des  travaux  de  la  septième  et  dernière  confé- 
«  rence  de  la  Commission  mixte  et  aussi  la  carte  générale  de 
«  la  frontière.  Dans  ce  procès-verbal  il  est  déclaré  que,  dans 
«  ladite  carte  générale,  on  trouvera  marqué  l'azimut  véritable, 
«  et  sur  toute  sa  longueur,  la  ligne  qui  va  directement  du  Rio 

QniST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  32 


^"W» 


498 


Iqukstions  diplomatiques  et  coloniales 


a  Béni  (affluent  du  Rio  Madeira  qui  se  jette  dans  celui-ci  au  10" 
«  20)  au  Rio  Javary.  Cette  carte  fixe  donc  bien  la  frontière  entre 
«  les  deux  pays».  De  son  côté,  le  gouvernement  bolivien  en- 
voyait le  14  novembre  1878  une  note  officielle  h  la  légation  du 
Brésil  :  «  J'ai  Thonneur,  y  était-il  dit,  de  vous  informer,  de  la 
«  part  du  Président  de  la  République,  que  le  Gouvernement 
u  bolivien  approuve  à  son  tour  le  procès-verbal  en  question, 
«  dans  lequel,  comme  Votre  Excellence  remarquera,  il  est  dé- 
«  claré  que  la  ligne  droite,  qui  va  en  droite  ligne  du  Rio  Béni 
«  au  Rio  Javary,  a  été  tracée  sur  la  carte,  et  qu'ainsi  se  trouve 
«  complétée  la  délimitation  des  frontières  des  deux  pays  ». 
Toutes  les  cartes  furent  donc  dressées  en  conséquence  et  nos 
lecteurs  se  rendront  compte,  en  effet,  en  jetant  les  yeux  sur  la 


carte  ci-jointe,  que  la  frontière  Nord-Ouest  entre  la  Bolivie  et  le 
Brésil  est  marquée  par  une  ligne  oblique  et  non  par  une  ligne 
droite  *. 

Les  travaux  de  la  commission  de  1877  avaient  été  purement 
scientifiques  et  abstraits.  11  restait  à  fixer  dans  le  détail  et  sur 
le  terrain  la  frontière  entre  les  deux  pays.  Une  commission 
mixte  fut  désignée  à  cet  effet  par  les  deux  gouvernements  dans 
un  protocole  signé,  le  49  février  1895,  par  M.  de  Carvalho, 
ministre  des  Affaires  étrangères  du  Brésil,  et  M.  Médina, 
ministre  des  Affaires  étrangères  de  Bolivie.  Les  travaux  se 
poursuivirent  simultanément  dans  les  vallées  du  Javary,  du 

*  Nous  empruntons  ces  citations  à  un  article  écrit  par  M.  de  Carvalho,  ministre 
des  Affaires  étrangères  du  Brésil  en  1895,  pour  la  Revista  de  Derecho,  Historia  y 
Letras,  et  reproduit  par  la  Prensa  de  Buenos- Ayres,  le  4  février  1903.  M.  de 
Carvalho  reconnaît  à  la  Bolivie  des  droits  incontestables  sur  le  territoire  de  l'Acre. 


LE   CONTESTÉ   BOLIVIANO-BRÉSILIEN  499 

Yaco  et  du  Purus.  Mais,  au  bout  de  quelque  temps,  le  Brésil  so 
refusa  à  admettre  les  travaux  déjà  faits  par  la  commission, 
donnant  pour  raison  qu'il  existait  une  erreur  dans  la  délimita- 
lion  tracée  par  la  précédente  commission  en  1877  et  approuvée 
parle  protocole  de  1893.  Quoique  n'admettant  nullement  le 
bien  fondé  de  cette  réclamation,  le  gouvernement  bolivien 
proposa  d'adopter  comme  frontière  la  ligne  fixée  par  le  capi- 
taine brésilien  Cunha-Gomez,  qui  avait  été  spécialement  chargi' 
par  le  gouvernement  brésilien  d'étudier  l'affaire  et  pensait  avoir 
découvert  une  erreur  de  10'  de  latitude  et  de  plus  de  20'  de 
longitude  dans  les  travaux  jusque-là  admis  comme  exacts. 

La  chancellerie  brésilienne  repoussa  cette  proposition  qui 
lui  eût  cependant  été  favorable  et  demanda  une  nouvelle  déli- 
mitation de  la  ligne  de  partage  des  eaux  du  Javary,  délimita- 
tion à  laquelle  procédèrent  les  deux  commissaires  Ballivian  et 
Cruls.  On  pouvait  donc  ensuite  délimiter  d'une  façon  précise 
toute  la  frontière  du  Javary  à  la  Madcira,  et  le  gouvernement 
bolivien  le  demanda  avec  insisfanoe  ;  mais  le  Brésil  s'y  refusa, 
en  dépit  des  protocoles  du  19  février  1895,  du  30  octobre  1899 
et  du  1«^  août  1900. 

Pendant  ce  temps  il  se  produisait  dans  le  territoire  de  TAcre 
des  événements  importants.  Ce  territoire  est  très  riche,  mais 
peu  peuplé  et  difficilement  accessible  à  cause  de  ses  nombreuses 
forêts.  Le  seul  commerce  important  est  le  caoutchouc,  ex- 
ploité presque  uniquement  par  des  Brésiliens  et  exporté  par  la 
mag-ip tique  voie  de  TAmazone,  en  traversant  TEtat  brésilien 
des  .\mazones  qui  percevait  sur  ce  produit  un  droit  de 
50  %  ad  valorem.  Le  gouvernement  bolivien  se  décida  à  user 
de  son  droit  de  souveraineté  sur  ces  régions  et  y  envoya  des 
troupes  et  des  fonctionnaires  chargés  d'établir  un  cordon  de 
douanes.  Ceux-ci  n'inquiétèrent  nullement  les  propriétaires  du 
sol  et  diminuèrent  considérablement  le  droit  qu'ils  payaient 
jusque-là  au  Brésil,  comme  s'ils  avaient  été  sujets  brésiliens. 
Mais  l'Etat  des  Amazones,  mécontent  de  se  voir  supprimer 
ainsi  un  chapitre  de  recettes  important,  fomenta  dans  le  terri- 
toire de  l'Acre  des  troubles  qui  aboutirent  à  deux  reprises  à  la 
proclamation  d'une  république  indépendante  de  l'Acre,  sans 
que  les  représentations  de  la  Bolivie  aient  pu  amener  le  Brésil 
à  cesser  de  prêter  son  appui  aux  révolutionnaires. 

Ces  révoltes  décidèrent  en  1901  le  gouvernement  bolivien  à 
confier  la  mise  en  valeur  de  ce  territoire  à  un  syndicat  composé 
de  nationaux  des  Etats-Unis.  Le  gouvernement  brésilien  pro- 
testa aussitôt  avec  énergie,  déclara  que  ce  syndicat  était  sou- 
tenu secrètement  par  le  gouvernement  de  Washington  et  pré- 


Ui' 


^»'j^  •*.  .  ■.•--ri-' — 


502  OUKSTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

parait  une  mainmise  des  Etals-Unis  sur  les  républiques  sud- 
américaines.  La  suite  des  événements  a  démenti  ces  asser- 
tions, passablement  exagérées  à  première  vue,  car  le  syn- 
dicat manquant  des  fonds  nécessaires  dut  se  dissoudre  sans 
résultat.  S'il  avait  été  soutenu  par  quelque  gouvernement 
étranger,  il  en  eût  sans  doute  été  autrement. 

A  ce  moment  le  gouvernement  brésilien  adopta  et  formula 
des  revendications,  lancées  peu  h  peu  depuis  quelques  années 
par  divers  auteurs  et  publicisles  brésiliens.  Il  déclara  que  le 
traité  de  1867  fixait  comme  frontière  Xord-Ouest  entre  le 
Brésil  et  la  Bolivie  une  ligne  horizontale  partant  du  Rio 
Madeira  et  suivant  le  i0"20'  de  latitude  jusqu'à  son  intersection 
avec  une  ligne  qui  prolongerait  le  cours  supérieur  du  Rio 
Javary.  C'était  la  première  fois  que  le  gouvernement  brésilien 
formulait  ouvertement  cette  prétention,  et  il  le  fit  à  la  suite  du 
fait  suivant  qui  vint  aggraver  le  conflit  provoqué  par  la  ques- 
tion du  syndicat  américain.  Les  troupes  boliviennes,  peu  nom- 
breuses, et  rencontrant  les  plus  grandes  diflicultés  pour  leur 
ravitaillement,  furent  mises,  à  la  lin  de  1902,  dans  une  situa- 
tion très  critique  par  les  insurgés  de  TAcre;  et  le  général 
Pando,  président  de  la  République  de  Bolivie,  prépara  en 
décembre  une  expédition  de  3.000  hommes,  dont  il  résolut  de 
prendre  le  commandement,  pour  leur  porter  secours  en  sui- 
vant le  Rio  Béni.  Cette  décision  provoqua  de  la  part  du  minis- 
tre des  Affaires  étrangères  du  Brésil  la  note  suivante,  télégra- 
phiée en  janvier  1903  au  représentant  du  Brésil  à  La  Paz  : 

Nous  avons  fait  entendre  à  la  Bolivie  que  le  contrat  d'affermage  (qu'elle 
voulait  conclure  avec  le  syndicat  américain)  est  monstrueux  et  constitue 
une  aliénation  de  la  souveraineté  au  profit  d'une  compagnie  étrangère 
sans  personnalité  internationale.  C^estune  concession  comme  celles  qui  ont 
été  données  en  Afrique,  mais  qui  est  indigne  de  notre  continent,  car  le 
gouvernement  bolivien  a  donné  à  cette  Société  le  pouvoir  d'administrer 
une  région  habitée  exclusivement  par  des  Brésiliens,  d'y  entretenir  des 
forces  sur  terre  et  sur  les  voies  fluviales  et  de  disposer  souverainement  de 
la  navigation  sur  l'Acre.  Cette  concession  est,  d'autre  part,  frappée  de  nul- 
lité, car  elle  constitue  un  acte  de  disposition  d'un  territoire  litigieux.  Le 
Brésil  doit  défendre  la  véritable  interprétation  du  traité  de  1867.  La  région 
à  rOuest  de  la  Madeira  est  litigieuse  entre  le  Brésil,  le  Pérou  et  la  Bolivie. 
Donc,  si  le  général  Pando  marche  en  avant,  le  gouvernement  est  décidé  à 
concentrer  des  troupes  dans  les  Etats  des  Amazones  et  de  Matto-Grosso. 

Signé  :  Baron  Rio  Branco. 

Le  gouvernement  bolivien  fut  extrêmement  surpris  de  cette 
note,  car  le  départ  du  général  Pando  venait  justement  d'être 
retardé  de  quelques  jours  à  la  suite  d'une  précédente  déclara- 


LE   CONTESTÉ   BOLIVIANO-BRÉSILIEN  503 

tion  du  baron  Rio  Branco.  Celui-ci  s^était  exprimé  dans  les 
termes  les  plus  favorables  pour  la  Bolivie,  avait  déclaré  qu'elle 
possédait  sur  ce  territoire  des  droits  incontestables  et  qu'elle 
pourrait  l'administrer  comme  il  lui  plairait.  Le  gouvernement 
bolivien  lui  demanda  alors  de  désavouer  publiquement  les 
révolutionnaires  et  le  gouverneur  du  Manaos  qui  les  appuyait. 
La  réponse  fut  toute  différente  de  ce  qu'on  attendait.  Le  minisire 
des  AflFaires  étrangères  de  Bolivie  répondit  ainsi  : 

La  Paz,  i»*"  février  1903. 
Le  contrat  relatif  au  territoire  de  l'Acre  n'est  nullement  un  alTerniage. 
La  Bolivie  conserve  ses  droits  de  souveraineté  et  ne  confie  à  la  Compagnie 
que  le  recouvrement  des  impôts.  Cette  Compagnie  a  un  caractère  indus- 
îriel  et  est  soumise  aux  lois  de  la  République  bolivienne.  Cette  concession 
Lie  ressemble  en  ri^n  à  celles  qui  ont  été  données  en  Afrique  et  qui  avaient 
pour  hut  d'organiser  des  colonies.  La  Bolivie  avait  convenu  de  résilier  ou 
«U»  modifier  le  contrat  en  échange  de  garanties  concernant  la  délimitation 
de  la  frontière  et  la  possession  pacifique  de  ce  territoire.  Du  reste  le  contrat 
n'est  pas  encore  définitivement  conclu  et  il  demeurera  sans  effet.  Le  terri- 
toire d"Acre  n'est  pas  litigieux.  Les  droits  de  la  Bolivie  sont  établis  par 
k»  traité  de  1867,  les  protocoles  ultérieurement  signés  et  les  délimitations 
laites  par  des  commissions  mixtes.  En  trente-six  ans  le  Brésil  n'a  pas  fait 
une  seule  démarche  tendant  à  modifier  l'interprétation  des  clauses  du 
traité.  La  population  brésilienne  de  l'Acre  a  vu  tous  ses  droits  respectés  et 
garantis  sous  l'administration  bolivienne.  Le  voyage  du  président  Pando  a 
pour  but  de  délivrer  la  garnison  du  port  d*Acre,  de  maintenir  la  souverai- 
neté de  la  Bolivie  et  de  défendre  les  intérêts  de  la  Bolivie  contre  les  dépré- 
dations des  insurgés.  La  Bolivie  ne  cherche  pas  de  conflit;  elle  est  disposée 
à  régler  tout  différend  sur  des  bases  équitables,  par  entente  directe  ou  par 
arbitrage,  dans  l'intérêt  des  bonnes  relations  des  deux  pays. 

Signé  :  Villazon. 

On  a  vu  la  solution  provisoire  donnée  à  cette  affaire.  Rappe- 
hms  seulement  ce  qu'écrivait  le  29  mars  1900  M.  de 
<  lavai  ho,   ancien  ministre   des  Affaires  étrangères  du  Brésil   : 

«  Tant  que  subsistera  la  situation  actuelle  au  point  de  vue 
V  des  frontières  terrestres  et  fluviales  du  Brésil,  tant  que  n'au- 
ii  ront  pas  été  réglées  les  questions  internationales  qui  peu- 
«  vent  surgir  au  sujet  des  voies  navigables  du  bassin  de  l'Ama- 
«  zone,  un  gouvernement  réfléchi  et  scrupuleux  ne  saurait 
«  s'engager  de  sang-froid  dans  une  tentative  où  il  n'aurait  ni 
c<   le  bon  droit  ni  la  force  de  son  côté.  » 

Louis  Jadot. 


LE  CONGRÈS  COLONIAL  DE   1903 


Le  Congrès  colonial  qui  vient  de  se  réunir  à  Paris,  sur  l'ini- 
tiative et  au  siège  de  l'Association  syndicale  des  journalistes 
coloniaux,  a  tenu  ses  séances  du  29  mars  au  4  avril.  Toutes  les    i 
questions  qui  intéressent  le  public  colonial  avaient  été  répar- 
ties en  onze  sections,  dont  les  programmes  très  complets,  trop 
complets  même,  formaient  une  véritable  encyclopédie  coloniale. 
Il  en  est  résulté  que,  dans  presque  toutes  les  sections,  on  a 
simplement  effleuré  les  sujets  proposés.  A  l'heure  actuelle,  les 
questions  coloniales  sont  si  nombreuses,   si   complexes,  que, 
pour  faire  une  besogne  utile  dans  un  congrès,  il  est  nécessaire 
de  limiter  le  nombre  des  sujets  traités.  Les  spécialistes  dans 
chaque  matière   peuvent  alors  concentrer  leur  attention  sur  • 
quelques  points  particuliers,  et  la  discussion  gagne  en  profon-  i 
deur  ce  qu'elle  perd  en  étendue.  Il  faut  enfin  que  les  membres  j 
du  congrès  aient  reçu  quelque  temps  à  l'avance  les  rapports  [ 
imprimés,  pour  pouvoir  en  discuter  utilement  les  conclusions 

Pour  tous  ces  motifs,  l'organisation  d'un  congrès  colonial 
demande  une  assez  longue  période  de  préparation.  Nous  ne 
mettons  certes  pas  en  doute  la  bonne  volonté  des  promoteurs  du 
congrès  de  1903,  nous  rendons  môme  hommage  aux  efforts 
qu'ils  ont  faits  pour  réunir  à  Paris  un  grand  nombre  de  fonc- 
tionnaires coloniaux,  de  colons,  de  commerçants,  et  même 
d'hommes  politiques;  mais  nous  constatons  que  l'organisation 
était  incomplète,  et  que  le  but  poursuivi,  à  savoir  la  solution 
des  questions  pendantes,  n'a  pas  été  suffisamment  atteint.  Ce> 
critiques  auront  pour  résultat,  nous  l'espérons,  de  pousser  les 
organisateurs  des  congrès  futurs  à  présenter  un  programme  por- 
tant sur  un  petit  nombre  de  questions  d'actualité,  sur  lesquelles 
pourrait  avoir  lieu  un  échange  de  vues  d'un  réel  intérêt. 

Ces  observations  de  détail  une  fois  faites,  nous  allons  passer 
en  revue  les  principales  questions  traitées  pendant  le  congrès. 

Deux  sections  se  sont  occupées  des  colonies,  au  point  de  vue 
de  l'organisation  générale  et  de  la  législation. 

M.  Marchai,  ancien  député,  président  de  la  Commission 
d'organisation,  a,  dans  son  discours  d'ouverture,  puis  dans  un 
rapport  ultérieur,  appelé  l'attention  sur  les  vues  de  l'Assemblée 
Constituante  en  ce  qui  concerne  les  colonies.  A  rencontre  des 


LE  CONGRÈS  COLONIAL  DE  1903  505 

idées  admises  en  général,  M.  Marchai  prétend  que  la  Consti- 
tuante «  manifestait  un  esprit  tout  à  fait  paternel  vis-à-vis  des 
«  colonies  et  que  nous  pourrions  encore  maintenant  nous  ins- 
«  pirer  des  idées  émises  à  cette  époque  pour  organiser  la  con- 
«(  sultation  permanente  et  régulière  de  toutes  les  colonies  sur 
«  leurs  besoins  et  leurs  ressources  ». 

Cette  consultation,  M.  de  Pouvourville  a  montré  qu'elle  était 
actuellement  insuffisante.  Les  députés  coloniaux  et  les  délé- 
jrués  au  Conseil  supérieur  des  colonies  ne  sont  pas  investis 
dune  autorité  suffisante  pour  imposer  leurs  vues  en  matière 
coloniale.  Aussi,  d'accord  avec  M.  Mury  et  M.  de  Montpezat 
qui  ont  soutenu  la  même  thèse,  M.  de  Pouvourville  a  fait 
adopter  par  le  Congrès  un  vœu  tendant  à  la  création  d'un  Par- 
lement colonial  composé  exclusivement  de  délégués  élus,  qui 
auraient  entrée  au  Parlement  français,  avec  voix  consultative 
sur  toutes  les  questions  coloniales.  Cette  idée  fait  des  progrès 
parmi  ceux  que  n'aveugle  pas  le  principe  de  la  représentation 
coloniale  au  Parlement  français  ;  elle  commence  à  être  discutée 
sérieusement  et  mérite  d'être  étudiée  plus  profondément. 

En  ce  qui  concerne  la  législation,  deux  questions  ont  été 
examinées  :  1°  la  situation  des  magistrats  coloniaux  —  au  point 
de  vue  de  Tavancement,  de  la  solde  en  Europe,  des  déplace- 
ments —  appelle  bien  des  améliorations,  qui  devraient  au  sur- 
plus être  étendues  à  d'autres  fonctionnaires  :  un  vœu  dans  ce 
sens  a  été  adopté;  2"*  le  régime  de  la  propriété  foncière  a  fait 
d'autre  part  l'objet  d'une  étude  intéressante  de  M.  Coutard,  qui 
a  examiné  l'introduction  de  TAct  Torrens  en  Tunisie  d'abord 
1883),  puis  successivement  à  Madagascar  (1897),  au  Congo 
1899),  au  Sénégal,  en  Guinée,  à  la  Côte  d'Ivoire  (1900  et  1901), 
aux  îles  Marquises  (1902),  et  a  finalement  réclamé  l'extension 
de  ce  régime  à  toutes  les  colonies,  notamment  à  l'Indo-Chine 
et  à  la  Nouvelle-Calédonie. 

La  plus  grande  partie  des  séances  du  Congrès  a  été  consa- 
crée aux  questions  économiques  :  le  régime  douanier,  qui  sur 
tant  de  points  déjà  est  attaqué,  a  fait  l'objet  d'un  exposé  très 
complet  par  M.  Bouchié  de  Belle.  Visant  plus  spécialement  les 
questions  discutées  à  l'heure  actuelle  —  c'est-à-dire  la  franchise 
du  commerce  intercolonial,  que  Ton  voudrait  restreindre  à 
l'égard  des  guinées  de  l'Inde,  et  le  régime  du  Congo  battu  en 
brèche  parles  Anglais  — le  rapporteur  a  fait  adopter  un  vœu 
relatif  aux  mesures  à  prendre  pour  combattre  la  concurrence 
étrangère,  tout  en  maintenant  le  principe  de  la  liberté  du  com- 
merce entre  les  colonies  françaises. 

Mais  ce  qui  préoccupe  le  plus  le  monde  colonial  en  ce  mo- 

32" 


LE   CONGRÈS  COLONIAL   W 


•^^^ 


Le  Congrès  colonial  qui  vient  d^f'-f 
tiative  et  au  siège  de  l'Associa*;  ^  \ 
coloniaux,  a  tenu  ses  séances  d^  -^  ' 
questions  qui  intéressent  le  ;  f  V  ,♦ 
ties  en  onze  sections,  dont  ;  l-  ^^ 
complets  môme,  forjnaierj  \  i  i  ^ 

Il  en  est  résulté  que,  d  ;  ^^  \  '        *   " 
simplement  effleuré  1^  ^  '^  >  ,  ^ 
questions  coloniales 
pour  faire  une  beso  ;  / 
de  limiter  le  non"    [  \ 
chaque  matière 


quelques  poin' 
deur  ce  qu'eP  ] 
du  congrès  * 
imprimés 

Pour 
deman 
mettr 
con 


^vuirspu- 
aucun  individu 
c  qu'il  soit  ».  Il  n'a 
.production  exclusive  des 
^«d  main-d'œuvre  est  Iropcom- 
^  'lUe  par  des  principes  généraux  ^'t 
^colonies.  Les  discussions  sur  ce  point, 
_j,«rslirtout  pour  but  d'amener  un  échange  Je, 
lies  ayant  habité  des  colonies  difl'érentes.cl' 
communiquer  ainsi  mutuellement  leurs  ote- 
ainsi  que,  dans  la  discussion,  MM.  Granjux, 
de  Pouvourville,  Couput,  etc.,  ont  fait  part  au 
du  résultat  de  leur  expérience  personnelle  dans  divers 
s. 
En  l'absence  d'une  main-d'œuvre  abondante  et  habile,  les 
colons  sont  obligés  souvent  de  s'adonner  à  l'élevage;  inaisil> 
ne  peuvent  pas  augmenter  le  nombre  des  têtes  de  bétail,  s*il^ 
n'ont  pas  de  débouchés  suffisants.  Les  deux  faces  de  la  question 
ont  été  envisagées  successivement  par  les  rapporteurs.  M.  Cou- 
put a  montré  qu'en  Algérie  la  race  ovine  avait  tendance  à  dimi- 
nuer, en  raison  des  impôts  établis  par  tète  de  mouton,  de  Tin- 
suffisance  des  points  d'eau,  etc.  :  or,  la  colonie  aurait  tout 
intérêt  à  augmenter  sa  production  en  bétail,  à  cause  de  sa 
proximité  de  la  métropole,  qui  lui  assurerait  un  débouché 
presque  illimité.  Le  Congrès  a  donc  appelé  l'attention  du  g:ou- 
vernement  sur  les  mesures  à  prendre  pour  encourager  par  tous 
les  moyens  possibles  le  développement  des  troupeaux  de  mou- 
tons, et  subsidiairement  des  chameaux,  si  utiles  dans  le  Sud 
algérien. 
En  ce  qui  concerne  les  autres  colonies,  l'élevage  du  bétail  ne 


^^K  CONGRÈS  COLONIAL  DE  1903  507 

'-^^  ^sultats  que  dans  les  régions  à  population 

^    '^î>  "^hine,  où  la  consommation  locale  est 

'^     *^  >utefois  copier  ce  qui  se  fait  dans  les 

^  -^      '^  'rique,  où  l'exportation  des  viandes 

^  .  ^<^^     ^"^^  déterre  seulement,  un  chiflFre  de 

^^    ^'  *^     "^•'^*  ^  1^  thèse  soutenue  par  M.  Fau- 

,  '^'    ^^  '^-^^  'nns  ce  sens,  en  demandant 

"^-i.-  ''->,  *^  .  dans  les  colonies  sur  la 


<<^ 


Sutées  :  le 
\époque 
patégic 


des   questions  écono- 

le  premier  a 

|ue  de  lutte 

itégiques  com- 

-^  '"^  o  jjrandes  lignes  de 

,  il  a  cité  l'exemple  de 
oi]g,  simples  places  commer- 
..nbué  à  accroître  les  débouchés 
liivière  a  exposé  à  son  tour  les  mé- 
t  appliquer  à  Tétude  des  questions  écono- 
colonies. 
.gime  monétaire  a  occupé  une  séance  entière,  pen- 
^uelle  M.  Noël  Pardon  a  fait  l'historique  du  système  de 
.ado-Chine  et  a  réclamé  la   stabilisation  de  la  piastre,  sui- 
I  yanl  ^.''exemple  de  l'Inde  anglaise.  M.  RuefF,  tout  en  préconi- 
1  sanL    l'introduction  de  la  pièce  de  5  francs  dans  notre  colonie 
j^j^\\que,  s'est  rallié  au  vœu  proposé  par  M.  NoCl  Pardon,  qui 
inwHtait  le  gouvernement  à  adopter  en  Indo-Chine  un  système 
aiBialogue  à  celui  introduit  par  les  Etats-Unis  aux  Philippines. 
îil.  Deloncle,  député,  a  ajouté  qu'en  prévision  des  transforma- 
tions qui  se  préparent  en  Extrême-Orient  en  matière  moné- 
teire,  il  serait  utile  de  convoquer  :   1"  à  Hanoï  une  conférence 
intercoloniale  à  laquelle  seraient  conviés   les  gouvernements 
locaux  de  Singapour  et  de  Hong-kong;  2®  à  Paris,  une  confé- 
rence monétaire  internationale    comprenant  toutes  les  puis- 
sances ayant  des  intérêts  en  Extrême-Orient.  Deux  vœux  ont 
été  adressés  dans  ce  sens  aux  pouvoirs  publics. 

La  médecine  et  l'hygiène  ont  tenu  également  dans  le  Congrès 
une  place  importante.  Tout  ce  qui  concerne  la  prophylaxie  des 
épidémies  coloniales,  la  police  sanitaire  intercoloniale,  les 
0iédecins  sanitaires  maritimes,  a  été  passé  en  revue  par  les 
docteurs  Le  Dantec,  Mondon,  Granjux,  et  résumé  dans  plu- 
sieurs vœux  tendant  à  diminuer  les  chances  de  mortalité  si 
CTandes  encore  dans  les  colonies.  La  discussion  approfondie, 
qui  a  suivi  ces  rapports,  a  montré   toute  l'importance  que  le 


508  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES    BT   COLONiALKS 

corps  médical  attache  à  ces  questions  d'un  intérêt  primordial 
pour  la  colonisation  future,  et  tout  le  soin  qu'il  apporte  à 
résoudre  la  question  du  paludisme,  de  la  fièvre  jaune,  etc. 

Les  œuvres  de  propagande  et  d'enseignement  colonial  ont  eu 
leur  défenseur  naturel  dans  M.  Marcel  Dubois,  qui  a  fait  un  exposé 
de  renseignement  colonial  actuel.  Puis  M.  Durand,  administra- 
teur colonial,  a  montré  l'utilité  de  renseignement  des  langues 
coloniales  en  France  et  a  fait  adopter  un  vœu  tendant  à  ce  que 
les  fonctionnaires  appelés  à  servir  aux  colonies  reçoivent  en 
France  les  premières  notions  des  langues  indigènes.  \ 

En  résumé,  le  Congrès  a  donné  lieu  à  un  grand  nombre  de      ' 
rapports  intéressants,  à  un  nombre  considérable  de  vœux,  qui     | 
seront  soumis  aux  pouvoirs  publics  ;  mais  il  y  aurait  eu  intérêt,     i 
suivant  nous,  k  faire  porter  Teffortdes  discussions  publiques  sur 
un  petit  nombre  de  points  importants,  ce  qui  aurait  permis 
d'épuiser  les  sujets  proposés,  au  lieu  de  les  effleurer,  comme  on 
Ta  fait  bien  souvent.  Dans  le  résumé  que  nous  venons  de  faire,     ! 
nous   n'avons  pu    qu'indiquer  les    rapports  devant  intéresser     j 
plus  spécialement  les  lecteurs  de  la  Revue,  et  les  conclusions     j 
auxquelles  le  Congrès  s'est  arrêté,  sous  forme  de  vœux.  Nous     I 
reviendrons  peut-être  un  jour  sur  quelques-unes  des  questions     .; 
qui  méritent  plus  particulièrement  l'attention. 

J.  Francome. 


LES  TRIBUNAUX  RÉPRESSIFS  EN  AL&ERIE 

DISCOURS  DE    M.  REVOIL 


i 

'  Avant  de  partir  en  vacances,  la  Chambre  a  tenu  à  discuter  les 
interpellations  relatives  à  TAlf^érie.  Ces  interpellations  étaient 
au  nombre  de  deux,  celle  de  M.  Albin  Rozet,  sur  la  légalité  des 
décrets  des  29  mars  et  28  mai  1902,  instituant  en  Algérie  les 
tribunaux  répressifs,  et  celle  de  M.  Bertbet,  sur  les  mesures 
que  le  gouvernement  compte  prendre  pour  mettre  les  règles 
de  la  juridiction  répressive  d'Algérie  en  harmonie  avec  les  prin- 
cipes de  notre  droit  public  et  le  respect  des  droits  de  la  défense. 

La  discussion  a  duré  trois  jours,  le  27  mars  et  les  3  et 
[  avril.  M.  Albin  Rozet  a  ouvert  le  débat  par  un  très  long 
discours.  11  a  fait,  avec  une  émotion  un  peu  dramatique^  le 
procès  des  tribunaux  répressifs  et  a  accumulé,  pour  les  besoins 
de  sa  cause,  toute  une  série  de  faits  dont  il  avait  malheureuse- 
ment négligé  trop  souvent  de  vérifier  Texactitude  et  le  bien- 
fondé.  Il  s'est  efforcé  d'établir,  par  son  argumentation,  que  les 
tribunaux  répressifs  n*ont  pas  donné  les  résultats  qu  on  en 
attendait  et  a  conclu  que  la  meilleure  solution  était,  à  son  avis, 
de  remplacer  ces  tribunaux  par  un  juge  unique  qui  serait  le  juge 
de  paix,  avec  une  compétence  peu  étendue  en  matières  pénales. 

M.  Berthet  et  M.  Sembat,  après  M.  Albin  Hozet,  ont  égale- 
ment protesté  contre  l'institution  des  tribunaux  répressifs. 

M.  Colin  et  M.  Begey  ont,  au  contraire,  insisté  pour  le  main- 
tien d'une  organisation  qui  peut  rendre  les  plus  grands  services 
à  r Algérie. 

M.  Flandin,  prenant  ensuite  la  parole,  a  ainsi  résumé  son 
argumentation  : 

Je  ne  suis  pas  Tennemi  des  tribunaux  répressifs  ;  il  faut,  en  Algérie,  une 
juridiction  rapide;  mais  il  faut  aussi  apporter  à  cette  organisation  des 
amendements  et  des  corrections  nécessaires. 

J'appelle  l'attention  de  M.  le  garde  des  sceaux  et  de  M.  le  gouverneur 
général  sur  une  réforme  modeste,  mais  utile;  Tàme  des  tribunaux  répres- 
i^ifs»  ce  doit  être  le  juge  de  paix.  Il  n'y  a  pas  de  magistrat  qui  puisse  faire 
plus  de  bien  ou  plus  de  mal  en  Algérie  que  le  juge  de  paix  ;  il  vit  en  con- 
tact permanent  avec  les  indigènes. 

Les  juges  de  paix  des  tribunaux  répressifs  sont  des  jeunes  gens,  licen- 
ciés en  droit;  mais  le  diplôme  est-il  une  garantie  sérieuse  pour  juger  dos 
gens  dont  on  ne  connaît  ni  la  langue  ni  les  coutumes? 

Il  faudrait  améliorer  la  situation  de  ces  juges  de  paix  des  tribunaux 
répressifs  et  exiger  d'eux  une  préparation  spéciale.  Je  demande  qu'on  ins- 


i 


510  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

titue  au  parquet  de  la  cour  d*Âlger  huit  ou  dix  postes  d'attachés  rétribués, 
comme  il  y  en  a  aux  colonies;  ils  suivraient  les  cours  spéciaux  qui 
existent  en  Algérie,  ils  devraient  apprendre  la  langue  arabe  et  kabyle  et  le 
droit  musulman.  On  ne  les  nommerait  aux  fonctions  de  juges  suppléants 
rétribués  que  pourvus  du  diplôme  do  coutumes  indigènes  et  possédant  uae 
connaissance  au  moins  élémentaire  de  la  langue  arabe;  ainsi  ils  ne  seraient 
plus  à  la  merci  de  l'interprète. 

Cette  réforme  coûterait  quelques  milliers  de  francs  ;  aucune  dépense  ne 
serait  plus  justifiée  et  plus  profitable  à  Tintérét  bien  entendu  de  la  justice. 

M.  Revoil  a  pris  alors  la  parole,  en  qualité  de  commissaire 
du  gouvernement,  et  nous  croyons  devoir  reproduire  m  extenso 
son  discours  qui  a  produit  sur  la  Chambre  une  vive  et  pro- 
fonde impression. 

DISCOURS     DE     M.      P.     REVOIL 

M.  Paul  Revoil,  gouverneur  général  de  V Algérie,  commissaire  du  gouver- 
nement. —  Je  sollicite  tout  d*abord  l'indulgence  de  la  Chambre,  mes  forces 
physiques,  à  peine  rétablies,  risquant  peut-être  de  trahir  ma  bonne  volonté. 
{Très  bien!  très  bien!  —  Parlez!) 

Messieurs,  ce  n'est  pas  seulement  Tinstitution  des  tribunaux  répressifs 
que  l'interpellation  de  l'honorable  M.  Albin  Rozet  a  mise  en  cause.  On 
vous  a  dénoncé  Tesprit  qui  règne  actuellement  dans  l'administration  algé- 
rienne; on  vous  a  dit  que  la  politique  du  gouverneur  général  était  autori- 
taire ;  on  a  presque  dit  qu'elle  était  inhumaine  vis-à-vis  des  indigènes.  On 
a  ajouté  que  la  condition  faite  aux  indigènes  en  Algérie  était  si  précaire 
que  nous  risquions  de  la  voir  dénoncer  quelque  jour  comme  un  opprobre 
pour  notre  pays  et  qu'elle  était  en  tout  cas  certainement  au-dessous  de  la 
condition  faite  aux  autres  populations  musulmanes  placées  sous  Tauto- 
rité  d'autres  nations  européennes. 

Il  me  semble  que  de  telles  paroles  ne  doivent  pas  rester  sans  réponse. 
{Très  bien!  très  bien!)  et  qu'elles  m'obligent  à  vous  montrer,  d'une  façon 
générale,  quelle  est  en  réalité  la  condition  des  indigènes  en  Algérie.  Je 
m'efforcerai  toutefois  de  ne  pas  prolonger  le  débat  d'une  manière  indis- 
crète et  je  vous  assure  qu'il  n'y  a,  dans  l'accomplissement  de  ce  devoir, 
la  recherche  ni  d'une  digression  ni  d'une  diversion.  Je  m'expliquerai,  sur 
les  tribunaux  répressifs,  de  la  manière  la  plus  franche  et  la  plus  complète 
et  j'espère  vous  montrer  que  cette  juridiction  ne  mérite  pas  l'analhème 
que  M.  Albin  Rozet,  et  après  lui  M.  Berthet,  ont  porté  contre  elle  ;  qu'elle 
est  utile  ;  que,  reconnue  bonne  dans  son  principe,  elle  peut,  avec  quelques 
retouches  et  ces  perfectionnements  dont  toutes  les  institutions  humaines 
sont  susceptibles,  rendre  encore  à  l'Algérie  de  très  grands  services. 
{Applaudissements.) 

Comme  on  vous  l'a  dit  à  la  tribune,  c'est  le  chef  du  précédent  cabinet 
qui  a  fixé  lui-même  le  programme  que  devait  appliquer  le  gouverneur  de 
l'Algérie  au  moment  où  il  était  pourvu  au  remplacement  de  mon  éminent 
prédécesseur  M.  Jonnart.  Il  y  a  mieux,  M.  le  président  du  Conseil  a  déve- 


LES  TRIBUNAUX   RÉPRESSIFS   EN   ALGÉRIE  51  i 

loppé  les  lignes  principales  de  <;e  programme  devant  la  Chambre  qui  Ta 
sanctionné  de  son  approbation.  Il  sera  donc  facile  de  vérifier  si  le  gouver- 
neur général  s'en  est  écarté  ou  en  a  trahi  Tesprit. 

Je  ne  veux  pas  reprendre  ici  une  lecture  qui  a  été  faite  par  M.  Begey  ; 
j'appelle  seulement  votre  attention  sur  ce  fait  que  le  programme  de  M.  Jon- 
nart  énoncé  par  M.  Waldeck-Housseau  à  la  tribune,  renfermait,  en  ce  qui 
concerne  la  répression  des  délits  indigènes,  l'indication  qu'une  justice 
rapide  et  sommaire  était  nécessaire  si  on  voulait  que  la  répression  de  ces 
délits  fût  efficace;  M.  Jonnart  se  proposait  même  de  demander  l'extension 
au  territoire  civil  de  l'institution  des  commissions  disciplinaires  qui  fonc- 
tionnaient, disait-il,  en  territoire  militaire  «  à  la  grande  satisfaction  des 
«  administrateurs  et  des  administrés  ».  Et  je  n'ai  pas  à  vous  apprendre, 
messieurs,  que  l'institution  dont  il  s'agit  est  autrement  sévère  que  les  tri- 
bunaux répressifs  que  nous  avons  organisés. 

La  Chambre  approuvait  ce  programme;  elle  l'approuvait  après  que 
M.  Waldeck-Rousseau  eût  dit  à  cette  tribune  que  le  programme  d'hier  res- 
terait le  programme  de  demain  et  que  le  gouverneur  général  nouvelle- 
ment nommé  aurait  à  l'appliquer  comme  M.  Jonnart  se  proposait  de  l'appli- 
quer lui-même. 

Avant  le  vote,  M.  Albin  Rozet  se  déclarait  «  pleinement  satisfait  du  dis- 
«  cours  du  président  du  Conseil  en  ce  qui  concerne  les  indigènes  et  con- 
a  vaincu  que  les  indigènes  qui  nous  sont  fidèles,  ceux  qui  liraient  ce  dis- 
•  cours  éprouveraient  la  même  satisfaction  »  ;  aussi  se  ralliait-il  à  Tordre 
du  jour  proposé  par  MM.  Bienvenu  Martin,  Etienne  et  Thomson  que  la 
Chambre  approuvait  de  son  vote  et  dont  je  vous  demande  la  permission 
de  rappeler  les  termes  ; 

«  La  Chambre,  réprouvant  tous  les  fanatismes,  toutes  les  querelles  d& 
<  race  et  de  religion,  approuve  les  déclarations  du  Gouvernement  et 
«  compte  sur  son  action  énergique  pour  assurer  à  l'Algérie  la  ^sécurité 
9  indispensable  au  développement  de  l'œuvre  de  la  colonisation  poursuivie 
«  dans  l'intérêt  des  travailleurs  français  et  indigènes.  » 

Le  programme  de  M.  Jonnart  ne  comprenait  pas  seulement  ces 
réformes  ;  il  en  comprenait  d'autres  que  nous  n'avons  pas  pu,  jusqu'à  ce 
jour,  réaliser.  Je  les  indiquerai  très  brièvement. 

M.  Jonnart  se  proposait  de  rendre  la  compétence  civile  aux  cadis  en 
matière  d'affaires  musulmanes;  de  substituer  les  administrateurs  aux 
maires  pour  la  surveillance  et  l'administration  des  douars  rattachés  aux 
communes  de  plein  exercice.  Il  demandait  en  outre  l'attribution  d'une  part 
plus  importante  des  ressources  provenant  de  l'impôt  indigène  aux  besoins 
particuliers  des  douars. 

Ces  réformes  n'étaient  pas  toutes  également  faciles  à  réaliser. 

La  restitution  de  la  compétence  civile  aux  cadis  s'est  heurtée  à  beaucoup 
d'objections;  elle  a  rencontré  la  môme  opposition  que  les  tribunaux 
répressifs  et  notamment,  ce  qui  a  peut-être  été  une  des  causes  de  son 
échec  jusqu'à  ce  jour,  l'opposition  des  hommes  d'affaires. 

Quant  à  la  restitution  de  la  police  des  indigènes  aux  administrateurs 
dans  les  communes  de  plein  exercice  et  à  l'affectation  d'une  plus  grande 
part  des  ressources  provenant  de  l'impôt  payé  par  les  indigènes  aux  tra- 


512  QUESTIONS   DIPLOMATIOUBS   ET   COLONIALES 

vaux  les  intéressant  plus  particulièrement-,  ces  réformes  se  sont  heurtées  à 
des  difficultés  prévues  par  M.  Jonnart  lui-même,  quand  il  disait  qu  ellej^ 
devaient  être  réalisées  «  sans  porter  atteinte  aux  francliises  dont  les  colons 
«  sont  ajuste  titre  jaloux,  ni  à  Téquilibre  des  budgets  communaux  ».  En 
réalité,  ces  difficultés  proviennent  de  l'application  intégrale  de  la  loi 
de  i884  aux  communes  algériennes,  application  qui  rend  très  difficile  la 
répartition  qu'on  se  proposait  de  faire. 

Ces  questions  n'en  demeurent  pas  moins  à  l'étude,  et  la  commission  des 
réformes  administratives  que  j'ai  constituée  quelque  temps  après  mon 
arrivée  à  Alger  les  étudiera  avec  le  désir  d'en  trouver  la  solution  pratique. 

Mais,  si  nous  n'avons  pas  pu  réaliser  tout  ce  programme,  nous  avou^^ 
accompli  d'autres  réformes  nombreuses  et  importantes  qui  s'inspirent  du 
même  esprit.  Jamais  peut-être  on  n'a  fait  des  efforts  aussi  méthodiques, 
aussi  soutenus,  aussi  complets  pour  améliorer  la  condition  matérielle  et 
morale  des  indigènes,  pour  accroître  les  garanties  auxquelles  ils  ont  droit, 
en  modifiant  notre  législation  dans  ce  qu'elle  avait  d'excès^,  de  rigoureux 
ou  d'irrationnel  à  leur  égard. 

Le  gouvernement  général  actuel  ne  s'attribue  certes  pas  le  mérit? 
exclusif  de  ces  réformes:  c'est  le  Parlement  lui-même  qui,  dans  les 
savantes  enquêtes  du  Sénat  et  de  la  Chambre,  lui  en  avait  tracé  la  voie. 
(Très  bien!  très  bien  !) 

La  Chambre  me  pardonnera  une  énumération  qu^e  je  ferai  aussi  rapide 
que  possible.  Je  crois,  je  le  répète,  qu'il  est  intéressant  qu'elle  connais>e 
les  actes  principaux  de  mon  administration  en  ce  qui  concerne  les  indi- 
gènes pour  se  bien  rendre  compte  de  la  condition  qui  leur  est  faite  ea 
Algérie. 

Une  des  mesures  le  plus  ardemment  sollicitées  par  la  commission  d'en- 
quête parlementaire  sénatoriale  était  la  réforme  de  notre  code  forestier. 

Vous  savez,  messieurs,  —  permettez-moi  l'expression,  — à  quelles  prome- 
nades entre  le  Sénat  et  la  Chambre  cette  malheureuse  loi  forestière  algé- 
rienne a  été  condamnée  pendant  près  de  dix  ans.  Nous  avons  eu  la  grande 
satisfaction  de  la  faire  aboutir  et,  comme  je  le  disais  l'autre  jour  du  banc 
du  gouvernement,  jusqu'au  dernier  moment  nous  y  avons  introduit  louies 
les  mesures  susceptibles  de  la  rendre  plus  équitable  et  mieux  adaptée  à  la 
condition  et  aux  besoins  des  populations  indigènes  qui  habitent  dans  le 
voisinage  des  forêts. 

Nous  avons  aussi  obtenu  le  vote  d'une  autre  loi  à  laquelle  son  promoteur 
a  donné  son  nom  :  la  loi  Flandin,  qui  introduit  des  indigènes  dans  le  jury 
criminel,  et  qui  décharge  en  partie  au  moins  le  colon  du  lourd  fardeau  de? 
fonctions  du  jury  criminel  pour  les  crimes  indigènes.  Cette  loi,  qui  avait 
fait  également  un  long  stage  devant  le  Parlement,  nous  avons  eu  l'heu- 
reuse fortune  de  la  faire  enfin  adopter.  (Très  bien!  très  bien!) 

Désormais,  les  crimes  commis  par  les  indigènes  ne  sont  plus  jugés  seu- 
lement par  des  Français  ;  ils  sont  jugés  avec  l'assistance  de  jurés  indi- 
gènes qui  apportent  à  la  justice  le  concours  de  leur  connaissance  spéciale 
de  la  mentalité  et  des  mœurs  de  leurs  coreligionnaires. 

Il  est  probable  [que  si  le  vote  de  cette  loi  était  intervenu  en  temps 
utile,  TAlgérie  n'aurait  pas  éprouvé  la  douloureuse  impression  que  lui  a 


LES  TRIBUNAUX  RÉPRESSIFS  EN  ALGERIE  513 

causée  le  dessaisissement  de  la  cour  d'Alger,  par  la  cour  de  cassation, 
pour  cause  de  suspicion  légitime,  lorsqu'il  s'est  agi  de  juger  TafTaire  de 
Margueritte.  La  cour  suprême  aurait  vu  sans  doute  dans  Torganisalion  du 
jury  criminel  tel  que  la  loi  Flandin  le  prévoyait  des  garanties  suffisantes. 

Les  tribunaux  répressifs  constituent  eux-mêmes  une  réforme  réalisée 
en  faveur  des  indigènes.  Tels  qu'ils  sont  organisés,  ils  complètent, 
en  matière  de  répression  des  délits,  Tinstitution  du  jury  criminel  spécial. 
M.  Flandin  a  bien  voulu  le  reconnaître,  et  je  suis  heureux  de  l'adhésion 
qu'il  a  donnée  au  principe  de  l'institution,  encore  qu'il  ait  fait  une  bien 
large  part  aux  critiques  qu'elle  pouvait  comporter.  Elle  procède  du  même 
esprit  que  la  loi  dont  il  avait  été  le  promoteur. 

D'autres  mesures  ont  été  prises,  d'un  caractère  plus  spécial  —  je 
l'indique  d'un  mot  —  tels  que  le  décret  sur  la  tutelle  en  Kabylie.  Les  cou- 
tumes kabyles  donnaient  aux  intérêts  des  mineurs  des  garanties  beaucoup 
moine  grandes  qu'en  pays  arabe  où  les  cadis  sont  leurs  tuteurs  légaux. 
Nous  avons  donc  organisé  en  Kabylie  des  conseils  de  famille  sous  la  sur- 
veillance et  le  contrôle  des  juges  de  paix. 

Enfin  —  réforme  capitale  à  coup  sûr  et  la  plus  importante  —  les  indi- 
gènes ont  été  appelés  à  participer  par  leurs  représentants  élus  à  la  gestion 
des  finances  de  la  colonie  et,  par  voie  de  conséquence,  au  contrôle  de  son 
administration.  Ils  siègent  dans  les  délégations  financières  au  même  titre 
et  avec  les  mêmes  droits  que  les  représentants  de  la  population  française. 

Si  le  gouvernement  général  actuel  n'a  pas  eu  l'initiative  de  cette 
réforme,  il  a  du  moins  fait  tous  ses  efforts  pour  qu'elle  porte  les  meilleurs 
fruits,  et  la  gestion  de  cette  assemblée  spéciale  qui  a  déjà  voté  deux 
budgets  en  excédent,  réalisé  avec  votre  autorisation  l'emprunt  algérien, 
sanctfonné  des  réformes  administratives,  est  de  nature  à  ne  point  faire 
regretter  à  la  métropole  l'acte  de  confiance  aussi  hardi  que  généreux  par 
lequel  elle  attribuait  une  si  large  part  d'autonomie  à  l'Algérie  à  une  épo- 
que où  un  entraînement  passager  paraissait  la  détourner  de  ses  véritables 
intérêts.  (Applaudissements  sur  divers  bancs,) 

Le  gouvernement  a  institué,  en  outre,  par  décret,  —  il  a  cru  pouvoir 
le  faire,  —  ces  chambres  d'agriculture  si  impatiemment  attendues  en 
France,  qui  sont  encore  en  instance  devant  le  Parlement.  Les  indigènes 
àODt  représentés  dans  ces  assemblées  et  sont  ainsi  associés  aux  colons 
pour  étudier  leurs  intérêts  communs  et  s'initier  aux  améliorations  con- 
stantes des  méthodes  culturales.  {Très  bien!  très  bien!) 

Nous  avons  constitué,  comme  suite  à  des  mesures  déjà  prises  par 
M.  Jonnart,  une  direction  spéciale  au  gouvernement  général  pour  les 
affaires  indigènes.  Cette  direction  centralise  toutes  les  questions  qui  inté- 
ressent Ips  indigènes  et  assure  un  contact  direct  et  permanent  entre  la 
population  indigène  et  le  gouvernement  général  auquel  elle  permet  de 
&ervir  plus  efficacement  les  intérêts  de  celte  population,  de  la  mieux 
surveiller  et  aussi  de  mieux  la  protéger,  de  défendre  ses  intérêts  en  toutes 
circonstances. 

Messieurs,  les  trois  facteurs  les  plus  puissants  du  progrès  moral  et  ma- 
tériel pour  les  indigènes  sont  l'instruction  proprement  dite,  l'enseignement 
professionnel  et  l'assistance.  Nous  avons  fait  dans  ces  trois  directions 
d'utiles  et  importantes  réformes. 

QuBST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xy.  33 


514  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

En  ce  qui  conceroe  rinstruction,  le  gouvernement  général  a  pounu  de 
son  mieux,  et  autant  que  les  ressources  financières  de  la  colonie  le  lui 
permettaient,  à  la  réalisation  du  programme  fixé  successivement  par 
M.  Combes,  lorsqu'il  était  ministre  de  l'Instruction  publique,  et  après  lui 
par  MM.  Bourgeois  et  Poincaré.  Le  nombre  des  élèves  indigènes  dans  les 
écoles  primaires  a  passé  de  4.000  en  1883  à  25.000  dans  ces  derDÎères 
années. 

Pour  renseignement  supérieur  arabe,  nous  verrons  tout  à  l'heure  que 
le  vœu  exprimé  par  le  Sénat  à  la  suite  d'un  rapport  de  M.  Combes  va  enfin 
être  réalisé  ;  que  deux  medersas  vont  être  construites  à  Alger  et  à  Tlemcen, 
autrefois  centre  d'études  célèbre  dans  le  monde  musulman,  alors  que 
jusqu'ici,  dans  le  département  de  Constantine  seul,  la  medersa  avait  une 
installation  convenable  et  suffisante  pour  recevoir  le  nombre  des  élèvesb 
qui  s'y  présentaient. 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  nous  avons  augmenté  le  nombre  des 
bourses  pour  les  indigènes  de  ces  établissements  d'enseignement  supé- 
rieur. 

M.  Sembat  me  demandait  à  cette  tribune  si  nous  avions  diminué  le 
nombre  des  bourses  destinées  aux  indigènes  dans  les  établissements 
d'enseij;nement  secondaire  fran<;ais.  Nous  ne  l'avons  pas  diminué;  mais 
j'ai  le  regret  de  dire  que  le  crédit  affecté  à  ces  bourses  n'est  jamais 
épuisé,  parce  que  nous  n'avons  jamais  le  nombre  de  candidats  suffisants 
pour  attribuer  toutes  les  bourses  que  nous  pourrions  donner. 

En  ce  qui  concerne  l'assistance,  dix-neuf  bureaux  de  bienfaisance  spé-    , 
ciaux  aux  indigènes  ont  été  créés  dans  les  principales  villes  d'Algérie;  la   j 
dotation  du  seul  bureau  qui  existât  précédemment  à  Alger  a  été  augmen- 
tée.  Une  clinique  pour  les  femmes  et  les  enfants  indigènes  a  été*  créée   * 
dans  cette  même  ville.  Nous  allons  organiser  par  les  moyens  les  plus  pra-   . 
tiques  et  les  mieux  appropriés  l'assistance  médicale  apportée  sur  place  aut 
populations  indigènes.  Cette  mesure  produira  certainement  les  plus  heu- 
reux résultats;  car  un  des  moyens  d'action  les  plus  propres  à  nous  attirer 
la   sympathie,  la  reconnaissance  et  l'affection  des  indigènes  est  de  leur 
assurer  des  soins  médicaux  pour  les  maladies  dont  ils  sont  affligés  et  qui 
sont  mallieureuseraent,  dans  la  plupart  des  tribus,  livrées  aux  soins  empiri- 
ques des  toubibs. 

Nous  avons  centralisé  et  accru  les  crédits  épars  naguère  dans  le  budget   ", 
do  l'Algérie  pour  l'assistance  musulmane  :  ils  s'élèvent  aujourd'hui  à  la    ; 
somme  importante  de  439.000  francs.  Les  indigènes  participent  en  outre 
au  crédit  consacré  aux  frais  d'hospitalisation  dans  toute  l'Algérie;  seize 
mille  indijiènes  en  moyenne  sont  traités  dans  nos  hôpitaux. 

Mais  la  iiriricipale  réforme  qu'il  nous  a  été  donné  d'accomplir  est  celle 
qui  consacre  dans  les  ressources  du  budget  spécial  de  l'Algérie  une  dota-    ■ 
tion  importante  à  des  œuvres  exclusivement  destinées  à  l'amélioration  du    ' 
sort  des  indigènes.  (Très  bien!  très  bien!) 

On  se  rappelle  que  des  lois  successives  ont  tenté  de  donner  à  la  pro- 
priété indigène  une  assiette  qui  la  rapproche  des  conditions  de  certitude 
dont  jouit  la  propriété  dans  la  métropole.  L'œuvre  n'a  pas  pu  élre  pleine- 
ment réalisée.  Sans  critiquer  l'esprit  qui  l'a  inspirée,  il  faut  bien  recon- 


•:^ 


LES   TRIBUNAUX   RÉPRESSIFS   EN   ALGÉRIE  515 

naître  qu'elle  a  abouti  plutôt  à  un  échec  et  qu'on  a  dû  Tabandonner.  Il  y  % 

avait  là  des  ressources  importantes  acquises  par  le  moyen  d'un  impôt  qui  jj 

pesait  très  légèrement  sur  la  masse  de  la  population.  Nous  avons  pensé 
qu'il  serait  sage  de  les  consacrer  à  des  œuvres  exclusivement  destinées  à 
ramélioration  morale  et  matérielle  de  la  condition  des  indigènes. 

Les  délégations  financières  consultées  et  plus  spécialement  les  représen- 
tants élus  des  indigènes  siégeant  dans  ces  délégations  ont  approuvé  les 
propositions  du  gouverneur  et  le  gouvernement  métropolitain  a  bien  voulu  ] 

les  saDCtionnner.  '  '} 

Il  a  été  entendu  d'autre  part  que  l'inscription  de  ces  crédits  nouveaux 
ne  motiverait  non  seuletnent  aucune  diminution  des  crédits  anciens,  mais 
encore  aucun  arrêt  dans  leur  accroissement  nécessaire. 

Ainsi  s'est  trouvée  constituée  une  importante  ressource  budgétaire 
spécialisée  désormais  au  profit  d'œuvres  éminemment  utiles  pour  les 
indigènes. 

Je  ne  ferai  de  ces  ci»uvres  qu'une  énumération  très  rapide.  Nous  avons 
pu  donner  des  subventions  pour  les  constructions  et  l'entretien  de  petites 
mosquées  et  zaouîas  et  pour  la  rétribution  de  leur  personnel.  Jusqu'à  ce 
jour  ces  zaouias,  abandonnées  et  peu  surveillées,  risquaient  d'être  des 
points  de  ralliement  pour  certains  éléments  dangereux.  C'est  dans  une 
fête  indigène  et  dans  une  réunion  de  quelques  khouans  que  réchaufïburée 
de  Margueritte  s'est  préparée.  Désormais  ces  zaouîas,  qui  d'ailleurs  ne 
sont  pas  seulemeet  des  établissements  religieux,  mais  aussi  des  maisons 
d'assistance  et  d'enseignement,  des  lieux  de  refuge  pour  les  pauvres, 
seront  dirigées  par  nous,  encouragées  quand  il  y  aura  lieu,  au  lieu  d'être 
imitées  avec  une  méfiance  qui  les  éloigne  de  nous.  (Mouvements  divers.) 

Nous  pourrons,  grâce  à  ces  ressources  spéciales,  ouvrir  des  cliniques, 
des  infirmeries  et  des  asiles  d'indigènes.  Nous  créerons  de  nouveaux  postes 
de  médecins  qui  parcourront  les  tribus  et  apporteront  aux  malades  indi- 
gènes les  soins  médicaux  sans  qu'ils  soient  obligés  de  venir  les  chercher  à 
la  ville  voisine.  (Très  bien!  très  bien!) 

Des  travaux  d'utilité  publique  et  d'hygiène  intéressant  les  indigènes  vont 
être  également  poursuivis.  Nous  tâcherons  d'aménager  chaque  jour  un 
plus  grand  nombre  de  puits  et  de  sources  et  d'exécuter  des  travaux  d'assai- 
nissement. {Très  bien!  très  bi^n!) 

J'espère  que  nous  persuaderons  aux  indigènes  de  respecter  ces  travaux 
et  d'avoir  pour  les  sources,  pour  les  r'dirs,  pour  les  puits,  pour  les  réser- 
voirs, un  peu  plus  de  soin  qu'ils  n'en  ont  d'habitude.  Ils  laissent  trop  sou-  ! 
vent  souiller  ces  précieuses   réserves  par  leurs  animaux,  et  parfois  les 
maladies  dont  ils  souffrent  n'ont  pas  d'autre  origine. 

Je  vous  disais  tout  à  l'heure  que,  grâce  à  ces  crédits,  nous  pourrions 
construire  des  établissements  d'enseignement  supérieur  musulman,  des 
medersas,  que  nous  encouragerions  également  l'enseignement  industriel 
des  indigènes  dans  une  plus  large  mesure. 

Cet  enseignement  est  des  plus  intéressants.  Il  tend  à  former  des  ouvriers 
et  des  ouvrières  qui  fabriquent  les  tapis  algériens  et  qui  restaurent  cet  art 
de  la  broderie  qui  a  fait  tant  d'honneur,  à  une  certaine  époque,  aux  pays 
musulmans. 


l 


516  QUESTIONS   DIPLOMATIQUKS    KT   COLONIALKS 

Des  subventions  et  des  encouragements  seront  également  donnés  aux 
industries  agricoles.  Il  est  très  important  d'amener,  par  exemple,  la 
Kabylie  à  une  fabrication  plus  perfectionnée  de  l'huile.  La  production  de 
rhuile,  en  Algérie,  peut  être  une  ressource  très  grande  pour  la  prospérité 
agricole.  A  l'heure  actuelle,  par  suite  des  mauvais  procédés  de  fabrication 
en  usage,  une  grande  quantité  d'huile  algérienne  subit  sur  le  marché, 
quand  elle  s'y  présente,  une  forte  dépréciation  ou  sert  uniquement  de 
nourriture  aux  indigènes.  Les  indigènes  pourraient  trouver  dans  une 
fabrication  plus  perfectionnée  le  moyen  de  se  réserver  ce  qu'on  appelle, 
dans  la  fabrication,  les  «  basses  huiles  »,  de  vendre  à  très  bon  prix  et 
d'accroitre  le  renom  des  huiles  algériennes.  [Très  bien  !  très  bien!) 

Le  dernier  progrès  à  la  réalisation  duquel  nous  appliquerons  les  res- 
sources que  je  vous  indique  sera  la  création  de  bibliothèques  arabes 
ouvertes  dans  les  villes  principales  qui  renferment  des  agglomérations 
d'indigènes,  avec  des  livres  convenablement  choisis  pour  la  vulgarisation 
des  connaissances  utiles,  en  vue  de  rompre  avec  les  méthodes  surannée^^ 
d'enseignement  des  indigènes.  {Très  bien!  très  bien!  à  gauche.) 

Messieurs,  je  tiens  à  redire  que  je  ne  m'attribue  pas  le  mérite  exclusif 
de  ces  réformes.  J'ai  trouvé  la  voie  tracée  par  les  savants  travaux  du  Par- 
lement et  par  la  haute  compétence  de  mon  prédécesseur.  Je  n'ai  eu  qu'à 
m'y  engager  et  à  y  persévérer.  Ce  n'a  pas  été,  à  coup  sûr,  la  partie  de  îa 
lourde  tâche  qui  m'était  confiée  qui  m'ait  le  moins  séduit  ou  captivé.  {Trèf 
bien!  très  bien!) 

Comment,  en  effet,  imaginer  que  l'homme  auquel  est  confiée  la  haute 
mission  de  gouverner  une  colonie  comme  l'Algérie  ne  comprenne  pas 
que,  sans  se  départir  un  instant  de  la  sollicitude  constante  qu'il  doit  avoir 
pour  cette  vaillante  phalange  des  colons,  représentation  vivante  de  la 
patrie,  il  doit  toujours  garder  les  yeux  fixés,  je  dirai  presque  le  cœur 
penché,  sur  cette  masse  profonde  de  la  population  indigène,  difficile  à 
pénétrer  sans  doute,  et  bien  souvent  réfractaire  au  progrès,  mais  que  celui 
qui  lui  parle  au  nom  de  la  France  doit  travailler  sans  relâche  à  amener  à 
une  condition  matérielle  et  morale  meilleure.  {Vifs  applaudissements.) 

Comment  imaginer  que  l'homme  auquel  incombe  un  si  noble  devoir  ait 
l'âme  et  l'intelligence  assez  basses  pour  le  méconnaître  et  le  trahir  au 
point  de  ne  voir  dans  la  mission  qui  lui  est  confiée  que  l'occasion  de  satis- 
faire je  ne  sais  quel  goût  pervers  ou  imbécile  de  domination  et  d'asser- 
vissement? {Très  bien! très  bien!)  Et  s'il  se  rencontrait,  par  impossible,  que 
l'administration  de  l'Algérie  ait  été  confiée  à  un  fonctionnaire  de  ce  niveau 
moral  et  intellectuel,  comment  supposer  que  le  gouvernement  pourrait 
un  instant  lui  maintenir  sa  confiance  et  laisser  à  des  mains  aussi  indignes 
une  aussi  haute  fonction?  (Applaudissements,) 

Je  crois  avoir  démontré  que  mon  administration  n'a  pas  trahi  le  pro- 
gramme que  le  gouvernement  et  la  Chambre  lui  avaient  tracé. 

Je  vais  maintenant  m'expliquer  sur  le  point  spécial  de  ce  programme 
qui  a  motivé  le  débat  actuel,  je  veux  parler  des  tribunaux  répressifs. 

Dès  les  premiers  travaux  de  la  commission  sénatoriale  de  1891,  l'ins- 
titution.  d'une  juridiction  spéciale  pour  le  jugement  des  délits  indi- 
gènes était  réclamée  avec  la  plus  vive  insistance.  Voici  en  quels  termes 


LES   TRIBUNAUX   RÉPRESSIFS  EN  ALGÉRIE  511 

l'éminent  président  de  la  commission,  Jules  Ferry,  s'exprimait  à  cet  éganl  : 
«  En  important  en  Algérie  tout  Tappareil  de  notre  justice,  toutes  le  es 
N  garanties,  toutes  les  méthodes  qui  entourent  chez  nous  la  recherche  ùos 
«  délits,  nous  nous  flattions  d'assurer  par  des  moyens  perfectionnés  ht 
«  sécurité  des  personnes  et  des  biens.  Et  voici  que  de  tous  les  coins  du  Tel! 
X  algérien,  des  rives  de  la  mer  aux  confins  des  Hauts-Plateaux  s'élèvr 
«  une  clameur  universelle  contre  le  fléau  grandissant  de  Tinsécurité,  Li 
«  bétail  et  les  récoltes  sont  chaque  nuit  mis  au  pillage;  la  piraterie  agn- 
«  cole  s*exerce  avec  impunité,  perçant  les  murs  des  fermes,  vidant  les 
«  écuries  et  les  engrangéments,  également  redoutée  des  cultivateurs  indi- 

•  gènes  et  des  colons,  audacieuse  et  toujours  échappant  à  cette  poIiLt* 
«  judiciaire  à  la  française,  qui  n'a  ni  les  moyens  d'information  rapides, 
«t  ni  les  procédés  sommaires,  ni  les  habitudes  du  commandement,  pur 
«  lesquels  on  pénètre  et  l'on  domine  le  monde  arabe.  Nous  reviendrons  sur 
«  cette  plaie  sociale  dont  les  Algériens  n'exagèrent  pas  la  gravité,  et  qui 
«  témoigne  d'une  façon  quelque  peu  humiliante,  pour  le  conquérant,  iW 

*  l'impuissance  de  notre  code.  »  (Très  bien! très  bien!) 

L'Algérie  devait  attendre  près  de  dix  ans  encore  cette  réforme.  Aussi  nr^ 
s  etonne-t-on  pas  de  la  trouver  inscrite  au  premier  rang  dans  le  programma 
de  rhonorable  M.  Jonnart. 

J'ai  rappelé  dans  quelles  conditions  la  Chambre  approuva  ce  programma, 
et  on  peut  dire  que  c'est  elle  qui  a  posé  le  principe  de  l'institution  des  tri- 
bunaux répressifs  en  déclarant,  dans  l'ordre  du  jour  adopté  après  cetii^ 
discussion,  «  qu'elle  comptait  sur  l'action  énergique  du  gouvernement  pour 
a  assurer  en  Algérie  la  sécurité  indispensable  au  développement  de  hi 
«  colonisation  ». 

Sous  quelle  forme  l'institution  était-elle  prévue  au  programme  di' 
M.  Jonnart?  Il  s'agissait  d'étendre  aux  territoires  civils  l'institution  de^ 
commissions  disciplinaires  qui  fonctionnent  en  territoire  militaire,  —  i^c 
je  n'ai  pas  besoin  de  rappeler  le  caractère  de  cette  institution. 

Nous  ne  sommes  pas  allés  si  loin.  Les  décrets  des  29  mars  et  29  mai  l'JUi 
ont  institué  une  véritable  juridiction  et  non  un  instrument  administratif  ih- 
discipline,  un  vrai  tribunal  et  non  pas  une  commission  disciplinaire. 

On  a  dit  de  ces  décrets  qu'ils  étaient  l'œuvre  personnelle  du  gouverneur 
général.  Je  ne  décline  pas  l'initiative  que  j'ai  prise  de  proposer  une  réform» 
dont  le  Parlement  lui-même  avait  indiqué  l'urgence;  mais  ce  qui  est  vrai, 
c'est  que  ces  décrets  ont  été  Tœuvre  réfléchie  et  étudiée  du  ministre  de  la 
justice  du  cabinet  précédent,  qui  s'est  inspiré  des  avis  du  gouverneur  gén^*- 
rai  et  des  chefs  de  la  cour  d'Alger,  ainsi  que  de  l'opinion  de  jurisconsu!u*7i 
éminents  qui  ont  fait  leurs  preuves  non  seulement  dans  la  connaissance  du 
droit,  mais  dans  le  culte  de  la  justice. 

On  a  dit  que  cette  œuvre  personnelle,  je  m'efforçais  aujourd'hui  de  l,i 
faire  soutenir  par  un  mouvement  factice  de  presse  et  d'opinion.  Je  n'^t 
qu'un  mot  à  répondre.  A  l'heure  actuelle,  presque  tous  les  conseils  muni- 
cipaux d'Algérie,  la  plupart  des  sociétés  d'agriculture,  des  syndicats  tn 
des  comices  agricoles,  les  chambres  d'agriculture  des  trois  départements, 
enfin  les  délégations  financières,  par  une  manifestation  spontanée  ôv 
chacun  de  leurs  membres,  toutes  assemblées  où  figurent   les  représen- 


IMS  QUESTIONS     DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

tants  des  indigènes,  demandent  énergiquement  le  maintien  de  Tinstitution. 
L-honorable  M.  Rozet  a  versé  au  débat  des  pétitions  en  sens  contraire. 
J'ai  le  regret  de  ne  pouvoir  y  attacher  une  importance  égale  à  celle  des 
manifestations  que  je  viens  de  rappeler.  Je  ne  mets  pas  en  doute  la  bonne 
foi  de  l'honorable  M.  Rozet,  mais  j'ai  sous  la  main  des  rapports  de  tous  les 
préfets  de  l'Algérie  qui  indiquent  les  conditions  dans  lesquelles  les  corres- 
pondantB  de  M.  Rozet,  moins  recommandables  parfois  qu'il  ne  se  l'ima- 
gine, ont  sollicité  et  obtenu  des  signatures. 

M.  Albin  Rozet.  —  Vous  oubliez,  monsieur  le  gouverneur  général,  les 
menaces  qu*on  leur  a  faites  quand  ils  eurent  signé. 

H.  le  commissaire  du  gouvernement.  —  J'ai  des  déclarations  émanant 
d'indigènes  dont  les  noms  figurent  au  bas  de  ces  pétitions  et  qui  protestent 
eux-mêmes  contre  l'abus  fait  d'une  signature  qui  leur  aurait  été  sur- 
prise. 

H.  Albin  Rozet.  —  Si  les  choses  se  sont  passées  comme  à  Blidah, 
dans  Taffaire  Belgrade,  je  n'en  fais  pas  compliment  à  vos  agents! 

M.  le  commissaire  du  gouvernement.  —  Cette  institution  des  tribu- 
naux répressifs  a  rencontré  devant  elle  deux  catégories  principales 
d'adversaires  : 

Ce  sont  d'abord  les  théoriciens  du  droit  auxquels  je  me  permettrai 
d'opposer  en  réponse  l'éloquente  affirmation  de  M.  Jules  Ferry  que  je 
rappelais  tout  à  l'heure.  J'y  ajouterai  cette  appréciation  de  mon  prédéces- 
seur, M.  Jonnart,  rappelée  à  la  tribupe  par  M.  Waldeck-Rousseau  : 

«  En  voulant  appliquer  sans  ménagement,  sans  transition,  la  plupart  de 
«  nos  lois,  nos  règlements,  notre  procédure  aux  populations  indigènes, 
«  nous  avons  commis  une  faute  dont  les  conséquences  pèsent  lourdemeot 
«  sur  la  situation  actuelle  et  que  nous  devons  nous  appliquer  à  réparer.  » 
{Très  bien!  très  bien  I  à  gaiiche.) 

La  seconde  catégorie  d'adversaires  que  rencontre  l'institution  des  tri- 
bunaux répressifs,  ce  sont  les  hommes  de  loi,  les  hommes  d'aCTaires, 
atteints  dans  leurs  intérêts  professionnels,  intérêts  assurément  respectables, 
mais  qui  sont  loin  d'être  solidaires  avec  les  véritables  intérêts  des  indi- 
gènes. 

Je  ne  veux  pas  reprendre  dans  le  détail  la  défense  de  ces  tribunaux  après 
les  discours  si  précis  et  si  convaincants  que  vous  avez  entendus;  cependant 
je  tiens  à  relever  brièvement  quelques-unes  des  accusations  portées  contre 
eux  par  M.  Albin  Rozet  et  par  M.  Berthet. 

Il   serait  difficile   d'accuser  M.  Albin   Rozet  de   négligence  après  la 
démonstration  qu'il  a  faite,  à  cette  tribune,  des  procédés  méthodiques, 
patients  et  minutieux  d'investigation  et  de  critique  qu'il  a  employés  contre 
les  tribunaux  répressifs.  Nous  sommes  donc  fondés  à  croire  qu'il  nous  a 
dit  des  tribunaux  répressifs  à  peu  près  tout  le  mal  qu'on  peut  en  dire... 
(Mouvements  divers,) 
M.  Albin  Rozet.  —  Il  y  a  bien  des  choses  que  je  n'ai  pas  dites. 
H.  le  commissaire  du  gouvernement.  —  Et  je  suis  amené  à  opposer 
d'abord  à  son  réquisitoire  un  argument  peut-être  un  peu  primaire,  un  arri- 
ment de  statistique  qui  a  cependant  bien  son  éloquence. 
105  tribunaux  répressifs  ont  rendu,  depuis  le  !•'  juin  dernier  jusqu'au 


LES  TRIBUNAUX  RÉPRESSIFS  EN  ALGÉRIE  519 

31  décembre,  plus  de  1.000  jugements  par  mois,  soit  environ  1.200  déci- 
sions ;  et  M.  Albin  Hozet  a  relevé  contre  ces  décisions  de  justice  une  ving- 
taine de  griefs.  Et  il  a  poursuivi  pendant  quarante -cinq  jours,  dans  les 
principales  localités  de  l'Algérie,  une  enquête  au  cours  de  laquelle  tous  les 
cartons  des  parquets  et  de  l'administration  lui  ont  été  ouverts;  et  il  reste 
en  relation  avec  des  correspondants  nombreux  et  vigilants,  qui  poursuivent 
après  lui  et  pour  son  compte  une  enquête  qui,  de  ce  fait,  M.  Rozet  Ta  dit 
lui-même  à  la  tribune,  dure  depuis  près  de  neuf  mois. 

J'ai  tenu  à  vérifier  les  griefs  relevés  par  M.  Rozet  et  j'ai  constaté  que, 
sur  dix-neuf  faits,  douze  sont  inexacts  ou  incomplètement  rapportés,  quatre 
ont  trait  à  des  jugements  infirmés  en  appel  —  ce  qui  arrive  à  toutes  les 
juridictions  —  deux  sont  exacts  et,  pour  le  dernier,  il  s'agit  d'une  irrégula- 
rité de  procédure. 

En  vérité,  messieurs,  y  a-t-il  là  matière  à  faire  le  procès  d'une  juridiction 
et  à  prononcer  contre  elle  la  condamnation  impitoyable  que  M.  Albin 
Rozet  vous  demande  de  sanctionner  ? 
M.  Etienne.  —  Très  bien  ! 

M.  le  commissatre  du  gouTemement.  —  On  s'est  également  indigné 
de  la  composition  de  ces  tribunaux  ;  d'un  mot  pittoresque  et  sévère, 
M.  Albin  Rozet  les  a  traités  de  camelote  de  tribunaux.  Cette  critique  me 
paraît  tout  à  fait  injuste. 
M.  Bontard.  —  Il  y  a  la  bonne  et  la  mauvaise  camelote.  (On  nt.) 
M.  Albin  Rozet.  —  La  camelote  ne  dure  jamais. 
M.  le  oommissalre  dn  gouvernement.  —  Cette  critique  me  paraît,  je 
le  répète,  tout  à  fait  injuste.  Est-ce  donc  un  tribunal  si  mal  composé  qu'un 
tribunal  présidé  par  un  magistrat  de  carrière  assisté  de  deux  notables,  l'un 
Français  et  l'autre  indigène,  ayant  du  milieu  et  des  justiciables  une  con- 
naissance approfondie  ;  l'un  d'eux,  l'assesseur  indigène,  pouvant  éclairer 
le  tribunal  sur  la  mentalité  spéciale  de  ses  coreligionnaires,  et  apporter 
une  garantie  de  plus  —  ce  qui  a  bien  sa  valeur  —  à  l'interprétation  des 
(lires  et  de  la  défense  du  prévenu;  l'action  publique  mise  aux  mains  d'un 
fonctionnaire  comme  l'administrateur,  très  au  courant  de  tous  les  faits  qui 
!>e  passent  dans  le  ressort  du  tribunal  et  connaissant  bien  la  population 
indigène  qu'il  administre? 

On  a  proposé  à  cette  tribune  de  remplacer  les  administrateurs  par  des 
suppléants  de  juges  de  paix.  On  a  proposé  de  créer  pour  ces  suppléants  un 
stage  auprès  du  parquet  de  la  cour,  stage  qui  leur  donnera,  des  coutumes 
et  des  lois  spéciales  aux  indigènes,  une  connaissance  approfondie. 

Messieurs,  j'attendrai  que  ces  écoliers  aient  fait  leurs  preuves  pour  les 
préférer  aux  administrateurs,  et  je  vous  demande  la  permission  de  rendre 
en  passant  hommage  à  cette  vaillante  phalange  d'administrateurs  de 
l'Algérie,  dont  le  mandat  est  souvent  si  diiUcile  à  remplir,  qui  doivent 
avoir  des  qualités  exceptionnelles  d'endurance,  de  tact,  de  probité  scrupu- 
leuse pour  vivre  au  milieu  des  indigènes,  pour  exercer  sur  eux  l'autorité 
qui  leur  convient,  satisfaire  en  même  temps  aux  besoins  de  la  population 
européenne  et  assurer  l'accord  permanent  entre  l'indigène  et  le  colon. 
^Applaudissements  à  gauche.) 
h  crois  que  vous  vous  associerez  à  moi  pour  envoyer  de  cette  tribune  à 


r 


520  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLOPHAIES 

I  ces  modestes  et  précieux  collaborateurs  du  gouvernement  de  la  colonie, 

i  rhommage  et  les  remerciements  qui  leur  sont  dus.  {Applaudissements.) 

l  Quant  au  choix  des  juges,  auquel  on  n*a  pas  davantage  épargné  la  cri- 

tique, je  me  bornerai  à  invoquer  le  témoignage  rendu  en  leur  faveur  par 
M.  le  procureur  général  près  la  cour  d'appel  d'Alger  : 
«  La  composition  des  tribunaux  répressifs,  écrit  ce  haut  magistrat,  est 
t  tt  Tobjet  de  très  vives  critiques...  » 

K  M.  Albin  Rozet.  —  Je  demande  la  parole.  (Exclamations  sur  divers 

■^  bancs.) 

i  M.  le  oomxoissaire  du  grouvèrnement.  —  M.  Albin  Rozet  a  cité,  je 

y  crois,  à  cette  tribune  des  passages  d'un  rapport  de  M.  le  procureur  général. 

^'  Je  lui  demande  de  ne  pas  garder  le  monopole  de  ces  citations  et  de  per- 

J  mettre  au  gouverneur  général  de  TAlgérie  d'invoquer  le  témoignage  au 

i,  chef  du  parquet  qui  échappe  complètement  à  son  autorité  et  qui  jouit  de  la 

plus  complète  indépendance. 
!  «  Voici  en  réalité,  dit  le  procureur  général,  comment  se  font  les  nomi- 

['  a  nations  des  assesseurs  par  le  gouverneur  général  : 

y  «  Le  préfet  propose  les  candidats,  choisis  parmi  les  fonctionnaires  ou 

i  '<  notables.  L'honorabilité,  les  aptitudes,  l'indépendance  de  ces  candidats 

«  sont  appréciées  d'abord  par  le  juge  de  paix  du  canton,  puis  par  le  pro- 
^  «  cureur  de  la  République,  et  enfin  par  moi-môme.  Et  ce  n'est  qu'au  vu  de 

«  ces  diverses  appréciations,  et  je  peux  ajouter  en  tenant  compte  des  obser- 
«  vations  faites  par  ces  magistrats,  que  le  gouverneur  général  rend  son 
«  arrêté  nommant  le  titulaire  et  les  deux  suppléants  français  ou  indigènes. 
(  «  J'ai  dit  dans  mes  précédents  rapports  que  les  choix  ainsi  faits  par 

«(  l'administration  me  paraissaient   présenter  toutes  les  garanties  dési- 
«  râbles.  » 

Et  le  procureur  général  en  donne  le  meilleur  témoignage  quaad  û 
ajoute  : 

«  Presque  partout  les  juges  de  paix  et  mes  substituts  ont  demandé  que 
«  les  assesseurs  de  1902  fussent  maintenus  en  fonctions  pour  1903.  »  {Très 
«  bien!  très  bien!  sur  divers  bancs.) 

On  a  également  critiqué  le  procédé  de  citation  adopté  à  l'égard  des  indi- 
gènes. Je  crains  qu'il  ne  se  soit  produit  une  confusion  —  je  ne  voudrais 
pas  dire  dans  l'esprit  de  M.  Flandin,  qui  a  des  choses  de  la  justice  une 
expérience  de  beaucoup  supérieure  à  la  connaissance  que  je  puis  en 
avoir,  —  je  crains  qu'on  ne  se  soit  mépris  sur  la  véritable  portée  et  sur  le 
sens  de  ces  mots  :  «  citation  verbale.  » 

Voici  à  cet  égard  ce  que  dit  encore  le  procureur  général  dans  un  rap- 
port : 

«  L'article  7  généralise  ce  qui  se  pratique  au  petit  parquet  en  matière  de 

«  flagrant  délit.  Le  prévenu  peut  être  cité  verbalement  par  l'officier  du 

«  ministère  public  qui  vient  de  l'interroger.  J'entends  que  cette  citation 

«  doit  se  trouver  mentionnée  au  bas  de  l'interrogatoire  avec  la  signature  du 

«  prévenu  et  de  l'oflBcier  du  ministère  public. 

l  «  Dans  ces  conditions,  je  ne  m'explique  pas  les  critiques  dont  ce  mode 

fa^  «  de  citation  verbale   a  été  l'objet.  L'intervention  et  la  déclaration  de 

Kfe-  «  Toflicier  du  ministère  public  en  présence  du  prévenu...  » 

I 


LES  TRIBUNAUX   RÉPRESSIFS  EN   ALGÉRIE  521 

M.  Albin  Rozet.  —  Il  n'y  a  aucun  rapport  ! 

M.  le  commissaire  du  gouvernement.  —  «...  en  présence  du  prévenu 
ff  lui-même,  sont  de  nature  à  inspirer  au  moins  autant  de  confiance  que  la 
«  mention  souvent  erronée  inscrite  par  Thuissier  dans  son  exploit  de  cita- 

<  tioo. 

«  Mais  il  importe  de  ne  pas  confondre  la  citation  verbale  autorisée  par 
A  l'article  7  avec  l'avertissement  écrit  qu'un  agent  intermédiaire  se  charge 

<  plus  ou  moins  fidèlement  de  remettre  à  la  personne  ou  au  domicile  du 
n  prévenu. 

«  Devant  le  tribunal  répressif,  comme  devant  le  tribunal  correctionnel, 

0  ce  n'est  là  qu'une  tentative  pour  prévenir  les  frais  d'une  citation.  Mais 
a  sur  ce  simple  avertissement,  le  prévenu  qui  ne  comparait  pas  ne  saurait 
<i  être  condamné  par  défaut  et  le  ministère  public  ne  peut  que  demander 

*  le  renvoi  pour  faire  citer  régulièrement.  » 

H.  Albin  Rozet.  —  Ce  n'est  pas  dans  le  texte. 

H.  le  commissaire  du  gouTernement.  —  M.  Flandin  a  invoqué  à 
rencontre  des  tribunaux  répressifs  l'opinion  de  M.  Laferrière  et  j'avoue 
que  j'ai  éprouvé  une  vive  émotion  à  la  pensée  qu'un  homme,  qui  s'était 
acquis  un  si  juste  renom  en  matière  de  droit,  avait  condamné  une  insti- 
tution que  j'étais  appelé  à  défendre  devant  vous. 

Je  me  suis  reporté  aux  déclarations  de  M.  Laferrière  devant  les  délé- 
gations financières,  et  je  vous  demande  la  permission  de  les  rappeler;  elles 
renferment  son  opinion  motivée  sur  la  juridiction  répressive  nécessaire 
pour  les  délits  indigènes.  Voici  ce  que  je  relève  dans  les  procès- verbaux 
«les  délégations  financières,  réunion  plénière  du  vendredi  30  décembre  1898  : 

«  M.  le  gouverneur  général  déclare  qu'il  a  tenu  à  entendre  toutes  les 
«  discussions  qui  viennent  de  se  produire;  c'était  pour  lui  un  moyen  de 
«  s'instruire,  de  s'éclairer  et  de  rendre  aussi  plus  profitables  les  obser- 
«  valions  qu'il  voulait  soumettre  à  l'assemblée. 

«  La  principale  difficulté  que  présente  la  solution  de  la  question  de  la 
«  sécurité  provient  de  ce  fait  qu'il  importe  de  concilier  deux  idées  diffici- 
«  lement  conciliables  :  il  faut  ménager  d'une  part  les  principes  de  notre 

1  droit  national  relatifs  aux  lois  d'instruction  criminelle  et,  d'autre  part, 
1  les  besoins  spéciaux  de  l'Algérie  tenant  à  la  nature  particulière  des 
«  délinquants  à  atteindre  et  au  milieu  où  ils  commettent  leurs  exploits... 

«  En  ce  qui  touche  la  question  des  pénalités,  M.  le  gouverneur  général 
«  constate  qu'il  y  a  accord  pour  reconnaître  que  le  sentiment  qui  fait  con- 
«  s«idérer  en  France  l'emprisonnement  comme  une  peine  n'existe  pas  chez 
a  Vindigène.  Ce  qui  est  pour  nous  une  pénalité  constitue  pour  eux  un 

•  repos,  une  douce  oisiveté..    »  (Mouvements  divers.) 
M.  Etienne.  —  C'est  l'exacte  vérité. 

K.  le  commissaire  du  gouvernement  —  Je  place  ces  paroles  sous  la 
protection  de  la  haute  autorité  de  celui  qui  les  a  prononcées  et  je  prie  la 
Chambre  d'observer  que  c'est  une  citation  que  je  poursuis  : 

■  Ce  qui  est  pour  nous  une  pénalité  constitue  pour  eux  une  douce  oisi- 
«  veté.  Il  convient  donc  de  demander  à  la  métropole  de  substituer  à 
■  l'emprisonnement  oisif  l'obligation  d'un  travail  fécond  pour  le  pays  et 

<  qui  fera  de  Tindigène  coupable  le  collaborateur  forcé. du  colon  qu'il  aura 
«  voulu  dépouiller. 


i 


522  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLOMIALES 

m  Telle  est  la  première  revendication  sur  laquelle  il  e&t  possible  d'obtenir 
9  satisfaction. 

«  Sur  la  question  de  juridiction,  M.  le  gouverneur  général  fait  ressortir 
«  qu'il  y  a  également  accord  pour  dire  que  la  justice  répressive  doit  être 
«  prompte  et  expéditive,  deux  conditions  qui  ne  peuvent  être  réalisées 
«  qu'avec  une  nouvelle  procédure  pénale.  Cette  procédure  devra  supprimer 
«  le  droit  d'appel  afin  d'éviter  que  le  condamné,  au  lieu  de  subir  immé- 
<  diatement  sa  peine,  use  de  moyens  dilatoires,  et  se  trouve  pendant  de 
«  longs  jours  ou  même  des  mois,  transporté  de  geôle  en  geôle  aux  frais  de 
w.  rÉtat. 

«  Le  droit  d'appel  n'existe  pas  devant  le  jury.  >* 

M.  Albin  Rozet.  —  Ce  n'est  pas  le  jury. 

M.  le  oommiasaire  du  gronvernement.  —  Je  vous  prie,  messieurs,  de 
croire  que  je  n'apporte  pas  de  citations  tronquées  pour  les  besoins  de  ma 
cause.  Je  prends  dans  les  déclarations  de  M.  le  gouverneur  général  L.afer- 
rière  tout  le  développement  de  sa  pensée. 

Je  demande  à  la  Chambre  de  faire  aux  paroles  de  M.  Laferrîère  le  même 
crédit  d'attention  qu'elle  veut  bien  faire  aux  miennes  qui  en  sont  certai- 
nement beaucoup  moins  dignes. 

«  Le  droit  d'appel  n'existe  pas  devant  le  jury,  et  c'est  en  s'inspirant  de 
«  ce  fait  que  M.  le  gouverneur  général  avait  pensé  à  l'institution  d'un  jury 
a  cantonad.  11  reconnaît  que  des  objections  graves  ont  été  formulées  contre 
«  cette  institution.  Mais  il  croit  qu'en  amendant  les  propositions  pré- 
0  sentées  on  pourrait  obtenir  des  pouvoirs  publics  une  juridiction  en  der- 
«  nier  ressort.  Il  suffirait  en  effet  de  transformer  le  tribunal  correctionnel 
»  en  tribunal  criminel  spécial,  et  d'accompagner  ce  cliangement  de  nom 
«  d'une  légère  modification  à  la  composition  de  ce  nouveau  tribunal.  » 

Nous  sommes  loin,  vous  le  voyez,  du  jury  qui  parait  à  certains  légistes 
la  seule  juridiction  qui  ne  comporte  pas  d'appel. 

«  M.  le  gouverneur  général  estime  que,  dans  une  préoccupation  de  corn- 
«  pétence  et  de  haute  justice,  ce  tribunal  gagnerait  à  l'adjonction  de  deux 
«  éléments  visant  précisément  le  justiciable  indigène,  et  comprenant  l'un 
M  l'administrateur...  »  —  M.  Laferrière  n'écartait  pas,  vous  le  voyez,  le 
concours  de  ce  fonctionnaire  —  «...qui  vit  en  contact  journalier  avecl'indi- 
(c  gène  et  connaît  bien  ses  mœurs  et  ses  habitudes,  et  l'autre  un  assesseur 
«  musulman,  qui  serait  un  cadi,  un  adjoint  indigène  ou  notable,  représen- 
«  tant  la  race  à  laquelle  appartient  le  justiciable.  Celte  collaboration  ne 
tt  doit  pas  être  repoussée,  car  si  tout  le  monde  a  trouvé  juste  en  France 
«  l'institution  de  la  délégation  indigène,  on  ne  s'étonnerait  nullement  de 
a  voir  introduire  un  indigène  dans  la  composition  du  nouveau  tribunal.  » 

Il  ne  s'agit  donc  plus  ici  ni  du  jury,  ni  d'une  juridiction  semblable  au 
jury.  Cela  est  tellement  vrai  qu'après  avoir  entendu  M.  le  gouverneur 
général  Laferrière,  les  délégations  financières  émirent  le  vœu  de  voir  orga- 
niser une  juridiction  spéciale  de  canton,  connaissant,  en  dernier  ressort, 
de  tous  les  délits  autres  que  les  délits  contraventionnels.  L'instruction  et 
la  poursuite  devant  la  juridiction  de  canton  se  feraient  comme  en  matière 
de  flagrant  délit.  Elles  seraient  confiées,  sous  la  surveillance  du  sous-préfet 
de  l'arrondissement,  aux  administrateurs  adjoints  désignés  à  cet  effet 
chaque  année  par  l'autorité  compétente. 


Les  tribunaux   répressifs  en  ALGÉRIE  5Ï3 

Je  puis  donc  dire  que  le  premier  promoteur,  le  premier  inspirateur  de^ 
tribunaux  répressifs  est  M.  le  gouverneur  général  Laforrière.  {Applaudis- 

Admettrait-on  même  comme  fondées  les  critiques  dont  je  viens  de  réfuter 
une  large  part,  ce  que  personne  ne  peut  nier  et  ne  conteste,  ce  sont  leô 
avantages  que  les  tribunaux  répressifs  ont  procurés,  dans  les  termes 
mêmes  où  la  Chambre  le  demandait,  en  assurant  une  prompte  et  utile 
répression  des  délits  commis  par  les  indigènes,  en  rapprochant  le  juge 
correctionnel  du  justiciable  et  en  permettant  de  rendre  la  peine  effective 
eî  efficace  par  ^obligation  du  travail. 

M.  Edouard  Vaillant.  —  Le  travail  à  bon  marché  pour  le  colon  ! 

M.  le  commissaire  du  gronvernement.  —  Il  se  peut  que  l'institution 
«oit  susceptible  de  certains  perfectionnements;  mais  elle  doit  être  main* 
tenue  dans  son  principe  et,  en  général,  dans  son  organisation  si  Ton  ne 
veut  pas  décourager  les  travailleurs  indigènes  honnêtes  et  les  colons  dont 
l'etfort  prodigieux,  suivant  la  belle  expression  de  M.  Jonnart,  a  contribue, 
à  l'égal  du  sang  de  nos  soldats,  à  nous  assurer  des  droits  imprescriptibles 
sur  la  terre  algérienne. 

On  a  encore  reproché  à  mon  administration  deux  actes  que  je  vous 
demande  la  permission  de  défendre  et  de  justifier  devant  vous. 

Le  premier  de  ces  actes,  c'est  la  circulaire  que  j*ai  adressée  le  21  août 
(l»'mier  aux  préfets  des  trois  départements  algériens  au  sujet  de  la  bêcha ra. 

J'emprunte  la  définition  de  la  béchara  à  un  rapport  de  M.  Isaac  au 
S*'aat. 

-  Des  voleurs  dévalisent  une  ferme,  dit  M.  Isaac,  s'emparent  des  ani- 

•  maux  ou  du  matériel,  les  transportent  au  loin  et  les  mettent  en  lieu  sûr. 
.  •  Les  investigations  de  la  police  locale  demeurent  vaines  :  personne  ne 

'  connaît,  personne  n*a  vu  les  voleurs.  Puis  l'un  d'eux  ou  un  intermé- 
«  diaire,  le  béchir,  va  trouver  le  propriétaire  dépouillé  et  lui  propose  de  le 

•  faire  rentrer  en  possession  de  ce  qu'il  a  perdu,  à  la  condition  qu'il  ver* 
«  sera  une  somme  d'argent,  la  béchara;  ToUre  acceptée,  le  propriétaire  ^& 
'  rend  avec  la  somme  promise  dans  un  endroit  écarté  qui  lui  est  indiqué» 

•  il  paye  la  rançon  et  on  lui  remet  les  objets  et  les  animaux  qui  lui  appar- 
«  tiennent.  » 

Je  compléterai  cette  définition  de  la  béchara  par  l'appréciation  de  l'inter- 
pellaieur  M.  Albin  Rozet  qui  la  qualifie  «  d'industrie  de  coquins  ». 

H  parait  que  la  loi  est  impuissante  à  punir  cette  industrie;  les  arrêts  de 
la  cour  d'Alger  le  proclament^ non  sans  en  exprimer  le  regret.  Il  m'a 
semblé  que  c'était  là  un  des  cas  où  l'administration  pouvait  faire  Tusage  le 
plus  légitime  de  ses  pouvoirs  disciplinaires,  et  j'estime  que  j'aurai  rendu 
UQ  grand  service  au  bon  ordre  et  à  la  sécurité  parmi  les  populations  rurales 
<ie  l'Algérie  en  sévissant  contre  le  béchir  qui  ne  peut  être,  en  fait,  que  le 
complice  du  voleur,  si  ce  n'est  le  voleur  lui-même.  {Très  bien!  très  bieti!) 

Le  second  des  actes  du  gouverneur  général  qu'on  a  critiqué,  c'est  la  cir- 
culaire que  j'ai  adressée  le  31  octobre  dernier  aux  préfets  des  trois  dépar* 
tements  algériens  au  sujet  des  litiges  qui  s^élèvent  entre  les  indigènes.  On 
y  1  vu  une  tentative  d'empiétement  sur  la  justice  et  de  substitution  de 
l'autorité  administrative  au  pouvoir  judiciaire.  L'accusation  me  parait  si 


i 


524  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONULES 

injuste,  elle  me  semble  témoigner  de  telles  préventions  que  je  ne  veux, 
pour  défendre  le  document  incriminé,  que  vous  en  lire  le  texte  : 

«  Le  gouverneur  de  V  Algérie  aiuc  préfets  S  Alger,  cTOran 
et  de  Cotistantine, 

a  Un  grand  nombre  d'indigènes  s'adressent  à  Tadministration  pour  lui 
«  demander  de  trancher  des  litiges  dont  la  solution  ressortit  normalemenr 
»  aux  tribunaux  :  c'est  ainsi  que  les  différents  services  administratifs  sont 
«  journellement  saisis  de  réclamations  relatives  à  des  successions,  à  des 
u  contrats  entre  propriétaires  et  khammès,  à  des  locations,  des  ventes  ou 
«  des  antichrèses  concernant  des  terrains  melk  ou  soumis  à  laloî^^ançai:^e, 
«  etc.  Jusqu^à  ce  jour,  les  autorités  locales  ont,  en  règle  générale,  refusa 
«  leur  intervention  et   renvoyé  les  parties  devant  la  juridiction  civile. 

«  Une  telle  abstention,  bien  que  rigoureusement  conforme  aux  prio- 
«  cipes  de  notre  organisation  administrative,  me  paraît  offrir  de  graves 
«  inconvénients.  Elle  ne  peut,  à  mon  avis,  que  développer  chez  nos  sujet? 
«•  musulmans  des  tendances  fâcheuses.  Il  a  été  constaté  que  les  indigènes 
(t  ont  maintes  fois  été  victimes  de  leur  esprit  processif  et  de  leur  inexpé- 
«  rience,et  parfois  ruinés  par  des  instances  imprudemment  engagées  ou 
«  occasionnant  des  frais  disproportionnés  avec  la  valeur  de  l'objet  liti- 
w  gieux. 

«  L'administration  ne  saurait  se  désintéresser  de  cet  état  de  choses  qui, 
«  dans  certaines  régions,  a  eu  une  répercussion  sur  l'état  économique  de 
«  la  population  indigène  et  sur  la  sécurité  générale;  j'estime  qu'elle  puise 
«  dans  le  devoir  de  protection  qui  lui  incombe  le  droit  d'intervenir  ai 
«  moins  par  ses  conseils. 

«  Puisque,  avant  de  se  résoudre  à  plaider  devant  les  tribunaux,  les  indi- 
«  gènes  s'adressent  souvent  soit  à  l'autorité  locale,  soit  à  la  préfecture,  soii 
«  au  gouverneinent  général,  j'estime  qu'il  y  a  lieu  de  toujours  écouter  et 
«  d'examiner  leurs  plaintes,  et  de  s'attacher  à  donner  une  solution  à  leurs 
K  différends,  sans  trop  s'arrêter  à  des  spécialisations  de  pouvoirs  qui  ne 
«  leur  sont  pas  familières. 

<(  Il  n'est  pas  douteux  que  les  administrateurs  et  les  maires  arriveraient 
«  très  fréquemment,  par  leur  influence,  à  les  concilier  et  à  leur  éviter  de? 
t  frais  inutiles  ;  à  la  rigueur,  du  reste,  ils  peuvent  trouver  dans  l'arbitrage. 
«  tel  qu'il  est  organisé  par  les  articles  1003  et  suivants  du  Code  de  procé- 
«  dure  civile,  un  moyen  légal  et  peu  onéreux  pour  les  plaideurs  de  donner 
a  une  sanction  juridique  à  leur  sentence. 

«  Je  serais  très  heureux  de  voir  les  représentants  de  l'administration 
«  exercer  ce  rôle  de  conseils  et  de  conciliateurs  lorsqu'il  leur  sera  de- 
«  mandé.  » 

J'en  appelle,  messieurs,  à  votre  esprit  de  justice;  y  a-t-il  là  autre  chos? 
que  le  témoignage  d'une  sollicitude  éclairée  et  vigilante  à  Tégard  des  indi- 
gènes? {Applaudissements.) 

Messieurs,  je  vous  ai  exposé,  avec  une  entière  sincérité  et  le  plus  de 
clarté  possible,  les  actes  de  mon  administration  pour  répondre  aux  accu- 
sations dont  elle  avait  été  l'objet.  Permettez-moi,  avant  de  terminer  ces 
explications^  et  pour  mieux  rassurer  vos  consciences,  d'envisager  devant 


LES   TRIBUNAUX   RÉPRESSIFS  EN  ALGÉRIE  535 

vous  à  un  point  de  vue  plus  général  et  plus  élevé  la  question  qui  vous 
préoccupe  si  légitimement,   c'est-à-dire   la   condition  des    indigènes  en 
Algérie. 
x\vous-nous  manqué  à  nos  devoirs  vis-à-vis  des  indigènes  algériens  ? 
X.  ikloaard  Taillant.  —  Oui. 

M.  le  oommissalre  du  groavernement.  —  Qu'est-ce  que  la  République 
a  fait  deux  depuis  qu'elle  en  a  la  charge? 
A  Vextréme  gauche.  —  Elle  les  a  opprimés, 

K.le  commissaire  du  gouvernement.  —  Les  chiffres,  messieurs,  vont 
faire  justice  de  ce  reproche. 

£d  1872,  ils  étaient,  d'après  les  statistiques  officielles,  2  millions;  ils 
ioni  4  millions  aujourd'hui.  N'est-ce  pas  le  premier  signe  que  le  régime 
?oos  lequel  ils  vivent  n'est  pas  un  régime  d'oppression? 

L'Arabe  et  le. Kabyle  sont  des  races  prolifiques  ;  elles  étaient  jadis  conte- 
nues normalement,  réduites  à  ne  jamais  progresser  en  nombre  par  la  famine 
et  par  la  guerre.  Ce  qui  se  passe  au  Maroc  nous  est  le  spectacle  de  ce  qui 
se  passait  en  Algérie,  de  ce  qui  s'y  passerait  si  nous  en  partions. 

La  paix  française  a  tué  la  famine  et  la  guerre;  elle  a  même  rendu  impos- 
sible ces  «  nefra  »,  querelles  sanglantes  qui  désolaient  périodiquement  les 
marchés  publics.  Notre  puissant  appareil  économique,  nos  institutions, 
notre  bienfaisance  ont  rendu  la  famine  impossible. 

De  grands  empires  voudraient  bien  avoir  résolu  au  même  degré  de  dou- 
loureux problèmes.  (Applaudissements.) 

K.  Charles  Damont.  —  Nous  pouvons,  sans  craindre  de  comparaison, 
opposer  l'Algérie  à  l'Inde,  {Très  bien!  très  bien!) 

K.  le  commissaire  dn  gouvernement.  —  Les  indigènes  vivent  et  pro- 
'  gressent  en  nombre;  prospèrent-ils? 

A  entendre  certains  polémistes,  il  semblerait  qu'avec  le  droit  de  s'entre- 
tuer  nous  leur  ayons  ôté  le  moyen  de  vivre,  retiré  les  meilleures  terres, 
clos  les  forêts,  imposé  l'obligation  de  vivre  plus  nombreux  sur  un  domaine 
plus  réduit.  Des  terres?  Il  est  exact  que  nous  en  occupons  1.500.000  hec- 
tares. Nous  en  tirons  pour  60  millions  de  vin,  pour  100  millions  de  céréales, 
pour  25  millions  de  fruits  et  légumes.  Nous  faisons  surtout  vivre  sur  ce  sol 
—  sauvegarde  et  fierté  de  notre  empire  —  un  peuple  de  cultivateurs  fran- 
';ais. 
Mais  qu'étaient  ces  terres? 

11  y  avait  d'abord  les  grandes  plaines  des  régions  du  littoral  ;  les  indi- 
gènes, sans  cesse  en  proie  à  des  luttes  intestines  ou  sous  le  coup  d'exactions 
mineuses,  d'ailleurs  incapables  de  tirer  parti  d'un  sol  profond  et  humide, 
les  avaient  entièrement  délaissées  ;  c'est  l'  «  infecte  Métidja  »,  comme  disait 
Berthezène,  couverte  de  marais,  infestée  de  fièvres,  et  parcourue  par  les 
seules  razzias  des  Hadjoutes;  aujourd'hui  notre  joyau,  l'honneur  de  l'agri- 
culture algérienne;  c'est  ensuite  la  plaine  de  Bône;  ce  sont  les  coteaux  de 
rOranie,  presque  déserts  lors  de  notre  arrivée,  aujourd'hui  habités  par  une 
population  européenne  admirable  de  travail  et  de  prospérité. 

Ce  sont  ensuite  de  grandes  régions  pastorales  et  forestières  très  médio- 
crement peuplées,  peu  ou  mal  cultivées,  où  le  domaine  et  le  service  fores- 
tier ont  constitué,  au  bénéfice  de  l'Etat  ou  de  la  colonisation,  d'importants 


526  QUESTIONS    DIPLOHATIQUKS    KT   COLONIALES 

territoires  ;  ce  sont  le  riche  plateau  du  Tessala,  grenier  de  TOranie;  la  foré, 
du  Lelaghy  grande  comme  un  département  français,  et  dans  laquelle  plus 
de  dix  centres  sont  déjà  installés  ou  en  voie  de  création  ;  le  plateau  du 
Serson  à  la  limite  du  département  d'Alger  et  d'Oran;  puis  des  terres  pro- 
venant du  séquestre  à  la  suite  de  la  sanglante  insurrection  de  \S1\,  seul 
moyen  décisif  et  éloquent  de  répression  dont  personne,  messieurs,  n'oserait 
contester  la  nécessité. 

Enfin,  pour  la  part  de  beaucoup  la  plus  faible,  des  terres  achetées  aux 
indigènes.  Voilà  ce  qu'a  enlevé  aux  indigènes  la  colonisation  officielle. 

Voyons  maintenant,  puisque  la  question  a  été  posée  par  un  des  précé- 
dents orateurs,  dans  quelles  conditions  les  terres  «ont  achetées  aux  indi- 
gènes. 

Pendant  un  certain  temps,  on  a  procédé  par  expropriation  forcée.  Au- 
jourd'hui, les  terres  sont  acquises  uniquement  à  l'amiable.  A  quel  prix? 
Elles  sont  payées  soit  en  argent,  soit  en  terres,  mais  en  terres  de  préfé- 
rence. Avec  quelles  conséquences  pour  les  indigènes  ?  Le  plus  fo^nd  nombrf 
est  réétabli  et  quelquefois  plus  avantageusement;  il  se  peut  évidemmeci 
qu'il  subsiste  quelques  déracinés  ;  l'administration  n'oublie  i>as  qu'elle  a 
pour  mission  d'en  diminuer  le  nombre  le  plus  possible;  et  je  vous  demande, 
messieurs,  la  permission  de  faire  passer  sous  vos  yeux  les  conclusions  d'une 
circulaire  que  j'adressais  il  y  a  quelque  temps  aux  préfets  et  aux  adminis- 
trateurs à  cet  égard. 

«  C'est  le  devoir  des  administrateurs,  disais-je,  de  s'assurer  que  les  opê 
«  rations  de  recasement,  de  réétablissement  des  indigènes  se  sont  effectuées 
u  régulièrement;  que  les  ouvrages,  chemins  ou  points  d'eau  indi6pen5aUe> 
«  à  l'existence  de  la  collectivité  déplacée  ne  font  pas  défaut;  que  chaque 
«  intéressé  est  en  possession  de  la  terre  de  culture  à  laquelle  il  avait  droit 
«  ou  a  reçu  en  numéraire  le  prix  de  celle  qu'il  a  cédée,  et  que  toute  récla-  . 
«  mation  légitime  a  obtenu  satisfaction. 

w  De  môme,  je  voudrais  que  les  administrateurs,  conscients  de  la  néca*^- 
«  site  de  no  pas  laisser  se  former  à  la  suite  de  ces  opérations  un  prolétariat 
«  de  déracinés,  prévinssent  les  indigènes  ayant  touché  de  l'argent  contre 
«  des  entraînements  irréfléchis,  on  leur  donnant  des  indications  utile> 
«  pour  leur  permettre  d'acheter  d'autres  terres  et  de  s'y  installer  rapide-   • 
'<  ment.  Leur  connaissance  parfaite  des  mœurs  des  indigènes  et  de  leurs   { 
<<  besoins,  ainsi  que  des  ressources  en  terre  qu^offre  la  commune  mixte,  ne   j 
*  pourra  qu'accroître  la  valeur  et  l'autorité  de  leurs  conseils.  i 

«  Cette  mission,  où  la  sollicitude  et  l'ingéniosité  de  l'administration  peu-    , 
«  vent  se  manifester  sous  tant  de  formes,  je  désire  de  la  façon  la  plus  for- 
«  melle  qu'elle  ne  soit  pas  négligée,  et  je  vous  saurai  gré  de  m'en  rendn» 
«  compte  par  des  rapports  circonstanciés  se  référant  à  chaque  création  de    , 
«  centre.  » 

La  création  de  centres  constitue  d'ailleurs  une  brusque  transformation 
de  pays  à  laquelle  les  indigènes  sont  inévitablement  associés.  Il  se  peui 
qu'elle  les  effarouche  parfois  ;  et  il  est  certain  qu'elle  peut  entraîner  pour 
eux  quelque  gêne;  lorsque  l'indigène  voit  se  constituer  près  de  lui  la  pro- 
priété européenne,  qu'il  voit  le  soin  que  le  colon  met  à  clore  son  champt 
il  se  prend  à  apprécier  lui-même  ces  utiles  précautions,  et  le  même  pro- 


LES   TRIBUNAUX   RÉPRESSIFS   EN   ALGÉRIE  527 

priétaire,  qui  se  montrait  jadis  très  indulgent  et  très  libéral  pour  la  vaine 
pâture,  met  aujourd'hui  des  clôtures  à  son  champ-  et  supprime  ainsi  à  ses 
coreligionnaires  une  ressource  que  consacrait  l'usage. 

Il  appartient  à  l'administrateur  de  rassurer  les  indigènes  et  de  leur  mon- 
trer quels  avantages  appréciables  ils  tirent  ;de  la  création  d'un  centre  ; 
amélioration  des  voies  de  communication,  marché  élargi  pour  la  vente  des 
[troduits  de  leurs  terres  et  surtout  salaires  mis  à  leur  portée. 

Et  pour  vous  rendre  compte  de  l'importance  de  ces  salaires,  permettez- 
moi  de  vous  citer  quelques  chiflres. 

L'hectare  de  broussailles,  qui  ne  rapportait  pas  5  francs  par  an  à  l'indi- 
gène, coûte,  planté  en  vignes,  comme  culture  annuelle  à  l'Européen,  de 
4  à  500  francs,  sur  lesquels  200  francs  au  moins  de  salaires  vont  à  l'indi- 
gène. C'était  exactement  le  cas  de  la  commune  de  Margueritte.  Veut-on  un 
exemple  de  l'importance  de  ces  salaires  ?  Il  y  a  telle  commune  mixte,  la 
?k)ummam,  dans  laquelle,  leur  entretien  payé,  les  indigènes  qui,  au  nombre 
de  10.000  environ,  passent  le  printemps  et  l'été  chez  les  colons,  rapportent 
l'hez  eux  1  million  et  demi  à  2  millions  d'argent  comptant. 

Pour  les  vendanges,  on  peut  dire  que  l'indigène  n'a  rien  à  dépenser  de 
son  salaire.  Il  se  nourrit  de  raisin;  on  estime  jusqu'à  10  kilogrammes  par 
jour  la  quantité  qu'il  en  consomme,  et  bien  des  propriétaires  trouvent 
avantage  à  donner  aux  indigènes  la  farine  nécessaire  pour  faire  du  pain 
afin  de  diminuer  ce  prélèvement.  Le  propriétaire  fournit  l'abri  pour  la  nuit. 
Les  vendanges  faites,  l'indigène  peut  rapporter  chez  lui  l'intégralité  de  son 
salaire. 

Mais,  dira-t-on,  vous  avez  fait  des  indigènes  des  prolétaires.  Ils  cultivent 
pour  autrui,  non  pour  eux.  C'est  là  une  erreur  :  si  les  espaces  de  terres 
mis  à  la  disposition  des  indigènes  ont  un  peu  diminué,  leurs  cultures  ont 
augmenté  fortement  de  rendement  et  d'étendue. 
K.  le  baron  de  Bolssieu.  —  Ce  n'est  pas  la  question. 
Voix  nombreuses  à  gauche  et  au  centre.  —  Mais  si!  Parlez! 
K.  le  oommissaire  da  gouvernement.  —  On  me  dit  :  ce  n'est  pas  la 
queîjtion.  J'ai  demandé  la  permission  à  la  Chambre  —  et  je  n'abuserai  pas 
de  son  attention  —  de  lui  exposer  quelle  est  la  condition  actuelle  des 
indigènes  en  Algérie,  et  leur  condition  économique  est  à  coup  sûr  un  des 
reD>eignements  les  plus  importants  que  je  puisse  donner  au  Parlement. 
(  Applaudissements .  ) 

En  1870,  ils  cultivaient  ^.500. 000  hectares  et  récoltaient  10  millions  de 
«luintaux  de  céréales;  à  l'heure  présente,  ils  cultivent  2  millions  et  demi 
il'heclares,  et  ils  ont  récolté  dans  la  dernière  campagne  10.700.000  quin- 
taux de  céréales.  Pendant  ce  temps  leur  matériel  agricole  passait  d'une 
valeur  de  1,500.000  francs  à  une  valeur  de  6  millions.  Est-ce  là  l'indice 
d'un  appauvrissement? 

Tous  les  indigènes,  je  le  reconnais,  ne  participent  pas  à  cet  accroisse- 
ment de  ressources.  Mais  est-ce  la  faute  de  l'administration  ou  des 
colons? 

Non,  il  y  a  là  une  question  de  différence  de  races  dans  la  population 
iodii^ène,  différence  que  connaissent  bien  ceux  qui  ont  habité  rAlgérie. 
^une  part,  les  indigènes  d'origine  berbère,  Kabyles  des  montagnes  ou  de 


528  QUESTIONS   DIPLOICATIQUIES  ET  COLONIALES 

la  plaine,  laborieux,  âpres  au  gain,  qui  ne  se  contentent  pas  de  cultiver 
jusqu'à  la  moindre  parcelle  de  terre  sur  les  pentes  abruptes  de  la  régioQ 
qu'ils  habitent,  mais  qui  transportent  dans  deux  des  trois  départements 
leur  activité  laborieuse  et  leur  esprit  d'économie.  Et,  ce  qui  est  moins  heu- 
reux, au  point  de  vue  économique,  ce  ne  sont  pas  seulement  ces  Berbères 
de  l'Algérie  qui  profitent  des  salaires  payés  par  la  colonisation. 

Dans  le  département  d'Oran,  ce  sont  les  Kabyles  marocains  qui 
viennent  chercher  ces  salaires  et  rapportent  chez  eux  les  douros  de 
France;  mais  on  peut  ajouter  peut-être  qu'ils  y  rapportent  aussi  TesUrne 
d'un  ordre  de  choses  pacifique  et  juste,  ce  qui  n'est  pas  la  plus  mauvaise 
propagande  que  la  France  puisse  faire  au  Maroc.  (Applaudissements.) 

Puis,  juxtaposé  à  cette  race  laborieuse,  il  y  a  l'Arabe  pasteur,  nomade, 
fixé  sur  le  sol  presque  malgré  lui,  nonchalant,  incapable  d'un  effort  sou- 
tenu, travaillant  deux  jours  de  la  semaine,  le  temps  de  gagner  ce  qui  est 
nécessaire  à  son  entretien  jusqu'à  la  semaine  suivante,  laissant  cueillir 
par  le  Kabyle  et  le  Berbère  laborieux,  venus  de  loin,  les  salaires  que  les 
colons  les  plus  proches  de  son  douar  dépensent  pour  leurs  cultures. 

C'est  cette  race  de  l'Arabe  pasteur  qui  semble  incapable  d'autre  chose 
que  de  pousser  devant  lui  un  maigre  troupeau  de  chèvres  ou  de  moutons. 

Et  si  l'on  voulait  de  son  incurie  et  de  son  imprévoyance  un  exemple 
saisissant  :  dans  les  communaux  indigènes  des  communes  mixtes,  il  y  a, 
à  l'heure  présente,  presque  5  millions  de  pieds  d'oliviers  sauvages,  reje- 
tons des  anciennes  forêts  de  la  colonisation  romaine,  qu'il  suffirait  de 
quelques  soins  et  de  quelque  labeur,  avec  l'aide  des  primes  que  les  déléga 
tions  financières  ont  votées  à  cet  eflet,  pour  rendre  productifs,  et  non* 
aurions  ainsi  un  accroissement  de  la  production  oléicole  considérable.  Or   . 
les  administrateurs  ne  parviennent  pas  à  décider  les  indigènes  à  mettre   I 
môme  partiellement  en  défense  ces  communaux,  à  empêcher  leurs  chèvres   ; 
et  leurs  moutons  d'y  faire  des  ravages  constants  et  à  permettre,  en  somme,    ! 
à  l'olivier  mis  en  valeur  de  devenir  la  sourca  de  revenus  qu'il  devraii   j 
être.  [Très  bien!  très  bien!)  j 

Cette  partie  de  la  population  indigène  est  diflicile  à  transformer,  je  vous    | 
Tai  dit,  et  cependant  des  symptômes  certains  indiquent  que  la  généraliie 
de  la  population  indigène  s'enrichit. 

Voyez  les  prix  qu'offrent  les  propriétaires  kabyles  des  concessions  fran- 
çaises qu'ils  trouvent  à  leur  convenance  et  qui  sont  abandonnées  par  les 
colons  n'ayant  pas  réussi. 

Dans  le  département  de  Constantine,  il  y  a  plusieurs  communes  où  la 
terre  passe  progressivement  des  mains  des  Européens  à  celles  des  indi- 
gènes parce  (jue,  aux  prix  offerts,  les  Européens  ne  tireraient  pas  de  leurs 
propriétés  un  intérêt  correspondant. 

Interrogez  les  gens  du  pays,  ils  vous  diront  qu'il  se  fait  depuis  plusieurs 
années  chez  les  Arabes  non  des  bas  de  laine,  mais  des  cachettes  rebondies: 
dans  bien  des  cas,  l'indigène  est  en  meilleure  situation  que  le  colon.  En 
veut-on  des  indices  certains?  Les  impôts  arabes  qui  sont  proportionnels, 
on  le  sait,  aux  surfaces  cultivées,  au  bétail  possédé,  aux  palmiers  en  rap- 
port —  et  qui,  par  parenthèse,  n'ont  pas  été  augmentés  alors  que  les 
impôts  pesant  sur  la  population  européenne  ont  subi,  à  plusieurs  rejjrises, 


J 


LES   TRIBUNAUX   RÉPRESSIFS   EN   ALGÉRIE  5^9 

des  aggravations  —  les  impôts  arabes,  dis-je,  ont  plus  que  doublé  de  ren- 
dement en  trente  ans  ;  pour  la  seule  part  de  TÉtat,  ils  se  sont  élevés  de 
3  millions  500.000  francs,  en  1870,  à  8  millions  200.000  francs  en  1900  et 
ils  rentrent  avec  une  facilité  que  souhaiterait  n'importe  quel  ministre  des 
Finances.  [Rires  approbatifs.) 

Veut-on  un  autre  indice  d'enrichissement  de  la  population  musulmane? 
Les  sociétés  indigènes  de  prévoyance  et  d'assistance,  cette  institution  qui 
fait  si  grand  honneur  à  l'administration  algérienne,  fondées  en  4886, 
comptaient,  en  1891,  200.000  sociétaires  et  possédaient  4  millions;  en  1902, 
le  nombre  des  sociétaires  est  de  400.000,  il  a  doublé  en  quinze  ans,  et 
Tactif  est  passé  à  10  millions  et  demi,  soit  une  proportion  encore  supé- 
rieure. 

Messieurs,  est-ce  donc  le  colon,  est-ce  l'administration  qui  sont  pourTin- 
digêne  un  danger,  une  cause  de  dépression  ?  Ce  n'est  pas  le  colon,  qui  est  son 
associé  naturel,  et  qui,  s'il  est  très  sensible  aux  habitudes  de  vol  et  de  ma- 
raude de  l'indigène  oisif,  le  comprend  et  l'estime  lorsqu'il  est  travailleur. 

M.  Etienne.  —  Très  bien  ! 

K.  le  commissaire  du  gouvernement.  —  Disons-le  en  passant,  un  des 
liienfaits  de  l'institution  des  tribunaux  répressifs  sera  justement,  en  garan- 
tissant mieux  la  sécurité,  de  faire  disparaître  la  seule  cause  sérieuse  et 
permanente  de  mésintelligence  et  d'animosité  entre  le  colon  et  l'indigène. 

Ce  n'est  pas  non  plus  l'administration,  chaque  jour  plus  souple  et  plus 
intelhgente  dans  sa  tutelle  des  indigènes  et  qui,  permettez-moi  de  vous 
l'assurer,  reçoit  de  ses  chefs  l'impulsion  la  plus  nette  dans  le  sens  d'une 
bienveillante  et  attentive  compréhension  des  intérêts  indigènes. 

Toutes  les  mesures  que  je  vous  ai  indiquées  au  début  de  mes  observa- 
tions me  paraissent  en  être  la  preuve  manifeste. 

L'ennemi  de  l'indigène,  pour  une  grande  part  au  moins  de  la  popula- 
tion, c'est  d'abord  sa  nonchalance,  son  manque  de  prévoyance.  L'indigène 
n'aime  pas  le  travail;  c'est  un  pasteur,  je  vous  le  rappelais  tout  à  rheurc  ; 
il  n'a  la  notion  de  la  responsabilité  ni  à  son  regard,  ni  au  regard  des  siens 
«»u  de  la  collectivité.  Il  est,  permettez-moi  cette  expression,  comme  para- 
lysé par  le  fatalisme  dont  la  formule  lui  revient  sans  cesse  aux  lèvres  : 
«  Mektoub,  c'était  écrit.  »  Pourquoi  donc  prévoir? 

Quelle  impression  plus  suggestive  lorsqu'en  pleine  Mitidja  on  découvre 
tout  à  coup,  au  milieu  des  cultures  riches,  des  parcelles  de  terrain  encore 
envahies  par  le  palmier  nain  et  l'asphodèle  où  broute  un  maigre  bétail  ! 
C'est  la  propriété  d'un  Arabe. 

Certes,  parmi  les  indigènes,  il  en  est  de  laborieux,  comme  je  le  disais, 
pt  il  est  consolant  de  constater  qu'économiquement  au  moins,  la  plus 
ifrande  partie  de  cette  population  est  en  voie  de  transformation  rapide. 
Les  charrues  européennes  se  répandent  chaque  jour  davantage  par  l'inter- 
médiaire des  sociétés  de  prévoyance  qui  avancent  les  fonds  et  grâce  à  la 
propagande  intelligente  des  administrateurs.  Dans  le  seul  arrondissement 
de  Sétif,  les  indigènes  possèdent  près  de  la  moitié  des  charrues  euro- 
péennes. Au  cours  des  trois  dernières  années,  ils.ont  acheté  15.000  char- 
rues françaises  d'une  valeur  totale  de  725.000  francs.  Les  Kabyles  plan- 
tent à  force  l'olivier  et  le  figuier;  les  labours  préparatoires  commencent  à 
se  répandre. 

Qdbst.  Dipl.  et  Col.  —  t.  xv.  34 


530  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONULBS 

L'ennemi  de  l'indigène,  messieurs,  c'est  en  second  lieu  l'usurier  ;  et, 
difions-le,  l'usurier  souvent  est  le  grand  propriétaire  indigène.  Il  ne  fait 
pas  de  prêts  à  intérêt,  non,  ils  lui  sont  interdits  par  le  Coran.  Son  procédé 
est  mille  fois  plus  dangereux:  c'est  la  rahnia,  sorte  de  nantissement  im- 
mofiilier.  La  terre  qui  sert  de  gage  au  prêt  reste  entre  les  mains  du  pré- 
Leur,  qui  'en  perçoit  les  revenus,  que  ces  revenus  soient  ou  non  supé- 
rieurs à  l'intérêt  du  prêt  consenti. 

Le  débiteur  privé  du  revenu  de  sa  terre  ne  peut  plus  se  libérer;  de 
grosses  fortunes  se  forment  ainsi  de  la  ruine  d'imprévoyants  ou  de  misé- 
rables. C'est  là  peut-être  le  plus  grand  danger  pour  le  fellah  algérien. 

Ce  prêteur,  cet  usurier  a  son  associé  naturel  —  le  troisième  ennemi  de 
l'indigène  —  dans  l'homme  d'affaires,  le  courtier  marron,  tous  les  prati- 
ciens enfin,  du  chaouchage  et  du  racolage  judiciaire  spécial  à  l'Algérie, 
tous  gens  qui  tirent  leur  subsistance  des  frais  de  justice  et  des  frais  de 
procédure  que  l'indigène  processif,  imprévoyant  ou  trompé  n'hésite  pas  à 
accumuler. 

Cette  exploitation  ne  serait  pas  possible  ou  du  moins  eût  été  rendue 
très  difficile  si,  suivant  l'exemple  d'autres  nations  plus  expertes  en  ma- 
tière de  colonisation,  nous  eussions  donné  aux  indigènes  les  institutions 
et  les  lois  qui  leur  conviennent,  au  lieu  de  leur  appliquer,  sans  adaptation 
préalable,  notre  législation  et  notre  procédure  métropolitaines.  (Applau- 
dissements,) 

Messieurs,  on  vous  l'a  dit  en  termes  éloquents,  l'Algérie  a  été  doulou- 
reui^ement  émue  par  l'interpellation  que  nous  discutons  aujourd'hui  de- 
vant vous,  douloureusement  émue  parce  qu'il  lui  a  semblé  bien  singulier 
que  le  dernier  mot  de  cette  affaire  de  Margueritte,  où  des  colons  ont 
trouvé  la  mort  de  la  main  des  indigènes,  fût  l'accusation  portée  contre 
notre  colonie  d'être  une  terre  d'oppression  et  de  servitude  pour  la  popu- 
lation musulmane. 

L'Algérie,  revenue  après  un  entraînement  passager  à  ses  traditions  de 
fidélité  républicaine,  l'Algérie  laborieuse  et  pacifiée  se  demande  avec 
anxiété  si  son  régime  administratif  et  judiciaire,  fruit  de  si  longues  infor- 
mations et  de  si  savantes  enquêtes,  est  voué  à  une  perpétuelle  mobilité, 
si  elle  doit  se  voir  retirer,  le  lendemain,  les  institutions  qu'on  lui  a  don- 
nées la  veille.  Je  souhaite  ardemment  que  l'issue  de  ce  débat  la  rassure  et 
la  réconforte.  (Applaudissements.) 

On  vous  a  signalé,  comme  un  péril  pour  les  libertés  publiques,  dans 
notni  colonie,  «  l'ivresse  du  pouvoir  absolu  qui  se  serait  emparée  du  gou- 
verneur général  ».  {Mouvements  divers.) 

Je  demande  la  permission  de  répondre  à  ce  reproche,  car  c'est  bien 
celui  que  m'a  adressé  M.  Albin  Rozet. 

M.  Gauthier  (de  Clagny).  —  Il  a  voulu  parler  de  la  France!  (Rires  à 
droite,) 

H.  le  commissaire  du  gouvernement.  —  L'une  des  causes  de  cet 
enivrement  serait  l'étendue  des  attributions  qu'on  a  conférées  au  gouver- 
neur général. 

Mais  en  vérité  à  qui  va  le  reproche  ainsi  formijdé,  si  ce  n'est  au  Parle- 
ment lui-même  qui  a,  pendant  dix  années,  manifesté  sa  volonté  persévé- 


^f^9m 


LES  TRIBUNAUX  RÉPRESSIFS  EN  ALGÉRIE  531 

rante  d'étendre  les  pouvoirs  attribués  au  gouverneur  de  l'Algérie,  tant  en 
ce  qui  concerne  le  choix  et  la  direction  du  personnel  administratif  de  la 
colonie  qu^en  ce  qui  touche  le  règlement  des  affaires  qui  l'intéressent.  Ces 
pouvoirs,  je  ne  les  ai  pas  sollicités  ;  ils  étaient  tous  ou  à  peu  près  tous 
conférés  au  gouverneur  général  au  moment  où  m'a  été  confiée,  je  pourrais 
presque  dire  imposée... 

M.  MiUerand.  —  C'est  vrai. 

M.  le  ooxninlssaire  du  gouvemement.  —  ...  la  haute  mission  que  je 
remplis,  et  ceux  qui  me  connaissent  savent  qu'il  n'est  ni  dans  mon  tem- 
pérament ni  dans  mon  caractère  d'exercer  ces  pouvoirs  autrement  qu'avec 
la  modération  qui  en  est  le  contrepoids  nécessaire.  (Applaudissements.) 

Vous  ne  vous  laisserez  donc  pas  émouvoir,  messieurs,  par  ce  péril  ima- 
ginaire, comme  vous  saurez  faire  un  juste  départ  entre  les  critiques  dont 
la  juridiction  des  tribunaux  répressifs  a  été  l'objet.  Vous  vous  refuserez  à 
ne  voir  dans  cette  juridiction  que  l'instrument  de  justice  grossier  et  som- 
maire que  MM.  Albin  Rozet  et  Berthet  vous  ont  dénoncé  et  à  le  condam- 
ner en  bloc  comme  ils  vous  y  ont  convié. 

Vous  vous  souviendrez  que  cette  institution,  perfectible  assurément,  a 
pour  origine  même  Tordre  du  jour  par  lequel  la  Chambre  demandait  au 
gouvernement  «  d'assurer  en  Algérie  la  sécurité  indispensable  au  déve- 
f  loppement  de  l'œuvre  de  la  colonisation  poursuivie  dans  l'intérêt  des 
<  travailleurs  français  et  indigènes  ». 

Vous  n'oublierez  pas  que,  créée  dans  ce  but,  la  juridiction  des  tribu- 
naux répressifs  est  également  tutélaire  pour  chacune  des  deux  races  qui 
vivent  côte  à  côte  sur  le  sol  algérien,  et  que,  protégeant  leurs  intérêts 
communs,  elle  maintient  et  consolide  entre  eux,  entre  le  colon  et  l'indi* 
gène,  le  véritable  élément  de  solidarité  humaine,  le  lien  qui  peut  le  mieux 
les  unir  :  la  fraternité  du  travail.  {Vifs  applaudissements,) 

Pour  conclure  le  débat,  M.  Vallé,  ministre  de  la  Justice,  a 
couvert  le  gouverneur  général  de  l'Algérie  ;  mais  ne  voulant 
pas,  d^autre  part,  mécontenter  les  interpella teurs,  il  a  promis 
de  nommer  une  commission  qui  écoutera  les  plaintes  provo- 
quées par  ces  tribunaux. 

La  Chambre  a  alors  voté  Tordre  du  jour  suivant  : 

La  Chambre,  prenant  acte  de  l'engagement  du  gouvernement  d'apporter, 
»aD9  retard,  à  l'organisation  des  tribunaux  répressifs  les  modifications 
nécessaires  pour  assurer  aux  inculpés  les  garanties  inséparables  de  toute 
justice,  et  comptant  sur  lui  pour  assurer,  en  même  temps,  en  Algérie,  la 
sécurité,  qui  est  indispensable  au  développement  de  la  colonisation,  passe 
à  l'ordre  du  jour. 

Ainsi  tout  le  monde  a  reçu  satisfaction. 


i 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES 


I.  —  EUROPE. 


I 


France.  —  Le  voyage  du  Président  en  Algérie.  —  La  démissim  de 
M,  RevoiL  —  Au  moment  où  M.  le  Président  de  la  République  se 
disposait  à  partir  pour  Alger,  et  alors  que  TAlgérie  tout  entière 
se  disposait  à  lui  faire  un  accueil  enthousiaste  et  cordial,  M.  Re- 
voil,  gouverneur  général  de  l'Algérie,  s*est  vu  contraint  de  remettre 
sa  démission  au  président  du  Conseil,  qui  Ta  acceptée. 

Voici  la  lettre  que  M.  Revoit  a  adressée,  le  12  avril,  à  M.  Ber- 
trand, président  doyen  des  Délégations  ûnancières  algériennes, 
pour  l'informer  de  sa  décision  et  dans  laquelle  il  expose  les  raisons 
de  sa  démission  avec  une  généreuse  réserve  et  une  fière  sérénité  : 

Mon  cher  Président, 

J'ai  donné  ma  démission  des  fonctions  de  gouverneur  de  l'Algérie. 

Depuis  le  jour  où  je  suis  entré  dans  la  carrière  administrative,  c'est-à- 
dire  il  y  a  plus  de  dix-sept  ans,  tous  les  chefs  que  j'ai  successivement  ser- 
vis m'ont  honorô  non  seulement  de  leur  confiance,  mais  de  leur  amitié. 

Ayant  acquis  la  certitude  que  j'étais  placé  aujourd'hui  dans  une  situation 
toute  contraire,  je  ne  pouvais  songer  à  conserver  un  instant  de  plus  les 
fonctions  que  le  précédent  ministère  m'avait  confiées  dans  les  condition> 
que  je  rappelais,  il  y  a  quelques  jours  à  peine,  à  la  tribune  de  la 
Chambre. 

Je  ne  pouvais  songer  davantage,  dans  la  position  qui  m'était  faite,  a 
recevoir  M.  le  Président  de  la  République  et  à  l'accompagner  au  cours  île 
son  voyage  en  Algérie. 

Enlin,  le  souci  des  intérêts  dont  j'avais  la  garde  plus  encore  que  le  sen- 
timent de  ma  dignité  personnelle  me  commandait  la  résolution  que  j'ai 
prise.  Que  cette  résolution  me  soit  extrêmement  pénible,  je  n'ai  aucune 
fausse  honte  à  l'avouer.  J'éprouve  un  regret  profond  à  me  séparer  de  l'Al- 
gérie, à  abandonner  une  œuvre  à  laquelle  je  m'étais  consacré  tout  entière! 
que  tant  de  concours  dévoués  m'aidaient  à  accomplir. 

A  l'heure  même  oîi  je  vous  quitte,  la  solidarité  la  plus  étroite  s'est  formée 
entre  les  représentants  de  la  colonie  à  tous  les  degrés  et  le  gouverneur 
général. 

Je  n'oublierai  jamais,  d'autre  part,  les  témoignages  que  les  assemblées 
municipales  et  les  corps  constitués  de  la  colonie  m'ont  prodigués  au  cours 
des  récentes  épreuves  qui  m'ont  frappé,  moi  et  les  miens. 


RENSEIGNEMENTS    POLITIQUES  533 

De  tels  liens  ne  se  brisent  pas  sans  une  vive  et  poignante  douleur. 
J'ai,  du  moins,  la  consolation  de  penser  que  l'Algérie,  engagée,  après  une 
période  troublée,  dans  la  voie  pacifique  et  laborieuse  tracée  par  la  loi  qui 
lui  a  octroyé  une  si  large  part  d'autonomie,  y  persévérera  résolument  et 
répondra  chaque  jour  davantage  à  la  confiance  que  lui  a  témoignée  la 
métropole. 

Le  crédit  moral  et  matériel,  condition  essentielle  du  développement  et  de 
la  prospérité,  est  à  ce  prix. 

L'Algérie  va  recevoir  la  visite  du  Président  de  la  République.  Elle 
accueillera  le  chef  vénéré  de  l'Etat,  incarnation  vivante  de  la  patrie,  avec 
les  témoignages  de  respect  et  d'afl'ection  qui  seront  le  meilleur  gage  de 
son  royal  attachement,  de  son  entière  fidélité  à  la  France  et  à  la 
République. 

Je  forme  du  fond  du  cœur  le  souhait  que  ce  voyage  soit  fécond  en 
heureux  résultats  pour  notre  colonie.  Je  ne  doute  pas  que  le  Président  de 
la  République  et  les  membres  du  gouvernement  qui  l'accompagnent  n'en 
rapportent  des  souvenirs  et  des  impressions  qui  seront  tout  à  l'honneur  et 
au  profit  de  l'Algérie. 

Veuillez  agréer,  mon  cher  Président,  l'assurance  de  mes  sentiments 
affectueusement  dévoués. 

Revoil. 

Le  moins  que  Ton  puisse  dire  de  celle  démission  si  regrettable, 
c'est  qu'elle  est,  à  tous  égards,  un  événement  grave  dont  le  retentis- 
sement sera  considérable.  On  peut  déjà  s'en  rendre  compte  à  Témo- 
lion  qu'elle  a  soulevée  dans  toute  la  France  et  surtout  en  Algérie, 
aux  nombreux  témoignages  de  sympathie  et  de  regret  que  reçoit 
M.  Revoil,  enfin  aux  protestations  énergiques  qui  se  font  entendre  de 
toutes  parts. 

—  Le  traité  franco- siamois,  —  La  question  du  traité  franco-siamois, 
déjà  si  malencontreusement  engagée,  vient  encore  de  se  compliquer 
étrangement  de  par  la  regrettable  altitude  du  ministre  des  Affaires 
étrangères.  On  se  rappelle  dans  quelles  conditions  la  commission 
des  affaires  extérieures,  chargée  d'examiner  le  traité,  avait  suspendu 
ses  travaux  sine  die,  sur  la  demande  formelle  de  M.  Delcassé.  Le 
6  avril,  la  commission,  qui  n'avait  reçu  aucun  avis  du  ministre  depuis 
cette  dernière  communication,  se  réunit  en  séance  plénière  et  chargea 
M.  Etienne,  son  président,  de  déposer  sur  le  bureau  de  la  Chambre 
le  rapport  suivant  qui  exposait  la  situation  résultant  de  la  non-pro- 
rogation des  délais  de  ratification  du  traité  : 

Messieurs, 

Le  7  octobre  4902,  M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  a  conclu  avec 
le  plénipotentiaire  de  Siam  à  Paris  une  convention  dont  l'article  10  était 
ainsi  conçu  ; 

«  La  présente  convention  sera  ratifiée  dans  un  délai  de  quatre  mois  à 
«  partir  du  jour  de  la  signature,  ou  plus  tôt,  si  faire  se  peut.  » 


534  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  a  déposé  la  convention  sur  le 
bureau  de  la  Chambre  le  6  décembre  suivant  ;  elle  a  été  renvoyée  à  la  com- 
mission des  affaires  extérieures,  des  protectorats  et  des  colonies,  et  le  pro- 
jet a  été  distribué  à  la  Chambre  le  13  janvier  1903. 

La  commission  s'est  mise  aussitôt  à  Fœuvre  pour  que  le  débat  pût  venir  à 
tt^mps,  avant  le  7  février,  date  à  laquelle  expirait  le  délai  de  quatre  mois 
i  ni  parti  par  l'article  10.  Néanmoins  les  hautes  parties  contractantes  con- 
vinrent de  proroger  ledit  délai  jusqu'au  31  mars  dernier.  La  commission 
poursuivit  l'examen  de  la  convention  et  se  mit  en  mesure  d'être  prête 
pour  U  rapporter  et  la  soumettre  à  la  Chambre  avant  l'expiration  du  nou- 
veau délai. 

Mais  le  24  février,  M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  écrivait  à 
M.  \e  Président  de  la  commission  la  lettre  suivante  : 

a  Paris,  le  24  février  1903. 
«  Monsieur  le  Président, 

1  M.  le  Ministre  des  Colonies  vient  de  me  communiquer,  en  me  le 
*'  recommandant,  un  projet  de  M.  le  Gouverneur  général  de  l'Indo-Chine, 
"  firojet  dont  l'exécution  exigerait  des  négociations  préalables  avec  le  gou- 
u  vornement  siamois. 

fi  J*ai  écrit  à  M.  Doumergue  pour  le  prier  de  vouloir  bien  me  fournir 
fi  ëur  ce  projet  certaines  précisions  qui  me  permettront  de  prendre  une 
«  résolution. 

«i  Dans  ces  conditions,  je  vous  serai  obligé  de  demander  à  la  commission 
V  iViiiumàre,  pour  me  convoquer,  que  je  sois  en  mesure  de  lui  apporter  des 
w  renseignements  définitifs. 

M  Veuillez  agréer,  etc.  Delcassé.  » 

Depuis  cette  époque,  la  commission  n'a  reçu  aucune  communication  de 
M.  1p  Ministre  des  Affaires  étrangères  et  le  délai  de  ratification,  qui  expirait 
lo  :u  mars,  n'a  pas  été  prorogé. 

Dan^  ces  conditions,  la  commission  croit  devoir  faire  connaître  à  la 
Cbambre  qu'à  son  avis  la  convention  avec  le  Siam  est  devenue  caduque. 

Le  gouvernement  ne  crut  devoir  faire  aucune  observation  lors  du 
di^pAt  de  ce  rapport  à  la  Chambre.  Mais  le  lendemain,  le  7  ami,  on 
ruL  la  surprise  de  lire  dans  le  compte  rendu  officiel  du  conseil  des 
mlnislres,  remis  à  la  presse,  les  quatre  lignes  suivantes  : 

M.  Delcassé,  que  son  état  de  santé  a  empêché  de  se  rendre  au  Conseil,  a 
ïtûl  siavoir  à  ses  collègues  que  le  délai  pour  la  ratification  de  la  convention 
rrantio-siamoise  du  7  octobre  1902  a  été,  sur  la  demande  du  ministre  du 
î:?iam  à  Paris,  reportée  au  31  décembre  1903. 

Ce  laconique  communiqué  ne  pouvait  manquer  de  soulever  une 
irgitime  protestation,  et  nous  tenons  à  nous  associer  très  nette- 
ment aux  regrets  unanimes  qu'a  provoqués  cet  étrange  procédé  du 
tnmistre.  Il  y  a  là  un  manque  de  déférence  tout  à  fait  surprenant  \is- 
ii-v]^  de  la  commission,  et  surtout  une   grave  atteinte  portée  aux 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  535 

droits  du  Parlement,  que  la  commission  représentait  directement 
en  cette  affaire. 

La  prorogation  du  traité  n'a  pu  être  improvisée;  en  tout  cas,  elle 
devait  être  publiée  dans  les  délais  prévus,  et  la  Chambre  devait  en 
être  informée  en  temps  utile.  Si  le  ministre  l'avait  obtenue  roguliè- 
rement,  légalement,  il  devait  en  aviser  immédiatement  la  Chambre. 
Son  silence,  au  contraire,  autorise  les  plus  pénibles,  les  plus  fâcheuses 
réflexions.  Pour  avoir  manqué  d'une  façon  aussi  formellf?  à  ses 
devoirs  de  ministre  parlementaire,  il  faut  que  M.  Delcassé  y  ail  été 
contraint  par  les  circonstances.  SMln'apas  annoncé,  en  temps  voulu, 
c'est-à-dire  avant  le  31  mars,  la  prorogation  du  traité  au  Parlement, 
c'est  qu'il  ne  le  pouvait  réellement  pas,  c'est  qu'il  n'a  obtenu  racquies- 
cement  du  Siam  que  trop  tard,  et  lorsque  le  rapport  de  la  commis- 
sion avait  déjà  enregistré  la  caducité  de  la  convention.  On  se 
demande  donc,  avec  inquiétude,  au  prix  de  quels  sacrifiies,  de 
quelles  concessions  cette  prorogation  a  pu  être  signée  I 

Nous  savons,  d'autre  part,  que  la  commission  n'avait  chargé 
M.  Etienne  de  déposer  son  rapport  du  6  avril  qu'après  avoir  à 
maintes  reprises  fait  demander  à  M.  Delcassé  ce  qu'il  était  advenu 
du  traité  du  7  octobre.  Chaque  fois,  le  ministre  avait  fait  répondre 
officieusement  que  le  Siam  refusait  toute  prorogation.  Le  jour  même 
de  sa  dernière  réunion,  le  6  avril,  la  commission  avait  fait  prévoir 
au  ministre  ses  résolutions;  le  ministre  ne  daigna  pas  lui  envoyer 
un  avis  quelconque.  La  prorogation  cependant  devait  être  acquise 
depuis  au  moins  une  semaine,  les  délais  légaux  expirant  le  31  mariai. 

Tout  cela  prouve,  à  l'évidence,  combien  irrégulière,  pour  ne-  pas 
employer  un  mot  plus  exact,  a  été  l'attitude  du  ministre.  La  Chambre 
se  doit  à  elle-même  et  elle  doit  au  pays  de  ne  pas  sanctionner ^  par  | 

son  approbation,  un  tel  procédé.  Ce  serait  une  véritable  abdicution. 
D'ailleurs  la  commission  est  décidée,  paraît-il,  à  ne  tenir  aucun 
compte  de  la  communication  trop  tardive  du  ministre.  Pour  elle,  le 
irailé  du  7  octobre,  non  prorogé  le  31  mars,  n'existe  plus.  Si  M.  Del- 
cassé veut  l'en  saisir  de  nouveau,  il  devra  le  faire  revivre  vi  le 
déposer  une  seconde  fois  sur  le  bureau  de  la  Chambre. 

Angleterre.  —  La  visite  du  roi  Edouard  VII  au  Président  de  la  iuptt- 
lîique.  —  Une  information  officielle  vient  d'annoncer  que  le  roi  d  An* 
gleterre  arrivera  à  Paris  le  i"  mai  pour  rendre  visite  au  Prcsiilunl 
de  la  République.  Cette  nouvelle  a  généralement  été  enre^istiér 
avec  satisfaction  en  France  et  en  Angleterre.  Nous  estimons,  pour 
notre  part,  que  les  deux  pays  ont  en  effet  tout  intérêt  à  discuter  et  û 
résoudre  à  l'amiable  toutes  les  délicates  questions  qui  les  inléres- 
senlet  les  divisent.  La  visite  du  roi  d'Angleterre  peut  très  effu  uee- 
cement  contribuer  à  ce  résultat,  d'autant  mieux  qu'Edouard  VU  a 


il 

i 


536  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALIâS 

tenu  à  faire  précéder  sod  voyage  d'une  importante  manifestation 
sympathique.  Il  a  décidé  qu'une  escadre  anglaise  viendrait  spéciale- 
ment à  Alger  saluer  M.  Loubet.  Il  est  maintenant  à  souhaiter  que 
notre  diplomatie  sache  tirer  profil  des  bonnes  dispositions  des  pou- 
voirs britanniques  et  qu'elle  ne  se  laisse  pas,  au  contraire,  éblouir 
et  leurrer  inutilement  par  quelques  belles  paroles  et  quelques  flat- 
teuses prévenances. 

Turquie.  —  Les  affaires  dé  Macédoine,  —  Les  Albanais  de  la  Vieille- 
Serbie  viennent  de  se  soulever,  compliquant  ainsi  davantage  la  crise 
macédonienne.  Il  y  a  eu  des  désordres  graves  à  Mitrovilza  et  à  You- 
citra,  et  M.  Chtcherbina,  consul  russe  de  Mitrovitza,  grièvement 
blessé  en  repoussant  les  insurgés  albanais,  a  succombé  à  ses  bles- 
sures après  quelques  jours  de  souffrances.  Ce  déplorable  événement 
a  produit  partout  une  vive  émotion. 

n.  —  AFRIQUE. 

Algérie.  —  Attaques  âCun  convoi  français  par  les  Ouîad-Dj&rir.  —  Un 
regrettable  incideqt  vient  de  se  produire  le  29  mars  dans  le  Sud 
Oranais.  Un  convoi  escorté  par  des  tirailleurs  a  été  atlaqué  par  les 
Oulad-Djerir  entre  Fendi  et  Ksar-el-Azoug.  Les  Oulad-Djerir  étaient 
au  nombre  de  150  environ,  très  bien  approvisionnés  de  munitions. 
Le  combat  dura  de  11  heures  du  matin  à  6  heures  du  soir,  et  fut 
très  mouvementé. 

Le  lieutenant  Rufïler,  de  la  légion  étrangère,  fut  blessé  en  rame- 
nant un  soldat  atteint  par  une  balle  sous  le  feu  de  Tennemi  ;  le  ser- 
gent-fourrier Lavy,  des  tirailleurs,  qui  se  distingua  par  sa  bravoure, 
fut  tué  quand  il  passait  au  fil  de  la  baïonnette  un  Oulad-Djerir.       < 

Des  tirailleurs,  des  légionnaires,  puis  le  capitaine  Normand,  du 
génie,  arrivèrent  sur  les  lieux  du  combat  ;  mais  les  munitions  man- 
quèrent et  on  se  battit  corps  à  corps. 

Le  capitaine  Normand  a  dû  battre  en  retraite  après  avoir  inutile- 
ment rallié  et  avoir  fait  preuve  d'une  grande  bravoure.  Les  Oulad- 
Djerir  restèrent  maîtres  du  terrain. 

Les  ennemis  prirent  40  chameaux  et  quelques  fusils. 

Le  lieutenant  Ruffier  et  les  autres  blessés,  échappés  au  massacre, 
sont  rentrés  la  nuit,  un  par  un,  au  Ksar-el-Azoug,  très  fatigués.  Ils 
ont  été  dirigés  sur  l'hôpital  d'Aïn-Sefra. 

Les  Oulad-Djerir  ont  laissé  huit  morts  sur  le  terrain.  Les  autres 
morts  ont  été  emportés,  avec  les  blessés,  sur  les  chameaux  capturés. 

he  Temps  fait  à  ce  sujet  les  réflexions  suivantes  : 

Le  pays  situé  au  Sud  des  Hauts-Plateaux  est  essentiellement  le  domaine 
des  nomades,  campant  n'importe  où,  au  hasard  des  pâturages  et  des  points 


' 


•  ^'^T^'T 


RENSEIGNEMENTS    POLITIQUES  537 

d'eau.  Tels  les  Oulad-Djerir,  les  Doui-Menia  et  les  Beni-GKiil.  Pour  avoir 
barres  sur  eux,  les  châtier  à  Toccasion,  il  faut  pouvoir  les  frapper  dans 
leurs  intérêts  ;  mais  ces  intérêts,  leurs  troupeaux,  sont  toujours  en  mouve- 
ment. Il  faut  donc,  pour  les  atteindre,  disposer,  à  proximité,  de  troupes 
ayant  une  très  grande  mobilité.  Or,  qu'avons-nous  fait  dans  la  région  où 
nomadisent  ces  tribus?  Nous  nous  sommes  bornés  à  occuper  et  à  fortifier 
d'une  manière  permanente  un  certain  nombre  de  points  de  notre  ligne  de 
communication  avec  les  oasis  sahariennes;  entre  ces  points,  ces  tribus 
circulent  librement  et  impunément. 

Ce  n'est  cependant  pas  d'aujourd'hui  qu'on  sait  qu'un  fort  ne  commande 
jamais  que  dans  un  rayon  très  court  autour  de  son  enceinte;  ce  n'est  pas 
hier  seulement  qu'a  été  démontrée  la  nécessité  d'avoir  sur  les  marches 
sahariennes  des  unités  très  légères  et  très  mobiles,  parcourant  sans 
relâche  le  pays.  Tout  cela  résulte  des  enseignements  de  la  guerre  d'Afri- 
que, et  le  maréchal  Bugeaud  en  a  fait  le  premier  —  on  sait  avec  quel 
succès  —  l'application  pendant  la  formidable  insurrection  de  1845.  Pour- 
quoi n'étpndons-nous  pas  à  tout 'le  Sud  algérien  le  système,  si  logique,  en 
même  temps  qu'économique,  des  compagnies  mixtes,  préconisé  par  le 
commandant  Frisch?  Ce  système  a  été  jugé  rationnel  pour  les  oasis  saha- 
riennes, où  il  a  été  appliqué  par  décret  du  l*""  avril  1902  ;  il  le  serait 
ailleurs  aussi. 

Qu'on  ne  s'y  trompe  p^s  !  Nous  n'aurons  de  tranquillité  relative  dans  les 
parages  de  Figuig  et  d'Igli  que  si  deux  ou  trois  compagnies  mixtes  y 
nomadisent  en  permanence  d'octobre  à  la  fin  de  mai;  autrement,  nos 
postes  et  nos  convois  de  ravitaillement  auront  périodiquement  à  répondre 
à  des  attaques  du  genre  de  celle  du  Ksar-el-Azoug,  et  probablement  même 
à  de  plus  importantes  et  de  plus  dangereuses. 

Maroc.  —  La  situation,  —  L'événement  important  estrinvasion  des 
Maures  auprès  de  Mélilla.  Leur  nombre  s'élèverait  à  4.000  environ 
et  ils  ont  livré  un  assaut  à  la  forteresse  de  Frajana,  dans  lequel  ils 
ont  eu  il  tués  et  plusieurs  blessés. 

Mouley-Amrani,  commandant  des  troupes  du  Makhzen  dans  le 
Hifî,  qui  avait  pressenti  à  ce  sujet  le  commandant  de  la  place  de 
Mélilla  il  y  a  quelques  jours,  vient  de  se  réfugier  dans  cette  ville 
après  avoir  battu  en  retraite  devant  les  troupes  du  prétendant  Bou- 
Hamara,  contre  lequel  combat  encore  une  partie  de  ses  troupes. 
Bou-Hamara  a  envoyé  un  parlementaire  à  la  place  de  Mélilla  pour 
demander  de  le  reconnaître  comme  sultan  et  de  refuser  asile  à 
Mouley-Amrani.  Le  commandant  militaire  a  refusé  et  lui  a  fait 
savoir  que  s'il  venait  sur  le  territoire  espagnol,  il  le  recevrait  à 
coups  de  fusil. 


RENSEIGNEMENTS   ÉCONOMIQUES 


I.  —  AFRIQUE. 


Maroc.  —  Le  commercé  extérieur.  —  Le  ffandeh  Muséum  donne  d'in- 
téressants renseignements  sur  le  commerce  extérieur  du  Maroc. 

L'Angleterre  et  la  France  sont  les  seules  puissances  dont  les  inté- 
rêts commerciaux,  au  Maroc,  aient  une  impotrance  supérieure  à 
ceux  de  TAllemagne.  Mais,  tandis  que,  depuis  sept  ans,  on  constate 
une  augmentation  ininterrompue  du  mouvement  commercial  et  ma- 
ritime de  l'Allemagne  au  Maroc,  on  observe,  au  contraire,  une  dimi- 
nution du  chiffre  des  échanges  de  la  France  avec  l'empire  chérifîen. 
C'est  du  moins  ce  qu'on  est  en  droit  de  conclure  d'un  parallèle  entre 
les  maisons  de  commerce  allemandes  et  françaises  existant  au 
Maroc. 

A  l'égard  des  premières,  voici  le  relevé  qu'on  en  a  fait,  il  y  a 
deux  ans  :  à  Tanger,  huit  maisons  principales  et  trois  succursales;  à 
Casablanca,  six  établissements  commerciaux;  à  Saffi,  cinq;  à  Mo- 
gador,  quatre;  à  Mazagran,  trois;  à  Larache,  une;  à  Rabat,  deuï; 
et,  dans  l'ensemble,  un  personnel  comprenant  200  sujets  allemands. 
Depuis  1900,  ces  chiffres  ont  éprouvé  une  sensible  augmentation. 

En  1900,  les  navires  anglais  entrés  dans  les  ports  du  Maroc  jau- 
geaient, au  total,  394.132  tonneaux,  y  compris  le  trafic  entre  Gibral- 
tar et  la  côte  marocaine;  la  marine  commerciale  allemande  était 
représentée  par  254.570  tonneaux,  et  la  marine  française  par 
201.088  tonneaux. 

De  1892  à  1900,  l'exportation  du  Maroc  en  France  a  passé  de 
6.900.000  francs  à  9.000.000.  Les  mêmes  échanges  avec  l'Allemagne 
se  sont  élevés  de  1  million  à  7.600.000  francs  ^ 

L'exportation  allemande  au  Maroc  n'a  pas  progressé  dans  les 
mêmes  proportions  :  elle  s'élevait,  en  1892,  à  1.130.000  marks,  et, 
après  quelques  fluctuations,  elle  atteignait,  en  1901, 1.460.000  marks. 

Le  commerce  d'exportation  de  l'Allemagne  au  Maroc  consiste  sur- 
tout en  étoffes  de  coton  (509.000  marks  en  1901),  sucre  (184.000 
marks),  quincaillerie  (163.000  marks),  alcool  en  fûts  (35.000  marks), 
teinture  minérale  (30.000  marks),  etc. 

Le  mouvement  des  échanges  entre  l'Allemagne  et  le  Maroc  va 
prendre  encore  du  développement,  grâce  aux  nouvelles  lignes  jle 

1  Les  marchandises  marocaines  exportées  en  Allemagne  consistent  principalement 
en  amandes,  huile  d'olive,  cire,  peaux  et  cuirs,  œufs,  etc. 


RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  539 

naTigalion  créées  en  avril  1902,  notamment  par  les  services  qu*ont 
établis  VOldenhurg-portugiesische  Dampfschiffrhederei^  et  la  V'ôrmann 
Linie,  Les  vapeurs  de  ces  compagnies  font  escale  deux  fois  par  mois 
dans  les  ports  marocains.  Les  subventions  de  TËtat  jointes  aux 
entreprises  des  capitalistes  ont  fortement  contribué  à  donner  au 
commerce  allemand  au  Maroc  le  remarquable  essor  qu'il  a  pris  de- 
puis quelques  années. 

Dahomey.  —  Le  commerce  m  1902.  —  Le  mouvement  commercial 
du  Dahomey  s'est  élevé  en  1902  à  30.759.600  francs  en  augmentation 
de  4.528.000  francs  sur  1901.  Un  fait  très  important  et  qui  est  tout 
de  suite  à  noter,  c'est  que  c'est  aux  exportations  qu'on  doit  la  plus 
large  part  de  cette  augmentation.  Tandis  que  les  importations  s'éle- 
vaient de  1.337.736  francs,  passant  de  15.752.650  francs  en  1901,  à 
17.090.386  francs  en  1900,  les  exportations  croissaient  de 
3.190.300  francs,  passant  de  10.478.916  francs  à  13.669.216  francs. 

Ce  sont  surtout  les  huiles  et  amandes  de  palme  qui  ont  provoqué 
cette  belle  augmentation  des  exportations.  Il  a  été  exporté 
29.778.000  kilog.  en  chiffres  ronds  d'amandes  de  palme  contre 
24.212.000  kilog.  en  1901,  et  12.676.000  kil.  d'huiles  de  palme  contre 
11.291.000  en  1901.  Les  exportations  de  coprah  se  sont  aussi  notable- 
ment développées  ayant  passé  de  185.000  kilog.  à  352.000  kilog.  en 
chiffres  ronds. 

Seul  le  caoutchouc  a  présenté  une  sérieuse  diminution  de  4.315  kil., 
ce  qui  a  réduit  les  exportations  de  cette  matière  première  à 
1.575  kilog.  La  presque  totalité  des  amandes  de  palme  est  expédiée 
en  Allemagne.  C'est  avec  l'étranger,  du  reste,  que  le  Dahomey  fait 
la  plus  grande  partie  de  son  commerce.  Sur  les  30.660.000  francs  de 
ce  commerce,  22.724.000  francs  sont  faits  avec  l'étranger,  7.914.000  fr. 
avec  la  France  et  91.000  francs  environ  avec  les  colonies. 

Cette  belle  progression  du  commerce  du  Dahomey  a  amené  une 
progression  notable  dans  les  recettes  de  cette  colonie,  qui  se  sont 
élevées  de  3.580.000  francs  en  1901  à  4.427.000  francs.  Ce  mouve- 
ment ascendant  va  probablement  continuer,  grâce  au  chemin  de  fer 
dont  les  88  premiers  kilomètres  sont  déjà  en  exploitation  et  dont  le 
prolongement  vers  l'intérieur  se  poursuit  avec  rapidité. 


NOMINATIONS  OFFiaELLES 


MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

L*exequatur  a  été  accordé  à  : 

M.  Léon  8auvan,  consul  du  Monténégro  à  Nice  ; 

M.  Luia  Zalles,  consul  général  de  Bolivie  en  France. 

MINISTÈRE  DE  LA  fiUERRE 

Troapeii  inétrop«liUiines. 

AHTILLEBIE 

Oasis  sahariennes.  —  M.  le  Ueut.  Mussel  est  désig.  pour  servir  à  la  comp 
du  Touat. 

GÉNIE 

Afrique  Occidentale.  —  M.  le  lieut.  Quillacq  est  désig.  pour  le  service  des 
travaux  publics  au  Dahomey. 

GENDARMERIE 

Guadeloupe.  ~  M.  le  Ueut.  Burgat  est  désig.  pour  servir  à  la  Basse-Terre. 
Océanie.  —  M.  le  Ueut.  Bonnemaison  est  désig. -pour  serv.  à  Papeete  (Tahiti 

Troapes  coloniales. 

HfFANTEBIE 

Afrique  Occidentale.  —  Sont  aiïectés  : 

Au  i^^  sénégalais,  M.  le  capit.  Rubj  ;  au  2«  sénégalais,  M.  le  capi7.  Boucliei.t 
à  l'état-maj.  partie,  de  la  colonie,  MM.  les  capit.  Mène  et  Quilichini  et  le  lif^i 
Georg. 

Chine. —  M.  le  Ueut.  Vernier  est  désig.  pour  Tétat-maj.  du  corps  d'occupat. 

Indo-Chine.  —  Sont  affectés  : 

M.  le  colonel Yt&SBe y  au  2«  tonkinois; 

M.  le  colonel  Gouttenègre,  au  4*  tonkinois  ; 

M.  le  Ueut.colon.  Diguet,  au  3«  tonkinois  ; 

M.  le  lieut.'Colon.  Moudon,  au  !«'  tonkinois; 

M.  le  lieut.'Colon.  Louvel,  à  la  suite  du  l"**  tonkinois; 

MM.  les  chefs  de  bataill.  Cassier,  au  10*  rég.  et  Régnier,  au  S"  tonkinois; 

M.  le  capit.  Gagnepain,  à  la  4«  comp.  du  3*  tonkinois'; 

M.  le  capit.  Salmon  (P. -F.),  à  la  10«  comp.  du  3*  tonkinois; 

M.  le  capit.  Heurtebize,  au  10*  rég.  comme  adjudant-major  au  4*  bat.  ; 

M.  le  capit.  Montégu,  au  18*  rég.  comme  adjudant- major; 

M.  le  capit.  Gérente,  au  4^  tonkinois  comme  capitaine-major; 

M.  le  Ueut.  Imbert  (H.-C.)  à  l'état-major  partie,  chancelier  du  cercle  de  Ha-giaiiL'; 

M.  le  Ueut,  Mignot,  au  2»  rég.  de  tirailleurs  tonkinois; 

M.  le  lieut.  Kermorvant,  à  la  8*  comp.  du  2*  tonkinois; 

M.  le  Ueut.  Sautel,  à  la  3*  comp.  du  {•r  tonkinois; 

M.  le  lieut.  Varache,  à  la  14*  comp.  du  18«  rég.  : 

M.  le  lieut.  Crabos,  au  11«  rég. 

Les  officiers  ci-après  en  service  au  Tonkin  ont  été  placés,  savoir  : 

M.  le  capit.  Paponnet,  à  la  !•  comp.  du  10*  rég.  ; 

M.  le  capit.  Delahaye,  comme  adjudant-major  au  3«  bat.  du  3*  tonkinois; 

M.  le  Ueut.  Triol  (G. -M.),  à  la  12*  comp.  du  4*  tonkinois  ; 

M.  le  lieut,  Laguerre,  à  la  2*  comp.  du  2*  tonkinois; 

M.  le  lieut.  Popp,  au  l®"*  tonkinois; 

M.  le  sous-Ueut.  des  Garets,  à  la  11*'  comp.  du  9«  rég.; 

M.  \q  souS'lieut.  Pravaz,  à  la  12*  comp.  du  9®  rég.  ; 

M.  le  sous-Ueut.  Bouédron,  à  la  5*  comp.  du  10*  rég.; 

M.  le  sous-Ueut.  Guillon,  à  la  14"  comp.  du  10*  rég.; 


NOMINATIONS   OFFICIELLES  5U 

M.  le  sous'lieut,  Lasseron,  à  la  8«  comp.  du  1»^  tonkinois; 

M.  Je  sous-lieut,  Petitjeao,  à  la  i2«  comp.  du  1"  tonkinois  ; 

M.  le  sous-lieut.  Prévost,  à  la  suite  du  i*^  tonkinois  ; 

M.  le  sous-lieut.  Pelle  de  Quéral,  à  la  6«  comp.  du  3«  tonkinois  ; 

M.  le  sous-lieut.  Amalric,  à  la  10®  comp.  du  3«  tonkinois  ; 

M.  le  sous-lieut.  Charleuf,  à  la  8*  comp.  du  4*  tonkinois  ; 

•  M.  le  capit,  Durand  est  désig.  pour  servir  au  Tonkin. 

Les  officiers  ci-après  en  service  en  Cochinchine  ont  été  placés,  savoir  : 

M.  le  capit.  Letendre,  à  la  12*  comp.  du  11*  rég.  ; 

M.  le  capit.  Leraoine,  à  la  l''^'  comp.  du  rég.  de  tirailleurs  annamites; 

M.  le  capit.  Jacobi  (G.-C),  à  la  3«  comp.  du  rég.  de  tirailleurs  annamites; 

M.  le  lieut.  Guillermeau,  à  la  8<>  comp.  du  11*  rég.; 

M.  le  lieut.  Oaveng,  à  la  2*  comp.  du  rég.  de  tirailleurs  annamites; 

M.  le  lieut.  Rivière  (J.-M.),  à  la  7*  comp.  du  rég.  de  tirailleurs  annamites  ; 

M.  le  sous-lieut.  Ducrocq,  à  la  2*  comp.  du  11*  rég.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Delafond,  à  la  4^  comp.  du  11*  rég.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Guilleminet,  à  la  11*  comp.  du  11*  rég.; 

M.  le  sous-lieut.  Lhuinte,  à  la  12<^  comp.  du  11*  rég.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Leroy  (M.-E.-E.),  à  la  4«  comp.  :  M.  le  sous-lieut.  d. 
Choù^eul-Praslin,  à  la  5"  comp.;  M.  le  sous-lieut.  Hayez,  ii  la  8*  comp.  ;  M.  le  sous- 
litul.  Detanger,  à  la  11*  comp.  du  rég.  do  tirailleurs  annamites. 

M.  le   chef  de  bat.  Ballet-Baz  est  afTecté   au   rég.  de  tiraill.  annamites. 

MM.  les  lieut.  Régnier  et  Bianchi  sont  désig.  pour  servir. en  Cochinchine. 
t      Madagascar.  —  M.  le  chef  de  bataill.  Lucciardi,  de  l'état-major  partie,  e^t 
,    promu  lieut.-colonel. 

M.  le  chef  de  bat.  Michard  est   affeclé  au  2*  malgaches  ; 

M.  le  capit.  Bourgeron  est  nommé  capit. -major  du  3*  sénégalais; 

M.  le  capit.  Lagrange  est  désig.  pour  servir  à  Madagascar; 

M.  le  lieut.  Maignan  est  affecté  à  la  1'*  comp.  du  15«  colonial. 

Sont  aflectés  : 

M.  le  capit.  Simonin,  à  la  l''^'  comp.  du  bataillon  sénégalais  de  Diego  ; 

M.  le  lieut.  Pelitjean,  à  la  1'*  comp.  du  2«  malgaches; 

M.  le  lieut.  Eckert,  à  la  l»^"  comp.  du  VM  rég.; 

M.  le  lieut.  Bacbellez,  à  la  8«  comp.  du  lo*"  rég.; 

M.  le  lieut.  Scheer,  à  la  2«  comp.  du  l»"*  malgaches; 

M.  le  lieut.  Modest,  à  la  section  de  télégraphistes; 

M.  le  lieut.  Cérisola,  au  13«  rég.,  comme  adjoint  au  trésorier. 

Les  officiers  ci-après  en  service  à  Madagascar  ont  été  placés,  savoir  : 

M.  le  capit.  Sarran,  à  la  2'  comp.  du  13*  rég.  ; 

M.  le  capit.  de  Goesbriand,  à  la  10«  comp.  du  13«  rég.  ; 

M.  îe  capit.  Saphore,  à  la  11«  comp.  du  15*  rég.  ; 

M.  le  capit.  Royer,  comme  adjudant-major  au  2«  malgaches  ; 

M.  le  capit.  Jagniatkowski^  comme  adjudant-major  au  2^  malgaches  . 

M.  le  capit.  Jottras,  comme  adjudant-major  au  3«  sénégalais; 

M.  le  lieut.  Gros  (P.-G.),  à  la  2«  comp.  du  13«  rég.  ; 

M.  le  lieut.  Rayet,  à  la  14«  comp.  du  13«  rég.  ; 

M.  le  lieut.  Gressard,  à  la  lO"  comp.  du  15®  rég.; 

M.  le  lieut.  Laurent  (P-E.),  à  la  14*  comp.  du  S**  sénégalais; 

M.  le  lieul.  Burgeat,  à  la  6«  comp.  du  3"  sénégalais  ; 

M.  le  sous-lieut.  Floransan,  à  la  3«  comp.  du  13«  rég.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Lacourrière,  à  la  8*  comp.  du  13<?  rég.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Bournique,  à  la  9"  comp.  du  13®  rég.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Lemoine,  à  la  8®  comp.  du  i^j^  rég.  ; 

M.  le  sous-lieut.  Marcaire,  à  la  10*  comp.  du  2'  malgaches; 

.M.  le  sous-lieut.  Bruand,  à  la  4*  comp.  du  3«  sénégalais  ; 

M.  le  sous-lieut.  Gillette,  à  la  14<'  comp.  du  3*^  sénégalais; 
I         M.  le  sous-lieut.  Buhrer,  à  la  15*  comp.  du  3"  sénégalais. 

ARTILLERIE 

Etat-major.  —  M.  le  command.  Debon,  sous-chef  d'état-maj,  du  corps  d'armi.%* 
des  troupes  coloniales,  est  promu  lieut. -col. 


542  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

Afrique-Ocoldentale.  —  M.  le  chef  d escadron  Esmenjaud  est  désig.  pour 
servir  en  Afrique  Occidentale  ; 

M.  le  lient,  Quérillac  est  désig.  pour  lacompag.  de  conduct.  sénégalais; 

M.  le  souS'lieut.  Lallemant  est  affecté  à  l'état-maj.  des  batteries  comme  officier 
de  détail. 

Indo-Chine.  —  M.  le  chef  d'escadron  Lecostey  est  désig.  pour  servir  au  Tonldn. 

Sont  désig.  pour  servir  : 

A  la  l^e  batterie  du  rég.  du  Tonkin  à  Hanoi,  M.  le  sous-lieul,  Lepoiz  ; 

A  la  3*  batterie  de  ce  rég.  à  Hongay,  M.  le  sous-lieut,  Chabard; 

A  la  4"  batterie  de  ce  rég.  à  Lang-Son,  M.  le  sous-lieut.  Pouvreau  ; 

A  la  8*  batterie  de  ce  rég.  à  Moncay,  M.  le  sous-lieut.  Brodin  ; 

A  la  1^*  batterie  du  rég.  de  Cochinchine  à  Saigon,  M.  le  sous-lieut.  Rossignol; 

A  la  5*  batterie  de  ce  rég.  au  cap  Saint-Jacques,  M.  le  sous-lieut.  Launej. 

M.  le  chef  d'escadron  Pocard  du  Cosquer  de  Kerviler  est  afiecté  au  rég.  de  Co- 
chinchine. 

Madagascar.  —  M.  le  colonel  Sordoillet  est  nommé  au  command.  de  l'artil- 
lerie de  la  colonie  à  Tananarive. 

M.  le  capit.  Pejrègne  est  placé  à  l'état-maj.  partie,  à  Diégo-Suarez. 

Martinique.  ~  M.  le  capit.  Sudan-Cl^evalej  est  désig.  pour  servir  à  la  Marti- 
nique. 

CORPS  ou  COMMISSARIAT 

Afriqne  Occidentale.  —  M.  le  commiss.  ppal  de  2*  cl.  Mange  est  désig.  pour 
servir  en  Afrique  Occidentale. 

OongO.  —  MM.  les  commiss.  de  2*  cl.  Sabatier  et  Thonnard  du  Temple  sont 
désig.  pour  servir  au  Congo. 

Indo-Ohine.  —  M.  Monge,  commiss.  ppal  de  3*  c/.,  est  nommé  chef  du  secré- 
tariat du  direct,  des  services  administ.  à  Hanoi. 

Madagascar.  —  M.  Archer,  commiss.  de  2*  c/.,  est  désig.  pour  servir  à  Tana- 
narive. 

Agents. 

Indo-OUne.  —  M.  Soulié,  agent  de  1"  cl„  est  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine. 

CORPS   DE  SANTÉ 

Afriqne  Occidentale.  —  M.  le  méd.-maj,  de  2«  cl.  Pellan  est  désig.  pour 
servir  H.  C.  à  la  Côte  dlvoire. 

M.  le  méd.^moj»  de  2«  cl.  Charezieux  est  désig.  pour  servir  au  Soudan. 

M.  le  méd.-maj\  de  2»  cl.  Prouvost  est  désig.  pour  servir  à  la  mission  du  che- 
min de  fer  du  Dahomey. 

Sont  désig.  pour  servir  : 

Hors  cadres  en  Casamance,  M.  le  méd.-maj.  de  2*  cl.  Thirion  ; 

A  l'ambulance  de  Kati,  M.  le  méd.  aide^maj.  de  1'*  cl.  Durand; 

A  Ouagadougou,  M.  le  méd,  aide^maj.  de  i^  cl.  Duperron. 

OMne.  —  Sont  désig.  pour  servir  au  corps  d'occupat.  : 

MM.  le  méd.-maj.  de  i^'  cl.  Bellard;  le  méd.-maj.  de  2*  cl.  Chartres;  le  méd. 
aide-maj.  de  i^  cl.  Couderc. 

M.  le  méd.-maj.  de  2^  cl.  Onimus  est  placé  H.  C.  à  la  légation  de  France  à 
Pékin. 

Congo.  —  M.  le  méd.  aide-maj.  de  i^*  cl.  Grandmaire  est  désig.  pour  servir  au 
Congo. 

Guyane.  —  MM.  le  méd.-maj.  de  2*  cl.  Le  Strat  et  le  pharm.-maj.  de  2*  cl. 
Birard  sont  désig.  pour  servir  à  la  Guyane. 

Indo-Chine.  —  Sont  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine  : 

MM.  les  méd.-maj.  de  l'«  cl.  Reboul  et  Pujol; 

MM.  les  méd.  aides~maj.  de  i'*  cl.  Rousseau,  Lartigue  et  Lacour; 

MM.  les  méd.-maj.  de  2«  cl.  Paucot  et  Ganducheau  sont  désig.  pour  servir  au 
Tonkin  ; 

M.  le  méd.-maj.  de  2«  cl.  Gui  tard  est  désig.  pour  servir  en  Cochinchine. 

Madagascar.  —  M.  le  méd.-maj  de  1'*  cl.  Neiret  est  désig.  pour  servir  à 
l'Institut  Pasteur  de  Tananarive  ; 

M.  le  méd.-maj.  de  i'*  cl,  Lévrier'est  désig.  pour  servir  à  Madagascar. 


NOMINATIONS  OFFICIELLES  543 

Les  méd.-maj.  de  2«  cl,  dont  les  noms  suivent  sont  désig.  pour  servir  : 

Au  15'  colonial  à  Diégo-Suarez,  M.  Lairac; 

Au  service  local  à  Mananjarjr,  M.  Gautier; 

A  l'ambulance  de  Morondava,  M.  Binard  ; 

A  l'hôpital  de  Tananarive,  M.  Legendre. 

Les  méd.  aides-maj.  dont  les  noms  suivent  sont  désig.  pour  servir  : 

A  l'hôpital  de  Majunga,  M.  Petit; 

A  rhôpital  de  Tananarive,  M.  Le  Strat; 

A  l'ambulance  de  Moramanga,  M.  Bireaud  ; 

Au  2*  malgaches,  M.  Franceschetti  ; 

Aux  batteries  d'artill.  de  Tananarive,  M.  Eberlé; 

A  rhôpital  de  Tamatave,  M.  Poux. 

M.  \e  pharm.'maj.  de  2«  cl.  Claverin  est  désig.  pour  l'hôpital  deTananarive. 

M.  le  pharm.  aide-maj,  de  1'*  cl.  Boin  est  affecté  au  service  local  de  Tananarive. 

Nonvelle-Calédonie.  —  MM.  les  méd.^maj.  de  2«  cl.  Renault  et  Delabaud 
soQt  désig.  pour  servir  en  Nouvelle-Calédonie. 

Ooéanie.  —  M.  le  méd.  -maj.  de  1'*  cl,  Alquier  est  désig.  pour  servir  à  Tahiti. 

Réunion.  —  M.  le  méd. -maj.  de  2*  cl.  Lafont  est  désig.  pour  servir  à  la  Réu- 
nion. 

Agents  comptables. 

Réunion.  —  M.  Vivaldy,  agent  comptable  de  !<'«  cl.,  est  désig.  pour  servir  à  la 
Réunion. 

MimSTËRE  DE  LA  MARINE 

BTÀT-MAJOR  DB   LA  FLOTTE 

Paoiflqae.  —  Sont  désig.  pour  embarq.  sur  le  Protêt  : 

MM.  les  lient,  de  vaiss.  Tadié  et  Pirot,  l'en^et^.  de  vaiss.  Vinsot  et  les  mécanic. 
ppaux  de  2*  cl.  Vallon  et  Brunel. 

Atlantique.  —  M.  le  mécanic.  ppal  de  i"  cl.  Halter  est  désig.  pour  embarq. 
sur  le  Troude. 

Indo-Chine.  —  M.  Venseig.  de  ttaiss.  Roussel  est  désig.  pour  embarq,  sur  le 
Kersaint,  station  locale  d'Ànnam  et  Tonkin. 

Mers  d'Orient.  —  M.  le  mécanic.  ppal  de  l'«  cl.  Le  Roch  est  désig.  pour 
embarq.  sur  le  Pascal. 

SERVICES  ADMINISTRATIFS 

Goohinohine.  —  M.  Girousse,  commis  de  3*  cl.^  est  désig.  pour  servir  à  l'arsenal 
de  Saigon. 

MINISTÈRE  DES  COLONIES 

Sont  nommés  : 

Président  du  tribunal  sup.  de  Papeete  (Océanie),  M.  Muston  ; 

Juge  au  tribunal  sup.  de  Konakry  (Guinée  française),  M.  Clavius-Marius  ; 

Conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Madagascar,  M.  Mausencal  ; 

Juge  président  du  tribunal  de  1^»  instance  de  Tamatave,  M.  Lelong; 

Juge  président  du  tribunal  de  i^^  instance  de  Diégo-Suarez,  M.  Jouin  ; 

Procureur  de  la  République  du  tribunal  de  l'«  instance  de  Majunga,  M.  Camouin; 

[Procureur  de  la  République  &  Libreville  (Congo  français),  M.  Gilbert  Desvallons; 
Présid.  du  tribunal  sup.  à  Libreville,  M.  de  Mérona; 
Procur.de  la  République  k  Pointe-à-Pitre  (Guadeloupe),  M.  Delestrée; 
Procur.  de  la  République  à  la  Basse-Terre  (Guadeloupe),  M.  Potier  ; 
Juge  au  tribunal  sup.  de  Libreville  (Congo),  M.  André; 
Juge  auditeur  au  tribunal  sup.  de  Libreville,  M.  Roui  de  la  Hellière  ,* 
I         Juge  suppléant  au  tribunal  de  l^'^  instance  de  Brazzaville  (Congo),  M.  Lefèvre; 
Juge  d'instruction  au  tribunal  de  l'«  instance  de  Saint-Denis  (Réunion),  M.  Martin; 
Juge  d'instruct.  au  tribunal  de  1'*  instance  de  Saint-Pierre  (Réunion),  M.  Digeon  ; 
,         Juge  au  tribunal  de  1'*  instance  de   Saint-Pierre  (Réunion),  M.  Delacroix; 
f         Juge  au  tribunal  de  l"  instance  de  Fort-de-France  (Martinique),  M.  Garnier  ; 
Juge  suppléant  au  tribunal  de  1'*  instance  de  Cajenne  (Guyane),  M.  Sainte-Luce; 
Greffier-notaire     du     tribunal    de     !'«    instance     de    Porto-Novo    (Dahomey), 
M.  Latreuille. 


544  QUESTIONS  DIPLUBIATIQUES   ET   COLONIALES 

BIBLIOGRAPHIE  —  LIVRES  ET  REVUES 


Un  Bagne  russe.  Vile  de  Sakhaline,  par  M.  Paul  Labbé. 

'    Librairie  Hachette. 

Un  Bagne  msse  est  le  compte  rendu  de  la  mission  que  M.  Paul  Labbé  a 
accomplie  pour  le  ministère  de  l'Instruction  publique  en  Extrême-Orient 
dans  l'île  de  Sakhaline  ou  Saghalien. 

Notre  voyageur  a  étudié  avec  grand  soin  et  longuement  les  conditions 
d'existence  des  forçats  russes  dans  les  colonies  pénitentiaires,  dans  les 
prisons  et  dans  les  villages  de  l'île.  Son  récit  est  plein  d'observations 
prises  de  visu,  sur  le  fait,  et  grâce  à  sa  connaissance  de  la  langue  russe, 
il  a  pu  nous  mettre  en  quelque  sorte  sous  les  yeux  Timage  même  de  la 
vie  des  forçats  avec  ses  tristesses  et  ses  écœurements. 

Puis  M.  Paul  Labbé  pénétra  dans  l'île  et  vécut  au  milieu  des  Guilikis 
et  des  Aînos,  populations  jusqu'alors  à  peine  étudiées.  La  vie  ùe  ces  sau- 
vages, qui  peu  à  peu  disparaissent,  est  vivement  racontée  et  dépeinte  a 
l'aide  d'un  grand  nombre  d'anecdotes  amusantes,  de  traits  de  mœurs  et 
d'aventures.  Le  dernier  chapitre  décrit  la  fameuse  fête  de  l'ours,  pleine  de 
détails  aussi  pittoresques  qu'inattendus. 

Ouvrages  déposés   au  bureau  de  la  Revue, 
La  France  au  dehors.  Les  missions  catholiques  françaises  au  XIX*  siècle^  publiée* 
sous  la  direction  du  P.  Piolet,  avec  la  collaboration  de  toutes  les  sociétés  de  mis- 
sions. —  Illustrations  d'après  des  documents  originaux.  —  Tome  VI  et  dernier. 
Missions  d'Amérique.  Les  93*  et  9i*  livraisons  viennent  de  paraître.  Paris,  1903, 
librairie  A.  Colin. 
Etude  sur  les  relations  économiques  des  principaux  pays  de  l'Europe  continen- 
tale avec  V Extrême-Orient^  par  Edouard  Clavbry,  consul  de  France.  Une  bro- 
chure in-80  de  6i  pages.  Léautey,  éditeur.  Paris,  1903. 
Les  Lazaristes  à  Madagascar  au  XVII*  siècle,  par  Henri  Fboidevaux.  Un  roi.  in-fii 
de  256  pages.  Gh.  Poussielgue,  éditeur.  Paris,  1903. 

LES  REVUES 

I.  —  REVUES  FRANÇAISES 

Armée  et  Marine  (;»  avril).  M.  :  L'artillerie  moyenne  des  cuirassés  en  chantier> 
ou  à  flot  en  France  et  à  l'étranger.  —  A.  Colombier  :  L'Ecole  des  mousses  et  no- 
vices de  Cette.  —  Les  turbines  appliquées  à  la  propulsion  des  navires.  —  E.  L. . 
Les  paquebots  allemands  et  le  tourisme.  —  (12  avril).  Z.  :  La  légion  étrangère 
—  D""  Victor  Sboalen  :  Vers  les  sinistrés  :  cyclone  des  Iles  Tuarûotou. 

La  Quinzaine  coloniale  (10  avinl).  La  politique  indigène  et  radministration  de 
la  justice.  — Le  commerce  des  colonies.  —  L'emprunt,  du  gouvernement  général 
de  l'Afrique  Occidentale. 

Revue  coloniale  {nov,-déc.  1902).  Lieutenant  Duboc  :  La  mission  du  golfe  de 
Guinée.  —  La  mission  Vigoureux  (Océanie).  —  Capitaine  Victor  Mabibu  :  Haut- 
Oubangbi. 

Revue  générale  des  Sciences  (30  mars).  Edm.  Doutté  :  Les  Marocains  et  h 
société  marocaine.  Troisième  partie  :  La  Religion. 

Revue  politique  et  parlementaire  (10  avril).  Rsffé  Millet  :  Les  AfT&i^e^ 
étrangères  et  le  Parlement.  —  ***  :  Nos  communications  avec  l'Algérie  :  Le  pas- 
sage du  détroit  de  Gibraltar. 

II.  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 
Revues  belges. 

Le  Mouvement  idéographique  (5  avril).  A.-J.  W.  ^  La  «  Discoverj  »  au  Pôle 
Sud.  —  (12  avril).  A.-J.  Wauters  :  Les  territoires  pris  à  bail  du  Haut-Nil. 

U Administratêur-Oérant  :  P.  Campaiw. 

PARIS.  —  IMPRIMERIE  F.   LEVÉ,  RUB  CASilBTTB,  17. 


APERÇU    DE    QUELQUES    SÔMMIAlREÔ 

*  ftnm-irm.rin-njuu-ij 

Sommaire  do  n»  139 

iVotK  eoqsêta  :  A  propos  des  affaires  de  Siam  :  Opinions  do  MM.  Godin,  le  Comte 
d'Annay,  Berthelot,  Ce  Myre  de  Vilers,  Denys  Cochm,  Plourens,  Senart,  et  du  journal 
Le  Temps,  -^  Maurice  Boret  :  Les  yilles  de  santé  dans  nos  Colonies.  —  Georges 
Bthler  :  La  lutte  tchèque-allemande. 

Cartea  et  gravures  :  Répartition  des  nationalités  en  Aulriche-Hongrie. 

Sommaire  do  n"  i40 

Kotn  eiKinête  s  A  propos  des  affaires  de  Siam  ;  opiuions  do  MM.  François  Deloncle,  le 
baron  d'Estoarn elles,  de  Constant,  Ger^iUe-Réache,  H.  Cordier,  Marcel  Monnier, 
Charles  Lemire.  —  ***  :  L'œuvre  française  en  Afrique  occidentale.  —  Paal  Labbé  : 
La  région  du  fleure  Amour,  la  prorince  Maritime. 

Cartes  et  grovares  :  L  Les  nouvelles  délimitations  des  colonies  de  l'Afrique  occidentale. 
~  II.  La  région  du  fleuve  amour. ■ 

Sommaire  du  no  141 

Saiot-Germain,  sénateur  d'Oran  :  La  question  du  Maroc.  ~  Le  Myre  de  Yilers,  ancien 
député  de  la  Cochinchine  :  La  crise  de  l'argent  en  Indo^Chine.  —  ***  :  Le  conflit 
anglo- germano-vénézuélien.  —  René  Basset,  directeur  de  l'École  supérieure  des  Lettres 
d'Alger  :  Le  XIII*  congrès  international  des  orientalistes  à  Hambourg. —  René  Piuon: 
Les  missions  catholiques  françaises  au  xix"  siècle.  —  L.  Brnnet,  député  de  la  Réunion: 
Madagascar.  —  Les  territoires  militaires. 

^ Cartes  et  gravures  ;  Carte  du  Maroc.  —  Carte  du  Venezuela. 

Sommaire  du  n*  i  42 

Notre  expansion  coloniale  et  les  partis  politiques.  —  René  Henry  :  La  question  do  la 
Macédoine. —  X.  :  La  question  du  Maroc.  —  Notre  Enquête  :  A  propos  des  affaires  do 
Siam;  opinions  de  M.  G.  Chastenet,  d'un  collaborateur  d'Extrême-Orient,  de  M.  Robert 
de  Caix  [Journal  des  Débats)  ;  protestation  de  l'Association  des  écrivains  militaires, 
maritimes  et  coloniaux,  Président,  M.  H.  Houssaye. 
(^«8  et  gravures  :  I.  Péninsule  des  Balkans  :  indications  oro^raphiques.  —  II.  La 
Targuie  d'Europe.  —  III    La  Péninsule  des  Balkans  d'après  le  traité  de  San-Stefano. 

Sommaire  dn  n  i4«1 

A DgMte  Terrier  ;  La  délimitation  de  rEihiopie.  —  René  Heury  :  La  (juestion  de  Macé- 
doine. —  —  Alexandre  Gnasco  ;  Le  paludisme  et  l'initiative  privée  en  Corse.  — 
i.  Denais-Darnays  .-  Fédéralisme  et  socialisme  en  Australasie.  —  René  Morenx  : 
Le  traité  franco-siamois  et  Topinion  allemande. 

Cartei  et  gravures  :  I.  Frontière  entre  le  Soudan  Anglo-Egyptien  et  l'Ethiopie.  — 
11.  Délimiution  de  l'Afrique  Orientale. 

Sommaire  du  n^  i44 

E.  Fdllot  :  Le  commerce  du  Sahara.  —  Georges  Bohler  :  La  question  du  Venezuela.  — 
Goaalès  Flgnelras  :  Une  première  occupation  allemande  au  Venezuela  (xvi«  siècle). — 
Gabriel  Louis-Jaruy  :  La  presse  politique  en  Bohême,  Moravie  et  Silésie. 
Cartes  et  gravmres  ;  Carte  du  Sahara, 

Sommaire  du  iè9  i45 

lleari  Bohler  :  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad  :  Les  intôruts  français  et  allemands  en 
Torquio.  —  Alexandre  Gnasco  :  Les  Boxeurs  et  les  trouble  du  Sc-tchouan.  —  Aspe- 
Flenrinout  :  Le  projet  d'emprunt  du  gouvernement  général  de  l'Afrique  occidentale 
française.  —  £.  Feyralbe  :  Le  Congres  national  des  travaux  publics. 

Cartea  et  Gravures  :  I.  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad.  —  II.  La  ville  de  Tcheng-tou-fou. 

Sommaire  dn  n<>  146 

Cuimlr  Pralon  :  Les  afiaires  macédoniennes.  —  ***:  La  question  du  Congo.  —  J.  Xior  : 
Situation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire.  —  Maurice  Buret  :  Quatre  plaies  coloniales 
Henri  Hantich  :  La  Bohême  en  deuil. 

Cartes  et  gravures  :   La  Côte  d'Ivoire. 

Sommaire  du  n^  i47 

Gabriel  Louis-Jaray:  Les  finances  d'Ëtat  en  Allemagne.—  Le  Breton:  La  question  de 
Terre-Neuve.  Saint-Pierre  et  Miquelon.  —  Aspe-Flenrimont  :  La  question  du  coton.  — 
y  Xlor  :  Situation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire. 

Cartes  et  gravures  :  Ile  de  Saint-Pierre  et  Miquelon. 

7  PRIMES    A    NOS    ABONNÉS 

L'administration  de  la  Revae  se  charge,  à  titre  gracieux,  de  tous 
Ibs  achats  et  expéditions  de  livres,  cartes  géographiques,  aux  prix 
de  Paris,  pour  ses  abonnés  de  province,  des  colonies  et  de  l'étranger  :  ~ 
s'adresser  directement  à  radministrateur  de  la  Revue,    19,    rue 
BONÀPARTE,-Paris,  Vie. 


a   n  a   a  n   n   a   a    a 


DENTIFRICES 


ÉLIXIR.  POUDRE  et  PATE 

des  RR.   PP. 

BENEDICTINS 


de  1 


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Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

Exposition  XlniTeraello  Parie  1900 


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ML  DEBROAsriorrûë^NoïveUè7Paris7lX«),  est 
L#.mm&rriâia    înjInRtriAllA  ^t  financière  de^ 


'Ui  ci 


kssh  I»  149  1"  Mai  1903 


OXJEÎSTIOIV© 

liplomatiques  et  Coloniales 

REVUE  DE  POLITIOUE  EXTÉRIEUR 

PARAISSANT     LE    1*'    ET    LE    IS    DE    OHAQuW'  BfQIS 


SOl^OVdLAJRE: 


Pages 

ïnpl  Lopin. Les  pays  du  Tchad  et  l'Europe 543 


'■n'pssear  de  géographie  coloniale  à 
iDivorsité  de  Bordeaux. 


ibriel  Louis-Jaray Une  révolution  légale  en  Irlande 573 

ihur  Girauit La  représentation  des  colonies  au  Parlement 585 

*rc(>>5ear  d'Economie  politique  à  la 
HcQii^  de  droit  de  Poitiers. 

CHROMIQUES  DE  E^A   QUII!VZil.II!VIS 


politiques —  590 

économiques 600 

Rominations  officielles ^ 604 

Bibliographie  —  livres  et  Revues 606 

ifte  des  pays  du  Tchad 551 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19,     RUE     BONAPARTE     -     PARIS,     6- 

Abonnement  annuel 

FraDce  et  Colonies,  1 5  franss;  Etranger  et  Onion  postale»  20  francs. 

La  Livraison  :    France  :  0,75  j    Etranger  :  1  f r    . 


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f\mttulrt9).1)àA9  un  élégtntoêrtonnine  tollé.  %9  DU  <  niirtt  timlairet)  D&nt  un  élégant  cartonnage  toi  te  :  If 


HISTOIRE  «..a  GUERRE. .1870-71 

NT  II  Paul  et  Victor  MAROUERITTE 


Illustrée  «  !«-  &a  PortnUtaet  34  1 
de  bauiUe.  —  Récit  aussi  exact  J 
qu'émouvant  des  événementa  de  ^ 
rannée  terrible.  ( 

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QUESTIONS 

DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 


LES   PAYS  DU  TCHAD  ET  UEUROPE        '^ 


Par  une  série  d'accords  intervenus  de  1890  à  1899,  la 
France,  TAngleterre  et  TAUemagne  ont  délimité  à  grandes 
lignes  leurs  sphères  d'influence  dans  TAfriquc  centrale,  mais 
les  domaines  ainsi  assignés  ne  sont  pas  entièrement  appro- 
priés, en  ce.  commencement  de  Tannée  1903.  11  peut  arriver 
que,  le  détail  de  la  géographie  et  de  l'ethnographie  de  ces 
régions  étant  aujourd'hui  mieux  connu,  des  remaniements 
soient  apportés  aux  textes  précédemment  rédigés.  La  possibilité 
de  telles  modifications  est  admise,  non  seulement  chez  nous, 
mais  en  Allemagne  et  même  en  Angleterre.  Le  moment  est 
donc  opportun  de  rechercher,  d'après  les  données  les  plus 
récentes,  ce  que  sont  ces  pays  du  Tchad  et  comment  la  prise 
de  possession  en  pourra  être  définitivement  accomplie  par  les 
puissances  co partageantes*. 


* 


Le  lac  Tchad  occupe  sensiblement  le  fond  d'une  dépression 
évidée  dans  les  plateaux  de  l'Afrique  centrale;  à  l'Est,  les  ter- 

>  Bibliographie  (nous  n^indiquons  ici  que  les  documents  les  plus  récents). 
FoL'REAU,  D'Algei*  au  Congo  par  le  Tchad,  Paris,  1902  ;  —  Gentil,  La  chute  de 
tEmpire  de  Rabah,  Paris,  1902  ;  —  Bruel,  L'occupation  du  bassin  du  Tchad  et  la 
région  du  Haut  Chan,  Moulins,  1902  ;  —  Marcel  Dubois  et  Auguste  Terrier,  Un 
'i^cle  d'expansion  coloniale,  Paris,  1902  ;  cet  ouvrage  contient,  très  bien  classés. 
les  textes  officiels  des  conventions  internationales.  —  La  Géographie  (Prins,  Vers  le 
Tchady  1900,  177-196;  Gewtil,  Occupation  et  organisation  des  territoires  du 
fcAûc/,  1901,  3?»3-368;  Capitaine  Joalland,  Z)e  Zinder  au  Tchad  et  conquête  du 
hanenij  1901,  369-380;  et  les  récentes  études  (1903)  du  colonel  Destenavo  et  de  ses 
collaborateurs).  —  La  Revue  coloniale,  nouvelle  série,  I,  juillet-août  1901.  Rap- 
ports sur  le  3*  territoire  militaire  de  l'Afrique  Occidentale,  notamment  celui 
"ia  capitaine  Moll  sur  le  Zinder.  —  Enfin  la  collection  de  l'excellent  Bulletin  du 
Cùmité de  l'Afrique  française,  où  l'on  trouve  des  informations  complètes  sur  les 
colonies  étrangères  (Extraits  des  rapports  de  sir  Frédéric  Lugard  ;  —  traduction 
in-extenso  du  rapport  du  lieutenant-colonel  Pavel,  etc..)  et  des  documents  de  pre- 
mier ordre  sur  les  territoires  français  (missions  Huot-Bernard,  Loefler,  Lenfant; 
articles  sur  les  Sénoussis^  etc..)   Cf.  aussi  la  Deutsche  Kolonialzeitung. 

QuKST.  Dipl.  et  Col.  —  t.  xv.  —  V  149.  —  I'^'hai  1903.  3o 


546  QUESTIONS     DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

Fasses  du  Ouadaï  descendent  lentement  de  800  à  4  ou  500  mètres; 
au  Sud-Est,  on  cote  environ  700  mètres,  aux  sources  du  Bamin- 
gui,  l'un  des  bras  supérieurs  du  Chari  ;  au  Sud,  520  mètres  sur 
la  route  de  portage  qui  joint  le  Gribingui  (Chari)  au  versant  de 
rOubangui  et  du  Congo,  700  mètres  sur  les  savanes  qui  sépa- 
rent rOuom  (Chari)  de  la  Bali  (Congo)  ;  vers  l'Ouest,  le  sol  se 
relève  aux  approches  des  hauteurs  de  TAdamaoua,  puis,  après 
une  coupée  profonde  où  coulent  le  Mayo-Kebbi  et  la  Dénoué, 
par  280  à  300  mètres,  s'étale  en  plateaux  qui  regagnent  environ 
700  mètres  au  Nord-Ouest  de  Kouka  ;  au  Nord  seulement,  le 
Tchad  n'est  pas  exactement  placé  au  fond  de  cette  vaste  cuvette; 
tandis  que  son  niveau  moyen  se  soutient  à  270  mètres  d'altitude, 
le  Bodélé,  au  pied  des  monts  du  Tibesti,  serait  encore  d'une 
trentaine  de  mètres  plus  bas. 

Ces  plateaux  bordures  sont  paurfois  traversés  de  pointements 
montagneux  qui  accidentent  brusquement  le  relief;  nous  con- 
naissons mal  encore  les  monts  Marras,  qui  s'élèvent  entre  le 
Ouadaï  et  le  Darfour;  Nachtigal  nous  a  décrit  les  massifs  vol- 
caniques du  Tibesti,  dont  les  sommets  culminent  à  2.600  et 
2.700  mètres.  M.  Prins,  qui  a  étudié  le  Baguirmi  avec  beau- 
coup de  soin  et  d'intelligence,  rapporte  avoir  vu,  au  loin  à  l'Est 
du  Chari,  des  montagnes  auxquelles  il  attribue  2.000  mètres; 
entre  le  Chari  et  le  Congo,  les  explorations  récentes  n'ont  pas 
relevé  d'accidents  aussi  notables  :  le  passage  est  insensible  de 
l'un  à  l'autre  bassin  et  de  môme,  au  pied  de  l'Adamaoua,  les 
sources  qui  vont  au  Logone  ou  au  Congo  voisinent  et  s'em- 
brouillent. L'Adamaoua  possède  de  véritables  montagnes; 
Mizon  et  Maistre  nous  en  ont  parlé,  et  tout  récemment,  le  lieu- 
tenant-colonel Pavel,  chargé  d'établir  la  souveraineté  allemande 
dans  l'hinterland  du  Cameroun. 

L'Adamaoua  constitue  certainement  une  des  régions  les  plus 
intéressantes  de  cette  partie  de  l'Afrique  ;  ses  montagnes,  direc- 
tement exposées  aux  vents  pluvieux  du  golfe  de  Guinée,  sont  un 
château  d'eau  comparable  au  Fouta-Djallon;  le  niveau  moyen 
des  plateaux  doit  être  de  12  à  1.300  mètres,  altitude  observée 
par  Mizon  près  de  Ngaoundéré,  et  par  le  colonel  Pavel  non 
loin  de  Garoua.  Là-dessus  s'enlèvent  des  ressauts  qui  attei- 
gnent 2.400  mètres  (Pavel)  ;  sur  ces  plateaux  les  nuits  sont 
fraîches  et  contrastent  avec  celles  des  vallées  du  Congo  et  de  la 
Bénoué  ;  la  chaleur  y  est  au  contraire  accablante  dans  la  journée. 
Mizon  y  a  parfois  noté  des  températures  nocturnes  de  -!-  3®  ; 
les  porteurs  de  Maistre,  habitués  aux  étuves  des  forêts  équato- 
riales,  non  munis  de  vêtements  de  laine,  souffrirent  beaucoup 
de  ces  froids.  Les  montagnes  de  l'Adamaoua  sont  probablement 


LES   PAYS   DU   TCHAD   ET   l'eUROPE  547 

les  Diémes  que  celles  qui,  sous  le  nom  de  monts  Mendifs,  bor- 
dent au  Nord  la  dépression  de  la  Bénoué.  Cette  zone  se  pro- 
longe à  rOuest  par  les  plateaux  du  pays  des  Aros,  coupés  de 
vallées  abruptes  et  boisées,  au  Nord-Est  par  les  hauteurs  ondu- 
lées de  Saria  et  de  Baoutchi,  dont  les  terrasses  bordent,  au  Sud, 
le  Bomou;  on  peut  en  retrouver  les  caractères  dans  les 
rochers  qui   emprisonnent  le  bas  Niger  autour   de  Lokodja. 

C'est  dire  que,  pour  pénétrer  du  fond  du  golfe  de  Guinée 
vers  le  Tchad,  on  doit  franchir  un  relief  assez  tourmenté,  sauf 
en  suivant  la  ligne  fluviale  Niger-Bénoué.  Au  contraire  on  passe 
aisément  de  l'Oubangui  au  Chari  et  de  même,  à  TOuest  du  lac, 
la  transition  est  lente  entre  le  Sokoto,  dont  les  rivières  vont  au 
Mger  en  amont  de  Boussa,  et  la  Komadougou-Yobé,  tributaire 
du  Tchad  ;  la  descente  d'Ouest  en  Est  se  fait  par  des  pentes  dou- 
cement ménagées,  sur  lesquelles  des  chapelets  de  marigots, 
communiquant  pendant  les  crues,  dessinent  en  creux  très 
accusés  une  hydrographie  superficielle  intermittente;  le  sol, 
constitué  principalement  par  des  grès,  est  parsemé  de  blocs  de 
granit  ;  les  arbres  se  réfugient  au  bord  des  étangs  et  des  rivières; 
les  cuvettes  des  petits  lacs,  ordinairement  marquées  par  des 
dépôts  de  natron,  s'enfoncent  dans  le  plateau  de  5  à  6  mè- 
tres, entre  des  berges  raides. 

Autour  du  Tchad  sont  accumulées  des  couches  de  sable 
argileux,  couvrant  de  vastes  superficies,  et  parmi  lesquelles  le 
réseau  fluvio-lacustre  se  développe  sans  déterminations  rigou- 
reuses. Il  est  vraisemblable  que  ces  formations  se  rattachent 
à  celle  des  dunes,  accumulées  au  Nord  et  au  Nord-Est  du 
Tchad  par  les  vents  alizés,  et  dont  le  progrès  a  dû  séparer  du  lac 
principal  le  petit  lac  Fitri  et  la  dépression  plus  septentrionale 
du  Bodélé.  Foureau,  dont  la  mission  contourna  le  Tchad  pen- 
dant la  saison  sèche  (fin  janvier  et  février),  a  observé  que  le 
versant  méridional  de  ces  dunes  était  fixé  par  de  grands  arbres 
espacés,  groupés  comme  pour  le  plaisir  des  yeux,  tandis 
qu'entre  le  pied  de  ces  collines  et  la  laisse  des  basses  eaux 
règne  une  zone  de  lagunes,  à  la  vase  craquelée  en  saison  sèche, 
hantées  par  des  légions  de  moustiques  et  piquetées  çà  et  là  de 
bosquets  de  doums.  On  ne  doit  donc  pas  dire  que  le  Sahara 
confine  immédiatement  au  Tchad  ;  mais  il  en  est  tout  voisin. 
Très  près  de  Nguigmi,  à  l'angle  Nord  occidental  du  lac,  com- 
mence la  brousse  à  gommiers,  balayée  par  des  vents  brûlants 
du  Nord-Est,  où  le  voyageur  est  souvent  déçu  par  le  mirage. 

Le  Tchad  est  alimenté  par  deux  groupes  fluviaux  de  très 
inégale  importance,  celui  du  Chari  et  celui  de  la  Komadougou- 


548  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

Yobé  La  répartition  du  relief  et  des  pluies  explique  celte 
inégalité  Sans  vouloir  forcer  les  analogies,  il  semble  bien 
au'ici  joue  un  mécanisme  pareil  àcelui  des  moussons  de  l'Inde  : 
les  plateaux  du  centre  africain,  très  échauffés  en  été,  devien- 
nent un  puissant  foyer  d'appel,  qui  attire  les  nuées  pluvieuses 
du  eolfe  de  Guinée  ;  la  direction  normale  des  alizés,  qui  souf- 
flent du  Nord-Est  au  Sud-Ouest,  en  est  déviée  et  presque  exac- 
tement renversée,  du  Sud-Ouest  au  Nord-Est  Les  vents  gui- 
néens  arrêtés  par  les  hauteurs  de  l'Adamaoua,  déposent  la  pres- 
aue  toutp  l'humidité  dont  ils  sont  chargés.  Ainsi  se  forment  la 
Bénoué  et  ses  affluents,  les  rivières  tributaires  du  Niger  en 
aval  de  Boussa,  celles  qui  viennent  tomber  directement  au  fond 
du  golfe  de  Guinée  (Sannaga,  etc.),  enfin  le  réseau  du  Logone 
Vers  le  Nord  ne  passent  que  des  pluies  peu  abondantes,  quisul- 
fisent  à  remplir  temporairement  les  marigots  et  à  constituer 
d'une  part  la  Komadougou-Yobé,  de  l'autre  les  rfa«ofe  du  Sokotcv 
dont  les  ravins  tombent  dans  le  Niger.  Le  nom  de  Komadougou 
sio-nilierait  «  grand  amas  d'eau  »  dans  la  langue  du  Bornou: 
celte  désignation  rappelle  celle  des  nombreux  Oued  el  Kebir 
,1e  grand  fleuve)  du  littoral  de  l'Afrique  Mineure,  grands  seu- 
lement pour  ceux  qui  n'ont  jamais  vu  de  manifestations  hydro- 
graphiques plus  imposantes.  La  Komadougou-Yobé  na  pas 
moins  de  600  kilomètres  de  long,  entre  des  berges  boisées, 
hautes  de  4  à  5  mètres;  en  fait,  c'est  une  pauvre  rivière  que 
l'on  pourrait  comparer  au  Chéliff  algérien. 

Très  différent  est  le  Chari,  dont  le  cours  s'étend  sur  1.300  à 
i  iOO  kilomètres,  beau  fleuve  permanent,  sujet  à  des  crues 
comme  tous  les  cours  d'eau  des  tropiques,  mais  que  tout  indique 
comme  pouvant  devenir  une  voie  navigable  fréquentée,  même 
en  saison  sèche.  Au  Sud  de  l'Adamaoua  et  des  massifs  volcani- 
aues  qui  bordent  la  côte  du  Cameroun,  les  vents  du  Sud-Oue.l 
Dénètrent  sans  obstacles  sur  les  plateaux  où  naissent  les  sources 
du  Chari  Des  pluies  copieuses  sont  précipitées  chaque  annfe 
sur  ces  grès,  partiellement  recouverts  de  granits,  où  coulent 
les  hauts  tributaires  de  ce  fleuve.  A  laquelle  de  ces  rivières 
doit-on  dès  l'origine,  attribuer  le  nom  de  Char  ?  Cette  ques- 
tion a  fait  l'objet  de  controverses  récentes,  dont  l  intérêt  est 
théorique  plutôt  que  pratique.  Les  rivières  de  l'Ouest,  plus 
voisines  de  l'Atlantique,  plus  immédiatement  nourries  des 
pluies  guinéennes,  sont  certainement  les  plus  abondantes^ 
ceUes  par  conséquent  qui  contribuent  le  plus  efficacement  à 
former  et  à  soutenir  le  Chari.  La  transition  serait  marquée 
d'Ouest  en  Est,  par  l'Ouom  (Bahr  Sara  M,  le  Gribingui  etje 

■ .  Celte  ideot.acut.on  a  été  etahl.e  par  lu  belle  a...8.on  de  MM.  Huoi  et  Me^- 


dans  Tautomne  de  1900. 


■P"ll     If  I 


LES   PAYS  DU  TCHAD   ET  l'eUROPE  549 

Bamingui  vers  les  fleuves  moins  constants  du  Ouadaï,  qui  sont 
des  oueds  du  type  de  ceux  du  Bornou  inférieur;  elle  s'accuse- 
rait également  du  Sud  au  Nord  :  à  Laï,  sur  le  Logone,  Maistre  a 
rencontré  des  bouquets  de  palmiers  serrés  autour  de  puits. 

Tout  le  domaine  du  Chari  appartient  donc  au  régime  des  pluies 
périodiques  de  printemps  et  d'été.  Nous  n'avons  pas  encore 
une  série  suffisamment  longue  d'observations  météorologiques 
pour  connaître  exactement  le  détail  de  ce  régime;  cependant 
nous  pouvons  estimer  que  la  division  générale  indiquée  par 
Gentil  est  exacte  dans  l'ensemble  :  entre  5**  et  6H5',  rareté 
des  pluies  du  15  novembre  au  15  mars,  averses  intermittentes 
ensuite,  dont  les  indigènes  profitent  pour  les  semailles,  jusqu'au 
15  juin;  saison  humide,  avec  précipitations  abondantes,  du 
13  juin  au  15  octobre,  puis  disparition  progressive  des  pluies 
jusqu'à  l'établissement  de  la  saison  sèche;  entre  6°45'  et  9*", 
cette  dernière  se  prolonge  pendant  cinq  mois;  de  9®  h  13°, 
cVst-à-dire  dans  la  zone  du  bas  Chari  et  du  Tchad,  on  compte 
huit  mois  de  saison  sèche  et  seulement  quatre  mois  de  pluies, 
du  15  juin  au  15  octobre.  Au  poste  de  Gribingui  ou  Fort- 
Cranipel,  du  1"  novembre  1899  au  l"""  novembre  1900,  on 
recueillit  1.275  millimètres  de  pluie,  avec  chute  maximum  en 
juillet  (274  millimètres). 

Ainsi  le  Chari  apporte  au  Tchad  un  tribut  d'eau  considé- 
rable :  en  août,  la  crue  du  Gribingui  n'est  pas  inférieure  à 
fi  mètres,  tandis  qu'en  février  le  lit  est  presque  à  sec.  Au  con- 
fluent de  cette  rivière,  d'après  Prins,  le  Chari  aurait  100  mètres 
de  large  et  sa  profondeur  ne  tomberait  jamais  au-dessous  de 
2  raètrest  C'est  en  août  et  septembre  que,  sur  le  moyen  Chari, 
la  crue  atteint  son  maximum;  elle  s'élève  alors  à  8  mètres  ati- 
dessus  de  Tétiage,  malheureusement  le  cours  est  instable.  La 
rive  droite,  généralement  plus  basse,  est  sans  cesse  remaniée 
par  l'irruption  d'eaux  temporaires;  les  courbes,  sur  une  sur- 
face à  peine  inclinée,  sont  de  faible  rayon.  Enfin  plus  on 
avance  vers  le  Tchad  et  plus  les  bois  sont  rares,  môme  sur  les 
rives;  le  chauffage  des  machines,  sur  les  bateaux  à  vapeur,  est 
donc  un  problème  difficile  à  résoudre,  tandis  qu'il  est  à  peu 
près  impossible,  du  moins  aux  basses  eaux,  d'éviter  des 
échouages  sur  des  hauts-fonds  et  des  bancs  d'huîtres. 

Le  delta  commence  à  60  kilomètres  du  Tchad  et  forme  un 
dédale  d'îles  à  demi  noyées  qui  se  prolongent,  tour  à  tour  cou- 
vertes et  découvertes  par  les  crues,  assez  avant  dans  le  lac  lui- 
mt^me.  Le  Logone,  qui  vient  mêler  ses  eaux  à  celles  du  Chari, 
paraît  avoir,  dans  des  conglomérats  siliceux,  un  cours  plus  fixe 
que  celui  du  bas  Chari.  Des  communications  intermittentes  sont 


550  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

établies,  pendant  les  crues,  entre  le  Ouom  et  le  Logone  ;  en  cette 
saison,  un  bras  détaché  du  Chari,  à  droite,  se  rapproche  de 
Massénia,  capitale  duBaghirmi;  c'est  le  Bahr-Erguieg,  reconnu 
par  Gentil,  lors  de  son  premier  voyage  auprès  de  notre  allié 
Gaourang.  Alors  aussi,  les  marais  de  Toubouri  s'étendent  entre 
le  Logone  et  le  Mayo-Kebbi,  tributaire  de  la  Bénoué.  Le  capi- 
taine Loefler  a  établi,  dans  sa  remarquable  exploration  du  prin- 
temps de  1901,  qu'un  chenal  continu  se  forme,  pendant  les 
crues,  entre  ces  deux  rivières  ;  des  pirogues  circulent  alors  sur 
cette  nappe  unique,  par  où  le  Tchad  est  en  relations  directes 
avec  la  mer,  mais  il  n'est  pas  sûr  qu'une  communication  flu- 
viale régulière,  fût-elle  limitée  à  quelques  mois  de  l'année, 
puisse  être  assurée  par  cette  voie.  Tous  ces  cours  d'eau  de  la 
plaine  sont  très  poissonneux  ;  et  les  indigènes  riverains  y  navi- 
guent, péchant  "et  commerçant,  dans  de  grandes  barques  qui  ont 
jusqu'à  20  mètres  de  long. 

Alimenté  par  un  fleuve  aussi  peu  constant  que  le  Chari,  le  lac 
Tchad  doit  lui-même  présenter  des  variations  de  niveau  d'une 
certaine  amplitude.  Etait-il  jadis  plus  vaste  qu'aujourd'hui? 
L'opinion  de  Barth,  de  Rohlfs,  de  Nachtigal,  est  qu'il  englobait 
autrefois  toute  la  dépression  du  Bodélé,  donc  qu'il  recouvrait 
une  partie  au  moins  du  Kanem;  le  Bahr-el-Ghazal,  ravin 
d'oued  qui  lui  arrive  à  l'Est,  serait  la  trace  encore  subsistante 
de  cette  ancienne  extension.  Nous  avons nous-même  admis  cette 
hypothèse*,  avant  la  publication  des  dernières  explorations; 
aujourd'hui,  d'après  Foureau  et  le  capitaine  Joalland,  il  paraît 
plus  probable  que  le  Bahr-el-Ghazal  est,  non  pas  un  affluent, 
mais  simplement  un  golfe  allongé,  dans  lequel  les^aux  du 
Tchad  montent,  pendant  les  crues,  jusqu'à  70  ou  80  kilomètres 
de  la  laisse  des  basses  eaux.  Le  littoral  oriental  du  lac  est  aussi 
peu  précis  que  le  delta  du  Chari  ;  sur  les  roseaux  de  ce  sol  très 
plat,  Foureau  relevait  une  hauteur  de  1"20  entre  le  niveau  du 
lac  en  février  et  la  trace  visible  des  eaux  majeures.  Si  intense 
que  l'on  suppose  l'évaporation  estivale,  il  n'est  donc  pas  probable 
que  le  Tchad  recule  annuellement  ;  il  reçoit  plus  d'eau  qu'il 
n'en  perd  et  l'on  peut  attribuer  à  ses  infiltrations  les  puisards 
du  Kanem,  au  Nord-Est. 

Tout  récemment,  des  renseignements  inédits  sur  le  Tchad 
ont  été  publiés,  d'après  les  reconnaissances  du  colonel  Deste- 
nave,  du  capitaine  Trufl^ert  et  de  l'enseigne  de  vaisseau  d'Huard  : 
le  lac,  long  de  300  kilomètres,  large  de  130,  se  déplace  vers 
l'Ouest,  où  l'on  trouve  des  profondeurs  de  7  à  8  mètres  ;  il  est 
parsemé  d'îles  nombreuses,  dont   les  plus  méridionales  sont 

1  L*Afrique  à  l  entrée  du  xx®  siècle^  Pans  1901,  p.  238. 


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S5â  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONULBS 

habitées  et  couvertes  de  cultures  de  mil  ;  les  plus  septentrio- 
nales portent  des  pâturages,  d'autres,  plus  au  Nord  encore,  sont 
d'une  aridité  toute  saharienne.  La  navigation  sur  le  Tchad  est 
périlleuse,  car  les  eaux  en  sont  agitées  comme  celles  de  la  mer; 
il  faudra  en  tenir  compte  pour  construire  la  flottille  qui  ne 
devra  comprendre  que  des  bateaux  pontés  et  munis  de  quille. 

L'inégale  distribution  des  pluies  permet  de  distinguer  dans 
les  pays  du  Tchad  plusieurs  régions  naturelles  ;  au  Sud-Ouest 
du  lac,  l'Adamaoua  et  le  Yacoba,  intermédiaires  entre  le 
domaine  du  Tchad  et  celui  du  golfe  de  Guinée,  puis  le  Bornou, 
le  Zinderetle  Sokoto  par  lesquels  on  passe  du  Soudan  au  Sahara; 
au  Nord  et  à  TEst,  le  Kanem,  déjà  plus  saharien,  le  Baguirrai 
qui  ressemble  au  bas  Bornou,  et  que  dominent  les  terrasses  du 
Ouadaï;  au  Sud-Est  enfin,  la  zone  du  moyen  et  du  hautChari, 
qui  conduit  au  bassin  du  Congo.  Jusqu'ici,  les  explorateurs  qui 
ont  atteint  les  bords  du  Tchad  ont,  pour  la  plupart,  tourné  les 
hauteurs  de  TAdamaoua,  soit  par  le  Chari,  soit  par  le  Soudan  de 
Sokoto  et  Kano  ;  plus  récemment,  des  expéditions  allemandes 
et  anglaises,  parties  de  la  côte  du  Cameroun  et  du  Lagos,  ont 
pénétré  plus  directement,  à  travers  une  zone  de  montagnes  assez 
difficile,  que  divise  en  deux  la  vallée  plus  humide  et  moins 
saine  de  la  Bénoué.  Ces  explorations  ont  démontré  que  TAda- 
maoua  et  ses  prolongements  occidentaux  constituaient  bien 
une  barrière,  ethnique  et  climatique;  ils  sont  habités  par  des 
populations  fétichistes,  que  Tlslam  travaille  sous  nos  yeux,  et 
tous  leurs  fonds  sont  tapissés  d'un  épais  revêtement  de  forêts. 

Au  commencement  de  1902,  le  gouvernement  anglais  de  la 
Nigeria  a  soumis,  par  la  destruction  de  leur  capitale,  les  popu- 
lations Aros  qui  habitent  ces  montagnes,  barbares  à  la  religion 
sanguinaire,  mais  qui  restaient  le  gibier  de  prédilection  des 
musulmans  du  Nord,  chasseurs  et  marchands  d'esclaves  ;  de 
même  le  colonel  Pavel  a  rencontré  au  Sud  de  la  Bénoué,  dans 
des  districts  de  haut  relief,  des  tribus  belliqueuses,  très  peu 
accueillantes  pour  les  Européens,  et  dont  il  a  dû  châtier  plu- 
sieurs villages.  Une  observation  semblable  a  été  faite  par  la 
mission  économique  de  M.  Bauer,  envoyée  dans  le  haut 
Adamaoua  en  1902  par*le  comité  colonial  allemand.  Ces  indi- 
gènes n'avaient  jamais  été  soumis  par  les  Foulanes  musul- 
mans et  pillaient  volontiers  les  commerçants  haoussas,  quand 
ils  pouvaient  les  surprendre  ;  les  sédentaires  de  Dikoa  ne  pou- 
vaient assez  remercier  le  colonel  Pavel  d'avoir  rouvert  les 
routes  par  la  défaite  de  ces  brigands  ;  ainsi  des  sultans  comme 
celui  de  Yola,  jadis  Thôte  et  Tami  de  Mizon,  n'étendaient  sur 


ri'w  "^ 


LES  PAYS   DU   TCUAD   ET   l'eUROPE  553 

rintérieur  du  pays  qu'une  domination  précaire,  se  bornant  à 
loccupation  de  quelques  forteresses,  telle  Ngaoundéré,  et  à  la 
protection  rémunérée  des  transactions  des  Haoussas. 

L'appropriation  par  les  Foulanes  de  TAdamaoua  et  des  pays 
delà  Bénoué  paraît  donc  beaucoup  moins  avancée  que  celle  du 
Fouta-Djallon ;  c'est  dire  que  la  conquête  de  Tlslam  y  est  aussi 
beaucoup  moins  complète,  et  que  Tintervention  des  Européens, 
dans  l'espèce  Allemands  et  Anglais,  n'aura  pas  à  tenir  compte 
des  mêmes  susceptibilités  musulmanes  que  la  nôtre  dans  le 
Fouta-Djallon.  Cette  considération  ne  manque  pas  d'importance, 
si  l'on  songe  que  les  plateaux  de  Baoutchi,  de  Saria  (Nigeria 
anglaise),  de  Bamenda  (Cameroun  allemand)  sont,  par  leur  alti- 
titude,  à  l'abri  de  l'humidité  chaude  des  côtes  et  se  prêtent  par 
conséquent  à  l'établissement  de  sanatoriums  précieux  pour  le 
personnel  blanc  de  villes  littorales.  Il  convient  d'ajouter  que 
i'Adamaoua  méridional,  autour  de  Ngaoundéré.  est  très  peuplé, 
bien  cultivé  et  fait  déjà  un  commerce  de  caoutchouc  important 
avec  les  postes  français  de  la  Sanga. 

Nous  n'aurions  pas  à  parler  plus  longuement  de  cette  région, 
excentrique  aux  pays  du  Tchad  proprement  dits,  si  elle  n'était 
traversée  par  la  route  fluviale  de  la  Bénoué,  que  l'on  consi- 
dère parfois  comme  la  meilleure  voie  d'accès  du  Tchad.  Le 
capitaine  Lenfant,  après  avoir  remonté  le  Niger  jusqu'à  Say,  si 
heureusement  que  l'on  se  demande  si  cette  route  ne  deviendra 
pas  commercialement  praticable  *,  rapporte  qu'il  a  interrogé 
sur  la  Bénoué  les  piroguiers  les  plus  expérimentés  et  que  tous 
s'accordent  à  déclarer  la  rivière  facilement  navigable.  «  Si  l'ex- 
périence réussissait,  ajoute  cet  officier,  les  caisses  de  vivres 
pourraient  être  portées  par  la  Bénoué  ou  le  Mayo-Kebbi  à  une 
journée  de  marche  du' Logone,  qui...  permet  d'aborder  directe- 
ment le  Chari.  »  La  mission  Bauer  a  déterminé  les  sources  de 
la  Bénoué  et  trouvé  que,  même  en  saison  sèche,  la  rivière  mesu- 
rait très  peu  en  aval  5  à  10  mètres  de  large.  Rappelons  toute- 
fois que  l'expérience  de  Mizon  paraît  opposer  quelques  objec- 
tions à  un  optimisme  trop  confiant  :  tandis  qu'aux  crues, 
pendant  le  mois  de  septembre,  la  Bénoué  coule  à  pleins  bords 
entre  ses  rives  et  mesure  8  à  12  mètres  de  profondeur  dès 
en  amont  d'Yola,  plus  bas  elle  s'étale  et  prête  aux  échouages;  en 
février,  la  navigation  ne  commencerait  qu'en  aval  d'ibi 
[Maistre). 

En  avant  des  montagnes  où  coule  la  Bénoué,  se  déploient 

•Cet  exploit  vient  d'être  renouvelé  (décembre  1902  —  janvier  1903)  par  le  capitaine 
Foureau,  avec  un  convoi  portant  près  de  100  tonnes  de  vivres. 


^m 


554  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

les  plateaux  du  Sokoto,  du  Kano,  du  Bomou  qui  descendent  par 
gradins  jusqu'au  Tchad.  Tous  les  Etats  indigènes  de  cette  partie 
de  l'Afrique  ont  été  profondément  troublés  par  les  conquêtes  et 
les  pillages  de  Rabah  ;  mais  ce  sont,  à  n'en  pas  douter,  des  pays 
fertiles,  où  la  paix  aura  vite  fait  de  reconstituer  une  population 
dense,  où  l'établissement  de  sultanies  musulmanes  a  déjà  sub- 
stitué une  organisation  politique  rudimentaire  à  l'anarchie 
toute  primitive  des  populations  noires  restées  païennes.  Le 
Kano  et  le  Sokoto  forment  ce  que  l'on  nomme  plus  particuliè- 
rement le  Haoussa.  Kano  doit  être,  encore  aujourd'hui,  l'une 
Jes  grandes  villes  de  l'Afrique  centrale  ;  les  alentours  ont  été 
désolés  par  des  guerres  récentes,  cependant  la  variété  des  pro- 
duits, l'industrie  des  habitants  font  de  Kano  un  marché  considé- 
rable, à  la  lisière  du  Soudan  et  du  Sahara.  Chaque  année,  des 
caravanes,  venant  du  Nord  et  du  Sud,  y  échangent  le  sel  de 
Bilma  contre  des  noix  de  kola,  des  étoffes,  de  la  bimbeloterie 
européenne;  les  commerçants  qui  ont  traversé  le  Sahara  vien- 
nent terminer  leur  voyage  à  Kano  ;  là  sont  fabriquées  des  pote- 
ries dont  la  réputation  est  établie  jusqu'au  Maroc  ;  d'autres 
indigènes  tissent  et  teignent  le  coton,  cultivent  le  manioc,  le 
riz,  les  légumes.  Et  pourtant  Kano  est  une  ville  malsaine,  épan- 
due  comme  un  camp  sur  un  sol  à  marigots,  formée  d'une  agglo- 
mération de  bourgades  sans  voirie  autour  de  la  forteresse  où 
réside  le  sultan. 

Quelle  hiérarchie  locale  est  établie  entre  le  Sokoto  et  le  Kano, 
entre  ces  deux  Etats  musulmans  et  leurs  voisins,  le  Damergou 
qui  englobe  les  oasis  de  Zinder,  le  Gando  qui  se  prolonge  en 
plateaux  ondulés  jusque  dans  notre  arrière-Dahomey?  Nous 
n'en  savons  exactement  rien  à  l'heure  présente  ;  les  change- 
ments de  personnes  ou  de  dynasties  sont  si  fréquents,  en  ces 
pays  de  luttes  perpétuelles,  qu'il  serait  imprudent  de  poser  des 
précisions.  Il  semble  que  le  Sokoto  a  jadis  payé  tribut  à  des 
sultans  de  l'Adamaoua,  dont  il  est  certainement  affranchi  au- 
jourd'hui. Tout  ce  que  l'on  peut  affirmer,  c'est  que  Sokoto, 
comme  Kano,  est  le  siège  d'un  Etat  indigène  où  des  musulmans 
guerriers  et  pasteurs  ont  réduit  en  esclavage  ou  en  vassalité 
des  tribus  païennes  qu'ils  ont  peu  à  peu  converties.  Suivant  la 
valeur  individuelle  des  chefs  de  cette  féodalité  de  Foulanes, 
suivant  leurs  aptitudes  à  se  servir  pour  des  fins  politiques  des 
Haoussas,  métis  indigènes  islamisés,  qui  sont  les  commerçants 
de  tous  les  pays  du  bas  Niger,  la  puissance  de  l'un  ou  de  l'autre 
a  dominé  parmi  ses  voisins  ;  mais  il  n'est  pas  probable  qu'une 
hiérarchie  régulière,  autour  d'un  centre  de  souveraineté  tou- 
jours le  môme,  se  soit  jamais  constituée  dans  cette  région. 


LES  PAYS  DU  TCHAD  ET   l'eDROPE  555 

Le  Bomou  est  l'Etat  où  Rabah  plaça  sa  dernière  capitale, 
après  une  carrière  aventureuse,  qui  Tamena  des  bords  du  Nil  à 
ceux  du  lac  Tchad  ;  il  nous  est  mieux  connu  que  le  Kano  et 
le  Sokoto,  ayant  été  partiellement  parcouru  par  les  troupes 
françaises,  à  la  poursuite  de  Rabah  et  de  son  fils  Fadel-Âllah, 
puis  traversé  du  Sud  au  Nord-Ouest  par  le  capitaine  Joalland, 
rentrant  au  Soudan.  Passant  une  première  fois  dans  le  bas 
Bornou,  pendant  la  saison  sèche.  Gentil  s'inquiétait  de  trouver 
un  sol  plat,  sans  eau,  d'aspect  presque  saharien  ;  cependant  le 
pays  paraissait  peuplé  de  nombreux  petits  villages,  avec  réduits 
fortifiés,  indiquant  à  la  fois  la  densité  des  indigènes  et  le 
régime  de  conquête  qui  pesait  sur  eux;  Teau,  trouble  et  blan- 
châtre, teignait  le  café  d'une  couleur  de  lait.  C'étaient  les  mêmes 
impressions  de  tristesse  qui  assaillirent,  deux  ans  plus  tard,  en 
cette  même  saison  sèche,  les  compagnons  européens  deMorland, 
puis  ceux  de  Pavel.  Mais,  dès  que  les  premières  pluies  sont 
tombées,  tout  ce  désert  s'anime  ;  les  habitants  sortent  de  leurs 
villages  pour  ensemencer  ;  quelques  semaines  après  avoir 
désespéré  d'un  pays  qui  lui  semblait  si  pauvre.  Gentil  recon- 
naissait, au  contraire,  qu'il  porte  en  abondance  des  moissons 
de  mil,  de  riz,  de  légumes  et  convient  à  l'élevage  du  gros  bétail. 

Là  s'élevait  une  ville  indigène,  Kouka,  dont  Rabah  fit  un 
monceau  de  ruines  :  30.000  hommes  y  auraient  été  massa- 
crés. Foureau,  puis  des  officiers  anglais  venus  depuis  la 
mort  de  Rabah,  racontent  que  l'on  trouve,  épars  sur  le  sol  et 
brisés,  les  instruments  des  teinturiers,  corporation  jadis  puis- 
sante de  Kouka.  Du  mil,  des  arbres  poussent  librement  dans 
les  anciennes  cours;  la  tranquillitédu  hameau  de  noirs  qui 
niche  dans  ces  décombres  est  souvent  troublée  par  le  rugisse- 
ment proche  des  lions.  Kouka,  cependant,  ne  taidera  pas  à 
renaître;  elle  est  au  bord  du  Tchad,  à  un  endroit  où  le  littoral 
serait  dégagé  des  roselières  et  permet  d'espérer  l'établissement 
d'un  port.  Quant  à  Dikoa,  quartier  général  de  Rabah,  puis  de  son 
fils,  c'était,  nous  assure  Gentil,  une  cité  remarquablement 
propre,  dont  le  centre  était  occupé  par  les  résidences  fortifiées 
du  sultan  et  de  ses  lieutenants.  Depuis  l'installation  de  Rabah, 
Dikoa  était  devenue  le  foyer  d'un  commerce  actif  ;  on  y  voyait, 
outre  les  indigènes  bornouans,  des  caravaniers  haoussas  et  des 
commerçants  tripoli tains.  Avec  la  fortune  étaient  venus  le  luxe  et 
la  débauche  ;  les  fils  de  Rabah,  sinon  Rabah  lui-même,  que  l'âge 
avaitcalméjSe  distinguaient  par  leurivrognerie  et leursaventures 
galantes  ;  et  Ton  pense  par  quels  excès  abominables  de  violence 
bestiale  et  sanglante  ces  nègres  assouvissaient  leurs  passions. 

La  richesse  de   Dikoa  était  faite  de  la  misère  de  provinces 


556  QUESTIONS   D1FL0MAT1QUI£S    KT   COLONIALES 

entières,  razziées  et  dépeuplées;  si  Tonne  peut  refuser  à  Rabah 
des  qualités  d'administrateur  et  un  incontestable  courage  per- 
sonnel, il  faut  bien  avouer  que  des  chefs  de  cette  trempe  res- 
semblent d'assez  près  aux  «  fléaux  de  Dieu  »  de  Tépoque  bar- 
bare; on  comprend  la  terreur  des  populations  indigènes  du 
Logone,  accueillant  à  coups  de  flèche  la  mission  Maistre,  parce 
qu'elles  croyaient  avoir  affaire  à  «  des  Arabes  »  !  Tout  autour  de 
Rabah,  et  sans  doute  pour  approvisionner  son  harem  et  son 
armée,  des  bandes  de  chasseurs  d'esclaves  battaient  lalisièredes 
forêts  équatoriales  et  les  districts  les  plus  accessibles  de  TAda- 
maoua  :  tel  ce  Mallam  Gibrilla,  dont  le  colonel  Morland  termina 
les  exploits,  dans  son  expédition  du  printemps  dernier.  La  dis- 
parition de  la  puissance  rabiste  va  permettre  sans  trop  de 
peine  la  formation  d'un  Bornou  très  différent  de  Tancien,  par- 
tagé entre  des  sultans  indigènes  protégés  de  gouvernements 
européens  ;  il  n'y  a  plus  de  conquête  à  faire,  puisque  la  France 
s'en  est  chargée  pour  l'Allemagne  et  pour  TAngleterre,  il  n'y  a 
plus  qu'à  organiser  la  paix  et  la  mise  en  valeur  ;  on  ne  verra 
plus  là  d'autres  souverains  indigènes  que  ceux  que  les  maîtres 
européens  voudront  bien  conserver  ou  investir. 

De  part  et  d'autre  du  Bornou  en  tournant  autour  du  Tchad 
d'Ouest  en  Est,  nous  trouvons  le  Damergou,  le  Kanem,  le  Ouadaï 
et  le  Baguirmi,  tous  pays  qui  tombent  dans  la  zone  d'influence 
de  la  France  et  sont,  sauf  le  Ouadaï,  effectivement  occupés  par 
nos  soldats;  en  amont  du  Baguirmi,  vers  notre  Congo,  s'étagent 
les  territoires  civils  du  haut  Chari.  Quelle  est  la  condition  pré- 
sente de  ces  divers  pays?  Comme  le  Bornou,  le  Baguirmi  a  subi 
le  joug  de  Rabah  et  se  trouve  délivré  par  la  disparition  du  con- 
quérant noir.  Il  marquait,  au  moment  du  premier  voyage  de 
Gentil,  en  1895,  la  limite  de  la  pénétration  des  musulmans 
vers  le  Sud;  c'est  à  Kouno  que  Foureau,  remontant  le  Chari, 
remarqua  les  premiers  rochers  depuis  le  delta  de  ce  fleuve;  on 
peut  donc  assigner  assez  exactement  la  frontière  géographique 
des  plateaux  entre  Congo  et  Chari  et  des  plaines  du  bas  Chari 
aux  rochers  de  Togbao,  qui  dépassent  de  100  à  150  mètres  le 
niveau  des  bords  du  fleuve;  ils  avaient  été  choisis  comme  une 
forteresse  naturelle,  à  l'extrême  pointe  des  territoires  équa- 
toriaux  du  Chari,  par  le  malheureux  Bretonnet. 

Le  Baguirmi  n'a  plus  les  forêts  épaisses  des  plateaux  d'amont; 
les  galeries  d'arbres  se  resserrent  aux  bords  des  rivières,  et 
l'on  passe  progressivement  à  la  savane,  coupée  de  bouquets 
d'arbres,  mais  généralement  couverte  d'une  haute  brousse  de 
graminées,  et  l'un  des  pays  les  plus  giboyeux  du  monde.  Les 


LES  PAYS  DU   TCUAD  ET   l'EUROPE  557 

chevaux  circulent  sans  peine  dans  cette  région,  car  ils  y  trouvent 
des  grains;  plus  haut,  ils  souffrent  beaucoup  et  Tescorte  de  la 
mission  saharienne,  ramenée  par  le  commandant  Reibell,  perdit 
ainsi  le  long  du  Chari  plusieurs  des  animaux  qu'elle  avait  pris 
dans  le  Bornou  ;  mais  le  Baguirmi,  très  irrégulièrement  cultivé, 
avait  été  ravagé  par  Rabah,  entre  le  premier  et  le  deuxième 
voyage  de  Gentil  ;  sans  la  chasse,  qui  fournissait  en  abondance 
j  de  la  viande  fraîche,  au  point  qu'un  coup  de  fusil  abattait  par- 
!  fois  deux  antilopes,  nos  troupes  et  surtout  nos  auxiliaires 
[  baguirmiens  seraient  littéralement  morts  de  faim  pendant  la 
campagne  de  1899.  Rabah  avait  en  effet  profité  du  départ  des 
Français,  après  la  pointe  audacieuse  poussée  par  le  Léon-Blot 
jusqu'au  Tchad,  pour  envahir  le  Baguirmi  et  faire  durement 
expier  à  son  souverain,  Gaourang,  l'alliance  dès  lors  ébauchée 
avec  nous.  Pendant  que  la  France  faisait  un  accueil  de  sympa- 
thique curiosité  aux  envoyés  baguirmiens  qui  furent  exhibés 
notamment  à  la  revue  du  1 4  juillet,  leur  pays  était  mis  à  feu  et  à 
sang  parles  bandes  rabistes;  dès  le  retour  de  Gentil  et  la  marche 
en  avant  de  nos  troupes,  qui  ne  purent  arriver  à  temps  pour 
sauver  Bretonnet,  Gaourang  s'efforça  de  rejoindre  Gentil;  il  lui 
amena  une  horde  affolée,  embarrassée  de  femmes  et  d'enfants, 
de  blessés,  tous  sans  vivres,  presque  nus,  fuyant  éperdument 
devant  les  vainqueurs;  nous  eûmes  beaucoup  de  mal  à  remettre 
un  peu  d'ordre  dans  cette  déroute. 

Peu  de  temps  après,  la  réunion  des  trois  missions  du  Chari, 
de  l'Afrique  occidentale  (Joalland-Meynier)  et  saharienne 
(Foureau-Lamy)  permettait  à  Gentil,  directeur  général  des 
opérations,  de  prendre  l'offensive;  Rabah  fut,  on  s'en  souvient, 
battu  et  tué  à  la  bataille  de  Rousseri  (22  avril  1900)  et  les  pays 
du  Chari  furent  dès  lors  divisés  en  région  civile,  confiée  à 
l'administrateur  Bruel,  et  région  militaire,  dont  le  premier 
gouverneur  fut  le  commandant  Robillot.  M.  Bruel,  aussi 
prompt  à  payer  de  sa  personne  qu'habile  à  gagner  la  confiance 
des  indigènes,  sut  rapidement  pacifier  et  organiser  la  région 
qui  lui  était  confiée;  il  a  trouvé  le  temps  de  recenser  approxi- 
mativement la  population  de  ces  territoires  qu'il  évalue  à  7-10 
habitants  au  kilomètre  carré,  et  créé  entre  Oubangui  et  Chari 
un  service  de  portage  qu'adoucira  prochainement  l'ouverture 
d'une  piste  praticable  aux  charrois.  Les  Bandas,  Mandjias  et 
Saras  qui  peuplent  ces  pays  sont  tous  païens,  plus  intelligents 
et  travailleurs  que  beaucoup  de  nègres  du  Congo  et  pourront, 
bien  dirigés,  nous  fournir  des  miliciens  et  des  agents  commer-. 
ciaux  pour  nos  compagnies  congolaises.  A  Kousseri,  Prins  obser- 
vait en  1899  une  population  active  de  pécheurs  et  de  tisserands; 


558  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    BT  COLONULES 

des  Arabes  OU  des  noirs  islamisés  sont  pasteurs,  parmi  ces  féti- 
chistes sédentaires  ;  on  en  rencontre  jusqu'à  la  hauteur  de  Bousso. 

Dans  la  région  militaire,  qui  englobe  le  Baguirmi,  Gaourang 
avait  été  rétabli  comme  sultan  ;  il  avait  d'ailleurs  signalé  cette 
restauration  par  des  représailles  cruelles  contre  tous  ceux  qu'il 
soupçonnait  de  Tavoir  précédemment  trahi.  Au  cours  de 
l'année  1902,  nous  avons  certainement  amélioré  notre  établis- 
sement auprès  de  Gaourang  ;  il  n'est  pas  douteux  que  le  colonel 
Destenave,  hier  encore  commandant  de  ces  territoires,  n'y  ait 
fait  de  bonne  besogne  ;  mais  nous  sommes  réduits  là-dessus  à 
des  conjectures,  vu  le  silence  à  peu  près  complet  des  rensei- 
gnements publiés.  Ce  pays  paraît  intéressant  ;  Kousseri  aurait 
eu,  vers  la  fin  de  la  domination  de  Rabah,  12.000  habitants; 
Mara  est  un  gros  bourg,  centre  de  riches  pêcheries  ;  Goulféï 
posséderait  des  tisserands  et  des  teinturiers  indigènes. 

Nous  n'avons,  pour  ainsi  dire,  plus  entendu  parler  non  plus  du 
Dar  Rounga,  qui  remonte  en  terrasses  au  Sud-Est  du  Baguirmi, 
et  doit  être  approximativement  le  domaine  du  sultan  Snoussi, 
le  meurtrier  de  Crampel;  c'est  encore,  avec  le  Ouadaï  tout 
proche,  un  des  coins  restés  mystérieux  de  l'Afrique.  Le  Dar 
Rounga  marque  vraisemblablement  la  province  la  plus  méri- 
dionale atteinte  de  ce  côté  par  la  conquête  islamique;  c'est  là 
aussi,  vers  8**  Nord,  que  le  manioc  du  Congo  est  remplacé  par  le 
mil  dans  l'alimentation  journalière  des  indigènes,  et  que  cesse 
l'aire  du  caoutchouc;  Snoussi,  sultan  du  Dar  Rounga,  est  musul- 
man ;  il  prélève  un  tribut  sur  les  caravanes  qui  passent  chaque 
année  du  Ouadaï  dans  les  sultanats  du  haut  Oubangui  et  ne 
devaient  guère  différer,  avant  notre  établissement,  des  colonnes 
de  chasseurs  d'esclaves  qu'étudia  Schweinfurth  dans  le  Bahr-el- 
Ghazal;  il  convient  de  ne  pas  confondre,  malgré  la  similitude 
des  noms,  le  sultan  du  Dar  Rounga  avec  le  chef  de  la  secte  des 
Sénoussis,  dont  les  émissaires  n'ont  jamais  pénétré  si  loin  dans 
le  Sud;  le  sultan  Snoussi  a  toujours  déclaré  qu'il  fut  contraint 
par  Rabah  d'arrêter  et  de  tuer  Crampel  '. 

Faute  d'informations  détaillées  récentes,  nous  nous  contente- 
rons sur  le  Ouadaï  de  celles  que  nous  ont  transmises  les  anciens 
explorateurs,  et  surtout  Nachtigal.  Le  Ouadaï  est  habité  par 
des  pasteurs  arabes  ou  islamisés,  belliqueux,  réfractaires  aux 
Européens,  et  par  des  cultivateurs  nègres.  On  croit  que  les  dis- 
tricts les  plus  méridionaux  sont  suffisamment  arrosés  pour 
permettre  la  culture  du  coton  ;  mais  l'étude  même  de  ces  possi- 

1  Ceci  vient  d'être  confirmé  par  des  lettres  de  M.  Auguste  Chevalier^  arrivées  en 
France  pendant  Timpression  de  cet  article,  et  qui  donnent  des  renseignements  nou- 
veaux et  précieux  sur  le  Dar  Rounga. 


LES  PAYS  DU  TCHAD  ET  L'eUROPE  559 

bilités  économiques  est  subordonnée  à  rétablissement  de  rela- 
tions politiques  entre  nos  possessions  du  bas  Chari  et  les  émirs 
musulmans  du  Ouadaï;  ceux-ci  disposeraient  de  forces  mili- 
taires très  notables,  et  nous  devons  nous  enquérir  soigneu- 
sement, avant  de  dessiner  vers  le  Ouadai  une  action  quelconque, 
militaire  ou  même  commerciale.  La  capitale,  Âbech,  est  bâtie 
sur  une  colline,  au  centre  d'une  campagne  cultivée  où  l'on 
creuse  des  puits  pour  avoir  de  Teau  ;  plus  au  Nord  commencent 
les  conditions  sahariennes,  avec  cultures  concentrées  dans  des 
oasis,  et  pâturages  instables  parmi  lesquels  des  nomades  pro- 
mènent leurs  troupeaux  transhumants. 

Mieux  encore  que  le  Ouadaï,  ou  plutôt  par  des  traits  dès 
maintenant  mieux  connus  de  nous,  le  Kanem  et  le  Damergou 
s'annoncent  comme  limitrophes  du  Sahara;  les  eaux  super- 
ficielles s'y  font  rares,  sauf  par  taches  sporadiques,  et  l'élément 
touareg  apparaît  de  plus  en  plus  important  parmi  les  populations 
noires  de  sédentaires  ;  c'est  aussi  dans  le  Kanem  que  nous  nous 
sommes  heurtés  pour  la  première  fois  à  la  secte  des  Sénoussis 
qui  a  lié  partie  avec  les  Touareg.  Les  missions  Joalland  et 
Foureau,  qui  ont  traversé  le  Kanem  dans  l'hiver  de  1899-1900, 
ont  trouvé  le  pays  désert,  les  habitants  ayant  fui  devant  les 
pillages  des  Ouled-Slimans.  Ceux-ci,  bergers  et  brigands, 
mais  probablement  adversaires  des  Touareg  et  des  Sénoussis, 
venaient  fréquemment  razzier  des  champs  de  mil  et  des  cultures 
de  dattiers;  Tanarchie  était  générale,  entre  le  Ouadaï,  suzerain 
nominal  du  Kanem,  qui  n'avait  garde  d'intervenir,  les  Arabes 
métissés  de  noirs  qui  sont  les  habitants  des  villages  dépouillés 
par  les  nomades,  les  Touareg,  les  Ouled-Slimans,  eux-mêmes 
divisés  en  deux  sofs^  et  les  Tebbous  de  Bilma,  probablement  de 
même  race,  qui  vont  du  Tchad  au  Fezzan  tour  à  tour  conduc- 
teurs et  voleurs  de  caravanes.  En  somme,  le  sol  peut  nourrir 
des  populations  assez  denses;  il  a  de  Teau,  soit  par  les  pluies 
d'été  qui  se  condensent  volontiers  au-dessus  de  la  masse  lacustre 
du  Tchad,  soit  par  des  puits  dont  la  ligne  indique  vers  le  Nord 
les  infiltrations  du  lac  ;  le  Sahara  proprement  dit  ne  commence 
que  plus  loin  de  l'équateur. 

Nguigmi,  à  la  pointe  Nord  occidentale  du  Tchad,  est  une  po- 
sition importante;  un  peu  au  Sud,  aussi  sur  le  lac,  est  situé  le 
village  de  Barroua,  d'où  part  la  limite  assignée  par  le  traité 
de  1890  entre  les  zones  d'influence  française  et  anglaise; 
là  vivent  des  indigènes  cultivateurs  qui  habitent  aux  basses 
eaux  des  paillottes  sur  la  laisse  des  inondations,  et  pendant  les 
crues,  se  retirent  sur  des  collines  de  sable,  hautes  de  5  à  8  mètres, 
à  quelque  distance  dans  l'intérieur.  Ces  noirs  cultivent  le  mil 


560  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

et  le  coton;  ils  ont  des  chameaux,  des  bœufs  et  des  moutons; 
Foureau  a  relevé  près  de  Nguigmi  une  baie  libre  de  roseaux, 
où  il  serait,  sans  doute,  facile  d'aménager  un  port.  11  est  doac 
permis  d'aflirmer,  dès  maintenant,  que  ces  pays  ne  sont  pas 
dénués  de  ressources,  que  par  la  paix,  par  une  protection  assu- 
rée contre  les  déprédations  des  nomades,  les  populations  locales 
multiplieront  et  s'enrichiront  rapidement.  Ici,  nous  ne  sommes 
plus  dans  le  domaine  administratif  du  Chari,  mais  bien  dans 
le  3"  territoire  militaire  de  l'Afrique  Occidentale  française. 

Entre  le  Tchad  et  Zinder,  on  ne  rencontre  presque  plus  de 
points  habités  ;  quelques  groupes  d'indigènes  campent  autour 
des  marigots  où,  pendant  la  saison  sèche,  se  pressent  des 
myriades  de  poissons.  Ils  les  pèchent  et  vont  les  porter  sur 
les  principaux  marchés  de  la  région,  notamment  à  Zinder;  mais 
ce  demi-désert  manque  d'eau,  il  faut  le  traverser  vite,  ainsi  que 
l'ont  fait,  à  quelques  jours  d'intervalle,  en  1899,  les  missions 
Afrique  occidentale  et  saharienne.  Zinder  est  tout  au  contraire 
l'agglomération  centrale  d'un  district  riche  et  relativement 
peuplé;  elle  se  compose  d'une  enceinte  fortifiée, résidence  du 
sultan,  et  d'une  ville  ouverte  où  se  ressemblent  les  caravanes 
et  se  traitent  les  affaires.  Zinder  reçoit  régulièrement  de  Bilma 
du  sel  et  des  dattes;  on  y  rencontre  des  flaoussas,  des  Kanou- 
ris,  des  Foulbés,  divers  groupes  de  Touareg;  le  commerce  est 
aux  mains  de  négociants  de  Tripoli  etduTouat,  qui  ont  des  rela- 
tions à  travers  tout  le  Sahara  ;  on  peut  donc  considérer  Zinder 
comme  un  des  ports  méridionaux  de  la  «  mer  saharienne  ». 

Zinder  a  des  champs  de  mil,  où  l'on  sème  vers  le  15  juin, 
pour  moissonner  dans  la  deuxième  quin/aine  de  septembre;  on 
y  remarque  la  transition  entre  les  types  d'habitation  du  Soudan 
et  des  oasis  du  Sahara  :  les  paillottes,  à  toit  conique  de  chaume 
voisinent  avec  les  huttes  en  briques  sèches,  couronnées  d'une 
terrasse  rectangulaire  ;  une  propreté  parfaite  règne  dans  la  plu- 
part de  ces  demeures.  Il  est  visible  que  des  fortunes  existent  »^ 
Zinder,  elles  ont  été  acquises  surtout  dans  le  commerce.  En  1899, 
le  grand  négociant  de  la  ville  était  un  Touareg  Kéloui,  Mallem 
Yaro,  fier  comme  tous  ses  congénères  et  qui  disait  à  Foureau, 
parlant  du  sultan  noir,  que  «  pareil  à  tous  les  nègres,  cet 
homme-là  n'avait  pas  de  pensée  ».  Sur  le  marché,  on  voit  des 
articles  de  sellerie  assez  soignés,  des  bijoux  et  toutes  sortes  de 
denrées  vivrières  ;  mais  le  pays  est  assez  sec  pour  permettre 
l'industrie  des  marchands  d'eau;  la  plupart  des  paiements  se 
font  en  cauris,  quoique,  depuis  l'établissement  du  poste  fran- 
çais, l'usage  de  la  monnaie  se  répande  rapidement. 


) 


•  LES    HAVS   DU   TCHAD    ET  L'eUROPE  561 

I  A  quatre  journées  dt?  Diarche  au  Nord  de  Zinder,  le  Damergou 
est  le  dernier  district  ^oudanien.  Le  possesseur  du  Damergou 
tient  à  merci  les  Touaregs  Kélouis,  maîtres  du  pays  jusqu'au 
territoire  des  Hoggars.  Les  Kélouis  forment  plusieurs  tribus, 

I  plus  ou  moins  nomades  suivant  que  le  mélange  avec  les  popu- 
lations noires  est  plus  ou  moins  avancé  ;  ils  ont  une  sorte  de  man- 
dataire commun  qui  réside  dans  TAïr,  et  avec  lequel  doivent 
être  entamées  toutes  négociations  relatives  à  la  circulation  des 
hommes  et  des  marchandises  à  travers  la  Sahara.  Le.  colo- 
nel Péroz,  naguère,  commandant  du  3*  territoire  militaire, 
avait  ouvert  avec  eux  des  relations  amicales.  Les  Touareg 
Aouellimidens  nomadisent  à  TOuest  des  précédents,  divisés  eux 
aussi  en  plusieurs  groupes  indépendants  les  uns  des  autres;  ils 
étendent  leurs  parcours  jusqu'au  moyen  Niger,  où  les  ont  ren- 
contrés, après  Barth,  nos  explorateurs  Hourst  etToutée  ;  ceux- 
là  seraient  plus  fermés  que  les  Kélouis  à  Tinfluence  française 

j  Enfin,  dans  l'Est  du  Damergou,  les  oasis  de  Bilma  sont  le  ber- 
ceau des  Tebbous,  tour  à  tour  caravaniers,  cultivateurs,  cher- 
cheurs et  marchands  de  sel  ;  diaprés  le  capitaine  Moll,  l'action 
de  Sénoussis  s'exercerait  aujourd'hui  dans  les  oasis  de  Bilma. 

Le  Sahara  pénètre,  à  TOuest  du  Damergou,  jusqu'aux 
limites  du  Sokoto.  Pour  gagner  de  Zinder  le  Niger  français,  en 
restant  systématiquement   en  dehors   du  cercle  tracé   par  la 

1  frontière  de  1898,  autour  de  Sokoto  pris  pour  centre,  on  traverse 
une  zone  d'une  aridité  complète,  où  plusieurs  étapes  consécu- 
tives doivent  être  faites  sans  eau  ;  tout  au  contraire,  le  Sokoto, 
laissé  à  l'Angleterre  par  cette  convention,  possède  des  lignes  de 
puits,  même  quelques  oasis  analogues  au  groupe  de  Zinder,  et 
par  conséquent  n'oppose  pas  aux  communications  d'Ouest  en 
Est  un  obstacle  comparable  à  celui  des  territoires  qui  nous  ont 
été  assignés.  Les  études  les  plus  récentes  ont,  d'ailleurs,  démon- 
tré que  la  ligne  bizarre  fixée  mathématiquement  par  les 
négociateurs  de  1898  coupait  plusieurs  Etats  indigènes  dont 
l'existence  n'était  même  pas  soupçonnée  il  y  a  trois  ans,  le 
Gober,  le  Goummel,  etc.,  donc  comportait  des  remaniements 
réglés  sur  l'expérience  acquise.  Les  populations  sur  cette  lisière 
du  Soudan  et  du  Sahara  étaient  encore  païennes  du  temps  de 
Barth  ;  elles  sont  aujourd'hui  presque  toutes  musulmanes,  mais 
peu  fanatiques,  bien  que  le  sultan  de  Sokoto  s'intitule  Emir  cl 
moumenifij  Commandeur  des  croyants.  L'incertitude  politique 
la  plus  confuse  règne  dans  tous  ces  Etats,  surtout  depuis  la 
conquête  du  Bornoupar  Rabah,  puis  la  dislocation  de  la  puis- 
sance rabiste  ;  il  paraît  donc  vain  de  prétendre,  pour  tel  ou  tel 
J'entre   eux,  une  supériorité  historique  sur  ses. voisins;  aux 

QuKST,  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  36 


56â  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

copartageants  européens  d'établir,  s'ils  le  jugent  à  propos,  une 
hiérarchie  qu'ils  sauront  faire  respecter. 

Tel  sont,  dans  leur  ensemble,  les  pays  du  Tchad.  Les  princi- 
paux traités  qui  les  ont  découpés  entre  la  France,  l'Allemagne 
et  l'Angleterre  ont  été  signés  à  une  époque  où  il  n'était  pas 
encore  possible  d'en  donner  la  description  sommaire  qui  pré- 
cède. La  France  a,  la  première,  effectivement  occupé  les  terri- 
toires qui  lui  étaient  dévolus.  Dès  1890,  leç  fondateurs  du 
Comité  de  V Afrique  française  avaient  désigné  le  lac  Tchad 
comme  le  carrefour  où  devraient  se  rencontrer  les  explorations 
parties  du  littoral  méditerranéen,  du  Sénégal  et  du  Congo.  Pa- 
tiemment, avec  une  persévérance  dont  on  nous  refuse  trop  sou- 
vent le  mérite,  ce  programme  a  été  de  point  en  point  exécuté; 
la  jonction  sur  les  bords  du  Tchad,  en  1900,  des  missions  Fou- 
reau,  Joalland  et  Gentil,  consacre  le  triomphe  de  cette  expansion 
méthodique  et  doit  prendre  rang  parmi  les  faits  les  plus 
expressifs  de  la  période  contemporaine;  en  même  temps,  cette 
concentration  de  troupes  françaises,  se  ralliant  comme  à  point 
nommé,  a  rendu  à  l'humanité  tout  entière  un  service  éminent, 
en  avançant  la  fin  de  Rabah.  Le  terrain  étant  ainsi  déblayé 
par  nos  soins,  l'Allemagne  et  l'Angleterre  se  sont  décidées  à 
reconnaître,  elles  aussi,  l'étendue  totale  de  leurs  domaines  et  à 
jalonner  de  postes  nouveaux  le  cadre  encore  vide  de  leurs 
zones  d'influence.  Où  en  sont-elles  aujourd'hui  de  ce  progrès? 


• 


En  1890,  lorsque  nous  signâmes  le  traité  qui  bornait  à  la  ligne 
Say-Barroua  l'Afrique  Occidentale  française,  nous  pensions 
que  les  Anglais  avaient  déjà  fait  acte  de  possession  dans  les  ter- 
ritoires plus  méridionaux,  dans  le  Sokoto  et  le  Kano  particu- 
lièrement. Or  l'Angleterre  était  alors  représentée  dans  le  golfe  de 
Guinée  par  la  Royal  Niger  Society^  et  sa  pénétration,  même  éco- 
nomique, était  bornée  au  bas  fleuve  et  aux  districts  avoisinants: 
toutes  les  tentatives  pour  s'établir  plus  loin  avaient  échoué  : 
l'agent  Mac  Intosh  n'avait  pu  demeurer  à  Kouka;  même  à  Yola, 
la  Compagnie  n'était  que  tolérée;  bref,  nous  fûmes  victimes  d'un 
véritable  bluff.  Mais  c'est  là  de  Thistoire  accomplie,  récriminer 
serait  du  temps  perdu;  bornons-nous  à  revendiquer  ce  que  la 
complaisance  des  Anglais  voulut  bien  alors  nous  reconnaître, 
c'est-à-dire  un  po^ssdige  pratique  du  Niger  au  Tchad. 

Aussi  bien  ce  qui  n'était  qu'une  fiction  en  1890  devient-il 
peu  à  peu  une  réalité  depuis  que  la  Compagnie  du  Niger, 
rachetée  par  le  gouvernement  anglais,  n'est  plus  qu'une  société 
commerciale!.  L'organisation  de  la  Nigeria  a  été  confiée  à  un 


n^F^W 


LES    PAYS    DU    TCUAD    ET   L*EUROPE  563 

homme  dont  les  procédés  parfois  sommaires  ne  nous  empê- 
cheront pas  de  proclamer  la  haute  intelligence,  sir  Frédéric 
Lugard.  Au  cours  des  années  1900-1901,  pendant  que  les  troupes 
rabistes  étaient  encore  engagées  contre  nous,  sir  Frédéric  a 
«  donné  de  l'air  »  à  sa  colonie;  ainsi  qu'il  Ta  constaté  lui* 
même,  la  Compagnie  du  Niger  avait  tout  laissé  à  faire  au  réf^îrae 
qui  lui  succéderait.  A  quelques  étapes  du  Niger,  des  chefs  fou- 
lanes  chassaient  encore  l'esclave  dans  les  tribus  païennes,  Iti 
désolation  était  partout,  et  cependant  la  richesse  du  pays,  où  la 
kola  notamment  vient  en  abondance ,  laissait  espérer  une 
prompte  renaissance,  dès  que  la  paix  serait  rétablie.  Progres- 
sivement, les  postes  anglais  furent  poussés  vers  le  Nord  :  ^'ola, 
sur  la  Bénoué,  fut  occupée  non  sans  quelques  escarmouches 
préparatoires;  les  garnisons  du  Niger  furent  renforcées,  parti* 
culièrement  Lokodja,  au  confluent  de  la  Bénoué;  de  là  diverses 
missions  fondèrent  successivement  des  postes  à  Koniagora, 
j  Saria,  Baoutchi,  c'est-à-dire  aux  points  stratégiques  principaux 
des  plateaux  qui  bordent  au  Nord  le  couloir  de  la  Bénoué. 

A  la  fin  de  1901,  la  frontière  de  la  Nigeria  eft'ectiveraent 
occupée  était  portée  à  100  kilomètres  de  Kano;  des  émirs  vas- 
saux de  l'Angleterre  avaient  été  investis,  dans  les  pays  nouvel- 
lement conquis.  Très  sagement,  sir  Frédéric  Lugard  se  rangeait 
à  la  pratique  du  protectorat;  il  intéressait  à  la  souveraineté 
anglaise  des  petits  chefs  foulanes,  remplaçant  seulement  ceux 
qui  refusaient  de  renoncer  à  leurs  razzias  d'esclaves;  il  prescri- 
vait à  ses  lieutenants  de  négocier  plutôt  que  de  combattre,  et 
tenait  à  garder  toujours  en  main  une  force  militaire  imposante, 
à  la  montrer  pour  n'avoir  pas  besoin  de  s'en  servir.  On  sait  que 
0  est  précisément  la  méthode  de  nos  meilleurs  «  Soudaniens  » . 
qui  font  ainsi  école  parmi  les  administrateurs  étrangers.  Pour 
1902-1903,  le  programme  de  sir  F.  Lugard  comportait  l'orga- 
nisation définitive  des  provinces  de  Yola,  Baoutchi,  Bassa  et 
aussi  du  Bornou;  la  pacification  en  paraissait  d'autant  plus 
intéressante,  que  Ton  espérait  y  découvrir  des  mines. 

En  1902,  la  marche  en  avant  a  continué;  le  Bornou  a  étr^ 
occupé  jusqu'au  lac  Tchad,  et  cette  occupation  a  mis  en  contact 
Anglais  et  Allemands  autour  de  Dikoa;  mais,  pour  comprendre 
ce  dernier  épisode,  il  est  nécessaire  de  revenir  de  quelqucîi 
mois  en  arrière  et  de  raconter  la  fin  de  la  lutte  des  Français 
contre  Fadel-Allah,  fils  de  Rabah.  Après  la  mort  de  Rabah 
'levant  Kousseri  (22  avril  1900),  une  colonne  légère  commandée 
par  le  capitaine  Reibell  fut  immédiatement  lancée  vers  l'Ouest, 
^  la  poursuite  de  Fadel-Allah;  celui-ci  fuyait,  nos  cheft*  le 
savaient,  en  territoire  réservé  à  l'Allemagne  ;  mais  comme  le 


564  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONULES 

poste  allemand  le  moins  éloigné  se  trouvait  alors  à  plus  de 
600  kilomètres  de  nos  troupes,  il  ne  fallait  pas  songer  à  se 
mettre  d'accord  avec  les  Allemands  pour  achever  d'urgence,  si 
c'était  possible,  Tœuvre  de  civilisation  si  bien  commencée. 
Reibell,  par  des  marches  forcées,  très  remarquables  en  pleine 
saison  sèche,  s'empara  du  camp  et  de  l'armée  de  Fadel-Allah, 
qui  avait  évacué  Dikoa  en  toute  hâte  ;  Fadel-Allah  lui-mt^me 
s'était  sauvé,  mais  il  était  mis  dans  l'impossibilité  de  nuire, 
du  moins  pour  quelque  temps.  Par  un  scrupule  peut-être  exces- 
sif, nous  ne  laissâmes  mc^me  pas  de  troupes  à  Dikoa,  où  nous 
avions  reconnu  sultan  un  chef  nommé  Guerbaï. 

Dans  l'hiver  de  1900-1901,  Fadel-Allah  entra  en  relations  avec 
les  autorités  anglaises  récemment  établies  à  Yola;  il  se  ravi- 
tailla en  armes  et  munitions,  et  l'on  parla  sérieusement,  en 
Angleterre,  d'une  alliance  avec  ce  chef  de  brigands.  Pour  l'hon- 
neur de  l'Angleterre,  ces  négociations  furent  rompues  du 
fait  même  de  Fadel-Allah.  Sur  les  instances  de  Guerbaï  attaqué 
une  première  fois  en  janvier  1901,  nous  envoyâmes  une  petite 
garnison  à  Dikoa,  où  Fadel-Allah  venait  de  rentrer  et  quH 
abandonna  sans  combat;  en  juillet  suivant,  une  nouvelle  attaque 
de  Fadel-Allah  ne  réussit  pas  mieux;  bien  plus,  le  capitaine 
Dangeville,  commandant  de  Dikoa,  fut  assez  heureux  pour  sur- 
prendre et  tuer  Fadel-Allah  lui-mt^me  à  Goudjba;  deux  jours 
après,  le  dernier  fils  de  Rabah,  Niébé,  se  rendait  aux  autorités 
françaises  avec  l.SOO  soldats  armés  de  fusils.  Comme  l'avait 
prédit  le  malheureux  de  Béhagle,  le  jour  où  Fadel-Allah  lui  avait 
annoncé  sa  condamnation  à  mort  (il  fut  pendu  sur  le  marché  de 
Dikoa),  les  Français  n'avaient  pas  tardé  à  venir  le  venger. 

Dès  lors,  deux  faits  étaient  certains  :  l'un  que  nous  avions 
seuls  supporté  les  charges  d'une  opération  de  police  qui  déh- 
vrait  tous  les  pays  au  Sud  du  Tchad  d'un  joug  barbare,  l'autre 
que  ces  opérations  mêmes  avaient  été  terminées  en  territoire 
non  français.  Que  se  passa-t-il  depuis  dans  le  Bomou?  Il  nous 
est  difficile  de  le  savoir  par  des  documents  français,  dont  la 
concision  officielle  est  quelque  peu  déconcertante;  heureu- 
sement que  des  renseignements  étrangers  nous  permettent  d'y 
suppléer,  surtout  le  très  intéressant  rapport  du  colonel  allemand 
Pavel.  Les  Anglais,  après  la  disparition  de  Fadel-Allah,  se  sont 
avancés  sans  encombre  jusqu'au  Tchad  :  sir  William  Wallaceet 
le  colonel  Morland,  partis  de  Lokodjaen  janvier  1902,  gagnèrent 
rapidement  Baoutchi,  puis  Goudjba  et  Kouka;  ils  proclamèrent, 
sur  les  plateaux,  l'affranchissement  des  populations  fétichistes 
et  organisèrent  le  Bornou.  Là  se  placent  des  incidents  sur 
lesquels  nous  sommes  encore  mal  fixés  :  pour  des  raisons  qui 


LES  PAYS  DU   TCHAD  ET  L'eUROPE  565 

nous  échappent,  Guerbaï,  installé  par  nous  à  Drkoa,  a  trans- 
porté sa  capitale  en  territoire  anglais,  c'est-à-dire  plus  à  TOuest; 
une  importante  fraction  des  gens  de  Dikoa  Taurait suivi,  et  nous 
aurions  alors  installé  à  Dikoa  un  nouveau  sultan,  Omar  Scinda; 
les  relations  étaient  assez  tendues  entre  les  deux  groupe?  indi- 
gènes, une  rupture  même  paraissait  menaçante,  lorsque  les 
Allemands  arrivèrent  devant  Dikoa,  aux  ordres  du  colonel  PaveU 

Car  les  Allemands,  eux  aussi,  s'avançaient  progressivement, 
depuis  deux  ans,  dans  Thinterland  du  Cameroun.  Le  lieutenant 
Dominik  avait  fondé  le  poste  de  Garoua,  sur  la  haute  Bénoué  ; 
une  société  commerciale  participait  pour  i 00.000  marks  aux 
frais  des  expéditions  vers  le  Tchad,  et  le  25  avril  1902,  après 
une  traversée  pénible  des  plateaux  forestiers  au  Sud  de  la 
Bénoué,  le  colonel  Pavel  entrait  à  Garoua;  il  ne  tardait  pas  à 
en  partir  pour  le  Tchad  et  le  delta  du  Chari.  Tandis  que  les  auto- 
rités anglaises  contrariaient  sourdement  les  progrès  des  Alle- 
mands en  entravant  la  circulation  des  caravanes,  les  officiers 
français  de  Dikoa  faisaient  acte  au  contraire  non  seulement  de 
correcte  neutralité,  mais  de  cordiale  coopération  :  conformément 
aux  traités,  le  pavillon  allemand  fut  hissé  à  Dikoa,  puis  nos 
troupes  se  retirèrent  sur  le  Chari.  Ainsi  la  question  du  partage 
(lu  Bomou  reste  aujourd'hui  localisée  entre  l'Allemagne  et  l'An- 
jrleterre.  Le  colonel  Pavel,  suivant  l'exemple  de  sir  F.  Lugard, 
veut  administrer  économiquement  ses  nouvelles  provinces,  en 
s'appuyant  sur  des  chefs  indigènes;  il  s'occupe,  d'accord,  avec 
plusieurs  sociétés  allemandes,  d'étudier  les  voies  de  communi- 
cation du  haut  Cameroun  avec  la  côte.  Aux  dernières  nouvelles, 
une  commission  de  délimitation  anglo-allemande  allait  procéder 
à  la  reconnaissance  de  la  frontière;  Dikoa  était  définitivement 
placée  dans  la  zone  allemande,  et  en  attendant  les  décisions 
dernières,  un  modus  vivendi  fort  acceptable  avait  été  adopté  sur 
place  entre  Allemands  et  Anglais.  Le  lieutenant  Dominik  rentre 
en  Europe,  où  ses  indications  seront  précieuses  au  gouverne- 
ment allemand  pour  rédiger  le  traité  définitif. 

Sir  Frédéric  Lugard  est  maintenant  en  train  d'achever  sa 
tâche  par  l'occupation  du  Kano  et  du  Sokoto.  Un  résident 
anglais  ayant  été  massacré  à  Keffii,  le  meurtrier  s'était  réfugié 
à  Kano,  dont  le  sultan  refusait  de  le  livrer;  il  y  avait  donc  là 
une  raison  d'intervenir;  des  tentatives  d'entente  amiable 
échouèrent,  une  colonne  fut  aussitôt  formée  à  Saria,  sous  les 
ordres  du  colonel  Morland;  elle  comprenait  environ  douze 
cents  hommes  de  troupes  sûres,  avec  sept  mitrailleuses;  des 
réserves  étaient  échelonnées  en  arrière.  La  marche  a  été  vive- 


i 


5G6 


QUESTIONS  DIPLOMATIQUKS  ST  COLONIALES 


ment  menée;  on  vient  en  effet  de  recevoir  en  Europe  la  nou- 
velle de  la  prise  de  Kano  (3  février),  bientôt  suivie  de  celle  de 
Sokoto  (15  mars).  Nous  n'avons  encore  que  peu  de  détails  sur 
cette  campagne  si  vigoureusement  achevée.  Vraisemblable- 
mont,  sir  F.  Lugard  avait  eu  la  précaution  de  faire  éclairer  le 
colonel  Morland  par  quelques  escadrons  de  la  persuasive  «  cava- 
lerie de  Saint-Georges  »;  en  ces  pays  de  sofs,  encore  troublés 
par  le  contrecoup  des  récentes  vicissitudes  de  Rabah,  il  n'est 
probablement  pas  difficile  d'acheter  des  concours  indigènes. 

La  conquête  ainsi  terminée  tant  par  l'Angleterre  que  par 
TAUemagne,  le  moment  est  venu  pour  nous  de  nous  entendre 
avec  ces  puissances  pour  rétablissement  des  frontières  scien- 
tifiques de  nos  domaines  respectifs.  Du  côté  de  l'Allemagne, 
nous  pouvons  désirer  la  possession  complète  du  delta  du  Chari 
et  des  pays  entre  Chari  et  Logone;  c'est  ce  que  souhaitait  l'an 
dernier  M.  Charles  Dupuy,  rapporteur  du  budget  des  colonies 
devant  le  Sénat.  M.  Paul  Bourdarie,  dans  de  très  remarquables 
articles  récents  de  la  Dépêche  Coloniale^  demande  plus  encore, 
Faccès  du  Tchad  méridional  réservé  à  la  France  seule.  Ce  serait 
une  solution  évidemment  excellente  et  l'Allemagne  nous 
indemniserait  ainsi,  en  quelque  manière,  du  service  que  nous 
lui  avons  rendu  en  détruisant  Rabah  et  Fadel-AUah  ;  mais  peut- 
Hre  est-il  imprudent  de  compter  sur  une  telle  libéralité  de 
reconnaissance  internationale.  Retenons  cependant  des  études 
de  M.  Paul  Bourdarie  le  vœu  très  légitime  que  la  délimitation 
future  ne  coupe  pas  en  deux  des  groupes  d'indigènes  déjà  con- 
stitués, et  s'inspire  de  considérations  ethnographiques  autant 
que  proprement  géographiques;  si  les  Allemands  rectifiaient 
la  frontière  à  notre  avantage  sur  le  bas  Chari,  nous  pourrions 
aisément  leur  accorder  en  compensation  soit  des  concessions 
lerritorialessur  d'autres  points  de  notre  colonie  congolaise,  soit 
des  facilités  de  circulation  et  de  commerce  pour  atteindre  par 
le  Sud-Est  l'arrière-pays  du  Cameroun. 

Quant  aux  Anglais,  la  question  de  frontière  posée  entre  eux 
et  nous  est  toute  différente;  ils  ont  cru  nous  donner  et  nous 
avons  cru  recevoir,  de  bonne  foi,  des  territoires  à  travers  les- 
quels nous  pouvions  communiquer  en  tous  temps  du  moyen 
Niger  au  Tchad.  Or  l'expérience  a  démontré  que  telles  n'étaient 
pas  les  conditions  naturelles  ;  l'arc  de  cercle  tracé  avec  un 
rayon  de  160  kilomètres  (100  milles)  autour  de  Sokoto  englobe 
tous  les  points  d'eau  pratiquement  accessibles  entre  le  Niger 
de  Say  et  le  Zinder.  11  est  donc  évident,  et  c'est  ce  qu'admettent 
en  Angleterre  nombre  de  coloniaux  et  d'hommes  politiques, 


^IWl^^T  mjf["m  m 


LES   PAYS   DU   TCUAD    ET   L'EUROPE  'fifil 

que  les  négociateurs  du  traité  de  1899  ont  signé,  Anglais  comme 
Français,  autre  chose  que  ce  qu'ils  voulaient,  donc  qu*une 
novation  est  de  droit,  dont  l'objet  précis  est  de  conformer  la 
lettre  d'une  délimitation  effectuée  sur  place  à  l'esprit  du  traité 
antérieur.  Des  commissaires  français  sont  déjà  partis  pour  pro- 
céder sur  place  à  la  fixation  de  cette  frontière;  nous  devons 
supposer,  bien  que  nous  n'ayons  vu  publier  là-dessus  aucun 
avis  officiel,  que  les  pouvoirs  s'étendent  expressément  k  cette 
rectification  nécessaire.  Il  est  possible  qu'il  y  ait  plus  à  faire, 
un  échange  de  droits  ou  de  territoires,  par  exemple,  etiîre 
cette  partie  de  l'Afrique  et  d'autres  coloùies  où  la  France  et 
l'Angleterre  ont  des  intérêts  dissidents;  mais  ces  négociations 
ne  pourront  être  utilement  engagées  que  lorsque  nous  auron^i 
d'abord  réglé  la  frontière  du  Sokoto  suivant  les  intentions  des 
rédacteurs  du  traité  du  14  juin! 898.  La  dépêche  de  sir  F.  Lugard 
annonçant  la  prise  de  Sokoto  signalait  également  l'arrivée  dans 
cette  ville  de  la  commission  française  ;  on  peut  donc  espérer  que 
la  solution  définitive  ne  tardera  pas.  D'un  autre  côté,  entre 
le  Ouadaïet  le  Darfour,  une  autre  section  de  la  frontière  anglo- 
française  reste  à  déterminer;  nous  en  reparlerons  plus  loin. 


Désormais,  tandis  que  les  Anglais  et  les  Allemands  poursui- 
vent chez  eux,  et  suivant  leur  libre  initiative,  la  «  mise  en 
valeur  »  de  leurs  colonies,  nous  avons  à  procéder  de  mi^nio 
pour  notre  Afrique  centrale.  Nous  voudrions  qu'il  fût  de  pra- 
tique constante  que  les  Européens,  dans  ces  pays  encore  à 
demi  barbares,  sont  tous  solidaires  ;  que  l'Angleterre  fît  la 
police  du  Darfour  comme  nous  faisons  celle  du  Zinder  pour 
empêcher  l'introduction  d'armes  dans  le  Ouadaï  comme  nous 
dans  le  Kano.  La  théorie  est  aujourd'hui  abandonnée  des 
Etats  tampons  que  les  puissances  européennes  interpose- 
raient entre  leurs  domaines;  ce  sont  des  frontières  précises 
qu'il  leur  faut,  des  frontières  qu'elles  s'obligent  à  surveiller,  au 
dedans  desquelles  elles  contiennent  les  empiétements  de  leurs 
administrés  ou  de  leurs  résidents. 

Mais  nous  supposons  que,  sur  ce  point,  l'accord  sera  facile, 
Que  nous  reste-t-il  donc  à  faire  pour  aborder  l'ère  deri*xplni- 
lation  économique  ?  Avant  tout,  organiser  et  consolider  notre 
occupation  ;  régler  nos  relations  présentes  sans  rien  compro- 
mettre de  l'avenir,  avec  le  Ouadaï,  les  Sénoussis,  les  Touareg 
du  Sud  saharien  ;  procéder  à  l'inventaire  des  ressources  de 
notre  domaine.  Sans  annexions  militaires,  sans  guerres,  par 


.568  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

t 

conséquent  sans  grands  frais,    ce  programme  modeste  doit 
S  suffire  à  occuper  notre  activité  pendant  plusieurs  années. 

[.  Notre  occupation  ne  sera  solide  et  définitive,  croyons-nous, 

l  que  lorsque  le  3*  territoire  militaire,  rattaché  aux  pays  du  Nord 

[\  du  Tchad  et  du  Chari,  relèvera  de  la  môme  autorité,  celle  d'un 

['  gouverneur    ou    commissaire    général    de  l'Afrique  Centrale 

i  française.    Cette  réforme  ne  comporte  aucune  création  d'em- 

(^  ploi,  simplement  un  remaniement  tout  administratif  de  la  hié- 

"'  rarchie  des  fonctionnaires;  la  limite  des  grandes  concessions 

[  congolaises  serait  celle  aussi  du  ressort  du  Congo.  Notre  repré- 

I;  sentant  supérieur  s'occuperait  immédiatement  d'améliorer  le 

[  réseau  de  ses  communications  ;  à  l'Ouest,  il  aurait,  après  règle- 

;  ment  de  la  frontière  anglo-française,  à  lier  Zinder  au  Niger  par 

;  une  série  de  bordjs  et  de  points  d'eau;   vers  le  Sud,  il  com- 

^  pléterait  l'œuvre  si  intelligemment  commencée  par  M.  Bruel. 

En  même  temps,  il  ferait  construire  une  flottille  pour  tenir 
en  relations  perpétuelles  le  bas  Chari  et  le  Nord-Ouest  du 
Tchad  ;  on  pourra  vraisemblablement  baliser  un  chenal  sur  le 
Chari  ;  quant  au  lac,  nous  avons  vu  qu'il  est  navigable  *  et  mAme 
présente  les  dangers  d'une  petite  mer  :  les  pirates  Boudouraas, 
qui  habitent  les  îles  du  Sud-Ouest,  n'oseraient  pas,  avec 
leurs  barques  en  joncs,  s'attaquer  à  des  chaloupes  à  vapeur 
et  rapport  des  vivres  frais  du  Chari,  pays  moins  saharien  que 
le  Zinder  et  le  Kanem,  serait  utile  au  ravitaillement  écono- 
mique de  nos  postes  du  Nord  et  de  l'Ouest  du  Tchad. 

Avec  les  Touareg,  la  meilleure  politique  et  la  moins  chère 
est  celle  des  raids,  autrement  dit  des  rondes  de  police  ;  les  succès 
des  lieutenants  Cottenest  et  Guillo-Lohan  en  ont  fait  la  preuve 
tout  à  fait  concluante  l'année  dernière,  dans  le  Sud  algérien. 
Les  chameaux  ne  manquent  pas  dans  le  Kanem  et  le  Damergou 
pour  constituer  deux  compagnies  de  méharistes,  que  l'on  placera 
S0U3  les  ordres  d'officiers  spécialistes,  formés  dans  le  Touat, 
par  exemple.  Nous  recruterions  les  soldats  parmi  les  Ouled  Sli- 
mans,  qui  paraissent  déjà  ralliés  à  notre  cause  et  ne  demandent 
qu'à  nous  servir  contre  les  Touareg.  L'aire  d'inspection  de  ces 
gendarmes  sahariens  s'étendrait  jusqu'aux  oasis  de  Bilma  et  de 
l'Aïr;  une  des  compagnies  pourrait  être  affectée  au  Damergou, 
avec  résidence  de  repos  à  Zinder  ;  la  seconde  aurait  ses  points 
d'appui  à  Nguigmi,  sur  le  Tchad,  et  dans  le  Kanem  où  nous 
sommes  solidement  établis  aujourd'hui.  La  mobilité  de  ces 
;  patrouilles  préviendrait  les  coups  de  main  des  nomades  dissi- 

k  dents  et  tout  porte  à  croire  que  ceux-ci,  découragés  de  lutter 

>  Contrairement  à  ce  que  nous-méme  disions,  d'après  des  renseignements  encore 
incomplets,  dans  VAfrique  à  Ventrée  du  xx*  «ièc/e,  page  243. 


LES   PAYS   DU   TCHAD   ET   L*EUROPE  569 

contre  un  ennemi  modelé  sur  eux-mêmes,  deviendraient  peu  à 
peu  ce  qu'ils  doivent  ôtre,  les  caravaniers  pacifiques  du  Sahara. 

Que  sont  au  juste  les  Sénoussis?  quelle  attitude  adopteront-ils 
si  nous  en  venons  à  un  contact  permanent,  voilà  ce  que  Ton 
ne  peut  dire  encore  avec  certitude.  Une  seule  fois  jusqu'ici,  à 
Bir-Alali  près  Mao,  dans  le  Kanem  (novembre  1901),  nos  troupes 
se  sont  trouvées  aux  prises  avec  eux;  depuis  lors,  nous  igno- 
rons si  nous  les  avons  de  nouveau  rencontrés,  au  cours  des 
quelques  djichs  signalés  par  de  rares  dépêches.  Toutefois,  il 
ressort  de  correspondances  arrivées  par  la  Méditerranée  orien- 
tale au  Journal  des  Débats  qu'un  chef  ou  itiokaddem  séiioussi, 
Mohammed  Lemmi,  intriguerait  au  Ouadaï  pour  s'emparer  du 
pouvoir;  on  ne  saurait  donc,  à  l'heure  présente,  séparer  la 
question  des  Sénoussis  de  celle  du  Ouadaï.  Pendant  la  deuxième 
moitié  du  xix"  siècle,  le  chef  des  Sénoussis  tint  sa  résidence 
dans  les  oasis  de  Djaraboub,  entre  l'Egypte  et  la  Tripolitaine  ; 
en  1895,  le  mahdi  en  exercice  vint  habiter  à  Koufra,  puis,  après 
l'accord  franco-anglais  de  1899,  qui  nous  livrait  la  souveraineté 
sur  la  plus  grande  partie  du  Sahara,  il  émigra  de  nouveau  pour 
se  fixer  dans  le  Borkou  ;  il^  envoya  bientôt  un  représentant  dans 
le  Kanem,  presque  au  moment  où  nous  y  pénétrions  nous- 
mêmes  ;  il  acquit  de  là  une  grande  autorité  sur  le  Ouadaï  et  Ton 
vit  même  ses  missionnaires  paraître  dans  le  Baguirmi. 

Nous  ne  savons  pas  précisément  si  les  Sénoussis  sont  une  secte 
de  musulmans  fanatiques,  de  puritains  exaspérés  dont  l'objet 
est  l'éviction  des  infidèles,  ou  si,  peu  occupés  de  soucis  mys- 
tiques, ils  ne  visent  pas  surtout  aux  bénéfices  d'une  puissance 
toute  temporelle;  établis  en  force  dans  les  oasis  de  Bilma,  ils  y 
auraient  été,  dit-on,  l'avant-garde  d'une  garnison  turque  aujour- 
d'hui arrivée;  le  mahdi  sénoussi  entretiendrait  des  intelli- 
gences avec  le  Sultan  pour  nous  empêcher  d'atteindre,  au  Sud 
de  la  Tripolitaine,  la  limite  que  nous  assigne  la  convention 
franco-anglaise  de  1899  et  qui  n'a  pas  diï  être  modifiée,  nous 
en  exprimons  ici  la  confiance,  par  l'accord  franco-italien  en  vue 
de  l'occupation  éventuelle  de  la  Tripolitaine  par  l'Italie;  recu-^ 
lant  toujours  devant  la  conquête  européenne,  voyant  l'Afrique 
du  Nord  française,  l'Egypte  occupée  par  les  Anglais,  il  vou- 
drait, avec  l'appui  de  Constantinople,  maintenir  du  moins  une 
zone  d'islam  indépendant  sur  le  continent  africain  ;  l'œuvre  des 
Sénoussis  n'aurait  d'ailleurs  rien  de  commun  avec  les  con- 
quêtes brutales  d'un  mahdi  de  Khartoum  et  d'un  Rabah,  elle 
serait  toute  de  prosélytisme  et  de  colonisation;  les  Sénoussis 
seraient  les  «  frères  armés  »  de  l'Islam,  défricheurs  d'oasis  et 
directeurs  de  caravanes,    agriculteurs  comme  nos  moines  du 


570  QUESTIONS   DIHLOMATIQUKS   ET   COLONIALBS 

moyen  âge,  à  peine  plus  batailleurs  que  les  chevaliers  Teuto- 
niques  ou  plus  commerçants  que  les  Templiers, 
i  Quoi  quUl  en  soit  de  leurs  intentions  véritables,  ils  consti- 

^  tuent  aujourd'hui  pour  nous  une  inconnue;  la  plus  extrême 

f  prudence  est  de  rigueur  à  leur  égard,  d'autant  que  toutes  les 

^.  informations  concordent  à  les  représenter  comme  fortement 

(,.  organisés.  La  rencontre  de  Bir-Âlali   n'est  sans  doute  qu'un 

^  incident;  nous  devons  souhaiter  qu'elle   n'ait  pas  déterminé 

l  chez  les  Sénoussis  une  hostilité  fondamentale,  qui  nous  obli- 

r  gérait  à  des  précautions  certainement  dispendieuses.  Quant  au 

\  Ouadaï,  cet  Etat  musulman  n'est  pas  exclusivement  dominé  par 

les  Sénoussis  ;  il  est  en  proie  à  une  anarchie  violente,  troublé 
:  et  probablement  ensanglanté  par  les  querelles  de  deux  préten- 

dants ;  même  on  peut  croire  que  le  rôle  joué  par  le  mokaddem 
f  sénoussi  Mohammed  Lemmi  ne  servira  guère  les  intérêts  de  sa 

[  secte  au  Ouadaï,  car  ce  personnage  a  tout  fait  pour  brouiller 

j  les  cartes,  pour  exciter  la  jalousie  des  héritiers  qui  se  dis- 

^  putent  le   royaume  du  feu   sultan  d'Abêch,  Ibrahim;  et  l'on 

;  parle  d'une  sorte  de  mouvement  nationaliste  qui  expulserait     { 

du  même  coup  les  deux  prétendants  et  le  malencontreux  inspi-  j 
rateur  de  leurs  discordes.  En  même  temps,  les  Touareg  con- 
vertis au  sénoussisme  auraient  été  attaqués  dans  le  Kanem  par 
la  puissante  tribu  réfractaire  des  Ouled-Slimans,  si  bien  que  le 
mahdi,  quittant  le  Borkou,  serait  en  retraite  vers  le  Nord  et 
reprendrait  ses  anciens  quartiers  à  Koufra. 

La  confusion  même  de  cette  situation,  pour  autant  que  nous 
puissions  l'apprécier  de  France,  serait  favorable  à  une  inter- 
vention discrète  et  toute  diplomatique.  Le  colonel  Destenave, 
lorsqu'il  commandait  les  territoires  militaires  du  Chari,  n'aura 
pas  manqué  de  tirer  parti  de  ces  avantages.  Le  recul  des  Sénous- 
sis vers  le  Nord  éloignerait  de  nous  une  force  capable,  même  si 
elle  ne  se  tourne  pas  contre  nous,  de  donner  aux  indigènes  de 
cette  partie  de  l'Afrique  une  cohésion  défavorable  à  la  pénétra- 
tion française.  Au  Ouadaï,  d'autre  part,  si  les  Sénoussis  sont 
reniés  par  les  habitants  comme  de  dangereux  agitateurs,  il  nous 
appartient  de  montrer,  par  la  renaissance  du  Kanem,  du  Ba- 
guirmi,  des  autres  Etats  du  Tchad  occupés  par  nous,  combien 
notre  souveraineté,  pacilique  et  peu  tracassière,  comporte 
d'avantages  et  de  garanties;  quelques  libéralités  judicieuses 
nous  assureraient  certainement,  au  Ouadaï,  des  partisans  assez 
dévoués  pour  préparer  les  voies  à  un  protectorat  prochain, 
très  large  et  très  souple,  tout  ce  que  nous  devons  raisonna- 
blement souhaiter.  Dès  maintenant,  nous  pourrions  vraisem- 
blablement et   sans  grands  frais   résoudre  à  notre  avantage 


LES  PAYS  DU  TCHAD  ET  l'eUROPE  571 

la  question  du  Ouadaï;  peut-ôtre  suffirait-il  d'envoyer,  vers 
la  zone  frontière  entre  le  Ouadaï  et  le  Darfour  anglais,  une 
mission  de  délimitation  fortement  escortée  et  appuyée  par  quel- 
ques échelons  de  troupes  prt'^tes  à  intervenir  le  cas  échéant;  il 
paraît  très  vraisemblable  qu'il  n  y  aurait  là  qu'une  marche 
militaire,  et  que  la  petite  colonne  française  pourrait  presque  à 
jour  fixe  prendre  rendez- vous  sur  la  frontière  avec  des  commis- 
saires anglais,  après  avoir  laissé  des  garnisons  sur  tous  les 
points  stratégiques.  Au  fond,  l'important  pour  nous  dans 
l'Afrique  centrale  est  de  briser  Tardeur  d'expansion  de  TIs- 
lam.Nous  ne  disons  pas,  ce  qui  est  tout  différent,  de  combattre 
la  religion  musulmane,  individuellement  pratiquée  par  tels  ou 
tels  de  nos  sujets  ;  il  faut  l'accepter  comme  un  fait,  là  où  elle 
se  présente,  mais  ne  jamais  lui  accorder  l'appui  de  nos  cadres 
administratifs.  Le  Ouadaï  protégé  par  nous,  les  Sénoussis 
réfugiés  au  Nord  de  notre  empire  et  tenus  en  respect,  l'Islam 
aura  perdu  dans  l'Afrique  centrale  tout  pouvoir  interne  de  crois- 
sance ;  nous  resterons  maîtres  de  le  guider  et  pourrons  nous 
en  servir  avec  profit  par» une  action  en  ordre  dispersé  dont 
nous  garderons  seuls  la  direction. 

Enfin,  nous  avons  encore  à  reconnaître  la  valeur  économique 
de  nos  territoires  ;  M.  Auguste  Chevalier,  déjà  distingué  par 
ses  beaux  travaux  sûr  le  Soudan,  est  parti  en  mai  dernier,  con- 
duisant une  mission  scientifique  vers  le  Tchad  ;  nous  sommes 
autorisés  à  attendre  beaucoup  de  M.  Chevalier  et  des  coUabo- 
teurs  d'élite  qu'il  a  su  s'adjoindre,  MM.  le  D'Decorse,  Courtet 
et  Martret.  L'amélioration  des  voies  navigables  et  la  substitution 
d'un  chemin  de  fer  au  portage  de  Bangui  au  Gribingui  (ou  de 
la  Bali  à  la  Ouom)  devront  être  étudiées  parallèlement,  la 
facilité  des  transports  étant  une  des  conditions  principales  de 
Tactivité  du  commerce,  sauf  pour  des  produits  très  riches  que 
peuvent  frapper  des  frets  lourds.  Pour  l'instant,  il  ne  faut 
pas  oublier  que  le  3*  territoire  militaire  tout  entier,  le 
Kanem,  le  Ouadaï  et  probablement  une  partie  des  pays  du 
Chari  relèvent  économiquement,  non  pas  du  Congo,  mais  de 
Tripoli.  Aussi  ne  saurions-nous  trop  vivement  approuver  le 
capitaine  MoU  d'avoir  essayé,  pendant  son  séjour  à  Zinder,  de 
combiner  son  action  avec  celle  du  consul  général  de  France  à 
Tripoli;  c'est  là,  ou  peut-être  à  Gabès,  dans  le  Sud  tunisien,  que 
nous  devons  nous  attacher  à  créer,  avec  toutes  les  faveurs  doua- 
nières utiles,  des  entrepôts  de  marchandises  françaises  à  des- 
tination de  l'Afrique  centrale.  Les  indigènes  apprécient  vite 
nos  tissus,  plus  solides  que  ceux  des  Anglais,  nos  savons  de 


572 


QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 


Marseille,  nos  pipes,  etc.,  encore  faut-il  les  leur  faire  connaître; 
aujourd'hui  presque  tous  les  produits  d'importation  euro- 
péenne à  Zinder  et  Kano  sont  anglais.  Il  importe,  d'autre  part, 
de  prévoir,  comme  complément  de  Toccupation  de  Kano  par  les 
Anglais,  la  construction  d'un  chemin  de  fer  de  la  Nigeria,  déjà 
projeté  par  sir  Frédéric  Lugard,  et  de  pousser  activement  notre 
voie  ferrée  du  Dahomey,  qui  prend  de  ce  chef  une  valeur 
tout  impériale.  Enfin,  si  la  route  fluviale  de  la  Bénoué,'qui  est 
libre  pour  tous  les  pavillons,  était  reconnue  praticable  jusque 
dans  nos  territoires,  il  y  aurait  lieu  de  ne  pas  la  négliger  pour 
le  ravitaillement  du  bas  Chari  ;  une  mission  d'études  devrait 
sans  tarder  rechercher  si  le  port  de  Bifara,  que  les  traités  nous 
ont  laissé  sur  le  Mayo-Kebbi,  peut  être  le  terminus  d'une  voie 
tout  au  moins  temporairement  navigable. 


Voilà  donc  l'Afrique  centrale  presque  entièrement  appropriée 
par  TEurope;  sur  les  fleuves  tributaires  du  Tchad,  dont  les 
noms  mêmes  étaient  ignorés  des  géographes  il  y  a  vingt  ans, 
des  bateaux  à  vapeur  circulent,  et  Ton  parle  de  lancer  des  che- 
mins de  fer  à  travers  des  pays  connus  d'hier.  Après  avoir,  par 
ses  campagnes,  ouvert  ces  régions  de  l'Afrique  aux  activités 
européennes,  la  France  en  garde  pour  elle-même  la  partie, 
sinon  la  plus  riche,  du  moins  la  plus  étendue  :  elle  y  continuera 
son  œuvre  de  régénération  par  la  paix  ;  bientôt  elle  sera  d  ac- 
cord avec  l'Allemagne  et  l'Angleterre  sur  ses  frontières  défi- 
nitives; elle  souhaite,  et  pense  que  ses  voisines  souhaiteront 
comme  elle,  fonder  la  prospérité  de  cette  Afrique  centrale  nou- 
velle sur  le  respect  des  populations  indigènes  et  la  concur- 
rence loyale  de  leurs  maîtres  européens. 


Henri  Lorin, 

Professeur  de  géographie  coloniale 
à  l'Université  de  Bordeaux. 


1 


UNE  RÉVOtUTION  lÉGALE  EN  IRLANDE 


11  se  prépare,  pour  Tlrlande,  une  réforme  d'une  portée  si  incal- 
culable, qu'on  peut  sans  exagération  la  taxer  de  révolution  :  non 
pas  qu'elle  n'ait  été  préparée  par  un  certain  nombre  de  mesures 
prises  depuis  une  trentaine  d'années,  non  pas  qu'elle  doive  se 
réaliser  brusquement  et  en  un  jour  ;  mais  le  nouveau  projet  de 
loi  est  d'une  telle  importance  sociale  et  politique,  qu'il  peut 
véritablement  «  révolutionner  »  l'Irlande,  c'est-à-dire  changer 
de  fond  en  comble  sa  situation  présente. 

Le  discours  du  trône  lu  le  17  février  1903  portait  ces  mots 
annonciateurs  :  «  Vous  serez  saisi  d'un  projet  de  loi  qui  complé- 
«  tera,  je  l'espère,  la  série  des  mesures  qui  ont  déjà  beaucoup 
«  contribué  à  substituer  la  propriété  unique  aux  conditions 
«  coûteuses  et  fâcheuses  qui  se  rattachent  encore  à  la  tenure  des 
«  terres  agricoles  dans  une  grande  partie  de  l'Irlande.  »  Le  pro- 
jet ainsi  indiqué  pouvait  être  un  nouveau  texte  ajouté  à  tant 
d'autres,  dont  il  n'y  aurait  nul  besoin  de  parler.  Mais  le  bill 
agraire  de  M.  Wyndham  est  autre  chose  que  cela  et  le  texte  que 
la  Chambre  des  communes  a  déjà  voté  en  première  lecture 
mérite  qu'on  s'y  arrête  :  aussi  voudrions-nous  envisager  l'aspect 
social,  financier  et  politique  de  la  solution  qu'il  apporte  à  cette 
question  ouverte  depuis  deux  siècles,  la  question  irlandaise. 


Le  projet  de  loi,  comme  nombre  des  lois  qui  l'ont  précédé, 
présente  un  aspect  révolutionnaire  et  étatique  qu'on  est  étonné 
au  premier  abord  de  rencontrer  en  Angleterre  ;  mais  il  suffit  de 
se  souvenir  des  conditions  exceptionnelles  dans  lesquelles  se 
pose  la  question  d'Irlande.  On  se  trouve  en  présence  d'un  pays 
où  deux  classes  sont  aux  prises,  les  landlordsou  seigneurs  fon- 
ciers et  les  tenanciers  ;  entre  eux,  aucune  classe  moyenne  et 
aucun  autre  intermédiaire  que  ces  gérants  plus  durs  encore, 
que  les  propriétaires  absentéistes.  C'est  le  régime  des  latifundia 
toujours  féconds  en  troubles  sociaux  et  cause  de  faiblesse  dans 
un  Etat  :  il  y  a  pour  un  pays  un  intérêt  national  si  prédomi- 
nant à  posséder  une  classe  de  petits  propriétaires  que  les  gou-, 
vernements  les  plus  conservateurs  n'ont  pas  hésité  parfois,  au 
nom  de  cet  intérêt  national  même,  à  prendre  des  mesures  légales 
pour  la  créer.  C'est  ainsi  que  la  Russie  a  opéré  le  rachat  de  terres 


574  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

seigneuriales,  après  l'abolition  du  servage,  pour  la  revendre 
aux  anciens  serfs.  Cette  même  situation  existé  en  Irlande,  mais 
elle  se  double  d'une  circonstance  aggravante  :  le  landlord  n'est 
que  le  successeur,  le  descendant  du  conquérant  qui,  sous 
Jacques  I"%  Cromwell,  ou  Guillaume  III,  a  confisqué  la  terre,  en 
se  substituant  à  Tancien  chef  de  clan  celte  et  en  établissant,  à  la 
place  du  droit  vague  que  le  régime  semi-collectif  de  la  terre  con- 
férait à  celui-ci,  un  droit  de  propriété  pleine,  arraché  par  la 
conquête.  Depuis  lors,  le  tenancier  n'a  jamais  oublié  quHl  a  été 
dépouillé  de  ses  droits,  et  cela  n'est  point  pour  simplifier  la  com- 
plexité du  problème.  Qu'a-t-on  fait  et  que  veut-on  faire  pour  le 
résoudre? 

Jusque  vers  1870,  on  s'attacha  peu  au  côté  agraire  de  la  ques- 
tion irlandaise  ;  on  se  contenta  de  renoncer  à  quelques  mesures 
trop  favorables  aux  grands  propriétaires  fonciers,  comme  on  le  fit 
parla  loi  de  1849  qui  supprimaitrinaliénabilité  de  certains  grands 
domaines,  ou  par  celles  de  1860  et  de  1865.  Mais  ces  réformes 
furent  sans  conséquence  sérieuse  :  ce  n'est  qu'à  partir  de  1870 
qu'une  véritable  législation  agraire  fut  créée  pour  l'Irlande*. On 
n'essaya  pas  d'abord  de  résoudre  la  difficulté  par  la  base  et  Ton 
crut  préférable  de  s'en  tenir  à  un  compromis.  Les  Land  Act  de 
Gladstone,  de  1870  et  de  1881,  ne  prétendent  qu'à  consolider  la 
situation  du  tenancier  :  on  étend  d'abord  à  toute  l'Irlande 
la  coutume  de  l'Ulster,  grâce  à  laquelle  le  fermier  pouvait 
obtenir  une /a w'  indemnUy^  c'est-à-dire  une  équitable  indemnité 
pour  les  améliorations  foncières,  par  une  sorte  de  droit  de  co- 
propriété sur  sa  ferme  ;  le  tenancier  avait  le  droit  de  vendre  à 
son  successeur  son  droit  de  tenancier,  en  quelque  sorte  son  droit 
à  un  bail  perpétuel.  En  1 881 ,  on  alla  plus  loin  encore  dans  cette 
voie.  L'agitation  agraire,  sous  la  direction  de  Parnell,  battait 
alors  son  plein  dans  l'Irlande  et  le  programme  du  parti  était 
celui  des  trois  F  :  fixity  oflenuve  (fixité  de  la  tenure),  fair  rents 
(fermage  équitable),  fvee  sale  (liberté  de  cession  du  bail)  : 
c'était  en  somme  demander  que  la  loi  reconnaisse,  sur  une  même 
terre,  à  côté  du  droit  du  landlord,  le  droit  réel  stable  du  tenancier 
qui  pourrait  disposer  de  son  bail,  être  à  l'abri  du  renvoi  et 
obtenir  un  prix  de  fermage  juste.  Gladstone  l'accorda  et  créa  à 

1  Sur  rhistoire  de  la  question  irlandaise,  voir  :  Paul  Fournier,  la  Question 
agraire  en  Irlande,  1882;  E.  Hervé,  la  Crise  irlandaise,  1885;  db  Prbssensé, 
l  Irlande  el  V Angleterre,  1889;  Nemours  Godier,  la  Bataille  du  Home  rule,  1890; 
O'CoNNOR  et  Mac  Wade,  Gladstone,  Parnell  and  the  Irish  struggle,  1888.  Sur  la 
nouvelle  loi,  voir  des  correspondances  anglaises  au  Messages*  de  Paris, 
30  mars  1903,  à  la  Liberté^  25  mars  et  l'^i'  avril  1903  ;  nous  avons  lu  aussi  avec  beau- 
coup de  profit  des  notes  de  remarquables  conférences  faites,  à  TEcole  des  sciences 
politiques,  sur  l'Angleterre  contemporaine,  par  M.  Ëlie  Halévjr. 


r 


UNE  RÉVOLUTION   LÉGALE  EN   IRLANDE  575 

ceteffet  les  fameuses  commissions  agraires,  land  commissions  : 
c'étaient  elles  qui  fixaient  le  prix  du  bail,  et  sur  la  demande  des 
partis,  le  revisait  tous  les  quinze  ans.  Cette  intervention 
extraordinaire  de  l'Etat  dans  les  rapports  du  propriétaire  et  du 
fermier  reste  encore  la  base  des  relations  agraires  de  l'Irlande. 

Mais  ce  n'était  là  que  consolider  le  droit  du  tenancier,  ce 
n  était  pas  en  faire  un  petit  propriétaire  :  il  ne  semble  pas 
cependant  qu'il  y  ait  une  action  plus  marquée  de  TEtat  dans 
une  opération  de  rachat,  que  dans  une  fixation  d'autorité  des  prix. 
Cela  est  vrai*;  mais  l'Angleterre,  qui  avait  accordé  à  regret  les 
premières  réformes,  aurait  vu,  avec  un  déplaisir  plus  vif  encore, 
qu'on  retirât  aux  grands  propriétaires  anglo-saxons  l'autorité 
locale  qui  s'attache  à  la  possession  de  la  terre,  qu'on  engageât  les 
finances  anglaises  et  qu'on  imposât  la  Grande-Bretagne  pour 
favoriser  «  Tile  sœur  »». 

Toutefois  le  gouvernement  anglais  sentit  si  bien  la  néces- 
sité de  marcher  dans  la  voie  de  la  «  démocratisation  des  terres  » 
que  dès  1869  quelques  mesures  furent  prises  en  ce  sens  :  on 
«  désétabiissait  »  alors  l'église  anglicane  d'Irlande  et  TEtat 
vendait  les  biens  d'Eglise;  il  voulut  les  faire  revenir  à  des  fer- 
miers cultivateurs,  mais  ceux-ci  étaient  dans  une  situation  trop 
obérée  pour  posséder  des  ressources  suffisantes  à  un  achat  de 
terres.  Aussi  le  gouvernement  adopta-t-il  le  système  suivant  : 
le  fermier  ne  paierait  qu'un  quart  du  prix;  quant  aux  trois 
autres  quarts,  ils  seraient  remboursables  par  annuités  en  32  ans, 
comprenant  l'amortissement  et  les  intérêts  à  4  % ,  et  le  paie- 
ment en  serait  garanti  par  une  hypothèque  prise  au  profit  de 
l'Etat.  Ce  premier  essai  réussit,  et  sur  8.500  fermes  achetées, 
les  trois  quarts  le  furent  par  des  tenanciers. 

Les  conservateurs  imitèrent  les  libéraux,  et  pendant  un  court 
passage  au  pouvoir  en  1885,  lord  Salisbury  fit  voter  V  «  Ashbourne 
Act  ».  Par  cette  loi,  le  fermier  pouvait  s'entendre  avec  le 
landlord  en  vue  de  Tachât  d'un  domaine;  quand  ils  étaient 
d'accord  sur  la  vente  et  le  prix,  on  soumettait  le  contrat  à  la 
hnd  commission  que  nous  avons  déjà  vue  fonctionner;  celle-ci 
examinait  s'il  était  équitable  et  payait  le  prix  au  propriétaire, 
puis  se  récupérait  sur  le  fermier  qui  devenait  débiteur  vis-à-vis 
d'elle  d'annuités  pendant  49. ans;  mais  pour  régler  immédiate- 
ment le  landlord,  il  fallait  de  l'argent  et  c'est  l'Etat  qui  met- 
tait à  la  disposition  de  la  commission,  en  1885,  125  millions  de 
francs,  puis  en  1887,  125  autres  millions.  Grâce  à  ces  mesures, 
la  petite  propriété  se  fondait  assez  rapidement,  trop  même  au 
gré  des  landlords,  qui  craignaient  pour  leur  inOuenee  politique, 
et  du  Parlement,  qui  répugnait  à  de  trop  fortes  avances.  On 


576  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONULBS 

vota  alors  la  loi  de  1891  qui  restreignit  la  faculté  d'appel  à 
l'Etat,  tout  en  mettant  une  nouvelle  somme  à  la  disposition  de 
la  commission.  Les  achats  diminuèrent;  cependant  on  évalue  à 
500  millions  de  francs  les  avances  faites  par  TEtat  depuis  l'ori- 
gine et  à  31  millions  le  revenu  des  terres  ainsi  acheté  par  les 
fermiers;  mais  on  estime  qu'il  reste  encore  en  Irlande, aux 
landlords,des  terres :représen tant  un  revenu  d'environ  i50 mil- 
lions de  francs  :  ce  sont  celles-ci  que  vise  le  nouveau  projet  de 
rachat. 

Nous  indiquerons  plus  loin  les  causes  nombreuses  qui  ont 
amené  le  gouvernement  conservateur  à  prendre  cette  initia- 
tive :  mais  deux  d'entre  elles  tiennent  aux  dispositions  des  lois 
antérieures  elles-mêmes.  Celles-ci  ne  pouvaient,  en  effet,  qu'ex 
citer  les  tenanciers  non  propriétaires  et  favoriser  lagitation 
irlandaise.  Qu'on  se  représente  en  effet  leur  état  d'esprit  :  à  côté 
d'eux,  certains  fermiers  ont  pu  profiter  des  avances  de  l'Etat  et 
ont  eu  affaire  à  un  landlord  qui  voulait  bien  vendre;  ceux-là 
n'ont  plus  à  payer  à  l'Etat  qu'une  annuité  généralement 
moindre  que  leur  ancien  fermage  et  dans  un  certain  nombre 
d'années  ils  seront  propriétaires  absolus.  Eux,  au  contraire, 
restent  sans  le  moindre  espoir  d'améliorer  ou  de  changer  leur 
situation  généralement  assez  triste.  Ces  lois  mécontentent  aussi 
vivement  les  landlords  et  les  atteignent  dans  leurs  intérêts 
matériels.  Ils  se  plaignent  de  la  fixation  périodique  des  fer- 
mages :  tous  les  quinze  ans  leurs  fermiers  peuvent  demander 
une  nouvelle  fixation;  beaucoup  l'ont  fait  en  1881  lors  du  vote 
de  la  loi,  puis  en  1896,  et  la  plupart  ont  obtenu  d'importantes 
réductions.  D'autre  part,  depuis  la  loi  de  1891,  les  landlords 
rachetés  sont  payés  non  plus  en  argent,  mais  en  consolidés  au 
pair  :  or  ces  consolidés  ont  baissé  considérablement  (de  Hi 
à  91)  et  à  partir  du  1"  avril  1903  ne  rendent  plus  que  2  1/2  au 
lieu  de  2  3/4.  De  cela  résulte  un  mécontentement  général,  et 
sous  l'influence  de  circonstances  favorables,  M*  Wyndham  pré- 
para son  nouveau   projet  de  loi. 

« 
«  » 

Les  traits  essentiels  de  ce  bill  agraire  sont  le  caractère  de 
généralité  qu'il  affecte  et  la  participation  considérable,  et  en 
partie  délinitive.,  des  finances  anglaises  dans  la  réforme.  Nous 
ne  nous  trouvons  plus  en  présence  d'une  mesure  de  détail,  et 
d'une  pure  faculté  laissée  au  landlord;  il  s'agit  d'un  rachat 
général  defs  terres  et  tous  les  landlords  auront  intérêt  à  y  con- 
sentir, grâce  à  un.  avantage  que  leur  accorde  le  Trésor  iuaglais. 


UNE   REVOLUTION   LKGALE    EN   IRLANDE  o7 1 

Voici,  dans  ses  grandes  lignes,  Téconomie  de  la  loi  :  elle 
s'applique  a  toutes  les  terres  dont  les  fermiers  paient  un  fer- 
mage de  moins  de  75.000  francs,  cest-à-dire  à  411.000  sur 
490.000*.  Pour  ces  propriétés,  le  prix  d'achat  est  fixé  non  par 
Tentente  des  landlords  et  des  tenanciers,  mais  sur  la  base  d'un 
forfait  légal,  correspondant  au  revenu  des  31  dernières  années. 
Mais  ce  revenu  a  été  variable  en  bien  des  cas,  quand  la  land 
commission  a  réduit  les  fermages  en  1881  et  en  1896  :  dans  ce 
cas,  le  prix  d'achat  sera  basé  sur  le  revenu  fixé  au  second 
terme,  c'est-à-dire  en  1896.  Quant  aux  fermiers  qui  n'ont  pas 
fait  arbitrer  leur  bail  à  ces  époques,  ils  obtiennent  une  dimi- 
nution légale  de  20  à  40  %,  pour  égaliser  leur  situation  avec 
celle  faite  à  leurs  voisins  plus  prévoyants  ou  plus  processifs. 
Sur  ces  bases  légales,  les  deux  parties  contractent  et  font  homo- 
loguer leur  accord  par  une  cour  administrative  créée  spéciale- 
ment par  la  loi.  Cette  cour  a  une  très  grande  importance; 
c'est  elle  qui  doit  présider  à  toute  cette  opération  et  naturelle- 
ment avec  une  très  grande  liberté  d'allure;  il  était  donc  inté- 
ressant de  connaître  sa  composition.  En  réponse  à  une  inter- 
pellation du  leader  irlandais,  M.  Redmond,  M.  Wyndham  lit 
savoir  à  la  Chambre  des  communes  les  noms  de  ceux  qui  la 
composeraient.  Les  Irlandais  se  sont  montrés  satisfaits  des 
choix  décidés  :  si  l'un  des  trois  membres  de  la  cour  est 
riiomme  lige  des  landlords,  les  deux  autres  leur  donnent  toute 
j:arantie,  en  particulier  M.  Finncane,  qui  appliqua  les  lois 
agraires  au  Bengale  et  en  qui  on  voit  le  bras  droit  de  sir  Antony 
Macdonnell,  sur  la  personnalité  duquel  nous  reviendrons. 

Le  prix  à  payer  par  le  tenancier  est  ainsi  fixé,  mais  ce 
n'est  qu'une  annuité  égale  ou  inférieure  au  fermage  actuel  et 
qui  devra  être  payée  en  partie  pendant  68  ans,  en  partie  à  perpé- 
tuité, mais  à  l'Etat  :  ainsi,  si  le  fermage  de  1896  est  de  800  francs 
par  an,  le  tenancier  aura  à  payer  pendant  68  ans  à  TEtat  ces 
800  francs  plus  une  fraction  pour  l'amortissement,  et  au  bout  de 
ce  temps  il  sera  devenu  plein  propriétaire  ;  après  ce  laps  de 
temps,  il  continuera  à  payer  à  perpétuité  à  l'Etat  100  francs, 
en  quelque  sorte  comme  un  impôt  foncier. 

Mais  que  recevra  le  landlord?il  recevra  de  l'Etat,  et  de  suite ^ 
un  capital  ;  ce  capital  représentera  pour  partie  ses  annuités  ca- 
pitalisées à  2  3/4  %,  pour  partie  une  bonification  que  l'Etat 
lui  accorde  comme  compensation,  car  il  pourra  souvent  rece- 
voir moins  que  ses  fermages  (dans  les  cas  de  diminution  légale), 
comme  consolation,  pour  la  perte  de  son  influence  et  de  ses 

* 

'  Le  fermage  moyen  est  de  250  fraocs. 

QuEST.  DiPL.  BT  Col.  —  t.  xv.  31 


578  QUESTIONS    DIPLOMATIQUKS    KT    COLONIALES 

terres,  et  comme  invitation  aussi,  pour  le  pousser  à  accepter  le 
rachat. 

Quant  à  TEtat,  c'est  lui  qui  sert  d'intermédiaire  entre  les 
uns  et  les  autres.  Il  remboursera  en  capital  au  propriétaire  et 
recevra  les  annuités  des  tenanciers  ;  mais  entre  le  prix  de  vente 
des  uns  et  le  prix  d'achat  des  autres,  il  y  a  une  différence  :  c'est 
la  bonification  ;  celle-ci  est  calculée  d'après  le  prix  d'achat  du 
tenancier,  et  varie  entre  5  à  15  %,  inversement  proportionnelle 
àla  superficie  des  terres  cédées.  D'après  les  calculsdeM.  Wynd- 
ham,  voici  à  quels  résultats  d'ensemble  on   arrivera.  Le  total 
des  ventes  nécessitera  un  capital  de  2  milliards  et  demi  de 
francs^  représentant  les  annuités  des  tenanciers;  ceux-ci  paient 
en  effet  annuellement  2  3/4   %  du  prix  d'achat,  c'est-à-dire 
exactement  la  base  du  prix  d'achat  (et  c'est  au  même  taux  que 
l'on   compte  le   capital  versé    au  landlord)    et  en   plus  pour 
Tamortissement  1/2  %  des  7/8  du  prix  d'achats  Cette  partie 
de  l'opération  doit  donc  se  suffire  à  elle-même,  l'Etat  donne 
d'une  main  aux  propriétaires  un  capital,  reçoit  de  l'autre  des 
fermiers  une  annuité;  elle  n'a  que  l'avance  à  faire  et  M.  Wynd- 
ham  doit  l'opérer,  grâce  à  un  grand  emprunt  de  consolidés,  à 
2  3/4  % ,  de  2  milliards  et  demi  ;  mais  il  ne  croit  pas  pouvoir 
effectuer  l'opération   d'un   seul    coup    et  en   bloc  :  il  se  pro- 
pose de  n'emprunter  que  75  millions  annuellement  pendant 
trois  ans,  puis   d'accélérer   les    ventes  de  façon  que  le  rachat 
entier  soit   terminé  en    quinze  ans.  Il   est   d'autant  plus  né- 
cessaire de   répartir  l'opération  sur  un  assez   grand    nombre 
d'aimées,  que  le  marché  des  consolidés  est  toujours  flottant,  n'a 
pu  encore  absorber  toutes  les  émissions  faites  depuis  deux  ou 
trois  ans  et  s'attend  d'un  jour  à  l'autre  à  couvrir  deux  em- 
prunts attardés,  résultat  de  la  guerre  du  Transvaal,  et  quelques 
autres  moindres,  mais  le  tout  ne  devant  pas  s'éloigner  de  2  mil- 
liards et  demi.  On  comprend  donc  que  la  plus  grande  prudence 
soit  commandée  actuellement  pour  ne  point  faire  déprécier 
outre  mesure  les  cours  des  consolidés. 

Telle  est  la  première  partie  de  l'opération  qu'effectue  l'Etat; 
mais  il  lui  reste  à  payer  aux  landlords  une  bonification; 
M.  Wyndham  en  estime  le  montant  global  à  300  millions, 
dont  la  charge  annuelle  se  monterait  à  9.750.000  francs;  c'est 
cette  charge  que  l'Angleterre  supporte  définitivement,  sans  en 

^  Le  projet  de  loi  interdit  aux  tenanciers  de  se  libérer  par  anticipation,  tant  on 
redoute  que  le  fermier  emprunte  pour  rembourser  et  retombe  sous  le  joug  de  l'em- 
prunt. Et  pendant  ce  laps  de  temps  de  soixante^huit  ans,  il  restera  un  véritable 
tenancier  de  l'Etat,  ne  pouvanl^ni  vendre,  ni  emprunter,  ni  hypothéquer.  On  espère 
ainsi  le  mettre  à  Tabri  des  usuriers  et  acheteurs  de  biens,  qui  se  seraient  joués  de 
sa  candeur. 


UNE   RÉVOLUTION  LÉGALE   EN    IRLANDE  579 

«'tre  remboursée  par  les  tenanciers.  Il  semble  que  c'est  en 
quelque  sorte  le  prix  d'achat  de  l'union  réelle  avec  l'Irlande  et 
il  faut  avouer  que  ce  ne  serait  pas  payer  trop  cher  cette  en- 
tente, quand  on  songe  que  la  guerre  transvaalienne  lui  aura 
coûté  près  de  7  milliards.  Mais,  dans  la  réalité,  elle  coûterait  à 
l'Angleterre  moins  encore,  car  le  projet  de  M.  Wyndham  énu- 
nière  les  ressources  par  lesquelles  il  ferait  face  à  ces  charges 
annuelles  :  c'est  d'une  part  4.600.000  francs  que  l'Angleterre 
doit  payer  à  l'Irlande  en  vertu  de  V Education  Act  de  Tan  der- 
nier et  que  le  projet  désaffecte;  c'est,  d'autre  part,  6.200.000  fr. 
que  iM.  Wyndham  se  faitJort  d'économiser  en  trois  ans  par  des 
réformes  dans  l'administration  intérieure  de  l'Irlande  :  il  est 
♦'vident  que  l'Irlande  pacifiée  no  réclamerait  plus  les  impo- 
sintes  forces  de  police  qu'on  y  doit  maintenir. 

*  « 

Tel  est  l'ensemble  de  la  réforme  projetée.  L'Angleterre  ne 
fait  pas  des  sacrifices  aussi  forts  qu'il  semble  au  premier  abord; 
cependant  elle  y  engage  ses  finances  et  son  crédit  pour  2  mil- 
liards et  demi;  elle  renonce  à  la  domination  politique  des 
landlords  anglo-saxons  et  abandonne  la  terre  d'Irlande  aux 
Irlandais.  Il  y  a  là  un  sacrifice  d'amour-propre  et  d'impéria- 
lisme, plus  cruel  encore  peut-être  pour  le  peuple  anglais  que 
le  sacrifice  matériel  lui-même.  Quand  on  pense  que,  depuis  un 
temps  immémorial,  les  Anglais  n'étaient  en  rien  touchés  par  les 
horreurs  des  évictions  irlandaises  ;  quand  on  songe  qu'ils  ont 
contemplé  froidement  l'émigration  dépeuplant  le  pays,  la 
misère  s'y  installant,  les  révoltes  ensanglantant  la  contrée,  la 
révolution  à  certaines  heures  en  permanence;  quand  on  se 
rappelle  que,  naguère  encore  et  depuis  1894,  les  unionistes  au 
pouvoir  ne  parlaient  que  de  gouvernement  fort,  de  répression, 
d'ordre  et  de  police,  on  se  demande  quelle  est  la  cause  de  cette 
volte-face,  d'où  provient  ce  changement  à  vue,  ce  qui  se  passe 
derrière  les  apparences  qu'on  nous  montre. 

Il  semble  qu'il' y  ait  à  ceci  des  causes  très  complexes  et 
d'ordres  très  divers.  Si  Ton  en  croit  les  indiscrétions  des  jour- 
naux étrangers,  l'intluence  des  personnes  s'est  fait  sentir  :  le 
roi  Edouard  VII  serait  partisan  d'une  réconciliation  avec  Tîle 
sœur,  comme  il  a  désiré  une  entente  des  races  sud-africaines  et 
l'établissement  de  la  paix;  il  a  encouragé  M.  Wyndham  à  agir 
en  ce  sens  et  il  a  annoncé,  dès  avant  son  départ  pour  Lisbonne, 
par  l'intermédiaire  de  celui-ci,  qu'il  irait  visiter  l'Irlande  avec 
la  reine  en  juillet  et  en  août  prochain,  pour  montrer  ses  senti- 
ments à  son  égard. 


580  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Il  a  trouvé  pour  obéir  à  sa  politique  deux  hommes  qui  ont 
pu  la  réaliser  :  sir  Antony  Macdonnell,  le  sous-secrétaire  d'Etat 
pour  rirlande,  et  M.  Wyndham,  secrétaire  d'Etat  pourllrlande. 
Le  premier  est  un  ancien  gouverneur  de  THindoustan  dont  on 
vante  la  largeur  de  vues  et  l'intelligence.  Un  journal  américain 
a  raconté,  sans  être  démenti,  que,  présenté  au  roi  par  lord 
I^ansdowne,  il  lui  aurait  dit  :  «  Je  suis  un  Irlandais,  un  catho- 
«  lique,  un  nationaliste  et  un  home-ruliste.  Si  maintenant. 
«  sachant  qui  je  suis  et  le  but  que  je  poursuis,  vous  désirez 
«  que  j'aille  en  Irlande,  je  suis  prêt  ii  y  aller.  »  L'appui  que  hii 
aurait  donné  le  roi  ne  pouvait  que  l'encourager  dans  cette  voie. 

Quant  h  M.  Wyndham,  c'est  un  aristocrate  anglais  de  grande 
famille  en  même  temps  qu'un  lettré,  auteur  d'une  œuvre  sur 
les  sonnets  de  Shakespeare  :  il  a  mis  son  honneur  et  son 
amour-propre  à  résoudre,  si  possible,  la  question  agraire  pour 
le  plus  grand  bien,  croyait-il,  de  l'hégémonie  anglo-saxonne  et 
de  l'avenir  de  son  parti.  Aurait-il  réussi  là  où  avait  échoué 
M.  Plumkett,  Tancien  secrétaire  de  l'agriculture  pour  l'Ir- 
lande, que  son  parti  désavoua;  aurait-il  pu  convaincre  les  deux 
vice-rois  successifs  de  l'Irlande,  ses  supérieurs  nominaux,  lord 
(^adogan  et  lord  Dudley  ;  serait-il  arrivé  à  présenter  aux  Cham 
bres  son  projet,  malgré  tant  de  mauvaises  volontés  contraires 
et  l'opinion  anglaise  défavorable,  s'il  n'avait  été  soutenu  par  en 
haut  et  servi  par  les  circonstances?  C'est  au  moins  douteux. 

Mais  les  conditions  politiques  étaient  telles  que  plusieurs 
causes  militaient  en  faveur  d'une  telle  tentative.  Les  récentes 
élections  partielles  ont  montré  qu'en  Angleterre  l'opinion 
publique  semblait  se  détacher  de  l'unionisme  :  les  consé- 
quences financières  de  la  guerre,  la  loi  sur  l'éducation,  diverses 
mesures  ont  influé  sur  elle.  Le  gotivernement,  ayant  conscience 
de  cette  disposition  des  esprits,  ne  crut  mieux  faire,  pour  con- 
solider sa  situation,  que  de  signer  avec  M.  John  Redmond  un 
pacte  rappelant  l'ancien  conclu  entre  les  Irlandais  et  les  libé- 
raux. Ainsi,  ce  que  le  ministre  perdait  du  côté  de  la  classe 
moyenne  et  industrieuse  anglaise,  inquiète  du  fléchissement  de 
la  rente  et  de  l'augmentation  des  budgets,  il  comptait  le  con- 
quérir d'autre  part  en  gagnant  à  sa  cause,  moyennant  cette 
compensation,  les  84  députés  irlandais  qui  manœuvrent 
comme  un  seul  homme  sous  l'habile  direction  de  M.  John 
Redmond. 

Car  ce  parti,  si  divisé  longtemps  en  groupes  hostiles  et 
comme  fratricides,  a  depuis  quelque  temps  retrouvé  sa  belle 
unité  du  temps  de  O'Connell  ou  de  Parnell.  Par  sa  discipline 
même,  il  est  devenu  un  élément  actif  et  parfois  décisif  dans  la 


UNE    KÉVOLUTION    LÉGALE   EN   IRLANDE  581 

bataille  parlementaire.  Il  importait  de  se  l'assurer.  Cela  impor- 
lait  d'autant  plus  que  la  force  du  nationalisme  irlandais  s'est 
augmenté  récemment  de  nouvelles  recrues.  En  1881  ou  en 
1888,  lors  des  grandes  agitations,  la  lutte  se  circonscrivait 
entre  landlords  et  fermiers  catholiques.  Les  fermiers  protes- 
tants de  rUlster,  au  nord  de  l'Irlande,  avaient  refusé  de  prendre 
part  à  la  lutte,  et  leurs  sentiments  l'avaient  emporté  sur  leurs 
intérêts.  Aujourd'hui  il  n'en  est  plus  de  même  :  les  deux  partis 
de  l'Irlande  populaire,  la  minorité  protestante  du  Nord  et  la 
majorité  catholique,  ont  fait  alliance  et  M.  T.  W.  Russell,  mem- 
bre du  cabinet  Salisbury,  a  naguère  donné  sa  démission  pour  se 
mettre  à  leur  tête,  prêcher  le  rachat  universel  et  mobiliser  tout 
le  peuple  orangiste  d'Irlande  contre  le  landlordisme  ennemi. 
Il  devenait  urgent  d'aviser  et  la  situation  semblait  plus  cri- 
tique que  jamais,  avec  le  renouveau  d'agitation  qui  se  créait. 

En  même  temps  s'élevaient,  comme  nous  l'avons  vu,  les 
plaintes  devenues  plus  vives  des  très  nombreux  tenanciers  non 
rachetés  et  des  grands  propriétaires.  ?se  pouvait-on  contenter 
les  uns  et  les  autres?  M.  Wjndham  le  crut  et  l'événement 
prouva  qu'on  pouvait  concilier  les  intérêts  rivaux  :  aux  confé- 
rences, dites  de  la  Table  Ronde,  où  les  landlords,  tels  que  lord 
Dunraven,  s'asseyaient  en  compagnie  des  délégués  des  tenan- 
ciers, on  vit  qu^un  terrain  d'entente  était  possible  à  trouver. 
Il  suffisait  de  faire  les  uns  propriétaires  et  de  donner  aux 
autres  un  bon  prix  de  leur  terre.  Or  c'est  là  tout  le  projet  :  il 
attribue  aux  grands  propriétaires  une  bonification,  il  leur 
promet  un  versement  immédiat  en  capital,  représentant  le  fer- 
mage capitalisé  à  3  %  environ,  alors  que  souvent  on  avait 
estimé  que  cette  opération  ne  devait  se  faire  que  sur  le  pied 
d'une  capitalisation  d'environ  6  %  ;  la  situation  du  landlord  est 
donc  pleinement  sauvegardée,  même  avantagée  et  tranquillisée 
sur  les  réductions  de  fermage  dans  l'avenir  et  les  révoltes  des 
tenanciers.  Si  l'on  va  donc  au  fond  des  choses,,  on  voit  que  le 
gouvernement  conservateur  tente  encore  cette  alliance  de 
l'aristocratie  et  du  peuple,  que  Disraeli  prônait,  et  dont  les  frais 
étaient  payés  par  la  classe  industrielle  et  commerçante.  Dans  la 
circonstance  présente,  cela  est  d'autant  plus  habile  que  c'est 
pour  réaliser  une  mesure  que  les  libéraux  ont  longtemps 
réclamée  et  qu'ils  ne  peuvent  réellement  point  combattre,  quel 
que  soit  le  peu  d'intérêt  qu'ils  y  portent,  depuis  la  mort  de 
Gladstone  et  le  moment  où  ils  se  sont  vus  abandonnés  des 
Irlandais,  mieux  servis  par  les  unionistes  que  par  leurs  anciens 
alliés. 

Si  donc  il  paraît  étonnant  au  premier  abord  que  les  landlords, 


582  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

—  au  moins  les  plus  intelligents  d'entre  eux  —  se  prêtent  à 
une  mesure  qui  n'est  après  tout  qu'un  coup  portera  leur  puissance 
territoriale  et  à  leur  influence  directe,  on  voit  qu'ils  en  tirent 
compensation;  et  sans  dSute  ils  se  disent  qu'il  vaut  mieux  faire 
acheter  aujourd'hui  leur  bonne  volonté  que  la  laisser  extorquer 
sans  avantage  plus  tard.  Aussi  croient-ils  habiles  de  profiter 
d'un  gouvernement  aristocratique  et  agrarien  pour  faire  réa- 
liser une  réforme  selon  leurs  vues. 

• 
•  • 

Toutes  ces  circonstances  expliquent  la  volte-face  des  unio- 
nistes. Ils  ont  pu  aussi  réfléchir  aux  conséquences  de  pre- 
mière importance  qu'une  réforme  profonde  pouvait  amener; 
une  réconciliation  avec  l'Irlande,  ce  serait  la  paix  dans  le 
Royaume-Uni,  les  institutions  parlementaires  retrouvant  leur 
équilibre  ;  la  prospérité  pourrait  renaître  dans  la  «  verte Erin  »: 
l'émigration  cesser  ou  du  moins  diminuer;  ce  peuple,  qui  a  vu 
son  nombre  baisser  de  moitié  en  un  siècle,  pourrait  se  reformer 
et  s'accroître.  Quels  résultats  l'Angleterre  et  la  politique  impé- 
riale ne  tireraient-elles  pas  de  là?  Ce  serait  peut-être  une  solution 
du  problème  de  l'approvisionnement  de  l'Angleterre  en  temps 
de  guerre  ;  et  l'Irlande  bien  cultivée,  rénovée,  grâce  h  cett»^ 
vaste  organisation  par  TEtat  de  crédit  agricole,  pourrait  deve- 
nir le  grenier  de  l'Angleterre.  Son  sol  fertile  produirait  tout  le 
blé  dont  l'Angleterre  aurait  besoin  et  ainsi  une  des  craintes  et 
des  faiblesses  de  l'impérialisme  disparaîtrait.  En  même  temps, 
l'Irlande  peuplée  fournirait  aux  flottes  et  aux  armées  anglaise^ 
les  hommes  dont  elles  ont  tant  besoin.  Ces  Celtes,  soldats 
braves  et  aventureux,  sont  déjà  aujourd'hui  le  réservoir  où 
l'Angleterre  puise  pour  ses  expéditions  coloniales  :  hélas  !  il 
est  trop  peu  rempli  ;  quelle  force  ne  lui  donnerait  pas  une 
Irlande  où  12  ou  15  millions  d'habitants,  au  lieu  de  5  ou  6^  lui 
fourniraient  les  troupes  dont  elle  a  besoin  ! 

Une  réconciliation  des  deux  peuples  pourraient  faire  sentir 
son  action  jusque  dans  la  politique  internationale  :  les  H  mil- 
lions d'Irlandais  américains,  qui  ne  veulent  à  aucun  prix  d'une 
alliance  anglo-saxonne,  seraient  peut-être  alors  plus  disposés  à 
une  entente  cordiale  qu'actuellement,  et  ce  facteur  n'est  pointa 
mépriser  pour  l'Angleterre  qui  cherche,  comme  on  sait,  avec 
passion,  à  ne  point  s'aliéner  les  Etats-Unis. 

M.  Wyndham  paraît  bien  penser  à  ces  questions  quand  il 
soutient  son  projet,  en  disant  que  c'est  «  pour  sauver  de  la  ruine 
«  l'agriculture  irlandaise  et  arrêter  le  courant  de  l'émigration  ;>. 


UNE   RÉVOLUTION   LÉGALE    EN   IRLANDE  583 

Elles  journaux  qui  le  défendent,  comme  \^  Standard,  assurent 
que  «  jamais  nous  ne  payerons  trop  cher  une  réconciliation 
avec  rirlande  ».  C'est  qu'au  fond  l'Angleterre  sent  confusément 
Télément  de  faiblesse  qu'elle  porte  en  elle-même  et  elle  croi- 
rait avoir  fait  un  bon  placement,  si  au  prix  de  quelques  sacri- 
fices elle  achetait  la  paix  et  le  calme  en  Irlande.  Les  Celtes 
irlandais  ont  trouvé  sans  conteste  «  la  manière  de  vaincre  »  : 
c'est  de  lasser,  par  une  opposition  continue,  acharnée,  sans 
merci,  l'égoïsme  anglo-saxon  ;  c'est  de  lui  prouver  par  les  faits 
que  son  inténlt  bien  compris  est  d'accorder  ces  satisfactions 
que  l'opinion  publique  anglaise  jusqu'à  présenta  toujours  réso- 
lument refusées. 

Mais  je  crois  l'esprit  anglais  trop  positif  pour  ne  pas  s'aperce- 
voir un  jour  ou  l'autre  de  son  erreur.  Lui  qui  tient  compte  avant 
tout  des  réalités  ne  peut  qu'être  frappé  de  l'évolution  fatale  qui 
depuis  soixante-quinze  ans  a  arraché  peu  à  peu  les  concessions 
réclamées  par  l'Irlande  :  c'est  en  1829,  puis  en  1869,  les  diffi- 
cultés religieuses  résolues  par  l'égalité  des  catholiques  et  le 
désétablissement  de  l'Eglise  anglicane;  c'est  de  1870  à  nos  jours 
la  lutte  mi-agraire,  mi-politique  qui  a  amené  toutes  les  lois  dont 
il  a  été  parlé  plus  haut  et  les  projets  de  home  rule  de  1886  et 
1893.  Le  parti  conservateur  a  eu  souvent,  dans  l'histoire  anglaise, 
le  privilège  de  venir  réaliser  les  réformes  dans  ce  qu'elles 
avaient  d'opportunité,  après  les  avoir  combattues  avec  vigueur, 
quand  le  parti  libéral  les  avait  lancées  dans  la  lutte  politique.  Il 
semble  que  le  même  phénomène  se  reproduise  en  ce  moment  : 
cette  opération  colossale  de  rachat  des  terres  et  de  démocratisa- 
tion de  la  propriété  en  Irlande  est  proposée  par  un  ministère 
unioniste,  où  M.  Chamberlain  est  le  vivant  symbole  des 
défiances  qu'excitaient  jadis  dans  son  propre  parti  les  réformes 
de  Gladstone. 

Et  ce  n'est  peut-être  que  le  premier  pas.  La  question  agraire 
résolue,  il  restera  la  question  nationale  et  politique  proprement 
dite,  l'ancienne  question  du  Home  rule,  l'autonomie  réclamée 
de  l'Irlande.  Déjà  on  murmure  qu'il  se  prépare  quelque  chose; 
déjà  on  prévoit  de  prochains  projets.  Il  semble  qu'un  accord 
des  plus  étendus  se  soit  établi  entre  les  Irlandais  et  le  gouverne- 
ment conservateur.  Naguère  M.  Balfour  se  disait  «  passionné- 
ment convaincu  w  de  l'utilité  d'établir  une  Université  catholique 
irlandaise  à  Dublin,  à  côté  de  l'Université  protestante  ;  il  décla- 
rait le  gouvernement  prêt  à  la  subventionner  et  l'on  vit  le 
ministère  s'appuyer  à  tel  point  sur  les  prêtres  catholiques  irlan- 
dais, qu'il  considérait  comme  les  chefs  de  leur  peuple,  et  les 
soutenir  si  résolument  pour  les  gagner  à  lui,  qu'un  récent 


584  OUKSTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

mouvement  catholique  anticlérical  est  né  en  Irlande,  et  né  de 
l'exaspération  du  nationalisme  non   encore  satisfait. 

Quant  au  llomerule,  s'il  est  très  éloigné  de  toute  réalisatiou 
sous  sa  forme  ancienne  d'un  parlement  irlandais  élu  à  la  faron 
de  celui  de  Westminster  —  soit  remplaçant  ce  dernier  pour 
l'Irlande,  comme  dans  le  projet  de  1886,  soit  superposé  à  celui- 
ci,  comme  dans  le  projet  de  4893  —  du  moins  semble-t-il  que 
par  en  bas  l'autonomie  locale  monte  peu  à  peu,  pour  un  jour 
prochain  s'épanouir  en  une  assemblée  irlandaise  nommée  par 
les  conseils  de  comité,  électifs  depuis  1898,  à  la  façon  du  gou- 
vernement local  de  l'Angleterre  proprement  dite.  Sans  rien 
changer  à  l'extérieur  des  choses,  si  ce  n'est  par  une  lente  évo- 
lution qui  transforme  sans  tapage,  on  voit  là  encore  la  démo- 
cratie bourgeoise  et  le  petit  cultivateur  remplacer  peu  à  pou 
l'aristocratie  et  le  régime  aristocratique  local.  Il  semble  donc 
que  l'Irlande  marche  vers  une  autonomie  démocratique,  dont  le 
projet  de  loi  sur  le  rachat  des  terres  est  l'aspect  social;  peut-être, 
avant  qu'il  soit  longtemps,  l'aspect  politique  nous  sera-t  il 
révélé  par  quelque  projet  sur  la  constitution  d'une  assemblée 
locale,  chargée  de  délibérer  sur  les  affaires  purement  irlan- 
daise, et  l'aspect  religieux  par  la  création  d'un  grand  centn» 
universitaire  et  catholique  irlandais  à  Dublin. 

La  politique  anglaise,  qui  nous  semble  manquer  de  principe 
en  agissant  ainsi,  est  en  réalité  dominée  par  le  souci  des  faits  et 
des  nécessités.  L'impérialisme  aspire  à  l'Angleterre  forte;  et 
c'est  peut-être  Fimpérialisme,  par  un  étrange  paradoxe,  qui 
amènera  l'Angleterre  à  tenter  de  résoudre  la  question  d'Irlande. 

Gabriel  Louis-Jarav. 


i 


LÀ   REPRÉSENTATION  DES  COLONIES 

AU    PARLEMENT 


M.  Arthur  Girault,  professeur  d'économie  politique  à  la  Faculté  de  droit 
de  Poitiers,  membre  de  l'Institut  colonial  international,  a  été  chargé  do 
faire,  en  vue  de  la  session  qui  s'ouvrira  à  Londres  le  26  mai  1903,  le  rap- 
port préliminaire  sur  la  question  fondamentale  des  Rapports  politiques  entre 
métropole  et  colonies  qui  sera  discutée  à  cette  session. 

Nous  sonrimes  heureux  de  pouvoir  extraire  do  ce  rapport  le  passage  sui- 
vant relatif  à  la  question  de  la  représentation  coloniale  au  Parlement, 
si  discutée  dans  notre  pays  depuis  quelques  années. 

N.  D.  L.  il. 


La  présence  des  députés  coloniaux  dans  le  Parlement  métro- 
politain n'est  pas  seulement  une  grande  tradition  libérale  :  elle 
est  tout  à  fait  en  harmonie  avec  le  système  de  la  représentation 
des  intérêts,  cher  à  certains  publicistes,  et  qui  est  aujourd'hui 
à  la  mode.  Les  intérêts  coloniaux  sont  considérables  et  il  est 
choquant  qu'ils  n'aient  pas  dans  un  parlement  des  défenseurs 
autorisés.  Sans  doute,  il  existe  bien  certains  députés  de  la 
métropole  qui,  par  ambition,  par  goût  ou  par  snobisme,  font 
profession  de  s'intéresser  aux  choses  coloniales  ;  mais  outre  que 
cette  mode  peut  passer  et  que  de  pareils  députés  peuvent  très 
bien  ne  pas  se  rencontrer  dans  une  assemblée,  il  faut  observer 
qu'ils  jugent  les  choses  coloniales  surtout  au  point  de  vue 
métropolitain  et  que,  par  suite,  les  intérêts  proprement  colo- 
niaux risquent  de  trouver  en  eux  plutôt  des  adversaires  que 
des  défenseurs.  Les  hommes  politiques  de  la  métropole,  hypno- 
tisés par  les  intérêts  locaux  de  leurs  circonscriptions  respec- 
tives, sont  pour  la  plupart  d'une  ignorance  regrettable  en  ce 
qui  concerne  les  affaires  extérieures  et  coloniales.  Pendant 
longtemps,  les  députés  des  colonies  ont  été  à  peu  prés  les  seuls 
à  se  préoccuper  des  intérêts  que  la  France  avait  en  dehors  de 
TEurope. 

A  la  présence  des  députés  coloniaux  au  sein  du  Parlement 
métropolitain,  on  fait  deux  objections  qui,  au  fond,  ne  valent 


586  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES    ET    COLONIALES 

rien.  On  dit,  en  premier  lieu,  que  ces  députés  seront  appelés  à 
voter  des  lois  sans  intérêt  pour  leurs  électeurs  et  que  leur  inter- 
vention pourra  par  suite  modifier,  c'est-à-dire  fausser  les  ré- 
sultats des  différents  scrutins.  A  cela  il  est  facile  de  répondre 
qu'il  en  est  de  mr»me  des  députés  métropolitains  qui,  eux 
aussi,  votent  très  souvent  des  lois  qui  n'intéressent  nullement 
leurs  électeurs.  On  a  vu  en  France,  en  4  884,  les  députés  de 
Paris  voter  la  loi  municipale  du  5  avril  qui,  cependant, 
n'était  pas  applicable  à  la  capitale.  Les  députés  des  ports  ne 
sont  pas  les  seuls  à  voter  les  lois  relatives  à  la  marine  mar- 
chande. Si  demain  on  votait  un  projet  de  loi  sur  l'industrie 
extractive,  les  députés  élus  par  les  nombreuses  circonscriptions 
où  il  n'y  a  pas  de  mines  ne  se  croiraient  point  obligés  de  s'abs- 
tenir. Légalement  d'ailleurs,  un  député  est  le  représentant  de 
la  nation  tout  entière  et  non  celui  d'une  circonscription 
déterminée. 

On  ajoute  encore  que  la  représentation  coloniale  est  inutile 
pour  les  colonies  elles-mêmes,  parce  que  les  députés  coloniaux 
ne  pourront  jamais  être  assez  nombreux  pour  constituer  une 
majorité.  Benjamin  Franklin  répondait  déjà  à  cette  objection  : 
((  Ce  n'est  pas  que  je  me  figure  qu'on  accorde  aux  colonies  un 
«  nombre  assez  grand  de  représentants  pour  qu'ils  puissent  par 
«  leur  nombre  peser  fortement  dans  la  balance  ;  mais  ils  pour- 
ce  raient  du  moins  parvenir  à  faire  étudier  avec  plus  d'impar- 
«  tialité  les  lois  qui  concernent  les  colonies.  »  L'essentiel,  c'est 
que  chaque  colonie  ait,  dans  lé  Parlement,  un  avocat  sur  lequel 
elle  puisse  compter  pour  défendre  sa  cause.  C'est  déjà  beaucoup 
que  de  ne  pas  pouvoir  être  sacrifié  sans  avoir  été  entendu.  En 
fait,  d'ailleurs,  la  qualité  des  représentants  importe  plus  que 
la  quantité  au  point  de  vue  de  l'influence.  Le  profit  que  retire 
aujourd'hui  l'Algérie  de  la  situation  considérable  qu'un  de  ses 
représentants  a  su  acquérir  au  sein  du  Parlement  français  est 
certainement  bien  plus  grand  que  celui  que  pourrait  lui  donner 
un  nombre  double  ou  triple  de  représentants. 

Les  adversaires  de  la  représentation  coloniale  se  placent  en 
général  sur  un  autre  terrain,  qu'ils  croient  très  solide  :  celui 
de  lacomposition  hétérogène  de  la  population  des  colonies.  Ou 
bien,  disent-ils,  les  députés  coloniaux  seront  élus  uniquement 
par  les  colons  et  les  Européens  (ce  qui  est  le  cas  en  Algérie  et 
enCochinchineî,  et  alors  ils  seront  les  défenseurs  non  pas  de 
l'intérêt  général,  mais  désintérêts  particuliers  d'une  oligarchie 
tyrannique.  Les  indigènes  seront  sacrifiés.  Ou  bien,  au  con- 
traire, on  admettra  à  voler  les  hommes  de  couleur  et  les  indi- 
gènes (c'est  ce  qui  a  lieu  aux  Antilles,  à  la  Réunion,  au  Séné- 


LA   KEPRÉSENTAÏION    DE3   COLONIES  AU    PARLEMENT  587 

gai  et  dans  rinde  française),  et  ce  sera  le  tour  d'une  minorité 
de  blancs  d'être  opprimée  par  une  majorité  d'hommes  incultes 
et  grossiers.  Les  scandales  électoraux  de  Tlnde  française  sont 
devenus,  pour  la  presse  métropolitaine,  un  sujet  de  plaisante- 
ries faciles.  Bien  des  personnes  croient  qu'il  suffit  de  les  rap- 
peler pour  fermer  la  bouche  aux  défenseurs  de  la  représenta- 
tion coloniale.  Ces  idées,  à  force  d'être  répétées,  ont  fini  par 
péaétrer  peu  à  peu  dans  Topinion.  11  y  a  quelques  années,  un 
député  français  a  déposé  une  proposition  de  loi  portant  sup- 
pression de  la  représentation  deTlnde,  de  la  Cochinchine,  de  la 
(iuyane  et  du  Sénégal.  Pour  certains  coloniaux  de  la  métro- 
pole, la  représentation  coloniale  c'est  l'obstacle  à  toutes  les 
réformes,  c'est  l'ennemi  qu'il  faut  abattre. 

11  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  tous  ces  points.  La  pruderie 
avec  laquelle  nous  nous  voilons  la  face  devant  les  opérations 
électorales  aux  colonies,  ne  va  pas  sans  une  certaine  hypo- 
crisie. Quand  on  veut  se  montrer  sévère  pour  les  autres,  il  fau- 
drait tout  d'abord  n'avoir  rien  à  se  reprocher  à  soi-même.  D'un 
autre  côté,  il  est  excessif  de  s'autoriser  d'un  abus  pour  récla- 
mer la  suppression  d'un  droit.  11  n'y  a  pas  une  seule  de  nos 
libertés  publiques  qui  pourrait  tenir  contre  un  pareil  raison- 
nement. Mais  c'est  là  une  discussion  dans  laquelle  on  peut  trrs 
bien  refuser  de  s'engager  parce  que  quand  bien  même  les 
adversaires  du  suffrage  universel  aux  colonies  auraient 
raison,  cela  ne  prouverait  rien  contre  le  principe  même  de  la 
représentation  coloniale. 

Ce  sont  là,  en  effet,  deux  questions  absolument  différentes. 
Autre  chose  est  la  question  de  savoir  si,  oui  ou  non,  il  est  bon 
que  le  Parlement  comprenne  des  députés  coloniaux,  autre 
chose  celle  de  savoir  comment  et  par  qui  ces  députés  devraient 
•Hre  nommés.  On  comprend  très  bien,  en  raison,  que  les  repré- 
sentants des  colonies  et  ceux  de  la  métropole  ne  soient  pas 
soumis  au  même  mode  d'élection.  En  Europe,  le  suffrage  res- 
treint a  précédé  et  préparé  le  suffrage  universel.  Pourquoi  n'en 
serait-il  pas  de  même  hors  d'Europe?  Partant  de  ce  point  di^ 
vue,  on  aperçoit  la  possibilité  de  donner  des  représentant 
même  à  des  colonies  neuves.  Il  s'agit  simplement  d'organisfM' 
un  corps  électoral,  représentant  les  intérêts  généraux  et  perma- 
nents de  la  colonie,  dont  la  base,  assez  restreinte,  au  début, 
pourrait  être  ensuite  progressivement  élargie.  C'est  là  le  terrain 
d'entente  que  l'on  peut  offrir  à  des  opinions  en  apparence  incon- 
ciliables.  Si  l'on  va  au  fond  des  choses,  on  aperçoit  que  le  mode 
de  nomination  des  députés  coloniaux  a  beaucoup  moins  d'im- 
portance que  leur  présence  dans  le  Parlement,  l/essenliel  est 


i 


588  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

que  chaque  colonie  possède  un  représentant  pouvant  montera 
la  tribune  pour  défendre  ses  intérêts.  La  manière  dont  ce  repré- 
sentant sera  nommée  est  secondaire.  En  cette  matière  encore,  il 
n'est  pas  nécessaire  que  la  législation  coloniale  soit  copiée  sur 
la  législation  métropolitaine. 

L'existence  d'une  représentation  coloniale  est  le  lien  moral 
le  plus  fort  qui  puisse  unir  les  différentes  parties  de  TEmpire. 
Elle  intéresse  les  colons  aux  grandes  questions  d'intérêt  géné- 
ral qui  agitent  le  pays  tout  entier.  Elle  leur  prouve  que,  malgré 
Téloignement,  ils  comptent  toujours  dans  la  grande  unité  de  la 
patrie.  Refuser  aux  habitants  des  colonies  leur  part  légitim»» 
d'influence  sur  les  destinées  du  pays,  c'est  les  pousser  vers  la 
séparation.  Dissolution  de  Tempire  ou  représentation  des  colo- 
nies :  il  faut  choisir  entre  ces  deux  solutions. 

Mais,  dira-t-on,  la  représentation  coloniale,  c'est  le  trail 
caractéristique  de  la  politique  d'assimilation  et  cette  politique 
est  condamnée  par  l'expérience  ! 

Le  grand  philosophe  Leibnitz  disait  un  jour  :  «  Un  peu  de 
«  science  éloigne  de  Dieu,  mais  beaucoup  de  science  y  ramène.» 
Parodiant  cette  réflexion,  on  pourrait  écrire  :  «  Un  peu  de 
«  réflexion  éloigne  de  l'assimilation,  mais  beaucoup  de  réflexion 
u  y  ramène.  » 

11  existe  une  conception  a  priori  et  enfanïmej  qui  ne  tienl 
aucun  compte  ni  des  besoins  réels  des  colonies  ni  de  la  nature 
des  choses,  qui  transporte  sans  discernement  les  institutionN 
européennes  hors  d'Europe,  qui  ferait  des  colonies  autant  de 
caricatures  de  la  métropole,  qui  réserverait  les  plus  amores 
désillusions  aux  nations  assez  ignorantes  ou  assez  folles  pour 
l'adopter  comme  règle  de  conduite.  L'assimilation  ainsi  com- 
prise serait  insensée,  et  je  ne  crois  pas  qu'un  seul  être  raison- 
nable puisse  la  préconiser. 

U  suffit  d'une  observation  même  superficielle  pour  aperce- 
voir les  différences  considérables  qui  séparent  la  société  colo- 
niale de  la  société  métropolitaine.  Il  y  a  là  des  oppositions 
tranchées  qui  sautent  aux  yeux.  Mais  quand  on  réfléchit 
longtemps,  on  aperçoit  sous  les  différences  apparentes  les  res- 
semblances profondes.  Aux  colonies  comme  en  Europe,  on  a 
affaire  à  des  hommes  qu'il  faut  gouverner  par  des  moyens 
humains,  des  hommes  qui  ont  des  intérêts  à  défendre,  des 
hommes  qui  sont  sensibles  à  l'idée  de  justice,  des  hommes  qui 
sont  prêts  à  s'insurger  si  on  froisse  leurs  intérêts  ou  leurs  sen- 
timents, des  hommes  qui  sont  ambitieux  et  qui  cherchent  à 
satisfaire  leurs  ambitions;  le  gouvernement  métropolitain  qui 
tient  à  conserver  ses  colonies  doit  agir  en  conséquence.  Il  faut 


LA    REPRÉSENTATION   DES   COLONIES   AU    PARLEMENT  589 

donner  aux  colonies  les  moyens  de  sauvegarder  leurs  intén^ts. 
Il  faut  les  traiter  avec  justice.  Il  faut  ouvrir  aux  créoles,  en  fait 
comme  en  droit,  la  carrière  des  emplois  et  des  honneurs  et  les 
placer,  à  ce  point  de  vue,  sur  un  pied  d'égalité  complète  avec 
les  habitants  de  la  métropole.  C'est  là  une  soupape  de  sûreté 
indispensable.  A  Thomme  que  nous  empêchons  d'être  le  pre- 
mier dans  son  pays,  parce  que  son  pays  est  une  colonie,  il  faut 
offrir  en  échange  la  possibilité  d'être  le  premier  chez  nous.  Aux 
hommes  auxquels  nous  voulons  interdire  le  patriotisme  local, 
il  faut  inoculer  l'amour  dé  la  patrie  commune,  le  culte  de  l'Em- 
pire. Donnez  à  cette  politique  l'épithète  d'assimilative,  appelez- 
la  politique  impériale.  Le  mot  au  fond  importe  peu.  C'est  la 
politique  qui  a  pour  idéal  un  état  de  choses  où  il  n'y  aurait  plus 
une  métropole  et  des  colonies,  mais  simplement  la  Nation, 
comme  disait  autrefois  la  France  révolutionnaire;  V Empire^ 
comme  disent  aujourd'hui  les  Anglo-Saxons. 


Arthur  (iirailt, 

Professeur  d'Economie  politique 
à    la    Faculté   de    droit   de    Poitiers. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES 


I.  —   BUROPE. 

France.  —  Le  voyage  du  président  de  la  République  en  Algérie.  — 
Gomme  nous  l'indiquions  dans  notre  dernière  chronique,  le  voyage 
du  président  de  la  République  commençait  dans  de  pénibles  cod- 
ditions,  par  suite  de  la  démission  si  profondément  regrettable  qui 
a  été  imposée  à  M.  Revoil  et  qui  a  si  vivement  froissé  toute  TAlgérie. 
Et  de  fait,  les  débuts  de  ce  voyage  ont  été  marqués,  de  part  et 
d'autre,  par  une  certaine  gène.  Heureusement,  de  part  et  d  autre 
aussi,  on  a  su  faire  preuve  dune  prudence  et  d'un  tact  très  méri- 
toires, dictés  par  un  sentiment  de  patriotisme  très  élevé  et  très 
digne.  Ce  sont  d'ailleurs  les  représentants  algériens  qui  ont,  les  pre- 
miers, donné  l'exemple.  La  veille  de  l'arrivée  du  Président,  les 
députés  et  sénateurs  de  l'Algérie,  réunis  en  conseil  à  la  Chambre 
(le  commerce  d'Alger,  après  avoir  entendu  les  explications  fournies 
par  M.  Eug.  Etienne  sur  les  incidents  qui  avaient  provoqué  la  dé- 
termination de  M.  Revoil,  votaient  la  résolution  suivante  sur  la  pro- 
position de  M.  Thomson  : 

Les  représentants  de  l'Algérie,  sénateurs,  députés,  membres  des  déléga- 
tions financières,  de  la  Chambre  de  commerce  et  d'agriculture,  conseillers 
généraux  et  municipaux,  réunis  aujourd'hui  à  la  Chambre  de  commerce, 
ont  été  heureux  de  constater  Tunanimité  des  sentiments  de  respectueuse 
sympathie  et  de  profonde  gratitude  avec  lesquels  les  populations  algé- 
riennes s'apprêtent  à  recevoir  le  chef  de  l'Etat.  Aucune  autre  préoccu- 
pation ne  saurait  nous  détourner  de  ce  patriotique  devoir.  Nous  aurons  à 
demander  les  raisons  pour  lesquelles  on  a  brusquement  privé  l'Algérie  du 
concours  et  de  l'expérience  d'un  gouverneur  qui  possédait  toute  sa  con- 
fiance; nous  aurons  à  insister  pour  qu'aucun  changement  ne  soit  apporté 
à  la  politique  algérienne  actuellement  suivie  et  qui  peut  seule  sauvegarder 
les  intérêts  économiques  de  ce  pays. 

Aujourd'hui,  fidèle  à  son  esprit  politique  et  à  sa  traditionnelle  hospi- 
talité, l'Algérie  ne  songe  qu'à  remercier  de  l'honneur  que  lui  fait  et  de  fa 
bienveillance  que  lui  témoigne  l'éminent  citoyen  qui  est  son  hôte  pour 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  591 

quelques  jours,  et  elle  veut  acclamer  dans  sa  personne  la  France  et  la 
liépublique. 

Ce  vole  indiquait  de  façon  très  nette  quelles  devaient  être  la 
signification  et  la  portée  du  voyage  du  président  de  la  République. 

De  son  côté,  M.  Loubet  a  su,  avec  toute  la  discrétion  que  lui  impo- 
saient les  circonstances,  mais  aussi  avec  le  sentiment  très  mesuré 
de  ses  droits  constitutionnels,  laisser  comprendre  son  sentiment 
personnel  et  se  placer  sur  le  terrain  patriotique,  comme  il  convenait. 
Accueilli  d'abord  par  la  population  algérienne  avec  une  certaine 
réserve  qu'expliquaient  les  regrets  unanimes  causés  par  Tabsence 
du  gouverneur  général,  M.  Loubet  a  indiqué,  dès  la  première  heure, 
par  quelques  paroles  adressées  à  H.  Etienne,  et  aussi  par  un  silence 
que  Ton  devinait  sympathique  vis-à-vis  de  diverses  manifestations 
oon  moins  significatives  que  courageuses,  qu*il  entendait  repré- 
senter en  Algérie  la  France  elle-même,  la  Patrie,  la  République, 
et  pour  le  moment  sans  aucune  autre  préoccupation. 

L*Algérie  a  compris;  et  le  sentiment  de  gêne,  qui  avait  d*abord 
prévalu,  s'est  vile  dissipé  pour  faire  place  à  un  sentiment  de  con- 
fiance réciproque  qui  a  produit  les  meilleurs  résultats.  Les  Algériens 
OQt  montré  ce  qu'ils  désirent,  ce  qu'ils  entendent  être  :  c'est-à-dire 
citoyens  français  d'une  grande  colonie  autonome.  La  principale 
impression  qui  se  dégage  de  cette  visite  solennelle  du  président  de 
la  République,  c'est,  en  efîet,  de  la  part 'de  l'Algérie,  l'affirmation  très 
haute  de  sa  réelle  personnalité,  la  volonté  très  formellement 
exprimée  de  pouvoir  travailler  en  paix  à  la  prospérité  générale  de 
la  colonie,  sans  être  troublée  par  l'intervention  indiscrète  et  pas- 
sionnée de  politiciens  métropolitains. 

L'Algérie,  en  somme,  veut  continuer,  en  toute  sécurité  d'esprit, 
l'œuvre  que  lui  a  tracée  l'initiative  éclairée  et  féconde  de  M.  Lafer- 
riëre.  Elle  se  sent  aujourd'hui  dans  la  bonne  voie;  elle  a  pu  déjà 
reconnaître  les  avantages  de  cette  politique;  elle  entend  les  pour- 
suivre jusqu'à  complète  réalisation  ;  et  nous  ne  pouvons  certaine- 
ment que  l'en  féliciter. 

Après  avoir  visité  en  détail  les  principales  villes  et  tous  les 
grands  centres  algériens,  et  avoir  assisté  à  une  très  imposante  revue 
de  nos  troupes  régulières  et  de  nos  milices  indigènes  au  Kreider,  le 
président  de  la  République  s'est  rendu  en  Tunisie  où  il  a  été  reçu 
avec  enthousiasme  par  la  population. 

—  Les  récompenses  de  la  Société  de  Géographie,  —  La  Société  de  Géo- 
graphie de  Paris  vient  de  décerner  les  prix  suivants  : 

Grande  médaille  d'or  de  la  Société  :  M.  Auguste  Pavie,  pour  ses  explo- 
rations en  Indo-Chine  (1879-1893).  (Des  médailles  d'argent  sont  accordées 
aux  collaborateurs  de  M.  Pavie.) 


k 


592  QUKSTIONS    Dll'tOMATlQUES    KT   COLONIALKS 

Prix  Pierre-Félix  Fournier  (médaille  spéciale  et  1.300  francs):  M.  Jean 
Brunhes,  professeur,  pour  son  ouvrage  «  L'irrigation,  ses  conditions  géo- 
graphiques, ses  modes  et  son  organisation  dans  la  péninsule  ibérique  et 
dans  l'Afrique  du  Nord  ». 

Prix  Ducros  Aubert  {médaille  d'or  et  1,400  francs)  :  M.  Emile  Gautier, 
professeur,  pour  ses  travaux  de  géographie  physique  sur  Madagascar. 

Prix  Henri  Duveyrier  (médaille  d'or):  le  commandant  Deleuze,  pour 
ses  explorations  et  ses  travaux  scientifiques  dans  le  Sahara  (1900-19021. 

Prix  Alexandre  de  La  Roquette  ( médaille  d'or)  :  M.  O.  Sverdrup,  pour 
son  exploration  de  l'Archipel  polaire  américain  (1898 -1902). 

Prix  Jules  Girard  (médaille  d'or)  :  M.  A.  Hautreux,  pour  ses  travaux 
océanographiques  (1877-1902). 

Prix  Léon  Dewez  (médaille  d'or)  :  le  baron  Edmond  de  Mandat -Grancey, 
pour  ses  relations  de  voyages  (1884-1902). 

Prix  Auguste  Logerot  (médaille  d'or)  :  M.  Paul  Labbé,  pour  sa  mission 
dans  l'Asie  russe  et  le  Japon  (1900-1902). 

Prix  Louise  Bourbonnaud  (médaille  d'or)  :  M.  Emile  Baillaud,  pour  sa 
participation  à  la  mission  Trentiuiaa  et  .son  ouvrage  «  Les  routes  du 
Soudan  ». 

Prix  Conrad  Malte-Brun  (médaille  d'or)  :  le  professeur  Cvijie,  pour  se> 
explorations  scientifiques  dans  la  presqu'île  des  Balkans  (1888-1903). 

Prix  Erhard  (médaille  d'or)  :  M.  Henry  Barrère,  pour  ses  publication.-» 
topographiques  et  géographiques. 

Prix  Charles  Maunoir  (médaille  de  vermeil)  :  le  lieutenant  Jean  Tilho. 
pour  ses  travaux  géographiques  sur  le  moyen  Niger  (1890-1902). 

Prix  Juvénal  Dessaignes  (médaille  de  vermeil)  :  le  professeur  Augustiu 
Bernard,  pour  ses  publications  géographiques  sur  l'Afrique  du  Nord. 

Prix  J.  Janssen  (grande  médaille  d'argent)  :  M.  Georges  Bruel,  adminis- 
trateur colonial,  pour  son  exploration  du  Haut-Chari  (1896-1901). 

Prix  William  Huber  (grande  médaille  d'argent):  M.  Paul  Privat-Des^- 
chanel,  pour  ses  études  sur  le  Beaujolais. 

Prix  Francis  Garnier  (médaille  d'argent)  :  le  marquis  Pierre  de  Barthé- 
lémy, pour  ses  explorations  en  Indo-Chine  (1894-1902). 

Prix  Alexandre  Boutroue  (grande  médaille  d'argent)  :  M.  Gabriel 
Ferrand,  pour  son  ouvrage  «  Les  Musulmans  à  Madagascar  et  aux 
Comores  ». 

Prix  A.  Molteni  (grande  médaille  d'argent)  :  le  baron  de  Baye,  pour 
ses  collections  photographiques  de  Russie  et  d'Asiei  russe. 

Prix  Alphonse  Milne-Edwards  (grande  médaille  d'argent)  :  Mme  la 
comtesse  du  Bourg  de  Bozas,  pour  son  tour  du  monde. 

Prix  Alphonse  de  Montherot  (grande  médaille  d'argent)  :  M««  0.  Cou- 
dreau,  pour  ses  voyages  au  Trombetos  et  au  Cumina  (1899-1900). 

Médaille  d'argent  de  la  Société  :  le  R.  P.  Piolet,  pour  son  histoire  des 
missions  catholiques. 

Médaille  d'argent  de  la  Société  :  M.  Paul  Lemosof,  pour  son  ouvrage 
«  Le  livre  d'or  de  la  Géographie  » . 

Prix  Charles  Grad  (grande  médaille  d'argent)  :  le  capitaine  Robert 
Normand,  pour  sa  carte  de  Konakry  au  Niger  (1899-1901). 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  593 

Prix  Jomard  (monuments  de  la  Géographie),  à  M.  J.  Chavanon,  pour 
ses  études  historiques  et  géographiques. 

ÂDgleterre.  —  Le  budget  d^  Vexerdce  1903-1904.  —  Le  chancelier 
de  l'Échiquier,  M.  Richtie,  a  présenté,  le  23  avril,  à  la  Chambre  des 
communes,  le  budget  de  l'exercice  1903-1904.  Les  chiffres  en  sont 
singulièrement  suggestifs  et  devraient  être,  pour  nous,  d*un  puissant 
enseignement. 

•Le  budget  des  dépenses  pour  1903-1904  est  de  143.954.000  livres 
sterling.  Le  budget  des  recettes  est  de  154.770.000  livres  sterling.  Le 
budget  présente  donc  un  surplus  de  recette  de  10.816.000  livres. 

L'impôt  sur  le  revenu  est  diminué  de  4  pence,  ce  qui  constitue 
une  décharge  de  8  millions  et  demi  de  livres  sterling.  Le  droit  sur 
les  blés  est  supprimé,  soit  une  décharge  de  2  millions  de  livres 
sterling.  Les  droits  sur  les  sucres,  sur  les  charbons  et  sur  les  thés 
sont  maintenus.  Le  chancelier  de  TËchiquier  dit  que  le  coût  total 
des  guerres  du  Transvaal  et  de  Chine  a  été  de  217  millions  de  livres 
sterling,  soit  plus  de  quatre  fois  celui  de  la  guerre  franco-allemande. 
Le  contribuable  anglais  se  trouve  de  ce  fait  grevé  de  67  shillings 
4  pence  par  tèle. 

La  delte  nationale  entre  dans  le  budget  pour  27  millions  de  livres 
sterling.  Si  la  dette  n'est  pas  augmentée,  elle  sera  complètement 
amortie  dans  cinquante  ans. 

Une  somme  de  6.300.000  livres  sterling  est  portée  au  fonds 
d'amortissement.  Cette  somme  sera  peut-être  portée  à  9  millions,  en 
raison  des  payements  à  effectuer  par  le  Transvaal,  qui  doivent 
s'élever  à  4  millions  cette  année. 

M.  Richtie,  après  avoir  exprimé  sa  conviction  que  les  dépenses 
militaires  et  navales  élevées  sont  indispensables,  conclut  : 

Ce  n'est  pas  la  jalousie  à  l'égard  d'une  autre  puissance  qui  me  pousse  à 
dépenser  de  plus  en  plus  pour  notre  marine  ;  notre  marine  doit  se  déve- 
lopper tant  que  se  développent  les  autres  marines.  Je  vois  avec  plaisir 
qu'il  ne  manque  pas  d'indices  que  certains  de  nos  voisins  désirent  mettre 
un  terme  à  leurs  dépenses  navales.  Ces  indices  de  leur  part  sont  les  bien- 
venus, et  nous  pouvons  leur  affirmer  que  s'ils  adoptent  et  observent  cette 
politique,  nous  sommes  prêts  à  les  suivre  loyalement. 

Italie.  —  Le  Roi  d'Angleterre  en  Italie,  —  Nous  avons  annoncé,  dans 
noire  dernier  numéro,  le  voyage  du  Roi  d'Angleterre  en  France; 
il  devait  être,  comme  on  sait,  précédé  de  son  voyage  en  Italie. 
Edouard  VII  a  été  en  effet  reçu,  à  Naples  et  à  Rome,  par  d'enthou- 
siastes démonstrations.  On  a  remarqué  qu'au  banquet  où  les  deux 
Rois  ont  échangé  otïiciellement  les  compliments  d'usage,  le  Roi 
Victor-Emmanuel  a  prononcé  son  toast,  non  pas  en  français  comme 
la  tradition  diplomatique  semblait  le  prescrire,  mais  en  italien. 
QuEST.  Du»L.  ET  Col.  —  t.  xv,  3j^ 


( 


591  QUESTIONS  DIPLOMATIQURS   BT  COLOIflALBS 

C'est  là,  peut-être,  une  façon  un  peu  nouvelle  de  souligner,  du  côlé 
de  1  Italie,  la  sincérité  du  rapprochement  franco-italien. 

—  La  démission  de  M.  Prinetti.  —  L'Italie  possède,  depuis  le 
ii  avril,  un  nouveau  ministre  des  Aflaircs  étrangères.  M.  Prinelti. 
qui  était  entré  à  la  Consulta  au  mois  de  janvier  1901,  c'est-à-dire  au 
moment  où  le  ministère  Zanardelli-Giolitti  avait  succédé  au  ministère 
Saracco,  avait  été  soudainement  frappé  par  la  maladie,  il  y  a 
quelques  mois,  et  avait  dû  abandonner  temporairement  ses  fonc- 
tions. Il  ne  s'agissait  encore  pour  lui  que  d'un  congé,  sa  santé  ne 
paraissant  pas  sufïïsamment  atteinte  pour  nécessiter  qu'il  démi^  • 
sionnàt,  et.  l'amiral  Morin,  ministre  de  la  Marine,  avait  été  chargé 
de  le  remplacer  par  intérim.  Mais,  bien  que  l'état  du  ministre  titu- 
laire n'empirât  pas,  son  rétablissement  se  faisait  attendre  plus  long- 
temps qu'on  ne  l'avait  supposé.  Placé  ainsi  dans  la  nécessité  ou  bien 
de  compromettre  sa  santé  en  reprenant  prématurément  le  tr?f  ail, 
ou  bien  de  prolonger  encore  l'intérim,  M.  Prinetti  a  préféré ^ibau 
donner  complètement  ses  fonctions.  Il  a  donc  offert  sa  démission  au 
roi,  qui,  étant  données  les  circonstances,  ne  pouvait  pas  insister  pour 
qu'il  la  retirât.  Victor-Emmanuel  III  l'accepta  donc  et  lui  donna 
comme  successeur  l'amiral  Moriu  lui-même,  l'intérimaire,  et  nomma 
à  la  Marine  le  contre-amiral  Bettolo. 

Turquie.  —  La  question  macédonienne,  —  La  situation  reste  sensible- 
ment la  même  en  Macédoine  et  ne  semble  pas  s'améliorer.  Le  jour  du 
Sélamlik,  les  ambassadeurs  des  puissances  ont  été  reçus  par  le 
Sultan  et  lui  ont  présenté  des  réclamations  identiques  de  leurs  gou- 
vernements respectifs  concernant  l'application  d'une  politique 
énergique  dans  les  Balkans.  Le  Sultan  a  répété  ses  coutumières 
assurances  d'une  bonne  volonté,  toujours  impuissante  d'ailleurs. 

D'autre  part,  le  correspondant  du  Temps  à  Gonstantinople  lui 
télégraphie,  à  la  date  du  20  avril  : 

l^endant  deux  jours  et  deux  nuits,  la  commission  militaire  extraor- 
dinaire a  délibéré  au  Palais  de  Yildiz  au  sujet  des  mesures  militaires  à 
prt-ndre  pour  étouffer  la  rébellion  albanaise  et  poursuivre  les  bandes  macé- 
douiennes.  Le  règlement  élaboré  à  cet  effet  était  télégraphié  à  Tinspectcur 
général  à  Uskub  au  fur  et  à  mesure  qu'il  était  arrêté. 

Il  est  très  complet.  II  divise  la  Macédoine  et  l'Albanie  en  divers  district> 
militaires  sous  la  direction  de  chefs  qui  seront  rendus  responsables  detoui 
ce  qui  s'y  produira.  Ces  chefs,  ayant  les  coudées  franches,  devront  agir 
avec  la  dernière  rigueur  contre  tout  révolutionnaire  et  ne  permettront  pas 
a  la  population  de  se  joindre  aux  troupes  pour  se  livrer  à  des  représailles. 
Vw  district  militaire  pourra  combiner  une  action  commune  avec  un  district 
voisin.  Le  tout  est  arrangé  de  telle  façon  que  l'on  croit  qu'il  sera  mainte- 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  595 

oaDt  assez  difficile  aux  bandes  d'échapper  à  la  poursuite  qu'on  leur  fera 
impitoyablement. 

Quant  à  la  rébellion  albanaise,  on  a  finalement  compris  au  Palais  que  les 
amabilités  n'ont  plus  de  prise  sur  les  Albanais  et  que  la  parole  est  au 
canon. 

La  situation  actuelle,  une  des  plus  difficiles  dans  lesquelles  se  soit 
jamais  trouvée  la  Turquie,  se  complique  encore  par  le  manque  d'argent. 
L'appel  des  réserves  et  des  auxiliaires,  leur  transport,  leur  entretien  sur  le 
pied  de  guerre,  les  énormes  dépenses  amenées  par  l'application  plus  ou 
D  oins  bonne  des  réformes  engloutissent  chaque  jour  des  sommes  consi- 
dérables, de  sorte  que  bientôt  on  ne  saura  plus  à  quel  saint  se  vouer  au 
pojat  de  vue  financier. 


n.  —  ASIE. 

Sia  1.  —  La  mort  de  M.  de  Coulgeans.  —  M.  Durousscau  de  Coul- 
geans,  ^onsul  de  France  et  commissaire  du  gouvernement  de  la  Répu- 
blique pour  les  provinces  de  Battambang  et  d^Angkor,  vient  de  suc- 
comber à  Battambang  à  une  attaque  de  dysenterie. 

C'était  un  de  nos  meilleurs  agents  d'Extrême-Orient  où  il  comptait 
près  de  trente  années  de  séjour.  Ancien  membre  de  la  mission  de 
Pavie,  il  avait  rempli  successivement  les  fonctions  de  vice-résident 
et  de  résident  de  France  en  Indo-Chine.  Il  était  titulaire  du  consulat 
de  France  à  Korat,  et  depuis  un  an  et  demi  était  en  mission  dans  les 
anciennes  provinces  cambodgiennes  de  la  frontière.  La  France  et 
rindo-Chine  perdent  en  lui  un  serviteur  précieux,  un  homme  profon- 
dément désintéressé,  profondément  dévoué  à  son  devoir,  de  la  race 
des  Doudart  de  Lagrée  et  Francis  Garnier  ;  comme  eux  il  tombe  au 
champ  d'honneur. 

Perse.  —  Rivalité  anglo-persane.  —  Le  Journal  des  Débais  vient  de 
publier  la  correspondance  suivante  de  Bombay  : 

Boinbaj,  mars  1903. 

La  rivalité  qui  s'est  élevée  en  Perse  entre  l'Angleterre  et  la  Russie,  loin 
«le  disparaître,  tend  au  contraire,  surtout  depuis  quelque  temps,  à  devenir 
de  plus  en  plus  ardente. 

D'après  les  bruits  qui  circulent  ici,  les  agents  des  deux  pays  s'efforcent 
d'affirmer  à  tout  propos  la  supériorité  do  la  nation  qu'ilS  représentent.  II 
faut,  toutefois,  convenir  que,  jusijue  dans  ces  derniers  mois,  la  diplomatie 
moscovite  l'emportait  sur  sa  concurrente  dans  cette  course  au  clocher.  Le 
récent  voyage  effectué  par  le  Chah  en  Europe  avait  laissé,  disait-on,  dans 
l'esprit  de  ce  souverain  des  souvenirs  favorables  à  la  cause  russe.  A  en 
juger  par  des  rumeur*  parvenues  jusqu'aux  Indes  au  sujet  de  déplacements 
de  dignitaires  persans,  dont  les  sentiments  anglophiles  étaient  connus,  le 


596  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

gouvernement  iranien  ne  paraissait  plus  se  soucier  de  témoigiier  ostensi- 
blement ses  préférences  pour  son  grand  voisin  du  Nord. 

Mais  les  derniers  incidents  qui  se  sont  produits  sur  la  frontière  du  Seistau 
à  la  suite  de  la  violation  du  territoire  persan  par  des  troupes  indienne^. 
ont  fourni  à  l'Angleterre  l'occasion  de  leconquérir  une  partie  de  sol- 
influence.  Ils  ont  permis  au  gouvernement  des  Indes  d'envoyer  sur  Ie< 
confins  de  la  Perse  une  colonne  militaire  commandée  par  le  major  Mac- 
"Mahon,  qui,  de  concert  avec  une  commission  persane,  sera  appelée  à  régler 
sur  place,  et  probablement  en  faveur  de  l'Angleterre,  la  question  de  lu 
délimitation  du  Scistan. 

La  mission  britannique,  composée  de  nombreux  fantassins  et  d'une  fon^* 
escorte  de  cavalerie,  est  surtout  destinée,  vu  sa  puissance  imposante,  a 
impressionner  l'imagination  des  Persans.  Il  est  certain  que,  en  faisant 
prévaloir  les  vues  du  gouvernement  indien  dans  le  règlement  de  cett^• 
question  délicate  de  la  frontière  de  Seistan.  le  major  Mac-Mahon  rétablira 
du  coup  dans  le  Sud  de  l'empire  iranien  et  dans  les  pays  limitrophes  \c 
presti^^e  britannique  que  les  récentes  entreprises  de  la  Russie  en  Perse  eî 
dans  le  golfe  Persique  avaient  réussi  à  amoindrir.  Néanmoins  ce  résultat 
n'aurait  pas  été  atteint  si,  comme  on  Ta  raconté  ici,  le  gouvernement  persan 
avait  adjoint  à  ses  commissaires,  en  qualité  de  délégués  techniques,  ur. 
certain  nombre  d'officiers  russes,  car  dans  ce  cas  il  eût  été  difficile  aux 
agents  du  gouvernement  indien  de  cacher  complètement  à  ceux  qui  ont  un 
si  grand  intérêt  à  les  connaître  et  à  les  combattre  les  tendances  de  la  poli- 
tique que  l'Angleterre  poursuit  dans  le  Seistan. 

Dans  nos  milieux  politiques,  on  attribue  généralement  à  l'habileté  du 
ministre  britannique  de  Téhéran  le  brusque  changement  survenu  daii> 
les  dispositions  du  gouvernement  du  Chah  et  son  renoncement  à  conliera 
des  officiers  du  génie  russe  le  soin  de  seconder  ses  délégués  de  leur- 
conseils. 

Ce  premier  succès,  qui  est  incontestablement  important,  sera  sans  doute 
un  puissant  encouragement  pour  les  Anglais.  Il  faut  donc  s'attendre  à  les 
voir  persévérer  en  Perse  avec  plus  d'ardeur  que  jamais  dans  la  lutte  obstiué*' 
contre  l'influence  russe  que,  jusqu'à  présent,  ils  avaient  soutenue,  il  est 
vrai,  avec  plus  de  ténacité  que  de  bonheur. 


ni.  —  AFRIQUE. 

Maroc.  —  La  situation.  —  D'après  les  dernières  dépèches,  le  pré- 
tendant est  toujours  aux  environs  de  Tetouan.  Quelques  Maures  et 
et  500  Askaris  ont  fait  acte   de  soumission  au  Rogui,  qui  refuse 
d  admettre  plusieurs  bandes  d'agitateurs  venant  du  côté  de  l'Algérie 
car  il  désire  maintenir  de  bonnes  relations  avec  les  puissances  eurc 
péennes. 

D'autre  part,  les  dernières  nouvelles  de  Fez  sont  satisfaisantes.  Lcn 
Européens  remplissant  des  fonctions  subalternes  ont  été  priés  de 
quitter  la  cour. 


BOSEÏGNEMËNTS    l'OLlTIQUE^  397 

Aux  enviroûs  de  Mequioez,  ragitaiion  a  nécessité  renvoi  immédiat 
d*?  plusieurs  ce n laines  de  cavaliers  de  Fez- 

L  armée  du  sultan  ctrmple,  k  l'heure  actuelle,  une  dizaine  de  millr 
hommes  environ,  et  c'est  à  peu  près  Teffectir  que  peut  mettre  en 
li^e  le  prétendant.  Tauléfois,  les  contingents  de  l'un  et  de  l'autre 
i^ont  très  instables,  et  soit  d'un  c6léj  soit  de  rautre,  il  faut  s'attendre 
i  des  défections  au  moment  d*un  combat.  C'est,  d'ailleurs,  cette 
incertitude  dans  les  dispositions  de  leurs  troupes  qui  fait  que  chacun 
des  deux  adversaires  ne  met  pas  un  grand  empressement  à  prendre 
contact  avec  Vautre.  I 

Région  du  Tchad.  —  La  missmt  scknUfiqm  du  Chnrid  du  Tchad.  —  I 

Le  ministre  de  Tlnstruction  publique  vient  de  recevoir  les  meilleures  ] 

'.nouvelles  de  la  mission  scientifique  au  Charî  el  au  lac  Tchad.  Par  ' 

!  une  lettre  datée  de  Ndellé,  le  (3  janvier  dernier,  M,  Chevalier,  le  chef  ^ 

I  de  la  mission,  nous  apprend  qu'il  a  trouvé  un  accueil  excellent  auprès  • 

;  du  sultan  Mohammed  es  Snoussi,  dans  la  capitale  duquel  il  est  arrivé  \ 

I  le  l'a  décembre  dernier.  I 

I     Xotre  résidentj  M.  tlrech,  prévenu  de  son  arrivée,  s'est  mis  à  sa  « 

\  Jïsposiiian,  et  par  son  intermédiaire^  >L  Clievatier  a  pu  recueillir  de  | 

I  la  bouche  du  tils  de  Koubeur^  ancien  sultan  du  Dar  Kouti,  des  ren-  « 

setgnemenis  sur  les  circonstances  encore  inconnues  dans  lesquelles  ' 

la  mission  Crampel  avait  été  massacrée,  " 

j      L'agression  fut  ordonnée  par  lïalmh  ou  un  de  sess  lieutenÊUls.  Elle  avait  , 

I  ^lour  but  dn  feVmpiiriT  de^^  armes  delà  misfiion.  Crantpel  fut  assnsi?iné  à 

Djangara,  pré  si  C'iiah.  ;iu  moment  ou   il  «liait  entrer  daus  le  Dar-Hounga. 

par  un  nommé  EX  Iv  lia  ri  tin.  qui  ost  mort  eu  1905,  étran^dé  par  un  hoD. 

Après  l'exploration  du  massif  montagneux  d'où  descendent  les 
allluents  de  droite  du  Chari^  M.  Chevalier  rejoindra  le  territoire  mili- 
taire du  Chari  el  gagnera  le  lac  Tchad,  qu'il  ne  compte  atteindre  que 
dans  le  courant  de  juillet  prochain. 

L'ne  seconde  lettre  du  G  février  annonce   que  cette  exploration 
s  est  accomplie  avec  l'appui  du  sultan  Snoussi  et  a  amené  notamment 
la  découverte  du  point  de  convergence  probable  des  trois  bassins  :  , 
Cbarij  Congo  (Oubangui]  et  Xit  et  d'un  grand  lac  de  t*  Mamoun  i>. 

Madagascar.  —  La  s'duatimi. —  Un  de  nos  correspondants  de  Mada- 
jîascar  nous  adresse  les  nouvelles  suivantes  : 

Uq  pliénomène  peu  commun  vient  de  modifier,  de  la  t'flcûo  la  plus  inat- 
lendue,  le  régime  hydrographique  i}q  toute  utip  région  de  Titr.  I^a  Malmn- 
jamba^  ayant  son  emtïouchuie  dans  la  vaste  haie  du  même  nom,  éraiL 
ivec  la  Betïilïoka,  et  jui^qu^ù  ci^s  dcruit^rs  jours,  le  fleuve  le  jitus  important 
dp  la  cûti^  Qord-oucst  de  Madagascar.  Son  has^sin  était  séparé  de  celui  dp 
kBt'tsiboka  par  un  seuil  éiroii  et  peu  étevécoutre  leEjuet  s^es  eaux  venaient 


L 


598  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

buter.  Sur  le  versant  opposé  se  trouvaient  de  vastes  marécages  d'où  sor- 
ti^if^t  le  Kamoro,  afiQuent  important  de  la  Betsiboka,  d'environ  130  kilo- 
mètres de  parcours.  Or,  les  crues  qui  ont  suivi  le  dernier  cyclone  ont 
remporté  ce  seuil,  et  les  eaux  de  la  Mahajamba  ayant  ainsi  trouvé  une  issue 
vers  une  région  plus  basse  se  déversent  aujourd'hui  en  totalité  dans  le 
Kamoro  et  delà  dans  la  Betsiboka. 

Ce  phénomène  aura  des  conséquences  pratiques  intéressantes. 

C'est  ainsi  que  plusieurs  prospecteurs  explorent  en  ce  moment  l'ancien 
lit,  probablement  très  aurifère,  de  la  Mahajamba,  et  y  ont  planté  déjà  de 
ijombreux  signaux  de  recherches. 

D'autre  part,  les  eaux  grossies  du  Kamoro  ont  rendu  cette  rivière  navi- 
^iibie  sur  près  de  100  kilomètres,  qui  pourront  former  ainsi,  dans  la  région 
de  l'Est,  le  prolongement  de  la  voie  fluviale  de  la  Betsiboka. 

Les  études  hydrographiques  se  poursuivent  autour  de  Madagascar, 
rioiamment  sur  la  côte  Ouest,  où  on  a  relevé  récemment  les  mouillages  de 
<ïeux  petits  ports  dans  la  province  de  Tulear  :  And^oka  et  Itampobo,  que 
linéiques  navires  ont  visités  dans  ces  temps  derniers. 

Les  études  hydrographiques  faites  sous  la  direction  du  ministère  de  la 
Marine  sont  ein  général  laborieuses  à  Madagascar,  où  elles  sont  souvent 
('nlravées  et  même  complètement  interrompues  par  les  gros  temps. 

D'après  différents  renseignements  concordants  reçus  du  Transvaal,  le 
nouveau  gouvernement  commencerait  sous  peu  l'extension  du  réseau  des 
voies  ferrées,  et  se  proposerait  de  s'approvisionner  à  Madagascar  des  tra- 
verses nécessaires.  Cette  nouvelle,  si  elle  vient  à  se  confirmer,  est  de 
ïiature  à  stimuler  les  entreprises  forestières  à  Madagascar,  notamment  sur 
la  côte  Ouest  où  plusieurs  concessions  ont  été  demandées  dans  ces  derniers 
!i?mps. 

Un  nouveau  cyclone,  le  troisième  depuis  quatre  mois,  et  en  même  temps 
1g  plus  violent  et  le  plus  désastreux,  s'est  déchaîné  le  22  mars  sur  la  côte 
Est  de  rile  et  a  causé  des  dégâts  considérables  à  Tamatave,  Andevorante, 
Mahatsara,  Vatamandry  et  Mahamoro. 

Dans  ces  différents  ports,  plusieurs  bâtiments  d'assez  fort  tonnage  et  un 
^rand  nombre  d'embarcations  plus  petites  ont  été  jetés  à  la  côte  ou  sur  les 
récifs.  Le  gros  village  de  Mahanoro  a  été  rasé  par  la  tempête.  Les  lignes 
Télégraphiques  sont  restées  interrompues  dans  toutes  les  directions  pendani 
plusieurs  jours.  A  Tananarive,  la  violence  du  vent  et  l'abondance  des 
pluies  ont  amené  Técroulement  de  plusieurs  maisons  indigènes.  Les  com- 
munications télégraphiques  venant  seulement  d'être  rétablies,  on  est  encore 
sans  nouvelles  d'un  grand  nombre  de  régions  où  l'on  craint  que  plusieurs 
accidents  plus  ou  moins  graves  se  soient  produits. 

D'autre  part,  les  sauterelles  ont  endommagé  les  récoltes  dans  plusieurs 
provinces.  Des  vols  considérables  ont  été  signalés  en  particulier,  dans  la 
province  de  Manjakandriana,  à  40  kilomètres  à  l'Est  de  Tananarive. 

Au  dernier  moment,  on  annonce  que  les  travaux  du  chemin  de  feront 
Itarfaitement  résisté  au  dernier  cyclone. 

Somaliland.  —  La  campagne  anglaise  au  SomalUand.  —  Les  Anglais 
ne  sont  pas  heureux,  dans  ce  moment,  au  Soaialiland.  On  sait  que 


HËNSEIGNEMENTS   POLITIQUES  599 

deux  colonnes  avaient  été  lancées  contre  le  mullah.  La  première  et 
la  plus  importante  était  partie  de  Berbera  sur  le  golfe  d'Aden,  la 
seconde  d*Obbia  sur  l'océan  Indien. 

L'objectif  des  deux  colonnes  était  la  région  de  Mudug  où  se  trou- 
vent les  puits  et  principalement  GerlogDubi,  un  centre  important  de 
caravanes. 

Le  muUab  s*était  toujours  habilement  dérobé  et  ne  s*était  pas  un 
instant  départi  de  sa  tactique,  qui  était  de  se  retirer  continuellement 
devant  les  Anglais  afin  de  les  entraîner  dans  des  régions  sans  eau 
qu'ils  ne  connaissaient  pas. 

Le  mois  dernier,  il  était  à  Mudug,  à  320  kilomètres  dans  Tinté- 
rieur.  Lorsque  les  Anglais  arrivèrent  sur  ce  point,  il  était  parti  pour 
Galadi  à  100  kilomètres  plus  loin. 

Le  général  Manning  envoya  alors  dans  la  direction  de  Galadi  un 
fort  détachement  sous  le  commandement  du  colonel  Gobbe.  Or,  le 
18  avril,  l'avant-garde  de  ce  détachement,  sous  les  ordres  du  colo- 
nel Plumkett,  se  heurta,  à  Gumburru,  à  dps  forces  ennemies  supé- 
rieures et  fut  anéantie.  Cent  quatre-vingt-onze  hommes,  dont 
il  officiers,  y  compris  le  colonel  Plumkett,  tombèrent  sous  les  coups 
des  soldats  du  mullah  et  deux  mitrailleuses  Maxim  furent  prises. 
Par  suite  de  ce  désastre,  la  colonne  Gobbe  se  trouvait  dans  une 
situation  critique.  Le  général  Manning  partit  alors  à  son  secours 
et  il  paraîtrait  qu'il  réussit  à  la  dégager.  Mais  les  dépêches  sont  assez 
obscures  et  même  contradictoires  sur  ce  point. 

Par  contre,  ce  qui  est  bien  précis,  c'est  qu'une  seconde  colonne 
volante,  sous  les  ordres  du  major  Gough,  a  eu  un  engagement  avec 
les  forces  du  mullah,  au  Sud-Ouest  de  Danop,  et  que,  manquant  de 
munitions,  elle  a  dû  battre  en  retraite  vers  ce  point,  après  avoir  eu 
deux  capitaines  tués,  cinq  officiers  blessés,  treize  hommes  tués  et 
vingt-huit  blessés. 


i 


RENSEIGNEMENTS    ÉCONOMIQUES 


I.   —  GÉNÉRALITÉS. 

La  production  de  Targent  dans  le  monde.  —  Les  statistiques  ci- 
après  ont  été  réunies  par  le  Chemical  Trade  Journal^  de  Mao- 
chester,  d'après  des  données  puisées  à  diverses  sources  améri- 
caines et  anglaises  : 

Prodnotion  en  milliers  d'onoes. 

Etats-  Autres 

Années  Unis         Mexique       Ausiralie  pays  Total 

onces  onces  onces  onces  onces 

1891 58.330  35.719  10.000  33.910  137.965 

1892....: 03.500  39.504  13.439  30.490  152.9.19 

1893 00.000  44.370  20.501  41.228  Ifiô.lOO 

1894 49.500  47.038  18.073  53.140  167.752 

1895 55.720  46.962  12.507  53.983  160.180 

1890 58.834  45.718  12.238  40.268  157.06! 

1897 53.860  53.903  11.878  44.431  16*. 073 

1898 54.438  56.738  10.491  51.560  173.227 

1899 54.704  55.612  12.686  44.161  167. 22i 

1900 57.647  57.437  13.340  44.413  172.838 

1901 55.214  57.656  13.049  49.078  174.998 

1902  (estimation).  58.560  58.000  13.100  49.200  178.866 

Il  est  à  remarquer  que  les  chiffres  de  l'année  qui  vient  de  finir  ne 
sont  encore  qu'approximatifs;  il  n'en  pourrait  être  autrement  à  une 
date  si  peu  avancée.  Les  modifications  qu'ils  sont  susceptibles  de 
subir  ne  seront  cependant  pas  fort  importantes,  si  Ton  peut  se  fonder 
sur  l'exactitude  relative  des  estimations  des  années  antérieures. 

En  1901,  les  résultats  des  Etats-Unis  accusaient  une  assez  grande 
différence  en  moins  (4  millions  d'onces),  par  rapport  aux  évaluations; 
mais  ce  déficit  a  été  comlHé  par  le  surplus  de  production  indiqué 
sous  la  rubrique  «  autres  pays  ». 

Il  ressort  du  tableau  ci-dessus  que  la  production  de  l'argent  suit 
une  marche  progressive,  sinon  rapide,  du  moins  régulière.  Le  total 
estimatif  de  1902  est  le  plus  élevé  qu'on  ait  obtenu  jusqu'ici  et  il 
indique  une  augmentation  de  4  millions  d'onces,  attribuable  aux 
Etats-Unis  et  au  Mexique. 

Il  est  reconnu  que  les  usages  industriels  de  l'argent  se  développent 
constamment,  grâce  à  l'abaissement  des  cours,  mais  il  est  certain 
aussi  que  la  demande  de  métal  blanc  pour  les  besoins  monétaires 
diminue  d'une  façon  notable,  surtout  en  Chine  et  aux  Indes. 

Les  quantités  d'argent  produites  depuis  onze  ans  se  sont  accrues 


\ 


HKNS£lG^EMEP^TS    KCOWOJAlQlfES  fiOl 

dans  une  proportion  de  29  %  ;  la  valeur  commerciale  de  ces  mêmes 
qnaolités,  comme  on  lo  verra  ci-après,  s'est  auf^si  modifiée,  mais 
dans  un  sens  bien  difTérent  : 

Taleup  de  la  production  des  métanx  précieux  dana  le  monde* 
Années  argent  IMT 

Liv,  sL  Liv    sf. 

\m\ ,.,,....,..  23.0CNL27(r  2(î.7()2.ntï9 

im^l. 25.370.în:i  2ï),lM2.:*:n 

1893 2^.ti35  .niO  :^2.6»2.%7 

ifi04 ..,. eo. 326. 410  3G.7e:;  052 

^^95 .,..,.  ^1\. Q:\2A\fi  40,9îlîl,778 

iHim ,  . ,  iïK  &^i3  .SK2  41 ,7!3.71ÎT 

1^97 ._  i8.8H5.r»00  48.78O.0ii 

1898 lî), 488. 135  59,538  Jp52 

\Hm ._  19.101,112  Ô4.6îi2j'i6:! 

1900.  _ 2{t.Wtr.^i:\  ri3  J0y.23!l 

I90i  _ .._......  19,824.057  d4,774.7G9 

1902 _  .  17.088.  lOt  62.588.2-2» 

La  valeur  de  rorjelè  sur  le  marché^  l'année  dernière,  représente 
donc  environ  trois  fois  eL  demie  celle  de  l'argent;  elle  ladépasisaH  k 
peine  il  y  a  onze  ans.  Ajoutons,  pour  terminer^  que  les  quantités 
totales  d'or  Hvréeii  au  commerce  ont  monté,  dans  le  même  espace  de 
temps j  de  plus  de  133  %  . 

Le  pétrole  dans  le  monde.  —  Le  service  géologique  des  États-Unis 
a  publié  un  mémoire  sur  la  producli^m  du  pétrole  dans  le  monde. 
Nous  extrayons  de  ce  travail  la' statistique  suivante  ofi  les  chiffres 
expriment  des  barils  de  42  galtons,  c'esl-à-tlire  de  100  litre*;  : 

Production  du  pétrole  dans  le  inonde 


PAYS 

1900 

1801 

lî\  RILS 

poiTlicKMTAtit: 

iJAaiL.S 

l'OURCKMAOR 

KiMts-Unia».* 

1  Canada* ,...,.. 

6:i,  «50.539 

102, S76 

7S.77ÎÏ.417 

a. 346. 503 

l.9fi7  700 

t.fi28-53:i 

l,078.-2fU 

n:>S.(|fiO 

3:;». 297 

lâjoa 

ll,V7 
0,07 

\.liH 

t,3.1 

t,io 

0.73 
0,01 

^;ii.3Hyn9i 

7tU,«72 
KSJKS.:Mfi 

3.s:>i.:;ii 

3.03K.7tlO 
iAMUiUiï 
l,i3H.711) 

3i3.iiao 
in,îOo 

o,ia 

0  Oi 

5L:io 

1,117 
1.8* 
tljKfi 

n,3ii 

0  Oi 

P^TÛÙ  . , 

Russie 

GalJcie , , .   . 

SciTnaLrji .      Jnva      rt 

Bornéo 

Roumanie 

Inde 

iapoQ  . . 

AllftititLimu  ,*♦,..... 

iiaue!. !.::..... . 

Totaux....... 

Ha.in.973 

lao 

I6j,.^sn.7:î:t 

ion 

60â  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLONULES 


II.  —  EUROPE, 

Belgique.  —  Gcmmerce  avec  la  France.  —  Le  commerce  de  la  Bel- 
gique avec  la  France  est  en  diminution  sensible  pour  Tannée  190i. 
Alors  qu'il  avait  atteint  en  1900,  au  commerce  général,  le  chiffre  de 
1.340.984.000  francs,  il  n'atteint  en  1901  que  1.224.933.000  francs: 
chiffre  inférieur  môme  à  celui  de  1899,  qui  était  de  1.310.618.000  fr. 

La  diminution  que  nous  venons  de  constater  s*est  d'ailleurs  éga- 
lement produite  dans  les  échanges  avec  les  autres  pays  voisins  de 
la  Belgique. 

Pour  la  France,  les  plus  fortes  diminutions  ont  porté  sur  les  ma- 
tières premières  que  nous  fournissons  à  la  Belgique  et  que  son 
industrie  met  en  œuvre. 

Le  ralentissement  s*est  accusé  principalement  par  des  moins- 
values  dans  Timportation  de  nos  produits  textiles  et  de  nos  produits 
métallurgiques. 

II  y  a  aussi  une  diminution  pour  les  peaux  brutes  ou  apprêtées  el 
pour  le  caoutchouc  et  les  vins. 

Les  importations  de  quelques-uns  de  nos  produits  ont  augmenté: 
ce  sont  celles  des  graines  oléagineuses,  chanvre,  éloupe  et  crie, 
bijouterie,  fruits,  drogueries,  etc. 

Remarquons  que,  pour  une  des  branches  les  plus  importantes  de 
notre  fabrication  nationale,  les  soieries,  nous  nous  trouvons  en  Bel- 
gique sérieusement  concurrencés  par  l'Allemagne  et  la  Suisse.  En  ce 
qui  concerne  la  passementerie  de  soie,  TAUemagne  arrive  même  la 
première  avec  22.795  francs  contre  4.458  francs  à  la  France. 

Pour  la  rubannerie,  elle  suit  de  près,  avec  72.662  francs,  la  France 
représentée  par  98.370  francs  (la  Suisse  étant  troisième  avec 
13.285  francs). 

Nous  reprenons  un  avantage  marqué  avec  les  tulles,  blondes  el 
dentelles  (129.410  francs  contre  27.557  à  l'Allemagne  et  10.143  à 
TAnglelerre).  Nous  le  gardons  encore  pour  les  tissus  de  soie  non 
dénommés  (6.899.742  francs  contre  2.124.494  à  l'Allemagne  et 
1.130.265  à  la  Suisse],  mais  nous  ne  saurions  nous  dissimuler  que 
de  ce  côté,  et  surtout  pour  les  étoffes  bon  marché,  la  concurrence 
de  l'Allemagne  et  de  la  Suisse  ne  devienne  chaque  jour  plus  intense. 

1/exportation  des  produits  belges  ou  nationalisés  en  France,  qui 
s'élevait  en  1900  à  426.000.000,  a  été,  en  1901,  de  350  millions  6,  soit 
une  diminution  de  75  millions  5,  ou  de  18  %. 

La  première  et  la  plus  importante  de  ces  diminutions  porte  sur 
les  voitures  de  chemins  de  fer  et  de  tramways,  30.582.000  francs  de 
moins  qu'en   1900.  Les  mécomptes  survenus  dans  un  trop  grand 


RENSEIGNEMENTS   ÉCONOMIQUES  603 

nombre  d'entreprises  de  traction,  et,  par  suite,  ie  ralentissement  de 
cette  indastrie,  en  sont  sans  doute  la  cause. 

Toutes  les  autres  diminutions  s'expliquent  par  la  crise  industrielle 
qui  n'a  pas  épargné  notre  pays,  surtout  au  point  de  vue  métallur- 
gique; telles  sont  les  diminutions  sur  la  houille  (11.399.000),  sur  le 
coke  (6.634.000),  sur  les  machines  (5.730.000),  sur  le  plomb 
(2.833.000),  sur  Tacier  ouvré  (2.597.000),  sur  U  chanvre,  étoupes  et 
lin  (2.530.000),  sur  le  zinc  (2.279.000),  sur  le  fer  battu,  Tacier  en 
barres,  le  cuivre,  le  nickel,  etc..  Ajoutons-y  pour  les  primes  de 
construction  une  diminution  de  4.292.000  et  pour  les  viandes  une 
de  3.420.000. 

m.  —  OCÉANIE. 

Nouvelle-Calédonie.  —  Commercé  m  1902.  —  Le  mouvement  com- 
mercial de  la  colonie  s'est  élevé,  en  1902,  à  25.729.000  francs,  dont 
13.446.000  francs  pour  les  importations  et  12.283.000  francs  pour  les 
exportations. 

C'est  le  café  et  les  mines  qui  sont  les  deux  éléments  les  plus 
importants  des  exportations.  Pour  le  café,  les  expéditions  augmen- 
tent chaque  année  dans  d'assez  grandes  proportions,  comme  le  mon- 
trent les  chiffres  suivants  afférents  aux  cinq  dernières  années  : 

1898 141.189  kil. 

1899 306.197     — 

1900 275.929    — 

1901 443.726    — 

1902 '       548.305     — 

Des  minerais  qu^on  extrait  du  sol  calédonien,  c'est  le  minerai  de 
oickel  qui  est  de  beaucoup  le  plus  import«ant.  Les  exportations  de  ce 
minerai  ont  été,  en  1902,  un  peu  inférieures  à  ce  qu'elles  avaient  été 
en  1901,  mais  elles  sont  encore  restées  à  un  très  bon  niveau.  Voici 
les  chiffres  des  exportations  du  nickel  depuis  sept  ans  : 

1896 .37.254.000  kil. 

1897 57.639.424  — 

1898 74.613.767  — 

1899 101.908.748  — 

1900 100.318.685  — 

1901 ^ 132.814.356  - 

1902 129.653.090  — 

Les  exportations  de  cobalt,  qui  n'avaien^  été  que  de  3.123.150  kilog. 
en  1902,  ont  atteint  7.512.220  kilog.  en  1902.  Celles  de  chrome  sont 
tombées  de  17.451.192  kilog.  en  1901  à  10.281.000  en  1902. 


NOMINATIONS  OFFICIELLES 


HIKISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

L'exequatur  a  été  accordé  à  : 

M.  Georges  Tomaezewski,  consul  de  Russie  à  Alger  ; 

M.  Lemaitre-Feret,  consul  de  Turquie  à  Rouen. 

Mi:\ISTÈRE  DE  LA  6UERRE 
TronpeN  métropolitaines. 

SERVICE   DE    SANTÉ 

Madagascar-  —  M.  le  méd.^moj,  de  2«  cl.  Thiébaut  est  désig.  pour  le  bataill. 
étranger  de  Diégo-Suarez. 

Troupes  coloolales. 

INFANTERIE 

Chine.  —  M.  le  Ueitt.-col.  Aublet  est  désig.  pour  servir  à  Quang-tchéou- 
ouan  ; 

MM.  le  capit.  Revol  et  les  lieut.  Bianchi  et  Duhamel  sont  désig.  pour  8er?irau 
16*  rég. 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  ]e  capil.  Duchemin    est  désig.  pour  servir  à  l'état- 
maj.  des  troupes,  en  qualité  de  chef  du  service  géographique  ; 

M.  le  capit.  Chaput  est  désig.  pour  servir  au  l«r  j^énégalais  ; 

M.  le  capil.  Gadel    est  désig.  pour  servir  au  2«  sénégalais,  comme  cap.-major; 

M.  le  lieue.  Desplagnes  est  d(''sig.  pour  servir  du  2*  sénégalais  ; 

M.  le  lieut.  Habcrcr  est  désig.  pour  servir  au  bat.  de  Zinder,  comme  lieut.- 
comptable  ; 

M.  le  lieut.  Larroque  est  désig.  pour  servir  au  bat.  de  la  Côte  d'ivoire  ; 

M.  le  lieut.  Drot  est  désig.  pour  servir  au  1®''  sénégalais. 

Congo.  —  MM.  le  lieut.  Mazo^er  et  les  sous-lieut.  Ripert  et  Boudrv  f^ont 
désig  pour  servir  au  rég.  indigène  du  Congo. 

iBde  française.  —  M.  le  lieut.  Fromenty  est  désig.  pour  servira  la  comp. des 
cipahis. 

Indo-Chine.  —  Sont  désignés  pour  servir  en  Cochinchine  : 

M.  le  col.  Prudhomme;  MM.  les  capil.  Lionnet,  Delord,  SaiDard  et  Legrand; 
MM.  les  sous-lieut.  Arnaud,  Hemmet,  Regard  et  At. 

Sont  désignés  pour  servir  au  Toukin  : 

MM.  les  capit.  Monnoye,  Favier,  Vanwlberghe,  Millet,  V^elle,  Labavsse,  Laflotle; 
MM.  les  lieut.  Devaux,  Corncloup,  Marchant  (E.-II.),  Tajasque  et  M.  le  sous-lieut. 
Dubois. 

M.  le  capit.  Sautés  st  désig.  pour  le  10*  rég.; 

M.  le  lieut.  Goigoux  pour  le  3«  tonkinois; 

M.  le  lieut.  Féraud  pour  le  18«  rég.; 

M.  le  lieut.col.  Chenagon  est  désig.  pour  command.  le  iS*  rég. 

M.  le  cap.  Péroux  est  affecté  au  5*^  tonkinois. 

Madagascar.  —  Sont  désig.  pour  servir  à  Madagascar  : 

M.  le  col.  de  Pélacot  ;  MM.  les  cap.  Pérès,  Gremillet,  Lambert  et  Mauvillain; 
MM.  les  lieut.  Dardenne  (C.-J.),  Dupuy,  Hegelbacher  ;  M.  le  sous-lieut.  Samalens. 

Les  officiers  ci-après  en  service  à  Madagascar  ont  été  placés,  savoir  : 

M.  le  chef  de  bat.  Millot,  au  3«  sénégalais  (cercle  de  Morondava)  ; 

M.  \e  capit.  Dietrich,  à  la  i^«  comp.  du  bataillon  de  Diégo-Suarez; 

M.  le  capit.  Disdier,  comme    adjudant-major  au  13*  rég.; 

M.  le  lieut.  Brousseaux,  à  la  i"  comp.  du  13»  rég.; 

M.  le  lieut.  Chevet,  à  la  .5*  comp.  du  !«»•  malgaches; 

M.  le  lieut.  Croll,  à  la  !'•  comp.  du  2<^  malgaches; 

M.  le  lieut.  Cellier,  à  la   !(>•  comp.  du  3*  sénégalais  ; 
-  M.  le  sous-lieut.  Tiret,  à  la  5«  comp.  du  13'  rég.; 

M.  le  sous  lieut.  Pelud,  à  la  9«  comp.  du  l''  malgaches; 

M.  le  sous-lieut.  Lherrou,  à  la  l')^  comp.  du  2*  malgaches  ; 

M.  le  sous-lieut.  Garron,  à  la  1*  comp.  du  2*  malgaches; 


NOMINATIONS   OFFICIELLES  ()0r> 

M.  hsouS'Ueut.  Jadard,  à  la  11*  comp.  du  2«  malgaches; 

M.  le  sous'lieul.  Masson,  à  la  12*'  comp.  du  3*  malgaches; 

M.  le  sous-lieut.  Jeux,  à  la  12*  comp.  du  Z^  sénégalais; 

M.  le  sous'lieut.   Leborgne,   à  la  U*  comp.  du  bat.  de  Diégo-Suarez. 

M.  le  chef  de  balaill.  Savy,  au  l»*"  malgaches; 

M.  le  capit.  Simouin,  à  la  8*  comp.  du  15*  rég, 

M.  le  capit.  Quinet,  au  3*  sénégalais  (2*  compagnie}. 

ARTILLERIE 

AfrJqne  Oooidentale.  —  M.  le  cap.  Saulnier  est  nommé  sous-direct,  à  Saint- 
Louis  (Sénégal); 

M.  le  lieut  Sugot  est  afTecté  à  la  compag.  de  conducteurs  sénégalais  à  Dakar. 

Indo-Chine.  —  M.  le  chef  d'escadron  Drand  est  désig.  pour  servir  en  Cochin- 
cbioe. 

Kadagasoar.  —  M.  le  lieut.  Rouanet  est  dés.  pour  la  4"  batt.  à  Tananarivc. 

MINISTÈRE  DE  LA  HARINE 

STAT-MAJOR  DB   LA   FLOTTE 

Extrême-Orient.  —  M.  le  cap.  de  fre'g.  de  Lartigue  est  désig.  pour  embar- 
«(uer  sur  le  Montcalm  comme  officier  en  second  ; 

M.  le  lieut.  de  vaiss.  de  Slabenrath  est   désig.  pour  embarq.  sur  le   Hedoulable  ; 

M.  le  lieut.  de  vaiss.  Demarne  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Pascal; 

M.  le  lieut.  de  vaiss.  Lavissière  est  chargé  du  poste  de  la  marine  de  Tong-Kou  ; 

MM.  les  enseig  de  vaiss.  Cloître,  Maquet  et  Richard  sont  désig.  pour  embarq. 
dans  l'escadre  d'Extréme-Orienl. 

Levant.  —  M.  Venseig.  de  vaiss.  de  Laurens-Caslelet  est  désig.  pour  embarq. 
sur  la  Mouette  à  Constantinoplc. 

Paoifiqne.  —  M.  le  lieut.  de  vaiss.  Movsan  est  désig.  pour  embarq.  sur  le 
Protêt. 

CORPS  nu   COMMISSARIAT 

Extrême-Orient.  —  M.  le  commiss.  de  2«  cl.  Poton  est  désig.  pour  embarq. 
*<ur  le  Bugeaud. 

CORPS  DE  SANTE 

Madagascar.  —  M.  le  méd.  de  2*  cl.  Cas&ien  est  désig.  pour  embarq.  sur  la 
Nièvre    (mission  hydrographique  à  Madagascar). 

Pacifique.  —  M.  le  méd.  de  2«  cl.  Guibaud  est  désig.  pour  embarq.  sur  la 
Meurthe, 

SERVICES   ADMINISTRATIFS 

GoollinclLine.  —  M.  Formai,  agent  des  construct.  navales ^  est  désig.  pour  l'ar- 
senal de  Saigon. 

MINISTÈRE  DES  COLO.HIES 

Par  décret  en  date  du  1  avril  1903,  ont  été  nommés  : 

Conseillera  la  Cour  d'appel  de  llndo-Chine,  M.  Farel  ; 

Procureur  de  la  République  du  tribunal  de  première  instance  de  Vinh-Long, 
M.  Auber  ; 

Juge-président  du  tribunal  de  première  instance  de  Long-Xuyen,  M.  Regnault; 

Juge  au  tribunal  de  première  instance  de  Saigon,  M.  Maugain  ; 

Lieutenant  de  juge  au   tribunal  de  première  instance  de  Ilaïphong,  M.  Sasias; 

Lieutenant  de  juge  au  tribunal  de  première  instance  de  Rentré,  M.  Guejflier; 

Juge  suppléant  au  tribunal  de  première  instance  de  Saigon,  M.  d'Auxion  ; 

Juge-président  du  tribunal  de  première  instance  de  Rentré,  M.  Bourayne; 

Juge  au  tribunal  de  première  instance  de  Saigon,  M.  Dain  ; 

Juge  de  paix  à  compétence  étendue  de  Rach-Gia,  M.  Lacouture; 

Lieutenant  de  juge  au  tribunal  de  première  instance  de  Travinh,  M.  Moisson  : 

Juge  suppléant  de  la  justice  de  paix  à  compétence  étendue  de  Tourane,  M.  Gui- 
selin; 

Juge  suppléant  au  tribunal  de  première  instance  de  Ringerville  (Côte  d'Ivoire), 
M.  Michellet  (André-Edmond). 

M.  Dusson,  (Jean-Marie>Joseph-Henri),  docteur  en  droit,  a  été  nommé  attaché  au 
jmrquet  du  procureur  général  de  l'Indo-Chine. 


BIBUOGRAPHIE  —  UYRES  ET  REVUES 


Notre  Colonie  de  la  Côte  d'Ivoire,  par  Villamur  et  Richaud.  1  vol. 
in-i2  de  400  pages,  avec  une  carte  et  de  nombreuses  photogravures.— 
Challamel,  1903. 

Il  y  a  quelques  mois,  MM.  Clozel  et  Villamur  ont  publié,  avec  le  con- 
cours-de  plusieurs  administrateurs  de  laCdte  d'Ivoire,  un  livre  fbrt  remar- 
rjuable  sur  les  Coutumes  indigènes  de  la  Côte  cTlvoire  auquel  la  Société  de 
géographie  commerciale  a  décerné  récemment  un  de  ses  prix,  si  justement 
appréciés.  Mais  le  cadre,  bien  que  vaste,  était  strictement  limité.  Aujour- 
d'hui M.  Villamur,  en  collaboration  avec  M.  Richaud,  vient  de  faire  paraitn' 
un  ouvrage  d'aspect  plus  modeste,  mais  qui,  pour  la  ^'ariété  de  ses  iofor- 
mations,  malheureusement  peu  étendue  au  point  de  vue  économiqueet  com- 
mercial, intéressera  cependant  un  bien  plus  grand  nombre  de  lecteurs.  La 
majeure  partie  du  volume  (les  auteurs,  d'ailleurs,  ne  le  cachent  pas)  ana- 
lyse ou  reproduit  des  études  antérieures  de  M.  Villamur,  très  goûtées  des 
spécialistes.  Deux  chapitres,  le  second  {Organisation  administrative^  finan- 
cière et  politique)  et  le  septième  {Régime  foncier.  Concessions  territoriales. 
Mines,  etc.,  etc.),  sont  dus  exclusivement  à  M.  Richaud,  un  de  nos  jeune> 
administrateurs  coloniaux  ayadt  le  plus  d'avenir.  On  les  lira  avec  fruit.  La 
Conclusion  de  l'ouvrage  est  commune  aux  deux  auteurs;  il  faut  les  féliciter 
d'avoir  conservé  une  prudente  réserve  au  sujet  de  l'engouement  minier,  qui 
sévit  actuellement  là-bas,  et  que  rien,  jusqu'ici,  n'est  venu  justifier;  la  spé- 
culation semble,  en  effet,  y  avoir  une  part  beaucoup  plus  grande  qu'une 
mise  en  œuvre  sérieuse  et  positive. 

A.-F. 

L'Œuvre  de  la  France  à  Madagascar,  par  M.  Louis  Brunkt, 
député  de  la  Réunion.  Un  vol.  in-8<»  de  590  pages.  —  A.  Challamel,  édi- 
teur. Paris,  1903. 

L'ouvrage  que  vient  de  faire  paraître  M.  Brunet  est  intéressant,  instruc- 
tif et  fort  bien  documenté.  Il  est  le  fruit  de  patientete  recherches  et  de 
consciencieuses  études. 

Au  reste,  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  pouvoir  publier  dans  notre 
fascicule  du  !•'  janvier  dernier  l'un  des  chapitre»  !es  plus  intéressants  de 
ce  livre,  alors  inédit. 

La  seule  lecture  de  ces  quelques  pagcv  a  permis  à  nos  lecteurs  de  se 
rendre  compte  de  la  valeur  et  de  1»  purtée  d'un  ouvrage  sur  les  mérites 
duquel  il  ùe  nous  semble  pas  ulite  (Pinsister  davantage. 

Atlas  des  Colonies  françaises,  dressé  par  ordre  du  ministère  des 
Colonies,  par  Paul  Pelet.  27  cartes  et  50  cartons  eu  8  couleurs,  avec 
texte  explicatif  et  index  alphabétique  de  34.000  noms.  Un  vol.  iD-4» 
colombier.  — A.  Colin,  éditeur,  Paris. 

Nous  avons  déjà  appelé  l'attention  de  nos  lecteurs  sur  celte  remarqua- 
ble publication  dont  la  valeur  scientifique  et  l'exécution  matérielle  font 
également  honneur  à  l'auteur  et  aux  éditeurs  qui  ont  su  mener  à  bouue  fin 
ce  travail  considérable. 

L'Atlns  des  Colonies  françaises  est  aujourd'hui  complètement  achevé.  Le^ 


BIBL106RAPUIK  —  LIVRES   ET   REVUES  607 

cartes  dont  il  se  compose  ont  été  établies  avec  beaucoup  de  méthode  et  un 
grand  souci  de  l'exactitude.  Elles  abondent  en  renseignements  nouveaux 
puisés  dans  les  documents  rapportés  par  nos  explorateurs,  nos  administra- 
teurs et  nos  ofliciers. 

Les  cartes  sont  accompagnées  d*un  texte  qui  donne  sur  l'ensemble  de 
nos  colonies  et  sur  chacune  d'elles  en  particulier  des  renseignements 
détaillés  et  précis  du  plus  grand  intérêt. 

Tous  ces  renseignements,  dispersés  dans  une  foule  de  documents  plus  ou 
moins  accessibles  ou  même  inédits,  se  trouvent  ici  méthodiquement  classés 
et  condensés  dans  un  volume  d'un  format  maniable,  qui  constitue  un 
tableau  d'ensemble  de  nos  possessions  d'outre-mer.  Ajoutons  que  le  carac- 
tère officiel  de  cette  publication  en  consacre  l'importance. 

Annuaire  des  Troupes  coloniales,  Almanach  illustré  du  Mar- 
souin, par  Ned  Noll.  Un  vol.  in-8«,  colombier.  —  H.  Charles-La vau- 
zelle,  éditeur.  Paris,  1903. 

Cette  publication  annuelle,  qui  est  attendue,  chaque  année,  avec  une 
vive  impatience  par  un  grand  nombre  de  lecteurs  et  d'amateurs,  obtient  un 
succès  qui  va  toujours  grandissant. 

VAimanach  de  i903  comprend,  comme  les  années  précédentes,  un 
résumé  de  Tannée  militaire  coloniale  où  nous  relevons  notamment  d'ex- 
cellents récits  de  la  campagne  de  Figuig,  de  celle  du  Baoulé,  de  l'occupa- 
tion du  Zinder  et  du  Tchad,  des  opérations  du  Sud  de  Madagascar. 

Le  texte  est  accompagné  de  cartes  et  croquis  géographiques  qui  en  faci- 
litent la  lecture;  il  est  en  outre  enrichi  de  nombreuses  photographies. 

Comme  par  le  passé,  cet  intéressant  almanach  est  suivi  d'un  annuaire 
de  l'armée  coloniale,  soigneusement  tenu  à  jour.  Ce  document  permet  de 
se  rendre  compte  des  unités  qui  occupent  chaque  colonie  et  de  l'affecta- 
tion des  officiers  ou  assimilés  qui  font  partie  de  ces  unités. 

Outn^ages  déposés  au  bureau  de  la  Revue. 

Atlas  des  Colonies  françaises,  dressé  par  ordre  du  ministère  des  Colonies,  par  Paul 
Pelbt.  La  librairie  Colin  vient  de  mettre  en  vente  la  9^  et  dernière  livraison  de 
cette  belle  publication.  Cette  9*  livraison  contient,  outre  la  fin  du  texte  des  notice:» 
et  un  index  aipliftbétlque  :  1^  un  planisphère  donnant  une  vue  d'ensemble  des 
colonies  françaises  (n°  1);  2*  carte  de  l'Afrique  française  (n"  2);  3^  carte  des 
poiats  d*appui  de  la  flotte  (n*  27). 

MUsion  Marchand  (1'*  partie).  Carte  de  l'itinéraire  de  la  mission,  dressée  et  des- 
sinée par  le  commandant  Baratier.  Echelle  1  :  1.000.000«.  —  Quatre  feuilles 
grand-aigle  en  couleurs,  gravure  sur  pierre.  Henry  Barrère,  éditeur.  Paris.  lî)03. 

Histoire  de  la  France  contemporaine  (1811-1900),  par  Gabriel  Hanotaux,  de  l'Aca- 
démie française.  —  Tome  I,  Le  gouvernement  de  M.  Thiers.  Un  vol.  grand  in-S" 
de  640  pages.  Ancienne  librairie  Fume,  Combet  et  C'*,  éditeurs.  Paris,  1903. 

Sotre  colonie  de  la  Côte  d'Ivoire,  par  Roger  Villauur  et  Léom  Riciiaud.  Un  vol. 
in-i8  de  396  pages,  avec  nombreuses  photogravures  hors  texte  et  une  carte  en 
couleurs.  A.  Challamel,  éditeur.  Paris,  1903. 

En  Danemark,  par  Charles  Berchon.  Un  vol.  in-16  de  250  pages,  illustré  de  52  gra- 
vures. Hachette  et  C*®,  éditeurs.  Paris,  1903. 

A  travei's  la  Tripolilaine,  par  H. -M.  de  Mathuisieulx.  Un  vol.  in-16  de  302  pages, 
illustré  de  63  gravures   Hachette  et  C»«,  éditeurs.  Paris,  1903. 

HelationK  économiques  enlise  l'Angleten'e  et  V Extrême-Orient,  par  Edouard  Cla- 
VEHY,  consul  de  France.  Une  brochure  in-S»  de  32  pages.  Léautev,  éditeur. 
Paris,  1903. 

-1  travers  V Amérique  équatoriale  :  VAmazonie^  par  Auguste  Plane.  Un  vol.  in-16 
de  286  pages,  avec  carte  et  gravures.  Plon-Nourrit  et  C**.  Paris,  1903. 


608  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONULES 

Sotre  Politique  au  Maroc,  par  le  général  Luzeux.  Un  vol.  in-S»  de  156  pages,  avec 

croquis  dans  le  texte.  II.  Charles-Lavauzelle.  Paris,  1903. 
Annuaire  des  troupes  coloniales.  Almanach  illustré  du  Marsouin,  par  Ned  Noll. 

Un  vol.  grand  in-S»  de  188  pages  avec  nombreuses  cartes  et  gravures.   Augustin 

Challarael,  éditeur.  Paris,  1903. 

LES  REVUES 

I.  —   REVUES   FRANÇAISES 

Armée  et  Marine  (19  avril).  Lieutenant  Albert  Mistrel  :  De  l'enseignement  des 
langues  dans  l'armée.  —  H.  V.  :  De  Takou  à  Paris  en  chemin  de  fer.  —  Le 
voyage  du  président  de  la  République.  —  (26  avril).  J.  B.  :  Le  championnat 
annuel  du  cheval  .d'armes.  —  Notre  escadre  de  la  Méditerranée.  —  Le  vovage  du 
président  de  la  République  {suite). 
.  Annales  coloniales  (15  avril).  Ned  Noll  :  La  mise  en  état  de  notre  empira 
colonial.  —  René  Del.\pohte  :  Avantages  économiques  des  Comores. 

Bolletin  du  C<»mité  de  TAfrlque  française  (avril).  Auguste  Terrieb  : 
L'emprunt  de  1  Afrique  Occidentale  française.  —  Eog.  Etienne  :  Voyages  au 
Maroc.  —  André  Meyrkuil  :  La  prise  de  Kano  et  de  Sokoto. 

Bnlieiin  dn  Comité  de  l'Asie  française  {avril).  Robert  de  Caix  :  Questions 
de  chemins  de  fer  indo-chinois.  —  Les  tribulations  du  traité  franco-siamois. 
J.  N.  :  La  prorogation  de  la  convention  franco-siamoise.  —  Les  chemins  de  fer 
au  Siam  et  les  rivalités  anglo-allemandes.  —  J.  F.  :  La  question  monétaire  eu 
Extrême-Orient. 

Bnllclln  de  ia  Société  de  làéoi^rapiiie  d'Alger  (!«<'  Iritn.  1903).  Commau- 
dant  RiNN  :  Les  grands  tournants  de  l'histoire  de  l'Algérie.  —  Torré  :  Notes  sur 
la  zaouïat  Erregania.  —  Demontks  :  Guyotville.  —  Bablch  :  Les  affaires  de 
Tunisie  et  la  division  Delbecque  en  Kroumirie  en  1881.  —  I^elleport  :  Rôle  de 
l'Algérie  vis-à-vis  de  la  France.  —  Lieutenant  Deschamps  :  Histoire  de  la  déh'ini- 
tation  de  la  frontière  franco- anglaise  entn^  Niger  et  Tchad. 

Bnlietin  de  la  Société  de  tiéograpfeiie  commerciale  de  Pari»  (190:^ 
i  et  2).  Georges  Blonoel  :  Les  transformations  politiques  et  économiques  de 
l'Allemagne.  —  C.  Deslioss  :  L'Etat  et  la  ville  de  Sâo-Paulo  (Brésil)  avec  croqiii> 
et  caite. 

L.a  France  coloniale  (15  avril).  Gouput  :  De  la  main-d'œuvre  en  Algérie.  — 
Blache  :  De  la  fabrication  aux  colonies  des  pâtes  à  papier. 

La  Ligue  maritime  (avril).  De  la  Ro.ncièrb  :  Notre  marine  inconnue.  —  Ver- 
seau :  Les  sous-marins  en  France  et  à  l'étranger. 

Quinzaine  coloniale  (25  avril).  Ciiailley-Bert  :  La  démission  de  M.  Revoil. 
un  enseignement. 

La  Réforme  économique  (20  avril).  Domergue  :  Les  grandes  idées  d'un  grand 
peuple.  —  SiNCENY  :  Le  gouvernement  français  et  l'exportation  du  bétail  russe. 

Rewne  de  Hadagascar  (l^f  avril).  Lieutenant  Gaubert  :  François  Couche.  — 
P.  Lemoinb  :  L'Extrême-Nord  de  Madagascar;  étude  géologique  (8  gravures  et 
2  cartes). 

Revue  n^énérale  des  Sciences  (15  avril).  Douttb  :  Les  Marocains  et  la  Société 
marocaine  {suite). 

Revue  commerciale  de  Bordeaux  (avril).  Lagler-Parqoet  :  La  genèse  d'une 
<-olonie  (Nouvelle-Calédonie). 

IL  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 
Revues  belges. 
Etudes  coloniales.  —  Ethnographie  de  la  côte  nord-est  de   la  Neuve Ue-Guinéc. 
—  Les  sociétés  secrètes  dans  l'Afrique  Occidentale. 

L' Administrateur-Gérant  :  P.  Câmpain. 

PARIS.  —  IMPRIMERIE  P.   LEVÉ,  RUE  CASSETTE,  17. 


IFAVORISElILCOtVCLOmniCHT  DU  COHHCRCC 
ET  DE  L-iNOUSTftlX  EN  FRAIICE 

Anemblëes  générales  ordinaire 
6t  extraordinaire  dn  30  mars  1^68. 


,  actionnaires  de  la  Société  Générale  se 
r^uuis,  le  lundi  30  mars,  au  siège  de  la 
t¥  :  1°  en  Assemblée  ordinaire  pour  sta- 
•ur  les  comptes  de  l'exercice  1902  ;  2»  eu 
utiée  eitraordinaire  pour  vérifier  la  dé- 
iioa  de  souscription  et  de  versement  à 
nieiktation  du  capital,  constater  l'aiigmen- 
a  définitive  et  modifier,  en  conséquence, 
Me  6  des  statuts. 

-  Les  romples  présentés  à  TAssemblée 
-aie  ordinaire,  par  le  Conseil  d'adminis- 
■11,  montrent  la  progression  constante  des 
iMons  de  la  Société,  Tau^menlalion  de  ^a 
/'le  et  aussi  de  ses  bénéfices.  Le  mouve- 
de  la  Caisse  s'est  élevé  de  38  milliards  à 

iliiards;  celui  du  Parle  feuille  commercial 
M  augmentation  de  700  millions  et  se 
£  à  37.193.0*1  efîets  représentant  plus  de 
flliard."»,  ce  qui  fait  ressortir  une  moyenne 
H  francs  par  effet;  les  encaissements  de 
sns  se  sont  élevés  à  486.851.838  francs, 
i;'n.pntation  de  près  de  34  millions,  et  les 
?  de  Bourse  au  comptant,  qui  ont  au«- 
^  de  plus  de  300  millions,  se  chiffrent  par 
iiduls  106  millions.  Le  solde  des  Comptes 
t^iuesqui,  au  31  décembre  1901,  était  de 
:!.989  francs  représenté  par  101.38^i 
i>s,  s'élève,  au  31  décemore  1«02,  à 
«7.383  francs,  représenté  par  108.469 
<vs  ;  le  solde  de  ces  mêmes  comptes, 
mer  1903,  se  monte  à  275.625.617  Ir.  96. 

rapport,  après  avoir  rappelé  les  circons- 
i«<qui,  en  l»99,  ont  motivé  la  transforrra- 
de  la  Société  et  l'augmentation  du  capital 
il,  eût  ressortir  les  résultats  avantaf^eux 
«»  mesures,  et  constate  que  le  bilan  de  la 

îé,  lequel  va  dépasser  le  milliard,  a  au«- 
lé  de  300  millions  depuis  le  31  décembre 
,  ce  qui  justifie  l'augmentation  de  capital 
sée  »  n  deux  fois  avec  un  brillant  succès. 
orabre  des  actionnaires  est  aujourd'hui  de 

i  Société  a,  en  1902,  créé  onze  bureaux  :  à 
iBson.Ave8nes,Dagnères-de-Bigorre,Bri«»y, 
fl»an,Menton,Morez-du-Jura,Orthez,Sainle- 
laGrande,  Vendôme  et  Vitré  ;  ér\ué  en 
ices  les  bureaux  de  Bri^noles  et  de  Gtiinon; 
>rtàParisun  bureau  de  Quartier  à  Belle- 
!<  ei.  dans  la  banlieue,  des  bureaux  à  Levai- 
Perret  et  Montreail'-sous-Bois. 

-  rapport iudiqae  que  la  Société  s'est  inté- 
«e  à  la  plupart  des  affaires  importantes  qui 
out  traitées  dans  la  cours  de  Tannée,  et 
Dolamment  :  la  souscription  aux  actions 
celles  de  la  Compagnie  internationale  des 
«'onsLits  ;  les  émissions  d'obligations  de 
ipniDt  Gliinois  5  0/0  1898,  de  la  Société 
*r&le  des   Sucreries  e'  de  la    Raffinerie 


OTBggiiple,  4ii  ^GM^êrwment  d«  l'Mgéf4e,  <a 
Goavememeftt  général  de  PIndo-Chiiie,  du  Geu* 
vernement  Princier  de  Bulfuarie,  du  Gouverne- 
ment Tunisien,  la  Conversion  des  obligations 
des  Douanes  Ottomanes,  la  Conversion  de  la 
Rente  Française  3  4/2  0/0,  les  émissions  de 
RoiH  et  d^Obligatiotts  du  Trésor  Français,  etc. 

La  Société  poursuit  le  recouvrement  du  snr< 
plus  de  sa  créance  dans  l'afl'aire  de  la  Partiel- 

ϻation  Guano,  dont  la  liquidation  est  encore 
oin  d'être  terminée,  et  sait  pouvoir  compter 
sur  l'appui  du  Gouvernement  français.  Les  pro- 
duits du  Port  du  Gallao  ont  permis  de  faire  face 
à  l'annuité  prévue  pour  l'amortissement  et  oUt 
laissé  un  excédent  de  bénéfices. 

Les  bénéfices  nets  de  la  Société,  y  compris 
le  reliquat  de  l'exercice  précédent,  se  sont 
élevés  à  5.359.078  fr.  08,  sur  lesquels  2  mil- 
lions ont  été  payés  aux  actionnaires,  le  1*^  oc- 
tobre 1902.  Le  Conseil  a  proposé  de  distribuer, 
à  partir  du  !«'  avril  1903,  9  fr.  H  par  action, 
soit,  après  déduction  de  l'impôt  sur  le  revenu, 
8  fr.  50  nets,  et  de  mettre  à  la  réserve 
265.016  fr.  87  cent.     ' 

Cette  répartition  porte  le  rendement  de 
l'exercice  à  6,14  %  du  capital  versé. 

Le  rapport  des  Censeurs-commissaires  cens* 
tate  le  développement  continu  et  important  de 
la  Société,  l'accroissement  de  ses  moyens  d'ac- 
tion et  de  ses  afTaires,  ainsi  que  la  sécurité 
que  procure  à  sa  clientèle  la  façon  dont  sont 
tenus  ses  principaux  services.  Il  s'associe  aux 
propositions  du  Conseil,  pour  la  répartition 
du  solde  bénéficiaire,  et  demande  aux  action* 
nairès  d'approuver  le  bilan  et  les  comptes  qui 
leur  sont  présentés. 

L'Assemblée  a  approuvé  les  comptes  de 
Texercice  1902,  et  adopté  la  proposition  do 
Conseil  relative  au  diviileude.  Elle  a  réélu 
administrateurs,  MM.  le  baron  de  Crazannes  et 
de  Sainte-Anne.  Elle  a  nommé  adminiitrateurs 
MM.  J.  Bour^et  et  Maxime  Duval  ;  et  censeur, 
M.  le  comte  R.  de  Maiharel.  Enfin,  elle  a 
nommé  commissaires  pour  l'exercice  1903, 
MM.  Lavallée,  de  Maiharel  et  Thirria. 

Ces  résolutions  ont  été  votées  à  l'unanimité. 

II.  —  l.e  rapport  présenté  par  le  Conseil  à 
l'Assemblée  générale  extraordinaire  se  réfère 
d'abord  aux  explications  données  à  TAssemblée 
ordinaire  sur  les  raisons  qui  ont  amené  le 
Conseil  à  porter  le  capital  social  à  200  millions, 
el  expose  ensuite  que  les  actionnaires  sont 
réunis  en  Assemblée  extraordinaire  pour  rendre 
définitive  Tanymentation  de  capital  décidée  par 
le  Conseil  en  exécution  de  l'article  6  des 
statuts. 

L'Assemb'ée  générale,  conformément  à  la 
proposition  du  Conseil,  a  approuvé  l'augmen- 
latiou  de  40  millions  du  capital  social,  reconnu 
la  sincérité  des  souscriptions  et  de  la  déclara- 
tion de  versement  sur  les  actions  souscrites. 
Elle  a  déclaré  définitive  l'augmentation  de 
40  millions  portant  désormais  le  capital  social 
à  200  millions  de  francs,  et  modifié,  en  con  sé- 
quence, l'article  6  des  statuts. 

Ces  résolutions  ont  été  votées  à  l'unanimité 


n   C3   11   11   11    n   n    u    u 


DENTIFRICES 


ÉLIXIR,  POUDRE  et  PÂTE 


des  RR.  PP. 


BENEDICTINS 


del 


de 


A4  SEGUIN,  BORDEAUX 

Membre  du  Jurt,  Hors  Concours 

SiEpoBitioa  UniTorsoUe  Paris  1900 


■OOiLEdanikCON 


n   ir  n    11   n    n   n    h    ii   i 


^s 


Créé   en    1866 
LE    MEILLEUR   DES   TONIQUES  ET  APÉRITIFS 

BYRRH 

VIN  GÉrVÉREirXJBir  QUINQUINA. 

HOHS  CONCOURS-  -  EIPOSITION  UHIVERSELLE  DE  PARIS    1800 

Le  BYItRH  rst  une  boisson  savoureuse,  éminemment  tonique  el  hygiénique. 

Il  est  fail  avec  lifs  vins  vieux  exceptionnellement  f<énéreux,misau  contactde  Qiinquid 
et  d^autres  subslances  amères  de  premier  choix.  11  emprunte  à  toutes  ces  sub-tance:$uii 
arôme  agréable  et  de  précieuses  propriétés  cordiales,  et  il  doit  aux  vins  naturels  qui  s«u  ^ 
servait  à  sa  préparation  sa  haute  supériorité  hvf^iénique. 

On  le  conojmme  à  toute  heure  :  soit  pur  à  la  dose  d'un  verre  à  Bordeaux  ;  soit  àiu 
un  grand  verre,  étendu  d'eau  ordinaire  ou  d'eau  de  seltz.  Il  devient  a'ors  une  boisson  trd 
agréable  et  laliakhitsante,  sansperdre  aucune  de  ses  propriétés  hygiéniques. 

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BONSTIPATION 


Guérison  ;;'^^&l%â  POUDRE  LAXATiyE  ROCNJ 

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Cordial  Kégénérateur 

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*bomme  débilite  y  pulte  lar«re«,  la  Tir«««r  et  u  ■ai.tè.  L'bomme  qui  dépense  beaucoup  o^^ 
rentreteiit  p«r  ï'usAffe  régulier  de  ce  cordial,  e'flcace  dans  tous  les  eaa,  éminemment  Ain***' 
ËmrtXtLmmt  ei  acreauie  au  foût  comme  une  liqueur  de  table. 
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M.  L7DEBR0AS.  10,  rue' Nouvelle,  Paris  (IXe),~e8r8eul  chargé  delapubW 
Cimmerciale.  industrielle  et  financière  des  Questions  Diplamatiqtœs  et  Colc^ 

PARrs.  —  lypRIMKKlR  F.    LEVé     RUE   CâSSlTT»,     47 


hltlib'f^'ÏSO  16  Mai  1903 


Diplomatiques  et  Coloniales 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT     LE    1*'    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


soiiiii^c^ifiE: 


ean  Imbart  de  la  Tour. .  Le  Chemin  de  fer  de  Bagdad  et  ropinion  anglaise  609 

ouïs  Jadot L'Émigration  italienne  en  Tunisie  615 

^aul  Labbé Les  Rnsses  en  Extrôme-Orient 623 

e  Breton La  Question  de  Terre-Neuve.  —  Saint-Pierre  et 

Miquelon 640 

GHROMIQCJE»  DE  lL.ilL   QUIIVZilLlMlâ 

Renseignements  politiques 655 

Renseignements  économiques 665 

Nominations  officielles 668 

Bibliographie  —  Livres  et  Revues 671 

irte  du  Chemin  [de  fer  de  Bagdad 611 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19»     RUE     BONAPARTE    -     PARIS.    6- 

Abonnement  annnel 

France  et  Colonies,  1 6  francs  Etranger  et  Union  postale,  20  francs. 

La  Livraison      France  :  0,75  j  ^^Iranger  :  1  fr. 


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OLIVER 

MACmiVB  A  ÉCRITURE   VISIBLES 


«o»-' 


QUESTIONS 
DIPLOMATIQUES  ET  COLOMALÈS^., ,,,, 

LE  CHEMIN  DE  FER  DE  BA&DÀD 

ET 

L'OPINION  ANGLAISE 


Il  a  été  beaucoup  parlé,  pendant  ces  dernières  semaines,  chez 
nos  voisins  d'outre-Manche,  du  chemin  de  fer  de  Bagdad.  Des 
déclarations  ont  été  faites  à  la  Chambre  des  Communes,  et  desi 
eoDamenlaires  dans  la  presse  ;  il  y  a  eu  des  revirements  succes- 
sifs d'opinion  en  même  temps  que  des  affirmations  catégoriques. 
Le  monde  des  affaires,  comme  celui  de  la  politique,  s'en  est  ému. 
Et  1  on  comprendra  que  tout  ce  mouvement  ait  donné  un  regain 
d'actualité,  peut-être  même  un  aspect  nouveau,  à  une  entre- 
prise aussi  souvent  ajournée  que  décidée,  complexe  et  chan- 
geante, portant  au  plus  haut  point  ce  caractère  insaisissable  et 
ces  allures  dilatoires  qui  marquent  les  affaires  turques. 

A  vrai  dire,  les  sentiments  britanniques  ne  s'étaient  point 
encore  expliqués  sur  le  fait  précis  de  la  construction  du  chemin 
de  fer  de  Bagdad.  On  connaissait  l'initiative  allemande,  la 
participation  fram^aise  et  belge,  l'hostilité  russe.  On  savait 
que  la  participation  française  avait  pour  origine  le  besoin  de 
trouver  des  capitaux  suffisants  :  et  que  l'hostilité  russe  s'ex- 
pliquait par  l'appréhension  du  renforcement  de  la  puis- 
sance militaire  de  la  Turquie  en  Asie  Mineure  et  par  les 
desseins  analogues  que  la  chancellerie  de  Saint-Pétersbourg  a 
conçus  en  Perse.  Mais  de  l'Angleterre,  on  ignorait  exactement 
la  pensée.  Tout  au  plus,  par  son  redoublement  d'activité  dans  le 
golfe  Persique,  et  son  essai  récent  sur  Koueït,  avait-elle  montré 
le  désir  de  s'assurer  le  débouché  éventuel  du  nouveau  réseau.  Il 
('tait  certain  cependant  que,  maîtresse  des  Indes,  ayant  des 
intérêts  et  de  vastes  ambitions  dans  les  eaux  arabiques  et  per- 
sanes, et  par  le  seul  jeu  de  sa  politique  toujours  et  partout  pré- 
sente, la  Grande-Bretagne  prendrait  une  attitude. 

L'occasion  lui  en  a  été  tout  naturellement  donnée  par  un  appel 
à  la  participation  des  capitaux  anglais.  Dans  le  but  d'éviter 
toutes  difficultés  qui  auraient  pu  s'élever  sur  le  point  terminus 
de  la  voie  ferrée,  les  Allemands  offrirent  en  effet  aux  capita- 

QuEST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  —  n»  150.  —  Iomai  1903.  39 


610  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONULKS 

listes  anglais  de  s'associer  à  l'entreprise.  D'après  la  convention 
l  précédemment  intervenue,  les  parts  avaient  été  distribuées  dans 

l  une  proportion  que  Ton  n'a  pas  oubliée  :  40  %  aux  Allemands, 

I  40  %  aux  Français,  20  %  aux  autres  nations,  notamment  aux 

r  fielges.   Les  Anglais  acceptèrent,  en  principe,  TolTre  qui  leur 

l^  était  faite,  sous  la  réserve  d'égalité  d'intervention  ;  et   le  nou- 

^-  V    veau  projet  comportait  30  %  aux  Allemands,  30  %  aux  Fran- 

ï  çais,  30  %  aux  Anglais  et  10  %  de  disponibilités.  En  retour,  le 

f  groupe  linancier  de  Londres  devait  obtenir  l'appui  de  son  gou- 

ÎV(M'nement  pour  l'exécution   du  chemin  de  fer.  Cet  appui  fut 
demandé  au  cabinet  présidé  par  M.  Balfour  sous  trois  formes  : 
assentiment  de  l'Angleterre  à  une  majoration  raisonnable  des 
^,  droits  pergus  par  les  douanes  ottomanes;  passage  de  la  malle 

des  Indes,  par  la  nouvelle  voie,  suivant  des  conditions  à  déter- 
-  miner;  bons  offices  pour  l'établissement  d'une  station  terminus 

^;  sur  le  golfe  Persique. 

n  En   se  prononçant    sur    l'objet   et  les    conditions  de   celte 

;'  demande,  le  gouvernement  d'Edouard  Vil  était  nécessairement 

amené  à  préciser  son  attitude  dans  la  question  du  chemin  de 
\  fer  de  Bagdad. 

^        On   put,   tout    d'abord,    le   croire     entièrement    favorable, 
[  d'après  les  premières  déclarations  faites  aux  Communes  par 

|-  M.  Balfour.  Prenant  prétexte  des  négociations  engagées,  Tho- 

!  norablo  M.   Gibson  Bowles,  très  documenté  sur  les  affaires  de 

I  TAsie  Occidentale,  s'était  prononcé  contre  toute  coopération  et 

même  contre  tout  encouragement  de  la  Grande-Bretagne  à  l'en- 
treprise.  En  lui  répondant,  le  premier  ministre  soutînt,  au  con- 
traire, ([u'une  opposition  de  TAngleterre  ne  serait  pas  un  obt^- 
tacle  insurmontable  à  la  réalisation  du  projet.  Il  en  conclut 
qu'il  serait  regrettable  qu'une  route  aussi  importante,  condui- 
sant aux  Indes,  fût  ouverte  exclusivement  par  une  association 
franco-allemande  et  restent  sous  sa  seule  direction.  Il  rappela 
des  conversations  d'ordre  officieux  où  lord  Lansdowne,  secré- 
taire d'Etat  au  Foreign  Office,  avait  affirmé  des  sentiments 
amicaux  pour  cette  affaire,  si  elle  était  nettement  internatio- 
nale et  faisait  aux  Anglais  une  place  équivalente  à  celle  déjà 
attribuée  à  d'autres  nations.  Et  tout  en  réservant,  avant  de 
prendre  une  attitude  définitive,  Texamen  des  conditions  indi- 
quées plus  haut.  M.  Balfour  émit  ainsi,  dans  ce  premier 
débat,  une  opinion  qu'on  put  considérer  comme  favorable. 

La  presse  allemande  s'empressa  de  la  souligner  avec  satis- 
faction. Mais,  sur  des  nouvelles  venues  de  Constantinople  et 
présentant  l'entreprise  comme  exclusivement  germanique  par 
ses  origines,  sa  direction   et  ses   résultats,  la  presse  anglaise 


Odess. 


CHEMIN  OEFER 

DE 

BAGDAD 


Légende 

1^    m,ùffnps  en  exp/oUa^/o/r 
— — .   ^//  concéc/ées 

»-- «.    ^  en  constructio/r  ooproyeàées 
.  Limité  e/'£/at 


^Méd.ine 


etï 


QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 


sV4eva  avec  viguenr  contre  les  tendances  qui  s'étaient  mani- 
festées en  haut  lieu.  Elle  fut  presque  unanime  à  joindre  ses 
protestations  à  celles  des  hommes  politiques  qui  n'avaient 
cessé  de  s'opposer  au  projet.  Un  véritable  courant  d'opinion 
'  hostile  se  créa,  en  quelques  jours,  dans  ce  public  si  attentif  aux 
questions  extérieures  et  si  passionné  pour  elles.  Et  l'on  vit 
apparaître,  avec  une  égale  ardeur,  le  souci  de  la  défense  des 
int(Téts  britanniques  et  l'expression  d'une  invincible  méfiance 
pour  une  combinaison  venue  d'Allemagne. 

[1  est  permis  de  penser  que  cette  démonstration  de  senti- 
monts  ne  fut  pas  étrangère  aux  décisions  nouvelles  que  le 
ministère  anglais  ne  tarda  pas  à  prendre  et  à  exposer  au  Parle- 
ment. M.  Balfour  avait  fait  un  pas  en  avant;  il  en  fit  deux  en 
arrière.  A  la  suite  d'une  nouvelle  question  de  M.  (iibson 
Bowles,  il  reconnut  que  la  convention  entre  la  Porte  et  la 
(Compagnie  des  chemins  de  fer  d'Anatolie  plaçait  sous  la  domi- 
nation allemande  toutes  les  voies  ferrées  projetées  à  travers 
TAsie  Mineure  jusqu'au  golfe  Persique.  L'Angleterre  n'adhé- 
rerait jamais  à  une  pareille  convention.  Aussi  les  propositions 
qui  venaient  de  lui  être  faites  pour  soumettre  le  chemin  de  fer 
,  àv  Hagdad  à  un  contrôle  international,  où  elle  aurait  eu  sa  part, 
ne  présentaient  pas  des  garanties  suffisantes.  Le  gouvernement 
de  Sa  Majesté  ne  pouvait,  dans  ces  conditions,  donner  les  assu- 
rances qu'on  sollicitait  de  lui  pour  l'augmentation  des  droits 
de  ilouane,  le  passage  de  la  malle  des  Indes  et  le  choix  d'un 
point  terminus.  Ces  déclarations  de  M.  Balfour  recueillirent 
l'approbation  marquée  des  honorables  membres  des  Com- 
munes :  l'appui  officiel  de  la  Grande-Bretagne  était  courtoise- 
inout  refusé. 

Les  mêmes  vues  furent  exposées  de  nouveau,  à  la  Chambre 
'  des  Lords,  par  le  marquis  de  Lansdowne.  Le  secrétaire  d'Etat 
au  l'oreign  Office  s'étendit  même  sur  toute  la  politique  anglaise 
diuis  le  golfe  Persique;  et  revendiquant  plus  nettement  encore 
qu'il  ne  l'avait  fait  à  différentes  reprises  les  droits  de  la 
Grande-Bretagne,  il  rappela  qu'il  s'opposerait  à  toute  tentative 
d'établissement  d'une  base  navale  sur  les  rives  du  golfe. 

Ces  événements  se  sont  déroulés  pendant  ces  trois  dernières 
semaines,  et  les  journaux  européens  n'ont  pas  encore  cessé  de 
les  commenter. 

En  Allemagne,  on  ne  s'est  pas  mépris  sur  les  sentiments 
anli -amicaux  qui  dominaient  dans  l'opinion  anglaise,  et  sur 
riniluence  que  celle-ci  avait  exercée  à  son  tour  dans  l'atti- 
tude du  cabinet.  Mais  on  s'est  efforcé  d'atténuer  les  consé- 
quences que  l'échec  d'une  participation  anglaise  pourrait  avoir 


I 


LE  CHEMIN  DE  FER  DE  BAGDAD  613 

pour  l'exécution  du  projet,  soit  en  considérant  la  rupture 
tîomme  momentanée,  soit  en  estimant  que  les  difficultés  qu'elle 
est  de  nature  à  susciter  ne  seraient  pas  insurmontables.  La 
note  donnée  par  la  presse  d'outre-Rhin  a  été,  à  dessein, 
exempte  de  mauvaise  humeur.  La  National  Zeitung  a  vu  dans 
le  discours  de  lord  Lansdowne  une  menace  plutôt  contre  la 
Russie  que  contre  l'Allemagne  qui  n'a  pas  d'ambition  dans  le 
golfe  Persique,  et  s'est  réjouie,  pour  les  intérêts  germaniques, 
de  la  perspective  d'un  conflit  entre  Londres  et  Saint-Péters- 
bourg. La  Gazette  de  Voss  de  son  côté,  en  constatant  le  refus 
de  l'Angleterre  de  s'associer  à  l'Allemagne,  a  fait  observer  que 
cette  attitude  des  Anglais  avait  pour  but,  mais  n'aurait  pas  pour 
résultat,  d'améliorer  leur  position  vis-à-vis  des  Russes.  C'est 
ainsi  que  les  journaux  ou  les  périodiques  allemands,  non  sans 
habileté,  cherchent  à  mettre  en  relief,  dans  les  dernières  décla- 
rations des  ministres  anglais,  ce  qui  peut  sembler  faire  échec 
aux  vues  de  la  Russie,  pour  diminuer  Timportance  de  ce  qui  fit 
si  nettement  échec  aux  desseins  de  l'Allemagne. 

La  tendance  inverse  a  tout  naturellement  prévalu  dans  la 
presse  russe.  Toujours  hostile  à  l'exécution  du  chemin  de  fer  de 
Bagdad,  pour  les  raisons  que  l'on  sait,  elle  s'est  félicitée  de 
l'abandon  de  la  participation  anglaise.  Ayant,  d'autre  part, 
accueilli  avec  froideur,  et  même  avec  une  irritation  très  mar- 
quée, la  coopération  des  capitalistes  français,  elle  espère  que 
ceux-ci,  instruits  par  l'exemple  de  l'Angleterre,  modifieront 
leur  attitude.  Dans  un  article  assez  long,  le  Novoié  Vremya  a 
invoqué,  pour  soutenir  cette  thèse  qui  n'a  rien  d'étonnant 
dans  ses  colonnes,  à  la  fois  les  intérêts  particuliers  d'ordre  éco- 
nomique et  politique  de  la  France,  et  ses  devoirs  vis-à-vis  de 
son  alliée  du  Nord. 

Assurément,  nul  côté  de  la  question  ne  saurait  nous  tou- 
cher davantage.  Sous  l'empire  des  préoccupations  qui  avaient 
dicté  les  premières  déclarations  de  M.  Balfour,  nous  avons  nous- 
mêmes  exposé*  simplement  les  raisons  qui  pouvaient  engager  la 
France  à  participer  au  chemin  de  fer  de  Bagdad.  Nous  avons  cru 
devoir  indiquer  que  notre  situation  dans  l'Asie  Occidentale 
nous  portait  à  ne  pas  laisser  s'exécuter  sans  nous  une  si  con- 
sidérable entreprise,  et  qu'il  était  de  notre  intérêt  d'accepter  de 
prendre  part  aux  charges,  pour  obtenir  une  part  égale  dans  la 
direction  et  dans  les  bénéfices  politiques.  A  cet  égard,  ni  l'atti- 
tude de  l'Angleterre,  ni  les  instances  de  la  Russie  ne  sauraient 
suffire   à  modifier  par  elles  seules  notre  manière    de   voir.  Il 

1  H.  BoHLBR,  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad  (Quest.  Dipl.  et  Col.^  i"  mars  1903, 
4.  XV,  p.  213  et  sq.). 


^ 


614  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   BT   COLONIALES 

faudrait,  en  effet,  dans  Tattitude  de  l'Angleterre,  tenir  compte 
du  degré  d'antipathie  allemande,  et  dans  les  avis  de  la  Russie, 
considérer  ce  qu'il  y  aurait  d'exagéré  à  prétendre  nous  inter- 
dire de  tenir  notre  place  naturelle  dans  une  entreprise  de  cette 
nature. 

Mais  il  convient  d'avouer  que  les  derniers  événements  ne  sont 
pas  très  rassurants  à  cet  égard.  Quelle  que  soit  la  proportion 
de  sentiment  qui  ait  inspiré  Topinion  anglaise,  il  est  dijficile 
d'admettre  qu'elle  n'ait  pas  une  raison  plus  positive.  Cette  rai- 
son se  trouve,  si  Ton  en  juge  par  les  déclarations  officielles, 
dans  Tinsuffisance  des  garanties  qu'offre  la  combinaison  pro- 
posée, au  point  de  vue  international.  Les  Anglais  se  retirent 
parce  que  l'affaire  leur  paraît  purement  allemande.  Or  ce  motif, 
plus  encore  que  le  geste  de  l'Angleterre,  est  de  nature  à  nous 
inquiéter.  Si  une  entreprise  où  nous  devions  prendre  40  %  des 
charges  est  purement  allemande,  il  en  résulte  qu'on  ne  nous 
réserve  à  peu  prés  rien  de  la  direction  et  des  profits.  Les  garan- 
ties, que  nos  voisins  trouvent  trop  faibles,  seront-elles,  les 
trouverons -nous  suffisantes  pour  nous?  Est-ce  décidément  à 
une  œuvre  germanique,  pour  des  intérêts  exclusivement  ger- 
maniques, qu'on  nous  a  demandé  de  nous  associer,  et  non  à 
une  œuvre  sincèrement  collective  et  internationale  où  l'argent 
français  aurait  représenté  et  servi  les  vrais  intérêts  français? 
La'question  a  trop  glissé  du  domaine  financier  dans  le  domaine 
politique  pour  qu'on  ne  s'en  explique  pas  prochainement  à  la 
tribune,  avec  plus  de  précision  que  précédemment.  Il  faut  qu  on 
sache  quel  rôle  on  nous  prépare,  avant  de  l'accepter. 

Nous  avons  assez  montré  que  nous  étions  sans  parti-pris  en 
cette  question,  pour  nous  permettre  ces  réserves  que  tout  con- 
court h  rendre  nécessaires.  Aucun  esprit  vraiment  prévoyant  et 
impartial  ne  contestera  que,  dans  Tétat  actuel  des  choses, 
notre  adhésion  ne  doive  rester  en  suspens.  Il  ne  s'agit  pas  pour 
nous,  par  cette  expectative,  de  servir  les  intérêts  de  l'Angleterre 
contre  ceux  de  l'Allemagne,  de  même  que  notre  coopération 
n'avait  pas  pour  but  de  servir  les  intérêts  de  l'Allemagne 
contre  ceux  de  la  Russie.  Dans  une  affaire  aussi  spéciale,  la 
plus  entière  liberté  d'action  doit  être  admise.  Mais,  désa- 
gréable hier  à  la  Russie,  suspecte  aujourd'hui  à  l'Angleterre, 
l'entreprise  se  présente  sous  de  fâcheux  auspices  à  la  France. 
Et  plus  les  avantages  et  les  garanties,  qu'elle  semblait  offrir, 
diminuent,  plus  nous  devons  nous  montrer  circonspects  et 
exigeants^  à  bon  escient,  avant  de  nous  y  associer. 

Jean  Imbart  de  La  Tolr. 


'  -^r»  iiwv-^^rr~^.  ^  v 


L'ÉMIGRATION  ITALIENNE  EN  TUNISIE 


L'attention  du  public  français  a  été  attirée  h  plusieurs 
reprises  sur  l'augmentation  rapide  de  la  population  italienne  en 
Tunisie,  et  dans  le  remarquable  rapport  qu'il  a  déposé  à  la 
Chambre,  il  y  a  quelques  semaines,  sur  le  budget  des  Protecto- 
rats, M.  Etienne  Flandin,  député  de  TYonne,  formulait  î\ce  sujet 
les  appréhensions  que  M.  André  Berthelot  avait  déjà  exposées, 
en  1901,  à  la  tribune  de  la  Chambre.  Dans  l'étude  de  toute  ques- 
tion, il  importe  d'entendre  les  deux  parties  intéressées,  et  nous 
nous  proposons  ici  de  faire  connaître  également  le  point  de  vue 
italien,  quelque  peu  négligé  jusqu'à  présent,  d'après  le  rapport 
que  vient  de  publier  M.  Carletti,  consul  d'Italie  àTunis.  Ce  rapport 
contient,  sur  quelques  points,  des  indications  plus  complètes, 
que  nous  reproduisons,  et  renferme  des  données  parfois  diver- 
gentes, que  nous  comparons  à  celle  de  l'honorable  rapporteur. 

lia  existé  de  tout  temps,  en  Tunisie,  une  colonie  italienne 
importante,  qui,  en  1881,  atteignait  môme  25.000  âmes  sui- 
vant M.  Flandin,  11.000  suivant  M.  Carletti.  Le  chiffre  importe 
assez  peu  et  c'est  le  caractère  de  cette  colonie  qu'il  est  intéres- 
sant de  préciser.  Jusqu'en  1881,  la  colonisation  italienne  en 
Tunisie  avait  un  caractère  essentiellement  commercial,  car 
jusqu'en  1868  l'agriculture  était  restée  aux  mains  des  indi- 
gènes, les  Européens  ne  pouvant  acquérir  de  propriétés 
foncières  en  Tunisie,  et  l'industrie  n'y  existant  pas.  Le  traité 
italo-tunisien  de  18r»S  et  les  conventions  spéciales  conclues 
ultérieurement  par  la  Tunisie  avec  les  puissances  étrangères 
autorisèrent  les  Européens  à  acquérir  la  propriété  foncière, 
mais  en  l'entourant,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  de  si 
peu  de  garanties,  que  les  Italiens  demeurèrent  jusqu'à  notre 
occupation  concentrés  dans  les  villes  de  la  côte,  plus  favorables 
au  négoce. 

La  transformation  de  la  Tunisie  sous  le  protectorat  français 
vint  modifier  complètement  le  caractère  de  la  colonisation 
italienne.  De  1881  à  1900,  on  a  construit  en  Tunisie  plus  de 
1.600  kilomètres  de  routes  et  environ  600  kilomètres  de  voies 
ferrées;  on  a  créé  le  port  de  Tunis,  on  a  transformé  Bizerte  en 
port  de  guerre,  on  a  agrandi  les  ports  de  Sousse  et  de  Sfax;  on  a 
construit  nombre  d'édifices  publics;  les  constructions  privées 
se  sont  multipliées  ;  et  tous  ces  travaux  ont  exigé  une  main- 
d'œuvre  abondante,  que  Ton  a  trouvée  à  bon  compte  chez  les 


C3  T2    11  M    n    n    H    U    Ci 


DENTIFRICES 


l'^ 

ÉLIXIR,  POUDRE  et  PÂTE 

des  RR.  PP. 

BENEDICTINS 


de  libbaye  de 

A*  SEGUIN,  BORDEAUX 

Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

Zspositiûn  Tfnirerselld  Paris  1900 


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lïODÉLEdgFUCOH 

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Gréé   en    1866 


LE    MEILLEUR   DES   TONIQUES  ET  APÉRITIFS 

BYRRH 

VIN  CÉr^ÉRErilL JETT   QUINQUINA 

HORS  CONCOURS-  -  EIPOSITION  UNIVERSELLE  DE  PARIS    1800       I 

Le  BYmiHfst  une  boisson  savoureuse,  ëminemmenl  tonique  et  hygiénique. 

H  estfail  avec  des  vins  vieux  ezceplionnellpment  généreux,  mis  au  conlactde  Q'iÎDquinj 
et  d'aulres  substances  smères  de  premier  choix.  11  emprunte  à  toutes  ces  sub^tance^m 
arôme  agréable  et  de  précieuses  propriétés  cordiales,  et  il  doit  aux  vins  naturels  qui  seoii 
servant  à  sa  préparation  sa  haute  supériorité  hygiénique. 

Ou  Je  consDuime  à  toute  heure  :  soit  pur  à  la  duse  d'un  verre  à  Bordeaux  ;  soit  din^ 
un  grand  vtrre,  étendu  d'eau  ordinaire  ou  d'eau  de  sellz.  11  devient  a^ors  une  boissoo  tr{<< 
agréable  el  taftatchissante,  sansperdre  aucune  de  ses  propriétés  hygiéniques. 

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VIOLfT    FRÈRFS,  à    THUIH    (Pyrénées-Orientales) 


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•homme  débilite  y  puise  la  fore»,  la  Tirwevr  et  u  saLtè.  L'bomma  qui  dépense  baauooup  d'Mtlv 
intreteiit  p«r  TusAffe  réffuller  de  ce  cordial,  e^licace  dans  tous  lea  ett.  émintmmeiit  êÈigmÊm 


vrtULmnt  et  aereauie  au  goût  comme  une  liqueur  de  table 

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"^M.  L.DEBR0AS.10;rïïë Nouvelle,  Paris  (IXe)rë8r8eul  chargéldi'firpiiblic 
mmerciale,  industrielle  et  financière  des  Questions  Dipl&rmtiquêâ  $t  Citcnia 

L  PARrS.  —  IMPRIIIBRIB  F,   LEVÉ     KV^   C48S8mr.     tl 


^t»-3feO  16  Mai  1903 


QUBSTIOIVSv  . 

Diplomatiques  et  Coloniales 

REVUE  BE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

^^  PARAISSANT     LE    1"    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


soi^i^ila.ii^e: 


ean  Imbart  de  la  Tour. .  Le  Chemin  de  fer  de  Bagdad  et  ropinion  anglaise  609 

.ouis  Jadot L'Émigration  italienne  en  Tunisie 615 

^aul  Labbé Les  Russes  en  Extrôme-Orient 6â3 

e  Breton La  Question  de  Terre-Neuve.  —  Saint-Pierre  et 

Miquelon 640 

GHROIVIQtJES   OE  I^ilL   QUIIVZilLlIVIâ 

Renseignements  politiques 655 

Renseignements  économiques 665 

Nominations  officielles 668 

Bibliographie  —  Livres  et  Revues 671 

larte  da  Chemin  '.de  fer  de  Bagdad 611 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19»     RUE     BONAPARTE    -     PARIS.    6« 

Abonnement  annnel 

France  et  Colonies,  i  B  francs   Etranger  et  Union  psstale»  20  francs. 

La  Livraison       Prance  :  0,75  j  x^iranger  :  1  fr* 


618  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   BT  COLONULES 

propriété  n'est  pas  démembrée.  Le  nouvel  enzéliste  hérite  en 
effet  de  tous  les  droits  et  de  toutes  les  obligations  de  Tancien 
et  se  substitue  entièrement  à  lui.  Enfin  il  peut  devenir  pro- 
priétaire en  versant  une  somme  égale  à  seize  fois  le  prix  du 
fermage. 

Le  Sicilien  a  des  défauts  que  personne  ne  conteste,  M.  Car- 
letti  moins  que  tout  autre  :  il  est  ignorant,  méfiant,  violent  et 
impulsif;  mais  c'est  un  travailleur  obstiné,  admirable  de  téna- 
cité, de  sobriété,  d'économie.  Grâce  à  ces  qualités,  avec  des  res- 
sources infimes,  il  s'implante  dans  le  pays  et  y  réussit  à  passer 
de  la  misère  à  l'aisance. 

Voici  rhistoire  d'un  agriculteur  sicilien,  qui  est,  en  fait,  l'his- 
toire de  tous.  Débarquant  en  Tunisie,  le  Sicilien  s'emploie 
d'abord  comme  ouvrier.  Du  l**"  octobre  à  la  finde  janvier,  époque 
du  déboisement,  de  la  plantation  de  la  vigne,  etc.,  il  pourra 
gagner  de  2  francs  à  2  fr.  50  par  jour;  il  gagnera  2  francs  dans 
les  mois  suivants.  En  Tunisie,  la  vie  n'est  pas  chère,  et  sur  les 
60  à  7S  francs  qu'il  gagne  par  mois,  il  en  met  30  à  40  de  côté. 
Au  bout  de  trois  à  quatre  ans, il  a  économisé  ainsi  un  millier  de 
francs.  11  sait  alors  où  se  trouvent  les  bonnes  terres  et  il  en 
loue  à  enzel  h  raison  de  15  francs  l'hectare,  par  exemple,  le 
prix  variant  entre  4  et  20  francs.  11  prend  environ  10  hec- 
tares, soit  150  francs  par  an,  et  en  plante  5  en  vignes.  Dans 
les  intervalles  des  vignes,  et  sur  les  autres  5  hectares,  il  fait 
pousser  des  céréales  ou  des  légumes.  Tandis  que  sa  vigne 
pousse,  il  vit  du  produit  et  de  la  vente  de  ses  légumes,  et 
emploie  son  temps  de  liberté  à  travailler  sur  les  propriétés  voi- 
sines. On  peut  donc  facilement  admettre  que,  pendant  les  cinq 
premières  années,  il  arrive  à  équilibrer  son  budget.  Ce  temps 
écoulé,  ses  5  hectares  de  vignes  sont  en  bonne  production; 
or  l'hectare  de  vigne  produit  en  Tunisie  de  40  à  30  hectolitres 
de  vin.  Mettons  seulement  40;  nous  aurons  donc,  la  cinquième 
année,  le  budget  suivant  : 

5  hectares  à  40  hectolitres,  soit  200  hectolitres  à  20  fr.,  ci. . ..  4.000  fr. 
A  déduire  un  tiers  pour  frais  do  plantation,  matériel,  etc 1.333    ^ 

2.667  fr. 

Les  années  suivantes,  la  vigne  produit  davantage  et  les  frais 
diminuent;  notre  Sicilien  gagne  donc  environ  3.000  francs  par 
an,  tout  en  continuant  à  vivre  et  à  payer  son  enzel  avec  ses 
légumes  et  le  produit  de  son  travail.  Vers  la  septième  ou  hui- 
tième année  après  son  arrivée  en  Tunisie,  mettons  la  dixième 
en  supposant  quelques  mauvaises  années,  il  aura  un  capital  de 
5  à  6.000  francs.  Comme  il  est  partisan  fervent  de  la  propriété 


J 


l'émigration   italienne   en   TUNISIE  619 

individuelle,  il  rachète  ses  10  hectares  moyennant  seize  fois  le 
prix  du  fermage,  soit  2.400  francs.  Il  lui  reste  de  quoi  continuer 
et  s'agrandir,  et  c'est  alors  qu'il  remplace  sa  cabane  par  une 
maisonnette  plus  confortable. 

Nous  trouverons  à  chaque  pas  des  centres  italiens  ainsi  cons- 
titués, si  nous  traçons  une  ligne  partant  d'un  peu  au-dessus  de 
Sousse,  Enfidaville,  Reyville  et  Bou-Fiscia,  puis  montant,  par 
Hammamet  et  Nabeul  jusqu'à  Kelibia,  de  là  se  dirigeant  de 
nouveau  vers  le  Sud,  s'inlléchissant  par  GrombaliaetZaghouan, 
remontant  de  Zaghouan  vers  Tunis  et  Bizerte,  puis,  de  Bizerte, 
redescendant  sur  Mateur,  Beja,  Teboursouk,  Souk-el-Arba,  jus- 
qu'au Kef. 

Des  capitalistes  siciliens  ont  compris  tout  le  parti  qu'il  y 
avait  h  tirer  des  qualités  de  leurs  compatriotes  et  ont  acquis 
des  terres  à  Borg-el-Amri,  Farsina,  Tingia,  Zaghouan,  Hamma- 
met, pour  y  installer  des  Siciliens.  Leur  système  est  générale- 
ment le  suivant  :  ces  capitalistes  divisent  leurs  terres  en  por- 
tions de  3  à  10  hectares  qu'ils  donnent  à  cultiver  à  des  colons 
siciliens,  pendant  trois  ans,  en  leur  avançant  environ  un  mil- 
lier de  francs.  Au  bout  de  trois  ans,  on  partage  la  terre,  désor- 
mais en  rapport;  le  propriétaire  choisit  sa  moitié  et  l'autre 
moitié  est  la  propriété  du  colon,  qui  doit  rembourser  sans  inté- 
rêt les  avances  faites;  mais  s'il  ne  peut  le  faire  de  suite,  le  pro- 
priétaire lui  accorde  un  délai  assez  long,  à  condition  de  prendre 
sur  la  terre  du  colon  une  hypothèque  et  de  lui  compter  5  % 
d'intérêt. 

L'heureuse  simplification  qui  a  été  apportée  au  régime  fon- 
cier en  Tunisie  par  la  loi  du  l''*'  juillet  1885  *  a  été  très  favorable 
à  l'extension  de  la  colonisation  agricole  en  général  et  italienne 
en  particulier.  Avant  1881,  la  propriété  foncière  individuelle 
existait  bien  en  Tunisie,  mais  elle  était  des  plus  précaires,  étant 
basée  sur  un  titre  dont  l'authenticité  n'était  jamais  certaine,  et 
qui  ne  pouvait  garantir  contre  les  évictions.  11  était  impossible 
de  savoir  si  la  propriété  n'était  pas  grevée  de  servitudes  ou  de 
droits  réels.  La  loi  du  3  juillet  1883  a  introduit  en  Tunisie  le 
système  dénommé  Acf  Torrens,  qui  fut  inauguré  en  1838 
dans  la  colonie  de  l'Australie  du  Sud  sous  le  nom  de  Real 
Property  Act.  Il  consiste  en  substance  en  ceci  :  chaque  pro- 
priétaire adresse  au  directeur  de  l'enregistrement  une  demande 


*  Nous  n'avons  pas  «^  parler  ici  du  décret  Ijeylical  du  13  novembre  1898,  par 
lequel  l'administration  des  domaines  a  obtenu  la  location  de  biens  de  mainmorte  en 
vue  d'attirer  en  Tunisie  les  colons  français,  auxquels  elle  les  louait  à  bas  prix.  Cotte 
excellente  initiative,  qui,  malheureusement,  a  produit  peu  de  résultats,  ne  concerne 
en  rien  la  colonisation  italienne,  puisqu'elle  n'est  applicable  qu'aux  Français. 


620  QUESTIONS    DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

avec  plan  du  terrain  et  pièces  à  Tappui.  Ses  titres  sont  exa- 
minés par  une  commission  (en  Tunisie,  tribunal  mixte 
composé  de  magistrats  franc^ais  et  indigènes)  qui  décide  sans 
appel  sur  les  contestations  relatives  à  chaque  parcelle.  On  éta- 
blit ensuite  deux  certificats  identiques  de  propriété  contenant 
la  description  de  Timmeuble  avec  Tétat  des  charges  (baux,  hy- 
pothèques, servitudes,  etc.).  Une  copie  en  est  laissée  au  pro- 
priétaire; Toriginal  est  conservé  et  déposé  chez  le  directeur  de 
l'enregistrement.  L'immatriculation  une  fois  faite  rend  inatta- 
quable le  titre  du  propriétaire  et  aucune  action  en  revendica- 
tion, en  déclaration  d'hypothèques,  de  servitudes  ou  de  charges 
réelles  quelconques,  ne  peut  être  reçue  en  dehors  de  celles  indi- 
quées sur  le  certificat.  Si  l'action  est  recevable  en  elle-même, 
elle  ne  donne  droit  qu'à  une  demande  de  dommages-intérêts 
contre  l'administration.  La  vente  s'opère  par  Tenvoi  d'une  for- 
mule de  vente,  diiment  remplie  et  signée,  au  directeur  de  l'en- 
registrement, qui  annule  alors  le  certificat  du  vendeur  et  dé- 
livre à  Tacheteur  un  nouveau  titre  dans  la  même  forme.  On  a 
prétendu  à  tort  que  ces  titres  étaient  transmissibles  par  simple 
endossement,  comme  par  exemple  nos  warrants  agricoles; 
la  mobilité  de  la  propriété  foncière  ne  va  pas  jusque-là. 
L'emploi  de  ce  système  est  facultatif  en  Tunisie,  mais  il  offre 
de  tels  avantages  que  800.000  hectares  sont  déjà  immatriculés. 
Cette  heureuse  réforme  de  M.  Cambon  a  pu  permettre  à  des 
colonisateurs  aussi  peu  instruits  que  les  immigrants  siciliens 
de  se  passer  de  l'intermédiaire  ruineux  des  agents  d'affaires. 
Une  dernière  cause  du  changement  de  caractère  de  l'émi- 
gration italienne  est  le  renchérissement  de  la  vie  dans  les 
agglomérations  urbaines.  L'affluence  régulière  de  la  main- 
d'œuvre,  dès  que  se  présentent  quelques  travaux  importants, 
empêche  les  salaires  de  s'élever  et  l'ouvrier  sicilien,  bien  que 
préféré  à  l'ouvrier  français  comme  plus  sobre,  plus  résis- 
tant au  travail,  moins  exigeant,  plus  discipliné,  et  aussi  moins 
spécialisé,  ne  saurait  plus  se  contenter  de  ce  monopole  de  fait. 
La  Tunisie  exporte  de  grandes  quantités  de  légumes,  qui 
deviennent  ainsi  plus  chers  dans  le  pays.  A  la  suite  des  con- 
ventions de  1896,  les  importations  des  nations  autres  que  la 
France  ont  été  soumises  au  tarif  minimum  français,  alors  que 
l  les   produits  français,   souvent  plus  chers,  entraient  seuls  en 

franchise  ;  pour  combler  le  déficit  résultant  de  la  réforme  doua- 
nière, on  a  exigé  une  prestation  de  trois  journées  de  travail 
fc  rachetables  et  l'on  a  imposé  le  sucre  et  l'alcool.  La  population 

^  pauvre  se  sent  donc  naturellement  attirée  vers  la  campagne  où 

l'existence  est  plus  facile  et  plus  féconde. 


j 


l'émigration   italienne    KN   TUNISIE  621 

Les  œuvres  italiennes  ont  porté  aussi  leurs  efforts  vers  le 
développement  de  la  colonisation  rurale  et  il  s'est  fondé  en  1900 
une  Banque  italienne  coopérative  de  crédit^  qui,  dans  les  six 
premiers  mois,  a  fait  un  chiffre  d'opérations  de  4.300.571  francs. 
La  constitution  de  centres  presque  exclusivement  italiens 
contribue  naturellement  aussi  à  faire  disparaître  les  hésitations 
des  immigrants  à  s'enfoncer  dans  Tintérieur.  De  nombreuses 
écoles,  fréquentées  par  4.500  enfants  italiens,  entretiennent 
dans  ces  petits  centres  Tesprit  national.  Il  y  a  donc  là  tout  un 
ensemble  de  causes  qui  expliquent  l'évolution  dont  nous  nous 
occupons  et  amènent  M.  Carletti  à  penser  qu'elle  ira  nécessai- 
rement en  s'accentuant.  M.  Carletti  évalue  à  1  million  et  demi 
d'hectares  la  surface  de  bonnes  terres  qui  reste  à  défricher  et 
à  un  demi-million  la  surface  dont  la  productivité  pourrait  être 
considérablement  augmentée  par  de  meilleurs  procédés  de 
culture.  Il  prévoit  d'ici  15  à  20  ans  une  colonisation  italienne 
exclusivement  agricole. 

Dès  lors  se  pose  incontestablement  la  question  déjà  soulevée 
par  MM.  Berthelot  et  Flandin  :  n'y  a-t-il  pas  là  un  réel  danger? 
Au  point  de  vue  politique,  il  ne  semble  pas,  du  moins  pour  le 
moment  encore,  que,  vu  la  complexité  des  événements  inter- 
nationaux qui  peuvent  se  produire  à  une  époque  quelconque, 
on  doive  formuler  un  jugement  en  cette  matière,  sinon  avec  les 
plus  grandes  réserves.  Au  point  de  vue  commercial^  il  semble 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  s'inquiéter,  car  le  régime  protectionniste 
actuel  paralyse  les  échanges  avec  l'Italie  et  M.  Carletti  renonce 
à  espérer  aucune  augmentation  du  chiffre  des  échanges.  Au 
point  de  vue  économique^  la  question  se  pose  sur  un  autre  ter- 
rain. Pour  notre  part,  nous  ne  la  formulons  pas  ainsi  :  est-il 
ou  non  fâcheux  que  la  petite  propriété  tombe  de  plus  en  plus 
aux  mains  des  Italiens?  Elle  nous  paraît  se  poser  comme  ceci: 
y  a-t-il  possibilité  qu'il  en  soit  autrement?  Malheureusement 
non.  Le  colon  français  est  rare  et  n'a  pas  en  général  la  téna- 
cité du  Sicilien  dont  nous  avons  donné  plus  haut  quelque 
idée.  Il  y  a  en  Tunisie  une  œuvre  de  défrichement  à  accomplir 
et  il  vaut  encore  mieux  qu'elle  soit  accomplie  par  des  Sici- 
liens que  de  n'être  pas  accomplie  du  tout.  Les  économistes  et 
publicistes  français  sont  unanimes  à  reconnaître  le  Sicilien 
comme  une  nécessité  pour  le  développement  agricole  de  la 
Tunisie.  Dès  lors  il  ne  s'agit  plus  que  de  savoir  comment  on 
pourra  transformer  et  assimiler  cet  élément  italien.  Les  moyens 
proposés  sont  multiples  :  institution  d'une  sorte  de  nationalisa- 
tion tunisienne  dispensant  les  Italiens  du  service  militaire  ; 
propagande  active  en  France  en  faveur  de  la  moyenne  coloni- 


€22  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   BT   COLONIALES 

sation  en  Tunisie  ;  et  surtout,  multiplication  des  écoles  fran- 
çaises. C'est  là  le  seul  point  sur  lequel  nous  insisterons  et  le 
rapport  de  M.  Carletti  nous  fournit  à  ce  sujet  d'utiles  indications. 
II  évalue  à  3.S00  le  nombre  des  enfants  italiens  fréquentant  les 
écoles  primaires  ou  secondaires  françaises,  et  comme  on  le  voit, 
les  écoles  italiennes  ne  remportent  que  d*un  millier. 

La  cause  en  est,  non  pas  que  les  Italiens  désirent  particuliè- 
rement faire  apprendre  le  français  à  leurs  enfants,  mais  que  ces 
écoles  françaises  sont  tenues  pour  la  plupart  par  des  congréga- 
nistes.  Or,  la  question  religieuse,  aux  yeux  des  Siciliens,  non 
seulement  du  peuple,  mais  de  la  bourgeoisie,  ainsi  que  le 
signale  avec  regret  M.  Carletti,  passe  avant  toutes  les  autres. 
On  voit  par  là  que  toutes  les  mesures  qui  viendraient  à  être 
prises  contre  les  écoles  congréganistes  en  Tunisie  ne  pourraient 
que  contrarier  le  développement  de  Tinfluence  française. 

Cette  œuvre  d'assimilation  demande  évidemment  beaucoup 
de  tact  et  un  entier  respect  du  caractère,  des  mœurs  et  des  habi- 
tudes d'esprit  de  l'élément  étranger.  Superficielle  d'abord,  elle 
ne  saurait  s'affermir  que  progressivement  et  lentement,  et  il 
importe,  en  pareille  matière,  de  se  garder  des  violences  et  des 
imprudences.  A  ce  point  de  vue,  le  récent  voyage  du  président 
de  la  République  en  Tunisie  a  fort  heureusement  contribué  à 
calmer  les  appréhensions  soulevées  dans  la  colonie  italienne 
par  certaines  campagnes  inconsidérées.  Le  président,  dans  un 
toast  à  la  colonie  italienne,  déclara  qu'il  ne  pou\Niit  pas  ne 
pas  comprendre,  dans  les  vœux  de  prospérité  qu'il  formait 
pour  les  habitants  de  la  Tunisie,  les  Italiens  «  qui,  silen- 
«  cieusement  et  avec  ténacité,  travaillent  à  mettre  en  va- 
«  leur  le  sol  de  la  Régence».  En  le  remerciant,  Dar  Kl  Bey 
déclara  que  «  Tassimilation  n'est  pas  une  condition  nécessaire 
«  à  l'union  des  peuples,  lesquels  peuvent  toujours  trouver,  dans 
«  le  respect  mutuel  des  traditions  de  leur  race,  un  terrain 
«  d'entente  pacifique,  durable  et  fécond  !   » 

Louis  Jadot. 


^p 


LES  RUSSES  EN   EXTREME-ORIENT 


\i:hèvkme\t  des  voieh  fkrriœs 

l.a  UgQe  de  Mandoliourir  esi  aujourd'hui  terminée,  sauf  sur 
un  point  :  le  long^  tunnel  qui  doit  traverser  les  monts  Kliin* 
^^anes  n  e.st  pas  encore  achevé.  On  a  reraédif^  déjà  à  cet  incou- 
vr nient,  en  construisant  en  zif^/ags  une  voie  provisoire  :  les 
Iriiins,  qui  montent  ou  ilescendent  lentement  la  [»ente  dange- 
rt'use  et  escarpée,  sont  munis  à  chaque  bout  de  locomotives, 
ijui  se  trouvent  tour  à  tour  en  arrii'^re  et  en  avant.  Il  y  aura 
aussi  des  tunnels  sur  la  lifrne  en  construction  autour  iJu  lac 
Kaïkal;  dans  tout  le  parcours  de  la  Sibérie,  au  contraire,  h^s  iufçr- 
iiieurs  ont  toujours  tourné  le^  dinicultés  et  les  obstacles  natu- 
rels pour  éviter  de  construire  des  tunnels. 

On  peut  donc  aller  directement  aujourd'hui  de  1*arjs  \\  Vla- 
divostok on  à  t*ort-Arthur;  seul,  le  passage  du  lac  Baïkal  néces- 
site un  transbordement  et  se  fait  en  bateau  pendant  Tété,  et 
pendant  riiiver,  en  traîneau. 

Ia*  trajet  entre  Londres  et  Changhaï  par  TAmérique  exige 
30  ou  31  jours  de  voyage,  il  n'en  faut  que  i8  i/2  par  la  Sibérie; 
on  met  pour  aller  de  Changhaï  à  Hambourg  37  jours  en  passant 
l*ar  le  canal  de  SueZj  et  17  1/2  seulement  si  on  prend  le  Trans- 
sibérien. 

Les  statistiques  ofricielles  et  les  journaux  russes  se  plaisent  à 
pnblier  ces  chilïres  :  les  Russes  constatent  fièrement  les  résul- 
tats qu'ils  ont  obtenus  déjà  dans  leur  diflicile  entreprise,  et  leur 
ur^^ueil  est  parfaitement  légitime.  Ceux  même  qui  n'avaient 
j>as  prévu  l'importance  future  de  la  grande  ligne  d'Asie  et  qui 
lui  avaient  prédit  un  formidable  échec  —  et  ces  gens-là  furent 
nombreux,  non  seulement  en  Europe  occidentale,  mais  en 
Hiissie  et  même  dans  les  milieux  officiels  de  THinpire  —  sont 
tentés^  après  n\ivoir  vu  dans  le  Transsibérien  qu'une  ligne 
d'inlérét  uniquement  stratégique,  de  s*exagcrer  aujourd'hui 
son  rôle  et  son  avenir  économique  au  point  de  vue  du  com- 
merce international. 

Il  est  évident  que  les  commentants,  désireux  et  souvent 
forcés  de  voyager  le  plus  rapidement  possible,  préféreront  le 


624      .  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

Transsibérien  aux  lignes  maritimes  ;  mais  les  marchandises  au 
contraire  suivront  bien  rarement  la  voie  ferrée  :  les  transporb 
par  bateau  seront  toujours  les  moins  chers.  En  outre,  un  train 
de  marchandises,  pour  parcourir  les  dix  mille  kilomètres  qui 
séparent  Vladivostok  de  Saint-Pétersbourg,  mettra  beaucoup 
plus  de  temps  qu'il  n'en  faut  pour  le  bateau  de  Vladivostok  à 
Odessa.  Les  commerçants  trouveront  grand  avantage  à  confier 
leurs  marchandises  aux  compagnies  maritimes,  il  y  aura  pour 
eux    une  économie   de  temps,  ce  qui  n'est  pas   négligeable, 
et  surtout  une  économie  d'argent,   ce  qui  est  plus  important 
encore.  Ce  sont  là  des  faits  évidents  que  les  journaux  russes 
passent  sous  silence,   mais  que  les  étrangers  ne  doivent  pas 
oublier  de  noter.  L'importance  de   la  voie  ferrée,  qui  réunit 
la  Russie  à  l'Extrême-Orient,  n'est  pas  diminuée  par  ces  cons- 
tatations et  le  Transsibérien  n'en  reste  pas  moins  une  ligne  stra- 
tégique et  économique  de  tout  premier  ordre.  Je  tiens  à  répéter 
ici,  une  fois  encore,  —  car  on  a  parfois  mal  traduit  et  surtout 
mal  interprété  mes  articles  en  Russie  —  qu'il  est  digne  de  toute 
admiration.  J'ai  fait  des  réserves  et  émis  des  critiques,  à  cette 
même  place,  dans  les  Questions  Diplomatiques  et  Coloniales, 
mais  je  n'ai  point  caché  mon  opinion,  qu'on  a  tenu  peut-être  à 
dénaturer  r  une  œuvre  aussi  grandiose  que  le  Transsibérien, 
accomplie  si  rapidement  et  si  hardiment,  ne  pouvait  être  par- 
faite sur  tous  les  points;  malgré  ses  défauts,  qui  sont  réparables, 
elle  est  une  entreprise  gigantesque  et  qui  a  brillamment  réussi. 
Le  transport  des  marchandises  de  Mandchourie  en  Europe 
durera  des  mois,  et  il  est  évident  qu'aujourd'hui  ce  transport  est 
plus  difficile  encore  et  partant  plus  long  qu'il  ne  le  seradans  deux 
ans.  La  ligne  qui  contournera  le  lac  Baïkal  dans  sa  partie  méri- 
dionale ne  sera  terminée  qu'à  la  fin  de  ^904,  si  Ton  en  croit  les 
ingénieurs,  en  1905  plus  vraisemblablement.  En  ce  moment,  on 
constate  de  grands  et  d'inévitables  retards.  Les  transports  sont 
assurés  l'été  par  le  bateau,  l'hiver  par  le  traîneau  ;  ils  s'effec- 
tuent toujours  péniblement.  L'intérieur  du  bateau  qui  sert  au 
transport  ressemble  à  une  gare  de  chemin  de  fer  :  à  l'extrémité 
de  la  ligne,  sur  la  rive  même  du  lac,  un  pont  s'abaisse  qui  réu- 
nit la  voie  du  Transsibérien  au  bateau;  le   pont  et  le  bateau 
sont  munis  de  rails;   des  manœuvres  poussent  les  wagons  un 
par  un  sur  le  bateau  qui  doit  les  transporter  jusqu'à  la  rive 
opposée.  Il  n'y  a  donc  pas,  en  été,  de  déchargements  de  mar- 
chandises sur  les  bords  du  lac  Baïkal  ;  mais  il  y  a  toujours  encom- 
brement de  wagons.  Le  bateau  ne  fait  en  effet  qu'une  traversée 
et  demie  par  jour;  il  transporte  à  chaque  voyage  27  wagons,  ce 
qui  donne  la  moyenne  quotidienne  très  insuffisante  de  40  wa- 


LES  RUSSES  EN    EXTRÊME-ORIENT 


625 


gons  ;  des  brouillards  et  des  tempêtes  occasionnent  en  outre 
beaucoup  de  retard,  et  sur  les  deux  rives,  les  marchandises  s'en- 
tassent et  attendent  longtemps  leur  tour. 

Le  bateau,  qui  ne  sert  qu'en  été,  avait  été  construit  pour  Thiver  : 
il  devait  briser  la  glace,  mais  son  éperon,  bien  que  très  puissant, 
n'était  pourtant  pas  assez  fort  pour  casser  une  couche  qui  a 
parfois  5  mètres  d'épaisseur.  On  est  obligé,  en  hiver,  de  déchar- 
ger les  wagons  et  de  transporter  les  marchandises  en  traîneau. 
Quelques  spécialistes,  effrayés  par  les  dépenses  que  nécessite- 
rait une  ligne  autour  du  lac,  avaient  proposé  la  construction 
d'un  ou  deux  nouveaux  bateaux,  mais  ils  ne  supprimaient  qu'en 
partie  les  difficultés.  Les  trains  de  la  voie  nouvelle  marcheront 
nuit  et  jour  en  toute  saison.  Dans  les  conditions  actuelles,  au 
contraire,  la  circulation  est  arrêtée,  complètement,  deux  fois  par 
an,  en  mai  et  en  décembre,  à  l'époque  de  la  prise  et  de  la  dé- 
bâcle des  glaces.  L'arrêt  de  la  circulation  pour  les  voyageurs  a 
été,  d'après  les  documents  officiels  récemment  publiés,  de 
18  jours  pendant  Thiver  1900-1901,  de  29  au  printemps  1901, 
de  4  seulement  pendant  Thiver  1901-1902,  et  enfin  de  8  jours  au 
printemps  suivant;  pour  les  marchandises,  l'arrêt  fut  chaque 
fois  plus  long  encore. 

La  ligne  qui  doit  contourner  le  lac  comprendra  une  succes- 
sion d'ouvrages  d'art  de  premier  ordre.  Les  ingénieurs  ont  à 
vaincre  toutes  les  difficultés  que  peut  opposer  la  nature  dans  un 
pays  montagneux  :  il  faudra  jeter  des  ponts  hardis  de  rochers  en 
rochers  au-dessus  de  torrents  et  de  précipices,  et  percer  de  nom- 
breux tunnels.  La  dépense  totale  est  estimée  à  53.625.745  rou- 
bles*, soit  par  verste*  près  de  600.000  francs  (219.777  roubles). 
Aucune  des  autres  sections  du  Transsibérien  n'aura  coûté  une 
pareille  somme,  on  peut  le  voir  par  le  tableau  suivant  : 

Total  moyen 
Lignes  Total  général  par  verste 


roubles 

Sibérie  Occidentale 51  .liO.367 

Sibérie  Centrale 101 .481 .382 

Taïga  à  Tomsk 2.573.198 

Irkoutsk  au  Baîkal 3.171.555 

B^kal  à  Srétensk 79.942.702 

Karymskaïa  à  la  frontière  mandchoue. .  31 .564.349 

Frontière  à  Nikolski 8.113.987 

Ligne  de  TOussouri 46.267.088 

Ligne  contournant  le  Baikal 53.625.745 

Services  des  radeaux 6.744.340 

Allocations  diverses 94.320.660 

i 

*  Un  rouble  î=  2  fr.  70. 

*  Une  verste  =  1067,  mètres. 

QuBST.  DiPL.  BT  Col.  —  t.  xv. 


roubles 
,38.487 
59.173 
28.912 
49.565 
77.170 
97.421 
73.529 
6i.529 
219.777 


40 


626  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

Le  coût  total  du  Transsibérien,  depuis  TOural,  sur  une  dis- 
tance de  5.628  verstes,  serait,  d'après  les  chiffres  officiels 
récemment  publiés,  de  384.604.743  roubles,  soit,  en  monnaie 
française,  un  peu  plus  d'un  milliard  de  francs.  Les  dépenses 
qu'occasionnera  la  construction  de  la  ligne  autour  du  Baïkal 
sont  comprises  dans  ce  chiffre. 

10.321.582  roubles  ont  été  alloués  à  des  travaux  corollaires 
de  la  construction  du  Transsibérien  (navigation  fluviale,  port 
de  Vladivostok,  etc.);  30.646.582  roubles  ont  été  affectés  à  la 
colonisation  de  la  région  traversée  par  le  chemin  de  fer  (stations 
médicales,  ambulances,  instruments  agricoles,  dépôts  de 
semences);  908.562  roubles  ont  été  donnés  pour  couvrir  les 
frais  des  explorations  géologiques,  et  1.574.917  pour  faciliter 
les  exploitations  minières.  Enfin  le  fonds  institué  en  1894  par 
Tempereur  Alexandre  III  a  servi  à  construire  dans  la  zone  du 
Transsibérien  190  églises  et  184  écoles. 

Le  Transsibérien  aboutit  à  la  ville  de  Srétensk,  sur  la  Chilka, 
qui  prend  plus  loin  le  nom  de  fleuve  Amour  :  il  devait  être 
continuée  le  long  du  fleuve,  lorsqu'on  décida  de  faire  passer 
la  voie  ferrée  à  travers  la  Mandchourie.  La  ligne  nouvelle  tra- 
verse d'abord  la  Transbaïkalie  et  elle  entre  en  terre  chinoise 
à  la  station  frontière  qui  porte,  elle  aussi,  le  nom  de  Mand- 
chourie. 

Le  point  de  raccordement  des  deux  lignes  est  à  120  kilomètres 
de  Tchita,  chef-lieu  de  la  province  de  Transbaïkalie,  à  la  station 
de  Karymskaïa. 


LE   TRANSMANDCHOURIEN 

La  ligne  qui  réunit  le  Transsibérien  au  Transmandchourien 
a  une  longueur  de  300  kilomètres  environ.  Sur  les  plans  publiés 
par  les  administrations,  elle  semble  presque  droite  comme 
celle  de  la  Sibérie  Occidentale,  par  exemple  :  à  la  vérité,  les 
courbes  y  sont  aussi  hardies  que  nombreuses  ;  il  y  a  des  pentes 
difficiles;  en  un  mot,  pour  éviter  de  percer  des  tunnels,  les  ingé- 
nieurs russes  ont  contourné  les  obstacles  et  les  difficultés. 

La  température  de  la  région  est  toujours  excessive.  En  été, 
la  chaleur  est  souvent  intolérable  et  des  orages  formidables  se 
succèdent,  avec  des  pluies  torrentielles,  qui  transforment  en 
torrents  infranchissables  les  petits  Cours  d'eau  de  la  province, 
mt^me  les  moins  profonds  :  j^ai  di\  parfois,  au  cours  de  mon 
dernier  voyage  en  Transbaïkalie,  camper  entre  deux  ruisseaux 
qu'une   pluie  d'orage    avait  grossis  et  dont  les   gués  étaient 


LES   RUSSES   EN   EXTRÊME-ORIENT  627 

devenus  impraticables.  En  hiver,  la  température  descend  jus- 
qu'à —  50**.  Le  savant  professeur  Jules  Legras,  qui  a  publié 
sur  la  Sibérie  tant  d'intéressantes  études,  y  a  noté  — 57*  pen- 
dant riiiver  de  1901-1902;  en  général,  la  moyenne  de  janvier 
est  de  —  40".  Chose  curieuse,  la  neige  est  très  rare  dans  la 
région,  et  le  traînage  n'y  peut  pas  être  établi  chaque  année. 

Vu  du  train,  le  pays  est  d'aspect  le  plus  souvent  monotone. 
On  traverse  de  grandes  steppes,  des  plateaux  sablonneux,  val- 
lonnés, infertiles  où  Témigration  des  colons  ne  s'est  pas  encore 
portée  :  d'ailleurs,  ces  vastes  espaces  semblent  avoir  été  desti- 
nés à  la  vie  nomade,  et  les  hommes  qui  y  vivent,  les  Bouriates^ 
de  religion  bouddhique  pour  la  plupart  et  qui  appartiennent  à 
la  race  mongole,  sont  des  pasteurs  et  des  conducteurs  de  trou- 
peaux. 

La  flore  et  la  faune  de  Sibérie  se  modifient  sensiblement 
lorsqu'on  a  franchi  les  monts  Stanovoï  dans  la  province  de 
Transbaïkalie  :  on  voit  apparaître,  dans  la  région  traversée  par 
la  ligne  qui  nous  occupe,  les  plantes  de  Textrême-orient  de  la 
zone  tempérée  asiatique.  Aux  animaux  communs  à  toute  la 
Sibérie  viennent  s'ajouter  jci  ceux  des  steppes  de  Mon- 
golie et  de  Mantchourie,  les  grands  fauves  et  une  incroyable 
variété  d'oiseaux.  Les  poissons  qui  vivent  dans  les  rivières 
traversées  par  la  ligne  sont  très  différents  de  ceux  qu'on  trouve 
dans  rOb,  le  Baïkal  ou  la  Lena. 

Les  gares  sont  petites  et  semblent  perdues  au  milieu  du  dé- 
sert; quelquefois,  près  d'elles,  on  a  construit  déjà  quelques  mai- 
sons habitées  par  les  chefs  des  dift'érents  services  des  Voies  et 
Communications.  Les  stations  ont  été  débaptisées  et  portent 
aujourd'hui,  pour  la  plupart,  des  noms  russes  :  les  dénomina- 
tions primitives,  qui  avaient  été  empruntées  à  la  langue  bou- 
riate,  étaient  autrement  intéressantes,  autrement  pittoresques. 
On  se  plaît  beaucoup  aujourd'hui,  en  Russie,  à  donner  aux  vil- 
lages nouvellement  fondés  toujours  ^t  partout  les  mêmes  noms  : 
c  est  par  centaines  que  Ton  peut  compter  les  Alexandrowski, 
Xikolski,  Petrovski,  Semenovski,  ou  les  villages  qui  portent 
le  nom  de  grandes  fêtes  religieuses,  Trinité,  Assomption, 
Résurrection,  Ascension.  Quelquefois  aussi,  les  stations  reçoi- 
vent le  nom  d'un  des  ingénieurs  constructeurs  de  la  ligne. 

Les  Russes  qui  habitent  dans  les  steppes  mongoles  sont 
rares  :  il  y  a  quelques  commerçants,  qui  volent  les  nomades  et 
vivent  d'usure;  les  uns  sont  russes,  les  autres  chinois.  On 
trouve  en  outre  des  fonctionnaires  subalternes,  qui  ont  été  créés, 
la  plupart  du  moins,  pour  le  malheur  des  Bouriates.  Les  nomades 
ne  savent  que  trop  ce   que  c'est  qu'un  pot-de-vin  et  ils  sont 


i 


QUESTIONS  DIPIOVATIQUBS  ET  COLONIALES 

obligés  d'en  offrir  plus  souvent  qu'ils  ne  le  voudraient.  Dans 
un  monastère  où  je  vivais  en  compagnie  de  lamas,  moines  de 
la  religion  bouddhique,  le  vétérinaire  de  l'endroit  se  présente 
un  jour  :  il  annonça  aux  moines  qu'une  épidémie  de  peste 
épouvantable  venait  d'éclater  dans  les  environs  et  qu'il  devait 
examiner  toutes  les  bêtes  appartenant  au  monastère  ;  le  bétail 
contaminé  devait  être  immédiatement  abattu.  Je  travaillais 
dans  une  chambre  voisine,  et  j'entendais  la  discussion,  plaignant 
les  malheureux  dont  le  troupeau  était  l'unique  fortune  et  que 
la  peste  allait  ruiner  en  quelques  jours.  Le  chérétoui,  chef  du 
monastère,  ne  se  troubla  pas  ;  il  savait  ce  que  voulait  le  vété- 
rinaire et  il  lui  offrit  un  billet  de  100  roubles.  C'était  bien 
cela  que  le  fonctionnaire  était  venu,  sous  un  faux  prétexte, 
chercher  au  monastère  :  le  bétail,  qu'il  disait  malade,  fut 
aussitôt  guéri  par  ce  procédé,  très  simple  quoique  peu  scienti- 
fique. Et  ce  n'est  pas  là  d'ailleurs  la  seule  histoire  que  j  au- 
rais à  raconter,  le  seul  fait  de  ce  genre  dont  j'aie  été  témoin. 

Il  y  a,  non  loin  des  stations  d'Aga  et  d'Onone,  deux  monas- 
tères bouddhiques  très  importants.  Les  temples  y  sont  très 
beaux  et  renferment  de  grandes  richesses.  De  nombreux  lamas 
y  vivent  entourés  de  leurs  élèves,  et  m'y  ont  offert  une  hospi- 
talité très  cordiale.  J'ai  vu  là  un  jeune  homme,  qui  passe  pour 
être  une  des  incarnations  de  Bouddha,  et  devant  lequel  les  Bou- 
riates  viennent  tour  à  tour  se  prosterner.  Depuis  son  enfance, 
il  est  l'objet  d'une  vénération  qui  ne  s'est  pas  démentie. 

Les  accidents  de  chemin  de  fer  sur  la  ligne  de  Transbaïkalie, 
section  mandchourienne,  sont  évidemment  nombreux,  pas  plus 
cependant  qu'en  Sibérie  centrale  ou  sur  l'autre  ligne  de  Trans- 
baïkalie :  ils  tiennent  à  la  fois  aux  choses  et  aux  gens.  Il  y  a  des 
éboulemenis  à  la  fonte  des  neiges  ou  après  les  pluies  torrentielles 
d'été;  la  locomotive  s'enfonce  alors  dans  les  amas  de  terre  ou 
de  neige,  tombés  sur  la  voie  qu'ils  obstruent.  C'est  là  un 
plaisir  qui  ne  m'a  pas  été  épargné.  D'autres  fois  le  train 
déraille,  et  cet  accident  est  le  plus  souvent  causé  par  l'impru- 
dence d'un  mécanicien  ivre,  assisté  d'un  chauffeur  non  moins 
gris.  Le  personnel,  dont  on  est  malheureusement  obligé  de  se 
servir,  n'offre  aucune  garantie  et  ne  peut  inspirer  confiance  :  on 
paie  d'ailleurs  assez  mal  les  mécaniciens  et  les  chauffeurs  et 
quand  on  ne  peut  avoir  les  employés  que  l'on  désire,  on  doil 
se  contenter  de  ceux  qu'on  a.  On  cache  le  plus  souvent  les 
accidents  de  chemin  de  fer,  mais  le  public  les  apprend;  et 
comme  nul  ne  reçoit  de  renseignements  exacts,  chacun  exagère  et 
lénature  le  peu  qu'il  sait  :  un  simple  déraillement  devient  alors 
un  accident  épouvantable.  Il  y  a  même  des  accidents  qui  sont 


j 


LKS   RUSSES    En    E\TRÉM.^-0H1BWT  6^ 

assez  comiques,  tel  le  suiviinl  que  j  ai  epruuvj^  deux  fois,  et  qui 
ma,  la  seconde  fois.  Lien  moins  amusé  que  la  première. 

Subitement  entre  deux  stations  le  train  s'arrêta  :  Tarrêl  se 
prolongeant,  j'envoyai  mon  jruide  Louriale  demander  ce  qui  se 
passait.  Il  reviut  quelques  minutes  apn>s  : 

«  One  t'a  dit  le  chei  de  train?  demandai-je. 

—  II  ma  dit  :  Vn  IVn  au  diable,  cliien  malade!  » 

Je  descendis,  et  le  clief  de  train  fut  avec  moi  plus  respec- 
tueux ;  Taccident  n'avait,  disait- il,  aucune  importance,  ce  n'était 
paîj  mt*^me  la  peine  de  s'en  occuper.  A  la  station  précédente,  où 
ion  s'était  arrêté  très  longtemps,  le  mécanicien  avait  simple- 
ment oublié  de  prendre  de  Teau  pour  sa  mactiine. 

«  Comment  a-t-il  pu  faire  cet  oubli?  m'écriai-je. 

—  Oh!  c'est  bien  naturel,  il  était  tout  à  fait  ivre,.,  moins  que 
«  le  cliaiiiïeur  pourtant!  M 

J'allai  jusqu'à  la  machine  :  les  deux  ein[>lo)és  abrutis  nous 
rtf^gurdaient,  comprenant  à  peine  ce  qui  se  passait. 

Le  chef  île  train  décida  de  détacher  la  locomotive,  qui,  n*ayant 
plus  à  traîner  de  wagons,  pourrait  peut-être  atteindre  la  staliou 
suivante  où  elle  prendrait  do  Teau  et  d'où  elle  reviendrait  nous 
chercher,  La  locomotive  nous  abandonna  donc  dans  la  steppe, 
mais  nous  la  vîmes  s'arrêter  elle-même  à  deux  kilomètres  ]ilus 
loin  et  nous  attendîmes  pendant  de  lonf^ues  heures  le  train  de 
ïî(*eours  qu'on  nous  envoya  assez  tard  dans  la  soirée. 

Ile  chaque  côté  de  notre  locomotive  qui  s'était  ainsi  arrêtée 
deux  mille  mètres  après  nous,  le  chauiïeur  et  le  mécanicien 
s'étaient  endormis  dn  sommeil  des  justes,  sur  l'herbe  odorante 
lie  la  steppe.,, 

^% 

La  station  deMandchourie  a  toute  Timportance  d'une  station 
ironti&re  :  c'est  là  qu'est  la  douane,  et  si  en  général  les  objets  rap- 
portés de  Chine  passent  assez  facilement,  les  bibelots  japonais 
sont  frappés  de  droits  très  lourds  et  le  public  doit  payer  tou* 
jours  beaucoup  plus  cher  qu'il  ne  le  voudrait. 

Le  pays  dans  lequel  on  entre  alors,  et  où  viennent  de  s'établir 
ivi*^  solidement  les  Russes,  a  re^^u  son  nom  de  la  tribu  des 
,\knJclious,  tribu  guerrière  s'il  en  fut.  Il  porte  aussi  le  nom,  en 
Chine  du  moins,  de  Khe-loun4san-chen,  ce  qui  signifie  «  les 
Trois  Provinces  Orientales  *.  La  M  and  chou  rie  comprend  en  effet, 
au  point  de  vue  administratif,  trois  provinces;  sa  superlicic  est 
tl'envinm  ti50,000  kilomètres  carrés;  la  température  y  est  très 
dure,  et  les  grands  cours  d'eau  comme  la  Nonni  et  le  Soun{j;:ari 


630  QUESTIONS   DIPLOMATIQUiSS   ET  COLONULES 

sont  recouverts  pendant  l'hiver  d'une  couche  de  glace  épaissie 
de  3  mètres.  La  débâcle  a  lieu  toujours  assez  tard. 

Chaque  province  est  administrée  par  un  gouverneur  général: 
on  trouvera  plus  loin  quelques  détails  et  quelques  anecdotes 
sur  le  gouverneur  de  Moukden. 

Il  est  très  difficile  de  donner  le  nombre  exact  des  habitanli^  d<» 
la  Mandchourie,  de  15  à  16  millions  environ.  Tous  ne  sont  pas 
des  Mandchous  ;  ceux-ci  ne  sont  pas  même  les  plus  nombreux,  il 
y  a  beaucoup  de  Chinois  établis  dans  les  villes  et  s'occupant  de 
commerce;  on  trouve  aussi  des  Coréens,  et  si  Ton  en  croyait  les 
dépêches  tendancieuses  publiées  en  ce  moment  par  les  journaux 
anglais,  de  nombreux  Japonais  se  seraient  établis  depuis  un  an 
dans  le  pays  pour  s'occuper  ouvertement  de  commerce  et  secrH»»- 
ment  d'espionnage,  des  Japonais  viendraient  même  en  cachaat 
leur  nationalité.  Tout  cela  doit  être  exagéré,  avec  une  grande 
part  de  vérité  cependant  :  les  Japonais  sont  grands  maîb'es  en 
matière  d'espionnage.  Outre  les  peuples  que  nous  venons  de  citer, 
nous  trouvons  dans  la  province  des  populations  primitives  et  sau- 
vages, les  mêmes  que  celles  que  nous  avons  décrites  *  dans  nos 
précédents  articles  :  ce  sont  des  Toungouses,  des  Orotchones,  des 
Goldes,  auxquels  nous  ajouterons,  spéciaux  à  la  province,  les 
Solones,  les  Daours,  les  Tchiptchines.  Ces  populations  sont 
païennes  et  chamanistes,  tandis  que  les  autres  habitants  appar- 
tiennent en  général  aux  différentes  sectes  du  bouddhisme.  11  va 
en  Mantchourie,  comme  en  Transbaïkalie,  en  Mongolie  ou  an 
Thibet,  d'assez  nombreuses  lamaseries  où  vivent  des  moines, 
entourés  de  leurs  élèves. 

On  ne  peut  pas  passer  sous  silence  les  fameux  Khounkhouzes 
ou  Khoungouzes,  qui  sont  les  brigands  de  la  province  et  qui 
terrorisent  tous  les  habitants. 

Ce  qui  m'a  toujours  surpris,  c'est  que  ces  misérables  n'aient 
pas  encore  tenté  quelque  grande  entreprise  contre  le  chemin  d»' 
fer  :  peut-être  que,  pour  eux,  la  crainte  de  la  Russie  est  le  com- 
mencement de  la  sagesse.  Cette  année  pourtant,  un  des  grands 
bateaux  sur  la  Soungari  fut  pillé  par  des  Khounkhouzes  qui  s'y 
étaient  embarqués  à  Tinsu  du  capitaine  et  de  la  police.  J'avoue 
que  j'ai  de  grands  doutes  à  ce  sujet.  La  police  chinoise  dv 
Mandchourie  ne  voit  rien  et  n'est  dangereuse  que  quand  elle 
a  vu;  on  pourrait  la  diviser  en  deux  groupes,  la  bonne  et  la 
mauvaise  :  la  prenyère  est  composée  de  gens  inoffensifs  et  ridi- 
cules, qui  se  sauvent  dès  qu'ils  entendent  appeler  au  secours;  la 
seconde,  qui  est  de  beaucoup  la  plus  nombreuse,  accourt  au 
contraire  en  pareil  cas,  s'unit  aux  brigands  contre  le  malheu- 

»  Quest.  JDipl.  et  Col.,  l.'i  nov.  et  15  déc.  1902,  t.  XIV,  pp.  BIO  et  14«. 


LES  RUSSES  EN   EXTRÊME-ORIENT  631 

reux  voyageur  et  partage  ensuite  avec  eux  le  butin  conquis  par 
la  force. 

On  ne  prête  qu'aux  riches,  et  c'est  pourquoi  peut-être  tous  les 
méfaits  qui  se  passent  en  Mandchourie  sont  mis  au  compte  des 
Khounkhouzes  :  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'ils  existent  el  qu'ils 
le  prouvent  très  cruellement  aux  gens  qu'ils  attaquent.  Ils  se 
livrent  à  des  malversations  sur  le  territoire  russe  même,  et  sur 
les  frontières  de  Corée.  Pendant  mon  passage  en  Mandchourie, 
ils  ont  fait  disparaître  un  marchand  chinois  de  Moukden, 
ils  ont  attaqué  un  poste  mal  gardé  près  de  Niou-tchouang  : 
et  ce  sont  là  malheureusement  choses  trop  fréquentes.  Tn  jour 
le  mécanicien  arrêta  notre  train  :  près  de  la  voie,  un  soldat  russe 
était  étendu  dans  une  mare  de  sang,  un  poignard  enfunco  dans 
la  poitrine.  Il  avait  été  assassiné  par  les  Khounkhouzes. 

Un  des  officiers  supérieurs  de  l'armée  russe  en  Mandchourie 
me  disait  un  jour  : 

«  Au  fond,  il  ne  faut  pas  nous  plaindre  de  toutes  les  malver- 
«  sations  des  brigands  :  ces  gens-là  nous  rendent  service;  ils 
«  nous  fourniraient  au  besoin  un  bon  prétexte  pour  rester 
«  en  Mandchourie,  afin  de  défendre  notre  chemin  de  fer  et  nos 
«  résidents,  si  on  voulait  nous  forcer  à  une  évacuation  !  5> 

La  Russie  trouverait  d'ailleurs  bien  d'autres  raisons,  dans  les 
traités  même  qu'elle  a  passés  avec  la  Chine.  Le  gouvernement 
chinois  a  d'ailleurs  attribué  plus  d'une  fois  aux  brigands  des 
méfaits  commis  par  l'armée  régulière  et  sous  sa  propre  insti- 
gation. 

Le  27  août  1876,  une  convention  fut  conclue  entre  le  gouver- 
nement chinois  et  la  Banque  russo-chinoise,  qui  permit  Torpi- 
nisation  d'une  compagnie  de  FEst-Chinois  pour  la  construction 
et  l'exploitation  d'un  chemin  de  fer  ;  on  y  stipulait  que  les  Ira- 
vaux  devaient  être  commencés  en  août  1897  au  plus  tard; 
Técartement  des  voies  serait  égal  à  celui  qu'avait  adopté  la 
Russie  pour  le  Transsibérien.  La  ligne  devait  aller,  à  travers  la 
Mandchourie,  de  la  frontière  de  Transbaïkalie  à  celle  de  la  Pro- 
vince Maritime,  et  réunir  Irkoutsk  et  la  Russie  d'Europe  à  Vla- 
divostok. Le  13  mars  1898,  après  la  cession  de  Port-Arthur,  la 
Chine  accorda  à  la  Russie  le  droit  de  construire  et  d'exploiter 
l'embranchement  de  Port-Arthur.  Trente-six  ans  après  la  mise 
en  exploitation,  la  Chine  pourrait,  d'après  la  convention, 
racheter  la  ligne  et  rembourser  les  sommes  dépensées,  les  frais 
corollaires  et  les  intérêts  accumulés.  Au  bout  de  80  ans, 
la  Chine  prendrait  de  plein  droit  possession  de  la  ligne  :  que 
de  choses  se  passeront  d'ici  là! 

Le  matériel  nécessaire  à  la  construction  des  deux  lignes  fut 


-j 


632  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONULBS 

en  partie  amené  à  Port-Arthur  et  transporté  pour! la  plupart 
au  centre  môme  de  la  Mandchourie,  par  des  bateaux  qui 
remontèrent  le  fleuve  Soungari,  affluent  de  l'Amour.  C'est  dans 
ce  but  que  fonctionna  la  Compagnie  des  bateaux  dite  «  du 
chemin  de  fer  de  Mandchourie  ».  Cette  Compagnie  a  aujour- 
d'hui de  bons  navires  qui  font  le  service  entre  la  Sibérie,  la 
Corée,  le  Japon  et  la  Chine.  Un  service  régulier  existe  entre 
Vladivostok,  Gensane  et  Fousane  en  Corée,  Nagasaki,  Tché- 
moulpo,  Port-Arthur,  Takou,  Tchéfou  et  Changhaï;  d'autres 
bateaux  de  la  même  Compagnie  vont  à  Sakhaline  et  à  Tein- 
bouchure  de  l'Amour,  et  pénètrent  jusque  dans  les  ports  de  la 
mer  d'Okhotsk  et  du  Kamtchatka.  La  Compagnie  du  chemin  de 
fer  de  Mandchourie  a  l'intention  de  créer  une  nouvelle  ligne 
entre  l'Amérique   et  la   Russie  d'Asie. 

D'après  le  rapport  publié  par  le  ministre  des  Finances  sur  son 
voyage  en  Extrême-Orient,  la  construction  du  chemin  de  fer  fut 
—  et  cela  est  très  exact  —  admirablement  organisée  par  l'ingé- 
nieur Krebedz  :  on  posa  les  rails  le  plus  rapidement  possible 
çn  épargnant  les  travaux  de  terrassement  longs  et  dispendieux, 
en  contournant  les  obstacles  par  les  pentes  les  plus  raides  que 
puisse  gravir  une  locomotive,  et  Ton  se  servit  de  telles  voies 
provisoires  pour  le  transport  des  ouvriers  et  des  matériaux  de 
construction- 

Parmi  les  ouvrages  d'art,  longs  et  difficiles  à  exécuter,  il  faut 
citer  les  ponts  jetés  par  les  ingénieurs  sur  les  rivières  de  Mand- 
chourie ;  les  plus  grands  sont  véritablement  imposants  et  ne  le 
cèdent  en  rien  à  ceux  de  la  Sibérie  qui  sont  merveilleux.  Citons 
en  Sibérie  les  ponts  sur  le  Tobol,  près  de  Kourgane  (462  mè- 
tres; 6  travées),  sur  Tlchime  à  Petropavlovsk  (253  mètres; 
3  travées),  sur  l'Irtych  à  Omsk  (676  mètres  ;  6  travées),  sur 
rOb  à  Krivostchokovo  (782  mètres  ;  7  travées),  sur  la  Tome  à 
Potomochnaïa  (504  mètres;  6  travées),  sur  la  Kîa,  après 
Marinsk  (315  mètres  ;  4  travées),  sur  la  Tchouline  à  Atchinsk 
(273  mètres:  2  travées),  sur  l'iénisséi  à  Krasnoiarsk  (912  mè- 
tres; 6  travées),  sur  la  Kane  (252  mètres  ;  3  travées).  11  y  a  en 
Mandchourie  14  ponts  de  plus  de  250  mètres  ;  l'un,  sur  la  Soun- 
gari, est  plus  long  même  que  celui  de  l'iénisséi  :  il  a  près  d'un 
kilomètre  de  longueur,  mais  ne  vient  pourtant  qu'au  troisième 
rang  parmi  les  ponts  russes,  puisque  celui  de  la  Volga  a 
1.485  mètres  et  celui  de  FAmou-Daria  2  kilomètres  environ.  Les 
ponts  de  Mandchourie  sont  tous  à  peu  près  terminés.  L'an  der- 
nier, lorsque  j'ai  traversé  au  mois  d'avril  la  Nonni,  le  grand 
pont  de  fer  n'était  pas  encore  livré  à  la  circulation  et  les 
ouvriers  chinois  poussaient  un  à  un  les  wagons  sur  un  pont  de 


LES   RUSSES   EN   EXTRÊME-ORIENT  633 

bois  qui  n'inspirait  aux  ingénieurs  qu'une  confiance  tr^s  limi- 
tée. Il  y  a  9  grands  ponts,  dont  un  de  plus  de  900  mètres,  entre 
la  frontière  et  Kharbine;  11  grands  ponts  sur  la  ligne  Je  Vla- 
divostok; 30  sur  celle  de  Port-Arthur  dont  un  de  tJOO  mètres 
et  deux  de  plus  de  400. 

La  plus  grande  œuvre  exécutée  par  les  ingénieurs  russes  est 
le  percement  d'un  tunnel  de  3  kilomètres  dans  les  monts 
Khinganes,  que  Ton  ne  pouvait  pas  tourner.  C'est  seulement 
en  1901,  après  les  troubles  de  Chine,  que  ce  travail  a  él^  com- 
mencé; il  n'est  pas  probable  qu'il  soit  terminé  avant  190i» 
quoiqu'on  en  ait  dit.  Les  monts  Khinganes  forment  une  barrière 
naturelle  «'étendant  dans  le  sens  même  du  méridien,  sur  ime 
distance  de  plus  de  1.000  kilomètres  :  ils  ont,  avec  leurs  nom- 
breuses ramifications,  une  largeur  de  300  kilomètres  environ. 

La  ligne  de  Mandchourie,  depuis  la  frontière  jusqu'à  la  ville 
de  Kharbine,  a  960  kilomètres.  Là,  elle  continue  jusqu'à  la  fron- 
tière  de  la  Province  Maritime  sur  un  parcours  de  300  kilo- 
mètres; de  Kharbine  à  Port-Arthur,  elle  a  1.000  kilomètres. 
Elle  est  munie  de  rails  lourds  pesant  24  livres  russes'  le  pied 
courant;  on  n'a  pas  voulu  renouveler  la  faute  commise  en 
Sibérie,  où  l'on  a  dû  recommencer  un  travail  achevé  et  rem- 
placer les  rails  trop  légers  qui  avaient  causé  de  nombreux 
déraillements.  L'approvisionnement  d'eau  est  partout  assuré, 
bien  que  les  travaux  pour  la  pose  des  conduites  soient  loin 
d'être  terminés.  Des  ateliers  de  réparation  pour  le  matériel 
roulant  ont  été  construits  temporairement  aux  stations  d*lnkoo 
et  de  Soungari.  A  l'époque  actuelle,  on  peut  aller  en  quatre 
jours  de  la  frontière  de  Sibérie  jusqu'à  Port-Arthur, 

La  première  station  importante  est  la  petite  ville  de  Khaïlar, 
qui  peut  avoir  aujourd'hui  de  4  à  5.000  habitants  ;  puis  on  tra- 
verse un  vaste  plateau  de  300  kilomètres  environ.  Le  train 
gravit  ensuite  le  Khingane  :  c'est  à  cet  endroit  que  l'on  cons- 
truit le  tunnel  dont  il  a  été  parlé  déjà.  Le  train  suit  une  ligne 
provisoire,  puis  descend  dans  la  vallée  de  la  \oniii  par  la  voie 
en  zigzags,  curieusement  et  habilement  établie.  Le  train  desrend 
lentement  la  première  ligne  des  zigzags,  il  va  jusqu'au  bout  et 
s'arrête  :  la  locomotive  de  queue  alors  Ten traîne  sur  la 
deuxième  ligne  et  ainsi  de  suite  jusque  dans  la  vallée.  La  rivière 
Nonni  est  traversée  à  18  kilomètres  de  Tsitsikar,  grande  ville 
aux  temples  riches  et  curieux,  qui,  comme  toutes  les  villes  de 
Mandchourie,  a  été  laissée  à  l'écart  lors  de  la  construction  du 
Transmandchourien.  Elle  est  occupée,  elle  aussi,  par  rarmée 
russe. 

1  Une  livre  russe  =  409  grammes. 


i 


634  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET   COLONIALES 

On  arrive  enfin  à  Kharbine,  à  Tem branchement  des  deux 
lignes  de  Mandchourie.  Kharbine  a  été  le  principal  centre  de 
Tadministration  et  de  la  construction  du  chemin  de  fer.  Une 
ville  russe  s'est  élevée  à  quelques  kilomètres  de  la  ville  chi- 
noise; elle  a  pris  déjà  une  grande  importance  et  le  voyageur  qui 
la  parcourt  peut  se  croire  dans  un  des  chefs-lieux  de  district  de 
Sibérie.  Prévoyant  l'avenir  destiné  à  Kharbine,  Tadministration 
a  acquis  une  grande  étendue  de  terrains,  et  la  ville  peut  s'étendre 
aujourd'hui  sur  une  surface  de  plus  de  33  kilomètres  carrés. 
Kharbine  comprend  en  quelque  sorte  trois  villes  bien  distinctes: 
Vieux-Kharbine  qu'habitent  les  indigènes,  Nouveau-Kharbine, 
la  ville  neuve  et  officielle,  et  enfin  le  Port  sur  les  bords  de  la 
Soungari,  où  se  sont  ouvertes  déjà  des  maisons  de  commerce 
importantes,  spéciales  à  Kharbine  ou  succursales  d'établisse- 
ments de  Port-Arthur  et  de  Vladivostok.  En  juillet  dernier, 
255  lots  de  terrains  ont  été  affermés  à  des  particuliers.  La  super- 
ficie en  était  de  200.000  mètres  carrés  et  les  enchères  ont  pro- 
duit 1.000.000  de  francs.  Une  nouvelle  vente  est  annoncée 
déjà. 

Après  Kharbine,  la  ligne  de  Vladivostok  entre  dans  un  pays 
montagneux,  et  le  trajet  est  intéressant  et  souvent  pittoresque; 
la  ligne  de  Port-Arthur  est  beaucoup  plus  longue,  elle 
traverse  un  pays  plat  et  passe  près  de  quelques  villes  impor- 
tantes. Je  ne  puis  oublier  le  wagon  dans  lequel  j'ai  voyagé  entre 
Moukden  et  Kharbine  :  c'était  un  vieux  wagon  de  marchan- 
dises, transformé  en  wagon  de  voyageurs;  une  cloison  le  divi- 
sait en  deux  compartiments,  nous  étions  entassés  les  uns  sur 
les  autres,  les  banquettes*  étaient  sales  et  le  parquet  n'avait  pas 
été  balayé  depuis  longtemps.  On  sait  la  familiarité  qui  règne 
toujours  entre  les  voyageurs  en  Russie  :  au  bout  d'une  heure, 
je  connaissais  tout  le  monde  ;  une  voisine  m'offrait  du  thé  sur 
sa  banquette  où  dormaient,  au  milieu  de  linges  et  de  paquets, 
deux  petits  chiens  ;  un  autre  voyageur  m'invitait  à  m'asseoir 
dans  le  coin  qu'il  occupait  avec  quelques  serins  qu'il  rapportait 
à  sa  femme.  Malgré  le  peu  de  confort,  nous  passâmes  gaiement 
notre  temps.  On  sait  combien  aimables  sont  les  Russes  en 
voyage. 

La  ville  la  plus  curieuse  que  l'on  puisse  visiter  dans  la  région 
est  Moukden.  Elle  s'élève  à  une  distance  de  30  kilomètres  de  la 
gare,  mais  on  construit  une  autre  ligne  qui  conduira  presque  aux 
portes  de  la  ville.  J'ai  gagné  Moukden  en  voiture,  sous  la  garde 
de  trois  soldats  russes  que  le  commandant  du  détachement 
de  la  gare  avait  tenu  à  me  donner.  La  route  est  comme  toutes 
les  routes  chinoises,  c'est-à-dire  épouvantable;  s'il  a  plu,  le 


LES   RUSSES   EN   EXTRÊME-ORIENT  635 

voyageur  doit  rester  embourbé  de  longues  heures  dans  des  fon- 
drières; s'il  fait  sec,  la  voiture  roule  invisible  dans  le  nuage  de 
poussière  qu'elle  soulève.  A  chaque  cahot,  on  se  demande  de 
quel  côté  on  va  verser.  A  Tentrée  de  la  ville,  près  d'un  grand 
arc  de  triomphe  en  bois,  est  une  riche  lamaserie  qui  renferme 
quelques  beaux  objets  fabriqués  au  Thibet;  puis  on  passe  soiis 
d'énormes  portes  qui  ressemblent  à  des  citadelles;  les  rues 
principales  sont  larges  et  les  boutiques  bien  achalandées,  une 
foule  grouillante  les  remplit,  de  lourds  chariots  y  roulent, 
traînés  par  des  chevaux,  des  bœufs  ou  des  mulets;  les  fonc- 
tionnaires chinois  passent  gravement  en  chaises  à  porteurs, 
tandis  que,  bousculant  tout  le  monde,  des  soldats  russes  che- 
vauchent comme  en  pays  conquis.  Malgré  tout,  le  soldat  russe, 
bon  enfant,  s'entend  assez  bien  avec  le  Chinois;  les  casernes 
sont  des  maisons,  et  quelquefois  d'anciens  temples  ou  des  palais 
abandonnés.  Un  soir,  j'entrai  dans  une  maison  où  des  Russes 
chantaient  en  chœur  :  c'étaient  des  soldats,  qui,  dans  un  caser- 
nement, jadis  temple  rempli  de  divinités  chinoises,  disaient  en 
chœur,  avant  de  se  coucher,  les  prières  du  soir  de  la  religion 
orthodoxe. 

Je  n'ai  pas  l'intention,  et  ce  n'est  pas  le  lieu,  de  décrire  la 
ville  de  Moukden.  Je  ne  dirai  qu'un  mot  des  deux  principales 
curiosités  :  le  tombeau  impérial  et  le  palais. 

Le  tombeau  se  trouve  dans  un  vaste  jardin  quadrangulaire, 
planté  d'admirables  cèdres;  l'allée  centrale  est  très  large,  et  de 
chaque  côté  de  cette  allée  sont  d'énormes  bêtes  en  pierre 
sculptée,  chevaux,  dragons,  chameaux,  animaux  réels  ou  fabu- 
leux. Le  soleil  de  midi  faisait  étinceler  devant  moi  les  toits 
bizarres  du  temple,  jaunes,  rouges  et  verts,  et  rendait  plus  fan- 
tastiques encore,  en  les  enveloppant  d'un  rayon  ardent,  les 
bêtes  monstrueuses  qui  semblaient  endormies.  Le  temple,  la 
porte  et  l'escalier,  tout  était  admirable  de  goût,  de  sculpture 
fine  et  savante. 

Le  palais  contenait  d'admirables  collections  qu'on  laissait,  lors 
de  ma  visite,  pourrir  dans  la  saleté  :  je  croyais  marcher  sur  un 
tapis,  tant  était  épaisse  la  poussière  sur  le  parquet.  Au  moment 
de  la  guerre,  des  objets  avaient  été  volés  ou  perdus,  d'autres 
volontairement  brisés.  Les  poteries  étaient  entassées  les  unes 
sur  les  autres,  et  les  belles  et  précieuses  étoffes  chinoises, 
maculées,  déchirées,  jetées  en  tas,  étaient  mangées  par  les 
vers.  Je  visitai  le  palais,  accompagné  par  des  Russes  et  des 
Chinois  :  l'un  de  ces  derniers  qui,  élégamment  habillé,  se  te- 
nait constamment  à  l'écart,  me  voyant  arrêté  devant  un 
brûle-parfum  merveilleux  et  qui  semblait  avoir   été  déformé 


i 


636  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   KT   COLONIALES 

à  coup^de  marteau,  s'avança  et  me  dit,  s  associant  à  ma  pensée  : 

«  Voilà  ce  qu'est  la  guerre  !  » 

Puis  il  ajouta  : 

«  Je  préfère  encore  ceux  qui  ont  volé  nos  objets  précieux  à 
«  ceux  qui  les  ont  détruits,  en  barbares  qu'ils  étaient.  » 

Puis,  gravement,  le  Chinois  me  fit  une  révérence  et  s'éloigna. 

Je  fis  aussi  une  visite  au  gouverneur  général  chinois  :  celui-ci 
m'accueillit  solennellement  au  milieu  de  ses  soldats  qui  me 
présentaient  les  armes;  il  m'offrit  une  collation,  composée  de 
sardines,  de  fruits  et  de  gâteaux,  arrosée  de  cassis  qui  venait  de 
France,  et  de  Champagne  qui  avait  été  fabriqué  avec  toute  autre 
chose  que  du  raisin  par  quelque  chimiste  de  Changhaï.  La  con- 
versation, traduite  par  l'interprète  russe,  fut  peu  intéressante. 
Le  gouverneur  éludait  mes  questions  et  y  répondait  par  des 
paroles  aimables  et  banales. 

Se  conformant  aux  règles  du  protocole,  le  gouverneur  géné- 
ral me  conduisit  jusqu'au  perron  où  nous  nous  fîmes  nos 
adieux. 

L'interprète  me  dit  alors  tout  bas  : 

«  Sa  Haute  Excellence  veut  bien  vous  accompagner  jusqu'au 
«  second  perron  !  » 

Les  salutations  et  les  révérences  recommencèrent,  puis  l'in- 
terprète reprit  : 

«  Sa  Haute  Excellence  vous  fait  l'honneur  de  vous  accom- 
a  pagner  jusqu'à  la  porte  de  la  rue  !  » 

C'était  là,  en  effet,  paraît-il,  un  suprême  honneur  :  les  soldats 
présentèrent  les  armes,  et  devant  la  porte  la  foule  s'était  amas- 
sée dans  la  rue.  Je  pensais  que  les  gouverneurs  des  temps 
passés  auraient  été  bien  surpris  de  voir  leur  successeur  accom- 
pagner, avec  tant  de  respect  apparent,  un  Français  dansMoukden 
occupé  militairement  par  les  Russes!...  Il  y  a  un  agent  diplo- 
matique russe  à  Moukden  ;  et  je  souhaite  à  mes  compatriotes 
qui  passeront  en  Mandchourie,  de  trouver  auprès  de  M.  Kolokoi- 
nikof  un  accueil  meilleur  que  celui  qui  me  fut  réservé. 

Après  Moukden,  la  station  la  plus  importante  est  celle 
d'Inkoo,  d'où  l'on  peut  gagner  la  ligne  anglaise  qui  conduit 
à  Pékin,  et  dont  Timportance  grandit  très  vite. 

On  entre  ensuite  dans  le  Kouan-toun,  où  se  trouvent,  d'après 
les  derniers  chiffres  publiés,  3.286  Russes,  192.457  Chinois, 
67.576  Mandchous,  241  Japonais,  387  Coréens,  194  Européens. 
Les  Chinois  de  la  province  s'adonnent  au  commerce  et  à  la  cul- 
ture ;  ils  cultivent  le  mûrier  et  le  millet  ;  ils  ont  aussi  de  vastes 
champs  de  haricots  dont  les  cosses  sont  envoyées  au  Japon,  où 
on  les  transforme  en  engrais.  Autour  des  fermes  de  Mandchou- 


LES   RUSSES  EN  EXTRÊME-ORIENT  637 

rie,  il  y  a  toujours  des  petits  jardins  où  les  Chinois  cultivent 
des  légumes  et  des  fruits,  choux,  radis,  oignons,  concombres, 
pastèques,* melons  et  potirons.  Ils  aiment  beaucoup  les  fleurs 
avec  lesquelles  ils  parent  l'entrée  de  leurs  maisons.  Même  dans 
les  campagnes,  les  sociétés  secrètes,  qui  conspirent  en  silence, 
et  sans  grand  succès  d'ailleurs,  contre  la  Russie,  sont  très  nom- 
breuses. 

Enfin  la  voie  ferrée  aboutit  à  Port-Arthur  :  à  la  station  qui 
précède  cette  ville,  une  ligne  se  détache  qui  conduit  à  Dalny. 

Le  voyageur,  qui  entend  toujours  parler  de  Port- Arthur  et  qui 
s  attend  à  visiter  un  port  de  guerre  formidable,  est  très  déçu 
dès  son  arrivée  :  Port-Arthur  ne  semble  pas  être  encore  la  for- 
teresse inexpugnable  dont  parlent  sans  cesse  les  journaux 
anglais.  La  ville  est  sale  et  malsaine,  les  Chinois  y  vivent 
dans  des  conditions  d'hygiène  déplorables,  les  travaux  dans  le 
port  sont  loin  d'être  achevés,  et  il  me  fut  facile  de  comprendre 
lan  dernier  combien  était  naturelle  l'émotion  qu'avait  fait 
naître  l'alliance  anglo-japonaise  en  Russie.  Il  y  a  des  étrangers 
qui  se  sont  établis  à  Port-Arthur  ;  inutile  de  dire  que  les  Français 
sont  loin  d'y  être  les  plus  nombreux.  L'explorateur  Chaffai- 
gon  s'y  consacre  au  commerce,  et  un  nouveau  comptoir  français 
vient  de  s'y  établir.  Après  un  bon  essai  à  Irkoutsk  des  Fran- 
çais bien  inspirés  ont  fondé  des  succursales  à  Port-Arthur  et  à 
Vladivostok. 

On  peut  dire  que  la  ville  de  Dalny,  voisine  de  Port-Arthur, 
et  qui  doit  devenir  le  grand  port  russe  d'Extrême-Orient,  a  été 
créée  de  toutes  pièces  par  la  Russie.  Celle  de  Vladivostok  a 
été  très  émue  par  la  création  de  ce  nouveau  port,  et  les  com- 
merçants ont  pensé  qu'ils  seraient  facilement  ruinés  par  ceux 
de  Dalny,  surtout  maintenant  que  Vladivostok  a  cessé  d'être 
un  port  franc. 

M.  Witte,  ministre  des  Finances,  s'est  occupé  récemment  de 
cette  question  ;  il  pense, avec  juste  raison,  que  l'avenir  économique 
et  commercial  de  la  Russie  est  en  Extrême-Orient  et  que  dans  les 
vastes  possessions  russes,  que  baignent  l'océan  Pacifique  et  les 
mers  qui  en  sont  tributaires,  il  y  a  place  pour  plusieurs  ports 
de  premier  ordre.  Vladivostok  ne  pouvait  être  Tunique  grand 
port  d'Extrême-Orient  russe  ;  sans  doute  la  baie,  au  bord  de 
laquelle  est  située  la  ville,  est  admirable  et  ofl're  aux 
bateaux  de  guerre  et  de  commerce  un  abri  incomparable  ;  elle 
est  en  outre  défendue  par  des  fortifications  naturelles,  dont  le 
génie  militaire  a  tiré  un  merveilleux  profit  ;  mais  elle  est  loin 
des  mers  de  Chine,  où  doivent  s'établir  les  nations  européennes 
qui  tiennent  à  compter  en  Extrême-Orient,  et  des  glaces  l'encom- 


638  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

brent  chaque  année  pendant  l'hiver  :  on  n'y  peut  alors  péné- 
trer qu'avec  Taide  du  bateau  brise-glaces.  Dalny,  dit  le  rapport 
officiel  du  ministre,  est  une  ville  russe  au  môme  titre  que  Vla- 
divostok et  il  n'est  pas  admissible  de  sacrifier  la  première  à  la 
seconde  :  il  est  vrai  que  les  commerçants  d'Extrôme-Orient 
disent  que,  pour  ne  pas  commettre  cette  injustice,  c'est  le  con- 
traire que  l'on  a  fait. 

Le  ministre  prétend  concilier  les  intérêts  des  deux  villes  et 
pouvoir  délimiter,  dès  aujourd'hui,  la  sphère  d'influence  com- 
merciale répartie  à  chacune  d'elles,  de  faço^  à  empêcher  entre 
les  ports  rivaux  une  concurrence  inutile  et  dont  les  consé- 
quences seraient  désastreuses. 

Les  maisons  qu'on  a  construites  à  Dalny  sont  très  belles,  et 
je  ne  sais  pas  de  ville  où  les  fonctionnaires  sont  plus  conforta- 
blement et  quelquefois  plus  magnifiquement  logés.  Les 
dépenses  occasionnées  par  la  création  de  Dalny  ont  atteint  déjà 
18.850.000  roubles;  mais  elles  dépasseront  de  beaucoup  ce 
chiffre  :  on  veut  faire  grand,  et  comme  partout  en  Mantchourie, 
on  dépense  sans  compter.  On  a  vendu  aux  enchères,  au  mois 
de  novembre,  425.027  roubles  de  terrain,  à  25  roubles  la  sajène 
carrée.  On  se  propose  d'en  vendre  à  nouveau,  et  si  le  prix  de 
la  sajène  restait  à  25  roubles  — ce  qui  n'est  pourtant  qu'un  mini- 
mum —  le  produit  de  la  vente  prochaine  dépasserait  15  millions 
de  roubles  :  or  l'étendue  des  terrains  désignés  pour  la  vente 
prochaine  représente  seulement  le  quart  du  territoire  qui  sera 
vendu  par  la  suite. 

L'avenir  de  Dalny  sera  brillant,  et  le  ministre  des  Finances, 
qui  veut  activer  encore  les  travaux  commencés,  est  plein  de 
mépris  pour  toutes  les  critiques  et  pour  toutes  les  difficultés 
suscitées  par  des  rivalités  sans  fondement  sérieux,  à  son  avis  : 
ce  sont  là,  pour  lui,  des  choses  temporaires  et  partant  secon- 
daires, car  ce  l'histoire,  dit-il  avec  raison,  compte  par  siècles  ei 
non  pas  par  années  ».  On  peut  se  rendre  compte  de  l'état  actuel 
des  travaux,  quand  on  lit  dans  le  rapport  de  iM.  Witte  que  la  vie 
du  port  et  de  la  ville  ne  pourra  guère  commencer  que  dans 
un  an. 

• 
«  « 

Si  l'on  examine  avec  attention  les  chiffres  qui  ont  été  cités  au 
cours  de  cette  étude,  si  l'on  réfléchit  au  travail  colossal  entre- 
pris par  les  Russes  et  accompli  si  rapidement,  on  peut  à  peine 
se  faire  une  idée  des  sommes  d'argent  dépensées  et  des  vies 
sacrifiées  en  Mantchourie. 

Pense-t-on  que  la  question  de  l'évacuation  des  provinces  soit 


LES   RUSSES   EN   EXTRÊME-ORIENT  *63§ 

aujourd'hui  simple  et  facile  à  n'^soudre?  Les  Russes  veulent- 
ils,  comme  l'annoncent  tant  de  dépêches  qu'on  publie  journel- 
lement et  qui  sont  de  source  tantôt  anglaise  et  tantôt  japonaise, 
et  pensent-ils  même  s'arrêter  dans  leur  marche  en  avant?  C'est 
ce  que  nous  étudierons  dans  la  seconde  partie  de  ce  Iravail. 
(Ju'est-ce  que  les  Japonais  doivent  penser  actuellement  de  la 
convention  russo-chinoise  et  des  promesses  d'évacuation?  La 
Russie  est  restée  fidèle  à  ses  intentions  premières  et  persévé- 
rante dans  ses  efforts  :  le  temps  a  travaillé  déjà  et  travaille 
encore  pour  elle,  tandis  que  chaque  mois  qui  s'écoule  est  un 
insuccès  pour  ses  rivaux.  J'étais  en  Extrême-Orient,  au 
Japon,  au  moment  où  fut  conclue  l'alliance  anglo-japonaise, 
en  Mandchourie  aux  jours  où  devint  publique  la  convention 
russo-chinoise,  qui  ne  fut  à  vrai  dire  qu'une  réponse  i^  la  décla- 
ration d'alliance,  réponse  très  habile  et  qui  calma  un  peu  les 
ardeurs  japonaises  et  les  esprits  trop  surexcités.  Les  Japonais 
crurent  que  la  Russie  avait  peur  et  qu'elle  reculait.  On  le  répéta 
même  dans  les  journaux  européens. 

Que  la  Russie  ait  été  très  émue  par  les  déclarations  d'alliance 
anglo-japonaise,  cela  semble  évident,  et  l'émotion  régna  aussi 
biendansle  haut  commandement  de  Mandchourie  que  dans  les 
sphères  officielles  de  Saint-Pétersbourg  ;  on  ne  se  sentait  pas 
prêt  en  effet  et  on  craignait  quelque  démonstration  japonaise. 
Contre  toute  attente,  le  Japon  est  resté  tranquille  et  rîen  n'est 
venu  entraver  l'œuvre  des  Russes  :  le  danger  qui  les  meiiai;ait 
leur  donna  des  forces  nouvelles,  mais  ne  les  fit  pas  sortir  de 
leur  calme  ;  ils  ont  gagné  du  temps,  et  c'est  là  tout  ce  qu'il  leur 
fallait.  Les  Japonais  avaient  accueilli  comme  une  victoire  la 
convention  russo-chinoise;  sont-ils  toujours  du  même  avis?  Ils 
pourraient  pourtant  apprendre  de  leurs  amis  les  Anglais,  qui 
occupent  toujours  l'Egypte,  quelle  est  l'exacte  valeur  d'une  pro- 
messe d'évacuation. 

Paul  Labuk. 


LA  QUESTION  DB  TERRE-NEUVE 


SAINT-PIERRE  ET  MIQUELON' 


Armer  un  navire,  c'est  posséder  une  coque,  mettre  cette 
coque  en  état  de  naviguer  dans  un  but  déterminé,  enfin  lu 
donner  un  équipage  et  un  matériel  indispensable  à  la  vie  du 
bord. 

Armer  en  guerre,  armer  en  yacht,  armer  en  pèche,  armer  au 
long  cours,  armer  au  cabotage,  telles  sont  les  différentes  ma- 
nières d'utiliser  un  navire. 

A  première  vue,  il  semble  devoir  être  aussi  aisé  d'envoyer 
un  homme  pécher  la  morue  que  d'embaucher  un  ouvrier  sur 
un  chantier  quelconque.  C'est  un  marché  à  passer,  un  prix  à 
débattre.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  en  France.  Des  textes  nom- 
breux sont  là  qui  réglementent  la  chose  et  lient  l'Etat,  l'arma- 
teur et  le  marin,  à  l'avantage  de  ces  derniers.  Avantages  qui  ne 
vont  pas  sans  quelques  inconvénients,  surtout  lorsque  les  pres- 
criptions sont  appliquées  aux  uns  et  non  aux  autres,  comme  cela 
s'est  vu  dans  la  grève  désastreuse  de  Marseille. 

Les  avantages  sont  nombreux  :  pour  l'armateur,  c'est  la  sta- 
bilité, l'impossibilité  de  grève;  pour  les  marins,  c'est  la  pro- 
tection contre  une  exploitation  toujours  possible  et  aussi  une 
retraite  assurée  pour  lui,  sa  veuve  et  ses  enfants,  après  un 
certain  nombre  d'années  de  mer. 

Une  remarque  en  passant  :  il  est  curieux  de  voir  si  fort 
décrier  la  marine  et  l'inscription  maritime  par  les  hommes, 
dits  à  principes  avancés,  lorsque  cette  marine,  d'allure  si  réac- 
tionnaire, paraît-il,  est  la  première  organisation  française  qui 
ait  admis  et  pratiqué  le  principe  socialiste  des  retraites  aux 
vieux  travailleurs  et  à  leur  famille  —  travailleurs  non  employés 
de  l'Etat,  bien  entendu  — principe  que  ces  hommes  avancés 
veulent,  et  non  sans  raison,  généraliser  à  tous  les  Français. 
Mais  point  n'est  l'heure  à  la  politique. 

*  Voir  Le  Breton,  La  question  de  Terre-Neuve  (Quest»  Dipl.  et  Col.,  1"  avril  1903, 
t.  XV,  p.  4il  et  sq.). 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON  641 

Enfin,  quoi  qu'il  en  soit,  l'armement  pour  Terre-Neuve  se 
divise  en  : 

Armement  métropolitain  pour  le  banc,  sans  sécherie; 
Armement  métropolitain  pour  le  banc,  avec  sécherie; 
Armement  pour  la  côte  ; 

Armement  pour  les  îles  Saint-Pierre  et  Miquelon  ; 
Armement  local  ou  Saint-Pierrais. 

Les  quatre  sortes  d'armement  métropolitain  peuvent  se  ré- 
sumer en  deux  :  Armement,  avec  ou  sans  sécherie. 

J'ai  dit  précédemment  quelques  mots  sur  la  préparation  de  la 
morue,  sur  ce  qu'était  une  grève,  quel  était  son  but. 

Armement  sans  sécherie,  —  C'est  armer  un  navire  qui  par- 
tira de  France  en  mars  ou  en  avril,  se  rendra  sur  les  bancs,  y 
séjournera  toute  la  saison  et  reviendra  en  France  en  octobre, 
sans  avoir  touché  terre  parfois.  Il  passera  six  mois  à  rouler, 
à  tanguer  sur  son  ancre  dans  les  parages  brumeux  de  Terre- 
Neuve,  occupé  seulement  à  capturer  et  saler  des  morues  par 
milliers. 

Ces  bâtiments,  armés  avec  salaison  à  bord,  autrement  dit 
sans  sécherie,  peuvent  avoir  le  nombre  d'hommes  qu'il  plaît  à 
l'armateur  ou  au  capitaine  de  mettre  à  leur  bord.  Ils  sont  en 
général  de  forte  taille  —  300  tonneaux  —  et  appartiennent  en 
grande  partie  au  port  de  Fécamp.  Ils  emportent  de  France  tout 
ce  qui  leur  est  nécessaire  en  fait  de  vivres,  eau,  sel,  et  n'ont 
en  principe  jamais  à  relâcher  à  Saint-Pierre.  Cependant  rares 
sont  ceux  qui  n'y  vont  pas  une  fois  ou  deux  pendant  la  saison, 
soit  pour  déposer  un  malade,  soit  pour  renouveler  la  provision 
d'eau,  soit  pour  débarquer  la  morue  si  la  cale  est  pleine. 

Là  nous  touchons  un  point  encore  réglementé. 

«  Un  navire  armé  sans  sécherie  doit  ramener  en  France  le 
«  produit  de  sa  pèche.  Mais,  comme  il  était  inadmissible  de 
«  faire  perdre  à  un  navire  un  ou  deux  mois  de  pèche  en  fin  de 
«  saison,  sous  prétexte  qu'il  lui  était  interdit  de  vider  sa  cale 
«  pleine,  un  nouveau  texte  a  autorisé  le  débarquement  à  Saint- 
«  Pierre  de  la  morue  prise,  ou  plutôt,  non  la  mise  à  terre,  mais 
«  le  transbordement  direct  de  la  cargaison  sur  un  long  cour- 
«  rier.  » 

Les  morues  doivent  être  séchées  en  France.  Mais  s'il  n'y  a 
pas  de  long  courrier  disponible?  Alors,  la  chose  est  prévue  par  le 
décret  du  23  mars  1888.  Le  navire  armé  sans  sécherie  est  au- 
torisé à  débarquer  temporairement,  à  Saint-Pierre,  le  produit 
de  sa  pèche  qui  attend  ainsi  sa  réexpédition. 

QuEST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xt.  41 


642  QUESTIONS   DIPLOMATIQUIÎS  ET   COLONIALES 

Armement  avec  sécherie.  —  L'armateur  métropolitain  qui 
envoie  un  navire  armé,  avec  sécherie,  possède  à  Saint-Pierre 
un  représentant.  Celui-ci  est  à  la  tête  de  ce  que  Ton  nomme 
«  rhabitalion  •»  :  une  villa,  entourée  de  magasins,  hangars, 
graves,  situés  à  proximité  d'un  appontement  ;  puis,  en  rade,  des 
chalands,  embarcations,  etc.  C'est  à  Thabilation  que  le  navire 
viendra,  trois  fois  par  saison,  déposer  le  produit  de  sa  pèche  et 
qu'il  y  trouvera  de  la  boette,  des  vivres,  du  matériel  de  re- 
change. Aussitôt  le  déchargement  terminé,  le  plein  des  soute> 
achevé,  le  navire  reprend  le  large  et  le  gérant  s'occupe  de  sé- 
cher la  morue,  de  l'emmagasiner,  de  l'expédier,  de  la  vendre. 

Saint-Malo,  (iranville,  Binic  arment  avec  sécherie  à  Saint- 
Pierre.  Le  départ  de  tous  ces  navires  a  lieu  en  général  dans  la 
deuxième  quinzaine  de  mars,  et  ils  peuvent  commencer  leurs 
opérations  dès  leur  arrivée  sur  le  banc. 

On  peut  armer  avec  sécherie  au  French-Shore,  La  grave 
est  alors  sur  la  côte  française  de  Terre-Neuve,  dans  quelque 
baie  abritée.  Le  navire  pèche  dans  les  environs  de  la  baie,  y 
revient  déposer  son  poisson,  puis  repart  en  pèche.  L'habitation 
n'existe  pas  aussi  complète  qu'à  Saint-Pierre.  Une  mauvaise 
baraque  la  remplace  et  sert  d'abri  aux  deux  pécheurs  laissés  à 
terre  pour  surveiller  et  sécher  la  morue.  En  fin  de  pèche,  le 
navire  réembarque  tout  son  poisson. 

La  disparition  partielle  de  la  morue  de  la  côte  a  amené  la 
<lisposition  de  cette  sorte  d'armement. 

Armement  avec  sécherie  pour  le  French-Shore.  —  Le  Frenclh 
Shore  se  divise  en  deux  parties,  appelées  la  côte  Est  et  la  côte 
Ouest. 

La  côte  Est  est  celte  partie  du  French-Shore  qui  s'étend  du 
cap  Saint-Jean  au  détroit  de  Belle-Ile,  à  l'Est  de  la  grande  pres- 
<]u'îlequi  termine  au  Nord  l'île  de  Terre-Neuve.  La  côte  ou- 
verte est  la  partie  de  côte  qui  fait  face  au  Labrador  et  au  Saint- 
Laurent. 

Les  navires,  armés  pour  la  côte  Est,  viennent  directement  de 
France  à  Terre-Neuve  et  s'en  retournent  sans  passer  par  Saint- 
Pierre.  Ce  sont  de  grands  navires,  largement  approvisionnés 
pour  toute  leur  campagne.  L'expédition  compte  même  parfois 
l'envoi  de  2  navires  et  de  100  hommes.  Ils  quittent  leur  port 
d'attache  après  le  20  avril,  pour  n'arriver  qu'au  début  de  juin; 
car  avant  cette  époque  tous  les  havres  sont  encombrés  de  gla- 
cions qui  rendent  inutile  toute  arrivée  plus  hàtivé. 

Aussitôt  parvenu  dans  la  baie,  choisie  par  avance,  comme 
nous   le  verrons   plus  loin,  le  capitaine  mouille  son  navire, 


SAINT-PIERRE  ET  MIQUELON  643 

Taffourche  au  besoin  et  le  désarme,  c'est-à-dire  qu'il  met  à 
terre  ou  à  fond  de  cale  tout  son  gréement,  tout  son  matériel, 
qui  ne  pourraient  que  se.  détériorer  à  rester  six  mois  inutile- 
ment exposés  aux  intempéries  du  climat.  Tandis  qu'une  partie 
de  l'équipage  désarme  le  navire,  l'autre  partie  répare  les  ca- 
banes, hangars,  chauffands  et  appontements  qui  ont  servi 
l'année  précédente.  Des  arbres  sont  abattus  dans  le  bois  voisin  ; 
les  cloisons  consolidées,  les  toitures  enprélarts  rétablies,  celles 
en  chaume  réparées.  Dès  que  les  cabanes  sont  à  même  d'abriter 
de  la  pluie,  on  y  dépose  tout  le  matériel  :  voilure  des  embarca- 
tions, filets,  hameçons,  avirons,  objets  de  toute  espèce,  sans 
oublier,  bien  entendu,  la  garde-robe  —  oh!  combien  rudi- 
mentaire  et  malpropre  !  —  de  nos  braves  Bretons  et  Normands. 
Si  le  temps  est  favorable,  ce  travail  demande  une  huitaine  et  Ton 
commence  la  pêche  aussitôt  que  possible,  car  elle  seule  paye. 

Sur  la  côte  Ouest,  il  en  est  identiquement  de  même.  Mais  alors 
les  navires  appareillent  de  France  plus  tôt  que  ceux  de  la  côte 
Est,  et  ils  passent  en  général  à  Saint-Pierre  à  l'aller  comme 
au  retour.  Les  uns  et  les  autres  transportent  eux-mt''mes  le  pro- 
duit de  la  pêche.  Parfois,  quand  celle-ci  est  fructueuse,  le  capi- 
taine, pour  se  débarrasser  du  surplus  du  poisson,  demande  au 
représentant  de  sa  maison  à  Saint-Pierre  l'affrètement  d'une 
goélette.  Opération  parfois  mal  aisée,  car  tout  navire  qui  peut 
tenir  la  mer  est  en  principe  en  pêche. 

Sur  la  côte  Ouest,  on  rencontrait  encore,  il  y  a  quelques 
années,  des  goélettes  armées  avec  sécherie,  mais  sans  que  l'em- 
placement de  cette  sécherie  fût  assigné  par  avance.  Ces  petits 
navires,  uniquement  saint-pierrais,  sont  dits  armés  en  «  dé- 
grat  ».  Au  début  de  la  saison,  dans  le  golfe  du  Saint-Laurent, 
ils  recherchent  la  morue  en  quête  du  hareng,  et  reviennent 
faire  sécher  leur  poisson  en  quelque  baie  inoccupée  de  la  côte. 
Mais  cette  pratique  n'est  plus  guère  en  usage,  et  les  goélettes 
saint-pierraises  qui  défilent  le  golfe  pendant  la  fin  des  mauvais 
temps  de  l'Océan,  s'en  vont  à  Saint-Pierre  déposer  leurs  morues 
et  reprennent  bien  vite  la  mer,  pour  passer  sur  les  bancs  les 
mois  d'été. 

Beaucoup  de  goélettes  américaines  et  anglaises  recherchent 
aussi  la  morue  dans  le  golfe  et  la  préparent,  soit  au  Canada, 
soit  aux  Etats-Unis. 

Armement  pour  Saint-Pierre.  —  C'est  l'armement  pratiqué 
par  les  propriétaires  qui  envoient  leurs  navires  porter  du  sel  à 
Saint-Pierre  et  leur  font  rapporter  la  morue.  Longs-courriers, 
beaux  voiliers  chargés  de  réapprovisionner  les  magasins   de 


644  OUESTIOMS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

noire  colonie  et  de    transporter  la  morue  aux   Antilles,  en 
France,  en  Méditerranée. 

V Armement  local  ou  saint-pierrais  a  pris,  depuis  une 
vingtaine  d'années,  un  développement  considérable.  Il  entre 
pour  une  part  très  importante  dans  l'armement  français  et  con- 
siste presque  uniquement  en  goélettes  de  90  tonneaux  armées 
avec  sécherie  à  Saint-Pierre.  Les  armateurs  peuvent,  s'ils  le 
désirent,  occuper  les  places  de  pêche  du  French-Shore  et  le 
tirage  au  sort  est  prévu  en  cas  de  compétition;  bien  entendu, 
les  emplacements  laissés  disponibles  par  les  métropolitains 
sont  seuls  mis  à  la  disposition  des  Saint-Pierrais.  Ce  tirage  au 
sort  n'a  jamais  été  nécessaire,  et  un  seul  emplacement,  celui  de 
l'île  Rouge,  fut  occupé  en  1902. 

On  trouvera  plus  loin  quelques  détails  sur  ces  places  de 
pêche  de  la  côte  et  leur  distribution. 

Petits  pêcheurs.  —  Dans  le  but  de  maintenir  nos  droits  sur 
Terre-Neuve,  le  gouvernement  a  autorisé  les  pêcheurs  saint- 
pierrais  à  s'y  installer,  sans  qu'un  navire  de  mer  soit  obligatoi- 
rement attaché  à  leur  établissement.  Dès  1894,  date  du  pre- 
mier essai,  108  pêcheurs  sont  allés  par  groupe  de  2  et  4  avec 
une  ou  deux  embarcations  en  quelques  points  de  la  côte  Ouest. 

Les  résultats  furent  satisfaisants  et  depuis  lors,  chaque  prin- 
temps, des  Français  quittent  leur  famille  pour  aller  pêcher  la 
morue  sur  la  côte  française  de  la  colonie  anglaise.  Le  nombre 
de  ces  pêcheurs  a  été  successivement  de  108,  146,  156,  117, 
157,  111,  140,  103,  et  de  149  en  1902. 

Le  principe  de  ce  déplacement  est  bon,  car  au  début  de  la 
saison  la  morue  est  abondante  sur  la  côte  et  rare  aux  environs 
de  notre  île.  C'est  la  raison  qui  fait  que  les  goélettes  défilent  le 
golfe,  ainsi  que  nous  l'avons  vu.  La  plupart  de  nos  petits  pé- 
cheurs (60  %)  rallient  Saint- Pierre  au  début  de  juillet  et  rap- 
portent quelques  dizaines  de  quintaux  par  homme,  tandis  que 
leurs  camarades,  plus  casaniers,  en  sont  encore  à  pêcher  leur 
premier  quintal. 

En  juillet,  l'encornet  arrive  à  Saint-Pierre  et  la  morue  donne; 
inutile  alors  d'aller  la  chercher  au  loin  lorsqu'on  la  trouve  en 
abondance  à  sa  porte. 

Ces  petits  pêcheurs  ne  vont  guère  s'établir  au  Nord  de  la 
baie  des  Iles.  Leurs  emplacements  préférés  sont  ceux  de  l'île 
Rouge,  de  Porta  Port  et  des  différentes  îles  de  la  baie  des  Iles. 
La  durée  de  la  pêche  fructueuse  est  ainsi  augmentée  pour  les 
Saint-Pièrrais,  sans  que  soient  encourus  les  risques  dus  à  la 
mauvaise  saison  qui  se  prolonge  plus  longtemps  à  Saint- 
Pierre  que  sur  la  côte. 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON  645 

En  résumé,  ces  différents  armements  mettent  en  mouvement 
le  nombre  de  navires  suivant  : 

Amement  métropolitain.  ^^^  ^^^^' 

Navires 206 219 

Jaugeant 30.812  tonneaux 37.708  tonneaux 

Montés  par 6.214  hommes 6.774  hommes 

Armement  local.  ^^5  ^^^^ 

Pour  la        f  goélettes 200 208 

grande        j  montés  par 3.606  hommes    3.925  hommes 

pèche         (  aidés  par 326  graviers        434  graviers 

Pour  la  petite  l    63  embarcations...        149  hommes  pour  la  côte  Ouest, 
pêche  en  1902  (  450  embarcations...     1.000  hommes  à  Saint-Pierre, 

Au  total,  420  navires  de  plus  de  90  tonneaux,  montés  par 
H.OOO  hommes,  représentent  l'effort  principal  de  la  France  dans 
Texploitation  des  pêcheries  de  Terre-Neuve. 

Le  produit  total  du  travail  des  i2.000  hommes  qui  pratiquent 
effectivement  la  grande  et  la  petite  pêche  s'élève  à  environ  une 
trentaine  de  mille  tonnes  de  morues  au  vert,  à  150  tonneaux 
de  rogue,  et  à  500  tonneaux  d'issues  dont  350  d'huile.  Le 
prix  total  de  cette  richesse  peut  monter  à  une  vingtaine  de 
millions. 

Toute  la  morue  pêchée  n'est  pas  expédiée  en  France.  Une 
partie  est  directement  envoyée  aux  Antilles  pour  y  être  con- 
sommée sur  place;  une  autre  est  envoyée  à  Boston  où  elle 
s'américanise  pour  être  vendue  au  Brésil;  le  reste  enfin  est  dirigé 
sur  France,  à  Bordeaux  et  Cette,  d  où  elle  est  distribuée  en 
Europe,  en  Italie,  en  Grèce.  Dans  ces  deux  ports  sont  installées 
(le  grandes  sécheries  à  vapeur  qui  préparent  la  morue  de  la 
plupart  des  banquiers  métropolitains  armés  sans  sécheries.  Elles 
accomplissent  régulièrement  le  travail  que  font  les  graviers  et 
le  soleil  incertain  de  Saint-Pierre. 

C'est  à  Bordeaux  que  se  trouve  le  grand  marché  de  la  morue, 
et  ses  fluctuations  se  font  sentir  sur  tontes  les  rives  atlantiques 
et  méditerranéennes. 

LE    FRENCH-SHORE 

Nous  avons  vu  ce  qu'était  le  French-Shore.  Longue  étendue 
décote  de  plus  de  1.000  kilomètres  de  long  s'étendant  du  cap 

^  L'aagmentation  a  presque  entièrement  été  fournie  par  Saint-Malo. 


k 


B46  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

de  Maye  (pointe  Sud-Ouest  de  Terre-Neuve)  au  cap  Saint-Jean 
:  sur  la  côte  Est.  Sur  cette  longue  côte,  très  découpée,  on  compte 

environ  70  havres,  dont  21  sur  la  côte  Ouest  et  49  sur  la  côte 
Est.  Dans  ces  havres,  on  a  déterminé  208  places  de  pêche  et 
12  places   de  saumonerie;  c'es.t  à  ces   places  que  se  rendent 
\^  directement  les  navires  armés  avec  sécherie  pour  la  côte. 

Anciennement,   larmement  pour   le   French-Shore  fut  très 
actif  et  les  meilleurs  havres  étaient  toujours  les  plus  recherchés 
F  par  les  armateurs. 

j  Au  début  du  siècle,  400  navires,  de  faible  tonnage  il  est  vrai, 

y  étaient  expédiés  en  France  annuellement.  80  étaient  destinés 

»'   .  aux  bancs,  80  exploitaient  le  golfe,  et  250  environ  stationnaient 

f  sur  la  côte.  Dans  ces  conditions,  la  recherche  des  bonnes  placrs 

l:  était  ardente.  Longtemps  elles  restèrent  au  premier  occupant. 

t  Pour  s'en  assurer  la  possession,  les  armateurs  n'hésitèrent  pas 

[  à  faire  partir  leurs  navires  en  plein  hiver,  les  exposant  ainsi 

f  à  des  coups  de  vent  désastreux.  Il  y  eut  des  rixes  entre  équi- 

[:  pages  et  des  abus  de  toutes  sortes,  dont  les  résultats  furent  tou- 

•  jours  des  pertes  de  vies  humaines.  Le  gouvernement  dut  inter- 

venir, et  pour  éviter  tout  conflit,  empêcher  tout  départ  trop 
hâtif,  dut  réglementer  le  choix  des  emplacements. 
^  Il  fut  décidé  que,  tous  les  cinq  ans,  dans  les  premiers  jours  de 

janvier,  un  tirage  au  sort  des  places  de  pêche  aurait  lieu  au 
commissariat  de  la  Marine,  à  Saint-Servan,  devant  les  armateurs 
intéressés.  La  chose  ainsi  réglée  donne  de  très  bons  résultats  et 
voici  comment  Ton  procède  encore  aujourd'hui. 

Les  armateurs  donnent  la  liste  des   navires  qu'ils  veulent 
:  envoyer.  Ceux-ci,  suivant  leur  tonnage,  sont  répartis  en  trois 

catégories  : 

!'•  catégorie . . , Navires  de  plus  de  150  tonneaux  montés  par  au 

moins  30  hommes. 
2e        —  ., Navires  de  90  à  150  touneaux  montés  par  au 

moins  25  hommes. 
3"        —  Navires  de  moins  de  90  tonneaux  n'ayant  que 

20  hommes  à  bord. 

Puis  on  tire  au  sort  les  places  par  catégories. 
Malheureusement  toute  cette  réglementation  est  tombée  en 
désuétude  à  Theure  actuelle. 

En  1887. ...      9  places  seulement  furent  occupées. 
En  1892....     16  places  furent  occupées  par  18  navires. 
En  1902..,.       5  places  seulement  furent  utilisées  par  leurs  pro- 
priétaires momentanés. 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON  047 

La  maison  Véry  occupa,  sur  la  côte  Est,  la  baie  du  cap  Rouge 
où  dans  le  temps  passé  on  rencontrait  trois  établissements  dis- 
tincts, en  ruines  aujourd'hui.  Sur  la  côte  Ouest,  les  maisons 
Lemoine  et  Guibert  occupèrent  deux  places  au  Nouveau  Port  au 
Choix  ;  la  maison  Saint-Mieux  s'en  fut  à  Tîle  Saint-Jean  ;  enfin, 
une  maison  de  Saint-Pierre  s'installa  sur  Tîle  Rouge. 

\os  armateurs  français  n'abandonnent  pas  la    pèche,   mais- 
réfèrent  les  bancs  à  la  côte. 

Bien  entendu,  lorsque  les  demandeurs  sont  si  peu  nombreux,. 
0  tirage  au  sort  n  a  pas  lieu  et  Tarrangement  se  fait  à  l'amia- 
ble. Le  tirage  au  sort  effectué,  l'armateur  est  tenu  d'envoyer  la 
première  année  le  navire  présenté,  ou  un  autre  de  la  môme 
catégorie,  à  l'endroit  qui  lui  a  été  affecté.  Faute  de  quoi  il  est 
passible  d  une  forte- amende. 

Les  années  suivantes,  il  peut  se  dispenser  d'occuper  le  lieu 
de  pèche.  Une  autre  obligation  lui  incombe  ;  il  est  tenu  d'entre- 
tenir en  bon  état  et  de  réparer  les  établissements  à  terre  :  mai- 
sons, cabanes,  graves,  appontements...  afin  que  le  successeur 
ne  trouve  pas  en  trop  mauvais  état  les  «  temporary  buildings  »,. 
les  constructions  passagères.  Cette  obligation,  contre-partie  de 
l'assurance  que  donne  l'Etat  à  l'armateur  de  tenir  libre  le  lieu 
de  pêche,  est  évidemment  tout  à  l'avantage  des  armateurs  qui 
sont  assurés  ainsi  de  trouver  toujours  des  locaux  pas  trop 
endommagés.  Ces  locaux  sont  gardés,  durant  l'hiver,  par  quelque 
malheureux  Terre-Neuvien,  français  déserteur  souvent,  qui,, 
moyennant  une  très  faible  rétribution,  empêche  la  neige,  la 
glace,  les  tempêtes  de  tout  détruire,  en  faisant  séance  tenante 
les  consolidations  courantes  nécessitées  par  les  avaries  et  les 
accidents  dus  aux  intempéries. 

Tout  cela  est  du  temps  passé.  La  côte  Est  n'a  plus  de  morues, 
ou  du  moins  n'a  plus  de  morues  en  quantité  suffisante  pour 
permettre  l'envoi  de  ces  grosses  expéditions  de  2  navires  et  de 
80  à  100  hommes.  Les  petites  goélettes  nomades  font  encore 
des  saisons  fructueuses  :  mais  pour  le  moment  c'en  est  fait  de 
la  grande  industrie  de  la  pêche  sédentaire. 

Le  seul  établissement  français  du  cap  Rouge  (côte  Est)  ne  cou- 
vrit, en  1902,  guère  plus  que  ses  frais.  Son  capitaine  eut  à  lutter 
contre  les  Terre-Neu viens  des  environs  qui  venaient  lui  disputer 
son  poisson  sur  son  lieu  de  pêche.  Ils  venaient,  ces  malheu- 
reux, de  fort  loin,  8  et  10  milles  en  doris,  pour  pêcher  de  quoi 
nourrir  eux  et  leur  famille,  là  seulement  où  il  y  avait  encore | 
quelques  morues,  c'est-à-dire  dans  l'étendue  de  mer  réservée 
à  l'établissement  français. 

Si,  à  ces  disputes  continuelles  avec  l'habitant,  on  joint  la 


648  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   BT   COLONIALES 

difficulté  qu'éprouve  le  capitaine  à  régler  son  travail  de  pêche 
et  de  sécherie  suivant  le  temps  —  car  la  morue  doit  ^tre  séchée 
avant  Tappareillage  pour  France  ;  —  Tanxiété  constante  dans 
laquelle  il  est  de  se  procurer  de  la  boette,  dans  le  cas  où  celle-ci, 
harengs,  capelans  ou  encornets,  ne  viendrait  pas  d'elle-même 
se  faire  prendre  dans  les  eaux  de  son  établissement;  enfin  la 
disparition  de  la  morue,  on  s'explique  pourquoi  la  côte  Est  est 
abandonnée  pour  les  bancs,  malgré  les  avantages  que  les 
hommes  trouvent  à  être  installés  à  terre,  tant  pour  leur  vie 
matérielle  que  pour  leur  sécurité  personnelle  en  cas  de  mauvais 
temps.  Le  capitaine  du  navire  armé  pour  le  banc  a  son  plan  de 
travail  tout  tracé.  Partant  de  France  avec  de  la  boette  con- 
servée, il  utilise  les  longues  journées  de  la  traversée  à  disposer 
ses  lignes  et  apparaux  divers;  puis,  parvenu  à  l'endroit  choisi^ 
il  mouille,  et  une  demi-heure  après,  les  douze  doris  sont  à  l'eau 
à  élonger  leurs  harouelles.  Les  relever,  les  remouiller,  trancher 
et  saler  le  poisson,  sera  l'occupation  journalière  des  hommes. 
Si  la  boette  vient  à  manquer,  le  capitaine  fait  pêcher  sur  place 
du  bulot,  du  capelan  ou  de  Tencornet,  ou  décide  Tappareillage 
pour  Saint-Pierre.  Si  le  mauvais  temps  vient,  si  la  morue  ne 
donne  pas,  le  capitaine  appareille  pour  attendre  le  beau  temps 
ou  chercher  de  meilleurs  fonds.  Puis,  l'automne  venu,  il  reprend 
la  route  de  France. 

Combien  plus  simple  pour  le  capitaine,  mais  combien  plus 
pénible  pour  les  marins,  cette  existence  de  six  mois  passée  tou- 
jours les  mains  dans  l'eau,  soit  dans  de  frôles  embarcations, 
soit  sur  un  navire  étroit,  encombré,  puant  et  toujours  ballotté! 

Les  quatre  établissements  de  la  côte  Ouest  sont  mieux  par- 
tagés. Ils  sont  moins  ennuyés  par  les  Terre-Neuviens;  la  monie 
est  restée  abondante,  le  climat  est  moins  dur,  la  saison  de 
pêche  plus  longue.  Il  y  a  donc  lieu  d'espérer  que  quelques  arma- 
teurs affirmeront  toujours  nos  droits  sur  cette  partie  du  French- 
Shore,  par  leur  seule  présence. 

Lorsque  plusieurs  navires  français  se  trouvent  réunis  quelque 
part,  pour  quelque  raison  que  ce  soit,  le  plus  ancien  capitaine 
est  investi,  de  par  le  fait  de  son  ancienneté,  d'une  magistrature 
toute  momentanée.  Il  prend  le  nom  de  «  capitaine  prud'homme», 
et  le  cas  échéant,  peut  remplir  le  rôle  d'arbitre,  de  concilia- 
teur, de  témoin  assermenté,  et  fixer  parfois  les  points  litigieux 
dans  les  conflits  qui  se  jugeront  par  la  suite  à  Saint-Pierre  ou 
en  France. 

Le  grand  traité,  dans  lequel  sont  stipulés  nos  droits,  accorde 
au  Français  un  droit  exclusif  de  pêche.  Le  gouvernement  terre- 
neuvien  n'est  jamais  allé  jusqu'à  discuter  nos  droits,  maisseu- 


i 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON  649 

lement  la  qualité  exclusive  de  ces  droits  que  le  quai  d'Orsay 
interprète  ainsi  :  interdiction  de  pêche  à  tout  autre  qu'à  nous. 

Au  début  du  siècle  nous  avons  vu  nos  navires  métropolitains 
s'établissant  par  centaines  sur  le  French-Shore  même.  La  morue 
s'en  est  allée  dans  les  mers  lointaines,  nos  navires  l'ont  suivie 
et  le  French-Shore  s'est  trouvé  abandonné  comme  centre  de 
pêche.  Mais  qui  vous  dit  que  ce  poisson  nomade  n'y  reviendra 
pas  et  que  nos  armateurs  ne  voudront  pas  renvoyer  leurs 
navires  aux  anciennes  places? 

De  cette  possibilité  naît  l'obligation  de  réserver  l'avenir;  en 
l'espèce,  de  maintenir  nos  droits. 

LA    BOKTTE 

Parallèlement  à  l'abandon  relatif  du  French-Shore,  s'est  déve- 
loppée grandement  l'exploitation  des  bancs,  et  nous  voyons 
actuellement  12.000  hommes  occupés  pendant  six  ou  huit  mois 
de  l'année  à  capturer  des  morues  aux  environs  de  Terre-Neuve. 
Mais,  pour  cette  capture,  un  appât  est  indispensable;  il  varie 
avec  les  saisons  et  se  prend  pour  une  grande  part  sur  la  côte  de 
l'île  anglaise.  C'est  de  l'obligation  pour  nous  d'aller  nous  appro- 
visionner sur  l'île  voisine  que  naît  l'importance  capitale  que 
nos  pêcheurs  accordent  à  la  possession  de  cette  île,  ou  plutôt 
à  la  possibilité  de  pêcher  librement  dans  ses  eaux  territoriales 
et  sur  ses  grèves. 

Matériellement,  il  était  difficile  à  notre  gouvernement  et  à 
ses  représentants  sur  les  lieux,  les  commandants  des  navires 
de  guerre,  d'empêcher  les  malheureux  établis  sur  la  côte  de 
prendre  de  la  morue  pour  leur  subsistance  ;  car  ce  pays  est  si 
pauvre,  si  froid,  que  tout  autre  moyen  de  vivre  est  pour  ainsi 
dire  inconnu.  Petit  à  petit  cette  pêche  s'est  développée;  mais  il 
ne  semble  pas  qu'elle  ait  été  la  cause  primordiale  du  départ 
des  morues,  toute  réserve  faite  cependant  sur  l'emploi  des 
filets  appelés  «  trappes  à  morues  »,  emploi  interdit  par  les  deux 
gouvernements,  mais  dont  l'usage  est  encore  assez  répandu 
parmi  les  Anglais. 

Ces  pêcheurs  en  fraude  nous  rendaient  même  service  lors- 
qu'ils venaient  à  Saint-Pierre  apporter  des  harengs,  seule 
boette  du  printemps  dont  ils  trouvaient  toujours  dans  notre 
colonie  un  écoulement  assuré  et  rémunérateur.  Mais  le  gou- 
vernement de  Saint-Jean,  contrairement  à  l'opinion  du 
Foreign  Office,  contrairement  à  l'esprit  et  à  la  lettre  des 
traités,  dans  le  but  inavoué  d'arrêter  l'essor  de  notre  arme- 
ment, décréta  son  fameux  «  bait-bill  »  de  1887,  qui  lui  occa- 


i 


650  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

sionna  de  lourdes  dépenses  et  ruina  les  habitants  de  toute  la 
côte  Sud.  Ces  habitants  réclamèrent  et  leurs  députés  interpel- 
lèrent le  gouvernement;  des  élections  se  firent  sur  cette  ques- 
tion. Mais  tout  cela  sans  succès.  Les  pAcheurs  ne  trouvèrent 
qu'un  moyen  de  ne  pas  mourir  de  faim  devant  leurs  navires 
pleins  de  harengs,  celui  de  passer  outre  au  décret  et  de  venir 
en  fraude  à  Saint-Pierre  écouler  leur  marchandise.  Pour  répri- 
mer cette  contrebande.  Saint- Jean  arma  des  gardes-pêche,  et 
grâce  à  eux,  réussit  après  quelques  années  à  arrêter  toute 
sortie  de  poissons  pouvant  servir  à  boetter  les  lignes  à 
morues. 

Ainsi,  en  avril  1891,  36  goélettes  anglaises,  bravant  les 
rigueurs  du  blocus,  sont  venues  apporter  du  hareng  à  Saint- 
Pierre.  Le  vapeur  terre-neuvien  n'a  pu  agir  contre  un  si  grand 
nombre  de  bateaux,  qui  étaient  du  reste  décidés  à  lutter  contre 
lui,  si  Fun  d'eux  était  capturé.  Ils  naviguèrent  de  conserve  au 
retour  comme  à  l'aller. 

Et  ce  ne  fut  réellement  pas  banal  de  voir  des  voiliers  anglais 
venant  se  réfugier  à  l'abri  de  nos  eaux  et  des  canons  de  nos  sta- 
tionnaires.  Malheureusement  tout  cela  date  de  plus  de  vingt  ans 
et  pour  le  moment,  non  seulement  les  Terre-Neuviens  ne  peu- 
vent plus  venir  vendre  leur  poisson  à  Saint-Pierre,  mais  nos 
navires  ne  peuvent  plus  aller  s'approvisionner  sur  la  côte  an-  j 
glaise.  Des  règlements  draconiens  interdisent  toute  vente  de  , 
boette  à  tous  navires  étrangers  :  canadiens,  américains,  fran-  j 
çais.  Il  s'ensuit  donc  pour  nous  l'obligation  inéluctable  d'aller  j 
nous  approvisionner  nous-mêmes  de  harengs  au  French-Shore, 
à  la  baie  Saint-Georges  particulièrement.  Cette  baie  se  trouve 
dans  le  sud  de  la  côte  Ouest,  à  petite  distance  de  Saint-Pierre. 
Elle  est  le  point  d'atterrissage  du  hareng,  d'est  sur  ces  grèves 
qu'il  vient,  par  bandes  innombrables,  se  jeter  à  la  côte. 

L'apparition  de  ce  précieux  poisson  a  lieu  en  général  vers  la 
lin  d'avril.  On  le  pêche  simultanément  dans  la  baie  des  lies  et 
à  Saint-Georges,  aussi  bien  que  sur  tous  les  rivages  de  cette 
côte  ;  mais  c'est  aux  environs  de  Saint-Georges  que  les  bandes 
arrivent  les  plus  nombreuses.  Un  village  de  pêcheurs  s'est  donc 
créé,  par  la  force  même  des  choses,  et  il  compte  aujourd'hui 
2.000  habitants,  ne  vivant  que  delà  mer.  Le  hareng  n'arrive  pas 
chaque  année  à  la  même  date  ;  il  ne  se  présente  pas  en  une 
seule  fois,  mais  bien  par  bandes  espaçant  leur  venue  de  plu- 
sieurs jours,  plusieurs  semaines  parfois,  pendant  les  mois 
d'avril  et  mai. 

Un  navire,  qui  vient  pour  se  boëtter,  possède  les  sennes  néces- 
saires pour  capturer  le    hareng.  Tout  est  pour  le  mieux  s'il 


SAINT-PIERRE   ET   MIQUELON  65t 

tombe  au  moment  de  la  présence  du  poisson  dans  la  baie  ;  mais 
si  la  malchance  veut  qu'il  arrive  à  une  époque  où  le  hareng 
est  rare,  il  devra  attendre  longtemps  peut-être,  tandis  que  la 
veille  de  sa  venue,  des  bancs  de  harengs  couvraient  la  baie. 
Dans  ces  conditions,  de  nombreux  capitaines  et  armateurs  pré- 
fèrent acheter  leur  boette  et  se  mettre  sans  plus  tarder  en 
quête  de  morues. 

Plus  avantageusement  placé  que  nos  capitaines,  le  pêcheur 
de  Saint-Georges  est  toujours  sur  les  lieux.  Il  est  sûr  d'écouler 
sa  pêche,  sqit  fraîche,  aux  Français,  Américains,  Anglais,  pré- 
sents au  mouillage  ;  soit  conservée,  à  Halifax  et  Boston.  Bref, 
il  n'a  qu'à  attendre  la  venue  du  poisson,  à  le  capturer,  à  le 
vendre  au  plus  offrant.  Les  Saint-Georgeais  nous  font  donc  là 
une  concurrence  directe,  contraire  aux  stipulations  des  traités 
qui  nous  reconnaissent  un  droit  de  pêche  exclusif.  Ils  le  savent, 
et  n'ont  jamais  fait  de  difficultés  pour  céder  leurs  places  aux 
capitaines  français  désireux  de  donner  un  coup  de  senne.  Le 
bon  vouloir  des  Terre-Neu viens  de  Saint-Georges  va  même 
parfois  plus  loin.  Entre  deux  navires,  l'un  français,  l'autre 
étranger,  recherchant  du  hareng,  ils  donnent  souvent  la  préfé- 
rence au  navire  français,  et  cela  dans  l'espérance,  il  est  vrai, 
de  voir  le  commandant  de  notre  stationnaire  ne  pas  se  montrer 
trop  rigoureux  dans  la  défense  de  nos  droits,  qui  vont  jusqu'à 
la  possibilité  de  faire  lever  les  filets  à  tout  pêcheur  non 
français. 

D'autre  part,  les  commandants  anglais  s'emploient  parfois  à 
amener  les  détenteurs  de  harengs  à  vendre  leur  poisson  à  cer- 
tains de  nos  banquiers  arrivés  en  retard  ou  en  de  mauvais 
moments.  Bref,  à  Saint-Georges,  nous  ne  sommes  pas  trop 
mal  vus,  ainsi  que  vont  encore  le  prouver  les  quelques  dépê- 
ches suivantes  échangées  à  Fépoque  de  la  promulgation  du 
«  bait-bill  ». 

Dépêches  échangées  entre  les  habitants  de  Saint-Georges 
représentés  par  M.  F.  Howley,  préfet  apostolique,  et  M.  Carty 
Rond,  du  gouvernement  de  Saint- Jean  : 

26  avril  1887. 
Une  corvette  française  est  ici.  Elle  s'informe  au  sujet  du  hareng.  La 
confirmation  du  «  bait-bill  »  par  la  Reine  apportera  une  ruine  et  un  dé- 
sastre complets  chez  tous  vos  constituants. 

Signé  :  Howley. 

26  avril  1887. 
Le  gouvernement  ne  peut  pas  empêcher  les  Français  de  se  procurer  de 
la  boette  entre  les  caps  Rage  et  Saint- Jean,  tant  que  les  traités  seront  en 


f«52  QUKSTIONS   DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALi£S 

vigueur.  Ne  pensez-vous  pas  que  la  ratification  du  traité  de  la  boette  ten- 
drait à  faire  bénéficier   le  district   de  sommes  importantes,  répandues 

^  annuellement  parmi  les  habitants  pour  Tachât  de  la  boette. 

i  Signé  :  Carty. 

k.  21  avril  1881. 

|-  Les  Français  n'achèteront  pas,  mais  prendront  le  hareng  ici.  Ils  ne 

1  laisseront  pas  les  nôtres  le  prendre.  Ils  feront  enlever  aussi  tous  les 
\  magasins  et  le  reste  à  Sandy-Point  pour  se  faire  de  la  place. 

r  Signé  :  Howley. 

f.  21  avril  1881. 

jr  Une  corvette  française  est  ici  ;  elle  menace  de  ne  pas  laisser  les  nôtres 

\',  prendre  un  seul  hareng  Tan  prochain.  Les  Français  s'approvisionneront 

v-  eux-mêmes  et  feront  enlever  aussi  tous  les  magasins  à  Sandy-Foint.  La 

^  confirmation  du  bill  apportera  une  ruine  complète  de  tout  le  littoral. 

t/x  Signé  :  Howley. 

i 

28  avril  1881- 

';'  Il   est  très  croyable  que   le   capitaine   de  la  corvette  rit  à  Tidée  de 

;-  Saint-Jean  empêchant  les  Français  de  se  procurer  de  la  boette.  La  France 

2  est  disposée  à  n'épargner  aucune  dépense  pour  acheter  des  sennes  et  des 
t*  armements  de  pêche.  Le  Gouvernement  français  supporte  toutes  les 
/  dépenses.  15.000  francs  ont  été  votés  pour  les  recherches  et  les  informa- 
f  tions  nécessaires  cette   année  ^  Le  hareng  est  à  Saint-Georges  le  seul 

moyen  d'existence  pour  la  plupart.  Si  on  l'enlève,  qu'est-ce  que  Saint-Jean 
L-  «st  disposé  à  faire  pour  nous?  Enfin  40.000  personnes  du  French-Shore, 

de  Plaisance,  de  Fortune  dépendent  des  Français  directement  ou  indirec- 
tement. Le  «  bait-bill  »  est  simplement  pour  le  profit  d'un  petit  nombre  de 
personnes  de  Saint-Jean  et  de  la  côte  Est. 

Signé  :  Howley. 

L'importance  du  French-Shore  apparaît  donc  clairement. 
Mais  quelques  chiffres  fixeront  le  degré  de  son  importance. 

Une  goélette  saint-pierraise  de  6  doris  consomme  environ 
80  barils  de  harengs,  du  début  delà  p^che  à  l'arrivée  du  cape- 
lan,  c'est-à-dire  jusqu'aux  premiers  jours  de  juin.  Un  fécara- 
pois,  de  300  tonneaux  et  i4  doris,  consommera  200  barils  ;  et  un 
grand  établissement  à  terre  sur  la  côte,  employant  100  hommes, 
utilisera  60  barils  par  jour.  Chaque  baril  porte  400  poissons 
environ. 

Or,  la  France  arme  plus  de  200  goélettes  saint-pierraises  et 
plus  de  200  métropolitains,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus 
haut. 

11  est  vrai  de  dire  que  tous  ne  fréquentent  pas  Saint-Georges. 

1  Renseignement  faux,  mais  qui  n'a  pu  que  fort  bien  faire  pour  la  défense  de  nos 
intérêts. 


SAINT-PIEKHE   ET   MIQUELON  653 

La  plupart  des  banquiers  métropolitains  arrivent  de  France 
avec  du  hareng  conservé  pour  leur  première  pêche. 

D'autres  trouvent  à  Saint-Pierre  du  hareng  apporté  par  les 
uns  ou  les  autres.  Enfin  une  soixantaine  seulement  de  navires 
français  vont  chaque  année  à  Saint-Georges,  soit  pécher  du  ha- 
reng pour  leur  approvisionnement  propre,  soit  pour  approvi- 
sionner le  marché  de  Saint-Pierre. 

Après  le  hareng,  la  boette  employée  est  le  capelan.  Celui-ci 
fait  son  apparition  au  commencement  de  juin,  aussi  bien  sur  la 
côte  Est  que  sur  la  côte  Ouest.  Et  pour  lui  encore  les  banquiers 
cessent  la  pêche  de  la  morue,  dès  que  leur  approvisionnement 
de  hareng  est  épuisé.  Ils  vont  sur  le  French-Shore  ou  à  Saint- 
Pierre  remplir  leurs  barils  vides. 

Ainsi  la  côte  française  de  Terre-Neuve  nous  est  indispen- 
sable pour  fournir  d'appâts  les  navires,  pendant  les  deux  pre- 
miers tiers  de  la  saison  de  pêche.  Car,  durant  le  dernier  tiers, 
l'encornet  est  seul  employé  et  se  prend  en  quantité  considé- 
rable dans  la  rade  même  de  Saint-Pierre. 

Parmi  les  animaux  pouvant  servir  d'appât,  il  ne  faut  pas 
compter  le  bulot  ou  escargot  de  mer,  inventé  par  le  Fécampois 
en  1885  et  dont  Tusage  nous  fût  d'un  si  grand  secours  pendant 
les  années  qui  suivirent  la  mise  en  vigueur  du  «  bait-bill  »,  puis- 
qu'il nous  permit  de  supporter  aisément  le  coup  mal  dirigé  de 
Saint-Jean.  Le  bulot  est,  en  effet,  presque  totalement  délaissé 
aujourd'hui,  car  il  donne  des  résultats  très  médiocres  comme 
boette,  après  avoir  fait  faire  au  début  des  pêches  très  conve- 
nables. A  quoi  cela  tient-il?  Personne  ne  le  sait...  Mais  n'im- 
porte; nos  pêcheurs  savent  posséder  sur  les  bancs  un  animal  de 
capture  aisée  et  capable  d'amorcer  leurs  lignes  le  jour  où,  ité- 
rativement,  nos  aimables  voisins  tenteraient  de  ruiner  notre 
industrie. 

A  voir  comment  les  choses  se  passent,  on  ne  peut  que  trou- 
ver peu  politiques  les  décisions  du  Parlement  de  Saint-Jean. 
En  s'abstenant  d'émettre  le  bill  d'interdiction  de  vente  de  la 
boette,  il  laissait  ouvert  à  ses  ressortissants  l'important  dé- 
bouché de  Saint-Pierre,  capable  d'absorber  la  plus  grande  partie 
des  produits  de  leur  industrie,  marché  qui  ne  pouvait  que  se 
développer  et  dont  ils  auraient  été  les  seuls  fournisseurs.  Et  par 
surcroît,  il  éloignait  nos  navires  de  la  baie  Saint-Georges.  Car 
ceux-ci,  trouvant  à  se  boëtter  contre  espèces  sonnantes  à  Saint- 
Pierre  même,  ne  seraient  plus  allés  perdre  leur  temps  à 
quérir  le  hareng  là  où  il  se  trouve  sur  la  côte  terre-neuvienne. 

Le  gouvernement  a  mis  son  budget  en  déficit  par  l'armement 
de  gardes-pêche  et  l'entretien  d'un  corps  de  douaniers  ;  et  il  a 


L 


654  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    BT  GQKQiaALES 

ruiné  en  partie  ses  ressortissants  en  leur  enlevanileur  plus  sûr 
gagne-pain  dans  ce  pays  de  très  maigres  ressources.  Tout  cela 
sans  nous  causer  grands  préjudices. 

Pour  nous  résumer  :  le  French-Shore  nous  est  indispensable 
pour  fournir  de  boette  nos  très  nombreux  navires  banquiers. 

Il  nous  est  indispensable  pour  continuer  d'y  pAcher  la  morue, 
le  homard  et  le  saumon.  La  valeur  du  produit  total  de  la  pêche 
de  ces  deux  espèces  d'animaux  étant  relativement  faible,  eu 
égard  à  la  valeur  de  la  morue,  nous  ne  nous  appesantirons  pas 
sur  ces  industries  secondaires,  bien  qu'elles  ne  fassent  qu'ac- 
croître l'intérêt  qu'il  y  a  pour  nous  à  conserver  intacts  nos 
droits,  bien  qu'elles  viennent  à  l'appui  de  notre  thèse  :  soute- 
nir Je  gouvernement  dans  la  protection  de  nos  droits. 


Le  Breton. 


_k«^ 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES 


I.   —  EUROPE. 

France.  —  Le  nouveau  yonverneur  général  de  V Algérie,  —  Au  premier 
conseil  des  ministres  qu'il  a  présidé  après  son  retour  en  France,  le 
5  mai,  M.  Loubet  a  signé  la  nomination  de  M.  Jonnart  au  gouver- 
nement général  de  l'Algérie.  M.  Jonnart  avait  déjà  occupé  ces  hautes 
fonctions  du  3  octobre  1900  au  11  mai  1901.  De  même  qu'à  cette 
époque,  M.  Jonnart  conserve  son  mandat  de  député  et  est  investi 
d'une  délégation  de  six  mois,  renouvelable  il  est  vrai. 

La  personnalité  de  M.  Jonnart  est  trop  connue  et  trop  appréciée 
de  tous  les  amis  de  l'Algérie  pour  que  nous  ayons  besoin  Aï 
commenter  longuement  le  choix  du  gouvernement.  Nous  ne  pouvons 
mieux  faire  que  répéter  les  quelques  lignes  que  nous  écrivions  ici 
même,  le  15  octobre*  1900,  et  qui  se  retrouvent  de  toute  actualité  : 

La  sympathie  respectueuse  que  nous  avons  témoignée  à  M.  Laferrière 
ne  fera  pas  défaut  à  son  successeur,  M.  Jonnart.  Ce  dernier  va  en  Algérie 
en  «  mission  temporaire  ».  Peut-être  cette  étiquette  ne  fera-t-elle  pas  très 
bon  effet  sur  les  Algériens,  qui  ont  eu  quatre  gouverneurs  en  quatre  ans 
et  se  plaignent  avec  raison  des  inconvénients  d'une  pareille  instabilité. 
Ils  se  consoleront  en  pensant  qu'en  France  il  n'y  a  que  le  provisoire  qui 
dure... 

...  M.  Jonnart  a  rempli  autrefois  d'importantes  fonctions  en  Algérie  et 
il  n'a  pas  cessé  de  s'occuper  de  la  situation  de  ce  pays...  On  ne  pouvait 
certes  pas  faire  un  meilleur  choix.  M.  Jonnart  connaît  les  choses  d'Al- 
gérie et  on  connaît  ses  idées  sur  l'Algérie... 

Notre  opinion  aujourd'hui  n'a  point  varié.  De  même  que  nous  le 
faisions  en  1900,  nous  regrettons  encore  que  M.  Jonnart  ait  préféré 
ne  recevoir  qu'une  délégation  de  six  mois.  Ce  regret  est  même  peut- 
être  plus  vif  actuellement,  car,  plus  que  jamais  l'Algérie  réclame  — 
et  à  juste  raison  —  un  gouvernement  stable  et  suivi.  L'œuvre  de 
réforme  et  d'organisation  qui  s'accomplit  dans  notre  grande  colonie 
africaine,  et  qu'a  si  heureusement  avancée  M.  Revoit,  est  de  celles 
qui  ne  peuvent  s'accommoder  du  provisoire.  En  outre,  nous  craignons 
qu'en  conservant  son  mandat  de  député,  en  restant  sous  l'empire  des 
préoccupations  parlementaires  et  des  combinaisons  ministérielles, 
M.  Jonnart  n'ait  pas  toujours  toute  la  liberté  d'esprit  qu'exigent  ses 
hautes  fonctions.  Nous  souhaitons  vivement  qu'il  en  soit  autrement. 


656  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

et  cela  dans  rintérét  supérieur  de  TAlgérie  ;  mais  notre  appréhensioo 
nous  paraît,  en  tout  état  de  cause,  assez  légitime. 

Il  est  d'ailleurs  curieux  de  remarquer  que  le  souci  que  nous  expri- 
mons ici  ne  nous  est  pas  particulier  ;  il  a  été  formulé  dans  la  presse 
française,  très  nettement,  et  nous  le  retrouvons  indiqué  avec  une 
singulière  précision  par  un  journal,  bien  désintéressé  dans  la  ques- 
tion, ce  qui  ajoute  encore  à  l'intérêt  de  son  commentaire.  Au  lende- 
main de  la  nomination  de  M.  Jonnart,  le  Journal  de  Genève  écrivait 
en  effet  les  lignes  suivantes  : 

Le  conseil  des  ministres  a  soumis  ce  matin  à  la  signature  du  Président 
de  la  République  la  nomination  de  M.  Jonnart  au  poste  de  gouverneur 
général  d'Algérie.  M.  Jonnart  avait  bien  débuté  il  y  a  deux  ans  et  demi. 
Mais  de  douloureuses  circonstances  de  famille  l'avaient  obligé  à  quitter 
Alger,  au  bout  de  neuf  mois.  Maintenant  sa  femme,  la  fille  de  M.  Aynard^ 
député  de  Lyon,  est  morte.  Il  va  reprendre  l'expérience  au  point  où  l'avait 
laissée  M.  Revoil,  disparu  si  inopinément,  après  avoir  obtenu  toutes 
sortes  de  succès  à  la  Chambre. 

Le  choix  du  ministre  est  excellent,  et  les  amis  de  l'Algérie  peuvent  se 
féliciter  de  l'acceptation  de  M.  Jonnart.  Mais  une  chose  sans  doute  les 
contrarie,  moins  pour  elle-même  que  pour  ce  qu'elle  pourrait  présager  :  ne 
voulant  pas  renoncer  à  son  siège  de  député,  le  nouveau  gouverneur  n'est 
délégué  que  pour  six  mois.  Son  mandat,  sans  doute,  est  indéfiniment  re- 
nouvelable; mais  en  gardant  un  pied  à  la  Chambre,  M.  Jonnart  a  l'air  de 
vouloir  être  en  mesure,  tous  les  six  mois,  de  préférer  à  son  mandat  de 
gouverneur  celui  de  député.  Or,  s'il  est  un  besoin  que  les  récents  événe- 
ments aient  fait  sentir  à  tous  les  Algériens,  sans  exception,  c'est  celui  de 
la  stabilité  dans  le  gouvernement. 

N*est-il  pas  intéressant  de  voir  cette  opinion  ainsi  formulée  par 
un  organe  aussi  indépendant  des  préoccupations  de  notre  politique 
intérieure  ? 

—  Le  voyage  du  roi  d! Angleterre  en  Frame,  —  Le  roi  d'Angleterre,  ea 
quittant  Tltalie  où  nous  signalions  son  passage  il  y  a  quinze  jours, 
est  venu  à  Paris  et  a  été  notre  hôte  pendant  trois  jours,  du  1*'  au 
4  mai.  La  ville  de  Paris  lui  a  fait  un  accueil  parfaitement  digne  et 
courtois.  Cette  visite,  très  oflicielle  et  très  diplomatique,  n'a  d'ailleurs 
été  marquée  d'aucun  incident,  et  s'est  accomplie  correctement,  sui- 
vant toutes  les  règles  du  protocole.  Le  Roi  et  le  Président  ont 
échangé  les  compliments  d'usage,  et  les  toasts  qu'ils  ont  prononcés^ 
au  diner  ofliciel  du  dimanche  3  mai,  ont  été  d'une  solennelle  insigoi- 
fiance. 

Le  Président  de  la  République  a  pris  le  premier  la  parole  en  ces 
termes  : 

Sire, 

Je  lève  mon  verre  en  l'honneur  de  Votre  Majesté.  Je  vous  remercie  cor- 
dialement de  votre  visite  et  de  cette  manifestation  des  relations  amicales 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES  657 

qui  existent  si  heureusement  entre  nos  deux  pays  et  qui  doivent  se  resser- 
rer encore  pour  le  dév#loppement  de  tant  d'intérêts  communs  et  pour  la 
paix  du  monde. 

A  Sa  Majesté  le  Roi,  à  Sa  Majesté  la  Reine,  à  toute  la  famille  royale,  à 
leur  bonheur  et  à  la  prospérité  de  la  Grande-Bretagne  ! 

Le  roi  Edouard  Vil  a  répondu  au  Président  de  la  République  : 

Les  paroles,  Monsieur  le  Président,  que  vous  venez  de  prononcer  m'ont 
vivement  touché,  et  c'est  à  moi  de  vous  remercier  pour  la  belle  réception 
que  j'ai  eue  ici. 

Je  connais  Paris  depuis  mon  enfance  ;  j'y  suis  revenu  bien  des  fois  et 
j'ai  toujours  admiré  la  beauté  de  cette  ville  unique  et  Tesprit  de  ses 
habitants. 

Je  n'oublierai  jamais  l'accueil  que  j'ai  reçu  de  vos  mains,  Monsieur  le 
Président,  de  votre  gouvernement  et  du  peuple.  Je  suis  heureux  de  cette 
occasion,  qui  resserrera  les  liens  d'amitié  et  contribuera  au  rapprochement 
•de  nos  deux  pays  dans  leur  intérêt  commun.  Notre  grand  désir  est  que 
nous  marchions  ensemble  dans  la  voie  de  la  civilisation  et  de  la  paix. 

Je  lève  mon  verre  en  l'honneur  du  Président  de  la  République  et  pour  la 
prospérité  et  la  grandeur  de  la  France. 

Il  est  certain  que  les  paroles  adressées  par  Edouard  Vil  au  roi  d'Ita- 
lie, au  dîner  officiel  de  la  cour,  avaient  été  autrement  précises  et 
chaleureuses.  Le  roi  d'Angleterre  s'était  alorè  exprimé  ainsi  : 

Je  peux  vous  assurer,  sire,  qu'il  m'a  été  bien  agréable  de  venir  une  fois 
encore  à  Rome  et  de  vous  rendre  ainsi  visite.  J'ai  pleine  confiance  que  les 
sentiments  de  mutuelle  amitié  qui  ont  depuis  si  longtemps  existé  dans  mon 
pays  et  dans  le  vôtre  ne  cesseront  jamais.  Nous  aimons  tous  les  deux  la 
liberté  et  les  libres  institutions  et  ayant  ses  grands  objectifs  devant  nous, 
nous  avons  marché  ensemble  dans  les  voies  de  la  civilisation  et  du  progrès, 
nous  employant  en  même  temps  au  maintien  de  la  paix  universelle. 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  nous  avons  combattu  côte  à  côte  et,  quoique 
j'aie  la  confiance  qu'une  autre  occasion  ne  doive  pas  se  présenter,  j'ai  la 
certitude  que  nous  serons  toujours  unis  pour  la  cause  de  la  liberté  et  de  la 
civilisation,  ainsi  que  pour  le  bien  universel  et  la  prospérité  de  toutes  les 
.nations. 

Les  deux  toasts  du  Roi  sont  évidemment  parallèles,  mais  la  diffé- 
rence n'en  est  pas  moins  significative. 

Lesseules  déclarations  politiques  un  peu  importantesd'Ëdouard  Vil, 
à  Paris,  sont  celles  qu'il  a  faites  à  Toccasion  de  la  réception  des 
membres  de  la  Chambre  de  commerce  anglaise  de  Paris.  Aux 
souhaits  de  bienvenue  de  ses  sujets,  le  Roi  a  répondu  en  effet  par 
les  paroles  suivantes  : 

Messieurs, 
C'est  avec  un  vif  plaisir  que  j'ai  entendu  l'adresse  empreinte  de  loya- 
lisme et  de  respect  que  vous  m'avez  présentée  de  la  part  de  la  Chambre  de 
QuEST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  42 


658  QUESTIONS  DIPLOUATIQUES   ET   COLONIALES 

commerce  anglaise  de  Paris  et  je  vous  remercie  des  assurances  que  vous 
me  donnez  de  votre  attachement  à  ma  personne.    » 

Il  est  à  peine  besoin  que  je  vous  dise  avec  quel  plaisir  sincère  je  me 
trouve  une  fois  de  plus  dans  ce  Paris  auquel»  vous  le  savez,  j*ai  fait,  par  le 
passé,  de  très  fréquentes  visites,  avec  un  plaisir  toujours  plus  grand,  pour 
lequel  j'éprouve  un  attachement  fortifié  par  tant  d'heureux  souvenirs  que 
le  temps  ne  pourra  jamais  effacer. 

Je  me  rends  parfaitement  compte  de  Timportance  des  intérêts  que  vou> 
représentez,  intérêts  qui,  je  suis  heureux  de  le  penser,  croîtront  d'année 
en  année  et  qui  tendent  à  rendre  plus  intenses  les  sentiments  d'amitié  et 
de  respect  mutuel  qui  ont  heureusement  caractérisé  les  relations  entre  ce 
pays  et  le  mien  depuis  plus  d'un  siècle. 

Les  jours  d'hostilité  entre  les  deux  pays  sont,  j'en  ai  la  ferme  confiance, 
heureusement  finis,  et  j'espère  que,  dans  Tavenir,  l'histoire,  quand  elle 
étudiera  les  relations  anglo-françaises  pendant  le  siècle  où  nous  sommes, 
ne  pourra  trouver  qu'une  amicale  émulation  dans  le  domaine  commercial 
et  industriel  ;  j'espère  que,  dans  l'avenir,  comme  dans  le  passé,  la  Fraoce 
et  l'Angleterre  pourront  être  regardées  comme  les  champions  et  les  pion- 
niers de  la  civilisation  et  du  progrès  pacifique. 

Je  ne  connais  pas  deux  pays  dans  le  monde  dont  la  prospérité  mutuelle 
dépende  plus  l'un  de  l'autre.  Il  a  pu  y  avoir  des  malentendus  et  des  causes 
de  dissension  dans  le  passé,  mais  tout  cela  est,  je  le  sais,  heureusement 
fini  et  oublié. 

L'amitié  des  deux  pays  est  l'objet  de  mes  constantes  préoccupations  et  je 
compte,  Messieurs,  sur  votre  compagnie,  sur  vous  tous  qui  jouissez  de 
l'hospitalité  française  dans  cette  ville  magnifique  pour  m'aider  à  atteindre 
ce  but. 


Ces  paroles  du  roi  d'Angleterre  ne  sauraient  se  passer  d'un  court 
commentaire.  D'abord  il  faut  remarquer  que  le  Roi  a  préféré  faire 
devant  ses  propres  sujets  les  déclarations  qui,  dans  sa  pensée, 
devaient  préciser  la  portée  de  son  voyage  en  France.  En  quoi,  il  afort 
bien  agi,  car,  prononcés  devant  un  auditoire  français,  certains  pas- 
sages de  ce  discours  auraient  été  vraiment  un  peu  durs  à  entendre. 

Nous  ne  sommes  certes  pas  des  adversaires  de  parti  pris  et  irrai- 
sonnés de  l'Angleterre.  Nous  reconnaissons  parfaitement  les  avan- 
tages très  réels  qu'aurait  pour  notre  pays,  aussi  bien  d'ailleurs  que 
pour  l'empire  britannique,  et  pour  les  progrès  de  la  civilisation  dans 
le  monde,  une  politique  d'entente  sincère  et  loyale.  Mais  les  paroles 
d'Edouard  VII  nous  paraissent  cependant  empreintes  d'un  optimisme 
quelque  peu  exagéré.  Quand  le  roi  d'Angleterre  déclare  que  les 
malentendus  du  passé  sont  heureusement  finis  et  oubliés,  il  nous 
semble  aller  un  peu  vite.  Nous  savons  très  bien  qu'il  est  dans  la  nature 
humaine  —  des  rois,  comme  des  simples  particuliers  —  de  pardonner 
aisément  et  d'oublier  plus  aisément  encore  les  torts  que  Ton  a  eus, 
les  injustices  que  l'on  a  commises  et  les  coups  que  l'on  a  portés,  mais 


KENSEIGNBHBNTS   POLITIQUES  659 

il  esl  sage  de  garder  une  certaine  réserve  dans  Texpression  de  cette 
trop  philosophique  générosité. 

Encore  une  fois,  nous  sommes  tout  disposés  à  chercher,  dans  un 
esprit  amical,  à  résoudre  les  questions  pendantes  entre  nous  et  l'An- 
gleterre ;  mais  nos  voisins  devraient  reconnaître  que,  nous  aussi,  nous 
avons  à  sauvegarder  et  à  défendre  des  intérêts  et  des  droits,  pour 
lesquels  il  nous  faut  de  sérieuses  garanties  et  des  solutions  équitables. 

Allemagne.  —  Le  voyage  de  V empereur  Guillaume  en  Italie.  —  A  peine 
Edouard  VII  avait-il  quitté  Rome,  en  route  pour  Paris,  que  Guil- 
laume II  arrivait  en  Italie,  pour  y  rendre  à  Victor-Emmanuel  III 
la  visite  que  celui-ci  lui  avait  faite  à  Berlin,  après  son  avènement. 
C'était  donc,  à  première  vue,  d'une  visite  purement  protocolaire 
qu'il  s'agissait,  et  dont  la  portée  politique  ne  pouvait  pas  être  très 
considérable.  Effectivement,  les  toasts  échangés,  au  Quirinal,  entre 
le  Roi  et  l'Empereur,  ne  se  sont  distingués  par  rien  de  caractéristique, 
si  ce  n'est  par  la  non-mention  de  l'Autriche-Hongrie.  On  y  a  affirmé 
solennellement  le  maintien  de  l'alliance  entre  l'Allemagne  et  l'Ita- 
lie, toujours  sur  les  mêmes  bases,  ce  qui  ne  fait  que  confirmer  une 
fois  de  plus  l'opinion  que  nous  avons  maintes  fois  exprimée  ici, 
malgré  toutes  les  affirmations  officieuses. 

En  somme,  on  pourrait  dire  que  la  visite  du  souverain  allemand  au 
roi  d'Italie  aurait  passé,  cette  fois,  presque  inaperçue,  si  elle 
n'avait  eu  pour  pendant  une  démonstration  très  significative  en 
Thonneur  de  la  papauté.  On  aurait  même  pu  croire  que  la  visite 
au  Roi  n'était,  pour  Guillaume  II,  qu'un  prétexte,  son  but  prin- 
cipal étant,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  d'aller  faire  sa  cour  à 
Léon  XIII.  Il  l'a  faite,  cette  fois-ci,  avec  une  ardeur  très  marquée 
et  visiblement  calculée.  Il  faut  reconnaître  qu'il  agissait  ainsi 
conformément  à  sa  politique  constante,  qui  est,  à  l'intérieur,  de 
se  rapprocher  du  Centre  catholique,  et  à  Textérieur,  de  faire  de 
l'Allemagne  une  puissance  aussi  bien  catholique  que  protestante) 
dans  le  but  de  profiter  du  prestige  et  de  l'influence  qui  peuvent  ré- 
sulter de  la  propagande  des  missions. 

Nous  avons,  à  plusieurs  reprises,  insisté  sur  ce  que  cette  politique 
allemande  avait  de  dangereux  et  de  menaçant  pour  nos  droits  tra- 
ditionnels et  pour  nos  intérêts  les  plus  directs,  les  plus  élevés. 
Cette  fois  le  danger  est  apparu  encore  plus  réel  et  plus  immédiat. 
C'est  là  un  sujet  qu'il  nous  est  véritablement  pénible  d'aborder,  mais 
que  le  devoir  patriotique  nous  interdit  également  d'éviter.  L'in- 
fluence de  l'Allemagne  auprès  du  Vatican  ne  peut  se  développer 
qu'au  détriment*  de  notre  influence  propre,  et  il  est  malheureuse- 
ment évident  que,  par  notre  faute,  l'influence  allemande  progresse 
d'une  manière  redoutable.   Du  reste,  pour  montrer  combien   nos 


660  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

appréhensions  sont  légitimes,  nous  ne  pouvons  mieux  faire  que 
citer  ici  l'opinion  du  correspondant  romain  du  Journal  de  Oemvt^ 
organe  protestant,  comme  on  sait,  qui  commentait  ainsi  le  voyage 
de  Guillaume  II  : 

Le  «  clou  »  de  ce  troisième  voyage  à  Rome  de  Guillaume  II  a  été  cer- 
tainement sa  visite  au  Pape.  Le  cortège  impérial,  avec  ses  quatorze  voi- 
tures, son  escorte  de  piqueurs  et  de  cuirassiers,  les  brillants  uniformes  de 
l'Empereur,  des  princes  impériaux  et  de  toute  la  suite  de  Guillaume  II. 
du  comte  de  Biilow,  du  maréchal  de  Waldersee,  etc.^  etc.,  était  d'une 
splendeur  incomparable.  Durant  mes  vingt-deux  ans  de  séjour  à  Rome, 
j'ai  rarement  vu  quelque  chose  de  plus  impressionnant  et  surtout  de  plus 
suggestif.  Personne  ne  pouvait  croire  que  ce  fût  là  un  souverain  protes- 
tant qui  allait  au  Vatican  accomplir  un  acte  de  courtoisie  à  Tégard  «le 
Léon  XIII.  On  eût  dit  un  nouveau  Gharlemagne  se  rendant  à  Saint-Pierre 
pour  se  faire  couronner  par  le  Pape  empereur  d'Occident.  Les  Romains 
étaient  dans  le  ravissement. 

Guillaume  II  est  entré  au  Vatican  en  triomphateur,  et  on  l'y  a  reçu  non 
comme  un  souverain  hérétique,  mais  presque  comme  un  protecteur  attitré 
du  catholicisme,  comme  une  de  ces  Majestés  apostoliques  ou  très  chré- 
tiennes que  les  papes  comblaient  jadis  de  témoignages  de  leur  amitié  et 
de  leur  déférence.  C'est  que,  en  efTet,  cette  visite  de  Guillaume  II  à 
Léon  XIII,  que  l'Empereur  a  tenu  à  entourer  d'un  éclat  extraordinaire,  se 
produit  à  un  moment  psychologique.  C'est  k  l'heure  même  où  la  France, 
la  fille  ainée  de  l'Eglise,  se  dispose  ou  tout  au  moins  semble  prête  à 
rompre  avec  la  papauté  ses  liens  séculaires,  que  l'empereur  d'Allemagne  a 
tenu  à  affirmer  de  la  façon  la  plus  ostensible,  la  plus  sensationnelle,  son 
amitié  étroite  avec  le  chef  de  l'Église  catholique.  Ce  contraste  ne  déplaît 
pas  à  Guillaume  II  et  peut-être  même  est-il  prémédité.  On  assiste  ainsi. 
dans  ce  déclin  du  pontificat  de  Léon  XIII,  à  un  étrange  renversement  des 
situations. 

Quand  Léon  XIII  ceignit  la  tiare,  le  Kulturkampf  sévissait  encore  en 
Allemagne.  Aujourd'hui,  il  a  passé  le  Rhin.  C'est  la  France  qui  déclare  la 
guerre  au  catholicisme,  et  un  empereur  allemand  et  protestant  —  que  ce 
soit  par  calcul  politique,  peu  importe  —  se  pose  comme  son  protecteur  et 
son  allié.  J'aurai  l'occasion  de  revenir  sur  les  questions  religieuses  agitées 
avec  le  Vatican  au  cours  de  ce  voyage  de  Guillaume  IL  Je  me  borne  au- 
jourd'hui à  vous  signaler  l'immense  impression  produite  dans  tout  le 
monde  catholique  romain  par  la  pompe  triomphale  dont  TEmporeiu-  a 
entouré  sa  visite  à  Léon  XIII. 

Du  Vatican,  Guillaume  II  a  passé  presque  sans  transition  au  Mont- 
Cassin,  cette  fameuse  abbaye  où  l'idée  monastique  a  brillé  d'un  si  vif  éclat, 
et  qui  fut  constamment  aussi,  il  faut  le  reconnaître,  un  foyer  de  libéra- 
lisme. Bien  plus  qu'une  simple  visite  politique,  on  dirait  que  Guillaume  II, 
dans  ce  troisième  voyage  en  Italie,  accomplit  une  sorte  de  pèlerinage 
mystique.  Et  c'est  là  surtout  ce  qui  nous  parait  en  constituer  l'intérêt  et 
Torigin  alité. 

J'ai  eu  l'occasion  de  m'entretenir  avec  un  i^ut  personnage  qui  assistait 


RKNSEIGNEKEiNTS   POLITIQUES  661 

au  dîner  offert  à  l'Empereur  à  la  légation  de  Prusse,  avant  son  départ 
pour  le  Vatican.  Il  m'a  dit  combien  il  avait  été  frappé  de  l'élévation  mo- 
rale de  Guillaume  II,  de  ses  idées  profondément  religieuses  et  chré- 
tiennes, de  la  force  et  de  la  sollicitude  avec  lesquelles  il  ne  craint  pas  de 
les  exprimer.  Au  cours  de  la  conversation»  la  question  biblique  est  venue 
sur  le  tapis  et  Guillaume  II  a  saisi  l'occasion  de  faire  une  profession  de 
foi  franchement  chrétienne,  qui  a  profondément  impressionné  tous  les 
assistants,  parmi  lesquels  se  trouvaient  trois  cardinaux  et  plusieurs  pré- 
lats. 

D'ailleurs,  dans  les  cercles  du  Vatican,  on  ne  dissimule  pas  la 
salisfaclion  profonde  qu'a  causée  au  Souverain  Pontife  et  à  son  en- 
tourage Téclat  inusité  de  la  visite  de  Guillaume  II;  les  multiples 
attentions  que  l'Empereur  a  prodiguées  à  la  cour  pontificale  sont 
l'objet  des  commentaires  les  plus  favorables.  Et  c'est  ce  qui  devrait 
être,  de  la  part  de  nos  gouvernants,  l'objet  dés  plus  sérieuses 
réflexions. 

Angleterre.  —  Projet  d'un  arbitrage  permanent  entre  la  Franre  et  VAn- 
!/leterre.  —  Un  certain  mouvement  d'opinion,  dû  principalement  à 
l'initiative  de  M.  Barclay,  ancien  président  de  la  Chambre  de  com- 
merce anglaise  de  Paris,  vient  de  se  manifester  chez  nos  voisins 
d'outre-Manche,  particulièrement  dans  les  grandes  villes  manufac- 
turières, commerçantes  et  maritimes  du  Nord-Ouest  de  l'Angleterre, 
en  faveur  d'un  projet  de  traité  instituant  d'une  façon  permanente 
entre  la  France  et  la  Grande-Bretagne  la  procédure  de  l'arbitrage 
inlernational  pour  la  solution  de  toutes  lés  difficultés  et  de  tous 
les  litiges,  actuels  ou  futurs,  depuis  longtemps  pendants  ou  pouvant 
survenir  entre  les  deux  nations. 

Comme  on  le  voit,  les  questions  que  soulève  un  pareil  projet  ne 
sont  pas  de  mince  importance,  ni  peu  compliquées;  et  l'affaire  mé- 
rite d'être  mûrement  considérée  avant  de  se  laisser  prendre  à  l'ap- 
parente générosité  ou  séduire  par  les  problématiques  bienfaits  d'un 
tel  projet.  Nous  nous  proposons  de  l'étudier  à  fond  et  sans  parli 
pris,  mais  dès  à  présent  on  peut  remarquer  qu'il  aurait  pour  effet 
de  faire  de  la  France  une  quantité  négligeable  toutes  les  fois  que 
des  conflits  internationaux  viendraient  à  surgir  entre  d'autres  na- 
tions et  l'Angleterre,  la  France  se  trouvant  liée  par  l'efTet  du  traité 
dont  il  s'agit,  et  condamnée  à  l'immobilité. 

Turquie.  —  La  question  macédonienne.  —  La  situation  s'est  encore 
compliquée  ces  jours  derniers,  par  suite  des  troubles  sanglants  qui 
ont  éclaté  à  Salonique.  Quelques  insurgés  ont  parcouru  la  ville, 
jetant  des  bombes  partout  sur  leur  passage  et  incendiant  les  princi- 
paux monuments,  notamment  la  Banque  impériale  ottomane. 
L'émotion  a  été  considérable,  et  la  répression  atroce.  La  France, 
ritalie,  l'Autriche  ont  aussitôt  envoyé  des  bâtiments  de  guerre  dans 


i 


662  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET  COLOrOALES 

les  eaux  de  Salonique  pour  assurer  la  sauvegarde  de  leurs  natio- 
naux. La  Turquie  a  cherché  à  rejeter  sur  les  Bulgares  toute  la  respon- 
sabilité de  ces  déplorables  événements.  On  comprend  trop  bien  l'in- 
térêt qu'elle  a  à  agir  ainsi,  pour  faire  diversion  aux  difficultés  que 
lui  cause  la  situation  en  Albanie.  Mais  il  faut  espérer  que  l'attitude 
énergique  des  puissances  saura  remettre  les  choses  au  point  et 
maintenir  Tordre,  sans  prendre  le  change  sur  les  véritables  respon- 
sabilités de  chacun. 

n.  —  AFRIQUE. 

Tunisie.  —  Le  voyage  du  Président  ds  la  République.  —  Nous  n'avons 
pu,  il  y  a  quinze  jours,  que  signaler  le  voyage  de  M.  Loubet  en  Tuni- 
sie, puisque  ce  voyage  s'accomplissait  au  moment  même  où  nous 
devions  paraître.  Nous  croyons  devoir  y  revenir  aujourd'hui  et 
reproduire  ici  le  discours  prononcé  par  le  Président  de  la  République 
au  banquet  officiel  que  lui  offrit  le  Bey  de  Tunis.  Voici  le  texte  de  ce 
document  : 

Je  remercie  Votre  Altesse  des  paroles  qu*elle  vient  de  prononcer.  Je  les 
recueille  au  nom  du  gouvernement  de  la  République  comme  un  nouveau 
et  solennel  témoignage  de  la  sincérité  avec  laquelle  Votre  Altesse  s'associe 
à  nos  efforts.  Par  vingt  années  d'un  règne  paisible,  votre  vénéré  père,  Sidi 
Ali  Bey,  dont  le  souvenir  respecté  vit  dans  nos  mémoires,  a  marqué  à  ses 
successeurs  la  A^oie  qu'ils  doivent  suivre.  Votre  Altesse  a  compris,  à  son 
exemple,  qu'en  se  plaçant  à  nos  côtés,  loyale  et  confiante,  la  dynastie  hus- 
seinite  n'a  rien  à  redouter  du  protectorat  devenu  sa  plus  sûre  garantie.  Je 
suis  heureux  de  constater  son  accord  intime  avec  le  gouvernement  de  la 
République  pour  la  réalisation  progressive  de  l'œuvre  entreprise  dans  ce 
pays  désormais  indissolublement  lié  à  la  France. 

Je  porte  la  santé  de  Son  Altesse  Sidi  Mohamed  el  Hadi  Bey,  et  je  forme 
les  vœux  les  plus  ardents  pour  sa  prospérité  et  celle  de  la  dynastie  hussei. 
ni  te. 

Messieurs, 

Il  y  a  vingt  ans,  à  peine,  que  le  protectorat  s'est  constitué  sous  l'impul- 
sion première  de  Jules  Ferry,  et  cependant,  à  mesurer  le  chemin  parcouru 
et  les  résultats  obtenus,  il  semble  qu'il  y  aurait  fallu  plus  d'un  demi-siècle. 

L'ordre  public,  la  sécurité  des  biens  et  des  personnes  exactement  assurés; 
la  propriété  immobilière  fondée  sur  un  régime  qu'envient  à  la  Tunisie  les 
législations  de  la  vieille  Europe  ;  les  finances  conduites  avec  une  sagesse 
telle  que  depuis  dix  années  les  budgets  de  la  Régence  se  soldent  par  des 
excédents  annuels  de  2  à  4  miUions  ;  grâce  à  cette  heureuse  politique  finan- 
cière, et  avec  les  ressources  qu'elle  a  créées,  l'outillage  économique  con- 
stitué :  2.500  kilomètres  de  routes  et  quatre  grands  ports  créés  de  toute? 
pièces,  le  réseau  des  voies  ferrées  porté  de  230  à  près  de  1.000  kilomètres; 
enfin  et  parallèlement,  le  mouvement  des  échanges  s'élevant  en  vingt  ans 
de  20  millions  de  francs  à  plus  de  100  millions. 

Tel  est  le  résumé  économique  du  régime  auquel  la  France  a  apporté  son 
concours  et  son  autorité. 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  663 

Sans  doute  votre  œuvre  n*est  pas  finie,  Messieurs  ;  mais  ce  qui  est  fait 

nous  est  un  sûr  garant  de  l'avenir ,  et  je  suis  heureux  d'apporter  au  nom  de 
la  mère  patrie,  à  la  colonie  française  de  Tunisie,  mes  remerciements,,  mes 
félicitations  et  mes  vœux. 

Nos  vœux  et  nos  encouragements  vont  aussi  à  la  population  indigène. 
Soigneusement  avertie  de  nos  intentions,  assurée  du  respect  de  ses  tradi- 
tions et  de  ses  croyances,  la  population  tunisienne  s'est  loyalement  associée 
à  l'œuvre  de  restauration.  Elle  n^a  pas  tardé  à  constater  combien  lui  était 
profitable  cette  coopération  à  laquelle  on  l'avait  invitée  et  quelle  part  le 
gouvernement  du  protectorat  lui  gardait  dans  ses  préoccupations  pour  la 
satisfaction  des  besoins  économiques  et  législatifs  qui  lui  sont  propres.  Son 
exemple  démontrera  que  l'assimilation  n'est  pas  la  condition  nécessaire  de 
l'union,  et  que,  pour  être  fondées  sur  le  respect  mutuel  des  traditions  de 
races,  les  associations  de  peuples  n'en  sont  pas  moins  paisibles,  durables 
et  fécondes. 

Comment  oublierais-je,  Messieurs,  la  colonie  étrangère  ?  Comment  oublie- 
rais-je  surtout  ces  nationaux  d'une  puissance  amie  venus  en  nombre  sur 
ces  rivages  et  qui  prennent  silencieusement  la  part  que  vous  savez  à  la  mise 
en  valeur  du  sol.  La  Tunisie  est  heureuse  de  leur  offrir  l'hospitalité  et  le 
gouvernement  français  n'a  d'autre  désir  que  de  voir  régner  toujours  la 
bonne  intelligence  entre  cette  colonie  étrangère  et  les  autres  éléments  de 
la  population. 

Tous  ces  concours,  Messieurs,  auxquels  je  viens  de  rendre  hommage,  il 
les  fallait  coordonner  afin  de  leur  faire  produire,  sans  heurts  et  sans  agita- 
tions contraires,  leur  plein  effet.  Ce  fut  l'œuvre  de  ces  administrateurs  qui, 
à  Paris  et  à  Tunis,  par  une  étude  attentive  des  milieux,  des  temps,  des 
hommes  et  des  choses,  par  une  appréciation  éclairée  des  besoins  et  des 
moyens,  ont  conçu  la  méthode  du  protectorat,  l'ont  appliquée  et  progres- 
sivement conduite  à  son  entier  développement. 

Avec  le  haut  appui  de  S.  A.  le  Bey,  avec  la  coopération  de  vos  éminënts 
chefs  de  services,  et  de  la  colonie  française  devenue  chaque  année  plus 
nombreuse,  vous  continuez.  Monsieur  le  Résident  général,  à  veiller  avec 
sollicitude  sur  les  destinées  de  la  Tunisie.  Vous  les  conduirez  avec  prudence 
et  modération,  dans  un  accord  commun,  sans  agitations  ni  divisions  sté- 
riles. Et,  de  son  côté,  le  gouvernement  de  la  République,  dans  l'exercice 
de  sa  tutelle  sur  l'État  protégé,  continuera  d'affirmer  son  respect  des  libres 
initiatives  qui  ont  fait  la  prospérité  et  doivent  demeurer  le  fondement  du 
protectorat. 

Je  bois.  Messieurs,  à  la  Tunisie,  au  protectorat  qui  la  fait  chaque  jour 
plus  prospère  et  plus  forte. 

Je  bois  à  la  colonie  française,  à  la  population  tunisienne,  à  la  colonie 
étrangère. 

Je  bois  aux  administrations  civiles,  aux  armées  de  terre  et  de  mer. 

Je  bois  à  l'union  de  tous,  chaque  jour  plus  étroite  et  plus  féconde  autour 
du  représentant  du  gouvernement  de  la  République  et  de  la  Régence. 

Algérie.  —  Dans  le  Sud-Oranais.  —  Une  nouvelle  attaque  de  convoi 
vient  de  se  produire  dans  le  Sud-Oranais  :  ce  convoi  était  insuffi- 
samment protégé  par  un  détachement  du  corps  spécial  de  police 


664  OUKSTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONULBS 

indigène  qui  a  été  récemment  créé  et  dont  l'organisation,  incomplète 
ou  malheureusement  entravée,  aurait  mal  fonctionné. 
Voici  comment  s'est  produite  celte  dernière  attaque  : 

Le  convoi  français,  comprenant  50  hommes  et  500  chameaux  environ, 

parti  le  3  mai  pour  Taghit,  a  oté  enlevé  le  6  par  une  troupe  de  1.500 

BeraJiers. 

y  CVst  à  la  séance  que  le  conseil  général  d'Oran  a  tenue  le  7  mai  que  la 

0  nouvelle  a  été  donnée.  M.  Carrafang,  conseiller  général  de   Saida,  a  fait 

Ç  connaître,  pour  appuyer  un  vœu  tendant  au  prolongement  du  chemin  de 

fer  au  delà  de  Ben-Ounif,   qu'il  venait  d*être  informé,  par  dépêche  de 


h 


V  Duveyrier,  qu'un  convoi  aA'ait  été  complètement  enlevé  à  25  kilomètres  de 

^>  Taghit  par  une  harkha  de  600  cavaliers  et  900  fantassins,  et  qu'il  y  avail 

lly  de  nombreux  morts. 

Questionné  à  ce  sujet,  le  colonel  Chevreau,  représentant  le  général  de 
division,  a  déclaré  qu'il  lui  était  impossible  de  donner  des  explications.  Il 
croit  seulement  pouvoir  dire  que  le  convoi  ne  circulait  pas  sous  escorte 
militaire,  mais  bien  avec  une  escorte  de  makhazeni. 

Le  convoi  libre  était  composé  de  500  chameaux  portant  500  quintaux  de- 
farine,  200  hectos  de  vin,  du  sucre,  du  café,  des  vivres,  des  vêtements;  le 
tout  a  été  complètement  enlevé  par  une  harkha  ou  forte  troupe  de  1500 
hommes,  à  25  kilomètres  de  Taghit.  La  harkha  tua  30  sokliars  et  ea 
blessa  18  ;  elle  ne  put  nullement  être  inquiétée,  vu  son  nombre,  ni  par  le 
poste  de  Moungar  et  d'El-Merra,  ni  par  l'escorte  qui  était  à  ce  moment 
entre  Morba  et  Moungar.  La  harkha  fit  deux  voyages  pour  enlever  les  mar- 
chandises et  campa  dans  la  nuit  en  plein  territoire  français,  aux  abords  de 
la  Zousfana,  allumant  des  feux. 

La  nouvelle  du  départ  du  convoi  avait  été  donnée  à  Figuig,  et  fut  portée  à 
la  harkha  par  un  indigène  de  Beni-Guil. 

Des  mesures  énergiques,  a  ajouté  le  colonel  Chevreau,  vont  être  prises 
pour  empêcher  ces  attaques,  qui  se  renouvellent  d'une  façon  inquiétaote 
depuis  quelque  temps. 

^  Nous  ne  saurions  trop  insister  sur  la  nécessité  qu'il  y  a  à  organiser 

promptement  la  défense  et  la  sécurité  de  nos  territoires  du  Sud- 
Oranais.  Nous  aurons,  d'ailleurs,  l'occasion  de  revenir  sur  ce  sujet. 

Maroc.  —  La  situation.  —  Les  dernières  dépèches  annoncent  que 
tous  les  Kabyles  des  environs  de  Tetouan,  au  nombre  d'environ  12.000, 
se  sont  unis  pour  cerner  la  ville  qui  est  assiégée.  Le  représentant  du 
sultan  à  Tanger  a  décidé  d'envoyer  à  Tetouan  les  troupes  et  les^ 
munitions  de  guerre  disponibles  pour  aider  les  habitants  à  défendre 
la  ville,  dont  la  situation  est  critique. 

Il  règne,  depuis,  une  certaine  émotion  dans  les  sphères  diplo- 
matiques de  Tanger  à  cause  de  ces  faits. 

D'autre  part,  une  dépêche  de  Sidi-bel-Abbès  au  Hercddo  annonce 
que  le  prétendant  menace  de  peines  sévères  les  Maures  d'Algérie 
qui  pénétreraient  sur  le  territoire  marocain,  et  les  Maures  du  Maroc 
qui  entreraient  sur  le  territoire  algérien. 


ï 


BENSEI&NEMENTS    ÉCONOMIQUES 


I.  —  GÉNÉRALITÉS, 


Les  grandes  compagnies  maritimes  européennes.  •—  Nous  trou- 
vons dans  Engineering  de  très  intéressants  détails  sur  le  nombre  des 
passagers  transportés  à  New-York  par  les  différentes  compagnies  de 
navigation  européennes. 

On  remarquera  que,  en  4902,  les  deux  grandes  compagnies  alle- 
mandes ont  eu,  à  elles  seules,  le  même  nombre  de  passagers  de 
cabines  que  les  cinq  compagnies  anglaises  et  le  double  de  passagers 
d'entrepont. 

Ces  chiffres  en  disent  long  sur  la  concurrence  que  fait  la  marine 
allemande  à  la  marine  anglaise. 


NOMS 

DB8    COMPAONISS 

PASSAGERS 
DB    CABINES 

passa6bks 
d'bntrbpont 

Norddeutscher  Lloyd 

21. 761 

20.698 

18.402 

16.308 

14.456 

8.634 

8.324 

1.099 

6.878 

3.843 

2.427 

1.S16 

1,304 

483 

157 

12« 

91 

80 

62 

110.697 
98.988 
40.225 
23.650 
20.658 
49.498 
35.712 
32.526 
47.119 

1.999 
10.524 
31.439 
20.226 

3.818 

2.367 
21.664 

1.474 
14.784 

Hambourfr-Âmérique 

White  Star 

Canard 

American 

Compagnie  Transatlantique 

Ancbor , 

H  olland- American 

Red-SUr 

Atlantic  Transport 

Allan-State 

Scandinavian. 

Italiana 

La  Veloce 

Ligne  portugaise  (Oporto) 

Emnreza  (Lisbonne^ 

Fabre 

Compania  Transatiantica 

Prince 

Il  n*est  pas  sans  intérêt  de  rappeler  à.  ce  propos  que  les  compa- 
gnies allemandes  améliorent  sans  cesse  leurs  services  et  que  leurs 
paquebots  sont  les  transatlantiques  les  plus  rapides. 

Nous  empruntons  encore  à  Engineering  tous  les  détails  qui  nous 
permettent  de  donner  dans  le  tableau  suivant  les  caractéristiques 
des  meilleurs  paquebots.  On  pourra  ainsi  se  rendre  compte  plus 
facilement  de  la  supériorité  des  navires  allemands. 


666 


RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES 


NOM  DU  PAQUEBOT 

Longueur 

Largeur 

Profondeur 

Tonnage 

brut 

(tonneaux) 

£    1 

eu    c 

II 

S    * 
S    ** 

A.         • 

II! 

^§1 

KaUer  Wilhelm  IL, 
(1902-N.  Ll.) 

2I5«34 
21.94 
16.05 

20.000 

775 

343 

770 

23  }i  —24 

Kronprinz  Wilhelm. 
(1901— N.  LL) 

202. 0-? 
20.12 
13.10 

15.000 

650 

350 

600 

23W  — 23^ 

DeuUchland 

(1900  Hamb.-Amer.) 

208.48 
20.42 
13.41 

16.502 

693 

302 

288 

23  1,-23?, 

Kaiser  Wilhelm  der 
Grosse 

197.70 
20.11 
13.11 

14.349 

590 

354 

6i0 

22  4—23 

(1898— N.  Ll.) 

Campania  et  Lucania 
(1893-Cunapd) 

189.58 
19.88 
12.65 

12.500 

600 

400 

700 

22,01 

Océanic ^ 

214.58 
20.85 
14.93 

17.274 

410 

300 

1000 

20,72 

(1899-White-SUr) 

St'Paul  et  St'Louis.. 
(1895  American  Line) 

170.14 
19.20 
12.80 

11.629 

320 

200 

800 

21,08 

Lorraine  et  Savoie, . . 
(1900— Ci«  TransaU.) 

177.20 
1«.47 
13.25 

11.869 

440 

120 

400 

21,9 

(aux  essais) 

i 


II.  —  AFRIQUE. 

Algérie.  —  La  pêche  côtière.  —  La  pèche  côtière  a  employé,  ea 
1902, 1.106  bateaux  el  4.710  hommes,  soit  53  bateaux  et  324  hom- 
mes de  plus  qu'en  1901. 

Le  rendement  de  la  pèche,  qui  était  de  â.762.349  francs  en  1901, 
8*est  élevé  à  2.879.191  francs  en  1902,  d'où  une  augmentation  de 
116.842  francs.  Cette  augmentation  se  répartit  ainsi  : 

Dans  le  quartier  d'Oran,  elle  s'est  élevée  à  79.392  francs  ;  elle  a  été 
réalisée  surtout  par  la  pèche  au  filet  bœuf. 

Dans  celui  de  Philippeville,  elle  a  été  de  120.000  francs.  Toutes  les 


RBNSSIGIIEIIGNTS  ÉCONOMIQUES  667 

espèces,  sauf  lanchois,  qui  a  fait  totalement  défaut,  out  contribué  à 
cette  augmentation.  Les  espèces  migratrices,  telles  que  sardines, 
allaches,  bonites,  ont  été  en  effet  très  abondantes.  D*autre  part,  les 
friteries  et  ateliers  de  salaisons  de  Philippeville  ont  été  en  pleine 
activité  pendant  la  campagne  sardinière. 

L  augmentation  a  été  de  20.567  francs  -dans  le  quartier  de  Bône. 
Mais  la  pèche  à  la  sardine  n'a  pas  contribué  à  cette  augmenta- 
tion, car  elle  a  été  complètement  infructueuse  dans  les  eaux  de 
Bône. 

Dans  le  quartier  d'Alger,  il  s'est  produit  une  diminution  de 
103.117  francs,  constatée  surtout  dans  les  produits  de  la  pèche  au 
bœuf  et  au  tartanon.  La  pèche  aux  filets  dits  sardinal  et  lamparo, 
ainsi  que  la  pèche  aux  palangres  et  aux  nasses,  et  les  madragues 
ont  donné,  au  contraire,  des  recettes  supérieures  à  celles  des  années 
précédentes. 

La  pèche  au  corail  n'a  pas  été  pratiquée  en  1902  dans  la  zone 
ouverte  à  Texploitalion  par  le  décret  du  lo  mars  1889  et  qui 
s'étend  de  la  frontière  tunisienne  au  cap  de  Fer.  L'abstention  des 
armateurs  de  ce  genre  de  pèche  doit  être  attribuée  à  ce  fait  que  les 
bancs  dévastés  par  une  exploitation  effrénée  de  plusieurs  années 
ne  se  sont  pas  reconstitués,  et  à  la  dépréciation  du  corail  dans  le 
commerce. 

La  réglementation  actuelle  de  la  pèche  côtière  en  Algérie,  établie 
en  1894  à  la  suite  d'une  enquête  sérieuse,  paraît  devoir  être  main- 
tenue dans  son  intégralité.  Elle  concilie,  dans  la  mesure  du  possible, 
les  intérêts  souvent  contradictoires  des  diverses  catégories  de 
pêcheurs,  et  assure  la  conservation  des  fonds  et  la  reproduction  des 
espèces. 

La  question  des  marsouins  a  préoccupé  en  Algérie,  comme  en 
France,  l'autorité  maritime.  Tous  les  modes  de  destruction  essayés, 
armes  à  feu,  harpons,  aiguilles  Belot,  appâts  empoisonnés,  n'ont 
donné  que  de  fkibles  résultats.  Seul,  le  système  d'allocations  aux 
pécheurs  d'indemnités  pour  pertes  de  matériel  de  pèche,  a  été  jus- 
qu'ici assez  efficace.  Le  taux  des  indemnités  allouées  varie  de  20  à 
25  francs,  suivant  Timportance  des  dégâts  occasionnés  par  la  capture 
des  marsouins. 


NOMINATIONS  OFFICIELLES 


■UVISTÉRE  DE  L'IIVSTRUCTIOIW  PUBLIQUE 

M.  Basset  (René),  directeur  de  l'Ecole  supérieure  des  lettres  d'Alger,  et  M.  Gsell, 
professeur  à  la  même  école,  sont  promus  chevaliers  de  la  Légion  d'honneur. 

MINISTÈRE  BES  AFFAIRES  ÉTRANCIÈRES 

L*exequatur  a  été  accordé  à  : 

M.  Vicente  Agliani,  consul  du  Guatemala,  à  Menton. 

Sont  promus  dans  la  Légion  d'honneur  : 

Au  grade  d* officier. 
MM. 

Hoy  (J.-B.-B.),  consul   général  de  France,  secret,    général  du  gouvern.  tunisien; 
Ducroquet  (P.>M.-A.},  direct,  des  finances  au  gouvern.  tunisien. 

Au  grade  de  chevalier. 
MM. 

Léal  (C.-H.),  direct,  de  la  sûreté  publique  en  Tunisie; 
Hugon  (H.-L.-L.),  direct,  de  Tagriculture  et  du  commerce  en  Tunisie; 
De  Carnière8(V.),  présid.  de  la  Chambre  d'agriculture  du  Nord,  présid.  de  l'Asso- 
ciation des  travailleurs  français  ; 

Gauvrjr  (T.-E.),  gérant  du  domaine  dePotinville; 

Delmas,  direct,  du  collège  Sadiki,  profess.  à  la  chaire  publ.  d'arabe; 

Gueydan  (A.),  avocat  défenseur  à  Tunis; 

Picard  (F.-L.),  ingén.  des  ponts  et  chaussées  de  l*"'  classe  à  Bizcrte. 

HlIVISTÈRE  DE  LA  «UERRE 

TroupeM  mélropolllalneft. 

CWALERIB 

Afrique  Oooidentale.  —  MM.  les  Ueul.  Solar  et  Aymé  sont  affeclés  au 
2<^  escad.  de  spahis  sénégalais . 

Troupes  col  «>n  la  les. 

INFANTERIE 

Afirique  Oooidentale.  —  M.  le  capil.  Duchemîn  est  aflecté  au  -i^^  séné- 
galais ; 

M.  le  lieut.  Citerne  est  affecté  à  la  2*  comp.  du  bataill.  de  la  Côte  dlvoire. 

Indo-Chine.  —  MM.  les  lieut,  Sautel  et  Martin  sont  afîectés  au  service  géogr. 
de  l'Indo-Chine. 

MM.  les  capit.  Renart  et  Cazalas  sont   désig.  pour  servir  en  Cochinchine. 

M.  le  capit.  Grézel  est  aiïecté  au  rég.  de  tirailleurs  annamites. 

M.  le  lieut.  Paul  est  désig.  pour  servir  au  Tonkin. 

Sont  affectés  : 

M.  le  chef  de  bat.  Douland,  au  9*  rég.  comme  major  ; 

M.  le  chef  de  bat.  Mayeur,  au  3«  tiraill.  tonkinois,  3*  bat.; 

M.  le  chef  de  bat.  Pansier,  au  2^  tiraill.   tonkinois,  l^f  but.; 

M.  le  capit.  Marchai,  au  9^  rég.  comme  capitaine-trésorier  ; 

M.  le  capit.  Jarty,  au  4«  tiraill.  tonkinois,  3*  comp.; 

M.  le  cap.  Courtin,  au  1er  tiraill.  tonkinois,  12*  comp.; 

M.  le  capit.  Heurtebize,  au  9*  rég.  comme  adjudant -major  et  commissaire 
rapp.  près  le  !•"•  conseil  de  guerre  ; 

M.  le  capit.  Ibos,  au  4''  tiraill.  tonkinois  (suite),  service  géogr.; 

M.  le  capit.  Vinet,  au  3*  tiraill.  tonkinois,  8«  comp.; 

M.  le  lieut.  Lecanu,  au  3«  rég.  tonkin.  comme  officier  d'habillement  et  d'arme- 
ment ; 

M.  le  lieut.  Masson,  à  l'état-maj.  partie,  chancelier  du  cercle  de  Bao-Ha; 

M.  le  lieut.  Legras,  à  l'état-maj.,  officier  de  renseign.  du  2«  territ.  milit.; 

M.  le  lieut.  Girardel,  à  l'état-maj.,  chancelier  du  cercle  de  Lao-Kay  ; 


NOMINATIONS  OFFICIELLES  669 

M.  le  lient.  Edon,  à  Tétat-maj.,  chancelier  du  cercle  de  Cao-Bang; 
M.  le  lieut.  Robert,  à  la  6«  comp.  du  2«  tonkinois; 
M.  le  lieul.  Lesquer,  à  la  8«  comp.  du  2«  tonkinois  ; 
M.  le  lieut,  Diesnis,  à  la  10*  comp.  du  2*  tonkinois; 
M.  le  lieut.  Lucquet,  à  la  1"  comp.  du    bat.  de  tirailleurs  chinois; 
M.  le  capit.  du  Reau,  à  la  1*^  comp.  du  9'  rég.; 
M.  le   capit,  Hénézech,  à  la  2^  comp.  du  9*  rég.; 
M.  le  capit.  Civet,  à  la  10*  comp.  du  9«  rég.; 
M.  le  capit.  Irigaray,  à  la   12*  comp.  du  10«  rég.; 
M.  le  capit.  NicoUe,  à  la  10"  comp.  du  3«  tonk.; 
M.  le  lieut.  Péri,  à  la  2'  comp.  du  l»»'  tonk.: 
M.  le  lieut.  Badin,  k  la  3«  comp.  du  !«'  tonk.; 
M.  le  lieut.  Fagot,  à  la  12«  comp.  du  l**"  tonk.; 
M.  le  lieut.  Pierre  (A. -A.),  à  la  5*    comp.  du  4«  tonk.: 
M.  le  sous-lieut.  Frech,  à  la 3'  comp.  du  9'  rég.; 
M.  le  souS'lieut.  Charbonnier,  à  la  2'  comp.  du  2«  tonk.; 
M.  le  sous-lieut.  Baillj,  à  la  Z^  comp.  du  3*  tonk.: 
M.  le  sous-lieut.  Jourdy,  à  la  11*  comp.  du  3«  tonk. 

Madagascar.  —  M.  le  capit.  Destoup  est  désig.  pour  %ervir  à  Madagascar. 
Nouvelle-Galédonie.  —  M.  le  lieut.  Façon  est  nommé  officier  comptable  du 
bat.  de  la  Nouvelle-Calédonie. 

ARTILLERIE 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  capit.  Cavrois  est  nommé  chef  du  service 
géogr.  de  lA.  O.  F. 

Indo-Chine.  —  M.  le  capit.  Danchaud  est  désig.  pour  le  service  des  travaux 
milit.  au  Tonkin. 

Sont  désignés  pour  servir  : 

A  la  direction  d'artillerie  à  Hanoi,  M.  le  lieut.^col.  Mallié  ; 

A  la  3*  batt.  ria  rég.  du  Tonkin  à  Hanoi,  M.  le  capit.  Bruyère  ; 

A  la  suite  du  rég.  du  Tonkin  à  Hanoi,  M.  le  lieut.  Madec; 

A  la  place  du  Cap  Saint- Jacques,  M.  le  lieut. -col.  Bonfils; 

M.  le  lieut.'Col.  Le  Bigot  est  nommé  au  command.  du  rég.  de  Cochinchine  à 
Saigon. 

Xadagascar.  —  M.  le  col.  Ruault  est  nommé  command.  de  la  défense  de 
Diégo-Suarez. 

Réunion.  —  M.  le  capit.  Lemoine  est  nommé  adjoint  au  command.  sup.  des 
troupes  de  la  colonie. 

SERVICE    DE    SANTÉ 

Afrique  Occidentale.  —  M.  le  méd.'aide^maj.  de  l'«  cL  Percheron  est  désig. 
pour  servir  h.  c.  en  Guinée  ; 

M.  le  méd.  aide-maj.  de  1"  cl.  Barot  est  désig.  pour  servir  H.  C.  en  Afrique 
Occidentale. 

Soot  affectés  : 

A  rhôpital  de  Saint-Louis,  M.  Merveilleux,  méd.-ppal.  de  2"  cl.; 

Au  chemin  de  fer  de  Kayes  au  Niger,  M.  Frontgous,  m^f/.  aide-maj.  de  l"  cl.; 

Au  bat.  de  Zinder  à  Sorbo-Haoussa,  M.  Mongie,  méd.  aide-maj.  de  \^*  cl.; 

Au  poste  de  Kaédi,  M.  Thézé,  méd.  aide-maj.  de  l"  cl. 

Guadeloupe.  —  Sont  affectés  : 

A  l'ambulance  de  Basse-Terre,  M.  Sarrat,  méd.-maj.  de  2*  cl.; 

A  l'ambulance  à%  Pointe-à-Pitre,  M.  Lamy,  méd.-maj.  de  2*  cL; 
Au  bal.  d'infant.,  M.  Thélème,  méd.  aide-maj.  de  !'•  cl. 

Indo-Chine.  —  Sont  affectés  ; 

A  l'hôpital  de  Quang-Yen,  M.  Laurent,  méd-ppal.  de  2*  cl.; 

A  rhôpital  de  Quang- Yen,  M.  Arami,  méd.-maj.  de  l""*  cl.; 

A  l'ambulance  de  Sontay,  M.  Dumas,  méd.-maj.  de  l"  cl,; 

A  l'ambulance  de  Lang-Son,  M.  Fortoul,  méd.-maj.  de  !'•  cl.\ 

Au  service  de  santé  de  la  Cochinchine,  M.  Ilbert,  méd.-maj.  de  l""»  c/.; 

A  l'ambulance  de  Fort-Bayard,  M.  Depied,  méd.-maj,  de  i^^  cl.\ 

A  Tambulancede  Moncay,  M.  Brau,  méd.-maj.  de  2*  cl.;  \ 

A  l'ambulance  de  Yen-Bay,  M.  Lecomte,  méd.-maj .  de  2*  cl.; 


670  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  BT  GOLONULES 

Au  rég.  d'artiU.  coloniale  an  Toekin,  M.  Morel,  mid.-maj.  de  2*  cl.; 
A  rambulance  de  Ha-Giang,  M.  Lafaarie,  méd.'tnaj.  de^r  cL; 
Au  poste  médical  de  Vinh,  M.  Morin,  mid.-maj.  de  2*  cl.  (H.  G.)  ; 
A  la  direclion  du  service  de  santé  à  Hanoi,  M.  Gaide,  méd.-maj,  de  2*  c/.; 
Au  poste  médical  de  Nam-Dinh,  M.  Micholet,  mid.'maj.  de  2«  cL\ 
A  Tambulance  de  Tujen-Quang,  M.  Pélissier,  méd^-maj.  de  t  cL; 
A  l'hôpital  de  Hanoi,  M.  Tanvet,  méd.-maj.  de  2*  c/.; 
Au  2«  bat.  du  18*  rég.  à  Haiphong,  M.  Huot;m^d.-i7ia/.  de  2«  cl.\ 
Au  18»  rég.  à  Tal-Nguyen,  M.  Maguona,  méd.  aidê-maj.  de  i^  cL; 
Au  iO"  rég.  à  Tal-Ngujen,  M.  Imbert  (J.-M.),-in«d.  aide-maj.  de  l"  cl.\ 
Au  2*  rég.  de  tiraill.  tonk.  à  Tien- Yen,  M.  Lenoir,  mid,  aide-maJ.  de  !'•  e/.; 
A  l'hôpital  de  Quang-Yen,  M.  Kernéis,  méd,  aide-maJ.  de  l'«  cl.; 
AThôpital  de  Hanoï,  M,  Duran,  méd,  aide-maj.  de  i^^  cl.; 
A  l'hôpital  d'Halphong,  M^  Laurenti,  méd.  aide^maj.  de  !''•  ci.; 
A  l'hôpital  de  Hanoi,  M.  Dourne,  méd,  aide^maj.  de  i'*  cl.; 
Au  l«f  rég.  de  tiraill.  tonk.,  M.  Hermant,  méd.  aide-major,  de  1"  cl.; 
A  rhôpital  de  Hanoi,  M.  Gensollen,  méd.  aide-maj.  de  1**  cl.\ 
A  l'hôpital  de  Hanoi,  M.  Léger,  méd,  mide-maj.  de  i^  cl.; 
A  rhôpital  de  Quang-\^n,  M.  Sallet,  méd.  aide-maj,  de  V  cl.; 
Au  10'  rég.  à  Phu-Lang-Thuong,  M.  Sarrailhé,  méd.  aide-maj.  de  l'«  ci., 
Au  10»  rég.  à  Hué,  M.  Meslin,  méd.  aide-maj.  de  !'•  cl.; 
Madagascar.  —  Sont  affectés  : 

A  l'hôpital  de  Tamatave,  M.  Carmouze,  méd.»maj.  de  i^  cl.; 
A  l'ambulance  de  Fort-Dauphin,  M.  Dérohert,  méd.-maj.  de  2*  cl.; 
Au  13«  rég.,  M.  Maurras,  méd,-maj.  de  2«  cl.; 

A  l'hôpital  de  Diégo-Suarez,  M.  Escande  de  Messières,  méd.-maj.  de  2*  ci; 
Au  bat.  sénégalais  de  Diégo-Suarez,  M  Haelewjn,  méd.  aide-maj.  de  1"  ci; 
A  Mahanoro,  M  Devy,  méd.  aide-maj  de  !»•«  cl.; 

Au  1"  rég.  de  tiraill.  malgaches,  M  Boucher,  méd,  aide-maj.  de  !«*  ci; 
Au  chemin  de  fer  (service  local),  M.  Poux,  méd.  aide-maj.  de  l»"'  cl.; 
Au  15*  rég.,  M.  Esserteau.  méd.  aide-maj.  de  l»'*'  cZ» 
Sont  désignés  pour  servir  à  Madagascar  : 

MM.  les  mid-maj.  de  2«  cl.  Martel,  Lesueur-Florent  et  Bailly;  les  méd.  aide- 
maj.  de  l^e  cl.  Ferris  et  Gallet  de  Santerre;  le  pharm.-maj.  de  2«  cl.  Garnaud. 

CORPS  ou  COMMISSARIAT 

Afrique  Oooidentale.  ~  M.  le  commisa.  de  !'«  cl.  Morin  est  nommé  sous 
ordonnateur  à  Kati  ;  M.  le  commise,  de  i'"  cl.  Croll  est  affecté  au  service  admi- 
nistratif à  Kayes  ;  M.  le  commise,  de  2*"  cl,  Lasne-Desvareille  est  nommé  sous- 
ordonnateur  a  Tombouctou. 

Indo-Chine.  —  Sont  désig.  pour  servir  en  Indo-Chine  . 

MM.  le  commise,  ppal.  de  3*  cl.  Blineau  ;  le  commise,  de  !'«  cl.  Jouannet;  les 
commiss.  de  2«  cl.  Richard,  Grenier,  Crâne  et  Thonnard  du  Temple. 

Congo.  —  M .  le  commiss.  de  2«  cl,  Dubois  est  désig.  pour  servir  au  Congo. 
Agents  comptables. 

NouveUe-Oalédonie.  —M.  Daguerre,  agent  compt.  de  2«  cl.,  est  désig.  pour 
servir  à  la  Nouvelle-(^alédonie. 

MINISTÈRE  DE  LA.  HAUNE 

éTAT-MAJOR  DE  LA  FLOTTK 

Sénégal.  —  M.  le  lient,  de  vaiss.  Veissier  est  nommé  direct*  iu  port  de  Dak»r. 

CORPS  DU  COMMISSARIAT 

Ooéan  Indien.  —  M.  le  commiss.  de  2^  cL  Vignole  est  désig.  pour  embarq. 
sur  la  Nièvre. 

MINISTÈRE  DES  COLONIES 

Par  décret  en  date  du  4  mai  1903,  M.  Roberdeau  (Henry- Charles- Victor-Amédée  , 
gouverneur  de  2«  classe  des  colonies,  lieutenant  gouverneur  de  la  Côte  d'Ivoire,  â 
été  nommé  gouverneur  de  f^  classe  ; 

M,  Clozel  (Marie-François),  secrétaire  général  de  1"  classe  des  colonies,  a  <^t* 
nommé  gouverneur  de  3**-  classe  des  colonies  et  chargé»  en  cette  qualité»  du  gouver- 
nement de  la  Côte  d'Ivoire. 


BIBUOGRAPHIE  —  LIVRES  ET  REVUES 


Hambourg  et  rAllemagne  contemporaine,  par  P.  de  Rousiers. 

Paris,  Colin. 

M.  de  Bousiers,  dont  on  connaît  les  savantes  et  intéressantes  études  sur 
les  États-Unis,  a  porté  depuis  quelque  temps  ses  recherches  sur  rAllemagne 
industrielle.  Le  nouveau  livre  qu'il  vient  de  publier  a  pour  but  de  faire  un 
tableau  vivant  et  complet  du  développement  économique  de  TAllemagne, 
dont  la  synthèse  se  trouve  à  Hambourg.  A  l'heure  actuelle,  Hambourg  est 
le  plus  grand  port  de  TAUemagne.  C'est  le  Liverpool  de  l'Europe  septen- 
trionale, mais  avec  un  hinterland  beaucoup  plus  étendu,  grâce  au  réseau 
fluvial  et  ferré  de  la  Prusse,  qui  permet  de  drainer  vers  la  mer  du  Nord  les 
produits  de  la  Bohême  et  même  du  bassin  du  Danube.  Mais  il  ne  faut  pas 
oublier  que  si  Hambourg  s'est  développé  avec  cette  étonnante  rapidité,  cela 
tient  à  son  union  de  plus  en  plus  étroite  avec  l'Empire,  depuis  son  entrée 
dans  le  Zollverein;à  la  facilité  des  transactions  opérées  dans  le  port  franc, 
ce  qui  attire  les  navires  du  monde  entier;  enfin  à  la  hardiesse  des  com- 
pagnies de  navigation  allemandes,  qui  n'ont  pas  craint  de  multiplier  leurs 
services  réguliers,  ni  de  renouveler  fréquemment  leur  flotte. 

Un  seul  point  noir  paraît  dans  ce  tableau  si  séduisant  :  la  situation  pré- 
caire de  l'ouvrier  du  port,  mal  logé,  mal  nourri,  soumis  à  un  travail  excessif 
par  moments,  ou  à  un  chômage  prolongé.  M.  de  Rousiers  nous  fait  ainsi 
toucher  du  doigt  une  des  conséquences  des  transformations  brusques  qui 
se  produisent  dans  l'évolution  du  commerce  et  de  l'industrie  modernes  ;  il 
nous  ramène  par  là  aux  études  sociales,  dans  lesquelles  il  s'est  fait  jus- 
tement apprécier;  il  porte  un  jugement  plutôt  sévère  sur  les  défauts  du  mou- 
vement syndical  en  Allemagne,  qui  manque  d'organisation,  de  discipline, 
et  vise  plutôt  un  but  politique  que  pratique.  Ne  pourrions-nous  pas, 
hélas  !  en  dire  autant  chez  nous  ! 

J.  Franconie. 

A  travers  les  Indes,  par  Eugène  Gallois.  -—  Fort  volume,  orné  de 
nombreux  dessins,  photographies,  cartes  et  plans  de  l'auteur.  Société 
d'éditions,  4,  rue  Antoine- Dubois. 

M.  Eugène  Gallois  est,  comme  on  sait,  un  infatigable  voyageur  ;  depuis 
des  années  il  court  le  monde,  et  il  a  consacré  de  longs  mois  à  Tétude  de 
la  vaste  presquMle  de  l'Indoustan,  la  région  sans  contredit  la  plus  inté- 
ressante, la  plus  captivante  que  l'on  puisse  voir.  Aussi  n'a-t-il  rien  négligé 
pour  chercher  à  la  faire  connaître.  Il  a  voulu  d'abord  donner  un  aperçu 
des  multiples  religions  qui  se  partagent  les  trois  cents  millions  d'êtres 
humains  qui  peuplent  cet  immense  empire  de  l'Inde.  Il  a  dépeint  à 
grands  traits  la  variété  originelle  des  populations  qui  s'y  coudoient, 
mais  qui,  d'une  façon  générale,  restent  unies  et  paisibles,  malgré  leur 
diversité,  sous  l'énergique  et  habile  domination  de  l'Angleterre. 

Ouvrages  déposés   au  bureau  de  la  Revue. 

Dans  le  sud  de  Madagascar  :  Pénétration  militaire,  situation  politique  et  écono- 
mique 1900-1902,  par  le  colonel  Lyautey.  Un  vol.  in-8«  de  398  pages  avec  nom- 
breuses photographies  et  cartes  dans  le  texte  et  hors  texte.  II.  Charles-Lavauzelle, 
éditeur.  Paris,  1903. 

Situation  internationale  de  l'Egypte  et  du  Soudan^  par  Jules  Cochehis,  docteur  en 
droit.  Un  fort  vol.  in-8o.  Pion- Nourrit  et  C'%éditeurs.  Paris,  1903. 

L'Afrique  nouvelle,  par  E.  Descamps,  professeur  à  l'Université  de  Louvain.  Un 
fort  vol.  in-8*  de  624    pages.  Hachette  et  C^»,  éditeurs.  Paris,  1903. 


672  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

Six  semaines  à  Lisbonne  et  à  Madrid,  par  A.  Vallet  de  Bruonières.  Un  vol.  de 

200  pages.  Albert  Woliï,  éditeur.  Paris,  1903. 
Répertoire  bibliographique  de  la  librairie  française  (1902),  par  D.  Jordbll.  Un 

yol.  in-8o  de  260  pages.  Librairie  NiUson.  Paris,  1903. 

LES  REVUES 

I.  —  REVUES  FRANÇAISES 

Armée  et  Marine  (3  mai),  La  Jeffa  et  le  transport  des  soldats  malades  à  dos  de 
chameaux.  —  Le  vojage  du  Président  de  la  République.  —  LVscadre  de  la  Médi- 
terranée en  tournée  présidentielle.  —  (10  mai).  Pierre  d'Hugues  :  Le  championnat 
militaire  d'épée.  —  La  Valette  :  L'importance  stratégique  de  Bizerte.  —  G.  Too- 
DouzE  :  Questions  de  Macédoine. 

Annales  eolonlaleii  (l®**  mai).  Jules  Legras  :  La  colonisation  russe  en  Sibérie. 

—  René  DELAPonxE  :  Avantages   économiques  des  Gomores.  —  £.  Bubon  :  La 
progression  des  Canadiens-Français. 

Balletin   trimestriel  de  Géographie  et  d'arehéolsgle  d'Ora»  ({•'  trim.). 

Camille  Fidel  :   Les   intérêts  économiques    de  la  France  au  Marac.   —  Paul 

Prieux  :  Conférence  sur  l'Economie  générale  du  Soudan.  Les  captifs.  Lamonn&ie 

homme. 
Mois  colonial  {?nai).  Delaisi  :   Le  chemin  de  fer  de  Bagdad.  —  Chastaisg  :  La 

main-d'œuvre  à  Madagascar. 
I^lnsalne  (l^**  mai).  J^  Delaporte  :  Comment  fut  fondé  l'empire  allemand  (d'après 

les  révélations  du  grand-duc  Frédéric  de  Bade). 
^^alnzalne  coloniale  (10  mai).  J.  Chaillby-Bert  :  Réglementation  et  uniformité 

administrative.  Nécessité  de  souplesse  et  de  variété  aux  colonies.  —  V.  G.  :  L'avenir 

du  commerce  à  Madagascar. 
La  Réforme  économlqne  (3  mai).  Desmets  :  Le  parti  ouvrier  en  Angleterre.  — 

(10  mai).  Georgeot  :  La  Tunisie. 
Bevne  des  Deax  Mondes  (l^^^  mat}.  Emile  Ollivibr  :  Sadowa.  —  ***^  Le  régime 

de  l'Algérie  au  début  du  xx«  siècle.  La  situation  économique,  la  colonisation. 
Revne  française  de  l'Etranger  et  des  colonies  et  Exploratloa  [mai], 

Gamard  :  Les  câbles  télégraphiques  sous-marins.  —  H.  Faure   :  Mozambique  : 

Un  épisode  héroïque. 
Revne  coloniale  (janvier-février),  D^  Cureau  :  Rapport  sur  les  travaux  de  la 

mission  française  de  délimitation  Congo-Cameroun.  —  Chemiji-Dupontès:  Les  com- 
pagnies de  colonisation  en  Afrique  Occidentale  sous  Colbert. 
Revue   conunerelale  de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouest.  Henri   Lorin  :  Bor> 

deaux  garnison  coloniale.  —  Eugène  Buhan  :  Un  programme  économique. 
Revue  de  Madagascar  (10  mai).  Lieutenant  Gaurert  :  François  Cauche  {suite). 

—  PiRET  :  L'élevage  des  vers  à  soie  dans  le  centre  de  Madagascar. 

Revue  politique  et  parlementaire  (10  mai).  Claude  Pilgrim  :  Problèmes  fud* 
africains.  —  H.  Lorin  :  L'Italie  et  la  ITripolitaine. 

Revue  générale  des  Sciences  (30  avril).  —  D'  Weisgbrbbr  :  Vojrage  de 
reconnaissance  au  Maroc. 

Bévue  des  troupes  coloniales  {avril).  Général  Voyrom  :  Rapport  sur  l'expédi- 
tion de  Chine.  —  Capitaine  Mleneck  :  Notes  sur  les  mitrailleuses.  —  Lieutenant 
Pruneau  :  La  Mandchourie. 

II.  —  REVUES  ÉTRANGÈRES 

Revues  belges. 

Belgique  coloniale  (3  mai).  L'irrigation  dans  l'Afrique  orientale  anglaise.  — 

(10  mai).  R.  V.  :  Maroc,  Macédoine,  Mandchourie. 
Bouvement  géographique  (3  mai).  Les  comniunications  entre  Londres  et  le 
continent;  la  situation  de  la  route  belge.  —  (10  mai),  L'Etat  du  Congo  et  les  tri- 
bunaux belges. 

L'Administaratetar-'Oirant  :  P.  Campain. 

PARIS.  —  IMPRIMERIE  F.  LEVÉ,  RUE  CASSETTE,  17. 


v» 


nptoir  National  d'Escompte 


DE  PARIS 


smblée  générale  annuelle  des  action- 
sest  tenue  au  Siège  social,  le  samedi 
l,  sous  la  présidence  de  M.  Mercet,  Pré- 
ilu  Conseil  d*Adminiairation. 
!?  avoir  entendu  les  rapports  du  Conseil 
Inistration  de  la  Commission  de  Con- 
{  des  Commissaires  des  Comptes,  elle  a 
ive  les  comptes  de  Texercice  1902,  qui  se 
t  par  un  bénéfice  net  de  8  millions 
\  fr.05  et  décidé  la  répartition  de  27  fr.50 
ion  et  de  I  fr.093  pai*  part  de  fondateur, 
a  ratifié  là  nomination  comme  membre 
Qseil  d'Administration,  de  M.  Albert  de 
r:  réélu  administrateurs,  MM.  J.  Cb. 
et  Calizte  Carraby.  M.  0.  Martin  a  été 
cembre  de  la  Commission  de  Contrôle, 
.  Blondeau  et  Bourgois  nommés  Com- 
res  pour  l'examen  des  Comptes  de 
:ce  1903. 

K  pît  de** conditions,  généralement  défa- 
*>,  du  marché  financier,  le  Comptoir 
al  a  encore  développé  dans  une  mesure 
?rable,  au  cours  de  l'exercice  1902,  son 
>  professionnelle  de  Banque  dans  toutes 
ucbes,  comme  en  témoigne  Taugmenta- 
es  chapitres  caractéristiques  du  Bilan, 
mble  de  la  situation  au  31  décembre  1902 
fre  par  867  millions  ;  le  montant  des  Ëf- 
Commerce  entrés  dans  le  portefeuille 
:»  milliards  42  millions:  le  mouvement 
\  des  Caisses  a  dépassé  35  milliards  i/2, 
vc  et  à  la  sortie,  en  accroissement  de 
2  milliards  1/2  sur  1901.  Le  total  des 
^s  de  Dépôts  et  Comptes  Courants  at- 
92  millions,  soit  35  millions  de  plus  qu'au 
rnhre  1901. 


11  y  a  également  progrès  marqué  pour  les 
services  des  Titres,  des  Coupons,  des  Ordres  de 
Bourses  et  des  Coffres-Forts. 

Le  réseau  des  bureaux  de  quartier  dans 
Paris  et  des  Agences  de  province  se  développe 
suivant  le  programme  d'expansion  dont  le  Con- 
seil d'Administration  poursuit  l'application 
méthodique. 

Le  Comptoir  possède  actuellement  32  sièges 
d'exploitation  à  Paris  et  dans  la  banlieue  ; 
88  Agences  et  5  bureaux  de  quartier  en  pro- 
vince; 20  Agences  hors  de  France,  dont  9  aans 
les  colonies  et  les  pays  de  protectorat. 

Enfin,  l'Etablissement  a  acquis  dans  le 
monde  international  des  affaires  une  situation 
qui  lui  permet  de  ne  demeurer  étranger  à 
aucune  des  grandes  opérations  financières  in- 
téressant le  marché  français,  et  même  d'en 
prendre  l'initiative. 

Le  Comptoir  a  participé»  en  1902,  aux  émis- 
sions de  l'Emprunt  de  l'Indo-Cbine  3  0/0,  de 
l'Emprunt  Algérien  3  0/0,  de  l'Emprunt  Tu- 
nisien 3  0/0  et  .du  compilent  de  l'Emprunt 
Chinois  destiné  à  payer  les  travaux  du  chemin 
de  fer  de  Pékin-Hankovsr,  qui  doit  servir  si 
efficacement  les  intérêts  français  en  Chine. 

Il  a  donné  un  large  concours  à  la  conversion 
du  3  1/2  0/0  français  et  à  la  conversion  des 
Obligations  des  Douanes  Ottomanes.  Enfin^  il  a 
placé  dans  sa  clientèle  des  Obligations  4  1/2  0/0 
des  Chemins  de  fer  Méridionaux  du  Portugal, 
des  Obligations  du  Chemin  de  fer  de  la  Ca- 
margue et  des  Obligations  des  Tramways  de 
Bordeaux  et  de  Nice. 

Cette  rapide  analyse  du  rapport  du  Conseil 
d'Administration  suffit  à  caractériser  l'activité 
du  Comptoir  National  d'Escompte,  qui  ne 
cesse  de  b'appliquer  à  tous  les  objets  de  nature 
à  intéresser  pa  clientèle  de  plus  en  plus  nom- 
breuse et  fidèle,  et  de  servir,  dans  toute  la 
mesure  possible,  les  intérêts  généraux  du  pays. 


Oeorgam  CHaMBROT,  fiditaut, 
A,  Ru*  âm  FontMibergi  PABIB 


Bis  Ltms  MiiTuu  t  è»i»t  eo  PrU. 

Petit  LARIVE  et  FLEURY 

nSOfrAZU  TBAKOAIS.  —  Le  p/ifS  R£C£firT,  le  filui  COUPLET,  le  mieux  ILLUSTRÉ^ 

Ëdition  Scolaire     ^|.     \         Édition  des  Adultes   _,, 

I  tMÊB  t».Matf«plHt  qot  dMt  IM  Oidioift-  Q  cA  1  T^'^^^  "^^  (26.000  dt  plut  qu«  dant  les  «etloii-  Rir. 
tUÊÊUmËtmlDÊMunUéiuittÊrtonnii^toll:  U  DU  \  nairtt  ilwilalrti).  Dant  un  élégtnt  ouionniLiB  iolle  :  if 

maatré«  de  52  PortraiU  et  24  Plana  { 
de  bataille.  —  Récit  auul  ejcaci  . 
qu'émouvant  dea  événements  de  * 
l'année  terrible.  { 

PRIX  :  Rrcché  2'  ;  Cartonné  2'50  < 


>TOIRE...  GUERRE  J870-71 

u  Paul  «Victor  MARGUERITTE 


CREDIT  CANADIEN 

Société  amomthe  ad  Capital  de  2.500.000  francs 
•4-Xy  J3ou.le-v-ax>d   XSauasxx&aïaïa.,  Paris. 


VENTE  et  ACHAT  de  toutes 


'8aJlfTS  itÉTAh  ne  PBOVINCES,  de  VILLES;  ACTIONS  et  OBLIBATIONS 
ae  CHEHIHS  ne  FER;  valeurs  minières  Bt  INDUSTRIELLES 


u   a   n   a   u   a   n    u    ii 


DENTIFRICES 


ELiXIR.  POUDRE  et  PATE 

des  RR.  PP. 

BENEDICTINS 


deiAbbajôdç 

A-  SEGUIN.  Bordeaux 

Membre  du  Jury,  Hors  Concours 

Exposition  U&lTersoUe  Paris  1900 


IOOÊLE4aFUGOM 


C3 

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Créé    en    i86S 

LE    MEILLEUR    DfS    TONIQUES  tT    APÊfttTrPS 

BYRRH 

EOSS  CONCOURS  -  ElPCSlflÛH  ÏIHIVEESELLE  DS  PARIS    i90Q 


Le  nvilllll  i  st  utic  I  ni"§uu  î^jivuMiPiiSi*,  émitieiiinieiji  t^iuiiue  fi  ttvf  /iiîii  • 
H  ctl  fail  uvL'O  drH  Vin*  v>oi)>  cif  epiifuiiiollfliieitt  jticii^reui^w^sati  * 
ft  d^aiilM^*  j^titistiiiices  *.mcn!'  dit  fin-mirr  choix.   Il  emprimiy  n   tnl|^r^ 
Amo  ïj^Tt';al>lt*  et  diT  prérii^usc*  (ir^jiné'és  carfJia'^St  cl  il  duît  aui  vitii   natariifcf  <|tti 

Un  ht  icuiîiiiiiiirT^  ii  ïuule  iii*t>ti^  ;  »oil  |>ur  a  Id  dnjie  il*utt    v^rrrt  à  B 
liu  |;iMiiU  vtiio,  eit*tiU4i  "iVitu  urdïuaire  uu  ifeau  d«  selu.  Il  dfVïi'iU  a'^i 

Iréa^jeilrulruldiu^miie,  fiiosiienJriî  bucNiiis  dt?  ses  j^tm^^riètéB  li}(2*éiaqiK4<. 


ÏIOLfT    FRÈRtS,  il   THUIR    (Pyi-tW^a-OrienUles) 


BORSTIPÂTIOII 


Ga.ri««u;/^fSr.î^?!«'î!POUDRE  UÏAT1VI 1 

£Ê  iQ  JOURS  umn. 


^  Vin  Déaies 


Cordial  Régénérateur 


ictlte  le  irmtmll  <3«  la 

lié   toni  !<■  Cââ« 


^-...^     Il  «t  ftfrèâtiiv  au  fi»ùt  comme  uno  ]h|mi  h;  Oi^  Le! o- 

■■■■■■■" "'PAI'OT  CUNTIlit  î  eO,  Rn«  fl^Brigaur.  fatii,  ï!T  TOTTTgS  PgA>yACÏlS* 


M.  L  DEBROAS,  10,  rue  Nouvelle,  Paris  (IX®)»  est  BBif 
ummerciale.  indastrielle  et  financière  des  '^u^^ntiûm  P'/i  \ . . 


màMim^  ^  l 


LJkJiIlUDl:£il 


:-"*  AoÉE  P  161  1"  Jdin  1903 


QUESTIONS 


Diplomatiques  et  Colpalg^ 


■'*     JUN   Ir,  l'V 


REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÊRIEUIE;,' 

PARAISSANT     LE    1"    ET    LE    16    DE    CHAQUE    MOIS 


so]viivi:.ajei%,e: 


René  Henry L'intérêt  français  en  Asie  occidentale.  —  Le  chemin  *^ 

de  fer  de  Bagdad  et  l'alliance  franco-russe 673 

Gabriel  Louis-Jaray..*  L'opinion  grecque  et  la  question  de  Macédoine 689 

J.-H.  Franklin Les  affaires  d'Algérie 701 

Le  Breton La  question   de   Terre-Neuve.  —  Les  primes   à 

l'armement;  les  salaires 714 

CHRONIQUES   DE  JLA   QUirVZil.irVE; 

Renseignements  politiques Tzl 

Renseignements  économiques .  730 

Nominations  officielles 732 

Bibliographie  —  Livres  et  Revues 736 

GARXE8    EX    GRil^VUREfe^ 

ne  de  Terre-Neuve  :  le  French  Shore 716 


RÉDACTION  ET  ADMINISTRATION 
19»     RUE     BONAPARTE     -     PARIS.     6* 

Abonnement  annuel 

France  et  Colonies,  i  6  francs   Etranger  et  Union  poitale,  20  irancs. 

La  Livraison  :     France  :  0,75  j     Etranger  :  1  fr. 


674  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

«  elles,  les  trouverons-iious  suffisantes  p«ur  nous?  Est-ce  déci- 
«  dément  à  une  œuvre  germanique,  pour  des  intérêts  exclusi- 
«  vement  germaniques,  qu'on  nous  a  demandé  de  nous  associer, 
«  et  non  à  nne  œuvre  sincèrement  collective  et  internationale 
«  où  Taisent  français  aurait  représenté  et  servi  les  vrais  intérêts 
((  français?...  Il  faut  qu'on  sache  quel  rôle  on  nous  prépare 
«  avant  de  l'accepter  *.  » 

Je  voudrais  dire  aujourd'hui  pourquoi  je  ne  puis  me  rendre 
aux  raisons  très  complètement  et  très  clairement  exposées  par 
M.  Boàler  en  faveur  de  sa  thèse. 


Je  tiens  d'abord  &  rappeler  une  de  ses  fypînions,  que  je  par- 
tage entièrement  :  les  rails  atteindront  ou  n'atteindront  pas 
Bagdad  et  le  golfe  Persique  suivant  que  la  finance  française 
interviendra  ou  n'interviendra  pas. 

«  Le  devis  se  monte  à  600  millions  de  francs,  écrit  M.  BoMer  : 
((  de  l'avis  même  des  Allemands  les  plus  chauvins,  iT^e  peut 
«  être  réalisé  sans  la  coopération  des  capitaux  français  *.  » 

La  Russie,  à  qui  rAllemagne  —  «  ce  qui  pouvait  être  consi- 
déré connue  une  plaisanterie  » —  a  offert  de  céder  ses  40  %y'd 
péremptoirement  refusé.  Le  gonvernement  anglais  vient  de 
se  déclarer  hostile. 

Or,  l'Allemagne  ne  veut  pas  et  ne  peut  pas  sVngager  seule. 

Loyalement  M.  Bohler  ne  cherche  point  à  dissimuler 
qu'elle  n'a  pas  confiance  dans  l'affaire  et  voudrait  inêmi?  réduire 
la  part  qui  lui  est  assignée  \ 

D'aLlli^urs,  voalûL-elle  risquer  les  600  millions  nécessaires, 
elle  serait  en  peine  pour  s'en  dessaisir.  Nouvelle  venue  k  la  vit* 
économique  intense,  déjà  engagée  dans  de  multiples  directions, 

1  V.  QuesL  DipL,  a*  150.  <—  Je  ae  lis  ce  numéro  que  le  jour  ou  je  corrige  les  der- 
nières épreuves,  c'est  pourquoi  j'ai  le  regret  de  ne  pouvoir  qu*in»*fqweT  fti  thèse  très 
intéressante  soutenue  par  M.  Iinbort  de  La  Tour.  Au  fond,  cette  thèse  esl  la  même 
que  celle  de  M.  Bohler  :  si  l'affaire  est  bojme  et  si  nous  sommes  sûrs  de  jouer  le  r(>le 
qui  nous  revient  dans  lentreprise,  il  faut  nous  engager.  Mais  M.  Imbart  de  La 
Tour,  sans  parti  pris,  préorrupé  avant  tout  des  intérêts  français,  tieat  compte  de» 
faits  qui  si;  sont  produits  et  smtout  dfis  rourantB  d'idée  qui  se  sont  dessinés  depuis;^ 
deux  mois  et  demi.  Il  ne  croit  pas  que  nous  ayons  dans  «  la  dfrection  et  les  profits  •> 
une  part  proporlionoeHe  ;i  notre  contribution  financière.  D  où  le  bon  conseil  de  non& 
montrer*  circonspects  et  ««xlgeants  ».  —  La  fhèse  que  je malieoA  est  bien  diSèrente  : 
nous  devons  nous  abstenir  de  collaborer  à  l'œuvre  de  Bagdad,  quels  que  boieol  les 
avanta^'es  qu'on  nous  offre.  L'intérêt  frant/ais  en  Asie  Occidentale  et  l'intérêt  que 
nous  avons  à  ne  pas  entrer  en  conflit  avec  la  Russie  —  surtout  au  moment  et  dans 
la  région  on  elle  se  trouve  en  face  de  l'Allemagne  —  nous  le  comm«iideiit> 

*  Quest.  DipL,  no  145,  p.  273. 

3  Ibid.,  p.  2S9. 


QUESTIONS 


DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALEr:..'"'''" "% 


r  JUN  16 


19C3 


L'INTÉRÊT  FRANÇAIS  EN  ASIE  OCCIDENTALE 

LE  CHEMIN  DE  FER  DE  BAGDAD 

BT 

L'ALLIANCE    FRANCO- RUSSE 


Je  profite  de  ce  que  la  (tradition  de  cette  Revue  est  de  laisser 
toute  lib^erté  à  ses  collaborateurs. 

Chacun  peut  indiquer  la  méthode  qu'il  croit  la  mieux  faite 
pour  servir  les  grands  intérêts  nationaux.  La  vérité  doit  se 
dégager  de  la  libre  discussion. 

C'est  ainsi  que  j'ai  pu  déjà  qualifier  ici  l'entreprise  de 
Bagdad  d'  <  œuvre  purement  allemande  et  antirusse  »  ;  regretter 
la  présence  de  financiers  français  dans  la  nouvelle  société  qui  va 
exécuter  les  travaux  de  Konieh  à  Bagdad;  indiquer  l'influence 
de  l'expansion  asiatique  sur  les  politiques  russe  et  allemande  et 
esquisser  le  parti  que  nous  pourrions  en  tirer  *.  —  C'est  ainsi 
que  M.  Henri  Bohler  a  pu,  au  contraire,  conseiller  aux  capita- 
listes français  de  «  marcher  avec  TAllemagne  dans  l'affaire  de 
Bagdad  »  à  la  condition,  bien  entendu,  «  d'exiger  pour  le  pré- 
sent et  l'avenir  des  avantages  en  rapport  avec  l'importance  de 
notre  coopération  financière  et  une  part  sérieuse  dans  l'exploita- 
tion économique  de  la  Mésopotamie  etdelaBabylonie  régénérées 
par  la  locomotive  '  ».  —  C'est  ainsi  que  M.  Jean  Imbart  de  La 
Tour,  après  avoir  exposé  les  raisons  pour  lesquelles  la  presse, 
l'opinion  et  le  gouvernement  anglais  viennent  de  se  montrer 
hostiles  au  chemin  de  fer  de  Bagdad,  constate  sans  ambage 
que,  «  désagréable  hier  à  la  Russie,  suspecte  aujourd'hui  à 
a  l'Angleterre,  l'entreprise  se  présente  sous  de  fâcheux  auspices 
«  pour  la  France  ».  11  pose  nettement  la  question  suivante  : 
«  Les  garanties  que  nos  voifeins  trouvent  trop  faibles,  seront- 

•  QueH.^Dipl.,  n-  136  et  li3. 
2  Jbid.,  nous. 

QuB9T.  DiPt.  ET  Col    —  t.  xv.  —  n»  iol.  —  l«'-juix  1903,  43 


676  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    KT  COLONIALES 

inetlront  fin  à  toute  concurrence  non  allemande  »  et  feront  de 
la  Turquie  a  une  province  allemande  ».  Pour  empêcher  cet 
accaparement,  on  nous  propose  de  traiter  avec  les  Allemands 
et  d'être  partout,  en  Asie  Occidentale,  de  moitié  avec  eux. 

En  raisonnant  ainsi,  on  paraît  oublier  que  les  Allemands 
manquent  d'argent.  Abstenons-nous  :  l'expansion  allemande 
dans  Vhinterland  de  l'Asie  Occidentale  sera  arrêtée.  Nous 
n'aurons  donc  à  craindre  l'établissement  d'aucun  monopole. 

En  second  lieu,  —  et  accessoirement,  — il  est  vrai  que  nous 
avons  à  défendre  dans  l'Empire  Ottoman  des  intérêts  moraux 
et  matériels  considérables  contre  des  concurrents  hardis  et  sou- 
tenus par  leurs  gouvernements.  Mais  l'Empire  Ottoman  esl 
vaste.  Sans  doute,  on  ne  peut  pas  dire  de  lui  —  depuis  quelques 
aimées  surtout  —  qu'il  n'est  qu'une  expression  géographique  : 
le  Sultan,  l'Islam  et  l'armée  unissent  étroitement  ses  diffé- 
rentes parties.  Toutefois  il  se  compose  de  régions  géographique- 
nient  et  ethnographiquement  bien  distinctes,  économiquement 
indépendantes  les  unes  des  autres.  Or,  les  intérêts  français 
sont  concentrés  en  Turquie  d'Europe,  en  Palestine  et  en  Syrie, 
et  dans  la  région  méditerranéenne  de  l'Asie  Mineure  maritime. 
Sur  le  plateau  d'Anatolie,  nous  n'avons  rien  à  défendre.  En 
Mésopotamie,  nos  clientèles  de  Mossoul,  de  Bagdad  et  de  Bas 
sora  —  si  intéressantes  qu'elles  soient  —  n'ont  qu'une  impor- 
tiuicc  secondaire.  Dans  ces  mêmes  régions  —  entre  Konieh  et 
le  golfe  Persique,  —  les  intérêts  allemands  actuels  sont  nuls. 
Sous  le  bénéfice  de  ce  qui  précède,  on  peut  dire  que  le  chemin 
(le  fer  qu'il  s'agit  de  construire  traversera  des  pays  qui,  au 
point  de  vue  français  et  surtout  au  point  de  vue  allemand,  sont 
(les  pays  neufs.  Nous  ne  sommes  pas  tenus,  sous  peine  d'être 
d('*trônés,  de  suivre  dans  l'entreprise  de  Bagdad  notre  jeune 
concurrent  allemand.  Il  s'avance  vers  des  territoires  sur  les- 
(juelsnous  ne  régnons  point. 


Il  n'en  fut  pas  toujours  ainsi. 
■  De  189t  il  1899,  la  Russie  et  la  France,  —  alors  toutes  deux 
menacées  par  le  chemin  de  fer  de  Bagdad  et  étroitement  unies, 
—  ont  défendu  contre  l'Allemagne  leurs  intérêts  solidaires  et  ont 
eu  gain  de  causée  Le  tracé  primitivement  adopté  passait  par  le 
nord  du  plateau  d'Anatolie  :  d'où  la  voie  qui  existe  jusqu'à 
Angora.  La  Russie  craignait  pour  sa  frontière  caucasienne  trop 
proche.  Les  lignes  côtières  françaises  de  âmyrne-Cassaba,  de 

•  Voir  dans  le  premier  numéro  du  BuUeliti  du  Comité  de  VAttie  française  rarticle 
•  le  M.  do  Peycrimhoff. 


r 


l'intérêt  français    en   ASIE   OCCIDENTALE  677 

Mersina  et  de  Beyrouth  *  n'auraient  jamais  été  raccordées  à  la 
grande  voie  ferrée  trop  lointaine  :  pauvres  déversoirs  en  déca- 
dence, elles  se  seraient  toujours  arrêtées  à  quelque  station  per- 
due de  l'intérieur,  tandis  que  le  courant  des  affaires  aurait  été 
détourné  et  la  vie  créée  vers  le  nord.  Nous  nrétendions,  au 
contraire,  drainer  le  chemin  de  fer  nouveau  '.  La  France  et  la 
Russie  demandèrent  à  Constantinople  une  déviation  du  tracr 
vers  le  Sud,  par  Konieh.  Elles  l'obtinrent  le  jour  où  la  France 
offrit  un  concours  financier  à  l'Allemagne  qui  manquait  déjà  de 
capitaux.^; 

Jusque-là  tout  était  au  mieux  ;  le  danger  couru  par  la  Russie 
était  atténué,  et  l'avenir  de  nos  lignes  côtières  semblait  défini- 
tivement assuré.  De  plus,  Tentreprise  de  Bagdad,  au  lieu  d'être 
entre  les  mains  d'une  société  purement  allemande,  dépendait 
dès  lors  d'une  société  internationale,  —  sorte  de  fiction  derrière 
laquelle  luttaient  d'influence  la  Deutsche  Bank,  c'est-à-dire 
l'Allemagne,  et  la  Banque  Ottomane,  c'est-à-dire  la  France. 
Nous  pouvions  à  ce  moment  tout  enrayer.  —  Nous  avons,  au 
contraire,  tout  activé  et  favorisé,  et  nous  sommes  sur  le  point 
de  fournir  l'argent  nécessaire  à  Texécution  des  travaux. 


Quel  puissant  intérêt  pouvons-nous  bien  avoir  à  ce  que  le 
chemin  de  fer  se  fasse? 

M.  Bohler,  après  avoir  parlé  de  notre  influence  à  sauvegarder 
dans  l'Empire  Ottoman,  —  et  je  viens  de  m'expliquer  sur  ce 

1  Les  lignes  de  la  Compagnie  ottomane  des  chemins  de  fei'  économiques  de 
Syrie  —  qui  desservent  Beyrouth  et  Damas  —  n'ont  qu'une  largeur  de  l>"0o  (voie 
nouvelle  1>"44)  :  ce  serait  là  un  grave  obstacle  à  une  jonction  avec  le  chemin  de  ter 
de  Bagdad. 

2  Aujourd'hui,  la  ligne  de  Smyrne-Cassaba  rejoint  à  Afioun  Karahi.ssar  la  ligne 
de  Haîdar  Pacha  à  Konieh.  Il  est  entendu  que  le  chemin  de  fer  de  Bagdad  passera 
par  Adana  où  aboutit  actuellement  le  chemin  de  fer  de  Mersina.  On  parle  d'une  voie 
qui,  par  Alep,  réunirait  le  chemin  de  fer  de  Beyrouth  au  chemin  de  fer  de  Bagdad, 
le  jour  où  ce  dernier  aurait  dépassé  le  Taurus.  Je  note  seulement  pour  mémoire  les 
regrets  de  ceux  qui  souhaitaient,  ou  disent  après  coup  avoir  souhaité,  la  construction 
d'une  ligne  française  par  Smyrne-Cassaba,  Adana,  Alep  et  Beyrouth  :  une  ligne 
parallèle  à  la  côte  et  sans  objectif  plus  lointain  n'aurait  guère  pu  lutter  contre  la 
concurrence  maritime.  Les  craintes  exprimées  par  ceux  qui  pensent  que  le  chemin 
de  fer  de  Bagdad  aura  un  caractère  purement  allemand,  et  que  ce  chemin  de  fer 
absorbera  les  lignes  côtières,  sont  autrement  sérieuses.  Déjà,  deux  administrateurs 
des  chemins  de  fer  d'Anatolie  sont  entrés  dans  le  conseil  d'administration  du  che- 
min de  fer  deSmyrne,  —  comme,  il  est  vrai,  deux  administrateurs  du  chemin  de  fer 
de  Smj'rne  sont  entrés  dans  le  conseil  d'administration  du  chemin  de  fer  d'Anatolie. 
Si  le  <^emin  de  fer  de  Konieh  à  Bagdad  est  allemand,  l'équilibre  sera  rompu  :  le 
chemin  de  fer  de  Smyrne  sera  bien  vite  annexé.  De  même  ensuite,  les  autres  voies 
côtières!  Abstenons-nous,  et  le  désastre  redouté  sera  évité  :  la  compagnie  de  Smyrne 
continuera  à  traiter  sur  un  pied  d'égalité  avec  celle  d'Anatolie.  Les  deux  autres  res- 
teront dans  le  statu  quo. 


ï 


678  OCESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

point,  —  însîste  subsidiairement  sur  l'importance  financière  et 
(économique  de  l'affaire  et  de  l'exploitation  connexe  des  régions 
traversées. 

^ans  doute,  un  pays  comme  la  France,  —  dont  plus  de  30  mil- 
liards sont  placés  à  l'étranger  et  dont  les  capitaux  tendent  de 
plus  en  plus  à  émigrer,  —  ne  peut  se  désintéresser  d'aucune  des 
grandes  affaires  ébauchées  dans  le  monde  :  il  ne  ^it  pas  laisser 
échapper  une  occasion  de  placement  avantageux. 

Or,  à  ce  point  de  vue,  je  ne  puis  faire  mieux  que  de  laisser 
le  lecteur  juger  de  ce  que  vaut  Taffaire  parce  qu'en  dit*  —  sans 
rien  dissimuler  ni  atténuer,  je  le  reconnais  —  M.  Bohler,  qui 
est  pourtant  d'avis  de  la  conclure,  et  par  ce  qu'en  pensent  ceux 
qui  en  ont  pris  l'initiative  et  qui  la  lancent:  les  Allemands,  dont 
il  rapporte  scrupuleusement  l'opinion  : 

«  Le  marché  allemand  ne  semble  pas  jusqu'ici  disposé  à  four- 
nir les  40  ^/^  qui  lui  reviennent  :  il  n^a  pas  grande  confiance 
dans  la  réussite  de  l'entreprise.  Les  actionnaires  de  la  Com- 
pagnie d'Anatolie  ont  mAme  clairement  spécifié,  à  l'assemblée 
du  24  juin  1902,  qu'ils  entendaient  rester  en  dehors  de  la  nou- 
v(»lle  compagnie  et  refuser  toute  coopération  qui  pourrait 
tourner  à  leur  détriment.  L'Allemagne  a  aussitôt  cherché  à  se 
concilier  les  bonnes  gn\ces  de  la  Kussie  en  lui  offrant  ses  40  ^^/q*.  » 

Les  Allemands,  s'ils  ne  peuvent  faire  autrement,  finiront  par 
fournir,  bien  (ju'à  contre-ca»ur,  les  40  Y^i  qu'ils  sont  tenus  de 
verser.  Mais  on  peut  prévoir,  étant  donné  leurattitude  actuelle, 
qu'ils  se  débarrasseront  au  plus  vite  des  actions,  quitte  à  les 
racheter  plus  tard,  quand  elles  seront  tombées. 
^  l^our  les  capitalistes  français,  il  s'agit,  en  somme,  de  faire  un 
placement  à  4  Y^  sous  garantie  turque,  —  comme  en  souscri- 
vant les  emprunts  russes  ils  ont  fait  un  placement  à  4  ^/^^  ser- 
vant lui  aussi  (en  grande  partie  du  moins)  à  exécuter  des  che- 
mins de  fer  asiatiques,  mais  avec  engagement  direct  de  TEtat 
russe.  Dans  le  cas  présent,  les  intérêts  à  attendre  ne  sont  pas 
plus  élevés  ■  que  ceux  payés  par  la  Russie.  L'aléa,  au  contraire, 
est  plus  grand,  à  moins  qu'on  ne  soutienne  que  le  crédit  turc 
vaut  le  crédit  russe *.^' 

1  Quest.  DipL,  n«  145,  papes  290  à  292. 

*  Ibid.,  page  289. 

■>  ((  Pouvons-nouB  compter  stir  un  rendement  supérieur  h  i  %,  en  d'autres  termes, 
«  sur  une  plus-value  de  nos  futures  actions?  C'est  bien  douteux.  i»  Hbnki  Bohlbk, 
p.  290. 

*  ((  L'Empire  Ottoman,  toujours  branlant,  secoué  actuellement  par  une  insurrection 
<(  très  dangereuse  des  nationalités  chrétiennes  opprimées,  présente  ce  paradoxe  qoe 
M  ses  rentes,  au  lieu  de  fléchir,  sont  en  hausse  de  15  %,  la  série  G  passant  de 
«  28  fr.  07  c.  à  32  fr.  55  c.  et  la  série  D  de  26  francs  à  80  fr.  30  c.  ;  d'après  loscon- 
((  ditions  actuelles,  on  capitalise  ses  fonds  turcs  à  3,30  %  environ;  c«8t  bien  peu 


X^INT^ÊT   FRANÇIkffi  £K  A«1E   OGGIDENTAÏ.E  ^679 

Ih  sais  bien  q«"f»i  uofis  parie  -d'wnc  pari;  ïprtfbléini*k[»e 
rfeerroe  au  pereoisnel  et  ««  matéml  français,  —  «e  >cpyi'«n  n'a 
naturellement  pas  à  attendre  de  M.  de  Witte  en  pleine cpéa*i<OTi 
d'tsne  industrie  nationale  T^isse.  «  A  mn  ^bouton  aîlenvastd,  dit 
'M.  Bohler,  ëoit  oorrespendre  un  boulon  françaiis.  »  Maîssoela 
suffit-il  pour  rétablir  r-équilihre  et  tenter  les  capitaux  fpa»ç»is, 
éeveiras  prudents  par  expérience? 

«  « 

A  un  point  de  vue  plus  élevé,  tiil  me  suffi*  pas  de^woir  com- 
meot  jouera  le  snécanisimie  -du  tchemin  de  fer  ihn^niâHiic,  et  si 
Ton  veut,  de  ses  .ajwnesies  mdustriek,  mifâens  et  aiitnes.  Il 
finit  «,^v:ant  tmit  détermtiier^iQei  sera  le  raie  jovë  en  Asie  (^cci- 
«ientale  par  le  <cbeiafn  àe  fer,  ou  —  pour  parler  comme  îles 
AHemraads  — quelle  serai  sh  fonction  dass  ré^aoaiie  et  daaisla 
peflifîque  mondiales. 

^'Le  chemin  tle  fer  de  Saçdsud,  —  ^qot'aa  appelle  déjà  le  Petit 
T!r8»Basiatii|tïe,  —  jouera  wn  rôle  a»a4ogïue  À  «oeiiui  du  Trans- 
sibériens- 

Ce  sont  des  chemin»  de  fer  de  traasit.  —  Ils  ne  transporteront 
pas  sieulefiKient  des  i»ar<:ii4mdises  d^unedes  stations  terooilnAis  à 
«ne  station  de  Trabérieur  ert  inversement,  et  d'une  station  de 
î'intérieiir  à  une  sftartion  de  rintérieïur.  Bjcs  voyageurs >pff«9sfe, 
ou  désireux  d'éviter  la  ttraversée  de  la  mer  Rcaige,  préféreront 
ie  cbemin  de  fer  de  Bagdad  à  (ta  vme  d'eau  pour  aller  ^dans 
riiMle  et  l'Extrême-Orient  méaridianal-,  ou  en  revenir.  De  même, 
les  «expéditeurs  de  «Aarchandises  de  spéculation,  ou  légères  ^et 
peu  encombraiïtes,  leur  feront  prendre  la  rente  îa  i>lns  oorarte. 

Mais  ces  chemins  de  fer  sont,  avant  tout,  des  voi«s  straté- 
giques et -de  colonisation. 

Le  Transsibérien  a  été  hàtivem-ent  et  gro9SÎèreme<n4  termdiiié, 
;aim  de  pouvoir  mettre  au  plus  vite  la  Russie  en  cosBinunijGation 
«ivec  ses  ports  de  Tooéan  Pacifiqwe,  — la  preanière  mer  libre 
qu'elle  ait  atteinte.  Sans  ie  Transsibérien,  les  -Russes n'auraisent 
pas  pu  jeter  en  Mandchourie  des  centaines  de  miUe  h@nun£s 
et  agir  comme  ils  l'ont  fait  avec  la  Chine  et  les  puissances. 

Le  chemin  <te  fer  de  Bagdad  jouera,  lui  aussi,  un  rôlestraté- 

«  pour  un  empire  en  conflagration  ;  on  compte,  il  est  vrai,  fiur  une  Augmentation  de 
A  revenu,  l'intérêt  devant  être  porté  de  1  franc  à  1  fr.  25  c;  mais,  au  cours  actuel 
«  ce  ne  serait  pas  encore  du  4  «o  plein...;  si  obstinée  que  soit  depuis  un  demi-Biècle 
c  la  vitalité  de  la  Turquie,  malgré  les  démantèlements  et  les  démembrements  succès- 
tt  sifs,  il  semble  que  ce  soit  une  gageure  de  porter  si  haut  les  fonds  de  ce  pays  dans 
a  un  moment  pareil.  »  M.  Paul  Leroy-Beaulibu  :  ÉcfmomiBêe  fnmpaiê^  16  <mai  1903, 
p.  698. 


i 


680  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

gique  de  premier  ordre.  M.  Bohler  ne  le  cache  pas  :  «  Des  gares 
militaires  et  des  quais  d'embarquement  seraient  établis  pour 
une  somme  de  4  millions  de  francs  ^  » 

Il  est  vrai  qu'il  trouve  «c  puéril  de  s'exagérer  la  portée  mili- 
taire du  futur  chemin  de  fer  :  son  utilisation  permettra  de  gagner 
quinze  jours  à  peine  dans  la  concentration  à  Erzeroum  du 
6*  corps  (Bagdad)  et  du  5"  (Damas).  On  ne  saurait  considérer  cet 
avantage  comme  un  danger  sérieux*  ».  Dans  cette  hypothèse 
spéciale  d'une  concentration  sur  Erzeroum,  il  me  paraît 
incroyable,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  que  les  deux  mobilisa- 
tions —  avec  ou  sans  chemin  de  fer  —  ne  diffèrent  que  par  un 
délai  aussi  court.  Je  suis  bien  plus  disposé  à  partager  Topinion 
exposée  dans  la  revue  militaire  allemande,  Uberall^  par  un  offi- 
cier, M.  von  Bieberstein  :  il  s'agit  de  rénover  le  vieil  organisme 
turc;  de  pouvoir  concentrer  et  transporter  rapidement  sur  un 
point  quelconque  le  4*  corps  (Erzeroum),  le  S''  (Damas)  et  le  6' 
(Bagdad),  ainsi  que  64  bataillons  de  rédifs  actuellement  dissé- 
minés en  Asie,  immobilisés  et  comme  perdus.  A-t-on  donc 
oublié  que,  lors  de  la  guerre  turco-russe,  des  troupes  turques 
ne  purent  arriver  dans  la  région  des  opérations  que  tardive- 
ment, décimées  et  épuisées  ?  Pense-t-on  que  la  concentration 
des  troupes  d'Asie  en  Turquie  d'Europe  se  ferait  actuellement  si 
vite,  sans  les  trains  qui  les  prennent  à  partir  d'Angora  et  de 
Konieh?  On  fait  l'unité  stratégique  de  l'Eknpire  Ottoman. On  lui 
donne  la  cohésion  militaire  qui  lui  manquait. 

On  dote  cet  étrange  organisme  d'une  artère  et  d'un  nerf  qui 
vont  lui  permettre  de  puiser,  sur  le  plateau  turc  d'Anatolie  et 
dans  les  régions  en  grande  majorité  musulmanes  de  Mésopo- 
tamie, des  réserves  de  sang  depuis  longtemps  stagnant  et 
d'énergie  encore  latente. 

Cette  résurrection  d'une  partie  presque  morte  de  l'Empire 
turc  ne  doit  d'ailleurs  pas  être  seulement  militaire. 

M.  Bohler  a  montré  comment  il  s'agit  d'exploiter  le  pétrole  et 
la  naphte,  de  créer  des  industries,  de  cultiver  le  plateau  d'Ana- 
tolie où  peuvent  vivre  et  travailler  des  Européens.  Plus  tard  on 
tentera  de  refaire  peu  à  peu  ce  réseau  de  canaux  d'irrigation 
qui,  au  temps  des  Abbassides,  faisait  qu'  «  un  oiseau  pouvait 
voltiger  de  jardin  en  jardin  de  Bagdad  à  Bassora  ».  On  aura 
alors  créé  un  gigantesque  champ  à  blé  et  à  coton. 

Toutes  ces  richesses  nouvelles  permettront  d'établir  des 
Européens  en  Mésopotamie  comme  chefs  de  culture,  en  Asie 


1  QuesL  Dipl.y  n*  145,  page  286. 
«  Ibid.,  p.  29i. 


l'intérêt   français  en   ASIE   OCCIDENTALE  681 

Mineure  comme  colons  cultivateurs,  dans  les  deux  pays  comme 
ingénieurs  et  chefs  d'industrie. 


La  fonction  du  futur  chemin  de  fer  de  Bagdad  ainsi  déter- 
minée, est-il  désirable,  au  point  de  vue  français,  que  ce  chemin 
de  fer  soit  construit  ? 

Quand  le  trafic  d'Extrême-Orient  en  Europe  sera  en  partie 
détourné  de  la  voie  de  Suez,  Marseille  et  les  chemins  de  fer 
français  seront  dépossédés  au  profit  des  voies  de  l'Europe  cen- 
trale. 

La  formation  d'un  nouveau  grenier  à  blé  dans  le  monde  ne 
peut  pas  être  souhaitée  par  nos  agriculteurs,  déjà  écrasés  parla 
concurrencé  des  pays  neufs  ;  l'exploitation  de  mines  nouvelles 
de  pétrole  par  ceux  qui  espèrent  arriver  à  l'emploi  industriel  de 
Palcool;  la  création  d'immenses  champs  de  cotonniers  par  le 
syndicat  qui  tente  actuellement  de  cultiver  le  coton  dans  les 
colonies  françaises. 

'^La  Turquie  est  diplomatiquement  et  militairement  inféodée 
à  rAllemagne.*^M.  Bohler  l'a  montré  avec  faits  à  l'appui.  La  liste 
des  visites  allemandes  faites  à  Constantinople  s'est  même 
allongée  depuis  qu'il  l'a  dressée  :  le  Kronprinz  et  son  frère 
cadet  viennent"  d'être  les  hôtes  d'Abdul-Hamid  II.  L'armée 
turque,  dont  l'Europe,  dès  1878,  a  découvert  avec  étonnement 
la  valeur  et  le  fanatisme  persistants,  est  aujourd'hui  armée  par 
les  Krupp,  organisée  et  instruite  par  les  von  der  Goltz.  En  cas 
de  conflagration  générale,  l'Empire  Ottoman  serait,  vraisembla- 
blement, pour  l'Empire  Allemand  un  compagnon  de  combat  au 
moins  aussi  sûr  que  ses  amis  tripliciens.  Or,  il  s'agit  de  créer 
en  Asie  la  machine  à  mobiliser  devenue  nécessaire  à  la  Tur- 
quie, depuis  qu'elle  se  prépare  à  faire  la  guerre  de  la  façon 
la  plus  européenne,  la  plus  moderne  et  la  plus  scientifique.  Il 
s  agit  donc,  sans  aucun  doute,  de  travailler  pour  le  roi  de 
Prusse. 

Enfin,  il  est  aisé  de  voir  qui  profitera  de  la  création  d'un 
vaste  et  riche  pays  à  coloniser.  Ce  n'est  point  nous  :  nous 
n'avons  plus  d'excédent  de  population  ;  nous  n'émigrons  guère; 
nous  avons  mieux  à  faire  dans  les  colonies  françaises  que  nous 
n'arrivons  même  pas  à  mettre  en  valeur.  Les  Allemands  ont, 
au  contraire,  besoin  d'une  région  où  leur  émigration  ne  se  per- 
drait pas  comme  aux  Etats-Unis  :  5  millions  des  leurs  s'y  sont 
déjà,  depuis  1820,  peu  à  peu  noyés  dans  l'élément  anglo-saxon. 
Le  plateau  d'Anatolie  serait  préférable  au  lointain  Chantoun, 


k 


OUEBIVMKS  DVIiOMATieUBS  Et  GCBiCDrflàLES 

trop  peuplé,  à  rAmérîfne  du  Sud,  où  -mesaoe  ia  iioidrèie<4e 
Monroe.  Ces  nouveaux  colons,  —  certaines  résistanoes  janeli- 
gieuses  une  fois  vaincues,  —  seraient  les  bienvenus.  D'après 
von  der  Goltz,  «  personne  plus  que  le  sultan  Abdul-Hamid  II  ne 
désire  l'établissement  de  colons  européens,  et  surtout  aile- 
mands  !  Ils  s'iasUlleFaMsat  le  looag  des  vQi«s  ferrées  et,  comme 
W  dit  le  Sultan  dams  urne  avdienoe  à  von  Ae^  Goltz,  ils  acquer- 
raient profit  et  bien-être,  pendant  que  le  pays  profiterait  du 
ca^pital  d'iatelligesce  et  de  connaiLssaiiees  qu'ils  apparteraient 
avec  eux.  Le  âiMan  chai^gea  von  der  Goltz  de  rapporter  ses 
paroles  à  Berlim  ^  3 

Les  colons  allemands  n'auraient  pas  seulement  rimmençe 
avantage  de  s'iostaUer  dans  <in  EtatMen  disposéen  teor  faveur  : 
ils  seraient  sur  La  prolongation  du  Lhwng  nack  Os^teu  et  le  cçp- 
tinueraient  à  leur  grand  i>é»ééice  oonune  à  oelai  de  TEiopire 
Allemaiid  ^. 


« 


^n  somme,  en  nous  associant  à lentreprise  de  Bagdad,  nous 
nous  engageons  dans  une  partie  de  l'Empire  Ottoman  où  nous 
n'avons  aucune  situation  essentielle  à  défendre.  Nous  courons 
les  risques  d'une  affaire  qui  pourrait  bien  ne  pas  t^tre  bonne. 
Nous  allons  à  Teacontre  d'iniérôts  français-  respectables,  et 
nous  rendons,  au  contraire,  des  services  signalés  à  un  associé 
nouveau,  que  plus  d'un  s'étonnera  de  nous  voir  choisir: 
l'Empire  allemand.*^ 

Il  est  évident  que  «  l'alliance  franco-russe  ne  doit  pas  signi- 
fier servilité  »  —  ni  complète  ni  partielle  —  «  de  la  France  à 
l'égard  de  la  Russie  ^  w.^lais  je  ne  vois  rien  dans  l'entreprise 
de  Bagdad  qui  nous  oblige  —  ce  qui  est  toujours  daagereux 
—  à  léser  gravement  les  intérêts  de  notre  allié.  ^ 


i  Max  ScuLAGiNWEiT  :  Die  Bagdadbahn  nnd  die  deulschen  inlere^ten  in  Klem- 
asien. 

^  On  lit  dans  une  lettre  d'Italie  publiée  par  le  Temps  du  23  mai  :  £n  ce  qui  con- 
cerne le  protectorat  officiel  des  catboliqueB  d'Orient,  «  ce  qae  rxileinagiie  demande 
Ml  Baint-Siègc,  c'est  la  délimiiaâon  de  certaÏDes  splières  d'ii^kieace.  La  Frace 
conserverait  dans  plusieurs  iiégians  son  protectorat  traditionnel,  l'Italie  serait  pro- 
tectrice ailleurs,  V Autriche-Hongrie  le  deviendrait  dans  les  Balkans  et  tAtUmagne 
vmtfirait  l'être  en  Avie  Mineure,  »  L'empereur  allemand  a-4-îl  abandonné  la  prèlen* 
kion  de  protéger  purement  et  «implement  ses  nationaux  allemaads  catholkfiies  dans 
tout  l'Orient?  A-t-il  reconnu  que  le  protectorat  supposerait  un  protecteur  résolu  et 
soatenant,  sans  considération  de  nationalités,  les  intérêts  collectifs  dont  il  a  la  garde? 
C'est  possiUe.  Ce  qui  est,  ici,  intéressant  à  noter,  c*e0t  le  cboÎK  ^ëes  deux  splières 
d'influenoe  attribuées,  dans  le  |UK>J6t  de  Guillaume  II,  à  rfinpire  alionand  et  à 
rAutriche-Hongrie  considérée  comme  l'alliée  fidèle  de  TEmpine  allemand  :  les  Bal- 
kans et  l'Asie  Mineure,  c'est-à-dire  tous  les  territoires  nécessaires  au  2>r(my. 

3  IIburi  Bohlbr,  p.  293. 


l'intérêt   français  en   ASIE   OCCIDENTALE  68B 

'  Il  ne  faut  pas  oublier  qu'en  opérant  dans  l'Asie  Occidentale 
BOUS  a^ssons  dans  le  voisinage  de  la  Russie. 

Nous  faisons  quelque  chose  d'analogue  à  ce  qu'elle  ferait  si 
elle  s'unissait  à  l'Angleterre  et  à  l'Allemagne  pour  lutter,  au 
Maroc,  contre  notre  influence^  —  ou,  afin  de  choisir  une  com- 
paraison géographiquement  analogue,  si  elle  nous  suscitait  des 
difficultés  au  sud  des  Pyrénées,  ce  Caucase  de  l'Ouest.  Nous  allontH 
rendre  plus  vulnérable  une  frontière  sur  laquelle  elle  n'avait 
jusqu'ici  à  veiller,  en  cas  de  guerre,  que  pour  prendre,  ~  si 
elle  le  jugeait  bon,  —  loffensive.  Nous  allons  nous  avancer 
sur  le  «  terrain  de  chasse  »  de  nos  alliés,  en  ennemis,  et  coude 
à  coude  avec  notre  adversaire  éventuel  dans  une  grande  guerre 
européenne  toujours  possible.  Les  Allemands  disent  hautement' 
qu'ils  veulent  faire  évanouir  le  rêve  qu'ont  fait  les  Russes  de 
s'établir  dans  l'Arménie  turque  et  de  s'ouvrir  un  débouchi^  sur 
la  Méditerranée,  non  plus  par  le  Bosphore,  mais  sur  le  golfe 
d'Alexandrette. 

Qu'on  ne  dise  pas  qu'il  s'agit  d'empêcher  l'asservisse iii en l 
par  les  cosaques  des  malheureux  Arméniens.  Nous  travaillons 
à  superposer  au  pouvoir  des  Turcs  et  à  l'hostilité  des  Kurdes, 
—  déjà   si  lourds  pour  eux,  —  l'influence  allemande. 

Nous  allons  aider  la  plus  grande  Allemagne  à  triom[  her 
de  la  plus  grande  Russie. 

•  «Reste,  dit  M.  Bohler,  la  concurrence  faite  au  chemin  de  fer 
Tiflis-Tabris-Bender-Boucheir.  Malgré  toute  notre  bonne  vo- 
lonté, nous  n'apercevons  pas  de  concurrence  possible...  »  It  î,  il 
y  a  confusion.  — La  Russie  projette  en  effet  de  construire  un 
chemin  de  fer  partant  de  Transcaucasie  ou  du  Transcaspieo,  el 
se  dirigeant,  vers  le  golfe  Persique  ou  l'océan  Indien,  sur 
Boucheir,  Bender  Abbas,  ou  Tchabar.  Ce  chemin  de  fer  ett, 
comme  le  dit  M.  Bohler,  une  ligne  «  à  portée  politique,  un 
moyen  de  déboucher  en  mer  libre». "En  ce  qui  le  concenu  ,  In 
Russie  ne  craint  guère  la  concurrence  du  chemin  de  fer  de 
Bagdad,  mais  bien  l'hostilité  allemande  dans  le  golfe  Persique, 
résultat  de  la  construction  du  chemin  de  fer  dont  la  têt<*  du 
ligne  désirée  est  Koueit.  L'hostilité  anglaise  suffisait.  —  C'est 
pour  d'autres  chemins  de  fer  russes  que  le  chemin  de  fer  de 
Bagdad  est  un  concurrent  commercial  à  redouter.  Plus  d'un 
voyageur,  qui  serait  revenu  de  Chine  par  le  Transsibérien,  re- 
viendra, —  la  voie  allemande  une  fois  achevée,  —  parle  j^tdU} 
Persique.  D'autre  part,  la  Russie  est  décidée  à  construire  un 
embranchement  du  Transsibérien  qui  a  l'Inde  pour  objectif  :  le 
chemin  de  Bagdad  est  son  concurrent  direct.    ^ 

*  Uberally  art.  cit. 


fft 
f 


\ 


684  QUESTIONS  DIPLOMATIQUKS   BT   COLONIALES 

On  lit  dans  cet  article  du  Messager  des  finances  russe,  ins- 
piré par  M.  de  Witte,  et  lu  à  la  tribune  de  la  Chambre  des 
députés  par  M.  Deloncle  : 

«  Le  grand  Transsibérien  nous  a  coûté  beaucoup  de  peines  et 
a  d'argent.  On  est  en  train  de  tracer  par  Orenbourg,  Taschkend 
«  et  Kouschk,  la  voie  la  plus  directe  vers  la  frontière  de  l'Inde. 
«  Est-il  possible,  maintenant  où  la  ligne  traversant  TAsie  sur 
«toute  sa  longueur  est  terminée  et  la  construction  de  l'autre  voie 
«ferrée  proche  de  sa  réalisation,  que  le  gouvernement  russe, 
«  sans  tenir  compte  des  conditions  géographiques  et  contraire- 
«  ment  à  des  vœux  traditionnels,  dépense  de  l'argent  pour  la 
«  construction  d'a/ie  ligne  destinée  a  nous  faire  concurrence 
«  et  qui  se  dirigera  vers  PInde  en  passant  sur  un  territoire 
«  étranger  *.  » 

Sans  doute,  l'alliance  franco-russe  né  doit  pas  signifier  «  ser- 
vilité de  la  France  à  l'égard  de  la  Russie  »  ;  mais  il  n'y  aurait 
aucune  servilité  à  nous  abstenir,  —  au  besoin  un  peu  par  amitié 
pour  notre  allié,  —  d'une  initiative  que  notre  intérêt  bien  en- 
tendu suffirait  en  somme  à  nous  empêcher  de  prendre. 


^1  est  des  régions  de  l'Asie  où  les  politiques  française  et 
russe  sont,  ou  ont  été,  forcément  en  conflit  :  —  depuis  bien  long- 
temps, en  Palestine,  où  le  protectorat  rudimentaire  des  ortho- 
doxes, que  tend  à  exercer  et  à  développer  la  Russie,  gêne  sur 
bien  des  points  le  vieux  protectorat  catholique  de  la  France'; 

^  11  faut  aussi  avoir  présente  à  l'esprit  la  «  déclaraiicn  d'un  intérêt  considérable  » 
faite  aussitôt  après  le  passage  précédent  dans  l'organe  de  M.  de  Witte  :  «  On  affirme 
qu'une  pareille  ligne  (une  ligne  vers  l'Inde  au  delà  des  limites  de  la  Russie)  nous  pla- 
cerait face  à  face  avec  l'Angleterre,  ce  qui  pourrait  être  la  cause  de  grands  dangers  et  do 
complications.  Mais  cette  objection,  plus  surannée  que  justifiée,  est  plutôt  basée  eur 
une  méfiance  traditionnelle  réciproque  avec  l'Angleterre  que  sur  la  réalité  exempte  de 
préjugés.  La  Russie  et  l'Angleterre  ne  sont,  quant  à  présent,  pas  des  concurrents 
l'une  à  regard  de  l'autre  sur  le  marché  universel,  et  il  n'existe  presque  nulle  part 
entre  elles  des  intérêts  qui  ne  puirsent  être  délimités.  Dans  le  domaine  universel  du 
commerce  et  de  l'industrie,  l'Angleterre  a  plutôt  à  craindre  la  concurrence  de 
l'Allemagne.  Quant  à  la  Russie  et  à  l'Angleterre,  c'est  plutôt  de  loin  qu'elles  le 
semblent  réciproquement  dangereuses,  parce  qu'elles  se  connaissent  peu  l'une  et 
l'autre.  De  près,  le  jour  où  les  frontières  des  deux  puissances  seront  mises  en  con- 
tact par  une  ligne  traversant  Hérat,  et  quand  auront  été  établies,  au  mojen  de  ce 
chemin  de  fer,  des  relations  de  frontière,  le  brouillard  des  anciens  malentendus  et 
des  appréhensions  sera  promptement  dissipé,  et  le  nœud  gordien  de  la  méfiance  réci- 
proque, qui  glt  maintenant  dans  le  Pamir,  sera  tranché.  »  Journal  officiel^  séaDCC 
de  la  Chambre  des  députés  du  11  mars  1903,  p.  1102,  col.  1  et  2. 

s  La  «  Société  de  Palestine  »,  dont  le  centre  est  à  Moscou,  s'appuie  sur  toute  la 
Russie  orthodoxe  tournée  vers  les  villes  saintes.  Elle  semble  être  assez  for(e  pour 
pouvoir  imposer  ses  volontés  à  un  gouvernement  qui  voudrait  lui  résister.  —  Depuis 
1890,  l'action  des  Russes  a  commencé  à  s'exercer  en  Syrie,  dans  les  districts  de  Tibé- 
riade  et  de  Tripoli. 


l'intérêt   français    en   ASIE   OCCIDENTALE  685 

il  y  a  quelques  années,  en  Arménie,  où  la  politique  passive  de 
la  Russie  a  entravé  une  action  désintéressée  de  la  France. 
Mais  il  est  d'autres  régions  où  Tindépendance  des  deux  alUi'^s 
Tun  à  l'égard  de  Tautre,  ou  Tabstention  de  Tun  d'eux,  est  pos- 
sible, et  serait  peut-être  préférable  à  la  ligne  de  conduiU* 
adoptée.    ^ 

On  se  souvient  que,  le  20  mars  1902,  les  représentants  diplo- 
matiques de  la  France  et  de  la  Russie  ont  donné  communica- 
tion de  la  déclaration  suivante  aux  ministres  des  Affaires 
étrangères  des  puissances  signataires  du  protocole  de  Pékin  du 
7  septembre  1901. 

«  Les  gouvernements  alliés  de  la  France  et  de  la  Russie 
«  ayant  reçu  communication  de  la  convention  anglo-japonaise  du 
«30  janvier  1902,...  obligés  d'envisager,  eux  aussi,  le  cas  oir, 
a  soit  Faction  agressive  des  tierces  puissances,  soit  de  nouveaux 
«troubles  en  Chine,  mettant  en  question  l'intégralité  et  le  libre 
«développement de  cette  puissance,  deviendraient  une  menaee 
«  pour  leurs  propres  intérêts,  se  réservent  d'aviser  éventuelh^- 
«  ment  aux  moyens  d'en  assurer  la  sauvegarde.  »     / 

En  Extrême-Orient,  la  France  et  la  Russie  sont  donc  étroite- 
ment liées,  en  face  de  l'Angleterre  et  du  Japon.  La  situation 
est  grosse  de  danger.  Aujourd'hui  où  les  leaders  les  plus  in 
fluents  de  la  majorité  parlementaire  parlent  si  souvent  de  fairi^ 
disparaître  toutes  les  causes  possibles  de  conflit,  il  semblerait 
naturel  de  s'en  inquiéter.  Nous  pouvons  être  automatiquement 
entraînés  dans  une  guerre  pour  un  intérêt  exclusivement 
russe. 

Toutefois,  il  faut  distinguer. 

S'il  y  a  eu,  le  20  mars  1902,  simple  divulgation  partielle  du 
pacte  primitif  d'alliance,  il  n'y  a  rien  à  dire  :  les  avantages 
généraux  de  garantie  franco-russe  peuvent  suffisamment  justi- 
fier cette  clause  particulière,  quelque  lourde  qu'elle  puisse 
être. 

Mais,  s  il  y  a  pacte  nouveau  *,  c'est  le  cas  de  dire  qu'il  y  w. 

1  II  est  impossible  de  trouver  aucun  éclaircissement  dans  les  explications  donnée  - 
au  printemps  de  1902  par  M.  Delcassé,  notamment  à  la  tribune  du  Sénat.  A  la  séatin 
de  la  Chambre  des  députés  du  il  mars  1903  (J.  off.,  p.  1109,  col.  3)»  la  question  x 
été  incidemment  posée.  M.  Ribot  venait  de  dire  :  «  Ce  qui  fait  la  force,  ce  qui  fera  la 
durée  de  celte  alliance  (l'alliance  franco-russe  ),  c'est  précisément  que  nous  avons 
gardé  le  droit  à  une  indépendance  égale  dans  toutes  les  questions  qui  n'ont  pas  é\v 
prévues...  Quand  deux  pajs  sont  liés  comme  la  France  et  la  Russie,  ils  doivent  dan- 
toutes  les  questions,  mémo  dans  celles  qui  sont  étrangères  aux  traités  ou  au  s 
conventions  intervenus,  se  mettre  d'accord  ;  cela  est  une  force  pour  la  politique 
rommune  qu'ils  pratiquent,  mais  il  faut  que  cela  résulte  de  conversations  où  chacun 
garde  sa  liberté,  sa  dignité,  son  indépendance,  nul  ne  pouvant  être  engagé  dans  uih' 
action  politique  dont  il  n'aurait  pas  déterminé  librement  le  but  et  mesuré  l'étendue. 
M.  Jaurès  interrompit  •    u    Vous   blâmez  alors    la  convention  de   Corée  ?  »    Kl  k 


^686  OUBSTIOMS   DIPLOMATIQUES    BT  GOLOIUAUSS 

non  pas  «  servilité  »,  mais  sûrement  inégalité   entre  alliés. 

Il  y  aurait  bien  égalité  :  si  la  France  avait  actuellement  sur 
la  Chine  méridionale  des  prétentions  analogues  à  celles  de  la 
Russie  sur  la  Mandchourie.  Les  deux  alliés,  prétendant  foire, 
—  en  dépit  de  Talliance  anglo-japonaise  ou  tout  autre  adver  • 
saire  —  l'un  une  plus  grande  Sibérie,  Tautre  une  plus  grande 
Indo-Chine,  se  seraient  réciproquement  cautionnés. 

Mais  M.  Delcassé  s'est  toujours  élevé  contre  l'idée  de  porter 
atteinte  à  Tintégrité  de  la  Chine.  M.  Doumei^ue,  adversaire 
acharné  des  idées  d'expansion  de  M.  Doumer,.  quand  ce  dernier 
était  gouverneur  général  de  Tlndo-Chine,  est  ministre  des 
Colonies.  Enfin,  ee  n'est  vraiment  pas  quand  le  ministre  des 
Affaires  étrangères  avait,  dans  ses  négociations  avec  le  Siam, 
accepté  le  projet  de  traité  que  Ton  sait,  qu'il  est  permis  de 
prêter  au  gouvernement  français  des  idées  d'expansion  territo- 
riale en  Extrême-Orient.  —  Alors? 

WClors,  tout  se  paie  en  ce  monde,  surtout  quand  on  a  affaire  à 
une  diplomatie  aussi  peu  nonchalante  et  bonace  que  la  diplo- 
matie russe.  L'entreprise  franco-allemande  de  Bagdad  prenait 
corps  au  moment  de  la  notification  de  mars  1902.  Si  l'un  des 
faits  est  la  cause  de  l'autre,  —  hypothèse  vraisemblable,  mais 
qui  ne  pourra,  je  l'avoue,  Atre  vérifiée  avant  limgtemps,  —  il 
faut  bien  avouer  que  collaborer  avec  le  roi  de  Prusse  coûte 
eher!   ^ 


Enfin,  à  cause  de  notre  intervention  inopportune  en  Asie  oc- 
cidentale, nous  allons  gâter  une  situation  d'où,  sans  que  nous 
ayons  à  nous  eu  mêler,  nous  aurions  pu  tirer  des  avantages 
inespérés. 

On  sait  que,  depuis  longtemps,  la  Rnssie  est  peu  active  en 
Europe  et  que.  parallèlement  à  l'alliance  franco-russe,  les  rap- 
ports russo-allemands  —  surtout  grâce  aux  effets  constants 
de  Berlin  —  sont  excellents. 

De  là,  dans  l'alliance  franco-russe,  non  point  certes  un  germe 
•de  mort,  mais  une  certaine  lourdeur,  une  attitude  passive  et 
une  situation  difficile  pour  la  France. 

Or,  la  Russie,  son  Transsibérien  une  fois  terminé,  a  pu  s'ac- 
4X>rder,  malgré  les  difficultés  pendantes  au  bord  du  Pacifique, 
un  moment  de  repos,  d'entr'acte,  pour  scruter  la  politique 
mondiale. 

luiuistre  des  AfTaires  étrangères  déclara  de  sa  place:  ail  n'j  a  pas  de  convention  \  > 
Il  n'y  a  pas  de  convention.  Peut-on  en  conclure  qu'A  y  a  eu  simplement  notîficatioii 
d'une  clause  du  traité  primitif?  Non;  car,  s'il  y  a  fait  nonveau  résoltant  d'une  no- 
tification  aux  puissances  après  un  simple  échange  de  vues,  on  peut  à  la  rigneor.  jon- 
glant avec  le.<  mots,  dire  qu'il  n'y  a  pas  o  convention  ».  — L'obscurité  reste  complète. 


mm 


l'intérêt   FRARÇAIS  en   ASIE  OCeiDBRTAIiU  587 

Elte  a  airsshièl  aperçv  qu9i  VÂllenta^ue  vient  im  miner  TÂsm 
Oecidieiitate.  ^  Vans  la  latte  intnise  pouir  te  commerce;  et  l'es 
temtofves,  q«i  derîefDt  de  jbw  e«  j<ouv  plifô  féfoee-  et  plifs  sau- 
vage, écrit  l€  ipoUÂcîftle  anglais  ^i  signe  Calclias  dans  la 
Fortnigktly  Review^  chaque  potvt  saiaiseakl»  ck  Xot  carte*  es* 
menacé  de  plus  d'un  côté  à  la  fois.  Là  où  une  puissance  a 
attendu  pour  entrer  en  possession  toute  naturelle,  elle  est 
exposée  à  découvrir,  en  s'éveiilant  un  beau  matin,  qu'un 
voisin  entreprenant,  —  pr^t  à  fournir  les  explications  les  plus 
pîausililes,  —  a  planté  des  bornes...  pendant  la  nuit.  La  Russie 
commence  à  s'apercevoir  que,  tandis  qu'elle  attendait  la  chute 
spontanée  des  fruits  en  Orient,  son  formidable  voisin  a  com- 
mencé à  secouer  la  branche  '.  Le  DYang  nach  Osten^  qui  ne  la 
préoccupait  guère  à  sa  source,  lui  nuit  à  son  embouchure. 

Le  seul  moyen  sérieux  de  prévenir  les  dégâis  (Tun  torrent  est 
de  fe  régulariser  à  son  origine^  et  non  de  lui  opposer  des  digues 
là  où  il  est  déjà  impétueux. 

Voilà  donc  l'attention  de  la  Russie  enfin  attirée  sur  ITnrope 
centrale,  en  même  temps  que  son  action  opposée  à  celle  de 
rAÎIemagne.  «Tai  développé  cette  idée  dans  de  précédents 
articles*. 

Mais,  au  moment  où  Te  conffit  s'engage^  au  moment  où  la 
force  des  choses  travaille  pour  nous,  au  moment  où  FAngle- 
terre,  après  avoir  hésité,  sembîe  se  ranger  résolument  du  côté  de 
la  Russie  %  nous  ne  gardons  pas  «ne  habile  réserve  !  Pour  notre 
malheur,  nous  prenons  place  parmi  les  concurrents.  Et  ce  n'est 

^  VkmhwghtVy^  RêvietMr  juS&erV  1)9011,  p.  it26. 

3  Quesl,  DipL  et  Col.,  n»  136,  passim;  n»  143,  p.  148-136..  —  Voir  aussi  Bevus 
hleuêy  24  mai  iâ02  :  Influence  de  Vexpanxion  asiatique  sur  les  politiques  russe  et 
allemande. 

3  Bf.  Gabriel  EanotaM»  éavit  :  «  ij».  ministre  ées  Affiûfes  élisuigèpes  anglBiB*^ 
«  lord  Lansdawoe,  sans  même  attendra  cgue  le  roi  Edouard,  soit  rentcé  dans  sa  capi- 
«  taie,  prononce  k  la  Chambre  des  Lords  ces  paroles...  :  «  Je  n'ai  aucune  hésitation 
n  à  déclarer,  dtt-il',  qae  Kp  gouvemefinene  bri «an nique  regsirdteraitl'étaBlîssementd^une 
<(  base'  na«ale  eltd'un  pnvt:  foetifié;  sur  le  çolfe  P«raqpiev  par  une  autre  puissance, 
n  comme  une  grave  menace  pour  les  intérêts  anglais,  et  q^i'il  s'opposerait  à  son  éta- 
it blissement  par  fous  lies  moyens  en  son  pouvoir.  »  Voilà  un  coup  de  trompette,  ou 
ff  noue  nooB  tk*eiiipens  fort.  A  bon  en tenikurv salut...  Or,  quelles  sent^  en  dehors  de 
<c  L'Ajigfleterce,  les  puiasanese  mtéres^ées.  directement,  à  Panteniv  du  golfe  Peraique  ? 
M  La  Russie  d'abord.  C'est  la  vieille  rivale  de  l'Angleterre  en  ces  lieux.  Et,  d'autre 
«(  part,  rAIIemagne,  qui,  depuis  quehque  temps,  parait  Jeter  les  yeux  sur  l'Asie 
<  MiUBurs  et  If  Asie  CTaniiaiIia.  Ëst-c9  »  l^dlresse  de  la  Russie  ?  Bst-«e  à  l'adresse  de 
((  l'Allemagne  que  sont  prononcées  lies  paroles  de  lord  Lansilfiwne  ?  La  partie  liée 
«  autour  du  chemin  de  fer  de  Bagdad  peut  servir  à  nous  éclairer.  Dans  une  alTaire 
««  décisive,  l'Angleterre,  après  mûre  réflexion,  s'est  rapprochée  de  la  Russie  ;  par 
u  conséquent,  d Jet  s'eat  apposée  à  l'Allemagne.  —  Concluez.  »  Et  dans  le  même 
article  :  «  En  Asie  Mineure  et  en  Perse,  la  question  du  chemin  de  fer  de  Bagdad. 
M  celle  de  Koueit  ont  mis  aux  prises  quatre  grandes  puissances...  :  l'Allemagne  et 
«  la  France  appuyant  le  projet  de  chemin  de  fer,  la  Russie  et  rAngle terre  Te  comBal- 
u  tant  énergiquement.  » 


i 


688  QUESTIONS   DIPLOHATIOUBS   BT   GOLOMIALKS 

pas  pour  permettre  à  la  Russie  d'esquisser  une  sorte  de  triplice 
à  but  spécial  et  de  prononcer  son  attitude  ;  mais  bien  pour  pren- 
dre position  contre  elle,  à  côté  de  TAUemagne;  pour  assurer 
au  Drang  un  débouché  en  Asie  et  en  augmenter  ainsi  en 
Europe  la  violence  et  les  ravages. 

« 

-^  Si  l'entreprise  de  Bagdad  compte  de  nombreux  partisans  en 
France,  c'est  qu'aux  financiers  intéressés  à  son  lancement  se 
sont  joints  beaucoup  de  nos  coloniaux. 

A  leurs  yeux,  le  cheminement  de  l'Allemagne,  à  travers  l'Eu- 
rope centrale  et  balkanique,  vers  l'Asie  occidentale,  ne  présente 
aucun  inconvénient  :  le  pangermanisme  tourne  le  dos  &  la 
France,  et  «  veut  bien  pour  le  moment  affecter  vis-à-vis  de 
«  nous  plus  de  dédain  que  de  colère.  Ce  sont  là  des  dispositions 
«  excellentes  pour  nous  permettre  de  surveiller  impartialement 
«  les  progrès  de  la  doctrine  :  c'est  aux  Etats  éventuellement 
<t  lésés  qu'il  appartient,  s'il  leur  convient,  de  ressentir  la  menace; 
«  aux  races  condamnées  par  le  germanisme  de  comprendre  la 
a  nécessité  de  la  cohésion*.  « 

Les  progrès  du  Z>/'flwg^  continental  rassurent  même  bon  nom- 
bre de  coloniaux  français.  Ils  espèrent  qu'une  Allemagne  qui 
grandit  sur  terre  finira  par  oublier  ses  vastes  projets  de  domi- 
nation maritime  et  ne  prendra  pas  part  avec  trop  d'âpreté  à  la 
curée  coloniale. 

Ce  sont  là  des  idées  qui  étaient,  il  y  a  un  ou  deux  ans,  celles 
de  ces  grands  coloniaux  que  sont  les  Anglais  :  ils  en  ont,  depuis, 
reconnu  la  vanité.    ' 

Je  me  propose  d'examiner,  dans  un  prochain  article,  si  les 
progrès  de  l'Allemagne  vers  l'Est  et  les  progrès  de  l'Allemagne 
sur  l'eau,  loin  d'être  contradictoires,  ne  sont  pas  complémen- 
taires, —  les  uns  comportant  et  entraînant  les  autres. 
/Aujourd'hui  nous  sommes  encore  libres  d'empêcher  les  loco- 
motives allemandes  de  traverser  le  Bosphore  sur  le  pont  gigan- 
tesque dont  les  plans  sont  déjà  dressés  et  d'atteindre  le  golfe 
l*ersique.  —  Demain,  si  nous,  avons  collaboré  avec  les  Alle- 
mands, nous  ne  serons  plus  libres  de  nous  opposer  à  ce  que  de 
nouveaux  paquebots  et  de  nouveaux  cuirassés  allemands 
sillonnent  les  mers  d'Asie  et  la  MéditerranéeX 

Rkné  Henry. 


>  Journal  des  Débats,  31  août  1902. 


L'OPINION   GRECQUE 

ET 

LA    QUESTION    DE    MACÉDOINE 


Nous  ne  voulons  point  revenir  sur  la  question  macédonienne 
envisagée  en  eUe-m^me  :  les  articles  de  MM.  René  Henry  et 
(  -asimir  Pralon,  publiés  par  les  Quesiions,  ont  montré  à  nos  lec- 
teurs les  divers  aspects  du  problème.  Ce  que  nous  voudrions 
esquisser  ici,  c'est  seulement  l'état  d'esprit  d'un  des  principaux 
intéressés,  de  l'élément  grec. 

Il  n'est  pas  besoin  d'insister  sur  l'importance  que  présente  la 
connaissance  exacte  des  divers  facteurs  locaux  :  savoir  avec  cer- 
titude à  quoi  aspirent,  ce  que  veulent  et  révent  les  diverses 
nationalités  antagonistes  des  Balkans,  c'est  assurément  entrer 
assez  avant  dans  l'étude  de  la  question  de  Macédoine,  toujours 
pendante,  tantôt  assoupie,  tantôt  renaissante,  dont  l'Europe 
aura  à  s'occuper,  tant  qu'elle  ne  sera  pas  résolue. 

Aussi  voudrions-nous  décrire  l'état  d'ùme  de  l'opinion  grec- 
que, la  manière  dont  elle  considère  le  problème  macédonien,  la 
politique  qu'elle  commande  au  gouvernement  d'Athènes.  Pour 
ce  faire,  quoi  de  mieux  que  d'être  l'écho  de  Grecs  intelligents  el 
avisés,  qui  connaissent  bien  les  aspirations  de  leur  nation,  en 
critiquent  quelques-unes,  se  font  Tavocat  des  autres,    et  tout 
compte  fait,  nous  renseignent  admirablement  sur  la  pensée 
publique   de  leur  pays.  Précisément  un  jeune  homme  de  la 
société  grecque  de  Paris,  M.  Périclès  Argyropoulo,  vient  de  taire» 
deux  conférences  très  suggestives  ii  cet  égard  \  Très  au  courant 
de  la  vie  politique  hellène,  il  a  retracé,  avec  un  talent  d'exposi- 
tion incontestable,  la  situation  de  la  Macédoine  et  de  son  propre 
pays.  Nous  ne  pouvons  en  ces  pages  résumer  tous  ses  dévelop- 
pements; aussi,  reten^int  seulement  quelques  points,  nous  vou- 
drions esquisser  :  1°  de  quelle  fac^on  la  (Jrèce  envisage  la  situa- 
tion actuelle  de  la  Macédoine  ;  2°  quelle  politique  ses  intérêts  ol 
ses  sentiments  l'ont  amenée  à  suivn»  vis-à  vis  des  Turcs  et  des 
Bulgares,  principalement;  3^  quelle  solution  elle  préconise. 
Naturellement    nous    ne   serons  ici    quiin    écho,    sympa- 

I  Conférences  du  11  mai  1903  ù  la  Bodinière  sur  la  «  Macédoine  »  et  du 
13  mai  1903  à  l'Ecole  des  sciences  politiques  sur  «  ro[)inion  grecque  et  les  solutions 
de  la  question  macédonienne  ». 

QuEST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv  44 


;j( 


690  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

thique  comme  le  commandent  les  sentiments  traditionnels  de 
la  France  pour  la  Grèce,  mais  sans  vouloir  aucunement  prendre 
parti.  Au  reste,  ce  qu'il  importe  ici,  c'est  de  savoir,  non  pas 
seulement  la  vérité  en  elle-même,  mais  encore  comment  elle 
est  aperçue  par  l'opinion  hellène  :  c'est  à  cela  uniquement  que 
tend  cette  transcription  d^un  auditeur  *. 


Quelle  est,  d'après  l'opinion  grecque,  la  situation  actuelle  en 
Macédoine?  La  Macédoine  souffre  d'un  mal  chronique  et  d'un 
mal  aigu  :  le  mal  chronique,  c'est  une  administration,  un 
gouvernement,  régime  d'arbitraire,  contrôlé  par  l'espionnage  et 
fondé  sur  la  corruption.  La  misère  est  profonde,  l'insécurité  com- 
plète; les  impôts  sont  perçus  selon  le  bon  plaisir  du  percepteur, 
qui  est  parfois  le  grand  propriétaire  turc  lui-même  dont  vous 
êtes  le  fermier  ;  le  pays  est  tellement  surchargé  de  taxes  que  le 
brigandage  y  fleurit  et  n'est  pas  réprimé  :  bakchisch  et  brigan- 
dage, c'est  le  régime  ordinaire  de  la  Macédoine  et  le  seul  moyen 
^  de  n'y  être  pas  malheureux  est,  pour  les  chrétiens,  de  se  faire 
brigand. 

Quant  au  contrôle  du  gouvernement,  il  est  malfaisant  et 
dissolvant  :  c'est  le  produit  d'un  mal  séculaire  auquel  est 
venue  s'ajouter  l'empreinte  d'Abdul-Hamid.  Le  Sultan  est 
aujourd'hui  la  source  de  ce  mal  chronique,  la  corruption  des 
agents  et  des  fonctionnaires,  qui  a  empoisonné  son  empire;  les 
provinces  que  l'on  veut  régénérer,  il  n'y  a  pas  d'autres 
remèdes  que  de  les  isoler  de  lui. 

Mais  si  l'administration  turque  est  un  mal,  elle  est  surtout  le 
prétexte  à  un  autre  mal,  celui-ci  aigu  et  actuel  ;  c'est  l'invasion  des 
bandes  bulgares  qui  sèment  la  terreur  autour  d'elles.  Dans  cette 
Macédoine,  carrefour  et  lieu  de  passage  historique,  vivent  sept 
peuples  (Grecs,  Bulgares,  Turcs,  Serbes,  Koutzo-Valaques,  Juifs 
et  Albanais)  qui  se  livrent  entre  eux  à  une  lutte  implacable,  à 
la  fois  nationale,  sociale  et  religieuse.  Ces  éléments,  sollicités 
par  des  forces  divergentes,  le  Bulgare  veut  se  les  asservir  ou  les 
chasser  :  plus  que  tous  autres,  il  vise  le  Grec,  le  plus  nombreux 
et  le  plus  influent.  Quelque  temps  il  se  contenta  de  la  propa- 
gande pacifique  et  bienfaisante  par  les  écoles,  mais  il  échoua; 
impuissant,  il  se  tourna  vers  Faction  brutale,  il  forma  des  comités. 

Toute  l'action  de  ces  comités  est  dominée  par  leur  caractère 
révolutionnaire  ;  ils  se  souviennent  du  coup  de  main  de  la  Rou- 

1  Nous  remercioDs  MM.  Clado  et  Argyropoulo  d'avoir  bien  ¥Oulo,  avant  qu'elle 
ne  paraissOi  revoir  l'expression  de  leur  pensée. 


l'opinion  grkcquk  et  la  question  dis  macédoine  691 

mélie  Orientale,  exécuté  avec  audace  par  Alexandre  de  Batten- 
bei^,  et  reconnu  comme  fait  accompli  par  l'Europe  ;  ils  espèrent 
résoudre  tontes  les  questions  par  ce  même  procédé^  toute  leur 
œuvre  est  commandée  par  cette  pensée.  De  plus,  les  Bulgares 
sont,  dans  Fàme,  des  socialistes  révolutionnaires  :  la  plus  prolé- 
taire des  nations  des  Balkans,  de  naturel  brutal^  ce  peuple  n'a 
que  le  sentiment  de  son  besoin  et  de  son  désir  ;  en  lui  donc  git 
une  prédisposition  à  résoudre  tous  les  conflits  par  la  force. 

Aussi  la  révolution  est-elle  devenue  pour  lui  une  solution 
naturelle  :  les  Bulgares  y  ont  été  poussés  par  Texarchat  bulgare 
lui-même  qui,  constatant  son  impuissance  à  triompher  par  la 
propagande  pacifique  de  Técole,  a  conseillé  la  conquête  à  main 
armée  *  ;  ils  y  ont  été  poussés  par  les  Turcs,  qui,  considérant  les 
Grecs  comme  leurs  pires  ennemis  après  la  guerre  de  1897,  les 
ont  excités  contre  eux,  sans  prévoir  qu'ils  faisaient  le  jeu  des 
révolutionnaires  bulgares. 

Ceux-ci  ont  d^autant  mieux  <c  marché  »  que  les  Grecs  étaient 
pour  eux  tout  à  la  fois  Tadversaire  politique,  le  peuple  le  plus 
nombreux  en  Macédoine,  et  aussi  l'adversaire  social,  car 
THellène  y  est  l'élément  le  plus  riche,  le  plus  instruit,  le  plus 
civilisé,  citadin  et  commerçant,  tandis  que  les  Bulgares  et  les 
Slaves  en  général  sont  plutôt  paysans,  pauvres  et  frustes,  payant 
difficilement  sur  leurs  récoltes  les  63  %  que  demandent  le 
grand  propriétaire  turc  et  le  fisc  impérial. 

Aussi  les  comités  résolurent-ils,  il  y  a  environ  un  an,  d'agir 
en  Macédoine  et.,,  en  Europe  ^  En  Macédoine,  ils  firent  une 
véritable  campagne  de  brigandages,  de  meurtres,  commis  sur 
les  Grecs  comme  sur  les  Turcs,  extorquant  de  Targent  par  la 
terreur,  recrutant  leurs  partisans  par  Tintimidation,  suppri- 
mant leurs  adversaires.  Après  avoir  ensanglanté  le  pays,  ils 
s'imposèrent  à  lui.  Mais  leur  œuvre  brutale  était  factice  :  il 
fallait  agir  au  plus  vite  pour  empêcher  Téchafaudage  de  crouler, 
la  population  macédonienne  bulgare  ne  les  suivant  qu'en  partie 
et  toujours  à  contre-cœur.  Ils  décidèrent  Tinsurrection  pour  cv 
printemps  ;  mais  cette  insurrection  n'est  qu'une  invasion  :  ce 

•  Cela  résulte  d'une  brochure  que  cite  le  conférencier  :  la  Macédoine,  édition  de 
PhilippopoH,  1885,  publié  par  l'exarchat  à  propos  du  millénaire  de  saint  Méthode. 
Dèa  la  page  3,  on  j  lit  :  «  Notre  avenir  en  Macédoine  git  dans  le  soulèvement  »  ;  et 
toute  la  brochure  respire  cet  esprit. 

*  Le  conférencier  caractérise  ainsi  les  comités  et  leurs  tendances  ;  celui  de  Michai- 
lowsky  est  dominé  par  le  rêve  politique,  veut  l'annexion  de  la  Macédoine  à  la  Bul- 
L^rie,  a  de  fortes  attaches  officielles  :  c'est  l 'orp:ane  du  «  secret  du  prince  »  Ferdi- 
nand ;  celai  de  Sarafof,  violent,  révolutionnaire  et  démocratique,  aspire  à  une 
Macédoine  indépendante  et  prolétarienne  dont  la  Bulgarie  ne  serait  que  l'annexe.  Le 
comité  de  l'organisation  intérieare  est  plus  effacé  et  plus  hocoéte  :  son  but  est  la 
victoire  sociale  du  prolétariat,  engendrant  la  victoire  politique  des  Bulgares,  qui  le 
composent  en  majorité  au  Nord. 


^92  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

^ont  des  bandes  de  Bulgares  venus  de  Bulgarie  qui  «  révolu- 
tionnent »  le  pays,  et  c'est  une  invasion  d'anarchistes  et  de 
révolutionnaires,  qui  n'ont  pris  à  la  civilisation  occidentale 
que  des  ferments  de  haine  et  d'envie.  Le  mouvement  n'a  pu  se 
généraliser;  les  paysans  rendent  les  armes  qu'on  leur  a  distri- 
buées, voire  s'en  servent  contre  les  bandes.  Les  documents 
impartiaux,  les  rapports  consulaires  constatent  tous  ce  fait  \ 
La  population  paisible  n'est  pas  avec  les  révolutionnaires,  elle 
ne  les  suit  pas, elle  les  subit,  elle  subit  leurs  atrocités  bulgares  : 
ia  révolution  macédonienne  est  une  invasion  de  révolution- 
naires venus  de  Bulgarie  qui,  unis  à  des  brigands  du  pays,  ont 
commis  leurs  atrocités  bulgares  et  ont  espéré,  tout  à  la  fois, 
s'enrichir,  forcer  la  population  à  se  révolter,  et  faire  croire  h 
l'Europe  qu'elle  devait  intervenir  en  leur  faveur. 

Aussi  ont-ils  tout  fait  pour  gagner  l'Europe  à  leur  cause  :  ils 
ont  agi  par  tous  les  moyens,  campagne  de  presse,conférences,etc. 
Ils  ont  voulu  démontrer  que  la  Macédoine  était  bulgare  et  que, 
les  réformes  s'étant  fait  attendre,  les  Macédoniens  n'avaient 
plus  d'autres  ressources  que  de  se  soulever  en  masse  :  l'Europe 
devait  les  y  aider  ou,  du  moins,  garder  à  leur  égard  une  neu- 
tralité amicale  et  leur  permettre  de  recommencer  le  coup  de 
main  de  la  Roumélie  Orientale. 

Pour  arriver  à  cette  fin,  ils  n'ont  pas  craint  de  tuer,  brûler  et 
voler,  de  soulever  les  représailles  turques,  contre-coup  direct  de 
ia  propagande  «  par  le  fer  et  par  le  feu  »  des  Bulgares;  on  a  dû 
concentrer  des  troupes,  le  fanatisme  a  été  excité  et  aux  «  atro- 
cités bulgares  »  ont  répondu  des  «  atrocités  turques  >»;  on  a 
arrêté  les  innocents,  canonné,  volé,  assassiné,  et  les  Bulgares 
comptaient  là-dessus  pour  déterminer  l'Europe  à  intervenir,  en 
surexcitant  l'opinion  publique  occidentale. 

«  * 

Cette  façon  d'envisager  la  situation  actuelle  en  Macédoine 
explique  la  politique  suivie  aujourd'hui  par  la  Grèce  vis-à-vis 
de  la  Turquie  et  de  la  Bulgarie.  Le  gouvernement  et  une  partie 
de  l'opinion  publique  se  sont  dit  :  Nous  avons  à  nous  plaindre 
en  Macédoine  du  Turc  et  du  Bulgare,  mais  le  Turc,  c'est  le  mal 

»  Cf.  le  Bluff  Uook,  p.  66,79,  98.  107,  136,  i41,  !52.  176,  211,  215,  230,  eic; Livre 
jaune,  l"  public,  p.  4;  M  Choublier  (bulgarophile  cependant,  dit  le  conférencier] 
<^crit  dans  sa  dépêche  du  4  mars  1902  :  «  Les  chefs  du  comité  sentent  approcher  le 
jour  où  ils  devront  agir  coûte  que  coûte,  sous  peine  de  voir  toute  leur  organisation 
n'eiTondrer...  Les  bandes  seront-elles  suivies  si  peu  que  ce  soit  par  les  populations? 
Rien  n'est  moins  probable.  »  Le  Temps  et  la  Neue  freie  Presse  pensent  qu'il  faut 
armer  les  habitants  contre  leur  libérateur  ;  la  Tribuna,  sous  la  signature  de  RiccioUi 
Garibaldi,  conclut  que  c'est  un  mouvement  bulgare  et  non  macédonien. 


l'opinion  grecque  et  la  question  de  macédoine  693 

chronique.  Le  Bulgare,  c'est  le  danger  actuel  et  en  fait  plus 
redoutable  que  le  Turc  :  depuis  quatre  ans  il  nous  assassine  et 
c'est  nous  principalement  que  le  Bulgare  veut  éliminer  en 
Macédoine.  Or,  nous  craignons  plus  de  voir  le  Bulgare  s'in- 
staller en  Macédoine  que  le  Turc  y  rester.  La  domination 
turque  s'effrite  et  TEmpire  Ottoman  c'est  un  peu  notre  chose  ;  un 
grand  nombre  de  nos  frères  y  vivent,  il  y  a  un  Etat  grec  (le 
Patriarchat)  dans  TEtat  turc  ;  nous  nous  regardons  comme  se& 
héritiers  présomptifs  et  nous  n'aimons  pas  que  d'autres  tou- 
chent à  cet  héritage.  Le  Bulgare,  c'est  l'autre  larron.  La  vie,  du 
reste,  sous  la  domination  bulgare,  serait  tout  à  fait  intenable 
pour  le  Grec  de  Macédoine  :  l'exemple  de  la  Roumélie  Orientale 
est  probant  à  cet  égard.  Nous  y  pouvions  encore  vivre  sous  le 
Turc;  avec  le  Bulgare,  nous  ne  le  pouvons  plus  et  nous  devons 
fuir  l'oppression  bulgare.  Enfin,  nous  ne  voulons  pas  de  la 
solution  bulgare,  l'autonomie,  à  cause  précisément  de  l'exem- 
ple de  la  Roumélie  Orientale  :  nous  craignons  le  «  coup  de 
main  ».  Ainsi,  dans  ce  conflit  turco-bulgare,  le  gouvernement 
et  Vopinion  grecque  sont  contre  le  Bulgare^  donc  pour  le 
«  statu  quo  »   et  par  conséquent  pour  le  Turc, 

A  vrai  dire,  si  l'opinion  publique  est  poussée  seulement  par 
ces  motifs  sentimentaux  et  ne  va  pas  au  delà  dans  l'expression 
de  ses  pensées,  le  gouvernement  grec  d'une  part,  certains 
hommes  politiques  d'autre  part,  vont  plus  loin  dans  cette  voie. 

Le  gouvernement  est  en  coquetterie  avec  la  Sublime  Porte, 
car  il  a  des  raisons  actuelles,  extérieures  à  la  question  macé- 
donienne, de  se  conduire  ainsi.  Il  est  avec  le  gouvernement 
turc  en  instance  de  traité  de  commerce  (et  il  y  a  80.000  sujets 
du  royaume  en  Turquie),  de  traité  pour  la  pAche  des  éponges 
sur  la  côte  de  Cyrénaïque  (plusieurs  îles  de  l'Archipel  vivent  de 
cette  pêche),  de  traité  pour  le  raccordement  des  chemins  de  fer 
g;recs  avec  les  turcs  (pour  faire  rejoindre  à  la  voie  Athènes- 
Larissa  la  ligne  de  Salonique  qui  va  bientôt  être  rattachée 
directement  à  l'Europe  centrale)  et  de  traité  sur  la  naturalisa- 
lion  des  Grecs  de  Turquie  comme  sujets  du  royaume  (il  y  en 
a  6  millions  en  Turquie).  Le  cabinet  athénien  s'est  donc  vu 
obligé  de  ménager  le  gouvernement  turc,  et  il  a  profité  de  la 
question  de  Macédoine  pour  faire  «  les  affaires  »  de  la  Grèce, 
comme  les  Bulgares  avaient  profité  des  événements  de  Crète 
pour  faire  les  leurs  en  Macédoine  (affaire  des  bérats). 

Il  y  eut  donc,  en  quelque  sorte,  marché  de  gouvernement  à 
gouvernement,  et  l'Hellène  a  adopté  vis-à-vis  des  insurrections 
une  attitude  défavorable,  fermant  sa  frontière  à  tout  passage 
d'armes,  conseillant  à  tous  les  Grecs  de  ne  jamais  se  joindre  aux 


i 


694  QfJBSTIOMS  DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

Bulgares.  Telle  est  Texplication  du  «  flirt  turco-^ec  »  actuel, 
que  ropinion  ne  combat  pas,  parce  qu^elle  en  sait  les  bénéfices. 

Certains  hommes  politiques  sont  allés  plus  loin  encore  et  ont 
prôné  une  véritable  alliance  gréco-turque.  Le  souvenir  de 
Byzance  demeure  vivace  en  Grèce,  d'autant  plus  qu'il  y  a  en 
Orient  deux  Etats  grecs,  le  royaume  et  Tempire  :  TEmpire  turc 
contient  en  effet  un  véritable  état  sacerdotal,  ayant  autant  de 
sujets  que  le  royaume,  s'étendant  sur  tout  l'Orient,  reste  de 
Byzance,  et  seulement  le  vassal  de  TEtat  musulman.  De  là 
est  né  ce  rêve  de  fusion  turco-grecque,  à  Timage  de  celle 
des  Romains  et  des  Grecs  dans  l'Empire  byzantin.  C'est  une  des 
formes  du  panhellénisme  contemporain.  On  comprend  toute 
la  splendeur  de  cette  idée,  surtout  pour  un  peuple  qui  a  les 
grands  souvenirs,  le  vieux  passé  du  peuple  hellène  et  qui,  pour 
réaliser  un  avenir  digne  de  cette  tradition,  n'a  que  le  petit 
nombre  d'habitants  que  Ton  sait. 

Aussi  quelques  asprits  ont  vu  une  manière  de  réaliser  ce  rêve 
grâce  à  raffaire  macédonienne.  Attaqués  par  le  Bulgare,  Grecs 
et  Turcs  s'unissaient  en  tout  et  pour  tout  et  peu  à  peu  on  assis- 
terait à  la  transformation  de  cette  alliance  en  un  Etat  gréco- 
turc,  qui  serait  m«ûtre  de  l'Orient.  Or,  dans  cet  Etat  le  Grec, 
supérieur  en  civilisation,  en  culture  et  en  richesse  au  Turc, 
(c  mènerait  )>  ce  dernier  un  peu  à  la  façon  des  Hongrois  en 
Autriche-Hongrie.  En  se  faufilant  dans  l'Empire,  le  royaume 
en  deviendrait  le  maître. 

Ce  rêve,  où  Ion  sent  l'empreinte  du  passé,  M.  Périclès 
Argyropoulo  le  laisse  aux  illuminés  qui  s'en  sont  faits  les  apô- 
tres* :  ce  serait,  dit-il,  la  réannexion  de  la  Grèce  à  l'Empire 
Ottoman  et  cet  essai  de  revivification  de  l'Empire  serait  vain,  ou 
il  serait  l'abandon  du  principe  des  nationalités  qui  prédomine 
en  Orient  au  profit  d'une  conception  impériale  de  domination 
et  de  paix  romaine.  Mais  n'est-il  pas  curieux  que  six  ans  après 
la  guerre  gréco-turque,  la  puissance  des  splendeurs  perdues,  la 
force  du  passé  ait  tant  d'attraits,  qu'elle  puisse  faire  naître  de 
pareils  projets. 

» 

Etant  donné  ces  conditions,  il  est  aisé  de  deviner  quelle  solu- 

*  Un  de  ses  partisans  est  le  député  grec  D'  BeUo,  dont  le  projet  d'empire  helléno- 
turc  a  démenti  les  pensées  occidentales  :  il  est  allé  &  Constantinople  parler  d'une 
union  analogue  à  celle  des  Etats  allemands  et  de  la  Prusse.  Le  Sultan  deviendrait 
Empereur  de  Byzance,  il  n'j  aurait  qu'un  ministre  de  la  Guerre  et  us  nûiiistre 
des  Affaires  étrangères  à  Constantinople,  un  ministre  de  la  Marine  à  Athènes  :  on 
n*8  pas  compris  en  Occident  que  c'était  là  une  manifestation,  une  déviation  — 
néfaste,  selon  le  conférencier,  —  du  panhellénisnie. 


i 


l'opinion  grecque  kt  la  question  de  macédoine  695 

lion  1a  Grèce  peut  préconiser  pour  le  problème  macédonien  : 
elle  pense  :  vous  Hes  incapables  de  gouverner  ce  pays,  nous  ne 
voulons  pas  que  nos  rivaux  s'en  chargent,  mais  bien  volontiers 
nous  en  assumerions  la  responsabilité.  Mais  si  c'est  là  la  pensée 
commune,  il  y  a  la  manière  :  celle  de  M.  Aygropoulo  est  des 
plus  conciliantes,  parmi  celles  que  les  Grecs  proposent.  Le  mal, 
dit-il,  a  deux  causes  :  le  contrôle  néfaste  du  Sultan  et  les  luttes 
intérieures.  L'action  européenne,  et  particulièrement  austro- 
russe,  s'est  efforcée  seulement  d'exercer  une  pression  à  Sofia,  où 
sans  doute  l'on  pourrait  surveiller  plus  qu'on  ne  fait,  mais  qui 
n'est  cependant  maître  que  d'un  comité  sur  trois.  Elle  agit  près 
de  la  Sublime  Porte  pour  faire  introduire  des  réforme  adminis- 
tratives; mais  ces  réformes  sont  absolument  insuffisantes,  car 
elles  ne  tarissent  pas  la  source  du  mal  qui  est  Tintervention  du 
Sultan.  La  seule  réforme  efficace  consiste  à  substituer  à  la  sou- 
veraineté effective  d'Abdul-Hamid  le  contrôle  de  TEurope.  En 
dehors  de  cela,  rien  ne  sera  sérieux.  Voyez  le  résultat  actuel 
des  réformes  :  les  administrés  n'en  veulent  pas,  car  ils  n'ont 
pas  confiance  et  la  corruption  a  trop  fait  son  œuvre  pour  qu'une 
réforme  administrative  opérée  par  les  agents  de  la  cour  puisse 
réussir.  Par  exemple,  on  a  pris  l'habitude  de  payer  le  juge,  et 
comme  rien  de  fondamental  n'est  changé,  on  n'a  aucune  con- 
fiance de  gagner  son  procès  honnêtement.  Les  Bulgares  n'en 
veulent  pas,  car  cela  les  empêcherait  de  pécher  en  eau  trouble 
(ils  font  tout  pour  empêcher  le  recrutement  de  la  gendarmerie)  ; 
les  Albanais  les  repoussent  de  la  façon  qu'on  sait  :  ils  croient 
servir  le  Padischah  en  lui  désobéissant  et  ils  ont  répondu  aux 
tentatives  parles»  atrocités  albanaises  »  récentes  —  assassinat 
de  M.  Tcherbina  ;  pillage  de  Voutchina  ;  enlèvement  de  douze 
gendarmes  chrétiens;  siège  de  Mitrovitza  le  31  mars  ;  la  mission 
des  réformes  cernée  à  Ipek  le  16  avril;  deux  juges  arméniens 
et  juifs  assassinés  à  Scutari  le  20  avril,  etc.  —  Les  réformes 
ont  échoué  et  échoueront  parce  qu'on  n'a  pas  su,  ou  plutôt 
voulu,  voir  la  cause  profonde  des  troubles. 

Il  faut,  pour  arriver  à  un  résultat  sérieux,  introduire  l'auto- 
nomie, faire  de  la  Macédoine  une  i^gypte  où  l'Europe  jouerait  le 
rôle  de  l'Angleterre.  Mais  elle  ne  résoudrait  que  la  moitié  du 
problème  :  l'Europe  intervenant,  on  ne  pourrait  lui  demander 
délaisser  des  milliers  d'hommes  pour  maintenir  la  paix  entre 
les  nationalités.  11  faut  donc,  le  Sultan  éliminé,  donner  la  majo- 
rité à  un  des  éléments  en  conflit?  Naturellement  M.  Argyro- 
poulo  conclut  en  faveur  de  la  Grèce,  et  il  nous  présente  les  justifi- 
cations suivantes  :  Nous  sommes  certainement  la  majorité  dans 
la  bande  Sud  de  la  Macédoine  et  sur  la  côte  ;  les  Bulgares  peut- 


k 


fi96  QUESTIONS  DIPLOMATIQUISS  ET  COLONIALES 

iHre  dans  la  bande  Nord  ;  au  Centre,  les  populations  sont  mêlées. 
Naturellement  nous  faisons  abstraction  de  la  Vieille-Serbie  et  de 
la  plaine  de  Kossovo,  qui  reviendrait  à  la  Serbie  sans  conteste, 
do  l'Albanie  et  de  TEpire.  Quant  au  reste,  nous  avons  le  choix 
rntre  une    autonomie   soumise     à  Tinfluence    bulgare  (com- 
prenant   le  Nord  et  le   Centre)   avec  l'annexion    du  Sud  à  la 
(inVe,  ou  d'une  autonomie  soumise  à  l'influence  grecque  (com- 
posant le  Sud  et  le  Centre)  avec  une  annexion  du  Nord  à  la  Bul- 
trarie.  La  première  solution  est  inacceptable  :  ce  serait  rendre 
bi  vie  impossible  aux  très  nombreux  Grecs  habitant  cette  région. 
Nous,  au  contraire,  chacun  sait  avec  quelle  douceur  nous  traitons 
lesdissidents,  qui  sont  presque  favorisés  (le  président  delacourde 
cassation  de  Crète  est  un  Turc  ;  nous  violons  la  constitution  en 
faveur  des  Koutzo-Valaques  d-e  nos  montagnes,  en  n'exigeant 
pas  d'eux  le  service  militaire  ;  les  musulmans  qui  avaient  fui 
la  Thessalie  y  sont  en  partie  revenus,  car  nous  les  laissons  libres 
et  leurs  représentants  siègent  avec  leur  costume  national  dans 
notre   parlement)  ;    nous   ne  molestons  jamais,  dès  que  nous 
avons  partie  gagnée,  et  nous  n'empruntons  pas  au  Patriarchat 
certains  des  procédés  dont  se  plaignent  parfois  les  nationalités 
dissidentes  qui    sont  placées  sous    son  hégémonie.  Il  semble 
bien  qu'il    y   ait  là   une    forte    considération  en    faveur  de 
la  préférence   à    nous  donner.    Ce    n'est  pas  tout  :    nous  ne 
pourrions  supporter  une  autonomie   bulgare,  car  nous  nous 
rappelons  trop  le  coup  de  main  de  la  Roumélie  Orientale.  Nous, 
au  contraire,  nous  respecterions  la  souveraineté  nominale  du 
Sultan  ;    nous  la  respecterions  d'autant  plus,  que  nous  crain- 
drions moins  d'être  chassés  par  un  rival  entreprenant;  et  c'est 
pour  cela  que  nous  envisageons  comme  la  meilleure  solution 
1  autonomie  du  Centre  et  du  Sud  de  la  Macédoine  sous  un  prince 
fi:rec,  qui   fournirait  les  cadres  de  la  nouvelle  administration 
nécessaire,  avec  le  contrôle  de  l'Europe  pour  les  finances  et 
quelques  autres  matières,  et  sous  la  suzeraineté  delà  Sublime 
Porte. 

Mais  la  Grèce  ne  se  fait  aucune  illusion  sur  ce  qu'elle  doit 
espérer  de  TKurope.  Réformer  TEmpire,  c'est  le  démembrer, 
sinon  nominalement,du  moins  effectivement.  Une  telle  solution, 
on  doit  l'imposer  au  Sultan  et  par  la  force  des  armes.  Or 
l'Europe  a  peur  de  toute  intervention  militaire,  elle  fera  tout 
pour  l'éviter.  Elle  ne  s'y  résoudra  que  forcée  par  un  «  déplorable 
accident  » ,  comme  fut  qualifiée  par  un  ministre  anglais,  aux  Com- 
munes, la  bataille  de  Navarin.  C'est  en  cela  que  les  Comités 
bulgares  voient  juste  :  ils  veulent  créer  l'accident,  et  à  la  faveur 
des  idées  répandues  par  eux  ils  espèrent  que  l'Europe  leur  accor- 


f^'^^tl^'F 


L*OPmiON   GRKCOUE   ET   LA    QUEST(ON    DE   MACÉDOINE  697 

clera alors  une  Macédoine  bulgare.  Contre  cela  nous  protestons: 
si  le  «  déplorable  accident  »  survient,  la  Grèce  ne  veut  pas  être 
frustrée  de  l'influence  à  laquelle  elle  a  le  droit. 

«  « 

Il  était  intéressant  d'obtenir  confirmation  de  l'exposé  de  ce 
point  de  vue  grec  auprès  du  D*"  Clado,  une  des  personnalités 
les  plus  connues  de  la  société  grecque  de  Paris.  Très  au  cou- 
rant de  tous  les  événements  des  Balkans,  véritable  centre 
d'infornaations  pour  ses  compatriotes,  le  D*"  Clado  déplore 
rinaction  que  les  Hellènes  ont  gardée  jusqu'à  présent  pour 
combattre  la  propagande  bulgare  en  Occident  II  est  absolu- 
ment d'accord  sur  tous  les  points  essentiels  avec  son  compa- 
triote, M.  Argyropoulo.  Il  n'est  pas  douteux,  dit-il,  tout  indique 
que  nous  avons  assisté  non  à  une  insurrection,  mais  à  une 
invasion  préparée  depuis  1899  :  la  vraie  raison  est  d'ailleurs 
indiquée  dans  la  lettre  confidentielle  suivante  adressée  par 
M.  Rizow,  agent  commercial,  en  Macédoine,  au  prince  Ferdi- 
nand, le  26  avril  1899  : 

C'est  un  aveuglement  du  ministère  Grécow  (alors  au  pouvoir)  et  qui 
porte  en  soi  la  ruine  du  bulgarisme,  de  croire  qu'il  soit  possible  d'aug- 
menter les  succès  remportés  jusqu'ici  par  les  Bulgares  en  Macédoine,  au 
moyen  du  système  ecclésiastique  et  scolaire.  L'activité  de  la  Bulgarie  est 
arrêtée  dans  cette  direction.  Nous  ne  pouvons  plus  rien  par  l'église  et  Vécole. 
Plus  la  situation  actuelle  se  prolongera,  plus  nos  adversaires  (les  Grecs) 
gagneront  du  terrain  et  plus  nous  serons  en  mauvaise  posture.  Toutes  les 
concessions  amicales  que  nous  pouvons  espérer  de  la  Turquie  ont  été 
obtenues.  Une  nouvelle  faveur  de  la  Porte,  si  elle  était  jamais  possible, 
nous  rapporterait  plus  de  dommage  que  de  profit,  car  elle  nous  détourne- 
rait du  but  principal  qui  doit  être  de  nous  préparer  à  affranchir  purement  et 
simplement  les  Macédoniens,  (Lettre  confidentielle  de  M.  Rizow  au  prince 
Ferdinand.) 

Ce  sont,  pour  la  plupart,  des  bandits  venus  de  Bulgarie 
comme  Sarafof  et  autres,  comme  les  auteurs  de  l'attentat  de 
Salonique,  qui  ont  organisé  cette  invasion.  Il  n'est  guère  niable 
qu'ils  ont  trouvé  appui  auprès  de  la  cour  de  Sofia  :  on 
leur  laissait  voler  60.000  fusils  dans  les  arsenaux  ;  à  la  fron- 
tière, on  fermait  les  yeux.  Le  prince,  comme  tout  le  peuple, 
était  leur  complice.  Quand  le  ministre  Danef,  sous  la  pres- 
sion austro-russe,  en  arrêtait,  le  prince  les  faisait  relâcher. 
En  réalité,  le  prince  aspire  à  jouer  dans  les  Balkans  le 
rôle  d'un  Victor-Emmanuel  dont  les  chefs  de  comité  seraient 
les  Garibaldi.  Sa  pensée  constante  tend  à  une  plus  grande 
Bulgarie  :  toutes   les  ressources  de  TEtat   passent  à  Tarmée. 


i       lf* 


698  QUESTIONS  DIPLOMATIQUBS    BT   COLONIALES 

Instruction,  travaux  publics,  etc.,  aucun  service  n'est  déve- 
loppé; mais  à  l'armée  il  consacre  tous  ses  soins.  Le  Bulgare 
est  donc,  dans  les  Balkans,  notre  ennemi-né  et  bien  plus  que 
le  Turc.  Heureusement,  pour  l'instant,  leur  invasion  en  Macé- 
doine paraît  terminée:  leurs  exploits  de  Salonique,  à  la  Banque 
ottomane  et  au  Guadalquivir  sont  leur  chant  du  cygne.  Ils  n'ont 
plus  de  ressources  ;  ils  espéraient  en  trouver  au  trésor  de  la 
Banque  ;  sans  argent,  ils  ne  peuvent  rien;  ils  ont  perdu  la  pre- 
mière manche  et  le  nouveau  ministère  bulgare  négocie  avec 
Constantinople  pour  se  faire  acheter  par  quelques  concessions 
la  cessation  des  troubles  qu'ils  sont  pour  le  moment  impuis- 
sants à  continuer.  Jusqu'à  quand  l'accalmie?  on  l'ignore.  Mais 
ce  qu'il  importe,  c'est  de  fixer  les  responsabilités.  La  plus 
grande  partie  doit  en  retomber  sur  les  Bulgares,  peut-être  aussi 
sur  leurs  partisans  d'Europe,  qui,  illusionnés  par  eux,  ont  gémi 
sur  leur  malheureux  sort  et  ont  tenu  des  meetings  contre  le 
Turc  pour  le  Bulgare.  Celuî-ci  a  pris  grand  soin  de  faire  savoir 
partout  que  la  France  les  soutenait,  par  conséquent  la  Russie, 
qu'il  suffisait  de  faire  naître  un  déplorable  accident  et  ils  n'ont 
pas  hésité  :  si  seulement  les  musulmans,  exaspérés,  au  lieu  de 
faire  la  salutaire  opération  de  police  que  l'équipage  du  Gua- 
dalquivir louait,  avaient  massacré  par  représailles  tous  les 
«  roumis  »  de  Salonique,  quelle  espérance  en  une  intervention  à 
laquelle  on  aurait  acculé  l'Europe! 

Nous  allons  donc  rentrer  dans  une  période  de  calme...  jus- 
qu'à ce  que  des  exploits  turcs,  bulgares  ou  albanais  recommen- 
cent. Il  faudra  bien  cependant  une  solution.  Pour  moi,  celle 
que  présente  mon  ami  Argyropoulo  est  trop  modérée  :  sur 
2  millions  d'habitants  en  Macédoine,  nous  sommes  945.000*, 
les  Turcs  100.000,  les  Bulgares  200.000;  nous  formons  donc  la 
grande  majorité,  comme  il  est  facile  de  s'en  rendre  compte  par 
la  carte  allemande  de  Kiepert.  Les  voyageurs  s'y  trompent  par- 
fois, car  le  bulgare  est  une  langue  très  simple,  que  l'on  apprend 
pour  les  relations  commerciales,  que  Ton  parle  dans  les  mar- 
chés entre  nationalités  différentes,  comme  un  volapûk,  moyen 
nécessaire  et  commode  de  communication.  Mais,  en  réalité, 
nous  représentons  la  moitié  de  la  population  et  assurément  la 
partie  la  plus  riche  et  la  plus  civilisée.  Aussi  ne  voyons -nous 
que  deux  solutions  :  il  faut  éviter  que  Constantinople  soit 
coupée  de  ses  possessions  de  TOuest,  l'Albanie,  l'Epire.  Aussi, 
pour  rester  en  communication  (car  il  ne  faut  pas  poser  toutes 
les  questions  à  la  fois),  faut-il  ou  que  la  Macédoine  reste  sous  la 
suzeraineté  turque  (et  alors  tout  entière  autonome  sous  un  prince 

*  Patriarchistes. 


f 


l'opinion  grecque  et  la  question  de  macédoine  699 

grec),  ou  qu'elle  soit  annexée  purement  et  simplement  à  la 
Grèce,  eji  réservant  la  rone  Nord  qui,  avec  la  Vieille-Serbie, 
serait  le  lieu  de  passage  entre  les  deux  parties  de  TEmpire. 

Il  n'y  aurait  rien  là  qui  soit  essentiellement  contraire  aux 
intérêts  de  TAutriche,  par  exemple.  Elle  tend  à  rejoindre  Salo- 
nique  :  politiquement,  la  Russie  ne  le  permettrait  pas;  com- 
mercialement, nous  lui  ferons  les  conditions  les  plus  favora- 
bles, nous  ne  demanderons  pas  mieux.  Quant  à  la  France,  son 
intérêt  est  d'être  avec  nous  ;  la  sympathie  de  notre  pays  pour 
le  vôtre  n'est  pas  douteuse.  Cela  est  même  une  des  causes  qui 
ont  occasionné  la  grande  colère  de  Guillaume  11  contre  nous; 
quand  il  vint  à  Athènes  pour  le  mariage  de  sa  sœur,  nos  accla- 
mations se  portèrent  plus  sur  la  mission  française  que  sur  lui  : 
inde  irœ.  Dans  toutes  nos  écoles  de  Grèce  et  de  Macédoine,  le 
français  est  seul  obligatoire  avec  le  grec.  Cela  vous  assure  une 
influence  morale,  et  quand  vous  voudrez,  commerciale,  qui 
n'est  pas  à  dédaigner.  Aussi  avons-nous  ressenti  cruellement  la 
partialité  de  votre  Livre  jaune^  imprégné  de  bulgarophilie  et 
dont  on  vient  de  vous  récompenser  à  Salonique. 

Nous  n'indiquons  nos  prétentions  que  pour  maintenir  nos 
droits,  ne  pas  les  laisser  se  prescrire.  A  tout  autre  change- 
ment que  celuî-ôi,  nous  préférons  de  beaucoup  le  statu  qiio, 
avec,  seulement,  pour  le  rendre  supportable,  le  doublement  par 
des  chrétiens  de  tous  les  postes,  sans  qu'en  fait,  par  des  mem- 
bres de  droit,  on  donne  aux  Turcs  la  majorité,  comme  actuelle- 
ment *.  Nous  savons  très  bien  qu'avec  le  statu  quo^  par  la  force 
propre  de  notre  développement,  nous  hellénisons  peu  à  peu 
l'Empire;  nous  conquérons  peu  à  peu  la  richesse,  le  commerce, 
les  propriétés  ;  en  Macédoine,  en  Asie  Mineure,  nous  formons 
déplus  en  plus  la  classe  cultivée,  influente  et  fortunée.  Aussi 
comptons-nous  que  le  temps  marche  avec  nous.  L'Empire  turc, 
l'homme  malade,  quand  il  mourra,  ne  pourra  avoir  d'autres 
héritiers  présomptifs  que  nous  et  l'œuvre  du  temps,  en  facili- 
tant rhellénîsation  de  l'Empire,  facilitera  par  cela  même  la 
liquidation  de  la  succession.  Aussi  ne  pouvons-nous  compren- 
dre les  illuminés  qui  parlent  de  fusion  gréco-turque  aujour- 
d'hui. 11  y  a,  entre  ces  deux  éléments,  un  antagonisme  profond  de 
race  et  d'instinct.  Moi-même,  qui  suis  un  Grec  de  TEmpire, 
élevé  à  Smyrne,  qui  ai  connu  dans  la  maison  de  mon  père  les 
hauts  fonctionnaires  turcs  de  la  ville,  je   ressens   ce   quelque 

^  Ou  mieux  encore  il  faudrait  mettre  fin  à  ce  qui  est  au  fond  de  la  question 
macédonienne  latente  :  l'insécurité  créée  par  les  dilapidations.  Si  toutes  les  ressources 
qu'on  tire  de  la  Macédoine  ne  sortaient  pas  du  pays,  cette  terre,  bien  douée  entre 
toutes,  serait  parfaitement  prospère. 


700  QOKSTIONS   DIPLOMATIQUES   BT   COLONIALKS 

chose  d'invincible  qui  indique  la  complète  antinomie  des  deux 
races.  Et  croyez  bien  que  l'opinion  publique  grecque  est  telle  : 
que  notre  gouvernement  conte  fleurette  à  celui  de  Constanti- 
nople,  pour  obtenir  quelques  avantages  matériels,  on  laisse 
faire  sans  enthousiasme,  par  intérêt,  bien  entendu  ;  mais  aller 
plus  loin,  que  non  !  Nous  estimons  le  Bulgare  notre  plus 
dangereux  adversaire,  parce  qu'il  est  le  plus  entreprenant  et 
celui  qui  paraît  devoirse  faire,  par  la  force,  un  avenir;  mais  le 
Turc  est  aussi  et  restera  notre  ennemi  :  nous  ne  pouvons  être 
frères,  mais  seulement  successeurs... 

•  « 

Il  y  a,  me  semble-t-il,  quelque  chose  de  tout  à  fait  frappant, 
quand  on  voit  le  fond  des  aspirations  de  ces  peuples  balkani- 
ques et  de  la  Grèce  en  particulier.  On  pourrait  croire  que  l'im- 
périalisme est  un  sentiment  réservé  aux  grands  peuples, 
orgueilleux  et  conscients  de  leur  force  :  il  n'en  est  rien.  Il  n'y  a 
pas  que  l'Angleterre  qui  rêve  de  «  la  plus  grande  Angleterre  » 
et  l'Allemagne  de  «  la  plus  grande  Allemagne  ».  La  Bulgarie  a 
toute  sa  politique  actuelle  dirigée  par  cette  idée  de  «  la  plus 
grande  Bulgarie  »  et  la  Grèce,  de  même,  ne  songe  qu'au  pan- 
hellénisme, à  «  la  plus  grande  Grèce  ».  Les  plus  pressés  des 
Hellènes  la  veulent  réaliser  sous  celte  étrange  forme  d'Empire 
gréco-turc  de  même  apparence  que  l'Allemagne;  les  plus  réa- 
listes rejettent  dans  le  lointain  leur  idéal,  mais  se  désignent  déjà 
comme  les  héritiers  naturels  de  l'Empire  turc.  L'Empire  grec 
chez  les  uns,  la  grande  Bulgarie  du  traité  de  San-Stéfano  avec 
le  souvenir  du  coup  de  main  de  la  Roumélie  Orientale  chez  les 
autres,  dominent  leurs  préoccupations  présentes,  guident  leur 
pensée,  leurs  sentiments,  leur  politique  :  ce  sont  ces  longs 
espoirs  qui  rendent  si  malaisée  la  solution  de  la  question  macé- 
donienne, mais  nous  ne  pouvons  nier  qu'ils  sont  en  eux-mêmes 
le  signe  d'une  vie  nationale  intense.  C'est  pour  un  peuple  une 
réserve  d'énergie,  quand  ces  souvenirs  d'antan,  cette  force  du 
passé,  disciplinent  et  unissent  les  aspirations  populaires. 

Gabriel  Loris-JARAv. 


i 


LES   AFFAIRES  D'ALGÉRIE 


La  marche  des  affaires  algériennes  est  en  ce  moment  parti- 
culièrement intéressante  à  suivre.  Nous  avons,  sans  doute,  la 
satisfaction  de  constater  que  la  crise  si  profondément  regret- 
table, ouverte  à  la  veille  môme  du  départ  du  président  de  la 
République  pour  l'Algérie,  peut  désormais  ôtre  considérée 
comme  terminée.  C'est  du  moins  ce  que  tend  à  établir  la  note 
officieuse  suivante,  communiquée  ces  jours  derniers  à  la 
presse  : 

La  démissioa  de  M.  Revoil,  en  qualité  de  gouverneur  général  de 
l'Algérie,  avait  produit  il  y  a  un  mois  une  émotion  qui  devait  se  traduire 
par  une  interpellation  de  M.  Etienne  devant  la  Chambre.  On  annonce  que 
la  nomination  de  M.  Jonnart,  comme  successeur  de  M.  Revoil,  et  la  pro- 
messe formelle  qu'une  ambassade  serait  donnée  à  ce  dernier  dès  la 
première  vacance,  terminent  l'incident. 

Mais,  malgré  tout,  la  question  algérienne  continue  de  sou- 
lever d'assez  vives  discussions  dans  la  presse  et  dans  le  monde 
parlementaire.  Aussi,  pour  permettre  à  nos  lecteurs  de  se  faire 
une  opinion  impartiale  et  raisonnée  sur  ces  affaires  d'Algérie, 
toujours  si  controversées  et  si  complexes,  nous  nous  contente- 
rons simplement  aujourd'hui  d'exposer  les  traits  essentiels  de 
la  politique  intérieure  et  extérieure  de  la  colonie  —  et  cela, 
d'après  les  renseignements  et  documents  que  nous  fournissent 
les  journaux  qui  s'en  sont  occupés  dès  l'arrivée  à  Alger  du 
nouveau  gouverneur  général. 


•  « 


En  ce  qui  concerne  d  abord  la  politique  intérieure  de  l'Algérie, 
le  très  distingué  président  doyen  desdélégations,  M.  Bertrand,  a 
pris  soin,  en  ouvrant  la  session,  de  rappeler,  dans  son  discours 
d'usage,  les  idées  si  souvent  professées  par  M.  Jonnart  «  qui, 
«  quoique  jeune  encore,  a-t-il  ajouté,  est  déjà  un  vieil  Algérien, 
«  ayant  la  vision  claire  des  institutions  spéciales  qui  convien- 
«  nent  à  la  jeune  colonie  ,  si  différente  à  tous  les  points  de  vue 
«  de  notre  vieille  France. 

«  C'est  son  programme,  si  nettement  exposé  dans  son  remar- 
«  quable  rapport  du  budget  algérien  de  1893,  qui  doit  inspirer 
«  toutes  nos  réformes.  C'est  son  programme  que  M.  Revoit  a  suivi 
«  pendant  deux  ans;  c'est  ce  même  programme  que  M.  Jonnart 
«  veut  appliquer.  Nous  n'avons  aucune  appréhension  à  conce- 
«  voir;  nous  n'avons  aucune  surprise  à  redouter.  » 


702  QUESTIONS  IHPUnUZIQQES  ET   GOLONULES 

On  se  rappelle,  en  effet,  que,  rapporteur  du  budgetde  l'Algérie 
en  1893,  M.  Jonnart  saisit  cette  occasion  de  formuler,  avec  une 
précision  qui  ne  pouvait  laisser  place  à  aucune  équivoque  et  qui 
par  conséquent  l'engageait  formellement  pour  l'avenir,  tout 
un  programme  de  gouvernement  pour  notre  grande  colonie 
d'Afrique. 

L'Algérie,  écrivait  Alors  M.  Jonnart,  n'est  pas  une  colonie  dans  le  sens 
habituel  du  mot,  non  plus  qu'une  simple  agrégation  de  dépariemeots 
français . 

Elle  a  un  caractère  intermédiaire  qui  n'a  pas  de  nom  ni  d'exemple  dans 
notre  système  politique. 

Le  régime  qui  lui  convient  n'est  pas  l'assimilation,  et  ce  n'est  pas 
l'autonomie... 
•     .•• •     ...•.,... 

L'Algérie  n'est  pas  une.  Les  départements  qui  la  composent  ont  des 
tendances  divergentes  ;  dans  les  limites  mêmes  de  chaque  province,  on  se 
heurte  à  une  grande  diversité  de  besoins  et  d'intérêts,  à  des  jalousies 
vivaces  et  des  divisions  profondes.  Nulle  part  l'esprit  local  n'a  plus  de 
force. 

Le  gouvernement  général  intervient  pour  imprimer  à  l'organisme  algé- 
rien une  impulsion  générale,  suivant  des  vues  d'ensemble.  Il  réalise 
l'unité  administrative. 

En  présence  d  une  population  européenne  de  500.000  habitants  à  peine, 
comprenant  les  éléments  les  plus  divers,  sans  cohésion  entre  eux,  n'ayant 
ni  la  même  langue  ni  les  mêmes  aspirations,  vit  et  se  développe  une  popu- 
lation indigène  de  3  millions  et  demi  de  sujets  dont  les  éléments  sont  éga- 
lement dissemblables  par  l'origine,  par  les  mœurs  et  les  intérêts. 

Ces  races  diverses  doivent  être  gouvernées  avec  des  idées  propres  a 
chacune  d'elles  et  avec  des  nuances  particulières,  mais  suivant  rintérêt 
dominant  la  patrie  française... 

L'unité  de  vues  et  de  direction  dans  le  gouvernement  de  l'Algérie  s'esi 
toujours  imposée  ;  elle  s'impose  avec  plus  de  force  que  jamais. 

La  tâche  de  Tadministration  algérienne,  en  effet,  grandit  avec  les  ambi- 
tions ou  plutôt  les  nécessités  de  notre  politique  coloniale. 

Notre  diplomatie  ne  saurait  avoir  d'auxiliaire  plus  utile,  et  uon  seule- 
ment dans  son  action  au  Maroc,  en  Tunisie,  dans  le  Nord  de  l'Afrique, 
mais  encore  dans  la  pénétration  des  régions  inexplorées  du  Centre  afri- 
cain, objet  des  convoitises,  de  l'Europe  entière. 

Suivant  l'heureuse  expression  du  chef  actuel  de  Fadministration  algé- 
rienne, M.  Cambon  :  «  Le  gouvernement  général  ne  représente  pas  unique- 
i<  ment  l'intérêt  des  Français  d'Algérie,  il  représente  l'intérêt  de  la 
«  France.  » 

Il  est  à  Alger  le  régulateur  éminent,  l'arbitre  nécessaire  du  conflit  d'inté- 
rêts qui  fatalement  met  aux  prises  la  colonisation  européenne  avec  les 
usages  et  les  droits  de  la  race  indigène. 

Sa  mission  n'a  jamais  été  plus  justifiée,  car  à  aucune  époque  le  gouver- 
nement de  nos  sujets  musulmans  n'a  réclamé  plus  de  fermeté  et  d'esprit 
de  suite,  de  justice  et  de  bienveillance. 


I 


LES  AFFAIRES  d'aLGÉRIE  703 

Otii,  le   gouvernement  général  doit  être  maintenu,   mais  pour   qu'il 
accomplisse  son  œuvre  il  faut  qu'il  soit  fort  et  qu*il  soit  libre. 
Or,  il  existe,  mais  dépourvu  d'autorité  et  d'initiative  ! 
L*abus  de  la  centralisation  en  a  faussé  les  rouages... 

Or,  ce  qu'écrivait  en  1893  le  rapporteur  du  budget  algérien, 
le  gouverneur  général  de  1903  a  tenu  à  le  répéter  au  moment 
d'aller  prendre  possession  de  son  poste.  Voici  en  effet,  d'après 
YEcho  dOran^  le  résumé  des  déclarations  que  M.  Jonnart  a 
faites  le  12  mai  à  M.  Saint-Germain,  sénateur  d'Oran,  avec  qui 
il  s'était  rencontré  à  Lyon. 

M.  Saint-Germain  crut  devoir  appeler  d'abord  l'attention  du 
nouveau  gouverneur  sur  la  situation  fâcheuse  du  Sud-Oranais. 

M.  Jonnart  répondit  que  sa  première  préoccupation  serait  de  prendre  les 
mesures  que  comportent  les  faits  survenus  récemment.  Il  convoquera  im- 
médiatement à  Alger  le  général  O'Conor,  commandant  la  division  d'Oran, 
et  aura  avec  lui  et  le  commandant  du  19*  corps,  une  consultation  dans 
laquelle  seront  examinées  et  discutées  toutes  les  dispositions  nécessaires 
pour  mettre  un  terme  aux  attentats  dont  sont  victimes  continuellement  les 
convois  des  tribus  indigènes  sur  les  frontières  marocaines. 

L'Algérie  peut  compter  sur  la  fermeté  du  gouverneur  pour  assurer  la 
sécurité  et  le  respect  de  nos  territoires. 

Diverses  autres  questions  ont  été  ensuite  traitées,  notamment  celles  des 
tribunaux  répressifs,  et  du  rachat  des  chemins  de  fer  algériens. 

En  ce  qui  concerne  les  tribunaux  répressifs,  M.  Jonnart  réclamera  éner- 
giquement  leur  maintien  ;  il  acceptera  néanmoins,  pour  donner  toute  satis- 
faction possible  aux  opinions  qui  se  sont  manifestées  dans  les  milieux 
parlementaires,  certaines  modifications  inspirées  par  des  idées  de  justice 
et  de  droit,  telles  que  rabaissement  de  la  limite  de  la  durée  des  condamna- 
tions donnant  le  droit  d'interjeter  appel.  Il  adhérera  également  à  ce  que  les 
nominations  des  assesseurs  français  et  musulmans,  représentants  auxi- 
liaires du  ministère  public,  soient  faites  sur  les  propositions  de  la  Cour 
d'Alger.  Il  espère  que  la  commission  qui  doit  être  organisée  par  le  ministre 
de  la  Justice  pour  étudier  la  réforme  dfi  l'institution  s'inspirera  d'idées  de 
sagesse  et  exclura  le  parti  pris  pour  rechercher  et  préconiser  les  réformes 
reconnues  nécessaires  et  équitables. 

M.  Jonnart  viendra  au  surplus  devant  la  commission  comme  interprète 
autorisé  des  desiderata  des  populations  algériennes  dont  il  saura  défendre 
les  préférences;  puis  la  commission  comprendra  des  personnalités  capables 
de  soutenir  le  gouverneur. 

En  feront  partie  les  représentants  de  l'Algérie:  MM.  Etienne  et  Saint- 
Germain  pour  le  département  d'Oran;  MM.  Albin  Rozet,  Flandin  et  de 
Pressensé,  représentants  de  la  Chambre;  M.  Loew,  président  de  chambre 
à  la  Gourde  Cassation,  récemment  mis  à  la  retraite;  MM.  Viviani,  Le  Poi- 
tevin et  divers  magistrats  de  la  Cour  de  Paris. 

M.  Jonnart  est  persuadé  qu'avec  de  tels  éléments,  la  commission  ne 
prendra  que  des  résolutions  mûrement  réfléchies,  prudentes  et  conformes 


704  QUESTIONS   DIPLOMATIQUKS   KT   COLONULES 

aux  intérêts  de  la  sécurité  daa^  la  colonie,  du  respect  de  la  justice  et  de 
rhumanité. 

Relativement  au  rachat  des  voies  ferrées,  M.  Jonnart  n*a  pas  encore 
arrêté  son  opinion  définitive.  Il  est  impossible,  du  reste,  que  la  question 
vienne  à  la  prochaine  session  des  Délégations  qui  doit  commencer  lundi 
prochain.  Le  bureau  du  ministère  des  Travaux  publics  n'a  pas  achevé 
l'étude  du  dossier  et  cette  affaire  est  d'une  trop  grosse  importance  pour 
pouvoir  être  tranchée  sans  que  les  Délégations  possèdent  des  élémenis 
absolument  complets  d'information,  de  façon  à  pouvoir  se  prononcer  en 
toute  connaissance  de  cause.  Pour  lui,  il  examinera  minutieusement  toutes 
les  solutions  sans  parti  pris,  en  recherdiant  seulement  celle  qu'il  jugera  la 
meilleure  pour  les  intérêts  algériens,  les  progrès  de  la  colonisation,  les 
avantages  du  commerce  et  de  Tagriculture. 

Le  choix  devra  être  fait  entre  l'exploitation  par  deux  Compagnies  con- 
cessionnaires. Tune  ayant  le  réseau  de  l'Est,  l'autre  le  réseau  de  l'Ouesiei 
Alger  étant  le  point  de  démarcatipn  entre  les  deux  exploitations,  ou  l'ex- 
ploitation directe  par  la  colonie,  subrogée  aux  droits  de  l'État. 

Ce  dernier  système  doit  être  minutieusement  étudié  ;  il  aurait  de  sérieux 
avantages,  rendrait  l'Algérie  maîtresse  des  tarifs,  des  horaires,  du  prolon- 
gement des  lignes,  des  améliorations  des  services  et  pourrait  aussi,  à  un 
moment  donné,  procurer  d'importants  bénéfices. 

L'expérience  de  l'exploitation  directe  du  réseau  franco-algérien  indique 
que  la  colonie  peut  tirer,  en  exploitant  elle-même,  de  considérables  profils, 
mais  en  supposant  que  la  colonie  dût  recourir  à  la  rétrocession  à  deux 
Compagnies  fermières,  il  faudra  voir  si  ne  doit  pas  être  innové,  à  cette  occa- 
sion, un  nouveau  système  consistant  à  astreindre  les  Compagnies  conces- 
sionnaires à  prendre  en  charge  simultanément  le  transport  par  terre  elle 
transport  maritime  des  marchandises,  de  façon  que  les  colons,  en  remet- 
tant leurs  produits  à  une  gare  de  chemin  de  fer  quelconque,  n'aient  plus  a 
s'inquiéter  du  transport  dans  la  métropole. 

Les  Compagnies  algériennes  de  chemin  de  fer  assumeraient  la  responsa- 
bilité complète  de  faire  parvenir  les  marchandises  à  destination.  Ce  serait 
à  elles  de  s'entendre  avec  les  Compagnies  de  navigation,  actuellement 
existantes,  pour  réaliser  la  combinaison. 

En  tout  cas,  ce  projet  mérite  un  sérieux  examen  de  la  part  des  Déléga- 
tions. M.  Jonnart  assure  qu'elles  Tétudieront  avec  l'attention  que  comporte 
l'importance  de  la  solution. 

M.  Jonnart  se  déclare  enfin  partisan  résolu  du  maintien  de  Torganisj* 
tion  administrative  existante:  conseils  généraux,  préfectures  et  sous-pre- 
fectures,  mais  il  désire  poursuivre  la  réalisation  des  idées  qu'il  avait  précé- 
demment émises  lors  de  son  premier  séjour  à  Alger,  c'est-à-dire  :  large 
décentralisation,  augmentation  des  pouvoirs  des  préfets  et  des  conseil^ 
généraux,  rôle  actif  des  sous-préfets  et  des  administrateurs  pour  l'amélio- 
ration du  contrôle  permanent  et  rigoureux  des  populations  indigènes. 

M.  Jonnart  espère  fermement  rencontrer  parmi  les  colons  et  les  assem- 
blées élues,  à  tous  les  degrés,  un  ferme  et  confiant  appui. 

11  ne  va  pas  en  Algérie  pour  quelques  mois,  il  veut  rester  longtemps  à 
la  tête  du  gouvernement  général,  et  il  estime  que  la  conservation  de  sod 
mandat  de  député  lui  permettra  de  mettre  au  service  de  la  colonie  l'auto- 


LES  AFFAIKES  D  ALGÉRIE  705 

rite  des  relations  parlementaires  qu'il  possède  dans  divers  milieux  du 
Palais-Bourbon.  Toutefois  si,  à  un  moment  donné,  après  des  renouvelle- 
ments successifs  de  la  durée  de  sa  mission,  il  était  contraint  d'abandonner 
son  siège  législatif  pour  conserver  ses  fonctions  gubernatoriales,  il  n'hési* 
terait  pas  à  sacrifier  sa  qualité  de  député  pour  mener  à  bien  l'œuvre  entre- 
prise; mais  il  croit  fermement  que  la  conservation  de  son  siège  législatif 
ne  peut  qu'être  utile  à  la  prompte  solution  des  affaires  de  la  colonie.  C'est 
pourquoi  il  le  conserve. 

En  terminant,  M.  Jonnart  a  répété  combien  il  était  heureux  de  revenir 
dans  notre  pays.  Dès  qu'il  connut  la  démission  de  M.  Hevoil,  il  apprit  que 
M.  Combes  avait  proposé  sa  succession  à  M.  Pichon  qui  allait  accepter. 
C'est  alors  qu'il  fit  connaître  au  président  du  Conseil  qu'il  serait  disposé 
à  reprendre  sa  tâche,  jadis  interrompue. 

M.  Combes  déféra  aussitôt  à  son  désir  et  acquiesça  à  sa  demande.  C'est 
ainsi  que  fut  signée  la  nomination. 

VEcho  d^Oran^  après  avoir  ainsi  rapporté  cette  intéressante 
conversation  concluait  : 

Nous  pouvons  ajouter  que  M.  Jonnart  est  d'accord  absolument  avec  le 
gouvernement  sur  tous  les  points  de  «son  programme.  Aucun  dissentiment 
ne  semble  pouvoir  survenir  entre  le  gouverneur  et  le  pouvoir  central. 

M.  Jonnart  prendra  donc  possession  de  ses  fonctions  dans  des  condi- 
tions exceptionnellement  favorables  de  stabilité. 

« 

En  ce  qui  concerne  la  politique  extérieure  de  l'Algérie,  on  a 
vu  par  l'exposé  qui  précède  quels  étaient  les  intentions  du  nou- 
veau gouverneur.  M.  Jonnart  a  soumis  en  effet  au  gouvernement, 
qui  Ta  ratifié,  tout  un  programme  d*action  immédiate  dont 
une  note  Havas  vient  de  préciser  ainsi  les  grandes  lignes  : 

Les  mesures  prises  par  le  gouverneur  général  de  l'Algérie,  d'accord 
avec  le  général  commandant  en  chef  le  19*  corps  d'armée,  en  vue  d'assurer 
la  sécurité  dans  le  Sud-Oranais,  consistent  principalement  dans  l'utilisa- 
tion des  forces  indigènes  de  harkas,  de  goums  qui,  comme  les  bandes  de 
pillards  marocains,  sont  extrêmement  mobiles. 

Les  mouvements  de  ces  groupes  seront  appuyés  par  deux  colonnes  qui 
renforceront  nos  postes  du  Sud-Oranais  et  qui  occuperont  les  points  d'où 
il  est  le  plus  aisé  de  surveiller  les  rassemblements  des  Marocains  et  d'em-- 
pécher  la  concentration  des  bandes. 

Les  ksours  du  territoire  marocain,  qui  recueillent  habituellement  nos 
agresseurs,  seront  châtiés. 

Il  ne  s'agit  pas  d'occuper  un  point  quelconque  du  territoire  marocain, 
mais  d'exercer  le  droit  de  suite  dans  toute  sa  rigueur,  de  façon  à  décoursh* 
ger  les  pillards. 

Au  surplus,  le  gouvernement  marocain  sera  certamement  reconnaissant 
au  gouvernement  français  de  tous  les  efforts  qui  tendront  à  rétablir  l'ordre 
et  la  sécurité  dans  cette  région,  où  il  n*y  a  plus  ni  administration  ni 
QussT.  DiPt.  «T  Coi..  —  t.  xv.  41 


\\ 


^  w 


706  QUKSTIONS   DlPLOMATlQUes   KT   COLONIALES 

police,  et  où,  par  suite  de  la  disette  des  récoltes,  les  razzias  sont  d'autant 
plus  à  craindre. 

^  Commentant  cette  note,   le  Temps  a  publié,  le  26  mai,  les 

'  réflexions  suivantes  : 

•  Gomme  on  le  voit,  on  a  dii  se  résoudre  à  diriger  des  colonnes  vers  la 

;  région  de  la  Saoura,  pour  y  ramener  un  peu  de  tranquillité  ;  caria  saison 

r  est  beaucoup  trop  avancée  pour  qu'il  soit  possible,  sans  exposer  aux  plus 

i  grands  dangers  la  sant(^  des  troupes,   d'entreprendre   aucune  opération 

[' ;  active  d'une  certaine  envergure. 

;.  Les  erreurs  commises  eussent  pu  être  facilement  évitées  si  les  mesures 

r,  convenables  avaient  été  prises  à  temps  Les  avis  et  les  propositions  dans 

ce  sens  n'ont  cependant  pas  manqué,  et  nous  nous  félicitons  notamment 
de  nous  être  rencontre  avec  l'unanimité  de  la  presse  algérienne  et  colo- 
niale et  de  la  presse  militaire,  pour  faire  ressortir  les  côtés  pratiques  et 
économiques,  à  la  fois,  du  système  des  compagnies  mixtes,  préconisé  par 
un  ancien  ofUcier  des  affaires  arabes,  le  commandant  Frisch,  système  qui 
a  d'ailleurs  reçu  l'approbation  du  gouvernement,  puisqu'il  a  été  appliqua 
aux  oasis  sahariennes,  où  il  donne  les  meilleurs  résultats. 

Le  Sud-Oranais  en  un  pays  particulièrement  propice  à  la  guerre  de 
surprises.  Accidenté  et  cependant  sans  mouvements  de  terrain  trop  vio- 
lents, il  présente  une  série  de  petits  plateaux  favorables  aux  rencontres  et 
séparés  par  des  ondulations  assez  douces  pour  ne  pas  entraver  la  marche 
des  goums,  mais  assez  accentués  pour  abriter  à  de  courtes  distances  des 
forces  relativement  considérables.  Les  populations  qui  Thabilent  ont  une 
mobilité  extraordinaire  et  la  lutte  ne  peut  y  être  autre  chose  qu'un  jeu, 
souvent  pénible,  bruyant  et  dangereux,  de  finesse  et  d'à-propos:  la  promp- 
titude dans  l'exécution  des  opérations  est  la  première  condition  du 
succès. 

Or,  quand  un  parti  ennemi  est  signalé  sur  un  point  ou  en  mouvement 
dans  une  direction  donnée,  s'il  faut  rassembler  à  grande  distance  de  là  et 
mettre  en  route  plusieurs  bataillons,  escadrons  et  batteries,  donner  à 
cette  colonne  un  chef,  un  état-major,  des  vivres,  des  munitions  et  de^ 
moyens  de  trans,  ort,  presque  toujours  on  arrivera  trop  tard;  la  bande 
aura  «  fait  son  coup  n,  puis  elle  aura  mis  un  grand  nombre  de  kilomètres 
entre  elle  et  les  troupes  envoyées  à  sa  poursuite.  Il  faudra  ensuite  plu- 
sieurs semaines,  quelquefois  des  mois  entiers,  pour  tirer  vengeance  de 
l'acte  ou  des  actes  criminels  accomplis.  C'est  là  un  très  grave  inconvé- 
nient, non  seulement  au  point  de  vue  de  l'augmentation  considérable  des 
dépenses,  mais  surtout  au  point  de  vue  de  notre  prestige  sur  les  indigènes^ 
qi^itaxe  nos  lenteurs  de  faiblesse  et  de  pusillanimité. 

La  plupart  des  insurrections  nationales  n'ont  pas  eu  d'autres  causes 
immédiates  ;  ce  qui  se  comprend  chez  des  peuples  qui  ne  s'inclinent  que 
<leirantla  force  brutale  et  la  répression  immédiate. 

Au  contraire,  des  compagnies  mixtes  judicieusement  réparties  sur  la 

surface  du  territoire,  organisées  de  manière  à  se  suffire  à  elles-mêmes  et 

.  dont  tous  les  éléments  sont  constamment  groupés  et  presque  toujours  en 

mouyeraént,  peuvent,  au  contraire,  partir  une  heure  apcès  H  réception  de 


LES  AFFAIRES  DALGÉRIE  707 

la  nouvelle,  accomplir  au  besoin  une  ou  deux  marches  forcées,  atteindrt^ 
Tennemi  avanl  que  celui  ci  ait  eu  seulement  connaissance  de  leur  mouve- 
ment et,  par  conséquent,  empêcher  des  événements  désastreux  de  ^^ 
produire  :  en  un  mot,  châtier  immédiatement  des  coupables  ou  «  étouffer 
une  insurrection  dans  rœuf  ». 

Etre  la  terreur  des  maraudeurs  et  des  pillards,  faire  des  reconnaissancei» 
rapides  en  se  montrant  partout,  pousser  môme  des  pointes  hardies  jus: qup 
dans  le  désert,  apparaître  inopinément  au  milieu  des  tribus  soupçonnées 
de  sentiments  ou  de  desseins  hostiles,  voilà  le  rôle  que  peuvent  remplir 
les  compagnies  mixtes  dans  le  Sud  Algérien.  Il  est  facile  de  comprendra, 
après  ce  rapide  exposé,  quels  services  nombreux  et  importants  peuvent 
rendre  des  troupes  de  cette  nature,  parfaitement  entraînées  et  accli- 
matées, connaissant  à  fond  le  pays  et  les  indigènes,  toujours  en  alerte. 
Chaque  compagnie  remplacerait  avantageusement  plusieurs  bataillons  non 
habitués  au  climat  et  aux  longues  marches  sous  un  soleil  de  feu  et  doni 
la  présence  peut  être  utile  ailleurs. 

Au  point  de  vue  budf;étaire,  c*est  par  millions  que  se  chiffreraient 
annuellement  les  économies  résultant  de  leur  organisation. 

Sous  le  prétexte  d'évitfT  des  difficultés  imaginaires  du  côté  du  Maroc, 
nous  nous  sommes  obstinés  jusqu'à  présent  à  respecter  jusqu'au  ridicule 
une  frontière  que  nous  avons  eu  la  naïveté  de  créer  nous-mêmes,  puisqui^ 
l'article  6  du  traité  de  délimitation  entre  le  Maroc  et  la  France,  du 
18  mars  1825,  dit  formellement  que  «  le  pays  au  Sud  des  Ksour  étant 
inhabitable,  parce  qu'il  n'y  a  pas  d'eau  et  que  c'est  le  désert  proprement 
dit  »,  la  délimitation  en  est  superflue. 

La  politique  d'inaction,  dont  M.  Etienne  a,  avec  sa  grande  autorité, 
dénoncé  à  plusieurs  reprises  l'illusion  et  le  danger,  semble  heureusement 
abandonnée;  malheureusement  l'approche  des  grandes  chaleurs  va  rendre 
impossible  toute  action  décisive  contre  les  tribus  de  l'Oued -Guir.  Il  nout^ 
semble  qu'il  serait  prudent  dès  lors  de  profiter  du  répit  forcé  dont  nous 
disposons  pour  essayer  de  l'organisation  proposée  par  le  commandai 
Frisch,  de  manière  que,  dès  octobre  prochain,  deux  ou  trois  compagnie^ 
mixtes  puissent  circuler  entre  la  Saoura  et  l'Oued-Guir. 

Le  gouvernement  marocain,  nous  dit  la  dépêche  de  V Agence  Havas,  sera 
certainement  reconnaissant  au  gouvernement  français  de  tous  les  efTortP 
qui  tendront  à  rétablir  Tordre  et  la  sécurité  dans  cette  région.  Ce  ne  peui 
être  qu'une  supposition,  car  le  Makhzen  n'a  cure  de  la  région  située  ;i 
TEst  du  Tafilelt;  il  a,  d'ailleurs,  bien  d'autres  «  chiens  à  fouetter  »  en  ti 
moment.  Quant  à  nous,  l'article  7  du  traité  précité  a  reconnu  à  chacuti 
des  deux  États  le  droit  de  poursuivre  et  de  châtier  à  sa  guise  les  fauteur>^ 
de  désordre  sur  le  territoire  de  l'autre.  Les  compagnies  mixtes  nou^ 
paraissent  tout  indiquées  pour  ce  rôle  et  seules  elles  sont  capables  de  Ir 
remplir  aux  moindres  pertes  et  aux  moindres  frais. 

A  propos  de  cette  même  question  du  Sud-Oranais,  il  est 
intéressant  de  rappeler  ici  l'écliange  de  lettres  qui  a  eu  lien 
entre  M.  Eug.  Etienne  et  le  président  du  Conseil.  Voici  le  textti 
de  ces  importants  documents"  : 


708  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

I.  —  Lettre  de  M.  Eug.  Etienne  a  M.  Combes. 

Paris,  li  mai  1903. 
Monsieur  le  Président  du  Conseil, 

Au  lendemain  des  attaques  dont  nos  convois  et  nos  postes  dans  le  Sud- 
Oranais  étaient  l'objet,  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  demander  de  donner  des 
ordres  immédiats  pour  que  des  mesures  de  répression  soient  exercées  sur 
rheure  à  l'égard  des  assaillants.  Je  vous  faisais  remarquer  que  Timpunité 
dont  jouissaient  les  bandes  pillardes  aurait  pour  effet  de  soulever  les  tri- 
bus marocaines  voisines  de  nos  territoires  qui  sont  toujours  prêtes  à 
fondre  sur  nous  dès  que  notre  vigilance  et  notre  fermeté  paraissent  se 
relâcher.  L'événement  qui  vient  de  se  produire  à  quelques  kilomètres  de 
Taghit,  confirme,  hélas  !  ces  tristes  prévisions. 

Il  ne  s'agit  plus  en  effet  d'un  djich,  c'est-à-dire  d'une  bande  de  voleurs 
et  d'assassins  qui  attaque  les  sentinelles  de  nos  postes  ou  les  petites  cara- 
vanes sans  escorte,  mais  bien  d'un  contingent  de  1.500  hommes  apparte- 
nant aux  puissantes  tribus  marocaines  des  Oulad-Djerir,  des  Beni-Guilet 
des  Berabers.  Le  convoi  était  destiné  au  ravitaillement  de  nos  troupes;  il 
était  important  tant  par  le  nombre  d'hommes  et  de  chameaux  qui  le  com- 
posaient que  par  la  valeur  des  denrées.  Les  hommes  ont  été  tués  ou 
blessés;  les  marchandises  et  les  chameaux  enlevés.  Demain,  si  le  gouver- 
nement ne  se  décide  pas  à  agir,  la  situation  ne  fera  qu'empirer. 

Pour  avoir  voulu  éviter  d'exécuter  des  opérations  de  police  indispen- 
sables, et  de  poursuivre  jusque  chez  eux,  ainsi  que  nous  en  avions  le 
droit  par  le  traité  de  1845,  les  coupeurs  de  routes  qui  ont  déjà  fait  trop  de 
victimes,  nous  nous  trouvons  en  face  d'événements  graves.  Encore  quel- 
ques jours  et  le  gouvernement  se  trouvera  acculé  à  une  véritable  expédi- 
tion. 

J'ajoute  que  les  tribus  fidèles  éprouvent  une  vive  anxiété.  Elles  se 
demandent  si  la  France  n'est  plus  assez  forte  pour  faire  respecter  son 
territoire  et  protéger  les  biens  et  les  personnes.  Si,  malheureusement, 
cette  douloureuse  impression  venait  à  pénétrer  Tesprit  de  nos  indigènes, 
il  faudrait  nous  attendre  aux  plus  cruelles  déceptions.  C'est  dans  le  but  de 
nous  épargner  de  pénibles  surprises  et  d'empêcher  de  coûteuses  et  rui- 
neuses opérations  de  guerre,  que  je  ne  cesse  depuis  longtemps  déjà,  de 
vous  signaler  mes  inquiétudes  et  de  vous  prier  d'agir  sans  répit.  A  l'heure 
actuelle,  l'émotion  est  grande  dans  toute  la  province  d'Oran.  Vous  en  avez 
l'écho  par  la  délibération  du  Conseil  général  qui  reflète  très  exactement 
l'état  de  l'opinion. 

J'ai  l'espoir  que  vous  voudrez  bien  me  faire  savoir  que  les  instructions 
!^  les  plus  précises  ont  été  adressées  au  Gouverneur  général  de  l'Algérie. 

?f .  Veuillez  agréer,  etc.. 

Eug.  Etienne,  député  d^Oran, 

II.  —  Lettre  de  M.  Combes  a  M,  Euo.  Etienne. 

Paris,  12  mai  1903. 
Monsieur  le  député. 
Par  lettre  du  11  mai  courant,  vous  avez  bien  voulu  me  signaler  la  néces- 


V 


■^ppppp^" 


UlS  AFFAIRES  D* ALGÉRIE  709 

site  de  faire  parvenir  d'urgence  des  instructions  précises  au  gouverneur 
général  d*Âlgérie  pour  mettre  fin  aux  incursions  sur  notre  territoire  des 
bandes  de  pillards  marocains. 

Me  rappelant  les  conseils  que  vous  avez  bien  voulu  me  donner  précé- 
demment à  cet  égard,  vous  paraissez  supposer  qu'il  n'a  dépendu  que  de 
moi  d'éviter,  en  les  suivant,  la  regrettable  agression  qui  vient  d'avoir  lieu 
aux  environs  de  Taghit.  Je  ne  saurais,  monsieur  le  député,  accepter  une 
pareille  responsabilité. 

Si  j'ai  tenu  fermement  la  main  à  ce  qu'aucune  expédition  militaire, 
aucune  création  de  poste,  aucune  occupation  territoriale  nouvelle  ne  soit 
ordonnée  ou  poursuivie  à  l'insu  et  sans  l'autorisation  expresse  du  gouver- 
nement, je  n'ai  jamais  cessé  de  me  montrer  favorable  à  toutes  les  mesures 
de  protection  qui  m'ont  été  signalées  comme  indispensables  à  la  tranquil- 
lité de  notre  frontière  Sud-Ouest. 

Sans  vouloir  rappeler  que,  sur  les  instances  les  plus  pressantes  de 
M.  Revoil  et  des  officiers  de  sa  maison  militaire  qui  l'inspiraient,  je  suis 
allé  jusqu'à  autoriser  la  création  des  postes  de  Tit  et  d*Inzize,  dans  l'Ëx- 
tréme-Sud  touatien,  autorisation  qui,  d'ailleurs,  a  dû  être  retirée  à  la  suite 
des  renseignements  apportés  au  conseil  des  ministres  par  le  général 
André,  je  me  bornerai  à  vous  signaler  que  le  6  avril,  notamment,  il  s'est 
bien  agi  d'une  action  à  entreprendre  en  dehors  des  limites  de  l'Algérie. 

M.  Revoil,  avec  mon  assentiment,  adressait  au  commandant  du  19*  corps 
des  instructions  télégraphiques,  tendant  à  poursuivre  les  Marocains 
«  dans  le  rayon  nécessaire  de  défense  et  de  protection  de  nos  postes,  c'est- 
à-dire  à  contourner  Bechar  et  à  fouiller  le  massif  du  Moumen  »,  mais  en 
conservant  à  ces  opérations  un  caractère  exclusif  de  police. 

Plus  récemment,  le  8  courant,  M.  Jonnart,  d'accord  avec  moi,  a  donné 
des  ordres  pour  l'application  des  mesures  de  répression  nécessaires  à  la 
sécurité  de  nos  postes. 

Si  j'ajoute  que  répondant  à  la  question  de  renforcer  l'effectif  de  ces 
postes  par  des  éléments  indigènes,  le  gouvernement  général  a  reconnu 
qu'il  convenait  de  «  se  limiter  aux  postes  actuels  déjà  bien  assez  nom- 
breux ]»;  que,  d'autre  part,  en  ce  qui  concerne  les  conditions  (désavanta- 
geuses que  nous  imposerait  la  configuration  de  la  vallée  Zousfana,  il 
lavait  déclarée  excellente  en  1899,  vous  voudrez  bien  reconnaître,  mon- 
sieur le  député,  que  la  responsabilité  des  événements  qui  se  déroulent 
dans  le  Sud -Ouest  algérien  ne  saurait  en  aucune  manière  incomber  au 
gouvernement  et  en  particulier  au  ministre  de  l'intérieur. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  député,  l'expression  de  ma  haute  considé- 
ration. 

Le  Président  du  Conseil^ 
Combes. 

III.  —  Lettre  de  M.  Eue.  Etienne  a  M.  Combes. 

Monsieur  le  président  du  conseil, 
Je  reçois  votre  lettre  du  12  courant.  Elle  me  fait  connaître  qu'à  la  date 
du  6  avril  dernier,  et  à  celle  du  8  mai,  le  gouverneur  général  de  l'Algérie, 
avec  votre  assentiment,  a  donné  les  instructions  uéces^^aires  au  comman- 
dant du  19*  corps  pour  répondre  aux  agressions  des  bandes  marocaines. 


i 


740  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES' 

Quelque  tardifs  qu'ils  soient,  j'enregistre  avec  une  vive  satisfaction  les 
ordres  qui  ont  été  donnés,  mais  vous  me  permettrez  devons  faire  remarquer 
que,  du  l^*"  septembre  1901  au  !•'  avril  1903,  nous  avons  eu,  dans  ces 
attaques  répétées  de  nos  postes  et  convois,  5^  tués  et  43  blessés. 

Si^au  début,  legouvernement  avait  pris  les  mesures  qu'il  prescrit  aujour- 
d'hui, il  est  à  présumer  que  la  paix  régnerait  depuis  longtemps  dans  le 
Sud-Oranais  et  que  nous  n'aurions  pas  à  enregistrer  le  dernier  et  sanglant 
épisode  de  Taghit. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  président  du  conseil,  l'assurance  de  mes 
sentiments  les  plus  distingués. 

Eugène  Etienne, 
Vice-président  de  la  Chambre, 

Ces  documents  ont  donné  lieu,  dans  la  presse,  à  d'intéressants 
commentaires.  Nous  nous  bornerons  à  citer  ici  l'opinion  de 
Y  Eclair  et  celle  du  Temps  qui  nous  semblent,  Tune  et  lautre, 
dégager  excellemment  la  moralité  de  Tincident. 

Voici  d'abord  ce  qu'écrivait  TiBc/tt/r,  le  49  mai,  le  lende- 
main de  la  publication  des  lettres  : 

11  vient  de  s'échanger  entre  le  président  du  conseil  et  M.  Etienne,  au 
sujet  des  alTaires  de  la  frontière  marocaine,  deux  lettres  singulièrement 
instructives.  Nous  apprenons,  en  effet,  par  les  propres  aveux  de 
M.  Combes,  que,  bien  que  prévenu  en  temps  utile  par  le  député  d'Oran  des 
dangers  que  couraient  nos  détachement*  desenvirons  de  Figuig,  le  gouver- 
nement a  tenu  la  main  à  ce  qu'aucune  action  militaire  ne  fût  engagée  ni 
aucun  poste  installé  dans  cette  région,  sansson  autorisation  expresse. 

Quel  usage  le  gouvernement  a-t-il  fait  du  pouvoir  qu'il  s'était  réservé  de 
décider  seul  des  opérations  de  police  destinées  à  assurer  la  protection  de 
notre  frontière  du  Sud?  La  lettre  ne  le  dit  pas  en  termes  très  explicites. 
Elle  reconnaît  cependant,  et  le  fait  est  particulièrement  suggestif, que  cer- 
taines mesures  de  défense,  proposées  par  M.  Revoil  et  d'abord  autorisées, 
ont  été  rapportées  bientôt  après  sur  l'intervention  personnelle  du  général 
André.  D'ailleurs,  les  réticences  de  M.  Combes  ne  sauraient  faire  illusioQ 
à  personne  et  les  faits  parlent  assez  haut  pour  dissiper  toute  équivoque.  La 
lettre  ministérielle  se  complaît  à  constater  que  M.  Jonnart  a,  depuis  le 
8  mai  dernier,  toutes  autorisations  qu'il  lui  faut  pour  appliquer  les 
mesures  nécessaires;  mais  ce  n'est  pas  le  8  mai  dernier  que  le  péril  a 
surgi;  il  s'était  déjà  manifesté  par  des  faits  graves,  dès  le  mois  de  sep- 
tembre 1901.  Or,  de  cette  date  au  i»»*  avril  1903  (la  démission  de  M.  Revoil 
est  du  iO)  les  attaques  incessantes  et  non  réprimées  des  Arabes  contre  nos 
convois  et  nos  postes  nous  ont  coûté,  ainsi  que  le  fait  observer,  dans  sa 
verte  réponse,  M.  Etienne,  56  tués  et  43  blessés. 

Le  môme  soir,  le  Temps  publiait  à  son  tour  Tentrefilet  sui- 
vant : 

Les  lettres  que  viennent  d'échanger  M.  le  président  du  conseil  et 
M.  Eugène  Etienne,  au  sujet  de  la  protection  de  notre  frontière  algérienne, 
visent  à  la  fois  le  passé  et  l'avenir.  Elles  sont  plus  fâcheuses,  d'ailleurs, 
pour  le  passé  que  rassurantes  pour  l'avenir.  Et  le  jour  qu'elles  jettent  sur 
les  méthodes  gouvernementales  est  passablement  inquiétant. 


IKS   AFFAIRES   D'aLGÉHIE  711 

Nous  avons  dit,  au  moment  de  la  démission  forcée  de  M.  Revoil,  ce  que 
nous  pensions  du  procédé  brutal  appliqué  à  ce  haut  fonctionnaire.  Et  nouï^ 
nous  sommes  émus  de  ce  procédé,  moins  encore  parce  qu'il  atteignait  un 
homme  dont  nul  ne  contestait  les  services,  que  parce  qu'il  témoignaii 
d'une  méconnaissance  étrange  de  l'intérêt  public.  Depuis  lors,  il  est  vrai, 
la  nomination  de  M.  Jonnart  a  apporté  aux  Algériens  une  garantie,  qui 
leur  a  été  précieuse.  Mais  quand  le  ministre  de  l'Intérieur,  au  cours  dv^ 
incidents  que  Ton  sail,  a  acculé  M.  Revoil  à  démissionner,  il  n'était  fniu 
plus  sûr  de  l'acceptation  de  M.  Jonnart  qn^il  n'était  soucieux  des  vœux  de 
l'Algérie.  Il  agi.<sait  donc  dans  un  mouvement  de  nervosité  injustifié  i*l 
sans  doute  injustifiable,  —  si  nous  en  croyons  le  silence  qui  s'est  fnil 
depuis  lors  sur  la  prétendue  enquête,  d'où  devait  sortir,  affirmait-on,  lu 
démonstration  de  la  complicité  de  M.  Revoil  avec  un  journal  de  provincu 
hostile  au  président  du  conseil. 

La  lettre  de  M.  Etienne  est  grave.  Elle  émane  d'un  homme  dont  h*s 
meneurs  du  bloc  hésiteront  à  suspecter  la  bonne  foi  et  le  loyalisme.  CetlB 
lettre,  cependant,  est  formelle,  et  sous  une  forme  polie,  elle  condamne 
sans  appel  possible  le  ministère  de  l'Intérieur.  M.  Combes  avait  écrit  nu 
député  d'Oran  que  le  6  avril  et  le  8  mai  dernier  le  mini.-tère  avait  auto- 
risé le  gouverneur  général  (M.  Jonnart)  «  à  donner  au  commandant  du 
19*  corps  les  instructions  nécessaires  pour  répondre  aux  agret^sions  dt'ti 
uandes  marocaines  ».  M.  Etienne  réplique  que  ce  n'est  pas  le  6  avril  ni 
le  8  mai  qu'il  avait  signalé  ces  attaques,  et  il  rappelle,  en  termes  couverts 
mais  d'une  netteté  parfaite,  ce  que  tout  le  monde  sait  —  ce  qui  résulteraii 
officiellement  d'un  débat  public  sur  la  question  •:—  à  savoir  que,  penJaja 
les  derniers  mois  de  son  administration,  M.  Revoil  n'a  pu  obtenir  du  gou- 
vernement les  autorisations  qu'on  accorde  aujourd'hui  à  M.  Jonnart. 

Nous  nous  féliciions,  pour  M.  Jonnart  et  pour  l'Algérie,  que  ces  auto- 
risations soient  acquises,  et  nous  sommes  sûrs  que  Téminent  gouverneur 
f^énéral  fera  l'usage  le  plus  heureux  de  la  liberté  qui  lui  est  donnée.  11  nou> 
est,  par  contre,  impossible  d'apercevoir,  dans  la  lettre  embrouillée  lU^ 
M.  le  président  du  conseil  et  parmi  les  récriminations  obscures  dont  elln 
est  pleine,  une  seule  raison  qui  ait  pu  le  déterminer  à  empêcher  M.  Revoil, 
malgré  ses  instances  répétées,  de  mettre  fin  à  un  état  de  choses  qui  ît 
coûté  la  vie  à  plus  de  cinquante  de  nos  soldats.  Et  il  ne  nous  est  puti 
moins  impossible,  après  avoir  lu  ces  deux  lettres,  de  ne  point  constater 
que  l'hostilité  personnelle,  dont  M.  Revoil  fut  la  victime,  est  antérieurf- 
de  plusieurs  mois  aux  incidents  que  tout  le  monde  connaît. 

S'il  en  eût  été  autrement,  nous  pensons,  avec  M.  Etienne,  «  que  la  paix 
régnerait  depuis  longtemps  dans  le  Sud-Oranais,  et  que  nous  n'aurioui. 
pas  eu  à  enregistrer  le  dernier  et  sanglant  épisode  de  Taghit  ».  Des  ran- 
cunes, peut-être,  n'auraient  pas  été  satisfaites;  mais  l'Algérie —  et  U 
France  —  y  auraient  gagné. 

•  • 
Dans  nos  prochaines  livraisons,  nous  continuerons  de  suivrt^ 
ainsi  les  affaires  d'Algérie  avec  toute  Tattention  qu'elles  méri- 
tent, en  prenant  soin  de  faire  connaître  les  appréciations  dont 
elles  sont  l'objet  dans  la  presse  et  au  Parlement. 

J.-H.  Franklin. 


LA  QUESTION  DE  TERRE-NEUVE 


LES  PRIMEIS  A   l/ ARMEMENT* 

D^autres  ont  dit  tous  les  obstacles  apportés  à  notre  industrie 
par  les  Terre-Neuviens,  obstacles  qu*ils  n'ont  jamais  opposés  ' 
d'une  manière  directe  aux  pécheurs  américains  et  canadiens 
par  exemple. 

Oh  !  ce  n'est  pas  par  pure  francophobie.  Mais  simplement 
parce  que  nos  pécheurs  sont  favorisés  par  des  primes  du  gou- 
vernement, primes  qui  leur  permettent  de  vendre  la  morue  à 
bas  prix  et  de  faire  encore  des  bénéfices  suffisants.  Pour  em- 
ployer l'expression  anglaise,  il  n'y  a  pas  fair  play  ;  il  n'y  a 
pas  égalité  entre  pécheurs  français  et  anglais  et  c'est  cela  qui 
les  chagrine.  Nos  amis  protestent  bien  haut  de  leurs  senti- 
ments d'égalité  dans  la  lutte  de  la  concurrence,  quand  la  non- 
égalité  est  à  leur  détriment.  Mais  quand  elle  est  à  leur  profit, 
ils  défendent,  et  avec  raison,  cette  non-égalité.  Témoin  :  la 
haute  barrière  de  douanes  qui  entoure  Terre-Neuve. 

Ces  primes,  cause  du  bon  marché  du  produit,  empêchent  les 
capitalistes  terre-neu viens  de  placer  leurs  fonds  dans  l'arme- 
ment de  pèche;  ces  placements,  en  effet,  ne  seraient  pas  suffi- 
samment rémunérés.  C'est  là  le  gros  grief.  Les  Anglais  pèchent 
quand  même,  et  les  Canadiens  et  les  Américains  ;  mais  pour 
leur  patrie  respective  où  ils  sont  plus  ou  moins  protée^és.  En 
dehors,  ils  peuvent  difficilement  venir  nous  concurrencer.  Sur 
les  marchés  méditerranéens  entre  autres,  ils  sont  obligés  de 
subir  les  prix  dépréciés  que  nos  armateurs  peuvent  consen- 
tir, grâce  à  l'aide  puissante  du  gouvernement. 

Si  cette  aide  venait  à  disparaître,  notre  industrie  métropoli- 
taine serait  probablement  tuée,  pour  la  raison  que  les  Terre- 
Neuviens,  comme  les  Saint-Pierrais,  qui  sont  sur  les  lieux 
mêmes,  ayant  moins  de  fraiS;  auraient  plus  de  marge  pour 
consentir  des  rabais  tout  en  couvrant  leurs  dépenses. 

Les  primes  ont  été  accordées  par  tous  les  gouvernements  qui 
se  sont  succédé  depuis  1816  ;  et  il  y  a  lieu  de  penser  qu'aucun 
gouvernement  français  ne  consentira  à  satisfaire  à  la  demande 

*  Voir  les  deux  précédents  articles  :  Lk  Breton,  la  Question  de  Terre-Neuve 
{Qicest.  DipL,  t.  XV,  l»»"  avril  1903,  p.  4M  et  sq.  ;  15  mai  1903,  p.  640  H  sq.). 


i 


LA    QUESTION   DE    TEBRE-NEUVfi  713 

du  gouvernement  de  Saint-Jean  :  il  jetterait  dans  la  misère 
80  à  100.000  personnes  et  tarirait  la  source  du  recrutement 
de  notre  marine. 

Les  primes  sont  comprises  sous  deux  dénominations  qui 
s'expliquent  par  les  considérations  suivantes  : 

1®  La  prime  à  Farmement  accordée  pour  favoriser  l'arme- 
ment de  navires,  faciliter  l'apprentissage  et  entretenir  les  qua- 
lités des  marins  de  nos  navires  de  guerre  ; 

2?  La  prime  sur  les  produits  pour  permettre  &  nos  pécheurs 
de  soutenir  la  concurrence  étrangère  sur  les  marchés  étrangers. 

Actuellement  les  primes  sont  ainsi  réglées  : 

Primes  à  Varmement,  —  Cinquante  francs  par  homme 
d'équipage  pour  la  pèche  avec  sécherie,  soit  à  la  côte,  soit  à 
Saint-Pierre  et  Miquelon. 

Cinquante  francs  par  homme  d'équipage  pour  la  pèche  sans 
sécherie  en  Islande. 

Trente  francs  par  homme  d'équipage  pour  la  pêche  sans 
sécherie  sur  les  bancs  de  Terre-Neuve. 

Primes  sur  les  produits  de  pèche.  —  Ces  primes  ne  sont 
acquises  qu'aux  morues  séchées  de  pêche  française  expédiées 
soit  des  lieux  de  pêche,  soit  des  entrepôts  de  France.  Elles  sont 
de  20  francs,  i6  francs  et  12  francs  par  quintal  métrique,  sui- 
vant le  lieu  de  destination  :  pays  étranger  ou  colonie  française 
sur  les  rives  de  l'Atlantique,  de  la  Méditerranée  ou  de  l'océan 
Indien. 

Vingt  francs  sont  acquis  par  quintal  métrique  de  rogue  que 
les  pêcheurs  rapporteront  en  France  du  produit  de  leur  pêche. 

Prime  pour  la  réoccupation  du  French-Shore,  —  Indépen- 
damment des  primes  d'armement,  une  prime  de  50  francs  par 
homme  est  allouée  sur  les  fonds  du  budget  local  aux  petits 
pêcheurs  dont  il  a  été  parlé  ci-dessus.  En  outre,  une  somme  de 
4.000  francs  a  été  accordée  de  nouveau  en  1901  par  la  marine 
pour  être  répartie  entre  les  embarcations  de  petite  pêche  qui 
se  sont  rendues  au  French-Shore. 

Ces  primes  ne  peuvent  être  modifiées  avant  juin  1911.  Ainsi 
en  a  ordonné  la  loi  de  décembre  1900,  au  plus  grand  profit  de 
cette  industrie  qui,  comme  toute  autre,  demande  de  la  stabi- 
lité. 

Enfin,  le  décret  du  17  septembre  1881  a  étendu  aux  arme- 
ments de  Saint-Pierre  les  bénéfices  de  la  prime  d'armement  de 
50  francs.  Le  fait  est  qu'on  ne  comprendrait  pas  pourquoi  des 
Français  qui  se  sont  expatriés  ne  jouiraient  pas  des  mêmes 
avantages  que  leurs  compatriotes  plus  casaniers. 

Malheureusement  cette  manière  d'agir  n'est  pas  commune  en 


i 


714  otJrantms  mnj^HATiotnss  wr  coL1n^A^«s 

France  et  la  plupart  de  nos  colonies  demandent  non  pas  des 
avantages  par  rapport  aux  Français  de  France,  mais  demandent 
simplement  à  n'Otre  pas  considérées  comme  des  colonies  étran- 
gères. C'est  à  grand'peine  que  ce  dû  leur  est  accordé.  Cette 
prime  de  50  francs,  dont  bénéficient  les  goélettes  sainl-pier- 
raises,  ne  va  pas  sans  Tobligation  d'une  durée  de  pèche  de 
120  jours  effectifs. 

Pour  empêcher  toute  fraude,  la  colonie,  parallèlement  à  l'oc- 
troi de  cette  prime,  a  interdit  l'introduction  dans  la  colonie  de 
toute  morue  de  toute  issue  ne  provenant  pas  de  pèche  française. 
La  confiscation  du  bateau,  de  tout  ce  qu'il  porte  et  des  amendes 
sont  la  sanction  de  ce  règlement. 

En  France,  la  morue  étrangère  paye  de  48  à  63  fr.  60  les 
100  kilogrammes  de  droit  de  douane  suivant  les  pays  d  origine. 
C'est  un  tarif  nettement  prohibitif,  protecteur,  assurant  à  nos 
pêcheurs  seuls,  islandais  et  terre-neuviens,  la  fourniture  des 
33.000  tonnes  (1.000  kilogrammes)  de  morues  que  consomme 
la  France. 

LKS    SALAIRES 

Les  marchés  passés  entre  les  employeurs  et  les  employés  ne 
sont  pas  al^solument  identiques  dans  les  différents  ports.  Quels 
qu'ils  soient,  ils  doivent  toujours  être  enregistrés  par  le  com- 
missaire de  l'inscription  maritime  qui,  au  nom  de  l'Etat,  as- 
sume le  devoir  de  faire  respecter  le  contrat  par  les  parties. 

Une  pratique  est  générale  :  le  pêcheur  est  directement  inté- 
ressé au  succès  de  l'entreprise. 

Lorsque  l'on  arme  les  navires,  les  marins  se  présentent  soit 
aux  armateurs,  soit  aux  capitaines;  les  choix  sont  faits,  les 
prix  débattus  de  gré  à  gré. 

Voici  comment,  approximativement,  la  chose  est  réglée  : 

Du  produit  de  la  vente  totale  des  fruits  de  la  campagne  de 
pêche,  les  deux  tiers  ou  les  trois  quarts  sont  prélevés  par  l'ar- 
mement, le  dernier  tiers  ou  le  dernier  quart  est  réservé  à 
l'équipage.  Cette  fraction  du  produit  est  répartie  par  u  part» 
entre  les  marins,  et  c'est  dans  la  manière  qu'est  faite  cette  ré- 
partition que  gît  la  différence. 

Ainsi  un  navire  de  Fécamp,  dont  le  quart  de  la  valeur  de  la 
cargaison  totale  est  réservé  à  l'équipage,  verra  un  cinquième 
de  ce  quart  attribué  à  son  capitaine  et  les  quatre  autres  cin- 
quièmes répartis  également  entre  tous  les  marins. 

Tel  autre  navire,  de  Saint-Malo,  par  exemple,  verra  le  tiers 
du  produit  réparti  en  27  parts  ainsi  attribuées  ; 


LA   QUESTION   DE   TEBRE-^EUVE  715 


Le  capitaine 2  2/4  parts. 

»   second 2  » 

»   subrécargue 3  » 

)•   maître 11/4       » 

»   saleur 1  » 


A  reporter 9  3/4  parts. 


Report 9  3/4  parts. 

7  patrons  de  do  ris.  .7  » 

9  avants 9  » 

1  novice 0  3/4       >• 

1  mousse 0  2/4       * 


Total 27        parts. 


Les  armateurs  des  petits  bâtiments  métropolitains  et  les 
goélettes  saint-pîerraîses  procèdent  parfois  différemment,  bien 
que  tous  respectent  le  principe  :  «  Tant  vaut  la  pêche,  tant 
vaut  le  salaire.  » 

Les  marins  sont  payés  au  «  grand  mille  »,  c'est-à-dire  qu'ils 
touchent  35,  40  ou  45  francs  par  mille  de  morues  qu'ils  ont 
prises*.  Le  capitaine,  bien  que  ne  pochant  pas  effectivement, 
touche  son  «  grand  mille  »  et,  en  sus,  1  franc,  Ifr.  10  ou  1  fr.  20 
par  quintal. 

Tels  sont  les  deux  grands  systèmes  en  usage  pour  établir  le 
salaire  d'un  homme  embarqué  sur  un  terre-neuvien. 

Ces  chiffres  établis  entre  l'armateur'  et  le  marin,  tout  n'est 
pas  dit;  le  plus  difficile  reste  à  faire. 

Le  jour  de  l'embauchage,  il  est  d'usage  que  l'armateur  fasse, 
sur  les  bénéfices  espérés,  des  avances  aux  marins.  Avances 
inscrites  au  traité  déposé  à  l'Inscription  maritime  et  qui  seront 
remboursées  en  fin  de  campagne.  Ces  avances  servent  à  faire 
vivre  les  familles  des  pôcheurs  pendant  Tété.  Elles  varient  de 
4  à  700  francs  pour  les  marins  et  de  6  à  JJOO  francs  pour  les  ca- 
pitaines, seconds  et  subrécargues. 

En  sus  de  cette  avance,  et  cette  fois  en  dehors  de  l'Inscrip- 
tion maritime,  l'armateur  fait,  toujours  le  jour  de  l'embau- 
chage, à  tout  son  équipage,  un  véritable  cadeau  dit  «  Denier  à 
Dieu  »  ou  w  purdon  ».  11  donne  de  60  à  100  francs  au  capitaine, 
de  50  à  80  francs  aux  patrons  de  doris,  de  30  à  60  francs  aux 
avants  de  doris  et  de  20  à  25  francs  aux  novices  et  mousses. 

C'est  sur  la  quotité  de  ces  sommes  que  s'élèvent  le  plus  de 
discussions.  Un  marin,  connu  comme  bon  pêcheur,  élèvera  ses 
prétentions.  L'armateur,  au  contraire,  cherchera  à  diminuer 
des  débours  qui  peuvent  ne  lui  rien  rapporter. 

Car  si  le  navire  se  perd  et  que  l'assurance  paye  peu  ;  si  le 
soir  même  de  l'engagement  le  marin  en  état  d'ivresse  se  tue  ; 
s'il  manque  le  départ  de  son  navire;  ou  s'il  est  malade  et  ne 
peut  pêcher  pendant  partie  ou  totalité  de  la  saison,  l'armateur 
se  trouve  avoir  déboursé  une  somme  parfois  élevée  sans  profit 

^  Le  mille  de  morues  de  moyenne  taille  pèse  au  vert  13  quintaux.  Le  quintal 
vaut  à  Saint-Pierre  environ  17  francs. 


1\\ 


QUE* 


France  et  la  pi 
avantages  par 

simjïletnent  à 
^^^rt'S.  (Test 


^L 


^-*"^'',  ^.^Je  il  n'y  a  plus  aucun 
..jr»''  "^..t/mment  la  gendarmerie 


-y 


iiitervitMil  il  «m  s  l'amicmeTil  ïIp  rms  navires  de  commerce  e( 
conuiH'tit  ic>  lutninios  soumis  ^*n\  règlements  de  l'inscription 
tuariiinje  ne  [»euvent  s<*  réclainr^r  lîn  droil  commun.  Car  en  leur 


LA    QUESTION   DE   ÏEBRE-NEUVE  717 

jur  les  armateurs  ont  consenti  des  avances  sur  la  foi  de  la 
romesse  faite  par  TEtat  de  tenir  la  main  à  l'exécution  du 
contrat. 

11  est  incontestable  que  si  ces  contrats  officiels  ne  sont  plus 
exécutés,  la  modalité  des  salaires  sera  changée  et  probablement 
aussi  la  quotité  ;  car  les  nouveaux  risques  encourus  de  ce  fait 
éloigneront  les  capitaux  de  l'industrie  de  la  pêche.  D'où  une 
baisse  inéluctable  du  nombre  des  offres  d'emploi. 

Cette  participation  aux  bénéfices,  c'est  du  socialisme  bien 
compris.  11  serait  malheureux  de  toucher  trop  brutalement  aux 
textes  qui  règlent  ces  matières  ;  car  ces  textes  sont  le  fruit 
d'usages  séculaires;  ils  se  modifient  lentement, comme  ces  usa- 
ges, par  la  force  même  des  choses. 

Il  est  assez  difficile  de  connaître  exactement  les  sommes  reçues 
par  chaque  marin  d'un  navire  ;  de  même  il  n'est  pas  aisé  de  con- 
sulter les  livres  d'un  armateur.  Mais  nous  pourrons  fixer  les 
idées,  grâce  à  un  petit  opuscule  écrit  par  M.  Louis  Légasse,  de 
Saint-Pierre.  11  nous  donne  les  sommes  payées  aux  différents 
hommes  formant  l'équipage  de  la  goélette  la  Navarraise,  Ce 
bâtiment  (90  tonneaux)  fut  armé  pendant  six  mois  et  neuf  jours 
en  1899,  du  10  avril  au  19  octobre.  Il  captura  3.400  quintaux 
de  morues  de  bonne  qualité.  Ce  résultat  peut  être  considéré 
comme  celui  d'une  bonne  pêche  moyenne  et  la  vente  atteignit 
61.000  francs  dont  27.224  allèrent  à  l'équipage.  La  répartition 
fut  ainsi  faite  : 

Le  capitaine  de  la  goélette  toucha 5 .  451  francs 

Le  second 1.492  — 

Le  premier  maître 1 .  359  — 

Le  deuxième  maître 1 .273  — 

Le  saleur 1 .265  — 

Un  patron  de  doris 1.228  — 

—              1.210  — 

—              <.202  — 

—              1.176  — 

—              1.042  — 

Un  avant  de  doris U  58  — 

—              1.133  — 

—              1.109  — 

—              1.062  — 

—              1.050  — 

— 1.015  — 

—              1.002  — 

— 976  — 

Un  novice 789  — 

Un  mousse , 532  — 

Un  cuisinier  (salaire  fixe} 700  — 

27.224 


718  QUESTIONS   Dll'LOMATlQUËS   ET   COLONIALES 

Ces  salaires  sont,  à  peu  de  chose  près,  ceux  que  touchent  tous 
les  marins  ;  qu'ils  soient  embarqués  sur  un  grand  trois-mâts 
métropolitain  ou  sur  une  goélette  locale. 

Le  capitaine  du  trois-màts  aura  seul  un  traitement  bien  plus 
considérable  que  le  capitaine  du  petit  bâtiment  et  cela  va  de 
soi.  Les  responsabilités  sont  plus  grandes.  Dans  un  cas,  le  capi- 
taine commande  un  navire  de  3  à  400  tonneaux,  monté  par  30 
ou  40  hommes;  dans  l'autre,  son  navire  ne  jauge  que  60  k 
100  tonneaux  et  n'est  monté  que  par  une  quinzaine  d'hommes. 
Le  chargement,  les  ustensiles,  le  gréement,  la  coque  représen- 
tent une  valeur  dix  fois  plus  forte  dans  un  cas  que  dans  l'autre, 
entraînant  pour  Thomme  qui  en  a  la  charge  une  plus  forte 
rémunération.  Celle-ci  peut  atteindre  8  et  10.000  francs  si  la 
pèche  est  bonne.  Si,  une  année,  le  capitaine  du  métropoli- 
tain ne  touche  que  6.000  francs,  c'est  que  la  pêche  aura  été 
mauvaise.  Alors  l'armateur  aura  perdu  de  l'argent. 

Quelques  armateiirs  accordent  encore  des  primes  à  leurs 
deux  ou  trois  meilleurs  pêcheurs.  Ces  primes  varient  de  50  à 
100  francs  et  sont  attribuées  soit  à  ceux  qui  ont  capturé  le  plus 
grand  nombre  de  poissons,  soit  à  ceux  qui  se  sont  montrés  le 
plus  exact  en  service. 

Somme  toute,  un  marin  se  fait  environ  1.200  francs  pen- 
dant une  saison  de  pêche  qui  n'est  ni  bonne  ni  mauvaise.  Cette 
saison  de  pêche  effective  dure  six  mois.  Mais,  pour  un  navire 
métropolitain,  il  y  a  lieu  d'ajouter  deux  mois  pour  le  voyage, 
aller  et  retour,  et  l'armement  du  navire  en  France.  Autrement 
dit,  notre  homme  gagnera  1.200  francs  en  huit  mois  (5  francs 
par  jour)  pendant  lesquels  il  est  nourri,  éclairé,  chauffé.  Ses 
dépenses  ne  seront  autres  que  celles  qu'il  fera  pour  l'entretien 
de  sa  garde-robe,  —  hélas,  combien  rudimentaire!  —  pour 
l'achat  de  son  tabac  et  lors  de  ses  longues  et  abrutissan- 
tes séances  dans  les  cabarets  de  Saint-Pierre  pendant  les  re- 
lâches. 

Les  2.500  ou  3.000  marins  de  France  qui  vont  chaque  année 
chercher  du  travail  dans  notre  colonie  sont  pour  une  grande 
partie  engagés  ferme  avant  l'embarquement  par  les  représen- 
tants des  armateurs  saint-pierrais  ;  et  dès  l'arrivée  du  vapeur, 
leur  goélette  entre  en  armement.  L'autre  partie  de  ces  marins 
part  «  à  la  pouche  »,  c'est-à-dire  sans  engagement.  Aussitôt 
débarqués,  ces  marins  a  à  la  pouche  )>  se  présentent  au  bureau 
de  l'Inscription  maritime  ou  aux  armateurs  et  l'embauchage 
se  fait. 

Tous  ces  marins  gagnent  autant  les  uns  que  les  autres,  s'ils 
déploient  la  même  ardeur,  mais  ils  doivent  payer  leur  passage 


LA   QUESTION   DE    TERKE-NEUVE  719 

sur  le  vapeur-transport,  d'où  une  dépense  de  300  fr.  (150  fr.  par 
voyage),  A  cette  dépense  est  une  contre-partie.  Les  marins 
gagnent  une  partie  du  temps  de  la  traversée  du  voilier...  En 
huit  jours  le  vapeur  effectue  chacun  de  ses  voyages  et  les  dates 
d'appareillage  sont  fixées  de  telle  sorte  que  tous  les  marins 
peuvent  partir,  après  désarmement  de  leur  goélette,  sans  perte 
de  temps  appréciable.  De  sorte  que  les  marins  de  France,  qui 
arment  les  goélettes  saint-pierraises,  gagnent  leurs  1.200  francs 
en  sept  mois  (6  mois  de  pêche,  15  jours  de  traversée  et  15  jours 
de  grâce).  Notre  homme  a  donc  encore  cinq  mois  de  son  année 
à  travailler  cliez  lui.  Il  ne  serait  certes  pas  malheureux,  s'il 
n'avait  des  habitudes  d'intempérance  et  de  paresse  contre  les- 
quelles la  lutte  est  peu  organisée. 

Un  salaire  de  5  francs  par  jour  et  la  nourriture  constituent  à 
l'heure  actuelle  la  rémunération  normale  d'un  travail  qui  ne 
demande  pas  un  long  apprentissage,  ni  beaucoup  d'adresse.  En 
revanche,  celte  rémunération  mériterait  d'être  augmentée,  si 
l'on  envisage  la  dureté  excessive  de  l'existence  du  pêcheur 
banquier  et  les  dangers  qu'il  court.  Encore  n'y  a-t-il  pas  lieu 
de  se  les  exagérer  outre  mesure.  Cependant  ils  sont  plus 
grands  que  tous  ceux  auxquels  sont  exposés  les  ouvriers  à 
terre  à  quelque  corps  de  métier  qu'ils  appartiennent.  Sur  les 
bancs  de  Terre-Neuve,  comme  dans  les  mines,  ou  sur  le  faîte 
d'une  maison,  Thabilude  du  danger  fait  oublier  de  prendre  les 
précautions  indispensables  les  plus  simples  et  bien  souvent  les 
pêcheurs  sont  victimes  de  leur  insouciaûce,  de  leur  impré- 
voyance, du  mépris  qu'ils  professent  pour  les  règlements  tuté- 
laires  édictés  par  la  marine. 

C'est  une  éducation  à  faire,  des  mœurs  à  réformer,  une  œu- 
vre de  longue  haleine  à  laquelle  s'emploient  quelques  arma- 
teurs éclairés  et  tous  les  commandants  des  navires  de  guerre  en 
station  dans  ces  parages. 

Le  «  petit  pêcheur  »  de  Saint-Pierre  est  incontestablement 
plus  heureux.  Possesseur  de  son  doris,  ayant  son  fils  comme 
«  avant  »,  il  pêche  à  proximité  de  son  habitation  et  revient 
chaque  soir  dans  sa  famille.  A  l'abri  de  tout  danger,  il  peut 
prendre  très  aisément  dans  sa  saison  100  quintaux  de  morues 
que  sa  femme  et  ses  enfants  sécheront.  S'il  profite  d'une  bonne 
occasion,  il  vendra  sa  pêche  16  francs  ou  18  francs  le  quintal, 
soit  1.600  à  1.800  francs  de  bénéfices  nets.  La  mise  de  fonds 
qu'il  aura  dû  consentir  s'élèvera  à  200  francs  :  un  doris,  50  fr.; 
ustensiles  de  pêche,  100  fr.;  installations  à  terre,  50  fr.,  et  ce 
sera  tout. 

Ils  sont  nombreux  les  habitants  de  Skint-Pierre  et  de  l'île 


720  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

aux  Chiens,  qui  ayant  commencé  avec  un  doris  sont  mainte- 
nant possesseurs  d'une  petite  goélette. 


CONCLUSION 

A  Terre-Neuve,  12.000  Français  pratiquent  la  pêche.  Sans 
exagération,  l'on  peut  avancer  que  90.000  autres  personnes  en 
vivent,  si  Ton  songe  que  les  familles  de  pêcheurs  sont  nom- 
breuses et  que  cette  industrie  nécessite  Texistence  de  plu- 
sieurs autres  industries  telles  que  celles  de  la  construction 
navale,  de  la  voilerie,  de  la  corderie,  de  la  saunerie.  Bref, 
100.000  Français  vivent  de  l'exploitation  de  la  mine  quasi 
inépuisable  qu'est  la  mer,  sans  l'intervention  de  nos  sociétés 
financières  lanceuses  de  mines  qui  n'ont  que  trop  souvent  enri- 
chi les  lanceurs. 

L'industrie  de  la  pêche  ne  nécessite  pas  de  gros  capitaux. 
Tout  homme  travailleur  et  sobre  qui  la  pratique  peut  devenir 
possesseur  de  ses  instruments  de  travail. 

Par  ailleurs,  les  lois  qui  lient  employeurs  et  employés  met- 
tent les  uns  et  les  autres  à  Tabri  de  ces  secousses  sociales  si 
désastreuses  aux  colossales  entreprises  terriennes,  tant  minières 
que  métallurgiques,  tout  en  assurant  l'avenir  aux  uns  et  aux 
autres  par  des  bénéfices  suffisants  et  des  retraites. 

En  deux  mots,  l'industrie  de  la  pêche  remplit  en  partie  les 
desiderata  socialistes. 

Lk  Breton. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES 


I.  —  EUROPB. 

France.  —  Les  négociations  avêc  le  Siam.  —  Aucune  information  n'a 
été  fournie  par  le  ministère  des  Affaires  étrangères  sur  l'état  des 
négociations  avec  le  Siam,  depuis  le  communiqué  du  7  avril  qui 
annonçait  la  prorogation  au  31  décembre  1903  du  délai  de  ratification 
de  la  convention  du  7  octobre  1902.  Il  est  cependant  à  présumer  que 
les  négociations  se  poursuivent;  autrement  on  ne  comprendrait  pas 
pourquoi  le  gouvernement  a  tant  tenu  à  écarter  toute  solution  défini- 
tive et  a,  contre  toute  attente,  dessaisi  la  commission  parlementaire 
compétente.  La  situation  ne  s'est  pas  améliorée  au  Siam,  que  nous 
sachions;  s'il  était  indispensable,  il  y  a  six  mois,  de  prendre  des 
mesures  pour  sauvegarder  nos  intérêts  gravement  atteints  par  les 
agissements  de  la  cour  de  Bangkok,  Turgence  de  ces  mesures  pro- 
tectrices n*a  pu  que  devenir  plus  pressante  avec  le  ternps.  Et  qu'on 
ne  vienne  pas  nous  dire  que  des  difficultés  plus  immédiates,  celle 
du  Maroc  par  exemple,  absorbent  actuellement  l'attention  du  ministre. 
Les  difficultés  nouvelles  ne  sauraient  faire  disparaître  les  anciennes 
et  ce  n'est  pas  parce  qu'un  nouveau  danger  menace  à  droite  que  l'on 
peut  négliger  celui  qui  nous  harcèle  à  gauche.    Un  ministre  des 
Affaires  étrangères  ne  saurait  sérier  à.  sa  guise  les  questions.  11  doit 
avoir  l'œil  à  tout  et  être  toujours  en  action.  Le  pilote  du  navire  ne 
peut  se  laisser  absorber  par  un  accident  quelconque  de  la  route  :  son 
regard  doit  toujours  embrasser  l'ensemble  de  l'horizon  et  son  sang- 
froid  et  sa  présence  d'esprit  ne  doivent  qu'augmenter  avec  le  péril. 
Au  surplus,  si  l'on  garde  une  si  absolue  réserve  au  quai  d*Orsay, 
cela  ne  veut  pas  dire  que  Ton  n'ait  rien  à  communiquer.  Nous  sa- 
vons, en  effet,  que  le  ministre  des  Affaires  étrangères  et  le  prési- 
dent de  la  commission  des  Affaires  extérieures  et  coloniales  de  la 
Chambre  des  députés  se  sont  mis  d'accord  sur  de  nouvelles  condi- 
tions à  obtenir  du  Siam  et  que  ces  conditions,  si  elles  étaient  obte- 
nues, pourraient  mettre  fin  au  conflit.  Cette  entente  est  des  plus 
heureuses  et  ne  peut  qu'être  approuvée,  mais  encore  faut-il  qu'elle 
soit  suivie  d'effet. 

Qdb8t.  Dipl.  et  Col.  —  t.  xv,  4G 


'.J 


7^  QUESTIONS   DIPLOMATIQUBS  BT  GOLONULBS 

En  toutcaSy  Userait  nécessaire  de  renseigner  l'opinion,  autrement 
que  par  des  indiscrétions  forcément  incomplètes.  M.  Delcassé,  en 
annonçant  qu*ii  remettait  sur  le  métier  son  infortuné  projet,  a 
avoué  par  cela  même  qu'il  s*était  trompé  une  première  fois.  Or,  cela 
n'est  paspour  nous  inspirer  une  confiance  aveugle  en  l'avenir;  nous 
voudrions  être  sûrs  qu'il  ne  va  pas  se  tromper  une  seconde  fois.  Et 
c'est  pourquoi  nous   réclamons   un  peu  de  lumière. 

"  Fédération  dês  industriels  et  des  négociants  français.  —  L'assem- 
blée coDstilutive  de  cette  Association,  dont  nous  avons  parlé  dans 
notre  livraison  du  1"  avril  dernier,  a  eu  lieu  le  18  mai  i903,  sous  la 
présidence  de  M.  André  Lebon,  qui,  devant  une  nombreuse  assis- 
tance, a  prononcé,  en  termes  élevés,  un  discours-programme,  dans 
lequel  il  a  indiqué  les  questions  principales  qui  allaient  tout  d'abord 
faire  Tobjet  des  travaux  de  la  Fédération  :  création  d'une  école  de 
commis  voyageurs,  organisation  du  crédit  à  six  mois  et  à  un  an 
pour  les  affaires  d'exportation,  création  d'un  contrôle  interna- 
tional privé  du  crédit,  etc. 

Les  statuts,  préparés  par  les  soins  du  Comité  d'initiative,  avec  le 
concours  d*éminent8  jurisconsultes,  et  basés  sur  la  loi  du  {*■*  juillet 
1901  sur  les  associations,  ont  été  approuvés  et  le  bureau  constitué. 

La  Fédération  se  compose  de  fondateurs,  donateurs,  sociétaires, 
adhérents  et  correspondants.  Elle  créera,  en  France  et  dans  nos 
colonies,  des  comités  régionaux.  D'ores  et  déjà,  et  pour  donner  à 
leurs  travaux  une  méthode  rigoureuse,  non  moins  que  pour  aboutir 
rapidement  à  des  résultats  pratiques  sur  les  diverses  questions  qui 
vont  leur  être  soumises,  les  membres  de  la  Fédération  se  sont  répartis 
en  un  certain  nombre  de  sections  dont  voici  Ténumération  : 

lo  Section  du  commerce  intérieur; 

2o  Section  du  commerce  extérieur  et  des  conventions  commerciales; 
3<>  Section  industrielle; 

4»  Section  de  législation  et  d'économie  sociales  ; 
b*  Section  coloniale; 

6»  Section  des  renseignements  commerciaux  internationaux  et  de  pro* 
tection  mutuelle  contre  les  mauvais  débiteurs; 
1^  Section  de  l'instruction  technique,  industrielle  et  commerciale; 
8*  Section  des  transports  et  communications  par  terre  et  par  eau  ; 
9«  Section  de  propagande. 

Le  nombre  et  la  nature  des  sections  pourront  être  modifiés  sui- 
vant les  besoins. 

L'assemblée  a  ensuite  procédé  à  la  constitution  de  ses  organes 
administratifs  par  la  désignation  des  membres  du  Conseil  général^ 
dans  le  sein  duquel  ils  ont  eux-mêmes  choisi  le  Comité  directeur^ 
composé  d*un  président,  dix  vice-présidents,  un  trésorier,  un  tré- 


RfclNSEIGNEMI^MTi»   POLITIQUES  723 

sorier  adjoint,  un  archiviste-bibliothécaire  et  dix  secrétaires. 
M.  André  Lebon,  ancien  ministre  du  Commerce  et  des  Colonies, 
président  des  conseils  d'administration  de  la  Compagnie  des  Mes- 
sageries maritimes  et  du  Crédit  foncier  agricole  d^Algérie,  adminis* 
trateur  du  Crédit  foncier  de  France,  a  été  nommé  président  de  la 
Fédération.  Le  siège  social  de  celle-ci  est  actuellement  rue  de  Pro- 
vence, 59. 

n.  —  AFRIQUE. 

Algérie.  -^  L'arrivée  de  M.  Jonnart;  le  discours  du  gouverneur  général 
aux  DiléjaUons  financières.  —  M.  Jonnart,  gouverneur  général  de 
l'Algérie,  est  arrivé  à  Alger  le  14  mai  et  la  population  lui  a  fait  un 
accueil  des  plus  sympathiques.  Aux  souhaits  de  bienvenue  que  lui 
adressait  le  maire  d*Alger,  M.  Altairac,  M.  Jonnart  a  répondu  en 
précisant  en  quelques  paroles  ses  intentions  et  son  programme. 

«  Mon  ambition.  Messieurs,  a-t-il  conclu,  c'est  de  faire  appel  à 
«  toutes  les  forces  vives  de  la  colonie,  au  concours  de  toutes  les 
«  intelligences  et  de  toutes  les  bonnes  volontés,  et  1  institution  répu- 
«  blicaine  ayant  poussé  ici  des  racines  indestructibles,  d'orienter  de 
«  plus  en  plus  les  efforts  et  les  énergies  de  la  nouvelle  France  vers 
«  Tétude  des  problèmes  économiques  el  sociaux,  vers  les  solutions 
•  fécondes  destinées  à  provoquer  Télan  des  initiatives,  à  favoriser 
«  les  entreprises  de  la  colonisation  et  de  la  pénétration  fran- 
«  çaises.  » 

Ces  déclarations  ont  produit  une  vive  impression  et  ont  été  très 
applaudies. 

Quatre  jours  plus  tard,  le  18  mai,  le  gouverneur  général  a  ouvert 
la  session  ordinaire  des  Délégations  financières  pour  Tannée  1903 
et  il  a  prononcé,  à  cette  occasion, un  éloquent  discours  dans  lequel  il 
a  dil  que  la  sagesse,  la  clairvoyance  politique,  dont  les  Délégations 
ont  fait  preuve,  est  la  justification  de  la  politique  de  décentralisation 
qu*il  a  toujours  préconisée. 

Cette  décentralisation,  ajoutait-il,  ne  saurait  en  aucune  façon  détendre  les 
liens  indissolubles  qui  unissent  TAlgérie  à  la  mère  patrie.  Mais  j*ai  pu  me 
rendre  compte  par  un  long  séjour  au  milieu  de  vous  que  les  abus  et  les  fautes 
dont  on  faisait  un  grief  à  rÀlgérie,  non  sans  exagération  parfois,  étaient 
le  fait  des  institutions  plutôt  que  des  hommes,  et  que  les  vices  du  sys- 
tème préjudiciaient  à  tout  le  mond9,  tant  à  nos  sujets  musulmans  qu'à 
la  colonie  européenne.  De'  là  mon  insistance  à  réclamer  pour  ce  pays  une 
iidministration  et  une  législation  originales,  appropriées  à  ses  mœurs,  au' 
génie  des  races  qui  s'y  coudoient,  qui,  insensiblement,  se  pi^nètrent  sans 
arriver  à  se  fondre  complètement. 

Telle  est  donc  l'idée  maîtresse  qui  a  présidé  aux  réformes  accomplies 


7M 


QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET    COLONIALES 


<ianâ  ees  dernières  années.  Ces  réformes  ne  sont  autre  chose  que  Tapplica- 
tion  du  principe  de  décentralisation. 

Au  point  de  vue  administratif  et  financier,  Tœuvre  de  décentralisation 
n'est  pas  complète,  mais  elle  est  très  avancée. 

Au  point  de  vue  économique,  elle  est  à  peine  ébauchée.  Il  est  temps 
d'aboutir.  Plus  que  jamais,  les  chemins  de  fer  apparaissent  comme  le 
meilleur  instrument,  Tindispensable  outil  de  la  colonisation  française. 

Un  projet  préparé  par  mon  honorable  prédécesseur  a  pour  but  de 
remettre  à  l'Algérie,  à  la  condition  qu'elle  consente  un  sacrifice  immédiat, 
la  plénitude  des  pouvoirs  en  matière  de  chemins  de  fer.  M.  le  ministre  des 
Travaux  publics  a  approuvé  ce  projet  et  j'ai  obtenu  qu'il  en  saisisse  M.  le 
ministre  des  Finances.  Je  demande  à  M.  Rouvier  de  vouloir  bien  me  faire 
connaître  le  plus  tôt  possible  les  résolutions  définitives  de  son  département, 
ayant  le  vif  désir  de  soumettre  à  vos  délibérations  ce  projet  dont  vous 
connaissez  déjà  les  tendances  et  l'économie  générales.  On  peut,  à  coup 
sûr,  envisager  différentes  solutions  de  cette  importante  question,  la  plus 
pressante  qui  se  dresse  devant  nous  ;  mais  le  but  auquel  nos  communs 
efforts  doivent  tendre  a  été  clairement  défini  :  il  faut  arriver  à  Tunifica- 
cation  des  réseaux  et  des  tarifs,  cette  œuvre  comportant  rabaissement 
gradué  et  la  simplification  des  tarifs  et  aussi  des  combinaisons  nouvelles 
qui  assurent  à  Timportation  et  à  l'exportation  algériennes  toutes  les  faci- 
lités et  les  garanties  désirables  aussi  bien  pour  les  transports  des  mar- 
chandises sur  mer  que  pour  les  transports  dans  la  colonie  et  sur  le 
continent. 

Je  ne  crois  pas  ce  programme  trop  ambitieux.  Doter  l'Algérie  d'organes 
nouveaux,  se  pliant  aux  exigences  de  la  vie  économique,  déterminant  la 
mise  en  valeur  plus  rapide  et  plus  rationnelle  des  ressources  de  son  sol, 
Textension  progressive  de  sa  sphère  d'influence  et  de  son  action  commer- 
ciale, est-il  une  tâche  qui  sollicite  plus  activement  le  concours  de  vos 
lumières  et  de  vos  bonnes  volontés? 

Le  développement  de  l'outillage  économique  de  la  colonie  est  non 
moins  important;  il  a  d'ailleurs  été  l'objet  de  vos  constantes  préoccupa- 
tions et  vous  estimez,  sans  doute,  avec  moi  que  les  travaux  d'hydraulique 
agricole  devront  tenir  une  place  de  plus  en  plus  grande  dans  notre  pro- 
gramme de  travaux  publics. 


¥ 


Une  autre  partie  de  notre  tâche,  non  moins  capitale  que  considérable 
à  réaliser,  c'est  le  peuplement  du  pays  par  les  Français. 

Le  moyen  le  plus  pratique  d'atteindre  ce  résultat,  c'est  rattribution  de 
la  terre  aux  familles  françaises,  soit  par  vente,  soit  par  concessions  gra- 
tuites, avec  résidence  obligatoire  dans  les  deux  cas.  «  Nos  fils  d'abord  !  * 
a  dit  M.  le  président  de  la  République,  synthétisant  les  exigences  de  la 
politique  algérienne.  Il  est  entendu  que  partout  où  la  vente  est  possible, 
le  Gouvernement  général,  désireux  d'acclimater  et  d*étendre  le  système  de 
vente,  projette  d'heureuses  modifications  au  décret  de  1878,  qui  n'autorise 
pas  la  vente  à  bureaux  ouverts.  Mais  pour  l'accomplissement  du  pro- 
gramme habilement  conçu  par  mon  prédécesseur,  qui  tend  à  reculer  les 
limites  de  la  colonisation  par  l'utilisation  de  territoires  qui  lui  étaient 


RENSEIGNEMENTS   POLITIQUES 


725 


jusqu'ici  fermés,  le  système  de  la  concession  gratuite  ne  saurait  être  dès  à 
présent  abandonné. 

Vous  connaissez  à  merveille  les  difficultés  d'acclimatation  et  d'adap- 
talion,  bientôt  surmontées,  mais  qui  peuvent  au  début  décourager  ceux 
qui  débutent  dans  ce  pays.  Vous  ne  serez  donc  pas  surpris  de  m'entendre 
exprimer  cette  opinion  que  dans  la  répartition  des  concessions  une  part 
légitime  revient  aux  fils  de  colons, et  vous  m'approuverez  aussi  de  décider^ 
en  principe,  qu'il  y  a  lieu  d'attacber  de  plus  en  plus  à  Tattribution  gra- 
tuite, réservée  par  nos  règlements  aux  fils  de  colons,  la  signification  d'une 
prime  aux  familles  nombreuses. 

La  colonisation  doit  s'appuyer  sur  des  finances  solides;  les  modifica- 
tions fiscales  doivent  être  entreprises  avec  circonspection.  Ces  considéra- 
tions ont  déterminé  le  Gouvernement  à  vous  proposer  un  dégrèvement 
des  sucres  moindre  qu'en  France.  En  ce  qui  concerne  les  sucres,  en  effet, 
Texposé  des  motifs  du  projet  de  budget  fait  ressortir  que  la  détaxe  de  con- 
sommation votée  par  le  Parlement  pour  la  métropole  aurait  pour  résultai 
de  nous  priver  d'une  recette  de  plus  de  6  millions.  Ce  chiffre  parait  exagérée 
à  ceux  qui  escomptent,  en  cas  d'abaissement  du  droit  à  25  francs,  le  déve- 
loppement delà  consommation  et  surtout  la  diminution  de  la  fraude.  Quoi 
qu'il  en  soit,  la  moins-value  serait  considérable  et  vous  aurez  à  vou^ 
demander  s'il  n'est  pas  plus  sage  de  vous  en  tenir  provisoirement  à  un 
dégrèvement  modéré  de  la  taxe  de  consommation  sur  les  sucres. 
•     •     •     •     •     •     • ...••••••^ 

Mais  surtout  notre  œuvre  a  besoin  de  sécurité.  Les  progrès  du  ban- 
ditisme ont  nécessité  l'établissement  des  tribunaux  répressifs.  On  les  a 
critiqués  et  assurément  toute  institution  est  perfectible,  mais  tous  les 
indigènes  bonnétes  comme  les  colons  réclament  une  justice  simple  ei 
rapide. 

L'expérience,  en  effet,  paraît  avoir  donné  raison  à  ceux  qui  depuis 
dix  ans  ont  conseillé  l'application  en  Algérie  d'une  politique  nouvelle.  Il 
faut  prendre  garde  que  l'Administration  soit  vouée  à  un  perpétuel  recom- 
mencement et  qu'après  avoir  souffert  des  errements  anciens,  la  colonie  ne 
soit  exposée  à  les  voir  revivre.  Je  me  permets  d'affirmer  encore  une  fois, 
fidèle  à  d  anciennes  opinions,  que  c'est  une  erreur  grave  et  un  danger  que 
de  mêler  et  de  confondre  l'Administration  des  Européens  et  des  indigènes 
et  de  vouloir  appliquer  en  bloc  à  ces  derniers  des  institutions  et  des  règle- 
ments qui  conviennent  aux  pays  de  civilisation  plus  avancée  et  de  men- 
talité bien  différente. 

Je  n'hésite  pas  à  confesser,  du  reste,  qu'il  vaut  mieux  prévenir  que  repris 
mer  et  que  le  droit  de  conquête  implique  des  responsabilités  et  des  devoirs. 
Je  maintiens  que  notre  entreprise  de  colonisation  sera  d'autant  mieux 
affermie  et  plus  prospère  que  nous  aurons  exercé  sur  la  population  indi* 
gène  une  tutelle  plus  généreuse  et  plus  bienveillante.  Montrons-nous  trèa 
fermes  vis-à-vis  de  nos  sujets  musulmans,  mais  aussi  très  humains  et 
particulièrement  soucieux  de  leur  condition  morale  et  matérielle.  La 
réforme  administrative  dont  j'ai  pris  l'initiative,  et  que  M.  Revoil  a  com- 
plétée par  la  création  d'une  Direction  des  Affaires  indigènes,  tend  précisé- 
ment à  assurer   une   surveillance  plus  active  des   territoires   indigènes 


I 


726  QUBSTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONULES 

en  même  temps  qa'une   gestion    plas  étroite  et  plus  yigilante   de  leur^ 
intérêts. 

J'ai  à  cœur  de  vous  rendre  cette  justice,  Messieurs,  que  mon  prédéces- 
seur vous  a  trouvés,  en  toute  circonstance,  disposés  à  seconder  se» 
louables  efforts  pour  l'amélioration  du  sort  des  indigènes.  Dans  le  domaine 
de  l'Assistance,  toutou  presque  tout  était  à  organiser  ;  il  reste  beaucoup  à 
faire  ;  cependant  la  création  récente  de  dix-neuf  bureaux  de  bienfaisance 
spéciaux  aux  musulmans  dans  les  principales  villes  de  l'Algérie  et  de  cli- 
niques pour  les  femmes  et  les  enfants,  la  participation  des  indigènes  aux 
créditK  consacrés  aux  frais  d'hospitalisation,  sont  des  actes  qui  vous  font 
honneur  en  même  temps  qu'à  l'Administration  algérienne. 
-  Je  vous  sais  gré,  notamment,  d'avoir  approuvé  l'affectation  à  des  œuvrrs 
d'assistance,  de  bienfaisance  et  d'utilité  publique  intéressant  exclusivement 
les  populations  musulmanes,  des  ressources  provenant  des  centimes  ad- 
ditionnels antérieurement  prélevés  au  profit  de  la  constitution  de  la  pro- 
priété. Une  notable  partie  de  ces  ressources  va  nous  permettre  d'accorder 
de  sérieux  encouragements  aux  arts  et  métiers  musulmans,  à  la  restaura- 
tion des  industries  arabes  jadis  florissantes  et  d'édicter  des  mesures  plus 
efficaces  dans  l'intérêt  de  l'hygiène  et  de  la  santé  de  nos  sujets.  Les  mala- 
dies d'yeux,  dans  les  quartiers  arabes  de  nos  villes  et  les  douars,  et  la  mor- 
talité enfantine  ont  particulièrement  retenu  notre  attention  et  vont  faire 
l'objet  de  mes  plus  prochaines  instructions  au  personnel  des  Affaires  indi- 
gènes. Grâce  à  vous,  l'argent  ne  fait  point  défaut;  je  compte  maintenantsur 
l'élan  des  volontés  f  t  des  cœurs  pour  réaliser  ici  l'œuvre  d'humanité  et  de 
bonté  si  éloquemment  évoquée  il  y  a  quelques  jours  par  M.  le  Président  de 
la  République,  et  qui  répond  en  tous  points  aux  vues  généreuses  et  aux 
traditions  séculaires  de  la  France. 

Notre  rôle  est,  avant  tout,  un  rôle  d'éducation.  M.  le  Président  du  Con- 
seil, comme  rapporteur  de  la  Commission  sénatoriale  d'enquête,  présidée 
naguère  par  Jules  Ferry,  a  écrit  sur  l'instruction  des  indigènes  des  page» 
décit'ives  et  n'a  pas  cessé  de  témoigner  de  sa  vive  sollicitude  pour  le  déve- 
loppement de  l'enseignement  supérieur  et  de  l'enseignement  primaire  e^ 
professionnel,  tant  au  profit  des  Arabes  que  des  Kabyles.  Il  m  a  invité  à 
ne  rien  négliger  pour  donner  une  nouvelle  impulsion  à  ces  deux  ordres 
d'enseignement.  C'est  une  tâche  à  laquelle  je  ne  faillirai  pas.  Deux  me- 
derças  vont  être  construites,  vous  le  savez,  à  Alger  et  à  Tlemcen  :  celle  de 
Constantine  sera  agrandie.  Quant  à  l'enseignement  primaire,  il  sera  de 
plus  en  plus  nettement  orienté  dans  le  sens  professionnel.  M.  le  recteur 
de  l'Académie  d'Alger  retrace,  en  quelques  lignes  singulièrement  instruc- 
tives et  réconfortantes,  les  résultats  obtenus  dans  les  écoles  indigènes  par 
une  élite  remarquable  d'instituteurs  dont  l'action  sociale  s'exerce  avec  au- 
tant de  fruit  que  l'acte  pédagogique.  Tout  le  monde  s'accorde  à  dire  quil 
convient  d'encourager  surtout  l'enseignement  agricole,  plutôt  pour  le? 
adultes  encoie  que  pour  les  enfants,  parla  création  de  champs  d'expé- 
rience, de  cours  de  greffage,  et  la  vulgarisation  des  meilleurs  procédés 
pour  la  fabrication  de  l'huile,  etc. 

Durantvotre  session,  du  reste,  la  question  de  renseignement  en  Algérie 
occupera  une  place  prépondérante  à  votre  ordre  du  jour. 

Ce  n'est  pas  chez  les  indigènes  seuls  que  le  service  de  l'enseignement 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  727 

primaire  est  en  souffrance,  M.  Revoil,  dont  je  m'empresse  de  reprendre 
les  propositions,  vous  a  expliqué  qu'un  cinquième  des  enfants  d*âge  sco- 
laire de  l'Algérie,  non  compris  les  musulmans,  n'a  fréquenté  aucune  école 
pendant  la  dernière  année  scolaire;  plus  de  vingt  mille  sur  cent  six  mille 
n'ont  reçu  aucune  instruction,  et  le  plus  grand  nombre  habite  des  grandes 
Yilles.  Pour  remédier  à  ce  déplorable  état  de  choses,  il  sera  nécessaire  de 
créer  379  classes  nouvelles.  Mon  prédécesseur  vous  a  demandé  d'accom- 
plir cet  effort  considérable  en  cinq  années,  à  partir  de  t004.  Je  suis  prêt  à 
soutenir  devant  vous  le  projet  élaboré  par  l'Administration.  Je  veux  espérer 
que  vous  autoriserez  son  exécution.  Vous  ajouterez  ainsi  une  belle  page 
â  l'histoire  des  Délégations,  commencée  hier,  et  déjà  si  bien  remplie. 

Il  s'agit,  en  effet,  d'un  côté,  d'amener  les  indigènes  à  mieux  nous  com- 
prendre et  par  suite  â  mieux  nous  aimer,  et  d'un  autre  côté,  de  faire  dé- 
finitivement de  ce  pays  une  nouvelle  France,  en  conservant  précisément 
une  âme  française  à  nos  enfants  et  en  imprégnant  de  nos  sentiments  et 
de  notre  idéal  les  jeunes  étrangers  qui,  pour  la  plupart,  n'auront  d'autre 
patrie  que  la  nôtre. 

Je  viens  aujourd'hui  vous  répéter,  Messieurs,  que  ma  collaboration  la 
plus  cordiale  et  la  plus  dévouée  vous  est  acquise.  Travaillons  ensemble  à 
l'épanouissement  des  forces  vives,  à  la  mise  en  valeur  des  admirables 
ressources  et  au  bon  renom  de  cette  Algérie  qui  tient  chaque  jour  une 
plus  grande  place  dans  les  affections  et  les  espérances  nationales. 

La  6n  de  ce  discours  a  élé  accueillie  par  les  applaudissements  una- 
nimes de  l'assemblée. 

—  Dans  le  Sud'-Oranais.  —  On  a  reçu  le  rapport  officiel  concer- 
nant Tenlèvement  à  Taghit,  par  une  bande  marocaine,  le  6  mai  der- 
nier, du  convoi  libre  destiné  à  ravitailler  quelques  postes  de 
l'Extrème-Sud;  ce  rapport  constate  que  raulorilé  militaire  avait 
donné  pour  escorte  au  convoi  une  compagnie  montée  de  la  légion. 

Le  représentant  de  Tentrepreneur  du  convoi,  arrivé  au  Ksar-el- 
Aroug,  déclara  au  chef  de  Tescorte  que  les  chameliers  du  convoi, 
appartenant  à  la  tribu  des  Doui-Menia,  se  refusaient  à  suivre  la 
roule  de  Zousfana,  se  croyant  plus  en  sûreté,  même  sans  escorte,  en 
inclinant  vers  TËsl,  à  travers  TErg. 

Une  partie  du  convoi,  portant  des  vivres  pour  les  caravansérails 
de  la  roule  de  Zousfana,  suivit  cette  route  avec  Tescorte  et  ne  fut 
pas  inquiétée.  Le  reste,  qui,  malgré  Tavis  du  commandant  de 
l'escorte,  avait  pris  une  autre  direction,  fut  attaqué  le  lendemain 
par  une  forte  harka. 

Commentant  ces  jours-ci  ces  derniers  événements  du  Sud,  le  Temps 
donnait  sur  la  question  des  aperçus  intéressants  que  nous  croyons 
devoir  reproduire  ici  : 

La  situation  dans  le  Sud-Oranais,  disait  le  Temps,  est  devenue  subitement 
inquiétante;  il  est  même  à  craindre,  comme  nous  le  disions  déjà  le  4  avril 


7^  QUESTIONS  DIPLOMATIQUBS    BT  GOLOIOALBS 

dernier,  que  nous  n'ayons  avant  peu  des  événements  très  graves  à  enre- 
gistrer, si  des  mesures  énergiques  et  rationnelles  ne  sont  pas  prises  au 
plus  tôt.  Car,  enfin,  il  nous  faut  faire  un  aveu  qui  n'est  pas  flatteur  pour 
nous,  c'est  que,  en  moins  de  trois  mois,  nos  postes  n'ont  pas  subi  moins 
de  cinq  attaques  sérieuses,  dont  aucune  n*a  été  réprimée.  Or,  rien  ne  peut 
enhardir  davantage  les  turbulentes  tribus  de  TOued-Guir,  rien  n*exalte 
autant  le  fanatisme  des  Arabes  que  ces  succès  impunis.  Si  Ton  n'y  met 
ordre,  ils  risquent  même  d'avoir  la  plus  fâcheuse  répercussion  sur  nos 
grandes  tribus  nomades  du  Sud-Oranais  ;  et  peut-être  alors,  faute  d'avoir 
pris  à  temps  nos  précautions,  aurons-nous  une  véritable  insurrection  sur 
les  bras.  N'oublions  pas  que,  dans  ces  régions  et  avec  les  populations  si 
impressionnables  qui  les  habitent,  il  suffit  d'une  étincelle  pour  mettre  le 
feu  aux  poudres  :  les  insurrections  de  1864  ei  de  1881  l'ont  prouvé. 

Nous  le  répétons  donc  à  nouveau  :  aussi  longtemps  que  notre  système 
de  défensive  passive  sera  maintenu,  il  n'y  aura  aucune  tranquillité  rela- 
tive possible  aux  environs  de  Figuig. 

En  effet,  les  fractions  de  troupes  disséminées  sur  notre  longue  ligne  de 
caravansérails  qui  va  de  Duveyrier  à  Beni*Abbès  sont  trop  faibles  numé- 
riquement et  ne  sont  pas  outillés  pour  agir  en  dehors  de  leurs  murs 
d'enceinte.  Elles  sont  réduites  à  l'immobilité  absolue  en  face  de  l'adver- 
saire le  plus  mobile  qu'il  y  ait. 

En  fait,  nous  faisons  volontairement  litière  de  tous  les  enseignements 
de  la  guerre  d'Afrique,  desquels  il  résulte  qu'on  ne  peut  espérer  aucun  suc- 
cès dans  ce  pays  si  l'on  n'est  pas  aussi  mobile  que  l'ennemi.  Les  c  saha- 
riens »  les  plus  compétents  ont  signalé  les  dangers  auxquels  nous  expo- 
saient les  errements  actuels.  Il  y  a  quelques  années  déjà,  l'un  d'eux,  le 
commandant  Frisch,  dans  une  étude  très  remarquée  sur  la  défense  de 
l'Algérie  Tunisie,  proposait  la  création  de  sortes  de  marches  sahariennes 
qui  seraient  occupées  en  permanence  par  des  colonnes  mobiles  composées 
de  deux  ou  trois  compagnies  mixtes  comprenant  les  trois  armes,  vivant 
sur  le  pays  et  toujours  en  mouvement  en  dehors  de  la  période  des 
grandes  chaleurs.  Dans  une  brochure  plus  récente,  cet  officier  supérieur 
développait  son  idée  première  et  l'appliquait  aux  oasis  sahariennes  et  à  la 
région  de  Zousfana,  nouvellement  occupées. 

Sou  projet  pour  les  oasis  sahariennes  a  été  adopté;  il  n'y  avait  pas  de 
motif  pour  ne  pas  en  faire  autant  plus  au  Nord.  L'expérience  démontre 
qu'il  avait  raison. 

Avec  ces  compagnies  mixtes  sans  cesse  en  mouvement,  les  troupes  à 
entretenir  dans  le  Sud-Oranais  pouvaient  être  très  réduites  par  rapport  à 
ce  qu'elles  sont  aujourd'hui,  parce  qu'on  suppléait  à  la  faiblesse  des  effec- 
tifs par  le  mouvement;  tirant  du  pays  tout  le  gros  de  leur  subsistance, 
elles  n'avaient  nul  besoin  de  ces  convois  de  ravitaillement  qui  coûtent  si 
cher. 

Les  circonstances  actuelles  vont  probablement  nous  forcer  à  organiser  et 
à  mettre  en  route  une  colonne  avec  son  énorme  et  indispensable  convoi, 
sans  compter  tous  les  ravitaillements  par  la  base  d'opération  :  coût,  un 
nombre  respectable  de  millions,  comme  en  1901.  Encore  cette  colonne  ne 
pourra-t-elle  être  en  état  d'agir  sur  le  théâtre  des  opérations  avant  plusieurs 
semaines,  alors  que  les   compagnies  mixtes  seraient  toujours  sur  place, 


RENSEIGNEMENTS   POUTIQUfiS 


729 

oavoi  que  leurs 


mobilisées  et  pouvant  se  suffire  à  elles-mêmes  sans  aut 
moyens  de  transport  habituels. 

On  voit  combien  ce  système  est  rationnel  et  économique  ;  espérons  qu'on 
finira  par  retendre  à  la  région  si  dangereuse  du  Sud-Oranais,  puisqu'on 
Ta  trouvé  pratique  pour  celle  des  oasis  sahariennes,  qui  est  moins 
exposée. 

On  a  vu  plus  haut  quelles  décisions  le  gouvernement  a  prises  pour 
assurer  la  sécurilé  de  notre  territoire,  et  les  commentaires  auxquels 
ces  décisions  ont  donné  lieu  dans  là  presse. 


Maroc.  —  La  situation.  —  Les  nouvelles  du  Maroc  ont  été,  ces 
jours  derniers,  moins  mauvaises.  Les  craintes  qu'avait  inspirées  le 
siège  de  Tétouan  ne  se  sont  pas,  heureusement,  réalisées.  L*échec 
éprouvé  par  les  rebelles  lors  de  leur  première  attaque  conlre  la  ville 
avait  été  assez  grave  pour  les  immobiliser.  De  cette  façon,  les  ren- 
forts envoyés  de  Tanger  par  voie  de  mer  eurent  le  temps  d'arriver  à 
destination.  Tétouan,  ainsi  renforcé  et  ravitaillé,  n'avait  guère  plus 
rien  à  craindre.  Les  rebelles,  déjà  démoralisés  par  leur  première 
défaite,  se  sont  rendu  compte  qu'un  nouvel  assaut  serait  inutile.  11 
ne  leur  restait  plus  qu'à  lever  le  siège  et  à  retourner  dans  leurs 
foyers  en  attendant  une  meilleure  occasion.  C'est  ce  qu'ils  viennent 
de  faire.  Tétouan  se  trouve  donc  à  l'heure  actuelle  complètement 
délivré. 

Ce  résultat  positif  et  certain  reste  définitivement  acquis.  11  n'en 
est  pas  de  même  de  la  nouvelle  de  l'entrée  des  troupes  du  sullan  à 
Tazza.  Il  y  a  quelques  jours  les  dépêches  avaient  signalé  que  le  minis- 
tre de  laguerre  avait  enfin  entrepris  la  fameuse  marche  depuis  long- 
temps annoncée  contre  le  centre  d'opérations  du  prétendant. 

Certains  correspondants,  allant  trop  vite  en  besogne,  l'ont  fait 
ensuite  entrer  à  Tazza  après  un  combat  sanglant.  Or,  s'il  est  certain 
que  le  ministre  El  Menebi  ait  quitté  Fez  avec  l'intention  d*aller  à 
Tazza,  on  a  appris  parla  suite  qu'il  s'était  arrêté  en  roule,  à  quelques 
kilomètres  de  Fez.  Bien  plus,  on  ne  saurait  pas  très  bien  à  quelle  date 
il  pourrait  reprendre  sa  marche,  à  cause  d'une  mutinerie  qui  aurait 
éclaté  parmi  les  soldats  restés  dans  la  capitale. 

Ainsi  donc,  il  faut  rayer  de  l'actif  du  sultan  la  prétendue  victoire 
de  Tazza.Le  prétendant  dispose  toujours  de  son  centre  d'opérations. 
Cependant,  Tinaction  prolongée  de  Bou-Hamara  est  un  signe  mani- 
feste de  faiblesse.  Tout,  d'ailleurs,  semble  indiquer  que  la  cause  du 
prétendant  est  plutôt  en  baisse,  malgré  l'apathie  de  ses  adversaires. 


RENSEIGNEMENTS    ECONOMIQUES 


1.  —  GÉNÉRALITÉS. 


Prodaction  da  fer  et  de  Tacier  dans  le  monde.  —  Il  résulte  d'ane 
statistique,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  que  la  production  du  fer  et 
de  Tacier  dans  le  monde  entier  a  énormément  augmenté  dans  la 
deuxième  moitié  du  xix*  siècle. 

La  production  du  fer  brut  a  décuplé,  passant  de  4.401.415  tonnes 
anglaises  à  40.087.616  tonnes,  comme  le  démontre  le  tableau  sui- 
vant : 

Années.  Tonnes.  Années.  Tonnes. 


1835 

6.150.000 

1880 

...       17.950.000 

1860 

7.400.000 

lï»85 

...       19.100.000 

1865 

9.250.000 

1890 

...       27.157.000 

1870..    .    . 

H. 900.000 
..       13.675.000 

1895..    .. 

28.871.000 

1875 

1900 

40.087.616 

En  1900,  la  production  du  fer  se  répartissait,  entre  les  divers  pays, 
de  la  façon  suivante  : 


Etats-Unis 

Grande-Bretagne 

Allemagne  et  Luxembourg: 

Russie 

France 

Autriche- Hongrie 

Belgique 

Suède 

Espagne 

Canada 

Italie,  Japon,  Mexique,  etc. 


Total. 


Tonnes. 

13.789.242 

8.959.691 

8.381.373 

2.859.815 

2.669  966 

1.431.989 

1.00  .872 

518.263 

2Â9.3I5 

86.090 

100.000 

40.087.616 


'^ 


Il  est  curieux  de  voir  combien  la  production  de  Vaciêr  était  faible 
en  1850.  On  en  était  encore  réduit  à  le  préparer  au  creuset,  par  la 
cémentation  ou  le  puddlage,  en  très  petites  quantités  à  la  ftiis,  et  à 
grands  frais.  Cesl  Tinlroduclion  du  procédé  Bessemer  et  l'emploi  du 
foyer  ouvert  qui  ont  développé  la  production.  En  1857,  la  fabrication 
Bessemer  fut  inlroduile  en  Angleterre,  le  procédé  Siemens-Martin  y 
apparut  en  18G4,  et  quatre  ans  plus  tard  aux  Ëlats-Unis. 


1855 

120.000 

1860.  .  .. 

200.000 

1865 

3:'>0.000 

1870 

700  000 

1875 

2.000.000 

RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  731 

En  1850,  la  production  de  Tacier  dans  le  monde  n'était  que  de 
80.000  lonnes;  elle  augmenta  surtout  à  partir  de  1875  : 

Années.  Tonnes.  Années.  Tonnes. 

1880 4.274.000 

i885 6.147.000 

1890 1^.231.000 

1895 16.149.000 

1900 27.130.815 

En  1900,  la  part  de  production  des  divers  pays  fut  la  suivante  : 

Tonnes. 

États-Unis iO. 188.329 

Allemagne  et  Luxembourg 6.257.745 

Grande-Bretagne 5.050.000 

Russie 1.800.366 

France 1.569.481 

Autriche- Hongrie 1.126.942 

Belgique 644.132 

Suède 295  636 

Espagne i48.  «84 

Canada  et  autres  pays 50.000 


Total 27. 130.815 

Ajoutons  que  dans  le  premier  semestre  de  1902,  la  production  du 
fer  drutsesi  notablement  accrue,  si  on  la  compare  à  celle  de  la  pé- 
riode correspondante  de  l'année  précédente.  Dans  ces  six  premiers 
mois,  Taugmenlation  a  été  de  1.133.961  tonnes  aux  Ëtals-Unis;  dans 
les  neuf  premiers  mois,  elle  a  été  de  303.376  tonnes  en  Allemagne; 
de  janvier  à  septembre,  de  223.710  tonnes  en  Belgique;  po'.ir  les  six 
premiers  mois,  de  62.780  tonnes  au  Canada;  elle  est  également  no- 
table en  Angleterre.  Seules,  la  France  et  la  Suède  présentent  pour 
les  six  premiers  mois  un  recul  de  95.531  et  de  27.000  tonnes. 

II.  —  EUROPE. 

Turquie.  —  Commerce  avec  la  France  enidOi,  —  Les  importations 
turques  en  France  se  sont  élevées  à  105.601.000  francs,  contre 
107.785.000  en  1900;  la  diminution  est  donc  de  2  % .  Les  exporta- 
tions françaises  en  Turquie  ont  atteint  le  chilTre  de  47.365.000  francs 
contre  49-768.000  en  1900,  ce  qui  fait  une  décroissance  appréciable 
de  2.400.000  francs. 

L'année  1901  a  donc  été  en  général  plutôt  mauvaise  pour  le  com- 
merce franco-ottoman. 


NOMINATIONS  OFFICIELLES 


■IKISTÈIIE  DEt»  AFFAMES  ÉTRANfiÂKES 

L'exequatur  a  été  accordé  à  : 

MM.  • 

E.  Carrance,  consul  du  Venezuela  à  Agen. 

Jofté  Kœhler  Aubian,  consul  du  Paratçuay  à  Bordeaux. 

Julio  Balbas  7  Ferez,  vice-consul  d'Espagne  à  Nantes. 

E.  Lesage,  consul  de  Belgique  à  Melun. 

J.  Haemers,  consul  de  Belgique  à  Rouen. 

Hermann  VerApreuven,  consul  de  Belgique  au  Havre. 

T.  Bojeux,  consul  de  Belgique  à  Chartres. 

L.  Petitjean,  consul  de  Belgique  à  Compiègne. 

Emile  Coppens,  vice-consul  de  Belgique  à  Montataire. 

Ed.  Delaltre.  vice-conêul  de  Belgique  à  Meaux. 

■irVISTÉKE  DU  COHMEKGE 

Ont  été  nommés  ou  promus  dans  l'ordre  national  de  la  Légion  d'honneur  : 

Au  grade  d'officier, 
M.  Giraud  (J.-M.-J.),  président  de  la  Chambre  de  commerce  d'Oran. 

Au  grade  de  chevalier, 
MM. 

Picard  (P.-Ant.),  inspecteur  des  postes  et  des  télégraphes  à  Paris. 

Castan  (L.-P.),  président  de  la  Chambre  de  commerce  d*Alger. 

Tessier  (Albert),  président  de  la  Chambre  de  commerce  de  PhiUppeville. 

HLlîlSTÈRE  DE  LA  GUERRE 

TroapeM  métropolllalne». 

SERVICE    VÉTÉRINAIRE 

Tonkin.  —  M.  Blot,  vélér.  en  2«,  est  désig.  pour  servir  à  l'artillerie  coloniale 
au  Tonkin. 

Troupes  coloalales. 

ÉTAT-MAJOR   GÉNÉRAL 

OoohinoMne.  —  M.  /e  général  de  Beylié,  command.  la  brigade  de  Cochinchine, 
est  nommé  command.  de  la  défense  de  Saïgon-Cap  Saint- Jacques. 

INFANTERIE 

Afrique  Oooidentale.  —  Sont  affectés  : 

M.  le  capit,  Dauvillier  à  l'état-major  part,  do  l'A.  O.  F.  ;  M.  le  lieut.  Mongelons 
à  Tétat-major  part,  de  la  Côte  d'Ivoire  ;  M.  le  lieut.  Albin  à  la  2*  comp.  du  {•'  séné- 
galais. 

M.  le  lieut,  Duboc  est  désigné  pour  servir  au  bat.  de  la  Côte  d'Ivoire. 

M.  le  lieut.  Jigaudon  est  désig.  pour  serv.  à  l'état-maj.  des  troupes  de  TAfr. 
occid. 

Congo.  —  Ont  été  désignés  pour  servir  au  rég.  indigène  du  Congo  : 

M.  le  chef  de  bat.  Morel  (M.-E.);  le  capit.  Mahieu,  et  le  sous-lieul.  Barthe. 

Ohlne.  —  Ont  été  désignés  pour  servir  au  16'  rég.  : 

M.  le  chef  de  bat.  Lemoel;  MM.  les  capit.  Chautard,  et  Audié;  MM.  les  lieut. 
Fontaine  (G.),  Laurent  (A.-E.),  Mongodin,  Pourchet,  Mégnou,  et  M.  I©  sous-lieut. 
Ramspacher. 

Coohinolline.  —  Sont  désignés  pour  servir  en  Cochinchine  : 

MM.  les  capit.  Bouet  et  Thiéry,  le  lieut.  Froraenty,  et  les  sous-lietU.  Estéve  et 
Legrand. 

Sont  affectés  : 

M.  le  chef,  de  bat.  BuUier,  au  rég.  de  tiraill.  annamites,  l***  bat.  ; 

M.  le  chef  de  bat.  Grimaud,  au  11«  rég.,  l»»"  bat.; 

M.  le  capit.  Monziols,  à  la  5*  comp.  du  rég.  de  tirail.  annamites  ; 

M.  le  capit,  Cailleau,  à  la  3*  comp.  du  11  «  rég.  ; 


NOMINATIONS   OFFICIELLES  733 

M.  le  eapii.  Dubois  de  la  Villerabel  à  la  comp.  Cambodgienne  ; 

H.  le  lieui.  Crabos  à  la 6*  comp.  du  rég.  de  tiraill.  annamites; 

M.  le  lient.  Mahîeu,  à  la  12*  comp.  du  rég.  de  tiraill.  annamites; 

M.  le  lieut.  Morel,  à  la  comp.  cambodgienne  ; 

M.  le  lient,  Chaumont,  à  la  7«  comp.  du  U«  rég.  ; 

M.  le  lient.  Veillât,  à  la  10»  comp.  du  11«  rég.  ; 

M.  le  lient,  Giraud  (A.-J.),  à  la  5*  comp.  du  !l«  rég.  ; 

M.  le  sons-lieut,  Grégoire,  à  la  12«  comp.  du  il*  rég.  ; 

M.  le  sous-tient.  Gilquin,  à  la  l"  comp.  du  11*  rég.; 

M.  le  sous-tient  Chauflin,  à  la  11«  comp.  du  rég.  de  tiraill.  annamites; 

M.  le  sous-tient.  Fouques,  à  la  9**  comp.  du  rég.  de  tiraill.  annamites. 

Tox^kin.  —  Sont  affectés  : 

M.  le  lient-col.  Louvel,  au  lO*'  rég.; 

M.  le  capit.  Hesse,  à  la  il*  comp.  du  2^  tonkinois; 

M.  le  capit.  Pauvrehomme,  à  la  2«  comp.  du  9»  rég.; 

M.  le  lient.  Caillette  est  nommé  comptable  du  bat.  de  tiraill.  chinois  ; 

M.  le  lient.  Ruaux,  à  la  2«  comp.  de  !«<'  tonkinois; 

M.  le  lient.  Simonet  (A.),  à  l'état-major  part,  comme  officier  de  renseig.  «lu 
2*  territ.  milit.  ; 

M.  le  tient.  Legras,  à  la  6*  comp.  du  10»  rég.  ; 

M.  le  lient.  Weissemburg,  à  la  i""®  comp.  du  IS**  rég.; 

M.  le  lient.  Péri  est  nommé  lieutenant  trésorier  au  l*»*  tonkinois. 

Ont  été  désignés  pour  servir  au  Tonkin  : 

M.  le  chef  de  bat.  Seal;  MM.  les  capit.  Cadet,  Forestier  et  Rouvin;  MM,  icâ 
lient.  Marty  (A.-J.),  Bonaccorsi  et  Ringue  ;  MM.  les  sous-lieut.  Tirveillot  et  Des?,*^- 
mond. 

Pour  servir  au  18«  rég.  : 

MM.  les  cnpit.  Doudoux  et  Lionnet. 

Pour  servir  au  o«  tonkinois  : 

MM.  les  capit  Manet,  Fautrat,  Lapoable  et  M.  le  lient,  Langlois. 

Madagascar.  —  M.  le  chef  de  bat.  Imhaus  est  design,  pour  servir  au  2«  m  il- 
gâches. 

M.  le  capit.  de  Rostang  est  désig.  pour  la  14«  comp.  et  M.  le  capit.  Vialatte  pour 
la  15'  comp.  du  3*^  sénégalais. 

Ont  été  désignés  pour  servir  à  Madagascar  : 

M.  le  chef  de  bat.  Buat,  M.  le  capit.  Gautheret;  MM.  les  lient.  Elegœt,  Mahé  eL 
MM.  les  sous-lieut.  Leroy  (L.-H.)  et  Forgeron. 

Sont  affectés  : 

M.  le  chef  de  bat.  Feldmann,  au  2®  malgaches  ; 

M.  le  lient.  Pichon,  à  la  3«  comp.  du  3*  sénégalais  ; 

M.  le  lient.  Boennec,  à  la  9*  comp.  du  2«  malgaches  ; 

M.  le  sotis- lient.  Noël,  à  la  5*  comp.  du  15*  rég.; 

M.  le  lient.  Bloin,  à  la  3*  comp.  du  l^'  malgaches  ; 

M.  le  lient.  Bornand,  au  l«r  malgaches,  comme  officier  d'habill.  et  d'arm. 

M.  le  lient,  Suzzoni  à  la  16«  comp.  du  3«  sénégalais. 

M.  le  lient.  Gressard  est  nommé  officier  d'habill.  au  3^'  sénégalais. 

Martinique.  —  M.  le  lient.  Dehaye  est  nommé  lieut.  comptable  au  bat.  de  la 
Martinique. 

M.  le  lieut.  Miallier  est  affecté  à  la  3*  comp.  du  bat.  de  la  Martinique, 

ARTILLERIE 

Goohinohine.  —  Sont  désignés  pour  servir  en  Cochinchine  : 

MM.  le  chef  d'escad.  Bernard,  les  capit.  Lambert,  Taupiac  et  Charlier. 

Tonkin.  —  Sont  désignés  pour  servir  au  Tonkin  :  MM.  les  capit.  Le  Divellec  lI 
Bizard. 

Officiers  d'administration. 

Afrique  Oooidentale.  —  MM.  Gay,  offic.  d'admin.  de  1"  cl.,  Mathieu  et 
Dracon,  offic.  d'admin,  de  2«  cl.,  sont  désig.  pour  servir  au  Sénégal. 

Madagascar.  —  M.*Lignon,  oflic,  d'admin,  de  2«  cl.,  est  désig.  pour  venir  4i 
Madagascar. 

Tonkin.  —  M.  Charbonnier,  offic.  d'admin.  de  l'«  cl.,  est  désig.  pour  sefvir  uu 
Tonkin. 


734  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   £T  COLONIALES 

SERVICE   DK   SANTE 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  méd.ppal  de  {'•  cl.  Rangé  est  nommé  direc- 
teur du  service  de  santé  de  l'A.  O.  Fi  ; 

M.  le  m^d.-nwj.  de  {'"cl.  Lajet  est  affecté  à  l'hôpit.  colonial  de  Dakar; 

M.  le  tnéd.  aide-maj,  de  i^  cL  Ribot  est  affecté  à  la  direction  du  service  de  santé 
de  Saint-Louis; 

M.  le  pharm.-maj.  de  2'  cl.  Guîlloteau  est  placé  à  l'hôpital  colonial  de  Saint- 
Louis. 

Congo.  -—  M.  le  méd.  aide-maj.  de  !'•  el.  Kérandel  est  désîg.  pour  servir  au 
Congo ; 

M.  le  méd,  aide-maj.  de\^  cl.  Doomenjou  est  désig.  pour  servir  au  Cbari. 

Ooéanie.  —  M.  le  méd.  aide-maj.  de  1"  cl.  VioUe  est  désig.  pour  s^vir  à 
Tahiti. 

MINISTÈRE  DE  LA  HAR1.\E 

ÉTAT-MAJOK  DE  LA    FLOTTE 

Extrême-Orient.  —  M.  le  UeuL  de  vaiss.  Matha  est  désig.  pour  embarq.  sur 
le  Bugeaud; 

M.  le  mécanic.  ppal  de  2*  cl.  Simonneau  est  désig.  pour  embarq.  sur  le  Château- 
renaulL 

Levant.  —  M.  Venseig,  de  uaise,  Beaugé  est  désig.  poar  embarq.  sur  le  Vau- 
tour. 

CORPS  DU  COMMISSARIAT 

Sztrôme-Orient.  —  M.  le  commiss.  de  2*  cl.  Le  Hir  est  désig.  pour  embarq. 
sur  le  Bugeaud. 

Océan  Indien.  »  M.  le  commiss.  de  2«  cl.  Huau  est  désig.  pour  embarq.  sur 
la  Nièvre. 

SERVICE  DE  SANTÉ 

Extrême-Orient.  —  M.  le  méd.  en  chef  de  l'*  cl.  Abelin  est  désig.  pour 
embarq.  sur  le  làonlcalm^  comme  médecin  de  l'escadre. 

HL^ISTÈRE  DES  C0LO3IIES 

M.  Decazes  (E.-L.-F.),  administr.  en  chef  de  i^^  cl.  des  colonies,  est  délégué 
dans  les  fonct.  de  secret,  génér.  du  gouvem.  du  Dahomey.  —  M.  Martin  (J.),  ad- 
ministr. en  chef  de  l'^  cl.  des  colonies,  est  délégué  dans  les  fonct.  de  secret,  génér. 
du  gouvern.  de  la  Côte  d'Ivoire.  —  M.  Richard  (J.-L  ),  secret,  général  de  «•  cl.  des 
colonies,  est  nommé  secret,  général  du  gouvern.  de  la  Martinique.  —  M.  Angoul- 
oan^  (G.),  secret,  général  de  l'o  cl.  des  colonies,  est  nommé  secret,  général  du 
gouvern.  de  la  Guadeloupe.  —  M.  Noufflard  (C.-H.-A.),  secret,  général  de  2*  cl. 
des  colonies,  est  nommé  secret,  général  du  gouvern.  du  Congo.  —  M.  L^jeune 
(H.-A.-J.},  administr.-adjoint  de  2*  cl.  des  colonies,  est  inscrit  d'office  à  la  suite  du 
tableau  d'avanc.  de  Tannée  1903,  pour  l'emploi  d'administr.-adjoint  de  i^*  cl. 
.  A  Toccasion  de  Texposition  d'Hanoi  ont  été  promus  ou  nommés  dans  l'ordre  na- 
tional de  la  Légion  d'honneur  : 

Au  grade  de  commandeur. 

MM.  Rodin  (F.-A.-R.),  sculpteur;  membre  du  jury  des  Beaux-Arts  à  l'exposit.  de 
Hanoi.  —  Marx  (R.),  inspect.  général  des  musées  des  départ. 

Au  grade  dofficier. 

MM.  Bigard-Fabre  (Ed.-A.-E.),  chef  de  bureau  au  minist.  de  Tlnstr.  publique. 
*—  Martin  (H.^J.  G),  peintre;  membre  du  jury  des  Beaux-Arts  à  l'exposit.  de 
Hanoi.  —  Poinlelin  (A.-E.),  peintre,  exposant.  —  Quost  (Ernest),  peintre;  membre 
du  jurj  des  Beaux-Arts  à  l'exposit.  de  Hanoi.  —  Desmoulin  (Fernand),  graveur.  — 
Bellan  fD.-L.),  fabricant  de  tulles  perlés  et  de  broderies.  —  Dapuis  (J  -B.-L.}, 
maître  de  forges.  —  Domange  (L.-H.-J.-A.),  manufacturier.  —  Dubouloz  (J.-A.j, 
industriel.  —  Pinard  (M.-L.-D.-A.),  maître  de  forges.  —  Kahn  (Paul),  fabricant  de 
vêtements  en  srros  pour  garçonnets.  —  Violet  (Lambert),  négociant.  —  Poupinel 
(E.-P.),  négociant  en  bois  de  sciage.  —  Niclausse  (E.>P.  J.),  industriel.  —  Mildé 
(C.-F.-G.-A.-M  ),  fabricant  d'appareils  électriques  et  d'automobiles.  —  Thinet 
(J.-M.-J.-F.),  fabricant  de  coutellerie  —  Darracq  (P.-A.),  industriel.  —  Jourdan 
(A.-D.J,  libraire-éditeur.  —  Schweizer  (Alfred),  commissionnaire  en  marchandises. 
—  Cognatq  (Th.-E.),  uégtjciauc.  —  Getten  (M.-M.-A.),  ingénieur  en  chef  des  pont» 


NOMINATIONS   OFFICIELLES  735 

et  chaussées,  direct,  général  de  la  comp.  fraoç.  des  ch.  de  fer  de  rindo-Chiue  et  du 
Yunnao.  —  Brou  (P.-ïl.-N.),  direct,  général  adj.  des  postes  et  des  lélégr.  en  Annam 
cl  au  Tonkin.  —  Baille  (V.-L.-Ch.-F  ),  inspect.  des  services  civils  de  ï'Indo-Chine; 
maire  de  la  ville  de  Hanoi.  —  Capus  (Guillaume},  direct,  de  l'agric.  et  du  comm. 
en  Indo-Chine.  —  Hardouin  (Charles),  chef  de  cabinet  du  gouvern.  général  de 
rindo-Chine. 

Au  grade  de  chevalier. 

MM.  Duvent  (C..-J.-V.),  artiste-peintre.  —  Rousseau  (J.-J.),  artiste-peintre.  — 
Allègre  (R.-L.),  artiste-peintre.  —  Fourié  (A  -A.),  artiste-peintre.  —  Lfbourg 
(A.-M.),  artiste-peintre.  —  Redon  (OJilon),  peintre  et  graveur.  —  Moncel  (A.-E.), 
sculpteur.  —  Carabin  (F.-R.),  sculpteur  et  décorateur.  —  Laporle  dit  Laporle- 
Blairsy  (L.-M.-V.),  sculpteur  et  décorateur.  —  Foumereau  dit  Fournereau-Yon 
(L.-L.-M.),  architecte,  iospect.  de  Tenseign.  du  dessin  et  des  musées.  —  Fonteneau 
(J.-E.-A.),  sous-chef  de  bureau  au  ministère  des  Colonie*.  —  Baignol  (M.-F.-A.), 
industriel.  —  Bergougnan  (C.-R.),  industriel.  —  Baudry  (H.-A.),  manufacturier.  — 
Eydoux  (J.-F.),  industriel.  —  Chameroy  (E.-A.),  industriel.  —  Butin  (F.-O.), 
induj»triel.  —  Jacguot  (E.-C.-A.),  luthier. 

Freund  Deschamps  (Charles),  industriel.  —  Mantoux  (J.-G.),  éditeur.  —  Simon 
(Paul),  négociant.  —  Bayle  (C.-F.),  industriel.  —  Roy  (H.-L.j,  imlustriel.  —  Blin 
(Jules),  industriel.  —  Bord  (A.-G.  dit  Anloain),  fabricant  de  planus.  —  Bloche 
(A.-D  ),  industriel.  —  Picard  (Alcide),  imprimeur-libraire-éditeur.  —  Dronelle 
(E.-F.).  négociant.  —  Curlier  (F.-J.),  négociant  en  vins  et  eaux-de-vie.  —  Nilol 
(Edouard),  industriel.  —  Chastenet  (H.-L),  n^gociaut  exportateur.  —  Storck 
(A.-A.),  imprimeur-éditeur. —  Cornélius  (Edouard),  négociant.  —  Mercier  (E.-P.), 
doreur  et  relieur  artistique.  —  Vert  (Baptiste),  distillateur.  —  Porcabœuf{A.-L.)^ 
imprimeur  d'art  en  taille-douce.  — Batidotn( A. -P.-A.),  joaillier. —  Afo//«  (A.-M.-J.), 
industriel.  —  Haas  (Edmond),  industriel. 

Gagneur  (A.-F.),  négociant.  —  Nony  (L.-A),  éditeur.  —  DesbUf  (M.-M.-E.), 
industriel.  —  Paz  (E.-D.),  constructeur  électricien.  —  VuHlaume  (F.-E.),  ingé- 
nieur constructeur.  —  AUézin  (E.-L.-E.),  armateur.  —  Rolival  (J.-E.),  préMd.  du 
conseil  d'admin.  et  direct,  tech.  de  la  comp.  des  wagons-réservoirs.  —  Bureau 
(C.-B.-G  ),  ingénieur.  —  Pirou  (E.-L.),  photographe.  —  Campagne  (Henri),  cour- 
tier de  marchandi'^es  assermenté  au  trib.  de  comm.  de  la  Seine.  —  Ban*auU  (P.-E.), 
négociant.  —  Ae  Gouey  (J.-E.),  industriel.  —  Robin  (M.-L.-M.),  industriel  chimiste. 

—  BiaiS'Misseron  (J.-A.),  industriel.  —  Havy  (A  -L.-G.),  négociant.  —  Dorvauli 
(F.-D.-M.),  chimiste  agronome.  — More/ (J.-T.),  industriel.  —  Cauvin  (L.-P.-A.-L.), 
industriel,  administr.  de  la  maison  Cauvin-Yvose. 

Schwob  (Georges),  industriel,  trésorier  du  syndicat  profess.  1'  «  Union  des 
tramways  de  France  ».  —  Conza  (M.-A.),  négociant  exportateur.  —  Vibaux  (A.-J.), 
industriel,  filateur  de  coton  et  de  laine,  à  Roubaix.  —  Fontaine  (A.-R.),  industriel. 

—  Lecœur  (J.-J.-B.),  négociant.  —  Massol  (Pierre),  direct  de  la  Société  nouvelle 
des  caves  de  Roquefort  (Avejron).  — Auricoste  (Noël),  direct,  de  1*0 ffice  national. 

—  Cuniac  (E.-F.-J.-B.),  maire  de  Saigon.  —  Denis  (Alphonse),  chef  de  la  maison 
Denis  frères  de  Bordeaux.  —  Godard  (Sébastien),  négociant  à  Hanoi.  —  De  Lar- 
minai  (Louis),  ingén.  en  chef  de  2"  cl.  des  ponts  et  chaussées.  —  Dupuy  (O.-F.-B.), 
ingénieur  civil.  —  Ajalbert  (Jean),  publiciste,  homme  de  lettres.  —  Chérouurier 
(G.-A.),  sous-chef  de  bureau  de  2«  cl.  au  minist.  des  Col.,  adjoint  au  directeur  de 
l'Office  colonial. 

Berthelot  (P.-J.-L.),  secrétaire  d'amb.  de  2«  cl.,  chargé  de  mission  en  Indo- 
Chine.  —  Finot  (Louis),  directeur  de  l'école  française  d'Extrême-Orient.  —  Ducamp 
(G.-R  ),  inspect.  des  eaux  et  forêts,  chef  du  service  forestier  en  Indo-Chine.  — 
Mettetal  (Frédéric),  avocat  défenseur,  premier  adjoint  au  maire  de  Hanoi.  —  Leca- 
cheux  (Louis),  vice-président  de  la  Chambre  d'agriculture  du  Tonkin.  —  Schneider 
(F.-H.),  imprimeur-éditeur  au  Tonkin.  —  Saint- Port-Mortier  (M.-X.  J.),  ingénieur 
civil,  a  dirigé  tous  les  travaux  de  constr.  et  de  montage  du  pont  de  Hanoi.  —  Bei*- 
Ihelot  (J.-P.)»  publiciste,  délégué  du  journal  la  Petite  Gironde  à  l'exposition  de 
Hanoi.  —  Engel  (EugèneJL,  industriel.  —  Ruffier,  peintre  orientaliste,  à  Saïgon.  — 
Bussy  (A.-L.),  inspect.  de  3*  cl.  des  bâtiments  civils. 

Larue  (V.-B.),  industriel  à  Saïgon.  —  Viterbo  (J.-V.),  industriel,  entrepreneur  de 
travaux  publics,  à  Hanoi.  —  D'Abbadie  (Jules),  directeur  des  messageries  fluviales 
de  l'Indo-Chine.  —  Vandelet  (O.-A.),  présid.  de  la  Chambre  mixte  d'agric.  et  du 


k 


^^^  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

commerce  du  Cambodge.  —  Joliboiê  (P.-A.),  conducteur  des  ponte  et  cliau8aée8.  — 
Ogliastre  (Antoine),  négociant  à  Saigon.  —  Guillaume,  entrepreneur  à  Hanoi, 
ancien  présid.  de  la  Ch.  de  comm.  de  Saigon.  —  Dauphinot  (Georges),  attaché 
commercial  à  la  légation  de  Bangkok.  —  Schnéegans  (E.-J.),  présid.  de  la  Cb.  de 
commerce  de  Saigon.  -—  Bourgoin-Meiffre,  filateur  et  tisseur.  —  Leroux  (A.-J.), 
industriel-agriculteur  à  la  Réunion.  —  Manard^  entrepreneur  de  travaux  publics  à 
Hanoï.  —  Claude  (L.-J.),  imprimeur-éditeur  en  Cochinchine. 

Sont  également  promus  ou  nommés  dans  la  Légion  d'honneur  pour  services  ex- 
ceptionnels rendus  à  l'occasion  des  catastrophes  de  la  Martinique  : 

Au  grade  d'officier, 

MM.  Lemaire  (J.-B.-P.),  gouvern.  de  2*  cl.  des  colonies,  gouvcrn.  de  la  Marti- 
nique: —  Bouvier  (J.-H.-J.-A.),  méd.  de  !'•  cl.  de  la  marine  en  retr.,  méd.  du  senr. 
local  à  la  Martinique.  —  Dain  (V.-C.-Ë.),  colonel  d'infanterie  coloniale.  —  Joulii 
(Alphonse),  capitaine  de  frégate.  —  Herbay  (L.-E.),  chef  d'escadron  de  gendar- 
merie. —  Lidin  (L.-A.-G.),  méd.  ppal  de  2*  cl.  des  tr.  coloniales,  direct,  du  ser- 
vice de  santé  de  la  Martinique. 

Au  grade  de  chevalier. 

MM.  Lacroix  (F.-A.-A.),  profess.  au  Muséum  d'histoire  naturelle.  —  Sévère 
(Victor),  maire  de  Fort-de-France.  —  Grelet  (Félix),  maire  de  là  commune  du  Prê- 
cheur. —  De  Montaigne  (P.-E.),  conduct.  de  3*  cl.  des  ponts  et  chaussées  à  la  Mar- 
tinique. —  Mathieu  (J.-A.-P.),  médecin  en  second  de  l'hôpital  civil  de  Fort-de- 
Prance.  —  Evanno  (J.-L.-V.),  capitaine  d'artillerie  coloniale.  —  Renaud  (C.-X.-J.), 
lieutenant  de  l'*  cl.  à  la  comp.  de  gendarm  de  la  Martinique.  —  Roussel  (A.-A.), 
lieutenant  d  iofanterie  coloniale.  —  Damian  (L.-J.-M.),  méd.-major  de  2*  cl.  des  tr. 
coloniales  k  la  Martinique.  —  L'Herminier  (P.-L.-J.-F.),  méd.-major  de  2*  cl.  des 
tr.  coloniales. 

Est  promu  au  grade  d'officier  de  la  Légion  d'honneur  : 

M.  Assaud  (S.-G.-E.),  procur.  général,  chef  du  service  judiciaire  en  Indo- Chine. 


BIBLIOGRAPHIE  —  LIVRES  ET  REVUES 


Bn  Danemark,  par  M.  Charles  Berchon,  membre  de  la  Société  de 
Géographie.  —  Un  volume  in-16,  illustré  de  52  gravures.  Hachette  et 
C»«,  Paris,  1903. 
L*aimable  peuple  que  ce  peuple  danois!  Ardent,  généreux,  patriote, 

hospitalier  en  même  temps,  ouvert  à  tous  les  progrès,  à  la  fois  vertueux 

et  prospère,  idéaliste  et  industrieux  :  telle  est  du  moins  Tidée  que  nous  en 

donne  M.  Berchon  dans  son  vivant  récit,  et  l'on  sent  que  le  portrait  est 

exact  et  sincère.  

LES  REVUES 
REVUES  FRANÇAISES 

Annales  des  selenees  politl^nes  (mat).  R.  Waultrin  :  Le  rapprochement 
dano-allemand  et  la  question  du  Schleswig.  —  Stéphane  Piot  :  Deux  années 
d'agitations  sgraires  en  Italie  (1901-1902).  — A.  Poisson  :  La  politique  douanière 
de  l'empire  allemand.  Le  prince  de  Bismarck,  etc. 

Armée  el  Hartne  (17  mai).  Le  roi  d'Angleterre  en  France.  ~~  L'escadre  de  la 
Méditerranée  sur  la  côte  d'Afrique.  —  M.  C.  :  L'immigration  étrangère  à  Mada- 
gascar. —  (24  mai).  L.  db  Saint-Fégor  :  Les  loisirs  du  soldat.  ^  Gab  :  Les  colo- 
nies et  les  dépenses  navales  anglaises  :  L'Australie  et  le  Canada.  -^  Marine  de 
guerre  de  l'Australie. 

Bnlletin  dn  Comité  de  l'Afriqoe  ffk«nçalse  (mai).  La  démission  du  gouver- 
neur général  de  l'Algérie.  Nomination  de  M.  Jonnart.  —  Les  Cheurfa  d'Ouezzan. 
—  La  situation  dans  r£xtréme-Sud  algérien.  —  La  navigation  commerciale  du 
Niger. 

L'Administrateur-Oérant  :  P>  Campadi. 

PARIS.  —  IMPRIMBRIB  F.   LBVB,  RUE  CASSSTTB,  17. 


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vient,  dans  ce  but,  do  passer  un  important  traité  avec  une  des  plus  fortes 
maisons  de  Paris,  aQn  de  pouvoir  oflfrir,  à  un  prix  défiant  toute  concur- 
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amerciale,  industrielle  et  financière  des  'Questions  Diplomatiques  et  ColoniaU^ 


PARIS.   —   IMPRIMERIE   P.    LEVE     RUE    CASSBTTF,     47 


7«»  IHUÉE  F  152  15  Juin  1903 


QUESTIONS, 


Diplomatiques  et  Coloniales 

REVUE  DE  POLITIQUE  EXTÉRIEURE 

PARAISSANT  LE  !•'  ET  LE  16  DE  CHAQUE  MOIS. 


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i   J  UL  7  •-'''13 

Eug.  Etienne Notre  politique  africaine.  — .  Algérie  et  Maroc 737 

Député  d'Oran. 

C'*'  Ch.  de  Moûy La  Macédoine,  la  Grèce  et  l'intérêt  français 754 

Ambassadeur  do  France. 

Henri  Froidevaux Les  derniers  travaux  de  l'Institut  Colonial  interna- 
Agrégé  d'histoire  et  de  géogra-        finnal  7^0 
phie,  dScteur-ès-lettrea.                          llOnai 'OJ 

Aspe-Fleurimont Les  employés  coloniaux  de  nos  possessions  d'Afrique.  771 

Coaseiller  du  commerce  extérieur.  / 

J.-H.  Franklin Les  Affaires  d'Algérie.  —  Les  incidents  de  Figuig —  784 

GHROrVIQUES   DE  I^A.   QUIIVZilLlIVE 

Renseignements  politiques 799 

Renseignements  économiques 807 

Nominations  officielles 810 

Bibliographie  —  Livres  et  Revues 811 

Table  des  Matières  du  Tome  XV  (1^'  semestre  1903, 814 

I.  —  Tribus  de  la  frontière  Sud-Ouest  algérienne 740-741 

II.  —  L'Ouest-Africain  français 748-749 

III.  —  Environs  de  Figuig 787 

IV.  —  Confins  du  ^Sud-Ouest  algérien 792-793 


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de  p7us  que  da"t  les  Diction»  C 

n?  un  élècant  cartonnase  toite  :  U 


HISTOIRE».  GUERRE  J870-71 


MT 


II.  Paul  et  Victor  MARGUERITTE 


Illustrée  de  52  Portraits «t  24  Plans  0 
de  bataille.  —  Récit  aassi  euct  J 
qu'émouTant  des  éTénemeots  de  N 
Tannée  teirilile.  ( 

PRIX:  Proche 2' ;Cîno',r,! 2^50 ) 


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(plu  forte  en  Alcool  et  moins  sacrés). 

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G 


^    NÉVRALGIES 

CnLDnlIlll  les  Névralgies  faciales,  in- 
tercostales, rhamatismales,  aoiatiqiiea,It 
Vertiçre  stomacal  et  sortont  contre  les  CoUiiaM 
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QUESTIONS 
DIPLOMATIOUES  ET  COLONIALES 


NOTRE  POLITIQUE  AFRICAINE 


ALQArIE  et  MAROC 

■     -         I  >  I  I        ry 


\'l"  »•  . 


Les  événements,  dont  le  Sud-Oranais  vient  d'être  tout  récem- 
ment le  théâtre,  sont  présents  à  toutes  les  mémoires,  et  l'émo- 
tion qu'ils  ont  excitée,  quand  on  la  dégage  des  questions  de 
personnes,  paraît  due  principalement  au  manque  de  notions 
précises  sur  l'origine  de  l'état  de  choses  actuel  et  sur  ses  périls, 
aussi  bien  que  sur  la  diversité  des  vues  touchant  la  meilleure 
manière  d'y  porter  remède,  sans  risquer  de  compromettre  notre 
prépondérance  légitime  dans  l'Afrique  du  Nord-Ouest,  sans 
risquer  non  plus  de  nous  lancer  de  nouveau  dans  d'inutiles  et 
onéreuses  dépenses  militaires. 

On  veut  savoir  d'où  Ton  vient  et  où  Ton  va. 

Il  me  semble,  quant  à  moi,  que  le  moment  est  venu  de 
donner  de  définitifs  éclaircissements  sur  le  vrai  caractère  de 
notre  politique  africaine  et  de  ses  moyens  d'action.  C'est  cer- 
tainement la  meilleure  manière  d'éviter  le  retour  des  fautes 
commises,  et  de  refaire  l'accord  des  esprits  sur  une  question 
qui  touche  de  si  près  aux  intérêts  vitaux  de  la  France  et  de 
l'Algérie. 

Certes,  le  plus  souvent,  il  n'est  guère  avantageux  de  pro- 
duire dans  un  débat  public  les  motifs  particuliers  d'une  poli- 
tique d'ensemble;  il  est  cependant  nécessaire  que  le  Parlement 
et  l'opinion  publique  soient  tenus  au  courant  des  questions 
générales  dans  lesquelles  la  politique  du  pays  se  trouve 
engagée. 

Relativement  au  Sud  algérien,  cet  exposé  de  notre  politique 
est  rendu  aujourd'hui  plus  nécessaire  que  jamais  par  les  inci- 
dents qui  viennent  de  se  produire;  mais  je  me  hâte  d'ajouter 
qu'il  paraît  sans  péril,  car  il  n'est  pas  au  monde  de  politique 

QuEST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv,  —  «•  152.  —  16  juin  1903.  47 


"738  OUKSÏlONS  DtPLOlUTlQUES  BT  COLONIALES 

plus  franche,  plus  loyale,  plus  prudente  et  plus  respectueuse 
des  droits  d'autrui  et  des  traités,  que  la  politique  poursuivie 
par  la  France  et  par  F  Algérie  dans  le  Nord-Ouest  africain. 

Souvent  j'ai  regretté  que  le  gouvernement  n'en  fît  pas 
connaître  les  vues  générales  et  l'idée  directrice,  aussi  vais-je 
aujourd'hui  essayer  d'en  esquisser  les  traits  principaux,  tels 
qu'ils  me  sont  apparus  ;  il  sera  facile  à  chacun  d'en  déduire  et 
les  devoirs  de  notre  politique  actuelle,  et  la  meilleure  manière 
de  la  faire  aboutir,  sans  risques  nouveaux  et  sans  dépenses 
nouvelles. 

Cette  politique,  on  me  permettra  de  la  considérer  dans  son 
ensemble,  à  l'occasion  des  récents  incidents  de  Figuig,  mais  en 
prenant  le  recul  nécessaire  pour  en  bien  marquer  les  lignes 
générales;  je  rechercherai  donc  sommairement  quelle  a  été  au 
cours  de  ces  dernières  années  notre  politique  africaine  :  au 
Sahara,  sur  les  Confins  marocains,  et  au  Maroc  même. 


AU    SAHARA 

Et  d'abord,  devions-nous  avoir  une  politique  saharienne? 

Beaucoup  de  bons  esprits  n'ont  pas  craint  de  poser  cette  ques- 
tion; ils  se  sont  demandé  si,  pour  éviter  de  perdre  notre  temps 
et  de  consacrer  des  dépenses  excessives  à  Toccupation  de  terri- 
toires peu  rémunérateurs,  il  ne  convenait  pas  de  renoncer  à 
toute  politique  saharienne  ;  s'il  ne  valait  pas  mieux  réserver 
toute  notre  activité  politique  et  toutes  nos  forces  pour  les  ques- 
tions marocaines,  qui  sont  vitales  pour  la  France  et  l'Algérie, 
au  point  que  si  elles  devaient  être  résolues  contre  nous,  elles 
compromettraient  notre  situation  dans  l'Afrique  du  Nord. 

Us  ajoutaient  que  nous  risquions  de  lâcher  la  proie  pour 
l'ombre,  et  surtout,  par  une  action  maladroite,  d'engager  malgré 
nous  la  question  marocaine  à  une  heure  défavorable  pour  nos 
intérêts. 

D'autres  bons  esprits  également  pensaient,  au  contraire,  que  la 
sécurité  du  Sahara  algérien,  la  nécessité  de  marquer  nettement 
l'unité  de  notre  empire  africain — dont  la  grandeur  même  indique 
de  la  façon  la  plus  nette  quelle  place  prépondérante  la  France 
compte  prendre  dans  l'Afrique  de  l'Ouest  —  et  par-dessus  tout, 
l'inconvénient  qui  résulterait  de  sa  prise  de  possession  par 
d'autres,  étaient  autant  de  raisons  qui  ne  permettaient  pas  de 
différer  une  extension  que  l'on  pouvait  faire  si  facilement,  sans 
dépenses  et  sans  risques. 

Ils  ajoutaient  que  cette  politique,  bien  conduite,  ne  pouvait 


NOTRE  POLITIQUE   AFRICAINE  739 

créer  aucune  difficulté  avec  le  Maroc,  et  que  la  mesure  même 
de  notre  action  dans  ces  régions  marquerait  bien  plus  nette- 
ment notre  modération  qu'une  inaction  dangereuse,  nous  lais- 
sant à  la  merci  d'incidents  que  l'on  pourrait  mal  interpréter. 

Ils  ajoutaient  enfin  que  les  entreprises  incessantes  du  gou- 
vernement chérifien,  qui,  à  l'instigation  de  Tétranger,  nous 
invitait  sans  cesse  à  évacuer  nos  postes,  nous  obligeaieul  h 
agir,  en  guise  de  riposte,  et  que  cette  riposte  était  nécesj^al- 
rement  une  action  saharienne. 

Or,  cette  question  a  été  tranchée  depuis  longtemps  par  le  f^ou- 
vernement,qui,  par  une  série  d'actes  successifs,  a  engagé  flepuis 
1890  une  politique  saharienne  tendant  à  l'unification  de  iiolro 
domaine  national  en  Afrique. 

Une  observation  attentive  permet  même  de  dégager  facilt*Di(^nt 
la  méthode  suivie,  dont  mille  incidents  quotidiens  ont  pu  mal- 
heureusement nous  faire  perdre  de  vue  l'unité. 

Le  programme  que  le  gouvernement  s'est  imposé  parait  avoir 
compris  les  points  suivants  : 

1®  Créer  politiquement  le  Sahara  français; 

2**  Le  parcourir  et  le  policer; 

3®  L'administrer  d'une  façon  adéquate  à  son  caractère  parti- 
culier, et  le  plus  économiquement  possible. 

Reprenons  ces  différents  points  : 

L'unité  politique  du  Sahara  français  ne  pouvait  évideuntient 
être  obtenue  que  si  son  caractère  de  territoire  français  tUait 
reconnu  par  les  puissances  européennes  et  par  le  Maroc* 

Dès  1891,  la  convention  Say-Barroua,  puis  la  couvent imi  dt* 
délimitation  qui  suivit  l'incident  de  Fachoda.  puis  le  truîiL*  de 
délimitation  du  Rio  de  Oro,  conclu  avec  TEspagne,  écheloniÉrrr^at 
toute  une  séri(|d*actes  politiques,  par  lesquels  le  gouverin'unnit 
de  la  métropole  fit  connaître  sa  décision  de  considérer  le  Sadara 
comme  français  et  d'unifier  notre  empire  africain. 

Le  couronnement  logique  de  cet  édifice  devait  être  tiatu- 
relloment  lacceptation  de  cette  situation  par  le  gouvemt  im^it 
chérifien,  et  son  acquiescement  s'est  manifesté  au  cour^  <h*s 
accords  intervenus  récemment  entre  la  République  française  H 
le  Maroc,  puisque  nos]  agents  ont  été  assez  heureux  pour  uhti^- 
nir  du  sultan  la  reconnaissance  définitive  de  nos  droits  sur  li^ 
Sahara,  désormais  terre  française. 

Le  premier  point  était  ainsi  acquis. 

Cette  terre  devenue  française,  la  France  se  devait  de  la  r^con- 
naître  aussitôt,  et  de  la  policer  de  telle  manière  que  les  attentais, 
caractéristiques  de  la  vie  habituelle  des  peuplades  qui  liKifpî- 
tent,  fussent  supprimés  et  remplacés  par  l'activité  commeni  a  l*\ 


742  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONULKS 

Elle  se  devait,  en  un  mot,  de  faire  concorder  son  action  gou- 
vernementale avec  ses  vues  politiques. 

Ce  programme  de  conquête  et  de  police  fut  à  Torigine  conçu  de 
deux  manières  différentes.  On  voulut  d'abord  explorer  et  recon- 
naître le  Sahara  par  une  série  de  missions  destinées  à  le.  parcourir 
en  tous  sens  et  à  marquer  du  même  coup  notre  souveraineté. 

C'est  à  ce  système  que  se  rattache  le  plan  grandiose  qui  devait 
faire  converger  sur  le  Tchad  les  missions  Foureau-Lamy, 
Gentil,  et  Voulet-Chanoine.  C'est  à  ce  système  également  que  se 
rattachait  la  mission  Flamand,  lorsqu'il  fut  prescrit  à  ce  savant 
par  le  ministre  de  l'Instruction  publique  de  reconnaître  le 
Tadmait  et  le  Mouydir,  et  par  le  ministre  des  Colonies  d'explorer 
les  routes  de  Tombouctou. 

Mais  peu  après,  on  reconnut  la  nécessité  de  modifier  cette 
manière  de  faire,  de  compléter  ces  héroïques  traversées  de 
l'Afrique,  admirables,  mais  onéreuses,  et  ne  laissant  pas  grand 
résultat  derrière  elles,  par  l'occupation  progressive  et  économi- 
que du  Sahara,  marquant  cette  occupation  par  les  étapes 
suivantes  : 

Prise  de  possession  du  Touat  ; 

Pacification  du  pays  Touareg; 

Enfin,  jonction  avec  le  Soudan. 

La  première  étape  fut  faite  dans  des  conditions  que  chacun 
sait.  Je  reviendrai  naturellement  tout  à  l'heure  sur  les  fautes 
qui  ont  marqué  l'occupation  des  Oasis  et  la  prise  de  possession 
du  Touat,  quand  j'examinerai  le  mode  nécessaire  de  notre 
action  dans  ces  régions. 

La  deuxième  étape,  la  pacification  du  pays  Touareg,  a  été 
parcourue  d'une  façon  admirable  sous  le  gouvernement  de 
M.  Revoil  ;  et  l'on  ne  saurait  trop  louer  les  efforts  du  comman- 
dant Laperrine,  des  lieutenants  Cottenest  et  Guilho-Lohan, 
qui,  sans  coûter  un  sou,  presque  sans  coup  férir,  ont  résolu  la 
question  Touareg,  vengé  les  missions  Flatters  et  Mores 
dont  ils  recueillirent  les  épaves,  étendant  ainsi  notre  domi- 
nation et  la  paix  française  jusqu'au  Sud  du  Hoggar,  et  même 
jusqu'aux  portes  de  Tombouctou. 

Restait  la  troisième  étape  :  elle  devait  faire  la  jonction  avec 
le  Soudan,  chose  facile,  de  pure  forme  pour  ainsi  dire,  grâce 
aux  mesures  précédentes,  et  sans  risques  d'aucune  sorte:  ni 
financiers,  ni  politiques,  ni  militaires.  Cette  jonction  fut 
décidée  d'abord  par  le  gouvernement  de  l'Afrique  Occidentale 
qui  engagea  les  dépenses  nécessaires,  mit  en  mouvement  des 
troupes,  mais  la  vit  arrêtée  par  le  gouvernement.  Elle  fut  de 
pouveau  engagée  par  l'Algérie,  presque  sans  dépenses  cette 


NOTRE  POUTIQUE  AFRICAINE  743 

fois,  d'après  le  type  précédemment  appliqué  pour  la  pacification 
des  pays  Touareg,  mais  encore  arrêtée  par  le  gouvernement 
dans  des  conditions  qui  sont  présentes  à  toutes  les  mémoires. 

Sans  ces  arrêts,  aussi  onéreux  que  Texécution  même,  et  sans 
les  erreurs  qui  ont  marqué  l'occupation  du  Touat,  le  programme 
dont  je  parlais  tout  h  Theure  eût  réalisé  l'occupation  ration- 
nelle et  économique  du  Sahara,  presque  sans  coup  férir,  sans 
dépenses  spéciales,  et  en  moins  de  trois  ans,  par  les  troi^ 
étapes  que  j'ai  indiquées  plus  haut. 

A  ces  vastes  territoires,  que  l'Europe  et  le  Maroc  nous 
reconnaissaient  et  que  nous  occupions  successivement,  il  fal- 
lait nécessairement  une  administration  nouvelle  et  écono- 
mique, les  délivrant  des  réglementations  ou  entraves  métropo- 
litaines, et  correspondant  aux  ressources  médiocres  du  sol. 
Cette  initiative  salutaire  fut  prise  par  le  Parlement,  lorsqu'il 
invita  le  gouvernement  à  déposer,  et  qu'il  vota  lui-môme 
dernièrement  la  loi  qui  jette  les  bases  d'une  administration 
appropriée  et  distincte  des  territoireis  qui  nous  intéressent. 

Il  parait  bien  qu'il  ne  pouvait  guère  être  fait  œuvre  d'un 
caractère  plus  méthodique,  plus  avisé  ni  plus  grandiose. 

Je  reviendrai  tout  à  l'heure  sur  les  erreurs  qui  ont  été  com- 
mises dans  l'application.  Mais  il  est  seulement  équitable  de  se 
rendre  compte,  que  si  elle  n'avait  pas  été  contrariée  par  des 
circonstances  regrettables,  une  politique  saharienne  aussi  pru- 
dente, aussi  méthodique  et  aussi  réservée  ne  pouvait  que 
nous  procurer  des  avantages  nombreux,  sans  inconvénients 
d'aucune  sorte. 


SUR   LES    CONFINS   MAROCAINS 

Notre  politique  quant  à  notre  frontière  marocaine  offre  un 
caractère  remarquable  :  elle  fournit  le  rare  exemple  d'une  fron- 
tière commune  entre  un  puissant  Etat  européen  et  un  faible 
Etat  musulman,  restée  telle  que  le  premier  jour,  après 
soixante  ans  de  voisinage. 

Certes,  aux  écrivains  étrangers  qui  nient  la  modération  de 
la  France  et  son  respect  séculaire  des  traités,  je  ne  connais 
pas  de  meilleure  réponse  à  faire  que  de  leur  dire  :  Regardez 
notre  frontière  marocaine;  est-il  un  seul  pays  qui,  au  bout 
d'un  pareil  temps  et  dans  de  semblables  conditions  de  voi- 
sinage, puisse  témoigner  d  un  pareil  respect  de  la  parole 
donnée  ? 


744  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET^COLOMALES 

La  situation  qui  nous  est  faite  par  ce  voisinage  remonte  au 
traité  de  1845;  elle  vient  d'être  récemment  précisée  jusqu'au 
Sahara,  de  telle  manière  que  la  mesure  apportée  à  notre  action 
soit  une  plus  haute  affirmation  de  notre  sagesse  que  l'inac- 
tion même. 

La  politique  qui  se  trouve  définie  par  ces  précisions,  ou  ac- 
cords, se  heurte  à  des  difficultés  particulières.  Le  pays  limi- 
trophe de  notre  territoire,  en  effet,  est  en  réalité  indépendant 
du  sultan  ;  et  cependant  par  nos  traités,  par  nos  cartes  et  par 
nos  traditions,  c'est  l'autorité  du  sultan  que  nous  reconnaissons 
dans  ces  contrées. 

En  présence  d'une  situation  aussi  complexe,  d'où  naissaient 
chaque  jour  des  attentats  incessants  contre  le  commerce  et  les 
personnes,  trois  politiques  étaient  possibles  : 

L'inaction  ; 

L'entente  avec  les  tribus  ; 

L'entente  avec  le  sultan. 

Quant  à  la  valeur  respective  de  ces  trois  politiques,  quant 
à  l'influence  qu'elles  ont  exercée  sur  nos  relations  avec  le 
Maghzen  et  sur  la  pacification  de  ces  régions,  il  est  facile  d'en 
juger,  car  elles  ont  été  tour  à  tour,  et  pour  ainsi  dire  successi- 
vement, suivies  depuis  la  fondation  de  la  République. 

La  guerre  de  1870,  en  effet,  était  venue  troubler  une  poli- 
tique d'entente  particulière  avec  le  Maroc,  pendant  laquelle 
nous  nous  étions  chargés  de  la  police  de  ces  régions  insoumises, 
presque  jusqu'aux  régions  administrées  directement  par  le 
sultan;  et  à  plusieurs  reprises,  le  gouvernement chérifien  avait 
manifesté  sa  satisfaction  d'un  état  de  choses  qui  maintenait 
l'ordre  sur  ses  confins,  sans  qu'il  eût  de  dépenses  à  faire  ni  de 
risques  à  courir.  Les  colonnes  des  Béni  Snassen,  de  l'Oued-Za, 
de  rOued-Guir  en  sont  la  preuve  parmi  beaucoup  d'autres. 

La  guerre  de  1870  fut  suivie  d'une  période  d'inertie, 
d'abstention,  de  reculs  successifs,  et  de  malentendus  que  la 
politique  de  ces  dernières  années  s'est  efforcée  d'effacer. 

H  est  bien  évident,  en  effet,  que  toutes  les  fois  qu'une  grande 
nation  subit  une  défaite,  cette  défaite  ne  s'arrête  point  à  la 
signature  du  traité  qui  met  fin  à  la  guerre  ;  jusqu'à  ce  qu'elle 
ait  de  nouveau  montré  sa  force  et  repris  son  rang  dans  le 
monde,  le  Vie  victis!  lui  vaut  d'autres  défaites  morales  ou 
économiques  sur  tous  les  points  du  globe. 

Il  en  fut  ainsi  en  Algérie.  Nous  fûmes  condamnés,  par  la 
prudence,  à  une  politique  de  réserve  et  d'effacement  qui  non 
seulement  ne    nous   permit  pas   d'appliquer  immédiatement 


NOTRB  POLITIQUE  APRIGAINK  145 

l'accord  particulier  qui,  dès  1870,  mettait  sous  notre  juridiction 
les  Douï-Menia  dont  il  est  question  aujourd'hui,  mais  encore 
nous  créa  la  gêne  laplus  forte,  lorsque  la  répression  de  l'insur- 
rection des  Ouled-Sidi-Cheikh  nous  conduisit  de  nouyeau  aux 
environs  de  Figuig  ou  de  TOued-Zelmou. 

Cette  politique  systématiquement  défensive  facilitait  évi- 
demment les  intrigues  étrangères  qui,  dès  lors  poussèrent  cons- 
tamment le  Maroc  à  nous  susciter  des  difficultés.  Nous  en 
vinmes  à  ce  point,  qu'en  1888  le  Maroc  obtenait  de  nous  la 
destruction  de  notre  poste  de  Djenien-bou-Resk,  et  émettait  la 
prétention  de  nous  faire  reculer  jusqu'à  l'Oued-Namous.  Le 
malentendu  qui  s'éleva  à  ce  sujet  faillit  dégénérer  en  un  con- 
flit des  plus  graves. 

La  politique  d'effacement  et  de  prudence  excessive  qui  nous 
avait  conduits  à  cette  humiliation,  à  une  insurrection,  à  des 
menaces  de  complications  extérieures,  venait  ainsi  de  se  révéler 
comme  l'une  des  plus  périlleuses. 

Il  faut  donc,  dans  ces  régions,  une  politique  vigilante,  une 
politique  de  police,  évitant  les  incidents,  mais  restant  une  poli- 
tique d'action,  cette  action,  bien  entendu,  devant  être  exercée 
avec  mesure  et  avec  sagesse.  En  raison  des  circonstances  par- 
ticulières exposées  tout  à  l'heure,  elle  peut  ou  s'appuyer  sur 
les  tribus,  ou  s'appuyer  sur  le  sultan. 

Quelle  est  de  ces  deux  lignes  de  conduite  la  meilleure  à 
suivre?  C'est  une  question  qui  pourrait  paraître  malaisée  à 
trancher,  si  l'expérience  ne  l'avait  déjà  résolue,  en  démontrant 
par  les  faits  les  avantages  particuliers  et  les  conséquences  lo- 
cales de  l'une  ou  de  l'autre  entente.  En  effet,  depuis  que  nous 
avons  renoncé  à  la  politique  d'inaction,  la  politique  d'entente 
avec  les  tribus  a  été  exclusivement  suivie  jusqu'à  la  fin  du 
gouvernement  de  M.  Laferrière  ;  et  la  politique  d'entente  avec 
le  sultan  a  été  mise  en  pratique,  exclusivement  aussi,  par  le 
gouvernement  de  M.  Revoil,  il  est  donc  facile  de  les  comparer. 

La  politique  d'entente  avec  les  tribus  nous  donna  rapidement 
des  résultats  très  précieux.  11  est  à  peine  besoin  de  rappeler 
qu'elle  nous  permit  de  pousser  notre  chemin  de  fer  jusqu'à 
Beni-Ounif  ;  c'est  grâce  à  elle,  grâce  à  l'entente  momentanée 
avec  Bou  Amama,  qui  exerce  sur  les  tribus  du  Sud-Ouest 
une  influence  considérable,  que  le  général  Bertrand,  admira- 
blement secondé  par  le  capitaine  Nocher,  put  prendre  posses- 
sion de  toute  la  Zousfana  et  d'Igli,  sans  tirer  un  coup  de  fusil, 
à  une  époque  où  le  Sud  était  singulièrement  troublé  et  où 
cette  opération  pacifique  était  un  véritable  tour  de  force. 

C'est  que  cette  politique  répond  à  la  réalité  même  des  choses 

4T 


746  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

dans  le  Sud-Oranais  ;  dès  qu'on  s'est  entendu  avec  les  tribus 
d'un  pays  où  les  tribus  sont  toutes-puissantes  et  où  raulorité  du 
sultan  est  précaire,  on  peut  par  cette  entente  faire  régner  le 
bon  ordre  et  la  sécurité  à  très  peu  de  frais  et  dans  les  meilleures 
conditions  possibles*. 

Ainsi,  nous  avons  pu  d'un  seul  coup  rétablir  toute  notre 
influence  presque  jusqu'au  point  où  elle  avait  été  portée  en 
1870;  nous  disons  presque,  puisque  nous  n'avons  pas  encore 
entièrement  replacé  sous  notre  allégeance  tous  les  Douï-Menia. 

Cette  politique  a  cependant  des  inconvénients  :  les  intrigues 
étrangères,  qui  se  sont  multipliées  depuis  quelque  temps  au 
Maroc,  et  qui  ont  tout  osé,  jusqu'à  tenter  de  lui  faire  signer  des 
engagements  menaçant  notre  situation,  cherchaient  alors  à 
profiter  de  notre  entente  avec  les  tribus  insoumises  pour  nous 
représenter  comme  hostiles  à  l'établissement  de  l'autorité  du 
sultan  dans  ces  régions,  et  pour  lui  offrira  tout  propos,  et  hors 
de  propos,  un  appui  contre  nos  prétendues  menées. 

C'est  évidemment  la  raison  pour  laquelle  M.  Revoil  —  qui, 
pendant  son  court  passage  à  Tanger,  avait  su,  d'une  situation 
mise  en  péril  et  à  relations  défiantes,  faire  une  situation  d'en- 
tente et  de  confiance  réciproque  entre  le  gouvernement  maro- 
cain et  le  gouvernement  français,  situation  qu'il  devait  bientôt 
corroborer  par  nos  conventions  de  frontière  —  crut  devoir  rem- 
placer la  politique  d'entente  particulière  avec  les  tribus  par  la 
politique  d'entente  officielle  avec  le  sultan. 

A  cette  nouvelle  politique  sont  dus  les  récents  accords  qui, 
au  moins  en  principe,  résolvent  si  heureusement  les  difficultés 
de  ce  voisinage  si  complexe. 

Mais  cette  politique,  surtout  si  elle  est  poursuivie  d'une 
façon  exclusive,  ne  peut  évidemment  réussir  qu'à  la  condition 
que  nous  aidions  le  sultan  à  ranger  les  tribus  insoumises  dans 
le  devoir;  elle  ne  peut  réussir  qu'à  la  condition  que  notre 
autorité  s'établisse  sur  les  Douï-Menia  et  les  Ouled-Djerir  qui 
sont  nos  sujets,  et  dont  nous  sommes  responsables,  tandis  que 
l'autorité  du  sultan  doit  s'établir  et  s'exercer  sur  les  Beni-Guil 
et  les  Beraber.  En  d'autres  termes,  elle  ne  peut  exister  que  si 
nous  appliquons  loyalement  les  accords  intervenus  entre  les 
parties,  et  qui  comprennent  la  poussée  de  notre  chemin  de  fer 
jusqu'à  Igli  par  Kenadsa.  C'est  à  cette  condition  d'action,  et  à 
cette  condition  seulement,  que  l'ordre  peut  régner  dans  ces 
régions.  Or,  si  le  sultan  a  fait  son  devoir  dans  la  mesure  où 
ses  moyens  le  lui  permettaient  jusqu'à  ce  jour,  il  n'apparaît 
pas  que  nous  ayons  fait  le  nôtre  ;  et  c'est  certainement  à  cette 
hésitation,  dont  j'ai  souvent  signalé  tout  le  danger,  que  nous 


^.jppppwv"^^ 


NOTRE  POLITIQUE  AFRICAINE  747 

devons  l'état  troublé  qui   risque  d'entraîner  aujourd'hui  des 
complications  si  onéreuses. 

Et  ceci  est  encore  vrai,  mais  dans  une  mesure  différente,  si 
Ton  prétend  substituer  —  comme  les  accords  conclus  par  M.  Re- 
voil  le  permettent  aujourd'hui  —  à  Tune  ou  à  l'autre  des  deux 
politiques  exclusives,  alternativement  suivies,,  une  politique 
qui  vise  à  la  fois  et  le  sultan  et  les  tribus,  et  qui  cherche 
à  maintenir  entre  ces  deux  forces  souvent  hostiles  l'entente  et 
la  paix.  C'était  la  tâche  que,  dès  la  signature  des  accords,  le 
précédent  gouverneur  demandait  à  entreprendre  .  Nul  doute 
que  M.  Jonnart  ne  s'y  consacre  avec  succès. 

Il  est  bien  entendu  que  le  mot  de  «  politique  exclusive  »,  ne 
saurait  avoir  ici  ni  le  sens  ni  la  portée  d'une  critique  à  l'adresse 
des  deux  éminents  gouverneurs  dont  j'ai  rappelé  l'action  métho- 
dique. 

Les  circonstances^  la  force  et  la  raison  des  choses  ont  toujours 
dicté  leur  politique  :  le  premier,  parce  que  la  non-coordination 
des  efforts  entre  Alger  et  Tanger,  et  surtout  l'attitude  agressive 
du  sultan  à  notre  égard,  l'y  obligeaient;  le  second,  parce  que, 
au  contraire,  les  débuts  d'une  politique  d'entente  entre  Alger  et 
Tanger,  qui  avait  permis  de  déjouer  les  intrigues  étrangères,  l'y 
poussaient  nécessairement.  Mais  les  accords  que  signa  M.  Revoil 
avaient  pour  but  de  rétablir  l'équilibre  dans  ces  régions,  et 
par  une  définition  exacte  des  devoirs  réciproques  de  chacun, 
promettaient  de  restituer  l'état  de  choses  qui  nous  avait  donné 
avec  le  Maroc  trente-cinq  ans  de  paix  et  d'entente,  jusqu'en 
1870. 

J'en  ai  dit  assez  pour  que  notre  devoir  dans  la  circonstance 
soit  très  nettement  tracé. 

Appliquer  le  plus  rapidement  possible  toutes  les  conditions 
de  l'entente  politique  et  commerciale,  qui  vient  d'être  si  heu- 
reusement conclue  sur  la  base  même  des  anciens  traités  et  qui 
les  confirme  de  nouveau,  poursuivre,  au  vu  et  au  su  du  monde 
entier,  notre  politique  d'accord  avec  le  sultan  et  de  police  vis- 
à-vis  des  tribus,  c'est  là  le  caractère  nécessaire  de  l'action  que 
nous  devons  conduire  dans  ces  régions,  c'est  là  la  base  et  la 
mesure  des  sévérités  auxquelles  les  derniers  événements  nous 
obligent. 

La  paix  sera  assurée  par  cette  politique. 

Nous  examinerons  plus  loin  comment  nous  pouvons  atteindre 
ce  but  pacifique,  sans  dépenses  excessives  et  sans  complications 
à  redouter. 


750  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 


AU    MAROC 

Le  troisième  point,  que  je  ne  puis  qu'effleurer,  évidemment, 
a  trait  à  la  politique  marocaine. 

Il  me  sera  permis  de  dire  cependant  que  l'expédition  du 
Touat,  et  surtout  Tattitude  énergique  et  vigoureuse  que  le 
gouvernement,  sur  la  demande  de  M.  Revoil,  a  su  adopter  lors 
de  TafTaire  Pouzet,ont  eu  pour  le  relèvement  de  notre  influence 
et  de  notre  crédit  au  Maroc,  et  pour  écarter  les  intrigues  diri- 
gées contre  nous  dans  ce  pays,  la  plus  heureuse  efficacité. 

L'amitié  aime  à  s'appuyer  sur  la  force  ;  et  la  force  que  nous 
avons  montrée  dans  ces  circonstances  récentes,  aussi  bien  que  la 
force  qui  doit  aujourd'hui  aider  le  sultan  à  rétablir  l'ordre  sur 
nos  confins,  est  la  meilleure  garantie  que  nous  puissions  donner 
au  gouvernement  chérifien  de  notre  amitié  et  de  notre  ferme 
volonté  de  défendre  l'intégrité  de  son  empire.  C'est  la  plus  sûre 
manière  de  maintenir  la  paix,  et  le  Maghzen  s'en  rend  parfaite- 
ment compte.  Le  Maroc  sait  très  bien  que  nous  ne  \e  protégeons 
contre  personne,  tandis  que  n'importe  quelle  puissance  \^ proté- 
gerait contre  nous. 

Les  représentants  que  le  sultan  avait  à  Alger,  ou  qu'il  a 
envoyés  lors  du  voyage  en  Algérie  du  Président  de  la  Répu- 
blique, ont  demandé  à  resserrer  encore  les  liens  d'amitié  si 
heureusement  renoués,  et  qui  deviennent  son  plus  ferme 
appui.  Sachons  répondre  à  cet  appel  et  témoigner  notre  faveur 
aux  interprètes  d'une  politique  aussi  féconde^. 

Quels  que  soient  les  troubles  qui  ensanglantent  aujourd'hui 
le  Maroc,  notre  politique  vis-à-vis  du  Maghzen  ne  peut  changer  ; 
elle  s'inspire  de  principes  supérieurs  et  des  traités,  et  non  d'in- 
trigues particulières  et  personnelles  à  tel  ou  tel  souverain. 

Il  est  à  souhaiter  que  les  événements  ultérieurs  nous  mettent 
chaque  jour  davantage  en  mesure  de  la  développer  et  de  faire 
reconnaître  ainsi  les  services  qu'elle  peut  rendre.  L'enthousiasme 
avec  lequel  on  a  appris,  à  Fez,  que  nous  nous  décidions  à  mettre 
d'accord  nos  paroles  avec  nos  actes,  nous  est  le  plus  sûr  garant 
que  cette  politique  est  la  bonne. 

J'ai  cru  intéressant  de  parcourir  ainsi  sommairement  et  de 
mettre  en  lumière  les  grandes  lignes  de  notre  action  politique 
dans  l'Afrique  du  Nord,  si  méthodiquement  menée,  malgré  les 
incohérences  qui  l'ont  traversée. 

Gomme  je  le  disais  en  commençant,  elles  peuvent  éclairer 


NOTRE  POLITIQUE  AFRICAINE  751 

d'une  vive  lumière,  non  seulement  le  passée  mais  les  résolu- 
tions que  nous  commande  l'heure  présente. 

11  s'agit  seulement  de  forcer  à  l'application  des  traités  et 
au  respect  des  accords  internationaux  les  éléments  de  trouble, 
qui  combattent  à  la  fois  le  sultan  et  la  France,  et  qui  cherchent 
à  maintenir  sur  nos  frontières  un  état  de  brigandage  intolé- 
rable, absolument  incompatible  avec  le  moindre  sentiment 
de  dignité  nationale. 

Quel  sentiment  doit  éprouver  l'Europe  en  face  de  ces  me- 
sures? Soixante  ans  de  voisinage  et  de  traités  fidèlement  obser- 
vés et  respectés  suffisent  à  répondre. 

Voyons  maintenant  rapidement,  sans  quoi  cet  exposé  bien 
succinct  ne  serait  pas  complet,  comment  les  opérations  doivent 
être  conduites.  Je  n'ai  certainement  pas  la  prétention  de  donner, 
sur  les  opérations  militaires  à  poursuivre,  des  indications  tech- 
niques ;  mais  il  est  nécessaire  de  répondre  aux  allusions  sou- 
vent faites  touchant  les  dépenses  invraisemblables  et  exagérées 
qui  ont  terminé  l'affaire  du  Touat,  et  de  montrer  comment, 
cette  fois-ci,  ilme  paraît  nécessaire  que  notre  action  soit  conduite, 

11  y  a  toujours  une  grande  difficulté  à  se  garder  également  de 
ces  deux  extrêmes,  l'aveuglement  téméraire  et  le  bon  sens  trop 
timide,  et  il  semble  que  trop  souvent  nous  ne  puissions  échap- 
per à  un  défaut  que  pour  retomber  dans  un  autre. 

Entre  l'inaction  et  la  guerre,  il  y  a  un  moyen  terme,  la  police; 
il  est  pourtant  démontré  qu'une  police  active,  alerte,  encou- 
ragée, soutenue,  évite  la  guerre  onéreuse  et  les  catastrophes 
qui  suivent  l'inaction. 

Il  est  certain  que  c'est  pour  ne  pas  avoir  compris  cette  dis- 
tinction, et  pour  avoir  trop  tôt  renoncé  à  la  police,  afin  d'uti- 
liser les  troupes,  que  les  erreurs  de  l'affaire  du  Touat  ont  été 
commises;  elles  peuvent  encore  se  commettre  aujourd'hui. 

Il  est  bien  évident  que,  si  le  gouvernement  avait  permis  au 
commandant  Baumgarten  d'en  finir  avec  la  question  du  Touat, 
en  remontant  rejoindre  la  colonne  Bertrand  qui  allait  se  porter 
au-devant  de  lui  et  qui  occupait  la  Zousfana  sans  coup  férir, 
l'affaire  du  Touat  serait  restée  à  très  peu  de  chose  près  dans  les 
limites  financières  qu'avait  prévues  M.  Laferrière,  et  que  le 
gouvernement  avait  acceptées,  quitte  à  en  fixer  ultérieurement 
la  date  d'exécution. 

Au  lieu  de  cela,  la  conduite  des  opérations  a  été  retirée  au 
gouvernement  général  pour  être  donnée  au  19®  corps,  très  insuf- 
fisamment préparé  à  ces  questions  sahariennes,  et  l'on  a  accu- 
mulé inutilement,  dans  ces  régions  pauvres,  les  inutiles,  lourds 
et  onéreux  effectifs  de  troupes  régulières  qui  ne  peuvent  sub- 


752  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  GOLORULBS 

sister  dans  ces  espaces  qu'au  prix  d'énormes  sacrifices  d'argent 
et  d'animaux,  au  lieu  de  s'en  tenir  simplement  à  des  procédés 
de  police  exécutés  par  des  éléments  sahariens. 

De  même,  il  semble  que,  pour  n'avoir  pas  voulu  appliquer 
dans  le  Sud-Oranais  les  mesures  de  police  que  réclamait  le 
précédent  gouverneur  général,  nous  risquons  aujourd'hui  de 
nous  engager  dans  des  dépenses  excessives  et  peut-être  ineffi- 
caces par  l'emploi  devenu  nécessaire  des  troupes  de  la 
guerre. 

Disons-le  franchement,  de  pareilles  erreurs  ne  doivent  plus 
se  renouveler;  elles  ne  sont  pas  pardonnables,  alors  qu'à  l'appui 
de  la  méthode  contraire  on  a  l'exemple  de  la  soumission  et  de 
la  pacification  de  régions  énormes,  presque  aussi  grandes  que  la 
France,  policées  sans  dépenser  un  sou,  avec  de  légers  sacrifices, 
par  le  commandant  Laperrine  et  les  lieutenants  Cottenest  et 
Guilho-Lohan. 

Il  est  temps  de  ne  plus  paralyser  de  semblables  tentatives  et 
de  ne  plus  arrêter  le  président  du  Conseil  au  moment  où,  sans 
dépenses,  il  allait  nous  donner  enfin  l'unité  de  notre  empire 
africain. 

Je  sais  bien  que,  du  côté  de  l'Ouest,  la  situation  est  différente 
de  celle  des  Oasis,  et  qu'on  ne  peut  combattre  les  Beraber^  et  les 
DouY-Menia  comme  les  Touareg;  mais  le  principe  est  le  même, 
et  il  est  nécessaire  que  les  troupes  régulières  de  la  guerre  se 
bornent  à  servir  de  point  d^appui  —  mais  d'appui  efficace,  si 
cela  est  nécessaire  —  aux  opérations  de  police  faites  par  les  offi- 
ciers des  affaires  indigènes  et  des  compagnies  sahariennes. 

Depuis  longtemps  une  quatrième  compagnie  sahajjenne 
devrait  être  créée  à  Beni-Âbbès. 

Cette  compagnie  saharienne  aurait  pour  objet  de  faire  face 
aux  incursions  des  Beraber  du  Sahara  et  d'empêcher,  avec  beau- 
coup moins  de  frais,  et  avec  beaucoup  plus  d'efficacité  que  les 
nombreux  postes  établis  le  long  de  la  Zousfana,  les  incursions 
que  les  Beraber  n'ont  pas  craint  de  pousser,  il  y  a  deux  ans, 
jusque  sur  nos  postes  du  Touat. 

Pour  que  son  action  soit  efficace,  il  faut  qu'elle  soit  libre  et 
qu'elle  puisse  parcourir  sans  entraves  toutes  ces  régions  infestées 
de  coupeurs  de  routes,  qu'elle  puisse  remonter  l'Oued-Guir  aussi 
haut  que  cela  sera  nécessaire,  et  aussi  haut  que  nous  en  avons 
le  droit  de  par  les  accords  récemment  conclus  avec  le  Maroc  et 
les  traditions  qui  nous  ont  fait  trouver  une  première  fois,  sur 
ces  rives,  le  secret  de  la  paix  du  Sud-Ouest. 

Pour  que  son  action  s'exerce  avec  sécurité,  les  troupes  euro- 
péennes et  l'artillerie  doivent  être  seulement  maintenues  à  Aîn- 


NOTRE  POLITIQUE   AFRICAINE  753 

Sefra,  à  Beai-Ounif,  à  Ben-Zireg  provisoirement,  puis,  s'il  y  a 
lieu,  vers  Kenadsa,  c'est-à-dire  le  long  du  chemin  de  fer  qui  les 
ravitaille  à  peu  de  frais,  avec  des  détachements  très  mobiles 
pouvant,  dans  un  rayon  déterminé  et  avec  des  convois  aussi 
légers  que  possible,  prêter  un  appui  efficace  à  Faction  de  police 
dirigée  et  conduite  principalement  par  nos  troupes  sahariennes 
ainsi  que  par  nos  goums  indigènes  sous  la  conduite  des  offi- 
ciers des  affaires  indigènes. 

Certes,  il  n'est  pas  dans  ma  pensée  d'opposer  les  officiers  des 
afi'aires  indigènes  aux  officiers  des  corps  de  troupes;  mais  il  me 
sera  bien  permis  de  dire  que  les  seconds  doivent  seulement 
prêter  leur  appui  à  l'action  de  police  conduite  par  les  premiers, 
que  c'est  faute  d'avoir  suivi  cette  méthode  réclamée  par 
MM.  Laferrière  et  Revoil  —  et  qui,  dans  tous  les  pays,  fait  que 
l'armée  ne  doit  pas  se  substituer  à  la  police,  mais  toujours  lui 
prêter  main-forte  —  que  nous  avons  eu  des  mécomptes  si 
onéreux,  suivis  d'une  inaction  si  chargée  d'incidents  doulou- 
reux. 

C'est  en  mesurant  l'action  des  troupes  européennes,  toujours 
onéreuses  à  utiliser,  et  qu'il  ne  faut  mettre  en  mouvement  qu'à 
bon  escient,  c'est  en  multipliant,  par  contre,  l'action  des 
troupes  indigènes  commandées  par  les  officiers  des  affaires 
indigènes,  et  qui  ne  coûtent  rien  ou  presque  rien  à  mobiliser, 
c'est  ainsi  que  nous  arriverons  à  rétablir,  s'il  n'est  pas  trop 
tard,  Tordre  et  la  sécurité  dans  ces  régions. 

Ce  sera  la  partie  la  plus  délicate  de  notre  politique.  Bien 
menée  et  couronnant  la  punition  si  brillamment  infligée  au 
coupe-gorge  de  Zenaga  par  le  général  O'Connor,  elle  instau- 
rera une  paix  féconde  pour  l'honneur  de  notre  drapeau  et 
au  grand  avantage  d'un  commerce  qui  rend  déjà  productif  le 
chemin  de  fer  de  Figuig. 

C'est  le  sens  des  propositions  faites  par  tous  les  gouverneurs 
généraux  qui  se  sont  succédé  depuis  cinq  ans  en  Algérie. 

Je  veux  croire  que  c'est  enfin  le  sens  des  ordres  donnés  par 
le  gouvernement  et  je  veux  être  le  premier  à  l'en  féliciter. 

EuG.  Etienm:, 

Député  d'Oran. 


QuB9T..DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  48 


LA  MACÉDOINE,  LA  GRÈCE  ET  L'INTÉRÊT  FRANÇAIS 


i 


Il  nous  a  semblé  intéressant  de  soumettre  Tétude  que  nous  avons  faite 
ici  sur  «  Topinion  grecque  et  la  question  de  Macédoine  *  »  à  rappréciation 
d'un  diplomate,  toujours  fort  préoccupé  des  choses  grecques.  M.  le  comte 
Charles  de  Moûy,  ambassadeur  de  France,  fut  autrefois  notre  représentant 
à  Athènes  pour  le  plus  grand  avantage  des  intérêts  français.  Nul  n'était 
mieux  désigné  que  lui  pour  marquer  de  quelle  façon  nous  devions  envi- 
sager les  événements  de  Macédoine.  Plutôt  que  de  nous  inspirer  simple- 
ment dans  un  article  de  ses  déclarations,  nous  avons  cru  préférable  de  les 
reproduire  dans  leur  netteté.  Nous  devons  en  retenir  surtout  la  conception 
qu'il  nous  indique  des  intérêts  français  dans  la  question,  particulièrement 
en  présence  du  Livre  jaune;  celui-ci  donnait  à  notre  diplomatie  une  appa- 
rence bulgarophile,  en  passant  sous  silence  le  facteur  grec  ;  on  sait  l'émo- 
tion qu'il  souleva  chez  les  Hellènes  et  qui  se  traduisit  par  la  conversation 
de  M.  d'Ormesson,  notre  représentant  actuel  à  Athènes,  avec  le  ministre 
des  Affaires  étrangères  de  Grèce,  conversation  reproduite  ultérieure- 
ment dans  une  dépêche.  M.  de  Moûy  exprime  le  souhait  qu'une  tout  autre 
direction  soit  donnée  à  notre  diplomatie,  si  tant  est  que  ce  soit  volontaire- 
ment que  celle-ci  soit  ou  semble  être  engagée  aujourd'hui  dans  une  voie 
opposée  à  celle  qu'il  indique.  Nos  lecteurs  jugeront  sans  doute  que  ces 
déclarations  se  suffisent  à  elles-mêmes  et  valaient  la  peine  d'être  transcrites 
sans  commentaires. 

Gabriel  Lolis-Jaray. 


Résoudre  la  question  de  Macédoine  par  la  diplomatie  est  une 
parfaite  impossibilité,  une  chimère  :  certes  je  suis  le  première 
reconnaître  la  haute  valeur  de  Faction  diplomatique,  ses  ser- 
vices pour  la  causé  de  la  paix,  mais  il  ne  faut  pas  lui  demander 
rirréalisable.  Comment  en  effet  nous  apparaissent  les  facteurs 
en  présence?  Voici  dune  part  la  Macédoine  et  les  Macédoniens, 
c'est-à-dire  des  entités.  Je  cherche  en  vain  une  Macédoine,  je 
voudrais  trouver  un  peuple  macédonien;  il  me  faut  pour  cela 
remonter  jusqu'aux  époques  antiques  de  Philippe  et  d'Ale- 
xandre. Il  y  avait  alors  un  Etat  macédonien,  qui  semble  bien 
grec  :  Alexandre  était  hellène,  sinon  de  naissance  et  de  race,  au 
moins  d'éducation,  ayant  (^té  élevé  par  Aristote,  et  cVst  lacivili- 


1  Quest.  DipL  et  Col.,  !•'  juin  1903. 


LA  MACÉDOINE,   LA   GRÈCE   ET  L'INTÉRÊT    FRANÇAIS  755 

sation  grecque  que  lui  et  ses  armées  répandirent  dans  une  partie 
du  monde.  Depuis  lors,  ce  peuple  macédonien,  à  la  race  incer- 
taine, en  tout  cas  hellénisé,  a  peut-être  subsisté  dans  les  couches 
profondes  de  la  population  macédonienne,  mais  il  ne  nous 
apparaît  plus.  L'apparence,  c'est  un  embrouillement  de  races; 
les  cartes  du  jeu  ont  été  mélangées,  au  point  qu'on  ne  peut 
s'y   reconnaître.    Prenez  toutes   les  cartes  ethnographiques  : 
les  hachures  qui  désignent  telles  ou  telles  nationalités  ne  sont 
jamais  aux  mêmes  endroits.  11  est  en  effet  souvent  difficile  de 
savoir  à  quelle  race  reporter  un  village  :  la  langue,  la  religion, 
l'école  ne  sont  pas  toujours  des  indications  exactes;  il  faudrait 
étudier  tour  à  tour  la  civilisation  et  les  sentiments  de  chaque 
agglomération,  besogne  impossible  !  Nous  ne  pouvons  juger  que 
sur  des  présomptions,  des  vraisemblances.  A  cet  égard,  il  semble 
bien  que  ce  soient  encore  les  Grecs  qui  dominent  en  Macédoine  : 
le  Messager  (T Athènes^  organe  d'un  Français  résidant  depuis 
longtemps  en  Grèce,  a  publié  sur  ce  point  une  série  d'articles  qui 
me  paraissent  très  suggestifs.  D'autres  indices  me  font  pencher 
vers  la  même  conclusion.  Mais  il  n'en  demeure  pas  moins  que  la 
Macédoine  comprend  aujourd'hui  le  résidu  de  toutes  ces  nations 
qui  peu  à  peu  se  sont  détachées  de  l'Empire  ottoman.  La  diplo- 
matie est  impuissante  à  faire  à  chacun  sa  part  ;   elle  ne  peut 
dire  à  chaque  nationalité  :  voici  votre  morceau  réservé  ;  le  mor- 
ceau est  toujours  trouvé  trop  petit  par  Tune,  trop  grand  par  les 
autres. 

Et  ce  n'est  pas  tout.  11  y  a  le  Sultan.  Croit-on  que  celui-ci  se 
laissera  enlever,  sinon  de  force,  ses  territoires?  Sans  doute,  on 
prétend  réserver  son  pouvoir,  mais  l'obliger  à  des  réformes. 
Ah  !  les  réformes  !  la  diplomatie  ne  peut  mieux  faire  actuelle- 
ment :  il  n'y  a  donc  qu'à  l'approuver  d'agir  en  ce  sens;  mais  il 
faut  bien  se  rendre  compte  que  les  réformes  ne  sont  pas  un 
remède  curatif,  c'est  tout  au  plus  un  calmant  momentané.  Dans 
le  mal  chronique,  on  fait  une  piqûre  de  morphine,  et  c'est  tout. 
Il  ne  faut  pas  se  le  dissimuler  :  la  seule  solution  est  celle  qui  a 
permis  de  faire  la  Grèce,  la  Roumanie,  la  Serbie,  la  Bul- 
garie, etc.;  de  même  que  jadis  le  Turc  rongea  peu  à  peu  l'Empire 
grec  jusqu'à  s'en  emparer  tout  entier,  de  même  aujourd'hui  la 
chrétienté  suit  la  même  voie,  mais  en  sens  inverse.  Les  réformes 
sont  le  palliatif  que  met  -en  avant  une  diplomatie  embarrassée 
qui  ne  veut  pas  la  guerre;  le  Sultan  n'en  fera  aucune  de 
réelle  et  profonde  :  les  Turcs  de  Macédoine  n'en  veulent  pas. 
Rien  de  durable  ne  peut  se  fonder  par  cette  méthode.  La 
seule  efficace  est  rendue  quasi  impossible  aujourd'hui,  car  les 
puissances  n'ont  pas  devant  elles  une  nation  à  qui  Ton  rendrait 


756  QUI£ST10NS   DIPLOMATIQUES  ET   GOLONIALKS 

la  liberté  de  ses  destinées.  Nous  ne  pouvons  donc  qu'attendre  et 
souhaiter  qu'un  peuple  se  révèle,  qu'on  puisse  libérer. 

A  vrai  dire,    Grecs  et   Bulgares  travaillent,   mais  par  des 
moyens  différents  :  les  premiers  plus  civilisés,  plus  instruits, 
aussi   plus  timides    depuis   leurs   récentes  défaites,  essaient 
d'helléniser  la  Macédoine  par  la  puissance  de  leur  culture  et  la 
propagande  des  idées.   Les  seconds,  race  encore  fruste,  très 
inférieurs  aux  Grecs  en  civilisation,  veulent  lutter  par  le  coup 
de   main,  le  meurtre  et  la  terreur.  Quant  à  moi,  je  crois  que, 
sur  le  terrain  purement   pacifique,  les  Grecs  s'assimileraient 
les  populations.  Leur  force  à  cet  égard  a  toujours  été  incontes- 
table :  depuis  les  temps  antiques,  où  ils  ont  quasi  hellénisé 
Rome  victorieuse,  jusqu'au  jour  présent  où  la  grécisation  se 
marque  en  Asie  Mineure  et  dans  l'Albanie  du  Sud,  le  peuple 
grec  s'est  toujours  montré  un  remarquable  assimilateur.  C'est 
sur  cette  faculté  qu'ils  peuvent  compter,  s'ils  s'en  donnent  la 
peine,  pour  faire  un  empire  ottoman  à  leur  image  et  par  là 
prendre  des  gages  pour  l'avenir. 

Mais  il  n'y  a  pas  que  la  force  de  Tidée  et  de  la  culture  ;  la 
force  des  armes  doit  entrer  en  jeu  et  c'est  cela  qui  peut  faire 
échec  à  la  propagande  grecque.  On  comprend  que  la  Grèce  n'as- 
pire présentement  qu'à  la  paix  et  veuille  se  ménager  les  bonnes 
grâces  de  la  Sublime  Porte,  car  pacifiques  et  non-combattus. 
les  Grecs  ont  dans  l'Empire  les  atouts  dans  leur  jeu.  C'est  ce 
que  sentent  très  bien  les  Bulgares  :  leur  action  brutale  enxMacé- 
doine  n'a  d'autres  buts  que  de  contrecarrer  l'action  pacifique 
des  Grecs,  de  reconquérir  sur  eux  par  la  force  ce  que  ces  der- 
niers ont  pris  par  leur  développement  pacifique. 

Que  pouvons-nous  actuellement,  sinon  laisser  le  Sultan  réta- 
blir Tordre  troublé  par  les  Bulgares,  nous  efforcer,  par  une 
action  diplomatique  vigilante  d'empêcher  toutes  représailles 
injustes,  endormir  le  mal  pendant  un  temps  par  l'espérance 
de  réformes  ou  par  leur  réalisation  qui  ne  sera  jamais  que  très 
fragmentaire.  Le  reste  ne  dépend  pas  de  nous,  mais  des  cir- 
constances, de  l'événement.  Le  feu  peut  être  mis  aux  poudres  à 
l'improviste  et  l'Europe  peut  être  contrainte  à  intervenir. 

Dans  cette  occurrence,  quel  est  noire  intérêt,  à  nous  autres 
Français?  A  mon  sens,  il  est  clair  et  non  douteux  :  nous  devons 
nous  faire  les  protecteurs  des  Grecs,  leur  obtenir  par  notre 
action  tout  ce  qu'il  sera  possible.  Sans  doute,  nous  n'avons 
aucun  motif  de  nous  poser  en  adversaires  des  autres  natio- 
nalités, nous  devons  au  contraire  souhaiter  leur  force,  leur 
indépendance,  nous  devons  vouloir  que  les  Balkans  soient 
leur  domaine  réservé,  sur  lequel  n'empiètent  pas  les  grandes 


LA   MACÉDOINE,    LA   GRÈCE   ET   L'iNTÉRÊT   FRANÇAIS  757 

puissances.  Mais,  parmi  elles,  notre  intérêt  est  de  favoriser  les 
Grecs.    Pourquoi?  il  ne  s'agit  point  ici  de  sentiment,  quoi- 
que incontestablement  les  philhellènes  de  France  se  rappellent 
toujours  ces  vieux  souvenirs  de  la  littérature,  de  l'art  et  de  la 
beauté  hellènes,  avec  lesquels  nos  cerveaux  ont  été  pétris  ;  il  ne 
s'agit  pas  seulementde  suivre  une  tradition  bientôt  séculaire,  car 
la  France  fut  la  première  à  vouloir  et  à  favoriser  Findépendance 
grecque  ;  il  ne  s'agit  même  pas  de  se  laisser  prendre  au  charme 
de  ce  peuple  et  de  répondre  aux  sentiments  amis   que  j'ai  pu 
apprécier  là-bas.  C'est  notre  intérêt  qui  nous  commande  d'agir 
en  ce  sens.  De  toutes  les  nationalités  des  Balkans,  c'est  la  seule 
qui     ne   soit   pas   sous   le  protectorat  moral   des  voisins  du 
Nord.  Des  autres,  nous  ne  pouvons  espérer  faire  nos  clientes  : 
la  place  est  prise.    La  Grèce,  au  contraire,   peut  servir  l'in- 
lluence  française,  en  échange  des   services  que  nous  lui  ren- 
dons. C'est  là  seulement  que  nous  pouvons  espérer  posséder 
une  action  prépondérante.  Dès  aujourd'hui  nous  tenons  une 
large  place  en  Grèce  :  notre  langue  est  parlée  partout  ;  pendant 
les  six  ans  que  j'ai  passés  à  Athènes,  j'ai  pu,  et  dans  la  capitale 
et  dans  les  grandes  villes,  trouver  partout  une   société  parlant 
le  français.  Cette  situation,  nous  devons  aspirer  à  la  consolider; 
et  quelle  politique  meilleure  que  celle  qui  répond  tout  à  la  fois 
à  nos  sentiments  traditionnels,  à  des  souvenirs  toujours  chers, 
au   progrès  de  la  civilisation,  en  même   temps  qu'à  l'intérêt 
français,  guide  de  notre  action? 

Il  n'est  donc  pas  douteux  que  si  quelque  événement,  — 
qu'on  doit  toujours  prévoir,  —  venait  forcer  l'Europe  à  tenir 
un  nouveau  Congrès  de  Berlin,  il  nous  faudrait  jouer  partie  liée 
avec  la  Grèce.  En  1878,  sans  vouloir  une  grande  Bulgarie,  le 
Congrès  favorisa  cependant  l'extension  de  la  principauté  bul- 
gare créée  par  l'invention  de  laRoumélie  orientale.  Je  me  rap- 
pelle encore  au  Congrès  lord  Salisbury  se  levant  :  grand, 
chauve,  l'image  d'un  ecce  homo,  il  nous  dit  avec  son  intona- 
tion d'Anglais,  la  merveilleuse  trouvaille  qu'il  proposait.  On 
savait  à  quoi  s'en  tenir.  Un  congrès  est  une  scène  où  chacun 
débite  plus  ou  moins  bien  son  rôle.  Et  quelques  années  après, 
l'Europe  laissa  faire  et  la  Bulgarie  se  doubla  de  la  Roumélie.  La 
malheureuse  Grèce  fut  moins  favorisée.  J'eus  plus  tard  la 
délicate  mission  de  lui  faire  entendre  raison,  de  lui  montrer 
le  beau  morceau  qu'après  tout  on  lui  av-ait  accordé  en  lui  don- 
nant la  Thessalie,  de  la  convaincre  qu'il  y  avait  maldonne  dans 
la  promesse  de  l'Europe  de  lai  remettre  cette  Epire,  qui  est 
cependant  toute  grecque  et  que  mes  efforts  avaient  contribué 
à  lui  faire  promettre.   Elle  a  droit  à  quelques  compensations 


758  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET   COLONULES 

et  nous  devrions  obtenir  pour  elle  l'Epire,  le  sud  de  l'Albanie 
et  le  plus  possible  de  la  Macédoine. 

Mais  quand  le  pourrons-nous,  et  le  pourrons-nous?  Nul  ne  le 
sait.  Tout  dépendra  des  circonstances  dans  lesquelles  la  ques- 
tion d'Orient  se  posera.  C'est  pour  nous  l'inconnu.  Qui  aurait 
dit,  il  y  a  cent  ans,  que  les  Balkans  seraient  divisés  en  petits 
Etats  et  ne  seraient  pas  la  proie  de  la  Russie.  Sait-on  ce  qui  s'y 
prépare,  avec  les  ambitions  italiennes  en  Albanie,  l'Autriche 
qui  surveille  la  plaine  du  haut  de  la  Bosnie,  la  Russie  qui  ne  se 
désintéresse  point  de  Constantinople,  TAUemagne  qui  y  joue 
son  rôle?  On  peut  rêver  de  Confédération  balkanique,  d'Em- 
pire grec,  d'Unité  comme  dans  la  péninsule  voisine,  qui  certes 
en  était  éloignée  il  y  a  seulement  un  siècle.  Mais  cela  sort  du 
domaine  des  prévisions  actuelles.  Présentement,  au  jour  où 
notre  diplomatie  aurait  de  nouveau  à  décider  du  sens  de  son 
action,  il  me  parait  que  ses  efforts  devraient  tendre  à  favoriser 
une  «  plus  grande  Grèce  ». 

Charles  de  Moûy, 

Ambassadeur. 


LES  DERNIERS  TRAVAUX 

DE 

L'INSTITUT   COLONUL   INTERNATIONAL 


Il  n'est  pas  nécessaire  de  dire  aux  lecteurs  des  Questions 
Diplomatiques  et  Coloniales  ce  qu'est  Tlnstitut  Colonial  inter- 
national; mieux  qu'une  longue  étude,  l'article  que  M.  Charles 
Noufflard  a  publié  ici  même  sur  la  session  tenue  à  La  Hayo  en 
1901  *  leur  a  fait  connaître  à  quel  genre  de  travaux  se  livrent 
au  moins  tous  les  deux  ans,  dans  des  réunions  plus  ou  moins 
espacées,  mais  qui  tendent  à  se  multiplier  et  à  devenir  an- 
nuelles, les  membres  de  cette  association  exclusivement  scfeii- 
tifique  et  dépourvue  de  tout  caractère  officiel.  Fondé  en  1894, 
sur  l'initiative  de  M.  J.  Chailley-Bert,  le  secrétaire  bien  connu 
de  l'Union  Coloniale  française,  par  MM.  Léon  Say,  J.  D.  Fran- 
sen  Van  de  Putte,  le  grand  ministre  réformateur  des  colonies 
néerlandaises,  et  Van  der  Lith,  pour  «  faciliter  et  répandre 
i<  l'étude  comparée  de  l'administration  et  du  droit  des  colo- 
«  nies^  »,  l'Institut  Colonial  international  est  vraiment,  comme 
on  l'a  dit,  —  grâce  à  la  présence  de  personnages  qui  ont  marqué 
d'une  manière  éminente  leur  place  dans  l'administration  do 
leur  patrie  et  de  différentes  colonies,  —  une  admirable  école 
d'enseignement  mutuel,  du  moins  pour  les  plus  jeunes  de  ses 
membres,  pour  ceux  qui  se  rendent  aux  sessions  avec  le  désir 
de  bénéficier  de  l'expérience  d'autrui  et  d'obtenir  de  chacun 
des  indications  précises  sur  tel  ou  tel  point  encore  peu  étudié, 
sur  telle  ou  telle  expérience  coloniale  récente,  sur  les  consé- 
quences réelles  de  telle  ou  telle  modification  dans  la  législation 
ou  l'administration  d'une  colonie  déterminée.  Commencées  dans 
la  salle  des  séances,  dans  des  discussions  suscitées  par  l'examen 

1  Ulnstuut  colonial  internalional  et  la  session  de  La  Haye  {Quest.  DipL  el 
Col.,  t.  XII,  !«'•  juillet  1901,  pp.  29  41). 

'  Rappelons  ici  le  passage  essentiel  de  l'article  l**"  des  Staluts  de  l'Institut  Colnnial 
international.  Cette  Compagnie,  ditle  texte,  «  a  pour  but:  1*  de  faciliter  et  de  répandre 
«  l'étude  comparée  de  l'administration  et  du  droit  des  colonies;  en  particulier  -  des 
«  différents  systèmes  de  gouvernement  des  colonies  (possessions,  protectorats,  etc.)  ;  de 
<(  la  législation  coloniale,  en  tant  qu'elle  peut  intéresser,  soit  plusieurs  colonies  déter- 
a  minées  par  des  mesures  arrêtées  en  commun,  soit  toutes  les  colonies  par  l'importanco 
«  des  problèmes  résolus  ;  des  ressources  des  diverses  colonies,  de  leur  régime  écono- 
«  mique  et  commercial,  etc.  ;  2°  de  créer  des  relations  internationales  entre  les  per- 
<f  sonnes  qui  s'occupent  d'une  façon  suivie  de  Tétudc  du  droit  et  de  radministratioii 
«  des  colonies  —  hommes  politiques,  administrateurs,  savants,  —  et  de  faciliter 
«  l'échange  des  idées  et  des  connaissances  spéciales  entre  hommes  compétente; 
«  3*  d'organiser  le  plus  rapidement  possible  un  bureau  international  de  renseigne^ 
«  meots...  » 


i 


1(M)  QUESTIONS    UiPLOMATIQLES   ET   COLONIALES 

do  rapports  soigneusement  étudiés,  les  conversations  se  poursui- 
vent en  dehors  d'elle,  fécondes  en  enseignements  multiples, 
grâce  à  la  bienveillance  de  ceux  qui,  sans  se  lasser,  mettent  à 
la  disposition  de  collègues  plus  jeunes,  membres  effectifs  ou 
associés,  les  trésors  de  leurs  observations  et  de  leur  expérience. 

Ainsi  s'explique  que  les  sessions  de  l'Institut  Colonial  inter- 
national, en  dépit  du  petit  nombre  et  de  la  dispersion  de  ses 
membres,  soient  de  plus  en  plus  fréquentées.  Jamais  peut-être 
n'avait-on  vu  encore  réunion  pareille  à  celle  de  Londres; 
était-ce  pour  fêter  cette  sorte  de  consécration  que  donnait  à  la 
nouvelle  association  le  fait  de  tenir  pour  la  première  fois, 
moins  de  dix  ans  après  sa  naissance,  une  session  en  Angleterre? 
La  chose  n'est  nullement  invraisemblable;  en  tout  cas,  dans 
une  des  salles  de  l'India  Office,  non  moins  historique',  mais 
beaucoup  plus  austère  que  la  belle  salle  de  Trêves  du  Bin- 
nenhof,  que  de  personnages  éminents  rassemblés  aux  côtés  de 
lord  Reay,  ancien  gouverneur  de  Bombay,  ancien  sous-secré- 
taire d'Etat  pour  les  Indes,  président  de  l'Instiut  Colonial  inter- 
national, et  de  M.  Camille  Janssen,  gouverneur  général  hono- 
raire de  l'Etat  indépendant  du  Congo,  secrétaire  général! 
C'était  S.  A.  le  duc  Jean  Albert  de  Mecklembourg,  président  de 
la  <(  Deutsche  Kolonial  Gesellschaft  »,  le  prince  A.  d'Arenberg, 
président  du  Comité  de  l'Afrique  Française,  M.  Paul  Cambon, 
l'ambassadeur  actuel  de  France  à  Londres,  ancien  résident 
général  en  Tunisie,  M.  F.  de  Marlens,  Téminent  jurisconsulte 
dont  l'autorité  est  universelle,  M.  X.-G.  Pierson,  ancien  mi- 
nistre des  Finances  des  Pays-Bas,  sir  Alfred  Lyall,  ancien 
lieutenant-gouverneur  des  provinces  du  Nord-Ouest,  membre 
du  Conseil  des  Indes,  sir  Hubert  Jerningham,  ancien  gouver- 
neur de  Maurice  et  de  Trinidad,  M.  L.  Bodio,  le  statisticien 
italien  bien  connu,  le  colonel  Thys,  MM.  J.  Chailley-Bert,  Karl 
von  der  Heydt,  Vohsen,  le  P.  Piolet,  d'autres  encore  dont  nous 
aurions  plaisir  à  citer  les  noms,  si  nous  ne  craignions  d'abuser 
de  la  patience  de  nos  lecteurs  par  une  de  ces  énumérations 
dont,  naguère,  le  bon  Homère  a  su  presque  seul  éviter  la  séche- 
resse et  la  monotonie. 

Aussi  bien  n'est-ce  pas  là  ce  qu'il  convient  de  faire  à  cette 
place,  pas  plus  qu'il  ne  convient  d'analyser  l'excellent  discours 
par  lequel  lord  Reay  a  ouvert  la  session  de  1903;  bornons- 
nous  donc  à  indiquer  brièvement,  avant  la  publication  défini- 
tive du  compte  rendu  sténographique  des  séances  et  des  rap- 

1  Dans  cette  satie  ont  été  transportés,  en  eÛ'et,  et  sont  suigncusement  consenés 
les  portraits,  les  tableaux,  les  meubles  de  l'ancienne  salle  des  directeurs  de  la  Com- 
pagnie des  Indes. 


LES   DERNIERS   TRAVAUX  DE   l'iNSTITUT  COLONIAL  INTERNATIONAL      761 

ports  qui  y  furent  présentés,  quelles  questions  furent  discutées 
à  la  récente  session  de  Londres,  et  quelles  idées  émirent  les 
différents  orateurs  qui  prirent  successivement  la  parole  sur  les 
questions  mises  à  Tordre  du  jour,  vraiment  très  chargé,  de  la 
réunion. 

Des  cinq  sujets  sur  lesquels  des  rapports  avaient  été  tl  i  s  tri- 
bu es  aux  membres  de  rinstitut  Colonial  international,  le  \n-r- 
mier,  relatif  au  régime  foncier,  avait  déjà  été  brièvf*m*^Jkî 
abordé  en  1899  à  la  session  de  Bruxelles,  et  avait  fourni  à  lu 
session  de  La  Haye  de  1901  matière  à  une  discussion  très  UvW- 
lanle  et  très  approfondie;  maintenue  à  l'ordre  du  jour  de  la 
session  de  Londres,  la  question  du  régime  foncier  aux  col^mieti 
a  retrouvé  dans  M.  le  D""  G.-K.  Anton,  professeur  à  rUiiivi^r- 
site  d'Iéna,  un  rapporteur  aussi  érudit  et  aussi  précis  qu'au[i!i- 
ravant*.  Après  avoir  examiné,  à  l'aide  des  documents  fmlilii'^s 
par  l'institut  Colonial  au  tome  V  de  la  série  des  textes  nluLifs 
au  régime  foncier,  quel  est  ce  régime  m^me  dans  les  cultmies 
anglaises  tropicales  de  l'Océanie  et  de  l'Afrique,  et  avoii- 
éclairé  ces  documents  à  Taide  des  données  que  fourniss*vnl  la 
géographie  et  l'ethnographie,  M.  Anton  en  a  dégagé  de  ht  insr- 
nière  la  plus  claire  ce  qui  est  «  spécifiquement  anglais  n,  à 
savoir  «  cette  disposition  qui,  dans  toutes  les  concessions  tie 
terres  de  la  Couronne,  stipule  des  réserves  au  profit  des  rrmtes, 
des  chemins  de  fer,  et  en  général  de  tous  les  moyens  dp  mm- 
munication  »,  et  cette  autre  disposition  encore  qui,  t<  |H)iir 
«  l'octroi  de  concessions  de  terres,  ne  fait  aucune  dinV- 
«  rence  entre  les  Anglais  et  ceux  qui  ne  le  sont  pas  ».  C'esl  i*n 
s'ihspirant  des  faits  relevés  par  lui  au  cours  de  son  étudi*  <]ul^ 
le  savant  professeur  d'Iéna  s'est  trouvé  amené  à  formuler  1(*& 
trois  thèses  suivantes,  dont  nous  reproduisons  scrupuleuseimnl 
le  texte  : 

I.  —  a)  Toutes  les  terres  destinées  aux  indigènes  doivent  être  réspn>'*f»« 
comme  telles  et  exceptées  de  la  liberté  des  transactions. 

6)  Les  cultures  des  indigènes  et  leur  méthode  de  travail  doivent  T^irc 
développées  d'une  façon  rationnelle;  il  y  a  lieu  éventuellement  d'en  nilro^ 
duire  de  nouvelles  en  faisant  connaître  aux  indigènes  les  plantej>  ;iij].fù- 
priées  et  en  les  initiant  au  travail  nécessaire  à  leur  culture. 

»  On  se  rappelle  que  différentes  études  du  D^  Anton  ont  naguère  été  jinlFlM'*L-i 
dans  les  Questions  Diplomatiques  el  Coloniales^  notamment  son  Parallèle  etitrf  fa 
colonisation  ancienne  et  la  colonisation  moderne^  démontré  par  les  colon i sa tr^mê 
française  et  anglaise  du  Canada,  en  1898  (t.  III,  p.  355-365,  432-438  et  48"-^1Ki  .  h  F 
son  travail  sur /e  Régime  foncier  dans  VÊtat  indépendant  du  Congo,  en  litjMi  i.  X, 
p.  136-167  et  212-223). 


76â  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    ET  COLONIALES 

II.  —  a)  Ce  n'est  pas  le  capital  privé  seul  qui  constitue  le  facteur  le  plus 
approprié  pour  la  mise  en  valeur  des  terres  de  la  Couronne  dans  les 
régions  tropicales  ;  l'Etat  et  les  communes  peuvent  également  s'y  employer 
avec  plein  succès. 

.  b)  Les  terres  de  la  Couronne  dans  les  régions  tropicales  ne  doivent  pas 
être  cédées  aux  sociétés  et  aux  particuliers  en  pleine  propriété,  mais  en 
jouissance  temporaire  seulement. 

III.  —  a)  Pour  la  colonisation  nouvelle  de  régions  tropicales,  l'Acte 
Torrens  est,  de  toutes,  la  meilleure  forme  de  constatation  du  droit  immo- 
bilier :  par  contre,  sa  substitution  à  un  système  de  droit  immobilier  exis- 
tant dépend  de  la  valeur  de  celui-ci. 

6)  Le  droit  immobilier,  si  excellent  qu'il  soit,  ne  suffît  pas  à  créer  une 
situation  saine  d'agriculture:  il  faut  qu'à  côté  de  lui  fonctionne  un  crédit 
foncier  colonial  approprié. 

Dans  la  discussion  qui  a  suivi  ont  été  fournis  de  très  pré- 
cieux renseignements  sur  ce  qui  se  passe  au  point  de  vue  du 
régime  foncier  dans  différentes  colonies  néerlandaises  (Java  et 
Sumatra),  dans  les  nouvelles  colonies  américaines,  etc.  ;  mais 
ce  n'est  peut-être  pas  tant  dans  ces  exposés  substantiels  dus 
à  MM.  van  De  venter  et  A.-W.  Greely,  ni  dans  celui  fait  par 
M.  A.-L.  van  Hasselt,  professeur  à  l'Ecole  de  Delft,  sur  les 
coutumes  des  Malais  de  Sumatra,  que  dans  l'examen  de  ce  que 
peuvent  faire  les  indigènes  qu'a  résidé  l'intérêt  du  long  échange 
de  vues  auquel  se  sont  livrés  les  membres  de  l'Institut  Colonial 
international. 

M.  le  D'C.-Th.  van  Deventer  avait  débuté  par  demandera 
M.  Anton  de  modifier  certaines  de  ses  expressions  (pour  lui, 
toutes  les  terres  destinées  aux  indigènes  doivent  être  excep- 
tées de  la  liberté  des  aliénations  aux  non-indigènes)  et  par 
montrer  comment  la  création  d'une  section  spéciale  pour  les 
indigènes  au  célèbre  Jardin  botanique  de  Buitenzorg  répon- 
dait à  un  desideratum  formulé  par  son  collègue  allemand. 
Placée  sur  ce  terrain,  la  discussion  s'est  continuée  pleine 
d'intérêt  pendant  plusieurs  heures.  M.  Janssen,  qui  se  refuse  à 
voir  dans  les  indigènes  autre  chose  que  des  mineurs,  ne  pou- 
vait pas  critiquer  la  première  thèse  du  D*"  Anton  ;  il  a  par  contre, 
sur  la  thèse  suivante,  exprimé  quelques  réserves,  montré  com- 
ment peut  intervenir  l'Etat  dans  la  protection  des  terres  indi- 
gènes, et  recherché  comment  pourraient  être  pratiquement 
appliqués  dans  les  colonies  tropicales  les  principes  posés  par 
lui  précédemment.  Aucun  des  essais  dont  il  a  connaissance  n  a 
réussi,  et  cela  parce  que  :  i®  le  travail  permanent  n'est  pas 
encore  entré  dans  les  habitudes  des  indigènes  ;  2°  le  salaire  est 
généralement  trop  fort;  3"  le  blanc  même  ne  peut  pas  cultiver 
la  terre  dans  les  contrées  tropicales  ;  aussi  faut-il  amener  l'indi- 


LES   DERNIERS   TRAVAUX   DE   l'iNSTITUT   COLONIAL  INTERNATIONAL      763 

gène  à  mettre  lui-même  le  sol  en  valeur.  M.  Janssen  a  terminé  en 
préconisant  l'introduction  dans  les  colonies  tropicales  d'un  sys- 
tème de  métayage,  de  cheptel,  susceptible  de  maintenir  aux 
indigènes  Tusage  des  terres  dont  ils  avaient  auparavant 
rusae^e. 

A  rencontre  ou  à  Tappui  de  ce  qu'avait  dit  M.  C.  Janssen, 
M.  Ernest  Vohsen  a  apporté  un  certain  nombre  de  faits  pri^cis 
relatifs  au  développement  de  la  culture  du  cacao  à  Lagos  par 
Jes  indigènes,  et  aux  cultures  entreprises  au  Cameroun  avec  le 
concours  des  naturels  du  pays  dont  (a-t-il  dit  en  propres 
termes)  «  M.  Wœrmann  est  enchanté  ».  Quant  à  faire  de  rindi- 
gène  l'associé  du  colon,  c'est  ce  qu'on  a  essayé  de  réaliser  dans 
le  Sud-Ouest  africain  allemanjl  sous  forme  de  cheptel  ;  un  jne- 
mier  essai  n'a  certainement  pas  abouti,  mais  il  semble  qu'une 
seconde  tentative  ait  donné  de  bons  résultats. 

Sur  rinvitation  de  M.  Chailley-Bert,  le  colonel  Thys  a  expliqué 
comment  il  avait  procédé  à  l'égard  des  indigènes  du  Congo,  et 
comment,  à  l'heure  actuelle,  les  noirs  employés  aux  travaux 
du  chemin  de  fer  de  Matadi  à  Léopoldville,  se  pliaient  d'eux- 
mêmes  à  la  besogne  et  comprenaient  la  nécessité  et  les  avan- 
tages du  travail.  Rien  de  plus  intéressant  que  cette  communi- 
cation du  colonel  Thys,  complémentaire  de  celles  que  l'Instihit 
Colonial  avait  déjà  entendues  naguère  dans  ses  sessions  dr 
Berlin  et  de  Paris,  et  permettant  de  suivre  une  des  pins 
curieuses  évolutions  auxquelles  il  puisse  être  donné  d'assish-r; 
aussi  rassemblée  tout  entière  a-t-elle  témoigné  de  la  fa^^on 
la  plus  manifeste,  le  plaisir  que  lui  avait  causé  cet  exposé  sorîn- 
logique  plein  de  faits  de  la  plus  haute  importance*. 

Prenant  l'indigène  à  un  stade  plus  élevé  de  son  dévelop[îL'- 
ment,  M.  le  D'  Pierson  (auquel  on  a  dû  d'autre  part  un  magis- 
tral exposé  du  célèbre  système  Van  den  Bosch)  a  recherché  lofs 
causes  de  l'endettement  des  indigènes  de  l'Inde  anglais^^ 
signalé  leur  ignorance,  l'exaction  de  l'impôt,  la  rigueur  de  la 
perception,  et,  revenant  sur  certaines  constatations  fail<*s 
naguère  à  la  session  de  La  Haye,  insisté  sur  les  dangers  f|U(' 
présente  l'usure  faite  par  certains  indigènes  à  leurs  conipa- 
triotes.  Sir  Alfred  Lyall  et  lord  Reay  ont  confirmé  l'exactitnili' 
des  renseignements  donnés  par  M.  Pierson;  ils  ont  expti(|iir^ 
pourquoi  on  a  dû,  à  cause  de  l'usure,  renoncer  à  créer  à  Bombay 
des  banques  hypothécaires,    et  comment  il  conviendrait   d'y 

1  M.  Charles  Noufflard  a  exposé,  sur  le  même  sujet,  les  faits  qu'il  avait  pu  m* 
comment  observer  sur  les  chantiers  de  construction  des  chemins  de  fer  de  Mfula^ 
gascar  et  de  l'Ethiopie,  et  a  ainsi  apporté  à  la  réunion  de  précieuses  confirmatiuiis 
des  paroles  du  colonel  Thjs. 


^^^  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

créer  des  banques  d'épargne  ;  le  président  de  l'Institut  Colonial 
a  également  indiqué  pourquoi  il  est  inexact  de  critiquer  la 
rigueur  de  l'impôt,  son  exagération  à  Bombay,  mais  comment 
l'indigène  souffre,  durant  les  années  de  famine,  de  sa  fixité  ;  ce 
qu'il  conviendrait  et  ce  qu'on  s'efforce  de  faire,  c'est,  dans  les 
années  mauvaises,  de  donner  plus  de  souplesse  à  l'impôt. 

Il  semble  bien,  au  total,  que  M.  J.  Chailley-Bert  ait,  de  cette 
discussion  dont  nous  ne  pouvons  qu'esquisser  à  grands  traits 
les  principaux  points,  dégagé  la  véritable  conclusion  quand, 
après  avoir  montré  comment  MM.  Pierson  et  Anton  différaient 
d'opinion  sur  un  même  point,  —  sur  la  vente  des  terres  indi- 
gènes, —  parce  qu'ils  pensaient  à  des  cas  différents,  et  après 
avoir  exposé  ce  qui  avait  été  fait  en  Cochinchine  et  au  Sénégal 
pour  la  culture  des  terres  par  les  indigènes  ;  il  a  formulé  les  deux 
propositions  suivantes  :  i*^  tant  que  la  chose  sera  possible,  il 
conviendra  de  ne  pas  entraver  la  liberté  des  transactions  ;  â*»  il 
ne  faut  pas  s'en  tenir  à  une  thèse  unique,  mais  bien  avoir  des 
solutions  variables  suivant  les  cas.  Et  telle  est  bien,  en  effet, 
la  vraie  solution  scientifique  de  la  question  ;  il  est  impossible, 
dans  un  problème  aussi  complexe  que  celui  du  régime  foncier, 
de  recourir  à  une  seule  règle  générale  ;  là  où  le  sol  est  bon, 
les  indigènes  pourront  certainement,  comme  lont  déclaré  lord 
Reay  et  M.  Chailley-Bert,  produire  du  coton,  du  riz,  du  blé,  sans 
que  l'Européen  ait  besoin  d'intervenir  en  aucune  façon;  en 
sera-t-il  de  même  ailleurs? 

Les  excellents  rapports  présentés  par  le  D»"  Anton  aux  diffé- 
rentes sessions  de  1899,  1900,  1901  et  1903  seront  (ainsi 
en  a-t-il  été  décidé  sur  la  proposition  de  M.  Chailley-Bert) 
réunis  avec  les  discussions  qu'ils  ont  suscitées  dans  une  publi- 
cation spéciale  dont  nous  ne  saurions  trop,  d'ores  et  déjà, 
recommander  la  lecture  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  aux  ques- 
tions coloniales.  Ils  y  trouveront  une  foule  de  renseignements 
précieux  et  de  vues  instructives,  et  quand,  arrivés  à  la  fin  du 
volume,  ils  le  fermeront,  ils  concluront  sans  doute  que  de  tels 
rapports,  de  semblables  discussions,  font  honneur  à  l'Institut 
Colonial  international. 


Beaucoup  moins  importantes  ont  été  les  discussions  soulevées 
par  la  question,  soit  des  rapports  politiques  entre  métropole  et 
colonies,  soit  de  l'enseignement  colonial  général. 

Du  consciencieux  et  intéressant  rapport  de  M.  Arthur  Girault, 
nous  ne  dirons  rien,  puisque  les  Questions  Diplomatiques  et 
Coloniales  en   ont  naguère  publié   une  des  parties  les  plus 


LES   DERNIERS  TRAVAUX   DE  L'iNSTITUT   COLONUL   INTERNATIONAL      765 

importantes  '  ;  il  nous  suffira  d'en  donner  ici  les  conclusions, 
telles  qu'elles  ont  été  formulées  par  l'auteur  lui-même  à  la  fin 
de  son  travail.  Les  voici  : 

I.  —  l^ncipes  généi*aux  : 

L'objectif  de  la  politique  coloniale  doit  être,  non  de  préparer  une  sépara- 
tion jugée  d'avance  inévitable,  mais  de  maintenir  et  de  fortifier  les  liens  qui 
unissent  les  différentes  parties  de  l'Empire. 

En  conséquence,  la  politique  coloniale  de  la  métropole  doit  être  telle  que 
les  colonies  n'aient  aucun  intérêt  à  la  séparation. 

II.  —  Action  de  la  métropole  sur  les  colonies  : 

La  politique  coloniale  doit  être  basée  sur  un  principe  de  décentralisation. 
En  conséquence  : 

a)  Les  affaires  administratives  doivent  être  réglées  sur  place; 

b)  La  direction  gouvernementale  doit  être  de  préférence  donnée  dans  la 
colonie  ; 

c)  Il  est  désirable  que  le  pouvoir  législatif  impérial  ou  métropolitain  vote 
pour  chaque  colonie  une  loi  organique  fixant  les  principes  qui  devront  régir 
ses  rapports  avec  la  mère-patrie  ;  mais  la  législation  intérieure  du  pays  doit 
être,  autant  que  possible,  faite  dans  la  colonie  ; 

d)  L'organisation  de  la  justice  doit  être  décentralisée  ; 

e)  L'armée  coloniale  doit  avoir  une  organisation  autonome  ; 

f)  La  législation  douanière  et  le  budget  de  la  colonie  doivent  être  faits  sur 
place  par  les  autorités  locales. 

—  Dans  les  colonies  de  peuplement,  il  convient  de  décentraliser  en  éten- 
dant les  attributions  des  assemblées  représentatives. 

Dans  les  colonies  d'exploitation  et  dans  les  colonies  mixtes,  il  convient  de 
décentraliser  en  déconcentrant. 

—  En  principe,  et  sauf  dans  les  vieilles  colonies  de  peuplement,  l'auto- 
rité doit  être  concentrée  aux  colonies  entre  les  mains  d'un  seul  (principe 
d'unité  d'autorité). 

III.  —  Action  des  colonies  sur  la  métropole  : 

Il  est  juste  de  reconnaître  aux  colonies  le  droit  d'exercer  une  certaine 
influence  sur  la  politique  métropolitaine.  Elles  doivent  avoir  tout  au  moins 
voix  au  chapitre  toutes  les  fois  que  leurs  intérêts  particuliers  ou  les  intérêts 
généraux  de  l'empire  sont  enjeu. 

A  défaut  de  la  constitution  d'un  Parlement  impérial,  il  est  désirable  que 
les  colonies  soient  représentées  au  Parlement  métropolitain  ;  mais  les  règles 
relatives  à4a  composition  du  corps  électoral  ne  doivent  pas  être  les  mêmes 
dans  les  colonies  nouvelles  que  dans  la  métropole  et  peuvent  varier  suivant 
les  colonies. 

—  Los  habitants  des  colonies  et  ceux  de  la  métropole  doivent  être  placés, 
en  fait  comme  en  droit,  sur  un  pied  d'égalité  absolu,  au  point  de  vue  de 
l'admissibilité  aux  honneurs  et  aux  fonctions  publiques. 

t  Voir  la  revue  du  {•'  mai  1903,  t.  XV,  pp.  585-589  (La  représentation  des  colo- 
nies  au  Parlement),  Dès  1897,  M.  A.  Girault  avait  fait  au  Congrès  international 
colonial  de  Bruxelles  une  communication  sur  les  Rapports  politiques  entre  la  mé- 
tropole et  les  colonies  ;  Représentation  des  colonies  {compte  rendu,  p.  112-123). 


766  QUESTIONS  DIPLOMATIQUKS   KT  COLONIALES 

Que  de  questions  méritant  soit  un  minutieux  examen,  soit 
une  longue  discussion,  soulevées  par  le  rapport  dont  ou  vient  de 
lire  les  conclusions!  En  particulier  sur  les  propositions  de 
M.  Girault  relatives  à  l'action  des  colonies  sur  la  métropole,  on 
pouvait  s'attendre  à  une  lutte  ardente;  il  n'en  a  rien  été.  Seul, 
sir  Hubert  Jerningham,  dans  un  travail  remarquablement  com- 
posé, écrit  dans  un  français  plein  de  nerf  et  d'élégance  tout  à  la 
fois,  a  successivement  examiné  une  à  une  les  différentes  u  posi- 
tions »  formulées  par  le  rapporteur,  indiquant  pourquoi  il  adop- 
tait un  certain  nombre  d'entre  [elles,  et  pourquoi  il  rejetait  les 
autres.  Il  a,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  particulièrement  com- 
battu la  phrase  dans  laquelle  M.  Girault  déclarait  considérer 
comme  désirable  que  les  colonies  fussent  représentées  au  Parle- 
ment métropolitain,  et  a  donné,  avec  son  autorité  d'homme  d'ac- 
tion et  d'expérience,  rompu  aux  affaires  et  n'envisageant  pas 
seulement  les  choses  à  un  point  de  vue  théorique,  son  adhésion 
complète  aux  idées  formulées  par  M.  d'Estou ruelles  de  Constant 
sur  la  représentation  coloniale. 

Pourquoi,  après  ce  début  plein  de  promesses,  la  discussion 
a-t-elle  perdu  toute  vivacité?  Il  est  assez  difficile  de  le  dire. 
Sans  aucun  doute,  les  membres  français  de  l'Institut  Colonial 
international  étaient  particulièrement  frappés  de  la  leçon  qui 
s'était  dégagée  pour  eux  dans  Tintervalle,  à  Mansion  House,  de 
l'invitation  faite  par  le  lord  maire,  sir  Marcus  Samuel,  juif  de 
naissance,  à  un  jésuite  français,  de  bénir  la  table  où  la  Cité  de 
Londres  conviait  ses  hôtes  à  s'asseoir;  mais  en  était-il  de  même 
pour  les  autres  membres  de  l'Institut?  Avaient-ils  les  mêmes 
raisons  de  méditer  cet  acte  de  politesse,  de  tolérance  et  de 
liberté,  et  n'avaient-ils  rien  à  dire,  sur  les  questions  controver- 
sées entre  le  rapporteur  et  sir  Hubert  Jerningham,  qui  n'eût 
déjà  été  dit  par  l'un  d'entre  eux? Non,  sans  aucun  doute;  mais, 
visiblement,  on  s'est  réservé,  attendant  peut-être,  pour  exa- 
miner à  fond  les  théories  de  M.  A.  Girault,  que  le  sujet  étudié 
par  M.  Chailley-Bert  («  Quelle  est  la  meilleure  manière  de 
légiférer  pour  les  colonies?  »)  fût  mis  en  discussion.  Mais  cette 
importante  question  a  été,  en  dépit  des  efforts  faits  par  M.  de 
Martens  pour  qu'il  en  fût  autrement,  réservée  pour  la  prochaine 
session,  et  voilà  comment  le  travail  de  M.  Girault  n'a  pas  été 
aussi  complètement  étudié  qu'à  tous  les  points  de  vue  il  méri- 
tait de  l'être;  il  le  sera  d'ailleurs  sans  aucun  doute  un  peu  plus 
tard,  car  la  question  des  rapports  politiques  entre  métropole 
et  colonies  demeure,  comme  plusieurs  autres,  à  Tordre  du  jour 
des  futures  sessions  de  l'Institut,  et  elle  ne  tardera  pas  à  être 
reprise  d'une  manière  ou  d'une  autre,  et  à  être  traitée  avec 


LES   DERNIERS   TRAVAUX   DE   L*INSTITUT   COLONIAL  INTERNATIONAL      7d7 

toute  l'ampleur  que  comporte  un  sujet  aussi  considérable  et 
aussi  complexe. 

En  sera-t-il  de  môme  de  la  troisième  question  inscrite  à 
Tordre  du  jour  de  la  session  de  Londres,  celle  de  renseigne- 
ment colonial  général?  Nous  n'oserions  l'affirmer.  Tout  le 
monde  avait  cependant  été  d'accord  en  1900  pour  la  mise  à 
l'étude  de  ce  sujet  important  et  délicat,  que  le  rapporteur  a 
débuté  par  définir.  L'enseignement  colonial  général,  c'est, 
a-t-il  dit,  celui  qui  est  destiné  au  grand  public  lettré  de  Tune 
ou  l'autre  des  métropoles  européennes,  à  ceux  qui  viennent 
chercher  auprès  des  maîtres  de  l'enseignement  public  des 
informations  précises  et  rigoureusement  contrôlées,  des 
méthodes  scientifiques  et  une  haute  culture  intellectuelle.  Cette 
définition  une  fois  donnée,  nous  nous  sommes  efforcés  d'envi- 
sager, dans  les  différents  paragraphes  de  notre  travail,  les  mul- 
tiples questions  qui  se  posent  au  sujet  de  la  constitution  et  de 
l'organisation  de  l'enseignement  colonial  général;  puis,  après 
avoir  présenté  un  bref  tableau  d'ensemble  de  cet  enseignement, 
tel  qu'il  existe  actuellement  dans  les  différents  pays  colonisa- 
teurs de  l'Europe,  nous  avons  cru  pouvoir  conclure  en  formu- 
lant les  propositions  suivantes  : 

I.  —  Un  enseignement  colonial  général  doit  exister  dans  chaque  métro- 
pole, parce  qu'un  enseignement  de  ce  genre  est  d'une  réelle  utilité. 
.  II.  —  Cet  enseignement  doit  être  considéré  comme  un  exercice  de  haute 
culture  intellectuelle  et  orienté  dans  un  sens  rigoureusement  scientifique 
et  dans  un  but  absolument  désintéressé.  Il  doit  laisser  à  d'autres  institu- 
tions d*un  caractère  différent  la  préparation  absolument  spéciale,  et  immé- 
diatement directe  et  pratique  aux  entreprises  coloniales. 

Mais  il  ne  doit  s'interdire  en  aucune  façon  de  montrer  les  applications 
pratiques  qui  en  découlent,  et  il  ne  doit  même  négliger  aucune  occasion 
de  mettre  ces  applications  en  pleine  lumière. 

III.  —  L'enseignement  colonial  général  doit  avoir  des  cadres  très  larges 
et  très  souples  ;  la  géographie,  l'ethnologie,  l'histoire,  les  sciences  phy- 
siques et  naturelles  en  constitueront  les  cadres. 

Quant  à  l'étude  des  langues  indigènes,  à  celle  du  droit  et  des  différentes 
sciences,  en  vue  des  applications  que  ces  sciences  peuvent  immédiatement 
trouver  dans  les  pays  neufs,  etc., elle  sera  réservée  pour  un  autre  enseigne- 
ment pratique,  préparatoire  et  spécial  aux  différentes  carrières  coloniales. 

IV.  —  L'enseignement  colonial  général  doit  être  donné  dans  les  Univer- 
sités existant  dans  chaque  métropole. 

V.  —  Il  devra  varier  d'importance,  non  seulement  suivant  les  pays, 
mais  même  à  l'intérieur  de  chaque  pays,  suivant  les  régions,  et  pourra, 
suivant  les  intérêts  locaux  et  les  relations  de  différentes  régions  avec  le.; 
colonies  et  avec  l'étranger,  s'attacher  particulièrement  à  l'étude  d'une 


768  VUt£STIONS    DIPLOMATIQUES    KT  COLONIALES 

partie  déterminée  de  la  terre,  sans  perdre  pour  cela  son  caractère  scienti- 
fique et  désintéressé. 

VI.  —  Dans  certaines  métropoles  européennes,  l'enseignement  colonial 
général,  tel  qu'il  a  été  défini  plus  haut,  n'existe  encore  en  aucune  manière; 
dans  d'autres,  l'initiative  gouvernementale  et  l'initiative  privée  travaillent 
avec  persévérance  à  l'organiser.  Mais  le  plan  d'ensemble  a  commencé  par 
faire  défaut,  de  telle  sorte 'que,  jusqu'à  présent,  un  tel  enseignement 
n'existe  encore  nulle  part  d'une  manière  complète. 

VII.  —  Impossible  à  constituer  entièrement  du  jour  au  lendemain,  il 
peut,  dès  maintenant,  l'être  systématiquement  en  partie.  Les  lacunes  se 
combleront  peu  à  peu,  par  suite  de  la  formation  d'hommes  aptes  à  remplir 
chaque  chaire. 

VIII.  —  Alors  pourront  être  créées  dans  les  Universités  des  sections 
coloniales,  formées  par  la  réunion  des  dififérentes  chaires  existantes  et 
douées  de  leur  individualité  propre.  Ce  jour-là  seulement,  renseignement 
colonial  général  atteindra  son  plein  et  entier  épanouissement. 

De  ces  propositions,  aucune  n'a  été  discutée  à  fond  par  les 
membres   présents  de    Tlnstitut    Colonial,    contrairement  à 
l'attente  du  rapporteur,  à  qui  certaines  divergences  d'opinion 
avaient  naguère  semblé  promettre,  —  lorsque,  à  la  fin  de  la  ses- 
sion de  La  Haye,  en  1901,  il  avait  dû  faire  un  exposé  succinct 
de  ses  idées,  —  un  échange  de  vues  opposées,  et,  selon  l'ex- 
pression de  M.  Chailley-Bert,  des  luttes  courtoises,  mais  ter- 
ribles. 11  serait  toutefois  très  injuste  de  dire  que  Texamen  du 
rapport  sur  renseignement  colonial  général  ait  été  sans  intérêt; 
M.  L.  Nocentini,  professeur  à  TUniversité  de  Rome,  a  donné  de 
précieuses  indications  sur  les  sérieux  efforts  faits  en  Italie  pour 
créer  un  enseignement  colonial;  M.  Van  Hasselt,  après  avoir 
rectifié  certaines  idées  trop  optimistes  du  rapporteur  relatives  à 
la  connaissance  que  possède  le  peuple  néerlandais  des  questions 
coloniales,  a  esquissé  tout  un  système  d'enseignement  colonial, 
en  débutant  par  les  écoles  élémentaires.  Enfin,  le  P.  Piolet  a, 
de  son  côté,  brièvement  exposé  ses  vues    sur    l'organisation 
complète  de  l'enseignement  colonial  en  France,  depuis  l'école 
primaire  jusque  dans  les  Facultés;  il  a  terminé  en  demandant 
quelque  chose  de  plus  :  la  création,  au  Collège  de  France,  de 
cette  chaire  de  science  coloniale,  pour  laquelle  la  Chambre  des 
députés   a  refusé  les   crédits   qu'avait  naguère   demandés  le 
groupe   colonial,    sur    l'initiative    du  prince  A.    d'Arenberg, 
d'accord  avec  le  ministre  de  l'Instruction  publique  *.  Notons 
aussi  —  avec  un  échange  de   vues  entre  M.  Von  der  Heydt, 
président  de  la   Société  allemande  de  l'Est  de  l'Afrique,  et 
M.  Chailley-Bert   sur  ce  qu'est  la  science   et  sur  la  science 

^  Nous  ne  pouvons  qu'applaudir  à  cette  proposition,  que  nous  avions  nous-mêmes 
formulée  naguère,  dans  notre  rapport  préliminaire  à  la  session  de  La  Haye  de  1901. 


LES   DERNIERS   TRAVAUX   DE   L'INSTITUT   COLONIAL  INTERNATIONAL      7fi9 

coloniale  —  que  M.  Augustin  Bernard,  à  propos  de  la  troisième 
proposition  dont  on  vient  de  lire  le  texte,  a  demandé,  en 
appuyant  sa  demande  sur  de  sérieux  motifs,  Tintroduction  des 
langues  indigènes  dans  les  cadres  de  l'enseignement  colonial 
général. 

Telles  sont  les  principales  observations  qu'a  motivées  le  rap- 
port préparatoire  à  la  dernière  des  questions  discutées  par 
l'Institut  Colonial  international  dans  sa  session  de  Londres  ;  un 
certain  nombre  d'autres  points  du  rapport  (la  place  de  l'histoire 
dans  renseignement  colonial  général,  par  exemple),  abordés 
seulement  dans  des  conversations  particulières,  pourront  être 
repris  à  une  des  prochaines  réunions  de  l'Institut,  lorsque  les 
progrès  réalisés  dans  les  différentes  métropoles  européennes  par 
l'enseignement  colonial  général  nécessiteront  une  nouvelle  étude 
de  la  question,  qui  a  d'ailleurs  été  maintenue  à  l'ordre  du  jour. 

s» 

Peut-on  dire,  au  reste,  que  l'Institut  Colonial,  après  avoir 
étudié  à  fond  une  question  déterminée,  après  avoir  publié  sur 
elle  une  série  de  documents,  la  laisse  de  côté  et  s'en  désinté- 
resse ?  Nullement.  Rien  n'en  fournit  mieux  la  preuve  que  la 
proposition  faite  par  le  D*"  N.-G.  Pierson  et  par  ses  collègues 
néerlandais*  de  constituer  dans  chaque  pays  une  commission 
composée  de  membres  de  Tlnstitut  Colonial,  dont  la  tâche 
serait  de  se  tenir  au  courant  des  nouveaux  documents  impor- 
tants se  rapportant  aux  colonies  relevant  de  ce  pays  et  relatifs 
à  des  sujets  déjà  traités  dans  les  publications  de  l'Institut,  puis 
de  signaler  au  président  de  la  Compagnie,  avec  un  exposé  des 
motifs,  les  documents  dont  elle  jugerait  la  publication  utile. 
L'Institut  Colonial  a  accepté  avec  empressement  cette  proposi- 
tion, qui  était  précédé  de  ce  très  court,  mais  décisif  exposé 
des  motifs  : 

«  Dans  la  séance  de  l'Institut  tenue  à  La  Haye  le  28  mai  1901 , 
i(  notre  collègue  M.  Chailley-Bert,  en  parlant  des  publications 
«  relatives  au  régime  foncier,  faisait  l'observation  qu'  «  aucune 
«  collection  de  documents  ne  peut  être  close  :  celles  que  nous 
«  considérons  aujourd'hui  comme  définitives  seront  vieillies 
«  dans  cinq  ans.  » 

«  Cette  observation  peut  être  appliquée  à  tout  ce  que  notre 
«  Institut  a  publié  jusqu'ici.  Dans  cinq  ans,  et  peut-être  plus 
«  tôt,  une  grande  partie  de  ces  travaux  n'aura  qu'une  valeur 
«  historique;  les  publications  donneront  un  tableau  de  lalégis- 
«  lation  telle  qu'elle  était  autrefois,  et  ceux  qui  les  consulte- 

i  MM.  J.-H.  Fransen  Van  de  Patte,  C.-Ph.   van  Deventeret  A.-L.  van  Hasselt 
QuBST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  49 


770  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

H  ront  pour  y  trouver  la  législation  existante  courront  grand 
«  péril  de  se  tromper. 

«  II  n  y  a  qu'un  moyen  d'écarter  le  danger,  c'est  de  continuer 
K  à  publier  les  documents  se  rattachant  aux  sujets  traités  dans 
«  les  publications  antérieures.  » 

Ainsi  rinstitut  Colonial  international  s'achemine  peu  à  peu 
vers  la  publication  de  cette  Revue  Coloniale  internationale^ 
contenant  des  articles  d'un  intérêt  général  pour  les  colonies  de 
toutes  les  nations,  dont,  dès  le  premier  jour,  l'article  2  de  ses 
Statuts  a  envisagé  la  création  ultérieure  * .  Cette  publication 
nouvelle,  qui  ne  saurait  manquer  de  rendre  les  plus  grands  ser- 
vices, constituera  sans  aucun  doute  dès  son  apparition  le  digne 
pendant  de  la  Bibliothèque  Coloniale  internationale  dans  les 
six  séries  de  laquelle  ont  déjà  été  publiés  dix-sept  volumes  de 
documents  de  la  plus  haute  importance  sur  la  main-d'œuvre, 
les  fonctionnaires  coloniaux,  le  régime  foncier,  le  régime  des 
protectorats,  les  chemins  de  fer  aux  colonies  et  dans  les  pays 
neufs,  le  régime  minier  ^.  A  l'énorme  travail  que  représente 
la  réunion  des  matériaux  nécessaires  pour  la  composition  de 
ces  dix-sept  volumes,  le  choix  à  faire  entre  les  documents,  la 
traduction  en  français  des  textes  étrangers,  ajoutez  la  rédaction 
des  rapports  préliminaires  à  la  discussion  de  chaque  question 
mise  à  Tordre. du  jour  \  la  publication  de  six  volumes  de 
comptes  rendus  des  sessions,  la  création  d'un  bureau  interna- 
tional de  renseignements  et  d'une  bibliothèque  coloniale,  et 
vous  comprendrez  pourquoi  l'excellent  président  de  l'Institut 
Colonial,  lord  Reay,  pouvait  dire  le  26  mai  dernier,  dans  son 
magistral  discours  d'ouverture,  que  la  Compagnie  est  vraiment 
sortie  de  l'enfance  et  peut  dès  maintenant  tirer  honneur  de 
l'œuvre  qu'elle  a  accomplie. 

Henri  Froide  vaux. 

>  «  Pour  atteindre  ce  but  (le  but  défini  dans  l'article  !«'  des  Statuts),  l'Institut  : 
«  ...  2°  préparera,  aussitôt  qu'il  sera  d'avis  que  le  moment  est  propice,  une  Revue 
«  Coloniale  internationale  contenant  des  articles  d'un  intérêt  général  pour  les  colo- 
«  nies  de  toutes  les  nations.  » 

*  Voici  l'état  actuel  de  ces  publications  :  l»"®  série,  la  Main^d^œuvre  aux  colonies, 
3  vol.;  2«  série,  les  Fonctionnaires  coloniaux,  2  vol.;  3«  série,  le  Régime  foncier 
aux  colonies,  5  vol.;  4«  série,  le  Régime  des  protectorats,  2  vol.;  5"  série,  les  Che- 
mins de  fer  aux  colonies  et  dans  les  pays  neufs,  3  vol.  ;  le  Régime  minier  aux 
colonies,  2  vol.  —  A  ces  différentes  séries  s'ajoute,  hors  cadre,  la  série  des  comptes 
rendus  des  six  sessions  tenues  à  Bruxelles  en  1894  et  en  1899,  à  La  Haje  en  1895  et 
en  1901,  à  Berlin  en  1897  et  à  Paris  en  1900  (6  vol.). 

3  Trois  des  rapports  distribués  aux  membres  de  l'Institut  Colonial  avant  la  session 
de  Londres  n'ont  pas  été  discutés;  ce  sont  ceux  de  MM.  J.  Chaillej-Bert  sur  la 
meilleure  manière  de  légiférer  aux  colonies,  de  Valroger  sur  le  régime  minier  dans 
les  troi.«  Guyanes,  et  de  l'illustre  Sir  Alfred  Lyall  sur  l'irrigation  dans  Tlnde.  Ces 
rapports  seront  examinés  dans  la  prochaine  session,  qui  aura  lieu  à  Wiesbaden  en 
1904  sous  la  présidence  du  duc  Jean-Albert  de  Mecklembourg,  durant  la  semaine 
qui  précédera  la  Pentecôte. 


LES  EMPLOYES  COLONIAUX 

DE    NOS    POSSESSIONS    D'AFRIQUE 


Voilà  un  sujet  qui  pourrait  sembler  peu  digne  d'être  tr-iitr 

dans  une  Revue,  du  genre  de  celle-ci,  aux  yeux  des  persojiiR's 

(et  le  nombre  en  va  heureusement  diminuant  sans  cesse),  i\\ù 

pensent  que  les  questions,  qui  s'y  rattachent,  n'ont   qu'uin» 

importance  à  peine  équivalente  à  la  matière  des  emplois  dans  la 

métropole.  Mais,  pour  ceux  qui  sont  plus  familiarisés  avec  l^'s 

choses  d'outre-mer,  il  en  est  tout  différemment;  s'ils  estinit^l 

que  Tavenirde  notre  domaine  africain  dépend  de  la  fa(^on  dnnl 

sera,   en  lin  de  compte  (il  faudra  bien  y  arriver  un  jour  on 

l'autre,  et  le  plus  tôt  sera  le  mieux),  résolu  le  problème  de  lu 

main-d'œuvre  indigène,  ils  considèrent,  aussi,  que  le  choix  di^s 

agents  et  employés,  qui  sont  appelés  à  diriger  cette  main-dViMi- 

vre  et  à  représenter  sur  place  des  grandes  sociétés  coloniali^is, 

est  d'un  intérêt  capital  pour  leur  avenir,  et  que  celui-ci    isl 

intimement  lié  à  la  manière  dont  le  personnel  sera  recru  h-, 

traité  et  siuveillé.  On  peut  donc,  semble-t-il,  parler  utileiui^nt 

du  choix  des  auxiliaires  à  envoyer  au  loin,  des  conditions  i*i 

avantages  qui  leur  sont  ou  doivent  leur  être  faits,  des  procf'^l^'s 

divers  à  employer  à  leur  égard,  de  la  direction  à  imprimer  fi 

leurs  efforts,  du  contrôle  de  leurs  actes  et  des  récompensais  h 

ne  pas  marchander,  lorsqu'elles  sont  méritées.  Il  importe,  m 

effet,  d'éclairer Topinion  publique  que  les  tendances  de  piilili- 

cations  récentes  pourraient  égarer,  si  Ton  s'abstenait  de  meitrt' 

toutes  choses  au  point.  Parmi  les  maisons  de  commerce  et  U*s 

sociétés  coloniales,  possédant  des  intérêts  en   Afrique,  il  g*<Mi 

trouve  malheureusement  plusieurs  dont  les  chefs  ignorent  nii 

dédaignent  l'art  de  choisir  leurs  employés,  les   traitent  lù-firw 

presque  inhumainement,  ou  bien  encore  ont  besoin,   pour  In 

réalisation  de  leurs  spéculations  en  Europe,  de  gens  sou[^l(^s. 

mais  tarés,  qu'on  écarte  impitoyablement  lorsqu'ils  ne  peuvtTil 

plus  servir  c\rien;  pour  ne  pas  souffrir  de  révélations  possililt?s^ 

on  les  charge,  au  bon  moment,  de  tous  les  péchés  d'lsra(?l  ;  ^>ii 


772  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 


exploite  leur  passé  douteux  et  leurs  vices.  Quand  on  peut  arri- 
ver jusqu'à  les  affamer,  c'est  tout  profit  :  moyennant  un  maigre 
subside,  on  se  fait  rendre  les  armes  —  c'est-à-dire  les  pièces 
—  qui  pouvaient  nuire.  Mais,  à  côté  de  ces  coloniaux,  se  disant 
tels  tout  au  moins,  exploiteurs  malhonnêtes  de  leurs  sem- 
blables (employés  modestes  de  factoreries  ou  gros  actionnaires 
européens),  il  existe  des  maisons  sérieuses  qui  font  de  leur 
mieux  pour  se  recruter  un  personnel  trié  sur  le  volet,  dont 
le  souci  est  de  sélectionner  sans  cesse  les  éléments  divers  qu'il 
renferme,  dont,  enfin,  la  préoccupation  constante  est  de  mettre 
chacun  à  la  place  qui  convient  le  mieux  à  ses  capacités,  de 
récompenser  les  efforts  sincères,  d'améliorer  la  situation  de 
tous,  raisonnablement,  pour  qu'aucun  ne  soit  fondé  à  se  dire 
mécontent.  Ainsi  donc,  il  convient  d'examiner  :  1®  la  conduite 
à  tenir  à  Tégard  des  candidats  qui  se  présentent  pour  remplir 
les  emplois  vacants  qu'ils  se  croient  dignes  de  remplir;  2"  les 
stipulations  contractuelles  à  faire  avec  eux,  leur  raison  d'être, 
leur  légitimité  et  leurs  sanctions  possibles;  3*  les  diverses 
modalités  d'engagement  et  la  manière  de  les  exécuter  ;  4**  les 
conditions  de  confort  et  d'hygiène  à  adopter  ;  5®  les  relations 
des  employés  avec  les  agents  principaux  et  les  rapports  des  uns 
et  des  autres  avec  leur  maison  d'Europe,  soucieuse  de  savoir 
exactement  ce  qui  se  passe,  mais  désireuse  de  maintenir  la 
discipline,  et  non  moins  préoccupée  de  la  défense  de  ses  intérêts 
que  de  la  situation  et  de  l'avenir  de  chacun  de  ses  auxiliaires. 
Car,  aux  colonies  plus  qu'en  Europe,  la  paix  sociale,  disons 
aussi  la  paix  économique,  n'est  possible  que  par  l'union  du 
capital  et  du  travail,  par  leur  entente  équitable,  par  leur  coopé- 
ration constante  :  l'un,  le  capital,  a  le  droit  incontestable  à  une 
large  rémunération  pour  les  risques  certains  auxquels  il  s'ex- 
pose ;  l'autre,  le  travail,  est  fondé  à  obtenir  non  pas  seulement 
i  un   fort  traitement  (en   nature   ou   en  argent),  eu  égard  aux 

h  risques  spéciaux  de  santé  qu'il  fait  courir,  mais  encore  des 

f-  compensations  grandissantes  avec   les  résultats  qu'il  donne, 

^;  quand    ceux-ci    sont  bien    et  réellement   acquis,  c'est-à-dire 

''  déduction   faite    d'un   certain    nombre  d'éléments    qui,  trop 

souvent,    figurent   sur   les    inventaires,    alors    qu'ils   consti- 
;  tuent  plus   que   des  aléas  :  des  pertes  plus  ou   moins  diffé- 

rées, bien  que  certaines.  Il  faut,  en  un  mot,   que  capital  et 
travail,  suffisamment  et  également  éclairés  sur  leurs  intérêts 
'i  respectifs,   ne  les  croient  pas  opposés  entre  eux  et  que,  en 

[  conséquence,  un   même  esprit  de  solidarité  ne  cesse  de  les 

h..  animer. 


j 


■■T  .m  .%   TJ 


LES  EMPLOYÉS  COLONIAUX   DE   NOS   POSSESSIONS  d'aFRIQUE         773 


DU  CHOIX    DES  EMPLOYES 


A.  Conditions  physiques.  —  Pour  qui  connaît  l'effet  dépri- 
mant du  climat  tropical  (action  de  la  chaleur  et  de  l'humidité) 
et  les  modifications,  que  produisent  dans  l'organisme  divers 
changements  dans  l'alimentation  (privation  presque  totale  des 
légumes  verts,  etc.),  et  dans  les  habitudes,  la  nécessité  de  ne 
recruter  les  employés  coloniaux  que  parmi  des  hommes  sains 
et  formés  s'impose  inéluctablement.  Une  visite  préalable  à  un 
médecin  consciencieux  est  donc  obligatoire  ;  par  là,  l'on  saura 
que  le  candidat  n'a  ni  affection  cardiaque,  ni  scrofule,  ni  rachi- 
tisme, ni  tuberculose,  ni  maladie  de  foie.  Pour  le  reste,  ainsi 
que  pour  l'estomac  et  les  intestins,  la  santé  de  l'intéressé 
dépendra  de  sa  conduite,  de  son  hygiène  et  de  sa  sobriété. 
S'il  était  toujours  possible  de  choisir  pour  le  mieux,  il 
conviendrait  de  n'engager  que  des  tempéraments  moyens, 
ni  trop  bilieux,  ni  trop  sanguins,  ni  trop  nerveux.  Quant 
à  l'âge,  je  n'hésite  pas  à  exclure  les  jeunes  gens  ayant  moins 
de  vingt  ans  et  les  hommes  qui,  n'ayant  jamais  vécu  dans 
les  pays  chauds,  dépassent  trente-cinq  ans;  chez  les  pre- 
miers, il  y  a  souvent  insuffisance  de  formation  physique  ;  chez 
les  seconds,  l'inconvénient  contraire  est  fréquent.  La  meilleure 
période  de  la  vie  est  donc  vers  la  vingt-cinquième  année,  qui 
concorde  à  peu  près  avec  la  libération  du  service  militaire.  Il 
est  évident  que,  si  le  séjour  aux  colonies  dispensait  de  celui-ci, 
ainsi  que  de  bons  esprits  le  souhaitent,  on  pourrait  y  envoyer 
les  jeunes  hommes  un  peu  plus  tôt,  à  condition  toutefois  de 
leur  éviter  les  moins  bons  endroits,  afin  de  leur  faciliter  l'accli- 
matation ;  cette  observation,  d'ailleurs,  est  d'ordre  général  et 
ne  doit  jamais  être  perdue  de  vue  par  les  chefs  de  maisons  : 
elle  se  rattache,  au  surplus,  à  la  question  très  importante  du 
milieu  moral  duquel  il  sera  parlé  plus  loin. 

B.  Conditions  intellectuelles,  —  Entre  ceux,  que  leurs  fonc- 
tions appellent  à  renseigner  le  public  sur  ce  qu  on  peut  faire 
aux  colonies,  et  des  jeunes  gens,  désireux  de  s'expatrier,  s'en- 
gage fréquemment  le  colloque  suivant  :  «  Je  veux  aller  aux 
«  colonies.  —  Dans  laquelle  ?  —  Cela  m'est  indifférent.  —  Pour 
«  quoi  y  faire  ?  —  Tout  ce  qu'on  voudra  !  »  Voilà  un  homme 
de  bonne  volonté,  pensera-t-on  !  Non  pas  :  c'est  une  pure  non- 
valeur. 

Combien  je  préfère  l'individu  qui  vient  dire  :  «  J'ai  fait  mon 
«  service  militaire  au  Sénégal,  au  Soudan;  je  me  suis  familia- 


774  QUESTIONS  OIPLOMATIOUKS  ET  C0L0NULE8 

«  risé  avec  les  dialectes  indigènes;  j'ai  observé  le  caractère  et 
u  la  nature  des  gens  ;  je  crois  avoir  saisi  les  idées  et  les  manières 
«  qui  conviennent  à  leur  tempérament;  si  j'avais  une  place 
«  sérieuse,  assurée,  il  me  semble  que  je  me  débrouillerais.  » 
A  celui-là,  il  ne  faut  pas  demander  grand'chose  de  plus;  s'il 
a  de  la  conduite  et  de  la  santé,  il  réussira  ;  il  convient  seule- 
ment de  ne  pas  le  laisser  partir,  avant  qu  il  possède  des  notions 
de  bonne  comptabilité,  lui  permettant  au  moins  de  calculer  ses 
prix  de  revient  et  de  raisonner  ses  opérations.  La  connaissance 
d'une  langue  étrangère,  l'anglais  surtout,  sera,  sinon  partout 
indispensable,  du  moins  de  la  plus  grande  utilité. 

C.   Conditions    morales.   —   La   disposition  d'esprit,  dans 
laquelle  partent  les  jeunes  employés  coloniaux,  est  de  la  plus 
grande  importance,  eu  égard  aux  luttes  morales  qu'ils  auront  à 
soutenir  là-bas,  loin  de  leur  famille,  loin,  souvent  aussi,  de  tout 
contrôle  sérieux,  sans  le  frein  du  milieu  civilisé,  dans  lequel 
nous  vivons  ici,  qui  étreint  nos  instincts  parfois  désordonnés, 
et  aux  exigences  duquel  nous  conformons,  volontairement  ou 
même  à  notre  insu,  notre  manière  d'être.  Le  chefde  maison,  que  . 
vient  solliciter  un  candidat,  doit  donc  faire  porter  spécialement 
ses  investigations  sur  le  côté  moral  :  la  situation  de  sa  famille, 
le  nombre  de  ses  frères  et  sœurs,  l'école  où  il  a  étudié,  son 
degré  d'instruction,  ce  qu'il  a  fait  depuis  la  fin  de  ses  classes, 
les  motifs  qui  l'invitent  à  partir  si  loin  de  sa  patrie  :  autant  de 
questions,  la  dernière  surtout,  qui  appellent  un  examen  appro- 
fondi. A  son  tour,  le  chefde  maison  expliquera  ce  qu'est  la  vie 
du  commerçant,  du  colon,  aux  colonies;  d'après  celle  où  le 
candidat  devra  se  rendre,  il  lui  dira  la  dureté  de  l'existence, 
faite  de  labeur  et  de  privations,  sous  un  climat  pénible,  au  milieu 
de  populations  à  peu  près  sauvages,  sans  distractions  intellec- 
tuelles en  dehors  du  travail  ;  il  le  désillusionnera  sur  les  récits, 
parfois  fantaisistes,  de  certains  voyageurs  qui,  le  péril  et  les 
ennuis  passés,  ne  s'en  souviennent  plus  guère  dans  leurs  écrits; 
les  actions  d'éclat,   pour  le  commun  des    mortels,  c'est  du 
roman  ;  les  chasses    magnifiques,    c'est   du  rêve  ;  le  trantran 
quotidien  est  plus  monotone  et  ce  trantran-là  doit  durer  près 
de  trois  années  avant  qu'on  puisse  venir  se  refaire  l'esprit  et  le 
corps  dans  le  monde  civilisé.  En  un  mot,  si  la  peinture  doit 
rester  exacte,  il  vaut  mieux  en  foncer  un  peu  les  tons. 

Il  faut,  en  effet,  tout  prévoir  et  tout  dire  à  celui  qui  veut 
partir;  la  solitude  dangereuse,  l'isolement  néfaste,  l'ennui 
démoralisateur,  le  découragement  provenant  de  la  maladie,  du 
marasme  des  affaires,  d'échecs  immérités,  d'ambitions  hâtives, 
prématurées,  inassouvies;  il  faut  le  prémunir,  aussi,  contre  les 


'^■■f 


LES   EMPLOYÉS   COLONIAUX  DE   NOS   POSSESSIONS   D*AFRIQCË  773 

mauvais  conseils,  toujours  plus  ou  moins  intéressés;  il  faut  le 
garder  de  ces  inimitiés  enfantines,  inexplicables,  qui  énervent 
et  nuisent  à  tout  et  à  tous  ;  il  y  a  là  une  fâcheuse  tendance, 
trop  générale,  contre  laquelle  il  est  nécessaire  de  réagir  sans 
cesse;  est-il  raisonnable  de  voir,  comme  cela  se  produit  sou- 
vent, quatre  ou  cinq  blancs  divisés  en  deux...  camps,  passer 
leur  temps  à  s'observer  mutuellement  du  matin  au  soir  et  à 
s'irriter  jusqu'au  paroxysme  par  des  milliers  de  coups  d'épingle 
indignes  d'un  être  intelligent? 

Quand,  après  tous  ces  avertissements,  le  chef  de  maison  se 
sera,  en  dernière  analyse,  rendu  bien  compte  qu'il  a  été  com- 
pris, que  le  candidat  ne  demande  pas  à  partir  n  importe  ou 
pour  y  faire  n'importe  quoi^  par  suite  d'une  contrariété  de 
famille,  d'une  histoire  d'amourette,  de  mauvaise  conduite  ou 
de  dissipation,  mais  parce  qu'il  veut  faire  son  trou  plus  facile- 
ment qu'en  France  où  la  vie  matérielle,  absorbant  de  maigres 
salaires,  empêche  de  réaliser  la  moindre  économie,  alors,  mais 
alors  seulement,  il  pourra  espérer  qu'il  a  devant  lui  un  homme 
de  volonté  et  décidé  à  obéir  et  à  bien  faire,  mieux  peut-être 
aa  loin  qu'il  n'aurait  pu  dans  la  métropole,  parce  que  sa  per- 
sonnalité aura  davantage  l'occasion  de  s'y  manifester,  de  s'y 
épanouir  plus  à  l'aise.  Quelques  conseils  au  sujet  de  la  conduite 
à  tenir  à  l'égard  du  personnel  féminin  de  là-bas  ne  seront  pas 
déplacés  :  tout  le  monde  y  pense,  en  partant;  mais  l'hypocrisie 
de  nos  mœurs  fait  que  personne  n'en  parle.  Cela  est  mauvais. 

Les  dépenses  d'un  employé  colonial,  en  dehors  du  point  abso- 
lument secondaire  (il  doit  rester  tel  toujours)  qui  vient  d'être 
visé,  sont  de  fort  minime  importance,  puisque,  généralement, 
il  est  défrayé  de  tout,  sauf  de  son  habillement  qui,  étant  de 
coton  blanc  ordinaire,  coûte  bien  peu  par  année  ;  l'économie 
est  donc  presque  forcée  ;  de  cet  argent,  l'intéressé  fera,  sans 
doute,  deux  parts  :  l'une  sera  laissée  au  siège  de  sa  maison  en 
compagnie,  qui  l'emploiera  en  achetant  pour  lui  des  valeurs  de 
tout  repos,  d'où  sécurité  mutuelle;  l'autre  fera  l'objet  d'une 
délégation  à  sa  famille  qui,  de  la  sorte,  suivra  ses  efforts  et 
saura  régulièrement  ce  qu'il  devient  par  la  voie  du  chef  de  sa 
maison,  du  directeur  de  sa  Société.  Il  n'y  a  pas  à  hésiter  à 
engager  un  jeune  homme  qui,  de  lui-môme,  fixe  ainsi  le  sort 
de  son  avenir;  son  intention  de  bien  faire  est  évidente  et  sin- 
cère et  si,  au  cours  de  son  emploi,  il  a  quelque  défaillance  de 
bon  vouloir,  des  moments  de  lassitude  dus  à  des  désillusions, 
on  ne  lui  ménagera  pas  les  encouragements  ;  le  soutenir  sera 
même  un  devoir,  à  condition  toutefois  que  ces  bonnes  disposi- 
tions ne  l'amènent  pas  à  abuser. 


776  QUESTIONS  DIPLOMATIOUfiS  ET  COLONULES 

Mais  si  le  sujet  est  bon,  le  fait  se  produira  rarement  et  sà 
bonne  conduite  lui  gagnera  rapidement  Testîme  et  la  conPiance 
de  ses  chefs. 


DES    STIPULVTIONS    CONTRACTUELLES  ET    DE  LEUR    EXÉCUTIOX 

Je  suis  résolument  partisan  du  contrat  écrit,  bien  en  règle, 
tout  au  moins  pour  la  première  fois  que  l'on  traite;  malgré 
tout,  on  se  connaît  peu;  il  est  bon  de  s^étudier;  de  plus,  les 
jeunes  gens  ont  souvent  besoin  d'être  retenus  par  quelque  chose 
de  plus  que  la  pure  raison  ;  enfin^  il  est  nécessaire  que  chacun 
connaisse  bien  la  nature  et  Tétendue  de  ses  droits  et  de  ses 
devoirs. 

Voici  les  points  principaux  qui  doivent  faire  l'objet  de  préci- 
sions bien  nettes  : 

M)  Taux  et  mode  de  règlement  du  salaire;  éléments  complémentaires 
de  rémunération. 
JV)  Frais  de  voyage  et  rapatriement;  maladies,  etc.,  etc. 
0)  Inhibitions  relatives  à  l'acceptation  d'emploi  dans  la  même  colonie. 

M.  Taux  et  modes  de  rémunération,  —  Il  était  d'usage, 
jadis,  dans  les  maisons  commerçant  au  Sénégal  et  dans  les 
Rivières  du  Sud,  de  traiter  sur  des  bases  très  larges  avec  un 
homme  au  courant  du  pays;  on  lui  confiait  une  pacotille 
importante;  il  édifiait,  à  ses  frais,  les  installations  qui  lui 
étaient  nécessaires  pour  la  traite  de  la  gomme  et  des  ara- 
chides à  laquelle  il  se  livrait.  Ses  produits  d'exportation  étaient 
réalisés  par  les  soins  de  sa  maison  d'Europe  et  les  bénélices 
nets  de  la  campagne  se  partageaient  généralement  par  moitié; 
l'agent  intéressé  était  alors  responsable  des  auxiliaires  qu'il 
avait  sous  ses  ordres  ;  la  difficulté  et  la  lenteur  des  communica- 
tions par  les  navires  à  voiles  raréfiaient  la  concurrence,  main- 
tenaient de  bons  prix,  faisaient  réaliser  de  très  gros  bénéfices 
couvrant  facilement  tous  les  aléas.  Le  développement  de  la  navi- 
gation à  vapeur  modifia  cette  situation  et  permit  l'arrivée  de 
nouveaux  venus;  alors  qu'auparavant  le  commerce  colonial 
n'était  possible  qu'aux  grandes  maisons  d'armement,  il  devint 
accessible  h  de  plus  nombreuses  initiatives;  les  gains  dimi- 
nuèrent et  il  fut  impossible  de  faire  aux  employés  la  part  aussi 
belle  ;  en  dehors  d'appointements  fixes  modiques,  les  uns  reçu- 
rent un  tantième  sur  leur  chiffre  d'affaires,  les  autres  sur  le 
bénéfice  net  annuel  de  leur  comptoir;  ces  deux  procédés  ont  du 
bon  ;  mais  chacun  présente  un  inconvénient  :  avec  le  premier, 


LES   EMPLOYÉS   COLONIAUX   DE   NOS  POSSESSIONS  D  AFRIQUE  "ill 

l'on  peut  craindre  que,  pour  grossir  son  chiffre  d'affaires,  rem- 
ployé vende  à  trop  bas  prix;  avec  le  second,  il  peut  naître,  entre 
lui  et  sa  maison,  des  difficultés  sur  la  manière  d'obtenir  le  béné- 
fice net,  des  discussions  peuvent  surgir  sur  les  valeurs  (mar- 
chandises avariées  ou  démodées,  créances  aventurées)  devant 
figurer  à  Tinventaire  et  sur  la  façon  d'établir  le  bilan  annuel. 
Dans  certaines  maisons,  dont  le  genre  des  affaires  rend  la 
chose  possible,  on  alloue  tant  par  kilogramme  de  caoutchouc 
acheté,  tant  par  bille  d'acajou  expédiée,  tant  par  tonne 
d'amandes  ou  d'huile  de  palme  exportée,  en  spécifiant,  par 
avance,  les  prix  d'achat  nécessaires  qui  ne  devraient  pas  être 
dépassés. 

Mais  toutes  ces  conditions  ne  peuvent  concerner  que  les 
employés  principaux  ;  aux  jeunes  gens,  qui  arrivent  et  qui 
doivent  tout  apprendre  de  l'apprentissage  qu'ils  vont  faire,  on  ne 
peut  offrir  qu'un  salaire  mensuel  fixe  peu  élevé  au  début,  mais 
appelé  agrandir  suivant  les  qualités  et  les  services  de  chacun.  Il 
ne  faut  pas  perdre  de  vues,  en  effet, que  le  débutant  coiite  à  la  mai- 
son qui  l'emploie  beaucoup  plus  qu'il  ne  lui  rapporte;  c'estd'ail- 
leursle  cas  des  apprentis  cheznous  dansbon  nombre  de  métiers  ; 
à  ceux-ci,  très  souvent,  l'on  ne  donne  aucune  rétribution  ;  parfois 
même  on  exige  d'eux  une  indemnité  dite  d'apprentissage  ou 
d'entretien.  Il  n'en  saurait  être  ainsi  aux  colonies  pour  de  mul- 
tiples raisons.  Mais,  pour  la  fixation  des  appointements,  cet  élé- 
ment d'appréciation  doit  être  pris  en  considération.  On  a  estimé 
que,  pour  un  engagement  de  trois  ans,  un  débutant  ne  produit 
un  travail  réellement  profitable  qu'au  bout  de  la  seconde  année; 
c'est  dire  que,  lors  de  l'expiration  du  contrat,  c'est  à  peine  si  son 
concours  a  compensé  à  sa  maison  le  coût,  la  valeur  de  l'appren- 
tissage qu'il  a  fait  chez  elle.  Ce  qui  précède  suffit  à  expliquer 
pourquoi  l'on  voit  débuter  des  jeunes  gens  à  raison  de  125 
ou  de  150  francs  par  mois,  en  sus  du  logement,  de  la  nourri- 
ture, avec  ou  sans  frais  de  blanchissage.  Les  chiffres,  qui  pré- 
cèdent, s'appliquent,  bien  entendu  aux  jeunesgens  qui  ne  savent 
rien  faire,  qui  n'ont  pas  de  spécialité;  il  va  de  soi  que  la  con- 
naissance des  langues  et  de  la  comptabilité  appelleront  des 
offres  plus  élevés  ;  d'ailleurs,  on  ne  doit  pas  le  laisser  ignorer  aux 
intéressés,  sans  ce  bagage  de  début,  ils  feront  difficilement  leur 
chemin;  faute  de  pouvoir  établir  des  prix  de  revient  et  raison- 
ner les  opérations  d'un  comptoir,  ils  resteront  dans  les  emplois 
inférieurs  de  boutiquiers,  surveillant,  copiste,  etc. 

Toutefois,  il  convient  de  reconnaître  que,  dans  certaines  mai- 
sons, il  y  a  une  tendance  fâcheuse  à  offrir  des  salaires  déri- 
soires. On  procède   ainsi  en  partant  de  cette  idée  démoralisante 


\ 


778  QUICSTIUNS   DIPLOMATIQUBS    BT   GOLONIALKS 

que  remployé,  au  loin,  à  Tabri  de  toute  surveillance,  arrive 
toujours  à  se  payer  très  largement  lui-même.  J'ai,  pour  ma  part, 
toujours  protesté  contre  un  pareil  système  ;  si  celui,  qui  désire 
entrer  chez  vous,  n'a  pas  votre  entière  confiance,  ne  l'engagez 
pas  ;  dans  le  contraire,  vous  n'avez  pas  le  droit  de  douter,  à 
priorijde  Thonnêteté  de  quelqu'un  que  vous  prenez  à  votre  ser- 
vice ;  autrement,  il  y  a  là  un  germe  morbide  qui  ne  peut  que  se 
développer  par  l'éloignement  et  que  l'esprit  de  suspicion  trans- 
forme vite  en  crise  aiguè.  Quelqu'un  a  dit  que  Thonnêteté 
devait  se  payer,  comme  on  le  fait  pour  un  objet  de  réelle  valeur. 
Il  y  a  du  vrai  sous  cet  aphorisme  un  peu  brutal  :  un  honnête 
homme,  conscient  de  ses  mérites,  voudra  qu'on  le  paie  ce  qu'il 
veut,  parce  qu'il  défendra  les  intérêts  des  chefs  de  sa  maison 
comme  les  siens  propres;  le  coquin  n'a  pas  de  ces  scrupules  ; 
ce  qu'il  lui  faut,  c'est  la  place;  il  acceptera  n'importe  quel 
salaire,  qu'il  a  l'intention  de  décupler  par  de  multiples  sources 
de  profit  inavouables.  Je  n'hésite  donc  pas  à  dire  qu'il  est  juste, 
donc  nécessaire,  de  calculer  les  émoluments  des  employés,  de 
manière  qu'un  bon  sujet  —  et  il  s'en  trouve  heureusement  — 
puisse,  au  bout  de  quinze  à  vingt  ans  de  séjour  colonial,  se 
retirer  avec  des  économies  lui  permettant  de  vivre  et  de  jouir 
d'un  repos  bien  mérité. 

Mais  chacun  doit  être  récompensé  selon  ses  œuvres  ;  le  défaut 
des  débutants,  c'est  de  s'impatienter  des  lenteurs  de  leur  avan- 
cement; je  leur  conseille  d'attendre  sagement;  la  patience  pour 
eux,  c'est,  à  leur  insu,  du  temps  gagné.  J'ai  connu  des  employés 
qui,  au  bout  de  sept  ou  huit  ans  d'Afrique,  ne  touchaient  en 
tout  mensuellement,  que 300  à  400  francs;  puis,  tout  d'un  coup, 
ils  sont  devenus  chefs  de  comptoirs  importants;  leur  situation 
était  assurée  avec  des  économies  annuelles  de  8  à  10.000  francs. 
Ils  avaient  su  attendre,  sans  dévier  de  la  ligne  droite;  leur 
intelligence,  leur  honnêteté,  leur  expérience  étaient  leurs  seuls 
moyens  d'action,  sans  compromission  avec  personne.  Ils  sont 
arrivés  ;  ce  sont  des  heureux  par  leurs  seuls  mérites,  et  non 
pas,  comme  des  jaloux  ne  manqueraient  pas  de  le  dire,  parce 
que  ce  seraient  de  simples  veinards. Il  faut  donc, sans  cesse, prê- 
cher la  patience  aux  jeunes,  dans  leur  propre  intérêt  ;  ils  s'en 
apercevront  d'ailleurs,  bien  vite  s'ils  savent  réfléchir,  voir  et 
comprendre. 

N.  Frais  de  voyage  et  rapatriement,  —  Une  des  raisons,  pour 
lesquelles  les  émoluments  de  début  des  jeunes  employés  sont 
modiques,  consiste  en  la  nécessité  de  leur  consentir  presque 
toujours  dos  avances  avant  leur  départ,  notamment  pour  les 
frais  de  leur  voyage.  Or  l'expérience  prouve  que,  dans  la  pro- 


LES  EMPLOYÉS   COLONIAUX  DE  NOS  POSSESSIONS   d'aPBIQUE         779 

portion  de  50  %  environ,  les  chefs  de  maison  ne  peuvent 
presque  jamais  rentrer  dans  ces  débours  relativement  élevés, 
soit  quUis  se  trouvent  dans  Tobligation  de  congédier,  au  bout 
de  peu  de  temps,  l'employé  devenu  une  mauvaise  tête  ou  une 
non- valeur,  à  divers  titres,  soit  que  l'état  de  sa  santé  nécessite 
son  rapatriement  ;  à  cet  égard,  il  convient  de  ne  point  passer 
sous  silence  les  fâcheuses  complaisances  de  médecins  locaux 
qui,  trop  souvent,  facilitent,  au  moyen  de  certificats  presque 
toujours  identiques,  le  retour  en  Europe,  aux  frais  de  leur 
maison,  aux  jeunes  gens  qui  s'aperçoivent  que  la  vie  coloniale 
manque  de  plaisirs  ou  d'avenir  pour  leurs  ambitions,  ou  bien 
même  sont  très  heureux  d'avoir  pu  faire  un  voyage  lointain  de 
quelques  mois  aux  frais  de  la  princesse.  On  conçoit  donc  que 
les  chefs  de  maison  s'efforcent  de  se  prémunir,  dans  la  mesure 
du  possible,  contre  les  conséquences  pécuniaires  de  pareils 
abus.  Ces  brèves  considérations  expliquent  la  nature,  la  portée 
et  le  but  de  la  clause  suivante  qui,  à  de  légères  variantes  près, 
est  devenue  de  style  dans  les  contrats  des  employés  allant  en 
Afrique. 

La  Société  X...  fait  à  M l'avance  de  ses  frais  de  voyage  d'aller  en 

deuxième  classe  (en  première  classe,  s'il  s'agit  de  bateaux  allemands,  où 
le  confort  est  rudimentaire);  la  Société  s'en  remboursera  au  moyen  de 
retenues  mensuelles  sur  ses  appointements,  à  raison  de....  par  mois,  de 
façon  qu'elle  soit  couverte  lors  de  l'expiration  de  la  première  année  du 
contrat;  si  l'employé  cesse  d'appartenir  à  la  Société  avant  l'accomplisse- 
ment de  sa  période  conventionnelle  de  trois  ans,  il  perd,  de  plus,  tout 
droit  à  son  rapatriement,  quel  que  soit  le  motif  —  sauf  le  cas  de  maladie 

—  de  la  cessation  de  son  emploi;  si,  au  contraire,  l'employé  a  exécuté 
entièrement  ses  obligations,  la  Société  lui  paiera  les  frais  de  son  voyage 
de  retour  et,  de  plus,  lui  fera  remise,  à  son  arrivée  en  France,  d'une 
somme  égale  à  celle  de  ses  frais  de  voyage  d'aller. 

Cette  combinaison  a  un  double  objet  :  a)  éviter  que  l'employé 

—  comme  cela  avait  lieu  fréquemment  jadis  —  n'ayant  pas 
voyagé,  à  ses  frais^  de  Marseille  à  Cotonou,  par  exemple,  quitte 
le  comptoir  ou  s'en  fasse  renvoyer  un  mois  après  son  arrivée, 
afin  de  pouvoir  entrer  dans  une  maison  concurrente  avec  des 
appointements  mensuels  immédiatement  plus  élevés,  celle-ci 
n'ayant  pas  à  amortir  d'abord  7  ou  800  francs  de  frais  de  voyage 
et  pouvant  ainsi  payer  de  suite  plus  cher;  b)  encourager  le 
jeune  homme  à  faire  ses  trois  ans,  par  l'attrait  de  ce  qu'on 
pourrait  appeler  une  prime  de  retour. 

La  clause,  rappelée  ci-dessus,  est  donc  infiniment  sage;  elle 
ne  peut  être  critiquée  que  par  ceux  qui  partent  avec  une  inten- 
tion autre  que  celle  de  remplir  fidèlement  leur  emploi. 


780  QUESTIONS    DII'LOMATIOUES   BT   COLONIALES 

0.  Inhibitions  relatives  à  Vacceptation  Remplois  dans  la 
même  colonie,  —  C'est  un  sujet  qui  a  donné  naissance  à  bien 
des  polémiques,  voire  môme  à  des  procès  et,  cependant,  il  de- 
vrait être  de  la  plus  grande  simplicité,  si  les  conflits  d'intérêts, 
la  mauvaise  foi  ou  le  défaut  de  probité  ne  le  compliquaient  pas 
parfois  singulièrement.  En  France,  un  patron  a-t-il  le  droit  de 
convenir  avec  remployé  auquel  il  confie  ses  intérêts,  les  secrets 
commerciaux,  ou  simplement  les  procédés  d'affaires  de  sa  mai- 
son, qu'il  initie  à  la  connaissance  de  sa  clientèle,  que,  s'il  le 
quitte  volontairement  ou  s'il  se  fait  congédier,  il  lui  sera  inter- 
dit, pendant  un  délai  de  trois,  cinq  ou  dix  ans,  soit  d'entrer 
dans  une  maison  rivale  de  la  mêrne  localité  ou  région,  soit  de 
créer  une  entreprise  concurrente?  Oui  évidemment  et  les  tribu- 
naux ont  continué  de  faire  respecter  une  semblable  stipulation 
qui,  en  elle-même,  est  absolument  licite,  puisqu'elle  est  limitée 
à  un  périmètre  et  à  une  durée  déterminés.  Il  en  doit  être  ainsi, 
a  fortiori,,  dans  les  affaires  coloniales.  En  Afrique,  ce  n'est 
guère  la  maison  d'Europe  que  connaît  la  clientèle  noire,  mais 
surtout  l'employé  de  factorerie  auquel  elle  a  coutume  d'acheter, 
que  ce  soit  à  Porto-Novo,  à  Grand-Lahou  ou  à  Boké.  Si  donc 
cet  employé  quitte  sa  factorerie  et  s'en  va  dans  une  voisine,  les 
indigènes  le  suivent,  plutôt  que  de  s'adresser  à  un  nouveau 
venu  qui  ne  connaît  pas  grand'chose  de  leur  langage,  de  leurs 
habitudes  et  de  leurs  besoins.  De  plus,  l'employé  —  quittant  sa 
maison  pour  entrer  dans  une  autre  ou,  parfois,  pour  s'établir 
à  son  compte  avec  une  commandite  européenne,  ou  encore, 
dans  les  moments  d'engouement,  ainsi  qu'on  l'a  constaté  à 
Konakry,  il  y  a  trois  ans,  pour  devenir  l'agent  d'une  nouvelle 
Société  —  possède  des  indications  précieuses  qu'il  a  recueillies 
au  cours  de  son  apprentissage,  et  à  l'aide  desquelles  il  peut  faire 
le  plus  grand  tort  à  ses  anciens  patrons.  Il  est  donc  de  la  plus 
vulgaire  prudence  de  se  prémunir  contre  de  tels  dangers  et  de 
la  plus  élémentaire  moralité  d'obtenir  la  sanction  judiciaire 
d'une  stipulation  aussi  licite,  lorsqu'elle  est  raisonnable  quant 
à  son  étendue  et  à  sa  durée  ;  il  va  de  soi  qu'il  serait  enfantin, 
par  exemple,  d'interdire  à  un  agent  ayant  travaillé  au  Setté- 
Cama,  dans  l'Ogoué,  au  Kouilou-Niari,  —  le  tout  au  Congo 
français,  —  d'engager  ses  services  dans  le  Haut-Oubanghi.  En 
cette  matière,  tout  est  une  question  de  mesure.  Mais,  en  elle- 
même,  rinhibition  est  légitime;  on  doit  l'insérer  dans  les  con- 
trats, de  façon  à  pouvoir  s'en  réclamer  si  besoin  est.  La  liberté 
du  travail  n'a  rien  à  faire  en  pareille  occurrence,  pas  plus  aux 
colonies  qu'en  Europe.  Il  s'agit  de  sauvegarder  des  droits  impor- 
tants et  de  déjouer  des  manœuvres  fréquemment  malhonnêtes; 
rien  de  plus. 


LES   EMPLOYÉS   COLOiMAUX   DK   NOS   POSSESSIONS  d'aFRIQUE  781 


Si,  du  chef  des  clauses  contractuelles  relatives  aux  inhibi- 
tions, dont  il  vient  d'être  question,  et  aussi  aux  frais  de  voyojîo, 
les  dolésinces  assez  fréquentes,  parce  que  inconsidérées,  il<»s 
employés  ne  sont  point  légitimes,  il  en  est  tout  autrement,  h 
mon  avis  du  moins,  des  plaintes  qu'on  leur  entend  sonvuni 
formuler    au  sujet  du  défaut   de  confort  de  l'habitation,   du 

MANQUE  d'hygiène  et  dc   r INSUFFISANCE   DE  L  ALIMENTATION.  Cc  SOriL 

là  des  choses  dont  on  ne  s'est  presque  jamais  préoccupé;  clie/. 
les  administrateurs  de  Sociétés,  qui  n'ont  pas  voyagé  dans  la 
brousse,  c'est  faute  de  savoir,  sans  doute;  chez  d'autres,  c'i^st 
par  économie  mal  entendue.  En  tout  état  de  cause,  il  y  a  là 
des  faits  d'inhumanité  trop  fréquents  dont  on  doit  souhait*^? 
la  disparition.  A  notre  époque,  la  médecine  coloniale  a  réalis*'^ 
suffisamment  de  progrès  pour  qu'on  sache  qu'il  est  imprudnit 
d'établir  les  locaux  d'habitation  près  des  cours  d'eaux^  Jo 
refuser  aux  employés  le  confortable  conforme  aux  lois  de  Tliy- 
giène,  de  ne  pas  varier  leur  alimentation  en  leur  donnant  \n 
possibilité  d'avoir  des  légumes  frais  dans  des  potagers  lïirii 
soignés.  Cela  coûte  cher,  c'est  vrai;  mais  la  santé  s'en  troiiv<^ 
bien  et  l'on  évite  —  sinon  totalement  —  de  trop  fréquents  >  t 
dispendieux  rapatriements. 


Malgré  toutes  les  précautions  de  diagnostic  moral  d<mL 
il  a  été  question  aux  pages  précédentes,  malgré  de  bons  pro- 
cédés, il  arrive,  hélas  !  trop  souvent,  que,  sous  l'influeiirf 
malheureuse  d'un  climat  déprimant  ou  d'autres  causes  moins 
avouables  (liaisons  fâcheuses,  appétits  pécuniaires  immo- 
dérés, etCî.,  etc.),  l'on  voit  des  jeunes  gens,  partis  de  Frati<i' 
bons  sujets,  se  gâter  dans  la  colonie.  Tantôt  ils  sont  setil- 
fautifs;  tantôt  leurs  chefs  immédiats  manquent  d'équitO  nti 
même  simplement  d'adresse  à  leur  égard.  La  conduite  à  tenir 
vis-à-vis  du  personnel  est  fort  délicate  lorsqu'on  vit  sous  h*> 
tropiques.  L'éloignement  de  l'Europe  nécessite  une  discipline 
absolue,  une  obéissance  passive  aux  ordres  de  l'agent-chef  ;  <  ar 
celui-ci  peut  parfois  se  tromper  ou  être  trompé,  avoir  des  piv- 
férences  injustifiées  et  commettre  des  injustices,  jamais  hnii 
graves  au  demeurant,  mais  que  la  chaleur  du  soleil  et  l'isoli*- 
ment  des  nuits  grossissent  démesurément.  Si  donc  une  hiérur- 
chie  aussi  rigoureuse  offre  quelques  inconvénients  possibli^s, 
elle  a,  tout  compte  établi,  beaucoup  plus  d'avantages  dans  Tiiî- 
térêt  commun.  La  direction  d'Europe  doit,  d'ailleurs,  ne  p<i^ 


782  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

manquer  de  recourir,  de  temps  en  temps,  à  une  inspection 
bien  faite. 


l'avenir    DES    EMPLOYÉS 

Je  viens  d'indiquer  ce  qui  devrait  être;  cela  revient  à  dire 
que  tout  n'est  pas  pour  le  mieux,  tant  s'en  faut,  du  côté  du 
personnel  des  employés  attachés  aux  maisons  ou  Sociétés  possé- 
dant des  intérêts  en  Afrique.  Il  y  a,  toutefois,  de  notables  et 
heureuses  exceptions,  et  j'ai  eu  l'occasion  d'écrire  ailleurs 
tout  le  bien  que  j'en  pensais.  En  général,  on  constate  une  insuf- 
fisance de  qualités  intellectuelles  et  une  tendance  morale 
fâcheuse  de  dénigrement  des  supérieurs,  d'égoïsme  aveugle 
souvent  malhonnête,  d'ambition  bête,  d'âpreté  pécuniaire 
déraisonnable,  de  fourberie  invincible  ;  que  cela  tienne  à  un 
recrutement  défectueux  ou  à  des  procédés  fâcheux,  il  n'en  est 
pas  moins  triste  d'être  obligé  de  reconnaître  que  nous  avons 
beaucoup  de  progrès  à  réaliser  dans  cet  ordre  d'idées,  et  c'est 
précisément  parce  que  les  hommes  d'affaires  (au  bon  sens  du 
mot)  savent  à  quoi  s'en  tenir  à  cet  égard  qu'ils  se  montrent  si 
réservés  dans  les  créations  d'entreprises  nouvelles.  Qu'arrive- 
t-il?  Les  rares  bons  agents  ou  employés  ne  chôment  jamais  de 
places  ;  les  anciennes  maisons  les  connaissent  ;  aux  nouvelles, 
il  ne  reste  que  les  autres^  beaux  parleurs  sans  doute,  mais 
dépourvus  de  savoir  réel  et  d'honnêteté;  ils  roulent  de  comp- 
toir en  comptoir  —  essayant  de  faire  leur  pelote  partout  où 
ils  passent  —  au  grand  détriment  des  intérêts  qui  leur  sont 
confiés  et  qui  périclitent  rapidement.  Il  y  a,  ainsi,  un  stock 
de  personnel  flottant,  qui  vit  des  affaires  coloniales,  mais  qui 
les  démonétisent,  soit  par  leurs  actes,  soit  par  leurs  psopos.  Les 
cadres  administratifs  se  sont  beaucoup  améliorés  dans  les 
colonies;  il  est  temps,  pour  celles-ci,  qu'on  s'emploie  au  même 
but  pour  les  cadres  commerciaux. 

L'opinion  publique,  en  France,  a  fini  par  s'incliner  devant 
les  nécessités  politiques  de  posséder  un  domaine  d'outre-mer. 
Si  des  hommes  pratiques,  faisant  le  décompte  de  ce  que  coûte 
cet  état  de  choses  à  notre  budget  par  rapport  à  la  modicité  des 
profits  qu'en  retirent  notre  commerce  et  notre  industrie, 
s'efforcent  d'amener  les  pouvoirs  publics  à  faciliter,  à  encoura- 
ger, par  tous  les  moyens,  l'utilisation  économique  de  nos 
possessions  lointaines,  où  presque  tout  est  à  faire,  il  ne  semble 
pas  que,  dans  l'ensemble  de  la  société  française,  les  choses  de 
la  colonisation   aient  fait,   jusqu'ici,    beaucoup   de  progrès. 


LES  EMPLOYÉS   COLONIAUX   DE   NOS   POSSESSIONS  D*AFRIQUE  783 

L'établissement  de  quelques  comptoirs  de  plus,  sur  la  côte 
africaine,  ne  peut  pas  être  considéré  comme  la  manifestation 
d'un  courant  nouveau  et  sérieux. 

La  bourgeoisie  a  toute  une  éducation  à  faire  en  cette  matière. 
Elle  ne  se  préoccupe  pas  —  ou  fort  peu  —  des  nouvelles 
branches  d'activité  qui,  de  ce  côté,  s'offrent  à  ses  enfants  ; 
souvent  môme  elle  boude  les  coloniaux  qu'elle  tient  générale- 
ment en  médiocre  estime,  soit  parce  qu'elle  a  entendu  parler 
de  spéculations  malhonnêtes  (où  n'en  trouve-t-on  pas?),  soit 
parce  que,  dans  son  esprit,  s'est  incrustée  cette  idée  que,  aux 
colonies  françaises,  on  ne  rencontrait  que  des  fruits  secs  de  la 
métropole  ou  des  gens  tarés.  Il  est  fâcheux  qu'elle  n'ait  pas 
voulu  ou  pu  se  rendre  compte  que  toute  chose  mérite  examen; 
de  celui-ci,  fait  sérieusement,  elle  aurait  acquis  la  conviction 
que  le  mal  n'est  pas  aussi  général,  aussi  absolu,  qu'elle  se  l'ima- 
gine et  qu'il  y  avait  place  honorable  à  prendre  pour  des  hommes 
de  bien. 

Du  jour  où  cette  pensée  aura  pénétré  dans  l'esprit  de  la  bour- 
geoisie (car  malgré  les  calomnies  dont  nous  sommes  l'objet, 
les  gens  travailleurs  et  honnêtes  sont  chez  nous  en  immense 
majorité),  ses  fils  iront  au  loin  étudier  les  entreprises  nouvelles 
possibles  ;  ses  capitaux  viendront  aux  mieux  conçues;  ses  prin- 
cipaux membres  donneront,  en  outre,  à  celles-ci  le  concours  de 
leur  expérience  et  de  leur  honorabilité.  A  ce  moment-là,  les 
enfants  du  peuple  n'hésiteront  plus  à  s'expatrier,  parce  qu'ils 
sauront  qui  dirigera  leurs  efforts  \  Pour  atteindre  ce  but,  qu'on 
se  résolve  enfin  à  ne  plus  prendre  les  épaves  de  la  vie,  mais 
des  organismes  vigoureux  et  sains  physiquement  et  intellec- 
tuellement; il  y  aura  des  sacrifices  pécuniaires  à  faire,  c'est 
vrai;  mais  on  ne  devra  pas  hésiter  à  y  consentir,  eu  égard  aux 
avantages  sérieux  qui  en  découleront.  De  la  sorte,  à  chacun,  au 
capital  et  au  travail,  reviendra  une  part  équitable  et  sociale- 
ment moralisatrice. 

Aspe-Flelrimont, 

Conseiller  du  commerce  extérieur. 


1  II  existe  plusieurs  sociétés  ou  institution»  s'occupant  du  placement  des  employés 
en  France,  à  l'étranger  et  dans  les  colonies  ;  chacune  dans  sa  sphère,  comme 
\ Office  Colonial  et  la  Société  des  Employés  du  commerce  d'exportation,  est 
appelée  à  rendre  de  réels  services  aux  intéressés  ;  il  est  regrettable  que  l'état  de 
nos  mœurs  fasse  que  leurs  efTorts  ne  les  mettent  pas  à  même  de  faire  mieux,  malgré 
leur  zèle  fort  louable. 


"^rwm 


LES  AFFAIRES  D'ALGERIE 


LES  INCIDENTS  DE  FIGUIG 


Les  événements  se  sont  précipités  ces  jours  derniers,  au 
l'iguig,  nécessitant  de  promptes  résolutions.  On  sait  que 
.\L  Jonnart  avait  décidé  d'aller  se  rendre  compte  par  lui-même 
île  la  situation  dans  le  Sud.  Les  instructions  que  le  gouverneur 
gi'^néral  avaient  reçues  du  gouvernement  avant  son  départ  envi- 
sageaient, en  effet,  dans  la  région  de  Figuig,  une  double  action. 
D'une  part,  conformément  aux  stipulations  du  traité  dé  1843, 
une  colonne  militaire,  que  devaient  précéder  des  goums  de 
Douï-Menia  ralliés  à  la  France,  devait  accomplir  au  Sud-Ouest 
de  Figuig,  en  passant  par  Taghit,  où  eut  lieu  Tattaque  du 
\\  mai  dernier,  et  en  contournant  le  Djebel-Béchar,  une  opéra- 
tion de  police  destinée  à  rétablir  Tordre.  D'autre  part,  il  était 
ï^onvenu  que  les  gens  de  Zénaga,  coupables  des  violences  les 
plus  caractérisées,  seraient  l'objet  d'une  répression  parti- 
ru  lière. 

En  allant  étudier,  sur  place,  les  moyens  les  plus  pratiques  de 
répondre  aux  vues  du  gouvernement,  M.  Jonnart  avait  pour  but 
(le  se  rendre  compte  delà  configuration  de  la  région  frontière, 
(lu  meilleur  tracé  qu'il  convient  d'adopter  pour  le  prolongement 
li^'S  urgent  de  la  voie  ferrée,  et  enfin  de  régler  sur  les  lieux 
l'organisation  de  l'opération  de  police  reconnue  nécessaire,  de 
ÏAt'on  que  les  vues  du  gouvernement  ne  fussent  pas  dépassées. 

Certes,  nous  reconnaissons  que,  du  moment  que  M.  Revoil,  le 
])[écédent  gouverneur  général,  très  au  courant  de  la  situation 
délicate  des  affaires  du  Sud,  était  brusquement  remplacé,  il  était 
utile  que  le  nouveau  gouverneur  allùt  se  renseigner  sur  place. 
^L  Revoil  l'avait  fait,  de  môme  que  M.  Cambon  et  M.  Lafer- 
iî(Te  qui,  eux  aussi,  étaient  allés  à  Djenien-bou-Resk ;  si 
M.  Jonnart  se  fût  contenté  d'aller  à  Beni-Ounif,  entre  deux 
svances  des  Délégations,  il  n'y  aurait  eu  qu'à  l'approuver. 

Mais  il  en  fut  tout  autrement  de  l'affaire  de  Zénaga,  comme  le 
montre  assez  sévèrement  V Eclair  : 

1/attaque  qui  s'est  produite  devait  être  prévue  ;  elle  Tétait,  l'importance 
immériquedes  troupes  composant  l'escorte  suffirait  à  en  faire  foi. 
Dans  ces  conditions,  il  est  permis  de  se  demander  si  le  gouverneur  gêné- 


LES  AFFAIRES   D' ALGÉRIE  185 

rai,  en  se  transportant  aux  abords  de  Figuîg,  était  seulement  mû  par  le 
désir  de  constater  de  ses  propres  yeux  un  état  de  trouble  que  les  sanglants 
épisodes  de  ces  dernières  semaines  avaient  déjà  amplement  fait  connaître, 
et  s'il  n'y  était  pas  venu  avec  cette  pensée  de  derrière  la  tête  que  peut-ôtre 
sa  présence  donnerait  aux  événements  qui  ne  pouvaient  manquer  d'éclater, 
une  importance  et  un  retentissement  susceptibles  de  frapper  les  cabinets 
européens  et  de  justifier  à  leurs  yeux  les  opérations  militaires,  que  depuis 
longtemps  on  dit  le  gouvernement  français  résolu  à  entreprendre  dans  cette 
partie  de  l'Afrique. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  démarche  Ju gouverneur  général  pro- 
voqua les  incidents  regrettables  dont  le  Temps  a  donné  le  récit 
suivant,  le  l®*"  juin  : 

On  sait  que  le  gouverneur  général,  désireux  de  se  rendre  compte  par 
lui-môme  des  mesures  qu'il  est  nécessaire  de  prendre  pour  éviter  les 
incursions  fréquentes,  sur  notre  territoire,  des  pillards  marocains,  a  entre- 
pris une  excursion  le  long  de  la  frontière  marocaine.  M.  Jonnart  est 
accompagné  du  général  O'Connor,  commandant  la  division  d'Oran. 

Nous  avons  annoncé,  hier,  que  le  gouverneur  général,  arrivé  au  point 
extrême  de  son  voyage,  avait  assisté  à  un  dîner  que  lui  offraient  les  otïi- 
ciers  à  Djenan-ed-Dar,  l'un  de  nos  postes  situés  à  4  kilomètres  au  Sud  de 
Beni-Ounif,  terminus  du  chemin  de  fer  du  Sud-Oranais,  situé  lui-même  à 
6  kilomètres  au  Sud  des  ksour  de  Figuig. 

Hier,  à  sept  heures  du  matin,  M.  Jonnart  quittait  Djenan-ed-Dar  en 
voiture  et  revenait  au  poste  de  Beni-Ounif.  Son  intention  était  de  pousser 
une  reconnaissance  aux  portes  de  l'oasis  de  Figuig. 

M.  Jonnart  était  accompagné  du  général  O'Connor,  de  M.  Aynard,  direc- 
teur de  son  cabinet,  de  M.  Gérenle,  sénateur,  de  plusieurs  officiers,  et  de 
membres  de  la  presse  algérienne.  Arrivé  à  Beni-Ounif,  il  quitta  sa  voiture, 
monta  à  cheval  avec  sa  suite  pour  aller  dans  la  direction  du  col  de  Zénaga 
où  il  devait  se  rencontrer  avec  Tamel  de  Figuig. 

Le  cortège  du  gouverneur,  encadré  de  spahis,  de  tirailleurs  et  de 
légionnaires,  s'achemina  alors  vers  le  col  de  Zénaga. 

Quand  il  fut  à  proximité  de  ce  col,  M.  Jonnart  rencontra  l'amel  de 
Figuig  avec  lequel  il  s'entretint  au  sujet  des  mesures  de  police  à  prendre 
sur  la  frontière  marocaine,  grâce  au  contingent  de  soldats  chérifîens  qui 
viennent  d'arriver  de  Tanger. 

L'amel  assura  le  gouverneur  des  bonnes  dispositions  de  son  gouverne- 
ment à  l'égard  du  maintien  de  l'ordre  sur  la  frontière. 

Après  l'avoir  renseigné  sur  les  motifs  de  sa  visite,  M.  Jonnart  dit  qu'il 
regrettait  de  constater  que  cette  bonne  volonté  ne  produisait  aucun  résultat 
effectif;  on  ne  saurait  donc  s'étonner  si  le  gouvernement  français  était 
amené  prochainement  à  faire  la  police  de  la  frontière  par  ses  propres 
moyens,  tout  en  respectant  l'intégrité  du  territoire  marocain. 

L'amel  reconnut  que  les  circonstances  actuelles  ne  permettaient  pas  au 
Maghzen  de  faire  obéir  Figuig.  Il  déclara  que  le  gouvernement  marocain 
était  prêt  à  seconder  les  intentions  du  gouvernement  français. 

L'amel  ne  dissimula  pas  les  craintes  qu'il  avait  de  ne  pouvoir,  malgré  la 
QuEST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  50 


786  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES    BT  COLONIALES 

présence  de  ses  soldats,  réprimer  les  incursions  sur  notre  territoire  des 
ksouriens  de  Figuig.  Il  insista  pour  que  le  cortège  poursuivit  sa  route  par 
la  vallée  de  Zénaga  jusqu'aux  portes  de  Figuig,  cette  reconnaissance 
devant  avoir,  suivant  lui,  une  certaine  portée  sur  l'esprit  des  indigènes  des 
oasis. 

M.  Jonnart  et  son  escorte,  toujours  encadrés  par  les  spahis,  s'avancèrent 
ainsi  jusque  sur  une  hauteur  dominant  Figuig  à  une  distance  d'environ 
500  mètres. 

L'agitation  était  extrême  dans  le  ksar.  Tous  les  habitants  semblaient 
garnir  les  murs  de  l'enceinte  et  l'on  voyait  briller  des  armes.  Cette  effer- 
vescence ne  présageait  rien  de  bon  et  M.  Jonnart,  prenant  congé  du  pacha, 
décida  de  revenir  en  arrière. 

Sur  l'avis  du  général  O'Connor  —  dont  les  événements  qui  suivirent  ont 
prouvé  la  perspicacité  —  le  cortège  ne  suivit  pas  au  retour  le  même  trajet 
qu'à  l'aller,  la  vallée  de  Zénaga,  pleine  de  ravins  et  de  palmeraies,  ne  sem- 
blant pas  assez  sûre  aux  officiers  de  l'escorte. 

Le  cortège  n'avait  pas  fait  500  métros  que  des  coups  de  feu  de  plus  en 
plus  rapprochés  se  faisaient  entendre  dénonçant  la  présence  de  véritables 
embuscades  organisées  par  les  Marocains. 

Tandis  que  le  cortège  continuait  sa  route,  les  tirailleurs  et  les  légion- 
naires se  déployaient  sur  les  flancs  de  la  colonne  et  engageaient  le  feu  à 
leur  tour  contre  les  agresseurs. 

Les  assaillants  étaient  si  rapprochés  par  endroits  que  de  véritables  corps-à- 
corps  se  produisirent.  Un  légionnaire  abattit  un  Marocain  d'un  coup  de 
baïonnette  après  avoir  essuyé  un  coup  de  feu  et  s'empara  de  son  fusil 
qu'il  a  ensuite  offert  à  M.  Jonnart. 

Dès  la  première  attaque  de  la  colonne,  le  général  O'Connor  dépêcha  à 
Djenan-ed-Dar  pour  réclamer  des  renforts.  Une  compagnie  de  tirailleurs  se 
mit  à  son  tour  en  embuscade  dans  les  palmeraies  tandis  que  trois  compa- 
gnies des  l*»"  et  2"  étranger  allaient  occuper  le  col  de  Zénaga. 

Le  gouverneur  général  et  sa  suite  regagnent  Beni-Ounif  pendant  que 
des  civières  sont  envoyées  de  ce  poste  pour  ramener  nos  blessés  qui  sont 
au  nombre  de  treize.  Parmi  eux  se  trouvent  l'adjudant  Martel,  qui  a  le 
genou  emporté  ;  le  sergent-major  Neuendorfif,  de  la  légion  étrangère,  est 
atteint  à  la  cuisse  :  un  légionnaire  a  la  joue  traversée.  M.  Jonnart  leur 
rend  visite  et  leur  prodigue  des  consolations. 

Les  Figuiguiens  s'élaient  embusqués,  pour  le  passage  de  M.  Jonnart  et 
de  sa  suite,  dans  les  plis  du  terrain.  Il  est  certain  que  plusieurs  ont  tiré  à 
moins  de  300  mètres  à  droite  et  à  gauche  au  moment  du  passage  du  gou- 
verneur et  c'est  miracle  que  personne  du  groupe,  comprenant  des  civils  et 
une  trentaine  d'officiers,  n'ait  été  atteint,  car,  lorsque  les  légionnaires  firent 
un  feu  continu,  les  balles  des  Figuiguiens  isolés,  cachés  dans  les  palmiers, 
partaient  en  même  temps.  Mais  le  groupe  de  la  tète  à  la  queue  avait  250  à 
300  mètres  ;  il  était  flanqué  par  des  spahis  qui  ne  pouvaient  pas  tirer  sur 
les  Marocains  cachés,  ni  en  l'air  pour  éloigner  les  bandits,  car  ils  crai- 
gnaient d'effrayer  nos  montures  dans  un  passage  horriblement  difficile. 

On  croit  que  les  pertes  marocaines  sont  considérables,  car,  en  plusieurs 
endroits,  les  légionnaires  tirèrent  à  bout  portant. 

Il  résulte  des  renseignements  recueillis  que  si  le  retour  s'était  effectué 


i 


LES  AFFAIRES   d'aLGÉRIE 


787 


par  la  vallée  de  la  Zénaga,  le  cortège  du  gouverneur  €Ourait  le  plus  grand 
risque  d'être  anéanti. 


ENVIRONS 

de 

FIGUIG 


;  Tcnj 


us  \X7\ 


■%  .>■■' 


Echelle 


Après  la  fusillade  des  Figuiguiens,  Tamel  a  fait  remarquer  au  gouver- 
neur que  cet  incident  justifiait  ce  qu'il  lui  avait  dit  de  l'état  des  esprits  qui 
règne  à  Figuig. 

L'amel,  d'ailleurs,  après  cette  attaque,  n'a  pas  osé  regagner  sa  rési- 
dence, et  il  hésite  encore  à  se  rendre  à  Figuig. 

Interrogé  sur  les  événements  qui  venaient  de  se  dérouler,  M.  Jonnart  a 
déclaré  : 

«  Je  sais  maintenant  ce  que  je  désirais  savoir  sur  l'état  des  esprits  dans 


788  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 

«  cette  région  entière.  Je  constate  que  les  gens  de  Zénaga  sont  irréduc- 
t  tibles  et  que  les  autorités  marocaines  sont  absolument  impuissantes  à 
t  rétablir  Tordre  et  la  sécurité  dans  cette  région.  » 

Dès  le  lendemain,  en  effet,  le  gouverneur  général,  après  avoir 
échange  de  nombreux  télégrammes  avec  le  président  du  Con- 
seil, arrêtait  les  mesures  à  prendre  à  Beni-Ounif,  et  le  4  juin,  à 
la  Chambre  des  députés,  M.  Combes  faisait  les  déclarations  sui- 
vantes, en  réponse  à  une  demande  d'interpellation  de  M.  Fir- 
min  Faure  : 

M.  Emile  Coinl}e8,  président  du  Conseil^  ministre  de  l  Intérieur  et  des 
Cultes,  —  Je  demande  à  M.  Firmin  Faure  de  ne  pas  insister  pour  la  dis- 
cussion de  son  interpellation.  Ce  que  je  pourrais  dire  n'ajouterait  guère  à 
ce  que  la  Chambre  connaît  d«''jà  et  ne  serait  pas  sans  inconvénient  pour 
l'exécution  des  décisions  que  le  gouvernement  a  prises. 

J'espère  donc  que  la  Chambre  voudra  bien  se  contenter  d'une  très  courte 
déclaration. 

Messieurs,  depuis  quelques  mois,  nos  possessions  du  Sud-Oranais,  dans 
le  voisinage  du  Maroc,  ont  été  le  théâtre  de  divers  attentats  contre  les  per- 
sonnes et  les  biens  i\m  attestent  l'audace,  tous  les  jours  croissante,  de  leurs 
autours. 

M.  le  lieutenant-oolonel  Rousset.  —  Il  y  a  vingt  ans  que  cela  dure  ! 

M.  le  président  du  Conseil,  ministre  de  Tlntérieur  et  des  Cultes.  — 
Aux  crimes  isolés  ont  succédé  dos  attaques  par  bandes  armées  plus  ou  moins 
nombreuses,  dont  ravant-dernière  a  été  marquée  par  la  destruction  ou  Ten- 
lèvoment  d*un  grand  convoi  destiné  à  nos  postes  de  la  frontière. 

A  la  suite  de  cette  violation  de  notre  territoire,  le  gouvernement  a  résolu 
d'aller  chercher  les  pillards  jusque  dans  leurs  repaires. 

Le  gouverneur  général  de  l'Algérie,  désireux  de  se  rendre  compte  par 
lui-même  de  l'état  des  choses,  dos  dangers  de  la  situation,  et  aussi  de  récon- 
forter par  sa  parole  et  sa  présence  les  chefs  indigènes  et  les  tribus  qui  nous 
sont  soumises,  a  entrepris  une  tournée  et  s'est  avancé  du  côté  de  Figuigen 
compagnie  de  l'amel  qui  représente  dans  cette  oasis  le  sultan  du  Maroc.  Il 
a  été  assailli  traîtreusement  par  plus  de  500  bandits  et  il  n'a  échappé  au 
péril  que  grâce  à  l'intelligence  du  général  commandant  l'escorte  et  à  la 
bravoure  des  soldats.  (Applaudissements.) 

Ainsi,  Messieurs,  le  devoir  s'impose  plus  que  jamais  au  gouvernement  de 
punir  sévèrement  les  tribus  coupables  et  d'empêcher  par  des  rigueurs 
exemplaires  le  renouvellement  do  pareils  attentats.  Les  ordres  donnés  à 
cet  elVet  depuis  plusieurs  jours  s'exécutent  rapidement. 

Lf^s  troupes  jugées  nécessaires  se  hâtent  vers  les  cantonnements  qui  leur 
ont  été  assignés.  Dos  que  leur  concentration,  qui  ne  saurait  tarder,  aura 
été  otî'ectuée,  la  campagne  sera  menée  avec  vi^^ueur, 

Uion  no  saurait  d'ailleurs  nous  arrêter.  Le  traité  conclu  en  1845  avec  le 
Maroc  nous  reconnaît  le  droit  de  suite  q\\  territoire  marocain.  Nous  en 
userons  d'autant  plus  librement,  Messieurs,  que  nous  entendons  bien  cou- 
gcrvor  à  notre  action  militaire  le  caractère  d'une  opération  de  police.  Tout 


LES  AFFAIRES  d'aLGÉRIE  789 

le  monde  sait  que  nous  avons  pour  principe  dirigeant  de  notre  politique, 
dans  cette  partie  de  TÀfrique,  l'intégrité  de  l'empire  marocain. 

Nous  nous  garderons,  en  conséquence,  de  donner  prise  aux  soupçons  sur 
les  intentions  qui  nous  animent  dans  les  circonstances  actuelles.  Nous  ne 
rêvons  ni  d'une  conquête,  ni  d'une  prise  de  possession  plus  ou  moins  tem- 
poraire. Ce  sont  simplement  des  représailles  contre  des  bandits  et  des  pil- 
lards que  nous  voulons  exercer,  comme  nous  en  avons  le  droit,  et  nous  les 
exercerons  dans  la  limite  des  traités  et  conventions  que  nous  avons  signés 
avec  le  Maroc. 

Aucun  doute  sur  ce  point  ne  peut  et  ne  doit  exister  dans  l'esprit  du  gou- 
vernement marocain  et  surtout  dans  celui  des  puissances  de  l'Europe  inté- 
ressées à  maintenir  le  statu  quo  territorial  de  cet  empire. 

Ainsi,  Messieurs,  rassurés  sur  nos  sentiments,  ce  gouvernement  et  ces 
puissances  applaudiront,  nous  en  sommes  sûrs,  à  tout  acte  de  vigueur  de 
notre  part,  qui  vengera  les  méfaits  commis  et  qui  ôtera  à  leurs  auteurs, 
sinon  pour  toujours,  du  moins  pour  longtemps,  l'envie  de  recommencer* 
{Applaudissements  sur  un  grand  nombre  de  bancs.) 

L'opération,  indiquée  par  le  président  du  Conseil,  fut  stric- 
tement exécutée.  Le  8  juin,  le  générai  O'Connor,  commandant 
la  division  d'Oran,  procédait  au  bombardement  du  ksar  de 
Zénaga. 

Voici  d'ailleurs  le  récit  officiel  de  cette  opération  : 

Beni-Ounif,  8  juin. 

Au  lever  du  jour,  le  général  O'Connor  sortait  de  Beni-Ounif  où  avaient 
été  concentrées  toutes  les  troupes  qui  devaient  prendre  part  à  l'action, 
c'est-à-dire  3  bataillons  de  la  légion  étrangère,  3  escadrons  de  cavalerie, 
dont  2  de  chasseurs  d'Afrique  et  1  de  spahis,  plus  1  batterie  d'artillerie 
comprenant  4  pièces  de  75  nouveau  modèle,  2  pièces  de  80  d'artillerie  de 
montagne  et  une  batterie  de  pièces  de  95  sur  affût  de  campagne,  En  tout, 
3.500  hommes  environ. 

Le  général  O'Connor  avait  l'intention  d'effectuer  une  reconnaissance, 
et  de  garder  et  de  prendre  au  besoin  les  trois  cols  de  la  Juive,  de  Zénaga 
et  de  Tarlat  qui,  sur  la  frontière  franco-marocaine,  donnent  accès  aux 
oasis  de  Figuig.  Voyant  la  situation  propice,  le  général  décida  de  com- 
mencer l'attaque. 

L'artillerie  passa  par  le  col  de  la  Juive,  se  portant  à  1.200  mètres  environ 
des  premiers  remparts  de  Zénaga.  Ces  remparts  sont  en  pisé,  c'est-à-dire 
formés  de  terre  et  de  boue  comprimées;  au  centre  de  l'enceinte,  à 
i.OOO  mètres  de  ces  fortifications  rudimentaires,  s'élèvent  les  habitations 
des  Figuiguiens,  également  construites  en  pisé. 

L'artillerie,  comme  si  elle  défilait  en  parade,  arriva  sur  un  petit  plateau 
et  exécuta  avec  une  correction  parfaite  le  mouvement  de  feu  en  avant  en 
batterie.  Les  disciplinaires,  sans  armes,  remplissaient  l'office  de  servants. 

A  cinq  heures  dix,  le  général  O'Connor  donna  l'ordre  d'ouvrir  le  feu  en 
lançant  des  obus  à  la  mélinite  dans  les  remparts  extérieurs  de  Zénaga  de 
façon  à  faire  une  brèche  pour  découvrir  l'horizon  et  démasquer  les  habi- 


790  QUESTIONS  DIPLOHATIQUES  ET  COLONIALES 

tations.  Lorsque  la  muraille  fut  tombée,  le  feu  fut  dirigé  sur  Tintérieur  du 
ksar,  à  2.200  mètres  environ. 

L'effet  fut  foudroyant  ;  les  obus  éclataient  à  Tintérieur  des  habitations 
qui  formaient  caisse  à  air,  et  faisaient  tout  sauter.  Quelques  obus  furent 
ensuite  lancés  sur  différentes  oasis,  notamment  sur  Toasis  d'Oudaghir,  à 
une  grande  distance,  de  façon  à  laisser  voir  aux  Marocains  la  puissance  et 
la  portée  de  nos  canons. 

Pour  terminer,  le  feu  fut  dirigé  sur  le  minaret  de  la  mosquée  située  à 
l'intérieur  de  Zénaga.  Cette  mosquée  était  très  vénérée,  sa  destruction 
•fera  une  grande  impression  sur  les  Figuiguiens. 

Grâce  à  la  précision  de  notre  tir,  le  minaret  a  été  coupé  en  deux,  et  les 
ailes  de  droite  et  de  gauche  éventrées. 

Ce  sont  principalement  les  pièces  de  95  qui  ont  coopéré  à  la  destruction, 
pendant  que  les  pièces  de  75  à  tir  rapide  surveillaient  les  mouvements  des 
Figuiguiens;  ces  derniers  avaient  fait  des  retranchements  devant  leurs 
/emparts  et  se  tenaient  derrière  leurs  murs.  Au  moment  où  le  bombar- 
dement commença,  ils  s'enfuirent  tous  devant  les  obus. 

Les  Marocains  embusqués  dans  la  palmeraie,  entre  le  col  de  la  Juive  et 
le  col  de  Zénaga,  tirèrent  les  premiers  sur  les  artilleurs.  Ni  les  hommes  ni 
les  chevaux  ne  furent  atteints. 

A  onze  heures,  le  général  O'Connor  donna  l'ordre  de  cesser  le  feu  et  fit 
rentrer  toutes  les  troupes  d'infanterie  à  Beni-Ounif  et  les  troupes  d'artil- 
lerie à  Djenan-ed-Dar, 

A  part  un  goumier  indigène  qui  a  été  tué  au  col  de  Zénaga,  nous  n'avons 
subi  aucune  perte;  nous  n'avons  pas  de  blessés. 

On. ignore  le  nombre  des  tués  et  des  blessés  marocains;  on  ne  connaît, 
pour  le  moment,  ni  l'impression  que  cet  acte  de  police  a  produite  chez  les 
Figuiguiens,  ni  quelles  sont  leurs  intentions. 

Le  général  O'Connor  attend  que  les  Figuiguiens  viennent  à  compo- 
sition. Toutes  les  femmes  et  tous  les  enfants  de  Zénaga  avaient  fui  depuis 
plusieurs  jours. 

L'effet  du  bombardement  fut  celui  que  ron  pouvait  attendre. 
Les  ksouriens,  terrifiés,  demandèrent  aussitôt  à  faire  leur  sou- 
mission. Le  général  O'Connor  reçut,  le  10  juin,  les  représen- 
tants des  djemmaa  des  sept  ksour  de  Figuig  et  leiu»  imposa  ses 
conditions.  Là  encore,  nous  avons  recours  aux  dépêches  offi- 
cielles, pour  exposer  les  faits. 

Beni-Ounif,  10  juîo. 

Dès  la  première  heure  du  jour,  suivant  les  conditions  imposées  par  le 
général  O^Connor,  les  représentants  des  djemmaa  des  sept  ksour  de  Figuig 
se  rendent  sur  le  territoire  français  pour  faire  leur  soumission. 

Ils  s'arrêtent  au  marabout  de  Sidi  Sliman  bou  Smaha,  situé  dans  le 
ksar  do  Beni-Ounif,  à  2.500  mètres  du  col  de  Zénaga.  C'est  Tagha  Si 
Moulay,  du  cercle  d'Ain-Sefra,  en  résidence  à  Tiout,  qui  ménage  Tentre- 
Mie  qui  doit  avoir  lieu  à  dix  heures  du  matin  entre  les  djemmaa  et  le 
général  O'Connor.  Une  tente  appartenant  à  l'agha  Si  Moulay  est  dressée 
près  du  marabout  ;  des  chaises  et  une  table  sont  installées  sous  cette  tente. 


f 


LES  AFFAIRES  D'aLGÉRIE  791 

C'est  là  que  les  conditions  de  soumission  vont  être  imposées  aux  Figui- 
guiens. 

Les  djemmaa  des  deux  ksour  d'Oudhghir  et  d'Oulah-Sliman,  qui  n'ont 
jamais  participé  aux  attaques  dirigées  contre  nous,  se  tiennent  à  part,  vou- 
lant montrer  qu'elles  ne  se  solidarisent  pas  avec  les  cinq  autres  ksour. 

En  attendant  l'arrivée  du  général  O'Connor,  les  membres  des  djemmaa 
sont  assis  sur  le  petit  mur  en  pierre  qui  borde  le  marabout  de  Sidi-Sli- 
man  ;  un  groupe  de  maghzani  et  de  goumiers  en  armes  forme  le  cercle 
autour  d'eux. 

Les  membres  des  djemmaa  entrent  ensuite  dans  le  marabout  où  ils 
restent  en  prière  pendant  près  d'une  heure. 

Ils  en  ressortent  sans  parler,  avec  cette  impassibilité  des  musulmans  qui 
fait  que  tout  ce  qui  les  entoure  semble  les  laisser  indifférents. 

A  dix  heures  moins  le  quart,  est  arrivée  à  la  redoute  une  compagnie  de 
tirailleurs,  clairons  sonnants,  tambours  battants.  La  compagnie  s'est  par- 
tagée en  deux,  formant,  à  droite  et  à  gauche  de  la  tente,  une  haie 
d'honneur. 

A  dix  heures  précises,  le  général  O'Connor,  à  cheval,  arrive  à  son  tour, 
en  grand  uniforme.  Il  est  escorté  de  tous  ses  officiers  d'ordonnance  et  des 
officiers  des  affaires  indigènes.  Au  milieu  du  peloton  se  détache  un  spahi 
qui  porte  le  fanion  de  la  division,  rayé  blanc  et  rouge. 

A  ce  moment,  le  spectacle  est  vraiment  imposant.  Le  général,  ganté  de 
blanc,  salue  militairement,  pendant  que  les  clairons  et  les  tambours  des 
tirailleurs  sonnent  et  battent  aux  champs.  Devant  la  tente  du  général  se 
tiennent,  rangés  à  l'alignement,  nos  soldats  et  tous  les  membres  des 
djemmaa  qui  viennent  de  sortir  du  marabout.  Derrière,  sur  une  seconde 
ligne,  sont  rangés  les  cavaliers  du  Maghzen,  superbement  drapés  dans 
leurs  manteaux  bleus,  et  de  nombreux  goumiers  de  la  région. 

Le  général  O'Connor  met  pied  à  terre  et  rentre  sous  la  tente  avec 
Tagha  Si  Moulay,  auquel  il  serre  la  main.  L'interprète  militaire  de 
l""®  classe  Hamet,  de  la  division  d'Oran,  dit  alors  aux  représentants  des 
djemmaa  de  s'avancer. Ceux-ci  se  rangent  encercle  sur  le  bord  de  la  tente. 
Un  membre  de  la  djemmaa  de  Zénaga  dit  alors  : 

«  Nous  désirons  vivre  en  bonne  intelligence  et  en  bon  voisinage  avec  les 
<c  Français.  » 

Le  général  O'Connor  l'arrête,  et,  fièrement  campé  devant  les  représen- 
tants de  Figuig,  les  deux  bras  croisés  sur  la  poitrine,  le  regard  haut  et  la 
voix  ferme,  prononce  avec  énergie,  en  scandant  les  mots  et  en  appuyant 
sur  les  passages  importants,  l'allocution  suivante  où  il  impose  ses  condi- 
tions : 

ALLOCUTION    DU    GÉNÉRAL    0*CONNOR 

La  France  est  patiente,  parce  qu'elle  est  juste  et  parce  qu'elle  est 
forte.  Mais  elle  entend  rester  toujours  la  maîtresse  de  l'heure.  Depuis 
plus  de  viivgl  ans,  les  Algériens  s'efforcent  de  vivre  avec  vous  en 
bons  voisins.  Vous,  vous  n'avez  employé  à  leur  égard  que  des  pro- 
cédés mauvais  et  injustes  :  vol,  pillage,  assassinat.  Le  Figuig  est 
devenu,  depuis  deux  ans  surtout,  un  véritable  repaire  de  bandits.  Il 
faut  que  cela  cesse,  et  cela  cessera,  je  vous  Tafflrme. 


''^c;è^i'ÏQiEr  Rissani 
Es  ^îf?bô^i  o  Abouam 

-    ;    ■ V»-  •      ik. 


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794  QUESTIONS   DIPLOMATIQUKS    ET   COLOIOALES 

Avant-hier,  j*ai  infligé  comme  premier  avertissement  pour  toos 
les  ksour  nn  commencement  de  châtiment  au  ksar  de  Zénaga,  et  suis 
prêt  à  continuer  s'il  est  nécessaire. 

Des  gens  mal  intentionnés  vous  ont  dit  que  la  France  vons  punis- 
sait parce  que  beaucoup  d'entre  vous  s'étaient  déclarés  pour  le  pré- 
tendant et  contre  le  sultan  Abdul-Aziz.  Cest  faux;  ils  vous  ont 
trompés. 

Jamais  la  France  ne  fait  acte  de  parti  en  intervenant  chez  ses  voi- 
sins; de  même  les  djemmaa  de  vos  ksour  conservent  toutes  leurs 
libertés  et  toute  leur  autorité. 

Mais  qui  dit  autorité  dit  responsabilité.  Elles  supporteront  donc 
toute  la  responsabilité  des  actes  répréhensibles  commis  par  les  leurs 
ou  par  ceux  qu'elles  reçoivent.  Lorsque  Allah  veut  châtier  ses  servi- 
teurs qui  sont  sortis  du  droit  chemin,  il  donne  pour  les  punir  la  force 
à  qui  il  veut,  et  vous  savez  qu'il  vous  est  ordonné  de  vous  incliner 
devant  sa  volonté. 

Non  seulement  la  France  ne  désire  pas  l'abaissement  ni  la  ruine 
de  Figuig,  mais  tout  au  contraire  sa  prospérité.  Si  vous  savez  com- 
prendre et  faire  le  nécessaire  grâce  au  chemin  de  fer  que  nous  venons 
de  pousser  à  vos  portes,  le  Figuig  doit  devenir  le  grand  entrepôt  du 
Sud-Ouest  et  arriver  à  une  prospérité  qu'il  n'a  jamais  connue  jus 
qu'à  ce  jour;  mais  la  première  condition  est  la  sécurité.  Je  suis  venu 
pour  l'assurer,  et  je  l'assurerai  sans  reculer  devant  aucun  moyen,  s'il 
est  nécessaire. 

Mon  mandataire  va  vous  donner  connaissance  des  conditions  que 
j'exige  de  vous,  comme  réparation  d'abord,  puis  surtout  comme 
garantie  pour  l'avenir.  Je  n'admets  pas  qu'elles  soient  disculées. 

Ce  discours  est  traduit  en  arabe  phrase  par  phrase  par  l'interprète  mili- 
taire. Il  produit  une  profonde  impression  sur  les  assistants.  Pendant  le 
temps  que  durent  rallocution  du  général  O'Connor  et  la  traduction  de  l'inter- 
prète,  les  Figuiguiens  restent  immobiles  et  silencieux.  Le  général  ajoute  : 
«  Maintenant,  je  vais  vous  laisser  avec  mes  mandataires  qui  vous  feront 
connaître  quelles  sont  mes  conditions.  » 

A  ce  moment,  un  représentant  de  Zénaga  avance  la  main  pour  la  tendre 
au  général  ;  celui-ci  la  repousse  d'un  geste  et  sort  de  la  tente  sans  saluer. 
Tous  les  Figuiguiens  s'inclinent  et  portent  la  main  à  la  hauteur  de  leur 
front,  en  faisant  le  salut  militaire. 

Le  général,  escorté  de  ses  officiers  d'ordonnance,  remonte  à  cheval,  se 
dirigeant  au  trot  vers  la  redoute  de  Beni-Ounif,  pendant  que  les  clairons 
et  les  tambours  sonnent  et  battent  aux  champs. 

Les  Figuiguiens  entrent  alors  sous  la  tente,  et  le  capitaine  Fariau,  chef 
des  affaires  indigènes  de  la  division  d'Oran,  transmet  aux  Figuiguiens  les 
conditions  imposées  par  la  France. 

«  Un  délai  de  vingt-quatre  heures  leur  a  été  accordé  pour  conférer  avec 
leurs  mandants  et  faire  connaître  leur  réponse,  ces  conditions  étant  à 
accepter  ou  à  refuser  en  bloc  sans  modifications. 


LES  AFFAIRES   d'aLGÉRIE  795 

Les  vingt-quatre  heures  écoulées,  les  représentants  des  sept 
ksour  de  Figuig  arrivaient  au  marabout  de  Sidi-Sliman  et 
déclaraient  qu'ils  acceptaient  sans  discussion  les  conditions 
fixées  dont  voici  le  détail  : 

1®  Relations  de  bon  voisinage; 

2°  L'accès  des  ksour  est  interdit  aux  fauteurs  de  troubles; 

3"  La  liberté  et  la  sécurité  sont  assurées  aux  Français  se  rendant  dans 
les  ksour; 

4°  La  responsabilité  des  méfaits  et  livraison  des  malfaiteurs  sur  la 
demande  des  autorités  françaises. 

5«  L'interdiction  de  franchir  les  cols  en  armes  sans  autorisation; 

6°  Les  ksouriens  devront  aviser  les  autorités  françaises  des  événements 
importants  ; 

70  Une  indemnité  de  guerre  de  60.105  francs  est  imposée  à  l'ensemble 
des  ksour  qui  devront  en  outre  livrer  un  certain  nombre  d*armes  et 
remettre  14  otages. 

En  échange,  la  France  confirme  la  liberté,  la  sécurité  et  les  droits  de 
propriété  sur  son  territoire. 

Le  même  soir,  11  juin,  à  cinq  heures,  le  général  O'Connor 
passa  une  grande  revue  de  toutes  les  troupes  actuellement  à 
Beni-Ounif  :  il  félicita  vivement  les  officiers  et  les  hommes  de 
leur  superbe  attitude;  puis  les  troupes  regagnèrent  leur  camp. 

L'incident  de  Zénaga  peut  donc  être  considéré  comme  réglé. 
A  vrai  dire,  Ton  a  été  généralement  surpris  d'une  solution  si 
prompte,  qui  ne  semble  comporter  que  de  très  médiocres  répa- 
rations pour  le  passé  et  de  trop  faibles  garanties  pour  l'avenir. 
C'est  ce  qu'exprime  ainsi  VEclair  : 

A  l'issue,  cette  affaire  de  Figuig  nous  apparaît  comme  une  vaste  fumis- 
terie. Elle  avait  mieux  débuté.  L'opération  militaire  semble  avoir  été 
remarquablement  conduite.  L'effet  nous  en  a  bien  été  un  peu  gâté  par  des 
dépêches  d'une  emphase  déplacée;  mais  c'est  un  mérite,  non  méprisable 
en  somme,  que  d'avoir  su  obtenir,  sans  verser  une  goutte  de  sang  français, 
le  résultat  qu'on  avait  en  vue.  Je  dis  :  résultat  tactique  ;  quant  à  l'autre,  le 
politique,  on  ne  l'aperçoit  pas.  Et  c'est  l'étonnement  universel  que  le 
médiocre  profit  qu'on  a  tiré  de  la  rapide  victoire  de  nos  troupes. 

On  nous  avait  vanté  la  parfaite  connaissance  qu'avait  le  général 
O'  Connor  du  caractère  des  Arabes,  la  sage  méfiance  où  il  se  tenait  de  leur 
perfidie,  de  leur  facilité  à  violer  les  engagements  les  plus  solennels.  Et  le 
langage  ferme  que  nous  lui  avons  vu  tenir  confirmait  bien  celte  apprécia- 
tion. Qui  donc  alors  a  dicté  les  étonnantes  conditions  qu'on  nous  a  fait 
connaître  de  la  capitulation  consentie  aux  oasis?  Les  Figuiguiens  nous 
«  promettent  »  d'entretenir  avec  nous  «  des  relations  de  bon  voisinage  », 
d'interdire  l'accès  des  ksour  aux  fauteurs  de  troubles,  d'assurer  la  sécu- 
rité des  Français,  de  livrer  à  nos  autorités  les  auteurs  des  agressions 
éventuelles,  de  ne  pas  franchir  en  armes  les  cols  sans  notre  autorisation, 


796  QUESTIONS   DIPLOBIATIQUES   ET   COLONIALES 

de  nous  aviser  de  tous  les  événements  importants  et  de  nous  payer  une 
indemnité  de  guerre  de  60.000  francs.  Un  point,  c'est  tout. 

Les  Figuiguiens  nous  donnent  de  bonnes  paroles  et  nous  nous  en  con- 
tentons. C'est  nous  qui  paierons  les  frais  de  la  guerre.  Il  est  évident  que 
nous  ne  verrons  jamais  un  sou  des  60.000  francs  qu'ils  s'engagent  à  nous 
verser.  Et,  d'ailleurs,  quelle  garantie  prenons-nous  contre  leur  mauvaise 
foi?  Aucune.  On  devait  les  désarmer;  on  ne  le  fait  môme  pas.  Ils  livreront 
pour  la  forme  «  un  certain  nombre  d'armes  d.  Sans  doute,  il  n'eût  pas  été 
d'une  bonne  politique  d'annexer  Figuig  et  personne  ne  le  demandait.  Mais 
tout  le  monde  pensait  que,  sans  nous  emparer  de  la  redoutable  oasis,  nous 
allions  y  établir  et  y  assurer  l'autorité  du  sultan,  sous  la  protection  de  nos 
canons.  Il  est  impossible  de  comprendre  pourquoi  nous  ne  l'avons  pas  fait. 

Toutefois  il  est  juste  de  reconnaître  que  d'autres  esprits  ont 
apprécié  les  faits  d'une  façon  plus  optimiste.  C'est  ainsi  que 
nous  lisons  dans  le  Journal  des  Débats  la  note  suivante  ; 

Les  dernières  dépêches  de  Beni-Ounif  présentent  comme  définitive  1^ 
soumission  des  habitants  de  ksour  de  Figuig.  Ceux-ci,  par  l'entremise  des 
membres  des  djemmâa,  se  sont  inclinés  devant  les  conditions,  très  pré- 
cises, que  le  général  O'Connor  leur  avait  imposées  au  nom  du  gouverne- 
ment général.  Ce  sont  des  conditions  assez  dures  pour  Tamour-propre  des 
indigènes,  qui  livrent  des  otages  et  se  voient  empêchés  de  circuler  dans 
une  certaine  zone  sans  notre  autorisation.  Elles  sont,  d'autre  part,  assez 
onéreuses  (stipulant  une  forte  indemnité}  pour  que  le  souvenir  en  pèse 
lourdement  sur  les  habitants  les  plus  frappés  et  leur  enlève  toute  velléité 
de  nouveaux  guet-apens.  Il  y  a  donc  lieu  d'espérer  que  l'affaire  se  termi- 
nera là.  «  L'opération  de  police  »  que  M.  Jonnart  avait  désiré  voir 
s'accomplir,  selon  un  programme  qu'il  avait  nettement  délimité,  n'a 
entraîné  de  notre  côté  aucuue  perte  d'hommes;  elle  s'arrête  sur  un  pre- 
mier exemple,  à  un  point  précis  qui  parait  ne  devoir  pas  être  dépassé.  On 
évite  les  fatigues  et  les  sacrifices  d'une  expédition  qui,  à  cette  époque  de 
l'année,  était  particulièrement  inquiétante.  L'honneur  en  revient  aussi 
bien  au  gouverneur  général  qui,  même  après  l'attentat  de  Zénaga,  a  con- 
servé tout  son  sang-froid  et  la  fermeté  de  ses  desseins,  qu'au  général 
O'Connor,  qui  a  exécuté  ses  instructions  en  faisant  preuve  de  la  grande 
connaissance  de  l'état  d'esprit  des  indigènes  et  d'une  superbe  crânerie 
militaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  soumission  des  ksouriens  de  Figuig 
n'est  pas  une  solution  définitive.  Il  reste  à  résoudre  toute  la 
question  des  tribus  qui  nous  ont  enlevé  nos  convois,  tandis 
que  les  Figuiguiens  n'ont  guère  été  que  leurs  receleurs  et 
n'avaient  jusqu'ici  sur  la  conscience  que  quelques  coups  de 
fusil  isolés  sur  nos  postes  et  nos  factionnaires  à  Beni-Ounif 
et  à  Duveyrier. 

Le  plus  aisé  est  fait  ;  le  plus  malaisé  reste  à  faire. 

Or,  il  est  certain  que  la  nouvelle  attitude  prise  parle  gouver- 
nement en  Algérie  n'est  pas  de  nature  à  faciliter  notre  action. 


LtS   AFFAIRES   D^ALGÉRTE  797 

Le  programme,  arrôté  par  M.  Revoil  pour  mettre  à  la  raison 
ces  turbulentes  tribus,  consistait  à  créer  à  Beni-Abbès  une 
4®  compagnie  saharienne,  en  faisant  remonter  vers  le  Nord  les 
troupes  de  la  guerre  qui,  dans  le  Sahara,  ne  peuvent  rendre 
d'utiles  services.  On  multipliait  ainsi  les  troupes  sahariennes, 
troupes  légères,  dans  ces  régions,  et  Ton  réservait  Temploi  des 
troupes  de  la  guerre  seulement  comme  appui  et  de  préférence 
le  long  de  la  voie  ferrée  où  elles  ne  coûtent  pas  plus  cher  qu'en 
station.  C'est  en  effet  la  seule  solution  pratique.  Toute  autre 
disposition  entraînerait  des  difficultés  inextricables  pour 
atteindre  et  poursuivre  ces  insaisissables  malfaiteurs. 

En  outre,  cette  action  doit  Otre  menée  de  façon  très  déli- 
cate, pour  ne  pas  encourager  les  intrigues  étrangères  à  Fez  et 
ne  pas  effaroucher  le  Maghzen.  M.  Revoil  avait  su,  comme 
après  lui  M.  Saint-René  Taillandier,  très  habilement  préparer 
les  voies,  en  renouant,  entre  le  Maghzen  et  nous,  des  rapports 
sincèrement  amicaux.  Le  représentant  du  sultan.  Si  Moham- 
med el  Guebbaz,  était  même  venu  en  Algérie,  où  il  est  encore, 
pour  fixer  avec  nous  les  derniers  points  qui  restaient  à 
régler. 

Or,  on  a  pu  craindre  malheureusement  de  voir  abandonner 
cette  sage  politique.  Une  partie  notable  de  Topinion  oranaise 
paraît  disposée  à  ne  tenir  aucun  compte  de  l'entente  féconde 
conclue  entre  le  Maghzen  et  nous.  Il  suffit,  pour  s'en  rendre 
compte,  de  relire  certains  articles  de  journaux  locaux  qui, 
comme  VEcho  cVOran^  ne  craignent  pas  d'appeler  l'incident 
de  Figuig  Vinciderit  libérateur, 

U incident  libérateur  :  n'est-ce  pas  ainsi  qu'il  conviendra  de  désigner 
l'attaque  que  M.  le  Gouverneur  général  et  son  escorte  ont  subie  en  vue  de 
Figuig,  au  col  de  la  Juive,  s'il  a  pour  conséquences  heureuses  de  nous 
délivrer  de  tous  les  ambassadeurs  et  chefs  de  mission  que  nous  avons  été 
pompeusement  chercher  à  Tanger,  et  que  nous  entretenions  largement  à 
Alger  aux  frais  des  contribuables  français? 

N'est-il  pas  temps,  en  effet,  de  renvoyer  d'où  ils  viennent  ces  négocia- 
teurs du  sultan  de  Fez  —  et  non  du  Maroc  qui  ne  lui  appartient  pas  —  qui 
viennent  de  nous  démontrer  jusqu'à  quel  point  ils  sont  dépourvus  d'auto- 
rité sur  les  tribus  qui  nous  avoisinent  ? 

N'était-ce  pas  humiliant  de  voir  présenter  solennellement  à  Tlemcen  au 
Président  de  la  République  cet  amel  fugitif  d'Oudjda  —  fonctionnaire 
marocain  in  partibus  infidelium?  —  Aurait-on  jamais  imaginé  de  faire 
recevoir  par  le  Roi  d'Italie  le  sous-préfet  de  Sisteron  ou  celui  de  Barce- 
lonnette,  si  ces  honorables  fonctionnaires  avaient  été  chassés  de  leur  sous- 
préfecture  et  s'étaient  réfugiés  en  Italie? 

Ne  peut-on  poser  utilement  aujourd'hui  à  M.  Mohammed  el  Guebbaz,  que 
nous  avons  institué  diplomate  pour  le  plaisir  de  discuter  avec  lui,  le 


798  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

dilemme  suivant  :  ou  le  sultan  de  Fez  et  vous-même  ainsi  que  votre 
umel  de  Figuig  aviez  une  autorité  quelconque  sur  les  gens  de  cette  oasis, 
v-i  alors  vous  êtes  complices  de  l'attentat  qu'ils  ont  commis,  et,  par  suite, 
vous  n'avez  qu'à  rejoindre  votre  illustre  maître;  ou  le  sultan  de  Fez,  vous 
i*l  votre  amel  n'aviez  aucune  autorité  sur  les  Figuiguiens,  et  alors  de  quel 
'Irôit  discutiez-vous  avec  nous  la  question  de  la  gare  de  Beni-Ounif,  le 
i  racé  de  notre  chemin  de  fer  et  les  rapports  pouvant  exister  entre  nous  et 
les  populations  de  cette  région?  Dans  ce  cas  encore,  retournez  au  plus 
vite  auprès  de  votre  puissant  maître. 

De  toute  façon,  cessez  de  vous  occuper  de  nos  affaires  et  regagnez 
Tanger.  Nous  saurons  bien,  sans  votre  assentiment  inutile,  régler  nos  dif- 
férends avec  les  tribus  de  notre  frontière. 

Et  ainsi  l'incident  de  Beni-Ounif  nous  aura  délivrés  d'une  politique 
jiOfaste,  et  ce  sera,  comme  nous  le  disions,  un  fait  libérateur. 

Est-ce  à  cet  état  d'esprit  qu'obéissait  le  gouverneur  de  l'Al- 
gérie, lorsqu'une  première  fois  il  «  refusait  de  recevoir  Si 
ii  Mohammed  et  Guebbaz  venu  à  Saïda  pour  lui  exprimer  ses 
0   regrets  de  l'incident  de  Beni-Ounif  ». 

Cette  résolution  inattendue  devait  émouvoir  notre  ministre 
lies  Affaires  étrangères,  et  c'est  certainement  la  raison  pour 
laquelle  M.  Jonnart,  modifiant  à  Alger  son  attitude,  est  allé 
rendre  visite  à  l'envoyé  chérifien,  comme  Tannonce  la  dépêche 
suivante  : 

Alger,  9  juin  (par  dépêche]. 

Le  gouverneur  général,  accompagné  de  M.  Aynard,  directeur  de  son 
i'abinet,  et  du  lieutenant  de  Tilly,  de  sa  maison  militaire,  s'est  rendu  cet 
après-midi  auprès  de  Mohammed  el  Guebbaz,  chef  de  la  mission  marocaine 
i|m  est  revenue  à  Alger. 

M.  Jonnart  a  remercié  Mohammed  el  Guebbaz  de  la  démarche  que 
re[irésentant  du  Maroc  a  faite  auprès  de  lui,  à  Saîda,   le  lendemain  de 
Taî tentât  de  Zénaga,  pour  lui  exprimer  les  vifs  regrets  du  sultan. 

Il  n'y  a  plus  lieu  d'insister;  on  n'aurait  pu  que  déplorer  des 
mesures  qui  pouvaient  compromettre  tout  le  parti  français  au 
Maroc  et  placer  notre  ministre  à  Tanger  dans  la  situation  la 
plus  fausse. 

Les  puissances  européennes,  et  notamment  l'Angleterre,  ne 
craignaient  qu'une  chose  :  notre  entente  avec  le  sultan;  ne 
rivaient  qu'une  chose  de  notre  part  :  des  actes  imprudents  et 
bruyants  qui  leur  permissent  d'intervenir.  On  juge  de  leur 
joie  en  présence  de  l'incident  de  Zénaga  qui  posait  de  nouveau 
bien  inopportunément,  devant  l'Europe  entière,  la  question  du 
Maroc. 

J.-II.  Franklin. 


CHRONIQUES  DE  LA  QUINZAINE 


RENSEIGNEMENTS  POUTIQUES 


I.  —  EUROPE. 

France.  —  M.  Loubet  à  Londres  et  le  roi  d* Italie  à  Paris,  —  Deux 
communiqués  de  V Agence  Havas  viennent  de  donner  un  caraclèn? 
définitif  et  officiel  aux  projets  de  voyage  de  M.  Loubet  en  Angleterr-^ 
et  du  roi  d'Italie  en  France. 

La  visite  du  Président  de  la  République  au  roi  d'Angleterre  esl 
fixée  au  6  juillet.  M.  Loubet  arrivera  à  Londres  dans  Taprès-midi  et 
en  partira  le  jeudi  9  dans  la  matinée.  Il  sera  accompagné  de  M.  Dal- 
cassé.  Durant  son  séjour,  M.  Loubet  sera  Thôte  du  roi  au  palais  de 
Saint-James  ;  mais  il  offrira  au  roi  un  dîner  de  gala  qui  aura  lieu  h 
l'ambassade  de  France. 

Quant  à  la  visite  du  roi  d'Italie,  elle  est  fixée  au  16  juillet.  Le  roi 
descendra  au  ministère  des  Affaires  étrangères  et  sera  notre  hôLr 
durant  trois  jours.  Pour  accentuer  encore  le  caractère  de  sa  visito 
et  lui  donner  plus  de  portée,  le  roi,  ajournant  au  mois  de  novem- 
bre son  voyage  en  Angleterre,  viendra  directement  de  Rome  à  Parii^ 
et  rentrera  directement  à  Rome.  L'amiral  Morin,  ministre  des 
Affaires  étrangères,  accompagnera  le  roi,  de  manière  à  bien  préciser 
l'importance  politique  de  ce  voyage. 

—  Oroupemmt  des  forces  militaires  dans  les  colonies,  —  Un  décreLj 
rendu  sur  la  proposition  des  ministres  de  la  Guerre  et  des  Colonies^ 
institue  un  système  de  groupement  de  toutes  les  forces  militaires 
stationnées  aux  colonies. 

En  effet,  pour  tirer  le  meilleur  parti  de  ces  forces  disséminées  sur 
toute  l'étendue  de  notre  domaine  colonial,  pour  pouvoir  les  concen- 
trer plus  rapidement,  s'il  était  nécessaire,  sur  les  points  les  plus 
importants  que  leur  situation  stratégique,  économique  ou  politique, 
exposerait  plus  particulièrement  aux  tentations  de  l'ennemi,  il  y 
avait  le  plus  grand  intérêt  à  grouper  dans  une  même  organisation 
militaire  et  à  placer  sous  un  seul  commandement  celles  qui,  par 
leur  voisinage  ou  la  facilité  de  leurs  communications,  pourraient 
en  cas  de  guerre,  se  prêter  un  mutuel  appui  et  coopérer  à  la  défense 
du  point  le  plus  menacé. 

Il  est  formé  dans  ce  but,  en  dehors  de  l'Algérie  et  de  la  Tunisie , 
cinq  groupes  de  colonies,  dans  chacun  desquels  toutes  les  forcer 


T  ^^T= ■.^■^. 


HOO  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES  ET   COLONIALES 

militaires  sont  réujiies  sous  un  même  commandement  supérieur. 

1"  groupe  :  Indo-Chine. 

2«  groupe  :  Afrique  occidentale  (Sénégal,  territoire  de  la  Séné- 
gambie  et  du  Niger,  territoires  militaires  de  l'Afrique  occidentale 
française,  Guinée  française,  Côte  d'Ivoire,  Dahomey,  Congo  français 
et  territoire  du  Tchad). 

3*^  groupe  :  Madagascar  (colonie  principale),  la  Réunion,  les  Go- 
mores. 

4*^  groupe  :  les  Antilles  (Martinique,  Guadeloupe  et  dépendances, 
Guyane). 

5*  groupe  :  Pacifique  (Nouvelle-Calédonie,  Tahiti). 

Voici  les  autres  dispositions  principales  du  décret  : 

Chaque  groupe  aura  un  conseil  de  défense  unique. 

L'organisation  et  la  composition  des  forces  militaires  afifectées  à 
chaque  groupe,  ainsi  que  leur  répartition  entre  les  colonies  du 
groupe,  sont  arrêtées  par  le  ministre  des  Colonies,  après  avis  de- 
mandé au  ministre  de  la  Guerre. 

Dans  chaquegroupe,lecommandementsupérieur  de  l'ensemble  des 
forces  militaires,  ainsi  que  des  services  ou  établissements  qui  lear 
sont  affectés,  est  exercé,  sous  la  haute  autorité  du  gouverneur  géné- 
ral ou  gouverneur  de  la  colonie  principale,  par  un  officier  général 
ou  supérieur  qui  prend  le  titre  de  commandant  supérieur  des 
troupes  du  groupe. 

Les  détachements  stationnés  dans  les  colonies  autres  que  la  colo- 
nie principale  du  groupe  sont  placés  sous  le  commandement  de 
Tofficier  d'infanterie  ou  d'artillerie  coloniales  le  plus  ancien  dans  le 
grade  le  plus  élevé.  Cet  officier  prend  le  titre  de  commandant  du 
détachement  ou  des  détachements,  selon  le  cas.  « 

Il  est  sous  la  haute  autorité  du  gouverneur  de  la  colonie,  à  l'égard 
duquel  il  est  responsable  de  l'emploi  des  troupes  dans  l'intérieur  de 
la  colonie. 

Le  gouverneur  de  chaque  colonie  continue  à  correspondre  direc- 
tement avec  le  ministre  des  Colonies  pour  tout  ce  qui  concerne 
remploi  des  troupes  stationnées  dans  la  colonie  qu'il  est  chargé 
d'administrer. 

En  temps  de  guerre,  les  troupes  et  services  stationnés  dans  une 
des  colonies  d'un  groupe,  y  compris  les  réserves  locales,  peuvent 
i.-tre  appelés,  en  totalité  ou  en  partie,  à  rallier  la  colonie  principale 
ou  toute  autre  colonie  du  groupe  sur  Tordre  du  ministre  des  Colo- 
nies, ou,  en  cas  de  nécessité,  sur  réquisition  du  gouverneur  général 
ou  gouverneur  de  la  colonie  principale,  prise  sur  la  proposition  du 
commandant  supérieur  des  troupes  et  après  avis  conforme  du  con- 
seil de  défense.  Il  en  est  rendu  compte  au  ministre  des  Colonies. 


RENSEI6N£ME?fTS   POLITIQUES 


801 


Angleterre.  —  Libre-échange  ou  protection,  —  Depuis  longtemps  les 
tendances  protectionnistes  de  M.  Chamberlain  ne  sont  un  mystère 
pour  personne.  La  protection  est  d'ailleurs  le  corollaire  obligé  de 
rimpérialisme  et  certaines  mesures  fiscales  destinées  à  protéger  le 
commerce  colonial  ont  déjà  prouvé  que  M.  Chamberlain  accepte 
sans  hésitation  les  conséquences  économiques  de  sa  politique.  Tou- 
tefois la  question  n*avait  pas  encore  été  posée  franchement,  bruta- 
lement devant  le  pays.  C'est  ce  qui  a  été  fait,  il  y  a  quelques  jours,  le 
10  juin,  à  la  Chambre  des  Communes,  à  propos  de  la  taxe  sur  les 
blés.  L'opposition  avait  choisi  ce  prétexte  pour  mettre  le  gouverne- 
ment au  pied  du  mur.  M.  Chaplin,  en  demandant  au  ministre  des 
Finances  s*il  entendait  maintenir  longtemps  encore  une  taxe  pure- 
ment fiscale,  conséquence  essentiellement  temporaire  de  la  guerre 
du  Transvaal,  mettait  en  cause  toute  la  politique  gouvernementale. 
Personne  ne  s'y  est  trompé,  et  M.  Richtie,  ministre  de  l'Intérieur, 
moins  que  tout  autre,  car  il  crut  devoir  se  séparer  nettement  sur  le 
terrain  économique  de  son  collègue  M.  Chamberlain  et  faire  une 
solennelle  profession  de  foi  libre-échangiste. 

Ces  déclarations,  appuyées  par  des  déclarations  analogues  de 
M.  Hicks  Beach,  l'ancien  ministre  des  Finances,  et  par  les  discours 
très  catégoriques  des  principaux  leaders  de  l'opposition,  produisi- 
rent une  très  vive  sensation.  Le  bruit  courut  même  que  M.  Cham- 
berlain allait  donner  sa  démission  et  que  le  ministère  ne  pourrait 
survivre  à  ce  choc.  Il  n'en  a  rien  été.  M.  Balfour,  en  effet,  par  ua 
expédient,  qui  ne  pouvait  faire  illusion  à  personne,  a  réussi  k 
écarter  un  débat  décidément  trop  dangereux.  Il  semble  certain 
maintenant  qu'il  n'y  aura  pas  de  crise  ministérielle  avant  les 
vacances.  Mais  la  question  n'en  reste  pas  moins  nettement  posée.  Il 
faudra  un  jour  prochain  —  un  jour  qui  ne  peut  être  loin  —  la 
résoudre  dans  un  sens  ou  dans  l'autre. 


Italie.  —  Le  motivement  irrédentiste  en  Italie.  —  Des  manifestations 
hostiles  aux  étudiants  italiens  se  sont  récemment  produites  k 
Innsbrilck  et  ont  provoqué  en  Italie  des  manifestations  contraires, 
d'un  caractère  particulièrement  violent,  qui  mettent  de  nouveau  en 
lumière  les  causes  de  différends  existant  entre  l'Autriche  et  l'Italie. 

La  source  primitive  et  permanente  de  l'hostilité  des  Italiens  contre 
l'Autriche  est  l'ensemble  des  revendications  qui  ont  donné.naissance 
au  mouvement  irrédentiste  :  Trieste  et  le  Trentin,  peuplés  en  majo- 
rité d'Italiens,  sont  demeurés  séparés  de  la  mère  patrie  et,  de  plus, 
sont  soumis  à  un  régime  passablement  oppressif.  Si  les  irrédentistes 
tournent  exclusivement  les  regards  vers  cette  région,  au  lieu  de  les 
diriger,  par  exemple,  vers  la  Corse  ou  le  Tessin,  qui  se  trouvent 
exactement  dans  la  même  situation  ethnographique,  c'est  que  la 
QuEST.  DiPL.  ET  Col.  —  t.  xv.  51 


ï 


802  QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET   COLONIALES 

main  de  TAutriche  s'y  fait  sentir  lourdement,  dans  le  domaine  admi- 
nistratif ou  particulier.  Elle  refuse  au  Trentin  toute  autonomie  et  ne 
Yeut  pas  accorder  satisfaction  au  désir  assez  légitime,  exprimé  par 
ses  sujets  italiens,  d*avoir  tout  au  moins  une  Faculté  de  droit  ita- 
lienne à  Trieste,  puisque  des  chaires  où  renseignement  est  donné  en 
italien  existent  déjà  à  TUniversité  dlnnsbrûck.  Ces  revendications 
déjà  anciennes  prennent,  du  fait  des  récents  événements,  un  carac- 
tère d^acuité  assez  grave,  et  les  changements  qui  se  produisent  pea 
à  peu  dans  la  situation  générale  de  ces  provinces  contribuent,d'aQtre 
part,  à  exaspérer  les  irrédentistes.  A  Tinfluence  autrichienne  se  sub- 
stitue en  effet  de  plus  en  plus  Tinfluence  allemande^  représentée 
surtout  par  le  parti  pangermaniste.  Le  Schulverein  allemand,  subven- 
tionné de  Berlin,  y  fonde  des  écoles  allemandes  de  tous  côtés;  on 
établit  dans  ces  régions  pittoresques  des  hôtels  et  restaurants  alle- 
mands; on  germanise  jusqu'à  Talpinisme.  Le  parti  allemand  mili- 
tant empêche  la  construction  des  voies  ferrées  qui  relieraient  les 
centres  italiens  et  cherche  à  interposer  entre  eux,  par  rorientation 
des  lignes  de  chemin  de  fer,  des  centres  allemands.  Ainsi  donc,  non 
seulement  l'Italie  ne  voit  aucun  moyen  de  réunir  à  elle  ces  provinces, 
mais  elle  a  de  plus  à  craindre  d'avoir  à  entreprendre  une  véritable 
conquête  morale,  par  suite  des  changements  qui  se  seront  produits 
dans  la  population,  dans  sa  langue,  dans  son  esprit  général,  si 
jamais  le  rêve  irrédentiste  se  réalisait. 

A  la  question  irrédentiste  s'ajoutent  les  difficultés  d'ordre  général 
pendantes  entre  TAutriche  et  l'Italie. 

Tout  d*abord  la  question  d'Albanie. L'Autriche  déclare  ne  chercher 
en  Albanie  que  des  débouchés  commerciaux  et  n*ambitionner,  pour 
la  plus  grande  partie  de  cette  province,  que  l'autonomie,  le  jour  où 
elle  se  séparerait  de  la  Turquie.  Nous  disons  «  pour  la  plus  grande 
partie  »,  car  l'Autriche  entend  bien  occuper  cependant  la  partie  de 
l'Albanie  qui  s'étend  au  Sud  de  la  Bosnie  jusqu'un  peu  au  delà  de 
ï-  Mitrovitza,  cette  région  constituant,  pour  un  pays  appelé  à  inler- 

\  venir  dans  les  questions  balkaniques,  une  position  stratégique  de 

f  premier  ordre.  Quant  au   reste  de   l'Albanie,   elle  entend  le  voir 

demeurer  libre.  L'Italie  préconise,  au  contraire,  une  politique  de 
partage.  Sans  doute,  elle   a  signé  avec  l'Autriche  une  convention 
'  maintenant  le  statu  quo  en  Albanie,  mais  elle  voudrait  que  cette  con- 

vention soit  revisée  dans  le  sens  d'un  partage  que  l'Autriche  se 
refuse  à  admettre,  car  ce  serait  presque  faire  de  l'Adriatique  un  lac 
italien. 

La  question  économique  intervient  également.  L'Autriche-Hongrie 
a  dénoncé  son  traité  de  commerce  avec  l'Italie  et  il  est  extrêmement 
douteux  qu'elle  consente  à  lui  continuer  le  traitement  de  faveur 
accordé  jusque-là  à  ses  vins,  car  la  Hongrie,  productrice  importante 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  803 

de  vins,  voudrait  se  réserver  le  marché  autrichien.  Le  préjudice 
serait  considérable  pour  Tltalie  et  le  gouvernement  italien  se  voit 
forcé  de  préparer  un  projet  de  tarifs  très  élevés,  constituant  une 
véritable  arme  de  guerre  contre  TAutriche. 

Enfin  l'Italie  redoute  les  tendances  politiques  de  Tarchiduc  Fran- 
çois-Ferdinand, héritier  présomptif  du  trône  d'Autriche.  Déjà  l'em- 
pereur François-Joseph  a  vivement  mécontenté  les  Italiens  en  ne 
rendant  jamais  au  roi  Humbert  la  visite  que  celui-ci  lui  avait  faite  à 
Vienne  (l'entrevue  de  Venise  ne  saurait,  en  effet,  être  comptée 
comme  un  équivalent).  L'héritier  présomptif  a  toujours  évité  de 
passer  par  Rome,  et  sa  femme,  la  princesse  Hohenberg,  assiste  à 
des  réunions  où  sont  votées  des  résolutions  tendant  au  rétablis- 
sement du  pouvoir  temporel.  On  sait  qu'aucune  question  ne  tient 
plus  à  cœur  aux  Italiens  que  la  reconnaissance  sans  restrictions  des 
événements  qui  ont  parachevé,  en  1870,  la  création  de  leur  jeune 
royaume,  et  l'attitude  de  l'empereur  et  de  l'archiduc  est  de  nature 
à  provoquer,  sinon  des  appréhensions  concrètes,  tout  au  moins 
une  grande  méfiance. 

Il  est  assez  caractéristique  de  voir  des  journaux  comme  le  Carrière 
Mla  Sera  et  le  Oiornale  (Tltalia  —  qui,  il  y  a  quelques  semaines,  pré- 
conisaient une  union  plus  étroite  avec  l'Autriche  en  vue  d'une  inter- 
vention active  delà  politique  italienne  dans  la  question  des  Balkans 
—  se  joindre,  malgré  tout  et  quoique  à  regret,  au  courant  d'opinion 
qui  soulève  leur  pays.  Le  gouvernement  ilalien,  à  qui,  au  début,  ces 
manifestations  ne  semblaient  pas  déplaire  et  qui  laissait  volontiers 
passer  dans  la  presse  officielle  des  attaques  contre  l'Autriche,  vient 
de  se  ressaisir  et  semble  disposé  à  arrêter  le  mouvement.  Le  comte 
Nigra,  ambassadeur  d'Italie  à  Vienne,  dont  on  annonçait  la  pro- 
chaine retraite,  reste  à  son  poste  dans  ces  circonstances  difficiles, 
et  tout  porte  à  croire  que  l'agitation  va  s'apaiser.  Mais  il  serait 
superficiel  de  qualifier  de  feu  de  paille  ce  mouvement  d'opinion,  car 
il  a  pour  origine  des  causes  permanentes  qui  peuvent,  à  chaque 
instant,  le  faire  renaître.  Le  gouvernement  autrichien  pourrait,  avec 
quelque  complaisance,  faire  disparaître  ou  atténuer  certaines  de  ces 
causes  de  conflits.  Il  n'y  semble  guère  disposé,  non  pas  sans  doute 
par  hostilité  de  principe,  mais,  forcé  de  satisfaire  aux  revendica- 
tions auçsi  acharnées  que  contradictoires  formulées  par  les  éléments 
qui  composent  l'Autriche-Hongrie,  il  doit  être  lui-même  embarrassé 
tout  le  premier.  L.  J. 

Serbie.  —  U assassinat  du  roi  et  de  la  reine  de  Serbie.  —  Un  drame 
terrible  a  ensanglanté,  dans  la  nuit  du  10  au  il  juin,  le  palais  royal 
de  Belgrade  et  mis  fin  à  la  dynastie  des  Obrénovitch.  Le  roi 
Alexandre  et  la  reine  Draga  ont  été  massacrés  et  avec  eux  les  deux 


■V 


i 


804  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

frères  de  la  reine,  Nicodème  et  Nicolas  Liunievitza,  le  président  du 
Conseil,  Zinzar  Markovitch,  le  ministre  de  la  Guerre,  Miiovan  Pav- 
lovitch,  et  plusieurs  officiers  de  la  garde. 

Le  complot  a  été  exécuté  par  de  jeunes  officiers,  mais  les  fils  en 
ont  été  tenus  certainement  par  des  hommes  politiques.  Préparé  de 
longue  date,  il  ne  devait  pas  éclater  encore.  Mais  il  a  été  hâté  par  le 
bruit  qui  courait  que  la  nouvelle  Skoupchtiua,  élue  sous  une  terrible 
pression  électorale,  sans  un  settl  opposant,  et  réduite,  par  là,  à 
être  une  simple  Chambre  d'enregistrement  royal,  allait  régler  défi- 
nitivement la  question  de  la  succession  au  trône  en  consentant  à 
reconnaître  Liunievitza,  frère  de  la  reine  Draga,  comme  héritier 
présomptif.  Ce  bruit,  répandu  à  tort  ou  à  raison,  précipita  les 
choses. 

Leur  détestable  besogne  une  fois  accomplie,  les  conjurés,  sui- 
vant un  plan  établi  d'avance,  ont  immédiatement  constitué  un  nou- 
veau gouvernement  ainsi  composé  : 

Yovan  Avakoumovitch,  président  du  Conseil,  sans  portefeuille; 

Ljoubomir,  ministre  des  Affaires  étrangères; 

Stojan  Protitch,  ministre  de  l'Intérieur; 

Georges  Gentchitch,  ministre  du  Commerce  ; 

Le  général  Yovan  Atanazkovitch,  ministre  de  la  Guerre; 

Voislav  Velkovitch,  ministre  des  Finances  ; 

Le  colonel  Alexandre  Machine,  ministre  des  Travaux  publics  ; 

Le  professeur  Ljoubomir  Atoîanovitch,  ministre  des  Cultes; 

Ljoubomir  Ghivkovitch,  ministre  de  la  Justice. 

Le  nouveau  gouvernement  a  fait  afficher  aussitôt  la  proclamation 
suivante  : 

AU    PEUPLE     SERDE 

Cette  nuit,  ont  été  fusillés  le  roi  et  la  reine.  Dans  ce  moment  anxieux 
pour  les  destinées  de  la  Serbie,  les  amis  de  la  patrie  et  du  peuple  se  sont 
unis  pour  former  un  nouveau  gouvernement. 

En  annonçant  ce  fait  au  peuple  serbe,  le  nouveau  gouvernement  est  con- 
vaincu que  le  peuple  serbe  se  groupera  en  masse  autour  de  lui  et  Taidera 
à  maintenir  dans  tout  le  pays  Tordre  et  le  respect  du  droit. 

Le  gouvernement  fait  savoir,  par  la  présente  proclamation,  qu'à  partir 
de  ce  jour,  la  Constitution  du  6  avril  1901  entre  en  vigueur.  La  représen- 
tation nationale  dissoute  par  proclamation  du  24  mars  est  convoquée  pour 
le  15  juin  à  Belgrade. 

Le  15  juin,  la  Skoupchtina,  réunie  ainsi  en  séance  extraordinaire, 
a  élu  roi,  à  l'unanimité,  Pierre  Karageorgevitch;  celui-ci  a  accepté 
la  couronne  et  a  pris  le  nom  de  Pierre  I". 

Il  est  pour  le  moment  très  difficile  d'apprécier  les  conséquences 
possibles  de  ce  drame  qui  reste  encore  essentiellement  d'ordre  inté- 
rieur. Mais  il  est  possible  qu'il  ait  quelque  prochaine  répercussion 


RENSEIGNEMENTS  POLITIQUES  805 

sur  la  politique  européenne  et  nous  ne  saurions  partager  Toptimisme 
de  notre  ministre  des  Affaires  étrangères  qui  déclarait  au  lendemain 
de  ces  tragiques  événements  que  la  France  n'avait  pas  à  s'en  préoc- 
cuper, n'ayant  pas  d'intérêts  directs  en  Serbie. 


n.  ^  AFRIQUE. 

Algérie.  —  Les  tribunaux  répressifs.  —  M.  Vallé  a  présidé  la  pre- 
mière séance,  qui  s'est  tenue  le  9  juin,  de  la  commission  qu'il  a  con- 
stituée pour  examiner  les  modifications  à  apporter  aux  décrets  ayant 
constitué  les  tribunaux  répressifs  indigènes  en  Algérie.  Le  garde  des 
sceaux,  dans  une  allocution  d'ouverture,  a  rappelé  les  termes  de 
l'ordre  du  jour  de  la  Chambre  où  celle-ci  engageait  le  gouvernement 
<K  à  assurer  aux  inculpés  les  garanties  inséparables  de  toute  justice 
«  et,  en  même  temps,  aux  colons,  la  sécurité  indispensable  >. 

M.  Vallé  s'étant  retiré,  la  commission  a  immédiatement  commencé 
ses  travaux.  Nous  en  reparlerons  ultérieurement. 

Afrique  Occidentale.  — Délimitation  de  nos  territoires.  —  Le  dernier 
courrier  de  la  côte  d'Afrique  apporte  de  bonnes  nouvelles  de  la  mis- 
sion franco-anglaise  chargée  d'opérer  la  délimitation  de  la  frontière 
située  entre  le  Niger  et  le  Tchad,  frontière  résultant  de  la  convention 
signée  en  juin  1898.  Cette  mission  a  déjà,  parait-il,  établi  le  point 
exact  de  Sokoto,  ignoré  jusqu'alors.  Or,  on  se  souvient  que  ce  point 
a  une  importance  considérable,  puisque  c'est  autour  de  lui  que  court 
le  rayon  de  100  milles,  qui  est  appelé  à  servir  de  frontière  entre  les 
possessions  anglaises  et  françaises. 

D*après  ce  que  nous  croyons  savoir,  les  études  de  la  mission  modi- 
fieraient beaucoup  la  situation  actuelle.  C'est  ainsi  que  certains  points 
qui,  à  rOuest,  se  trouvaient  en  territoire  anglais,  vont  se  trouver 
compris  en  territoire  français;  par  contre,  à  l'Est,  notre  position  per- 
drait plusieurs  points  assez  importants. 

La  mission,  au  reste,  poursuit  activement  ses  études,  non  sans  de 
grandes  difficultés,  la  région  de  Sokoto  étant  en  effervescence  à  la 
suite  des  récentes  opérations  anglaises  contre  le  sultan  du  pays. 

D'autre  part,  le  8  juin,  est  arrivé  à  Marseille  le  D'  Maclaud,  admi- 
nistrateur des  colonies,  chargé  par  le. ministère  de  diriger  les  opéra- 
tions de  délimitation  entre  la  Guinée  portugaise  et  nos  possessions 
de  l'Afrique  Occidentale.  Ces  travaux  de  délimitation,  interrompus 
par  la  mauvaise  saison,  dureront  vraisemblablement  encore  une 
année. 

Le  lieutenant  Brocard,  de  Tinfanterie  coloniale,  second  de  la 
mission,  rentrera  par  le  prochain  courrier. 


BOG  QUESTIONS  DIPLOMATIQURS   BT  COLONIALBS 

En  même  temps  est  également  arrivée  la  section  française  de  la 
commission  de  délimitation  qui  vient  de  fixer  la  frontière  entre  la 
colonie  anglaise  de  la  Côte  d*Or  et  nos  colonies  de  la  Côte  dlvoire 
il  du  deuxième  territoire  du  Soudan  ;  elle  comprenait  Tadministrateur 
Delafosse,  chef  de  mission  ;  le  capitaine  Bouvet,  de  Tartillerie  colo- 
niale, et  le  lieutenant  Lafargue,  de  l'infanterie  coloniale. 

Les  opérations  de  délimitation  se  sont  effectuées  sans  incident  et, 
^1  âce  à  la  bonne  harmonie  qui  n'a  cessé  de  régner  durant  ces  dix- 
huit  mois  de  voyage  entre  les  commissaires  anglais  et  français,  toutes 
les  questions  litigieuses  ont  pu  être  réglées  d'une  façon  satisfaisante. 

Madagascar.  —  Instructions  sanitaires  du  général  Oallieni.  —  Le 
général  Gallieni  vient  d'adresser  au  directeur  du  service  de  santé  et 
rmx  administrateurs  des  différentes  provinces  de  l'île  des  instructions 
sanitaires  très  détaillées  ayant  pour  objet  de  préserver  les  grands 
ports  de  la  colonie  des  épidémies  pestilentielles  fréquentes  dans  les 
possessions  européennes  de  l'hémisphère  austral  et,  notamment, 
dans  les  colonies  anglaises  des  Indes,  de  Maurice  et  du  Cap  où  elles 
causent,  chaque  année,  de  grands  ravages. 

Ces  instructions,  qui  constituent  un  véritable  programme  de  mobi- 
lisation sanitaire  en  cas  de  peste,  de  choléra  ou  de  fièvre  jaune,  con- 
firment et  généralisent  les  mesures  sanitaires  qui,  à  Tamatave,  en 
1897  et  1898,  et  à  Majunga,  en  1902,  ont  permis  d'enrayer  rapide- 
ment les  dernières  épidémies  et  d'en  limiter  les  effets  sur  la  popula- 
tion européenne  et  indigène. 

En  exécution  de  ces  instructions  et  en  attendant  la  promulgation 
dans  la  colonie  de  la  loi  de  1902,  des  conseils  sanitaires  et  des  com- 
missions des  logements  sont  institués  en  permanence  pour  veiller  à 
la  santé  publique  et  empêcher  la  contamination  par  voie  mari- 
llme. 

Des  mesures  analogues  sont  prises  pour  les  provinces  de  Tintérieur. 

Un  service  télégraphique  d'observations  météorologiques  mari- 
limes  ayant  pour  objet  la  prévision  des  tempêtes  et  des  cyclones 
vient  d^étre  organisé  entre  l'Afrique  du  Sud  et  les  principaux  ports 
de  Madagascar  et  Tananarive. 


RENSEIGNEMENTS   ÉCONOMIQUES 


I.  —  AFRIQUE. 


Madagascar.  — Le  commerce  des  vins.  —  La  consommation  du  vin  a 
suivi,  depuis  1897,  une  progression  constante,  ainsi  qu'on  peut  s'en 
rendre  compte  par  le  tableau  suivant  qui  donne  la  valeur  des  vins 
importés  : 

1897 { .018.724  fr. 

1898 1.164. 341  » 

1899 2.171 .653  » 

1900 2.322.911  » 

1901 2.512.535  » 

1902 3.345.658  » 

Cette  consommation  ne  peut  que  progresser  au  fur  et  à  mesure  de 
Taccroissement  de  la  population  européenne  de  Tile.  D'ailleurs,  dans 
plusieurs  régions,  les  indigènes  se  mettent  peu  à  peu  à  boire  du  vin. 

Toutefois,  le  Bulletin  économique  de  Madagascar^  auquel  nous 
empruntons  ces  renseignements,  signale  la  mauvaise  qualité  de  cer- 
tains produits  importés  dans  la  colonie,  et  les  conséquences  fâcheuses 
qu'elle  pourrait  avoir,  en  amenant  une  réduction  dans  la  consom- 
mation. 

Il  n'est  presque  pas  vendu  de  vin  blanc  à  Madagascar. 

Le  vin  de  coupage  est  consommé  par  les  indigènes  de  la  côte,  à 
cause  de  la  modicité  de  son  prix  et  de  sa  forte  teneur  en  alcool;  il 
revient  à  60  centimes  environ,  la  bouteille,  prise  à  Tamatave. 

La  barrique  de  225  litres  de  vin  rouge  ordinaire,  rendue  à  Tama- 
tave, revient  à  115  francs;  le  blanc  est  vendu  140  francs.  Les  vins  fins 
arrivent  par  caisses  de  12  à  24  bouteilles  et  sont  vendus,  au  détail,  à 
raison  de  2  fr.  50  à  5  francs  la  bouteille. 

Les  prix  ci-dessus  subissent  évidemment  une  majoration,  lorsque 
les  marchandises  sont  transportées  à  l'intérieur  de  l'île.  Mais,  grâce 
à  la  mise  en  service  de  nouveaux  modes  de  transport,  à  l'ouverture 
de  nouvelles  routes  et  aux  améliorations  des  anciennes  voies  de  com- 
munication, le  tarif  des  transports  a  subi  une  baisse  importante,  qui 
a  eu  sur  le  prix  des  marchandises  une  heureuse  répercussion. 

Egypte.  —  Le  canal  de  Suez.  —  Il  ressort  des  intéressantes  statis- 
tiques publiées  par  le  Bulletin  décadaire  de  la  Compagnie  de  Suez 
que  le  mouvement  maritime  a  atteint,  en  1902,  un  niveau  qui  n'avait 


.^SWV^i^JE,^ 


S08 


QUESTIONS   DIPLOMATIQUES   ET  COLONIALES 


pas  encore  été  égalé,  ainsi  qu'il  ressort  de  la  comparaison  triennale 

et- après  : 

Nombre  de  Tonnage  Tonnage 

navires  gross 


Années 

1900... 
1901... 
1902... 


3.441 
3.699 

3.708 


13.699.238 
15.163.233 
15.694.359 


net 

9.738.152 
10.823.840 
11.248.413 


Les  recettes  perçues  sur  le  tonnage  des  navires  sont  passées  de 
87.^43.568  francs  en  1900,  à  97.110.154  francs  en  1901  et  à 
101,067.535  francs  en  1902.  Durant  ces  trois  exercices,  les  recettes 
totales  perçues  en  Egypte  ont  été  comme  suit  :  91.849.255  francs; 
101.743.686  francs  ;  105.383.877  francs. 

La  décomposition  du  mouvement  maritime  par  catégories  de 
navigation  s'établit  de  la  manière  suivante  pendant  le^  '  deux  der- 
Bières  années  : 

Catégories  1901  1902 


Navires  de  commerce 

Navires  postaux 

Navires  d*État 

Nu  vires  affrétés  par  les  gouvernements. 
Navires  sur  lest 


Tonnage  net 

7.456.022 

2.786.279 

208.340 

265.245 

107.954 


Tonnage  net 

7.996.514 

2.864.938 

180.831 

141.161 

64.969 


10.823.840        11.248.413 
Par  pavillons,  le  mouvement  de  1902  se  décompose  comme  suit  : 

Pavillons 


Nombre 
de  navires 


Tonnage 
net 


Allemand 

Américain 

Anglais 

Austro-Hongrois . 

Danois 

Egyptien 

Espagnol 

Français 

Hellénique 

Italien 

Japonais 

Néerlandais , 

Norvégien 

Ottoman 

Portugais 

Russe 

Siamois 

Suédois 


Totaux. 


480 
21 

2.i6r3 

139 

14 

6 

30 

274 

14 

83 

61 

218 

41 

38 

3 

110 

2 

7 

3.  •708 


1. 


07.322 

47.390 

6.772.911 

417.826 

42.425 

3.306 

95.840 

769.110 

19  011 

167.213 

232.052 

520.030 

74.966 

41.031 

2.662 

328.548 

800 

6.970 

11.248.413 


RENSEIGNEMENTS  ÉCONOMIQUES  809 

La  part  proportionnelle  du  pavillon  anglais  dans  le  tonnage  net 
transité  dépasse  60  %.  Le  pavillon  allemand  vient  ensuite  avec  plus 
de  15  %.  Nous  ne  venons  qu'au  troisième  rang  avec  6,8  %.  Arrivent 
ensuite  les  marines  néerlandaise  (4,6  X)^  austro-hongroise  (3,7  %)^ 
russe  (2,9  Jf),  japonaise  (2,1  jj;),  etc. 

Le  nombre  de  passagers  a  été  de  223.658  contre  270.607.  La 
diminution  porte  exclusivement  sur  les  militaires. 


IL  —  AMÉRIQUE. 

Mexique.  —  Le  commerce  des  fils  de  fer  pour  clôtures.  —  Fourniture 
éventuelle  de  traverses  en  acier,  —  Il  résulte  d'une  communication  de 
la  Légation  de  Belgique  à  Mexico,  au  Bulletin  Commercial^  de 
Bruxelles,  que,  par  suite  des  progrès  de  la  colonisation  et  de  la 
création  de  nombreux  ranchos,  il  se  fait  au  Mexique  une  consomma- 
tion considérable  de  clôtures  métalliques.  L'article  connu  sous  le 
nom  de  ronce  artificielle  est  surtout  très  demandé. 

Pour  obtenir  des  commandes,  les  tréfileries  devraient  se  faire 
représenter  sur  place  et  envoyer  à  leurs  agents  des  échantillons  avec 
prix  courants,  etc.  Elles  trouveraient  bientôt  un  débouché  impor- 
tant sur  le  territoire  de  la  République.  Dans  les  États  de  Vera-Cruz 
et  d'Oaxaca,  le  premier  soin  des  propriétaires,  après  Tachât  d'un 
terrain,  est  de  le  clôturer;  les  propriétés  étant  d'ordinaire  d'une 
grande  étendue,  la  consommation  des  fils  de  fer  nécessaires  atteint 
des  chiffres  fort  élevés. 

Il  est  à  présumer  également  que,  dans  quelques  années,  toutes  les 
compagnies  exploitant  des  voies  ferrées  situées  en  terres  chaudes 
seront  forcées  de  renouveler  leurs  traverses,  lesquelles  ne  résistent 
pas  à  plusieurs  saisons  de  pluies  consécutives.  Comme  le  prix  du 
bois,  par  suite  du  déboisement  systématique  et  continuel  (qui  ne 
trouve  pas  de  contre-partie)  est  destiné  à  s'élever  de  plus  en  plus, 
les  compagnies  finiront  très  probablement  par  adopter  les  tra- 
verses en  acier.  Il  ne  serait  donc  pas  inutile  de  faire  parvenir  dès 
maintenant  aux  principaux  directeurs  des  chemins  de  fer  mexicains 
les  conditions  de  vente  des  traverses  en  acier. 


<i»  »  <i> 


I- 


'Vt^^f^i 


NOMINATIONS  OFFICIELLES 


^ 


MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRAN6ÈRES 

L'exequatur  a  été  accordé  à  : 

MM. 

Pablo  Âmespil,  consul  de  la  République  Argentine  à  Dunkerque. 

Walter  Rislej  Hearn,  consul  général  de  Sa  Majesté  britannique  au  Havre,  avec 
juridiction  sur  les  départements  de  la  Seine-Inférieure,  du  Calvados,  de  l'Orne  et 
de  l'Eure. 

Pablo  Bolognesi,  agent  consulaire  d'Italie  à  Hyères  (Var). 

Georges  R.  Oorbett,  vice^consul  de  Sa  Majesté  britannique  à  Hyères. 

E.  Thomas,  consul  de  Belgique  à  Longwy. 

Luis  Marinas  y  Lavaggi,  consul  général  d'Espagne  à  Alger. 

Salvador  Ortega,  consul  général  de  Guatemala  à  Paris. 

R.-D.-G.  Macdonald,  consul  de  Sa  Majesté  britannique  à  Bordeaux. 

MEVISTÈRE  BE  LA  6UERRE 

Un  décret  en  date  du  26  mai  dernier  détermine  comme  suit  rorganisation  des 
forces  militaires  stationnées  dans  les  colonies  ou  pays  de  protectorat,  autres  que 
l'Algérie  ou  la  Tunisie,  qui  sont  réparties  en  cinq  groupes  et,  dans  chacun  d'eux, 
réunies  sous  un  même  commandement  supérieur. 

1*'  GHOUPB   (groupe    DE   L'INDO-CHINE) 

Indo-Chine. 

2"    GBOUPE    (groupe  DE   l'aFRIQUE  OCCIDENTALE) 

Afrique  Occidentale.  —  Colonie  principale. 
Sénégal. 

Territoires  de  la  Séaégambie  et  du  Niger. 
Territoires  militaires  de  TAfrique  Occidentale  française. 
Guinée  française. 
Côte  d'Ivoire. 
Dahomey. 

Congo  fiançais. 
Congo. 
Territoires  du  Tchad. 

3"   GROUPE    (groupe   DE    l' AFRIQUE  ORIENTALE) 

Madagascar  (colonie  principale). 

Réunion. 

Les  Comores. 

4*  groupe  (groupe  DES  ANTILLES) 

Martinique  (colonie  principale). 
Guadeloupe  et  dépendances. 
Guyane. 

5*  groupe  (groupe  du  PAaFIQUE) 

Nouvelle-Calédonie  (colonie  principale). 
Tahiti. 

Tronpefi  métropolt laines. 

INFANTERIE 

Saliara.  —  M.  le  capit.  Métois  est  désig.  pour  prendre  le  command.  de  la  com- 
pag.  des  oasis  sahariennes  du  Tidikelt. 

Troupes  coloniales. 

ARTILLERIE 

Coohinollixie.  —  M.  le  capit.  Halss  est  affecté  à  Tétat-major  du  régiment  à 
Saigon. 

M.  le  capit.  Nicaise  est  désig.  pour  la  6*  batterie  du  régiment  au  cap  Saint- 
Jacques. 


BIBLIOGRAPHIE  —  LIVRES  ET   REVUES  811 

Afrique  Oooidentale.  —  M.  le  capU,  Thiébaux  est  désig.  pour  servir  nu  che- 
min de  fer  de  Kajes  au  Niger. 

Madagascar.  —  M.  le  lieut.-coL  Deviterne  est  nommé  directeur  de  rartîllfirie 
à  Diégo-Suarez. 

M.  le  capit.  Galy-Aché  est  affecté  à  la  4*  batterie  de  montagne  à  Tananarîve. 

M.  le  capit.  Bourrât  est  nommé  adjoint  au  directeur  de  l'artillerie  de  Tanatiarive. 

Martinique.  —  M.  le  lient.  Petitjean  est  affecté  au  détachement  d'ouvncrs  d^  là 
Martinique. 

CORPS  DU  COMMISSARIAT 

Indo-Clline.  —  M.  le  commiss,  ppal  de  2'  cl.  Auge  est  désigné  pour  servir  en 
Indo-Chine. 

Cochinchine.  —  M.  le  commiss,  de  !'•  cl.  Véron  est  désigné  pour  ner^îr  à 
Saigon. 

Tonkin.  —  M.  le  commiss.  de  l»"»  cl.  Varangot  est  désigné  pour  servir  a  ïlal- 
phong. 

M.  le  commiss.  de  1'*  cl.  Piquemal  est  affecté  à  la  brigade  de  réserve  de  CbÎQe 
au  Tonkin. 

Madagascar.  —  M.  le  commiss.  de  l'«  cl.  Théodore  est  désig.  pour  servir  à 
Majunga. 

MM.  les  commiss.  de  2«  cl.  Sossotle  et  Bousquet  sont  désig.  pour  servir  à  Tama- 
tave. 

SERVICE   DE    SANTÉ 

Afrique  Ocoidentale.  —  M.  le  méd.  aide-maj.  de  i^  cl.  Doumenj^u  est 
désig.  pour  servir  à  la  Guinée  française. 

Congo.  —  M.  le  méd.  aide^maj.  de  !'•  cl.  Percheron  est  désig.  pour  i^orvir  au 
Chari. 

MIIVISTÈBE  BE  L^  MARINE 

CORPS   DU    COMMISSARIAT 

Madagascar.  —  M.  le  commiss.  de  l»"»  cl.  Verrier  est  désigné  pour  remplir  les 
fonctions  de  chef  des  services  administratifs  de  Diégo-Suarez. 
SeiDices  administratifs. 

Cochinchine.  —  M.  Wauscoor»  commis  de  2*  c/.,  est  désigné  pour  servir  à 
l'arsenal  de  Saigon. 

MIIVISTÈRE  DES  COLONIES 

M.  Majer  est  nommé,  pour  une  période  de  quatre  années,  membre  suppliant  du 
Conseil  privé  de  la  Cochinchine. 
Par  décret  en  date  du  27  mai  1903,  ont  été  nommés  : 

Grefûer  du  tribunal  de  première  instance  de  Saigon  (Indo-Chine),  M.  Jacquey, 
Greflier  du  tribunal  de  première  instance  de  Mjtho,  M.  Baptiste. 
Greffier  du  tribunal  de  première  instance  de  Pnom-Penh,  M.  Boutier. 
Greffier  du  tribunal  de  première  instance  de  Chaudoc,  M.  Lebreton. 
Greflier  de  la  justice  de  paix  à  compétence  étendue  de  Bac-Lieu,  M.  Ganofskj. 


BIBLIOGRAPHIE  —  LIVRES  ET  REVUES 


La  Bohême  d'aujourd'hui,  par  M.  Henri  Hantich.  Une  brochure 
de  40  p.,  Paris,  édition  de   la  Revue  hebdomadaire. 

Malgré  l'apparence  de  son  nom,  l'auteur  de  cette  intéressante  brochure 
est  un  Tchèque,  professeur  à  l'Ecole  de  commerce  de  Prague.  Il  a  voulu, 
comme  il  le  dit,  faire  une  œuvre  de  vulgarisation  et  esquisser  le  mouve- 
ment littéraire,  artistique,  économique  et  politique  dans  la  Bohême  coïi- 
temporaine.  En  matière  politique,  il  n'a  qu'indiqué  le  principe  des  rvveii- 
dications  tchèques  et  défendu  le  droit  d'Etat;  en  matière  économique,  il  iv 
crayonné  à  grands  traits  le  développement  des  sociétés  et  des  industries 


812  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES    ET  COLONIALES 

tchèques  (en  1901,  les  sociétés  anonymes  en  Bohème  étaient,  les  tchèques 
au  nombre  de  122  avec  122  millions  de  couronnes  comme  capital,  les 
allemandes  au  nombre  de  143  avec  438  millions);  la  partie  de  son  étude  la 
plus  étendue  et  aussi  la  plus  neuve  pour  un  public  français  est  ceUe  où  il 
présente  le  tableau  de  la  floraison  littéraire  et  artistique  tchèque  depuis  le 
début  du  xix«  siècle  jusqu'à  l'heure  présente.  Nous  ne  pouvons  que  répéter 
le  conseil  que  donne  l'auteur  à  ses  compatriotes,  en  terminant  son  pané- 
gyrique bien  présenté,  et  redire  avec  lui  la  parole  du  grand  historien 
Palacky  :  «  Dans  le  travail  et  dans  le  savoir  est  votre  salut.  »  Ceux  qui 
portent  intérêt  aux  Tchèques  croient  voir  en  cela,  avec  leurs  grands 
ancêtres,  la  voie  à  suivre  plus  féconde  en  heureux  résultats  que  les 
tapages,  les  exagérations  et  les  enfantillages,  comme  de  vouloir  changer 
Garlsbad  en  Karlovy-Vary  ou  Marienbad  en  Marianské-L&zne  ! 

Gabriel  Louis-Jaray. 

Sibérie  et  Californie,  par  M.  Albert  Bordeaux.  Paris,  1903,  in-16. 

Plon-Nourrit. 
En  qualité  d'ingénieur,  M.  Albert  Bordeaux  a  fait  plusieurs  voyages 
d'études  dans  les  régions  où  se  trouvent  des  mines  d'o»,  au  Transvaal, 
en  Californie,  et  l'année  dernière  en  Sibérie.  —  C'est  donc  surtout  au 
point  de  vue  minier  qu'il  a  décrit  les  pays  explorés  par  lui,  et  de  fait  il  a 
réuni  dans  ce  volume  des  données  historiques  et  statistiques  très  intéres- 
santés  sur  les  mines  de  Sibérie  ;  mais,  au  lieu  de  les  présenter  sous  la 
forme  aride  des  publications  officielles,  il  a  su  les  encadrer  dans  son  récit 
de  voyage,  plein  d'humour,  de  fines  observations  sur  les  choses  et  les  gens. 
Avec  l'auteur,  nous  pénétrons  dans  la  vie  intime  des  populations  qui 
vivent  de  l'exploitation  des  mines,  en  Sibérie  et  Californie,  et  nous  pou- 
vons faire  une  comparaison  entre  le  caractère,  le  genre  d'existence  des 
mineurs  dans  ces  deux  pays.  —  Enfin,  M.  Bordeaux  a  fait  une  description 
très  vivante  et  très  précise  du  parcours  suivi  par  le  Transsibérien, 
qu'il  a  examiné  en  touriste,  en  ingénieur  et  aussi  en  artiste. 

J.  F. 

A  travers  la  Tripolitaine,  par  M.  IL-M.  de  Mathuisieulx,  chargé 
de  mission  par  le  ministre  de  l'Instruction  publique,  avec  une  préface 
de  M.  L.  Bertrand.  —  Un  volume  in-16  illustré  de  63  graMires.  Ha- 
chette et  C»o,  à  Paris,  1903. 

Depuis  la  conquête  dft  la  Tunisie  par  la  France  et  l'occupation  de 
l'Egypte  par  l'Angleterre,  les  Turcs  interdisent  formellement  l'accès  de  la 
Tripolitaine  aux  étrangers.  Hormis  les  renseignements  du  colonel  Mon- 
teil,  qui  traversa  cette  région  à  son  retour  du  Tchad,  nous  ne  connaissons 
que  peu  de  choses  du  grand  vilayet  africain,  que  M.  de  Mathuisieulx  vient 
d'explorer. 

Grâce  à  une  faveur  exceptionnelle  accordée  par  le  gouvernement  otto- 
man, M.  de  Mathuisieulx  a  pu  parcourir  des  régions  où  les  anciens  voya- 
geurs n'avaient  pu  pénétrer.  Il  en  a  rapporté  un  récit  auquel  on  ne  pourra 
refuser  l'attrait  de  l'inédit.  Sans  être  un  voyage  de  grandes  découvertes, 
l'itinéraire  de  notre  narrateur  a  traversé  des  régions  dont  les  habitants, 
les  produits  et  le  sol  offrent  des  particularités  aussi  intéressantes  que  peu 
connues. 

Ouvrages  déposés  au  bureau  de  la  Remie. 

Le  Niger  :  Voie  ouverte  à  notre  empire  africain,  par  le  capitaine  Lenfànt,  avec 
une  préface  de  M.  E.  Etienne.  Un  vol.  in-8**  de  250  pages  avec  113  illustrations  et 
une  carte  hors  texte.  Hachette  et  Ci»,  éditeurs.  Paris,  1903. 


BIBLIOGRAPHIE  —  LIVRES  ET  REVUES  813 

La  Transformation  de  VEgypte,  par  Albert  Métw.  Un  vol.  in-16  de  310  pages. 
Félix  Alcan,  éditeur.  Paris,  1903. 

En  Mongfllie,  par  le  comte  de  Lesdain,  attaché  à  la  Légation  de  France  à  Pékin. 
Un  vol.  petit  in'4*  de  200  pages,  avec  nombreuses  illustrations  hors  texte. 
A.  Challamel,  éditeur.  Paris  1903. 

Rénovation  celtique^  par  Serge  Sculfort  de  Beaurepas.  Deux  forts  vol.  in-8o  d'en- 
viron 600  pages  chacun.  H.  Champion,  éditeur.  Paris,  1903. 

Pacte  colonial  nouveau  et  réciprocité  de  franchise.  Etude  sur  les  relations  écono- 
miques des  colonies  françaises  avec  la  métropole,  par  Ericbst  Carré,  docteur  en 
droit.  Un  vol.  in-S»  de  208  pages.  Charles  Valin,  éditeur.  Caen,  1903. 

Compagnies  et  Sociétés  coloniales  allemandes,  par  Pierre  Decharme,  docteur  en 
droit  et  docteur  es  lettres.  Un  vol.  in-8*.  Masson  et  C^«,  éditeurs.  Paris,  1903. 

Problèmes  algériens  et  tunisiens,  par  Paul  Melon.]  Une  brochure  in-S®  de  167  pages. 
A.  Challamel,  éditeur.  Paris,  1903. 

U Algérie  et  l'assimilation  des  indigènes  musulmans^  par  le  capit.  Passols.  Une 
brochure  in-8o  de  118  pages.  Henri  Charles-Lavauzelle,  éditeur.  Paris-Limoges, 
1903. 

L'Ile  de  Peregil,  Son  importance  stratégique,  sa  neutralisation,  par  E.  Rouard  de 
Gard.  Une  brochure  in-8o  de  22  pages.  A.  Pedone,  Paris.  Ed.  Privât,  Toulouse, 
1903. 

Côte  d'Ivoire  et  Libéria.  Variations  cartographiques  relatives  à  ces  contrées,  par  le 
capitaine  d'Ollonb.  Une  brochure  in-S»  de  20  pages.  A.  Colin,  éditeur.  Paris, 
1903. 

Annuaire  du  ministère  des  Colonies  pour  1903.  Un  fort  vol.  de  808  pages.  Henri 
Charles-Lavauzelle,  éditeur.  Paris,  1903. 

LES  REVUES 

REVUES  FRANÇAISES 

iirniée  eC  Marine  (31  mai).  L'hôpital  militaire  thermal  de  Vichj.  —  Ud.  Yalach  : 
L'ambassade  marocaine  à  bord  du  Du  Chayla.  —  (7  juin).  Les  officiers  d'état- 
major  de  la  réserve  et  de  l'armée  territoriale  :  l'école'' d'instructiûa;tVoyage  d'état- 
major  en  1903.  —  Le  bi-centenaire  de  Saint-Pétersbourg.  —  H.  S.  :  Une  excur- 
sion à  Figuig.  —  (14  juin).  Ernest  Laut  :  Douaniers  de  France.  —  Les  affaires 
de  Figuig. 

Bnllelln  dn  Comité  de  l'Asie  française  [mai).  Robert  de  Caix  :  Les  intérêts 
français  en  Chine.  —  Les  négociations  avec  le  Siam.  —  J.  L  T.  :  La  politique 
anglaise  dans  l'Asie  Occidentale.  —  L'Angleterre  et  le  golfe  Persique  :  les  décla- 
rations de  lord  Lansdowne.  —  Henry  Bmou  :  L'affaire  de  Niou-Tchouang  et  la 
question  de  la  Mandchourie.  —  L.  K.  :  Les  puissances  européennes  en  Chine.  — 
Charles  Mourey  :  L'Angleterre,  l'Inde  tt  l'Afghanistan. 

La  Ligne  maritime  [mai).  Léon  Bbrthaut  :  Les  départs  pour  Terre-Neuve.  — 
Verseau  :  Les  marines  des  pays  balkaniques. 

Quinzaine  coloniale  (25  7/iat).  L'emprunt  du  gouvernement  de  l'Afrique  Occi- 
dentale. —  Les  chemins  de  fer  du  Tonkin.  —  La  question  des  Nouvelles- 
Hébrides. 

La  Réforme  économique  (31  mai).  J.  Méline  :  Ententes  industrielles.  —  P. 
V.  :  Le  bétail  étranger  en  France.  —  J.  Desmets  :  La  fin  du  libre  échange  en 
Angleterre.  —  Cn.  Georgeot  :  Notre  commerce  au  Siam. 

Revue  commerciale  de  Rordcauz  (30  mai).  P.  Carle-Dauteg  :  Autour  du 
programme  de  l'Association  cotonnière  coloniale. 

Revue  g^énérale  des  Sciences  (15  mai).  J.  Chailley-Bert  :  L'irrigation  dans 
les  Indes  anglaises.  Première  partie  :  Les  diverses  méthodes  d'irrigation.  — 
L)''  Weisgerbbr  :  Voyage  de  reconnaissance  au  Maroc.  Deuxième  partie  :  Climat, 
flore,  faune,  population.  —  (30  mai).  J.  Chailley-Bert  :  L'irrigation  dans  les 
Indes  anglaises.  Deuxième  partie  :  Résultats  de  l'irrigation  par  les  canaux  per- 
manents. —  D**  F.  Weisgerrer  :  Pathologie  et  thérapeutique  marocaines. 

Revue  de  Madagascar.  —  Les  voies  de  communications  à  Madagascar. 

Revue  politique  et  parlementaire  (10  juin).  René  Goblet  :  Où  allons-nous? 


■'..jupi^m  ijiiiu 


TABLE    DES  MATIÈRES   DU    TOME  QUINZIÈME 

1"  JANVIER  —  15  JUIN   1903 


LIVRAISON  DU   1"  JANVIER  1903 

Lft  (question  du  Maroc,  par  Saint-Gebmain 1 

La  rrise  de  l'argent  en  Indo-Chine,  par  Le  Myre  de  Vilers 8 

Lf  cimflit  anglo-gerinano-vénézuélien,  par  *'* 18 

Lr  XllI®  Congrès  international  des  orientalistes  à  Hambourg,  par  René  Basset 25 

»Li  s  [lussions   catholiques  françaises  au  xix«  siècle,  par  René  Pinon 33 

Madagascar  :  Les  territoires  militaires,  par  L.  Brinet 42 

Rt'Eiiiiugnements  politiques 49 

llfii&tMgnements  économiques 57 

NoiïM nations  officielles 60 

BiMioi^raphie.  —  Livres  et  Revues  62 

Cartes  et  gravures  :  /.  Carte  du  Maroc 3 

//.  Carte  du  Venezuela 21 

LIVRAISON  DU  15  JANVIER  1903 

Xulsv  expansion  coloniale  et  les  partis  politiques,  par  *** 65 

'  La  qutîstiou  de  la  Macédoine,  par  René  Henry * 82 

La  niiL'slion  du  Maroc,  par  X 103 

Notre  Enquête  :  A  propos  des  affaires  de  Siaui  :  Opinions  de  M.  G.  Chaslenei, 
tV un  collaborateur  d'Extrême-Orient,  de  M.  Robert  de  Gaix  {Journal  des  Dé- 
fais). —  Protestation  de  l'Association  des  écrivains  militaires,  maritimes  et  colo- 

nJLinx ;  Président,  M.  H.  Houssaye i08 

Heusdgnements  politiques 116 

Renseignements  économiques 122 

'  Nominations  officielles 125 

Bihliopraphie.  —  Livres  et  Revues 127 

Curies  et  gravures  :  /.  Péninsule  des  Balkans  :  indications  orographiques 84 

II.  La  Turquie  (f  Europe 81  et  88 

///.  La    Péninsule  des  Balkans   d'après  le  traité  de  San- 

Stefano 91 

LIVRAISON  DU  1"   FÉVRIER  1903 

1  .il  délimitation  de  l'Ethiopie,  par  Auguste  Terrier 129 

■*  Lu  question  de  Macédoine,  par  René  Henry 143 

Le  paludisme  et  l'initiative  privée  en  Corse,  par  Alexandre  Guasco 157 

Féïkralisme  et  socialisme  en  Australasie,  par  J.  Denais-Darnays 167 

Le  tî-aité  franco-siamois  et  l'opinion  allemande,  par  René  Moreux 184 

Renseignements  politiques 188 

lîtiiseignements  économiques 199 

Nniiiinations  officielles 202 

iiibhofc'raphie.  —  Livres  et  Revues 207 

Cartes  et  gravures  :  /.  Frontière  entre  le  Soudan  anglo- égyptien  et  l'Ethiopie.  132 

//.  Délimitation  de  l'Afrique  Orientale 133 

LIVRAISON  DU  15  FÉVRIER  1903 

Li  i;ommerce  du   Sahara,  par  E.  Fallot 209 

La  question  du  Venezuela,  par  Georges  Bouler 226 

Lut:  i>remière  occupation  allemande    au    Venezuela  (xvi'    siècle),  par  Gonzalès- 

FïGUEIRAS 240 


TABLE   DES  MATIÈRES   DU   TOME  QUINZIÈME  815 

La  presse  politique  en  Bohême,  Moravie  et  Silésie,  par  Gabriel  Louis-Jaray 245 

Renseignements  politiques 259 

Renseignements  économiques 265 

Nominations  officielles s 2f>8 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 271 

Cartes  et  gravures  :    Carie  du  Sahara 212  et  213 

LIVRAISON  DU  lor  MARS  1903 

Le  chemin  de  fer  de  Bagdad  :  Les  inlénMs  français  et  allemands  en  Turquie,  par 

Henri  Bohler 273 

Les  Boxeurs  et  les  troubles  de  Se-tchouun,  par  Alexandre  Guasco 296 

Le  projet  d'emprunt  du  gouvernement  général  de  l'Afrique  Occidentale  Française,  par 

Aspe-Fleurimont, 305 

Le  Congrès  national  des  travaux  publics,  par  E.   Pbyhalbe 311 

Renseignements  politiques 317 

Renseignements  économiques 328 

Nominations  officielles 332 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 334 

Cartes  et  gravures  :  /.  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad 287 

//.  Lavillede  Tcheng-tou-fou 299 

LIVRAISON  DU  15  MARS  1903 

Les  affaires  macédoniennes,  par  Casimir  Pralon 337 

La  question  du  Congo,  par  *** 346 

Situation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire,  .par  J.  Xior 354 

Quatre  plaies  coloniules,  par  Maurice  Buret 363 

La  Bohême  en  deuil,  par  Henri  IIvntich 374 

Renseignements  politiques 376 

Renseignements  économiques 392 

Nominations  officielles 395 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 399 

Cartes  et  gravures  :  La  Côte  d'Ivoire 357 

LIVRAISON  DU  1"  AVRIL  4903 

Les  finances  d'Etat  en  Allemagne,  par  Gabriel  Louis- Jaray 401 

La  question  de  Terre-Neuve  :  Saini-Pierre  et  Miquelon,  par  Le  Breton 411 

La  question  du  coton,  par  Aspe-Fleurimont 429 

Situation  économique  de  la  Côte  d'Ivoire,  par  J.  Xior 433 

Renseignements  politiques 449 

Renseignements  économiques 457 

Nominations  officielles 460 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 462 

Cartes  et  gravures  :  Ile  de  Saint-Pierre  el  les  Miquelon 415 

LIVRAISON  DU  15  AVRIL  1903 

Les  affaires  macédoniennes,  par  Casimir  Pralon 465 

L'évolution  de  la  politique  intérieure  et  extérieure  du  Japon,  par  Rising  Sun 483 

Le  contesté  boliviano-brésilien  :  le  territoire  de  l'Acre,  par  Louis  Jadot 497 

Le  Congrès  colonial  de  1903,  par  J.  Franconîe 504 

Les  tribunaux  répressifs  et  la  question  des  indigènes  en  Algérie  :  Discours  prononcé 

à  la  Chambre  des  députés,  le  4  avril  1903,  par  P.  Revoil 509 

Renseignements  politiques 532 

Renseignements  économiques 538 

Nominations  officielles 540 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 544 

Caries  et  gravures  :  /.  La  frontière  boliviano-brésilienne 498 

IL  Le  territoire  contesté  de  VAcre 300  et  501 


816  QUESTIONS  DIPLOMATIQUES  ET  COLONIALES 

LIVRAISON  DU  !«'  MAI  1903 

Les  pays  du  Tchad  et  TEurope,  par  Henri  Lorin 545 

Une  révolution  légale  en  Irlande,  par  Gabriel  Loms- Jaray , 513 

La  représentation  des  colonies  au  Parlement,  par  Arthur  Girault 585 

Renseignements  politiques 590 

Renseignements  économiques 600 

Nominations  officielles 604 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 606 

Cartes  et  gravures  :  Carie  des  pays  du  Tchad 551 

LIVRAISON  DU  15  MAI  1903 

X  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad  et  l'opinion  anglaise,  par  Jean  Imbart  be  la  Tour...  609 

L'émigration  italienne  en  Tunisie,  par  Louis  Jadot 615 

Les  Russes  en  Extrême-Orient,  par  Paul  Labdé 623 

La  question  de  Terre-Neuve  :   Saint-Pierre  et  Miquelon,  par  Le  Breton 640 

Renseignements  politiques 655 

Renseignements  économiques 665 

Nominations  officielles 668 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 611 

Cartes  et  gravures  :  Carte  du  chemin  de  fer  de  Bagdad 611 

LIVRAISON  DU  i"  JUIN  1903 

Y  L'intérêt  français  en  Asie  occidentale  :  Le  chemin  de  fer  de  Bagdad  et  Talliance 

franco-russe,  par  René  Henry 673 

^  L*opinion  grecque  et  la  question  de  Macédoine,  par  Gabriel  Louis-Jaray 689 

Les  affaires  d'Algérie,  par  J.-II.  Franklin 701 

La  question  de  Terre-Neuve    :    Les  primes  à  Tarmement;  les  salaires,   par  Le 

Breton 714 

Renseignements  politiques 721 

Renseignements  économiques 730 

Nominations  officielles 732 

Bibliographie.  —  Livres  et  R«^vues 736 

Cartes  et  gravures  :  Ile  de  Ten^e-Neuve  :  le  French  Shore 716 

LIVRAISON   DU  15  JUIN  1903 

Notre  politique  africaine  :  Algérie  et  Maroc,  par  Eue.  Etienne 737 

'^La  Macédoine,  la  Grèce  et  l'intérêt  français,  par  le  comte  Ch.  de  Moùy 754 

Les  derniers  travaux  de  Tlnstltut  Colonial  international,  par  Henri  Fboideyaux 759 

Les  employés  coloniaux  de  nos  possessions  d'Afrique,  par  Aspe-Fleurimont. 771 

Les  affaires  d Algérie  :  les  incidents  de  Figuig,  par  J.-H.  Franklln 784 

Renseignements  politiques 799 

Renseignements  économiques 807 

Nominations  officielles 810 

Bibliographie.  —  Livres  et  Revues 814 

Cartes  et  gravures  :  /.  Tribus  du  Sud-Ouest  algérien 740  et  741 

//.  VOuest  Africain  français 748  et  749 

///.  Environs  de  Figuig 787 

IV.  Confins  du  Sud-Ouest  algérien 792  et  793 


U Administrateur-Oérant  :  P.  Gampain. 

PABIS.  —  imprimerie  F.   LEVÉ,  RUE  CASSETTE,  17. 


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niâtes, Vo\x\o\xTs  désireux  d'être  agréable  aux  abonnés  et  lecteurs  do  celte  revue, 
vient,  dans  ce  but,  de  passer  pn  important  traité  avec  une  des  plus  fortes 
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