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Q UESTIONS
tLOMATIOUES ET COLONIALES
REVUE 1>E POUTIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT L.E 1" ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
SEPTIÈME ANNÉE. — 1903
TOME ZV (Janvier-Juin)
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PARIS
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
1», RUE BONAPARTE
1903
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liplomatipes et CillOBiàles
REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LE 1" ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
soAo^cAjŒiE:
-Germain La question du Maroc i
^ ' :itur ti'Oran.
Vti^e de Vilers La crise de l'argent en Indo-Chine 8
1. .:>: de ".a C<.»cbiu chine.
• Le conflit anglo-germano-vénézuélien 18
■: Sasset. Le XIIP congrès international des orientalistes à
1 'tcoU- ^upérienre HambOUrO -^
• L-- lires d AUer. ^
-, Ptnon Les missions catholiques françaises au XIX' siècle. . . 33
:',net Madagascar. — Les territoires miUtaires
. -it ia Rt'unJon.
CHROIVIQUES OE LA QUIIVZAIIVE
-tx^ignements politiques
-'iseignements économiques
' .ainations olficielles
: biographie — Livres et Revues.
49
57
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OARXES EX GI\AVUI\ES
l^:^.e du Maroc
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RÉDACTION ET ADMINISTRATION^
19* RUE BONAPARTE - PARIS, 6-
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d'Ule -et -Vilaine.— E.-F. Gkintier, anc. dir. à Madagascar.- Arthur Giranlt, prof.
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bre de l'Institut. — Alexandre Guasco, pnbliciste. — A. Guillot, vérif. d. douanes
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szanowskl, publiciste. — Paul Labbé, explorateur. — J. de Lamare, explorateur.
— A. Layeo, secr. de la Société bretonne. — Le Filliatre, administ. des colonies.—
Louis Léger, membre de l'Institut. — Ch. Lemire, résident de France honoraire. —
Le Mire de Vilers, anc. député, anc ministre plénipot. — Henri Lorin, prof, à i'UnlT.
de Bordeaux. — O. liadrolle, explorateur. — F. de Mahy, député, anc. ministre.—
Jean de Maroillao, enseigne de raisseau. — Paul Masson, prof, à l'Unir. d'Aix-
Marseille. — G. Mandeville, publiciste. — Ch. Miohel, explorateur. — Pierre Mille,
publiciste.— R. Moreux, profess. de l'Univ.— Ned-Noll, publiciste.— Ch- Noufflard.
chef de serv. à l'Oâ. Colonial. — Maurice Ordinaire, anc. dépoté. — -{-Le prince Henri
d'Orléans.— Colonel de la Panouse, du Comité de VAsie française, — H. Pasquier,
S nblidste. — Edouard Payen, du Journal des Débats,— -B.. Pensa, publiciste.— £[. de
^ejerimhoff, Direct, au gouvern. généial de l'Algérie. — Jean de laPeyre, publiciste.
— £d. Picard, docteur en droit. — U. Pila, de la Ch. de com. de Lyon. — Maurice
Pouyanne, juge suppléant à Alger. — D*" L. Raynaud, direct, du Service sanit. k
Alger. — E. Roux, lient, de vaisseau. — J. Roux, prof, à l'école de comm. de Limoges.
— André Siegfîried. — A. Terrier, du Comité de V Afrique française, — J. Thierry,
député. — D' Henry Thierry. — P. Thirion, agr. d'histoire et de géogr. — D'^ Georges
Treille. — CF. Usborne, Indian Civil Service. — f Général Venukoff.— P. Vuillot,
Çubliciste-géographe. — M. Wahl, inspect. hon. de l'Instr. publioue. — J. Xior, à
'ananarive. — A. Zimmermann, cons. imp. de Légat, à Berlin — M. Zimmermann,
profes. d'hist. etde géogr. col. prés la Ch. de com. de Lyon. — X... Y... Z..., etc.
APERÇU DE QUELQUES SOMMAIRES
Sommaire da n» iS9
J. Franoonie : Les Trusts américains : le Trust de l'Océan. — René Morenz : Le pro-
tectorat des missions catholiques du Levant. — Aspe-Flenrimont : Au Dahomey. A
propos dune Conférence.
Cartes et gravures : Les lignes de navigation du nord do l'Atlantique.
Sommaire dn a* i30
Robert de Caix : La réorganisation du Chari. — Gabriel Lonis-Jaray : Les nationalités
en Autriche-Hongrie. — Maurice Bnret : La santé des troupes alliées en Chine. —
R. C. : Le raid du lieutenant Cottenest.— Pierre Dassier : Les intérêts français au Brésil.
Cartes et gravnres : I. Cartes des nationalités en Autriche-Hongrie. — II. Itinéraire
du raid Cottenest
QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
LA QUESTION DU M4R0C
I^ situation politique de Tempire chérifîen mérite, en ce
moment, toute notre attention.
Cette situation est, il est vrai, constamment troublée; le
Maroc vivant dans un état d'équilibre anarchique particulier.
Chacun sait que l'autorité du sultan ne s'étend que sur une
partie de son empire, celle où le Maghzen, c'est-à-dire le gouver-
Dement chérilîen, perçoit les impôts régulièrement et qu'on
.appelle à cause de cela « Bled-maghzen » ; quant à l'autre partie,
W sultan n'y perçoit pas d'impôts réguliers, il y lève de temps
^n temps des contributions à main armée, et pour cela elle est
apj)elée a Bled-siba », c'est-à-dire pays de l'insoumission. Ces
àeux pays sont d'étendue variable suivant l'autorité de chaque
Miltan et son influence religieuse, et ces variations constituent
I»* caractère le plus apparent de l'instabilité du gouvernement
Diarocain.
Mîiis cette instabilité ne va pas sans un certain équilibre qui
Jure habituellement sçtns autres variations que celles signa-
lée^ plus haut, jusqu'au moment où des questions religieuses
interviennent pour troubler la faible organisation chérifienne
^t la mettre immédiatement en péril ; c'est ce qui vient de se
pnxluîre.
Depuis le commencement de novembre, un Chérif, c'est-à-
lire un descendant de Mahomet, a levé l'étendard de la révolte
Migieuse, dans une contrée qui a pour ville principale la petite
cité de Taza, située sur la route d'Oran et Tlemcen à Fez, à
une centaine de kilomètres à l'est de Fez (c'est à peu près la
distance de Compiègne à Paris). Le prétendant a trouvé là le
concours de la tribu Tamazirt des Riata.
Or, cette tribu et ses voisines étaient restées jusqu'à présent
tranquilles grâce à l'influence de Mouley Ismaël, l'oncle du
Oirsar. Dipl. «t:Col. — t. xv, — .n« 141. — 1" janvier 1903 1
2 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
sultan, le protecteur de la célèbre mosquée de Mouley Idris,
aux privilèges séculaires, violés récemment par ordre du
sultan, à l'occasion de Tassassinat d'un Anglais, dont le meur-
trier y avait cherché asile. Malheureusement Mouley Ismaël est
mort il y a six mois, et avant que le projet du sultan d'épouser
une de ses filles et de rattacher ainsi cette puissante tribu à la
cause du souverain régnant ait pu être réalisé.
Soutenu par le mécontentement de ces Berbères, le préten-
dant a chassé de la ville de Taza le caïd et les agents que le
Maghzen y entretenait, d'ailleurs sans aucune espèce d'autorité
réelle, et a proclamé la déchéance du sultan.
Aussitôt le Maghzen envoya une colonne expéditionnaire de
2.000 hommes, sous les ordres de Mouley El Kébir, frère du
sultan, pour s'emparer de Mohammed El Roguî (c'est le nom de
l'agitateur, que d'autres appellent Omar Zerhouni, et que l'on
nomme aussi Bou Hamara parce qu'il est constamment monté
sur une ânesse).
Le 4 novembre eut lieu la rencontre. Le combat dura six
heures et le frère du sultan fut battu.
Le sultan quitta Fez ; il alla camper aussitôt à Ras-el-Mà, à
deux heures de Fez, où il resta huit jours, n'osant pas aller plus
loin, et attendant des nouvelles; mais la révolte paraissant
s'étendre, il craignit que le soulèvement d'autres tribus ber-
bères ne vînt couper sa route vers Rabat. Il se dirigea donc sur
Mequînez, où il fit son entrée le 18, renvoyant à Fez Abd-el-
Kérim Ben Sliman, son ministre des Affaires étrangères, pour
surveiller les événements. Là, il chercha à recruter rapidement
de nouvelles troupes pour les envoyer contre les Riata ; puis
cédant aux objurgations de ses conseillers, il renonça à se
rendre à Rabat et se remit en route pour Fez, où il rentra sans
aucune solennité, au milieu de la froideur de la population.
Toute lamehalla du sultan, comprenant près de 10.000 hom-
mes placés sous la direction du frère du ministre de la Guerre,
le Menehbi, fut lancée vers Taza; c'est cette expédition,
dirigée contre les Béni Ouaraïn et les Riata^ qui vient de subir
un nouveau désastre. Les troupes du sultan s'enfuirent en
désordre vers Fez, abandonnant des canons, des fusils, des
munitions, des botes de somme.
La bataille a eu lieu le 24 en un point appelé Bab-Hamma.
Le lendemain Bou Hamara a campé sur l'Oued Innaouen, à
El Hadjira, et son autorité s'étend actuellement au Sud du
RifiF, dans la région de Taza et jusqu'à Si Allai, à quelques
kilomètres de Fez.
Présentement nous n'avons pas d'autres inforipations. Le
4 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
sultan est encore à Fez, mais beaucoup d'Européens en sont
partis, et M. Harris, correspondant du Times et conseiller habi-
tuel du sultan avec sir Mac-Lean, cet ancien sous-officier an-
glais qui prétend commander Tarmée marocaine^ s'est enfui
jusqu'à Tanger, à marches forcées, pour aller de la part du sul-
tan demander secours à sir Arthur Nicholson, ministre d'An-
gleterre à Tanger.
En ce qui nous concerne, nous devons être particulièrement
inquiets, car nous ne savons pas si parmi l'artillerie marocaine
tombée entre les mains des insurgés ne se trouvent pas des
instructeurs français.
La situation, comme nous le disions au commencement, est
donc des plus graves.
Pour bien la comprendre, il est nécessaire de se rendre
compte que dans la rivalité d'influences qui s'est établie entre
la France et l'Angleterre, depuis la désastreuse convention de
Madrid, TAngleterre a poursuivi le jeu le plus téméraire et le
plus dangereux pour la paix du monde. Ayant affaire depuis la
mort de Ba Ahmed, l'ancien vizir, à un jeune sultan qui n'a
reçu aucune éducation politique marocaine, très ami des nou-
veautés, et par suite très accessible aux impressions d'une sug-
gestion prolongée, les agents anglais, ses conseillers, ont entre-
pris de le lancer dans une série de réformes aussi mal conçues
que peu préparées, et qui devaient inévitablement amener les
soulèvements qui viennent de se produire à Méquinez, à Fez,
chez les Zemmour, et l'autre jour à Tetouan, jusqu'aux portes
de Tanger, de manière à rendre l'appui de l'Angleterre indis-
pensable et à produire des incidents capables de jeter le sultan
entre ses bras.
Le soulèvement des tribus mécontentes de payer des impôts
nouveaux, mal assis et de plus en plus lourds, l'irritation pro-
fonde du parti vieux-musulman qui voit avec peine l'introduc-
tion de méthodes étrangères et de fonctionnaires infidèles, sont
aujourd'hui évidents; et ce qui fait la gravité de la situation,
c'est que ce programme : multiplier les réformes, multiplier les
emplois donnés aux Anglais, multiplier les impôts, produire une
révolte générale et obtenir ainsi que le sultan et la cour chéri-
fienne sortent de leur réserve prudente et se jettent dans les bras
de l'Angleterre, semble à la veille de se réaliser en entier.
Avec une désinvolture extraordinaire, le correspondant du
Times à Tanger, bien informé comme on le sait, et espérant
peut-être forcer la main à son gouvernement, écrivait lui-
même : « Les Marocains sont convaincus qu'en cas de néces-
« site l'Angleterre ne pourra refuser son assistance armée au
LA QUESTION DU MAROC 3
« saltan. Impossible de les détromper, parce qu'ils rejettent
c l'entière responsabilité de la rébellion sur l'Angleterre qui
« a répandu les idées européennes et introduit des chrétiens
« à la Cour. »
Certes un pareil jeu est infiniment dangereux pour TAngle-
teire et pourrait tourner à sa confusion.
Le gouvernement anglais paraît d'ailleurs Tavoir compris.
Il semble que sur un mot d'ordre donné la presse anglaise
soit devenue tout à coup beaucoup plus prudente, car les nou-
velles marocaines s'y font rares ou insignifiantes. De plus, Je
Foreign Office a cru devoir marquer sa position dans une inter-
view bien moderne donnée au correspondant du Matin h
Londres. Si cette interview est exacte, le Foreign Office sou-
tient (et il est naturel qu'il cherche à le faire croire) que le
mouvement révolutionnaire est provoqué moins par les ré-
formes que le sultan a inaugurées que par ses mœurs et sa
ivmduite personnelle; que le gouvernement anglais désire aussi
vivement que le gouvernement de la République le maintien
du statu quo au Maroc; enfin qu'il est opposé à une politique
•rintervention.
Le même jour, au Conseil des ministres espagnols, à propos
des événements du Maroc, le ministre des Affaires étrangères
fil connaître qu'il avait reçu la nouvelle de Berlin que TAlle-
magne observerait une attitude analogue à celle de la France
•-t de l'Angleterre, Il ajoutait que le gouvernement espagnol
maintiendrait les mesures déjà adoptées et qu'il imiterait les
{puissances en vue du maintien du statu quo.
Cette prudence de l'Europe est à la fois significative et heu-
reuse. Elle montre le parti que nous pourrions tirer de la
situation actuelle.
On dirait que l'Europe hésite à assumer des responsabilités
collectives, et que nous pourrions enfin reprendre au Maroc la
!^ituation qui nous est légitimement due.
Malheureusement notre politique marocaine, qui devrai tOtre
proportionnée au rôle que nous donne notre situation privi-
légiée d'unique voisine de l'empire chérifien, est compromise
depuis i880. Sous le gouvernement de M. de Freycinet, et par
la faute de l'amiral Jaurès, la convention de Madrid plaça le
régime de la propriété européenne au Maroc sous la protection
Je toutes les puissances contractantes, auxquelles on étendit
le traitement de la nation la plus favorisée; du coup, la situation
privilé^ée à laquelle nous donnent droit, et notre ancienne po-
litique, et les traités qui l'ont sanctionnée, et notre voisinage, a
'ut/ une atteinte profonde. Il est bien évident que cette concession
n QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
d'ordre particulier, ne peut et ne doit pas avoir de répercussion
sur la politique générale actuelle ; mais il ne reste pas moins
vrai qu'il y a là une difficulté, et que pour avoir au Maroc le
rôle prépondérant seul digne de nous, il est nécessaire d'avoir
une politique ferme qui y rétablisse et y remette sur le pied
qui lui est dû Tinfluence de la France.
Malheureusement encore, si nous en devons croire certaines
rumeurs, nous paraissons être engagés depuis quelque temps
dans une politique de négociations méditerranéennes qui
nous met dans une position assez difficile pour dénoncer les
machinations anglaises, ou pour inspirer confiance au sultan ,
actuel du Maroc, alors que la seule politique qui soit naturelle-
ment dévolue à la France dans ces régions, la seule qu'elle
doive revendiquer hardiment, c'est d'être reconnue comme la
garante indiquée de l'intégrité de l'empire chérifien.
Seulement il est bien entendu que cette intégrité, qui doit
être admise par les puissances intéressées, doit être défendue
et protégée par nous seuls; et que nous devons concevoir
notre action comme distincte de l'action des autres nations,
sous peine de sVxposer de nouveau, et avec de plus grands
risques encore, aux périlleuses difficultés qui ont marqué
l'action collective des puissances européennes en Chine.
Vne politique d'entente, surtout avec l'Espagne, est évidem-
ment nécessaire, mais toute politique d'entente qui conduirait
soit à des conventions pouvant nous lier les mains, soit à une
intervention collective vis-à-vis du sultan ou de l'agitateur doit
être écartée. Toute action combinée avec l'Angleterre et
l'Espagne, par exemple, ne pourrait longtemps rester limitée
aux puissances contractantes, et aboutirait fatalement à Tinter-
nationalisalion du Maroc.
Ce serait une humiliation pour la France, seule voisine
immédiate du Maroc et destinée à être son unique protectrice.
Ce serait peut-être un désastre.
Que notre Hotte ne tarde pas davantage à suivre les vais-
seaux étrangers le long des cotes de l'Atlantique, prête à
débarquer s'il le faut; que la division d'Oran concentrée sur
la route d'Oudjda dise à tous ceux qui voudraient pêcher en
eau trouble notre volonté formelle, et s'il y a lieu, efficace, de
laisser seul le sultan venir à bout de cette querelle intérieure,
sans immixtion quelconque des puissances; et notre volonté
non moins arrêtée, dans le cas d'un débarquement étranger
au Maroc, de nous mettre* immédiatement en roule dans la
direction de Fez.
Que celte ferme résolution de laisser le Maroc libre de ses
LA QUESTION DU MAROC 7
destinées reste raffirmation décisive et le caractère spécial de
la politique française : nous voulons dire la protection de
l'intégrité politique et territoriale du Maroc par la France seule.
. Certes notre situation politique n'était pas brillante au
lendemain de la guerre de 1870, lorsque ces mêmes Riata,
s'étant révoltés, infligèrent, en 1876, une grave défaite au sultan
Mouley El Hassan; et cependant, malgré nos revers récents,
le gouvernement français d alors, sous le ministère Dufaure,
n'hésita pas à entamer les négociations qui amenèrent succes-
sivement : la visite de l'empereur du Maroc à Oudjda, son
entrevue avec le général Osmont, la revue qu'il passa de nos
troupes, et la demande qu'il fit d'officiers français pour ins-
truire Tartillerie de son armée, demande qui fut l'origine de
notre mission militaire française, si brillante alors, aujourd'hui
en si médiocre posture.
Ces résultats correspondaient à la situation exceptionnelle
que nous devait donner le privilège du voisinage, ils y ajou-
taient le privilège d'une mission militaire. On aurait dû les
poursuivre jusqu'à l'affirmation de cette protection — nous ne
disons pas protectorat — de l'empire chérifien que nous seuls
pouvons exercer, puisque nous ne l'exercerions contre per-
sonne, tandis que l'étranger l'exercerait nécessairement contre
nous.
Bien au contraire, nous avons laissé s'amoindrir les avan-
tages que nous donnaient ces privilèges; souhaitons, puisque
les mémos circonstances se reproduisent, que M. Delcassé y
trouve l'occasion d'effacer enfin les conséquences d'une poli-
tique funeste et de rétablir notre prépondérance politique au
Maroc.
Saint-Germain,
Sénateur d'Oran.
LA CRISE DE L'ARGENT
EN INDO-CHINE
Monnaie vient de monere, aviser, parce que le coin dn
prince garantit la loyauté de Tinstrument d'échange; elle n'a
d'autre capacité libératoire que sa valeur intrins»^que, à moins
que le gouvernement émetteur ne constitue des réserves repré-
sentant la différence entre la valeur fiduciaire et la valeur
réelle ou que son crédit n'inspire une entière confiance. Dans ce
cas, la monnaie devient un billet de banque métallique.
Dans la plupart des pays d'Extrême-Orient, il n'existe pas de
monnaie d'ilitat, sauf la sapèque en zinc ou en cuivre. Les mar-
chandises s'échangent contre une autre marchandise, le lingot
d'argent, barre ou piastre de commerce.
Pour les remises sur TEurope, le lingot d'argent est échangé
contre une autre marchandise, le lingot d'or, la livre sterling.
Aucune loi n'interdit au comn^erce de régler ses comptes en
or. Cette transformation s'imposera d'elle-même le jour où la
baisse de l'argent, due à la surproduction en rendra l'usage
trop incommode; probablement elle serait déjà accomplie si le
bimétallisme latin, hollandais et indien n'avait pas maintenu
les cours. La piastre paraît destinée à jouer le même rôle que
la sapèque.
Dans les contrées qui n'ont pas de remises à faire en Europe
provenant d'emprunts contractés en or ou de salaires payés à
des étrangers, et dont la balance commerciale se règle en
faveur des exportations, la baisse du métal blanc, au rapport
du métal jaune, ne présente pas de sérieux inconvénients, parce
que l'élévation des salaires, des impôts, des denrées de consom-
mation courante, évalués en argent, est moins rapide que l'ac-
croissement du prix des marchandises exportées sur l'Europe
ou entrant dans le marché mondial. Il semble même que dans
son ensemble la richesse publique doive s'accroître.
Admettons une marchandise dont la valeur est de 4 piastres
sur lesquelles 2 reviennent à la main-d'œuvre et 2 au pro-
LA CBtSE D2 L'AiieSffT EN INDO-CHINE 9
jTir'taire du sol ainsi qu'aux intermédiaires. Si l'argent métal
U\is5e de 50 % , le prix de vente s'élèvera à 6 piastres qui se
ivpartîront au début de la manière suivante : main-d'œuvre
2 piastres 1/2, propriétaire du sol et intermédiaires 3 piastres 4 /2 ;
*ïf*\i b**néfice supplémentaire pour le propriétaire et les inter-
médiaires d'une piastre et demie. Quant à l'ouvrier, Taccroisse-
ment du salaire d'une demi-piastre le couvrira certainement de
i lugmentation du prix de la vie matérielle.
La marge pour l'exportation étant plus forte, la marchandise
fMjurra alors pénétrer sur des marchés qui jusque-là lui étaient
frmés: comme conséquence la demande augmentera, la pro-
iuction s'accroîtra, les cultures se développeront.
Ainsi s'expliquent l'augmentation des affaires en Extréme-
» Prient et l'accroissement inouï de richesse qui se sont manifestés
4"puis vingt-cinq ans dans les colonies de Gochinchine et des
l'fHroits.
De ce fait, les banques émettant du papier fiduciaire ont
r'alisé des bénéfices, puisque leurs billets, livrés au taux de
> fr. 35, 3 fr., 4 fr., 3 fr., 2 fr. 50 la piastre, sont, par suite de
M baisse du métal blanc, remboursables en piastres à 2 fr.
Par contre, les banques libres risquent de voir chaque année
l-ur capital amoindri, si elles consentent des prêts à longue
e héance. Pour conjurer ce péril, leurs avances ne dépassent
f is trois mois et elles n'escomptent que du papier court. De
f'ius, un taux d'intérêt très élevé, 42 à 15 %, les couvre de cet
Quant aux budgets de ces Etats, ils ne sont pas atteints ; au
.' ntraire, le développement des cultures qui entraîne Taccrois-
.-»^raent des droits de sortie, des impôts fonciers et persDU-
ri*ds, le paiement en or des taxes douanières, l'augmentation
•*e la consommation assurent une plus-value de recettes qui
l-^passe de beaucoup celle des dépenses, bien que le taux des
mjMjts directs, si on les évalue en or, diminue chaque
.innée.
Quelques personnes, il est vrai, supportent des pertes assez
f'nsidérables :
1* Les indigènes qui ont la manie d'enfouir leurs capitaux
Irms des cachettes. En 1877, une piastre valait 5 fr. 35, aujour-
(j hui 2 fr. , en moins 3 fr. 35. Sont-ils bien intéressants?
2** Les importateurs de marchandises européennes qui ne
;Murraient du jour au lendemain augmenter le prix de leurs
colonnades et de leurs autres articles sans arrêter la vente.
Il«»ureuseinent la facilité et la rapidité des communications
iv^e les métropoles permettent d'éviter les gros approvision-
10 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
nemonts d'autrefois. Ajoutons que, pour se couvrir de ce risque,
ia*plupart des négociants sont à la fois importateurs et expor-
tateurs ; ce qu'ils perdent d'un côté, ils le gagnent de l'autre;
3" Les Européens et indigènes ayant placé leurs capitaux
dans des immeubles urbains ou industriels. Rarement l'éléva-
tion des loyers compense la diminution de la valeur de la
piastre ;
4** De môme les -entrepreneurs de transports maritimes ou
fluviaux dont les tarifs ne sauraient se modifier selon les
variations du change ;
5** Les officiers ministériels, notaires, avocats, défenseurs,
huissiers dont les honoraires sont fixés en piastres.
En résumé, il n'est pas téméraire de dire qu'avec l'élévation
des changes dans les pays ne possédant pas de régime moné-
taire et les variations des cours gênant les transactions com-
merciales qui ont besoin de stabilité, la richesse publique ne
souffre pas, qu'elle a plutôt tendance à s'accroître.
« «
Mais les colonies de domination européenne ne vivent pas
dans un isolement complet ; les deux races se pénètrent, il en
résulte de nouveaux besoins qui se traduisent par des paie-
ments en or : entretien de troupes blanches et de fonction-
naires métropolitains, pensions de retraite payées en France,
achat de matériel, construction de travaux publics exigeant des
emprunts, etc., etc. D'où la nécessité, pour se rendre un compte
exact de la situation, d'établir les profits et pertes. Si les pre-
miers sont supérieurs aux seconds, la colonie, malgré des souf-
frances individuelles, continuera à prospérer ; dans le cas con-
traire, elle marchera à une faillite inévitable.
L'Inde britannique nous fournit à cet égard de très utiles
indications. Avant 1873, les intérêts de la dette payables en
Angleterre, provenant de la construction des voies ferrées, et
non comprise la dette viagère très élevée, représentant les
pensions des officiers et fonctionnaires admis à la retraite,
s'élevaient à 142.657.000 roupies, au change de un schilling dix
pences et demi; en 1893, vingt ans après, ils étaient de
264.785.000 roupies au change de un schilling trois pences.
Obligé de remplir ses engagements envers ses créanciers
métropolitains, et escomptant une amélioration des changes,
le gouvernement indien épuisa successivement toutes les res-
sources de trésorerie, mais bientôt il fut obligé de reconnaître
LA CRISE DB l'aRGKNT EN INDO-CHINE il
<jn impuissance. Comme il n'était pas possible de prélever de
nouvelles taxes sur les indigènes déjà surchargés d'impôts sans
provoquer une insurrection, on adopta le, bimétallisme et on re-
haussa arbitrairement la valeur de la roupie. C'était un artifice
hnancierdont la portée échappa aux natifs; leurs salaires et
li^ impôts ne subirent pas de modification en roupies; mais
!-s marchandises d'exportation, dont le prix se trouva ainsi
*aivlevé, ne purent plus lutter avec les produits asiatiques
1 autres provenances ; il en résulta un effondrement des cours
|ui amena une ruine générale. Depuis, la prospérité de l'Inde
j^ < est pas relevée et chaque année plusieurs millions de cul-
:ivateurs meurent de la famine.
Par sa mauvaise administration, l'Angleterre a réduit ses
sujets à la misère. Un peu plus tôt, un peu plus tard, elle en
-ubira le juste châtiment.
Les Indes néerlandaises ne sont pas en meilleure posture.
l'ar suite d'aune exportation excessive des capitaux vers les
I*ays-Bas, les populations de l'intérieur de Java sont réduites
^ la misère et décimées par dos disettes périodiques. En gens
avisés, les Hollandais, reconnaissant la nécessité de réparer
l'urs fautes, préparent l'émission d'un emprunt de 4 à 500 mil-
lions contracté aux frais de la métropole dont le produit sera
afi»*cté aux travaux d'irrigation.
Chacun sait que la perle des Philippines est due aux vices et
I Tincapacité de l'administration. Ruinés par les tributs exa-
^♦^•rés payés à l'Espagne, les Tagals ont chassé leurs exploi-
teurs.
La réforme monétaire du Japon ne lui a pas fourni les res-
sources qu'exigeait le paiement en or du matériel militaire
^heté en Europe. Après avoir affecté à ces dépenses l'indem-
nité de la guerre chinoise, il a fallu avoir recours à l'emprunt.
Les finances de cet Etat comme celles du Siam ^inspirent peu
Jt* confiance.
Au Mexique, les résultats furent différents. Ce pays, grand
[•roducteur d'argent, semblait au premier abord devoir être le
plus profondément atteint ; il n'en fut rien. Grâce à un gou-
vf^rnement prudent et économe, les droits de douane payables
"D or dépassent l'intérêt delà dette extérieure et les frais d'ac-
•juisid'on de matériel fait à l'étranger. Largement protégées,
'industrie locale et l'agriculture se développent rapidement.
'>He prospérité incontestable ne parait ni factice ni passa-
•vre.
EnfJochînchîne, jusqu'à la constitution de l'unité indo-chi-
ftoise d'une façon générale, abstraction faite de quelques inté-
12 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
rets particuliers, nous n'eûmes pas à souffrir de la baisse de la
piastre. Si nous devions payer en or les frais de souveraineté
militaire, la solde du personnel européen, les subventions aux
compagnies de navigation, l'opium, le matériel des travaux
publics et des télégraphes, nous n'avions ni dettes ni emprunts ;
un développement sans précédent de la richesse publique, dû
en partie à un bon régime de la propriété, nous assurait un
accroissement d'impôts qui nous permettait de faire face à ces
charges. En 1898, numéro du l**" juillet, j'écrivais dans cette
Revue :
« La Cochinchine, qui a' pu supporter rabaissement du
« change et la piastre de 5 fr. 35 à 2 fr. 50 et les épreuves
« financières de 1888-1889-1890*, traversera, sans que sa pros-
(( périté soit compromise, lacri*^e inévitable que provoquera la
« réforme monétaire de Tlnde, dont la conséquence ne paraît
« pas devoir dépasser une perte au change de 0 fr. 50, ranio-
« nant ainsi le cours de la piastre à 2 fr. (le cours d'aujourd'hui ,
« mais aux conditions suivantes :
« l^^Que la colonie ne paiera que ses dépenses de souverai-
« neté civile et militaire et que la métropole renoncera à exiger
« un tribut de vassalité ;
« 2** Que le gouvernement général ne prélèvera pas sur le
« budget des participations exagérées et injustifiées;
« 3** Que la colonie sera administrée avec sagesse, prudence
« et modération ;
<( 4" Que la sécurité ne sera pas compromise par des impôts
« vexatoires frappés sur les indigènes. »
Ces conditions ne furent pas remplies.
Voulant exécuter de grands travaux publics en Annam et au
Tonkin, sachant que la métropole ne consentirait pas à accor-
der des subventions nécessaires, le gouvernement général crut
pouvoir trouver en Cochinchine des ressources suffisantes pour
équilibrer le budget de Tlndo-Chine entière et prendre à la
charge de la colonie les dépenses militaires indigènes s'élevant
à plus de 12 raillions. Afin de payer les emprunts destinés à
Texécution des chemins de fer, de nouveaux impôts furent
frappés sur le sel, le tabac, l'arec, les bambous, le dross dos
- 1 Le contingent de la Cochinchine en 1888 fut fixé à 11.791.000 fr.
LA CRISK DE L'aRGENT EN ^DO-CHINE 13
'•ipes d'opium, et perçus avec une rigueur qui mécontenta les
•atribuables.
Telles nous paraissent être les vues qui présidèrent à la con-
<:tutionde Tunité indo-chinoise. Cette conception était fausse.
L'-> différents Etats qui forment la colonie, Cochinchine, Cam-
• «lg:e» Annam, Tonkin, haut et bas Laos, ne sont pas arrivés
4Ufflème degré de civilisation; leurs populations parlent des
mjnies difTérentes, ne professent pas la même religion ; leur
r^^anisation sociale varie à Tinfini et s'étend du collectivisme
imilial delà Chine à la féodalité et à la monarchie absolue. Il
L y a même pas communauté de race : Annamites, Cambod-
.v?n5, Laotiens, Muongs, Thas, sauvages, diffèrent essentielle-
iit^nt de caractère ethnique et sont par tradition ennemis les
13- des autres. Centraliser l'administration dans de semblables
unditions ne pouvait conduire qu'à la confusion.
Au point de vue budgétaire, les inconvénients furent encore
;!n> graves. La Cochinchine, malgré sa prospérité proverbiale,
•wc ses 3 millions d'habitants et son petit territoire de
'i».000 kilomètres carrés dont la moitié encore en friche, était
mpuissante à assurer en partie la défense des 17 autres mil-
ri> d'habitants répandus sur 530.000 kilomètres carrés, à
n^truire Toutiliage économique, très coûteux dans ces vastes
-j^i'tns. Dès l'origine, l'unité indo-chinoise se trouve grevée
une dette ^e 350 millions, sept fois son revenu ordinaire.
Lf s nouvelles taxes ayant été mises en recouvrement avant
versement des premiers termes de l'emprunt, l'argent
îK'nda dans les caisses, on en usa largement: des subventions
'in^ut accordées avec une extrême libéralité aux établissements
" luniaux de la métropole et de l'Extrême-Orient. Avait-on
-M»in d'argent pour une œuvre quelconque, on s'adressait à
]:uIo-Chine dont les cais3es étaient toujours ouvertes. On
irmenta le personnel déjà trop nombreux; une exposition
internationale très coûteuse fut décidée. Si Tachât du matériel
^> voies ferrées et Texpédition de Chine, les grands travaux
r\»M-utés sur tous les points du territoire, ont donné aux affaires
iLf activité factice et temporaire, l'élévation exagérée du prix
I- la main-d'œuvre annamite entrave le développement des
illares et la balance commerciale de Tlndo-Chine se règle par
iri excédent des importations sur les exportations de 40 mil-
::«»rjs de francs, tandis qu'avant Tunité indo-chinoise la propor-
i<D était renversée.
La baisse de la piastre à 2 fr., annoncée en 1898, a précipité
une crise financière que les moins clairvoyants prévoyaient.
Pour Texercice 1901,1e budget se balance à 23 millions de
14 QUESTIONS UIPLOMATlQUEsi BT COLONIALES.
piastres ; les trois quarts des dépenses sont payés en francs et
les trois quarts des recettes en piastres ; de sorte que les varia-
tions du change agissent efTectivement sur la moitié de la
somme totale — H. 500. 000 piastres — une* baisse de 10 cen-
times cause un déficit de i. 150.000 fr.; de 40 centimes, la
piastre à 2 fr., de 4.600.000 fr.
Dans trois ou quatre î^ns, lorsque les chemins de fer seront
achevés, en admettant que les frais d'exploitation des nouvelles
lignes soient couverts par les recettes du trafic, ce qui est peu
probable, le paiement des annuités de la dette augmentera de
5 millions (13.340.000 fr. au lieu de 8.355.000 fr.). D'où nn
déficit certain de 9 millions et demi auquel s'ajoutent peut-t^tre
les pertes provenant d une nouvelle baisse de la piastre, elle
est aujourd'hui à 1 fr. 97. Les plus-values des impôts ne sau-
raient couvrir cet accroissement inévitable des charges. Il
n'est donc pas contestable que l'Indo-Chine se trouvera pro-
chainement dans une situation budgétaire aussi périlleuse que
celle de l'Inde anglaise en 1893.
« «
A l'occasion de rétablissement de Tétalon d'or au Siam,
M. François Deloncle a vu dans cette mesure une entreprise
hostile envers la France et jeté le cri d'alarme. Ces craintes ne
paraissent pas fondées. Que la cour de Bangkok conserve ou
démonétise le tical, la situation métallique de rExlreme-Orient
ne sera pas sensiblement modifiée. Il semble plutôt que les
financiers siamois ont voulu faire une spéculation d'une mora-
lité contestable.
Tout d'abord l'échange devait se faire au taux de 17 ticaux
par livre sterling. Sur la réclamation de la Banque de l'Indo-
Chine et des banques anglaises, un second décret fixa le taux à
20 ticaux- par livre. Mais alors les maisons chinoises protes-
tèrent et menacèrent de suspendre leurs paiements. Le gou-
vernement royal se trouve dans le plus grand embarras.
Il devra renoncer à son projet ou le modifier complètement.
Nous apprenons que les banques anglaises ont renoncé à leurs
protestations, le gouvernement siamois leur ayant promis de
larges bénéfices dans plusieurs opérations financières, constitu-
tion d'une banque d'Etat, emprunt contracté à Londres, etc.
Les difficultés de nos voisins ne résolvent pas les nôtres, et
l'introduction de l'étalon d'or, faite au pair, loyalement, ne
créerait pas des ressources qui n'existent pas, ne comblerait pas
LA CRISB DE l'aRGENT EN INDO-CHINE 15
00 déficit, hélas ! trop réel. Ce nouveau régime, du moins à ses
débuts, ne ferait que troubler le marché et inquiéter les indi-
gènes. Nous ne voyons pas le moyen de retenir le métal jaune
dans un pays dont les importations dépassent les exportations
de 30 ou 40 millions. Si la Chine conserve la piastre lingot, elle
devrait à grands frais envoyer à Saigon l'or nécessaire à Tachât
du riz; en fin de compte, nous en supporterions les consé-
quences.
On a proposé de dresser le budget des dépenses en or et celui
des recettes en piastres. Cet expédient ne ferait qu'augmenter
le déficit. Au lieu d'avoir à payer, comme aujourd'hui, 41 mil-
lions en or, l'aléa de change porterait en plus sur 7 millions 1/2
l'* piastres, 15 millions de francs, de dépenses locales.
Dans le vain espoir de donner plus de stabilité aux recettes,
quelques personnes préconisent la fixation de la valeur de la
piastre en francs, au 1''' janvier de chaque exercice. Elles n'ont
certainement pas réfléchi aux conséquences d'une pareille dis-
position. Les importateurs profiteraient de la hausse qu'ils pro-
voqueraient au besoin, pour payer les droits de douane (14 mil-
lions etdemi de francs, 6 millions de piastres) : d'où une diminu-
tion des recettes. En ce qui touche les contributions directes, les
'-^^ujettis attendraient la hausse, au-dessous du cours officiel
^ur verser l'impôt, signe de soumission aux lois du domina-
teur. D-autre part, les comptables, notables de villages ou per-
cepteurs européens, seraient mêlés à des spéculations coupables
d il faut prévoir que plusieurs succomberaient à la tentation.
— Exemple : un comptable fait payer le 2 janvier au cours offi-
ciel, transforme la recette en or. puis, lorsque la piastre baisse,
?erse au Trésor et bénéficie de la différence des changes ; si la
piastre monte, un déficit de caisse se produit.
Etablir le budget, recettes et dépenses, en francs serait
adopter l'étalon d'or, sans prendre les dispositions transi-
toires indispensables. Déjà l'expérience a été tentée. En 1886,
le cours de la piastre étant tombé à Saigon de 4 fr. 80 à 3 fr. 75,
> budget de la colonie fut dressé en francs, sous prétexte que
la baisse de 5 fr. 35 à 3 fr. 75 constituait un dégrèvement réel
en faveur des indigènes et qu'en raison du développement de
la richesse publique, il était équitable de rétablir les rôles dans
leur intégralité. L'erreur était manifeste, la piastre conserve en
Asie une valeur libératoire, différente de sa traduction en or,
pour la main-d'œuvre et les produits du cru. Sous peine de
provoquer une insurrection, il fallut renoncer à ce système
trop simpliste. Comment paierait-on le prix de marchandises,
se/, opium, alcool, fixé en or avec des piastres à cours variable?
.«» iL-BSnOÎIS DIPLOMATIOUES ET COLONIALES
ik.r*- i:if lumneabition d'impôts à 20 %, ce serait livrer les
••iiï»;iiuuLiriMirs À la rapacité des débitants, entretenir un conflit
►'••!u.ni«fat -tacv la population et les agents de la Régie. Cette
•♦ii:^ -Uiii-sa 'ciiLénieuse ne tient pas suffisamment compte de
. aiuu pal Ivque indigène qui n'est pas à négliger, bien au
"jan> 'e ;vurnal des chambres de commerce, M. Rueff expose
u >* Uii\- G avec beaucoup de compétence et de lucidité, mais
[tr ^u/H*:»^ qull indique produirait de nouvelles complications.
•• kl7 Arriver à l'étalon d'or dont Tadoption ne peut tarder, il
î},iri : îaulile et même dangereux de passer par Tétape du
at'jx-udUsme, en introduisant au cours jforcé la pièce de cent
!s.ix> diins la colonie. Plusieurs essais de ce genre furent tentés
4\iuit 1875, tous échouèrent. Les écus de 5 francs, grevés d'une
as>urïuioe de 1,5 % h l'aller et au retour, n'étaient acceptés en
Kxlrènie-Orient qu'à leur valeur vénale, et drainés par les
i'ht^tt}- banquiers indiens), étaient rapatriés en Europe où ils
rv'troùvaient leur valeur fiduciaire. Les trésors français et
i\H:hinchinois ainsi que le commerce subirent de ce chef des
Inertes considérables.
En réalité, ces diverses mesures ne sont que des artifices
fiscaux destinés à dissimuler le déficit du budget de Tlndo-
Chine. Deux moyens permettront de le combler :
1° Augmenter les impôts dans la proportion nécessaire, ce
serait dangereux. Les principaux objets de consommation locale
ont déjà été lourdement frappés et les Annamites commencent
à se fatiguer de l'accroissement continu des charges publiques.
En outre, il ne faut pas se dissimuler que la dernière expédi-
tion de Chine n'a pas été favorable à l'influence européenne.
Les Asiatiques ont constaté la mauvaise organisation des
troupes alliées et la supériorité militaire incontestée des Japo-
nais; aussi ces populations semblent-elles vouloir se ressaisir
et échapper à la domination étrangère qui les exploite avec
trop d'âpreté. Ajoutons que le traité siamois du 7 octobre n'est
pas fait pour rétablir notre prestige près de nos sujets.
2"* Réduire provisoirement, à partir de d904, le contingent de
l'Indo-Chine de 11.400 à 3 millions. Le Gouvernement et le Par-
lement, malgré les observations réitérées de la minorité de la
Chambre, ont autorisé divers emprunts jusqu'à concurrence de
350 millions, charges évidemment au-dessus des ressources de
la colonie; il est donc juste que la métropole subisse en partie
les conséquences de cette mauvaise administration dont
l'entière responsabilité lui incombe.
Cette dernière disposition permettrait seule de conjurer le
JJL CRISE DE l'argent EN INDO-CHINE 17
féril qui menace rindo-Chine et risque de la conduire à la
ruine.
Ce point acquis, faut-il établir, dans la colonie, l'étalon d'or
•iont les avantages sont incontestables et qui s'imposera d'ici
quelques années ? Doit-on substituer le lingot de métal jaune
Q lingot de métal blanc, la livre sterling à la piastre ? La
-•lution dépend en majeure partie des puissances voisines
avec lesquelles nous entretenons nos principales relations
"lumerciales. En Tétat actuel de la question, beaucoup plus
^•Eopliquée que ne le croient les économistes européens, une
It^cision immédiate prise sous l'impression des difficultés pen-
bntes nous ferait courir des aventures dont personne ne
-turait prévoir les conséquences. Aussi, avant d'arrêter nos
rn-^olutions, serait-il prudent de provoquer une conférence
oiemationale à laquelle seraient conviés les représentants
•1-? différents pays à métal blanc : Chine, Asie russe, Corée,
Philippines, Hong-kong, Indo-Chine, Straits Settlements,
iûdes néerlandaises et Mexique.
Peut-être les délégués parviendraient-ils à s'entendre sur les
ije<uresà prendre dans un intérêt commun; tout au moins
ijus serions éclairés sur les vues des différents gouverne-
ments.
Le Myre de ViLERs,
Ancien député de la Gochinchine.
QcssT. Du»!-. «T Col. — t. xt.
LE CONFUT ANGLO-GERMANO-VÉNÉZUÉLIEN
Le conflit anglo-germano- vénézuélien que l'on put craindre,
un moment, de voir s'aggraver et s'étendre, à la suite des me-
sures coercitives plus ou moins brutales prises par les escadres
alliées, allemande et anglaise, peut être considéré, dès à présent,
comme virtuellement terminé, grâce au président Roosevelt
qui a su déterminer les puissances intéressées à soumettre leurs
différends à la Cour permanente d'arbitrage instituée par la con-
férence de la Haye. On ne peut que se réjouir d'enregistrer
enfin ce recours à une juridiction pacifique créée si pénible-
ment, en 1899, et dont l'Europe parut presque aussitôt ne
tenir aucun compte ; mais n'est-ce pas un curieux et un édifiant
spectacle de voir aujourd'hui les Etats-Unis obliger l'Angle-
terre et l'Allemagne d'admettre, pour la solution de leur que-
relle avec le Venezuela, la procédure de l'arbitrage qu'ils ont
naguère si implacablement refusée à la malheureuse Espagne?
Quant à la fameuse doctrine de Monroô, en vertu de laquelle
les Etats-Unis se sont déclarés les protecteurs de l'indépendance
et des territoires de toutes les autres républiques américaines,
on a pu constater que les cabinets de Londres et de Berlin,
sans la reconnaître en termes formels, ont dû faire préalable-
ment, l'un et l'autre, des déclarations explicites de désintéres-
sement territorial, ce qui équivaut pratiquement désormais à la
reconnaissance de la doctrine par les puissances européennes.
Rappelons maintenant les causes apparentes et les premiers
événements du conflit.
L'Allemagne possède au Venezuela des intérêts considérables.
Le nombre de ses nationaux y atteint presque le millier*. Son
commerce en 1901, bien qu'en diminution sensible sur le
chiffre de 1891, s'élevait encore à 21 millions de francs environ.
Les trois quarts de l'exportation du café passent par les maisons
allemandes de Maracaïbo et Puerto-Cabello. L'ensemble des
firmes et plantations allemandes présente une valeur totale
1 Population du Venezuela en 1898, 2.444.816 habitants, dont 25.000 créoles et
44.129 étrangers : 13.558 Espagnols, 11.081 Colombiens, 6.154 Anglais, 3.729 Hollan-
dais, 3.179 Italiens, 2.545 Français, 962 Allemands, 232 Nord-Américains. — Com-
merce en 1898 : 74 millions, 5 aux exportations et 42,8 aux importations. —
Budget 1901 : 37 millions. — Revenu des douanes en 1901 : 21 millions 300.000 Tr.
LE CONFLIT ▲N6L0-GERMAN0-VÉNÉZUÉLIEN 19
«le iOO millions de francs environ. L'entreprise la plus impor-
tante, mais la plus directement soumise aux répercussions des
:/oubles et du mauvais état des finances de la République,* est
li Compagnie allemande des chemins de fer du Venezuela^
f'tndée en 1888, au capital de 75 millions de francs, exploitant
la ligne de 180 kilomètres qui réunit, depuis 1894, Caracas à
Valencia par une série de 86 tunnels et de 182 viaducs et ponts
métalliques ; elle jouit bien, en principe, d'une garantie natio-
nale de 7 %, mais, depuis 1896, l'Etat, réduit aux abois par les
flsurrections, ne lui a versé que des sommes dérisoires et n^'a
nj^mepu lui rembourser les frais de transport de troupes; les
*iercices de 1901 et 1902 ont été désastreux.
Les intérêts de l'Angleterre sont moins importants, bien que
;e nombre de ses nationaux dépasse 6.000. Le chemin de fer de
LaGuayra à Caracas (38 kilomètres), qui escalade hardiment les
1.000 mètres de différence d'altitude répartis sur une distance,
^. vol d'oiseau, de 10 kilomètres, entre la mer et la capitale,
lexploitation du port de La Guayra, appartiennent à des com-
pagnies anglaises ; mais les maisons de commerce britanniques
f«»ot moins d'affaires que les maisons allemandes. Le pavillon
iDglais détient cependant la première place dans le mouvemçnt
fe la navigation.
La France occupe aussi une place très honorable dans l'exploi-
tation économique du pays; le nombre de ses nationaux était de
2.3i5 en 1898; on aura une idée de l'importance de ses tran-
sitions et de ses intérêts en se rappelant que l'ensemble de ses
créances, solennellement reconnues par traité, s'élève à
li millions de francs.
L'Allemagne, comme d'ailleurs presque toutes les puissances
européennes, était en conflit aigu et incessant avec le Venezuela
depuis 1898. Au cours des insurrections qui se sont succédé
tiepuis cette date, un certain nombre de négociants allemands
araient été sérieusement lésés. Tantôt le gouvernement véné-
zuélien omettait de solder les fournitures faites à ses troupes,
tantôt de payer les réquisitions de toute sorte imposées en
u^mps de guerre ou d'indemniser du pillage, tantôt enfin de
rembourser les emprunts forcés levés sur les négociants étran-
gers comme sur les citoyens du pays. Une commission d'indem-
riités avait bien été créée, en janvier 1901, sur la demande
f-xpresse du cabinet de Berlin; mais elle avait rejeté la majo-
rité des demandes en dommages et intérêts et prétendu régler
Vs dettes reconnues, en papier sans valeur. L'Allemagne dut
-entreprendre elle-même l'examen et la liquidation des récla-
mations de ses ressortissants.
.^/^ZT^^^^
^.-^s^ 5T COtOMALES
y^ .. ^.^ 3tdl^ la victoire des troupes
^^ . ,,^ ^ loin d'être domptée et pour-
,<itrtt4 raison du président Castro,
.. . i#.
. - 4t* >ttjVts allemands, le refus de payer
. ^W,iK><> fr. réclamée par l'Allemagne et
.:. votraetée par le gouvernement légal à
,^^^ni<* de chemin de fer, les destructions
^i>*v> sur la ligne par les insurgés, les diffi-
^ vat instant par les autorités à l'arrivée des
j.-^.omviMs, un rédoublement de contributions
^v rtiai^^^ allemandes déjà éprouvées par Tarret
^ iifain^S provoquèrent l'irascibilité assez naturelle
.tiemf* de son côté, avait de non moins grandes rai-
*t -t» nfeùndre du président Castro ; le blocus de rOréiio-
" "Jr 1^ canonnières gouvernementales nuisait considcra-
oA^Htt à son commerce de la Trinité ; ses nationaux et ses
*^, prêtaient aussi malmenés que ceux de l'Allemagne. Ses
^,^j^ii^^5 restaient également impayées. Aux réclamations an-
'tois^* le Venezuela riposta par une demande de satisfac-
tKUi »u sujet de la vente aux insurgés du vapeur e'cossais Ban
f^h qui, sous le nom de Libertador, monté en guerre par
un équipage indigène, ravitaillait à ce moment Tinsurrection,
en dépit de toutes les croisières.
Les deux grandes puissances se crurent atteintes dans leur
dignité par les vivacités de langage d'un chef d'Etat, réduit
aux abois par les difficultés extérieures et intérieures, et réso-
lurent de mettre fin à une situation qui pouvait encore se
traiter, avec un peu de patience, par de fermes remontrances ou
une saisie de douanes. On connaît dès lors les événements.
Seize navires anglo-allemands, déplaçant au total 48.000 ton-
nes, montés par 4.500 marins, disposant de 315 pièces d'artil-
lerie et mitrailleuses, de 30 tubes lance-torpilles, s'approchent
des eaux vénézuéliennes.
Le 7 décembre, remise d'un ultimatum au président Castro
par les ministres d'Allemagne et d'Angleterre à Caracas, présen-
tation impérative de deux notes à payer de 13 et 20 millions,
demande expresse de garanties immédiates, sans attendre le
résultat des négociations engagées par la République vénézué-
lienne avec des financiers nord-américains pour le règlement
définitif des questions en litige. Surviennent ensuite la saisie
de navires vénézuéliens dans le port même de La Guayra ;
l'attaque sommaire, par un croiseur allemand, sans déclara-
22 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
tien de guerre, de deux canonnières, vite désemparées et cou-
lées à fond sous le prétexte extraordinaire qu'elles n'ont aucune
valeur militaire. L'Angleterre, qui n'est généralement pas
arrêtée par des scrupules de ce genre, n'hésite pas à déclarer
officiellement qu'elle n'est pour rien dans cette exécution facile
qui ne servit qu'à gagner des s^Tnpathies au Venezuela. La
presse européenne, celle de Berlin exceptée, s'accorde avec les
journaux américains pour blâmer une inutile brutalité ; le
Venezuela y répond par la mise en liberté des sujets anglais et
allemands incarcérés dans un premier mouvement de colère.
Puis, c'est la continuation de la saisie de la marine vénézué-
lienne ; c'est le bombardement du fort de Puerto-Cabello, tou-
jours sans déclaration de guerre, après un simple ultimatum
local accordant deux heures de délai pour désavouer la saisie
d'un vapeur anglais par une bande d'énergumènes.
A la destruction et à la capture de bateaux, au bombarde-
ment pacifique, succède le blocus pacifique. Mais les Etats-
Unis se fâchent, exigent une déclaration de guerre et le blocus
effectif : l'amiral Dewey concentre son escadre, dite de ma-
nœuvre, composée de 8 cuirassés, 10 croiseurs et d'un nombre
respectable de contre-torpilleurs et de torpilleurs. Après de
longues hésitations, l'Angleterre, qui sort à peine des épreuves
de la guerre sud-africaine et qui redoute les suites d'une aven-
ture mal engagée, fait entendre raison à l'Allemagne et la
décide enfin à déclarer la guerre formellement.
Entre temps, toutes les puissances créancières du Venezuela,
craignant de ne plus trouver un bolivar en caisse après que
les deux grandes nations se seront servies, présentent simul-
tanément leur note à payer. L'Italie demande 2.800.000
francs, et désireuse de parler en grande puissance, envoie trois
croiseurs appuyer fièrement ses revendications. Les Etats-Unis,
eux-mêmes, par précaution, afin de se munir d'un motif maté-
riel d'intervention, et au besoin d une excuse utile, exhibent à
leur tour une facture de 500.000 francs. La France se contente
d'affirmer la priorité de ses droits.
L'Angleterre devient de plus en plus mécontente de figurer
dans ce concert de porteurs de contraintes et cherche une
excuse à cette compromission en déclarant, par l'organe de
M. Balfour, qu'elle est surtout entrée en lice pour laver un
affront fait à son pavillon.
Survient la demande d'arbitrage de M. Castro; la presse
américaine appuie cette demande vigoureusement, dénonce
les ambitions allemandes sur l'île Margarita et le Brésil méri-
dional; elle manifeste habilement sa confiance dans l'amitié et
LK CONFLIT ANGLO-GERMANO-VÉNÉZUÉLIEN %3
la bonne foi de la Grande-Bretagne et lui conseille d'arrêter son
alliée dans la voie des mesures coercitives qui seraient de
nature à faire sortir les Etats-Unis de leur neutralité.
Londres, Berlin et Rome, après avoir longuement réfléchi,
acceptent le principe de l'arbitrage sous réserve des garanties
d'exécution; puis, sur les instances de M. Roosevelt, consentent
finalement à recourir à la Cour arbitrale permanente de la Haye.
Pendant tous ces pourparlers, le blocus effectif est étendu
intégralement aux côtes vénézuéliennes et les croiseurs anglo-
gennano-italiens se livrent au passe-temps des captures inoffen-
sîves, mais essentiellement désagréables, des navires vénézué-
liens transportant des marchandises pour le compte des neutres.
Que pouvait-il sortir de ce conflit? Assurément, rien de
bon pour la paix du monde. Le mécontentement du commerce
américain, plus particulièrement lésé par un blocus, dont on ne
pouvait prévoir la durée, aurait fort bien pu créer de graves
incidents et mettre aux prises les Etats-Unis avec les puissances
intervenantes.
D'un autre côté, le président Roosevelt, reculant devant la
responsabilité d'un arbitrage qui eût associé, au moins morale-
ment, les Etats-Unis aux mesures exécutoires imposées au
Venezuela par une sentence arbitrale facile à prévoir, devait
forcément décliner pour lui-môme les fonctions d'arbitre, en
donnant pour raison le motif si habilement créé par la créance
invoquée au dernier moment, qu'il ne pouvait être à la fois juge
et partie.
Les arrière-pensées du concert anglo-germano-italien, ou
plutôt de TAUemagne, se trouvèrent ainsi déjouées.
Il était visible que Guillaume II, après avoir appelé Tltalie
à la rescousse, maintenait TAngleterre en ligne, malgré les
invectives décochées par la presse anglaise à l'égard de Venne-
mie déclarée, espérant que les négociations prochaines brouil-
leraient peut-être les cartes ou laisseraient des germes d'irrita-
lion capables de déterminer tôt ou tard avec la grande
République quelque vive explication.
Celte redoutable éventualité paraît aujourd'hui conjurée ^ et
tout fait prévoir que l'Allemagne saura comprendre que son
I i^g Daily Mail résume à peu près l'impression générale dans ces lignes ;
, Voilà donc terminé un des incidents les moins glorieux de ces dernières années.
Ce qu'il T avait de juste dans nos réclamations a été obscurci par notre diplomatie
.îiepteet irréfléchie. L'alliance avec l'Allemagne dans une affaire suspecte a réveillé
la suspicion de la nation entière. »
24 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
alliée momentanée, entraînée par surprise à sa remorque, est
actuellement décidée à se retirer d'une aventure dangereuse et
impopulaire, et que, renonçant à ses prétentions rigoureuses à
l'égard du faible Venezuela, Guillaume II ajournera sine die le
règlement de comptes qu'il croyait pouvoir entamer avec la
grande rivale économique du Nouveau-Monde.
Les Etats-Unis, un moment embarrassés par l'offre des alliés
de recourir à leur arbitrage, ont trouvé, comme nous venons de
le dire, le moyen de se dégager et de rendre en même temps
service à la cause du droit et de la paix. Il semble que l'éta-
blissement d'une commission internationale de la dette véné-
zuélienne jusqu'à règlement complet des créances étrangères
soit le meilleur moyen de concilier les intérêts des créanciers
et les susceptibilités américaines.
On est heureux de constater que la France apparaît en excel-
lente posture dans le différend actuel. Elle a su résoudre juridi-
quement et sans brutalité ses difficultés avec le Venezuela; les
puissances ont reconnu spontanément un droit d'antériorité à
ses créances. Quelle que soit l'issue du conflit, elle ne peut
que recueillir d'heureux résultats de son attitude.
Les événements actuels doivent cependant lui servir de leçon
et dessiUer ses yeux au moment où certains idéologues, con-
fiants dans le progrès des sentiments pacifiques et des idées de
justice parmi les peuples, prédisent la fin des conflits brutaux.
L'attentat consommé par TAngleterrc contre les paisibles répu-
bliques sud-africaines, les encouragements à la violence don-
nés jadis par Guillaume II à son corps expéditionnaire de Chine,
les rigueurs excessives déployées à Tégard du Venezuela alors
qu'il suffisait d'exercer une simple saisie de douanes, leur
infligent un éclatant démenti. Il est manifeste que le droit des
nations faibles ou naïvement débonnaires sera plus cynique-
ment violé qu'autrefois, et la guerre de demain aura un caractère
aussi brutal que par le passé. En pareille matière, les illu-
sions sont mortelles ; nous devons plus que jamais nous péné-
trer «du principe que, pour être assuré de vivre en paix, il faut
disposer d'un outil de guerre assez fort pour ôter à nos agres-
seurs éventuels, quels qu'ils soient, toute pensée et toute espé-
rance de pouvoir un jour nous imposer leur domination.
LE
ïffl^ CONGRÈS INTERNATIONAL DES ORIENTALISTES
A HAMBOURG
Dans sa session de Rome, en .octobre 1899, le XIP Congrès
international des Orientalistes avait désigné Hambourg comme
siège de la future session, en 1902. Ce qui avait déterminé ce
choix, ce n'est pas la place que tient Hambourg dans This-
toire des études orientales. On ne trouve guère h signaler dans
le passé, comme s'étant distingué dans ses recherches, que Ilinc-
kelmann, l'éditeur du Qoràn, Bertheau, Baur. Quant aux orien-
talistes et aux voyageurs comme Barth dont cette ville est la
patrie, ils y ont tenu moins de place que dans les endroits où ils
enseignèrent et où ils passèrent leur vie *. Il n'y a pas aujourd'hui
Je ville d'université allemande qui ne soit plus qualifiée que
Hambourg dîins cet ordre d'études.
Mais une considération s'imposait; la situation particulière
de ce port, la seconde ville commerciale de l'Europe, pour le
commerce de TOrient et les colonies allemandes *. Aussi une
s**clion coloniale (lalX*) avait été ajoutée aux huit autres : lin-
.iruistique générale, Inde et Iran, Indes orientales et Océanie,
Asie orientale et centrale; Sémitisme en général, Islam, Kgyp-
tologie et langues africaines. Action réciproque de TOrient et
de r Occident. Chacune de ces sections était placée sous la pré-
sidence provisoire d'un savant allemand et il est aisé de prévoir
que la IX* devait être la plus importante.
II n'en fut pas ainsi : les futurs membres apprenaient bientôt
que les points qui devaient y être traités touchaient de trop près
à des questions controversées sur des matières politiques, éco-
nomiques et religieuses. On ne reconnut d'ailleurs ces incon-
vénients éventuels que lorsque le gouvernement allemand eut
ï La brochure de M. Behamaxn, Ramburg's Orientalisterij Hambourg, 1902, in-.So,
n est qu'une liste de noms insignifiants pour la presiiue totalité : elle ne saurait faire
illusion sur l'importance de Hambourg, comme centre d'orientalisme.
• On trouvera des renseignements sur Hambourg qui tend à devenir la tête de ligne
k foute Ja navigation allemande et qui est déjà le principal port de Ihinterland alle-
mand, dans l'excellent volume de M. de Rousiers, Hambourg et l'Allemagne contem-
poraine (Paris» 1902, in-18 jés.), qui a été, ici même, l'objet d'un compte rendu. Ce
•roc le chapitre V a de trop sommaire sur l'histoire de la navigation peut être com-
'>'f'té, en ce q^i^ concerne le Levant, par l'élégante plaquette récemment publiée :
UamJburg's Bhederei und die Levante imlXlen Jahrhundert, Hambourg, 1902, in-S".
26 QUESTIONS DIPLOMATIQUES 1£T CQLÛHIAUM
décidé, pour le mois d'octobre, Touverture d'un congrès colonial
qui priva celui de Hambourg de la section qui faisait sa princi-
pale raison d'être.
Conformément au règlement, un comité d'organisation se
forma, composé de notabilités de Hambourg, parmi lesquelles
on voyait iigurerj* outre les sénateurs et les principaux fonction-
naires, Ye ministre résident de Russie et le consul général d'An-
gleterre. Ce comité, assez nombreux, choisit dans son sein un
comité central présidé par M. Mônckelberg, le premier bourg-
mestre. On doit reconnaître que le comité prit tout le soin pos-
sible pour s'acquitter de sa tâche d'organisation.
Elle ne fut cependant pas facilitée partout. S'inspirant des
précédents du X® Congrès (Genève, 1894), du XI" Congrès
(Paris, 1897), du XIP (Rome, 1899), le comité avait demandé
que des avantages fussent accordés, sur les chemins de fer alle-
mands, aux congressistes. Une lettre du ministre prussien des
travaux publics (11, c. 3497), lignée Von der Leyden, fit savoir
au bourgmestre qu'il n'y avait pas de faveur à espérer, étant
donnée la durée des billets ordinaires d aller et retour *. Sans se
laisser arrêter par cette lin de non-recevoir, le comité lança ses
invitations, et de toutes parts on répondit à son appel. L'Air
lemagne, l'Autriche, la Belgique, la Chine, la Confédération
argentine, le Danemark, l'Egypte, l'Espagne, la Franco, la
Grèce, la Hongrie, l'Inde, l'Italie, le Japon, le Mexique, le
Monténégro, la Norvège, le Paraguay, les Pays-Bas, la Perse, le
Portugal, la Roumanie, la Serbie, le Siam, la Suède, la Tur-
quie et les principaux savants de ces pays, ainsi que de l'An-
gleterre, de rÉcosse, des Etats-Unis et de la Suisse, se firent
représenter. M. le gouverneur général Revoil m'avait délégué
comme représentant de l'Algérie, avec mission de proposer
Alger comme siège du futur congrès.
L'accueil fait par la ville de Hambourg fut des plus sympathi-
ques. Je ne ferai pas la description des fêtes organisées par le
Congrès et le gouvernement : il me suffit d'énumérer une récep-
tion du Sénat à THôtel de Ville, une représentation de gala au
théâtre de la ville, une excursion en bateau jusque dans la mer
du Nord, une fête nautique à l'Alsterlust, enfin un banquet au
Jardin zoologique. Toutes ces fêtes réussirent parfaitement.
La séance d'ouverture du Congrès, qui était également la pre-
mière séance plénière, eut lieu le vendredi 5 septembre à l'heure
tardive de dix heures et demie. M. Senior Behrmann fut acclamé
1 II est à remarquer que, dans cette lettre officielle, M. Mônckelberg était simple-
ment qualifié de Rochwohlgeboren. Or le bourgmestre de Hambourg en fonctions a
le. rang de chef d'État et son titre officiel est Seine Magnificenz,
LB XIII* CONGRÈS IKTERNATIONAt DES ORIENTALISTES W
comme président du Congrès et M. le bourgmestre Mônckelberg
président d'honneur. Le bureau fut élu sur la proposition du
président; il comprenait deux vice-présidents (MM. Brinck-
mann de Hambourg et Kautsch de Halle) et trois secrétaires
MM. Sieveking de Hambourg, Bertholet de Bàle, et Jackson de
New- York). \^n certain nombre de délégués vinrent apporter les
salutations de leurs gouvernements et Theure était très avancée
quand on aborda la proposition de M. Naville, de Genève, ten-
dant à supprimer la publication des Actes du Congrès et à
les remplacer par un simple résumé.
Cette proposition, très grave, ne tend rien moins qu*à sup-
primer le Congrès comme réunion scientifique. Les arguments
de M- Naville sont les suivants : les volumes en question, ren-
fermant les Actes, ne paraissent que longtemps après le Con-
jurés; ils sont disparates, renfermant des travaux sur les
langues les plus diverses. Ce furent les raisons mises en
avant. Il en existait une autre qu'on ne jugea pas à propos de
produire : c'est l'accroissement des dépenses et la difficulté d'y
faire face avec les seules souscriptions.
Mais ces difficultés sont toutes d'ordre intérieur et une simple
réglementation- peut aisément les faire disparaître. En ce qui
loncerne le retard de la publication, il n'y a qu'à décider que
tout travail qui ne serait pas remis, ne vaj*ietui\ dans le délai
cîe trois mois après la clôture de la session, serait exclu. La
Commission de publication devrait se charger de corriger les
épreuves et de donner le bon à tirer.
Quant au second argument, il ne tendrait rien moins qu'à
supprimer les journaux des diverses sociétés asiatiques ou
orientales, qu'il s'agisse de celles de Paris, de Londres, de
Leipzig, de Florence, de New-Haven, etc. On voit en effet dans
ces publications des articles sur l'Extrême-Orient voisiner avec
des études berbères ; des mémoires d'égyptologie avec des tra-
vaux sur l'arabe ou le turk, etc. Ce contact est utile au con-
traire, surtout à une époque où l'on tend trop à se spécialiser
^i à ignorer ce qui se passe en dehors du dotnaine restreint où
J on s'est cantonné.
En ce qui concerne la question pécuniaire, qu'on n'a pas
mise en avant et qui était la plus importante, on peut avoir
recours, pour la régler, à divers moyens : soit une allocation
supplémentaire du gouvernement du pays où se tient le Con-
grès ; soit une élévation de cotisation pour les membres qui
feulent posséder les Actes ; soit enfin pleins pouvoirs accordés
à A/ commission de publication pour restreindre l'étendue des
rolames dans la mesure du reliquat des fonds.
28 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Les difficultés qu'on faisait valoir ne sont donc pas insur-
montables; en revanche, le maintien du projet Naville [fera
rapidement baisser le niveau du Congrès. Il ne faut pas ou-
blier que les congressistes peuvent se diviser en deux caté-
gories : les orientalistes, qui viennent lire un mémoire et dis-
cuter une question, et les amateurs, séduits par les avantages
matériels qui sont faits à cette occasion, la facilité du voyage
et des excursions, les fêtes données, etc. Cette seconde catégorie
se soucie peu d'avoir ou non les volumes des mémoires qu'elle
écoule souvent, quand elle les retire, chez les bouquinistes.
Aussi le nombre des adhérents de cette catégorie ne fera que
s'accroître en raison directe des attractions dont le Congrès est
Toccasion. Mais en sera-t-il de même en ce qui concerne l'élé-
ment sérieux? Il est bien évident — et le fait s'est déjà produit
pour Hambourg à l'annonce, dans le troisième bulletin, de la
proposition de M, Naville — que ceux des orientalistes qui
ne pourront pas se rendre au Congrès s'abstiendront de sous-
crire pour ne retirer qu'un volume de résumés, souvent et for-
cément incomplets, ce qui ne les dispensera pas d'acheter les
diverses revues où seront dispersés les mémoires qu'ils au-
raient trouvés réunis dans les Actes du Congrès.
Mais ces revues elles-mêmes ne seront-elles pas bientôt
encombrées si, en dehors de leurs articles ordinaires, elles doi-
vent encore publier les mémoires de leurs nationaux ? Et il ne
faut pas oublier que plusieurs pays ne possèdent pas d'organes
de ce genre. En outre, quel intérêt aurait Tauteur d'un mé-
moire à le soumettre à un Congrès, alors qu'il est obligé de
le publier ailleurs ? Les congrès se réduiront donc à n'être
qu'une petite parlotte entre deux douzaines d'orientalistes, et
aussi une concurrence à V Agence Cook en raison des facilités
accordées aux touristes.
Ces considérations engagèrent les savants les plus autorisés,
tels que MM. de Goeje, Nœldeke, Goldziher, Guidi, etc., à s'op-
poser à l'adoption de la proposition de M. Naville et à décider
qu'elle serait renvoyée à une commission. Mais comment
serait nommée cette commission ? Le bon sens indiquait
qu'elle devait se composer de délégués élus à raison d'un par
section : ce sont évidemment les congressistes, faisant acte
de présence dans ces dernières, qui sont intéressés à la chose.-
Mais rheure était avancée, les estomacs criaient famine, la
confusion ne faisait que croître et ce fut au milieu d'un cer-
tain tumulte que M. Behrmann annonça, sans que l'assemblée
fût appelée à voter, la constitution d'une commission unani-
mement favorable à la proposition Naville.
I
LE XIU* CONGRÈS INTERNATIONAL DES ORIENTALISTES ^9
Conformément à Tusage, la présidence des sections fut ré-
servée aux orientalistes étrangers. C'est ainsi que celle de
.Inde fut réservée à M. Rhys Davids, de Londres; celle de
riran à M. Salemann, de Pétersbourg ; celle des rapports entre
!a Grèce et TOrient à M. Cumont, de Bruxelles; celle de TAsie
orientale à M. Thomsen, de Copenhague ; la section sémitique
Lvnérale fut présidée par M. Buhl, de Copenhague ; la section
iiiulsumane par M. de Goeje, de Leyde ; celle d'égyptologie par
\l. Xaville, de Genève. La troisième section, Australasie et
' kéanie, ne réussit pas à se constituer. Enfin la présidence de
la section des langues africaines me fut dévolue.
11 me suffira d'énumérer la liste des principaux mémoires
lus dans chaque section : je ne saurais, bien entendu, repro-
iiiire le détail des discussions auxquelles quelques-uns d'entre
tux donnèrent lieu, encore moins les analyser.
Section I. — Linguistique générale.
^liEDiA i^Scutari) : Sur la prononciation des palatales dans les divers dialectes
albanais,
Thurnevsen (Fribourg-en-Brisgau) : Le futur périphrastique en ancien
indien,
••r'Hâ.NNSON (Upsala) : Une loi phonétique indo-germanique.
Section U, — A. Inde.
WicKBEMASiNGHE (Oxford) : Progrès dcs recherches archéologiques à Ceylan,
FuvcHER (Paris) : V École française d* Extrême-Orient.
."^TEiN (Rawalpindi) : Voyage d'exploration archéologique dans le Turhestan
lîENDAL (Cambridge) : Note sur Vhisloire du canon pâli dans le Nord de
ilnde.
pjiNGOT (Francfort) : Progrès du bouddhisme dans r Inde et dans V Ouest.
KuHN' (Munich) : État des travaux relatifs à la rédaction d'un manuel aryo-
indien.
L. DE Se H BOEDER (Vienne) : Plan d'aune édition critique du Mahabharata.
f'':LLÊ 'Bologne) : Cartographie ancienne de Vlnde.
irRAMARE (Genève) : Le Yajamana, son rôle dans les sacrifices d'après les
Srxtes brahmaniques*
Section n. — B. Iran.
-M.ssoN CNew-York) : Sur quelques questions relatives à V ancienne histoire
de la Perse,
if'. ART (Paris) : Résultats linguistiques de V exploration de la Perse de
jr. de Morgan.
Chalatîanz (Moscou) : La légende des héros ai^mcniens,
KiKOTE 'Grazj : Le verbe sémitique en pehlivi.
30 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Section IV. — Asie centrale et orientale.
KuNOS (Budapest) : Sttr le rythme des langues turkes.
Balint (Klausenburg) : Sur la question des Huns.
MiKAMi (Tokyo) : Sur V Institut historiographique de VUniversité orientale
de Tokyo.
Donner (Helsingfors) : Fouilles et inscriptions en ancien turk et en ouïgour
dans le Turkestan,
MuRAKAMi (Tokyo) : Relations du Japon et de POuest.
Section V. — Sémitique.
BuDDE (Marbourg) : La suscription du livre deJérémie,
Klein (Stockholm) : Sur le livre de Daniel,
Halévy (Paris) : Sur f origine du syllabaire cunéiforme,
GkJTHE (Leipzig) : Sur les travaux de la Société allemande de Palestine.
Kotelmann (Hambourg) : Le sens des couleurs chez les anciens Hébreux.
Oppert (Paris) : La traduction du grand cylindre de Gudea.
Oppert (Paris) : Sur un carré magique babylonien.
Homme L (Munich) : Etymologie du nom de Moab.
Halévy (Paris) : Origine de l'alphabet sémitique.
Section VI. — Islam.
Merx (Heidelberg) : L'introduction de V éthique d'Aristote dans la philosophie
arabe.
Sobernheim (Beriin) : Les inscriptions de Baalbeck.
Seybold (Tubingen) : Un récit des Mille et Une Nuits.
Montet (Genève) : Une mission scientifique au Maroc,
M™« DE Lebedev (Saint-Pétersbourg) : Sur les droits de la femme musul^
mane dans le mariage.
Hess (Fribourg-en- Suisse) : Chants des Bédouins de Qahtan, avec repro-
duction par le phonographe.
Grûnert (Prague) : Vétymologie chez les Arabes. ^
Section VII. ^ A. Eg^ptologie.
LORET (Lyon) : Horus le faucon.
Schmidt (Copenhague) : Les cercueils de momie datant de la X J//« dynastie.
LiEBLEiN (Christianua) : Sur les noms d*Aménophis IV,
Cap ART (Bruxelles) : Sur un nouveau papyrus du Livre des morts.
Breastedt (Chicago) : La bataille de Kadech.
LoRET (Paris) : Les procédés d'éclairage chez les anciens Égyptiens.
Th. Reïnach (Paris) : Sur ladiOtede la colonie juive d'Alexandrie.
Section Vn. — B. Langues afk>icaines.
U. Basset (Alger) : Rapport sur les études berbères et haoussa de 1897
à 1902.
Stumme (Leipzig) : De la métrique en berbèi'e et en haoussa.
Benecke (Berlin) : Principes d^une grammaire comparée des langues bantou.
LE Xm* CONGRÈS INTERNATIONAL DES ORIENTALISTES 31
Section vm. ~ Influence respective de TOrient
et de l'Occident.
Lehm ANN (Charlotte nbourg) : Vimmigration des Arméniens en rapport avec
T émigration des Thraces et des Iraniens.
Chalatianz (Moscou) : La version arménienne de la Chronique universelle
d'Hippolyte,
Bréhier (ClennoDt-Ferrand) : Influence des Orientaux sur la civilisation
occidentale au commencement du moyen âge.
Deissmaxn (Ileidelberg) : Uhellénisation du monothéisme sémitique,
Adler (Londres) : Les Juifs de Vlnde et le pape au xvi« siècle.
Karoudès (ÂthèDes) : La prétendue ville des Byzantins dahs la chronique
du roi d'Assyrie Asar Haddon.
Au cours des séances, des vœux furent émis par les diverses
sections : le 10 septembre, ils furent soumis au vote de rassem-
blée générale de clôture qui les adopta. Voici les principaux :
Section n. — A. — Vœu pour la publication du Mahavansa.
— Le XIII* Congrès se permet d'exprimer au gouvernement français
•ie rindo-Chine ses respectueux remerciements pour la part faite aux
études orientales par la création de TËcole archéologique de l'Ëxtri^me-
Orient et de lui adresser ses félicitations pour les résultats obtenus.
— Félicitations au vice-roi et au gouvernement de l'Inde britannique
T»«Dur les encouragements donnés aux études orientales lors de la mission
dp M. Stein en Kachgarie.
— Vœu tendant à ce que le gouvernement de Tlnde vienne en aide à la
publication du manuel indo-aryen de MM. Kuhn et Scherman,
— Vœu relatif à la publication des cartes de l'Inde recueillies par
M. Pulle.
— Vœu relatif à la réorganisation de la Société des études gypsies.
Section IV. — Projet d'une association internationale pour Texplora-
tion historique, archéologique, linguistique et ethnographique de l'Asie
centrale et de l'Extrême-Orient par des Comités indépendants nationaux,
groupés autour d'un Comité central résidant à Saint-Pétersbourg.
Section V. — Vœu tendant à ce que, dans les recherches faites pour
J-5 établissements de chemins de fer en Orient, le côté archéologique ne
-oit pas négligé.
Section VI. — La section musulmane se désiste en faveur do lacom-
n]i>»ion nommée par l'Association internationale des Académies (Paris,
i» avril i90i) des pouvoirs qui lui avaient été confiés pour la publication
J- VEncyclopédie musulmane,
La proposition de M. Naville, tendant à la suppression de la
fubUcation des Actes du Congrès, fut ensuite votée à une faible
monté où ne dominaient pas les orientalistes de profession.
32 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
J'ai exposé plus haut les motifs qui faisaient regretter Tadop-
tion de cette motion. Il appartiendra aux congrès futurs de
revenir sur cette décision qui ne les engage en aucune
façon.
Renchérissant sur cette mesure, M. Rhys Davids avait pro-
posé six articles qui liaient les mains h tous les congrès futurs
et leur enlevaient le droit de régler leur organisation inté-
rieure. Devant les protestations unanimes de l'assemblée, dont
M. Gaster se fit l'interprète, il dut déclarer que c'était simple-
ment une indication qu*il avait prétendu donner. Quatre arti-
cles furent admis, sous le bénéfice de ces explications, et n'en-
gagent nullement l'avenir, puisque les congrès futurs ont le
droit de ne tenir aucun compte des opinions de M. Rhys
Davids.
Enfin la deuxième question était la détermination du siège
du XIV® congrès. J'étais officiellement chargé par le gouverne-
ment général de l'Algérie de proposer Alger. Cette ville fut
choisie par acclamation, la proposition du gouvernement japo-
nais en faveur de Tokyo n'ayant obtenu aucune voix.
Le prochain Congrès aura donc lieu à Alger, aux vacances de
Pâques 190o.
René Rasset,
Correspondant de l'Institut,
Directeur de l'EcoU supérieure des lettres d* Alger,
Délégué du gouvernement de l'Algérie
« au XIII* Congrès international
des orientalistes.
LES MISSIONS CATHOLIQUES FRANÇAISES
AU XIX« SIÈCLE
L'essor prodigieux, au xix* siècle, de certaines puissances
industrielles et exportatrices, a été, chez nous, une source d'illu-
>Hjn> dangereuses. L'on a trop souvent cru que Tinlluence d'un
iptMiple se mesurait seulement aux chiffres de ses exportations
»"t de ses importations, et au nombre d'hectares de ses domaines
•• 'Icmiaux. Une nation comme la nôtre, qui a un long passé et de
;.'lorieuses traditions, possède, par le monde, une clientèle; elle
•li-p<)se de forces morales qui, pour n'être pas immédiatement
ippréciables en chiffres, n'en sont pas moins de très précieux élé-
im'nts d'influence, d'autant plus précieux souvent qu'ils sont plus
mpondérables. Notre histoire, l'action de nos compatriotes nous
'nt donné et nous donnent encore, pourrait-on dire, des colonies
morales, où, sans posséder le sol, la France possède les âmes. Il
^n estencore ainsi, dans une certaine mesure, dans cette Egypte,
• ù la trace du génie français est partout imprimée, et où
t. ni dliommes, qui craignent de le dire tout haut, pensent tout
!as à la France comme à la métropole naturelle des pays
l'Jrient. Que les missions catholiques françaises soient, pour la
France, le moyen le plus efficace, parce qu'il est le plus vraiment
'!»siiitéressé, de gagner ou de garder la confiance et l'amitié des
l'Hiples lointains, c'est ce qu'aucun des Français qui ont eu, à
U [ranger, la responsabilité de nos intérêts nationaux ne mécon-
:i.ùl. A peine de rares politiciens de cabinet, ou quelques « intel-
!^i:tuels» au retour d'un trop rapide voyage, où ils n'ont voulu
voir que ce qui était déjà, au départ, dans leur esprit, ont-ils
. irtois contesté cette vérité à laquelle tous nos hommes d'utat,
l'itlles que fussent leurs origines et leurs croyances, ont
>ndu un éclatant hommage.
Aussi est-ce véritablement, au point de vue national, auquel
-iil nous voulons nous placer ici, une œuvre excellente qu'est
n Irain d'accomplir le R. P. Piolet en consacrant à toutes les
îiiissions catholiques françaises, dans le monde entier, el en
ii-anl paraître sous sa direction, un ouvrage admirablement
"lité et illustré, dont M. Etienne Lamy a composé la Préface
QoKar. DiFL. «t Col. — t. xv, 3
34 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
et dont M. Brunetiore doit écrire la conclusion*. Le
P. Piolet, bien connu de tous les « coloniaux, » est lui-même
un missionnaire; de longs séjours à Madagascar lui ont
permis de consacrer à notre grande île africaine des volumes
très appréciés; non content d'être un apôtre de la foi chré-
tienne, il s'est fait encore un apôtre de la foi coloniale dont
il est l'un des plus ardents promoteurs dans l'opinion française.
Arracher les Français à leurs divisions du dedans, retremper
Fâme de la race dans les luttes et les salutaires efforts
delà vie du dehors, refaire, par la colonisation, une France très
forte et digne de son passé et de ses destinées, voilà la tâche à
laquelle il a voué ses forces et sa vie. Son dernier ouvrage, la
France hors de France ^, est un chaleureux et convaincant
plaidoyer en faveur de Témigration aux colonies et de la mise
en valeur, par nous-mêmes, de notre superbe domaine d'outre-
mer, hç^^ Missions catholiques françaises tendent au même but :
montrer les éléments de la vitalité française hors de France, étu-
dier Texpansion de notre activité nationale dans Tune de ses plus
imposantes manifestations, prouver, par l'exemple, aux Fran-
çais, que leur race est encore capable de toutes les audaces et de
toutes les initiatives.
Cinq volumes entiers ont paru; ils sont consacrés, le pre-
mier aux missions d'Orient, le second à celles d'Abyssinie,
d'Inde et dlndo-Chine, le troisième à celles de Chine et du
Japon, le quatrième à celles de FOcéanie et de Madagascar, le
cinquième à celles d'Afrique ; le dernier enfin parlera des
missions d'Amérique. Les missionnaires de chaque province
ont, en général, raconté eux-mêmes leur œuvre; il en résulte,
peut-être, dans cet ouvrage, comme dans toutes les œuvres
collectives, certaines inégalités, certaines disproportions ; mais
il en résulte aussi une grande variété de ton et vme grande
sûreté d'informations. Ces hommes simples, vivant an
milieu de populations étrangères à notre civilisation et à
nos mœurs, ont écrit simplement ; ils ont dit leurs efforts,
leurs succès, leurs déboires et aussi leurs espoirs; ils ont
énuméré les œuvres fondées, les églises élevées, donné les
chiffres des convertis, dénombré leur petit troupeau. Le texte est
appuyé de nombreuses et excellentes photographies prises sur
place; non seulement elles rendent agréable et instructif le
* Les Missions catholiques françaises au XIX* siècle ^ publiées sous la direction du
p. J.-B. Piolet, avec la collaboration do toutes les sociétés de missions. Illustra-
tions d'après des documents originaux. L'ouvrajje, qui paraît par livraisons, com-
prendra 6 volumes ini-4*. Cinq sont déjà parus et le sixième est en cours de publica-
tion. Paris, Armand Colin et C»»-, éditeurs.
2 Paris, Alcan, i vol. in-8P.
LES MISSIONS CATHOLIQUES FRANÇAISES AU XU^ SIÈCLE 35
seul fait de feuilleter ces beaux volumes, mais encore ellescons-
lituent d'admirables documents, à la fois précis et vivants, Le
missionnaire et la sœur de charité y apparaissent dans leur
tâche de chaque jour, moins occupés de réunir de nombreuses
assemblées pour les prêcher que de prouver la supériorité de
leur foi par Fexcellence de leurs œuvres; nous les voyons
recueillant les orphelins, instruisant les enfants, soignant les
malades, les lépreux, nourrissant ceux qui ont faim, penchant
leurs mains consolatrices sur les agonies délaissées. Grâce aux
photographies, nous vivons vraimentde la vie des missionnaires
el (le celle de leurs néophytes^; elles sont les témoins irrécu-
sables qui, du fond de la Chine ou de la Mésopotamie, viennent
témoigner de l'activité inlassable et du patient labeur de nos
compatriotes *.
La première impression qu'éprouve le lecteur, rien qu'à
feuilleter ces pages élégantes, c'est qu'il est en présence d'une
force, non pas précisément internationale, mais supranationale.
Lon passe des vieilles races les plus anciennement civilisées,
i:omme les Chinois ou les Annamites, aux peuplades les plus
primitives; nous sommes, avec le premier volume, chez les Turcs,
à Constantinople» en Egypte; nous sommes avec le cinquième
parmi les noirs du Congo, avec le sixième parmi les peu-
plades les plus incultes de l'Amérique du Sud. Et nulle part
ou n'a l'intuition plus nette de cette vitalité et de cette puis-
sance du catholicisme, qui pénètre chez tous les peuples sans
f^xiger d'eux aucune abdication de leur indépendance natio-
nale ; et nulle part, non plus, l'on ne comprend mieux quel
précieux avantage c'est, pour notre pays, qu'un si grand
nombre de ses nationaux, hommes et femmes, fasse aimer,
yms tant de climats divers, le nom de la France, comme celui
delà puissance secourable, juste, mère des grands dévouements.
A mesure que l'on tourne les pages, le cadre et le décor
changent : tantôt ce sont les glaces du Nord, les fourrures, les
traîneaux, et tantôt TEquateur avec ses forets tropicales et
s**s immenses fleuves. Tantôt ce sont des Chinois, aux cheveux
tombant en natte dans le dos, qui remplissent la nef de la cha-
pelle et que la photogravure nous montre, et tantôt C(^ sont des
noirs aux cheveux crépus, ou des Indous ; mais le missionnaire
reste le même ; il enseigne la même doctrine, il pratique les
m»*mes œuvres, se faisant tout à tous, soignant les malades,
>ecourant les misères ; seulement les moyens, les méthodes,
' Sîirnalons aussi la valeur» au point dp vue (ii> la géographie physique, d'un
U.n nombre de ces phojographies. Par exemple, pour ne prendre que le seul
i-^-tûe m, voyez p. 21, 34^69, 16-), 2«, 27^', S^S.-^iOS, 333, 339, 345,429, etc. ' *
36 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
les formes extérieures de Tapostolat et de la charité varient;
nous avons sous les yeux un perpétuel travail A" adaptation^
dont tous ceux qui s'occupent des questions coloniales pourront
faire leur profit et tirer d'utiles leçons. C'est une preuve, sans
cesse renouvelée sous nos yeux, de cette plasticité de TEglise
catholique qui a su vivre au milieu des nations les plus diverses,
depuis les Romains jusqu'à nos jours; c'est ce que M. Etienne
Lamy a montré, dans sa belle préface consacrée à V Apostolat,
Dans tout TOrient musulman, depuis Constantinople jusqu'en
Perse, les missionnaires ont un rôle particulier : ils ne cherchent
pas à gagner les maîtres turcs, mais, pour ainsi dire, à ressusci-
ter, en les ramenant dans l'unité catholique, les nationalités,
chrétiennes depuis les temps les plus anciens, mais qu'un long
isolement sous la férule musulmane a laissé s'endormir dans
les vieilles hérésies orientales. Les ramener, les instruire,
former un clergé catholique national, c'est la tâche des
missionnaires en Orient, c'est celle que le pape Léon XIII a
tout particulièrement encouragée. L'institution du séminaire
des Pères Blancs, à Jérusalem, est un des multiples efforts, qui
tendent vers ce but : refaire une église catholique orientale.
Rentrées dans l'Eglise romaine, les peuplades orientales
cessent d'être des isolées ; elles deviennent, par le fait même,
des protégées de la France, qui a, en vertu des Capitulations
et des traités, et par la volonté expressément formulée du
Saint-Siège, le Protectorat exclusif des catholiques dans l'em-
pire ottoman. La religion, en Orient, est le symbole et le rem-
part de la nationalité ; les patriarches ont un rôle civil et poli-
tique autant qu'un rôle religieux; ils sont vraiment des
conducteurs de peuples. De là les difficultés diplomatiques qui
ne manquent guère de surgir à chaque élection : lors de l'expé-
dition de Mitylène, l'une des concessions obtenues par la
diplomatie française a été la reconnaissance par le Sultan du
patriarche chaldéen catholique. Tous les gouvernements qui se
sont succédé en France ont, jusqu'ici, rempli leur tâche protec-
trice et ils en ont recueilli les fruits. L'empereur Guillaume II
a été étonné, pour ne pas dire plus, lors de son retentissant
voyage en Terre-Sainte, du peu d'enthousiasme des populations
pour le César germanique et du nombre des drapeaux français
qui flottaient au vent sur les villes pavoisées. Quand il a
séjourné à Beyrouth, les villages maronites de la montagne,
sauvés en 1860 par nos troupes, se contraignirent, ces jours-là, à
ne pas allumer de lumières pour que l'on ne pût pas prétendre
qu'ils avaient illuminé (I, p. 32) ! Cet Orient catholique, qui est
en même temps un Orient français, nous apparaît ici sous un
LES MISSIONS CATHOLIQUES FRANÇAISES AU XIX* SIÈCLE 37
aspect, non pas nouveau, puisque, pour ne parler que des plus
récents, d'excellents ouvrages, comme le beau livre de
M. Etienne Lamy* ou l'attachant volume de M. Ludovic
de Contenson * nous Tont fait connaître et aimer, mais tou-
jours intéressant, d'autant plus que les rivalités nationales
vont toujours en s'accentuant dans cette Asie Mineure, cette
Syrie et cette Babylonie qui sont la route terrestre de l'Inde.
Les régions du Tigre et de TEuphrate, presque inconnues il y a
quelques années, et où les missions françaises, dirigées par
des hommes de haute valeur, comme M*?'" Altmayer, des Frères
' prêcheurs, archevêque de Babylone, s'efforcent de ramener à
Vunité les indigènes nestoriens, prennent et prendront de plus
en plus, si le chemin de fer de Bagdad se fait, une impor-
tance capitale. L'incident de Koweït est révélateur à cet égard;
et ce ne sera pas, pour la France, un médiocre avantage, le jour
venu, que d'avoir, dans ces régions longtemps inaccessibles,
toute une clientèle que les missionnaires lui auront préparée.
Les efforts des missionnaires français en Orient, leurs établis-
S4:»ments d'instruction, leurs séminaires, l'appui moral et l'aide
pécuniaire que leur donnç le gouvernement, sont des faits assez
connus pour qu'il ne soit pas besoin d'y insister. L'hiver dernier,
dans le Bulletin du Comité de l'Asie française de février,
M. Jean Imbart de la Tour en résumait encore l'importance.
Nous n'avons pas, en Orient, le plus fort chiffre d'exportations et
d'importations '; mais nousy avons, depuis les temps de Fran-
çois I*% de Henri IV, de Richelieu, dont il ne faut pas séparer le
P. Joseph, l'un des plus ardents promoteurs des missions
d'Orient, une longue tradition protectrice qui nous donne,
malgré les âpres jalousies d'aujourd'hui, une somme d'influence
que Ton peut nous envier, mais que l'on ne nous ravira que si
nous le voulons bien.
A l'origine des missions françaises d'Ethiopie, c'est encore le
nom du grand patriote que fut le P. Joseph qui apparaît ;
c'est lui qui envoya, pour ramener cette chrétienté séparée,
deux capucins, qui furent pendus, à Gondar, avec la corde
franciscaine. Les capucins ont, encore aujourd'hui, la mis-
sion du Harar, tandis que les Lazaristes ont celle de l'Ethio-
pie proprement dite. L'histoire n'oubliera pas, quand elle
racontera la réouverture de la vieille hthiopie à la civilisa-
* La France du Levant, par M. Etienne Lamy. Pion, éditeur, 1 vol. in-8».
* Chrétiens et musulmans^ voyages et études; avec une préface de M. Jules
LuAins. Pion, éditeur, 1901, 1 vol. in-l2.
^ Voyez le livre de M. A. Martineau, Le commerce français dans le Levant,
Pâm, Guillaumin ; Lyon, Rey, l.vol. in-8o.
38 Ot'ESTIOHS DIPLOMATIQUES ET GOLOnALES
tion européenne et à la propagande catholique, les noms de
M*"" de Jacobi», de M'' Taurin, et celui de M. Coul beaux, naguère
supérieur de la mission des I^azaristes. En Abyssinie, comme
en Orient, Feffort des missionnaires est moins de convertir des
peuplades païennes que de ramener à la foi catholique les Ethio-
piens qui ont embrassé, au viii* siècle, l'hérésie monophysite.
Au moment où l'Abyssinie, longtemps isolée au milieu d'une mer
de musulmans, rentre en contact avec l'Europe et semble en voie
de devenir, dans TAfrique partagée d'aujourd'hui, la seule puis-
sance africaine indépendante, il n'est pas indifTérent, pour
l'avenir de nos rapports avec l'empire des Négus, que les
grandes missions catholiques y soient dirigées par des religieux
français. En tête du second volume des Missions catholiques
françaises, nous trouvons 78 pages qui forment une étude
d'un puissant intérêt sur la vie religieuse des Abyssins et des
(iallas.
A Aden et aux Seychelles, à Ceyian, dans plusieurs provinces
de la péninsule indoue, en Birmanie, au Siam, au Laos, dans la
presqu'île de Malacca, dans Flndo-Chine française, nous retrou-
vons encore les religieux et les religieuses de France. Signalons
l'histoire, très peu connue, du schisme de Goa»et du concordat
de 1857 avec le Portugal ; et ne passons pas sans noter que, si
les missionnaires protestants anglais sont, là comme partout, le
plus grand des obstacles au succès des missions catholiques, le
gouvernement anglais, du moins, accorde aux missionnaires, de
quelque nationalité qu'ils soient, non seulement une complète
tolérance, mais le plus efficace et le plus bienveillant des appuis.
D'ailleurs, puisque nous en sommes sur ce sujet, constatons
également que l'une des impressions qui se dégagent des
volumes dont nous parlons est le mutuel appui que se prêtent,
partout et toujours, sauf de rares exceptions, les missionnaires
et les fonctionnaires français dans nos colonies et dans les pays
étrangers, M»^ Pallu fut, au temps de Louis XIV, le premier
ouvrier de l'influence française au Siam, et M. Doumer, lors de
son voyage à Bangkok, se plaisait à adresser au supérieur du
collège de l'Assomption des éloges bien mérités pour tous les
services rendus à la langue et à l'influence française. Le nom
de M*' Pigneaux de Béhaine, au début de ce siècle, est insépa-
rable de riiistoire de nos premières interventions en Indo-
Chine ; et M. de Lanessan disait, il y a peu d'années, de
M»^ Puginier qu'il était « l'homme qui connaissait le mieux
le Tonkin ' » I Ainsi la France d'hier se relie à celle d'aujourd'hui
par d'indissolubles liens.
^ La Colonisation française en Indo-Chine^ p. '22, Alcan, éditeur, ia-12.
LES MISSIONS CATBOUQUES FRANÇAISES AU XIX'' SIÈCLE 39
Le troisième volume du P. Piolet nous conduit on Chine et au
Japon, vieilles terres de missions, où, depuis saint François-
Xavier, tant d'efforts ont été faits, et où Ton compte cictuelle-
ment environ 700.000 catholiques. Les Français (Lazaristes,
Jésuites, Prêtres des Missions étrangères de Paris, etc.) y diri-
gent les plus florissantes missions, et Ton sait que le Protectorat
des catholiques, dans Tempire chinois, appartient à la France
qui Ta jusqu'ici toujours exercé avec vigilance et énergie. Le récit
des tragiques événements de 1900, dil à la plume de AI»' Favier,
est fait avec une émouvante simplicité dans ces pages poignantes.
Le martyre de plusieurs religieux, l'odyssée mouvementée de
plusieurs autres, la constance des chrétiens chinois, sont des
morceaux d'un haut intérêt historique et dramatique. Ils sont,
sans en avoir l'intention, la plus éclatante réponse aux calomnies
que Ton a tenté de répandre à propos du rt^le des missionnaires
durant la dernière guerre.
Avec le tome IV nous pénétrons dans le domaine de l'Océanie.
Ici encore, les missionnaires français tiennent la première
place : c'est le champ que les Pères de Picpusetles Maristes ont
travaillé avec succès ; ici encore l'influence française a marché
de pair avec l'évangélisation. Dans ces îles lointaines, les
missionnaires ont été, après les grands navigateurs du com-
mencement du siècle, les vrais « découvreurs » ; et si nous
n'avons pas su acquérir, dans le Pacifique, un plus vaste
domaine, c'est faute d'avoir écouté les appels des religieux
français; c'est à eux, en tout cas, que nous devons cette
Nouvelle-Calédonie, si riche en mines et si ostensiblement
convoitée par les Australiens; aux Marquises, à Tahiti, ce sont
les missionnaires qui ont été les précurseurs du drapeau français,
et, encore aujourd'hui, dans ces îles qui seront pour nous si
précieuses après Touverture du canal de Panama, et que mena-
cent de deux côtés les ambitions américaines et australiennes,
les missions catholiques sont le meilleur soutien de l'influence
française. Perdus au milieu de nombreuses populations indi-
gènes, comme en Papouasie, ou isolés dans les îlots polyné-
siens, les missionnaires se sont livrés à des travaux d'ethno-
graphie, dont ils nous donnent aujourd'hui un aperçu; ils cons-
tatent l'inéluctable disparition de presque toutes ces races, au
contact des Européens; du moins est-il digne de leur charité de
pencher leurs mains secourables vers ces agonies de peuples,
de les retarder et de les embellir. L'Océanie est le pays de la
lèpre et le courage des religieux et des religieuses n'a reculé
ni devant Thorreur de la maladie, ni devant le danger de la
contag'fon. A la léproserie de Molokaï, dans les îles Hawaï,
40 QUB8T10K8 DIPLOMATIQUES KT COLONIALBS
deux pnHres, cinq frères et six religieuses soignent un millier
de lépreux; c'est là que mourut, en 1888, victime du terrible
fléau, après avoir, seize années durant, vécu au milieu de son
lamentable troupeau, le P. Damien, à qui la justice des Anglais
a élevé un monument et à qui la Belgique, sa patrie, et tout le
monde civilisé ont rendu hommage.
A la fin du même volume, le P. Piolet a lui-même consacré
à Madagascar une très intéressante étude; il a retracé, en
quelques pages précises, pleines de foi et de patriotique émo-
tion, l'histoire des temps héroïques, de ces trente-cinq années
de luttes où Tinfluence française, négligée parle gouvernement
de Napoléon III et, dans ses premières années, par celui de la
République, fut efficacement soutenue par des hommes comme
Jean Laborde et par les missionnaires jésuites. Là, du moins,
les efforts des missionnaires ne furent pas vains ; Madagascar
est française. Le P. Piolet consacre ses dernières pages à décrire
l'organisation, les progrès, les travaux et les luttes des diffé-
rentes missions qui se partagent la grande île *.
Par l'ouvrier, on juge de la valeur de l'œuvre : presque tout
le tome V est l'œuvre de M*"^ Leroy, ancien vicaire apostolique
du Congo français, supérieur des Pères du Saint-Esprit. Ethno-
graphie de l'Afrique, croyances et coutumes des races noires,
lutte contre les esclavagistes, pénétration européenne, nous
trouvons sur tous ces sujets, qui intéressent au premier chef
notre politique africaine, des renseignements souvent inédits,
toujours recueillis sur place par les hommes qui ont le plus
longtemps vécu «dans les ténèbres de l'Afrique ». Le témoi-
gnage du P. Comte, des Pères Blancs, sur la question si délicate
de nos rapports avec les musulmans de TAlgérie-Tunisie, et
principalement avec les Kabyles, est h joindre à l'enquête si inté-
ressante faite ici sur l'avenir de T Islam ; les résultats enre-
gistrés par les Pères Blancs, malgré tous les obstacles, sont de
nature à faire réfléchir. La tragique histoire de l'établissement
des missions sur le Tanganyika et de leur lutte contre les
Arabes marchands d'esclaves, le récit, si mortifiant pour notre
patriotisme, de l'établissement d'un centre d'influence fran-
<;aise dans l'Ouganda, où notre politique ne sut pas profiter des
succès de nos missionnaires et où les indigènes payèrent de
leur sang le crime d'avoir appelé la France et arboré son dra-
peau, sont racontés par M»' Leroy en des pages émouvantes.
Le P. Piolet, qui a mené à bien la lourde tâche de diriger et de
\ Signalons, dans ce volume, pour les géographes, à la page 223, la belle photo-
graphie d'un geyser de la Nouvelle-Zélande; et dans le tome V, les vues des pages 9
et 48 : le Sahara.
LES MISSIONS CATBOUOUES FRANÇAISES AU XIX* SIÈCLE 41
surveiller la publication de ces beaux volumes, voudra bien nous
permettre, en terminant, d'exprimer quelques souhaits, dont
quelques-uns pourraient être encore réalisés. L'un de ces
vœux serait que l'ouvrage ne se terminât pas sans un cha-
pitre, court et substantiel, sur le Protectorat français ; ce
serait le complément naturel de l'œuvre. Autre souhait : de
petites cartes, très simples, où auraient été marqués tous les
noms cités, auraient été bien utiles et bien agréables au lec-
teur; ne poiirrait-on pas les insérer à la lin du sixième volume?
Il y aura un Index nominum et rerum ; mais ne serait-il pas
possible de faire une sorte de tableau résumant tous les docu-
ments statistiques réunis dans les six tomes, qui deviendraient
ainsi un instrument de travail de premier ordre?
Mais le bien que nous pensons de ces beaux volumes nous
rend peut-être trop ambitieux ; le P. Piolet nous pardonnera,
♦*ii faveur de notre admiration sincère pour le durable et solide
monument qu'il est en train d'élever à la gloire des missions et
à la gloire de la France.
René Pi non.
MADA&ASCiR
LES TERRITOIRES MILITAIRES
M. L. Brunet, député de la Réunion, vient de mettre la dernière main
à une étude très remarquable et très complète sur Madagascar. Dans cette
étude, M. L. Brunet, après avoir fait l'historique des événements qui ont
déterminé la campagne de 1896 et de la campagne elle-même, examine suc-
cessivement l'annexion, la colonisation et l'organisation de la grande île,
puis en dégage les résultats actuels. Grâce à l'obligeance du député de la
Réunion, nous pouvons donner aujourd'hui à nos lecteurs la primeur d'un
des plus intéressants chapitres de cette œuvre, celui qui est consacré aux
territoires militaires. En voici les passages essentiels. N. D, L. R.
Le jour où le drapeau de la France rempla(:a sur le palais de
la reine l'étendard hova, tout le monde comprit que c'en était
fait d'une fiction qui, depuis près d'un siècle, plaçait les na-
tions européennes en face d un « roi de Madagascar », fiction
créée de toutes pièces par sir Robert Farquhar, quand son gou-
vernement l'avait obligé à se soumettre aux traités et à rendre
Madagascar à la France.
Mais après la conquête il eût été imprudent d'installer immé-
diatement une administration purement civile. L'armée jouis-
sait, parmi les populations malgaches, du prestige que lui don-
nait la victoire ; elle était désignée pour façonner le pays à la
nouvelle organisation que voulait établir la France, et les
officiers étaient mieux placés que les fonctionnaires civils pour
briser les résistances et assurer l'ordre.
Le général Gallieni organisa le pays en territoires militaires,
subdivisés eux-mêmes encercles et en secteurs; il poursuivit
les rebelles, non seulement au moyen des troupes régulières,
mais en utilisant toutes les ressources locales, en créant des
milices, en armant les villages ; enfin il occupa progressivement
les provinces, déplaçant, au fur et à mesure de la pénétra-
tion, les postes de première ligne. Des blockhaus, aussi rap-
prochés que possible les uns des autres, assuraient la protec-
tion des alentours et permettaient, le cas échéant, la concentra-
tion de nos soldats sur un point menacé.
La circulaire du 12 octobre 1896 avait déterminé les attri-
butions des officiers placés à la tête des cercles :
L e commandant du cercle exerce les fonctions de résident. Dans toute
MADAGASCAR. — LES TERRITOIRES MILITAIRES 43
retendue de son commandement, il est responsable de la tranquillité du
cercle qui lui est confié.
Sa mission comprend deux parties bien distinctes : i^ avec ses postes
avancés, gagner peu à peu du terrain en avant de manière à diminuer pro-
gressivement rétendue des régions occupées par les insurgés ; 2® organiser
en même temps les zones en arrière, en y rappelant les populations, en
faisant reprendre les cultures et surtout en mettant les villages et les habi-
tants à l'abri des nouvelles incursions des fahavalos.
Il est à remarquer que les officiers placés à la tète des
cercles et des secteurs, sans oublier les responsabilités qui
leur incombaient au point de vue de la défense, montrèrent une
véritable émulation dans l'exercice de leurs attributions civiles.
Investis d'une grande autorité, pouvant agir en de certains
cas d'après leur propre initiative, désireux de seconder Tu^vre
de leur chef et s'inspirant de ses idées, ils se transformaient en
instituteurs, en agriculteurs, voire en maîtres charpentiers, se
donnant tout entiers à leur tâche et heureux de s'y donner. Les
résultats obtenus furent considérables. On vit des villages, à
l'aspect riant et prospère, se former et grandir presque du jour
au lendemain. Le commandant du cercle faisait rebAtir les
maisons, reconstituer les rizières, créer des potagers et des plan-
tations d'arbres fruitiers, pour le compta des habitants du vil-
lage, et par eux; et par eux, aussi, était assurée en même
temps la construction des routes et des travaux d'utilité géné-
rale.
Mais la révolte, apaisée sur un point, renaissait sur d'autres.
Beaucoup de territoires, pacifiés en apparence, ne Tétaient pas
complètement en réalité. Ne serait-il pas imprudent d'en
remettre Tadministration à des fonctionnaires civils? Sur plu-
sieurs points, on eut recours à un terme moyen : Tautorité fut
déclarée civile, mais confiée à des officiers placés hors cadre.
« On prévoit donc de nouvelles opérations militaires, disait
« un journal qui s'était élevé contre cet état de choses. 11 y en
*£ aura encore, il y en aura toujours. Les Malgaches n'ont qu'à
« se bien tenir.
« Du reste, qu'ils se tiennent mal ou qu'ils se tiennent bien,
• ils savent ce qui les attend : ils seront pacifiés quand même,
ft envers et contre tous, à jet continu, jusqu'à épuisement
« d'humaine chaleur malgache.
a Quand les indigènes de Madagascar ne seront plus que cent,
a on les pacifiera encore; quand ils ne seront plus que dix, on
• les pacifiera toujours ; quand il n'en restera plus qu'un, on le
« pacifiera jusqu'à sa mort. »
Ces lignes sont empreintes de malveillance. Ce n'est pas la
44 QUESTIOIVS DlPLOMATiaCES ET COLOHIALES
France qui colonise ainsi, on le sait bien. Ce n'est pas la France
qui extermine les indigènes et chasse les survivants qu'on livre
à la famine et à la peste. Il faut chercher de pareils procédés
ailleurs que chez nous.
Les instructions et les actes du gouverneur général de Mada-
gascar protestent contre de semblables accusations.
Est-ce à dire que des abus n'aient pas existé?
11 y en a eu, nous n'hésitons pas à le reconnaître ; mais, à
peine révélés, ils furent réprimés et châtiés par celui qui a la
responsabilité du pouvoir.
Ces abus, a-t-onméme cherché à les dissimuler? Au contraire,
c'est le Journal officiel qui les a signalés.
Imaginez un vaste pays, en partie seulement pacifié, n'ayant
ni administration ni traditions, ne possédant pas de voies de
communication, sauvage presque. En quelques années il s'agit
de l'assujettir à Tautorité et à la loi.
Faut-il s'étonner que l'homme qui avait accepté de résoudre
un pareil problème, et qui Ta résolu, ait eu à se plaindre quel-
quefois de certains de ses collaborateurs, en petit nombre heu-
reusement, qui, placés dans les postes éloignés, méconnurent
les ordres de leur chef ou les violèrent?...
M. L. Brunet fait ici justice, avec documents à l'appui, des critiques que
certains hommes politiques avaient cru pouvoir élever contre l'adminis-
tration militaire à Madagascar. Il réduit à leurs réelles et infîmes propor-
tions les quelques actes d'arbitraire que Ton a pu constater et montre, par
la longue suite des circulaires si formelles et si précises du général Gallieni,
le souci constant du gouverneur de donner à notre colonie une adminis-
tration sincère, bienveillante et toujours équitable. Il poursuit alors en ces
termes :
On a signalé aussi les dépenses excessives... Au regard de
ces dépenses, il serait intéressant de mettre les travaux
effectués. Nous les avons énumérés d'autre part; nous ne pou-
vons y revenir, et d'ailleurs on les connaît assez. Un fait indé-
niable, il est vrai, c'est que les ressources actuelles de Mada-
gascar ne sont pas suffisantes pour faire face aux dépenses que
omportent l'administration de cette colonie et en mt^me temps
la création de tout son outillage économique.
Mais disons-le nettement, une œuvre considérable a été
entreprise ; il faut faire en sorte qu'on aboutisse. L'avenir de
Madagascar dépend du succès final.de son chemin de fer et des
embranchements,..
. MADAGASCAR. — LES TERRITOIRE MILITAIRES 45
« •
L*aiiteur étudie ensuite la question de la main-d'œuvre. Il rappelle Tabo-
lilion de la corvée et les réformes apportées par le général Gallieni, aux
conditions du travail. Il cite les diverses circulaires publiées à cet effet
pir le gouverneur et montre avec quelle prudence celui-ci a préparé et
suivi Tapplication de ses décrets. 11 arrive alors à Texposé de la situation
fmancière :
Le compte définitif (lu budget cleMadagascar pour l'année 1900,
arrêté au mois de septembre 1901, donnait ;
En recettes 19.310.78o fr. 24
Kn dépenses 17.662.244 fr. 73
D'où un excédent de recettes de 2.248,540 fr. 51)
Cet excédent devait porter la caisse de réserve à la somme de
5. 076. 211 fr. 16, supérieure au maximum réglementaire.
a II est intéressant, dit le général Gallieni *, de noter les
» accroissements constants de recettes réalisés par le budget
* local depuis Toccupation :
Exercice 1896 385.451 fr. 76
— 1897 1.598.689 fr. 38
— 1898 2.527.091 fr. 79
— 1899 909. 265 fr. 17
— 1900 2.248.540 fr. 51
* C'est grâce à ces ressources qu'il nous a été possible d'exé-
- cuter certains grands travaux publics (tel que la route de
• rOuest) que n'avaient pas prévus les lois d'emprunt, ou aux-
« quels avaient été affectés des fonds insuffisants. >>
Enfin Ton a pu constater, sur le premier semestre 1901, un
»*xcédent de recettes de 742.763 fr. 35; et le deuxième semestre
s'est clos aussi par un excédent de recettes.
s
M. L. Brunet conclut alors en ces termes :
Telle est la situation, 'impartialement exposée. La période cri-
tique est-elle réellement passée, comme Ta dit et comme le croit
le général Gallieni? Nous Tignorons. La vérité est que les som-
mes prévues pour la construction du chemin de fer seront dépas-
M>es; mais nous avons confiance que la France n'abandonnera
pas à ses seules ressources un pays qui, à peine annexé à notre
territoire, fait preuve de tant de ressort et de tant d'énergie.
1 Lettre au Secrétaire général. Journal officiel du 5 octobre 1901.
46 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS BT COLONIALES '
Madagascar a accompli en quelques années un effort qui, sous
le rapport économique et à raison des travaux faits, la place
au premier rang des colonies du monde entier. Il faut essayer
de réaliser des économies sur les frais d'occupation et d'admi-
nistration.
Madagascar est en grande partie pacifiée, excepté dans le
Boueni, où la rébellion est à Tétat endémique. On y circule
avec plus de sécurité qu'au Tonkin ou dans nos colonies
d'Afrique. Les indigènes ont appris à nous connaître; ils
savent que nous ne leur voulons aucun mal, et qu'au contraire
ils ont tout à craindre d'une révolte que suivrait la répression.
Dans ces conditions, est-il nécessaire de continuer à entretenir
un corps d'occupation aussi important ? Nous avons là plus de
15.000 hommes pour une population de deux millions et demi
d'indigènes. Nous sommes loin des 4.000 hommes dont parlait,
en 1896, le ministre de la guerre Cavaignac.
Il semble que le moment soit venu de diminuer l'armée d'oc-
cupation et d'assurer ainsi à la colonie un disponible annuel de
plusieurs millions.
Au fur et à mesure de la pacification, Tadministration civile
doit remplacer l'administration militaire. Ce principe a été pro-
clamé souvent par le gouverneur général lui-même.
Les commandants de cercle sont investis d'un pouvoir illi-
mité et sans contrôle immédiat. Pour quelques-uns d'entre eux,
l'indigène est un serf; le colon gène, c'est un intrus; mais il
ne faut pas conclure de l'exception à la généralité et tenir pour
règle courante et ordinaire ce qui est souvent la conséquence
d'un aveuglement passage r'ou des caprices d'un cerveau morbide
sur lequel influent en même temps et le climat, la fièvre, elles
dangereux conseils de l'isolement...
F^a meilleure politique est encore d'être juste et bon pour les
indigènes. Le Malgache a d'excellents instincts ; il faut qu'il soit
poussé à bout pour se soulever.
Dans sa circulaire du 18 septembre 1901, adressée à un cer-
tain nombre d'administrateurs militaires et de commandants de
cercle, le gouverneur général s'exprimait ainsi :
Jo vous ai souvont signalé, comme l'un des principes essentiels d'une
bonne administration à Madagascar, la nécessité de toujours tenir compte
de la diversité des races et des régions, de l'état social et des coutumes des
différents groupes de populations.
L'application de cette règle est particulièrement importante pour le re-
crutement judicieux des fonctionnaires indigènes.
Nous devons en effet nous efforcer d'utiliser le plus et le mieux possible
réU-moni indigène, de façon à nous éviter les frais d'administration qu'en-
MADAGASCAR. — LES TERRITOIRES MILITAIRES 4T
traînerait la multiplicité des agents européens, et intéresser plus directe
meQt«i les sujets malgaches à Toeuvre de progrès que nous poursuivons ici,
en faisant appel à la collaboration soit de leurs chefs naturels, acquis à
notre cause, soit de l'élite intellectuelle formée sous notre direction.
On le voit, le général Gallieni est resté fuièle à la politique de
race, qu'il s'était promis de suivre au moment où il prenait le
gouvernement général. Il va même, dans un arrêté du 24 sep-
tembre 1891, jusqu'à prévoir « les groupements susceptibles
t d'une organisation en protectorat intérieur sous le contrôle
< d'un fonctionnaire français résident ».
On ne peut contester les résultats de cette politique. Prenons
Texemple d'un territoire très rapproché de Tananarive, Mandja-
kandriana.
Ce cercle militaire avait été créé par arrêté du 24 mars 1900.
Il était divisé en sept secteurs et deux sous-secteurs. Le l*"" jan-
vier 1901 une province civile, agrandie et composée de quatre
districts, remplaça le cercle militaire : les prestations furent sup-
primées, faisant place à un impôt de capitation. Il nous serait
bien diificile de faire ici un travail «comparatif. Toutefois Ton
ne saurait négliger des indications qui sont contenues dans les
rapports de l'administrateur et reproduites par le Journal
officiel :
Avec le deuxième trimestre une amélioration sensible se produisit ;
nombre d'indigènes, qui avaient quitté le pays, rentrent chez eux. Aux
buttes primitives, aux mottes de gazon succèdent les maisons en pisé,
plus confortables. Les terrains depuis longXemps incultes sont défrichés;
les impôts rentrent avec facilité; en un mot, tout laisse supposer que la
confiance revient... Le nombre des naissances excède celui des décès de
U98, bien que les premiers mois de 1001 aient été marqués par une très
grande mortalité, due à une épidémie attribuée au paludisme...
Que les pouvoirs remis au général Gallieni, qui concentre
entre ses mains l'autorité militaire et Tautorité civile, restent
donc entiers : cela est nécessaire. Mais dans les provinces
apaisées, au fur et à mesure de l'accoutumance des indigènes
à l'autorité française, il est nécessaire aussi, on ne saurait
trop insister sur ce point, que l'administration militaire rem-
place le régime militaire.
Ainsi se justifieront les déclarations faites par le gouverneur
général aux indigènes, après la déposition et l'exil de Rana-
valo : a Ces quelques mois qui viennent de s'écouler vous ont
n montré ce que veulent dire ces mots : Madagascar colonie
a française... La France vous considère maintenant comme ses
« propres enfants. »
48 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
Ainsi s'affirmera renseignement patriotique donné par luî/a
ses collaborateurs militaires : a Toutes les mesures que nous
« devons prendre pour remplir notre mission, politiques, /Uiili-
« taires, administratives, n'ont qu'un but : faciliter les 'entre-
« prises à nos colons et à nos commerçants. »
Nous avons enregistré impartialement les protestations éle-
vées contre des actes isolés, dont personne ne voudrait rendre
responsable l'administration supérieure ; nous avons 'iignalé les
embarras financiers qui pourraient résulter de tant de grands
travaux, entrepris simultanément; mais lorsque l'histoire
jugera, avec le recul des années, reflfort fait à Madagascar depuis
la prise de possession, elle dégagera Tœuvre des circonstances
qui l'ont entourée et parfois contrariée, elle négligera les faits
contingents, et s'étonnera qu'en un temps si court, on ait pu
doter ce vaste pays de tant d'œuvres utiles, en même temps
que d'institutions qui ne se rencontrent pas toujours dans les
États nés depuis longtemps à la civilisation et au progrès.
L. BruiNet,
Député de la Réunion.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
^
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES
I. — EUROPE.
France. — Le traité franco-siamoîs. — Nous avons publié précé-
demment le texte de la conventiou signée le 7 octobre par M. Del-
cassé et le plénipotentiaire siamois Phya-Sri '; nous avons égale-
ment donné le texte de la déclaration additionnelle du 7 décembre
par laquelle le gouyernement siamois s'engage à ne pas élever de
nouTelles fortifications dans les provinces de Battambang et de
Sîem-reap ainsi que dans la région de *2o kilomètres sur la rive
droite de Mékong ^.
Nous reproduisons donc simplement aujourd'hui Texposé des
motifs du projet de loi, déposé à la Chambre le 6 décembre par
M. Delcassé, et auquel les deux documents précités sont joints en
annexes.
Voici cet exposé des motifs :
Messieurs,
Lorsque, le 3 octobre 1893, le gouvernement de la République signait
avec le gouvernement siamois un traité et une convention destinés à clore
les incidents qui avaient troublé les relations des deux pays, il comptait
que ces accords rétabliraient les bons rapports entre la France et le Siam
et ouvriraient, pour leur profit commun, une période de paix et de mu-
tuelle amitié.
Les faits ne répondirent pas à cette légitime espérance.
Dès le lendemain de la conclusion du traité, nous étions obligés de
protester contre la violation de stipulations que, d'autre part, le gouver-
nement siamois affîrmait observer scrupuleusement.
Ces trop fréquentes contestations provenaient de ce que les deux gou-
vernements n*entendaient pas de même les clauses du traité de 1893.
Tandis que nous prétendions exiger du gouvernement siamois Taccom-
plissement de toutes les obligations qui, selon nous, découlaient natu-
TvIJement du texte de nos accords, le gouvernement siamois s'appliquait
à s'en dégager par une interprétation aussi restrictive que possible.
De là d'incessantes discussions et des malentendus dont le plus grave
portait sur J 'exercice de notre droit de protection.
1 Qi^s/. Dipl- et Col yo oct t. XIV. p. 492.
^tSiV/-, i5 déo.. t- XIV, p. 761.
50 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
Nos ageots au Siam, s*appuyant sur l'article 4 de la convention annexée
au traité du 3 octobre, admettaient à la protection française toutes les
personnes nées sur territoire devenu français, ou descendant d'anciens
prisonniers de guerre transportés et détenus au Siam à la sudte d'expé-
ditions sur la rive gauche du Mékong dont le dernier traité uous recon-
naissait la possession.
Ils soutenaient que le statut personnel des anciens habitants de la rive
gauche ne pouvait être déterminé par le fait de leur détention en territoire
étranger, ot que dos actes de contrainte ne sauraient avoir des effets
juridiques.
Le gouvernement siamois, par contre, se considérait uniquement
comme tenu à ne pas mettre obstacle au retour sur la rive gauche des
anciens habitants de cette région et refusait de reconnaître la validité des
patentes de protection délivrées par nos agents à ceux qui continuaient
de résidiîr sur le territoire du royaume.
Des points de vue aussi opposés n'étaient pas conciliables.
Aussi des négociations souvent reprises n'aboutirent-elles qu'à mieux
marquer les divergences qui nous séparaient et rimpossibihté absolue de
rétablir des relations normales tant que seraient maintenues dans leur
rigueur les interprétations dont chaque gouvernement s'inspirait.
Bien plus, sous l'appréhension d^une intervention violente de notre part
pour régler les questions qui nous divisaient, les Siamois, depuis 1893,
s'appliquaient à nous tenir à l'écart de leur vie politique, économique,
administrative.
Ils faisaient appel à des concours extérieurs pour réaliser les progrès
qu'ils sentaient nécessaires, et ainsi, à la place de l'influence qu'aurait dû
nous assurer notre situation de grande puissance limitrophe, grandissaient
au Siam des influences étrangères dont les progrès ne pouvaient manquer
de s'imposer à notre attention.
En se prolongeant, une pareille situation n'aurait bientôt plus laissé
de place à aucun accommodement.
Le gouvernement siamois, se rendant compte du péril, a manifesté le
vif désir d'y mettre fin et de reprendre des négociations auxquelles le
gouvernement de la République a consenti à se prêter, convaincu qu'une
solution pacifique sauvegarderait aussi bien nos intérêts et ménagerait
mieux l'avenir.
En signalant l'accord du 7 octobre, le gouvernement a été guidé par une
double préoccupation : renouer avec le Siam des rapports amicaux à la
faveur desquels notre influence se développerait sans entraves : obtenir
immédiatement pour l'Indo-Chine de nouveaux éléments de force et de
prospérité et ajouter à ses garanties de sécurité dans l'avenir.
Et tout d'abord, nous avons tenu à régler la question des protégés. De
précédentes négociations avaient clairement établi — et la lecture du
Livre jaune n'a pu laisser de doutes sur ce point — que le gouvernement
siamois ne se résignerait pas à ce que l'extension de la pratique des pro-
tections eût pour effet de soustraire à sa juridiction une partie considé-
rable, peut-être la majorité, de la population résidant sur son territoire.
Mais, d'autre part, nous ne pouvions ni ne voulions accepter un traite-
ment moins favorable que celui qu'a consacré, au profit de l'Angleterre,
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 5J
la convention du 29 novembre 1899. Nous avons donc réclamé et nous
avons obtenu la reconnaissance de notre droit de protection sur toutes les
personnes d'origine indo-chinoise et venues au Siam depuis notre établis-
sement en Indo-Chine, ainsi que sur leurs enfants jusqu'à la troisième
jiêné ration.
La re\-ision de nos listes de protégés, admise par nous depuis plusieurs
années, sera effectuée exclusivement par nos agents au Siam. Cette opé-
ration accomplie, communication des listes sera faite aux autorités sia-
moises, qui pourront alors présenter des observations au sujet des ins-
criptions à leur sens injustifiées.
Eniin, une clause spéciale nous reconnaît — ce que le gouvernement
siamois s'était jusqu'ici obstinément refusé à admettre — la protection
des Chinois actuellement inscrits sur nos listes et, pour l'avenir, elle nous
assure le bénéfice de toutes les facilités ou privilèges que le gouvernement
Siamois accorderait à n'importe quelle puissance pour la protection des
Asiatiques nés en dehors de ses possessions.
Le maintien d^une garnison française à Chantaboun, localité que nous
nous étions d'ailleurs engagés à évacuer le jour où le traité de i893 serait
exécuté, était également incompatible avec le rétablissement de relations
amicales entre les deux pays; le gouvernement siamois considérait la
présence de nos irotipes dans cette ville comme une humiliation et
tomnie une menace. Invoquant l'accord établi, il nous a demandé le
rappel de nos troupes qu'il réclamait avec une insistance croissante depuis
plusieurs années. On verra à quelles conditions nous y avons consenti.
Nous n'avons pas cru non plus devoir refuser au Siam l'abrogation de
celle des dispositions des articles 3 et 4 du traité de 1893 qui, en créant
ie long du Mékong une zone où les troupes des deux pays ne pouvaient
pénétrer, servait moins à garantir notre frontière qu'à permettre aux
rebelles et aux malfaiteurs, de plus en plus nombreux, des deux rives du
fleuve d'échapper à toute poursuite. Responsable de la sécurité de la rive
droite du Mékong, le gouvernement siamois acquiert la facilité d'y entre-
tenir des troupes régulières pour l'assurer. Mais, pas plus hier que
demain, il ne pourra, ni dans le rayon de 25 kilomètres sur la rive droite,
lii dans les provinces de Battarabang et de Siem-Reap, élever de forti-
ûi:ation3. Et seuls aussi, demain comme hier, nous aurons le droit de
faire circuler des bâtiments armés tant sur le Mékong et ses affluents que
sur les eaux du Grand Lac.
Devant cette double preuve de notre bonne volonté et de nos intentions
Tjacifiques, le Siam ne pouvait désormais nous refuser les avantages qui
nous paraissaient les plus propres à atteindre le deuxième résultat que
cous poursuivions, c'est-à-dire fortifier l'Indo-Chine et assurer éventuelle-
EDent un vaste champ d'expansion à notre industrie.
Le gouvernement siamois aurait voulu nous faire accepter, comme
compensation de l'évacuation de Chantaboun, la partie du Luang-prabang
située sur ia rive droite du Mékong qui était restée sous sa suzeraineté.
Xons n avons pas cru devoir nous prêter à cette combinaison. La cession
o!î'erte était, en effet, plus apparente que réelle ; elle eût simplement con-
sacré une situation de fait déjà tout à notre profit, puisque le roi de
Luaii*r-prabang> notre protégé, administre et continuera d'administrer
52 QUESTIONS DIPLOItATIQUBS BT COLONIALV»
librement cette partie de son royaume sous une suzeraineté qui lui laisse
la plénitude de ses pouvoirs. Nous avons préféré régler certaines des con-
testations territoriales entre notre autre protégé, le souverain du Cam-
bodge, et celui du Siam; c'est ainsi que les provinces de Melou-prey, de
Tonle-repou et de Bassac, qui pénétraient comme un coin dans nos pos-
sessions et par où il était facile de menacer les territoires cambodgiens,
y seront désormais incorporées.
En outre, sur la rive gauche du Grand Lac, la frontière est reportée à
25 kilomètres environ au delà du cours d'eau qui formait, depuis 1867,
la limite des deux États, ajoutant ainsi de précieuses pêcheries à celles
que nous avions le droit d'exploiter. Sans parler de la province lao-
tienne de Bassac, nous restituons ainsi au Cambodge la plus grande partie
des territoires qui lui avaient été enlevés avant 1867.
Le gouvernement de Bangkok, en s'engageant à n'envoyer et à n'entre-
tenir que des troupes siamoises, commandées par des officiers siamois,
dans la partie du bassin du Mékong qui lui appartient, nous a concédé une
garantie d'un autre ordre qu il suffît de signaler pour en faire apprécier
toute l'importance.
Enfin, en stipulant que, dans ce même bassin du Mékong, le gouverne-
ment siamois devra se mettre d'accord avec le gouvernement de la Répu-
blique pour tous les travaux : ports, canaux, chemins de fer, qu'il ne
pourrait exécuter exclusivement avec un personnel et des capitaux sia-
mois, nous nous sommes prémunis contre le développement d'influences
rivales dans une région si proche de nos possessions.
Le gouvernement ne croit pas avoir à insister sur la valeur d'un accord,
qui, sans sacrifices ni en hommes ni en argent, augmente considérable-
ment l'étendue et la sécurité de nos possessions d'Indo-Chine, tout en
rétablissant avec le pa^s voisin des relations confiantes qui commencent
déjà à porter leurs fruits.
En effet, comme conséquence de la convention, et pour nous donner
une preuve manifeste de ses sentiments d'amitié, le gouvernement sia-
mois vient de nous notifier sa résolution :
1® D'instituer immédiatement au département sanitaire un service de
travaux d'assainissement ayant à sa tète un ingénieur français et assuré
par des ingénieurs également français.
L'ingénieur, chef de ce service, aura le titre de conseiller au départe-
ment sanitaire;
2<> De créer à Bangkok un institut bactériologique, dirigé exclusivement
par des médecins français ;
30 D'engager sans délai un certain nombre de professeurs et d'institu-
teurs français pour l'enseignement de notre langue dans les collèges et
écoles du Siam ;
4<» De réserver à des Français une vaste concession de forêts de teck
dans la vallée du Mé-ing ;
5^ Enfin d'allouer une subvention à la Compagnie française de naviga-
tion, qui assure deux fois par mois le service postal entre Bangkok et
Saigon.
Ces différentes décisions, prises quelques jours après la signature du
traité» et que d'autres analogues doivent suivre au fur et à mesure que
RBNSEIGNEMEiNTS POLITIQUES 53
»
l'occasion s'en présentera, montreiU que le gouvernement siamois est
sincèremenl désireux de faire désormais aux Français, dans ses diverses
idministrations et dans les concessions qu'il pourrait avoir à accorder,
la part qui revient justement aux nationaux d'une grande puissance voi-
^^ine et amie.
A cet égard encore, la convention du 7 octobre n'a point manqué son
but.
EIn conséquence, le gouvernement soumet à la Chambre un projet de
ioi dont voici Tarticle unique :
« Le président de la République est autorisé à ratifier et, s'il y ^ lieu, à
faire exécuter la convention conclue le 7 octobre 1902 entre le gouverne-
ment de la République française et celui de S. M. le roi de Siam.
« Une copie authentique de cet acte et de la déclaration additionnelle du
4 décembre 1902 sera annexée à la présente loi. »
Nécrologie. — Mort dé Jf"*® JonnarL — M"'' Jonnart, fenjme du
député du Pas-de-Calais, ancien gouverneur général de l'Algérie, et
fille de M. Aynard, député de Lyon, est morte le 22 décembre d'une
crise d'éciampsie, après avoir donné le jour à une petite fille.
Nous nous associons bien vivement au deuil de M. Jonnart et
nous prions l'ancien gouverneur de l'Algérie de croire à l'expression
sincère de notre douloureuse sympathie.
Angleterre. — Le « Livre bleu » sur les affaires d'Abyssinie. — Un Livre
bleu a été distribué, le iâ décembre, au Parlement britannique, qui
contient deux traités signés i*un entre l'Angleterre et l'Abyssinie,
l'autre entre l'Angleterre, l'Italie et l'Abyssinie.
Le traité avec l'Angleterre prévoit la démarcation suivante entre
le Soudan et TAbyssinie.
La frontière courra de Khor-Um-lIogar à Gallobat jusqu'au Nil Bleu
aux rivières Baro, Pibor et Akobo, et de là à Melile, puis elle aboutira à
l'intersection du 6« latitude Nord avec le 35^ de longitude Est du méridien
de Greenvich.
Mc'nélik s'engage à ne rien construire ni laisser construire à travers le
Nil Bleu, les lacs Tsana et Tusobat qui empêcheraient leurs eaux de se
déverser dans le Nil.
Ménélik permet à l'Angleterre de choisir dans le voisinage de Itang,
sur les bords de la rivière Baro, un territoire ne dépassant pas 400 hec-
tares et ne bordant pas la rivière, sur une étendue de plus de 2 kilomè-
tres. Le territoire sera loué par Ménélik au gouvernement anglo-égyp-
tien qui en aura l'administration, l'occupera comme station commerciale
et ne pourra s'en servir ni pour un objet politique, ni pour un objet mili-
taire.
Ménélik concède aux Anglais le droit de construire à travers le terri-
toire abyssin un chemin de fer qui reliera le Soudan à l'Ouganda. Le
tracé en sera choisi de concert entre l'Angleterre et Ménélik.
54 ' QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Le second traité porte modification de la frontière entre l'Abys-
sinie et l'Erythrée et entre l'Erythrée et le Soudan.
. La frontière avec l'Erythrée commencera au confluent du Khor-Um-
Hogar et de la Setit ; elle suivra cette dernière rivière jusqu'à son con-
fluent avec le Maieteb ; elle suivra le Maieteb de façon à laisser à l'Ery-
thrée le mont Ala-Tacura et rejoindra le Mareb à son confluent avec le
Maiambessa. ,
La déhmitation sera faite de manière à laisser à l'Erythrée la tribu
Canama.
L'article 2 du traité dit que la frontière entre le Soudan et l'Erythrée,
établie le 16 avril 1901, sera remplacée par une frontière partant de Sab-
derat et passant par Abu-Jamal pour aboutir au confluent du Khor-Um-
Hogar et de la Setit.
Turquie. — La situation en Macédoine. — Depuis longtemps la
Macédoine est un sujet permanent de graves préoccupations pour les
différents cabinets européens : on redoute toujours que la situation
déplorable de ce malheureux pays ne provoque des complications
qui pourraient faire renaître la question si troublante des Balkans.
Des événements tout récents viennent encore d'augmenter ces inquié-
tudes en les précisant. De nouveaux actes de brigandage et de révolte
se sont produits qui ont déterminé des mesures de répression terri-
bles de la part des autorités locales, et les dépèches ont signalé des
faits si révoltants de véritable barbarie que toute l'Europe s'est
émue.
Des tentatives très sérieuses ont été faites alors par les puissances
le plus directement intéressées, la Russie et l'Autriche, afin d'obte-
nir du gouvernement ottoman les réformes les plus urgentes que
réclame ce lamentable état de choses. La Porte a paru reconnaître
le bien fondé des réclamations qui lui ont été adressées : elle a même
manifesté l'intention d'étudier l'application d'une politique sincère-
ment réformatrice. Mais on ne sait que trop combien il y a loin en
Turquie entre les intentions et les actes. Rien de décisif n'a été
arrêté, et en attendant la discorde et l'anarchie continuent de
régner en Macédoine. Les solutions diverses suggérées par les esprits
inventifs des principaux nouvellistes de France et de l'étranger ne
tirent guère à conséquence, et jusqu'à nouvel ordre, ne peuvent
être pris au sérieux.
La question macédonienne reste donc le point noir de lasituation
européenne. Nous nous réservons d'ailleurs de lui consacrer dans
une prochaine livraison une étude approfondie, désireux de mettre
nos lecteurs à même de se former une opinion raisonnée sur l'un des
plus graves problèmes de la politique internationale.
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 55
n. — AFRIQUE.
Algérie. — La question touareg résolue. — Le lieutenant Guillo-
Lohan, des affaires indigènes, vient de rentrer à In-Salah après une
tournée de police de près de trois mois, pendant laquelle il a par-
couru, dans tous les sens, le pays des Touareg et particulièrement
le Hoggar.
Cette brillante reconnaissance, organisée d'après les instructions
du commandant Laperrine, pour faire suite aux très nombreuses
opérations de police exécutées cette année dans le Sahara par le
gouvernement de l'Algérie et dont la plus remarquable jusqu'ici
avait été le raid du lieutenant Cotlenest, est la dernière du pro-
gramme que s'était tracé le gouvernement de l'Algérie, dans ces
régions, pour l'année 1902.
Ainsi se trouve résolue, presque sans coup férir, la question
touareg, qui avait paru si longtemps grosse de surprises.
m. — OCMlANIE.
Etablissements français d'Océanie. — Les projets de réforme de
M. Edouard Petit, — Le gouverneur des Etablissements français de
rOcéanie, M. Edouard Petit, à l'occasion de l'ouverture de la session
ordinaire du Conseil général, le 10 novembre dernier, a prononcé
un discours dans lequel il a insisté sur la nécessité de créer des
taxes nouvelles par suite de l'application de la loi de finances de
1900. Les impôts proposés par l'Administration sont : un impôt sur
la propriété bâtie; un droit ad valorem de 4 % sur la vanille exportée ;
enfin, un droit à la sortie sur le coprah de 10 francs par 1.000 kilo-
grammes. De ce même discours, nous détachons le passage suivant,
sur une question qui n'intéresse pas d'ailleurs seulement cette
colonie :
Nous avons, a dit M. Petit, partageant entièrement vos idées sur ce
jioint, demandé au département la suppression d'emplois que nous croyons
peu nécessaires ou trop coûteux, ces emplois étant donnés à des fonc-
tionnaires coloniaux déjà fatigués venant de France et y retournant sou-
vent très vite, après avoir vu quelles sont les difficultés de la vie maté-
rielle en Océanie, grâce à des congés de convalescence justifiés d'ailleurs
par leur état de santé.
Ces mouvements fréquents de personnel entraînent des frais de voyage
énormes, de grosses dépenses de solde pour des séjours souvent très pro-
longés en France, charges vraiment disproportionnées avec les recettes
56 OUKSTlOItS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
d'un budget comme le nôtre. On a également signalé les congés adminis-
tratifs comme une source d*importantes dépenses, mais je dois à la vérité
d'affirmer que ces congés n'ont été accordés sous mbn administration
qu'à six fonctionnaires et à leurs familles ayant accompli la période régle-
mentaire de séjour dans la colonie et à des gendarmes plus nombreux,
mais dont la plupart avaient résidé davantage en Océanie, dans des postes
souvent difficiles.
Les congés de convalescence sont, au contraire, fréquents et partant
plus onéreux pour la colonie que ceux des congés administratifs.
Les frais de transport du personnel nous accablent.
L'éloignement extrême de cette colonie, pour ainsi dire placée aux an-
tipodes de la France, mérite d'appeler tout particulièrement la haute
attention de M. le ministre des Colonies. C'est une des causes principales
de nos préoccupations financières.
A cette situation unique doit, en toute justice, correspondre un régime
spécial.
Nous établirons ce régime avec l'aide du département en simplifiant
quelques rouages de notre administration locale. On a certes singulière-
ment exagéré en disant que cette administration comportait la présence
d'une « nuée de fonctionnaires » venant de France, car ces fonctionnaires
sont très rares en réalité, mais il est cependant possible de remplacer
économiquement quelques-uns de ces derniers en confiant leur emploi à
des enfants du pays, suffisamment instruits, connaissant la langue et les
coutumes des indigènes, très aptes en conséquence à occuper des postes
qui les mettent en rapports constants avec eux.
On jugera combien une réforme sur ce point est nécessaire quand on
saura qu'une somme d'environ 100.000 francs de frais de voyage et de
solde de congé pour les fonctionnaires et gendarmes partis en France, y
séjournant ou en revenant, figure au budget de la colonie de 1902.
La prospérité commerciale de cette colonie s'accentue. Les statistiques
accusent une augmentation de 1.255.432 francs pour l'année 1901 sur
celle de 1900, mais ce n'est pas une raison pour ne pas faire des écono-
mies comme celle qui pourrait résulter d'une réforme des congés.
k
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
1. — ASIE.
Inde. — La récolte du eoion m 1901-1902*. — D'après le rapport
tinal du directeur général des slatisLiques du gouvernement de
rinde, en date du 18 février 1902, la surface cultivée en colon
pour la saison 1901-1902 s'élevait à 5.758.321 hectares contre
5.774.037 hectares en 1900-1901, soit une diminution de 2,4 % par
rapport à 1900-1901, mais présentait une augmentation de 0,7 %
comparée aux superficies ensemencées des cinq années précédentes.
Le rendement de la récolte est estimé à 356.825.925 kilogrammes
contre 385.449.546 kilogrammes en 1900-1901 ; elle présente une
diminution de 7,4 j{; par rapport à celle de Tannée précédente et une
diminution de 2,4 % comparée à celles des cinq dernières années.
Les provinces qui ont produit le plus de coton durant la saison
1901-1902 sont les suivantes :
Bombay 80.379.595 kilogrammes
Provinces du Nord-Ouest et Ouest ... 48 . 277 . U 6 —
Berar. 44.448.722 —
Inde centrale 40.741.190 —
G* est le Bengale et la Birmanie qui ont fourni les plus faibles ré-
coltes, respectivement 3.649.550 kilogrammes et 2.378.250 kilo-
grammes.
II. — AFRIQUE.
Ile Maurice. — Le commerce de Maurice avec la France^. — Nous re-
levons dans le dernier Bulletin du comité commercial consul-
tatif français de Port-Louis les indications suivantes, relatives aux
transactions commerciales entre la France et l'ancienne île de
France.
Depuis deux ans, les importations de France ont un peu
augmenté, environ 650.000 roupies par an ; c*est bien peu, et l'on ne
peut même pas dire que ce soit rigoureusement exact, car, parmi
les marcbandises venues de France, il doit y en avoir qui provien-
nent de Belgique, d'Allemagne et de Suisse, et les statistiques de la
doaane ne permettent pas de les distinguer.
Nous nous sommes souvent demandé pourquoi les importations
< Buiieiin économique de V Indo-Chine.
s Journal des Chambre* de commerce.
58 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
de France à Maurice avaient diminué et pourquoi certains articles
que la France nous fournissait jadis à. peu près exclusivement ne
nous viennent plus maintenant que de pays étrangers.
Peut-être cela vient-il de ce que l'on ne cherche pas assez en
France à se conformer aux goûts et aux habitudes des marchés
étrangers où la concurrence est libre ; ceci s'appliquerait surtout
aux tissus ; on est installé en France pour fabriquer tel ou tel genre,
et Ton n'en sort pas ; tandis que, dans les pays voisins, on se plie à
toutes les préférences, et on fabrique tout ce qui est demandé.
Il y a d'autres articles pour lesquels la France s'est laissée sup-
planter ; cela ne viendrait-il pas de ce que Ton ne cherche pas assez
à lutter contre la concurrence étrangère, que l'on ne s'y inquiète
pas assez de ses progrès.
Le temps actuel est un temps de concurrence à outrance ; les
peuples se disputent les marchés du monde. Dans cette luUe pour la
vie, la France semble faiblir ; mais elle n'est pas la seule : l'Angle-
terre a aussi perdu une partie du terrain sur lequel elle a été si
longtemps souveraine; des concurrents nouvellement entrés dans
l'arène, l'Allemagne et les Étals-Unis, ont rapidement grandi et ga-
gnent de plus en plus du terrain ; ils proGtcnt actuellement de ce
que la guerre sud-africaine fait perdre à l'Angleterre.
Pourquoi donc ne ferait-on pas en France ce que fait l'Alle-
magne pour ouvrir des débouchés à son industrie? L'Allemagne
vise à exploiter tous les marchés et elle y réussit ; est-ce grâce à une
meilleure fabrication ? En général, si ses produits ne coûtent pas
chers, ils ne sont pas non plus bien bons; mais elle cherche î\
imiter ce qui se fait, ce qui plait ailleurs.
Surtout, ses commerçants n'attendent pas que l'on vienne à
eux ; ils ont partout des représentants munis d'albums, d'échantil-
lons, de catalogues qui sont distribués largement; et ces représen-
tants déploient beaucoup d'activité, sollicitent des ordres et offrent
des facilités de paiement, des crédits, qui assurent souvent leur
succès; ces intermédiaires représentent soit des syndicats, soit des
particuliers et, restant sur les lieux, ils acquièrent une connaissance
parfaite des goûts, des habitudes du pays et de la sécurité que les
clients peuvent offrir.
Nous soumettons ces observations et nous souhaitons qu'il soit
fait quelque chose dans l'intérêt de l'industrie française et du com-
merce français.
III. — AMÉRIQUE.
États-Unis. — Le mnmerce en 1902. — L'Office fédéral de sta-
tistique des États-Unis a publié les chiffres relatifs au commerce
international des États-Unis durant l'année fiscale qui a pris fin le
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 59
30 juiD 1902. Ce commerce s'est élevé à 2.258.808.932 dollars, soit
environ il milliards 300 millions de francs (non compris les métaux
précieux). Ce total est supérieur à celui des années précédentes, —
1901 excepté, — où le commerce extérieur de la confédération
n'avait pas été inférieur à 2.283.634.971 dollars.
Les exportations figurent dans les chiffres de 1902 pour
1.355.481.861 dollars contre 1.460.442.806 Tan dernier; et les
importations pour 923.327.071 dollars contre 823.172.165. En sorte
que la balance en faveur des États-Unis est de 452.154.790 dollars
seulement, soit une diminution de 185 millions par comparaison à
1901 : c'est la principale caractéristique du commerce américain
pendant cette année. La diminution des exportations doit être attri-
buée surtout à la médiocrité de la récolte des céréales ; l'augmen-
tation des importations s'explique à la fois par la nécessité où s'est
trouvée l'industrie de se procurer des matières premières et par la
prospérité générale qui pousse à l'acquisition d'objets de luxe,
manufacturés au dehors.
Quant à la provenance des importations américaines, nous pou-
vons constater avec satisfaction que la France, très distancée par
l'Angleterre et l'Allemagne, fait de constants efforts pour regagner
le terrain perdu. C'est ce que montre le tableau suivant :
1897 1902
Angleterre 167.947.820 165.865,720 dollars.
Allemagne . 111.210.613 101.999.080
France 67.:)30.2:34 82.886.276 —
Italie 19.007.352 30.557.332 —
Hollande 12.824.126 19.649.598 —
Suisse 13.849.782 17.790.2*3 —
Belgique 14.082.414 16.502.770 —
Autriche-Hongrie 8.157.328 10.154.031 —
Espagne 3.631.973 8.270.703 -
Russie 3.199.659 7.308.469 —
Au premier rang des acheteurs des États-Unis figurent :
Angleterre 548.595. 1 17 dollars
Allemagne 175.148.010 —
France 71.512.984 —
Hollande 75. 135. 656 —
Belgique 46.128.102 —
Italie 31.388.135 —
Amérique anglaise H 1 . 486 . 948 —
Mexique 39.872.670 —
Cuba 26. 623 . 500 —
Chine 24.715.861 —
♦
NOMINATIONS OFFIttELLES
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
L*exequatur est accordé à M. : Pierangeli, vice-consul de Belgique IrBasha
MINISTÈRE DE LA GUERRE
TronpeH métropoUUilne*.
INFANTERIE
Sahara. — M. le lieul, Bricoque est nommé adjoint au command. milit. sup
rieur des oasis sahariennes.
GÉNIE
Afrique Oooidentale. — Sont désig. pour le service des travaux publics :
Au Sénégal» MM. le chef de bat. Belle et les capit. Frirj et Gérard;
A la Côte d'Ivoire, M. le capil. Lefort et M. Voffic, d'admin. de 2* cl. Borne.
Madagascar. — Sont désig. pour le service des travaux publics à. Mada-
gascar :
MM. le capit. liefroighej, le lieut, Vannière et les offic. d^admin, de 2*^ cl. Du-
rand et Marest.
SERVICE DE SANTÉ
Maroc. — M. le méd.-maj. de 2* cl. JafTroj est désig. pour la mission mili-
taire française au Maroc.
Troupes coloniale*.
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL
Indo-Chine. — M. le gén. de brig. Piel est nommé au command. de l'artil-
lerie à Hanoi.
INFANTERIE
Afrique Occidentale. — M. le chef de batailL Hubert est désig. pour
servir à l'état-maj. partie.
Sont désig. pour servir au !•' sénégalais :
MM. le chef de bataill. Dessort, le capit. Dufour-LorioUe et le sous-lieut.
Fournier.
Chine. — Les sous-lîeut. dont les noms suivent sont désig. pour servir :
M. Hennon, au iV rég. ; M. Texier au !«• rég. et M. Bruyère au 16' rég.
Indo-Chine. — M. le capit. Frantz est désig. pour servir à i'état-major des
troupes de l'Indo-Chine;
Sont désig. pour servir en Cochinchine :
MM. le chef de 6a/at//. Grimaud ; le capil. Monziols; les lieul. Desmoulins-Baron,
Julien et Veillât; les sous-lieut. Grégoire, Gilquin, Chauffîn et Fouques.
Sont désig. pour servir au Tonkin :
MM. le chef de bataill. I^uypéroux ; les capit. Civet, Miolle, Irigaray, Gaillard
et du Réau; les lieul. Pierre, Badin« Péri et Fagot; les sous-lieut. Charbonnier,
Bailly, Jourdy et Frech.
Madagascar. — Sont désig. pour servir à Madagascar :
MM. le co/o?ie/ Bel in, les chefs'de bataill. Millot et Kuntz; les capit, Burguièrc,
Diétrich, Galiand, Disdier et Jollras;
MM. les lieul. Croll, Brusseaux et Cellier; les sous-lieut. Masson, Noél, Jeux,
Tiret, Garron, Jadart, L'Herrou, Le Borgne et Pelud;
M. le capit, Paris de Bollardière est placé à l'état-maj. partie, du corps
d'occupat.;
VLAe chef debalaill, Toquènne est afTecté au 3* sénégalais ; M. le chef de
bataill. Lecomte au 2* malgaches ; M. le capit. Thaï au 3* malgaches ; M. le lieut.
NOMINATIONS OFFICIELLES 61
Cutois à la 10* comp. du 1" malgaclies ; M. le lieul, Corcuff à la 12' comp. du
!•' malgaches ; M. le lieuL Maurv au i" malgaches.
Xartinique. — M. le capit, Mareuge est placé à la 4« comp. du bataill. de la
coloQÎe.
NouTelle-Calédonie. — M. le lient. Bertrand est désig. pour servir au bataill.
de la colonie.
ARTILLERIE
Indo-Cniiiie. — - M. le capil. Gélin est désig. pour servir à la brigade de
réserve au Tonkin, comme adjoint au colonel command. l'artillerie.
Xadagascar. — M. le capit, Pejrègne est désig. pour servir à l'état-maj.
des troupes.
Sont désig. pour servir :
A la direct, d'artill. à Tananarive, M. le capit. Isabey; à la direct, à Majunga,
M. le capit. Ostermann ; aux balt. à Diego-Suarez, MM. les capit. Joseph et
Jacobi.
Officiers iVadminittration.
Indo-C^ine. — Sont désig. pour servir :
Aux travaux du Mékong, MM. les offic. (Vadmin. de 2* cl, Igert et Mayot;
Au Tonkin, M. Voffic. d'admin. de 2* cl. Choiselat.
Xadagrasoar. — M. Gaj, offic. d'admin. de !'• cL, et Masson, offic. d'admin.
de 2* c/., sont désig. pour servir à Madagascar.
Martiniqne. —M. Baux, offic, d'admin. de 2* cl., est désig. pour servira la
Martinique.
CORPS DU COMMISSARIAT
Indo-Chine. — M. le commiss, de l'* cl. HafTner est nommé commiss. de Tins-
cription maritime en Cochinchine.
SERVICE DB SANTB
Afrique Oooidentale. — M. le méd-maj, de 2* cl Conan est aflecté au scr-
Tice de santé du chemin de fer de Kayes au Soudan ;
M. le méd. aide-maj. de l" cl. Cocliin est désig. pour servir en Afrique Occi-
denUle.
Ck>n^. — M. le méd.-maj, de 2' cl, Ollivier est nommé chef du service de'santé
au Coogo français.
Indo-Chine. — MM. Dumas, me'd.-maj. de i" cl., Philippe et Vincent, méd.
aides-maj. de l»"» c/., sont désig. pour servir en Indo-Chine.
Xadagrasear. — M. le méd. aide-maj. de l»*' cl. Boucher esl désig. pour servir
à Madagascar.
— M. le méd. aide-maj. Honorât est désig. pour servir & la Grande-Comore.
MUVISTÉRE DE LA liAaUVE
ÉTAT-MAJOR DE LA FLOTTE
Mers d'Orient- — M. le capit. de vaiss. Poidelouë est nommé au command.
du Montcalm,
M. le capit. de /régate Lallemand de Driésen est désig. pour cmbarq. comme
second sur le Montcalm.
Sont désig. pour faire partie de l'état-major de M. le contre-amiral Le Do, à bord
du Monicalm :
Bn qualité de chef d'état-maj., M. le capif. de frégate Jourden ;
En quaiilé d'aide de camp, M. le lieut. de vaiss. Abaquesné de Parfouru ;
En qualité de. mécanicien de division, M. le mécan. en chef Pacaud;
Eu qualité d'aumdnier de division, M. l'a^ô^Manse;
En qualité de commissaire de division, M. le commis, ppal, Flandrin ;
En qualité de médecin de division, M. le méd, en chef de 2* cl. Léo.
Soot dési^. pour embarq. sur le Montcalm :
JkfM. \^B lieut. de vaiss, Catiche-Junca et le m<fcanic. ppal. de l""* cl. Geay.
Coohinohine. — M. le capit. de frégate Testu de Balincourt est nommé au
command. du Slyx à Saigon ;
M. Venseig. de wxiss. Le Mée est désig. pour embarq. sur le Takou à Saigon;
6â QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Sénégal. — M. Venseiff. de vaiês. Payer est désig. pour embarq. sur VArdenl,
dans la station locale du Sénégal.
SSRVICB DB SANTÉ •
Tonkin. —M. le méd. de 2* cl. Brugère est désig. pour embarq. sur VEstoc,
station locale d'Annam et Tonkin.
CORPS DU COIOCISSAJIIAT
Mers d^Orient. — M. le commiss. de i^ cl. Granier est désig. pour remplir les
fonctions de commiss. de la force navale des mers d'Orient.
MKWISTÈRE DES COLONIES
Par décret en date du 16 décembre 1902, ont été nommés à l'emploi d'adminis-
trateur adjoint de 3« classe des colonies :
M. Boveil (Auguste-Louis-Henri), adjoint de 1" classe des affaires civiles de
Madagascar.
M. Roméas (Louis-Alexandre-Marie), adjoint de 1" classe des affaires civiles de
Madagascar.
M: Dupuy (Joseph-Pierre), adjoint de 1'* classe des affaires indigènes du Haut-
Sénégal. '
M. Corblin (Albert), chef de station de 1« classe du Congo français.
M. de Lesquen (Paul-Francois-Marie), chef de station de l" classe du Congo
français.
M. Bonneveau (Jean), aide-chancelier de résidence à Mayotte.
M. Treillard (Joseph), adjoint de l*"* classe des affaires indigènes de la Guinée.
M, Didelot (Pierre-Jean-Henri), adjoint de !'• classe des affaires civiles de
Madagascar.
•■» 9 mf
BIBLIOGRAPHIE — UVRES ET REVUES
Rapport général sur Torganisation et le fonctionnement de
l'Exposition des Colonies et pays de protectorat en 1900, par
M. Charles-Roux, ancien député, délégué dos ministères des Affaires
étrangères et des Colonies. — Imprimerie Nationale, 1902.
En un volume de près de 500 pages, M. Charles- Roux, après avoir rap-
pelé les vicissitudes par lesquelles passa la préparation de l'exposition
coloniale, décrit les services et les travaux d'installation ; il y a là une
reproduction de documents originaux qu'on ne saurait trouver nulle part
ailleurs. Il convient, en outre, de signaler spécialement le chapitre iv,
dans lequel le commissaire général retrace avec bonheur ce qu'ont été les
marchandises et les produits présentés au public dans chaque pavillon. Le
chapitre iv évoque eu termes colorés ce que furent les fêtes coloniales
organisées dans les jardins du Trocadéro et parfois au delà. Le chapitre vu
donne le résumé des publications coloniales faites à l'occasion de l'expo-
sition coloniale; le bilan se traduit par 32 volumes, dont pltisieQrs sont
d'une valeur remarquable sans parler de Vlntroduction Généiaie^ due à la
plume de M. J. Charles-Roux lui-même, et qui constitue une admirable
synthèse de science coloniale. Enfin, nous apprenons que l'exposition
coloniale a coûté en tout 5.768.840 francs, sur lesquels les colonies inté-
ressées ont cçntribué pour 3.948.520 francs, ce qui a réduit à 1.820.320 francs
la part de l'État qui est de la sorte restée inférieure de 50.000 francs, à la
dotation spéciale votée par le Parlement : fait. très rare qui méritait d'être
signalé. En résumé, le travail de M. Charles-Roux clôt dignement la
série des publications de la section coloniale ; il fait à chacun sa part en
BIBLIOGRAPHIE — UVRES ET REVUES 63
éloges et en regrets, et il expose dans une conclusion substantielle ce que
l'exposition des Colonies aurait pu être, si... on lui avait donné assez de
tomps, de place et d'argent.
Aspe-Fleurimont.
Der portng^iesische Kolonialbesitz und sein wirtschaftli-
eher "Wert (Le domaine colonial portugais et sa valeur économique) y par
RcDOLF Wagner. —- Deutsche Export-Hevue, n®' i3 et 14, 1902.
Coup d'œil d'ensemble sur la valeur économique de territoires dont
TAngleterre et TAllemagne ont déjà discuté la liquidation. Le gouverne-
ment portugais ne possède pas les moyens financiers nécessaires pour
obtenir un rendement suffisant de ses colonies. Dans l'Est-Africain portu-
srais. il est obligé de confier à de grandes compagnies à charte le soin
d'administrer le pays, de percevoir les impôts, d'exploiter les divers mono-
poles, d'exécuter les travaux publics. Le service de navigation sur la voie
fluviale Schiré-Zambèze est assuré par une compagnie hambourgeoise;
les steamers de la grande ligne interocéanique allemande de l'Afrique
orientale ont touché au port de Chinde 59 fois en 1900. Le Sud-Ouest
Africain portugais, dépourvu de grandes artères fluviales, doit être pourvu
de chemins de fer de pénétration et de routes permettant d'exploiter faci-
lement les richesses minérales et agricoles du pays; les capitaux allemands
sont intéressés à diverses entreprises; la Compagnie franco-portugaise de
Mossamédès possède une concession de 23 millions d'hectares. Les autres
colonies portugaises sont insignifiantes : elles ne subsistent que grâce au
voisinage des colonies anglaises; Goa et Daman, autrefois floris.santes, sont
aujourd'hui des villes mortes; Macao est ruiné par llong-kong. « Quand
1 heure de la liquidation aura sonné, conclut l'auteur, il faut espérer que
le traité secret anglo-allemand procurera à l'Empire quelques territoires
Qtilisaliles. » Le Zambèze, la Tigerbai et Macao à l'Allemagne, Timor et
les Pays-Bas avec leurs colonies sous le protectorat allemand : quelle
perspective pour le commerce allemand! în cauda venenum, — G. B.
Ouvrages déposés au bureau de la Revue.
La France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX^ siècle, publiées
âous la direction du P. Piolbt avec la collaboration de toutes les sociétés de mis-
sions. — Illustrations d'après des documents originaux. — Tome IV. Océanie,
Madagascar. Les 79* et 80« livraisons viennent de paraître. Paris, 1902, librairie
A. Colin.
L* Irrigation dans la Péninsule ibérique et dans V Afrique du JVorrf, par Jean
Brtvhes, professeur de géographie à l'Université de Fribourg. — Un vol. grand
in— 8° de 578 p. avec cartes et gravures. C Naud, éditeur. Paris. 1902.
Cinq cartes d* Afrique, nouvelle édition 1903, par M. le général Niox. Charles
Dclagrave, éditeur. Paris» 1903.
Géof/rfiphie agricole de la France et du monde, \^av J. du Plessis de Grenéd.\n.
L'n voL în-8o de 424 p. avec 118 figures et cartes dans le texte. Masson et C'«,
éditeurs. Paris, 1903.
L'Épopée portugaise. — Histoire coloniale, par Almada Negreiuos. Une broch. in-8*
de 80 p. avec cartes. A. Challamel, éditeur. Paris, 1902. .
L'Œuvre militaire delà Galissoniere au Canada, par îSylvain Girerd. Une broch.
in-S" de 46 pages. Bibliothèque de la Revue Forézienne. Saint-Etienne, 19C2.
Lf« Voix lorraines, par J.-M. Laborde. Une broch. petit in-8' de 54 p. Henri
CharJes-L.avauzelle. Paris, 1902.
LES REVUES
REVUES FRANÇAISES
Arwmte et IfArine (14 d^c). Jean Kyros : Aux manoeuvres allemandes en 1902. —
^ic i La mission du Bourg de Bozas. — C. M. Vaisseau-école de la marine
64 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
italienne k Toulon. — Le mont Pelé. — {2i déc). La question de la Méditerranée
. au point de vue allemand. — Reynaud : Hambourg. — Cab :-Lord Charles
Beresford. — Le budget de la marine.
Bnlletiii du Cimiité de I*Afrlqiie française {déc. 1902). La jonction des
territoires du Chari et de Zinder. — Victor Démontés : Les Chambres d'agricul-
ture de l'Algérie. — Auguste Tbbribr : Autour du lac Tchad.
Bnlletin da Comité de l'Asie française (déc. 1902). Affaires de Siam. — Le
traité franco-siamois. — E. P. : L'évacuation de Clianghaï. — Remé Mobeux : La
« China Association » de Changhal et le traité anglo-chinois, — L. Coqubt :
La France et le commercé du Japon. — ••* : L'insurrection au Seu-tchouan. —
R. M. : Japonais et Russes en Corée. — Formose sous Tadministration japonaise
en 1901.
La France de drniain (15 dec), Gabriel Bonvalot : Propos d'un Français. —
H. Langevin : Allemands et Français.
Journal des Cliaiubres de coa&inerce (10 déc). Jules Rueff : La question
du métal argent.
La Quinzaine eoionlale (5 déc). J. Chailley-Bert : La politique indigène
dans les colonies. — Le traité franco-siamois. — Les frais de vojage et de congé
du personnel colonial.
La Réforme économique (14 déc). **' : Les ports francs. — Cii. Geobgeot :
La colonisation et la main-d'œuvre. — Jean Bbunues : Progrés des cultures de
coton et de canne à sucre en Egypte. — (21 déc). P. S. : Le nouveau tarif doua-
nier de l'Allemagne. — Ch. Georgeot : Vers le Simplon.
La Revife (ancienne Revue des Revues) (13 déc). Victor Garcin : La Chine et
l'Angleterre. — Jean Chantavoine : Les deux Allemagnes.
Revue commerciale de Rordeaux (12 déc). P. Cambna o'Almeida : Les
chemins de fer prussiens d*aprés un rapport consulaire anglais. — (19 déc).
Henri Lorin : La question du Siam. — H. Hanappier : L'éruption volcanique du
Guatemala.
Revue de Radagascar (10 déc). Une date dans l'histoire économique de
Madagascar. — Hitako : La culture du riz et le trafic du futur chemin de
fer.
Revue c»cnérale des Sciences (15 déc). A. Hausky : Les travaux de l'expé*
dition russo-suédoise pour la mesure d'un arc de méridien au 8pitzberg.
IL — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues portugaises.
Revue Portugaise Coloniale et Rarltime (20 novembre). Oscar Gooin :
Rapports entre la France et le Portugal de 1094 à 1662 (fin). — Eduardo da
Costa : Le district de Mozambique en 1898 (l^^"* article). — Silva Telles : La
' transportation pénale et la colonisation (2' article).
Revues italiennes.
Rivisia Hoderna Poiitica e Leiteraria {{•^novembre). Sénateur Pieran
toni : Le colonel Alexandre Monti et la légion italienne dans la guerre de
Hongrie (1848-1819).
La RaSMCgna IVaxionale (16 novembre 1902). Joseph Ravenna : L'àme slave.
(Etude sympathique à l'épanouissement de la Russie à notre époque, où il est
insisté sur le conservatisme de l'aristocratie russe, sur l'attachement du peuple au
tsar, et conclu que nul bouleversement ne menace l'empire.)
L'Esploraxione Commerciale (15 novembre). M. Civita : Quelques impressions
touchant les exportateurs italiens (critique de l'inertie italienne en face de l'habi-
leté allemande et française à envahir le marché américain).
Rivista Geo^^rafica Italiana (novembre 1902). Antonio Loperpido : Notes sur
la triangulation de l'Erythrée. — Olinto Marinelli : Un traité de cartographie. —
G. D. : Le XXI* Congrès géologique italien.
La Rassegfoa Internazlonale (novembre 1902). Robert Piscicelli-Taeogi : La
poste électrique. — François Sylos Sersale : Le Mad Mullah, le faux prophète des
Somali.*.
UAdministrateur-Oérant : P. Campain.
paris. — IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUE CASSETTE, 11.
Sommaire da n» 131
f. fallot: Malte et Bizerte : L'Angleterre dans la Méditerranée. — Panl Labbé : Les
progrès la colonisation en Sibérie. — Rising-San : La politique intérieure du Japon.
- J. FraBConie : Le congrès international de navigation de Dusscldorf.
Cirteset gnvarea: I. La mer Méditepranée {Malte et Bizerte). —II. L'ile do Malte. —
III. Le port de la Valette. — IV. Le port de Bizerte. ___^___
Sommaire du n'* 139
Hfari PrtideTaax : Les Colonies à l'Exposition d'Anvers. — J. Frnnconie : Le trust de
: . ci?r. — Xieng-La : La défense maritime des Colonies. — Gabriel Louis-Jaray :
Us nationalités en Autriche- Hongrie.
Cartes et Gimviires : I. Carte d'ensemble des Colonies françaises et anglaises.
—II. Carte des Antilles.
Sommaire do n* 133
Manriee Bmret : La Peste. — Paul Labbé : La Transbaïkalie tt h colonisatiou russe. —
lieog-La : La défense maritime des colonies {suite).
Cènes et graTmr«8 : I. Li»s Foyers actuels do la Peste. — II. Itinéraires maritimes et Ur-
rtsires de la Peste. — III. Les Postes saniteires de la mer Rouge. — IV. Le* Colonies d'Océ-
ue — V. L^lndo^hine.
Sommaire du a* 134
••• L'œuTre française en Afrique occidentale. — E. Peyralbe : Le percement du 8im-
fl-n. — Xieag-La: La défense maritime des Colonies {suite et fin).— J.-U. F. : Bizerte,
l'iprès une étude de M. René Pinon,
C&rtes et graTares : L Carte des voies de communications entre PAngleferre, la France,
.1 âUe ei le Levant. — II. Madagascar, Maurice et la Réunion. — III. Méditerranée
Q cidentale. — IV. Afrique Occidentale. __^
Sommaire da n9 13S
S^bert de Caiz : Affairen du Siam. — J. Denais-Darnays : Fédéralisme et socialisme
en Australasie. — Hemri Loria : Impressions sur l'Espacrne d'aujourd'hui.
Cartea et gr%YVTta : I La presqu'île de Malacca. — II. Carte de TAustralasie.
Somouilre du a» 186
'*^ : Le traité franco-siamois. — Reoè Hevry : Le rapprochement franco-italien. —
A&gaftte Terrier : La délimitation de Zinder.
LArtrà et GraTures : L Carte du Siam. — II. La nouvelle frontière franco-siamoise. —
I.î. Afrique occidentale française, 3* territoire militaire.
SoBimalre da a» 18t
Heari Peasa : L'avenir de la Tunisie. L'industrie européenne et l'industrie indiçône. -^
"' L'œuvre française en Afrique Occidentale. — Henri Bohler : Les coulisses du
jÂLcermanisme autrichien. — René Horenx : Le premier congrès colonial allemand.
Cartes et gravares : Carte de l'Afrique Occidentale.
SoBimaIre da a» 13S
*'• : Le Uvre jaune et les affaires de Siam. — E. Pfyralbe : France et Simplon. —
Pa^l Labbé : La région du fleuve Amour.
liTifa et graYares : L Graphique comparatif des projets Frasne-Vallorbe et de la Fau-
^.e. —IL Carte des Toies d'accès au Simplon.
Sommaire da a» 130
y tre eaqvëte : A propos des affaires de Siam : Opinions do MM. Oodin, le Comte
i Aunay, Bertbelot, Le Myre de Vilers, Denys Cochinj Fiourens, Senart. et du journal
i> Temps, — Haorice Bnret : Les villes de santé dans nos Colonies. — Georges
B«iiler : La lutte tchèque-allemande.
Cartea et sravufea: Répartition des nationalités en Autriche-Hongrie.
Sommaire da a* 140
^Hre eiiqmête s A propos des affaires de Siam ; opinions de MM. François Deloncle, le
^4roa d'Estoamelles, de Constant, Gerville-Réache, H. Cordier, Marcel Monnier,
C^âries Lenûre. — *** : L'œuvre française en Afrique occidentale. — Paul Labbé' :
Li régioo da fleuve Amour, la proTince Maritime.
' vrt9ft et gravurea : L Les nouvelles délimitations des colonies de l'Afrique occidentale,
— II. La région du fleuve amour.
PRIMES A NOS ABONNÉS
L administration de la Revue se charge, à titre gracieux, de tous
'n achats et expéditions de livres, cartes géographiques, aux prix
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de l'Abbaye deSOT7LAC
A. SEGUIN, BORDEAUX
Membre du Jury, Hors Concours
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^NÉVRALGIES «GRIPPE
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mdmeni d'an accts ieUwra^ne ou de S'évralgit
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mit ï" 142 15 Janvier 1903
QUEtSTIOIV.Î^'
^ COLLL,
Diplomatiques et
REVUE DE POtlTIDUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LE 1" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS
SOlVCIVIL^rEiS
*• Notre expansion coloniale et les. partis politiques, , . 65
-ne Henry La question de la Macédoine 82
La question du Maroc 7; 105
/'^« Enquête A propos des affaires de Siam. — Opinions de M. G.
Chastenet, d*un collaborateur dTxtrênpLe-.Orient, de
M. Robert de Caix {Journal des Débats), — Protes-
tation de l'Association des écrivains militaires,
maritimes et coloniaux ; Président ^ M. H. Houssaye . 108
:ff3eignements politiques .« 116
'tiseignements économiques 122
'coinations officielles 125
>::liographie — Livres et Revues 127
Péninsule des Balkans : indications orographiques 84
Là Turquie d'Europe 87 et 88
•^ Péninsule des Balkans d après le traité de Sau-Stefano 01
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D'Attanoox, explorateur. «^ Baron d'Ayril, anc. minist plônipot. — Lient. A. Baoot,
Ezploratear. — R. BalUy, capit. de réserre d'Etat-Major. — w. Beanmont, publiciste.
— baniel Bellet, publiciste. — Henry Bidon. du Journal des Débats, — Q. Blondel,
§rof. à l'Ecole des HauteB-Ëtndes commerc. — Gheorges Bohler^ubliciste. — A.
lonhonre* gouTemeur des Colonies.-— P. Bonrdarie, publiciste. — El. Brenier, direc-
teur de la Mission lyonnaise en Chine. — L. Bmnet. député de la Réunion. — Jean
Bmnhes, prof, à rUnirersité de Fribourg (Suisse). — J)'^ Manrioe Bnret. — G. Oapns,
docteur es sciences. -^ V^ Robert de Gaiz de Saint-Aymour du Journal des Débats,
— MgrG]iarmetant,dir.des écoles d'Orient. — De Oontenson, anc. atuché milit. en
Chine.— Jean de Gners de Cogolin, publiciste. — Dr Le Danteo, profes. agrégé à
Bordeaux. — Pierre Dassier, publiciste. — P. Deoharme, attaché au min. des Colo-
nies.—V. Démontée, agrégé de l'Univ.— H. Daorya, publiciste. -> O. Depont, du
Serrice des aff. indis. de rAlgérie. — E. Dnboo, anc. officier de marine. — Maroel
Dnbois, prof, à la Sorbonne. — J.-L. Delonole, M. des R. au Cons. d'Eut. — Deluns*
Montana, anc. ministre. — E. Dontté, profes. à la chaire d'arabe d'Oran. — A. Dm-
ohène, chef de bnr. au èlin. des Colonies. — H. Dnmolard, anc. prof à TUniT. de Tokyo.
— Le contre-amiral Th. Dnpnis. — Léon Dyè. — Aloide Ebray, publiciste. —
P. D'Espagnat, explorateur.— Eng. Etienne, député, pr&. du Groupe diplomatique et
colonial. — Far-East, publiciste. — A.-A. Fanvel. anc. oflf. des douanes chinoises.—
Ed. Fazy, agrégé de rUnirersité. — Q.-B.-M. Flamand, explorât., prof, à l'Ecole des
Sciences d'Alger. — Flenry Ravarin, député. — F. Fonrean, explorateur. — J.-H.
Franklin, de l'Agence Havas. — J. Franoonie, publiciste. — H. Froidevanz, agr.
d'hist. et degéogr. doct. es lettres. — G. Qabiat, ancien député. — E. Qarnanlt. de la
Ch. de com. de la Rochelle. — Gh. Qamler, chargé de mission. — G. Garrean, sénateur
d'IUe -et -Vilaine.— K.-F. Oantier, anc. dir. à Madagascar.— Arthur Giranlt, prof,
à rUniv. de Poitiers. — Jnles Gay, agrégé de l'Université. — Ghervais Gourtelle-
mont, explorateur. — A.-J. Gonln, ancien officier de marine.— A. Grandldier, mem-
bre de l'Institut. — Alexandre Gnasoo, publiciste. — A. Gnillot, yérif. d. douanes
de Modane. — Gamille Gnr, gouyemeur des Colonies. — Halot, consul du Japon
à Bruxelles. — Halvdan Koht, de rUniv. de Christiania. — G. Hanotanx, de
l'Académie française. — H. Hauser, doct. és-lettres — G. Jaoqneton, publiciste. -^
Louis Jadot, publiciste.— A. Jouannin, du Comité de V Asie française, — L. Kry-
BzanowBkl, publiciste. — Paul Labbé, explorateur. — J. de Lamare, explorateur.
— A. Layeo, secr. de la Société bretonne, — Le Filliatre, administ. des colonies. —
Louis Léger, membre de rinstitut. — Oh. Lemire, résident de France honoraire. —
Le Mire de Vilers, anc. député, anc. ministre plénipot. — Henri Lorin, prof, à l'Unir,
de Bordeaux. — G. Vadrolle, explorateur. — F. de Maby, député, anc. ministre.—
Jean de Maroillao, enseigne de raisseau. — Paul Masson, prof, à l'Unir. d'Aix-
Marseille. — G. MandeviUe, publiciste. — Gb. Miobel, explorateur. — Pierre Mille,
publiciste. — R. Moreuz, profess. de l'Unir.— Ned-Noll, publiciste.— Gb. Noufllard.
chef deserr. à l'Oft. Colonial. — Maurice Ordinaire, anc. dépoté.— -{-Le prince Henri
d'Orléans.— Colonel de la Panouse, du Comité de V Asie française,— A, Pasquler,
publiciste. — Edouard Payen, du Jowmal des Débats,— H. Pensa, publiciste.— H. de
Jpeyerimboff, Direct, au gouvern. généi-al de l'Algérie. — Jean delà Peyre, publiciste.
— Ed. Picard, docteur en droit. — U. Pila, de la Ch. de com. de Lyon. — uaurloe
Pouyanne, juge suppléant à Alger. — D^ L. Raynaud, direct, du Serrice sanit. à
Alger. — £. Roux, lieut. de raisseau. — J. Roux, prof, à l'école de comm. de Limoges.
— André Siegfried. — A. Terrier, du Comité de V Afrique française. — J. Tbierry,
député.— Df flenry Thierry. — P. Tbtrion, agr. d'histoire et de géogr.—Di- Georges
Treille. —C.-F. Usborne, lodian Ciril Serrice. — f Général Venukoff.— P. Vuiliot,
Çubliciste-géographe. — M. Wabl, inspect. hon. de l'Instr. publique. — J. Xior, à
'ananarire. — A. Zimmermanu, cons. imp. de Légat, à Berlin — M. Zimmermann,
profes. d'hist. et de géogr. col. prés la Ch. de com. de Lyon. — X... Y... Z..., etc.
APERÇU DE QUELQUES SOMMAIRES
Sommaire da n* 4 30
Bobert de Caix : La réorganisation du Chari. — Gabriel Lonfs-Jaray : Les nationalités
en Autriche-Hongrie. — Maurice Baret : La santé des troupes alliées en Chine. —
R. C. : Le raid du lieutenant Cottenest. — Pierre Dassier : Les intérêts français au Brésil.
Cartes et graynres : I. Cartes des nationalités en Autriche-Hongrie. — il. Itinéraire
du raid Cottenest
Sommaire da n» f 3f
£. Fallet: Malte et Bizerte : L'Angleterre dans la Méditerranée. — Paul Labbé : Les
progrès la colonisation en Sibérie. — Rising-San : La politique intérieure du Japon.
— J. Franconie : Le congrès international de navigation de Dusseldorf.
^artes et gravures: I. La mer Méditerraoée {Afalte et Bizerte). -^11. L'île de Malte. —
III. Le port de la Valette. — IV. Le port de Bizerte.
<U ^^'^UL-.. .
QUESTIONS J
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES^' o.,
NOTRE EXPANSION COLONIALE
ET LES PARTIS POLITIQUES
La discussion prochaine, devant le Parlement, de la con-
Tention franco-siamoise du 7 octobre dernier; les protestations
énergiques qu'elle a soulevées, les critiques précises et auto-
risées qu'elle a suscitées ; la vive émotion qu'elle a excitée, en
France, dans les milieux compétents; Tindignation unanime
qu'elle a provoquée dans nos colonies d'Extrême-Orient; enfin,
les dispositions présumées ou annoncées des différents groupes
parlementaires; tout cet ensemble de circonstances nous a paru
rendre tout à fait opportune une revue — même très rapide et
yjmmaire — de la conduite des partis touchant notre politique
étrangère et notre expansion coloniale depuis 1870.
Ne sont-elles pas, en effet, une invitation à rappeler les leçons
du passé, ces déclarations publiques qui nous font prévoir la
rencontre paradoxale, dans un même vote d'où peut dépendre
l'avenir de notre grande colonie indo -chinoise, des noms de
M. Denys Cochin et de M. Jaurès? N'est-ce pas ainsi qu'il y a
vingt ans, les voix de M. Clemenceau et de ses amis se sont
unies, dans des votes désastreux pour notre puissance extérieure,
à c^ux des députés de la droite monarchiste? De tels rappro-
chements, quelles que soient les raisons qu'invoquent les par-
Us pour les justifier ou les excuser, méritent d'être soulignés.
Deux traditions contradictoires, et selon les circonstances du
moment, tour à tour dominantes, ont, depuis trente ans, inspiré
lu politique extérieure du parti républicain en France : Tune,
celle du sentimentalisme humanitaire, héritée des philosophes
du xviii* siècle, des utopistes et des idéalistes de 1848, l'autre,
tout empirique, née de la pratique des affaires et de la cons-
QcmsT. DiPL. KT Col. — t. jly. — n« 142. — 15 janvier 1903 5
66 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
cience des responsabilités* ; de môme, il est facile de relever la
trace, dans les conceptions de ces partis divers qui constituent
l'opinion dite conservatrice, de deux traditions concurrentes :
tradition du patriotisme instinctif, héréditaire qui se traduit
par le culte passionné du drapeau, et en cas de péril national,
comme en 1870, par Téclosion des plus généreux dévouements;
tradition doctrinaire faite de rattachement au libéralisme poli-
tique de 1789 et de Louis-Philippe et au libéralisme écono-
mique de Napoléon III.
C'est ce conflit de deux traditions qui a produit dans notre vie
politique, et dans chacun des deux partis, ces contradictions
étranges, ces incohérences, en apparence inexplicables, qui ont
été si nuisibles aux grands intérêts nationaux.
Après 1870, les forces conservatrices étaient, à peu près sans
exception, des forces monarchistes : bonapartistes et royalistes ;
mais divisées sur la question dynastique, et par suite, paraly-
sées, elles se trouvaient en général d'accord sur les grandes
lignes de la politique extérieure et de la politique économique.
Les souvenirs du règne de Louis-Philippe et du gouvernement
de Napoléon III s'unissaient et se mêlaient dans l'esprit des con-
servateurs pour y implanter quelques idées maîtresses qui
sont restées, et qui, en dépit du temps et des événements,
restent encore dans une certaine mesure, les principes direc-
teurs du « conservatisme » français.
De Louis-Philippe et de Guizot les conservateurs avaient
recueilli Tidée de « l'entente cordiale » avec l'Angleterre, qui
empêchait la France, sous peine d'être, à chaque instant,
acculée à des affaires Pritchard, d'orienter sa politique vers une
expansion coloniale sérieuse et suivie. Napoléon 111 leur
avait légué, lui aussi, l'exemple d'une entente non moins « cor-
diale » avec FAngleterre, et le principe, érigé en dogme par
Michel Chevalier et ses disciples, du libre échange et du laisser-
faire économique. A l'esprit chimérique de l'Empereur, il
paraissait inutile d'acquérir des colonies; puisque tous les
marchés allaient s'ouvrir, à quoi bon faire des dépenses pour
occuper des territoires? Quant à s'assurer des marchés pri-
vilégiés, le libéralisme économique ne pouvait ni le vouloir ni
le concevoir. Si la Nouvelle-Calédonie fut acquise, ce ne fut
guère qu'avec Tintention d'y faire des expériences péniten-
tiaires; et la Cochinchine ne fut définitivement annexée que
grâce à la persévérance des amiraux, malgré la diplomatie
impériale qui, chaque fois qu'elle le put, ne manqua pas
' Voyez sur ce point le beau livre de M. Georges Goyau : L'idée de pairie et
V humanitarisme. Essai d'histoire française. Paris, Perrin, 1902, in-16.
NOTRK EXPANSION COLONIALE ET LES PARTIS POLITIQUES 67
d'entraver l'œuvre des marins. Le traité de 1867, avec le Siam,
dont nous portons encore les lourdes conséquences et qui recon-
naissait au roi de Bangkok les deux provinces de Battambang
et de Siem-reap qu'il avait acquises, contre tout droit et toute
justice, d'un prétendant usurpateur, en est un triste exemple.
Les dix années qui suivirent la guerre, employées à la
reconstitution intérieure de la France, à la mise en défense
des frontières et dominées par les luttes politiques qui abouti-
ront à la fondation de la République, ne permirent pas l'essor
colonial. Les hommes politiques de Técole du duc de Broglie et
de M. de Gontaut-Biron, naturellement absorbés par le très
légitime et très urgent souci de rendre à la France ses forces
militaires et sa place de grande puissance, et de réparer les désas-
tres de 1870, admirent comme un axiome que « la France est
une puissance exclusivement continentale et européenne^ » et
conçurent toute tentative d'agrandissement hors du continent
comme un affaiblissement, comme une dérivation des forces
nationales loin de leur vrai et unique but : TAlsace-Lorraine*
Un moment vint où les circonstances extérieures firent que.
cette politique, qui, dans les dix premières années de la recon-
stitution nationale, avait été une nécessité salutaire, se trouva
insuffisante; mais ceux qui l'avaient pratiquée comme une néces-
sité temporaire continuèrent à la prôner comme un principe
immuable, à l'enseigner comme une doctrine hors de laquelle
il ne pouvait y avoir, pour la France, que ruine et déchéance.
Ce n'est point ici le lieu de discuter la question — qui en
sera toujours une — de savoir si la France, uniquement préoc-
cupée du cruel démembrement des provinces de TF^st, inat-
tentive î\ tout ce qui se passait dans le reste du monde, et par là
même, s'abandonnant plus complètement aux dissensions de la
[Hjlitique intérieure, aurait eu plus de chances de rentrer en
possession de ces provinces perdues et aurait aujourd'hui une
situation plus forte, une puissance mieux assise, une plus
grande prospérité économique. Pour notre part, nous ne le
croyons pas. Nous pensons au contraire que le mouvement
général de la vie politique et économique dans le monde
imposait à la France d'avoir une politique coloniale. La nais-
sance des impérialismes^ c'est-à-dire la constitution de grands
empires économiques, tendant à se suffire à eux-mêmes et à
' Duc DE Broglîe : Discours au Sénat, 11 décembre 1884.
- Cf. le comte de Cuaudordy.: « Je n*ai jamais cessé d'être contraire <^ ces projets
- (d'expansion coloniale) qui ne tendent à rien moins qu'à abaisser rinlluence conti-
t-r Dentale de la France. Or je considère que tout sonavenirest sur le continent, Klle
« ne doit pas un seul instant détourner ses regards de l'Alsace et de la Lorraine. »
Considérations sur la politique extérieure et coloniale de la France^ p. xi.
Pion, i897.
68 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
accaparera leur profit de nouveaux marchés, la conquête des
continents jusqu'alors inexplorés qui en a été la conséquence,
créaient pour la France le devoir, si elle voulait garder sa
place parmi les nations puissantes et son rang parmi les peu-
ples riches, de prendre sa part d'un « partage du monde » qui,
une fois achevé, sera sans lendemain. « Est-ce que vous ne
« sentez pas, s'écriait Gambetta lui-môme, qui cependant
« n'était pas un partisan de l'expansion hors d'Europe et de
« la Méditerranée, que les peuples étouffent dans ce vieux con-
« tinent * ?» Il comprenait qu'à l'heure historique où arrivait
le monde « pour assurer non pas sa grandeur, non pas sa
« gloire, non pas sa puissance, mais sa sûreté et son pain du
« lendemain, la France a une politique plus efficace à suivre
« que de regarder couler l'histoire sans s'y mêler ' ». Et il tra-
çait lui-même la juste frontière de cette « politique de conser-
« vation coloniale * » : « 11 faut étendre notre domaine colonial
« partout où il est manifeste qu'étendre est le seul moyen de
« conserver* », formule excellente, essentiellement élastique
et qui n'a pas cessé, même aujourd'hui, de trouver son appli-
cation.
La contre-partie nécessaire de l'adoption d'une politique d'ex-
pansion coloniale, était la pratique d'une politique douanière
défensive, l'abandon des maximes sacro-saintes du libéralisme
économique. Protection et colonies sont les deux aspects d'une
môme évolution économique, qui allait directement à l'encontre
des principes qui avaient été appliqués sous Louis-Philippe et
sous Napoléon 111 \ Mais si quelques-uns des théoriciens poli-
tiques des anciens partis, des orléanistes surtout, étaient atta-
chés aux doctrines héritées des monarchies disparues, chez la
plupart des conservateurs, l'opposition à l'expansion coloniale
* Discours à la Chambre, i"" décembre 1881.
> Cité par Reinach : Le ministère Gambetta, p. 413, Paris, Charpentier, 1884,
in-8«.
s Nous empruntons cette expression irés juste au beau livre de MM. Marcel
Dubois et Auguste Terrier : Un siècle d'expansion coloniale, p. 377, Paris, Cbal-
lamel, 1902, in.8*.
*> Reuiach, t6t(i., p« 413.
6 C'était là la conception de J. Ferry. Il considérait les colonies comme le com-
plément économique de la mère patrie et comme un débouché privilégié ouvert à
ses produits. « Le système protecteur, a-t il écrit, est une machine à vapeur sans
«( soupape de sûreté, s'il n'a pas pour corrélatif et pour auxiliaire une saine et
tf sérieuse politique coloniale La consommation européenne est saturée : il faut
u faire surgir des autres parties du globe de nouvelles couches de consommateurs,
« sous peine de mettre la société moderne en faillite et de préparer, pour Taurore
(( du xx^ siècle, une liquidation sociale par voie de cataclysme dont on ne saurait
« calculer les conséquences. » (Préface de : Le Tonkin et la mère patrie. (1890)
Cf. Discours au Sénat, en réponse au duc de Broglie (11 décembre 1884), et dis«
cours à la Chambre, du 28 juillet 1885.
NOTRE EXPANSION COLONIALE ET LES PARTIS POLITIQUES 69
était plutôt le résultat de Tignorance où la plupart d'entre eux
étaient alors de tout ce qui dépassait les bornes de l'Europe ;
l'Asie, l'Afrique apparaissaient encore comme des pays mysté-
rieux, impénétrables, d'où les marins, les aventuriers rappor-
taient les « épices. » Une bonne partie du pays, d'ailleurs, par-
tageait ces ignorances et ces illusions. Toute la diplomatie,
presque sans exception, élevée dans les traditions des anciennes
chancelleries et peu instruite de la géographie extra-euro-
péenne, manifesietit, par une mauvaise volonté chagrine, son
ennui d'être obligée de s'occuper de ces vagues pays, peuplés de
sauvages, qu'elle distinguait mal les uns des autres. La résis-
tance au mouvement colonial n'empêcha pas les conservateurs
de voter les tarifs protecteurs, favorables à notre agriculture;
ils n'aperçurent pas le lien qui unissait l'expansion coloniale et
l'adoption des nouveaux droits de douane. En outre, une poli-
tique intérieure, que nous n'avons pas à apprécier ici, en por-
tant la lutte des partis sur le terrain religieux, fermait les yeux
même aux plus éclairés des conservateurs sur les desseins exté-
rieurs de Gambetta et de Ferry ; ils n'y voyaient que prétextes
à une opposition violente, systématique, pour laquelle tout
moyen semblait bon ^ En sorte que l'on pourrait dire que,
d'une part, la politique « anticléricale » de Gambetta et de J.
Ferry empêcha peut-être les conservateurs patriotes de rendre
justice à leurs efforts à l'extérieur, et que, d'autre part, les
œmités républicains de province, souverains maîtres des élec-
tions, n'acceptèrent, à contre-cœur, la politique et les expédi-
tions coloniales qu'en raison môme de la politique « anticlé-
ricale » suivie à l'intérieur.
Si nos entreprises coloniales, depuis 1881, furent souvent
mal conduites, échouèrent parfois ou ne réussirent qu'imparfai-
tement, une lourde part de responsabilité incombe aux partis
d'extrême gauche et de droite, confondus dans une môme oppo-
sition. L'histoire d'hier est celle que l'on oublie le plus volon-
tiers; peut-être n'est-il pas inopportun de rappeler quelques
traits de cette histoire d'hier, dont les chapitres s'appellent la
Tunisie, l'Egypte, le Tonkin.
La Tunisie et l'Egypte, pays méditerranéens, touchent de près
à la politique traditionnelle de la France et impliquent sa puis-
i Nous ne voulons pas dire ici, bien entendu, que ceux qui employaient ces
moyens eussent conscience d'être nuisibles à la patrie : mais c'était, finalement, le
résultat de leur opposition. (Voir plus bas ce que nous disons de la Tunisie et du
TooJcin.)
70 QUESTIONS DIPLOBiATIQUES l£T COLONIALES
sance sur la grande Mer intérieure : ropposition de droite n'osa
guère prétendre, directement et sans ambages, que la France
devait s'abstenir d'y jouer son rôle, comme elle le soutint plus
tard pour le Tonkin; mais, sous couleur de critiquer lopportu-
nité de l'intervention, les voies et moyens employés, elle se
déchaîna contre les ministères qui eurent le courage de défendre
nos intérêts dans des circonstances critiques.
La Chambre, le 23 mai 1881, par 430 voix, le Sénat, le 27,
à l'unanimité, ratifièrent le traité de Kassar-Said, signé le 12 mai
par le Bey et le général Bréart ; mais déjà, à cette occasion, dans
les deux assemblées, des réserves significatives furent formu-
lées par les porte-paroles de la droite et de Textrême-gauche;
l'on vit des royalistes, des bonapartistes, soudain saisis d'étranges
scrupules constitutionnels, se demander, au moment d'approu-
ver l'acte à jamais mémorable qui plaçait la Tunisie sous le
Protectorat de la France, si le gouvernement avait le droit de
s'engager, comme il Tavait fait, sans l'assentiment du Parle-
ment. Au Sénat, M. de Gontaut-Biron, dont les éminents ser-
vicesaugmentaient l'autorité, se fit l'interprète modéré de ces pu-
deurs alarmées*. A la Chambre, M. J. Delafosse, député bona-
partiste, fut plus net, et si l'on ose dire, plus radical : il railla
l'expédition de Kroumirie, constata que Ton avait fait la
guerre sans la faire, et corsa ces médiocres chicanes en déplo-
rant que Ton eût mécontenté la Porte et même que l'on n'eût
pas associé, à la solution des affaires de Tunis, ritalie et l'Angle-
terre! Il se rencontrait ainsi avec M. Clemenceau, qui préludait
à l'opposition acharnée qu'il allait faire à Gambetta et à Ferry
en déplorant le refroidissement « des amitiés cimentées sur le
champ de bataille », manière habile de regretter que l'on eût
contrarié l'Italie pour assurer Tunis à la France! M. Cunéo
d'Ornano, avcîc sa franchise habituelle, exposait nettement les
principes économiques et coloniaux de la plupart des membres
de la droite lorsqu'il disait, dans la même séance : « Faut-il
« aller jusqu'à déployer tout cet appareil officiel pour obtenir
« que le bey de Tunis concède plutôt à nos nationaux qu'à de
« loyaux concurrents telles exploitations ou tels monopoles ?
(( Non. J'estime qiùon doit tolérer la libre concurrence des
« nationaux de tous les pays.,. Chacun doit avoir sa place ati
« soleil! »
Au vote, il ne se trouva qu'un opposant; mais une grande
partie de la droite et de l'exlréme-gauche s'abstinrent.
Aux élections qui suivirent (21 août 1881), les conservateurs,
^ Cf. u'EsTouRNELLEs DE CoNSTANT : La poHUque française en Tunisie. Pion,
in-8% p. 184.
NOTRE EXPANSION COLONIALE ET LES PARTIS POLITIQUES 71
pour la première fois, se servirent de la question coloniale pour
attaquer le gouvernement républicain. L'insurrection, en
Tunisie et dans le Sud oranais, était dans sa période aiguë, et
les candidats de droite se plaignaient, dans leurs professions
de foi, des dépenses occasionnées par Texpédition, et critiquaient
la conduite des opérations militaires. Dans les réunions publi-
ques, il était de règle de plaisanter les Kroumirs, qui, à Paris,
sur les boulevards, sur les scènes des petits théâtres et dans les
salons, étaient devenus à la mode. Mais la Tunisie était popu-
laire, autant que, quatre ans plus tard, le Tonkin sera impo-
pulaire; les républicains triomphèrent aux élections, en même
temps que nos soldats domptaient Tinsurrection.
A la rentrée des Chambres, après que le « grand ministère »
Gambetta eut remplacé le cabinet Ferry-Barthélemy Saint-
Hilaire, un débat passionné s'engagea sur la question tuni-
sienne. Le système du Protectorat, dont aujourd'hui tous les
partis reconnaissent le succès complet en Tunisie, fut attaqué
avec la plus grande véhémence. Au Sénat, le duc de Broglie
mena l'attaque contre le ministère*. A la Chambre, M. Dela-
fosse reprit ses critiques du mois de mai, avec plus de virulence
encore : « Le traité conclu avec le Bey, disait-il, est une faute
« aussi grande, une témérité aussi dangereuse que Texpédition
« elle-même; il est inexécutable; et s'il était exécutable, il ne
s faudrait pas l'exécuter'. » Admirable matière à méditer sur
les inconvénients qu'il y a, pour les hommes politiques, à pro-
phétiser! L'on entendit, dans la môme séance, M. Camille Pel-
letan exposer ses principes : « Le Protectorat, dit-il, établit un
« équilibre absolument instable qui doit verser du côté de
£ l'annexion, et la République n'a pas besoin de conquêtes. »
In manifeste signé des députés de rextrème-gauche, parmi
lesquels MM. Clemenceau, deLanessan, Pelletan, Henry Maret,
Clovîs Hugues, etc., attaquait violemment, à propos de la
Tunisie, la politique « opportuniste^ ». Ainsi, à droite comme
à gauche, avec plus ou moins de violence, mais avec la même
décision, lopposition combattait ce qu'elle aurait dû consi-
dérer, avec la France tout entière, comme la politique vrai-
ment nationale.
Nous ne saurions ici suivre, dans leur complexité, la série de
négociations diplomatiques et de débats parlementaires dont la
lamentable conclusion fut la France éliminée de l'Egypte, la
* Discours du 10 décembre 1881.
' Discours du l»"" décembre 1881.
» Joseph RKiifACH, ouvrage cité, p. 434.
72 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
vallée du Nildevenue anglaise. Mais il faut dire que la responsa-
bilité de M. de Freycinetfut partagée, dans une forte proportion,
par M. Clemenceau et ses amis, et par la droite monarchiste.
C'est au début de Tannée 1882, pendant l'éphémère durée du
« grand ministère », que les agissements d'Arabi pacha mirent
la question égyptienne à l'ordre du jour de la politique euro-
péenne. Dans les premiers jours de janvier, une note, inspirée,
au dire des journaux anglais, par Gambetta à lord Granville, fut
rédigée d'un commun accord par les deux gouvernements ; ils
se déclaraient unis pour faire face au péril qui menaçait le
gouvernement du khédive; mais, quelques jours après, le
26 janvier, Gambetta quittait le pouvoir et M. de Freycinet
prenait le portefeuille des affaires étrangères. Il en résulta un
changement immédiat dans l'attitude de la diplomatie anglaise.
Le 23 février, M. J. Delafosse demanda au ministre, dans une
interpellation, quels étaient ses projets. Pour Torateur de la
droite, il n'y avait pas de question d'Egj'pte : « Si on veut
<( examiner, disait-il, les événements tels qu'ils se sont pré-
« sentes, on reconnaîtra qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas à
« proprement parler de question égyptienne. Il y a eu une note
« malencontreuse, un appel prématuré aux puissances; mais
« toute l'agitation diplomatique qui s'est produite autour de cet
ce incident est absolument factice. » Dans sa réponse, M. de
Freycinet se borna à demander « le maintien de la situation
« prépondérante de la France et de l'Angleterre ». Le 1" juin,
les gouvernements français et anglais invitèrent les autres
cabinets européens à se faire représenter à une conférence
réunie à Constantinople ; seule la Porte résista. Nouvelle inter-
vention de M. Delafosse, qui attaqua l'Angleterre et se prononça
pour une politique d'entente avec la Turquie. M. de Freycinet,
pour toute réponse, déclara qu'il ne se lancerait pas « dans une
a politique d'aventures » et que, de tous les moyens, il en était
un qu'il excluait, c'était « une intervention militaire en
Egypte. » Cette politique de tergiversation et d'atermoiements
amenèrent Gambetta à la tribune pour répliquer au ministre des
Affaires étrangères : « Vous venez, s'écria-t-il, de livrer à TEu-
« rope le secret de vos faiblesses. Il suffira de vous intimider
:< pour vous faire consentir. »
L'on ne voulait rien faire sans l'Europe ; et pendant qu'on
interpellait dans les parlements, qu'on négociait dans les
chancelleries, nos nationaux étaient massacrés à Alexandrie ;
chaque jour d'inaction compromettait davantage nos intérêts.
M. de Freycinet se décida, le 18 juillet, à demander aux Cham-
bres de timides crédits, formellement destinés à remettre en
NOTRE EXPANSION COLONIALE ET LES PARTIS POLITIQUES 73
état notre flotte; c'est ce que vint souligner à la tribune,
M. Clemenceau, afin qu'il n'y eût pas d'équivoque possible; à
cette seule condition il vota les crédits. La droite, méfiante,
doutant que les crédits fussent réellement destinés à la marine,
vint faire, à cette heure grave, le procès du régime. L'un de ses
chefs expliqua ainsi son vote : « En faisant l'expédition de
« Tunisie, dit-il, vous avez mécontenté T Angleterre et Tltalie
« sans avantages pour la France.,, Qu'étes-vous allé faire en
« Egypte?.., Vous avez été assister impassibles au massacre de
« vos compatriotes et à l'humiliation du drapeau de la France.
a Le crédit qui vous est demandé n'est pas un crédit maritime...
<r S'il s'agissait d'un crédit maritime, je n'hésiterais pas à le
« voter. » Le crédit fut voté, malgré 64 opposants, presque tous
de droite. La discussion vint au Sénat le 23 juillet; par 203 voix
contre 5 et 80 abstentions, presque toutes de droite, le projet de
loi fut adopté; on entendit, ce jour-là, le duc de Broglie exposer
une fois de plus l'opinion de son parti sur la politique extérieure
et coloniale; s'adressant à la majorité, il s'écriait : « Cette fois
•c encore, je le sais d'avance, vous n'écouterez pas nos avis, vous
c voterez les crédits, et la même majorité bienveillante qui a
« suivi le gouvernement à travers les montagnes des Kroumirs
^ et qui a trouvé bon qu'on la menât à Tunis sans la consulter,
a va monter encore, je n'en doute pas, sur le navire qu'on vous
« demande, par le projet de loi présent, de faire sortir du
« port... Eh bien! laissez-nous sur la rive, et si nous ne joi-
» gnons pas nos votes aux vôtres, nos vœux vous suivront,
« comme ils suivront partout le drapeau national. »
Lorsque enfin, le 29 juillet, le gouvernement se décida à
demander aux Chambres l'autorisation d'envoyer des troupes
pour garder le canal de Suez, la confusion des idées et le
trouble des esprits étaient au comble; par 416 voix contre 73,
les crédits furent refusés, après un discours violent et incisif de
M. Clemenceau. Gambetta lui-même avait voté contre, pen-
sant peut-être obliger le gouvernenaent à une intervention
plus complète et plus énergique, ou persuadé que le moment
d'ag-ir était passé.
L'Egypte était perdue pour nous. L'extrême gauche et la
droite, par leurs critiques impitoyables, avaient favorisé l'inac-
tion du ministre responsable; dans toute cette affaire qui tou-
chait si directement les intérêts français dans la Méditerranée,
les partis d'opposition n'avaient jamais voulu voir qu'une
Europe qu'ils croyaient menaçante, qu'une Angleterre dont il
fallait, avant tout, ménageries susceptibles appétits*.
* C'est contre ce manque d'indépendance de la politique française que Gambetta
74 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
La conqut^te du Tonkin n'avait pas, aux yeux des adver-
saires de ]a politique coloniale, l'excuse de toucher à la poli-
tique méditerranéenne, partant européenne ; elle était bien
vraiment une opération coloniale et l'expérience n'avait pas
encore appris alors que la séparation entre « la politique » et
« la politique coloniale » n'existe que dans les cartons des
bureaux ministériels. La France, pour la première fois, en
allant au Tonkin, dans l'intention hautement proclamée de
s'assurer des voies de pénétration vers la Chine méridionale, se
lançait résolument dans la politique coloniale. Aussi les débats,
dans les Chambres, cessèrent-ils d'avoir l'apparence de discus-
sions « à côté » ; l'opposition attaqua directement et sans réti-
cences, la conception même de la politique coloniale. Dans son
magistral discours du H décembre 1884, au Sénat, le duc de
Broglie définissait nettement des principes qui étaient ceux de
toute l'opposition conservatrice.
« Un grand développement colonial est un luxe et un sur-
it croit de puissance pour une nation qui déborde de force et de
<c prospérité. Pour une nation momentanément affaiblie, c'est
« une charge quilagrève, qu'elle ne peut porter longtemps, et
« qui, avant de lui échapper, peut avoir amené la ruine tout à
« la fois de la colonie et de la métropole... Je ne crois pas que
« la politique coloniale poursuivie avec Tétendue, avec Téclat
« qu'on lui donne aujourd'hui..., la politique coloniale ambi-
« tieuse et conquérante, soit à aucun degré une compensation
« des malheurs que nous avons éprouvés en Europe. Je m'esti-
« merais heureux de pouvoir espérer qu'elle n'en amènera
« pas, à un jour critique, l'aggravation et le complément*. »
Avec l'éminent académicien, le débat s'élevait jusqu'aux
principes ; dans l'atmosphère plus enfiévrée de la Chambre,
les passions se donnaient plus libre cours et les discussions
étaient plus violentes, mais les arguments, développés avec
moins d ampleur, étaient au fond les mêmes. M. Clemenceau,
au nom des radicaux, M. Delafosse, M. P. de Cassagnac, tous
deux députés bonapartistes, ne cessaient de revenir sur le danger
des expéditions coloniales, réclamaient Tévacuation du Tonkin
en établissant le facile bilan de ce qu'il coûtait et de ce qu'il rap-
portait ; quant à Tavenir, que Jules Ferry invoquait avec con-
protestait (18 juillet 1882) : u Quant à l'étrangçr, disait-il, on en parle beaucoup et
R dans des sens trop divers pour la détermination des calculs de la politique qui doit
« le mieux servir les intérêts de la France. »
^ Comparez, dans le comte de Chaudordy, loc, cit., des idées et des expressions
analogues. Vojez notamment, pp. 14-15.
NOTRE EXPANSION COLONIALE ET LES PARTIS POLITIQUES 75
fiance, ils s'obstinaient à n'y voir que périls, dépenses et illu-
sions. Au milieu de ces discussions orageuses. M»"" Freppel,
applaudi par la gauche et le centre, froidement accueilli par la
droite, était presque seul à proclamer que, sans en demander
davantage, dès lors que le drapeau était engagé, il votait les
crédits pour le Tonkin*. Le vaillant évêque, Alsacien et
patriote, reconnaissait, dans la politique coloniale, les traditions
delà vieille France; au grand scandale des députés qui sié-
geaient de son côté, ce c'est vous, républicains, s'écriait-il, qui
« êtes appelés à reprendre Vœu vre de Richelieu, dé Colbert et
« de la Restauration. » Les discussions de la Chambre ne res-
taient pas, d'ailleurs, sur le terrain des principes ; elles dégé-
néraient en mêlées où Tinjure paraissait le meilleur des argu-
ments, elles inspiraient les polémiques furibondes des jour-
naux, elles se résumaient, pour la masse du public, dans cette
épithète de « Tonkinois » que les feuilles de droite et d'ex-
tréme-gaiiche jetaient, comme une suprême flétrissure, à la face
de Jules Ferry. La politique coloniale, la conquête du Tonkin,
où luttaient si héroïquement nos soldats et nos marins, devenait
la grande arme des tournois parlementaires et des batailles
électorales. Aux élections de 1885, le Tonkin servit de « plate-
forme » à l'opposition de droite ; elle lui dut, en partie, le
succès relatif qui fit entrer, au premier tour de scrutin, 200 con-
servateurs à la Chambre. Quelques succès de plus, et sans doute,
le Tonkin eut été abandonné, à moins que, comme cela s'est
vu, l'opposition, changeant d'attitude une fois au pouvoir, n'eût
adopté précisément la politique qu'elle venait de combattre.
Pour quelques hommes éclairés, les questions coloniales
étaient, en elles-mêmes, importantes et capitales, mais, pour la
plupart des membres d'une opposition implacable et décidée
à une obstruction systématique, elles n'étaient, dans les luttes
passionnées de la politique intérieure, qu'un instrument, qu'un
moyen ; en sorte que les partis d'opposition, qui se réclamaient
de la vieille France et qui prétendaient la continuer perdaient
«le vue, dans l'ardeur de la lutte, le souci de ses intérêts inter-
nationaux. Passionnés pour la gloire française, et ayant, presque
tous, des frères ou des parents dans l'armée ou la marine, les
députés conservateurs se donnaient l'air de dédaigner, parce que
trop lointains, les succès de nos armes aux colonies; la fausseté
de leur attitude politique les obligeait, si Ton peut dire, à bou-
der contre leur propre cœur. La France les voyait avec surprise
confondre leurs bulletins avec ceux de Clemenceau, de Pelletan,
de Laisant et de toute Textrême-gauche, pour chasser du pou-
• Vojez notamment Discours : 7" série, p. 188, et 8» série, p. 148.
76 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
voir les hommes qui — Tinstinct populaire ne s'y trompait pas
— rendaient peu à peu à la France sa place dans le monde.*
Et cependant, qu'il était joyeux, ce réveil de la vieille France,
au bruit du canon de la Tunisie et de rindo-Chine. Dernière-
ment, un « colonial » convaincu et pratiquant. M. Ballande,
député progressiste de Bordeaux, le rappelait d^ns un magistral
article de la République nouvelle * :
« Il faut avoir couru le monde au moment où, en Indo-Chine
« et en Tunisie, le canon français, pour la première fois depuis
« la grande guerre, faisait entendre sa voix, pour comprendre
« à quel pointée réveil si prompt et si énergique, a irrité la
« jalousie de nos ennemis, et pour mesurer l'importance natio-
cc nale de cette reconquête de notre influence dans le monde.
« Ah ! le ministère d'alors n'avait ni les éloges du Times, ni
« ceux du NeiV'York Herald! »
L'opinion publique française a été indulgente, bien que
l'événement leur ait donné tort, à ceux qui, avec le duc de
Broglie, combattirent, au nom de préoccupations patriotiques,
la politique coloniale; mais elle est sévère ajuste titre pour ceux
qui, sceptiques sur les principes, ont subordonné nos grands
intérêts coloniaux à d'immorales coalitions parlementaires.
•
« •
Le temps a marché ; en dépit des oppositions intérieures,
plus redoutables que les résistances extérieures, notre empire
colonial s'est reconstitué et il s'organise. Le succès, comme
l'avait prédit J. Ferry répondant aux faciles critiques de la droite
monarchiste ou de l'extrême gauche humanilariste, a justifié
l'effort. L'orientation coloniale de notre politique extérieure,
non seulement n'a pas affaibli la France, mais lui a rendu
dans le monde sa place légitime.
Est-ce h dire que notre politique coloniale ne prête pas à des
critiques justifiées et qu'il faille défendre toutes ses pratiques
et toutes ses méthodes, on pourrait presque dire plutôt son
absence de méthode. Non, sans doute; mais il faut aussi faire
la part des circonstances, et en premier lieu, des résistances
que les ministres, décidés à agrandir notre empire colonial,
trouvaient dans une opinion publique mal préparée aux affaires
lointaines et surexcitée contre les hommes qui en avaient pris
la responsabilité. Les pires pratiques de nos campagnes colo-
niales, et particulièrement ce « système des petits paquets »
qui nous a coûté si cher en hommes et en argent, n'ont-elles
pas été précisément le résultat naturel des « nécessités parle-
1 Numéro du 28 décembre 1902.
XOTRB EXPANSION COLONIALE ET LES PAKTIS POLITIQUES 77
mentaîres » et de l'acharnement des oppositions ? Reculer le
plus longtemps possible Téchéance fatale des expéditions mili-
taires, au risque d'en rendre les conditions plus pénibles, plus
coûteuses, et le succès moins assuré et moins complet; se lais-
ser acculer à des impasses pour paraître avoir la main forcée par
les événements, dissimuler, sous des euphémismes appropriés,
remploi nécessaire de Tarmée, ce sont là jeux de ministres
parlementaires, c'est la répercussion naturelle, sur la conduite
des affaires extérieures, d'un régime faussé par les empiéte-
ments du pouvoir législatif. Dans de pareilles conditions, il
faudrait à un ministre une énergie peu commune, pour ne pas
mériter le terrible jugement de l'amiral Courbet et n'être pas
l'un des « polichinelles » dont les parlementaires tiennent les
ficelles; et encore un tel ministre, qui voudrait affranchir de la
mesquine tyrannie des couloirs la gestion des grandes affaires
du pays, comme tenta de le faire Gambetta, serait-il bien vite
jeté bas par la masse irresponsable d'une assemblée qui, par
nature, se défie des supériorités et les redoute comme un péril.
*
* *
Vers le même temps où la politique coloniale entrait défini-
tivement dans notre politique nationale et commençait à n'être
plus ^lère ouvertement contestée dans son principe, une évo-
lution de même nature s'accomplissait dans la politique inté-
rieure, et modifiait sensiblement lattitude et les procédés d'une
grande partie de l'opposition de droite. Le nombre des députés
monarchistes diminua dans le Parlement ; les rangs des répu-
blicains modérés s'accrurent de nombreuses recrues, surtout
parmi les hommes jeunes, moins attachés à des doctrines poli-
tiques que décidés à faire passer avant tout les grands intérêts
de la patrie. Dés lors, l'opposition à la politique d'expansion
coloniale vint surtout de l'extrême-gauche, dominée par les
collectivistes et les révolutionnaires ; dans les questions tou-
chant à la politique extérieure du pays, l'on cessa de voir ces
alliances monstrueuses qui avaient uni l'opposition de droite à
l'opposition de gauche aux dépens de l'intérêt national. Six
années de paix intérieure, de 1892 à 1898 environ, nous don-
nèrent six années fécondes pour notre expansion coloniale, où
la politique française brilla d'un vif éclat, conclut l'alliance
njs.se, conquit Madagascar et régla, parle monde, à notre avan-
tage, bon nombre de questions importantes; de celte période,
notre empire colonial sortit à peu prés achevé, en bonne voie
d'organisation administrative et de mise en valeur économique.
On sait assez quelles crises violentes de notre vie politique
78 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
rallumèrent dans le public et dans le Parlement, des passions
qui paraissaient éteintes ; il en résulta une désorganisation, un
déclassement des anciens partis et une modification grave de
leur attitude vis-à-vis de l'expansion coloniale. L'avènement
au pouvoir d'hommes qui, en I88i, avaient signé une protesta-
tion contre rétablissement du Protectorat en Tunisie, qui
avaient refusé les crédits pour le Tonkin et Madagascar, qui
avaient enfin, avec le concours des droites monarchistes, jeté
bas les ministères Gambetta et Ferry et vilipendé leurs chefs,
causa, parmi les hommes d'Etat fidèles aux maximes politiques
des créateurs de notre empire colonial, et jusque dans le
grand public, formé et converti par eux à l'idée de l'expansion
au dehors, une profonde et légitime inquiétude.
Les grandes crises de ces dernières années ont ainsi provoqué
la réapparition de théories que Ton croyait mortes et de passions
qui semblaient éteintes. Un débordement d'humanitarisme,
d'antimilitarisme, tel que nous n'en avions jamais connu depuis
i868 et 1869, a envahi notre littérature, nos assemblées et une
partie de l'opinion ; en même temps, dans l'opposition de droite
les partis monarchistes reprirent courage; on vit reparaître
l'opposition systématique qu'avaient connue les assemblées
d'il y a vingt ans.
Serions-nous à la veille de voir renaître, à droite, une opposi-
tion hostile à l'expansion coloniale, comme nous l'avons vue re-
fleurir à gauche? C'est ce que les incidents très caractéristiques
qui ont déjà marqué la discussion engagée au sujet du Siam,
depuis le traité du 7 octobre, permettent de se demander. Sans
doute, presque personne, aujourd'hui, n'ose plus se déclarer fon-
cièrement hostile à la politique coloniale; personne ne songe,
espérons le, à proposer l'abandon de nos colonies ; mais, plus ou
moins déguisés, les vieux arguments, les prétextes peu sincères
reparaissent. A gauche, Ton déclare — le ministre actuel des
Colonies lui-même — que notre domaine colonial est assez vaste,
qu'il ne nous reste qu'à l'organiser, à le mettre en valeur, qu'il
faut se garder d'y envoyer nos officiers pour y gagner dosgalons
et des croix. Nous connaissons l'argument et la thèse ; c'est avec
elle que l'on a masqué les pires reculades, les plus funestes
méprises de notre politique. A droite. Ton va critiquant notre
système colonial; l'on réclame l'abaissement des droits de
douane; l'on ressuscite les arguments un peu rouilles de M. de
Broglie, de M. Delafosse ou de M. Cunéo d'Ornano; l'on reparle
des « colonies de fonctionnaires » et l'on déclare que l'alFaire de
Siam — comme jadis celle d'Egypte — est sans importance.
Bref, une campagne étrange se dessine, où M. Jaurès et M. Denys
NOTRE EXPANSION COLONIALE ET LES PARTIS POLITIQUES 79
Cochîn travaillent, chacun dans sa sphère, mais avec une ardeur
égale, à faire ratifier un traité désastreux.
Les hommes et les idées ne se transforment que très lente-
ment et vingt années n'y suffisent pas; les sophismes doctri-
naires d'antan réapparaissent encore sous la plume ou dans les
discours des hommes qui se croient eux-mêmes les plus sympa-
thiques à l'expansion coloniale. Les politiciens, et d'ailleurs tous
les hommes, sont sujets à ces contradictions ; l'éducation, le mi-
lieu, Tatmosphère ramènent, pour ainsi dire fatalement, sur cer-
taines lèvres, certains mots. C'est ainsi qu'il arrive, encore
aujourd'hui, que le discours d'un orateur conservateur évoque,
comme un écho lointain, le souvenir de Guizot, et qu'il serait
facile d'y retrouver ce patriotisme sincère, mais un peu étroit,
et à l'endroit des choses coloniales, ce scepticisme (lécouragé et
cette nuance de sympathie pour une politique anglophile, qui
se comprenaient mieux dans les dissertations de M. de Broglie.
M. Denys Cochin est un a colonial », de même que M. Del-
cassé pense rester fidèle aux grandes traditions de la politique
nationale, et que M. de Chaudordy, en dénonçant « le vieil et
f détestable esprit colonial », en indiquant comme but à notre
action extérieure « le rapprochement de la France et de l'An-
« gleterre, » croyait s'inspirer des intérêts majeurs du pays.
Comment donc advient-il que telle harangue du ministre, tel
discours du chef éminent de la droite royaliste, ou tel passage
des écrits du diplomate, rendent le même son et semblent
trahir une commune origine? Si l'on était encore au xviii" siècle
on en voudrait trouver la cause dans quelque influence de
salon; ne serait-ce pas, plutôt, que certains principes généraux,
communs à des hommes d'opinions très éloignées, à d'autres
égards, finissent par engendrer fatalement des accords sur-
prenants sur des questions où l'on s'attendait à les trouver
en contradiction.
•
Le traité franco-siamois du 7 octobre dernier a eu cette for-
tune, qu'il méritait, de passionner Topinion; mais il a eu aussi
cette disgrâce de renouveler les divisions anciennes et les coali-
tions que l'on croyait mortes. L'influence d'un ministre, la
reviviscence des vieilles opinions et des passions mal éteintes,
ont divisé les « coloniaux » eux-mêmes. L'on voit, comme autre-
fois, l'extrême-droite et l'extrême-gauche se tendre la main ;
mais, cette fois, elles marchent d'accord avec un ministre pour
combattre cette réunion de patriotes et d'hommes de bonne
volonté que l'on appelle le parti colonial. Certes, les combinai-
80 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
sons qui s'ébauchent sont faites pour surprendre : un ministre
des Affaires étrangères qui signe un traité que tous les hommes
compétents déclarent néfaste et qui est salué — symptôme
significatif — par les journaux étrangers avec une joie visible
et des compliments hypocrites; une extrême-gauche collectiviste,
antimilitariste et anticoloniale qui va peut-être se trouver d'ac-
cord avec une extrême-droite monarchiste pour applaudir à ce
traité, pendant que tous les anciens amis et les disciples de Gam-
betta et de Ferry, depuis M.Etienne,jusqu'au prince d'Arenberg
et à M. Doumer, s'efforcent d'en empêcher la ratification! Voilà,
n'est-il pas vrai, d'étranges rapprochements qu'il était bon de
mettre en lumière, et qui dénotent le désarroi des esprits et
le prodigieux détraquement de toute notre machine politique.
Ce sont jeux parlementaires, dira-t-on. Oui, mais de ces jeux
parlementaires, c'est finalement le pays qui souffre. Un mi-
nistre tombé se remplace, mais la vallée du Mékong, quand
nous l'aurons perdue, un ministre ne pourra pas nous la rendre,
non plus que celle du Nil ou du Bas-Niger. M. Jaurès et ses
amis sont logiques avec eux-mêmes quand ils combattent
toute expansion coloniale ; socialistes et internationalistes avant
d'être patriotes, peu leur chaut du Mékong et des provinces
cambodgiennes. Que M. Denys Cochin et le petit nombre
d'amis qui le suivent y prennent garde, qu'ils redoutent les
jugements du pays ; même en un temps où la France n'avait
pas encore pris goût aux affaires coloniales et ne s'intéressait
guère à ses possessions d'outre-mer, elle a été sévère pour ceux
qui nous ont fait perdre l'Egypte et qui ont été les adversaires
de l'expédition tunisienne. Si la droite veut être vraiment une
opposition sérieuse et utile, elle ne doit plus se mettre en tra-
vers de l'opinion publique, quand il s'agit de notre expansion
coloniale; elle ferait bien de s'affranchir enfin, dans ces ques-
tions, des calculs et des influences de l'esprit de parti, et de
considérer, avant tout, les intérêts permanents de la patrie.
D'un autre côté, l'histoire se demandera si l'erreur capitale
de Gambetta et de Ferry n'a pas été précisément de placer
toute une catégorie de Français dans l'angoissante alternative
ou de paraître déserter leurs principes religieux, en soutenant
des ministres qui s'en étaient déclarés les adversaires impla-
cables, ou de risquer, en combattant, de parti pris, ces mêmes
hommes d'Etat, de méconnaître les grands intérêts nationaux.
Dans la situation actuelle, rien de semblable n'apparaît.
Nous savons, car il faut tout dire, que Ton voudrait faire croire
à ceux qui regardent une rupture entre la France et le Saint-
Siège comme le prélude de longs déchirements et d'une dé-
NOTRE EXPANSION COLONIALE BT LES PARTIS POLITIQUES 81
chéance de notre pays au regard de l'étranger, que M. Delcassé
seul est en mesure d'opposer, à la violence des passions sec-
taires, rintrépide fermeté d'un ministre décidé à ne pas sacrifier
aux haines ou aux utopies de ses coreligionnaires politiques
les grands intérêts extérieurs dont il a la charge. Mais est-il.
démontré que le successeur, quel qu'il soit, de M. Delcassé se
ferait fatalement l'instrument docile des passions dont on re-
doute l'explosion? Est-il pareillement démontré que M. Del-
rassé lui-m«^me n'hésiterait pas à descendre du pouvoir plutôt
.:|ue de permettre que l'on' touche au Concordat et à l'ambassade
du Vatican? Il est permis au moins de poser la question.
En un pareil procès, il convient d'élever le débat plus haut
que les questions de personnes, si importantes qu'elles soient.
A supposer que M. Delcassé puisse être vraiment le champion
que Von espère trouver en lui, pense-t-on que ce serait une
■ hase digne et profitable de paraître attacher le sort de la poli-
tique traditionnelle de la France à la ratification de traités et
d»^ conventions diplomatiques, certainement contraires à l'inté-
r -l national? On commettrait ainsi une grave erreur, une lourde
méprise.
\ous voulons espérer, au contraire, quelque spécieuses que
>oient les raisons que Ton fait valoir, quelle que soit la ditt'é-
rpnce des temps et des circonstances, nous voulons espérer
-jiià droite eomnie à gauche, on se gardera de renouveler les
fautes du passé, à l'occasion de cette convention franco-siamoise
*ijj 7 octobre, qui met en question l'avenir de notre grande
•donie de rindo-Chine et de l'influence française dans tout
1 Extrême-Orient.
•••
Qusvr. DiPi- *T Col. — t. xt.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE
Le grand public commence enfin à se douter que la question
arménienne n'est pas la seule posée dans TEmpire ottoman,
et que les hommes qui luttent en Macédoine sont moins des
« bandits y> que des révolutionnaires.
L'idée communément répandue, d'après laquelle toute diffi-
culté en Orient peut, si Ton n'y met pas bon ordre, troubler la
paix européenne, donne, de prime abord, à la question macé-
donienne une importance toute spéciale.
De plus, se posant quelques mois après que les Boers ont
déposé les armes, elle pourrait bien fixer tout ce qu'a de faculté
sentimentale la trop égoïste Europe.
Par le fait même qu'elles répondent à une préoccupation
latente, les nouvelles de cette Turquie d'Europe, géographique-
ment si proche, et pourtant d'ordinaire si isolée et si peu
connue, nous arrivent enfin plus complètes, plus nettes et plus
significatives.
Le Temps publie des renseignements intéressants. Le Novoié
Vrémia^ tenu au courant par le Russe bien connu à Paris qui
signe Vogine, suit la crise avec un soin méticuleux. Le corres-
pondant du Sviet^ M. Povolni, vient de faire une conférence à
Paris entre deux voyages dans les Balkans. M. Michaïlowsky,
président du « haut comité macédo-andrinopolitain », quitte la
France après un assez long séjour, avec Tespoir que des députés
des partis les plus différents interpelleront, dès la rentrée, sur la
politique suivie en Orient. Il va à Londres où des membres de
la Chambre des communes — parmi lesquels le fils de celui
qui flétrit autrefois les « atrocités bulgares » — suspectent déjà
le rapport optimiste et anti-bulgare de sir Alfred Billioti, consul
anglais à Salonique. Si la presse triplicienne se montre —
et pour cause — plus réservée, quelques journaux et quelques
agences, surtout en Autriche, s'efforcent de dire toute la vérité,
notamment Vlnformation de Vienne, et la Politik et les
Narodni Listy de Prague.
Je me propose de rechercher quelles sont les causes du
mouvement révolutionnaire macédonien , quel en est le but ,
quelles peuvent vraisemblablement en être les conséquences,
non seulement balkaniques, mais aussi européennes.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 83
Mais je me déclare incapable d'exposer la situation de la
iMacédoîne sans indiquer les lointaines origines historiques
des difGcultés présentes et sans montrer le lien qui existe
encore entre la Turquie d'Europe d'aujourd'hui et les autres
régions jadis occupées par les Turcs. Le lecteur pressé sau-
tera peut-être cette première partie, forcément un peu aride :
je doute que son étude y gagne en clarté.
I
LA PÉNLNSULE DES BALKANS
La péninsule sud-orientale de l'Europe paraît appelée par sa
configuration et sa situation à jouer dans le monde moderne un
rôle de premier ordre.
La plus grande artère européenne, le Danube, gagne la mer
à travers sa plaine septentrionale. Ses côtes déchiquetées sont
baignées par trois mers. Située au nord du bassin oriental de
la Méditerranée, elle possède les ports européens les plus pro-
ches du canal de Suez. Elle peut commander l'Adriatique à sa
sortie et fermer la mer Noire.
Dans la région privilégiée de Constantinople, elle possède à
la fois un détroit et presque un isthme entre l'Europe et cette
Asie occidentale qui, après une longue torpeur, paraît à la
veille de s'éveiller : « Un avantage presque unique sur la
« terre, écrit Elisée Reclus, est celui que donnent à la péninsule
a de Thrace la proximité et le parallélisme des rivages de deux
tf continents. Deux axes se croisent en cette région de l'ancien
* monde, celui des masses continentales et celui des mers inté-
« Heures . »
Et pourtant, la péninsule des Balkans ne s'anime que lente-
ment : ses multiples nationalités ont été trop longtemps
opprimées par le Turc, qui les domine encore en partie.
« •
La péninsule semble faite pour défendre, aux temps de
danger, les nationalités qui s'y établissent, et leur permettre,
aux époques plus calmes, de se développer dans l'abondance.
Ses hautes chaînes sont comme d'inexpugnables repaires. A
l'Ouest, les Alpes se prolongent le long de l'Adriatique; les
massifs se succèdent à travers l'Albanie et, sous le nom de
chaîne du Pinde, la jonction se fait avec le système grec. Au
Xord-Est, les Balkans proprement dits, prolongement trans-
danubien des Carpathes, vont finir perpendiculairement à
la mer Noire. Entre les Alpes et les Balkans s'étale le haut
84
QUESTIONS DIPLOMATIQUES KT COLONIALES
plateau de Mœsie, centre orographique de la péninsule, appuyé
à l'Est au mont Vitoch qui le lie aux Balkans, et dominé à
rOuest par le Char Dagh qui rejoint les monts d'Albanie. Entre
TArchipel et les Balkans, auxquels le rattache le mont Rilo,
s'étend le massif indépendant du Rhodope, avec, à l'Ouest, la
montagne de Périm.
INDICATIONS
OROGRAPHIQUES
W
ASIE
INEURE
Dans ces montagnes et dans les plateaux qui en descendent,
s'élèvent des citadelles naturelles. Les petits cirques de la
Tchernagora (Monténégro), — Niegoush, Cettigné, — où la
plaine est au fond de l'entonnoir de roches calcaires abruptes,
soutinrent plus de sièges que ces arènes fortifiées d'Arles, aux-
quelles elles ressemblent. Ailleurs ce sont de hautes plaines
fermées, comme celle de Vieille-Serbie, comme celle d'Uskub
entre le Char Dagh et le Kara Dagh, comme celle de Monastir
encastrée dans le vaste plateau qui s'étale à l'Orient des monts
d'Albanie. Au sud d'Uskub, c'est « le chapelet de plaines closes
« ceinturées de collines que les montagnes aiguës surplom-
« bent ' ».
Au Nord de la péninsule, s'étend, — à l'Est du plateau serbo-
1 Victor Béuard. En Macédoine^ p. 147.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 85
LosTiiaque, — la vaste plaine danubienne. Au Sud, se creusent
vers TArchipel la vallée de la Maritza avec ses deux plaines
supérieure et inférieure, la vallée du Vardar avec sa plaine
macédonienne, et la vallée du Salamvrias (Pénée) avec la plaine
de Thessalie.
Or, cette péninsule, où une nation ne peut guère périr une
fois qu'elle s'y est fixée, a été, à travers les siècles, le réceptacle
de races nombreuses. Des empires s'y sont succédé ou com-
battus, — tous encore vivants, chacun dans le souvenir d'une
partie de la population, qui rêve de le restaurer.
La Grèce antique fut concentrée au Sud. Mais des Doriens
arrêtés en route sont probablement les ancêtres des Albanais
d'aujourd'hui. Des colonies grecques essaimèrent dans les îles
et sur les côtes du Nord-Est. Les Macédoniens répandirent la
civilisation hellénique.
L'Empire romain laissa ces colonies de Kout/o-Valaques, —
Ir^res des Roumains de la rive gauche du Danube, — qui
vinrent s'établir dans la chaîne du Pinde et dans quelques
.iutres massifs, quand les légions évacuèrent la Transylvanie.
L'Empire d'Orient, « création artificielle gouvernant vingt
- nationalités différentes * », se maintint par rhellénisme et par
hi religion orthodoxe, dont les Byzantins s'efforçaient déjà" de
f^jjre une religion grecque.
Mais, dans la période trouble des grandes migrations bar-
bares, la péninsule, située la première — bien qu'un peu à
iniuehe — sur la grande route des peuplades en marche, n'avait
pas été épargnée. La plupart des invasions y tourbillonnèrent
♦?t se dissipèrent comme une tourmente. Deux peuples se fixè-
rf»nt ilélinitivement, les Jougo-Slaves, puis les Bulgares.
Appelés par lléraclius, les Jougo-Slaves colonisèrent proba-
Uement, au début, depuis la Save jusqu'en Thrace. Ceux du
\ord-Ouest s'appelaient, et s'appellent encore. Croates, et ceux
du Sud-Est, Serbes.
Les Grecs avaient refoulé ces Slaves un peu vers le iSord-
«hjest, quand les Bulgares païens — de race touranienne ou
<;uralo-aItaïque — s'établirent en conquérants, surtout dansla
rpirîonqui s'étend au Nord et au Sud des Balkans proprement
dits. Us y trouvèrent une population slave peu dense que les
Grecs n^avaient pu ni complètement refouler, ni sérieusement
' A- IUmbaud.
' A- Rambacd : « Le baptême orthodoxe conférait le droit de cité ». — Compa-
rer avec la conversion à Tlslam dans l'Empire ottoman.
86 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
helléniser. On prétend qu'il existe aujourd'hui certaines régions
bulgares où les habitants des villes sont petits et bruns et par-
lent une langue corrompue, tandis que les paysans d'alentour
sont grands et blonds et parlent une belle langue slave : les
Bulgares se seraientdès l'origine groupés dans des villes. Ce qui
semble le plus certain, c'est que les Bulgares, de civilisation pri-
mitive et bientôt évangélisés par Cyrille et Méthode, se sont
fondus dans la population slave, comme les Francs parmi les
Gallo-Bomains. D'où le peuple bulgare actuel, peu différent du
peuple serbe et séparé de lui, moins par une question de race,
que par le souvenir des empires aux frontières variables qui les
ont successivement groupés.
C'est contre l'empire côtier des Grecs que se sont élevés ces
empires slaves de la montagne.
D'abord, le premier empire bulgare : le tsar Siméon (892-927)
règne de la frontière hongroise jusqu'à Constantinople. Au
début du xi'' siècle, le tsar Samuel règne sur l'Albanie et la
Macédoine actuelles. La capitale et la métropole religieuse sont
h Okhrida. Son empire est détruit par les Grecs en i018.
Ensuite, l'empire appelé vlaquo-bulgare, dont les tsars
étaient soit des Slaves, soit des Koumans venus d'au delà du
Danube, soit plus probablement des Valaques. Tirnovo, dans la
Bulgarie actuelle, était sa métropole et sa capitale. Son grand
empereur fut le tsar Johannitsa le Romaïoctone, qui lutta pour
la possession de la Thrace contre l'empereur latin Baudoin, et
le vainquit à la bataille d'Andrinople (1205). Jamais cet empire
ne domina les pays serbes qui avaient commencé à s'organiser
dès le XII*' siècle, sous la dynastie des Némanyas, anciens
joupa/is, — ou chefs de clans — de Rascie *.
En 4346, Stéphane Douchan le Grand, dont la métropole est à
Petsch ou Ipek, en Vieille-Serbie, se fit sacrer, à Uskub, tsar
serbe. Il fut l'allié des Bulgares. Maître de tous les pays serbes
et de la Macédoine, il menaça Constantinople.
Le Turc mit fin à cette lutte entre Slaves et Grecs pour l'hégé-
monie des Balkans. La Macédoine, devenue indépendante, fut
conquise, après la bataille de la Maritza (1371). Les Serbes,
unis aux Bosniaques qui ont eu jusqu'alors une histoire à peu
près indépendante, furent écrasés au Champ du Merle (Kossovo
Poljé, 1389). La Bulgarie fut occupée. La chrétienté, qui inter-
vint, fut défaite à Nicopolis (1396). La ville de Constantinople,
déjà dépouillée de son empire, succomba en 1453.
Les Ottomans régnèrent en maîtres sur toute la péninsule
pendant de longs siècles.
1 Sandjak de Novibazar actuel. Novibazar s'appelait Rascia.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 87
Sous le gouvernement des sultans, les rivalités nationales,
sans but immédiat et pratique, s'apaisent. Les Grecs tendent
à monopoliser les aspirations chrétiennes : ils sont civilisés
depuis plus longtemps que les Slaves; leur patriarche de Cons-
tantinople devient vraiment le chef du monde orthodoxe balka-
nique, quand — après Téglise autocéphale de Tirnovo, détruite
par les Turcs dès 1393, — disparaissent, en 4766, les deux
églises d'Ochrida et d'ipek.
Mais, au xix** siècle, les nationalités ressuscitent dans la
péninsule comme dans le reste de l'Europe. Leurs efforts
héroïques, tantôt encouragés, tantôt étouffés par les grandes
puissances, n'ont jusqu'ici pu aboutir qu'à raffranchissement
partiel de la péninsule.
Au Nord et au Sud, les noyaux des principales nationalités se
sont constitués en Etats.
La Grèce actuelle est libérée dès 1829 *. Mais elle regarde
vers les îles et les côtes d'Asie, vers la Crète déjà autonome,
vers TEpire, vers la région hellénique située au Nord de sa
frontière thessalienne, vers la Chalcidique, vers Conslanti-
nople.
Le royaume actuel de Roumanie n'a jamais été complètement
soumis aux Ottomans. Pleinement indépendant (1877-1878), il
ne regarde pas du côté des Balkans : les Koutzo-Valaques sont
trop peu nombreux et trop éloignés ; la « Romania irredente »
est ailleurs.
Le Nord-Ouest de la péninsule est en grande partie occupé
par deux Etats serbes : le Monténégro, que ne put jamais sub-
merger le Ilot islamique, et la Serbie, dont l'indépendance fut
reconnue au traité de Berlin après plus de soixante-dix ans de
luttes. Mais les Serbes sont la nation la plus morcelée par les
frontières politiques. Bon nombre d'entre eux habitent cette
partie de la Hongrie méridionale désignée sous le nom de
Banat ; d'autres, dans le royaume de Croatie et dans la province
de Dalmatie. Nous en retrouverons dans ce qui resté de la Tur-
quie d'Europe. Bon nombre ont môme affaire, à la fois, au
Sultan et au Habsbourg : ils forment, — les uns chrétiens, les
autres musulmans — environ les deux tiers de la population de
Bosnie et d'Herzégovine, juridiquement toujours turques, mais
occupées par les Austro-Hongrois en vertu du traité de Berlin;
ils peuplent ce sandjak de Novibazar qui, à la fois fossé entre
1 Sauf les fies Ioniennes, cédées par l'Angleterre en 1864, et la Tliessalie, annexée
en 1881.
90 QUESTIONS DtPLOMATIQUIfiS ET COLONIALES
les deux Etats serbes et couloir par où rAutriche-Hongrie
s'avance vers le Sud, est administré par les Turcs et occupé
par des garnisons austro-hongroises. L'attention des Serbes, se
portant successivement sur les régions où la nation est le plus
menacée ou a le plus de chance d'agir avec succès, ne peut donc
pas se concentrer sur les frères de Turquie : c'est là pour eux
une cause de faiblesse.
A la difTérence des Serbes et des Grecs, les Bulgares peuvent
s'occuper exclusivement de ce qui se passe en Turquie. Ils ont
même l'immense avantage, au point de vue macédonien, de
n'être pas tout à fait affranchis : leurs entreprises ne sont pas
des menées étrangères. Le traité de San-Stefano avait créé du
Danube à la mer une grande Bulgarie indépendante avec, pour
débouchés, Kavala et la rive gauche de Vardar. Le traité de
Berlin découpa en trois tronçons cet Etat nouveau que venaient
d'esquisser les diplomates russes : toute la Macédoine et la côte
de l'archipel furent laissées à la Turquie; la principauté de
• Bulgarie, vaguement vassale de Constantinople, fut limitée au
versant Nord des Balkans et à la haute vallée de la Strouma ;
au Sud des Balkans proprement dits, la Roumélie Orientale fut
organisée, par une conférence européenne en province auto-
nome de l'empire turc. En 1885, la Roumélie proclama son
union avec la principauté. Les deux tronçons ainsi soudés
s'occupent du troisième, dans les limites, toutefois, que j'aurai à
indiquer.
• •
Entre la Bulgarie, la Serbie, les provinces d'occupation
. austro-hongroise et le Monténégro, au Nord, et la Grèce, au
Sud, subsiste donc encore une Turquie d'Europe.
Elle comprend :
i^* A rOuest, les deux vilayets de Scutari et de Yanina, où
les Albanais sont en énorme majorité ;
2** A l'Est, Constantinople et le vilayet d'Andrinople, où domi-
nent les musulmans et les Grecs ;
S"* Entre ces deux groupes extrêmes, les trois vilayets de
Salonique, de Monastir et de Kossovo (chef-lieu Uskub), qui
correspondent assez exactement à la Macédoine et, tout au Nord,
à la Vieille-Serbie. Ils sont en majorité Slaves.
Le traité de San-Stefano, — d'ailleurs trop bulgarophile et
panslaviste, — affranchissait du joug turc toute la Macédoine
slave *.
1 Les Turcs conservaient, outre la province d'Andrinople et leurs provinces orien-
tales, les pays grecs du Sud-Ouest et la Chalcidique avec Salonique : les Slaves,
et spécialement les Bulgares, préoccupaient alors, seuls, les Russes. — Voir la
carte ci -contre.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE
91
L'Europe réunie en congrès à Berlin préféra rendre la Macé-
doine aux Turcs. Elle le lit en sauvant la face : par le fameux
article 23, des réformes furent imposées à la Turquie par les
puissances :
ft Des règlements analogues (au règlement de la Crète),
t adaptés aux besoins locaux, seront également introduits dans
<y les autres parties de la Turquie d'Europe, pour lesquelles une
/ CARTE DE LA PENINSULE
DES BALKANS D'APRES LE
TRAITÉ DE SAN STEFANO
« organisation particulière n a pas été prévue par le présent
tt traité. La Sublime Porte chargera des commissions spéciales,
9 au sein desquelles l'élément indigène sera largement repré-
¥. sente, d'élaborer les détails de ces nouveaux règlements pour
*r chaque province. Les projets d'organisation résultant de ces
« travaux seront soumis à Texamen de la Sublime Porte, qui,
tf avant de promulguer les actes destinés à les mettre en vigueur,
M prendra l'avis de la commission européenne instituée pour la
« Koumélie Orientale. »
Les commissions spéciales furent plus ou moins sérieusement
convoquées par la Sublime Porte. En 1880, la conférence de
Constantinople discuta longuement et donna son avis à la
Porte *. Et ce fut tout.
L'Europe, une fois qu'elle eut replacé la Macédoine sous le
A Oû trouvera les procès-verbaux de la Conférence de (Constantinople dans le Livre
blea antrlais : Turkey, n» 15, 1880, Correspondance respecting tlie new law for the
European provinces of Turkey^ 2 volumes. C-2103 et G-2703-1.
92 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
joug turc, ne tint pas les promesses faites à Berlin et solennelle-
ment consignées dans l'article 23.
L'Europe est la vraie responsable de Fétat révolutionnaire
actuel de la Macédoine.
II
LE RÉGIME HAMIDIEN
Les Turcs auraient pu, au moment de la conqu(^te, anéantir
tous ceux qui repoussaient lassimilation, c'est-à-dire, au point
de vue islamique, la conversion. Leur invasion n'eût probable-
ment pas beaucoup plus ému la chrétienté. Ce système barbare
a réussi aux Prussiens entre FElbe et les pays polonais. Les
Anglais Font plus d'une fois pratiqué : « Les Français, disait
« Fun d'eux, ne savent pas coloniser : ils ne se débarrassent pas
tt des populations indigènes. »
Sans doute, c'est une circonstance atténuante pour les Turcs
de n'avoir ni massacré, ni converti de force leurs sujets. Ils
n'ont cependant acquis sur eux, par cette mansuétude d'au-
trefois, ni le droit absolu du maître sur l'esclave, ni même
le droit de les entraîner dans leur ruine. Or, FEtat turc est
une « théocratie à deux étages », et pour passer do Fétage
inférieur à Fétage supérieur, il n'existe qu'un moyen : la
conversion. En haut, sont les musulmans, quelles que soient
leur race et leur nationalité d'origine. Toutes les fonctions
publiques leur sont réservées. Ils peuvent aspirer <\ tous les
emplois. Ils sont seuls soldats. La cité n'existe que pour eux.
En bas, sont les chrétiens, — les sujets ou ratas^ que l'Etat
musulman ne connaît guère que pour leur faire payer la
captution [khavadj). Ils ne seraient que des troui)eaux mal
exploités, si on ne tolérait' i)as les communautés qu'ils forment
en se groupant autour de leurs évéques et de leurs métropo-
lites, et si leurs municipalités, ou plus exactement leurs paroisses
/OU diocèses, ne leur permettaient pas d'avoir, sous la cité
musulmane, une existence collective, embryon de vie natio-
nale.
Toutes les réformes libérales que FEtat ottoman a acceptées
ou annoncées au cours du xix^ siècle n'ont été que des réformes
de fa<:ade ou de vaines promesses faites à l'Europe. La tenta-
tive la plus loyalement énergique, celle du sultan Mahmoud,
s'est heurtée à une Turquie déjà trop cristallisée pour être
modifiée. Le Hatti shérif du 3 novembre 1839, qui garantissait
aux sujets ottomans de toutes religions leur vie et leur fortune,
et le Hatti liumayoun si profondément révolutionnaire de
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 93
février 1856, qui proclamait la liberté et l'égalité» de tous les
sujets de l'Einpire et leur admission dans l'armée et à toutes les
fonctions, ne furent que des déclarations platoniques. La Cons-
titution de décembre 1876 créait un Sénat, une Chambre, un
Ministr*re responsable; elle établissait la liberté de la presse, la
liberté de réunion, l'inamovibilité de la magistrature et Tins-
truction primaire obligatoire : elle ne fut jamais mise en
vifîueur; mais elle permit à la Turquie de répondre à l'Europe,
qui lui proposait certaines réformes, que ces réformes étaient
contraires à la Constitution ! n
Les quelques réformes réalisées n'ont aucune portée pratique.
Les conseillers chrétiens sont nommés par le vali parmi les
îîens dont il est silr ; ils sont traités comme le méritent des non-
musulmans ; ils ne savent d'ailleurs pas le turc, et ne peuvent
pas se tenir au courant. Les adjoints chrétiens aux valis, insti-
tués en 1896, quand l'opinion européenne s'émut des troubles
arméniens, servent les valis comme employés subalternes et
obséquieux, ou roulent leurs cigarettes.
L'immuable machine turque continue à marcher, sans subir
d'autres changements sérieux que ceux qui marquent de temps
à autre son détraquement, d^année en année plus lamentable.
Le raïa, — impatient quand il voit, au delà des nouvelles
frontières, ceux qui étaient il y a quelques années ses compa-
gnons de servitude former des Etats indépendants, — sent
peser sur lui de plus en plus lourdement les rouages faussés ou
hors d'usage de l'Etat turc hostile.
Un vali répondait au colonel Yankof, — Bulgare-Macédo-
nien, aujourd'hui membre du comité Michaïlowsky, — qui lui
avait demandé pourquoi les Turcs ne consentaient pas à faire
dans TEmpire une place meilleure aux Jougo-Slaves : « Parce
M que, laborieux comme vous êtes, vous nous devanceriez, et
« l'Empire ottoman s'écroulerait. » .L'exemple de ce qui se
passe, depuis l'occupation autrichienne, en Bosnie, où les
grands propriétaires musulmans* marchent à la ruine et où
les sortes de métayers chrétiens qui cultivent le pays com-
mencent à acquérir la terre, est bien fait pour moutrer que ce
vali n'avait pas tort. Mais il aurait dû aussi donner une
deuxième raison : Tlslam est devenu immuable ; il est hostile
à tout progrès : « En Asie Mineure, me disait M. Michaïlowsky,
• les derviches s'opposent à la construction des chemins de fer,
u qui, prétendent-ils, bouleversent Tordre divin. »
Le vali, qui me reçjut en 1899 à Scutari d'Albanie, venait
< Bien que Slaves et de la même race que les paysans chrétiens.
94 QUESTIONS DIPLOMATIQUISS GT COLONIALES
d'avoir à lutter contre toute la garnison révoltée et était
enquêté par de hauts fonctionnaires venus de Constantinople :
il avait voulu faire exécuter de grands travaux publics, et
notamment canaliser et assainir la rivière qui porte à la mer
les eaux du lac de S eu tari à travers des marécages où l'on prend
la terrible fièvre de la Boïana. De même, le cours inférieur du
Vardar, de la Strouma, restent fermés, inutiles.
Quelques chemins de fer ont bien été construits : — ligne
de Constantinople à Belgrade par Andrinople ; lignes de Cons-
tantinople à Salonique, de Salonique à Mitrovitza, et, avec
bifurcation près d'Uskub, à Belgrade ; ligne de Constantinople
h Monastir. Mais les conditions auxquelles les concessions ont
été faites annulent d'avance une bonne partie des avantages
que le pays pourrait tirer de ces chemins de fer : la garantie
d'intérêts, notamment, fonctionne de telle façon que les com-
pagnies peuvent restreindre le trafic sans être atteintes dans
leurs revenus. La ligne de Constantinople à Salonique, qui
s'éloigne de la mer pour une raison stratégique facile à com-
prendre, aurait besoin d'être rattachée à la côte par quelque
embranchement, vers Kavala ou Orfano; mais la compagnie
s'est engagée à ne pas construire cet embranchement sans exé-
cuter en même temps vers le Nord un travail correspondant,
d'intérêt stratégique et non commercial. Les petits ports de
l'Archipel restent ainsi sans communication avec Tintérieur.
Plus encore que les embranchements, les routes manquent
aux chemins de fer, et d'une façon plus générale, à la Turquie
d'Europe. Un impôt spécial a été créé pour la voirie; mais
il se perd dans les budgets en déficit. Quand quelques rares
tronçons de routes sont construits par des valis réformateurs,
ils ne peuvent l'être que par la corvée obligatoire, — autre
fléau.
Des fonds ont été réunis pour créer des institutions de crédit
rural. Or, dans les rares vilayets ou sandjaks* où ces institu-
tions ont fonctionné, on a fait souscrire par les paysans, qui
ne savent pas le turc, seule langue officielle, des obligations
telles, que la ruine s'en est suivie à l'échéance. Personne n'a
plus recours à ces prêts qui, eux, soutiennent bien l'emprun-
teur (( comme la corde le pendu ».
Tous ceux qui font une enquête en Turquie d'Europe, et sur-
tout en Macédoine, constatent que ces régions devraient être
parmi les plus riches du monde, et par la faute des Turcs, sont,
au contraire, parmi les plus misérables. Je choisis, entre bien
1 Subdivision du vilayet.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 95
d'autres, un passage de M. Victor Bérard *, sur la plaine macédo-
nienne de la basse vallée du Vardar : .
«« ...Et pourtant, ce pays... semblait disposé par la nature
« pour être un paradis pour Thumanité... La plaine pour le
« blé, la colline enterrasses pour les vergers et les vignes, la
« montagne pour les forêts et les troupeaux, le fleuve pour
« Firrigation, les sources pour l'arrosage, et la mer toute
« proche pour l'échange des produits ; il semble que Thomme
« n'aurait eu (ju'à se laisser vivre, en surveillant le travail de
« la terre et des eaux. L'esprit se reporte involontairement aux
tt vallées de Toscane... D'IIskub àSalonique, pendant soixante
« lieues, pas une forêt à l'horizon, pas un verger, pas un arbre,
e sinon quelques cyprès autour des mosquées de Kuprulu, et
« quelques platanes tordus et boueux dans les cailloux du
«c fleuve. Pas de verdure. Pas de culture. De loin en loin,
« quelques pans de chaumes moissonnés, et la brousse des
€ chardons et des joncs *. » ,
Et, comme des Anglais qui viennent de chasser au marais,
montent dans le train avec leurs rabatteurs :
« Une chasse aux canards, aux sarcelles, au gibier d'eau,
a voilà, sous la latitude de Naples, au bord de l'Archipel, sur
« Tune des grandes routes du monde, tout ce que le Turc a su
« faire de la plus fertile des plaines, et voilà pourquoi le con-
a cerl européen travaille à maintenir l'intégrité de l'Empire
(r ottoman. »
De même, M. Georges Gaulis' :
M La plaine de Koumanovo est aux trois quarts livrée aux
« herbes ou aux roseaux ; ses céréales réputées ne poussent
c qu'en des oasis, autour des centres habités. La plaine d'Uskub
«ç n'offre pas un coup d'œil plus riant. La culture du pavot
cf s'est développée autour de la ville ; les champs de blé pour-
« rissent au delà, mais à trois kilomètres il n'y a plus rien, si
t< ce n'est par taches... En pleine sève cette splendide contrée
« meurt tuée par... l'anarchie. »
La situation des propriétaires et des paysans est intolé-
rable.
Le spéculateur qui afferme la dîme la fixe arbitrairement et
sans appel, et la perçoit sans contrôle. Il faut, jusqu'à ce qu'il
passe, laisser la moisson dans le champ. Si le dîmier tarde, la
moisson pourrit ou s'égrène, sous les yeux du paysan impuis-
* Victor Béhab». Kn Macédoine.
« Ibid , p. 130.
3 Bulgai-ie et Macédoine {Revue de Paris, i*^ nov. 1902, p. 87).
96. QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALBS
sant, qui doit encore s'estimer bien heureux quand le dîmier
n'exige pas en argent ce qu'il dit lui être dû.
Les autres impôts étaient jadis demandés à la municipalité,
qui les répartissait librement entre ses membres, les percevait
et en était seule responsable. Aujourd'hui, c'est l'individu qui
doit l'impôt. Le gendarme turc s'installe au village, y exigeant
« bon souper, bon gîte... » ; il reçoit l'argent sans donner de
reçu, et perçoit souvent deux fois. Telle est une des seules
sérieuses réformes à l'européenne qui ait été vraiment réalisée :
une réforme à rebours.
Le village est encore bien heureux si quelque taxateur irré-
gulier ne prélève pas aussi sa part après, ou, de préférence,
avant le gendarme du Sultan.
Dans la Vieille-Serbie, l'Albanais vient, à la Saint-Georges
(23 avril), fixer la contribution qu'il réclamera au Slave à la
Saint-Michel (29 septembre), sous peine, bien entendu, de pil-
lage, d'incendie et de meurtre. Cela se passe avec des formes :
une sorte de taille de bois, semblable à celle de nos boulan-
gers, le tchetel, sert de feuille d'impôt *.
Ailleurs, ce sont des bandits qui enlèvent quelque paysan ou
négociant. Ils font connaître aux siens la date à laquelle il
sera exécuté au cas où une rançon qu'ils indiquent n'aurait
pas été payée. Si les chrétiens avaient le droit de se montrer
les armes à la main, les bandits de ce genre auraient vite
disparu. Le gouvernement turc le sait : en 1890, Halil Rifaat
pacha, vali de Monastir, fit distribuer douze fusils par village :
l'ordre régna vite dans toute la région ; mais le vali fut envoyé
en Asie Mineure. Depuis, en 1900, son successeur a recom-
mandé aux intéressés de payer bien régulièrement les rançons
pour ne pas irriter les brigands*. C'est ainsi que certain roi
de France payait les Northmans pour ne pas s'attirer d'af-
faires.
Le fonctionnaire opère d'ailleurs parallèlement aux bri-
gands : le bakchich fait concurrence à la rançon. En effet, les
fonctionnaires touchent rarement, de-ci, de-là, un mois de
traitement. Vivre sur le pays est le seul moyen de subsister
que leur procure le gouvernement turc. Ils ont pour cela des
procédés devenus classiques. Par exemple, une fausse affiche
révolutionnaire apposée dans un village permet d'arrêter les
notables et de ne les relâcher que contre argent comptant.
C'est bien la rançon, avec la franchise et un certain courage
en moins.
i V. BÉRARD. En Macédoine, p. 115.
* Wkdar. Le mouvement révolutionnaire macédonien. — VHumanité nouvelle^
p. 6.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 97
Les mouchards foisonnent. L'espionnage fait partie du
régime.
La justice ne présente aucune garantie. Sous le voile des
principes dont on fait montre, à Tusage de TEurope, les juges
sont nommés par le vali parmi les hommes d'affaires de sa
clientèle. Les faux témoins musulmans sont devenus une ins-
titution. Les prisons sont abjectes. La question n'est pas aussi
abolie qu'on s'efforce de le faire croire.
Ni la propriété, ni Thonneur, ni la vie des raïas ne sont ga-
rantis contre la fantaisie et la convoitise des fonctionnaires du
Grand Turc et de leurs amis. C'est en étudiant la Turquie
qu^on peut vraiment comprendre la vieille maxime romaine :
Jus privatum sub tutelajuris publici latet\
Dans un pareil milieu, les résistances, les vengeances et les
décisions désespérées sont fatales. Celui-ci a à venger sa
femme ou sa fille ; celui-là, sentant sa vie en danger, et traqué,
S'est enfui ; cet autre a eu son champ confisqué ; cet autre était
à bout : il a pris son fusil et gagné la montagne *. Les outla^^'s
se retrouvent. Ils forment des bandes, — comme jadis plus au
Nord, en pays dalmate par exemple, les haïdouks. Les cadres
de la révolution nationale sont ainsi créés par l'Empire ottoman
lui-même.
Et il y a plus que tout ce que je viens d'esquisser.
Il est aujourd'hui établi que les événements arméniens
avaient été organisés à l'avance et que le signal en a été
donné de Constantinople. Le massacre devient un dogme du
panislamisme et un des moyens de règne d'Abdul-Hamid. Le
Turc regrette de ne pas avoir pris jadis, en s'installant, la pré-
caution de faire maison nette et cherche à réparer ce qu'il re-
garde aujourd'hui comme une faute. Or, dès 1898, le général
Saadéddin pacha, qui, d'après TenquOte anglaise, a organisé
les massacres de Crète, fut envoyé en Macédoine. Selon
M. Wédar*, il eut pour mission : « 1° de fonder dans chaque
« ville des comités musulmans ; 2*^ de leur distribuer des
•: armes; 3** d'organiser le silence forcé hors de la Macédoine,
« de façon que la nouvelle des massacres soit connue très
1 Depuis le mois d*avril 19032, un journal — le Mouvement macédonien, 206, bou-
krard Raspail — a été fondé à Paris pour dénoncer les « atrocités macédoniennes. »
* Quelques oaois avant sa mort, M. Pierre d'Espagnat a écrit un « roman macédo-
ajcD » intilalé : Avant le massacre (Fasquelle, 1902).* Il a eu le tort d'y mettre en
r^ne des Bulgares loquaces comme des Grecs et tout imprégnés des souvenirs de
Tantique Hellas : le Bulgare est taciturne ; il supporte toutes les persécutions en
silence jusqu'au jour où, brusquement, il fonce silencieusement sur l'adversaire.
Mats M. d'Espagnat a bien montré la progressioa des souffrances et de Tindigna-
tiao, toute la genèse de la révolution.
» Op. cit., p. 6.
QoKST* DiPL. BT Col. — t. xv. 1
98 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
« tard en Europe ». Ce qui est certain, c'est que des comités
musulmans, officiellement encouragés, sont aujourd'hui cons-
titués dans toute la Macédoine. Depuis le printemps dernier,
toute la population musulmane est armée. De fréquents conci-
liabules ont lieu dans les mosquées. Les tètes se montent. On
parle, tantôt de reconquérir les territoires perdus, et tantôt de
courir sus à la population chrétienne de Tinlérieur*.
La crainte du massacre plane sur la population chrétienne,
l'exaspère, et peut la pousser à bout.
Sous le régime d'Abdul-Hamid, l'Etat ottoman, incapable
d'être cet Etat rudimentaire qu'est l'Etat-gendarme, est sûre-
ment l'Etat-brigand. Il se prépare peut-être, une fois de plus, à
être TEtat-massacreur.
Le régime hamidien est la cause du mouvement révolution-
naire macédonien.
Comment pareil régime peut-il durer?
II!
POURQUOI LA TURQUIE PEUT SE MAINTENIR EN EUROPE?
Le Turc se maintient en Europe parce qu'il est militaire-
ment très fort et appuyé par des amis puissants; parce que ses
sujets chrétiens d'hier et d'aujourd'hui sont affaiblis par leurs
prétentions contradictoires; parce que les grandes puissances
directement intéressées à la solution du problème balkanique
se jalousent, et craignant de troubler la paix, prolongent le
statu quo.
Autant TEtat ottoman s'est montré incapable de transforma-
tions constitutionnelles, administratives et juridiques, autant
il a su se créer une armée puissante, à la fois fanatique et
adaptée aux besoins de la guerre moderne. Dès 1826, le sultan
Mahmoud supprimait à coups de canon les vieux corps indis-
ciplinés des janissaires et des spahis. De Moltke présidait
à l'organisation de l'armée nouvelle. Depuis, la mission alle-
mande de J882, avec von der Goltz, a dirigé son rajeunisse-
ment. A mesure que s avancent vers Bagdad, à travers le pla-
teau d'Asie Mineure, les rails allemands du chemin de fer qui
1 M.Anatole Leroy-Beaulieu écrit dans VEuropéen du l*' novembre 1902 : « En
« Europe comme en Asie, le Sultan s'eflbrce de rétablir l'ordre par Ja terreur. Le
a pillage, le viol, le massacre sont ses instruments habituels de gouvernement dans
« les vallées du Vardar et de la Struma aussi bien que sur les rives du lac de Van
« ou sur les bords escarpés du haut Euphrate. Les chrétiens de Macédoine, les
« Slaves surtout» se voient, i leur tour, menacés d'anéantissement. »
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 99
doit, à travers toute la Turquie d'Asie, unir le Bosphore au
♦rolfe Persique, les corps d'Asie deviennent rapidement mobili-
sables sur rEurope. Les chances de succès d'une révolution
chrétienne diminuent.
L'Empire allemand veut ranger de son côté cette force nou-
velle qu'il a contribué à développer; certains de ses sujets rê-
vent pour lui d'une Asie occidentale transformée en Inde ger-
manique. Il lie partie avec l'Empire ottoman, qui participe de
la force de son nouvel ami et devient intangible.
En même temps la finance internationale se prononce pour
le Turc, débiteur à qui elle a beaucoup prêté, et qu'elle ne veut
point voir disparaître.
En second lieu, parmi les sujets du Sultan en Turquie d'Eu-
rope, les Turcs sont tout dévoués au Padischah. Les autres mu-
sulmans, — Albanais, Mohadjirs ou musulmans émigrés des
provinces perdues, Pomaks ou Bulgares convertis à ITslam, —
ne souffrent guère du régime ottoman : ses défauts sont com-
pensés, pour eux, par les privilèges qu'il leur accorde.
Les Valaques, trop peu nombreux pour pouvoir penser à
constituer un Etat indépendant, craignent l'intolérance natio-
nale de l'Etat nouveau qui les engloberait.
Les Juifs ne souffrent guère du régime que parce qu'il n'est
pas favorable aux affaires. Ils savent s'entendre avec le Turc.
Les Grecs, vaincus en 1897, ne veulent pas de sitôt courir
une aventure nouvelle ; mais ils tiennent à sauvegarder l'avenir,
lis voient dans les revendications des autres chrétiens une
atteinte portée à la Grande Idée, au rêve de reconstitution de
l'Empire d'Orient : tout effort fait pour morceler la côte qui va
de la frontière grecque actuelle à Constantinople est, à leurs
veux, sacrilège. Ils aimeraient mieux soutenir les Turcs que
iaisser triompher les Slaves.
Les Slaves ainsi isolés sont divisés entre eux : Serbes contre
Bulgares. Sauf la Vieille-Serbie, sur laquelle les Bulgares n'ont
jamais élevé de prétentions, et la partie orientale du vilayet de
Salonique, que les Serbes ne revendiquent pas, tout est liti-
gieux entre les deux nationalités.
Il est, en effet, malaisé de les distinguer les uns des autres.
Je les ai montrés peu différents par la race et divisés surtout
par des souvenirs historiques incertains. La langue n'est point
un critérium : les dialectes mixtes dominent. La religion n'est
pas un signe probant. Sans doute, les Bulgares ont obtenu en
1871 la création d'une église autocéphale, — l'exarquat, —
100 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
tandis que les Serbes de Macédoine continuent de relever du
patriarche grec de Constantinople. Mais l'exarquat, de création
récente, n'a pas, sur certains points, rallié tous ceux qui sont
susceptibles de se croire Bulgares. Dans bien des régions, au
contraire, sa propagande a fait des progrès anormaux : elle a
été favorisée par le fait que l'évêque du patriarche est grec, et
par là même antipathique aux Slaves. On ne peut même pas
s'en rapporter à l'option personnelle de chacun : les mômes
familles, les mêmes villages, oscillent de l'une à l'autre église,
de l'une à l'autre nationalité. Ces Slaves macédoniens sont en
grande partie des « androgynes ». L'Etat slave qui les tiendra
un jour les fixera sans doute, mais ils sont encore malléables.
D'où, la bataille acharnée qui se livre depuis peu pour leur
possession.
Autrefois, quand les Turcs étaient maîtres de toute la pénin-
sule, rinfluence serbe pouvait seule rivaliser quelque peu avec
Tinflucnce grecque. Les Serbes, plus cultivés que les Bulgares,
avaient des écoles. Elles ont été peu à peu fermées au cours du
xix** siècle, quand les Serbes apparurent aux Turcs comme des
révoltés. Les dernières furent supprimées pendant la dernière
guerre serbo-turque (1876).
Quand Texarquat fut créé avec l'appui des Russes, l'influence
bulgare grandit. Mais, longtemps, les Serbes, occupés ailleurs,
n'eii furent pas jaloux : des livres furent imprimés à Belgrade
pour la propagande bulgare. Le traité de San-Stefano marqua
l'apogée de la poussée bulgare.
11 fut suivi d'une période d'accalmie pendant laquelle le roi
Milan rogna en Serbie et le royaume de Bulgarie ne se préoc-
cupa que de la Roumélie Orientale.
Ce n'est guère qu'en 1886, après la défaite du royaume de
Serbie par la principauté de Bulgarie agrandie de la Roumélie
Orientale, que commence la lutte serbo-bulgare en Macédoine.
La Serbie constate que l'Autriche-Hongrie prolonge sans
terme son occupation de la Bosnie. Elle vient de voir échouer
ses revendications sur la région de Vidin '. Elle se tourne vers
le Sud. Salonique lui apparaît comme le débouché nécessaire.
N'ayant pas, à la différence de la Bulgarie, d'église nationale en
JViacédoine, elle ne peut y avoir d'écoles confessionnelles. Mais
il existe dans l'Empire ottoman un autre type d'écoles : les
écoles du ministère de l'Instruction publique. Elle obtient l'au-
torisation de fonder des écoles de ce type, d'abord en Vieille-
Serbie, au lendemain du premier voyage du roi Alexandre à
* C'est pour revendiquer la région de Vidin que la Serbie fit la guerre de 1885
contre la Bulgarie.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE iOi
Saint-Pétersbourg, puis dans toute la Macédoine, après la
guerre tnrco-grecque *. Sa propagande n'est pas politique. Elle
n'a qu'un caractère national et scolaire. Elle veut éveiller et
grouper les Serbes, sous le régime turc, afin de rattraper, avant
tout démembrement, le terrain qu'elle prétend avoir perdu.
Elle s'appuie volontiers sur les Ottomans et cherche à s'entendre
avec le patriarche grec. D'autre part, la Russie trouve irrégu-
lier que l'exarque bulgare continue à séjourner à Constanti-
nople et h exercer son action en Macédoine depuis qu'est créé
un Etat bulgare aux frontières duquel il devrait limiter son
activité. Elle craint en même temps, et ajuste titre, qu'une trop
grande Bulgarie cesse définitivement de faire partie de sa clien-
tèle. La Russie soutient donc les Serbes, qui sont des orthodoxes
sans reproches et qui limitent Tinlluence bulgare. Consuls
russes et consuls serbes collaborent souvent. C^est grâce à la
Russie que le patriarche a nommé un Serbe, M^"^ Firmilian,
évt^que d'Uskub en remplacement d'un Grec, face à l'éveque
bulgare de l'exarque. La Serbie accepterait dans l'avenir un
partage de la Macédoine ou de la Bulgarie, et dès maintenant,
l'établissement de sphères d'influences.
Les Bulgares, au contraire, revendiquent toute la Macédoine,
et pour en préparer l'annexion, demandent, comme mesure
transitoire, la création d'une grande province macédonienne
jouissant de droits étendus. L'autonomie politique les préoccupe
avant tout. Les Macédoniens qui luttent pour Tidée bulgare ont
été alternativement soutenus, de Bulgarie, par les ministères
russophobes, qui avalent les mains libres et voulaient se faire
pardonner leur politique triplicienne, et retenus par les minis-
t»*res russophiles.
On verra bientôt dans quel sens se sont modifiées les idées
des Macédoniens bulgares et comment on peut entrevoir un
certain rapprochement serbo-bulgare en Macédoine.
Mais il reste établi que les rivalités entre raïas et les pré-
tentions contradictoires des petits Etats affranchis de la pénin-
bii]e permettent aux Turcs d'être les plus forts tant que l'Eu-
rope sera, elle aussi, divisée par la question balkanique.
La France, préoccupée surtout par la question d'Egypte,
soutient immuablement la théorie, érigée en principe, de l'in-
tégrité de l'Empire ottoman. Ses véritables intérêts dans l'Em-
f Récompense de la neutralité serbe, comme des bérats furent la récompense de
la neutralité bulgare
102 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
pire immédiat du Sultan sont en Syrie. L'entreprise hasardeuse
et antirusse qu'on cherche à lui faire couvrir en l'engageant
financièrement dans l'entreprise de Bagdad n'a, pour elle, que
des liens indirects avec les questions d'en deçà du Bosphore.
En Turquie d'Europe, si des nationaux français ont d'impor-
tants capitaux engagés, notamment dans des entreprises de
chemins de fer et de quais, la France n'a pas de grands inté-
rêts nationaux : le protectorat de la tribu albanaise des Mir-
dites ne nous absorbe pas beaucoup. Pour ne pas avoir d'af-.
faires, nous diminuons progressivement le nombre dos protégés
indigènes inscrits sur les registres de nos consulats. — La
France ne figure pas parmi les grands lutteurs engagés pour
leur compte dans la crise balkanique.
L'Angleterre, autrefois si passionnée par tous les problèmes
balkaniques, semble aujourd'hui distraite par l'Afrique et par
l'Asie. Le point de frottement entre la Russie et elle s'est dé-
placé : il faut aujourd'hui le chercher dans les mers chinoises.
Il sera probablement demain sur les côtes persanes. Une (lotte
anglaise a beau continuer à séjourner une partie de l'année à
Salonique, et le ministère anglais actuel a beau chercher mala-
droitement à poser la question des Détroits, l'écrivain qui se
cache sous le nom de Calchas me paraît exposer très exactement
la politique anglaise de demain : « La grande expansion de la
« Russie dans l'Asie centrale et dans le bassin de l'Amour ne
« commença qu'immédiatement après la guerre de Crimée et
« fut le résultat direct de l'effort que nous fîmes pour lui barrer
« la route ailleurs. Après Sébastopol et après le Congrès de Ber-
<r lin, la Russie aurait été bien au-dessous de sa tâche si elle
« n'avait pas tendu toutes ses forces vers l'Asie *. » Conclusion :
laisser la Russie libre d'agir dans les Balkans, c'est un peu se
débarrasser d'elle en Asie. Et ailleurs : « Là où il n'y a que
« lutte pour l'agrandissement de l'Allemand ou du Slave aux
« dépens l'un de l'autre, les intérêts anglais dans l'avenir poli-
« tique des Balkans ou de l'Asie Mineure ne valent pas les os
« d'un grenadier anglais '. »
Comme le laisse entendre Calchas, la lutte me paraît circons-
crite entre trois grandes puissances : l'Allemagne, l'Autriche-
Hongrie et la Russie. — L'Italie a bien des prétentions sur la
région côtière de l'Albanie. Mais, là, elle ne heurte quel'Au-
triche-Hongrie, et l'Allemand, allié commun des deux inté-
ressés, saura bien, tant que durera la Triple Alliance, les
mettre d'accord.
i Fortnightly Review, oct. 1900 : Why not a trealy with Russia ?
2 /6w/.| juill. 1901 : Russia and herprobleins.
LA QUESTION DE LA MACÉDOINE 103
UEmpire allemand, — nous Tavons vu, — est doublement
iatéressé aux questions balkaniques : d'une part, il est l'ami de
l'Empire ottoman ; d'autre part, son chemin de fer de Bagdad
et les projets qui s'y rattachent sont la continuation du Drang
nach Osten européen, qui rejoint l'Asie à travers la pénin-
sule.
L'Autriche-Hongrie, associée à TAllemagne pour la création
et l'exploitation du Z>/-«/ig^ primitif de TEurope centrale, a, dans
les Balkans, des intérêts distincts de ceux de son associée. Elle
cherche à s'assurer deux débouchés maritimes vers la Méditer-
ranée, par la domination de la côte sud-orientale de l'Adria-
tique et par l'ouverture sur l'Archipel du débouché de Salo-
nique. Ses habiles menées en Albanie tendent à lui frayer la
première voie. Le chemin de fer qu'elle prolonge actuellement
de Sarajevo vers Novibazar rejoindra un jour Mitrovitza et le
chemin de fer qui en descend déjà vers Salonique : ce sera
rinstniment de la seconde percée. La voie, jusqu'à la mer,
cf>upe la Macédoine en deux. D'où, des tentatives possibles
d'annexion du côté d'Uskub, et, en tout cas, une raison pour
rester en Bosnie et pour empêcher de se rapprocher les deux
Etats serbes qui, en arrivant à se toucher, barreraient la route
autrichienne future. D'où aussi une politique consistant à attirer
dans sa sphère d'influence les petits Etats balkaniques, afin de
sVn faire comme des « marches «.contre la Russie. L'Autriche-
Hongrie sent, en efi'et, que cette politique austro-balkanique
inquiète la Russie, et craint en mc^me temps que cette dernière
ne soit animée du môme esprit qu'en 1878.
Toutefois, quand la Russie fut absorbée en Asie, les deux
adversaires, l'un occupé ailleurs et l'autre rassuré, s'entendi-
rent, sans résoudre aucune des difficultés pendantes entre eux,
pour ne pas continuer la lutte : ils traitèrent, en 1897, sur la
base du statu quo dans la péninsule balkanique.
Les Macédoniens considérèrent la signature de ce pacte
comme un désastre : ils y virent une garantie de l'intégrité et
de l'immuabilité de l'Empire ottoman.
Les Bulgares macédoniens achevèrent d'être exaspérés quand
ils virent les ministres russophiles de la principauté de Bulga-
rie se résigner à la politique austro-russe et tenir le raisonne-
ment suivant : « Cène sont ni les Macédoniens, ni les Bulgares
« de la principauté, ni les Serbes du royaume qui résoudront la
« question macédonienne. Ce sont les grandes puissances : elles
c décideront sans tenir compte des protestations des intéressés,
c L'important est donc de se développer, de devenir prospères
♦ et forts, et de gagner ainsi la confiance des grandes puis-
104 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
« sances. Alors, mais alors seulement, au jour du partage, la
« Bulgarie aura la part à laquelle elle a droit. Peu importent les
« progrès de Texarquat. L'Etat bulgare arrivera toujours à assi-
« miler les populations qui lui seront confiées. L'exarquat au
« contraire a été établi à Nisch et dans la Dobroudja. Or, Nisch
« est serbe et la Dobroudja est roumaine. En tout cas, nous ne
« voulons plus entendre parler de l'agitation en Macédoine. Elle
« nous fait un tort considérable. Elle nous discrédite auprès
« des puissances, a
Alors, les Bulgares macédoniens, pressés d'agir, prirent une
grave résolution. « Nous venons de nous séparer, me disait
<c M. Michaïlowsky, de nos amis les Slaves du centre et les Slaves
« du Nord (il aurait pu ajouter : et du gouvernement bulgare).
« Ils nous disent d'attendre. La patrie est aux abois. La na-
« tion serait peut-être anéantie, quand nos amis se décideraient
t à agir. » ^
L'Europe, pour s'assurer la paix, préfère paralyser et masquer
une cause de trouble et d'anarchie, plutôt que de la faire cou-
rageusement disparaître. Se rendant compte qu'ils ne peuvent
rien sans l'Europe, les Bulgares macédoniens prétendent lui
poser ce dilemme : ou la liberté en Macédoine, ou des troubles
qu'on n'arrivera pas à limiter aux Balkans.
Bené Henry.
LA QUESTION DU MAROC
Les événements du Maroc suivent un cours capricieux et
parfois surprenant, mais tel que le prévoyaient tous ceux qui
sont quelque peu au courant de l'anarchie dans laquelle
s'enlise le pouvoir chérifien sous la poussée anglaise; cette
incohérence des faits ne peut déconcerter que ceux qui s'atten-
dent à trouver dans la succession des événements, au Maroc
comme ailleurs, un enchaînement logique et régulier.
Nous avons appris successivement que la mission française,
commandée par le colonel Saint-Julien et conduite par le pre-
mier secrétaire de la Légation de France avait quitté Tanger
pour se rendre à Fez, mais avait dû s'arrêter à El-Ksar.
Cet arrêt, explicable tant que nous supposions le départ de Fez
des Européens et du baronnet Mac Lean, chef de la mission
anglaise, ne Test plus guère depuis que nous savons que sir Mac
Lean n'a pas quitté le sultan ; les hypothèses les plus diverses
circulent à ce sujet.
Il est aussi difficile de comprendre pourquoi les dépt^ches
annonçant que l'artillerie du sultan a été capturée par Bou-
Hamara ne disent rien du sort des instructeurs français; le si-
lence que Ton garde sur leur compte laisse supposer que cette
artillerie leur avait été retirée, mais nous ne savons ni pour-
quoi, ni dans quelles circonstances cette marque de défaveur a
pu se produire.
Nous avons appris que les troubles se sont étendus jusqu'aux
portes de Tanger, forçant les. habitants d'un village à chercher
refuge chez M. Harris, le correspondant du Times,
On nous informe également que la surexcitation des Zemmour
augmente, que la route de Fez à Rabat est coupée par le soulève-
ment des tribus, et cela paraît infirmer les renseignements
d'après lesquels les principaux contingents du sultan auraient
été levés dans cette tribu insurgée la veille. D'ailleurs, on donne
des nouvelles fâcheuses touchant le peu de solidité de ces con-
tingents qui sont rassemblés à Fez au nombre de i5 à
20.000 hommes.
106 QUKSTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Vers TEst et dans le voisinage de la frontière algérienne, les
dépêches indiquent que Bou-Hamara entretient des intelli-
gences avec Bou-Amama, notre vieil adversaire, dont rinlluence
grandit ainsi ; on assure également qu'aux portes d'Oudjda,
comme aux portes de Figuig, l'agitateur envoie des émissaires
destinés à recueillir Tadhésion des tribus.
On annonce enfin que Mouley Mohammed le Borgne, frère du
sultan, enfermé à Mequinez, et que ce dernier avait dû précipi-
tamment mettre en liberté afin de créer une diversion en parais-
sant utiliser les services de celui que la révolte acclamait comme
le sultan de demain, a été mis de nouveau en prison à Fez. De
récentes dépêches annoncent, au contraire, qu'il est mis à la
tête de Tune des colonnes qui marchent contre le prétendant.
En résumé, et tout en faisant la part des fausses nouvelles, qui
nous viennent surtout de Madrid en ce moment, il semble que
la totalité du Bled-Siba, depuis le jour où Bou-Hamara a envoyé
des émissaires jusqu'au Sous, au Tafilet et au Uif, est en état
de révolte au moins latente, et trouve dans les événements
actuels un. motif de cohésion bien inattendu pour tous ceux
qui connaissent l'état divisé et anarchique de ces régions.
Il semble en revanche que la partie du Maroc qui constitue le
Bled-Maghzen se divise, et que le sultan a eu une certaine peine
à mettre en mouvement ses provinces habituellement fidèles.
Si Ion s'arrêtait à ces aspects généraux de la situation :
union des différents éléments berbères, Ritfains, Beraber et
Chleuh, qui constituent presque l'intégralité du Bled-Siba, en
face de la désunion du pays Maglizen, Berbères soumis ou ara-
bisés etCheurfa, on serait tenté d'en conclure que la ruine du
sultan est inévitable, et que le succès de Bou-Hamara est certain.
Il est difficile de le faire. Cette cohésion politique des uns
n'entraîne pas nécessairement la cohésion des efforts militaires
des contingents envoyés par les tribus, et d'autre part, la
désunion du Maghzen ne rend pas inévitables la défaite des
troupes du sultan et l'occupation de Fez.
La prise de Fez est une opération difficile pour des tribus
mal armées ; d'ailleurs les ressources en argent ne manquent pas
au sultan pour acheter les consciences. Nous apprendrions,
un de ces jours, ou sa mort ou celle de son frère, que la situa-
tion politique serait seulement modifiée suivant l'impression
que le sultan ou son successeur auront gardée des sentiments
et de l'attitude de certaines puissances, durant la crise.
Notre conduite doit être déterminée par cette seule considé-
ration. Ainsi que nous l'avons toujours pensé, notre poli-
tique au Maroc doit être d'éviter tout ce qui peut favoriser
r
LA QUESTION DU MAROC 107
faction des puissaaces étrangères dans ce pays, ou leur union
concertée à son sujet; et réciproquement, de prouver en toutes
circonstances au sultan que nous sommes les protecteurs natu-
rels de son indépendance et de sa puissance.
Nous reproduisons, à ce sujtt, une note publiée par l'agence
Paris-Nouvelles^ et qui vise une entente anglo-espagnole éven-
tuelle :
i< Le journal El Pais prétend que la Grande-Bretagne désire
« une entente complète avec l'Espagne concernant les affaires
<^ du Maroc ; les négociations seraient commencées.
« L'Angleterre propose un accord stipulant que les garnisons
« d'AIgésiras, Tarifa, Ceuta et Melilla seront renforcées, et au
« dernier moment, une escadre combinée des deux puissances
« serait envoyée à Tanger.
« Le vice-amiral Camaro recevra des instructions concernant
« les vaisseaux espagnols disponibles. »
Cette information, comme on pouvait s'y attendre, a été
immédiatement démentie par les agences officieuses de Madrid.
Est-ce une raison suffisante pour croire qu'il n'y avait aucune
réalité dans cette information? N'est-on pas en droit de la consi-
dérer comme une sorte de ballon d'essai? Quoi qu'il en soit, il
y a là un ordre d'éventualités qui doit être surveillé très atten-
tivenaent par notre gouvernement, car si quelque semblable
accord venait à se produire, il y aurait lieu d'aviser sans re-
tard : la situation comporterait alors, de notre part, des déci-
sions immédiates.
X.
NOTRE ENQUETE
SUA
LES AFFAIRES DE SIAM
OPINIONS
DE M. G. ChASTENCT, d'un C0LLAB0RATEi:i\ d'ExTRÊME-OrIENT, DE
M. Robert de Caix {Journal des Débats), — Protestation
des écrivains militaires, maritimes et coloniaux.
i
Comme on l'a vu, notre enquête sur le traité du 7 octobre nous a valu
de nombreuses adhésions à la politique que nous avons toujours préco-
nisée en cette occasion. Nous reproduisons aujourd'hui deux nouvelles
lettres auxquelles nous croyons devoir joindre la correspondance si
intéressante également que M. Robert de Caix vient d'adresser au Journal
des Débats, Enfin nous sommes heureux de pouvoir ajouter à ces divers
documents l'énergique protestation rédigée par le comité de l'Association
des journalistes militaires, maritimes et coloniaux et destinée par lui aux
membres du Parlement.
Il nous semble qu'ainsi se trouve définitivement établie la démonstra-
tion que nous nous étions proposé de faire dès le lendemain de la signa*
ture du traité, c'est-à-dire que la convention est mauvaise» inutile, dan-
gereuse même et que sa ratification par le Parlement serait une lourde
faute.
N. D. L. R.
LETTRE DE M. G. GHASTENET
Monsieur le Directeur,
Vous me demandez mon opinion au sujet du traité du
7 octobre 1902.
J'ai trop de conliance dans la compétence et l'habileté de notre
ministre des Affaires étrangères pour ne pas craindre, en pre-
nant dès à présent position , de risquer un jugement téméraire.
Sans doute, à examiner ce traité comme un marché ordinaire,
et pour ainsi dire dans sa matérialité et ses résultats immédiats,
la balance des abandonnements réciproques paraît peu à notre
avantage.
Au seul point de vue territorial, c'est au plus si Ion peut pré-
tendre que les provinces de Bassac et de Mélou-prey, insa-
NOTRE ENQUÊTE SUR LES AFFAIRES DE SIAM 109
lubres et peu fertiles, compensent nos droits sur Angkor et
Battambang.
Nous renonçons en outre aux positions stratégiques d'où,
constamment en éveil sur les menées perfides et sourdement
agressives de la cour de Bangkok, nous pouvions du moins
peser sur elle par la menace d'une action toujours prête ; nous
acceptons la suppression de la zone neutre établie par la conven-
tion de 1893 sur la rive droite du Mékong; nous admettons une
définition restrictive de notre droit de protection sur les sujets
chinois, cambodgiens et annamites; nous consentons enfin à
évacuer Chantaboun.
Toutes ces concessions ne se peuvent apparemment expliquer
que par les sentiments les plus conciliants et dans le sens d'une
politique d'entente et d'amitié.
Il semble bien, en effet, qu'une telle politique ne pouvait être
sincèrement inaugurée tant que dureraient les rapports créés
entre les deux pays par le traité de 1893. Le Siam y voyait
une humiliation et une menace permanentes.
Il s'en vengeait, à la manière des faibles, en s'efforçant de nous
susciter des rivaux, en proscrivant les Français de son adminis-
tration et en livrant son armée et sa flotte à des officiers anglais
ou japonais. Ne fallait-il pas en finir et substituer à une situa-
tion aussi fausse et aussi irritante un nouvel état de choses,
dans lequel notre influence se relèverait et se développerait en
un concours réciproque de bonnes volontés ?
Mais d'autre part, n'est-ce pas un leurre de désarmer et de
renoncer à l'avantage du terrain, pour tenter d'arriver à une
entente loyale avec un peuple, ou plutôt avec un souverain,
qui nous a donné tant de preuves d'hostilité et de mauvaise foi ?
Entre les deux méthodes, l'une de contrainte, l'autre de per-
suasion, grande est la difficulté de choisir.
Le texte du traité qu'il a soumis au Parlement montre dans
quel sens a penché l'honorable M. Delcassé.
Il nous fournira ses raisons, et on doit espérer qu'il nous
apj)ortera quelque chose de plus que ce que le texte du traité
paraît nous donner.
Mais est-il bien sûr, ou seulement probable, que le ministre
nous fera connaître toutes ses raisons?
Souvent en effet la diplomatie a des raisons que la raison ne
doit pas livrer aux commentaires, et l'opinion ignorante des
difficultés ne se prononce presque toujours que d'après les
résultats. ' '
Du nioinSjéclairées par leur patriotisme, nos Chambres françai-
ses ont montré qu'elles avaient le juste sentiment des conditions
iiO QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLOtOALES
dans lesquelles doit s'exercer l'action diplomatique d'un pays.
Alors que, dans d'autres circonstances, elles s'étaient montrées
plus ombrageuses et plus susceptibles, elles ont, au contraire,
accordé à tous les ministres qui se sont succédé au quai d'Or-
say un large crédit presque sans contrôle.
Mais ce qui fait Fautorité d'un ministre, fait aussi sa respon-
sabilité.
G. Chastenet,
Député de la Gironde.
LETTRE DUN COLLABORATEUR DEXTRjfiiME- ORIENT
Monsieur le Directeur,
Comme la presque unanimité de ceux dont vous avez déjà
recueilli les avis, mon opinion très nette est que le nouveau
traité n'a rien d'avantageux pour nous ; et quand je le compare
à celui de 1893, il prend à mes yeux l'aspect d'une véritable
reculade. Mais j'estime qu'il n'y a pas lieu de m'étendre sur ce
point, car je ne pourrais que répéter à vos lecteurs les raisons
déjà énumérées et très probantes qui justifient cette manière de
voir.
Plus que les clauses elles-mêmes de la nouvelle convention,
ce qui me frappe et ce qui me choque, c'est la nécessité où nous
nous trouvons de recommencer si fréquemment avec le Siam
— le dernier Livre jaune en fait foi — des négociations qui ont
pour but de modifier les traités qu'il a signés avec nous et qu'il
déclare ne pouvoir exécuter.
On fonde grand espoir, pour transformer un état de choses
que notre gouvernement avoue peu favorable à nos intérêts,
sur la bonne volonté dont nous ferions preuve si le Parlement
ratifiait la convention du 7 octobre dernier. 11 me semble cepen-
dant que, dans la période qui s'est écoulée depuis la signature
du traité d'octobre 1893, si nous avons péché par quelque point,
ce ne peut être par manque de bonne volonté. Je ne vois
aucune raison pour que cette attitude ait dans ra\^enir de meil-
It^urs effets que par le passé. J'en vois d'autant moins que nos
heureux rivaux dans la vallée de la Ménam ont basé leurs
succès sur une manière de faire très différente de la nôtre :
pour avoir mis la main, d'une façon plus ou moins dissimulée,
sur un état vassal du Siam, ils ne paraissent pas être plus mal
vus à Bangkok et tout au contraire y sont aussi respectés" que
pur le passé.
Le public français peut trouver étrange, au premier abord,
que le Siam se jette ainsi dans les bras de l'Angleterre qui peu
NOTRE ENQUÊTE SUR LES AFFAIRES DE SIAM lit
à peu domine son administration, accapare ses services publics,
et le dépouille de ses états. Si Ton y réfléchit, cette conduite
semble logique, ou, du moins, l'on comprend qu'entre deux
maux le Siam ait choisi celui qu'il estimait le moins grave.
Pris comme dans un étau entre les possessions coloniales de
deux grandes puissances rivales, sa finesse asiatique ne lui a
pas caché qu'il était incapable de résister simultanément aux
entreprises de ses voisins. Mais l'un d'eux lui ayant offert de le
soutenir contre l'autre, il n'a pas tardé à accepter cet appui,
quelque onéreux qu'il dût être, car je ne crois pas qu'il se fît
grande illusion à ce sujet.
L'Angleterre en effet proclame hautement qu'elle est prête
à soutenir, matériellement au besoin, les petits Etats qui
s'adressent à elle, tandis que le renom de la France est à cet
égard moins grand, en Extrême-Orient comme en d'autres
régions du globe : les discours de nos gouvernants ne laissent-
ils pas à penser que nous désirons la paix à tout prix?
A diverses reprises le Siam a pu constater que nous hésitions à
heurter l'hostilité britannique. Dés lors ses hésitations cessèrent
et son parti fut pris. Il devint délibérément notre ennemi, et je
suis convaincu que toutes les manifestations de notre. bonne
volonté, quelque grande que soit celle-ci, ne changeront rien à
cet état de choàes : au contraire.
Ma conclusion est très nette : Quels que soient nos traités
avec cette petite puissance asiatique, notre situation au Siam
ne pourra qu'empirer tant que nous ne modifierons pas du tout
au tout notre attitude et notre politique à son égard.
Un Collaborateur d'Extrême-Orient.
CORRESPONDANCE DE M. ROBERT DE GAIX
au Journal des Débats,
Bangkok, le 4 décembre.
Tout un faisceau d'intérêts étrangers se concentre à Bangkok, c'est-à-
dire que les nouvelles y affluent : à peine est-on débarqué que l'on apprend
des? faits intéressants, bien avant de pouvoir prétendre tenter de faire un
tal)leau d'ensemble de cette prodigieuse fourmilière. On se préoccupe assez
ici, surtout dans certains milieux commerciaux allemands et danois
directement intéressés, de la politique active menée par les Anglais dans
le Malacca siamois. Tout ce qu'on a publié il y a quelques semaines sur
raction britannique à Kélantan et à Trenganou était vrai et même fort en
deçà de la vérité, malgré tous les démentis apaisants qui ont été publiés
à Londres.
Il est parfaitement exact que le drapeau siamois a été amené à Kélantan
112 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
et remplacé par celui du sultan local, vassal cependant de Bangkok. Quel-^
que temps après, le gouverneur de Singapour venait à bord d'une canon-
nière sanctionner par sa présence ce changement. Il l'accentuait môme en
plaçant auprès du sultan un fonctionnaire britannique qui devait prendre
le rôle envahissant d'une sorle de maire du palais joué jusque-là par un
résident siamois. Quant aux fameux Sikhs, signalés par le télégramme
Havas qui attira tant l'attention, ils se trouvent bien à Kélantan et à Tren-
ganou : la seule inexactitude des dépêches aurait été la modération de leurs
statistiques. Ces soldats anglo-indiens ne seraient pas, en effet, au nombre
de trois cents, comme on l'avait dit, mais bien de près du double. Il est
vrai qu'ils sont venus discrètement, par petits paquets, former ce total res~
pectable et qu'ils sont non pas au service anglais, mais à celui des petits
sultans malais dont ils forment la garde. Mais ce sont des soldats anglo-
indiens, commandés par des oiïiciers anglais de la retirtd Ust.
Tels sont les faits accomplis : si les Anglais ont trouvé un terrain favo-
rable dans les sultanats malais où on préférait l'ordre britannique au
désordre ruineux et arbitraire des Siamois, la situation n'en est pas moins
fort intéressante et instructive pour les autres voisins du Siam. A Bangkok,
on a, il est vrai, commencé par se plaindre doucement, par demander à
l'Angleterre de revenir sur les mesures prises par le gouverneur de Singa-
pour. Les Anglais ont immédiatement fait comprendre à leurs amis qu'il
valait beaucoup mieux ne pas insister. Ils auraient même avisé le gou-
vernement siamois qu'ils ne répondaient pas des conséquences que pour-
rait avoir l'envoi de navires siamois portant des soldats aux plages des
petits sultanats malais. Bangkok se Test tenu pour dit, et à l'heure actuelle,
poursuit amicalement des négociations dont l'issue serait la consécration
de la mainmise britannique sur Kélantan et Trenganou.
Voici, en effet, quelles seraient les bases d'un arrangement dont on
annonce la conclusion comme imminente. La suzeraineté siamoise sur
Kélantan et Trenganou serait reconnue, mais des conseillers anglais
auraient la haute main sur les finances et l'administration des deux sultans
qui conserveraient du reste leur garde de soldats anglo-indiens. Un des
conseillers britanniques déjà désigné serait M. Duff, le directeur du syndi-
cat qui a dojà la haute main sur toute la matière exploitable des petits
sultanats malais. Les Anglais s'arrangeraient même de manière à assurer
un traitement de faveur aux marchandises importées via Singapour, au
détriment de celles qui transitent au Malacca siamois en passant par le
centre de distribution que tend à devenir Bangkok. Les marchands de
Singapour se plaignent de ce que les articles venant de Bangkok entrent
en franchise à Kélantan et à Trenganou. Ils voudraient qu'ils acquittassent
un droit de 3 J[ ad valorem comme les produits qui arrivent de Singapour.
Les négociateurs britanniques soutiennent leur point de vue. En vain le
Siam fait observer qu'on prétend en réalité lui imposer des douanes inté-
rieures, que les articles étrangers importés à Trenganou et à Kélantan via
Bangkok ont dt'^jà payé le droit de douane à leur entrée sur le territoire
siamois. Exiger un nouveau payement à leur entrée au Malacca serait
les taxer de C % alors que les marchandises venant de Singapour ne
payeront que 3 %. Il faudra donc mettre dans un grand état d'infériorité le-
commerce de Bangkok ou instituer tout un système difficile, encombrant.
NOTRE ENQUÊTE SUR LBS AFFAIRES DE SIAM 113
(Je passe-debout ou de ristournes. Cependant, rien n'y fait, et devant la
volonté arrêtée des négociateurs britanniques, le Siam devrait s'incliner et
>e soumettre, dans le prochain arrangement, à la prétention de Singapour.
Peut-être les Anglais ne se- sentent- ils pas une sollicitude extrême pour
un centre de distribution où tend à dominer le commerce allemand, comme
U» prouve un premier coup d*œil sur les navires rencontrés par le voyageur
oui remonte jusqu'à la capitale les eaux surpeuplées de laMénam.Nous
navons pas à résoudre ce problème et notre pays n'a guère à se préoccu-
per du traitement, même commercial, que le gouvernement anglais fera
>uhir au Malacca siamois. Nos intérêts économiques y sont nuls : peut-être
le seraient-ils moins si le gouvernement siamois n'avait systématiquement
ivfasé, là comme ailleurs, les concessions que demandaient nos nationaux ;
n»ais, ici, nous avons à nous soucier du fait incontestable l>ien plus que
de ses causes. D'autre part, depuis la déclaration anglo- française du
1." janvier 1896, nous n'avons plus à nous préoccuper du respect ou de la
vùilation de la souveraineté siamoise dans les sultanats malais vassaux de
îiangkok. L'action britannique à Kélantan et à Trenganou nous intéresse
surtout comme une indication et comme un exemple. Elle prouve que,
j>atieiiiinent, la mainmise des Anglais sur le Malacca siamois, réservé à
leur influence par la Déclaration de 1896, s'étend et que Singapour marche
•^arjïi trêve à la rencontre de la Birmanie britannique. Mais ce qui se fait
ch^^z les petits sultans malais peut se faire chez les principicules laotiens
ce la rive droite du Mékong. Les griefs des populations sont les mêmes,
la supériorité de la puissance européenne voisine n'est pas moins grande.
Lt^s mêmes mesures peuvent être prises pour exercer Tinfluence nécessaire
-ans porter une atteinte plus grave aux droits du gouvernement de
Bangkok. Si ce dernier voit d'un œil amical certaine action au Sud-Ouest
de ses domaines, il ne saurait être plus malveillant pour une action iden- .
îlijue qui s'exercerait au Nord-Est,. ou bien alors c'est une duperie que de
rechercher avec zèle son amitié. Un usage discret, mais sensible de la
:\.Tce a beaucoup contribué, en dehors même du travail d'absorption que
p^iursuit l'Angleterre sur toute la jeune aristocratie siamoise de plus en
plus anglicisée, à affermir les excellents sentiments du Siam à son égard.
Les derniers événements sont une nouvelle preuve de l'excellence de sa
iiiéthode. Partout un peu d'autorité influe heureusement sur les sentiments :
Ir-s grands pédagogues l'ont toujours su et cette vérité est plus vraie encore
lorsqu'elle s'applique aux races très souples qui habitent sous le ciel dissol-
vant de cette Asie tropicale.
R0BE1{T DE CaIX.
proxestahon de l'association professionnelle
dksiëcrivainset publigistes militaires mari-
TUftSS ET COLONIAUX.
Après avoir examiné à fond les diverses clauses du projet de traité du
T octobre 1902 avec le gouvernement siamois, le Comité de l'Association
a é mi ri à r unanimité l'avis suivant :
Le traité soumis à la ratification du Parlement fait perdre à
la France un territoire de 61.300 kilomètres carrés ; les
QnmsT. OiPL. »T Col. — t. xv. 8
114 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLOffULES
12.300 kilomètres carrés qu'il semble rendre à notre domina-
tion appartenaient déjà au roi de Cambodge, notre protégé :
contre des avantages illusoires nous abandonnons une partie
du royaume de Luang-prabang, la zone neutre de la rive droite
du Mékong, la zone neutre de Battambang et Angkor, Chanta-
boun, nos casernes, nos forts, tous les bénéfices d'une occupa-
tion de neuf années, 15 millions de francs dépensés pour cette
occupation.
Si le traité du 7 octobre dernier devenait définitif, nous per-
drions notre droit exclusif de navigation sur le Mékong qui.
ouvert aux Siamois, ne tarderait pas, à la suite de concessions
inévitables, à devenir une voie d'eau internationale, ce à quoi
le gouvernement français s'est toujours énergiquement opposé
depuis le jour de loccupation de Saigon.
Dans un avenir désormais rapproché, lorsque les Siamois
auront construit le chemin de fer de Battambang à Bangkok,
tout le commerce des riz et du poisson serait détourné de sa
voie naturelle par Saigon pour être dirigé sur la vallée de
Ménam. Ce serait un préjudice énorme causé au commerce
cochinchinois.
Battambang deviendrait un centre de contrebande pour
l'introduction des cotonnades anglaises se substituant aux
cotonnades françaises ; il deviendrait impossible d'empêcher la
fraude sur cette marchandise d'un prix considérable.
Cela est si vrai, qu'en 1882, six mois après l'établissement
de la régie en Basse-Cochinchine, nous fûmes obligés de
demander au roi du Cambodge la constitution d'une zone
neutre, pour nous permettre de suivre les contrebandiers.
Aujourd'hui, le Cambodge, au point de vue fiscal, est entré
sous l'administration coloniale ; les mêmes faits sur sa fron-
tière siamoise se produiraient, avec la différence que le roi
Norodom était notre vassal, tandis que le roi du Siam est
indépendant.
Au point de vue militaire, il y aurait un véritable péril à
permettre aux Siamois de s'établir sur les bords du Grand
Lac; c'est de là, en effet, qu'en cas de guerre, partirait une
expédition qui prendrait à revers toutes nos défenses.
En ce qui touche notre influence dans les pays d'Orient, nous
nous placerions dans la plus fâcheuse posture. Après avoir
accordé notre protection aux Laotiens, aux Cambodgiens ainsi
qu'aux Chinois immatriculés dans nos consulats, nous aban-
donnerions ces Asiatiques à toutes les représailles du gouverne-
ment siamois, qui les punirait d'avoir eu foi en la France, en
les ruinant et les accablant de mauvais traitements.
NOTRE ENQUÊTE SUR LES AFFAIRES DE SIAM 115
En conséquence, le Comité de l'Association des écrivains et
publieistes militaires maritimes et coloniaux sans distinction
de parti ou d'opinions politiques estime que le projet de traité
conclu le 7 octobre dernier avec le gouvernement siamois est
contraire aux intérêts et à la dignité de la France et de
nature à lui faire perdre son prestige vis-à-vis de nos sujets
iDdo-chinois et de nos protégés asiatiques; qu'en réponse aux
mauvais procédés dont la cour de Bangkok n'a cessé d'abreuver
nos agents, ledit traité concède au Siam des avantages de
toute nature que ce pays aurait à peine obtenus après une
campagne victorieuse.
Le Comité émet le vœu que ce traité ne soit pas ratifié par
le Parlement.
Il décide que sa délibération relative au traité franco-siamois
■^era envoyée individuellement à tous les membres du Sénat
et de la Chambre des députés.
Pour le Comité :
Le président y
Henry Houssaye.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES
h
I. — EUROPE.
France. — Nos forces navales de T Extrême-Orient et de H Atlantique. —
Au mois d'avril dernier, M. de Lanessan réorganisait nos forces
navales des mers d'Exlrème-Orient et de Tocéan Atlantique. C'était
une conception nouvelle de la répartition de nos escadres.
Dans les mers de Chine, il réunissait, sous l'autorité d'un même
commandant en chef, l'escadre d'Extrême-Orient et les divisions
navales du Pacifique et de Tocéan Indien, dans le but de former une
importante force navale de douze croiseurs répartis en deux divi-
sions, dont une volante, l'autre restant dans les mers de Chine. En
même temps, il créait une division cuirassée de réserve à Saïgon
et établissait des défenses locales au moyen de petites canonnières.
Dans l'Atlantique, la division navale de l'Atlantique et la division de
Terre-Neuve et d'Islande étaient réunies à l'escadre du Nord qui pre-
nait le nom de « force navale de l'Atlantique ». Le but de cette réorgani-
sation était de restreindre l'éparpillement des unités de combat et
d'en former des forces présentant une valeur militaire.
La conception nouvelle était-elle bonne? On nef pouvait le voir,
expose le Temps dans un article très étudié, qu'à l'expérience, et
son application n'a duré que six mois, et l'essai n'en a pas été fait
avec toute l'impartialité possible, soit en raison des circonstances
imprévues, soit en raison des vues différentes du successeur de
M. de Lanessan sur l'utilisation des forces navales. Le 30 décembre
en effet, a paru au Journal officiel un décret qui rapporte purement et
simplement les mesures prises il y a quelques mois.
Les motifs de ce décret sont exposés dans un rapport dont les rai-
sons ne sont pas convaincantes. On y déclare que nos bâtiments dans
ces mers lointaines pourraient constituer difficilement en cas de
guerre de véritables forces de combat et que chacun d'eux, isolé, ne
pourrait affronter la lutte que dans des cas exceptionnels; on n'en
a jamais disconvenu et c'est pour cela que l'organisation supprimée
aujourd'hui voulait les grouper et en former un faisceau solide.
La subordination des chefs des divisions au commandant en chef
ï
RlilNSEIGNEMEiNTS POLITIQUES 117
de Tescadre est indiquée dans le rapport comme difficile à réaliser
en raison de réloignement. Mais croit-on que les opérations d'un
navire dans Tocéan Pacifique seront mieux dirigées de Paris que de
Saigon? Cependant le rapport, pour démontrer le bien-fondé de cçtle
opinion, dit que lorsque la catastrophe de la Martinique eut amené le
renforcement de la division stationnée aux Antilles, c'est du centre
du gouvernement et non du commandant en chef de la force navale
de FAllanlique qu'est partie la direction. L'exemple ne vaut pas
dans la circonstance, car les opérations que faisaient les croiseurs
naviguant aux Antilles n'avaient aucun rapport avec des opérations
de guerre. Si, il y a six mois, on a jugé utile la réunion de forces
navales indépendantes à des escadres, c'est en vue des circonstances
d'un conQil armé où une direction unique est essentiellement dési-
rable et non pour faire remplir aux croiseurs un rôle de navire- hôpi-
tal, dans des événements où leur valeur militaire n'avait rien à voir.
Les raisons exposées par le rapport ne semblent donc pas suffi-
santes pour amener la dislocation de forces dont une trop courte expé-
rience n'a pas permis de reconnaître la valeur ou les inconvénients.
Le décret dans sa concision fait table rase de la tentai ive ; le rap-
port nous apprend cependant qu'on laissera survivre la division cui-
rassée de réserve de Saïgon.
Esi>agne. — Mort de M, Sagasta. — La mort subite de M. Sagasla,
le 4 janvier, au lendemain du jour où il venait d'abandonner le pou-
voir, a causé une vive émotion en Espagne et dans toute l'Europe.
Certes son rôle était fini, et bien que restant le chef nominal du parti
des libéraux, M. Sagasta n'apparaissait plus comme devant avoir une
influence active sur les destinées de son pays. Mais on ne saurait
non plus oublier les services signalés qu'il a rendus à la monarchie
espagnole et pour contre-coup la place si importante qu'il détient
dans notre histoire eontemporaine.
Turquie. — La question des Dardanelles, — La question d'Orient
vient de se réveiller d'une façon assez inattendue. Le 6 janvier,
Taoïbassade anglaise de Constantinople a remis à la Porte une^^pro-
teslalion contre l'autorisation donnée récemment à quatre contre-
torpilleurs russes de traverser les Dardanelles pour gagner la mer
Noire. Le gouvernement britannique, disait la note diplomatique de
l'ambassadeur, considère que ce fait constitue une violation des
traités internationaux aux termes desquels le détroit est fermé aux
navires de guerre de tous les pays; il prend acte de l'autorisation
accordéeaux bâtiments de guerre russes ; il la considère comme cons-
tituant un précédent pour le jour où l'Angleterre croirait devoir pré-
senter une demande analogue.
118 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Or, il convient de faire remarquer que le fait dont se plaint la
Grande-Bretagne remonte au 22 septembre dernier; le Foreign
Office a pris le temps de la réflexion ; en outre, il importe de faire
remarquer que la Russie n'a été autorisée à faire passer ses torpil-
leurs qu'après des négociations assez laborieuses et en prenant
l'engagement de les désarmer, de sorte que la Porte pût les traiter
comme des navires de commerce.
Pourquoi, à Londres, montre-t-on aujourd'hui pareille émotion ?
Le Daily Oraphk s'en explique d'une façon qui semble très précise.
Si les navires de guerre russes, battant pavillon commercial, peuvent
sortir de la mer Noire, et après s'être ravitaillés à Toulon, rejoindre l'es-
cadre française de la Méditerranée, on se trouve, dit-il» en présence d'une
situation pleine de dangers pour l'Europe et surtout pour l'Angleterre.
Nous sommes heureux d'apprendre que lord Lansdowne ait protesté
contre ce fait, et nous espérons qu'il recherchera l'occasion prochaine
d'établir les droits de l'Angleterre à un privilège accordé par le Sultan aux
navires de guerre du Tsar.
Cette explication cependant, pour ingénieuse qu'elle soit, ne doit
pas être prise trop à la lettre. Ce n'est pas un péril méditerranéen
que redoute l'Angleterre. Ses préoccupations sont d'un ordre très
différent et la campagne de presse, qui a suivi l'annonce de la protes-
tation anglaise, les a clairement fait ressortir.
Ce qui inquiète l'Angleterre, c'est l'influence de jour en jour plus
considérable de la Russie à Constantinople. Avec l'assentiment secret
de l'Allemagne, qui y trouve d'ailleurs elle-même son avantage, le
gouvernement du Tsar est, en effet, en train d'imposer à la Porte une
sorte de protectorat moral contre lequel la Porte n'a pas les moyens
effectifs de se défendre. Trop longtemps absorbée par ses propres
anxiétés, l'Angleterre a dû laisser faire la Russie. Mais aujourd'hui,
libre de toute entrave, elle sort de son Indifférence forcée, pour
venir à la rescousse de la Porte qui, probablement, n'en est pas
f&chée.
Ce qui montre bien que l'action de l'Angleterre vise l'Allemagne
tout autant que la Russie, c'est que les journaux anglais, sans
attendre les commentaires allemands, ont immédiatement pris à
partie le gouvernement allemand.
Nous savons très bien, écrivait le Times dès le 6 janvier, que nous ne
devons pas compter sur le concours de l'Allemagne.
Jamais l'Allemagne n'a employé pour des objets d'intérêt général pour
l'Europe l'influence qu'elle a acquise auprès de la Porte. Jamais elle ne
fera rien qui porte atteinte à ses bonnes relations avec son « voisin
d'Orient », pour prêter assistance à l'Angleterre. Dans tous nos différends
avec la Russie, nous pouvons bien compter avoir l'Allemagne contre nous.
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 119
Le Standard^ de son côté, à la même date, n'était pas moins acerbe
pour rAllemagne ; il allait mémo jusqu'à la menace :
Depuis quelque temps, écrivait-il, en effet, l'Allemagne affiche à
l'égard du Sultan une affection qui n'est pas complètement désintéressée,
puisqu'elle a déjà procuré aux Allemands de profitables concessions. L'Al-
lemagne désire également rester en bons termes avec la Russie, aujour-
d'hui surtout que des arrangements commerciaux entre les deux pays vont
devoir être renouvelés. Les ministres de Guillaume II cependant feront
bien de réfléchir que toutes les clauses de traités internationaux sont obli-
gatoires pour les puissances signataires. Le gouvernement allemand a
signé le traité de i871, qui a expressément maintenu le principe de la clô-
ture des détroits. S'il s'avise de dire aujourd'hui qu'il ne veut plus se préoc
cuper des Dardanelles, nous pourrons, de notre côté, imiter cette politique
d'abstention sur d'autres sujets qui lui tiennent de très près.
Il est juste de reconnaître que les journaux allemands se sont em-
pressés de payer les journaux anglais de retour. Le Nouvelliste de
Hambourg écrivait en effet à la date du 9 janvier :
La presse anglaise mène grand bruit à propos de ce qu'elle appelle une
grave violation des traités qui ferment les Dardanelles et le Bosphore aux
bâtiments de guerre de toutes les nations. Elle insiste sur ce point que si
des bâtimeuts de guerre russes peuvent, en arborant le pavillon de com-
merce, quitter, sans être inquiétés, la mer Noire pour ensuite, après un
nouvel armement, se joindre à Fescadre française de la Méditerranée, il en
résulte une situation dangereuse pour l'Europe, et en particulier, pour
l'Angleterre. Aussi, les journaux anglais expriment-ils l'espoir que lord
Lansdowne saisira la première occasion qui s'offrira à lui pour faire préva-
loir les droits de l'Angleterre contre le privilège que le Sultan a eu la fai-
blesse^d'accorder aux bâtiments de guerre du Tsar. Nous doutons fort ((u'une
pareille démarche, de la part de l'Angleterre, doive être couronnée de
succès. La Turquie est trop aux mains de la Russie pour pouvoir se sous-
traire à la volonté de cette puissance et l'on sait que l'influence anglaise est
devenue très faible à Constantinople. Soit dit en passant, le Times insinue
que l'Allemagne prendrait ici parti pour la Russie,
C'est, en effet, notre espoir, car nous n'éprouvons aucune velléité de
donner notre concours à une politique dont le résultat le plus clair serait
de nous faire les champions de l'Angleterre contre la Russie et de nous
exposer en même temps à être attaqués par la France.
On lisait d'autre part dans la Gazette de Voss^ ce même 9 janvier :
Il est incontestable que, dans le cas particulier, il y a eu violation fla-
grante des traités et que l'Angleterre est fondée à protester. Mais la ques-
tion des Dardanelles n'a plus aujourd'hui, même pour l'Angleterre l'impor-
tance qu'elle avait autrefois. La situation maritime de l'Angleterre en
Orient est aujourd'hui considérablement renforcée, par ce motif que l'An-
gleterre est maîtresse de l'Egypte et de Chypre. Quoiqu'il en soit, les pro-
testations ne peuvent avoir aucune chance de succès tant qu'elles se rédui-
120 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
sent à la forme de notes diplomatiques. Or, il n'est guère probable que
l'Angleterre recourra à d'autres moyens pour procéder contre l'empire du
Tsar. On peut donc s'attendre à voir le conflit actuel sur la question des
Dardanelles s'évanouir bientôt en fumée, ce qui permettra une fois de plus
à la Russie d'en arriver à ses fins.
On le voit, Tattitude de rAllemagne est bien celle que Ton pouvait
prévoir et l'Angleterre, dans cette afTaire des Dardanelles, a contre
elle l'action combinée des Russes et des Allemands. Réussira-t-elle,
malgré la sympathie de la Porte pour son initiative, cela est bien
douteux. En attendant, elle cherche à gagner par quelques habiles
paroles la neutralité bienveillante de TAutriche. Cest ainsi que le
Times vient de publier, dans cet esprit, une communication significa-
tive de son correspondant viennois :
L'attitude prise par la presse austro-hongroise, en ce qui concerne l'at-
titude de l'Angleterre dans la question des Dardanelles, accuse un certain
embarras, écrit le représentant du Times. Il ne faut pas oublier que la pro-
testation anglaise se dirige contre la Russie, puissance avec laquelle l'Au-
triche maintient, depuis 1897, un accord relatif aux Balkans, lequel se
trouverait d'ailleurs fortifié, et peut-être élargi, à la suite de la visite que le
comte Lamsdorff vient de faire à Vienne.
C'est à la suite de cette visite que l' Autriche-Hongrie et la Russie se
proposent de faire de nouvelles démarches à Constantinople, afin d'amé-
liorer la situation en Macédoine. II n'y aurait donc rien d'étonnant à ce que
le gouvernement austro-hongrois s'abstînt de s'associer à la protestation
anglaise, d'autant plus que cette protestation est considérée comme ayant
pour le moment un caractère théorique, tandis que la question macédo-
nienne a une importance pratique et immédiate.
Les organes les plus influents de la presse s'abstiennent, il est vrai, de
mettre en avant d*une façon brutale ces considérations; cependant, elles se
lisent, pour ainsi dire, entre les lignes d'un article, d'ailleurs amical pour
TAngleterre, que consacre aujourd'hui à la question des Dardanelles la
Neue Freie Presse,
On voit combien différent est le ton du Times quand il parle de
l'Autriche ou quand il parle de l'Allemagne. Quoi qu'il en soit, il est
certain que la démarche de l'Angleterre est l'indication d'un réveil de
la question d'Orient. C'est là une considération qui mérite d'appeler
notre plus grande attention.
n. — ASIE.
Cochinchine. — Le demie)- recensement de Ja population, — Le recen-
sement du 27 décembre 1901 a accusé une différence en plus de près
de 500.000 âmes sur les évaluations antérieures. Dans les deux muni-
cipalités constituées de Saigon etCholon, laissées libres du choix des
voies et moyens qui leur paraîtraient les meilleurs, on a commis Ter-
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES i^i
reur, d'ailleurs très excusable, de suivre une méthode, excellente
ponr Tinlérieur, mais insuffisante pour de fortes agglomérations ur-
baines. Par suite, les chiffres donnés par le dénombrement de ces
deux villes sont restés, surtout pour Cholon, fort au-dessous de la
réalité. Sans ce léger mécompte, il est probable qu'on aurait atteint
et même dépassé le chiffre rond de 3 millions d'habitants. Comme les
documents et les estimations les plus dignes de foi ne permettent pas
d'évaluer la population de la Cochinchine, au moment de ioccupa-
lion française, à plus de 1. 500.000 âmes, il en résulte que cette popu-
lation a doublé en quarante ans, et ce taux d'accroissement, très
considérable si on le compare à celui des divers pays d'Europe, s'ex-
plique aisément. Pour TAnnamite, en effet, la Cochinchine est encore,
à bien des égards, une terre vierge, un pays de colonisation et de
peuplement, puisque le quart à peine de sa surface est mis actuelle-
ment en valeur. En tout cas, ces chiffres sont grandement satisfai-
sants.
in. — AFRIQUE.
Maroc. — La situatmi au Maroc. — Les dernières nouvelles du
Maroc sont assez contradictoires el il n'est pas très facile de se
former une opinion sur ce qui passe On a d'ailleurs lu plus haut les
quelques pages que nous consacrons à celle question.
Alors que sa situation semblait fort critique, le sullan, par une
manœuvre assez habile, avait réussi à raffermir colablement son
autorité. Il fil venir auprès de lui son frère Mouley Mohammed qui,
depuis son avènement, était maintenu en captivité et dont le nom
servait de porte-drapeau à la rébellion. Il le promena à ses côtés et
rallia ainsi à sa cause un certain nombre d'indécis. D'autre part,
Bou flaœara, à cause des fêtes religieuses du Ramadan, restait dans
rinaclion et on en profitait dans l'entourage du sultan, pour le repré-
senter comme découragé et prêta battre en retraite. Puis de nou-
velles informations sont venues nous apprendre que le mouvement
insurrectionnel continuait, au contraire, ses progrès. Les dépêches
anglaises ont raconté aussi que l'influence anglaise perdait du ter-
rain à la cour du sultan, tandis que l'influence française y devenait
prépondérante. Enfeomme, on ne sait rien de certain et nous ne
pouvons que déplorer la pauvreté, l'insuffisance des renseignements
qui nous sont donnés et qui se succèdent avec une rapidité et une
incohérence invraisemblables. On ne reçoit guère de nouvelles du
Maroc que par la voie anglaise, et cette source d'informations nous
est trop justement suspecte pour que nous ne réclamions pas
avec insistance quelques renseignements officiels que notre gouver-
nement doit avoir le moyen de se procurer directement.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — AMÉRIQUE.
Guyane. — Le commerce de la colonie en 1901. — Le mouvement
général du commerce de la Guyane en 1901 est représentée par les
chiffres suivants :
DifTér. en faveur
1901 1900 de 1901
Importations 12.224.340 9.762.044 + 2.462.296
. Exportations 8.775.638 6.583.513 2.192.125
20.999,978 16.345.557 4.654.421
IMPORTATIONS
La valeur des importations de toute nature et de toute provenance
effectuées pendant Tannée 1901 s*est élevée à lâ.â24.340 francs.
Dans ce chiffre, les marchandises nationales figurent pour 8.782.776
francs, dont 8.424.750 francs de France et 358.020 francs des colo-
nies françaises, et celles d'origine étrangère y sont comprises pour
3.441.564 francs, se décomposant comme suit : 207.410 francs des
entrep/yts de France et des colonies ; 980.627 francs de Tétranger par
navires français et 2.233.527 francs par navires étrangers.
Pendant l'année de 1901), la valeur totale des importations avait
été de 9.762.044 francs, soit une différence de 2.462.296 francs, en
faveur de Tannée courante dont 1.715.309 francs pour les marchan-
dises françaises et 746.987 francs pour les marchandises étrangères.
Cette augmentation provient de l'accroissement des transactions
commerciales résultant des récentes découvertes de mines d*or à
Inini, en même temps que de l'introduction d*une quantité plus con-
sidérable de marchandises pour les services publics.
EXPORTATIONS
La valeur des exportations a atteint pendant 1901 le chiffre de
8.775.638 francs. Les denrées et les autres produits du cru entrent
dans ce chiffre pour 8.404.513 francs dont 8.173.593 francs pour la
France, 600 francs pour les colonies françaises et 330.320 francs
pour Tétranger. Le commerce de la réexportation y figure pour
371.125 francs.
Pendant la période correspondante de 1900, Tensembie du com-
merce d'exportation s'était élevé à 6.583.513 francs, d*où pour 1901
une augmentation de 2.192.125 francs portant sur Tor, la gomme de
balata» les roches phosphatées et les marchandises d'importation.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 123
— Le mouvement d» la navigation pendant Vannée 1901. — Le mou-
vement de la navigation présente à l'entrée 243 navires montés par
3.291 hommes et jaugeant 47.503 tonneaux, et, à la sortie, 231 na-
vires du port de 46.036 tonneaux et équipés de 3.173 hommes.
L*année 1900 accusait, à l'entrée, 187 navires jaugeant 43.100 ton-
neaux et équipés de 2.852 hommes, et, à la sortie, 170 navires de
40.371 tonneaux et 2.640 hommes, soit pour Tannée 1901, à rentrée,
en plus, 56 navires de 5.405 tonneaux et 439 hommes, et, à la
sortie, en plus 61 navires de 5.665 tonneaux et 533 hommes.
II. — OCÉANIE.
Australie. — Nouvelles-Galles du Sud ^ . — Conditions de Vimjwrtution
des eaux-de-viefrançaises et autres durant Vannée 1901 . — Le nouveau tarif
douanier de TAustralie est en vigueur depuis le 8 octobre 1901.
Avant celte date, chacune des colonies avait son tarif spécial; le
nouveau régime uniGe les conditions douanières de toute TAustralie,
ce qui modifie sensiblement la situation des Nouvelles-Galles du Sud
au point de vue des droits sur les alcools et vins importés. Jusqu^ici
le droit sur l'alcool de consommation avait été de 14 sh. par gallon
(4 litres 54) proof (56®) avec réduction proportionnelle à la force,
jusqu'à 16 sh. 5 d. p. ou 47®; en dessous de la limite de 47® le
droit n'était plus abaissé.
Sous le nouveau tarif, les alcools en fûts ou en bouteilles paient
sur la base de 14 sh. par gallon pour proof (56®) ou au-dessous, et
proportionnellement au degré pour la force au-dessus de proof.
11 s'ensuit que les cognacs en bouteilles, qui sont habituellement
expédiés de France à 47/48®, et qui avaient payé jusqu'ici 23 sh. 8 d.
de droits par caisse de 2 gallons, sont taxés à 28 sh., soit une diffé-
rence en pins de 4 sb. 4 d.
Dans ces conditions, il devient avantageux d'importer Talcool en
fût à 56®.
Ce procédé présente de nombreux inconvénients et la situation
reste défavorable pour les bonnes marques. Il y a lieu de redouter
pour l'Australie une affluence d'eaux-de-vie inférieures en bien plus
grande quantité que précédemment.
Le nouveau régime douanier a encore, d'une autre façon, porté
préjudice aux intérêts de nos maisons de Cognac ; jusqu'alors, les
eaux-de-vie fabriquées avec les vins d'Australie avaient payé en
N. S- W. le même droit que les eaux-de-vie importées; actuellement,
le droit d'accise est réduit à 11 sh. par gallon au lieu ds 14 sh.
Malgré l'infériorité incontestable des brandies australiens, la con-
> D'aprôfl le Bulletin de la Chambre de commerce française de Sydney.
i24 OUESTIOWS DIPLOMATIQUES BT COLONIALBS
sommation de cet article a pris un grand développement et le privi-
lège qui lui est accordé n'en peut qu*augmenter la vente.
Voici quelle a été, pour 1901, la quantité des brandies importés
enN. S. W., soit d'Europe, soit des autres colonies australiennes.
Le total des importations de brandy pour 1901 est* :
1° En fûts.
71 barriques (d'euviron :i6 gallons)
3.0:i3 qr. casks — 28 —
4.176 gallons.
57.484 —
431 octaves — 17 —
7.327 —
Total
68.987 gallons,
Le tout paraît être de provenance française à Texception de
i.8o7 gallons qui viennent de Victoria.
2° En caisses,
12.765 caisses Victorian Brandy, 25.530 gallons. 42.765 caisses
que l'on peut considérer comme venant de France, 85.530 gallons.
Nous arrivons donc à un total d'importations d'eau-de-vie de
180.047 gallons, dont 27.387 de fabrication australienne et 152.660
qui sont à peu près exclusivement de provenance française.
Le rhum jouit d'une grande faveur pendant les mois d'hiver et la
consommation divise cet article en deux classes :
1" Les rhums en fût, de qualité commune et à très haut degré.
Il en a été importé, en 1901, 4.149 fûts, i-oit environ 16.596 gallons.
2° Les rhums en caisses, dont la plus grande partie est d'exporta-
tion française et sont d'un prix beaucoup plus élevé; il en a été
importé en 1901 : 3.447 caisses, soit 6.894 gallons.
En terminant, nous donnons les chiffres de l'importation en N. S.W,
des whiskies, genièvres et schnapps durant 4901, le tout provenant
d'Europe, mais principalement du Royaume-Uni, de l'Allemagne et
des Pays-Bas.
Whiskies 638 hogshcads (environ) 3 . 828 gallons.
— 6.668 quaier casks — 186.704 —
— 2 . 200 cet aves — 37 . 400 —
— 174.427 caisses — 348.8r)4 —
Total 576 . 786 gallons.
Genièvres 30.8:i3 caisses 61 .706 gallons.
Schnapps 4r).6:'.3 — 91.306 —
Gins i:).063 — 30.126 —
Total 183.238 gallons.
Soit un total général de 950.312 gallons d'alcools divers pour une
population de 1.250.000 âmes.
1 ij'indication de la provenance ne peut être garantie comme rigoureusement
exacte.
NOMINATIONS OFFICIELLES
MINISTÈaE DES AFFAIBES ÉTRANGÈRES
L'exequatur est accordé à M. James Lewis, vice-consul de S. M. Britannique à
Grenoble ;
M. Robert Johoson, vice-consul d'Angleterre à Amiens. 4
MI3I1STÊRE DES FIIVANCES
M. de Colomb (E. J. A.) est nommé trésorier payeur du Tonkin.
MINISTÈRE DE LA GUERRE
TronpeH méiropollUilnes.
INFANTERIE
Indo-Cllilie. — M. le capit. Greil, détaché au gouvern. général, est nommé
chevalier de la Légion d'honneur.
CAVALBRIB
M. le chef cTescad. breveté de la Villestreux est désig. pour occuper le poste
d'attaché mîlit, à l'ambassade de France en Suisse.
Afrique Oooidentale. — M. le capiL Costet, command. le 2» escad. de spahis
sénégalais, est noouné chevalier de la Légion d'honneur.
CSongrO- — M. le lieuL Avon, détaché au Chari, est nommé chevalier de la Légion
d'honneur..
ARTILLERIE
Indo-Clline. — M. le capit. Reùbel.'en service en Indo-Chine, est nommé che-
Talier de la Légion d'honneur.
GÉNIE
Afrique Oooidentale. — M. Voffic. d'admin. Ramus, en service au Soudan,
est nomme chevalier de la Légion d'honneur.
Madagascar. — MM. les capit. Defrance, Sabatier et Voffic. d'admin. Parfait,
en service à Madagascar, sont nommés chevalier de la Légion d'honueur.
GENDARMERIE
Madagr^tacar. — M. Clavel, lieut.- trésorier à la comp. de Madagascar, est
nommé chevalier de la Légion d'honneur.
Nouvelle-Calédonie. — M. Rentz, lient, à la comp. de la colonie, est nommé
chevalier de la Légion d'honneur.
Réunion. — M. Tupin, lieut,- trésorier à la comp. de la Réunion, est nommé
chevalier de la Légion d'honneur.
Troupes coloniales.
ETAT-MAJOR GÉNÉRAL
Afrique Oooidentale. — M. le général de hrig. Houry, command. sup. des
troupes de l'Afrique Occidentale, est promu au grade de commandeur dans la Légion
d'honneur.
Indo-Chine. — M. le commiss. ppal. de !'• cl. Malhis, chef des services administ.
de rindo-Chine, est nommé commiss. général.
INFANTERIE
Afilqne Oooidentale- — MM. les capit. Noton, du l" sénégalais ; Fabiani et.
Pa&quicr, du 2* sénégalais, sont nommés chevaliers de la Légion d'honneur.
Indo-Chine. — M. le capit. Feist est désig. pour servir en qualité d'oiïic.
dordonn. près M. le général de Beylié en Cochinchine.
>| le capit. Ibos, de l'état-maj. partie, au Tonkin, est nommi chevalier de la
Lés^îon d'honneur.
126 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
MM. les capil. Garde et Gérente, du 4« tonkinois, sont nommés chevaliers de la ^
Légion d'honneur.
Madagascar. — MM. les capit, Boutonnet, Dudouis, Labat, Mîlhau, en service
à Madagascar ; Vacher et Bachot, du 2* malgaches, sont promus chevaliers de la
Légion d'honneur.
Nouvelle-Calédonie. — M. le capit. Reboul, en service au bataill. de la colonie»
est promu chevalier de la Légion d'honneur.
ARTILLERIE
Afrique Oooidentale. — M. le capit. Nisse, de la direction d'artill. du Séné-
gal, est nommé chevalier de la Légion d'honneur.
Indo-Chine. — M. le chef d'escad. Barbier, de la direct, d'artill., et M. le capiL
Chérier, du rég. de la Cochinchine, sont nommés chevaliers de la Légion d'honneur.
M. le capit. Petiot, en service au Tonkin, est nommé chevalier de la Légion
d'hftnneur.
Madagascar. — M. le capit. Maubay, attaché aux batt. de la colonie, est
nommé chevalier de la Légion d'honneur.
Réunion. — M. le tieul.-col. Sordoillct, command. sup. des troupes de la Réu-
nion, ept nommé offîc. de la Légion d'honneur.
Officiers d administration.
Afrique Oooidentale. — M. Voffic. d'admin. Sensevin, de la direct, d'artill.
du Sénégal, est nommé chevalier de la Légion d'honneur.
Indo-Chine. — M. Dusséré, offic. d'admin^. à la direct, d'artill. du Tonkin, est
promu chevalier de la Légion d'honneur.
Martinique. — M. Martin, offic. d'admin. à la direct, d'artill. de la Martinique»
est nommé chevalier de la Légion d'honneur.
Nouvelle-Calédonie. — M. Dumas, offic. d'admin. à la direct, d'artill. de la
Nouvelle-Calédonie, est promu chevalier de la Légion d'honneur.
SERVICE DE SANTÉ
Afrique Oooidentale. — MM. les méd. aides-maj. de 1" cl. Duperron et
Durand sont désig. pour servir en Afrique Occidentale.
Guadeloupe. — MM. le méd -maj. de 2^cl. Sarrat et le tnéd. aide-maj. de l'*c/,
Levet sont dé.sig. pour servir à la Guadeloupe.
Inde. — M. le jnéd. aide-maj. Maratraj est désig. pour servir dans Tlnde
française.
Indo-Chine. — Sont désig. pour servir en Indo-Chine:
MM. le méd. ppal de 2« cl. Laurent, le méd. maj. de 2« cl. Lafaurje et les méd.
aides-maj . de i" cl. Girard, Léger, Berntmd, Mcsiin, Hcrmant, Sarrailhé, Gensol-
len et Sallet.
Indo-Chine. — MM. le méd.-maj. de i^* cl. Guèrin et le méd.-maj. de 2' cl.
Bouysson, en service au Tonkin, sont nommés cijevaliers de la Légion d'honneur.
Sont désig. pour servir à la brigade de réserve de Chine au Tonkin :
MM. le méd.-maj. de 2" cl. Nielsen, Mathis et Rey ; les' méd. aides-maj. de i^* cL
Margerie, Brachet, Martin et Guichoux ; le pharm. aide-maj. de !•"« cl. Boissière.
M, le pharm. -maj. de i" cl. Loste est désig. pour l'hôpital de Haîphong.
M. le méd. ppal de 2* cl. Brou-Duclaud est nommé directeur par intérim du
service de santé de la Cochinchine.
M. le pharm.-maj. de 1" cl. Pluchon est désig. pour 1 hôpital de Saigon.
Madagascar. — - M. le méd.-maj. de 2" cl. Neiret est désig. pour servir à l'ins-
titut Pasteur de Tananarive.
Sont dé.sig. pour servir à Madagascar :
MM. les méd. aides-maj. Brisemuer, Levier, Hœlewyn, Esserteau, Eberlé, Fran-
ceschetti et Poux.
Nouvelle-Calédonie. — M. le méd. maj. de 2« cl. Audibert est désig. pour
servir à la léproserie des îles Belep.
CORPS DU COMMISSARIAT
Afrique Occidentale. — M. Brochard, commiss. en Afrique Occidentale, est
nommé chevalier de la Légion d'honneur.
BIBLIOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES 127
MITVISTÉaE DE UL HARIIVE
Atlantlq^Tie. — M. le lieut. de vaiss. Talon est désig. pour embarq. sur le
Trovde,
Coollinobixie. — M. Venseig. de vaiss, Henry est désig. pour embarq. sur le
Tffkou k Saigon.
Mers d'Orient. — M. le Heui. de vaiss. Latron est désig. pour embarq. sur le
Montcalni.
MM. les enseig. de vaiss. Le Mée, Millot, Litre, Pertus et Vaspij\ de l""* cl. Thi-
Uiudic-r &oat désig. pour faire partie de la mission hydrographique à bord du
Benffaii.
M. le mécanic. inspeci. Perruissc est désig. pour les fonctions de mécanicien de
l e.>«,'adre d'Extrême-Orient.
CORPS ou COlflflSSARIAT
£xtrême-Ori6nt. — M. le commiss. en chef de !'• cl. Mauceron est nommé
coniiiiiss. de Tescadre d'Extrême-Orient.
M. le commis, de 2* cl. Fourgous est désig. pour embarq. sur la Surprise.
MIIVISTÈRE DES COLONIES
M. Bonhoure (Louis- Alphonse), gouverneur de 3* cl. des colonies, gouvern. de la
< V«le française des Somalis, a été nommé gouvern. de "i® cl. des colonies.
M. de Bréchade (Gabriel) a été nommé, pour une période de deux années, mem-
bre suppléant du conseil privé de la Nouvelle-Calédonie.
M. V'êrignon est nommé directeur de l'administration pénitentiaire à la Guyane.
M. Bravard est nommé directeur de l'administration pénitentiaire à la Nouvelle-
CaK'iit^nie.
BIBLIO&RÂPHIE -- LIVRES ET REVUES
IjSl Mendiante turque, par M. Maurice Trubert, premier secrétaire
d'ambassade. Un vol. in-16. — H. Oudin, éditeur, Paris, 1902.
L'ouvrage que nous signalons ne rentre peut-être pas d'une façon abso-
lue dans la catégorie de ceux dont nous avons le devoir de nous occuper.
Mais, outre que le nom et la qualité de son auteur lui donnent en quoique
>iDrte droit de cité chez nous, il faut bien reconnaître qu'en dépit de son
caractère surtout littéraire, ce volume contient d'intéressants souvenirs
sur h*s pays peu connus que M. Trubert a eu occasion de visiter au cours
de <a carrière : Dalmatie, Monténégro, Albanie, Floride, Louisiane et
C anada. C'est à ce titre que nous le recommandons à nos lecteurs.
Cinq cartes d*Aft*iquet nouvelle édition lî>03, par M. le général Niox,
en un fascicule. — Librairie Ch. Delagrave, Paris, 1903.
11 n'existe, au moment précis où le roi de Portugal et l'empereur d'Alle-
magne se rencontrent avec le roi d'Angleterre pour délibérer sur leurs
intérêts en Afrique, aucune carte détaillée d'un prix accessible au public,
qui donne Vétat rigoureusement exact des connaissances géographiques sur le
continent noir. Par des tracés établis hâtivement, le public a pu suivre
lœuvre de la mission Foureau-Lamy, par exemple, les eilorts d'autres
explorateurs au cœur de la terre mystérieuse qu'arrosa le sang de tant de
martyrs-
Mais rien de définitif et d'exact n'existait encore.
Cette passionnante étude est désormais possible, grâce aux deux
superbes cartes en couleur de V Afrique Centrale :
A. — SÉNÉGAL ET NiGER.
B. Congo et Nil, pour l'exécution desquelles le général Niox et ses
128 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
distingués dessinateurs ont su réunir ces deux qualités, si rarement unies :
Texactilude et Tabondance des renseignements et la grande clarté.
C. — La carte d'ensemble, qui bénéficie des dernières explorations,
en ce qu'elle rectifie plusieurs erreurs graves de géographie physique,
permet de saisir, d'un coup d'œil, la situation respective des Etats euro-
péens sur le continent africain et résume toutes les questions' politiques et
diplomatiques en suspens.
D. — La Région Saharienne Française contient les tracés détaillés
des étapes de la mission Foureau-Lamy. Elle montre avec une saisissante
netteté toutes les routes de caravanes, toutes les voies utilisables pour
porter l'influence française de la Méditerranée vers le lac TchW.
E. — Enfin la grande carte d'ALOÉniE et Tunisie était impatiemment
attendue des gens soucieux de voir enfin consignées avec précision les
modifications innombrables qui se sont produites dans le nombre et
l'importance des centres habités de notre France du Nord- Africain. L'en-
semble de celte publication, qui doit être incorporée au grand Atlas de géo-
graphie du général Niox, fait honneur aux traditions géographiques et car-
tographiques de la librairie Ch. Delagrave.
Ouwages déposés au bureau de la Revue.
La France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX* siècle, publiées
sous la direction du P. Piolet avec la collaboration de toutes les sociétés de mis-
sions. — Illustrations d'après des documents originaux. — Tome VI et dernier.
Missions d'Aménque. Les 81*, 82« et 83* livraisons viennent de paraître. Paris,
1903, librairie A. Colin.
Les Armoines de la République sud-africaine {Transvaal). Une broch. in-8* de
39 pages, par Joseph Joubbrt. Paris, 1903. A. Challamcl, éditeur.
La Protection industrielle en Orient, par César Bonnet. Une broch. in-8' de
15 pages. Paris, 1903. L. Larose, éditeur.
LES REVUES
I. — REVUES FRANÇAISES
Les Annales eolonlales {i*"^ janv.). Marcel Dubois : Contre le trust de l'Océan.
— Marcel Ruedel : Au Congrès colonial de 1903. — Pierre Dassier : La crise
du café à Java.
AraïKée et Marine (28 déc). Les événements du Venezuela. — Alchamp : Les
massacres de l'Oued-Zarga. — G. Presseq-Rolland ; Le traité franco-siamois. —
Ce qu'on pense en Angleterre de notre conception navale. — (4 janv.). Jacques
DU Taurat : L'armée chinoise du Nord. — Les affaires du Venezuela. — Ver-
seau : En traversant TAtlaniique. — (11 janv.). Capitaine H. de Mallebay :
Impressions d'un officier français en Espagne. — Le service de santé dans l'armée
allemande.
Journal des Chambres de commerce (10 janv). Henri Blancheville : Début
de l'industrie en Turquie. — Jules Rueff : La question du métal-argent.
Revue commerciale de Bordeaux (2 janv.). Henri Lorin : Au Conseil géné-
ral du Sénégal. — (9 janv.), J.-Ch. de Tourmond : Le Congrès pan-américain. —
A..Imbert : Les tabacs d*Algérie.
Revue Française (janv.). G. Vasco : L'Afrique Occidentale, son essor. —
G. Démange : La colonne de Kong. — Léon Paquier : Macédoniens et Albanais.
Revue politique et parlementaire (10 janv,). L. Boudenoot : L'armée en
1903. — René Millet : Nos frontières dans l'Afrique du Nord. Tripolilaine, Maroc.
n. — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues belges.
Mouvement géograpiiique (11 janv.). L. Maskens : Le Soudan anglo-égjptien.
L*utilisation de la crue du Nil.
UAdministrateur-Oérant : P. Campain.
paris. — imprimerie F. levé, rue cassette, 17.
Sommaire da n» 189
IB»ui Fr»UeYmitx : Les Colonies à l'Exposition d'AnTers. — J. JTraneonie : Le trust de
l'acier. — Xieng-L« r La défense maritime des Colonies. — Gabriel Loais-Jany :
I Us nationaliiés en Autriche -Hongrie.
Cartes et Gravnrea : L Carte d'ensemble des Colonies françaises et anglaises.
— 11. Carte des Antilles.
Sommaire du n* 133
Xamiee Baret : La Peste. — Paol Labbè : La Transbaïkblie et h colonisation russe. ^
XicBs-La : La défense maritime des colonies {suite).
Cartes et s^aTares : L L»s Foyers actuels de la Peste. — II. Itinéraires maritimts et ter-
restres de la Peate. — Itl.Les Postes sanitaires de la nier Rouge. — IV. Les Colonies d*Ocô-
>ai«.— V. L'Iado^Ihine.
sommaire du n* 184
**• : L'œoTTO française en Afrique occidentale. — R. Peyr.ilbe : Le percement du Sim-
plon. — Xieag-La: La défense maritime des Colonies {mite et fin). — J.-U. F. : Bizerte,
d'après une élude de M. René Pinon,
Cartes et sravares : I. Carte des voies de communications, entre l'Angleterre, la France,
l'Italie et le Levant. — II. Madagascar, Maurice et la Réunion. — lU. Méditerranée
Occidentale. — IV. Afrique Occidentale .
Sommaire du n» 185
Stbeit de Caix : Affaires du Siam. — J. Denala-Dnrnaya : Fédéralisme et socialisme
en Aastralasie. — Heari Lorla : Impressions sur TEspaRne d'aujourd'hui.
Cartes et graTvrea : I La presqu'île de Malacca. — II. Carte de TAustralasie.
Sommaire du n» 188
"^ : Le traité franco-siamois. — Hené Henry : Le rapprochement franco-italien. —
Aagaste Terrier : La délimitation de Zinder.
Carte» et Gravarea : 1. Carte du Siam. — II. La nouyelle frontière franco-sia^poise. —
111. Afrique occidentale française, 3* territoire militaire.
Sommaire du n» 1 37
Heari Peaaa : L'aTenir de la Tunisie. L'industrie européenne et l'industrie indigène —
*** : L'oeorre française en Afrique Occidentale. — Henri Bohler : Les coulisses du
pangermanisme autrichien. — René Mor^az : Le premier congrès colonial allemand.
Cartea et grayarea : Carte de rAfrique Occidentaile.
Sommaire du n» 138
*** : Le livre jaone et les affaires de Siam. — E. Peyralbe : France et Simplon. —
Panl Ijabbé : La région du fleuve Amour.
Cartraet icravarea : i. Graphique comparatif des projets Frasne-Vallorbe et de la Fau-
cille. — II. Carte des voies d'accès au Simplon.
Sommaire du n» 139
Ketre enqaête : A propos des affaires de Siam : Opinions de MM. Oodin, le Comte
d'Aonay, Bertbelot, Le Myre de Vilers, Denys Cochin, Flourens, Senart. et du journal
Le Tempe, — Manriee Baret : Les villes de santé dans nos Colonies. — Georgea
Bohler : La lutte tchèque- allemande.
Cartea et gravares : Répartition des nationalités en Autriche-Hongrie.
Sommaire du n<» 140
Velre eaqaête s A propos des affaires de Siam ; opinions de MM. François Deloncle, le
baron d'Estourn elles, de Constant, Gerville-Réache, H. Cordier, Marcel Monnier,
Charles Lemire. — **' : L'œuvre française en Afrique occidentale. — Faoi Labbé ;
La régîou du fleuve Amour, la province Maritime.
Cart^ et gravarea : I. Les nouvelles délimitations des colonies de l'Afrique occidentale.
— II. La région du fleuve amour.
Sommaire du n» 141
Saiat-Gennala, sénateur d*Oran : La question du Maroc. — Le Myre de Vilerg, ancien
dépaté de la Cochinchine : La crise de l'argent en Indo^Chine. — *** : Le conflit
anglo- germano-vénézuélien. — René Basset, directeur de 1 Ecole supérieure des Lettres
d'Alger : Le XIII* congrès international des orientalistes à Hambourg. — Kené Piuon:
Les missions catholiques françaises au zix* siècle. — L. Bronet, député de la, Réunion:
Madagascar. — Les territoires militaires.
Cartea et grayarea : Carte du Maroc. — Carto du Venezuela.
PRIMES A NOS ABONNÉS
L'administration de la Revue se charge, à titre gracieux, de tous
les achats et expéditions de livres, cartes géographiques, aux prix
de Paris, ponr ses abonnés de province, des colonies et de l'étranger :
8*adre8ser directement à Tadministrateur de la Revue, 19, rue
BONAPARTE, Paris, Vie.
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DENTIFRICES
ÉLIXIR, POUDRE et PATE
des RFi. PP.
BENEDICTINS
de 1'
de
Ai SEGUIN, Bordeaux
Membre du Jury, Hors Conmurs
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\
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irtj|f;.i43 ... , ■ . ■ . ■ 1-^" léYRiEB 1903
Diplomatiques et CÉiltes
REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEÙflE
PARAISSANT LE~1".BT.LB IB DE CHAQUE MOIS
soi^cmlajleie:
P»ge«
^-fjste Terrier La délimitation de TEthiopie 129
îfiïè Henry La question de Macédoine 143
lêxandre Guasco ... Le paludisme et l'initiative privée en Corse 157
'. Denais-Darnays . . . Fédéralisme et socialisme en Australasie 167
'fHé Moreux Le traité franco-siamois et Topinion allemande 184
CHROMIQUES DE \^A. QUUWZiklIWE
lements politiques 188
dents économiques 109
Sooinations officielles , 202
Bibliographie — Livres et Revues '. 207
CARTES EX ORikVURES
Frontière entre le Soudan Anglo-Egyptien et l'Ethiopie 132
Délimitation de TAIrique Orientale 133
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QUESTIONS ^w.^,;;,
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES^
LA. DÉIiHITÂIION DE L'ÉTfflOPIE
Rien n'est plus incertain et changeant que la cartographie
africaine. Les explorateurs ne sont pas les seuls qui la modi-
Gent : les diplomates aussi remanient chaque année frontières
ef sphères d*influence- Regardez les diverses cartes d'Afrique
orientale publiées en ces deraières années : il n'en est pas deux
^m donnent à TEthiopie les mêmes limites. Toutes vont être
oUigées de les corrifferune fois encore, car les traités conclus
le 15 mai dernier à Addis-Ahaba entre la Grande-Bretagne,
rilalie et TEthlopie, et qui ont été récemment communiqués au
Parlement britannique et à la Chambre des députés italienne,
établissent une répartition nouvelle des territoires de ces trois
puissances.
n était difficile, jusqu'à ce jour, de ne pas s'égarer dans
renchevêtrement des actes diplomatiques qui avaient tenté de
délimiter l'Afrique orientale. On peut cependant en rappeler
en quelques mots Thistoire, qui fera mieux comprendre la
portée des nouveaux actes.
Le premier partage d'ensemble de l'Afrique orientale fut
opéré en 1891 par l'Angleterre et l'Italie. L'Italie, engagée à
fond dans la politique crispinienne, projetait alors de mettre la
main sur l'Ethiopie tout entière et de joindre ses possessions de
la côte de l'Erythrée à celles du Benadir : le roi d'Italie trouve-
rait la dignité impériale à Axoum. L'Angleterre, désireuse de
sassurer, dans l'Est du Soudan égyptien, l'appui des « solides
alliés » auxquels elle allait confier la garde de Kassala, accepta
de reconnaître et de proclamer les ambitions abyssines et deux
traités répartirent entre l'Angleterre, qui n'était pas maîtresse
du Soudan égyptien, et l'Italie, qui arrivait à peine au plateau
QiTssT. DiPL. ST Col. — t. zy. — n^ 143. — i«<^ février 1903 9
130 OUKSTtONS DIPLOMAnOUES ET COLONIALES
abyssin, les territoires compris entre le Nil, la mer Rouge et
l'océan Indien. Le 24 mars 1891, M. di Rudini et lord Dufferin
signaient à Rome un traité réglant la frontière entre « les
fi sphères d'influence respectivement réservées à la Grande-
ce Bretagne et à Tltalie », de l'Océan jusqu'au Nil Bleu : cette
frontière suivait le cours du Djouba (Juba) de la mer jusqu'au
G® degré latitude Nord, ce parallèle jusqu'à son intersection
avec le 35" degré Est Greenwich, et ce 35'' jusqu'au Nil Bleu.
Le 13 avril de la même année, second traité réglant la fron-
tière entre la mer Rouge et le Nil Bleu : partant de Ras-Kasar,
elle allait vers le Sud-Ouest, par Sabderat et l'Atbara, jus-
qu'au 35° degré Est Greenwioh qu'elle suivait jusqu'au Nil Bleu.
Les parts étaient ainsi nettement définies à l'Ouest.
La question de TEst fut réglée de même par une convention
anglo-italienne du 5 mai 1894 qui donnait au Somaliland un
arrière-pays s'étendant jusqu'au 8'' degré latitude Nord. L'Angle-
terre, non seulement attribuait à l'Italie et s'offrait à elle-même
des territoires sur lesquels elle ne possédait aucun droit,mais aussi
violait le traité qu'elle avait elle-même conclu le 8 février 1888
avec la France pour garantir l'intégrité du Harrar, en tra-
çant la limite entre le Somaliland etnos établissements d'Obock.
Et cependant, dès le 10 slytH 1891, Menelik avait adressé aux
puissances européennes une circulaire protestant contre les ten-
tatives d'absorption de l'Angleterre et de l'Italie et définissant
les frontières de son' empire : elles atteignent, disait-il, la ville
de Tomat au confluent de TAtbara et du Setit, et de ce point de
Tomat vont jusqu'à Karkog sur le Nil Bleu, puis au Nil Blanc, au
Sobat, au lac Rodolphe, etc. Du côté du Somaliland, la circu-
laire réclamait également un certain nombre de tribus englo-
bées dans la sphère anglaise, les Habroual, les Gadaboursi.
« En indiquant aujourd'hui, concluait Menelik, les limites
« actuelles de mon empire, je tâcherai, si le bon Dieu veut bien
« m'accorder la vie et la force, de rétablir les anciennes fron-
ce tières de l'Ethiopie jusqu'à Khartoum et jusqu'au lac Nyanza
« avec tous les pays galla. Je n'ai point l'intention d'être spec-
« tateur indifl'érent, si des puissances lointaines se présentent
« avec l'idée de se partager l'Afrique, l'Ethiopie ayant été pen-
ce dant plus de quatorze siècles une lie des chrétiens au milieu
c( de la mer des païens. Comme le Tout-Puissant a protégé
« l'Ethiopie jusqu'à ce jour, j'ai la confiance qu'il la protégera
a et l'agrandira aussi dans l'avenir. Mais je suis certain qu'il ne
(c partagera jamais l'Ethiopie entre d'autres puissances. »
Cette conviction religieuse s'appuyait aussi sur une force que
ne soupçonnait pas TEurope, ni surtout l'Italie, poussée par
LA DÉLIMITATION DE L'ETHIOPIE 131
une politique mégalomane à Tassaut de Tempire du négus. La
dénonciation du traité d'Ucciali, le 12 février 1893, allait préci-
piter les événements. L'invasion et rannexion du Tigré par les
Italiens rapprocha de Menelik le ras Mangascha, et le général
Baratieri prit en janvier 1895 Toffensive contre lui. Les Italiens
s'enthousiasmaient aux nouvelles de victoire que leur envoyait
la marche triomphale de Baratieri : celui-ci battait Mangascha
à Coatit, à Sénafé, enlevait Adigrat et entrait en vainqueur à
Adoua, la capitale historique du Tigré, et à Axoum, la ville
sainte de TEthiopie. Mais Menelik réunissait pendant ce temps
toute FEthiopie sous ses ordres, et en décembre 1895, il annon-
çait son entrée en lutte par le coup de tonnerre du massacre
de la colonne Tosellià Amba-Alaghi. Les troupes inexpérimen-
tées, envoyées d'Italie en toute hâte, n'empêchèrent point la
catastrophe finale : Axoum et Adoua furent réoccupées par
Menelik, Makallé dut capituler, et le 1" mars 1896, Baratieri
était complètement écrasé à Abba-Garima, près d'Adoua.
Cette campagne sauvait Tindépendance éthiopienne et la
politique crispinienne en fut irrémédiablement atteinte. Le
major Nerazzini fut envoyé auprès du négus pour négocier la
paix et le 26 octobre 1896 le traité d'Adoua mettait fin aux hos-
tilités, en annulant le traité d'Ucciali et en proclamant l'indé-
pendance absolue et sans réserve de l'empire éthiopien.
Le major Nerazzini et Menelik avaient tenté de régler aussi
la question de la frontière entre TErythrée et l'Ethiopie, mais
ils n'avaient pu se mettre d'accord, et le traité d'Adoua avait
décidé qu'il serait procédé dans le délai d'un an à rétablisse-
ment des frontières définitives : en attendant, on adoptait
comme frontière provisoire le cours des rivières Mareb, Belessa
et Mouna.
Mais ce n'était pas avec l'Italie seule que l'Ethiopie était
appelée à régler ses frontières. Les conventions anglo-ita-
liennes des 24 mars et 15 avril 1891, et du 5 mai 1894, tom-
baient, victimes, elles aussi, de la victoire d'Adoua, et Menelik
devait s'entendre avec ses deux autres voisines, la France et
l'Angleterre.
Avec la France la question fut vite réglée. Au cours de cette
mission de 1897, qui fut l'origine des relations nouvelles entre
la France et l'Ethiopie, notre envoyé, M. Lagarde, obtint non
seulement la ratification de la convention conclue le 9 mars
1894, entre le négus et MM. Ilg et Chefneux, pour la construc-
tion d'un chemin de fer de Djibouti à Harrar, mais aussi la
signature d'une convention, du 20 mars 1897, demeurée
secrète en son texte, mais dont on sait qu'elle donne à la
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LA DÉLIMITATION DE L*ÉTHIOPIE
133
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\^;> 'u^t^^-i^-^ 1 ,%7 ii-j^^Éà-t^
134 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
France une bande de terrain d'une centaine de kilomètres au
ilrnitdela côte du golfe d'Obock-Djibouti. D'après les rensei-
friif^ments donnés dans un ouvrage récent : Djibouti^ mer
liouge^ Abyssinie^ par MM. Angoulvant et Vignéras, la ligne
frontière est constituée par une ligne idéale partant de Djabela
sixv la frontière franco-anglaise de 1888, passant à Gobad et de
la remontant par Daimouhi et Adghèna-Marei, puis gagnant
Doumeirah par Essaga, en côtoyant Raheïta. « Mais il était
0 hien entendu, ajoutent ces auteurs, qu'aucune puissance
R étrangère ne pouvait se prévaloir de cet arrangement —
li convention privée avec l'Ethiopie -^ pour intervenir, sous
« quelque forme ou sous quelque prétexte que ce fût, dans les
«f n'^^ions situées au delà de la zone placée sous l'autorité
ti <lirecte de la France. Nous gardions ainsi dans ces régions —
(< et c'était un des avantages de la convention du 20mars 1897
H — sans dépenses d'occupation et d'administration, une
i< inlluence prépondérante exclusive de toute autre interven-
<i lion étrangère ; et l'Ethiopie ne pouvait trouver, dans la pos-
« session que nous lui en reconnaissions, que le gage tangible
w de la loyauté d'une politique ayaht pour objectif le maintien
t< i\v Tintégrité de l'empire. » Toute question de frontière
l'Iïutninsi réglée entre la France et l'Ethiopie; le règlement
ilrvail être plus tard non moins facile entre la France et l'Italie
i\\\\ se mirent d'accord, par des protocoles du 24 janvier 1900 et
il II 10 juillet 1901, pour déterminer la ligne du ras Doumeirah
v^*I^ lintérieur, laquelle a laissé à l'Erythrée le sultanat de
li;i!]<^ïta.
Kji même temps que nous réglions avec Ménelik notre fron-
tlrrr f^les autres questions confiées à la diplomatie de M. La-
fiîirrh^, l'Angleterre s'entendait, elle aussi, avec le négus pour
\iv di" limitation du Somaliland. La frontière arrêtée par le traité
ri rif^ lu -italien du 5 mai 1894 était abandonnée, et par des actes
sipi^H par M. Rennell Rodd, l'un avec Menelik le 14 mai 1897,
Tu II Ire avec le ras Makonnen le 4 juin de la même année, une
iM I II velle lignç était tracée entre le Somaliland et l'Ethiopie, de-
farnri à laisser à celle-ci les tribus des Habroual et des Gada-
l>nuï\si. Des premiers pourparlers avaient été échangés à ce
mriiiient pour la délimitation à l'Ouest, entre le Soudan égyp-
lit^n cl l'Ethiopie : ils n'aboutirent pas.
ITautre part, le major Nerazzini avait conclu,. en cette même
ïi tintée 1897, la convention de délimitation prévue au traité
(lAdoua. Le texte de cet acte n'a pas été publié. Mais les propo-
silinns que Menelik avait fait agréer par l'officier italien sont
iiïniuies : partant de Tomatau confluent du Setit-Tacazzé et de
LA DÉLr3«ITATI0N DE L'ÉTUIOPIE 135
TAtbara, la frontière allait en ligne droite au Nord-Est au point
de Todluc sur le Gasc-Mareb ; suivait le Mareb jusqu'au con-
fluent de TAmbessa ; mais, de là, au lieu de continuer le long
du Mareb-Belessa-Mouna, choisi provisoirement par le traité
d'Adoua, elle se dirigeait au Nord-Est, de façon à laisser à
l'Ethiopie les districts du Sera^, de l'Oculé-Kusaï et du Scimen-
zana. Dès que le parti africaniste italien connut les bases de
c»*tte convention, il protesta avec véhémence, faisant remarquer
qu'elle renonçait à des districts occupés depuis longtemps par
l'Erythrée et à des positions stratégiques importantes telles que
Adi-Ugri et Adi-Caié. Il demandait qu'on revînt à la ligne
Mareb-Belessa^Mouna du traité d -Adoua.
C*est en présence de cette situation confuse que se trouvèrent
en 1899 les nouveaux ministres d'Angleterre et d'Italie, le
colonel Harrington et le capitaine Ciccodicola. Leur qualité
d'officiers ajoutant sans doute à leur prestige de diplomates, ils
surent prendre peu à peu une situation morale considérable
auprès du négus. t)ès Tannée 1900, le capitaine italien obtenait
du souverain Fabandon de la convention Nerazzini et le 10 juil-
let il signait à Addis-Ababa une convention qui reconnaissait
l'omme frontière la ligne Tomat^Todluc-Mareb-Belessa-Mouna :
il était toutefois entendu que le gouvernement italien ne pour-
rait jamais céder le territoire au Nord de cette ligne, abandonné
par Menelik.
Les bases de l'entente entre TEthiopie et Tltalie ainsi jetées,
TAngleterre rentra en scène. Elle procéda d'abord, de concert
avec l'Italie, à une description des limites du district de Tomat
par où l'Erythrée occidentale s appuyait au cours de TAtbara
convention ColH-Talbot, 16 avril 1901). Puis te fut la grave
question de la frontière occidentale générale de TEthiopie,
qu'elle posa à Menelik par l'entremise du colonel Harrington
a-ssisté du capitaine Ciccodicola.
Ce fut de la part du colonel Harrington une remarquable
habileté diplomatique que de dissiper ainsi les soupçons et les
inquiétudes, qu'avaient fait naître dans l'esprit du néi^nis les
visées anglaises sur son pays. Au lendemain de Fachoda,
l'armée de Kitchener paraissait prête à se lancer à l'assaut du
plateau éthiopien et les postes avancés du négus s'attendaient à
1 attaque. La guerre du Transvaal détourna sur une autre partie
de TAfrique les disponibilités militaires de la Grande-Bre-
tiigne. On pouvait croire, il semblait, il y a deux ans, que la
tentative contre l'Ethiopie n'était que partie remise : TAngle-
terre ajournait, disait-on, le règlement de la frontière pour se
réserver des motifs d'intervention et peut-être des sujets de
i36 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS *
conflits. Mais guérie pour quelques années du désir de tout
effort militaire, elle a préféré la manière douce à la manière
forte que les attaques de certains publicistes et de certains
auteurs anglais contre Menelik faisaient prévoir, et c'est par
la diplomatie qu'elle a cherché à s'introduire auprès de
Menelik.
Le 15 mai 1902, le colonel Harrington signait à Addis-Ababa,
avec le négus, un traité qui déterminait la frontière occidentale
et dont voici le texte :
Article premier. — La frontière entre le Soudan et rÉthiopie, telle
qu*elle résulte de Taccord entre les deux gouvernements, sera : la ligne
marquée en rouge sur la carte annexée au présent traité en double exem-
plaire, et qui, partant du Khor Um Hagar, passe par Gallabat, rejoint le
Nil Bleu, la rivière Baro, suit le cours du Pibor et de l'Akobo, ce der-
nier jusqu'à Melile, et de ce point gagne Tintersection du 6« degré de
latitude Nord avec le 35* degré de longitude Est de Greenwich.
Art. 2. — La frontière, définie à Tarticle précédent, sera déterminée et
marquée sur le terrain par une commission de délimitation dont les mem-
bres seront nommés par les deux hautes parties contractantes, qui se
chargent en outre de faire connaître à leurs sujets respectifs le tracé de la
frontière tel qu'il résultera de la délimitation.
Art. 3. — S. M. Tempereur Menelik II, roi des rois d'Ethiopie, s'engage
envers le gouvernement de S. M. Britannique à ne pas construire ni per-
mettre de construire sur le Nil Bleu, le lac Tsana ou le Sobat, d'ouvrage
quelconque pouvant gêner la marche de leur cours vers le Nil, à moins
d'entente avec le gouvernement de S. M. Britannique et le gouvernement
du Soudan.
Art. 4. — S. M. l'empereur Menelik, roi des rois d'Ethiopie, s'engage à
laisser le gouvernement de S. M. britannique et le gouvernement du
Soudan choisir, dans le voisinage d'Itang, sur la rivière Baro, un territoire
d'un seul tenant, dont la longueur, en bordure de la rivière, ne pourra
excéder 2.000 mètres et dont la superficie n'excédera pas 400 hectares : ce
territoire sera cédé à bail au gouvernement du Soudan pour être admi-
nistré et occupé en qualité de station commerciale, aussi longtemps que
le Soudan sera sous le gouvernement anglo-égyptien. Il est entendu entre
les deux hautes parties contractantes que le territoire ainsi cédé à bail ne
pourra servir à aucun objet politique et militaire.
Art. 5. — 8. M. l'empereur Menelik, roi des rois d'Ethiopie, concède au
gouvernement de S. M. Britannique et au gouvernement du Soudan le
droit de construire, à travers le territoire abyssin, un chemin de fer reliant
le Soudan à l'Ouganda.
Le tracé de ce chemin de fer sera déterminé par accord mutuel entre
les deux hautes parties contractantes.
Le présent traité entrera en vigueur dès que sa ratification par S. M. Bri-
tannique aura été notifiée à l'empereur d'Ethiopie.
--«•■
LA DÉUMITATION DE l'ÉTHIOPIB 137
En foi de quoi, S. M. Menelik II, roi des rois d*Éthiopie, en son nom, et
le lieutenant-colonel John Lane Harrington, au nom de S. M. le roi
Edouard VII, souverain du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande
et de l'empire britannique au delà des mers, empereur des Indes, ont
signé le présent traité, en double original, écrit en anglais et en amha-
n<]ue, identiquement, les deux textes étant officiels, et y ont apposé leurs
sceaux.
Fait à Âddis-Âbaba. ce 15 mai 1902.
L. S. John Lane Harrington,
. lieutenant-colonel.
Sceau de S. M. Cempereur Menelik IL
Le même jour, Menelik signait encore avec le colonel Har-
riii^on et le capitaine Ciccodicola une note annexe au trait*'*
ci-dessus et au traité italoréthiopien du 10 juillet 1900 et déli-
mitant la frontière respective du Soudan égyptien, de TErythrée
et de l'Ethiopie. Le district de Tomat était rendu au Soudan ;
ritalie obtenait en échange le territoire compris entre le Marel»
»'t le Setit-Maieteb. Cette note annexe est ainsi conçue :
S. M. Tempereur d*Ethiopie, Menelik II, le major Ciccodicola, ministre
•iltalie en Ethiopie, et le lieutenant-colonel Harrington, agent d»'
S. M. Britannique en Ethiopie, ont arrêté ce qui suit :
Article premier. — La frontière conventionnelle entre l'Ethiopie et
.'Erythrée, précédemment déterminée par la ligne Tomat-Todluc, est
codifiée de la manière suivante :
La nouvelle frontière part du confluent du Khor Um Hagar avec le
Seiit, suit le cours de cette rivière jusqu'à sa jonction avec le Maieteb,
•ait le cours du Maieteb de façon à laisser à l'Erythrée le mont Ala Tacura
-i rejoint le Mareb à son confluent avec le Mai Ambessa.
La ligne qui va du confluent du Setit et du Maieteb au confluent du
Mareb et du Mai Ambessa sera déterminée par des délégués italiens et
•éthiopiens de façon à laisser à l'Erythrée la tribu des Canama.
Art. 2. — La frontière entre le Soudan et l'Erythrée, au lieu d'être
celle qui a été délimitée par les délégués anglais et italiens en exécution
ie la convention du 16 avril 1901, sera déterminée par une ligne menée de
SalKierat au confluent du Khor Um Plagar avec le Setit et passant par
Abu Jamal.
Le présent arrangement entrera en vigueur aussitôt que la ratification
:ar les gouvernements britannique ei italien aura été notifiée à l'empe-
reur d'Ethiopie.
En foi de quoi, S. M. l'empereur d'Ethiopie, Menelik II, en son nom et
rj nom de ses successeurs; le major Ciccodicola, au nom de S. M. Victor-
Emmanuel III, roi d'Italie, et de ses successeurs; et le lieutenant-colonel
iiarringtoa, au nom de S. M. Edouard VII, roi, etc., etc., et de ses suc-
esseurs, ont signé la présente note en triple exemplaire, écrit en italien,
9*
138 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
en anglais et en amharique, chaque texte étant officiel, et y ont apposé
Ipurs sceaux.
Fait à Âddis-Âbaba, ce 15 mai 1902.
L. S. John Lane Harrington,
lieutenant-colonel.
L. S. Major Federico Ciccodicola.
Sceau de S. M, Cempereur Menelik IL
La carte ci-jointe fait apprécier, avec plus de clarté que notre
t xposé, le tracé de la ligne nouvelle qui séparera définitivement
l'Ethiopie et le Soudan égyptien. Tout d'abord, l'Italie reçoit
une extension de territoire au Sud du Mareb en compensation
tle sa renonciation au district de Tomat et en rémunération de
Toccupation de Kassala pendant la reconquête du Soudan
é^^yptien. Puis la frontière va par Métamma-Gallabat, où périt
en 1889 le négus Jean, après sa victoire sur les Derviches,
jusqu'au Nil Bleu qu'elle coupe en amont du poste anglais
l'îimaka, laisse à l'Ethiopie les territoires aurifères des Beni-
Cliongoul, accède à la rivière Sobat, Taffluent de droite du Nil
(ïitr où revint de Fachoda la mission Marchand et qui est formé
du Baro et du Pibor (Djouba). Longeant vers le Sud la rive
droite du Pibor, puis vers le Sud-Ouest la rivière Akobo
(Djouba) jusqu'à Melile, la délimitation aboutit à l'intersection
du 6* degré latitude Nord avec le 33* degré Est Greenwich. Au
delà, la frontière, entre l'Ethiopie et l'Ouganda d'une part et
entre l'Ethiopie et le Benadir italien, d'autre part, reste à déter-
miner : c'est, avec la région comprise entre la Mouna et notre
colonie de Djibouti parallèlement à la côte d'Assab, la seule
partie de VAfrique orientale qui ne soit pas encore délimitée.
J^e lieutenant de vaisseau A. -H. Dyé, qui commandait la
tlutiille de la mission Marchand, a fait ressortir, dans une com-
munication au Comité de l'Afrique française l'intérêt de la
nouvelle frontière pour TEthiopie :
L'accès des Abyssins au Sobat, superbe voie fluviale navigable en touie
i^aison, constitue un point très important. Il a été rendu possible par les
uxfniilitions du dedjaz Thessama, rayonnant de Goré vers les basses
vallées du Baro et de la rivière Pibor. A noter aussi que les noirs de cette
réfîion paient aux Abyssins un tribut en ivoire et en civette. Sans doute
U^y< négociateurs anglais ont jugé que le Soudan nilotique était suffisam-
ment pourvu d'immensités marécageuses, et ils n'ont pas réclamé avec
Ltop d'âpreté les quelques 3.600 milles carrés de marais attribués ainsi à
rKiliiopie, entre les rivières Baro, Pibor et Akobo. Ce sont de tels terri-
t^ïii^a qui faisaient dire à un commandant anglais remontant en 1898 le
Sohat de concert avec les officiers de la mission Marchand : « Si tous ces
ro&eaux et ces herbes, qui s'étendent jusqu'à l'horizon comme un océan.
LA DÉLIMITATION DE L'ÉTHIOPIB 139
pouvaient être mis en vente, nous aurions fait au Soudan une riche ac^jui-
sition d'une valeur incalculable ! »
Au point de vue stratégique, ces marais constituent plutôt une barrière,
une cuirasse pour le Soudan égyptien; ainsi, on se rappelle qu'ils arrêtè-
rent, en 1897, la marche de la mission de Bonchamps, qui comptait
atteindre le Nil et montrer la route aux Abyssins. Lorsque l'armée éthio-
pienne du dedjaz Thessama vint, en juin 1898, séjourner quelques heures
au confluent du Sobat et du Nil Blanc, on sait qu'elle se détermina ii
contourner les marais par le Sud, en franchissant la rivière Akobo. bans
cette belle marche au Sud du Sobat et jusqu'au Nil, le dedjaz Thossania
fut soutenu par l'indomptable énergie de l'adjudant français Faivrf*,
détaché auprès de lui par le ministre de France en Ethiopie.
Les expéditions de Thessama, puis Je retour de la mission Marcliiind
par le Sobat et le Baro, où fut abandonnée la flottille française du Xil :i la
garde d'un chef abyssin, attirèrent l'attention du négus Menelik sur 1 im-
portance de la rivière Baro comme débouché des provinces occideniali >
de son empire. Le crochet de la ligne frontière jusqu'à la naissant f; il n
Sobat montre la répercussion de cet ensemble de faits sur le résultat iN'^
négociations.
L'importance de Taccès donné à TEthiopie sur le Soljnt a
surpris ceux qui se rappelaient Tintransigeance qui pousi^riU
certains Anglais, il y a trois ans à peine, à refuser d'adraellro
une avancée de l'Ethiopie dans le bassin du Xil. Il faut chen lu*r
les raisons de cettç concession dans les stipulations du traiti' Ju
15 mai, qui ne se réfèrent point à la délimitation et qui ^tmt
peut-€^tre cependant les plus dignes de remarque : nous voiil -us
parler des articles 3, 4 et 5. L'Angleterre a dû payer sur le Siljat
les avantages qu'elle obtenait ici. A-t-elle fait un mauvius
marché ? Qu'on en juge.
L'article 3 promet que TEthiopie n'établira, sur le Nil Bleu, hi
lac Tsana ou le Sobat, aucun ouvrage qui puisse gêner la man Ik^
de leur cours vers le Nil. Le Times du 15 décembre en a mon In**
ainsi la portée :
Pour apprécier l'importance réelle de cette stipulation, il faut se reporfi^r
aux plus récentes conclusions auxquelles les spécialistes sont arrivés, rifn-
tivement à l'utilisation des eaux du haut Nil ; et notammentà ce rapport ite
sir William Garstin que le gouvernement a déposé au Parlement l'anuiV
dernière et qui est probablement Tun des documents les plus intéressés ni :5
•ju 'ait jamais signés un technicien. Après une enquête a]>profoudie sur plar[*,
sir William Garstin a été amené à conclure que nul endroit ne se pirii*
mieux à rétablissement d'un grand réservoir que le lac Tsana, la ^{inU'
nappe d'eau profonde et de grande dimension qui se rencontre dans la |. vir-
ile septentrionale du plateau abyssin, origine du Nil Bleu, qui est uiu-
route commerciale très importante et dont les eaux sont incomparablement
plus fertilisantes que celles du Nil Blanc: le lac Tsana jouera peut-étrf' nn
jour, dans le système d'iprigation de l'Egypte, un rôle aussi important ^jyii
140 QUESTIONS DIPLOMATIQUES £T COLONIALES
les ouvrages grandioses d'Âssouan et d^Âssiout. Aussi, la garantie qui nous
est donnée par le traité pour la préservation du lac et de la rivière présente-
t-elle une importance capitale. En outre, cette concession est d'un bon
augure pour le succès des démarches que Ton pourrait, à l'occasion, être
amené à faire auprès de Menelik afin d'obtenir son consentement à l'utili-
sation de ces masses d'eau par le moyen de telles installations que nos ingé-
nieurs pourraient projeter.
Cette dernière phrase est, croyons-nous, Taveu bien clair que
TAngleterre ne renonce pas à étendre son action en Ethiopie. Le
iraité du 15 mai tend à placer entre les mains anglaises les tra-
vaux publics, barrages, canalisations, qui pourraient être faits
dans les territoire du négus : il ne le dit pas, mais le Times le
lui fait dire, et avec lui tous les autres journaux.
L'article 4 cède à bail à l'Angleterre une enclave éthiopienne
dans le voisinage de Itang sur le Baro. Elle ne pourra servir, dit
le traité, à aucun objet politique et militaire et le Times, de son
côté, nous assure que « ladministration britannique pourra
« utiliser cette clause pour prendre sa part du commerce im-
c( portant, — commerce d'ivoire principalement, — qui se fait
. « dans cette région. » Mais n'est-ce pas déjà un objet politique
— et peut-être militaire aussi, — que poursuit le futur chemin
de fer du Cap au Caire, dont l'article 5 autorise le passage
éventuel sur territoire éthiopien et qui passera nécessairement
près d'Itang ? Empruntons encore cette intéressante citation à
la communication du lieutenant de vaisseau Dyé :
La phrase relative au droit de construction du chemin de fer est à des-
sein très vague. lie rebord occidental du plateau éthiopien, entre le Nil
Bleu et le lac Rodolphe, est encore trop peu connu pour que le tracé de la
voie ferrée puisse être ébauché. Un fait, dès à puésent acquis, c'est qu'il
semble inutile de tenter la construction du chemin de fer, en amont de
Khartoum, le long du magnifique chenal navigable constitué par le Nil
Blanc. Dans toute cette partie de la plaine nilotique, le sous-sol est telle-
ment marécageux, que les frais de construction de Tinfrastructyre ne
répondraient en rien au rendement du transit qu il est permis d'espérer.
D'autre part, pour conserver entièrement à la grande ligne du Cap au
Caire son caractère impérial et stratégique, il est probable que l'on ne se
hasardera pas à escalader le plateau éthiopien, même si les ingénieurs
réussissaient à faire circuler le rail à travers ce chaos de pics et de ravins,'
de vallées et d'arêtes montagneuses. Il est donc très probable que le grand
transafricain anglais remontera la vallée du Nil Bleu jusqu'aux environs de
Roseiras, puis suivra vers le Sud, vers l'Ouganda, la lisière Ouest des pla-
teaux éthiopiens au pied de la brusque ascension des montagnes. La voie
ferrée couperait ainsi la rivière Baro juste dans les environs d'Itang, point
où l'article 4 du traité prévoit l'octroi à l'Angleterre d'une concession terri-
toriale. Sur les rives de la rivière Baro, Itang est située dans la zone de
LA DÉUMITATION DE L*ÉTHI0PIE 141
transition entre les marécages nilotiqués et les premiers contreforts rocheux
qui se dressent à quelques kilomètres dans le Nord- Ouest. Ce sera le port
amont des vapeurs anglais qui viendront, avant la construction du chemin
de fer, écouler par la voie du Sobat une partie des produits du plateau
éthiopien, dont le rebord occidental est d'une merveilleuse fertilité. Les
vapeurs de rivière pourront y remonter à Tépoque des eaux hautes et
moyennes. En outre, dès que la réalisation totale du transafricain sera
résolue, le port d'Itang, à Textrémité du Sobat et du Baro navigables,
pourra servir de chantier initial pour les travaux de la voie ferrée vers le
Nord et vers le Sud; il jouerait alors le même rôle que les ports fluviaux
des grands fleuves sibériens pour la construction du transasiatique
russe.
Cette œuvre grandiose du chemin de fer du Cap au Caire importait
autrement aux Anglais que la possession de quelques kilomètres carrés de
terre en plus ou en moins.
. Les maîtres des steppes et des marécages de l'immense vallée du Nil se
souciaient peu d'agrandir encore les vastes espaces couverts d'herbes
improductives. Ils ont eu la sagesse d'accorder à l'Ethiopie Taccès au
Sobat, préférant la réalisation des gi*ands travaux de caractère impérial que
Ton vient d'exposer à la possession des marais d'entre Baro et Djouba.
Les Français, amis fidèles et désintéressés de TEthiopie, se
réjouissent certes du règlement des difficultés de frontières à
l'Ouest et de l'accès qui lui est ouvert au Nil. Mais il leur paraît
que la concession d'Itang, le droit de passage du chemin de fer
et l'article relatif à la circulation des eaux du Nil Bleu et du
Tsana offrent de réels dangers. Ils nous sembleraient moins
graves si dqus ne savions que, depuis la paix du Transvaal, la
politique britannique a repris, à Addis-Ababa comme ailleurs,
toute son activité. 5f*en a-t-on pas eu, il y a quelques jours, une
preuve décisive : le concours donné par TEthiopre aux opérations
engagées dans le Sud du Somaliland contre le mahdi de
rOgaden? Le ras Makonnen va diriger les troupes qui doivent
permettre aux Anglais de se défaire de ce redoutable adversaire.
L'Italie elle-mt^me, fort bien servie par les talents du capitaine
Ciccodicola, reprend auprès du négus une place chaque jour
plus importante.
Nous voudrions pouvoir dire que notre situation s'améliore
également. Malheureusement les moyens mis en œuvre à
Addis-Ababa sont insuffisants : on n'a môme pas encore con-
stitué auprès de notre ministre la petite escorte d'officiers qui
loi permettrait de tenir le rang et de jouer le rôle du représen-
tant de la puissance ipaîtresse de Djibouti et maîtresse du
chemin de fer, ^
Et pourtant l'occasion s'offre à nous. Menelik va parcourir en
personnB dans quelques jours la ligne du chemin de fer français
142 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
(le Djibouti à Addis-Harrar qu'on a inaugurée le 25 décembre
dernier, et le gouvernement français a décidé qu'une force
navale serait envoyée pour saluer le souverain. L'inauguration
impériale se passera- t-elle en discours, en fêtes, en banquets et
t^n coups de canon? Ne profiterons-nous pas de Tinfluence, de
la situation privilégiée que nous donne le chemin de fer, pour
renforcer notre représentation à Addis-Ababa et pour accentuer
i!otre action en face de rivaux agissants, tout au moins pour
faire décider le prolongement de notre voie ferrée jusqu'à
TAouache?
Ici comme sur plusieurs points où s'exerce notre expansion
coloniale, nous pouvons réclamer Tappui de la Russie qui
^iTait d'autant plus efficace en Ethiopie que cette puissance y
jouit d'une inlluence religieuse incontestée. Cet appui, des
rivalités personnelles nous avaient empêchés d'en user jusqu'à
{•V jour. Or le titulaire de l'agence russe en Ethiopie vient d'être
changé, et tout fait croire que M. Lichine, le nouveau ministre
de la puissance alliée, prêtera à notre représentant le concours
luyal et constant que le colonel Harrington a toujours trouvé
îiuprès du capitaine Ciccodicola.
Saurons-nous en profiter? Le moment est venu, et, puisque
Menelik a pu se convaincre que nous étions pour lui des colla-
borateurs dévoués et désintéressés, n'acceptera-t-il point,
irattendra-t-il pas, quand il sera en terre française, à Djibouti,
)|ue nous lui demandions de rendre cette collaboration plus
intime, plus confiante, plus fréquente aussi?
Auguste Terrier.
P. S. — Cet article était écrit quand est parvenue la nouvelle que Tinau-
LTuration du chemin de fer de Djibouti à Addis-Harrar par Menelik était
ajournée.
« L'empereur Menelik, disent les nouvelles de Djibouti, fidèle observa-
i* teur du carême, et craignant d'autre part d'avoir à remonter à Addis-
'< Ababa en saison des pluies, a fait savoir à MM. Ilg et Chefneux aue lo
'< carême d'une part, et la saison des pluies de l'autre, l'obligeant à trûler
't des étapes et à ne pas s'arrêter plus d'un jour à Djibouti, il valait mieux
■ ajourner le voyage à la fin de la saison des pluies, c'est-à-dire à l'automne
'.« prochain, de manière à séjourner au moins une quinzaine de jours à
(t Harrar, une huitaine à Djibouti et sur la ligne. »
Et pourtant, notre Conseil des ministres avait déjà arrêté sa participation
aux fêles du 17 février : le cuirassé léna et le croiseur Linois étaient dési-
liués pour aller saluer le Né^us à Djibouti. Faut-il voir dans cet ajourne-
ment une conséquence des intrigues des légations étrangères à Addis-
Ababa, comme 1 a dit une dépêche du Temps? En tout cas, ce déplorable
Ciintretemps est un argument nouveau en faveur de la nécessité de renfor-
cer notre action diplomatique en Ethiopie : venant après la publication du
iraité anglo-éthiopien, il signifie que nous ne devons plus nous complaire
dans le mystère qui nous a caché jusqu'à ce jour la portée réelle de notre
influence en Ethiopie. — A. T.
LA QUESTION DE MACÉDOINE
Dans un premier article *, j"ai posé la question de Macé-
doine — « qui n'est ni plus ni moins que notre vieille con-
naissance, la question d'Orient » — et j'ai recherché les causes
pour lesquelles, après tant d'années de troubles chroniques et
isolés, on a ébauché l'automne dernier, et on nous annonce
pour le printemps, une révolution.
Aujourd'hui, je voudrais préciser le but du soulèvement,
^^quisse^ l'organisation des comités, et indiquer les consé-
quences probables — non seulement balkaniques, mais euro-
péennes — des faits actuels.
LA TACTIQUE MACEDONIENNE
Des Bulgares macédoniens veulent faire une Macédoine auto-
nome — et au besoin indépendante — sans plus se préoccuper
k la principauté de Bulgarie que des autres petits Etats de la
f»énînsule.
La scission entre eux et la principauté a des causes multiples.
Environ 200.000 Bulgares de Macédoine vivent hors de
Turquie, au moins pendant la plus grande partie de l'année :
toute une partie de Sofia est macédonienne. La plupart sont des
journaliers agricoles ou des ouvriers, qui retournent passer
l'hiver en Turquie. Mais beaucoup, et non les moins agités,
appartiennent à ce prolétariat intellectuel qui, une fois sorti des
^x)Ies bulgares de Macédoine et de la principauté, ne sait com-
ment gagner sa vie. Une petite partie a été casée par l'Etat bul-
^'are dans Tannée, dans l'Université, dans les lycées. Les autres
font de la politique. Peu à peu, un grand nombre de ceux-là,
trouvant que leur influence n'est pas en proportion de leur
valeur, se sont aigris. Ils ont rendu la Bulgarie responsable de
leur trop piètre existence. Si jamais la Macédoine s'afi'ranchit,
ils veulent qu'elle soit à eux, sans qu'ils aient à partager
avec les <r frères » du Nord.
' Voir Qtiest. Dipl- et Col., 15 janvier, t. XV, p. 82.
i44 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
En 1896, le prince Ferdinand a voulu, comme gage de récon-
ciliation avec la Russie, exiger que l'exarque vînt résider à
Sofia et mît fin au schisme. L'exarque menaça alors d'entrer en
relations avec Rome'. Toute une partie du clergé macédonien,
menacé dans son existence même, n'a pas encore pardonné au
prince.
Vers la rac^me époque, pour des raisons financières, l'Etat
bulgare n'a pas pu garder la haute main sur la propagande
macédonienne, dont se sont emparés les comités, c'est-à-dire les
Macédoniens. D'où, une accélération du mouvement.
Enfin, la politique de modération et de prudence sagement
imposée à l'Etat bulgare par la Russie, ennemie des coups de
tète, a fait déborder le vase *.
Il n'y a, d'ailleurs, pas simplement opposition d'une idée
nationale macédonienne à l'idée ijationale bulgare. L'idée socia-
liste et internationaliste a fait son apparition en plein Orient.
De jeunes Macédoniens, revenant des Universités françaises et
suisses, ont apporté et propagé les nouveaux dogmes subversifs
de l'Occident. On s'est surtout inspiré des révolutionnaires
russes : Dobroloubof, Tchiernichevski. Si on parle d'une Macé-
doine futur centre de la fédération des Balkans, on y met comme
condition que les Balkans se soient préalablement, débarrassés
de leurs dynasties, et jusqu'à un certain point, de leurs églises.
La supériorité que peut s'arroger ce nouveau parti, c'est qu'il
élimine, par son principe même, les causes nationales de divi-
sion. Plus de Bulgares, de Serbes, de Grecs et de musulmans,
ennemis les uns des autres : rien que des Macédoniens.
Sans doute, la réalisation d'un pareil accord ne peut être entre-
vue que dans un avenir incertain. Mais, dés maintenant, le parti
bulgare de la Macédoine autonome, tout en mettant la division
parmi les Bulgares, même enMacédoine, aj été un pont entre une
partie des Bulgares et une partie des Serbes. L'idée d'une Bulgarie
autonome est moins faite pour effrayer les Serbes du moment
où l'autonomie n'a plus pour but de préparer l'annexion à la
principauté. D'autre part, beaucoup de Serbes sont las de la
politique turcophile. Elle est stérile. Elle rend les Slaves macé-
doniens de plus en plus réfractaires à la propagande serbe. La
politique modeste des réformes nationales et scolaires apparaît
insuffisante en présence des menaces de massacres dont les
Albanais — Kurdes d'Europe — donnent déjà un avant-goût aux
paysans de Vieille-Serbie. Les réformes politiques, l'autonomie,
1 Victor Berard. En Macédoine, p. 245 et suivantes.
' Par animosité contre la Russie, plus d'un des membres du comité SaraTof
souhaite l'occupation austro-hongroise.
LA QUESTION DE MACÉDOINB 145
apparaissent comme indispensables. Des Serbes en viennent
donc à adopter Tarticle essentiel du programme bulgare.
Cet été, à Belgrade, « la Société des habitants de Vieille-
Serbie et de Macédoine », sorte de comité serbe turcophile, a
été empêchée de tenir une assemblée par des professeurs et des
étudiants de Belgrade, qui, une fois vainqueurs, ont proclamé
la nécessité de la politique autonomiste.
Ainsi tend à remporter en Macédoine une politique révolu-
tionnaire d'hommes d'action exaspérés. Ils reprennent pour le
compte de la Macédoine la parole que dut prononcer en Italie
le roi Charles-Albert : « ,.,fara da se, » L'Italie ne s'est pas faite
ainsi, mais Vltalie — et avec elle, l'Europe — a été profondé-
ment agitée par des procédés identiques. La Macédoine entre
dans la période, non des Cavour, — Cavour est peut-être à
Sofia, — mais des Mazzini et des Garibaldi.
*
♦ ♦
Ce sont bien des carbonari et des chefs de partisans qui
entrent en scène avec les « comités » et les ce bandes ».
Il paraît qu'il existe, en Macédoine, des comités exclusive-
ment macédoniens, sans lien avec le dehors, longtemps rudi-
mentaires, nettement socialistes et partisans de Taction révo-
lutionnaire. Boris Sarafof s'occupe actuellement de les orga-
niser. Mais les comités qui ont jusqu'ici fait parler d'eux sont
nés dans la principauté et y ont actuellement leur centre.
Ces comités locaux, constitués dans chaque ville de la princi-
pauté, surtout par les Macédoniens immigrés, se sont fédérés,
vers 1890, en un a haut comité macédo-andrinopolitain * ».
En 4895, une première incursion fut faite en Turquie par
Boris Sarafof, alors tout jeune homme. Il occupa pendant un
jour la petite ville de Melnik. Le haut comité semble ne pas
être responsable de cette expédition. Les Macédoniens, qui
n'étaient nullement préparés à le soutenir, le désavouèrent.
L'État bulgare sévit.
De 1895 à 1899, le haut comité et ses filiales fonctionnèrent
comme un vaste bureau de bienfaisance pour réfugiés. Il prit
pour base de ses revendications l'article 23 du traité de Berlin
et en appela aux Puissances. Mais, peu à peu, les hommes
d'Etat qui en faisaient partie disparurent, et le pouvoir passa
aux agitateurs. Boris Sarafof fut nommé président en 1899.
< Les comités prétendent étendre leur action au vilayet d'AndrinopIe, — bien qu'il
Q»^ existe qu'une minorité bulgare, — à cause des prétentions de l'exarque sur
plusîears diocèsca.
QoxsT. DiFi.. «T Col. — t. xv. 10
146 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
C'est l'époque où fut émis l'emprunt patriotique * ; où des
sommes furent extorquées par la violence à de riches Bulgares ;
où furent assassinés, — par des indépendants trop zélés, dit-on,
— des curateurs d'écoles macédoniennes serbes *; où le Macédo-
nien-Bulgare Soyan Dimitroff assassina en Roumanie l'institu-
teur Michaliénu, Macédonien-Valaque, qui, dans son journal
Peninsula AaZAraw/cû, avait dénoncé des Macédoniens-Bulgares,
dont deux furent condamnés à Monastir.
On se souvient des incidents diplomatiques qui suivirent.
Sarafof fut, sur les sommations de la Roumanie, arrêté, jugé
et acquitté dans la principauté. Pendant le procès, il avait
démissionné, et un congrès extraordinaire élut président
M. Michaïlowsky, à qui, six mois après, fut adjoint comme vice-
président le colonel Tzontchef. Les modérés semblaient l'em-
porter : Michaïlowsky avait reçu le mandat de suivre une poli-
tique à la fois plus énergique que celle de 1895 à 1899, et plus
correcte que celle de Sarafof. Mais les trois quarts des sociétés
de Bulgarie, se prononçant pour Sarafof, abandonnèrent le haut
comité ainsi transformé. Elles élurent président l'ingénieur
Stanichef.
Sarafof reste en marge. 11 s'occupe de Faction sans assumer
à nouveau les responsabilités quasi officielles.
Michaïlowsky a présidé à l'insurrection de cet automne. 11
était probablement débordé par les impatients. Il désirait se
montrer en Macédoine où Tinfluence de Sarafof est prépondé-
rante. 11 voulait aussi attirer l'attention de l'Europe avant
d'entreprendre sa tournée d'hiver en Occident. Des bandes
d'émigrés macédoniens passèrent en Macédoine et tentèrent de
déterminer un soulèvement général. On se battit surtout dans
la montagne de Périm et dans le vilayet de Monastir, où le
colonel Jankof, qui en est originaire, avait été peu auparavant,
pendant un séjour en congé régulier, acclamé par ses compa-
triotes enthousiasmés '. Les résultats ne furent pas brillants.
On ne réunit guère que 3.000 hommes. Les bandes hostiles de
Sarafof, qui n'avait pas donné le signal et ne voulait pas
laisser discréditer la révolution, barrèrent sur plusieurs points
la route aux bandes de Michaïlowsky et ne les laissèrent
guère opérer que là où existait une préparation à peu près
> Le comité émit des titres et les capitalistes gros et petits durent souscrire bon
gré mal gré.
) Ces écoles ne peuvent pas s'ouvrir, ou subsister, sans un garant, ou curateur :
en assassinant quelques curateurs et terrorisant les autres, on espérait amener la
fermeture des écoles.
s Pour la géographie des centres insurrectionnels, voir Oaulis, Bulgarie et Macé-
doine (Revue de Paris, i" nov. 1902, p. 95 et sui?.].
LA QUESTION DB MAGÉOOINB 147
suffisante. La Turquie s'en prit à la principauté de Bulgarie.
La Bulgarie, tout en échelonnant des troupes sur sa frontière,
répondit à peu près comme le ministre Bratiano à l'Angleterre,
lors de la révolution balkanique qui précéda la guerre turco-
nisse : ic Ce sont des sujets turcs qui rentrent chez eux ; je n'y
• puis rien. »
Aujourd'hui, tout est calme. Les insurgés se sont en grande
partie réfugiés dans la principauté. La neige et le froid rendent
impraticables le Rhodope, la montagne de Périm et les sommets
qui dominent Monastir. Mais que se passera-t-il au printemps ?
Entre Michaïlowsky et Sarafof il ne semble guère y avoir, en
Aiit, qu'une querelle de coteries. — Michaïlowsky déclare qu'il
y a en Macédoine des nationalités distinctes, mais qu'elles doi-
vent s'effacer devant le danger commun : quelle différence pra-
tique avec l'internationalisme de Sarafof? — Michaïlowsky est
bien convaincu que la Macédoine ne peut réussir qu'avec Taide
les puissances, et il a tenté, en Angleterre et en France, de sou-
l**ver Fopinion pour faire pression sur les gouvernements : « Ce
nt? sont pas les Canaris et les Botearis, dit-il, qui ont affranchi
la Grèce; c'est l'Europe, et je lui fais appel. » Mais il affirme
que, si l'Europe est sourde, la Macédoine ne peut plus
attendre, et il annonce, comme Sarafof, la révolution pour les
premiers beaux jours.
Si la révolution éclate, que se passera-t-il en Macédoine ?
Puisqu'il y aura vraisemblablement marche parallèle du
comité Sarafof, du comité Michaïlowsky et des comités exclu-
sivement macédoniens*, les bandes, -*• cadres toujours prêts du
<">ulèvement, — recevront toutes leur mot d'ordre. Tout paysan
qui, sans probablement savoir de quel groupement il lui vient,
a été armé d'un fusil par quelque agent mystérieux, devra
exécuter sa consigne, qui est le plus souvent de rejoindre une
bande.
Mais combien y a-t-il en Macédoine de fusils entre les
mains des chrétiens? M. Gaulis parle de 125.000 Martini et
Mauser vendus, en 1897, avec 50 millions de cartouches, par
la principauté à un groupe bulgare, et de toute la « pacotille
patriotique » de 1' « Ethniki Hetairia >), — comité grec de la
* Ces lignes étaient écrites quand a été connue la nouvelle d'une entrevue entre
MH. Michallowskj et Sarafof. « La fusion des deux fractions du parti macédonien...
petit être considérée comme faite en principe, en vue de l'insurrection en Macé-
i-'ioe au printemps prochain, suivant les uns en avril, suivant les autres en fin
'écrier déjà ; mais cette fusion ne sera un fait accompli qu'après la réunion très
&rochaioe d'un ^rand congrès macédonien à Sofia ». Le Temps, 23 janvier 1903. —
L «^ nécessaire d'ajouter que MM. Michaïlowsky et Sarafof ont d'autres fois déjà,
a ea rain, tenté de «e réconcilier.
I
148 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
guerre de 1897, — achetée à bureau ouvert par Sarafof, à
Athènes ^ Combien de ces armes sont entrées en Macédoine ?
Un Français qui connaît bien la péninsule m'a affirmé que les
Bulgares de Turquie disposent au maximum de 20.000 fusils.
Question capitale, à laquelle les seuls initiés pourraient actuel-
lement répondre.
Dès le début, les insurgés auront à lutter, — sans parler des
formidables réserves d'Asie, — contre une armée régulière de
80.000 hommes. Des bandes de bachibouzouks — volontaires
musulmans — se formeront en quelques jours, s'élèveront vite
à une vingtaine de mille hommes et tomberont sur les villages
chrétiens, privés de leurs défenseurs. Ce sera le recommence-
fe ment de ces « atrocités bulgares » de 1876, où, d'après un rap-
Y port anglais, 65 villages furent détruits et 15.000 personnes
\t. massacrées; d'après le consul américain, 100 villages et plus
de 30.000 personnes..
Au fond, et bien que cela soit atroce, c'est peut-être plutôt
Y sur ces hécatombes que sur la résistance des bandes dans la
Ç montagne — trop connue des gendarmes turcs et des musul-
I mans albanais — que comptent les chefs révolutionnaires :
f « Nous périrons pour attirer l'attention sur nous », dit Michaï-
|;'' lowsky, qui sait bien que la partie est hasardeuse et répète
r souvent : « Nous tentons de transporter une montagne avec
'y « une cuiller. »
Emouvoir l'Europe par des massacres inouïs ; déterminer
une telle agitation dans la péninsule que les petits Etats se
trouvent engagés dans la lutte sans que leurs gouvernements
puissent penser à résister; acculer l'Europe aune guerre géné-
rale en envenimant la question d'Orient : c'est bien là toute
la tactique macédonienne des comités.
Doux puissances semblent avoir pris d'avance en main les
intérêts de l'Europe, — et peut-être aussi ceux de la Macédoine.
II
l'entente AUSTRO-RUSSE
Moralement, et jusqu'à un certain point, juridiquement,
c'est l'Europe qui devrait, pour couper le mal à la racine, mettre
(in au régime hamidien en Macédoine.
En efl'et, toutes les grandes puissances ont signé le traité de
Berlin. Elles ont négligé d'imposer l'exécution de l'article 23.
Elles n'en ont pourtant pas seulement le droit. Elles en ont
1 Gaulis, op, cit., p. 92.
:-^
U»»iî.ii I i ,
LA QUESTION DE MACÉDOINE 149
contracté le devoir le jour où elles ont rétabli la domination
turque sur les pays slaves.
Un grand congrès, suite de celui de Berlin, devrait se réunir,
reprendre la tâche de la conférence de Constàntinople (^t la
mener à bout *.
La difficulté n'est pas de trouver les réformes possibles. On
ua que Tembarras du choix entre les projets antérieurs, — no-
tamment ceux de 1876 pour une grande Bulgarie et ceux de
1880 pour la Turquie d'Europe actuelle. Les précédents récents
et les modèles encore existants abondent dans les pays voi--
sins : — Serbie, depuis l'établissement de l'autonomie jusqu'à
Tévacuation de la citadelle de Belgrade par les troupes tur-
ques; Liban, depuis l'intervention française; Crète, formelle-
ment désignée par l'article 23 ; Roumélie Orientale, de 1880 à
1885, si ce qui suivit ne devait pas rendre plus prudent ;
Egypte, notamment pour les tribunaux.
On entrevoitaisément les grands principes à adopter : — dans
les vilayets actuels , ou dans des circonscriptions plus grandes
et mieux adaptées à la carte ethnographique, des gouver-
neurs chrétiens seraient nommés avec le concours de rËurope,
Les garnisons turques n'auraient plus qu'un rôle exclusive-
ment militaire; une milice locale serait chargée de la police;
les musulmans n'auraient pas plus que les chrétiens le droit de
port d'armes. Des tribunaux impartiaux seraient organis<f^s. On
renoncerait complètement au régime occidental et individua-
liste : on développerait, sans partialité, les différentes commu-
nautés religieuses et nationales, — en trouvant une combinai-
son nouvelle pour les Serbes actuellement sans église natio-
nale ; — (par cette méthode seulement, on arrivera à faire vivre
en paix les divers groupements enchevêtrés et à dégager la vraie
physionomie du pays). Pendant une période transitoire, l'Eu-
rope interviendrait plus énergiquement, et présiderait à rétablis-
sement du régime nouveau : en 1876, il fut déjà question d en-
voyer temporairement en pays bulgare une gendarmerie mixte
européenne, dont le contingent avait, je crois, été fixé h
3.000 hommes*.
1 D*autres sujets aussi pourraient et devraient être traités : la situation de T Ar-
ménie est toujours des plus précaires ; la situation de fait de la Roumélie Oneniale
devrait être consacrée; le dernier mot n'a pas été dit sur la Crète, etc.
< Voici, d'après une note de presse, quelles sont les réformes qu'a proposée», dan^
sa conféreDce de décembre 1902, M. Povolni, correspondant du Sviet :
c Partant de ce fait que, d'une part, aucune réforme n'est possible en Macêiloiae
« avec le maintien du régime des pachas turcs, et que, de l'autre, Tabolitioa df la
« domination du Sultan dans cette province provoquerait aussitôt les convoiliacs dt
u divers Etats, le conférencier prbpose un terme moyen : réserver à la Turquie nnt
« position strictement indispensable pour le maintien de sa souveraineté, par \ en-
150 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
D'ailleurs, toute réforme sérieuse en Turquie d'Europe serait
bonne, — comme toute issue ouverte dans une chaudière à
trop haute pression permet de prévenir une explosion.
Mais ce qui est difficile, c'est de vouloir assez énergique ment
des réformes pour les imposer au Sultan.
Les représentations isolément et successivement faites à
Constantinople par différentes ambassades n'ont eu pour ré-
sultat que d'amener la Sublime Porte à jouer une nouvelle
comédie à l'usage de. l'Europe. Le Sultan a signé en décembre
un iradé impérial qui, prétend-il, réorganise la Turquie d'Eu-
rope. Parmi une série de phrases alambiquées et hypocrites et
de recommandations faites aux gouverneurs à très haute voix,
afin que les puissances entendent, on ne découvre qu'une inno-
vation : des commissions et des fonctionnaires nouveaux seront
nommés par le Sultan. Ils compliqueront encore la machine
turque ; ils aideront à arrêter entre les provinces et Yldiz Kiosk
les plaintes des raïas*.
Une pareille façon d'agir n'a provoqué aucune protestation
collective. L'Europe a paru se rendormir.
« tretien des garnisons dans les principaux centres et conférer le reste (administra-
« tion intérieure, affaires économiques, etc.) aux populations de ce pays, qui, pour
« se garantir contre les exactions possibles de la soldatesque turque, organiseraient
« une police et une milice indigènes. Un arrangement pareil a subsisté en Serbie
(( pendant plu» de cinquante ans sans avoir donné lieu à des conflits, car le Turc,
« une fois qu'il se sait dessaisi de la surveillance et de la domination sur les indi-
« génesi s« désintéresse de leurs affaires et se confine dans son milieu musulman.
<f Afin d'éviter des collisions entre les diverses nationalités de la Macédoine, le futur
^< statut fqui devrait être étendu sur la Vieille-Serbie où la situation est encore plus
« critique, et sur l'Albanie où des fermentations de troubles se font sentir) stipule-
« rait l'égalité absolue des langues et nationalités et le règlement de la question
« agraire par l'abolition du système féodal turc. Comme les populations de la Ma-
a cédoine sont dès à présent dans un état d'animosité les unes contre les autres et
« que, copiant les procédés de leurs maîtres, elles liquident leurs querelles par des
« moyens violents, il est nécessaire de faire précéder Tintroduction de ces réformes
« par une occupation européenne provisoire qui habituerait la Macédoine à un
« régime d'ordre et de légalité. Toutefois, afin d'empêcher que cette occupation
« puisse être exploitée par certaines puissances qui ont des visées annexionnistes sur
« la Macédoine, il faudrait faire la répartition des rayona d'occupation de façon à
« ne pas les exposer à une tentation de ce genre. M. Povolni, après une étude ap-
« profondie de la situation, propose la répartition suivante : Vieille-Serbie et san-
« djak de Dibra, où sévit le problème serbo-albanais, à la France, la plus désinté-
« ressée de toutes les puissances; les sandjaks de Skopié (Uskub) et de Bitolia
« (Monastir), agités par le problème serbo-bulgare, à la Russie; le vilayet de Scu-
« tari et le sandjak d'Elbassan (convoitises austro-italiennes), à l'Angleterre; le vilajet
(c de Yanina (problème gréco-albanais), à l'Allemagne; les sandjaks de Gueuridjé,
« Serfidjé et Salonique (conflit gréco-serbo-bulgaro-valaque), à l'Italie; les sandjaks
« de Sérés et Drama (conflit gréco-bulgare), à TAutriche-Hongrie. »
ï On trouvera le texte de cet iradé dans la Revue d'Orient et de Hongrie du
10 décembre 1902. La récente nomination du président du comité turc des réformes
comme grand vizir ne peut avoir aucune importance, si, comme je le crois, les
réformes étudiées par ce comité sont sans portée. — Pour les questions qui se posent
à propos des plus récents projets d.e réforme, voir le Mouvement macédonien ,
journal des mieux documentés, dont le rédacteur en chef est M. RadefT.
LA QUESTION DE MACÉDOINE ' 151
Mais la Russie s'est mise à l'œuvre, — avec TAutriche-
Hongrie.
Quelque patiente, et en apparence effacée, qu'ait été, depuis
la guerre turque, Taction russe dans les Ralkans, la Russie ne
pouvait, en aucun cas, se désintéresser des événements actuels.
Si l'Asie Ta absorbée, elle n'a pas pour cela oublié les frères
slaves et orthodoxes des Ralkans au point de ne pas s'inquiéter
quand ils sont en péril. D'autre part, la paix européenne est la
condition nécessaire de l'expansion russe en Asie, et un danger
de guerre générale ne peut pas menacer en Europe sans que le
Tsar, qui prît l'initiative de la conférence de La Haye, ne s'en
émeuve.
Il y a plus : la Russie, obéissant à la loi d'oscillation d'Occi-
dent en Orient et d'Orient en Occident qui semble devoir dé-
sormais la régir, s'intéresse chaque jour un peu plus aux affaires
d'Europe.
Son évolution en Asie, elle-même, la ramène vers l'Ouest.
Sans doute, en Extrême-Orient, les affaires de Chine et l'alliance
anglo -japonaise la préoccupent toujours. Mais le Transsibérien
est achevé ; Port-Arthur est relié à Moscou ; le chemin de fer de
Mandchourie est occupé militairement. Dans cette zone, un
but est atteint : la mer libre du Pacifique. Au contraire, l'expan-
sion russe vers l'autre mer libre asiatique — l'océan Indien t-
désormais décidée, mais à peine ébauchée, est compromise. Or,
ce n'est pas surtout l'Angleterre qui, — inquiète pour l'Inde et
jalouse de la Perse, — menace. Le chemin de fer allemand de
Ragdad enfève une partie de son utilité au futur chemin de fer
russe à travers la Perse. Economiquement et militairement, il
menace la Russie *. L'Allemand devient pour l'Empire des Tsars
un adversaire asiatique. Mais le chemin de fer de Ragdad n'est
que le cours inférieur du Drang nach Osten européen. Pour
avoir prise sur l'Allemand en Asie, la méthode la plus sûre
est d'agir en Europe.
En m^me temps, ces « Sociétés de bienfaisance » russes, qui,
en 4878, avec les Axakof et les Katkof, ont forcé la main au
Tsar et lancé l'armée russe dans les Ralkans, se reconstituent et
s'ag-itent à Saint-Pétersbourg et à Moscou.
L'armée russe, qui s'adapte rapidement à son rôle mondial,
1 Quand sera refait par les colons allemands le gigantesque « grenier à blé » du
Tigre et de l'Kaphrate, les blés russes seront concurrencés. Nous avons vu que le
chemio de fer de Bagdad rendra mobilisable l'armée turque d'Asie : la Russie pense
à sa frontière caucasienne. — Voir : Vinfluence de V expansion asiatique sur les
poUHgue9 russe et allemande {Rev. bleue, 24 mai 1902).
152 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
nouveau, sera bientôt fragmentée en armées indépendantes les
unes des autres : elle pourra faire face à la fois à tous les ennemis
possibles. Pendant les événements de Chine, il fallut, pour agir
en Mandchourie, drainer les régiments d'Europe. Aujourd'hui
l'armée d'Extrême-Orient peut, avec ses réserves sibériennes, se
suffire à elle-même. L'armée du Caucase est depuis longtemps
autonome. L'armée du Turkestan, qui encadrerait les éléments
>de l'Asie centrale, est en pleine organisation. L'armée russe
d'Europe aura bientôt ses coudées franches. La Kussie, toujours
pacifique, peut enfin parler plus haut en Europe et y jouer le
rôle qui lui revient.
Dès le début d'octobre, elle se montre aux fAtes de Chipka.
Le général Kouropatkine, ministre de la guerre, Vy représente
officiellement. Des membres des Sociétés de bienfaisance y sont
délégués. Les troupes bulgares osent pour la première fois
manœuvrer au Sud des Balkans, en Roumélie Orientale. En
même temps, les Russes donnent de fermes conseils de pru-
dence que, deux mois et demi après, répète en termes impératifs
rofficiel Messager de U Empire * : la Russie n'oublie pas les
Slaves des Balkans, mais elle veut agir à son heure, dans le
silence et la paix, et d'accord avec la seule Autriche-Hongrie.
Peu après, le comte Lamsdorf, ce bénédictin qui déteste les
déplacements et la vie mondaine, a quitté le doux Livadia, où
il était auprès du Tsar. 11 est allé, par le rude hiver oriental, à
Belgrade, à Sofia et à Vienne. Le voilà rentré en Russie.
Qu'a t-il été dit dans ces entrevues rapides entre le ministre de
Nicolas II et les souverains et ministres de Serbie, de Bulgarie,
et surtout d'Autriche-Hongrie? Des résolutions ont-elles été
prises, et quelles résolutions?
Je ne prétends pas faire de révélations : au moment où
j'écris, rien de ce qui s'est passé n'a été divulgué. On ne peut que
faire des hypothèses et chercher à découvrir la plus vraisem-
blable.
»
A supposer que la Russie et l'Autriche-Hongrie aient adopté,
ou soient sur le point d'adopter, un plan d'action commune,
. est-il possible qu'elles se soient seulement engagées l'une à
l'égard de l'autre à limiter le foyer d'incendie ?
Elles s'arrangeraient de façon à retenir, quoi qu'il arrive, la
Bulgarie et la Serbie. Elles feraient savoir aux Macédoniens
qu'ilsn'ont à compter sur aucune aide. Si les comités donnaient,
quand même, le signal de la révolution, elles assisteraient,
1 Voir le passage essentiel de cette Aote dans le Temps du Vô décembre 1902.
LA QUESTION DB MACÉDOINE 153
impassibles, au massacre. On verrail, en pleine Europe, se
reproduire les événements d'Arménie. Si la Bulgarie ou même
la Serbie leur échappaient, elles se contenteraient de rétablir,
comme apn>s la guerre turco-grecque de 1897, les frontières
acliielles, Une politique aussi férocement étroite est, en Tespèce,
invraisemblable*.
Plaçons-nous exclusivement au point de vue le plus stricte-
ment utilitaire. La cause du mal est trop évidente pour que les
deux puissances intéressées ne Taient pas aperçue. Pourquoi se
conlentt*raienl-elles d'avoir recours à des remèdes empiriques
qui, employés isolément, sont par trop insuffisants? Il est évident
que rAutrichft-Hongrîe et la Russie limiteront la liberté d'action
des petits Etals balkaniques, H est certain qu'elles ne veulent
pas — la Russie surtout — entendre parler des comités révolu-
tionnaires macédoniens. Mais elles savent que les réformes, en
Macédoine et en Vieille-Serbie, sont la condition d'une détente :
elles aimeront mieux prévenir Tincendie qu'avoir à le limiter
pendant un temps indéterminé-
J'ai le ferme espoir qu'avec ou sans le concours postérieur
d#>s autres puissances, elles présenteront au Sultan un pro-
gramme de réformes : unies et résolues, elles disposent, pour
les faire aboutir, d'une force d'intimidation suffisante.
Mais se contenteront-elles de régler dans les Ralkans les
affaires du Sultan et de ses sujets? Dans l'imbroglio balka-
nique, tous les problt>mes sont solidaires. Aucun ne sera vrai-
ment n^solu tant (jue les autres continueront à se poser. L* Au-
triche-Hongrie et la Russie ne cherchent-elles pas à mettre fin
à leur propre rivalité, à transformer en une paix véritable la
tn^ve de 1807? La question présente un double intérêt : la paix
dans les Balkans — et peut-être aussi Texistence de la Triple
Alliance — dépend de la réponse qui lui sera donnée.
Si la Russie a encore des visées sur un territoire de TEmpire
turc. C'est en Asie, du côté de TArraénie, qu'elle regarde. Là
aussi elle a du reculer en 1878 : elle a perdu à Rerlin la grande
route d'Erzeroura en Perse et les sources de TEuphrate que lui
cédait le traité de San-Stefano. Des hautes montagnes armé-
niennes, elle dominerait le chemin de Bagdad et l'entreprise
allemande. Elle aurait, en avant du Caucase, une formidable cita-
delle. Les Arméniens, traqués par les Kurdes et les soldats de
rislam, sont mûrs pour une annexion- Dans cette région, TAu-
Iriche-Hong^rie n'a aucun intérêt.
Dans les Balkans, au contraire, la lîussie n'apparaît plus
* Elle âcrattt H ailleurs, cûaira;re k la noie du Messager de l'Empire qui parle
154 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
comme un envahisseur menaçant. Sans doute, elle tient à con-
server et h développer son influence à Sofia et à Belgrade. Mais
elle sait maintenant que la Bulgarie surtout ne se résignera
jamais au rôle d'Etat feudataire. Sa principale préoccupation
est que, en dehors des petits Etats affranchis, le Slave des Bal-
kans, — doublement Slave à ses yeux, parce qu'il est ortho-
doxe, — ne soit pas annexé par une grande puissance. Son
différend avec TAutriche-Hongrie est singulièrement simplifié.
Du côté de l'Albanie et de la côte Adriatique, aucune consi-
dération essentielle ne l'empêche de donner carte blanche à
rAutriche-Ilongrie. A la différence de l'Allemagne, elle n'a pas
à se préoccuper du conflit austro-italien : il ne peut que lui
profiter. Tout ce qu'elle aurait à exiger, c'est que le Monténégro
ne soit pas enclavé *.
Au contraire, sur le chemin de Salonique, il y a des Slaves
orthodoxes. La Bussie ne peut donc pas consentir à une occupa-
tion austro-hongroise de la Vieille-Serbie et de la Macédoine
occidentale. Mais TAutriche-Hongrie ne pourrait penser à cette
occupation que pour s'assurer Salonique et la voie libre jusqu'à
la mer. Or, la Russie ne doit pas beaucoup plus se préoccuper
de Salonique, ville judéo-internationale, que lorsqu'elle la
laissait à la Turquie par le traité de San-Stefano. Reste le
chenfin de fer, en partie construit et en partie projeté, de Vienne
et de Budapest à Salonique par Sarajevo. Ne peut-on pas le
rendre distinct des territoires slaves qu'il traverse? Le Danube,
enserré dans son cours inférieur entre la Roumanie et la Bul-
garie, n'en est pas moins, de par les traités, une voie interna-
tionale largement ouverte à l'Autriche-Hongrie : il lui assure
pleinement son débouché nécessaire vers la mer Noire. Quelle
différence entre une voie fluviale et une voie ferrée? C'est une
solution analogue à la solution danubienne qui peut mettre
fin à l'ultime difficulté austro-russe dans les Balkans.
Alors le pacte austro-russe de 1897, jusqu'ici atermoiement
heureux, mais précaire et négatif, deviendrait une entente har-
monieuse.
Le Habsbourg ne serait plus tenu à cette obligation de cher-
cher à Berlin un allié contre le Busse, que Bismarck lui imposa
tacitement par le don d'intérêts balkaniques non encore déli-
mités et précisés.
Je n'ai cas l'intention de montrer ici que cette obligation fut
une des principales raisons d'être de la Triple Alliance. Je l'ai
I Bien qu'il possède les ports de UulicgDO et d*Antivari, le traite de Berlin, le
frappant d'une servitude au profit de TAutriche, ne lui laisse pas la mer libre. —
V^oir sur cette question, comme sur toutes celles relatives à l'application du traité de
Berlin, Max Choublier : la Question d Orient depuis le traité de Berlin (Roms-
seau), p. 33 et suiv.
LA QUESTION DE MACÉDOINE 155
fait dans un récent article * ; j'ai cherché à y établir que le
Habsbourg tendra de plus en plus à reprendre sa pleine liberté
d'action. J'ajouterai seulement quelques remarques à propos
des faits récents qui nous occupent.
Le comte Lamsdorf, après avoir parlé à Vienne de la question
macédonienne, a « peut-être estimé, dit le Temps, qu'il ne fal-
<c lait pas perdre cette occasion de traiter avec son collègue du
« Ballplatz d'autres questions internationales et d'examiner si
« l'entente austro-russe dans les Balkans ne comporte pas, à
«c titre de conséquence, un rapprochement plus général, surtout
« en présence du relâchement des liens [de la Triple Alliance et
« du caractère offensif, même à l'égard de ses alliés, de la poli-
< tique économique et douanière de l'Allemagne » .
En tout cas, l'archiduc François-Ferdinand — qui commence
décidément à prendre une part active au gouvernement —
semble, bien qu'il n'aime pas les démonstrations, s'ôtre plus que
jamais mis en avant pendant le séjour à Vienne du comte
Lamsdorf. Or, il est intéressant de noter que le premier acte
important de l'archiduc héritier d'Autriche-Hongrie — sa visite
au Tsar — est suivi d'une indication concordante.
Enfin, dans la crise actuelle, TAutriche-Hongrie est loin d'em-
boîter, comme trop souvent, le pas à l'Allemagne. Elle ne se laisse
pas arrêter par l'idée que les intérêts balkaniques de son allié
pourraient devenir opposés aux siens. Elle négocie avec la Russie,
tandis que ses alliés de la Triple Alliance * se taisent. Le conflit
austro-russe s'apaise dans les Balkans. Qui sait si nous ne verrons
pas, sur un théâtre encore plus vaste, l'Allemagne engager une
lutte économique et diplomatique contre la Russie et TAu-
triche-HoBgrie réconciliées?
Ces conséquences indirectes, incertaine saussi', des affaires
de Macédoine seraient pour la France d'une importance capitale.
Nous ne devons pas regarder du côté de la Macédoine seule-
ment parce que la paix européenne pourrait y être menacée*.
1 Le Rapprochement franco-italien {Quest. Dipl. et CoL, io octobre 1902).
3 Je ne crois pa.« que le voyage du Kronprinz à Saint-Pétersbourg ait atténué la
pt^rtê-c de ces faits.
3 Depuis que cet article a été composé, M. Gabriel Hanotaux a écrit : c Le comte
Lasnsdorf s'est déplacé lui-même, on ne sait pas grand'chose de ce qui s'est fait
aa cours de soo voyage circulaire. Mais il est probable c{ue, si les hommes d*.^tat se
recherchent et se rencontrent, ce n'est pas pour se dire des choses désagréables.
A cette besogne, les diplomates ordinairement accrédités suffisent. II faut donc sup-
poser qu'on a remis sur pied, et peut-être complété^ l'arrangement de 1897 .entre la
Kossie et l'Autriche. Tout porte à croire que rien ne passera dans les Balkans, qui
s'ait été prévu et ré^Ié entre les deux puissants voisins. Ils ont pris leurs précautions
pour échapper aux influences adverses qui les portent à se heurter. »
* Edouard Hervé ** adopte la cause des Slaves du Sud et des Slaves du centre,
res peuples pleins àe sève et d'avenir, tournés vers la France et trop négligés par
elle, n attire constamment nos regards sur cette presqu'île des Balkans, oi^ toutes
les espérances et tous les regrets semblent s'être aonné rendez-vous pour s'y livrer
t
156 QUESTIONS DIPLOMATIQUES £T COLONIALES
Ou les puissances directement intéressées vont se contenter de
faire à l'édifice turco-européen vermoulu quelques réparations
de crépissage, qui cacheront peut-être les lézardes, mais ne retar-
deront que de quelques années ou de quelques mois la recons-
truction devenue indispensable. Ou elles iront jusqu'au fond des
choses, et la France — tout en sauvegardant par ailleurs ses
intérêts plus immédiats — pourra voir changer bientôt à son
avantage le groupement général des puissances.
Les opprimés courageux passionnent toujours le public fran-
çais, quand ils arrivent à lui faire connaître leur existence et
leurs efforts. Mais parfois nous arrivons à nous reprendre en
songeant que nous avons des devoirs plus étroits à l'égard
d'opprimés qui ne sont pas des étrangers. Or, quand il s'agit
des Slaves des Balkans, nous pouvons écarter ce légitime scru-
pule : leur cause est, par un certain côté, solidaire de la cause
d'une France qui doit être européennement forte. C'est la plus
complète adhésion que je puisse donner à leurs revendications :
il nous faut les soutenir de toute notre puissance et en toute
occasion.
Depuis quelques années, trop de différends ont existé entre
!a France et la Russie. Lors des massacres d'Arménie, notre
initiative a été paralysée par la politique réaliste et personnelle
de la Russie. En Orient, les vieux droits que la France tient des
capitulations et de la trsidition sont froissés par un protectorat
orthodoxe naissant. Alors que notre alliée refusait de prendre
part à la conférence sucrière de Bruxelles, nous sommes entrés
m rapport avec l'Angleterre et les puissances tripliciennes, et
nous avons traité avec elles. Nous blesserons la Russie « à la
tt prunelle de l'œil », si nous aidons l'Allemagne à pousser plus
avant l'entreprise de Bagdad. — Au contraire, en Macédoine,
les intérêts et l'idéal des deux puissances amies me paraissent
parfaitement concorder. Nous n'aurons pas, prochainement, h
ménager notre appui aux projets de réformes élaborés par la
Russie d'entente avec rAulriche-Hongrie.
René Hknry.
iie suprêmes combats, sur cette Macédoine surtout, où déjà plus d'uue fois s'est joué
le sort de l'Europe orientale, où le monde romain a établi sa prééminence sur le
monde grec, où les légions de POccident, conduites par Antoine et par Octave, ont
*'U raison des partisans de Brutus et de Cassius, ce champ clos où viendront se
heurter tôt ou tard les ambitions sociales que suscitent les crises de l'Orient. Di-
plomates, s'écrie>t-il, regardez du côté de Pydna et de Philippes. Militaires, étudiez
le bassin de l'Axius. Le jour où s'ouvrira l'héritage de l'empire d*Orient, c'est là
qu'il se réglera ». — Paul Deschanel, Discours de réception à l'Académie française.
LE PALUDISME
ST L'INITIATIVE PRIV^B EN CORSE
EIn exposant, dans les Queslions\ les doléances de la Corse,
nous avons insisté sur la nécessité d'assainir le littoral de VWv.
Tous les gouvernements ont compris cette nécessité, mais îl>
en sont trop souvent restés aux intentions. Nous avons dit qui^,
d^s le lendemain de Tannexion, la France avait commencf*
d'utiles travaux et qu'elle les avait continués dans des condi-
tions diverses; que des résultats avaient été obtenus, mais qu'il
restait encore beaucoup à faire. La plaine orientale, notam-
ment, si belle en hiver et au printemps, devient, quand arrivi'
lété, une région désolée; on la fuit et ceux qui s'y aventurent,
ou que leur condition condamne à y séjourner, sont exposi^s
à devenir les victimes de la fièvre paludéenne. Chacun sait qu'il
est, notamment, très dangereux de sortir avant le lever du
>«3leil ou après son coucher et que, pour avoir quelque chanc<'
d'échapper au fléau, il faut avoir bien soin, durant la nuit, df
jrarder la maison. Le mal n'est même pas localisé d'une façon
absolue, et il arrive quelquefois que ses effets se font senti i'
à une certaine dislance, et à des altitudes où il semble qur
Ton ne devrait pas le redouter.
Uans un pays qui, à tort ou à raison, passe pour tout attendn^
des pouvoirs publics, Tinitiative privée vient de donner un
exemple de nature à produire les meilleurs effets. Il est bon,
iK'S lors, de faire connaître ce qui a été fs^it. Les quelques pages
qui vont suivre n'ont pas seulement un intérêt documentaire,
elles sont écrites avec la pensée qu'elles pourront faire quelqn*'
bien. Montrer ce qui a été déjà obtenu, quand on vient de cohj
mencer, c'est encourager à 'poursuivre, et c'est indiquer ce qnr
Ton est en droit d'attendre d'un labeur persévérant; c'est aussi
donner à d'autres la pensée de tenter les mêmes efforts. Ce qui
a été réalisé en Corse peut être imité dans la métropole ou lc>
colonies partout où Ton a à lutter contre le paludisme.
Certes, ce n'est pas d'aujourd'hui que les Corses ou leurs amis
ont cherché la solution du problème, si intéressant pour eux n
résoudre, de l'assainissement de l'île. De nombreuses études ont
paru indiquant divers moyens, quelques-unes examinant 1»
question dans tous ses détails et d'une façon très sérieuse. Il])
a quelques années, M. Bourgougnon, ingénieur à Bastia, adress;+
t \^ Gcabco : Les doléances de la Corse {Quesl, Dipl. et Ço!,, t. XUI, p. 15).
I
l
158 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT GOLONIALBS
au Conseil général un travail des plus consciencieux : on 1861,
M. Limperani en avait mis un sous les yeux des membres du
Conseil d'hygiène et de salubrité publique de Tarrondissemenl
iIg Bastia. En 1869, M. Regulus Carlotti fit paraître une notiee
— Ou mauvais air en Corse — dans laquelle il recherchait les
viiuses du paludisme, son action et les moyens de le faire dispa-
raître. Il n'y a pas longtemps, en 1899, M. Pierre Sorba, con-
ducteur des ponts et chaussées, a publié une brochure sur les
Travaux d'assainissement en Corse, qui renferme d'utiles
iq^erçus. M. le D' Pitti-Ferrandi a écrit, en 1901, une thèse
sur Le paludisme et les régions palustres de la Corse. Nous
mentionnons ea passant, car nous n'avons pas la prétention
il*^ donn^ une bibliographie complète; nous retenons sim-
plement ceci que s'il y eut des rapports officiels, il y eut aussi
iics études privées. Les découvertes récentes ont fait passer, dans
\v monde de ceux qui pensent, de la théorie à la pratique, de
la recherche de ce qui est à faire à la mise en œuvre de ce qui
v^i possible pour tous. « Aide-toi, le ciel t'aidera, » dit un pro-
verbe bien souvent répété. Le Gouvernement, ce ciel de la terre
jiour tant de gens qui ont les yeux braqués sur lui, a de nom-
breuses et lourdes préoccupations; il a de gros soucis d'argent,
il est fort loin ; il lui est difficile de tout entreprendre en même
trmps. Qu'il agisse de son côté, nous n'y contredirons pas; mais
a^nssons aussi du nôtre, nous y trouverons le double avantage
do le forcer à nous aider — car on sourit à ceux qui ont quelque
tMilregent, — et de nous protéger, en attendantque, parles grands
moyens, l'Etat nous débarrasse complètement et définitivement
lie l'ennemi. Ainsi pensèrent probablement les fondateurs de la
Ligue corse contre le paludisme. Tant que la théorie miasma-
tique fut tenue pour vraie, il y avait peu à attendre d'une ac-
tion privée : quelque bonne volonté que Ton eût de se défendre,
il était difficile de ne pas respirer. Aujourd'hui, l'adversaire
«Haut démasqué, il est permis de compter sur la victoire.
On sait* que l'agent le plus actif de la propagation des fièvres
f paludéennes est un moustique qui, par sa piqûre, inocule à
l'homme l'hématozoaire du paludisme. Les expériences faites
f^ii France, en Angleterre, en Italie, ont paru concluantes.
11 a été démontré, d'autre part, que l'évolution du parasite de
la fièvre, chez l'homme, était enrayée par la quinine, et que,
lie plus, ce dernier produit était utilement employé comme
1 Voir D' Lb OAifTBc : Le paludisme {Quest, DipL el Col., t. XII, p. 333).
LIS PALUDISME ET l'INITIATIVE PRIVÉE EN CORSE 159
moyen piéventif. 11 s'agissait donc de se protéger contre la
piqûre des moustiques pour se garantir soi-même, et par voie
Je conséquence, arrêter la contagion portée de l'un à l'autre
pdf Y anophèle, 11 fallait aussi se préoccuper de rendre cette
piqûre inoffensive au cas où elle aurait lieu.
Puisqu'il s'agit de moustiques, suffisait-il d'user des préser-
vatifs employés de tout temps par les habitants des pays chauds
victimes des agressions nocturnes de tous ces petits , bandits
ailés qui, en sonnant du cor, s'abattent sur eux avec un redou-
table acharnement? Nous lisions dernièrement, dans un petit
volume in-12 sur l'histoire naturelle des Antilles, publié
rn 1667 par un M. de Rochefort, ce passage qui retint notre
.ittention. « Pour s'exempter de ces deux sortes de bêtes (Mous-
» tiques et Maringouins), on a coutume de placer la maison en
t un lieu un peu haut élevé, de lui donner air de tous côtés et de
coupper tous les arbres qui empeschentle vent d'Orient qui
- souffle presque ordinairement en ces îles (Antilles), et qui
- chasse au loin ces malins et importuns ennemis. Ceux aussi
^ qui ont des logis bien fermez et des lits bien clos, n'en sont
- [>oint incommodez. — Mais, si l'on en est travaillé, on n'a qu'à
• fumer du tabac en la chambre, ou de faire un feu qui rende
< beaucoup de fumée, car par ces moyens on met en fuite ces
* petits perturbateurs du repos des hommes. »
On ne connaissait pas, à cette époque, les fidibus antimous-
tiques^ mais on usait d'un procédé analogue à celui dont on se
M^rt aujourd'hui. L'expérience est ancienne, et les illusions le
•H)nt aussi. Les boîtes renfermant les fidibus sont recouvertes
d'étiquettes alléchantes. Quand vous lisez sur elles sonni Iran-
quilli^ vous vous bercez de cet espoir que vous allez béatement
jouir d'.un paisible sommeil. Vous brûlez avec confiance votre
petit cône aromatique qui enfume la pièce où vous vous
enfermez, au point d'en rendre l'air à peu près irrespirable.
Hélas! vous engourdissez le moustique, vous ne le tuez point;
et aux heures si douces des premières lueurs du jour, alors
qu'il fait si bon dormir, vous êtes réveillé par un bourdonne-
ment trop connu, ou par une piqûre trop cuisante. Les poudres
Je pyrèthre et de chrysanthème, les fumées et les odeurs sont
insuffisantes pour éloigner l'ennemi ; on ne peut donc en user
contre l'anophèle. Il fallait trouver des moyens radicaux. Ces
moyens ont été déjà exposés à cette place, avec autorité. Les
anciens portaient casques et cuirasses pour se garantir des
coups de lance et d'épée; on a pensé que l'on pouvait cuirasser
les maisons et affronter soi-même l'adversaire, la visière
baissée. On a garni portes et fenêtres de toiles métalliques ; on
W'/-
160 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
a inventé des capuchons en forme de sacs garnis de la même
toile, afin de défendre le visage.
Si Ton doit se mettre à Tabri des insectes vivants, il est un
moyen plus sûr encore d'avoir raison d'eux, c'est d'empêcher^
leur reproduction, en allant les combattre où ils se multiplient,
c'est-à-dire dans Teau des mares et des étangs où ils déposent
leurs œufs. Des expériences faites en divers pays ont très bien
réussi. A Cuba, les Américains ayant observé que la propaga-
tion de la fièvre jaune était due à un moustique, le stegomya^
n'ont pas hésité à user de ce procédé. On a remarqué qu'il suf-
fisait d'une légère couche de pétrole, sur la surface de l'eau,
pour supprimer les larves, M. Laveran évalue à une quantité,
variant de 10 à 15 centimètres, le pétrole exigé pour couvrir un
mètre carré de surface, et il considère qu'il convient, pendant
\{- les chaleurs, de répéter l'expérience environ tous les quinze
jours. Le peuplement des étangs avec de petits poissons est
également conseillé, de même que la suppression des bouquets
|- d'arbres entourant les maisons.
ri ' Pour propager l'habitude de telles précautions et la rendre
j,V générale, il ne suffit pas de faire des coirimunications aux So-
R; ciétés savantes, aux Académies, et de rédiger des mémoires si
f^ ' intéressants soient-ils. 11 faut évidemment commencer par le
r ; '-^ rapport du savant qui pose les principes et indique la ligne à
rj. suivre; mais une théorie ne peut, à elle seule, réveiller Tinitia-
t»;, tive individuelle. Quelques-uns feront bien le nécessaire pour
^ se garantir eux-mêmes; mais faute d'une action d'ensemble, la
^- protection sera si limitée qu'elle ne paraîtra point appréciable.
k Livré à soi-même, on ne sait pas, on ne peut pas, on est em-
? prunté, on se heurte à des dépenses que l'on est incapable de
faire. La quinine, par exemple, médicament curatif et pré-
ventif, dans l'espèce, coûte fort cher, et une population pauvre,
livrée à elle-même, ne peut s'en procurer qu'une quantité
insuffisante.
t
k.
M. Laveran avait émis le désir, devant l'Académie de méde-
cine, de voir se créer une société pour l'assainissement de la
Corse. Ce désir a été réalisé.
Au printemps de l'année 1902 s'est formée, à Bastia, une
Ligue, la première de ce genre, pour lutter contre le palu-
disme. L'honneur de cette création revient à M. le D' Félix
Battesti, de Bastia, praticien distingué qui connaît et aime son
pays et qui s'est fait un devoir de lutter avec suite contre le
fléau dont tant de générations ont souffert. M. Battesti est le
président effectif de la Ligue dont M. Laveran a la présidence
LE PALUDISME ET l'INITIATIVE PRIVËIS EN CORSE 161
d'honneur. M. le D*" Pitti-Ferrandi en est le secrétaire, et M. le
D'^ Thiers^ le trésorier. Un comité d'organisation a été cons-
titué avec diverses personnalités locales pouvant, par ieur^^si-
tuation ou leurs études, lui prêter un concours utile.
Nous ne pouvons mieux faire, pour donner une idée du pro-
^rramme de la Ligue, que de le reproduire par extraits, tel qu'il
a paru dans les journaux du pays.
« La Ligue corse contre le paludisme se propose : d'abord de
ï diffuser et de vulgariser le plus largement possible, à travers
p tout le département, surtout dans les régions insalubres, les
« moyens les plus simples, les plus pratiques et les plus sûrs
-^ d'éviter le paludisme et de le combattre tel qu'il découle des
* découvertes scientifiques les plus récentes et les mieux
* établies
« De faciliter... la mise en pratique de ces moyens : 4® en
^ procurant aux membres adhérents de la Ligue, à Taide d'une
« très faible cotisation annuelle, la quinine ; 2** en deman-
'-' dant aux différentes administrations de l'État, ponts et
* chaussées, douanes et postes, de faire usage, dans les en-
^ droits malsains de toiles métalliques pour garantir leurs
« enaploy es contre les piqûres des moustiques, ces installations
w devant, en outre, servir d'exemples et de modèles aux parti-
•î culiers qui désireront y avoir recours ; 3*" en se mettant à la
- disposition de tous ceux qui auront besoin de conseils ou de
a renseignements touchant la question du paludisme.
« Enfin la Ligue se propose de pét\tionner auprès du Gouver-
« nement, avec Fappui de toute la représentation insulaire
^ (sénateurs, députés, conseillers généraux et d'arrondisse-
" menls) pour essayer de hâter l'application de l'assainissement
qui ne doit pas être perdu de vue, car il constitue le remède
a radical contre le fléau. »
La Ligue comprend des membres donateurs dont les libéra-
litt's peuvent être variables, et des membres adhérents dont la
rolisation est de 1 franc par an, et par personne. Moyennant ce
très faible versement, on reçoit une carte qui, remise à l'un des
pharmaciens dont le nom est inscrit à son verso, permet de
recevoir un flacon de sulfate de quinine, de 30 grammes et abso-
lument pur, au prix très réduit de 3 fr. oO. Une petite cuiller de
bois, délivrée en même temps que le flacon, permet de doser le
médicament d'une façon appropriée aux divers cas. De plus, la
carte, valable pour une année, est accompagnée d'une notice
expliquant le mode d'emploi de la quinine comme moyen pré-
ventif et curatif. Il y a eu entente entre les pharmaciens de la
Corse pour pouvoir arriver à donner la quinine avec un bénéfice
QussT. Dipu BT Col. — t. xv. 11
162 ODBSTIONS DIFLOMATIOUKS BT GOLONIALBS
restreint, et la Ligue est décidée à s'imposer d'importants sacri-
fices pour les dédommager dans la mesure du possible.
Au 6 avril dernier, la Ligue avait reçu Tadhésion de 17 phar^
maciens de Tîle dont 8 de l'arrondissement de Bastia, 1 de celui
de Calvi, 7 de celui d'Ajaccio, et 2 de Tarrondissement de Corte.
Aujourd'hui tous les pharmaciens de Tile, sauf, croyons-nous,
une ou deux exceptions, ont adhéré.
Aussitôt formée, la Ligue s'est mise à l'œuvre et a fait, auprès
des diverses administrations, les démarches nécessaires. Vpici
les résultats obtenus depuis quelques mois, résultats qui ont pu
être constatés par M. le D*" Laveran dans le voyage qu'il a fait en
Corse au mois de septembre dernier \
La Compagnie des chemins de fer départementaux, dont les
lignes traversent les contrées les plus malsaines, a mis la qui-
nine à la disposition gratuite de ses employés en aussi grande
quantité qu'ils le désirent; mais si, à ce point de vue, la Com-
pagnie seconde largement le mouvement qui s'est produit, on ne
peut en dire autant, jusqu'à présent, en ce qui concerne l'instal-
lation des toiles métalliques dans les maisonnettes de la voie
où elles sont presque partout nécessaires. La dépense serait
relativement peu élevée, d'autant plus que l'on trouverait une
compensation dans l'amélioration de la santé des employés. Le
service médical et pharmaceutique coûte, en effet, à la Compa-
gnie 20.000 francs environ; or, les trois quarts des maladies à
soigner, sur la ligne du chemin de fer, proviennent du palu-
disme. Les enfants scrofuleux, lymphatiques, de constitution
débile, issus, pour la plupart, de parents cachectiques, récla-
ment un traitement long et suivi, et consomment une grande
quantité d'huile de foie de morue. De plus, depuis la dernière
grève, si nos renseignements sont exacts, chaque employé
malade a droit à quinze jours de solde entière, — tandis qu'un
auxiliaire reçoit, de son côté, des appointements pendant cette
période — et à cinq mois et demi de demi-solde. Les preuves
de la contamination par l'anophèle étant considérées aujour-
d'hui comme évidentes, et déterminant les mesures à prendre
pour organiser la lutte contre la maladie, qui ne voit l'intérêt
de la Compagnie des chemins de fer départementaux à l'emploi
des toiles métalliques? MM. Laveran et Félix Battesti ont pu,
sans rien craindre, coucher, les fenêtres ouvertes, à Casa-
1 M. le D^" Laveran a présenté à l'Académie de médecine un Rapport sur son
voyage en Corse au mois de septembre dernier. Nous renvoyons nos lecteurs à ce
Rapport ; ils j trouveront des renseignements très utiles, notamment sur la multipli-
cité des anophèles dans l'ile et sur leurs lieux d'élection.
LE PALUDISME ET l'INITATIVJB PRIVÉE EN CORSE 163
bianda, l'un des points les plus malsains de la côte orientale,
pendant que, tout autour d'eux, on était contraint, sous peine de
^ave dommage, de fermer soigneusement chaque ouverture
avant la tombée de la nuit.
La Ck>mpagnie des chemins de fer départementaux parait
cependant comprendre l'intérêt qui s'attache, pour elle, à proté-
ger son personnel par tous les procédés qu'indique la science,
aidée de l'expérience. Dans un compte-rendu présenté à la
Ligue Corse contre le paludisme, dans la séance du 21 décembre
1902, M. le D' F. Battesti a fait observer que, sur l'initiative
du directeur de la Compagnie en Corse, M. Fontaine, dont il
loue, avec raison, la vive sollicitude et dont nous connaissons
la ferme et intelligente activité, une maisonnette cantonnière
a été garnie à titre d'essai et que, dès l'été prochain, dix mai-
:^onnettes seront protégées.
Grâce à. Fadaptation des masques et des toiles métalliques
d'une part, à la distribution de sels de quinine d'autre part, les
Compa.gnies italiennes des chemins de fer ont diminué, dans de
très importantes proportions, le nombre des malades sur leurs
diverses lignes. Un correspondant du Temps a donné, pour
Tannée 1901, des chiffres significatifs qu'il est intéressant de
reproduire. Sur la ligne Rome-Pise et un parcours de 300 kilo-
mètres comprenant, pour le personnel des gares, \ .906 individus,
1 .592 furent complètement protégés. Nous ne pouvons mieux
faire d'ailleurs que de citer le journal lui-même : « Entre réci-
II divîstes et primitifs, la moyenne, pour les premiers, a été de
« 23 % , et de 36 % pour les seconds, alors que précédemment
i€ cette moyenne était respectivement de 60 et 80 % de
ff sujets malades.
« Sur les lignes Rome-Sulmona, Rome-Orte (60 kilomètres)
«c et dans le rayonnement de Foggia (178 kilomètres), sur un
Il total de 1 .600 individus complètement protégés et 406 incom-
'. plètement, des premiers, 478 ont été atteints, dont 446 récidi-
« vistes et 32 primitifs, soit 29 % ; des seconds, 82 sont tombés
«T malades, dont 32 récidivistes et 50 primitifs, soitune moyenne
u de 20 %.
tf Dans la Sicile occidentale, les protégés ont donné une
« moyenne de fiévreux de 9 % et les non protégés une de 60 %.
« En Sardaigne, sur 60 individus protégés, aucun malade.
« Dans le Latium, sur 810 paysans protégés la proportion
* des fiévreux est descendue à 13 %, alors que cette proportion
« a été de 35 pour les non protégés.
a En Lombardie, en Vénétie et en Emilie, sur 217 personnes,
« 18 malades, soit 8,5 % contre 56 % dans le chiffre des non
« protégés.
164 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
<r Dans certaines localités de VAgro Romano^ où la popula-
•t tion des malades était ordinairement de 25 à 30 % , aucun cas
<c de fièvre ne s'est produit parmi les 293 personnes sou-
« mises aux expériences... lo
La Croix-Rouge italienne a fait, dans VAgro Romano, en
1901, une campagne antimalarique des plus instructives. Elle
a reconnu, notamment, Tefficacité des défenses mécaniques.
Aucun membre de son personnel mis en action, ne fut atteint
d'infection paludéenne. Sur la via Cassia, elle a fait appliquer
les défenses mécaniques, avec toiles métalliques, à la caserne
du poste de gendarmerie. Tandis que, dans les années précé-
dentes, et dans la première période de l'année 1901, les carabi-
niers qui résidaient dans ce poste étaient souvent atteints de
fièvre, ils en furent, depuis l'application des défenses, absolu-
ment indemnes. Ceux de nos lecteurs qui désireraient avoir,
sur cette campagne, des renseignements très détaillés, pour-
raient se référer au rapport adressé par le D"^ Paul Postempski
au président de l'Association de la Croix-Rouge italienne.
Dans Texcursion qu'il a faite en Corse au mois de septembre
dernier, pour explorer certaines régions malariques, le prési-
dent d'honneur de la Ligue a rencontré Vanophèle dans de
très larges proportions. Habituellement, sur 100 moustiques,
on trouve 2 anophèles; il en a reconnu 400 sur 100 dans les
gares et toutes les localités de la côte orientale. A Lumio, vil-
lage près de Calvi, et dans la vallée de Casaluna, entre Ponte-
Leccia et Gavignano où l'on prétendait qu'il n'y a pas de mous-
tiques bien qu'il y eût des fièvres, MM. Laveran et Battesti ont
rencontré ces insectes et leurs larves en abondance.
Aussitôt après la fondation de la Ligue, son président se mit
en devoir d'entrer en relations avec les chefs des diverses
administrations dont les agents sont susceptibles de vivre dans
des régions malariques. L'honorable docteur reçut le meilleur
accueil. MM. Brunet, conseiller d'Etat et directeur général des
Douanes, Philippe, directeur de l'hydraulique agricole au
ministère de l'Agriculture, Bonafous, ingénieur en chef des
ponts et chaussées, Chanal, vice-recteur à Ajaccio, ont secondé
les efforts de la Ligue de la façon la plus louable.
Les Douanes, sur les indications qui leur ont été fournies,
font distribuer la quinine, sous forme de comprimés, dosés à
0.05 centigrammes, à tous les agents établis sur. les lieux
contaminés. Afin d'avoir l'assurance que le médicament est
absorbé, les chefs de l'administration le font prendre, en leur
LE PALUDISME ET l'INITIATIVE PRIVÉE EN CORSE 165
présence, par leurs subalternes. Dans chaque poste est affi-
cbée une instruction de la Ligue relative à Femploi de la qui-
nine à titre préventif et curatif. Les Douanes ont aussi fait
mstaller des toiles métalliques à leur caserne de Porto-Vecchio,
h plus malsaine de la côte, et ont Tintention d'agir de même
pour leurs autres casernes; celles de Tizzano, de Roccapina, de
Portopollo seront, très probablement, protégées, de la mt^me
manière, cette année.
L administration des ponts et chaussées n'a pas hésité à faire
.^tablir des toiles métalliques dans les maisonnettes de ses can-
loaniers situées au sein de régions malsaines, telles que celles
i'Aleria, des environs de Calvi, de Porto-Vecchio. Le travail
Q est pas encore entièrement terminé, mais il le sera très vrai-
semblablement dans le courant de cette année. Le phare d'Alis-
tn\ au Nord d'Aleria, est complètement garni de toiles mé-
liUiques. L'administration compte ne pas s arrêter en si bonne
voie et a, dit-on, Fintention de protéger toutes les habitations
lèses agents que Vanophèle pourrait menacer.
Le domaine de Casabianda, dépendant du ministère de
/agriculture, a dépensé 3.000 francs de toiles métalliques en
1902, et Ton compte persévérer dans cette voie. C'est M. Rafmi,
ingénieur des ponts et chaussées, qui, ayant Casabianda sous sa
iirection, a donné le plan, fort bien compris, des toiles dont il
A\git et veillé ù. leur pose comme il Ta fait d'ailleurs à
Alistro.
Certaines vallées, pour être assainies, celles par exemple du
Tavignano, du Golo, de Casaluna, n'exigeraient que des
-unîmes insigniliautes. Il suffit, en effet, d'une simple (laque
ieau pour rendre malsaine toute une localité ; or ces vallées en
renfernaent plusieurs. Le plus vulgaire cantonnier, ayant des
instruclious détaillées, suffirait pour rendre, à cet égard, de
très appréciables services ; les médecins de la Croix-Rouge ita-
lii^nne ont observé qu'il suffit, dans VAgro Romano, pour
infester une localité, des mares produites par Teau que laissent
•^i happer les abreuvoirs où les bestiaux vont se désaltérer. Les
anophèles se multiplient dans ces mares.
M. Battesti a publié une notice qui, grâce à Tobligeante
entremise du vice-recteur de la Corse, a été insérée in extenso
dans le Bulletin de V Enseignement primaire du département.
>>tte notice a été remise à tous les employés du chemin de fer
If» la (^rse, à ceux des ponts et chaussées; elle a été aussi
envoyée au desservant, au maire et à l'instituteur de presque
tous les villages.
La Ligue fait paraître, dans le même Bulletin, une étude
166 QUESTIONS DIPLOMATIQUES £T COLONIALES
complète avec figures, destinée aux instituteurs, sur la nou-
velle étiolôgie de la fièvre : son but est de leur procurer
des notions suffisantes pour leur permettre de les répandre
autour d'eux par des causeries et des conférences. M. Battesti
comptait l'an dernier, remettre un vœu de la Ligue au conseil
général, relativement à ces conférences, pour que le ministre
donne au vice-recteur de la Corse des instructions à ce sujet.
Le 7 décembre dernier, une conférence a été faite à Bastia, à
laquelle assistaient plusieurs membres de renseignement pri-
maire laïque de cette ville. La Ligue a, de plus, obtenu un con-
cours empressé des inspecteurs primaires des arrondissements
de Corte, Sartene et Calvi. Enfin, elle a obtenu, de 40 écoles,
l'exposition, dans leurs salles, de photographies d^anophèles
considérablement agrandies, pour habituer les enfants à distin-
guer le moustique dangereux de son frère inoffensif. La Ligue
espère que, peu à peu, toutes les écoles de la Corse recevront
des reproductions photographiques semblables et en orneront
leurs murs.
Par ce qui précède, on vient de voir avec quel entrain la
campagne est conduite, quel bien on peut attendre de ce mou-
vement provoqué par l'initiative privée. Certes, Tintervention
de TEtat est nécessaire, car il est seul en mesure d'entreprendre
les grands travaux d'assainissement, le dessèchement des
marais, l'endiguement des rivières, la construction des canaux
permettant de mettre les eaux stagnantes en communication
régulière et facile avec la mer ; mais comme nous venons de le
montrer, il y avait autre chose à entreprendre, et la Ligue la
fait.
ALEXANDRE GuASCO.
i
FÉDÉRAmSME ET SOCIALISME
EN AUSTRALASIE*
La démocratie australasienne a triomphé en politique ; nul
obstacle ne s'oppose à ce qu'elle dirige à son gré les forces
considérables dont la Fédération dispose. Quelle va être son
orientation? Malgré certains articles de la Constitution, les
questions extérieures ne pourront, de longtemps du moins,
absorber Tactivité du Parlement intercolonial. Restent les pro-
blèmes économiques et sociaux, et la Fédération peut les abor-
der au même titre que chacune des colonies. Cet ordre de sujets
sera, certainement, le plus souvent examiné dès que les diffi-
cultés pratiques soulevées par la nouvelle organisation poli-
tique auront été résolues. Il est déjà familier aux hommes
politiques de TAustralasie. Des conditions mômes dans les-
quelles Toccupation du continent et des îles s'est effectuée, il
est en effet résulté un état social si mal équilibré que les
pouvoirs publics ont dû constamment s'appliquer à y porter
remède. Malgré la résistance qu'ils ont opposée, les privilégiés
étaient trop peu nombreux pour empêcher l'Etat de se préoc-
cuper surtout du sort de la masse. Depuis longtemps la
démocratie australienne a obtenu, soit par la loi, soit par voie
adniinistrative, une condition exceptionnellement favorable.
Eât-ce à dire que, dans ce milieu neuf, l'on puisse constater
Tavènement d'un ordre social inconnu au vieux monde? Les
chefs socialistes Taffirment volontiers^ afin de donner quelque
crédit à leurs conceptions utopiques. Mais la réalité des
choses les contredit : les Australasiens ne se sont point mis
en peine d'imaginer et d'appliquer systématiquement un
corps de doctrines; ils n'ont constitué, politiquement, un
parti ouvrier distinct que pendant un laps de temps assez
court- Leur effort a consisté surtout à rechercher, par des me-
sures prises dans l'intérêt du plus grand nombre, selon les
nécessités du moment, comment il serait possible d'assurer à
la presque totalité des habitants une condition de vie meilleure
que par le passé; c'est dans cet esprit pratique que les minis-
tères de toutes nuances ont contribué aux progrès réalisés.
1 Voir les QuewUoru DipUmatiquei et ColoniaUa du l*' octobre 1902.
168 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
I
Entre tous les pays occupés par les Européens, il n'en est
aucun qui présente avec les colonies d'Australasie une suffi-
sante analogie pour servir de terme de comparaison. Tant par
le climat et la nature du sol que par le mode d'appropriation,
le continent australien, la Tasmanie, et môme jusqu'à un
certain point la Nouvelle-Zélande, ont une très particulière
originalité. Sur les 800 millions d'hectares qu'abrite le dra-
peau britannique, un dixième à peine se prête à la colonisa-
tion, telle qu'elle est pratiquée généralement dans des contrées
où l'élément indigène n'existe pas, et plus des deux tiers du
continent sont à peu près inutilisables. Tout l'hinterland est en
effet constitué par des plateaux granitiques, recouverts d'ondu-
lations sablonneuses ou d'argiles marécageuses; la pluie y est
rare et la végétation arborescente presque nulle. Si les côtes, la
région montagneuse du Sud-Est et les bassins du Murray et du
Cooper's Creek offrent un sol plus favorable, avec de grandes
plaines herbeuses et des forêts d'eucalyptus géants, l'irrégula-
rité des pluies et la chaleur extrême rendent fort difficile, sur-
tout pour des Européens, l'exploitation agricole du pays. La
Tasmanie et la Nouvelle-Zélande sont dans une condition meil-
leure, avec un climat plus régulier et plus tempéré. Mais les
premiers colons, qui prirent pied sur le continent, n'ont pas
clairement vu tout d'abord quelles modifications il eût convenu
d'apporter dans leur manière d'approprier la terre des îles :
toute l'histoire sociale de TAustralasie porte la marque des
erreurs commises, au début, dans l'occupation du sol et dans
• le choix des procédés d'exploitation.
Lprsque, après deux siècles d'incertitude et de dédain pour
une terre qu'ils jugeaient ingrate et désolée, les Anglais en-
voyèrent des convicts dans la Nouvelle-Galles du Sud, nul
n'avait songé qu'un établissement colonial pût être créé, et,
par conséquent, aucune réglementation n'avait été préparée.
Officiers, fonctionnaires, immigrants libres, accaparèrent telle
quantité de terres qui leur convint : la Tasmanie et le terri-
toire actuel de Victoria furent ainsi occupés, après la Nouvelle-
Galles du Sud, sans que le gouvernement intervînt, sinon par
des mesures tardives et inefficaces, pour empêcher la constitu-
tion de domaines immenses que les propriétaires ne pourraient
mettre en valeur. Les méthodes adoptées pour l'attribution des
terres en Australie Occidentale et en Australie Méridionale ne
donnèrent pas de meilleurs résultats : dans la première de ces
FÉDÉRALISME ET SOCULISME EN AUSTRALASIE 169
deux colonies, des concessions de terres étaient faites gratuite-
ment à tous les immigrants qui, pour la plupart inaptes à
la culture, s'empressaient de revendre leur part aux grands
propriétaires; dans la seconde, la terre était vendue aux
enchères et les plus riches l'accaparaient. En Nouvelle-
Zélande, les deux systèmes furent employés tour à tour et
k résultat fut identique. La loi agraire impériale de i8i2,
qui ordonnait la vente aux enchères et fixait la mise à prix
à I livre Tacre, demeura inefficace. Il manquait toujours la
disposition législative la plus nécessaire, celle qui eût limité
la surface pouvant être acquise par une môme personne.
Lorsque Gipps, gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud en
1837, imagina d'interdire Toccupation du centre du continent,
il était trop tard : les squatters avaient poussé leurs troupeaux
ians les territoires fertiles des Darling Downs et pris posses-
sion du pays. Dans toute TAustralie, avant que fût terminée la
première moitié du xix* siècle, un régime de grande propriété
tlait fondé, qui n'a pas cessé depuis lors d'aller en s'exagérant.
Ainsi bannis de la presque totalité des campagnes, la plupart
des immigrants se sont établis sur les territoires, de dimensions
restreintes, qui, dès Tabord, avaient été réservés pour la fonda-
tion des villes. Et les villes ont, par suite, pris une extraordi-
naire extension : tandis que d'immenses régions sont à peu
près désertes — TAustralie Septentrionale n'est peuplée que
de 1.500 blancs et de 3.500 Chinois — Melbourne, au dernier
recensement, comptait 469.880 habitants, Sydney 432.625,
Adélaïde 148.644, soit environ 35 à 40 % de la population
totale de Victoria, de la Nouvelle-Galles et de l'Australie Méri-
dionale. Le rapport de la population urbaine à cell^ des cam-
pagnes est à peu près la même dans le Queensland, qui ren-
f*?rine les trois villes de Brisbane (118.000 h.), Rockhampton et
Townsville; il est plus élevé encore en Nouvelle-Zélande.
Cette répartition, étrange à première vue, de 4 millions et
lemi d'hommes, qui disposent de 800 millions d'hectares, est en
L-onformité parfaite avec l'organisation économique : une abon-
dante main-d'œuvre n'est pas nécessaire si ce n'est dans les
centres industriels, car l'agriculture est peu développée et les
conditions offertes à l'élevage sont si heureuses que le person-
nel qui s'y applique peut être fort restreint. Les conditions phy-
>iques, et surtout la rareté et l'irrégularité des pluies, ont
amené les colons à ne donner à l'agriculture qu'une extension
modeste, proportionnée presque exactement aux besoins locaux.
Dans les régions où l'on s'est efforcé, comme ont fait les
(/ueensiandais, d'établir des puits artésiens et des canaux
170 QURSnOlfS BH>UMUTI0aB8 R COLOJCIALKS
d'irrigation, les céréales sont produites à si grands frais que
l'exportation en est à peu près impossible. D'ailleurs, les pre-
miers immigrants ignoraient tout de Tagriculture. Parmi les
443 persojines libres et les 1.163 convicts qui accompagnaient le
premier gouverneur, en 1788, celui-ci « ne trouva, parmi ses
subordonnés, qu'un très petit nombre de charpentiers, artisans
indispensables des pays neufs, et un seul homme (son domes-
tique) ayant quelques notions de jardinage. Personne, autour
de lui, ne connaissait rien à Tagriculture * ». Seule entre toutes
les colonies, dès le milieu du siècle, la Tasmanie réalisait
d'importants progrès grâce à l'afflux d'un certain nombre de
fermiers expérimentés qu'elle attira de Grande-Bretagne vers
185S pour remplacer les premiers colons partis à la recherche
de l'or. Le climat plus régulier et plus humide rendait le suc-
cès possible ; le succès est venu et Tile n'a pas connu les crises
sociales des colonies voisines : l'exploitation de l'or dans le
district de Macquarie aura pour conséquence de faire sortir
a Tile somnolente » de sa torpeur. Les grands propriétaires qui
avaient, dès Torigine, accaparé le sol, Tutilisèrent seulement
pour l'élevage des moutons et des bêtes à cornes. La richesse
des prairies naturelles, la douceur du climat qui rend inutile la
construction d^étables, l'absence de tout animal de proie étaient
autant de conditions favorables. Aussi les moutons, en 1891 ,
étaient-ils 125 millions, dont la moitié en Nouvelle-Galles; sur
les 12 millions de bétes à cornes, le Queensland en possédait
6.200.000; et à ces chiflfres il faut encore ajouter 180.000 che-
vaux. En trente ans, les bêtes à cornes avaient triplé, les che-
vaux quadruplé, les moutons sextuplé '. La laine, les peaux, et
grâce à l'emploi des procédés frigorifiques, l'exportation de la
viande de boucherie et l'industrie laitière assurent aux squat-
ters des profits considérables, dont ils ne font que médiocre-
ment bénéficier la corporation des tondeurs de moutons qui
constituent proprement le prolétariat rural. Quant au proléta-
riat urbain, s'il est employé, pour une part, dans les industries
dérivées de l'élevage et dans les sucreries, il a bien d'autres
rôles encore. 11 est occupé dans les mines de houille' qui
entourent Sydney de tous côtés sur une distance de 100 milles,
ou bien dans les mines de cuivre de Kapunda et de Burra-Burra
qui ont rapporté 100 millions; en trente ans; surtout il se
consacre à l'extraction de l'or, dont la valeur exportée en 1899
1 L. Vmouiuiiix. V Évolution sociale en Austraiasie, p. 2S.
> Avec un bond maximum de 5.615.000 à 61.830.000 en NouTelle-Galles.
s Dites de Newcastle, découvertes en 1810. Elles ont produit 5 millions de tonnes
en 1900.
ï
FÉDéRALISMB RT SOCIALISME EN AUSTRALASIB 171
D a pas été inférieure à 6.246.731 livres sterling. De plus, toutes
les industries possibles ont été créées, car TAustralasien a mis
^m patriotisme à n'importer aucun objet manufacturé; le lux<*
des coRstructions est très grand, au point même que Sydney et
Melbourne sont — quant à la valeur de leurs édifices — les
deuxième et troisième villes de l'empire britannique; les ser-
vices publics, la voirie, la marine marchande absorbent le sur-
plus de la main-d'œuvre disponible. Faut-il quelques chiffres
poiur fixer exactement l'importance relative des différente^
>onrces de la richesse australasienne? Nous constatons qu'en
1891 • :
La production pastorale a une valeur de 48.409.050 liv. st., soit 41,2 î
La. production minière — 13.450.690 — soit 11,7 J
La production agricole — 21.998.000 — soit 18,7 X
La production industrielle — 33.747.000 — soit 28,4 ?;
Et dans ce pays où tout le monde travaille, — puisque les
p^^rsonnes qui ont des moyens d'existence indépendants ne for-
ment que 15 % de la population en Victoria, 9 % en NouvelL -
<ialles, 5 % en Australie Méridionale et Nouvelle-Zélande' .
\''.^ % en Queensland, — un dixième seulement de la popu-
lation est appliquée à l'agriculture (416.319 personnes eu
1881).
La rareté de la main-d'œuvre, il convient de le constater, est
pour beaucoup aussi dans cet état de choses. Les indigènes
sont à peine 200.000, dans l'Ouest et le Nord du continent, aprr ^^
avoir d'ailleurs prouvé qu'ils étaient tout juste capables do
pa^se^ de la vie nomade à la vie pastorale. Les Maoris, qui en
Nouvelle-Zélande ont survécu aux guerres d'extermination du
milieu du siècle (environ 40.000), sont plus intelligents; il
ont adopté la civilisation européenne et ont usé de leurs droits
civiques pour envoyer quatre des leurs au parlement de Wel-
lington; mais l'élevage est encore le seul mode qu'ils em-
ploient pour participer à la productivité générale. Les blam s
ne sont devenus nombreux que par lafflux des chercheur^
d'or, généralement inaptes à la vie agricole, et peu enclins h
l'accepter sous un ciel brûlant. Entre ceux qui, après quelqui*
temps, ont abandonné les mines, les uns, plus aventureux,
ont été embauchés pour la garde des troupeaux, les auln*'-
ont reflué vers les villes pour y reprendre le métier d'autrefoiîi,
avec la perspective de toucher les hauts salaires que la pros»-
périté publique permettait d'affecter aux producteurs. Lors-
* Chittns extraits de table«ax très complets et variés, dressés d'après les staU!»-^
tiques officielles, par M. Vioouroux, loc, cit., p. 183.
S
172 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
que des crises économiques ont éclaté en ^874, 4885, 4891,
la main-d'œuvre urbaine fut surabondante et Touvrier austra-
lien devint turbulent et inquiet; il se prit à redouter par-
dessus tout Tabsence de travail industriel; il exigea que
des mesures fussent prises pour lui en procurer et surtout
pour écarter la concurrence que les Chinois, sobres et pa-
tients, pouvaient lui faire dans les métiers les plus humbles
comme dans les plus savants *. Par jalousie, il ferma à peu près
le continent à l'immigration asiatique et supprima ainsi une
main-d'œuvre abondante et peu coûteuse, dont l'emploi serait
bien utile pour que les exportations australasiennes puissent
augmenter. On n'eut pas une telle prévoyance : la question des
sans-travail appelait l'attention; c'était elle qu'on voulait ré-
soudre d'abord, avec d'autant plus de raison d'ailleurs que
l'effervescence du monde ouvrier était grande, et que son agi-
tation ne laissait pas d'inquiéter les hommes politiques et les
classes aisées.
II
Dans un pays où la classe moyenne n'existait pas, les salariés
avaient rapidement pris conscience de la force que leur donne-
rait l'avantage du nombre au regard du petit groupe des privilé-
giés, du moment qu'ils sauraient s'organiser. D'ailleurs les riches
mêmes leur avaient donné l'exemple, lorsqu'ils constituèrent
une association pour résister à la loi agraire impériale de 1842
et obtenir les trois F : lenure du sol /ïjre, fermage fixe et vente
libre [freé) de leurs droits. Dès 4840, les groupements ouvriers
songèrent à réclamer la réduction de la journée de travail.
Comme toujours, ainsi que le remarque M. Vigouroux, les
typographes et les ouvriers du bâtiment prirent la tète du
mouvement syndical. En 1844, les maçons de Dunedin obte-
naient la journée de huit heures; la même réglementation était
introduite à Sydney en 4855 et à Melbourne en 1859, sans avoir
rencontré une grande résistance parce que, d'une part, la
morte-saison est inconnue dans ce climat chaud, et que, d'autre
part, les ouvriers avaient spontanément proposé une réduction
de un shilling sur leur salaire quotidien. Quinze ans plus lard,
presque tous les corps de métiers avaient obtenu que la durée
du travail fût limitée à quarante-huit heures par semaine avec
le repos dominical complet. Comme cette réforme ne laissait pas
de susciter pratiquement quelques difficultés, les ouvriers se
1 En 1838, les tondeurs de moutons du Queensland avaient fait une pétition
contre les Chinois.
FÉDÉRALISME ET SOCIALISME EN AUSTRALASIB 173
groupèrent pour la défense de leurs intérêts. En 1871 apparaît
le Conseil des métiers et du travail de la Nouvelle-Galles; un
peu plus tard, le Comité du Trades hall de Melbourne devient
le porte-parole de tous les ouvriers de la ville ; une association
nationale des mineurs, diverses unions ouvrières, des syndi-
cats de marins sont créés, et un premier congrès ouvrier se
réunit à Sydney en 1879. La solidarité de tous les syndicats
{•ermit aux marins d'obtenir que les Chinois ne fussent plus
employés sur les bâtiments marchands. Sept ans après, une des
a>sociations ouvrières les plus puissantes, TUnion amalgamée
Je^ tondeurs de moutons, exigea de même façon la proscription
de la main-d'œuvre asiatique ou polynésienne. A celte époque
: ailleurs^ à la suite du congrès ouvrier de Melbourne, les syn-
dicats ont accompli de très grands progrès, ils sont officiellement
reconnus, et bien qu'ils ne renferment qu'une partie des sala-
riés, ils sont admis à parler en leur nom. Les employeurs de
Victoria qui, inquiets de l'organisation ouvrière, viennent de
former entre eux une Union, acceptent de discuter avec le
r-omité du Trades hall et de fixer, d'accord avec lui, les con-
iitions auxquelles les débardeurs de Melbourne, alors en
jrrAve, reprendraient le travail.
Dans cette occurrence, les employeurs avaient constaté la force
trt la solidarité des corporations ouvrières; ils l'éprouvèrent à
nouveau quand les Unions de métiers d'Australasie souscri-
nrent 4.000 livres sterling pour les déchargeurs de Londres,
iprès que ceux-ci, en 1889, eurent décidé de cesser le travail. Ils
vi.*yaient les groupements se multiplier et une seule année suf-
nre à quelques meneurs pour obtenir 15.000 adhésions à la
Fédération Queenslandaise du travail. Ils ne pouvaient se
méprendre sur les ambitions des syndicats, dont le plus tur-
tiulent et le plus difficile à réduire — l'Union amalgamée des
tondeurs de moutons — prétendait exiger l'exclusion des non-
^^Tidiqués. Prudemment, les chefs d'industrie, armateurs, éle-
veurs, s'étaient groupés dans chaque Etat, s'étaient mis en rela-
tions par l'intermédiaire du syndicat des armateurs et avaient
pris leurs mesures pour soutenir le conflit qu'avec raison ils
prévoyaient imminent.
Au début de 1890, la crise éclata à la suite du refus des
squatters des Darling Downs d'accepter les prétentions de
rUnion amalgamée des tondeurs. Ceux-ci voulurent empêcher
l'exportation de la laine tondue par les non-syndiqués, et ils
obtinrent J'appui de tous les syndicats ouvriers, jusques et y
compris celui des officiers de la marine marchande. Le 12 juillet,
W. G. Spence, président de TUnion amalgamée, lançait un
ï
174 0UK8TIONS DIPLOMATIQUKS ET GOLONULES
appel demandant à toutes les Unions australasiennes « de créer
« autour du continent un cordon d'unionisme assez fort pour
« empêcher Texpédition d'une seule balle de laine tondue par les
« non-syndiqués ». Un mois plus tard, les officiers de marine
étaient en grève et le commerce maritime était paralysé dans
tous les ports de l'Australasie et de la Nouvelle-Zélande. Tous
les syndiqués cessaient le travail, — ce qui avait pour résultat
de diminuer rapidement les ressources des comités des Trades
Halls et de permettre aux employeurs de remplacer les syndi-
qués, considérés comme démissionnaires, par des sans-travail
alors fort nombreux. Très disciplinés, les employeurs tinrent à
Sydney, du 8 au 12 septembre, une conférence intercoloniale
au cours de laquelle ils décidèrent de s'organiser dans toute
TAustralasie et d'assurer le respect de la liberté du travail.
Maîtres des gouvernements, ils faisaient, à ce moment même,
réprimer vigoureusement les désordres auxquels s'étaient livrés
quelques grévistes. Du 5 au 14 novembre, les marins et
ouvriers durent partout reprendre le travail*. Seuls, les ton-
deurs résistèrent encore pendant sept mois, jusqu'au
13 juin 1891. Ils essayèrent même d'user de violence, et pour
intimider les squatters, ils tentèrent de faire dérailler les trains
qui portaient des non-syndiqués; mais les troupes duQueens-
land les continrent facilement, et dans la convention qu'ils
signèrent en se soumettant, ils durent reconnaître la liberté du
travail, sans obtenir d'autre concession que la journée de huit
heures.
L'organisation syndicale, si parfaite qu'elle eût été du côté
des salaires, était en somme apparue impuissante à briser la
résistance patronale. Elle sortait affaiblie, diminuée de là lutte
soutenue qui n'avait profité qu'aux employeurs. Elle essaya
vainement, en 1892, de provoquer un nouveau mouvement
pour protester contre la réduction des salaires qui, presque
partout, furent diminués d'un quart. L'abondance de la main-
d'œuvre, privée d'emploi et toujours prête à se substituer aux
syndiqués en grève, explique l'échec essuyé. Mais les chefs du
parti voulurent assigner à leur insuccès une autre cause; ils
déclarèrent n'avoir été accablés que par la loi, parce que la loi
étajt faite par les capitalistes dans leur intérêt. Donc la loi
devait être modifiée et l'action politique s'imposait, à la place
de l'action syndicale inefficace. Quelques habiles l'avaient dit
d'ailleurs au congrès ouvrier néo-zélandais de 1885 et à celui
qui fut tenu en 1886 à Adélaïde. L'heure paraissait excellente
1 Voir l'histoire détaillée de cette grève dans Vigouroux, loc. ct^., pp. 196-206.
FÈDÉRALISMB ET SOCIALISME EN AUSTRALASIE 475
pour jeter dans la lutte des partis politiques les gros bataillons,
bien disciplinés, du prolétariat : presque partout les conserva-
teurs et les libéraux étaient égaux en forces, et la réalité du
pouvoir devait appartenir à qui les départagerait. Nombreuses
étaient les circonscriptions oii les électeurs ouvriers étaient
assurés de la majorité; et sans qu'ils eussent jusqu'alors songé
à porter sur le terrain politique la lutte des classes, ils avaient
px^uvé leur puissance en envoyant, dès 1880, le mineur
DuBcan Melville représenter à Sydney les mineurs de New-
tmstle, et en faisant pénétrer un travailleur manuel dans chacun
des parlements de Victoria, Nouvelle-Galles et Queensland, en
1888. A partir de 1890, ce qui n'avait été qu'un accident devînt
une tactique, et le parti ouvrier organisé présenta des candi-
dats de classe, qui souvent se dénommèrent socialistes, sans
ivoir d'autre programme que la ferme volonté de défendre les
intérêts de leurs commettants et de faire voter des lois socialo^.
Nul marxiste ne rêvait d'une société nouvelle, s'édiliant sur
les ruines de celle où nous vivons.
Grâce à une étroite entente avec les libéraux-radicaux, six
ouvriers furent élus en Nouvelle-Zélande ; Tannée suivante
1891), les candidats du Labour party obtenaient 103.787 suf-
frages et 35 élus sur les 125 membres que compte le parle-
ment néo-gallois. Les scrutins de 4893 leur assurèrent 11 sièfçes
sur 95 en Victoria*, 15 sur 72 au Queensland, H sur 54 en
Australie Méridionale. Ce fut à peu près Tapogée de leurs
triomphes électoraux, sauf au Queensland où leur nombre
>*éleva de 15 à 20 en 1896, à l'heure même où ils reperdaient
JO sièges sur les 35 qu'ils avaient enlevés à Sydney. Dans les
assemblées délibérantes, les députés ouvriers ne jouèrent pas
le rôle auquel ils semblaient destinés par le nombre de leuris
commettants; ils furent bien vite réduits à n'être qu'un rounge
de la machine parlementaire, un appoint auquel conservateurs
et libéraux faisaient appel tour à tour, soit pour renverser, soit
pour défendre un ministère. C'est tout au plus si le Labour
party obtenait, de temps à autre, quelque réforme, comme
prix de son concours. Les chefs se laissèrent ga^rner par des
avantages personnels, se plurent à concevoir des ambitions cl
obtinrent parfois des portefeuilles — en Nouvelle-Galles, en
Victoria, en Australie Méridionale — dans des cabinets libé-
raux, mais à l'expresse condition de ne point appliquer au
pouvoir les réformes bruyamment réclamées dans l'opposition.
Le gouverneur du Queensland se plut bien à constituer un
' Grâce à îa grande crise économique qui avait réduit un ouvrier sur neuf au
dbéma^ complet : Victoria comptait alors 50.000 sans-trayail.
176 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
cabinet purement ouvrier; mais ce cabinet n'eut qu'une exis-
tence éphémère : il fut renversé le jour même où son chef
donna lecture de la déclaration ministérielle. En Nouvelle-
Zélande, où les leaders du parti ouvrier sont plus puissants que
partout ailleurs, les ministères qu'ils constituent et soutiennent
font simplement de la politique radicale-socialiste.
En réalité, l'action parlementaire du Labour party austra-
lasien est essentiellement opportuniste ; elle s'inspire des cir-
constances pour réclamer ou abandonner ses revendications, et
pratique habituellement la politique de bascule. Aucun corps
de doctrines, auci;n idéal dogmatique n oblige le parti à une
attitude invariable. Seuls, les chefs de la Fédération austra-
lienne du Travail, établie dans le Queensland, ont demandé
que a la réorganisation de la société fût immédiatement com-
« mencée sur cette base (nationalisation et administration par
« l'Etat de tous les moyens de production et d'échange), et pour-
« suivie jusqu'à la réalisation absolue de la justice sociale ». Cette
formule, donnée en 1890, n'a pas été comprise ni adoptée par
les membres du VI* Congrès ouvrier intercolonial, tenu à
Ballarat, l'année suivante, pour arrêter le programtne du parti
ouvrier. Ce programme comprend deux chapitres : l'un qui
touche à la politique générale, l'autre qui concerne spéciale-
ment les intérêts des ouvriers. Ni dans le premier ni dans le
second, une réorganisation complète de la société n'est réclamée
comme nécessaire ni même envisagée comme profitable. En
matière politique, le Congrès a demandé l'extension du suf-
frage universel par la suppression du cens, la décentralisation
administrative, le développement de renseignement laïque
par la gratuité et Tobligation, la création d'un système national
d'irrigation, et l'établissement d'un impôt sur la plus-value
foncière^ déduction faite des améliorations effectuées par
l'occupant. Pour les classes laborieuses, le programme com-
porte les articles suivants * : journée légale de travail dans
toutes les occupations : huit heures au maximum ; — inspec-
tion périodique de toutes les chaudières et machines par des
inspecteurs sortis de la classe ouvrière; — privilège donné à
l'ouvrier pour son salaire sur le produit de son travail ; —
interdiction du marchandage dans tous les travaux effectués
pour le compte du gouvernement; — suppression de la loi
relative aux engagements de maître à serviteur'; — amende-
ment des lois relatives à la responsabilité des employeurs, à
l'apprentissage et aux syndicats professionnels; — lois spé-
1 Nous le donnons d'après l'ouvrage de M. Vigouroux, p. 281, note.
2 Nous en parlerons plus loin.
1
FÉDÊRAUSME ET SOCIALISME EN AUSTRALASIB 177. ij
eiaJes intéressant les mineurs et les marins; — création d'un "f
ministère du travail dont le chef responsable aurait le droit de l
convoquer les représentants des organisations patronales et
ouvrières pour adopter des mesures de conciliation en cas de
conflits industriels; — exécution dans l'intérieur de chaque
culonie de tous les travaux eCFectués pour le compte de son
gouvernement, dans la mesure du possible; — suppression
absolue de tous les subsides accordés par les gouvernements
ioloniaux à l'immigration; — apposition d'une marque spéciale
>ur tous les meubles fabriqués par les Chinois ; — vote de toutes
les mesures « susceptibles d'assurer au salarié une rémuné-
ration convenable et équitable pour son travail » ; — extension
des attributions de l'Etet comme employeur.
Il y a, certes, un certain nombre de ces revendications que
l'on peut discuter; plusieurs mènent au socialisme d'Etat,
d'autres dénotent un singulier égoïsme. Mais l'ensemble n'est
pas, à tout prendre, aussi redoutable pour l'ordre social actuel
•|ue les déclarations électorales des socialistes du Vieux-Monde.
En Australasie, l'Etat s'est, parle fait des circonstances, trouvé
**Titraîné à intervenir plus activement dans les problèmes
♦^onomiques : tantôt il légifère, tantôt il se fait le protecteur
bienveillant des classes laborieuses. Les revendications du
Labour par ty n oui aucun caractère révolutionnaire; elles ne
^mt que la conséquence du régime social adopté, dans son
^prit général, par tous les partis politiques et par toutes les
«lasses de la société.
III
La grande extension du rôle de TEtat est chose naturelle dans
tfn pays où aucun contrepoids n'existe à son omnipotence, dans
une société égalitaire qui ne comprend ni aristocratie ni grou-
(it^ments anciens et agissants. MOme dans les plus grandes
villes, la vie municipale est minime; les élections municipales
i.nt lieu au suffrage restreint basé sur le montant des imposi-
tions, et les magistrats communaux, ne représentant que la
fraction la moins nombreuse de. la population, manqueraient
il'uii point d'appui dans l'opinion pour résister à la très grande
centralisation. Ils n'y songent pas d'ailleurs et n'ont mOme pas
suivi les municipalités anglaises ou américaines dans le mou-
vement qui les a entraînées à exploiter elles-mêmes les ser-
vices publics. Les eaux, la voirie, Thygiène sont fréquemment
confiées à des particuliers; les travaux, même les plus impor-
Qnssr. OiPL. »T C0L# — T. XV. 12
178 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
tants, sont mis en adjudication, et la ville se borne à insérer
dans le cahier des charges des clauses garantissant un salaire
minimum et la journée de huit heures aux ouvriers de l'entre-
prise. Melbourne seule exploite directement des cairières et
des abattoirs.
L'Etat ne se contente pas d un rôle aussi effacé. Obligé,
au début des colonies, à assurer la vie matérielle de tous,
il ne s'en est jamais désintéressé, et sachant par expé-
rience quels abus le plus fort ou le plus riche pouvait com-
mettre, il a gardé l'habitude d'intervenir dans tous les rap-
ports auxquels peut donner lieu le contrat de travail. Parfois,
comme a fait TEtat néo-zélandais, il est devenu le plus grand
propriétaire foncier de la colonie et le plus grand entrepreneur ;
il possède les voies ferrées, une banque nationale qui consent
des avances d'argent à un taux inférieur à celui des banques
privées, une assurance d'btat sur la vie, une caisse de re-
traites pour la vieillesse; il songe même à devenir seul dispen-
sateur de la fortune et à jouer un rôle quasi providentiel. C'est
le socialisme d'Etat, dont M. Reeves, aujourd'hui agent général
de la Nouvelle-Zélande à Londres, après avoir été ministre du
travail, salue l'avènement comme le triomphe de la démo-
cratie *. Mais la Nouvelle-Zélande n'est pas suivie par les au-
tres colonies, où la nécessité seule a déterminé l'intervention
en des matières généralement réservées à l'initiative privée.
En revanche, les gouvernements australasiens ignorent les
monopoles de tabacs ou d'allumettes, les fabriques de tapis
ou de porcelaines. Très soucieux d'assister les malheureux,
ils n'ont pas jugé nécessaire d'inventer l'assistance publique.
C'est à des sociétés particulières* qu'ils confient, en les sub-
ventionnant, le soin d'entretenir les orphelinats, asiles et
hospices pour aliénés, vieillards, malades, jeunes détenus.
Ils encouragent les mutualités en leur donnant la person-
nalité civile complète et en les exonérant du timbre. S'ils
assument la charge de l'enseignement primaire, laïque, gratuit
et obligatoire pour la majorité des enfants, ils admettent la
concurrence et abandonnent à la bonne volonté des particu-
liers l'enseignement secondaire et supérieur. Ils n'ont pas
souci d'instaurer une religion officielle, mais sont d'accord
avec le peuple tout entier pour protéger les divers cultes et
prêter même assistance à certaines œuvres confessionnelles.
Au contraire du rêve despotique des apôtres du collectivisme,
ils laissent à tous les citoyens une très grande somme de
1 Cf. Metin, loc. cit., p. 229.
s Notamment à l'Armée du Salut.
FÉDÉRAUSMB ET SOCIALISME EN AUSTRALASIB 179
liberté morale et religieuse, tout en cherchant à combattre par
des règlements sévères 1 alcoolisme et la prostitution.
C'est surtout dans le domaine économique que les interven
tions de Thitat sont fréquentes, et envahissantes jusqu'à
Texcès : on dirait que les Australasiens ont besoin d'être main-
tenus en une sorte de curatelle, et de même que la Nouvelle-
Zélande a institué en 1872 un service pour gérer les biens des
mineurs et des incapables, de même toutes les colonies, depuis
leur fondation, se sont montrées soucieuses de guider Tindividu
dans le chemin de la fortune. De grands sacrifices ont été con-
sentis pour la création d'un enseignement technique, industriel
et agricole, et de bureaux d'informations ouverts au public.
Partout, il existe des offices nationaux de placement : celui de
Sydney a -42 succursales et a effectué 82.000 placements, de
1891 à 4 898 ; celui de iVouvelle-Zélande en a fait 2i.000 pen-
dant la même période. Pour donner du pain aux sans-travail *,
non seulement il est accordé des concessions presque gratuites
déterres sous le nom de « baux à perpétuité », mais encore
tous les gouvernements consentent à leurs locataires des
avances de fonds pour la mise en valeur de leurs domaines.
Plusieurs systèmes de colonies agricoles *, de villages coopéra-
tifs où même communistes — ainsi qu'il a été fait dans la vallée
du Murray, — ont été employés par les divers Etats pour assurer
aux sans-travail une situation aisée de petits propriétaires.
Un ouvrier en chômage n'a-t-il pas de goût pour l'agricul-
ture? L'État ne se désintéresse pas de lui : parfois, comme a
fait la Nouvelle-Galles, il accorde des permis de chemins de
fer et une somme d'argent (à titre de prêt) à 5 ou 6.000, pros-
pecteurs de terrains aurifères ; le plus souvent il accueille les
malheureux dans une entreprise quelconque de travaux publics.
Une période d'affaissement économique, succédant à un boom
exagéré, est un fait qui s'est plusieurs fois renouvelé en Austra-
lasie,et naturellement le nombre des sans-travail était considé-
rable. C'est pour les occuper surtout que l'Etat s'est fait entre-
preneur, multipliant les constructions somptueuses Rétablissant
des chemins de fer — à raison de 823 milles par an, de 1882 à
1^31 — dans des contrées à peine habitées, plantant jusque
dans les déserts des poteaux télégraphiques, multipliant les
i « 11 est du devoir du gouvernement de donner du travail à qui n'en a pas », di-
sait en 1886 John Ballance, ministre des Terres en Nouvelle-Zélande. Cf. Vigouroux,
p. 224, et Mbtin, p. 450.
3 Cf. de longs et intéressants détails dans les ouvrages déjà cités de Vigouroux et
de M-ETiN. Ces tentatives ont presque partout échoué.
* ViGOCHOux, loc. cit.., p. 173, donne comme exemple le palais du Parlement
de Melbourne, encore inachevé, pour lequel il a été dépensé 25 millions de francs.
180 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
routes ou faisant creuser des puits*. La Nouvelle-Galles, en
d891, n'employait pas moins de 45.000 personnes ; de 4892 à
1898, Victoria dépensa 281.965 livres sterling en travaux pu-
blics pour occuper les sans-travail ; en Nouvejle-Zélande, c'est
plus de la moitié des bras disponibles que TÉtat emploie. Là,
comme en Victoria, les ouvriers sont constitués en groupes coo-
pératifs pour l'exécution d'un travail donné : c'est le Buttygang-
System, S'il faut citer des chiffres, nous rappellerons que,
avant le 1" janvier 1897, il avait été dépensé par l'Australasie
131.787.359 livres pour les chemins de fer et les tramways,
20.790.183 pour les eaux; 3.837.414 pour les télégraphes et
les téléphones ; 56.628.050 pour divers autres travaux publics *.
C'est, en somme, la presque totalité des emprunts contractés
par les btats, — soit 246 millions de livres sterling, environ
6 milliards 150 millions de francs, à la fin de Tannée 1900.
Les ouvriers victimes du chômage ne sont pas seuls à béné-
ficier de la protection de l'j^tat; ceux qui travaillent sont égale-
ment favorisés : pour eux, TAustraiie méridionale a les a Ho-
mestead blocks », la Nouvelle-Zélande a les « Workmen's
homes », destinés les uns et les autres à assurer aux salariés
un domicile confortable, entouré d'un petit jardin. Surtout, les
Etats ont tous, à Texception de la Nouvelle-Galles, adopté un
régime douanier tout favorable, par l'élévation des tarifs, au dé-
veloppement de la production intérieure. La Nouvelle-Zélande,
depuis l'avènement du cabinet radical-socialiste Seddon, a des
taxes absolument prohibitives pour . certains articles manufac-
turés. Le protectionnisme, destiné à garantir des salaires
élevés aux agents de production, va jusqu'à écarter de l'Austra-
lasie toute immigration — c'est-à-dire la concurrence de la
main-d'œuvre, — surtout lorsque l'immigration est chinoise
ou polynésienne. Pour développer la richesse publique, les
Etats font rechercher les améliorations possibles dans la fabri-
cation industrielle, introduisent des animaux reproducteurs,
entretiennent à Londres des agents généraux qui ont mission
de vulgariser les produits de leur pays d'origine. Victoria, qui a
des établissements frigorifiques modèles, donne, comme le
Queensland, des primes à la culture de la betterave sucrière, et
organise l'exportation du beurre et du fromage'. L'Australie
Méridionale se charge d'exporter en Elirope les lapins qui, ja-
dis, étaient le iléau de la colonie, et les vins pour lesquels elle
mène grande réclame sans parvenir à les vendre à un prix
rémunérateur.
1 839 puits ont été creusés en 1899 par les soins du QuôensUnd.
* Cf. ViGoUROux, loc. ciL^ p. 181.
3 Cf. Metin, loc. cit., p. 233.
FÉDÉRALISME ET SOCIALISStB EN AUSTRALASIE ' ' 181
IV
Ces initiatives généreuses de FEtat, cette tutelle si hardi-
ment prévoyante, sont parfois poussées un peu loin, et les
gouvernements australasiens font assez souvent sentir à leurs
sujets quels abus peuvent compenser les bienfaits d'une
extrt^me réglementation. Les deux ministères « des Terres » et
« du Travail », qui existent dans toutes les colonies, ont préparé
et fait adopter une législation agraire et une législation indus-
trielle dont beaucoup d'articles sont fort discutés et blâmés avec
énergie par les .grands propriétaires et par les manufacturiers
les plus notables : le souci de plaire au nombre a peut-être fait
omettre parfois quelques règles de justice.
Il est certain que l'occupation du sol en Australie et en Nou-
velle-Zélande n'eut pas lieu avec la méthode et la prévoyance
nécessaire. Les squatters avaient pris possession de territoires
immenses, sans se soucier en rien de les mettre en valeur.
Lorsque la loi agraire impériale de 1842 vint frxer les droits du
• gouvernement, il était trop tard : la grande . propriété était
partout le régime dominant; elte s'étendit davantage encore
pendant les périodes de spéculation, alors que les transactions
sur la terre furent le plus nombreuses ; toutes les bonnes
terres se trouvèrent aliénées dès 1870 A cette date, la Nouvelle-
Zélande se préoccupa la première d'entraver la spéculation et
de faire coloniser par l'Etat; en 488i, les projets formés furent
repris, et l'Australie Méridionale prit part au mouvement; en
1892, tous les Etats, sauf la Tasmanie, étaient gagnés à la cause
de la réforme agraire mais sans s'accorder sur les moyens delà
réaliser. Le but à atteindre était celui-ci : entraver le dévelop-
pement de la grande propriété, et même, s'il est possible, pro-
voquer son morcellement. Une limite maxima a été posée à
Tacquisition, voire à la location des terres publiques; l'impôt
progressif sur la fortune foncière et sur les revenus, établi en
Victoria dès d877, a été adopté par l'Australie Méridionale et
par la Nouvelle-Zélande ; ces deux dernières colonies y ont
ajouté une lourde taxe sur la plus-value foncière et ont frappé
d'un impôt de 20 % les propriétaires habitant hors du pays *.
Mais le procédé de morcellement le plus efficace est le rachat
parle gouvernement des domaines les plus considérables. Une. loi
del891 [Landfor settlements Ac/) a autorisé l'Etat néo-zélandais
à dépenser jusqu'à 50.000 livres par an pour cet objet ; le cré-
1 Cf, ViGOUROOx, loc, cit.t p. 2i3, et Mbtin, loc. ciV., p. 34.
{
182 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
dit a été porté à 500.000 livres en 1897. Le Queensland et l'Aus-
tralie Occidentale consacrent 100.000 livres annuellement au
même but; Victoria et l'Australie Méridionale sont également
entrées dans cette voie. Dès 1894, la Nouvelle-Zélande allait
plus loin, en instituant l'expropriation pour cause d'utilité
publique S mesure extrême que le Parlement d'Adélaïde a seul
imitée. Les terres mises par un procédé quelconque à la dispo-
sition de rhtat sont divisées en lots de faible importance et
concédées à des colons agricoles, non point en pleine propriété,
mais en location pour 999 ans : c'est le « bail à perpétuité » . Les
résultats n'ont pas été mauvais parce que les cultivateurs réser-
vent leurs forces pour l'exploitation : la surface cultivée aug-
mente deux fois plus vite que la population. Mais toute l'entre-
prise est marquée au coin du socialisme le plus net : c'est la
nationalisation du sol qui se poursuit activement. Il est vrai
que, même en Nouvelle-Zélande, la grande propriété couvre
encore les trois quarts de la colonie: 3.500 propriétaires possè-
dent 1 1 millions d'hectares, répartis en lots variant de 400 à
40.000 hectares.
é
Les grandes agglomérations d'hommes qui se sont formées
dans les principales villes de l'Australasie ont, dès longtemps,
pesé sur les gouvernements coloniaux pour obtenir une législa-
tion favorable atix travailleurs de l'usine, dont M. Coghlan,
statisticien officiel de la Nouvelle-Galles, évaluait le nombre à
247.159 en 1898 *. C'est dans l'association que les ouvriers pen-
sèrent trouver la force nécessaire pour lutter contre les
employeurs; ils multiplièrent donc les syndicats, en les main-
tenant d'ailleurs strictement sur le terrain professionnel ; ils se
groupèrent dans les Trades Councils (conseils des Métiers) et
dans les Trades Halls (Bourses du travail), sans réussir à
englober la majorité des travailleurs.
Les Etats les plus avancés au point de vue social ont tenté de
rendre le syndicat obligatoire : telle la Nouvelle-Zélande, avec
la loi de 1894 sur la conciliation et l'arbitrage obligatoires; tels
encore la Nouvelle-Zélande et aussi le Queensland et l'Australie
Occidentale avec leurs lois d'hygiène et de protection physique
de la femme et de l'enfant, et leur institution des Spécial Boards^
véritables <r conseils de travail », destinés à régler les condi-
1 Cf. Coghlan. The Revue sevem of Australia, 1897-98, p. 345-7.
' Le propriétaire exproprié reçoit une indemnité raisonnable. La loi, d'après
M. Metin, p. 37, a été déjà appliquée à 77 domaines, ce qui a entraîné pour l'Etat
une dépense de près de 35 millions de francs.
FÉDÉRALTSME ET SOCIALISME EN AUSTRALASIE 183
tions de Tapprentissagc et à fixer un minimum de salaire pro-
fessioanel. On a même été plus loin, et la Nouvelle-Zélande a
posé la question des retraites ouvrières ; son exemple entraîne
aujourd'hui la Fédération australienne dans un mouvement
presque unanime.
Mais pour socialistes que paraissent être ces lois, du moins
en leurs tendances, elles n'ont rien qui doive nous engager,
nous Européens, à conclure qu'aux antipodes, les théories socia-
listes ont fait victorieusement leurs preuves; en cette cir-
constance, comme en la plupart des autres, le sons pratique des
Australasiens a seul déterminé l'adoption de cette législation;
car si elle est extrêmement favorable aux ouvriers, elle est en
même temps harmonisée avec l'organisation sociale actuelle.
Sauf en Nouvelle-Zélande, nous pouvons donc dire qu'en Aus-
tralasie il n'y a point d'esprit vraiment socialiste, non plus
qu'il n'y a de mesures légales inspirées par la prétention de
renouveler le Vieux-Monde. Dans la société très démocratique
lies colonies australasiennes, le grand rôle réservé naturelle-
ment à la main-d'œuvre devait lui assurer une place impor-
tante parmi les préoccupations gouvernementales et des avan-
tages très spéciaux chez une nation dont elle constitue la
presque totalité et dont elle fait la prospérité. L'organisation
des forces ouvrières et leur immixtion dans la vie politique
ont accéléré le mouvement, mais le mouvement existait aupa-
ravant qui entraine tous les Etats à faire les plus louables
efforts en vue de supprimer la misère et même, pour les
ouvriers laborieux, le prolétariat. De grands progrès ont été
effectués : nulle part le travailleur n'a une condition aussi
favorisée. En revanche, la dette est énorme dans toutes les
colonies et pèse lourdement sur leur essor, de môme que les
avantag'es consentis à la production entravent le commerce.
11 serait peu prudent de vouloir tout imiter et tout copier de
la jenne Australasie.
Joseph DeiNais-Darnays.
]
LE TRAITÉ FRÀNCO-SIÀMOIS
ET L'OPINION ALLEMANDS
La presse allemande vient d'opérer, à l'égard du traité
franco-siamois, un brusque et complet changement d'attitude
qui nous semble avoir passé beaucoup trop inaperçu et sur
lequel nous croyons nécessaire d'insister un peu aujourd'hui.
On se souvient sans doute de la prodigalité d'informations
dont usèrent les différentes agences au lendemain de la signa-
ture du protocole de Paris. Pendant plusieurs jours, nos jour-
naux furent encombrés des commentaires de la presse étran-
gère. A en croire ces habiles découpures, le doute n'était pas
permis : nous venions de remporter un éclatant succès diplo-
matique. La presse allemande faisait chorus avec un ensemble
inquiétant. La Gazette de Francfort^ un des plus grands jour-
naux d'Allemagne — et peut-être le plus important et le mieux
documenté en matière de commerce et de finances, écrivait gra-
vement qu'il fallait se demander si l'heure du partage du Siam
n'avait pas - sonné. Gela dépassait véritablement la mesure.
Toutes les revues spéciales de Berlin étaient manifestement
dans le même état d'esprit.
Pendant ce temps, l'opinion française s'était émue et s'était
dessaisie. Presque tous ceux qui connaissaient les questions
d'Extrême-Orient jugeaient d'une façon identique le nouveau
traité, c'est-à-dire qu'ils le trouvaient désastreux. L'étude
impartiale de l'importante enquête que nous avons publiée ici
même * ne peut laisser aucun doute à cet égard.
C'est à ce moment précis que se produisit un changement
total dans les appréciations de la presse allemande. Le thème
général des nouveaux articles consacrés au traité franco-siamois
fut le même dans tous les journaux : « Les Français, disait-
« on, protestent contre leur succès diplomatique; nous ne
« comprenons plus I »
Sur ce leitmotiv^ les longues dissertations s'étendaient avec
prolixité. On prenait une peine infinie à nous convaincre que
l Voir NOTBB ENQUÊTE A PROPOS DES AFFAIRSS DE SlAM (QutBt. DipL et Col,^
lei^ et 15 décembre 1902, 15 janvier 1903).
LE TRAITÉ FRANCO-SIAMOIS ET L'oPINION ALLEMANDE
185
nous ayions tort 'de n'être pas contents. Tant de sollicitude n*^
saurait nous toucher. Nous sommes seuls juges de nos affaires ;
seuls nous prétendons veiller à nos intérêts nationaux, ot
nous entendons demeurer seuls maîtres 'de nos résolutions.
Nous avions d'autant plus le droit d'être défiants que cer-
taines phrases maladroites démontraient clairement qu'on
éprouvait un certain dépit de notre attitude. Un article paru
ims VExport mit tout au point. Cette importante revue com-
merciale allemande reproduisit, en le renforçant de ses com-
mentaires approbatifs, un article d'un journal quotidien dont la
teneur était en substance la suivante : « Le grand commerce
« allemand ne peut, se désintéresser de la question siamoise.
c Nos intérêts économiques sont trop considérables à Bangkok
I pour que nous puissions nous taire. Depuis quejques années,
• nous avonâ fait au Siam des progrès considérables. Or, los
« Français sont des coloniaux protectionnistes; il serait donr
•« infiniment regrettable qu'une partie* du royaume siamois
• tombât entre les mains de la République; ce serait une partii^
a du marché mondial qui nous échapperait. La comparaison dr
• la part de notre pavillon dans le mouvement du port d»'
« Bangkok et dans celui du port de Saigon ne nous permc**
- pas d'en douter un seul instant. » •
H nous est impossible de nier que les progrès .de TAllemagin^
au Siam sont considérables. M. Robert de Caix le signalai I
encore dans une correspondance reproduite dans notre Revue/,
et nous le démontrerons nous-même, de façon péremptoire,
dans cette brève étude, en extrayant simplement d'un rapporl,
du consul d'Allemagne à Bangkok les quelques chiffres sui-
vants :
Mouvement des vapeurs à Bangkok
en 1901.
ENTRÉE
SORTIE
NOMBRE
DBS
NAVIRKS
•
TONtlAGE
NOMBRE
DES
NAVIRES
TONNAOK
i
Total du moaTement
576
272
542.808
291.156
564
262
522.849
274.06fi
Paît de VAUemagne seule
Pirt des autres puissances ......
30 &
251.652
302
248.783
Ainsi donc, à Bangkok, plus de la moitié du mopvemonl
^ Qvet/. Dipl. et Col., i5 janvier )903, p. 113.
186 OUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
maritime se fait sous pavillon allemand. Oii comprend, dans
ces oonditions, que TÂllemagne ait le souci de garder cet
avantage et mène, plutôt, 4e rjngnotter.
Or, les négociants de Hambourg craignent, parait-il, qu'une
augmentation de Tinfluence française, au détriment de Tinfluence
britannique, ne vienne arrêter l'essor du commerce germa-
nique tandis qu'ils semblent envisager, avec la plus grande
philosophie, avec une certaine bienveillance même, les pro-
grès de rinfluence anglaise.
Ce qui est intéressant et ce qui est grave aussi, c'est que cette
théorie qu'il y a avantage à favoriser l'Angleterre au détriment
de la France, là où l'Allemagne a des intérêts économiques à
défendre, semble, malgré toutes les apparences, être une des
directrices de la diplomatie de Berlin, Il ne faut pas* prendre
trop au sérieux les querelles qui surgissent assez fréquem-
ment entre l'Allemagne et l'Angleterre et que, périodiquement,
détaillent avec une certaine acrimonie les différents correspon-
dants du Times * en Extrême-Orient. L'Allemagne ne se sent
liée que par son intérêt. Il est certain qu'elle cherchera toujours
à obtenir des avantages, même aux dépens de l'Angleterre ;
mais il n'en reste pas moins avéré que l'article de VExport
reflète très exactement Topinion des classes dirigeantes de
l'Empire. Une fois le dilemme posé irrévocablement : faut-il
favoriser l'Angleterre ou la France ? l'indécision cesse à notre
détriment.
Nous devons d'autant plus méditer ce fait' ({xinn diplomate
allemand des plus distingués, M. de Brandt, écrivait dernière-
ment, dans ses Souvenirs^, là page suivante que nous livrons,
dans sa traduction littérale, aux réflexions de ceux que préoc-
cupe l'avenir de notre politique extérieure ^ :
« Le but final de la politique française dans les provinces du
« Sud et du Sud-Ouest de la Chine, comme dans la péninsule
« indo-chinoise, est l'exploitation de ses conquêtes présentes ou
« futures par les seuls commerçants et industriels français, à
« l'exclusion aussi complète que possible de toute concurrence
« étrangère. Les nouvelles conquêtes coloniales de la France
« sont en grande partie perdues pour le moîide, et elles le
« seraient tout à fait, si la République se sentait capable
a d'écarter complètement la concurrence étrangère. Cette puis-
ce sance forme contraste, à ce point de vue, avec l'Angleterre
1 Cf., par ex., le Time* du 2 janvier 1903.
* Trente-trois ans en Extrême-Orient, par M . Von Brandt, ancien ambassadeur
impérial, chez Wigand, à Leipzig, 1901. 3 volumes.
» Von Brandt, op. cit. y t. m, p. 199.
LE TRAITÉ FRANCO-SIAMOIS ET' L'OPINION ALLEMANDE 187
« qui (quoi qu'on pense des motifs de sa politique) ne s'est
« jamais réservé de privilèges exclusifs et a, pendant les
« soixante ou soixante-dix dernières années, pratiqué la poli-
« tique de la porte ouverte à Tégard de la concurrence étrangère.
•« C^esi pourquoi, pendant mon séjour en Chine^ fai pu dire
• que la politique française coloniale devnit être regardée
• comme hostile et qu^elle était beaucoup plus dangereuse
z pour le développement des intérêts allemands que l'attitude
« de r Angleterre, L'histoire des relations de la Chine avec les
« puissances étrangères depuis 1893 n«L pu que me confirmer
<r dans mon opinion*. »
Tout ce que nous venons de dire des dispositions de la diplo-
matie et du grand commerce allemands à l'égard soit du traité
de Paris de 1902, soit de la politique française en général, nous
montre assez ce qu'il faut penser du trouble aflecté et de la
feinte consternation de la presse allemande au mois d'octobre
et de son dépit naïvement sincère d'aujourd'hui.
On brûle du désir, croyons-nous, de corriger la Carte politique
d Extrême-Orient éditée chez MM. Klasing et Bielefeld, où toute
la région siamoise d'influence française était déjà indiquée
comme faisant partie de notre Indo-Chine. Mais il y a loin heu-
reusement, — nos rivaux trop pressés qui savent le français ne
devraient pas l'ignorer, — entre la coupe et les lèvres !
René Moreux.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
t.
p, RENSEIGNEMENTS POLITIQUES
I. — EUROPB.
France. — La convention franco-siamôùte. — La campagne énergique,
menée dès le premier jaur, contre le traité du 7 octobre, par tous
leâ esprits les plus clairvoyants et les plus compétents du monde
colonial, vient d'obtenir un premier résultat. Le ministre des Affaires
V étrangères a dû renoncer & demander au Parlement la discussion
?: immédiate de. sa convention. Peut-être, prévoyant Téchec final
$ ' auquel il. s'exposait, cherche t-il quelque moyen qui pourrait lui
Ç permettre de donner une apparente satisfaction aux critiques les
^ plus ^embarrassantes. Peut-être espère-t-il, en gagnant du temps,
Ç ^ obtenir un vote distrait de la lassitude du Parlement. Quoi qu'il en
r soit, une dépêche ffavas de Bangkok nous a appris que le délai de
f^ ' . la ratification du traité, primitivement fixé au 7 février; était reporté
A au 30 mars. Le gouvernement aurait, dit-on, préféré une date plus
i éloigné^ encore et avait demandé, à ce que Ton assure, un nouveau
y délai de six mois. L'information officielle nous prouve que cette
V demande n'a pu recevoir satisfaction.
l — La discussion du budget à la Chambre; le rapport de M, Bienvenu-
Martin et le rapport ^ M. Dubief. — La discussion du budget se pré-
cipite ht la Chambre avec une extrèiqe rapidité : les discussions gé-
nérales sont supprimées ou singulièrement rétrécies et les chapitres
^ se votent successivement pour ainsi dire sans débat. G*cst dans ces
conditions notamment qu'a été adopté le budget des colonies, sur le
rapport de M. Bienvenu-Martin; mais si nous ne pouvons rien
signaler d'une discussion qui n'a pas eu lieu, nous devons cependant
dire quelques mots du consciencieux travail de M. Bienvenu-Martio.
Nous voudrions surtout parler du chapitre que le rapporteur a
consacré aux dépenses militaires des colonies, et pour cela nous ne
pouvons mieux faire que citer :
i Les dépenses militaires, écrit M. Bienvenu-Martin, forment presque les
' cinq sixièmes du budget colonial.
\ Les crédits demandés pour cette catégorie de dépenses au projet de
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 189
budget s'élèvent à 93.720.415 francs en diminution de 2.4U.546 francs sur
ies crédits de même nature alloués poujr 1902. Il est vrai que les prévisions
do chapitre relatif à la défense des colonies ont été réduites de 2 millions ;
c'est une dépense non supprimée, mais simplement ajournée. L'économie
réelle par rapport à 1902 ne serait alors que de 411.546 francs. Mais le
gouvernement a été dans Tobligation d'inscrire au budget de 1903 les frais
d'entretien des troupes stationnées au Congo auxquels il est pourvu pour
1902 au moyen de crédits supplémentaires, soit 950.000 francs de plus à la
charge du prochain budget. Si on tient compte de cette dépense nouvelle,
on constate que les diminutions effectives s'élèvent à près d'un million et
demi. Le gouvernement s'est donc efforcé d'alléger le fardeau des dépenses
militaires. La Commission -a d'autant plus le devoir de le constater qu*en
:»pêrant quelques-unes de ces réductions M. le Ministre des colonies a
donne satisfaction à des desiderata formulés par la précédente Comp:iis-
sîon du budget.
De son côté, la Commission, après avoir examiné avec attention les
divers crédits qui vous étaient demandés, leur a fait subir de nouvelles
rt-duciions qui s'élèvent à 670.521 francs, de telle sorte que l'ensemble
des dépenses militaires pour 1903 soit fixé à 93.050.894 francs.
Ces diminutions ne sont, pour la plupart, que des économies de détail
résultant d'un examen plus serré des prévisions et des besoins. Elles
laissent intacte la question de l'organisation défensive de nos colonies.
Cette question est capitale; nous croyons qu'il est urgent de la résoudre,
maïs il n'appartenait pas à votre Commission de vous apporter une solu-
tion.
M. le Ministre des Colonies a récemment institué un comité consultatif
de la défense des colonies; il convient d'attendre le résultat de ses délibé-
rations. Ce comité, créé par le décret du 29 juillet 1902, ne limitera évi-
•iemment pas sa mission d'études aux points d'appui de la flotte; il aura à
rechercher d'une manière générale quelles sont les colonies qui peuvent
être défendues et qui méritent de l'être., quels sont les éléments néces-
i^aires à leur défense, quelles sont les garnisons qui peuvent être
supprimées ou réduites, celles qu'il importerait de renforcer, le cas
échéant; il donnera sou avis sur l'importance, la composition et la répar-
ution des effectifs; en un mot, il dira dans une vue d'ensemble ce que
comporte l'organisation rationnelle de la défense.
Jl serait chimérique de vouloir doter à la fois toutes nos colonies de
movens suffisants pour résister victorieusement à une agression. Une
tiireille conception ne pourrait être réalisée qu'au prix de sacrifices incal-
culables, qui dépasseraient de beaucoup les forces contributives de la
métropole et qui de plus seraient pour certaines de nos possessions hors
de proportion avec l'intérêt qui s'attache à leur conservation.
Une sorte de classement est donc à opérer entre nos diverses colonies.
Tant que cette étude préliminaire n'aura pas été faite, il ne sera possible
d'apporter aux chapitres des dépenses militaires que des modifications
secondaires.
Ce n'est pas une raison cependant de négliger des réformes plus mo-
destes ..
190 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
£t après avoir énuméré un certain nombre da ces réformes de
détail, telles que la question des vivres, celle des accessoires de la
solde, etc., M. Bienvenu-Martin conclut :
Les charges que les dépenses militaires imposent au budget métropoli*
tain peuvent et doivent être allégées par la contribution des colonies.
Cette contribution est juste, puisque la présence d'un corps d'occupation
ou d une garnison est à la fois une garantie de sécurité et un élément de
prospérité. La loi de finances du 13 avril 1900 en a d'ailleurs consacré le
principe, puisqu'elle porte dans son article 33, dernier paragraphe, que
« des contingents peuvent être imposés à chaque colonie jusqu'à concur-
« rence du montant des dépenses militaires qui y sont effectuées ».
Quatre colonies supportent actuellement une contribution ; Tlndo-Chine,
la Guinée française, la Côte d'Ivoire et le Dahomey.
Le contingent fourni par Tlndo-Chine a été progressivement élevé : il
est prévu pour 1903 au chiffre de 12,365.470 francs, soit près des deux cin-
quièmes de la dépense totale qui s'élève en chiffres ronds à 32.300.000 fr.
Dans ce dernier chiffre n'entre pas, d'ailleurs, la part réservée à l'Indo-
Chine dans le crédit de 8 millions inscrit au chapitre 54 pour la défense
des colonies.
Chacune des trois autres colonies fournit un contingent de 10.000 fr.
Nous ne concluons pour le moment à aucune augmentation de ces
diverses contributions.
Mais il est des colonies qui coûtent cher à la métropole et qui pour-
raient, ce nous semble, participer dans une mesure progressive aux dé-
penses militaires qu'elles occasionnent; il s'agit de certaines colonies de
l'Afrique Occidentale et de Madagascar.
Les dépenses militaires de l'Afrique Occidentale, déduction faite des
bataillons stationnés à la Côte d'Ivoire et en Guinée, atteignent environ
13 millions; celles de Madagascar dépassent 26 millions et dans ces chiffres
ne sont pas compris les travaux en cours d'exécution à Dakar et à Diégo-
Suarez. La situation financière du Sénégal et des territoires de la Séné-
gambie et du Niger n'est pas mauvaise. Elle pourrait aisément supporter
une contribution qui serait modérée au début. Il en est de même de Mada-
gascar où les recettes du budget local suivent une marche ascendante.
Nous estimons que, sinon en 1903, du moins à partir de 1904, cette
contribution devra être versée.
La réduction des charges militaires doit être, suivant nous, une des
préoccupations constantes de l'Administration coloniale. Si nous la récla-
mons avec tant d'insistance, c'est d'abord pour adoucir le fardeau qui pèse
de ce chef sur les contribuables métropolitains; c'est aussi pour une autre
raison. On reconnaît qu il est actuellement impossible de leur demander
de nouveaux sacrifices pour notre empire colonial. Et cependant il a d'au-
tres besoins que celui de la sécurité. Sa mise en valeur est à peine com-
mencée; elle exigera des efforts persévérants et beaucoup d'argent, ne
serait-ce que pour établir les moyens de communication nécessaires, tels
que routes et chemins de fer, créer ou améliorer les ports. Si l'on sollici-
tait pour les travaux de cette nature le concours financier de la métropole,
on ne manquerait pas de répondre que les charges de celle-ci ne peuvent
RBNSEI6NBMENTS POLITIQUES 191
être augmentées et de dire qu'il n'y a plus de place dans le budget colo-
nial pour des dépenses nouvelles, fussent-elles productives. La force de
l'objection serait singulièrement atténuée si de larges économies étaient
pratiquées dans les chapitres militaires.
Le rapport de M. Dubief sur le budget des Affaires étrangères est
loia, malheureusement, de présenter la même valeur que celui de
M. BienTenu-Martin. Dans Timporlante mission qu*il lui avait été con-
fiée, M .Dubief a vu surtout Toccasion de faire un peu de publicité à ses
idées personnelles — très exclusivement personnelles par bonheur —
sur notre politique extérieure. Sans se préoccuper autrement de
ropinion raisonnée de la Commission du budget, dont il se trouvait
pourtant en Foccasion le porte-parole, l'honorable rapporteur pré-
tend trancher de sa haute autorité toutes les plus graves questions
et les plus délicates. A propos, par exemple, de notre ambassade
auprès du Vatican, M. Dubief, qui n*a pas reçu de la Gomtnîssion
mandat d*en proposer la suppression, la propose cependant parce
qu'il y a, dit-il, antithèse entre la foi et la science. De même, et pour
les mêmes raisons d'une clairvoyance nationale si élevée, il propose
de diminuer de 50.000 francs le crédit afférent aux missions.
Nous avons assez souvent déjà exposé notre sentiment à ce sujet
pour que nous n'ayons pas besoin d'y revenir, surtout devant des
arguDQents aussi peu sérieux. Les idées de M. Dubief ne triomphe-
ront pas encore celte année; il ne saurait, malgré tout, se faire beau-
coup d'illusion sur ce point. Néanmoins nous ne pouvons nous
empêcher, au moins pour le principe, de protester contre les regret-
tables tendances d'un esprit que l'on souhaiterait voir plus impartial
-l plus préoccupé des véritables intérêts de notre politique étran-
gère.
Allemagne. — Les déclarations de M. de Bûlow. — La discussion du
budget au Reichstag a fourni à M. de Bulow l'occasion de faire
quelques importantes déclarations. A propos du conflit vénézuélien,
le chancelier allemand s'est borné à rester dans le vague et à énoncer
an certain nombre de généralités sur l'accord des puissances co-
intervenantes etsur la justice de leur cause ; mais sur d'autres points
de la politique extérieure de l'Empire, il s'est montré plus formel.
C'est ainsi qu'au sujet des relations de l'Empire avec la France, M. de
Bulow s'est exprimé en ces termes :
Je suis, moi aussi, pénétré de cette idée que des relations paisibles et
imicales entre l'Allemagne et la France répondent également à la prospé-
nié des deux pays, et que même il existe un certain nombre de questions
au sujet desquelles ces deux nations peuvent marcher de pair à leur avan-
uge réciproque.
Je m'efforcerai également, pour ma propre part, d'entretenir à l'avenir les
192 QUESTIONS DIPLOMATIQUES £T GOLOUIALES
meilleures relations avec cette nation voisine avec laquelle nous avons
croisé le fer dans un temps qui est passé, mais dont nous avons aussi peu
méconnu les brjUantes qualités que les services qu'elle a rendus au progrès
de la civilisation, et son importance comme un des plus puissants pion-
niers de la civilisation humaine.
Quant aux relations avec. TAngleterre, l'union et la concorde
s'imposent plus que jamais :
Je me jréjouis de pouvoir dire, continue M. de Bûlow, que dans les rela-
tions, aussi bien entre les monarques qu'entre les cabinets de Berlin et
de Londres, aucun changement n'est survenu, et que ces relations con-.
servent le caractère amical qu'elles ont depuis longtemps. J'espère qu'avec
le temps, l'opinion publique, en Allemagne et en Angleterre, se laissera
guider par la même pensée/
Quoique chacune des deux puissances puisse, à elle seule, mener à
bien ses propres adaires dans les questions mondiales, de telle sorte que
l'une n'ait pas besoin de recourir à l'autre, tout en étant cependant
amenée, par de nombreux et puissants intérêts à être vis-à-vis de Tautrc
en relations pacifiques et amicales, il y a pourtant des questions, cqmme
par exemple actuellement celle du Venezuela, où l'une et l'autre peuvent,
sans danger, ni pour elles-mêmes, ni pour les autres relations, ni pour la
paix du monde, marcher sur la inême lign«.
Enfin, *sur une intervention de M. Bebel, le chancelier a été amené
à préciser son opinion relativement aux relations entretenues par
l'Allemagne à l'étranger :
. M. Bebel, dit-il, a déclaré qu'il existait à sa -connaissance un article écrit
par un ofBcier de marine en inactivité, d'après lequel la flotte allemande
devrait devenir assez forte pour triompher de la flotte anglaise. Je réponds
qu'il s'agit là, cela va sans dire, d'une peinture fantaisiste comme il s'en
trouve aussi djans la littérature d'autres pays.
On ne peut tenir 'aucune source autorisée pour responsable de sem-
blables articles, et aucun homme sensé, en Allemagne; ne le prend au
sérieux.
• Vous pouvez voir à quel point il s'agit, ici, d'images fantaisistes par ce
seul fait que notre flotte, aprèys même la complète exécution des plans de
constructions maritimes, n'occupera que le quatrième ou le cinquième
riing parmi les flottes du monde.
En construisant nos navires, nous ne poursuivons aucun but agressif,
mais seulement la défense des côtes allemandes, la représentation des
intérêts allemands sur la mer et la protection de nos nationaux à
l'étranger.
M. Bebel a dit ensuite que l'expression : «Notre avenir est sur la mer, »
contenait une idée agressive contre d'autres puissances. Nous n'y pensons
aucunement, cela va san« dire, et l'expression de l'empereur n'a certes
pas dû signifier que nous voulions repousser des mers l'une quelconque
des puissances étrangères. Mais nous avons un droit aussi valable que
tout autre peuple de voguer sur les mers. La Hanse a eu ce droit il y a
déjà des siècles, et le nouvel empire allemand le possède aussi.
RI^NSElGJHEMtliVTS POLlTlQUElâ 193
Le comte de Billow a terminé ainsi son discours :
M. Schadler a, au commencement ctes t1 ébats sur le budget, dit, entre
siaLres choses, que dans le monde il exisstait pour nous plus de haine que
lî 4mour. *ïe trouve que cette génentlitê i^&i liiusse. Je crois que, dans le
«lomaitie politique, nous avons des amis isur qui nous pouvons compter.
Je crois que le monde ne $'est pas fermé aux rayons du génie du peuple
allemand.
Si j'ai parlé, il n'y a pas longtemps, de poùteâ qui ne nous sont pas favo-
raiiles — ici le comte de Bùlow fait allusion ù M. Rudyard Kipling^ — je
me souviendrai avec plaisir» aujourd'hui, qu'il y a quelques jours un autre
poêle, mi'belge, mi-fraui;ais, celui*là, favorabk* à l'Allemagne, — M. Mae-
i^riiuk ^* a appelé, ici^ à Berlin mômiÎT ^e petipb' allemand : « la con-
science morale du monde », et cela non sans raison.
Mais même s^il existait coiUre nous tant de Imin;; et tant d'aversion, je
?uis d*avis qu'en politique la haine et Peuvie — et la haine provient ordi-
L^iiremt^nt de Teavie, — sont encore plus douces que la pitié. Gardons
noire poudre sèche. Ne nous querellons pas trop rntre nous et personne
ne uous offensera.
Ke pourrai t-oo un peu méditer dans notre France sur ces paroles
du chancelier allemand? La leçon qu'il donnait ainsi au Reichstag
ne st^raii pas inutile pour nos parte m ëuia ires du Palais-Bourbon et
du Luxembourg.
£âpagne. — VimiaUaiiùn de Jf, Cambon à Madrid. — M. Cambon,
notre Qouvel ambassadeur à Madrid, a présenté le 15 Janvier ses
l^îtres de créance au roi Alphonse XIII et a prononcé à cette occa-
>fïOD le discoui'S suivant :
Sire,
J*ai rbonneur de dépoi^or entrr^ les mains de Vol re Majesté les lettres
cm m'accréditent en qualité d'amba^ssadeur do la liépublique française.
Quelles qu'aient êiè les vicissitudes de leur bis Loire, l'Espagne et la
France eurent toujours de rêci])roqut\s synifiuthicft nées moins du voisi-
aajse que de la communauté d'idues et de sentimojits. Leur civilisation
lire son origine des mêmes îiources, leurs aspirations tendent au même
ïiléal : grandeur morale et liberté* Les pages do le ors glorieuses annales
«•ont illustrées également par le courage et la générosité de ceux qui les
écrivirent.
La nation française a suivi aiuîsi, avec un profond et attentif intérêt, le
oommencement du règne de Votre Majesté, sous Téi^nde tutélaire de votre
Auguste Mère, La France eotière fait dos vœux pour le bonheur de Votre
Majesté et la prospérité de TEspagne,
Je suie Finterprète de M. le Présideut do îa Uépublique et de son gou-
Ternement, en apportant à Votre Majesté rexprestîion de confiance de voir
se resserrer davantage les liens d^amitir* qui exisieni entre les deux pays.
C*est pour moi un grand honneur d'avoir été élu pour collaborer à une
«Btivre si ûoble, et j'ose espérer que la bienveillance de Votre Majesté et
tle *on gouveriierneut facilitera cetLe tùciie.
194 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Le roi a répondu en ces termes :
Monsieur l'ambassadeur,
Il me plaît de recevoir les lettres qui vous accréditent à ma cour comme
ambassadeur de la République française.
L'Espagne et la France étant unies par les liens d'une vieille amitié,
rien ne m'est plus agréable que l'assurance que vous apportez de l'attentif
intérêt avec lequel la République a suivi les commencements de mon
règne.
Les vœux que vous m'exprimez soit pour ma prospérité, soit pour celle
de mon peuple, correspondent à ceux non moins sincères que je fais pour
le bonheur de la nation française et de l'illustre homme d'État qui la
dirige.
Avant ce moment, Monsieur l'ambassadeur, vous aviez montré par votre
conduite l'affection que vous portiez à l'Espagne.
Dans des circonstances critiques, alors que vous étiez comme aujour-
d'hui investi de la représentation officielle de la France, vous avez obtenu
des titres à notre considération et à notre amitié.
La collaboration que vous nous offrez si noblement obtiendra l'appui
décidé de mon gouvernement, et dans l'accomplissement de la tâche con-
fiée à votre zèle et à votre intelligence par M. le Président de la Répu-
blique, chaque jour rendra encore plus cordiaux les rapports qui existent
si heureusement entre les deux peuples.
n. — AFRIQUE.
Haroc. — Lasittiation. — Il est toujours aussi difficile de savoir
d'une manière précise ce qui se passe au Maroc. Les dépêches nous
arrivent nombreuses chaque jour et de toutes les sources ; mais que
nous les recevions directement ou qu'elles nous parviennent par Lon-
dres ou par Madrid, les nouvelles sont toujours confuses, souvent
contradictoires, rarement confirmées par des faits certains. Le préten-
dant BouHamara semble bien, cependant, avoir repris l'offensive. On
est de nouveau assez inquiet à Fez, car on nous signale un redouble-
ment d'activité dans les préparatifs de défense du sultan, qui ne
paraît pas d'ailleurs avoir grande confiance dans la solidité de ses
troupes. Il compterait plutôt, d'après des informations récentes, sur
certains concours amicaux, celui notamment des chérifs d'Ouazzan,
protégés de la France et très influents parmi les tribus berbères favo-
rables au prétendant. Les chérifs d'Ouazzan, en effet, sur les solliei-
tations du sultan, seraient partis pour Fez et l'on estime que leur
intervention pourrait contribuer puissamment à tirer le Maghzen de
sa position critique. On dit aussi que l'oncle d'Abd-el-Aziz, Mouley
Arafa, va se rendre à Oudjda pour tenter de réconcilier les Iribus
qui se battent dans cette région et empêcher, de ce côté, tout mou-
vement de révolte.
Renseignements politiques 195
D antre part, on a appris que la Banque de Paris et des Pays-Bas
renaît de consentir un prêt de 7 millions et demi au sultan, qui se
trouve très à court d'argent. L'importance politique de ce prêt n'est
pas douteuse ; et bien que Ton tienne encore secrètes les conditions
auxquelles il aurait été fait, on est en droit de supposer que la cause
française en tirerait avantage. On ne s'y est pas trompé en Angle-
terre, et les journaux anglais en ont déjà exprimé leur inquiétude et
leur ennui, lis ont même cherché à atténuer reflet produit par cette
nouvelle en insinuant qu'une banque anglaise avait été également
pressentie pour avancer, elle aussi, 7 millions et demi au sultan,
ïâis rien n'est venu confirmer cette dernière information, qui semble
Men tendancieuse.
Enfin une dépèche du 29 janvier a annoncé l'arrivée à Fez de la
aission militaire française, dont l'action peut avoir une sérieuse
influence sur la marche ultérieure des événements.
Afrique Occidentale française. — Le secrétariat général du gouverne-
mÊKt général. Un emprunt de 65 millions. — Aux termes d'un arrêté du
â6 décembre, il est créé au gouvernement général de l'Afrique Occi-
dentale française un secrétariat général du gouvernement général.
L'organisation et les attributions de ce secrétariat général sont fixées
perle même arrêté.
Le personnel du secrétariat général du gouvernement général sera
r^mté soit dans le personnel des administrateurs et des affaires
.cdigènes de l'Afrique Occidentale française, soit parmi les fonction-
lûres et employés des autres services. Ce personnel est placé hors
3dres et conserve dans cette position les droits à l'avancement.
Le Journal officiel du Sénégal si dépendances du 27 décembre 1902 a
publié un arrêté dont voici le texte :
Abtici^ premier. — Il y a lieu pour le gouvernement de l'Afrique Occi-
ieiztale française de contracter un empnmt de la somme de 65 millions de
r'raocs, remboursable dans un délai de cinquante années, avec la garantie
eipresse du gouvernement de la République française, pour permettre
1 «riécution des travaux d'utilité publique et d'intérêt général suivants et le
rcnitoursement anticipé des emprunts ci-après :
;. — Travaux d'assainissement Fr. 5.450.000
1 Travaux d'aménagement des ports 12.600.000
>. Travaux d'ouverture des voies de pénétration :
a) Etude du chemin de fer reliant Kayes à la ligne de
Dakar- Saint-Louis 500.000
6) Amélioration des fleuves Sénégal et Niger 5 .000.000
c) Chemin de fer de la Guinée 17.000 000
d) Chemin de fer et port de la Côte d'Ivoire ^ 0.000.000
A reporter 50.550.000
196 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Report 50 . 550 . 000
4. — Capital restant à rembourser sur les emprunts de 8 mil-
lions et de 4 millions contractés par la colonie de la
Guinée en 1899 et 1901 pour la construction de son
chemin de fer (y compris les indemnités dues pour
remboursement anticipé) 11.648.053
5. — Capital restant à rembourser sur remprunt de 5 millions
contracté en 1892 par la colonie du Sénégal (y «compris
l'indemnité pour remboursement anticipé) 2.654.662
A valoir et divers 147.285
Total égal Fr. 65 . 000 OOO
Art.2. — Les colonies de l'Afrique Occidentale française, intéressées dans
l'emprunt projeté, devront iiiscrire aux dépenses obligatoires de leurs
budgets respectifs et au fur et à mesure de la réalisation des portions de
l'emprunt en ce qui les concerne, les sommes nécessaires pour faire face à
^i leurs intérêts et à leur amortissement. Ces sommes seront versées à titre
de contribution spéciale au budget du gouvernement général chargé de
pourvoir aux charges globales de l'emprunt.
Madagascar. — La population m 1902. — D'après un tableau com-
muniqué par le gouvernement général de Madagascar, la population
indigène de rile s'élèverait à S.501. 691 indigènes et la population
européenne [y compris les assimilés non militaires) à 8.906, dont
2.175 dans la province de Tarn a ta ve, 1.655 dans le territoire de
Diégo-Suarez, 1.213 dans la province de Majunga, 906 à Tananarive-
ville, etc..
Les Européens ou assimilés exercent à Madagascar des professions
ort variées. On compte parmi eux 1.662 négociants et employés de
commerce, 606 agriculteurs et éleveurs, 117 menuisiers, charpen-
tiers et charrons, 88 ferblantiers, forgerons, serruriers et mécani-
ciens. Parmi les autres professions nous relevons, 13 médecins
civils, 10 pharmaciens,- 20 avocats, 7 journalistes, 4 photographes,
27 tailleurs, couturières et modistes, etc.
y Une correspondance arrivée de Madagascar par le Melbourne
t annonce que le général Gallieni vient de prendre plusieurs arrêtés
qui marquent une nouvelle étape dans le développement et l'organi-
sation progressifs de la colonie.
Les trois cercles militaires de Tulear, Mandritsara et de la
. Grande-Terre sont transformés en provinces et ont été placés, à la
:? date du 15 décembre, sous l'administration civile.
Le fait que cette mesure a pu être prise montre qu'on est certain
l désormais de la sécurité et de Tesprit des indigènes dans ces régions
où la pénétration et l'occupation avaient présenté de sérieuses diffi-
cultés.
La colonisation militaire notamment continue à donner de bons
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES lÛt
résultats. Il est intéressant de signaler en particulier qu'ellt* u
réussi presque partout sur le plateau central, grâce à la recomman-
dation, suivie d'effet, quia été faite aux soldats-colons d'éviter <h>
se lancer dans de trop grandes entreprises, ou de tenter lI*\s
expériences cuUurales que la composition assez pauvre du sol d*'s
régions centrales rendrait des plus aléatoires. On compte actuellt-
mcnt 56 soldats-colons, presque tous sur le plateau central.
m. — AMÉRIQUE.
États-Unis. — Le traité pour U canal de Panama, — Un traité vioni
dVtre conclu, à Washington, entre la Colombie et les États-Uni-,
touchant les conditions dans lesquelles les Ëtats-Unis obtiendrortt
l autorisation d'achever le canal de Panama. Ce traité, qui est Im s
long contient notamment les clauses suivantes :
Les territoires situés dans la zone du canal seront neutres. Les Eçaf^*
Unis garantiront la neutralité de ces territoires et la souveraineté de fi
ColomJjie sur eux.
Une commission américano-colombienne sera créée pour élaborer h*
rr^glement de police et d'hygiène, et les faire appliquer.
Les États-Unis répudient toute intention de porter atteinte en quoi «)tii»
ce soit à la souveraineté de la Colombie ou d'augmenter leur territoiin
jjx dépens de la Colombie ou d'autres républiques de TApérique centrair
i de l'Amérique du Sud. Ils désirent au contraire accroître la puisj^iLii^'^
i^ ces républiques, faire naître, développer et maintenir leurprospériîi* v\
I-ur indépendance.
La Colombie s'engage à ne céder ni louer à bail, à aucune puissaiirf.
accan des territoires situés dans certaines limites définies, pour y établii
cne station de charbon ou pour tout autre objet qui pourrait comun--
mettre la construction, la protection, la sécurité et le libre usage du cartnl.
Les États-Unis aideront matériellement la Colombie pour emprtiîh i
luute occupation desdits territoires.
Panama et Colon sont déclarés ports francs pour les navires et les nini
chandises devant passer par le canal.
Le canal sera ouvert à la navigation dans les quatorze années qui ^fl -
Tront réchange des ratifications de la convention.
Nous ne pouvons, pour notre part, que nous féliciter de la coni hi-
sion de celte entente entre la Colombie et les Étals-Unis, pus-
qu'elle était indispensable pour la reprise et Tachèvement de Toeuvi
française commencée par M. de Lesseps.
Venezuela. — Le conflit avec les puissances, — Les événements ^ni
pris, un moaoent, au Venezuela, une singulière tournure du fait fî
l
198 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Tattitude assez déconcertan:ite de rAUemagne. Puisqu'on était tombé
d'accord pour régler à Tamiable le différend survenu entre le pré-
sident Castro et les puissances, il semblait que la période militaire
du conflit eût dû prendre fin. M. Bowen, le ministre des Etats-Unis
chargé des intérêts du Venezuela, élait parti pour Washington,
où il allait prendre part à la conférence diplomatique des représen-
tants des puissances co-intervenantes, laquelle devait préparer le
récours au Tribunal de La Haye, sinon même régler directement
toutes les questions en litige. Dans ces conditions, on était allé
jusqu'à suggérer, surtout aux Etats-Unis, que le blocus des côtes du
Venezuela n'avait plus aucune raison d'être. Sans pousser les choses
si loin, on pouvait du moins estimer que, le blocus continuant, il
ne pouvait plus être question d'actes de guerre.
Or, des actes de guerre se sont produits, aussi graves qu'inexpli-
cables. Sans qu'on sache encore trop pourquoi, la canonnière alle-
mande Fanthersi\o\x]\x forcer l'entrée du lac de MaracaYboet a engagé
un duel d'artillerie avec le fort de San-*Carlos, qui commande la
passe. Après avoir perdu deux hommes et eu quelques blessés, elle a
dû se retirer devant le feu des Vénézuéliens.Mais le reste de l'escadre
allemande est venu à la rescousse, et un combat plus sérieux encore
que le précédent s'est engagé, qui s'est terminé par la prise du fort
et sa destruction.
Toutefois, pendant ce temps, les négociations se poursuivaient
régulièrement à Washington et M. Bowen se montre toujours très
optimiste quant à l'heureux résultat de ses conférences avec les re-
présentants des puissances alliées.
Il serait certainement très désirable de voir enfin terminé un con-
flit qui n'a que trop duré pour les intérêts généraux de l'Amérique
et de l'Europe. Il restera à déterminer et à expliquer la part de res-
ponsabilité de chacun et notamment à dégager quel a été le véri-
table mobile de l'Allemagne en cette affaire. C'est une étude que
nous nous proposons d'ailleurs de faire incessamment.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — ASIE.
Indo-Chine. — Le commères et la navigation. — Le ministèrr do^ï
Colonies vient de recevoir du gouverneur général de rindo-Chiîio \m
rspport présentant le mouvement du commerce et de la navigalion
de cette colonie pendant le premier semestre 1902.
Le commerce extérieur s'est élevé, pour ce semestre, à 202.19:i.7Hr»
francs, chiffre supérieur de 40.303.962 francs à celui de la période
correspondante de l'année 1901.
Cette très forte plus-value se répartit entre les importations ot les
exportations.
A l'importation, le mouvement avec la France donne la pres4[ui'
totalité de l'augmentation constatée. Il est dû principalemenl iy
1 énorme quantité de fers, rails, etc., nécessités par la constnn linu
des chemins de fer.
A l'exportation, la plus-value est provoquée par les sorties des riz
à destination des divers pays de rExtrème-Orient. 11 résulte surtout
de ce fait que l'exportation a été régulière cette année.
Le mouvement de la navigation présente, au total, une différence
en faveur de 1902 de 105 navires et de 111.243 tonneaux.
Dans ce mouvement, l'Allemagne occupe toujours le premier raii^^
tant par le nombre de ses navires que par leur tonnage totil : \:\
France vient en seconde ligne, suivie de l'Angleterre et de la Norv< ^f.
Ces quatre puissances fournissent d'ailleurs le mouvement pre^r[ii(^
entier de la navigation.
II. — AFRIQUE.
■adagascar. — La situation économiqtM. — Le général Gallienî vii nt
de faire publier sur la situation économique de Madagascar en llHH
on document tout à fait remarquable où toutes les questions relaf < ves
non seulement au commerce, mais encore à l'industrie, à l'agrii lil-
tare et à la colonisation sont passées en revue. L'Union colorn;i|+^
française a eu l'heureuse idée de demander, à propos de cet ouvra |:(e,
une conférence à M. Clément Delhorbe, secrétaire général du coruitr*
de Madagascar. Aussi, hier soir, les convives que réunissait le diiu r
mensuel de cette Société ont-ils eu sur Madagascar les rensei^nn-
ments les plus intéressants.
M. Delhorbe, qui a, à diverses reprises, voyagé dans la grandi* Wc,
200 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
et qui, de par ses fonctions au Comité de Madagascar en suit la vie
pas a pas, a fait un tableau très pittoresque et cependant très précis
des progrès réalisés depuis 1896. A cette époque, le commerce de
Ma^lagascar n'atteignait que 17 millions et demi. Il a été, en 1901,
de oii millions. Cette progression est belle, elle l'est plus encore si
l'oD songe que de 1896 à 1898, premières années du gouvernement
du général Gallieni, il a fallu réprimer Tinsurrection et ne se préoc-
cuper que bien peu du développement économique.
Aujourd'hui, tout est changé et la sécurité qui règne dans Tlle per-
met de travailler sans distraction aucune à la mise en valeur. Les
n^^ultats déjà obtenus sont tels que, dans aucune autre colonie dans
le jiionde, on n'en peut trouver d'analogues réalisés en si peu de
temps. Madagascar a construit des routes, balisé ses ports, ouvert le
unnal des pangalanes, inauguré le premier tronçon de son chemin de
IV r, établi des lignes télégraphiques, fait de Diégo-Suarez une place
forle de premier ordre, recruté des commerçants, des colons, naéme
însiuUé un théâtre. Il ne faut que continuer dans la voie si largement
tracée si on veut faire de Madagascar ce qu'elle doit être, une grande
colonie prospère.
La conférence de M. Delhorbe a été très applaudie. Plusieurs
des points que l'orateur avait touchés ont provoqué de la part de
quelques auditeurs des observations non moins intéressantes d'où on
a pu conclure que, si à Madagascar les impôts, et le gouverneur en
est iui-méme convaincu, auront besoin d'être remaniés non pas
quant à leur chiffre global, mais quant à leur répartition, l'avenir
commercial pouvait être attendu brillant par suite des besoins énor-
mes de bétail qu'a l'Afrique du Sud et que Madagascar peut très faci-
lement satisfaire.
III. — AMÉRIQUE.
Canada. — Le commerce extérieur, — Un état préliminaire des
rèf^iiilats du commerce extérieur du Canada du 1" juillet 1901 au
30 Juin 1902 qui vient d'être publié, donne les chiffres suivants :
D'abord un tableau comparatif des exportations et importations des
cinq dernières années :
Années Exportations Importations
1902 S 2it .725.763 $ 202.791 .575
1901 196.487.632 181.237.988
1900 191 .894.723 180.804.316
1899 158.896.905 154.051 .593
1898 164.152.683 130.098.006
RENSEIGNICMENTS ÉCONOMIQUES 201
AiDsi on peut dire que le commerce du Canada a augmenté, en
chiffres ronds, de $ 120.250.000 en cinq ans, dont $47.500.000 pour
les exportations et S 72.750.000 pour les importations.
Le commerce spécial, en ce qui concerne les exportations, ne
comprenant que les produits canadiens, donne la progression
suivante :
1902 $196.105.240
1901 177.431.386
1900 168.972.306
1899 137.360.792
1898 144.548.662
L'augmentation des exportations en commerce spécial est donc
de S 57.500.000, en cinq ans de plus de 33 % : et cette proportion
dépasse probablement tout ce qui s'est vu jusqu'ici dans l'histoire
des nations. Si la population n'a pas augmenté autant qu'on l'espé-
rait, on ne peut pas dire du moins que les Canadiens aient manqué
d'entreprise ni d'initiative commerciale.
L'augmentation se trouve d'ailleurs porter principalement sur la
production industrielle et agricole, comme on peut le voir en com-
parant les chiflfres 1901 et 1902 :
1901 1902
Minéraux $ 39.982.573 $ 34.947.574
Pêcheries 10.720 .352 14.059.070
Produits forestiers.... 30.005.857 32.119.429
Animaux et produits . . 55 . 499 . 527 59 . 245 . 433
Produits agricoles 24.977.662 37.238.165
Produits industriels. . . 16.012.502 18.462.970
Divers 44.642 32.599
Le rendement de droits de douane a suivi une progression à peu
près égale :
1902 $32.423.862
1901 29.106 980
1900 28.889.no
1899 25.734.229
1898 22.157.788
i
ï
NOMINATIONS OFFICIELLES
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Sont promus dans la Légion d'honneur :
Au grade de commandeur :
M. Rouvier, minist. plénip. de i" cl., à Lisbonne.
Au grade d'officier :
MM. le comte de Turenne d'Ajnac, minist, plénipot, ; le marquis d'Héricourt,
coneul général k Leipzig, et de Roccà Serra, conseiller khédivial au Caire.
Au grade de chevalier :
MM. Deluns-Montaud, minisl. plénip.; Bernard, consul à Cagliari; Collomb,
consul à Trébizonde; Giamarchi, consul à Ostende; de la Bordère, consul à
Tambassade de Madrid; de Valicourt, consul & Valence; Bertrand, consul à Ben-
ghazi; Salin, chef de bureau; Petitpas La Vasselais, chef du service télégr. au
Ministère; Béon, secrél. de la Ch. de comm. française de Bruxelles; Wagner,
rédacteur en chef de l'office télég. central du Temps à Vienne ; Fourrière, direct,
de la Comp. franc, de TA. O. à Liverpool ; le D** Robert, méd. de la Société franr.
de bienfaisance de Madrid; le D*" Rouvier, profess. à la Faculté de méd. de Beyrouth :
M. Blanc, industriel à Turin.
L'exequatur a été accordé à :
M. José Teixidor y Jugo, consul d'Espagne à Toulouse ;
M. Rafaël Osorio, consul de Colombie à Saint-Nazaire ;
M. German BûUe, consul du Mexique à Lyon ;
K: M. Rufino de la Serna, consul de la république Argentine au Havre ;
E ' M. Pablo Brandela, vice-consul de la république Argentine à Pau ;
]'.-. M. E. Tournut, vice-consul des Pays-Bas à Arzew (Algérie) ;
K M. Arthur Valabrègue, agent consulaire d'Italie à Montpellier.
i- MINISTÈRE DE LA GUERRE
TronpeN métropollUilnes.
; GBNIE
^ Afrique Oooldentale. — M. le capit. Mathy est désig. pour servir au Sénégal.
\ GENDARMERIE
f Quyane. — M. le capit. Beck est désig. pour servir à Cajenne.
SERVICE VÉTÉRINAIRE
^'' Indo-Ohlne. -* M. Berque, vétér. en i", est désig. pour servir aux batt. de la
brig. de réserve de Chine au Tonkin.
SERVICE OE LA TRÉSORERIE
^ Ohlne. — M. Mitre, payeur partie, de 2« cl, au corps d'occupat., est nommé
] chevalier de la Légion d'honneur.
Trovpes eolovlales.
INFANTERIE
Afrique Oooidentale. — Sont nommés :
Command. du l*** territ. milit. à Tombouctou, M. le lieut.'Col. Dagneaud ;
Oommand. du cercle de Kong, M. le chef de bat, Siere;
Adjoint au command. du 2* territ. milit., M. le capit. Haillot;
Adjoint au command. du 3* territ. milit., M. le capit. Sourisseau;
Command. du cercle de Dori, M. le capit, Stauber;
Command. du cercle de Yatenga, M. le capit. Noire ;
Command. du cercle de Mossi à Ouagadougou, M. le capit, Pinchon ;
Command. du cercle de Zinder, M. le capit. Buck;
Command. du secteur de Bandama (Côte d'Ivoire), M. le capit. Talpomba;
Command. de la région de Lobi (Guinée), M. le capit. Bouchez';
NOMINATIONS OFFICIELLES
âo:^
Gommand. de la l»"» compag. des gardes-frontières du Sahel à Nioro, M. le capit,
Sognj; de la 2* compag. à Sokolo, M. le capit. Rajnal ;
Oommand. de la comp. des gardes-frontières de Kong à Dabakala (Côte d'Ivoire),
M. le eapit. Conrad ;
MM. les capit. Moriason et Desportes sont placés h Tétat^maj. des troupes
de lA. O.
Sont affectés : .
MM. les capit. Simonot au {•' sénégalais À Kaédi et Bruyère au bataill. de la
Célc d'Ivoire ; '
M. le lieut. Bock est affecté à l'ôtat-major des troupes de l'A. O. et M. le lient.
Feuillu est détaché auprès du gouv. général ;
M. le lieut. Chambert est nommé offic. de renseig. du i*^ territ. milit. à Tom-
bottctou ;
M. le lieut. Aymés est nommé offic. de renseig. du 2* territ. milit. à Bobo-Diou-
lasso;
M. le lieut. Poincelet est misa la disposit. du command. du l»' territ. milit.;
M. le lieut. Cabanes est mis à la disposit. du command. du 3* territ. milit. ;
M. le lieut. Collin est mis à la disposit. du command. du Baoulé (Cèle d'Ivoire) ;
M. le lieut. Pierre est mis à la disposit. du command. de Kong;
M. le lieut. MaFse est mis à la disposit. du command. du cercle de Macina;
M. le lieut. Verlaque est nommé command. du cercle de Gourounsi à Léo ;
M. le lieut. Langlumé est nommé adjoint au command. du cercle de Yatenga
à Léo;
M. le lieut. Barreau est nommé adjoint au command. du cercle de Bobo-Dioulasso ;
M. le lieut. Marc est nommé adjoint au command. du cercle de Lobi;
M. lé lieut. Goudalmaest nommé command. du cercle de Koury ;
M. le lieut. Quillichini est nommé command. du cercle de Djerma;
M. le lieut. Bertrand est nommé command. du cercle de Zinder ;
M. le lieut. Schiffer est nommé command. du cercle de Kong (Côte d'Ivoire) ;
M. le lieut. Carpentier est nommé adj.' au command. du cercle de Baoulé-Nord
(Côte d'Ivoire) ;
M. le lieut. Guignard est nommé administ. de Grand-Lahou (Côte d'Ivoire) ;
M. le lieut. Castaing est placé à la !'• compag. des gardes-frontières du Sahel
à Goombou ;
M. le Ueut. Venet est placé à la l" compag. des gardes-frontières du Sahel à
Sokolo ;
M. le lieut. Gâteau est placé à la compag. des gardes- frontières du Sahel de
Macioa;
M. le lieut. Fourcade est placé à la compag. des gardes-frontières du Sahel de
Mossi à Tengodogo ;
M. le 80U8-lieut. Philippe est placé à la compag. des gardes-frontières de Kong
(Côte d'Ivoire) ;
M. le lieut. Perrière est détaché à la flottille du Niger;
M. le lieut. Etienne est nommé trésorier du 14* colonial ;
M. le lieut. Eymard est nommé ofilc. d'habill. du 14* colonial ;
M. le lieut. Blaive est nommé porte-drapeau du 1*' sénégalais :
MM. les lieut. Bosch et de Moustié ; les sous-lieut. Duhamel et Raymond sont
affectés au !•' sénégalais;
MM. les lieut. Marin, Roussel, Bonnet et Perrin sont affectés au 2* sénégalais;
MM. les lieut. Gâté, Maille et Blanchard, sont affectés au bataill. de Zinder ;
M« le lieut. •colonel Destenave est promu chevalier de la Légion d'honneur.
OoniTO. — M. le capit. Probst est nommé adj.-maj. du rég. indigène du Congo;
Onjane. — M. le capit. Chabalier est désig. pour servir à la Guyane,
Indo-Chine. — Sont affectés :
MM. le colonel Dumont, au 3* tonk. ; les chefs de bat, Baudouin, au 5* tonk., et
Gary, au 18* colonial; les capit. Cibaud, à l'état-maj. partie, et Noguès, à l'état-
maj. de la brig. de réserve de Chine au Tonkin ; les lieut. Lucas, au 2*^ tonk. ;
Carassoo, au 9* colonial, et Dubois au l*' tonk. ;
M. le lieut. Giraud est désig. pour servir en Cochinchine ;
M. le lieul. Albrecht est affecté k la comp. de tirailleurs cambodgiens.
204 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
M. le lieui.-col. Brenot est nommé command. de la défense du cap Saint- Jacques .
M. le capit. Fouquet est nommé adjudant-major au rég. de tiraill. annamites.
Sont désignés pour servir :
MM. le capit. Billes au 1*^ tonkinois : le capit. Sanceau au 3« tonk. ; le capit
Dupuis à l'état-maj. à Bac-Ninh; le capit. Philippe, et le capit. Peltier au 4* tonk. ;
le capit. Jarty au 2* tonk.; le capit. Godefroj et le lient. Butault au 9* colonial; le
lieul. Masson au ir tonk. ; le lient. Lenoir au 9* colonial, comme adjoint au tréso-
rier; le lient. Demante.au 4* tonk.; le lient. Noël au 2* tonk.
Sont affectés : * .
Au 4* tonkin. : MM. le chef de bataillon Tipveau; les lient. Gaurette et Mercier;
Au 2* tonkinois : M. le./i>u/. Jour^y;
A Téfat-maj. partie. : M. le lieul, Thierry.
M. le lient, -col. Diguet est nommé command. du 2* territ. milit.
M. le lieut.-col. Louvel est nommé command. des troupes à Quang-tchéou-wan.
MM. les lient. Theurej et Robert sont affectés au il* colonial en Cochinchine;
MM. les lient. Pochelu et Bernard sont placés au rég. de tiraill. annamites.
Madagascar. -^ Sont désig. pour servir :
Au l«c malgaches : MM. le capit. Milhau, les lient. Simon, Bornand et Talin
d'Eyzac ;
Au 2* malgaches : MM. le chef de batail. Robard; le capit» Chérel; les lient.
Lebaud, Brand et Guénot;
Au 3» sénégalais : MM. les capit. Quinque et Corre, les lient. Bloin, Durlot et
Brégand ;
Au bataill. de Diégo-Suarez : MM. le lient. Eliasgowiez de Gejsz et le aons-lieut.
Rouyez ;
Au i3« colonial : MM. les capit. Vézet, Labat et Rej, les lient. Delfaud, Jalat et
Leriche ;
Au 13« colonial : MM. les lient. Ribes et Brun.
M. le capit. de Rostang est désig. pour servir à Madagascar.
Sont désignés pour servir :
Au 3« sénégalais : MM. le capit. Tralboux, leB lient. Gontet, Musotte, Millasseau
et Lenhard;
Au i5* colonial • MM. le capit. Boutonnet, les lient. Guillot et Ga'net.
M. le lient. Gharnoz e.st affecté au bataill. de Diégo-8uarez.
ARTILLERIE
Afrique Oooidentale. —M. le chef d'escadron Bernardy est nommé ^com-
mand. sup. des troupes d'artillerie au Soudan.
M. le capit. Esmenjaud est affecté à la Compagnie de conduct. au Soudan.
M, le capit. Gillet est désig. pour la i**" batt. bis à Dakar.
M. le capit. Ducatillon est désig. pour servir à la Côte d'Ivoire.
M. le capit. Thiéry est désig. pour servir à la Côte d'Ivoire.
MM. le capit. Heyd et le sous-lieut. Tisseyre sont désig. pour serv'rau Sénégal.
Indo-Chine. — M. le colonel Richard est désig. pour servir au Tonkin.
M. le capit. Constant est désig. pour servir à la brigade de réserve de Chine au
Tonkin.
M. le capit. Schultz est désig. pour servir à la 4* batt. du groupe de réserve au
Tonkin.
M. le lient. Rodallec est désig. pour servir au Tonkin.
Sont désignés pour servir :
A la direct, du Tonkin à Hanoi, M. le chef d'escad. Ramade;
Au rég. du Tonkin (4» gr.) à Hanoï, M. le chef d'escad . .BArbier ;
Au rég. de Cochinchine au cap Saint-Jacques, M. le chef d'escad. Delestre ;
A la 4* batt. du gr. de rés. de Chine à Son-tay.< M. le capit. Bianchi;
A la direct, du Tonkin à Halphong, M. le capit. Prado ;
A la direct, du Tonkin à Hanoi, MM. les capit. Petiot et Couarde;
A la lo« batt. à Quang-tchéou-wan, M. le capit. Salvat;
A la 12<! batt. au cap Saint-Jacques, M. le capit. Pocard du Cosquer de Kerviller;
A la 2' batt. du gr. de rés. de Chine à Dapcau, M. le capit. Camp;
A la direct, du Tonkin (chefferie de Cao-bang), M. le capit. Schultz;
NOMINATIONS OFFICIELLES 205
A la 4» batt. à Lang>son, M. le capiL Petitdent;
A la 18* batt. à Hanoi, M. le capit. Giraud ;
A la 8« balt. à Hongay^M. le capit, Hiestand;
A la suite du rég. à Hanoi, M. le capiL Queffélec;
A la 3* batt- du gr. de rés. de Chine à Sontay, M. le capil. Poutignat ;
A la T balt. à Hanoi, M. lé capit. Terrial ;
A la 18« batt. à Hanoï, M. le capit. Morlière ;
A la 5* batt. à Lao-kay. M. le capit. Colas ; ^
A la 7* batt. à Haiphong, M. le capit. Bourgoin (A.>L.).
A la 16* balt. à Hanoi, M. le capit. Le Roy d'EtiolIes;
A la 4« batt. (dét. à la chefierie de Hué), M. le capit. Bourrienne;
A la suite du rég. du Tonkin, M. le capit. Souriau ;^
A la 6* batt. à Sa!gon, M. le capit. Ouerrini;
A la 9* batterie (dét*. à la direct, de Cochinchine au cap Saint-Jacques), M. le
capit. Midol ;
A la suite du rég. à. Viétri, M. le capit. Boulanger;
A la i** balt. du gr. de rés. de Chine à Sontay, M. le lient. Civette:
A la 4* batt. du gr. de rés. de Chine À Sontay, M. le iieut. Derepas;
A la 5* comp. d'ouvriers à Hanoi, M. le lient. Madec;
A la 3* batt. à Saigon, MM. les sous-tient. Cauvin et Claquin;
A la 4* batt. du gr. de rés. de Chine à Sontay, M. le sous-tient. Jacquier;
A la $• balt. du gr. de rés. de Chine à Sontay, M. le sons-Ueut. Candelot;
A la 8« batt. à Moncay, M. le sous-lient. Diraison.
Madagascar. — M. le lient. -col. Fourcade est nommé direct, de l'artill. à
Diégo-Suarez.
MM. les capit. Sarrien, Mérier et le lient. FoUiet sont désig. pour servir i Mada-
gascar.
Sont désig. pour servir : • •
A la 5« batt. bis à Tananarive, M. le capit. Bourrât; au détach. de la 5' comp.
d'ouvriers, MM. le capU. Dalbavie pt le /tew/. Gauthé; à la 5« batt., M. le capit.
Robert ;
A la direct, de Tananarive, M. le capit. de Vignes de Puylaroques;
A la 2* batt. montée, M. \q capit. Joseph;
A la suite des batt., M. le capit. Dumont; '
A Tétat-major, M. le capH. Lemoine;
A la suite des* batt., M. le capit. Chéruy;
A la I» batt. à pied. M. le capit. Prévôt ;
A la suite des batt., MM. les lient. Garnier^ Rouanet et Beulaygue;
A la 7« batt. à pied, M. le lient. Lapeyre. ,
Hartinique. — MM. les capit. Bizard et Aulard et le sous-lient, Verlaque sont
désig. pour servir à la Mar.tinique.
M. le capil. François est affecté à la 2^ batt.
NoxLVelle-Calédoille. — M. le chef d'escadron Bonnardot est désig. pour ser-
vir en Nouvelle-Calédonie.
Réunion. — M. le capit. Girard est désig. pour servir à la Réunion.
M. le capit. Lemoine est adjoint au command. sup. des troupes. ♦
Officiers d'administration.
Indo-Chine. — M. Pleyber, offic. d'admin. de 2* p/., est désig. pour servir au
Tonkin.
M. le chef armurier Baine est désig. pour servir aux batt. de la brigade de ré-
serve de Chine au Tonkin.
SERVICE DB SANTÉ
Afrique Occidentale — M. le méd. aide-maj. Duperron est adjoint à la mis-
sion d'études du ch. de fer de la Côte d'Ivoire.
Indo-Chine. — M. le méd. ppal de 1»"«* cl. Debrieu est nommé direct, du ser-"
vice de santé de Tlndo-Chiae.
M. le méd. ppal de i'« cl. Hénaff est nommé chef du service médical de la Co-
chinchine.
M. le méd.-maj. de 2* cl. Poumayrac est désig. pour servir à la brig. de réserve
de Chine au Tonkin.
^
r
L
206 OUKSTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
MM. les méd. aides-maj. de 1^* cl, Carajon, Bourragué, Koun et Mouzels sont
désig. pour servir en lndo*Chine.
COaPS DU COMMISSARIAT
Quadeloiipe. — M. le cammigs, de 2* cl. Bousquet est design, pour servir à la
Guadeloupe.
Qayane. — M. le eommins. de 2« cl. Toussaint esl désig. pour senrir à la
Guyane.
Indo-Ohl&e. — M. le cammiss. ppal de 3« cl. JuUiot de la Morandière est désig.
pour le service administ. de Halphong.
M. le commise, de 1'* cl. Faulon est affecté au service admin. du 4* territ. milit»
à Laokaj;
M. le commiss. de i^^ cl, Motais est désig. pour le service admin. de l'Annam, à
Hué.
Sont désignés pour servir en Indo-Chine :
MM. lea commise, de !>'• cl. Varangot et Véron.
Océanie. — M. le commise, de 2« cl. Sossotte est design, pour servir à Tahiti.
Réunion. ^ M. le commiee, de 2« cl. Chabaud est désig. pour servir à la
Réunion.
HINISTÉHE DE LA HARIIVE
BTAT-MAJOR DB LA FLOTTE
Levant. — M. Venseign. de vaies. Lemaresquier est désig. pour embarquer ^ur
le Condor f k Constantinople. ^
Xera d'Orient. — M. le lieui. devaiee, Deman est nommé au com. de l'Estoc.
S ; M. le lient, de vaiss. Rigal est désig. pour embarq. sur le Montcalm.
M. Venseig, de vaise. Jpsset est désig. pour embarq. sur la Comète,
M. ïaspirant de !'• cl. Olive est désig. pour TExtréme^Orient.
Ooéan Indien. — M. le capit. de vaiss. Forestier est nommé au command. de
la division navale de l'océan Indien et de V In f émet,
SBBVICB DB SANTÉ
Mers d'Orient. — M. i« méd. de 2« cl. Prigent est désig. pour embarq. sur
la Surpriee.
huvistère des colonies
Par décret en date du 13 janvier 1903, ont été promus et nommés dans l'ordre na-
tional de la Légion d'honneur :
Au grade d'officier,
M. Bloch, directeur au ministère des Colonies.
Au grade de chevalier.
M. Gabelle, chef du cabinet du ministre des Colonies ;
M. Chambeurlant, sous-chef de bureau à l'adm. cent, du minis. des Colonies;
M. Samarj (Paul), gouvern. d^i^* cl. des colonies;
M. Paiihés, conseiller à la cour d*appel de Tlndo-Chine;
M. Chapeljnck, procur. gén. chef du serv. judic. du Sénégal;
M. De Lalande-Calan, adinin. de !'• cl. des serv. civils de l'Indo-Chine ;
M. Vergnes, admin. en chef de 2« cl. des colon, à Madagascar;
M. Thomann, administ. adj. de 2* cl. des colon, à la Côte d'Ivoire;
M. Galvan, chef de bureau de 1^ cl. des secret, gén. des colonies;
M. Naudot. chef du serv. de l'enregistr. et des domaines à la Guyane ;
M. Huet, insp. de i^* cl. de la garde civile indig. de Madagascar;
M. Depincé, ancien résident de 1^^ cl. en Annam et au Tonkin;
M. Cazeau (Louis), ingénieur à Hanoi ;
M. Cornet (Eruest), industriel à Pondichéry ;
M. Besson (Léon), commerçant à Madagascar;
M. Trouillet (Jean-Paul), publiciste;
M. Cousin, membre du conseil sup. des colonies;
M. Pielri (Nicolas), commis de direction des postes;
BIBLIOGHAPUIIS — LlVRbiS ET REVUES 207
M. Bobj de la Chapelle, recev. partie, des Gnances, est nomme directeur de la
banque de la Réunion ;
MM. Poroi (Adolphe), entrepreneur de travaux publics, et Vincent (Gusiav* ,,
ootaire. sont nommés conseillers privés titulaires du conseil privé des établissemerit»
rran(,*ais de l'Océanie, pour une période de deux années; et MM. Martin (Louis), m*-
gociant, Merihes (Henri), propriétaire, conseillers privés suppléants du même ccnt^oil
pendant la même période ;
M. Drollet (Edouard), négoc. présid. de la ch. de commerce de Papeete, uni
nommé, pour une période de deux années, délégué au conseil privé des établi^.^t;-
ments français de l'Océanie, pour la représentation des intérêts des lies Gambief^
Tubual et Râpa;
M. Rognon (Charles- Amédée), secret, général du gouvem. de la Guadeloupi;, a
été nommé secret, gén. de !'• cl. des colonie»;
M. Rey (Yictor-François-Frédéric) est nommé secrétaire général du gouverut?*
ment de la Nouvelle-Calédonie.
BIBUOGRAPHIE — UVRES ET REVUES
La colonisation ft^ançaise avec dea obsei^vations spéciales sur l'Afriiju&
occidentale, par L. Aspe-Fleurimont. Paris, Giard et Brière, 1902» ^r.
in -S®, 48 p. (extrait de la Revue internationale de sociologie).
Cette brochure est, sous des apparences modestes, un bon résumé i\e
notre œuvre coloniale et des conditions où elle s'accomplit. L'auteur, cou-
seiller du commerce extérieur, a professé l'an dernier à Caen un cours
libre sur la colonisation, et c'est en quelque sorte la somme de son ensei-
gnement qu'il livre aujourd'hui au public.
Après avoir établi par l'évolution des conditions économiques générales
la nécessité où s'est trouvée la France d'entreprendre l'œi^vre colonisatrice^
J indique comme indispensable de compléter l'action politique, aujourdhui
terminée à peu près, par une mise en valeur rapide des territoires occupr^.
On tiendra compte naturellement de leurs caractères divers : colonies do
peuplement, d'exploitation, de commerce, mixtes, mais toujours l'on ten-
dra, à la colonisation.
Au point de vue économique, la première question est celle du travail :
les commerçants ne font pas travailler au sens propre du mot, et, surtom
en Afrique, il nous faut recruter une main-d'œuvre abondante, stable ^r
peu coûteuse. Or nous n'en avons pu créer; la corvée, le contrat indivi-
duel libre, Témigration, voire Témigration forcée, ne peuvent sulïire. Pcui-
étre serait-il bon de généraliser le système imaginé par M. Doumer (arn Li*
»iu 26 août 1899) à Tégard de la main-d'œuvre libre tonkinoise : création do
livrets de travail et application de pénalités à l'ouvrier indigène qui n'aurait
pas tenu ses engagements.
L'auteur établit ses conclusions générales : dans tout notre empire exirsi-
furopéen, et surtout en Afrique, il nous faut trouver une main-d'œuvrt*
iboodante, des capitaux importants, un bon régime terrien. Nous ajoutOM>
que l'Etat devrait apporter son concours à l'initiative privée, sans jamai?i
viser à confisquer celle-ci.
Ouvrages déposés au bureau de la Revue.
La France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX* siècle, publiti^j^
sous la direction da P. Piolet, avec la collaboration de toutes les sociétés de mi>-
siona. — Illustrationa d'après des documents originaux. — Tome VI et derium.
208 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULKS
Missions d Amérique, La 84* livraison vient de paraître. Paris, 1903, librairie
A. Colin.
Théories de la colonisation au XIX*> siècle et rôle de VÈtat dans le développement
des colonies^ par Charles et Raymond Pbty de Thozbe. Un vol. ln-4» de 850 pages.
Ouvrage couronné par rAcadémic rojale de Belgique. Hajez, éditeur. Bruxelles,
1902.
Le Centenaire de Victor Hugo. Mémoires de la délégation de la ville de Prague,
rédigés par Emmanuel de Cenkov. Un vol. in-i^*. Prague, 1902.
Recherche d'une solution de la question indigène en Algérie, par Paul Azan. Une
broch. in-8* de 88 pages. Augustin Challamel, éditeur. Paris, 1903.
La question du Maroc, par Jean Hess. Un vol. in-18 de 458 pages. Dujarric et C<*,
éditeurs. Paris, 1903.
LES REVUES
I. — REVUES FRANÇAISES
Annales des seienees politiques (15 janv.), Z. : Les puissances maritimes en
Extrême-Orient. — L. Renault : Un premier litige devant la cour d'arbitrage de
la Haye. — P. de Rousiers : Le congrès de la houille blanche.
Annales coloniales (15 janv, et 1«' fév.). Enquête sur le Maroc : Que djBvons-
nous faire?
Bulletin du Comité de l'Afrique fl^rançalse (janv,). La situation nouvelle
au Maroc. — A.-H. Dyé : La délimitation de l'Ethiopie. — Victor Démontés :
Les oasis sahariennes. — Robert de Caix : Un livre anglais sur l'Ethiopie.
Bulletin du Comité de l'Asie Française {Janv.), Robert de Caix : La poli-
tique franco-siamoise et le traité du 1 octobre 1902. — Affairt^s de Siam. —
Jean Imbart de la Tour : Autour de TArabie. — Ed. Paybn : Le problème mo-
nétaire en Indo-Chine.
Bulletin de la Société de géographie de Marseille (3» trim. 1902). Paul
Caffarbl : Marseille capitale coloniale de la France. — Ernest Fallot : le Com-
merce et l'Industrie à Malte.
Journal des Chambres de eommeree (25 janv.). Henri Blancheville : Le
commerce français et les rapports consulaires. — Jules Rueff : La question du
métal-argent.
Le Mémorial diplomatique (11 et iHjanv.). B. S. : La question macédonienne.
La QuIuEulne eolonlale (25 janv.). J. Chailley-Bbrt : Le budget des colonies
pour 1903.
La Réforme économique (18 janv.). Ch. Gborgeot : L'importation des ma-
chines étrangères. — P. Vehgne : Les États-Unis et la culture du coton.
— (25 janv.). D. Aubry : La loi douanière allemande.
Revue commerciale de Bordeaux (16 janv.), Henri Lorin : Navigation flu-
viale et reboisement. — (23 janv.). Louis Laffitte : Le commerce maritime.
— A. Imbert : La production et le commerce des figues en Algérie.
Revue d'histoire diplomatique. C.-B. Favre : Politique et diplomatie de
Jacques Cœur. — P. Coqubllb : La Négociation de 1806 entre la France et
l'Angleterre. — Ed. Troplong : Relations diplomatiques de la France et de la
Russie au commencement du xix* siècle.
Revue générale des sciences (15 janv.), J. Machat : La Géographie physi-
que du Maroc.
IL — REVUES ÉTRANGÈRES
* Revues belges.
Bulletin de la Société d*étndes coloniales (janv.). Octave Collet : Le
tabac à Sumatra.
Belgique coloniale (18 janv.). R. V. : La situation au Maroc.
L'AdministraUur-Oèrant : P. Campain.
PARIS. — IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17.
APERÇU DE QUELQUES SOMMAIRES
Somma tre da n* 134
••* : L œurre française en Afrique occidentale. — B. Peyralbe : Lô percement du Sim-
p!on. — Xieag-L'a : La défense maritime des Colonies (suite et fin),^ J.-U. F. : Bizerle,
d'après une éluàe de M. Hené Pinon,
Cartes fi snvsres : I- Carte des Toies de communications entre l'Angleterre, la France,
riialie et le Levant. — II. Madagascar, Maurice et la Réunion. — Ilf. Méditerranée
Occideniale.' — IV. Afrique Occidentale.
Sommaire du n» tSS
Kabert de Caix : Affaire» da Siam. — J. Denais-Darnays : Fédéralisme et socialisme
en Aostralaaie. — Heari Lorio : Impressions sur THlspafi^e d'aujourd'hui.
Carten et gravures : I La presqu'île de Malacca. — II. Carte de l'Australasie.
Somauilre du n» 4 36
*** : Le traité franro-siamois. — Keoè Henry : Le rapprochement franco-italien. *-.
Aagaste Terrier : La délimitation de Zinder.
Cartes et Gravares : L Carte du Siam. — IL La nouyelîe frontière franco-siamoise. —
111. Afrique occidentale française, 3* territoire militaire.
Sommairo du n<> 4 37
Heiri PcBsa : L'arenir de la Tunisie. L'industrie européenne et l'industrie indigène. —
**' : L'œuvre française en Afrique Occidentale. — Henri Bubler : Les coulisses du
jangermanisme autrichien. — René Moraux : Lo premier congrès colonial allemand.
Cartes et gravares : Carte de TAfrique Occidentale.
Sommaire du n<» 4 38
*** : Le livre jaune et les affaires de Siam. — E. Peyralbe : France et Simplon. —
Paal I^bbé : La région du fleure Amour.
Cartes et gravares : 1. Graphique comparatif des projets Frasne-Vallorbe et de la Fau-
«cille. — IL Carte des voies d'accès au Simplon.
Sommaire du n» 130
Kttn CBqaêta : A propos des affaires de Siam : Opinions de MM. Godin, le Comte
«i'Aanay, Berthelot, Le Myre de Vilers, Denys Cochin, Flourens, Senart. et du journal
Le Temps, — Manriee Baret : Les Tilles do santé dans nos Colonies. — Georges
Bsklcr : La lutto tchèque-aUesnandc
Caries et gravares : Répartition des nationalHés en Autriche-Hongrie.
Sommaire do n? 140
>etre aiqméte s A propos des affaires de Siam; opinions de MM. François Deloncle, lo
UroD d'ÊstoarneUes, de Constant, OerviUe-Réache, H. Cordier, Marcel Monnier,
C&aries Lemiro. ~ *'* : L'œuvre française en Afrique occidentale. — Pani Labbé :
La région du fleuve Amour, la province Maritime.
Cartes et gravares : I. Les nouvelles délimitations des colonies de TAfrique occidentale.
— II. La région du fleuve amour.
Sommaire do n» 141
%»iÊ%-GenÊain, sénateur d'Oran : La question du Maroc. — Le Myre de Vilers, ancien
député de la Cochinchine : La crise de Tardent en Indo^Chine. — *'* : Le conflit
asflo^ germano-vénézuélien. — René Basset, directeur de 1 École supérieure des Lettres
d'.Uger : Le XIII* congrès international des orientalistes à Hambourg. — René Piuon:
La missions catholiques françaises au six* siècle. — L. Brnnet,- député de la, Réunion:
Madagascar. — Les territoires militaires.
Cartes et gravares : Carte du Maroc. — Carte du Venezuela.
Sommaire da a* i 49
*~ : Notre expansion coloniale et les partis politiques. — René Henry : La question de la
Eacêdoine. — X. : La question du Maroc. — Notre Enquête : A propos des atfaires de
Sîsa; opinions de M. G. Chastenet, d*nn collaborateur d'Ëxtréme-Orient. du M. Robert
àtC9iT{Joum€U des Débals); protestation de TAssociation des écrivains militaires,
i^htimes et coloniaux, Président, M. H. Houssi^e.
Ciftcs et gravares : I. Péninsule des Balkans : indications orographiques. — IL La
Tsiquie d'Snrope. — III La Péninsule des Balkans d'après le traité de San-Stcfano.
PRIIMES A NOS ABONNÉS
Uadministratioii de la Revue se cl^arge, à titre gracieux, de tous
les adiats et expéditions de livres, cartes géographiques, aux prix
de Paris, pour ses abonnés de province, des colonies et de Tétranger :
s adresser directement à Tauministrateur de la Revue, 19, rue
BOHAPARTE, Paris, VI».
a Cl n iz a n a a a a
n^DENTIFRICES
ÉLIXIR, POUDRE et PÂTE
des RR. PP.
BENEDICTINS
de r
de
A. SEGUIN, BORDEAUX
Membre du Jury, Hors Concours
Exposition VaiTerseUo Faris 1900
MODÈLE du FLACON
Cl n n 11 u a ci u n li
OLIVER
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. d*aetlTlti«
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•Anillr* 144 15 rÉYRIER 1903
QUE 8TIO]>Sr^^
Diplomatiques et CtttOfiiies
REVUE DE POLITIDUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LB !•' ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
H ^ I I
SOTVdTMLAJUElS
%
PAgM
: Fallût Le commerce du Sahara 209
i crges Bohier La question du Venezuela 226
l:f'ulés FIgueiras... Une première occupation allemande au Venezuela
(XVr siècle) 240
^:nel Louis«Jaray. . La presse politique en Bohême, Moravie et Silésie. 245
^âasdgnements politiques 259
S&aeipements économiques 205
feninations olf icielles 208
tibliographie — Livres et Revues 271
■ne da Sahara 212 et 213
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Déposant. Les intérêts sont représentes par des Bons d'inté-
rêts également à ordre ou au porteur, payables semestriel-
lement ou annuellement, suivant les convenances du Dépo>
sant. Les Bons de capital et d'intérêts peuvent être en-
dossa et sont par conséquent négociables.
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Deauville, Dax, Hoyat, Le Havre, La Bourboule, Le Mont-
Dore, Bagnôres-de-Luchon,eic. ; ces agences traitent tou-
tes les opérations, comme le siège social et les autres
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QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
LE COMMERCE DU SAHJ^À "
Depuis Tantiquité la plus reculée, les nations de TAsie ou de
FEurope ont entretenu des relations commerciales avec la partie
da continent africain à climat tropical, que Ton connaît sous
le nom de Soudan. Le plus ancien des historiens, Hérodote,
qui vivait au v* siècle avant notre ère, a conservé le récit du
voyage effectué dans ces régions par cinq jeunes gens de la
peuplade des Nasamons, qui nomadisait entre la Grande-Syrte
et I oasis d'Aoudjila. En véritables précurseurs des explorateurs
modernes, ces jeunes gens, poussés par l'amour des découvertes,
s'enfoncèrent dans le Sahara, dans la direction du Sud-Ouest.
* Ils franchirent un vaste espace sablonneux, et après bien des
* jours de naarche, ils aperçurent dans une plaine des arbres
- venus naturellement*. » Le pays était habité par des nègres
qu'ils prirent pour des enchanteurs. Faits prisonniers, ils tra-
versèrent une région de marécages et arrivèrent dans une ville,
bâtie auprès d'un grand fleuve, habité par de nombreux croco-
diles, qui coulait de l'Ouest à l'Est, et qu'Hérodote prit pour la
branche supérieure du Nil. On se trouve évidemment en pré-
sence du récit d*un voyage au Soudan .et aux rives du Niger *.
Les relations avec le pays des nègres ont continué sans inter-
ruption à travers les siècles. Leur point de départ unique
I Histoires d'Hérodote, II, 32.
• Un ««Tant commentateur de ce texte, M. Vivien de Saint-Martin, prétend que
les Nasamons visitèrent l'oasis d'Ouargla. La direction suivie par les voyageurs, la
description du pajs visité, la mention d'un fleuve analogue au Nil, l'observation
relative à Texistence d'arbres « venus naturellement », ce qui n'est pas le cas du
psilinier, tout proteste contre cette interprétation. L'impression rapportée par les
Nasamons d'une contrée où tout était nouveau pour eux et leur paraissait merveil-
kax, qui les portait à se demander s'ils n'avaient pas rêvé, s*ils n'avaient pas été
les jouets de puissants enchanteurs, est très naturelle chez les premiers explorateurs
da Soudan. Elle ne s*exp tiquerait pas si les Nasamons avaient vi.«ité Ouargla, où ils
n'aaraieat rien trouvé qui différât sensiblement de ce qu'ils voyaient chaque année à
Aoudjila Un voyageur contemporain, M. Emile Baillaud, a écrit récemment : « Le
Niger »cra pour moi une de ces contrées d'où Ton revient comme d'un rêve. » {Sur
Uf routes du Soudan^ p. 89.) N'est-ce pas la même idée, exprimée à vingt-cinq
»êdes d'iotenralle, sous la forme propre à chacune des deux époques ?
QtxiwT. DiPL. BT Col. — t. xv. — n» 144. — 15 février 1903» 14
210 QUESTIONS DIPLOMATIQUES JST COLONULES
a été jusqu'à une époque assez récente l'Afrique méditerra-
néenne, la Berbérie, où les peuples civilisés d'Asie et d'Eu-
rope se sont établis de très bonne heure, parce qu'ils y ont
trouvé un climat et un sol presque identiques à ceux de leur
pays d'origine. De là ils dominaient les routes qui gagnent le
Soudan à travers le Sahara, cet immense désert interposé
comme une barrière ininterrompue qui se dresse entre les pla-
teaux de4a Berbérie et les vastes plaines et les larges vallées du
Soudan. Depuis l'antiquité, l'Afrique Mineure a servi de base
d'opérations aux transactions commerciales entretenues aVec le
Soudan. C'est par l'intermédiaire des caravaniers que Ton a
obtenu les premiers renseignements sur ce pays des noirs, si
longtemps mystérieux et qui vient seulement de livrer ses der-
niers secrets.
Ce commerce transsaharien, dont on a souvent exagéré l'im-
portance, a été cependant assez considérable pour faire la fortune
d'Ouargla, qui fut une grande ville au xiv* siècle de notre ëre,
et celle de Djerba jusqu'au milieu du xix" siècle, et pour amener
de nos jours la prospérité de Tripoli. Depuis une trentaine
d'années il a subi une décroissance presque continue sous Tin-
fluence de trois causes différentes : le manque de sécurité des
routes qu'il devait parcourir; les révolutions successives et les
guerres dévastatrices dont le Soudan a été le théâtre ; enfin
l'ouverture de courants commerciaux concurrents dirigés vers
la côte occidentale depuis que des comptoirs européens s'y sont
établis et que leur zone d'action s'est étendue progressivement
vers l'intérieur du continent. De ces trois causes de décadence,
la seconde disparait par suite de la pacification du Soudan ; la
première est appelée à s'atténuer de plus en plus à mesure que
la France remplira mieux dans le Sahara la mission de police
dont elle a accepté la charge par les arrangements internatio-
naux qu'elle a signés ; la troisième au contraire est permanente
et prendra chaque jour plus de force. Plus la colonisation euro-
péenne s'affermira dans le Soudan, plus elle développera les
moyens de transport et les voies de communication, et plus les
ports de la côte occidentale verront leur trafic s'accroître. Est-ce
à dire que la totalité des produits du Soudan prendront cette
voie nouvelle, et que l'antique commerce des caravanes dispa-
raîtra complètement devant les progrès de la colonisation euro-
péenne au Soudan ? Cette opinion rencontre depuis quelques
années de nombreux partisans. Elle ne semble pas cependant
pleinement justifiée. En effet, chacun des ports qui seront amé-
nagés sur la côte occidentale deviendra évidemment le centre
d'une zone d'attraction pour les produits à exporter et de distri-
LE COBfMERGE DU SAHARA 211
bution pour les produits à importer. Mais Tétendue de cette
zone ne sera pas illimitée; elle sera déterminée par des condi-
tions de topographie locale et aussi par des copditipns écono-
miques, telles que le coût des transports comparé à la valeur
des marchandises. Certaines régions éloignées de la mer, et par
conséquent voisines du désert, auront probablement toujours
a^^ntage à utiliser les voies septentrionales. Il serait d'ailleurs
bien étrange que le résultat de rétablissement de la civilisation
européenne, à la fois dans les pays situés au Nord et dans ceux
situés au Sud du Sahara, fût de mettre lin aux relations entre
ces pays qui, malgré des difficultés énormes, avaient toujours
existé auparavant. S'il en était ainsi, la colonisation de
TAfrique aurait pour conséquence de rendre infranchissable la
barrière désertique qui coupe le continent en deux parties, et de
plonger dans une mort définitive et irrémédiable toute une
région du globe. Cette victoire admirable de Thomme sur la
nature indomptée, que des sauvages, réduits à leurs seules
forces, ont su remporter pendant des siècles en traversant le
Sahara, la civilisation y mettrait un terme en la rendant
inutile ! Une telle supposition est inadmissible.
Certainement l'avenir du commerce saharien est limité ; il est
peu de chose si on le met en parallèle avec les perspectives infi-
nies qui s'ouvrent devant celui de la côte occidentale. Mais il ne
disparaîtra pas. La colonisation, qui apporte avec elle le progrès
partout où elle s'installe, ne peut pas tarir la seule source de vie
qui existe dans la plus grande partie de ces contrées déshéritées :
le coinmerce de transit.
Il serait même regrettable de voir se produire cette éventua-
lité que quelques-uns envisagent avec sérénité. Dans une
région aussi pauvre que le Sahara, où la culture n'est possible
que sur les espaces restreints que couvrent les oasis, le com-
merce de transit — avec l'industrie des transports et Félevage
des bétes décharge qui en découlent — est le seul moyen d'exis-
tence honnête que puissent connaître les populations. Si nous
voulons, comme nous en avons accepté la tâche difficile, y faire
régner une sécurité au moins relative et mettre fin au brigan-
dage, nous avons un intérêt politique de premier ordre à favo-
riser le maintien de courants commerciaux réguliers entre le
Soudan et TAIgérie-Tunisie. La question du commerce saharien
mérite l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'avenir de
notre empire africain. Pour la traiter utilement, il est néces-
saire de ne pas se laisser égarer par les mirages nés dans l'ima-
gination de certains voyageurs enthousiastes, mais de réduire
les choses à. leurs proportions exactes et de se placer sur le ter-
CARTE
DU
SAHARA
214 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
rain solide de la réalité, le seul qui convienne aux commerçants
et aux hommes d'affaires. C'est dans cet esprit que j'ai eu
l'occasion de l'étudier dans l'extrême Sud de la Tunisie, au
cours de deux missions successives que m'avait confiées le
Gouvernement du Protectorat. L'enquête à laquelle je me suis
livré, dans cette partie reculée et rarement visitée de nos posses-
sions, m'a conduit à la conviction que, si le commerce français
ne doit pas compter sur le Sahara pour édifier de grandes et
rapides fortunes, il aurait tort cependant de négliger complète-
ment ce pays, et que, s'il sait utiliser avec prudence et sagacité
les éléments qui sont à sa disposition, il y trouvera une rému-
nération avantageuse de ses capitaux.
On a souvent comparé le Sahara à une mer. Cette compa-
raison, qui était devenue classique, vérification faite par de
nombreux explorateurs, s'est trouvée inexacte au point de vue
topographique. Elle ne peut s'appliquer qu'aux régions recou-
vertes de dunes de sable, éveillant assez exactement l'idée de
vagues furieuses subitement solidifiées, qui n'occupent qu'uoe
faible partie de la superficie totale du Grand Désert. Mais si l'on
se place au point de vue économique, on est frappé de voir la
vieille comparaison revêtir un caractère frappant de vérité.
Comme l'Océan, le Sahara est un immense espace inutilisable
pour l'industrie humaine, que l'on traverse sans y séjourner,
au milieu duquel les seuls points habitables et exploitables,
disséminés comme des îles, sont les oasis. Les pays qui l'envi-
ronnent au Nord et au Sud jouent le rôle de véritables rivages,
et les villes où aboutissent les caravanes après la pénible tra-
versée du désert sont appelées, dans le langage imagé des
Arabes, des ports. Les oasis, seuls lieux de culture et d'habita-
tion permanente, sont des escales de ravitaillement; quand les
caravanes les ont quittées, elles sont abandonnées à elles-
mêmes, livrées à leurs seules forces et à leurs ressources pro-
pres, exactement comme un navire en pleine mer. Elles ne
peuvent compter, pour ne pas mourir de faim, que sur les
vivres qu'elles transportent avec elles ; elles doivent même se
munir de l'eau nécessaire à leur subsistance pendant un nombre
de jours qui atteint quelquefois dix à douze. Comme aux
époques où la sécurité des mers n'était pas assurée, elles sont
obligées de se protéger par une force armée capable de résister
aux attaques des pirates.
Ces rapprochements permettent de se rendre compte des con-
ditions exceptionnelles dans lesquelles s'exerce le commerce du
LK COMMERCE DU SAUARA 2lt^
Sahara. Elles amènent à établir une distinction nécessaire
nlre les transactions qui ont pour objet Tapprovisionnement
>> escales, sorte de commerce local, et celles qui poursuivent
les échanges entre les deux rives de Tocéan saharien, véritable
'.runierce de transit.
Les oasis, qui sont pour les caravanes de simples échelles,
^at les seuls points cultivés du Sahara. Elles sont habitées par
ne population sédentaire et agricole relativement dense, qui,
T suite des conditions climatériques et agronomiques du
. ys ne peut produire qu'une partie des denrées qu'elle con-
- mme, et ne sait pas fabriquer les objets manufacturés qu'elle
oiploie. Ces cultivateurs des oasis, attachés au sol par les tra-
. aï incessants que nécessite son exploitation, ont donc été
ilurellement conduits à échanger la datte qu'ils produisent
' . abondance, et qui occupe une des premières places dans
ilimentation de tous les indigènes de l'Afrique du Nord, contre
> grains, la viande de boucherie, la laine, et les mille pro-
:iil>(le l'industrie humaine que leur apportent chaque année,
■r] moment de la récolte, les nomades de la lisière du Sahara,
'^habitants du littoral de l'océan désertique, éleveurs et com-
j nranls, intermédiaires forcés entre les cultivateurs des oasis
■\ ^01 du Tell méditerranéen, vivent sous la tente et se dépla-
ît par tribus entières, avec leurs familles et leurs troupeaux,
- jpant l'hiver dans le voisinage des forêts de palmiers, où
i-hamidité relative permet à leur bétail de trouver un peu
' î'iarriture, pendant qu'ils s'approvisionnent de dattes, et
M'Qtant Tété sur les plateaux du Nord, où ils trouveront
: re des pâturages et où ils se procureront les céréales et les
iîrr^ marchandises dont ils <ftit besoin pour la campagne pro-
S'ine. Tel est le tableau que présente le mouvement de la vie
' numique dans le Sahara septentrional, où se trouvent tous
-^^Tands groupements d'oasis : Sous et Oued-Noun, Tafilet et
• -ui^, Gourara, Touat et Tidikelt, Mzab et Ouargla, Zibàne
Oued-Rir, Sour et Djerid, Nefzaoua, Gabès, Djerba * et
-^•/i>, Fezzàne tripolitain. C'est dans la partie de l'immense
Wdra qui dépend de notre Algérie que le mouvement des
fî^nges locaux a été le mieux étudié. On a recueilli quelques
i'Tres qui permettent d'apprécier l'importance des transac-
Q> effectuées par les tribus du Sud oranaîs, Harayane, Trafi,
liied Sidi Cheikh, etc., dans leur déplacement annuel vers le
nrara et le Touat. Le général Colonieu estimait à 17.000 cha-
a^raux et à environ 4.000 hommes et 1.400 femmes et enfants
' B.eii qofi Djerba soit une tle, son rôle économique est celui d'une véritable oasis.
216 OUfiSTIONS DIPLOMATIQUBS ET COLONIALES
le nombre des botes et des gens qui avaient fait le voyage en
1860 \ Une statistique dressée par les bureaux arabes et <îitée
par M. Schirmer*, d'après le journal le Temps^ établit que
<r 3.411 hommes et 14.194 chameaux sont allés d'Algérie au
« Touat en 1886-1887 : ils y ont importé pour 427.000 francs
« de denrées alimentaires et de laine, et en ont rapporté des
e dattes pour 976.000 francs. Il est des années où les échanges
a sont encore plus considérables. » Ce commerce représentait
donc une somme de 1.500.000 francs à 2 millions avant l'occu-
pation des oasis par les troupes françaises. Mais les troubles
qui ont accompagné la conquête, pendant les années 1900 et
1901, ont momentanément interrompu les transactions. Elles
n'ont repris que dans l'hiver de 1901-1902. Pendant cette cam-
pagne, 2.344 personnes, dont 1.851 hommes, 358 femmes et
135 enfants, ont fait le voyage du Gourara ; 7.752 chameaux
ont été employés aux transports. La valeur des produits impor-
tés dans les oasis a été de 243.804 francs et celle des produits
exportés de 401.715 francs'. Le total n'est que de 650.000 fr. ;
il est inférieur de plus de moitié à celui qui avait été constaté
antérieurement. Cette diminution est la conséquence de la
misère que deux années de troubles ont répandue dans les
oasis; le retour de la paix et de la tranquillité y mettra un
terme.
Sur la lisière méridionale du Sahara, ie commerce revêt une
physionomie différente. Dans cette partie du désert qui est la
plus rude, on ne trouve pas les grandes palmeraies du Nord.
Aussi la datte n'est-elle plus le principal objet des transactions.
Elle est remplacée par un autre produit naturel, le sel, qui ne se
. trouve nulle part au Soudan, êft qui s'y vend à des prix très
élevés, 1 franc le kilogramme sur certains points. Deux gise-
ments de ce condiment précieux sont exploités au Sahara :
celui de Taoudeni dans la partie occidentale du désert, et
celui de Bilma dans la partie centrale. Il est exploité en plaques
semblables à. de grandes dalles, pesant de 25 à 45 kilogrammes.
Le sel extrait du premier est amené par les Berabich à Tom-
bouctou, qui joue sur le rivage méridional du Sahara et pour la
grande vallée du Niger le rôle de port. Il y arrivait autrefois,
a-t-on assuré à M. Dubois, de 50 à 60.000 chameaux par an.
Pendant Tannée qui a suivi notre occupation, ce nombre est
tombé à 14.000*. Mais ces chiffres ne s'appliquent pas unique-
i Bulletin de la Société de Géographie^ 1892, p. 37.
« Le Saharay p. 3&i.
8 Bulletin de la Société de Géographie d'Alger, 2» trimestre 1902, p. 244 et suiv.
^ Tombouctou la MyslérieiMe, par Fklix Dubois, p. 290.
XE COMMERCE DU SAHARA 217
ment au commerce du sel. Le Soudan central s'approvisionne
(Je sel à Bîlma, dans l'oasis de Kaouar, à peu près ^ moitié
routeentre lePezzâne et le Tchad. Il est transporté sur les grands
marchés de cette région (Zinder, Sokoto, Kano, autrefois
Kouka) par les Touareg Kel-Oui de TAïr ou par les Tibbous du
Tibesti. On sait que ce produit donne lieu à des transactions
considérables, mais on ne possède aucun chiffre permettuni
d'en apprécier Timportance *. .
Très différent est le commerce de transit à travers le Sahara,
qui se propose d'effectuer des échanges entre l'Afrique du
\ord méditerranéenne et les contrées du Soudan, comme on eu
lait ailleurs entre l'Europe et l'Amérique. C'est par cette unique
voie que, jusqu'à une époque très récente, le bassin supérieur
du Niger, les pays haoussa du Soudan central et les Etats des
rives du Tchad ont été approvisionnés en produits européens,
tels que cotonnades, soieries, étoffes de drap, chaussures *?t
••oiffures arabes, coutellerie, mercerie, parfumerie, verroterie,
bimbeloterie, bougies, savon, thé et sucre. Ce n'est que depuis
une vingtaine d'années que ces divers produits commencent à
arriver également au Soudan par la côte occidentale. En paie-
ment de ces marchandises, les pays noirs ont pendant long-
temps surtout donné des esclaves qui alimentaient non seule-
ment le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Tripolitaine et l'Egypte,
aiais aussi l'Asie Mineure et la Turquie. Depuis que les mar-
iés du Nord se sont successivement fermés à ce commence
krbare, et depuis que la conquête du Soudan en suppri-
aiant la traite empêche même l'exportation clandestine des
^aves, les caravanes qui apportent les produits européens ne
trouTcnt plus en échange que de la poudre d'or, de l'ivoire, des
plumes d'autruche, de la cire et des cuirs. Cette pénurie de
Diarchandises à exporter du Soudan est probablement l'une
des principales causes de la diminution qui s'observe dans Tîni-
portance du commerce transsaharien. Mais on peut prévoir
qalln'y^i^q^'^^^ circonstance passagère, car à mesure qu<? le
Soudan pacifié sera l'objet d'une exploitation économique pins
ntionnelle et mieux entendue, de nouveaux produits viendront
certainement prendre la place de l'esclave dans les mercuriales
dn pays. Ce phénomène s'est déjà manifesté dans les régions
voisines de la côte occidentale.
Le commerce transsaharien n'est pas fait, comme celui des
♦>asis septentrionales, par des populations entières qui se déplM-
cent suivant les saisons avec leurs familles et leurs troupeaux.
' n faut mentionner également la Sebkha d'Ijil, au nord de l'Adrar, dont le âcl
pénètre aa Soudan par les^ deux importants marchés de Nioro et de Banamba:
14'
218 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Il est entre les mains de grands négociants, véritables arma-
teurs, qui ne quittent pas les ports sahariens, et qui, au lieu
d^affréter des navires, louent ou achètent des chameaux de
charge pour transporter leurs marchandises à travers le désert.
Telle est par exemple la maison Arbib, de Tripoli, qui a une
succursale à Manchester pour Tachât des cotonnades qu'elle
expédie au Soudan. Ces négociants sont obligés de disposer
d'importants capitaux, car les opérations engagées sont toujours
à longue échéance : une caravane reste en moyenne dix-huit
mois, et parfois plusieurs années, avant de revenir à son point
de départ. Les agents d'exécution sont d'abord le chef de cara-
vane et les chameliers qui sont les employés ou les associés
du négociant, propriétaire des marchandises. Mais pour effec-
tuer une traversée aussi dangereuse que celle du grand désert,
il faut avoir recours à des guides capables d'indiquer les routes
et les points d'eau, qui varient avec les années,et à des hommes
armés en état de protéger hommes et marchandises contre
les attaques des pillards. Ce métier est fait par les nomades
sahariens, pour la plupart touareg, dont c'est la seule indus-
trie. Lorsque le salaire qu'ils retirent de la conduite des cara-
vanes est insuffisant pour les faire vivre, leurs exigences à
l'égard des voyageurs à leur merci n'ont plus de limites et ils
finissent par n'avoir plus d'autre ressource que le vol. Chacune
des grandes routes du Sahara est ainsi placée sous la domina-
tion d'un groupe de tribus qui exploite les droits de passage sur
toute l'étendue de son territoire, et qui souvent se livre à des
razzia (incursions de pillage) sur les territoires des autres
tribus.
Les routes par lesquelles on peut franchir le grand désert d'un
bord à l'autre sont en nombre restreint; la nature elle-même
les a pour ainsi dire tracées en accumulant partout ailleurs des
obstacles sous les pas des voyageurs : absence de l'eau nécessaire
à la vie des hommes et des bêtes, absence du fourrage néces-
saire à Talimentation des animaux, dunes de sables mouvants,
montagnes arides et escarpées, plateaux pierreux dépourvus de
toute végétation qu'on appelle « hamada », et que redoutent
particulièrement les pieds des chameaux, etc. C'est en recher-
chant les points d'eau les plus rapprochés les uns des autres, en
évitant le plus possible les dunes et les hamada, que les cara-
vanes arrivent à accomplir ce pénible voyage. Le nombre des
routes dont il est presque impossible de s'écarter, pour faire la
traversée du Sahara se réduit à cinq. La plus occidentale a son
point d'aboutissement sur l'Atlantique, à Mogador. Mais en
réalité les caravanes ne se forment qu'au Sud de l'Atlas, dans
LE COMMERCE DU SAHARA 219
I oasis de Tendouf. Le voyage dure cinquante-cinq jours. II faut
traverser plusieurs régions de dunes, entre autres celles d'Iguidi. |
Leiplorateur Lenz, qui a fait ce voyage, est resté à deux I
reprises sept jours sans rencontrer d'eau *. C'est à Tombouctou
quesi le point d'arrivée au Soudan. Cette ville, placée sur la
lisière du Sahara, à la partie septentrionale du grand coude du
%er, est le lieu d'échange des produits du Soudan occidental et
de ceux qui viennent du Nord par le désert. M. Félix Dubois
évaluait, en 1896, à 20 millions l'importance du commerce de
vtte ville *. Mais dans ce total, dont on ne connaît pas le détail,
.'•> échanges locaux, le sel en particulier, occupent de beaucoup
3 première place. II est probable que la part du commerce trans-
•iharien est fort peu élevée. L'évaluation plus récente de M. Bail-
iud ' ne dépasse pas 4 millions, non compris le riz qui fait l'ob-
; t de transactions importantes. Dans ce chiffre le commerce du
>ahara ne compte que pour 125.000 francs. D'après un rapport
i'^ M. Lacoste, consul de France à Mogador \ la grande caravane
tTombouctou arrivée à Tendouf en 1887, avant l'établissement
i^s postes français sur le Niger, apportait pour un million de
marchandises, dont environ 100.000 francs d'esclaves, autant
! ivoire et 430.000 francs de plumes d'autruche. De Tombouctou
[•art une autre route plus orientale, qui gagne en quarante-cinq
lurs* les oasis du Touat à travers le Tanezrouft, Tune des parties
•^ plus déshéritées du Sahara, où, d'après des renseignements
-ligènes, on reste de sept à huit jours sans eau. Du Touat elle
lignait l'Algérie, soit à Ouargla par la vallée de l'Oued-Miya,
^ :t à TlemOen par la vallée de l'Oued-Saoura et Figuig. Cette
rute était suivie par les pèlerins de la Mecque. Au point de vue
•xmmercial, elle était entre les mains des Mozabites qui ont
mployé leurs bénéfices à créer les jardins du Mzab, dans une
!-*> parties plus sauvages du Sahara. Depuis que la France a
^ii> fin en Algérie au commerce des esclaves, les quelques
aarchandises arrivées à In-Salah par cette voie gagnaient Fez
MT le Tafilety et plus rarement Tripoli par Rhadamès. L'occu-
;«itioa du Touat a achevé de tarir — momentanément,' il faut
'opérer — tout trafic avec le Soudan. Les trois dernières routes
îînssahariennes mettent en relations le Soudan central et la
'•^eion du Tchad avec le littoral de la Méditerranée dans la partie
' Efitre Bir Tarmanan et Taoadeni et entre Bir Oiman et Ara«uan. Tombouctou^
II p. 48 et saÎT.
• TùfiAouetou Ut Mystérieuse, p. 305.
^ Sw le$ routes du Soudan, p. 122.
^ (^té par ScBiRMER, Le Sahara, p. 359.
' l^apréa nn itinéraire recueilli par Larobau. Le Sahara, premier voyage d^ex-
Mofotiofi, p. 364.
2^0 QUESTIONS DIPLOMATIQUES £T CCMLONULES
OÙ cette mer/pénétrant profondément dans le continent, découpe
les golfes de Gabès et de la Syrte. C'est du fond de ces baies,
qui réduisent dans des proportions très sensibles la distance à
parcourir, qu'est toujours parti le courant commercial le plus
actif à destination du Soudan. Pendant des siècles Tile de
Djerba, admirablement située dans la partie la plus méridionale
du golfe de Gabès et habitée par une race de marchands incompa-
rables, a été le principal débouché du Soudan sur la Méditer-
ranée et le, port des échanges entre le Maghreb et l'Orient. Cette
lie au climat merveilleux, dont les Romains avaient déjà fait
une sorte de ville d'hiver, devint, lorsque la civilisation arabe,
eut pris possession de l'Afrique du Nord, TuiLe des plus impor-
tantes places commerciales du bassin méditerranéen. La vie
fastueuse que menaient les négociants djerbiens dans les palais
entourés de jardins magnifiques, dont il reste aujourd'hui quel-
ques échantillons bien déchus des magnificences du passé, est
demeurée dans les souvenirs des indigènes au même degré que
les splendeurs légendaires de la Tombouctou d'autrefois. Les
caravanes traversaient l'étroit bras de mer qui sépare Djerba du
continent ; sous l'escorte des Ourghamma, elles gagnaient
Rhadamès, d'où les Touareg Azdjeur les conduisaient par Uhat
jusqu'au puits d'Asiou; de là, la protection des Kel-Oui leur
permettait de traverser l'Aïr et les suivait jusqu'à Zinder, à
l'entrée du Soudan. D'après tous les renseignements que l'on pos-
sède, cette route est la meilleure des routes transsahariennes.
Les caravanes parties d'In-Salah allaient parfois la rejoindre en
longeant la base méridionale du Hoggar \ L'itinéraire que j'en
ai dressé * permet de constater qu'elle évite les sables sur
presque tout son parcours, que l'eau y est relativement abon-
dante, puisqu'on en trouve en des endroits connus tous les trois
ou quatre jours au maximum, et que le fourrage qui alimente
les bêtes de somme s'y rencontre en plus grande quantité que
sur les autres. Aussi les indigènes disent-ils que la route du
golfe de Gabès au Soudan est la route des chevaux, tandis que
les autres sont des routes de chameaux. Le voyageur allemand
Barth, qui l'a parcourue en partie, a recueilli une tradition
d'après laquelle un troupeau de bœufs aurait pu la suivre et
arriver heureusement à destination. Lorsqu'en 1846 l'esclavage
fut aboli en Tunisie, une crise terrible éclata dans le commerce
saharien; la mine de Djerba en fut la conséquence. Les
1 C'est du moins ce que l'on peut inférer du récit que nous ont conservé le
général Daumas et de M. de Chancel : Le grand désert, itinéraire d'une caravane,
s Etude sur le développement économique de l'extrême Sud tunisien, par E. Fallot.
Tunis, 4899 (Extrait du Bulletin de la direction de V Agriculture t du Commerce
de Tunisie),
LE COMMKRCB DU SAHARA ^1
Ourghamma, qui ne pouvaient plus vivre du tribut qu'ils tiraient
des rares caravanes circulant encore, se mirent à les piller, cp
qui les amena à éviter leur territoire. Le manque de sécurité
dans le Sud tunjsien éloigna ce qui restait du courant com-
mercial.
Les négociants de Rhadamès, devenus les maîtres du com^
Hi^rce, dirigèrent leurs caravanes sur la route de Tripoli, où
elles comptaient sur la protection des garnisons turques, et où
les esclaves pouvaient encore circuler librement. C'est ainsi que
Djerba a cesse d'être une place commerciale et que Tripoli,
beaucoup moins bien situé, et qui n'était auparavant qu'un
point sans importance, hérita de sa prospérité vers la fin du
siècle dernier et devint la principale métropole du commerce
transsaharien. Cette ville est également la tête de ligne d'une
autre voie commerciale, placée sous la protection des Tibbous,
qui passe par le groupe des oasis de Fezzâne et par cello de
Kaouar, et aboutit après trois mois de marche à la pointe septen-
trionale du Tchad. Plusieurs voyageurs européens l'ont [>ar-
courue; le dernier en date, notre compatriote le colonel AÎon-
teil, a résumé en ces termes son impression : « La route du
rt Boumou àMourzouk, dit-il*, est incontestablement la plus
H dure de toutes celles du Sahara. Non pas que les points d>au
a soient très distants, mais à cause des dangers qu'elle présente
fi et du peu de fourrages qu'on y rencontre. Les Touareg et les
•' Ouled Sliman du Kanem tombent fréquemment sur les cara-
ts vanes, et les Toubbous, pour les éviter, ne prennent aucun
tf repos. La marche de nuit ne serait pas possible dans toute la
'^ région entre le Tchad et Kawar, si la route n'était exactement
« dans la direction du Nord du monde. Il n'y a en effet aucune
n trace de sentier, seulement quelques repères fixes de dislaniïe
« en distance, mais la polaire est la meilleure des directrices.
- Quand, au lieu d'aller dans le Nord, les caravanes se rendent
cf dans le Sud, fréquemment elles s'égarent. » Tripoli, ayant
pour son commerce avec le Soudan le choix entre deux routes,
utilise Tune ou l'autre selon le degré de sécurité que les év^^^ne-
ments politiques du moment y font régner. Il s'est créé dans
cette ville un véritable marché, au sens où nous Tentendons en
Europe, où les Sahariens s'approvisionnent à leur gré de tous
les produits dont ils ont besoin, et où ils trouvent du crédit, La
période la plus brillante de ses affaires a été de 1872 à iSSL
Plus tard les exploits de Rabah et les événements qui ont
amené la chute de ce marchand d'esclaves ont complètenif?nt
interrompu les relations pendant plusieurs années; elles ont à
I De Saint'Loui» à Tripoli par le Tchad, p. 392.
i
VA QUESTIONS DIPLOMATIOUES ET COLOmALBS
peine repris depuis sa mort dans une très faible mesure. Les
rapports des consuls européens fournissent périodiquement
sur IMmportance des transactions des renseignements qui, pour
n'avoir pas la valeur de véritables statistiques, permettent d'en
suivre approximativement les fluctuations. En 1889, on évaluait
à 8 millions 1/2 le mouvement commercial entre Tripoli et le
Soudan. En 1895, il tombait à 7 millions dont 2 millions 1/2
repr^'sentant Timportatîondes produits européens. En 1896,
Timportation n'était plus que de 240.000 francs et l'exportation
de 3.300.000 francs. En 1897, le total était réduit à 3.590.00O
francs, dont 1.290.000 à Timportatiori et 2.300.000 à l'exporta-
tion ; cette année, 2.827 chameaux étaient partis pour le Soudan * .
Depuis 1898, les routes du Tchad étant fermées par les événe-
ments du Soudan, le commerce s'est rejeté sur la route la plus
occidentale qui part de Benghazi sur la Méditerranée, et par les
oasis d'Aoudjilaet de Koufra, gagné le Ouadaï. C'est peut-être
l'antique route des Nasamons. Elle n'a été parcourue par au-
cun voyageur européen et nous est à peu près entièrement
inconnue. On sait par un rapport dii consul d'Angleterre à Ben-
ghazi qu'en 1896-1897 il est parti par cette voie 17 caravanes
dont une comptait 550 et une autre 340 chameaux. Elles ont
importé pour 700.000 francs de marchandises diverses et ont
rapporté pour 425.000 francs de plumes d'autruche et pour
187.500 francs d'ivoire. En 1898, le commerce soudanais de la
Tripolilaine, presque entièrement effectué avec le Ouadaï, était
évalué à 5 millions de francs.
Toile est l'organisation du commerce dans le Sahara. Ainsi
qu'on a pu l.o constater, la France n'y a jamais pris aucune
part; car si Paris ro(,*oit pour les travailler la presque totalité
des plumes d'autruche exportées du Soudau, c'est par le moyen
d'intermédiaires étrangers. L\^tablissement de nos postes dans
le Sud algérien, qui aurait dû, par la sécurité qu'ils appor-
taient, attirer les caravanes, a eu au contraire pour effet,* à
cause do la suppression de la vente des esclaves, de les rejeter
à rOuost et à TEst de notre territoire sur le Maroc et la Trîpo-
litaine. Mais dos événements récents ont fait disparaître cette
cause de la préférence donnée aux marchés de nos voisins :
établis maintenant sur le littoral méridional de l'océan saha-
rien, nous interdisons également le départ des esclaves. Les
1 Mi^HUCHv of/tctti du commerce, t. XXX «-p. 56. Tous ces chiffres empniniÀ&
aux r»p(H»rU« consulaires français ue concordent pas avec ceux qu'ont fournis les
rapports anglais.
. LK COMMERCE DU SAHARA 223
caravaniers, qui ne transportent plus désormais que de la mar-
chandise licite, peuvent choisir le marché vers lequel ils se diri-
geront, etleur choixne seraplusdéterminé que par les facilités et
le degré de sécurité de la route à parcourir et par les avantages
qu'on saura leur offrir au point d'arrivée. Il semhle donc que la
transformation que notre établissement au Soudan va faire
subir au commerce transsaharien fournit à la France une occa-
sion excellente de s'emparer de ce commerce. Il lui suffira,
pour atteindre ce but, de s'outiller convenablement. Jusqu'à
présent les rares tentatives faites par nos compatriotes pour
prendre part au commerce du Sahara ont toutes échoué, parce
qu'ils ont méconnu les conditions réelles de ce commerce et
qu'ils ont voulu agir uniquement par eux-mêmes en se substi-
tuant aux intermédiaires indigènes. C'est pour cela que, dans
toutes nos tentatives dans le désert, nous avons trouvé devant
nous aussi bieil les chefs des tribus nomades que les notables
commerçants des oasis. Se sentant menacés par l'arrivée des
Français dans le monopole commercial qui est leur unique
moyen d'existence, ils ont entrepris une lutte désespérée, appe-
lant le fanatisme religieux au secours de leurs intérêts maté-
riels, et ils n'ont reculé pour se défendre ni devant la trahison
ni devant l'assassinat. Force est bien de reconnaître que leur
conduite a été logique. Mais le jour où ils auront compris que
nous ne voulons pas être pour eux de redoutables concurrents,
que nous désirons au contraire encourager, faciliter et déve-
lopper leurs opérations en nous y associant, leur hostilité tom-
bera. Or cette conduite est pour nous la seule' intelligente, la
seule qui puisse nous permettre d'arriver à un résultat, dans un
pays comme le Sahara, où l'Européen ne peut rien faire sans
le concours de l'élément indigène.
Le seul moyen raisonnable pour un Français d'y faire des
affaires consiste à aller s'établir avec de l'argent et des mar-
chandises dans l'un des ports du désert, sous la protection de
nos soldats. Prétendre en sortir pour s'avancer hors du terri-
toire soumis et pacifié serait commettre la folie d'exposer sa
vie sans aucun profit pour son entreprise. Mais ce qui lui est
interdit à lui-même, il peut sans imprudence le faire faire par
des indigènes dont il aura éprouvé la solvabilit<3. En procédant
comme on procède depuis des siècles à la côte occidentale, où
les comptoirs de Saint-Louis font des avances de marchandises
à des traitants noirs qui vont les vendre tout le long du Séné-
gal et jusqu'au Soudan, on obtiendra des résultats aussi satis-
faisants. Si l'on sait choisir les Arabes avec lesquels on se liera
d intérêts, on n'aura pas plus de mécomptes qu'avec les noirs.
224 QUKSTlONtf DIFLOMATIQUKS KT COLOIflALBS
Les négociants de Tripoli ne procèdent pas différemment. En
considérant le chiffre élevé des bénéfices que laisse le commerce
saharien» malgré les nombreux aléas qui le grèvent^ on verra
que des capitaux français trouveraient une large rémunération
à coopérer avec les négociants indigènes. Deux comp^e^ d'opé-
rations, publiés dans les Rapports de la mission Mircher à Hha-
damès, font ressortir des bénéfices de 32 et de 43 %. Le consul
général d'Angleterre à Tripoli évalue ces mêmes bénéfices à
50 % *. Tout récemment les indigènes qui sont allés commercer
au Gourara pendant Thiver 1901-1902 ont réalisé un bénéfice
net, très exactement calculé, qui est un peu supérieur à 60 % '.
En janvier 4896, Gaston Méry, venu à Tombouctou avec une
pacotille de 50.000 francs, avait pu l'écouler au bout d*un mois
avec 200 % de bénéfice '. Voici enfin un dernier exemple, cité
par le consul d'Angleterre à Benghazi^ : un commerçant,
parti pour le Ouadaï avec 5.000 piastres de marchandises, en
a rapporté pour 30.000 piastres, ayant ainsi sextuplé son capital
en quelques mois.
La France est établie sur les deux rives du Sahara ; elle do-
mine TAlgérie-Tunisie et le Soudan; elle a actuellement aux
quatre angles du rectangle saharien des postes, dont certains
ont été et qui tous peuvent devenir les grands ports du com-
merce désertique : Béni-Ounif, près de Fîguig, terminus du
chemin de fer oranais, et Tombouctou, sur le Niger à TOccident ;
Zinder, la porte d'entrée du Soudan central, et Tatahouine,
dans l'extrême Sud tunisien, à l'Orient. Chacun de ces points
réunit les conditions nécessaires pour en faire un marché im-
portant, où les transactions locales seront, avec l'aide des indi-
gènes, le point de départ d'un commerce lointain, que rendront
possibles les dispositions libérales adoptées par la douane en
Algérie et en Tunisie. J'ai visité Tatahouine ^ et j'en ai rapporté
l'impression très nette que l'ouverture en cet endroit d'un en-
trepôt bien approvisionné de marchandises européennes, en
même temps qu'il alimenterait une population de 25 à 30.000
habitants, qui ne trouvent aucune ressource à 150 kilomètres à
la ronde, aurait bientôt attiré les caravanes du dehors. Les né-
1 Report on the Trade and Economie State oi the Vilajet of Tripoli during tUe
past forty years. June 13, 1902 (Diplomatie and Consular Reports. Miscellaneous
séries, n* 578).
s Bulletin de la Société de Géographie d'Alger, 2« trimestre 1902, p. 250.
3 BA.ILLAUD. Sur Us routes du Soudany p. 130.
^ Trade of Benghazi for year 1897 {Diplomatie and Consular Reports. Tripoli,
Annual séries, n9 2153).
fr C'est un poste militaire français à 136 kilomètres au Sud de Gabès.; il est doté
d'un bureau de poste et de télégraphe ; il s'j tient un marché où viennent parfois de
petites caravanes de Rhadamès et de l'oasis voisine de Sinaoua.
LE COMMERCE DU SAHARA 225
gociants de Rhadamès y envoient quelquefois acheter du blé et
de rhuile, mais n y trouvent rien d'autre. Ils ne demanderaient
pas mieux que de profiter de la sécurité qui règne maintenant
sur toute la route pour venir y prendre les produits qu'ils en-
voient à Rhat et au Soudan, s'ils devaient y trouver ce qu^ils
trouvent à Tripoli. Quelques-uns possèdent des immeubles k
Tunis, c^ qui montre qu'on pourrait traiter avec eux sans trop
de risques. Plusieurs négociants de Djerba, qui ont des intérêts
à Tunis, à Tripoli et même à Gonstantinople, ne demanderaient
pas mieux que de reprendre les opérations commerciales avec
le Soudan, s'ils trouvaient un appui dans des capitaux français,
L ne maison de commerce qui voudrait faire preuve d'initiative
intelligente en ouvrant un comptoir à Tatahouine, aurait Toc-
casion, tout en servant ses intérêts financiers, d'entreprendre
une oîuvre utile et véritablement patriotique. Non seulement
elle pourrait s'assurer le concours de commerçants expéri-
mentés de Djerba et de Rhadamès, mais encore elle pourrait
sans difficultés entrer en relations, de l'autre côté du désert,
avec le grand négociant targui de Zinder, Mâllem Yaro, qui
envoie ses caravanes jusqu'à Tripoli. Ce personnage a accueilli
DOS troupes avec un tel empressement et leur a rendu de tels
services que. nos officiers lui ont proposé de l'investir de Tauto-
rité* politique à la place du sultan rebelle. 11 a refusé, préférant
>e consacrer à ses affaires commerciales.
Lorsque la France se sera décidée à créer un poste dans l'Air,
re poste communiquera sans peine, par des raids analogues i\
•;elui que le lieutenant Cottenest vient d'accomplir d'In-Saluh
autour du Hoggar, avec les postes que nous entretenons dans
le Sud tunisien, où un tnaghzen solidement organisé ne de-
mande que l'autorisation de faire au loin la police. Ce jour-là
les caravanes circuleront en toute sécurité entre la Tunisie et le
Soudan et Tantique route de Djerba au Tchad sera rouverte au
commerce.
E. Fallot,
Ancien chef du service du commerce et de l'immigration à Tunii^.
QoiST. DiFL. ET Col. — t. xv. t^
LA QUESTION DU VENEZUELA
Notre revue a déjà examiné ,daiis le numéro du l^^ janvier, les
causes apparentes et les premiers événements du conflit véné-
zuélien. Il semblait alors que l'acceptation, par les puissances
intervenantes et le président Castro, de recourir à la Cour d'ar-
bitrage de La Haye pour régler leurs différends, devait avoir
pour conséquence, dans l'intérêt même des créanciers, la levée
immédiate du blocus des côtes vénézuéliennes et le rétablis-
sement des relations normales. Il n'en a rien été.
Au moment même où M. Bowen, ministre des Etats-Unis âi
Caracas et réprésentant conventionnel des intérêts du Vene-
zuela, se rendait à Washington pour discuter, avec les représen-
tants des nations alliées, les préliminaires de la procédure amia-
ble de l'arbitrage et régler, peut-être, leurs réclamations ainsi
que celles des nations non intervenantes, sans aller jusqu'à La
Haye, les croiseurs allemands, impatients de faire leurs preuves
aufarement que sur des canonnières désemparées et sans défen-
seurs, ouvraient le feu sur le fort vénézuélien de San-Carlos,
commandant l'entrée de la lagune de Maracaïbo.
Grâce à la modération du gouvernement des Etats-Unis,* qui
feignit d'ignorer officiellement cet incident intempestif consi-
déré à tort ou à raison, par la presse européenne et américaine,
comme une tentative préméditée d'embrouiller les cartes quand
même, M. Bowen a pu commencer et mener relativement à
bonne fin des négociations séparées avec chacune des puis-
sances intéressées. Ce n'a pas été sans peine et il est intéressant
de retracer en quelques lignes les difficultés des pourparlers.
On apprit tout d'abord, dès la première conférence, que le
Venezuela, reconnaissant, en principe, les dettes contractées,
offrait en garantie les 30 % des revenus douaniers de La Guayra
et de Puerto Cabello (3.125.000 francs environ)', mais deman-
dait, par contre, que toutes les puissances créancières, y com-
pris celles qui n'avaient pas encore tiré l'épée ou fait parler le
1 Voici quelques détails économiques sur le Venezuela, empruntés à la presse alle-
mande : Dette au 1*' janvier 1901, 24'^. 230.406 francs. -^ Budget 1901-1902,
37.000.000 francs. — Recettes douanières en 1901, 24.267. 618 francs. —Commerce en
1898, 74 millions. — Etablissements de crédit : Banque du Venezuela, au capital de
12 millions dont 3/4 payés, administre les finances de l'Etat; a distribué ua dividende
annuel de 12 % dans les douze derniers exercices; — Banque de commerce de
Caracas, au capital de 6 millions (dont 3/4 payés) ; dividende annuel de 8 % depuis
1890 ; — Banque de Maracaïbo, au capital de 1.250.000 francs; divideude annuel de
7,72 % en 1900.
Culture du café : 170.000 hectares donnant 839.0U0 sacs de 46 kilos ; 80 % des
LA QUESTION DU VENEZUELA 227
(^OD, fassent mises sur le même pied que TÂllemague, l'Angle-
terre et l'Italie, au point de vue du paiement des créances. La
France, ayant réglé délSnitivementses différends financiers avec
le Venezuela bien avant le conflit, et possédant des droits anté-
rieurs incontestables, n'entrait pas en ligne de compte et se fai-
sait confirmer purement et simplement par le président Castro
la priorité de ses droits et octroyer, comme garantie spéciale,
13 % des revenus douaniers.
Les ambassadeurs des trois puissances co-intervenantes, ne
voulant pas admettre Tégalité de traitement, suspendirent
aussitôt toute discussion et demandèrent des instructions k leurs
îiouvemements respectifs. Ceux-ci, croyant comprendre que la
trarantie de 13 % reconnue à là France réduisait à 17 % celle
qui était réservée aux autres créanciers, approuvèrent formel-
lement leurs représentants. L'émotion, d'abord très vive, ne
tarda pas à se dissiper devant la déclaration de M. Bowen que la
^rarantie française étaitabsolumeiitindépendante des 30 % accor-
dés, sans restriction, à l'ensemble des autres puissances.
Le concert anglo-germano-italien reprit les négociations,
mais, ne voulant pas cependant en être pour ses frais d'inter-
vpnlion armée, demanda à percevoir exclusivement les 30 %
pendant un an et jusqu'à concurrence d'une certaine somme à
Jéterminer, après quoi toutes les puissances créancières partici-
jeraient h la garantie proportionnellement à leurs droits.
X. Bowen, comprenant qu'il ne s'agissait, en l'espèce, que
lune question d'amour-propre et de prestige en somme
"Dcevable, admit l'éventualité d'un traitement privilégié pen-
lant im mois seulement, mais à condition que le blocus fût
immédiatement levé. Les co-intervenants exigèrent alors qu'il
leur fût attribué complètement les 2/3 des 30 % , ou bien la
jouissance exclusive de la totalité pendant six mois. Le diplo-
mate américain, estimant que cette contre-proposition était
ontraire aux principes du droit international, demanda que
la question du traitement privilégié fût soumise à la Cour
^arbitrage de La Haye. Au môme moment, le Venezuela, dési-
r«»ui de faire preuve de bonne volonté, se déclara prêt à payer
immédiatement une somme de 137.500 fr. à chacune des trois
puissances pour faire face aux réclamations les plus pressantes.
piântationt sont grevés d'hypothèques 12 %, Exportation annuelle : 650.000 sacs.
Eublissements industriels peu importants : tanneries, fabriques de cigarettes, de
-bo^otat, brasseries. — Richesses minérales considérables : or, cuivre, fer,
2?pbalte, charbon et pétrole; deux Compagnies de mines d'or ayant donné en 1900
os toul de 3.500 onces; mines de cuivre d'Aroa de 111.336 hectares avant fourni, de
iSl8 à 1S91, 72.267.060 tonnes; trois sociétés d'exploitation d'asphalte. L'Ile Magarita
possède des mines de marbre, de sel et des pêcheries de perles. Réseau ferré :
^fi kilomètres, capital toUl 192.300.000 francs.
228 OUKSTIONS PIPtOMATIOKJES BT COLONULES
Les trois gouvernements, renouvelant leur tactique du début,
essayèrent encore d'engager officiellement la responsaliilité des
Etats-Unis, en demandant au président Roosevelt de trancher
la question du traitement séparé. Le président déclina cet
honneur et répondit habilement qu'il se croyait obligé de rester
en dehors de la controverse pour les mêmes raisons émises ati
début du conflit. Les ambassadeurs durent se rejeter, bien qu'à
contre-cœur, sur M. Bowen, et il fut enfin décidé, le 9 février,
que la question serait portée à La Haye et le blocus levé dès la
signature des protocoles préparatoires établis séparément par
chaque puissance. A Theure actuelle, la discussion continue et
la signature tant désirée n'est pas encore donnée.
En attendant ce premier règlement, les puissances ont exa-
miné la procédure qu'il conviendrait d'observer dans la marche
des négociations ultérieures. Voici ce qu'elles auraient adopté
provisoirement :
Les réclamations de chaque puissance seraient soumises à
une commission distincte composée d'un représentant de cette
puissance et du représentant du Venezuela; en cas de désaccord,
le roi d'Espagne, ou le président Loubet, serait chargé de dési-
gner un arbitre, probablement le ministre d'Espagne ou de
France au Venezuela. Dans le cas où l'accord se ferait définiti-
vement, si le Venezuela ne s'acquittait pas promptement et
intégralement envers Tune quelconque des puissances, le gou-
vernement belge serait chargé de l'administration des douanes
dans des conditions identiques à celles où ce gouvernement
administre les douanes persanes.
On voit, par ce qui précède, que l'Allemagne et l'Angleterre
— nous ne parlons pas de l'Italie qui se montre avec raison
bonne fille — ont usé et abusé très longtemps de la patience
américaine en prolongeant à plaisir, sur le terrain brûlant de
Washington, des négociations qui pouvaient se dérouler aussi
bien, sinon mieux, dans les salons pacifiques de la Cour d'arbi-
trage de La Haye. L'opinion publique américaine a émis à ce
sujet de graves soupçons sur les intentions secrètes des deux
principaux alliés et a clairement parlé de provocation mani-
feste. Il est intéressant de rechercher si Guillaume II et
Edouard VII ont réellement nourri le dessein de provoquer les
Etats-Unis en exécutant une reconnaissance d'avant-garde
contre la doctrine de Monroe, et dans ce cas, quelles ont été
leurs raisons déterminantes.
«
« «
L'intervention anglo-allemande au Venezuela, a-t-ondit non
sans quelque raison, n'est que le prélude d'une attaque Ion-
LA QUESTIOU hV VÉflÉZirÉlA 2^
guement préméditée contre le <c péril américain )», bien plus
immédiat qne le « péril jaune j>.
« La République des Etats-Unis, écrivait naguère M. E. Le-
a vasseur, peut être comparée à une pieuvre gigantesque,
•^ étendant ses bras et ses ventouses sur l'Amérique du Sud,
• sur le Japon et la Chine, sur l'Afrique et l'Europe. »
« Les tentacules de cette pieuvre, déclarait M. Edro. Théry *,
•' complétant l'image du célèbre économiste, ce sont les
« trasts, qui ont exalté l'impérialisme, provoqué la guerre
•' contre l'Espagne et qui, après avoir transformé le régime
• économique américain, en accaparant les principales produc-
' tiens des Etats-Unis, vont essayer de transformer en mono-
« pôle» internationaux, au profit des milliardaires américains,
** les principales industries de l'univers. »
Il est évident que la vieille Europe tout entière, épuisée
par pins de trente années d'armements colossaux, paralysée
parles rivalités de ses empires, obligée d'aller chercher au delà
des mers la majeure partie des matières premières nécessaires
à son industrie, est menacée dans ses œuvres-vives économiques
par cette jeune et robuste Amérique dont les charges militaires
4?t navales ne sont devenues réellement lourdes que depuis
l'exercice 1900-1901 et qui, non seulement possède sur son
propre territoire tout le blé, le bétail, le fer, le charbon exigés
par l'alimentation de sa population et de ses usines, mais peut
fucore conjurer ou provoquer h sa guise une disette européenne
"t faire, snr tous les points du globe, une vive concurrence aux
HTNlnits fabriqués du Vieux Monde. Mais il est non moins évi-
tant qne les deux premières victimes désignées de la concur-
rence américaine sont l'Angleterre et l'Allemagne.
Ces deux nations industrielles, en quête de débouchés écono-
miques de plus en plus rares, se heurtent partout au bloc de
f'mte ou d'acier yankee; elles ne peuvent se passer que très
•lifiBeilement des arrivages des Etats-Unis.
La France, qui se nourrit sur elle-même, dont l'industrie de
iuxe est indétrônable et dont la production métallurgique,
nsodeste mais très soignée, trouve un écoulement tout naturel
'1 ius ses armements, ses grands travaux publics et Toutillage
•k son immense domaine colonial, est bien moins compromise
qae ses deux voisines, surtout si elle se décide enfin à adopter
ane politique économique rationnelle*
Le tableau suivant montre la supériorité incontestable des
Etats-Unis sur ses deux aînées économiques :
^ Edm. Th^bt. — Histoire économique 1890-1900 (1902).
âdO QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Part proportionnelle dans la prodnotion mondiale du oharbon,
de la fonte et de raoier, et la oonsommation du onivre en 1900.
Charbon Fonte Acier Caivre consommé
Btats-Unis.
30.62 %
34.41 %
37.73 %
34.02 %
Allemagne.
19.59
20.80
22.98*
24.12
Angleterre.
29.83
22.09
10.88
19.18
France
4.35
6.63
' 5.69
8.66
Alors que la balance du commerce extérieur des Etats-Unis,
au cours de la période 1899-1901, accuse un excédent d'expor^
tations annuel de 2 milliards 8 millions de francs, le commerce
anglais a supporté en 1900 un excès d*importations de i mil-
liards 4 millions en aggravation de 93 % sur l'exercice 1890;
celui de TAUemagne a également subi, la même année, un
excès d'importations de 1 milliard 5 millions.
A dix ans d'intervalle (1890-1900), les exportations annuelles
des Etats-Unis vers l'Angleterre ont augmenté rfc 48 % , pas-
sant de 2.342 millions de francs à 3.469; les exportations an-
glaises vers les Etats-Unis ont subi par contre une diminution
^ 38 % , tombant de 802 à 494 millions de francs ; le tribut
commercial annuel payé par l'Angleterre à l'Union est passé de
1.540 millions, en 1890, à 2.975 en 1900.
En 1890, les Etats-Unis envoyaient en Allemagne pour
497 millions de marchandises; en 1900, ils en ont expédié pour
1.302 millions — soit une augmentation de 162 % — dont 485
de céréales; en 1901, les exportations allemandes aux Etats-
Unis n'ont atteint que 498 millions, soit un recul de 5 % sur le
chiffre de 1890, 320 millions'. Dans la décade 1890-1900, la
balance du commerce annuel germano-nord-américain est
passé d'un solde positif de 37 millions de francs en faveur de
l'Allemagne à un tribut moyen de 820 millions payé à l'Union *.
Ces chiffres montrent déjà avec éloquence combien l'Angle-
terre et l'Allemagne sont menacées par les progrès gigantes-
ques d une rivale dont les hauts fourneaux produiront en 190o,
1 Elles se sont relevées, en 1902, de 73 millions de francs environ.
* Résultats connus de l'exercice commercial 1902 en millions de francs :
Importations ^ Exportations
1901 1902 1901 1902
Allemagne 6.176 6.915 5.539 6.085
Angleterre 13.330 13.506 7.131 7.243
1900-1901 19011902 1900-1901 1901>19OS
Etats-Unis 4.115 4.514 7.43R 6.910
Voir : Les intérêts de l'Allemagne en Amérique (A. Drisse. Revue de Géogt'aj>hié
janvier 1903).
LA QUESTION DU VENEZUELA 231
de 1 aveu même du Times ^ deuxiois plus dé fonte que ceux de
la Grande-Bretagne '.
• «
La concurrence économique nord-américaine n'est pas seu-
lement redoutable en Europe même; elle menace encore le
commerce des puissances occidentales en Extrême-Orient et
dans toute l'Amérique du Sud. Décidés aujourd'hui, du moins
en apparence, à entr'ouvrir leur immense marché intérieur
aux matières premières et aux articles fabriqués étrangers,
les Etats-Unis espèrent compenser cette tolérance en submer-
geant de leurs produits tous les marchés du monde, la Chine, \^
Japon, les républiques latino-américaines. La conquête des
Philippines leur a déjà permis de coopérer plus facilement h *
Texploitation économique de l'Extrême-Orient où leurs mar-
chandises, transitant par le Pacifique, se font dès aujourdliui
préférer aux articles similaires allemands, anglais et japonais ';
l'ouverture du canal de Panama, probablement réalisée dans
une dizaine d'années, et la trustification progressive des
grandes entreprises de navigation, mettront encore à leur dis-
position les moyens d'écouler rapidement et à bon compte, à
travers le Pacifique et le long des côtes occidentales de TAmé-
rique du Sud, la surproduction industrielle de leurs districts
orientaux. En attendant 1910 ou 1915, ils ne perdront aucune
occasion de répondre aux sentiments hostiles et peut-être aux
barrières ultra-protectionnistes de leurs rivaux européens, par
an redoublement d'amitié et de flatterie intéressées à l'égard de
la Chine et de déclarations protectrices envers les républiques
sud-américaines plus ou moins menacées ouvertement par les
ambitions anglo-allemandes'. La complaisance exceptionnelle
* Eo 1902, la production de fonte des Etats-Unis est estimée à 17 millions 1/2 de
toADCs, celle de l'acier à 15 millions de tonnes, respectivement en augmentation du
2 miilioDs et 1 million sur 1901. En 1871, les Elals-Vnis ne produisaient fjHc
1.700.000 tonne* de fonte et 73.000 t. d acier.
* Les Etats-Unis livrent actuellement au Japon des locomotives au prix de
lO.OOO francs, alors que l'Angleterre demande, au minimum, 75.000 francs. Pour le
mdnc de Gokteik en Birmanie, l'entreprise américaine demandait 15 livres sterling
-^ toDoe de métal et un délai de construction d'une année: l'entreprise angUif^e
ci&ail la tonne à 26 liv. st. 10 sh. et demandait trois années pour la construction.
Y.ik 1901, les Etats-Unis ont exporté en Asie pour 245 millions de francs de march^n*
4.§es, soit une augmentation de 180 % en dix ans. San-Francisco est aujourd'hui
le point de départ de six lignes régulières, dont une japonaise, vers la Chiue ot le
Japon. • 1\ faut que les Etats-Unis aient la flotte marchande la plus considérable
qui ait jamais navigué sur l'Océan et que la richesse et l'énergie américaine , f^n
possession d'Hawal et du canal du Panama, transfèrent la souveraineté du Pacifique
» Fétendard étoile )>. (Discours du secrétaire du Trésor, avril 1902.)
1 Citons à ce sujet une des clauses du traité passé en janvier 1903 avec la Colom-
bie pour la construction du canal de Panama. « Les Etats-Unis répudient toute
c intention de porter atteinte en quoi que ce soit à la souveraineté de la Colombie
232 QUBSTIOKS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
témoignée en faveur de la cour de Pékin, désireuse d'effectuer
en argent, et non en or, le versement de Tindemnité chinoise *,
Tattitûde menaçante observée dans le conflit vénézuélien actuel
vis-à-vis des puissances intervenantes^ sont significatives. Con-
descendance et protection n'ont d'autre but que d'attirer la
clientèle au détriment des maisons anglaises et allemandes.
L'Angleterre, grâce à son immense empire colonial, pourra
lutter encore longtemps contre la grande République, s'appro-
visionner dans l'Inde et TAfrique anglaise, et y écouler ses
articles successivement refoulés des marchés sud-américains
par l'invasion yankee. Mais il n'en sera pas de même de T Alle-
magne qui fait actuellement deux milliards de francs d'affaires
avec l'Extrême-Orient et l'Amérique centrale et méridionale,
et dont les médiocres territoires de protectorat n'absorbent jus-
qu'ici qu^une très infime partie de son commerce extérieur et ne
lui fournissent qu'une quantité insignifiante de denrées colo-
niales; cette puissance peut se trouver gravement aitteinte au
point de vue économique, si les Etats-Unis se donnent la peine
d'accaparer les matières premières qu'elle puise librement
jusqu'à présent dans toutes les régions du Nouveau Monde.
•
» •
N*est-on pas en droit d'affirmer, après ces constatations, que
l'Angleterre et l'Allemagne seront incapables d'arrêter ou
même de retarder la violente poussée de sève américaine et de
conjurer la ruine ou la triste médiocrité suspendue sur leur
tête, si elles se maintiennent sur le terrain des moyens de lutte
légaux et pacifiques? N'est-il pas évident, en se mettant à leur
place, qu'elles n'ont aucun intérêt à gaspiller leur temps et
leurs forces dans une guerre de tarifs qui n'aura aucune issue
décisive et tournera fatalement à leur confusion? Ne saute-t-il
pas aux yeux qu'elles ne peuvent conjurer le danger américain
qu'en essayant de renverser d'un commun effort et sans scru-
pules un colosse encore facilement vulnérable? Une guerre
brutalement entreprise sous un futile prétexte, comme celui
du Maine ^ par exemple, qui a provoqué la guerre hispano-
américaine ; une exécution à main armée, par surprise, me-
a ma d'autres républiques de i^ Amérique cenérale ou de l'Amérique du Sud. ils
« désireml au cen traire accreiire la pmssmnee de ces républiques^ fairu neâire,
• déueiepper ei mainlemr leur prospérilé et leur tudépendance, » Voir !• texte dn
tnité éMoas les Quest. DipL ei Col., 1- férrier 1903, p. 191. ^ Cette déelanlioB peut
éCve sucera ii Theora actuelle; mais boos avonone Ârancfaeineiit que le désiaCéreBse-
ment américain tums apparaît aussi tronrpeorqne ceint de l'Angletene, proloogeant
l'oecapatien de l'Egypte peur la seele gioire platonique d'j ramener la prospérité,
t Les Etats-Unis est éU les seuls k accepter le paiement en aillent ; tontes les
nntres puissances intcrrcnantes s'j sont énergiqnement refusées.
LA QUESTION DU VENEZUELA 'ii'SA
sure radicale qui, à vrai dire, n'est pas de nature à effrayer les
deux nations, ne trancherait-èllè pas nettement la situation?
Les escadres anglo-allemandes, Suivies dé près par un convoi
de 250.000 hommes d'élite et un armement monstre, ne per-
mettraient-elles pas aux puissances alliées d'anéantir rapide-
ment la marine naissante de la République des Etats-Unis, d^'
ruiner son commercé, de brûler ses chantiers de construction,
d'incendier ses villes, ses cités de l'acier, de s'emparer de ses
colonies, de mettre la main sur l'isthme si convoité, de partagor
à l'amiable les meillem^s régions de l'Amérique méridionale, el
de frapper enfin sur les vaincus une contribution de guerre ca-
pable d ajourner ^^Vie die leur relèvement? On peut ^tre certain
que Guillaume II a déjà songé aux détails de cette lutte gigan-
tesque et qu'il en a fait élaborer le plan par son état-ïnajor.
Mais les deux rivaux européens, alliés malgré eux, ont penlii
trop de temps à se consulter, à se quereller et à se duper réci-
proquement par des accords secrets sur la liquidation des puis-
sances faibles. La guerre hispano-américaine leur offrait jadiv
l'occasion unique de masquer leurs véritables mobiles sous uni'
apparence généreuse et chevaleresque : ils Tout laisi^i^
«rbapper. Une simple démonstration navale aurait suffi ponr
sauver TEspagne et retarder par suite l'évolution américain*' :
ils n'osèrent la tenter.
Peut-être que Guillaume II eût été plus entreprenant et plu>
docile aux suggestions anglaises dévoilées aujourd'hui, s'il
avait pressenti Vimportance des tributs commerciaux quM
illait être forcé de payer les années suivantes aux Etats-Uni^
nctorieux. Mais Fempereur, alors en mauvais termes ave*^
l'Angleterre qu'il considérait comme sa rivale économique \u
pins immédiate et la plus dangereuse, manqua de clairvoyanco .
Incertain de la direction des sympathies de la France, crai-
gnant d'être mystifié par son allié éventuel et de favoriser
1 indostrie anglaise au détriment de l'industrie allemande qui
oommençait à prendre son essor, il recula devant Taventuro.
LMlemagne n'a donc qu'à s'en prendre à elle-même si h>
Etats-Unis ont pu mettre si facilement la main sur un domain*'
eobnial qu'elle convoitait depuis longtemps, et conquérir non
'^ulement le droit de cité dans le monde entier, mais la fon-i'
Décessaire pour faire prendre désormais au sérieux la doctrin*
de Moitfoe.
• ♦
Il y a quelque temps la question du canal de Panama aurait
pu encore constituer un casus belli avec les Etats-Unis. A
létonAernent général, l'Angleterre, et l'Allemagne avec e)l(\
234- 0UIS8TIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
renonça à tout droit de contrôle sur la future artère inter-
océanique (traité Hay-Pauncefote).
Plus tard, Topposition faite par les Etats-Unis aux desseins
ambitieux de T Allemagne en Chine faillit faire perdre patience
àGuillauitie II : celui-ci s'empressa de liquider l'entreprise in-
ternationale qu'il avaitorganisée beaucoup pluspour provoquer le
démembrement du colosse céleste que pour défendre les intérêts
de la civilisation ; il annonça, à qui voulut l'entendre, que le péril
jaune était momentanément conjuré et qu'il fallait préparer
aussitôt la guerre contre le péril américain.
Enfin, la violente campagne de presse américaine, entreprise
contre l'Allemagne à Foccasipn des sondages prolongés du croi-
seur impérial Vineta dans les parages immédiats de l'île Mar-
garita et des bruits d'achat de cetie île par les négociants alle-
mands du Venezuela, fit redouter une rupture. Contrairement à
toute attente, l'Allemagne déclara officiellement qu'elle ne
songeait nullement à acquérir une station navale ou un simple
dépôt de charbon dans le golfe du Mexique.
Pourquoi cette attitude pacifique au lieu des foudres annon-
cées quelques mois auparavant?
Revenu de son premier emballement, Guillaume II avait com-
pris tous les aléas d'une action où l'Angleterre pouvait le laisser
isolé à la moindre difficulté, ou même se retourner contre lui au
règlement de compte. La Grande-Bretagne n'était d'ailleurs pas
en état de lui prêter un concours efficace : TafFaire. sud-africaine
n'était pas encore terminée ; le gouvernement anglais, préoccupé
des progrès des Russes en Mandchourie, précipitait les pourpar-
lers de l'alliance anglo-japonaise; les succès de l'Allemagne dans
l'affaire du chemin de fer de Bagdad, coïncidant avec un
redoublement d'influence russe en Perse, attiraient également
son attention sur le golfe Persique. Il fallait donc giagner du
temps, attendre la capitulation des Boers et se concilier la»
bonne volonté du cabinet britannique. En prévision d'un insuc-
cès à Londres, on amuserait le tapis en Amérique, on cherche-
rait à se réconcilier en apparence avec les Anglo-Saxons de
Washington.
Dès lors tîhangement à vue, pirouette complète. La mission
du prince Henri fut une surprise pour le monde entier. '
L'Angleterre elle-même, si rapidement au courant de ce qui
se trame dans les cours étrangères, fut stupéfaite, et craignant
de voir se conclure un accord à son détriment, s'efforça de pro-
voquer une réception plutôt fraîche au frère de Guillaume II,
porteur du rameau d'olivier : on sait que ses révélations sen-
sationnelles manquèrent leur effet et n'eurent pour résultat
LA OOBSTION DU VENEZUELA 235
que de soulever une certaine tension entre Londres et Berlin.
L*é?olation subite du Kaiser paraissait naturelle. Ses des-
seii^s maritimes étaient loin d'être accomplis'; ses intérêts
eommerciaux dans le Nouveau Monde, ses lignes de navigation
sud-américaines représentant ensemble un capital de 6 mil-
liards de francs, — les 60 % des capitaux allemands d'outre-
mer, — étaient encore insuffisamment protégés. Il y avait
ensuite la question du renouvellement des traités de commerce.
Enfin, l'Allemagne ne pouvait oublier que les Etats-Unis et les
Républiques latino-américaines étaient ses mères nourricières;
son comqierce avec l'Amérique se chiffrait en 1901 par
2.773 millions de francs (presque le 1/4 de son commerce exté-
rieur) dont 1.825 pour l'Amérique du Norjd; les céréales, les
denrées coloniales, les matières premières qu'elle en retirait,
représentaient plus .d'un milliard. L'éventualité d'un conflit
prochain avec l'Amérique du Nord étant provisoirement
ajournée, il était de bonne politique de retirer tous les avan-
tages possibles de Texpectative.
Le frère de Guillaume 11 alla donc en Amérique, sans y être
invité, pour donner Taccolade forcée aux frères anglo-saxons,
rappeler lourdement aux Etats-Unis ht part prépondérante re-
venant aux émigrés allemands dans le rapide développement,
^ Eo 1907, la flotte allemande compreodra : l** 37 cuirassés, dont 24 modernes,
coDs:ruits après 1890; 2® 44 grands croiseurs dont H postérieurs à 1892; 3* 38 pe-
tits croiseurs dont la tnoitié modernes.
A theure actuélU^ elle peut faire partir dans un délai de huit Jourg^ vers les
eûtes d'Amérique :
18 cuirassés d'escadre modernes (toujours prêts).
6 cuirassés garde-côtes (i/2 prêts).
4 cuirassés lancés en 1884 (actuellemept en remaniement, mais
pouvant être rapidement mobilisés).
3 grands croiseurs (prêts).
6 petits croiseurs (id.),
50 torpilleurs de haute mér {id.).
Son ayant-garde, actuellement dans les eaux vénézuéliennes, comprend 1 gros
croiseur, 3 petits croiseurs, 1 canonnière.
Son escadre d'Extrême-Orient, forte de 3 grands croiseurs, 5 petits croiseurs,
4 canonnières et 2 tocpilleurft de haute mer, peut se concentrer en un clin d'œil
devant Manille ou filer, sur HawaJ et sur San-Prancisco. 12 croiseurs auxiliaires
peuvent renforcer rapidement ces escadres.
Le ravitaillement peut être partout assuré par un convoi de cargo-boats chargé de
bouille.
Enfin il est possible d'embarquer- en huit jours, k bord des grands paquebots im-
médiatement disponibles, un corps expéditionnaire de 50.000 hommes d'élite.
Les Etats-Unis peuvent mettre sur pied, en 15 jours, dans l'Atlantique Nord,
16 vaisseaux de ligne, 8 croiseurs cuirassés, 16 croiseurs, une dizaine de canonnières,
12 contre-torpilleurs et 18 torpilleurs d'escadre, sans compter les unités de protec-
tion immédiate. des côtes.
Les cercles maritimes admettent qu'un bateau allemand vaut deux bateaux amé-
ricains en raison de la supériorité d'instruction, d'armement et de Thomogénéité du
personnel de la marine allemande.
236 QUESTIONS ùlPLOUXriQVB& ET COLONIALES
la prospérité et la culture intellectuelle de la République et ra-
nimer le Deutschtum chez les 10 millions de citoyens améri-
cains de sang allemand plus ou moins dilué : le çboc joyeux
d'une bouteille de Champagne du Rhin, lancée par la main
délicate de M"' Alice Roosevelt contre les flancs du yacht Me-
teor, remplaça le fracas des bombardements. Le Bund national
des Allemands des Etats-Unis éleva des arcs de triomphe au
prince qui, malgré son tact habituel, ne put éviter de com-
mettre une lourde faute, sous rinfloence de ia chaleur corn-
municatiye des banquets, en lançant à tout citoyen américain
portant un nom à consonnance germanique cette apostrophe :
Souviens-toi que tu es Allemand.
L'ambassadeur extraordinaire, mal informé et secondé par
Tambassadeur ordinaire, M. de HoUeben, revint bredouille : les
Etats-Unis, embrassés malgré eux, ne s'étaient pas déridés et
n'avaient même pas fait allusion à ce petit dépôt de charbon
rêvé par l'Allemagne en vue des côtes du Venezuela.
9
O «
Guillaume II, feld-maréchal des armées allemande et
anglaise, grand amiral de la flotte allemande, joint aux qualités
militaires qu'on lui reconnaît officiellement, dans son empire,
le don des manœuvres rapides et déconcertantes.
L^annonce de l'envoi à Washington de la statue de Frédéric
le Grand, pour faire le pendant de celles de Rochambeau et de
Lafayette, n'ayant pas produit plus d'effet sur l'âme yankee que
l'offre du rameau d'olivier, le Kaiser exécuta son mouvement
d'arme favori et changea son fusil d'épaule. La guerre sud-
africaine était terminée, l'alliance anglo-japonaise signée : le
neveu combla l'oncle de prévenances, refusa de recevoir les
généraux boers, accabla l'armée anglaise d'éloges, convia lord
Roberts et le marquis de Lansdowne aux manœuvres impériales
pour leur montrer la Buren Taktik^ et multiplia ses séductions
sur les ministres anglais. L'état-major allemand sortit de ses
cartons le fameux plan de campagne traité jadis en cas concret
sur la carte du Kriegspiel mondial. On se remit à causer de
l'imminence du péril américain et des moyens d'y faire face.
Les insurrections de Haïti, de Colombie et du Venezuela bat-
taient alors leur plein. Le président Castro, persuadé que l'An-
gleterre et TAlIemagne encourageaient les insurgés, se montrait
particulièrement désagréable à l'égard des nationaux anglais et
allemands : les intérêts des deux nations allaient être grave-
ment compromis si Ton n'y mettait ordre. Le croiseur allemand
Vineta fut rejoint par trois navires de guerre : deux b&timents,
LA QUESTION DU VBNéZUÉLA 237
écoles de cadets, en voyage d'instruction dans T Amérique du \
Sud, reçurent Tordre de rallier sans se h&ter les eaux vénézué- H
lieimes. La division Scheder se mit bientôt en branle-bas de châ- 4
timent. Une escadre anglaise se disloqua habilement entre les i
différentes Antilles, prêtes à se concentrer à la moindre alerte. I
Les Etats-Unis ne pouvant ou négligeant « de rétablir Tordre dan^ ]
leur rue )», les navires anglo-allemands allaient s'en charger.
Peut^tre qu'une répression trop vigoureuse, une saisie de ter-
ntoire, soulèverait Topinion publique américaine et provoque- * *
rait un conflit irrémédiable.
Après la première application de la méthode allemande, faite
aux dépens de la malheureuse canonnière haïtienne Crête-à^
Pierrot^ l'Angleterre se laissa convaincre de renforcer Tescadre
(le la Méditerranée ; en même temps Tescadre allemande de In
Baltique cachait son activité sous le masque des évolutions et
manœuvres annuelles. Nous savoos aujourd'hui que les Etats-*
l'ois, méfiants à juste titre, mobilisèrent et concentrèrent en
même temps une flotte de 8 cuirassés, 10 croiseurs et un nom-
bre considérable de torpilleurs et contre-torpilleurs, dans la mer
•les Caraïbes, sous le commandement de Tamiral Dewey, dont
Il prophétie est bien connue : « La première grande guerre des
Etats-Unis se fera contre V Allemagne. »
Après quatre mois de négociations avec TAngleterre et de
i^quetteries empressées àTégarddu Foreign Office^ Guillaume H
♦^ décida à aller chasser à Sandrigham. 11 se plaignit d'abord
imèrement à son oncle des attaques incessantes de la pressa*!
njrlaise contre l'Allemagne, puis, entre deux tirés, détermina
Eilouard Yll, peu soucieux de se lancer dans la politique person-
nelle, à ne plus tolérer les insolences du président Castro, les
adultes au pavillon et aux nationaux britanniques, et à exiger
alio, à Taide d'une action commune anglo-allemande, le paie-*
iient des fameuses créances sans cesse ajourné. On allait enfin
«iter, à cette occasion, pour la première fois, cette fameuse doc-
u'ine non écrite de Monroe que Ton n'avait pas encore violée et
lonl il importait de préciser la portée. Guillaume H écarta
'priori la solution de Tarbitrage préalable, employée peu de
aiois auparavant avec succès par la France pour la reconnais-
^ance d'une créance double de celles de TAngleterre et de
• Mlemagne réunies. On connaît la suite.
^iuel sera le résultat final de l'engagement d'épée déjà des-
MUé?
L'insistance avec laquelle TAUemagne a essayé d'embrouiller
T'^'
UNE PREMIÈRE
OCCUPATION ALLEMANDE AU VENEZUELA
XV1« SIÈCLE (1526-1546)
Les querelles de rAUemagne avec le Venezuela soulèvent
une question historique dont on ne s'est guère occupé en
France. Mais la presse berlinoise n a pas manqué de rappeler
avec orgueil que le Venezuela avait été, au xvi* siècle, occupé et
administré par des Allemands et Tun des principaux organes
d'outre-Rhin la dénommé ce la plus ancienne des colonies alle-
mandes * » .
Il est bien vrai que l'empereur Charles-Quint, se trouvant à.
court d'argent, avait en 1528 affermé sa colonie du Venezuela
aux riches banquiers d'alors, les Welser d'Augsbourg. Par un
traité en date du 27 mars de cette année, il autorisait ces der-
niers, en échange des fonds qu'ils lui remirent, à exploiter et à
administrer le pays à leur guise. Les Welser, qui songeaient
moins à coloniser qu'à se procurer de l'or, envoyèrent, comme
premier gouverneur au Venezuela, Ambroise Allinger, à qui ils
adjoignirent comme lieutenant Bartolomé Sailer. Ceux-ci arri-
vèrent à Coro * au commencement de l'année 1529, avec quatre
cents hommes et quatre-vingts cavaliers. Ils ne tardèrent pas à
s'enfoncer dans l'intérieur des terres à la recherche des mines,
et poussant leurs incursions jusqu'à Sainte-Marthe, ils laissè-
rent dans tous les pays qu'ils traversaient des traces sanglantes
de leur passage. Faisant bon marché de la vie des indigènes,
ils les mettaient à mort par bandes et le désespoir força les
Indiens à prendre les armes. Alfinger fut battu en différentes
rencontres et reçut plusieurs blessures. La moitié des Allemands
succomba sous les flèches des naturels; presque tous les autres
moururent d'épuisement et de fatigue, torturés par la soif insa-
tiable de l'or. En peu de temps, les Allemands furent réduits
à un très petit nombre d'hommes.
Cependant Alfinger, ainsi que son lieutenant et les compa-
1 Berliner Tageblait, 14 décembre 1902.
s Coro (Etat Falcon), première capitale du Venezuela et ville épiscopale jusqu^ea
1606, époque à laquelle on transféra le siège du gouvernement à Caracas.
UNE PREMIÈRE OCCUPATION ALLEMANDE AU VENEZUELA 241
paons qui lui restaient, s'était laissé persuader que bien loin,
dans rintérieur du pays, se trouvait une maison toute d'or. Ils
s engagèrent en une expédition aventureuse dans les montagnes
de la Nouvelle-Grenade (septembre 1530), et faisant porter aux
Indiens, deux à deux, des charges que les mulets auraient
trouvées trop pesantes, ils s'enfoncèrent toujours plus avant. Les
malheureux, épuisés de fatigue, s'arr{^taient-ils; Alfinger leur
faisait couper la tête pour les séparer et ne pas arrêter la mar-
che*. La maison d'or ne parut point et Alfinger dut revenir sur
ses pas. Mais il ne devait point rentrera Coro; attiré dans une
embuscade par les Indiens, il périt assassiné.
La malheureuse ambition du premier gouverneur allemand
devait continuer à hanter ses successeurs et à exercer sur leur
administration les plus fâcheuses conséquences. Pendant plus
de quinze ans, les délégués des Welser rêvèrent des palais d'or,
des grands royaumes féeriques, où l'or se trouvait partout, dans
les eaux des fleuves, comme dans les flancs des montagnes, et
sans cesse à la recherche du pays fortuné de VEl Dorado^ ils
épuisèrent leurs forces et leurs ressources dans des expéditions
fônestes et sans cesse renouvelées *.
Le premier successeur d' Alfinger fut Johann que Ton appe-
lait El Alenion. Nous ne savons rien de son administration,
sinon qu'il fit un peu oublier aux Espagnols les cruautés de son
prédécesseur et qu'il mourut avant d'avoir eu le temps de
ï'engager dans aucune expédition.
Les Welser choisirent pour lui succéder George Hohermuth,
originaire de Spire, et que les Espagnols désignèrent pour cette
raison sous le nom de George de Spira. Il arriva au Venezuela,
accompagné d'un jeune lieutenant, Philippe de Hutten, et
d'hommes passionnés pour les aventures. Hohermuth était un
homme probe et honnête, un général consommé, et avec cela,
dirent les historiens espagnols, un bon chrétien, aimé des sol-
dats et de la population. Il avait toutes les qualités nécessaires
pour devenir un excellent gouverneur. Malheureusement, la
malédiction qui semblait s'attacher à tous les représentants des
Welser s^appesantit sur lui; la fièvre de l'or le tortura, au point
qu'il en devint véritablement fou furieux, et Tinsensé ici
démente)^ comme l'appelle Herrera, ne voulut pas goûter un
instant de repos avant d'avoir pénétré dans TEl Dorado. A peine
* Docomenls inédits communiqués par Thistorien vénézuélien Aristides Rojas.
2 Cf. AxToicio DE Hbrrbba : Décades, 4 vol., Madrid, 1601 ; — Gonzalo Oviedo :
la Bistoria de las Indias (1547) ; — Lopez de Gom ara. : Historia de las Indias
Anvers, 1554); -^ Pibrbe, martyr d'Anghiera : Décades Oceanicas (Colon, 1518); —
VcMZHT et HcjasRT : Le Venezuela (Pion et Nourrit. Bibliothèque illustrée de*
fojafes).
Oostr. DiFL. w Coi-' — ». xt. 16
242 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
arrivé à Coro, il nomma un vice-gouverneur, Federmann, pour
le remplacer dans ses fonctions administratives, et s'engagea
dans une aventureuse expédition. Pendant trois ans il courut
les montagnes, souffrant, lui et sa troupe, de tous les genres
de misères; ils revinrent à Coro, sans avoir trouvé d*or, à bout
de forces et dans le dénûment le plus absolu.
Durant Tabsence de George de Spira, Federmann avait et*'*
nommé gouverneur. Soldat de grand talent, homme d'un
caractère ferme et énergique, c'était un successeur dij^rie
d'Hohermuth; mais il eut hâte de suivre les traces de ce der-
nier et s'engagea dans les montagnes de la Nouvelle-Cirenacle
en une expédition qu'il nous a décrite lui-môme dans riiistoiro
de ses aventures qui parut en iS5o, après sa mort.
Federmann ne revenant pas, on le considéra comme cessant
ses fonctions, et l'évéque de Coro, Bastidas, fut chargé par
YAufliencia de Saint-Domingue de prendre en mains le gouver-
nement du Véné/uéla. Mais, sur ces entrefaites, George de Spira
revint de son expédition, et de par les droits des Welser, se trouva
rétabli en sa charge de gouverneur. Ce ne devait pas être pour
longtemps, et il méditait déjà une seconde expédition lorsque l
mourut dans l'hiver de 1S40.
L'évéque Bastidas lit alors nommer gouverneur le jeune lieu-
tenant d'Hohermuth, Philippe de Hulten. D'un caractère roma-
nesque et aventureux, généreux et confiant, mais en nionie
temps faible et tiuiide, il ne devait être qu'un instrument entre
les mains de Bastidas. L'astucieux Espagnol, en effet, ne Tavait
fait élever à la dignité de gouverneur que pour mieux dirîj^^or
lui-même les affaires du Venezuela, et il lui imposa, pour ainsi
dire, la condition d'organiser une expédition dans l'intérieur
du pays. Les Welser confirmèrent Philippe dans ses fonctions,
et ils lui donnèrent même comme lieutenant un membre cle
leur famille, Bartolomé Welser, pour l'accompagner t\ lu
recherche de ces Amazones qui occupaient, disait-on, bien loin,
sur les confins d'un fleuve immense (le Marafton), un pays vaste
et fertile qui renfermait dans son sein de l'or en abondance.
Philippe, qui n'avait jamais ambitionnné que la gloire, se
voyait, comme malgré lui, entraîné h. la recherche du métal fas-
cinant; aussi quitta-t-il Coro avec des pressentiments sinistres
qui, hélas! ne devaient que trop tôt se réaliser.
En effet, tandis que Hutten et Bartolomé erraient à travers
les forêts et que les soldats se querellaient avec les employés et
les habitants de Coro, un aventurier espagnol, Juan de (lar-
vajal, qui avait suivi les expéditions des Allemands, usurpa le
itre de gouverneur, triomphant ])ar la ruse et l'audace (lo lu
UNE PREMIÈRE OCCUPATION ALLEMANDE AU VENEZUELA 243
confiance et de la timidité de Hutten. Il Tinvita à dîner à
Tocuyo * et l'obligea à conclure avec lui un traité par lequel il
reconnaissait la légitimité de ses prétentions. Mais Carvajal ne
se contenta pas de ce résultat, et dans la Semaine Sainte d<^ i^îlti
il surprit, vers minuit, Philippe de Hutten et Bartolomé \\ i*lsei\
et les assassina traîtreusement ainsi que deux nobles Espa-
gnols.
L'indignation que causa la perfidie de l'usurpateur fut uni-
verselle: Espagnols et Allemands furent unanimes pour
réclamer le châtiment de Carvajal. Don Juan Pérez, homme
juste et courageux, fut délégué par Charles-Quint dans les fonc-
tions de justicier. Il fit arrêter Carvajal et condamna le iniitre
.\ être pendu.
Philippe et Bartolomé étaient morts en braves, « méritant,
disent les chroniqueurs, des lauriers et des palmes ». C»>lte
catastrophe causa aux Welser d'Augsbourg une profondi* dou-
leur; ils commencèrent à détourner leurs regards du Venezuela.
Les vingt années d'aventures aussi funestes qu'audacieu>t*s de
leurs délégués ne leur avaient procuré que mécomptes et <ir*et*p-
tions de toutes sortes. Frappés à la fin dans leurs plus cli^res
affections par la mort d'un des leurs, ils revêtirent le noir en^pe
de deuil, et bientôt après ils abandonnèrent tous leurs droits sur
le Venezuela, qui retomba sous l'administration dire» tr lie
»J)arles-Quint.
Telle est dans ses grandes lignes l'histoire de la domination
^lemande au Venezuela de 1528 à 1546. Les Welser nrnit eu
^Hoime été que les fermiers de Charles-Quint; le bail résilié,
tous les droits ont cessé et les Allemands d'aujourd'hui n*' peu-
vent guère s'appuyer sur les titres acquis par leurs ancêtres pour
justifier une occupation du Venezuela. En revanche, ils tnjuve-
Tdient peut-être dans cette histoire quelques-unes des raisons
Ju peu de sympathie dont jouit actuellement au Vén<*/uéla
Vlf^ment allemand. C'est précisément ce peu de sympathie qui
-xplique rinsuccèsde la révolution et le recul momentané subi
par le g:énéral Matos. Le président Castro, en elfet, est moins
limé que redouté par ses compatriotes, et la fin de sa diclaluie,
qui n'a cessé d'être troublée par laguerre civile, serait sans lioute
accueillie par un immense soupir de soulagement. M;iis la
'évolution est encouragée secrètement par les Allemands, et
' Tocujo, ville de l'Etat Lara, située par 9o 35' latitude Nord, 72o40' J.nii.^jtude
'*ntst^ sur la rive droite de la rivière de ce nom, dans une vallée qui s'im lioc un
; ."U vers rOuest. Productions : café, quinquina, peaux de biques et de bu-uffl, hlé,
:3.nne à sucre, fruits. — Dans les environs, mines d'antimoine, de liisinnih, ilô
cuivre, de fer, d'argent et de plomb. — Fondée par Carvajal le 1 décembre t5t,i.
244 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
bien que ron s'accorde à représenter Matos comme un esprit
aimable et une grande intelligence, on sait qu'il est Fhomme
des Allemands et on Taccuse de recevoir d'eux des secours et
des munitions. Il a d'ailleurs été élevé en Allemagne, et on lui
donne au Venezuela le même surnom qu'autrefois au successeur
d'Alfinger; on l'appelle Matos « el Aleman ». Cependant le Véné-
zuélien est ausçi peu rancunier qu'ami du changement. Au
XVI* siècle, malgré le mauvais souvenir qu'avait laissé Alfinger,
on accueillit avec joie, à Coro, Hohermuth et Hutten, et aujour-
d'hui, si les Allemands consentaient à régler pacifiquement leurs
différends, le bombardement du fort San-Carlos serait bien vite
oublié. Il ne serait pas impossible alors que, grâce à un revire-
ment d'opinion en faveur des Allemands, le général Matos
regagnât l'affection de bon nombre de ses concitoyens, et nul ne
peut prévoir ce qui arriverait.
GONZALÈS FiGUEIRAS.
Ll PRESSE POLITIQUE
Elf BOHÊME, MORAVIE ET SILÉSIB '
Dans la lutte politico-nationale entre Tchèques et Allemands,
la presse est non pas le seul, non pas même toujours le prin-
cipal, mais un des plus importants moyens d'action. Tout à la
fois cause et effet par rapport à Topinion publique, le journal
est souvent autant, parfois plus que le suffrage, surtout en
Aufa-iche, un des signes extérieurs de Tétat d'esprit d^une
nation, en même temps que de son développement cultural.
C'est à ce point de vue que nous voudrions ici esquisser la
situation présente de la presse dans ce qui fut jadis le royaume
de Bohême, et ce qui est aujourd'hui le principal champ de
combat entre Tchèques et Allemands, dans les trois pays de
la couronne [Kronland selon l'expression allemande) : Bohème,
Moravie et Silésie.
On ne trouvera donc pas ici un catalogue de tout ce qui peut
paraître comme journal quotidien dans cette partie de l'empire,
mais seulement les organes les plus importants quant à leur
nombre de lecteurs, leurs inspirateurs ou les tendances nou-
relles qu'ils révèlent. Toutes, les fois que nous le pourrons,
nous indiquerons le chiffre de leiu* tirage : quoique nous ayons
puisé ces renseie^nements à des sources très autorisées, ils sont
d'un ordre trop délicat pour que nous puissions les donner
autrement que sous réserve : ils suffiront cependant, je crois,
pour indiquer la diffusion des feuilles que nous nommerons.
Pas plus que nous ne voulons faire un catalogue, nous ne
pouvons faire ici une étude des partis : à l'heure actuelle sur-
tout, cela demanderait une série d'articles pour indiquer avec
nuance et précision les caractéristiques de chacun d'entre eux.
Sous nous contenterons en ce moment de marquer d'une note
rapide, et forcément superficielle, la couleur politique ou la ten-
dance des divers journaux.
Je crois pourtant qu'on aura une idée suffisamment com-
plète de la presse de Bohême, Moravie et Silésie, quand on
aura esquissé Taspect en quelque sorte extérieur d'un journal,
les partis auxquels se rattachent les plus importantes feuilles
et l'influence que celles-ci peuvent avoir sur la population.
s V. Quest. Dipl. et CoL^ 15 juillet et 15 août 1902.
246 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
L ASPECT DU JOURNAL
Sauf la différence de langue et le nombre de pages, tous les
journaux, tchèques comme allemands, ont le même aspect :
comme en beaucoup d'autres choses, les Tchèques ont été si
imprégnés de civilisation allemande pendant les deux derniers
siècles, que leurs mœurs, leurs coutumes et leurs journaux ne
diffèrent point de ceux de leurs adversaires; leur format est
celui des feuilles d'Allemagne, à peu près de grandeur moitié
moindre que celui de nos journaux français; les organes impor-
tants ont 8, 12, 16, jusqu'à 24 pages; les plus petits, de 4 à 8;
beaucoup publient des suppléments hebdomadaires ou plus fré-
quents; certains, des suppléments illustrés, mais assez rare-
ment. Comme en Allemagne, l'annonce y est très développée :
on peut dire qu'elle remplit la moitié du journal, même quand
il y a 16, 20 ou 24 pages : quoique bon marché, Tannonce et
la réclame, auxquelles on a recours plus fréquemment qu'en
France, sont une facilité pour l'extension des journaux. La
plupart des feuilles n'ont qu'une édition par jour (quelques-
unes même, de moindre importance, tous les deux jours) ; à
Prague, quelques grands organes ont une édition principale
[Hauptblatt en allemand) le matin et une édition réduite à
4 pages le soir [Abendblatt] pour les nouvelles de la journée.
Les journaux écrivent naturellement surtout sur la politique
intérieure, dont là-bas tout le monde s'occupe beaucoup plus
qu'en France, et ils sont certainement l'une des causes de la
difficulté à résoudre la moindre question divisant les deux
nationalités. Aussi, sauf quelques exceptions, rejettent-ils au
second plan les questions économiques et sociales, si impor-
tantes pour l'Autriche à l'heure présente, et les articles litté-
raires. Généralement c'est sous une rubrique spéciale qu'ils
réunissent les nouvelles économiques courantes : les journaux
allemands l'intitulent souvent : National-CEkonom. Quant à
la littérature, en dehors du feuilleton, qu'il est souvent diffi-
cile d'y faire rentrer, elle n'est guère représentée que par
quelques contes, des critiques, des comptes rendus et des « au
jour le jour » relatant les petits événements du monde artis-
tique et littéraire ; toutefois certaines feuilles tendent à publier
de temps à autre des suppléments où se rencontrent: nouvelles,
causerie, vers. J'en ai un entre les mains intitulé « la Poésie
moderne française », où l'on a traduit en vers tchèques des
pièces de nos plus contemporains versificateurs : Verhaeren,
L\ PHES&E POLITIQUE EN BOlll^MEj MOflAVlE ET SILÉSIE 247
Tailhade, Verlaine, Kaha, FL de Régnier, ^Tristan Corbière,
ixiinl** Uobert de Montesquîou-Fezensac^ été... Je n'ai jamais
autant regretté de ne pouvoir lire le tchèque que devant cette
traduction, en vers je vous prie, de qiielt[ues-uns des vers no-
tuirf*> (les Hortensias hleus.
Mai*: letj; journaux ^-occupent presque autant de politique
extérieure que de politique intérieure, ce qui nous change des
hainludes fnincuises ; le monde tchèque U>\xi entier et l'Aile-
tnagne qui enserre leur pays les intéressent plus que tout autre
Étal. tj?[iendant ils s intéressent presque autant aux choses
franÇiiises : ehaqiu^ jour un grand nombre il<^ dépêches les ren-
seignent sur elles. Parfois même, les journaux tchèques s'en
occupent pins qu'il ne faudrait et Ttm y a pu lire de longs
iirticles virulente^ |Hïur ou eonlre les quesliims intérieures qui
nous divisi^iit. Même ceux qui eu France partagent leurs
itlée^ se sentiraient choqués, s'ils les pouvaient lire, des
rxpn'ssions que de regret la Ides excès de plume laissent passer
4a ns de^ journaux qui [irécheni l'eutenle franco-tchèque.
UuVntre nous ht polémique entraîne à jeter à ses adversaires
ile& ép il hé tes comme « handits cosmopolites » ou « vendus- à
Rome, Genève ou Berlin h, cela est di' maigre importance;
mais quand on les rencontre dans un journal étranger,
**ïDplny»^>es comme avec conviction, eeiui-là même ou ceux-là
ipii les auraient involonlairement, je l'espère, inspirées de
France, ne pourraient qu épniiivcr un serrement de cœur en les
i>*y~ant appliquer k toute une catégorie d<' ses concitoyens.
Uan^lintérèt même de la cause qu'ils défendent, ceux qui se
;*melament nois amis en Hohénie, devraient sentir le déplo-
rable eiTet que de lels articles produisent en France, et surtout
produira îenl, s'ils y étaient connus, étiez les gens raisonnables
Jetons les partis : leur;^ adversain^s ne jiourraient leur jouer
plu^ méchant tour que de traduire el publier chez nous de tels
passages. Cela nous paraîtrait i\ tous aussi déplacé qu'à eux si
îwiijs nous mêlions inconsidérément de prendre violemment
farti t^ntre les diverses tractions politiques tehèques, d'injurier
li-s uns pour soutenir les autres : cela ne serait certes pas utile
i ceux q non soutifMidrait et nous manquerions de la réserve
<juentre nations dillerenles on se doit garder. Les meilleurs
unis des Tchèques en France souhaitent qu'ils ne compro-
metient pas leur propre cause par des manifestations qui par-
tent, je le veux bien, d^in naturel sincère <t croyant tout ce
(pi 'on écrit chez nous h la légère, mais qui manquent vraiment
tropd\ine retenue indispensable.
Au reste, la France est encore mal connue en Bohème : les
248 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET^ICOLONULKS
journaux publient nombre de dépêches, articles ou traductions
concernant les choses françaises, mais pas un, à ma connais-
sance, n'a de correspondant à Paris, pas un ne publie des arti-
cles venant de France, faits par un Tchèque connaissant bien
notre pays, ou par un Français, dont on traduirait la prose : il
y a eu seulement quelques articles donnés il y a assez long-
temps à un ou deux journaux de Prague par quelques per-
sonnes après leur passage en Bohème, par M. P. Dareste,
entre autres, je crois, mais ces collaborations n'ont pas con-
tinué. Les journaux et le peuple tchèques ne connaissent donc
la France que par quelques-uns des leurs (en très petit nombre)
qui y ont séjourné et ont su nous apprécier, et par un grand
nombre d'autres qui ne nous aperçoivent qu'à travers des répu-
tations de romans, des spectacles « bien parisiens n, ou des
dires de Français intéressés, dont ils s'exagèrent Tinfluence
politique et qui, reçus à Prague et contraints, j'imagine, par
les circonstances, ont « bluffé », si Ton me permet l'expression.
Les journaux, désireux de multiplier les relations franco-
tchèques, feraient, je crois, une réforme utile en publiant
quelques correspondances françaises bien informées et d'esprit
pondéré.
Pour mieux fixer Taspect d'un journal de ce pays, je vou-
drais, à titre de spécimen, décrire brièvement un numéro pris
au hasard. Voici, par exemple, un exemplaire de la Polilik :
c'est un journal fondé il y a quarante et un ans à Prague, dirigé
depuis cinq ans par un publiciste distingué et prudent,
M. Bretter. Cet organe est d'opinion vieux-tchèque, mais il est
surtout rinterprète des Tchèques devant Topinion austro-hon-
groise et européenne : c'est en effet le seul quotidien de sen-
timent tchèque, mais écrit en allemand ; il tire de là sa grande
importance, quoique son tirage n'oscille qu'aux environs de
10.000 numéros; il la tire aussi de ce fait qu'il est intime-
ment uni au plus répandu journal de Bohême, dont nous
reparlerons plus loin, les Narodni Polilika,
Le numéro ^que j'ai sous les yeux a 24 pages du format
ordinaire des journaux allemands : en première page, un
article sur les projets de chemin de fer et un feuilleton tra-
duit de Sienkievvicz ; puis une page sur la politique générale
intérieure, une autre sur la politique extérieure et un second
feuilleton ; sous le titre de Tageschronik, 7 colonnes (la page
est de 3 colonnes) sur une multitude de faits où se cou-
doient entrefilets politiques, comptes rendus de réunions, nou-
U PRESSE POLITIQUE EN BOHÊME, MORAVIE ET SILÉSIE 249
Telles locales, avec des réclames pour finir ; puis encore des
chroniques, c'est-à-dire un assemblage de petites nouvelles, ce
que nous appelons en France des « échos », une sur le sport,
une sur les associations ou sur la littérature et l'art, une sur
le Palais de Justice, et cette douzaine de colonnes d'au jour le
jour se termine par les « petites nouvelles » qui sont intitulées
Mosaik. Avec quatre colonnes de nouvelles télégraphiques
\Drahtnachrichten) de l'intérieur et de l'étranger, se termine
la partie politique du journal. Les quatre pages suivantes sont
un véritable journal économique et financier : une chronique
sur le marché des sucres, si importants pour la Bohême, des
échos et comptes rendus de toute sorte, groupés sous le nom de
^ational-Œkonom et pour terminer les cours et nouvelles de
la Bourse des valeurs et des marchandises. Cet ensemble rem-
plit les douze premières pages du journal : les douze suivantes
sont le domaine exclusif de l'annonce et de la réclame.
Tel est, sauf différences de langue, d'étendue, et sauf
quelques changements de minime importance, le schéma d'un
journal tchèque ou allemand de Bohême : on voit, sans que
[insiste, les qualités qu'il possède et les défauts qui nous cho-
queraient, du moins selon nos coutumes françaises.
II
LES JOURNAUX ET LES PARTIS
Pris dans leur ensemble et sauf exceptions particulières, les
journaux tchèques, comme les journaux allemands de Bohême,
Moravie et Silésie, forment comme trois couches successives :
les plus anciens sont plutôt vieux-tchèques ; ensuite des organes
^e sont fondés ou sont devenus jeunes-tchèques ; enfin les
nouveaux partis, radicaux, socialistes-nationalistes et même
agraires, ont voulu à leur tour posséder leurs quotidiens.
Les Vieux-Tchèques, le parti dominant avant les « Poncta-
tions » de i890, détiennent à Prague, outre le journal la Po-
liiik dont nous venons de parler, son frère tchèque les Na-
rodni Politikn (la Politique nationale). C'est, sans contredit, le
plus important organe de tout le Nord de TAutriche et il laisse
?^sez loin derrière lui tous ses concurrents tchèques ou alle-
mands : son tirage ne se monte pas à moins de 60 à 100.000
exemplaires et il va, dit-on parfois, jusqu'à 120 et 130.000.
'"est donc un organe de toute première importance, dans les
mêmes mains que la Politik et avec une. administration ju-
melle. Malgré leur défaite politique, les Vieux-Tchèques ont su
lui garder sa valeur et le maintenir dans leur pouvoir. A
L
250 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Prague, les Vieux-Tchèques ont encore un autre organe, Hlas
Naroda (la Voix nationale). Son directeur, le D*" Bastyr, an-
cien conseiller municipal de la ville, a cherché à lui donner
une originalité; il met au premier plan les questions sociales
et économiques et le principal collaborateur qui les traite est
le D"" Albin Braf, professeur à TUniversité tchèque et Tun des
remarquables esprits de la Bohême contemporaine; il publie
des suppléments littéraires où Ton peut voir la signature
d'Emmanuel de Cenkov, poète délicat et traducteur de romans
de Victor Hugo; il fait l'essai d'un supplément illustré quoti-
dien; ses efforts n'ont encore qu'à moitié réussi, car le tirage
du journal est d'environ 6.000.
Les autres organes plus ou moins vieux-tchèques sont de
beaucoup moindre importance : c'est, àPilsen, li^Pézens/îé Listi/
(Gazette de Pilsen) qui ne se sépare en rien, comme du reste
presque tous les organes vieux-tchèques, des journaux jeunes-
tchèques, si ce n'est par l'inspiration intime, certaines ten-
dances, la manière et un peu la classe sociale à laquelle ils
s'adressent et surtout dont ils émanent. Il tire de 1.500 à 3.000.
A côté de lui, un organe de très minime importance, VÉcho^
le successeur de la Pilsner Reform, est à Pilsen ce que la
Politik est à Prague : l'organe vieux-tchèque écrit en alle-
mand, ici surtout, à Tusage de cette ancienne génération qui
disparaît de Tchèques élevés à Tallemande, ne connaissant
guère que l'allemand et en tout cas très mal le tchèque, mais
devenu Tchèques de cœur depuis le grand réveil national. C'est
la génération qui a aujourd'hui de 60 à 70 ans et dont un grand
nombre parlent encore allemand avec leurs enfants ; ceux-ci ont
aujourd'hui de 30 à 50 ans et parlent les deux langues, Talle-
mande et la tchèque ; leurs enfants ou leurs petits-enfants, la
génération qu'on élève aujourd'hui, par une étrange erreur,
fruit d'un nationalisme exagéré, n'apprend plus ou apprend
mal Tallemand. Quels que soient à d'autres points de vue les
effets de cette situation qui va naître, si on n'y porte remède, le
résultat, à notre égard, sera la disparition ou l'affaiblissement
des journaux tchèques écrits en allemand *.
En Bohème, les Vieux-Tchèques ont quelques autres petits
organes, par exemple à Budweis, Budivoj, qui n'a que deux
éditions par semaine et qui peut tirer de 1.000 à 1.500 exem-
plaires au plus; en Moravie, à Brunn, ils en possèdent un
quotidien, y)/o/-flt'5/ïY/ Orlice, qui tire de 3 à 4.000.
Sur l'aile droite des Vieux-Tchèques, le parti catholique ultra-
1 Au moment où je corrige les épreuves de cet article, on m'annonce que VEcho
vient de disparaître à son tour.
LA PRESSE POUTIOUE EN BOHÊME, MORAVIE ET SILÉSIE 251
montain, appelé souvent « clérical », uni à ce qu'on pourrait
appeler le parti conservateur, a quelques organes : en Bohême^
(»ù il est jusqu'à présent de faible importance, il ne posst^de
qu'un quotidien, le Kaioliché Listy (Gazette catholique), qui
parait à Prague : il est dirigé par M. Vanecek, inspiré par l'ar-
chevêché, et imprime 2 à 3.000 numéros. En Moravie et en
Silésie, le parti a une bien plus grande influence : en Moravie
>urtout, où il est représenté à Brunn par le . Hlas (la Voix)
lirage de 6 à 7.000) et à Olmutz par le NasineCy qui a trui**
•Citions par semaine à 3.000. En Silésie, le Opavshy Tydenniky
qui paraît à Troppau deux fois par semaine (2.000 numéros),
•^st un organe conservateur.
Les Jeunes-Tchèques sont le parti dominant depuis 1891 et
jusqu'en ces derniers temps presque le seul représenté dans les
«isseinblées électives : leur organe officiel, en quelque sorte, est
le Sarodni Listy (Gazette nationale). Fondé à Prague par Gregr,
(■e vétéran des luttes nationales avec le baron Hieger qui lui
survit, il est aujourd'hui dirigé par son fils, M. Prokop Gregr,
homme encore jeune et de savoir, mais qui n'a pas ou ne veut
pas avoir sur ses collaborateurs l'autorité suffisante pour impri-
mer au journal une direction uniforme; chaque rédacteur a^it
un peu à sa guise et il arrive parfois que le journal est en ilé-
<accord avec le club des députés jeunes-tchèques. Malgré cela,
••'est certainement un des plus importants organes de la presse
<!♦• Bohême : c'est un de ceux qui s'occupent le plus des choses
le France, surtout par la plume de M. Vaclav Illadik, par ail-
leurs dramaturge original et directeur de la revue littéraire
Umir. Si son tirage est moindre que celui des Narodni Pofi-
tika lies évaluations varient de 20 à 40.000), la situation poli-
tique lui donne une importance plus grande, comme porte-
pan)le de parti politique.
Les Jeunes-Tchèques ont une quantité d'autres organes,
quelques-uns importants par leur diflusion ou leurs inspira-
teurs : c'est en Bohème, à Pilsen, le Plzensky Obzor (Revue
^lePilsen's qui tire à 1.200, à Kuttenberg le Podvysocké Lisfy^
journal hebdomadaire (600 numéros), mais organe du dépiUé
au Reichsrath, D*" Pacak, un des directeurs du mouvement
jeune-tchèque, à Benesov le Hlasy od Blanika, journal bi-
mensuel (600 numéros), que dirige le député Engel, ancien
président du club jeune-tchèque, homme avisé et habile, qui,
malheureusement pour son parti, se retire de la politique t't
exerce aujourd'hui la médecine à Karlsbad. C'est enfin en Mo-
ravie, à Brunn, le Lidové Noviny , organe du député Stransky,
chef des Jeunes-Tchèques moraves (8 à 10.000 numéros).
352 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
A côté de ces partis déjà anciens se sont formés depuis
quelques années de nouvelles fractions politiques, les agraires,
les radicaux et les socialistes nationalistes : les premiers, géné-
ralement alliés des Vieux-Tchèques, n'ont, à ma connaissance,
qu'un journal, Obrana Zemedelcu^ à Prague; les radicaux pos-
sèdent un organe à Prague, le Radikalni Listy (Gazette radi-
cale), dont le rédacteur en chef est le D*^ Baxa, député à la Diète
(deux éditions par semaine à 2.000 ou 3.000 exemplaires), un
autre en Moravie, à Olmutz, le Pozoi\ dont trois éditions de
\ .300 numéros paraissent chaque semaine. Cette presse nais-
sante, se développant à la gauche des Jeunes-Tchèques et par-
fois luttant contre eux avec assez de vivacité, trouve encore
des nationalistes qui les dépassent dans la personne des socia-
listes nationalistes : ceux-ci sont soutenus par la Ceskà Démo-
kracie (Démocratie tchèque), qui parait à Prague trois fois par
semaine sous la direction du jeune député Klofac (4.000 numé-
ros), et par le Nasé Snaby (Nos Souhaits) de Pilsen (tirage de
4.000).
C'est en quelque sorte hors cadres que Ton doit placer l'organe
du parti universitaire ^ populaire, dit « réaliste », le Cas (le
Temps) : dirigé par le D' Herben, sa politique est celle de l'es-
prit éminent qui exerce une influence si profonde sur la
Bohème contemporaine, sur ses adversaires eux-mêmes sans
qu'ils s'en doutent, le D*^ Masaryk, professeur à l'Université
tchèque de Prague. Ce n'est pas surtout à leur journal, qui ne
tire pas à plus de 8.000, ce n'est pas non plus à leur parti poli-
tique que les « réalistes » doivent leur importance, c'est uni-
quement à la qualité de leur état-major universitaire et sur-
tout à la haute valeur de leur chef, dont nous étudierons peut-
être un jour les idées, toutes différentes de celles des autres
partis tchèques.
• •
Les trois séries de journaux allemands, qui font comme pen-
dant aux trois séries de journaux tchèques, sont les organes
libéraux-progressistes, les plus anciens, ensuite les populistes,
enfin la floraison des petites feuilles pangermanistes.
Les plus importants et les plus anciens de ces journaux sont
généralement libéraux, soutenant le Deutsche Fortschritts^
partei : c'est à Prague, le Prager Tagblatt (13 à 20.000),
dirigé par M. Henri Tewelès, toujours absolument loyaliste, et
la Bohémia (IS.OOO) dont le rédacteur en chef est M. Willo-
mitzer. Ce dernier journal parut un certain temps avoir quel-
ques tendances ou, si l'on veut, quelques faiblesses pangerma-
nistes; aujourd'hui il donnerait plutôt la main aux Allemands
LA PRESSB POLITIQUE EN BOHÊME, MORAVIE ET SILÉSIE 253
chrétiens-sociaux dans le genre Lueger. A Pilsen, le Pilsener
Tagblatt suit la même politique. A Reichenberg, un organe
important est de la même nuance, le Reichenberger Zeitun^
(!5.000); mais dans la région allemande du Nord et de TEst de
la Bohême, ils n'ont que deux autres petits organes : à Eger
VEgerer Zeitung (3.000 exemplaires), trois éditions par semaine)
qui encore évolue vers le pangermanisme, et à Téplitz le
Teplitz Schœnauer Anzeiger qui paraît trois fois par semaine
et tire à 4.000. Par contre, en Moravie et en Silésie, ce sont
encore eux qui ont le plus de journaux : à Brunn le Mœhrisch
SchUssischer Correspondent ^kO\mutz le Mœhrisches Tagblatt^
à Igiau le Mœhrischcr Grenzbote^ à Troppau enfin le Deutsche
Wehr (plutôt chrétien social et antisémite), mais aucun n'a
acquis une grande diffusion.
Le parti populiste nationaliste, dénommé Deutsche Volks-
partei et le parti radical-national ou pangermaniste,-4ZZûfeM/^c/i,
dun développement assez récent*, ne possèdent encore aucun
organe important : ils se sont développés non pas dans quel-
ques milieux allemands du centre de la Bohême, mais sur la
bordure Nord et Est, plus influencée parle voisinage de TAUe-
magne et où la population, surtout la population bourgeoise suit
plus volontiers leur mouvement, facilement secouée par la
crainte d'une oppression slave ; aussi est-ce là tout le long de
cette frontière, dans la suite des riches petites villes indus-
trielles qui la jalonnent, que Ton se trouve en présence d'une
floraison de feuilles à maigre tirage, pour la propagande locale.
Les populistes, par exemple, sont soutenus par le Deutsche
Volkszeitung à Reichenberg, la Deutsches Volksblatt à Komo-
tau, les Saager Nachrichten à Saaz, le Nordbœmische Volks-
zeitung à Tetschen, la Wochenblatt à Leitmeritz, la Gablonzer
Tagblatt à Gablonz, etc. Les pangermanistes ont à leur dévo-
tion : à Eger les Egerer Nachrichten^ à Brux la Volkszeitung^
à Saaz le Saager Zeitung^ à Trautenau le Trautenauer Zei--
tung^ à Asch le Ascher Zeitung^ à Brunn, en Moravie, la
Deutsches Blatt, etc. Toutes ces feuilles ont un tirage limité
qui ne dépasse pas 5.000, généralement entre 1.000 et 3.000;
la plupart ne paraissent que deux ou trois fois par semaine : ce
sont en somme de véritables feuilles locales et de combat, répar-
ties dans toutes ces cités de 10 à 20.000 ûmes échelonnées le
long de la frontière.
« «
C'est en dehors de cette répartition en deux groupes qu'il
i Pour en connaître la curieuse histoire en Autriclie même, V. Georges BOhler :
Les coulisses du pangermanisme autrichien {Quest. Dipl. et Col.; 1" nov. 1902).
k.
254 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
faut placer les journaux socialistes internationaux et les jour-
naux gouvernementaux quasi officiels.
Les premiers sont écrits en tchèque, s'adressent aux ou-
vriers, dont la grande majorité dans Tensemble et une grande
partie dans les régions allemandes sont tchèques, et défen-
dent devant eux la pure doctrine marxiste : étrangers à toute
idée de droit d'Etat bohémien, ils ne demandent que le respect
de leur langue et gardent les meilleurs rapports avec les socia-
listes internationalistes de langue allemande. Leurs principaux
organes sont, à Prague, le Pravo Lidu (Droit du Peuple), dirigé
parle député au Reischrath Xémec et qui vend de 8 à 12.000 nu-
méros, et à Pilsen, le plus grand centre industriel tchèque après
Prague et la seconde ville de Bohême, la Nova Doba (Nouvelle
Époque) qui tire à 1.500. Mais il y a encore dans la monarchie
austro-hongroise d'autres organes sociaux-démocrates de langue
tchèque. C'est à Vienne qu'ils sont nés, à Vienne où la classe
ouvrière tchèque est si développée qu'elle compte peut-être de
200 à 300.000 individus : c'est là que s'est fondé le Délnické
LisLy (^Gazette des Ouvriers;, quotidien tchèque socialiste, qui
depuis a trouvé dans la capitale un imitateur.
Si les socialistes internationaux, par leur langue, se rattachent
plutôt aux Tchèques, les journaux gouvernementaux, écrits les
uns en tchèque, les autres en allemand, sont, comme toute
Tarmature de la monarchie, plutôt allemands, mais naturelle-
ment très réservés et se donnant souvent Tapparence de l'impar-
tialité. Cette presse gouvernementale n'est pas ce que nous
enlendons en France par pn»sse officieuse, des journaux amis
de gouvernement, où celui-ci fait paraître à Toccasion les nou-
velles qu'il juge utiles; c'est une presse tout à fait dans la main
du gouvernement et qui tieni le milieu entre le journal offi-
cieux et la feuille oflicielle. Dans chaque capitale de pays de la
Couronne, il y a au moins un de ces organes : à Prague, le
Prazslié Noviny (Journal de Prague) en tchèque et le Pragcr
Zcitung en allemand, tous deux dirigés par M. Hiibscher et qui
peuvent tirer à 2.000; i\ Troppau, la capitale de la Silésie, le
Troppauer Zcitung. C'est en Moravie, à Brunn, la capitale, (|ue
cette presse est surtout développée : le sentiment national y est
plus tiède qu'en Bohême, le Morave est plus mou de tempéra-
ment, plus dirigeable, ^^t Brunn ne compte pas moins de tnùs
journaux gouvernementaux, deux en allemand, le Morgen Post
et le Briinner Zcitung^ et un en tchèque, le Moravské Noviny
(Journal morave), qui se vend à plus de 20.000 exemplaires,
c'est-îVdire plus qu'aucun autre journal de Moravie.
En résumé, la presse tchèque en Bohême est surtout con-
LA PRESSE POLITIQUE EN BOHÊME, MORAVIE ET SILÉSIE *25o
centrée à Prague, où sont tous les principaux organes, et à
fMIsen, et ce sont les Vieux-Tchèques et les Jeunes-Tchèques qui
>e partagent la grande majorité des lecteurs ; en Moravie, Brunn
'*t Olniutz groupent les journaux surtout catholiques ou ch*ri-
raiix et jeunes-tchèques; en Silésie, la presse tchèque est sur-
tout catholique et antisémite; quant aux organes allemands,
les progressistes lihèraux, encore les plus importants, domi-
nent dans le centre de la Bohème (à Prague et à Pilsen) et
»*n Moravie et laissent la série des petites villes du Nord et de
TEst de la Bohème être le domaine réservé des petites feuilles
allemandes populistes et pangermanistes.
m
LES JOIRNAL'X ET LKIR I.NFLUKNCK
On ne peut pas dire que les journaux sont extrêmement
répandus, mais leur diffusion est cependant relativement déve-
loppée : on peut évaluer (d'une façon extrêmement approxima-
tive qu'aux 3.700.000 Tchèques de Bohème (d'après le recen-
^ement de i890\ la presse tchèque fournit 170 à 200.000
numéros quotidiennement (sauf quelques feuilles qui ne pa-
nii^'ient que deux ou trois fois la semaine), aux 1.600.000 de
Moravie de oO à 60.000, aux 140.000 de Silésie de 4 à 8.000;
.jiiant aux Allemands, les 2.200.000 de Bohème lisent 80 à
luô.OOO exemplaires, les 700.000 de Moravie de 25 à 40.000,
;-s 290.000 de Silésie de 10 à 15.000. Ces chiffres, dans leur
[nVision indéterminée, scmhlent indiquer une plus grande
diffusion relative des journaux tchèques; mais nous ne parlons
ici que de la presse locale et une grande partie de Télément
iilleinand, de condition sociale généralement plus élevée, lit les
^ournaiix allemands de Vienne ou d'Allemagne, ce que ne font
[Kt-i ou extrêmement peu les Tchèques; puis le grand centre
Ichèque de Prague est favorisé, car ses journaux se lisent dans
tnut le pays à la façon de ceux d'une capitale, sans qu'on se
i-nvé pour cela du petit journal local.
€es chi/Tres n'indiquent pas évidemment, de même qu'en
I »ut pavs, le nfmibre de lecteurs ; mais en Bohème surtout — car
Ï-- associations, sortes île cercles, y sont extrêmement déve-
hppées ilan^ toutes les classes de la société — \qs deutsches
iffitiS ou Cnsino allemands et les Beseda tchèques ont leur
Halle de lecture où les journaux passent de main en main.
On peut tlojic parler «Fune sérieuse inffuence des journaux
*-n Bohénje ; mais elle n'est pas exclusive, peut-être même pas
256 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
prédominante. Deux faits semblent le prouver : les journaux
vieux-tchèques ont un nombre sensiblement plus élevé de lec-
teurs que tous autres journaux de même langue et cependant,
si leur influence occulte subsiste encore, ils ne sont point les
maîtres de l'opinion; en sens inverse, les journaux agraires-
politiques n existent presque pas et cependant un mouvement
très vif s'est fait sentir en faveur des hommes de ce parti, ame-
nant aux dernières élections vingt et un députés agraires à la
Diète, Ces deux faits s'expliquent en partie par bien des^auses
politiques, que nous ne pouvons indiquer en ce moment, mais
^ aussi, je crois, par cette circonstance, qu'à la campagne surtout
le journal n'a pas encore atteint l'électeur, ou trop rarement,
pour se rendre maître de son esprit.
Cette dernière hypothèse' ne doit pas cependant se produire
très fréquemment, car les journaux, comme en Allemagne, se
vendent très peu au numéro et presque exclusivement par
abonnement : les principaux organes reviennent à environ
0 fr. 10 le numéro, les petites feuilles 0 fr. 05.
L'influence de la presse quotidienne est limitée d'autre part
de deux manières. Le journal écrit en tchèque n'a absolument
aucune influence sur la population allemande, qui ne comprend
pas la langue et ne cherche pas, sauf exception, à s'enquérir
des choses de l'autre nationalité. Le même phénomène se pro-
duit en sens inverse pour le journal écrit en tchèque : si les
Tchèques connaissent l'allemand, ce qui n'est pas du reste
vrai ni pour le peuple, ni pour les générations nouvelles qui ne
l'apprennent plus ou qu'à peine, leur conscience nationale est
trop développée pour en subir la moindre influence, politique
j'entends. Ce ne sont donc que des élites qui lisent les journaux
de l'autre nationalité, et il y a entre elles deux, comme dans la
politique, une cloison, qui n'est peut-être, comme disait jadis
le ministre tchèque Kaizl qu'une muraille de papier, <r papier-
wand », mais qui agit actuellement, en notre matière surtout,
grâce à la diff'érence de langue, comme une cloison étanche.
L'autre limite est l'existence, surtout chez les Tchèques,
d'une immense floraison de journaux autres que la presse poli- .
tique quotidienne, feuilles de corps de métier, revues, périodi-
ques, illustrés, journaux humoristiques, etc.. * : la Bohème,
1 Un obligeant correspondant m'adresse un catalogue de ce qui paraît comme
journaux ou périodiques tchèques, à l'heure présente : j'y compte environ 360 orga-
nes à Prague, 240 dans le reste de la Bohême, 45 à Brunn, 80 en Moravie, 5 en
Silésie autrichienne, 8 à Vienne, et en dehors de l'empire austro-hongrois, 68 dans
les Etats-Unis de l'Amérique du Nord (signe d'une émigration considérable), 2 en
Allemagne (1 en Silésie prussienne et 1 à Berlin) et 1 en France : le Slosansky
Yestnikf qui paraît à Paris, soit un total d'à peu près 300 feuilles î
LA PRESSE POLITIQUE EN BOHÊME^ MORAVIE ET SILÉSIE 257
dans laquelle les Tchèques semblent trop à l'étroit pour leur
jeune ambition, fourmille d' « écrivassiers » comme de politi-
ciens, qui tous se sentent nés pour de grandes renommées, et
les feuilles pullulent, rattachées souvent à tel ou tel parti poli-
tique. Voici, par exemple, le Kuryr^ journal illustré quotidien
vieux-tchèque de Prague, la Ceska Revue (Revue tchèque),
revue jeune-tchèque, VAletheia, revue catholique, Rozhledy^
Torgane de la jeune école de critique littéraire, Osifêta, Lumir^
une revue littéraire, et les revues du parti réaliste, autrefois
Atheneum^ aujourd'hui Nase Doba (Notre r^poque), que dirige
le professeur Masaryk, revue critique et philosophique, et Obzor,
Nàrodohospodcirasky (Revue d'économie politique), revue éco-
nomique, dont le rédacteur en chef est le D' Josef Gruber,
professeur à T Université tchèque, un des esprits les plus avertis
sur les choses économiques. J'en cite quelques-unes et j'en
omets cent autres, mais c'est un devoir, pour nous autres Fran-
çais, de ne pas passer sous silence, en parlant de revues,
l'œuvre de M. Charles Hipman : je dis Toeuvre, car ce n'est
certes pas par esprit de lucre que M. Hipman a voulu créer à
Prague une revue en langue française, écrite par des Tchèques
et à laquelle ont collaboré quelques Français. Cette revue, la
Nation tchèque^ de format in-8® et d'une centaine de pages, n'a
eu à ma connaissance que deux numéros, un qui a paru en 1895
chez Vilimek et un en 1896 chez Stolar; mais elle a pris une
autre forme, celle d'une œuvre continue, intitulée Les Tchèques
au XIX* siècle (éditée à La Nation tchèque ^ Prague), rédigée
sous la direction de M. Hipman, et paraissant depuis trois ans
par fascicule : c'est du reste, par les illustrations, autant une
œuvre d'art qu'un monument élevé à la gloire du peuple
tchèque. Ainsi nous trouvons au Nord de TAutriche une revue
française, comme, à l'extrême Sud, nous avons vu paraître un
journal écrit en français, qui subsiste toujours, et qui au reste
n'est pas comparable : la Pensée slave de Trieste*.
• •
L'influence réelle que la presse tchèque exerce chez elle, elle
prétend l'étendre même à l'étranger, et cela d'une façon assez
ingénieuse.' Les Tchèques ont créé à Prague une sorte de
> bureau tchèque » qui se compose de trois personnes, connais-
sant bien le français, mêlées au mouvement politique et au
journalisme : elles rédigent la a Correspondance tchèque », c'est-
à-dire que, quand un événement important de quelque nature
* V. Quest. Dipl. et Col., 15 août 1902, notre article sur les nationalités en
Aathcbe-Hongrie : « Slovènes et Italiens. »
QuBST. DiFL. «T Col. — t, xv. il
258 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET CaLONIALES
qu'il soit se produit dans le pays, elles écrivent sur lui une
courte note qu'on expédie gratuitement comme dépêche à une
douzaine de journaux de Paris, qui l'insèrent assez souvent.
On saisit nettement la volosité d'influer sur l'opinion étrangère
par rintermédiaire des grands organes. Au reste la Correspon-
dance est encore en quelque sorte inorganisée : elle n'a ni
unité ni direction; chacun écrit au petit bonheur. Il lui fau-
drait quelque organisaition et joindre un service de lettres à
celui des dépêches, si elle voulait se développer. Mais Tinstitu-
tion est originale et mérite d'être signalée.
H pourrait être intéressant de discerner non plus Tinfluence
que la presse exerce, mais celle qui s'exerce sur elle, soit
directement par les courants de l'opinion publique, soit d'une
façon occulte, par exemple par l'aristocratie sur plus d'un
journal, ou par l'élément Israélite surtout sur les journaux
allemands; mais cela nous entraînerait trop loin.
(Quelles que soient les inspirations qui les guident, journaux
tchèques et jonmaiix allemands doivent se rappeler qu'ils ont
une grande œu>Te à aocomfiir^ celle de l'éducation de leur
peuple; des esprits, là-bas, le sentent et laissent entendre qu'on
se perd un peu dans les luttes stériles sur des questions de
mince portée, au plus grand avantage de la haute aristocratie
et de la classe des politiques de profession ; des gens commen-
cent à se lasser de ces combats qui ne mènent à aucun résultat
et arrivent, tout en restant bon Tchèque ou bon Allemand, à se
désintéresser quelque peu de ces batailles futiles. De part et
d'autre un grand effort doit être fait, sinon pour donner le spec-
tacle d'un baiser de Lamourette, du moins pour reprendre la tra-
dition des grandes pensées, tout à la fois conservatrices des
grands idéais et conciliatrices dans les petites choses : il fau-
drait pour cela beaucoup de grands dévouements et de grands
hommes, continuateurs des Palacky, des Gregr et des Rieger,
et c'est peut-être hélas ! ce qui manque trop à la Bohême
contemporaine et à sa presse.
Gabriel Louis-Jaray.
<:HROiNI0UES DE U QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES
I. — BUROPB.
France. — Le budget des affaires étrangères à la Chambre des députés.
— La discussion du budget des affaires étrangères fournit généra-
lement à la Chambre Toccasion de passer en revue les principalefi
questions soulevées par Tapplication de notre politique extérieure.
Ce débat n'a pas eu lieu cette année, le gouvernement et la commis-
sion ayant demandé à la Chambre — qui s'est rangée à leur avis —
de procéder sans retard au vote du budget de manière à éviter \m
inconvénients d'un nouveau douzième provisoire. La discussion de&
articles a donné lieu cependant à quelques incidents, sur lesquels
nous croyons utile d'insister un peu aujourd'hui.
M. Marcel Sembat a d'abord réclamé la suppression de l'ambassade
da Vatican. C'est là une démonstratiQn, toute platonique, que le
parti soctalisle se croit obligée de faire «chaque année, et qui chaque
année a le même succès. Le débat a d'ailleurs été très court cette
fois et la Chambre a repoussé la demande de M. Sembat par 3^3 voix
contre 215. Nous n'aurions même pas parlé de cet intermède si peu
intéressant si nous n'avions eu la surprise de trouver parmi les
partisans de la motion Sembat le nom de M. Doumer. Il est profon-
dément regrettable, et nous le déplorons vivement, qu'un homme
de gouvernement aussi distingué, un colonial aussi éclairé qu&
M. Doiimer se laisse^ en pareille circonstance, entraîner à prêter son
nom et son autorité à une manifestation puérile et ridicule d'intran-
sigeance sectaire.
Après M. Sembat, M. Dejeante est venu faire sa manifestation cou-
tomière en réclamant la suppression du crédit relatif aux écoles^
**i établissements religieux en Orient et Extrême-Orient. En quelques
mois, le ministre des Affaires étrangères a combattu cet amendement
de tradition, et ses paroles ont été chaleureusement applaudies par le
centre, la droite, et une grande partie de la gauche.
M. Senobat est alors arrivé à la rescousse et a appuyé ramende-
meai de M. Dejeante en faisant à son tour leproces des missioijoaires
d'Orient et d'Extréme-OrienL Puis M. Dubief, oubliant étrangement
9&a rôle de rapporteur, a surenchéri encore en rééditant fous les
lieux communs débités quotidiennement à ce sujet par une certaine
presse, dont les préoccupations ne vont guère au delà des ^Hroitt-s
limites de l'horizon électoral.
260 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
M. Denys Cochin a répondu à l'un et à l'autre par un éloquent
plaidoyer en faveur de l'œuvre française des Missions; mais pas plus
que nous n'avons relevé les attaques nous ne croyons nécessaire
d'insister sur la défense. La cause est depuis longtemps entendue par
tous les esprits vraiment soucieux de notre avenir national. Nous
relèverons seulement, dans le discours de M. Denys Cochin, un point
particulier qui nous semble mériter une plus grande attention.
M. Dubief avait signalé, comme étant de nature à fortifier son
argumentation contre les Missions, rencyclique du patriarche d'Ar-
ménie, Joachim III, par laquelle le patriarche fait défense expresse
et absolue au peuple orthodoxe de fréquenler les écoles confession-
nelles étrangères. M. Denys Cochin s'est exprimé à son tour, à ce
sujet, de la façon suivante :
H. Denys Cochin. ]— M. le|rapporteur,dit Dubief, vient de prononcer des
paroles fort graves. Le patriarche orthodoxe aurait interdit aux enfants
qui sont sous sa juridiction, à tous ceux sur lesquels il peut avoir de
rinfluence, d'aller dans les écoles des autres confessions.
Je réponds d'abord à M. le rapporteur que je me permets de croire que,
les écoles fussent-elles laïques, le patriarche orthodoxe aurait donné les
mêmes instructions ; seulement je m'émeus de ces instructions et je me
demande ce qu'elles signifient. Je parle ici, non du protectorat d'Extrême-
Orient qui, comme vous l'avez dit très bien, repose sur des traditions et
non sur des actes positifs, mais de ce protectorat du Levant qui repose
sur des traités. Si jamais nous devons y renoncer — ce qu'à Dieu ne
plaise — il devrait être échangé contre autre chose. Nous ne pouvons
renoncer à des droits écrits sans compensation. Je parle donc de ces
droits que nous exerçons en vertu de traités dans le Levant.
Je m'adresse, en même temps qu'à M. le rapporteur, à M. le ministre ;
je m'inquiète de voir que ce protectorat est depuis quelque temps fort
battu en brèche; que parmi les puissances celles qui peut-être devraient
avoir le soin le plus jaloux de ne pas marcher sur nos plates-bandes, de ne
pas trop s'occuper de propager leur influence là où nous avons l'intention
de maintenir la nôtre, n'évitent pas toujours avec un soin assez scrupu-
leux de nous porter ombrage.
Je n'ai pas besoin de me livrer à des logogriphes ni de vous donner à
deviner des rébus. Je suis partisan et ami résolu de l'alliance russe ; mais
j'ai dit autrefois, et je rappelle mes paroles, que l'amitié de la France avait
ses charges : lorsque deux amis sont liés, chacun doit prendre les conve-
nances de l'autre ; il n'est pas juste "(Ju'un seul porte les charges, agréables
sans doute, mais quelquefois lourdes de l'amitié. {Très bien! très bien!)
Nous avons un protectorat en Syrie — et ici je demande à mes collègues
de l'extrême gauche de me faire grâce et de ne pas m'arrêter quand je
dirai que ce protectorat est surtout catholique, et que si l'on parle surtout
français dans ce pays, c'est à cause des écoles catholiques qui y existent.
Les choses étant ainsi, nous devons nous inquiéter de voir s'élever contre
nous, contre le protectorat des Latins un protectorat des Grecs qui
s'affirme de jour en jour davantage. Depuis cinq ou six ans, depuis li>
i-fmps des grandes: discussion:* au sujei de TArménie, la polilique de nos
vobioîi et alliés a bieti changé : cotU* politique, autrefois si dure pour les
dissidents ei les Grecs du temps du prinœ Lolmuof, aujourd'hui plus
humaine^ el — je m'en félicite — plus courtoise, lendi îiit-elle à étahîîr
coDtre le (>rotectora1 des Latius, que nous revendiquoDS^ un protectorat
dn* Grecs orthodoxes ou non, que d'autres exerceraient, et qui gagnerait
peu à peu sur le oôlre?
Voilà les questions sur lesquelles num attention a été appelée par les
paroles de M. le rapporteur lorsqu'il a parlé du mauvais procédé du
pat ri arc h e or thod ox e .
Je ne vois pas dans l'acte de ce jjatriarche une mesure t'h^ricale catho-
lique, d'autant plus qu'il n'est pas catholique, maiss je suis tenté d'y voir
un acte spécialement aoLi- français et dirigé contra le protecLorat latin que
uou s e xe ro o n g. ( Appta udùi^ejn eut s . |
A un point de vue tout à fait diiVérent de celui que signalait M« le rap-
porteur, mais qui ne peut êcliapper à sa compéteocp eu malî*'i"e d'aJTaires
étrangères, je signale avec lui le fait à M. le ministre des aiïaires étrau-
Itères et je lui demande si très ferui émeut, dans les eonversatious qu'il
aura, il ne défendra pas tes droits de rinHueuce que novis tenons de notre
protectorat latin contre Jequel je ne voudrais pas voir élever un protectorat
*>rt hûd 0 X e . {A ppiaudissem ents.)
Le ministre des AJÎaires étrangères ne pouvait point ne pas répon-
dre à M, Deoys Cochin, Il l'a fait en quelques mots brefs, trop Lrofs,
car Ion remarquera que sa réponse manque de précision et reste
à côlé de la question. Nous aurions voulu quelque déclaralioQ plus
tonclaante et plus pratique. Voici la réponse de M, Del cassé :
M. le ministre des AJTatrea étrangèrea, — La Chamhre me permettra
de rectifier tout d'iibord une affirmation de notre honora ïdp colléji^ue
M. Denys Cochin, M. Denys Coeliin^ s'ero parant de la circulaire du pn-
triarche arménien visée par Thouorahle M, Dubief, est venu se plaindre
que la question de la Uussic contraiiât la nôtre.
Or, la circulaire du patriarche arménien, [>our d'ux qui sont hien
iafonnes, — et la Chambre voudra hien croire que je suis hiPii informé^ —
fn la preuve la plus écIataEite de lu corïcurrence victorieuse et du plein
succès de nos écoles on Orient.
Cette concurrence n'est nullement gênée par Taction do la Rust^ie, Et je
ne peuï que regretter très haut ijue, s'armant de nouvellos qu ou ne prend
^ assez i-oin de contrôler, d'articles de journaux duut (Ui iu> recherche
pt^ asse^ r inspiration, et j>reuant pour des faitt^ acquis d<*s allirmations
{Erxtuite^, on représente la Russie comme ayant eu Orient^ en Syrie, une
attittidepeu favorable aux intérêts français, {Très bien! îrt!s bien!)
La vérité, et je remercie M. Cocliiu de m'avoir doijn*î rocrusion de l'aï-
limier ici, c'est que Tattitude de la Hvissic en Orient «st collt- d'uEu^ alliée
loyale et sincère et qui, malgré des intérêts partictiliers nullement néglî-
fgeables, ne perd jamais de vue les iniërets supérieurs (jui nous ont unis,
lijez à cet égard le Litre jaune relaiif à la dêmoustraiion de Mityléne, il
De laissera de doutes qu'à ceux qui veulent douter quaud même.
2d2 QUESTIONS D1PI01IA.TIQUES ET G0L01<IIALES
Je comprends à merveille qu'à Tétranger on s'ingénie à ccéer des nuages
entre deux grandes nations qui ont manifesté dans ces derniers temps, à
plusieurs reprises et avec éclat, à quel point, pour leur commun avantage,
elles se sentent solidaires ; ces efforts sont condamnés à rester vains, mais
je ne parviens pas à découvrir les raisons qui font tenir un langage de
.nature à entretenir au dehors Tillusion qu'fis pourraient bien ne pas Têtre
toujours. (Applaudissements,)
Finalement, celte longue discussion a abouti, naturellement, au rejet
•de Famendement de M. Dejeante. Le crédit pour les écoles et établis-
45ements religieux d'Orient et d*Extréme>Orient a été intégralement
Toté ; toutefois la Chambre a cm devoir adopter par 340 voix contre 88
la motion suivante de M. Michel :
La Chambre invite le Gouvernement à accorder une part de plus en plus
grande aux établissements laïques sur le crédit affecté aux écoles d'Orient
et à mettre les instituteurs laïques au moins sur le même pied que les con-
^péganistes.
Le reste du budget des aflaires étrangères a été voté sans dis-
cussion.
— Zé « Livre jaune » sur les a f aires de Macédoine, — Le ministre des
Affaires étrangères a fait distribuer au Parlement, le 29 janvier, un
Livre jaune sur les affaires de Macédoine. Ce recueil, copieux et ins-
tructif, montre d'abord la gravité de la situation en Macédoine depuis
un an; les pièces publiées à cet égard sont tristement éloquentes et
précises. 11 montre aussi Tacuité prochaine et finale du conflit si des
mesures promptes et décisives ne sont pas prises. C*est d'ailleurs ce
que nous n'avons cessé nous-mêmes de répéter.
Nécrologie. — Mort de M. du Bourg de Boeas, — Une dépèche datée
d*Accra (Guinée anglaise) nous a apporté la triste nouvelle de la mort
de l'explorateur du Bourg de Bozas, survenue le 2 février, à la Côte
d'Ivoire, à la suite d'un accès de fièvre pernicieuse.
Le vicomte du Bourg de Bozas, dont nous suivions les travaux avec
une vive sympathie, avait quitté Djibouti le 2 avril 1901. Il était
arrivé sur les rives du Nil, à hauteur du troisième parallèle Nord,
près de Némoulé, vers le 15 septembre 1902.
De ce point, M . du Bourg de Bozas se dirigea vers Brazzaville* On
•ne croit pas qu'il ait pu arriver à; Accra. Sa dernière lettre, datée- des
bords du Nil, 14 octobre, annonçait qu'il comptait gagner l'Atlanlàqae
par les voies les plus rapides en passant par Semio, poste français
sur rOubangui. Il est vraisemblable que le jeune explorateur — il
n'avait que trente-deux ans, — est mort dans celte région, avant
d'atteindre le but extrême de son voyage, mais après en avoir
accompli la partie la plus difficile et celle qui, au point de vue scien-
tifique, avait le plus grand intérêt.
RrafSEIOirratffifTS POLITIQUES 263
n. — ASIE.
Chine. — L'évacuation de Ghanghm. — VEchodeChim^ arrivéX.Mar-
seillepar le dernier courrier, donne les détails suivants sur le départ
deChanghaï des troupes françaises de la garnison, sous les ordres
du Iieutenaot-colonel Diguet :
Le départ s'effectua dans la matiaée du 26 décembre. M. Ratard, consul
général.. M. Kammerer, consul suppléant, tous les membres du consulat,
ainsi que les Français de Changhaî, étaient présents. Les troupes défi-
lèrent en portant les armes et pénétrèrent sur la concession internationale.
De l'autre calé du pont, qui sépare les deux concessions, le colonel alle-
mand, comte de Schlippenbach, et ses officiers, se plaçant près du lieute-
oant-cobnel Diguet et du commandant Lambert, se joignirent aux troupes.
La musqué allemande, prenant la tête, fit entendre plusieurs airs popu-
laires allemands, alternant avec les clairons du bataillon.
Une fois le pont de Hongéou franchi, le comte de Schlippenbach et ses
officiers prirent congé après avoir souhaité bon voyage.
Une réception eut lieu à bord de V Amiral-Exelmans par les officiers
français. Le colonel Desino et son aide de camp, les officiers [allemands,
le capitaine anglais Rose, de la prévôté internationale, y assistaient, ainsi:
que le commandant Sennes, du Pascal.
Le départ eut lieu aux accents de la Sfarseilîaisef jouée par la musique
municipale.
m. — AFRiQuir.
Maroc — La situaUan. — Nous disions, il y a quinze jours, que le
sultan consacrait tous ses e^rts à se gagner les concours intéresses
des tribus douteuses ou même rebelles, [espérant venir à bout du
prétendant par la trahison. { Ce système semble lui avoir assez
Men réussi. Le 29 janvier, en effet, les troupes impériales, com.
mandées par le ministre de la guerre en personne, surprirent l'armée
Iv prétendant et lui infligèrent une sanglante défaite. Les rebelles,
après une résistance acharnée, durent abandonner leur camp avec
leurs bagages et leurs munitions ; les canons, perdus le 23 décembre,
kreid repris, et le prétendant lui-même ne dut son salut qu'à la
faite. Le bruit courut au premier moment qu'il avait été fait prison-
Bîersnr le champ de bataille. Cela n'était pas exact; il est certain
que Bon-Tamara a pu échapper à la poursuite des cavaliers de Eh-
Xefaedi-el-Menebhi ; et actuellement on ne sait encore exactement
ce qull est devenu. Les dernières lettres de Fez assurent qu'il a été
trahi et capturé par les Benr-Ouara, et que ceux-ci ont été attaqués
à leur tour par d'autres tribus voisines qui, ayant coopéré virtuelle-
ment à la défaite du prétendant, le 29, ne veulent pas laisser aux
264 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
. Beni-Ouara seuls le mérite de cette capture. Une autre version, plus
* accréditée dans les njilieux diplomatiques de Tanger, prétend que
Bou-Hamara s*est réfugié chez les Riak (qui lui seraient encore
fidèles.
Quoi, qu'il eo soit, la cause du prétendant vient de subir un
échec qui pourrait bien être définitif. Le sultan a retrouvé à peu
près son prestige et son autorité. Le danger d'une crise immédiate
se trouve écarté pour le moment, et cela est fort heureux, à tous les
points de vue ; car nous ne semblions guère en mesure de pouvoir
faire triompher nos intérêts essentiels si les circonstances avaient
exigé, comme on a pu le craindre un instant, notre intervention
immédiate et formelle.
Afrique Occidentale française. — La mission Rougtêr-Belh. — Le
gouverneur général de l'Afrique Occidentale française a constitué
une mission pour faire les études d'une voie ferrée entre Thiès et
Kayes.
La mission sera formée en deux groupes.
Le premier, avec le colonel Rpugier, marchera sur Kayes en faisant
une reconnaissance rapide du terrain ; à l'arrivée de ce groupe à
.Kayes, le colonel Rougier reprendra la direction du chemin de fer,
le commandant Belle remplacera le colonel Rougier comme chef de
mission et le capitaine Friry partira à la rencontre du deuxième
^oupe en faisant toutes les opérations de détail sur le terrain.
Le deuxième groupe, sous la direction du commandant Belle, com-
mencera les opérations de détail sur le terrain à Thiès et les pour-
suivra jusqu'à la rencontre du capitaine Friry. Après la jonction, tout
le personnel montera à Kayes pour la rédaction du projet*
Niger. — La tiavigahilitè du Niijer. — Une dépêche du Dahomey
nous annonce que la flottille du Niger, remontant le fleuve, sous le
commandement du capitaine Fourneau, est arrivé saine et sauve, et
sans avoir éprouvé aucun accident, le 10 janvier dernier, à Karimama
dans la région de Say, oCi elle a transporté quatre-vingt-dix-huit
tonnes de marchandises.
C'est la quatrième fois qu'une flottille française franchit les rapides
réputés infranchissables de Bouzza. Après les premières montées,
accomplies par le commandant Toutée et par le capitaine Lenfant,
on a discuté avec passion la question desavoir si le Niger pouvait
devenir une voie de communication pratique. Nos ofûciers laissent
discuter et font comme le philosophe qui prouvait le mouvement en
' marchant : ils prouvent la navigabilité du Niger en y naviguant.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — EUROPE.
Italie. — Le commerce itaîo-allemand. — La statistique des impor-
tations et exportations de rAllemagne à Tégard de l'Italie donne,
pour le premier semestre de Tannée 1902, les résultats suivants :
Importations allemandes 196. 6 14.857 quintaux.
— — 2.840.160.000 marks.
Exportations destinées à l'Allemagne. 157.891.312 quintaux.
— — — 2.286.725.000 marks.
Soit, par comparaison avec le premier semestre des années 1900
et 1901 :
Importations avec 1901 — 11.070.115 quintaux.
— — -h 88.173.000 marks.
— avec 1900 -- 5.889.103 quintaux.
— — — 152.092.000 marks.
Exportations avec 1901 + 7 . 402 . 620 quintaux.
— — 4- 150.705.000 marks.
— avec 1900.: — 779.292 quintaux.
— — — 39.752.000 marks.
Parmi les objets sur lesquels il y a de notables diminutions à
l'exportation, notons les vins, les poissons frais, les figues sèches,
la cire, les asphaltes.
Sont an contraire en augmentation : les huiles d*olives, les fruits
de table, les tissus de soie, les laines naturelles, les marbres, les
pierres précieuses, les chapeaux de paille (866.683 chapeaux en
I9(fâ contre 307.692 en 1900).
Arimportation, nous constatons les progrès de TAUemagne en ce
qui concerne les cotonnades, les fers et fontes, les bières, les ma-
hines industrielles, les locomotives et locomobiles, les charbons.
Il y a régression pour les machines électriques.
— Le commerce des soies en 1900 et 1901. — Le montant tolal (en
milliers de lires) de Timportalion en 1901 a été de 189.202 contre
i6!i.293 en 1900 : celui de l'exportation a été de 508.657 en 1901,
alors qu^en 1900 il avait été de 450.841.
Les principaux pays ayant pris part à ce trafic sont :
266 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
i^ A Vimportation en Italie.
1900 1901
milliers de lires.
France 54J43 56.643
Allemagne 13.116 16.410
Angleterre 1 .642 1 . 126
Autriche-Hongrie.. 16. 141 15.436
SuiB8e 13.487 15.385
Turquie 7.640 7.104
Indes anglaise» 1 .04^ 1 .574
Chine 45.770 67.982
Japon 8.818 7.289
2^ A Vexportation de l'Italie.
Sur France 61.185 85.782
— Allemagne 129.685 141.865
— Angleterre 29.582 29.345
— Autriche-Hongrie 20.785 18.890
— Espagne 481 342
— Suisse 129.556 133.496
— Turquie 5 .292 9.347
— Egypte 7.413 8.788
— Tunisie i.ll3 975
— Etats-Unis 50.413 65.024
— République Argentine 5.152 2.174
Au point de vue des quantités, le commerce spécial de Tltalie dans
cette branche peut se résumer comme suit, par catégories :
Cocons
Soie moulinée grège (simple
et moulinée ou torse)
Déchets de soie grèges
Déchets de soie ouvrés
Tissus de soie (compris la
bonneterie, rubans, galons,
dentelles et tulles).
Articles confectionnés (com-
pris la passementerie et
boutoos)
UNITÉS
Quiat.
kg.
1000
IMPOR-
TATION
27.197
19.330
13.036
481
191.349
7i.872
EXPOR-
TATION
1.973
67.426
23.107
10.061
959.783
51.785
1901
IMPOR-
TATION
34.542
23.349
17.260
398
199.119
102. -«3
EXPOR-
TATION
2.663
79.787
23.771
11.050
1.100.607
72.661
Si Ton se reportait aux tableaux concernant les années précé-
dentes, il serait facile de se rendre compte du développement tou-
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 267
jours croissant des exportations italiennes de tissus soyeux et
d articles confectionnés.
II. — AFRIQUE.
Côte dlyoire. — Le mouvemmi minùr; la sihiation financière et écono-
mqw. — Le mouvement minier s'accentue chaque jour. En 1901^ peu
de permis de recherches a^aiesl été deanmdés. Les prospecteurs se
lK)rnaient d'ailleurs, en général^ à n'explorer les terrains aurifères
qa à la surface. Mais à la suite des résultats obtenus pendant cette
campagne et en présence des éefaAntrllcms recueillis, un grand mou-
Tement s est dessiné dès la En de i90L Aussi, au cours de Tannée i90â,
l'administration a-t-elle dû accorder plus de 800 permis de recherches
00 d'exploration.
Vue centaine d'ingénieurs ou de prospectems réputés ont entre-
pris des études, notamment dans les régio^ns du Sanwi, de Tlndémié
et dn Bondonkou.
La situation financière de la Cdte d'TToire est excellente. Au mois
de juin 1902, le gouvernement local a pu, en eflFet, malgré les
dépenses entraînées par les travaux entrepris à Bingenille, verser
aoe somme importante à la caisse de réserve de la colonie dont le
Dootast atteint aujourd'hui le chiffre de 400.000 francs.
On peut, dès à présent, prévoir que les recettes de Texercice 1902
dépasseront les prévisions budgétaires d'au moins 350.000 francs. Ce
résultai est dû surtout à la création de l'impôt de capitation, qui
1 existait pas antérieurement à 1901 et dont le recouvrement s'opère
issez facilement.
Le nombre des factoreries augmente depuis que la création, à
firand-Bassam, du warf, oà Ton peut facilement débarquer 200 tonnes
par jour, a fait disparaître les difficultés de toutes sortes qui exis-
taient autrefois, à cause de la àarre pour l'embarquement et le débar-
quement des marchandises.
Le nouveau chef-lieu de la Côte dlvoire, Kngerville, s'étend
chaque jour. 11 est maintenant doté d'un nombre de maisons suffis
sant pour loger tous les services. Au cours de 1902, on y a construit
me briquetterie qui peut débiter 40.000 tuiles ou briques chaque
:Bois, et d'importasts» ateliers à bois et à fer, mus à la vapeur, qui
^>Qt en mesure d'effectuer la plupart des réparations aux pièces de
machine que l'on était autrefois obligé de renvoyer en Europe. Quant
a la Dttki-d flHKvre, oa la trouve faeilemen.t. Dans la plupart des vil-
lages situés dans le rayon de Bingerville, de nombreuse indigènes
df^mandent enx-oiéiiies k être employés comme hommes de peine.
NOMINATIONS OFFIGELLES
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
L'exequatur a été accordé à :
M. Maurice Peron, vice-consul d'Uruguay, à BouIogne-sur-Mer ;
M. A. Naud, agent consulaire d'Angleterre, aux Sables-d'Olonne ;
M. A. G. Buchanan-Bax, vice-consul de Sa Majesté Britannique, à Fécamp;
M. Henrj-Joseph Meagher, consul de Sa Majesté Britannique, à Fort-de-France ;
M. Pompeyo Diaz y Cossio, consul d'Espagne, à Cette ;
M. J.-B. Beverioi, vice-consul d'Italie, à Bône (Algérie) ;
M. Paul-Apollinaire Burdese, vice-consul d'Italie, à Toulon ;
M. William F. Dotj, consul des Etats-Unis d'Amérique, à Tahiti ;
M. le D' Augustin Uribe, consul de la république de Colombie, au Havre;
M. Viengué, secret, dambass. de 2* c/., est nommé chevalier de la Légion d'hon-
neur.
MINISTÈRE DE LA GUERRE
Troapes métropoliCalnes.
SBAVICB VBTéRINAIRB
Indo-Chine. — M. le vétér. en 2* Moussillac est désig. pour servir au Tonkin.
Troupes coloniales.
UfFAMTERIB
Afiriqne Oooidentale. — M. le chef de bat. Tandart est désig. pour serv. au
rég. indigène du Congo.
Ont été désignés pour servir :
Au {«i* sénégalais : MM. les capil. Vargoz (comme capit.-major), Léonard et
Chabalier.
Au 2« sénégalais : M. le capit. Laurens; MM. les lieut. Citerne, Vis et le sous-
lieut, Dumont.
Indo-Chine. — Les officiers ci- après sont désig. pour servir au Tonkin :
M. le colonel Ytasse, au 4« tonkinois;
M. le chef de bat. Lagarrue, au bat. des tiraill. chinois;
M. le chef de bat. Thoreux, au 9- rég. ;
M. le capit. de Tavernier, à la 3* comp. du 9« rég. ;
M. le capit, Guille, à la 1" comp. du l" tonk. ;
M. le capit. Aupetit-Durand, à la 14« comp. du 2* tonk.;
M. le capit. Dez, à la i^*> comp. du 4' tonk. ;
M. le lieut. Icart, à la suite du 9« rég. ;
M. le sous'lieut. Chaperot, à la 13» comp. du 10« rég.;
M. le lieut. Beneyton, à la 2* comp. du le^tonk. ;
M. le lieut. Reydellet, à la T. comp. du 1" tonk.j
M. le lieut. Rondet, à la suite du 2" tonk. ;
M. le sou8-lieut. Ferrand, à la suite du 2« tonk. ;
M. le lieut. Castaing, à la 14* comp. du 2* tonk. ;
M. le sous-lieut. Kermorvant, à la suite du 3* tonk.;
M. le lieut. Cocquebert de Touly, à la 6" comp. du 4* tonk. ;
MM. les capit. Savin, de l'Orza de Montorzo-Reichemberg, Marseille, Jénot,
Pages et Bénezech ;
MM. \&s lieut. Verna, Majade, Malandain, Gérard et Gœtz;
MM. \es sous-lieut. Wergand, Lantlieaume et Devaux;
M. le lieut, Madaule est nommé offic. d'ordonn. du colonel Beaujeuz, command.
la brig. de réserve au Tonkin.
Sont affectés :
MM. le capit. Michelangeli, à la *• comp., et le capit. Thiéry, à la !!• comp. du
l«r tonkinois;
M. le capil. Lauzanne, à la 1*^ comp. du 2*. tonk.;
M. le capit. Gonnesseau, comme adj.-maj. au 3« tonk.;
NOBUNATIONS OFFICIELLES 269
H. le capit. Habert, à la 3« comp. du 3* tonk. ;
M. le eapit, Raulin, à la 6* comp. du 4* tonk. ;
M. le capit. Robin, à la 8* comp. du 9* colonial ;
M. le lieut. Abadie, à la ii^ comp. du 2* tonk.;
M. le lieut. Guyon, à la 8* comp. du 4* tonk. ;
M. le lieut. Caillette, à la {^^ comp. du 18* colonial;
M. le lieut. Baffoj, à la 2* comp. du 18^ colonial ;
M. le capit. Chapelle, comme major au 5® tonk. ;
M. le capit. Gérôme, comme trésorier, et le lieut. Blandin, comme offic. d'approvis.,
»a 18' colonial;
M. le capit. Peigné, à la o« comp. du 5® tonk. ;
M. le capit. Collot, à la o** comp. du 18® colonial ;
M. le capit. Dumestre, à la 8<^ comp. du rég. de tiraill. annamites;
M. le capit. Sigonney, à la 12« comp. du 18« colonial.
Sont déâig. pour servir en Cochinchine :
M. le chef de bat. Huilier ; M. le capit. Cailleau et MM. les lieut. Boissv, Morel,
Càaumont et Mathieu.
Sont affectés :
M. le capit. Cuttier, à la 9^ comp. du H*: rég.;
M. le capit. Evrard, à la suite du rég. de tiraill. annamites;
M. le êous'lieut. Moreau, à la S^^ comp. du 11® rég. ;
If. le colonel Gouttenégre, au 2<^ tonk. et commandant du !«'' territ. milit. ;
M. le lieut. -col. Mondon, au 3* tonk. et commandant du 3* territ. milit.
M. le capit. Hos est placé à l'état-major des troupes de l'Indo-Ghine (service géo-
ermphique) :
M. le lieul. Hugon, de l'état-major partie, est nommé chancelier du cercle de
Bae-QuaDg ;
M. le lieut. Billotte est placé à l'état-major comme officier d'ordonnance du
iréaéral Coronnat.
Kadasrasoar. — Ont été désignés pour servir à Madagascar :
M. le chef de bat. Ernst;
MM. les capit. Vanwœtermeulen et Bertrandon;
MM. les lieut. Pichon, Barbassat, Thiry, Guerrier, Boinet, Jouannetaud et
.Uibcrt ;
MM. les sous-lieut. Crozes, Lefrançois, Clerc, Hinzelîn, Fons et Roux.
Sont affectés :
M. le chef de bat. Rotti, au 3« sénégalais ;
M. le eapit. Claustre, au 15<^ rég. comme adj. -major;
M. le capit. Poslh, au 2^ malgaches comme adj .-major;
M. le capit. Minarj, à la 6<^ comp. du Z^ sénégalais;
M. le sous-lieut. Gilles, à la 4« comp. du l^r malgaches;
M. le sous-lieut. Nivet, à la 12» comp. du le' malgaches ;
If. le sous-lieut. Robert, à la 6^ comp. du 2*^ malgaches;
M. le sous-lieut. Riou, à la 3« comp. du 15« rég, ;
M. le sous-lieut. Le Goupil, à la 7« comp. du 15« rég. ;
M. le lieut. Gillet passe à l'état-major partie, et est nommé substitut au conseil
ie guerre de Diégo-Suarez.
ARTILLERIE
Officiers d'administration,
Afrique Occidentale. — M. Voffic d'admin, de 1* cl. Chauvenet est désij:.
KMT servir aux travaux du chemin de fer du Dahomey ;
M. Voffic. d*admin. de 2« cl. Olivier estdésig. pour servir aux travaux du chemin
de fer de Kayes au Niger.
SERVICE DE SANTE
Afrique Occidentale. —M. le méd. ppal de 2* cl. Merveilleux est désifj.
\'OnT servir en Afrique Occidentale.
Les méd.''maj. de 1'* cl. dont les noms suivent sont affectés :
A ITiôpital de Kati, M. do Biran;
A rhôpitai de Kajes, M. Le Moine ;
M. Je méd.-maj. de 2* cl. Dor est désig. pour servir à Tombouctou.
270 QUESTIONS l>n%OlfATlQUES ,BT GOLONIALKS
Les méd. aides^maj. de 1'* cl. dont les noms suivent sont affectés :
ADori, M. Charezieux;
A Bandiagara, M. Donnet ;
Au chemin de fer du Niger, M. GrosfiUez;
A Kati, MM. Léger et Guiliemet;
A Dakar, M. Ayraud;
A la mission des travaux du chemin de fer au Dahomey, M. Prouvost.
Sont désig. po^r servir en Afrique Occidentale :
MM. les méd. aides-maj. de l'* cl, Mongie et Thézé'.
Indo-Chine. — Sont affectés :
Au 4- lonk. à Bac-Ninh, M. le méd.~maj. de i" cl. Sévère ;
A la légation de Hué, M. le méd.-maj. de 1" cl. Vivien.
Au 11** colonial au cap Saint-Jacques, M. Dubruel, méd. maj. de 2« cl. ;
Aux batt. d'artill. au cap Saint-Jacques, M. Patriarche, méd. -maj. de 2« cl.\
A l'hôpital de Saigon, M. Revault, méd. aide-maj. de 1" cl.;
A rhôpital de Quang-Yen, M. Piuchon, pharm.-maj. de 1~ cl.;
M. le méd. -maj. de i'^ cl. Thomas est nommé chef du service de santé de la brig.
de réserve au Tonkin ;
M. le méd.-maj. de 1<^« cl. Bousquet est désig. pour le 18* colonial;
M. le méd. -maj. de 2* cl. Guilloteau est détaché à la comp. des chemins de fer
de Hankéou à Pékin ;
M. le méd. -maj. de 2* cl. Huot est affecté au 18* colonial ;
M. le méd. aide^maj. de i** cl. Moursou est attaché à l'état-maj. de rartill. de la
brig. de réserve à Sontaj.
Sont désig. pour servir en Indo-Chine :
MM. les méd. -maj. de 2« cl. Pujol, Bouillon et ReRoul ;
MM. les méd. aides-maj. de 1'* cl. Barot, Ledoux, Tardif, Génies et Mercier.
Ghiadelonpe. — M. Lamj, méd. maj. de 2<> c/., est désig. pour servir à la
Guadeloupe.
Hadagasoar. — Sont désig. pour servir à Madagascar :
MM. les méd. aides-maj. de i^^ cl. Martin, Grillât, Navarre, Lasserre et Lescure.
Nonvelle-Calédonie. — Sont désig. pour servir en Nouvelle-Calédonie :
MM. le méd.-maj. de 2« cl, Foutrein, les méd. aides-maj. Le Roy et Le Bouvier,
et le pharm. aide-maj. de l'« cl. Bonnot.
CORPS DU COMMISSARIAT
Afrique Oooidentale. — M. le commUs» de 2« cl. Briolaj est affecté au ser-
vice des approvisionnements à Saint-Louis.
Guyane. — M. le commise, de !'« cl. Longueteau est nommé chef des services
administ. à la Guyane.
Madagascar. — Sont désig. pour servir à Madagascar :
MM. le commiss. ppal de 3" cl. Cartier; les commise, de l'® cl. Ride, Théodore
et Martin ; les commiss. de 2*> cl. Sossolte, Bousquet et Ghabaud.
Martinique. — (M. le commise, de 1** cl. Douenel est désig. pour servir à la
Martinique comme commiss. de rinscription maritime.
MINIS^TÉBE DE LA MAEME
STAT-MAJOR DE LA FLOTTE
Cooliinolline. — M. le lieul. de vcciss. Douillet eat nommé au command. d'un
torpilleur de la défense mobile de Saigon.
Congo. — M. Venseig, de vaiss. de Parseval est désig, pour embarq. sur Ï'AL-
cyon.
Mers d'Orient. — M. le capit. de vaisseau Bonifay est nommé au command. du
Montcalm.
M. Venseig. de vaiss. Vincent est désig. pour embarq. sur le Montcalm.
Océan Indien. — M. le capit, de frégate Rochas est nommé au commaDd. de
la Sièvre à Madagascar.
Ooôan Indien. — M. le lieut. de vaiss. Allemann est désig. pour embarq. sur
Vlnfernet en qualité d'adjudant de division.
BIBLI06RAPHIIS — LIVRES ET REVUES 271
H. le mécanic, ppal de 1'« cl. Trotobas est désig. pour embarq. sur VInfemet en
qualité de mécanic. de division.
Pacifique. — M. le capil. de vaiss. Adigard est nommé au commaod. de la
diriâion navale du Pacifique et du Protêt.
Terre-Henve. — M. le capit. de vaisseau de Faubournet de Montferrand esl
Qominé au command. de la divis. navale de Terre-Neuve et du Lavoisiei*. •
SBAVICE DE SANTÉ
Océan Indien. — M. le méd. deU« cl. Soûls est désig. pour embarq. sur Vin-
f^rnet en qualité de médecin de division.
CORPS DU COMMISSARIAT
Océan Indien. — M. le commiss. de i^^ cl. Delignj est désig. pour embarq.
^ar Vlnfeimet en qualité de commissaire de division.
Cooltinohilie. — M. Mao, commit ppal de 3« cl., est désig. pour servir à l'ar-
^ml de Saison.
MIIVI^TÈRE DES COLONIES
Par décret en date du 26 janvier 1903, ont été nommés :
Président de la Cour d'appel de la Réunion, M. Gamin du Tremblay;
Président du tribunal de première instance de Saint-Denis (Réunion), M. Thonon;
Substitut du procureur général de la Réunion, M. Dessaignes ;
Subetitiit du procureur général de la Guadeloupe, M. Michaux.
BIBLIOfrRlPHIE — UVRES ET REVUES
Géogri^iliie ag^rioole de la France et du inonde, par J. du
Plessis de Grénédan. 1 vol. in-8« de 424 p. Paris, 1903, Maeson et C'«,
éditeurs.
O précis de géographie agricole est consacré à l'étude de la production
lîîricole dans les diverses parties du globe et à l'utilisation industrielle et
x^mmerciale des différents produits du sol. La France, son empire colo-
aidl et le monde forment les trois parties, dont chacune comprend tout
"Cïiemble un chapitre de géographie agricole générale et une statistique
jritique de chaque culture en particulier. La dernière partie est complé-
•-♦* par uu tableau sommaire des institutions agricoles des principales
rjations comparées à la France. Dé nombreux graphiques et cartes com-
•^i.f'leDt cet ouvrage que recommandent a première vue le nom de son
inieur, rintérét du sujet, et son utilité pratique.
Ijem Annairies de la Républiqne ^snd-africaine (Trancrvaal),
l»ar Joseph Joubert. Une brochure in-B* de 39 pages. Paris, 1903,
Augustin Challamel, éditeur.
Cette brochure est intéressante au double point de vue héraldique
"î historique. L'auteur y décrit en détail les curieux et pittoresques attri-
«uts des écussons du Transvaal et de TÉtat libre d'Orange, et il en profite
^ar rappeler les origines des Boers, les traits saillants de leur histoire,
L-nirs mœurs caractéristiques et en particulier leurs dramatiques treks
TU émigrations. L'écrivain a su, tout en faisant une œuvre surtout ins-
tnîctiTC, Tentremêler d'épisodes émouvants, qui mettent bien en relief
'^ admirables vertus de ce peuple héroïque, au sang franco-hollandais, et
Jual rinlrépidité a fait l'admiration de l'univers.
Ouitrages déposés au bureau de la Revue.
La France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX' siècle, publiées
âoos la direction du P. Piolet, avec la collaboration de toutes les sociétés de mis-
^ffos. Illustrations d'après des document* originaux. — Tome VI et dernier.
Uimans tt Amérique. Les 8a« et 66* livraisons viennent de paraître. Paris, 1903,
272 QUESTIONS DIPJÛOMATIQUKS ET COLONIALES
Le Japon politique^ économique et social, par Henry Dumolard, ancien professeur
de droit français à l'Université de Tokvo. Un vol. in-18 Jésus. Armand Colin, édi-
teur. Paris, 1903.
Histoire contemporaine : La chute de l'Empire. Le gouvernement de la Défense
nationale, V Assemblée nationale, par Samuel Denis. Tome IV. Un vol. io-8« de
. 670 pages. Plon-Nourrit et C'«. Paris, 1903.
La question de la Vieille-Sei*bie, par Paul Orlovitch. Une broch. de 50 pages.
Hachette et C^'^, éditeurs. Paris, 1903.
LES REVUES
I. — REVUES FRANÇAISES
Armée et Marine (15 fév.). D' J.-A. Bussikrb : L'école de médecine de Pondi-
chérj. — Le recrutement des officiers. — Télégraphie militaire allemande. — Le
colonel Ljnch. — Georoks Touoouze : Les causes réelles de la famine bretonne.
— La baie Ponty.
Revue eommeretale de Berdeaax (30 janv.), J.-Cn. Tourmond : M. Roose>
velt et les trusts. — George Jobnston : L'Etat et la marine marchande en Alle-
magne. — (6 fév,). Henri Lorin : La culture du coton dans l'Afrique Occidentale.
Revue des Deux Mondes (!•' fév.). René Pinon : La Tripolitaine.
Revne fraaeo-BiUBnlaïaiie (janv.). P. Carcassonne : Choses du Maroc.
Revue générale des scleneen (30 janv,). Augustin Bernard : Les productions
naturelles, Tagriculture, l'industrie et le commerce au Maroc.
Revue de Madagasear (10 janv.). Lépreux : Aperçu sur l'état de la colonisation
militaire k Madagascar.
Revue politique el parlementaire (10 fév.). Charles Dup'ut : Le service de
deux ans et les dispenses. — Aurblikn Valadb : L'œuvre du Japon à Formose.
— A. -A. Fauvel : L'enseignement français en Orient et en Chine.
Revne des troupes coloniales (janv.). Capit. Gadoffre : Vallée du Yang-tsé :
les troupes chinoises et leurs instructeurs.
H. — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues italiennes,
L'Esplorastone Commereiale (31 décembre 1962). Pippo Vizoni *. La Stella
Polare dans les mers arctiques. — Commissaire civil Martini : Rapport sur la
colonie de l'Erythrée. — G. Griffini : Traités relatifs aux frontières entre le
Soudan, l'Ethiopie et l'Erythrée. — (15 janvier 1903). P. Paolo Manna : Les
Ghekhu, voyage en Birmanie orientale,
Rassegua Interuaxtonale (janvier 1903). Silvio Ghelli ; Vers rOrient (notes
sur le problème Adriatique, où sont avouées les grandes inquiétudes inspirées par
l'Autriche, et proclamés les souhaits les plus vifs pour le développement des voies
de communication avec la France et la Suisse).
RIvista Geo|;rafica Italiana (décembre 1902) : L'expédition scientifique anglaise
de l'Ouganda et une lettre du D' Aldo Castellani.
Rassegna IVamionale (l*** janv, 1903). Roberti : Le mariage de Louis XV. —
Eugène Obbrti : Le barrage du Nil en aval d'Assouan. — (i6janv. 1903). Mario
Foresi : Quelques détails sur la vie de Napoléon à l'ile d'Elbe.
Rivlsta Moderna (i^^ janv. 1903). *** Un programme italien en Orient (A propos
du voyage du comte de LamsdorCf aux cours balkaniques, l'auteur pense que les
progrès du slavisme ne sauraient pourtant arracher à l'Italie la domination des
deux rives de l'Adriatique). — R. Cap. Perini : Le mouvement colonial au
XIX* siècle (continue dans le numéro du 16 janvier 1903).
Litalla Coloniale {janvier 1903). Antoine Monzilli : Le renouvellement des
traités de commerce (ému de la dénonciation par l'Autriche du traité de 1901,
l'auteur montre que les résultats ont cependant été plus avantageux pour TAutri-
che-Hongrie). — A propos du Venezuela (bref tableau de sa situation géographie
que, économique et politique). — Belcredi : Au Maroc (expose la compétition
actuelle, insiste sur les difficultés qui empêchent toute ingérence européenne).
U Adm%nistr(Uewr'Oèrant : P. Campain,
paris. — IMPRIMERIE F. LEVE, RUE CASâSTTE, 17.
APERÇU DE QUELQUES SOMMAIRES
Sommaire du no 13S
Rf bert lie Caix : Affaires du Siam. — J. Denais-Darnays : Fédéralisme et socialisme
fn Aostralasie. — Henri Loria : Impressions sur T Espagne d'aujouri'hui.
Cirte^et gravures : I La presqu'ila de Malacca. — II. Carte de l*Au*»tralasie.
S»ommatre du n<> 4 86
'"; Le traité franco-siamois. — René Henry: Le rapprochement franco-italien. —
Aigiste Terrier : La délimitstion de Zinder.
Lirttset Onrares : I. Carte du Siam. — II. La nouvelle frontière franco-si^oise^ —
!!1. Afrique occidentale française, 3* territoire militaire.
Sommaire du n» 437
Hfsri Pensa: L'arenir de la Tunisie. L'indastrie européenne et l'industrie indigène. —
"*:L'œoTre française en Afrique Occidentale. — H«*iirl Bublôr : Les couUsscs du
-u^^rtnanisme autrichien. — René Morrnx : Le premier congrès colonial allemand.^
Cartes et i^^rayores : Carte de TAfrique OcciHentale.
Sommaire da n^ 4 38
"' Le livre jaune et les affaires do Siam. « E. Peyralbe : Franco et Simpion. —
PiilLabbè : La région du fleuve Amour.
iiripset graTiires : 1. Graphique comparatif des projets Frasne-VaUorhe et de la Fao-
.e. —II. Carte des voies d'accès au Simpion.
Sommaire do n» 4 30
^tffeiqoéta : A propos des affaires do Siam : Opinions do MM. Qodin, le Comte
.AsDiT, Berthelot, te Myre de Vilers, Donys Cochin, Flourens, Senart. et du journal
j îtmps, — Maurice Baret : Les villes de santé dans nos Colonies. — Georges
i«tà€r : La Jutte tchèque-allemande.
CtrtM et Kravnre^ : Répartition des nationalités en Autricbe-Honprrie.
Sommaire do n"* 140
ître esqoête s A propos des affaires de Siam ; opiuions de MM. François Deloncle, le
ircn d'Estouro elles, de Constant, GerviUe-Réache, H. Cordier, Marcel Monnier,
i:jria Lemire. — **' : L'œuvre française en Afrique occidentale. — Pani Labbé :
~ regiOQ du fleuve Amour, la province Maritime.
«'t^ et gravures : I. Les nouvelles délimitations des colonies de l'Afrique occidentale.
-iLaréjrion dn fleuve amour.
— — ^ ■ F
Sommaire do n» f 4t
^.ii^eniain, sénateur d'Oran : La question du Maroc. — ÏjQ Myre de Vilers, ancien
• :5t' de la Cochinchine : La crise de l'argent en Indo; Chine. — '"* : Le conflit
^'^germano-Ténézuélien. — René Basset, directeur de 1 École supérieure des Lettres
'-/v: Le XIII* congrès international des orientalistes à Hambourg. — René Piuon:
--^'âissioDs catholiques françaises au xix* siècle. — L. Brnnet, député de la Réunion:
-•-igascAT. — Les territoires militaires.
Cartes et graynrea : Carte du Maroc. — Carte du Venezuela.
Sommaire dn n* 4 4^
'^ >ir; expansion coloniale et les partis politiques. — René Henry : La question de la
•i Hàne. — X. : La question du Maroc. — Notre Bnqnête : A propos des affaires de
■•- opLiioDS de M. G. Chastenet, d'un collaborateur d'Extrême-Orient, de M. Robert
' -T^' Journal tlet Débats); protestation de TAssociation des écrivains militaires,
"lises et coloniaux. Président, M. H. Houssaye. »*r.j
■-"'» et la^Tires : ï. Péninsule des Balkans : indications orographiques. — II.|La
'7:it dKurope. — 111 La Péninsule des Balkans d'après le traité de San-Stefano.
Sommaire dn n 143
-Tste Terrier: La délimitation de l'Ethiopie. — René Henry: La question de Macé-
Alexandre Gaasco: Le paludisme et l'initiative privée en Corse. —
'^tais-Darnays : Fédéralisme et socialisme en, Australasie. — René Morenx :
'-''iité franco-siamois et l'opinion allemande.
"'' rt griTares : I. Frontière entre le Soudan Anglo-Egyptien et l'Ethiopie. —
•^baitation de TAfrique Orientale.
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rentretlent par inisage régulier de ce cordial, cincace «aas tous les cas, éminemment di{
^ "* i et «gnapie au goût comme une liqueur de taU*.
:" ilrii'P 145 !•' JfiES 1903
QUESTIONS
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Diplomatipes et Colirales
REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LB 1" ET LE IS DE CHAQUE MOIS'
SOlidQiiLAJŒtE:
PftgO»
"-m Bohler Le chemin de fer de Bagdad. — Les intérêts français
et allemands en Turquie 273
^■^landre Guasco.. . . Les Boxeurs et les troubles du Se tchouan ^^c)(>
%e-Fleurimont Le projet d'emprunt du gouvernement général de
l'Afrique occidentale française 305
: ^eyralbe Le Congrès national des travaux publics 311
Pioseignements politiques .'. 317
Sîmgnements économiques 3:28
hoinations officielles 33^
si^liographie — Livres et Revues 334
h chemin de fer de Bagdad 287
li Tille ^ Tcheng-tou-fou 2(iî>
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QUESTIONS ; r
DIPLOMATIQUES ET COLONIALE^*" :^
LE CHEMIN DE FER pE BAGDAD '
LBS INTÉRÊTS FRANÇAIS ET ALLEMANDS
EN TURQUIE
D'après les dernières informations, l'Allemagne, ou plutôt le
syndicat franco-allemand du chemin de fer de Bagdad, est sur
le point d'obtenir du gouvernement ottoman les garanties né-
cessaires pour entreprendre la construction de la première sec-
tioQ, Konia-Eregli, du futur Petit Transasiatique (Bosphore —
folfe Persique), déjà amorcé par la ligne allemande Haïdar^-
Pacha-Ismidt-Eskichéir-Konia (749 kilomètres). On se rappelle
que la concession de cette grandiose entreprise fut accordée en
principe à Guillaume II, lors du dernier voyage de ce souverain
en Palestine et à Constantinople (novembre 1898), et confirmée
solennellement par un iradé en date du 18 février 1902. Le
devis en est connu aujourd'hui et se monte à 600 millions de
francs : de Tavis même des Allemands les plus chauvins, il ne
peut être réalisé sans la coopération des capitaux français.
Aussi est-il intéressant, à la veille du premier appel de fonds
^ur le marché de Paris, d'analyser la valeur de l'œuvre que nous
allons entreprendre de concert avec TÂllemagne, de peser ses
avantages et ses inconvénients, d'envisager les intérêts qu'elle
va favoriser ou contrarier, de discuter l'opportunité de respec-
ter ceux-ci ou ceux-là, de savoir, en un mot, si nous allons
travailler encore une fois pour le roi de Prusse, au détriment de
Tinfluence française en Extrême-Orient.
Il est indispensable d'exposer, au préalable, les résultats de la
politique allemande dans un pays où l'Allemagne était encore
presque ignofée il y a moins d'un tiers de siècle et qu'elle pré-
tend transformer aujourd'hui en satellite docile de sa Weltpo^
litik et exploiter surtout à son profit exclusif.
•
• •
Le temps n'est plus, en effet, où le prince de Bismarck jugeait
inutile de prendre connaissance du courrier de Gon3tantinople.
(ta0T. DiPL. BT Col. — t. zv. — n» 145. — 1*' mars 1903. IS
274 QUESTIONS DIPLOBIATIQUES ET GOLOKULES
La guerre russo-turque de 1877-1878 a ramené rattention de
l'Empire allemand vers le'Bosphore et FAsie Mineure, et depuis
cette époque, le courrier d'Orient a été si bien pris au sérieux
que Sir Ashmead Bartlett a pu déclarer, en 1900, ^ue « les
Allemands étaient en train d'absorber la Turquie. » Constanti-
nople n'est même aujourd'hui que la première étape du Drang
nach dem nahen und fernen Osten^ qui aboutit déjà à Kiao-
tchéou, et «dont les points intermédiaires sont marqués, pour
l'avenir, à Bagdad, aux Indes néerlandaises et peut-être aux
Philippines.
Depuis 1882, date de l'envoi en Turquie de la mission mili-
taire von der Goltz, chargée de continuer la réorganisation de
l'armée turque déjà commencée par une mission française
entre la guerre de Crimée et la guerre russo-turque, TAlle-
magne est devenue persona gratissimcu auprès de la Sublime
Porte et a su en obtenir les concessions et les commandes les
plus rémunératrices. Son ambassade a été merveilleusement
secondée parla haute finance, la « Deutsche Bank » en particulier ;
aussi le commerce du ZoUverein avec la Turquie (Europe et
Asie) s'élève aujourd'hui à 85 millions de francs et les inté-
rêts financiers allemands engagés en Turquie, à 1.025 millions,
dont 500 au titre de la Dette, 245 dans les chemins de fer et
280 dans les banques, entreprises industrielles et sociétés
diverses .^-Mais tout cela n'est qu'un hors-d'œuvre, une mise en
appétit : le but de la politique de Guillaume II est de conquérir
le premier rang dans l'exploitation économique du Levant; en
d'autres termes, de déposséder la France de la situation morale
et commerciale acquise depuis des siècles, d'y tenir en échec
TAngleterre et d'en détourner la poussée russe en la faisant
dériver complaisamment sur la Perse, l'Afghanistan et l'Extrême-
Orient.'
«
Constantinople est le quartier général de l'influence alle-
mande en Turquie : l'ambassadeur Marshall von Bieberstein y
est le plus écouté et le mieux accueilli des représentants étran-
gers. Le Sultan se sent en confiance auprès de lui : il apparaît
au contraire gêné et mortifié devant les autres diplomates qui
ne négligent aucune occasion de lui adresser des remontrances
parfaitement justifiées, mais particulièrement, blessantes pour
son amour-propre de despote absolu. A Tinvetse des autres
nations qui donnent des ordres impératifs et adressent des som-
mations menaçantes à l'Etat moribond, l'Allemagne affecte de
ne pas connaître A' Homme malade et manifeste hypocritement
son étonnèment ïorsqu^on parle d'une façon aussi irrespec-
LE GHKMIN DE FER DE BAGDAD 275
tueuse d'un Empire sur lequel plane l'aigle protecteur de la
Gennania et ramitié d'un Hohenzollernrî)epuis son voyage de
1898 et sa visite au tombeau de Saladin, Guillaume II est
rhomme le plus populaire à Constantinople : son portrait figure
dans tous les café^TTie second de ses fils, le prince Adalbert,
le futur grand-amiral allemand, partage sa popularité depuis la
yisite qu'il fit au Sultan en 1901, au cours de la croisière
d'Orient du bâtiment-école Charlotte, L'escale des cadets
allemands à la Corne d'Or fait désormais partie du programme
de navigation; en novembre 1902, les officiers et les aspirants
du Stein, autre bàtiment-école, ont été admis en effet au
Selamlik et présentés au Sultan qui leur a prodigué des déco-
rations et les a retenus, dans son palais d'Yildiz Kiosk, à un
banquet-concert présidé par ses cinq jeunes fils.
Le prestige de Guillaume II rejaillit également sur les na-
tionaux allemands, qui sont particulièrement respectés et esti-
més dans la capitale. Solidement rattachés à la mère patrie par
la Société Teutonia (250 membres), groupés en Vereine ou-
vriers, en chorales, en sociétés de gymnastique, en clubs
variés, patronnés directement par leur ambassadeur, accueillis
et renseignés indistinctement avec la mt^me obligeance par
leurs agents consulaires, ces émigrés font généralement de
bonnes affaires et ne tiennent nullement à quitter un pays qui
leur est si favorable. Ils peuvent recevoir des soins excellents
iaus un hôpital allemand desservi par des diaconesses.
hiBûrgerschuleà^ Péra, fondée en 1868, compte 600 élèves
dont la moitié d'origine allemande ; le gouvernement impérial
lui alloue une subvention annuelle de 37.500 francs et fournit
le personnel enseignant?: Outre ce lycée, il existe en Turquie
d'Europe cinq écoles allemandes plus modestes, mais d'un ca-
ractère plus pratique, ]es Eisenbahnschulen (écoles des chemins
de fer), fondées et administrées par la Compagnie des chemiùs
de fer orientaux à Jédikulé (quartier S.-O. de Stamboul), Salo-
nique, Andrinople, Uskub et Philippopoli : 400 enfants y reçoi-
vent une excellente instruction primaire. Deux écoles ana-
k^es ont été créées en Turquie d'Asie, à Haïdar-Pacha et à
Eskichéir, par les soins de la Compagnie allemande des Chemins
de fer ottomans d'Anatolie.vUn iradé impérial, rendu en juin
1902, a reconnu d'utilité publique et exempté de l'impôt foncier
et même des droits de douane les diverses écoles précitées ainsi
que les établissements allemands de bienfaisance fondés en
Anatolie j en Palestine et en Syrie * .
I Le nombre des égUses, écoles, hospices, orphelinats et cimetières allemands en
Torqaie d*Asie et Turquie d* Europe s'élève à 53.
276 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS KT COLONIALES
On trouve des Allemands dans toutes les branches de Tadmi-
nistration centrale ottomane, où ils occupent des situations très
élevées : douanes, postes et télégraphes, finances, travaux
publics, mines, forêts, domaines, marine et guerre. Canons,
fusils, munitions, torpilles et torpilleurs sont en majeure partie
de fabrication allemande. Krupp a bien fourni, dans les dix der-
nières années, pour cent millions de francs de matériel; les
canons modernes, qui hérissent le Bosphore et les Dardanelles,
sortent de ses usines ; il a reçu récemment encore une com-
mande importante de canons de campagne à tir rapide destinés
aux corps d'armée de Turquie d'Europe. En janvier 1903, le
ministère de la Guerre ottoman a commandé 200.000 Mauser à
des manufactures d'armes allemandes et leur a versé un premier
acompte de 700.000 francs. '
La marine turque, possède un amiral allemand, mais ce der-
nier n'a pu secouer l'inertie ottomane ni réaliser le moindre
progrès ; les navires de guerre turcs n'ont aucune valeur, et
faute de charbon, sont plus en détresse qu'en réserve dans les
différents ports. Il n'existe aucun stock de combustible; les
machines sont dans un piteux état. Les chantiers Germania^ à
Kiel, construisent en ce moment deux croiseurs-torpilleurs pour
le compte du Sultan et remanient ce fameux cuirassé Assar-i-
Teivfiky qui, d'abord envoyé aux chantiers génois AnsaldOy est
resté ensuite en souffrance à Kiel pendant les trois années qu'ont
duré les pourparlers du contrat de réparation.
L'armée turque a reçu plus facilement l'empreinte allemande ;
son organisation actuelle est l'œuvre de von der Goltz. Les
quelques officiers prussiens encore détachés au ministère de la
Guerre n'ont pas cependant l'influence qu'on leur a parfois attri-
buée ; ils ne sont en réalité que les représentants attitrés des
maisons allemandes d'armement et d'équipement. L'arsenal de
Top-Hané comprend un nombre notable d'instructeurs et d'ou-
vriers d'art allemands. Un grand nombre d'officiers turcs sont
détachés dans des corps de troupe prussiens.
#
Une des causes de la faveur, dont jouissent les Allemands en
Turquie, est le rôle important qu'ils ont su se réserver dans la
constitution du réseau ferré européen et asiatique « En Turquie
d'Europe, ils ont construit et exploitent la ligne Salonique-
Monastir (219 kilomètres); ils ont en outre une part prépondé-
rante dans la direction des chemins de fer orientaux. En Asie
Mineure, leur réseau d'Anatolie (1 .t)33 kilomètres) représente
un capital actions et obligations de 200 millions de francs
LE CQEHIN DE FER DE BAGDAD 277
environ. La gare terminus des chemins de fer orientaux se
troiive à Stamboul, à trente minutes en bateau de Haïdar- Pacha,
port concédé à VAllemagne en novembre 1901 et tête de ligne
du premier tronçon du futur chemin de fer de Bagdad. Il n'existe
qu'une solution de continuité dans la ligne de communication
allemande : ce sont les quais du port de Constantinople, encore
aax mains de la Compagnie française dirigée par M. Granet.
La Deutsche Bank, dont le capital social sera prochainement
porté de 187.500.000 à 225 millions et dont les réserves
atteignent 63 millions, ne tardera pas à fournir au Sultan les
41 millions nécessaires pour racheter les quais en question et à
prendre sur eux une première hypothèque équivalant à une
véritable acquisition \ «iAprès que les quais auront été achetés
o par les Allemands, écrivait la Deutsche Zeitung en no-
« vembre 1902, nous pourrons établir des tarifs qui mettront fin
« à toute concurrence non allemande ; nous grouperons tous les
• chemins de fer et les quais (Constantinople et Haïdar-Pacha)
« en un grand trust allemand placé sous le contrôle de la
a Deutsche Bank. Les chemins de fer ne transporteront que
« des marchandises allemandes. Par ce moyen, la Turquie
« deviendra une province allemande. » Il ne faut pas prendre
évidemment ces lignes au pied de la lettre ; mais elles n'en
sont pas moins les indices d'une campagne qu'il est intéres-
sant de connaître et de faire échouer, le cas échéant*.:-
^ I I .1 I ■ I II
' * On se rappelle que le gouvernement ottoman, à l'instigation de la Deutsche
Bank, institua, en octobre 1899, une commission chargée d'étudier la question du
rachat par TÉtat, autrement dit par la haute fiuance allemande, et que cette com-
iDÎiaion avait obtenu du Sultan la suspension, pendant la durée de ses travaux, des
droits de qoai perçus par la Compagnie. A la suite de la démonstration navale de
Mitylène, la Compagnie recouvra l'exercice de &es droits et obtint, comme rembour-
sei&eot de l'arriéré de deux années, la perception de la taxe sur les fruits entrant à
Constantinople. La somme de rachat fut finalement fixée à 41 millions da francs,
Tileur des quais et terrains en bordure payables dans un an, avec un dédit de
575.000 francs, ou la permission à la Société de jouir de ses prérogatives, dans le cas
où le paiement ne pourrait être effectué dans le délai déterminé. Ce délai étant
arrivé à expiration le 25 août 1902, la Société des quais a fait protêt par acte notarié
contre les ministres ottomans des Affaires étrangères, des Finances et des Travaux
pabiîcs pour le non-paiement du dédit et Tempéchement pour la Société de jouir de
•es droits. Aucune solution n'est encore intervenue, mais il est probable que la
Deutsche Bank fournira au Sultan les fonds nécessaires. La question a été d'ailleurs
traitée lors du dernier voyage à Constantinople (nov. 1902] de M. H. Gwinner,
directeur général de cette banque, qui a été reçu en audience particulière par le
Soltaa et a reçu le grand cordon de l'Osmanié. M. Gwinner aurait décidé d'établir
noe succursale de la Deutsche Ban]( à Constantinople pour faire une concurrence
plus active à la Banque Ottomane.
«^>La Deutsche Zeitung écrivait en décembre 1899 : «t Le gouvernement n*a pas
aiiuellement Targent nécessaire au rachat et ne saurait se charger lui-même de
lattBÛnisttation des quais. Il devrait donc se trouver quelqu'un qui fournit les
fomb et se chargeât de l'exploitation. Ce serait la Compagnie des chemins de fer
crieDtanx ou d'Anatolie. Comme la Deutsche Bank est derrière l'une et l'autre,
ce serait la Banque allemande elle-même. Par conséquent, si les quais devenaient
278 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
• •
L'influence allemande n'est pas seulement localisée à Cons-
tantinople et en Anatolie : elle s'exerce encore et s'affirme de
plus en plus en Syrie et en Palestine*. Elle est certes loin
d'être comparable à celle de la France, jusqu'ici prépondérante;
mais on ne peut méconnaître qu'elle a fait de grands progrès
depuis le pèlerinage intéressé de Guillaume II au Saint-Sépulcre,
vies merveilleux résultats de la colonisation des Templiers alle-
mands contribuent d'ailleurs à la développer. Ces protestants
wurtembergeois, fixés en Palestine depuis 1868, sont au nombre
de \ .800, répartis en cinq colonies : Jaffa, Sarona, Rephaïm,
Haïfi'a et Jérusalem. Leurs vignobles et leurs exploitations agri-
coles, d'une valeur totale de 10 millions de francs, sont de véri-
tables fermes-modèles. Ils ont renoncé à la nationalité alle-
mande pour former un petit peuple autonome, ayant une
administration, un budget, des écoles, des temples et un hôpi-
tal particuliers ' ; mais les flatteries de Guillaume II, les progrès
économiques et les succès militaires de l'Empire allemand ont
réveillé leurs sentiments germaniques. Ils condescendent déjà
à recourir aux consuls allemands pour les démarches à faire
auprès des autorités turques : ils ne tarderont pas à revenir fran-
chement dans le giron du Deutschtumi
Outre les Templiers, il existe encore en Palestine et en Syrie un
millier d'Allemands, dont 500 à Beyrout et à Smyrne. Leurs tran-
sactions avec la mère patrie et les sujets ottomans sont parti-
possession allemande, ne fût-ce qu'à bail, tous les transports et les communications
seraient aux mains des Allemands depuis la frontière orientale rouméliote jusqu'au
golfe Persique. Les conséquences économiques et politiques de ce fait seraient
incalculables, » Le rapprochement entre les lignes de 1899 et de 1902 est suggestif.
Il prouve que le rachat des quais par l'Allemagne est prémédité depuis longtemps
et que, s'il n'a pas ^té tenté plus t6t, c'est à cause de la dépression profonde du
marché berlinois à la suite des krachs retentissants de la Leipziger et de la Dresdner
Bank. Aujourd'hui la Deutsche Bank se trouve en excellente situation pour
tenter l'opération; ses réserves s'élàvent à 63 millions de francs dont 12.500.000 prêtés
récemment à la Porte comme avances sur le produit de la conversion des pêcheries.
1 Relire à ce sujet le très intéressant article de M. René Moreux : Le protectorat
des missions catholiques du Levant (Quest. Dipl. et Col,, {•' juillet 1902^.
V 2 En 1850, le pasteur Christophe Hoffmann, voulant entreprendre la réforme morale
du luthérianisme, annonça une seconde descente du Sauveur sur la terre, en Pales-
tine, et fonda une nouvelle religion, basée sur les lois morales posées par le Christ,
et sur le travail manuel exécuté dans la simplicité de la nature et aussi près que
possible du Temple de Jérusalem. En 1867, ses principaux disciples, qui avaient déjà
fondé des colonies agricoles dans le Wurtemberg, crurent le moment propice d'aller
s'établir aux Lieux-tiaints ; les «t Templiers », nom pris parla secte, renonçant à la
nationalité allemande, devaient y vivre désormais sans lois, selon TEvangile, l'équité
et leur conscience. Ce furent d'admirables colons qui eurent à supporter les plus
rudes épreuves pour transformer en terrains cultivés les solitudes malsaines d'Haïffa,
de Rephalm, de JafTa et de Sarona. Leurs doctrines se sont modifiées depuis : les uns
ont tourné au pur déisme; les autres se sont rapprochés sensiblement du luthéria-
nisme; la plupart d'entre eux ont apporté un peu plus d*esprit pratique dans leur vie
et pensé au temporel plus sérieusement qu'autrefois.
LE CflEMIN DE FER DE BAGDAD
279
ciilièrement facilitées par la Société allemande d'Orient et de
Palestine dont Toi^ane financier, la Banque allemande de
Palestine^ créée en mai 1899 au capital de 562.500 francs, fai-.-
sait déjà en 1902 pour 54 millions de francs d'affaires. Une
autre Société, Gesellschafl zur Forderung der deutscfpen
Ansiedlungen in Palestina (Société pour le développement des
colonies spontanées allemandes en Palestine), fondée en 1900
an capital de 161 .000 francs, seconde l'établissement des colons
dans le pays en leur faisant Tavance du premier capital.
L'influence allemande s^appuie encore sur l'active propagande
des Missions catholiques et protestantes allemandes *, de l'Asso-
ciation catholique de Terre-Sainte, en particulier, dont l'activité,
secondée par un budget annuel de 250.000 francs, devient de
plus en plus inquiétante.^'appuyant sur [le caractère religieux
mixte de son Empire, Guillaume II ne désespère pas d'obtenir
on jour le protectorat des chrétiens ,Hlont la France semble
malheureusement se désintéresser : le discours qu'il a prononcé
à Aix-la-Chapelle en juin 1902* — dans lequel il se posait en
champion de Tidée religieuse, plaçait son empire, sa maison et
lui-même sous la protection de Dieu, et citait avec « orgueil et
joie » le brevet de piété que LéonXllIJvenait de décerner au peu-
ple allemand et à l'armée allemande — est la preuve manifeste
qu'il espère profiter du premier èonflit grave qui viendrait à
-m
^ Etablissements allemands, religieux et de bienfaisance, en Palestine et Syrie :
Jérusalevi : asile de vieillards des sœurs [de la Miséricorde ; hôpital et dispensaire
.sraèlîte allemand ; hospice catholique avec chapelle et école defîlles, hôpital de dia-
Ci»fcesiâes ; asile Jesus-Hilfe ; hospice de l'ordre Saint-Jean de Jérusalem ; orphelinat
de fUles à Talithe-Koumi ; orphelinat juif allemand ; orphelinat syrien et colonies agri-
coles de Bi r- Salem ; église et école communale évangéliques ; terrain de la Dormi-
uoQ ; — Jaffà : école évangélique ; — Taghba : hospice catholique du lac Tibériade ;
— Mont Carmel : sanatorium; — Haïffa : école évangélique; hospice catholique de
âoeors de la Miséricorde; — Bethléem : église, école et orphelinat évangéliques ; —
B^ts Dschala : église et école évangélique; — Hébron : école évangélique; — Bets
Mhur : école évangélique ; — Beyrout : orphelinat et école de filles de l'Association
4es diaconesses de la Westphalie rhénane; hôpital de l'ordre de Saint-Jean ; maison
d'été des diaconesses. Les Templiers allemands possèdent des écoles particulières,
également reconnues d'utilité publique : deux à Jérusalep, deux à Halffa, deux à '
Sarona, une à Jaffa. Les écoles protestantes allemandes sont assistées par V Union
évangélique de Jérusalem. Jérusalem compte à l'heure actuelle quatre communautés
allemandes catholiques : sœurs de Saint-Charles, Lazaristes, Bénédictins, Francis -
•Tains de la Custodie.
^ « n ne faut pas oublier que la base première de l'Empire est la simplicité et la
« crainte de Dieu. Je compte que tous, ecclésiastique ou laïques, vous m'aiderez à main-
« tenir la religion dans le peuple, afin de conserver à la race germanique la saine vigueur
« qa'eUe possède. Cela concerne d'une façon égale les deux religions. C'est avec orgueil
■ et joîe que je vous fais savoir que le Pape a déclaré au baron de Loô, mon repré»
< sentant lors du jubilé, qu'il avait toujours eu une haute idée de la piété du peuple
■ allemand, et en particulier de l'armée allemande. Le baron de Loê a été chargé de
1 me dire que TEinpire allemand était le pays de l'Europe où régnaient encore les
« bonn» mœurs, l'ordre, la discipline, le respect de l'autorité et de l'Eglise, et où
7 tout catholique pouvait pratiquer librement sa religion, et que le Pap6]eit remerciait
:i
r
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
surgir entre le Vatican et le gouvernement de la République.
Il est puissamment secondé dans ses desseins par l'Ordre des
Bénédictins allemands, gardien du terrain de la Dormition de la
Sainte- Vierge^ que lui remit gracieusement le Sultan en 1898
et qu'il rétrocéda aussitôt à l'Association catholique allemande
de Terre-Sainte pour y faire élever une église monumentale*.
On vient d'ailleurs d'annoncer * qu'à l'occasion de sa prochaine
visite au Pape et au roi d'Italie, il s'arrêtera à Cassin, l'abbaye
mère des Bénédictins, dont l'abbé, le P. Krug, est un Allemand;
et qu'il visitera la basilique bénédictine de Saint-Paul de Rome,
également administrée par un abbé allemand.
Est-ce par pure coïncidence que Guillaume II, à la veille de
partir pour Rome, a cru devoir affirmer sa foi et venger la Bible
et l'Evangile attaqués par le professeur allemand Delitzsch? La
proclamation du Credo impérial n'a-t-elle pas plutôt pour but
de se ménager de nouvelles sympathies auprès de Léon XIII?
Examinons maintenant par quels résultats pratiques se tra-
duit l'influence allemande en Turquie, et d'une façon générale,
avec le Levant.
V Si nous ouvrons le Handbuch[i%Q^)At la Deutsche Levante-
Linie^ nous constatons que depuis 1889, date de l'inauguration
de la Compagnie allemande, jusqu'à la fin de 1901, les exporta-
tions et importations de Hambourg à destination ou provenant
du Levant se sont accrues dans les proportions suivantes :
PORTS RUSSES
EGYPTE,
TURQUIE
TURQUIE
ALGER
DE LA
ROUMANIE
r.RBCB
ET LR RESTE
d'europe
d'asie
MER NOIRE
DE L'AFRIQUE
DU NORD
Exportations.
891 %
1.556 %
621 %
9.) %
307 %
1.094 %
Importations.
424 %
159 %
4i %
22 %
m %
2.162 %
« l'empereur d'Allemagne. Cela m*autori&e à exprimer l'opinion que nos deux grandes
« religions doivent s'efforcer, l'une à côté de l'autre, de maintenir et de fortifier la
« crainte de Dieu et le respect du culte. Que nous sojrons des hommes modernes, que
ik nous agissions sur un terrain ou sur un autre, peu importe; quiconque ne base
A pas sa vie sur la religion est perdu. C'est pourquoi je jure de mettre tout l'Empire,
« l'armée, moi-même et ma maison sous les auspices de la Croix et sous la protec-
«' tion de Celui qui a dit : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passe-
« rontpas. » (Discours de Guillaume II à Aix-la-Chapelle y juin 1902.)
1 Les Bénédictins français ont obtenu la concession d'un séminaire syrien sur le
Mont des Oliviers dominant le terrain de la Dormition. ils veulent ainsi manifester
contre l'intrusion des Bénédictins allemands.
» Tempsy 23 février 1903.
LE CBBMIN DE FER DE BAGDAD
281
Si nous consultons maintenant la dernière publication du Bu-
reau statistique de Hambourg, Commerce et navigation de Ham-
bourg en 1901, nous remarquons qu^au cours des dix dernières
années le commerce total de ce port avec le Levant est passé
de 87 à 197 millions de francs, en augmentation de 126 %.
En6n, si nous compulsons le Statistiches Jahrbuch de 1902,
pour avoir une idée du commerce total du ZoUverein avec le Le-
vant, nous arrivons aux résultats suivants en millions de francs :
1
d'Eorope
URQUIE
d'Afrique
d'Asie
KGYPTK
GRÈCE
BULOARIB
ROUMANIE
1802
P'jrutioos.
.;»:>rlatioii».
35
49,125
16,875
10
5,5
4,75
2.5 .
7
51,625
49,25
Total...
84,125
26,875
10,25
9,5
100,875
PORTS*
RUSSES
DE LA
MER NOIRE
57
1901
-jv-ruiions.
'Y''>r^ioDS.
Total.
8,623 r 0 I 29
37,625
31,25 \ 0,375 I 15,25
46,875
84.500
40,025
11,30
2,5
59,75
20,625
8,125
7,375
42,50
60,625
18,625
9,875
102,25
80
95
Total général des importations et exportations en 1892 288,125
Total général des importations et exportations en 1901 310,875 >
Soit une augmentation de 28,40 %.
D'après la source précitée, le commerce de TAUemagne avec
1 Empire ottoman n'atteignait, en 1880, que 8.500.000 francs :
:1a donc décuplé en vingt ans. Il n'occupe encore que le qua-
trième rang après l'Angleterre, la France et l'Autriche. Au cours
Je la période 1892-1901, la moyenne annuelle des marchandises
allemandes importées s'est élevée à 44 millions, soit les 15 %
environ du total des importations ottomanes : les armes, avons-
nous dit, figurent dans ce chiffre pour une large part.
•
A l'inverse des autres puissances qui cherchent à monopo-
* Commerce de Hambourg seulement. Les données manquent sur le commerce
^^ aatres ports allemands.
• Commerce avec la Serbie : 15.375 en 1892 et 18.375 en 1901.
28d QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
liser la fourniture d'une seule marchandise, l'Allemagne ré-
partit son exportation en Turquie sur le plus grand nombre
d'articles possible. La vigilance de son attaché commercial à
l'ambassade de Constantinople et de ses agents consulaires,
l'activité de ses commis voyageurs, la profusion de ses cata-
logues sensationnels, le soin apporté dans les livraisons, ses
emballages criards, le souci de se plier aux exigences des ache-
teurs en ce qui concerne la couleur, la forme et les dimensions
des articles, enfin les grandes facilités de paiement accordées
aux clients, lui permettent de répandre partout les produits les
plus divers, la camelote à bon marché comme l'article soigné.
L'exportation de ses draps a presque doublé dans les six der-
nières années ; celle de ses fers, aciers et machines a déjà dé-
trôné la fourniture anglaise de même nature; ses horribles
savops, sa parfumerie vulgaire ont presque le pas aujourd'hui
sur leis fins articles de toilette français ; soii exportation de dro-
guerie pourvoit à la moitié de la consommation totale de TEm '
pire ottoman; les 70 % de la cérésine, employée pour la fabri-
cation des cierges,proviennent des usines chimiques allemandes.
Il ne faut pas s'exagérer toutefois les dangers de la concurrence
allemande; celle-ci ne sera réellement redoutable que lors-
qu'elle sera secondée par des représentants attitrés permanents
et des maisons de commission aussi bien outillées que les
maisons françaises, ce qui n'est pas le cas actuellement; mais
pour cela, il faut des capitaux, et la haute finance de Berlin,
rendue circouspecte par les krachs retentissants de 1901, ne se
laissera pas tenter encore par des entreprises extérieures aléa-
toires, pas plus d'ailleurs qu'elle ne s'est laissé séduire par les
territoires de protectorat impériaux qui végètent plus [que mé-
diocrement.
Le commerce de l'Allemagne avec la Mésopotamie est encore
insignifiant, 500.000 fr. environ : aussi la navigation allemande
a-t-elle jugé inutile, du moins jusqu'à présent, de créer un
service régulier entre Hambourg et le golfe Persique*. Le che-
min de fer de Bagdad changera probablement les conditions
dans quelques années et il est probable que notre exportation
sucrière* en Mésopotamie et dans l'Irak sera alors gravement
1 Les marchandises allemandes à destination de Bagdad partent généralement de
Trieste ou de Gènes, et les produits arabes destinés à Hambourg ou Berlin sont
d'abord débarqués à Trieste. -^ La Russie a créé, en 1901,* une ligne Odessa-golfe
Persique.
* Le marché du sucre à Bagdad est actuellement aux mains de deux grandes raffi-
neries de Marseille. « Les habitants, déclare le consul allemand, sont habitués aux
«pains français et n'en changeront pas. Le sucre allemand ne pourra entrer en conc-
lu curi*enceque8i les pains sont semblables en qualité et en forme àceux de Marseille, »
!
I U CHEMIN DE FER DE BAGDAD
î tvmpromise. L^exploitation économique de ces régions se pré-
pare activement dans les milieux coloniaux de Berlin et de
Hambourg : le Comité de la Kolonial Gesellschaft yient à cet
effet d'envoyer sur les lieux une mission scientifique et com-
merciale dans le but d'étudier l'utilisation des forces hydrau-
liques do Tigre et de l'Euphrate, le rétablissement de Tancien
.système d'irrigation et la création d'une grande industrie co-
tonnière. Des projets de grandes exploitations de sériciculture,
iHerhge de chèvres d'Angora, etc., sont également étudiés en
Anatolie. Mais, répétons-le, pour créer toutes ces entreprises,
il faut des capitaux, et les rares capitaux allemands disponibles
sont trop timorés pour se risquer au loin sans garantie absolue
de succès. j
En Syrie, le commerce allemand, malgré tous les efforts du |
•onsul impérial de Beyrout, ne peut entrer jusqu'ici en concur- |
rence sérieuse avec le commerce français.
L'importation des produits turcs en Allemagne s'est accrue de
233 % dans les vingt dernières années ; mais elle est encore
Ift'S faible comparée à celles des autres puissances. L'Angleterre
Achète en efFet à la Turquie quinze fois plus que TAllemagne,
la France dix fois plus, l'Autriche-Hongrie trois fois plus. Elle
omprend des céréales, des fruits variés (dattes, figues, citrons,
ranges, etc.), des confitures, de la pâte d'abricot, de la noix de j
ialle, de la réglisse, des œufs, de Thuile d'olive, de l'asphalte, j
•ie la laine, du coton, du tabac, des tapis, des éponges, du
hrorae, un peu de soie, etc. Le port de Haïffa, dont les progrès
«nt surtout dus aux colonies de Templiers, expédie des crus
mriés sur Hambourg *.
• *
Le développement commercial de l'Allemagne en Turquie, et
'1 une façon générale dans le Levant, est dû au concours de plus
•'D plus actif de la Compagnie de navigation hambourgeoise
^utsche-Levante Linie, Cette Compagnie, non subventionnée,
ommença son service en 1889 avec 4 vapeurs : elle en pos-
^de aujourd'hui 27. Elle fait une vive concurrence au Lloyd
«ntrichien de Trieste ; ses tarifs sont très bas, la manutention
ies colis irréprochable ; aussi de nombreuses maisons autri-
'liiennes préfèrent-elles expédier leurs marchandises du Levant
par Hambourg au lieu de les diriger par Trieste. Son capital
^ial est de 7 millions et demi de francs; ses recettes, en 1901,
' Les vio5 rouges produiis par les vignobles des Templiers sont : VAffenihaUr,
^^tlnung der Kreuzfahrer (Espérance des Croisés); les vins blancs portent les
woade Sarona Gold (or de Sarona), Perle dt Jéricho. Le bon vin de Sarona,
'''oda à Stvttgard, revient à 125 francs l'hectolitre.
Î84 QUESTIONS DlPLOMATlQUiSS ET COLONIALES
ont atteint 12 millions et demi. Le plan de navigation actuel
comporte 12 lignes directes partant de Hambourg, 6 de Anvers,
et une alternativement de Rotterdam et de Newcastle avec escale
à Alger, Messine, Malte, Alexandrie, le Pirée, Smyrne, Haïdar-
Pacha, Derindjé, Constantinople, Dedeagatch, Bourgas, Varna,
Kustendjé, Galatz, Braïla, Odessa, Nikolaïev, Novorossik, Ba-
toum, Samsoun, Trébizonde, Mariopol, Taganrog. Un service
régulier de Palestine et de Syrie, avec escale à Beyroul, Jaflfa,
Haïffa et Akka, a été inauguré en octobre 1898. En outre, une
nouvelle ligne a été organisée de concert avec la grande Com-
pagnie allemande Hamburg-Amerika pour relier directement
les ports américains avec le Levant. Enfin un service de tou-
ristes pour rOrient fonctionne chaque année à partir du mois
de mars.
Le gouvernement bulgare s'était engagé en 1900, pour une
durée de cinq années, à payer à la Compagnie une subvention
annuelle de 112.-500 francs en vue de l'établissement d'une com-
munication directe entre les ports bulgares et les ports euro-
péens occidentaux pour l'exportation des céréales; mais le traité
n'avait pas été approuvé par le Sobranié. Sur intervention 'de
M. Danew, président du Conseil, la subvention a été votée pour
1902 par 81 voix contre 49 *.
Pour en finir avec les intérêts de TAUemagne en Turquie et
dans le Levant, ajoutons que les Allemands possèdent à peu
près les deux tiers de la Dette roumaine' et une notable partie
de la Dette hellénique contractée avant la guerre gréco-
turque.
« •
Il résulte de ce qui précède que l'Allemagne a ti?é les plus
grands profits de ses intrigues auprès de la Sublime Porte et de
ses démonstrations d'amitié intéressée à l'égard du Sultan.
11 ne faut pas oublier toutefois que la France occupe encore le
premier rang en Turquie au point de vue économique et moral.
p]n dépit de notre inertie coupable, de nos fautes continuelles,
nos intérêts y sont très supérieurs à ceux de n'importe quelle
autre nation et se chiffrent par 2 milliards i/2 de francs
ainsi décomposés : 60 % de la Dette, soit 1.764 millions; che-
1 La première arrivée à Varna du paquebot rapide Therapia, au mois d'octo-
bre 1902, a eu lieu en grande cérémonie. Un banquet fut offert au prince Ferdinand
de Bulgarie, à bord de ce bÂtiment, par le directeur de la Compagnie, le consul
général Koihe. De cordiaux télégrammes furent échangés entre le prince et Guil-
laume II. La Bulgarie essaie vainement depuis quatre années de faire accréditer un
représentant diplomatique à Berlin : rechange de télégrammes et la future conclusion
d'un traité de commerce rendront l'Allemagne plus accommodante à Tavenir.
^ La Dette roumaine s*élève à 1.500.000.000 francs; la France en possède on tiers.
LE CHEMIN DE FER DE BAGDAD 28Ç
mins de fer, 366 millions ; banques, 176 millions; entreprises
industrielles, 162 millions; propriétés foncières, 62 millions,
dont 5i au titre de la Turquie d'Asie. La Banque ottomane est
(ran^se. Notre commerce dépasse 1 50 millions de francs, soit
presque le double du commerce allemand. Sur les 4.505 kilo-
mètres de voies ferrées existant actuellement en Turquie d'Asie
et d'Europe, 1.365 — dont 510 en Europe (ligne de Salonique-
Constantinople) — ont été construits parles Français, 1.252 par
les Allemands, 1.264 par les Autrichiens, 515 par les Anglais.
Sur les 55.242.510 francs produits par Texploitation des diffé-
rentes Compagnies — recettes brutes et garanties — la France- a
perçu 20.485.445 francs, soit un peu plus des 37 % de l'ensemble.
En Turquie d'Asie, nous possédons, en totalité ou en majeure
partie, 1.165 kilomètres de voies ferrées représentant un peu
plus de 200 millions de francs \ Les quais de Salonique, Cons-
lantinople, Smyme et Beyrout, et les phares des détroits ont été
construits et sont encore exploités par nous.
BejTout est une véritable ville française : les Jésuites français
y possèdent une Université et une Faculté de médecine. Le
commerce de Smyrne, 190 millions de francs, est presque tout
entier entre les mains de 45 maisons françaises représentant un
capital de 22.506.000 francs. Enfin, sur les 3.000 religieux et
religieuses qui vivent en Orient, 2.500 sont français : ils desser-
rent 5.000 écoles, dont 300 vraiment dignes de ce nom avec
'^J.OOO élèves (chiffre indiqué par M. Delcassé), et secourent
lOO.OOO malades ou indigents'. -
Les intérêts des deux partenaires du syndicat franco-allemand
du chemin de fer de Bagdad étant ainsi esquissés, examinons
lipuvre commune qu'ils vont entreprendre.
•
Le futur chemin de fer de Bagdad ', concédé définitivement à
lAUemagne, en février 1902, pour une durée de quatre- vingt-
* Chemin de fer Smyrne-Cassaba et prolongements : 521 kil. 722 à 1™44; —
ci.inuDde fer Merifine-Adana (syndicat franco-belge), 67 kilomètres à 1"*44; —
oemin de fer Moudania-Brousse (syndicat franco-belge), 41 kilomètres à 1 mètre ;
-chemin de fer de Jaffa à Jénisaleoi, 86 kil. 659 à 1 mètre; — chemin de fer
>' rroQt-Dunas-Mzérib-Hamah, 450 kilomètres, dont 192 à 1-44.
^ Les 17 millions de catholiques allemands (Alsaciens-Lorrains exceptés) envoient,
«>leià des mers, 1.100 religieux et 500 religieuses environ ; les Français fournissent
^pt fois plus de missionnaires et dix-sept fois plus de religieuses avec un budget
\f> Qullions) huit fois plus considérable que le budget allemand.
' Par raite d'an accident matériel, nous ne pouvons donner aujourd'hui la carte
■i eus«inble que nous avons fait spécialement dresser pour accompagner cet article.
N^'Qs la publierons ultérieurement.
Kn attendant, le croquis ci-joint (page 287) permettra de se rendre compte des
^^2<»les lignes du projet de Bagdad. . . .
286 QUESTIONS DIFLOHATIQUBS BT GOLOMIALKS
dix-neuf ans, est déjà amorcé vers TEsi, avons-nous dît, par la
branche méridionale des chemins de fer d'AnatoIie Haïdar-
Pacha — Eskicbéir-Konia (749 kilomètres). II se développera
sur une longueur approximative de 2.200 kilomètres et sera
construit à voie normale. La longueur totale sera donc de
3.000 mètres environ, soit la moitié de celle du Transsibérien
ou les deux tiers du Transcanadien.
Les travaux seront exécutés pour une seule voie; mais les
expropriations faites en vue de l'établissement d'une deuxième.
La ligne devra être étabfie assez solidement pour permetlîi^e la
circulation de trains à grande vitesse (75 kilomètres à Fheure
parcourant la distance Gonstantinople-^Bagdad en cinquante*
cinq heures : la Compagnie d'AnatoIie s*e«gage à cet efTet,
moyennant une subvention annuelle de 350.000 francs pendant
trente ans, à mettre la ligne Haidar-Pacha-Konia en état de
supporter la circulation des trains rapides (remplacement du
kilomètre de rails pesant 126 tonnes par un nouveau matériel
du poids de 176 tonnes). Des express internationaux circuleront
également entre Haïdar-Pacha et Alep, à une vitesse minimum
de 45 kilomètres à l'heure, portée à 60 kilomètres au bout de
dix ans. La ligne entière, à partir de Konia, sera divisée, pour
la construction, en sections de 200 kilomètres et les travaux
commencés dans un délai de vingt et un mois après? la remise
du firman de concession et achevés dans leur totalité dans un
délai de huit ans.
Le tracé définitivement adopté part de Konia, passe à Cara-
man, Eregli, franchit le Taurus un peu. au Nord des Portes de
Cilicie, touche à Adana, reliée par voie ferrée à Mersine sur le
golfe d'Alexandrette, à Kazanili, Kilis, Tell-Habesch, coupe
FEuphrate en ce point, continue sur Mossoul par Harran, Ras
el Aîn et Nisibin, longe la rive droite du Tigre par Tekrit et
Sadidjé et arrive à Bagdad; au delà de cette ville, il recoupe
TEuphrate à Mousseyib, passe à Kerbela, à Nedjef, descend la
rive droite du fleuve par Zobéir et Basra (Bassorah) et aboutit
enfin à Fao, sur le Chatt-el-Arab, du moins provisoirement. Les
chemins de fer français de Syrie, ligne Rayak-Hamah-Alep,
se raccorderont par la section Alep-Tell-Habesch à la grande
artère. Divers embranchements sont prévus : sur Marasch,
centre cotonnier de la vallée du Djihan; de Tell-Habesch sur
Biredjik; de Hauran sur Ourfa;de Nisibin sur Mardin; de
Sadidjé sur Hit (Euphrate) et Khanekin (frontière de Perse).
Des gares militaires et des quais d'embarquement seront
établis pour une somme de 4 millions de Ifrancs; les mili-
taires voyageront à quart de place. Des ports seront aménagés
LE CHEMIN DE FER DE BAGDAD
287
à Haïdar-Pacha, Bagdad, Bassôrah, et sur un point du golfe
Persique qui[n'est pas encore désigné, Koueït ou Kadhima. Le
port de Haïdar-Pacha, concédé en septembre i901 à la Com-
pagnie des chemins de fer d'AnatoIie, au lendemain du départ
sensationnel da notre ambassadeur» est en constructioi;*et sera
probablement terminé au printemps de 1903 *.
i La conVeotiOD d« ]a concession du pont, -des quais, docks et entrepôts, de
Haldar-Pacha, accordée à la Société des chemins de fer d'Anatolie, prérojant le cas
288 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS
Les concessionnaires de la ligne auront le droit d'exploiter
les mines situées dans un rayon de 10 kilomètres de part et
d'autre de la voie.
«
* •
Le réseau jouira, aux termes de la première convention, d'une
garantie kilométrique composée d'une annuité de 12.000 francs
et d'une somme forfaitaire de 4.500 francs pour couvrir les frais
d'exploitation. Si les recettes kilométriques brutes dépassent
4.500 francs, mais sans excéder 10.000 francs, le surplus revien-
dra entièrement au gouvernement. Dans le cas où ces mêmes
recettes dépasseraient 10.000 francs, Texcédent au delà de ce
dernier chiffre serait partagé entre le gouvernement et le
concessionnaire, à raison de 60 % en faveur du premier et de
40 7o en faveur du second.
Les affectations spéciales à déterminer d'un commun accord
entre le gouvernement et la Compagnie, en vue d'assurer le ser-
vice des garanties précitées, ne sont pas encore définitivement
arrêtées. On ne peut, en effet, faire état du revenu des dîmes et
de la taxe sur les moutons des sandjaks traversés, puisque l'in-
demnité russe est déjà gagée sur ces ressources. 11 avait été ques-
tion de relever les droits de douane et d'affecter l'augmenta-
tion de recettes ainsi réalisée au service des nouvelles garan-
ties : mais on a écarté cet expédient qui n'aurait pas été accepté
par toutes les puissances. D'après les dernières informations,
un nouvel accord aurait été signé dans les premiers jours de
février 1903 pour l'exécution immédiate des travaux de la
section Konia-Eregli : la garantie de construction serait abais-
sée à 11.000 francs et la garantie d'exploitation maintenue
à 4.500 francs; la première gagée sur un emprunt gouverne-
mental émis à 4 % , remboursable en quatre-vingt-dix-neuf ans,
d'une Société anonyme ottomane pour l'exploitation de ce port, la Société d'Anatolie,
après avoir exécuté la majeure partie des travaux, a procédé à sa constitution
sous la raison *• Société du Port de Hatdar-Pacha, tête du chemin de fer dAna-
lotie. Le capital est de 8 millions de francs, dont 60 % versé. Le conseil se compose
de M. Schrader, membre du Reichstag, président; de M. Gwinner, directeur de la
Deutsche Bank, viee-pré^'den^; de MM. Steindhal, directeur adjoint de la Deutsche
Bank, de MM. Zander etHuguenin, directeurs du chemin de ferd'AnatoIie, administra-
teurs, La Société est autorisée à émettre 12 millions d'obligations 5 H ; 8 millions
seront émis prochainement et absorbés probablement par la Deutsche Bank.
La baie de Haïdar-Pacha est à 4 kilomètres de la Corne d'Or : elle mesure
800 mètres du Nord au Sud et 600 mètres de l'Est à l'Ouest; sa profondeur atteint
6 à 1 mètres, à 50 mètres du rivage. Le bassin aura une superficie de 8 hectares
draguée à 8 mètres et circonscrite par de puissants brise-lames de 35 mètres de
largeur à la base et composés de blocs de 10 tonnes. Le port sera accessible A toute
heure du jour et de la nuit. £n attendant qu'il soit livré à Texploitation, la Deutsche-
JéCvante Linie fait escale à Derindjé, petit port situé dans la bftie d'Ismidt.
lE CHEMIN DE FER DE BAGDAD 289
fLI*!.'"^"?"' ^r}^..''^' particulier de la section Konia-
Eregh, sur 1 excédent disponible de la garantie déjà consentie
à la Compagnie des chemins de fer d'Anatolie. II serait fait
prochainement un emprunt partiel de S4 millions et les conces-
sionnaires recevraient 269.000 francs en obligations pour cha-
cun des premiers 200 kilomètres de la ligne construite et exploi
tee. Mais tout ceci nest pas encore confirmé officiellement
• •
fJ: -n*'^ ^^ï^'"'^'"*''*^^ '* ligne entière sont évalués à
600 millions de francs. D'après un contrat intervenu entre la
Compagnie allemande des chemins de fer d'Anatolie et la Com-
pagnie française Smyme-Cassabaet prolongements, ilaétédécidé
que le capital nécessaire serait fourni à raison de 40 •/ nar
-:dlnfZ"''f. .."^rP" ^* ^'^^'' 2® '/- P«^ »«« Puissanceslpos-
s -dant des intérêts financiers en Turquie.
• ^^ ""fn*;'!^ allemand ne semble pas disposé jusqu'ici à four-
Zl^L l ^"T'a V '■r«°°«°t ■• i» °'a pas grande confiance
dans la réussite de 1 entreprise. Les actionnaires de la Compa-
gnie d Anatohe ont même clairement spécifié, à l'assemblée du
2i juin 1902, qu ils entendaient rester en dehors de la nouvelle
compagnie et refuser toute coopération qui pourrait tourner à
eur détriment. L'Allemagne a cherché aussitôt à se concilier
les bonnes grâces de la Russie en lui offrant ses 40 •/ Mais
M. de Wittc a très mal pris ce qui pouvait être interprété comme
me plaisanterie : le Messager financier russe a décliné
offre dans une note sensationnelle, visiblement officieuse en
faisant ressortir les profonds aléas d'une affaire qui peut provo-
quer, en cas de réussite, une concurrence dangereuse pour
ILmpire, et en conseillant aux sujets russes de réserver leurs
capitaux à des entreprises nationales d'un intérêtplus immédiat
. Le marché français se fait également tirer l'oreille, non sans
raison. On a absolument besoin de lui, c'est notoire : on compte
qu il fera les premiers frais en fournissant ses 407. immédiate
ment etd un seul coup. Il faut espérer que nos financiers se
montreront plus pratiques que d'habitude et regarderont plus
aut qu une simple spéculation de Bourse.' Qu'il? se rappellent
.s discussions du dernier Congrès colonial allemand aï sujet
du r.hemin de fer de Bagdad ', les fanfaronnades du D' Hasse »
er..ope defin««uers fr.nça.«do,ve y participer pour 40 %. La Deutsche Bank es? à la
<kiaR. Dm. MX Cot, — t. xt.
290 OUBSnOlfS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
et de ringénieur Schneider ^ et qu'ils sachent exiger, dans
les pourparlers actuelleinent en cours pour fixer la part à réser-
ver dans lentreprise au matériel et au personnel français, quk
un boulon allemand doit correspondre un boulon français.^
rLa perspective du raccord àla future grande ligne des chemins
de fer syriens ne doit pas nous suffire. Notre influence à Mossoul
et à Bagdad est jusqu'ici prépondérante, celle de rAlIemagne
presque nulle : ce serait faire un marché de dupes, comme
cela nous arrive malheureusement trop souvent, en fournis-
sant à nos concurrents, bénévolement et sans compensations
sérieuses, les moyens de grandir à nos dépens. '
Ceci posé, examinons si nous ferons une bonne affaire en
engageant 240 millions, probablement davantage, dans le che-
min de fer de Bagdad. Il semble tout d'abord que le placement
ne peut pas être mauvais, puisque TEtat ottoman accorde déjà
une garantie de 4 ®/o et que c'est le Conseil d'administration de
la Dette publique qui en effectuera le paiement. Pouvons-nous
compter sur un rendement supérieur, en d'autres termes sur
une plus-value de nos futures actions ? C'est bien douteux.
Le mouvement de marchandises sera probablement très
limité et se réduira à l'enlèvement des produits locaux et au
transport des importations étrangères arrivant par Haïdar-
Pacha ou le golfe Persique à destination de l'Anatolie, de la
Mésopotamie et de l'Irak, importations relativement peu consi-
dérables, qui s'élèvent péniblement aujourd'hui à 60 millions
de francs pour les deux dernières régions *. Le fret européen i
extrême-asiatique suivra toujours la voie maritime en raison '
de son bon marché. i
La source de recettes la meilleure et la plus sûre sera la cir- i
culation de la majeure partie des 250.000 voyageurs qui tra-
téte de TafTaire... L'idée de ce chemin de fer a élé conçue par l'intelligence alle-
mande; des Allemands ont fait les études préliminaires; des Allemands ont écarté
tous les obstacles qui en empêchaient Texécution. A/o/re indtutrie seule doit en
profiter. {Alldeutsche Blatter, 17 novembre 1899.)
^ L'entreprise est et doit rester une œuvre allemande, réalisée avec un matériel et
fin personne) allemands... La locomotive allemande sera l'éducatrice la plus efllcace
de l'Orient : en. entendant ses grondements, TArabe ne dira plus -. Alla Francia
çiats : Min Alemannia. {Die Deutsche Bagdad Bahn, 1900.)
^ Le vilayetde Mossoul, qui compte 3 millions d'habitants, reçoit par caravanes
12 millions de marchandises et exporte plus de 6 millions de céréales et de fruits.
La population des deux vilayets de BasrÀ et de Bagdad, compterait 6 millions
d'habitants au maximum ; leur commerce total est de 100 millions, les 12 % environ
du. commerce ottoman extérieur.
En 1901., les exportations turques à destination de la Perse, transportées à dos de
chameau, représentaient 2.500 ciiargements de wagon.
LE CHEMIN DE FER DE BAGDAD
291
versent chaque année le canal de Suez et qui préféreront, à
l'avenir, le trajet terrestre Europe centrale — Haïdar-Pacha —
jrolfe Persique, permettant de voyager plus vite, de réduire les
fatigues d'un grand parcours maritime et d'éviter la traversée
si pénible de la mer Rouge : le trajet Londres-Bombay ne
demandera plus que onze jours, au maximum, au lieu de
quinze. Le transport de 250 à 300.000 pèlerins musulmans aux
tombeaux sacrés deNedjef, Kadmeïn et Kerbela,parrembranche-
ment Kanekin-Sadidjé, et de ceux qui se rendront à la Mecque par
Tell-Habesch-Alep et Damas ne sera pas, par contre, aussi rému-
nérateur qu'on le pense : les trains de pèlerins musulmans équi-
valent en effet à un déraillement au point de vue de la conser-
vation du matériel, et puis il n'est pas démontré que les
Arabes consentent à monter dans un wagon chrétien, ou à faire
une forte dépense, pour aller accomplir leurs dévotions.
On parle avec beaucoup d'enthousiasme de la renaissance
agricole des régions traversées par la future ligne et Ton cite
complaisamment les rendements merveilleux de l'antiquité.
MM. Rohrbach et Sprenger prétendaient naguère que la Méso-
potamie septentrionale et le Sawàd * (terre noire de Babylonie)
pouvaient donner par an 10 millions de tonnes de blé.
D'autres voyageurs entrevoyaient la possibilité de fonder une
-industrie cotonnière capable d'approvisionner les filatures alle-
mandes, et peut-être européennes, et de porter un coup mortel
au coton américain. D'autres annonçaient que les bassins de
pétrole et de naphte d'Erbil, de Kerkouk et de Hit, encore
inexploités, feraient une concurrence victorieuse aux produits
de Batoum. D'autres enfin admettaient la possibilité d'une colo-
nisation allemande en masse dans le bassin du Tigre et de
l'Euphrate.
Des économistes plus sérieux, Fitzner, Wagner, During
Pacha, Von der Goltz, ont jeté une douche d'eau froide sur ces
imaginations surexcitées et montré qu'avant de songer à une
exploitation, à une colonisation quelconque, il fallait tout
d abord rétablir en partie le réseau de canaux d'irrigation, exis-
tant autemps des Califes mais entièrement comblés aujourd'hui',
dessécher d'immenses marécages, reboiser des montagnes,
modifier le climat, refaire en un mot une création. A la suite
de leurs observations sensées, l'Association coloniale allemande
^'est décidée à envoyer une expédition économique chargée de
fournir des renseignements précis sur les conditions actuelles
t La superficie de ce Sawàd, appréciée par Sprenger à 24 millions d'hectares, a
été socceésiremeiirréduite à 12 millions, à 6, puis finalement à 21/2 é
s Q (andrait déposer deux milliards pour reconstituer, ce réseau dand son inté*
mté.
292 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
du pays et d'étudier les moyens de chasser le désert : il faut
attendre les comptes rendus de cette expédition pour se pro-
noncer.
D'après le rapport de 1901 du consul d'Autriche-Hongrie à
Bagdad, on ne cultive à l'heure actuelle que les 3 % de la sur-
face autrefois cultivée. Les deux vilayets de Bagdad et de Bas-
sorah ne donnent annuellement que 60 à 65 millions de francs
de riz, de blé et d'orge et 80 ou 120.000 tonnes de dattes.
Il n'existe que 30.000 bœufs ou vaches pour les travaux de
l'agriculture. Les domaines du Sultan, situés à proximité du
tracé du chemin de fer, occupent le meilleur quart de la surface
cultivée * : il ne reste donc pas grand'chose pour la grande
colonisation. .Celle-ci est d'ailleurs jugée impraticable par tous
ceux qui connaissent l'administration ottomane 2.
Il résulte de ce qui précède que la rénovation économique
de l'Asie Mineure apparaît dans le domaine des faits réalisables
mais encore très lointains, et que le gouvernement ottoman
assume pour de longues années une très lourde charge en
s'engageant à payer 30 à 35 millions de garantie annuelle à
la future ligne. En vain fera-t-on remarquer que, de 1890
à 1900, les revenus de la dîme des vilayets de Kutahia, Erto-
grul, Ismidt et Angora, traversés par les chemins de fer d'Ana-
tolie, se sont accrus respectivement de 47, 66, 87 et 109 % ; les
conditions ne sont plus les mômes en Mésopotamie et en Baby-
lonie où le désert est la règle et la main-d'œuvre presque nulle .
Il faudra au moins, cinquante années pour obtenir de pareils
résultats.
La renaissance industrielle sera peut-être plus facile à pro-
voquer que la renaissance agricole. Les forces naturelles son.1
abondantes et faciles à capter; les richesses minières paraissent
facilement exploitables. Mais pour utiliser ces ressources, il
faut des capitaux considérables que la haute iinance allemande
n'osera peut-être pas risquer. Ces capitaux, nous pourrons les
fournir en partie, après une étude approfondie des entreprises
à créer; mais de même que nous devons exiger des avantages
sérieux pour notre industrie en compensation de notre concours
financier dans l'œuvre du chemin de fer, il faudra obtenir dans
les futures entreprises industrielles du Tigre et de TEuphrate
1 Ces domaines sont exempts d'impôts : les autres grandes propriétés sont grevées
d'une taxe qui atteint généralement les 22 % du revenu.
2 La petite colonisation serait une très mauvaise affaire (Hermann, inspecteur
des exploitations agricoles des chemins de fer d'Anatolie, administrateur d'ixne
partie des domaines du Sultan). — La colonisation est irréalisable au point de vue
politique (Paul Lindenberg). — La colonisation grande ou petite n'est qu'un vain mot
(Daring Pacha). — La colonisation est impossible pour le moment (Von der GoUz).
LE CHEMIN DE FER OE BAGDAD 293
(les concessions proportionnelles à l'importance de notre coopé-
ration. Ce sera le seul moyen de ne pas apparaître diminués
dans une région où notre prestige est jusqu'ici prépondérant
el où notre abstention serait interprétée comme une déchéance
dans rOrient tout entier.
« «
L'opportunité de fayoriseç l'œuvre franco-allemande en Asie
Mineure étant admise — et cela, contre des garanties sérieuses
et intangibles — il reste à examiner s'il est bien politique de lier
partie avec TAUemagne dans une affaire qui contrarie vive-
ment la Russie et qui est loin d'être vue d'un très bon œil en
Angleterre, à en juger d'après les récents incidents de Koueït.
La presse de Saint-Pétersbourg prétend avec insistance que
Qous avons tort de seconder une entreprise qui va léser considé-
rablement les intérêts économiques de la Russie, porter le plus
grand préjudice à son commerce de céréales et créer une con-
mirence désastreuse à la future ligne ferrée Erivan-Djoulfa-
Hamadan-Bender-Bouchéir. A quoi bon l'alliance franco-russe
>i nous contrarions les intérêts russes ?
.Vous sommes particulièrement heureux de nous expliquer à
•e sujetH^'alliance franco-russe ne doit pas signifier servilité
complète de la France à l'égard de la Russie, annihilation de
toute volonté, concours perpétuel de notre épargne. Après
avoir fourni à notre alliée près de sept milliards de francs, nous
Dous sommes engagés à fond en Extrême-Orient pour servir
^a politique, alors que nous avons été abandonnés à nous-
mêmes dans l'affaire de Fachoda : nous avons bien le droit
maintenant de penser un peu à nous, tout en respectant scrupu-
leusement et même avec cordialité les clauses du contrat
d'alliance ^*'
•"La Russie ne nous a-t-elle d'ailleurs pas montré que les inté-
r^^ts passent avant tout lorsqu'il s'agit de défendre ou de déve-
lopper son influence chez les autres. Comment qualifier son
action en Syrie et en Palestine au moment où l'Allemagne et
' Les Russes ne pourraient certes raisonnablement nous demander de renoncer à,
katfs les entreprises qui ne leur seraient pas particulièrement agréables ; notre
liliance avec eux porte sur des points précis qui ne sauraient être affectés par une
■^olUboration financière au chemin de fer d'Asie Mineure. La Russie elle-même ne
^e«t jamais gênée pour faire ses propres afiaires, même lorsqu'elles ne sont pas
directement en harmonie avec les nôtres. .. Les susceptibilités de la Russie seront
■iistant moins graves à l'égard du chemin de fer de Bagdad que la part de. la direc-
ttoQ française j sera plus étendue et plus assurée. Nous avons donc toutes les rai«
Kosde faire preuve dans la circonstance d'exigences avec lesquelles notre facilité de
>retears inlassables et de rentiers sans aucune prétention à l'activité n'était peut-
^ pas assez habituée de compter ceux qui sont toujours prêts à s'adresser à notre
bi- de laine. (Bulletin du Comité de VAsie ffançaise, février 1902.)
r
294 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
l'Italie battent en brèche le protectorat français? Il serait
pénible d'insister sur ce point. •^
u' Nous reconnaissons volontiers que le chemin de fer de Bagdad
permettra à la Turquie, dans une dizaine d'années, de rassem-
bler plus rapidement des forces considérables vers Erzeroum et
d'accélérer le transport de ses troupes d'un bout à l'autre de
l'Empire. Mais le colosse russe n'est-il et ne sera-t-il pas toujours
assez fort dans le Caucase et la mer Noire pour ne pas s'alarmer
outre mesure de cette éventualité ?H serait d'ailleurs puéril de
s'exagérer la portée militaire du futur chemin de fer : son utili-
sation permettra degae:ner quinze jours à peine dons la concen-
tration à Erzeroum du 6* corps (Badgad) et du 5* (Damas). On no
saurait considérer cette avance comme un danger sérieux.
Le dommage économique paraît mieux fondé, mais il ne
résiste pas davantage à l'analyse. Ce ne sera guère que dans un
quart de siècle, au plus .tôt, que l'on pourra faire revivre une
partie des greniers d'abondance de Babylonie. D'ici là, la Russie
aura suffisamment développé son réseau ferré pour répartir
plus uniformément sur son immense territoire les blés qui
pourrissent actuellement sur place, faute de moyens de commu-
nications, alors que, quelques centaines de kilomètres plus
loin, des milliers de paysans meurent littéralement de faim ;
dans vingt-cinq ans, elle aura à nourrir 35 ou 40 millions de
bouches de plus.
Reste la concurrence faite au chemin de fer Tiflis-Tabriz-
Bender-Bouchéir. «Malgré toute notre bonne volonté, nous
n'apercevons pas de concurrence possible. Notre alliée n'a
jamais eu la sincère prétention d'accaparer à son profit les
voyageurs et les marchandises de l'Europe occidentale et cen-
trale à destination des Indes. Le Transpersan russe (1.300 kilo-
mètres) ne nous semble pas présenter un caractère de grande
communication internationale y, il nous apparaît plutôt comme
une ligne d'intérêt local, à portée politique, au profit exclusif
de la Russie, comme un moyen de déboucher en mer libre, si
l'Angleterre ne lui barre pas toutefois le chemin en prolon-
geant sur Mobamerah, par Kerman, son amorce significative
Quetta-Nouschki.
Nos alliés ne peuvent donc persévérer raisonnablement dans
les griefs qu'ils ont articulés contre nous. Il est naturel qu'ils
regrettent leur chemin de fer projeté Tripoli-Bagdad *, mais
nous n'avons aucune raison de nous associer à leurs regrets:
Nous ne devons pas nous préoccuper non plus du méconten-
< . f
* Tripoli, en Syrie.
prȕ"
LE CBKMIN DE FER DE BAGDAD 295
tement de TAngleterre. Cette puissance est arrivée trop tard
pour réaliser, sans garantie^ le tracé Alexandrette-Bassorah,
indiqué en 1837 par le colonel anglais Ghesnay : on ne peut être
partout à la fois, en Egypte, en Afrique Australe, en Asie Mi-
neure. Le cabinet britannique n'a pas renoncé, 11 est vrai, à son
projet de communication du Gap aux Indes parle Caire, laMecque,
les oasis de Nedjed, Koueït, Mohamerah, Kerman, Nouschki,
Ouetta, mais il devra marquer longtemps le pas à Yildiz Kiosk,
avant d'obtenir Tautorisation de passage qui lui a été déjà net-
\ement refusée. Le Sultan, conscient des visées anglaises sur
ITémen, ne tient nullement à favoriser une puissance qui s'est
constamment enrichie à ses dépens et qui Ta mis récemment
en posture ultra-humiliante à Koueït; le chemin de fer impé-^
rial qu'il fait construire de Damas à la Mecque peut être consi-
déré, provisoirement du moins, comme un barrage que ne
franchira pas le rail anglais. Il sera de bonne politique de faci-
liter la construction de ce b&rrage en fournissant, moyennant
{garantie, les capitaux que les mosquées sont impuissantes à
extirper des fidèles musulmans et les ingénieurs que le génie
ottoman ne réussit pas à improviser.
^Ën résumé, nous avons intérêt à marcher avec TAUemagne
dans l'aCTaire de Bagdad. Il est extrêmement regrettable que
nous ne puissions marcher seuls; mais puisqu'il en est autre-
ment, il faut tirer le meilleur parti des circonstances. Nos pro-
tégés et nos clients de Mossoul et de Bagdad ne comprendraient
d*ailleurs pas notre abstention. Mais avant de donner notre
concours, il est sage d'exiger pour le présent et l'avenir des
ivantages en rapport avec l'importance de notre coopération
financière et une part sérieuse dans l'exploitation économique de
la Mésopotamie et de la Babylonie régénérées par la locomotive ^.^
Henri Bohler.
* CoiLsolter, poar plus de détails, les nombreux articles publiés dans la Revue Aêien
orgaae d« la Société asiatique allemande) par MM. Rohrbach, Waohsii, Fitznea,
Dôms-PACBA, -von osa Golts, etc. — Max v. Oppbnhbim : Von MUtêlâneer zum
PertiMcker Golf durch den Uauran, die SyrUche WUsle und Mesopotamien
Berlin, i«99, 1»00). — P. LnfOKifBBBo : Auf deutschen Pfaden im Orient (1902). ^
DeuUch€ Oniemehmungen inPaléstina {Deutsche KolonialZêitung, 9jaav. 1802).
— Bcan^B : Le Danger allemand (1897). — Les Allemande à Con^tantinople
'.Eewme de Paris^ 1898). — D' Kbauss : Deutsch-TUrkische Handelsbeziehungen
(tW). ^ Bulletin du Comité de VAeie française.
LES BOXEURS
ET IJSS TROUBLES DU SE-TGHOUAK
On s'est beaucoup occupé des troubles suscités par lesBo^teurs
dans la Chine septentrionale ; on a moins parlé de ceux qui ont
sévi dans les provinces reculées, parce que les intérêts matériels
et moraux .engagés dans les événements paraissaient moins
grands et Tétaient [en réalité. Quelques lettres publiées, ici et
là, dans la presse quotidienne ou dans des Revues spéciales,
quelques dépêches envoyées en Europe ont, néanmoins, fait
entrevoir que le mal n'était pas localisé, que l'agitation se
révélait, ailleurs que dans le Nord, par d'inquiétantes explo-
sions. Tong-fou-siang est loin d'être le seul ennemi des Occi-
dentaux, et partout la haine de l'étranger, latente parce qu'on
le craint encore, se manifeste, sur plusieurs points, par des
expéditions à main armée. Le Se-tchouan, la province la plus
vaste de la Chine, est aussi une des plus menacées par les
hordes de bandits et par les menées des sociétés secrètes.
Limitée par le Kan-sou et le Chen-si au Nord, par le Hou-pe
à l'Est, par le Kouy-tcheou et le Yun-nan au Sud, par le Thibet
à rOuest, le Se-tchouan (les Quatre Fleuves) est une immense
région comptant aujourd'hui, dit-on, 60 millions d'àmes. Ce
chiffre est, peut-être, exagéré; mais en l'abaissant à 55 millions
on est, probablement, dans la vérité. La grande majorité se
compose de Chinois. Il y a un certain nombre de Man-tze, ou
barbares, et de Lolos que Ton dit être les descendants de la
population primitive..
Le Se-tchouan, qui possède des montagnes dont les hauts som-
mets sont couverts de neiges étemelles, de profondes vallées,
des plaines magnifiques, est arrosé par une multitude de cours
d'eau. Il est traversé par le célèbre Yan-tse-kiang qui, dans son
parcours à travers la province, reçoit le nom de Fleuve aux
Sables d'or, Kin-cha-Kiang. Le Se-tchouan produit en abon-
dance des plantes médicinales, textiles et tinctoriales, du thé,
du sucre, du riz, beaucoup de fruits semblables à ceux d'Europe.
Il renferme, dans son sol,. du fer, de l'argent, del'étain, de la
I
LES BOXEURS ET LES TROUBLES DU SE-TGHOUAN 297
houille et du pétrole ; dans ses forêts se multiplient les animaux
siQvages, la panthère, Tours noir, le loup, le sanglier, le che-
yrmly le daim et aussi le hiang-tchang ou civette à musc.
Au point de vue administratif, le Se-tchouan, gouverné par
un vice-roi, comprenait, en 1890, 20 préfectures et 143 sous-pré-
fectures. Le vice-roi réside à Tcheng-tou -fou, grande ville ayant
plus de 600.000 âmes, ancienne capitale des rois de Tchou, qui
montre aux étrangers de vieux temples, d'anciens palais, des
ponts antiques, des monuments, en un mot, dignes d'être
admirés. Au point de vue religieux, il y a aujourd'hui au Se-
tihouan de 25 à 30.000 musulmans, 3.500 protestants et
7i.l23 catholiques. Les autres habitants suivent la doctrine de
iinfucius, les pratiques du bouddhisme ou de la religion de Lao-
beu, s adonnent au culte des ancêtres et des génies de toute
yjrte bienfaisants ou malfaisants. L'Eglise catholique a divisé le
Se-tchouan en 3 vicariats apostoliques, TOccidental, l'Oriental
»'t le Méridional ; elle y a 3 évoques, 125 missionnaires euro-
p»^ens, 82 prêtres indigènes, 3 frères, 571 religieuses indigènes
f^l 6 européennes, 600 écoles fréquentées par 10.682 élèves,
M œuvres de charité et d'assistance et 2 collèges. L'Europe,
I -I d'une façon générale les pays chrétiens, sont surtout repré-
I tentés au Se-tchouan par les missionnaires.
I La province du Se-tchouan a été souvent bouleversée, dans le
' ïiurs du xix° siècle, par le brigandage dont les mandarins ont
l*^. fréquemment aussi, les complices avérés ou cachés. Plu-
Mmrs missionnaires ont payé leur apostolat de leur vie. Nous
["jurrions écrire une longue histoire des malheurs du Se-tchouan
♦•n écrivant seulement celle du dernier siècle. La guerre civile,
(tourne pas remonter plus haut, qui bouleversa l'Empire, se fit
j^otir, dans ce pays, de déplorable façon. La ville de Tchong-
Kin, grande cité de plusieurs centaines de mille âmes, impor-
tant marché, fut le théâtre d'abominables tueries quand elle fut
prise par les insurgés. « Au moment oiiils (les insurgés) allaient
prendre d'assaut la ville dont j'ai parlé, écrivait le 5 sep-
tembre 1856 M«' Perocheau, vicaire apostolique du Se-tchouan,
les impériaux ont promptement déposé leurs uniformes et
*^ndossé des habits ordinaires. Les rebelles entrés dans la ville
et ne voyant point de costumes officiels ont deviné la fraude.
Aussitôt ils ont massacré tous les hommes de la ville depuis
iH ans jusqu'à 60, pour ne pas manquer un seul soldat ni un
>eul prétorien. » Ce n'était qu'un commencement; en 1861,
H. Delamare, missionnaire apostolique, estimait à plus de
298 QUESTIONS DCPLOMATIQUifiS ET GOLOMIÀLK»
cent mille le nombre des victimes que ^la guerre civile avait
faites. « Depuis cette époque (1859), disait-il dans une lettre datée
de Tcheng-tou-fou, des bandes de scélérats ont surgi en diverses
localités, et ont porté successivement, dans presque toute la pro-
vince le pillage, l'incendia, les brutalités de tout genre, le car-
nage et la mort. La terreur et la désolation sont générales. Les
autorités civiles et militaires sont impuissantes à apaiser cette
rébellion, par suite de l'incurie ou de la connivence de certains
chefs de l'armée. » Nous faisons grâce à nos lecteurs des
affaires de détail.
Il y eut des troubles en 1865. C'est dans ces troubles, suscités
par un parti puissant, composé surtout de lettrés et appuyé par
le mandarin du lieu, que M. Eyraud Jaillit perdre la vie à Yeou-
yang et que plusieurs de ses fidèles furent tué^; que son suc-
cesseur, M. Mabileau, après avoir subi les plus grossières
injures, fut jeté, le 29 août, dans la rivière qui coule au bas de .
la ville, et achevé au cours de la nuit qui suivit. Le corps du
pauvre prêtre, quand il fut reconnu, portait, suivant le procès-
verbal officiel, la trace de 82 blessures dont chacune était mor-
telle. Après cette mort, la persécution continua, et au 15 jan-
vier 1866, M. Perny comptait de onze à douze cents familles
errantes dans le Se-tchouan oriental.
Dans la môme ville de Yeou-yang, chef-lieu d'un vaste dis-
trict habité par des peuples aborigènes soumis aux Chinois,
des brigands armés attaquèrent le 2 janvier 1869, sous l'œil
paterne des mandarins, l'enceinte murée . entourant l'église
ainsi que les autres établissements de la paroisse, firent sauter
la porte, entrèrent et massacrèrent M. Rigàud, deux sémina-
ristes indigènes et une cinquantaine de chrétiens. Ces bandits
promenèrent ensuite le fer et le feu partout autour d'eux. Les
désastres de Yeou-yang furent dus à la connivence, avec les
rebelles, des mandarins et de leur entourage.
Le 1*^ juillet 1886, une foule ameutée démolit et pilla les
établissements des protestants, anglais et américains, de Tchong-
kin; il en fut de même du consulat anglais et de trois grandes
. maisons de riches chrétiens. Le$ émeutiers attaquèrent ensuite
la mission catholique qu'ils saccagèrent. Le soulèvement avait
été causé par l'imprudence des missionnaires protestants qui,
ayant amené leurs femmes et leurs enfantis avec eux, les
avaient installés dans une grande pagode située à 16 kilomètres
de la cité, et qui s'étaient établis aussi sur des points regardés
par le peuple comme des lieux de bonheur pour la cité. Les
pillages et Tincendie se propagèrent vite au dehors.
En 1890, la station catholique de Long-ehoui*tchen fut
■ ■■JPI"
300 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
détruite, et toute la sous-préfecture de Ta-tsiou livrée à Tin-
cendie et au pillage.
Les événements de 1898 sont de date encore trop récente
pour qu'ils soient sortis de la mémoire de ceux qui sont attentifs
aux choses de l'Extrême-Orient. Plusieurs sous-préfectures
furent dévastées. Dans le vicariat apostolique du Se-tchouan
f.' oriental, cette dévastation commença vers la fin de septembre.
L'évêque télégraphia auseminaire.de la rue du Bac, à la date
du 24 octobre : « Catholiques pillés, tués, aux cris de Mort aux
Français! Dix mille fugitifs. » En décembre, les destructions se
poursuivaient encore dans toute la province et il y eut, cette
i fois aussi, des victimes. Les brigands étaient forts de Tappui, au
moins tacite, des mandarins et des lettrés. Le chef des rebelles
était un homme ignorant et grossier^ jadis condamné à mort,
Yu-Man-Tzé.
En 1898, la ville de Souy-fou, au Se-tcheou-fou, au confluent
du Min et du Yan-tse-kiang, entrepôt des produits du Yun-nan
que Ton achemine vers le centre de la Chine, fut assiégée, et
dans le Se-lchouan méridional, 11 sous-préfectures furent
entièrement dévastées. M. Fleury, missionnaire au Se-tchouan
^ oriental, qui avait été prisonnier de Yu-Man-Tzé, écrivait dans
I une lettre publiée par la Revue des Missions catholiques,
b numéro du 11 août 1899 : « La moitié de la mission du Se-
^\ tchouan oriental dévastée, une partie de celle du Se-tchouan
t occidental et méridional également détruite, 30 chrétiens, la
j^ plupart martyrisés sous mes yeux, 1.000 païens mis à mort par
^ la milice régulière, un missionnaire européen prisonnier des
ft bandits pendant 200 jours, 2 prêtres indigènes massacrés, tels
\ sont les événements qui se sont passés depuis ma dernière
Y lettre. Cette dernière lettre est un peu vieille, mais vous vou-
\ drez bien m'excuser, carie missionnaire prisonnier c'était moi. »
t.
♦
\ • «
Par ce qui précède, il était tout naturel de penser que la
tourmente éclatant dans le Nord dût avoir un inévitable contre-
coup dans le Se-tchouan si souvent agité et renfermant tant
d'éléments de désordre. Il y eut des semaines marquées par des
meurtres et des brigandages, suivies de jours de répit.
Dès que le ciel s'assombrit, les protestants partirent, et pen-
dant de longs mois les seuls Européens restés au Se-tchouan
furent, avec le vaillant consul de France, M. Bons d'Anty, les
missionnaires catholiques. Le vice-roi poussa ces derniers à
quitter, eux aussi, le pays, mais ils résistèrent à ses avis, et
I
N>;V.
LES BOXEURS ET LES TROUBLES DU SE-TCUOUAN
301
force lui fut de les protéger, et au besoin d'assurer leur sécu-
rité en faisant garder leurs demeures par des soldats.
Il était à craindre que la cour en fuite ne fût poursuivie par
les alliés et ne se réfugiât au Se-tchouan ; de nouvelles calami-
tés Feussent accompagnée; sa présence eût été le signal de
malheurs de toute sorte pour les Européens et leurs amis.
L'Empereur s'étant arrêté à Si-ngan-fou, on en fut quitte pour
la peur.
S'étendant vers l'Ouest comme ils l'avaient fait à TEst, ga-
gnant du terrain de proche en proche, étant favorisés, d'autre
part, par l'état d'esprit des mandarins inférieurs et des lettrés
que nous avons vus si souvent hostiles aux Occidentaux, par la
facilité de recruter ces bandes armées qui, à tant de reprises,
terrorisèrent la population paisible de la province, les Boxeurs
pénétrèrent dans le Se-tchouan.
A la date du 3 août <902, M**^ Dunand, vicaire apostolique
du Se-tchouan occidental, écrivait aux Missions catholiques que
« depuis longtemps les Boxers se préparaient, se recrutant par-
tout, s'^exerçant au maniement des armes, et surtout se livrant
aux pratiques mystérieuses des initiations en vertu desquelles
ils sont constitués invulnérables.... fanatisés au point de ne
plus craindre la mort ». M. de Guébriant, qui accompagna
M^ Favier, lors de son dernier voyage en France, considère
que les pratiques de sorcellerie, caractéristique de la secte des
Boxers, ont été importées au Se-tchouan par des gens du
Chan-si et qu'un grand nombre de mandarins ajoutent foi à
ces pratiques.
Le sang commença, le 12 mai, à couler àNgan-gô, et l'on
C4impta M morts avec 10 blessés à Yuen-yan-fou. Les réguliers
eurent vite raison de ce commencement de guerre civile. Les
Boxeurs s'étaient mis en campagne avec trop de hâte. Mieux pré-
parés à la fin du mois de juin dernier, ils attaquèrent diverses
localités; à Tse-yang-hien, à Jen-cheou, à Pen-chan, ils purent
piller, brûler, tuer tout à leur aise, et s'acheminèrent vers la
capitale. Au nombre de plusieurs milliers, sous la conduite
d'un fils du grand juge de la province, ils entrèrent à Sou-kia-
ouan, une des vieilles chrétientés de la contrée, livrèrent aux
flammes l'église, le presbytère et les maisons des chrétiens;
quant à ceux-ci, ils étaient impitoyablement massacrés dès
qu'ils étaient reconnus, écorchés, coupés en morceaux comme
le prêtre chinois Pierre Houang. La fureur de ces fanatiques
s'exerçait sur tout ce qu'ils rencontraient; les propriétés et les
personnes des riches païens ne furent pas épargnées.
Au commencement du mois d'août, les chrétiens affolés et les
302 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COUMHAilS
païens honnêtes, tous les gens paisibles qui se trouvaient dans
la sphère d'action des Boxeurs, fuyaient de tous côtés, ceux des
campagnes refluant vers les villes fortifiées, et ceux des villes se
réfugiant dans les campagnes.
Toutes les chrétientés non entourées de murs furent détruites
dans les environs de la capitale , et 2.000 victimes rougirent le
sol de leur sang. Le 15 août 1902, 30.000 Boxeurs étaient cam-
pés tout autour de Tcheng-tou-fou, et l'attaque de la grande cité
fut fixée au 16 septembre ou, en style chinois, au 15 de la hui-
tième lune : ce jour-là, d'après le plan des société» secrètes, les
étrangers devaient être expulsés et les chrétiens exterminés.
VEcho de Chine, dans son numéro du 29 octobre 1902, a
donné le récit exaét, mais incomplet, croyons-nous, de la tenta-
tive des Boxeurs contre la capitale, au mois de septembre. Après
avoir dit que le foyer du mouvement est à Tcheng-tou même, il
ajoute : « La ville est enfermée dans un cercle de flammes qui
dévorent lés faubourgs et les environs, jusqu'aux limites du pla-
teau. Oui, depuis près de deux mois, on pille, on brûle et on
tue sous les murs mêmes de la capitale. Le 15 et le 16 du pré-
sent mois, les bandits, enhardis par l'impunité, ont eu laudace
de pénétrer dans l'intérieur de l'enceinte, et nous avons assisté à
l'invraisemblable spectacle d'une immense cité bondée de
mandarins et de personnages officiels à en craquer, défendue
par une garnison d'au moins quatre mille soldats bien équipés
et armés, terrorisée par une centaine de chenapans et de fous
qui n'avaient, pour tout fourniment, que de mauvais couteaux,
des mousquets à mèche *, etc. »
Dès Taube du 15, sous une pluie torrentielle, les opérations
. des Boxeurs commencèrent par l'envoi d'une centaine des leurs
dan3 là ville. Ces bandits, probablement « sous l'influence de
breuvages qui leur ôtaienlTusage de leurs facultés en doublant
leur fureur fanatique des transports d'une ivresse spéciale »,
couraient dans les rues de la ville en cherchant à soulever la
population, aux cris de : « A mort les Occidentaux ! A mort les
chrétiens ! » Ils frappaient de droite et de gauche les gens qu'ils
rencontraient, pour la plupart villageois se rendant au marché,
ouvriers allant au travail, petits boutiquiers occupés à leur
devanture. De nombreuses victimes furent ainsi immolées;
bientôt la panique fut générale, et toutes les maisons se fer-
I Lé ùuméro de décembre 1902 du Bulletin du Comité de l'Asie Fmnçaise ren-
ferme une lettre fort intôresftante d'un témoin qui raconte les événements des 45 et
!(} septembre. L'auteur de cette lettre rend hommage au calme et au sang-froid du
représentant de la France, M. Bons d'Anty, dont la seule présence a été a la sau-
vegarde des étrangers et des chrétiens qui vivent daHs Teheng-tou-foUé »
LES BOXBUAS ET LES TROUBLES DU SE-TeUOUAN 303
mërent. Ces hommes étaient conduits par une Kouan-in vivante,
c est-à-dire par une femme représentant la déesse Kouan-in,
qui est, un peu, pour les Chinois ce que Vénus était pour les
Romains. Les provocations des bandits restèrent sans écho; ils
ne connaissaient pas assez bien la topographie de la ville; les
Chinois ont horreur de la pluie ; et les chefs des Boxeurs qui
i s'étaient présentés chez le vice-roi pour demander Fautorisa-
I tion de massacrer les étrangers et de piller leurs habitations
I avaient été éconduits.
Après plusieurs heures, les mandarins, qui jusque-là
s'étaient montrés impassibles, se décidèrent à mettre le holà!
I>es patrouilles furent envoyées à la rencontre de cette avant-
garde et bientôt, des deux côtés, il y eut des morts et des blessés.
I^ Kouan-in resta parmi les morts. Le coup était manqué.
\L Bons d'Anty, accompagné du lieutenant Marquis, officier
de la mission Hourst, et du docteur Erdinger, était à la capitale
pour y rassurer les Européens et leur prêter le secours de son
influence.
Dans la soirée du 16 septembre, les Boxeurs, campés dans un
hameau des environs, ayant appris que la pluie avait fait crouler
un pan des murs de l'enceinte, voulurent se précipiter par la
brèche dans la ville, mais ils furent repoussés.
Le 17 eut lieu une autre alerte; mais ce ne fut qu'une alerte,
fft petit à petit l'ordre parut se rétablir. Le 25, un nouveau
préfet, Tsen, lit son entrée dans la ville aux applaudissements
lie tous les honnêtes gens.
La situation ne laisse pas que de continuer à être critique au
Se-tchouan, comme elle Test, d'ailleurs, dans beaucoup d'autres
r^ons de la Chine. On ne brise pas facilement, avec d'antiques
habitudes, de vieux préjugés et de tenaces rancunes ; on ne
menace pas, non plus, de bouleverser des intérêts sans effrayer
<}uelque peu ceux qui sont en possession. Toute révolution,
lente ou rapide, s'accompagne de luttes. La Chine, d'autre part,
renferme des énergies qui trouvent à se donner carrière pour le
mal, sous le couvert de prétextes facilement intelligibles à des
populations déjà prévenues.
Il est fréquemment question de prêtres catholiques, quand on
relève les noms des victimes après les troubles ; c'est que les
missionnaires ne craignent pas d'entrer et de s'établir dans les
profondeurs du pays, et qu'ils restent à leurs postes, quels que
soient les événements. Ce sont des Occidentaux, des « diables
étrangers » que l'on a sous la main ; ils pâtissent pour ceux que
que Ton ne peut atteindre. Il est question des chrétiens, parce
que ceux-ci sont considérés comme les amis des Européens et
304 QUESTIONS DIPLOMATIQUES KT COLOKIALKS
tout prêts, dès lors, à leur ouvrir les portes de la Chine, on
acceptant des nouveautés et une civilisation qui répugnent à
des doctrines, à des idées acceptées depuis de longs siècles
dans les terres du Fils du Ciel. Sur les longues bannières aux
couleurs rouge et blanche des brigands qui ravagèrent certains
districts du Hou-pé, à la fin de 1898, on lisait ces mots : « Au
service de l'Empereur! Destruction de tout ce qui vient d'Eu-
rope! »
Que Tonne s'y trompe pas, l'ennemi n'est ni le prêtre ni le chré-
tien,c'est l'Occidental et celui qui l'accueille. Il n'est pas nécessaire
de se livrer à de longues recherches pour en fournir de nombreux
exemples ; bornons-nous à rappeler le siège des Légations et les
événements, qui, la même année, s'accomplirent au Yunnan à
l'autre extrémité de l'Empire. Tsen-Ta-Jen, gouverneur duYun-
nan, en 1883, répondit un jour à Li-Hong-Tchang qui l'invi-
tait à rendre visite au consul anglais : « Excellence, si vous
voulez ma tête, prenez-la ; mais aller visiter un Européen,
jamais! > Tous n'ont pas la même intransigeance et trouvent
que la vie a du bon; mais beaucoup, sachant fort bien dissimu-
ler, pensent, au fond, comme Tsen-Ta-Jen.
Le vice-roi actuel du Se-tchouan est un homme jeune encore,
rigide, courtois vis-à-vis des Européens, et qui se montre poli
envers les missionnaires ; il est, dit-on, peu accessible aux con-
seils, et, partant, il serait malaisé d'obtenir de lui ce qu'il ne
croirait pas devoir accorder spontanément.
Aux dernières nouvelles, les chrétiens dispersés rentraient
chez eux, mais c'était pour y mourir de dénuement, et le pays
était encore infesté de bandits. M*^"* Dunand, peu de jours aupa-
ravant, s'était vu dans la nécessité, pour se rendre aux établis-
sements de la Mission situées à deux journées de marche de
Tcheng-tou-fou, d'être escorté par une escouade de soldats bien
armés. Il appartient à la France de faire valoir les droits qu'elle
tifent des traités, d'appuyer les réclamations légitimes pour leur
permettre d'aboutir dans le sens le plus préjudiciable au main-
tien du bon ordre^ et d'empêcher, par voie de conséquence, des
gens paisibles dont le seul crime est d'avoir l'esprit ouvert à la
civilisation occidentale, de périr jusqu'au dernier de misère et
de faim.
Alexandre Guasco.
f
\
LE PROJET D'EMPRUNT
DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL
DB X^'AFRIQUE OCCIDENTALE FAANÇAISE
Récemment les Questions Diplomatiques et Coloniales ont
publié une série d'études sur VŒuvre française en Afrique
occidentale^. Va réorganisation, due aux décrets des l**" et
15 octobre 1902, y était examinée ainsi que les travaux publics
destinés à constituer l'outillage économique de ces vastes pos-
sessions qui, jusqu'ici, ont été bien mal partagées à cet égard.
Mais tout cela coûte fort cher et notre collaborateur se deman-
dait, avec raison, à Taide de quelles ressources Ton y pour-
voirait. Le dernier courrier de Dakar nous renseigne à cet
égard. A la date du 20 décembre 1902, le gouverneur général,
M. Roume, a pris deux arrêtés importants : l'un relatif à un
emprunt de 65 millions qui devra être contracté « avec la
%« garantie expresse du gouvernement de la République fran-
3 i^aise », par conséquent avec l'autorisation des Chambres,
lautre rendant exécutoires les budgets locaux de nos cinq colo-
nies ouest-africaines, lesquelles, à titre de dépenses obligatoires y
sont tenues de contribuer, dans une proportion déterminée,
aux charges nouvelles que va assumer le gouvernement général
de l'Afrique Occidentale.
Examinons si cet emprunt de 65 millions se justifie dans ses
divers éléments et si la garantie de TEtat s'impose.
Nos colonies africaines ne progresseront réellement que si le
séjour y devient moins dangereux et si les moyens de pénétra-
tion s'y perfectionnent. On conçoit donc fort bien que le pre-
mier souci du gouverneur général ait été d'assainir les villes de
Saint-Louis, Rufisque et Dakar si souvent désolées par la fièvre
jaune et les autres maladies tropicales. Nous craignons, seule-
ment, que la dépense de 5.450.000 francs, prévue à cet effet,
ne soit trop faible. C'est le chapitre sur lequel il faut le moins
lésiner; toute dépense, utilement faite à cet égard, si élevée
soit-elle, est de l'argent gagné pour l'avenir tant en économies
de précieuses existences humaines qu'en afflux de capitaux
privés, dorénavant plus certains que la mort rapide et traîtresse
ne les viendra pas dévorer.
1 QueMi. Dipl' et Col., 1« nov. 1902, 15 déc. 1902.
QuBST. OiPi.. ^ Col. — i. xv. 20
306 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Le second chapitre de dépenses prévues monte au joli chiffre
global — et sans détails — de 12.600.000 francs pour travaux
(V aménagement des ports. Voilà certes un intitulé un peu
bref, surtout s'il est permis d'émettre le soupçon que les ports
des trois villes — déjà nommées — Dakar, Rufisque et Saint-
Louis seront seuls à en profiter, celui de la Côte d'Ivoire
figurant à part au point de vue de la dépense. On nous dit
qu'il faut doter Dakar d'un port de commerce, vraiment
digne de ce nom, à côté du port militaire en construction;
mais pourquoi? Est-ce à cause de la richesse des régions voi-
sines ? Nullement. Le sol n'accepte que la culture des ara-
chides et l'on sait que cellesci' s'exportent surtout par le port de
Rufisque. La vérité est que l'on veut faire de Dakar le grand
port de commerce du Sénégal et de Thinterland soudanais ;
c'^est dans ce but que le projet de M. Roume inscrit une somme
de 500.000 francs pour les études préliminaires d'un chemin de
fer devant relier la voie de Kayes au Niger à la ligne de Dakar
à Saint-Louis, avec le concours vraisemblable, puisqu'il découle
de conventions antérieures, de la Compagnie d'exploitation de
ladite ligne de Dakar à Saint-Louis. Du jour où la nouvelle voie
de pénétration, que l'on va étudier, sera construite, la ville de
Saint-Louis, d'accès déjà si pénible à cause de la barre du fleuve
Sénégal, sera mortellement atteinte au point de vue écono-
mique; tout le transit avec Kayes et le Soudan lui échappera;
elle ne conservera que le modeste bénéfice de la gomme avec
les escales du cours inférieur du fleuve. Nous ne voyons pas
d'utilité à dépenser de l'argent, sauf pour les services et les
travaux d'hygiène, pour une station aussi compromise.
II faut renoncer au système des petits paquets que Ton donne
aux uns et aux autres pour leur faire plaisir, mais qui ne ser-
vent à rien. Si la France n'avait pas éparpillé ses millions dans
dix ou douze ports, elle aurait pu doter Marseille, Bordeaux,
Le Havre et Dunkerque des aménagements qui leur manquent
et dont le défaut les met dans un si grand état d'infériorité à
l'égard des ports étrangers. Ne recommençons pas en Afrique
la faute commise chez nous et profitons des leçons de l'expé-
rience. Nous espérons donc que, sur ce chapitre B [Travaujo
(Vaménagement des ports: 42.600.000 fr.), le Parlement se
livrera à des investigations minutieuses pour écarter la partie
de la dépense qui ne serait pas absolument utile et productive.
Notre époque a prononcé la faillite des fleuves en tant que
moyens de pénétration efficaces. Il est même probable que, au
début, chez nous, du mouvement d'expansion coloniale qui
remonte à vingt-cinq a,nnées, on serait parti avec moins
LE PROJET D'eMPRXJNT DE L*APRIQUE OCCIDEP^'ALE FRANÇAISE 307
d entrain, on aurait hésité davantage à engager Targent, le
sang et le bon renom de notre pays, si l'on avait prévu les cen-
taines et les centaines de millions qui devaient être nécessaires
pour la pénétration économique de nos nouvelles possessions
lointaines. Quoi qu'il en soit, le vin étant tiré, il faut le boire,
mais au meilleur compte utile possible. Cela nous amène à
rechercher si les cinq millions, que demande le gouverneur
général pour Vamélioration des fleuves Sénégal et Niger, consti-
tuent, ou non, une dépense pratique.
Commençons par le Sénégal. Depuis un temps immémorial,
la gomme descend le cours de ce fleuve pour être embarquée
à Saint-Louis à destination de TEurope. La conquête du Soudan
1 donné une certaine activité à la batellerie pour les transports
•J'hommes, de vivres et de matériaux — les vapeurs de faible
tonnage et à fond presque plat ne pouvant remonter jusqu'à
Kaves, sans rompre charge, que pendant quatre mois de Tan-
L^^e, à cause de la baisse régulière des eaux après la fin des
pluies d'hivernage. Aujourd'hui l'ère de ces gros transports est
.lo?e et il serait regrettable de dépenser plusieurs millions pour
tieiliter au commerce local ses transactions avec le Soudan,
ilors que, depuis longtemps, il se contente de l'état de choses
actuel, alors aussi qu onmet à l'étude une voie ferrée qui reliera
iirectenaent Kayes à Dakar, ce qui limitera Tusage du fleuve
àux besoins très restreints de ses rives habitées par les tribus
aiaures. Les deux choses s'excluent donc et le Parlement devra
choisir entre elles; nous ne doutons pas qu'il opte pour reporter
sur la future ligne projetée la sollicitude financière que Tunique
•-»)mmerce local de Saint-Louis lui demande de répandre sur ce
moven de transport sans aucun avenir que va devenir le fleuve
Ntnégal *. A moins que, à peu de frais. Ton puisse toute Tannée
laire aller les navires jusqu'au-dessous de Bakel, auquel cas il
serait plus simple et moins coûteux de faire descendre jusque-là
•? chemin de fer de Kayes.
Pour le Niger, la situation difl'ère quelque peu, bien que nous
Lnf puissions pas nous défendre de Timpressicm que c'est un peu
/t. Il V a une grande œuvre économique à entreprendre pour
itiliser le bief du Niger compris entre Tombouctouet Bammako,
ft aussi celui qui est en amont de ce dernier point. Mais, faute
It* voies ferrées qui desservent actuellement ces deux fractions
Tune artère qui offrira plus tard des avantages incontestables
iu commerce et à la colonisation, Ton peut craindre que la
» Voir dans le Bulletin du Comité de i^ Afrique française, numéro de janvier 1903,
-,». 15. les conclofiions du rapport du lieutenant Mazerat au gouverneur du Sénégal,
xicfaant te» travaux h faire en vue d'améliorer la navigation de ce fleuve.
308 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
préoccupation d'améliorer une partie du cours du Niger ne soit
bien hâtive. Qu'on se livre à des études aussi complètes que
possible, rien de mieux; mais il semble qu'il soit préférable
d'attendre, pour réaliser les projets qui en découleront, l'heure
où la locomotive sifflera sur les rives du « Fleuve des Griots ».
Le transport du matériel fluvial sera alors facile et rapide,
tandis que, à l'heure actuelle, il serait pénible, sinon impos-
sible, et en tout cas, fort onéreux.
Les remarques, qui précèdent nous conduisent toutes à celte
conclusion que l'eff'ort principal doit porter sur la mise en
œuvre du moyen, moderne par excellence, de pénétration des
pays neufs, quand ils sont mal outillés en chemins qui mar-
chent, suivant le mot de Pascal, autrement dit en fleuves et
rivières facilement navigables en toutes saisons. Ce moyen
moderne de pénétration économique, c'est le chemin de fer. La
Guinée a commencé le sien au moyen de ses seules ressources;
les dépenses de construction, qui avaient, jusqu'ici, dépassé de
beaucoup les prévisions du capitaine Salesses, semblent ^tre
entrées en pleine voie de décroissance. Cependant cette jeune
colonie, naguère si florissante, succomberait sous le fardeau des
charges que, de ce chef, elle a assumées, si l'on ne venait pas à
son aide. D'ici quelques mois, son emprunt de 12 millions aura
été absorbé et la voie ne sera pas livrée à l'exploitation au
delà de Kindia, à 150 kilomètres de Conakry. A l'origine, on
escomptait les plus-values croissantes des recettes de la co-
lonie ; mais depuis lors, la crise annoncée par des gens clair-
voyants a éclaté. L'année 1901 accuse une diminution d'un
tiers (16 millions au lieu de 24 millions en 1900) dans le mou-
vement commercial. Le budget local, grâce à la progression
constante dans les rendements de l'impôt de capitation, sup-
porte assez bien les conséquences de cette situation fâcheuse ;
mais la prudence exige impérieusement qu'on n'aille pas plus
loin en fait de dépenses. Cependant^ si l'on ne devait pas pousser
plus loin, jusqu'au Niger même, la voie ferrée commencée, l'on
peut dire que les 12 millions déjà empruntés auraient élé
employés en pure perte. Une ligne qui n'aboutit nulle part est
un instrument coûteux et inutile. Dans le projet d'emprunt de
1*5 millions, qui va être soumis au Parlement, la continuation
des travaux de construction du chemin de fer de la Guinée est
comprise pour 17 millions. C'est fort bien; mais jusqu'où ira-
t-on avec cette somme? A peine jusqu'à la moitié de la distance
qui sépare le Niger supérieur de la côte. Or nous ne pensons
pas qu'on se fasse beaucoup d'illusion sur la nature et Timpor-
tance du trafic que produira le Fouta-Djallon; ce n'est pas
/
LB PROJET d'emprunt DE L'aFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE 309
Texportation du bétail qui pourra jamais suffire à faire vivre
ce chemin de fer. Le commerce côtier ira-t-il s'établir à Timbo?
C'est douteux ; cela lui coûterait fort cher sans rien lui rapporter,
au contraire, attendu que les caravanes lui vendraient le
caontchouc à un prix aussi élevé à Timbo qu'à Conakry, et
n accepteraient pas de payer les marchandises européennes à des
taux moins avantageux que ceux actuellement pratiqués h la
cote. Est-ce à dire, dans ces conditions, qu'il faut abandonner
l'entreprise? Non pas; mais, puisqu'on Ta commencée, il faut
la terminer le plus rapidement possible, en lui affectant franche-
ment de suite les 35 millions indispensables pour la conduire à
bonne fin. Pour tout dire, nous voudrions que, en dehors des
travaux d'assainissement qui s'imposent absolument, toutTeffort
financier du gouvernement général portât sur l'achèvement du
chemin de fer de Conakry au Niger; nous ne serons à même de
mettre en valeur les immenses territoires de la boucle qu'à ce
moment-là, et il est prudent de ne pas laisser drainer nos
richesses agricoles par l'Angleterre qui poursuit, dans le silence,
sa ligne de Sierra-Leone vers les confins septentrionaux du
Libéria, au Sud de nos territoires soudanais.
Nous dirons peu de choses de la somme de 10 millions, que
le gouverneur général propose d'affecter au port et aune partie
des travaux du chemin de fer de la Côte d'Ivoire. On ne s'est
encore arrêté à aucun projet définitif, malgré la multiplicité —
peut-être à cause de cela même — des propositions, purement
-péeulatives sur les mines d'or pour la plupart, qui sont sou-
mises au pavillon de Flore. Le pays est riche en produits
forestiers et s'il est relativement peu développé, faute de faciles
communications à travers la forêt impénétrable, c'est bien à lui
que peut s'appliquer le mot fameux du colonel Thys : « En
« Europe, le chemin de fer est la résultante d'un mouvement
« commercial; aux colonies, il le précède et le suscite. »
Notons enfin que le projet d'emprunt de M. Roume ne pré-
vf^it aucune affectation pour la continuation du chemin de fer du
Dahomey; cela implique, sans doute, l'intention de laisser la
?olonie faire face, comme actuellement, à une partie de la
JApense, le reste étant assumé par la Compagnie concessionnaire.
Nous en aurions fini avec les observations fort courtes, que
nous a suggérées ce projet d'emprunt, si ce projet ne compor-
tait, sous les numéros 4 et S, deux articles dont Tintitulé
surprend au premier abord. Puisque la Guinée avait con-
tracté, sur sa seule signature, un emprunt de 12 millions
de la Caisse des dépôts et consignations, ou de la Caisse
des retraites pour la vieillesse — c'est presque tout un — avec
310 OUBSTIOIfS DIPLOMATIQUES ET GOLONULBd
remboursement graduel et moyennant un intérêt annuel de
•4 fr. 10 %, croyons-nous; puisque le Sénégal avait, de. son
côté, obtenu une avance de 5 millions dans des conditions à
peu près identiques — sauf une légère différence en moins dans
le taux de l'intérêt, fixé, pour lui, à 3 ÏFr. 80 % — on est réelle-
ment fondé à se demander pourquoi le gouverneur général, au
lieu de limiter l'emprunt, qu'il projette, à 50 millions de francs,
ainsi qu'on lui en avait récemment, dans la presse, prêté l'in-
tention, le majore de 15 millions afin de permettre à la Guinée
et au Sénégal de rembourser, par anticipation et moyennant
indemnité, celles de nos Caisses publiques que nous avons
nommées? L'emprunt de 65 millions dont il s'agit sera-t-il fait
à 3 fr. 20 ou à 3 fr. 50 % ? Peut-être, si le Parlement — ce qui
n'est pas sûr — accorde la garantie de TEtat. En ce cas, ce
serait un avantage pour la Guinée et pour le Sénégal, dont la
charge des intérêts annuels serait diminuée proportionnelle-
ment. C'est là, sans nul doute, le motif de la majoration de
15 millions î\ laquelle s'est décidé M. Roume, lequel — il faut
l'en féliciter hautement — désireux de voir, par lui-même les
deux colonies (Côte d'Ivoire et Dahomey) de son gouvernement
qu'il ne connaissait pas, vient de partir pour les visiter,.malgré
leur triste et proverbiale insalubrité, tout au moins sur le bord
des lagunes.
Toutefois, la question de savoir à quel taux l'emprunt sera
émis reste entière ; sans la garantie de l'Etat, ce taux sera
nécessairement élevé, 5 % peut-être, s'il est couvert; avec la
signature de la France, on peut espérer du 3 fr. 20 % au maxi-
mum. En ce cas, puisqu'il est indispensable de doter notre
Afrique Occidentale de l'outillage qui lui manque, l'on ne peut
que se borner à souhaiter que le Parlement rejette les chapitres
de dépenses qui ne sont pas strictement indispensables et en
reporte le montant intégral sur ceux dont le but direct est la
.mise en valeur de régions immenses si fermées encore à notre
action économique.
Aspe-Fleurimont,
Conseiller du Commerce extérieur.
i
LE
CONGRÈS NATIONAL DES TRAVAUX PUBLICS
Le deuxième Congrès national des travaux publics français
s'est tenu à Paris, du 9 au 13 février, dans l'hôtel de la Société
des Ingénieurs civils de France. Il comptait environ 300 parti-
cipants, parmi lesquels figuraient de nombreuses notabilités de
Tindustrie et du commerce.
Les questions portées, à Tordre du jour du Congrès, avaient
été réparties entre cinq sections spéciales :
i" SectioQ : Ports maritimes et fluviaux. Président : M. Reymond;
2* — Voies navigables. Président : M. Doniol ;
3« — Outillage économique des ports et voies navigables. Prési-
dent : M. Dumont ;
4« Chemins de fer et tramways. Président : M. Prévet;
5*^ Utilisation industrielle et agricole des eaux, alimentation
des villes, travaux d'assainissement et d'hygiène publi-
que. Président : M. Garnier.
Les étroites limites de ce compte rendu nous interdisent de
mettre sous les yeux de nos lecteurs toutes les très intéressantes
discussions auxquelles ont donné lieu les questions soumises à
Texamen du Congrès. Nous nous bornerons à mentionner, parmi
les vœux très nombreux votés par le Congrès, les plus impor-
tants et les plus caractéristiques, en nous arrêtant cependant un
peu plus longuement sur les questions qui, par leur portée
internationale, rentrent davantage dans le cadre de la Revue.
Sur le programme de la i""® section, comprenant les travaux
à exécuter dans les grands ports français, un rapport très com -
plet de M. Jean Hersent avait été distribué aux membres du
Congrès. Après avoir étudié et discuté les projets des commis-
sions parlementaires des grands travaux, le rapport concluait :
« Il importe que les ports maritimes ne cessent d'attirer
« Tattention de notre gouvernement; il faut qu'ils prennent
« rang' parmi Tune des plus puissantes forces de la nation.
« Tous les efforts matériels et financiers doivent converger à
X l'amélioration de quelques-uns de nos grands ports indispen-
« sables au développement de notre commerce et de la navi-
« gatioD.
« Si nos finances publiques ne permettent pas de remplir un
o programme réclamé par les circonstances, que les pouvoirs
3i2 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
« publics s'adressent à Finitiative privée qui sera certainement
« disposée à Taider de son concours.
« Des exemples nombreux le prouvent suffisamment par les
« capitaux français engagés à l'étranger dans des sociétés con-
« cessionnaires de travaux publics. »
S'inspirant de ces conclusions, le Congrès, après avoir émis
un vœu en faveur de la création de zones franches en nombre
limité, dans des ports convenablement choisis, a adopté un vœu
général sur les ports ainsi conçu :
« Le Congrès émet le vœu que les pouvoirs publics avisent
« aux mesures les plus propres à hâter Texécution des travaux
« déjà étudiés et pour lesquels les concours financiers sont
« assurés.
« Le Congrès estime en outre qu'il y a lieu, pour les besoins
« de l'avenir et pour chacun des ports suivants : Dunkerque —
« Le Havre et la Basse-Seine — Nantes et la Basse-Loire — Bor-
« deaux et la Gironde — Cette — Marseille et les jonctions au
« Rhône, d'établir un programme d'ensemble des travaux futurs
« en tenant compte des progrès des constructions navales et de
^ la concurrence transocéanique, afin que les plus grands
« paquebots puissent entrer et transborder à toute heure, le
« long des quais, en eau profonde.
<( Il serait rationnel que ce programme soit élaboré par des
« commissions mixtes composées également de représentants
« de l'Administration et de représentants de l'activité commer-
« ciale, industrielle et maritime des régions.
« Le Congrès estime qu'il ne lui appartient pas de fixer un
« ordre de priorité entre les différents ports, la solution dépen-
« dant des voies et moyens à créer pour chaque région. »
Enfin des vœux spéciaux ont été émis en faveur des ports du
Havre, de Nantes, de Bordeaux et de Marseille. Les travaux
demandés pour le port du Havre étant considérables, le Congrès
propose « qu'en vue de soulager les finances publiques, il soit
« fait appel à Tinitiative privée pour la réalisation de ce pro-
« gramme ».
Parmi les vœux votés sur la proposition de la 2® section
(voies navigables, rapporteur M. Mallet), et de la 3* section
(outillage économique des ports, rapporteur M. Marsaux), signa-
lons ceux ou le Congrès recommande aux pouvoirs publics
et à la commission sénatoriale actuellement saisie du projet
Baudin les canaux du Nord et du Nord-Est, la Loire navigable,
le canal de la Loire au Rhône, le canal de Marseille au Rhône,
le canal latéral au Rhône, ainsi qu'un vœu concernant l'aménage-
ment des ports fluviaux, dont nous citerons le passage suivant :
LE CONGRÈS NATIONAL DES TRAVAUX PUBLICS 313
« Le Congrès émet le vœu que l'infrastructure des ports soit
e exécutée à l'aide des mêmes ressources que les voies navi-
« gables elles-mêmes.
« La superstructure et l'outillage seront concédés soit à des
« particuliers, soit à des collectivités, telles que des Chambres
0 de commerce isolées ou groupées ensemble avec des contrats
<' extrêmement souples, permettant de parer aux nécessités du
« commerce, au fur et à mesure de ses transformations.
t Toutefois, dans le cas d'insuffisance budgétaire, le Congrès
* estd'avis que l'Etat pourrait avoir recours, pour la construction
t comme pour l'outillage et l'exploitation des ports, à des con-
« cessionnaires qui supporteraient tout ou partie des dépenses
« de premier établissement et les récupéreraient par les pro-
i duits de l'exploitation. »
Des questions inscrites au programme de la 4° section (che-
mins de fer et tramways, rapporteur M. Gallotti), trois ont par-
ticulièrement attiré notre attention : les voies d'accès au Sim-
ploD, les projets de M. le commandant Pech pour la défense des
intérêts français et notamment du port de Marseille contre
Faclion du Saint-Gothard et du Simplon; les projets de raccor-
dement des voies ferrées françaises aux voies italiennes entre
Marseille et la Haute-Italie.
La première question a provoqué une ample et brillante dis-,
cussion dans la section d'abord, puis dans la séance plénière du
llfémer. Le projet ditrfe la Faucille (Lons-le-Saunier Genève),
en faveur duquel M. H: Haguet avait présenté un court et
substantiel mémoire annexé au rapport de M. Gallotti, a été
vivement combattu par les représentants des Chambres de
«ommerce de Lyon, de TArdèche, de Valence, ainsi que par
M. Mallet, de la Chambre de commerce de Paris, et par M. le
commandant Pech, au nom des intérêts de Marseille et des dépar-
tements de la vallée du Rhône. Inquiets ajuste titre des dom-
mages dont ces intérêts sont menacés par le percement du Sim-
plon*, les Marseillais et les riverains du Khône voient naturel-
lement d'un œil peu favorable les projets destinés à faciliter les
••«immunications entre le reste de la France et le Simplon. La
ligne de la Faucille, étant la mieux appropriée à cet objet, leur
f»arait dangereuse entre toutes, d'autant plus que la dépense
relativement élevée qu'elle exigerait pourrait retarder Texécu-
tion des projets sur lesquels ils comptent pour sauvegarder
^urs intérêts, tels que le canal de Marseille au Rhône et le
canal latéral au Rhône,
' Voy.àccsujet Quest.DipLet Col., 15 nov. 1902, p. 390.
314 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
C'est d'une préoccupation analogue que nous semble s'ins-
pirer l'opposition faite par Lyon au chemin de fer de la Faucille.
Bien que possédant déjà une voie d'accès vers la Haute -Italie,
la ligne du Mont-Cenis, les Lyonnais en veulent une vers le
Simplon et dans ce but ils demandent la rectification et le dou-
blement de la ligne Bellegarde-Saint-Gingolf, concurremment
avec l'exécution du tronqon Frasnes-Vallorbe.
Pour le commandant Pech, la ligne de la Faucille serait
nuisible à l'intérêt national parce qu'elle attirerait vers Gênes
tout le trafic de la région du Jura et parce qu'elle aboutirait à
Genève, en territoire étranger. Pour mettre Marseille en état
de lutter victorieusement contre Gênes, pour le trajet avec la
Suisse, M. Pech propose une ligue de Lyon à Soleure par
Bourg, Pontarlier, Chaux-de-Fonds; comme voie d'accès au
Simplon, il est partisan de la ligne Saint-Amour-Bellegarde-
Saint-Gingolf, complétée par la construction d'un tronçon
direct de Chagny à Nuits-sous-Ravières, qui réduirait de
30 kilomètres le trajet de Paris vers la Suisse et l'Italie.
La cause de la ligne de la Faucille a été éloquemment
défendue par M. Prévet, président de la 4' section, d'abord
devant la section, puis en séance plénière. Nous ne reprodui-
rons pas ici tous les arguments qu'il a fait valoir en faveur de
ce projet dont les lecteurs des Questions connaissent les sérieux
avantages. Nous nous contenterons de puiser dans son intéres-
sant exposé quelques faits de nature à préciser l'état actuel de
la question.
Nos lecteurs savent que la principale (on pourrait même dire
la seule) objection qui soit faite au projet de la Faucille repose
sur la dépense élevée que nécessiterait sa réalisation. Cette
dépense avait été évaluée, d'une façon très approximative, à
130 millions par la Compagnie P.-L.-M. Or il résulte des études
qui se poursuivent en ce moment sur le terrain même et au
Simplon sous la direction de M. l'Ingénieur en chef Barrant,
études prescrites en novembre dernier par le ministre des
Travaux publics, que le coût des travaux de la ligne projetée
de Lons-le-Saunier à Genève serait certainement inférieur à
100 millions et ne dépasserait probablement pas la somme de
90 millions.
D'autre part, la France est dès maintenant assurée de trouver
en Suisse un concours financier important pour la construction
de la ligne de la Faucille. Le Président du Conseil d'Etat du
canton de Genève vient en effet d'adresser, en date du 4 février,
au Conseil fédéral une lettre par laquelle il le prie de vouloir
bien informer officiellement le gouvernement français « que le
LE CONGRÈS NATIONAL DES TRAVAUX PUBLICS 315
« gouvernement du canton de Genève est décidé à s'intéresser
« d'une façon effective, se portant fort pour une participation
« de vingt millions, à l'entreprise de la ligne d'accès au Simplon
« par la Faucille, et se déclare prêt à étudier telle combinaison
« financière propre à assurer ou à hâter l'exécution d'un projet
ft dont la réalisation est d'un intérêt capital pour la Suisse tout
« entière »..
L'exécution du tronçon de 17 kilomètres Frasnes-Vallorbe
devant coûter à la France au minimum 20 millions, il s'ensuit
que Técart entre les deux projets ne serait plus que de 40 à
50 millions. C'est encore une forte dépense sans doute, mais à
ce prix la France serait mise en possession d'une voie d'accès
vers le Simplon qui lui permettrait de lutter victorieusement
contre la concurrence du Gothard.
Le Congrès Ta bien compris et dans sa séance plénière du
H février, convaincu par la chaude et lumineuse éloquence de
M. Ch. Prévet, il a adopté, à l'unanimité moins 12 voix, le
vœu suivant :
« Le Congrès, considérant la prochaine ouverture du Simplon,
a prenant acte à la fois des offres de concours faites par le
« Conseil d'Etat de la république et canton de Genève et des
c< déclarations du Conseil fédéral aux Chambres de la Confédé-
« ration suisse,
« Emet le vœu : que le gouvernement français prenne les
« mesures nécessaires pour hâter la construction de la ligne de
« Lons-le Saunier à Genève, »
La 4* section était saisie par la Société pour la défense du
Commerce de Marseille de divers projets ayant pour but de
mettre les ports français de la Méditerranée en relations directes
avec Turin et la Haute-Italie. Après une discussion forcément
un peu sommaire, vu l'absence de données techniques et finan-
cières précises, le Congrès a émis les vœux suivants.
1* : « Que la construction de la ligne établissant des relations
« directes entre Nice et Turin soit réalisée dans le plus bref délai.
î* ; « Le Congrès considérant l'intérêt que présenterait l'éta-
« blissement d'une ligne de Sisteron à Turin par Gap,
« Mont- Dauphin et Torre Pellice, émet le vœu que les études en
« soient poursuivies avec la plus grande activité. »
La 5" section a eu principalement à étudier la question de la
houille blanche (utilisation des forces hydro-électriques) sur
laquelle avalent été déposés de nombreux documents, entre
autres un remarquable mémoire de M. le comte d'Agout. Les
discussions ont porté surtout sur le régime légal qu'il convient
d appliquer aux entreprises hydro-électriques.
'^
316 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
Le Congrès a été unanime à reconnaître la nécessité d'une loi
sur les distributions d'énergie; mais en ce qui concerne les
{ cours d'eau non navigables qui ne sont pas du domaine public,
[ il a émis le vœu « que l'industrie hydraulique sur ces cours
"t: « d'eau demeure, comme actuellement, libre de toute entrave
» « et que des mesures législatives soient prises pour assurer aux
y « exploitants des usines hydrauliques d'utilité publique le
[; « maximum de liberté compatible avec le bon fonctionnement
y" « des entreprises d'utilité publique qu'elles alimentent ».
La 5" section a fait également adopter par le Congrès un vœu,
r^ renouvelé du Congrès de 1900, tendant à ce que le projet
\ d'adduction des eaux françaises du lac Léman à Paris soit
; immédiatement mis à Tétude.
\ Telles sont les principales questions que le deuxième Con-
grès national des travaux publics a eu à étudier et à résoudre.
Comme nos lecteurs ont pu le remarquer, notamment à propos
des travaux à exécuter dans les ports et de la « houille blanche »,
les congressistes se sont montrés nettement partisans de l'ini-
tiative privée. Avant de se séparer, ils ont tenu à affirmer de
nouveau cette tendance par le vœu suivant :
VŒU GÉNÉRAL
« Dans le but d'imprimer une activité désirable et soutenue à
« l'exécution des grands travaux reconnus indispensables, qui
« ne doivent pas souffrir des insuffisances budgétaires,
« Le Congrès émet l'avis que l'Etat pourrait, dans certains
« cas, concéder la construction et l'exploitation de ports mari-
ce times et fluviaux, ainsi que de canaux, à des villes, com-
« munes, départements, chambres de commerce ou fédérations
« de villes, communes, départements, chambres de commerce,
« syndicats ou corporations.
« A cet effet, invite les pouvoirs publics à examiner cette
« question, afin de lui donner une solution pratique. »
Tous ceux qui, comme nous, pensent que l'avenir de notre
pays est dans le progrès de l'initiative privée féliciteront le
Congrès national des travaux publics d'avoir émis ce vœu qui,
s'il se réalisait, ouvrirait la voie à Tœuvre de la décentralisation
tout au moins sur le terrain économique.
E. Peyralbe.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES
I. — EUROPE.
France. — Le irailé franco-siamois. — Le ministre des Affaires
étrangères vient de prendre, à propos de la convention franco-sia-
moise du 7 octobre, une importante décision. Il a avisé la commis-
sion des affaires extérieures, chargée par la Chambre d'examiner le
traité, que de nouvelles négociations étaient engagées, sur de nou-
velles bases, avec le gouvernement de Bangkok. M. Eug. Etienne,
président de la commission, a aussitôt donné acte à M. Delcassé de
sa communication et Ta informé que la commission suspendait, en
conséquence, son exanïen Hne die. Voici d'ailleurs le texte de ces
deux lettres :
Lettre de M. Delcassé.
Paris, 24 février.
Monsieur le Président,
M. le ministre des Colonies vient de me communiquer, en me le recom-
mandant, un projet de M. le gouverneur général de Tlndo-Chine, projet
dont l'exécution exigerait des négociations préalables avec le gouverne-
ment siamois.
J'ai écrit à M. Doumergue pour le prier de vouloir bien me fournir sur
ce projet certaines précisions qui me permettront de prendre une résolu-
tion.
Dans ces conditions, je vous serai obligé de demander à la commission
d'attendre, pour me convoquer, que je sois en mesure de lui apporter des
renseignements définitifs.
Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute consi-
dération,
Delcassé.
Lettre de M. Eug. Etienne.
Pari», 2i) février.
Monsieur le Ministre,
Par lettre du 24 courant, vous me faites Phonneur de m'informer que
M. le ministre des Colonies vient de vous communiquer, en vous le
recommandant, un projet de M. le gouverneur général de Tlndo-Chine,
projet dont l'exécution exigerait des négociations préalables avec le gou-
vernement siamois.
Vous ajoutez que vous avez écrit à M. Doumergue pour le prier de vou-
318 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
loir bien voua fournir sur ce projet cerUdaes précisions qui tous permet-
tront de prendre une résolution.
Dans ces conditions, vous me priez de demander à la commission d'at-
tendre pour vous convoquer que vous soyez en mesure de lui apporter deS
renseignements définitifs.
Je dois vous faire connaître, 'monsieur le ministre, que la commission
était prête à vous entendre sur le projet de traité dont elle avait été saisie,
et aussi à déposer ses conclusions et son rapport sur le bureau de la
Chambre.
Mais, déférant à votre désir, elle ajourne ses travaux jusqu*au moment
où vous voudrez bien lui faire connaître qu'elle pourra utilement les
reprendre.
Agréez, etc.
Le président de la commission des affaires
extérieures et coloniales,
Etienne.
Nous ne pouvons, naturellement, que nous féliciter d'un ajourne-
ment qui semble bien préparer le retrait définitif de cette déplorable
convention du 7 octobre. Nous attendons cependant d'être mieux
fixés sur les intentions ultérieures du ministre des Affaires étran-
gères pour apprécier justement sa décision.
Belgique. — Un nouveau bassin fiouiller, — On nous écrit de
Bruxelles :
La question à l'ordre du jour en Belgique est en ce moment la
découverte et le mode d'exploitation de tout un nouveau bassin
houilier dans le Nord du pays.
Jusqu'à présent nous possédions deux grands bassins : celui de la
province de Liège et celui de la province de Hainaut; nous en aurons
donc bientôt un troisième : celui de la province de Limbourg.
Nous devons ajouter cependant que l'existence de ce nouveau
bassin avait été certifiée en 1877 déjà par MM. Cornet et Lambert,
qui prétendaient alors qu'il y avait une prolongation du bassin
houilier hollandais vers le Limbourg belge; on avait même procédé,
à ce moment, à un sondage intéressant à Lanaeken; mais, malgré
les travaux de René Malherbe, malgré les objurgations de Van den
Burck, l'État était resté sourd à ces appels.
Heureusement quelques personnalités, se fiant aux raisonnements
de ces savants, continuèrent les recherches pour vérifier l'existence
de ce gisement houilier, et grâce à leur ténacité et... à leurs capitaux,
ils peuvent enfin affirmer la découverte d'un bassin présentant unç
composition, une étendue et une richesse remarquables.
Mais il ne suffisait pas de découvrir les gisements miniers, il fallait
encore trouver le moyen d'exploiter les richesses. Les nombreuses
propositions émises se réduisent en somme à trois principes :
Ri£NSEI6NEMENTS POLITIQUES 319
i* L*idée collectiviste : exploitation par TËtat ;
^ L^Étal resterait propriétaire des gisements et afifermerait le droit
d'exploitation ;
3** L*£tat se réserverait une partie du nouveau bassin houiller afin
de Texploiter pour ses besoins personnels.
L'idée collectiviste nous paraît contraire à Tintérét générai. En
effet, TÊtat est mauvais industriel, parce que l'Etat c'est Tadminis-
IratioD, et qui dit administration, dit bureaucratie et hiérarchisme.
Certes, comme le disait récemment V Indépendance helge^ nos ingé-
nieurs des chemins de fer et des ponts et chaussées sont des hommes
capables, tout disposés à marcher de Tavant, à appliquer les progrès
el ^ prendre à cœur les intérêts qui leur sont confiés ; mais, englobés
dans l'administration, ils sont ligotés, paralysés, momifiés; ils ne
peuvent faire montre d'initiative et ils en arrivent à se soucier fort
peu du rendement de leur travail.
« Ces messieurs, nous en sommes convaincus, ne pourront prendre
« en mauvaise part ce raisonnement, dont ils seront, au contraire, les
•i premiers à reconnaître la justesse et le bien fondé, et avec nous,
c ils diront que confier à TËtat rétablissement des nombreux sièges
.: d'exploitation nécessaires dans la Campine, c'est s'exposer, à coup
K sôr, à la lenteur excessive des procédés administratifs et à Texploi-
4 talion la plus coûteuse et la plus onéreuse. »
Nos bâtiments d'administration ne sont-ils pas ceux qui coûtent le
pins cher et demandent le plus de temps? N'est-ce pas un scandale
que de voir, par exemple, entamer la construction du canal du Cen-
tre — qui devait permettre la jonction de nos bassins houillers du
Sod-Est du pays, — en 1878 pour ne la terminer qu'en 1908... peut-
être? Dépense de plusieurs millions et trente ans pour une œuvre
atile dont le rapport eût été immédiat. Est-ce qu'une société privée
aurait demandé un tel laps de temps et autant de millions?
Or, il est incontestable que les travaux à établir dans le Limbourg
sont des plus considérables et des plus urgents. Examinons d'abord
'a qaeslion de savoir combien de sièges d'exploitation seraient néces-
saires pour les 40.000 hectares d'étendue que présente le nouveau
Àassio.
Les ^sements actuellement exploités nous fournissent les indica-
tions suivantes : le bassin du Uainaut pour une étendue de
G3.534 hectares comprend 228 sièges d'exploitation, celui de la pro-
vince de Liège pour une étendue de 23.882 en comprend 90 et le
petit bassin de la province de Namur 22 pour 4.122, soit en tout
340 sièges d'exploitation dont 265 en activité pour 91.538 hectares,
c'est-à-dîre un siège par 350 hectares environ. Si nous appliquons
cette même proportion pour le nouveau bassin, nous arrivons au
chiffre de HO sièges pour exploiter l'étendue du gisement connue
letaellement.
320 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALBS
D'aulre part, si nous noas servons du même procédé comparatif
pour établir le prix de chacun des.sièges d'exploitation, nous voyons
que ce prix s'élèvera à 7 millions environ par siège.
Il faudrait donc, dans le système collectiviste, confier à TËlat
exploitant un capital énorme, tout en retardant pendant des années
et des années Tutilisation de notre nouvelle richesse minière.
La conclusion, c'est qu'au point de vue économique de la produc-
tivité, c'est-à-dire au painl de vue de l'intérêt général, il serait blâ-
mable de confier à l'État le monopole d'exploitation de notre nou-
veau bassin houiller.
La seconde proposition consiste à laisser l'Ëtat propriétaire, mais
non exploitant. L'Ëtat creuserait les puits, construirait les bâtiments,
mais devrait ensuite remettre l'exploitation de ces installations, par
des concessions limitées à trente ans maximum, à Findustrie privée
qui extrairait le charbon à de meilleures conditions que ne le ferait
l'État.
Ce système présente, de l'avis d'un grand industriel du Hainaut,
les mêmes inconvénients que l'exploitation par l'État ; si TËtat n'a
pas les capacités industrielles d'un exploitant, comment pourrait-il
posséder le moyen de faire intelligemment et économiquement la
mise à fruit. Le* prix de revient de l'installation serait grevé de
charges telles que le capital engagé ne pourrait, dans bien des cas,
être que peu ou pas rémunéré. Ces charges se répercuteraient pen>
dant toute l'existence des mines et celles-ci, au lieu de devenir une
source de richesses et de revenus pour le pays, pourraient n'être
qu'une cause de déficit permanent.
En ce qui concerne l'exploitation par affermage à temps, — procédé
employé en Angleterre et en Russie — le même industriel déclare
que le fermier, quelle que soit la réglementation à laquelle il est
soumis, gaspille la concession qui lui est confiée : il exploite les
meilleures veines; il évite, au grand détriment de la propriété, d'y
faire les travaux préparatoires qui doivent assurer la conlinuité de
l'exploitation, etc. Dès que le bail est fini, il abandonne le charbon-
nage, n'y laissant que des couches peu fructueuses à exploiter, des
travaux mal entretenus et des installations ruinées. Alors le proprié-
taire ne pourrait que diflicilement remettre la mine à bail et bien
souvent elle resterait inactive pendant une longue période de
temps.
Dans l'état de choses actuel, la troisième proposition nous parai l
la meilleure; l'État se réserverait une partie du gisement suffisante
pour assurer les besoins en cas de nécessité et se mettrait de cette
façon à l'abri des trusts et des grèves. En tout cas, elle n'annihile-
rait pas, comme les deux premières, les efforts de Tinitlative privée
et ne remettrait pas entre les mains des administrations de l'Etat,
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 321
mauvais industriel, une entreprise qui doit avoir une grande
iDflnence s^r le développement de notre expansion industrielle. Nous
aurons d'ailleurs l'occasion de revenir ultérieurement sur cette
importante question. — Emile Pels.
Turquie. — La question de Macédoine. — Les ambassadeurs d'Au-
triche-Hongrie et de Russie, le baron Calice et M. Zinoview, ont
présenté, le 21 février, à la Porte un projet de réformes pour les
vilayets de Monastir, Salonique et Kossovo, en l'accompagnant de
mémorandums identiques de leurs gouvernements respectifs.
Voici le texte de ce document :
Les gouvernements d'Autriche-IIongrie et de Russie, animés du désir
sincère de voir écartées les causes de troubles qui se produisent depuis
«jTielque temps dans les vilayets de Salonique, de Kossovo et de Monastir,
sont persuadés que ce but ne saurait être atteint que par Tapplication de
réformes tendant à améliorer les conditions des populations desdits
Tïlayets.
Ainsi qu'il résulte des communications adressées récemment par la
Porte aux ambassadeurs résidant à Constantinople, le gouvernement otto-
man a reconnu lui-même la nécessité d'aviser aux moyens de renforcer
raction des lois et de réprimer les abus.
En prenant acte de ces bonnes dispositions, les gouvernements d'Au-
triche-Hongrie et de Russie ont cru cependant que, dans l'intérêt du main-
tien de la tranquillité et de Tordre dans les contrées susmentionnées, il
•serait de la plus haute importance de compléter les règlements nouvelle-
ment arrêtés, et dans cet ordre d'idées, ils »ont tombés d'accord sur la
uécessité de recommander au gouvernement ottoman l'application de cer-
taiaes dispositions qui peuvent se résumer ainsi :
Pour assurer le succès de la mission conflée à l'inspecteur général,
celui-ci sera maintenu à son poste pour une période de plusieurs années
céterminée d'avance, et il ne sera pas révoqué avant l'expiration de cette
période sans que les puissances soient préalablement consultées. A ce
sujet, il aura la faculté de se servir, si le maintien de l'ordre public le
rend nécessaire, des troupes ottomanes, sans avoir chaque fois recours au
gouvernement central.
Les valis seront tenus de se conformer strictement à ses instructions.
Pour la réorganisation de la police et de la gendarmerie, le gouverne-
ment ottoman se servira du concours de spécialistes étrangers.
La gendarmerie sera composée de chrétiens et de musulmans dans une
proportion analogue à celle des populations des localités en question.
Les gardes champêtres seront chrétiens là où la majorité de la popula-
tion est cbrétienne, vu les vexations et les excès dont la population chré-
tienne n'a eu que trop souvent à sou£frir de la part de certains malfaiteurs
amautes et vu que les crimes et les délits commis par ces derniers restent
àMûs la pinpart des cas impunis. Le gouvernement ottoman avisera sans
retard aux moyens de mettre fin à cet état de choses.
QtmÊT. DiPi.- »•«' Col. — t. xv. 21
322 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Les nombreuses arrestations opérées à la suite des derniers troubles
dans les trois vilayets ayant excité les esprits, le gouvernement otto-
man, pour accélérer le retour à la situation normale, accordera une am-
nistie à tous les accusés ou condamnés pour faits politiques, ainsi qu'aux
émigrés.
Pour assurer le fonctionnement régulier des institutions locales, le
budget des revenus et dépenses sera dressé dans chaque vilayet et les per-
ceptions provinciales contrôlées par la Banque ottomane seront destinées
en premier lieu aux besoins de l'administration locale.
Le paiement des services civil et militaire, y compris le mode de per-
ception des dîmes, sera modifié et l'afTermage en gros sera aboli.
En même temps le Messager du Oouvemement^ de Saint-Pétersbourg,
publiait le communiqué suivant :
Observant sans relâche la vie politique des peuples de même rehgion
que la Russie, le gouvernement impérial n'a pas cessé d'être renseigné à
temps par ses agents concernant le véritable état des choses et d'attirer
Tattention la plus sérieuse de la Porte sur la nécessité urgente d'une
amélioration de la situation des chrétiens des vilayets de Salonique,
Kossovo et Monastir.
L'ambassadeur de Russie à Constantinople, mandé à Yalta au mois d'oc-
tobre 4902, a été chargé de l'élaboration d'un projet concernant les
réformes les plus importantes et il a reçu en même temps des instructions
en vertu desquelles il a fait remarquer au Sultan qu'il était absolument
nécessaire qu'il fit mettre le plus, tôt possible ces réformes à exécution,
afin de supprimer radicalement les causes du mécontentement de ses
sujets.
Une communication dans le même sens a été remise aussi à Turkhan
pacha, ambassadeur de Turquie, qui a fait une visite à l'empereur de
Russie à Livadia. Le gouvernement turc s'est déclaré prêt à suivre les
conseils amicaux qui lui étaient donnés ; mais l'iradé relatif aux [réformes
publié en novembre 1902 ne contenait pas des garanties suffisantes tou-
chant l'amélioration de la situation des chrétiens et n'a pas eu, par con-
séquent, pour effet, de calmer complètement les esprits.
Malgré les conseils donnés aux États des Balkans, les comités révolu-
tionnaires, formés pour exciter les populations contre la Porte, ont continué
leur agitation. En raison de cette situation extrêmement inquiétante, l'em-
pereur de Russie a chargé le ministre des Affaires étrangères de se rendre
au commencement du mois de décembre à Belgrade et à Sofia et d'y faire
en son nom une communication ayant la teneur suivante :
Les efforts do la Russie tendent, comme par le passé, à engager la Porte
à faire le plus tôt possible des réformes dans les trois vilayets européens.
Il est donc indispensable que les États slaves aient de leur côté recours
aux mesures qu'ils pourront prendre pour maintenir la tranquillité dans
les Balkans et s'opposent aux projets révolutionnaires. Ce n'est qu'en agis-
sant ainsi qu'ils pourront compter sur la Russie.
Le roi de Serbie et le prince de Bulgarie se sont empressés d'assurer au
comte Lamsdorf que leurs gouvernements s'efforceraient de réprimer à
I
\
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES
lavenir toute agitation et attendraient les résultats de l'action de la Russie
en faveur des chrétiens. Ces promesses ayant éié remplies, le gouverne**
ment impérial a exprimé son entière approbation au gouvernement bul-
gare au sujet des mesures prises dans les derniers temps.
Le comte Lamsdorf s*est rendu de Belgrade à Vienne, où des pour-
parlers spéciaux ont eu lieu entre les deux ministres des Affaires étraa-
•z**m>y conformément à Tentente conclue en 1897, Ces pourparlers ont
aiK}uti à la fixation des bases fondamentales des réformes projetées pour
L's trois vilayets.
Au commencement de janvier, le programme des réformes a été commu-
niqué aux ambassadeurs de Russie et d'Autriche-Hongrie, à Constaati-
nople, qui ont été chargés d'élaborer un projet plus détaillé, après< a/veir
examiné les conditions locales.
Ce projet a été adopté par les deux gouvernements etl communiqué
confidentiellement le 17 février aux puissances signataires des traités: qui
ODt été priées d'appuyer la Russie et TAutriche-Hongrie si elles apprau-
Ttient le projet. La France, Tltalie, TAllemagne et l'Angleterre j ont
ôeclaré qu'elles étaient entièrement disposées à agir dans ce sens et les
vnbassadeurs de Russie et d'Autriche-Hongrie ont été alors chargés de
^•re^enter le projet de réformes au Sultan.
Le communiqué expose ensuite d'une façon résumée les proposi-
tions relatives aux réformes et contient en outre les passages sui-
vanls :
Les mesures qui pourront être développées largement dans l'avenir sont
considérées comme suffisantes pour assurer une amélioration importante
up la situation des chrétiens. En outre, on organisera dans quelques-
r»^ons, sous la direction des ambassadeurs, un soigneux contrôle qm-
sera exercé par les consuls au sujet de l'application des réformes.
En notifiant les résultats obtenus aux représentants de la Russie dans la
(.re»qu*ile des Balkans, le gouvernement impérial a jugé nécessaire, pour
.'enseigner le mieux possible les peuples slaves, de rappelerjde nouyeau à
re> représentants les principes qui le guident dans cette circonstance.
Les États des Balkans qui jouissent d'une existence indépendante, grâce
iu\ ssacrifices de la Russie, peuvent compter de la far'on la plus certaine
iur la sollicitude la plus constante du gouvernement impérial, en ce qui
concerne leurs besoins réels, et sur la puissante protection que la Russie
donne aux intérêts moraux et matériels des chrétiens; mais ils ne doivent
]>a> oublier que la Russie ne sacrifierait pas une goutte du sang de se«)
ni>, ni la plus petite partie de l'héritage du peuple russe/jsi les États
•laves, agissant contrairement aux sages conseils qui leur ont été donnés
4 temps, prenaient la résolution d'obtenir par des moyens violents et
révolutionnaires uue modification de Tordre de choses.existant dans la
presqu île des Balkans.
Oo s'attendait généralement à ce que la Porte opposât à ce projet
de réforme sa force traditionnelle d'inertie et tous les] moyens dila-
toires gai lai sont accoutumés. Il n'en a rien été. Le Sultaa semble
Bfoir Foolu, celte fois, faire preuve de prévenance rare enrers l*Ehi<-'
324 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
rope, car il a répondu sans délai et dans un sens satisfaisant à Tini-
tiative austro-russe. Le 22 février, en effet, le lendemain même de
la communication du baron Calice et de M. Zinoview, le ministre
ottoman des Affaires étrangères, Tewfik pacha, remit personnelle-
ment aux ambassadeurs de Russie et d' Autriche-Hongrie une note
identique déclarant que la Porte accepte les propositions concernant
les réformes pour la Macédoine. Il est dit dans la note que ces pro-
positions complètent les résolutions que le gouvernement turc a déjà
prises lui-même et a commencé d'exécuter.
La note porte en outre que le gouvernement turc accepte les pro-
positions qui lui sont faites dans un esprit amical et a déjà donné
Tordre de les mettre à exécution.
Cette apparente bonne volonté, ainsi spontanément témoignée
par la Porte, et la préoccupation manifeste de la Russie et de l'Au-
triche-Hongrie de maintenir rigoureusement le statu quo dans les
Balkans, réussiront-elles à écarter définitivement la crise qui appa-
raissait imminente, on peut et on doit Tespérer, bien que la situation
reste encore bien menaçante. Les gouvernements des puissances les
plus directement intéressées semblent tous d'accord pour garantir
énergiquement la paix. Les déclarations officielles et les actes mômes
des cabinets de Rome, d'Athènes, de Sofia et de Belgrade ne peuvent
laisser aucun doute à ce sujet. Le gouvernement bulgare a dissous
les comités macédoniens de la principauté et fait arrêter les princi-
paux de leurs membres. Le gouvernement grec a ordonné des
mesures de surveillance très rigoureuses, surtout à Volo, pour empê-
cher que les agitateurs macédoniens ne passent la frontière gréco-
turque, et un certain nombre d'arrestations ont même été opérées.
Le gouvernement serbe s'est montré non moins énergique, et à la
Chambre italienne, M. Baccelli, sous-secrétaire d'État aux Affaires
étrangères, aussi bien que l'amiral Morin, chargé de l'intérim des
Affaires étrangères en remplacement de M. Prinetti, se sont très
nettement prononcés pour une politique de paix et le maintien du
statu quo territorial.
Néanmoins on continue à être très inquiet et les craintes d^un
conflit armé restent toujours très vives.
n. — AFRIQUE.
Algérie. — Dans VExtrême-Sud. — Suivant des nouvelles reçues
d'Aïn-Sefra, cent indigènes de la tribu des Amour, se rendant à Beni-
Abbas, ont été attaqués le 19 février par cent dissidents de la tribu
française des Doui-Menia, au moment où ils procédaient au charge-
ment de leurs chameaux à Assi-el-Begri.
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 3^5
Quatre indigènes de la tribu des Amour furent tués, six autres
furent blessés. Cent cinquante chameaux et une partie des appmvi-
sioaneineots leur ont été enlevés. Le poste de El-Morra s'est mis à la
poursuite des pillards.
La Iribu des Doui-Menia est sous le protectorat français depuis
l'accord conclu à Oran en 1870; elle est sujette française depuis
denxaDS.
D'autre part, des correspondances duGourara arrivées ces jours-ci
à Alger annoncent que les grandes caravanes annuelles remontent
vers le Nord, notamment vers le cercle de Géryville. Les indigènes
Tenus an Gourara et au Touat s'en retournent enchantés de la sécu-
rité qu'ils ont maintenant. La facilité et la bienveillance qu'ils ont
partout rencontrées les ont rendus très heureux.
On espère, dans les oasis, que les transactions se feront de plus en
plus nombreuses et que les bénéfices réalisés engageront les Hnnyris,
qui nous ont délaissés cette année, à revenir Tan prochain faire leui's
échanges et leurs achats.
Lorganisation définitive des territoires du Sud est attendue dans
les oasis avec impatience.
laroc. — La situation. — Les nouvelles de Tanger sont toujours
aussi abondantes, mais malgré leur prolixité elles ne nous apprennen t
rien de précis.
La colonne commandée par El-Menebhi se trouve encore a dfx
beures de marche de Fez. Le 14, cette colonne, aidée de fractions de
la tribu des Hiaïna soumises au Makhzen, a attaqué d'autres parties
de la même tribu favorables au prétendant. A la suite de ce combat,
uQâenvoyéà Fez 37 têtes coupées et 93 prisonniers. La colonne
s est, en outre, emparée de nombreux troupeaux de bétail et de beau-
coup de grains. Les pertes subies par les troupes chérifiennes dans
cet engagement sont assez importantes. Aucune rencontre n'a encore
tu lieu depuis le 29 janvier avec les forces proprement dites du
prétendant. Celui-ci était campé le 14 dans le territoire des Sen
En somme, la situation actuelle semble devoir se prolonger sans
ùggraver; car si le Makhzen, peu populaire et en butte k dos
embarras financiers qui le paralysent, demeure à peu près impuis-
^Qt contre les révoltés, Bou-Hamâra, bien que soutenu par les sym-
pathies platoniques de toutes les populations des villes et des cam-
pagnes, ne peut compter, de son côté, que sur quelques tribus indis-
âplinées et incapables d'un effort prolongé.
Higéria. — Frise de Kano, — Les Anglais se sont emparés de la
Tille de Kano, le 3 février, et Témir a pris la fuite.
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Uoe noie communiquée aux journaux anglais donne les détails
suivants relatifs à la situation actuelle des Anglais à Kano.
Cki{ne sait encore rien de précis en ce qui concerne les opéra-
tions militaires qui suivront immédiatement, selon toute probabi-
lité, Toccupation de Kano. On estime cependant, dans les cercles
bien informés, que l'occupation de Kano n'implique nullementla fin
des opérations actuelles.
On n'a pas encore d'informations relativement à l'envoi par le
oolonel Morland d'une colonne k la poursuite de l'émir; mais, en
tout cas, celui-ci ayant un mois d'avance dans sa fuite, il n'est pas
vraisemblable qu'il soit pris. Il est possible qu'il songe à se réfugier
dans la sphère française, plutôt que dans le Sokoto, vers lequel il
sait sans doute que les prochains mouvements anglais seront
dirigés.
Le voyage de la commission anglo-française pour la délimitation
d-e la frontière continue par le Niger vers le Sokolo. Les officiers
commissaires des deux pays se sent joints et devaient commencer
leurs travaux vers les premiers jours de janvier en se dirigeant vers
Say.
Il n'est pas probable que les opérations de Kano aient retardé la
marche de la commission qui possède une escorte assez forte pour
ne pas craindre une attaque.
Kano est, comme on sait, une des plus grandes villes de l'Afrique
centrale. Elle se trouve à peu près à moitié chemin entre le Niger el
le Tchad. Elle a été reconnue à l'Angleterre par le traité franco-
anglais de 1898. Les Anglais avaient essayé de l'occuper pacifique-
ment en 1899 et en i900, mais n'avaient pu y réussir.
Ethiopie. — Les progrès de Chiflumce italimne m Ethiopie. — Le der-
nier courrier de l'Ethiopie nous apporte la nouvelle de nouveaux
succès obtenus, à Addis-Ababa, par la diplomatie italienne.
On n'a pas oublié qu'il y a quelque temps l'empereur Menelik
informait, par lettre autographe, la Sublime Porte qu'à l'avenir la
protection des sujets éthiopiens à Jérusalem serait confiée au consul
italien. L'aboune Matheos vient de rentrer à Addis-Ababa, après
avoir accompli un pèlerinage aux ruines du temple de Salomon et
le journal Djibouti constate, à ce propos, que le prélat éthiopien n'a
pas eu recours seulement aux bons offices du consul italien de Jéru-
salem, mais qu'il s'est adressé aussi à celui de Jaffa; de plus, il a
averti de son retour par l'intermédiaire du consulat italien d'Aden.
On voit ce que devient le protectorat des chrétiens exercé, naguère,
par la France; on voit aussi que Tltalie utilise l'article 17 du traité
d'Ucciali, stipulant que le roi d'Ethiopie c a la faculté de se servir
« des agents du gouvernement italien pour ses relations avec les
j
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 327
3 puissances étrangères ». L'Italie obtient, d*ailleurs, des avantages
fort appréciables sur d'autre^ terrains; le journal Djibouti nous
apprend que la ligne téléphonique entre Addis-Ababa et Adis-Alem
a élé installée sous la direction du lieutenant Bardi, avec un matériel
Yeau de Rome, que les employés de la ligne sont italiens et que les
bureaux italiens dWddis-Ababa doivent être reliés à la ligne télégra-
phique du Tigré, qui vient de Massaouah et d*Asmara.
L*inQuence de Monlecitorio est en hausse à la cour de Menelik,
aussi bien que celle du Foreign Office; nos rivaux et nos concur-
rents gagnent tout le terrain que nous perdons 1
IV. — AMÉRIQUE.
Venezuela. — La situation. — La signature des protocoles com-
portait, comme conséquence, la levée du blocus et la reddition des
navires vénézuéliens capturés. Ces deux conditionsontété exécutées,
bien qu'avec assez de mauvaise grâce de la part de TAUemagne.
Quoi qu'il en soil, les relations diplomatiques sont régulièrement
rétablies entre TAngleterre, Tltalie, l'Allemagne et le Venezuela et
!a négociation des protocoles avec les puissances non intervenantes
se poursuit actuellement.
11. Bowen a déjà conféré avec les représentants de France, d'Es-
pagne et de Belgique et discuté les projets des protocoles, qui
avant d'être signés devront être nécessairement communiqués aux
gouvernements respectifs de ces puissances.
En attendant, !tf. Bowen va procéder dès maintenant, avec les
représentants des puissances coopérantes, à l'élaboration du second
groupe de protocoles visant la procédure à suivre pour porter devant
la Cour de La Haye la question du traitement privilégié. M. Bowen,
désirant retourner le plus tôt possible à Caracas, soumettra la con-
vention à la signature des puissances coopérantes. Les autres nations
n'ont donc qu'à se presser si elles désirent un règlement.
Un arrangement vient d'intervenir entre M. Lopez Baralt,
ministre des Affaires étrangères du Venezuela, et M. Quiévreux,
consul de France, prorogeant de six mois le délai pour la ratification
de la convention commerciale conclue entre la France et le Venezuela
en 1902.
La ratification et la mise en vigueur de cette convention, qui
accorde aux cafés vénézuéliens le tarif minimum, sont subordonnées à
Texéculion par le Venezuela des engagements pris dans le protocole
da 19 février 1902 pour le règlement des réclamations françaises.
Le nouveau délai permettra au Venezuela de se mettre en règle, sur
ce point, avecla France comme avec les autrespuissances réclamantes.
'm
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — EUROPE.
Italie. — La marine marchande en 1901 *. — Nous empruntons les
renseignements suivants au rapport annuel du directeur général de
la marine marchande italienne :
Au 31 décembre,1901, le nombre des navires inscrits s'élevait à
5.337 voiliers de 573.207 tonneaux nets et 471 vapeurs représentant
424.711 tonneaux. Comparativement au 31 décembre 1900, il y a eu
une diminution de 174 voiliers, mais une augmentation dans le ton-
nage de 7.043 tonneaux. Los vapeurs ont augmenté de 25 pour
47.867 tonneaux nets. De 220 nouveaux voiliers inscrits en 1901, 46
de 86.473 tonneaux ont été achetés à l'étranger. Des vapeurs, 23
(42.076 tonneaux nets) ont été construits en Italie, 28 (24.820 tonneaux)
achetés à Tétranger.
Parmi les voiliers, 4.489 jaugeaient de 1 à 100 tonneaux; 473 de
101 à 500; 375, plus de 500 tonneaux. Des 471 Tapeurs inscrits, 67
étaient en bois, 404 en fer et acier avec un tonnage total de
671.398 tonneaux bruts et 424.711 nets, et la force motrice de
90.674 chevaux nominaux et 405.528 indiqués.
139 vapeurs jaugeaient de 1 à 100 tonneaux : 84 de 101 à 600; 52
de 601 à 1.000 ; 88 de 1.001 à 1.600; 48 de 1.601 à 2.000; 60 plus de
2.000 tonneaux.
Le mouvement maritime italien de 1901 comporte à Tentrée
112.757 navires, jaugeant ensemble 32.540.360 tonneaux et ayant
débarqué 12.316.529 tonnes de marchandises : sur ces chiffres, la
navigation internationale ligure avec 26.569 navires, 20.101.330 ton-
neaux et 9.822.739 tonnes de marchandises; celle d'escale avec
1.210 navires 900.228 tonneaux et 577.237 tonnes ; celle de cabotage
avec 71.538 navires, 10.360.614 tonneaux et 1.916.553 tonnes de mar-
chandises. — 12.118 navires ont fait relâche (1.162.499 tonneaux).
La grande pèche a été faite par 1.322 bateaux, jaugeant
15.669 tonneaux.
A la sortie, on note 112.780 navires, jaugeant 32.496.105 tonneaux
et ayant embarqué 4.881.115 tonnes de marchandises. La navigation
internationale figure avec 26.699 navires, 20.173.215 tonneaux,
2.571.551 tonnes de marchandises; celle d*escale avec 1.536 navires,
1.310.454 tonneaux et 415.723 tonnes; celle de cabotage avec
71.105 navires, 9.834.268 tonneaux et 1.893.841 tonnes de marchan-
dises.
1 Bulletin de la Chambre de commerce française de Milan (janvier 1903).
RENSEIGNEMENTS ÉG0NOMIq6eS 329
Portugal. — Le commerce du Portugal avec ses colonies, — D'après la
statistique officielle, le commerce d'importation et exportation entre
la fflélropole et le Mozambique fut de :
coDios reis
1898 1.009.000.000
1899 1.245.800.000
1900 1.813.500.000
1901 1.152.100.000
Entre l'Inde portugaise et la métropole, les chiffres sont de :
1890 123.700.000
1893 103.000.000
1898 56.800.000
1899 30.000.000
1900 34.500.000
1901 37.800.000
Russie. — Commerce avec la France. — Les échanges commerciaux
entre la France et la Russie ont atteint les chiffres suivants :
1900 1901
Trafic général 88.723 88.055
Exportations russes en France 57.450 61 .203
Importations françaises en Russie 31 . 273 86 . 852
Excédent des exportations russes 26.117 34.331
Ces chiffres (qui sont exprimés en millions de roubles) sont loin de
reoxde TAllemagne et de TAngleterre.
L'excédent des exportations russes sur les importations françaises,
qui avait diminué en 1900, a progressé de nouveau en 1901 .
Les exportations russes à destination de la France comprennent :
les denrées alimentaires (presque exclusivement des céréales) ; les
matières premières et demi-ouvrées; les animaux, les objets
fabriqués.
Si Ton compare les chiffres de Timporlation française en Russie pour
iesdeux dernières années, on s'aperçoit que la réduction porte princi-
palement sur les caoutchoucs, gommes et résines, dont l'importation
avait été exceptionnellement forte en 1900. Les vins en fût ont égale-
ment subi une sensible diminution, insuffisamment compensée par
Taugmentation des vins en bouteilles. Les eaux-de-vie ont peu varié.
Légers progrès sur les laines et soieries ; notable recul sur la soie
grège. Les machines et les produits métallurgiques sont plutôt en
diminution. De même pour les huiles végétales et les couleurs. Les
antres articles sont à peu près stationnaires. Quant aux articles
divers, comprenant surtout les conserves alimentaires, la parfu-
merie, la quincaillerie, confectionSi etc., ils accusent une très modeste
amélioration.
330
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
II. — ASIE.
Chine. — Le commerce maritime de Hoiig-kong m 1901. — Le tonnage
h rentrée et à la sortie s'est élevé à 19.325.384 tonneaux, soit
880.250 tonneaux de plus qu'en 1900.
Il est à remarquer que 165.128 tonneaux, compris dans celte
augmentation, résultent du Fait que le tonnage des chaloupes de mer
faisant du trafic entre la colonie et les ports voisins a été compris
dans le chiffre total, alors que les années précédentes il avait été
compté à part.
Le nombre des arrivées s'élève à 45.349 navires déplaçant
9.681.203 tonneaux et celui des départs à 45.171 navires jaugeant
9.644.181 tonneaux.
Le mouvement de la navigation anglaise a été le suivant en tonnes :
Entrées Sorties Total
Navigation maritime
— fluviale ,
2.917.780 2.897.200 5.814.980
1.697.242 1.701.417 3.398.6r,9
4.615.022 4.598.617 9.213.639
et celui de la navigation étrangère :
Navigation maritime.
— fluviale . . .
Entrées
2.637.552
48.545
Sorties
2.609.902
49.. •'OS
Total
5.247.454
98.048
2.686.097 2.659.405 5.345.502
Les chaloupes à vapeur qui font du trafic entre Hong-kong et les
ports voisins donnent à l'entrée 82.564 tonneaux et à la sortie le
même chiffre.
Voici le mouvement concernant les jonques :
Entrées Sorties Total
Commerce extérieur
— local..
.... 1.631.272 1.634.896
666.248 668.699
3.266.168
1.334.947
2.297.520 2.303.595
4.601.115
Il ressort de ces chiffres que le mouvement maritime anglais
représente 30,1 % ; le mouvement fluvial anglais, 17,2 % ; le mouve-
ment maritime étranger, 27,5 % ; le mouvement fluvial étranger,
0,5 % ; le mouvement des chaloupes à vapeur, 0,9 % ; le mouvement
des jonques, pour le commerce extérieur, 16,9 % ; et pour le com-
merce local, 6,9 % .
Le nombre exact de navires de construction européenne (en excep-
REPfSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 331
tant les vapeurs fluviaux el les chaloupes à vapeur), qui sont entrés
dans le port de Hong-kong en 1901, a été seulement de 682 dont
337 anglais et 345 étrangers. On voit par là que ces 682 navires ont
donoé 3.570 entrées ; ils représentent un déplacement de 5.555.332
tODoeaux.
Il ressort du rapport concernant le commerce maritime en 1901
que, bien qu'il y ait une diminution très sensible dans le nombre de
navires naviguant sous pavillon anglais (cette diminution est due sur-
tout an retrait de quelques vapeurs fluviaux), il existe cependant une
augmentation de 58.441 tonneaux en faveur du tonnage anglais.
m. — AMÉRIQUE.
Saint-Pierre-et-Miqnelon. — Le commerce général, — L'Office colo-
nial vient de recevoir les statistiques du commerce de Saint-Pierre-
et-Miquelon pendant Tannée 1901. Nous extrayons de ces documents
les renseignements qui suivent :
IMPORTATIONS
1901 1900 Diff. 1901
De France 4.368.848 4.292.265 4- 7fi.583
Colonies françaises 70.154 89.204 — 19.050
DeTétranger 5-.390.773 4.944.568 + 440.215
Totaux 9.829.775 9.326.037 4-503.738
EXPORTATIONS
En France 9.152.295 10.576.405 — 1.424.110
Aux Colonies françaises 1.156.058 1.621.611 — 465.553
A l'étranger 1.444 427 1.269.437 + 174.990
Totaux 11.752.780 13.467.453 — 1.714.673
RÉCAPITULATION
Importation. 9.829.775 9.326.037 + 503.738
Exportation 11.752.780 13.467.453 - 1.714.673
Totaux 21.582.555 22.793.490 - 1.210.935
EnFrance 13.521.143 14.868.':60 —1.347.527
Aux Colonies françaises 1.226.212 1.710.815 — 484.603
A l'étranger 6.835.2QD 6.214.005 -f 621.195
Totaux 21.582.555 22.793.490 — 1.210.935
NOMINATIONS OFFiaELLES
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
L'exquatur a été accordé à :
M. Julien Botto, consul de Turquie à Nice;
M. de Oertzen, consul général d'Allemagne au Havre ;
M. Luis Villar j Peralta, consul d^Espagne à Perpignan.
MINISTÈRE DE LA GUERRE
TroapeH métropolt laines.
OBNIE
Afrique Oooidentale. — M. le capil. Jolivet est désig. pour le service
des construct. milit. au Sénégal.
SERVICE DE SANTK
Sud-Alg^érien, — Les méd. aides-maj. dont les noms suivent sont désig. :
3 M. Villa pour la comp. des oasis sahariennes du Tidikclt ; M. May pour la comp.
des oasis sahariennes du Gourara ; M. Taillade pour la comp. des oasis sahariennes
du Touat.
SERVICE VÉTÉRINAIRE
Madagr&BCar. — MM. les vélér. en 2* Durour, Dorât et Dasté sont placés h. c.
pour serv. à Madagascar.
Trovpen coloniales.
INFANTERIE
Afrique Occidentale. — M. le Ueut. Lebégue est aiTecté à la 4« comp. du
l»»" sénégalais;
M. le Ueut. Bock est détaché auprès du lient. -gouverneur du Sénégal ;
M. le capit. Lauqué est affecté an l*** sénégalais :
M. le Ueut. Rémond est affecté à la comp. de discip. du Sénégal;
M. le capil. Pérignon est affecté au bataill. de tiraill. sénégalais de Zinder.
Indo-Chine. — M. le Ueut. Potet est désig. pour servir au rég. de tiraill.
^ annamites.
Madagascar. — M. le Ueut. Deleltre est désig. pour servir à Madagascar.
ARTILLER'3
l Afrique Occidentale. — Sont affectés :
f Aux travaux militaires : M. le capit. en 2« Periquet;
^ A la sous-direct, de Saint-Louis : M. le Ueut. Quérillac.
l Indo-Chine. — Sont nommés :
ï Sous-directeur d'artillerie à Saigon : M. le chef d'escad. Dupont;
' Command. du groupe des batteries de réserve de Chine : M. le chef d*escad.
Pitault;
A la 3* batt. à Saigon : M. le capit. Pocard du Gosquer de Kerviller ;
^, Command. la comp. du train des équipages à Lang-son : M. le capit. Morliére;
A la 18<: batt. à llalpliong : M. le capit. Bourgoin ;
, A la 12' batt. au cap Saint-Jacques : M. le capit, en 2* Pol;
1 Au détach. de la 6» comp. d'ouvriers à Saigon : M. le capit, Midol;
A la 5»* batt. de Lao-kay : M. le lient. Gamas;
A la 7* batt. à Lao-kay : M. le soui-Ueut. Landriau.
CORPS DU COMMISSARIAT
Afrique Occidentale. —M. Boy, agent comptable de 2» cl., est désig. pour
servir à l'hôpital de Kayes.
Indo-Chine. — M. Bigault de Fouchères, agent comptable de 2* cl., est désig.
pour servir au Tonkin.
i
NOMINATIONS OFFIQELLES 333
8BRVICB DB SANTâ
Afriqne Oooidentale. — M. le méd.-maj. de 2* cl. Houillon est nommé adjoint
du med. inspecL des services sanit. de l'A. O. F.
M. le méd, aide-maj. de !'• cl. Fontgrous est désig. pour servir en Afrique
Occidentale.
CoogO. — M. le méd. aide-maj. de i^ cl. de Goyon est désig. pour servir
b. c. au Congo.
Onadelonpe. — M. le méd, aide-maj. de l'*c/. Théléme est désig. pour servir
à la Guadeloupe.
Indo-Chine. — >IM. les méd, aides-maj. de l'<> cl. Arathon, DeunfT, Fistié et
Andrieux sont désig. pour servir en Indo-Chine.
Kadagasoar. — MM. les méd. aides-maj, de i^* cl. Gavasse et Masse sont
désig. pour servir à Madagascar.
MINISTÈRE DE LA MARINE
ÂTÀT-MAJOR DE LA FLOTTB
Atlantique. — Sont désig. pour embarq. sur le Tage :
MM. les lieul. de vaiss. de Pina et Jourdain et le mécanic, ppal de 2« cl. Dupuj.
Cochinoliine. — M. le Ueut. de voies. Merveilleux du Vignaux est nommé au
cominand. du Bengali;
M. le /l'eu/, de vaiss. Ratjé est nommé au command. du Vauban.
Madagasoar. — M. le capif. de frégate Buchard est nommé au command. du
Pouiroyeur et de la marine à Diégo-Suarez.
i^nnt^iési(^. pour embarq. sur la Nièvre (mission hydrographique de Madagascar) :
MM. le lieui. de vaiss. Dumoulin, les enseig, de vaiss. Sagon, Vivielle, Bou-
îrouz et les aspirants de 4'* cl. Denantes et de Carpentier.
Mers d'Orient. — M. le capit. de vaiss. Poideloue est nommé au command. du
Chdteaurena u It.
Pacifique. — M. le capit, de frégate Prat est désig. pour embarq. comme
»*fond sur le Protêt.
Sont désig. pour embarq. sur le Protêt :
Eo qualité d'adjudant de divis., M. le Ueut. de vaiss. Daveluy; en qualité de
mecanic. de div., M. le mécanic. ppal de l""» cl. Thévenot.
M. le mécanic. ppal de 2« cl. Duboux est désig. pour embarq. sur le Protêt.
Terre-Nenve. — Sont désig. pour embarq. sur le Lavoisier à Toulon :
MM. le capit. de frégate Banon comme offîc. en second; le^lieut. de vaiss. de
Marçuerje comme adjudant de divis. ; le Ueut. de vaiss. de Crousnilhon ; les enseig.
de taiss, Lacloche, Gilard et Decoux: le mécanic. ppal de l*"* cl. Pons comme
uei-anic. de division, et le mécanic. ppal de 2^ cl. Valet.
CORPS DU C03)IMISSA.RIAT
Gochinchine. — M. le commiss, de 3« cl. Boubennes est désig. pour servir à
Saison.
Pacifiqne — M. le commiss. de l" cl. Ducorps est désig. pour embarq. sur le
Protêt en qualité de commiss. de division.
Terre-Nenve. — M. le commiss. de l»"* cl. de Marquiessac est désig. pour
embarq. sur le Lavoisier en qualité de commiss. de division.
SERVICE DE SANTÉ
Crète. — M. le méd, de i'« cl, Meslet est désig. pour embarq. sur le Condor.
Indo-Ghine. — M. le méd. de 2* cl. Michel est désig. pour embarq. sur le
Bengali (mission hydrographique de l'Indo-Chine).
Levant. — M. le méd. de {'• cl. Ruban est dé.sig. pour embarq. sur le Vautour
i Constantioople.
Paoifiqae. — M. le méd. de l" cl. Michel est désig. pour embarq. sur le Protêt
en qualité de méd. de division.
Terre-Nenve. — M. le méd, de !••« cl, Gléramt est désig. pour embarq. sur le
Latoisier. eu qualité de méd. de division.
334 QUESTIONS DIPLOMATIQOBS ET COLONIALES
HEVISTÈRE DES COLONIES
Par décret en date du 19 février 1903, ont été nommés :
Président du conseil d*appel de Sa'nt-Pierre et Miquelon, M. Vigne;
Conseiller à la cour d'appel de l'Inde, M. Gàigneron de Marolles.
Par décret en date du 17 février 1903, M. Gamin (Louis- Adrien) a été nommé
notaire à la résidence de Saint-Denis (Réunion).
Par décret en date du 12 février 1903, M. Poulin (Jean-Adrien-Gaston a été
nommé administrât, de 3^^ cl. des services civils de l'Indo-Ghine.
Sont nommés dans le personnel des administrateurs coloniaux :
A l'emploi d'administrateur en chef de 2« classe.
M. Estèbe (Frédéric),
A Vemploi d'administrateur de 1" classe.
MM. Aubert ( Franco is-Brunot) ; Hinault (Homère-Charles); Pobéguin (Charles -
Henri).
A Vemploi d'administrateur de 2« classe,
MM. Brousseau (Georges); Gerbinis (Louis-Martial); Bénévent (Charles-Marie ;
Vienne (Georges-Emile) ; Bobichon (François-Henri).
A Vemploi d'administrateur de 3* classe.
MM. Bruel (Gilbert-Georges) ; Fournier (René-Victor-Edward-Maurice) ; Bonnel
de Méziéres (Albert-Louis-Marie-Joseph.
A Vemploi d* administrateur adjoint de i^* classe.
MM. Rouhaud (Antoine- Jean) ; Delafosse (Ernest-François) ; Thomann (Georges);
Talva? (Georges- Eugène) ; Pujol (Auguste- Joseph) ; Bastard (Eugène- Joseph) ; Mam-
baye Hamadou (Fara Biram-Lô) ; Bernard (Antoine- Victor) ; de RolUMontpellier
(Paul- Auguste) ; Micheau (Jean-Marie) ; Lamblin (Auguste).
A Vemploi d'administrateur adjoint de 2* classe.
MM. ChafTaud (Edouard) ; Alglave (Marcel-Emile) ; Bonnassiés (Gabriel-Lucien) ;
Maire (Jean-Marie) ; Demaray (Eugène) ; Leniez (Pierre-Charles) ; Ravon
(Célestin) ; Cochard (Georges -Joseph) ; Tellier (Théophile- Antoine) ; Silvie (Armand-
Justin) ; Deltel (Gaston-Alfred) ; Cadier (Edmond-Emilien).
A Vemploi d'administrateur adjoint de 3« classe.
MM. Marchand (Charles-Réray) ; Charles (Victor- Antoine) ; Teyssandier
(Antoine), adjoints des affaires civiles de Madagascar.
BIBLIOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES
i
L'Œuvre militaire de La Galissonniôre au Canada,
par Sylvain Girerd. i broch. in-S» de 46 p. Saint-Etienne, 1902.
C'est aux deux années pendant lesquelles Michel de La Galissonnière
exerça les fonctions de gouverneur général à la Nouvelle-France que
M. Girerd a consacré une étude dont la brièveté n'exclut pas l'intérêt. Une
première partie, bien documentée, est consacrée à fixer la situation du
Canada en 1747 par rapport aux colonies anglaises : limites incertaines,
succession de coups de main de la part des Anglais, insufiBsance des
moyens de défense (500 soldats réguliers seulement!).
La Galissonnière, chargé de l'intérim du gouvernement pendant la
captivité du marquis de la Jonquière, que les Anglais avaient pris, était
âgé de 54 ans et n'avait que de médiocres états de services — exception
faite du combat soutenu par lui en 1744 sur la frégate la Gloire en vue du
cap Saint- Vincent. — Très instruit, il* ne passait pas pour un homme
d'action. M. Girerd montre excellemment comment il donna un absolu
démenti à sa réputation. Aussitôt débarqué, il étudia le Canada et se-
convainquit de la nécessité d'en faire, comme nous dirions aujourd'hui,
une colonie de peuplement et non une colonie d'exploitation, et il réclama
BIBLIOGRAPUIK — LIVRES ET REVUES 335
des colons, fussent-ils mendiants ou de mauvaise vie. Mais, vu les cir-
constances, il dut se consacrer surtout à l'œuvre militaire : une forte
gatroison à Québec, un camp volant pour empêcher les débarquements et
des brûlots contre les escadres anglaises, tel est son programme de dé-
fense; il le compléta par des forts sur TOhio ; il quitta le Canada en 1749.
La France et les autres nations latines en Afk*ique, par
E. RoUARD DE Gard, i vol. in-8*> br. de 182 p. Paris, Pedone, 1903.
Le savant auteur de cet ouvrage, professeur à la Faculté de Droit de
Toulouse, s'est, avec un rare bonheur, appliqué à mettre en lumière les
difficultés que nous ont suscitées depuis vingt ans, en Afrique, les nations
latines — Italie, Portugal, Espagne — dont il semble qu'elles avaient
iutérét à s'entendre avec nous plutôt qu'avec l'Angleterre et l'Allemagne.
Les Italiens en Tunisie, en Egypte et dans le Harrar, où ils se sont
entendus avec l'Angleterre, les Portugais au Congo, au Dahomey, à
Ziguinchor et à Massabi, les Espagnols dans le golfe de Guinée, sur le
littoral saharien ou dans les affaires marocaines, ont, à diverses
reprises, manifesté à notre égard des dispositions peu amicales.
M. Rouard du Card raconte sommairement les faits, les apprécie — non
sans sévérité parfois pour notre diplomatie — et commente brièvement les
coQventions intervenues entre les parties. Le texte complet de ces actes
diplomatiques et plusieurs cartes ajoutent encore à l'intérêt de l'ouvrage.
L'Epopée portugaise, par AlmadaNegreiros. In-8«. Paris, Challamel,
La brochure de M. Almada Negreiros est un intéressant précis d'histoire
coloniale : elle s'ouvre par un résumé chronologique des découvertes, con-
quéios et explorations des navigateurs et explorateurs portugais, le tout
indiqué d'une manière précise, mais un peu sommaire. La seconde partie
intitulée : « Les colonies actuelles du Portugal », est un botf tableau géogra-
phique et économique de cet empire encore immense, aujourd'hui divisé
en huit gouvernements civils et militaires, et couvrant 2.200.000 kilomètres ]4
carrés, soit 22 fois la surface de la mère patrie. Plusieurs cartes éclairent M
cette partie de l'ouvrage où abondent les statistiques intéressantes sur l'ac-
tivité économique des colonies. Les chiffres justifient d'ailleurs l'auteur de
louer, comme il fait, l'énergie des Portugais : depuis 1890, en effet, le com-
merce colonial a doublé pour la Guinée, le Cap-Vert et l'Angola, il a triplé
pour San-Thomé et le Mozambique.
La Belgiqae morale et politique (1830-1900), par M. Maurice
WiLîiOTTE, avec une préface de M. Emile Faguet, de l'Académie fran-
çaise. — Paris, A. Colin,
Sous une forme élégante, humoristique parfois, M. Wilmotte trace, à
grands traits, l'histoire de son pays, depuis qu'il est devenu autonome.
Ce libéral intelligent, après un tribut naturel payé au souvenir des anciens
chefs de son parti, les Rogier, Frère-Orban et Bara, a mis convenable-
ment en lumière les œuvres du parti catholique et ses réformes démocra-
tiques. Pourquoi, après cette impartiale constatation, M. Wilmotte
forme-t-il le rêve de la restauration du passé libéral au moyen de Vavenir
socialiste? C* est ce qui ne s'explique point, car lui-même ne manque pas de
railler, à maintes reprises, les utopies collectivistes. A lire, en entier,
le chapitre consacré à l'Etat Indépendant du Congo et au roi Léopold IL
dont il trace un portrait fort curieux : roi constitutionnel, diplomate
avisé, esprit entreprenant, à longue portée, et remarquablement entendu
en affaires.
336 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Ouvrages déposés au bureau de la Revue,
La France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX* siècle^ publiées
sous la direction du P. Piolet, avec la collaboration de toutes les sociétés de mis-
sions. — Illustrations d'après des documents originaux. — Tome VI et dernier.
Missions d Amérique. Les 87» et 88* livraisons viennent de paraître. Paris, 1903,
librairie A. Colin.
LAlmanach illustré du Marsouin^ annuaire des Troupes Coloniales pour i903, par
NedNoll. Uu vol. in-8o de 186 pages, avec cartes et gravures. H. Cbarles-Lavau-
^elle, éditeur. Paris, 1903.
L'Inde d" aujourd'hui^ étude sociale, par Albbrt Métiji. Un vol. in-18 jésus de
304 pages. Armand Colin, éditeur. Paris, 1903.
Essai sur révolution de la civilisation indienne, par le marquis di la Mazelière.
Deux vol. in-16 avec gravures. Plon-Nourrit et C*«, éditeurs, Paris, 1903.
Compagnies et Sociétés coloniales allemandes, par Pierre Dbcharme. Un vol. in-8*
de 307 pages. Masson et C»«, éditeurs. Paris, 1903.
V Année coloniale, publiée sous la direction de Cii. Mourey et Louis Brufcel (troi-
sième année). Un vol. in-S** de 328 pages. Société de l'Annuaire colonial.
Paris, 1902.
Le commandant Lamy, d'après sa correspondance et ses souvenirs de campagne
(1858-1900), par le commandant Reibell. Un vol. in-8« de 576 pages avec un por-
trait et 11 cartes. Hacbette et C^«, éditeurs. Paris, 1903.
LES REVUES
I. — REVUES FRANÇAISES
Armée et Marine (22 févr.). La question macédonienne. — Sic : Mort du vicomte
du Bourg de Bozas. — Le canon américain de 16 pouces. — Bou>Tellis : Les
insurgés de Margueritte. — II. C. : Mi.ssion du D'Assas. — Cab : Réforme du
recrutement et de Tinstruction des officiers de marine en Angleterre.
Annales Coloniales (15 févr.). Henri Jumelle : Sur une filasse appelée « Ramie
indigène » à Madagascar. — Léon Paquier : Le Yùn-Nan.
Bnlletin du Comité de l'Afrique française [févr.). Les événements du Maroc.
— Nos intérêts en Etbiopie. — Victor Démontés : La colonisation officielle et le
peuplement français en 1902. — La délimitation de Zinder.
Bulletin du Comité de I^Asie française (févr.). Le traité avec le Siam. —
Le budget des afTaires étrangères à la Cbambre des députés. — Henrv Bidou :
La question mandchouriennc. — J. F.: La question monétaire en Extrême-Orient.
La France de demain (15 féur.). Arthur Maillet : L'Abyssinie.
La Quinzaine (16 févr.). Charlks he Vitis : Le Venezuela.
La Héforme économique (13 févr.). J. Domergue : La nouvelle législation
sucrière de l'Autriche-Hongrie. — D'Aubry : Le nouveau tarif autrichien. —
(22 févr.). J. Desmëts : Les crises commerciales en France et le mojende les pré-
venir.
Revne Bleue (14 févr.) Jacques Bardoux : L'opinion britannique et les projets
d'alliances continentales.
Revue Coloniale (sept.-oct.). M. Vigoureux : La Nouvelle-Calédonie. — Capit.
Roche : Délimitation entre le Congo français et la Guinée espagnole.
RcTue commerciale de Bordeaux (13 févr.). P. Camena d'Almeida : Aperçu
sur la géographie économique de l'Angleterre. — Aluert Poncin : La question
marocaine. — (20 févr.). Alfred Imbert : La production et la consommation du
liège en Algérie.
Revue des Deux Mondes (15 févr.). Comte Hbnry de Castries : Le Maroc
d'autrefois : les corsaires de Salé.
Revue Générale des sciences (15 févr.). Augustin Bernard : Le commerce au
Maroc.
IL — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues belges.
Le Mouvement géoi^rapliique (22 févr.). La jurisprudence de l'Etat Indépen-
dant du Congo. -7- Le Nil entre le lac Albert et Dufile.
^^^ U Adminisfrateur-Oèrant : P. Campain.
PARIS. — IMPRIMERIE F. LEVÉ, Rim CASSETTE, 17.
APERÇU DE QUELQUES SOMMAIRES
Sommaire dn n» 186
•*• : Le traité franco-siamois. — Kenè Henr j : Le rapprochement franco-italien. — =
Aignste Terrier : La délimitation de Zinder.
Cartes et GraTores : L Carte du Siam — IL La nouvelle frontière franco-siamoise. —
111. Afrique occidentale française, 3* territoire militaire.
Sommaire dn n» 4 37
Hewi Pensa : L'avenir de la Tunisie. L'industrie européenne et l'industrie indiçône —
*** : L»'ceaTre française en Afrique Occidentale. — H^nri B«ihler : Les coulisses du
pangermanisme autrichien. — Uené Mormx : Le premier congrès colonial allemand.
Cartes et sravores : Carte de TAlrique Occidentale.
Sommaire do n» 4 88
••" : Le livre jaune et les affaires de Siam. — K. Pf yralbe : France et Simplon. —
Paal Kabbè : La région du fleuve Amour.
Carifs et f[:raTnre8 : 1. Graphique comparatif des projets FrasnO'Yallorbe et de la Fau-
cille. — il. Carte des voies d'accès au Simplon.
Sommaire du no 13]l
Fetre eniiaêtd : A propos dos afTaires do Siam : Opinions de MM. Godin, le Comte
d'Aon^y, Bertbelot, Le Myre de Vilers, Denys Cochin, Flourens, Senart. et du journal
Le Temps. — Maurice Baret : Les villes do santé dans nos Colonies. — Georges
B»hler : La lutte tchèque-allemande.
Cïartotf et gravoren : Répartition des nationalités en Autriche-Hongrie.
Sommaire dn n** 140
39tre enquête t A propos des affaires de Siam ; opinions do MM. François DelonclOj le
haron d'^stoornelles, de Constant, GerviUe-Réache, H. Cordier, Marcel Monnier,
Charles Lemiro. — *** : L'œuvre française en Afrique occidentale. — Funi Labhé :
L» r^iou da fleuve Amour, la province Maritime.
Cartes et gravares : I. Les nouvelles délimitations des colonies de TAfriquo occidentale.
— IL La région du fleuve amour.
Sommaire da ■&<> 141
âaiat-Geraiain, sénateur d'Oran : La question du Maroc. — Le Myre de Vilers, ancien
député de la Cochinchine : La cribO de Tardent en lndo;Chine. — *** : Le conflit
anglo- germano-vénézuélien. — René Basset, du ecteur de 1 École supérieure des Lettres
4 Al^er : Le Xlll* congrès international des orientalistes à Iltimbourg. — René Piuou:
Les missions catholiques françaises au zix* siècle. — L. Brunet, députe de lu Réunion:
Madagascar. — Les territoires militaires.
Cartes et gr«vores : Carte du Maroc. — Carte du Venezuela.
Sommaire dn n* 149
'** : Notre expansion coloniale et les partis politiques. — Reké Henry : La question de la
llacédoine. — X. : La queiition du Maroc. — Notre Enquête: A propos des affaires de
Sia^i; opinions de M. G. Cliasienet, d'un collaborateur d'Extrême-Orient de M. Robert
le Caix [Journal des Débats) ; protestation de l'Association des écrivains militaires,
Bïaritimea et coloniaux. Président^ M. H. Houss^ye.
Chartes et ^ravares : I. Péninsule des Balkans * indications orographiqnes. — II. La
Tarqoie d'Europe. — III La Péninsule des BalkaMS d'après le traité de San-Stefano.
Sommaire dn n 14*1
Aagaste Terrier : La délimitation de ]'Ëihio|iie. — Reué Henry: La C{uestion de Macé-
âuioe. — — Alexandre Gaasco: Le paludisme et l'initiative privée en Corse. —
J. DeaAis-Daroays : Fédéralisme et socialisme en Australasie. — René Moreax :
Le traivé franco-siamois et l'opinion allemande.
'.'arte4 et ^Tores: I. Frontière entre le Soudan Anglo-Egyptien et l'Ethiopie. —
iL Délimitation de l'Afrique Orientale.
Sommaire du n» 4 44
£. Fallet : Le commerce du Sahara. — Geur^t-s Bohler : La question du Venezuela. —
(*«Baalèa Figaeiras : Une première occupation allemande au Venezuela (xvi<> siècle). —
Gabriel Lunia-Jaray : La pres>e politique on Bohème, Moravie et Siiéi-ie.
Cartes et gravures : Carte du Sahara
PRIIMES A NOS ABONNÉS
L'administration de la Revue se charge, à titre gracieux, de tous
les adiats et expéditions de livres, cartes géographiques, aux prix
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Membre du Jury, Hors Concours
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REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LE !•' ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
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Casimir Pralon '. Les affaires macédoniennes
*** La question du Congo
J. Xior. Situation économique de la Côte d'Ivoire
Maurice Buret Quatre plaies coloniales
Henri Hantich La Bohême en deuil
CHROMIQUE» OE I^A. QUIIVZA.IIVE
Renseignements politiques
Renseignements économiques
Nominations officielles
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r^AlfeV 146" ' 15 Mabs 1903
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REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LE !•' ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
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SOKO^AJEIVES
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tifmip Pralon Les affaires macédoniennes 337
"' La question du Congo 346
I J. liop Situation économique de la Côte d'Ivoire 354
I turice Buret Quatre plaies coloniales 363
*i vi Hanlich La Bohême en deuil 374
GHROMIQUES OE l^A QUIIVZA.IIVE
; E£]]seignements politiques 376
ifiHrigaements économiques 392
I ÏDiDinallons officielles 395
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108, rae de Rivoli;
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I. 84, boul' MagenU;
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T. 1 , aTenue de Villiers ;
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V. 85, avenue d'Orléans ;
X. 69, rue du Commerce ;
Y. 124, f« Saint Honoré.
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Aanières : 8, rue de Paris - Charenlon : 50, rue de
Paris, Enahien : 47, Grande-Rue. Levallois-
Perret : 3,placc République. Neuillysur-Seine : 92,
avenue de Neuilly.
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Arles, Avignon, Bagnères-de-Lucbon, Bagnols-sur-Cèze,
Beaucaire, Beaune, Bel fort, Bergerac, Béziers, Bordeaux,
La Bourboule, Caen, Calais, Cannes, Carcai^sonoe, Castres
Cavaillon, Cette, Chagny, Chalon-sur-Saône, Chflteaurenard,
Clermont-Ferrand, Cognac, Condé-sur-Noireau, Dax, Deau-
ville-Trouviile, Dieppe, Dijon, Dunlterque, Elbeuf, Epinal,
Firmioy. Fiers. Gray, Le Uavre, Ha2el)rouck,Issoire, Jarnac,
La Ferie-Macé, Léi>ignan, Libourne, Lille, Limoges, Lyon,
Manosque, Lu Mans, Marseille, Mazamet, Moni-de-Marsun,
Le Mont-Dore, Montpellier, Nancy, Nantes, Narbonne, Nice,
Nîmes, Orange, Orléans, Perigueux, Perpignan, Reims,
Remiremont, Roanne, Houliaix, Rouen, Royat, Saint-Clm-
mond, Saint-Dié, Sainl-Elienne, Salon, Toulouse, Tourcoing,
Vichy, Villefranche-sur-Saône, Villeneuve- sur-Lot, Vire.
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QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLONI^LÇS
'rf>:'i
LES AFFAIRES MACÉDONIENNES
Les lecteurs des Questions connaissent déjà les données du
problème macédonien : elles ont été clairement présentées par
M. René Henry dans les numéros du 15 janvier et du 1®*" février.
Nous nous proposons aujourd'hui plus particulièrement d'exa-
miner quelle peut être, en cette affaire, la politique la plus
propre à sauvegarder à la fois les intérêts des populations macé-
doniennes et la paix de l'Europe, et de montrer, à la lumière
des Livres jaunes récemment publiés par notre ministère des
Affaires étrangères et des événements survenus dans les der-
nières semaines, ce qui a été fait dans la voie ainsi définie.
Théoriquement, le problème macédonien comporte quatre
solutions : séparation d'avec la Turquie et annexion en bloc à
l'un des Etats chrétiens des Balkans ; — démembrement et rat-
tachement des diverses fractions aux Etats balkaniques corres-
pondants; — autonomie; — maintien sous la domination otto-
mane, mais introduction dans le régime politique de réformes
qui rendent cette domination supportable aux populations
chrétiennes.
Solutions théoriques, avons-nqus dit; car, pour quiconque
est au courant de la situation politique dans les Balkans, la
première apparaît immédiatement comme inacceptable. Si
I Europe, au lieu d'assumer la charge de faire, un peu malgré
eux, le bonheur des peuples balkaniques, leur laissait les cou-
dées franches et assistait, impassible, aux luttes des nationalités
adverses, il est probable que tôt ou tard l'une d'elles, la natio-
nalité bulgare, réussirait à imposer sa domination aux autres
et à gouverner un jour tout le Nord de la péninsule, en absorbant
SQCcessivement la Macédoine, la Thrace, la Serbie, et même,
dans un avenir plus éloigné, TAlbanie et le Monténégro. Entre
tous le peuple bulgare parait posséder la vitalité nécessaire
pour jouer dans les Balkans le rôle rempli jadis en Allemagne
par le peuple prussien, et agglomérer, bon gré malgré, en une
QtBSt. DipIm bt Col. — t. iy. — if« 146. «- 15 mars 1903. 22
'A
338 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
nation cohérente et ordonnée le chaos des races et des peuples
qui s'enchevêtrent, se coudoient pêle-mêle- et se disputent
parmi le dédale des montagnes et des vallées, autour du plateau
de Mœsie. Et avec la vitalité, les Bulgares semblent bien avoir
~la froide^ énergie dénuée de scrupules, là persévérance calcu-
latrice, Tinstinct politique d'organisation indispensables à cette
rude tâche de constructeurs de nations.
Mais cette conquête de la pén^insule par les Bulgares suppo-
serait une succession effroyable de guerres, auprès desquelles
pâliraient les campagnes de la Prusse du xvii® au xix" siècle
et qui nous ramèneraient en plein moyen-âge, aux pires jours
des luttes intestines entre les petits Etats italiens. Ce n^est que
par le fer et parle feu que les Bulgares pourraient assujettir
des races dont ils sont exécrés, et c'est pour éviter les atrocités
d'une pareille conquête que l'Europe, s'interposant, s'efforce
de créer pacifiquement dans les Balkans un état d'équilibre
politique acceptable pour tous, et partant durable.
Devenue ainsi l'arbitre des destinées dos peuples balka-
niques, l'Europe peut-elle enlever la Macédoine à la Turquie
pour l'annexer en totalité à la Bulgarie? Evidemment non. En
admettant même que la Turquie se résignât ou fût, sans trop
de peine, contrainte à subir pareille amputation, c'est en Macé-
doine même que l'annexion rencontrerait d'irréconciliables
adversaires : Serbes, Grecs, Albanais, Turcs, Koutzo-Valaques —
qui, juxtaposés aux Bulgares, peuplent les vilayets de Kossovo,
Monastir, Salonique — refuseraient d'accepter la suprématie
de ceux-ci. Ce serait, contre les Bulgares, les mêmes révoltes
que contre les Turcs, d'où nécessité de répressions, forcément
sanglantes dans un pays où la vie humaine pèse peu, de la
part d un peuple jeune, fruste, mal façonné à Texercice de
l'autorité. Ainsi l'Europe manquerait entièrement son but ; au
lieu de guérir le mal, elle ne ferait que le déplacer.
Si le rattachement en bloc de la Macédoine & la Bulgarie est
inadmissible, ne peut-on pas concevoir le morcellement de cette
province entre les différents Etats existants?
C'est une solution séduisante; c'est celle que, dès 1878, les
Busses avaient esquissée à San-Stefano en rattachant à la
Bulgarie la plus grande partie des vilayets de Salonique et de
Monastir et une partie de celui d'Uskub. L'annulation par le
Congrès de Berlin de ces clauses du traité de San-Stefano fut
une grande faute, et pour les chrétiens de Macédoine, un grand
malheur. A cette époque, au lendemain de Plewna, sous l'im-
pression des défaites turques, les populations musulmanes
établies sur les territoires annexés à la Bulgarie se fussent
Wm^ ".JW.! >
LES AFFAIRES lUCÉDONIENNES 339
aisément résignées à ce changement de Inaitre ; Tanimosité
entre Serbes et Bulgares, aigufsée depuis par vingt-cinq années
de compétitions stériles et par les souvenirs de la campagne
de 1885, eût moins qu^aujourd'hui rendu pénible, pour les
Serbes des mêmes territoires, la suprématie bulgare; enfin,
séparés par la Grande Bulgarie du reste de la Turquie, les
vilayets d^\lbanie, PEpire, la Vieille-Serbie, la Ghalcidique, s'en
fussent certainement détachés peu à peu. En déchirant le traité
<le San-Stefano, le Congrès de Berlin a retardé de vingt-Cinq
années — et peut-être davantage t— Fémancipation des chré-
tiens de Macédoine, le règlement de la question d'Orient. La
situation politique en Turquie d'Europe est aujourd'hui aussi
compliquée qu'en 1878; les difficultés d'une solution pratique
se sont même accrues, parce qu'au lieu d'avoir affaire à une
Turquie humiliée, affaiblie, PEurope se trouve en présence
d'un Empire fortifié par vingt-cinq ans de résistance, par ses
victoires de 1897 sur la Grèce, par l'impunité des massacres
d'Arménie, et de populations qu'a exacerbées et surexcitées les
unes contre les autres une longue période de querelles violentes
et souTent sanglantes.
Quoi qu'il en soit, pour réparer l'erreur ou la faute du Con-
grès de Berlin, l'Europe peut-elle aujourd'hui reprendre, en les
cMnplétant et perfectionnant^ les clauses du traité de San-
Ste&no, et, laissant à la Turquie une partie du vilayet d'Andri-
nopie, donner à la Bulgarie la vallée de la Strouma, à la Grèce
Salonique et la vallée de la Vistritza, à la Serbie la Vieille-
Serbie? Nous ner le croyonis pas. Si, par l'incapacité du gouver-
nement ottoman à instituer dans ses possessions un régime
acceptable pour les populations chrétiennes, l'Europe se voit
obligée de démembrer la Turquie d'Europe, nous croyons que
seule la constitution de la Macédoine en un Etat autonome,
placé au début sous le contrôlé et la tutelle des grandes puis-
sances, peut satisfaire les intérêts des diverses nationalités
établies dans cette région et assurer pour l'avenir la paix dans
les Balkans.
Races, nationalités, religions s'entremêlent en Turquie d'Eu-
rope d'une manière si confuse qu'on ne sait comment s'y
reconnaître : on dirait d'une ruche sur laquelle se seraient
abattus cinq ou six essaims ennemis, et dont chaque alvéole
serrirait de champ clos aux combats des abeilles rivales.
La répartition que nous avons indiquée plus haut, la plus
généralement acceptée, la seule géographiquement possible,
n'englobe qa'une fraction de la Turquie d'Europe : encore s'en
faut-Il de beaucoup qu'elle puisse s'efTectuer sans contestations.
340 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Dans le vilâyet d'Andrinople, les Bulgares du Rhodope pour-
raient être rattachés à la Bulgarie; les Grecs de la côte, qui
actuellement ne souffrent pas trop sous lautorité ottomane,
continueraient sans doute à s'en accommoder. Mais comment
les Grecs de Sérès prendraient-ils leur annexion à la Bulgarie ;
que diraient les Bulgares, les Serbes, les Koutzo-Valaques de
Salonique et de Serfidjé de leur rattachement à la Grèce ; les
Albanais de Prizrend,.de leur rattachement à la Serbie?
Admettons cependant que ces populations acceptent le nou-
vel ordre de choses et sourient à leurs nouveaux maîtres. Il
resterait encore à régler le sort d'une grande partie des vilayets
de Kossovo et de Monastir. Ici vraiment on n'aperçoit pas de
solution satisfaisante : à qui donner Uskub et Monastir, où
Serbes, Bulgares, Koutzo-Valaques,à peu près égaux en nombre
et animés d'une égale aversion les uns contre les autres, refu-
seront sans aucun doute d'accepter paisiblement la suprématie
d'une nationalité sur les deux voisines? A quelque parti qu'on
se range, ne sera-t-on pas obligé de favoriser une race au dé-
triment des autres, et par suite de recourir à la force pour
imposer aux sacrifiés le statut adopté?
Partager la Macédoine en fractions qui, suivant leur situation
géographique, seront rattachées à tel ou tel Etat chrétien des
Balkans, ce n'est pas résoudre le problème macédonien, c'est
seulement le déplacer; ce n'est pas instituer dans la péninsule
un état d'équilibre durable, c'est au contraire multiplier les
causes de discorde. Sans doute Grecs annexés à la Bulgarie,
Bulgares annexés à la Serbie, et ainsi de suite, souffriraient
moins que sous le régime turc actuel; leur vie, leurs propriétés
seraient respectées ; n'ayant plus à redouter massacres et pil-
lages, sous la domination d'une nationalité chrétienne, ils res-
pireraient tout d'abord à Taise. Mais ils ne tarderaient pas à
s'apercevoir de la nullité de leur action politique : encore
inexpérimentés, méfiants, jaloux de leur autorité, les peuples
balkaniques auraient forcément la main lourde pour les races
subordonnées : celles-ci se plaindraient, et leurs clameurs
iraient éveiller un écho au cœur des Etats voisins de même
race. Les Grecs de Bulgarie se tourneraient vers la Grèce ; les
Serbes, les Bulgares de Grèce en appelleraient respectivement
à leurs frères de Serbie, de Bulgarie. Et ainsi toute là péninsule
retentirait de récriminations qui, à la première occasion, dégé-
néreraient en cris de guerre. En partageant la Macédoine entre
la Bulgarie, la Serbie, la Grèce, on améliorerait peut-être
momentanément la situation des populations chrétiennes,
mais on .préparerait sûrement pour l'avenir de graves conflits
|-v nr-jrv-.-- - --- -
LES AFFAIRES MACÉDONIENNES 341
OÙ tous les Etats de la péninsule seraient engagés et qui, bien
probablement, ne se résoudraient que par les armes, en sorte
que, pour sauver quelques centaines de raïas, on s^exposerait
i provoquer quelque jour une explosion générale où périraient
des milliers d'hommes.
Nous indiquerons tout à l'heure pourquoi l'Europe , tout en
imposant au Sultan les réformes qu'exige la situation misérable
des populations chrétiennes, doit s'efforcer de maintenir en
Turquie d'Europe le statu quo territorial; mais dès maintenant
nous n'hésitons pas à affirmer que si, par l'obstination du gou-
vernement ottoman à persister dans ses procédés barbares de
domination, l'Europe se voit contrainte à lui arracher ses pro-
vinces chrétiennes, la constitution avec ces provinces d'un nou-
vel Etat autonome pourra seule donner satisfaction à tous les
intérêts et assurer dans les Balkans un état d'équilibre durable
Puisque le mélange des races en Macédoine est tel qu'on ne
peut concevoir aucun fractionnement territorial logique, puisque
le rattachement de telle ou telle division à l'un des Etats exis-
tants amènerait forcément l'oppression, par la race dominante,
d une partie des populations annexées, il faudrait renoncer à
débrouiller cette confusion inextricable et se résoudre à en
tirer parti, telle quelle. Bien plus, il faudrait travailler à Tac-
croître, à la rendre plus intime encore, si intime que la con-
fusion se mue en fusion.
Au lieu d'entretenir l'antagonisme par la séparation des
races et des religions, au lieu de continuer à opposer le Serbe
au Bulgare, le Bulgare au Grec, le chrétien au musulman, ame-
ner progressivement toutes ces populations à vivre en bonne
harmonie ; en leur donnant des droits égaux, faire naître et
grandir en elles la conscience d'une valeur égale; en leur créant
des intérêts communs les amener à se sentir solidaires les
unes des autres, telle devrait être la l&che de l'Europe. Certes
nous ne la tenons pas pour aisée : substituer Tordre à l'anar-
chie, la fraternité à la haine, n'est chose ni facile ni rapide.
Tutrice du jeune Etat qu'elle aurait créé, l'Europe aurait à le
tenir en lisières pendant de longues années; pour guider ses
premiers pas, elle devrait non seulement lui imposer une
forme de gouvernement déterminée, mais même mettre à sa
téte^des hommes de son choix. C'est seulement lorsque, avec le
temps, les inimitiés de races et de religions se seraient apai-
sées, que la Macédoine autonome pourrait progressivement être
admise à la liberté politique, puis, émancipée du contrôle de
I Europe, se gouverner elle-même.
On verrait alors cette Macédoine autonome devenir le lien
342 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
commun entre les différents Etats balkaniques. Possédant dans
son sein des représentants de toutes les races et de toutes les
religions, n'étant par suite suspecte à aucune, mais sympa-
thique à toutes, elle servirait d'intermédiaire entre les natio-
nalités adverses, les rapprocherait et aiderait à résoudre leurs
différends. Et qui sait si quelque jour elle ne deviendrait pas
le noyau d'une vaste confédération, où fraterniseraient Bul-
gares, Serbes, Grecs, Monténégrins, voire même peut-être
Albanais et Turcs, et qui, s'étendant de la Save et du Danube
à la mer, engloberait toute la péninsule?
La Macédoine autonome ! certes c'est un rêve admirable et
que l'Europe, excédée par la mauvaise foi, Tinertie, la mala-
dresse inepte et brutale du gouvernement ottoman, pourrait à
bon droit être tentée de réaliser de suite. Pour qu'elle résiste à
la tentation, il faut de solides raisons et nous allons voir qu'elle
en a des plus sérieuses.
Nous avons indiqué d'un mot les difficultés d'ordre intérieur
que la constitution de la Macédoine en Etat autonome rencon-
trerait dans la situation anarchique du pays lui-même. La ques-
tion économique ne serait pas non plus sans donner quelque
embarras. Contrée naturellement fertile, la Macédoine est
actuellement dans une misère profonde. Sans doute les abus du
régime turc en sont la principale cause, et quelques années
d'une administration honnête et intelligente suffiraient pour
ramener la prospérité. Il n'en est pas moins vrai que l'Etat macé-
donien naîtrait à la vie avec un crédit nul, qu'il posséderait par
contre une dette, assez lourde même, ayant forcément hérité
d'une part proportionnelle de celle de la Turquie, qu'il aurait
à faire face à des dépenses considérables pour assurer tous ses
services publics, et que l'Europe devrait se préoccuper de lui
servir tout à la fois de banquier et de conseil judiciaire.
Une autre grave difficulté, venant celle-ci de Fextérieur,
menacerait TEtat naissant. Jusqu'ici nous n'avons envisagé que
la Macédoine, laissant en dehors de nos considérations l'Al-
banie. 11 n'est cependant pas possible d'émanciper la première
sans se préoccuper de la seconde. Dans la Turquie d'Europe
démembrée, une fois la Macédoine constituée en Etat autonome,
que deviendrait cette région d'âpres montagnes, peuplée de
tribus aux mœurs farouches, accoutumées à tous les désordres,
impatientes de toute loi ? Rattacher l'Albanie à la Macédoine,
impossible : ce serait fixer au flanc de l'édifice en construc-
tion un baril de poudre toujours prêt à faire explosion ; ce I
serait compliquer à plaisir, sinon rendre tout à fait impos-
sible, la pacification de la Macédoine, son avènement à la vie
b
LES AFFAIRES MACÉDONIENNES 34,3
civilisée et à la liberté politique. Confier le soin de maîtriser,
d'ëduquor et de coloniser TAlbanie à l'une des puissances
européennes? Certes les compétiteurs, Autriche, Italie, ne se
feraient pas prier; mais ce serait du coup déchaîner dans les
Balkans toutes les convoitises européennes, et compromettre
loute l'œuvre en voie d^élaboration. L'Europe unie peut espé-
rer résoudre pacifiquement la question balkanique, mais
Tunioa suppose le désintéressement de tous : du jour où Tune
des puissances pourra, de la solution adoptée, tirer un bénéfice
particulier, c'en sera fait du concert de toutes. Chacune voudra
k son tour faire prévaloir ses intérêts, obtenir une compensa-
tion, et nous en reviendrons aux pires jours où, par égoïsme in-
dividuel et par méfiance réciproque, les puissances laissaient
massacrer Arméniens et Cretois. Si l'on veut libérer la pénin-
sule balkanique du régime turc, il faut résolument en fermer
la porte à toutes les ambitions particulières des grandes puis-
sances,
L'Albanie devrait donc ou demeurer possession ottomane ou
constituer de son côté une principauté indépendante. Dans la
pratique, cette alternative ne se poserait pas longtemps, une
Albanie ottomane, mais coupée du reste de l'Empire par une
Macédoine autonome, ne devant pas tarder à s'émanciper com-
plt*tement et à s'ériger en Etat indépendant.
De toute façon, turque ou autonome, l'Albanie devrait t^tre
étroitement surveillée par l'Europe, pour t^tre maintenue hors
d'état de nuire au développement normal des Etats voisins.
Accoutumés par la coupable tolérance des Turcs à vivre aux
dépens des raïas, à descendre dans les plaines de la Vieille-
Serbie, dans la vallée du Vardar pour y ramasser leur butin,
les Albanais se feraient difficilement au nouvel ordre de choses.
Quelques leçons sévères seraient probablement nécessaires pour
leur apprendre à le respecter et les contenir derrière leurs fron-
tières. Ces leçons, ce n'est pas la Macédoine qui pourrait les
leur donner; sa police n'y suffirait pas, absorbée qu'elle serait
d'ailleurs par le soin de maintenir la paix intérieure. Ici encore
FEurope serait amenée à étendre son rôle de tutrice et à faire
protéger, par un corps de troupes spécial, probablement une
gendarmerie internationale, les frontières de l'Etat pupille.
Ainsi contenue dans ses limites et livrée à elle-même, que
deviendrait l'Albanie ? Nul ne peut le dire. Probablement,
après bien des luttes intérieures de tribu à tribu, elle finirait
par se pacifier et s'organiser. Mais il y faudrait de longues
années, pendant lesquelles l'Europe serait constamment tenue
fD souci de ce côté.
344 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
Etat intérieur de la Macédoine, question albanaise, on ne
saurait nier que TEurope se trouverait en présence de difficultés
considérables le jour où elle déciderait la constitution de la
Macédoine en un Etat indépendant. Elle saura pourtant les
résoudre si elle s'y voit contrainte par la mauvaise volonté du
Sultan.
Mais nous arrivons à la question capitale : Comment l'Eu-
rope pourrait-elle procéder à la libération de la Macédoine?
Pense-t-on que la Turquie se résignerait placidement à la perte
de la plus grande partie de ses provinces européennes? Assuré-
ment non. S'il existe dans l'Empire ottoman une institution
solide, sérieusement organisée, c'est l'armée. Seule, au milieu
de la désagrégation générale de cet édifice vermoulu, elle fait
honorable figure. Hier encore elle triomphait sur les champs de
bataille de Thessalie, et si la médiocrité de son adversaire de
1897 ne lui a pas permis de donner toute sa mesure, les souve-
nirs de Plewna sont là pour nous rappeler de quoi le soldat turc
est capable. Le Sultan n'a pas entretenu et développé son armée
depuis vingt-cinq ans, à grands frais, sous la direction d'officiers
allemands largement rémunérés, pour se laisser sans résistance
dépouiller aujourd'hui du quart ou du cinquième de ses Etats.
11 faudrait les lui arracher. Et qui chargerait-on de cette beso-
gne? Une armée internationale? Non; un corps expéditionnaire
international sans cohésion peut suffire contre des bandes de
Boxeurs, ou sur un théâtre d'opérations restreint tel que la Crète ;
à l'armée ottomane il faudrait opposer un adversaire sérieux,
obéissant à une direction unique, agissant avec méthode. Ce
serait donc l'armée d'une, ou tout au plus les armées alliées de
deux des grandes puissances européennes; en l'espèce, ce ne
pourrait être que Tarmée russe, ou les armées russe et autri-
chienne.
Nous arrivons ainsi à cette étrange anomalie : sous prétexte
de s'opposer à l'oppression et au massacre de chrétiens par les
Turcs, la Russie ou l'Autriche, ou toutes deux réunies, enver-
raient leurs soldats se faire tuer par ces mt^mes Turcs. Est-il
vraisemblable d ailleurs qu'une fois ces derniers mis à la raison,
leurs vainqueucs ne demandent pas un légitime dédommage-
ment de leurs sacrifices ? Ce serait trop de générosité : la Russie
exigerait sans doute des compensations en Arménie; l'Autriche,
en Albanie. Mais alors interviendraient l'Allemagne et l'Italie,
la première hostile à l'extension de la Russie en Asie Mineure, la
deuxième à la prise de possession par l'Autriche du littoral de
la mer Ionienne ; peut-être aussi l'Angleterre, jalouse des pro-
grès des Russes vers la Perse et trop heureuse de pêcher en
LES AFPAIRBS MACÉDONIENNES 345
eau trouble. Le conflit se généraliserait, si même il ne s'était
envenimé dès le début, FAUemagne prenant parti pour son
fidèle client, la Turquie.
Du moment où, pour régler la question d'Orient, on a recours
à la force, nul ne sait où les choses s'arrêteront, nul ne sait s'il
ne se produira pas une conflagration générale, où, bon gré mal
gré, seraient entraînées toutes les puissances, même celles qui,
comme la France, auraient été à l'origine les plus désintéressées
dans le litige. On comprend donc que la diplomatie européenne
recule devant un démembrement de la Turquie d'Europe, puis-
que d'une part la condition première d'un démembrement serait
une guerre très sérieuse par elle-même, susceptible en outre de
déchaîner l'incendie dans toute l'Europe, et puisque, d'autre part,
l'œuvre d'organisation des Etats émancipés, conséquence du
démembrement, apparaît comme remplie de difficultés inextri-
cables et d'une large part d'aléa.
Il faut bien le dire, de toutes les solutions propres à assurer la
paix et le bien-être aux populations macédoniennes, la plus
simple est encore l'amélioration, par les soins du gouvernement
ottoman lui-même, du régime administratif actuel, de manière
à en faire disparaître les abus, sans déterminer un bouleverse-
ment politique général dont nul ne saurait prévoir avec certi-
tude les conséquences. Dans l'état d'animosité où les diverses
nationalités se trouvent à l'égard les unes des autres, si étrange
que cela puisse paraître, beaucoup préfèrent rester sous la
duniination ottomane, pourvu que celle-ci ne se fasse pas trop
lourdement sentir, plutôt que de s'exposer à être subordonnées à
une autre nationalité chrétienne. Jamais l'axiome de Machiavel :
« Diviser pour régner », ne trouva d'application plus probante
qu'ici où cette jalousie réciproque des populations chrétiennes
constitue le plus solide appui du régime turc. Grecs et Serbes
de Macédoine aiment mieux obéir au Sultan qu'à un maître
bulgare, et inversement, pour peu que le Sultan garantisse leur
vie et leurs propriétés. Le tout est donc de savoir si le gouver-
nement ottoman, après avoir pendant tant d'années donné
l'exemple de tous les abus, toléré constamment les exactions et
les dilapidations, est capable de réagir et d'introduire dans l'ad-
ministration turque ordre et probité. On peut, on doit se
demander si Abd-ul-Hamid aura la volonté de réaliser ces
réformes que l'état de la Macédoine réclame de toute nécessité,
et si, avec la volonté, il en aura le pouvoir.
Casimir Pralon.
LA. QUESTION DU CONGO
AGITATION ANGLO -ALLEMANDE
Un concert de plaintes irritées s'élève depuis quelque temps
dans les milieux commerciaux anglais et allemands contre
le Congo français et le Congo belge. Il y a environ un an,
M. Aspe-Fleurimont a examiné et discuté ici môme*, dans de
clairvoyants articles, les doléances et les revendications de la
Chambre de commerce de Liverpool et de la maison Holt et O^ :
il a conclu avec raison à leur irrecevabilité. Mais la Holtite
aiguë de janvier et février 1902 réapparaît aujourd'hui sous
une forme intermittente plus violente et plus dangereuse :
Hambourg ressent à son tour les atteintes du mal de Liverpool,
et cela, au lendemain même de la croisière des escadres
anglaise et allemande sur les côtes du Venezuela. Voilà les
premiers résultats d'un rapprochement contre nature !
Anglais et Allemands dénoncent tour à tour les méfaits des
tribunaux et des commerçants congolais et demandent des répa-
rations, pour un passé définitivement jugé, sur un ton qui n'a
rien de diplomatique. Il est même à craindre que les récrimi-
nations portées au Parlement anglais ne donnent lieu à des
paroles peu amicales à l'égard de la France et de la Belgique.
Bien qu'il ne faille pas prendre au tragique les manifesta-
tions de cette nouvelle crise, il est utile de les faire connaître
à l'opinion publique.
• •
M. Aspe-Fleurimont, conseiller du commerce extérieur, écri-
vait, le 15 février 1902 :
Les négociants anglais, alléguant que les sociétés coucessionnairos
françaises du Congo* émettent la prétention de les empocher de con-
tinuer leur ancien commerce, entretiennent en Angleterre une agita-
tion dont le but est de mettre en cause l'Acte de Berlin de 1885 dont le
régime des concessions, que la France a établi en 1899 pour mettre en
valeur ses possessions congolaises, constituerait (c'est du moins leur avis)
* Relire dans les Questions^ pour saisir exactement l'iDcident actuel, les articles
suivants : La Crise du Congo français, par Henri Lorin (1*' déc. 1900); — Le
Congo français et la colonisation, par M. Paul Bourdarib (15 fév. 1901) ; — La
Belgique et l'Eltat du Congo, par Kmile Pbls (!"' mars 1901) ; — Le Congo français :
Une expérience coloniale, par Aspe-Fleurimont (15 nov. 1901) ; — L'Angleterre et
le Congo : Concessionnaires français; négociants britanniques (15 février 1902).
2 Rappelons que le régime des concessions a été organisé par les décrets de mars
1899 signés par M. Guillain, ministre des Colonies d'alors. Il existe 45 sociétés con-
cessionnaires.
LA QUESTION DU GQKGO 347
une violation flagrante et permanente. La presse anglaise continue à
tioaneravec ensemble; dix chambres de commerce de la Grande-Bretagne
oQi sollicité le gouvernement d'Edouard VII d'intervenir auprès du nôtre;
uQ veut agiter les chancelleries. *
Nous avons la conviction que notre ministre des Affaires étrangères
.•( notre département des Colonies sauront remettre les choses au point,
ri la chambre de commerce de Liverpool obtenait, par hasard, que le
çiouTeroement d'Edouard VII s'occupât de ses doléances sans fonde-
ment.
Il y a chcse jugée ; le débat est clos et l'on devrait n'en plus parler.
Les clameurs britanniques s'étaient peu à peu calmées dans
1»^ courant de l'année, lorsque le premier Congrès colonial alle-
mand* du 10 octobre 1902 vint les ranimer sournoisement.
Voici en effet quelles furent les déclarations émises par le
consul Ernest Vohsen, à la troisième section du Congrès, sur
r.Vcle international du Congo et la liberté de commerce et de
parcours qu'il garantit :
1. — L'Allemagne possède de grands intérêts économiques sur la côte
oaidentale de l'Afrique, dans la région des lacs de TEst africain et dans
la région du Niger-Bénoué, intérêts qui ont été particulièrement affirmés
récemment dans cette dernière contrée par l'envoi d'une mission écono-
:aique et l'établissement de deux stations du gouvernement à Garoua et à
Dikoa (bassin du Tchad).
1 — D'accord avec la Société internationale d'exploration africaine et
eaaDt compte des représentations formulées par les Chambres de com-
aerce de Hambourg, Brème» Mannheim, etc., le gouvernement allemand,
jni a?ait déjà favorisé la création de la Société africaine allemande
r3il877, provoqua en 1884 la réunion à Berlih d'une conférence interna-
•jonale d'où sortit l'Acte du Congo. Les articles 1 et 5 spécifiaient la
iberté de commerce dans le bassin du Congo et de la navigation sur le
Niger et fixaient une zone de libre commerce à Tintérieur de laquelle le
commerce de toutes les nations signataires devait être débarrassé de toute
entrave susceptible d'arrêter ou de borner même son développement.
3. — Les stipulations de ces articles sont restées lettre morte et ont été
récemment violées par la France, dans le Congo français, au détriment
•ies ioiérêts allemands ; les clauses concernant la sécurité de la navigation
•^^du transit commercial sur le Congo et le Niger-Bénoué n'ont jamais
lé exécutées. La commission internationale prévue aux articles 18 et 24
'te TAcle pour étudier la régularisation des deux fleuves n'a pas été encore
réunie.
4. — Dès le !•' juillet 1889, tous les terrains non occupés par les indi-
gènes dans la zone de libre commerce de TÉtat du Congo furent déclarés
propriétés d'Éiat ; en 1892, la récolte de caoutchouc fut grevée de si lourds
impôts que cet article fut virtuellement soustrait au libre commerce. Or
' Voir le compte rendu général de ce Congrès, par M. Renb Morbuz, Quest, Dipl,
ti CoJ., déc. 1902.
i
348 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
la condition préalable de la liberté de commerce est le maintien du droit
pour les indigènes de disposer entièrement des produits du sol et de la
chasse, ainsi qu^ cela se passait dans toutes les colonies anglaises et fran-
çaises de rOuest africain avant la signature de TActe du Congo et s'y passe
encore aujourd'hui, à l'exception toutefois de TÉtat du Congo et du Congo
français spécialement visés par Tarticle !•' de Taccord international.
5. — Au Congo français, le pays situé à Tin té rieur de la zone de libre
commerce a été presque totalement réparti entre plusieurs sociétés con-
cessionnaires qui, par analogie avec les compagnies de même nature de
rÉtat du Congo, sont investies du droit exclusif d'exploitation des terri-
toires concédés. II en résulte que les factoreries établies à la côte sont
coupées complètement de l'intérieur, atteintes dans leurs œuvres vives et
dans l'impossibilité absolue de créer de nouvelles entreprises commer-
ciales.
6. — Par le traité anglo-allemand de 1893, T Allemagne a fait étendre
aux bassins du Niger et de la Dénoué les clauses de liberté de commerce
et de parcours contenues dans TActe de Berlin. Mais il a été fait jusqu'ici
bien peu de chose pour améliorer la navigation entre la côte et le terri-
toire allemand : établissement de dépôts de charbon et de bois le long du
fleuve et de son affluent, d'entrepôts douaniers, sondage, balisage du
fleuve, etc.
7. — Après avoir pris Vinitiative^ en 1884, de relever, après entente inter-
nationale, la situation matérielle et morale des indigènes de V Afrique centrale,
de poser solennellement le principe de solidarité et d'égalité de toutes les
nations intéressées, d'assurer la liberté du commerce sans restriction^ l'AHe-
magne, constatant que toutes les clauses de l'Acte du Congo sont restées inexé-
cutées, doit provoquer une nouvelle conférence des puissances signataires pour
redresser les infractions commises et en éviter le retour.
Remarquons, en passant, que l'Angleterre est quelque peu
sermonnée dans la déclaration 6 ; mais elle ne s'en est nulle-
ment émue.
Le Congrès colonial allemand consacra les propositions du
consul Yohsen en adoptant solennellement, en séance plénière,
le vœu suivant :
Le Congrès colonial allemand de 1902 est d*avis que les conditions
actuelles du régime du commerce et de la navigation, ainsi que du droit
indigène dans le territoire du Niger et le bassin du Congo, ne sont pas en
concordance, dans leurs points essentiels, avec les stipulations de TActe
du Congo. Il considère comme une nécessité expresse l'ouverture de négo-
ciations entre les puissances signataires à l'effet d'en garantir l'exécution.
Liverpool tressaillit d'aise à la lecture de ce compte rendu et
se mit aussitôt en relations avec Hambourg pour poser la ques-
tion de la re vision de l'Acte de Berlin au commencement de
1903. Les pourparlers furent engagés dans le plus grand secret.
LA QUESTION DU CONGO 349
Le H février 1903, le correspondant du Temps à Londres
télégraphia ce qui suit :
La question du commerce anglais au Congo français sera portée devant
l'assemblée de TAssociation des Chambres de commerce qui aura lieu à
LcMidres au commencement de mars.
Les Chambres de commerce de Liverpool et de Birmingham ont déjà
envoyé des résolutions demandant que des mesures soient prises pour
protéger le commerce britannique dans le bassin du Congo.
Celle de la Chambre de commerce de Liverpool dit que les principes et
les agissements introduits au Congo français, dans TÉtat libre du Congo
et dans les autres parties du bassin du Congo, sont en opposition directe
avec le traité de Berlin, et demande que toutes les puissances signataires
de cette convention se réunissent pour examiner les réformes à apporter.
Le 26 du même mois, la Deutsche Kolonial Zeitung^ dont
les attaches officielles -sont bien connues, publiait le factum
suivant :
Après vingt années d'activité dans le Congo français, la Compagnie John
Holt et G^, de Liverpool, a été condamnée à 30.000 francs de dommages et
intérêts pour avoir établi des comptoirs sur la rivière Ngoumié, dans la
zone de concession accordée à M. Gazengel ; le jugement spécifiait que
les comptoirs devaient disparaître dans un délai de deux mois. La Com-
pagnie paya Tamende, donna Tordre à ses comptoirs d'évacuer leurs em-
placements, mais ne se trouva pas en mesure d'exécuter l'évacuation dans
le délai déterminé. M. Gazengel obtint alors par jugement une somme de
£.000 francs à titre de nouveaux dommages et intérêts. La Compagnie
anglaise fit vainement valoir qu'en 1883 le gouvernement français lui
avait abandonné le terrain occupé, avec l'autorisation expresse de faire du
commerce avec les indigènes. D'autres concessionnaires français, encou*
rages par les succès de Gazengel, adressèrent des plaintes en dommages
cootre deux autres maisons anglaises.
Ces incidents furent examinés à la Chambre de commerce de Liver-
pool, et le 19 novembre 1902, M. Mac Arthur, de là Chambre des com-
munes, demanda au sous-secrétaire d'Etat des Affaires étrangères des
éclaircissements sur les entraves apportées à la liberté du commerce dans
le Congo français au préjudice des maisons anglaises; lord Cranborne
répondit que des négociations avaient été ouvertes à ce sujet avec le gou-
zernemeni français et des propositions fermes présentées au quai dOrsay.
La Chambre de commerce ne se tint pas pour satisfaite. Il fut établi que
les concessionnaires qui s'étaient montrés les plus acharnés contre les
sujets britanniques étaient Belges et non Français, La Chambre décida
alors d'attirer sur ce fait l'attention des chefs des maisons de commerce
françaiFes de VOuest africain et de reporter de nouveau la question au
Parlemeot.
Nous avions prévu que les indigènes seraient fortement lésés par le sys*
tème des monopoles. Les maisons anglaises et allemandes achetaient les
produits du pays à des taux raisonnables ; les concessionnaires fixèrent
350 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
les prix à leur gré et il s'ensuivit des révoltes. C'est ainsi que les indigènes
se sont encore soulevés contre les employés de la Société du Haut-Ogoué,
ont massacré le personnel noir de ses comptoirs et pillé les magasins.
L'administration- ât k^ colonie ne pouvant, en raison de la marche
fâcheuse des affaires, retirer des ressources suffisantes des concession-
naires, essaie maintenant d'en ol^tenir aux dépens des indigènes et veut leur
extorquer un impôt sur les huttes. Ce procédé occasionne de fréquentes
révoltes : un capitaine fut tué dans Tune des dernières. Une expédition
répressive eut lieu, mais les troupes furent battues et durent rétrogiader.
Tournons-nous maintenant vers l'État du Congo, le premier coupable.
M. E.-D. Morel, qui bataille habilement en Angleterre pour la liberté du
commerce au Congo, a publié récemment dans A/fairs of West Afrim
^London, Heinemann) le texte du procès-verbal de l'arrestation d'un com-
merçant autrichien, M. Rabinek :
« Le soussigné Saroléa Louis, sous-lieutenant de la force publique, com-
mandant de la colonne volante du lac Tanganika, a procédé à l'arrestation
du dénommé Rabinek eu raison d'un ordre d'amener rendu le 17 décembre
1900 par le tribunal d'Albertville. Le dénommé se trouvait â bord du na-
vire anglais Scotia, à l'ancre dans le port de Mpueto« »
Le 27 octobre, lord Cranborne,- questionné par le député Sir Charles
Wilkes, répondit qu'il n'était pas prouvé que l'arrestation ait eu lieu à
bord. La preuve est aujourd'hui connue.
Vattitude de V Allemagne vis-à-vis des maisons étrangères qui font du
commerce dans les territoires de protectorat a été toujours jugée très
correcte dans les cercles commerciaux de l'Angleterre. Dans un discours
remarquable prononcé en novembre dernier à l'ouverture de la session
d'hiver de VAfrican Society de Londres, lord Avebury critiqua avec raison
les entraVes à la liberté du commerce reconnue par traité. Mais il commit
une erreur en prétendant que l'Angleterre était seule à la respecter, et
s'attira la réplique suivante de M. Swanzy : « Dans la colonie allemande
où je fais des affaires, nous sommes traités sur le même pied que les
Allemands; les fonctionnaires impériaux se sont toujours montrés très
amicaux à notre égard. Je sais qu'il en est ainsi au Cameroun. Je pourrais
prier le secrétaire de la Chambre de commerce de Liverpool, M. Helm
mon ami, d'appuyef mes assertions, cari/ n'est pas juste de Inissei' Subsister
un sentiment hostile à V égard de V Allemagne, Nous serons toujours bien trai-
tés par elle, J^avoue qu'on ne peut pas en dire autant de la France. Nous
sommes fort malmenés au Congo.
' La crise d'Holtite se produisit bientôt après. Le 3 mars 1903,
M. Holt, président de la section africaine de la Chambre de
commerce de Liverpool, répéta encore une fois à l'Association
des Chambres de commerce anglaises que la France ne s'était
pas conformée à ses obligations au Congo. Un autre orateur
demanda l'envoi d'une délégation au Foreign Office. Le prési-
dent ayant fait remarquer que des négociations étaient déjà
ouvertes entre l'Angleterre et la France au sujet des faits incri-
minés, M. Holt se tourna alors contre la Belgique et dénonça
LA QUESTION DU CONGO 351
la conduite hypocrite de l'Etat Libre devenu lui véritable
enfer^ une insulte à Vhumanité. Sur sa proposition, TAsso-
ciation émit le vœu que l'Angleterre s'entendît avec les autres
grandes puissances signataires de l'Acte de Berlin, pour étudier
les modifications qu'il convenait d'y apporter.
Le soir même de cette séance, la section africaine de la
l'hambre de commerce de Liverpool donna un grand banquet
où il fui naturellement question des concessions du Congo
français. Les membres du Foreign Office, sir Charles Dilke et
quelques-uns de ses collègues de la Chambre des communes,
lambassade allemande et un grand nombre de représentants
allemands de l'Association ouest-africaine et de la Compagnie
de navigation allemande Woermann de l'Ouest africain y
assistaient.
Le président, M. John Holt, après avoir porté des toasts à
Edouard VII et Guillaume II, souhaita la bienvenue aux Alle-
mands, venus tout exprès de Hambourg, et revint sur son
thème du matin. Les concessions françaises, dit-il, sont très
arbitraires. II importe de faire toutes les démarches possibles
pour obtenir de la France des indemnités et la liberté du com-
merce dans son territoire.
Le député M. Mac Arthur, qui, ainsi que nous l'avons vu,
dénonça l'incident Holt à la Chambre des communes le 19 no-
vembre 1902, déclara à son tour que toutes les nationalités
devaient avoir place dans l'Ouest africain et que, les grands
monopoles établis dans le Congo français et l'Etat Libre étant
luntraires aux stipulations de l'Acte de Berlin, il porterait de
nouveau la question, avant quinze jours, à la Chambre des
communes.
Après le blâme formel infligé aux Français et aux Belges, il
♦^nvenait de faire l'éloge des Allemands, de vanter leur respect
des traités et du droit international, de. célébrer leur tolérance
à Fégard du commerce anglais dans ces fameux territoires de
protectorat qui, nés en 1884, sont encore loin dé sortir de cette
crise de croissance déplorée naguère par le Congrès colonial.
^iC fut naturellement à M. John Holt que revint l'honneur de
faire rougir de plaisir les Hambourgeois et Brômois, si em-
pressés à soutenir les intérêts anglais. Un citoyen de Brômé,
particalièrement ému, énonça l'espoir qu'Allemands et Anglais
marcheraient toujours la main dans la main dans l'Ouest
africain... comme au Venezuela.
M. Cookson, de Liverpool, apprit alors à l'assemblée que
tétait grÀce à M. Holt et à lui que les Français avaient pu pé-
nétrer au Congo : ceux-ci devaient donc reconnaître les droits
352 QUESTIONS DIPU>IIATIQUES BT GOLOtOALES
antérieurs des Anglais ou leur accorder des indemnités; leur
conduite était vraiment extraordinaire pour un gouvernement
civilisé*.
L'explorateur Harry Johnston clôtura enfin la discussion en
constatant que partout, excepté dans ses possessions du Congo,
la France a ouvert ses territoires au commerce international.
II suffira aux Anglais, déclara-t-il, d'exposer clairement leurs arguments
pour obtenir de la France d'être traités avec justice. Les maisons Holt et
Cookson ayant précédé les maisons françaises au Congo, elles ont de
justes sujets de plainte.
Il faudrait que la France limitât ou annulât certaines concessions dans
ces régions. Nous ne pouvons que souhaiter que l'État Libre du Congo et
le Congo français suivent Texemple de l'Angleterre, qui ouvre aux Belges
et aux Français les vastes territoires de la Compagnie du Niger. Il faut
que la France ouvre ses territoires au commerce international.
Telles sont les dernières manifestations anglo- allemandes
contre notre colonie congolaise, manifestations que M. Eug.
Etienne qualifiait spirituellement comme il suit :
Leurs doléances rappellent celles de certains chasseurs qui trouvent
intolérable que le propriétaire fasse, un beau jour, garder ses territoires où
ils avaient pris l'habitude de tirer en toute liberté le poil et la plume. Chez
nous, ces chasseurs se contentent d'être de mauvaise humeur; ils ne font
pas de procès au propriétaire.
Nous espérons qu'elles n'auront nullement intimidé le quai
d'Orsay, déjà saisi de la question par le Foreign Office, et que
notre ministre des Affaires étrangères saura remettre les choses
au point et clore définitivement l'incident par un énergique :
« En voilà assez! »
Il faut que l'on sache une fois pour toutes, à Liverpool comme
à Hambourg, que notre pays a perdu assez de ses enfants et
dépensé assez de millions sur la terre congolaise pour avoir le
1 « Les administrateurs coloniaux français connaissent mes titres de propriété. Les
, concessionnaires français ont attaqué nos comptoirs; ils ont frappé nos gens; nos
droits sont clairement établis, et si Ton veut nous évincer, il faut nous donner des
indemnités ; mais nous sommes parfaitement disposés à rester. »
L'orateur proposa ensuite la réunion d'une conférence ou d'une cour arbitrale
qui reconnaîtrait les droits des commerçants anglais.
« Le ministre français des Colonies s'est gravement trompé. Les Anglais désirent
rivement le voir sortir de son embarras. Les concessionnaires français ne savent pas
faire du commerce, ce n'est pas le cas des Anglais ; c'est la colonie française qui en
souffrira. Le gouvernement français ne peut pas ne pas reconnaître la justice de
nos réclamations. En toute honnêteté, ce sont les négociants de Liverpool qui
doivent être considérés comme les pionniers du Congo. » :
LA QUESTION DU CONGO 353
Jroit de Fadministrer et de Texploiter à sa guise en respectant
toutefois, comme c^est son habitude, les intérêts supérieurs de
la civilisation. Nous n^avons pas versé notre sang pour favoriser,,
âu détriment de nos colons, les traitants anglais et allemands.
Il faut proclamer bien haut qu'une demande d'arbitrage pour
une affaire jugée en toute équité selon nos lois nationales serait
considérée comme une démarche antiamicale.
Nous espérons donc que les paroles si sages et si jiidicieuses,
prononcées le 4 mars par M. Paul Gambon à l'Association des
Chambres decommerce du Royaume-Uni*,, produiront une salu-
taire impression sur les cerveaux surexcités des négociants de
Liverpool et que M. Mac Arthur essaiera vainement de créer
un nouvel incident à la Chambre des communes.
Quant à TAllemagne, nous ne voyons pas quelle raison
sérieuse pourrait l'engager à prendre en cette affaire une atti-
tude malveillante et agressive à Tégard de la France : à
différentes reprises, au contraire, on a pu constater que les
deux puissances pouvaient pratiquer, pourleur avantage mutuel,
une politique d'équitable entente sur le terrain des questions
coloniales.
♦ ♦il
* « n est parfaitement vrai que je considère comme mon premier devoir de tra-
vailler au développement des bonnes relations entre nos deux pays.
e Ce n'est pas seulement l'intérêt de l'Angleterre et de la France d'être en bons
ternes et de se prêter le concours de leurs finances, de leur commerce et de leur
iadustrie. C'est Tintérét du monde entier, et ce serait vouloir porter atteinte à
ridée même de progrès que de chercher à éloigner l'une de l'autre ces deux grandes
BAtions qui se sont associées si souvent pour faire prévaloir dans le monde les
principes de justice et de liberté.
• Vous représentez ce qu'il j a de plus vivant, et, je puis dire, de plus exigeant,
«iaas les intérêts de la Grande-Bretagne, et vous savez mieux que personne quel
trouble profond jetterait dans les affaires du globe une mésintelligence entre les
4e«x nations. De moins en moins, les peuples se laissent guider par des questions
é amoar-propre et par des ambitions dynastiques. De moins en moins, nous les
voyons disposés à courir les aventures. Ils savent ce qu'ils risquent d'y perdre, sans
Toir clairement ce qu'ils peuvent y gagner.
lUs se sentent nécessaires les uns aux autres, et ils ont une tendance chaque jour
plos marquée à s'unir dans leurs grandes entreprises.
«Entre la France et l'Angleterre, j'ai beau chercher, je ne vois vraiment aucune
•question essentielle pouvant les diviser, et je vois au contraire des intérêts considé-
rables pouvant et devant les unir. Nos échanges s'élèvent à deux milliards. Notre
commerce et nos industries ne se font pas concurrence, puisque nos produits ne
«ont pas^les mêmes, et nos marchés financiers seraient fort embarrassés de se
passer l'un de l'autre. Ce sont là des vérités que personne n*ignore dans le monde
ées affaires, et qu'on ne saurait trop opposer à certains égarements de l'opinion
pabliqne. Noos avons besoin les uns des autres. Nous n'avons aucun motif sérieux
de dissentiments, et nous devons toujours chercher à concilier Aos intérêts, et nous
inspirer de ces sentiments de mutuel respect qui sont seuls dignes de deux grandes
nationfi. »
QuuT. DiPL. iT Col. — t. xv. 23
SITUATIOiN ÉCONOMIQUE DE LA COTE D'IVOIRE
Nos possessions de la côte occidentale d'Afrique sont géné-
ralement peu connues ; mais parmi elles la Côte d'Ivoire paraît
presque mystérieuse, malgré les récits des Binger, des Monnier,
des d'Ollone. Aussi, nos commerçants et nos colons hésitent-ils
à pénétrer ce coin de terre et à y tenter des exploitations qui
pourraient être très productives. Puissent les quelques rensei-
gnements qui suivent, et que nous avbns vérifiés sur place,
montrer que notre jeune colonie est digne d'attirer les capitaux
français et que son avenir est plein de promesses !
C'est vers 1842 qu'eurent lieu les premières tentatives d'oc-
cupation de la basse Côte d'Ivoire alors dénommée « établis-
sements français de la Côte d'Or » : par des traités passés avec
les indigènes, la France s'engageait à payer une redevance aux
chefs du pays qui, en échange, nous cédaient des terrains sur
la côte et promettaient de protéger nos nationaux.
Un peu plus tard des postes militaires furent créés à Asssinie
et Grand-Bassam et Faidherbe construisit le poste de Dabou,
qui sert aujourd'hui de résidence à l'administrateur. A la suite
de la campagne anticoloniale qui précéda la guerre de 1870, les
postes furent évacués, mais le gouvernement maintint à Assinie
un agent officiel, M. Verdier, dont les efforts nous conservèrent
la suprématie dans ces régions. Plus récemment, des agents de
Vefdier et des explorateurs officiels signèrent quelques traités
avec des chefs indigènes ; ces traités n'avaient d'autre but que
la reconnaissance de notre pavillon et notre possession fut en
réalité délimitée par des conventions conclues avec les puis-
sances dont les zones d'influence avoisinent les nôtres. Les
conventions anglo-françaises du 10 août 1889, du 26 juin 1891,
du 14 juin 1898 et celle du 8 décembre 1892 entre la France et
le Libéria déterminèrent les frontières de la Côte d'Ivoire.
Notre nouvel établissement reçut en 1889 une première orga-
nisation qui ressemblait beaucoup à un protectorat ; ceux qui
l'avaient conçue n'avaient oublié qu'une chose, c'est qu un pro-
tectorat exige un état protecteur et un état protégé: or il naan-
quait le second de ces facteurs. Il n'y avait pas à la Côte
d'Ivoire d'état organisé comme à Madagascar, au Cambodg'e, en
Tunisie ou à Tahiti ; chaque tribu vit encore indépendante de sa
voisine et il n'y avait aucun pouvoir central indigène. Les
vices de Jnotrè première organisation furent vite constatés, car
on la modifia en 1891 ; malheureusement la nouvelle concep-
1-»^
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA CÔTE D*IV01RE 33S^
bon ne fut pas plus heureuse. Tous nos établissements; du
^Ifedu Bénin furent réunis pour former le gouvernement de .
la Guinée française qui ne dura que quelques mois, et la Côte
d Ivoire fut enfin constituée en colonie indépendante le
10 mars 1893. Les décrets du 17 octobre 1899 et du
1" octobre 1902, qui la placent sous l'autorité du gouverneur de
TAfrique occidentale, laissent subsister son autonomie admi-
ni>trative et financière : le premier de ces décrets lui a ajouté
les riches régions soudanaises d'Odjenné, de Kong et de Touba.
La Côte d'Ivoire est administrée actuellement par un lieute-
oaDt-gouvemeur résidant à Bingerville ; ce haut fonctionnaire
♦^l assisté d'un secrétaire général et de tous les chefs de seryipe
habituels d'une colonie (finances, douanes, justice, travaux
publics, service de santé, etc.). Le pays est divisé en régions
lu cercles militaires dirigés par des fonctionnaires et des offi-
• iers et dans lesquels l'administration est particulièrement dif-
icile, les indigènes ne formant pas de groupements et n'ayant
lias (le chefs reconnus. La vallée de la Comoë, le Baoulé et la
répon de Kong sont effectivement occupés par nos troupes, à
la suite de pénibles efforts et de très douloureuses pertes; mais
[■artout ailleurs notre autorité est méconnue.
Au point de vue géographique, on dénomme Côte d'Ivoire la
région comprise entre les 5® et 10" degrés de longitude Nord
Ttles 5* et 10* degrés de latitude Ouest (méiridien de Paris).
k relief du sol va s'élevant progressivement de la mer au
plateau soudanais ; des observations déjà faites ', il résulte que
i« soulèvements montagneux sont d'une façon générale paral-
1% à la mer; les premiers seuils rocheux se retrouvent en
effet sur le Cavally, la Sasandra, le Bandama et la Comoe à
une distance de 20 à 70 kilomètres au plus de leur embouchure.
Tout le long du rivage s'étend un chapelet de lagunes sép^-
îm de la mer par une bande de sable qui atteint souvent
1.200 mètres de largeur : ces lagunes reçoivent les cours d'eau
Tt'nant de l'intérieur et communiquent avec la mer par leurs
embouchures; cette communication n'a lieu qu'aux hautes eaux
et les difficultés de la barre, jointes à la faible profondeur des
tmbouchures, empêchent toute communication par bateau de 1^
mer dans les lagunes, et inversement. Le long de la bande de
sable qui sépare les lagunes de la mer sont semés de petits
filages de pêcheurs qui font aussi un peu d'élevage ; chaque
village a son parc à bœufs, son étable et beaucoup de volaille^.
Après les lagunes, on trouve quelques savanes, puis
i immense forêt qui s'étend jusqu'à près de 400 kilomètres dans
^UplQfrr«c«ote eftt d« ràdminifttratour Tfaomaim dans la Sasaodra (avril )i»dâ).
356 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
l'intérieur formant une large bande boisée, dans laquelle les
seuls espaces découverts sont ceux qui entourent les villages ;
les indigènes cultivent dans ces éclaircies le manioc, le maïs et
la banane. La forêt a tous les caractères de la végétation tropi-
cale, elle est très dense ; les rares pistes qui permettent de la
traverser épousent les formes du terrain et sont encombrées de
lianes, de racines, de troncs d'arbres qui rendent la circulation
très lente. L'an dernier, nos troupes ont ouvert de Tiassalé,
point terminus de la navigation fluviale sur le Bandama, à
Singrobo, au débouché de la forêt, une percée de 16 mètres de
large, qui rend la forêt plus facile de la mer vers le Soudan.
On trouve dans cette zone des milliers de singes, quelques
panthères, et surtout des fourmis et des serpents, ces derniers
souvent venimeux. 11 est indispensable, quand on se déplace
dans cette région, d'avoir du sérum anti venimeux dans sa phar-
macie de voyage. On trouve aussi beaucoup de gibier à plumes,
des volailles domestiques, quelques chiens et des chats.
L'épaisseur de la forêt, l'humidité persistante qu'elle entretient
est un obstacle absolu à l'élevage : aussi ne vdit-on ni chevaux,
ni mulets, ni bœufs. L'expédition Monteil a perdu tous les
équidés qu'elle avait amenés d'Europe; depuis, deux nouvelles
tentatives d'acclimatement de chevaux et de mulets ont échoué.
Peut-être plus tard, en transformant des hauteurs boisées en
savanes où pénétrera un peu le soleil, pourra-t-on faire vivre
quelques équidés, mais pour le moment il ne faut pas y songer.
Plus au Nord, la forêt s'éclaircit pour faire place à la savane,
coupée de loin en loin par des ruisseaux dont le cours est
marqué par une forte bande de végétation : chacun de ces cours
d'eau, presque à sec une partie de l'année, devient torrentueux à
la saison des pluies. Nous sommes là dans la zone de transition
entre la forêt dense et la région soudanaise : les villages de-
viennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l'on
s'avance dans l'intérieur; ils sont dissimulés dans des bouquets
de bois et l'on passe auprès d'eux sans s'en douter. Beaucoup
ne sont du reste que des campements provisoires placés auprès
des terrains de cultures {lougans) que les indigènes changent
tous les ans et où ils cultivent le mil, le maïs, le manioc, les
pois du Cap, etc.. La zone que nous venons de dépeindre couvre
le cours moyen de tous les fleuves ;'elle est connue et exploitée
dans la Comoé depuis quelques années ; le Raoulé qui en fait
partie est occupé depuis trois ans.
La troisième zone de la colonie appartient au climat souda-
nais, comme végétation et comme régime météréologique ; le
terrain est très mamelonné et couvert de savanes; elle com-
COTE D'IVOrRE
J-XIOR
Juillet 1902
î 5 itf# ~mm/.
"Sikasso,
1/ \
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J^OFidotik^y/ .
I{ (^
O
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piumod^
£/iéz&l
1.
358 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
prend les cercles d'Odjenné, de Touba et de Kong; ce sont des
régions riches où Ton récolte le coton, Tindigo et le caoutchouc;
on y trouve aussi beaucoup d'or. L'industrie existe grâce au
coton et à Tindigo qui permettent la confection des pagnes
blancs et rouges que portent si fréquemment les indigènes; on
y fait aussi un peu d'élevage.
L'hydrographie delà Côte d'Ivoire estsimple ; on trouve perpen-
diculairement à la mer les quatre grands bassins à peu près pa-
rallèles du Cavally, de la Sasandra, du Bandama et de la Comoë.
La première de ces vallées qui ait été parcourue est celle de
la ComoC pour laquelle il y a un véritable engouement au point
de vue minier; cette vallée ne représente qu'une très faible
partie de notre établissement. Si les bassins du Bandama, de
la Sasandra et du Cavally sont moins connus au point de vue
minier, ils le sont cependant assez pour que l'on puisse dire
que leurs productions forestières et végétales peuvent être
mises en parallèle avec les richesses pif)blématiques de la
Comoë. On a donc grand tort dans les milieux officiels de ne
considérer notre établissement que par Toptique d'anciens
explorateurs qui en sont encore à l'époque où Ton ne connais- 1
sait à la Côte d'Ivoire que la vallée de la Comoë et la région des !
lagunes. Les régions de Kong, du Baoulé et de la Sasandra sont
de beaucoup les plus peuplées et les plus riches, c'est elles qu'il!
faut désigner à l'attention des futurs colons : vouloir le nier, c'est
reculer encore de plusieurs années Téclosion d'un pays qu'une
politique trop vieille de douze ans s'obstine à retarder. Espérons
que l'intervention active de M. Roume dans cette partie de son
gouvernement général modifiera l'esprit par trop stationnaire
qui a prévalu jusqu'à ce jour.
Au point de vue climatologique, on peut partager la Côte
d'Ivoire en deux régions bien distinctes. La région forestière,
dont la température varie entre 18* et 38"* et où la saison des
pluies dure de fin mars à novembre avec une petite interrup-
tion en juillet et en août : le climat est, dans cette partie, assez
pénible pour les Européens à cause de l'humidité; c'est le
climat tropical, mais il faut reconnaître qu'il n'y a pas de
décès parmi les Européens qui ne font pas d'excès, de travail
ou autre. En n'allant pas au soleil, en usant de la quinine et en
se nourrissant bien, on a des chances de ne pas être malade.
La deuxième zone comprend la région soudanaise, beaucoup
plus saine que la première; la saison sèche y dure neuf mois de
l'année et il n'y a pas de paludisme; les Européens y vivent bien.
Population, — Main-d'œuvre. — Le recensement de 1901
a constaté la présence de 1.902.395 indigènes dans les cercles
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA CÔTE d'IYOIRE 1 359
00 régions où notre autorité est effective \ soit environ! un quart
de la colonie; les régions les plus peuplées sont celles de Kong
et du Baoulé qui ont une moyenne de 12 habitants par kilomètre
carré.
Les principaux centres de la colonie sont, sur le bord de la
mer : Grand-Bassam, Âssinie, Jacque ville, Grand- Lahou, Fresco,
Sasandra, San- Pedro, Béréby, Tabou et Cavally. Les villages
côtiers nombreux comprennent une quarantaine de cases en
bois, abritant chacune une famille de quatre à cinq personnes.
Dans l'intérieur, en dehors des grands centres comoie Tias-
salé, Toumodi, Bonaké, Odjenné, Kong, Bondoukou,.Satama,
Sokouro, etc., qui ont de 1.000 à 5.000 habitants, les. villages
sont formés de groupements de 10 à 50 cases environ.- La
suppression de l'esclavage a permis de créer dans la haute
côte des villages dits de liberté où chaque famille a sa case ;
mais généralement un village est formé d'un certain nombre
d enclos circulaires d'une centaine de mètres de diamètre :
adossés au mur d'enceinte de ces enclos sont de petites cases
qui servent de logements aux esclaves ou aux ouvriers dn
maître ou du patron, suivant la façon dont on le dénomme,
qui est seul propriétaire de l'ensemble. Le nombre des enclos
de ce genre diminue de plus en plus et tend à disparaître. !
La libération des esclaves a eu pour effet de rendre lo
recrutement de la main-d'œuvre difficile et son prix assez
élevé ; en principe, à la Côte d'Ivoire, l'homme ne travaille
qu'aux cultures ou à sa case dans le pays qu'il habite ; le reste
du temps, il chasse ou se repose et c'est la femme qui travaille ;
aussi est-il très difficile de trouver parmi les autochtones .des
ouvriers. Les ouvriers d'art n'existent pas et il faut aller cher-
cher au Sénégal ceux dont on a besoin. Le prix de la main-
d'œuvre diffère beaucoup suivant les régions : il ne dépasse pas
2 fr. 50 pour les ouvriers et 1 fr. pour les manœuvres dans la
haute Côte ; dans la basse Côte, les ouvriers d'art qui viennent de
l'extérieur se paient jusqu'à 4 fr. par jour, les manœuvres 1 .fr.
Le long de la côte de Béréby, entre le Cavally et la Sasandra,
on trouve quelques peuplades de travailleurs que l'on dénomme
Kroumen; les Kroumen font un métier analogue à celui des
Saints-Mariens de Madagascar : c'est parmi eux que les paque-
bots recrutent leurs manœuvres et ce recrutement n'est pas
l'une des moindres originalités du voyage. I^es villages de cette
région portent tous la dénomination générale de Béréby. Il y
a Grand-Béréby, Moyen-Béréby, Petit-Béréby, etc. A hauteur
* On a d'ailleurs reconnu que ce recensement n'était pas absolun^ent exact, les
indisiènes ayant dissimulé leur nombre réel pour payer moinâ d'ànp&tsiie capitalion.
360 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLOfKIALKS
du premier d'entre eux, les navires venant d'Europe stoppent
et font des appels à l'aide de leur sirène et de leur sifflet jusqu'à
ce que Ton voie sur la plage un certain nombre de nègres
courir à leur pirogue, les mettre à la mer malgré la barre qui
les rejette maintes fois sur la plage et venir grimper à bord
à l'aide de cordages au milieu de cris de toute sorte ; une
partie d'entre eux retourne ensuite à terre dans les pirogues
qui, bousculés par la houle, chavirent, sont remises d'aplomb,
pour recommencer à chavirer un peu plus loin et ainsi jusqu'à
la plage. Gela ne g^ne en rien les Kroumen qui nagent comme
des poissons et semblent prendre un véritable plaisir à ces
bains forcés. Pendant ce temps, quelques-uns de ceux qui sont
montés à bord se font reconnaître par le maître d'équipage et
s'engagent pour un voyage (aller et retour) jusqu'à Matadi,
soit vingt-cinq jours environ d'absence. D'autres discutent le
prix de leur passage jusqu'à Grand-Lahou, Grand-Bassam ou
Porto-Novo où ils vont remplacer un certain nombre de leurs
camarades travaillant pour des administrations publiques ou
des maisons de commerce. C'est la conséquence de contrats
collectifs passés par les villages avec des engagistes : Tadmi-
nistration française, qui a un représentant à Béréby, facilite
beaucoup le recrutement de ces travailleurs qui constituent une
main-d'œuvre appréciable. Leur salaire varie de 1 franc à
i fr. 50 par jour; mais ils sontnourris, ce qui majore leur paie
journalière d'environ 50 centimes. Ces travailleurs sont utilisés
tout le long de la côte et dans les basses vallées de la Comoë
et du Bandama^ mais ils ne vont pas volontiers loin dans
l'intérieur : ils sont très recherchés par les colons et les com-
merçants de la côte. Jusqu'en 1901, les navires étrangers, en
particulier les anglais, recrutaient à leur passage de nombreux
Kroumen sous le prétexte de les employer à bord, puis les
débarquaient dans une de leurs colonies où, bon gré, mal gré,
ils étaient obligés de travailler pour vivre et gagner le pécule
nécessaire pour leur voyage de retour. Le gouvernement, saisi
de plaintes par les indigènes, vient de réglementer ces engage-
ments et a imposé une taxe de 100 francs par chaque Krou-
man embarqué sur un bateau étranger.
Le portage est assuré, dans toute la colonie, par une race
spéciale qui vient du Soudan, la race dioula : le dioula est
l'intermédiaire entre le vendeur européen et l'acheteur indi-
gène; il se rend à la côte à petites journées, y achète une paco-
tille qu'il transporte ensuite très loin dans Tintérieur, en utili-
sant d'abord des pirogues dans la partie navigable des cours
d'eau, puis, moyennant une faible redevance, les femmes des
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA g6tE D*IV0IRE 361
villages qu'il traverse, ou même des captives. Notre répulsion
pour remploi des femmes au portage, répulsion très humaine
et que Ton ne peut qu'encourager, nous a valu de graves diffi-
culiés. La révolte du Baoulé provient en partie de là.
Habitués à voir travailler et porter les femmes alors qu'ils
ne faisaient rien eux-mêmes, les hommes ont été profondément
vexés de ce que nous les obligions à participer au transport du
ravitaillement des troupes, d'où un mécontentement général qui
s'est traduit par un soulèvement. Heureusement, au fur et à
mesure de notre installation, les besoins ont diminué et le
calme est en partie revenu le long de la ligne d'étapes.
Système dC échanges, — Les monnaies françaises ont cours
1^ et sont d'un emploi usuel sur la côte. Dans Tintérieur, il
nen est pas de même, la monnaie de billon est totalement
inconnue ; Tan dernier, des indigènes m'ont refusé des pièces de
5 et de 10 centimes sur la route de Tiassalé au Soudan qui est
très fréquentée par les caravanes commerciales et par nos
troupes. Les pièces d'argent étant seules acceptées dans tout le
pays que nous occupons, la plus petite monnaie est en fait la
pièce de 50 centimes. La monnaie du pays qui tend à dispa-
raître est la manille, sorte de bracelet en cuivre dont le cercle
d 2 à 3 centimètres de diamètre, dont la valeur nominale est
de 20 centimes et qui pèse de 140 à 150 grammes ; on voit par là
conabien cette monnaie est encombrante et lourde. Les habitants
du Baoulé les recherchent beaucoup pour les couper en mor-
<>;aux qui leur servent de balles pour la guerre.
Dans l'intérieur, le système d'échange est la traite : la poudre
d or, le caoutchouc, les vivres de toute sorte sont troqués par
l'indigène contre des étoffes, du sel, du savon, des allu-
mettes, etc.
Colonisation, — La population européenne comprend
378 représentants, dont 142 militaires et 136 fonctionnaires ou
colons. La colonisation n'existe pour ainsi dire pas, à peine
trouve-t-on une dizaine d'exploitations agricoles créées par des
Européens, portant sur la culture du café, du cacao, du caout-
chouc, du tabac et de la vanille : la plus ancienne et la plus
prospère est la plantation de café d'Elima, créée par M. Verdier,
qui comprend près de 150.000 plants et sur laquelle on trouve
une usine pour la préparation des cafés.
Sur le Cavally, une société française exploite une concession
Je 1.500 hectares; la Société coloniale française de la Guinée
possède à Dabou une plantation de caoutchouc, de cacao, de
tabac et de vanille ; la mission catholique possède en ce point
une plantation de cacao et de café de 200 hectares ; la maison
362 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Fraissinet exploite aussi plusieurs concessions près de la mer.
Il n'y a pas de petite colonisation agricole; les concessions
territoriales de faible étendue sont des parcelles de terrain
demandées pour la construction de maisons d'habitation ou de
magasins. La zone boisée, qui s'étend sur plus de 200 kilomè-
tres dans rintérieur, est d'ailleurs un gros obstacle à la coloni-
sation ; cependant la législation locale a été conçue dans un
esprit libéral, elle n'impose dans Tintérieur qu'une redevance
variant de 5 à 50 centimes par hectare et par an pour les cul-
tures riches et de 5 à 25 centimes pour les terrains d'élevage ;
les droits sont doubles dans la région côtière. Jusqu'à présent,
d'ailleurs, toutes les exploitations coloniales ont été dégrevées
de ces droits à titre gracieux.
Au-dessus de 10.000 hectares, les concessions sont données
par le ministre, qui a examiné la possibilité d'en octroyer :
nous ne croyons pas nécessaire de revenir ici sur les difficultés
que soulève Toctroi des grandes concessions en Afrique, au
moment où les Anglais après des essais pénibles sont obligés de
substituer l'action gouvernementale à celle des compagnies
d'exploitation. Nous pouvons affirmer en tout cas que ce système
aurait ici de grandes chances d'insuccès, le caractère des indi-
gènes, fétichistes sauvages, sans aucune organisation politique,
ne se prêtant nullement à, la colonisation par des compagnies
concessionnaires.
Une grande concession, antérieure à la législation actuelle, a
cependant été accordée il y a plusieurs années : c'est celle de
M. Verdier qui, comme patriote et comme colon, a rendu de
grands services à la France. A la suite de difficultés malencon-
treuses, cette concession lui fut illégalement retirée : après
examen de l'affaire, le conseil d'État donna raison à M. Verdier
et condamna l'Etat à lui rendre ses terrains et à lui payer
une indemnité de 1.500.000 francs. La grosse faute adminis-
trative et l'injustice flagrante, que le conseil d'Etat a ainsi répa-
rées, pèsent lourdement sur la colonie dont le budget est grevé
d'une annuité de 125.000 francs à payer à la Compagnie fran-
çaise de Kong, qui a succédé à M. Verdier. Cette Compagnie a
créé quelques comptoirs dans l'intérieur et un embryon d'orga-
nisation commerciale : elle a une chaloupe qui remorque des
chalands de 10 à 40 tonnes entre Grand-Lahou et Tiassalé.
J. XlOR.
QUATRE PLAIES COLONIALES
Les petites causes ont souvent de grands effets. Sail-mi
pourquoi Félevage du bétail et des chevaux, industrie si pm^-
père autrefois dans rAmérique du Sud, est à la veille *\t^
cesser? Sait-on pourquoi l'île Maurice ne possède plus de trou-
peaux? Connait-on les raisons de Teffroyable consommation -^ri ' d
chevaux faite pendant la guerre sud-africaine par rarnnio 1
anglaise? Enfin, savons-nous pourquoi, dans certains districts
de rinde, les chevaux n'ont jamais pu s'acclimater ? Les aduiî-
rabies prairies américaines sont cependant toujours aussi wr- |
doyantes ; on pourrait en dire autant des vallées de Maurice ; '
les raids de French n'expliquent pas la mort de plus il'- j
200.000 chevaux; enfin les stations hindoues, fatales à certain r.
animaux, sont souvent les plus belles et les plus fréquentiM'^i
par les Européens.
Sait-on enfin pourquoi l'Afrique est restée si longtemps hi
continent mystérieux ?
A cause d'un insecte et d'un infiniment petit qu'on ne piiil
voir qu'au microscope et qui mesure dans ses plus gramli*^
dimensions quelques millièmes de millimètre, une vingtaiih,
tout au plus.
L'insecte s'appelle tsé-tsé en Afrique, burra-dhang dnn^
l'Inde, mouche du Paraguay en Amérique; quant à l'infitii-
ment petit, il est représenté par un de ces organismes élémi'ii*
taires que les biologistes classent au dernier échelon de réchell*'
des êtres vivants et il a été baptisé du nom un peu barbin i!
de trypanosome.
Comment la mouche tsé-tsé et le trypanosome arrivenUiN
à produire de semblables effets? Il n'y a pas longtemps ipu'
nous sommes fixés sur ce point intéressant de la médeciin'
exotique, mais l'intérêt qui s'attache à la question touche \h'
trop près l'industrie et le commerce des colonies pour qu'uii
ne s'attarde pas quelques instants à son étude.
Il existe dans la zone intertropicale quatre maladies qui p<ir-
tent des noms différents suivant les contrées, s'appelleiil
nagana en Afrique, surra dans l'Inde, mal de cadeiras diiri>
l'Amérique du Sud, dourine en Algérie, et sont dues au trypn-
364 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
nosome comme le paludisme de Thomme est dû à Théma-
tozoaire.
Passons donc en revue dans une esquisse aussi rapide el
aussi nette que possible chacun de ces fléaux que Livingstone
considérait comme l'obstacle le plus grand à la pénétration des
Européens dans les contrées inexplorées de l'Afrique.
Le nagana était connu depuis fort longtemps dans la plus
grande partie du continent africain lorsque le médecin anglais
Bruce étudia d'une manière complète la maladie à Ubombo, au
Zoulouland, en 1896. Les explorateurs l'avaient signalée par-
tout où ils avaient rencontré la mouche tsé-tsé. Le Sud et le
Sud-Est de l'Afrique semblent plus particulièrement éprouvés
par le nagana. Le D' Scloss au Congo belge, l'Allemand Koch
dans l'Afrique orientale allemande, Stordy dans l'Afrique
orientale anglaise, ont tour à tour confirmé les recherches de
Bruce. En 18S7, Livingstone avait observé la maladie sur les
rives du Zambèze. Un médecin français, le D"" Morel, l'a récem-
ment rencontrée sur le Chari et ses affluents. Nous reviendrons
sur les constatations de ce dernier observateur. L'Anglais
Brumpt, en mission au Somaliland en 1900, vit tous les cha-
meaux, unes et mulets de la caravane succomber, et dut inter-
rompre son voyage. Bien avant lui, en 1867, un vétérinaire
anglais, Hallen, s'était trouvé aux prises avec les mOmes diffi-
cultés pendant l'expédition d'Abyssinie. Enfin, on se rappelle
encore les envois considérables de chevaux faits par l'Angle-
terre dans rAfrique du Sud, pour remplacer les victimes du
nagana bien plus que celles de la guerre.
Les animaux que le mal peut terrasser sont nombreux, et
parmi eux, il convient de citer le cheval, la mule, Tâne, le
bœuf, le chien, le chat et beaucoup d*autres dont l'énuméra-
tion serait trop longue. La maladie dure de quelques jours à
quelques semaines et exceptionnellement plusieurs mois. Le
cheval, l'ône et le chien meurent fatalement, mais quelques
représentants de la race bovine sont susceptibles de guérison.
Les ânes de Massai, les moutons, les chèvres et les porcs résis-
teraient bien, en général, à l'invasion du nagana. D'après
Livingstone et Foà, les animaux sauvages jouiraient d'une
immunité particulière, mais M. Laveran, qui a particulièrement
étudié le nagana et son parasite, estime que les animaux sau-
vages n'ont qu'une tolérance plus grande pour le trypanosome,
car la tsé-tsé puise très souvent en eux le germe de la maladie
pour le transporter ensuite sur des individus sains.
HM'-r^ ~ -I
QUATRE PLAIES COLONIALES 365
Tandis que la plupart des animaux domestiques qui peuvent
être utilisés aux colonies sont exposés à mourir du nagana,
Ihomme parait être réfractaire aux atteintes du mal. FoSt rap-
porte avoir été piqué un grand nombre de fois par la mouche
t^tsé sans dommage sérieux. Cependant divers médecins ont
signalé cinq cas où le trypanosome a été trouvé dans le sang
J'homnaes atteints de fièvre et d'anémie. Ces observations sont
encore trop peu nombreuses pour qu'il soit possible d'admettre
rinfection de T homme par la maladie.
Les principaux symptômes sont les suivants : de la fièvre,
un amaigrissement lent et progressif, de l'enflure des membres
et de i'abdomen/parfois du larmoiement qui aboutit à Finflam-
uation des yeux et à la cécité. L'animal perd peu à peu l'ap-
pétit, devient inerte et paresseux ; sa force musculaire diminue
A il finit par s'éteindre doucement, sans souffrance apparente.
La mouche tsé-tsé^ nous le savons déjà, doit être incriminée
dans la production du nagana. Elle appartient à la famille des
(ilossines et est cataloguée en histoire naturelle sous le nom de
Glossina morsitans. On pensait autrefois qu'elle était veni-
meuse et que son venin était la cause de tout le mal. 11 n'en est
rien pour l'excellente raison que cet insecte ne possède pas de
.s'Iandes à venin. Le mécanisme de l'infection a été bien élucidé
par Bruce, c'est le suivant : la mouche tsé-tsé va sucer le sang
Jes animaux a naganés », puis se pose sur des animaux sains et
inocule à ceux-ci les trypanosomes qu'elle a recueillis sur ceux-
là et qui sont restés adhérents à sa trompe minuscule et acérée.
Elle joue dans la propagation du nagana un rôle absolument
•^imparable, en somme, à celui que remplit le moustique dans
la propagation du paludisme.
La mouche Lsé-tsé est un peu plus grande que la mouche
«lomestique. Sa tête brune est pourvue d'une trompe et de deux
antennes; les ailes ovales et très allongées s'imbriquent com-
plètement au repos. Le thorax est gris roux et zébré de quatre
bandes noires. L'abdomen est à six segments et de couleur
jaunâtre. Une bande longitudinale claire ponctue le dos de
linsecte lorsqu'il est à jeun. Mais il prend une teinte générale
rosée, puis rouge, lorsqu'il s'est gorgé de sang.
L^habitat de prédilection de la tsé-tsé est une sensitive, le
Mimosa polyacantha^ qui pousse au bord des cours d'eau, et
qu'évitent avec soin les pagayeurs nègres. L'ombre humide des
marais et des arroyos et les broussailles servent aussi de refuge
H celte mouche. 11 suffit de s'éloigner des endroits frais pour
Inviter. C'est pourquoi les Fellahs, peuples pasteurs du Ghari,
emmènent leurs troupeaux loin des rivières, pendant la saison
366 QUESTIONS DIPLOMATIQUSS ET COLONIALES
des pluies; ils ne laissent près des cours d'eau que le bétail
destiné à T alimentation et prennent soin de le tenir enfermé
pendant le jour dans des cases sombres et enfumées ; ils atten-
dent la nuit pour le conduire à Tabreuvoir ou au p&turage, car
la tsé-tsé ne sort de sa retraite que le jour. Son vol est très
léger, silencieux et extrêmement rapide lorsqu'elle est à jeun,
mais il s'alourdit considérablement lorsqu'elle est gorgée de
sang. On ne sent pas son contact et très peu sa piqûre ; son
repas dure trente secondes environ. Elle reste dangereuse pen-
dant les quarante-huit heures qui suivent la piqûre d'un ani-
mal nagané. Passé ce délai, la mouche n'est qu'exceptionnelle-
ment infectante. En un mot, la tsé-tsé est l'intermédiaire
nécessaire et indispensable à la transmission du germe; des
animaux malades ne donneront jamais le nagana à des ani-
maux sains vivant avec eux si la tsé-tsé n'intervient pas.
Je ne décrirai pas le trypanosome qui est représenté par une
masse de protoplasma vivant, pourvue d'un long cil qui lui sert
d'organe de locomotion. Je me contenterai de dire qu'après sa
pénétration dans l'organisme de l'animal sain, il est rapidement
entraîné par la circulation, se fixe et s'attache aux globules du
sang qu'il dépouille de leur hémoglobine, se multiplie avec
une rapidité incroyable et finit par anémier l'individu qui
l'héberge.
L'examen du sang des animaux malades ne permet pas d'y
déceler le parasite dans tous les cas. On ne trouve ce dernier
que lorsqu'il s'est multiplié en très grande abondance. C'esl
pourquoi les inoculations sur des animaux témoins doivent
toujours corroborer l'examen direct du sang des animaux
malades, et dans ces conditions, il arrive souvent que Tinocu-
lation soit couronnée de succès, alors que l'examen microsco-
pique du sang infectant n'a pas permis d'y découvrir le trypa-
nosome.
Le D^ Morel, que j'ai cité plus haut, a rapporté qu'il était à
peu près impossible de conserver le bétail au Chari, c'est-à-dire
entre les 5' et 15* degrés de latitude Nord et les 10* et 18" degrés
de longitude, pendant toute la saison des pluies. Les indigènes
de l'Oubangui et du Gribingui attribuent les épizooties à une
mouche [nyana kété^ petite bête) sans pouvoir préciser cepen-
dant son mode d'action. Cet insecte n'est autre que la tsé-tsé.
Dans certains districts du Chari, les indigènes l'appellent
encore boadjani pour la différencier de la mouche ordinaire :
teubann. A Fort-Lamy, situé à 80 kilomètres du lac Tchad
le D' Morel eut l'occasion d'observer une épidémie de nagana
qui aitteignit lés chevaux d'un peloton de spahis envoyé de
i
OUATRE PLAIBS COLONIALES 3d7:
iiuulféi à Massa-Kouri dans le Dagana, et qui séjourna sur la
rive droite du Chari en face de Goulféi. En moins d'un mois
^pt chevaux sur vingt-trois tombèrent malades. Quelque temps
apr^s, le D' Morel partit en colonne et ne revint à Fort-Lamy
qu'à la saison sèche. Tous les chevaux qui avaient été piqués
étaient morts. Plus tard, à Fort-Crampel, le même observateur
\it encore des chevaux atteints de nagana et constata dans la
rt^ioD la présence de la mouche tsé-tsé. Nous trouvons donc
Jaos ces faits Texplication des épizooties annuelles qui sévis-
"^nt dans la région du Chari et rendent absolument impossible
• u vouée à Tinsuccès toute expédition dirigée dans cette con-
tre pendant la saison des pluies.
iJn a tout essayé dans le traitement de cette terrible maladie,
^s prand succès. Tout récemment, M. le D' Laveran a
l-^monlré que le nagana offre cette double particularité :
1 abord, de ne pouvoir être transmis à l'homme; ensuite, d'être
:ijm ou du moins très efficacement combattu par le sérum
•^itrait du sang humain.
C'est en vain que M. Laveran a essayé d'immuniser les
l -vidés avec un sérum difTérent de celui qui circule dans nos
'?ines : aucun autre, pas même celui du singe, ne guérit les
uimaux atteints de nagana, ni ne protège les sujets sains
'iposés à la contamination. Le sérum humain a donc des pro-
iriétés microbicides très particulières, qu'on ne retrouve pas
Jans celui d'un grand nombre d'autres animaux.
La méthode des inoculations a été employée pour immuniser
Ifs sujets atteints de cette maladie, mais une seule opération de
ce genre est insuffisante pour amener la guérison. En eifet, au
kut d*un laps de temps variable, les trypanosomes reparais-
>ent; mais le nagana s'atténue au fur et à mesure que les ino-
culations se multiplient.
Pour le moment, du moins, il est impossible d'instituer en
.^nd un semblable traitement destiné à des animaux de forte
iaille, comme les bovidés, en raison même de la difficulté à peu
près insurmontable de se procurer les quantités de sérum
nécessaires aux inoculations. Le spectacle de gens se faisant
saigner pour guérir les bêtes ne saurait être goûté que par les
pitis fervents adeptes de la protection des animaux, et encore
à la condition qu'eux-mêmes ne soient pas destinés à la
saignée.
M. Laveran pense qu'on pourrait obtenir de bons résultats en
^oculaBt certains animaux et en utilisant ensuite leur sérum
pour immuniser les autres contre la contagion.
368 QUESTIONS DIPLOHATIOOES ET COLONIALES
• #
Le surra est une autre épizootie qui présente certains traits
de ressemblance avec le nagana. Griffîth Evans découvrit le
parasite — encore un trypanosome — en 1880, dans le Penjab.
J.-H. Steel le retrouva en Birmanie en 1885. Depuis lors, le
vétérinaire anglais Lingard a signalé le surra au Penjab, à
Bombay, dans le Rajputana, en somme dans le Nord de l'Inde.
Le Deccan serait indemne et le fléau serait inconnu dans les
possessions françaises. On a observé la maladie en Chine (pro-
vince de Shan), en Perse, au Tonkin (1888), à Nha-trang (1901)
sur les chevaux de Tlnstitut Pasteur, à Java, à Sumatra et à
nie Maurice (1902).
Pour beaucoup d'auteurs, le surra serait identique au nagana.
On constate en eff'et une ressemblance presque complète des
deux parasites; déplus, les victimes sont encore représentées
par les bêtes de somme ou les bovidés; enfin, la marche de la
maladie oiîre une grande similitude de part et d'autre. Les
différences minimes qu'on a pu signaler semblent résulter d'une
erreur d'observation.
Gomme la tsé-tsé n'existe pas dans Tlnde, elle est remplacée
par une mouche indigène communément appelée burra-dhang,
et qui n'est autre qu'un des nombreux représentants de la
famille des » Tabanides. C'est un taon [Tabanus tropicus ou
Tabanus lineola) qui se charge de trans?porter le trypanosome
du surra des animaux malades aux animaux sains.
La relation de deux épidémies récentes de surra observées
dans les Indes hollandaises, à Pasœrœan, en 1901-1902, et dans
l'île Maurice il y a quelques mois (février à septembre 1902),
sera infiniment plus instructive que la description clinique la
mieux faite.
A Pasœrœan *, la maladie affecta une allure tantôt sévère,
tantôt bénigne. Les cas graves s'annonçaient par une éruption
pustuleuse avec production de croûtes et de petits abcès super-
ficiels, sur diverses parties du corps, notamment au cou, au
ventre, entre les pattes du devant, mais plus particulièrement
aux pattes de derrière. Les naseaux étaient sec&; les yeux
rouges, enfoncés et larmoyants. La fièvre était élevée et les
animaux succombaient parfois au bout de deux heures ou dans ^
les vingt-quatre heures qui suivaient l'apparition de la maladie.
Dans les cas de moindre gravité, on constatait les symptômes
précédents, sécheresse des naseaux, yeux larmoyants et rouges, ;
1 Nous devons les détails suivants & M. le D' Vincent, médecin inspecteur des
troupes coloniales.
QUATRE PLAIES GOLONULES
369
très atténués. L'immense majorité des animaux atteints de
surra succombait au bout de trois à quatre semaines ; un certain
nombre se rétablit, mais très lentement. Chez un bœuf, on
observa une véritable sueur de sang, on voyait perler des goutte-
lettes rutilantes à la surface de la peau, sans aucune trace de
piqûre. Chez quelques-uns, on constata des hémorragies par les
naseaux, par les oreilles, ou un jetage verdâtre abondant.
Au début de Tépizootie, on inocula du sang d'un buffle malade
d'abord à des marmottes, puis à un lapin. Dans le sang du lapin,
on trouva des trypanosomes, ce qui démontrait que la maladie
était bien le surra.
Aussitôt, des mesures de protection furent prises. Par décret
du résident de Pasœrœan, daté du 24 août 1900, le sous-district
de Kasembon fut déclaré infecté. Les étables furent robjet
d une visite sérieuse et les animaux malades isolés. Il fut, en
outre, ordonné de séparer autant ■ que possible les animaux
dans les prairies et d'allumer de grands feux, afin de chasser
le^ insectes et les mouches et de mettre les animaux à Tabri
des piqûres.
Ces mesures, prises dès la constatation du surra, ne tardèrent
pas à amener la prompte disparition de la maladie à Pasœrœan,
puisque le dernier cas eut lieu le 30 août. Le bilan de cette
petite épizootie se résume ainsi : 30 cas, dont 23 décès sur
397 animaux.
L'année suivante, on apprit dans la deuxième quinzaine de
mai que des bœufs avaient été subitement atteints de fièvre et
de faiblesse générale et étaient morts en quelques heures.
L'examen des animaux qui avaient succombé révéla les mêmes
signes que ceux que Ton avait observés en 1900, et on admit
immédiatement qu'on se trouvait en présence de nouveaux cas
de surra.
Cette opinion ne tarda pas à être confirmée d'une façon tn's
nette : dans les derniers jours de mai 1901, un cheval apparte-
nant à un employé d'une sucrerie tomba malade, présentant
les mêmes symptômes que les bœufs. L'examen du sang dt* ce
cheval permit de reconnaître le parasite du surra.
Du!*' au 14 juin, sept autopsies furent pratiquées qui, toutes,
démontrèrent les mêmes lésions anatomiques; mais Texamen
microscopique du sang de ces animaux ne révéla pas la pré-
sence du trypanosome, et des inoculations de ce sang à des
lapins ne donnèrent que des résultats négatifs.
Mais le 18 juin, un bœuf de charrue, pris dès la veille de forte
fièvre, fut examiné : il était couché, sans qu'il fût possible de
le faire lever. Les symptômes assez graves qu'il présentait ne
QUBST. DiFL. IT Cou — T. XY. 21
^
370 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
tardèrent pas à s'atténuer et Tanimal se rétablit au bout de peu
de temps. Mais lexamen du sang de ce bœuf, fait par MM. Schat
et W.-J, Esser, démontra la présence d'une grande quantité de
trypanosomes chez cet animal.
' Aussitôt que ce résultat fut connu de l'administration, h.
mesures que nous allons indiquer furent immédiatement
^ ordonnées. Dès le 19 juin, on déclara le district de Pasœrœan
r contaminé et les mesures les plus sévères furent édictées : on
prescrivit l'isolement dos animaux malades, le maintien de cet
r isolement pendant trente jours pour ceux qui avaient guéri,
une propreté rigoureuse des étables, le lavage des animaux avec
de Teau alcaline el une série d'autres mesures assez sévères qui
furent accueillies très froidement par les habitants.
L'épidémie, qui avait débuté en mai, atteignit son maximum
d'intensité en juillet, commença ensuite à décroître et s'éteignit
complètement en octobre. L'administration déclara officielle-
ment, à la date du 11 octobre, que toutes les mesures qui avaient
été prises étaient rapportées et que l'épidémie de surra pou-
vait être considérée comme terminée.
On déclara en outre que, sur 71 animaux atteints d'une façon
grave, 66 avaient succombé, et que si les pertes n'avaient pas
été sérieuses, on le devait : l*" àla vigilance de l'administration
qui avait au début annoncé au public qu'une malade grave
sévissait parmi les bœufs ; 2"" aux premières mesures que l'on
avait, prises, alors qu'on ignorait encore la nature de la maladie ;
3"* aux mesures plus rigoureuses prescrites ensuite.
On observa d'une façon constante que les bœufs dits
« Madœreesche » étaient moins disposés à contracter le surra que
les bœufs javanais purs et que, s'ils étaient atteints de la maladie,
r ils résistaient beaucoup plus que ces derniers.
I Ce fait a été constaté par M. Mulder à la fabrique Kentjonk,
I où la mortalité fut considérable parmi les bœufs javanais,
f tandis qu'elle fut très rare parmi les bœufs dits « Madœreesche » i
^ qui, malgré leur nombre, n'ont présenté en général que des I
t atteintes légères de la maladie.
î' En ce qui concerne le mode de contagion et de propagation
j de la maladie, on avait remarqué, au mois de juillet, dans les
\ étables et tout autour des animaux malades, une abondance
- extrême de mouches. On pensa que ces insectes devaient servir
& la propagation de la maladie ; on en recueillit sur des bœufs
malades et on constata, nettement, chez ces mouches, la pré-
sence des trypanosomes.
On prit aussi des mouches sur le cou d'un bœuf atteint de
surra et présentant à ce niveau des plaies ulcérées et saignantes ;
QUATRE PLAIES COLONIALES 37i
l'eumen de ces mouches démontra la présence des parasites
qui furent également trouvés sur toutes les mouches prises
dans les étables ou dans leur voisinage immédiat.
Afin d'être bien fixé sur le rôle que jouaient ces insectes dans
h transmission et la propagation du surra, on inocula à un
lapin quelques gouttes du liquide provenant des organes des
mouches recueillies : le lapin présenta tous les caractères du
surra et succomba au bout de quatre semaines.
Une autre expérience non moins concluante fut faite. Dans
une prairie où il n'y avait pas eu d'animaux malades, on trouva
m ^and nombre de mouches et leur examen permit de coasta'-
terTabsence de trypanosomes.
On amena dans cette prairie un cheval atteint du surva, dont
le sang contenait le parasite ; des mouches se posèrent aussitôt
en grand nombre sur lui; on en prit immédiatement quelques-
unes dont Fexamen ne révéla pas la présence de l'hématozoaire.
D'autres mouches restées quinze secondes ou tine demi-
minute sur le corps de l'animal renfermaient un petit nombre
de parasites. D'autres, restées plus longtemps, avaient sucé une
telle quantité de sang qu'elles avaient pris une coloration rou-
^eâtre; ces insectes examinés au microscope contenaient un
irrand nombre de trypanosomes.
L épidémie de l'île Maurice eut conifiie point de départ Tim-
l^rtation dans l'île d'un chargement de bœu£s atteints de surra
♦^henus de l'Inde. Un certain nombre de ces animaux avait suc-
combé pendant la traversée ; le navire qui les. portait fut mis en
quarantaine, mais des morts nouvelles s'étant produites^ bord
et la cause de ces décès restant ignorée, on donda au navire la
iibre pratique et la cargaison de bœufs malades fut mise à terre.
l ne épidémie se déclara bientôt avec une intensité incroyable,
attaquant tous les troupeaux et menaçant de ruiner le commerce
M florissant de l'élevage. Le D*^ Lesur a donné des détails sur
-ette épidémie : «( La mouche tsé-tsé est inconnue k Maurice,
dit-il, mais nous avons de grandes quantités de mouches
piquantes qui tourmentent tes animaux au travail. Rien de
^ plus ordinaire que de voir, chez des animaux à robe claire ou
• blanche, le poil taché de sang par la piqûre de ces insectes qui
- se posent, par véritables essaims, sur les animaux de trait,
< D après ce que nous voyons à Maurice, il né me semble pas*
' douteux que le surra ne soit propagé par les espèces banales
* de mouches. piquantes, comme par la tsé-tsé. »
Dans cette épidémie tous les chevaux piqués succombèrent,
tandis que 20 à 25 % des bovidés malades périrent.
372 QUESTIONS DIPLOMATIQUBS ET COLONIALES
# #
Je ne ferai qu'esquisser le mal de cadeiras (maladie de la
croupe) et la dourinCy celle-ci étant déjà connue et décrite
depuis longtemps, celui-là offrant une analogie presque com-
plète avec le surra et le nagana.
Le mal de cadeiras existe au Paraguay, en Bolivie, dans
la République Argentine (province de Santa-Fé) et au Brésil
(district de Matto-Grosso). Le trypanosome incriminé dans la
production de la maladie est voisin de ceux du surra et du
nagana. La mouche considérée comme le vecteur du germe est
une stomyxès [Stomyxes calcitrans) ; c'est du moins Topinion de
M. Elmassian, directeur de l'institut bactériologique de l'As-
somption, capitale du Paraguay. Les chevaux, les chiens, les
moutons, les chats, les singes, les rats et les souris peuvent
être atteints par la maladie dont les symptômes ressemblent
beaucoup à ceux du nagana. Les bovidés seraient réfractaires.
Le nom de la maladie tient à une particularité symptoma-
tique : à la fin de la maladie survient une paralysie du train
postérieur qui donne à l'animal une démarche déhanchée carac-
téristique, d'où l'appellation de « mal de la « croupe ».
La dourine^ qui a existé en France, en Allemagne, en Suisse,
et qui a partiellement disparu de l'Europe à cause de certaines
mesures radicales (abatage ou castration des étalons contaminés),
existe encore en Navarre, en Hongrie, en Turquie, au Maroc,
en Algérie, en Tunisie, dans toute l'Asie Mineure et en Perse.
Elle a été tout récemment importée aux Etats-Unis (Illinois).
Elle atteint exclusivement les équidés reproducteurs et recon-
naît pour cause un trypanosome qui offre quelques points de
ressemblance avec les trois autres. Mais, ici, l'intervention d'un
insecte est inutile dans la propagation de la maladie qui se
communique du mâle à la femelle au moment de l'accouple-
ment. Comme dans le mal de cadeiras, la phase terminale est
caractérisée par la paralysie du train postérieur.
Si la dourine se rapproche du nagana, du surra et du mal
de cadeiras par quelques symptômes communs aux quatre
maladies et par la présence du trypanosome dans le sang des
animaux dourinés, elle s'en différencie nettement par son mode
de propagation qui est tout à fait spécial.
Il convient donc d'adopter les conclusions de M. Laveran* qui
1 Conclusion d*une étude sur la répartition géographique des maladies à trjpano-
somes. JanuSy nt* livre, 15 mars 1902 (MM, A. Lavbrati et F. Mbsnil).
QUATRE PLAIES COLONIALES 'Ail}
sont les suivantes : « Le surra, le nagana et le mal de cadeiras
« sont des maladies évidemment très voisines, mais qu'il if *'st
« pas encore possible de réunir sous un même nom ; quant à
« la dourine, ir semble bien qu'elle constitue une espèct> k
c part. »
Cette étude, quelque brève qu'elle soit, nous familiarise avt^c
un point intéressant de la pathologie exotique dont Timpr^r-
tance n'échappera à personne. On cherche souvent bien loin la
cause de certains échecs. Si nous étions bien habitués à ceiU*
idée que notre Europe est un pays totalement différent dt^s
autres continents, nous ne serions pas tentés de vouloir attri-
buer à ces échecs des causes en quelque sorte « européennes * ,
mais nous chercherions plutôt le secret de nos insuccès diins
la colonie qui en est le théâtre. Notre ignorance n'accusenut
pas l'insuffisance alimentaire pour expliquer la mort dect cï-
taines de mulets (expédition de Madagascar) ;on n'incrimineiail
ni la fatigue, ni Teau, ni la mauvaise qualité de l'herbe ihi
veldt comme les Anglais l'ont fait au Transvaal pour expliqua r
la mortalité de leurs chevaux et comme nous Tavons fait no\\>-
mêmes au Tonkin; nos voisins ne s'étonneraient pas de ne pi m-
voir quitter la côte du Somaliland sans courir à un échec pour
lequel les soldats du Mullah ne feront rien, mais que la tstVis^^
amènera fatalement; les éleveurs de Maurice ou de la Répu-
blique Argentine ne s'obstineraient pas à lutter contre le minus-
cule ennemi qui terrasse et anéantit leurs troupeaux, ils iraii^u*
à la recherche de prairies nouvelles ou de vallées que la tsé4^c
ne connaît pas.
L'étude de ces questions est fertile en enseignements Jo
toute sorte. L'industrie, le commerce et la défense des coloniis
sont intéressés d'une manière directe à bien la connaître el h
se familiariser avec les règles d'hygiène qui en découleul.
Malheureusement, les querelles de nos politiciens ont le iliui
de nous intéresser infiniment plus que « ces misérables qm^s-
tions vétérinaires » qui, parce qu'elles sont méconnues, nmt-
coûtent une vingtaine de millions de francs chaque année — i »'
qu'il faut pour créer dix sanatoria de tuberculeux ou dix vMh ^
de santé pour nos admirables soldats, aux colonies.
Maurice Buret.
%
LÀ BOHÊME EN DEUIL
Une grande et noble figure, un des principaux héros de la
Renaissance tchèque, qui portait allègrement sur ses robustes
épaules soixante ans d'histoire de la Bohême, vient de dispa-
raître de la scène politique où il a rempli un rôle très actif
jusqu'au seuil de la vieillesse : le D' Rieger n'est plus^
Tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher, que ce fût
lorsqu'il était encore le chef écouté de la nation, ou bien lors-
qu'il dut, pour un temps, céder le pas à des patriotes plus
jeunes et plus fougueux que lui, tous étaient frappés du
charme qui émanait de ses qualités à la fois viriles et affables;
on en trouvait le reflet dans sa parole vibrante, dans son franc
et brillant regard et dans l'exquise distinction de ses manières.
Il aimait beaucoup la France; il fit en 1849-1850 un séjour de
plusieurs mois à Paris et entretenait depuis lors des relations
suivies avec nombre d'hommes politiques et de littérateurs. Il
manifesta encore dernièrement ses vives sympathies pour la
France en venant à Tâge de quatre-vingt-deux ans à Paris
pour voir l'Exposition de 1900.
Ses amis français lui ayant offert à cette occasion une fête
intime, il ne se fit pas prier pour prendre la parole et charma
les assistants par l'étonnante vivacité de son esprit, par l'ex-
traordinaire facilité et l'élégance de son élocution en français.
Véritable oi^nisateur de la nation dont il était issu, il prit,
pendant soixante ans, une part si active à tout ce qui s'est fait
d'important dans la vie politique, littéraire, artistique et écono-
mique de la Rohême, qu'écrire sa biographie c'est résumer
l'histoire de la nation tchèque depuis sa renaissance politique.
Pour se rendre compte de ce qu'il fut en réalité pour son
pays et de ce que les Tchèques lui doivent, il suffit de se rap-
peler le degré primitif d'éducation politique et Tétat de fai-
blesse générale où se trouvait la Rohême avant 1848.
Ressuscité comme par miracle, le peuple tchèque se relevait
peu à peu de son long engourdissement; il prenait conscience de
son individualité nationale et annonçait son réveil par quelques
1 Né à Semily, prés de Turnov, Rieger étudia le droit, et s'étant signalé par sa
collaboration à plusieurs revues tchèques, il devint vite chef de la jeunesse univer-
sitaire de Prague. Membre du Comité national, il eut un rôle très en vue dans la
révolution de 1848. Nommé au cours de cette mémorable année député au Parle-
ment de Vienne, il resta depuis lors sur la brèche jusqu'en 1891, défendant avec
talent et beaucoup de vigueur la cause de la nation tchèque. Appelé ensuite à la
Chambre Haute, il prit même, sous le ministère Kœrber, plusîesrs fois part aux
débats de cette assemblée. Le nom de Rieger est attaché aussi à une grande œuvre
littéraire, \ Encyclopédie tchèque, dont la publication fut commencée sous sa direc-
tion, en 1859.
LA BOHÉMB EN DEUIL 375
essais littéraires, poétiques, historiques et philologiques, dont le
nombre et rimportance allaient croissant surtout depuis 1830.
Cette première étape purement littéraire franchie, la liste des
héroïques évocateurs du peuple tchèque, où brillaient déjà les
noms des Dobrovsky, des Safarik, des lungmann et des Palacky,
qui reconstitua de toutes pièces Thistoire de la Bohème, s'aug-
menta d'une troupe d'hommes d'action, de légistes et d'orateurs
politiques que réunit autour de lui le jeune et ardent Rieger.
Ce fut lui qui, secondé par ses fidèles amis, pétrit alors cette
masse inerte qu'était avant 1848 le peuple tchèque, sous le rap-
port politique, qui groupa et disciplina les forces agissantes,
enflamma les foules, organisa l'action, fixant sagement les
étapes à franchir, et contribua ainsi, dans une large mesure, à
élever ce peuple, naguère inconscient et asservi, au rang d'une
nation fière du rôle que la Providence lui a assigné dans l'his-
toire des nations civilisées,
La tâche qu'avaient assumée les apôtres de la seconde géné-
ration de la renaissance tchèque était des plus diificiles; les
succès devaient être lents, laborieux et peu éclatants, parce
qu'il fallait que les représentants de la nation sortissent du
cadre étroit de la Bohême pour aller défendre les intérêts et
les droits imprescriptibles de leur pays dans le Parlement cen-
tral, où les intérêts particuliers des pays soumis aux Habs-
bourg sont subordonnés à l'intérêt général de la monarchie.
A Vienne, le programme des Tchèques était double : il fal-
lait pourvoir d'abord aux besoins matériels et intellectuels de
la nation, et préparer ensuite la réalisation du programme
idéal, qui, fondé sur le passé, doit assurer dans l'avenir l'auto-
nomie de la Bohême.
Dans un moment d'extrême impatience, le peuple, jugeant
trop lents les procédés et la marche du parti national qui avait
Rieger à sa tête, trouvant les progrès réalisés peu en rapport avec
leffort dépensé, se détourna pour un temps de son ancien chef.
Le grand patriote, vieilli au service de sa nation, ne garda
point rancune de cette inconstance de la faveur populaire, et
heureusement, il vécut assez longtemps pour voir le peuple re-
venir de son égarement momentané, et reconnaître les services
de son ancien chef. En fermant les yeux, le vénéré patriarche de
la nation tchèque put emporter dans l'éternité la conviction que
Tœuvreà laquelle il avait consacré toute sa vie et un labeur inin-
terrompu ne .périra pas, et que les arrière-petits-fils de la géné-
ration actuelle répéteront son nom avec piété et reconnaissance.
Henri Hantich,
Pro''esseur à l'Académie commerciale de Prague.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES
I. — EUROPE.
France. —Le dibatsttr îa politique extérieure, — On serappellequ'îln'y
avait pas eu de discussion générale, à la Chambre, sur le budget des
Affaires extérieures. Ce débat a eu lieu les il et 12 mars courant. On
avait, en effet, groupé toutes ensemble les diverses interpellations
déposées depuis la rentrée du Parlement; le ministre a répondu dans
un même discours à tous les interpellateurs, et la Chambre a ap-
prouvé ses déclarations par 403 voix contre 131.
Engagé daus ces conditions, le débat ne pouvait, en effet, avoir
d'autre sanction. En réunissant ainsi toutes les différentes ques-
tions qu'a pu soulever, dans ces derniers temps, notre politique
étrangère, et en généralisant la discussion, au point de la transfor-
mer en une sorte de jugement global et rétrospectif du ministère de
M. Delcassé, il était certain que la Chambre se mettait dans l'obliga-
tion absolue d'approuver en bloc un ensemble de faits qu'elle avait
tous approuvée en détail, puisque, depuis cinq années, le Parlement
a constamment maintenu sa confiance au ministre. Il est aussi non
moins évident qu^une telle méthode était profondément regrettable
puisqu'elle permettait en quelque sorte d'esquiver les plus impor-
tantes questions sur lesquelles on aurait voulu justement obtenir
des explications précises et positives.
Sept orateurs ont successivement exposé leurs griefs et formulé
leurs desiderata : MM. Millevoye,G. Berry, Charles Benoist, de Près-
sensé, Raiberti, Sembat, F. Deloncle; ils ont parlé un peu de tout, et
plus spécialement de Talliance russe, du Venezuela, des troubles de
Macédoine, de la question siamoise, de nos intérêts & Mascate, du
Maroc, de la cour arbitrale de La Haye et du désarmement.
M. Delcassé a pris ensuite la parole et voici le résumé de ses
déclarations :
M. Delcassé. — Je répondrai brièvement, mais avec précision, aux dif-
férentes questions qui m'ont été posées.
M. Deloncle m'invite à me mettre en travers des projets de l'Angle-
terre sur Mascate, et il considère que ces projets ne sont pas douteux,
puisque les journaux les ont annoncés.
La France et l'Angleterre, si elles ont à Mascate égalité de charges, ont
RBIfSEIGNEHENTS POLITIQUES 377
iossi égalité de droits. Je ae Tai pas oublié. L'Angleterre a toutefois con-
senti à modifier ses dépôts de charbon, pour nous donner satisfaction.
J'ai teou la main à ce que le traité de 1862 soit exécuté et la Chambre
peut être assurée que je continuerai.
En ce qui concerne le Maroc, M. Delafosse a exprimé la crainte que les
troubles n'amènent des interventions contraires à nos intérêts. Prévoyant
les événements actuels, nous avons prévenu le gouvernement marocain,
nous l'avons averti.
De l'état des choses au Maroc dépend, dans une large mesure, le déve-
loppement de nos colonies algériennes. La protection de ces graves inté-
rêts, qui ne regardent que nous, s'accorde avec ceux qui nous sont com-
muns avec les autres puissances.
Il est un point qui doit être hors de contestation, c'est qu'aucun chan-
gement ne peut être fait sur la côté méditerranéenne du Maroc, qui soit
de nature à affecter, d'une façon quelconque, la liberté nécessaire du
détroit de Gibraltar.
A quoi eût servi une démonstration navale? A rien, sinon, peut-être, à
exciter le fanatisme des populations de Tintérieur et à mettre en péril ceux
que nous avions mission de protéger.
Comment devons-nous envisager les événements de l'intérieur? L'indé-
pendance du Maroc est une garantie essentielle de l'intégrité de l'Algérie,
et toute atteinte à sa complète indépendance serait une atteinte à notre
colonie.
Au point de vue économique, c'est la France et l'Algérie qui occupent
le premier rang dans les échanges du Maroc avec l'étranger.
Quand les soulèvements se sont produits, nous avons pris nos précau-
tions le long de la frontière. Je crois que les troubles s'apaisent. En tout
cas, notre position est très nette et notre vigilance sera toujours en
éveil.
M. d'Estournelles et M. Jaurès m'ont reproché de ne pas faire plus sou-
vent appel à la cour d'arbitrage de La Haye, et ils m'ont, notamment,
adressé des reproches à propos du conflit vénézuélien. Notre abstention a
été motivée par ce fait que la demande d'arbitrage s'imposait d'elle-
même à l'attention des puissances intéressées.
Nous avions réglé nos difficultés avec le Venezuela en février 1902, mais
il en était subsisté d'autres. Je puis annoncer, aujourd'hui, qu'un protocole
intervenu entre notre ambassadeur et le représentant du Venezuela à
Washington accueille nos réclamations et stipule que nous serons rem-
tK)ursés sur les 33 % de recettes douanières accordées aux puissances.
On voit donc qu'étant réclamants, nous ne pouvions pas être média-
teurs, et pour le règlement de nos intérêts, nous n'avions pas à avoir
recours à la cour de La Haye.
Tous les conflits ne peuvent, d'ailleurs, pas être soumis à la conférence
de La Haye. Quand nous sommes allés à La Haye, il ne s'agissait nulle-
ment du désarmement, il s'agissait de limiter les armements.
Pas plus que MM. Jaurès et d'Estournelles, je ne suis fermé à l'amourde
1 humanité, mais je songe d'abord à la France, qui est aussi dans l'huma-
nité, et ipii est, à mes yeux, la portion de beaucoup la plus chère de
l'humanité. (Applaudissements.)
378 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
Et, à propos du désarmement, je dis que je ne sais pas si les peuples
consentiront jamais à n'avoir plus en eux-mêmes les garanties de leur
propre sécurité.
Moi, qui ai trouvé dans notre diplomatie un appui sûr de la paix; moî,
qui vois une armée chaque jour plus forte, je dis qu'il n'appartient pas à la
France de prendre une pareille initiative.
Dans tous les cas, ce n'est pas moi qui la prendrai. {Vifs applaudisse-
ments.)
Cela n^implique nullement notre renoncement aux idées généreuses.
M. Charles Benoist nous a dit que nous faisions de la politique bour-
geoise.
M. Oharlea Benoist. — C'est une question que je vous posais.
M. Deloassé. — Il m'a semblé que M. Charles Benoist ^e félicitait de
notre rapprochement commercial et politique avec l'Italie, mais il Ta fait
en termes tels que je me demandais si je n'y étais pas resté considérable-
ment étranger.
Il a critiqué notre politique en Afrique, et cependant le drapeau de la
France s'est considérablement agrandi sur la carte d'Afrique.
M. Charles Benoist. — Sur la carte.
M. Deloassé. — A-t-il oublié toutes les annexions que nous devons à
notre seule diplomatie ou les a-t-il passées volontairement sous silence ?
M. Charles Benoist n'a pas parlé de la Macédoine, mais notre éminent
collègue M. de Pressensé en a parlé.
Il nous a dit, avec une émotion qu'il n'était pas le seul à partager, les
souffrances de la Macédoine et de l'Arménie : est-ce que la France aurait
manqué à ses traditions ?
N'a-t-elle pas montré, depuis cinq ans, tout l'intérêt qu'elle portait aux
Arméniens ? N'a-t-elle pas exercé une surveillance qui a empêché le retour
des massacres ?
C'est la même politique que nous suivons en Macédoine, où les esprits
sont dans un état d'irritation extrême.
Je sais qu'il y a des difficultés sans nombre, qu'il faut compter avec les
aspirations des populations diverses de la Macédoine. Mais ce n'est
qu'avec les autres puissances que nous pourrons arrêter ceux qui spéculent
sur le désespoir des Macédoniens.
Ce qui exaspère surtout les populations macédoniennes, très attachées
au sol et aux produits du sol, c'est de se voir pillées et dépouillées par les
gendarmes, qui se livrent à ces excès parce qu'ils ne sont pas payés.
L'Autriche et la Russie veulent énergiquement le maintien du statu quo
dans les Balkans, mais elles ont été d'accord avec les grandes puissances
pour reconnaître qu'il était urgent d'appliquer en Macédoine un remède
pour empêcher l'explosion de la misère exaspérée.
C'est ainsi qu'on a été amené à proposer les réformes : réforme finan-
cière, réforme de gendarmerie, réformes simples mais indispensables.
!Pour leur exécution, il fallait un gouverneur à pouvoirs étendus, qui ne
fût pas exposé à se voir contrarié, chaque matin, par des ordres venus du
Sultan.
Le paysan se calmera ainsi peu à peu et les puissances pourront alors
rechercher ce qu'il conviendra de faire par la suite.
HENSBI6NEMENTS POLITIQUES 379
La Porte a accepté, intégralement, sans modification, le programme
qu'on lui a soumis. Nous sommes convaincus que, stimulée par Tactive
mr^âllance des puissances, la Porte mettra autant de sincérité à les
appliquer qu^elle a mis d'empressement à les accueillir. Elle y a intérêt.
11 ne faut pas se disimuler qu'il y a là une situation sérieuse que, seuls,
les efforts communs des puissances pourront faire disparaître.
L'éqmlibre européen que nos prédécesseurs se sont toujours attachés à
maintenir, maintenu également par nous avec méthode et fermeté, doit
être consolidé.
Nous nous sommes appliqués à faire disparaître des antagonismes fac^
tices et à opérer des rapprochements difficiles. Nous y avons réussi.
Vis-à-vis de Tltalie, l'entente s'est parachevée à la satisfaction des deux
pays. Quelques esprits chagrins peuvent la critiquer^ les faits n'en subsis-
tent pas moins et l'accord est solidement établi.
En cultivant Talliance qui doit rester la pierre angulaire de notre poli-
tique en Europe, nous maintiendrons notre indépendance et nous consolide-
rons notre empire colonial.
Comme on le voit, le discours de M. Delcassé a été surtout un
très habile plaidoyer en faveur de sa politique générale, et il a eu soin
d'esquiver toutes les questions délicates auxquelles il lui eût, sans
doute, été difficile de répondre avec précision.
M. Ribot, qui a pris la parole après le ministre, a fait en quelque
sorte la critique de ce plaidoyer; mais étant donné l'étendue du sujet
à traiter, le nombre et la diversité des questions soulevée», il n'a pu
malheureusement donner, sur tous les points, à cette critique toute
la netteté désirable. Son discours n'en a pas moins été très intéres-
sant et très remarquable.
M. Ribot a d'abord exposé ce que doit être notre politique géné-
rale, notamment au point de vue de l'alliance russe ;
X. Ribot. — Notre politique doit être une politique de paix, niais une
politique fière, une politique qui ne soit jamais une politique d'efifacement.
Elle doit, en second lieu, garder la base solide qui lui a été donnée par
TaUiance avec un grand pays. Sur ce point, nous sommes aussi d'accord,
non seulement avec M. le ministre des Affaires étrangères, mais aussi avec
nos honorables collègues de l'extréme-gauche, car M. Jaurès a bien voulu
me dire — et j'ai pris acte de ses paroles — qu'il considère à cette heure
l'alliance russe comme nécessaire à la politique française. L'alliance franco-
russe est, en effet, une garantie d'équilibre en Europe, et elle peut avoir
nne'action décisive dans certaines éventualités.
M. le ministre des Affaires étrangères vient de dire qu'elle s'est précisée,
fortifiée. Personne ne s'en réjouit plus que moi; seulement cette alliance,
^ et nous sommes bien d'accord assurément — cette alliance doit être pra-
tiquée dans l'esprit même où elle a été faite, et personne ne veut, ni M. le
ministre des Affaires étrangères, ni moi, qu'elle soit étendue avec sa force
obligatoire à tous les problèmes qui peuvent surgir et à toutes les hypo-
thèses diplomatiques.
.380 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONULES
Non ! ce qui fait la force, ce qui fera la durée de cette alliance, c'est pré-
cisément que nous avons gardé le droit à une indépendance égale dans
toutes les questions qui n'ont pas été prévues.
Certes, M. le ministre des Affaires étrangères a absolument raison.
Quand deux pays sont liés comme la France. et la Russie, ils doivent, dans
toutes les questions, même dans celles qui sont étrangères aux traités ou
aux conventions intervenus, s^ mettre d'accord ; cela est une force pour la
politique commune qu'ils pratiquent, mais il faut que cela résulte de con»
versations où chacun garde sa liberté, sa dignité, son indépendance, nul
ne pouvant être engagé dans une action politique dont il n'aurait pas déter-
miné librement le but et mesuré l'étendue.
M. Jaurès. — Vous blâmez alors la convention de Corée?
M. Ribot. — Je ne blâme rien.
M. Jaurès. — Je vous demande pardon ; il faut préciser.
M. Ribot.— Je n'ai rien à préciser; je sais que M. le ministre des
AiTaires étrangères est d'accord avec moi sur ce point.
M. Jaurès. — Mais non, puisqu'il l'a signée !
M. Edouard Vaillant. — Il a mis la France au service de la Russie.
M. le ministre des Affaires étrangères. — Il n'y a pas de con-
vention !
M. Ribot. — Il s'est expliqué dans des termes qui répondent', je crois,
au sentiment général de la Chambre et du pays.
J'ai donc le droit de dire que l'alliance franco-russe reste une des bases
les plus solides de notre politique, et sur ce point encore je ne pense pas
rencontrer de contradiction.
Cette alliance, d'ailleurs, ne nous a constitués à l'tHat d'hostilité avec
aucun des pays d'Europe. Cela n*a pas été dans son intention et cela n'a
pas été, très heureusement, dans ses effets. Et quand je jette un regard
sur l'état actuel de l'Europe et que je le compare à ce qu'il a été à d'autres
époques, à l'époque môme où cette alliance a été conclue, je me réjouis
très sincèrement de l'amélioration de nos relations avec certaines puis-
sances.
Parlant alors de la question de Macédoine, M. Ribot a déclaré
approuver pleinement la politique suivie par M. Delcassé en cette
occasion et exposée dans les Livres jaunes. Puis, arrivant à la ques-
tion du Siam, dont, au contraire, le minisire s'était soigneusement
abstenu de parler, il s'est s'exprime ainsi :
M. Ribot. — Si, dans cette question d'Orient, où nous avons des intérêts
communs avec l'Europe, M. le ministre des Affaires étrangères a suivi la
ligne qui lui est indiquée, j'aurai peut-être pour ma part quelques réserves
à faire sur d'autres points de la politique où nous avons des intérêts qui
nous sont plus exclusivement propres, moins commuas avec l'ensemble
de l'Europe.
Jo ne veux pas, vous le comprenez, engager à cette heure un débat com^
plet; le temps ni mes forces n'y sufffiraient; mais si je vous disais, sans
entrer dans une discussion qui aura son heure, peut-être un peu tardive.
*l
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES $81
si je TOUS disais qu'au Siam, par exemple, notre diplomatie n*a pas eu
toujours Tallure de confiance en elle-même qu*il aurait fallu, et que peut- j
éire nous nous sommes ménagé ainsi à nous-mêmes quelques difficulU':" I
dont nous a^ons aujourd'hui de la peine à sortir, vous me contredinv. i i
assurément, — mais, au fond, je crois que vous n'auriez pas tout à faii
rtison.
Le tort de notre diplomatie, voyez-vous, ç*a été de ne pas sentir assez U
force et les avantages qu'elle pouvait et qu'elle devait tirer du traité «li^ I
1896 avec l'Angleterre. • «
Oui, avant cette date, notre diplomatie au Siam était un peu incertaine;
CD en faisait un reproche [au ministre des Affaires étrangères et on avait
tort, car, à cette époque, nous n'avions pas déterminé avec l'Angleterre l**^ ^*! <••
sphères d'influence, et les conflits avec lie Siam pouvaient, à un moment
donné, prendre un caractère plus large et plus dangereux. Mais, depuis
1896, l'Angleterre s'est fixé à elle-même sa zone d'influence — et elle ue
met pas une réserve excessive, vous en conviendrez, quand il s'agit d'u^^^'r
des libertés qu'elle s'est ménagée ; elle ne verrait pas, certainement, d'un *
mauvais œil que nous-mêmes, dans notre région, c'est-à-dire dans la vallée i
dn Mékong, nous usions un peu de la situation privilégiée qui nous a été
reconnue. mJ
11 ne s'agit pas de porter là l'esprit de conquête, non ! Je ne crois pu:^
qu'il soit de l'intérêt de la France d'annexer toujours à ses possessions lic ^*^
Bouvelles zones, de nouveaux territoires et d'y envoyer des fonctionnaireh:
ce n'est pas du tout ma pensée. Ce qui est essentiel, c'est que, dans ceti^*
zone du bassin du Mékong, nous ne laissions s'établir aucune influeQii^
qui pourrait contrarier la nôtre.
M. Etienne. — Toute la question est là.
X. Ribot. — Toute la question est là, en effet. *
C'est que nous fassions comprendre au Siam, de manière qu'il ne puk^r
pas s'y tromper, que nous voulons que notre influence dans cette régiou,
au point de vue économique et au point de vue politique, soit une influenci'
prépondérante.
Si vous faites comprendre cela au Siam — et je crains que toute la polt-
tique faite depuis 1896 n'ait pas été dirigée tout à fait dans ce but; c'e^|
peut-être ce qui rend difficile la communication des cc^réspondances quVni
demande — si vous le faites comprendre au Siam, tout le reste sera pi u
de chose; toutes les difficultés s'évanouiront d'elles-mêmes; vous ferez Im
traité que vous voudrez, peut-être même n'en ferez-vous pas du tout — ■ i
cea peut-être au fond ce qui vaudrait le mieux.
Enfin H. Ribot a donné en ces termes son sentiment sur le Maroc
X. Ribot. ^ Reste la question du Mafoc. Ici, j'ai approuvé les paroIi<>
de M. le ministre. Cependant je ne trotive pas la situation très favorahli
elle peut devenir dangereuse. Il y a Tanger. Jamais l'Europe ne souffrin
que l'Angleterre, qui occupe déjà Gibraltar, occupe Tanger.
Je m'inquiète de ce que le Maroc pourra trouver dans l'emprunt frnn-
çais on précédent pour en conclure d'autres avec d'autres nations. Bienr^^ ^
382 QUESTIONS DIPLOJUnQUfiS ET COLONIALES
on parlera de gages, de nomination de commissaires, ce qui mène vite à
une flotf àm nmmf Hum.
Il y a là quelque chose qui mlnquiète un peu.
II faudrait fortifier notre action au Maroc; elle y est insuffisante, car elle
ne répond pas à notre situation en Algérie. Nous ne devons pas oublier
que nous sommes une puissance musulmaiie et(que tput ce qui se passe au
Maroc a son contre-coup en Algérie.
Je ne doute pas que M. le ministre des Affaires étrangères ne fasse tout
son possible pour développer notre influence. Mais il a tort de laisser courir
certaines idées, certains bruits au sujet d*uQ partage éventuel du Maroc...
De partage du Maroc, il n'y en a pas de possible; il faut le dire hau-
tement à la tribune.
Je n*en donnerai qu'une raison. Si on l'abordait, il y a une question que
vous ne pourriez pas résoudre, celle de Feai, ville religieuse, située sur le
passage de l'Algérie à l'Atlantique et qui constitue une porte sur TAlgérie.
Le débat s'e^t arrêté là, H. Delcassé ayant préféré ne pas répondre
à M. Ribot, et Vqn est passé au vote. Comme nous le disions en
commençant, les résultats de ce brillant tournoi oratoire auront
donc été purement négatifs, et nous devons le regretter d'autant plus
qu'il est certain maintenant que la Chambre, épuisée par un zèle de
deux journées, n'abordera plus de quelque temps l'examen de notre
politique étrangère. Combien est plus profitable le système parle-
mentaire anglais qui, par des questions presque quotidiennes, oblige
le gouvernement, à tenir le Parlement au courant des moindres
détails de son acUon extérieure et à collaborer en quelque sorte jour-
nellement avec lui !
Deuxnouveam Litnres jaunes. — Le ministère dés Affaires étrangères
vient de publier deux Livres jaunes^ l'un sur l'évacuation de Changhaî
(1900-1903), l'autre sur les affaires de Macédoine (janvier-février 1903).
Le premier contient le texte des communications échangées entre
le consul général de France à Changhaî, le ministre des Affaires
étrangères et les représentants des gouvernements intéressés par
l'occupation simultanée, en 1900, de la concession internationale, et
le retrait simultané des troupes étrangères en 1902-1903. Une des
pièces les plus importantes du recueil est la dépêche suivante
adressé par H. Delcassé aux représentants de la France à Saint-Pé-
tersbourg, Londres, Vienne, Rome, Washington, Tokyo et Berlin :
Paris, le 3 octobre 1902.
Au mois de juillet dernier, le gouvernement chinois s*est adressé au
gouvernement britannique, qui, le premier, avait débarqué des troupes à
Changhaî à la suite des événements de i900, pour lui demander et le prier
de demander à la France, à l'Allemagne et au Japon l'évacuation de cette
ville par les troupes étrangères qui y sont encore stationnées. La proposi-
tion anglaise, tendant à ce que ces troupes soient retirées simultanément
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES 383
le 1*' novembre prochain, est soumis à l'examen des gouvernemenis
intéressés. Il parait utile de rappeler, pour votre information, les faits qui
OQt motivé l'occupation de Changhai par des contingents étrangers.
Au mois de juin 1900, alors que Tinsurrection des Boxeurs menaçait U
sécurité de tous les étrangers dans le Nord de la Chine et que les puiâ^
saoces étaient privées de toute communication avec le gouvernemenc
impérial, les vice-rois de Ou-tchang et de Nan-king, dans la pensée
d éviter à leur pays l'aggravation d*un conflit international, dont les con-
séquences leur paraissaient redoutables, s'étaient portés garants du main-
tieo de l'ordre dans la région soumise à leur influence. De son «6té, le
corps consulaire à Changhaî avait promis à ces hauts mandarins que les
goa?ernement8 alliés s'abstiendraient d'intervenir dans les provinces c&u-
trales et méridionales, tant que la tranquillité n'y serait pas trofiblée.
Au mois de juillet, l'Angleterre, jugeant que ses intérêts à Changbai
n'étaient pas suffisamment garantis par les promesses des mandarine,
résolut de coopérer aux mesures de police dont le vice-roi de Nan-kin<^
irait assumé la charge. Le 27 juillet, l'amiral Seymour se rendait auprès
de lui afin d'obtenir que les forts de Woosung fussent momentanément
cédés au gouvernement britannique pour y établir un campement de
troupes anglaises et, sur le refus du vice- roi, proposait le débarquement
immédiat de 3.000 hommes en vue de la défense de la concession interna-
tionale à Changhaî. Lieou-Kouen-Yi n'opposa pas d'objection à ce dernier
projet.
C'est alors que le corps consulaire, réuni en assemblée et avisé de lit
mobilisation d'une partie de la garnison de Hong-kong qui se tenait pn^ti^
à partir au premier appel, décida l'envoi d'un télégramme identique à
chacun des gouvernements intéressés pour demander qu'une force combi-
née de lO.OOO hommes fût envoyée à Changhaî, toute action isolée nt*
pouvant que nuire aux intérêts généraux en cause.
.\u reçu du télégramme de M. de Bezaure, le gouvernement de la Repu ^
blique estima que, si des troupes étrangères étaient débarquées, nous nou^
trouverions dans la nécessité de suivre Texemple qui nous était ain^i
donné, et décida qu*en ce cas un bataillon d'infanterie ainsi qu'une batte-
rie d'artillerie seraient sans retard détachés à Changhai pour la défense dr
notre concession. Toutefois, afin de prévenir tout malentendu, M. di*
Beziure fut invité à marquer au vice-roi Lieou-Kouen-Yi que notre déci-
sion était inspirée par le ferme désir de maintenir l'intégrité du territoire
ctlinois, tout en coopérant avec les troupes indigènes pour la sauvegarri^^
de nos intérêts.
Ainsi, tandis que les troupes britanniques entraient à Changhaî, un
détachement de marins de nos croiseurs y débarquait de son côté, et il y
*^tait remplacé quelque temps après par un contingent venu d*Indo-Chine.
Deux autres puissances ne tardèrent pas à prendre des dispositions aua*
logues.Le 3 septembre, le consul d'Allemagne notifiait à ses collègues l'in-
teotion de son gouvernement de faire débarquer un détachement di^:
iSO hommes, qui arriva le 6 à Changhaî, et, de son côté, le Japon envoya
'JOO hommes trois jours après.
L'année suivante, le rétablissement de l'ordre dans le Tche-li et 1+
reirût graduel des troupes internationales qui avaient opéré dans cettt*
I:
ï
384 OUBSTIOMS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
province ne marquèrent pas, ainsi que l'aurait désiré le vice-roi, le terme
de roccupation de Ghanghaï.
Cependant, le 14 septembre de la même année, le corps consulaire,
saisi par le consul des États-Unis d'une démarche de Lieou-Kouen-Yi
tendant à obtenir l'évacuation, décida que la question serait soumise à
l'examen des gouvernements intéressés.
Le lendemain, l'Angleterre retirait 750 hommes, ce qui ramenait son
contingent à 957 hommes. A ce moment, le contingent allemand, qui avait
été renforcé depuis le mois de septembre 1900, s'élevait à 1.200 hommes;
le contingent japonais était réduit à 200 boxâmes. Quant au contingent
français, il comprenait, comme au début de l'occupation, 750 hommes.
C'est le 1«>' août 1902 que le cabinet de Saint-James s'est fait officielle-
ment, auprès des cabinets de Paris, de Berlin et de Tokyo, l'interprète du
désir du vice-roi, de voir cesser enfin l'occupation de Changhaî.
Je vous ai fait connaître que le gouvernement de la République ne voit
aucune objection à cette mesure, à la condition qu'elle soit concertée et
simultanée, et qu'elle comprenne tous les contingents étrangers. Il
demeure entendu, d'autre part, que, si une puissance quelconque est
amenée dans l'avenir à débarquer des troupes à Changhaî, nous nous
réservons d'y renvoyer telle force que nous jugerons à propos.
Actuellement, le gouvernement britannique, qui a déclaré que ses
intentions étaient entièrement conformes aux nôtres, suggère de fixer
l'évacuation simultanée au !«' novembre prochain.
J'ai prié nos représentants auprès des gouvernements allemand et japo-
nais de s'enquérir si ceux-ci seraient disposés à accepter cette date.
Le second Livré jaune^ sur les affaires de Macédoine, est un fasci-
cule de 16 pages seulement, qui contient quelques-uns des docu-
ments diplomatiques échangés entre le ministre des Affaires étran-
[ gères et nos ambassadeurs à Saint-Pétersbourg et à Constantinople
I ainsi qu'entre M. Delcassé et certains de nos ministres et consuls en
[ Turquie, en Grèce et en Bulgarie, dans la période allant du 23 jan-
î vier au 25 février.
\ La plupart de ces dépêches, qui ont trait à Tétat des esprits en
^: Bulgarie el dans les vilayets macédoniens, ainsi qu'aux dispositions
^ du gouvernement bulgare, n'ajoutent rien à ce que Ton sait déjà.
F Le document le plus intéressant est celui par lequel notre ministre
à Athènes, M. d*Ormesson, fait part à H. Delcassé de Timpression
produite en Grèce par la publication du précédent Livré jaune.
Voici le texte de cette dépêche de M. d'Ormesson : -
Athènes, 11 février 1903.
Je viens d'avoir aujourd'hui avec le ministre des Affaires étrangères une
conversation au cours de laquelle il m'a soumis, en termes très mesurés
d'ailleurs, les doléances du gouvernement grec au sujet de notre Livre
jaune.
, M. Skousès a constaté avec inquiétude qu'il n'est fait mention, dans le
\ xlocument publié, que des populations bulgares de Macédoine et aucune-
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 385
méat de Télément grec qui semble oublié; il redoute que celui-ci ne soit
sacrifié aux Slaves plus remuants.
J'ai répondu, à titre tout personnel, que je ne comprenais pas ces
inquiétudes, ne voyant rien dans le Livre jaune de nature à les justi-
fier : qu'il ne s'agissait pas de modifier le statu quo territorial, ou d'orga-
niser un régime nouveau au bénéfice d'une race et au détriment des
autres ; que l'élément hellénique, étant, au dire de mon interlocuteur, le
plus nombreux, devra bénéficier des r'^formes dans une mesure encore
plus large que les autres ; que je ne pensais pas que les Grecs puissent s'ins-
crire en faux contre les abus dénoncés ; que s'il n'était pas question dans
k Litre jaune des populations grecques de la Macédoine, c'était sans doute
parce que celui-ci visait surtout une action à exercer à Constantinople ou
à Sofia, mais que la France ne les oublierait pas et leur savait gré de leur
altitude pacifique; que des articles comme ceux de certains journaux grecs
étaient injustes et maladroits et que j'espérais, dans l'intérêt de la Grèce,
ijue l'opinion, mieux renseignée, se calmerait et attendrait pour connaître
les intentions de TËurope qui certainement ne sauraient être préjudiciables
a l'élément hellénique, l'Europe en ayant souci comme des autres élé-
ments chrétiens.
D'Ormesson.
Notre ministre des Affaires étrangères a répondu au comte d'Or->
messon :
Paris, le 12 février 1903.
Vous avez été bien inspiré en répondant à M. Skousès, et j'approuve
entièrement votre langage. Nous ne demandons de privilège pour personne
en Macédoine, mais une condition tolérable pour tous, à quelque race
qu'ils appartiennent.
Delcassé.
Ace propos, M. Delcassé a fait part aux ambassadeurs de la Répu-
blique française à Constantinople, Saint-Pétersbourg, Londres,
Berlin, Home, aux ministres de France à Athènes, Sofia, Belgrade et
Bucarest, de sa réponse au gouvernement d'Athènes :
Paris, 16 février 1903.
Le ministre de Grèce a donné communication à mon département de
deux télégrammes de son gouvernement qui se plaint de l'agitation causée
par les comités bulgares en Macédoine. Le gouvernement hellénique, qui
prétend d'ailleurs que les Grecs sont plus nombreux que les Bulgares en
Macédoine, demande des réformes dans l'ordre administratif et exprime
le désir que les grandes puissances fassent des représentations à Sofia.
11 a été répondu à M. Delyanni que nous n'épargnions les conseils de
modération ni à Sofia ni à Constantinople, et que nos efforts tendaient à
ce que les chrétiens, entre lesquels nous ne voulons faire aucune distinc-
tion, jouissent d'une adminisration plus régulière de façon que leur sort
étant plus supportable, ils ne soient pas tentés de se révoU.r.
Quelques jours avant cette démarche de M. Delyanni, notre représen-
tant à Athènes m'avait fait savoir que le gouvernement hellénique s'était
QoMT. DiPL. ET Col. ^ t. xv. 23
386 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS KT COLONIALES
plaint de ce que le gouvernement de la République n*eût pas, dans notre
récent Livre jaune sur la Macédoine» marqué assez d'intérêt à Félément
grec de la- région macédonienne. M. d*Ormes8on a répondu au ministre
des Affaires étrangères, en conformité avec mes vues, que nous ne deman-
dons de privilèges pour personne en Macédoine, mais une condition tolé-
rahle pour tous.
Je crois utile de vous faire part de ces indications à titre d 'in forma*
tion.
Dblcassé.
Voici, d'autre part, le communiqué adressé par l'intermédiaire de
l'agent diplomatique de Bulgarie à Paris à M. Delcassé :
Paris, le 15 février 1903.
D'ordre du ministre des Affaires étrangères, je suis chargé d'avoir l'hon-
neur de remettre à Votre Excellence la communication suivante :
« Le Conseil des ministres, dans sa dernière séance, a pris la décision
a de dissoudre définitivement les comités macédoniens existant en Bul-
<i garie. Ëa prenant cette mesure, le gouvernement se rend- parfaitement
« compte des difficultés contre lesquelles il aura à lutter pour la mettre
« en exécution. .
« Considérant que l'existence de ces comités a été largement tolérée,
u que leur activité, par suite du but patriotique qu'ils poursuivent, leur a
« gagné la sympathie entière de toutes les classes de la société, le gou ver-
te nement princier, avec leur dissolution, non seulement va s'attirer l'hosti-
a lité de ces comités, mais encore il risque de perdre sa popularité dans le
(« pays. Cependant, malgré ces considérations d'un caractère si sérieux, le
« gouvernement princier n'a pas hésité à donner aux grandes puissances
« une nouvelle preuve de sa loyauté, comptant sur les grandes puissances
« pour, en échange, lui faciliter sa tâche par l'application la plus rapide
a des réformes projetées. »
En portant ce qui précède à la connaissance de Votre Excellence, je
dois encore ajouter, d'après mes instructions, que le gouvernement prin-
cier estime qu'il est de toute nécessité et de toute urgence d'introduire
sans retard en Macédoine des réformes efficaces, seules capables de paci-
fier les esprits des deux côtés de la frontière et de rendre aux malheu-
reuses populations de la Macédoine la confiance en un avenir meilleur,
susceptible de leur garantir d'une manière sûre et permanente et leur sé-
curité personnelle, et leur vie, et leurs biens.
Zolotowitz.
Enfin, la dernière dépèche du Livré jaune est celle par laquelle
M. Constans, notre ambassadeur à Constantinople, informe M. Del-
cassé de l'acceptation par le Sultan du plan de réformes austro-russe,
et fait part au ministre de ses impressions à la suite de ses derniers
entretiens avec le grand vizir, Ferid pacha, et le ministre des Affaires
étrangères, Tewfikpacha.
Péra, 1» 28 février 1903.
Je me suis rendu hier auprès du grand vizir et du ministre des Affaires
étrangères pour renouveler les recommandations que je leur avais faites
RKffSEIGNKMEIfTS POLITIQUES^ 387
en Mie de Inacceptation et de Tapplicatioa du programme conietiu dans la
note remise conjointement, le 2i février, par les ambassades de^ Rossie et
d'Authche-Hongrie à S. A. Férid pacha. J'aireçude mas deux ioterloca-
leurs Tassurance que le gouvernement impérial avait accepté, sans au-
caoe restriction ni modification, le projet de réformes proposé.
Là rapidité avec laquelle cette adhésion a été donnée n'a pas manqué
de surprendre ici les personnes qui ne savaient pas que, depuis quelques
joors, le Sultan avait compris le danger auquel il s'exposerait en opposant
QD refus aux demandes concertées par les gouvernements russe et autri-
chien et acceptées par les puissances.
Le Sultan parait décidé à donner suite aux réformes annoncées et qui,
loin d*étre en contradiction avec celles déjà édictées par lui, les complè-
tent et les améliorent, et je vais, en communiquant à nos agents dans les
TÎIayets de Sak>niquei Monastir et Kossovo la substance du projet de ré-
formes, les inviter à me rendre compte de son application.
Grâce à leur surveillance et à celle des agents des autres puissances,
placés dans les principaux centres de Macédoine, il sera aisé de s'assurer
«le la façon dont les autorités locales mettent à exécution le plan de ré-
formes accepté par le gouvernement ottoman.
Turquie. — La queslion macidonimn$. — La situation ne semble
guère s'améliorer en Macédoine. Chaque mouvement de bandes
augmente Tinquiélude de la Forte sur l'avenir et par suite fait douter
de Tefficacité des réfoitnes dont TappUcalion demande forcément du
temps. Les pourparlers entre le gouvernement turc et les ambas-
sadeurs de Russie et d'Autriche continuent cependant d'une façon
suivie et quelques premières satisfactions ont été données aux puis-
sances. Un millier de personnes ont été amnistiées, dont cent Bul-
gares et le reste Macédoniens. On annonce qu'on, va entamer pro-
chainement la réforme financière. D'autre part, la réorganisation de
la gendarmerie et des gardes champêtres semble commencée. Il
est même intéressant de remarquer, à ce propos, que l'Allemagne a
trouvé là une nouvelle occasion d'affirmer son influence auprès de la
Porte. C'est, en effet, à trois officiei-s allemands qu'a été confiée cette
réorgaoisation de la gendarmerie : les généraux Ruedgisch et Auler
pacha et le majortFitzau. L'empereur Guillaume II ne perd pas son
temps.
Les ambassadeurs de France et d'Italie ont exprimé au Sultan la
satisfactkm de leurs gouvernements au sujet de l'adoption du
pian de réformes et l'espoir de sa sincère exécution. Cette démarche
a été enregistrée avec satisfaction par la presse austro-russe.
Par contre^ les journaux russes continuent à commenter sévè-
rement l'alCîtude de l'Angleterre. C'est ainsi que les Novosti àonnutnl
à entendre que l'or anglais est un facteur actif de la propagande
macédonienne révolutionnaire dans les Balkans.
Oa ne -peut douter, disent les NovosUy que tout dernièrement, comme
388: QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
eu 1876, il y a eu, derrière la source visible, une autre source, de laquelle
les agitateurs des Balkans tiraient toute leur force. Sans ce soutien secret,
la propagande révolutionnaire macédonienne, après Téchec qu'elle reçut à
Tautom ne dernier, eût cessé. 11 est à peine nécessaire de nommer le ^nlîeu
étranger, milieu malfaisant, le seul possible, qui fournit ces ressources
matérielles.
f/orgune panslaviste Sviei, qui s'occupe avec assiduité des affaires
de la péninsule balkanique, déclare sans ambage n*accorder aucun
crédit à la Porte, eu ce qui touche les intentions loyales qu'elle pro-
fère; la célérité avec laquelle le plan de réformes austro-hongrois a
été accepté à Yildiz-Kiosk lui semble a plus que suspecte ». Faisant
allusion au communiqué russe, le journal panslaviste déclare que la
patrie slave a le devoir de rester le guide et le protecteur de sa
parente méridionale. Si cela devient nécessaire, elle sera prèle encoro
h sacrifîer son sang et son argent pour la rédemption et le salut de
celte alliée.
Le projet de réformes, ajoute le Sviel, omet plusieurs points essentiels.
Par exemple, aucune mention particulière n'est faite de la constitution
(les tribunaux macédoniens sur rimpariialité desquels, tels qu'ils sont
îrrtueilement formés, on ne peut avoir absolument aucunt» conBance, qu'il
s'îfgisse d'affaires politiques, civiles ou criminelles. Les réformes à apporter
dans l'administration générale de la province sont seulement esquissées à
grands traits, vaguement : le projet reste susceptible d'être amélioré et
développé. Mais il faudrait, pour traiter avec le rusé monarque d*Yildiz
Kiosk et le conseil non moins rusé de Stamboul, avoir iixé tout d'abord,
et jusque dans le détail, les points importants.
11 est ialéressant, à ce sujet, de rapprocher de ces commentaires
russes les déclarations suivantes du correspondant viennois du
Standard, Ce dernier écrit, à la date du 9 mars :
Si Ton demande ici aux gens influents ce qu'ils pensent de ce fait que
TAngleterre s'est réservé entière liberté d'action au sujet des réformes en
Turquie, au lieu d'accepter purement et simplement ce que la Russie et
TAutriche jugeaient opportun de proposer, ils n'hésitent pas à répondre
que, puisque la Russie doit choisir pour le théâtre de son action entre
l'Orient et l'Kxt^éme-Orient, il est naturellement plus conforme aux inté-
i;èts de l'Angleterre qu'elle soit engagée en Europe plutôt qu'en Asie et
que, par suite, une guerre en Orient, telle qu'elle pourrait résulter d'un
conflit entre la Bulgarie et la Turquie, serait plus agréable à la politique
anglaise que l'activité des Russes du côté de la Chine, de la Perse ou de
l'Afghanistan, puisque cette activité reviendrait à une agression de la
part de la Russie.
Tout ceci, ajoute le correspondant, peut paraître assez sensé eC raison-
nable, si l'on ne considère que la rivalité permanente qui existe entre
l'Angleterre et la Russie; mais on laisse alors hors de cause des confei-
vlçrations d'un ordre encore plus élevé que celles qu'impose cette rivalitc^
r
t e^i uii Signe cdracléhsiique de la faiblesse qui résulte pour la monar-
chie austro-hongroise des discussions intérieures, que Ton soit obligé de
rappeler aux Autrichiens et aux Hongrois ces considérations supérieures
auxquelles ils devraient être les premiers à songer. Ëst-il absolument
nécessaire, et peut-il être dans les intérêts de rAutriche-Hongrie que la
Russie soit autorisée à jouer le rôle de protecteur en Orient, un rôle qui,
àuD moment donné, pourrait se transformer eh celui d*arbitre? Ëstil bon
que non seulement aux petits États des Balkans, mais à la Turquie elle-
même, on enseigne chaque jour que c'est la Russie, et la Russie seule, qui a
adonner des ordres et que c'est à sa seule volonté qu'on doit obéir?
n. — AFRIQUE.
Algérie. — Le voyage de M, Revoil à Paris, — M. Revoil, gouver-
neur général de l'Algérie, arrivé le 15 mars à Marseille, est attendu
à Paris, où l'appelle le règlement d'un certain nombre d'affaires
algériennes. Le gouverneur sera prochainement reçu à l'Elysée par
le Président de la République, avec qui il conférera de son voyage
prochain en Algérie.
laroc. — La situation. — La situation ne s'est pas sensiblement
modifiée au Maroc. Quelques engagements ont eu lieu entre les
troupes de El Menehebi et les rebelles, tantôt favorables, tantôt mal-
heureuses pour le Makhzen. On continue à parler de la capture immi-
nente du prétendant qui serait, dit-on, prisonnier de la tribu des
Thouls. Mais d'autres nouvelles contradictoires circulent aussi. Des
émissaires des Kabyles des environs de Melilla auraient assuré avoir
visité le campement de Bou-Hamara et avoir constaté que celui-ci
dispose encorede beaucoup de partisans.
Le Libéral de Madrid publie, à ce sujet, les réQexions suivantes
qu'il est à propos de noter :
A plusieurs reprises, nous avons dit que l'état actuel d'anarchie ne ces-
sera au Maroc que par l'intervention d'agents extérieurs.
Actuellement une période de fièvre aiguë et de crise est inévitable. La
Fâque musulmane commence le 10 mars; à cette occasion, des milliers
d'hommes dominés par le fanatisme religieux vont camper autour de Fez;
tout l'Islam occidental y sera réuni, chacun voulant déposer au sépulcre
de. Muley Dris ses ofTrandes et dire ses prières. Si, dans ces jours d'excita-
tion religieuse, Bou-IIamara parvient, lui qui représente l'intransigeance
traditioQnelle de la religion musulmane, à s'approcher de Fez, il est très
probable que les légions d'exaltés lui ouvriraient les portes et le recevraient
en triomphe. Une fois cette occasion ^passée, si Bou-Hamara la laisse
échapper, il est à peu près sûr qu'aucune autre ne se présentera plus pour
lai. Mais, de toute façon, de grands troubles sont imminents.
Les troubles, limités d'abord aux environs de Tesa, s'étendent rapidement
380 QUESTIONS OIPLOttATIQUBS BT GOLONULBS
vers les possessions espagnoles. Les nouvelles d^assassinat de sujets espa-
gnols circulent avec -insistance. Les négociants cherchent un refuge dans
les possessions algériennes, Tincendie de la révolte s'étend et TËspagne
seca peut-être bientôt assiégée dans ses possessions africaines. Des mesures
défensives sont indispensables.
Congo français. — Lér$tour de M, Orodet. — M. Grodet, commis-
saire général du gouvernement au Congo français, rentre en France,
appelé à Paris par le ministre des Colonies, qui désire avoir des ren-
.seignemenls très précis sur notre colonie. Pendant l'absence de
M. Grodet, l'intérim du gouvernement est conûé à M. Gentil.
Ajoutons que M. Henri Bobichon, administrateur des colonies,
vient d*étre désigné par M. Doumergue pour seconder M. Gentil dans
l'œuvre qui lui a été confiée au Congo. Il s'embarquera à Bordeaux
te 16 à destination de Libreville.
Afrique occidentale. — Le voyage de M. Roume. — M. Roume, gou-
Temeur général de l'Afrique occidentale, est en train de visiter le
Dahomey. Une dépêche nous apprend qu'il est arrivé le 5 mars,
dans la matinée, à Kotonou. Pendant que le gouverneur général se
rend compte par lui-même des besoins des pays qui constituent son
vaste gouvernement, M. Camille Guy, qui lui a succédé à la tête du
gouvernement du Sénégal, comme lieutenant-gouverneur, a visité
la Casamance et est allé jusqu'à Bathurst, dans la Gambie anglaise,
où le gouverneur lui a fait une réception très chaleureuse.
Abyssinie. — Le retour de M, Lagarde. — Démenti à plusieurs
reprises et de la façon la plus formelle, le retour en France* de
M. Lagarde, notre ministre auprès de l'empereur Ménélik, est
aujourd'hui chose officielle. Nous ne voulons pas encore juger, sur
des apparences que les événements sembleraient cependant nous
donner le droit d'apprécier comme des réalités, l'action politique et
diplomatique de M. Lagarde. Nous nous réservons de le faire défini-
livement lorsqu'il aura pu présenter sa défense. Pour le moment
nous nous bornerons à enregistrer avec satisfaction le choix, qui
paraît arrêté, de son successeur. Le gouvernement, assure-t-on, a
décidé d'envoyer en Abyssinie le colonel Toutée. 11 est certain que
nous avons tout avantage à être représenté auprès du Négus par un
officier supérieur plutôt que par un fonctionnaire civil, étant donné
que l'Angleterre et l'Italie, entretiennent déjà dans le pays d'impor-
tantes missions militaires. D'autre part, le brillant passé du colonel
Toutée, la haute situation qu'il occupe à l'École supérieure de guerre
témoignent hautement en sa faveur.
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 391
m. — AMâBIQUB.
États-Unis. — Une croisière sensationnelle, — On parle depuis quel-
que temps d'une croisière qu*une escadre imposante des Ëtats-Unis,
sons le commandement de Tamiral Barker, entreprendrait en mai
prochain, jusque dans les eaux portugaises; on lui a même attribué
la portée d'une démonstration navale, à Tappui de la doctrine .de
Monroe.
Suivant le Worldy le département de la marine de Washington ne
se proposerait rien moins que d'établir le blocus de Lisbonne, blocus
plus que pacifique, tout amical, puisque le programme comporterait
le gracieux assentiment du gouvernement du roi Carlos, et des fêtes
données à la noblesse et à la marine portugaises à bord de lescadre.
Tous les vaisseaux américains seraient groupés à l'entrée du Tage,
où ils resteraient assez longtemps pour démontrer quMls peuvent
traverser l'Atlantique en emportant assez de charbon pour leur
permettre de prendre l'offensive sur une grande échelle et dans un
rayon d'action étendu.
Le Portugal aurait été choisi pour cette démonstration parce que
les Ëtats-Unis n'entrevoient aucune probabilité d'hostilités futures
avec lui. Du reste, les assurances de Washington iraient au-devant
de toutes les susceptibilités portugaises.
L'escadre comprendrait le Kearsage^ Y Illinois^ Ylndiana^ le Maine^
ïlowa et le Massaehussils, et peut-être le cuirassé Texas et les croi-
seurs San-Franàsco et Albany^ outre les navires charbonniers.
A la hauteur des Âçores, les navires de combat referaient du char-
bon et s'approvisionneraient de manière à atteindre le Portugal prêts
à l'action. La croisière serait conduite comme une opération de
guerre réelle. Des croiseurs éclaireraient la route et les cuirassés
protégeraient les navires de charbon et d'approvisionnements.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
1. — EUROPE.
Allemagne. — Progrès ds la narigaHon en Chine. — Les statistiques
officielles mootrent quel essor la flotte marchaQde d'Allemagne a
pris dans TEmpire du Milieu.
L'effort des compagnies maritimes allemandes a été considérable,
surtout dans la vallée du Yang-tsé. Les résultats obtenus ont été
particulièrement remarquables. En 1899, TAllemagne était au qua-
trième rang des nations naviguant sur le fleuve Bleu ; en 1900, elle
était déjà au troisième; en 1901, elle était au deuxième. Au reste,
les chiffres que nous donnons se passent de commentaires.
Part des différentes puissances dans la navlgration du Yang-tsé.
NATIONS
Angleterre
Allemagne
Chine
J apon
Amérique
Russie
Autres puissances. . .
Totaux 19.98
1898
55
12.28
0.60
5.32
0.98
o.n
0.13
0.51
61.5
3
26.6
5
0.9
0.6
2.4
100
1899
2 o
13.45
0.51
6.29
1.58
0.23
0.20
0.51
22.83
^1
59
2.5
27.5
6.9
1
0.9
2.2
100
1900
= S
14.30
2.62
5.90
2.2T
0.28
0.15
0.48
26.0
5 5
55
10.1
2i.7
8.7
1.1
0.6
1.8
100
1901
S 2
15.73
5.36
5.26
3.07
0.50
0.19
0.58
30.69
51.2
17.0
17.1
10
1.6
0.6
100
Le pourbentage de l'Angleterre a donc constamment diminué
depuis quatre ans, bien que son tonnage sur le Yang-tsé ait crû
d'une façon continue.
Comme l'indique le tableau ci-aprés, l'augmentation enregistrée
par TAUemagne a été, par contre, absolument étonnante. Seuls, le
Japon et l'Amérique ont vu leurs tonnages se développer en propor-
tion avec l'accroissement total de la navigation sur le Yang-tsé. La
Russie se place honorablement au quatrième rang, dans cette aug-
mentation relative, avec 60 % . L'Angleterre n'arrive qu'au cin-
quième rang.
HENSKtUNKMKnTS ÉCOKUMIOUBS
393
iigmentation du tonnage de chaque puissance anr
de 1898 à 1901.
le Yaog-taé,
NATIONS
AUOMUNTATtÛN
BN MILLIONS
AUaMENT*.TIOK
Aof l?l«rfe _ . . .
.1.45
m %
2Ùi
11
-I
/«pcin . ...*.,*..., , . ,
AaiArique . .„
IUsfi«,.. *...,^
AwtMs &Giis4nee3. ... , _ ,
Cbifi*^
LVflTort obstiné de FAllemagne ne s'est pas local ké à la seule
tatléedu fleuve Bteu. La ntatistique suivante, qui donne la pari de
diique puissance dans la nuvi^ution des portï^ h traité du nord de la
Chme, prouve que le pavîlloa des marchands de Hambourg Qolte
- ment Ticlurieusemenl dans la mer Jaune et dans le golfe du
iiIl
Part dea diS'ôrentes puipaances dans la nairi^ation des ports
à traité du Nord de la Chine
NATJON.S
183S
PB
TOPÎNKâ
:'L:i:„f]j.i 'ru-
m -' ^
nci^sie . , . ,
S-ivr^ç, ,,,^ .,
Autres pitys. . . , ,
Totaux
2. OU
0.33
O.Oti
0,17
O.Oi
*.:ï3
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1.3
3fL7
0.4
lUO
1901
M
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TOMMES
2.91
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0/21
0 08
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0.10
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Î'OVR-
i:EN"TA01".
n.2
te. 7
3-3
1.3
t.
t. 6
lOO
Fandi:» que le pourceotage de l'Angleterre ne croissait que de
1,7 %, celui de l'Allemagne croissait de 9,4 % et celui du Japon de
15,* \.
Ainsi que nous le disions plus haut, tout eommeulaire ne pourrait
rfu'afraibiir la portée de ces chitTres.
ttaiie. — Du Bulletin du MUmfhre des Affaires éiranghres d'Italie, un
fisckule a été consacré k TAlgérie où résident, d'après le recen*
sem^^ntde 1901, 38.791 Italiens, Nous y trouvons, sur les rapports
rumm«rciaux de notre grande colonie et de ritalie» d'intéressants
reoseignements. L'Italie ne vient d'ailleurs qu'au septième rang,
394 QUESTIONS DIPLOMATIQOES ET COLONULES
après i'ADglelerre, le Maroc, l'Espagne, la Belgique, TAHemagne, la
Tunisie, et avec un total de 2.520.000 francs à rimportation et
3.809.000 francs à Texportation.
Les principales denrées importées par ritalie sont : la soie brûle,
le soufre, les pommes de terre, les légumes secs, les filets pour la
pèche, les vêtements, les Fromages, la papeterie... A. l'exportation
destinée à rilalie, nous relevons : les phosphates (1.453.000 francs),
les poissons secs ou salés, le tabac, les peaux, le crin végétal, le
sucre, le minerai de plomb, les vins, les laines.
Le Bulletin déplore que les articles italiens soient insufGsamment
connus.
IL — AMÉRIQUE.
Cuba. — Importations françaises, — Notre chiflFre d'afTaires à Cuba
est d'environ 30 millions par an.
D'après un rapport du consul de France à la Havane, nous faisons
deux fois plus d'affaires en coton qu'en soieries. Sur 13 millions de
francs de mousseline importés en 1901, nous en plaçons pour
812.000 francs, chiffre dérisoire, considérant que sur certains mar-
chés notre article Tarare, de Lyon, de Calais, vient au premier rang.
Notre bonneterie, nos confections sont un peu mieux partagées.
D'autre part, les industriels sont en instance auprès du Congrès
cubain pour l'admission en franchise de machines propres à la
fabrication locale du tissu de coton.
Nos tissus de soie jouissent d'une sorte de monopole : nous avons
plus de la moitié, près des deux tiers des affaires.
Les produits chimiques représentent pour nous, après les tissus, la
plus grosse somme de transaction : 2 millions et demi de francs sur
une demande de près de 13 millions. Nous fournissons à peine le
huitième des étoffes; nous tenons, dans cette branche, presque le
quart des affaires : produits pharmaceutiques et parfumerie sont les
causes de notre succès, car nous en avons presque le monopole.
La demande de métaux étrangers est de près de 25 millions : nous
fournissons seulement le dixième de ce chiffre. Notre papeterie
subvient au huitième seulement des demandes locales ; encore sont-
ce nos cartonnages et nos imprinaés qui occupent la place d'honneur
dans cette série d'articles. Nous imprimons des calendriers, des
réclames-chromos, des étiquetions pour marques de cigare : de là un
courant d'affaires. Notre papier à lettre, notre papier à copier, notre
papier à cigarette pourraient trouver une plus large clientèle.
Nos denrées alimentaires ne ^oQt presque pas connues à Goba. Sur
un chiffre d'importation de 32.b^0.105 francs en 1901, nous n'avons
importé que 419.627 francs.
Notre industrie des cuirs est également presque nulle ici.
NOMINATIONS OFFiaELLES
MIKISTÈRE DES AFFAUES ÉmANGÈmBS
L'ezquatar a été accordé. à : .
}i. Robert Deiarue-Lebon, mce-consul de Danemark k Dieppe.
MINISTÈRE DU COMMERCE
Sont nommés conseillers du commerce extérieur de la France :
MM.
Artaud (Adrien), de la maison J.-B. et A. Artaud frères, président de la société |
pour ia défense du commerce de Marseille ; I
Aboucaya (Léon), de la maison Aboucaja frères, fabric. de cuirs vernis à Paris ; 1
Barr^re (René-Henri), éditeur géographe à Paris; i
Battier (Ch.), secrétaire de la chambre de commerce française de Montevideo ;
Baudoin (Paul-Piç^rre-Jacques), ingénieur métallurgiste à Paris ; I
Bernard Passerieu, chargé de mission à Madagascar ; |
Bernbeim (Gustave-Eugène- Lucien), de la maison Gustave Bernheim et C^*, ' I
fabricant de tissus à Paris ; 1
Bosc (Jean- Jacques), propriétaire d'une maison de tannerie à Nîmes (Gard) ; .
Bernus (H.), président de la chambre de commerce de la Basse-Terre (Guadeloupe) ;
Bloch (Armand-Aron), fabricant de ferrures, boulonnerie, fonderie, etc., à Paris: i
Bogaert, négociant à Hué, président de la chambre mixte d'agriculture et de com- |
mercede l'Annam; j
Biondet (Romain), négociant-commissionnaire, administrateur de la Banque de la
Martinique à Fort-de-France ; I
Brault (Alfred), industriel céramiste, à Choisy-le-Roj (Seine) ; |
Caillet (Henri -Jules), ingénieur (matériel monorail Caillet) à Paris; I
Cassoute (Paul), négociant-exportateur à Marseille; j
Cbarton (Claude- Joseph), négociant-exportateur de vins, vice-président du sjndi- j
cat des vins et spiritueux de l'arrondissement de Beaune;
Cbauvris (Camille-Eugène), de la maison Chollet neveu et C" (cuirs et peaux) à
Paris;
Daudj, négociant à Grând-Bassam (C6te d*I voire) ; |
Derobert, de la maison Derobert et Fravd, à Falfou (province de Quang-Nam, i
Annam); I
Debraine (Eugène-Ernest), administ. des magasinsdu Petit Saint-Thomas à Paris;
Desplaoques (Henri- Jules) représentant de fabriques françaises à Paris ;
Drejfus (Paul-Louis), dit Dreyfus Hing, commissaire-exportateur & Paris;
Docartn (Désiré), manufacturier à Comines (Nord) ;
Dotnic (Jules), fabricant de liqueurs à Saint-Marcellin (Isère);
Faaqueux (Arthur), chargé du service de la correspondance à l'agence du Crédit
IjODnais à Odessa (Russie); |
F&ure (Emmanuel), de la maison Faure et Soustre (exportation de grains et
iannes) à Bordeaux;
Ferme (Gabriel), négociant-commissionnaire à Paris;
Fevre (Désiré- Pierre- Alexandre), exportateur de primeurs à Alger;
Fontaine (Lucien- Joseph), de la maison Fontaine frères et Vaillant, fabricant de
sermrerie décorative à Paris ;
Fried, Cabricant de perles, 13, rue du Caire à Paris;
Friedmann (Georges), de la maison Levy et Friedmann, commissionnaire en
marchandises à Paris ;
Fnmouze (Jean- Victor), de la maison Fumouze frères, fabricant de produits chi-
miques à Paris ;
Cialland ( Alexandre- Jeao-Baptiste), distillateur à Saint-Denis (Seine) ;
Gaveau (Louis-Etienne), de la maison Gaveau, faliricant de pianos à Paris;
i
396 QUESTIONS DIPLOUATIQUKS KT COLONIALES
Gente (Gabriel), gérant ^- de ' la -n^aison Cauderlier (exportations de lins), à Riga
(Russie) ;
Grosieux, négociant à Phang-kang (Annam] ;
Hainet (Hippoljte-Etienne), entrepreneur de serrurerie, administrateur des hauts
fournaux de la Sambre -à Paris;
Hanriat (Adélin-François), épicier en gros à Paris;
Heftler (Victor-Raphaël), ingénieur à Cleveland-Ohio (États-Unis);
Heim, délégué de la Gujane au comité consultatif de l'agriculture et du commerce
lies cq)onies à Paris ;
Iloulet (Eugène-Victor), fabricant de bronzes d'art à Paris ;
Jacquet (Ferdinand-Barthélemj), de la maison Waker et Jacquet, commission-
exportation (tissus et modes) à Paris ;
Jeangirard (Georges-Louis), négociant commissionnaire à Paris, maison àBonnbay;
Julien (Louis), négociant à Cette (Hérault);
Lambert (Emile- Auguste-Alexandre), de la maison Desmazures et Lambert, fabri-
cant de produits chimiques à Paris ;
Lapadu (L.-E.), négociant à Batavia;
Lavenir (Jean- Alexandre-Joseph), docteur es sciences, directeur commercial de la
fabrique de produite pharmaceutiques P. Astier à Paris ;
Lattes (Lucien), de la maison Siebel et Lattes, banquier à Paris;
Lavy (Aimé), secrétaire du conseil de la compagnie de navigation a Est-Asiatique »
à Paris;
Levj (Henri-Hénoch), fabricant de confections à Paris;
Levy (Raphaël), de la maison Levj Hermanos, commiss. -export, à Paris (comptoir
aux Philippines;
^ewin (8imon), négociant au Cap (Afrique du Sud); «
L'Huissier (Henry), négociant à Buenos-A jres ;
Lob (Sylvain), chef de la succursale à Munich de la maison Ulmo, de I^yon
(soieries-lainages) ;
LuUing, fabricant exportateur de vins de Champagne à Reims ;
Mathieu (Félix), direct, de la comp. bordelaise de produits chimiques^ Bordeaux ;
Meiliassoux (Gabriel-Félix), administrateur de la sucrerie-raffinerie de Ripicini
(Roumanie), juge au tribunal de commerce de Roubaix (Nord);
Mêle (Jean-de-Dieu), négociant-distillateur à Alger;
Mengeot (Jean-Marie-Nicolas), vice-président de la Soc. de géog. comm. do
Bordeaux ;
Michel (Charles), explorateur, chef d'une importante exploitation vinicole à Paris ;
Morisson (Louis-Alexandre), courtier en marchandises à Paris;
Moulot, imprimeur,*export. de matériel d'impr. à Marseille ;
Meyer (Lucien), construct.-mécan. à Paris;
Neton (Albéric), chargé de mission en Indo- Chine;
Origet (Maurice), courtier en marchandises à Paris;
Olivari (Antoine), manufacturier à Nice ;
Perin, armateur à Paimpol ;
Perrin (Antonin), de la maison Goiffon, Perrin, Dunand et Ricot, présid. du
synd. de l'ind. des cuirs et peaux à Lyon;
Pupin (Henri-Ernest), courtier en marchandises à Paris;
Ramelot (Antoine-Eugène), présid. du synd. général du commerce et de Tindustrie
du Havre, membre de la ch. du comm. du Havre;
Ravat (Joseph-Marius), directeur commercial de la maison Doyen et C«« de Reims;
Renier (Léon-Prosper), gérant de la société générale des annonces k Paris ,
Richy (Lazare- Haïm), commissionnaire-exportateur k Paris ;
Rivolier (Alexis), présid. de la chambre syndicale des fabricants d'armes de Saint-
Etienne ;
Rondet (Maurice-François), de la maison Rondet, Schon et C»«, constructeur de
matériel pour les chemins de fer à Paris ;
Rueff (Jules), libraire-éditeur à Paris;
8alomon (René), de la maison Salomon, exportateur de raisins de table à Thomerj
^Seine-et-Marne) ;
Saudray (Henri-Emile-Jean-Marie), commiss. en marchand., présid. de la ch. syod.
des agents représent, pour l'exportation à Paris ;
NOiaNATIONS OFFICIELLES 397
Schoeegans, de U maison Denis frères, secrétaire de la chambre de commerce de
Saigon;
Schoeg (Henri), négociant à Santiago de Cuba ;
Siegfried Gis (Jules], de la maison Huilard, Siegfried et C*« à Suresnes ;
Sfochman (Oscar), fabricant de bustes et mannequins à Paris;
Tiâsier (Marcel-Louis), négociant en vins à Saint-Amour (Jura) ;
Tellière (Ange), négociant en huiles et savons à Paris;
Tnxiiiiet, membre du conseil supérieur des colonies ;
Vert (Baptiste), négociant en eaux-de-vie à Jarnac (Charente) ;
Waiier (Jules), de la maison Waller frères, commission pour l'exportation et l'im-
pr.r;atioD des céréales, farines, sucres, huiles et alcools à Paris ;
Weili (Daniel-Félix), commissionnaire en machines industrielles à Paris.
UNISTÈRE DK LA GUERRE
Tr*apes e*loalales.
INFANTBRIB
Âôiqne Oooidentale. — MM. le Heut. Loison et le aoua-iieut. Dufour sont
J(<iir. pour servir au l**" sénégalais :
MM. le chef de bataiU. Tandart et le Heut. Albin sont désig. pour servir au
:* j^eoégalais.
Congo. — Ont été désignés pour entrer dans la composition du rég. indigène du
< cQgo, et ont reçu l'afTectation ci-aprés, savoir :
lieut.'CoL command. : M. Grave, command. sup. des troupes au Congo.
Cheft de bataiU. :
i^bataill., M. Largeau; 2* bataill. M. Rouvel.
Cnpit. adjud.-maj. :
l'r bataiU., M. Grosdemange; 2« bataill., M. Génin;
\^ comp. : M. le capit, d'Adhémar ; MM. les lient, Faure et Guex ;
7 <^omp. : M. le capit, Colonna de Leca; MM. les Heut. Boisot et Gauckler ;
3' comp. : M. Xecapit, Brochet; MM. les lient. Hardellot et Brûlé;
4' «omp. : M. le capil. Fouque; MM. les Heut. Favard et Poupard ;
?comp. : M. le capit. de Gommerj; MM. les lient, Charreau et Denisart;
N* comp. : M. le capit. Rejmond; MM. les tient. Martin (J.-J.) et Courrier;
?comp. : M. le capit. Arnould ; MM. les lient. Simond et Sockeel ;
Suite : M. le capit. Noton; M. le lient. Delaunaj; MM. les sons-lient. Clément et
bureau.
Indo-Chine. — Sont désig. pour servir au Tonkin :
MM. les capit. Dubois de Saligny, Darnault, de Marquessac, Changeux et
l^llecocq; les Heut. Castaing, Desmoulin-Baron, Thébault, Marabail et Ollivon ; les
*^rj%-lieut. Magnin, Chenaud, Peignot et Mathis.
MM. le capit. Régnier et le lient, Wendt ^ont désig. pour servir au 5* tonkinois.
MM. les soui'lient. Richard et Delaissey sont désig. pour servir au 18* rég.
HadagaBOar. — Ont été désig. pour servir à Madagascar :
MM. les chefs de bat. Bethouard, Manger et Leblanc; MM. les capit. Wan-
«iertermeulen et Bertrandon ; MM. les lient, Barbassat, Thiry, Boinet, Jouannetaud,
'Meure et Alibert; MM. les sova-lieut, Hinzelin, Fons, Roux, Crozes, Lefrancois
1 Clerc.
Sont affectés :
M. le capit. Calendini à la 3* comp. du batail. de Diégo-Suarez ; .
M. le capit. Maupin à la 16* comp. du 3* sénégalais ;
M. le capit. Dussaulx à la 12* comp. et M. le lieul. Ardant du Picq à la 10« comp.'
iB i^ malgaches ;
M. le Heut. Morvan k la 5« comp. du iZ^ colonial;
M. le Heut. Bachellez à la 2^ comp. du i^^ malgaches;
M. le capit, Dudouis est affecté au 2^ malgaches.
ARTILLERIE
Afrique Oooidentale. — M. le lient, col. Romey est nommé direct. d*artill.
i Ittkar.
Indo-Chine. — M. le capit, Denain est désig. pour servir au Tonkin.
L
398 QUESTIONS D11'U>IIAT1QUES ET GOLOMIALIfS
Xàdagmsoar. — Sont désig. poar serrir aa délaoii. dbu vriera à Tanmnarive :
MM. le eapil. Blanc et le lieut. Beulajgue;
M. le capit. Jacquin est désig. poar servir au détach. d*<mvrîers de Diégo-Suarez.
SBRVICE DS SAHTB
Afirique Oooidentale. — M. le méd. ppal. de 2* cl. Simon est désig. pour
nervir à Dakar.
Les méd.'tnaj. de 1"' cl., dont les noms sairent sont désignés pour servir :
Au l^' sénégalais, M. Carrière; à Saint-Louis, • MM. Brossier et Lajret; au
14« d'infant, col. à Dakar, M. Leclerc.
M le méd. -ma j. de 2* cl. Bonnescuelle de Lespinois est désig. pour senr ir au
iiataill. de la Côte d'Ivoire.
Les méd. aides-maj. de i^ cl. dont les noms suivent sont désig. pour servir :
A Bandiagara, M. Quesseveur; au service général à Saiot-Lottls, M. Marmey; à
Ouagadougou, M. Vallet; au chemin de fer de la Côte d'Ivoire, M. Rousseau; au
.•ervice général, M. Pejrot : à- Oao, M. Le Goaon; à Kourj, M. Ouzilleau; à
Thiéfl, M. Penaud; k Dakar, M. Pistre; au 3' territ. milit, M. Heckenroth; à Kou-
liicoro, M. Bouiliez; à Goumbou, M. Cacbin, au l^c sénégalais, M. Duporron.
M. le pharm. aide-maj. de l" cl. Bouyer est désig. pour servir à Dakar.
M. \e pharm. -ma j. de 2« cl. Guilloteau est désig. pour servir en Afrique Occi-
dentale.
Guyane. — M. Nédélec, méd. aide^maj. de f® cl. est placé hors cadres à la
Guyane.
Indo-Ohine. -— Sont désig. pour servir en Indo-Chine :
MM. le méd.-maj. de l" cl. Ilecoules et le méd. aide^maj. de 1** cl. Rouf-
fiandis.
M. le méd. aide-maj. de 1'* cl. Paucot est affecté à l'ambulance de That-kné, au
Tonkin.
M. le méd. aides-maj. de 1** cl. 8ibiril est affecté au 10« colonial à Hué.
Bont désignés pour servir à Saigon :
MM. leH méd.-maj. de 2« cl. Hagen et Cognacq.
Ooeanie. — M. le pharm. aide-maf. de l'« cl. Taupin est désig. pour servir à
Tahiti.
Madagrasoar. — M. le méd.-^naj. de 2* cL Mauras est désig. pour servir au
!*■* malgaches;
M. le méd. aide-maj. de !«' cl. Le Corre est désig. pour servir à Thôpital de
Diégo-Suarez.
CORPS DU COMMISSARIAT
Afrique Oooidentale. — Les commise, de i'* cl. dont les noms suivent sont
nommés sous-ordonnateurs :
A Tombouctou, M. Marin ; à Bobo-Dioulasso, M. Gérardin.
Les commiss. de 2* cl. dont les noms suivent sont nommée :
Au service des approvisionnements à Saint-Louis, M, Dunand*ilenrj; à Ivati,
M. Lasne-Desvareilles; M. Briolay est mis à la disposit: du gouverneur général.
NoUTelle-Oalédonie. — M. le commise, de 3« cl. Lièvre est homme chef des
services administ de la Colonie.
HtNiMTÊafi DB liA HIUUIVE
Atlantique. — MM. le lieut, de vniss. Leloup et Venseig. de vaiss. Homan sont
désig. pour embarquer sur le Tage k Fort-de-France.
M^re d'Orient. — M. Venseig. de vaiss. Delort est désig. pour embarq. sur la
Décidée.
M. Venseig. de vaiss. Koy est design, pour embarq. sur la Surprise.
Ooéan Indien. — M. le lieut, de vaiss. Gaillard lest désig. pour les fonctions
d'adjudant de la division.
Sont désig. pour embarq. sur la Nièvre (Mission hydrog. à Madagascar) :
M. Venseig, de vaiss. Dukers (X.-J.-M.).
MM. les aspirants de 1'« cl. Carbonnier (H.-M.-L.); Bain de la Coquerte
(F.-b\-C.): Gigli(lI.-F..C.-C.). ...
Paoiflqne. — MM. les aspirants de i" cl. Guirand, Le Douget, Blin et l^ascal
sont désig. pour enftbarq. sur la Durance à Nouméa : . ' .
BtBLlOGRAPUlK LIVRES ET RRVUKS 399
mmsTÈKE DES coLmnsB
Par décret en date du 17 février i9(^, M. Laurans, procureur do la République à
l»oaii (Nord), a été nommé substitut du procureur général de riDdo-Ciiitie.
Par arrêté du ministre des colonies en date du 2S^ février 1903, M. le capitaine de
fréffate Favereau, chef de' la 2« section de l'état-major 'général au ministère de la
, a élé nommé membre du comité consultatif de défense des colouies.
BIBUO&RAPHIE ~ UVRES ET REVUES
Les Lazaristes À Madagascar au XVII* siècle, — par Henri
Froidbvaux. 1 vol. in<12. Paris, Cli. Poussielgue, éditeur.
Ce livre se rattache à Tintéressant mouvement qui porte un assez grand
anmbre de bons esprits vers les recherches historiques ayant pour objet
DUS anciennes et nos nouvelles colonies. A côté des études spécialement
politiques économiques, ou sociologiques, les .études d'histoire coloniale
oot également une utilité pratique, car elles apportent, elles aussi, leur
L'oouogeQt d'enseignements profitables et de leçons opportunes.
Peut-on nier, par exemple, que certaines tentatives de colonisation,
faites «ans prévoyance, sans esprit de suite ni méthode, que les dissen-
mOqs résultant des contradictions et des entraves que l'intérêt mercan-
ule. que Tesprit cupide des traitants opposèrent souvent aux* conseils de
kl prudence et de l'humanité, comme à Taction civilisatrice des missions
a l'égard des populations indigènes, expliquent trop bien, en pareil cas,
ki insuccès et les revers enregistrés par nos annales, en dépit des trésors
•l'béroisme, de ténacité et d'abnégation qu'ont dépensés sur ces terres
lointaines nos soldats, nos colons et nos missionnaires.
rWt précisément une page de cette histoire, — page à la fois intéres-
<inte et douloureuse, qui se déroule au Sud-Est de Madagascar, autour
dp Fort-Dauphin, — que M. Froidevaux nous a retracée; il l'a fait avec
Kjii talent accoutumé que connaissent lûen nos lecteurs, avec Térudition
loyale, curieuse et précise, qu'il met en œuvre d'une façon aisée et tou-
/jun; claire, et qui est la marque précieuse de tous ses travaux. — J. H.
Ouvrages déposés au bureau de la Hevue.
U France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX* siècle^ publiées
joas U direction du P. Piolet, avec la coilaboratioD de toutes les sociétés de mis-
Moos. ~ Illustrations d'après des documents originaux. — Tome VI et dernier.
Hissions d Amérique. Les 89* et 90* livraisons viennent de paraître. Paris, 1903,
librairie A. Colin.
loyales au Maroc (1899-1901), par le marquis ue Sbgonzac. Un vol. in-S" jésus de
MM pages avec 178 photographies et une carte en couleur, hors texte. A. Colin,
éditeur. Paris, 1903.
Aifiénagemenl des eaux â Java, par le capitaine T. Bernard, de Tartillerie colo-
liale. Un vol. in*4* de 80 pages avec IS figures dans le texte et 16 planches hors
exte. Ch. Béranger, éditeur. Paris, 1903.
LAlcoolei son histoire en Russie, par Lolis Skarzynski. Un vol. in-8o de 188 pages.
Arthur Rousseau, éditeur. Paris, 1902.
liPérou^ par Auguste Plane. Un vol. in-16 de 350 pages, avec 23 gravures hors
texte et 2 cartes. Ploo-Nourrit et C»*, éditeurs. Paris. 1903.
Gtrmains et Slaves (Origines et croyance»), par André Lefevre. Un vol. in-lR de
)20 pages avec 15 ligures dans le texte et un atlas de 32 cartes. Schleicher frères
et Q^ éditeurs. Paris, 1903.
la Bohême d^aujouriV hui, par Hbnbi IIanticu, professeur à l'Ecole commerciale
frinco-tclièque de Prague. Une brochure Ap 40 pages (extrait de la Revue hebdo^
taadaire). Paris,. 1902. .
■^r-
400 QUBSTIONS DIPLOMATIQUES KT GOLOlflALBS
Le Port de la Rochelle. Notice descriptive publiée par les soins de la Chambre de
commerce de la Rochelle, 1903.
LES REVUES
I. _ REVUES FRANÇAISES
Armée et Harlae (l*** mars). Les affaires du Venezuela. — J. db Montbut : Le
lieutenant Contât. — Manœuvres d'automne en 1903. — (8 mars). Les fêtes navales
de Villefranche. — Les jeunes soldats aux colonies. — Phaqoa : La déCen»e et
les garnisons des Pyrénées. — Verseau : La défense des côtes. — Georges Tor-
DOUZE : La décision des Conseils supérieurs de la Guerre et de la Marine.
Annales eolonlales (1®'' mars). Paul Ravaisse : Le Maroc : Que devons-nous
faire? — Henri Chevalier : Le désastre des Tuamotou. Interview de M, J. Ghessé.
Bulletin de la Société de g^éeg^raphle eommereiale de Paria (w* iO, il.
12 de 1902). G. Borelli : Le Dahomey, ses progrès, son chemin de fer, son rôle
dans notre empire africain. — De Roquefeuil : De Tamatave à Tananarive, avec-
deux cartes, etc., etc.
Dnlletin de la Société de géopaphie d'Oran {ocl.-déc. 1902). Camim.i:
Fidel : Les intérêts économiques de la France au Maroc. — D^ Romary : Notice
sur la montagne de sel du Djebel-Amour.
Bévue Bleue (28 fév ). L. Delpon de Visseg : Les conflits futurs entre l'Alle-
magne et les Etats-Unis. — (14 mars). Edmond Plauchut : L'esclavage dans le
Nord delà Nigritie.
Bévue commerciale de Bordeaux (6 mars). Henri Lorin : La France et le
Siam.
Bévue des Deux Monde» (l'^^ mars). René Pinon : Les événements du Maroc.
Bévue g^énérale des Selences (28 fév.). Edm. Doutté : Les Marocains et la
Société marocaine.
Bévue de Hadaipasear (10 fév.). Henri Froidevaux : Les Lazaristes 2\ Mada-
gascar. — (10 mars). Moricbau : Quelles entreprises peut-on tenter à Mada-
gascar?
Bévue politique et parlementaire (10 mars). Charles Michel : Affaires
d^Ethiopie : Les intérêts français et le traité anglo-éthiopien du 13 mai 1902.
IL — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues italiennes.
Bulletin de la Soelété |péo|prapliiqne italienne (déc. 1902). Angblo Ma-
FINI : La vallée de Gherghèr (en Erythrée). — Francesco Paolo Garofalo : Con-
tribution k la géographie historique de l'Afrique (entre la Mauritanie Tingitane
et l'Egypte).
La Bassegna IVamionale (1*' fév. 1903). La question religieuse aux Philippine^
(envisage successivement la question des écoles, les rapports de l'Eglise et de
l'Etat, le problème de la mainmorte, les négociations avec le Vatican). — (16 féo.).
Barthélémy Mitrovic : Le Monténégro dans l'histoire de la littérature serbo-
croate.
L*ftalia Coloniale (févr.). Lamrerto Vannutelli : L'industrie minière dans le
Sud-Africain. — Gregory d'ARRBLA : La Palestine d'aujourd'hui et de demain
(aujourd'hui l'agriculture est dans l'enfance, l'industrie n'existe pas, et la Turquie,
par sa domination égoïste, constitue le pire obstacle au progrès; demain, c'est la
mise en Vcaleur du pays par l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie). — F. Canella :
Les richesses minérales de TAbyssinie.
Bivista Hodema (1«^ fév.). R. Cap. Perini : Le mouvement colonial au xix* siè-
cle, IIL — GiULio Fradeletto : Sur une ligne de l'Adriatique aux Indes orien-
tales (nécessité pour l'Italie qui a fait, en 1900, 65 millions d'échanges avec
l'Inde anglaise, de créer une ligne commerciale directe). — B. db Luca : Inter-
views sur les Balkans (conversations avec MM. Vouitch, Stourdza, DanefI).
L*Esplorazione Commerciale (16 janv.). Giulio Fradeletto : De Venise aux
Indes orientales. — (!«■' fév.). Sur la côte des Somalis.
. L'Admintsiratêur-Oérant : P. Campain.
PARIS. — IMPRIMERIE F. LEVE, RUE CASSETTE, il.
APERÇU DE QUELQUES SOMMAIRES
Sommaire du n^ 137
fl«iri Pfiua : L'arenir de la Tunisie. L'industrie européenne et Tindustrie indigène —
"*: L'œaTre française en Afrique Occidentale. — Henri Bohler : Les coulisses du
p&Qgermanisme autrichien. -^ René Morêux *. Le premier congrès colonial allemand. \%
CitêB et gravnres ; Carte de rAfrique Occidentale.
Sommaire da a» 4 88
*** : Le lirre jaune et les affaires de Siam. >- fi. Peyralbe : Franco et Simplon. —
PailLabbè : La région du fleuve Amour.
Ctftes et srayares : l. Graphique comparatif des projets Frasne-Vallorbe et de la Fau*
cille. -^II. Carte des voies d accès au Simplon.
Sommaire du no 4 30
Katre eiqnête : A propos des affaires de Siam : Opinions de MM. Qodin, le Comte
d'Âonaj, Bertbelot, Le Myre de Yilers, Denys Cochin, Flourons, Senart. et du journal
Le Temps. — Maurice Bnret : Les villes do santé dans nos Colonies. — Georges
fi«Uer : La lutte tchèque-allemande.
Cartes oC grayarea : Répartition des nationalités en Autriche-Hongrie.
Sommaire da a*" 140
>'itre eiqiête s A propos des affaires de Siam ; opinions do MM. François Deloncle, le
btron d'Estooroelles, de Constant, GerviUe-Réache, H. Cordier, Marcel Monnier,
Charles Lemire. — ***: L'œuvre française en Afrique occideoiale. — Paoi Labbè :
Li région du fleuve Amour, la province Maritime.
Ctfta et graviircs : L Les nouvelles délimitations des colonies de l'Afrique occidentale.
~ II. La région du fleuve amour. ^____^___^.^^_^
Sommaire dn n» f 41
9ÛBt-6emii]i, sénateur d*Oran : La question du Maroc. — Le Myre de Yilers, ancien
dépnté de la Cochinchine ': La crise de Tardent en Indo-Chine. — *** : Le conflit
anglo* germano-vénézuélien. — René Basset, directeur de T École supérieure des Lettres
d'.\lger : Le XIII" congrès international des orientalistes à Hambourg. — René Pinon :
Les missions catholiqaes françaises au zix* siècle. — L. Brnnet, député de la. Réunion:
Midagascar. — Les territoires militaires.
Cartes et gravttrea : Carte du Maroc. — Carte du Venezuela.
Sommaire do a* i4S
'*' : Notre expansion coloniale et les partis politiques. — René Henry : La question de la
Macédoine. — X. : La question du Maroc, -r Notre Bnqoête : A propos des affaires de
Siam; opinions de M. G. Chastenet, d'un collaborateur d'Extrême-Orient, de M. Robert
iiCùi [Journal des Débats); protestation de Ji' Association des écrivains militaires,
miitimes q) coloniaux, Pr^siV/en^ M. H. Houssa^e.
CtftM et graYBres -. I. Péninsule des Balkans : indications oro graphiques. — II. La
Torqnie d'Europe. — III La Péninsule des Balkans d'après le traité de San-Stefano.
Sommaire dn n f 4*1
Aagiste Terrier : La délimitation de rEthiopie. — René Henry: La (question de Macé-
doine. Alexandre Gaasoc : Le paludisme et Tinitiative privée en Corse. —
i, DeBais-Dama^fl : Fédéralisme et socialisme en Australasie. — René Morenx :
i^ traité franco-siamois et Topinion allemande.
Cin« et ivaTurea : I. Frontière entre le Soudan Anglo-Egyptien et PEthiople. [—
II. Délimitation de l'Afrique Orientale.
Sommaire da n9 144
E. Fallot : Le commerce du Sahara. — Georges Bohler : La question du Venezuela. —
OoBzalès Figaelraa : Une première occupation allemande au Venezuela (xyi« .«iècle). —
Gabriel Lonis-Jaray : La presse politique en Bohême, Moravie et Silésie.
Cartes et grmvnrea ; Carte du Sahara.
Sommaire du a» i4S
fiwi Behier : Le chemin de fer de Bagdad : Les intérêts français et allemands en
Torqoie. — Alexandre Gaasco : Les Boxeurs et les trouble du Sc-tchouan. — Aspe-
f leoriaoBt : Le projet d'emprunt du gouvernement général de TAfriquo occidentale
ffiacaise. — E. Peyralbe : Le Congrès national des travaux publics.
Ctftes'et GraTures : I. Le chemin de fer de Bagdad. — II. La ville de Tchong-tou-fou.
PRIMES A NOS ABONNÉS
L'administration de la Revue se charge, à titre gracieux, de tous
1^ achats et expéditions de livres, cartes géographiques, aux prix
<l^ Paris, pour ses abonnés de province, des colonies et de létranger :
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: '= insËi y* 147 1" Avril 1903
j ^ ^ _
QUESTION®: -
Diplomatiques et Coloniales
REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LE !•' ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
1 1 ^ I «
SOlVIM^^IJEiE:
l^Dfiel Louîs-Jaray. . Les finances dTtat en Allemagne 401
.: Breton La question de Terre-Neuve,- Saint- Pierre et Miquelon il l
^spe-Fleurîmont La question du coton 4i9
. Xjor . Situation économique de la Côte d'Ivoire 433
heDsdgaameats politiques 4 'il)
He&aeigiiements économiques 457
^uDiBations officielles 4(i0
Sibliograpfaie — Livres et Revues AiVl
k Saint-Pierre et les Miquelon Mo
REDACTION ET ADMINISTRATION
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Abonnement annuel
fnice et Colonies, i s francs; Etranger et Union paîtale, 20 francs.
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Capital : 160 milUons de francs
ENTIÉBEMBNT VERSÉS
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Succursale :% Place de VOpéra, Paris
Président du Conseil é^administration'/,
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Directeur générât adminiatrateur ; M. AlezU Rostamd, 0. ^«
OPtiATIONS DU COiPTOm :
BoD« à échéance ftxe,' Escompte et Recouvrements, Comptes da
Chèques, Lettres de Crédit, Ordres de Bourse, Avances sur
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B. 108, rue de Rivoli;
C. 23, boal<> Diderot.
D. 11, rue Raxnbuteau;
E. 16, ruo de Turbigo;
F. 21, pi de la République;
Q>. 24, rue de Flandre;
H. 2, ruo du 4-Septembre ;
I. 81, boul' Magonta;
K. 92, b^ Richard-Lenoir;
L. 86, rue de Clichy;
M. 87, avenue Klôbor ;
N. 35,avenue Mac-Mahon;
O 11, b^ Montparnasse ;
P. 27, ft Saint-Antoine ;
R. 53, b^ Saint-Michel;
S. 2, rue Pascal ;
T. I , avenue de Villiers ;
U. 49, av. Champs-Elysée s;
V". 8 S avenue d'Orléans;
X. 69, rue du Commerce ;
Y. 124, f« Saint Honoré.
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Firminy, Fiers. Gray, Le liavre, Ha:el»rouck,lssoire, Jarnac,
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Manosque, Le Mans, AAarseille, Mazamet, Moni-de-Marsan,
Le Moot-Dore, Montpellier, Nancy, Nantes, Narbonne, Nice,
Nîmes, Orange, Orléans, Périgueux, Perpignan, Reiiu.»»,
Remiremont, Koanne, Roubaix, Rouenj Royal, Sainl-Cba-
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DeOmois jusqu'à 1 an. 1 \f2% i De 18 mois jusqu'à 2 an*.2! * 1
De 1 an jusqu'à t8 moi8.2 % I A 2 ans et au delà SM
Les Bons, délivrés par le CoMrroiR Natio!<al aux toux r" .-
téréts ci-dessus, sont à ordre ou au porteur, au chojx
Déposant. Les intérêts sont représentés par des Bons d.'.
rets également à ordre ou au porteur, payables s«ne^îr:
lement ou annuellement, suivant les convenances du De^ -
sant. Les Bons de capital et d'intérêts peuvent être tr- -
dossis et sont par conséquent négociables.
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ViUes deauxi Nice, Cannes, Vidiy, Dleope, Trouj,'-
Deauville, Dax, Royat, Le Havre, La Bourboule, Le Mou-
Dore, Bagnôres-de-Luchon, etc.; ces agences traitent t. -•
tes les opi'raliins, comme le siège sodal el les aui^.-
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QUESTIONS
-.•''i'tf;T
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
us FINANCES D'ETAT EN ALLEMAGNE
Pour qui examine les récentes statistiques des finances d'Etat
ea Allemagne, quelques impressions très nettes se dégagent de
cette lecture : le mouvement d'extension, puis de dépression
^^onomique a fait sentir très vivement son influence, princi-
palement sur le budget impérial; mais, résultat inattendu, la
crise a relevé le crédit des Etats de très sensible manière et
certains fonds, par suite de circonstances extérieures et des
bas cours cotés aux temps de grande prospérité, tendent à
devenir des fonds internationaux, ce qu'ils n'étaient pas jusqu'à
(V jour.
D autre part cette crise, quelle que soit son acuité au point
Je vue économique général, ne peut affecter bien profondé-
ment les finances d'Etat allemandes, car les budgets ont des
réserves dans les facultés d'emprunt qu'ils conservent : la dette
e>t faible par rapport à la nôtre; la plus grande partie a été
contractée pour l'acquisition d'un domaine industriel, qui en
^i la contre-partie fructueuse et la politique de l'amortisse-
ment fonctionne avec continuité.
Quelques comaientaires et quelques chiffres montreront la
réalité de ces observations et les conclusions qu'on en peut
tirer*.
#
• «
Les finances publiques ne pouvaient pas ne pas se ressentir
de la crise économique qui a sévi en Allemagne en 1901, a
causé de si lourdes pertes et qui pèse encore sur l'industrie et
le commerce; les impôts indirects ont été surtout affectés,
•omme il est naturel : sans doute, leur total n'a pas diminué,
' Tous les chiffres cités le sont en marks; on sait que 1 mark= 1 fr. 25. Je
rappelle que le budget allemand part du l*** avril et non du .!«>' janvier, comme en
Fnace : il chevauche donc sur deux années.
QciST. DiPL. bt;.Col. — T. XV. — N« 147. — !•' AVRIL 1903 26
402 QUESTIONS DIFLOMATIQUKS KT GOLONULKS
mais lour progression, jusqu'alors constante, s'est arrêtée * : or,
en Allemagne comme en France, les dépenses augmentent con-
tinuellement, et il faut que les recettes présentent la mt>me
progression, pour que le budget soit en équilibre : si, comme
c'est le cas pour l'Empire en 1902, les évaluations d'un certain
nombre d'impôts indirects présentent une diminution de 63 mil-
lions par rapport à la somme que l'augmentation normale aurait
dû procurer, il n'est point étonnant que le déficit s'ensuive.
Dès 1900, le budget impérial s'est réglé, pour la prenaière
fois depuis un grand nombre d'années, par un déficit de 2 mil-
lions ; et en môme temps les impôts perçus par l'Empire et
répartis entre les Etats confédérés présentaient une moins-
value de 6 millions et demi. Cette dernière considération a
autant d'importance pour le budget impérial que pour celui des
Etats, voici comment : il y a une sorte de compte courant entre
l'Empire et les Etats ; l'Empire perçoit les impôts indirects et
il répartit, après un prélèvement de 130 millions, les contribu-
tions provenant des tabacs, de l'alcool, du timbre et des douanes
entre les Etats, au prorata de la population. En regard de cette
dette de l'Empire, les Etats sont débiteurs des a contributions
matriculaires » : on appelle ainsi les sommes que versent les
Etats pour subvenir aux dépenses impériales dans la mesure où
ces dépenses ne sont pas couvertes par des recettes propres*
Mais, en fait, depuis assez longtemps, ces deux dettes s'équili-
braient à peu près, et chaque Etat avait pris l'habitude de régler
son budgetpropre, comme s'il était absolument autonome, sans
aucune dette vis-à-vis de l'Empire. Quel bouleversement dans
ces budgets, si, par suite de la diminution des recettes, on leur
réclame d'importantes contributions!
Or l'affaissement général des ressources se marque encore
plus en 1901-1902. Le déficit est d'environ 44 millions dans le
budget impérial et 18 millions pour les impôts à répartir, soit
en tout 62 millions que supporte en définitive le budget d'em-
pire : il est dû à un recul considérable de toutes les recettes
provenant de trafics, qu'il s'agisse de postes et télégraphes, de
chemins de fer ou de valeurs mobilières.
On était dès lors obligé d'envisager sérieusement les réalités
i Les impôté de douane, du timbre, sur le sucre, le sel, les alcools, les brasseries,
ont produit : en 1895-1896, 733 million<«; en 1900, 896 millions, soit une augmenta-
tion annuelle moyenne de 32 millions. Or, en 1901-1902, le rendement est de 909 cnil^
lions; pour 1902-1903 l'évaluation est de 9l0 millions : avec la progression anté-
rieure, elle aurait été de 960 millions. Les impôts sur les postes et télégraphes,
imprimerie impériale, chemin de fer rendaient : en 1895, 75 millions; en 1899,
107 millions. En 1900 et 1901, à la^uite de la réforme postale et de la crise écono-
mique, ils tombent à 81 et 78 millions. En 1902, on évalue leur rendement à 115 mîU
lions 5. Si Tancienne plus-value s'était maintenue, ils rendraient 130 millions 5.
LES FINÂNGBS O'ÉTAT EN ALLEHAGNE 403
pour rétablissement du budget de 1902-1903. Il était impos-
sible de Tasseoir sur des évaluations exagérées comme Tannée
précédente; et de même qu'en France, après les déficits voilés
dans les budgets gouvernementaux de 1901 et de 1902, il fallut
arriver au déficit avoué de 1903, de même en Allemagne, après
les moins-values non présumées de 1900 et 1901, oii dut en
1902-1903 montrer dès l'élaboration du budget la réalité des
choses. Le budget se présentait de la façon suivante : les dé-
penses ordinaires s'élevaient à 2 milliards 151 millions, soit à
13 millions de plus que les évaluations de l'année précédente*;
quant aux recettes, les évaluations sincères étaient infé-
rieures de 18 millions 6 pour les impôts impériaux, de 26 mil-
lions 7 pour les impôts à répartir, aux évaluations de Tannée
précédente. On se trouvait ainsi en présence d'un déficit de
38 millions 900.000 marks.
Pour le combler il y avait trois méthodes : faire appel aux
contributions matriculaires des Etats, créer de nouveaux impôts
f empire ou emprunter.
Le premier procédé est le procédé normal : les versements
des Etats doivent combler les déficits du budget d'empire. Mais
la situation financière des Etats permet-elle pareil procédé? La
Prusse, pour maintenir l'équilibre de son budget, doit, selon son
ministre des finances, aller jusqu'à l'extrême économie et aban-
donner l'espoir des anciens excédents*; la Bavière maintient
josle l'équilibre de son budget^; le Wurtemberg laisse aperce-
■ Quelqaes-unes de ces augmentations de dépenses sont intéressantes. La loi du
li mai 1901 augmente le taux des pensions payées aux anciens combattants de 1810
^t des guerres antérieures t le crédit total est de 31 millions, soit 16 millions de
pins qu'en 1901. L'Allemagne voudrait-elle avoir elle aussi ses « dettes de la guerre
k sécession h, qui augmentent à mesure que le temps passe? Le budget des
Aliaire» étrangères et Colonies augmente de 2.360.000 marks; grâce à cette aug-
watatioD l'Allemagne pourra poursuivre l'extension méthodique de ses postes con-
ï^res : en 1902, ce sont 2 consulats créés en Chine (à Itchang et à Nankin) et 1
Il Nicaragua (à Managua) ; grÀce à elle aussi le gouvernement pourra subventionner
olBce de renseignements pour l'émigration que la Société coloniale s'offre à orga-
niser moyennant une subvention.
^ Le budget de 1902-1903 prévoit 2.614 millions de recettes (diminution de 34 mil-
l!'Xi!< sar le précédent exercice), 2.461 millions de dépenses ordinaires (augmentation
'ie X> millions) et 146 millions de dépenses extraordinaires (10 millions de diminution),
^w les 34 millions de moins«values en recettes, 32 sont dus à une préi>omption de
HsKAation da produit net sur les chemins de fer : ce produit s'est élevé à 515 mil-
joas eo 1X91.1898. o20 en 1898-1899, 315 en 1899-1900, 546 en 1900-1901, 499 en
l'^M9«iII a été évalué à 533 y^chiffre exagéré) pour 1902-1003 et à 485 en 1903-
fiOL Le projet de budget pour 1903-1904 montre que la situation empire : les
?erettes ont diminué de 11 millions; les dépenses ordinaires augmentent de 48 mil-
1«»9, 1^ extraordinaires de il millions; d'où un déficit de 12 millions que l'on
coivrin par un emprunt.
^ Le budget de 1902 1903 se monte à 464 millions. Les chemins de fer, qui four-
^■*cQt une grosse part des recettes, voient le produit net baisser depuis 1891: en
i^, 53 millions; en 1898, 48 mUlions; en 1899, 49 millions; en 1900, 46.
L
404 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
voir quelques excédents grâce à une caisse de réserve qu'il s'est
ménagée * ; la Saxe voit ses dépenses augmenter considérable-
ment et ses recettes rester stationnaires : aussi doit-elle aug-
menter ses impôts sur le revenu et le capital* ; le grand-duché
de Hesse n'est pas dans une meilleure situation. Les petits
Etats, comme ceux de Thuringe, ne peuvent faire face à de nou-
velles dépenses ; leur sort est encore plus misérable, car leurs res-
sources sont moins élastiques; sans impôts indirects, sans che-
mins de fer, ils tirent leurs principaux bénéfices de l'impôt sur
le revenu. Or, M. de Thielmann, dans le discours qu'il pronon-
çait au Reichstag, pour soutenir son projet de budget, rappelait
que, selon les calculs faits pour les Etats de Thuringe, demander
24 millions de contributions matriculaires nouvelles, c'était
faire augmenter de 15 7o ^^ montant de Timpôt sur le revenu
dans ces Etats, et de 25 "/o ^^ ^'^^ voulait détaxer les basses
classes. Demander la totalité du déficit, soit 59 millions, c'était
augmenter cet impôt de 57 %!
Il était impossible de bouleverser à ce point les finances des
Etats de la monarchie : établir un nouvel impôt, c'était trop
tard pour y songer; on venait, d'autre part, d'augmenter l'impôt
des loteries et du timbre ; puis il était possible d'espérer que la
crise serait passagère et que la prospérité budgétaire d'antan
renaîtrait. Pour toutes ces raisons, le ministre se décida à
indiquer, seulement pour l'avenir, des impôts nouveaux, et il
cita en première ligne la bière et le tabac, car il faudrait des
impôts productifs. Pour l'instant, l'emprunt sera le remède
provisoire : on ne demandera que 24 millions comme contribu-
tions aux Etats et l'Empire empruntera 35 millions.
En réalité, il emprunte plus que cela : il emprunte non seule-
ment cette somme, non seulement 143 millions de dépenses
extraordinaires, considérées en Allemagne comme rentrant nor-
malement dans ce cadre, mais encore 20 millions pour des
i Le budget du Wurtemberg de 1900 1901 est arrêté par un excédent de 1 millîoo 9
(dépenses : 84 millions ; recettes : 86) ; mais sans compter 14 millions 5 pour cons-
tructions et chemins de fer, pris à des excédents antérieurs. Le budget de 1902
espère un excédent de 3 miUions (dépenses : 86 ; recettes : 89), mais en prévojant
un emprunt de 28 millions pour les chemins de fer et une dépense de 8 millions 7
sur la caisse des excédents. Le produit net des chemins de fer baisse depuis 1S98 :
19 millions en 1898, 17,4 en 1899, 16,7 en 1900.
^ La très grosse augmentation du budget saxon ressortira de ce tableau (chiffres
en millions de marks) :
Années. Recettes. Dépenses. Excédents. Recettes des
ch. de fer.
1898-1899 (résultats) 252,3 249 3,4 54,1
1899-1900 — 261,4 255,5 5,8 32,2
1900-1901 — 213,6 269 4,6 33
1902-1903 (évaluations)... 333 333
LES FINANCES b'kTAT EN ALLEMAGNE 405
Jépenses d'établissement de postes et télégraphes, que, jusqu'à
présent^ on avait compris dans le budget ordinaire. C'est donc
m K*alité 53 millions que TEmpire doit emprunter pour « bou-
cler • son budget de 1902-i903.
Ainsi, pour les deux années IflOl et1902-03,le déficit se monte
àil7millions de marks, soit 146 millions de francs. C'est encore
as&eit éloigné des 318 raillions de déficit du budget français pour
19€1 et 1902. Mais, si nous avons le triste honneur de précéder
l'Allemagne dans cette voie, c'est bien, semble-t-il, un même
mouvement de dépression économique, dû à des causes peut-
^tre diverses, qui emporte les deux nations vers une crise bud-
gétaire. Et ce mouvement paraît se prolonger plus qu'on ne
[«asait. Le projet de budget pour 1903-1904 se présente dans
4s conditions très défavorables: les recettes sont présumées
rmdre 23 millions de moins, les dépenses augmenter de 24 mil-
lions et il faut joindre h cela les insuffisances de l'exercice
précédent se montant à 48 millions. Cela fait un déficit de
95 millions, qu'il faut encore couvrir par l'emprunt, en môme
temps que les dépenses du budget extraordinaire (122 millions
i? dépenses normales et 22 millions pour les postes et télé-
^Hpbes), Ainsi Tempire n'a pu se résoudre ni à créer de nou-
Teaux impôts, ni h augmenter les contributions matriculaires,
et il se fait autoriser à emprunter encore 219 millions sur
Î39 millions de ressources extraordinaires nécessaires : La
crise continue; toutefois elle sera peut-être moins profonde pour
rAllemagnc que pour nous et elle aura même eu chez nos vol-
ons un heureux effet.
* «
Cette crise a, en effet, contribué à améliorer le crédit de l'AUe-
nfâ^e, j^entends k faire gagner plusieurs points à sa Rente et à
lui permettre d'emprunter à meilleur compte.
b :r%, impérial et le 3 "/o prussien avaient atteint le pair en
t8ï*î,mais ta période de grande prospérité industrielle les fit
îétiH^^aJer jusqu'à un minimum atteint en septembre 1900; à
lii fin m&me de cette période, le 3 Yq impérial cotait 84,60 et
r-ndail 3,54%, le SVs Vq impérial cotait 92,75 et rendait
^,^"*i,^. La faiblesse de ces cours s'explique par une double
tansç : la tendance du capitaliste et même de l'épargne alle-
mande, le caractère exclusivement national de ces fonds. L'Al-
lemand, c^mme TAnglaîs du reste, n'a pas le même souci que
iKïiis de Vépargce et du capital à transmettre à sa famille et,
voyant leïT bénéfices industriels considérables faits entre 1895
«t ISÛfl, il croyait qu'il y avait mieux à faire qu'à placer son
argent à 372t même 37^ Yo^ Aussi vit-on les capitaux se porter
L
406 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLOMULES
sur les valeurs à rendement variable; et, comme la demande en
était abondante, les dividendes montaient à 10 et 15 Yqî ^^ ^^^^
songeait aux valeurs à revenu fixe, on cherchait quelque rente
exotique qui pût rétribuer largement son propriétaire. Le
résultat de cette situation fut de limiter le marché des rentes
d*Etat à quelques riches particuliers et à certains établisse-
ments financiers ou sociétés, comme les sociétés d'assurances,
obligés de placer leurs fonds en valeurs de tout repos. Cette
situation était si réelle que les ventes à terme, pourtaïnt autori-
sées pour les rentes, n^existaient pour ainsi dire pas.
Le marché était d'autant plus limité qu'il était exclusivement
national. Les étrangers ne remployaient pas leurs disponibilités
en fonds allemands. Soit que Thabitude n'en fût pas prise, car
ces rentes ne datent pas de fort longtemps, soit que le marché
n'en fût pas assez large, soit pour tout autre motif, les valeurs
d^Etat n'étaient pas un fonds international.
Ce dédain des capitalistes étrangers et des capitalistes alle-
mands explique les bas cours que nous signalons.
Mais cette baisse même, d'une part, la crise économique, de
l'autre, firent affluer les demandes. Les hauts rendements do
ces fonds d'Etat finirent par attirer l'attention des étrangers.
Quand ils cotaient le pair, ils n'étaient pas intéressants: on pou-
vait avoir un revenu analogue ailleurs, avec des titres à marché
large et auxquels on était habitué; mais pouvoir placer son
argent en valeurs excellentes rendant 3 7*2 et 374 n'est pas chose
si aisée à tiouver qu'elle ne dût frapper les esprits. Aussi le
capital étranger entra-t-il en scène, et cela, semble-t-il, surtout
à partir de septembre 1900 : à cette date, l'Allemagne, qui ne
pouvait trouver chez elle des préteurs, à prix modérés, s'adressa
aux Etats-Unis et y émit pour 80 millions de bons du Trésor 4 % ,
remboursables en quatre ans. Le capital américain était
« amorcé » en quelque sorte : il vendit et rapatria, après un
notable bénéfice, ces bons du Trésor qui montèrent à 102 fr. 50
(alors que l'émission avait été faite au pair) et remploya ses
disponibilités en consolidés prussiens ou impériaux. Le mou-
venient s'accentua tout naturellement: l'attention était éveillée,
le bénéfice notable. Hollandais, Belges et Français, autant
qu'Américains, souscrivirent aux récents emprunts et ache-
tèrent des titres sur le marché; et ainsi les fonds allemands,
surtout le 3 7o impérial et le 3 % prussien, tendent aujour-
d'hui à devenir un grand fonds international, au même titre
que les fonds anglais ou français.
Celte cause ne fut pas la seule agissante : la débâcle récente,
qui a emporté plusieurs sociétés et atteint nombre d'industries,
LES FINANCES D'ÉTAT EN ALLEMAGNE 407
mit la prudence au cœur des capitalistes et de Tépargne aile*
mande; et, de mOme qu'en France, après Tengouemeut pour les
valeurs à dividende variable, on les abandonna pour se porter
vers les valeurs à rendement fixe et assuré, de môme en Alle-
magne, l'optimisme de jadis reçut un tel coup que les capita-
listes achetèrent des fonds de tout repos, à intérêt constant.
Les rentes furent les premières à profiter de ce changement
de dispositions : le 3 ^/q, qui était à 84,50 en septembre 1900,
monta pendant tout le courant de 1901 ; les deux emprunts de
janvier 1902, emprunt impérial de 115 millions, emprunt prus-
sien de 185 millions purent être pris ferme par un consortium
au taux de 89 fr. 20; le public répondit ^ lappel des banquiers
et porta en février 1902 le 3 % à 93,25, gagnant deux points et
demi en un mois. Quant au 3 Y2 impérial, qui restait à 92,73 en
septembre 1900, il marquait 102,50 en février 1902. Celte hausse
ne fut pas une simple affaire de spéculation, car elle se main-
tient, et un an après, les mômes cours sont cotés à la Bourse de
Berlin. Il est même à croire que la hausse n'a pas dit son der-
nier mot et que les 3^0 rejoindront le pair qu'ils n'ont pas vu
depuis 1894. Car la différence reste encore grande entre le taux
de capitalisation de ces rentes et celles des principaux pays
étrangers : quand on céda au consortium de banquiers les deux
emprunts allemands à 89,20 en 1902, le 2 7o des Etats Unis
marquait 108 y.2 ^^^ consolidés anglais 27^, et 272 ^ partir
d'avril 1903, se tenant à 92 V4, la rente française à 100,50, la
ronle fédérale suisse à 100, la rente belge 37o ^ 99,50, la rente
hollandaise à 95,50 ^
Si, donc, la dépression économique a relevé le taux des rentes
alleoiandes, elle ne la pas encore fait, semble-t-il, de manière à
eorrespondre au crédit réel de TAllemagne. Diverses circon-
stances financières empêcheront sans doute ces fonds d'égaler
les autres fonds '% mais on peut croire que la hausse n'a pas dit
>on dernier mot.
' La Bavière a emprunté» en janvier 1902, 86 million? de 3 1,2 : un consortium
•ie banquiers sVn est chargé et l'a offert au public à 99,85 En février 1902, Ham-
boarg a emprunté 55 millions en 3 % qu'un consortium a placé au taux de 90,50.
- Une des cau-^es de l'arTaissement du crédit d'Etat parait êire la répétition con-
saQt^ des emprunts : chaque année plusieurs États de l'Empire empruntent; dans
lesdcitx premiers mois de 1902, il y eut 4 emprunts : 1 d'Empire, 1 de Prusse, 1 de
BiTière. i de Hambourg et on en prévoit d'autres. La dette impériale, qui éiait de
i96 millions en 1887, monte à 1.740 en 1893, à 2.378 en 1900, à 2.R10 millions en
°*fs 1902. C'est la politique des petits emprunts qui est suivie, contrairement à ce
'^ni se passe en France, et qui est dû au fédéralisme d'une part, à la nécessité de ne
?« charger la dette flottante (certaines difficultés do trésorerie sont nées des avances
c-écessitées par les assurances ouvrières), et au particularisme qui refuse d'autoriser
u emprunt plus considérable que celui exactement nécessaire pour Tannée : on n*a
liit exception à ceci que pour le programme naval de Ilohenlohc qui permet un
•^mpront de 800 millions utilisable par tranche d'ici 1917.
408
QUESTIONS DlPLOMATlQUIfS BT COLONIALES
La crise financière qui atteint les budgets allemands apparaît
aux yeux de Tobservateur comme infiniment moins périlleuse
que celle dont souffrent d'autres pays. C'est que ces budgets ont
une sorte de réserve négative dans la faculté d'emprunt très
large qu'ils conservent : le tableau suivant mettra en relief
cette constatation.
ETATS
Empire...
Prusse
B»Tiëre . . .
Saxe
Wurtemberg
Bade
Hes»o ,
Hambourg..
Autres Etats
DBTTBS PUBLIQUES, CONTIIB-PARTIB OOMANIALS BT AM0RT18SBMBNT8
0AN8 LBS BUD0BT8 ALLBMAND8 BN MARS 1902 (MILLIONS OB MARKS)
Montant
la dette
2.^(0
6.730
1.699
930
309
411
315
471
300
14.181
Évaluation
de la valeur en capital
des cbemios de fer
Rer. capit.à4% 1.625
Capit. d'établis. 7.985
Rer.capit à4% 1245
Capit. d'établis. 9 2
— 613
- 548
Arrérages
de
la dette
939
235.5
ft2,l
29.9
18.2
14.6
9,6
17,4
40,3
2.4 (c)
9.2
2.9 {d)
3.9
0,6
(/•)
RBVBNONBT OU DOMAINE (6)
Chemins
de fer
65
530
46,6
33,9
1.67
18
11 W
Antres domaines
83.6
24.4
p. les seul, forêts 8j
Id. 9,9||
Id.
Id. 2
Id. 21,8
(a) L'amortissement a dû être supprimé; il était de 9 millions 5 en 1899-1900.
(6) Nous ne déduisons naturellement pas decererenu net les charges financières cor-
respondantes au capital d'établissement, qui a été payé par l'emprunt ou les budgets
ordinaires. Les chiffres cités pour TEmpire et la Prus«e sont les éTaluailons du budget de
1902-1903, les autres les réalisations du budget de 1900-1901.
(c) L'amortissement atteignait 11 millions 5 en moyenne avant la crise.
(d) Sauf une somme de 11 millions, la dette wurtembergooise est une dette amortissa-
ble entièrement amortie d'ici 1950.
(«) Cette somme est versée par la Prusse qui eiploite les chemins de fer de Hesse.
(/) Pour l'emprunt de février 1902, l'amoitissement commence en 1903 et atteint on
minimum do H % par an du montant de Temprunt.
Que Ton veuille bien songer à notre situation en France,
avec une population d'un tiers plus faible, et supportant une
dette d'État de 30 milliards environ! La dette de l'Allemagne
n'est que d'un peu plus de 14 milliards de marks, soit environ
48 milliards de francs. Mais ce n'est pas tout : dans des budgets
qui sont des budgets de crise, on a réussi à maintenir un amor-
tissement de 62 millions de marks environ! La politique de
l'amortissement est poursuivie avec une continuité remarquable.
Il n'est pas besoin de créer un amortissement automatique et
forcé, comme pour l'amortissable français. On l'a fait cepen-
LES FIPfANCeS D ÉTAT EN ALLEMAGNE
409
dant, dans quelques Etats : en Wurtemberg, à Hambourg; mais
ailleurs, on amortit des rentes consolidées.
Enfin, cette dette de 48 milliards de francs est elle-même en
grande partie purement apparente, car elle a une contre-partie
magnifique : elle a été employée à des achats producteurs de
bénéfice, qui normalement doivent venir en déduction des
charges de la dette. En France, on a calculé* que 12 milliards,
soit 40 7o de notre dette, avaient servi aux guerres, 6 mil-
liards 74, soit 20 7oi à de grands travaux publics, 10 milliards,
soit 30 **/o, à combler des budgets, 1 milliard, soit 3 7oi à des
indemnités politiques. Sans doute, nombre de ces emplois
ont été utiles au pays, ont augmenté la richesse nationale ; mais
combien peu d'entre eux sont actuellement productifs de reve-
nus immédiats déchargeant d'autant le poids de la dette ! Dans
les budgets d'iitat allemands, au contraire, la caractéristique est
Fénorme rendement de ce qu'on appelle le domaine, c'est-à-dire
les chemins de fer, — pour le rachat ou la construction des-
quelles on a dépensé la majeure partie de la dette, — les forêts,
les industries, etc.. 11 suffit d'examiner le tableau ci-dessus pour
être frappé de ce phénomène. Le budget impérial est encore
le moins favorisé et cependant les chemins de fer impériaux
[d'Alsace- Lorraine) compensent plus de la moitié des charges
d'emprunt. En Prusse, les chemins de fer rapportent le double
de ce que coûte la dette, sans parler du reste du domaine :
forêts, mines, hauts fourneaux, salines, etc., qui s'étend chaque
jour et auquel on rêve d'ajouter quelques mines en vue de la
consommation de houille, pour affranchir l'Etat des exigences
du S)Tidicat des charbonnages. En Bavière, les chemins de fer
suffisent presque aux charges de la dette et la différence est lar-
gement comblée par les revenus d'un domaine important en
forêts (21 millions), mines, brasserie, vignoble, bains et banque.
La situation est la même en Wurtemberg, qui possède, outre
ses chemins de fer, un service de navigation sur le lac de Cons-
tance, des forêts, des mines, des hauts-fourneaux, des salines et
un établissement thermal.
La Saxe, le grand-duché de Bade et le grand-duché de Hesse
ont dans leurs bénéfices de chemins de fer de quoi payer les arré-
rages de leur dette et plus encore, et leurs forêts ajoutent au total.
Hambourg, lui-même, s'il ne possède ni chemins de fer, ni
forêts, trouve dans les bénéfices de son service des eaux, de ses
usines à gaz, de ses locations d'immeubles, etc., de quoi payer
les charges de ses emprunts et garder un reliquat.
* D'après un travail inédit de M. Jules Grenard, rédacteur à Tadministration
de» monnaies.
410 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
En somme, pour résumer cette situation, il faut se souvenir
que si Tensemble des Etats allemands a une dette de 14 mil-
liards de marks, si cette dette cause une charge annuelle en
arrérages d'environ 483 millions, les chemins de fer d'Etat à
eux seuls, sans parler du reste du domaine et des industries
d'i!*tat, rapportent environ 71 y millions.
Il ne s'agit point ici de la question de l'exploitation des che-
mins de fer par l'Etat*, il s'agit seulement de la constatation
suivante : la majeure partie de la dette est une dette apparente,
que balance une valeur achetée, productive de revenus
«
« •
Cette esquisse des finances d'Etat en Allemagne montre suf-
fisamment, je crois, leurs solides réserves, pour nous permettre
de conclure en leur faveur : la crise qu'elles subissent n'est sans
doute que superficielle et transitoire. S'ils ne font pas à l'em-
prunt des appels trop répétés ou trop considérables, s'ils conti-
nuent cette admirable politique d'amortissement, les Etats alle-
mands sont assurés d'avoir pour longtemps ce qui permet la
bonne politique, je veux dire d'excellentes finances.
Il ne faut pas, au reste, leur en faire un trop grand hon-
neur et vouloir opposer la solidité teutonne à la fragilité
française : ils n'ont pas, comme nous, à payer les charges
d'un vieux passé historique ; leur empire a vingt-trois ans; ils
n'ont pas, comme nous, à régler la « douloureuse » d'une
grande politique suivie depuis des siècles : leurs Etals, sauf la
Prusse, ne la font, par l'intermédiaire de FEmpire, que depuis
1870; ils n'ont pas connu, au mt^me degré que nous, le malheur
des indemnités effroyables se joignant aux défaites, et quel
beau fonds de roulement et d'amortissement que notre cadeau
de 5 milliards! Disons donc seulement qu'ils sont servis par les
circonstances : celles-ci les firent à la fois vainqueurs et tard
venus, sans la lourde charge des vieilles politiques, des gloires
et des défaites dont le lourd poids pèse sur nos finances natio-
nales.
Gabriel Louis-Jaray.
1 Ce que nous disons ne préjuge en rien cette question ; il s'agirait de savoir
si l'Etat n'aurait pas fait encore une meilleure aiïaire, si cela avait été possible, en
ne contractant pas cette dette et en accordant des concessions à de grandes compa-
gnies, qui auraient pajé des redevances appropriées (telle l'exploitation du gaz à
Pariii) : il s^agirait aussi de savoir si un système, bon en Allemagne, l'est aussi en
France.
I^ QUESTION DE TERRE-NEUVE
SAINT-PIERRE ET MIQUELON
Comme suite au très intéressant article de M. Henri Lorin ^
sur la question de Terre-Neuve, il n'est peut-être pas inutile do
mettre sous les yeux des lecteurs non seulement une descrip-
tion sommaire des îles Saint-Pierre et Miquelon, mais aussi un
exposé de leur trafic afin de bien faire ressortir leur importance
capitale au point de vue commercial français.
Point n'est besoin de résumer à nouveau le côté historique
de la question; de nombreux écrivains, dans des brochures ou
des ouvrages, dans cette revue même, ont exposé, mieux qui?
nous le pourrions faire, nos droits imprescriptibles, reconnus
de la manière la plus précise par les jurisconsultes anglais
dans des documents officiels aujourd'hui déniés sans vergogne*
La mise au point de la situation des deux plaideurs, en
revanche, importe toujours. Pour le moment, nous resterons sur
notre territoire propre, mince débris de nos belles colonies per-
dues du Nord- Amérique. Nous montrerons la valeur commer-
ciale de notre petite France transatlantique afin d'empêcher
que cette valeur soit trop dépréciée par le gouvernement de
Londres, si jamais l'heure arrive d'une transaction amiable et
de bonne foi.
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Tout le monde a vu sur la carte les petits îlots perdus de
Saint-Pierre et Miquelon, à peine détachés de la côte Sud ai'
Terre-Neuve. On a même à leur égard une opinion tirée de In
lecture de quelques récits de voyageurs qui ont peut-être poussr
trop au tragique la première impression de leur visite. Celtf
impression peut se résumer ainsi : petits rochers continuelle-
ment battus par la tempête, perpétuellement noyés dans unv
brame intense, rendus inaccessibles par une ceinture d'écueils,
incapables de produire quoi que ce soit. De chacun de ces qua-
lificatifs désobligeants, quelque chose est à retenir malheureu-
sèment; leur exagération seule est de trop.
En revanche, sur ces rochers qui semblent dénués de toutes
les faveurs naturelles, il se traite pour vingt-cinq millions d'af-
faires par an. Il est dès lors peut-être bon d'éclairer Topinion
i Quest. DipL et Col., t. XIII, p. 641-653.
412 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
aussi exactement que possible afin de la mettre en mesure
d'apprécier sainement les offres qui pourraient venir de Lon-
dres et d'appuyer de tout son pouvoir les efforts que ne peut
pas ne pas faire notre gouvernement pour régler définitivement
les difficultés pendantes depuis de si longues années.
Notre colonie se compose des deux îles, Saint-Pierre et
Miquelon, séparées l'une de l'autre par un canal de 5 à 6 kilo-
mètres de largeur.
Miquelon elle-même est double et formée de deux îlots aux
formes massives, tous deux situés sur un môme méridien.
L'îlot Nord, Grande Miquelon ou Miquelon tout simplement, est
d'une superficie d'un peu plus H. 400 hectares. L'îlot Sud,
nommé Petite Miquelon ou Langlade, a 9.000 et quelques
hectares. Une bande de sables de 10 kilomètres de long et de
4 à 500 mètres de large relie ces deux îlots. Cet isthme était, à la
fin du xviii* siècle, percé d'un chenal accessible aux embarca-
tions. Aujourd'hui, il n'en est plus de même; l'on peut aller à
pied sec de Langlade à Miquelon.
Dans sa partie Nord, à son point de jonction avec Miquelon,
cet isthme s'épanouit pour abriter derrière ses dunes un grand
bassin dit le « Barrachois de Miquelon » qui, dans l'Est, com-
munique constamment avec la mer par un chenal très court
pouvant, en certaines circonstances de marées, donner passage
à des bâtiments de très faible tirant d'eau.
Le goulet franchi, le navire trouve, parfaitement abritée, une
étendue d'eau de 3 kilomètres de long sur 2 de large, offrant
partout des fonds de 3 à S mètres. Ce beau lac intérieur est le
seul point qu'il §erait possible de transformer en un port très
convenable, mais démuni d'un avant-port abrité, d'une rade.
Ce très gros désavantage a seul empêché de faire les petits tra-
vaux indispensables et peu coûteux que nécessiterait l'appro-
fondissement du goulet. Le besoin ne s'en fait pas sentir vive-
ment. Cependant si Miquelon sortait de l'abandon dans lequel
nous l'avons laissée, si un transit venait à s'établir entre nos
îles, le creusement du goulet du Barrachois s'imposerait pour
permettre la circulation des bâtiments qui ne pourraient en
toute sécurité effectuer que dans le lac leurs opérations de
chargement et de déchargement.
Les assises de l'île sont formées de porphyres pétro-siliceux
violets ou rougeàtres qui donnent aux falaises de chauds coloris
lorsque la pluie vient en raviver les teintes. Ces roches sortent
d'une pièce de la mer et n'offrent aucune découpure, aucune
SAINT-PIERRE ET MIQUELON
413
anfractuosité autorisant le navigateur à avoiîr seulement l'es-
poir d'un abri complet. La côte est toute en hautes falaises
rébarbatives, du haut desquelles tombent des rafales violentes
dont doivent se défendre les voiliers qui approchent trop près la
côte.
Cette particularité, commune d'ailleurs à tous les rivages
abrupts et élevés, puis la présence de l'isthme de sable dont
nous avons parlé ci-dessus, et qu'il est très malaisé de recon-
naître la nuit ou par brume, ont été la cause de bien des nau-
frages. De là est venue la dénomination populaire de « Cime-
tière des goélettes » donnée à ces rivages peu hospitaliers qui
ont servi de tombeaux à deux cent deux navires perdus de i816
à 1901. Maintenant deux grands phares, un sur chacune deB
iles Miquelon, avertissent le navigateur de rapproche de la terre
ferme.
Certes, l'aspect extérieur n'a rien de séduisant et le marin
qui cherche avant tout la sécurité pour les planches qui le por-
tent s'éloigne de cette côte. Telle est la véritable cause de
l'abandon dans lequel est restée Miquelon qui ne possède encore
aujourd'hui qu'un demi-millier d'habitants. Nous allons voir
cependant qu'une ère de prospérité semble devoir s'ouvrir
pour ce petit coin de la terre française. *
L'île de Saint-Pierre est de be^iucoup la plus petite de notv
deux îles puisqu'elle ne couvre que 2.600 hectares. Bien que la
nature du sol et du sous-sol de Saint-Pierre soit identique à la
nature de la substructure de Miquelon, la formation géologique
de ces deux îles paraît différente. Miquelon paraît sortie d'une
première et unique poussée du sein des flots; après quoi le
calme a régné. Saint-Pierre au contraire semble avoir été
formée par une série de petites convulsions sismiques, élevanl
un cap ici, découpant une baie là, poussant un rocher isolé au
loin en pleine mer ou des îles plus près pour fermer la rade. Si
cenestdans le Nord-Ouest, face à Miquelon, les côtes sont moins
abruptes. De petites anses offrent durant l'été des abris aux
nombreuses embarcations de pèche qui exploitent les eaux
territoriales; les rafales sont moins dures. La rade ouverte au
Xord-Est, face à Terre-Neuve, est fermée au Nord-Ouest par h
côte même de l'île qui se termine au cap de l'Aigle, majestueux
éperon de pierre rouge; à l'Est, par Tîle aux Chiens, long rochi^r
de 1.500 mètres de long et de 200 mètres de large sur lequel
habite une population de 650 âmes ; au Sud-Ouest, par la côti.^
de Pîle qui dans une sinuosité abrite le Barrachois; enfin an
Sud-Est s'ouvre ime petite passe.
Cette passe laisse entrer les grosses mers d'hiver jusque dans
414 QUESTIONS DIPLOMATIQUES £T COLONULES
le port; et l'on a dû s'en défendre en construisant un brise-
lames en pierres sèches. Seul et unique travail que la nature a
laissé à faire aux hommes : ceux-ci, trop à Tétroit, ont eu, il est
vrai, à creuser un chenal de 200 mètres; et, plus tard, par suite
du développement de l'armement, ils se sont trouvés (et se
trouveront encore) dans Tobligation d'approfondir le Barrachois
pour augmenter la surface d'ancrage.
Mais en dehors de ces travaux de très minime importance
d'ailleurs et qui ne devinrent nécessaires qu'à la suite du pro-
grès considérable de l'armement local, le navigateur n'a rien eu
à faire pour posséder, en la rade de Saint-Pierre, un abri
excellent et d'accès aisé pour son bâtiment.
Cette rade, comme nous l'avons dit, se continue parle Barra-
chois où trouvent place les 2i0 goélettes saînt-pierraises. Mais
le Barrachois est prolongé lui-même par un étang envasé,
soumis à la marée; quelques travaux de dragage suffiraient à
le transformer en bassin à. flot. L'utilité ne s'en fait pas sentir
pour l'instant.
Ce qui manque à Miquelon, nous le trouvons donc ici, et cela
explique la formation de la ville de Saint-Pierre sur ce véri-
table rocher moins grand dans son ensemble que le Paris de la
rive gauche.
Bref le marin a trouvé là, après sa longue traversée de l'Atlan-
tique, un port où se reposer... Cela fut suffisant pour que cette
île ne pût pas ne pas ôtre choisie comme centre de pêche parles
nombreux voiliers basques, normands et bretons qui fréquen-
tent ces parages depuis avant Christophe Colomb. Car c'est une
chose avérée aujourd'hui que le célèbre Génois fut devancé par
nos hardis compatriotes sur le continent qui, par un juste retour
des choses d*ici-bas, ne porte pas son nom malgré toute la gloire
qui lui revient. Jean Cousin, maître patron de Dieppe, décou-
vrit l'Amazone en 1488, quatre ans avant que Christophe (]lolomb
découvrit le San-Salvador. Le second de Cousin s'appelait
Pinçon. Il aurait été banni à son retour en France et se serait
réfugié à Gênes, où il aurait retrouvé Colomb qui l'a emmené.
Les îles Saint-Pierre et Miquelon, situées sur la latitude de
la vallée de la Loire (47°), sont dotées d'un climat froid. La
ligne hisotherme -h 5** qui les traverse passe aux îles Pœroé
par 62" de latitude. Cette difl'érence considérable entre la tempé-
rature moyenne de notre colonie et celle du centre de la France
est due à la non-influence du courant du Gulf Stream qui laisse
loin dans le Nord nos malheureux rochers et continue sa route
pour adoucir le climat de notre douce France.
L'été n'est jamais chaud; les ardeurs du soleil sont tempe-
ILE DE SAriMT-PIERRE
ET LES MIQUELON
a A>/,
\
416 QUESTIONS DIPLOMATIQUBS BT GOLOIOALBS
rées par des brumes fréquentes. L'hiver est long et froid; le
thermomètre descend parfois jusque — 1 8** et atteint fréquem-
ment chaque hiver — 10** et — 12**. Cependant les gens du pays
disent que depuis quelques années le climat se radoucit. Ils en
donnent pour preuve que la rade autrefois était souvent assez
solidement prise par les glaces, pour que des traîneaux à che-
vaux puissent librement circuler entre Saint-Pierre et l'île aux
Chiens. La chose ne s'est pas vue depuis de longues années.
De fin novembre à fin mars la neige couvre tout le pays et
ici comme partout elle est un bienfait pour la terre qu'elle pro-
tège des rigueurs du froid.
Au cœur de Thiver, lorsque souffle le vent sec de Nord-Ouest,
la neige se soulève en tourbillons de poussière impalpable,
elle s'introduit à travers fenêtres et portes les mieux closes et
sous le nom de « poudrin » devient Tennemi des habitants
emprisonnés chez eux. Ces tempêtes peu fréquentes sont tou-
jours suivies d*un temps sec et calme qui permet aux Saint-
Pierrais de se livrer aux plaisirs du patinage, de la chasse aux
canards, éders, oies sauvages qui abondent sur les étangs
glacés et sur les rivages.
Les vents de Sud-Est amènent une élévation de température,
mais aussi la pluie et la brume. C'est en juin et juillet que la
brume est la plus fréquente au grand dam de nos pêcheurs.
En résumé, le climat est froid, mais parfaitement sain.
Sur ce sol rocailleux, sur ces collines de 130 à 200'mètres
d'altitude, sous ce climat inclément que peut produire la terre?
D'abord en existe- t-il ? Malheureusement, non sur Saint-Pierre,
mais quelque peu sur Miquelon.
Le rocher de Saint-Pierre est recouvert d'une couche de
tourbe dont l'imperméabilité retient l'eau de pluie, ce qui est
cause de l'existence de nombreux étangs. Sur cette tourbe
pousse une mousse très épaisse, des lichens et un peu d'herbe
que paissent quelques bestiaux : vaches laitières, moutons et
bœufs qui attendent l'abattoir. Puis sur les collines, entre les
rochers, rampe un arbrisseau rabougri, aux branches tordues,
de la famille du pin. Parfois, dans les endroits abrités du veut,
au fond des ravins cet arbrisseau atteint 1 mètre à 1"50 de
hauteur et voilà toute la flore de Saint-Pierre. Durant l'hiver,
le pays est couvert de neige et parfois de glace; l'on marche
alors indlfl'éremment sur les étangs glacés ou sur la brousse
comme sur les prairies et les routes gelées.
Miquelon, mieux partagée que Saint-Pierre, mais lui ressem-
blant étrangement avec ses collines rocheuses de 250 mètres
d'altitude et ses nombreux étangs, a suffisamment de terre
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 417
pour permettre la création de véritables établissements agri-
coles spécialisés à Télève du bétail, des animaux de basse-couc,
ainsi qu'ù la production de certains légumes. Rien de sérieux'
n'a été fait jusqu'à présent dans cet ordre d'idées. L'île est
restée en friche. Des centaines d'hectares, uniquement à Tétat
nature, sont un habitat superbe pour les perdrix blanches et les
lapins qui peuplent presque seuls ce pays. Ils y ont pullulé.
Mais maintenant les Saint-Pierrais font à ces animaux une
chasse qui ne cesse pas que d'être destructive. L'administration
a bien établi Tobligation du permis de chasse de 10 francs; elie
fixe bien une date d'ouverture et de fermeture de la chasse.
Mais trois gendarmes sont les seuls représentants de Tautorité
et ne peuvent empêcher la destruction du gibier. A Saint-Pierre
comme en France ce n'est pas le fusil qui détruit le gibier,
mais le braconnier au printemps. Certes les lièvres, perdreaux,
lapins constituent une richesse qu'il est bon de protéger, mais le
pos'^esscur d'une terre qui ne retire que ce produit ne sait pas
exploiter son bien et c'est le cas des nombreux concessionnaires
qui se sont présentés pour recevoir gratuitement des mains de
r.idministration des surfaces de terrain considérables qu'il
leur suffisait d'enclore — et de quelle manière rudinaentaiLpe!
— pour en devenir légitimes propriétaires.
De nombreux ruisseaux, peuplés de truites, sillonnent tout le
pays. Ils permettraient l'irrigation aisée de vastes prairies. Des
bois étendus et de la brousse assurent dès maintenant uncliauf-
fa;:e économique et les matériaux nécessaires pour la coastruc-
tiun de maisons et hangars.
Tout le sol est couvert d'une végétation rare et très serrée.
Des mousses, des lichens, des petites plantes aux feuilles dures
^i aussi de l'herbe forment au sol peu profond un tapis épais
»»t moelleux dans lequel le pied enfonce. Le sommet des col-
lines est dénudé et de place en place la roche apparaît enlevant
tout espoir d'un labour profond. Quelques très rares bestiaux
trouvent là une très ample nourriture que l'on regrette de ne
p;is voir utiliser. Un simple labour qui mettrait à nu les racines
Jes mauvaises herbes, quelques journées de soleil pour dessé-
cher et le feu pour transformer en cendres ces masses herba-
cées, et l'on engraisserait la terre ; on la rendrait capable de
faire fructifier les graines qu'on lui confierait : pommes de
ttTre, choux, prairies... Les minimes exploitations agricoles des
p»*cheurs et habitants perdus, isolés, dans tous les trous de la
cùle sont une preuve flagrante de la possibilité d'exploitation
agricole de nos îles. Dès que les premiers rayons du soleil de
printemps ont découvert la terre de son manteau de neige ppo-
QoBST. Dipf.. BT Col. — t. xv. 27
418 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
tectear, la végétation se développe avec une vitesse inconnue
dans des pays plus tempérés. La puissance de la végétation est
si grande dans ces terres vierges que plusieurs récoltes de
fourrage sont possibles malgré la brièveté des beaux jours.
Cela donne à penser que les ressources naturelles ne manquent
pas totalement. « C'est le fond qui manque le moins ».
Un membre du hardi petit peuple qui fut des premiers à
fréquenter ces parages, M. L. de Bayonne, avec un esprit d'ini-
tiative qu'on ne saurait trop louer, va tenter de faire sortir de
terre les richesses qu'elle recèle et rendre la population de
Saint-Pierre indépendante, en partie seulement, de la colonie
du Canada en ce qui touche sa subsistance.
Aujourd'hui les fruits, les légumes, la viande, le pain... tout
vient de Sydney (Cap-Breton), de Halifax ou de Boston. Saint-
Pierre n'a pas huit jours à vivre sur elle-même. Cette situation
déplorable à tous égards est en voie de changer et Ton peut espé-
rer que dès 1904 les jardins potagers et les troupeaux seront
suffisants sur Miquelon pour assurer le ravitaillement de la
population saint-pierraise en gros légumes et viandes tout au
moins. Quant au blé, il n'y a guère lieu d'y songer, pour le
moment comme pour l'avenir; les farines américaines sont à si
bon compte et si près! Mais qu'est-ce qu'un agriculteur en face
des 20.000 hectares disponibles sur la Grande et la Petite Mique-
lon ! Ici comme partout, il faut quelques capitaux, des bras et
une énergique initiative.
Pendant quelque temps on espéra trouver dans le sous -sol
une compensation à la pauvreté de la surface. I/espoir de rencon-
trer un affleurement de la colossale couche de charbon qui forme
le terrain même de l'île du Cap-Breton s'était fait jour... Mais
des fouilles, des recherches, des analyses poursuivies aussi bien
sur place qu'à l'Ecole des mines ne dévoilèrent aucune mine de
quoi que ce soit. On crut un moment avoir trouvé de l'or. De
rares parcelles d'un beau jaune brillaient dans le caillou... ce
n'était que du cuivre. On cite quelques pauvres minières de
terre de Sienne, d'ardoise, de fer, mais si peu riches qu'on ne les
exploite pas.
Tristes pays, dira-t-on! Eh oui ! ! La nature, quf a si libéra-
lement fait les choses pour certaines îles,. a réellement bien mal
présidé à la naissance de nos pauvres îlots vêtus de neige, battus
par la tempête l'hiver, enveloppés de brume l'été. Mais la ierre
n'est pas tout.
Si la nature n'a pas donné à ces pays terre -neu viens le mer-
veilleux décor des îles fortunées des Antilles et de TOcéanie, elle
a doté les eaux environnantes d'une richesse telle qu'elle peut
SAINT-PIERRE ET MIQUBLON 419
être comparée aux plus riches mines du monde : d'or, de dia-
mant, d'argent, de charbon ou de fer. Richesse telle que des
milliers d'hommes vivent de son exploitation depuis deux
cents ans. Cette richesse, c'est la morue, dont la capture, la
préparation, le transport assurent rien qu'en France le travail
d'une quinzaine de mille hommes et l'existenee de quatre-vingt
mille personnes peut-être.
La mer est une mine qui peut être rendue inépuisable, si son
exploitation est intelligemment réglementée. Avantage précieux
sur toute autre mine. Déjà des règlements internationaux sont
intervenus pour empêcher la destruction du phoque dans les
mers de Behring et du Labrador. Peut-être sous peu cet exemple
devra-t-il être suivi si Ton ne veut pas voir la morue disparaître
delà côte de Terre-Neuve aussi bien que des bancs. A l'heure
actuelle, la morue se fait rare sur la côte Est de Terre-Neuve et
diminue de grosseur sur les bancs au grand détriment de tous :
Français, Anglais, Américains. La situation ne peut qu'empirer,
car la chasse qui est donnée à ce très précieux poisson est plus
impitoyable que jamais. Le nombre des navires augmente chaque
année si les moyens ne se perfectionnent guère.
L'inépuisement des fonds de pêche devra-t-il être obtenu par
le repeuplement artificiel, ou par une restriction dans la
destruction, ou par les deux moyens réunis? Nous ne saurions
le dire. La question sort d'ailleurs de notre compétence. Mais
il nous parait à peu près certain que d'ici une époque qui peut
ne pas être très éloignée, une réglementation devra voir le jour.
Quoi qu'il en soit, l'exploitation de la mer a attiré des Fran-
çais depuis plus de deux siècles, les attire toujours; nous allons
voir ce qu'ils ont fait, comment ils opèrent.
LA VILLE DE SAINT-PIERRE
Le centre commercial de la pêche est la ville de Saint-Pierre,
construite, ainsi que nous l'avonsdit, aufond d'une baie spacieuse
et parfaitement abritée.
Venant du Sud, le voyageur aperçoit tout d'abord des écueils,
d^?5 roches et les collines dénudées de Tîle surmontées par le
grand phare de Galantry. Puis peu à peu les lignes, les détails se
précisent et une annexe de Saint -Pierre apparaît : un faubourg
i'iolé en mer, un groupe de maisons sur la crête de Tîle aux
Chiens dominé par le clocher blanc d'une petite église blanche.
420 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Cinq cents habitants vivent là, dans des maisons de planches
peintes en gris clair qui s'alignent sur deux rangs pendant près
d'un kilomètre. Ces maisons espacées les unes des autres laissent
voir entre elles, pour ainsi dire en transparence, TOcéan qui,
comme fond, tire impeccablement sa grande ligne d'horizon
immuable. Et cela n'est pas banal que ce bourg bâti dans la
mer, h peine surélevé de quelques mètres au-dessus des hautes
eaux et si proches de la grève, devant, derrière, que les maisons
reçoivent toujours des embruns de quelque côté que vienne la
temnète.
En France, une île est comparable, en plus petit: c'est l'île de
Sein, dont les habitants vous disent froidement: « Tôt ou tard la
« mer viendranous chercher dans notre lit. » Et de fait la mer a
déjà enlevé des parties de l'île, des maisons; à ce point que cer-
tains ont songé à l'évacuation d'office de l'île de Sein. « D'oflice»,
certainement, car les hommes qui habitent ces îlots perdus dans
les Ilots aiment la mer par-dessus tout. Us l'aiment dans sa
fureur comme dans ses calmes ; ils ne peuvent se rassasier du
spectiicle toujours changeant qu'elle offre aux spectateurs, qui
simplement se donnent la peine d'ouvrir les yeux à la succession
ininterrompue de décors toujours variés, produits par le passage
d'un nuage, d'une nuée dans le ciel, d'une ride sur la mer. Ils
l'aiment celte mer qui demain sera leur tombeau, plus que le
paysan n'aime sa terre; et ils l'aiment, d'autant plus qu'elle
résiste h leurs efforts pour lui arracher ses richesses.
Peu à peu le navire se rapproche et va donner dans la passe
du Sud-Est balisée, éclairée par deux feux de port. Alors s'étale
devant vos yeux le panorama de la rade et de la ville.
La rade remplie de voiliers : goélettes locales, bricks et trois-
inats métropolitains, au milieu desquels circulent de nom-
breuses embarcations. , , .
La ville, qui s'étend à droite en un long faubourg, le long de
la route du Cap fi l'Aigle, étage ses maisons sur les pentes de la
montagne, les aligne serrées sur les quais du Barrachois,
enfin égrène les dernières jusque sur les pentes du cap Noir et
de Galantry. La colline du Calvaire qui domine la ville est
dominée elle-même par la Montagne, nom quelque peu pré-
tentieux donné par les Saint-Pierrais aux accumulations de
pierres, aux éboulis de roches qui ne dépassent pas 200 mètres
d'altitude et forment tout le terrain de l'île.
La population sédentaire est de plus de 5.000 habitants doni
900 Anglais; mais, en été, cette population est augmentée duii
milliers d'àmes et plusieurs mille autres, vivant en mer, en
dépendent en fait.
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 421
Les habitations, toutes bâties en bois du Canada, sont bien
comprises, bien défendues contre le froid de par leur système
de construction. Celles des armateurs, des négociants, la plupart
autrement dit, sont chauffées d'une manière parfaite, grâce à
un système américain de circulation de vapeur fournie par le
fourneau de la cuisine placé au rez-de-chaussée ou dans le sous-
sol. L'eau chaude est économiquement distribuée à la salle de
baios, aux cabinets de toilette.
Les rues se coupent à angle droit; elles sont bien alignées,
empierrées et d'un aspect non coquet, mais propre. La ville est
wlairéeà Télectricité, et le téléphone relie toutes les principales
maisons de commerce. Bref, Taisance est apparente et bien des
petites villes de France, de plus de 5.000 habitants, n'offrent
pa^ les commodités de cette bourgade perdue au milieu de
l'Océan.
Deux câbles télégraphiques la relient à Brest. L'un apparte-
oant à une Compagnie anglaise, l'autre à une Compagnie fran-
çaise. Par celui-ci arrivent journellement les nouvelles de France.
Jusqu'à cette année, tout le personnel de notre câble, sauf un
^ul employé arrivé depuis deux ans, était anglais. La chose
menaçait de durer encore longtemps, lorsque le directeur vint
i commettre un vol. L'administration de Paris s'est vue alors
dans l'obligation de s'en séparer et l'a remplacé par un Fran-
çais. Inutile de qualifier la triste situation dans laquelle se
trouvait la France.
En sus de ces relations directes télégraphiques avec la mère-
patrie, Saint-Pierre communique bi-hebdomadairement avec
SjJney (Cap-Breton) par un vapeur français. Cela est incontes-
tablement peu et il serait fort à désirer qu'un service postal
réifulier fonctionnât chaque semaine pour apporter, au moins
pendant six à huit mois de l'année, les courriers déposés à
New-York par la malle du Havre.
Kn sus un service côtier pourrait être fait entre notre colonie
•*t Plaisance, sur la côte Sud de Terre-Neuve, pour profiter,
iifike au chemin de fer qui relie cette côte Sud à la capitale,
'Jes vapeurs qui passent fréquemment à Saint-Jean. En cela il
ne faut pas être trop exigeant, car le trafic commercial de cette
ii^^le ne couvrirait pas les frais. Mais le minimum à exiger
>erail un service hebdomadaire avec l'Amérique, Boston, Hali-
fax ou Sydney. L'occasion d'ailleurs s'en présente, puisque le
traité postal passé entre le gouvernement et la Société conces-
>ionnaire vient d'arriver à expiration. Réellement cela ne
î^mble pas demander beaucoup qu'à sept jours de France, en
ligne directe on reçoive ses correspondances chaque huitaine.
422 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIAL^
En {général, les ressources de la ville sont assez restreintes.
On trouve Tindispensable et rien de plus. Les boutiques sont
médiocrement pourvues. Notre colonie est entièrement tribu-
taire de l'Amérique pour son alimentation.
Une manufacture transforme la farine américaine en biscuit
de mer; une autre fabrique des vêtements imperméables à
l'usage des pôcheurs ; une troisième fournit de la peinture pour
la carène des navires. A ces trois petites usines il faut Joindre
un grand chantier de réparations de navires en bois; deux bers
ou cales de halage pour les caréner; un fondeur, forgeron, mé-
canicien et Ton aura fait le tour de l'industrie locale. Je passe
sous silence, bien entendu, toutes les petites professions indus-
trielles indispensables à toute agglomération telles que maitres-
maçons, serruriers, tonneliers. La matière première provient
entièrement de l'extérieur.
Le bois faisant défaut, nos armateurs achètent leurs goélettes
en Amérique, où elles sont fort bien construites et à très bon
marché; ils se contentent de les réparer l'hiver. La francisation
de ces navires étrangers ne coûte que 0 fr. 09 par tonneau de
jauge, mais Tacte coûte 10 francs : ce prix minime ne peut
mettre obstacle à l'armement local qui se développe, il explique
la non-présence d'un chantier de construction dans un port
d'armement actif.
La ville est fort bien alimentée en eau. Celle-ci provient des
nombreux étangs que l'on rencontre partout dans la Montagne
et dont quelques-uns ont été captés par l'administration locale
et entourés d'une barrière pour empêcher que Veau n'en fût
souillée par les habitants ou les animaux.
Ce qui étonne le plus l'arrivant, peut-être, c'est Tabsence
totale d'arbres. On cite, et l'on va voir comme une curiosité,
sur la route de Gueydon, le jardin d'un grand armateur qui a
réussi, en vingt-cinq ans de séjour, à faire pousser une demi-
douzaine d'arbres autour de sa maison. Us ont maintenant 6 à
7 mètres de haut et semblent trouver suffisante la terre qu'à
force de patience et de travail Ton a confectionnée à leur inten-
tion. Par-ci par-là on trouve un jardinet de quelques mètres,
produisant des légumes dont la culture sert de distraction à
l'armateur ou au pêcheur.
Pour sortir de la ville, plusieurs routes carrossables se pré-
sentent à nous :
Dans le Nord, la route de Gueydon ou route du Cap à l'Aigle,
qui, accrochée aux flancs de la Montagne, domine toute la
rade. Elle est abritée des vents du Nord, court entre les habi-
tations de riches armateurs et borde de nombreuses graves.
SAINT-FIEURË ET MIQUELON 4^3
Ces graves que nous rencontrerons partout ne sont autre
chose que des surfaces de terrain, plan ou très en pente, peu
importe d'ailleurs, recouvert de gros galets sur lesquels la
morue est mise à sécher. Chaque gros armateur a ses graves
situées aux environs immédiats de son habitation ou de ses
magasins.
La route de Gueydon se termine au bel éperon qui ferme la
rade dans le Nord, à la belle falaise rouge du Cap à TAigle.
Dans le Sud-Ouest, une large route traverse Tîle et mène à , 1
l'étang du Savoyard. Cette route est dite, dans sa première . i
moitié, route de VIphigénie, puis elle prend le nom de route I
de la Cléopdtre, du nom des navires dont les commandants !
furent gouverneurs de l'île et que montaient les marins qui
firent les terrassements. Au sommet de sa course, la route
sélargit en un rond-point au milieu duquel se dresse une
modeste pyramide destinée à rappeler la mémoire des hommes I
qui s'employèrent à développer les colonies économiquement 1
et sans bruit. i
Une autre voie a été tracée par les matelots de la Cana-
dienne et porte le nom de leur navire. Elle contourne la rade,
tile à travers des graves et conduit au phare de Galantry. En
sus de cette dizaine de kilomètres de route, on ne trouve plus
que des chemins rocailleux, à peine tracés dans la Montagne et
suivis uniquement par les bestiaux et les voitures à bœufs qui
transportent en ville quelques fagots, quelques pierres. j
Le long de la route du Savoyard se succèdent deux douzaines
depetites maisons de campagne, — des bastides, dirait un Méri-
dional, — qui servent de but de promenade à leur propriétaire
le dimanche. En été, le déjeuner sur l'herbe, le plaisir de la
balançoire sont la saine récompense du labeur de la semaine!
Autour de quelques-unes d'entre elles on a transformé en
prairie 5 ou 6 hectares de terrain limités aux pentes toutes
proches des collines qui ne peuvent admettre entre leurs
roches que de la brousse.
Aux extrémités de chacun des chemins de Tile, on trouve un
SToupe de cabanes habitées Tété par les pécheurs de Tile aux
Chiens qui viennent là pour être plus à proximité de leurs lieux
depAche. En hiver, ces cabanes sont presque toutes abandon-
nées.
L'Administration de notre colonie est des plus simples. A sa
t^te, un gouverneur, homme politique changeant assez fré-
quemment et vivant peu au milieu de sc^s administrés. Il est
assisté d'un conseil privé de trois membres qui est en même
temps conseil d'administration. Ces trois membres sont le chef
424 QUESTIONS DIPLOMATIOUKS' BT COLONIALKS
des services administratifs, le chef du service judiciaire et un
conseiller privé choisi parmi les commerçants ou armateurs
influents. A côté du gouverneur se trouve le service de Tinté-
rieur chargé de la police générale, de la perception des contri-
butions et impôts de toutes sortes, de Tordonnancement des
dépenses de la colonie. Enfin, la justice est représentée par un
conseil d'appel, un tribunal criminrf, un tribunal de première
instance, un tribunal de commerce et des juges de paix.
Le personnel est heureusement fort réduit; les mêmes juges
se trouvent parfois être membres des juridictions successives.
L'administration maritime, dont l'importance est considé-
rable, y est représentée par un commissaire de première classe
des colonies. Les douanes, l'administration des phares, Fassis-
tancè publique, Tinslruction publique... ont chacun leur ser-
vice en fonctionnement et ne laissant rien à désirer.
Aridité du sol, austérité de l'existence; en résumé, rien de
riant dans ce pays. Malgré cela, une population entreprenante,
intelligente, active et travailleuse vit sur ce rocher perdu de
l'exploitation de la mer. Bretons, Normands, Basques y appor-
tent leurs qualités si diverses et maintiennent dans ces parages
du monde les nobles traditions des grands ancêtres des siècles
passés qui sont la gloire de la France.
La mer est partout. De tous côtés, on la voit, on la sent, on
l'aime, car elle crée la vie. Transplantez ce rocher au milieu
des riches plaines de France et pas un homme ne consentira à
y planter sa tente. Perdu au contraire dans cette mer brumeuse
et. sauvage, 5 à 6.000 âmes l'hiver, 10.000 Tété, y trouvent sur
ce rocher à gagner leur vie et celle de milliers d'autres exis-
temces, car il est le centre d'exploitation de la plus riche mine
du monde.
* *
LES LIKUX DE PÊCHE
Les principaux emplacements où se capture actuellement la
morue sont les bancs dits de Terre-Neuve. Ils tiennent ce nom
de la grande île dont ils sont à. proximité. Ces bancs sont de
très vastes plateaux sous-marins sur lesquels la sonde donne
moins de 100 mètres d'eau, tandis que tout à leurs alentours
la sonde accuse des fonds de 500 mètres; et quelques milles
marins * plus loin, des fonds de 3 à 4.000 mètres.
Quand on vient de France et que Ion navigue par une lati-
* Un mille marin vaut i.832 '^iiètres.
SAINT-PIERRE ET MÏQUELON 4^5
ludetrès Nord, on rencontre un petit banc dît « le Bonnet fla-
mand » par 47** de longitude et 47** de latitude. Ce haut fond
est renommé par la grosseur des morues que Ton y pt^che. Mais
son éloigneraent de Saint-Pierre, la grande profondeur de Teau
qu'on y trouve (450 à 200 mètres d'eau) qui nécessite de très
longues touées de câble ne permettent guère qu'à de grands
navires de la pratiquer. Quelques trois-màts de Fécamp s'y
arrj'lent parfois au début de la saison.
Plus loin dans l'Ouest, le navigateur rencontre le « Grand
Banc » qui s'étend entre le 51" etle57*' degré de longitude, le 44®
elle 47* degré de latitude. Ce vaste plateau a la forme générale
d'un triangle et couvre environ H5.000 kilomètres carrés. Les
fonds y varient entre 50 et 400 mètres. C'est le lieu de pèche le
plus fréquenté.
Puis, continuant de courir vers TOuest, on rencontre des
bancs de petite étendue; ce sont le « Banc à Vert », le « Banc de
Saint-Pierre » au Xord duquel se trouve notre colonie, le
« Banc de Misaine », puis plus au Sud le « Banquereau » et
le banc de Tîle de Sable.
Ces hauts fonds successifs sont séparés les uns des autres par
des fossés de 150 à 300 mètres de profondeur que les pécheurs
ne fréquentent presque jamais.
Bien entendu, nous sommes ici en pleine mer où la liberté
est la plus complète. Anglais, Américains, Français s'y rencon-
trent. Chaque place est au premier occupant. Il y a place pour
tous.
Comme lieux de pèche en pleine mer, on doit ensuite citer le
golfe du Saint-Laurent, c'est-à-dire toute l'étendue d'eau com-
prise entre les côtes du Labrador, de Terre-Neuve, de l'île du
Cap-Breton, de l'île du Prince-Edouard et d'Anticosti. Les
goélettes de Saint-Pierre fréquentent ces parages au début de
la saison, lorsque le mauvais temps est encore trop à craindre
sur les bancs. Elles suivent le poisson dans ses déplacements
jusque sur la côte du French Shore, trouvent au besoin dans
les baies de cette côte un abri autorisé et poissonneux. Elles
appellent cela « défiler le golfe ».
Viennent ensuite les eaux territoriales : en première ligne,
la bande de 3 milles de mer qui entoure nos possessions de
Saint-Pierre et de Miquelon, et dans laquelle tous droits de
p<*cho sont très strictement réservés à nos nationaux sans
contestation possible. En second lieu, le French Shore, ou
Rivage français de Tîle anglaise de Terre-Neuve. C'est une
longue étendue de côte d'environ 1.000 kilomètres qui com-
prend toute la côte Ouest de Terre-Neuve et la côte Est
■^v
426 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
de la grande presqu'île Nord. Sur le French Shore, notre
droit de pèche est exclusif, indéniablement, dans la bande de
3 milles d'eau territoriale. Au surplus, suivant les traités, nos
pécheurs ont le droit d'installer à terre des habitations, des
sécheries, des ateliers, bref, ont la possibilité de désarmer leurs
navires sans que les autorités anglaises aient le droit de venir
s'enquérir de quoi que ce soit; à la condition cependant que les
lois et stipulations de traités ne soient pas enfreintes. Et cela
arrive parfois, paraît-il, lorsque cédant à des motifs divers, nos
pêcheurs vendent aux Terre Neuviens de Talcool en contre-
bande. Nos installations ne peuvent être que temporaires.
«
LA MORUE. SA PRÉPARATION
Avant de parler des dispositifs de capture, il est bon, nous
semble-t-il, de dire quelques mots sur la préparation néces-
saire à faire subir à la morue, pour la rendre susceptible de se
conserver propre à Talimentation, en quelque climat qu'on la
transporte, et pendant un an ou deux.
La morue est un poisson malacoptérygien assez répandu,
puisque Ton en trouve en Norvège, en Islande, à Terre-Neuve,
au banc d'Arguin sur la côte d'Afrique, ainsi qu'à l'île Saint-
Paul au milieu de la partie Sud de l'océan Indien. Elle atteint
assez souvent encore la taille de i"10, mais la morue moyenne
ne dépasse plus guère 70 centimètres aujourd'hui.
Les grandes qualités nutritives de sa chair, la facilité de sa
conservation l'ont toujours fait rechercher, non seulement en
Europe, mais aussi par les gens de couleur des Antilles et du
golfe du Mexique. D'autre part, rien à peu près n'est perdu dans
ce poisson; et les issues des morues, c'est-à-dire les parties
séparées du corps du poisson pendant la préparation, sont con-
servées. Ces issues sont : latente, les viscères, la langue, la rogue,
le foie, la raquette.
La tête est utilisée journellement à faire la soupe des
pécheurs et aussi à boetter les casiers à homards sur le
French Shore aussi bien que les casiers à coucous * sur le
Banc. Malgré cette utilisation, une partie des têtes de morue
est rejetée à la mer ainsi que les intestins. En revanche, la
langue, soit fraîche, soit conservée dans le sel, est de vente
1 Escargot de mer qui sert d'appât à défaut de harengs, d'encornets ou de
capelans.
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 427
courante parmi les pécheurs. Elle constitue à leurs yeux un
mets délicat. La raquette, ou partie de l'épine dorsale enlevée,
sert à faire de la soupe de poisson. On la conserve dans le sel
également. Beaucoup d'armateurs .laissent à leurs marins,
comme bénéfices supplémentaires, la raquette et la lane:ue des
morues qu'ils ont prises. La rogue n'est autre chose que la masse
des œufs de morue. C'est un produit recherché sur nos côtes
pour la pèche de la sardine, il y acquiert parfois des prix fort
élevés. Sa venteconstitue parla même un bénéfice important pour
l'armateur. Le foie est soigneusement retiré et mis dans des
barils où de sa décomposition sort Thuile médicinale si
renommée. Les huiles de deuxième qualité servent dans la
tannerie.
Dès que les embarcations ont rallié avec leur capture, soit les
cabanes à terre, soit le bateau à la mer, les marins se mettent
à trancher la morue. L'opération se pratique sur une table et
demande deux hommes et un mousse. Le mousse apporte un
poisson au premier pécheur, qui d'un coup de couteau lui ouvre
le ventre de l'anus à la tête et jette d'un côté le foie, de l'autre
la rogue et laisse glisser sous lui les viscères. La morue est
aussitôt saisie par le deuxième pécheur qui brise la colonne
vertébrale au sommet de la tête, puis d'un coup de couteau
donné à plat détache l'arête du collet à la hauteur de l'anus et
termine le travail en enlevant les résidus qui pourraient encore
adhérer à la chair.
La morue, ainsi habillée, est jetée au saleur, généralement le
second du navire, qui dispose à fond de cale le poisson bien à
plat et le couvre d'une épaisse couche de sel. Le poisson peut
rester ainsi plusieurs mois sans se gâter le moindrement. Ce
travail a besoin d'être bien fait suivant les règles, car le prix du
poisson baisse vite dès qu'une malfaçon s'est produite.
En cet état de salaison, la morue est dite « verte » et constitue
un mets que beaucoup préfèrent à la morue fraîche, souvent
trouvée fade.
Aussitôt le navire arrivé à Saint-Pierre, ou en France, la
morue est débarquée, puis de suite lavée à grande eau de mer
et enfin mise à sécher, soit au soleil sur les graves du French
Shore ou de Saint-Pierre, soit dans des sécheries à vapeur
comme à Bordeaux. Les graves sont des champs de galets spé-
cialement disposés à cet usage, à proximité même du quai de
débarquement et des magasins.
La morue subit d'ordinaire trois « soleils » ; entre chacun, elle
est mise en tas pour lui éviter l'humidité de la nuit. Au milieu
du jour, la morue est retournée sur son lit de galets de telle façon
428 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
que la dessiccation soil bien égale partout. Puis, lorsqiiele poisson
se tient bien raide quand on le prend par la queue, il est classé
par dimensions et mis en magasins, en attendant son envoi sur
les lieux de consommation.
Toutes ces manipulations sont effectuées par des enfants dits
« graviers » et par des femmes, qui tous travaillent sous la direc-
tion d'un chef de grave, vieux marin, véritable chef de chan-
tier dont le rôle est important, car de ses décisions des centaines
de quintaux de morues peuvent voir leur valeur baisser de 10
à 20%.
Tout ce travail est évidemment simple, mais il demande à
ôtre bien exécuté. Une morue qui n'est pas exactement recou-
verte de sel subit un commencement de décomposition; elle est
alors dite douce et mise au rebut. Telle autre sera échauffée
pour avoir subi un coup de soleil. Telle autre sera mal tranchée
.ou flambée ou décolletée, si le coup de couteau est mal donné.
Celle-ci sera tachée de sang, celle-là sera pucée ou rouge ou
saumonée ou brisée. Autant de raisons pour Tacheteur de refu-
ser le poisson.
Bref, dans ce métier, comme dans tout autre, il faut posséder
un certain tour de main et il ne faut surtout pas aimer ses aises
ni la propreté.
Le Breton.
LA QUESTION DU COTON
Depuis quelque temps, Tindustrie cotonnière d'Europe se
préoccupe des tentatives d'accaparement que méditent les Etats-
Unis*. Les Allemands ont fondé, en 4 900, sous Tégide de la
Société coloniale allemande, une société d'études dont le prin-
cipal représentant au Togoland, M. Callovay, a fait récemment
connaître, après deux années d'expériences, à quelles condi-
tions cette colonie pouvait produire du coton ainsi que son prix
de revient; il est probable que, à raison de certaines difficultés
provenant du climat à peu près continuellement pluvieux de
ce pays, de nouveaux essais seront faits au Cameroun *. Les
Anglais viennent, à leur tour, de fonder au capital de 1.230.000
francs, la British Cotlon Groa'ing Association dont l'objet est
de poursuivre des études analogues dans les territoires dépen-
dant de leurs diverses stations commerciales de TOuest afri-
cain; le gouvernement a promis son appui pour faciliter les
transports terrestres, et de son côté, la puissante maison d'ar-
mement Elder, Dempster et 0\ dans le but de favoriser cette
nouvelle culture en Afrique, a fait savoir que ses navires en
amèneraient gratuitement les produits en Angleterre pendant
les premières années.
Dans notre pays, enfin, vient de se fonder, sous les auspices
d'importantes personnalités du monde industriel, V Association
cotonnière coloniale dont le président est M. A. Esnault-Pelte-
rie, président du Syndicat général de l'Industrie cotonnière
française; le siège social est établi, à Paris, rue Saint-Fiacre,
n'^3.
L'objet de ce groupement est de se livrer, dans nos colonies,
et notamment, dans les parties de notre Afrique Occidentale
qui avoisinent le Haut-Dahomey et les rives du Niger, à des
recherches scientifiques et pratiques, afin de déterminer les
La production mondiale du coton est, en moyenne, de 14 millions de halles de
> livres, sur lesquelles les États-Unis figurent, à eux seuls, pour lO.oOO.OOO balles.
1
cOOl , .
Cette énorme proportion, qui grandira encore, leur permet d'aspirer à un monopole
de matière première, à l'aide duquel ils espèrent inonder le monde entier de tissus
qu ils fabriqueront eux-mêmes. On va construire près de Saint-Louis du Mississipi
une va*le usine qui comptera 12.000 métiers et oCO.OOO broches pouvant fabriquer, à
elle seule, le dixième de la production totale de la France.
2 Voir Bulletin du Comité de VAfnque Française, aux « Renseignements colo-
niaux », une intéressante étude de M. Emile Baillaud, qui examine spécialement le
résultat des tentatives allemandes dans la culture du coton en Afrique occidentale.
430 QUESTIONS DII'LOHATIQUES ET COLONIALES
terrains les plus propices à raison de leur composition chimique
et de leur situation climatérique, et aussi, pour arriver à
découvrir les espèces y convenant et qui seront industrielle-
ment utilisables, soit en introduisant, en vue de les acclimater,
des graines de coton d'Egypte et d'Amérique, soit en sélection-
nant et en améliorant le coton indigène qui pousse actuelle-
ment à Tétat sauvage et dont les soies, trop courtes et inégales,
sont, jusqu'ici, sans intérêt pour la consommation européenne.
Pour atteindre son but, V Association cqtonnière coloniale
se propose d'envoyer des missions et de subventionner des
colons déjà au courant des choses et gens du pays. Elle n'a,
par elle-même, aucun caractère d'exploitation agricole ou
commerciale.
Ses moyens d'action sont étendus, eu égard à son objet, tout
entier d'études, bien qu'elle ne possède pas de capital propre-
ment dit, n'ayant pas cru devoir (et elle a bien fait] recourir à
la forme de la Société anonyme. Ses adhérents prennent un
engagement de six années; ce délai est considéré comme néces-
saire pour obtenir des résultats probants ; ils sont divisés en
quatre catégories; les cotisations les plus élevées sont de
1.000 francs par an. 11 va de soi que, du jour où l'on croira
pouvoir, à bon escient, entreprendre en grand la culture et
l'achat du coton au point de vue commercial et industriel, on
sera appelé à recourir à la puissance des capitaux de la Société
anonyme. Pour Tinstant, la forme adoptée paraît heureuse, et
en tout cas, fort bien appropriée à l'objet qu'ont en vue les
créateurs de ce groupement qui, se composant exclusivement
d'industriels et de commerçants, sait parfaitement ce qu'il veut
et où il va.
11 semble, toutefois, que les préoccupations de V Association
cotonniers coloniale ne doivent pas se borner à la détermina-
tion des terrains les plus propices à la culture du coton et au
choix des meilleures espèces. La question du travail indigène
mérite assurément, de sa part, une étude approfondie, et pour
ainsi, dire, concomitante. On sait, en effet, que le noir a
l'aversion de l'effort, et surtout, de l'effort régulier; or c'est
précisément cette régularité qui s'impose dans toute entreprise
de ce genre que l'on veut mener à bien. Les colons d'Indo-
Chine avaient éprouvé cette difficulté ; malgré des contrats de
travail bien en règle, les indigènes désertaient leur poste, dès
qu'ils avaient quelque argent ou même par pure fantaisie; des
amendes, auxquelles ils s'exposaient, ils ne se souciaient
guère, ne possédant rien, ou la fuite leur permettant de se sous-
traire à toute contrainte pécuniaire.
LA QUESTION DU COTON 431
M. Paul DouTOer emprunta donc aux législations coloniales
étrangères une mesure qui, chez nous, constitue une innovation;
par un décret du 27 août 1899, il décida que tout manquement,
de la part d'un indigène, aux obligations découlant d'un contrat
ré^lièrem'ent passé devant les autorités administratives com-
pétentes, se traduirait en une pénalité pouvant aller jusqu'à
cinq jours de prison. Jusqu'ici, nos colons de l'Afrique Occiden-
tale ne bénéficient pas d'un régime analogue, de sorte qu'ils
n'ont aucun moyen de coercition à l'égard des travailleurs qu'ils
emploient. Dans les toutes petites entreprises de culture, on peut
encore se tirer d'affaire par des choix de personnel indigène
bien faits et par une surveillance attentive. Mais, du jour où, sur
des chantiers agricoles étendus, il faudra recourir à plusieurs
centaines de noirs, il en sera tout différemment. Dans certaines
régions, où Vesclava^e de case existe, on s'arrangera avec les
rhefs ;mais ailleurs? Et puis, cet esclavage de case, si doux soit-
il, tendra lui-même à disparaître sous l'influence de notre civili-
sation. Comment procédera-t-on, par la suite, si, d'ores et déjà.
Tonne songe pas à organiser le travail indigène? Le problème de
la main-d'œuvre est le principal de ceux qui intéressent l'avenir
de nos colonies africaines ; les pouvoirs publics ne l'ignorent
donc pas; mais, sous la préoccupation de ne pas froisser des
«enliments, faussement humanitaires en l'espèce, ils en reculent
sans cesse la solution. C'est dans le but de hâter celle-ci que
\ Association cotonnière coloniale sera heureusement inspirée,
<\ elle joint ses efforts à ceux des Sociétés scientifiques et des
individualités oui demandent, depuis longtemps, que le Pavil-
lon de Flore aborde cette question capitale en confiant son
examen à une commission composée, moins de négociants
cùliers — que cela n'a jamais semblé beaucoup intéresser —
que de colons véritables et de techniciens coloniaux.
Mais là ne paraît pas devoir, à notre sens, se borner le champ
d'études de V Association cotonnière. Qu'il soit récolté directe-
ment ou acheté aux indigènes, le coton sera nécessairement
acheminé hors de ses lieux de production vers la France. L'exa-
men des conditions de transport s'impose donc de lui-même.
Du moins, il est à la veille de s'imposer; car dans l'état actuel,
l'on ne saurait raisonnablement songer à faire venir du coton
de«i rives du Niger, faute de moyens de locomotion faciles,
rapides et bon marché. lien sera différemment bientôt, puisque
Ton annonce, pour 190S, l'ouverture totale de la ligne de Kayes
au Niger,
Dans quelques années également, le Haut-Dahomey sera
relié à là Côte par le chemin de fer concédé à M. G. Borelli; le
432 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
chemin de fer de la Guinée sera poussé — espérons-le — jus-
qu'à Kouroussa et celui de la Côte d'Ivoire dirigé vers le Baoulé.
I Les plantations de coton ne manqueront donc pas de moyens
I de transport; le pointdélicat est de connaître si celui ci pourra
se faire à un prix assez bas. Voici un exemple : de Koulikôro,
point terminus du chemin de fer du Soudan, la marchandise
atteindra Kayes, après un parcours de 550 kilomètres; puis
elle empruntera la voie fluviale du Sénégal (près de 1.000 kilo-
mètres) pour aboutir à Saint-Louis où elle sera chargée sur des
navires à destination de l'Europe, après avoir supporté 150 fr.
de frais se décomposant ainsi : 1** du Niger à Kayes, 55 francs la
tonne, à raison de 0 fr. 10 la tonne kilométrique; 2** de Kayes
en France, via Saint-Louis, 70 francs la tonneau minimum;
3* les frais de manutention, transbordements, assurances,
divers, pour 25 francs la tonne. Admettons, comme prix moyen
du coton de cette provenance, le chiffre de 850 francs la tonne;
il faudrait donc que celle-ci ne coûte pas plus de 700 francs, au
point de départ sur le iNiger. On le voit, l'étude des prix de
revient sera nécessairement, à Taide des divers éléments qui
viennent d'être simplement ébauchés, le commencement des
efforts de Y Association cotonnière coloniale dont l'initiative,
née de préoccupations patriotiques, est louable à tous égards,
spécialement au point de vue industriel, et doit recevoir Tappro-
bation et le concours des véritables amis de notre expansion
coloniale.
1 Aspe-Fleurimont,
f
Conseiller du Commerce extérieur de la France.
I
SITUATION ECOIVOMIQUË DE LA COTE D'IVOIRE
? i
CULTURES. ANIMAUX. — INDUSTRIES.
La colonie a installé depuis nombre d'années un jardin d'essai
à Dabou et tout récemment un autre à Bingerville. Le jardin de
Dabou date de Faidherbe; il contient de très nombreux arbres
fruitiers tropicaux que Ton ne retrouve nulle part ailleurs en
iVfrique occidentale; il a été fort utile pour les colons auxquels
le jardinier chef a distribué en une année 3.000 pieds de café,
H.OOO boutures de caoutchouc et 800 plants de cacao.
Dans la région des lagunes, la grande richesse du pays est le
palmier qui fournit l'huile et Tamande de palme ; les cultures
Ihs plus répandues sont le mil, le maïs; on trouve aussi pen-
danl la saison sèche quelques produits maraîchers. La pèche
est d'un grand rapport, car les indigènes ne vivent presque que
de poissons.
Dans la zone forestière, on exploite surtout les produits de la
foret: Tacajou, le caoutchouc, la gomme et la cire; la vanille
**sttrès fréquente, mais les habitants ne savent pas la féconder
el laissent perdre ce produit naturel qui pourrait être d'un bon
rapport. Cette zone comprend les bassins moyens de Tlndénié,
du Baouié, de la Sasandra et du Cavally; on y retrouve les
productions de la zone côtière avec en plus de Tigname et un
peu d'arachide. Le terrain est riche en humus et se prête à la
culture sans le moindre engrais : les indigènes se bornent à
changer de temps en temps leur champ de place, de manière à
permettre à la terre qui a déjà rapporté de s'amender. Dans la
ré«:ion de Bouaké, de suite après la forêt, on trouve, outre lo«
cultures déjà signalées, de nombreux goyaviers, citronnieni,
papayers et kolatiers,des cannes à sucre et du tabac. Les légumes
européens viennent très bien pendant neuf mois de Tannée.
Les animaux de basse-cour et le gibier à poil, ainsi q«e les
biches, sont nombreux, mais il y a peu de bœufs : il en existe
une race très petite, mais qui ne suffit pas aux besoins locaux.
Enfin, dans la zone soudanaise (régions de Touba, d'Odjenné,
de Kong et de Bondoukou), les cultures les plus répandues
* La première partie de cette étude a paru dans notre numéro du l.'i ni::rs [Quest.
bipl. ei Col., t. XV, p. 3o4).
QuBST. I)i(*L. IT Col. — t. xv. 2S
434 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
sont : le m, le manioc, le mil, Tarachide, Tigname, la banane;
les arbres les plus communs sont : le kolatier, le caïlcédra, le
karité, lé palmier et deux arbustes qui peuvent devenir une
source de richesses, le coton et Tindigo. Les légumes européens
viennent à merveille et tous les postes ont de fort beaux jar-
dins; les rivières sont poissonneuses; enfin les bois que Ton
retrouve dans la région de Kong contiennent des éléphants assez
nombreux, mais qui ne sont pas chassés.
Les bœufs et les moutons vivent bien; les chevaux sont nom-
breux, de petite taille, mais résistants à la fatigue.
Le coton et Tindigo, très cultivés dans d'immenses cham|)s
qui s'étendent à perte de vue, donnent lieu aux seules industrie*^
du pays : le tissage et la teinture. Chaque village a une dizaine
de métiers, installés en plein air, et dont les piliers de soutien
sont des arbres; les hommes font les tisserands, tandis que le>
femmes récoltent le coton, le cardent et le filent.
L'indigo est préparé, sur place, à la mode indigène. La cou-
leur ainsi obtenue est d'un fort bon teint; tous les pagnes à
bandes bleues et blanches que portent les habitants de la Côte
d'Ivoire viennent de cette région.
lAPi.niT.VTioN minïerp:.
Au point de vue minier, on est encore dans la période
d'études ; il est h peu près certain que les filons de la Gold Coast
parallèles h la mer se prolongent jusqu'ù. la Comoë et même
jusqu'au Bandama. D'après des renseignements que j'ai re-
cueillis auprès de Tun des plus anciens prospecteurs de lln-
dénié, certains filons du Swansi auraient des longueurs de
plusieurs milles et seraient très inclinés, en sorte que Textrac-
tion et le broyage n'exigeraient pas des transports coûteux.
Enfin, partout ailleurs, et en particulier dans la haute Cote,
on trouve de Tor d'alluvion. Pour l'exploiter, les indigènes ont
creusé des trous au hasard près des marigots : lorsque le lavage
de la terre extraite d'un trou ne donnait plus de rendemenl,
ils allaient en creuser un autre plus loin et ainsi de suite. Les
pépites sont assez rares, surtout si Ton lient compte que les
habitants les considèrent comme des fétiches et les conservent
précieusement : celles qu'on voit entre leurs mains constituent
donc la production de plusieurs années. La poudre d'or était
la monnaie courante employée dans tout l'intérieur avant notro
arrivée, elle Test encore dans les régions où nous n'avons pas
SITUATION ÉCONOMIOLE DE LA CÔTE d'iVOIHE 435
pt'uétré : dans le Baoïilé et la région de Kong, les indigènes
paient Timpôt en or. Cependant, à l'exportation en douanes,
l'orn a atteintque le chiffre très faible de 60.000 francs en 1900.
Quelles que soient les richesses véritables de la Côte d'ivoire,
UD courant d'opinion peut-(^tre hàtif s'est formé depuis' plusieurs
années pour la recherche et l'exploitation de ces richesses. Les
pivmières Compagnies ont ét«» formées en 1887, 4894 et 1897 ;
f^nfin la découverte de riches filons dans la (lold Coast, en IPOO,
a produit un engouement véritable pour la cote de Guinée. Plus
Je mille permis de recherches ont été délivrés en 4904 et 4902;
rî's permis portent sur la région comprise entre la frontière de
la ttte d'Or et la Bandama, sauf toutefois la zone réservée de
part et d'autre du tracé de la voie ferrée projetée. En 4904,
seize sociétés se sont constituées et cinq nouvelles se sont
^'Dcore formées depuis le commencement de 4902. Ces sociétés
ont à leur disposition un capital nominaf de TîO millions : à
signaler tout particulièrement un groupe de sociétés anglaises,
liées eu 4901 et 4902, et qui semblent vouloir faire le trust de
liir à la Côte d'Ivoire.
Les plus importantes sont l'/vory Coast consoUtaded^^xx capi-
lal de 12.500.000 francs, dont le siège social est à Londres, et
\kory Coast goldfields^ dont le capital social nominal est de
13 millions : ces deux sociétés ont pour filiales Ylvory Coast
trust, fondé à Londres en 4902 au capital de 425.000 francs, et
ïlivri/ Coast trading, au capital de 4.250.000 francs. VIvory
ioast golclfields, dont le conseil d'administration comprend
•leux Anglais, deux Français, un Américain, un Allemand, a
Hiheté l'an dernier un grand nombre de permis d'exploitation
<le prospecteurs français; mais depuis 4902 cette société a con-
stitué à l'aide de son personnel propre une mission d'études
'|ui comprend six prospecteurs anglais, un ingénieur anglais et
lieux ingénieurs français.
Seules, les recherches en cours pourront nous renseigner sur
(♦'S richesses aurifères de la Côte d'Ivoire. Tant qu'elles n'auront
[•tiÀ donné de résultats, nous mettrons la petite épargne en garde
'►nlre les affirmations d'explorateurs qui n'ont d'autres données
<|ueles dires toujours exagérés des indigènes, même lorsqu'ils
>ontde bonne foi. Si l'on se place au point de vue économique,
l'i période de recherches dans laquelle on vient d'entrer donne
un nouvel élément d'activité à la colonie par l'afflux d'un per-
^•nnel nombreux. L'arrivage d'un matériel important et de
prtjspecteurs de toutes nationalités, en vue de la campagne
IM2-I903, donnera encore de la vitalité à ce pays et multipliera
!♦?> chances de découvertes heureuses.
T%'m
436 OUESTIOMS DIPLOMATIOIES ET COLONIALES
OrriLLAGK ECONOMigi E.
I.ta colonie est en relations avec la France par des courriers
postaux réguliers partant du Havre et de Marseille une fois par
mois. La durée du voyage est de quatorze jours. En outre, les
mêmes compagnies et des compagnies de navigation allemandes
et anglaises envoient des cargo-boats qui prennent des mar-
chandises tout le long de la côte occidentale d'Afrique. Le
prix rlu voyage de France à Grand-Bassam est de 700 francs en
première, de 500 francs en seconde et de 300 francsen troisième;
le prix de la tonne de marchandises est de 33 à 45 francs.
Les moyens de débarquement sont primitifs, sauf à (irand-
Uassam où depuis deux ans on utilise un wharf. Le paquebot
mouille à un demi-mille du rivage environ et des canots de
grande taille viennent recevoir sous palan les marchandises
placées au préalable dans des tonneaux étanches ; ces tonneaux
sont ensuite transportés à terre par les canots et roulés naturel-
lement par la lame jusqu'à la plage, si Tétat de la barre fait
chavirer les embarcations qui les portent. L'embarquement ou
le débarquement des marchandises s'opère ainsi sur toute la côte,
de l'embouchure du Cavally à celle de la Comoë, grâce à la pré-
sence dans tous les villages d'équipes de piroguiers habitués à
franchir la barre. Pour les passagers, c'est moins facile et à
certaine saison l'embarquement est même dangereux ; il vaut
mieux ah>rs ajourner son départ ou se rendre par terre à (irand-
Bassam pour utiliser le wharf. Les indigènes chavirent presque
toujours sans danger parce qu'ils connaissent la tactique pour
recevoir les lames et ne pas se laisser entraîner; mais les Euro-
péens doivent être très prudents s'ils ne veulent pas être vic-
times d'accident.
J'ai débarqué à (irand-Lahou, en mars dernier, un jour où la
mer était favorable, et j'ai pu me rendre parfaitement compte
de ce qu'est la barre. C'est une énorme lame, dont la hauteur
varie entre 1 mètre et 3 à G mètres, suivant l'état de la mer.
Quand cette lame atteint les premiers hauts fonds, elle est
brisée; mais elle va se reformer plus loin en une deuxième lame
moins haute que la première, qui roule encore un certain temps
et forme enfin une troisième lame, qui vient heurter la dune de
sable avec force. De la plage, on dirait trois gros rouleaux d'eau
qui se déroulent et se reforment sans cesse : Thabileté des piro-
guiers et toute leur manœuvre consistent à marcher aussi vib^
que la lame, d'un rouleau au rouleau suivant. Chaque canot est
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA CÔTE d'iVOIRE 437
monté par une douzaine de pagayeurs, assis sur des banquettes,
«et qui obéissent au barreur placé, debout à l'arrière. Celui-ci
reganie une personne, placée à terre, qui le prévient du moment
où le rouleau arrive à hauteur de l'embarcation, car il est diffi-
nle de s'en rendre compte exactement sur mer. A ce signal, tous
Ie< piroguiers s'excitant de la voix font force de rame et arri-
vent à suivre un moment la lame ; quand celle-ci les dépasse, ils
oes:5ent de ramer et attendent de se trouver à nouveau sur le
r«juleau pour recommencer leur manœuvre; à la troisième fois,
•jj l'équipe est bonne, on a atteint le dernier rouleau qui s'étale
sur environ 300 mètres jusqu'à la plage. Les pagayeurs multi-
plient leurs cris et leurs coups d'aviron et l'on a la sensation
d^tre entraîné rapidement sur une surface plane qui en deux
ou trois secondes vous jette à terre ; la sensation se termine par
une brusque secousse. Tous les piroguiers sautent aussitôt à
terre pour tirer l'embarcation à sec avant que la lame suivante
arrive, et elle est là environ 45 secondes plus tard; il n'y a donc
pas de temps à perdre.
Pour embarquer, la manœuvre est plus difficile. Le canot est
ilabord traîné sur la plage, puis poussé vivement par les piro-
l^uiers au moment où la lame se retire, Tavant droit à la mer,
de manière que quand le premier rouleau arrive, il se brise sans
passer par-dessus Terabarcation et sans trop mouiller les voya-
geurs qui sont déjà dedans. Dès que le rouleau est passé, les
pa«:ayeurs sautent dans la barque et à force de rames poussent
le plus vite possible sur la seconde lame qui ramène Tembar-
cation en arrière; dès que le mouvement en recul s'atténue, les
pagayeurs se remettent à ramer en poussant droit sur le nouveau
rouleau. Il faut bien une dizaine de minutes pour franchir les
Irois rouleaux ; lorsque l'embarcation flotte au delà de la pre-
mière vague, il n'y a plus rien à craindre; mais cette première
vague est dure à franchir. Pour peu que le canot ne soit pas
absolument droit à la lame, il est rejeté sur la plage par le tra-
vers et avec violence ; le voyageur projeté sur le sable peut
s estimer heureux quand il ne reçoit qu'une douche salée : trop
souvent, des Européens qui ont voulu s'embarquer malgré
lavis des piroguiers ont dû renoncer à leur projet, après avoir
eu un bras ou une jambe cassés.
Quelquefois môme, mais très rarement, on a constaté des
accidents plus graves. La lame, arrivant avec une extrême vio-
lence, renversait la barque sur les passagers qui périssaient em-
prisonnés, étouffés sous cet énorme poids. Ces accidents sont
dus surtout à l'imprudence de gens qui veulent s'embarquer
malgré l'avis des piroguiers. En tout cas, on peut être tran-
^
A:ïH questions DIPLOMATIQUKS £T COLONIALES
quille pour le débarquemenf; dès l'instant qu'un canota pu
venir jusqu'au vapeur mouillé en mer, il lui sera possible dv
revenir h terre sans trop de difficulté, et le voyageur inexpéri-
menté en sera quitte tout au plus pour un petit bain de mer.
La barre n'est réellement difficile que pendant de courtes
périodes. Les statistiques de ces dernières années établissent
qu'elle est possible au moins vingt-cinq jours sur trente; c\'>l
plus qu'il n'eu faut pour permettre les transactions avec les
cargo-boats qui, n'étant pas postaux, peuvent, le cas échéant,
attendre deux ou trois jours mouillés au large que la mer de-
vienne plus clémente.
Le wharf de Grand-Bassam remédie en partie à ces difficultés;
son utilité est incontestable, car, grâce à lui, on peut débar-
quer (ît embarquer sans danger par tous les temps ; mais sa
faible longueur, et aussi l'agitation permanente de lamerqui ne
permet pas aux navires d'accoster, nécessitent une double mani-
pulation des marchandises, ce qui est encore une grande gène.
Dans rintention de vaincre ces difficultés, la colonie a mis à
Tétude la création d'un port artificiel, puis d'un chemin de fer:
le commandant du génie Iloudaille a été chargé de l'étude et de
rétablissement de l'avant-projet: il a depuis deux ans terminé
sa mission et son projet a retju l'approbation du Comité de>
travaux publics des colonies.
L^ne ligne télégraphique va de Tembouchure du Cavally à
celle de la Comoé. en suivant la mer. Cette ligne vient d'être
rattachée, en mai dernier, au réseau anglais de la Côte d'Or. La
Côte d'Ivoire est reliée, par un fil qui longe la Comoë et passe
par Boudoukou, Dabakala et Kong, à cet admirable réseau de
TAfrique Occidentale française, qui, partant de Dakar, couvre
toutes nos possessions jusqu'au Dahomey.
Les communications postales sont établies de Grand-Bassam
avec tous les points occupés par des Eluropéens.
Je dois constater qu'il s'est produit depuis quelque temps des
améliorations très sensibles. Au portage à dos d'homme — seul
système de transport jusqu'à présent employé et qui limite le
transit des marchandises à des quantités très faibles — se subs-
titue, sous la pression de nos fonctionnaires et de nos officiers,
le transport par les ânes et les bœufs. Grâce à la route ouvert*^
par nos troupes, le rendement du portage humain devient aussi
plus considérable; les porteurs, qui ne faisaient que de 12 à
13 kilomètres par jour dans le sentier indigène, en font facile-
ment 25 maintenant. Sur les lagunes et la partie navigable des
fleuves, les bateaux à vapeur et les chalands sont plus nom-
breux. A Grand-Bassam, capitale commerciale de la colonie,
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA CÔTE D'IVOIHE
439
l'effort est nettement marqué. Outre le wharf dont nous avons
parlé plus haut, une voie Decauville part de l*extrémité de
iappontement et dessert les magasins des factoreries. Depuis
Tan dernier, de nombreuses maisons particulières et des maga-
sins ont été élevés et des constructions on cours occupent en-
core quantité d'ouvriers et de manœuvres.
Hnfin, une capitale administrative vient d'être créée dans la
lagune d'Abidjean dans un site élevé et sain : les ateliers des
travaux publics de la colonie y ont élé installés.
SITUATION lUIDGÉTAIIlE.
Le budget de 1902 pour la colonie prévoit 2.235.000 francs
Je recettes et de dépenses; de 1897 à 1900, il a suivi les
variations suivantes :
ANNÉES
RECETTES
Y COMPRIS LES PRÉLKVEMKNTS
SUR LA CAISSE DE RESERVE
DÉPENSES
|l897
1898
1.730.498
1.771. 183
1.927.765
2.002.268
l. «23. 927
1.531.176
1.901.029
2.037.998
1 1899
1900
Les excédents des recettes sur les dépenses étaient versés, en
lin d'année, h la caisse de réserve qui dépassait 200.000 francs
au 1*" janvier 1902.
Recettes. — Les recettes sont de quatre sortes : 1** les contri-
butions directes (impùt de capitation, de colportage et rede-
vances pour concessions minières), 420.000 francs; 2" les pro-
duits divers (postes, imprimerie, amendes, droits de greffe et
enregistrement, etc.;, 70.000 francs; 3** le produit de Taliéna-
tion des terrains domaniaux et les redevances territoriales,
l'i.OOO francs; 4" les contributions indirectes, soit :
Taxe de consommation 1 . 678 . 000
Droits de sortie sur les l)ois .iO.OOO
Droits de magasinage 1 .000
Produit des amandes 1 .000
L'impôt de capitation, prévu par un arrêté du 14 mai 1901,
frappe les indigènes de tout sexe âgés de plus de dix ans d'une
440 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
taxe de 2 fr. 50; il est payé en réalité par un très petit nombre
d'individus et on aura de la peine à recueillir les 350.000 francs
inscrits au budget à ce titre.
La plus grosse ressource est celle donnée par les taxes de
consommation qui sont perçues par le service des douanes. Le
système douanier de la Côte d'Ivoire, comme aussi celui du
Dahomey, est dominé par la convention du 14 juin 1898, qui
favorise tout particulièrement Tindustrie anglaise. Cet acte
paralyse pour vingt-six ans encore tous les efforts que pourraient
tenter nos nationaux, et nous sommes surpris que nos plénipo-
tentiaires aient pu en accepter la rédaction et M. Hanotaux
lui donner la sanction de sa signature. On n'engage pas ainsi
le régime douanier de deux colonies pour une période de
trente années ; c'est une faute qui pèse et pèsera encore très
lourdement sur la vie économique de toute TA frique Occiden-
tale française. Je suis surpris, comme bien d'autres, de l'habileté
avec laquelle les plénipotentiaires anglais sont arrivés à intro-
duire une clause, purement économique, dans une convention
conclue, dans le principe, pour la délimitation des possessions
françaises et anglaises dans la boucle du Niger et pour la déli-
mitation des mômes possessions à TEst du Niger.
11 semble que ce document n'aurait dû traiter que de fron-
tières; mais l'article 9 et dernier s'exprime ainsi : « A Tinté-
« rieur des limites tracées sur la carte (ces limites comprennent
« la Côte d'Ivoire, le Dahomey, etc.), les citoyens français et
« protégés français, les sujets britanniques et protégés britan-
« niques, pour leurs personnes comme pour leurs biens, les
« marchandises et produits naturels ou manufacturés de la
« France et de la Grande-Bretagne jouiront pendant trente
« années, à partir de l'échange des ratifications de la conven-
« tion mentionnée à l'article 5, du même traitement pour tout
« ce qui concerne la navigation fluviale, le commerce, le
« régime douanier et fiscal et les taxes de toute nature, »
Il ne s'agit plus de délimitation dans cet article et nos pléni-
potentiaires paraissent avoir été", dans la circonstance, d'une
naïveté d'autant plus regrettable que, seuls, les produits anglais
sont débités au Dahomey et à la Côte d'Ivoire, tandis qu'il
n'entre pas de produits français dans les établissements anglais
de la môme région.
L'application de ce tex^te n'eut pas d'effet sur les recettes
douanières, car les droits anciens furent remplacés par des taxes
de consommation équivalentes le jour même de l'application
de la convention. La quotité de ces taxes est fixée par le tableau
suivant :
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA CÔTE d'IVOIRE
441
DÉSIGNATION DES MARCHANDISES
UNITÉS
SURLKSQUELLB8
PORTENT
LES DROITS
DROITS
Cidres, bières limonades.
hectolitre
la pièce
cent kilos
" %
10 %
15.00
5.00
15.00
^0.00
60.00
156.00
50.00
60.00
2.50
70.00
10.00
1.00
100.00
200.00
5.00
Vins ordinaires titrant moins de 16"
Vins ordinaires titrant 16« et au-dessus
Vennouih, vins aromatisés et liqueurs
Vins mousseux
Alcool pur suivant dosage, l'alcool pur étant à 90».
Liaoeur de traite titrant moins de 25°
Autres liqueurs •
Armes de traite
Poudre de traite
Plomb en barre
Sel marin
Tabacs en feuilles
Tabacs manufacturés
Pétrole
Matériaux de construction
Marchandises non dénommées
Les objets nécessaires à Tindustrie (machines, treuils, rails,
chaudières à vapeur, etc. ; ciment, tôles ondulées, sacs pour
emballage des amandes de palme), les vivres frais et les ani-
maux vivants ne paient pas de taxe.
Grâce aux taxes de consommation, les recettes douanières
ont continué d'augmenter, ainsi que le montre le tableau ci-
après :
Tableau des perceptions douanières depuis 1805.
Années 1895 1.004.485 francs.
— 1896 1.219.320 —
— 1897 1.170.847 —
— 1898 1.337.902 —
— 1899 1.548. 240 —
— 1900 1.762.565 —
— 1901 1.528.577 —
Ces recettes vont augmenter encore sensiblement par suite
des droits d'entrée que la Côte d'Ivoire exige, depuis cette année,
à la frontière du Soudan. Une grande quantité de marchandises
est en effet acheminée de Saint-Louis, par le Sénégal, la voie
ferrée du Sénégal au Niger et le deuxième territoire militaire,
vers la Côte d'Ivoire : ces objets entraient autrefois en franchise,
mais depuis peu les maisons de commerce et les dioulas doivent
acquitter les taxes de consommation, ce qui est légal et con-
forme à l'esprit de la convention de 1898. Mais cela ne fit pas
l'affaire des négociants sénégalais et la Chambre de commerce
de Saint-Louis a protesté par l'organe de son président, M. Ra-
44^ QUIilSTLÔNS DIPLOMATIQL'ES ET COLONIALES
baud, contre la double taxe dont sont frappés les objets prove-
nant du Sénégal : droits de douane à Saint-Louis et taxe de
consommation à Tentrée dans la colonie. La Côte d'Ivoire dit bien
aux commerçants de se faire rendre les droits de douane h
la sortie du Sénégal; mais cette dernière colonie ne l'entend
pas ainsi, et depuis bientôt un an on discute à ce sujet sans pou-
voir aboutir. Signalons, en passant, que c'est là un des nom-
breux conflits entre les colonies de l'Afrique Occidentale que le
gouverneur général était mal placé pour trancher jusqu'au
décret du 1" octobre dernier. Gouverneur du Sénégal, il pouvait
(^tre en effet suspect de partialité en faveur de sa colonie, quels
que fussent d'ailleurs son indépendance et son autorité person-
nelle. La situation nouvelle, que lui crée le décret du i" oc-
tobre 1902, lui permettra à l'avenir de solutionner tous ces
petits conflits sans les laisser aussi longtemps en suspens.
Dépenses. — Les prévisions de dépenses pour 1902 sont
données par le tableau suivant :
Contingents coloniaux, dettes exigibles 192.242 92
Dépenses cradmini^tration 463.870 »
Police gï^nérale et prison 198.157 »
Frais de perception et de régie 5(|6.7î6 »
Travaux publics, Jeux, phare, flottille 2U .858 »
Services divers 207 212 19
Admimslration, eic, de la haute Cote d'Ivoire 231 759 20
Frais de passage, de route, de séjour 80.500 »
Vice-consulat de France ù Monrovia 15.000 »
Dépenses d'ordre 106.174 69
Dépenses do colonisation I5.O00 »
Ce qui frappe dans le chapitre des dépenses, c'est que cette
petite colonie, encore à ses débuts, verse un contingent sérieux
à la métropole. Ce contingent est formé par les dépenses détail-
lées ci-après :
Subvention pour les dépenses d'Ktat 10.000 >•
— à l'École coloniale 2.0f>0 »
— au Jardin de Xogent-sur-Marne 4 .500 »
— à rOffîce colonial 500 »
— à la Section géographique 2.000 »
Tous les frais du vice-consulat de Monrovia 15.000 »
Annuité payée à la Compagnie de Kong 125.000 »
La conclusion est que la colonie de la Côte d'Ivoire paie tous
ses frais d'administration et subventionne la métropole pour
156.000 : sa situation financière paraît donc très satisfaisante.
Un emprunt de 800.000 francs, destiné à couvrir les frais
SITUATION ÉCONOMIOUK DE LA CÔTK DIVOIRE
443
crinstallation du nouveau clief-iiou de la colonie, est amorti
par annuiK»s de r>5.000 francs.
cOM.MKnri:.
Les premières statistiques ^louanières de la Côte d'Ivoire
datent de onze ans, elles ont été établies sur Tordre du re-
l^retté gouverneur Mouttet ; d'après ces documents, le mouve-
ment commercial a, dans son ensemble, suivi une progres-
sion ascendante, que montre le tableau ci-aprés :
ANNÉES
IMPORTATIONS
EXPORTATIONS
TOTAUX
1890
1.127.621
2.529.714
1.979.578
2.475.487
3.124.0:;?
2.999.596
4.63S.413
4.579.112
5.527.3:12
6.379.S.X6
9.080.87.1
7.285.9'>3
1 672.270
3.001.353
3.738.714
4.362.096
4.'69.4'0
3.706.45!
4.701.140
4.3S8.906
5.0i'6.b41
5.8«3.255
8.074.589
6.542.703
2.799.891
5.531.067
5.718.312
6.837.583
7.193.452
6.7» 6 047
9.339.543
8.968.018
10.5.3.993
12.2i3.141
17.155.462
13.828.696
1891
1892
1893
1894
1895
i
1896
1897
1898
1899.....
1900
1901
Le chiffre de 1ÎK)1, quoique inférieur à celui de 1900, dépasse
encore celui des années antérieures. Plusieurs causes expli-
(|uent du reste l'augmentation des transactions commerciales
en 1900. D'une part, les commentants, effrayés par l'épidémie
«le lièvre jaune île 1899, s'efforcèrent d'évacuer tous les stocks
(le produits ilu pays ^qu'ils avaient en magasin, dès que la
levée des quarantaines permit aux bateaux de prendre des
marchandises, c'est-à-dire au début de i90(L D'autre part le
«lécrel de novembre 1899, rattachant à la Côte d'Ivoire les
régions d'Odjenné, de Kong et de Touba, avait fait espérer aux
négociants de Bassam et de Lahou d'importants débouchés vers
le Soudan et ils s'étaient approvisionnés en conséquence. Ces
régions peuplées et riches devaient, pensaient-ils, leur fournir
<le nombreux clients: mais l'écoulement espéré n'a pu se faire.
La révolte du Baoulé a, dès 1900, coupé les communications
entre la Haute et la Basse Côte et les magasins sont restés
encombrés, ce qui explique la diminution des importations de
1901. Mais il n'est pas douteux qu'avec la paix, le mouvement
commercial vers le Soudan se produira : on peut même dire
(pi'il est déjà commencé, car j'ai vu au printemps dernier de
i
444 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
nombreux convois de porteurs circuler sur la route de Tiassalé
à Kong. D'ailleurs, les statistiques douanières du premier
semestre de 1902 donnent des chiffres supérieurs à ceux de la
mi>me période de 1901.
Il faut souhaiter cependant que notre commerce s'organise,
ce qu'il n a pas fait jusqu'à présent. A deux ou trois exceptions
près, nos négociants suivent les errements du passé; comme
les premiers traitants, ils attendent dans leurs comptoirs du
littoral la venue des marchands indigènes; ils ne tentent pas
de pénétrer dans l'intérieur. Seuls, MM. Dutheil de la
Rochère et Audéoud ont donné sous ce rapport un exemple à
suivre : ces deux intrépides colons parcourent eux-mêmes, à
pied, le Baoulé et les régions de Kong et de Sikasso, installant
le long des routes des magasins approvisionnés d'objets recher-
chés des indigènes (perles, verroteries, bijoux en métal,
pagnes de tous genres, chapeaux de paille et chaussures) ; leurs
échanges portent surtout sur le caoutchouc. Le succès a répondu
à leurs efforts et leurs premières campagnes ont été très fruc-
tueuses : cela devait être. L'indigène subit la loi universelle du
désir qui agit avec tant de force sur l'homme, quel que soit
son degré d'intelligence et de civilisation. Pour oblei^ir les
objets qui excitent son désir, il lui faut des produits à
échanger et il travaille pour se les procurer. Ainsi, sans la
moindre pression, sans aucune violence, par la seule force du
désir, l'indigène est amené progressivement au travail. Par-
tout où s'installent des magasins de traitants, les noirs arri-
vent en peu de temps à travailler assez pour gagner les sommes
nécessaires à l'achat de boubous aux couleurs éclatantes, de
verroteries et de bijoux en fer-blanc. Sur le marché de Bouaké,
trois coquillages nacrés de S centimètres .de diamètre, comme
on en trouve des quantités le long de la mer, s'échangent
pour un mouton; quant aux coraux et aux perles, ils se ven-
dent à prix d'or. Malheureusement, nos commerçants man-
quent d'initiative ; ils sont timides, n osent pas pénétrer dans
l'intérieur et ne font aucun effort pour supplanter les impor-
tateurs étrangers.
Une constatation d'actualité après la menace de fièvre jaune
qui vient d'effrayer toute la colonie, c'est que les épidémies de
ce terrible fléau ne ralentissent en rien le courant commercial :
Tune des plus violentes fut celle de 1899, et c'est précisément
en 1899 et en 1900 que les transactions atteignirent le chiffre
le plus élevé. Cela tient à ce que les maisons européennes ont
à leur service des indigènes très intelligents qui suppléent les
Européens même pendant une absence de longue durée. D'ail-
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA CÔTE d'iVOIRE
445
leurs», les aborigènes (apoUoniens, jack-jack, dioulas, etc.) ont
des aptitudes commerciales très développées ; sans savoir écrire,
ils traitent de grosses affaires avec les commis noirs des mai-
sons de commerce qui vont les voir chez eux. Ces commis trans-
portent avec eux des marchandises, qu'ils donnent aux indi-
gènes, sur la simple promesse de ces derniers qu'à telle ou telle
époque ils remettront à un bateau passant sur la côte une quan-
tité déterminée d'huile ou d'amande de palme, de caoutchouc,
de cire ou de gomme. Au passage du bateau indiqué, les indi-
gènes viennent à bord, remettent au capitaine les objets con-
venus et retirent, pour la forme, un reçu qu'ils ne savent du
reste pas lire. Comme on le voit, c'est une organisation bien
primitive : le cas d'indigènes manquant à leur parole est telle-
ment rare que je n'ai pu arriver à m'en faire citer un seul.
Importations. — Le tableau suivant indique la marche des
importations pendant les trois dernières années :
DESIGNATION DES ARTICLES
Animaux Tivants
Produits et dépouilles d'animaus
Pêche»
Substances animales brutes
Matières dures à tailler
Farines alimentaires
Fruits et graines
Denrées coloniales de consommation
Huiles et sucs végétaux
Espèces médicinales
Bois
Filaments, tiges» fruits à ouvrer
ProduitK et déchets divers
Boissons
Marbres, pierres, combustibles, minéraux.
Métaux
Produits chimiques
Teintures préparées
Couleurs
Compositions diverses
Poteries
Verres et cristaux
Fils
Tissus
Broderies et vêtements
Papier et ses applications
Peaux et pelleteries ouvrées
Ouvrages en métaux ,
Armes, poudres et munitions
Meubles
Ouvrages en bois , ,
Instruments de musique
Ouvrages de sparterie et vannerie ,
Ouvrages en matières diverses
VALEUR DES IMPORTATIONS
1899
1900
1901
9. in:;
9.636
13.043
147.983
175.9^9
2 8.047
n.967
27.394
40.929
269
953
749
3:;
1.560
3.158
1T2.7H
177 042
296.562
i:j.029
5.715
4.472
340.656
365.121
314.862
16. "722
23.045
21.524
i.irio
1 609
»i
12.622
32.636
26.653
m
»
413
22.098
19.516
34.008
916.878
1.360.706
941.510
86.684
112.187
181.853
85. 8n
152.877
97.481
14i.68i
175.873
151.378
1.845
3.020
365
15.392
17.716
22.194
173.339
219. i62
171 024
55.3i9
48.148
48.669
69.562
322.381
195.132
53.451
84.715
80.969
1.640. 797
2.731.929
1.671.929
60.181
95.992
91.926
11.080
21.612
26.193
23.i01
32.932
40.854
1.395.950
2.139 569
1.684.201
535.041
165.247
227.346
6.237
15.656
45.495
216.029
336.708
442 94C
9.3i7
25.278
17.896
5.847
9.051
6.744
131.301
169.588
173.470
446
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLOMALEh
I
Les principaux articles d'importation * ^ontles tissus, les bois-
sons et les métaux. Les tissus sont en coton, de qualité infé-
rieure, mais teints avec des couleurs éclatantes qui plaisent
aux clients de ces pays. Les usines de Manchester fournissent
presque exclusivement le marché; les tissus français et alle-
mands ne se vendent pas ; nos compatriotes eux-mêmes, après
quelques tentatives inutiles pour introduire les toiles de la
métropole, ontlini par s'approvisionner en Angleterre.
Tableau des importations de tissas de 1809 à 1001
ANNÉES
ORIGINE FRANÇAISE
ORIGINE ÉTRANGÈRE
1800
97.016
131.194
or;. 637
1.543.121
2.600,7:^5
1.400.511
1000
1001
Je fais ici la même constatation que j'ai déjà faite il y a cinq
ans à Madagascar, c'est que notre marché des toiles jue sait
pas se mettre à la portée du consommateur noir et fabriquer à
bon marché des articles qui lui plaisent. Il a fallu, pour intro-
duire nos produits à Madagascar, Ténergique volonté du géné-
ral Gallieni qui a protégé notre industrie nationale par tous les
moyens en son pouvoir et a pu obtenir, grâce à son habilet<^
gouvernementale, de certaines chambres de commerce fran-
çaises, la fabrication de modèles aimés des Malgaches comme
dimensions, couleurs et dessins. Actuellement, un tarif doua-
nier protecteur, maintenu malgré les protestations de TAngle-
terre, permet à nos toiles de lutter avec les toiles anglaises à
Madagascar. Hélas ! aucun tarif protecteur ne peut être appli-
qué à la t^ôte d'Ivoire, car la malencontreuse convention du
14 juin 1898 le rendrait inutile.
L'entrée des alcools est tombée de 1.360.706 en 1900 à 941.510
en 1901 ; mais ici je fais une constatation satisfaisante, c'est
que nos vins tiennent tout le marché local et que nos cidres,
bières et limonades y occupent la première place ; en revanche,
les alcools purs sont presque tous étrangers.
Les métaux et les ouvrages en bois ont donné lieu à des
entrées qui s'élèvent à 1.640.797 en 1899; à 2.731.929 en 1900
et à 1.684.201 kilos en 1901. Cet afflux relativement considé-
rable a pour cause les travaux entrepris depuis trois ans et qui
1 Ces renseignements statistiques sur le mouvement commercial de la Côte
•d*Ivoirc n'ont encore été publiés nulle part.
I .^ip^^w
'^TT'
SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA CÔTE D'iVOIRE
447
attestent, mieux que toute autre chose, Timportant mouvement
qui se produit vers la Côte d'Ivoire.
L'augmentation des farineux alimentaires du papier, des
meubles et des ouvrages en bois est consécutive à Tinstallation,
dans une partie de la colonie, de nos troupes et des services
coloniaux.
Le commerce de la poudre et des armes de traite, qui était
interdit depuis de longues années, a été rendu libre au mois de
mars dernier; l'entrée de ces matières vaudra à la colonie une
recette annuelle de 5 à 600.000 francs de droits, mais au point
do vue politique l'effet est désastreux. Dès qu'elles ont été de
nouveau armées, les populations de l'intérieur n'ont pas
li«»sité à se soulever, et les pertes si cruelles que nous avons
subies depuis cette époque nous prouvent durement que la
décision proclamant libre le commerce des armes et de la
poudre a été prématurée.
Exportations. — Les exportations, dont nous donnons ci-
dessous le tableau comparatif pour 1900 et 1901 permettent de
se rendre compte des richesses naturelles de la Côte d'Ivoire.
Sauf le café qui paraît devoir bien s'acclimater, tous les pro-
duits naturels sont spontanés.
DESIGNATION
DES PUODUITS
PAYS
D&
DESTINATION
France
llltranger
Acajou
Amandes do palmes ) Eî"*"^^
^ I étranger
CalV ^ France
/ Etranger
'--"'«^''O- • iKler
»"''*-!« P»'- ÎEuaTgor
i France
'f Etranger
; France
! Etranger
Ivoire.
Poudre d'or.
QUANTITÉ
1900 1901
151.^63
1.056.599
208.145
320.800
5H.825
4.980
80.289
4.652.725
1.200.018
215.583
3.783
8.216
i:{.392
11.650
lu. 096
68U.182
212.355
273.542
62.801
9.060
91.028
2.593.372
1.2i8.914
465.093
10.734
17.134
39.108
25.112
niFPKRENCE
— 18.367
— 376.417
-f- 4.210
— 46.658
4- 5.976
— 4.080
-h 10.739
—2.059.353
-+- 18.896
+ 189.510
H- 6.915
+ 8.918
-h 25.716
4- 03.46J
L'ivoire et Tor ont subi une baisse sensible, elle provient de
et» que rindigène chasse et lave moins depuis l'occupation du
448 QUKSTiONS DIPI.OMATIQUBS ET COLONIALKS
pays par nos troupes, La France, F Angleterre et FAllemafaie
profitent seules des exportations, et encore cette dernière en
reçoit-elle très peu. Une constatation consolante, c'est que si
l'ensemble ^les exportations a diminué dans une forte pro«
portion, ce qui parait Hre le résultat de l'état de guerre actuel,
cette diminution a porté surtout sur le commerce étranger.
•
l
I CONCLUSION.
Ç II faut reconnaître que de toutes nos colonies de l'Afrique
? Occidentale, c'est celle de la Côte d'Ivoire qui a le moins
^ progressé : alors que partout ailleurs une impulsion vigou-
reuse était donnée tant aux opérations militaires qu'à l'or-
ganisation administrative et coloniale, la Côte d'Ivoire res-
tait stationnaire. Les mutations incessantes du personnel colo-
• niai, les épidémies de fièvre jaune, les difficultés de pénétra-
[ tion de la zone forestière, l'hostilité très vive des habitants ont
:; longtemps arrêté tout progrès. Le moment semble venu où
f: elle va prendre son essor. Nos troupes parviennent enfin, au
prix de bien cruelles pertes, à pacifier le Baoulé qui fut jusqu'à
ce jour le centre de la résistance. Nul doute que derrière elles.
jr comme cela s'est produit ailleurs, nos colons et nos commer-
[ çants viennent s'installer. Cependant nous ne saurions engager
^ nos compatriotes de tenter une exploitation sans gros capitaux;
; l'Européen ne saurait, sous un pareil climat, faire autre chose
que diriger ou surveiller.
La colonie est actuellement prospère, sa situation financière
^ est bonne, son mouvement commercial progresse; enfin on y
: trouve une certaine main-d'œavre : on peut donc avoir pleine
confiance dans son avenir, surtout si son lieutenant-gouverneur
est bien décidé à aider par tous les moyens l'exploitation colo-
niale. J'ai tout lieu de croire que tel est le cas : je souhaite donc
vivement que les capitaux français se portent vers cette colonie
dont les richesses naturelles sont si nombreuses, qu'ils y luttent
pied à pied contre les capitaux étrangers, malgré les con-
ditions défectueuses dans lesquelles les place la convention de
juin 1898, et que là, comme en Indo-Chine, comme à Mada-
gascar, nous ayons bientôt une nouvelle victoire économique
à enregistrer
J. XlOR.
i
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES
L — EUROPE.
France. — Le budget des Affaires étrangères au Sénat. — La discussion
du budget des Affaires étrangères au Sénat a été très courte, et cette
fois encore nous devons répéter notre regret de la place si restreinte
faite à notre politique extérieure dans les débats parlementaires.
Deux orateurs seulement ont pris la parole, pour lu discussion géné-
rale : M. le comte d'Aunay , qui a traité de la question de Macédoine, et
M. le vice-amiral de Guverville qui a demandé des explications sur la
situation au Maroc. Au premier, M. Delcassé s'est borné à répondre
qu'il n'avait rien à ajouter aux déclarations faites récemment par lui
devant la Chambre des députés. Au second, le minisire a fait la ré-
ponse suivante qui ne semble pas témoigner d'un grand optimisme :
M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères. — M. Tamiral de Cuver-
ville a parlé du Maroc. Messieurs, il m'est impossible, à l'heure actuelle,
quelque désir que j'en aie, de constater un changement dans la situation
du Maroc. Je voudrais pouvoir dire qu'elle s'est améliorée : il semble plu-
tôt que l'insurrection, après avoir subi un temps d'arrêt, veuîllo faire tle
nouveaux progrès.
Une longue habitude fait que le Maroc souffre moins de cet état violent
d'anarchie auquel ne résisterait pas longtemps un pays organisé. Nous ne
verrions pas, cependant, sans appréhension l'agitation révolutionnaire se
rapprocher de notre frontière algérienne, nous obligeant ainsi à renforcer
les coûteuses mesures de précaution que nous avons dû prendre à la lin du
mois de décembre.
Le fanatisme musulman est contagieux, et il n'est plus douteux, à
l'heure actuelle, que le mouvement insurrectionnel soit dû à un réveil du
fanatisme.
Heureusement, les nouvelles de la cote et des ports continuent de repré-
senter la tranquillité comme absolue et les étrangers comme en parfaite
sécurité; de sorte que, libres de préoccupations de ce cofé, nous pouvons
à l'intérieur redoubler de vigilance pour la protection éventuelle de nos
intérêts exclusifs.
On a passé ensuite à la discussion des articles qui ont tous été votés
très rapidement. Deux incidents cependant se sont produits qui
Q0B8T. DiPL. iT jCol. — T. XV. 29
450 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
méritent d'être relevés. A Toccasion du chapitre iv (traitement des
ageûts diplomatiques ^t cottsnlairwi)^ M. Clemenceiaa a demandé le
rappel de notre ambassadeur auprès du Vatican, comme consé-
quence des déclarations faites précédemment, au Sénat même, par
le président du Conseil lors de la discussion du budget des Cultes.
M. Clemenceau a rappelé en effet que M. Combes avait déclaré que
« les relations sont actuellement plus tendues qu'elles ne l'ont jamais
(c été depuis Napoléon P', entre l'Église et la République d, etqae le
gouvernement se trouvait désarmé vis-à-vis du Saint-Siège. Le séna-
teur du Var a cru devoir faire observer qu'une arme cependant res-
tait à la disposition du gouvernement, arme d'ailleurs classique, le
rappel de son ambassadeur. M. Delcassé, vivement pressé de répon-
dre, a déclaré que « rien dans les rapports entre la Républtqiie et le
« Saint-Siège ne lui paraissait de ttature à justiBer une parc^e me*
« BOPt ». M. Glemenceaa a ripo«fté, avec toute l'ironique insislaace
dont il est coutumier, que le ministre des Affaires étrangères lai
semblait en parfaite contradiction d'opinion avec le président du
Gonsieil. Puis le Sénat a repousfsé la motion de M. Ctemenoean par
492 voiK contre Ifô.
Le second incident a été la manifestalion très platonique de
M. Delpech quia réclamé la snpppsssion des allocations aux établis-
sements français en Extrême-Orient. Cette motion a été également
refOi»8ée, et cette fois sans débat» par 182 voix contre 77. Il est inté-
ressant, à ce propos, de souligner l'importance de la majorité qui par
deux fois s'est retrouvée, au Sénat, pour défendre notre politique
traditionnelle.
— Noire réseau télégraphique sous-marin. — La question des cébies
sous-marins vient heureusement de faire un progrès sensible. Le
ministre du Commerce, M. Trouiilot, a déposé le 12 mars, sur le
bureau de la Chambre, un projet de loi préparé d'accord avec
M. ftouvier, ministre des Finances, et M. Alexandre Bérard, sous-
sccrétaire d'Etat des Postes et des Télégraphes, et portant antorisa-
tion de faire figurer au budget, pendant une période de trente -cinq
ans, une annuité à l'aide de laquelle PËtat poursuivra l'établissement
du réseau télégraphique sous-marin indispensable à la sécurité et à
Texpansion commerciale et industrielle de notre domaine colonial.
De l'exposé des motifs du projet, nous détachons les passages sui-
vants, qui en précisent la portée et qui expliquent la conduite dn
gouvernement en cette occasion :
On sait que le Parlement a manifesté, à diverses reprises, l'importaDce
qu*il attache à la constitution d*uD réseau national de câbles sous-marins
apurant à la métropole des communications rapides et directes avec se»
possessions d'outre- mer.
'\
1
RENSEIGNBMENTS POLITIQ UiSS 451
Les crédits spéciaux quïl a déjà votés ont permis d'assurer la sécurité
Je DOS relations avec Tlndo-Ohine, par rétabiissement du câble de Ton-'
raae à Amoy, de relier Oran à Tan^r et enfin de raeheter tout un réseam
de câbles qui donnent à nos colonies du Sénégal, de la Guinée, de la Où^
d'Ivoire, du Dahomey et du Congo, les moyens de communiquer directe^
ment entre elles par lès lignes françaises.
Mais le gouvernement a pensé que ce n'était là qu'une partie de Tœuvre
à accomplir.
Le câble dont rétablissement lui a paru le pins urgent et le plus dési-
rable est celui de Brest à Dakar, qui reliera directement la France à se»
colonies de la côte occidentale d^Âfrique, et constituera une voie téiégra^
pliique de premier ordre, rapide, sûre, et exempte des défectuosités et^s
incertitudes de la voie actuelle. Le Sénégal étant relié au Brésil. par un
câble direct, il en résultera une amélioration sensible des relatioQS<4;élégra^
jîbiques entre la France et TAmérique du Sud où les intérêts français sont
si importants.
Eq outre, il a paru au gouvernement qu'il devait faire cesser au plus
tût 1 isolement, au point de vue télégraphique, de notre colonie de la Réu-
nion, en posant un câble entre cette île et Madagascar qui est reliée au
réseau télégraphique général par le câble de Majunga à Mozambique. Afin
de doubler les voies télégraphiques dont pourront disposer nos deux colo-
nies, le gouvernement a, d'autre part, négocié avec le gouvernenreirt anglais
l>our l'obtention du droit d'atterrissage à Tile Maurice d'un cÂble venant
de la Réunion. De la sorte, ces colonies disposeront, pour atteindre le
coiuinent, de deux voies bien distinctes : la voie actuelle, par le câble de
Uajunga-Mo^^mbique, et la voie Maurice-les-Seychelles-Zanzibar.
Enfin, il a été engagé avec le gouvernement hollandais des pourparlers
••/j vue de la pose d'un câble entre Saigon et Pontianak, dans l'île de
llornéo, avec atterris-sement à l'ile de Poulo-Condor, câble que le gouver-
nement hollandais prolongera jusqu'à Batavia.
La nouvelle ligne française, en permettant aux possessions néerlandaises
'le communiquer avec leur métropole sans emprunter les lignes anglaises,
issureraiî à nos lign<»s d'Extrême-Orient un trafic rémunérateur.
On connaît assez noire sentiment sur cette question des càhiee
sous-marins et avec quelle insistance noiis avons toujours réclamé
(a constitution d'un réseau français autonome des communications
télégraphiques sous-marines. Nous ne pouvons aujourd'hui
qu'applaudir à rétablissement du câble Brest-Dakar qui est un pre-
mier pas dans la voie que nous avons si ardemment préconisée;
mais nous constatons avec regret que nos communications avec
la Réunion et Madagascar restent dans la dépendance absolue des
réseaux anglais.
— Fédération des imlustriêh et commerçants françdis , — Sous ce Utre
vient de se constituer à Paris un important groupement dont la
réunion préparatoire a eu lieu le 24 mars 1903, sous la présidence
I
45^ OU ESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
de M. Fouruier, président de la Chambre syndicale du commerce
dexporlalion. Dans une conférence très applaudie, M. Georges
Blondel, le distingué professeur de l'Ecole des Hautes Etudes
commerciales, a exposé la genèse et l'organisation des grandes
associations allemandes d^industrie et de commerce, dont Faction
sur la vie économique de nos voisins d'outre-Rhin est devenue si
puissante depuis quinze ans surtout. C'est un exemple à imiter, en
Tadaplant aux besoins et au tempérament de notre pays dans le-
quel, faute de cohésion, les efforts des individus et des groupements
(Chambres de commerce, Syndicats, etc.) restent trop souvent sté-
riles,
L*ordre du jour suivant a été ensuite voté à l'unanimité des
dCk) personnes présentes :
« L'assemblée, après avoir entendu Texposé de M.Georges Blondel
sur les institutions industrielles et commerciales et les conclusions
de M. Paul Fournier, président de la séance, sur la nécessité de leur
adaptation aux besoins de l'industrie et du commerce de la France.
a Confie au bureau du Comité d'initiative le soin de préparer les
voies et moyens pour réaliser les idées exposées et notamment de
rédiger les statuts qui seront soumis à Tapprobation d'une assem-
blée ultérieure. »
Nécrologie. — Mort de Vexplorakur Roussel, — Un càblogramme a
récemment annoncé la mort, au cap Lopez, de l'explorateur Alexis
Rousset, administrateur des colonies, au moment où il rentrait d'une
mission dans le bassin du Chari. Il venait de reconnaître par la
rivière Fafa, affluent du Bahr Sara, qui se jette dans le Chari, une
route plus courte que celle qui a été suivie jusqu'ici pour passer du
bassin du Congo dans le bassin du Tchad, soit de Krébedgé (fort
Sibut) à Gribingui (fort Crampel). Krébedgé étant par 5*45 et Gri-
bingui par T*»!, le nouveau poste créé au confluent de la Fafa et de la
Faba est situé par un peu moins de 6* Nord. C'est donc un gain de
prés de 200 kilomètres, ce qui est grandement appréciable au point
de vue de la facilité des ravitaillements du bataillon du Tchad.
Antérieurement à cette exploration, M. Rousset avait parcouru
toute la région du Ban gui'; il avait reconnu et dessiné une boucle
qui, parlant de Bangui, englobait Ouadda et ses collines d'arrière,
avec la haute M'Poko, inexplorée jusque-là.
Pendant les opérations des trois grandes missions africaines contre
Rabah, M. Rousset commandait le cercle de Krébedgé, où il assura
le raviwaillement de nos troupes et lit preuve de grandes qualités.
M. Gentil venait de le choisir comme son chef de cabinet, el ii
allait recevoir la juste récompense qui depuis longtemps lui était
due.
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 453
Allemagne. — La Triph AlliancB : le^t déclarations de M, dé Billow.
•— On se rappelle les déclarations faites à la Chambre, le 4 juillet
dernier, par M. Delcassé à roccasion du renouvellement de la Triple
. Alliance.
«Nous avons acquis la certitude, disait alors notre ministre des
« Affaires étrangères, que la politique de l'Italie, par suite de ses
a alliances, n'est dirigée «i directemmt ni hidireetement contre la
! er France... et quen aucun cas y et sous aucune forme^ V Italie ne peut de-
i « venir ni V instrument ni l'auxiliaire "d'une agression contre notre pays, »
A cette époque, commentant les paroles de M. Delcassé*, nous
I exprimions les doutes patriotiques que cette assurance ne parve-
I naît pas à dissiper, et nous ajoutions que « l'expression des senti-
\ « ments et des vues du gouvernement italien, dont M. Delcassé se
« faisait ainsi l'interprète, aurait dû se retrouver tout au moins
I c dans un document diplomatique émanant de la Consulta ». ,
Depuis lors aucun document confirmant les paroles de M. Del-'
I cassé n'a été publié par le gouvernement italien. Tout récemment
même, le 16 mars, M. fiaccelli, ministre intérimaire des Affaires
étrangères en l'absence de M. Prinetti, ayant l'occasion de s'expli-
quer sur les relations franoo-italiennes, s'est borné à faire des
déclarations relatives aux questions méditerranéennes mais qui se
taisent soigneusement sur le point précis qui nous intéresse le plus^
c'est-à-dire la coopération éventuelle de l'Italie avec l'Allemagne en
> cas de guerre contre la France.
I Par contre, quelques jours plus tard, le 20 mars, M. de Bulow
^ sexpliquait, devant le Reichstag, sur la politique extérieure de
l'Empire, et la précision de ses déclarations, sur cette question même
(de la Triple Alliance, forme un contraste saisissant avec le silence
inquiétant du ministre italien. Voici en eflTet comment s'est exprimé
M. de Btilow :
Le renouvellement en temps voulu de la Triple Alliance est une preuve
qu'elle ne repose pas sur une installation polilique accidentelle, passagère
ou artificielle, mais sur des intérêts et des besoins permanents, existant
également pour les trois puissances contractantes. La Triple Alliance
n'impose à une extension extérieure de chacun de ses membres aucune
autre limite que celles qui résultent du maintien du statu quo et, par là
même, du maintien de la paix.
Son renouvellement ne s'est pas effectué sans embarras ni sans difîi-
eulté, car, en Autriche-Hongrie et en Italie, la Triple Alliance a des ad-
versaires qui ont été soutenus par des courants de Textérieur hostiles à
celle-ci. On a maintenu à l'alliance, en la renouvelant, son caractère dé-
fensif. Nous restons fidèles à la Triple Alliance avec une fidélité tout alJe-
» Quest, Dipl. et Col, 15 juiUet 1902, t, XIV, p. 11 i et suiv.
L
454 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
JBiiiiëe, mais nous avons aussi toutes les garanties possibles, nous assu-
rait que nos alliés resteront fidèlement à nos côtés.
La Triple Alliance n'a rien à voir avec les [questions douanières et de
politique commerciale. *
Nous avons à cette alliance un intérêt qui n est pas moindre que celui
des autres puissances, mais qui n'est pas plus considérable de la valeur
même d'un atome. Cette affirmation que la [Triple Alliance a perdu de
son importance n'est qu'une plaisanterie inoffensive à laquelle nous lais-
sons bien volontiers se livrer ceux qui caressaient l'espoir que l'alliance
ne serait pas renouvelée.
La Triple Alliance n'a changé, en effet, ni de caractère ni d'importance.
Elle maintiendra le même équilibre international qu'elle a maintenu jus-
qu'à présent.'
Parlant ensuite de la déclaration faite le 4 juillet dernier par
M. Delcassé à la Chambre française, M. de Blilow a ajouté :
Le baron de Hertling a commenté aussi la réponse qu'a faite M. Delcassé.
à la Chambre française, à une interpellation au sujet du renouvellement
de la Triple Alliance. Lorsque, à cette occasion, M. Delcassé a affirmé quo
l'Italie n'était pas obligée de participer à une attaque contre la France,
mon honoré collègue des Affaires étrangères a simplement voulu dire que
la Triple Alliance était une alliance pacifique dont personne n'avait à
craindre une attaque injustifiée. Il y a longtem[)s que l'opinion publique
•en Allemagne est convaincue de cela. Nous ne pouvons cependant que
nous réjouir de voir cette conception du caraciêre pacifique de la Triple
Alliance s'imposer en France.
Il n*est pas besoin d'insister davantage sur l'importance recti-
ficative de ces déelarations. On voit par là combien nous avions
raison de faire toutes nos réserves au sujet d'un optimisme qui nous
semblait plutôt inspiré par les nécessités d*une politique ministé-
rielle que par les réalités de la situation.
Turquie. — La question de Macédoine, — C est, pour le moment, la
crise ministérielle bulgare qui est le point le plus important dans
l'ensemble des questions se rattachant aux affaires de Macédoine. Le
général Paprikof, ministre de la Guerre de Bulgarie, a donné sa
démission, parce que, en vue de complications possibles, il était par-
tisan de préparatifs militaires estimés exagérés par le reste du gou-
vernement. A propos de son remplacement, il y a lutte entre deux
inûuences contraires, l'une plus belliqueuse, l'autre plus pacifique.
On voudrait, naturellement, que ce fûl celte dernière qui l'emportât.
Par malheur, elle est contrecarrée, au profil de la tendance opposée,
par l'espèce de temps d*arrét qui semble s'être produit dans k mise
à exécution des réformes.
Le grand vizir, dans une interview avec le correspondant du Novm
j
RENSEIGNEMENTS POEITIQUES 455
Vrkmj a bieo insisté sur les résultats obtenus et sur la bonne
Tolontédu gouvernement ottoman à réformer dans le sens de la note
austro-russe. Maison voudrait que des actes suivissent ces paroles.
Or, on ae peut que regretter que, malgré les demandes instanti?^; di-s
ambassadeurs de Russie et d*Autriche*Hofigrie, la Porte n*ait pas en-
core remis le règlement des réformas sur la base du memoraiidiiut
austro«>russe, ee qui entretient le soupçon qu'elle n'exécuternit ces
réformes qu*à contre-cœur. Des troubles continuent d'être signali^s,
d'autre part, sur différents points de la Macédoine; il semblera) I
qu'il y eût là une raison d'enlever tout prétexte aux agitateurs.
IL — AFRIQUE.
Afriqut Oecidentale française. — L'emprunt de 65 mUlicns. —
M. Doumergne, ministre des Colonies, a déposé le 24 mars sur U*
bureau de la Cbambre le projet autorisant le gouvernement génenM
de l'Afrique Occidentale à emprunter, à un taux d'intérêt qui n ! srr-
dera pas 3,50 % , une somme de 65 millions remboursable b^ en
Claquante ans. Ces 65 milHons seraient ainsi répartis :
1° Travaux d'assainissement 5.450.000 Fr.
2» Travaux d'aménagement des ports 1 2. 600. 00* » —
3« Travaux d'ouverture des voies de pénétration :
a) Etudes du chemin de fer reliant Kayes à la^ligne
Dakar^ Saint- Louis et amélioration des fleuves
Sénégal et Niger 5.500.000 —
6) Chemin de fer de la Guinée i7.00O.0O0 ^
c) Chemin de fer de la Côte d'Ivoire 10.000.000 ^
4o Capital restant à reinbourser pour les emprunts de
8 millions et 4 millions contractés par la colonie
delà Guinée en 1899 et en 1901 pour la cons-
truction de son chemin de fer, y compris les
indemnités dues pour remboursement anticipé. i i .648.0B'I —
5® Capital restant à rembourser sur l'emprunt de 5 mil-
lions contracté en 1892 par la colonie du Sénégal. 2.654.6*V^ -^
6» Divers et à valoir 147 . 2H": —
Total 5o.0O0.i>00 IV.
Maroc. — La situation, — Le Temps a reçu de Tanger la cotï l'-^-
pondance particulière suivante qui présente un exposé inléressant ^l
très exact, semble-t-il, de la situation actuelle au Maroc :
Tanger, H mars.
La situation, qui semblait récemment s'être quelque peu modiin^*' a
Tavantage du makhzen, apparaît actuellement aussi incertaine qu'a^^nt \**
456 QL'ESTIo^s diplomatiques et coloniales
combat du 29 janvier, dans lequel les forces chérifiennes avaient réussi à
disperser les partisans du prétendant. Si le manque de cohésion des
rebelles et les difficultés de ravitaillement qu'ils éprouvent dès qu'ils quit-
tent leur pays montagneux, écartent Thypothèse d'un second coup de
main contre Fez, la situation des troupes du sultan n'est pas, il faut en
convenir, beaucoup plus brillante. L'esprit des soldats n'est rien moins
que favorable à une offensive vigoureuse contre les insurgés et la position
choisie par ces derniers dans la région montagneuse du territoire des
Senhadja, la plus inaccessible à la cavalerie, paralyse les mouvements de
la colonne expéditionnaire. On est convaincu maintenant que TassuraDce
donnée à diverses reprises par le ministre de lajGuerre de la capture immi-
nente du prétendant n'avait pour but que de calmer l'impatience de son
souverain et que de contrecarrer en somme les agissements de quelques
vizirs trop enclins à profiter de son absence pour le supplanter dans les
bonnes grâces de Mouley Abd El Aziz. Après avoir opéré sans résultat
quelques razzias contre les fractions les plus faibles de la tribu de Hiaîna,
El Menehebi, fort découragé, vient d'ailleurs de rentrer avec une partie
des troupes à Fez où il essaie, dit-on, de convaincre ses collègues du
makhzen du bon effet que produirait la présence du sultan à la tête de la
colonne expéditionnaire. En attendant, Bou-Hamàra, qui .semble plus con-
fiant que jamais dans le triomphe final de sa cause, ne cesse d'envoyer
aux populations rurales de toutes les régions du Maroc des proclamations
dans lesquelles après avoir fait, en termes assez mesurés d'ailleurs, le
procès du makhzen, il sollicite, au nom de l'Islam, leur intervention pour
renverser le régime actuel. Aucune des tribus habitant la partie du Maroc
soumise de fait au sultan n'a encore répondu par un concours effectif à
son appel, mais ces excitations incessantes, s'exerçant sur des popula-
tions d'un loyalisme douteux, ont pour effet d'accentuer tous les jours
davantage l'état latent d'anarchie qui sévit d'un bout à l'autre du pays.
...Il parait que les événements de la région de Tâza passionnent vive-
ment, à l'heure qu'il est, les populations de la frontière algéro-marocaine.
Le prétendant maintient, dit-on, une correspondance très active avec le
vieil agitateur Bou Amama et avec les chefs des tribus les plus turbulentes
de la région. On assure même que c'est à la suite de ses excitations que
la tribu de Zenaga se serait déclarée en révolte ouverte contre le pacha de
Figuig et l'aurait obligé à relâcher des prisonniers. Enfin on ajoute que la
révolution du Maroc ne serait pas étrangère à la récente série d'attaques
de convois français par des nomades marocains.
Telle est, en somme, la physionomie actuelle de la situation. Elle n'est
pas certainement très flatteuse pour le makhzen, mais elle n'est pas sus-
ceptible non plus d'une crise aiguë immédiate. Comme je l'ai déjà dit, elle
peut se prolonger pendant quelques mois encore sans s'aggraver...
i
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I
ï. — EUROPE.
France. — Le commerce des colonies en 1901. — Le Journal officiel a
publié le 20 mars de nombreux tableaux sur le mouvement, en 1901,
du commerce général des colonies et pays de protectorat qui relèvent
du ministère des Colonies. Ce mouvement s*est élevé à une somme
totale de 839.129.459 fr. C'est une augmentation de 38.719.746 fr.
sur 1900 et de 237.146.546 francs sur la moyenne de la période
quinquennale antérieure à 1901.
A rimportation,les valeurs ont atteint le chiffre de 474.610.977 fr.
Elles ont été ainsi supérieures de 38.386.837 francs à celles de
l'année précédente, et dé 157.230.720 francs à la moyenne quinquen-
nale .
Les exportations ont atteint le chiffre de 364.318.482 francs, en
augmentation de 20.132.910 francs sur l'année précédente, et de
76.913.826 francs sur la moyenne quinquennale.
Allemagne. — Le budget cohnial , — Le projet de budget pour 1903,
soumis actuellement aux délibérations du Reichstag, comprend les
prévisions suivantes pour les diverses possessions (en marks) :
Togo
Cameroun
Sud-Ouest-Africain.. . .
Est-Africain
Nouvelle-Guinée
Carolineset Mariannes.
Samoa
Kiao-tchéou
Par comparaison avec 1902, ces prévisions présentent les aug-
mentations et diminutions suivantes :
Recettes
Dépenses
Subvention gou
vernementale
1.005.500
1.095.500
»
2.082.900
3.665.500
1.582.600
2.i72..380
8.431.400
6.260.020
3.096.700
8.771.500
5.614.800
107.500
990.000
882.500
50.950
428.600
377.650
291.000
•i41.000
•i-;o.ooo
455.000
12.876.000
12.421.000
9.350.930
:i().7o9.:i00
27.388.:)70
L
It^ QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Recettes Dépenses Subvention
Togo,,. -4-460.500 — 554.5W — 1.015. 000
Cameroun + 51.400 — 371.100 — 629.500
8ud-0aest-Africain.... -f 347.380 — 1.027.500 — i. 374.880
Est-Afncain — 89.5% -^ 660.004 + 749.600
Nouvelîe-Guinée + 7.500 -f 168.000 4- 160.500
CarolineÊetMariannes. -h 17.850 -f 90.500 4- 72.630
Samoa. + 20.000 -f 99.600 + 79.600
Kiao-tchr;ou -h 95.000 -f 472.000 — 378.000
+ 910.034 — 662.996 — 1.577.030
Les ressources propres aux colonies sout évaluées à 910,034 marks
en plus; les dépenses sont en diminution de 662.996 marks et la
subvention gouvernementale est en conséquence inférieure de
] .573.030 marks à celle de 1902.
Suivant leur nature, les dépenses se décomposent comme suit :
Dépenses Dépenses Fonds de
permanentes extraordinaires réserve
Tat^o... 066.964 H6.600 11.936
Caiîîeroim 3.255.707 399.000 10.793
Siid-Ouest-Africain 6.762.123 1.654.860 14.417
Est-Africain 7.379.239 1.317.000 15.261
Nouvelle-Guinée 875.535 109.500 4.965
GarolineE^et Mariannee. 284.205 142.500 1.895
Samoa 348.170 184.200 8.630
Kiao-tchéou 5.345.316 7.470.000 60.684
25.216.259 11.393.660 128.581
L'administration centrale demande 831.^61 marks (en plus
128.457 marks); un crédit nouveau de 70.000 marks (dont iO.OOO de
fonds extraordinaires] est prévu pour des travaux de cartographie.
II. — AMÉRIQUE.
Pérou et Chili. — Les mines au Pérou; ïea intèrits français au Chili.
— Un de nos correspondants nous écrit de Sarmiento à la fin de
février :
Koufi avonis visité plusieurs villes du Chili et du Péi*au. Daus ce dernier
payi notamment, les Américains sont en voie d'accaparer complètemeni
Itîs iri nés de cuivre. Actuellement, il existe un chemin de fer reliant le
Callao à la Oroya. Ce voyage que j'ai fait est des plus intéressants, car on
suït^tliins des gorges abominablement sauvages et nues, la vallée du Rima
ÏK)ur arriver à franchir les Andes sous un tunnel situé à 4.776 mètre*^
IIBriSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 459
d'altitude, et pour descendre sur le versant oriental des Andes, à 3.770
mètres (à la Oroya). Cette voie ferrée ne transporte les voyageurs que
deux fois par semaine, mais par contre, plusieurs trains circulent journel-
lement ])0ur descendre le minerai en sacs aux quais d*embarquement du
CaJlao.
Cette voie ne suffira plus au trafic quand les Américains exploiteront la
mine de cuivre du Cerro de Pasco; aussi un chemin de fer s'embranchant,
près de la Qroya, sur la voie actuelle, est dès maintenant en construction.
J'ai vu les travaux au Cerro de Pasco; on se tient à des altitudes variant
de 4.000 à 5.000 mètres. La mine actuelle de cuivre du Cerro est l'an-
cienne mine d'argent qui a rendu le Pérou si célèbre ; comme toujours
ici, après l'argent, on trouve la poche de cuivre, et cette dernière peut
permettre une exploitation intensive de cent aos. On peut dire d*une façon
générale que le Pérou n'est qu'une vaste mine, quoique le développement
agricole puisse espérer un bel avenir dans une terre qui, comme en
Egypte, n'a besoin que d'être irriguée pour produire tout ce que l'on veut.
II n'y a plus de guano.
Nous avons trouvé au Chili et au Pérou le meilleur accueil et j'ai eu
personnellement l'honneur de diner chez les présidents de ces deux
républiques. Le Chili parait las de la domination de l' Allemagne, qui
règne en maîtresse sur le marché de Valparaiso (qui est en somme uae
nlle allemande) et sur l'armée chilienne par ses instructeurs. La France
ne semble vouloir faire aucun effort de ce côté, et j'ai partout entendu les
plaintes les plus vives sur l'abandon oîi les pays étaient laissés par nous.
Songez qu'il n'y a pas une ligne française de navigation à vapeur qui
double le cap Horn ou Magellan ; le Pacific Steam et le Cosmos régnent
en maîtres et font des prix de fret exorbitants,
Guyane. — La production de For. — La quantité d'or déclarée à
rentrée à Cayenne pendant Tannée 1902 a été de 4.643 kilog. 983,
contre 4.021 kilog, 442 pendant l'année 1901.
Les placers les plus productifs pendant l'année 1902 ont été ceux
du Haut-Maroni (ïnini) qui figurent dans le total ci-dessus pour
1108 kiiog. 342, ceux de la Haute-Mana (1.058 kilog. 653), ceux de
l'Approuague (629 kilog. 555), etc.
Dans le courant des mois de janvier et février, 30 familles de cul-
tivateurs sinistrés de la Martinique, eompreoiant 71 adultes et 58 en-
fants, ont été installées sur des terrains du domaine de TEtat dans
nie de Cayenne (Baduel, Montabo, Montjoly). Chaque famille a
été pourvue d'une concession de i ou 2 hectares de bonnes terres,
propres à la petite culture. Les travaux de débroussaillement et
d'aménagemeot définitif des terrains se sont effectués avec le con-
coars de la maia-d*œavre pénale.
NOMINATIONS OFFICIELLES
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
L'excquatur a été accordé à :
M. Prosper Lecomte, consul de Guatemala au Havre;
M. Macario Grisolia, con^u/ d'Italie à Fort-de-France;
M. Tejedor, cotisul de la république de Cuba» à Saint-Nazaire ;
M. (iuillermo Petriccione, consul de la république de Cuba, à Marseille;
M. Guido de Lucchi, vice-consul d'Italie à Sousse.
I
MINISTÈRE DE LA «VERRE
TronpcN mélropolilainea.
INFANTERIB
Oasis sahariennOS. — M. le lieut. Camon, de l'infant., est affecté aux affairas
indigènes du Gourara.
CAVALERIE
Afrique Occidentale. — Sont affectés :
M. le capif. Aguttes, au 2< escadron, et M. le lieut. Plassereaud, au l^** escadron
de spahis sénégalais.
Oasis sahariennes. — M. le lieut. Rousseau, du 2« spahis, est affecté à a
comp. du Gourara.
GKME
Madag^asoa^. — Sont mis à la disposit. du minisire des Colonies pour le serwc
des trav. publics à Madagascar :
MM. les capit. Ribard, Girod et Pachellcrv ; le lieut. lioiicz, le souS'lieul. Mau-
bernard et Vof/ic. d'admin. Kernaves.
TronpcM coliintulcH.
INFANTERIE
Afrique Occidentale. — M. le colonel Belin et M. le capit. Maillaud sont
désig. pour servir au l^"^ sénégalais;
M. le capit. Galland est désig. pour serv. à l'état-maj. partie;
MM. le capit. Bonnin de Fraysseix et le lieut. Simon sont désig. pour servir à
l'état-maj. partie, à Saint-Louis;
M. le capit. Clouscard est désig. pour servir au balaill. de la Côte d'Ivoire.
Ghuyane. — MM. le capit. Lagrange et le /tei//. Régnier sont désig. pour servir
au bâtai 11. de la Guyane.
Indo-Chine. — M. le capit. Galand est nommé offic. d'ordonn. de M. le général
(;lamorgan, command. la 2« brig. au Tonkin ;
M. le capif. Vache est nommé major de la 3« brig. en Cochinchine;
M. le capit. Evrard est affecté à la 2« comp. du !!• rég.
Sont désignés pour servir en Cochinchine :
MM. les capit. Cahen et Dupeuble, les lieut. Deguilloux, Chauvet, Dô, Malafosse.
Duhamel et Richard;
M. le lieut. Pelissier de Féligonde est affecté à la 2« comp. du rég. de tiraill.
annam. ;
M. le lieut. Roux est désig. pour servir au 18" colonial au Tonkin;
M. le lieut. Dano est désig. pour servir au bataillon de Quang-tchéou-Wan.
Sont désig. pour servir au Tonkin :
MM. les capit. Revol, Giudicelli, Bastide, Salmon et Hugues;
MM. les lieut. Fauchon, Saint-Gés, Bonnet, Schnéegans;
M. le sous-lieut. Bertin.
NOMINATIOiNS OFFICIELLES i61
^ûDt affectés :
M. le capit, Hasselot, à la suite du 10' rég. ;
M. le capit. de Rauglaudre, à la suite du 2^ tonkinois;
M. le capit. Lahache, au bat. de tiraill. chinois comme capit.-major ;
M. le lient. Gilbert est nommé au command. de la sect. de discipline de Tlndo-
Chine ;
M. le lient. Lacome, à la 16* comp. du 2« tonkinois;
M. le lient. Pommier, à la 16* comp. du 10« rég. ;
M. le lient. Selmer, à la 2* comp. du 10» rég. :
M. le lient. Beigbeder-Calaj, à l'état-major partie, et est nommé chancelier du
cercle de Lang-Son ;
M. le lient. d'Alverny, à l'état-major partie, et est nommé officier de renseig. ihi
i' territ. milit. ;
M. \e sons-lien t. Ruaux, au bataillon de tiraill. chinois, comme offic. comptable;
M. le capit. Révéron •, à la suite dii 2« tonkinois ;
M. le capit. Treille, a la 12<' comp. du 9« rég. ;
M. le chef de bat. Lunet de la Jonquière, au 4« bat. du 3' tonkinois;
M. le capit. Danoux, à la 2« comp. du i*' tonkinois;
M. le capit. Driard, à la i5* comp. du 2« tonkinois:
M. le capit. Hesse, au 9' rég. comme adjudant-major au 3* bat. ;
M. le capit. Leroux, à l'état-major des troupes de l'Indo-Chine ;
M. le lient. Edel, à la suite du 10* rég. ;
M. le lient. Lacoste, à la 3* comp. du 2* tonkinois;
M. le sons'lieut. Defert, à la suite du iO* rég.;
M. le sonS'lieut. Arnould (E.-C.-ll.), à la 12' comp. du 10« reg. ;
M. le sons-lieut. Rajnaud, à la i"^» comp. du 9« rég.;
M. le sonS'lieut. Marquer, à la 5* comp. du 3« tonkinois ;
M. le sons-lieut. Braconnier, à la 10« comp. du 4* tonkinois.
Madagascar. — Sont désignés pour servir à Madagascar :
MM. les capit. Guillaumet, Oudart, Thibaut et Duchan ; MM. les lient. Maugeard,
Barbaza, Lefranc et Planche; MM. les sous-tient. Vallin et Janiaud.
Sont affectés :
Au 3* sénégalais, comme adj.-maj., M. le capit. Mas;
Au conseil de guerre de Tananarive, comme rapport., M. le capit. Fortin;
A la 9» comp. du 1" malgaches, M. le capit. Thibaut ;
Au iô* colonial, comme adjoint au trésorier, M. le lient. Ganet; comme ollic.
d'iiabilL, M. le lient. Greusard;
Au 3* sénégalais, M. le lient. Castel ;
M. le capit. Cardon est placé à rétat-mkjor du corps d'occupation.
Nouvelle-Galédonie. — M. le lient. Faucon est désig. pour servir au bataillon
<le la Nouvelle-Calédonie.
ARTILLERIE
Indo-Chine. — Sont affectés :
A la direct, d'artill. de Hanoi, M. \echef d'escad. Perroud et M. le capit. Bianciii;
A la 4* batt. du groupe des batl. de réserve de Chine au Tonkia, M. le capit.
Schultz ;
A la suite du rég. du Tonkin, à Hanoi, M. le capit. Débats;
Au service géogr. de l'Indo-Chine, M. le capit. Bierlé;
A la !:>« batt. du rég. du Tonkin à Hué, M. le lient. Rodallec ;
A la 1* batt. du rég. du Tonkin à Ha-giang, M. le lient. Madec
Madagr&SOar. — M. le Ueut.-col. Deviterne est nommé commantl. «lu i.roui»f
des batteries de Diégo-Suarez.
Sont affectés :
A la 8- batt. à Diégo-Suarez, MM. [es capit. Duniont et Laguarigue deSurvillicrs :
A la 2* batt. à Diégo-Suarez, M. le capit. Charbonnel ;
Capit.-major du groupe des batt. de Diégo-Suarez, M. le capit. Joseph:
A la 3« batt. à Tananarive, M. le capit. Chéruy.
SERVICE DE SANTÉ
Martiniqne. — M. le méd^-maj. de l'® cl. Rimbert est désijj:. pour remplir 1«^
fonctions de direct, du service de santé à la Martinique.
462 QUESTIONS DlPLOMATIQUiSS ST COLONIALES
MINISTÈRE DE LJl HAUME
ÉTAT-ICAJOR VE LA FUyTTB
Atlantique. — Sont désig. pour embarq. sur le Tage k Fort-de-Fraace :
M Je capU. de\frégate Lejay, comme second; M. le lient, devais». Millault et
\\ Je micanic, ppal de l" cl, Demore.
Coohinohine. — M. le lient, de vaias. Brandilj est nommé direct, des mouTc-
MitMUs ilu port à Saigon.
Crète. — Sont désig. pour embarq. sur le Condor :
MM. le lient, de vaiss. Bienaymé et Yefiseig. de vaiss. Ferai.
Levant. — M. le mécanic, ppal de 2' cl. Rousseau est désig. pour embarq. sur
le V(jMionr à Constantinople.
Ooéan Indien. — Sont désig. pour embarq. sur VInfernet :
MM. le capit. de frégate Allemaml; le lient, de vaiss. Roussel ; Venetig. de vaiss.
\\ iir^thorn et le mécanic. ppal Thomas.
Sénéffal. — M. Venseig. de vaiss. Frôchen est désig. *pour embarq. sua le
iiûrffind.
MIMlSVÈaE M£8 CO^eilIES
ï'ui- arrêté du ministère des Colonies en date du 11 mars 1903, M. Massol (George^^
Chatliîs], commis principal du secrétariat général de Majotte, a été inscrit d*oflBoeà
U ^ihlo du tableau d'avancement de 1 année 1903, pour l'emploi de sons-chef du
Liii'{*uu de 2* classe des secrétariats généraux des colonies.
«IKUOGKAPHIE — UVHES ET REVUES
L
La Belgique oommereiale som Tempereur Gliarles VI. Li
Compagnie d*08tende, par Michel Huisman, docteur en droiu
iliicieur en philosophie et lettres. — Bruxelles, chez Heuri Liameitin : —
raris, chez A. Picard et fils.
I '<*{ ouvrage expose d'une manière très complète les diflicultés ÎBextri-
iinliln:^ nu milieu desquelles se débattaient les Pays-Bas espagnols, au point
i1(> vue (économique, sous l'empereur Charles VI, et jette un jour des plus
^nimnix sur la vie commerciale et industrielle de l'Europe aux xvn* et
vvnr Ë^iècles. La lecture de ce livre fait admirer et aimer ce vaillant
l*»'iiplc belge qui ne renonça pas à lutter pour son développement écooo-
tïuiii^o flans des conditions que l'incurie de rAotriche et le jalousie de la
1K>1!niide et de l'Angleterre aggravaient de jour en jour. Cette constance
l'i ii^ne ténacité promettaient et ont produit la prospérité et la richesse
%W lii Belgique industrielle et commerciale du .\ix* siècle.
O. Cabe.
La Question de la Vieille-Serbie, par Paul Orlovtfch. — Paris,
llacheue, 1903. br. in-8« de 49 pages.
t c^st une brochure toute d'actualité que présente au {Mifalîc finnçais
>1 . 1 '«ul Orlositch, qui adjure ses lecteurs d^avoir pitié des soulEraiices de
U Vieille-Serbie. Voici sa thèse : L'auteur rêve d'une pins grande
Serine qui engloberait la Macédoine tout entière, et il demande la liilo-
hkiHMi de la Ligue albanaise, auxiliaire dévouée de la poiîtîqae tafque.
Le.^ \ ioux-Serbes sont dans une situation de tous points intôjêraliie. n
\(^ { ^rlovitch ne croit pas pouvoir mieux la comparer qu'a celle des Armé-
meai^ en Asie-Mineure, vers î8T:;-l87r». La lutte des deux naûonatiiês.
BWU06RAPH1K — UVRKS ET REVUES 463
verbe et albanaise, est très vive autour de Kossovo; les Serbes perdent du
terrain au profit des Albanais, — ce qui ne veut pas dire que Tinfluence
turque y gagne quelque chose. Les puissances européennes voisines, TAu-
triche et Tltalie, cherchent naturellement à pécher en eau trouble et à
diriger le mouvement albanais. Il y a tendance chez les Albanais à
réclamer du Sultan Térection en province autonome, sous un vali alba-
nais, des vilayets de Kossovo, Scutari, Monastir et Janina : jamais les
Serbes ne se soumettront à une pareille confiscation de leur nationalité;
!es 200.000 individus de leur race qui vivent dans le district de Kossovo
réclament l'intervention de la Russie pour les protéger à la fois contre les
( Tuautés albanaises et contre les menées autrichiennes.
La Traite des Blancs, roman de nuxurs coloniales, par Michel Mathey.
1 vol. in-18 de 300 pages. Chez Juven, éditeur, 1902.
Sous ce titre, qui vise évidemment à attirer l'attention, l'auteur, qui
signe d'un pseudonyme — et cela se comprend eu égard aux vérités un peu
dures qu'il prodigue, — fait le procès de l'expansion congolaise. Il évoque
(les spectacles bien navrants et de trop cruelles réalités : erreurs"* de Tad-
miaistration, manœuvres plus ou moins effrontées de spéculateurs sans
>crupules, imprudences d'un personnel souvent mal choisi, etc., etc. En
tout état do cause, ce livre fait compi'endre, sans les justifier, pourquoi des
esprits sérieux se sont tenus à Técart du mouvement congolais. Il faut
«ulemenl regretter divers passages, un peu poussés de ton, où les cri-
îujues, contre tout et contre tous, vont vraiment trop loin; il est fâcheux
'Ptjpi.oser entre eux administrateurs et militaires, missionnaires et com-
.-iierrautâ, attendu que tous doivent contribuer, chacun suivant son rôle,
.1 Teiipansion coloniale de la France et à son bon renom : les commer-
v>anu par intérêt bien compris, les missionnaires par vocation civilisa-
trice, les militaires et les administrateurs par les bienfaits d'une domina-
tion ferme, sans doute, mais paternelle ot tutélairo, se donnant pour lâche
rétablissement d'un régime de justice et do paix parmi des populations
«auvages ou barbares, jusqu'alors «lécimées par leurs perpétuelles et san-
jçlaïues querelles, et que nous trouvons presque partout en proie aux pires
misères physiques et morales.
Sauf ces réserves, le livre est bien écrit et d'une lecture intéressante
|>ourles hommes faits.
A.-F.
Ouvrages déposés au bureau de la Revue.
la France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX^ sièclCy publiées
dous la direction du P. Piolet, avec la collaboration de toutes les sociétés de mis»
»ioDs. — Illustrations d'après des documents originaux. — Tome VI et dernier.
Uissions d'Amérique. Les 91* et 92* livraisons viennent de paraître. Paris, 1903,
librairie A. Colin.
fartes publiées par le service géographique du ministère des Colonies et éditées
par la maison A. Challamel.
I. Carte de la Guinée française, dressée par A. Meunier. Echelle : 1/500.000. —
En quatre feuilles.
il- Carte du Tonkin et du Ha ut- Laos, dressée par le commandant Friquegnon.
tlcfaelle : 1/500.000. — En quatre feuilles.
III. Carte de Madagascar, dressée sous la direction de Emile Gautier. Echelle :
1 oOO.OOO. Une feuille.
U$ ports maritimes de V Amérique du yiord sur l'Atlantique, par \o baron Qui-
NETTE DE RocHBUOMT, iuspecteuT général des ponts et chaussées, et H. Vétillart,
ingénieur en chef des pohts et chaussées. Deux vol. in-H^ et un atlas in-folio.
Vvc Ch. Dunod, éditeur. Paris, 1003. .
L
•rr^rr
464 QUESTIONS DIPLOMATIQLt£â ET GOLONIALKS
Les lois et coutumes de la guerre sur lerre^ d'après le droit international moderne
et la codification de la conférence de La Haye de 1899, par A. Méhighnac. Un vol.
in-8». A. Chevalier, Marescq et C»', éditeurs. Paris, 1903.
Vœuvre de la Finance à Madagascar : La conquête, l'organisation, le général (id-
lieni, par Louis Brunet, député de la Réunion. Un vol. grand m-S" de 39 i pai,'e>
avec plans et gravures. A. Challamel, éditeur. Paris, 1903.
Sibérie et Californie, par Albert Borde.\ux. Un vol. in-16 de 340 pages avec îrra-
vures et carte. Plon-Nourrit et C*<^, éditeurs. Paris, 1903.
LES REVUES
L — REVUES FRANÇAISES
Annales de» sciences politiques [mars). M. B. : L'armée italienne. — Fblv-
r.ois Maury : Anvers : Belges, Allemands, Français. — Paul Matter -. Le Co<le
pénal et la clémence. — René Henry : Le Congrès slave de Prague (1848).
Annales eolonlales (15 mars). Charles Rivière : Ce que coûte une colonie :
L'Algérie. — Gaston Bordât : La Perse et l'Europe.
Armée et Marine (22 mars). La médaille de Chine : un oubli à réparer. —
Gabriel Cluzklaud : Le costume militaire depuis un siècle. — Maurice R(>i s
Saint-Nazaire, la nouvelle entrée du port. — (29 mars). Georges Toudouze : la
puissance maritime de la Grèce et les espérances panhelléniques. — Manœuvre^
combinées de terre et de mer. — L'expédition arctique du D»" Jean Charcot.
Bulletin du Comité de TAfrlque Française [mars). Auguste Terbieb : Lj
politique française en Ethiopie. — Nai'tilus : La prise commerciale de Kano. —
Ed. Payen : L'Algérie d'il y a quarante ans et l'Algérie d'aujourd'hui. — la
délimitation de Libéria.
Bulletin du Comité de l'Asie Française [mars). Robert de Gaix : LaFra&c
et le 8iam. — Le traité Tranco-siamois. — La politique étrangère à la CIiiffii«
des députés. — J. L T. : Les intérêts français dans l'Asie Occidentale. -l.<
■ Livre jaune sur l'évacuation de Changhal. — J. F. : La situation monétaire vO j
Extrême-Orient : Siam, Philippines, Indo-Chine. — René Morbux : La situit^-fi i
politique au Japon. — Jules Legras : Les infériorités de la société sibérienne. |
4)uinzaine coloniale (10 mars). Le réirime forestier de PAlgérie. — (25 nmn .
La proposition Suchetet. I
Béforme économique (l.'i mars), J. Domergue : La question du Zollvereiaeup^ J
péen. — T. Lalouvet : La Convention de Bruxelles. — (22 mars). D. Aubrv : La ,"
question douanière. — P. Vergne : Le régime des sucres et le budget «ic |
l'Algérie. — J. Dësmets : L'Industrie métallurgique au Canada.
Bévue Bleue (28 mars). L. Delpon de Vissec : Les affinités franco -américaines
Bévue commerciale de Bordeaux. — 1 13 mars). Henri Benoist ; Le.s che- i
mins de fer en Russie. — J. Lagler-Porquet : La genèse d'une colonie. .
Bévue i^énérale des Sciences (l'i mars). En. Doutté : Les Marocains et 1^ ''
société marocaine. ■
i
II. — REVUES ÉTRANGÈRES 1
Revues belges.
Beliplque coloniale (22 mars). Em. Cammaerts : Le Transmandchourien.
Bulletin de la Société d'études eolonlales {mar$). Ethnographie de la cùu
nord-est de la Nouvelle-Guinée. — Les <o«:iétes secrètes dans l'Afrique Occiden-
tale. •!
r
L* Administrateur-Gérant : P. Gampain.
PARIS. — imprimerie F, LEVÉ, RUE CASSETTE, il.
APERÇU DE QUELQUEâ SÔMMAIHEÔ
Sommaire du iio i 38
♦•• : Le livre jaune et les aflfaires de Siam, — E. Peyralbe : France et Simplon. —
Paul Labbé : La région du fleuve Amour.
Cartes et gravures : 1. Graphique comparatif des projets Frasne-Yallorbe et de la Fau-
cille. — il. Carte des voies d'accès au Simplon.
Sommaire du np 139
Notre enqoêtd : A propos des afTaires de Siam : Opinions de MM. Oodin, le Comte
d'Aanay, Berthelot, Le Myrc de Vilers, Denys Cochm, Plourens, Senart. et du journal
Le Temps. — Maurice Baret : Les villes do santé dans nos Colonies. — Georges
Behler : La lutte tchèque -allemande.
Carteii et gravures : Répartitioir des nationalités en Autriche-Hongrie.
. Sommaire du n° 140
Kotre enqnête t A propos des affaires de Siam; opinions de MM. François Deloncle,.le
baron d'^stournelles, de Constant, GerviUe-Réache, H. Cordier, Marcel • Monnier,
Charles Lemire. — *'" : L'œuvre française en Afrique occidentale. — Paul Labbé :
La région du fleuve Amour, la province Maritluie.
Cartes et gravares : l. Les nouvelles délimitations des colonies de l'Afrique occidentale.
— II. La région du fleuve amour.
Sommaire du n» t4t
SuBt-Germain, sénateur d'Oran : La question du Maroc. -^ Le Myre de Yilers, ancien
député de la Cochinchine : La crise de l'argent en Indo^Chine. — *** : Le conflit
angIo« germano-vénézuélien. — René Basset, directeur de l'École supérieure des Lettres
d'Alger : Le XIII* congrès international des orientalistes à Hambourg. — René PJuon:
Les missions catholiques françaises auxix* siècle. — L. Bronet, député de la Réunion:
Madagascar. — Les territoires militaires.
Cartes et gravaree : Carte du Maroc. — Carte du Venezuela.
Sommaire du n* i 49
**• : Notre expansion coloniale et les partis politiques. — ReLè Henry : La question de la
Macédoine. — X. : La question du Maroc. — Notre EuqDête : A propos des afl'aires de
Siam; opinions de M. G. Chastenet, d'un collaborateur d'Kxtréme-Orient do M. Robert
àe CÛTL [Journal des Débats); protestation de TAssociation des écrivains militaires,
maritimes et coloniaux, Président y M. H. Houssa^e.
Cartes et gravares : I. Péninsule des Balkans : indications oro graphiques. — IL La
Targuie d'Europe. — III La Péninsule des Balkans d'après le traité de San-Stefaoo.
Sommaire du n i4't
Aegaste Terrier : La délimitation de TËihiopie. — René Henry: La (^[uestion de Macé-
doine. Alexandre Gaasco : Le paludisme et Tinitiative privée en Corse. —
J. Déliais- Darnaj^s : Fédéralisme et socialisme en Australasie. — René Moreax :
Le traité franco-siamois et l'opinion allemande.
Carte* et gravures : I. Frontière entre le Soudan Anglo-Egyptien et TEihiople. [—
11. Délimitation de TAfrique Orientale.
Sommaire du n^ i44
E. Fallot : Le commerce du Sahara. — Georges Bobler : La question du Venezuela. —
Gonzalès Figaeiras : Une première occupation allemande au Venezuela (xvi^^ siècle). —
Gabriel LonisJaray : La presse politique en Bohème, Moravie et Silésie.
Cartes et gravares : Carte du Sahara
Sommaire du n» t4S
Heiri Bobler : Le chemin de fer de Bagdad : Les intérêts français et allemands en
Turquie. — Alexandre Gaasco ; Les Boxeurs et les trouble du ^c-tchouan. — Aape-
fleiLrimoot : Le projet d'emprunt du gouvernement général de l'Afrique occidentale
française. — E. iPeyralbe : Le Congrès national des travaux publics.
Cartes et Gravures : L Le chemin de fer de Bagdad. — II. La ville de Tcheng-tou-fou.
Sommaire da n» 146
Casimir PraloB : Les aflaires macédoniennes. — ***: La question du Congo. — J. Xior :
Silnation économique de la Côte d'Ivoire. — MaariceBoret : Quatre plaies coloniales.
Heari HanUcb : La Bohême en deuil.
Cartes et gravures : La Côte d'Ivoire.
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de 1'
de
SOITLAC
A. SEGUIN, Bordeaux
Membre DU JuRr, Hors Concours
EspDsitio:a ITnivtrsoUô raris 1900
MODÈLE dit FUCOH
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^POUDRE LAXATfVI
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Cordial Hégénérateur
|ll0iliD« tel p^oumoDt, ra^tiltrlae leâ baitemcnti du cœur, icUYC Jâ IrtTiU di 11 $Jt**^°^j
tliommc tféîïlltté y puise ia rofÊ«, 1a vi|^it«iir et U saMè* L'iiotôïui qiïî arpente l>ttiiCOti
fntret;«nt ti«r l'uiâg'e régiUter <le ce coidiaK cificacc d^)» ious lei etâ^ étainexamaït i
■HM^at «t mgriiDie iti ^oûl cDtnïne une iMttictir de t^îiie.
"^ kSftrS'*' 1^' ' 15 AVRIL 1903
QUESTION*.,, , „>
Nplomatipes et ÙÊMà
REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LE !•' ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
I
I
SO]M[IiiLA.IJE^IS
isimir Pralon Les affaires macédoniennes 465
s!ng Sun L'évolution de la politique intérieure et extérieure
du Japon 483
luis Jadot Le contesté boliviano brésilien : le territoire de TAcre 497
Franconle. Le congrès colonial de 1903 504
Révoil Les Tribunaux répressifs et la question des indigènes
lorneur général gn Algérie. — Discouvs prouoiicé à la Chambre
des députes, le 4 avril 1900 509
Renseignements politiques . 532
i^en^nements économiques 538
dominations officielles 540
Bibliographie — Livres et Revues 544
- La frontière boliviauo-brésilienne 498
- Le territoire contesté de l'Acre ÎjOO et 501
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V. 83, avenue d'Orléans ;
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crédit.
QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
'g^^-bOlLEGE
LES AFFAIRES MACÉDONJENNESi*' ^ , -^
; Après Texpérience de tant d'années, où, pour toute réponse
;. aux remontrances de TEurope, le gouvernement ottoman a
accumulé les faux-fuyants, les atermoiements, les promesses
î vaines, on comprend que beaucoup de bons esprits mettent en
" doute, ou même nient, la possibilité d'amender sérieusement
l'administration turque.
Cependant la diplomatie, dont c'est le devoir d'être patiente,
n'a pas voulu se laisser rebuter par tant de preuves successives
j de mauvaise foi :, aussi longtemps qu'une lueur d'espérance
f permettait encore de croire à la réalisation des réformes, elle
j n'a pas voulu écarter la solution la plus simple, la plus
\ logique du problème macédonien. Avant de se lancer dans
l'inconnu d'un démembrement de la Turquie d'Europe,
avant de prononcer en Macédoine la déchéance du Sultan, elle
lui a donné, une dernière fois, les moyens de se réhabiliter,
et en modifiant ses procédés de gouvernement, de ressaisir
l'autorité prête à lui échapper. Seulement, instruite par ses
précédentes écoles, elle ne se contente pas aujourd'hui de pro-
messes vagues ; elle a soumis à la Porte un programme de
réformes précis et l'a mise en demeure de l'exécuter.
Les lecteurs des Questions connaissent déjà ce programme :
nous y reviendrons tout à l'heure, mais auparavant il est néces-
saire de rappeler en quelques mots les événements et les négo-
ciations qui en ont précédé la rédaction et la présentation.
La lecture du premier Livre Jaune publié par notre ministère
(les Affaires étrangères montre que la question macédonienne, qui
a commencé à émouvoir l'opinion publique seulement dans les
derniers jours de Tannée 1902, préoccupait déjà depuis plusieurs
mois les gouvernements européens. C'est, en particulier, avec
une satisfaction légitime que nous devons constater l'intervention
* Voir Queêt. Dipl. et Col., n» du 15 mars.
QuBST. Dipl. et Col. — t. xv. — if« 148. — 45 aveu. 1903. 30
466 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
très active du gouvernement français, dès le mois de mars 1902,
auprès des puissances étrangères et de la Porte pour amener
un règlement amiable des affaires macédoniennes. Il convient
aussi de louer nos agents diplomatiques en Orient, tant pour
l'énergie de leurs réclamations en faveur des populations
macédoniennes que pour l'intelligence et Timpartialité avec
lesquelles ils se sont appliqués à tracer les bases d'un plan d'ac-
tion auprès de la Porte et ^ définir les réformes à exiger d'elle.
Le rapport de notre consul à Salonique du 45 décembre 1902,
où sont exposés, après les causes du mal macédonien, les
remèdes à y apporter d'urgence, est un modèle de clarté, de
logique. Toutes les réformes édictées dans la note austro-russe
du 21 février s'y trouvent déjà indiquées ; et Ton ne peut que
regretter que les rédacteurs de ladite note n'aient pas adopté
dans sa totalité le programme de M. Steeg : ils ne se fussent
pas exposés à voir le leur taxé d'insuffisance. Ainsi, par son
gouvernement, par ses agents, la France a bien jusqu'ici joué
le rôle que lui traçaient ses traditions en Orient, son devoir de
co-signataire du traité de Berlin, sa situation de grande puis-
sance démocratique, éprise de liberté et d'humanité.
La Russie et l'Autriche avaient dans les Balkans des intérêts
trop considérables pour ne s'être pas, dès le début, émues de^
troubles de Macédoine. Il était naturel qu'elles apportassent
une sollicitude toute particulière à surveiller et à modérer l'agi-
tation, et qu'elles prissent la tète d'un mouvement européen en
vue d'établir en Turquie d'Europe un régime de paix durable.
Absorbée par la liquidation de la guerre sud-africaine, l'An-
gleterre ne pouvait accorder aux affaires d'Orient qu'une atten-
tion distraite. Cependant elle ne s'en est pas désintéressée et
nous verrons même que, tout en donnant à l'intervention de la
Russie et de l'Autriche l'appui de son adhésion, elle a jalouse-
ment évité de paraître suivre à la remorque ces deux puis-
sances et formellement réservé sa liberté d'action.
Il est une puissance dont le rôle, si effacé jusqu'ici dans les
pourparlers relatifs-aux troubles de Macédoine, ne peut manquer
d'étonner : c'est l'Allemagne. On connaît l'intimité des rapport
qui depuis quelques années se sont établis entre les deux
empires, allemand et ottoman. On sait la place que tiennent à
Constantinople les agents allemands, diplomates, fonctionnaires
et militaires au service de la Turquie, banquiers, commer-
çants, industriels. On se rappelle les manifestations de sym-
pathie, justement illustrées par nos caricaturistes, des deux
souverains l'un envers l'autre. Il y avait pour Guillaume II,
dans les affaires de Macédoine, une belle partie à jouer. C'était
LES AFFAIRES MACÉDONIENNES 467
le moment de montrer que la politique allemande, si brutale à
l'égard des petits débiteurs insolvables ou récalcitrants, savait,
à loccasion, se faire généreuse et s'intéresser à une noble cause ;
que les démonstrations sensationnelles d*amitié à Tégard du
Sultan étaient autre chose que pur cabotinage, que simple
réclame d'un courtier avide d'écouler sa pacotille. En usant de
son influence pour amener le Sultan à eflfectuer spontanément
les réformes que la volonté de l'Europe lui impose aujourd'hui,
Fempereur d'Allemagne eût probablement fait preuve de clair-
voyance et servi utilement les intérêts de son pays, car il eut
ainsi légitimé et consolidé cette influence elle-même, et avec
les sympathies des habitants de la Macédoine, gagné au com-
merce allemand une nombreuse clientèle. Le gouvernement de
Berlin a préféré rester, ou paraître rester, indifl'érent aux souf-
frances de la Macédoine, et cette indifl'érence s'est reflétée jus-
qu'en ces derniers temps dans la sécheresse et la brièveté des
entrefilets que la presse allemande, sans doute bien stylée, leur
consacrait. Peut-être faut-il chercher la cause de cette attitude
dans la crainte de compromettre, en irritant la Porte, l'entre-
prise du chemin de fer de Bagdad. Quoi qu'il en soit, l'Alle-
magne regrettera peut-être un jour son efl'acement dans cette
circonstance. N'annonce-t-on pas déjà qu'à Gonstantinople l'au-
torité de son ambassadeur décline, éclipsée par celle du repré-
sentant de la Russie?
Mais arrivons à l'exposé des faits. Nos lecteurs se souvien-
nent* des tentatives d'insurrection qui se produisirent en
octobre dernier en Macédoine, particulièrement dans le vilayet
de Monastir et dans la vallée de la Strouma au nord de Serès.
L'insuffisance de la préparation, le mauvais choix du moment,
surtout l'hostilité réciproque des comités condamnaient le mou-
vement à un échec : il n'aboutit qu'à une série ^de troubles
locaux, où les Turcs devaient forcément, au prix, il est vrai,
parfois de pertes sérieuses, finir par l'emporter, d'autant plus
que le gouvernement ottoman avait pris, sans tarder, des
mesures sérieuses pour enrayer et réprimer la révolte : à ses
troupes actives, normalement réparties en Macédoine il avait
ajouté l'appoint de nombreux bataillons de rédifs spécialement
convoqués dans les régions troublées.
Pendant ce temps la diplomatie européenne était entrée en
action, morigénant à la fois le gouvernement bulgare et le
gouvernement ottoman, pressant le premier de s'opposer à la
constitution des bandes sur le territoire de la principauté et
aux menées des comités Zontchew, le second de supprimer,
1 Article de M. René Henry du lo février.
468 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
par l'octroi de réformes appropriées, les causes du mécontente-
ment des populations macédoniennes.
Du côté bulgare, le gouvernement du prince Ferdinand, pré-
sidé par M. Danew, protestait de sa bonne volonté, de son désir
de désarmer les bandes, mais arguait d'impuissance : et de
fait, nous devons reconnaître qu'il se trouvait, sans en être
entièrement responsable, dans une situation bien embarras-
sante. C'est au moment où la présence du grand-duc Nicolas,
envoyé spécial du tsar, aux fêtes de Chipka, où la visite du roi
de Roumanie aux champs de bataille de Plewna réveillait
l'enthousiasme populaire, que l'Europe venait lui enjoindre de
refréner cet enthousiasme. 11 était pourtant invraisemblable
que les toasts échangés sur le terrain des combats de 1877 ne
rappelassent pas aux Bulgares, avec le souvenir des victoires
des Russes et des Roumains, celui des déceptions qui avaient
suivi, le souvenir de cette Grande Bulgarie mort-née, et qui
depuis vingt-cinq ans aspire à revivre. Il était impossible que
la présence aux fêtes de Chipka du général russe Ignatiew, le
plus actif promoteur du panslavisme, venu h la suite du grand-
duc Nicolas, ne donnât pas lieu à de bruyantes démonstrations
en faveur de la Macédoine libre.
Aussi, pour donner aux injonctions de l'Europe une apparence
de satisfaction, M. Danew mettait officiellement aux arrêts dans
sa maison le général Zontchew, revenu blessé de Macédoine,
et annonçait sa prochaine traduction devant les tribunaux; il
faisait désarmer quelques membres des bandes et arnHer
quelques chefs particulièrement compromis; en même temps
il affirmait à la tribune le désintéressement de la Bulgarie dans
la question macédonienne, son respect de Tautorité du Sultan,
sa volonté de laisser les grandes puissances régler avec ce der-
nier le sort de ses sujets chrétiens. Mais le général Zontchew,
en dépit de ses arrêts, devenait l'objet de continuelles ovations:
les comités redoublaient d'activité, et trouvaient dans la néces-
sité de secourir les nombreux Macédoniens, accourus chaque
jour en Bulgarie chercher un refuge contre la répression turque,
un prétexte utile pour couvrir leurs agissements ; enfin le gou-
vernement bulgare se voyait obligé non seulement d'autoriser
les quêtes, représentations, concerts de charité en faveur des
réfugiés, mais même de venir directement en aide à ces malheu-
reux et de demander à cet effet un crédit au Sobranjé, toute?
mesures qui, si légitimes qu'elles fussent, ne pouvaient
qu'entretenir et développer parmi le public bulgare les senti-
ments d'hostilité à l'égard de la Turquie.
Du côté ottoman, les remontrances des ambassadeurs avaient
t:-i
m
LES AFFAIRES MACÉDONIENNES 469
fini par émouvoir la Porte : le 3 décembre, elle faisait paraître
un iradé relatif à l'administration des vilayets de la Turquie
d'Europe et chargeait deux commissions de surveiller, Tune ,1
surplace, en Macédoine môme, l'autre à Constantinople, Tappli-
cation des mesures prescrites. C'était, pourrait-on croire, faire
acte de bonne volonté ; en réalité, incompétence, inertie ou
mauvaise foi, les mesures édictées apparaissaient à l'examen
fort insuffisantes. Sans doute l'iradé du Sultan ordonnait la
réorganisation de la gendarmerie, de la police, des tribunaux,
avec introduction d'éléments chrétiens, prescrivait la création
(Fécoles et attribuait quelques fonds à des travaux publics;
mais il ne touchait ni au mode de perception de la dîme, ni à
l'irrégularité du paiement des fonctionnaires et agents de tout
ordre, ces deux plaies de l'administration turque unanimement
reconnues et signalées comme les plus douloureuses et dange-
reuses. Rien non plus n'était changé au système de centralisa-
tion excessive en vigueur dans tout TEmpire ottoman; les valis
continuaient à relever étroitement d'Yldiz-Kiosk et demeu-
raient, ainsi que Tinspecteur général créé par l'iradé, révocables
à merci.
Il n'est donc pas surprenant que ces mesures n'aient satisfait
personne et qu'en Macédoine la déception d'un espoir trompé,
bien loin d'apaiser le mécontentement, en ait déterminé un
redoublement. D'ailleurs, contrairement à l'attente générale, la
mauvaise saison, si exceptionnellement rigoureuse pourtant,
n'avait pas totalement interrompu les agissements des bandes :
celles-ci avaient renoncé aux entreprises à grande envergure,
mais continuaient à affirmer leur vitalité par des attentats
isolés, meurtres, pillages, par de petits engagements contre les
troupes turques. Enfin l'autorité judiciaire graciait à la vérité
un grand nombre des révoltés d'octobre, mais les paysans ainsi
libérés ne rentraient chez eux que pour trouver leurs foyers
dévastés et incendiés ou pour servir à nouveau de victimes aux
violences de la gendarmerie et de la troupe, qui, sous prétexte
de rechercher les armes, se livraient aux pires exactions, aux
plus odieuses brutalités.
Aussi chacun, tant dans la péninsule que dans les gouverne-
ments européens, comprenait l'inanité de la prétendue réorga-
nisation ordonnée par le Sultan, et l'imminence d'une insurrec-
tion générale, inévitable au printemps, si des mesures
énergiques ne venaient de suite la rendre inutile et la faire
avorter. C'est alors que, renonçant à prolonger, par l'intermé-
diaire de son ambassadeur à Constantinople, un échange inu-
tile de pourparlers et de discussions avec la Porte, le gouver-
1
^1
470 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
nement russe se décida à une action plus vigoureuse et plus
directe. Le 13 décembre il affirmait dans un communiqué offi-
ciel sa double volonté de maintenir dans les Balkans le statu
quo politique, mais d'obtenir pour les chrétiens de Turquie
d'Europe un régime administratif tolérable. Le 22 du même
mois, le comte LamsdoriT se mettait en route, pour aller étudier
sur place, à Belgrade et Sofia, puis concerter et arrêter défini-
tivement à Vienne avec le comte Goluchowski les moyens
d'atteindre ce double but.
Tandis que, revenu à Saint-Pétersbourg, le ministre russe
s'occupait de donner aux conclusions de ses entretiens avec son
collègue d'Autriche- Hongrie une forme concrète, le mois de
janvier s'écoulait sans incident nouveau. Troubles locaux,
incendies, pillages, assassinats, se poursuivaient en Macédoine
et en Vieille-Serbie, mais sans sortir du cadre ordinaire des
faits-divers auxquels depuis tant d'années ces malheureux pays
sont accoutumés à servir de théâtre. Cependant, au milieu de
cette accalmie relative, une rumeur s'élevait qui, peu à peu,
prenait corps et venait réveiller la nervosité générale : la Tur-
quie mobilise, elle appelle ses régiments d'Asie ! et de son côté
la Bulgarie s'arme, elle envoie ses soldats garnir la frontière
de Macédoine ! En même temps d'Autriche-Hongrie, de Russie
venaient des bruits de mouvements de troupes, d^appels de
réservistes. Qu'y avait-il au juste de fondé dans ces nouvelles à
sensation? Il est difficile de le distinguer au milieu des nou-
velles contradictoires qui s'entremêlaient : naturellement
chacun des gouvernements intéressés faisait démentir formel-
lement les mesures belliqueuses qu'on lui attribuait ; mais cest
si bien la procédure classique de la part d'Etats qui s'apprê-
tent à la guerre que l'opinion publique ne prenait au sérieux
ni leurs dénégations, ni leurs explications justificatives. Et tou-
jours, de plus en plus haut, montait la clameur des comités
macédoniens : « L'insurrection au printemps prochain ! » de telle
sorte que l'Europe voyait déjà la paix balkanique à la merci
d'une fonte de neiges prématurée.
Enfin, avec le mois de février, après une gestation de plu-
sieurs semaines, l'œuvre des chancelleries russe et austro-
hongroise vit le jour. Dans la première quinzaine de ce mois,
les gouvernements de Saint-Pétersbourg et de Vienne soumet-
taient à l'examen des puissances signataires du traité de Berlin
un programme précis de réformes à imposer au Sultan, pour
les trois vil ayets de Macédoine, puis, leur approbation obtenue,
présentaient à la date du 21 février ledit programme au gou-
vernement ottoman dans une note commune. Le 23, Tewfik
LES AFFAIRES MACÉDOMENiNES 471
pacha, ministre des Affaires étrangères, notifiait aux ambassa-
deurs de Russie et d'Autriche-Hongrie l'acceptation du Sultan ;
quelques jours après, on apprenait que ce dernier, allant plus
loin encore, s'apprêtait à étendre aux vilayets d'Albanie (Ja-
nina, Scutari) et à la Thrace (vilayet d'Andrinople) les réformes
exigées de l'Europe pour la Mact^donie seule.
Le gouvernement bulgare n'avait pas voulu le céder à la
Turquie en docilité à l'égard de l'Europe, ou plus exactement
de la Russie : le 1 2 février, le ministère Danew avait proclamé
l'illégalité et prononcé la dissolution des comités macédoniens
et ordonné l'arrestation d'un grand nombre de leurs membres
les plus influents, entre autres des deux chefs de l'organisation,
le général Zontchew et le professeur Mikhaïlowsky.
Ainsi, du jour où la volonté des grandes puissances s'est
imposée d'une manière formelle et dans un sens bien défini,
elle a été obéie : pourtant ce serait faire preuve d'un opti-
misme excessif que d'envisager la question macédonienne
comme définitivement résolue, et la paix dans les Balkans
comme assurée. Deux causes paraissent avoir déterminé la
prompte soumission des gouvernements ottoman et bulgare,
et si Tune de ces deux causes ne peut éveiller qu'une satisfac-
tion sans mélange, on n'en saurait dire autant de la seconde.
La première de ces deux causes, c'est l'unanimité et la cordia-
lité de l'entente entre les grandes puissances. Entre la présen-
tation aux différents cabinets du programme austro-russe et la
notification par ceux-ci de leur approbation, il ne s'écoula que
le délai strictement indispensable de trois jours, et si l'un des
gouvernements consultés, le gouvernement anglais, crut devoir
formuler quelques réserves, ce ne fut nullement sur le principe
même ou sur le sens de l'intervention austro-russe, mais sur
le détail des réformes proposées. Il ne suffisait pas que cette
communauté de vues se révélât dans le secret des correspon-
dances entre les chancelleries : il fallait qu'elle s'affirmât publi-
quement ; il fallait surtout qu'elle s'exprimât assez hautement
devant le Sultan pour convaincre son scepticisme et impres-
sionner son obstination. Aussi, le jour même où les ambassa-
deurs de Russie et d'Autriche-Hongrie remettaient leur mémo-
randum à la Porte, les représentants des autres puissances,
France, Allemagne, Angleterre, Italie, recevaient-ils l'ordre
d'en appuyer énergîquement les revendications. En outre,
depuis lors, soit dans leurs réponses à des interpellations au
Parlement, soit dans des communiqués officiels à la presse,
chacun des gouvernements intéressés a trouvé, ou fait naître,
472 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
une occasion d'exposer sa politique balkanique, sans que jas-
qu'ici aucune divergence de vues ait apparu. Puisse ce sextuor
se poursuivre ainsi sans fausse note jusqu'au point d'orgue
final OÙ retentira le cri d'allégresse d'une Macédoine réorga-
nisée et pacifiée !
La deuxième cause de la prompte acceptation par la Porte
du programme austro-russe est moins flatteuse pour la diplo-
matie européenne et moins suggestive d'espérance pour Tave-
nir. Elle réside en effet dans la modestie môme des réformes
exigées. On sait que celles-ci se résument dans les cinq princi-
paux points suivants : 1** nomination d'un inspecteur général
pour un délai de trois ans, avec autorité supérieure sur les valis
et droit de réquisitionner les troupes ; 2** réorganisation de la
police et de la gendarmerie avec l'aide de spécialistes euro-
péens, ainsi que du corps des gardes champêtres; 3** répres-
sion du brigandage des Albanais ; 4** amnistie pour les faits se
rapportant aux troubles récents ; 5" création de budgets pro-
vinciaux, administrés par la Banque ottomane, en vue d'assu-
rer le paiement régulier des traitements aux fonctionnaires et
aux troupes, et modification du système de perception delà
dîme par l'abolition de l'affermage.
Passons en revue ces différents points. En ce qui concerne
l'inspecteur général, la durée de ses fonctions parait bien
courte pour lui permettre d'acquérir une réelle autorité et de
l'employer à une action efficace. Mais voici qui est plus grave :
cet inspecteur général, nommé par le Sultan seul, est un mu-
sulman ; comme tel, il aura vraisemblablement les yeux tour-
nés vers Constantinople plutôt que vers les populations
placées sous son administration; son intérêt personnel le main-
tient dans une dépendance étroite d'Yldiz Kiosk, lui commande
de ne rien faire qui puisse déplaire au Palais ; et pour peu
qu'il ait médité sur les mésaventures de Berowitch pacha en
Crète *, il se sentira peu enclin à imiter le zèle de ce fonction-
naire trop libéral. Puis son autorité est mal définie : les valis
doivent obéir à ses instructions, dit la note austro-hongroise;
mais elle ne spécifie aucune sanction à lappui de cette pres-
cription ; sans pouvoir disciplinaire sur les valis, sans le droit
de les destituer, comment l'inspecteur général fera-t-il res-
pecter et exécuter ses ordres ? On peut se demander si la créa-
tion d'un nouveau fonctionnaire n'aura pas pour résultat
d'alourdir encore la machine administrative turque, et en
1 Berowitch pacha, gouverneur de Crète en 1896, avait cherché à satisfaire les
populations chrétiennes et à concilier leurs intérêts avec ceux des populations
musulmanes. Disgracié brutalement, il dut s'exiler de Turquie et vit aujourd'hui
misérablement à Venise d'une petite pension que lui sert la Crète.
#!R1^'* U*i
LES AFFAIRES MACEDONIENNES 473
augmentant réparpillement des responsabilités, d'accroître
l'anarchie et de favoriser l'action dissolvante des intrigues du
Palais. Peut-être aussi eût-il été sage d'édicter, pour les valis
comme pour l'inspecteur général, des mesures propres à re-
hausser leur situation, tout en les plaçant sous le contrôle de
TEurope, et en leur donnant une certaine indépendance à
l'égard du gouvernement central.
La réorganisation de la police et de la gendarmerie par des
spécialistes européens ne peut qu'être approuvée, sous réserves
que ces spécialistes seront pris de préférence parmi les natio-
naux d'Etats neutres, et non, comme le Sultan paraissait tout
d'abord disposé à le ÎFaire, parmi des officiers allemands déjà
engagés au service de la Turquie, c'est-à-dire doublement sus-
pects. Mais on doit s'étonner que le même paragraphe, relatif
aux agents de police, aux gendarmes, aux gardes champêtres,
n'ait rien spécifié à l'égard de la justice.* Il semble pourtant
qu'à côté des organes de répression, ou même avant ceux-ci,
on doive se préoccuper de la force qui les fera mouvoir, et s'at-
tacher à ce que cette force soit intelligente, impartiale, éclai-
rée, désintéressée, toutes qualités dont les tribunaux, en pays
ottoman, demeurent déplorablement dépourvus.
La note austro-hongroise recommande la répression du bri-
gandage albanais. Voilà qui parait bien timide. Depuis des
années tous les rapports des consuls en Vieille-Serbie, tous les
récits des voyageurs. qui ont parcouru les régions occidentales
des vîlayets de Monastir et d'Uskub relatent mille faits de ban-
ditisme sauvage à l'actif de ceux qu'on a appelés les Kurdes
d'Europe : et l'on se contente d'inviter la Porte à « chercher sans
fc retard les moyens propres à faire cesser cet état de choses » !
Il semble que les diplomates auraient pu préciser davantage,
parler plus ferme et ordonner purement et simplement le
désarmement des Albanais résidant ou voyageant dans les trois
vilayets de Macédoine. C'eût été les mettre sur le même pied
que les chrétiens, auxquels le port des armes est interdit et
qui se voient ainsi exposés sans défense aux pistolets, sabres,
poignards dont l'accumulation à sa ceinture fait de tout bon
Amaute un arsenal ambulant.
De l'amnistie rien à dire, sinon qu'elle comporte, dans un
pays aussi profondément troublé, certains tempéraments : il
importe de jxe pas rendre au banditisme les criminels de métier,
qui, sous couvert de politique, vivent de brigandage, ni les agi-
tateurs sans scrupules qui cherchent dans l'insurrection l'inté-
rêt de leurs ambitions personnelles. Et voilà encore où apparaît
la nécessité de tribunaux impartiaux, aptes à choisir, d'après
474 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
les seules considérations d'équité, parmi la tourbe innombrable
qui encombre les geôles turques, les victimes inoffensives à
libérer, et les individus dangereux h maintenir incarcérés.
La note austro-russe prescrit l'abolition de l'affermage de la
dîme. Sans aucun doute, cet impôt est celui qui pèse le plus
lourdement sur les populations et dont la perception donne lieu
aux pires abus ; mais il suffit de lire le rapport de M. Steeg
auquel nous avons fait allusion pour voir que l'impôt foncier,
l'impôt sur les salaires ou revenus, l'impôt sur les troupeaux, la
corvée, etc., ne sont guère plus équitablement répartis. En réa-
lité, il semble qu'une revision complète de l'assiette des contri-
butions s'imposerait, et que cette revision devrait être sinon
effectuée, du moins contrôlée par des inspecteurs financiers
européens.
Et ceci nous amène à une autre réforme, dont le programme
austro-russe ne fait pas mention, qui pourtant paraît être d'une
importance capitale, à savoir la participation à l'administration
des populations intéressées. On sait que le statut organique de
i 880, rédigé pour la Macédoine, par la commission de la Roumélie
Orientale, en application de l'article 23 du traité de Berlin, avait
prévu et réglementé cette participation : des conseils adminis-
tratifs élus devaient seconder et contrôler les valis (gouverneurs
de vilayets), les mutessarifs (préfets de sandjaks), les kaïmakams
(sous-préfets de cazas), les mudirs (chefs des nahiès, correspon-
dant à nos cantons), les moukhtars (maires). En réalité, ce n'est
guère que dans la commune que fonctionnent les conseils ainsi
institués : le nahiè, ou canton, n'a jamais eu d'existence que
sur le papier ; dans les circonscriptions supérieures, les conseils
administratifs sont sans autorité ; ils se composent d'individus
choisis par le fonctionnaire même dont ils seraient appelés à
contrôler les actes, et se recrutent d'ailleurs uniquement dans
la ville oîi ce dernier réside, en sorte que les habitants des cam-
pagnes, de beaucoup la majorfté, n y sont pas représentés. On
comprend que, dans l'état d'anarchie où se trouve la Macédoine,
les diplomates européens ne se soient pas souciés d'accroître les
chances de désordre en accordant aux populations des libertés
politiques pour lesquelles elles n'étaient pas préparées; mais
n'eût-il pas été légitime et sage de les admettre à collaborer à
la direction d'une administration dont elles font tous les frais et
dont le bon fonctionnement est leur premier intérêt?
Nous venons d'énumérer les principales critiques que l'on peut
adresser au programme austro-russe : on voit qu'elles justifient
les paroles de lord Lansdowne à la Chambre des communes, le
LES AFFAIHES MACÉpONIENNES 475
13 mars : « Ce projet est loin d'être complet ou parfait ; mais il
« a du moins le mérite de contenir des dispositions très utiles
« et d'avoir produit une détente dans la situation intolérable
u qui avait été créée dans la péninsule des Balkans. »
Que faut-il au juste penser de cette détente ?Nous n'oserions
rien prononcer à cet égard? Le projet .austro-russe n'a certaine-
ment suscité aucun grand enthousiasme dans la péninsule :
proclamé insuffisant à Sofia, à Belgrade, à plus forte raison en
Macédoine par les chrétiens, il a par contre paru intolérable aux
Albanais, jaloux des concessions faites aux « raïas ». Et si
déplorable est la réputation que vingt-sept ans de despotisme
sans contrôle ont valu à Abdul-Hamid, que beaucoup de bons
esprits ont cru découvrir, sous les manifestations d^hostilité des
Albanais au projet austro-russe, les machinations du Sultan lui-
même; celui-ci chercherait à démontrer l'impossibilité des
réformes en tirant les ficelles de l'épouvantail albanais. Nous ne
croyons pas à tant de duplicité ; ce serait, dans la circonstance,
de la part d'Abdul-Hamid, jeu trop dangereux. L'Europe a senti
trop profondément l'humiliation de s'être laissé duper en 1896
en Arménie pour renouveler aujourd'hui ses fautes d'alors. Si
le Sultan veut conserver la Macédoine, et avec elle ses posses-
sions d'Europe, il n'a qu'un moyen : obéir franchement aux
injonctions austro-russes. Au reste, il semble bien que ce soit
le parti qu'il ait pris : l'homme qu il a désigné pour présider à
Taccomplissement des réformes en qualité d'inspecteur général,
Hussein-Hilmi pacha, passe pour bon, intelligent, courageux;
il s est mis à l'œuvre sans tarder, et si l'insurrection prédite en
Macédoine pour le printemps qui s'ouvre peut être évitée, il sem-
ble qu'Hilmi pacha soit l'homme propre à l'empêcher d'éclater.
Mais l'insurrection peut-elle être évitée ? Telle est la question
que l'Europe entière se pose avec angoisse, et que les nouvelles
arrivant quotidiennement de la péninsule rendent malheureu-
sement de plus en plus obscure. Nous avons déjà dit que le gou-
vernement bulgare avait fait arrêter les chefs des comités macé-
diens organisés sur son territoire, et qu'il surveillait la fron-
tière pour empêcher les mouvements des bandes. Mais les
comités dits « intérieurs », qui travaillent la Macédoine sous la
direction de Boris Sarafof, sont plus remuants que jamais ; chaque
jour nous apporte le récit de nouveaux méfaits commis par
leurs adhérents. En Bulgarie même, malgré l'attitude correcte
du gouvernement, la population continue à se passionner en
faveur des frères macédoniens]; et forcément les rapports demeu-
rent tendus entre Constantinople et Sofia : dans cette dernière
capitale, l'opinion publique est divisée; tout un parti envisage
476 QUESTIONS DIPLOHATIOUBS BT C0L0N1AMC8
avec pessimisme l'avenir immédiat, à tel point que le ministre
de la Guerre a cru devoir démissionner sur le refus de ses collè-
gues d'autoriser une demande de crédits pour l'armée, et qu'une
grave crise ministérielle en est résultée.
Le champ reste donc malheureusement ouvert à toutes les
hypothèses. Ou le gouvernement ottoman, s'appliquant loyale-
ment à la tâche que lui a tracée la diplomatie européenne, y
réussira, et par l'introduction en Macédoine d'un régime admi-
nistratif tolérable, calmera l'irritation des populations chré-
tiennes, contiendra les musulmans, ruinera le crédit des bandes,
et avec l'ordre ramènera dans le pays la prospérité : la diplo-
matie n'aurait alors qu'à poursuivre son œuvre en continuant à
donner au Sultan l'appui de ses conseils et de son autorité modé-
ratrice sur les petits Etats balkaniques limitrophes de la Macé-
doine. Ou les réformes échoueront : en ce cas, le devoir de
l'Europe varierait avec les causes de l'échec, selon que la
responsabilité en devrait être imputée au gouvernement otto-
man ou aux populations macédoniennes elles-mêmes. Il nous
reste, pour clore cet exposé de la question macédonienne, à
examiner rapidement ces deux hypothèses..
Voici la première. Après plusieurs semaines* d'attente, la j
diplomatie européenne acquiert la conviction que le gouverne- j
ment ottoman cherche encore une fois à la jouer, et que, sous |
des apparences de soumission, il résiste à ses ordres; ou encore, j
les efforts sincères mais malheureux de ce même gouvernement j
achèvent de démontrer son incapacité h se régénérer et à réali-
ser les réformes promises. Dans Tun comme dans l'autre cas,
l'Europe, responsable du sort des chrétiens en Macédoine, se
voit acculée à une issue unique : émanciper ces populations du
joug turc. Quelle forme prendrait cette émancipation? Nous
l'avons dit dans notre article précédent : la seule qui nous pa-
raisse admissible serait l'autonomie, la constitution de la Macé-
doine en un Etat, tributaire de la Turquie si l'on veut, mais ayant
une organisation politique propre, et à sa tête un gouvernement
désigné par les grandes puissances. Par quel moyen l'Europe
réaliserait-elle cette émancipation? Pacifiquement, cela va de j
soi, si la chose était possible, par la réunion d'un Ck)ngrès j
européen appelé à corriger et compléter l'œuvre de celui de .^
Berlin ; mais au besoin, si le Sultan s'avisait de tenir tète à
l'Europe, par la force.
* A la date où nous écrivons, la Porte n'a pas encore, en dépit des demandes
réitérées des ambassadeurs russe et austro-hongrois, communiqué à ceux-ci
les règlements destinés à préciser les mesures d'application des réformes en Macé-
doine.
LES AFFAIRES MACÉDOMENNES 477
Quels seraient, dans ce cjbls extrême où les puissances
se verraient contraintes de recourir à Vultima ratio ^ les
moyens de coercition qu'elles pourraient mettre en œuvre
contre TEmpire ottoman? Nous avons déjà, précédemment,
mentionné les causes qui excluent Temploi d'une armée
internationale. D'autres considérations nous paraissent inter-
dire également la participation à la guerre des armées des
petits Etats balkaniques ; appeler ceux-ci à coopérer à la libé-
ration de la Macédoine, ce serait ouvrir le champ à leurs ambi-
tions égoïstes et rivales, et préparer, pour Theure du règlement
des comptes, une liquidation des plus difficiles. L'émancipation
de la Macédoine, ordonnée par un congrès des grandes puis-
sances, ne nous paraît pouvoir être effectuée que par la, ou les,
armées d'une ou de deux de ces puissances, déléguées à cet
effet par les quatre ou cinq autres. L'armée russe serait certes
de taille à accomplir seule cette tâche; mais dans l'état politi-
que actuel de l'Europe, où double et triple alliances se contien-
nent et se jalousent réciproquement, il est douteux qu'une
entente se fasse en vue de donner carte blanche à la Russie
pour une action isolée, tandis qu'il ne paraît pas impossible
d'obtenir l'adhésion générale à une coopération des armées
russe et austro-hongroise. Ce serait d'ailleurs la suite logique
des événements antérieurs, le prolongement de l'action combi-
née des deux grands Empires orientaux.
Nous sommes donc amenés à envisager l'éventualité d'une
guerre de la Russie et de l'Autriche-Hongrie alliées contre
TEmpire ottoman. Une telle guerre aurait forcément pour
théâtre d'opérations principal la Macédoine et la Thrace, où sont
déjà rassemblées une grande partie des forces ottomanes, et
d'où l'on menacerait l'Empire à la tête, dans sa capitale.
L'armée russe serait sans doute chargée des opérations de ce
côté. Dans l'impossibilité où la flotte turque se trouverait de
prendre la mer, les troupes du tsar pourraient en toute sécu-
rité être transportées d'Odessa, de Kherson, de Sébastopol à
Varna et Bourgas, têtes des voies ferrées qui se réunissent dans
la vallée de la Maritsa, d'où l'armée russe se porterait soit vers
la vallée de la Strouma, soit plus vraisemblablement sur Andri-
nople et Constantinople. De son côté la flotte russe pourrait
atteindre directement cette dernière ville après avoir ruiné les
ouvrages défensifs du Bosphore. Pendant ce temps l'armée
austro-hongroise aurait pour mission de détruire les forces
turques restées en Vieille-Serbie, et vers Monastir, et en outre
de contenir les populations musulmanes, surtout d'empêcher
les Albanais de venir ravager la vallée du Vardar, les plaines de
478 QUESTIONS DIPLOMATIQUES KT COLONIALKS
Kossovo, de Monastir et d'Ochrida : rôle ingrat et difficile dans
i (*s régions extrêmement accidentées, pauvres et dépourvues
<it^ routes, mais non moins indispensable que le rôle dévolu
arix troupes russes. Les armées autrichiennes auraient à leur
disposition les chemins de fer de Belgrade à Uskub et Saloni-
n itjiie, ainsi que la route, médiocre mais carrossable, qui, venant
ih' Sarajewo, tête du réseau bosno-herzégovinien *, traverse le
sandjak de Novi-Bazar et rejoint à Mitrowitza la ligne
d'IJskub-Salonique. Nous admettons, on le voit, que les armées
russe et austro-hongroise emprunteraient pour leurs mouve-
ïïients les territoires de la Serbie et de la Bulgarie : les armées
iU' ces deux Etats, tenues, comme nous l'avons dit, en dehors
(ji^s opérations actives, seraient occupées à la garde strictement
ilr»fensive de leurs frontières respectives.
Tel nous paraît pouvoir être, dans ses lignes essentielles, le
jilan d'une action militaire de la Russie et de l'Autriche-
llongrie contre la Turquie. Nous donnons dans une annexe
ipielques indications sur les forces que cette dernière puissance
|iL)urrait mettre en ligne.
La deuxième hypothèse que nous avons envisagée est celle
*l\m insuccès des réformes causé par l'opposition des popula-
liuns macédoniennes elles-mêmes. Cette hypothèse n'est mal-
ih^ureusement que trop vraisemblable dans Tétat d'exaspération
IMissionnée auquel des années de souffrances et la propagande
i\i'S comités ont amené ces populations. Il existe parmi les chré-
(Il^s de Macédoine un nombreux parti qui rejette formellement
(nute idée de réconciliation avec le gouvernement ottoman, et
(jui se refuse à admettre, avec une réforme de Tadministration
^ilLomane, un renforcement du lien qui les attache à la Turquie.
One ces adversaires irréductibles du Sultan, prêts à tout ris-
<1 lier pour conquérir leur indépendance, l'emportent, et c'est
«humain l'insurrection partout. L'Europe se trouverait alors en
l-(ce d'un dilemme cruel : comment apaiser la révolte sans
vrrser des Ilots de sang? Donner carte blanche au Sultan pour
lit répression, on sait trop ce que cela signifie lorsque le souve-
liiin en exercice s'appelle Abdul-Hamid, lorsqu'il a sur la
i/nnscienceune part des atrocités bulgares de 1876 et les massa-
rri^H d'Arménie de 1896. D'un autre côté, l'empêcher d'agir ne
serait-ce pas favoriser l'insurrection et avec elle livrer la Tur-
<Hiie d'Europe à toutes les horreurs des guerres de races et de
r. ligions? Dans une pareille conjoncture, deux déterminations,
nous semble-t-il, s'imposeraient au choix des grandes puis-
^^inces : ou adopter le projet d'une occupation internationale de
I Réseau ù voie de 0"»16,
LES AFFAIRES MACÉDONIENNES 479
la Macédoine, comme autrefois de la Crète, en répartissant les
troupes des différentes nations suivant un plan analogue à celui
de M. Povolni rappelé ici dans l'article de M. René Henry du
13 janvier; ou, ce qui serait plus simple, moins onéreux, mais
moins efficace aussi, obliger le Sultan à adjoindre à ses corps
de troupes, chargés de réprimer Tinsurrection, des commis-
saires européens ayant pour mission de surveiller et de con-
trôler leurs opérations et de s'opposer à toute rigueur injustifiée.
Nous en avons fini avec cet exposé de la question macédo-
nienne, où nous nous sommes efforcés de conserver une impar-
tialité complète tant dans le récit succinct des évéjiements
passés que dans l'indication des éventualités à prévoir, des diffi-
cultés à surmonter et des solutions possibles. On a vu qu'à
l'heure actuelle le problème macédonien continue à faire peser
sur l'Europe un redoutable inconnu ; nous croyons avec toute
la diplomatie qu'il est du plus haut intérêt de le résoudre
pacifiquement; mais nous croyons surtout qu'^Y faut le
résoudre. En 1878, les puissances ont pris à Berlin l'engage-
ment d'assurer aux chrétiens de Macédoine un régime de
tolérance et d'équité; vingt-cinq années durant, elles ont
failli & leurs promesses ; aujourd'hui, talonnées par l'exas-
pération des Macédoniens, elles se décident à esquisser un
commencement d'action ; il ne leur est plus permis de s'arrêter
avant d'avoir achevé l'œuvre entreprise. Laisser se perpétuer
plus longtemps dans le Balkan ottoman, avec les pratiques
abominables d'une administration oppressive et imbécile,
l'anarchie qu'elle engendre, ce ne serait pas seulement fournir
aux politiciens qui nient la possibilité du concert européen un
prétexte à de nouveaux sarcasmes, ce serait, chose plus grave,
conserver dans le flanc de l'Europe un foyer d'incendie toujours
prêt à se rallumer et, dans sa conflagration, à embraser le
continent entier.
Casimir Pralon.
ANNEXE
Nous donnons ci-après quelques indications sur les forces
militaires des différents Etats balkaniques. Ces renseignements
sont tirés de l'ouvrage annuellement publié à Berlin sous le
nom de V. LœbelVs Jahresberichte^ édition de 1901.
EMPIRE OTTOMAN
On sait que le service militaire est dû par les musulmans seuls. Encore
ceux-ci peuvent-ils se racheter au bout de trois mois de services moyen-
480
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS
nant une somme de 50 livres turques : il y a en outre d'assez nom-
breuses exceptions à l'obligation du service militaire.
Les hommes appelés servent 6 ans dans l'armée active, dont 3 ans sous
les drapeaux (nisams) et 3 ans dans la réserve (ichtiats); ils passent
ensuite, sous le nom de redifs, 8 ans dans l'armée de réserve, armée qui a
des cadres organisés dès le temps de paix (jusqu'au grade de général de
division inclus) et recrutés sur les mêmes bases que les cadres de l'armée
active. Enfin les redifs libérés passent dans l'armée territoriale (mustah-
fizs) où ils demeurent 6 ans. On forme en outre, avec l'excédent des con-
tingents, des bataillons de dépôts (ilavehs) dont les cadres seuls existent
en temps de paix.
Sur le pied de paix, l'armée ottomane comprend 7 corps d'armée, dont
3 en Europe, plus 2 divisions indépendantes.
Les corps d'armée d'Europe sont :
N
Batail-
lons
18 AMi
Esca-
drons
i
Batte-
ries
RBD
Batail-
lons
IFS
Esca.
drons
ILAVBHS
Bataillons
MOSTAHFIZS
1" corps (Garde) :
Constantinople
(2diT.d'inf.,ldecaT.)
2" corps :
Amlrinople
(2div. d'inf.,ldecav.)
3' corps :
Salomque
(5div. d'inf.,ldecav.)
20
34
80
23
30
37
39
49
17
64
64
64
16
16
16
124
147
169
Aucune or-
ganisation en>
temps de paix:
on constitue
les corps de
mustahfizs au
moment d u
besoin.
Les autres corps d'armée sont : 4« Ersinghian (Arménie), 5* Damas,
6" Bagdad, T*» Yémen. Les 2 divisions indépendantes sont celles de Tri-
poli et du Hedjaz.
L'etï'ectif de paix est d'environ 260.000 hommes : 500 hommes par
bataillon, 100 chevaux par escadron, 6 pièces par batterie. L'infanterie
des 3 corps d'Europe est armée d'un Mauser à chargeur de 7™"»65 : celle
des autres corps, d'un Mauser à répétition de 9"">5, ou d'un Marlioi-Henri
de 11«»™4. Le matériel de l'artillerie de camj[>agne est formé de canons
Krupp de 90°»«^ (batteries montées), 80™" (batteries à cheval) et 70»*
(batteries de montagne) et d'obusiers Krupp de 120"*™.
Sur le pied de guerre, l'armée turque doit constituer 8 corps d'armée de
nisams (par le dédoublement du 3« corps), 12 corps de redifs et 5 corps de
mustahfizs. Mais l'expérience a démontré qu'en Turquie l'organisation
préparée durant le temps de paix subit toujours de sérieuses modifications
à la mobilisation. Lors de la guerre turco-grecque, on trouvait dans un
même régiment des hommes de toutes les classes et provenant de corps
de troupes différents. L'armée turque mobilisée devrait mettre sur pied
environ 1 million de combattants; en réalité, le nombre des hommes
instruits ne dépasse pas 505.000 fantassins, 25.000 cavaliers, 68.000
LES AFFAIRES MACÉDONIENNES 481
hommes des autres armes ou services, dont la mobilisation totale exigerait
2 à 3 mois. Il faut y ajouter environ 90.000 gendarmes, dont 20.000
montés.
Mais dans le cas d'une guerre dans les Balkans, la Turquie ne pourrait
songer à dégarnir l'Arménie, ni ses provinces lointaines d'Asie ou d*Atri-
que. Lœbell estime à 355.000 fusils, 14.000 sabres, 1.044 canons les forces
disponibles pour une campagne dans la péninsule. Ce chiffre se grossi-
rait sans doute de l'effectif des volontaires albanais, formés en « ban-
nières » de 400 à 600 hommes et atteignant un total de 30.000 à 40.000.
Jjœbell estime que la mobilisation et la concentration de ces forces en
Turquie d'Europe ne demanderait pas plus de 3 semaines. Ce délai nous
parait bien court; mais on ne doit pas perdre de vue que, d'après les ren-
seignements fournis par la presse, le Sultan aurait déjà convoqué un
grand nombre de bataillons de redifs, tant dans les vilayets d'Europe
qu'en Asie Mineure, qu'il aurait donné des ordres pour la remise en état
des vaisseaux de la Compagnie de navigation Mahsusseh, en vue de trans-
ports de troupes, et que peut-être môme ces transports auraient déjà com-
mencé. Si difficile qu'il soit de démêler la vérité au milieu des nouvelles
contradictoires et des démentis officiels plus ou moins sincères, il semble
que les forces régulières (non compris la gendarmerie), actuellement réu-
nies en Macédoine, s'élèvent au moins à 80.000 fantassins et 3.000 cava-
liers.
BULGARIE
Service militaire obligatoire : dans l'armée active, 10 ans dont 2 (infan-
terie) ou 3 (autres armes) sous les drapeaux ; dans l'armée de réserve
Tans; dans l'armée territoriale, 8 ans (4 ans dans chaque ban).
Pied de paix : Effectif, 35.000 hommes répartis en 6 divisions (48 batail-
lons, 48 cadres de bataillons de réserve, 20 escadrons, 63 batteries}.
Pied de guêtre : Première ligne : 6 divisions d'infanterie actives, 1 divi-
sion de cavalerie, 6 divisions d'infanterie de réserve^ en tout, 174 batail-
lons, 28 escadrons, 115 batteries à 6 pièces.
Deuxième ligne : 6 brigades d'infanterie de réserve (24 bataillons, 6 es-
cadrons, 18 batteries).
Troisième ligne : 48 bataillons de territoriale.
L'effectif des combattants atteint :
Première ligne : 100.000 fusils, 4.500 sabres, 312 canons.
Deuxième et troisième lignes : 88.000 fusils, 2.500 sabres, 120 canons.
Armement : Infanterie, Mannlicher à répétition de 8°™. Artillerie, ca-
nons Krupp de 87™" (batteries attelées) et 75"»™ (batteries de montagne),
et obusiers de campagne du Creusot.
SERBIE
Service militaire obligatoire : 11 ans dans le premier ban, dont 18 mois
(infanterie) ou 2 ans (autres armes) sous les drapeaux (en réalité, pour des
raisons budgétaires, le temps de présence se réduit en moyenne à 14 ou
15 mois, beaucoup d'hommes ne font que 5 mois de service actif) —
deuxième ban, 6 ans — troisième ban, 8 ans — arrière-ban, 5 ans.
Qi:i8T. DiPL. KT Col. — t. xv. 31
'W^
482 QUESTIONS DIHtOMATIQUES BT GOLONIALKS
Fièd de paix : ËfTectif théorique, 23.000 hommes organisés en 5 divi-
gions d'infanterie et 1 de cavalerie.
Pied de guen'e :
Bataillons
Escadrons
Batteries
(à 4 pièces)
Fusils
Sabres
CaooQS
l'aligne : 5 divisions
d'infanterie et 1 de
caTalerie
90
60
45
•26
iO
5
i6
20
58.000
56.000
40.000
4.700
1.700
800
216 i
120
2* ligne : 5 divisions
de réserve
3* liene
Un rapport de l'attaché inilitaire russe Léontschew, cité par Lœbell.
évalue à un chiffre plus fort, à 250.000 hommes, les forces que la Serbie
pourrait mettn* sur pied, mais ce chiffre parait exagéré.
Armement : La Serbie posséderait i 20.000 fusils neufs à répétition à
petit calibre; Tancien armement se composait de Mauser de 10"""15 et de
fusils russes système Berdan. Artillerie : canons de Bange de 80""».
GRÈCE
Service militaire obligatoire, avec de nombreuses exemptions. Service
actif, 2 ans (pour les dispensés, 3 mois seulement). Service dans larésene,
8 à 42 ans, suivant les armes et la catégorie de recrutement. Service dans
l'armée territoriale, 8 ans; dans la réserve de Tarmée territoriale, 10 ans.
Pied de paix : Effectif théorique 25.000 hommes, effectif réel environ
14.000, répartis en 3 divisions (20 bataillons d'infanterie, 8 d'evzooes
(infanterie légère), 12 escadrons, 14 batteries).
Pied de guerre : Première ligne (armée active et réserve) : 6 divisions,
comprenant 55 • bataillons, 18 escadrons, 29 batteries (à 6 pièces}, soit
61.000 fusils, 2.700 sabres, 174 canons.
Deuxième ligne : Armée territoriale et sa réserve, environ ITO.OOO
hommes, pour lesquels aucune organisation n'est prévue et qui serviraient
sans doute surtout de réservoir aux troupes de première ligne.
En raison de l'insuffisance des mesures préparatoires de la mobilisa-
tion, il est d'ailleurs bien douteux que les chiffres officiels donnés ci-
dessus puissent être atteints.
Armement : Infanterie, fusil Mannlicher à répétition, dont 60.000 ont été
achetés; pour le reste, fusil Gras modèle 1874. Artillerie, canons Krupp
ée 87 et 75"»"'.
L'EVOlJTfON
i>K r.A
POUTIQIE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE DU JAPON
l.e journal japonais Japan Weckly Mail, uq des organes les plus sérieu.\
«le Vokabama, nous a fait l'honneur, dans deux de ses derniers numéros, de
« onsacrcr cinq de ses colonnes à l'examen critique des études publiées par
les QuestionSj les l«»'mars, 15 avril, 15 juin et !•' août 1902, sur l'alliancp
anglo-japonaise, l'alliance franco-russe en Extrême-Orient et la politique
iotérieure du Japon. L'honorable rédacteur s'est quelque peu formalisé de
la sévérité de nos appréciations, et tout en reconnaissant que les base^
<ie la politique russe en Extrême Orient avaient été exactement définies, u
ij'claré que les Ouestions, « revue sérieuse et réputée bonne observatrice "»
rataient trèfi insuflisamment renseignées sur le Nippon, qu'elles avaient
complètemonl dénaturé le caractère désintéressé de l'alliance anglo-japo-
naise et exagéré à plaisir la gravité de la situation financière du Japon au
moment do la conclusion de l'accord.
Nous ne pouvions évidemment espérer du louable patriotisme et di»
iamour-propre du Japan Weekly Mail la reconnaissance de l'éventualité
lit* la banqueroute que le vicomte Watanabé, ministre des Finances dans
le dernier Cabinet Ito, avait franchement proclamée à la tribune ; nouîi
n'avions pas non phis la prétention de l'amener à adhérer tï nos conclusiouij,
qui sont cependant souvent les siennes, et à convenir que les finances
japonaises avaient besoin d'être restaurées par les capitaux anglais. Notre
confrère reconnaîtra cependant que les faits ont connrmé toutes nos pré-
visions : l'évacuation partielle de la Mandchourie par les troupes russes,
sage mesure que nous avions prédite le i"' mars 1902, s'est réalisée trois
ou quatre mois plus lard; l'emprunt auquel nous faisions allusion a éti-
contracté en octobre 1902 sur la place de Londres ; le montant exact di^
cet emprunt et les nécessités auxquelles il devait faire face avaient éti^
annoncés dans notre article du !•' août dernier.
Les Questions paraissent donc mieux renseignées que ne le croit Iv
Japan Weekly Mail, dont notre correspondant est d'ailleurs un lecteur
-»>sidu. Il est en outre puéril de croire et d'écrire que nos observations
^«>nt«lictées par un esprit de parti pris et d'hostilité à l'égard du Japon. La
«••rrespondance que nous publions ci-dessous montrera d'ailleurs ample-
ment que, si nous sommes prêts à blâmer les actes que nous estimons
rkheux pour le maintien de la paix en Extrême-Orient et la marche du
.I.i(M)u vers le progrès, nous n'hésitons pas, par contre, à signaler ceux qui
>oni à l'honneur d'une puissance aux succès de laquelle nous avons large^
mt'ui contribué et applaudi, et avec laquelle nous entretenons les phif*
cordiales relations. N. D. L. H.
Tokic», le 2:i janvier 1903.
Lu Chambre des députés, élue au mois d'août 1902 et convo-
quée le 9 décembre dernier, n'aura pas siéf^é lonji^temps: après
quelques jours d'existence, un décret impérial a renvoyé de-
vant le corps électoral les 37fi représentants coupables de s'être
♦uei^iquement opposés à une augmentation des charges pu-
l
484 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
bliques résultant du projet d'accroissement naval, dont la Revue
a déjà parlé, dans le 15 juin 1902 *. Cet événement est gros de
conséquences.
L'opinion publique japonaise, bien que faiblement repré-
sentée par 970.000 électeurs, sur une population évaluée à
plus de 46 millions d'habitants *, semble vouloir s'affranchir
aujourd'hui de la folie impérialiste qui s'est emparée de ses
hommes d'Etat, du clan militaire des Satsouma en particulier,
au lendemain des victoires faciles de la guerre sino-japonaise-
La froide interprétation des clauses du traité d'alliance anglo-
japonaise a eu le bon effet de lui faire entrevoir les périls
auxquels une solidarité trop étroite avec l'Angleterre pouvait
exposer le pays. La période de réflexion pratique a succédé à
celle des fanfaronnades belliqueuses de la première heure, et
nombre de personnages politiques se demandent, à l'heure
actuelle, s'il ne serait pas plus sage de préparer un rappro-
chement loyal et sincère avec la Russie, rapprochement qui
n'a tenu qu'à un fil, au lieu de ruiner la nation dans le seul
but désintéressé de tirer les marrons du feu pour l'Angle-
terre fortement échaudée par l'aventure sud-africaine.
Les récentes tournées en Europe et en Amérique du prince
Komatsu, du marquis Ito, du comte Matsukata, du vicomte
Watanabé et du baron Shibusawa, les entretiens que ces
hautes personnalités ont eus avec les ministres et les hommes
influents des grandes puissances, les discours comptes rendus
qu'ils ont prononcés à leur rentrée au Japon devant les di-
verses sociétés politiques et commerciales dont ils font partie,
ont calmé les esprits les plus montés contre l'Occident et con-
firmé l'opinion publique dans l'orientation nouvelle que lui
avait déjà indiquée son simple bon sens.
Tokio sait actuellement que le Japon est et sera désormais
pris au sérieux, et que personne en Europe ne songe à lui con-
tester, ni son avènement au rang de grande puissance, qu il
justifie par ses progrès et ses succès économiques, ni la part
1 Consulter dans les QuM^tofu : Politique du Japon, par Fab-East, 15 mars 1901;
Politique intérieure du Japon, par H. Daurys, 13 août 1901 ; /^ traité ang la- japo-
nais, l^'mars 1902; Valliance franco-russe en Extrême-Orient, 15 avril 1902;
La situation en Extrême-Orient, 15 juin 1902 ; La politique intérieure du
Japon, par Rising-Sun, l«r août 1902. Lire en outre Le Japon politique, écono-
mique et social^ par H. Dumolard. Arm. Colin. — N. D, L. R.
s Pour être électeur, il faut payer un impôt annuel de25 fr. (10 yen) au mioi-
mum. Le maréchal Yamagata, dont les tendances conservatrices sont manifestes,
avait reconnu cependant la nécessité de développer le suffrage restreint et dépoâ*?
avant 1899, lors de son dernier ministère, un projet plus radical que la loi de 1900.
Devait être électeur tout citoyen payant 5 yen d'impôt foncier, ou 3 yen d'impôt sur
le revenu, ou encore 3 yen de patente commerciale. Avant la loi de 1900 qui a
régi les dernières élections, il fallait payer 31 fr. 50 d'impôt pour étr« électeur.
LA POLITIQUE INTÉHIELIRE ET EXTÉRIEURE DU JAPON 485 1
qui somljle hiî reveiur pquitablement dans l'œuvre d'exploi-
tation internationale entreprise dans TEmpire du Milieu. i
Ce point étant acquis, les députés japonais, guidés par deux I
chefs d'élite, le marquis Ito et le comte O'Kuma, ont compris
qu'il était opportun de mettre un terme au terrible surmenage
imposé au pays depuis 1896, de réaliser les réformes inté-
rieures sans cesse ajournées, de développer le commerce et
rindustrie, de proportionner les futurs armements aux res-
sources de la nation et de diminuer enfin les charges excep-
tionnelles pesant sur le contribuable depuis 1898. Mais ils se
sont heurtés à Tentr^tement du général Katsura * qui, docile
aux volontés de Londres, n'a pas su ou pu se dégager de Ten-
grenage impérialiste et saisir révolution irrésistible qui s'est
accomplie dans les idées en matière de politique intérieure
et extérieure, évolution que ne peut enrayer une dissolu-
tion de Parlement et qui aura finalement raison du ministère.
Il est intéressant de retracer cette évolution et d'en examiner
les causes.
La campagne électorale du mois d'août 1 902 s'était déroulée,
contrairement à l'habitude, dans le plus grand calme. Le gou-
vernement avait pris en effet des mesures énergiques pour
sauvegarder la sincérité du vote et supprimer les désordres
sanglants provoqués jadis par les Soshi^ bandes d'assommeurs
à la solde des candidats tarés*. Le marquis Ito, de son côté,
avait adressé à ses adeptes, les Seiyukaïj de rigoureuses ins-
tructions pour la préparation honnête des élections.
a Le parti Seiyukaï, disait-il dans son manifeste, doit
(ï donner le bon exemple aux candidats des autres partis et
« s'abstenir avec soin de toute pression illégale sur les élec-
« leurs. Une Chambre saine ne peut être engendrée que par
« un corps électoral et des comités sains. »
Les nouveaux députés, dont le nombre avait été porté de
300 à 376 par application d'une nouvelle loi sur les districts
électoraux, étaient ainsi répartis :
Seiyukaï (constitutionnels libéraux) 192
Mushozoku (indépendants) 36
Kensei'honto (progressistes) 92
Teikokuto (impérialistes) 17
Divers (Jininkai et Doshikai) 39
^ Le cabinet Katsura est en fonctions depuis le mois de mai 1901.
^ Il n'j a eu que 1.200 arrestations à l'occasion des élections. Le tiers à peine
des inculpés a été condamné à des peines légères. Dans les campagnes électorales
antérieures, il y avait eu jusqu'à 15 ou 20.000 arrestations et des centaines de vic-
times. Le gouvernement a dépensé 300.000 francs pour la police des élections.
486 QUKsrioMS i>ii*LuMAriui:i£s kt colomalks
Il y avait eu 730 candidats.
Ainsi qu'on le voit, le parti Seiyukai, débarrassé par les
comités électoraux des éléments de moralité douteuse, avait
maintenu ses positions, c'est-à-dire la majorité absolue, et cela,
grâce à l'action personnelle de son chef et au remarquable
manifeste électoral élaboré par ce dernier. Les déclarations
aussi sensées que patriotiques du vieil homme d'Etat avaient
eu raison de la mauvaise impression produite par les malversa-
tions éhontées de feu Hoshi Toru et consorts. Elles se résu-
maient en quatre termes : sauvegarde de la moralité adminis-
trative, développement économique du pays, bonnes relations
avec les puissances étrangères, harmonie entre les dépenses
militaires et les ressources de la nation *.
La nouvelle Chambre se trouva bientôt en face de délicats
problèmes posés par le Cabinet Katsura.
Le parti Seiyukai apprit, dans les premiers jours d'octobre,
que Tamiral Yamamotoi ministre de la Marine, avait élaboré
un nouveau plan d'accroissement de la flotte, comportant, pen-
dant six années et à partir de 1904, une dépense annuelle de
50 millions de francs. Au même moment, une note officieuse
du gouvernement faisait connaître que la flotte de guerre japo-
naise, défalcation faite des navires démodés et sans valeur, ne
comptait plus qu'un tonnage véritablement efficace de 180.000
i Pour bien saisir l'état d'âme de la nouvelle génération politique, il est indispen-
sable de donner les caractéristiques principales du programme du marquis Ito :
Observer strictement la Constitution de TKmpire, maintenir l'exercice du pouvoir
souverain dans le sens constitutionnel, de façon à sauvegarder les droits et les
libertés de chacun. — Reconnaître au Mikado le droit absolu de choisir ses minis-
tres, soit dans les partis, soit dans les clans, soit en dehors. — Développer la pros-
périté et la civilisation du pays. — Afin d^assurer le travail harmonieiuc de la
machine administrative et d'j maintenir l'équité et la justice, surveiller activement
la conduite des fonctionnaires, éviter les formalités administratives inutiles, définir
clairement les devoirs et les responsabilités de chaque emploi; maintenir une stricte
discipline dans les services; recruter les fonctionnaires parmi les sujets instruits et
expérimentés sans distinction d'opinion. — Ne vouloir en principe que des hommes
inféodés à tel ou tel parti politique conduisant souvent à prendre des gens douteux
et incapables, il faut rompre définitivement avec cette pratique. — S'efforcer d'entre-
tenir de bonnes relations avec les puissances étrangères; veiller au bien*étre des
sujets étrangers résidant dans TEmpire et leur étendre tous les bienfaits accordés ù
la nation. — Compléter la défense nationale conformément à la marche des épé'
nements à intérieur et à l'extérieur; assurer, dans les limites des ressources de
la nation, la protection effective des droits et des intérêts de VEmpire. — Encou-
rager et développer l'instruction ; élever le caractère de la nation de façon que
ses qualités morales soient en rapport avec la grandeur des devoirs qui lui incom-
bent. — Renforcer les bases économiques de la vie nationale en encourageant les
entreprises agricoles et industrielles, le commerce et la navigation ; compléter les
moyens de communication. — Développer l'autonomie de l'administration munici-
pale. — Servir au peuple de guide éclairé et fidèle. Pour cela, former un parti
discipliné, prêt à se consacrer comme un seul homme aux intérêts publics; éviter
le retour des anciens abus. — En un mot : paix honorable à ^extérieur, progrès
bien ordonné et continu à l'intérieur.
LA POLITIQUE IiNTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE DU JAPON 487
ionneaux sur un total de 239.573 et contre les 214.000 des
escadres franco-prusses d'Extrême-Orient; elle ajoutait que les
récents programmes de constructions navales de la Russie et de
la France faisaient prévoir, pour Tannée 1907, un total de
360.000 tonneaux dans les mers de Chine et qu'il était dès lors
indispensable d augmenter la marine japonaise de 120.000 ton-
neaux pour être en mesure de faire face aux éventualités de
l'avenir. On ne devait pas d'ailleurs en rester là ; le baron Soné,
ministre des Finances, déclarait en effet, dans une allocution
privée, qu'il fallait s'attendre à voir surgir un troisième et
ronme un quatrième programme naval, lorsque les finances
nationales seraient en meilleur état ^
Ces nouvelles surprirent profondément le pays. L'élément
modéré et pratique s'était déjà laissé bercer par l'idée que les
armements avaient atteint la limite des ressources nationales et
que l'alliance avec l'Angleterre permettrait enfin de respirer
tranquillement quelques années, de remettre de l'ordre daijs
les finances et de développer le commerce asiatique. On pensait,
avec juste raison, qu'en mettant une excellente armée de
250.000 hommes à la disposition de la nouvelle alliée, celle-ci
compenserait l'insuffisance présente ou future de la flotte japo-
naise em renforçant, ou tout au moins en ne diminuant pas,
l'escadre anglaise d'Extrême-Orient. Amère désillusion ! Au
lendemain même du lancement des deux derniers bateaux pré-
vus par le grand fTogramme post bellum de 1896, le gouver-
nement envisageait déjà l'éventualité d'un abandon et la néces-
sité de ne compter que sur ses propres forces. Alors, pourquoi
une alliance, pourquoi se brouiller presque avec la Russie et la
France, si l'honneur déjà périlleux de donner la main à l'An-
gleterre se traduisait par un surcroît de charges budgétaires?
La désillusion fut encore plus vive quand on apprit par quels
I Rappelons que l'efTectif de la marine japonaise a doublé depuis 1895 et qu'il
«'omprend aujourd'hui 28.308 officiers et marins en service actif et une réserve ûiS
4.00Ô hommes. Le tonnage a presque quintuplé ei s élève à 250.000 tonneaux répartis
en 40 gros navires et 160 petits. La force active à mettre efficacement en ligne corn-
preod : 6 cuirassés d'escadre filant 18 nœuds (dont 4 de 15.000 tonneaux et 2 de
12.600 tonneaux) ; 6 croiseurs cuirassés (9.800 tonneaux) filant 20 à 21 nœuds ; 7 croi-
seurs protégés de l'* classe (4 à 5.000 tonneaux), de 16 à 22 nœuds; 7 croiseurs
protégés de 2« classe (2.500 à 4.000 tonneaux) de 17 à 20 nœuds; 6 avisos de 20 à
iâ nœuds ; 23 torpedo-destroyers, dont 3 à moteurs turbine, de 300 tonneaux en
moyenne et de 30 à 31 nœuds de vitesse ; 60 torpilleurs de 60 à 150 tonneaux et de
20 à S7 nœuds. Pour mémoire : 2 anciens cuirassés et 2 canonnières cuirassées
réservées pour la défense des côtes, 12 petits croiseurs et 13 canonnières non pro-
t^ées. La Compagnie de navigation à vapeur Nippon Yusen Kaisha met aux
ordres du gouvernement, en cas de guerre, 36 vapeurs de 2.500 à 2.600 tonneaux et
de ii à 15 nœuds. 1\ existe 5 arsenaux maritimes. La marine japonaise manque
d'enseignes et d'aspirants ; on parle de créer une autre école navale.
!
488 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
moyens le cabinet Katsura se proposait de faire face aux nou-
velles dépenses.
Les députés crurent tout d'abord qu'elles seraient couvertes
par un nouvel emprunt contracté en Angleterre. Le marché de
Londres venait de souscrire en effet, dans d'assez bonnes con-
ditions, à un emprunt japonais de 125 millions, portant intér»^t
à 5 %, emprunt nécessité par de graves embarras financiers*;
il était permis d'espérer que la haute finance anglaise ne se
bornerait pas à ce faible sacrifice. Il n'en fut rien.
Le gouvernement japonais, après avoir vainement battu le
rappel de fonds à Londres et à New- York, dut annoncer que les
conditions financières des marchés occidentaux étaient peu pro-
pices à un emprunt et que les crédits nécessaires à l'exécution
du futur programme naval seraient obtenus en maintenant la
surtaxe immobilière établie en 1898 par le comte Matsukata
pour cinq ans et donnant un revenu annuel de 20 à 21 millions
de francs*; la différence serait réalisée à l'aide d'économies
administratives, et au besoin, par voie d'emprunt intérieur.
La perspective du maintien de la surtaxe immobilière, ad-
mise par le maréchal Yamagata et la Chambre des pairs,
groupa aussitôt les Seiyukaï et les progressistes de la Chambre
basse dans une protestation commune. Le marquis Ito et les
comtes Okuma et Inouyé, divisés jusque-là par leurs idées po-
litiques, se rapprochèrent momentanément, et tout en admet-
tant à regret, et malgré l'opinion d'une grande partie de leurs
adeptes, la nécessité d'un accroissement de la flotte, firent con-
naître au Cabinet qu'ils s'opposeraient au maintien d'un im-
* Cet emprunt fut couvert deux fois avec une prime de 2 %. H avait pour but
d'achever le programme post hélium de 1896 tel qu'il avait été primitivement arrêté.
IJ était impossible de le placer à l'intérieur : le paj's était saigné à blanc ; la moitié
des émissions de bons du Trésor, bien que remboursables au bout de six mois et
rapportant 7 %, restaient pour compte et devaient être absorbées par la Banque do
Japon. Le gouvernement se trouvait dans l'alternative d'abandonner les grands tra-
vaux ou d'emprunter à l'étranger; il avait dû battre monnaie avec l'indemnité chi-
noise pour les troubles boxeurs et en faire état dans les recettes du budget 1902-1S03.
Le nouvel emprunt devait : 1° couvrir le montant des bons du Trésor non places
dans le public dans la 3i* période fiscale 1900-1901, soit 32 millions de franco: j
2<» recompléter le fonds de réserve naval largement entamé pour faire face aux de- ;
penses du corps expéditionnaire ; S» rembourser un emprunt fait à la banque de 1
Formose; 4° faire face à l'emprunt de Formose en 1902. i
L'affaire fut conclue par le Crédit mobilier du Japon et la banque anglaise de ^
Ilongkong-Changhal. Les conditions d'émission furent vivement criliquées par la
presse japonaise. Celle-ci rappela que le comte Matsukata avait obtenu, en 1897, une
émission de 4 % à. 86; s'il avait placé du 5 %, il aurait obtenu vraisemblablement
le taux de 107 Vs* ^^ Matsukata 1897 donnait du 4,65 «o, le nouveau titre donnera
r»,iO %, Foit une majoration de 0,35 Vo.
*- Cette surtaxe avait été adoptée par la Diète au cours de la session 1898-1899
La taxe sur les propriétés rurales était portée de 2 V2 ^ ^Vs % ; celle sur les pro-
priétés urbaines, à 5 Vo •
LA POLITIQUE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE DU JAPON 489
pôt particulièrement lourd aux contribuables des campagnes.
Le mécontentement fut à son comble à la nouvelle que le
gouvernement, non content de prévoir de nouveaux arme-
ments, élaborait encore un programme de construction de
chemins de fer et de téléphones, échelonné sur une période de
dix ans à partir de 1904, et portant de 75 millions à 325 millions
de francs les crédits à dépenser au titre des voies ferrées, pos-
térieurement au 31 mars 1903. Le marquis Ito déclara nette-
ment que Textension du réseau ferré et téléphonique ne pré-
sentait pas le même caractère d'urgence que l'accroissement
naval et que le nouveau ppgramme pouvait être d'ailleurs
réalisé à l'aide des recettes des chemins de fer de l'Etat éva-
luées annuellement à 22 millions de francs ' ; une partie des I
fonds destinés aux travaux publics devait être reportée à la |
marine de guerre. Le parti progressiste fut moins accommo-
dant que les Seiyukaï et annonça qu'il repousserait ce nou-
veau projet sans même le discuter.
Le Cabinet Katsura, très inquiet, fit appel à la bonne volonté
du marquis Ito, maître de la majorité de la Chambre basse, à
l'effet d'établir un compromis avant l'ouverture de la Diète. A
la suite de négociations entre le chef des Seiyukaï et le maré-
chal Yamagata, l'homme de confiance de la Chambre des pairs
et l'inspirateur, dit-on, du général Katsura, le président du
Conseil consentit à réduire à 170 millions le crédit de 325 mil-
lions primitivement destinés aux chemins de fer, et admit I
l'éventualité d'une faible détaxe immobilière en cas d'excé-
dent budgétaire; mais il demanda en échange l'acceptation
sans restriction du programme naval et la transformation de la
surtaxe temporaire de 1898 en impôt définitif. Le marquis Ito,
partagé entre ses amis du Genro et du Cabinet, d'une part, et
son parti de l'autre, refusa finalement d'entrer dans une voie
que ses partisans, MM. Ozaki Yukio et Suyematsu plus parti-
culièrement, désavouaient d'une façon formelle.
Le discours du Trône, le dépôt du budget, les allocutions
prononcées par le général Katsura, les ministres des Finances et
de la Marine, à l'ouverture de la session parlementaire, fixèrent
alors les idées officiellement : l'imminence d'un grave conflit
entre le Cabinet et la Chambre apparut aussitôt.
Le budget 1903-1904, comparé au précédent, se présentait
ainsi :
^ Le marquis Ito faisait observer que le programme des travaux publics post beî-
lum avait été établi dans l'espoir que les emprunts intérieurs assureraient sa réali-
sation. L'état actuel du marché s'opposait à rémission de tout emprunt intérieur,
il devenait nécessaire de recourir désormais aux ressources ordinaires du budget.
I
L
L
ï
490 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLOMAUES
1003-1004 1002-1008
(en yen = 2 fr. 50)
Recettes ordinaires 2:)2. (66.389 226. 414.613
Hecetteft extraordinaire» 20 .941 .061 56.318.351
Total 25:1.407.456 282.432.964
I>épeDBe& ordinaires 181 . 177.672 177.596.965
Dépendes extraordinaires 70.299.478 104.156.228
ToUl 251 .877.2(0 281 .753.193
Excédent des recettes sur les dé-
penses 1.930.216 679.171
Les budgets supplémentaires (fonderie nationale de Waka-
matsu, 2 millions de yen; achat d'actions de la Banque sîdo-
japonaise 3 millions, etc.) présentaient un total de3.38S.000 yen
aux recettes et de 6.239.000 aux dépenses.
Le projet de budget accusait en somme une réduction globale
de dépenses de 75 millions de francs environ*. Les députés
n^avaient, à cet égard, aucune objection sérieuse à formuler;
mais la satisfaction résultant de cette réduction ne pouvait se
maintenir longtemps devant le dépôt de deux projets de budgets
extraordinaires, l'un de 170 millions de francs pour chemins de
fer et de 35 millions pour téléphones, l'autre de 250 millions
pour Faccroissement de la flotte de guerre*, soit une note totale
de 455 millions représentant une annuité de 45 millions S
pendant dix ans, 7,3 % du budget annuel.
L'amiral Yamamato donnait des renseignements précis sur
les unités à mettre en chantier : 3 cuirassés de 15.000 tonnes,
3 croiseurs de 1" classe de 10.000 tonnes, 2 croiseurs de 2* classe
de 5.000 tonnes, soit 8 gros navires déplaçant au total 85.000
tonnes. Le ministre de la Marine déclarait sans détours que le
Japon ne devait compter que sur ses propres forces, que l'al-
liance anglo-japonaise n'avait pas été conclue pour permettre
aux deux puissances de compléter mutuellement leurs forces
navales et militaires par des appoints d'importance équivalente,
et qu'il était prudent de prévoir l'éventualité d'une guerre
contre une seule nation, éventualité qui n'impliquait pas d'ail-
leurs le concours des deux puissances contractantes.
Le Cabinet confirmait enfin le maintien de la surtaxe immo-
bilière sous prétexte qu'elle constituait uiie charge facilement
supportable : c'était lancer une véritable déclaration de guerre
' La commission du budget de la Chambre opérait de son c6té une nouTeUe ré-
duction de 46.250.000 francs.
^ i36.2o0.000 francs pour constructions neuves, 62.500.000 pour annemeDt<; et
machines. 21.250.000 pour constructions d'arsenaux.
LA POLITIQUE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE DU JAPON 491
à des députés presque tous élus sur un programme de dégrè-
vement d'impôts.
Le général Katsura crut pouvoir triompher de l'intransigeance
de la Chambre en suspendant les séances pendant quelques
jours; il pensait ainsi intimider les députés par la perspective
d'une dissolution et d'une nouvelle campagne électorale oné-
reuse. Après de pressantes démarches faites par le baron Ko-
dama, gouverneur de Formose, naguère ministre de la Guerre,
auprès du marquis Ito, et par le prince Konouyé, président de
la Chambre des pairs, auprès de M. Kataoko, président de la
Chambre basse, le premier ministre proposa, à une délégation
des partis constitutionnels et progressistes, d'abaisser la taxe
mobilière à 3 % : l'entretien des prisons étant transféré du
budget des communes au Trésor, la taxe pesant sur la popula-
tion rurale se trouvait ramenée de ce fait à 2 1/2 %, c'est-à-
dire à l'ancien taux. On comblerait le déficit à l'aide d'écono-
mies réalisées sur les travaux publics et l'administration. Les
deux partis ne voulurent rien entendre et rejetèrent les pro-
positions gouvernementales. Placé dans l'alternative de se dé-
mettre ou de dissoudre la Chambre, le Cabinet Katsura adopta
le deuxième parti et fixa les nouvelles élections au l"mars 1903.
C'était la sixième dissolution en douze années.
Cette mesure de rigueur provoqua une nouvelle scission au
sein du Genro^ce conseil de vieux hommes d'Etat, économistes
et soldats, qui, pendant plus de trente ans, avait été le véritable
maître de la situation politique. Ces vieux amis, sans rompre
leurs relations cordiales, s'étaient déjà séparés une fois en
deux camps lors de la chute du dernier cabinet Ito. Leur récon-
ciliation politique n'aura été qu'éphémère. A l'heure actuelle,
nous trouvons : d'un côté, le marquis Ito, les comtes Inouyé et
Okuma s'appuyant sur la Chambre des représentants libérale et
pacifique; de l'autre, le marquis Yamagataet le comte Matsu-
kata, soutiens du cabinet Katsura, forts de l'appui de la Chambre
des pairs conservatrice et impérialiste*. La prochaine consulta-
tion électorale du mois de mars décidera de la victoire.
La résistance de la Chambre des députés aux tendances impé-
rialistes du général Katsura provenait d'une plus saine appré-
ciation de Talliance anglo-japonaise.
Les maladresses officielles de langage de lord Cranbome au
lendemain même de la conclusion de l'accord, les mesures prises
* Les deux camps comptent à la fois des représentants des clans de Satsouma et
de Chosbou.
L
L
492 QUKSTIONS DIPLOMATIQUES KT COLONLALKS
contre rimmigration japonaise au Canada et en Australie , malgré
les appels à la tolérance lancés par M. Chamberlain aux gouver-
nements de ces deux grandes colonies, avaient extrêmement
mortifié et mécontenté les amis sincères de TAngleterre *. Les
articles de la presse européenne sur les conséquences des conflits
qui pouvaient surgir éventuellement en Extrême-Orient entre
l'alliance anglo-japonaise et Talliance franco-russe n'étaient
pas restés inaperçus et sans commentaires. Enfin les hautes per-
sonnalités qui avaient compté, quoi que Ton dise, sur le con-
cours pécuniaire de la Grande-Bretagne pour remettre à flot les
finances et parer aux dépenses supplémentaires d'armement
imposées par la grande alliée, avaient été amèrement désillu-
sionnées par la réserve de la haute finance anglaise et les longs
pourparlers qu'il avait fallu entamer pour obtenir péniblement
un prêt ridicule de 125 millions de francs.
Les esprits qui consentent à tenir compte des enseignements
de l'histoire et des facteurs économiques pour se faire une opi-
nion rationnelle sur la politique extérieure qu'il convient
d'adopter pour leur pays, ne pouvaient d'ailleurs, le premier
mouvement d'orgueil disparu, méconnaître le danger de se
confier entièrement, de lier le sort de la patrie, à une puissance
qui a toujours abandonné ses alliés au moment critique, et dont
le commerce et la navigation en Extrême-Orient se heurtent à
chaque pas à la concurrence japonaise souvent victorieuse. Ces
esprits, de plus en plus nombreux aujourd'hui, se sont rappelés
que, lors de la guerre sino-japonaise, la diplomatie anglaise a
tout mis en œuvre pour arrêter le Japon dans le cours de ses
triomphes, pour rendre les puissances occidentales garantes de
l'intégrité de l'empire chinois et pour les entraîner dans une
action collective où elle s'abstint hypocritement de figurer au
dernier moment. Ils se sont rappelés aussi que Tescadre chi-
noise, dissimulée dans la rade de Weï-haï-veï, fut préservée
d'une destruction ou d'une capture complète par les saluts
intempestifs des navires de l'amiral anglais Freemantle aux
croiseurs japonais arrivant par surprise, à la faveur du brouil-
lard; que Tescadre anglaise eut encore l'impudence, quelques
jours après, de venir croiser entre la côte de Weï-haï-weï et la
flotte japonaise pour gêner le débarquement des troupes, et que
l'amiral Ito dut l'inviter par deux fois à se retirer ; qu'à la prise
de Port-Arthur, les Japonais trouvèrent une liasse de dépêches
* Lord Cranborne avait déclaré à la Chambre des Communes que l'Angleterre
était assez forte pour ne solliciter aucune alliance et avait simplement consenti à
prendre une main qui s'oiTrait. Le Cabinet anglais avait dû réparer Teffet déplo-
rable produit par cette fanfaronnade.
LA POLITIQUE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE DU JAPON 493
de ramiralFreemantle, informant jour par jour Li-Hong-Tchang
des mouvements de la flotte japonaise ^ ; et enfin, que le 4 avril
1898, le Japon dut évacuer Weï-haï-weï pour le remettre aux
mains des Anglais. Ces mêmes esprits ont dû se rappeler
encore que ce fut grâce à la prudence et à l'habileté de Tamiral
commandant l'escadre française dans les mers de Chine que se
dénoua pacifiquement le conflit, soulevé en mai 189S par la
volte-face de l'Angleterre, entre le Japon, maître de la Mand-
chourie, d'une part, la Russie, l'Allemagne et la France, d'autre
part, conflit dans lequel les escadres alliées pouvaient facile-
ment anéantir la flotte naissante japonaise, et cela pour le plus
grand bien de la Grande-Bretagne, la première intéressée à
Técrasement d'un rival dangereux.
11 est permis de croire que les réminiscences du passé, jointes
aux constatations décevantes du présent, ont produit une
influence salutaire, car les partisans de l'entente avec la Russie
n'ont pas eu de peine à recruter de très nombreux adeptes.
L*évacuation de la Mandchourie, bien qu'eff'ectuée avec une
sage lenteur par les troupes russes, la diminution visible de la
pression russe en Corée, ont très atténué, sinon fait disparaître
les seules causes de conflit et ramené bien des sympathies au
gouvernement de Saint-Pétersbourg. Lors de la signature de
la dernière convention mandchourienne, la Société de l'Amour
[KokurgO'kaï), fondée autrefois dans le but de s'opposer à la
mainmise de la Russie sur la Mandchourie, n'a pas hésité à
exécuter une pirouette complète, et à se transformer en Société
pour le développement de l'amitié russo-japonaise [Nichi-ro-
shinko'kai)y où figurent, à côté du ministre de Russie, à Tokio,
président honoraire, le prince Konouyé, les comtes Matsukata,
Okuma, Inouyé, le baron Kaneko, le vicomte Enomoto,
M. Uchida, ministre du Japon à Pékin, et à laquelle le marquis
Ito vient d'adhérer. Cette société possède actuellement deux
filiales, l'une à Hakodate, l'autre à Wladivostok : elle s'est
donné pour tâche d'amener les deux peuples russe et japonais
à mieux se connaître et s'apprécier réciproquement, de déve-
lopper leurs relations économiques et de favoriser l'étude de
leur langue.
Une deuxième société analogue a été encore fondée à Moscou ;
elle doit chercher au Japon des marchés pour les produits
russes et, en même temps, un débouché en Russie pour les
' Consulter à ce sujet le remarquable livre de MM. René Pinon et Jean de !
Marcillac La Chine qui s'ouvre (Perrin et C^«, 1900), dont les conclusions sont
encore vraies à Theure actuelle, et qu'il est indispensable de lire, à notre avis, pour
bien saisir les dessous politiques de l'Extrême-Orient.
\
494 QUESTIONS DIPIOKATIQIIKS ET COLONIALES
articles japonais ; elle a obtenu réceauaoït rétablissement d^un
consulat japonais à Odessa.
I.e Japon n'aura qu'à se féliciter de ce chai^;ement d*atti-
tude, à condition toutefois que son gouvernement s'abstienne
de tout acte agressif à l'égard de la Russie, et se confonaant à
l'évolution de l'opinion publique éclairée, s'affranchisse com-
plètement de la pression anglaise.
Tout bien considéré, les intérêts respectifs de la Russie et du
Japon ne se contredisent nullement. Dans les premiers jours
d'octobre 1902, le comte Matsukata déclarait à l'Association
économique commerciale et industrielle [Shako Keizaï-kaï)
que la Sibérie constituait un débouché d'une valeur inappré-
ciable pour les articles japonais, poteries, charbon, thé, etc. La
Russie, en effet, n'est pas encore suffisamment outillée, et ne
le sera pas de longtemps, pour subvenir elle-même aux besoins
de ses marchés de Sibérie et à plus forte raison de celui de
Mandchourie, qu'elle considère à juste titre dans sa sphère
d'influence et qu'elle annexera un jour, plus ou moins ouver-
tement, par la force même des choses. Les Japonais n'auront
qu'à gagner au rétablissement de l'ordre dans ces régions; leur
commerce y gênera bien plus celui de l'Angleterre et des Etats-
Unis que celui de la Russie. Ils peuvent d'ailleurs s'en rendre
compte par les rapports des consuls qu'ils ont établis récem-
ment à Kharbin et à Dalny et par l'augmentation de trafic de
la ligne japonaise subventionnée qui fait le service entre
Tsuruga (5ford-Ouest du Japon) et Vladivostok depuis le mois
de janvier 1902. Moins ils se montreront méfiants à l'égard de
leur puissante voisine, plus ils trouveront de facilités et de tolé-
rance de la part des autorités de Sibérie orientale et de Tamiral
Alexieff, gouverneur du Liao-tong, qui, partisan convaincu
d'une entente avec le Japon, a reconnu récemment aux négo-
ciants nippons le droit d'acquérir des terrains à Dalny, droit que
le Japon refuse encore aux étrangers sur son propre territoire.
Le clan des irréductibles de Tokio, encouragé par l'Angle-
terre, essaie naturellement de contrarier le courant renaissant
de l'amitié russo-japonaise en propageant de fausses nouvelles
et en exagérant la portée des intrigues russes en Corée. C'est
ainsi, par exemple, que le professeur Tomizu, de retour d'un
voyage en Mongolie (octobre 1902), a révélé à ses crédules com-
patriotes que la Russie était souveraine maîtresse dans cette
région, que des troupes considérables étaient casernées à Kou-
lon, que le chemin de fer projeté de Kiakta à Pékin par Ourga
et Kalgan était définitivement tracé et les travaux de la section
Koulon-Kiakta commencés. Ces cris d'alarme n'ont pas heureu-
LA POLITIQUE INTËKIEUKE OU BXTÉRlEURIi: DU JAPON 495
sèment trouvé d'échos : la Mongolie n'est pas la Mandchourie !
Et puis la Russie a bien le droit de construire un chemin de fer
sur la Route du thé, route qui n'intéresse qu'elle et la Chine.
Enfin, les nouvelles forgées incessamment sur l'attitude
agressive de la Russie en Corée ne résistent pas à un examen
sur place. Depuis la récente visite à Tokio de M. Pavlow,
ministre de Russie en Corée, après les déclarations franches et
loyales de M. Iwolsky, son collègue au Japon, il y a accord
tacite entre les deux nations jusqu'ici rivales, et cela malgré
toutes les interprétations que Ton peut donner de la présence de
M. Wapber dans la capitale coréenne *. La Russie, on ne saurait
trop le répéter, reconnaît au Japon le droit de déverser en
Corée le trop-plein de sa population et d'exploiter économi-
quement le pays sous la réserve de respecter son indépen-
dance, du moins momentanément; ses agissements, dénaturés
par les agences anglaises, n'ont d'autre but que de maintenir
une influence légitime sur un voisin immédiat, quelquefois
incommode, de faire apprécier au gouvernement mikadonal la
valeur de sa complaisance et d'éviter] la mainmise précipitée
qu'une crise aiguë d'impérialisme japonais pourrait provoquer.
Les renforts envoyés actuellement à l'escadre russe d'Ex-
trême-Orient' ne sauraient effrayer le Japon et détruire ses
bonnes dispositions en faveur d'un rapprochement définitif. La
Russie ne renforce son escadre que dans le but naturel de dé-
fendre efficacement ses domaines extrême-orientaux et d\HTe
prête h toute éventualité tant que subsistera la provocation de
Talliance anglo-japonaise. Elle ne nourrit aucune idée agressive
et se contente de développer ses moyens défensifs. La manifes-
tation de sa force est d'ailleurs la meilleure garantie du main-
tien de la paix et un moyen excellent de favoriser l'éclosion
d'une amitié et d'une entente qui auraient dû se prononcer de-
puis longtemps.
En résumé, le Japon se rend compte que l'amitié anglaise
' M. Wœber était chargé d'affaires à Séoul en iN9.'i lorsque l'empereur de Corée
dut quitter son palais envahi par les soldats japonais et se réfugier à la légation
russe où il séjourna six mois. II est naturellement en excellents termes avec le sou-
verain. Aussi le gouvernement russe l'a-t-il choisi pour représenter le tsar aux fêtes
da iO« anniversaire du couronnement du monarque coréen. Ces fêtes ayant été
ajournées, M. Waeber reste toujours à Séoul ; les Japonais prétendent qu'il n'y est
pas inactif.
' D'après le Dat7^ Telegraph du lu mars 1903, l'escadre russe d'Extrême-Orient
compte 6 cuirassés, 8 croiseurs de U*" classe, i croiseurs de 2*, 4 croiseurs de 3^,
(canonnières, 15 torpilleurs, soit un total de 170.000 tonneaux: l'escadre anglaise
ne compterait que 4 cuirassés, i croiseurs de l""», 4 croiseurs de 2«, 1 croiseur de 3*»
19 canonnières, 6 torpilleurs. L'amirauté anglaise aurait décidé d'expédier trois nou-
veaux croiseurs de !'« classe.
496
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
intéressée n'est et ne peut être éternelle et qu'il est prudent
de préparer Tavenir. Une guerre, m^me heureuse, lui serait
d'ailleurs particulièrement funeste, ainsi que je l'établirai dans
une prochaine lettre.
RisixG Si:n.
Tokio, le 15 mars 1903.
L'appel au corps électoral n'a pas été favorable au Cabinet Katsura : il
Irj ut d ailleurs reconnaître que celui-ci s^est abstenu de toute pression et
h'o.El contenté de faire appel au patriotisme des électeurs. 534 candidats
(248 Seiyukai, 131 progressistes, 108 indépendants, 26 ixnpériali6te.s
2\ Jininkai) se sont présentés pour les 376 sièges de députés. Progres-
sistes et constitutionnels s'étaient solennellement engagés à se soutenir
réciproquement et à ne combattre que les candidats favorables au gouver-
nement. Les Seiyukai ont perdu 9 voix et ne disposent plus par suite de
la majorité absolue; les progressistes ont conservé leurs 92 voix; les
deux partis réunis comptent 275 voix et sont ainsi en mesure de continuer
la résistance contre le Cabinet. Ce dernier semble peu disposé à recoin-
niencer les hostilités et se bornera à convoquer la Diète le 8 mai pour
l'xpédier quelques lois en souffrance; le budget ne serait même pas discuté;
celui de 1902-1903 servirait par suite pour l'exercice 1903-1904. Cette situa-
ticin ne pourra cependant s'éterni«er ainsi: il faudra bien convoquer la
Diète à rautomne 1903 pour la discussion du budget 1904-1905 et il est
probable oue le mécontentement actuellement comprimé se détendra avec
violence. Dans le cas où le général Katsura abandonnerait ses fonctions,
le Mikado appellerait alors au pouvoir le marquis Ito avec un cabinet
SLuyukai-progressiste. La Chambre des Pairs entrerait aussitôt en action ;
le parti Yamagata, hostile au gouvernement de partis, y disposerait de
\ 2^ voix, sur un total de 209, et pourra ainsi faire preuve à l'égard du
niiirquis Ito de la même intransigeance que la Chambre basse est en
irain de manifester au général Katsura. Le calme politique n'est donc pas
prêt de renaître.
R. S.
i
LE CONTESTÉ BOLIVIANO-BRÉSILIEN
LE TERHITOmE DE L ACRE
Le 24 mars dernier parvenait à Paris, venant de Rio-de-
Janeiro, le télégramme suivant qui enlevait provisoirement
au conflit survenu entre le Brésil et la Bolivie, à propos du ter-
ritoire de l'Acre, le caractère extrêmement aigu et inquiétant
qu'il avait pris depuis quelques mois :
Un accord préliminaire a été sigaé à La Paz, le 21 de ce mois, entre le
Brésil et la Bolivie, en vertu duquel le Brésil est chargé de maintenir l'or-
dre dans tout le territoire de l'Acre, au Nord et au Sud du 10« parallèle.
Les troupes boliviennes s'arrêteront à l'Orson, pouvant établir leurs avant-
postes à l'Abunan. Un corps de troupes brésiliennes ira se placer dans
TÂcre méridional, entre les Acréens, en armes, et les Boliviens, dans le
but d'éviter des conflits. Un délai de quatre mois est fixé pour la négocia-
tion d'un accord définitif. Si, ce délai expiré, une entente directe n'est pas
intervenue, les questions seront soumises à un arbitre.
Signé : Rio Buaxco.
Quelle était la nature et l'histoire de ce litige ? C'est ce que
nous allons expliquer brièvement.
Le 27 mars 1867, la Bolivie signa avec le Brésil un traité
désastreux, par lequel elle modifiait les frontières fixées en 1777
par l'Espagne et le Portugal et abandonnait au Brésil un
immense territoire de 20.000 lieues carrées environ dans le
bassin de l'Amazone. Dans ce traité, fidèlement exécuté, la nou-
velle frontière boliviano-brésilienne était déterminée par une
ligne oblique partant à l'Est du Rio Madeira, à la hauteur du
10*20' de latitude, et, à l'Ouest, des sources du Rio Javary.
En 1877, les deux pays éprouvèrent le besoin de procéder à
une délimitation de frontières plus minutieuse et de dresser
(le cette région une carte définitive. Une commission brési-
lienne, divisée en deux sections, établit cette délimitation à
TEst et à l'Ouest, et la Bolivie accepta sans objection ce tracé
conforme au traité de 1867. Dans le rapport présenté à ce sujet
par M. Sinimbu, ministre des Affaires étrangères du Brésil, il
est dit à la page 7 : « Le gouvernement bolivien a approuvé le
ff procès-verbal des travaux de la septième et dernière confé-
« rence de la Commission mixte et aussi la carte générale de
« la frontière. Dans ce procès-verbal il est déclaré que, dans
« ladite carte générale, on trouvera marqué l'azimut véritable,
« et sur toute sa longueur, la ligne qui va directement du Rio
QniST. DiPL. ET Col. — t. xv. 32
^"W»
498
Iqukstions diplomatiques et coloniales
a Béni (affluent du Rio Madeira qui se jette dans celui-ci au 10"
« 20) au Rio Javary. Cette carte fixe donc bien la frontière entre
« les deux pays». De son côté, le gouvernement bolivien en-
voyait le 14 novembre 1878 une note officielle h la légation du
Brésil : « J'ai Thonneur, y était-il dit, de vous informer, de la
« part du Président de la République, que le Gouvernement
u bolivien approuve à son tour le procès-verbal en question,
« dans lequel, comme Votre Excellence remarquera, il est dé-
« claré que la ligne droite, qui va en droite ligne du Rio Béni
« au Rio Javary, a été tracée sur la carte, et qu'ainsi se trouve
« complétée la délimitation des frontières des deux pays ».
Toutes les cartes furent donc dressées en conséquence et nos
lecteurs se rendront compte, en effet, en jetant les yeux sur la
carte ci-jointe, que la frontière Nord-Ouest entre la Bolivie et le
Brésil est marquée par une ligne oblique et non par une ligne
droite *.
Les travaux de la commission de 1877 avaient été purement
scientifiques et abstraits. 11 restait à fixer dans le détail et sur
le terrain la frontière entre les deux pays. Une commission
mixte fut désignée à cet effet par les deux gouvernements dans
un protocole signé, le 49 février 1895, par M. de Carvalho,
ministre des Affaires étrangères du Brésil, et M. Médina,
ministre des Affaires étrangères de Bolivie. Les travaux se
poursuivirent simultanément dans les vallées du Javary, du
* Nous empruntons ces citations à un article écrit par M. de Carvalho, ministre
des Affaires étrangères du Brésil en 1895, pour la Revista de Derecho, Historia y
Letras, et reproduit par la Prensa de Buenos- Ayres, le 4 février 1903. M. de
Carvalho reconnaît à la Bolivie des droits incontestables sur le territoire de l'Acre.
LE CONTESTÉ BOLIVIANO-BRÉSILIEN 499
Yaco et du Purus. Mais, au bout de quelque temps, le Brésil so
refusa à admettre les travaux déjà faits par la commission,
donnant pour raison qu'il existait une erreur dans la délimita-
lion tracée par la précédente commission en 1877 et approuvée
parle protocole de 1893. Quoique n'admettant nullement le
bien fondé de cette réclamation, le gouvernement bolivien
proposa d'adopter comme frontière la ligne fixée par le capi-
taine brésilien Cunha-Gomez, qui avait été spécialement chargi'
par le gouvernement brésilien d'étudier l'affaire et pensait avoir
découvert une erreur de 10' de latitude et de plus de 20' de
longitude dans les travaux jusque-là admis comme exacts.
La chancellerie brésilienne repoussa cette proposition qui
lui eût cependant été favorable et demanda une nouvelle déli-
mitation de la ligne de partage des eaux du Javary, délimita-
tion à laquelle procédèrent les deux commissaires Ballivian et
Cruls. On pouvait donc ensuite délimiter d'une façon précise
toute la frontière du Javary à la Madcira, et le gouvernement
bolivien le demanda avec insisfanoe ; mais le Brésil s'y refusa,
en dépit des protocoles du 19 février 1895, du 30 octobre 1899
et du 1«^ août 1900.
Pendant ce temps il se produisait dans le territoire de TAcre
des événements importants. Ce territoire est très riche, mais
peu peuplé et difficilement accessible à cause de ses nombreuses
forêts. Le seul commerce important est le caoutchouc, ex-
ploité presque uniquement par des Brésiliens et exporté par la
mag-ip tique voie de TAmazone, en traversant TEtat brésilien
des .\mazones qui percevait sur ce produit un droit de
50 % ad valorem. Le gouvernement bolivien se décida à user
de son droit de souveraineté sur ces régions et y envoya des
troupes et des fonctionnaires chargés d'établir un cordon de
douanes. Ceux-ci n'inquiétèrent nullement les propriétaires du
sol et diminuèrent considérablement le droit qu'ils payaient
jusque-là au Brésil, comme s'ils avaient été sujets brésiliens.
Mais l'Etat des Amazones, mécontent de se voir supprimer
ainsi un chapitre de recettes important, fomenta dans le terri-
toire de l'Acre des troubles qui aboutirent à deux reprises à la
proclamation d'une république indépendante de l'Acre, sans
que les représentations de la Bolivie aient pu amener le Brésil
à cesser de prêter son appui aux révolutionnaires.
Ces révoltes décidèrent en 1901 le gouvernement bolivien à
confier la mise en valeur de ce territoire à un syndicat composé
de nationaux des Etats-Unis. Le gouvernement brésilien pro-
testa aussitôt avec énergie, déclara que ce syndicat était sou-
tenu secrètement par le gouvernement de Washington et pré-
Ui'
^»'j^ •*. . ■.•--ri-' —
502 OUKSTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
parait une mainmise des Etals-Unis sur les républiques sud-
américaines. La suite des événements a démenti ces asser-
tions, passablement exagérées à première vue, car le syn-
dicat manquant des fonds nécessaires dut se dissoudre sans
résultat. S'il avait été soutenu par quelque gouvernement
étranger, il en eût sans doute été autrement.
A ce moment le gouvernement brésilien adopta et formula
des revendications, lancées peu h peu depuis quelques années
par divers auteurs et publicisles brésiliens. Il déclara que le
traité de 1867 fixait comme frontière Xord-Ouest entre le
Brésil et la Bolivie une ligne horizontale partant du Rio
Madeira et suivant le i0"20' de latitude jusqu'à son intersection
avec une ligne qui prolongerait le cours supérieur du Rio
Javary. C'était la première fois que le gouvernement brésilien
formulait ouvertement cette prétention, et il le fit à la suite du
fait suivant qui vint aggraver le conflit provoqué par la ques-
tion du syndicat américain. Les troupes boliviennes, peu nom-
breuses, et rencontrant les plus grandes diflicultés pour leur
ravitaillement, furent mises, à la lin de 1902, dans une situa-
tion très critique par les insurgés de TAcre; et le général
Pando, président de la République de Bolivie, prépara en
décembre une expédition de 3.000 hommes, dont il résolut de
prendre le commandement, pour leur porter secours en sui-
vant le Rio Béni. Cette décision provoqua de la part du minis-
tre des Affaires étrangères du Brésil la note suivante, télégra-
phiée en janvier 1903 au représentant du Brésil à La Paz :
Nous avons fait entendre à la Bolivie que le contrat d'affermage (qu'elle
voulait conclure avec le syndicat américain) est monstrueux et constitue
une aliénation de la souveraineté au profit d'une compagnie étrangère
sans personnalité internationale. C^estune concession comme celles qui ont
été données en Afrique, mais qui est indigne de notre continent, car le
gouvernement bolivien a donné à cette Société le pouvoir d'administrer
une région habitée exclusivement par des Brésiliens, d'y entretenir des
forces sur terre et sur les voies fluviales et de disposer souverainement de
la navigation sur l'Acre. Cette concession est, d'autre part, frappée de nul-
lité, car elle constitue un acte de disposition d'un territoire litigieux. Le
Brésil doit défendre la véritable interprétation du traité de 1867. La région
à rOuest de la Madeira est litigieuse entre le Brésil, le Pérou et la Bolivie.
Donc, si le général Pando marche en avant, le gouvernement est décidé à
concentrer des troupes dans les Etats des Amazones et de Matto-Grosso.
Signé : Baron Rio Branco.
Le gouvernement bolivien fut extrêmement surpris de cette
note, car le départ du général Pando venait justement d'être
retardé de quelques jours à la suite d'une précédente déclara-
LE CONTESTÉ BOLIVIANO-BRÉSILIEN 503
tion du baron Rio Branco. Celui-ci s^était exprimé dans les
termes les plus favorables pour la Bolivie, avait déclaré qu'elle
possédait sur ce territoire des droits incontestables et qu'elle
pourrait l'administrer comme il lui plairait. Le gouvernement
bolivien lui demanda alors de désavouer publiquement les
révolutionnaires et le gouverneur du Manaos qui les appuyait.
La réponse fut toute différente de ce qu'on attendait. Le minisire
des AflFaires étrangères de Bolivie répondit ainsi :
La Paz, i»*" février 1903.
Le contrat relatif au territoire de l'Acre n'est nullement un alTerniage.
La Bolivie conserve ses droits de souveraineté et ne confie à la Compagnie
que le recouvrement des impôts. Cette Compagnie a un caractère indus-
îriel et est soumise aux lois de la République bolivienne. Cette concession
Lie ressemble en ri^n à celles qui ont été données en Afrique et qui avaient
pour hut d'organiser des colonies. La Bolivie avait convenu de résilier ou
«U» modifier le contrat en échange de garanties concernant la délimitation
de la frontière et la possession pacifique de ce territoire. Du reste le contrat
n'est pas encore définitivement conclu et il demeurera sans effet. Le terri-
toire d"Acre n'est pas litigieux. Les droits de la Bolivie sont établis par
k» traité de 1867, les protocoles ultérieurement signés et les délimitations
laites par des commissions mixtes. En trente-six ans le Brésil n'a pas fait
une seule démarche tendant à modifier l'interprétation des clauses du
traité. La population brésilienne de l'Acre a vu tous ses droits respectés et
garantis sous l'administration bolivienne. Le voyage du président Pando a
pour but de délivrer la garnison du port d*Acre, de maintenir la souverai-
neté de la Bolivie et de défendre les intérêts de la Bolivie contre les dépré-
dations des insurgés. La Bolivie ne cherche pas de conflit; elle est disposée
à régler tout différend sur des bases équitables, par entente directe ou par
arbitrage, dans l'intérêt des bonnes relations des deux pays.
Signé : Villazon.
On a vu la solution provisoire donnée à cette affaire. Rappe-
hms seulement ce qu'écrivait le 29 mars 1900 M. de
< lavai ho, ancien ministre des Affaires étrangères du Brésil :
« Tant que subsistera la situation actuelle au point de vue
V des frontières terrestres et fluviales du Brésil, tant que n'au-
ii ront pas été réglées les questions internationales qui peu-
« vent surgir au sujet des voies navigables du bassin de l'Ama-
« zone, un gouvernement réfléchi et scrupuleux ne saurait
« s'engager de sang-froid dans une tentative où il n'aurait ni
c< le bon droit ni la force de son côté. »
Louis Jadot.
LE CONGRÈS COLONIAL DE 1903
Le Congrès colonial qui vient de se réunir à Paris, sur l'ini-
tiative et au siège de l'Association syndicale des journalistes
coloniaux, a tenu ses séances du 29 mars au 4 avril. Toutes les i
questions qui intéressent le public colonial avaient été répar-
ties en onze sections, dont les programmes très complets, trop
complets même, formaient une véritable encyclopédie coloniale.
Il en est résulté que, dans presque toutes les sections, on a
simplement effleuré les sujets proposés. A l'heure actuelle, les
questions coloniales sont si nombreuses, si complexes, que,
pour faire une besogne utile dans un congrès, il est nécessaire
de limiter le nombre des sujets traités. Les spécialistes dans
chaque matière peuvent alors concentrer leur attention sur •
quelques points particuliers, et la discussion gagne en profon- i
deur ce qu'elle perd en étendue. Il faut enfin que les membres j
du congrès aient reçu quelque temps à l'avance les rapports [
imprimés, pour pouvoir en discuter utilement les conclusions
Pour tous ces motifs, l'organisation d'un congrès colonial
demande une assez longue période de préparation. Nous ne
mettons certes pas en doute la bonne volonté des promoteurs du
congrès de 1903, nous rendons môme hommage aux efforts
qu'ils ont faits pour réunir à Paris un grand nombre de fonc-
tionnaires coloniaux, de colons, de commerçants, et même
d'hommes politiques; mais nous constatons que l'organisation
était incomplète, et que le but poursuivi, à savoir la solution
des questions pendantes, n'a pas été suffisamment atteint. Ce>
critiques auront pour résultat, nous l'espérons, de pousser les
organisateurs des congrès futurs à présenter un programme por-
tant sur un petit nombre de questions d'actualité, sur lesquelles
pourrait avoir lieu un échange de vues d'un réel intérêt.
Ces observations de détail une fois faites, nous allons passer
en revue les principales questions traitées pendant le congrès.
Deux sections se sont occupées des colonies, au point de vue
de l'organisation générale et de la législation.
M. Marchai, ancien député, président de la Commission
d'organisation, a, dans son discours d'ouverture, puis dans un
rapport ultérieur, appelé l'attention sur les vues de l'Assemblée
Constituante en ce qui concerne les colonies. A rencontre des
LE CONGRÈS COLONIAL DE 1903 505
idées admises en général, M. Marchai prétend que la Consti-
tuante « manifestait un esprit tout à fait paternel vis-à-vis des
« colonies et que nous pourrions encore maintenant nous ins-
« pirer des idées émises à cette époque pour organiser la con-
«( sultation permanente et régulière de toutes les colonies sur
« leurs besoins et leurs ressources ».
Cette consultation, M. de Pouvourville a montré qu'elle était
actuellement insuffisante. Les députés coloniaux et les délé-
jrués au Conseil supérieur des colonies ne sont pas investis
dune autorité suffisante pour imposer leurs vues en matière
coloniale. Aussi, d'accord avec M. Mury et M. de Montpezat
qui ont soutenu la même thèse, M. de Pouvourville a fait
adopter par le Congrès un vœu tendant à la création d'un Par-
lement colonial composé exclusivement de délégués élus, qui
auraient entrée au Parlement français, avec voix consultative
sur toutes les questions coloniales. Cette idée fait des progrès
parmi ceux que n'aveugle pas le principe de la représentation
coloniale au Parlement français ; elle commence à être discutée
sérieusement et mérite d'être étudiée plus profondément.
En ce qui concerne la législation, deux questions ont été
examinées : 1° la situation des magistrats coloniaux — au point
de vue de Tavancement, de la solde en Europe, des déplace-
ments — appelle bien des améliorations, qui devraient au sur-
plus être étendues à d'autres fonctionnaires : un vœu dans ce
sens a été adopté; 2"* le régime de la propriété foncière a fait
d'autre part l'objet d'une étude intéressante de M. Coutard, qui
a examiné l'introduction de TAct Torrens en Tunisie d'abord
1883), puis successivement à Madagascar (1897), au Congo
1899), au Sénégal, en Guinée, à la Côte d'Ivoire (1900 et 1901),
aux îles Marquises (1902), et a finalement réclamé l'extension
de ce régime à toutes les colonies, notamment à l'Indo-Chine
et à la Nouvelle-Calédonie.
La plus grande partie des séances du Congrès a été consa-
crée aux questions économiques : le régime douanier, qui sur
tant de points déjà est attaqué, a fait l'objet d'un exposé très
complet par M. Bouchié de Belle. Visant plus spécialement les
questions discutées à l'heure actuelle — c'est-à-dire la franchise
du commerce intercolonial, que Ton voudrait restreindre à
l'égard des guinées de l'Inde, et le régime du Congo battu en
brèche parles Anglais — le rapporteur a fait adopter un vœu
relatif aux mesures à prendre pour combattre la concurrence
étrangère, tout en maintenant le principe de la liberté du com-
merce entre les colonies françaises.
Mais ce qui préoccupe le plus le monde colonial en ce mo-
32"
LE CONGRÈS COLONIAL W
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^colonies. Les discussions sur ce point,
_j,«rslirtout pour but d'amener un échange Je,
lies ayant habité des colonies difl'érentes.cl'
communiquer ainsi mutuellement leurs ote-
ainsi que, dans la discussion, MM. Granjux,
de Pouvourville, Couput, etc., ont fait part au
du résultat de leur expérience personnelle dans divers
s.
En l'absence d'une main-d'œuvre abondante et habile, les
colons sont obligés souvent de s'adonner à l'élevage; inaisil>
ne peuvent pas augmenter le nombre des têtes de bétail, s*il^
n'ont pas de débouchés suffisants. Les deux faces de la question
ont été envisagées successivement par les rapporteurs. M. Cou-
put a montré qu'en Algérie la race ovine avait tendance à dimi-
nuer, en raison des impôts établis par tète de mouton, de Tin-
suffisance des points d'eau, etc. : or, la colonie aurait tout
intérêt à augmenter sa production en bétail, à cause de sa
proximité de la métropole, qui lui assurerait un débouché
presque illimité. Le Congrès a donc appelé l'attention du g:ou-
vernement sur les mesures à prendre pour encourager par tous
les moyens possibles le développement des troupeaux de mou-
tons, et subsidiairement des chameaux, si utiles dans le Sud
algérien.
En ce qui concerne les autres colonies, l'élevage du bétail ne
^^K CONGRÈS COLONIAL DE 1903 507
'-^^ ^sultats que dans les régions à population
^ '^î> "^hine, où la consommation locale est
'^ *^ >utefois copier ce qui se fait dans les
^ -^ '^ 'rique, où l'exportation des viandes
^ . ^<^^ ^"^^ déterre seulement, un chiflFre de
^^ ^' *^ "^•'^* ^ 1^ thèse soutenue par M. Fau-
, '^' ^^ '^-^^ 'nns ce sens, en demandant
"^-i.- ''->, *^ . dans les colonies sur la
<<^
Sutées : le
\époque
patégic
des questions écono-
le premier a
|ue de lutte
itégiques com-
-^ '"^ o jjrandes lignes de
, il a cité l'exemple de
oi]g, simples places commer-
..nbué à accroître les débouchés
liivière a exposé à son tour les mé-
t appliquer à Tétude des questions écono-
colonies.
.gime monétaire a occupé une séance entière, pen-
^uelle M. Noël Pardon a fait l'historique du système de
.ado-Chine et a réclamé la stabilisation de la piastre, sui-
I yanl ^.''exemple de l'Inde anglaise. M. RuefF, tout en préconi-
1 sanL l'introduction de la pièce de 5 francs dans notre colonie
j^j^\\que, s'est rallié au vœu proposé par M. NoCl Pardon, qui
inwHtait le gouvernement à adopter en Indo-Chine un système
aiBialogue à celui introduit par les Etats-Unis aux Philippines.
îil. Deloncle, député, a ajouté qu'en prévision des transforma-
tions qui se préparent en Extrême-Orient en matière moné-
teire, il serait utile de convoquer : 1" à Hanoï une conférence
intercoloniale à laquelle seraient conviés les gouvernements
locaux de Singapour et de Hong-kong; 2® à Paris, une confé-
rence monétaire internationale comprenant toutes les puis-
sances ayant des intérêts en Extrême-Orient. Deux vœux ont
été adressés dans ce sens aux pouvoirs publics.
La médecine et l'hygiène ont tenu également dans le Congrès
une place importante. Tout ce qui concerne la prophylaxie des
épidémies coloniales, la police sanitaire intercoloniale, les
0iédecins sanitaires maritimes, a été passé en revue par les
docteurs Le Dantec, Mondon, Granjux, et résumé dans plu-
sieurs vœux tendant à diminuer les chances de mortalité si
CTandes encore dans les colonies. La discussion approfondie,
qui a suivi ces rapports, a montré toute l'importance que le
508 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONiALKS
corps médical attache à ces questions d'un intérêt primordial
pour la colonisation future, et tout le soin qu'il apporte à
résoudre la question du paludisme, de la fièvre jaune, etc.
Les œuvres de propagande et d'enseignement colonial ont eu
leur défenseur naturel dans M. Marcel Dubois, qui a fait un exposé
de renseignement colonial actuel. Puis M. Durand, administra-
teur colonial, a montré l'utilité de renseignement des langues
coloniales en France et a fait adopter un vœu tendant à ce que
les fonctionnaires appelés à servir aux colonies reçoivent en
France les premières notions des langues indigènes. \
En résumé, le Congrès a donné lieu à un grand nombre de '
rapports intéressants, à un nombre considérable de vœux, qui |
seront soumis aux pouvoirs publics ; mais il y aurait eu intérêt, i
suivant nous, k faire porter Teffortdes discussions publiques sur
un petit nombre de points importants, ce qui aurait permis
d'épuiser les sujets proposés, au lieu de les effleurer, comme on
Ta fait bien souvent. Dans le résumé que nous venons de faire, !
nous n'avons pu qu'indiquer les rapports devant intéresser j
plus spécialement les lecteurs de la Revue, et les conclusions j
auxquelles le Congrès s'est arrêté, sous forme de vœux. Nous I
reviendrons peut-être un jour sur quelques-unes des questions .;
qui méritent plus particulièrement l'attention.
J. Francome.
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN AL&ERIE
DISCOURS DE M. REVOIL
i
' Avant de partir en vacances, la Chambre a tenu à discuter les
interpellations relatives à TAlf^érie. Ces interpellations étaient
au nombre de deux, celle de M. Albin Rozet, sur la légalité des
décrets des 29 mars et 28 mai 1902, instituant en Algérie les
tribunaux répressifs, et celle de M. Bertbet, sur les mesures
que le gouvernement compte prendre pour mettre les règles
de la juridiction répressive d'Algérie en harmonie avec les prin-
cipes de notre droit public et le respect des droits de la défense.
La discussion a duré trois jours, le 27 mars et les 3 et
[ avril. M. Albin Rozet a ouvert le débat par un très long
discours. 11 a fait, avec une émotion un peu dramatique^ le
procès des tribunaux répressifs et a accumulé, pour les besoins
de sa cause, toute une série de faits dont il avait malheureuse-
ment négligé trop souvent de vérifier Texactitude et le bien-
fondé. Il s'est efforcé d'établir, par son argumentation, que les
tribunaux répressifs n*ont pas donné les résultats qu on en
attendait et a conclu que la meilleure solution était, à son avis,
de remplacer ces tribunaux par un juge unique qui serait le juge
de paix, avec une compétence peu étendue en matières pénales.
M. Berthet et M. Sembat, après M. Albin Hozet, ont égale-
ment protesté contre l'institution des tribunaux répressifs.
M. Colin et M. Begey ont, au contraire, insisté pour le main-
tien d'une organisation qui peut rendre les plus grands services
à r Algérie.
M. Flandin, prenant ensuite la parole, a ainsi résumé son
argumentation :
Je ne suis pas Tennemi des tribunaux répressifs ; il faut, en Algérie, une
juridiction rapide; mais il faut aussi apporter à cette organisation des
amendements et des corrections nécessaires.
J'appelle l'attention de M. le garde des sceaux et de M. le gouverneur
général sur une réforme modeste, mais utile; Tàme des tribunaux répres-
i^ifs» ce doit être le juge de paix. Il n'y a pas de magistrat qui puisse faire
plus de bien ou plus de mal en Algérie que le juge de paix ; il vit en con-
tact permanent avec les indigènes.
Les juges de paix des tribunaux répressifs sont des jeunes gens, licen-
ciés en droit; mais le diplôme est-il une garantie sérieuse pour juger dos
gens dont on ne connaît ni la langue ni les coutumes?
Il faudrait améliorer la situation de ces juges de paix des tribunaux
répressifs et exiger d'eux une préparation spéciale. Je demande qu'on ins-
i
510 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
titue au parquet de la cour d*Âlger huit ou dix postes d'attachés rétribués,
comme il y en a aux colonies; ils suivraient les cours spéciaux qui
existent en Algérie, ils devraient apprendre la langue arabe et kabyle et le
droit musulman. On ne les nommerait aux fonctions de juges suppléants
rétribués que pourvus du diplôme do coutumes indigènes et possédant uae
connaissance au moins élémentaire de la langue arabe; ainsi ils ne seraient
plus à la merci de l'interprète.
Cette réforme coûterait quelques milliers de francs ; aucune dépense ne
serait plus justifiée et plus profitable à Tintérét bien entendu de la justice.
M. Revoil a pris alors la parole, en qualité de commissaire
du gouvernement, et nous croyons devoir reproduire m extenso
son discours qui a produit sur la Chambre une vive et pro-
fonde impression.
DISCOURS DE M. P. REVOIL
M. Paul Revoil, gouverneur général de V Algérie, commissaire du gouver-
nement. — Je sollicite tout d*abord l'indulgence de la Chambre, mes forces
physiques, à peine rétablies, risquant peut-être de trahir ma bonne volonté.
{Très bien! très bien! — Parlez!)
Messieurs, ce n'est pas seulement Tinstitution des tribunaux répressifs
que l'interpellation de l'honorable M. Albin Rozet a mise en cause. On
vous a dénoncé Tesprit qui règne actuellement dans l'administration algé-
rienne; on vous a dit que la politique du gouverneur général était autori-
taire ; on a presque dit qu'elle était inhumaine vis-à-vis des indigènes. On
a ajouté que la condition faite aux indigènes en Algérie était si précaire
que nous risquions de la voir dénoncer quelque jour comme un opprobre
pour notre pays et qu'elle était en tout cas certainement au-dessous de la
condition faite aux autres populations musulmanes placées sous Tauto-
rité d'autres nations européennes.
Il me semble que de telles paroles ne doivent pas rester sans réponse.
{Très bien! très bien!) et qu'elles m'obligent à vous montrer, d'une façon
générale, quelle est en réalité la condition des indigènes en Algérie. Je
m'efforcerai toutefois de ne pas prolonger le débat d'une manière indis-
crète et je vous assure qu'il n'y a, dans l'accomplissement de ce devoir,
la recherche ni d'une digression ni d'une diversion. Je m'expliquerai, sur
les tribunaux répressifs, de la manière la plus franche et la plus complète
et j'espère vous montrer que cette juridiction ne mérite pas l'analhème
que M. Albin Rozet, et après lui M. Berthet, ont porté contre elle ; qu'elle
est utile ; que, reconnue bonne dans son principe, elle peut, avec quelques
retouches et ces perfectionnements dont toutes les institutions humaines
sont susceptibles, rendre encore à l'Algérie de très grands services.
{Applaudissements.)
Comme on vous l'a dit à la tribune, c'est le chef du précédent cabinet
qui a fixé lui-même le programme que devait appliquer le gouverneur de
l'Algérie au moment où il était pourvu au remplacement de mon éminent
prédécesseur M. Jonnart. Il y a mieux, M. le président du Conseil a déve-
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 51 i
loppé les lignes principales de <;e programme devant la Chambre qui Ta
sanctionné de son approbation. Il sera donc facile de vérifier si le gouver-
neur général s'en est écarté ou en a trahi Tesprit.
Je ne veux pas reprendre ici une lecture qui a été faite par M. Begey ;
j'appelle seulement votre attention sur ce fait que le programme de M. Jon-
nart énoncé par M. Waldeck-Housseau à la tribune, renfermait, en ce qui
concerne la répression des délits indigènes, l'indication qu'une justice
rapide et sommaire était nécessaire si on voulait que la répression de ces
délits fût efficace; M. Jonnart se proposait même de demander l'extension
au territoire civil de l'institution des commissions disciplinaires qui fonc-
tionnaient, disait-il, en territoire militaire « à la grande satisfaction des
« administrateurs et des administrés ». Et je n'ai pas à vous apprendre,
messieurs, que l'institution dont il s'agit est autrement sévère que les tri-
bunaux répressifs que nous avons organisés.
La Chambre approuvait ce programme; elle l'approuvait après que
M. Waldeck-Rousseau eût dit à cette tribune que le programme d'hier res-
terait le programme de demain et que le gouverneur général nouvelle-
ment nommé aurait à l'appliquer comme M. Jonnart se proposait de l'appli-
quer lui-même.
Avant le vote, M. Albin Rozet se déclarait « pleinement satisfait du dis-
« cours du président du Conseil en ce qui concerne les indigènes et con-
a vaincu que les indigènes qui nous sont fidèles, ceux qui liraient ce dis-
• cours éprouveraient la même satisfaction » ; aussi se ralliait-il à Tordre
du jour proposé par MM. Bienvenu Martin, Etienne et Thomson que la
Chambre approuvait de son vote et dont je vous demande la permission
de rappeler les termes ;
« La Chambre, réprouvant tous les fanatismes, toutes les querelles d&
< race et de religion, approuve les déclarations du Gouvernement et
« compte sur son action énergique pour assurer à l'Algérie la ^sécurité
9 indispensable au développement de l'œuvre de la colonisation poursuivie
« dans l'intérêt des travailleurs français et indigènes. »
Le programme de M. Jonnart ne comprenait pas seulement ces
réformes ; il en comprenait d'autres que nous n'avons pas pu, jusqu'à ce
jour, réaliser. Je les indiquerai très brièvement.
M. Jonnart se proposait de rendre la compétence civile aux cadis en
matière d'affaires musulmanes; de substituer les administrateurs aux
maires pour la surveillance et l'administration des douars rattachés aux
communes de plein exercice. Il demandait en outre l'attribution d'une part
plus importante des ressources provenant de l'impôt indigène aux besoins
particuliers des douars.
Ces réformes n'étaient pas toutes également faciles à réaliser.
La restitution de la compétence civile aux cadis s'est heurtée à beaucoup
d'objections; elle a rencontré la môme opposition que les tribunaux
répressifs et notamment, ce qui a peut-être été une des causes de son
échec jusqu'à ce jour, l'opposition des hommes d'affaires.
Quant à la restitution de la police des indigènes aux administrateurs
dans les communes de plein exercice et à l'affectation d'une plus grande
part des ressources provenant de l'impôt payé par les indigènes aux tra-
512 QUESTIONS DIPLOMATIOUBS ET COLONIALES
vaux les intéressant plus particulièrement-, ces réformes se sont heurtées à
des difficultés prévues par M. Jonnart lui-même, quand il disait qu ellej^
devaient être réalisées « sans porter atteinte aux francliises dont les colons
« sont ajuste titre jaloux, ni à Téquilibre des budgets communaux ». En
réalité, ces difficultés proviennent de l'application intégrale de la loi
de i884 aux communes algériennes, application qui rend très difficile la
répartition qu'on se proposait de faire.
Ces questions n'en demeurent pas moins à l'étude, et la commission des
réformes administratives que j'ai constituée quelque temps après mon
arrivée à Alger les étudiera avec le désir d'en trouver la solution pratique.
Mais, si nous n'avons pas pu réaliser tout ce programme, nous avou^^
accompli d'autres réformes nombreuses et importantes qui s'inspirent du
même esprit. Jamais peut-être on n'a fait des efforts aussi méthodiques,
aussi soutenus, aussi complets pour améliorer la condition matérielle et
morale des indigènes, pour accroître les garanties auxquelles ils ont droit,
en modifiant notre législation dans ce qu'elle avait d'excès^, de rigoureux
ou d'irrationnel à leur égard.
Le gouvernement général actuel ne s'attribue certes pas le mérit?
exclusif de ces réformes: c'est le Parlement lui-même qui, dans les
savantes enquêtes du Sénat et de la Chambre, lui en avait tracé la voie.
(Très bien! très bien !)
La Chambre me pardonnera une énumération qu^e je ferai aussi rapide
que possible. Je crois, je le répète, qu'il est intéressant qu'elle connais>e
les actes principaux de mon administration en ce qui concerne les indi-
gènes pour se bien rendre compte de la condition qui leur est faite ea
Algérie.
Une des mesures le plus ardemment sollicitées par la commission d'en-
quête parlementaire sénatoriale était la réforme de notre code forestier.
Vous savez, messieurs, — permettez-moi l'expression, — à quelles prome-
nades entre le Sénat et la Chambre cette malheureuse loi forestière algé-
rienne a été condamnée pendant près de dix ans. Nous avons eu la grande
satisfaction de la faire aboutir et, comme je le disais l'autre jour du banc
du gouvernement, jusqu'au dernier moment nous y avons introduit louies
les mesures susceptibles de la rendre plus équitable et mieux adaptée à la
condition et aux besoins des populations indigènes qui habitent dans le
voisinage des forêts.
Nous avons aussi obtenu le vote d'une autre loi à laquelle son promoteur
a donné son nom : la loi Flandin, qui introduit des indigènes dans le jury
criminel, et qui décharge en partie au moins le colon du lourd fardeau de?
fonctions du jury criminel pour les crimes indigènes. Cette loi, qui avait
fait également un long stage devant le Parlement, nous avons eu l'heu-
reuse fortune de la faire enfin adopter. (Très bien! très bien!)
Désormais, les crimes commis par les indigènes ne sont plus jugés seu-
lement par des Français ; ils sont jugés avec l'assistance de jurés indi-
gènes qui apportent à la justice le concours de leur connaissance spéciale
de la mentalité et des mœurs de leurs coreligionnaires.
Il est probable [que si le vote de cette loi était intervenu en temps
utile, TAlgérie n'aurait pas éprouvé la douloureuse impression que lui a
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGERIE 513
causée le dessaisissement de la cour d'Alger, par la cour de cassation,
pour cause de suspicion légitime, lorsqu'il s'est agi de juger TafTaire de
Margueritte. La cour suprême aurait vu sans doute dans Torganisalion du
jury criminel tel que la loi Flandin le prévoyait des garanties suffisantes.
Les tribunaux répressifs constituent eux-mêmes une réforme réalisée
en faveur des indigènes. Tels qu'ils sont organisés, ils complètent,
en matière de répression des délits, Tinstitution du jury criminel spécial.
M. Flandin a bien voulu le reconnaître, et je suis heureux de l'adhésion
qu'il a donnée au principe de l'institution, encore qu'il ait fait une bien
large part aux critiques qu'elle pouvait comporter. Elle procède du même
esprit que la loi dont il avait été le promoteur.
D'autres mesures ont été prises, d'un caractère plus spécial — je
l'indique d'un mot — tels que le décret sur la tutelle en Kabylie. Les cou-
tumes kabyles donnaient aux intérêts des mineurs des garanties beaucoup
moine grandes qu'en pays arabe où les cadis sont leurs tuteurs légaux.
Nous avons donc organisé en Kabylie des conseils de famille sous la sur-
veillance et le contrôle des juges de paix.
Enfin — réforme capitale à coup sûr et la plus importante — les indi-
gènes ont été appelés à participer par leurs représentants élus à la gestion
des finances de la colonie et, par voie de conséquence, au contrôle de son
administration. Ils siègent dans les délégations financières au même titre
et avec les mêmes droits que les représentants de la population française.
Si le gouvernement général actuel n'a pas eu l'initiative de cette
réforme, il a du moins fait tous ses efforts pour qu'elle porte les meilleurs
fruits, et la gestion de cette assemblée spéciale qui a déjà voté deux
budgets en excédent, réalisé avec votre autorisation l'emprunt algérien,
sanctfonné des réformes administratives, est de nature à ne point faire
regretter à la métropole l'acte de confiance aussi hardi que généreux par
lequel elle attribuait une si large part d'autonomie à l'Algérie à une épo-
que où un entraînement passager paraissait la détourner de ses véritables
intérêts. (Applaudissements sur divers bancs,)
Le gouvernement a institué, en outre, par décret, — il a cru pouvoir
le faire, — ces chambres d'agriculture si impatiemment attendues en
France, qui sont encore en instance devant le Parlement. Les indigènes
àODt représentés dans ces assemblées et sont ainsi associés aux colons
pour étudier leurs intérêts communs et s'initier aux améliorations con-
stantes des méthodes culturales. {Très bien! très bien!)
Nous avons constitué, comme suite à des mesures déjà prises par
M. Jonnart, une direction spéciale au gouvernement général pour les
affaires indigènes. Cette direction centralise toutes les questions qui inté-
ressent Ips indigènes et assure un contact direct et permanent entre la
population indigène et le gouvernement général auquel elle permet de
&ervir plus efficacement les intérêts de celte population, de la mieux
surveiller et aussi de mieux la protéger, de défendre ses intérêts en toutes
circonstances.
Messieurs, les trois facteurs les plus puissants du progrès moral et ma-
tériel pour les indigènes sont l'instruction proprement dite, l'enseignement
professionnel et l'assistance. Nous avons fait dans ces trois directions
d'utiles et importantes réformes.
QuBST. DiPL. ET Col. — t. xy. 33
514 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
En ce qui conceroe rinstruction, le gouvernement général a pounu de
son mieux, et autant que les ressources financières de la colonie le lui
permettaient, à la réalisation du programme fixé successivement par
M. Combes, lorsqu'il était ministre de l'Instruction publique, et après lui
par MM. Bourgeois et Poincaré. Le nombre des élèves indigènes dans les
écoles primaires a passé de 4.000 en 1883 à 25.000 dans ces derDÎères
années.
Pour renseignement supérieur arabe, nous verrons tout à l'heure que
le vœu exprimé par le Sénat à la suite d'un rapport de M. Combes va enfin
être réalisé ; que deux medersas vont être construites à Alger et à Tlemcen,
autrefois centre d'études célèbre dans le monde musulman, alors que
jusqu'ici, dans le département de Constantine seul, la medersa avait une
installation convenable et suffisante pour recevoir le nombre des élèvesb
qui s'y présentaient.
Dans le même ordre d'idées, nous avons augmenté le nombre des
bourses pour les indigènes de ces établissements d'enseignement supé-
rieur.
M. Sembat me demandait à cette tribune si nous avions diminué le
nombre des bourses destinées aux indigènes dans les établissements
d'enseij;nement secondaire fran<;ais. Nous ne l'avons pas diminué; mais
j'ai le regret de dire que le crédit affecté à ces bourses n'est jamais
épuisé, parce que nous n'avons jamais le nombre de candidats suffisants
pour attribuer toutes les bourses que nous pourrions donner.
En ce qui concerne l'assistance, dix-neuf bureaux de bienfaisance spé- ,
ciaux aux indigènes ont été créés dans les principales villes d'Algérie; la j
dotation du seul bureau qui existât précédemment à Alger a été augmen-
tée. Une clinique pour les femmes et les enfants indigènes a été* créée *
dans cette même ville. Nous allons organiser par les moyens les plus pra- .
tiques et les mieux appropriés l'assistance médicale apportée sur place aut
populations indigènes. Cette mesure produira certainement les plus heu-
reux résultats; car un des moyens d'action les plus propres à nous attirer
la sympathie, la reconnaissance et l'affection des indigènes est de leur
assurer des soins médicaux pour les maladies dont ils sont affligés et qui
sont mallieureuseraent, dans la plupart des tribus, livrées aux soins empiri-
ques des toubibs.
Nous avons centralisé et accru les crédits épars naguère dans le budget ",
do l'Algérie pour l'assistance musulmane : ils s'élèvent aujourd'hui à la ;
somme importante de 439.000 francs. Les indigènes participent en outre
au crédit consacré aux frais d'hospitalisation dans toute l'Algérie; seize
mille indijiènes en moyenne sont traités dans nos hôpitaux.
Mais la iiriricipale réforme qu'il nous a été donné d'accomplir est celle
qui consacre dans les ressources du budget spécial de l'Algérie une dota- ■
tion importante à des œuvres exclusivement destinées à l'amélioration du '
sort des indigènes. (Très bien! très bien!)
On se rappelle que des lois successives ont tenté de donner à la pro-
priété indigène une assiette qui la rapproche des conditions de certitude
dont jouit la propriété dans la métropole. L'œuvre n'a pas pu élre pleine-
ment réalisée. Sans critiquer l'esprit qui l'a inspirée, il faut bien recon-
•:^
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 515
naître qu'elle a abouti plutôt à un échec et qu'on a dû Tabandonner. Il y %
avait là des ressources importantes acquises par le moyen d'un impôt qui jj
pesait très légèrement sur la masse de la population. Nous avons pensé
qu'il serait sage de les consacrer à des œuvres exclusivement destinées à
ramélioration morale et matérielle de la condition des indigènes.
Les délégations financières consultées et plus spécialement les représen-
tants élus des indigènes siégeant dans ces délégations ont approuvé les
propositions du gouverneur et le gouvernement métropolitain a bien voulu ]
les saDCtionnner. ' '}
Il a été entendu d'autre part que l'inscription de ces crédits nouveaux
ne motiverait non seuletnent aucune diminution des crédits anciens, mais
encore aucun arrêt dans leur accroissement nécessaire.
Ainsi s'est trouvée constituée une importante ressource budgétaire
spécialisée désormais au profit d'œuvres éminemment utiles pour les
indigènes.
Je ne ferai de ces ci»uvres qu'une énumération très rapide. Nous avons
pu donner des subventions pour les constructions et l'entretien de petites
mosquées et zaouîas et pour la rétribution de leur personnel. Jusqu'à ce
jour ces zaouias, abandonnées et peu surveillées, risquaient d'être des
points de ralliement pour certains éléments dangereux. C'est dans une
fête indigène et dans une réunion de quelques khouans que réchaufïburée
de Margueritte s'est préparée. Désormais ces zaouîas, qui d'ailleurs ne
sont pas seulemeet des établissements religieux, mais aussi des maisons
d'assistance et d'enseignement, des lieux de refuge pour les pauvres,
seront dirigées par nous, encouragées quand il y aura lieu, au lieu d'être
imitées avec une méfiance qui les éloigne de nous. (Mouvements divers.)
Nous pourrons, grâce à ces ressources spéciales, ouvrir des cliniques,
des infirmeries et des asiles d'indigènes. Nous créerons de nouveaux postes
de médecins qui parcourront les tribus et apporteront aux malades indi-
gènes les soins médicaux sans qu'ils soient obligés de venir les chercher à
la ville voisine. (Très bien! très bien!)
Des travaux d'utilité publique et d'hygiène intéressant les indigènes vont
être également poursuivis. Nous tâcherons d'aménager chaque jour un
plus grand nombre de puits et de sources et d'exécuter des travaux d'assai-
nissement. {Très bien! très bi^n!)
J'espère que nous persuaderons aux indigènes de respecter ces travaux
et d'avoir pour les sources, pour les r'dirs, pour les puits, pour les réser-
voirs, un peu plus de soin qu'ils n'en ont d'habitude. Ils laissent trop sou- !
vent souiller ces précieuses réserves par leurs animaux, et parfois les
maladies dont ils souffrent n'ont pas d'autre origine.
Je vous disais tout à l'heure que, grâce à ces crédits, nous pourrions
construire des établissements d'enseignement supérieur musulman, des
medersas, que nous encouragerions également l'enseignement industriel
des indigènes dans une plus large mesure.
Cet enseignement est des plus intéressants. Il tend à former des ouvriers
et des ouvrières qui fabriquent les tapis algériens et qui restaurent cet art
de la broderie qui a fait tant d'honneur, à une certaine époque, aux pays
musulmans.
l
516 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS KT COLONIALKS
Des subventions et des encouragements seront également donnés aux
industries agricoles. Il est très important d'amener, par exemple, la
Kabylie à une fabrication plus perfectionnée de l'huile. La production de
rhuile, en Algérie, peut être une ressource très grande pour la prospérité
agricole. A l'heure actuelle, par suite des mauvais procédés de fabrication
en usage, une grande quantité d'huile algérienne subit sur le marché,
quand elle s'y présente, une forte dépréciation ou sert uniquement de
nourriture aux indigènes. Les indigènes pourraient trouver dans une
fabrication plus perfectionnée le moyen de se réserver ce qu'on appelle,
dans la fabrication, les « basses huiles », de vendre à très bon prix et
d'accroitre le renom des huiles algériennes. [Très bien ! très bien!)
Le dernier progrès à la réalisation duquel nous appliquerons les res-
sources que je vous indique sera la création de bibliothèques arabes
ouvertes dans les villes principales qui renferment des agglomérations
d'indigènes, avec des livres convenablement choisis pour la vulgarisation
des connaissances utiles, en vue de rompre avec les méthodes surannée^^
d'enseignement des indigènes. {Très bien! très bien! à gauche.)
Messieurs, je tiens à redire que je ne m'attribue pas le mérite exclusif
de ces réformes. J'ai trouvé la voie tracée par les savants travaux du Par-
lement et par la haute compétence de mon prédécesseur. Je n'ai eu qu'à
m'y engager et à y persévérer. Ce n'a pas été, à coup sûr, la partie de îa
lourde tâche qui m'était confiée qui m'ait le moins séduit ou captivé. {Trèf
bien! très bien!)
Comment, en effet, imaginer que l'homme auquel est confiée la haute
mission de gouverner une colonie comme l'Algérie ne comprenne pas
que, sans se départir un instant de la sollicitude constante qu'il doit avoir
pour cette vaillante phalange des colons, représentation vivante de la
patrie, il doit toujours garder les yeux fixés, je dirai presque le cœur
penché, sur cette masse profonde de la population indigène, difficile à
pénétrer sans doute, et bien souvent réfractaire au progrès, mais que celui
qui lui parle au nom de la France doit travailler sans relâche à amener à
une condition matérielle et morale meilleure. {Vifs applaudissements.)
Comment imaginer que l'homme auquel incombe un si noble devoir ait
l'âme et l'intelligence assez basses pour le méconnaître et le trahir au
point de ne voir dans la mission qui lui est confiée que l'occasion de satis-
faire je ne sais quel goût pervers ou imbécile de domination et d'asser-
vissement? {Très bien! très bien!) Et s'il se rencontrait, par impossible, que
l'administration de l'Algérie ait été confiée à un fonctionnaire de ce niveau
moral et intellectuel, comment supposer que le gouvernement pourrait
un instant lui maintenir sa confiance et laisser à des mains aussi indignes
une aussi haute fonction? (Applaudissements,)
Je crois avoir démontré que mon administration n'a pas trahi le pro-
gramme que le gouvernement et la Chambre lui avaient tracé.
Je vais maintenant m'expliquer sur le point spécial de ce programme
qui a motivé le débat actuel, je veux parler des tribunaux répressifs.
Dès les premiers travaux de la commission sénatoriale de 1891, l'ins-
titution. d'une juridiction spéciale pour le jugement des délits indi-
gènes était réclamée avec la plus vive insistance. Voici en quels termes
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 511
l'éminent président de la commission, Jules Ferry, s'exprimait à cet éganl :
« En important en Algérie tout Tappareil de notre justice, toutes le es
N garanties, toutes les méthodes qui entourent chez nous la recherche ùos
« délits, nous nous flattions d'assurer par des moyens perfectionnés ht
« sécurité des personnes et des biens. Et voici que de tous les coins du Tel!
X algérien, des rives de la mer aux confins des Hauts-Plateaux s'élèvr
« une clameur universelle contre le fléau grandissant de Tinsécurité, Li
« bétail et les récoltes sont chaque nuit mis au pillage; la piraterie agn-
« cole s*exerce avec impunité, perçant les murs des fermes, vidant les
« écuries et les engrangéments, également redoutée des cultivateurs indi-
• gènes et des colons, audacieuse et toujours échappant à cette poIiLt*
« judiciaire à la française, qui n'a ni les moyens d'information rapides,
«t ni les procédés sommaires, ni les habitudes du commandement, pur
« lesquels on pénètre et l'on domine le monde arabe. Nous reviendrons sur
« cette plaie sociale dont les Algériens n'exagèrent pas la gravité, et qui
« témoigne d'une façon quelque peu humiliante, pour le conquérant, iW
* l'impuissance de notre code. » (Très bien! très bien!)
L'Algérie devait attendre près de dix ans encore cette réforme. Aussi nr^
s etonne-t-on pas de la trouver inscrite au premier rang dans le programma
de rhonorable M. Jonnart.
J'ai rappelé dans quelles conditions la Chambre approuva ce programma,
et on peut dire que c'est elle qui a posé le principe de l'institution des tri-
bunaux répressifs en déclarant, dans l'ordre du jour adopté après cetii^
discussion, « qu'elle comptait sur l'action énergique du gouvernement pour
a assurer en Algérie la sécurité indispensable au développement de hi
« colonisation ».
Sous quelle forme l'institution était-elle prévue au programme di'
M. Jonnart? Il s'agissait d'étendre aux territoires civils l'institution de^
commissions disciplinaires qui fonctionnent en territoire militaire, — i^c
je n'ai pas besoin de rappeler le caractère de cette institution.
Nous ne sommes pas allés si loin. Les décrets des 29 mars et 29 mai l'JUi
ont institué une véritable juridiction et non un instrument administratif ih-
discipline, un vrai tribunal et non pas une commission disciplinaire.
On a dit de ces décrets qu'ils étaient l'œuvre personnelle du gouverneur
général. Je ne décline pas l'initiative que j'ai prise de proposer une réform»
dont le Parlement lui-même avait indiqué l'urgence; mais ce qui est vrai,
c'est que ces décrets ont été Tœuvre réfléchie et étudiée du ministre de la
justice du cabinet précédent, qui s'est inspiré des avis du gouverneur gén^*-
rai et des chefs de la cour d'Alger, ainsi que de l'opinion de jurisconsu!u*7i
éminents qui ont fait leurs preuves non seulement dans la connaissance du
droit, mais dans le culte de la justice.
On a dit que cette œuvre personnelle, je m'efforçais aujourd'hui de l,i
faire soutenir par un mouvement factice de presse et d'opinion. Je n'^t
qu'un mot à répondre. A l'heure actuelle, presque tous les conseils muni-
cipaux d'Algérie, la plupart des sociétés d'agriculture, des syndicats tn
des comices agricoles, les chambres d'agriculture des trois départements,
enfin les délégations financières, par une manifestation spontanée ôv
chacun de leurs membres, toutes assemblées où figurent les représen-
IMS QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
tants des indigènes, demandent énergiquement le maintien de Tinstitution.
L-honorable M. Rozet a versé au débat des pétitions en sens contraire.
J'ai le regret de ne pouvoir y attacher une importance égale à celle des
manifestations que je viens de rappeler. Je ne mets pas en doute la bonne
foi de l'honorable M. Rozet, mais j'ai sous la main des rapports de tous les
préfets de l'Algérie qui indiquent les conditions dans lesquelles les corres-
pondantB de M. Rozet, moins recommandables parfois qu'il ne se l'ima-
gine, ont sollicité et obtenu des signatures.
M. Albin Rozet. — Vous oubliez, monsieur le gouverneur général, les
menaces qu*on leur a faites quand ils eurent signé.
H. le commissaire du gouvernement. — J'ai des déclarations émanant
d'indigènes dont les noms figurent au bas de ces pétitions et qui protestent
eux-mêmes contre l'abus fait d'une signature qui leur aurait été sur-
prise.
H. Albin Rozet. — Si les choses se sont passées comme à Blidah,
dans Taffaire Belgrade, je n'en fais pas compliment à vos agents!
M. le commissaire du gouvernement. — Cette institution des tribu-
naux répressifs a rencontré devant elle deux catégories principales
d'adversaires :
Ce sont d'abord les théoriciens du droit auxquels je me permettrai
d'opposer en réponse l'éloquente affirmation de M. Jules Ferry que je
rappelais tout à l'heure. J'y ajouterai cette appréciation de mon prédéces-
seur, M. Jonnart, rappelée à la tribupe par M. Waldeck-Rousseau :
« En voulant appliquer sans ménagement, sans transition, la plupart de
« nos lois, nos règlements, notre procédure aux populations indigènes,
« nous avons commis une faute dont les conséquences pèsent lourdemeot
« sur la situation actuelle et que nous devons nous appliquer à réparer. »
{Très bien! très bien I à gaiiche.)
La seconde catégorie d'adversaires que rencontre l'institution des tri-
bunaux répressifs, ce sont les hommes de loi, les hommes d'aCTaires,
atteints dans leurs intérêts professionnels, intérêts assurément respectables,
mais qui sont loin d'être solidaires avec les véritables intérêts des indi-
gènes.
Je ne veux pas reprendre dans le détail la défense de ces tribunaux après
les discours si précis et si convaincants que vous avez entendus; cependant
je tiens à relever brièvement quelques-unes des accusations portées contre
eux par M. Albin Rozet et par M. Berthet.
Il serait difficile d'accuser M. Albin Rozet de négligence après la
démonstration qu'il a faite, à cette tribune, des procédés méthodiques,
patients et minutieux d'investigation et de critique qu'il a employés contre
les tribunaux répressifs. Nous sommes donc fondés à croire qu'il nous a
dit des tribunaux répressifs à peu près tout le mal qu'on peut en dire...
(Mouvements divers,)
M. Albin Rozet. — Il y a bien des choses que je n'ai pas dites.
H. le commissaire du gouvernement. — Et je suis amené à opposer
d'abord à son réquisitoire un argument peut-être un peu primaire, un arri-
ment de statistique qui a cependant bien son éloquence.
105 tribunaux répressifs ont rendu, depuis le !•' juin dernier jusqu'au
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 519
31 décembre, plus de 1.000 jugements par mois, soit environ 1.200 déci-
sions ; et M. Albin Hozet a relevé contre ces décisions de justice une ving-
taine de griefs. Et il a poursuivi pendant quarante -cinq jours, dans les
principales localités de l'Algérie, une enquête au cours de laquelle tous les
cartons des parquets et de l'administration lui ont été ouverts; et il reste
en relation avec des correspondants nombreux et vigilants, qui poursuivent
après lui et pour son compte une enquête qui, de ce fait, M. Rozet Ta dit
lui-même à la tribune, dure depuis près de neuf mois.
J'ai tenu à vérifier les griefs relevés par M. Rozet et j'ai constaté que,
sur dix-neuf faits, douze sont inexacts ou incomplètement rapportés, quatre
ont trait à des jugements infirmés en appel — ce qui arrive à toutes les
juridictions — deux sont exacts et, pour le dernier, il s'agit d'une irrégula-
rité de procédure.
En vérité, messieurs, y a-t-il là matière à faire le procès d'une juridiction
et à prononcer contre elle la condamnation impitoyable que M. Albin
Rozet vous demande de sanctionner ?
M. Etienne. — Très bien !
M. le commissatre du gouTemement. — On s'est également indigné
de la composition de ces tribunaux ; d'un mot pittoresque et sévère,
M. Albin Rozet les a traités de camelote de tribunaux. Cette critique me
paraît tout à fait injuste.
M. Bontard. — Il y a la bonne et la mauvaise camelote. (On nt.)
M. Albin Rozet. — La camelote ne dure jamais.
M. le oommissalre dn gouvernement. — Cette critique me paraît, je
le répète, tout à fait injuste. Est-ce donc un tribunal si mal composé qu'un
tribunal présidé par un magistrat de carrière assisté de deux notables, l'un
Français et l'autre indigène, ayant du milieu et des justiciables une con-
naissance approfondie ; l'un d'eux, l'assesseur indigène, pouvant éclairer
le tribunal sur la mentalité spéciale de ses coreligionnaires, et apporter
une garantie de plus — ce qui a bien sa valeur — à l'interprétation des
(lires et de la défense du prévenu; l'action publique mise aux mains d'un
fonctionnaire comme l'administrateur, très au courant de tous les faits qui
!>e passent dans le ressort du tribunal et connaissant bien la population
indigène qu'il administre?
On a proposé à cette tribune de remplacer les administrateurs par des
suppléants de juges de paix. On a proposé de créer pour ces suppléants un
stage auprès du parquet de la cour, stage qui leur donnera, des coutumes
et des lois spéciales aux indigènes, une connaissance approfondie.
Messieurs, j'attendrai que ces écoliers aient fait leurs preuves pour les
préférer aux administrateurs, et je vous demande la permission de rendre
en passant hommage à cette vaillante phalange d'administrateurs de
l'Algérie, dont le mandat est souvent si diiUcile à remplir, qui doivent
avoir des qualités exceptionnelles d'endurance, de tact, de probité scrupu-
leuse pour vivre au milieu des indigènes, pour exercer sur eux l'autorité
qui leur convient, satisfaire en même temps aux besoins de la population
européenne et assurer l'accord permanent entre l'indigène et le colon.
^Applaudissements à gauche.)
h crois que vous vous associerez à moi pour envoyer de cette tribune à
r
520 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLOPHAIES
I ces modestes et précieux collaborateurs du gouvernement de la colonie,
i rhommage et les remerciements qui leur sont dus. {Applaudissements.)
l Quant au choix des juges, auquel on n*a pas davantage épargné la cri-
tique, je me bornerai à invoquer le témoignage rendu en leur faveur par
M. le procureur général près la cour d'appel d'Alger :
« La composition des tribunaux répressifs, écrit ce haut magistrat, est
t tt Tobjet de très vives critiques... »
K M. Albin Rozet. — Je demande la parole. (Exclamations sur divers
■^ bancs.)
i M. le oomxoissaire du grouvèrnement. — M. Albin Rozet a cité, je
y crois, à cette tribune des passages d'un rapport de M. le procureur général.
^' Je lui demande de ne pas garder le monopole de ces citations et de per-
J mettre au gouverneur général de TAlgérie d'invoquer le témoignage au
i, chef du parquet qui échappe complètement à son autorité et qui jouit de la
plus complète indépendance.
! « Voici en réalité, dit le procureur général, comment se font les nomi-
[' a nations des assesseurs par le gouverneur général :
y « Le préfet propose les candidats, choisis parmi les fonctionnaires ou
i '< notables. L'honorabilité, les aptitudes, l'indépendance de ces candidats
« sont appréciées d'abord par le juge de paix du canton, puis par le pro-
^ « cureur de la République, et enfin par moi-môme. Et ce n'est qu'au vu de
« ces diverses appréciations, et je peux ajouter en tenant compte des obser-
« vations faites par ces magistrats, que le gouverneur général rend son
« arrêté nommant le titulaire et les deux suppléants français ou indigènes.
( « J'ai dit dans mes précédents rapports que les choix ainsi faits par
«( l'administration me paraissaient présenter toutes les garanties dési-
« râbles. »
Et le procureur général en donne le meilleur témoignage quaad û
ajoute :
« Presque partout les juges de paix et mes substituts ont demandé que
« les assesseurs de 1902 fussent maintenus en fonctions pour 1903. » {Très
« bien! très bien! sur divers bancs.)
On a également critiqué le procédé de citation adopté à l'égard des indi-
gènes. Je crains qu'il ne se soit produit une confusion — je ne voudrais
pas dire dans l'esprit de M. Flandin, qui a des choses de la justice une
expérience de beaucoup supérieure à la connaissance que je puis en
avoir, — je crains qu'on ne se soit mépris sur la véritable portée et sur le
sens de ces mots : « citation verbale. »
Voici à cet égard ce que dit encore le procureur général dans un rap-
port :
« L'article 7 généralise ce qui se pratique au petit parquet en matière de
« flagrant délit. Le prévenu peut être cité verbalement par l'officier du
« ministère public qui vient de l'interroger. J'entends que cette citation
« doit se trouver mentionnée au bas de l'interrogatoire avec la signature du
« prévenu et de l'oflBcier du ministère public.
l « Dans ces conditions, je ne m'explique pas les critiques dont ce mode
fa^ « de citation verbale a été l'objet. L'intervention et la déclaration de
Kfe- « Toflicier du ministère public en présence du prévenu... »
I
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 521
M. Albin Rozet. — Il n'y a aucun rapport !
M. le commissaire du gouvernement. — «... en présence du prévenu
ff lui-même, sont de nature à inspirer au moins autant de confiance que la
« mention souvent erronée inscrite par Thuissier dans son exploit de cita-
< tioo.
« Mais il importe de ne pas confondre la citation verbale autorisée par
A l'article 7 avec l'avertissement écrit qu'un agent intermédiaire se charge
< plus ou moins fidèlement de remettre à la personne ou au domicile du
n prévenu.
« Devant le tribunal répressif, comme devant le tribunal correctionnel,
0 ce n'est là qu'une tentative pour prévenir les frais d'une citation. Mais
a sur ce simple avertissement, le prévenu qui ne comparait pas ne saurait
<i être condamné par défaut et le ministère public ne peut que demander
* le renvoi pour faire citer régulièrement. »
H. Albin Rozet. — Ce n'est pas dans le texte.
H. le commissaire du gouTernement. — M. Flandin a invoqué à
rencontre des tribunaux répressifs l'opinion de M. Laferrière et j'avoue
que j'ai éprouvé une vive émotion à la pensée qu'un homme, qui s'était
acquis un si juste renom en matière de droit, avait condamné une insti-
tution que j'étais appelé à défendre devant vous.
Je me suis reporté aux déclarations de M. Laferrière devant les délé-
gations financières, et je vous demande la permission de les rappeler; elles
renferment son opinion motivée sur la juridiction répressive nécessaire
pour les délits indigènes. Voici ce que je relève dans les procès- verbaux
«les délégations financières, réunion plénière du vendredi 30 décembre 1898 :
« M. le gouverneur général déclare qu'il a tenu à entendre toutes les
« discussions qui viennent de se produire; c'était pour lui un moyen de
« s'instruire, de s'éclairer et de rendre aussi plus profitables les obser-
« valions qu'il voulait soumettre à l'assemblée.
« La principale difficulté que présente la solution de la question de la
« sécurité provient de ce fait qu'il importe de concilier deux idées diffici-
« lement conciliables : il faut ménager d'une part les principes de notre
1 droit national relatifs aux lois d'instruction criminelle et, d'autre part,
1 les besoins spéciaux de l'Algérie tenant à la nature particulière des
« délinquants à atteindre et au milieu où ils commettent leurs exploits...
« En ce qui touche la question des pénalités, M. le gouverneur général
« constate qu'il y a accord pour reconnaître que le sentiment qui fait con-
« s«idérer en France l'emprisonnement comme une peine n'existe pas chez
a Vindigène. Ce qui est pour nous une pénalité constitue pour eux un
• repos, une douce oisiveté.. » (Mouvements divers.)
M. Etienne. — C'est l'exacte vérité.
K. le commissaire du gouvernement — Je place ces paroles sous la
protection de la haute autorité de celui qui les a prononcées et je prie la
Chambre d'observer que c'est une citation que je poursuis :
■ Ce qui est pour nous une pénalité constitue pour eux une douce oisi-
« veté. Il convient donc de demander à la métropole de substituer à
■ l'emprisonnement oisif l'obligation d'un travail fécond pour le pays et
< qui fera de Tindigène coupable le collaborateur forcé. du colon qu'il aura
« voulu dépouiller.
i
522 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLOMIALES
m Telle est la première revendication sur laquelle il e&t possible d'obtenir
9 satisfaction.
« Sur la question de juridiction, M. le gouverneur général fait ressortir
« qu'il y a également accord pour dire que la justice répressive doit être
« prompte et expéditive, deux conditions qui ne peuvent être réalisées
« qu'avec une nouvelle procédure pénale. Cette procédure devra supprimer
« le droit d'appel afin d'éviter que le condamné, au lieu de subir immé-
< diatement sa peine, use de moyens dilatoires, et se trouve pendant de
« longs jours ou même des mois, transporté de geôle en geôle aux frais de
w. rÉtat.
« Le droit d'appel n'existe pas devant le jury. >*
M. Albin Rozet. — Ce n'est pas le jury.
M. le oommiasaire du gronvernement. — Je vous prie, messieurs, de
croire que je n'apporte pas de citations tronquées pour les besoins de ma
cause. Je prends dans les déclarations de M. le gouverneur général L.afer-
rière tout le développement de sa pensée.
Je demande à la Chambre de faire aux paroles de M. Laferrîère le même
crédit d'attention qu'elle veut bien faire aux miennes qui en sont certai-
nement beaucoup moins dignes.
« Le droit d'appel n'existe pas devant le jury, et c'est en s'inspirant de
« ce fait que M. le gouverneur général avait pensé à l'institution d'un jury
a cantonad. 11 reconnaît que des objections graves ont été formulées contre
« cette institution. Mais il croit qu'en amendant les propositions pré-
0 sentées on pourrait obtenir des pouvoirs publics une juridiction en der-
« nier ressort. Il suffirait en effet de transformer le tribunal correctionnel
» en tribunal criminel spécial, et d'accompagner ce cliangement de nom
« d'une légère modification à la composition de ce nouveau tribunal. »
Nous sommes loin, vous le voyez, du jury qui parait à certains légistes
la seule juridiction qui ne comporte pas d'appel.
« M. le gouverneur général estime que, dans une préoccupation de corn-
« pétence et de haute justice, ce tribunal gagnerait à l'adjonction de deux
« éléments visant précisément le justiciable indigène, et comprenant l'un
M l'administrateur... » — M. Laferrière n'écartait pas, vous le voyez, le
concours de ce fonctionnaire — «...qui vit en contact journalier avecl'indi-
(c gène et connaît bien ses mœurs et ses habitudes, et l'autre un assesseur
« musulman, qui serait un cadi, un adjoint indigène ou notable, représen-
« tant la race à laquelle appartient le justiciable. Celte collaboration ne
tt doit pas être repoussée, car si tout le monde a trouvé juste en France
« l'institution de la délégation indigène, on ne s'étonnerait nullement de
a voir introduire un indigène dans la composition du nouveau tribunal. »
Il ne s'agit donc plus ici ni du jury, ni d'une juridiction semblable au
jury. Cela est tellement vrai qu'après avoir entendu M. le gouverneur
général Laferrière, les délégations financières émirent le vœu de voir orga-
niser une juridiction spéciale de canton, connaissant, en dernier ressort,
de tous les délits autres que les délits contraventionnels. L'instruction et
la poursuite devant la juridiction de canton se feraient comme en matière
de flagrant délit. Elles seraient confiées, sous la surveillance du sous-préfet
de l'arrondissement, aux administrateurs adjoints désignés à cet effet
chaque année par l'autorité compétente.
Les tribunaux répressifs en ALGÉRIE 5Ï3
Je puis donc dire que le premier promoteur, le premier inspirateur de^
tribunaux répressifs est M. le gouverneur général Laforrière. {Applaudis-
Admettrait-on même comme fondées les critiques dont je viens de réfuter
une large part, ce que personne ne peut nier et ne conteste, ce sont leô
avantages que les tribunaux répressifs ont procurés, dans les termes
mêmes où la Chambre le demandait, en assurant une prompte et utile
répression des délits commis par les indigènes, en rapprochant le juge
correctionnel du justiciable et en permettant de rendre la peine effective
eî efficace par ^obligation du travail.
M. Edouard Vaillant. — Le travail à bon marché pour le colon !
M. le commissaire du gronvernement. — Il se peut que l'institution
«oit susceptible de certains perfectionnements; mais elle doit être main*
tenue dans son principe et, en général, dans son organisation si Ton ne
veut pas décourager les travailleurs indigènes honnêtes et les colons dont
l'etfort prodigieux, suivant la belle expression de M. Jonnart, a contribue,
à l'égal du sang de nos soldats, à nous assurer des droits imprescriptibles
sur la terre algérienne.
On a encore reproché à mon administration deux actes que je vous
demande la permission de défendre et de justifier devant vous.
Le premier de ces actes, c'est la circulaire que j*ai adressée le 21 août
(l»'mier aux préfets des trois départements algériens au sujet de la bêcha ra.
J'emprunte la définition de la béchara à un rapport de M. Isaac au
S*'aat.
- Des voleurs dévalisent une ferme, dit M. Isaac, s'emparent des ani-
• maux ou du matériel, les transportent au loin et les mettent en lieu sûr.
. • Les investigations de la police locale demeurent vaines : personne ne
' connaît, personne n*a vu les voleurs. Puis l'un d'eux ou un intermé-
« diaire, le béchir, va trouver le propriétaire dépouillé et lui propose de le
• faire rentrer en possession de ce qu'il a perdu, à la condition qu'il ver*
« sera une somme d'argent, la béchara; ToUre acceptée, le propriétaire ^&
' rend avec la somme promise dans un endroit écarté qui lui est indiqué»
• il paye la rançon et on lui remet les objets et les animaux qui lui appar-
« tiennent. »
Je compléterai cette définition de la béchara par l'appréciation de l'inter-
pellaieur M. Albin Rozet qui la qualifie « d'industrie de coquins ».
H parait que la loi est impuissante à punir cette industrie; les arrêts de
la cour d'Alger le proclament^ non sans en exprimer le regret. Il m'a
semblé que c'était là un des cas où l'administration pouvait faire Tusage le
plus légitime de ses pouvoirs disciplinaires, et j'estime que j'aurai rendu
UQ grand service au bon ordre et à la sécurité parmi les populations rurales
<ie l'Algérie en sévissant contre le béchir qui ne peut être, en fait, que le
complice du voleur, si ce n'est le voleur lui-même. {Très bien! très bieti!)
Le second des actes du gouverneur général qu'on a critiqué, c'est la cir-
culaire que j'ai adressée le 31 octobre dernier aux préfets des trois dépar*
tements algériens au sujet des litiges qui s^élèvent entre les indigènes. On
y 1 vu une tentative d'empiétement sur la justice et de substitution de
l'autorité administrative au pouvoir judiciaire. L'accusation me parait si
i
524 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
injuste, elle me semble témoigner de telles préventions que je ne veux,
pour défendre le document incriminé, que vous en lire le texte :
« Le gouverneur de V Algérie aiuc préfets S Alger, cTOran
et de Cotistantine,
a Un grand nombre d'indigènes s'adressent à Tadministration pour lui
« demander de trancher des litiges dont la solution ressortit normalemenr
» aux tribunaux : c'est ainsi que les différents services administratifs sont
« journellement saisis de réclamations relatives à des successions, à des
u contrats entre propriétaires et khammès, à des locations, des ventes ou
« des antichrèses concernant des terrains melk ou soumis à laloî^^ançai:^e,
« etc. Jusqu^à ce jour, les autorités locales ont, en règle générale, refusa
« leur intervention et renvoyé les parties devant la juridiction civile.
« Une telle abstention, bien que rigoureusement conforme aux prio-
« cipes de notre organisation administrative, me paraît offrir de graves
« inconvénients. Elle ne peut, à mon avis, que développer chez nos sujet?
«• musulmans des tendances fâcheuses. Il a été constaté que les indigènes
(t ont maintes fois été victimes de leur esprit processif et de leur inexpé-
« rience,et parfois ruinés par des instances imprudemment engagées ou
« occasionnant des frais disproportionnés avec la valeur de l'objet liti-
w gieux.
« L'administration ne saurait se désintéresser de cet état de choses qui,
« dans certaines régions, a eu une répercussion sur l'état économique de
« la population indigène et sur la sécurité générale; j'estime qu'elle puise
« dans le devoir de protection qui lui incombe le droit d'intervenir ai
« moins par ses conseils.
« Puisque, avant de se résoudre à plaider devant les tribunaux, les indi-
« gènes s'adressent souvent soit à l'autorité locale, soit à la préfecture, soii
« au gouverneinent général, j'estime qu'il y a lieu de toujours écouter et
« d'examiner leurs plaintes, et de s'attacher à donner une solution à leurs
K différends, sans trop s'arrêter à des spécialisations de pouvoirs qui ne
« leur sont pas familières.
<( Il n'est pas douteux que les administrateurs et les maires arriveraient
« très fréquemment, par leur influence, à les concilier et à leur éviter de?
t frais inutiles ; à la rigueur, du reste, ils peuvent trouver dans l'arbitrage.
« tel qu'il est organisé par les articles 1003 et suivants du Code de procé-
« dure civile, un moyen légal et peu onéreux pour les plaideurs de donner
a une sanction juridique à leur sentence.
« Je serais très heureux de voir les représentants de l'administration
« exercer ce rôle de conseils et de conciliateurs lorsqu'il leur sera de-
« mandé. »
J'en appelle, messieurs, à votre esprit de justice; y a-t-il là autre chos?
que le témoignage d'une sollicitude éclairée et vigilante à Tégard des indi-
gènes? {Applaudissements.)
Messieurs, je vous ai exposé, avec une entière sincérité et le plus de
clarté possible, les actes de mon administration pour répondre aux accu-
sations dont elle avait été l'objet. Permettez-moi, avant de terminer ces
explications^ et pour mieux rassurer vos consciences, d'envisager devant
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 535
vous à un point de vue plus général et plus élevé la question qui vous
préoccupe si légitimement, c'est-à-dire la condition des indigènes en
Algérie.
x\vous-nous manqué à nos devoirs vis-à-vis des indigènes algériens ?
X. ikloaard Taillant. — Oui.
M. le oommissalre du groavernement. — Qu'est-ce que la République
a fait deux depuis qu'elle en a la charge?
A Vextréme gauche. — Elle les a opprimés,
K.le commissaire du gouvernement. — Les chiffres, messieurs, vont
faire justice de ce reproche.
£d 1872, ils étaient, d'après les statistiques officielles, 2 millions; ils
ioni 4 millions aujourd'hui. N'est-ce pas le premier signe que le régime
?oos lequel ils vivent n'est pas un régime d'oppression?
L'Arabe et le. Kabyle sont des races prolifiques ; elles étaient jadis conte-
nues normalement, réduites à ne jamais progresser en nombre par la famine
et par la guerre. Ce qui se passe au Maroc nous est le spectacle de ce qui
se passait en Algérie, de ce qui s'y passerait si nous en partions.
La paix française a tué la famine et la guerre; elle a même rendu impos-
sible ces « nefra », querelles sanglantes qui désolaient périodiquement les
marchés publics. Notre puissant appareil économique, nos institutions,
notre bienfaisance ont rendu la famine impossible.
De grands empires voudraient bien avoir résolu au même degré de dou-
loureux problèmes. (Applaudissements.)
K. Charles Damont. — Nous pouvons, sans craindre de comparaison,
opposer l'Algérie à l'Inde, {Très bien! très bien!)
K. le commissaire dn gouvernement. — Les indigènes vivent et pro-
' gressent en nombre; prospèrent-ils?
A entendre certains polémistes, il semblerait qu'avec le droit de s'entre-
tuer nous leur ayons ôté le moyen de vivre, retiré les meilleures terres,
clos les forêts, imposé l'obligation de vivre plus nombreux sur un domaine
plus réduit. Des terres? Il est exact que nous en occupons 1.500.000 hec-
tares. Nous en tirons pour 60 millions de vin, pour 100 millions de céréales,
pour 25 millions de fruits et légumes. Nous faisons surtout vivre sur ce sol
— sauvegarde et fierté de notre empire — un peuple de cultivateurs fran-
';ais.
Mais qu'étaient ces terres?
11 y avait d'abord les grandes plaines des régions du littoral ; les indi-
gènes, sans cesse en proie à des luttes intestines ou sous le coup d'exactions
mineuses, d'ailleurs incapables de tirer parti d'un sol profond et humide,
les avaient entièrement délaissées ; c'est l' « infecte Métidja », comme disait
Berthezène, couverte de marais, infestée de fièvres, et parcourue par les
seules razzias des Hadjoutes; aujourd'hui notre joyau, l'honneur de l'agri-
culture algérienne; c'est ensuite la plaine de Bône; ce sont les coteaux de
rOranie, presque déserts lors de notre arrivée, aujourd'hui habités par une
population européenne admirable de travail et de prospérité.
Ce sont ensuite de grandes régions pastorales et forestières très médio-
crement peuplées, peu ou mal cultivées, où le domaine et le service fores-
tier ont constitué, au bénéfice de l'Etat ou de la colonisation, d'importants
526 QUESTIONS DIPLOHATIQUKS KT COLONIALES
territoires ; ce sont le riche plateau du Tessala, grenier de TOranie; la foré,
du Lelaghy grande comme un département français, et dans laquelle plus
de dix centres sont déjà installés ou en voie de création ; le plateau du
Serson à la limite du département d'Alger et d'Oran; puis des terres pro-
venant du séquestre à la suite de la sanglante insurrection de \S1\, seul
moyen décisif et éloquent de répression dont personne, messieurs, n'oserait
contester la nécessité.
Enfin, pour la part de beaucoup la plus faible, des terres achetées aux
indigènes. Voilà ce qu'a enlevé aux indigènes la colonisation officielle.
Voyons maintenant, puisque la question a été posée par un des précé-
dents orateurs, dans quelles conditions les terres «ont achetées aux indi-
gènes.
Pendant un certain temps, on a procédé par expropriation forcée. Au-
jourd'hui, les terres sont acquises uniquement à l'amiable. A quel prix?
Elles sont payées soit en argent, soit en terres, mais en terres de préfé-
rence. Avec quelles conséquences pour les indigènes ? Le plus fo^nd nombrf
est réétabli et quelquefois plus avantageusement; il se peut évidemmeci
qu'il subsiste quelques déracinés ; l'administration n'oublie i>as qu'elle a
pour mission d'en diminuer le nombre le plus possible; et je vous demande,
messieurs, la permission de faire passer sous vos yeux les conclusions d'une
circulaire que j'adressais il y a quelque temps aux préfets et aux adminis-
trateurs à cet égard.
« C'est le devoir des administrateurs, disais-je, de s'assurer que les opê
« rations de recasement, de réétablissement des indigènes se sont effectuées
u régulièrement; que les ouvrages, chemins ou points d'eau indi6pen5aUe>
« à l'existence de la collectivité déplacée ne font pas défaut; que chaque
« intéressé est en possession de la terre de culture à laquelle il avait droit
« ou a reçu en numéraire le prix de celle qu'il a cédée, et que toute récla- .
« mation légitime a obtenu satisfaction.
w De môme, je voudrais que les administrateurs, conscients de la néca*^-
« site de no pas laisser se former à la suite de ces opérations un prolétariat
« de déracinés, prévinssent les indigènes ayant touché de l'argent contre
« des entraînements irréfléchis, on leur donnant des indications utile>
« pour leur permettre d'acheter d'autres terres et de s'y installer rapide- •
'< ment. Leur connaissance parfaite des mœurs des indigènes et de leurs {
<< besoins, ainsi que des ressources en terre qu^offre la commune mixte, ne j
* pourra qu'accroître la valeur et l'autorité de leurs conseils. i
« Cette mission, où la sollicitude et l'ingéniosité de l'administration peu- ,
« vent se manifester sous tant de formes, je désire de la façon la plus for-
« melle qu'elle ne soit pas négligée, et je vous saurai gré de m'en rendn»
« compte par des rapports circonstanciés se référant à chaque création de ,
« centre. »
La création de centres constitue d'ailleurs une brusque transformation
de pays à laquelle les indigènes sont inévitablement associés. Il se peui
qu'elle les effarouche parfois ; et il est certain qu'elle peut entraîner pour
eux quelque gêne; lorsque l'indigène voit se constituer près de lui la pro-
priété européenne, qu'il voit le soin que le colon met à clore son champt
il se prend à apprécier lui-même ces utiles précautions, et le même pro-
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 527
priétaire, qui se montrait jadis très indulgent et très libéral pour la vaine
pâture, met aujourd'hui des clôtures à son champ- et supprime ainsi à ses
coreligionnaires une ressource que consacrait l'usage.
Il appartient à l'administrateur de rassurer les indigènes et de leur mon-
trer quels avantages appréciables ils tirent ;de la création d'un centre ;
amélioration des voies de communication, marché élargi pour la vente des
[troduits de leurs terres et surtout salaires mis à leur portée.
Et pour vous rendre compte de l'importance de ces salaires, permettez-
moi de vous citer quelques chiflres.
L'hectare de broussailles, qui ne rapportait pas 5 francs par an à l'indi-
gène, coûte, planté en vignes, comme culture annuelle à l'Européen, de
4 à 500 francs, sur lesquels 200 francs au moins de salaires vont à l'indi-
gène. C'était exactement le cas de la commune de Margueritte. Veut-on un
exemple de l'importance de ces salaires ? Il y a telle commune mixte, la
?k)ummam, dans laquelle, leur entretien payé, les indigènes qui, au nombre
de 10.000 environ, passent le printemps et l'été chez les colons, rapportent
l'hez eux 1 million et demi à 2 millions d'argent comptant.
Pour les vendanges, on peut dire que l'indigène n'a rien à dépenser de
son salaire. Il se nourrit de raisin; on estime jusqu'à 10 kilogrammes par
jour la quantité qu'il en consomme, et bien des propriétaires trouvent
avantage à donner aux indigènes la farine nécessaire pour faire du pain
afin de diminuer ce prélèvement. Le propriétaire fournit l'abri pour la nuit.
Les vendanges faites, l'indigène peut rapporter chez lui l'intégralité de son
salaire.
Mais, dira-t-on, vous avez fait des indigènes des prolétaires. Ils cultivent
pour autrui, non pour eux. C'est là une erreur : si les espaces de terres
mis à la disposition des indigènes ont un peu diminué, leurs cultures ont
augmenté fortement de rendement et d'étendue.
K. le baron de Bolssieu. — Ce n'est pas la question.
Voix nombreuses à gauche et au centre. — Mais si! Parlez!
K. le oommissaire da gouvernement. — On me dit : ce n'est pas la
queîjtion. J'ai demandé la permission à la Chambre — et je n'abuserai pas
de son attention — de lui exposer quelle est la condition actuelle des
indigènes en Algérie, et leur condition économique est à coup sûr un des
reD>eignements les plus importants que je puisse donner au Parlement.
( Applaudissements . )
En 1870, ils cultivaient ^.500. 000 hectares et récoltaient 10 millions de
«luintaux de céréales; à l'heure présente, ils cultivent 2 millions et demi
il'heclares, et ils ont récolté dans la dernière campagne 10.700.000 quin-
taux de céréales. Pendant ce temps leur matériel agricole passait d'une
valeur de 1,500.000 francs à une valeur de 6 millions. Est-ce là l'indice
d'un appauvrissement?
Tous les indigènes, je le reconnais, ne participent pas à cet accroisse-
ment de ressources. Mais est-ce la faute de l'administration ou des
colons?
Non, il y a là une question de différence de races dans la population
iodii^ène, différence que connaissent bien ceux qui ont habité rAlgérie.
^une part, les indigènes d'origine berbère, Kabyles des montagnes ou de
528 QUESTIONS DIPLOICATIQUIES ET COLONIALES
la plaine, laborieux, âpres au gain, qui ne se contentent pas de cultiver
jusqu'à la moindre parcelle de terre sur les pentes abruptes de la régioQ
qu'ils habitent, mais qui transportent dans deux des trois départements
leur activité laborieuse et leur esprit d'économie. Et, ce qui est moins heu-
reux, au point de vue économique, ce ne sont pas seulement ces Berbères
de l'Algérie qui profitent des salaires payés par la colonisation.
Dans le département d'Oran, ce sont les Kabyles marocains qui
viennent chercher ces salaires et rapportent chez eux les douros de
France; mais on peut ajouter peut-être qu'ils y rapportent aussi TesUrne
d'un ordre de choses pacifique et juste, ce qui n'est pas la plus mauvaise
propagande que la France puisse faire au Maroc. (Applaudissements.)
Puis, juxtaposé à cette race laborieuse, il y a l'Arabe pasteur, nomade,
fixé sur le sol presque malgré lui, nonchalant, incapable d'un effort sou-
tenu, travaillant deux jours de la semaine, le temps de gagner ce qui est
nécessaire à son entretien jusqu'à la semaine suivante, laissant cueillir
par le Kabyle et le Berbère laborieux, venus de loin, les salaires que les
colons les plus proches de son douar dépensent pour leurs cultures.
C'est cette race de l'Arabe pasteur qui semble incapable d'autre chose
que de pousser devant lui un maigre troupeau de chèvres ou de moutons.
Et si l'on voulait de son incurie et de son imprévoyance un exemple
saisissant : dans les communaux indigènes des communes mixtes, il y a,
à l'heure présente, presque 5 millions de pieds d'oliviers sauvages, reje-
tons des anciennes forêts de la colonisation romaine, qu'il suffirait de
quelques soins et de quelque labeur, avec l'aide des primes que les déléga
tions financières ont votées à cet eflet, pour rendre productifs, et non*
aurions ainsi un accroissement de la production oléicole considérable. Or .
les administrateurs ne parviennent pas à décider les indigènes à mettre I
môme partiellement en défense ces communaux, à empêcher leurs chèvres ;
et leurs moutons d'y faire des ravages constants et à permettre, en somme, !
à l'olivier mis en valeur de devenir la sourca de revenus qu'il devraii j
être. [Très bien! très bien!) j
Cette partie de la population indigène est diflicile à transformer, je vous |
Tai dit, et cependant des symptômes certains indiquent que la généraliie
de la population indigène s'enrichit.
Voyez les prix qu'offrent les propriétaires kabyles des concessions fran-
çaises qu'ils trouvent à leur convenance et qui sont abandonnées par les
colons n'ayant pas réussi.
Dans le département de Constantine, il y a plusieurs communes où la
terre passe progressivement des mains des Européens à celles des indi-
gènes parce (jue, aux prix offerts, les Européens ne tireraient pas de leurs
propriétés un intérêt correspondant.
Interrogez les gens du pays, ils vous diront qu'il se fait depuis plusieurs
années chez les Arabes non des bas de laine, mais des cachettes rebondies:
dans bien des cas, l'indigène est en meilleure situation que le colon. En
veut-on des indices certains? Les impôts arabes qui sont proportionnels,
on le sait, aux surfaces cultivées, au bétail possédé, aux palmiers en rap-
port — et qui, par parenthèse, n'ont pas été augmentés alors que les
impôts pesant sur la population européenne ont subi, à plusieurs rejjrises,
J
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 5^9
des aggravations — les impôts arabes, dis-je, ont plus que doublé de ren-
dement en trente ans ; pour la seule part de TÉtat, ils se sont élevés de
3 millions 500.000 francs, en 1870, à 8 millions 200.000 francs en 1900 et
ils rentrent avec une facilité que souhaiterait n'importe quel ministre des
Finances. [Rires approbatifs.)
Veut-on un autre indice d'enrichissement de la population musulmane?
Les sociétés indigènes de prévoyance et d'assistance, cette institution qui
fait si grand honneur à l'administration algérienne, fondées en 4886,
comptaient, en 1891, 200.000 sociétaires et possédaient 4 millions; en 1902,
le nombre des sociétaires est de 400.000, il a doublé en quinze ans, et
Tactif est passé à 10 millions et demi, soit une proportion encore supé-
rieure.
Messieurs, est-ce donc le colon, est-ce l'administration qui sont pourTin-
digêne un danger, une cause de dépression ? Ce n'est pas le colon, qui est son
associé naturel, et qui, s'il est très sensible aux habitudes de vol et de ma-
raude de l'indigène oisif, le comprend et l'estime lorsqu'il est travailleur.
M. Etienne. — Très bien !
K. le commissaire du gouvernement. — Disons-le en passant, un des
liienfaits de l'institution des tribunaux répressifs sera justement, en garan-
tissant mieux la sécurité, de faire disparaître la seule cause sérieuse et
permanente de mésintelligence et d'animosité entre le colon et l'indigène.
Ce n'est pas non plus l'administration, chaque jour plus souple et plus
intelhgente dans sa tutelle des indigènes et qui, permettez-moi de vous
l'assurer, reçoit de ses chefs l'impulsion la plus nette dans le sens d'une
bienveillante et attentive compréhension des intérêts indigènes.
Toutes les mesures que je vous ai indiquées au début de mes observa-
tions me paraissent en être la preuve manifeste.
L'ennemi de l'indigène, pour une grande part au moins de la popula-
tion, c'est d'abord sa nonchalance, son manque de prévoyance. L'indigène
n'aime pas le travail; c'est un pasteur, je vous le rappelais tout à rheurc ;
il n'a la notion de la responsabilité ni à son regard, ni au regard des siens
«»u de la collectivité. Il est, permettez-moi cette expression, comme para-
lysé par le fatalisme dont la formule lui revient sans cesse aux lèvres :
« Mektoub, c'était écrit. » Pourquoi donc prévoir?
Quelle impression plus suggestive lorsqu'en pleine Mitidja on découvre
tout à coup, au milieu des cultures riches, des parcelles de terrain encore
envahies par le palmier nain et l'asphodèle où broute un maigre bétail !
C'est la propriété d'un Arabe.
Certes, parmi les indigènes, il en est de laborieux, comme je le disais,
pt il est consolant de constater qu'économiquement au moins, la plus
ifrande partie de cette population est en voie de transformation rapide.
Les charrues européennes se répandent chaque jour davantage par l'inter-
médiaire des sociétés de prévoyance qui avancent les fonds et grâce à la
propagande intelligente des administrateurs. Dans le seul arrondissement
de Sétif, les indigènes possèdent près de la moitié des charrues euro-
péennes. Au cours des trois dernières années, ils.ont acheté 15.000 char-
rues françaises d'une valeur totale de 725.000 francs. Les Kabyles plan-
tent à force l'olivier et le figuier; les labours préparatoires commencent à
se répandre.
Qdbst. Dipl. et Col. — t. xv. 34
530 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS
L'ennemi de l'indigène, messieurs, c'est en second lieu l'usurier ; et,
difions-le, l'usurier souvent est le grand propriétaire indigène. Il ne fait
pas de prêts à intérêt, non, ils lui sont interdits par le Coran. Son procédé
est mille fois plus dangereux: c'est la rahnia, sorte de nantissement im-
mofiilier. La terre qui sert de gage au prêt reste entre les mains du pré-
Leur, qui 'en perçoit les revenus, que ces revenus soient ou non supé-
rieurs à l'intérêt du prêt consenti.
Le débiteur privé du revenu de sa terre ne peut plus se libérer; de
grosses fortunes se forment ainsi de la ruine d'imprévoyants ou de misé-
rables. C'est là peut-être le plus grand danger pour le fellah algérien.
Ce prêteur, cet usurier a son associé naturel — le troisième ennemi de
l'indigène — dans l'homme d'affaires, le courtier marron, tous les prati-
ciens enfin, du chaouchage et du racolage judiciaire spécial à l'Algérie,
tous gens qui tirent leur subsistance des frais de justice et des frais de
procédure que l'indigène processif, imprévoyant ou trompé n'hésite pas à
accumuler.
Cette exploitation ne serait pas possible ou du moins eût été rendue
très difficile si, suivant l'exemple d'autres nations plus expertes en ma-
tière de colonisation, nous eussions donné aux indigènes les institutions
et les lois qui leur conviennent, au lieu de leur appliquer, sans adaptation
préalable, notre législation et notre procédure métropolitaines. (Applau-
dissements,)
Messieurs, on vous l'a dit en termes éloquents, l'Algérie a été doulou-
reui^ement émue par l'interpellation que nous discutons aujourd'hui de-
vant vous, douloureusement émue parce qu'il lui a semblé bien singulier
que le dernier mot de cette affaire de Margueritte, où des colons ont
trouvé la mort de la main des indigènes, fût l'accusation portée contre
notre colonie d'être une terre d'oppression et de servitude pour la popu-
lation musulmane.
L'Algérie, revenue après un entraînement passager à ses traditions de
fidélité républicaine, l'Algérie laborieuse et pacifiée se demande avec
anxiété si son régime administratif et judiciaire, fruit de si longues infor-
mations et de si savantes enquêtes, est voué à une perpétuelle mobilité,
si elle doit se voir retirer, le lendemain, les institutions qu'on lui a don-
nées la veille. Je souhaite ardemment que l'issue de ce débat la rassure et
la réconforte. (Applaudissements.)
On vous a signalé, comme un péril pour les libertés publiques, dans
notni colonie, « l'ivresse du pouvoir absolu qui se serait emparée du gou-
verneur général ». {Mouvements divers.)
Je demande la permission de répondre à ce reproche, car c'est bien
celui que m'a adressé M. Albin Rozet.
M. Gauthier (de Clagny). — Il a voulu parler de la France! (Rires à
droite,)
H. le commissaire du gouvernement. — L'une des causes de cet
enivrement serait l'étendue des attributions qu'on a conférées au gouver-
neur général.
Mais en vérité à qui va le reproche ainsi formijdé, si ce n'est au Parle-
ment lui-même qui a, pendant dix années, manifesté sa volonté persévé-
^f^9m
LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS EN ALGÉRIE 531
rante d'étendre les pouvoirs attribués au gouverneur de l'Algérie, tant en
ce qui concerne le choix et la direction du personnel administratif de la
colonie qu^en ce qui touche le règlement des affaires qui l'intéressent. Ces
pouvoirs, je ne les ai pas sollicités ; ils étaient tous ou à peu près tous
conférés au gouverneur général au moment où m'a été confiée, je pourrais
presque dire imposée...
M. MiUerand. — C'est vrai.
M. le ooxninlssaire du gouvemement. — ... la haute mission que je
remplis, et ceux qui me connaissent savent qu'il n'est ni dans mon tem-
pérament ni dans mon caractère d'exercer ces pouvoirs autrement qu'avec
la modération qui en est le contrepoids nécessaire. (Applaudissements.)
Vous ne vous laisserez donc pas émouvoir, messieurs, par ce péril ima-
ginaire, comme vous saurez faire un juste départ entre les critiques dont
la juridiction des tribunaux répressifs a été l'objet. Vous vous refuserez à
ne voir dans cette juridiction que l'instrument de justice grossier et som-
maire que MM. Albin Rozet et Berthet vous ont dénoncé et à le condam-
ner en bloc comme ils vous y ont convié.
Vous vous souviendrez que cette institution, perfectible assurément, a
pour origine même Tordre du jour par lequel la Chambre demandait au
gouvernement « d'assurer en Algérie la sécurité indispensable au déve-
f loppement de l'œuvre de la colonisation poursuivie dans l'intérêt des
< travailleurs français et indigènes ».
Vous n'oublierez pas que, créée dans ce but, la juridiction des tribu-
naux répressifs est également tutélaire pour chacune des deux races qui
vivent côte à côte sur le sol algérien, et que, protégeant leurs intérêts
communs, elle maintient et consolide entre eux, entre le colon et l'indi*
gène, le véritable élément de solidarité humaine, le lien qui peut le mieux
les unir : la fraternité du travail. {Vifs applaudissements,)
Pour conclure le débat, M. Vallé, ministre de la Justice, a
couvert le gouverneur général de l'Algérie ; mais ne voulant
pas, d^autre part, mécontenter les interpella teurs, il a promis
de nommer une commission qui écoutera les plaintes provo-
quées par ces tribunaux.
La Chambre a alors voté Tordre du jour suivant :
La Chambre, prenant acte de l'engagement du gouvernement d'apporter,
»aD9 retard, à l'organisation des tribunaux répressifs les modifications
nécessaires pour assurer aux inculpés les garanties inséparables de toute
justice, et comptant sur lui pour assurer, en même temps, en Algérie, la
sécurité, qui est indispensable au développement de la colonisation, passe
à l'ordre du jour.
Ainsi tout le monde a reçu satisfaction.
i
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES
I. — EUROPE.
I
France. — Le voyage du Président en Algérie. — La démissim de
M, RevoiL — Au moment où M. le Président de la République se
disposait à partir pour Alger, et alors que TAlgérie tout entière
se disposait à lui faire un accueil enthousiaste et cordial, M. Re-
voil, gouverneur général de l'Algérie, s*est vu contraint de remettre
sa démission au président du Conseil, qui Ta acceptée.
Voici la lettre que M. Revoit a adressée, le 12 avril, à M. Ber-
trand, président doyen des Délégations ûnancières algériennes,
pour l'informer de sa décision et dans laquelle il expose les raisons
de sa démission avec une généreuse réserve et une fière sérénité :
Mon cher Président,
J'ai donné ma démission des fonctions de gouverneur de l'Algérie.
Depuis le jour où je suis entré dans la carrière administrative, c'est-à-
dire il y a plus de dix-sept ans, tous les chefs que j'ai successivement ser-
vis m'ont honorô non seulement de leur confiance, mais de leur amitié.
Ayant acquis la certitude que j'étais placé aujourd'hui dans une situation
toute contraire, je ne pouvais songer à conserver un instant de plus les
fonctions que le précédent ministère m'avait confiées dans les condition>
que je rappelais, il y a quelques jours à peine, à la tribune de la
Chambre.
Je ne pouvais songer davantage, dans la position qui m'était faite, a
recevoir M. le Président de la République et à l'accompagner au cours île
son voyage en Algérie.
Enlin, le souci des intérêts dont j'avais la garde plus encore que le sen-
timent de ma dignité personnelle me commandait la résolution que j'ai
prise. Que cette résolution me soit extrêmement pénible, je n'ai aucune
fausse honte à l'avouer. J'éprouve un regret profond à me séparer de l'Al-
gérie, à abandonner une œuvre à laquelle je m'étais consacré tout entière!
que tant de concours dévoués m'aidaient à accomplir.
A l'heure même oîi je vous quitte, la solidarité la plus étroite s'est formée
entre les représentants de la colonie à tous les degrés et le gouverneur
général.
Je n'oublierai jamais, d'autre part, les témoignages que les assemblées
municipales et les corps constitués de la colonie m'ont prodigués au cours
des récentes épreuves qui m'ont frappé, moi et les miens.
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 533
De tels liens ne se brisent pas sans une vive et poignante douleur.
J'ai, du moins, la consolation de penser que l'Algérie, engagée, après une
période troublée, dans la voie pacifique et laborieuse tracée par la loi qui
lui a octroyé une si large part d'autonomie, y persévérera résolument et
répondra chaque jour davantage à la confiance que lui a témoignée la
métropole.
Le crédit moral et matériel, condition essentielle du développement et de
la prospérité, est à ce prix.
L'Algérie va recevoir la visite du Président de la République. Elle
accueillera le chef vénéré de l'Etat, incarnation vivante de la patrie, avec
les témoignages de respect et d'afl'ection qui seront le meilleur gage de
son royal attachement, de son entière fidélité à la France et à la
République.
Je forme du fond du cœur le souhait que ce voyage soit fécond en
heureux résultats pour notre colonie. Je ne doute pas que le Président de
la République et les membres du gouvernement qui l'accompagnent n'en
rapportent des souvenirs et des impressions qui seront tout à l'honneur et
au profit de l'Algérie.
Veuillez agréer, mon cher Président, l'assurance de mes sentiments
affectueusement dévoués.
Revoil.
Le moins que Ton puisse dire de celle démission si regrettable,
c'est qu'elle est, à tous égards, un événement grave dont le retentis-
sement sera considérable. On peut déjà s'en rendre compte à Témo-
lion qu'elle a soulevée dans toute la France et surtout en Algérie,
aux nombreux témoignages de sympathie et de regret que reçoit
M. Revoil, enfin aux protestations énergiques qui se font entendre de
toutes parts.
— Le traité franco- siamois, — La question du traité franco-siamois,
déjà si malencontreusement engagée, vient encore de se compliquer
étrangement de par la regrettable altitude du ministre des Affaires
étrangères. On se rappelle dans quelles conditions la commission
des affaires extérieures, chargée d'examiner le traité, avait suspendu
ses travaux sine die, sur la demande formelle de M. Delcassé. Le
6 avril, la commission, qui n'avait reçu aucun avis du ministre depuis
cette dernière communication, se réunit en séance plénière et chargea
M. Etienne, son président, de déposer sur le bureau de la Chambre
le rapport suivant qui exposait la situation résultant de la non-pro-
rogation des délais de ratification du traité :
Messieurs,
Le 7 octobre 4902, M. le ministre des Affaires étrangères a conclu avec
le plénipotentiaire de Siam à Paris une convention dont l'article 10 était
ainsi conçu ;
« La présente convention sera ratifiée dans un délai de quatre mois à
« partir du jour de la signature, ou plus tôt, si faire se peut. »
534 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
M. le ministre des Affaires étrangères a déposé la convention sur le
bureau de la Chambre le 6 décembre suivant ; elle a été renvoyée à la com-
mission des affaires extérieures, des protectorats et des colonies, et le pro-
jet a été distribué à la Chambre le 13 janvier 1903.
La commission s'est mise aussitôt à Fœuvre pour que le débat pût venir à
tt^mps, avant le 7 février, date à laquelle expirait le délai de quatre mois
i ni parti par l'article 10. Néanmoins les hautes parties contractantes con-
vinrent de proroger ledit délai jusqu'au 31 mars dernier. La commission
poursuivit l'examen de la convention et se mit en mesure d'être prête
pour U rapporter et la soumettre à la Chambre avant l'expiration du nou-
veau délai.
Mais le 24 février, M. le ministre des Affaires étrangères écrivait à
M. \e Président de la commission la lettre suivante :
a Paris, le 24 février 1903.
« Monsieur le Président,
1 M. le Ministre des Colonies vient de me communiquer, en me le
*' recommandant, un projet de M. le Gouverneur général de l'Indo-Chine,
" firojet dont l'exécution exigerait des négociations préalables avec le gou-
u vornement siamois.
fi J*ai écrit à M. Doumergue pour le prier de vouloir bien me fournir
fi ëur ce projet certaines précisions qui me permettront de prendre une
« résolution.
«i Dans ces conditions, je vous serai obligé de demander à la commission
V iViiiumàre, pour me convoquer, que je sois en mesure de lui apporter des
w renseignements définitifs.
M Veuillez agréer, etc. Delcassé. »
Depuis cette époque, la commission n'a reçu aucune communication de
M. 1p Ministre des Affaires étrangères et le délai de ratification, qui expirait
lo :u mars, n'a pas été prorogé.
Dan^ ces conditions, la commission croit devoir faire connaître à la
Cbambre qu'à son avis la convention avec le Siam est devenue caduque.
Le gouvernement ne crut devoir faire aucune observation lors du
di^pAt de ce rapport à la Chambre. Mais le lendemain, le 7 ami, on
ruL la surprise de lire dans le compte rendu officiel du conseil des
mlnislres, remis à la presse, les quatre lignes suivantes :
M. Delcassé, que son état de santé a empêché de se rendre au Conseil, a
ïtûl siavoir à ses collègues que le délai pour la ratification de la convention
rrantio-siamoise du 7 octobre 1902 a été, sur la demande du ministre du
î:?iam à Paris, reportée au 31 décembre 1903.
Ce laconique communiqué ne pouvait manquer de soulever une
irgitime protestation, et nous tenons à nous associer très nette-
ment aux regrets unanimes qu'a provoqués cet étrange procédé du
tnmistre. Il y a là un manque de déférence tout à fait surprenant \is-
ii-v]^ de la commission, et surtout une grave atteinte portée aux
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 535
droits du Parlement, que la commission représentait directement
en cette affaire.
La prorogation du traité n'a pu être improvisée; en tout cas, elle
devait être publiée dans les délais prévus, et la Chambre devait en
être informée en temps utile. Si le ministre l'avait obtenue roguliè-
rement, légalement, il devait en aviser immédiatement la Chambre.
Son silence, au contraire, autorise les plus pénibles, les plus fâcheuses
réflexions. Pour avoir manqué d'une façon aussi formellf? à ses
devoirs de ministre parlementaire, il faut que M. Delcassé y ail été
contraint par les circonstances. SMln'apas annoncé, en temps voulu,
c'est-à-dire avant le 31 mars, la prorogation du traité au Parlement,
c'est qu'il ne le pouvait réellement pas, c'est qu'il n'a obtenu racquies-
cement du Siam que trop tard, et lorsque le rapport de la commis-
sion avait déjà enregistré la caducité de la convention. On se
demande donc, avec inquiétude, au prix de quels sacrifiies, de
quelles concessions cette prorogation a pu être signée I
Nous savons, d'autre part, que la commission n'avait chargé
M. Etienne de déposer son rapport du 6 avril qu'après avoir à
maintes reprises fait demander à M. Delcassé ce qu'il était advenu
du traité du 7 octobre. Chaque fois, le ministre avait fait répondre
officieusement que le Siam refusait toute prorogation. Le jour même
de sa dernière réunion, le 6 avril, la commission avait fait prévoir
au ministre ses résolutions; le ministre ne daigna pas lui envoyer
un avis quelconque. La prorogation cependant devait être acquise
depuis au moins une semaine, les délais légaux expirant le 31 mariai.
Tout cela prouve, à l'évidence, combien irrégulière, pour ne- pas
employer un mot plus exact, a été l'attitude du ministre. La Chambre
se doit à elle-même et elle doit au pays de ne pas sanctionner ^ par |
son approbation, un tel procédé. Ce serait une véritable abdicution.
D'ailleurs la commission est décidée, paraît-il, à ne tenir aucun
compte de la communication trop tardive du ministre. Pour elle, le
irailé du 7 octobre, non prorogé le 31 mars, n'existe plus. Si M. Del-
cassé veut l'en saisir de nouveau, il devra le faire revivre vi le
déposer une seconde fois sur le bureau de la Chambre.
Angleterre. — La visite du roi Edouard VII au Président de la iuptt-
lîique. — Une information officielle vient d'annoncer que le roi d An*
gleterre arrivera à Paris le i" mai pour rendre visite au Prcsiilunl
de la République. Cette nouvelle a généralement été enre^istiér
avec satisfaction en France et en Angleterre. Nous estimons, pour
notre part, que les deux pays ont en effet tout intérêt à discuter et û
résoudre à l'amiable toutes les délicates questions qui les inléres-
senlet les divisent. La visite du roi d'Angleterre peut très effu uee-
cement contribuer à ce résultat, d'autant mieux qu'Edouard VU a
il
i
536 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALIâS
tenu à faire précéder sod voyage d'une importante manifestation
sympathique. Il a décidé qu'une escadre anglaise viendrait spéciale-
ment à Alger saluer M. Loubet. Il est maintenant à souhaiter que
notre diplomatie sache tirer profil des bonnes dispositions des pou-
voirs britanniques et qu'elle ne se laisse pas, au contraire, éblouir
et leurrer inutilement par quelques belles paroles et quelques flat-
teuses prévenances.
Turquie. — Les affaires dé Macédoine, — Les Albanais de la Vieille-
Serbie viennent de se soulever, compliquant ainsi davantage la crise
macédonienne. Il y a eu des désordres graves à Mitrovilza et à You-
citra, et M. Chtcherbina, consul russe de Mitrovitza, grièvement
blessé en repoussant les insurgés albanais, a succombé à ses bles-
sures après quelques jours de souffrances. Ce déplorable événement
a produit partout une vive émotion.
n. — AFRIQUE.
Algérie. — Attaques âCun convoi français par les Ouîad-Dj&rir. — Un
regrettable incideqt vient de se produire le 29 mars dans le Sud
Oranais. Un convoi escorté par des tirailleurs a été atlaqué par les
Oulad-Djerir entre Fendi et Ksar-el-Azoug. Les Oulad-Djerir étaient
au nombre de 150 environ, très bien approvisionnés de munitions.
Le combat dura de 11 heures du matin à 6 heures du soir, et fut
très mouvementé.
Le lieutenant Rufïler, de la légion étrangère, fut blessé en rame-
nant un soldat atteint par une balle sous le feu de Tennemi ; le ser-
gent-fourrier Lavy, des tirailleurs, qui se distingua par sa bravoure,
fut tué quand il passait au fil de la baïonnette un Oulad-Djerir. <
Des tirailleurs, des légionnaires, puis le capitaine Normand, du
génie, arrivèrent sur les lieux du combat ; mais les munitions man-
quèrent et on se battit corps à corps.
Le capitaine Normand a dû battre en retraite après avoir inutile-
ment rallié et avoir fait preuve d'une grande bravoure. Les Oulad-
Djerir restèrent maîtres du terrain.
Les ennemis prirent 40 chameaux et quelques fusils.
Le lieutenant Ruffier et les autres blessés, échappés au massacre,
sont rentrés la nuit, un par un, au Ksar-el-Azoug, très fatigués. Ils
ont été dirigés sur l'hôpital d'Aïn-Sefra.
Les Oulad-Djerir ont laissé huit morts sur le terrain. Les autres
morts ont été emportés, avec les blessés, sur les chameaux capturés.
he Temps fait à ce sujet les réflexions suivantes :
Le pays situé au Sud des Hauts-Plateaux est essentiellement le domaine
des nomades, campant n'importe où, au hasard des pâturages et des points
'
• ^'^T^'T
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 537
d'eau. Tels les Oulad-Djerir, les Doui-Menia et les Beni-GKiil. Pour avoir
barres sur eux, les châtier à Toccasion, il faut pouvoir les frapper dans
leurs intérêts ; mais ces intérêts, leurs troupeaux, sont toujours en mouve-
ment. Il faut donc, pour les atteindre, disposer, à proximité, de troupes
ayant une très grande mobilité. Or, qu'avons-nous fait dans la région où
nomadisent ces tribus? Nous nous sommes bornés à occuper et à fortifier
d'une manière permanente un certain nombre de points de notre ligne de
communication avec les oasis sahariennes; entre ces points, ces tribus
circulent librement et impunément.
Ce n'est cependant pas d'aujourd'hui qu'on sait qu'un fort ne commande
jamais que dans un rayon très court autour de son enceinte; ce n'est pas
hier seulement qu'a été démontrée la nécessité d'avoir sur les marches
sahariennes des unités très légères et très mobiles, parcourant sans
relâche le pays. Tout cela résulte des enseignements de la guerre d'Afri-
que, et le maréchal Bugeaud en a fait le premier — on sait avec quel
succès — l'application pendant la formidable insurrection de 1845. Pour-
quoi n'étpndons-nous pas à tout 'le Sud algérien le système, si logique, en
même temps qu'économique, des compagnies mixtes, préconisé par le
commandant Frisch? Ce système a été jugé rationnel pour les oasis saha-
riennes, où il a été appliqué par décret du l*"" avril 1902 ; il le serait
ailleurs aussi.
Qu'on ne s'y trompe p^s ! Nous n'aurons de tranquillité relative dans les
parages de Figuig et d'Igli que si deux ou trois compagnies mixtes y
nomadisent en permanence d'octobre à la fin de mai; autrement, nos
postes et nos convois de ravitaillement auront périodiquement à répondre
à des attaques du genre de celle du Ksar-el-Azoug, et probablement même
à de plus importantes et de plus dangereuses.
Maroc. — La situation, — L'événement important estrinvasion des
Maures auprès de Mélilla. Leur nombre s'élèverait à 4.000 environ
et ils ont livré un assaut à la forteresse de Frajana, dans lequel ils
ont eu il tués et plusieurs blessés.
Mouley-Amrani, commandant des troupes du Makhzen dans le
Hifî, qui avait pressenti à ce sujet le commandant de la place de
Mélilla il y a quelques jours, vient de se réfugier dans cette ville
après avoir battu en retraite devant les troupes du prétendant Bou-
Hamara, contre lequel combat encore une partie de ses troupes.
Bou-Hamara a envoyé un parlementaire à la place de Mélilla pour
demander de le reconnaître comme sultan et de refuser asile à
Mouley-Amrani. Le commandant militaire a refusé et lui a fait
savoir que s'il venait sur le territoire espagnol, il le recevrait à
coups de fusil.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — AFRIQUE.
Maroc. — Le commercé extérieur. — Le ffandeh Muséum donne d'in-
téressants renseignements sur le commerce extérieur du Maroc.
L'Angleterre et la France sont les seules puissances dont les inté-
rêts commerciaux, au Maroc, aient une impotrance supérieure à
ceux de TAllemagne. Mais, tandis que, depuis sept ans, on constate
une augmentation ininterrompue du mouvement commercial et ma-
ritime de l'Allemagne au Maroc, on observe, au contraire, une dimi-
nution du chiffre des échanges de la France avec l'empire chérifîen.
C'est du moins ce qu'on est en droit de conclure d'un parallèle entre
les maisons de commerce allemandes et françaises existant au
Maroc.
A l'égard des premières, voici le relevé qu'on en a fait, il y a
deux ans : à Tanger, huit maisons principales et trois succursales; à
Casablanca, six établissements commerciaux; à Saffi, cinq; à Mo-
gador, quatre; à Mazagran, trois; à Larache, une; à Rabat, deuï;
et, dans l'ensemble, un personnel comprenant 200 sujets allemands.
Depuis 1900, ces chiffres ont éprouvé une sensible augmentation.
En 1900, les navires anglais entrés dans les ports du Maroc jau-
geaient, au total, 394.132 tonneaux, y compris le trafic entre Gibral-
tar et la côte marocaine; la marine commerciale allemande était
représentée par 254.570 tonneaux, et la marine française par
201.088 tonneaux.
De 1892 à 1900, l'exportation du Maroc en France a passé de
6.900.000 francs à 9.000.000. Les mêmes échanges avec l'Allemagne
se sont élevés de 1 million à 7.600.000 francs ^
L'exportation allemande au Maroc n'a pas progressé dans les
mêmes proportions : elle s'élevait, en 1892, à 1.130.000 marks, et,
après quelques fluctuations, elle atteignait, en 1901, 1.460.000 marks.
Le commerce d'exportation de l'Allemagne au Maroc consiste sur-
tout en étoffes de coton (509.000 marks en 1901), sucre (184.000
marks), quincaillerie (163.000 marks), alcool en fûts (35.000 marks),
teinture minérale (30.000 marks), etc.
Le mouvement des échanges entre l'Allemagne et le Maroc va
prendre encore du développement, grâce aux nouvelles lignes jle
1 Les marchandises marocaines exportées en Allemagne consistent principalement
en amandes, huile d'olive, cire, peaux et cuirs, œufs, etc.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 539
naTigalion créées en avril 1902, notamment par les services qu*ont
établis VOldenhurg-portugiesische Dampfschiffrhederei^ et la V'ôrmann
Linie, Les vapeurs de ces compagnies font escale deux fois par mois
dans les ports marocains. Les subventions de TËtat jointes aux
entreprises des capitalistes ont fortement contribué à donner au
commerce allemand au Maroc le remarquable essor qu'il a pris de-
puis quelques années.
Dahomey. — Le commerce m 1902. — Le mouvement commercial
du Dahomey s'est élevé en 1902 à 30.759.600 francs en augmentation
de 4.528.000 francs sur 1901. Un fait très important et qui est tout
de suite à noter, c'est que c'est aux exportations qu'on doit la plus
large part de cette augmentation. Tandis que les importations s'éle-
vaient de 1.337.736 francs, passant de 15.752.650 francs en 1901, à
17.090.386 francs en 1900, les exportations croissaient de
3.190.300 francs, passant de 10.478.916 francs à 13.669.216 francs.
Ce sont surtout les huiles et amandes de palme qui ont provoqué
cette belle augmentation des exportations. Il a été exporté
29.778.000 kilog. en chiffres ronds d'amandes de palme contre
24.212.000 kilog. en 1901, et 12.676.000 kil. d'huiles de palme contre
11.291.000 en 1901. Les exportations de coprah se sont aussi notable-
ment développées ayant passé de 185.000 kilog. à 352.000 kilog. en
chiffres ronds.
Seul le caoutchouc a présenté une sérieuse diminution de 4.315 kil.,
ce qui a réduit les exportations de cette matière première à
1.575 kilog. La presque totalité des amandes de palme est expédiée
en Allemagne. C'est avec l'étranger, du reste, que le Dahomey fait
la plus grande partie de son commerce. Sur les 30.660.000 francs de
ce commerce, 22.724.000 francs sont faits avec l'étranger, 7.914.000 fr.
avec la France et 91.000 francs environ avec les colonies.
Cette belle progression du commerce du Dahomey a amené une
progression notable dans les recettes de cette colonie, qui se sont
élevées de 3.580.000 francs en 1901 à 4.427.000 francs. Ce mouve-
ment ascendant va probablement continuer, grâce au chemin de fer
dont les 88 premiers kilomètres sont déjà en exploitation et dont le
prolongement vers l'intérieur se poursuit avec rapidité.
NOMINATIONS OFFiaELLES
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
L*exequatur a été accordé à :
M. Léon 8auvan, consul du Monténégro à Nice ;
M. Luia Zalles, consul général de Bolivie en France.
MINISTÈRE DE LA fiUERRE
Troapeii inétrop«liUiines.
AHTILLEBIE
Oasis sahariennes. — M. le Ueut. Mussel est désig. pour servir à la comp
du Touat.
GÉNIE
Afrique Occidentale. — M. le lieut. Quillacq est désig. pour le service des
travaux publics au Dahomey.
GENDARMERIE
Guadeloupe. ~ M. le Ueut. Burgat est désig. pour servir à la Basse-Terre.
Océanie. — M. le Ueut. Bonnemaison est désig. -pour serv. à Papeete (Tahiti
Troapes coloniales.
HfFANTEBIE
Afrique Occidentale. — Sont aiïectés :
Au i^^ sénégalais, M. le capit. Rubj ; au 2« sénégalais, M. le capi7. Boucliei.t
à l'état-maj. partie, de la colonie, MM. les capit. Mène et Quilichini et le lif^i
Georg.
Chine. — M. le Ueut. Vernier est désig. pour Tétat-maj. du corps d'occupat.
Indo-Chine. — Sont affectés :
M. le colonel Yt&SBe y au 2« tonkinois;
M. le colonel Gouttenègre, au 4* tonkinois ;
M. le Ueut.colon. Diguet, au 3« tonkinois ;
M. le lieut.'Colon. Moudon, au !«' tonkinois;
M. le lieut.'Colon. Louvel, à la suite du l"** tonkinois;
MM. les chefs de bataill. Cassier, au 10* rég. et Régnier, au S" tonkinois;
M. le capit. Gagnepain, à la 4« comp. du 3* tonkinois';
M. le capit. Salmon (P. -F.), à la 10« comp. du 3* tonkinois;
M. le capit. Heurtebize, au 10* rég. comme adjudant-major au 4* bat. ;
M. le capit. Montégu, au 18* rég. comme adjudant- major;
M. le capit. Gérente, au 4^ tonkinois comme capitaine-major;
M. le Ueut. Imbert (H.-C.) à l'état-major partie, chancelier du cercle de Ha-giaiiL';
M. le Ueut, Mignot, au 2» rég. de tirailleurs tonkinois;
M. le lieut. Kermorvant, à la 8* comp. du 2* tonkinois;
M. le Ueut. Sautel, à la 3* comp. du {•r tonkinois;
M. le lieut. Varache, à la 14* comp. du 18« rég. :
M. le lieut. Crabos, au 11« rég.
Les officiers ci-après en service au Tonkin ont été placés, savoir :
M. le capit. Paponnet, à la !• comp. du 10* rég. ;
M. le capit. Delahaye, comme adjudant-major au 3« bat. du 3* tonkinois;
M. le Ueut. Triol (G. -M.), à la 12* comp. du 4* tonkinois ;
M. le lieut, Laguerre, à la 2* comp. du 2* tonkinois;
M. le lieut. Popp, au l®"* tonkinois;
M. le sous-Ueut. des Garets, à la 11*' comp. du 9« rég.;
M. \q souS'lieut. Pravaz, à la 12* comp. du 9® rég. ;
M. le sous-Ueut. Bouédron, à la 5* comp. du 10* rég.;
M. le sous-Ueut. Guillon, à la 14" comp. du 10* rég.;
NOMINATIONS OFFICIELLES 5U
M. le sous'lieut, Lasseron, à la 8« comp. du 1»^ tonkinois;
M. Je sous-lieut, Petitjeao, à la i2« comp. du 1" tonkinois ;
M. le sous-lieut. Prévost, à la suite du i*^ tonkinois ;
M. le sous-lieut. Pelle de Quéral, à la 6« comp. du 3« tonkinois ;
M. le sous-lieut. Amalric, à la 10® comp. du 3« tonkinois ;
M. le sous-lieut. Charleuf, à la 8* comp. du 4* tonkinois ;
• M. le capit, Durand est désig. pour servir au Tonkin.
Les officiers ci-après en service en Cochinchine ont été placés, savoir :
M. le capit. Letendre, à la 12* comp. du 11* rég. ;
M. le capit. Leraoine, à la l''^' comp. du rég. de tirailleurs annamites;
M. le capit. Jacobi (G.-C), à la 3« comp. du rég. de tirailleurs annamites;
M. le lieut. Guillermeau, à la 8<> comp. du 11* rég.;
M. le lieut. Oaveng, à la 2* comp. du rég. de tirailleurs annamites;
M. le lieut. Rivière (J.-M.), à la 7* comp. du rég. de tirailleurs annamites ;
M. le sous-lieut. Ducrocq, à la 2* comp. du 11* rég. ;
M. le sous-lieut. Delafond, à la 4^ comp. du 11* rég. ;
M. le sous-lieut. Guilleminet, à la 11* comp. du 11* rég.;
M. le sous-lieut. Lhuinte, à la 12<^ comp. du 11* rég. ;
M. le sous-lieut. Leroy (M.-E.-E.), à la 4« comp. : M. le sous-lieut. d.
Choù^eul-Praslin, à la 5" comp.; M. le sous-lieut. Hayez, ii la 8* comp. ; M. le sous-
litul. Detanger, à la 11* comp. du rég. do tirailleurs annamites.
M. le chef de bat. Ballet-Baz est afTecté au rég. de tiraill. annamites.
MM. les lieut. Régnier et Bianchi sont désig. pour servir. en Cochinchine.
t Madagascar. — M. le chef de bataill. Lucciardi, de l'état-major partie, e^t
, promu lieut.-colonel.
M. le chef de bat. Michard est affeclé au 2* malgaches ;
M. le capit. Bourgeron est nommé capit. -major du 3* sénégalais;
M. le capit. Lagrange est désig. pour servir à Madagascar;
M. le lieut. Maignan est affecté à la 1'* comp. du 15« colonial.
Sont aflectés :
M. le capit. Simonin, à la l''^' comp. du bataillon sénégalais de Diego ;
M. le lieut. Pelitjean, à la 1'* comp. du 2« malgaches;
M. le lieut. Eckert, à la l»^" comp. du VM rég.;
M. le lieut. Bacbellez, à la 8« comp. du lo*" rég.;
M. le lieut. Scheer, à la 2« comp. du l»"* malgaches;
M. le lieut. Modest, à la section de télégraphistes;
M. le lieut. Cérisola, au 13« rég., comme adjoint au trésorier.
Les officiers ci-après en service à Madagascar ont été placés, savoir :
M. le capit. Sarran, à la 2' comp. du 13* rég. ;
M. le capit. de Goesbriand, à la 10« comp. du 13« rég. ;
M. îe capit. Saphore, à la 11« comp. du 15* rég. ;
M. le capit. Royer, comme adjudant-major au 2« malgaches ;
M. le capit. Jagniatkowski^ comme adjudant-major au 2^ malgaches .
M. le capit. Jottras, comme adjudant-major au 3« sénégalais;
M. le lieut. Gros (P.-G.), à la 2« comp. du 13« rég. ;
M. le lieut. Rayet, à la 14« comp. du 13« rég. ;
M. le lieut. Gressard, à la lO" comp. du 15® rég.;
M. le lieut. Laurent (P-E.), à la 14* comp. du S** sénégalais;
M. le lieul. Burgeat, à la 6« comp. du 3" sénégalais ;
M. le sous-lieut. Floransan, à la 3« comp. du 13« rég. ;
M. le sous-lieut. Lacourrière, à la 8* comp. du 13<? rég. ;
M. le sous-lieut. Bournique, à la 9" comp. du 13® rég. ;
M. le sous-lieut. Lemoine, à la 8® comp. du i^j^ rég. ;
M. le sous-lieut. Marcaire, à la 10* comp. du 2' malgaches;
.M. le sous-lieut. Bruand, à la 4* comp. du 3« sénégalais ;
M. le sous-lieut. Gillette, à la 14<' comp. du 3*^ sénégalais;
I M. le sous-lieut. Buhrer, à la 15* comp. du 3" sénégalais.
ARTILLERIE
Etat-major. — M. le command. Debon, sous-chef d'état-maj, du corps d'armi.%*
des troupes coloniales, est promu lieut. -col.
542 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Afrique-Ocoldentale. — M. le chef d escadron Esmenjaud est désig. pour
servir en Afrique Occidentale ;
M. le lient, Quérillac est désig. pour lacompag. de conduct. sénégalais;
M. le souS'lieut. Lallemant est affecté à l'état-maj. des batteries comme officier
de détail.
Indo-Chine. — M. le chef d'escadron Lecostey est désig. pour servir au Tonldn.
Sont désig. pour servir :
A la l^e batterie du rég. du Tonkin à Hanoi, M. le sous-lieul, Lepoiz ;
A la 3* batterie de ce rég. à Hongay, M. le sous-lieut, Chabard;
A la 4" batterie de ce rég. à Lang-Son, M. le sous-lieut. Pouvreau ;
A la 8* batterie de ce rég. à Moncay, M. le sous-lieut. Brodin ;
A la 1^* batterie du rég. de Cochinchine à Saigon, M. le sous-lieut. Rossignol;
A la 5* batterie de ce rég. au cap Saint-Jacques, M. le sous-lieut. Launej.
M. le chef d'escadron Pocard du Cosquer de Kerviler est afiecté au rég. de Co-
chinchine.
Madagascar. — M. le colonel Sordoillet est nommé au command. de l'artil-
lerie de la colonie à Tananarive.
M. le capit. Pejrègne est placé à l'état-maj. partie, à Diégo-Suarez.
Martinique. ~ M. le capit. Sudan-Cl^evalej est désig. pour servir à la Marti-
nique.
CORPS ou COMMISSARIAT
Afriqne Occidentale. — M. le commiss. ppal de 2* cl. Mange est désig. pour
servir en Afrique Occidentale.
OongO. — MM. les commiss. de 2* cl. Sabatier et Thonnard du Temple sont
désig. pour servir au Congo.
Indo-Ohine. — M. Monge, commiss. ppal de 3* c/., est nommé chef du secré-
tariat du direct, des services administ. à Hanoi.
Madagascar. — M. Archer, commiss. de 2* c/., est désig. pour servir à Tana-
narive.
Agents.
Indo-OUne. — M. Soulié, agent de 1" cl„ est désig. pour servir en Indo-Chine.
CORPS DE SANTÉ
Afriqne Occidentale. — M. le méd.-maj, de 2« cl. Pellan est désig. pour
servir H. C. à la Côte dlvoire.
M. le méd.^moj» de 2« cl. Charezieux est désig. pour servir au Soudan.
M. le méd.-maj\ de 2» cl. Prouvost est désig. pour servir à la mission du che-
min de fer du Dahomey.
Sont désig. pour servir :
Hors cadres en Casamance, M. le méd.-maj. de 2* cl. Thirion ;
A l'ambulance de Kati, M. le méd. aide^maj. de 1'* cl. Durand;
A Ouagadougou, M. le méd, aide^maj. de i^ cl. Duperron.
OMne. — Sont désig. pour servir au corps d'occupat. :
MM. le méd.-maj. de i^' cl. Bellard; le méd.-maj. de 2* cl. Chartres; le méd.
aide-maj. de i^ cl. Couderc.
M. le méd.-maj. de 2^ cl. Onimus est placé H. C. à la légation de France à
Pékin.
Congo. — M. le méd. aide-maj. de i^* cl. Grandmaire est désig. pour servir au
Congo.
Guyane. — MM. le méd.-maj. de 2* cl. Le Strat et le pharm.-maj. de 2* cl.
Birard sont désig. pour servir à la Guyane.
Indo-Chine. — Sont désig. pour servir en Indo-Chine :
MM. les méd.-maj. de l'« cl. Reboul et Pujol;
MM. les méd. aides~maj. de i'* cl. Rousseau, Lartigue et Lacour;
MM. les méd.-maj. de 2« cl. Paucot et Ganducheau sont désig. pour servir au
Tonkin ;
M. le méd.-maj. de 2« cl. Gui tard est désig. pour servir en Cochinchine.
Madagascar. — M. le méd.-maj de 1'* cl. Neiret est désig. pour servir à
l'Institut Pasteur de Tananarive ;
M. le méd.-maj. de i'* cl, Lévrier'est désig. pour servir à Madagascar.
NOMINATIONS OFFICIELLES 543
Les méd.-maj. de 2« cl, dont les noms suivent sont désig. pour servir :
Au 15' colonial à Diégo-Suarez, M. Lairac;
Au service local à Mananjarjr, M. Gautier;
A l'ambulance de Morondava, M. Binard ;
A l'hôpital de Tananarive, M. Legendre.
Les méd. aides-maj. dont les noms suivent sont désig. pour servir :
A l'hôpital de Majunga, M. Petit;
A rhôpital de Tananarive, M. Le Strat;
A l'ambulance de Moramanga, M. Bireaud ;
Au 2* malgaches, M. Franceschetti ;
Aux batteries d'artill. de Tananarive, M. Eberlé;
A rhôpital de Tamatave, M. Poux.
M. \e pharm.'maj. de 2« cl. Claverin est désig. pour l'hôpital deTananarive.
M. le pharm. aide-maj, de 1'* cl. Boin est affecté au service local de Tananarive.
Nonvelle-Calédonie. — MM. les méd.^maj. de 2« cl. Renault et Delabaud
soQt désig. pour servir en Nouvelle-Calédonie.
Ooéanie. — M. le méd. -maj. de 1'* cl, Alquier est désig. pour servir à Tahiti.
Réunion. — M. le méd. -maj. de 2* cl. Lafont est désig. pour servir à la Réu-
nion.
Agents comptables.
Réunion. — M. Vivaldy, agent comptable de !<'« cl., est désig. pour servir à la
Réunion.
MimSTËRE DE LA MARINE
BTÀT-MAJOR DB LA FLOTTE
Paoiflqae. — Sont désig. pour embarq. sur le Protêt :
MM. les lient, de vaiss. Tadié et Pirot, l'en^et^. de vaiss. Vinsot et les mécanic.
ppaux de 2* cl. Vallon et Brunel.
Atlantique. — M. le mécanic. ppal de i" cl. Halter est désig. pour embarq.
sur le Troude.
Indo-Chine. — M. Venseig. de ttaiss. Roussel est désig. pour embarq, sur le
Kersaint, station locale d'Ànnam et Tonkin.
Mers d'Orient. — M. le mécanic. ppal de l'« cl. Le Roch est désig. pour
embarq. sur le Pascal.
SERVICES ADMINISTRATIFS
Goohinohine. — M. Girousse, commis de 3* cl.^ est désig. pour servir à l'arsenal
de Saigon.
MINISTÈRE DES COLONIES
Sont nommés :
Président du tribunal sup. de Papeete (Océanie), M. Muston ;
Juge au tribunal sup. de Konakry (Guinée française), M. Clavius-Marius ;
Conseiller à la Cour d'appel de Madagascar, M. Mausencal ;
Juge président du tribunal de 1^» instance de Tamatave, M. Lelong;
Juge président du tribunal de i^^ instance de Diégo-Suarez, M. Jouin ;
Procureur de la République du tribunal de l'« instance de Majunga, M. Camouin;
[Procureur de la République & Libreville (Congo français), M. Gilbert Desvallons;
Présid. du tribunal sup. à Libreville, M. de Mérona;
Procur.de la République k Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), M. Delestrée;
Procur. de la République à la Basse-Terre (Guadeloupe), M. Potier ;
Juge au tribunal sup. de Libreville (Congo), M. André;
Juge auditeur au tribunal sup. de Libreville, M. Roui de la Hellière ,*
I Juge suppléant au tribunal de l^'^ instance de Brazzaville (Congo), M. Lefèvre;
Juge d'instruction au tribunal de l'« instance de Saint-Denis (Réunion), M. Martin;
Juge d'instruct. au tribunal de 1'* instance de Saint-Pierre (Réunion), M. Digeon ;
, Juge au tribunal de 1'* instance de Saint-Pierre (Réunion), M. Delacroix;
f Juge au tribunal de l" instance de Fort-de-France (Martinique), M. Garnier ;
Juge suppléant au tribunal de 1'* instance de Cajenne (Guyane), M. Sainte-Luce;
Greffier-notaire du tribunal de !'« instance de Porto-Novo (Dahomey),
M. Latreuille.
544 QUESTIONS DIPLUBIATIQUES ET COLONIALES
BIBLIOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES
Un Bagne russe. Vile de Sakhaline, par M. Paul Labbé.
' Librairie Hachette.
Un Bagne msse est le compte rendu de la mission que M. Paul Labbé a
accomplie pour le ministère de l'Instruction publique en Extrême-Orient
dans l'île de Sakhaline ou Saghalien.
Notre voyageur a étudié avec grand soin et longuement les conditions
d'existence des forçats russes dans les colonies pénitentiaires, dans les
prisons et dans les villages de l'île. Son récit est plein d'observations
prises de visu, sur le fait, et grâce à sa connaissance de la langue russe,
il a pu nous mettre en quelque sorte sous les yeux Timage même de la
vie des forçats avec ses tristesses et ses écœurements.
Puis M. Paul Labbé pénétra dans l'île et vécut au milieu des Guilikis
et des Aînos, populations jusqu'alors à peine étudiées. La vie ùe ces sau-
vages, qui peu à peu disparaissent, est vivement racontée et dépeinte a
l'aide d'un grand nombre d'anecdotes amusantes, de traits de mœurs et
d'aventures. Le dernier chapitre décrit la fameuse fête de l'ours, pleine de
détails aussi pittoresques qu'inattendus.
Ouvrages déposés au bureau de la Revue,
La France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX* siècle^ publiée*
sous la direction du P. Piolet, avec la collaboration de toutes les sociétés de mis-
sions. — Illustrations d'après des documents originaux. — Tome VI et dernier.
Missions d'Amérique. Les 93* et 9i* livraisons viennent de paraître. Paris, 1903,
librairie A. Colin.
Etude sur les relations économiques des principaux pays de l'Europe continen-
tale avec V Extrême-Orient^ par Edouard Clavbry, consul de France. Une bro-
chure in-80 de 6i pages. Léautey, éditeur. Paris, 1903.
Les Lazaristes à Madagascar au XVII* siècle, par Henri Fboidevaux. Un roi. in-fii
de 256 pages. Gh. Poussielgue, éditeur. Paris, 1903.
LES REVUES
I. — REVUES FRANÇAISES
Armée et Marine (;» avril). M. : L'artillerie moyenne des cuirassés en chantier>
ou à flot en France et à l'étranger. — A. Colombier : L'Ecole des mousses et no-
vices de Cette. — Les turbines appliquées à la propulsion des navires. — E. L. .
Les paquebots allemands et le tourisme. — (12 avril). Z. : La légion étrangère
— D"" Victor Sboalen : Vers les sinistrés : cyclone des Iles Tuarûotou.
La Quinzaine coloniale (10 avinl). La politique indigène et radministration de
la justice. — Le commerce des colonies. — L'emprunt, du gouvernement général
de l'Afrique Occidentale.
Revue coloniale {nov,-déc. 1902). Lieutenant Duboc : La mission du golfe de
Guinée. — La mission Vigoureux (Océanie). — Capitaine Victor Mabibu : Haut-
Oubangbi.
Revue générale des Sciences (30 mars). Edm. Doutté : Les Marocains et h
société marocaine. Troisième partie : La Religion.
Revue politique et parlementaire (10 avril). Rsffé Millet : Les AfT&i^e^
étrangères et le Parlement. — *** : Nos communications avec l'Algérie : Le pas-
sage du détroit de Gibraltar.
II. — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues belges.
Le Mouvement idéographique (5 avril). A.-J. W. ^ La « Discoverj » au Pôle
Sud. — (12 avril). A.-J. Wauters : Les territoires pris à bail du Haut-Nil.
U Administratêur-Oérant : P. Campaiw.
PARIS. — IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUB CASilBTTB, 17.
APERÇU DE QUELQUES SÔMMIAlREÔ
* ftnm-irm.rin-njuu-ij
Sommaire do n» 139
iVotK eoqsêta : A propos des affaires de Siam : Opinions do MM. Godin, le Comte
d'Annay, Berthelot, Ce Myre de Vilers, Denys Cochm, Plourens, Senart, et du journal
Le Temps, -^ Maurice Boret : Les yilles de santé dans nos Colonies. — Georges
Bthler : La lutte tchèque-allemande.
Cartea et gravures : Répartition des nationalités en Aulriche-Hongrie.
Sommaire do n" i40
Kotn eiKinête s A propos des affaires de Siam ; opiuions do MM. François Deloncle, le
baron d'Estoarn elles, de Constant, Ger^iUe-Réache, H. Cordier, Marcel Monnier,
Charles Lemire. — *** : L'œuvre française en Afrique occidentale. — Paal Labbé :
La région du fleure Amour, la prorince Maritime.
Cartes et grovares : L Les nouvelles délimitations des colonies de l'Afrique occidentale.
~ II. La région du fleuve amour. ■
Sommaire du no 141
Saiot-Germain, sénateur d'Oran : La question du Maroc. ~ Le Myre de Yilers, ancien
député de la Cochinchine : La crise de l'argent en Indo^Chine. — *** : Le conflit
anglo- germano-vénézuélien. — René Basset, directeur de l'École supérieure des Lettres
d'Alger : Le XIII* congrès international des orientalistes à Hambourg. — René Piuon:
Les missions catholiques françaises au xix" siècle. — L. Brnnet, député de la Réunion:
Madagascar. — Les territoires militaires.
^ Cartes et gravures ; Carte du Maroc. — Carte du Venezuela.
Sommaire du n* i 42
Notre expansion coloniale et les partis politiques. — René Henry : La question do la
Macédoine. — X. : La question du Maroc. — Notre Enquête : A propos des affaires do
Siam; opinions de M. G. Chastenet, d'un collaborateur d'Extrême-Orient, de M. Robert
de Caix [Journal des Débats) ; protestation de l'Association des écrivains militaires,
maritimes et coloniaux, Président, M. H. Houssaye.
(^«8 et gravures : I. Péninsule des Balkans : indications oro^raphiques. — II. La
Targuie d'Europe. — III La Péninsule des Balkans d'après le traité de San-Stefano.
Sommaire dn n i4«1
A DgMte Terrier ; La délimitation de rEihiopie. — René Heury : La (juestion de Macé-
doine. — — Alexandre Gnasco ; Le paludisme et l'initiative privée en Corse. —
i. Denais-Darnays .- Fédéralisme et socialisme en Australasie. — René Morenx :
Le traité franco-siamois et Topinion allemande.
Cartei et gravures : I. Frontière entre le Soudan Anglo-Egyptien et l'Ethiopie. —
11. Délimiution de l'Afrique Orientale.
Sommaire du n^ i44
E. Fdllot : Le commerce du Sahara. — Georges Bohler : La question du Venezuela. —
Goaalès Flgnelras : Une première occupation allemande au Venezuela (xvi« siècle). —
Gabriel Louis-Jaruy : La presse politique en Bohême, Moravie et Silésie.
Cartes et gravmres ; Carte du Sahara,
Sommaire du iè9 i45
lleari Bohler : Le chemin de fer de Bagdad : Les intôruts français et allemands en
Torquio. — Alexandre Gnasco : Les Boxeurs et les trouble du Sc-tchouan. — Aspe-
Flenrinout : Le projet d'emprunt du gouvernement général de l'Afrique occidentale
française. — £. Feyralbe : Le Congres national des travaux publics.
Cartea et Gravures : I. Le chemin de fer de Bagdad. — II. La ville de Tcheng-tou-fou.
Sommaire dn n<> 146
Cuimlr Pralon : Les afiaires macédoniennes. — ***: La question du Congo. — J. Xior :
Situation économique de la Côte d'Ivoire. — Maurice Buret : Quatre plaies coloniales
Henri Hantich : La Bohême en deuil.
Cartes et gravures : La Côte d'Ivoire.
Sommaire du n^ i47
Gabriel Louis-Jaray: Les finances d'Ëtat en Allemagne.— Le Breton: La question de
Terre-Neuve. Saint-Pierre et Miquelon. — Aspe-Flenrimont : La question du coton. —
y Xlor : Situation économique de la Côte d'Ivoire.
Cartes et gravures : Ile de Saint-Pierre et Miquelon.
7 PRIMES A NOS ABONNÉS
L'administration de la Revae se charge, à titre gracieux, de tous
Ibs achats et expéditions de livres, cartes géographiques, aux prix
de Paris, pour ses abonnés de province, des colonies et de l'étranger : ~
s'adresser directement à radministrateur de la Revue, 19, rue
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kssh I» 149 1" Mai 1903
OXJEÎSTIOIV©
liplomatiques et Coloniales
REVUE DE POLITIOUE EXTÉRIEUR
PARAISSANT LE 1*' ET LE IS DE OHAQuW' BfQIS
SOl^OVdLAJRE:
Pages
ïnpl Lopin. Les pays du Tchad et l'Europe 543
'■n'pssear de géographie coloniale à
iDivorsité de Bordeaux.
ibriel Louis-Jaray Une révolution légale en Irlande 573
ihur Girauit La représentation des colonies au Parlement 585
*rc(>>5ear d'Economie politique à la
HcQii^ de droit de Poitiers.
CHROMIQUES DE E^A QUII!VZil.II!VIS
politiques — 590
économiques 600
Rominations officielles ^ 604
Bibliographie — livres et Revues 606
ifte des pays du Tchad 551
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QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
LES PAYS DU TCHAD ET UEUROPE '^
Par une série d'accords intervenus de 1890 à 1899, la
France, TAngleterre et TAUemagne ont délimité à grandes
lignes leurs sphères d'influence dans TAfriquc centrale, mais
les domaines ainsi assignés ne sont pas entièrement appro-
priés, en ce. commencement de Tannée 1903. 11 peut arriver
que, le détail de la géographie et de l'ethnographie de ces
régions étant aujourd'hui mieux connu, des remaniements
soient apportés aux textes précédemment rédigés. La possibilité
de telles modifications est admise, non seulement chez nous,
mais en Allemagne et même en Angleterre. Le moment est
donc opportun de rechercher, d'après les données les plus
récentes, ce que sont ces pays du Tchad et comment la prise
de possession en pourra être définitivement accomplie par les
puissances co partageantes*.
*
Le lac Tchad occupe sensiblement le fond d'une dépression
évidée dans les plateaux de l'Afrique centrale; à l'Est, les ter-
> Bibliographie (nous n^indiquons ici que les documents les plus récents).
FoL'REAU, D'Algei* au Congo par le Tchad, Paris, 1902 ; — Gentil, La chute de
tEmpire de Rabah, Paris, 1902 ; — Bruel, L'occupation du bassin du Tchad et la
région du Haut Chan, Moulins, 1902 ; — Marcel Dubois et Auguste Terrier, Un
'i^cle d'expansion coloniale, Paris, 1902 ; cet ouvrage contient, très bien classés.
les textes officiels des conventions internationales. — La Géographie (Prins, Vers le
Tchady 1900, 177-196; Gewtil, Occupation et organisation des territoires du
fcAûc/, 1901, 3?»3-368; Capitaine Joalland, Z)e Zinder au Tchad et conquête du
hanenij 1901, 369-380; et les récentes études (1903) du colonel Destenavo et de ses
collaborateurs). — La Revue coloniale, nouvelle série, I, juillet-août 1901. Rap-
ports sur le 3* territoire militaire de l'Afrique Occidentale, notamment celui
"ia capitaine Moll sur le Zinder. — Enfin la collection de l'excellent Bulletin du
Cùmité de l'Afrique française, où l'on trouve des informations complètes sur les
colonies étrangères (Extraits des rapports de sir Frédéric Lugard ; — traduction
in-extenso du rapport du lieutenant-colonel Pavel, etc..) et des documents de pre-
mier ordre sur les territoires français (missions Huot-Bernard, Loefler, Lenfant;
articles sur les Sénoussis^ etc..) Cf. aussi la Deutsche Kolonialzeitung.
QuKST. Dipl. et Col. — t. xv. — V 149. — I'^'hai 1903. 3o
546 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Fasses du Ouadaï descendent lentement de 800 à 4 ou 500 mètres;
au Sud-Est, on cote environ 700 mètres, aux sources du Bamin-
gui, l'un des bras supérieurs du Chari ; au Sud, 520 mètres sur
la route de portage qui joint le Gribingui (Chari) au versant de
rOubangui et du Congo, 700 mètres sur les savanes qui sépa-
rent rOuom (Chari) de la Bali (Congo) ; vers l'Ouest, le sol se
relève aux approches des hauteurs de TAdamaoua, puis, après
une coupée profonde où coulent le Mayo-Kebbi et la Dénoué,
par 280 à 300 mètres, s'étale en plateaux qui regagnent environ
700 mètres au Nord-Ouest de Kouka ; au Nord seulement, le
Tchad n'est pas exactement placé au fond de cette vaste cuvette;
tandis que son niveau moyen se soutient à 270 mètres d'altitude,
le Bodélé, au pied des monts du Tibesti, serait encore d'une
trentaine de mètres plus bas.
Ces plateaux bordures sont paurfois traversés de pointements
montagneux qui accidentent brusquement le relief; nous con-
naissons mal encore les monts Marras, qui s'élèvent entre le
Ouadaï et le Darfour; Nachtigal nous a décrit les massifs vol-
caniques du Tibesti, dont les sommets culminent à 2.600 et
2.700 mètres. M. Prins, qui a étudié le Baguirmi avec beau-
coup de soin et d'intelligence, rapporte avoir vu, au loin à l'Est
du Chari, des montagnes auxquelles il attribue 2.000 mètres;
entre le Chari et le Congo, les explorations récentes n'ont pas
relevé d'accidents aussi notables : le passage est insensible de
l'un à l'autre bassin et de môme, au pied de l'Adamaoua, les
sources qui vont au Logone ou au Congo voisinent et s'em-
brouillent. L'Adamaoua possède de véritables montagnes;
Mizon et Maistre nous en ont parlé, et tout récemment, le lieu-
tenant-colonel Pavel, chargé d'établir la souveraineté allemande
dans l'hinterland du Cameroun.
L'Adamaoua constitue certainement une des régions les plus
intéressantes de cette partie de l'Afrique ; ses montagnes, direc-
tement exposées aux vents pluvieux du golfe de Guinée, sont un
château d'eau comparable au Fouta-Djallon; le niveau moyen
des plateaux doit être de 12 à 1.300 mètres, altitude observée
par Mizon près de Ngaoundéré, et par le colonel Pavel non
loin de Garoua. Là-dessus s'enlèvent des ressauts qui attei-
gnent 2.400 mètres (Pavel) ; sur ces plateaux les nuits sont
fraîches et contrastent avec celles des vallées du Congo et de la
Bénoué ; la chaleur y est au contraire accablante dans la journée.
Mizon y a parfois noté des températures nocturnes de -!- 3® ;
les porteurs de Maistre, habitués aux étuves des forêts équato-
riales, non munis de vêtements de laine, souffrirent beaucoup
de ces froids. Les montagnes de l'Adamaoua sont probablement
LES PAYS DU TCHAD ET l'eUROPE 547
les Diémes que celles qui, sous le nom de monts Mendifs, bor-
dent au Nord la dépression de la Bénoué. Cette zone se pro-
longe à rOuest par les plateaux du pays des Aros, coupés de
vallées abruptes et boisées, au Nord-Est par les hauteurs ondu-
lées de Saria et de Baoutchi, dont les terrasses bordent, au Sud,
le Bomou; on peut en retrouver les caractères dans les
rochers qui emprisonnent le bas Niger autour de Lokodja.
C'est dire que, pour pénétrer du fond du golfe de Guinée
vers le Tchad, on doit franchir un relief assez tourmenté, sauf
en suivant la ligne fluviale Niger-Bénoué. Au contraire on passe
aisément de l'Oubangui au Chari et de même, à TOuest du lac,
la transition est lente entre le Sokoto, dont les rivières vont au
Mger en amont de Boussa, et la Komadougou-Yobé, tributaire
du Tchad ; la descente d'Ouest en Est se fait par des pentes dou-
cement ménagées, sur lesquelles des chapelets de marigots,
communiquant pendant les crues, dessinent en creux très
accusés une hydrographie superficielle intermittente; le sol,
constitué principalement par des grès, est parsemé de blocs de
granit ; les arbres se réfugient au bord des étangs et des rivières;
les cuvettes des petits lacs, ordinairement marquées par des
dépôts de natron, s'enfoncent dans le plateau de 5 à 6 mè-
tres, entre des berges raides.
Autour du Tchad sont accumulées des couches de sable
argileux, couvrant de vastes superficies, et parmi lesquelles le
réseau fluvio-lacustre se développe sans déterminations rigou-
reuses. Il est vraisemblable que ces formations se rattachent
à celle des dunes, accumulées au Nord et au Nord-Est du
Tchad par les vents alizés, et dont le progrès a dû séparer du lac
principal le petit lac Fitri et la dépression plus septentrionale
du Bodélé. Foureau, dont la mission contourna le Tchad pen-
dant la saison sèche (fin janvier et février), a observé que le
versant méridional de ces dunes était fixé par de grands arbres
espacés, groupés comme pour le plaisir des yeux, tandis
qu'entre le pied de ces collines et la laisse des basses eaux
règne une zone de lagunes, à la vase craquelée en saison sèche,
hantées par des légions de moustiques et piquetées çà et là de
bosquets de doums. On ne doit donc pas dire que le Sahara
confine immédiatement au Tchad ; mais il en est tout voisin.
Très près de Nguigmi, à l'angle Nord occidental du lac, com-
mence la brousse à gommiers, balayée par des vents brûlants
du Nord-Est, où le voyageur est souvent déçu par le mirage.
Le Tchad est alimenté par deux groupes fluviaux de très
inégale importance, celui du Chari et celui de la Komadougou-
548 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Yobé La répartition du relief et des pluies explique celte
inégalité Sans vouloir forcer les analogies, il semble bien
au'ici joue un mécanisme pareil àcelui des moussons de l'Inde :
les plateaux du centre africain, très échauffés en été, devien-
nent un puissant foyer d'appel, qui attire les nuées pluvieuses
du eolfe de Guinée ; la direction normale des alizés, qui souf-
flent du Nord-Est au Sud-Ouest, en est déviée et presque exac-
tement renversée, du Sud-Ouest au Nord-Est Les vents gui-
néens arrêtés par les hauteurs de l'Adamaoua, déposent la pres-
aue toutp l'humidité dont ils sont chargés. Ainsi se forment la
Bénoué et ses affluents, les rivières tributaires du Niger en
aval de Boussa, celles qui viennent tomber directement au fond
du golfe de Guinée (Sannaga, etc.), enfin le réseau du Logone
Vers le Nord ne passent que des pluies peu abondantes, quisul-
fisent à remplir temporairement les marigots et à constituer
d'une part la Komadougou-Yobé, de l'autre les rfa«ofe du Sokotcv
dont les ravins tombent dans le Niger. Le nom de Komadougou
sio-nilierait « grand amas d'eau » dans la langue du Bornou:
celte désignation rappelle celle des nombreux Oued el Kebir
,1e grand fleuve) du littoral de l'Afrique Mineure, grands seu-
lement pour ceux qui n'ont jamais vu de manifestations hydro-
graphiques plus imposantes. La Komadougou-Yobé na pas
moins de 600 kilomètres de long, entre des berges boisées,
hautes de 4 à 5 mètres; en fait, c'est une pauvre rivière que
l'on pourrait comparer au Chéliff algérien.
Très différent est le Chari, dont le cours s'étend sur 1.300 à
i iOO kilomètres, beau fleuve permanent, sujet à des crues
comme tous les cours d'eau des tropiques, mais que tout indique
comme pouvant devenir une voie navigable fréquentée, même
en saison sèche. Au Sud de l'Adamaoua et des massifs volcani-
aues qui bordent la côte du Cameroun, les vents du Sud-Oue.l
Dénètrent sans obstacles sur les plateaux où naissent les sources
du Chari Des pluies copieuses sont précipitées chaque annfe
sur ces grès, partiellement recouverts de granits, où coulent
les hauts tributaires de ce fleuve. A laquelle de ces rivières
doit-on dès l'origine, attribuer le nom de Char ? Cette ques-
tion a fait l'objet de controverses récentes, dont l intérêt est
théorique plutôt que pratique. Les rivières de l'Ouest, plus
voisines de l'Atlantique, plus immédiatement nourries des
pluies guinéennes, sont certainement les plus abondantes^
ceUes par conséquent qui contribuent le plus efficacement à
former et à soutenir le Chari. La transition serait marquée
d'Ouest en Est, par l'Ouom (Bahr Sara M, le Gribingui etje
■ . Celte ideot.acut.on a été etahl.e par lu belle a...8.on de MM. Huoi et Me^-
dans Tautomne de 1900.
■P"ll If I
LES PAYS DU TCHAD ET l'eUROPE 549
Bamingui vers les fleuves moins constants du Ouadaï, qui sont
des oueds du type de ceux du Bornou inférieur; elle s'accuse-
rait également du Sud au Nord : à Laï, sur le Logone, Maistre a
rencontré des bouquets de palmiers serrés autour de puits.
Tout le domaine du Chari appartient donc au régime des pluies
périodiques de printemps et d'été. Nous n'avons pas encore
une série suffisamment longue d'observations météorologiques
pour connaître exactement le détail de ce régime; cependant
nous pouvons estimer que la division générale indiquée par
Gentil est exacte dans l'ensemble : entre 5** et 6H5', rareté
des pluies du 15 novembre au 15 mars, averses intermittentes
ensuite, dont les indigènes profitent pour les semailles, jusqu'au
15 juin; saison humide, avec précipitations abondantes, du
13 juin au 15 octobre, puis disparition progressive des pluies
jusqu'à l'établissement de la saison sèche; entre 6°45' et 9*",
cette dernière se prolonge pendant cinq mois; de 9® h 13°,
cVst-à-dire dans la zone du bas Chari et du Tchad, on compte
huit mois de saison sèche et seulement quatre mois de pluies,
du 15 juin au 15 octobre. Au poste de Gribingui ou Fort-
Cranipel, du 1" novembre 1899 au l""" novembre 1900, on
recueillit 1.275 millimètres de pluie, avec chute maximum en
juillet (274 millimètres).
Ainsi le Chari apporte au Tchad un tribut d'eau considé-
rable : en août, la crue du Gribingui n'est pas inférieure à
fi mètres, tandis qu'en février le lit est presque à sec. Au con-
fluent de cette rivière, d'après Prins, le Chari aurait 100 mètres
de large et sa profondeur ne tomberait jamais au-dessous de
2 raètrest C'est en août et septembre que, sur le moyen Chari,
la crue atteint son maximum; elle s'élève alors à 8 mètres ati-
dessus de Tétiage, malheureusement le cours est instable. La
rive droite, généralement plus basse, est sans cesse remaniée
par l'irruption d'eaux temporaires; les courbes, sur une sur-
face à peine inclinée, sont de faible rayon. Enfin plus on
avance vers le Tchad et plus les bois sont rares, môme sur les
rives; le chauffage des machines, sur les bateaux à vapeur, est
donc un problème difficile à résoudre, tandis qu'il est à peu
près impossible, du moins aux basses eaux, d'éviter des
échouages sur des hauts-fonds et des bancs d'huîtres.
Le delta commence à 60 kilomètres du Tchad et forme un
dédale d'îles à demi noyées qui se prolongent, tour à tour cou-
vertes et découvertes par les crues, assez avant dans le lac lui-
mt^me. Le Logone, qui vient mêler ses eaux à celles du Chari,
paraît avoir, dans des conglomérats siliceux, un cours plus fixe
que celui du bas Chari. Des communications intermittentes sont
550 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
établies, pendant les crues, entre le Ouom et le Logone ; en cette
saison, un bras détaché du Chari, à droite, se rapproche de
Massénia, capitale duBaghirmi; c'est le Bahr-Erguieg, reconnu
par Gentil, lors de son premier voyage auprès de notre allié
Gaourang. Alors aussi, les marais de Toubouri s'étendent entre
le Logone et le Mayo-Kebbi, tributaire de la Bénoué. Le capi-
taine Loefler a établi, dans sa remarquable exploration du prin-
temps de 1901, qu'un chenal continu se forme, pendant les
crues, entre ces deux rivières ; des pirogues circulent alors sur
cette nappe unique, par où le Tchad est en relations directes
avec la mer, mais il n'est pas sûr qu'une communication flu-
viale régulière, fût-elle limitée à quelques mois de l'année,
puisse être assurée par cette voie. Tous ces cours d'eau de la
plaine sont très poissonneux ; et les indigènes riverains y navi-
guent, péchant "et commerçant, dans de grandes barques qui ont
jusqu'à 20 mètres de long.
Alimenté par un fleuve aussi peu constant que le Chari, le lac
Tchad doit lui-même présenter des variations de niveau d'une
certaine amplitude. Etait-il jadis plus vaste qu'aujourd'hui?
L'opinion de Barth, de Rohlfs, de Nachtigal, est qu'il englobait
autrefois toute la dépression du Bodélé, donc qu'il recouvrait
une partie au moins du Kanem; le Bahr-el-Ghazal, ravin
d'oued qui lui arrive à l'Est, serait la trace encore subsistante
de cette ancienne extension. Nous avons nous-même admis cette
hypothèse*, avant la publication des dernières explorations;
aujourd'hui, d'après Foureau et le capitaine Joalland, il paraît
plus probable que le Bahr-el-Ghazal est, non pas un affluent,
mais simplement un golfe allongé, dans lequel les^aux du
Tchad montent, pendant les crues, jusqu'à 70 ou 80 kilomètres
de la laisse des basses eaux. Le littoral oriental du lac est aussi
peu précis que le delta du Chari ; sur les roseaux de ce sol très
plat, Foureau relevait une hauteur de 1"20 entre le niveau du
lac en février et la trace visible des eaux majeures. Si intense
que l'on suppose l'évaporation estivale, il n'est donc pas probable
que le Tchad recule annuellement ; il reçoit plus d'eau qu'il
n'en perd et l'on peut attribuer à ses infiltrations les puisards
du Kanem, au Nord-Est.
Tout récemment, des renseignements inédits sur le Tchad
ont été publiés, d'après les reconnaissances du colonel Deste-
nave, du capitaine Trufl^ert et de l'enseigne de vaisseau d'Huard :
le lac, long de 300 kilomètres, large de 130, se déplace vers
l'Ouest, où l'on trouve des profondeurs de 7 à 8 mètres ; il est
parsemé d'îles nombreuses, dont les plus méridionales sont
1 L*Afrique à l entrée du xx® siècle^ Pans 1901, p. 238.
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S5â QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS
habitées et couvertes de cultures de mil ; les plus septentrio-
nales portent des pâturages, d'autres, plus au Nord encore, sont
d'une aridité toute saharienne. La navigation sur le Tchad est
périlleuse, car les eaux en sont agitées comme celles de la mer;
il faudra en tenir compte pour construire la flottille qui ne
devra comprendre que des bateaux pontés et munis de quille.
L'inégale distribution des pluies permet de distinguer dans
les pays du Tchad plusieurs régions naturelles ; au Sud-Ouest
du lac, l'Adamaoua et le Yacoba, intermédiaires entre le
domaine du Tchad et celui du golfe de Guinée, puis le Bornou,
le Zinderetle Sokoto par lesquels on passe du Soudan au Sahara;
au Nord et à TEst, le Kanem, déjà plus saharien, le Baguirrai
qui ressemble au bas Bornou, et que dominent les terrasses du
Ouadaï; au Sud-Est enfin, la zone du moyen et du hautChari,
qui conduit au bassin du Congo. Jusqu'ici, les explorateurs qui
ont atteint les bords du Tchad ont, pour la plupart, tourné les
hauteurs de TAdamaoua, soit par le Chari, soit par le Soudan de
Sokoto et Kano ; plus récemment, des expéditions allemandes
et anglaises, parties de la côte du Cameroun et du Lagos, ont
pénétré plus directement, à travers une zone de montagnes assez
difficile, que divise en deux la vallée plus humide et moins
saine de la Bénoué. Ces explorations ont démontré que TAda-
maoua et ses prolongements occidentaux constituaient bien
une barrière, ethnique et climatique; ils sont habités par des
populations fétichistes, que Tlslam travaille sous nos yeux, et
tous leurs fonds sont tapissés d'un épais revêtement de forêts.
Au commencement de 1902, le gouvernement anglais de la
Nigeria a soumis, par la destruction de leur capitale, les popu-
lations Aros qui habitent ces montagnes, barbares à la religion
sanguinaire, mais qui restaient le gibier de prédilection des
musulmans du Nord, chasseurs et marchands d'esclaves ; de
même le colonel Pavel a rencontré au Sud de la Bénoué, dans
des districts de haut relief, des tribus belliqueuses, très peu
accueillantes pour les Européens, et dont il a dû châtier plu-
sieurs villages. Une observation semblable a été faite par la
mission économique de M. Bauer, envoyée dans le haut
Adamaoua en 1902 par*le comité colonial allemand. Ces indi-
gènes n'avaient jamais été soumis par les Foulanes musul-
mans et pillaient volontiers les commerçants haoussas, quand
ils pouvaient les surprendre ; les sédentaires de Dikoa ne pou-
vaient assez remercier le colonel Pavel d'avoir rouvert les
routes par la défaite de ces brigands ; ainsi des sultans comme
celui de Yola, jadis Thôte et Tami de Mizon, n'étendaient sur
ri'w "^
LES PAYS DU TCUAD ET l'eUROPE 553
rintérieur du pays qu'une domination précaire, se bornant à
loccupation de quelques forteresses, telle Ngaoundéré, et à la
protection rémunérée des transactions des Haoussas.
L'appropriation par les Foulanes de TAdamaoua et des pays
delà Bénoué paraît donc beaucoup moins avancée que celle du
Fouta-Djallon ; c'est dire que la conquête de Tlslam y est aussi
beaucoup moins complète, et que Tintervention des Européens,
dans l'espèce Allemands et Anglais, n'aura pas à tenir compte
des mêmes susceptibilités musulmanes que la nôtre dans le
Fouta-Djallon. Cette considération ne manque pas d'importance,
si l'on songe que les plateaux de Baoutchi, de Saria (Nigeria
anglaise), de Bamenda (Cameroun allemand) sont, par leur alti-
titude, à l'abri de l'humidité chaude des côtes et se prêtent par
conséquent à l'établissement de sanatoriums précieux pour le
personnel blanc de villes littorales. Il convient d'ajouter que
i'Adamaoua méridional, autour de Ngaoundéré. est très peuplé,
bien cultivé et fait déjà un commerce de caoutchouc important
avec les postes français de la Sanga.
Nous n'aurions pas à parler plus longuement de cette région,
excentrique aux pays du Tchad proprement dits, si elle n'était
traversée par la route fluviale de la Bénoué, que l'on consi-
dère parfois comme la meilleure voie d'accès du Tchad. Le
capitaine Lenfant, après avoir remonté le Niger jusqu'à Say, si
heureusement que l'on se demande si cette route ne deviendra
pas commercialement praticable *, rapporte qu'il a interrogé
sur la Bénoué les piroguiers les plus expérimentés et que tous
s'accordent à déclarer la rivière facilement navigable. « Si l'ex-
périence réussissait, ajoute cet officier, les caisses de vivres
pourraient être portées par la Bénoué ou le Mayo-Kebbi à une
journée de marche du' Logone, qui... permet d'aborder directe-
ment le Chari. » La mission Bauer a déterminé les sources de
la Bénoué et trouvé que, même en saison sèche, la rivière mesu-
rait très peu en aval 5 à 10 mètres de large. Rappelons toute-
fois que l'expérience de Mizon paraît opposer quelques objec-
tions à un optimisme trop confiant : tandis qu'aux crues,
pendant le mois de septembre, la Bénoué coule à pleins bords
entre ses rives et mesure 8 à 12 mètres de profondeur dès
en amont d'Yola, plus bas elle s'étale et prête aux échouages; en
février, la navigation ne commencerait qu'en aval d'ibi
[Maistre).
En avant des montagnes où coule la Bénoué, se déploient
•Cet exploit vient d'être renouvelé (décembre 1902 — janvier 1903) par le capitaine
Foureau, avec un convoi portant près de 100 tonnes de vivres.
^m
554 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
les plateaux du Sokoto, du Kano, du Bomou qui descendent par
gradins jusqu'au Tchad. Tous les Etats indigènes de cette partie
de l'Afrique ont été profondément troublés par les conquêtes et
les pillages de Rabah ; mais ce sont, à n'en pas douter, des pays
fertiles, où la paix aura vite fait de reconstituer une population
dense, où l'établissement de sultanies musulmanes a déjà sub-
stitué une organisation politique rudimentaire à l'anarchie
toute primitive des populations noires restées païennes. Le
Kano et le Sokoto forment ce que l'on nomme plus particuliè-
rement le Haoussa. Kano doit être, encore aujourd'hui, l'une
Jes grandes villes de l'Afrique centrale ; les alentours ont été
désolés par des guerres récentes, cependant la variété des pro-
duits, l'industrie des habitants font de Kano un marché considé-
rable, à la lisière du Soudan et du Sahara. Chaque année, des
caravanes, venant du Nord et du Sud, y échangent le sel de
Bilma contre des noix de kola, des étoffes, de la bimbeloterie
européenne; les commerçants qui ont traversé le Sahara vien-
nent terminer leur voyage à Kano ; là sont fabriquées des pote-
ries dont la réputation est établie jusqu'au Maroc ; d'autres
indigènes tissent et teignent le coton, cultivent le manioc, le
riz, les légumes. Et pourtant Kano est une ville malsaine, épan-
due comme un camp sur un sol à marigots, formée d'une agglo-
mération de bourgades sans voirie autour de la forteresse où
réside le sultan.
Quelle hiérarchie locale est établie entre le Sokoto et le Kano,
entre ces deux Etats musulmans et leurs voisins, le Damergou
qui englobe les oasis de Zinder, le Gando qui se prolonge en
plateaux ondulés jusque dans notre arrière-Dahomey? Nous
n'en savons exactement rien à l'heure présente ; les change-
ments de personnes ou de dynasties sont si fréquents, en ces
pays de luttes perpétuelles, qu'il serait imprudent de poser des
précisions. Il semble que le Sokoto a jadis payé tribut à des
sultans de l'Adamaoua, dont il est certainement affranchi au-
jourd'hui. Tout ce que l'on peut affirmer, c'est que Sokoto,
comme Kano, est le siège d'un Etat indigène où des musulmans
guerriers et pasteurs ont réduit en esclavage ou en vassalité
des tribus païennes qu'ils ont peu à peu converties. Suivant la
valeur individuelle des chefs de cette féodalité de Foulanes,
suivant leurs aptitudes à se servir pour des fins politiques des
Haoussas, métis indigènes islamisés, qui sont les commerçants
de tous les pays du bas Niger, la puissance de l'un ou de l'autre
a dominé parmi ses voisins ; mais il n'est pas probable qu'une
hiérarchie régulière, autour d'un centre de souveraineté tou-
jours le môme, se soit jamais constituée dans cette région.
LES PAYS DU TCHAD ET l'eDROPE 555
Le Bomou est l'Etat où Rabah plaça sa dernière capitale,
après une carrière aventureuse, qui Tamena des bords du Nil à
ceux du lac Tchad ; il nous est mieux connu que le Kano et
le Sokoto, ayant été partiellement parcouru par les troupes
françaises, à la poursuite de Rabah et de son fils Fadel-Âllah,
puis traversé du Sud au Nord-Ouest par le capitaine Joalland,
rentrant au Soudan. Passant une première fois dans le bas
Bornou, pendant la saison sèche. Gentil s'inquiétait de trouver
un sol plat, sans eau, d'aspect presque saharien ; cependant le
pays paraissait peuplé de nombreux petits villages, avec réduits
fortifiés, indiquant à la fois la densité des indigènes et le
régime de conquête qui pesait sur eux; Teau, trouble et blan-
châtre, teignait le café d'une couleur de lait. C'étaient les mêmes
impressions de tristesse qui assaillirent, deux ans plus tard, en
cette même saison sèche, les compagnons européens deMorland,
puis ceux de Pavel. Mais, dès que les premières pluies sont
tombées, tout ce désert s'anime ; les habitants sortent de leurs
villages pour ensemencer ; quelques semaines après avoir
désespéré d'un pays qui lui semblait si pauvre. Gentil recon-
naissait, au contraire, qu'il porte en abondance des moissons
de mil, de riz, de légumes et convient à l'élevage du gros bétail.
Là s'élevait une ville indigène, Kouka, dont Rabah fit un
monceau de ruines : 30.000 hommes y auraient été massa-
crés. Foureau, puis des officiers anglais venus depuis la
mort de Rabah, racontent que l'on trouve, épars sur le sol et
brisés, les instruments des teinturiers, corporation jadis puis-
sante de Kouka. Du mil, des arbres poussent librement dans
les anciennes cours; la tranquillitédu hameau de noirs qui
niche dans ces décombres est souvent troublée par le rugisse-
ment proche des lions. Kouka, cependant, ne taidera pas à
renaître; elle est au bord du Tchad, à un endroit où le littoral
serait dégagé des roselières et permet d'espérer l'établissement
d'un port. Quant à Dikoa, quartier général de Rabah, puis de son
fils, c'était, nous assure Gentil, une cité remarquablement
propre, dont le centre était occupé par les résidences fortifiées
du sultan et de ses lieutenants. Depuis l'installation de Rabah,
Dikoa était devenue le foyer d'un commerce actif ; on y voyait,
outre les indigènes bornouans, des caravaniers haoussas et des
commerçants tripoli tains. Avec la fortune étaient venus le luxe et
la débauche ; les fils de Rabah, sinon Rabah lui-même, que l'âge
avaitcalméjSe distinguaient par leurivrognerie et leursaventures
galantes ; et Ton pense par quels excès abominables de violence
bestiale et sanglante ces nègres assouvissaient leurs passions.
La richesse de Dikoa était faite de la misère de provinces
556 QUESTIONS D1FL0MAT1QUI£S KT COLONIALES
entières, razziées et dépeuplées; si Tonne peut refuser à Rabah
des qualités d'administrateur et un incontestable courage per-
sonnel, il faut bien avouer que des chefs de cette trempe res-
semblent d'assez près aux « fléaux de Dieu » de Tépoque bar-
bare; on comprend la terreur des populations indigènes du
Logone, accueillant à coups de flèche la mission Maistre, parce
qu'elles croyaient avoir affaire à « des Arabes » ! Tout autour de
Rabah, et sans doute pour approvisionner son harem et son
armée, des bandes de chasseurs d'esclaves battaient lalisièredes
forêts équatoriales et les districts les plus accessibles de TAda-
maoua : tel ce Mallam Gibrilla, dont le colonel Morland termina
les exploits, dans son expédition du printemps dernier. La dis-
parition de la puissance rabiste va permettre sans trop de
peine la formation d'un Bornou très différent de Tancien, par-
tagé entre des sultans indigènes protégés de gouvernements
européens ; il n'y a plus de conquête à faire, puisque la France
s'en est chargée pour l'Allemagne et pour TAngleterre, il n'y a
plus qu'à organiser la paix et la mise en valeur ; on ne verra
plus là d'autres souverains indigènes que ceux que les maîtres
européens voudront bien conserver ou investir.
De part et d'autre du Bornou en tournant autour du Tchad
d'Ouest en Est, nous trouvons le Damergou, le Kanem, le Ouadaï
et le Baguirmi, tous pays qui tombent dans la zone d'influence
de la France et sont, sauf le Ouadaï, effectivement occupés par
nos soldats; en amont du Baguirmi, vers notre Congo, s'étagent
les territoires civils du haut Chari. Quelle est la condition pré-
sente de ces divers pays? Comme le Bornou, le Baguirmi a subi
le joug de Rabah et se trouve délivré par la disparition du con-
quérant noir. Il marquait, au moment du premier voyage de
Gentil, en 1895, la limite de la pénétration des musulmans
vers le Sud; c'est à Kouno que Foureau, remontant le Chari,
remarqua les premiers rochers depuis le delta de ce fleuve; on
peut donc assigner assez exactement la frontière géographique
des plateaux entre Congo et Chari et des plaines du bas Chari
aux rochers de Togbao, qui dépassent de 100 à 150 mètres le
niveau des bords du fleuve; ils avaient été choisis comme une
forteresse naturelle, à l'extrême pointe des territoires équa-
toriaux du Chari, par le malheureux Bretonnet.
Le Baguirmi n'a plus les forêts épaisses des plateaux d'amont;
les galeries d'arbres se resserrent aux bords des rivières, et
l'on passe progressivement à la savane, coupée de bouquets
d'arbres, mais généralement couverte d'une haute brousse de
graminées, et l'un des pays les plus giboyeux du monde. Les
LES PAYS DU TCUAD ET l'EUROPE 557
chevaux circulent sans peine dans cette région, car ils y trouvent
des grains; plus haut, ils souffrent beaucoup et Tescorte de la
mission saharienne, ramenée par le commandant Reibell, perdit
ainsi le long du Chari plusieurs des animaux qu'elle avait pris
dans le Bornou ; mais le Baguirmi, très irrégulièrement cultivé,
avait été ravagé par Rabah, entre le premier et le deuxième
voyage de Gentil ; sans la chasse, qui fournissait en abondance
j de la viande fraîche, au point qu'un coup de fusil abattait par-
! fois deux antilopes, nos troupes et surtout nos auxiliaires
[ baguirmiens seraient littéralement morts de faim pendant la
campagne de 1899. Rabah avait en effet profité du départ des
Français, après la pointe audacieuse poussée par le Léon-Blot
jusqu'au Tchad, pour envahir le Baguirmi et faire durement
expier à son souverain, Gaourang, l'alliance dès lors ébauchée
avec nous. Pendant que la France faisait un accueil de sympa-
thique curiosité aux envoyés baguirmiens qui furent exhibés
notamment à la revue du 1 4 juillet, leur pays était mis à feu et à
sang parles bandes rabistes; dès le retour de Gentil et la marche
en avant de nos troupes, qui ne purent arriver à temps pour
sauver Bretonnet, Gaourang s'efforça de rejoindre Gentil; il lui
amena une horde affolée, embarrassée de femmes et d'enfants,
de blessés, tous sans vivres, presque nus, fuyant éperdument
devant les vainqueurs; nous eûmes beaucoup de mal à remettre
un peu d'ordre dans cette déroute.
Peu de temps après, la réunion des trois missions du Chari,
de l'Afrique occidentale (Joalland-Meynier) et saharienne
(Foureau-Lamy) permettait à Gentil, directeur général des
opérations, de prendre l'offensive; Rabah fut, on s'en souvient,
battu et tué à la bataille de Rousseri (22 avril 1900) et les pays
du Chari furent dès lors divisés en région civile, confiée à
l'administrateur Bruel, et région militaire, dont le premier
gouverneur fut le commandant Robillot. M. Bruel, aussi
prompt à payer de sa personne qu'habile à gagner la confiance
des indigènes, sut rapidement pacifier et organiser la région
qui lui était confiée; il a trouvé le temps de recenser approxi-
mativement la population de ces territoires qu'il évalue à 7-10
habitants au kilomètre carré, et créé entre Oubangui et Chari
un service de portage qu'adoucira prochainement l'ouverture
d'une piste praticable aux charrois. Les Bandas, Mandjias et
Saras qui peuplent ces pays sont tous païens, plus intelligents
et travailleurs que beaucoup de nègres du Congo et pourront,
bien dirigés, nous fournir des miliciens et des agents commer-.
ciaux pour nos compagnies congolaises. A Kousseri, Prins obser-
vait en 1899 une population active de pécheurs et de tisserands;
558 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONULES
des Arabes OU des noirs islamisés sont pasteurs, parmi ces féti-
chistes sédentaires ; on en rencontre jusqu'à la hauteur de Bousso.
Dans la région militaire, qui englobe le Baguirmi, Gaourang
avait été rétabli comme sultan ; il avait d'ailleurs signalé cette
restauration par des représailles cruelles contre tous ceux qu'il
soupçonnait de Tavoir précédemment trahi. Au cours de
l'année 1902, nous avons certainement amélioré notre établis-
sement auprès de Gaourang ; il n'est pas douteux que le colonel
Destenave, hier encore commandant de ces territoires, n'y ait
fait de bonne besogne ; mais nous sommes réduits là-dessus à
des conjectures, vu le silence à peu près complet des rensei-
gnements publiés. Ce pays paraît intéressant ; Kousseri aurait
eu, vers la fin de la domination de Rabah, 12.000 habitants;
Mara est un gros bourg, centre de riches pêcheries ; Goulféï
posséderait des tisserands et des teinturiers indigènes.
Nous n'avons, pour ainsi dire, plus entendu parler non plus du
Dar Rounga, qui remonte en terrasses au Sud-Est du Baguirmi,
et doit être approximativement le domaine du sultan Snoussi,
le meurtrier de Crampel; c'est encore, avec le Ouadaï tout
proche, un des coins restés mystérieux de l'Afrique. Le Dar
Rounga marque vraisemblablement la province la plus méri-
dionale atteinte de ce côté par la conquête islamique; c'est là
aussi, vers 8** Nord, que le manioc du Congo est remplacé par le
mil dans l'alimentation journalière des indigènes, et que cesse
l'aire du caoutchouc; Snoussi, sultan du Dar Rounga, est musul-
man ; il prélève un tribut sur les caravanes qui passent chaque
année du Ouadaï dans les sultanats du haut Oubangui et ne
devaient guère différer, avant notre établissement, des colonnes
de chasseurs d'esclaves qu'étudia Schweinfurth dans le Bahr-el-
Ghazal; il convient de ne pas confondre, malgré la similitude
des noms, le sultan du Dar Rounga avec le chef de la secte des
Sénoussis, dont les émissaires n'ont jamais pénétré si loin dans
le Sud; le sultan Snoussi a toujours déclaré qu'il fut contraint
par Rabah d'arrêter et de tuer Crampel '.
Faute d'informations détaillées récentes, nous nous contente-
rons sur le Ouadaï de celles que nous ont transmises les anciens
explorateurs, et surtout Nachtigal. Le Ouadaï est habité par
des pasteurs arabes ou islamisés, belliqueux, réfractaires aux
Européens, et par des cultivateurs nègres. On croit que les dis-
tricts les plus méridionaux sont suffisamment arrosés pour
permettre la culture du coton ; mais l'étude même de ces possi-
1 Ceci vient d'être confirmé par des lettres de M. Auguste Chevalier^ arrivées en
France pendant Timpression de cet article, et qui donnent des renseignements nou-
veaux et précieux sur le Dar Rounga.
LES PAYS DU TCHAD ET L'eUROPE 559
bilités économiques est subordonnée à rétablissement de rela-
tions politiques entre nos possessions du bas Chari et les émirs
musulmans du Ouadaï; ceux-ci disposeraient de forces mili-
taires très notables, et nous devons nous enquérir soigneu-
sement, avant de dessiner vers le Ouadai une action quelconque,
militaire ou même commerciale. La capitale, Âbech, est bâtie
sur une colline, au centre d'une campagne cultivée où l'on
creuse des puits pour avoir de Teau ; plus au Nord commencent
les conditions sahariennes, avec cultures concentrées dans des
oasis, et pâturages instables parmi lesquels des nomades pro-
mènent leurs troupeaux transhumants.
Mieux encore que le Ouadaï, ou plutôt par des traits dès
maintenant mieux connus de nous, le Kanem et le Damergou
s'annoncent comme limitrophes du Sahara; les eaux super-
ficielles s'y font rares, sauf par taches sporadiques, et l'élément
touareg apparaît de plus en plus important parmi les populations
noires de sédentaires ; c'est aussi dans le Kanem que nous nous
sommes heurtés pour la première fois à la secte des Sénoussis
qui a lié partie avec les Touareg. Les missions Joalland et
Foureau, qui ont traversé le Kanem dans l'hiver de 1899-1900,
ont trouvé le pays désert, les habitants ayant fui devant les
pillages des Ouled-Slimans. Ceux-ci, bergers et brigands,
mais probablement adversaires des Touareg et des Sénoussis,
venaient fréquemment razzier des champs de mil et des cultures
de dattiers; Tanarchie était générale, entre le Ouadaï, suzerain
nominal du Kanem, qui n'avait garde d'intervenir, les Arabes
métissés de noirs qui sont les habitants des villages dépouillés
par les nomades, les Touareg, les Ouled-Slimans, eux-mêmes
divisés en deux sofs^ et les Tebbous de Bilma, probablement de
même race, qui vont du Tchad au Fezzan tour à tour conduc-
teurs et voleurs de caravanes. En somme, le sol peut nourrir
des populations assez denses; il a de Teau, soit par les pluies
d'été qui se condensent volontiers au-dessus de la masse lacustre
du Tchad, soit par des puits dont la ligne indique vers le Nord
les infiltrations du lac ; le Sahara proprement dit ne commence
que plus loin de l'équateur.
Nguigmi, à la pointe Nord occidentale du Tchad, est une po-
sition importante; un peu au Sud, aussi sur le lac, est situé le
village de Barroua, d'où part la limite assignée par le traité
de 1890 entre les zones d'influence française et anglaise;
là vivent des indigènes cultivateurs qui habitent aux basses
eaux des paillottes sur la laisse des inondations, et pendant les
crues, se retirent sur des collines de sable, hautes de 5 à 8 mètres,
à quelque distance dans l'intérieur. Ces noirs cultivent le mil
560 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
et le coton; ils ont des chameaux, des bœufs et des moutons;
Foureau a relevé près de Nguigmi une baie libre de roseaux,
où il serait, sans doute, facile d'aménager un port. 11 est doac
permis d'aflirmer, dès maintenant, que ces pays ne sont pas
dénués de ressources, que par la paix, par une protection assu-
rée contre les déprédations des nomades, les populations locales
multiplieront et s'enrichiront rapidement. Ici, nous ne sommes
plus dans le domaine administratif du Chari, mais bien dans
le 3" territoire militaire de l'Afrique Occidentale française.
Entre le Tchad et Zinder, on ne rencontre presque plus de
points habités ; quelques groupes d'indigènes campent autour
des marigots où, pendant la saison sèche, se pressent des
myriades de poissons. Ils les pèchent et vont les porter sur
les principaux marchés de la région, notamment à Zinder; mais
ce demi-désert manque d'eau, il faut le traverser vite, ainsi que
l'ont fait, à quelques jours d'intervalle, en 1899, les missions
Afrique occidentale et saharienne. Zinder est tout au contraire
l'agglomération centrale d'un district riche et relativement
peuplé; elle se compose d'une enceinte fortifiée, résidence du
sultan, et d'une ville ouverte où se ressemblent les caravanes
et se traitent les affaires. Zinder reçoit régulièrement de Bilma
du sel et des dattes; on y rencontre des flaoussas, des Kanou-
ris, des Foulbés, divers groupes de Touareg; le commerce est
aux mains de négociants de Tripoli etduTouat, qui ont des rela-
tions à travers tout le Sahara ; on peut donc considérer Zinder
comme un des ports méridionaux de la « mer saharienne ».
Zinder a des champs de mil, où l'on sème vers le 15 juin,
pour moissonner dans la deuxième quin/aine de septembre; on
y remarque la transition entre les types d'habitation du Soudan
et des oasis du Sahara : les paillottes, à toit conique de chaume
voisinent avec les huttes en briques sèches, couronnées d'une
terrasse rectangulaire ; une propreté parfaite règne dans la plu-
part de ces demeures. Il est visible que des fortunes existent »^
Zinder, elles ont été acquises surtout dans le commerce. En 1899,
le grand négociant de la ville était un Touareg Kéloui, Mallem
Yaro, fier comme tous ses congénères et qui disait à Foureau,
parlant du sultan noir, que « pareil à tous les nègres, cet
homme-là n'avait pas de pensée ». Sur le marché, on voit des
articles de sellerie assez soignés, des bijoux et toutes sortes de
denrées vivrières ; mais le pays est assez sec pour permettre
l'industrie des marchands d'eau; la plupart des paiements se
font en cauris, quoique, depuis l'établissement du poste fran-
çais, l'usage de la monnaie se répande rapidement.
)
• LES HAVS DU TCHAD ET L'eUROPE 561
I A quatre journées dt? Diarche au Nord de Zinder, le Damergou
est le dernier district ^oudanien. Le possesseur du Damergou
tient à merci les Touaregs Kélouis, maîtres du pays jusqu'au
territoire des Hoggars. Les Kélouis forment plusieurs tribus,
I plus ou moins nomades suivant que le mélange avec les popu-
lations noires est plus ou moins avancé ; ils ont une sorte de man-
dataire commun qui réside dans TAïr, et avec lequel doivent
être entamées toutes négociations relatives à la circulation des
hommes et des marchandises à travers la Sahara. Le. colo-
nel Péroz, naguère, commandant du 3* territoire militaire,
avait ouvert avec eux des relations amicales. Les Touareg
Aouellimidens nomadisent à TOuest des précédents, divisés eux
aussi en plusieurs groupes indépendants les uns des autres; ils
étendent leurs parcours jusqu'au moyen Niger, où les ont ren-
contrés, après Barth, nos explorateurs Hourst etToutée ; ceux-
là seraient plus fermés que les Kélouis à Tinfluence française
j Enfin, dans l'Est du Damergou, les oasis de Bilma sont le ber-
ceau des Tebbous, tour à tour caravaniers, cultivateurs, cher-
cheurs et marchands de sel ; diaprés le capitaine Moll, l'action
de Sénoussis s'exercerait aujourd'hui dans les oasis de Bilma.
Le Sahara pénètre, à TOuest du Damergou, jusqu'aux
limites du Sokoto. Pour gagner de Zinder le Niger français, en
restant systématiquement en dehors du cercle tracé par la
1 frontière de 1898, autour de Sokoto pris pour centre, on traverse
une zone d'une aridité complète, où plusieurs étapes consécu-
tives doivent être faites sans eau ; tout au contraire, le Sokoto,
laissé à l'Angleterre par cette convention, possède des lignes de
puits, même quelques oasis analogues au groupe de Zinder, et
par conséquent n'oppose pas aux communications d'Ouest en
Est un obstacle comparable à celui des territoires qui nous ont
été assignés. Les études les plus récentes ont, d'ailleurs, démon-
tré que la ligne bizarre fixée mathématiquement par les
négociateurs de 1898 coupait plusieurs Etats indigènes dont
l'existence n'était même pas soupçonnée il y a trois ans, le
Gober, le Goummel, etc., donc comportait des remaniements
réglés sur l'expérience acquise. Les populations sur cette lisière
du Soudan et du Sahara étaient encore païennes du temps de
Barth ; elles sont aujourd'hui presque toutes musulmanes, mais
peu fanatiques, bien que le sultan de Sokoto s'intitule Emir cl
moumenifij Commandeur des croyants. L'incertitude politique
la plus confuse règne dans tous ces Etats, surtout depuis la
conquête du Bornoupar Rabah, puis la dislocation de la puis-
sance rabiste ; il paraît donc vain de prétendre, pour tel ou tel
J'entre eux, une supériorité historique sur ses. voisins; aux
QuKST, DiPL. ET Col. — t. xv. 36
56â QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
copartageants européens d'établir, s'ils le jugent à propos, une
hiérarchie qu'ils sauront faire respecter.
Tel sont, dans leur ensemble, les pays du Tchad. Les princi-
paux traités qui les ont découpés entre la France, l'Allemagne
et l'Angleterre ont été signés à une époque où il n'était pas
encore possible d'en donner la description sommaire qui pré-
cède. La France a, la première, effectivement occupé les terri-
toires qui lui étaient dévolus. Dès 1890, leç fondateurs du
Comité de V Afrique française avaient désigné le lac Tchad
comme le carrefour où devraient se rencontrer les explorations
parties du littoral méditerranéen, du Sénégal et du Congo. Pa-
tiemment, avec une persévérance dont on nous refuse trop sou-
vent le mérite, ce programme a été de point en point exécuté;
la jonction sur les bords du Tchad, en 1900, des missions Fou-
reau, Joalland et Gentil, consacre le triomphe de cette expansion
méthodique et doit prendre rang parmi les faits les plus
expressifs de la période contemporaine; en même temps, cette
concentration de troupes françaises, se ralliant comme à point
nommé, a rendu à l'humanité tout entière un service éminent,
en avançant la fin de Rabah. Le terrain étant ainsi déblayé
par nos soins, l'Allemagne et l'Angleterre se sont décidées à
reconnaître, elles aussi, l'étendue totale de leurs domaines et à
jalonner de postes nouveaux le cadre encore vide de leurs
zones d'influence. Où en sont-elles aujourd'hui de ce progrès?
•
En 1890, lorsque nous signâmes le traité qui bornait à la ligne
Say-Barroua l'Afrique Occidentale française, nous pensions
que les Anglais avaient déjà fait acte de possession dans les ter-
ritoires plus méridionaux, dans le Sokoto et le Kano particu-
lièrement. Or l'Angleterre était alors représentée dans le golfe de
Guinée par la Royal Niger Society^ et sa pénétration, même éco-
nomique, était bornée au bas fleuve et aux districts avoisinants:
toutes les tentatives pour s'établir plus loin avaient échoué :
l'agent Mac Intosh n'avait pu demeurer à Kouka; même à Yola,
la Compagnie n'était que tolérée; bref, nous fûmes victimes d'un
véritable bluff. Mais c'est là de Thistoire accomplie, récriminer
serait du temps perdu; bornons-nous à revendiquer ce que la
complaisance des Anglais voulut bien alors nous reconnaître,
c'est-à-dire un po^ssdige pratique du Niger au Tchad.
Aussi bien ce qui n'était qu'une fiction en 1890 devient-il
peu à peu une réalité depuis que la Compagnie du Niger,
rachetée par le gouvernement anglais, n'est plus qu'une société
commerciale!. L'organisation de la Nigeria a été confiée à un
n^F^W
LES PAYS DU TCUAD ET L*EUROPE 563
homme dont les procédés parfois sommaires ne nous empê-
cheront pas de proclamer la haute intelligence, sir Frédéric
Lugard. Au cours des années 1900-1901, pendant que les troupes
rabistes étaient encore engagées contre nous, sir Frédéric a
« donné de l'air » à sa colonie; ainsi qu'il Ta constaté lui*
même, la Compagnie du Niger avait tout laissé à faire au réf^îrae
qui lui succéderait. A quelques étapes du Niger, des chefs fou-
lanes chassaient encore l'esclave dans les tribus païennes, Iti
désolation était partout, et cependant la richesse du pays, où la
kola notamment vient en abondance , laissait espérer une
prompte renaissance, dès que la paix serait rétablie. Progres-
sivement, les postes anglais furent poussés vers le Nord : ^'ola,
sur la Bénoué, fut occupée non sans quelques escarmouches
préparatoires; les garnisons du Niger furent renforcées, parti*
culièrement Lokodja, au confluent de la Bénoué; de là diverses
missions fondèrent successivement des postes à Koniagora,
j Saria, Baoutchi, c'est-à-dire aux points stratégiques principaux
des plateaux qui bordent au Nord le couloir de la Bénoué.
A la fin de 1901, la frontière de la Nigeria eft'ectiveraent
occupée était portée à 100 kilomètres de Kano; des émirs vas-
saux de l'Angleterre avaient été investis, dans les pays nouvel-
lement conquis. Très sagement, sir Frédéric Lugard se rangeait
à la pratique du protectorat; il intéressait à la souveraineté
anglaise des petits chefs foulanes, remplaçant seulement ceux
qui refusaient de renoncer à leurs razzias d'esclaves; il prescri-
vait à ses lieutenants de négocier plutôt que de combattre, et
tenait à garder toujours en main une force militaire imposante,
à la montrer pour n'avoir pas besoin de s'en servir. On sait que
0 est précisément la méthode de nos meilleurs « Soudaniens » .
qui font ainsi école parmi les administrateurs étrangers. Pour
1902-1903, le programme de sir F. Lugard comportait l'orga-
nisation définitive des provinces de Yola, Baoutchi, Bassa et
aussi du Bornou; la pacification en paraissait d'autant plus
intéressante, que Ton espérait y découvrir des mines.
En 1902, la marche en avant a continué; le Bornou a étr^
occupé jusqu'au lac Tchad, et cette occupation a mis en contact
Anglais et Allemands autour de Dikoa; mais, pour comprendre
ce dernier épisode, il est nécessaire de revenir de quelqucîi
mois en arrière et de raconter la fin de la lutte des Français
contre Fadel-Allah, fils de Rabah. Après la mort de Rabah
'levant Kousseri (22 avril 1900), une colonne légère commandée
par le capitaine Reibell fut immédiatement lancée vers l'Ouest,
^ la poursuite de Fadel-Allah; celui-ci fuyait, nos cheft* le
savaient, en territoire réservé à l'Allemagne ; mais comme le
564 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
poste allemand le moins éloigné se trouvait alors à plus de
600 kilomètres de nos troupes, il ne fallait pas songer à se
mettre d'accord avec les Allemands pour achever d'urgence, si
c'était possible, Tœuvre de civilisation si bien commencée.
Reibell, par des marches forcées, très remarquables en pleine
saison sèche, s'empara du camp et de l'armée de Fadel-Allah,
qui avait évacué Dikoa en toute hâte ; Fadel-Allah lui-mt^me
s'était sauvé, mais il était mis dans l'impossibilité de nuire,
du moins pour quelque temps. Par un scrupule peut-être exces-
sif, nous ne laissâmes mc^me pas de troupes à Dikoa, où nous
avions reconnu sultan un chef nommé Guerbaï.
Dans l'hiver de 1900-1901, Fadel-Allah entra en relations avec
les autorités anglaises récemment établies à Yola; il se ravi-
tailla en armes et munitions, et l'on parla sérieusement, en
Angleterre, d'une alliance avec ce chef de brigands. Pour l'hon-
neur de l'Angleterre, ces négociations furent rompues du
fait même de Fadel-Allah. Sur les instances de Guerbaï attaqué
une première fois en janvier 1901, nous envoyâmes une petite
garnison à Dikoa, où Fadel-Allah venait de rentrer et quH
abandonna sans combat; en juillet suivant, une nouvelle attaque
de Fadel-Allah ne réussit pas mieux; bien plus, le capitaine
Dangeville, commandant de Dikoa, fut assez heureux pour sur-
prendre et tuer Fadel-Allah lui-mt^me à Goudjba; deux jours
après, le dernier fils de Rabah, Niébé, se rendait aux autorités
françaises avec l.SOO soldats armés de fusils. Comme l'avait
prédit le malheureux de Béhagle, le jour où Fadel-Allah lui avait
annoncé sa condamnation à mort (il fut pendu sur le marché de
Dikoa), les Français n'avaient pas tardé à venir le venger.
Dès lors, deux faits étaient certains : l'un que nous avions
seuls supporté les charges d'une opération de police qui déh-
vrait tous les pays au Sud du Tchad d'un joug barbare, l'autre
que ces opérations mêmes avaient été terminées en territoire
non français. Que se passa-t-il depuis dans le Bomou? Il nous
est difficile de le savoir par des documents français, dont la
concision officielle est quelque peu déconcertante; heureu-
sement que des renseignements étrangers nous permettent d'y
suppléer, surtout le très intéressant rapport du colonel allemand
Pavel. Les Anglais, après la disparition de Fadel-Allah, se sont
avancés sans encombre jusqu'au Tchad : sir William Wallaceet
le colonel Morland, partis de Lokodjaen janvier 1902, gagnèrent
rapidement Baoutchi, puis Goudjba et Kouka; ils proclamèrent,
sur les plateaux, l'affranchissement des populations fétichistes
et organisèrent le Bornou. Là se placent des incidents sur
lesquels nous sommes encore mal fixés : pour des raisons qui
LES PAYS DU TCHAD ET L'eUROPE 565
nous échappent, Guerbaï, installé par nous à Drkoa, a trans-
porté sa capitale en territoire anglais, c'est-à-dire plus à TOuest;
une importante fraction des gens de Dikoa Taurait suivi, et nous
aurions alors installé à Dikoa un nouveau sultan, Omar Scinda;
les relations étaient assez tendues entre les deux groupe? indi-
gènes, une rupture même paraissait menaçante, lorsque les
Allemands arrivèrent devant Dikoa, aux ordres du colonel PaveU
Car les Allemands, eux aussi, s'avançaient progressivement,
depuis deux ans, dans Thinterland du Cameroun. Le lieutenant
Dominik avait fondé le poste de Garoua, sur la haute Bénoué ;
une société commerciale participait pour i 00.000 marks aux
frais des expéditions vers le Tchad, et le 25 avril 1902, après
une traversée pénible des plateaux forestiers au Sud de la
Bénoué, le colonel Pavel entrait à Garoua; il ne tardait pas à
en partir pour le Tchad et le delta du Chari. Tandis que les auto-
rités anglaises contrariaient sourdement les progrès des Alle-
mands en entravant la circulation des caravanes, les officiers
français de Dikoa faisaient acte au contraire non seulement de
correcte neutralité, mais de cordiale coopération : conformément
aux traités, le pavillon allemand fut hissé à Dikoa, puis nos
troupes se retirèrent sur le Chari. Ainsi la question du partage
(lu Bomou reste aujourd'hui localisée entre l'Allemagne et l'An-
jrleterre. Le colonel Pavel, suivant l'exemple de sir F. Lugard,
veut administrer économiquement ses nouvelles provinces, en
s'appuyant sur des chefs indigènes; il s'occupe, d'accord, avec
plusieurs sociétés allemandes, d'étudier les voies de communi-
cation du haut Cameroun avec la côte. Aux dernières nouvelles,
une commission de délimitation anglo-allemande allait procéder
à la reconnaissance de la frontière; Dikoa était définitivement
placée dans la zone allemande, et en attendant les décisions
dernières, un modus vivendi fort acceptable avait été adopté sur
place entre Allemands et Anglais. Le lieutenant Dominik rentre
en Europe, où ses indications seront précieuses au gouverne-
ment allemand pour rédiger le traité définitif.
Sir Frédéric Lugard est maintenant en train d'achever sa
tâche par l'occupation du Kano et du Sokoto. Un résident
anglais ayant été massacré à Keffii, le meurtrier s'était réfugié
à Kano, dont le sultan refusait de le livrer; il y avait donc là
une raison d'intervenir; des tentatives d'entente amiable
échouèrent, une colonne fut aussitôt formée à Saria, sous les
ordres du colonel Morland; elle comprenait environ douze
cents hommes de troupes sûres, avec sept mitrailleuses; des
réserves étaient échelonnées en arrière. La marche a été vive-
i
5G6
QUESTIONS DIPLOMATIQUKS ST COLONIALES
ment menée; on vient en effet de recevoir en Europe la nou-
velle de la prise de Kano (3 février), bientôt suivie de celle de
Sokoto (15 mars). Nous n'avons encore que peu de détails sur
cette campagne si vigoureusement achevée. Vraisemblable-
mont, sir F. Lugard avait eu la précaution de faire éclairer le
colonel Morland par quelques escadrons de la persuasive « cava-
lerie de Saint-Georges »; en ces pays de sofs, encore troublés
par le contrecoup des récentes vicissitudes de Rabah, il n'est
probablement pas difficile d'acheter des concours indigènes.
La conquête ainsi terminée tant par l'Angleterre que par
TAUemagne, le moment est venu pour nous de nous entendre
avec ces puissances pour rétablissement des frontières scien-
tifiques de nos domaines respectifs. Du côté de l'Allemagne,
nous pouvons désirer la possession complète du delta du Chari
et des pays entre Chari et Logone; c'est ce que souhaitait l'an
dernier M. Charles Dupuy, rapporteur du budget des colonies
devant le Sénat. M. Paul Bourdarie, dans de très remarquables
articles récents de la Dépêche Coloniale^ demande plus encore,
Faccès du Tchad méridional réservé à la France seule. Ce serait
une solution évidemment excellente et l'Allemagne nous
indemniserait ainsi, en quelque manière, du service que nous
lui avons rendu en détruisant Rabah et Fadel-AUah ; mais peut-
Hre est-il imprudent de compter sur une telle libéralité de
reconnaissance internationale. Retenons cependant des études
de M. Paul Bourdarie le vœu très légitime que la délimitation
future ne coupe pas en deux des groupes d'indigènes déjà con-
stitués, et s'inspire de considérations ethnographiques autant
que proprement géographiques; si les Allemands rectifiaient
la frontière à notre avantage sur le bas Chari, nous pourrions
aisément leur accorder en compensation soit des concessions
lerritorialessur d'autres points de notre colonie congolaise, soit
des facilités de circulation et de commerce pour atteindre par
le Sud-Est l'arrière-pays du Cameroun.
Quant aux Anglais, la question de frontière posée entre eux
et nous est toute différente; ils ont cru nous donner et nous
avons cru recevoir, de bonne foi, des territoires à travers les-
quels nous pouvions communiquer en tous temps du moyen
Niger au Tchad. Or l'expérience a démontré que telles n'étaient
pas les conditions naturelles ; l'arc de cercle tracé avec un
rayon de 160 kilomètres (100 milles) autour de Sokoto englobe
tous les points d'eau pratiquement accessibles entre le Niger
de Say et le Zinder. 11 est donc évident, et c'est ce qu'admettent
en Angleterre nombre de coloniaux et d'hommes politiques,
^IWl^^T mjf["m m
LES PAYS DU TCUAD ET L'EUROPE 'fifil
que les négociateurs du traité de 1899 ont signé, Anglais comme
Français, autre chose que ce qu'ils voulaient, donc qu*une
novation est de droit, dont l'objet précis est de conformer la
lettre d'une délimitation effectuée sur place à l'esprit du traité
antérieur. Des commissaires français sont déjà partis pour pro-
céder sur place à la fixation de cette frontière; nous devons
supposer, bien que nous n'ayons vu publier là-dessus aucun
avis officiel, que les pouvoirs s'étendent expressément k cette
rectification nécessaire. Il est possible qu'il y ait plus à faire,
un échange de droits ou de territoires, par exemple, etiîre
cette partie de l'Afrique et d'autres coloùies où la France et
l'Angleterre ont des intérêts dissidents; mais ces négociations
ne pourront être utilement engagées que lorsque nous auron^i
d'abord réglé la frontière du Sokoto suivant les intentions des
rédacteurs du traité du 14 juin! 898. La dépêche de sir F. Lugard
annonçant la prise de Sokoto signalait également l'arrivée dans
cette ville de la commission française ; on peut donc espérer que
la solution définitive ne tardera pas. D'un autre côté, entre
le Ouadaïet le Darfour, une autre section de la frontière anglo-
française reste à déterminer; nous en reparlerons plus loin.
Désormais, tandis que les Anglais et les Allemands poursui-
vent chez eux, et suivant leur libre initiative, la « mise en
valeur » de leurs colonies, nous avons à procéder de mi^nio
pour notre Afrique centrale. Nous voudrions qu'il fût de pra-
tique constante que les Européens, dans ces pays encore à
demi barbares, sont tous solidaires ; que l'Angleterre fît la
police du Darfour comme nous faisons celle du Zinder pour
empêcher l'introduction d'armes dans le Ouadaï comme nous
dans le Kano. La théorie est aujourd'hui abandonnée des
Etats tampons que les puissances européennes interpose-
raient entre leurs domaines; ce sont des frontières précises
qu'il leur faut, des frontières qu'elles s'obligent à surveiller, au
dedans desquelles elles contiennent les empiétements de leurs
administrés ou de leurs résidents.
Mais nous supposons que, sur ce point, l'accord sera facile,
Que nous reste-t-il donc à faire pour aborder l'ère deri*xplni-
lation économique ? Avant tout, organiser et consolider notre
occupation ; régler nos relations présentes sans rien compro-
mettre de l'avenir, avec le Ouadaï, les Sénoussis, les Touareg
du Sud saharien ; procéder à l'inventaire des ressources de
notre domaine. Sans annexions militaires, sans guerres, par
.568 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
t
conséquent sans grands frais, ce programme modeste doit
S suffire à occuper notre activité pendant plusieurs années.
[. Notre occupation ne sera solide et définitive, croyons-nous,
l que lorsque le 3* territoire militaire, rattaché aux pays du Nord
[\ du Tchad et du Chari, relèvera de la môme autorité, celle d'un
[' gouverneur ou commissaire général de l'Afrique Centrale
i française. Cette réforme ne comporte aucune création d'em-
(^ ploi, simplement un remaniement tout administratif de la hié-
"' rarchie des fonctionnaires; la limite des grandes concessions
[ congolaises serait celle aussi du ressort du Congo. Notre repré-
I; sentant supérieur s'occuperait immédiatement d'améliorer le
[ réseau de ses communications ; à l'Ouest, il aurait, après règle-
; ment de la frontière anglo-française, à lier Zinder au Niger par
; une série de bordjs et de points d'eau; vers le Sud, il com-
^ pléterait l'œuvre si intelligemment commencée par M. Bruel.
En même temps, il ferait construire une flottille pour tenir
en relations perpétuelles le bas Chari et le Nord-Ouest du
Tchad ; on pourra vraisemblablement baliser un chenal sur le
Chari ; quant au lac, nous avons vu qu'il est navigable * et mAme
présente les dangers d'une petite mer : les pirates Boudouraas,
qui habitent les îles du Sud-Ouest, n'oseraient pas, avec
leurs barques en joncs, s'attaquer à des chaloupes à vapeur
et rapport des vivres frais du Chari, pays moins saharien que
le Zinder et le Kanem, serait utile au ravitaillement écono-
mique de nos postes du Nord et de l'Ouest du Tchad.
Avec les Touareg, la meilleure politique et la moins chère
est celle des raids, autrement dit des rondes de police ; les succès
des lieutenants Cottenest et Guillo-Lohan en ont fait la preuve
tout à fait concluante l'année dernière, dans le Sud algérien.
Les chameaux ne manquent pas dans le Kanem et le Damergou
pour constituer deux compagnies de méharistes, que l'on placera
S0U3 les ordres d'officiers spécialistes, formés dans le Touat,
par exemple. Nous recruterions les soldats parmi les Ouled Sli-
mans, qui paraissent déjà ralliés à notre cause et ne demandent
qu'à nous servir contre les Touareg. L'aire d'inspection de ces
gendarmes sahariens s'étendrait jusqu'aux oasis de Bilma et de
l'Aïr; une des compagnies pourrait être affectée au Damergou,
avec résidence de repos à Zinder ; la seconde aurait ses points
d'appui à Nguigmi, sur le Tchad, et dans le Kanem où nous
sommes solidement établis aujourd'hui. La mobilité de ces
; patrouilles préviendrait les coups de main des nomades dissi-
k dents et tout porte à croire que ceux-ci, découragés de lutter
> Contrairement à ce que nous-méme disions, d'après des renseignements encore
incomplets, dans VAfrique à Ventrée du xx* «ièc/e, page 243.
LES PAYS DU TCHAD ET L*EUROPE 569
contre un ennemi modelé sur eux-mêmes, deviendraient peu à
peu ce qu'ils doivent ôtre, les caravaniers pacifiques du Sahara.
Que sont au juste les Sénoussis? quelle attitude adopteront-ils
si nous en venons à un contact permanent, voilà ce que Ton
ne peut dire encore avec certitude. Une seule fois jusqu'ici, à
Bir-Alali près Mao, dans le Kanem (novembre 1901), nos troupes
se sont trouvées aux prises avec eux; depuis lors, nous igno-
rons si nous les avons de nouveau rencontrés, au cours des
quelques djichs signalés par de rares dépêches. Toutefois, il
ressort de correspondances arrivées par la Méditerranée orien-
tale au Journal des Débats qu'un chef ou itiokaddem séiioussi,
Mohammed Lemmi, intriguerait au Ouadaï pour s'emparer du
pouvoir; on ne saurait donc, à l'heure présente, séparer la
question des Sénoussis de celle du Ouadaï. Pendant la deuxième
moitié du xix" siècle, le chef des Sénoussis tint sa résidence
dans les oasis de Djaraboub, entre l'Egypte et la Tripolitaine ;
en 1895, le mahdi en exercice vint habiter à Koufra, puis, après
l'accord franco-anglais de 1899, qui nous livrait la souveraineté
sur la plus grande partie du Sahara, il émigra de nouveau pour
se fixer dans le Borkou ; il^ envoya bientôt un représentant dans
le Kanem, presque au moment où nous y pénétrions nous-
mêmes ; il acquit de là une grande autorité sur le Ouadaï et Ton
vit même ses missionnaires paraître dans le Baguirmi.
Nous ne savons pas précisément si les Sénoussis sont une secte
de musulmans fanatiques, de puritains exaspérés dont l'objet
est l'éviction des infidèles, ou si, peu occupés de soucis mys-
tiques, ils ne visent pas surtout aux bénéfices d'une puissance
toute temporelle; établis en force dans les oasis de Bilma, ils y
auraient été, dit-on, l'avant-garde d'une garnison turque aujour-
d'hui arrivée; le mahdi sénoussi entretiendrait des intelli-
gences avec le Sultan pour nous empêcher d'atteindre, au Sud
de la Tripolitaine, la limite que nous assigne la convention
franco-anglaise de 1899 et qui n'a pas diï être modifiée, nous
en exprimons ici la confiance, par l'accord franco-italien en vue
de l'occupation éventuelle de la Tripolitaine par l'Italie; recu-^
lant toujours devant la conquête européenne, voyant l'Afrique
du Nord française, l'Egypte occupée par les Anglais, il vou-
drait, avec l'appui de Constantinople, maintenir du moins une
zone d'islam indépendant sur le continent africain ; l'œuvre des
Sénoussis n'aurait d'ailleurs rien de commun avec les con-
quêtes brutales d'un mahdi de Khartoum et d'un Rabah, elle
serait toute de prosélytisme et de colonisation; les Sénoussis
seraient les « frères armés » de l'Islam, défricheurs d'oasis et
directeurs de caravanes, agriculteurs comme nos moines du
570 QUESTIONS DIHLOMATIQUKS ET COLONIALBS
moyen âge, à peine plus batailleurs que les chevaliers Teuto-
niques ou plus commerçants que les Templiers,
i Quoi quUl en soit de leurs intentions véritables, ils consti-
^ tuent aujourd'hui pour nous une inconnue; la plus extrême
f prudence est de rigueur à leur égard, d'autant que toutes les
^. informations concordent à les représenter comme fortement
(,. organisés. La rencontre de Bir-Âlali n'est sans doute qu'un
^ incident; nous devons souhaiter qu'elle n'ait pas déterminé
l chez les Sénoussis une hostilité fondamentale, qui nous obli-
r gérait à des précautions certainement dispendieuses. Quant au
\ Ouadaï, cet Etat musulman n'est pas exclusivement dominé par
les Sénoussis ; il est en proie à une anarchie violente, troublé
: et probablement ensanglanté par les querelles de deux préten-
dants ; même on peut croire que le rôle joué par le mokaddem
f sénoussi Mohammed Lemmi ne servira guère les intérêts de sa
[ secte au Ouadaï, car ce personnage a tout fait pour brouiller
j les cartes, pour exciter la jalousie des héritiers qui se dis-
^ putent le royaume du feu sultan d'Abêch, Ibrahim; et l'on
; parle d'une sorte de mouvement nationaliste qui expulserait {
du même coup les deux prétendants et le malencontreux inspi- j
rateur de leurs discordes. En même temps, les Touareg con-
vertis au sénoussisme auraient été attaqués dans le Kanem par
la puissante tribu réfractaire des Ouled-Slimans, si bien que le
mahdi, quittant le Borkou, serait en retraite vers le Nord et
reprendrait ses anciens quartiers à Koufra.
La confusion même de cette situation, pour autant que nous
puissions l'apprécier de France, serait favorable à une inter-
vention discrète et toute diplomatique. Le colonel Destenave,
lorsqu'il commandait les territoires militaires du Chari, n'aura
pas manqué de tirer parti de ces avantages. Le recul des Sénous-
sis vers le Nord éloignerait de nous une force capable, même si
elle ne se tourne pas contre nous, de donner aux indigènes de
cette partie de l'Afrique une cohésion défavorable à la pénétra-
tion française. Au Ouadaï, d'autre part, si les Sénoussis sont
reniés par les habitants comme de dangereux agitateurs, il nous
appartient de montrer, par la renaissance du Kanem, du Ba-
guirmi, des autres Etats du Tchad occupés par nous, combien
notre souveraineté, pacilique et peu tracassière, comporte
d'avantages et de garanties; quelques libéralités judicieuses
nous assureraient certainement, au Ouadaï, des partisans assez
dévoués pour préparer les voies à un protectorat prochain,
très large et très souple, tout ce que nous devons raisonna-
blement souhaiter. Dès maintenant, nous pourrions vraisem-
blablement et sans grands frais résoudre à notre avantage
LES PAYS DU TCHAD ET l'eUROPE 571
la question du Ouadaï; peut-ôtre suffirait-il d'envoyer, vers
la zone frontière entre le Ouadaï et le Darfour anglais, une
mission de délimitation fortement escortée et appuyée par quel-
ques échelons de troupes prt'^tes à intervenir le cas échéant; il
paraît très vraisemblable qu'il n y aurait là qu'une marche
militaire, et que la petite colonne française pourrait presque à
jour fixe prendre rendez- vous sur la frontière avec des commis-
saires anglais, après avoir laissé des garnisons sur tous les
points stratégiques. Au fond, l'important pour nous dans
l'Afrique centrale est de briser Tardeur d'expansion de TIs-
lam.Nous ne disons pas, ce qui est tout différent, de combattre
la religion musulmane, individuellement pratiquée par tels ou
tels de nos sujets ; il faut l'accepter comme un fait, là où elle
se présente, mais ne jamais lui accorder l'appui de nos cadres
administratifs. Le Ouadaï protégé par nous, les Sénoussis
réfugiés au Nord de notre empire et tenus en respect, l'Islam
aura perdu dans l'Afrique centrale tout pouvoir interne de crois-
sance ; nous resterons maîtres de le guider et pourrons nous
en servir avec profit par» une action en ordre dispersé dont
nous garderons seuls la direction.
Enfin, nous avons encore à reconnaître la valeur économique
de nos territoires ; M. Auguste Chevalier, déjà distingué par
ses beaux travaux sûr le Soudan, est parti en mai dernier, con-
duisant une mission scientifique vers le Tchad ; nous sommes
autorisés à attendre beaucoup de M. Chevalier et des coUabo-
teurs d'élite qu'il a su s'adjoindre, MM. le D'Decorse, Courtet
et Martret. L'amélioration des voies navigables et la substitution
d'un chemin de fer au portage de Bangui au Gribingui (ou de
la Bali à la Ouom) devront être étudiées parallèlement, la
facilité des transports étant une des conditions principales de
Tactivité du commerce, sauf pour des produits très riches que
peuvent frapper des frets lourds. Pour l'instant, il ne faut
pas oublier que le 3* territoire militaire tout entier, le
Kanem, le Ouadaï et probablement une partie des pays du
Chari relèvent économiquement, non pas du Congo, mais de
Tripoli. Aussi ne saurions-nous trop vivement approuver le
capitaine MoU d'avoir essayé, pendant son séjour à Zinder, de
combiner son action avec celle du consul général de France à
Tripoli; c'est là, ou peut-être à Gabès, dans le Sud tunisien, que
nous devons nous attacher à créer, avec toutes les faveurs doua-
nières utiles, des entrepôts de marchandises françaises à des-
tination de l'Afrique centrale. Les indigènes apprécient vite
nos tissus, plus solides que ceux des Anglais, nos savons de
572
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Marseille, nos pipes, etc., encore faut-il les leur faire connaître;
aujourd'hui presque tous les produits d'importation euro-
péenne à Zinder et Kano sont anglais. Il importe, d'autre part,
de prévoir, comme complément de Toccupation de Kano par les
Anglais, la construction d'un chemin de fer de la Nigeria, déjà
projeté par sir Frédéric Lugard, et de pousser activement notre
voie ferrée du Dahomey, qui prend de ce chef une valeur
tout impériale. Enfin, si la route fluviale de la Bénoué,'qui est
libre pour tous les pavillons, était reconnue praticable jusque
dans nos territoires, il y aurait lieu de ne pas la négliger pour
le ravitaillement du bas Chari ; une mission d'études devrait
sans tarder rechercher si le port de Bifara, que les traités nous
ont laissé sur le Mayo-Kebbi, peut être le terminus d'une voie
tout au moins temporairement navigable.
Voilà donc l'Afrique centrale presque entièrement appropriée
par TEurope; sur les fleuves tributaires du Tchad, dont les
noms mêmes étaient ignorés des géographes il y a vingt ans,
des bateaux à vapeur circulent, et Ton parle de lancer des che-
mins de fer à travers des pays connus d'hier. Après avoir, par
ses campagnes, ouvert ces régions de l'Afrique aux activités
européennes, la France en garde pour elle-même la partie,
sinon la plus riche, du moins la plus étendue : elle y continuera
son œuvre de régénération par la paix ; bientôt elle sera d ac-
cord avec l'Allemagne et l'Angleterre sur ses frontières défi-
nitives; elle souhaite, et pense que ses voisines souhaiteront
comme elle, fonder la prospérité de cette Afrique centrale nou-
velle sur le respect des populations indigènes et la concur-
rence loyale de leurs maîtres européens.
Henri Lorin,
Professeur de géographie coloniale
à l'Université de Bordeaux.
1
UNE RÉVOtUTION lÉGALE EN IRLANDE
11 se prépare, pour Tlrlande, une réforme d'une portée si incal-
culable, qu'on peut sans exagération la taxer de révolution : non
pas qu'elle n'ait été préparée par un certain nombre de mesures
prises depuis une trentaine d'années, non pas qu'elle doive se
réaliser brusquement et en un jour ; mais le nouveau projet de
loi est d'une telle importance sociale et politique, qu'il peut
véritablement « révolutionner » l'Irlande, c'est-à-dire changer
de fond en comble sa situation présente.
Le discours du trône lu le 17 février 1903 portait ces mots
annonciateurs : « Vous serez saisi d'un projet de loi qui complé-
« tera, je l'espère, la série des mesures qui ont déjà beaucoup
« contribué à substituer la propriété unique aux conditions
« coûteuses et fâcheuses qui se rattachent encore à la tenure des
« terres agricoles dans une grande partie de l'Irlande. » Le pro-
jet ainsi indiqué pouvait être un nouveau texte ajouté à tant
d'autres, dont il n'y aurait nul besoin de parler. Mais le bill
agraire de M. Wyndham est autre chose que cela et le texte que
la Chambre des communes a déjà voté en première lecture
mérite qu'on s'y arrête : aussi voudrions-nous envisager l'aspect
social, financier et politique de la solution qu'il apporte à cette
question ouverte depuis deux siècles, la question irlandaise.
Le projet de loi, comme nombre des lois qui l'ont précédé,
présente un aspect révolutionnaire et étatique qu'on est étonné
au premier abord de rencontrer en Angleterre ; mais il suffit de
se souvenir des conditions exceptionnelles dans lesquelles se
pose la question d'Irlande. On se trouve en présence d'un pays
où deux classes sont aux prises, les landlordsou seigneurs fon-
ciers et les tenanciers ; entre eux, aucune classe moyenne et
aucun autre intermédiaire que ces gérants plus durs encore,
que les propriétaires absentéistes. C'est le régime des latifundia
toujours féconds en troubles sociaux et cause de faiblesse dans
un Etat : il y a pour un pays un intérêt national si prédomi-
nant à posséder une classe de petits propriétaires que les gou-,
vernements les plus conservateurs n'ont pas hésité parfois, au
nom de cet intérêt national même, à prendre des mesures légales
pour la créer. C'est ainsi que la Russie a opéré le rachat de terres
574 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
seigneuriales, après l'abolition du servage, pour la revendre
aux anciens serfs. Cette même situation existé en Irlande, mais
elle se double d'une circonstance aggravante : le landlord n'est
que le successeur, le descendant du conquérant qui, sous
Jacques I"% Cromwell, ou Guillaume III, a confisqué la terre, en
se substituant à Tancien chef de clan celte et en établissant, à la
place du droit vague que le régime semi-collectif de la terre con-
férait à celui-ci, un droit de propriété pleine, arraché par la
conquête. Depuis lors, le tenancier n'a jamais oublié quHl a été
dépouillé de ses droits, et cela n'est point pour simplifier la com-
plexité du problème. Qu'a-t-on fait et que veut-on faire pour le
résoudre?
Jusque vers 1870, on s'attacha peu au côté agraire de la ques-
tion irlandaise ; on se contenta de renoncer à quelques mesures
trop favorables aux grands propriétaires fonciers, comme on le fit
parla loi de 1849 qui supprimaitrinaliénabilité de certains grands
domaines, ou par celles de 1860 et de 1865. Mais ces réformes
furent sans conséquence sérieuse : ce n'est qu'à partir de 1870
qu'une véritable législation agraire fut créée pour l'Irlande*. On
n'essaya pas d'abord de résoudre la difficulté par la base et Ton
crut préférable de s'en tenir à un compromis. Les Land Act de
Gladstone, de 1870 et de 1881, ne prétendent qu'à consolider la
situation du tenancier : on étend d'abord à toute l'Irlande
la coutume de l'Ulster, grâce à laquelle le fermier pouvait
obtenir une /a w' indemnUy^ c'est-à-dire une équitable indemnité
pour les améliorations foncières, par une sorte de droit de co-
propriété sur sa ferme ; le tenancier avait le droit de vendre à
son successeur son droit de tenancier, en quelque sorte son droit
à un bail perpétuel. En 1 881 , on alla plus loin encore dans cette
voie. L'agitation agraire, sous la direction de Parnell, battait
alors son plein dans l'Irlande et le programme du parti était
celui des trois F : fixity oflenuve (fixité de la tenure), fair rents
(fermage équitable), fvee sale (liberté de cession du bail) :
c'était en somme demander que la loi reconnaisse, sur une même
terre, à côté du droit du landlord, le droit réel stable du tenancier
qui pourrait disposer de son bail, être à l'abri du renvoi et
obtenir un prix de fermage juste. Gladstone l'accorda et créa à
1 Sur rhistoire de la question irlandaise, voir : Paul Fournier, la Question
agraire en Irlande, 1882; E. Hervé, la Crise irlandaise, 1885; db Prbssensé,
l Irlande el V Angleterre, 1889; Nemours Godier, la Bataille du Home rule, 1890;
O'CoNNOR et Mac Wade, Gladstone, Parnell and the Irish struggle, 1888. Sur la
nouvelle loi, voir des correspondances anglaises au Messages* de Paris,
30 mars 1903, à la Liberté^ 25 mars et l'^i' avril 1903 ; nous avons lu aussi avec beau-
coup de profit des notes de remarquables conférences faites, à TEcole des sciences
politiques, sur l'Angleterre contemporaine, par M. Ëlie Halévjr.
r
UNE RÉVOLUTION LÉGALE EN IRLANDE 575
ceteffet les fameuses commissions agraires, land commissions :
c'étaient elles qui fixaient le prix du bail, et sur la demande des
partis, le revisait tous les quinze ans. Cette intervention
extraordinaire de l'Etat dans les rapports du propriétaire et du
fermier reste encore la base des relations agraires de l'Irlande.
Mais ce n'était là que consolider le droit du tenancier, ce
n était pas en faire un petit propriétaire : il ne semble pas
cependant qu'il y ait une action plus marquée de TEtat dans
une opération de rachat, que dans une fixation d'autorité des prix.
Cela est vrai*; mais l'Angleterre, qui avait accordé à regret les
premières réformes, aurait vu, avec un déplaisir plus vif encore,
qu'on retirât aux grands propriétaires anglo-saxons l'autorité
locale qui s'attache à la possession de la terre, qu'on engageât les
finances anglaises et qu'on imposât la Grande-Bretagne pour
favoriser « Tile sœur »».
Toutefois le gouvernement anglais sentit si bien la néces-
sité de marcher dans la voie de la « démocratisation des terres »
que dès 1869 quelques mesures furent prises en ce sens : on
« désétabiissait » alors l'église anglicane d'Irlande et TEtat
vendait les biens d'Eglise; il voulut les faire revenir à des fer-
miers cultivateurs, mais ceux-ci étaient dans une situation trop
obérée pour posséder des ressources suffisantes à un achat de
terres. Aussi le gouvernement adopta-t-il le système suivant :
le fermier ne paierait qu'un quart du prix; quant aux trois
autres quarts, ils seraient remboursables par annuités en 32 ans,
comprenant l'amortissement et les intérêts à 4 % , et le paie-
ment en serait garanti par une hypothèque prise au profit de
l'Etat. Ce premier essai réussit, et sur 8.500 fermes achetées,
les trois quarts le furent par des tenanciers.
Les conservateurs imitèrent les libéraux, et pendant un court
passage au pouvoir en 1885, lord Salisbury fit voter V « Ashbourne
Act ». Par cette loi, le fermier pouvait s'entendre avec le
landlord en vue de Tachât d'un domaine; quand ils étaient
d'accord sur la vente et le prix, on soumettait le contrat à la
hnd commission que nous avons déjà vue fonctionner; celle-ci
examinait s'il était équitable et payait le prix au propriétaire,
puis se récupérait sur le fermier qui devenait débiteur vis-à-vis
d'elle d'annuités pendant 49. ans; mais pour régler immédiate-
ment le landlord, il fallait de l'argent et c'est l'Etat qui met-
tait à la disposition de la commission, en 1885, 125 millions de
francs, puis en 1887, 125 autres millions. Grâce à ces mesures,
la petite propriété se fondait assez rapidement, trop même au
gré des landlords, qui craignaient pour leur inOuenee politique,
et du Parlement, qui répugnait à de trop fortes avances. On
576 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS
vota alors la loi de 1891 qui restreignit la faculté d'appel à
l'Etat, tout en mettant une nouvelle somme à la disposition de
la commission. Les achats diminuèrent; cependant on évalue à
500 millions de francs les avances faites par TEtat depuis l'ori-
gine et à 31 millions le revenu des terres ainsi acheté par les
fermiers; mais on estime qu'il reste encore en Irlande, aux
landlords,des terres :représen tant un revenu d'environ i50 mil-
lions de francs : ce sont celles-ci que vise le nouveau projet de
rachat.
Nous indiquerons plus loin les causes nombreuses qui ont
amené le gouvernement conservateur à prendre cette initia-
tive : mais deux d'entre elles tiennent aux dispositions des lois
antérieures elles-mêmes. Celles-ci ne pouvaient, en effet, qu'ex
citer les tenanciers non propriétaires et favoriser lagitation
irlandaise. Qu'on se représente en effet leur état d'esprit : à côté
d'eux, certains fermiers ont pu profiter des avances de l'Etat et
ont eu affaire à un landlord qui voulait bien vendre; ceux-là
n'ont plus à payer à l'Etat qu'une annuité généralement
moindre que leur ancien fermage et dans un certain nombre
d'années ils seront propriétaires absolus. Eux, au contraire,
restent sans le moindre espoir d'améliorer ou de changer leur
situation généralement assez triste. Ces lois mécontentent aussi
vivement les landlords et les atteignent dans leurs intérêts
matériels. Ils se plaignent de la fixation périodique des fer-
mages : tous les quinze ans leurs fermiers peuvent demander
une nouvelle fixation; beaucoup l'ont fait en 1881 lors du vote
de la loi, puis en 1896, et la plupart ont obtenu d'importantes
réductions. D'autre part, depuis la loi de 1891, les landlords
rachetés sont payés non plus en argent, mais en consolidés au
pair : or ces consolidés ont baissé considérablement (de Hi
à 91) et à partir du 1" avril 1903 ne rendent plus que 2 1/2 au
lieu de 2 3/4. De cela résulte un mécontentement général, et
sous l'influence de circonstances favorables, M* Wyndham pré-
para son nouveau projet de loi.
«
« »
Les traits essentiels de ce bill agraire sont le caractère de
généralité qu'il affecte et la participation considérable, et en
partie délinitive., des finances anglaises dans la réforme. Nous
ne nous trouvons plus en présence d'une mesure de détail, et
d'une pure faculté laissée au landlord; il s'agit d'un rachat
général defs terres et tous les landlords auront intérêt à y con-
sentir, grâce à un. avantage que leur accorde le Trésor iuaglais.
UNE REVOLUTION LKGALE EN IRLANDE o7 1
Voici, dans ses grandes lignes, Téconomie de la loi : elle
s'applique a toutes les terres dont les fermiers paient un fer-
mage de moins de 75.000 francs, cest-à-dire à 411.000 sur
490.000*. Pour ces propriétés, le prix d'achat est fixé non par
Tentente des landlords et des tenanciers, mais sur la base d'un
forfait légal, correspondant au revenu des 31 dernières années.
Mais ce revenu a été variable en bien des cas, quand la land
commission a réduit les fermages en 1881 et en 1896 : dans ce
cas, le prix d'achat sera basé sur le revenu fixé au second
terme, c'est-à-dire en 1896. Quant aux fermiers qui n'ont pas
fait arbitrer leur bail à ces époques, ils obtiennent une dimi-
nution légale de 20 à 40 %, pour égaliser leur situation avec
celle faite à leurs voisins plus prévoyants ou plus processifs.
Sur ces bases légales, les deux parties contractent et font homo-
loguer leur accord par une cour administrative créée spéciale-
ment par la loi. Cette cour a une très grande importance;
c'est elle qui doit présider à toute cette opération et naturelle-
ment avec une très grande liberté d'allure; il était donc inté-
ressant de connaître sa composition. En réponse à une inter-
pellation du leader irlandais, M. Redmond, M. Wyndham lit
savoir à la Chambre des communes les noms de ceux qui la
composeraient. Les Irlandais se sont montrés satisfaits des
choix décidés : si l'un des trois membres de la cour est
riiomme lige des landlords, les deux autres leur donnent toute
j:arantie, en particulier M. Finncane, qui appliqua les lois
agraires au Bengale et en qui on voit le bras droit de sir Antony
Macdonnell, sur la personnalité duquel nous reviendrons.
Le prix à payer par le tenancier est ainsi fixé, mais ce
n'est qu'une annuité égale ou inférieure au fermage actuel et
qui devra être payée en partie pendant 68 ans, en partie à perpé-
tuité, mais à l'Etat : ainsi, si le fermage de 1896 est de 800 francs
par an, le tenancier aura à payer pendant 68 ans à TEtat ces
800 francs plus une fraction pour l'amortissement, et au bout de
ce temps il sera devenu plein propriétaire ; après ce laps de
temps, il continuera à payer à perpétuité à l'Etat 100 francs,
en quelque sorte comme un impôt foncier.
Mais que recevra le landlord?il recevra de l'Etat, et de suite ^
un capital ; ce capital représentera pour partie ses annuités ca-
pitalisées à 2 3/4 %, pour partie une bonification que l'Etat
lui accorde comme compensation, car il pourra souvent rece-
voir moins que ses fermages (dans les cas de diminution légale),
comme consolation, pour la perte de son influence et de ses
*
' Le fermage moyen est de 250 fraocs.
QuEST. DiPL. BT Col. — t. xv. 31
578 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS KT COLONIALES
terres, et comme invitation aussi, pour le pousser à accepter le
rachat.
Quant à TEtat, c'est lui qui sert d'intermédiaire entre les
uns et les autres. Il remboursera en capital au propriétaire et
recevra les annuités des tenanciers ; mais entre le prix de vente
des uns et le prix d'achat des autres, il y a une différence : c'est
la bonification ; celle-ci est calculée d'après le prix d'achat du
tenancier, et varie entre 5 à 15 %, inversement proportionnelle
àla superficie des terres cédées. D'après les calculsdeM. Wynd-
ham, voici à quels résultats d'ensemble on arrivera. Le total
des ventes nécessitera un capital de 2 milliards et demi de
francs^ représentant les annuités des tenanciers; ceux-ci paient
en effet annuellement 2 3/4 % du prix d'achat, c'est-à-dire
exactement la base du prix d'achat (et c'est au même taux que
l'on compte le capital versé au landlord) et en plus pour
Tamortissement 1/2 % des 7/8 du prix d'achats Cette partie
de l'opération doit donc se suffire à elle-même, l'Etat donne
d'une main aux propriétaires un capital, reçoit de l'autre des
fermiers une annuité; elle n'a que l'avance à faire et M. Wynd-
ham doit l'opérer, grâce à un grand emprunt de consolidés, à
2 3/4 % , de 2 milliards et demi ; mais il ne croit pas pouvoir
effectuer l'opération d'un seul coup et en bloc : il se pro-
pose de n'emprunter que 75 millions annuellement pendant
trois ans, puis d'accélérer les ventes de façon que le rachat
entier soit terminé en quinze ans. Il est d'autant plus né-
cessaire de répartir l'opération sur un assez grand nombre
d'aimées, que le marché des consolidés est toujours flottant, n'a
pu encore absorber toutes les émissions faites depuis deux ou
trois ans et s'attend d'un jour à l'autre à couvrir deux em-
prunts attardés, résultat de la guerre du Transvaal, et quelques
autres moindres, mais le tout ne devant pas s'éloigner de 2 mil-
liards et demi. On comprend donc que la plus grande prudence
soit commandée actuellement pour ne point faire déprécier
outre mesure les cours des consolidés.
Telle est la première partie de l'opération qu'effectue l'Etat;
mais il lui reste à payer aux landlords une bonification;
M. Wyndham en estime le montant global à 300 millions,
dont la charge annuelle se monterait à 9.750.000 francs; c'est
cette charge que l'Angleterre supporte définitivement, sans en
^ Le projet de loi interdit aux tenanciers de se libérer par anticipation, tant on
redoute que le fermier emprunte pour rembourser et retombe sous le joug de l'em-
prunt. Et pendant ce laps de temps de soixante^huit ans, il restera un véritable
tenancier de l'Etat, ne pouvanl^ni vendre, ni emprunter, ni hypothéquer. On espère
ainsi le mettre à Tabri des usuriers et acheteurs de biens, qui se seraient joués de
sa candeur.
UNE RÉVOLUTION LÉGALE EN IRLANDE 579
«'tre remboursée par les tenanciers. Il semble que c'est en
quelque sorte le prix d'achat de l'union réelle avec l'Irlande et
il faut avouer que ce ne serait pas payer trop cher cette en-
tente, quand on songe que la guerre transvaalienne lui aura
coûté près de 7 milliards. Mais, dans la réalité, elle coûterait à
l'Angleterre moins encore, car le projet de M. Wyndham énu-
nière les ressources par lesquelles il ferait face à ces charges
annuelles : c'est d'une part 4.600.000 francs que l'Angleterre
doit payer à l'Irlande en vertu de V Education Act de Tan der-
nier et que le projet désaffecte; c'est, d'autre part, 6.200.000 fr.
que iM. Wyndham se faitJort d'économiser en trois ans par des
réformes dans l'administration intérieure de l'Irlande : il est
♦'vident que l'Irlande pacifiée no réclamerait plus les impo-
sintes forces de police qu'on y doit maintenir.
* «
Tel est l'ensemble de la réforme projetée. L'Angleterre ne
fait pas des sacrifices aussi forts qu'il semble au premier abord;
cependant elle y engage ses finances et son crédit pour 2 mil-
liards et demi; elle renonce à la domination politique des
landlords anglo-saxons et abandonne la terre d'Irlande aux
Irlandais. Il y a là un sacrifice d'amour-propre et d'impéria-
lisme, plus cruel encore peut-être pour le peuple anglais que
le sacrifice matériel lui-même. Quand on pense que, depuis un
temps immémorial, les Anglais n'étaient en rien touchés par les
horreurs des évictions irlandaises ; quand on songe qu'ils ont
contemplé froidement l'émigration dépeuplant le pays, la
misère s'y installant, les révoltes ensanglantant la contrée, la
révolution à certaines heures en permanence; quand on se
rappelle que, naguère encore et depuis 1894, les unionistes au
pouvoir ne parlaient que de gouvernement fort, de répression,
d'ordre et de police, on se demande quelle est la cause de cette
volte-face, d'où provient ce changement à vue, ce qui se passe
derrière les apparences qu'on nous montre.
Il semble qu'il' y ait à ceci des causes très complexes et
d'ordres très divers. Si Ton en croit les indiscrétions des jour-
naux étrangers, l'intluence des personnes s'est fait sentir : le
roi Edouard VII serait partisan d'une réconciliation avec Tîle
sœur, comme il a désiré une entente des races sud-africaines et
l'établissement de la paix; il a encouragé M. Wyndham à agir
en ce sens et il a annoncé, dès avant son départ pour Lisbonne,
par l'intermédiaire de celui-ci, qu'il irait visiter l'Irlande avec
la reine en juillet et en août prochain, pour montrer ses senti-
ments à son égard.
580 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Il a trouvé pour obéir à sa politique deux hommes qui ont
pu la réaliser : sir Antony Macdonnell, le sous-secrétaire d'Etat
pour rirlande, et M. Wyndham, secrétaire d'Etat pourllrlande.
Le premier est un ancien gouverneur de THindoustan dont on
vante la largeur de vues et l'intelligence. Un journal américain
a raconté, sans être démenti, que, présenté au roi par lord
I^ansdowne, il lui aurait dit : « Je suis un Irlandais, un catho-
« lique, un nationaliste et un home-ruliste. Si maintenant.
« sachant qui je suis et le but que je poursuis, vous désirez
« que j'aille en Irlande, je suis prêt ii y aller. » L'appui que hii
aurait donné le roi ne pouvait que l'encourager dans cette voie.
Quant h M. Wyndham, c'est un aristocrate anglais de grande
famille en même temps qu'un lettré, auteur d'une œuvre sur
les sonnets de Shakespeare : il a mis son honneur et son
amour-propre à résoudre, si possible, la question agraire pour
le plus grand bien, croyait-il, de l'hégémonie anglo-saxonne et
de l'avenir de son parti. Aurait-il réussi là où avait échoué
M. Plumkett, Tancien secrétaire de l'agriculture pour l'Ir-
lande, que son parti désavoua; aurait-il pu convaincre les deux
vice-rois successifs de l'Irlande, ses supérieurs nominaux, lord
(^adogan et lord Dudley ; serait-il arrivé à présenter aux Cham
bres son projet, malgré tant de mauvaises volontés contraires
et l'opinion anglaise défavorable, s'il n'avait été soutenu par en
haut et servi par les circonstances? C'est au moins douteux.
Mais les conditions politiques étaient telles que plusieurs
causes militaient en faveur d'une telle tentative. Les récentes
élections partielles ont montré qu'en Angleterre l'opinion
publique semblait se détacher de l'unionisme : les consé-
quences financières de la guerre, la loi sur l'éducation, diverses
mesures ont influé sur elle. Le gotivernement, ayant conscience
de cette disposition des esprits, ne crut mieux faire, pour con-
solider sa situation, que de signer avec M. John Redmond un
pacte rappelant l'ancien conclu entre les Irlandais et les libé-
raux. Ainsi, ce que le ministre perdait du côté de la classe
moyenne et industrieuse anglaise, inquiète du fléchissement de
la rente et de l'augmentation des budgets, il comptait le con-
quérir d'autre part en gagnant à sa cause, moyennant cette
compensation, les 84 députés irlandais qui manœuvrent
comme un seul homme sous l'habile direction de M. John
Redmond.
Car ce parti, si divisé longtemps en groupes hostiles et
comme fratricides, a depuis quelque temps retrouvé sa belle
unité du temps de O'Connell ou de Parnell. Par sa discipline
même, il est devenu un élément actif et parfois décisif dans la
UNE KÉVOLUTION LÉGALE EN IRLANDE 581
bataille parlementaire. Il importait de se l'assurer. Cela impor-
lait d'autant plus que la force du nationalisme irlandais s'est
augmenté récemment de nouvelles recrues. En 1881 ou en
1888, lors des grandes agitations, la lutte se circonscrivait
entre landlords et fermiers catholiques. Les fermiers protes-
tants de rUlster, au nord de l'Irlande, avaient refusé de prendre
part à la lutte, et leurs sentiments l'avaient emporté sur leurs
intérêts. Aujourd'hui il n'en est plus de même : les deux partis
de l'Irlande populaire, la minorité protestante du Nord et la
majorité catholique, ont fait alliance et M. T. W. Russell, mem-
bre du cabinet Salisbury, a naguère donné sa démission pour se
mettre à leur tête, prêcher le rachat universel et mobiliser tout
le peuple orangiste d'Irlande contre le landlordisme ennemi.
Il devenait urgent d'aviser et la situation semblait plus cri-
tique que jamais, avec le renouveau d'agitation qui se créait.
En même temps s'élevaient, comme nous l'avons vu, les
plaintes devenues plus vives des très nombreux tenanciers non
rachetés et des grands propriétaires. ?se pouvait-on contenter
les uns et les autres? M. Wjndham le crut et l'événement
prouva qu'on pouvait concilier les intérêts rivaux : aux confé-
rences, dites de la Table Ronde, où les landlords, tels que lord
Dunraven, s'asseyaient en compagnie des délégués des tenan-
ciers, on vit qu^un terrain d'entente était possible à trouver.
Il suffisait de faire les uns propriétaires et de donner aux
autres un bon prix de leur terre. Or c'est là tout le projet : il
attribue aux grands propriétaires une bonification, il leur
promet un versement immédiat en capital, représentant le fer-
mage capitalisé à 3 % environ, alors que souvent on avait
estimé que cette opération ne devait se faire que sur le pied
d'une capitalisation d'environ 6 % ; la situation du landlord est
donc pleinement sauvegardée, même avantagée et tranquillisée
sur les réductions de fermage dans l'avenir et les révoltes des
tenanciers. Si l'on va donc au fond des choses,, on voit que le
gouvernement conservateur tente encore cette alliance de
l'aristocratie et du peuple, que Disraeli prônait, et dont les frais
étaient payés par la classe industrielle et commerçante. Dans la
circonstance présente, cela est d'autant plus habile que c'est
pour réaliser une mesure que les libéraux ont longtemps
réclamée et qu'ils ne peuvent réellement point combattre, quel
que soit le peu d'intérêt qu'ils y portent, depuis la mort de
Gladstone et le moment où ils se sont vus abandonnés des
Irlandais, mieux servis par les unionistes que par leurs anciens
alliés.
Si donc il paraît étonnant au premier abord que les landlords,
582 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
— au moins les plus intelligents d'entre eux — se prêtent à
une mesure qui n'est après tout qu'un coup portera leur puissance
territoriale et à leur influence directe, on voit qu'ils en tirent
compensation; et sans dSute ils se disent qu'il vaut mieux faire
acheter aujourd'hui leur bonne volonté que la laisser extorquer
sans avantage plus tard. Aussi croient-ils habiles de profiter
d'un gouvernement aristocratique et agrarien pour faire réa-
liser une réforme selon leurs vues.
•
• •
Toutes ces circonstances expliquent la volte-face des unio-
nistes. Ils ont pu aussi réfléchir aux conséquences de pre-
mière importance qu'une réforme profonde pouvait amener;
une réconciliation avec l'Irlande, ce serait la paix dans le
Royaume-Uni, les institutions parlementaires retrouvant leur
équilibre ; la prospérité pourrait renaître dans la « verte Erin »:
l'émigration cesser ou du moins diminuer; ce peuple, qui a vu
son nombre baisser de moitié en un siècle, pourrait se reformer
et s'accroître. Quels résultats l'Angleterre et la politique impé-
riale ne tireraient-elles pas de là? Ce serait peut-être une solution
du problème de l'approvisionnement de l'Angleterre en temps
de guerre ; et l'Irlande bien cultivée, rénovée, grâce h cett»^
vaste organisation par TEtat de crédit agricole, pourrait deve-
nir le grenier de l'Angleterre. Son sol fertile produirait tout le
blé dont l'Angleterre aurait besoin et ainsi une des craintes et
des faiblesses de l'impérialisme disparaîtrait. En même temps,
l'Irlande peuplée fournirait aux flottes et aux armées anglaise^
les hommes dont elles ont tant besoin. Ces Celtes, soldats
braves et aventureux, sont déjà aujourd'hui le réservoir où
l'Angleterre puise pour ses expéditions coloniales : hélas ! il
est trop peu rempli ; quelle force ne lui donnerait pas une
Irlande où 12 ou 15 millions d'habitants, au lieu de 5 ou 6^ lui
fourniraient les troupes dont elle a besoin !
Une réconciliation des deux peuples pourraient faire sentir
son action jusque dans la politique internationale : les H mil-
lions d'Irlandais américains, qui ne veulent à aucun prix d'une
alliance anglo-saxonne, seraient peut-être alors plus disposés à
une entente cordiale qu'actuellement, et ce facteur n'est pointa
mépriser pour l'Angleterre qui cherche, comme on sait, avec
passion, à ne point s'aliéner les Etats-Unis.
M. Wyndham paraît bien penser à ces questions quand il
soutient son projet, en disant que c'est « pour sauver de la ruine
« l'agriculture irlandaise et arrêter le courant de l'émigration ;>.
UNE RÉVOLUTION LÉGALE EN IRLANDE 583
Elles journaux qui le défendent, comme \^ Standard, assurent
que « jamais nous ne payerons trop cher une réconciliation
avec rirlande ». C'est qu'au fond l'Angleterre sent confusément
Télément de faiblesse qu'elle porte en elle-même et elle croi-
rait avoir fait un bon placement, si au prix de quelques sacri-
fices elle achetait la paix et le calme en Irlande. Les Celtes
irlandais ont trouvé sans conteste « la manière de vaincre » :
c'est de lasser, par une opposition continue, acharnée, sans
merci, l'égoïsme anglo-saxon ; c'est de lui prouver par les faits
que son inténlt bien compris est d'accorder ces satisfactions
que l'opinion publique anglaise jusqu'à présenta toujours réso-
lument refusées.
Mais je crois l'esprit anglais trop positif pour ne pas s'aperce-
voir un jour ou l'autre de son erreur. Lui qui tient compte avant
tout des réalités ne peut qu'être frappé de l'évolution fatale qui
depuis soixante-quinze ans a arraché peu à peu les concessions
réclamées par l'Irlande : c'est en 1829, puis en 1869, les diffi-
cultés religieuses résolues par l'égalité des catholiques et le
désétablissement de l'Eglise anglicane; c'est de 1870 à nos jours
la lutte mi-agraire, mi-politique qui a amené toutes les lois dont
il a été parlé plus haut et les projets de home rule de 1886 et
1893. Le parti conservateur a eu souvent, dans l'histoire anglaise,
le privilège de venir réaliser les réformes dans ce qu'elles
avaient d'opportunité, après les avoir combattues avec vigueur,
quand le parti libéral les avait lancées dans la lutte politique. Il
semble que le même phénomène se reproduise en ce moment :
cette opération colossale de rachat des terres et de démocratisa-
tion de la propriété en Irlande est proposée par un ministère
unioniste, où M. Chamberlain est le vivant symbole des
défiances qu'excitaient jadis dans son propre parti les réformes
de Gladstone.
Et ce n'est peut-être que le premier pas. La question agraire
résolue, il restera la question nationale et politique proprement
dite, l'ancienne question du Home rule, l'autonomie réclamée
de l'Irlande. Déjà on murmure qu'il se prépare quelque chose;
déjà on prévoit de prochains projets. Il semble qu'un accord
des plus étendus se soit établi entre les Irlandais et le gouverne-
ment conservateur. Naguère M. Balfour se disait « passionné-
ment convaincu w de l'utilité d'établir une Université catholique
irlandaise à Dublin, à côté de l'Université protestante ; il décla-
rait le gouvernement prêt à la subventionner et l'on vit le
ministère s'appuyer à tel point sur les prêtres catholiques irlan-
dais, qu'il considérait comme les chefs de leur peuple, et les
soutenir si résolument pour les gagner à lui, qu'un récent
584 OUKSTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
mouvement catholique anticlérical est né en Irlande, et né de
l'exaspération du nationalisme non encore satisfait.
Quant au llomerule, s'il est très éloigné de toute réalisatiou
sous sa forme ancienne d'un parlement irlandais élu à la faron
de celui de Westminster — soit remplaçant ce dernier pour
l'Irlande, comme dans le projet de 1886, soit superposé à celui-
ci, comme dans le projet de 4893 — du moins semble-t-il que
par en bas l'autonomie locale monte peu à peu, pour un jour
prochain s'épanouir en une assemblée irlandaise nommée par
les conseils de comité, électifs depuis 1898, à la façon du gou-
vernement local de l'Angleterre proprement dite. Sans rien
changer à l'extérieur des choses, si ce n'est par une lente évo-
lution qui transforme sans tapage, on voit là encore la démo-
cratie bourgeoise et le petit cultivateur remplacer peu à pou
l'aristocratie et le régime aristocratique local. Il semble donc
que l'Irlande marche vers une autonomie démocratique, dont le
projet de loi sur le rachat des terres est l'aspect social; peut-être,
avant qu'il soit longtemps, l'aspect politique nous sera-t il
révélé par quelque projet sur la constitution d'une assemblée
locale, chargée de délibérer sur les affaires purement irlan-
daise, et l'aspect religieux par la création d'un grand centn»
universitaire et catholique irlandais à Dublin.
La politique anglaise, qui nous semble manquer de principe
en agissant ainsi, est en réalité dominée par le souci des faits et
des nécessités. L'impérialisme aspire à l'Angleterre forte; et
c'est peut-être Fimpérialisme, par un étrange paradoxe, qui
amènera l'Angleterre à tenter de résoudre la question d'Irlande.
Gabriel Louis-Jarav.
i
LÀ REPRÉSENTATION DES COLONIES
AU PARLEMENT
M. Arthur Girault, professeur d'économie politique à la Faculté de droit
de Poitiers, membre de l'Institut colonial international, a été chargé do
faire, en vue de la session qui s'ouvrira à Londres le 26 mai 1903, le rap-
port préliminaire sur la question fondamentale des Rapports politiques entre
métropole et colonies qui sera discutée à cette session.
Nous sonrimes heureux de pouvoir extraire do ce rapport le passage sui-
vant relatif à la question de la représentation coloniale au Parlement,
si discutée dans notre pays depuis quelques années.
N. D. L. il.
La présence des députés coloniaux dans le Parlement métro-
politain n'est pas seulement une grande tradition libérale : elle
est tout à fait en harmonie avec le système de la représentation
des intérêts, cher à certains publicistes, et qui est aujourd'hui
à la mode. Les intérêts coloniaux sont considérables et il est
choquant qu'ils n'aient pas dans un parlement des défenseurs
autorisés. Sans doute, il existe bien certains députés de la
métropole qui, par ambition, par goût ou par snobisme, font
profession de s'intéresser aux choses coloniales ; mais outre que
cette mode peut passer et que de pareils députés peuvent très
bien ne pas se rencontrer dans une assemblée, il faut observer
qu'ils jugent les choses coloniales surtout au point de vue
métropolitain et que, par suite, les intérêts proprement colo-
niaux risquent de trouver en eux plutôt des adversaires que
des défenseurs. Les hommes politiques de la métropole, hypno-
tisés par les intérêts locaux de leurs circonscriptions respec-
tives, sont pour la plupart d'une ignorance regrettable en ce
qui concerne les affaires extérieures et coloniales. Pendant
longtemps, les députés des colonies ont été à peu prés les seuls
à se préoccuper des intérêts que la France avait en dehors de
TEurope.
A la présence des députés coloniaux au sein du Parlement
métropolitain, on fait deux objections qui, au fond, ne valent
586 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
rien. On dit, en premier lieu, que ces députés seront appelés à
voter des lois sans intérêt pour leurs électeurs et que leur inter-
vention pourra par suite modifier, c'est-à-dire fausser les ré-
sultats des différents scrutins. A cela il est facile de répondre
qu'il en est de mr»me des députés métropolitains qui, eux
aussi, votent très souvent des lois qui n'intéressent nullement
leurs électeurs. On a vu en France, en 4 884, les députés de
Paris voter la loi municipale du 5 avril qui, cependant,
n'était pas applicable à la capitale. Les députés des ports ne
sont pas les seuls à voter les lois relatives à la marine mar-
chande. Si demain on votait un projet de loi sur l'industrie
extractive, les députés élus par les nombreuses circonscriptions
où il n'y a pas de mines ne se croiraient point obligés de s'abs-
tenir. Légalement d'ailleurs, un député est le représentant de
la nation tout entière et non celui d'une circonscription
déterminée.
On ajoute encore que la représentation coloniale est inutile
pour les colonies elles-mêmes, parce que les députés coloniaux
ne pourront jamais être assez nombreux pour constituer une
majorité. Benjamin Franklin répondait déjà à cette objection :
(( Ce n'est pas que je me figure qu'on accorde aux colonies un
« nombre assez grand de représentants pour qu'ils puissent par
« leur nombre peser fortement dans la balance ; mais ils pour-
ce raient du moins parvenir à faire étudier avec plus d'impar-
« tialité les lois qui concernent les colonies. » L'essentiel, c'est
que chaque colonie ait, dans lé Parlement, un avocat sur lequel
elle puisse compter pour défendre sa cause. C'est déjà beaucoup
que de ne pas pouvoir être sacrifié sans avoir été entendu. En
fait, d'ailleurs, la qualité des représentants importe plus que
la quantité au point de vue de l'influence. Le profit que retire
aujourd'hui l'Algérie de la situation considérable qu'un de ses
représentants a su acquérir au sein du Parlement français est
certainement bien plus grand que celui que pourrait lui donner
un nombre double ou triple de représentants.
Les adversaires de la représentation coloniale se placent en
général sur un autre terrain, qu'ils croient très solide : celui
de lacomposition hétérogène de la population des colonies. Ou
bien, disent-ils, les députés coloniaux seront élus uniquement
par les colons et les Européens (ce qui est le cas en Algérie et
enCochinchineî, et alors ils seront les défenseurs non pas de
l'intérêt général, mais désintérêts particuliers d'une oligarchie
tyrannique. Les indigènes seront sacrifiés. Ou bien, au con-
traire, on admettra à voler les hommes de couleur et les indi-
gènes (c'est ce qui a lieu aux Antilles, à la Réunion, au Séné-
LA KEPRÉSENTAÏION DE3 COLONIES AU PARLEMENT 587
gai et dans rinde française), et ce sera le tour d'une minorité
de blancs d'être opprimée par une majorité d'hommes incultes
et grossiers. Les scandales électoraux de Tlnde française sont
devenus, pour la presse métropolitaine, un sujet de plaisante-
ries faciles. Bien des personnes croient qu'il suffit de les rap-
peler pour fermer la bouche aux défenseurs de la représenta-
tion coloniale. Ces idées, à force d'être répétées, ont fini par
péaétrer peu à peu dans Topinion. 11 y a quelques années, un
député français a déposé une proposition de loi portant sup-
pression de la représentation deTlnde, de la Cochinchine, de la
(iuyane et du Sénégal. Pour certains coloniaux de la métro-
pole, la représentation coloniale c'est l'obstacle à toutes les
réformes, c'est l'ennemi qu'il faut abattre.
11 y aurait beaucoup à dire sur tous ces points. La pruderie
avec laquelle nous nous voilons la face devant les opérations
électorales aux colonies, ne va pas sans une certaine hypo-
crisie. Quand on veut se montrer sévère pour les autres, il fau-
drait tout d'abord n'avoir rien à se reprocher à soi-même. D'un
autre côté, il est excessif de s'autoriser d'un abus pour récla-
mer la suppression d'un droit. 11 n'y a pas une seule de nos
libertés publiques qui pourrait tenir contre un pareil raison-
nement. Mais c'est là une discussion dans laquelle on peut trrs
bien refuser de s'engager parce que quand bien même les
adversaires du suffrage universel aux colonies auraient
raison, cela ne prouverait rien contre le principe même de la
représentation coloniale.
Ce sont là, en effet, deux questions absolument différentes.
Autre chose est la question de savoir si, oui ou non, il est bon
que le Parlement comprenne des députés coloniaux, autre
chose celle de savoir comment et par qui ces députés devraient
•Hre nommés. On comprend très bien, en raison, que les repré-
sentants des colonies et ceux de la métropole ne soient pas
soumis au même mode d'élection. En Europe, le suffrage res-
treint a précédé et préparé le suffrage universel. Pourquoi n'en
serait-il pas de même hors d'Europe? Partant de ce point di^
vue, on aperçoit la possibilité de donner des représentant
même à des colonies neuves. Il s'agit simplement d'organisfM'
un corps électoral, représentant les intérêts généraux et perma-
nents de la colonie, dont la base, assez restreinte, au début,
pourrait être ensuite progressivement élargie. C'est là le terrain
d'entente que l'on peut offrir à des opinions en apparence incon-
ciliables. Si l'on va au fond des choses, on aperçoit que le mode
de nomination des députés coloniaux a beaucoup moins d'im-
portance que leur présence dans le Parlement, l/essenliel est
i
588 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
que chaque colonie possède un représentant pouvant montera
la tribune pour défendre ses intérêts. La manière dont ce repré-
sentant sera nommée est secondaire. En cette matière encore, il
n'est pas nécessaire que la législation coloniale soit copiée sur
la législation métropolitaine.
L'existence d'une représentation coloniale est le lien moral
le plus fort qui puisse unir les différentes parties de TEmpire.
Elle intéresse les colons aux grandes questions d'intérêt géné-
ral qui agitent le pays tout entier. Elle leur prouve que, malgré
Téloignement, ils comptent toujours dans la grande unité de la
patrie. Refuser aux habitants des colonies leur part légitim»»
d'influence sur les destinées du pays, c'est les pousser vers la
séparation. Dissolution de Tempire ou représentation des colo-
nies : il faut choisir entre ces deux solutions.
Mais, dira-t-on, la représentation coloniale, c'est le trail
caractéristique de la politique d'assimilation et cette politique
est condamnée par l'expérience !
Le grand philosophe Leibnitz disait un jour : « Un peu de
« science éloigne de Dieu, mais beaucoup de science y ramène.»
Parodiant cette réflexion, on pourrait écrire : « Un peu de
« réflexion éloigne de l'assimilation, mais beaucoup de réflexion
u y ramène. »
11 existe une conception a priori et enfanïmej qui ne tienl
aucun compte ni des besoins réels des colonies ni de la nature
des choses, qui transporte sans discernement les institutionN
européennes hors d'Europe, qui ferait des colonies autant de
caricatures de la métropole, qui réserverait les plus amores
désillusions aux nations assez ignorantes ou assez folles pour
l'adopter comme règle de conduite. L'assimilation ainsi com-
prise serait insensée, et je ne crois pas qu'un seul être raison-
nable puisse la préconiser.
U suffit d'une observation même superficielle pour aperce-
voir les différences considérables qui séparent la société colo-
niale de la société métropolitaine. Il y a là des oppositions
tranchées qui sautent aux yeux. Mais quand on réfléchit
longtemps, on aperçoit sous les différences apparentes les res-
semblances profondes. Aux colonies comme en Europe, on a
affaire à des hommes qu'il faut gouverner par des moyens
humains, des hommes qui ont des intérêts à défendre, des
hommes qui sont sensibles à l'idée de justice, des hommes qui
sont prêts à s'insurger si on froisse leurs intérêts ou leurs sen-
timents, des hommes qui sont ambitieux et qui cherchent à
satisfaire leurs ambitions; le gouvernement métropolitain qui
tient à conserver ses colonies doit agir en conséquence. Il faut
LA REPRÉSENTATION DES COLONIES AU PARLEMENT 589
donner aux colonies les moyens de sauvegarder leurs intén^ts.
Il faut les traiter avec justice. Il faut ouvrir aux créoles, en fait
comme en droit, la carrière des emplois et des honneurs et les
placer, à ce point de vue, sur un pied d'égalité complète avec
les habitants de la métropole. C'est là une soupape de sûreté
indispensable. A Thomme que nous empêchons d'être le pre-
mier dans son pays, parce que son pays est une colonie, il faut
offrir en échange la possibilité d'être le premier chez nous. Aux
hommes auxquels nous voulons interdire le patriotisme local,
il faut inoculer l'amour dé la patrie commune, le culte de l'Em-
pire. Donnez à cette politique l'épithète d'assimilative, appelez-
la politique impériale. Le mot au fond importe peu. C'est la
politique qui a pour idéal un état de choses où il n'y aurait plus
une métropole et des colonies, mais simplement la Nation,
comme disait autrefois la France révolutionnaire; V Empire^
comme disent aujourd'hui les Anglo-Saxons.
Arthur (iirailt,
Professeur d'Economie politique
à la Faculté de droit de Poitiers.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES
I. — BUROPE.
France. — Le voyage du président de la République en Algérie. —
Gomme nous l'indiquions dans notre dernière chronique, le voyage
du président de la République commençait dans de pénibles cod-
ditions, par suite de la démission si profondément regrettable qui
a été imposée à M. Revoil et qui a si vivement froissé toute TAlgérie.
Et de fait, les débuts de ce voyage ont été marqués, de part et
d'autre, par une certaine gène. Heureusement, de part et d autre
aussi, on a su faire preuve dune prudence et d'un tact très méri-
toires, dictés par un sentiment de patriotisme très élevé et très
digne. Ce sont d'ailleurs les représentants algériens qui ont, les pre-
miers, donné l'exemple. La veille de l'arrivée du Président, les
députés et sénateurs de l'Algérie, réunis en conseil à la Chambre
(le commerce d'Alger, après avoir entendu les explications fournies
par M. Eug. Etienne sur les incidents qui avaient provoqué la dé-
termination de M. Revoil, votaient la résolution suivante sur la pro-
position de M. Thomson :
Les représentants de l'Algérie, sénateurs, députés, membres des déléga-
tions financières, de la Chambre de commerce et d'agriculture, conseillers
généraux et municipaux, réunis aujourd'hui à la Chambre de commerce,
ont été heureux de constater Tunanimité des sentiments de respectueuse
sympathie et de profonde gratitude avec lesquels les populations algé-
riennes s'apprêtent à recevoir le chef de l'Etat. Aucune autre préoccu-
pation ne saurait nous détourner de ce patriotique devoir. Nous aurons à
demander les raisons pour lesquelles on a brusquement privé l'Algérie du
concours et de l'expérience d'un gouverneur qui possédait toute sa con-
fiance; nous aurons à insister pour qu'aucun changement ne soit apporté
à la politique algérienne actuellement suivie et qui peut seule sauvegarder
les intérêts économiques de ce pays.
Aujourd'hui, fidèle à son esprit politique et à sa traditionnelle hospi-
talité, l'Algérie ne songe qu'à remercier de l'honneur que lui fait et de fa
bienveillance que lui témoigne l'éminent citoyen qui est son hôte pour
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 591
quelques jours, et elle veut acclamer dans sa personne la France et la
liépublique.
Ce vole indiquait de façon très nette quelles devaient être la
signification et la portée du voyage du président de la République.
De son côté, M. Loubet a su, avec toute la discrétion que lui impo-
saient les circonstances, mais aussi avec le sentiment très mesuré
de ses droits constitutionnels, laisser comprendre son sentiment
personnel et se placer sur le terrain patriotique, comme il convenait.
Accueilli d'abord par la population algérienne avec une certaine
réserve qu'expliquaient les regrets unanimes causés par Tabsence
du gouverneur général, M. Loubet a indiqué, dès la première heure,
par quelques paroles adressées à H. Etienne, et aussi par un silence
que Ton devinait sympathique vis-à-vis de diverses manifestations
oon moins significatives que courageuses, qu*il entendait repré-
senter en Algérie la France elle-même, la Patrie, la République,
et pour le moment sans aucune autre préoccupation.
L*Algérie a compris; et le sentiment de gêne, qui avait d*abord
prévalu, s'est vile dissipé pour faire place à un sentiment de con-
fiance réciproque qui a produit les meilleurs résultats. Les Algériens
OQt montré ce qu'ils désirent, ce qu'ils entendent être : c'est-à-dire
citoyens français d'une grande colonie autonome. La principale
impression qui se dégage de cette visite solennelle du président de
la République, c'est, en efîet, de la part 'de l'Algérie, l'affirmation très
haute de sa réelle personnalité, la volonté très formellement
exprimée de pouvoir travailler en paix à la prospérité générale de
la colonie, sans être troublée par l'intervention indiscrète et pas-
sionnée de politiciens métropolitains.
L'Algérie, en somme, veut continuer, en toute sécurité d'esprit,
l'œuvre que lui a tracée l'initiative éclairée et féconde de M. Lafer-
riëre. Elle se sent aujourd'hui dans la bonne voie; elle a pu déjà
reconnaître les avantages de cette politique; elle entend les pour-
suivre jusqu'à complète réalisation ; et nous ne pouvons certaine-
ment que l'en féliciter.
Après avoir visité en détail les principales villes et tous les
grands centres algériens, et avoir assisté à une très imposante revue
de nos troupes régulières et de nos milices indigènes au Kreider, le
président de la République s'est rendu en Tunisie où il a été reçu
avec enthousiasme par la population.
— Les récompenses de la Société de Géographie, — La Société de Géo-
graphie de Paris vient de décerner les prix suivants :
Grande médaille d'or de la Société : M. Auguste Pavie, pour ses explo-
rations en Indo-Chine (1879-1893). (Des médailles d'argent sont accordées
aux collaborateurs de M. Pavie.)
k
592 QUKSTIONS Dll'tOMATlQUES KT COLONIALKS
Prix Pierre-Félix Fournier (médaille spéciale et 1.300 francs): M. Jean
Brunhes, professeur, pour son ouvrage « L'irrigation, ses conditions géo-
graphiques, ses modes et son organisation dans la péninsule ibérique et
dans l'Afrique du Nord ».
Prix Ducros Aubert {médaille d'or et 1,400 francs) : M. Emile Gautier,
professeur, pour ses travaux de géographie physique sur Madagascar.
Prix Henri Duveyrier (médaille d'or): le commandant Deleuze, pour
ses explorations et ses travaux scientifiques dans le Sahara (1900-19021.
Prix Alexandre de La Roquette ( médaille d'or) : M. O. Sverdrup, pour
son exploration de l'Archipel polaire américain (1898 -1902).
Prix Jules Girard (médaille d'or) : M. A. Hautreux, pour ses travaux
océanographiques (1877-1902).
Prix Léon Dewez (médaille d'or) : le baron Edmond de Mandat -Grancey,
pour ses relations de voyages (1884-1902).
Prix Auguste Logerot (médaille d'or) : M. Paul Labbé, pour sa mission
dans l'Asie russe et le Japon (1900-1902).
Prix Louise Bourbonnaud (médaille d'or) : M. Emile Baillaud, pour sa
participation à la mission Trentiuiaa et .son ouvrage « Les routes du
Soudan ».
Prix Conrad Malte-Brun (médaille d'or) : le professeur Cvijie, pour se>
explorations scientifiques dans la presqu'île des Balkans (1888-1903).
Prix Erhard (médaille d'or) : M. Henry Barrère, pour ses publication.-»
topographiques et géographiques.
Prix Charles Maunoir (médaille de vermeil) : le lieutenant Jean Tilho.
pour ses travaux géographiques sur le moyen Niger (1890-1902).
Prix Juvénal Dessaignes (médaille de vermeil) : le professeur Augustiu
Bernard, pour ses publications géographiques sur l'Afrique du Nord.
Prix J. Janssen (grande médaille d'argent) : M. Georges Bruel, adminis-
trateur colonial, pour son exploration du Haut-Chari (1896-1901).
Prix William Huber (grande médaille d'argent): M. Paul Privat-Des^-
chanel, pour ses études sur le Beaujolais.
Prix Francis Garnier (médaille d'argent) : le marquis Pierre de Barthé-
lémy, pour ses explorations en Indo-Chine (1894-1902).
Prix Alexandre Boutroue (grande médaille d'argent) : M. Gabriel
Ferrand, pour son ouvrage « Les Musulmans à Madagascar et aux
Comores ».
Prix A. Molteni (grande médaille d'argent) : le baron de Baye, pour
ses collections photographiques de Russie et d'Asiei russe.
Prix Alphonse Milne-Edwards (grande médaille d'argent) : Mme la
comtesse du Bourg de Bozas, pour son tour du monde.
Prix Alphonse de Montherot (grande médaille d'argent) : M«« 0. Cou-
dreau, pour ses voyages au Trombetos et au Cumina (1899-1900).
Médaille d'argent de la Société : le R. P. Piolet, pour son histoire des
missions catholiques.
Médaille d'argent de la Société : M. Paul Lemosof, pour son ouvrage
« Le livre d'or de la Géographie » .
Prix Charles Grad (grande médaille d'argent) : le capitaine Robert
Normand, pour sa carte de Konakry au Niger (1899-1901).
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 593
Prix Jomard (monuments de la Géographie), à M. J. Chavanon, pour
ses études historiques et géographiques.
ÂDgleterre. — Le budget d^ Vexerdce 1903-1904. — Le chancelier
de l'Échiquier, M. Richtie, a présenté, le 23 avril, à la Chambre des
communes, le budget de l'exercice 1903-1904. Les chiffres en sont
singulièrement suggestifs et devraient être, pour nous, d*un puissant
enseignement.
•Le budget des dépenses pour 1903-1904 est de 143.954.000 livres
sterling. Le budget des recettes est de 154.770.000 livres sterling. Le
budget présente donc un surplus de recette de 10.816.000 livres.
L'impôt sur le revenu est diminué de 4 pence, ce qui constitue
une décharge de 8 millions et demi de livres sterling. Le droit sur
les blés est supprimé, soit une décharge de 2 millions de livres
sterling. Les droits sur les sucres, sur les charbons et sur les thés
sont maintenus. Le chancelier de TËchiquier dit que le coût total
des guerres du Transvaal et de Chine a été de 217 millions de livres
sterling, soit plus de quatre fois celui de la guerre franco-allemande.
Le contribuable anglais se trouve de ce fait grevé de 67 shillings
4 pence par tèle.
La delte nationale entre dans le budget pour 27 millions de livres
sterling. Si la dette n'est pas augmentée, elle sera complètement
amortie dans cinquante ans.
Une somme de 6.300.000 livres sterling est portée au fonds
d'amortissement. Cette somme sera peut-être portée à 9 millions, en
raison des payements à effectuer par le Transvaal, qui doivent
s'élever à 4 millions cette année.
M. Richtie, après avoir exprimé sa conviction que les dépenses
militaires et navales élevées sont indispensables, conclut :
Ce n'est pas la jalousie à l'égard d'une autre puissance qui me pousse à
dépenser de plus en plus pour notre marine ; notre marine doit se déve-
lopper tant que se développent les autres marines. Je vois avec plaisir
qu'il ne manque pas d'indices que certains de nos voisins désirent mettre
un terme à leurs dépenses navales. Ces indices de leur part sont les bien-
venus, et nous pouvons leur affirmer que s'ils adoptent et observent cette
politique, nous sommes prêts à les suivre loyalement.
Italie. — Le Roi d'Angleterre en Italie, — Nous avons annoncé, dans
noire dernier numéro, le voyage du Roi d'Angleterre en France;
il devait être, comme on sait, précédé de son voyage en Italie.
Edouard VII a été en effet reçu, à Naples et à Rome, par d'enthou-
siastes démonstrations. On a remarqué qu'au banquet où les deux
Rois ont échangé otïiciellement les compliments d'usage, le Roi
Victor-Emmanuel a prononcé son toast, non pas en français comme
la tradition diplomatique semblait le prescrire, mais en italien.
QuEST. Du»L. ET Col. — t. xv, 3j^
(
591 QUESTIONS DIPLOMATIQURS BT COLOIflALBS
C'est là, peut-être, une façon un peu nouvelle de souligner, du côlé
de 1 Italie, la sincérité du rapprochement franco-italien.
— La démission de M. Prinetti. — L'Italie possède, depuis le
ii avril, un nouveau ministre des Aflaircs étrangères. M. Prinelti.
qui était entré à la Consulta au mois de janvier 1901, c'est-à-dire au
moment où le ministère Zanardelli-Giolitti avait succédé au ministère
Saracco, avait été soudainement frappé par la maladie, il y a
quelques mois, et avait dû abandonner temporairement ses fonc-
tions. Il ne s'agissait encore pour lui que d'un congé, sa santé ne
paraissant pas sufïïsamment atteinte pour nécessiter qu'il démi^ •
sionnàt, et. l'amiral Morin, ministre de la Marine, avait été chargé
de le remplacer par intérim. Mais, bien que l'état du ministre titu-
laire n'empirât pas, son rétablissement se faisait attendre plus long-
temps qu'on ne l'avait supposé. Placé ainsi dans la nécessité ou bien
de compromettre sa santé en reprenant prématurément le tr?f ail,
ou bien de prolonger encore l'intérim, M. Prinetti a préféré ^ibau
donner complètement ses fonctions. Il a donc offert sa démission au
roi, qui, étant données les circonstances, ne pouvait pas insister pour
qu'il la retirât. Victor-Emmanuel III l'accepta donc et lui donna
comme successeur l'amiral Moriu lui-même, l'intérimaire, et nomma
à la Marine le contre-amiral Bettolo.
Turquie. — La question macédonienne, — La situation reste sensible-
ment la même en Macédoine et ne semble pas s'améliorer. Le jour du
Sélamlik, les ambassadeurs des puissances ont été reçus par le
Sultan et lui ont présenté des réclamations identiques de leurs gou-
vernements respectifs concernant l'application d'une politique
énergique dans les Balkans. Le Sultan a répété ses coutumières
assurances d'une bonne volonté, toujours impuissante d'ailleurs.
D'autre part, le correspondant du Temps à Gonstantinople lui
télégraphie, à la date du 20 avril :
l^endant deux jours et deux nuits, la commission militaire extraor-
dinaire a délibéré au Palais de Yildiz au sujet des mesures militaires à
prt-ndre pour étouffer la rébellion albanaise et poursuivre les bandes macé-
douiennes. Le règlement élaboré à cet effet était télégraphié à Tinspectcur
général à Uskub au fur et à mesure qu'il était arrêté.
Il est très complet. II divise la Macédoine et l'Albanie en divers district>
militaires sous la direction de chefs qui seront rendus responsables detoui
ce qui s'y produira. Ces chefs, ayant les coudées franches, devront agir
avec la dernière rigueur contre tout révolutionnaire et ne permettront pas
a la population de se joindre aux troupes pour se livrer à des représailles.
Vw district militaire pourra combiner une action commune avec un district
voisin. Le tout est arrangé de telle façon que l'on croit qu'il sera mainte-
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 595
oaDt assez difficile aux bandes d'échapper à la poursuite qu'on leur fera
impitoyablement.
Quant à la rébellion albanaise, on a finalement compris au Palais que les
amabilités n'ont plus de prise sur les Albanais et que la parole est au
canon.
La situation actuelle, une des plus difficiles dans lesquelles se soit
jamais trouvée la Turquie, se complique encore par le manque d'argent.
L'appel des réserves et des auxiliaires, leur transport, leur entretien sur le
pied de guerre, les énormes dépenses amenées par l'application plus ou
D oins bonne des réformes engloutissent chaque jour des sommes consi-
dérables, de sorte que bientôt on ne saura plus à quel saint se vouer au
pojat de vue financier.
n. — ASIE.
Sia 1. — La mort de M. de Coulgeans. — M. Durousscau de Coul-
geans, ^onsul de France et commissaire du gouvernement de la Répu-
blique pour les provinces de Battambang et d^Angkor, vient de suc-
comber à Battambang à une attaque de dysenterie.
C'était un de nos meilleurs agents d'Extrême-Orient où il comptait
près de trente années de séjour. Ancien membre de la mission de
Pavie, il avait rempli successivement les fonctions de vice-résident
et de résident de France en Indo-Chine. Il était titulaire du consulat
de France à Korat, et depuis un an et demi était en mission dans les
anciennes provinces cambodgiennes de la frontière. La France et
rindo-Chine perdent en lui un serviteur précieux, un homme profon-
dément désintéressé, profondément dévoué à son devoir, de la race
des Doudart de Lagrée et Francis Garnier ; comme eux il tombe au
champ d'honneur.
Perse. — Rivalité anglo-persane. — Le Journal des Débais vient de
publier la correspondance suivante de Bombay :
Boinbaj, mars 1903.
La rivalité qui s'est élevée en Perse entre l'Angleterre et la Russie, loin
«le disparaître, tend au contraire, surtout depuis quelque temps, à devenir
de plus en plus ardente.
D'après les bruits qui circulent ici, les agents des deux pays s'efforcent
d'affirmer à tout propos la supériorité do la nation qu'ilS représentent. II
faut, toutefois, convenir que, jusijue dans ces derniers mois, la diplomatie
moscovite l'emportait sur sa concurrente dans cette course au clocher. Le
récent voyage effectué par le Chah en Europe avait laissé, disait-on, dans
l'esprit de ce souverain des souvenirs favorables à la cause russe. A en
juger par des rumeur* parvenues jusqu'aux Indes au sujet de déplacements
de dignitaires persans, dont les sentiments anglophiles étaient connus, le
596 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
gouvernement iranien ne paraissait plus se soucier de témoigiier ostensi-
blement ses préférences pour son grand voisin du Nord.
Mais les derniers incidents qui se sont produits sur la frontière du Seistau
à la suite de la violation du territoire persan par des troupes indienne^.
ont fourni à l'Angleterre l'occasion de leconquérir une partie de sol-
influence. Ils ont permis au gouvernement des Indes d'envoyer sur Ie<
confins de la Perse une colonne militaire commandée par le major Mac-
"Mahon, qui, de concert avec une commission persane, sera appelée à régler
sur place, et probablement en faveur de l'Angleterre, la question de lu
délimitation du Scistan.
La mission britannique, composée de nombreux fantassins et d'une fon^*
escorte de cavalerie, est surtout destinée, vu sa puissance imposante, a
impressionner l'imagination des Persans. Il est certain que, en faisant
prévaloir les vues du gouvernement indien dans le règlement de cett^•
question délicate de la frontière de Seistan. le major Mac-Mahon rétablira
du coup dans le Sud de l'empire iranien et dans les pays limitrophes \c
presti^^e britannique que les récentes entreprises de la Russie en Perse eî
dans le golfe Persique avaient réussi à amoindrir. Néanmoins ce résultat
n'aurait pas été atteint si, comme on Ta raconté ici, le gouvernement persan
avait adjoint à ses commissaires, en qualité de délégués techniques, ur.
certain nombre d'officiers russes, car dans ce cas il eût été difficile aux
agents du gouvernement indien de cacher complètement à ceux qui ont un
si grand intérêt à les connaître et à les combattre les tendances de la poli-
tique que l'Angleterre poursuit dans le Seistan.
Dans nos milieux politiques, on attribue généralement à l'habileté du
ministre britannique de Téhéran le brusque changement survenu daii>
les dispositions du gouvernement du Chah et son renoncement à conliera
des officiers du génie russe le soin de seconder ses délégués de leur-
conseils.
Ce premier succès, qui est incontestablement important, sera sans doute
un puissant encouragement pour les Anglais. Il faut donc s'attendre à les
voir persévérer en Perse avec plus d'ardeur que jamais dans la lutte obstiué*'
contre l'influence russe que, jusqu'à présent, ils avaient soutenue, il est
vrai, avec plus de ténacité que de bonheur.
ni. — AFRIQUE.
Maroc. — La situation. — D'après les dernières dépèches, le pré-
tendant est toujours aux environs de Tetouan. Quelques Maures et
et 500 Askaris ont fait acte de soumission au Rogui, qui refuse
d admettre plusieurs bandes d'agitateurs venant du côté de l'Algérie
car il désire maintenir de bonnes relations avec les puissances eurc
péennes.
D'autre part, les dernières nouvelles de Fez sont satisfaisantes. Lcn
Européens remplissant des fonctions subalternes ont été priés de
quitter la cour.
BOSEÏGNEMËNTS l'OLlTIQUE^ 397
Aux enviroûs de Mequioez, ragitaiion a nécessité renvoi immédiat
d*? plusieurs ce n laines de cavaliers de Fez-
L armée du sultan ctrmple, k l'heure actuelle, une dizaine de millr
hommes environ, et c'est à peu près Teffectir que peut mettre en
li^e le prétendant. Tauléfois, les contingents de l'un et de l'autre
i^ont très instables, et soit d'un c6léj soit de rautre, il faut s'attendre
i des défections au moment d*un combat. C'est, d'ailleurs, cette
incertitude dans les dispositions de leurs troupes qui fait que chacun
des deux adversaires ne met pas un grand empressement à prendre
contact avec Vautre. I
Région du Tchad. — La missmt scknUfiqm du Chnrid du Tchad. — I
Le ministre de Tlnstruction publique vient de recevoir les meilleures ]
'.nouvelles de la mission scientifique au Charî el au lac Tchad. Par '
! une lettre datée de Ndellé, le (3 janvier dernier, M, Chevalier, le chef ^
I de la mission, nous apprend qu'il a trouvé un accueil excellent auprès •
; du sultan Mohammed es Snoussi, dans la capitale duquel il est arrivé \
I le l'a décembre dernier. I
I Xotre résidentj M. tlrech, prévenu de son arrivée, s'est mis à sa «
\ Jïsposiiian, et par son intermédiaire^ >L Clievatier a pu recueillir de |
I la bouche du tils de Koubeur^ ancien sultan du Dar Kouti, des ren- «
setgnemenis sur les circonstances encore inconnues dans lesquelles '
la mission Crampel avait été massacrée, "
j L'agression fut ordonnée par lïalmh ou un de sess lieutenÊUls. Elle avait ,
I ^lour but dn feVmpiiriT de^^ armes delà misfiion. Crantpel fut assnsi?iné à
Djangara, pré si C'iiah. ;iu moment ou il «liait entrer daus le Dar-Hounga.
par un nommé EX Iv lia ri tin. qui ost mort eu 1905, étran^dé par un hoD.
Après l'exploration du massif montagneux d'où descendent les
allluents de droite du Chari^ M. Chevalier rejoindra le territoire mili-
taire du Chari el gagnera le lac Tchad, qu'il ne compte atteindre que
dans le courant de juillet prochain.
L'ne seconde lettre du G février annonce que cette exploration
s est accomplie avec l'appui du sultan Snoussi et a amené notamment
la découverte du point de convergence probable des trois bassins : ,
Cbarij Congo (Oubangui] et Xit et d'un grand lac de t* Mamoun i>.
Madagascar. — La s'duatimi. — Un de nos correspondants de Mada-
jîascar nous adresse les nouvelles suivantes :
Uq pliénomène peu commun vient de modifier, de la t'flcûo la plus inat-
lendue, le régime hydrographique i}q toute utip région de Titr. I^a Malmn-
jamba^ ayant son emtïouchuie dans la vaste haie du même nom, éraiL
ivec la Betïilïoka, et jui^qu^ù ci^s dcruit^rs jours, le fleuve le jitus important
dp la cûti^ Qord-oucst de Madagascar. Son has^sin était séparé de celui dp
kBt'tsiboka par un seuil éiroii et peu étevécoutre leEjuet s^es eaux venaient
L
598 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
buter. Sur le versant opposé se trouvaient de vastes marécages d'où sor-
ti^if^t le Kamoro, afiQuent important de la Betsiboka, d'environ 130 kilo-
mètres de parcours. Or, les crues qui ont suivi le dernier cyclone ont
remporté ce seuil, et les eaux de la Mahajamba ayant ainsi trouvé une issue
vers une région plus basse se déversent aujourd'hui en totalité dans le
Kamoro et delà dans la Betsiboka.
Ce phénomène aura des conséquences pratiques intéressantes.
C'est ainsi que plusieurs prospecteurs explorent en ce moment l'ancien
lit, probablement très aurifère, de la Mahajamba, et y ont planté déjà de
ijombreux signaux de recherches.
D'autre part, les eaux grossies du Kamoro ont rendu cette rivière navi-
^iibie sur près de 100 kilomètres, qui pourront former ainsi, dans la région
de l'Est, le prolongement de la voie fluviale de la Betsiboka.
Les études hydrographiques se poursuivent autour de Madagascar,
rioiamment sur la côte Ouest, où on a relevé récemment les mouillages de
<ïeux petits ports dans la province de Tulear : And^oka et Itampobo, que
linéiques navires ont visités dans ces temps derniers.
Les études hydrographiques faites sous la direction du ministère de la
Marine sont ein général laborieuses à Madagascar, où elles sont souvent
('nlravées et même complètement interrompues par les gros temps.
D'après différents renseignements concordants reçus du Transvaal, le
nouveau gouvernement commencerait sous peu l'extension du réseau des
voies ferrées, et se proposerait de s'approvisionner à Madagascar des tra-
verses nécessaires. Cette nouvelle, si elle vient à se confirmer, est de
ïiature à stimuler les entreprises forestières à Madagascar, notamment sur
la côte Ouest où plusieurs concessions ont été demandées dans ces derniers
!i?mps.
Un nouveau cyclone, le troisième depuis quatre mois, et en même temps
1g plus violent et le plus désastreux, s'est déchaîné le 22 mars sur la côte
Est de rile et a causé des dégâts considérables à Tamatave, Andevorante,
Mahatsara, Vatamandry et Mahamoro.
Dans ces différents ports, plusieurs bâtiments d'assez fort tonnage et un
^rand nombre d'embarcations plus petites ont été jetés à la côte ou sur les
récifs. Le gros village de Mahanoro a été rasé par la tempête. Les lignes
Télégraphiques sont restées interrompues dans toutes les directions pendani
plusieurs jours. A Tananarive, la violence du vent et l'abondance des
pluies ont amené Técroulement de plusieurs maisons indigènes. Les com-
munications télégraphiques venant seulement d'être rétablies, on est encore
sans nouvelles d'un grand nombre de régions où l'on craint que plusieurs
accidents plus ou moins graves se soient produits.
D'autre part, les sauterelles ont endommagé les récoltes dans plusieurs
provinces. Des vols considérables ont été signalés en particulier, dans la
province de Manjakandriana, à 40 kilomètres à l'Est de Tananarive.
Au dernier moment, on annonce que les travaux du chemin de feront
Itarfaitement résisté au dernier cyclone.
Somaliland. — La campagne anglaise au SomalUand. — Les Anglais
ne sont pas heureux, dans ce moment, au Soaialiland. On sait que
HËNSEIGNEMENTS POLITIQUES 599
deux colonnes avaient été lancées contre le mullah. La première et
la plus importante était partie de Berbera sur le golfe d'Aden, la
seconde d*Obbia sur l'océan Indien.
L'objectif des deux colonnes était la région de Mudug où se trou-
vent les puits et principalement GerlogDubi, un centre important de
caravanes.
Le muUab s*était toujours habilement dérobé et ne s*était pas un
instant départi de sa tactique, qui était de se retirer continuellement
devant les Anglais afin de les entraîner dans des régions sans eau
qu'ils ne connaissaient pas.
Le mois dernier, il était à Mudug, à 320 kilomètres dans Tinté-
rieur. Lorsque les Anglais arrivèrent sur ce point, il était parti pour
Galadi à 100 kilomètres plus loin.
Le général Manning envoya alors dans la direction de Galadi un
fort détachement sous le commandement du colonel Gobbe. Or, le
18 avril, l'avant-garde de ce détachement, sous les ordres du colo-
nel Plumkett, se heurta, à Gumburru, à dps forces ennemies supé-
rieures et fut anéantie. Cent quatre-vingt-onze hommes, dont
il officiers, y compris le colonel Plumkett, tombèrent sous les coups
des soldats du mullah et deux mitrailleuses Maxim furent prises.
Par suite de ce désastre, la colonne Gobbe se trouvait dans une
situation critique. Le général Manning partit alors à son secours
et il paraîtrait qu'il réussit à la dégager. Mais les dépêches sont assez
obscures et même contradictoires sur ce point.
Par contre, ce qui est bien précis, c'est qu'une seconde colonne
volante, sous les ordres du major Gough, a eu un engagement avec
les forces du mullah, au Sud-Ouest de Danop, et que, manquant de
munitions, elle a dû battre en retraite vers ce point, après avoir eu
deux capitaines tués, cinq officiers blessés, treize hommes tués et
vingt-huit blessés.
i
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — GÉNÉRALITÉS.
La production de Targent dans le monde. — Les statistiques ci-
après ont été réunies par le Chemical Trade Journal^ de Mao-
chester, d'après des données puisées à diverses sources améri-
caines et anglaises :
Prodnotion en milliers d'onoes.
Etats- Autres
Années Unis Mexique Ausiralie pays Total
onces onces onces onces onces
1891 58.330 35.719 10.000 33.910 137.965
1892....: 03.500 39.504 13.439 30.490 152.9.19
1893 00.000 44.370 20.501 41.228 Ifiô.lOO
1894 49.500 47.038 18.073 53.140 167.752
1895 55.720 46.962 12.507 53.983 160.180
1890 58.834 45.718 12.238 40.268 157.06!
1897 53.860 53.903 11.878 44.431 16*. 073
1898 54.438 56.738 10.491 51.560 173.227
1899 54.704 55.612 12.686 44.161 167. 22i
1900 57.647 57.437 13.340 44.413 172.838
1901 55.214 57.656 13.049 49.078 174.998
1902 (estimation). 58.560 58.000 13.100 49.200 178.866
Il est à remarquer que les chiffres de l'année qui vient de finir ne
sont encore qu'approximatifs; il n'en pourrait être autrement à une
date si peu avancée. Les modifications qu'ils sont susceptibles de
subir ne seront cependant pas fort importantes, si Ton peut se fonder
sur l'exactitude relative des estimations des années antérieures.
En 1901, les résultats des Etats-Unis accusaient une assez grande
différence en moins (4 millions d'onces), par rapport aux évaluations;
mais ce déficit a été comlHé par le surplus de production indiqué
sous la rubrique « autres pays ».
Il ressort du tableau ci-dessus que la production de l'argent suit
une marche progressive, sinon rapide, du moins régulière. Le total
estimatif de 1902 est le plus élevé qu'on ait obtenu jusqu'ici et il
indique une augmentation de 4 millions d'onces, attribuable aux
Etats-Unis et au Mexique.
Il est reconnu que les usages industriels de l'argent se développent
constamment, grâce à l'abaissement des cours, mais il est certain
aussi que la demande de métal blanc pour les besoins monétaires
diminue d'une façon notable, surtout en Chine et aux Indes.
Les quantités d'argent produites depuis onze ans se sont accrues
\
HKNS£lG^EMEP^TS KCOWOJAlQlfES fiOl
dans une proportion de 29 % ; la valeur commerciale de ces mêmes
qnaolités, comme on lo verra ci-après, s'est auf^si modifiée, mais
dans un sens bien difTérent :
Taleup de la production des métanx précieux dana le monde*
Années argent IMT
Liv, sL Liv sf.
\m\ ,.,,....,.. 23.0CNL27(r 2(î.7()2.ntï9
im^l. 25.370.în:i 2ï),lM2.:*:n
1893 2^.ti35 .niO :^2.6»2.%7
ifi04 ..,. eo. 326. 410 3G.7e:; 052
^^95 .,..,. ^1\. Q:\2A\fi 40,9îlîl,778
iHim , . , iïK &^i3 .SK2 41 ,7!3.71ÎT
1^97 ._ i8.8H5.r»00 48.78O.0ii
1898 lî), 488. 135 59,538 Jp52
\Hm ._ 19.101,112 Ô4.6îi2j'i6:!
1900. _ 2{t.Wtr.^i:\ ri3 J0y.23!l
I90i _ .._...... 19,824.057 d4,774.7G9
1902 _ . 17.088. lOt 62.588.2-2»
La valeur de rorjelè sur le marché^ l'année dernière, représente
donc environ trois fois eL demie celle de l'argent; elle ladépasisaH k
peine il y a onze ans. Ajoutons, pour terminer^ que les quantités
totales d'or Hvréeii au commerce ont monté, dans le même espace de
temps j de plus de 133 % .
Le pétrole dans le monde. — Le service géologique des États-Unis
a publié un mémoire sur la producli^m du pétrole dans le monde.
Nous extrayons de ce travail la' statistique suivante ofi les chiffres
expriment des barils de 42 galtons, c'esl-à-tlire de 100 litre*; :
Production du pétrole dans le inonde
PAYS
1900
1801
lî\ RILS
poiTlicKMTAtit:
iJAaiL.S
l'OURCKMAOR
KiMts-Unia».*
1 Canada* ,...,..
6:i, «50.539
102, S76
7S.77ÎÏ.417
a. 346. 503
l.9fi7 700
t.fi28-53:i
l,078.-2fU
n:>S.(|fiO
3:;». 297
lâjoa
ll,V7
0,07
\.liH
t,3.1
t,io
0.73
0,01
^;ii.3Hyn9i
7tU,«72
KSJKS.:Mfi
3.s:>i.:;ii
3.03K.7tlO
iAMUiUiï
l,i3H.711)
3i3.iiao
in,îOo
o,ia
0 Oi
5L:io
1,117
1.8*
tljKfi
n,3ii
0 Oi
P^TÛÙ . ,
Russie
GalJcie , , . .
SciTnaLrji . Jnva rt
Bornéo
Roumanie
Inde
iapoQ . .
AllftititLimu ,*♦,.....
iiaue!. !.::..... .
Totaux.......
Ha.in.973
lao
I6j,.^sn.7:î:t
ion
60â QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLONULES
II. — EUROPE,
Belgique. — Gcmmerce avec la France. — Le commerce de la Bel-
gique avec la France est en diminution sensible pour Tannée 190i.
Alors qu'il avait atteint en 1900, au commerce général, le chiffre de
1.340.984.000 francs, il n'atteint en 1901 que 1.224.933.000 francs:
chiffre inférieur môme à celui de 1899, qui était de 1.310.618.000 fr.
La diminution que nous venons de constater s*est d'ailleurs éga-
lement produite dans les échanges avec les autres pays voisins de
la Belgique.
Pour la France, les plus fortes diminutions ont porté sur les ma-
tières premières que nous fournissons à la Belgique et que son
industrie met en œuvre.
Le ralentissement s*est accusé principalement par des moins-
values dans Timportation de nos produits textiles et de nos produits
métallurgiques.
II y a aussi une diminution pour les peaux brutes ou apprêtées el
pour le caoutchouc et les vins.
Les importations de quelques-uns de nos produits ont augmenté:
ce sont celles des graines oléagineuses, chanvre, éloupe et crie,
bijouterie, fruits, drogueries, etc.
Remarquons que, pour une des branches les plus importantes de
notre fabrication nationale, les soieries, nous nous trouvons en Bel-
gique sérieusement concurrencés par l'Allemagne et la Suisse. En ce
qui concerne la passementerie de soie, TAUemagne arrive même la
première avec 22.795 francs contre 4.458 francs à la France.
Pour la rubannerie, elle suit de près, avec 72.662 francs, la France
représentée par 98.370 francs (la Suisse étant troisième avec
13.285 francs).
Nous reprenons un avantage marqué avec les tulles, blondes el
dentelles (129.410 francs contre 27.557 à l'Allemagne et 10.143 à
TAnglelerre). Nous le gardons encore pour les tissus de soie non
dénommés (6.899.742 francs contre 2.124.494 à l'Allemagne et
1.130.265 à la Suisse], mais nous ne saurions nous dissimuler que
de ce côté, et surtout pour les étoffes bon marché, la concurrence
de l'Allemagne et de la Suisse ne devienne chaque jour plus intense.
1/exportation des produits belges ou nationalisés en France, qui
s'élevait en 1900 à 426.000.000, a été, en 1901, de 350 millions 6, soit
une diminution de 75 millions 5, ou de 18 %.
La première et la plus importante de ces diminutions porte sur
les voitures de chemins de fer et de tramways, 30.582.000 francs de
moins qu'en 1900. Les mécomptes survenus dans un trop grand
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 603
nombre d'entreprises de traction, et, par suite, ie ralentissement de
cette indastrie, en sont sans doute la cause.
Toutes les autres diminutions s'expliquent par la crise industrielle
qui n'a pas épargné notre pays, surtout au point de vue métallur-
gique; telles sont les diminutions sur la houille (11.399.000), sur le
coke (6.634.000), sur les machines (5.730.000), sur le plomb
(2.833.000), sur Tacier ouvré (2.597.000), sur U chanvre, étoupes et
lin (2.530.000), sur le zinc (2.279.000), sur le fer battu, Tacier en
barres, le cuivre, le nickel, etc.. Ajoutons-y pour les primes de
construction une diminution de 4.292.000 et pour les viandes une
de 3.420.000.
m. — OCÉANIE.
Nouvelle-Calédonie. — Commercé m 1902. — Le mouvement com-
mercial de la colonie s'est élevé, en 1902, à 25.729.000 francs, dont
13.446.000 francs pour les importations et 12.283.000 francs pour les
exportations.
C'est le café et les mines qui sont les deux éléments les plus
importants des exportations. Pour le café, les expéditions augmen-
tent chaque année dans d'assez grandes proportions, comme le mon-
trent les chiffres suivants afférents aux cinq dernières années :
1898 141.189 kil.
1899 306.197 —
1900 275.929 —
1901 443.726 —
1902 ' 548.305 —
Des minerais qu^on extrait du sol calédonien, c'est le minerai de
oickel qui est de beaucoup le plus import«ant. Les exportations de ce
minerai ont été, en 1902, un peu inférieures à ce qu'elles avaient été
en 1901, mais elles sont encore restées à un très bon niveau. Voici
les chiffres des exportations du nickel depuis sept ans :
1896 .37.254.000 kil.
1897 57.639.424 —
1898 74.613.767 —
1899 101.908.748 —
1900 100.318.685 —
1901 ^ 132.814.356 -
1902 129.653.090 —
Les exportations de cobalt, qui n'avaien^ été que de 3.123.150 kilog.
en 1902, ont atteint 7.512.220 kilog. en 1902. Celles de chrome sont
tombées de 17.451.192 kilog. en 1901 à 10.281.000 en 1902.
NOMINATIONS OFFICIELLES
HIKISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
L'exequatur a été accordé à :
M. Georges Tomaezewski, consul de Russie à Alger ;
M. Lemaitre-Feret, consul de Turquie à Rouen.
Mi:\ISTÈRE DE LA 6UERRE
TronpeN métropolitaines.
SERVICE DE SANTÉ
Madagascar- — M. le méd.^moj, de 2« cl. Thiébaut est désig. pour le bataill.
étranger de Diégo-Suarez.
Troupes coloolales.
INFANTERIE
Chine. — M. le Ueitt.-col. Aublet est désig. pour servir à Quang-tchéou-
ouan ;
MM. le capit. Revol et les lieut. Bianchi et Duhamel sont désig. pour 8er?irau
16* rég.
Afrique Oooidentale. — M. ]e capil. Duchemin est désig. pour servir à l'état-
maj. des troupes, en qualité de chef du service géographique ;
M. le capit. Chaput est désig. pour servir au l«r j^énégalais ;
M. le capil. Gadel est désig. pour servir au 2« sénégalais, comme cap.-major;
M. le lieue. Desplagnes est d(''sig. pour servir du 2* sénégalais ;
M. le lieut. Habcrcr est désig. pour servir au bat. de Zinder, comme lieut.-
comptable ;
M. le lieut. Larroque est désig. pour servir au bat. de la Côte d'ivoire ;
M. le lieut. Drot est désig. pour servir au 1®'' sénégalais.
Congo. — MM. le lieut. Mazo^er et les sous-lieut. Ripert et Boudrv f^ont
désig pour servir au rég. indigène du Congo.
iBde française. — M. le lieut. Fromenty est désig. pour servira la comp. des
cipahis.
Indo-Chine. — Sont désignés pour servir en Cochinchine :
M. le col. Prudhomme; MM. les capil. Lionnet, Delord, SaiDard et Legrand;
MM. les sous-lieut. Arnaud, Hemmet, Regard et At.
Sont désignés pour servir au Toukin :
MM. les capit. Monnoye, Favier, Vanwlberghe, Millet, V^elle, Labavsse, Laflotle;
MM. les lieut. Devaux, Corncloup, Marchant (E.-II.), Tajasque et M. le sous-lieut.
Dubois.
M. le capit. Sautés st désig. pour le 10* rég.;
M. le lieut. Goigoux pour le 3« tonkinois;
M. le lieut. Féraud pour le 18« rég.;
M. le lieut.col. Chenagon est désig. pour command. le iS* rég.
M. le cap. Péroux est affecté au 5*^ tonkinois.
Madagascar. — Sont désig. pour servir à Madagascar :
M. le col. de Pélacot ; MM. les cap. Pérès, Gremillet, Lambert et Mauvillain;
MM. les lieut. Dardenne (C.-J.), Dupuy, Hegelbacher ; M. le sous-lieut. Samalens.
Les officiers ci-après en service à Madagascar ont été placés, savoir :
M. le chef de bat. Millot, au 3« sénégalais (cercle de Morondava) ;
M. \e capit. Dietrich, à la i^« comp. du bataillon de Diégo-Suarez;
M. le capit. Disdier, comme adjudant-major au 13* rég.;
M. le lieut. Brousseaux, à la i" comp. du 13» rég.;
M. le lieut. Chevet, à la .5* comp. du !«»• malgaches;
M. le lieut. Croll, à la !'• comp. du 2<^ malgaches;
M. le lieut. Cellier, à la !(>• comp. du 3* sénégalais ;
- M. le sous-lieut. Tiret, à la 5« comp. du 13' rég.;
M. le sous lieut. Pelud, à la 9« comp. du l'' malgaches;
M. le sous-lieut. Lherrou, à la l')^ comp. du 2* malgaches ;
M. le sous-lieut. Garron, à la 1* comp. du 2* malgaches;
NOMINATIONS OFFICIELLES ()0r>
M. hsouS'Ueut. Jadard, à la 11* comp. du 2« malgaches;
M. le sous'lieul. Masson, à la 12*' comp. du 3* malgaches;
M. le sous-lieut. Jeux, à la 12* comp. du Z^ sénégalais;
M. le sous'lieut. Leborgne, à la U* comp. du bat. de Diégo-Suarez.
M. le chef de balaill. Savy, au l»*" malgaches;
M. le capit. Simouin, à la 8* comp. du 15* rég,
M. le capit. Quinet, au 3* sénégalais (2* compagnie}.
ARTILLERIE
AfrJqne Oooidentale. — M. le cap. Saulnier est nommé sous-direct, à Saint-
Louis (Sénégal);
M. le lieut Sugot est afTecté à la compag. de conducteurs sénégalais à Dakar.
Indo-Chine. — M. le chef d'escadron Drand est désig. pour servir en Cochin-
cbioe.
Kadagasoar. — M. le lieut. Rouanet est dés. pour la 4" batt. à Tananarivc.
MINISTÈRE DE LA HARINE
STAT-MAJOR DB LA FLOTTE
Extrême-Orient. — M. le cap. de fre'g. de Lartigue est désig. pour embar-
«(uer sur le Montcalm comme officier en second ;
M. le lieut. de vaiss. de Slabenrath est désig. pour embarq. sur le Hedoulable ;
M. le lieut. de vaiss. Demarne est désig. pour embarq. sur le Pascal;
M. le lieut. de vaiss. Lavissière est chargé du poste de la marine de Tong-Kou ;
MM. les enseig de vaiss. Cloître, Maquet et Richard sont désig. pour embarq.
dans l'escadre d'Extréme-Orienl.
Levant. — M. Venseig. de vaiss. de Laurens-Caslelet est désig. pour embarq.
sur la Mouette à Constantinoplc.
Paoifiqne. — M. le lieut. de vaiss. Movsan est désig. pour embarq. sur le
Protêt.
CORPS nu COMMISSARIAT
Extrême-Orient. — M. le commiss. de 2« cl. Poton est désig. pour embarq.
*<ur le Bugeaud.
CORPS DE SANTE
Madagascar. — M. le méd. de 2* cl. Cas&ien est désig. pour embarq. sur la
Nièvre (mission hydrographique à Madagascar).
Pacifique. — M. le méd. de 2« cl. Guibaud est désig. pour embarq. sur la
Meurthe,
SERVICES ADMINISTRATIFS
GoollinclLine. — M. Formai, agent des construct. navales ^ est désig. pour l'ar-
senal de Saigon.
MINISTÈRE DES COLO.HIES
Par décret en date du 1 avril 1903, ont été nommés :
Conseillera la Cour d'appel de llndo-Chine, M. Farel ;
Procureur de la République du tribunal de première instance de Vinh-Long,
M. Auber ;
Juge-président du tribunal de première instance de Long-Xuyen, M. Regnault;
Juge au tribunal de première instance de Saigon, M. Maugain ;
Lieutenant de juge au tribunal de première instance de Ilaïphong, M. Sasias;
Lieutenant de juge au tribunal de première instance de Rentré, M. Guejflier;
Juge suppléant au tribunal de première instance de Saigon, M. d'Auxion ;
Juge-président du tribunal de première instance de Rentré, M. Bourayne;
Juge au tribunal de première instance de Saigon, M. Dain ;
Juge de paix à compétence étendue de Rach-Gia, M. Lacouture;
Lieutenant de juge au tribunal de première instance de Travinh, M. Moisson :
Juge suppléant de la justice de paix à compétence étendue de Tourane, M. Gui-
selin;
Juge suppléant au tribunal de première instance de Ringerville (Côte d'Ivoire),
M. Michellet (André-Edmond).
M. Dusson, (Jean-Marie>Joseph-Henri), docteur en droit, a été nommé attaché au
jmrquet du procureur général de l'Indo-Chine.
BIBUOGRAPHIE — UYRES ET REVUES
Notre Colonie de la Côte d'Ivoire, par Villamur et Richaud. 1 vol.
in-i2 de 400 pages, avec une carte et de nombreuses photogravures.—
Challamel, 1903.
Il y a quelques mois, MM. Clozel et Villamur ont publié, avec le con-
cours-de plusieurs administrateurs de laCdte d'Ivoire, un livre fbrt remar-
rjuable sur les Coutumes indigènes de la Côte cTlvoire auquel la Société de
géographie commerciale a décerné récemment un de ses prix, si justement
appréciés. Mais le cadre, bien que vaste, était strictement limité. Aujour-
d'hui M. Villamur, en collaboration avec M. Richaud, vient de faire paraitn'
un ouvrage d'aspect plus modeste, mais qui, pour la ^'ariété de ses iofor-
mations, malheureusement peu étendue au point de vue économiqueet com-
mercial, intéressera cependant un bien plus grand nombre de lecteurs. La
majeure partie du volume (les auteurs, d'ailleurs, ne le cachent pas) ana-
lyse ou reproduit des études antérieures de M. Villamur, très goûtées des
spécialistes. Deux chapitres, le second {Organisation administrative^ finan-
cière et politique) et le septième {Régime foncier. Concessions territoriales.
Mines, etc., etc.), sont dus exclusivement à M. Richaud, un de nos jeune>
administrateurs coloniaux ayadt le plus d'avenir. On les lira avec fruit. La
Conclusion de l'ouvrage est commune aux deux auteurs; il faut les féliciter
d'avoir conservé une prudente réserve au sujet de l'engouement minier, qui
sévit actuellement là-bas, et que rien, jusqu'ici, n'est venu justifier; la spé-
culation semble, en effet, y avoir une part beaucoup plus grande qu'une
mise en œuvre sérieuse et positive.
A.-F.
L'Œuvre de la France à Madagascar, par M. Louis Brunkt,
député de la Réunion. Un vol. in-8<» de 590 pages. — A. Challamel, édi-
teur. Paris, 1903.
L'ouvrage que vient de faire paraître M. Brunet est intéressant, instruc-
tif et fort bien documenté. Il est le fruit de patientete recherches et de
consciencieuses études.
Au reste, nous avons eu la bonne fortune de pouvoir publier dans notre
fascicule du !•' janvier dernier l'un des chapitre» !es plus intéressants de
ce livre, alors inédit.
La seule lecture de ces quelques pagcv a permis à nos lecteurs de se
rendre compte de la valeur et de 1» purtée d'un ouvrage sur les mérites
duquel il ùe nous semble pas ulite (Pinsister davantage.
Atlas des Colonies françaises, dressé par ordre du ministère des
Colonies, par Paul Pelet. 27 cartes et 50 cartons eu 8 couleurs, avec
texte explicatif et index alphabétique de 34.000 noms. Un vol. iD-4»
colombier. — A. Colin, éditeur, Paris.
Nous avons déjà appelé l'attention de nos lecteurs sur celte remarqua-
ble publication dont la valeur scientifique et l'exécution matérielle font
également honneur à l'auteur et aux éditeurs qui ont su mener à bouue fin
ce travail considérable.
L'Atlns des Colonies françaises est aujourd'hui complètement achevé. Le^
BIBL106RAPUIK — LIVRES ET REVUES 607
cartes dont il se compose ont été établies avec beaucoup de méthode et un
grand souci de l'exactitude. Elles abondent en renseignements nouveaux
puisés dans les documents rapportés par nos explorateurs, nos administra-
teurs et nos ofliciers.
Les cartes sont accompagnées d*un texte qui donne sur l'ensemble de
nos colonies et sur chacune d'elles en particulier des renseignements
détaillés et précis du plus grand intérêt.
Tous ces renseignements, dispersés dans une foule de documents plus ou
moins accessibles ou même inédits, se trouvent ici méthodiquement classés
et condensés dans un volume d'un format maniable, qui constitue un
tableau d'ensemble de nos possessions d'outre-mer. Ajoutons que le carac-
tère officiel de cette publication en consacre l'importance.
Annuaire des Troupes coloniales, Almanach illustré du Mar-
souin, par Ned Noll. Un vol. in-8«, colombier. — H. Charles-La vau-
zelle, éditeur. Paris, 1903.
Cette publication annuelle, qui est attendue, chaque année, avec une
vive impatience par un grand nombre de lecteurs et d'amateurs, obtient un
succès qui va toujours grandissant.
VAimanach de i903 comprend, comme les années précédentes, un
résumé de Tannée militaire coloniale où nous relevons notamment d'ex-
cellents récits de la campagne de Figuig, de celle du Baoulé, de l'occupa-
tion du Zinder et du Tchad, des opérations du Sud de Madagascar.
Le texte est accompagné de cartes et croquis géographiques qui en faci-
litent la lecture; il est en outre enrichi de nombreuses photographies.
Comme par le passé, cet intéressant almanach est suivi d'un annuaire
de l'armée coloniale, soigneusement tenu à jour. Ce document permet de
se rendre compte des unités qui occupent chaque colonie et de l'affecta-
tion des officiers ou assimilés qui font partie de ces unités.
Outn^ages déposés au bureau de la Revue.
Atlas des Colonies françaises, dressé par ordre du ministère des Colonies, par Paul
Pelbt. La librairie Colin vient de mettre en vente la 9^ et dernière livraison de
cette belle publication. Cette 9* livraison contient, outre la fin du texte des notice:»
et un index aipliftbétlque : 1^ un planisphère donnant une vue d'ensemble des
colonies françaises (n° 1); 2* carte de l'Afrique française (n" 2); 3^ carte des
poiats d*appui de la flotte (n* 27).
MUsion Marchand (1'* partie). Carte de l'itinéraire de la mission, dressée et des-
sinée par le commandant Baratier. Echelle 1 : 1.000.000«. — Quatre feuilles
grand-aigle en couleurs, gravure sur pierre. Henry Barrère, éditeur. Paris. lî)03.
Histoire de la France contemporaine (1811-1900), par Gabriel Hanotaux, de l'Aca-
démie française. — Tome I, Le gouvernement de M. Thiers. Un vol. grand in-S"
de 640 pages. Ancienne librairie Fume, Combet et C'*, éditeurs. Paris, 1903.
Sotre colonie de la Côte d'Ivoire, par Roger Villauur et Léom Riciiaud. Un vol.
in-i8 de 396 pages, avec nombreuses photogravures hors texte et une carte en
couleurs. A. Challamel, éditeur. Paris, 1903.
En Danemark, par Charles Berchon. Un vol. in-16 de 250 pages, illustré de 52 gra-
vures. Hachette et C*®, éditeurs. Paris, 1903.
A travei's la Tripolilaine, par H. -M. de Mathuisieulx. Un vol. in-16 de 302 pages,
illustré de 63 gravures Hachette et C»«, éditeurs. Paris, 1903.
HelationK économiques enlise l'Angleten'e et V Extrême-Orient, par Edouard Cla-
VEHY, consul de France. Une brochure in-S» de 32 pages. Léautev, éditeur.
Paris, 1903.
-1 travers V Amérique équatoriale : VAmazonie^ par Auguste Plane. Un vol. in-16
de 286 pages, avec carte et gravures. Plon-Nourrit et C**. Paris, 1903.
608 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
Sotre Politique au Maroc, par le général Luzeux. Un vol. in-S» de 156 pages, avec
croquis dans le texte. II. Charles-Lavauzelle. Paris, 1903.
Annuaire des troupes coloniales. Almanach illustré du Marsouin, par Ned Noll.
Un vol. grand in-S» de 188 pages avec nombreuses cartes et gravures. Augustin
Challarael, éditeur. Paris, 1903.
LES REVUES
I. — REVUES FRANÇAISES
Armée et Marine (19 avril). Lieutenant Albert Mistrel : De l'enseignement des
langues dans l'armée. — H. V. : De Takou à Paris en chemin de fer. — Le
voyage du président de la République. — (26 avril). J. B. : Le championnat
annuel du cheval .d'armes. — Notre escadre de la Méditerranée. — Le vovage du
président de la République {suite).
. Annales coloniales (15 avril). Ned Noll : La mise en état de notre empira
colonial. — René Del.\pohte : Avantages économiques des Comores.
Bolletin du C<»mité de TAfrlque française (avril). Auguste Terrieb :
L'emprunt de 1 Afrique Occidentale française. — Eog. Etienne : Voyages au
Maroc. — André Meyrkuil : La prise de Kano et de Sokoto.
Bnlieiin dn Comité de l'Asie française {avril). Robert de Caix : Questions
de chemins de fer indo-chinois. — Les tribulations du traité franco-siamois.
J. N. : La prorogation de la convention franco-siamoise. — Les chemins de fer
au Siam et les rivalités anglo-allemandes. — J. F. : La question monétaire eu
Extrême-Orient.
Bnllclln de ia Société de làéoi^rapiiie d'Alger (!«<' Iritn. 1903). Commau-
dant RiNN : Les grands tournants de l'histoire de l'Algérie. — Torré : Notes sur
la zaouïat Erregania. — Demontks : Guyotville. — Bablch : Les affaires de
Tunisie et la division Delbecque en Kroumirie en 1881. — I^elleport : Rôle de
l'Algérie vis-à-vis de la France. — Lieutenant Deschamps : Histoire de la déh'ini-
tation de la frontière franco- anglaise entn^ Niger et Tchad.
Bnlietin de la Société de tiéograpfeiie commerciale de Pari» (190:^
i et 2). Georges Blonoel : Les transformations politiques et économiques de
l'Allemagne. — C. Deslioss : L'Etat et la ville de Sâo-Paulo (Brésil) avec croqiii>
et caite.
L.a France coloniale (15 avril). Gouput : De la main-d'œuvre en Algérie. —
Blache : De la fabrication aux colonies des pâtes à papier.
La Ligue maritime (avril). De la Ro.ncièrb : Notre marine inconnue. — Ver-
seau : Les sous-marins en France et à l'étranger.
Quinzaine coloniale (25 avril). Ciiailley-Bert : La démission de M. Revoil.
un enseignement.
La Réforme économique (20 avril). Domergue : Les grandes idées d'un grand
peuple. — SiNCENY : Le gouvernement français et l'exportation du bétail russe.
Rewne de Hadagascar (l^f avril). Lieutenant Gaubert : François Couche. —
P. Lemoinb : L'Extrême-Nord de Madagascar; étude géologique (8 gravures et
2 cartes).
Revue n^énérale des Sciences (15 avril). Douttb : Les Marocains et la Société
marocaine {suite).
Revue commerciale de Bordeaux (avril). Lagler-Parqoet : La genèse d'une
<-olonie (Nouvelle-Calédonie).
IL — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues belges.
Etudes coloniales. — Ethnographie de la côte nord-est de la Neuve Ue-Guinéc.
— Les sociétés secrètes dans l'Afrique Occidentale.
L' Administrateur-Gérant : P. Câmpain.
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IFAVORISElILCOtVCLOmniCHT DU COHHCRCC
ET DE L-iNOUSTftlX EN FRAIICE
Anemblëes générales ordinaire
6t extraordinaire dn 30 mars 1^68.
, actionnaires de la Société Générale se
r^uuis, le lundi 30 mars, au siège de la
t¥ : 1° en Assemblée ordinaire pour sta-
•ur les comptes de l'exercice 1902 ; 2» eu
utiée eitraordinaire pour vérifier la dé-
iioa de souscription et de versement à
nieiktation du capital, constater l'aiigmen-
a définitive et modifier, en conséquence,
Me 6 des statuts.
- Les romples présentés à TAssemblée
-aie ordinaire, par le Conseil d'adminis-
■11, montrent la progression constante des
iMons de la Société, Tau^menlalion de ^a
/'le et aussi de ses bénéfices. Le mouve-
de la Caisse s'est élevé de 38 milliards à
iliiards; celui du Parle feuille commercial
M augmentation de 700 millions et se
£ à 37.193.0*1 efîets représentant plus de
flliard."», ce qui fait ressortir une moyenne
H francs par effet; les encaissements de
sns se sont élevés à 486.851.838 francs,
i;'n.pntation de près de 34 millions, et les
? de Bourse au comptant, qui ont au«-
^ de plus de 300 millions, se chiffrent par
iiduls 106 millions. Le solde des Comptes
t^iuesqui, au 31 décembre 1901, était de
:!.989 francs représenté par 101.38^i
i>s, s'élève, au 31 décemore 1«02, à
«7.383 francs, représenté par 108.469
<vs ; le solde de ces mêmes comptes,
mer 1903, se monte à 275.625.617 Ir. 96.
rapport, après avoir rappelé les circons-
i«<qui, en l»99, ont motivé la transforrra-
de la Société et l'augmentation du capital
il, eût ressortir les résultats avantaf^eux
«» mesures, et constate que le bilan de la
îé, lequel va dépasser le milliard, a au«-
lé de 300 millions depuis le 31 décembre
, ce qui justifie l'augmentation de capital
sée » n deux fois avec un brillant succès.
orabre des actionnaires est aujourd'hui de
i Société a, en 1902, créé onze bureaux : à
iBson.Ave8nes,Dagnères-de-Bigorre,Bri«»y,
fl»an,Menton,Morez-du-Jura,Orthez,Sainle-
laGrande, Vendôme et Vitré ; ér\ué en
ices les bureaux de Bri^noles et de Gtiinon;
>rtàParisun bureau de Quartier à Belle-
!< ei. dans la banlieue, des bureaux à Levai-
Perret et Montreail'-sous-Bois.
- rapport iudiqae que la Société s'est inté-
«e à la plupart des affaires importantes qui
out traitées dans la cours de Tannée, et
Dolamment : la souscription aux actions
celles de la Compagnie internationale des
«'onsLits ; les émissions d'obligations de
ipniDt Gliinois 5 0/0 1898, de la Société
*r&le des Sucreries e' de la Raffinerie
OTBggiiple, 4ii ^GM^êrwment d« l'Mgéf4e, <a
Goavememeftt général de PIndo-Chiiie, du Geu*
vernement Princier de Bulfuarie, du Gouverne-
ment Tunisien, la Conversion des obligations
des Douanes Ottomanes, la Conversion de la
Rente Française 3 4/2 0/0, les émissions de
RoiH et d^Obligatiotts du Trésor Français, etc.
La Société poursuit le recouvrement du snr<
plus de sa créance dans l'afl'aire de la Partiel-
ϻation Guano, dont la liquidation est encore
oin d'être terminée, et sait pouvoir compter
sur l'appui du Gouvernement français. Les pro-
duits du Port du Gallao ont permis de faire face
à l'annuité prévue pour l'amortissement et oUt
laissé un excédent de bénéfices.
Les bénéfices nets de la Société, y compris
le reliquat de l'exercice précédent, se sont
élevés à 5.359.078 fr. 08, sur lesquels 2 mil-
lions ont été payés aux actionnaires, le 1*^ oc-
tobre 1902. Le Conseil a proposé de distribuer,
à partir du !«' avril 1903, 9 fr. H par action,
soit, après déduction de l'impôt sur le revenu,
8 fr. 50 nets, et de mettre à la réserve
265.016 fr. 87 cent. '
Cette répartition porte le rendement de
l'exercice à 6,14 % du capital versé.
Le rapport des Censeurs-commissaires cens*
tate le développement continu et important de
la Société, l'accroissement de ses moyens d'ac-
tion et de ses afTaires, ainsi que la sécurité
que procure à sa clientèle la façon dont sont
tenus ses principaux services. Il s'associe aux
propositions du Conseil, pour la répartition
du solde bénéficiaire, et demande aux action*
nairès d'approuver le bilan et les comptes qui
leur sont présentés.
L'Assemblée a approuvé les comptes de
Texercice 1902, et adopté la proposition do
Conseil relative au diviileude. Elle a réélu
administrateurs, MM. le baron de Crazannes et
de Sainte-Anne. Elle a nommé adminiitrateurs
MM. J. Bour^et et Maxime Duval ; et censeur,
M. le comte R. de Maiharel. Enfin, elle a
nommé commissaires pour l'exercice 1903,
MM. Lavallée, de Maiharel et Thirria.
Ces résolutions ont été votées à l'unanimité.
II. — l.e rapport présenté par le Conseil à
l'Assemblée générale extraordinaire se réfère
d'abord aux explications données à TAssemblée
ordinaire sur les raisons qui ont amené le
Conseil à porter le capital social à 200 millions,
el expose ensuite que les actionnaires sont
réunis en Assemblée extraordinaire pour rendre
définitive Tanymentation de capital décidée par
le Conseil en exécution de l'article 6 des
statuts.
L'Assemb'ée générale, conformément à la
proposition du Conseil, a approuvé l'augmen-
latiou de 40 millions du capital social, reconnu
la sincérité des souscriptions et de la déclara-
tion de versement sur les actions souscrites.
Elle a déclaré définitive l'augmentation de
40 millions portant désormais le capital social
à 200 millions de francs, et modifié, en con sé-
quence, l'article 6 des statuts.
Ces résolutions ont été votées à l'unanimité
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Diplomatiques et Coloniales
REVUE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE
PARAISSANT LE 1*' ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
soiiiii^c^ifiE:
ean Imbart de la Tour. . Le Chemin de fer de Bagdad et ropinion anglaise 609
ouïs Jadot L'Émigration italienne en Tunisie 615
^aul Labbé Les Rnsses en Extrôme-Orient 623
e Breton La Question de Terre-Neuve. — Saint-Pierre et
Miquelon 640
GHROMIQCJE» DE lL.ilL QUIIVZilLlMlâ
Renseignements politiques 655
Renseignements économiques 665
Nominations officielles 668
Bibliographie — Livres et Revues 671
irte du Chemin [de fer de Bagdad 611
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QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLOMALÈS^., ,,,,
LE CHEMIN DE FER DE BA&DÀD
ET
L'OPINION ANGLAISE
Il a été beaucoup parlé, pendant ces dernières semaines, chez
nos voisins d'outre-Manche, du chemin de fer de Bagdad. Des
déclarations ont été faites à la Chambre des Communes, et desi
eoDamenlaires dans la presse ; il y a eu des revirements succes-
sifs d'opinion en même temps que des affirmations catégoriques.
Le monde des affaires, comme celui de la politique, s'en est ému.
Et 1 on comprendra que tout ce mouvement ait donné un regain
d'actualité, peut-être même un aspect nouveau, à une entre-
prise aussi souvent ajournée que décidée, complexe et chan-
geante, portant au plus haut point ce caractère insaisissable et
ces allures dilatoires qui marquent les affaires turques.
A vrai dire, les sentiments britanniques ne s'étaient point
encore expliqués sur le fait précis de la construction du chemin
de fer de Bagdad. On connaissait l'initiative allemande, la
participation fram^aise et belge, l'hostilité russe. On savait
que la participation française avait pour origine le besoin de
trouver des capitaux suffisants : et que l'hostilité russe s'ex-
pliquait par l'appréhension du renforcement de la puis-
sance militaire de la Turquie en Asie Mineure et par les
desseins analogues que la chancellerie de Saint-Pétersbourg a
conçus en Perse. Mais de l'Angleterre, on ignorait exactement
la pensée. Tout au plus, par son redoublement d'activité dans le
golfe Persique, et son essai récent sur Koueït, avait-elle montré
le désir de s'assurer le débouché éventuel du nouveau réseau. Il
('tait certain cependant que, maîtresse des Indes, ayant des
intérêts et de vastes ambitions dans les eaux arabiques et per-
sanes, et par le seul jeu de sa politique toujours et partout pré-
sente, la Grande-Bretagne prendrait une attitude.
L'occasion lui en a été tout naturellement donnée par un appel
à la participation des capitaux anglais. Dans le but d'éviter
toutes difficultés qui auraient pu s'élever sur le point terminus
de la voie ferrée, les Allemands offrirent en effet aux capita-
QuEST. DiPL. ET Col. — t. xv. — n» 150. — Iomai 1903. 39
610 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULKS
listes anglais de s'associer à l'entreprise. D'après la convention
l précédemment intervenue, les parts avaient été distribuées dans
l une proportion que Ton n'a pas oubliée : 40 % aux Allemands,
I 40 % aux Français, 20 % aux autres nations, notamment aux
r fielges. Les Anglais acceptèrent, en principe, TolTre qui leur
l^ était faite, sous la réserve d'égalité d'intervention ; et le nou-
^- V veau projet comportait 30 % aux Allemands, 30 % aux Fran-
ï çais, 30 % aux Anglais et 10 % de disponibilités. En retour, le
f groupe linancier de Londres devait obtenir l'appui de son gou-
ÎV(M'nement pour l'exécution du chemin de fer. Cet appui fut
demandé au cabinet présidé par M. Balfour sous trois formes :
assentiment de l'Angleterre à une majoration raisonnable des
^, droits pergus par les douanes ottomanes; passage de la malle
des Indes, par la nouvelle voie, suivant des conditions à déter-
- miner; bons offices pour l'établissement d'une station terminus
^; sur le golfe Persique.
n En se prononçant sur l'objet et les conditions de celte
;' demande, le gouvernement d'Edouard Vil était nécessairement
amené à préciser son attitude dans la question du chemin de
\ fer de Bagdad.
^ On put, tout d'abord, le croire entièrement favorable,
[ d'après les premières déclarations faites aux Communes par
|- M. Balfour. Prenant prétexte des négociations engagées, Tho-
! norablo M. Gibson Bowles, très documenté sur les affaires de
I TAsie Occidentale, s'était prononcé contre toute coopération et
même contre tout encouragement de la Grande-Bretagne à l'en-
treprise. En lui répondant, le premier ministre soutînt, au con-
traire, ([u'une opposition de TAngleterre ne serait pas un obt^-
tacle insurmontable à la réalisation du projet. Il en conclut
qu'il serait regrettable qu'une route aussi importante, condui-
sant aux Indes, fût ouverte exclusivement par une association
franco-allemande et restent sous sa seule direction. Il rappela
des conversations d'ordre officieux où lord Lansdowne, secré-
taire d'Etat au Foreign Office, avait affirmé des sentiments
amicaux pour cette affaire, si elle était nettement internatio-
nale et faisait aux Anglais une place équivalente à celle déjà
attribuée à d'autres nations. Et tout en réservant, avant de
prendre une attitude définitive, Texamen des conditions indi-
quées plus haut. M. Balfour émit ainsi, dans ce premier
débat, une opinion qu'on put considérer comme favorable.
La presse allemande s'empressa de la souligner avec satis-
faction. Mais, sur des nouvelles venues de Constantinople et
présentant l'entreprise comme exclusivement germanique par
ses origines, sa direction et ses résultats, la presse anglaise
Odess.
CHEMIN OEFER
DE
BAGDAD
Légende
1^ m,ùffnps en exp/oUa^/o/r
— — . ^// concéc/ées
»-- «. ^ en constructio/r ooproyeàées
. Limité e/'£/at
^Méd.ine
etï
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
sV4eva avec viguenr contre les tendances qui s'étaient mani-
festées en haut lieu. Elle fut presque unanime à joindre ses
protestations à celles des hommes politiques qui n'avaient
cessé de s'opposer au projet. Un véritable courant d'opinion
' hostile se créa, en quelques jours, dans ce public si attentif aux
questions extérieures et si passionné pour elles. Et l'on vit
apparaître, avec une égale ardeur, le souci de la défense des
int(Téts britanniques et l'expression d'une invincible méfiance
pour une combinaison venue d'Allemagne.
[1 est permis de penser que cette démonstration de senti-
monts ne fut pas étrangère aux décisions nouvelles que le
ministère anglais ne tarda pas à prendre et à exposer au Parle-
ment. M. Balfour avait fait un pas en avant; il en fit deux en
arrière. A la suite d'une nouvelle question de M. (iibson
Bowles, il reconnut que la convention entre la Porte et la
(Compagnie des chemins de fer d'Anatolie plaçait sous la domi-
nation allemande toutes les voies ferrées projetées à travers
TAsie Mineure jusqu'au golfe Persique. L'Angleterre n'adhé-
rerait jamais à une pareille convention. Aussi les propositions
qui venaient de lui être faites pour soumettre le chemin de fer
, àv Hagdad à un contrôle international, où elle aurait eu sa part,
ne présentaient pas des garanties suffisantes. Le gouvernement
de Sa Majesté ne pouvait, dans ces conditions, donner les assu-
rances qu'on sollicitait de lui pour l'augmentation des droits
de ilouane, le passage de la malle des Indes et le choix d'un
point terminus. Ces déclarations de M. Balfour recueillirent
l'approbation marquée des honorables membres des Com-
munes : l'appui officiel de la Grande-Bretagne était courtoise-
inout refusé.
Les mêmes vues furent exposées de nouveau, à la Chambre
' des Lords, par le marquis de Lansdowne. Le secrétaire d'Etat
au l'oreign Office s'étendit même sur toute la politique anglaise
diuis le golfe Persique; et revendiquant plus nettement encore
qu'il ne l'avait fait à différentes reprises les droits de la
Grande-Bretagne, il rappela qu'il s'opposerait à toute tentative
d'établissement d'une base navale sur les rives du golfe.
Ces événements se sont déroulés pendant ces trois dernières
semaines, et les journaux européens n'ont pas encore cessé de
les commenter.
En Allemagne, on ne s'est pas mépris sur les sentiments
anli -amicaux qui dominaient dans l'opinion anglaise, et sur
riniluence que celle-ci avait exercée à son tour dans l'atti-
tude du cabinet. Mais on s'est efforcé d'atténuer les consé-
quences que l'échec d'une participation anglaise pourrait avoir
I
LE CHEMIN DE FER DE BAGDAD 613
pour l'exécution du projet, soit en considérant la rupture
tîomme momentanée, soit en estimant que les difficultés qu'elle
est de nature à susciter ne seraient pas insurmontables. La
note donnée par la presse d'outre-Rhin a été, à dessein,
exempte de mauvaise humeur. La National Zeitung a vu dans
le discours de lord Lansdowne une menace plutôt contre la
Russie que contre l'Allemagne qui n'a pas d'ambition dans le
golfe Persique, et s'est réjouie, pour les intérêts germaniques,
de la perspective d'un conflit entre Londres et Saint-Péters-
bourg. La Gazette de Voss de son côté, en constatant le refus
de l'Angleterre de s'associer à l'Allemagne, a fait observer que
cette attitude des Anglais avait pour but, mais n'aurait pas pour
résultat, d'améliorer leur position vis-à-vis des Russes. C'est
ainsi que les journaux ou les périodiques allemands, non sans
habileté, cherchent à mettre en relief, dans les dernières décla-
rations des ministres anglais, ce qui peut sembler faire échec
aux vues de la Russie, pour diminuer Timportance de ce qui fit
si nettement échec aux desseins de l'Allemagne.
La tendance inverse a tout naturellement prévalu dans la
presse russe. Toujours hostile à l'exécution du chemin de fer de
Bagdad, pour les raisons que l'on sait, elle s'est félicitée de
l'abandon de la participation anglaise. Ayant, d'autre part,
accueilli avec froideur, et même avec une irritation très mar-
quée, la coopération des capitalistes français, elle espère que
ceux-ci, instruits par l'exemple de l'Angleterre, modifieront
leur attitude. Dans un article assez long, le Novoié Vremya a
invoqué, pour soutenir cette thèse qui n'a rien d'étonnant
dans ses colonnes, à la fois les intérêts particuliers d'ordre éco-
nomique et politique de la France, et ses devoirs vis-à-vis de
son alliée du Nord.
Assurément, nul côté de la question ne saurait nous tou-
cher davantage. Sous l'empire des préoccupations qui avaient
dicté les premières déclarations de M. Balfour, nous avons nous-
mêmes exposé* simplement les raisons qui pouvaient engager la
France à participer au chemin de fer de Bagdad. Nous avons cru
devoir indiquer que notre situation dans l'Asie Occidentale
nous portait à ne pas laisser s'exécuter sans nous une si con-
sidérable entreprise, et qu'il était de notre intérêt d'accepter de
prendre part aux charges, pour obtenir une part égale dans la
direction et dans les bénéfices politiques. A cet égard, ni l'atti-
tude de l'Angleterre, ni les instances de la Russie ne sauraient
suffire à modifier par elles seules notre manière de voir. Il
1 H. BoHLBR, Le chemin de fer de Bagdad (Quest. Dipl. et Col.^ i" mars 1903,
4. XV, p. 213 et sq.).
^
614 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
faudrait, en effet, dans Tattitude de l'Angleterre, tenir compte
du degré d'antipathie allemande, et dans les avis de la Russie,
considérer ce qu'il y aurait d'exagéré à prétendre nous inter-
dire de tenir notre place naturelle dans une entreprise de cette
nature.
Mais il convient d'avouer que les derniers événements ne sont
pas très rassurants à cet égard. Quelle que soit la proportion
de sentiment qui ait inspiré Topinion anglaise, il est dijficile
d'admettre qu'elle n'ait pas une raison plus positive. Cette rai-
son se trouve, si Ton en juge par les déclarations officielles,
dans Tinsuffisance des garanties qu'offre la combinaison pro-
posée, au point de vue international. Les Anglais se retirent
parce que l'affaire leur paraît purement allemande. Or ce motif,
plus encore que le geste de l'Angleterre, est de nature à nous
inquiéter. Si une entreprise où nous devions prendre 40 % des
charges est purement allemande, il en résulte qu'on ne nous
réserve à peu prés rien de la direction et des profits. Les garan-
ties, que nos voisins trouvent trop faibles, seront-elles, les
trouverons -nous suffisantes pour nous? Est-ce décidément à
une œuvre germanique, pour des intérêts exclusivement ger-
maniques, qu'on nous a demandé de nous associer, et non à
une œuvre sincèrement collective et internationale où l'argent
français aurait représenté et servi les vrais intérêts français?
La'question a trop glissé du domaine financier dans le domaine
politique pour qu'on ne s'en explique pas prochainement à la
tribune, avec plus de précision que précédemment. Il faut qu on
sache quel rôle on nous prépare, avant de l'accepter.
Nous avons assez montré que nous étions sans parti-pris en
cette question, pour nous permettre ces réserves que tout con-
court h rendre nécessaires. Aucun esprit vraiment prévoyant et
impartial ne contestera que, dans Tétat actuel des choses,
notre adhésion ne doive rester en suspens. Il ne s'agit pas pour
nous, par cette expectative, de servir les intérêts de l'Angleterre
contre ceux de l'Allemagne, de même que notre coopération
n'avait pas pour but de servir les intérêts de l'Allemagne
contre ceux de la Russie. Dans une affaire aussi spéciale, la
plus entière liberté d'action doit être admise. Mais, désa-
gréable hier à la Russie, suspecte aujourd'hui à l'Angleterre,
l'entreprise se présente sous de fâcheux auspices à la France.
Et plus les avantages et les garanties, qu'elle semblait offrir,
diminuent, plus nous devons nous montrer circonspects et
exigeants^ à bon escient, avant de nous y associer.
Jean Imbart de La Tolr.
' -^r» iiwv-^^rr~^. ^ v
L'ÉMIGRATION ITALIENNE EN TUNISIE
L'attention du public français a été attirée h plusieurs
reprises sur l'augmentation rapide de la population italienne en
Tunisie, et dans le remarquable rapport qu'il a déposé à la
Chambre, il y a quelques semaines, sur le budget des Protecto-
rats, M. Etienne Flandin, député de TYonne, formulait î\ce sujet
les appréhensions que M. André Berthelot avait déjà exposées,
en 1901, à la tribune de la Chambre. Dans l'étude de toute ques-
tion, il importe d'entendre les deux parties intéressées, et nous
nous proposons ici de faire connaître également le point de vue
italien, quelque peu négligé jusqu'à présent, d'après le rapport
que vient de publier M. Carletti, consul d'Italie àTunis. Ce rapport
contient, sur quelques points, des indications plus complètes,
que nous reproduisons, et renferme des données parfois diver-
gentes, que nous comparons à celle de l'honorable rapporteur.
lia existé de tout temps, en Tunisie, une colonie italienne
importante, qui, en 1881, atteignait môme 25.000 âmes sui-
vant M. Flandin, 11.000 suivant M. Carletti. Le chiffre importe
assez peu et c'est le caractère de cette colonie qu'il est intéres-
sant de préciser. Jusqu'en 1881, la colonisation italienne en
Tunisie avait un caractère essentiellement commercial, car
jusqu'en 1868 l'agriculture était restée aux mains des indi-
gènes, les Européens ne pouvant acquérir de propriétés
foncières en Tunisie, et l'industrie n'y existant pas. Le traité
italo-tunisien de 18r»S et les conventions spéciales conclues
ultérieurement par la Tunisie avec les puissances étrangères
autorisèrent les Européens à acquérir la propriété foncière,
mais en l'entourant, comme nous le verrons plus loin, de si
peu de garanties, que les Italiens demeurèrent jusqu'à notre
occupation concentrés dans les villes de la côte, plus favorables
au négoce.
La transformation de la Tunisie sous le protectorat français
vint modifier complètement le caractère de la colonisation
italienne. De 1881 à 1900, on a construit en Tunisie plus de
1.600 kilomètres de routes et environ 600 kilomètres de voies
ferrées; on a créé le port de Tunis, on a transformé Bizerte en
port de guerre, on a agrandi les ports de Sousse et de Sfax; on a
construit nombre d'édifices publics; les constructions privées
se sont multipliées ; et tous ces travaux ont exigé une main-
d'œuvre abondante, que Ton a trouvée à bon compte chez les
C3 T2 11 M n n H U Ci
DENTIFRICES
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ÉLIXIR, POUDRE et PÂTE
des RR. PP.
BENEDICTINS
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mmerciale, industrielle et financière des Questions Dipl&rmtiquêâ $t Citcnia
L PARrS. — IMPRIIIBRIB F, LEVÉ KV^ C48S8mr. tl
^t»-3feO 16 Mai 1903
QUBSTIOIVSv .
Diplomatiques et Coloniales
REVUE BE POLITIQUE EXTÉRIEURE
^^ PARAISSANT LE 1" ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
soi^i^ila.ii^e:
ean Imbart de la Tour. . Le Chemin de fer de Bagdad et ropinion anglaise 609
.ouis Jadot L'Émigration italienne en Tunisie 615
^aul Labbé Les Russes en Extrôme-Orient 6â3
e Breton La Question de Terre-Neuve. — Saint-Pierre et
Miquelon 640
GHROIVIQtJES OE I^ilL QUIIVZilLlIVIâ
Renseignements politiques 655
Renseignements économiques 665
Nominations officielles 668
Bibliographie — Livres et Revues 671
larte da Chemin '.de fer de Bagdad 611
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
19» RUE BONAPARTE - PARIS. 6«
Abonnement annnel
France et Colonies, i B francs Etranger et Union psstale» 20 francs.
La Livraison Prance : 0,75 j x^iranger : 1 fr*
618 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONULES
propriété n'est pas démembrée. Le nouvel enzéliste hérite en
effet de tous les droits et de toutes les obligations de Tancien
et se substitue entièrement à lui. Enfin il peut devenir pro-
priétaire en versant une somme égale à seize fois le prix du
fermage.
Le Sicilien a des défauts que personne ne conteste, M. Car-
letti moins que tout autre : il est ignorant, méfiant, violent et
impulsif; mais c'est un travailleur obstiné, admirable de téna-
cité, de sobriété, d'économie. Grâce à ces qualités, avec des res-
sources infimes, il s'implante dans le pays et y réussit à passer
de la misère à l'aisance.
Voici rhistoire d'un agriculteur sicilien, qui est, en fait, l'his-
toire de tous. Débarquant en Tunisie, le Sicilien s'emploie
d'abord comme ouvrier. Du l**" octobre à la finde janvier, époque
du déboisement, de la plantation de la vigne, etc., il pourra
gagner de 2 francs à 2 fr. 50 par jour; il gagnera 2 francs dans
les mois suivants. En Tunisie, la vie n'est pas chère, et sur les
60 à 7S francs qu'il gagne par mois, il en met 30 à 40 de côté.
Au bout de trois à quatre ans, il a économisé ainsi un millier de
francs. 11 sait alors où se trouvent les bonnes terres et il en
loue à enzel h raison de 15 francs l'hectare, par exemple, le
prix variant entre 4 et 20 francs. 11 prend environ 10 hec-
tares, soit 150 francs par an, et en plante 5 en vignes. Dans
les intervalles des vignes, et sur les autres 5 hectares, il fait
pousser des céréales ou des légumes. Tandis que sa vigne
pousse, il vit du produit et de la vente de ses légumes, et
emploie son temps de liberté à travailler sur les propriétés voi-
sines. On peut donc facilement admettre que, pendant les cinq
premières années, il arrive à équilibrer son budget. Ce temps
écoulé, ses 5 hectares de vignes sont en bonne production;
or l'hectare de vigne produit en Tunisie de 40 à 30 hectolitres
de vin. Mettons seulement 40; nous aurons donc, la cinquième
année, le budget suivant :
5 hectares à 40 hectolitres, soit 200 hectolitres à 20 fr., ci. . .. 4.000 fr.
A déduire un tiers pour frais do plantation, matériel, etc 1.333 ^
2.667 fr.
Les années suivantes, la vigne produit davantage et les frais
diminuent; notre Sicilien gagne donc environ 3.000 francs par
an, tout en continuant à vivre et à payer son enzel avec ses
légumes et le produit de son travail. Vers la septième ou hui-
tième année après son arrivée en Tunisie, mettons la dixième
en supposant quelques mauvaises années, il aura un capital de
5 à 6.000 francs. Comme il est partisan fervent de la propriété
J
l'émigration italienne en TUNISIE 619
individuelle, il rachète ses 10 hectares moyennant seize fois le
prix du fermage, soit 2.400 francs. Il lui reste de quoi continuer
et s'agrandir, et c'est alors qu'il remplace sa cabane par une
maisonnette plus confortable.
Nous trouverons à chaque pas des centres italiens ainsi cons-
titués, si nous traçons une ligne partant d'un peu au-dessus de
Sousse, Enfidaville, Reyville et Bou-Fiscia, puis montant, par
Hammamet et Nabeul jusqu'à Kelibia, de là se dirigeant de
nouveau vers le Sud, s'inlléchissant par GrombaliaetZaghouan,
remontant de Zaghouan vers Tunis et Bizerte, puis, de Bizerte,
redescendant sur Mateur, Beja, Teboursouk, Souk-el-Arba, jus-
qu'au Kef.
Des capitalistes siciliens ont compris tout le parti qu'il y
avait h tirer des qualités de leurs compatriotes et ont acquis
des terres à Borg-el-Amri, Farsina, Tingia, Zaghouan, Hamma-
met, pour y installer des Siciliens. Leur système est générale-
ment le suivant : ces capitalistes divisent leurs terres en por-
tions de 3 à 10 hectares qu'ils donnent à cultiver à des colons
siciliens, pendant trois ans, en leur avançant environ un mil-
lier de francs. Au bout de trois ans, on partage la terre, désor-
mais en rapport; le propriétaire choisit sa moitié et l'autre
moitié est la propriété du colon, qui doit rembourser sans inté-
rêt les avances faites; mais s'il ne peut le faire de suite, le pro-
priétaire lui accorde un délai assez long, à condition de prendre
sur la terre du colon une hypothèque et de lui compter 5 %
d'intérêt.
L'heureuse simplification qui a été apportée au régime fon-
cier en Tunisie par la loi du l''*' juillet 1885 * a été très favorable
à l'extension de la colonisation agricole en général et italienne
en particulier. Avant 1881, la propriété foncière individuelle
existait bien en Tunisie, mais elle était des plus précaires, étant
basée sur un titre dont l'authenticité n'était jamais certaine, et
qui ne pouvait garantir contre les évictions. 11 était impossible
de savoir si la propriété n'était pas grevée de servitudes ou de
droits réels. La loi du 3 juillet 1883 a introduit en Tunisie le
système dénommé Acf Torrens, qui fut inauguré en 1838
dans la colonie de l'Australie du Sud sous le nom de Real
Property Act. Il consiste en substance en ceci : chaque pro-
priétaire adresse au directeur de l'enregistrement une demande
* Nous n'avons pas «^ parler ici du décret Ijeylical du 13 novembre 1898, par
lequel l'administration des domaines a obtenu la location de biens de mainmorte en
vue d'attirer en Tunisie les colons français, auxquels elle les louait à bas prix. Cotte
excellente initiative, qui, malheureusement, a produit peu de résultats, ne concerne
en rien la colonisation italienne, puisqu'elle n'est applicable qu'aux Français.
620 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
avec plan du terrain et pièces à Tappui. Ses titres sont exa-
minés par une commission (en Tunisie, tribunal mixte
composé de magistrats franc^ais et indigènes) qui décide sans
appel sur les contestations relatives à chaque parcelle. On éta-
blit ensuite deux certificats identiques de propriété contenant
la description de Timmeuble avec Tétat des charges (baux, hy-
pothèques, servitudes, etc.). Une copie en est laissée au pro-
priétaire; Toriginal est conservé et déposé chez le directeur de
l'enregistrement. L'immatriculation une fois faite rend inatta-
quable le titre du propriétaire et aucune action en revendica-
tion, en déclaration d'hypothèques, de servitudes ou de charges
réelles quelconques, ne peut être reçue en dehors de celles indi-
quées sur le certificat. Si l'action est recevable en elle-même,
elle ne donne droit qu'à une demande de dommages-intérêts
contre l'administration. La vente s'opère par Tenvoi d'une for-
mule de vente, diiment remplie et signée, au directeur de l'en-
registrement, qui annule alors le certificat du vendeur et dé-
livre à Tacheteur un nouveau titre dans la même forme. On a
prétendu à tort que ces titres étaient transmissibles par simple
endossement, comme par exemple nos warrants agricoles;
la mobilité de la propriété foncière ne va pas jusque-là.
L'emploi de ce système est facultatif en Tunisie, mais il offre
de tels avantages que 800.000 hectares sont déjà immatriculés.
Cette heureuse réforme de M. Cambon a pu permettre à des
colonisateurs aussi peu instruits que les immigrants siciliens
de se passer de l'intermédiaire ruineux des agents d'affaires.
Une dernière cause du changement de caractère de l'émi-
gration italienne est le renchérissement de la vie dans les
agglomérations urbaines. L'affluence régulière de la main-
d'œuvre, dès que se présentent quelques travaux importants,
empêche les salaires de s'élever et l'ouvrier sicilien, bien que
préféré à l'ouvrier français comme plus sobre, plus résis-
tant au travail, moins exigeant, plus discipliné, et aussi moins
spécialisé, ne saurait plus se contenter de ce monopole de fait.
La Tunisie exporte de grandes quantités de légumes, qui
deviennent ainsi plus chers dans le pays. A la suite des con-
ventions de 1896, les importations des nations autres que la
France ont été soumises au tarif minimum français, alors que
l les produits français, souvent plus chers, entraient seuls en
franchise ; pour combler le déficit résultant de la réforme doua-
nière, on a exigé une prestation de trois journées de travail
fc rachetables et l'on a imposé le sucre et l'alcool. La population
^ pauvre se sent donc naturellement attirée vers la campagne où
l'existence est plus facile et plus féconde.
j
l'émigration italienne KN TUNISIE 621
Les œuvres italiennes ont porté aussi leurs efforts vers le
développement de la colonisation rurale et il s'est fondé en 1900
une Banque italienne coopérative de crédit^ qui, dans les six
premiers mois, a fait un chiffre d'opérations de 4.300.571 francs.
La constitution de centres presque exclusivement italiens
contribue naturellement aussi à faire disparaître les hésitations
des immigrants à s'enfoncer dans Tintérieur. De nombreuses
écoles, fréquentées par 4.500 enfants italiens, entretiennent
dans ces petits centres Tesprit national. Il y a donc là tout un
ensemble de causes qui expliquent l'évolution dont nous nous
occupons et amènent M. Carletti à penser qu'elle ira nécessai-
rement en s'accentuant. M. Carletti évalue à 1 million et demi
d'hectares la surface de bonnes terres qui reste à défricher et
à un demi-million la surface dont la productivité pourrait être
considérablement augmentée par de meilleurs procédés de
culture. Il prévoit d'ici 15 à 20 ans une colonisation italienne
exclusivement agricole.
Dès lors se pose incontestablement la question déjà soulevée
par MM. Berthelot et Flandin : n'y a-t-il pas là un réel danger?
Au point de vue politique, il ne semble pas, du moins pour le
moment encore, que, vu la complexité des événements inter-
nationaux qui peuvent se produire à une époque quelconque,
on doive formuler un jugement en cette matière, sinon avec les
plus grandes réserves. Au point de vue commercial^ il semble
qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, car le régime protectionniste
actuel paralyse les échanges avec l'Italie et M. Carletti renonce
à espérer aucune augmentation du chiffre des échanges. Au
point de vue économique^ la question se pose sur un autre ter-
rain. Pour notre part, nous ne la formulons pas ainsi : est-il
ou non fâcheux que la petite propriété tombe de plus en plus
aux mains des Italiens? Elle nous paraît se poser comme ceci:
y a-t-il possibilité qu'il en soit autrement? Malheureusement
non. Le colon français est rare et n'a pas en général la téna-
cité du Sicilien dont nous avons donné plus haut quelque
idée. Il y a en Tunisie une œuvre de défrichement à accomplir
et il vaut encore mieux qu'elle soit accomplie par des Sici-
liens que de n'être pas accomplie du tout. Les économistes et
publicistes français sont unanimes à reconnaître le Sicilien
comme une nécessité pour le développement agricole de la
Tunisie. Dès lors il ne s'agit plus que de savoir comment on
pourra transformer et assimiler cet élément italien. Les moyens
proposés sont multiples : institution d'une sorte de nationalisa-
tion tunisienne dispensant les Italiens du service militaire ;
propagande active en France en faveur de la moyenne coloni-
€22 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
sation en Tunisie ; et surtout, multiplication des écoles fran-
çaises. C'est là le seul point sur lequel nous insisterons et le
rapport de M. Carletti nous fournit à ce sujet d'utiles indications.
II évalue à 3.S00 le nombre des enfants italiens fréquentant les
écoles primaires ou secondaires françaises, et comme on le voit,
les écoles italiennes ne remportent que d*un millier.
La cause en est, non pas que les Italiens désirent particuliè-
rement faire apprendre le français à leurs enfants, mais que ces
écoles françaises sont tenues pour la plupart par des congréga-
nistes. Or, la question religieuse, aux yeux des Siciliens, non
seulement du peuple, mais de la bourgeoisie, ainsi que le
signale avec regret M. Carletti, passe avant toutes les autres.
On voit par là que toutes les mesures qui viendraient à être
prises contre les écoles congréganistes en Tunisie ne pourraient
que contrarier le développement de Tinfluence française.
Cette œuvre d'assimilation demande évidemment beaucoup
de tact et un entier respect du caractère, des mœurs et des habi-
tudes d'esprit de l'élément étranger. Superficielle d'abord, elle
ne saurait s'affermir que progressivement et lentement, et il
importe, en pareille matière, de se garder des violences et des
imprudences. A ce point de vue, le récent voyage du président
de la République en Tunisie a fort heureusement contribué à
calmer les appréhensions soulevées dans la colonie italienne
par certaines campagnes inconsidérées. Le président, dans un
toast à la colonie italienne, déclara qu'il ne pou\Niit pas ne
pas comprendre, dans les vœux de prospérité qu'il formait
pour les habitants de la Tunisie, les Italiens « qui, silen-
« cieusement et avec ténacité, travaillent à mettre en va-
« leur le sol de la Régence». En le remerciant, Dar Kl Bey
déclara que « Tassimilation n'est pas une condition nécessaire
« à l'union des peuples, lesquels peuvent toujours trouver, dans
« le respect mutuel des traditions de leur race, un terrain
« d'entente pacifique, durable et fécond ! »
Louis Jadot.
^p
LES RUSSES EN EXTREME-ORIENT
\i:hèvkme\t des voieh fkrriœs
l.a UgQe de Mandoliourir esi aujourd'hui terminée, sauf sur
un point : le long^ tunnel qui doit traverser les monts Kliin*
^^anes n e.st pas encore achevé. On a reraédif^ déjà à cet incou-
vr nient, en construisant en zif^/ags une voie provisoire : les
Iriiins, qui montent ou ilescendent lentement la [»ente dange-
rt'use et escarpée, sont munis à chaque bout de locomotives,
ijui se trouvent tour à tour en arrii'^re et en avant. Il y aura
aussi des tunnels sur la lifrne en construction autour iJu lac
Kaïkal; dans tout le parcours de la Sibérie, au contraire, h^s iufçr-
iiieurs ont toujours tourné le^ dinicultés et les obstacles natu-
rels pour éviter de construire des tunnels.
On peut donc aller directement aujourd'hui de 1*arjs \\ Vla-
divostok on à t*ort-Arthur; seul, le passage du lac Baïkal néces-
site un transbordement et se fait en bateau pendant Tété, et
pendant riiiver, en traîneau.
Ia* trajet entre Londres et Changhaï par TAmérique exige
30 ou 31 jours de voyage, il n'en faut que i8 i/2 par la Sibérie;
on met pour aller de Changhaï à Hambourg 37 jours en passant
l*ar le canal de SueZj et 17 1/2 seulement si on prend le Trans-
sibérien.
Les statistiques ofricielles et les journaux russes se plaisent à
pnblier ces chilïres : les Russes constatent fièrement les résul-
tats qu'ils ont obtenus déjà dans leur diflicile entreprise, et leur
ur^^ueil est parfaitement légitime. Ceux même qui n'avaient
j>as prévu l'importance future de la grande ligne d'Asie et qui
lui avaient prédit un formidable échec — et ces gens-là furent
nombreux, non seulement en Europe occidentale, mais en
Hiissie et même dans les milieux officiels de THinpire — sont
tentés^ après n\ivoir vu dans le Transsibérien qu'une ligne
d'inlérét uniquement stratégique, de s*exagcrer aujourd'hui
son rôle et son avenir économique au point de vue du com-
merce international.
Il est évident que les commentants, désireux et souvent
forcés de voyager le plus rapidement possible, préféreront le
624 . QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Transsibérien aux lignes maritimes ; mais les marchandises au
contraire suivront bien rarement la voie ferrée : les transporb
par bateau seront toujours les moins chers. En outre, un train
de marchandises, pour parcourir les dix mille kilomètres qui
séparent Vladivostok de Saint-Pétersbourg, mettra beaucoup
plus de temps qu'il n'en faut pour le bateau de Vladivostok à
Odessa. Les commerçants trouveront grand avantage à confier
leurs marchandises aux compagnies maritimes, il y aura pour
eux une économie de temps, ce qui n'est pas négligeable,
et surtout une économie d'argent, ce qui est plus important
encore. Ce sont là des faits évidents que les journaux russes
passent sous silence, mais que les étrangers ne doivent pas
oublier de noter. L'importance de la voie ferrée, qui réunit
la Russie à l'Extrême-Orient, n'est pas diminuée par ces cons-
tatations et le Transsibérien n'en reste pas moins une ligne stra-
tégique et économique de tout premier ordre. Je tiens à répéter
ici, une fois encore, — car on a parfois mal traduit et surtout
mal interprété mes articles en Russie — qu'il est digne de toute
admiration. J'ai fait des réserves et émis des critiques, à cette
même place, dans les Questions Diplomatiques et Coloniales,
mais je n'ai point caché mon opinion, qu'on a tenu peut-être à
dénaturer r une œuvre aussi grandiose que le Transsibérien,
accomplie si rapidement et si hardiment, ne pouvait être par-
faite sur tous les points; malgré ses défauts, qui sont réparables,
elle est une entreprise gigantesque et qui a brillamment réussi.
Le transport des marchandises de Mandchourie en Europe
durera des mois, et il est évident qu'aujourd'hui ce transport est
plus difficile encore et partant plus long qu'il ne le seradans deux
ans. La ligne qui contournera le lac Baïkal dans sa partie méri-
dionale ne sera terminée qu'à la fin de ^904, si Ton en croit les
ingénieurs, en 1905 plus vraisemblablement. En ce moment, on
constate de grands et d'inévitables retards. Les transports sont
assurés l'été par le bateau, l'hiver par le traîneau ; ils s'effec-
tuent toujours péniblement. L'intérieur du bateau qui sert au
transport ressemble à une gare de chemin de fer : à l'extrémité
de la ligne, sur la rive même du lac, un pont s'abaisse qui réu-
nit la voie du Transsibérien au bateau; le pont et le bateau
sont munis de rails; des manœuvres poussent les wagons un
par un sur le bateau qui doit les transporter jusqu'à la rive
opposée. Il n'y a donc pas, en été, de déchargements de mar-
chandises sur les bords du lac Baïkal ; mais il y a toujours encom-
brement de wagons. Le bateau ne fait en effet qu'une traversée
et demie par jour; il transporte à chaque voyage 27 wagons, ce
qui donne la moyenne quotidienne très insuffisante de 40 wa-
LES RUSSES EN EXTRÊME-ORIENT
625
gons ; des brouillards et des tempêtes occasionnent en outre
beaucoup de retard, et sur les deux rives, les marchandises s'en-
tassent et attendent longtemps leur tour.
Le bateau, qui ne sert qu'en été, avait été construit pour Thiver :
il devait briser la glace, mais son éperon, bien que très puissant,
n'était pourtant pas assez fort pour casser une couche qui a
parfois 5 mètres d'épaisseur. On est obligé, en hiver, de déchar-
ger les wagons et de transporter les marchandises en traîneau.
Quelques spécialistes, effrayés par les dépenses que nécessite-
rait une ligne autour du lac, avaient proposé la construction
d'un ou deux nouveaux bateaux, mais ils ne supprimaient qu'en
partie les difficultés. Les trains de la voie nouvelle marcheront
nuit et jour en toute saison. Dans les conditions actuelles, au
contraire, la circulation est arrêtée, complètement, deux fois par
an, en mai et en décembre, à l'époque de la prise et de la dé-
bâcle des glaces. L'arrêt de la circulation pour les voyageurs a
été, d'après les documents officiels récemment publiés, de
18 jours pendant Thiver 1900-1901, de 29 au printemps 1901,
de 4 seulement pendant Thiver 1901-1902, et enfin de 8 jours au
printemps suivant; pour les marchandises, l'arrêt fut chaque
fois plus long encore.
La ligne qui doit contourner le lac comprendra une succes-
sion d'ouvrages d'art de premier ordre. Les ingénieurs ont à
vaincre toutes les difficultés que peut opposer la nature dans un
pays montagneux : il faudra jeter des ponts hardis de rochers en
rochers au-dessus de torrents et de précipices, et percer de nom-
breux tunnels. La dépense totale est estimée à 53.625.745 rou-
bles*, soit par verste* près de 600.000 francs (219.777 roubles).
Aucune des autres sections du Transsibérien n'aura coûté une
pareille somme, on peut le voir par le tableau suivant :
Total moyen
Lignes Total général par verste
roubles
Sibérie Occidentale 51 .liO.367
Sibérie Centrale 101 .481 .382
Taïga à Tomsk 2.573.198
Irkoutsk au Baîkal 3.171.555
B^kal à Srétensk 79.942.702
Karymskaïa à la frontière mandchoue. . 31 .564.349
Frontière à Nikolski 8.113.987
Ligne de TOussouri 46.267.088
Ligne contournant le Baikal 53.625.745
Services des radeaux 6.744.340
Allocations diverses 94.320.660
i
* Un rouble î= 2 fr. 70.
* Une verste = 1067, mètres.
QuBST. DiPL. BT Col. — t. xv.
roubles
,38.487
59.173
28.912
49.565
77.170
97.421
73.529
6i.529
219.777
40
626 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Le coût total du Transsibérien, depuis TOural, sur une dis-
tance de 5.628 verstes, serait, d'après les chiffres officiels
récemment publiés, de 384.604.743 roubles, soit, en monnaie
française, un peu plus d'un milliard de francs. Les dépenses
qu'occasionnera la construction de la ligne autour du Baïkal
sont comprises dans ce chiffre.
10.321.582 roubles ont été alloués à des travaux corollaires
de la construction du Transsibérien (navigation fluviale, port
de Vladivostok, etc.); 30.646.582 roubles ont été affectés à la
colonisation de la région traversée par le chemin de fer (stations
médicales, ambulances, instruments agricoles, dépôts de
semences); 908.562 roubles ont été donnés pour couvrir les
frais des explorations géologiques, et 1.574.917 pour faciliter
les exploitations minières. Enfin le fonds institué en 1894 par
Tempereur Alexandre III a servi à construire dans la zone du
Transsibérien 190 églises et 184 écoles.
Le Transsibérien aboutit à la ville de Srétensk, sur la Chilka,
qui prend plus loin le nom de fleuve Amour : il devait être
continuée le long du fleuve, lorsqu'on décida de faire passer
la voie ferrée à travers la Mandchourie. La ligne nouvelle tra-
verse d'abord la Transbaïkalie et elle entre en terre chinoise
à la station frontière qui porte, elle aussi, le nom de Mand-
chourie.
Le point de raccordement des deux lignes est à 120 kilomètres
de Tchita, chef-lieu de la province de Transbaïkalie, à la station
de Karymskaïa.
LE TRANSMANDCHOURIEN
La ligne qui réunit le Transsibérien au Transmandchourien
a une longueur de 300 kilomètres environ. Sur les plans publiés
par les administrations, elle semble presque droite comme
celle de la Sibérie Occidentale, par exemple : à la vérité, les
courbes y sont aussi hardies que nombreuses ; il y a des pentes
difficiles; en un mot, pour éviter de percer des tunnels, les ingé-
nieurs russes ont contourné les obstacles et les difficultés.
La température de la région est toujours excessive. En été,
la chaleur est souvent intolérable et des orages formidables se
succèdent, avec des pluies torrentielles, qui transforment en
torrents infranchissables les petits Cours d'eau de la province,
mt^me les moins profonds : j^ai di\ parfois, au cours de mon
dernier voyage en Transbaïkalie, camper entre deux ruisseaux
qu'une pluie d'orage avait grossis et dont les gués étaient
LES RUSSES EN EXTRÊME-ORIENT 627
devenus impraticables. En hiver, la température descend jus-
qu'à — 50**. Le savant professeur Jules Legras, qui a publié
sur la Sibérie tant d'intéressantes études, y a noté — 57* pen-
dant riiiver de 1901-1902; en général, la moyenne de janvier
est de — 40". Chose curieuse, la neige est très rare dans la
région, et le traînage n'y peut pas être établi chaque année.
Vu du train, le pays est d'aspect le plus souvent monotone.
On traverse de grandes steppes, des plateaux sablonneux, val-
lonnés, infertiles où Témigration des colons ne s'est pas encore
portée : d'ailleurs, ces vastes espaces semblent avoir été desti-
nés à la vie nomade, et les hommes qui y vivent, les Bouriates^
de religion bouddhique pour la plupart et qui appartiennent à
la race mongole, sont des pasteurs et des conducteurs de trou-
peaux.
La flore et la faune de Sibérie se modifient sensiblement
lorsqu'on a franchi les monts Stanovoï dans la province de
Transbaïkalie : on voit apparaître, dans la région traversée par
la ligne qui nous occupe, les plantes de Textrême-orient de la
zone tempérée asiatique. Aux animaux communs à toute la
Sibérie viennent s'ajouter jci ceux des steppes de Mon-
golie et de Mantchourie, les grands fauves et une incroyable
variété d'oiseaux. Les poissons qui vivent dans les rivières
traversées par la ligne sont très différents de ceux qu'on trouve
dans rOb, le Baïkal ou la Lena.
Les gares sont petites et semblent perdues au milieu du dé-
sert; quelquefois, près d'elles, on a construit déjà quelques mai-
sons habitées par les chefs des dift'érents services des Voies et
Communications. Les stations ont été débaptisées et portent
aujourd'hui, pour la plupart, des noms russes : les dénomina-
tions primitives, qui avaient été empruntées à la langue bou-
riate, étaient autrement intéressantes, autrement pittoresques.
On se plaît beaucoup aujourd'hui, en Russie, à donner aux vil-
lages nouvellement fondés toujours ^t partout les mêmes noms :
c est par centaines que Ton peut compter les Alexandrowski,
Xikolski, Petrovski, Semenovski, ou les villages qui portent
le nom de grandes fêtes religieuses, Trinité, Assomption,
Résurrection, Ascension. Quelquefois aussi, les stations reçoi-
vent le nom d'un des ingénieurs constructeurs de la ligne.
Les Russes qui habitent dans les steppes mongoles sont
rares : il y a quelques commerçants, qui volent les nomades et
vivent d'usure; les uns sont russes, les autres chinois. On
trouve en outre des fonctionnaires subalternes, qui ont été créés,
la plupart du moins, pour le malheur des Bouriates. Les nomades
ne savent que trop ce que c'est qu'un pot-de-vin et ils sont
i
QUESTIONS DIPIOVATIQUBS ET COLONIALES
obligés d'en offrir plus souvent qu'ils ne le voudraient. Dans
un monastère où je vivais en compagnie de lamas, moines de
la religion bouddhique, le vétérinaire de l'endroit se présente
un jour : il annonça aux moines qu'une épidémie de peste
épouvantable venait d'éclater dans les environs et qu'il devait
examiner toutes les bêtes appartenant au monastère ; le bétail
contaminé devait être immédiatement abattu. Je travaillais
dans une chambre voisine, et j'entendais la discussion, plaignant
les malheureux dont le troupeau était l'unique fortune et que
la peste allait ruiner en quelques jours. Le chérétoui, chef du
monastère, ne se troubla pas ; il savait ce que voulait le vété-
rinaire et il lui offrit un billet de 100 roubles. C'était bien
cela que le fonctionnaire était venu, sous un faux prétexte,
chercher au monastère : le bétail, qu'il disait malade, fut
aussitôt guéri par ce procédé, très simple quoique peu scienti-
fique. Et ce n'est pas là d'ailleurs la seule histoire que j au-
rais à raconter, le seul fait de ce genre dont j'aie été témoin.
Il y a, non loin des stations d'Aga et d'Onone, deux monas-
tères bouddhiques très importants. Les temples y sont très
beaux et renferment de grandes richesses. De nombreux lamas
y vivent entourés de leurs élèves, et m'y ont offert une hospi-
talité très cordiale. J'ai vu là un jeune homme, qui passe pour
être une des incarnations de Bouddha, et devant lequel les Bou-
riates viennent tour à tour se prosterner. Depuis son enfance,
il est l'objet d'une vénération qui ne s'est pas démentie.
Les accidents de chemin de fer sur la ligne de Transbaïkalie,
section mandchourienne, sont évidemment nombreux, pas plus
cependant qu'en Sibérie centrale ou sur l'autre ligne de Trans-
baïkalie : ils tiennent à la fois aux choses et aux gens. Il y a des
éboulemenis à la fonte des neiges ou après les pluies torrentielles
d'été; la locomotive s'enfonce alors dans les amas de terre ou
de neige, tombés sur la voie qu'ils obstruent. C'est là un
plaisir qui ne m'a pas été épargné. D'autres fois le train
déraille, et cet accident est le plus souvent causé par l'impru-
dence d'un mécanicien ivre, assisté d'un chauffeur non moins
gris. Le personnel, dont on est malheureusement obligé de se
servir, n'offre aucune garantie et ne peut inspirer confiance : on
paie d'ailleurs assez mal les mécaniciens et les chauffeurs et
quand on ne peut avoir les employés que l'on désire, on doil
se contenter de ceux qu'on a. On cache le plus souvent les
accidents de chemin de fer, mais le public les apprend; et
comme nul ne reçoit de renseignements exacts, chacun exagère et
lénature le peu qu'il sait : un simple déraillement devient alors
un accident épouvantable. Il y a même des accidents qui sont
j
LKS RUSSES En E\TRÉM.^-0H1BWT 6^
assez comiques, tel le suiviinl que j ai epruuvj^ deux fois, et qui
ma, la seconde fois. Lien moins amusé que la première.
Subitement entre deux stations le train s'arrêta : Tarrêl se
prolongeant, j'envoyai mon jruide Louriale demander ce qui se
passait. Il reviut quelques minutes apn>s :
« One t'a dit le chei de train? demandai-je.
— II ma dit : Vn IVn au diable, cliien malade! »
Je descendis, et le clief de train fut avec moi plus respec-
tueux ; Taccident n'avait, disait- il, aucune importance, ce n'était
paîj mt*^me la peine de s'en occuper. A la station précédente, où
ion s'était arrêté très longtemps, le mécanicien avait simple-
ment oublié de prendre de Teau pour sa mactiine.
« Comment a-t-il pu faire cet oubli? m'écriai-je.
— Oh! c'est bien naturel, il était tout à fait ivre,., moins que
« le cliaiiiïeur pourtant! M
J'allai jusqu'à la machine : les deux ein[>lo)és abrutis nous
rtf^gurdaient, comprenant à peine ce qui se passait.
Le chef île train décida de détacher la locomotive, qui, n*ayant
plus à traîner de wagons, pourrait peut-être atteindre la staliou
suivante où elle prendrait do Teau et d'où elle reviendrait nous
chercher, La locomotive nous abandonna donc dans la steppe,
mais nous la vîmes s'arrêter elle-même à deux kilomètres ]ilus
loin et nous attendîmes pendant de lonf^ues heures le train de
ïî(*eours qu'on nous envoya assez tard dans la soirée.
Ile chaque côté de notre locomotive qui s'était ainsi arrêtée
deux mille mètres après nous, le chauiïeur et le mécanicien
s'étaient endormis dn sommeil des justes, sur l'herbe odorante
lie la steppe.,,
^%
La station deMandchourie a toute Timportance d'une station
ironti&re : c'est là qu'est la douane, et si en général les objets rap-
portés de Chine passent assez facilement, les bibelots japonais
sont frappés de droits très lourds et le public doit payer tou*
jours beaucoup plus cher qu'il ne le voudrait.
Le pays dans lequel on entre alors, et où viennent de s'établir
ivi*^ solidement les Russes, a re^^u son nom de la tribu des
,\knJclious, tribu guerrière s'il en fut. Il porte aussi le nom, en
Chine du moins, de Khe-loun4san-chen, ce qui signifie « les
Trois Provinces Orientales *. La M and chou rie comprend en effet,
au point de vue administratif, trois provinces; sa superlicic est
tl'envinm ti50,000 kilomètres carrés; la température y est très
dure, et les grands cours d'eau comme la Nonni et le Soun{j;:ari
630 QUESTIONS DIPLOMATIQUiSS ET COLONULES
sont recouverts pendant l'hiver d'une couche de glace épaissie
de 3 mètres. La débâcle a lieu toujours assez tard.
Chaque province est administrée par un gouverneur général:
on trouvera plus loin quelques détails et quelques anecdotes
sur le gouverneur de Moukden.
Il est très difficile de donner le nombre exact des habitanli^ d<»
la Mandchourie, de 15 à 16 millions environ. Tous ne sont pas
des Mandchous ; ceux-ci ne sont pas même les plus nombreux, il
y a beaucoup de Chinois établis dans les villes et s'occupant de
commerce; on trouve aussi des Coréens, et si Ton en croyait les
dépêches tendancieuses publiées en ce moment par les journaux
anglais, de nombreux Japonais se seraient établis depuis un an
dans le pays pour s'occuper ouvertement de commerce et secrH»»-
ment d'espionnage, des Japonais viendraient même en cachaat
leur nationalité. Tout cela doit être exagéré, avec une grande
part de vérité cependant : les Japonais sont grands maîb'es en
matière d'espionnage. Outre les peuples que nous venons de citer,
nous trouvons dans la province des populations primitives et sau-
vages, les mêmes que celles que nous avons décrites * dans nos
précédents articles : ce sont des Toungouses, des Orotchones, des
Goldes, auxquels nous ajouterons, spéciaux à la province, les
Solones, les Daours, les Tchiptchines. Ces populations sont
païennes et chamanistes, tandis que les autres habitants appar-
tiennent en général aux différentes sectes du bouddhisme. 11 va
en Mantchourie, comme en Transbaïkalie, en Mongolie ou an
Thibet, d'assez nombreuses lamaseries où vivent des moines,
entourés de leurs élèves.
On ne peut pas passer sous silence les fameux Khounkhouzes
ou Khoungouzes, qui sont les brigands de la province et qui
terrorisent tous les habitants.
Ce qui m'a toujours surpris, c'est que ces misérables n'aient
pas encore tenté quelque grande entreprise contre le chemin d»'
fer : peut-être que, pour eux, la crainte de la Russie est le com-
mencement de la sagesse. Cette année pourtant, un des grands
bateaux sur la Soungari fut pillé par des Khounkhouzes qui s'y
étaient embarqués à Tinsu du capitaine et de la police. J'avoue
que j'ai de grands doutes à ce sujet. La police chinoise dv
Mandchourie ne voit rien et n'est dangereuse que quand elle
a vu; on pourrait la diviser en deux groupes, la bonne et la
mauvaise : la prenyère est composée de gens inoffensifs et ridi-
cules, qui se sauvent dès qu'ils entendent appeler au secours; la
seconde, qui est de beaucoup la plus nombreuse, accourt au
contraire en pareil cas, s'unit aux brigands contre le malheu-
» Quest. JDipl. et Col., l.'i nov. et 15 déc. 1902, t. XIV, pp. BIO et 14«.
LES RUSSES EN EXTRÊME-ORIENT 631
reux voyageur et partage ensuite avec eux le butin conquis par
la force.
On ne prête qu'aux riches, et c'est pourquoi peut-être tous les
méfaits qui se passent en Mandchourie sont mis au compte des
Khounkhouzes : il n'en est pas moins vrai qu'ils existent el qu'ils
le prouvent très cruellement aux gens qu'ils attaquent. Ils se
livrent à des malversations sur le territoire russe même, et sur
les frontières de Corée. Pendant mon passage en Mandchourie,
ils ont fait disparaître un marchand chinois de Moukden,
ils ont attaqué un poste mal gardé près de Niou-tchouang :
et ce sont là malheureusement choses trop fréquentes. Tn jour
le mécanicien arrêta notre train : près de la voie, un soldat russe
était étendu dans une mare de sang, un poignard enfunco dans
la poitrine. Il avait été assassiné par les Khounkhouzes.
Un des officiers supérieurs de l'armée russe en Mandchourie
me disait un jour :
« Au fond, il ne faut pas nous plaindre de toutes les malver-
« sations des brigands : ces gens-là nous rendent service; ils
« nous fourniraient au besoin un bon prétexte pour rester
« en Mandchourie, afin de défendre notre chemin de fer et nos
« résidents, si on voulait nous forcer à une évacuation ! 5>
La Russie trouverait d'ailleurs bien d'autres raisons, dans les
traités même qu'elle a passés avec la Chine. Le gouvernement
chinois a d'ailleurs attribué plus d'une fois aux brigands des
méfaits commis par l'armée régulière et sous sa propre insti-
gation.
Le 27 août 1876, une convention fut conclue entre le gouver-
nement chinois et la Banque russo-chinoise, qui permit Torpi-
nisation d'une compagnie de FEst-Chinois pour la construction
et l'exploitation d'un chemin de fer ; on y stipulait que les Ira-
vaux devaient être commencés en août 1897 au plus tard;
Técartement des voies serait égal à celui qu'avait adopté la
Russie pour le Transsibérien. La ligne devait aller, à travers la
Mandchourie, de la frontière de Transbaïkalie à celle de la Pro-
vince Maritime, et réunir Irkoutsk et la Russie d'Europe à Vla-
divostok. Le 13 mars 1898, après la cession de Port-Arthur, la
Chine accorda à la Russie le droit de construire et d'exploiter
l'embranchement de Port-Arthur. Trente-six ans après la mise
en exploitation, la Chine pourrait, d'après la convention,
racheter la ligne et rembourser les sommes dépensées, les frais
corollaires et les intérêts accumulés. Au bout de 80 ans,
la Chine prendrait de plein droit possession de la ligne : que
de choses se passeront d'ici là!
Le matériel nécessaire à la construction des deux lignes fut
-j
632 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS
en partie amené à Port-Arthur et transporté pour! la plupart
au centre môme de la Mandchourie, par des bateaux qui
remontèrent le fleuve Soungari, affluent de l'Amour. C'est dans
ce but que fonctionna la Compagnie des bateaux dite « du
chemin de fer de Mandchourie ». Cette Compagnie a aujour-
d'hui de bons navires qui font le service entre la Sibérie, la
Corée, le Japon et la Chine. Un service régulier existe entre
Vladivostok, Gensane et Fousane en Corée, Nagasaki, Tché-
moulpo, Port-Arthur, Takou, Tchéfou et Changhaï; d'autres
bateaux de la même Compagnie vont à Sakhaline et à Tein-
bouchure de l'Amour, et pénètrent jusque dans les ports de la
mer d'Okhotsk et du Kamtchatka. La Compagnie du chemin de
fer de Mandchourie a l'intention de créer une nouvelle ligne
entre l'Amérique et la Russie d'Asie.
D'après le rapport publié par le ministre des Finances sur son
voyage en Extrême-Orient, la construction du chemin de fer fut
— et cela est très exact — admirablement organisée par l'ingé-
nieur Krebedz : on posa les rails le plus rapidement possible
çn épargnant les travaux de terrassement longs et dispendieux,
en contournant les obstacles par les pentes les plus raides que
puisse gravir une locomotive, et Ton se servit de telles voies
provisoires pour le transport des ouvriers et des matériaux de
construction-
Parmi les ouvrages d'art, longs et difficiles à exécuter, il faut
citer les ponts jetés par les ingénieurs sur les rivières de Mand-
chourie ; les plus grands sont véritablement imposants et ne le
cèdent en rien à ceux de la Sibérie qui sont merveilleux. Citons
en Sibérie les ponts sur le Tobol, près de Kourgane (462 mè-
tres; 6 travées), sur Tlchime à Petropavlovsk (253 mètres;
3 travées), sur l'Irtych à Omsk (676 mètres ; 6 travées), sur
rOb à Krivostchokovo (782 mètres ; 7 travées), sur la Tome à
Potomochnaïa (504 mètres; 6 travées), sur la Kîa, après
Marinsk (315 mètres ; 4 travées), sur la Tchouline à Atchinsk
(273 mètres: 2 travées), sur l'iénisséi à Krasnoiarsk (912 mè-
tres; 6 travées), sur la Kane (252 mètres ; 3 travées). 11 y a en
Mandchourie 14 ponts de plus de 250 mètres ; l'un, sur la Soun-
gari, est plus long même que celui de l'iénisséi : il a près d'un
kilomètre de longueur, mais ne vient pourtant qu'au troisième
rang parmi les ponts russes, puisque celui de la Volga a
1.485 mètres et celui de FAmou-Daria 2 kilomètres environ. Les
ponts de Mandchourie sont tous à peu près terminés. L'an der-
nier, lorsque j'ai traversé au mois d'avril la Nonni, le grand
pont de fer n'était pas encore livré à la circulation et les
ouvriers chinois poussaient un à un les wagons sur un pont de
LES RUSSES EN EXTRÊME-ORIENT 633
bois qui n'inspirait aux ingénieurs qu'une confiance tr^s limi-
tée. Il y a 9 grands ponts, dont un de plus de 900 mètres, entre
la frontière et Kharbine; 11 grands ponts sur la ligne Je Vla-
divostok; 30 sur celle de Port-Arthur dont un de tJOO mètres
et deux de plus de 400.
La plus grande œuvre exécutée par les ingénieurs russes est
le percement d'un tunnel de 3 kilomètres dans les monts
Khinganes, que Ton ne pouvait pas tourner. C'est seulement
en 1901, après les troubles de Chine, que ce travail a él^ com-
mencé; il n'est pas probable qu'il soit terminé avant 190i»
quoiqu'on en ait dit. Les monts Khinganes forment une barrière
naturelle «'étendant dans le sens même du méridien, sur ime
distance de plus de 1.000 kilomètres : ils ont, avec leurs nom-
breuses ramifications, une largeur de 300 kilomètres environ.
La ligne de Mandchourie, depuis la frontière jusqu'à la ville
de Kharbine, a 960 kilomètres. Là, elle continue jusqu'à la fron-
tière de la Province Maritime sur un parcours de 300 kilo-
mètres; de Kharbine à Port-Arthur, elle a 1.000 kilomètres.
Elle est munie de rails lourds pesant 24 livres russes' le pied
courant; on n'a pas voulu renouveler la faute commise en
Sibérie, où l'on a dû recommencer un travail achevé et rem-
placer les rails trop légers qui avaient causé de nombreux
déraillements. L'approvisionnement d'eau est partout assuré,
bien que les travaux pour la pose des conduites soient loin
d'être terminés. Des ateliers de réparation pour le matériel
roulant ont été construits temporairement aux stations d*lnkoo
et de Soungari. A l'époque actuelle, on peut aller en quatre
jours de la frontière de Sibérie jusqu'à Port-Arthur,
La première station importante est la petite ville de Khaïlar,
qui peut avoir aujourd'hui de 4 à 5.000 habitants ; puis on tra-
verse un vaste plateau de 300 kilomètres environ. Le train
gravit ensuite le Khingane : c'est à cet endroit que l'on cons-
truit le tunnel dont il a été parlé déjà. Le train suit une ligne
provisoire, puis descend dans la vallée de la \oniii par la voie
en zigzags, curieusement et habilement établie. Le train desrend
lentement la première ligne des zigzags, il va jusqu'au bout et
s'arrête : la locomotive de queue alors Ten traîne sur la
deuxième ligne et ainsi de suite jusque dans la vallée. La rivière
Nonni est traversée à 18 kilomètres de Tsitsikar, grande ville
aux temples riches et curieux, qui, comme toutes les villes de
Mandchourie, a été laissée à l'écart lors de la construction du
Transmandchourien. Elle est occupée, elle aussi, par rarmée
russe.
1 Une livre russe = 409 grammes.
i
634 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
On arrive enfin à Kharbine, à Tem branchement des deux
lignes de Mandchourie. Kharbine a été le principal centre de
Tadministration et de la construction du chemin de fer. Une
ville russe s'est élevée à quelques kilomètres de la ville chi-
noise; elle a pris déjà une grande importance et le voyageur qui
la parcourt peut se croire dans un des chefs-lieux de district de
Sibérie. Prévoyant l'avenir destiné à Kharbine, Tadministration
a acquis une grande étendue de terrains, et la ville peut s'étendre
aujourd'hui sur une surface de plus de 33 kilomètres carrés.
Kharbine comprend en quelque sorte trois villes bien distinctes:
Vieux-Kharbine qu'habitent les indigènes, Nouveau-Kharbine,
la ville neuve et officielle, et enfin le Port sur les bords de la
Soungari, où se sont ouvertes déjà des maisons de commerce
importantes, spéciales à Kharbine ou succursales d'établisse-
ments de Port-Arthur et de Vladivostok. En juillet dernier,
255 lots de terrains ont été affermés à des particuliers. La super-
ficie en était de 200.000 mètres carrés et les enchères ont pro-
duit 1.000.000 de francs. Une nouvelle vente est annoncée
déjà.
Après Kharbine, la ligne de Vladivostok entre dans un pays
montagneux, et le trajet est intéressant et souvent pittoresque;
la ligne de Port-Arthur est beaucoup plus longue, elle
traverse un pays plat et passe près de quelques villes impor-
tantes. Je ne puis oublier le wagon dans lequel j'ai voyagé entre
Moukden et Kharbine : c'était un vieux wagon de marchan-
dises, transformé en wagon de voyageurs; une cloison le divi-
sait en deux compartiments, nous étions entassés les uns sur
les autres, les banquettes* étaient sales et le parquet n'avait pas
été balayé depuis longtemps. On sait la familiarité qui règne
toujours entre les voyageurs en Russie : au bout d'une heure,
je connaissais tout le monde ; une voisine m'offrait du thé sur
sa banquette où dormaient, au milieu de linges et de paquets,
deux petits chiens ; un autre voyageur m'invitait à m'asseoir
dans le coin qu'il occupait avec quelques serins qu'il rapportait
à sa femme. Malgré le peu de confort, nous passâmes gaiement
notre temps. On sait combien aimables sont les Russes en
voyage.
La ville la plus curieuse que l'on puisse visiter dans la région
est Moukden. Elle s'élève à une distance de 30 kilomètres de la
gare, mais on construit une autre ligne qui conduira presque aux
portes de la ville. J'ai gagné Moukden en voiture, sous la garde
de trois soldats russes que le commandant du détachement
de la gare avait tenu à me donner. La route est comme toutes
les routes chinoises, c'est-à-dire épouvantable; s'il a plu, le
LES RUSSES EN EXTRÊME-ORIENT 635
voyageur doit rester embourbé de longues heures dans des fon-
drières; s'il fait sec, la voiture roule invisible dans le nuage de
poussière qu'elle soulève. A chaque cahot, on se demande de
quel côté on va verser. A Tentrée de la ville, près d'un grand
arc de triomphe en bois, est une riche lamaserie qui renferme
quelques beaux objets fabriqués au Thibet; puis on passe soiis
d'énormes portes qui ressemblent à des citadelles; les rues
principales sont larges et les boutiques bien achalandées, une
foule grouillante les remplit, de lourds chariots y roulent,
traînés par des chevaux, des bœufs ou des mulets; les fonc-
tionnaires chinois passent gravement en chaises à porteurs,
tandis que, bousculant tout le monde, des soldats russes che-
vauchent comme en pays conquis. Malgré tout, le soldat russe,
bon enfant, s'entend assez bien avec le Chinois; les casernes
sont des maisons, et quelquefois d'anciens temples ou des palais
abandonnés. Un soir, j'entrai dans une maison où des Russes
chantaient en chœur : c'étaient des soldats, qui, dans un caser-
nement, jadis temple rempli de divinités chinoises, disaient en
chœur, avant de se coucher, les prières du soir de la religion
orthodoxe.
Je n'ai pas l'intention, et ce n'est pas le lieu, de décrire la
ville de Moukden. Je ne dirai qu'un mot des deux principales
curiosités : le tombeau impérial et le palais.
Le tombeau se trouve dans un vaste jardin quadrangulaire,
planté d'admirables cèdres; l'allée centrale est très large, et de
chaque côté de cette allée sont d'énormes bêtes en pierre
sculptée, chevaux, dragons, chameaux, animaux réels ou fabu-
leux. Le soleil de midi faisait étinceler devant moi les toits
bizarres du temple, jaunes, rouges et verts, et rendait plus fan-
tastiques encore, en les enveloppant d'un rayon ardent, les
bêtes monstrueuses qui semblaient endormies. Le temple, la
porte et l'escalier, tout était admirable de goût, de sculpture
fine et savante.
Le palais contenait d'admirables collections qu'on laissait, lors
de ma visite, pourrir dans la saleté : je croyais marcher sur un
tapis, tant était épaisse la poussière sur le parquet. Au moment
de la guerre, des objets avaient été volés ou perdus, d'autres
volontairement brisés. Les poteries étaient entassées les unes
sur les autres, et les belles et précieuses étoffes chinoises,
maculées, déchirées, jetées en tas, étaient mangées par les
vers. Je visitai le palais, accompagné par des Russes et des
Chinois : l'un de ces derniers qui, élégamment habillé, se te-
nait constamment à l'écart, me voyant arrêté devant un
brûle-parfum merveilleux et qui semblait avoir été déformé
i
636 QUESTIONS DIPLOMATIQUES KT COLONIALES
à coup^de marteau, s'avança et me dit, s associant à ma pensée :
« Voilà ce qu'est la guerre ! »
Puis il ajouta :
« Je préfère encore ceux qui ont volé nos objets précieux à
« ceux qui les ont détruits, en barbares qu'ils étaient. »
Puis, gravement, le Chinois me fit une révérence et s'éloigna.
Je fis aussi une visite au gouverneur général chinois : celui-ci
m'accueillit solennellement au milieu de ses soldats qui me
présentaient les armes; il m'offrit une collation, composée de
sardines, de fruits et de gâteaux, arrosée de cassis qui venait de
France, et de Champagne qui avait été fabriqué avec toute autre
chose que du raisin par quelque chimiste de Changhaï. La con-
versation, traduite par l'interprète russe, fut peu intéressante.
Le gouverneur éludait mes questions et y répondait par des
paroles aimables et banales.
Se conformant aux règles du protocole, le gouverneur géné-
ral me conduisit jusqu'au perron où nous nous fîmes nos
adieux.
L'interprète me dit alors tout bas :
« Sa Haute Excellence veut bien vous accompagner jusqu'au
« second perron ! »
Les salutations et les révérences recommencèrent, puis l'in-
terprète reprit :
« Sa Haute Excellence vous fait l'honneur de vous accom-
a pagner jusqu'à la porte de la rue ! »
C'était là, en effet, paraît-il, un suprême honneur : les soldats
présentèrent les armes, et devant la porte la foule s'était amas-
sée dans la rue. Je pensais que les gouverneurs des temps
passés auraient été bien surpris de voir leur successeur accom-
pagner, avec tant de respect apparent, un Français dansMoukden
occupé militairement par les Russes!... Il y a un agent diplo-
matique russe à Moukden ; et je souhaite à mes compatriotes
qui passeront en Mandchourie, de trouver auprès de M. Kolokoi-
nikof un accueil meilleur que celui qui me fut réservé.
Après Moukden, la station la plus importante est celle
d'Inkoo, d'où l'on peut gagner la ligne anglaise qui conduit
à Pékin, et dont Timportance grandit très vite.
On entre ensuite dans le Kouan-toun, où se trouvent, d'après
les derniers chiffres publiés, 3.286 Russes, 192.457 Chinois,
67.576 Mandchous, 241 Japonais, 387 Coréens, 194 Européens.
Les Chinois de la province s'adonnent au commerce et à la cul-
ture ; ils cultivent le mûrier et le millet ; ils ont aussi de vastes
champs de haricots dont les cosses sont envoyées au Japon, où
on les transforme en engrais. Autour des fermes de Mandchou-
LES RUSSES EN EXTRÊME-ORIENT 637
rie, il y a toujours des petits jardins où les Chinois cultivent
des légumes et des fruits, choux, radis, oignons, concombres,
pastèques,* melons et potirons. Ils aiment beaucoup les fleurs
avec lesquelles ils parent l'entrée de leurs maisons. Même dans
les campagnes, les sociétés secrètes, qui conspirent en silence,
et sans grand succès d'ailleurs, contre la Russie, sont très nom-
breuses.
Enfin la voie ferrée aboutit à Port-Arthur : à la station qui
précède cette ville, une ligne se détache qui conduit à Dalny.
Le voyageur, qui entend toujours parler de Port- Arthur et qui
s attend à visiter un port de guerre formidable, est très déçu
dès son arrivée : Port-Arthur ne semble pas être encore la for-
teresse inexpugnable dont parlent sans cesse les journaux
anglais. La ville est sale et malsaine, les Chinois y vivent
dans des conditions d'hygiène déplorables, les travaux dans le
port sont loin d'être achevés, et il me fut facile de comprendre
lan dernier combien était naturelle l'émotion qu'avait fait
naître l'alliance anglo-japonaise en Russie. Il y a des étrangers
qui se sont établis à Port-Arthur ; inutile de dire que les Français
sont loin d'y être les plus nombreux. L'explorateur Chaffai-
gon s'y consacre au commerce, et un nouveau comptoir français
vient de s'y établir. Après un bon essai à Irkoutsk des Fran-
çais bien inspirés ont fondé des succursales à Port-Arthur et à
Vladivostok.
On peut dire que la ville de Dalny, voisine de Port-Arthur,
et qui doit devenir le grand port russe d'Extrême-Orient, a été
créée de toutes pièces par la Russie. Celle de Vladivostok a
été très émue par la création de ce nouveau port, et les com-
merçants ont pensé qu'ils seraient facilement ruinés par ceux
de Dalny, surtout maintenant que Vladivostok a cessé d'être
un port franc.
M. Witte, ministre des Finances, s'est occupé récemment de
cette question ; il pense, avec juste raison, que l'avenir économique
et commercial de la Russie est en Extrême-Orient et que dans les
vastes possessions russes, que baignent l'océan Pacifique et les
mers qui en sont tributaires, il y a place pour plusieurs ports
de premier ordre. Vladivostok ne pouvait être Tunique grand
port d'Extrême-Orient russe ; sans doute la baie, au bord de
laquelle est située la ville, est admirable et ofl're aux
bateaux de guerre et de commerce un abri incomparable ; elle
est en outre défendue par des fortifications naturelles, dont le
génie militaire a tiré un merveilleux profit ; mais elle est loin
des mers de Chine, où doivent s'établir les nations européennes
qui tiennent à compter en Extrême-Orient, et des glaces l'encom-
638 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
brent chaque année pendant l'hiver : on n'y peut alors péné-
trer qu'avec Taide du bateau brise-glaces. Dalny, dit le rapport
officiel du ministre, est une ville russe au môme titre que Vla-
divostok et il n'est pas admissible de sacrifier la première à la
seconde : il est vrai que les commerçants d'Extrôme-Orient
disent que, pour ne pas commettre cette injustice, c'est le con-
traire que l'on a fait.
Le ministre prétend concilier les intérêts des deux villes et
pouvoir délimiter, dès aujourd'hui, la sphère d'influence com-
merciale répartie à chacune d'elles, de faço^ à empêcher entre
les ports rivaux une concurrence inutile et dont les consé-
quences seraient désastreuses.
Les maisons qu'on a construites à Dalny sont très belles, et
je ne sais pas de ville où les fonctionnaires sont plus conforta-
blement et quelquefois plus magnifiquement logés. Les
dépenses occasionnées par la création de Dalny ont atteint déjà
18.850.000 roubles; mais elles dépasseront de beaucoup ce
chiffre : on veut faire grand, et comme partout en Mantchourie,
on dépense sans compter. On a vendu aux enchères, au mois
de novembre, 425.027 roubles de terrain, à 25 roubles la sajène
carrée. On se propose d'en vendre à nouveau, et si le prix de
la sajène restait à 25 roubles — ce qui n'est pourtant qu'un mini-
mum — le produit de la vente prochaine dépasserait 15 millions
de roubles : or l'étendue des terrains désignés pour la vente
prochaine représente seulement le quart du territoire qui sera
vendu par la suite.
L'avenir de Dalny sera brillant, et le ministre des Finances,
qui veut activer encore les travaux commencés, est plein de
mépris pour toutes les critiques et pour toutes les difficultés
suscitées par des rivalités sans fondement sérieux, à son avis :
ce sont là, pour lui, des choses temporaires et partant secon-
daires, car ce l'histoire, dit-il avec raison, compte par siècles ei
non pas par années ». On peut se rendre compte de l'état actuel
des travaux, quand on lit dans le rapport de iM. Witte que la vie
du port et de la ville ne pourra guère commencer que dans
un an.
•
« «
Si l'on examine avec attention les chiffres qui ont été cités au
cours de cette étude, si l'on réfléchit au travail colossal entre-
pris par les Russes et accompli si rapidement, on peut à peine
se faire une idée des sommes d'argent dépensées et des vies
sacrifiées en Mantchourie.
Pense-t-on que la question de l'évacuation des provinces soit
LES RUSSES EN EXTRÊME-ORIENT *63§
aujourd'hui simple et facile à n'^soudre? Les Russes veulent-
ils, comme l'annoncent tant de dépêches qu'on publie journel-
lement et qui sont de source tantôt anglaise et tantôt japonaise,
et pensent-ils même s'arrêter dans leur marche en avant? C'est
ce que nous étudierons dans la seconde partie de ce Iravail.
(Ju'est-ce que les Japonais doivent penser actuellement de la
convention russo-chinoise et des promesses d'évacuation? La
Russie est restée fidèle à ses intentions premières et persévé-
rante dans ses efforts : le temps a travaillé déjà et travaille
encore pour elle, tandis que chaque mois qui s'écoule est un
insuccès pour ses rivaux. J'étais en Extrême-Orient, au
Japon, au moment où fut conclue l'alliance anglo-japonaise,
en Mandchourie aux jours où devint publique la convention
russo-chinoise, qui ne fut à vrai dire qu'une réponse i^ la décla-
ration d'alliance, réponse très habile et qui calma un peu les
ardeurs japonaises et les esprits trop surexcités. Les Japonais
crurent que la Russie avait peur et qu'elle reculait. On le répéta
même dans les journaux européens.
Que la Russie ait été très émue par les déclarations d'alliance
anglo-japonaise, cela semble évident, et l'émotion régna aussi
biendansle haut commandement de Mandchourie que dans les
sphères officielles de Saint-Pétersbourg ; on ne se sentait pas
prêt en effet et on craignait quelque démonstration japonaise.
Contre toute attente, le Japon est resté tranquille et rîen n'est
venu entraver l'œuvre des Russes : le danger qui les meiiai;ait
leur donna des forces nouvelles, mais ne les fit pas sortir de
leur calme ; ils ont gagné du temps, et c'est là tout ce qu'il leur
fallait. Les Japonais avaient accueilli comme une victoire la
convention russo-chinoise; sont-ils toujours du même avis? Ils
pourraient pourtant apprendre de leurs amis les Anglais, qui
occupent toujours l'Egypte, quelle est l'exacte valeur d'une pro-
messe d'évacuation.
Paul Labuk.
LA QUESTION DB TERRE-NEUVE
SAINT-PIERRE ET MIQUELON'
Armer un navire, c'est posséder une coque, mettre cette
coque en état de naviguer dans un but déterminé, enfin lu
donner un équipage et un matériel indispensable à la vie du
bord.
Armer en guerre, armer en yacht, armer en pèche, armer au
long cours, armer au cabotage, telles sont les différentes ma-
nières d'utiliser un navire.
A première vue, il semble devoir être aussi aisé d'envoyer
un homme pécher la morue que d'embaucher un ouvrier sur
un chantier quelconque. C'est un marché à passer, un prix à
débattre. Mais il n'en est pas ainsi en France. Des textes nom-
breux sont là qui réglementent la chose et lient l'Etat, l'arma-
teur et le marin, à l'avantage de ces derniers. Avantages qui ne
vont pas sans quelques inconvénients, surtout lorsque les pres-
criptions sont appliquées aux uns et non aux autres, comme cela
s'est vu dans la grève désastreuse de Marseille.
Les avantages sont nombreux : pour l'armateur, c'est la sta-
bilité, l'impossibilité de grève; pour les marins, c'est la pro-
tection contre une exploitation toujours possible et aussi une
retraite assurée pour lui, sa veuve et ses enfants, après un
certain nombre d'années de mer.
Une remarque en passant : il est curieux de voir si fort
décrier la marine et l'inscription maritime par les hommes,
dits à principes avancés, lorsque cette marine, d'allure si réac-
tionnaire, paraît-il, est la première organisation française qui
ait admis et pratiqué le principe socialiste des retraites aux
vieux travailleurs et à leur famille — travailleurs non employés
de l'Etat, bien entendu — principe que ces hommes avancés
veulent, et non sans raison, généraliser à tous les Français.
Mais point n'est l'heure à la politique.
* Voir Le Breton, La question de Terre-Neuve (Quest» Dipl. et Col., 1" avril 1903,
t. XV, p. 4il et sq.).
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 641
Enfin, quoi qu'il en soit, l'armement pour Terre-Neuve se
divise en :
Armement métropolitain pour le banc, sans sécherie;
Armement métropolitain pour le banc, avec sécherie;
Armement pour la côte ;
Armement pour les îles Saint-Pierre et Miquelon ;
Armement local ou Saint-Pierrais.
Les quatre sortes d'armement métropolitain peuvent se ré-
sumer en deux : Armement, avec ou sans sécherie.
J'ai dit précédemment quelques mots sur la préparation de la
morue, sur ce qu'était une grève, quel était son but.
Armement sans sécherie, — C'est armer un navire qui par-
tira de France en mars ou en avril, se rendra sur les bancs, y
séjournera toute la saison et reviendra en France en octobre,
sans avoir touché terre parfois. Il passera six mois à rouler,
à tanguer sur son ancre dans les parages brumeux de Terre-
Neuve, occupé seulement à capturer et saler des morues par
milliers.
Ces bâtiments, armés avec salaison à bord, autrement dit
sans sécherie, peuvent avoir le nombre d'hommes qu'il plaît à
l'armateur ou au capitaine de mettre à leur bord. Ils sont en
général de forte taille — 300 tonneaux — et appartiennent en
grande partie au port de Fécamp. Ils emportent de France tout
ce qui leur est nécessaire en fait de vivres, eau, sel, et n'ont
en principe jamais à relâcher à Saint-Pierre. Cependant rares
sont ceux qui n'y vont pas une fois ou deux pendant la saison,
soit pour déposer un malade, soit pour renouveler la provision
d'eau, soit pour débarquer la morue si la cale est pleine.
Là nous touchons un point encore réglementé.
« Un navire armé sans sécherie doit ramener en France le
« produit de sa pèche. Mais, comme il était inadmissible de
« faire perdre à un navire un ou deux mois de pèche en fin de
« saison, sous prétexte qu'il lui était interdit de vider sa cale
« pleine, un nouveau texte a autorisé le débarquement à Saint-
« Pierre de la morue prise, ou plutôt, non la mise à terre, mais
« le transbordement direct de la cargaison sur un long cour-
« rier. »
Les morues doivent être séchées en France. Mais s'il n'y a
pas de long courrier disponible? Alors, la chose est prévue par le
décret du 23 mars 1888. Le navire armé sans sécherie est au-
torisé à débarquer temporairement, à Saint-Pierre, le produit
de sa pèche qui attend ainsi sa réexpédition.
QuEST. DiPL. ET Col. — t. xt. 41
642 QUESTIONS DIPLOMATIQUIÎS ET COLONIALES
Armement avec sécherie. — L'armateur métropolitain qui
envoie un navire armé, avec sécherie, possède à Saint-Pierre
un représentant. Celui-ci est à la tête de ce que Ton nomme
« rhabitalion •» : une villa, entourée de magasins, hangars,
graves, situés à proximité d'un appontement ; puis, en rade, des
chalands, embarcations, etc. C'est à Thabilation que le navire
viendra, trois fois par saison, déposer le produit de sa pèche et
qu'il y trouvera de la boette, des vivres, du matériel de re-
change. Aussitôt le déchargement terminé, le plein des soute>
achevé, le navire reprend le large et le gérant s'occupe de sé-
cher la morue, de l'emmagasiner, de l'expédier, de la vendre.
Saint-Malo, (iranville, Binic arment avec sécherie à Saint-
Pierre. Le départ de tous ces navires a lieu en général dans la
deuxième quinzaine de mars, et ils peuvent commencer leurs
opérations dès leur arrivée sur le banc.
On peut armer avec sécherie au French-Shore, La grave
est alors sur la côte française de Terre-Neuve, dans quelque
baie abritée. Le navire pèche dans les environs de la baie, y
revient déposer son poisson, puis repart en pèche. L'habitation
n'existe pas aussi complète qu'à Saint-Pierre. Une mauvaise
baraque la remplace et sert d'abri aux deux pécheurs laissés à
terre pour surveiller et sécher la morue. En fin de pèche, le
navire réembarque tout son poisson.
La disparition partielle de la morue de la côte a amené la
<lisposition de cette sorte d'armement.
Armement avec sécherie pour le French-Shore. — Le Frenclh
Shore se divise en deux parties, appelées la côte Est et la côte
Ouest.
La côte Est est celte partie du French-Shore qui s'étend du
cap Saint-Jean au détroit de Belle-Ile, à l'Est de la grande pres-
<]u'îlequi termine au Nord l'île de Terre-Neuve. La côte ou-
verte est la partie de côte qui fait face au Labrador et au Saint-
Laurent.
Les navires, armés pour la côte Est, viennent directement de
France à Terre-Neuve et s'en retournent sans passer par Saint-
Pierre. Ce sont de grands navires, largement approvisionnés
pour toute leur campagne. L'expédition compte même parfois
l'envoi de 2 navires et de 100 hommes. Ils quittent leur port
d'attache après le 20 avril, pour n'arriver qu'au début de juin;
car avant cette époque tous les havres sont encombrés de gla-
cions qui rendent inutile toute arrivée plus hàtivé.
Aussitôt parvenu dans la baie, choisie par avance, comme
nous le verrons plus loin, le capitaine mouille son navire,
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 643
Taffourche au besoin et le désarme, c'est-à-dire qu'il met à
terre ou à fond de cale tout son gréement, tout son matériel,
qui ne pourraient que se. détériorer à rester six mois inutile-
ment exposés aux intempéries du climat. Tandis qu'une partie
de l'équipage désarme le navire, l'autre partie répare les ca-
banes, hangars, chauffands et appontements qui ont servi
l'année précédente. Des arbres sont abattus dans le bois voisin ;
les cloisons consolidées, les toitures enprélarts rétablies, celles
en chaume réparées. Dès que les cabanes sont à même d'abriter
de la pluie, on y dépose tout le matériel : voilure des embarca-
tions, filets, hameçons, avirons, objets de toute espèce, sans
oublier, bien entendu, la garde-robe — oh! combien rudi-
mentaire et malpropre ! — de nos braves Bretons et Normands.
Si le temps est favorable, ce travail demande une huitaine et Ton
commence la pêche aussitôt que possible, car elle seule paye.
Sur la côte Ouest, il en est identiquement de même. Mais alors
les navires appareillent de France plus tôt que ceux de la côte
Est, et ils passent en général à Saint-Pierre à l'aller comme
au retour. Les uns et les autres transportent eux-mt''mes le pro-
duit de la pêche. Parfois, quand celle-ci est fructueuse, le capi-
taine, pour se débarrasser du surplus du poisson, demande au
représentant de sa maison à Saint-Pierre l'affrètement d'une
goélette. Opération parfois mal aisée, car tout navire qui peut
tenir la mer est en principe en pêche.
Sur la côte Ouest, on rencontrait encore, il y a quelques
années, des goélettes armées avec sécherie, mais sans que l'em-
placement de cette sécherie fût assigné par avance. Ces petits
navires, uniquement saint-pierrais, sont dits armés en « dé-
grat ». Au début de la saison, dans le golfe du Saint-Laurent,
ils recherchent la morue en quête du hareng, et reviennent
faire sécher leur poisson en quelque baie inoccupée de la côte.
Mais cette pratique n'est plus guère en usage, et les goélettes
saint-pierraises qui défilent le golfe pendant la fin des mauvais
temps de l'Océan, s'en vont à Saint-Pierre déposer leurs morues
et reprennent bien vite la mer, pour passer sur les bancs les
mois d'été.
Beaucoup de goélettes américaines et anglaises recherchent
aussi la morue dans le golfe et la préparent, soit au Canada,
soit aux Etats-Unis.
Armement pour Saint-Pierre. — C'est l'armement pratiqué
par les propriétaires qui envoient leurs navires porter du sel à
Saint-Pierre et leur font rapporter la morue. Longs-courriers,
beaux voiliers chargés de réapprovisionner les magasins de
644 OUESTIOMS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
noire colonie et de transporter la morue aux Antilles, en
France, en Méditerranée.
V Armement local ou saint-pierrais a pris, depuis une
vingtaine d'années, un développement considérable. Il entre
pour une part très importante dans l'armement français et con-
siste presque uniquement en goélettes de 90 tonneaux armées
avec sécherie à Saint-Pierre. Les armateurs peuvent, s'ils le
désirent, occuper les places de pêche du French-Shore et le
tirage au sort est prévu en cas de compétition; bien entendu,
les emplacements laissés disponibles par les métropolitains
sont seuls mis à la disposition des Saint-Pierrais. Ce tirage au
sort n'a jamais été nécessaire, et un seul emplacement, celui de
l'île Rouge, fut occupé en 1902.
On trouvera plus loin quelques détails sur ces places de
pêche de la côte et leur distribution.
Petits pêcheurs. — Dans le but de maintenir nos droits sur
Terre-Neuve, le gouvernement a autorisé les pêcheurs saint-
pierrais à s'y installer, sans qu'un navire de mer soit obligatoi-
rement attaché à leur établissement. Dès 1894, date du pre-
mier essai, 108 pêcheurs sont allés par groupe de 2 et 4 avec
une ou deux embarcations en quelques points de la côte Ouest.
Les résultats furent satisfaisants et depuis lors, chaque prin-
temps, des Français quittent leur famille pour aller pêcher la
morue sur la côte française de la colonie anglaise. Le nombre
de ces pêcheurs a été successivement de 108, 146, 156, 117,
157, 111, 140, 103, et de 149 en 1902.
Le principe de ce déplacement est bon, car au début de la
saison la morue est abondante sur la côte et rare aux environs
de notre île. C'est la raison qui fait que les goélettes défilent le
golfe, ainsi que nous l'avons vu. La plupart de nos petits pé-
cheurs (60 %) rallient Saint- Pierre au début de juillet et rap-
portent quelques dizaines de quintaux par homme, tandis que
leurs camarades, plus casaniers, en sont encore à pêcher leur
premier quintal.
En juillet, l'encornet arrive à Saint-Pierre et la morue donne;
inutile alors d'aller la chercher au loin lorsqu'on la trouve en
abondance à sa porte.
Ces petits pêcheurs ne vont guère s'établir au Nord de la
baie des Iles. Leurs emplacements préférés sont ceux de l'île
Rouge, de Porta Port et des différentes îles de la baie des Iles.
La durée de la pêche fructueuse est ainsi augmentée pour les
Saint-Pièrrais, sans que soient encourus les risques dus à la
mauvaise saison qui se prolonge plus longtemps à Saint-
Pierre que sur la côte.
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 645
En résumé, ces différents armements mettent en mouvement
le nombre de navires suivant :
Amement métropolitain. ^^^ ^^^^'
Navires 206 219
Jaugeant 30.812 tonneaux 37.708 tonneaux
Montés par 6.214 hommes 6.774 hommes
Armement local. ^^5 ^^^^
Pour la f goélettes 200 208
grande j montés par 3.606 hommes 3.925 hommes
pèche ( aidés par 326 graviers 434 graviers
Pour la petite l 63 embarcations... 149 hommes pour la côte Ouest,
pêche en 1902 ( 450 embarcations... 1.000 hommes à Saint-Pierre,
Au total, 420 navires de plus de 90 tonneaux, montés par
H.OOO hommes, représentent l'effort principal de la France dans
Texploitation des pêcheries de Terre-Neuve.
Le produit total du travail des i2.000 hommes qui pratiquent
effectivement la grande et la petite pêche s'élève à environ une
trentaine de mille tonnes de morues au vert, à 150 tonneaux
de rogue, et à 500 tonneaux d'issues dont 350 d'huile. Le
prix total de cette richesse peut monter à une vingtaine de
millions.
Toute la morue pêchée n'est pas expédiée en France. Une
partie est directement envoyée aux Antilles pour y être con-
sommée sur place; une autre est envoyée à Boston où elle
s'américanise pour être vendue au Brésil; le reste enfin est dirigé
sur France, à Bordeaux et Cette, d où elle est distribuée en
Europe, en Italie, en Grèce. Dans ces deux ports sont installées
(le grandes sécheries à vapeur qui préparent la morue de la
plupart des banquiers métropolitains armés sans sécheries. Elles
accomplissent régulièrement le travail que font les graviers et
le soleil incertain de Saint-Pierre.
C'est à Bordeaux que se trouve le grand marché de la morue,
et ses fluctuations se font sentir sur tontes les rives atlantiques
et méditerranéennes.
LE FRENCH-SHORE
Nous avons vu ce qu'était le French-Shore. Longue étendue
décote de plus de 1.000 kilomètres de long s'étendant du cap
^ L'aagmentation a presque entièrement été fournie par Saint-Malo.
k
B46 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
de Maye (pointe Sud-Ouest de Terre-Neuve) au cap Saint-Jean
: sur la côte Est. Sur cette longue côte, très découpée, on compte
environ 70 havres, dont 21 sur la côte Ouest et 49 sur la côte
Est. Dans ces havres, on a déterminé 208 places de pêche et
12 places de saumonerie; c'es.t à ces places que se rendent
\^ directement les navires armés avec sécherie pour la côte.
Anciennement, larmement pour le French-Shore fut très
actif et les meilleurs havres étaient toujours les plus recherchés
F par les armateurs.
j Au début du siècle, 400 navires, de faible tonnage il est vrai,
y étaient expédiés en France annuellement. 80 étaient destinés
»' . aux bancs, 80 exploitaient le golfe, et 250 environ stationnaient
f sur la côte. Dans ces conditions, la recherche des bonnes placrs
l: était ardente. Longtemps elles restèrent au premier occupant.
t Pour s'en assurer la possession, les armateurs n'hésitèrent pas
[ à faire partir leurs navires en plein hiver, les exposant ainsi
f à des coups de vent désastreux. Il y eut des rixes entre équi-
[: pages et des abus de toutes sortes, dont les résultats furent tou-
• jours des pertes de vies humaines. Le gouvernement dut inter-
venir, et pour éviter tout conflit, empêcher tout départ trop
hâtif, dut réglementer le choix des emplacements.
^ Il fut décidé que, tous les cinq ans, dans les premiers jours de
janvier, un tirage au sort des places de pêche aurait lieu au
commissariat de la Marine, à Saint-Servan, devant les armateurs
intéressés. La chose ainsi réglée donne de très bons résultats et
voici comment Ton procède encore aujourd'hui.
Les armateurs donnent la liste des navires qu'ils veulent
: envoyer. Ceux-ci, suivant leur tonnage, sont répartis en trois
catégories :
!'• catégorie . . , Navires de plus de 150 tonneaux montés par au
moins 30 hommes.
2e — ., Navires de 90 à 150 touneaux montés par au
moins 25 hommes.
3" — Navires de moins de 90 tonneaux n'ayant que
20 hommes à bord.
Puis on tire au sort les places par catégories.
Malheureusement toute cette réglementation est tombée en
désuétude à Theure actuelle.
En 1887. ... 9 places seulement furent occupées.
En 1892.... 16 places furent occupées par 18 navires.
En 1902..,. 5 places seulement furent utilisées par leurs pro-
priétaires momentanés.
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 047
La maison Véry occupa, sur la côte Est, la baie du cap Rouge
où dans le temps passé on rencontrait trois établissements dis-
tincts, en ruines aujourd'hui. Sur la côte Ouest, les maisons
Lemoine et Guibert occupèrent deux places au Nouveau Port au
Choix ; la maison Saint-Mieux s'en fut à Tîle Saint-Jean ; enfin,
une maison de Saint-Pierre s'installa sur Tîle Rouge.
\os armateurs français n'abandonnent pas la pèche, mais-
réfèrent les bancs à la côte.
Bien entendu, lorsque les demandeurs sont si peu nombreux,.
0 tirage au sort n a pas lieu et Tarrangement se fait à l'amia-
ble. Le tirage au sort effectué, l'armateur est tenu d'envoyer la
première année le navire présenté, ou un autre de la môme
catégorie, à l'endroit qui lui a été affecté. Faute de quoi il est
passible d une forte- amende.
Les années suivantes, il peut se dispenser d'occuper le lieu
de pèche. Une autre obligation lui incombe ; il est tenu d'entre-
tenir en bon état et de réparer les établissements à terre : mai-
sons, cabanes, graves, appontements... afin que le successeur
ne trouve pas en trop mauvais état les « temporary buildings »,.
les constructions passagères. Cette obligation, contre-partie de
l'assurance que donne l'Etat à l'armateur de tenir libre le lieu
de pêche, est évidemment tout à l'avantage des armateurs qui
sont assurés ainsi de trouver toujours des locaux pas trop
endommagés. Ces locaux sont gardés, durant l'hiver, par quelque
malheureux Terre-Neuvien, français déserteur souvent, qui,,
moyennant une très faible rétribution, empêche la neige, la
glace, les tempêtes de tout détruire, en faisant séance tenante
les consolidations courantes nécessitées par les avaries et les
accidents dus aux intempéries.
Tout cela est du temps passé. La côte Est n'a plus de morues,
ou du moins n'a plus de morues en quantité suffisante pour
permettre l'envoi de ces grosses expéditions de 2 navires et de
80 à 100 hommes. Les petites goélettes nomades font encore
des saisons fructueuses : mais pour le moment c'en est fait de
la grande industrie de la pêche sédentaire.
Le seul établissement français du cap Rouge (côte Est) ne cou-
vrit, en 1902, guère plus que ses frais. Son capitaine eut à lutter
contre les Terre-Neu viens des environs qui venaient lui disputer
son poisson sur son lieu de pêche. Ils venaient, ces malheu-
reux, de fort loin, 8 et 10 milles en doris, pour pêcher de quoi
nourrir eux et leur famille, là seulement où il y avait encore |
quelques morues, c'est-à-dire dans l'étendue de mer réservée
à l'établissement français.
Si, à ces disputes continuelles avec l'habitant, on joint la
648 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
difficulté qu'éprouve le capitaine à régler son travail de pêche
et de sécherie suivant le temps — car la morue doit ^tre séchée
avant Tappareillage pour France ; — Tanxiété constante dans
laquelle il est de se procurer de la boette, dans le cas où celle-ci,
harengs, capelans ou encornets, ne viendrait pas d'elle-même
se faire prendre dans les eaux de son établissement; enfin la
disparition de la morue, on s'explique pourquoi la côte Est est
abandonnée pour les bancs, malgré les avantages que les
hommes trouvent à être installés à terre, tant pour leur vie
matérielle que pour leur sécurité personnelle en cas de mauvais
temps. Le capitaine du navire armé pour le banc a son plan de
travail tout tracé. Partant de France avec de la boette con-
servée, il utilise les longues journées de la traversée à disposer
ses lignes et apparaux divers; puis, parvenu à l'endroit choisi^
il mouille, et une demi-heure après, les douze doris sont à l'eau
à élonger leurs harouelles. Les relever, les remouiller, trancher
et saler le poisson, sera l'occupation journalière des hommes.
Si la boette vient à manquer, le capitaine fait pêcher sur place
du bulot, du capelan ou de Tencornet, ou décide Tappareillage
pour Saint-Pierre. Si le mauvais temps vient, si la morue ne
donne pas, le capitaine appareille pour attendre le beau temps
ou chercher de meilleurs fonds. Puis, l'automne venu, il reprend
la route de France.
Combien plus simple pour le capitaine, mais combien plus
pénible pour les marins, cette existence de six mois passée tou-
jours les mains dans l'eau, soit dans de frôles embarcations,
soit sur un navire étroit, encombré, puant et toujours ballotté!
Les quatre établissements de la côte Ouest sont mieux par-
tagés. Ils sont moins ennuyés par les Terre-Neuviens; la monie
est restée abondante, le climat est moins dur, la saison de
pêche plus longue. Il y a donc lieu d'espérer que quelques arma-
teurs affirmeront toujours nos droits sur cette partie du French-
Shore, par leur seule présence.
Lorsque plusieurs navires français se trouvent réunis quelque
part, pour quelque raison que ce soit, le plus ancien capitaine
est investi, de par le fait de son ancienneté, d'une magistrature
toute momentanée. Il prend le nom de « capitaine prud'homme»,
et le cas échéant, peut remplir le rôle d'arbitre, de concilia-
teur, de témoin assermenté, et fixer parfois les points litigieux
dans les conflits qui se jugeront par la suite à Saint-Pierre ou
en France.
Le grand traité, dans lequel sont stipulés nos droits, accorde
au Français un droit exclusif de pêche. Le gouvernement terre-
neuvien n'est jamais allé jusqu'à discuter nos droits, maisseu-
i
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 649
lement la qualité exclusive de ces droits que le quai d'Orsay
interprète ainsi : interdiction de pêche à tout autre qu'à nous.
Au début du siècle nous avons vu nos navires métropolitains
s'établissant par centaines sur le French-Shore même. La morue
s'en est allée dans les mers lointaines, nos navires l'ont suivie
et le French-Shore s'est trouvé abandonné comme centre de
pêche. Mais qui vous dit que ce poisson nomade n'y reviendra
pas et que nos armateurs ne voudront pas renvoyer leurs
navires aux anciennes places?
De cette possibilité naît l'obligation de réserver l'avenir; en
l'espèce, de maintenir nos droits.
LA BOKTTE
Parallèlement à l'abandon relatif du French-Shore, s'est déve-
loppée grandement l'exploitation des bancs, et nous voyons
actuellement 12.000 hommes occupés pendant six ou huit mois
de l'année à capturer des morues aux environs de Terre-Neuve.
Mais, pour cette capture, un appât est indispensable; il varie
avec les saisons et se prend pour une grande part sur la côte de
l'île anglaise. C'est de l'obligation pour nous d'aller nous appro-
visionner sur l'île voisine que naît l'importance capitale que
nos pêcheurs accordent à la possession de cette île, ou plutôt
à la possibilité de pêcher librement dans ses eaux territoriales
et sur ses grèves.
Matériellement, il était difficile à notre gouvernement et à
ses représentants sur les lieux, les commandants des navires
de guerre, d'empêcher les malheureux établis sur la côte de
prendre de la morue pour leur subsistance ; car ce pays est si
pauvre, si froid, que tout autre moyen de vivre est pour ainsi
dire inconnu. Petit à petit cette pêche s'est développée; mais il
ne semble pas qu'elle ait été la cause primordiale du départ
des morues, toute réserve faite cependant sur l'emploi des
filets appelés « trappes à morues », emploi interdit par les deux
gouvernements, mais dont l'usage est encore assez répandu
parmi les Anglais.
Ces pêcheurs en fraude nous rendaient même service lors-
qu'ils venaient à Saint-Pierre apporter des harengs, seule
boette du printemps dont ils trouvaient toujours dans notre
colonie un écoulement assuré et rémunérateur. Mais le gou-
vernement de Saint-Jean, contrairement à l'opinion du
Foreign Office, contrairement à l'esprit et à la lettre des
traités, dans le but inavoué d'arrêter l'essor de notre arme-
ment, décréta son fameux « bait-bill » de 1887, qui lui occa-
i
650 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
sionna de lourdes dépenses et ruina les habitants de toute la
côte Sud. Ces habitants réclamèrent et leurs députés interpel-
lèrent le gouvernement; des élections se firent sur cette ques-
tion. Mais tout cela sans succès. Les pAcheurs ne trouvèrent
qu'un moyen de ne pas mourir de faim devant leurs navires
pleins de harengs, celui de passer outre au décret et de venir
en fraude à Saint-Pierre écouler leur marchandise. Pour répri-
mer cette contrebande. Saint- Jean arma des gardes-pêche, et
grâce à eux, réussit après quelques années à arrêter toute
sortie de poissons pouvant servir à boetter les lignes à
morues.
Ainsi, en avril 1891, 36 goélettes anglaises, bravant les
rigueurs du blocus, sont venues apporter du hareng à Saint-
Pierre. Le vapeur terre-neuvien n'a pu agir contre un si grand
nombre de bateaux, qui étaient du reste décidés à lutter contre
lui, si Fun d'eux était capturé. Ils naviguèrent de conserve au
retour comme à l'aller.
Et ce ne fut réellement pas banal de voir des voiliers anglais
venant se réfugier à l'abri de nos eaux et des canons de nos sta-
tionnaires. Malheureusement tout cela date de plus de vingt ans
et pour le moment, non seulement les Terre-Neuviens ne peu-
vent plus venir vendre leur poisson à Saint-Pierre, mais nos
navires ne peuvent plus aller s'approvisionner sur la côte an- j
glaise. Des règlements draconiens interdisent toute vente de ,
boette à tous navires étrangers : canadiens, américains, fran- j
çais. Il s'ensuit donc pour nous l'obligation inéluctable d'aller j
nous approvisionner nous-mêmes de harengs au French-Shore,
à la baie Saint-Georges particulièrement. Cette baie se trouve
dans le sud de la côte Ouest, à petite distance de Saint-Pierre.
Elle est le point d'atterrissage du hareng, d'est sur ces grèves
qu'il vient, par bandes innombrables, se jeter à la côte.
L'apparition de ce précieux poisson a lieu en général vers la
lin d'avril. On le pêche simultanément dans la baie des lies et
à Saint-Georges, aussi bien que sur tous les rivages de cette
côte ; mais c'est aux environs de Saint-Georges que les bandes
arrivent les plus nombreuses. Un village de pêcheurs s'est donc
créé, par la force même des choses, et il compte aujourd'hui
2.000 habitants, ne vivant que delà mer. Le hareng n'arrive pas
chaque année à la même date ; il ne se présente pas en une
seule fois, mais bien par bandes espaçant leur venue de plu-
sieurs jours, plusieurs semaines parfois, pendant les mois
d'avril et mai.
Un navire, qui vient pour se boëtter, possède les sennes néces-
saires pour capturer le hareng. Tout est pour le mieux s'il
SAINT-PIERRE ET MIQUELON 65t
tombe au moment de la présence du poisson dans la baie ; mais
si la malchance veut qu'il arrive à une époque où le hareng
est rare, il devra attendre longtemps peut-être, tandis que la
veille de sa venue, des bancs de harengs couvraient la baie.
Dans ces conditions, de nombreux capitaines et armateurs pré-
fèrent acheter leur boette et se mettre sans plus tarder en
quête de morues.
Plus avantageusement placé que nos capitaines, le pêcheur
de Saint-Georges est toujours sur les lieux. Il est sûr d'écouler
sa pêche, sqit fraîche, aux Français, Américains, Anglais, pré-
sents au mouillage ; soit conservée, à Halifax et Boston. Bref,
il n'a qu'à attendre la venue du poisson, à le capturer, à le
vendre au plus offrant. Les Saint-Georgeais nous font donc là
une concurrence directe, contraire aux stipulations des traités
qui nous reconnaissent un droit de pêche exclusif. Ils le savent,
et n'ont jamais fait de difficultés pour céder leurs places aux
capitaines français désireux de donner un coup de senne. Le
bon vouloir des Terre-Neu viens de Saint-Georges va même
parfois plus loin. Entre deux navires, l'un français, l'autre
étranger, recherchant du hareng, ils donnent souvent la préfé-
rence au navire français, et cela dans l'espérance, il est vrai,
de voir le commandant de notre stationnaire ne pas se montrer
trop rigoureux dans la défense de nos droits, qui vont jusqu'à
la possibilité de faire lever les filets à tout pêcheur non
français.
D'autre part, les commandants anglais s'emploient parfois à
amener les détenteurs de harengs à vendre leur poisson à cer-
tains de nos banquiers arrivés en retard ou en de mauvais
moments. Bref, à Saint-Georges, nous ne sommes pas trop
mal vus, ainsi que vont encore le prouver les quelques dépê-
ches suivantes échangées à Fépoque de la promulgation du
« bait-bill ».
Dépêches échangées entre les habitants de Saint-Georges
représentés par M. F. Howley, préfet apostolique, et M. Carty
Rond, du gouvernement de Saint- Jean :
26 avril 1887.
Une corvette française est ici. Elle s'informe au sujet du hareng. La
confirmation du « bait-bill » par la Reine apportera une ruine et un dé-
sastre complets chez tous vos constituants.
Signé : Howley.
26 avril 1887.
Le gouvernement ne peut pas empêcher les Français de se procurer de
la boette entre les caps Rage et Saint- Jean, tant que les traités seront en
f«52 QUKSTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALi£S
vigueur. Ne pensez-vous pas que la ratification du traité de la boette ten-
drait à faire bénéficier le district de sommes importantes, répandues
^ annuellement parmi les habitants pour Tachât de la boette.
i Signé : Carty.
k. 21 avril 1881.
|- Les Français n'achèteront pas, mais prendront le hareng ici. Ils ne
1 laisseront pas les nôtres le prendre. Ils feront enlever aussi tous les
\ magasins et le reste à Sandy-Point pour se faire de la place.
r Signé : Howley.
f. 21 avril 1881.
jr Une corvette française est ici ; elle menace de ne pas laisser les nôtres
\', prendre un seul hareng Tan prochain. Les Français s'approvisionneront
v- eux-mêmes et feront enlever aussi tous les magasins à Sandy-Foint. La
^ confirmation du bill apportera une ruine complète de tout le littoral.
t/x Signé : Howley.
i
28 avril 1881-
';' Il est très croyable que le capitaine de la corvette rit à Tidée de
;- Saint-Jean empêchant les Français de se procurer de la boette. La France
2 est disposée à n'épargner aucune dépense pour acheter des sennes et des
t* armements de pêche. Le Gouvernement français supporte toutes les
/ dépenses. 15.000 francs ont été votés pour les recherches et les informa-
f tions nécessaires cette année ^ Le hareng est à Saint-Georges le seul
moyen d'existence pour la plupart. Si on l'enlève, qu'est-ce que Saint-Jean
L- «st disposé à faire pour nous? Enfin 40.000 personnes du French-Shore,
de Plaisance, de Fortune dépendent des Français directement ou indirec-
tement. Le « bait-bill » est simplement pour le profit d'un petit nombre de
personnes de Saint-Jean et de la côte Est.
Signé : Howley.
L'importance du French-Shore apparaît donc clairement.
Mais quelques chiffres fixeront le degré de son importance.
Une goélette saint-pierraise de 6 doris consomme environ
80 barils de harengs, du début delà p^che à l'arrivée du cape-
lan, c'est-à-dire jusqu'aux premiers jours de juin. Un fécara-
pois, de 300 tonneaux et i4 doris, consommera 200 barils ; et un
grand établissement à terre sur la côte, employant 100 hommes,
utilisera 60 barils par jour. Chaque baril porte 400 poissons
environ.
Or, la France arme plus de 200 goélettes saint-pierraises et
plus de 200 métropolitains, ainsi que nous l'avons vu plus
haut.
11 est vrai de dire que tous ne fréquentent pas Saint-Georges.
1 Renseignement faux, mais qui n'a pu que fort bien faire pour la défense de nos
intérêts.
SAINT-PIEKHE ET MIQUELON 653
La plupart des banquiers métropolitains arrivent de France
avec du hareng conservé pour leur première pêche.
D'autres trouvent à Saint-Pierre du hareng apporté par les
uns ou les autres. Enfin une soixantaine seulement de navires
français vont chaque année à Saint-Georges, soit pécher du ha-
reng pour leur approvisionnement propre, soit pour approvi-
sionner le marché de Saint-Pierre.
Après le hareng, la boette employée est le capelan. Celui-ci
fait son apparition au commencement de juin, aussi bien sur la
côte Est que sur la côte Ouest. Et pour lui encore les banquiers
cessent la pêche de la morue, dès que leur approvisionnement
de hareng est épuisé. Ils vont sur le French-Shore ou à Saint-
Pierre remplir leurs barils vides.
Ainsi la côte française de Terre-Neuve nous est indispen-
sable pour fournir d'appâts les navires, pendant les deux pre-
miers tiers de la saison de pêche. Car, durant le dernier tiers,
l'encornet est seul employé et se prend en quantité considé-
rable dans la rade même de Saint-Pierre.
Parmi les animaux pouvant servir d'appât, il ne faut pas
compter le bulot ou escargot de mer, inventé par le Fécampois
en 1885 et dont Tusage nous fût d'un si grand secours pendant
les années qui suivirent la mise en vigueur du « bait-bill », puis-
qu'il nous permit de supporter aisément le coup mal dirigé de
Saint-Jean. Le bulot est, en effet, presque totalement délaissé
aujourd'hui, car il donne des résultats très médiocres comme
boette, après avoir fait faire au début des pêches très conve-
nables. A quoi cela tient-il? Personne ne le sait... Mais n'im-
porte; nos pêcheurs savent posséder sur les bancs un animal de
capture aisée et capable d'amorcer leurs lignes le jour où, ité-
rativement, nos aimables voisins tenteraient de ruiner notre
industrie.
A voir comment les choses se passent, on ne peut que trou-
ver peu politiques les décisions du Parlement de Saint-Jean.
En s'abstenant d'émettre le bill d'interdiction de vente de la
boette, il laissait ouvert à ses ressortissants l'important dé-
bouché de Saint-Pierre, capable d'absorber la plus grande partie
des produits de leur industrie, marché qui ne pouvait que se
développer et dont ils auraient été les seuls fournisseurs. Et par
surcroît, il éloignait nos navires de la baie Saint-Georges. Car
ceux-ci, trouvant à se boëtter contre espèces sonnantes à Saint-
Pierre même, ne seraient plus allés perdre leur temps à
quérir le hareng là où il se trouve sur la côte terre-neuvienne.
Le gouvernement a mis son budget en déficit par l'armement
de gardes-pêche et l'entretien d'un corps de douaniers ; et il a
L
654 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT GQKQiaALES
ruiné en partie ses ressortissants en leur enlevanileur plus sûr
gagne-pain dans ce pays de très maigres ressources. Tout cela
sans nous causer grands préjudices.
Pour nous résumer : le French-Shore nous est indispensable
pour fournir de boette nos très nombreux navires banquiers.
Il nous est indispensable pour continuer d'y pAcher la morue,
le homard et le saumon. La valeur du produit total de la pêche
de ces deux espèces d'animaux étant relativement faible, eu
égard à la valeur de la morue, nous ne nous appesantirons pas
sur ces industries secondaires, bien qu'elles ne fassent qu'ac-
croître l'intérêt qu'il y a pour nous à conserver intacts nos
droits, bien qu'elles viennent à l'appui de notre thèse : soute-
nir Je gouvernement dans la protection de nos droits.
Le Breton.
_k«^
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES
I. — EUROPE.
France. — Le nouveau yonverneur général de V Algérie, — Au premier
conseil des ministres qu'il a présidé après son retour en France, le
5 mai, M. Loubet a signé la nomination de M. Jonnart au gouver-
nement général de l'Algérie. M. Jonnart avait déjà occupé ces hautes
fonctions du 3 octobre 1900 au 11 mai 1901. De même qu'à cette
époque, M. Jonnart conserve son mandat de député et est investi
d'une délégation de six mois, renouvelable il est vrai.
La personnalité de M. Jonnart est trop connue et trop appréciée
de tous les amis de l'Algérie pour que nous ayons besoin Aï
commenter longuement le choix du gouvernement. Nous ne pouvons
mieux faire que répéter les quelques lignes que nous écrivions ici
même, le 15 octobre* 1900, et qui se retrouvent de toute actualité :
La sympathie respectueuse que nous avons témoignée à M. Laferrière
ne fera pas défaut à son successeur, M. Jonnart. Ce dernier va en Algérie
en « mission temporaire ». Peut-être cette étiquette ne fera-t-elle pas très
bon effet sur les Algériens, qui ont eu quatre gouverneurs en quatre ans
et se plaignent avec raison des inconvénients d'une pareille instabilité.
Ils se consoleront en pensant qu'en France il n'y a que le provisoire qui
dure...
... M. Jonnart a rempli autrefois d'importantes fonctions en Algérie et
il n'a pas cessé de s'occuper de la situation de ce pays... On ne pouvait
certes pas faire un meilleur choix. M. Jonnart connaît les choses d'Al-
gérie et on connaît ses idées sur l'Algérie...
Notre opinion aujourd'hui n'a point varié. De même que nous le
faisions en 1900, nous regrettons encore que M. Jonnart ait préféré
ne recevoir qu'une délégation de six mois. Ce regret est même peut-
être plus vif actuellement, car, plus que jamais l'Algérie réclame —
et à juste raison — un gouvernement stable et suivi. L'œuvre de
réforme et d'organisation qui s'accomplit dans notre grande colonie
africaine, et qu'a si heureusement avancée M. Revoit, est de celles
qui ne peuvent s'accommoder du provisoire. En outre, nous craignons
qu'en conservant son mandat de député, en restant sous l'empire des
préoccupations parlementaires et des combinaisons ministérielles,
M. Jonnart n'ait pas toujours toute la liberté d'esprit qu'exigent ses
hautes fonctions. Nous souhaitons vivement qu'il en soit autrement.
656 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
et cela dans rintérét supérieur de TAlgérie ; mais notre appréhensioo
nous paraît, en tout état de cause, assez légitime.
Il est d'ailleurs curieux de remarquer que le souci que nous expri-
mons ici ne nous est pas particulier ; il a été formulé dans la presse
française, très nettement, et nous le retrouvons indiqué avec une
singulière précision par un journal, bien désintéressé dans la ques-
tion, ce qui ajoute encore à l'intérêt de son commentaire. Au lende-
main de la nomination de M. Jonnart, le Journal de Genève écrivait
en effet les lignes suivantes :
Le conseil des ministres a soumis ce matin à la signature du Président
de la République la nomination de M. Jonnart au poste de gouverneur
général d'Algérie. M. Jonnart avait bien débuté il y a deux ans et demi.
Mais de douloureuses circonstances de famille l'avaient obligé à quitter
Alger, au bout de neuf mois. Maintenant sa femme, la fille de M. Aynard^
député de Lyon, est morte. Il va reprendre l'expérience au point où l'avait
laissée M. Revoil, disparu si inopinément, après avoir obtenu toutes
sortes de succès à la Chambre.
Le choix du ministre est excellent, et les amis de l'Algérie peuvent se
féliciter de l'acceptation de M. Jonnart. Mais une chose sans doute les
contrarie, moins pour elle-même que pour ce qu'elle pourrait présager : ne
voulant pas renoncer à son siège de député, le nouveau gouverneur n'est
délégué que pour six mois. Son mandat, sans doute, est indéfiniment re-
nouvelable; mais en gardant un pied à la Chambre, M. Jonnart a l'air de
vouloir être en mesure, tous les six mois, de préférer à son mandat de
gouverneur celui de député. Or, s'il est un besoin que les récents événe-
ments aient fait sentir à tous les Algériens, sans exception, c'est celui de
la stabilité dans le gouvernement.
N*est-il pas intéressant de voir cette opinion ainsi formulée par
un organe aussi indépendant des préoccupations de notre politique
intérieure ?
— Le voyage du roi d! Angleterre en Frame, — Le roi d'Angleterre, ea
quittant Tltalie où nous signalions son passage il y a quinze jours,
est venu à Paris et a été notre hôte pendant trois jours, du 1*' au
4 mai. La ville de Paris lui a fait un accueil parfaitement digne et
courtois. Cette visite, très oflicielle et très diplomatique, n'a d'ailleurs
été marquée d'aucun incident, et s'est accomplie correctement, sui-
vant toutes les règles du protocole. Le Roi et le Président ont
échangé les compliments d'usage, et les toasts qu'ils ont prononcés^
au diner ofliciel du dimanche 3 mai, ont été d'une solennelle insigoi-
fiance.
Le Président de la République a pris le premier la parole en ces
termes :
Sire,
Je lève mon verre en l'honneur de Votre Majesté. Je vous remercie cor-
dialement de votre visite et de cette manifestation des relations amicales
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 657
qui existent si heureusement entre nos deux pays et qui doivent se resser-
rer encore pour le dév#loppement de tant d'intérêts communs et pour la
paix du monde.
A Sa Majesté le Roi, à Sa Majesté la Reine, à toute la famille royale, à
leur bonheur et à la prospérité de la Grande-Bretagne !
Le roi Edouard Vil a répondu au Président de la République :
Les paroles, Monsieur le Président, que vous venez de prononcer m'ont
vivement touché, et c'est à moi de vous remercier pour la belle réception
que j'ai eue ici.
Je connais Paris depuis mon enfance ; j'y suis revenu bien des fois et
j'ai toujours admiré la beauté de cette ville unique et Tesprit de ses
habitants.
Je n'oublierai jamais l'accueil que j'ai reçu de vos mains, Monsieur le
Président, de votre gouvernement et du peuple. Je suis heureux de cette
occasion, qui resserrera les liens d'amitié et contribuera au rapprochement
•de nos deux pays dans leur intérêt commun. Notre grand désir est que
nous marchions ensemble dans la voie de la civilisation et de la paix.
Je lève mon verre en l'honneur du Président de la République et pour la
prospérité et la grandeur de la France.
Il est certain que les paroles adressées par Edouard Vil au roi d'Ita-
lie, au dîner officiel de la cour, avaient été autrement précises et
chaleureuses. Le roi d'Angleterre s'était alorè exprimé ainsi :
Je peux vous assurer, sire, qu'il m'a été bien agréable de venir une fois
encore à Rome et de vous rendre ainsi visite. J'ai pleine confiance que les
sentiments de mutuelle amitié qui ont depuis si longtemps existé dans mon
pays et dans le vôtre ne cesseront jamais. Nous aimons tous les deux la
liberté et les libres institutions et ayant ses grands objectifs devant nous,
nous avons marché ensemble dans les voies de la civilisation et du progrès,
nous employant en même temps au maintien de la paix universelle.
Il n'y a pas longtemps que nous avons combattu côte à côte et, quoique
j'aie la confiance qu'une autre occasion ne doive pas se présenter, j'ai la
certitude que nous serons toujours unis pour la cause de la liberté et de la
civilisation, ainsi que pour le bien universel et la prospérité de toutes les
.nations.
Les deux toasts du Roi sont évidemment parallèles, mais la diffé-
rence n'en est pas moins significative.
Lesseules déclarations politiques un peu importantesd'Ëdouard Vil,
à Paris, sont celles qu'il a faites à Toccasion de la réception des
membres de la Chambre de commerce anglaise de Paris. Aux
souhaits de bienvenue de ses sujets, le Roi a répondu en effet par
les paroles suivantes :
Messieurs,
C'est avec un vif plaisir que j'ai entendu l'adresse empreinte de loya-
lisme et de respect que vous m'avez présentée de la part de la Chambre de
QuEST. DiPL. ET Col. — t. xv. 42
658 QUESTIONS DIPLOUATIQUES ET COLONIALES
commerce anglaise de Paris et je vous remercie des assurances que vous
me donnez de votre attachement à ma personne. »
Il est à peine besoin que je vous dise avec quel plaisir sincère je me
trouve une fois de plus dans ce Paris auquel» vous le savez, j*ai fait, par le
passé, de très fréquentes visites, avec un plaisir toujours plus grand, pour
lequel j'éprouve un attachement fortifié par tant d'heureux souvenirs que
le temps ne pourra jamais effacer.
Je me rends parfaitement compte de Timportance des intérêts que vou>
représentez, intérêts qui, je suis heureux de le penser, croîtront d'année
en année et qui tendent à rendre plus intenses les sentiments d'amitié et
de respect mutuel qui ont heureusement caractérisé les relations entre ce
pays et le mien depuis plus d'un siècle.
Les jours d'hostilité entre les deux pays sont, j'en ai la ferme confiance,
heureusement finis, et j'espère que, dans Tavenir, l'histoire, quand elle
étudiera les relations anglo-françaises pendant le siècle où nous sommes,
ne pourra trouver qu'une amicale émulation dans le domaine commercial
et industriel ; j'espère que, dans l'avenir, comme dans le passé, la Fraoce
et l'Angleterre pourront être regardées comme les champions et les pion-
niers de la civilisation et du progrès pacifique.
Je ne connais pas deux pays dans le monde dont la prospérité mutuelle
dépende plus l'un de l'autre. Il a pu y avoir des malentendus et des causes
de dissension dans le passé, mais tout cela est, je le sais, heureusement
fini et oublié.
L'amitié des deux pays est l'objet de mes constantes préoccupations et je
compte, Messieurs, sur votre compagnie, sur vous tous qui jouissez de
l'hospitalité française dans cette ville magnifique pour m'aider à atteindre
ce but.
Ces paroles du roi d'Angleterre ne sauraient se passer d'un court
commentaire. D'abord il faut remarquer que le Roi a préféré faire
devant ses propres sujets les déclarations qui, dans sa pensée,
devaient préciser la portée de son voyage en France. En quoi, il afort
bien agi, car, prononcés devant un auditoire français, certains pas-
sages de ce discours auraient été vraiment un peu durs à entendre.
Nous ne sommes certes pas des adversaires de parti pris et irrai-
sonnés de l'Angleterre. Nous reconnaissons parfaitement les avan-
tages très réels qu'aurait pour notre pays, aussi bien d'ailleurs que
pour l'empire britannique, et pour les progrès de la civilisation dans
le monde, une politique d'entente sincère et loyale. Mais les paroles
d'Edouard VII nous paraissent cependant empreintes d'un optimisme
quelque peu exagéré. Quand le roi d'Angleterre déclare que les
malentendus du passé sont heureusement finis et oubliés, il nous
semble aller un peu vite. Nous savons très bien qu'il est dans la nature
humaine — des rois, comme des simples particuliers — de pardonner
aisément et d'oublier plus aisément encore les torts que Ton a eus,
les injustices que l'on a commises et les coups que l'on a portés, mais
KENSEIGNBHBNTS POLITIQUES 659
il esl sage de garder une certaine réserve dans Texpression de cette
trop philosophique générosité.
Encore une fois, nous sommes tout disposés à chercher, dans un
esprit amical, à résoudre les questions pendantes entre nous et l'An-
gleterre ; mais nos voisins devraient reconnaître que, nous aussi, nous
avons à sauvegarder et à défendre des intérêts et des droits, pour
lesquels il nous faut de sérieuses garanties et des solutions équitables.
Allemagne. — Le voyage de V empereur Guillaume en Italie. — A peine
Edouard VII avait-il quitté Rome, en route pour Paris, que Guil-
laume II arrivait en Italie, pour y rendre à Victor-Emmanuel III
la visite que celui-ci lui avait faite à Berlin, après son avènement.
C'était donc, à première vue, d'une visite purement protocolaire
qu'il s'agissait, et dont la portée politique ne pouvait pas être très
considérable. Effectivement, les toasts échangés, au Quirinal, entre
le Roi et l'Empereur, ne se sont distingués par rien de caractéristique,
si ce n'est par la non-mention de l'Autriche-Hongrie. On y a affirmé
solennellement le maintien de l'alliance entre l'Allemagne et l'Ita-
lie, toujours sur les mêmes bases, ce qui ne fait que confirmer une
fois de plus l'opinion que nous avons maintes fois exprimée ici,
malgré toutes les affirmations officieuses.
En somme, on pourrait dire que la visite du souverain allemand au
roi d'Italie aurait passé, cette fois, presque inaperçue, si elle
n'avait eu pour pendant une démonstration très significative en
Thonneur de la papauté. On aurait même pu croire que la visite
au Roi n'était, pour Guillaume II, qu'un prétexte, son but prin-
cipal étant, si l'on peut s'exprimer ainsi, d'aller faire sa cour à
Léon XIII. Il l'a faite, cette fois-ci, avec une ardeur très marquée
et visiblement calculée. Il faut reconnaître qu'il agissait ainsi
conformément à sa politique constante, qui est, à l'intérieur, de
se rapprocher du Centre catholique, et à Textérieur, de faire de
l'Allemagne une puissance aussi bien catholique que protestante)
dans le but de profiter du prestige et de l'influence qui peuvent ré-
sulter de la propagande des missions.
Nous avons, à plusieurs reprises, insisté sur ce que cette politique
allemande avait de dangereux et de menaçant pour nos droits tra-
ditionnels et pour nos intérêts les plus directs, les plus élevés.
Cette fois le danger est apparu encore plus réel et plus immédiat.
C'est là un sujet qu'il nous est véritablement pénible d'aborder, mais
que le devoir patriotique nous interdit également d'éviter. L'in-
fluence de l'Allemagne auprès du Vatican ne peut se développer
qu'au détriment* de notre influence propre, et il est malheureuse-
ment évident que, par notre faute, l'influence allemande progresse
d'une manière redoutable. Du reste, pour montrer combien nos
660 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
appréhensions sont légitimes, nous ne pouvons mieux faire que
citer ici l'opinion du correspondant romain du Journal de Oemvt^
organe protestant, comme on sait, qui commentait ainsi le voyage
de Guillaume II :
Le « clou » de ce troisième voyage à Rome de Guillaume II a été cer-
tainement sa visite au Pape. Le cortège impérial, avec ses quatorze voi-
tures, son escorte de piqueurs et de cuirassiers, les brillants uniformes de
l'Empereur, des princes impériaux et de toute la suite de Guillaume II.
du comte de Biilow, du maréchal de Waldersee, etc.^ etc., était d'une
splendeur incomparable. Durant mes vingt-deux ans de séjour à Rome,
j'ai rarement vu quelque chose de plus impressionnant et surtout de plus
suggestif. Personne ne pouvait croire que ce fût là un souverain protes-
tant qui allait au Vatican accomplir un acte de courtoisie à Tégard «le
Léon XIII. On eût dit un nouveau Gharlemagne se rendant à Saint-Pierre
pour se faire couronner par le Pape empereur d'Occident. Les Romains
étaient dans le ravissement.
Guillaume II est entré au Vatican en triomphateur, et on l'y a reçu non
comme un souverain hérétique, mais presque comme un protecteur attitré
du catholicisme, comme une de ces Majestés apostoliques ou très chré-
tiennes que les papes comblaient jadis de témoignages de leur amitié et
de leur déférence. C'est que, en efTet, cette visite de Guillaume II à
Léon XIII, que l'Empereur a tenu à entourer d'un éclat extraordinaire, se
produit à un moment psychologique. C'est k l'heure même où la France,
la fille ainée de l'Eglise, se dispose ou tout au moins semble prête à
rompre avec la papauté ses liens séculaires, que l'empereur d'Allemagne a
tenu à affirmer de la façon la plus ostensible, la plus sensationnelle, son
amitié étroite avec le chef de l'Église catholique. Ce contraste ne déplaît
pas à Guillaume II et peut-être même est-il prémédité. On assiste ainsi.
dans ce déclin du pontificat de Léon XIII, à un étrange renversement des
situations.
Quand Léon XIII ceignit la tiare, le Kulturkampf sévissait encore en
Allemagne. Aujourd'hui, il a passé le Rhin. C'est la France qui déclare la
guerre au catholicisme, et un empereur allemand et protestant — que ce
soit par calcul politique, peu importe — se pose comme son protecteur et
son allié. J'aurai l'occasion de revenir sur les questions religieuses agitées
avec le Vatican au cours de ce voyage de Guillaume IL Je me borne au-
jourd'hui à vous signaler l'immense impression produite dans tout le
monde catholique romain par la pompe triomphale dont TEmporeiu- a
entouré sa visite à Léon XIII.
Du Vatican, Guillaume II a passé presque sans transition au Mont-
Cassin, cette fameuse abbaye où l'idée monastique a brillé d'un si vif éclat,
et qui fut constamment aussi, il faut le reconnaître, un foyer de libéra-
lisme. Bien plus qu'une simple visite politique, on dirait que Guillaume II,
dans ce troisième voyage en Italie, accomplit une sorte de pèlerinage
mystique. Et c'est là surtout ce qui nous parait en constituer l'intérêt et
Torigin alité.
J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec un i^ut personnage qui assistait
RKNSEIGNEKEiNTS POLITIQUES 661
au dîner offert à l'Empereur à la légation de Prusse, avant son départ
pour le Vatican. Il m'a dit combien il avait été frappé de l'élévation mo-
rale de Guillaume II, de ses idées profondément religieuses et chré-
tiennes, de la force et de la sollicitude avec lesquelles il ne craint pas de
les exprimer. Au cours de la conversation» la question biblique est venue
sur le tapis et Guillaume II a saisi l'occasion de faire une profession de
foi franchement chrétienne, qui a profondément impressionné tous les
assistants, parmi lesquels se trouvaient trois cardinaux et plusieurs pré-
lats.
D'ailleurs, dans les cercles du Vatican, on ne dissimule pas la
salisfaclion profonde qu'a causée au Souverain Pontife et à son en-
tourage Téclat inusité de la visite de Guillaume II; les multiples
attentions que l'Empereur a prodiguées à la cour pontificale sont
l'objet des commentaires les plus favorables. Et c'est ce qui devrait
être, de la part de nos gouvernants, l'objet dés plus sérieuses
réflexions.
Angleterre. — Projet d'un arbitrage permanent entre la Franre et VAn-
!/leterre. — Un certain mouvement d'opinion, dû principalement à
l'initiative de M. Barclay, ancien président de la Chambre de com-
merce anglaise de Paris, vient de se manifester chez nos voisins
d'outre-Manche, particulièrement dans les grandes villes manufac-
turières, commerçantes et maritimes du Nord-Ouest de l'Angleterre,
en faveur d'un projet de traité instituant d'une façon permanente
entre la France et la Grande-Bretagne la procédure de l'arbitrage
inlernational pour la solution de toutes lés difficultés et de tous
les litiges, actuels ou futurs, depuis longtemps pendants ou pouvant
survenir entre les deux nations.
Comme on le voit, les questions que soulève un pareil projet ne
sont pas de mince importance, ni peu compliquées; et l'affaire mé-
rite d'être mûrement considérée avant de se laisser prendre à l'ap-
parente générosité ou séduire par les problématiques bienfaits d'un
tel projet. Nous nous proposons de l'étudier à fond et sans parli
pris, mais dès à présent on peut remarquer qu'il aurait pour effet
de faire de la France une quantité négligeable toutes les fois que
des conflits internationaux viendraient à surgir entre d'autres na-
tions et l'Angleterre, la France se trouvant liée par l'efTet du traité
dont il s'agit, et condamnée à l'immobilité.
Turquie. — La question macédonienne. — La situation s'est encore
compliquée ces jours derniers, par suite des troubles sanglants qui
ont éclaté à Salonique. Quelques insurgés ont parcouru la ville,
jetant des bombes partout sur leur passage et incendiant les princi-
paux monuments, notamment la Banque impériale ottomane.
L'émotion a été considérable, et la répression atroce. La France,
ritalie, l'Autriche ont aussitôt envoyé des bâtiments de guerre dans
i
662 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLOrOALES
les eaux de Salonique pour assurer la sauvegarde de leurs natio-
naux. La Turquie a cherché à rejeter sur les Bulgares toute la respon-
sabilité de ces déplorables événements. On comprend trop bien l'in-
térêt qu'elle a à agir ainsi, pour faire diversion aux difficultés que
lui cause la situation en Albanie. Mais il faut espérer que l'attitude
énergique des puissances saura remettre les choses au point et
maintenir Tordre, sans prendre le change sur les véritables respon-
sabilités de chacun.
n. — AFRIQUE.
Tunisie. — Le voyage du Président ds la République. — Nous n'avons
pu, il y a quinze jours, que signaler le voyage de M. Loubet en Tuni-
sie, puisque ce voyage s'accomplissait au moment même où nous
devions paraître. Nous croyons devoir y revenir aujourd'hui et
reproduire ici le discours prononcé par le Président de la République
au banquet officiel que lui offrit le Bey de Tunis. Voici le texte de ce
document :
Je remercie Votre Altesse des paroles qu*elle vient de prononcer. Je les
recueille au nom du gouvernement de la République comme un nouveau
et solennel témoignage de la sincérité avec laquelle Votre Altesse s'associe
à nos efforts. Par vingt années d'un règne paisible, votre vénéré père, Sidi
Ali Bey, dont le souvenir respecté vit dans nos mémoires, a marqué à ses
successeurs la A^oie qu'ils doivent suivre. Votre Altesse a compris, à son
exemple, qu'en se plaçant à nos côtés, loyale et confiante, la dynastie hus-
seinite n'a rien à redouter du protectorat devenu sa plus sûre garantie. Je
suis heureux de constater son accord intime avec le gouvernement de la
République pour la réalisation progressive de l'œuvre entreprise dans ce
pays désormais indissolublement lié à la France.
Je porte la santé de Son Altesse Sidi Mohamed el Hadi Bey, et je forme
les vœux les plus ardents pour sa prospérité et celle de la dynastie hussei.
ni te.
Messieurs,
Il y a vingt ans, à peine, que le protectorat s'est constitué sous l'impul-
sion première de Jules Ferry, et cependant, à mesurer le chemin parcouru
et les résultats obtenus, il semble qu'il y aurait fallu plus d'un demi-siècle.
L'ordre public, la sécurité des biens et des personnes exactement assurés;
la propriété immobilière fondée sur un régime qu'envient à la Tunisie les
législations de la vieille Europe ; les finances conduites avec une sagesse
telle que depuis dix années les budgets de la Régence se soldent par des
excédents annuels de 2 à 4 miUions ; grâce à cette heureuse politique finan-
cière, et avec les ressources qu'elle a créées, l'outillage économique con-
stitué : 2.500 kilomètres de routes et quatre grands ports créés de toute?
pièces, le réseau des voies ferrées porté de 230 à près de 1.000 kilomètres;
enfin et parallèlement, le mouvement des échanges s'élevant en vingt ans
de 20 millions de francs à plus de 100 millions.
Tel est le résumé économique du régime auquel la France a apporté son
concours et son autorité.
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 663
Sans doute votre œuvre n*est pas finie, Messieurs ; mais ce qui est fait
nous est un sûr garant de l'avenir , et je suis heureux d'apporter au nom de
la mère patrie, à la colonie française de Tunisie, mes remerciements,, mes
félicitations et mes vœux.
Nos vœux et nos encouragements vont aussi à la population indigène.
Soigneusement avertie de nos intentions, assurée du respect de ses tradi-
tions et de ses croyances, la population tunisienne s'est loyalement associée
à l'œuvre de restauration. Elle n^a pas tardé à constater combien lui était
profitable cette coopération à laquelle on l'avait invitée et quelle part le
gouvernement du protectorat lui gardait dans ses préoccupations pour la
satisfaction des besoins économiques et législatifs qui lui sont propres. Son
exemple démontrera que l'assimilation n'est pas la condition nécessaire de
l'union, et que, pour être fondées sur le respect mutuel des traditions de
races, les associations de peuples n'en sont pas moins paisibles, durables
et fécondes.
Comment oublierais-je, Messieurs, la colonie étrangère ? Comment oublie-
rais-je surtout ces nationaux d'une puissance amie venus en nombre sur
ces rivages et qui prennent silencieusement la part que vous savez à la mise
en valeur du sol. La Tunisie est heureuse de leur offrir l'hospitalité et le
gouvernement français n'a d'autre désir que de voir régner toujours la
bonne intelligence entre cette colonie étrangère et les autres éléments de
la population.
Tous ces concours, Messieurs, auxquels je viens de rendre hommage, il
les fallait coordonner afin de leur faire produire, sans heurts et sans agita-
tions contraires, leur plein effet. Ce fut l'œuvre de ces administrateurs qui,
à Paris et à Tunis, par une étude attentive des milieux, des temps, des
hommes et des choses, par une appréciation éclairée des besoins et des
moyens, ont conçu la méthode du protectorat, l'ont appliquée et progres-
sivement conduite à son entier développement.
Avec le haut appui de S. A. le Bey, avec la coopération de vos éminënts
chefs de services, et de la colonie française devenue chaque année plus
nombreuse, vous continuez. Monsieur le Résident général, à veiller avec
sollicitude sur les destinées de la Tunisie. Vous les conduirez avec prudence
et modération, dans un accord commun, sans agitations ni divisions sté-
riles. Et, de son côté, le gouvernement de la République, dans l'exercice
de sa tutelle sur l'État protégé, continuera d'affirmer son respect des libres
initiatives qui ont fait la prospérité et doivent demeurer le fondement du
protectorat.
Je bois. Messieurs, à la Tunisie, au protectorat qui la fait chaque jour
plus prospère et plus forte.
Je bois à la colonie française, à la population tunisienne, à la colonie
étrangère.
Je bois aux administrations civiles, aux armées de terre et de mer.
Je bois à l'union de tous, chaque jour plus étroite et plus féconde autour
du représentant du gouvernement de la République et de la Régence.
Algérie. — Dans le Sud-Oranais. — Une nouvelle attaque de convoi
vient de se produire dans le Sud-Oranais : ce convoi était insuffi-
samment protégé par un détachement du corps spécial de police
664 OUKSTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULBS
indigène qui a été récemment créé et dont l'organisation, incomplète
ou malheureusement entravée, aurait mal fonctionné.
Voici comment s'est produite celte dernière attaque :
Le convoi français, comprenant 50 hommes et 500 chameaux environ,
parti le 3 mai pour Taghit, a oté enlevé le 6 par une troupe de 1.500
BeraJiers.
y CVst à la séance que le conseil général d'Oran a tenue le 7 mai que la
0 nouvelle a été donnée. M. Carrafang, conseiller général de Saida, a fait
Ç connaître, pour appuyer un vœu tendant au prolongement du chemin de
fer au delà de Ben-Ounif, qu'il venait d*être informé, par dépêche de
h
V Duveyrier, qu'un convoi aA'ait été complètement enlevé à 25 kilomètres de
^> Taghit par une harkha de 600 cavaliers et 900 fantassins, et qu'il y avail
lly de nombreux morts.
Questionné à ce sujet, le colonel Chevreau, représentant le général de
division, a déclaré qu'il lui était impossible de donner des explications. Il
croit seulement pouvoir dire que le convoi ne circulait pas sous escorte
militaire, mais bien avec une escorte de makhazeni.
Le convoi libre était composé de 500 chameaux portant 500 quintaux de-
farine, 200 hectos de vin, du sucre, du café, des vivres, des vêtements; le
tout a été complètement enlevé par une harkha ou forte troupe de 1500
hommes, à 25 kilomètres de Taghit. La harkha tua 30 sokliars et ea
blessa 18 ; elle ne put nullement être inquiétée, vu son nombre, ni par le
poste de Moungar et d'El-Merra, ni par l'escorte qui était à ce moment
entre Morba et Moungar. La harkha fit deux voyages pour enlever les mar-
chandises et campa dans la nuit en plein territoire français, aux abords de
la Zousfana, allumant des feux.
La nouvelle du départ du convoi avait été donnée à Figuig, et fut portée à
la harkha par un indigène de Beni-Guil.
Des mesures énergiques, a ajouté le colonel Chevreau, vont être prises
pour empêcher ces attaques, qui se renouvellent d'une façon inquiétaote
depuis quelque temps.
^ Nous ne saurions trop insister sur la nécessité qu'il y a à organiser
promptement la défense et la sécurité de nos territoires du Sud-
Oranais. Nous aurons, d'ailleurs, l'occasion de revenir sur ce sujet.
Maroc. — La situation. — Les dernières dépèches annoncent que
tous les Kabyles des environs de Tetouan, au nombre d'environ 12.000,
se sont unis pour cerner la ville qui est assiégée. Le représentant du
sultan à Tanger a décidé d'envoyer à Tetouan les troupes et les^
munitions de guerre disponibles pour aider les habitants à défendre
la ville, dont la situation est critique.
Il règne, depuis, une certaine émotion dans les sphères diplo-
matiques de Tanger à cause de ces faits.
D'autre part, une dépêche de Sidi-bel-Abbès au Hercddo annonce
que le prétendant menace de peines sévères les Maures d'Algérie
qui pénétreraient sur le territoire marocain, et les Maures du Maroc
qui entreraient sur le territoire algérien.
ï
BENSEI&NEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — GÉNÉRALITÉS,
Les grandes compagnies maritimes européennes. •— Nous trou-
vons dans Engineering de très intéressants détails sur le nombre des
passagers transportés à New-York par les différentes compagnies de
navigation européennes.
On remarquera que, en 4902, les deux grandes compagnies alle-
mandes ont eu, à elles seules, le même nombre de passagers de
cabines que les cinq compagnies anglaises et le double de passagers
d'entrepont.
Ces chiffres en disent long sur la concurrence que fait la marine
allemande à la marine anglaise.
NOMS
DB8 COMPAONISS
PASSAGERS
DB CABINES
passa6bks
d'bntrbpont
Norddeutscher Lloyd
21. 761
20.698
18.402
16.308
14.456
8.634
8.324
1.099
6.878
3.843
2.427
1.S16
1,304
483
157
12«
91
80
62
110.697
98.988
40.225
23.650
20.658
49.498
35.712
32.526
47.119
1.999
10.524
31.439
20.226
3.818
2.367
21.664
1.474
14.784
Hambourfr-Âmérique
White Star
Canard
American
Compagnie Transatlantique
Ancbor ,
H olland- American
Red-SUr
Atlantic Transport
Allan-State
Scandinavian.
Italiana
La Veloce
Ligne portugaise (Oporto)
Emnreza (Lisbonne^
Fabre
Compania Transatiantica
Prince
Il n*est pas sans intérêt de rappeler à. ce propos que les compa-
gnies allemandes améliorent sans cesse leurs services et que leurs
paquebots sont les transatlantiques les plus rapides.
Nous empruntons encore à Engineering tous les détails qui nous
permettent de donner dans le tableau suivant les caractéristiques
des meilleurs paquebots. On pourra ainsi se rendre compte plus
facilement de la supériorité des navires allemands.
666
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
NOM DU PAQUEBOT
Longueur
Largeur
Profondeur
Tonnage
brut
(tonneaux)
£ 1
eu c
II
S *
S **
A. •
II!
^§1
KaUer Wilhelm IL,
(1902-N. Ll.)
2I5«34
21.94
16.05
20.000
775
343
770
23 }i —24
Kronprinz Wilhelm.
(1901— N. LL)
202. 0-?
20.12
13.10
15.000
650
350
600
23W — 23^
DeuUchland
(1900 Hamb.-Amer.)
208.48
20.42
13.41
16.502
693
302
288
23 1,-23?,
Kaiser Wilhelm der
Grosse
197.70
20.11
13.11
14.349
590
354
6i0
22 4—23
(1898— N. Ll.)
Campania et Lucania
(1893-Cunapd)
189.58
19.88
12.65
12.500
600
400
700
22,01
Océanic ^
214.58
20.85
14.93
17.274
410
300
1000
20,72
(1899-White-SUr)
St'Paul et St'Louis..
(1895 American Line)
170.14
19.20
12.80
11.629
320
200
800
21,08
Lorraine et Savoie, . .
(1900— Ci« TransaU.)
177.20
1«.47
13.25
11.869
440
120
400
21,9
(aux essais)
i
II. — AFRIQUE.
Algérie. — La pêche côtière. — La pèche côtière a employé, ea
1902, 1.106 bateaux el 4.710 hommes, soit 53 bateaux et 324 hom-
mes de plus qu'en 1901.
Le rendement de la pèche, qui était de â.762.349 francs en 1901,
8*est élevé à 2.879.191 francs en 1902, d'où une augmentation de
116.842 francs. Cette augmentation se répartit ainsi :
Dans le quartier d'Oran, elle s'est élevée à 79.392 francs ; elle a été
réalisée surtout par la pèche au filet bœuf.
Dans celui de Philippeville, elle a été de 120.000 francs. Toutes les
RBNSSIGIIEIIGNTS ÉCONOMIQUES 667
espèces, sauf lanchois, qui a fait totalement défaut, out contribué à
cette augmentation. Les espèces migratrices, telles que sardines,
allaches, bonites, ont été en effet très abondantes. D*autre part, les
friteries et ateliers de salaisons de Philippeville ont été en pleine
activité pendant la campagne sardinière.
L augmentation a été de 20.567 francs -dans le quartier de Bône.
Mais la pèche à la sardine n'a pas contribué à cette augmenta-
tion, car elle a été complètement infructueuse dans les eaux de
Bône.
Dans le quartier d'Alger, il s'est produit une diminution de
103.117 francs, constatée surtout dans les produits de la pèche au
bœuf et au tartanon. La pèche aux filets dits sardinal et lamparo,
ainsi que la pèche aux palangres et aux nasses, et les madragues
ont donné, au contraire, des recettes supérieures à celles des années
précédentes.
La pèche au corail n'a pas été pratiquée en 1902 dans la zone
ouverte à Texploitalion par le décret du lo mars 1889 et qui
s'étend de la frontière tunisienne au cap de Fer. L'abstention des
armateurs de ce genre de pèche doit être attribuée à ce fait que les
bancs dévastés par une exploitation effrénée de plusieurs années
ne se sont pas reconstitués, et à la dépréciation du corail dans le
commerce.
La réglementation actuelle de la pèche côtière en Algérie, établie
en 1894 à la suite d'une enquête sérieuse, paraît devoir être main-
tenue dans son intégralité. Elle concilie, dans la mesure du possible,
les intérêts souvent contradictoires des diverses catégories de
pêcheurs, et assure la conservation des fonds et la reproduction des
espèces.
La question des marsouins a préoccupé en Algérie, comme en
France, l'autorité maritime. Tous les modes de destruction essayés,
armes à feu, harpons, aiguilles Belot, appâts empoisonnés, n'ont
donné que de fkibles résultats. Seul, le système d'allocations aux
pécheurs d'indemnités pour pertes de matériel de pèche, a été jus-
qu'ici assez efficace. Le taux des indemnités allouées varie de 20 à
25 francs, suivant Timportance des dégâts occasionnés par la capture
des marsouins.
NOMINATIONS OFFICIELLES
■UVISTÉRE DE L'IIVSTRUCTIOIW PUBLIQUE
M. Basset (René), directeur de l'Ecole supérieure des lettres d'Alger, et M. Gsell,
professeur à la même école, sont promus chevaliers de la Légion d'honneur.
MINISTÈRE BES AFFAIRES ÉTRANCIÈRES
L*exequatur a été accordé à :
M. Vicente Agliani, consul du Guatemala, à Menton.
Sont promus dans la Légion d'honneur :
Au grade d* officier.
MM.
Hoy (J.-B.-B.), consul général de France, secret, général du gouvern. tunisien;
Ducroquet (P.>M.-A.}, direct, des finances au gouvern. tunisien.
Au grade de chevalier.
MM.
Léal (C.-H.), direct, de la sûreté publique en Tunisie;
Hugon (H.-L.-L.), direct, de Tagriculture et du commerce en Tunisie;
De Carnière8(V.), présid. de la Chambre d'agriculture du Nord, présid. de l'Asso-
ciation des travailleurs français ;
Gauvrjr (T.-E.), gérant du domaine dePotinville;
Delmas, direct, du collège Sadiki, profess. à la chaire publ. d'arabe;
Gueydan (A.), avocat défenseur à Tunis;
Picard (F.-L.), ingén. des ponts et chaussées de l*"' classe à Bizcrte.
HlIVISTÈRE DE LA «UERRE
TroupeM mélropolllalneft.
CWALERIB
Afrique Oooidentale. — MM. les Ueul. Solar et Aymé sont affeclés au
2<^ escad. de spahis sénégalais .
Troupes col «>n la les.
INFANTERIE
Afirique Oooidentale. — M. le capil. Duchemîn est aflecté au -i^^ séné-
galais ;
M. le lieut. Citerne est affecté à la 2* comp. du bataill. de la Côte dlvoire.
Indo-Chine. — MM. les lieut, Sautel et Martin sont afîectés au service géogr.
de l'Indo-Chine.
MM. les capit. Renart et Cazalas sont désig. pour servir en Cochinchine.
M. le capit. Grézel est aiïecté au rég. de tirailleurs annamites.
M. le lieut. Paul est désig. pour servir au Tonkin.
Sont affectés :
M. le chef de bat. Douland, au 9* rég. comme major ;
M. le chef de bat. Mayeur, au 3« tiraill. tonkinois, 3* bat.;
M. le chef de bat. Pansier, au 2^ tiraill. tonkinois, l^f but.;
M. le capit. Marchai, au 9^ rég. comme capitaine-trésorier ;
M. le capit. Jarty, au 4« tiraill. tonkinois, 3* comp.;
M. le cap. Courtin, au 1er tiraill. tonkinois, 12* comp.;
M. le capit. Heurtebize, au 9* rég. comme adjudant -major et commissaire
rapp. près le !•"• conseil de guerre ;
M. le capit. Ibos, au 4'' tiraill. tonkinois (suite), service géogr.;
M. le capit. Vinet, au 3* tiraill. tonkinois, 8« comp.;
M. le lieut. Lecanu, au 3« rég. tonkin. comme officier d'habillement et d'arme-
ment ;
M. le lieut. Masson, à l'état-maj. partie, chancelier du cercle de Bao-Ha;
M. le lieut. Legras, à l'état-maj., officier de renseign. du 2« territ. milit.;
M. le lieut. Girardel, à l'état-maj., chancelier du cercle de Lao-Kay ;
NOMINATIONS OFFICIELLES 669
M. le lient. Edon, à Tétat-maj., chancelier du cercle de Cao-Bang;
M. le lieut. Robert, à la 6« comp. du 2« tonkinois;
M. le lieul. Lesquer, à la 8« comp. du 2« tonkinois ;
M. le lieut, Diesnis, à la 10* comp. du 2* tonkinois;
M. le lieut. Lucquet, à la 1" comp. du bat. de tirailleurs chinois;
M. le capit. du Reau, à la 1*^ comp. du 9' rég.;
M. le capit, Hénézech, à la 2^ comp. du 9* rég.;
M. le capit. Civet, à la 10* comp. du 9« rég.;
M. le capit. Irigaray, à la 12* comp. du 10« rég.;
M. le capit. NicoUe, à la 10" comp. du 3« tonk.;
M. le lieut. Péri, à la 2' comp. du l»»' tonk.:
M. le lieut. Badin, k la 3« comp. du !«' tonk.;
M. le lieut. Fagot, à la 12« comp. du l**" tonk.;
M. le lieut. Pierre (A. -A.), à la 5* comp. du 4« tonk.:
M. le sous-lieut. Frech, à la 3' comp. du 9' rég.;
M. le souS'lieut. Charbonnier, à la 2' comp. du 2« tonk.;
M. le sous-lieut. Baillj, à la Z^ comp. du 3* tonk.:
M. le sous-lieut. Jourdy, à la 11* comp. du 3« tonk.
Madagascar. — M. le capit. Destoup est désig. pour %ervir à Madagascar.
Nouvelle-Galédonie. — M. le lieut. Façon est nommé officier comptable du
bat. de la Nouvelle-Calédonie.
ARTILLERIE
Afrique Oooidentale. — M. le capit. Cavrois est nommé chef du service
géogr. de lA. O. F.
Indo-Chine. — M. le capit. Danchaud est désig. pour le service des travaux
milit. au Tonkin.
Sont désignés pour servir :
A la direction d'artillerie à Hanoi, M. le lieut.^col. Mallié ;
A la 3* batt. ria rég. du Tonkin à Hanoi, M. le capit. Bruyère ;
A la suite du rég. du Tonkin à Hanoi, M. le lieut. Madec;
A la place du Cap Saint- Jacques, M. le lieut. -col. Bonfils;
M. le lieut.'Col. Le Bigot est nommé au command. du rég. de Cochinchine à
Saigon.
Xadagascar. — M. le col. Ruault est nommé command. de la défense de
Diégo-Suarez.
Réunion. — M. le capit. Lemoine est nommé adjoint au command. sup. des
troupes de la colonie.
SERVICE DE SANTÉ
Afrique Occidentale. — M. le méd.'aide^maj. de l'« cL Percheron est désig.
pour servir h. c. en Guinée ;
M. le méd. aide-maj. de 1" cl. Barot est désig. pour servir H. C. en Afrique
Occidentale.
Soot affectés :
A rhôpital de Saint-Louis, M. Merveilleux, méd.-ppal. de 2" cl.;
Au chemin de fer de Kayes au Niger, M. Frontgous, m^f/. aide-maj. de l" cl.;
Au bat. de Zinder à Sorbo-Haoussa, M. Mongie, méd. aide-maj. de \^* cl.;
Au poste de Kaédi, M. Thézé, méd. aide-maj. de l" cl.
Guadeloupe. — Sont affectés :
A l'ambulance de Basse-Terre, M. Sarrat, méd.-maj. de 2* cl.;
A l'ambulance à% Pointe-à-Pitre, M. Lamy, méd.-maj. de 2* cL;
Au bal. d'infant., M. Thélème, méd. aide-maj. de !'• cl.
Indo-Chine. — Sont affectés ;
A l'hôpital de Quang-Yen, M. Laurent, méd-ppal. de 2* cl.;
A rhôpital de Quang- Yen, M. Arami, méd.-maj. de l""* cl.;
A l'ambulance de Sontay, M. Dumas, méd.-maj. de l" cl,;
A l'ambulance de Lang-Son, M. Fortoul, méd.-maj. de !'• cl.\
Au service de santé de la Cochinchine, M. Ilbert, méd.-maj. de l""» c/.;
A l'ambulance de Fort-Bayard, M. Depied, méd.-maj, de i^^ cl.\
A Tambulancede Moncay, M. Brau, méd.-maj. de 2* cl.; \
A l'ambulance de Yen-Bay, M. Lecomte, méd.-maj . de 2* cl.;
670 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT GOLONULES
Au rég. d'artiU. coloniale an Toekin, M. Morel, mid.-maj. de 2* cl.;
A rambulance de Ha-Giang, M. Lafaarie, méd.'tnaj. de^r cL;
Au poste médical de Vinh, M. Morin, mid.-maj. de 2* cl. (H. G.) ;
A la direclion du service de santé à Hanoi, M. Gaide, méd.-maj, de 2* c/.;
Au poste médical de Nam-Dinh, M. Micholet, mid.'maj. de 2« cL\
A Tambulance de Tujen-Quang, M. Pélissier, méd^-maj. de t cL;
A l'hôpital de Hanoi, M. Tanvet, méd.-maj. de 2* c/.;
Au 2« bat. du 18* rég. à Haiphong, M. Huot;m^d.-i7ia/. de 2« cl.\
Au 18» rég. à Tal-Nguyen, M. Maguona, méd. aidê-maj. de i^ cL;
Au iO" rég. à Tal-Ngujen, M. Imbert (J.-M.),-in«d. aide-maj. de l" cl.\
Au 2* rég. de tiraill. tonk. à Tien- Yen, M. Lenoir, mid, aide-maJ. de !'• e/.;
A l'hôpital de Quang-Yen, M. Kernéis, méd, aide-maJ. de l'« cl.;
AThôpital de Hanoï, M, Duran, méd, aide-maj. de i^^ cl.;
A l'hôpital d'Halphong, M^ Laurenti, méd. aide^maj. de !''• ci.;
A l'hôpital de Hanoi, M. Dourne, méd, aide^maj. de i'* cl.;
Au l«f rég. de tiraill. tonk., M. Hermant, méd. aide-major, de 1" cl.;
A rhôpital de Hanoi, M. Gensollen, méd. aide-maj. de 1** cl.\
A l'hôpital de Hanoi, M. Léger, méd, mide-maj. de i^ cl.;
A rhôpital de Quang-\^n, M. Sallet, méd. aide-maj, de V cl.;
Au 10' rég. à Phu-Lang-Thuong, M. Sarrailhé, méd. aide-maj. de l'« ci.,
Au 10» rég. à Hué, M. Meslin, méd. aide-maj. de !'• cl.;
Madagascar. — Sont affectés :
A l'hôpital de Tamatave, M. Carmouze, méd.»maj. de i^ cl.;
A l'ambulance de Fort-Dauphin, M. Dérohert, méd.-maj. de 2* cl.;
Au 13« rég., M. Maurras, méd,-maj. de 2« cl.;
A l'hôpital de Diégo-Suarez, M. Escande de Messières, méd.-maj. de 2* ci;
Au bat. sénégalais de Diégo-Suarez, M Haelewjn, méd. aide-maj. de 1" ci;
A Mahanoro, M Devy, méd. aide-maj de !»•« cl.;
Au 1" rég. de tiraill. malgaches, M Boucher, méd, aide-maj. de !«* ci;
Au chemin de fer (service local), M. Poux, méd. aide-maj. de l»"' cl.;
Au 15* rég., M. Esserteau. méd. aide-maj. de l»'*' cZ»
Sont désignés pour servir à Madagascar :
MM. les mid-maj. de 2« cl. Martel, Lesueur-Florent et Bailly; les méd. aide-
maj. de l^e cl. Ferris et Gallet de Santerre; le pharm.-maj. de 2« cl. Garnaud.
CORPS ou COMMISSARIAT
Afrique Oooidentale. ~ M. le commisa. de !'« cl. Morin est nommé sous
ordonnateur à Kati ; M. le commise, de i'" cl. Croll est affecté au service admi-
nistratif à Kayes ; M. le commise, de 2*" cl, Lasne-Desvareille est nommé sous-
ordonnateur a Tombouctou.
Indo-Chine. — Sont désig. pour servir en Indo-Chine .
MM. le commise, ppal. de 3* cl. Blineau ; le commise, de !'« cl. Jouannet; les
commiss. de 2« cl. Richard, Grenier, Crâne et Thonnard du Temple.
Congo. — M . le commiss. de 2« cl, Dubois est désig. pour servir au Congo.
Agents comptables.
NouveUe-Oalédonie. —M. Daguerre, agent compt. de 2« cl., est désig. pour
servir à la Nouvelle-(^alédonie.
MINISTÈRE DE LA. HAUNE
éTAT-MAJOR DE LA FLOTTK
Sénégal. — M. le lient, de vaiss. Veissier est nommé direct* iu port de Dak»r.
CORPS DU COMMISSARIAT
Ooéan Indien. — M. le commiss. de 2^ cL Vignole est désig. pour embarq.
sur la Nièvre.
MINISTÈRE DES COLONIES
Par décret en date du 4 mai 1903, M. Roberdeau (Henry- Charles- Victor-Amédée ,
gouverneur de 2« classe des colonies, lieutenant gouverneur de la Côte d'Ivoire, â
été nommé gouverneur de f^ classe ;
M, Clozel (Marie-François), secrétaire général de 1" classe des colonies, a <^t*
nommé gouverneur de 3**- classe des colonies et chargé» en cette qualité» du gouver-
nement de la Côte d'Ivoire.
BIBUOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES
Hambourg et rAllemagne contemporaine, par P. de Rousiers.
Paris, Colin.
M. de Bousiers, dont on connaît les savantes et intéressantes études sur
les États-Unis, a porté depuis quelque temps ses recherches sur rAllemagne
industrielle. Le nouveau livre qu'il vient de publier a pour but de faire un
tableau vivant et complet du développement économique de TAllemagne,
dont la synthèse se trouve à Hambourg. A l'heure actuelle, Hambourg est
le plus grand port de TAUemagne. C'est le Liverpool de l'Europe septen-
trionale, mais avec un hinterland beaucoup plus étendu, grâce au réseau
fluvial et ferré de la Prusse, qui permet de drainer vers la mer du Nord les
produits de la Bohême et même du bassin du Danube. Mais il ne faut pas
oublier que si Hambourg s'est développé avec cette étonnante rapidité, cela
tient à son union de plus en plus étroite avec l'Empire, depuis son entrée
dans le Zollverein;à la facilité des transactions opérées dans le port franc,
ce qui attire les navires du monde entier; enfin à la hardiesse des com-
pagnies de navigation allemandes, qui n'ont pas craint de multiplier leurs
services réguliers, ni de renouveler fréquemment leur flotte.
Un seul point noir paraît dans ce tableau si séduisant : la situation pré-
caire de l'ouvrier du port, mal logé, mal nourri, soumis à un travail excessif
par moments, ou à un chômage prolongé. M. de Rousiers nous fait ainsi
toucher du doigt une des conséquences des transformations brusques qui
se produisent dans l'évolution du commerce et de l'industrie modernes ; il
nous ramène par là aux études sociales, dans lesquelles il s'est fait jus-
tement apprécier; il porte un jugement plutôt sévère sur les défauts du mou-
vement syndical en Allemagne, qui manque d'organisation, de discipline,
et vise plutôt un but politique que pratique. Ne pourrions-nous pas,
hélas ! en dire autant chez nous !
J. Franconie.
A travers les Indes, par Eugène Gallois. -— Fort volume, orné de
nombreux dessins, photographies, cartes et plans de l'auteur. Société
d'éditions, 4, rue Antoine- Dubois.
M. Eugène Gallois est, comme on sait, un infatigable voyageur ; depuis
des années il court le monde, et il a consacré de longs mois à Tétude de
la vaste presquMle de l'Indoustan, la région sans contredit la plus inté-
ressante, la plus captivante que l'on puisse voir. Aussi n'a-t-il rien négligé
pour chercher à la faire connaître. Il a voulu d'abord donner un aperçu
des multiples religions qui se partagent les trois cents millions d'êtres
humains qui peuplent cet immense empire de l'Inde. Il a dépeint à
grands traits la variété originelle des populations qui s'y coudoient,
mais qui, d'une façon générale, restent unies et paisibles, malgré leur
diversité, sous l'énergique et habile domination de l'Angleterre.
Ouvrages déposés au bureau de la Revue.
Dans le sud de Madagascar : Pénétration militaire, situation politique et écono-
mique 1900-1902, par le colonel Lyautey. Un vol. in-8« de 398 pages avec nom-
breuses photographies et cartes dans le texte et hors texte. II. Charles-Lavauzelle,
éditeur. Paris, 1903.
Situation internationale de l'Egypte et du Soudan^ par Jules Cochehis, docteur en
droit. Un fort vol. in-8o. Pion- Nourrit et C'%éditeurs. Paris, 1903.
L'Afrique nouvelle, par E. Descamps, professeur à l'Université de Louvain. Un
fort vol. in-8* de 624 pages. Hachette et C^», éditeurs. Paris, 1903.
672 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Six semaines à Lisbonne et à Madrid, par A. Vallet de Bruonières. Un vol. de
200 pages. Albert Woliï, éditeur. Paris, 1903.
Répertoire bibliographique de la librairie française (1902), par D. Jordbll. Un
yol. in-8o de 260 pages. Librairie NiUson. Paris, 1903.
LES REVUES
I. — REVUES FRANÇAISES
Armée et Marine (3 mai), La Jeffa et le transport des soldats malades à dos de
chameaux. — Le vojage du Président de la République. — LVscadre de la Médi-
terranée en tournée présidentielle. — (10 mai). Pierre d'Hugues : Le championnat
militaire d'épée. — La Valette : L'importance stratégique de Bizerte. — G. Too-
DouzE : Questions de Macédoine.
Annales eolonlaleii (l®** mai). Jules Legras : La colonisation russe en Sibérie.
— René DELAPonxE : Avantages économiques des Gomores. — £. Bubon : La
progression des Canadiens-Français.
Balletin trimestriel de Géographie et d'arehéolsgle d'Ora» ({•' trim.).
Camille Fidel : Les intérêts économiques de la France au Marac. — Paul
Prieux : Conférence sur l'Economie générale du Soudan. Les captifs. Lamonn&ie
homme.
Mois colonial {?nai). Delaisi : Le chemin de fer de Bagdad. — Chastaisg : La
main-d'œuvre à Madagascar.
I^lnsalne (l^** mai). J^ Delaporte : Comment fut fondé l'empire allemand (d'après
les révélations du grand-duc Frédéric de Bade).
^^alnzalne coloniale (10 mai). J. Chaillby-Bert : Réglementation et uniformité
administrative. Nécessité de souplesse et de variété aux colonies. — V. G. : L'avenir
du commerce à Madagascar.
La Réforme économlqne (3 mai). Desmets : Le parti ouvrier en Angleterre. —
(10 mai). Georgeot : La Tunisie.
Bevne des Deax Mondes (l^^^ mat}. Emile Ollivibr : Sadowa. — ***^ Le régime
de l'Algérie au début du xx« siècle. La situation économique, la colonisation.
Revne française de l'Etranger et des colonies et Exploratloa [mai],
Gamard : Les câbles télégraphiques sous-marins. — H. Faure : Mozambique :
Un épisode héroïque.
Revne coloniale (janvier-février), D^ Cureau : Rapport sur les travaux de la
mission française de délimitation Congo-Cameroun. — Chemiji-Dupontès: Les com-
pagnies de colonisation en Afrique Occidentale sous Colbert.
Revue conunerelale de Bordeaux et du Sud-Ouest. Henri Lorin : Bor>
deaux garnison coloniale. — Eugène Buhan : Un programme économique.
Revue de Madagascar (10 mai). Lieutenant Gaurert : François Cauche {suite).
— PiRET : L'élevage des vers à soie dans le centre de Madagascar.
Revue politique et parlementaire (10 mai). Claude Pilgrim : Problèmes fud*
africains. — H. Lorin : L'Italie et la ITripolitaine.
Revue générale des Sciences (30 avril). — D' Weisgbrbbr : Vojrage de
reconnaissance au Maroc.
Bévue des troupes coloniales {avril). Général Voyrom : Rapport sur l'expédi-
tion de Chine. — Capitaine Mleneck : Notes sur les mitrailleuses. — Lieutenant
Pruneau : La Mandchourie.
II. — REVUES ÉTRANGÈRES
Revues belges.
Belgique coloniale (3 mai). L'irrigation dans l'Afrique orientale anglaise. —
(10 mai). R. V. : Maroc, Macédoine, Mandchourie.
Bouvement géographique (3 mai). Les comniunications entre Londres et le
continent; la situation de la route belge. — (10 mai), L'Etat du Congo et les tri-
bunaux belges.
L'Administaratetar-'Oirant : P. Campain.
PARIS. — IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17.
v»
nptoir National d'Escompte
DE PARIS
smblée générale annuelle des action-
sest tenue au Siège social, le samedi
l, sous la présidence de M. Mercet, Pré-
ilu Conseil d*Adminiairation.
!? avoir entendu les rapports du Conseil
Inistration de la Commission de Con-
{ des Commissaires des Comptes, elle a
ive les comptes de Texercice 1902, qui se
t par un bénéfice net de 8 millions
\ fr.05 et décidé la répartition de 27 fr.50
ion et de I fr.093 pai* part de fondateur,
a ratifié là nomination comme membre
Qseil d'Administration, de M. Albert de
r: réélu administrateurs, MM. J. Cb.
et Calizte Carraby. M. 0. Martin a été
cembre de la Commission de Contrôle,
. Blondeau et Bourgois nommés Com-
res pour l'examen des Comptes de
:ce 1903.
K pît de** conditions, généralement défa-
*>, du marché financier, le Comptoir
al a encore développé dans une mesure
?rable, au cours de l'exercice 1902, son
> professionnelle de Banque dans toutes
ucbes, comme en témoigne Taugmenta-
es chapitres caractéristiques du Bilan,
mble de la situation au 31 décembre 1902
fre par 867 millions ; le montant des Ëf-
Commerce entrés dans le portefeuille
:» milliards 42 millions: le mouvement
\ des Caisses a dépassé 35 milliards i/2,
vc et à la sortie, en accroissement de
2 milliards 1/2 sur 1901. Le total des
^s de Dépôts et Comptes Courants at-
92 millions, soit 35 millions de plus qu'au
rnhre 1901.
11 y a également progrès marqué pour les
services des Titres, des Coupons, des Ordres de
Bourses et des Coffres-Forts.
Le réseau des bureaux de quartier dans
Paris et des Agences de province se développe
suivant le programme d'expansion dont le Con-
seil d'Administration poursuit l'application
méthodique.
Le Comptoir possède actuellement 32 sièges
d'exploitation à Paris et dans la banlieue ;
88 Agences et 5 bureaux de quartier en pro-
vince; 20 Agences hors de France, dont 9 aans
les colonies et les pays de protectorat.
Enfin, l'Etablissement a acquis dans le
monde international des affaires une situation
qui lui permet de ne demeurer étranger à
aucune des grandes opérations financières in-
téressant le marché français, et même d'en
prendre l'initiative.
Le Comptoir a participé» en 1902, aux émis-
sions de l'Emprunt de l'Indo-Cbine 3 0/0, de
l'Emprunt Algérien 3 0/0, de l'Emprunt Tu-
nisien 3 0/0 et .du compilent de l'Emprunt
Chinois destiné à payer les travaux du chemin
de fer de Pékin-Hankovsr, qui doit servir si
efficacement les intérêts français en Chine.
Il a donné un large concours à la conversion
du 3 1/2 0/0 français et à la conversion des
Obligations des Douanes Ottomanes. Enfin^ il a
placé dans sa clientèle des Obligations 4 1/2 0/0
des Chemins de fer Méridionaux du Portugal,
des Obligations du Chemin de fer de la Ca-
margue et des Obligations des Tramways de
Bordeaux et de Nice.
Cette rapide analyse du rapport du Conseil
d'Administration suffit à caractériser l'activité
du Comptoir National d'Escompte, qui ne
cesse de b'appliquer à tous les objets de nature
à intéresser pa clientèle de plus en plus nom-
breuse et fidèle, et de servir, dans toute la
mesure possible, les intérêts généraux du pays.
Oeorgam CHaMBROT, fiditaut,
A, Ru* âm FontMibergi PABIB
Bis Ltms MiiTuu t è»i»t eo PrU.
Petit LARIVE et FLEURY
nSOfrAZU TBAKOAIS. — Le p/ifS R£C£firT, le filui COUPLET, le mieux ILLUSTRÉ^
Ëdition Scolaire ^|. \ Édition des Adultes _,,
I tMÊB t».Matf«plHt qot dMt IM Oidioift- Q cA 1 T^'^^^ "^^ (26.000 dt plut qu« dant les «etloii- Rir.
tUÊÊUmËtmlDÊMunUéiuittÊrtonnii^toll: U DU \ nairtt ilwilalrti). Dant un élégtnt ouionniLiB iolle : if
maatré« de 52 PortraiU et 24 Plana {
de bataille. — Récit auul ejcaci .
qu'émouvant dea événements de *
l'année terrible. {
PRIX : Rrcché 2' ; Cartonné 2'50 <
>TOIRE... GUERRE J870-71
u Paul «Victor MARGUERITTE
CREDIT CANADIEN
Société amomthe ad Capital de 2.500.000 francs
•4-Xy J3ou.le-v-ax>d XSauasxx&aïaïa., Paris.
VENTE et ACHAT de toutes
'8aJlfTS itÉTAh ne PBOVINCES, de VILLES; ACTIONS et OBLIBATIONS
ae CHEHIHS ne FER; valeurs minières Bt INDUSTRIELLES
u a n a u a n u ii
DENTIFRICES
ELiXIR. POUDRE et PATE
des RR. PP.
BENEDICTINS
deiAbbajôdç
A- SEGUIN. Bordeaux
Membre du Jury, Hors Concours
Exposition U&lTersoUe Paris 1900
IOOÊLE4aFUGOM
C3
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Créé en i86S
LE MEILLEUR DfS TONIQUES tT APÊfttTrPS
BYRRH
EOSS CONCOURS - ElPCSlflÛH ÏIHIVEESELLE DS PARIS i90Q
Le nvilllll i st utic I ni"§uu î^jivuMiPiiSi*, émitieiiinieiji t^iuiiue fi ttvf /iiîii •
H ctl fail uvL'O drH Vin* v>oi)> cif epiifuiiiollfliieitt jticii^reui^w^sati *
ft d^aiilM^* j^titistiiiices *.mcn!' dit fin-mirr choix. Il emprimiy n tnl|^r^
Amo ïj^Tt';al>lt* et diT prérii^usc* (ir^jiné'és carfJia'^St cl il duît aui vitii natariifcf <|tti
Un ht icuiîiiiiiiirT^ ii ïuule iii*t>ti^ ; »oil |>ur a Id dnjie il*utt v^rrrt à B
liu |;iMiiU vtiio, eit*tiU4i "iVitu urdïuaire uu ifeau d« selu. Il dfVïi'iU a'^i
Iréa^jeilrulruldiu^miie, fiiosiienJriî bucNiiis dt? ses j^tm^^riètéB li}(2*éiaqiK4<.
ÏIOLfT FRÈRtS, il THUIR (Pyi-tW^a-OrienUles)
BORSTIPÂTIOII
Ga.ri««u;/^fSr.î^?!«'î!POUDRE UÏAT1VI 1
£Ê iQ JOURS umn.
^ Vin Déaies
Cordial Régénérateur
ictlte le irmtmll <3« la
lié toni !<■ Cââ«
^-...^ Il «t ftfrèâtiiv au fi»ùt comme uno ]h|mi h; Oi^ Le! o-
■■■■■■■" "'PAI'OT CUNTIlit î eO, Rn« fl^Brigaur. fatii, ï!T TOTTTgS PgA>yACÏlS*
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ummerciale. indastrielle et financière des '^u^^ntiûm P'/i \ . .
màMim^ ^ l
LJkJiIlUDl:£il
:-"* AoÉE P 161 1" Jdin 1903
QUESTIONS
Diplomatiques et Colpalg^
■'* JUN Ir, l'V
REVUE DE POLITIQUE EXTÊRIEUIE;,'
PARAISSANT LE 1" ET LE 16 DE CHAQUE MOIS
so]viivi:.ajei%,e:
René Henry L'intérêt français en Asie occidentale. — Le chemin *^
de fer de Bagdad et l'alliance franco-russe 673
Gabriel Louis-Jaray..* L'opinion grecque et la question de Macédoine 689
J.-H. Franklin Les affaires d'Algérie 701
Le Breton La question de Terre-Neuve. — Les primes à
l'armement; les salaires 714
CHRONIQUES DE JLA QUirVZil.irVE;
Renseignements politiques Tzl
Renseignements économiques . 730
Nominations officielles 732
Bibliographie — Livres et Revues 736
GARXE8 EX GRil^VUREfe^
ne de Terre-Neuve : le French Shore 716
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
19» RUE BONAPARTE - PARIS. 6*
Abonnement annuel
France et Colonies, i 6 francs Etranger et Union poitale, 20 irancs.
La Livraison : France : 0,75 j Etranger : 1 fr.
674 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
« elles, les trouverons-iious suffisantes p«ur nous? Est-ce déci-
« dément à une œuvre germanique, pour des intérêts exclusi-
« vement germaniques, qu'on nous a demandé de nous associer,
« et non à nne œuvre sincèrement collective et internationale
« où Taisent français aurait représenté et servi les vrais intérêts
(( français?... Il faut qu'on sache quel rôle on nous prépare
« avant de l'accepter *. »
Je voudrais dire aujourd'hui pourquoi je ne puis me rendre
aux raisons très complètement et très clairement exposées par
M. Boàler en faveur de sa thèse.
Je tiens d'abord & rappeler une de ses fypînions, que je par-
tage entièrement : les rails atteindront ou n'atteindront pas
Bagdad et le golfe Persique suivant que la finance française
interviendra ou n'interviendra pas.
« Le devis se monte à 600 millions de francs, écrit M. BoMer :
(( de l'avis même des Allemands les plus chauvins, iT^e peut
« être réalisé sans la coopération des capitaux français *. »
La Russie, à qui rAllemagne — « ce qui pouvait être consi-
déré connue une plaisanterie » — a offert de céder ses 40 %y'd
péremptoirement refusé. Le gonvernement anglais vient de
se déclarer hostile.
Or, l'Allemagne ne veut pas et ne peut pas sVngager seule.
Loyalement M. Bohler ne cherche point à dissimuler
qu'elle n'a pas confiance dans l'affaire et voudrait inêmi? réduire
la part qui lui est assignée \
D'aLlli^urs, voalûL-elle risquer les 600 millions nécessaires,
elle serait en peine pour s'en dessaisir. Nouvelle venue k la vit*
économique intense, déjà engagée dans de multiples directions,
1 V. QuesL DipL, a* 150. <— Je ae lis ce numéro que le jour ou je corrige les der-
nières épreuves, c'est pourquoi j'ai le regret de ne pouvoir qu*in»*fqweT fti thèse très
intéressante soutenue par M. Iinbort de La Tour. Au fond, cette thèse esl la même
que celle de M. Bohler : si l'affaire est bojme et si nous sommes sûrs de jouer le r(>le
qui nous revient dans lentreprise, il faut nous engager. Mais M. Imbart de La
Tour, sans parti pris, préorrupé avant tout des intérêts français, tieat compte de»
faits qui si; sont produits et smtout dfis rourantB d'idée qui se sont dessinés depuis;^
deux mois et demi. Il ne croit pas que nous ayons dans « la dfrection et les profits •>
une part proporlionoeHe ;i notre contribution financière. D où le bon conseil de non&
montrer* circonspects et ««xlgeants ». — La fhèse que je malieoA est bien diSèrente :
nous devons nous abstenir de collaborer à l'œuvre de Bagdad, quels que boieol les
avanta^'es qu'on nous offre. L'intérêt frant/ais en Asie Occidentale et l'intérêt que
nous avons à ne pas entrer en conflit avec la Russie — surtout au moment et dans
la région on elle se trouve en face de l'Allemagne — nous le comm«iideiit>
* Quest. DipL, no 145, p. 273.
3 Ibid., p. 2S9.
QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLONIALEr:..'"'''" "%
r JUN 16
19C3
L'INTÉRÊT FRANÇAIS EN ASIE OCCIDENTALE
LE CHEMIN DE FER DE BAGDAD
BT
L'ALLIANCE FRANCO- RUSSE
Je profite de ce que la (tradition de cette Revue est de laisser
toute lib^erté à ses collaborateurs.
Chacun peut indiquer la méthode qu'il croit la mieux faite
pour servir les grands intérêts nationaux. La vérité doit se
dégager de la libre discussion.
C'est ainsi que j'ai pu déjà qualifier ici l'entreprise de
Bagdad d' < œuvre purement allemande et antirusse » ; regretter
la présence de financiers français dans la nouvelle société qui va
exécuter les travaux de Konieh à Bagdad; indiquer l'influence
de l'expansion asiatique sur les politiques russe et allemande et
esquisser le parti que nous pourrions en tirer *. — C'est ainsi
que M. Henri Bohler a pu, au contraire, conseiller aux capita-
listes français de « marcher avec TAllemagne dans l'affaire de
Bagdad » à la condition, bien entendu, « d'exiger pour le pré-
sent et l'avenir des avantages en rapport avec l'importance de
notre coopération financière et une part sérieuse dans l'exploita-
tion économique de la Mésopotamie etdelaBabylonie régénérées
par la locomotive ' ». — C'est ainsi que M. Jean Imbart de La
Tour, après avoir exposé les raisons pour lesquelles la presse,
l'opinion et le gouvernement anglais viennent de se montrer
hostiles au chemin de fer de Bagdad, constate sans ambage
que, « désagréable hier à la Russie, suspecte aujourd'hui à
a l'Angleterre, l'entreprise se présente sous de fâcheux auspices
« pour la France ». 11 pose nettement la question suivante :
« Les garanties que nos voifeins trouvent trop faibles, seront-
• QueH.^Dipl., n- 136 et li3.
2 Jbid., nous.
QuB9T. DiPt. ET Col — t. xv. — n» iol. — l«'-juix 1903, 43
676 QUESTIONS DIPLOMATIQUES KT COLONIALES
inetlront fin à toute concurrence non allemande » et feront de
la Turquie a une province allemande ». Pour empêcher cet
accaparement, on nous propose de traiter avec les Allemands
et d'être partout, en Asie Occidentale, de moitié avec eux.
En raisonnant ainsi, on paraît oublier que les Allemands
manquent d'argent. Abstenons-nous : l'expansion allemande
dans Vhinterland de l'Asie Occidentale sera arrêtée. Nous
n'aurons donc à craindre l'établissement d'aucun monopole.
En second lieu, — et accessoirement, — il est vrai que nous
avons à défendre dans l'Empire Ottoman des intérêts moraux
et matériels considérables contre des concurrents hardis et sou-
tenus par leurs gouvernements. Mais l'Empire Ottoman esl
vaste. Sans doute, on ne peut pas dire de lui — depuis quelques
aimées surtout — qu'il n'est qu'une expression géographique :
le Sultan, l'Islam et l'armée unissent étroitement ses diffé-
rentes parties. Toutefois il se compose de régions géographique-
nient et ethnographiquement bien distinctes, économiquement
indépendantes les unes des autres. Or, les intérêts français
sont concentrés en Turquie d'Europe, en Palestine et en Syrie,
et dans la région méditerranéenne de l'Asie Mineure maritime.
Sur le plateau d'Anatolie, nous n'avons rien à défendre. En
Mésopotamie, nos clientèles de Mossoul, de Bagdad et de Bas
sora — si intéressantes qu'elles soient — n'ont qu'une impor-
tiuicc secondaire. Dans ces mêmes régions — entre Konieh et
le golfe Persique, — les intérêts allemands actuels sont nuls.
Sous le bénéfice de ce qui précède, on peut dire que le chemin
(le fer qu'il s'agit de construire traversera des pays qui, au
point de vue français et surtout au point de vue allemand, sont
(les pays neufs. Nous ne sommes pas tenus, sous peine d'être
d('*trônés, de suivre dans l'entreprise de Bagdad notre jeune
concurrent allemand. Il s'avance vers des territoires sur les-
(juelsnous ne régnons point.
Il n'en fut pas toujours ainsi.
■ De 189t il 1899, la Russie et la France, — alors toutes deux
menacées par le chemin de fer de Bagdad et étroitement unies,
— ont défendu contre l'Allemagne leurs intérêts solidaires et ont
eu gain de causée Le tracé primitivement adopté passait par le
nord du plateau d'Anatolie : d'où la voie qui existe jusqu'à
Angora. La Russie craignait pour sa frontière caucasienne trop
proche. Les lignes côtières françaises de âmyrne-Cassaba, de
• Voir dans le premier numéro du BuUeliti du Comité de VAttie française rarticle
• le M. do Peycrimhoff.
r
l'intérêt français en ASIE OCCIDENTALE 677
Mersina et de Beyrouth * n'auraient jamais été raccordées à la
grande voie ferrée trop lointaine : pauvres déversoirs en déca-
dence, elles se seraient toujours arrêtées à quelque station per-
due de l'intérieur, tandis que le courant des affaires aurait été
détourné et la vie créée vers le nord. Nous nrétendions, au
contraire, drainer le chemin de fer nouveau '. La France et la
Russie demandèrent à Constantinople une déviation du tracr
vers le Sud, par Konieh. Elles l'obtinrent le jour où la France
offrit un concours financier à l'Allemagne qui manquait déjà de
capitaux.^;
Jusque-là tout était au mieux ; le danger couru par la Russie
était atténué, et l'avenir de nos lignes côtières semblait défini-
tivement assuré. De plus, Tentreprise de Bagdad, au lieu d'être
entre les mains d'une société purement allemande, dépendait
dès lors d'une société internationale, — sorte de fiction derrière
laquelle luttaient d'influence la Deutsche Bank, c'est-à-dire
l'Allemagne, et la Banque Ottomane, c'est-à-dire la France.
Nous pouvions à ce moment tout enrayer. — Nous avons, au
contraire, tout activé et favorisé, et nous sommes sur le point
de fournir l'argent nécessaire à Texécution des travaux.
Quel puissant intérêt pouvons-nous bien avoir à ce que le
chemin de fer se fasse?
M. Bohler, après avoir parlé de notre influence à sauvegarder
dans l'Empire Ottoman, — et je viens de m'expliquer sur ce
1 Les lignes de la Compagnie ottomane des chemins de fei' économiques de
Syrie — qui desservent Beyrouth et Damas — n'ont qu'une largeur de l>"0o (voie
nouvelle 1>"44) : ce serait là un grave obstacle à une jonction avec le chemin de ter
de Bagdad.
2 Aujourd'hui, la ligne de Smyrne-Cassaba rejoint à Afioun Karahi.ssar la ligne
de Haîdar Pacha à Konieh. Il est entendu que le chemin de fer de Bagdad passera
par Adana où aboutit actuellement le chemin de fer de Mersina. On parle d'une voie
qui, par Alep, réunirait le chemin de fer de Beyrouth au chemin de fer de Bagdad,
le jour où ce dernier aurait dépassé le Taurus. Je note seulement pour mémoire les
regrets de ceux qui souhaitaient, ou disent après coup avoir souhaité, la construction
d'une ligne française par Smyrne-Cassaba, Adana, Alep et Beyrouth : une ligne
parallèle à la côte et sans objectif plus lointain n'aurait guère pu lutter contre la
concurrence maritime. Les craintes exprimées par ceux qui pensent que le chemin
de fer de Bagdad aura un caractère purement allemand, et que ce chemin de fer
absorbera les lignes côtières, sont autrement sérieuses. Déjà, deux administrateurs
des chemins de fer d'Anatolie sont entrés dans le conseil d'administration du che-
min de fer deSmyrne, — comme, il est vrai, deux administrateurs du chemin de fer
de Smj'rne sont entrés dans le conseil d'administration du chemin de fer d'Anatolie.
Si le <^emin de fer de Konieh à Bagdad est allemand, l'équilibre sera rompu : le
chemin de fer de Smyrne sera bien vite annexé. De même ensuite, les autres voies
côtières! Abstenons-nous, et le désastre redouté sera évité : la compagnie de Smyrne
continuera à traiter sur un pied d'égalité avec celle d'Anatolie. Les deux autres res-
teront dans le statu quo.
ï
678 OCESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
point, — însîste subsidiairement sur l'importance financière et
(économique de l'affaire et de l'exploitation connexe des régions
traversées.
^ans doute, un pays comme la France, — dont plus de 30 mil-
liards sont placés à l'étranger et dont les capitaux tendent de
plus en plus à émigrer, — ne peut se désintéresser d'aucune des
grandes affaires ébauchées dans le monde : il ne ^it pas laisser
échapper une occasion de placement avantageux.
Or, à ce point de vue, je ne puis faire mieux que de laisser
le lecteur juger de ce que vaut Taffaire parce qu'en dit* — sans
rien dissimuler ni atténuer, je le reconnais — M. Bohler, qui
est pourtant d'avis de la conclure, et par ce qu'en pensent ceux
qui en ont pris l'initiative et qui la lancent: les Allemands, dont
il rapporte scrupuleusement l'opinion :
« Le marché allemand ne semble pas jusqu'ici disposé à four-
nir les 40 ^/^ qui lui reviennent : il n^a pas grande confiance
dans la réussite de l'entreprise. Les actionnaires de la Com-
pagnie d'Anatolie ont mAme clairement spécifié, à l'assemblée
du 24 juin 1902, qu'ils entendaient rester en dehors de la nou-
v(»lle compagnie et refuser toute coopération qui pourrait
tourner à leur détriment. L'Allemagne a aussitôt cherché à se
concilier les bonnes gn\ces de la Kussie en lui offrant ses 40 ^^/q*. »
Les Allemands, s'ils ne peuvent faire autrement, finiront par
fournir, bien (ju'à contre-ca»ur, les 40 Y^i qu'ils sont tenus de
verser. Mais on peut prévoir, étant donné leurattitude actuelle,
qu'ils se débarrasseront au plus vite des actions, quitte à les
racheter plus tard, quand elles seront tombées.
^ l^our les capitalistes français, il s'agit, en somme, de faire un
placement à 4 Y^ sous garantie turque, — comme en souscri-
vant les emprunts russes ils ont fait un placement à 4 ^/^^ ser-
vant lui aussi (en grande partie du moins) à exécuter des che-
mins de fer asiatiques, mais avec engagement direct de TEtat
russe. Dans le cas présent, les intérêts à attendre ne sont pas
plus élevés ■ que ceux payés par la Russie. L'aléa, au contraire,
est plus grand, à moins qu'on ne soutienne que le crédit turc
vaut le crédit russe *.^'
1 Quest. DipL, n« 145, papes 290 à 292.
* Ibid., page 289.
■> (( Pouvons-nouB compter stir un rendement supérieur h i %, en d'autres termes,
« sur une plus-value de nos futures actions? C'est bien douteux. i» Hbnki Bohlbk,
p. 290.
* (( L'Empire Ottoman, toujours branlant, secoué actuellement par une insurrection
<( très dangereuse des nationalités chrétiennes opprimées, présente ce paradoxe qoe
M ses rentes, au lieu de fléchir, sont en hausse de 15 %, la série G passant de
« 28 fr. 07 c. à 32 fr. 55 c. et la série D de 26 francs à 80 fr. 30 c. ; d'après loscon-
(( ditions actuelles, on capitalise ses fonds turcs à 3,30 % environ; c«8t bien peu
X^INT^ÊT FRANÇIkffi £K A«1E OGGIDENTAÏ.E ^679
Ih sais bien q«"f»i uofis parie -d'wnc pari; ïprtfbléini*k[»e
rfeerroe au pereoisnel et «« matéml français, — «e >cpyi'«n n'a
naturellement pas à attendre de M. de Witte en pleine cpéa*i<OTi
d'tsne industrie nationale T^isse. « A mn ^bouton aîlenvastd, dit
'M. Bohler, ëoit oorrespendre un boulon françaiis. » Maîssoela
suffit-il pour rétablir r-équilihre et tenter les capitaux fpa»ç»is,
éeveiras prudents par expérience?
« «
A un point de vue plus élevé, tiil me suffi* pas de^woir com-
meot jouera le snécanisimie -du tchemin de fer ihn^niâHiic, et si
Ton veut, de ses .ajwnesies mdustriek, mifâens et aiitnes. Il
finit «,^v:ant tmit détermtiier^iQei sera le raie jovë en Asie (^cci-
«ientale par le <cbeiafn àe fer, ou — pour parler comme îles
AHemraads — quelle serai sh fonction dass ré^aoaiie et daaisla
peflifîque mondiales.
^'Le chemin tle fer de Saçdsud, — ^qot'aa appelle déjà le Petit
T!r8»Basiatii|tïe, — jouera wn rôle a»a4ogïue À «oeiiui du Trans-
sibériens-
Ce sont des chemin» de fer de traasit. — Ils ne transporteront
pas sieulefiKient des i»ar<:ii4mdises d^unedes stations terooilnAis à
«ne station de Trabérieur ert inversement, et d'une station de
î'intérieiir à une sftartion de rintérieïur. Bjcs voyageurs >pff«9sfe,
ou désireux d'éviter la ttraversée de la mer Rcaige, préféreront
ie cbemin de fer de Bagdad à (ta vme d'eau pour aller ^dans
riiMle et l'Extrême-Orient méaridianal-, ou en revenir. De même,
les «expéditeurs de «Aarchandises de spéculation, ou légères ^et
peu encombraiïtes, leur feront prendre la rente îa i>lns oorarte.
Mais ces chemins de fer sont, avant tout, des voi«s straté-
giques et -de colonisation.
Le Transsibérien a été hàtivem-ent et gro9SÎèreme<n4 termdiiié,
;aim de pouvoir mettre au plus vite la Russie en cosBinunijGation
«ivec ses ports de Tooéan Pacifiqwe, — la preanière mer libre
qu'elle ait atteinte. Sans ie Transsibérien, les -Russes n'auraisent
pas pu jeter en Mandchourie des centaines de miUe h@nun£s
et agir comme ils l'ont fait avec la Chine et les puissances.
Le chemin <te fer de Bagdad jouera, lui aussi, un rôlestraté-
« pour un empire en conflagration ; on compte, il est vrai, fiur une Augmentation de
A revenu, l'intérêt devant être porté de 1 franc à 1 fr. 25 c; mais, au cours actuel
« ce ne serait pas encore du 4 «o plein...; si obstinée que soit depuis un demi-Biècle
c la vitalité de la Turquie, malgré les démantèlements et les démembrements succès-
tt sifs, il semble que ce soit une gageure de porter si haut les fonds de ce pays dans
a un moment pareil. » M. Paul Leroy-Beaulibu : ÉcfmomiBêe fnmpaiê^ 16 <mai 1903,
p. 698.
i
680 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
gique de premier ordre. M. Bohler ne le cache pas : « Des gares
militaires et des quais d'embarquement seraient établis pour
une somme de 4 millions de francs ^ »
Il est vrai qu'il trouve «c puéril de s'exagérer la portée mili-
taire du futur chemin de fer : son utilisation permettra de gagner
quinze jours à peine dans la concentration à Erzeroum du
6* corps (Bagdad) et du 5" (Damas). On ne saurait considérer cet
avantage comme un danger sérieux* ». Dans cette hypothèse
spéciale d'une concentration sur Erzeroum, il me paraît
incroyable, jusqu'à preuve du contraire, que les deux mobilisa-
tions — avec ou sans chemin de fer — ne diffèrent que par un
délai aussi court. Je suis bien plus disposé à partager Topinion
exposée dans la revue militaire allemande, Uberall^ par un offi-
cier, M. von Bieberstein : il s'agit de rénover le vieil organisme
turc; de pouvoir concentrer et transporter rapidement sur un
point quelconque le 4* corps (Erzeroum), le S'' (Damas) et le 6'
(Bagdad), ainsi que 64 bataillons de rédifs actuellement dissé-
minés en Asie, immobilisés et comme perdus. A-t-on donc
oublié que, lors de la guerre turco-russe, des troupes turques
ne purent arriver dans la région des opérations que tardive-
ment, décimées et épuisées ? Pense-t-on que la concentration
des troupes d'Asie en Turquie d'Europe se ferait actuellement si
vite, sans les trains qui les prennent à partir d'Angora et de
Konieh? On fait l'unité stratégique de l'Eknpire Ottoman. On lui
donne la cohésion militaire qui lui manquait.
On dote cet étrange organisme d'une artère et d'un nerf qui
vont lui permettre de puiser, sur le plateau turc d'Anatolie et
dans les régions en grande majorité musulmanes de Mésopo-
tamie, des réserves de sang depuis longtemps stagnant et
d'énergie encore latente.
Cette résurrection d'une partie presque morte de l'Empire
turc ne doit d'ailleurs pas être seulement militaire.
M. Bohler a montré comment il s'agit d'exploiter le pétrole et
la naphte, de créer des industries, de cultiver le plateau d'Ana-
tolie où peuvent vivre et travailler des Européens. Plus tard on
tentera de refaire peu à peu ce réseau de canaux d'irrigation
qui, au temps des Abbassides, faisait qu' « un oiseau pouvait
voltiger de jardin en jardin de Bagdad à Bassora ». On aura
alors créé un gigantesque champ à blé et à coton.
Toutes ces richesses nouvelles permettront d'établir des
Européens en Mésopotamie comme chefs de culture, en Asie
1 QuesL Dipl.y n* 145, page 286.
« Ibid., p. 29i.
l'intérêt français en ASIE OCCIDENTALE 681
Mineure comme colons cultivateurs, dans les deux pays comme
ingénieurs et chefs d'industrie.
La fonction du futur chemin de fer de Bagdad ainsi déter-
minée, est-il désirable, au point de vue français, que ce chemin
de fer soit construit ?
Quand le trafic d'Extrême-Orient en Europe sera en partie
détourné de la voie de Suez, Marseille et les chemins de fer
français seront dépossédés au profit des voies de l'Europe cen-
trale.
La formation d'un nouveau grenier à blé dans le monde ne
peut pas être souhaitée par nos agriculteurs, déjà écrasés parla
concurrencé des pays neufs ; l'exploitation de mines nouvelles
de pétrole par ceux qui espèrent arriver à l'emploi industriel de
Palcool; la création d'immenses champs de cotonniers par le
syndicat qui tente actuellement de cultiver le coton dans les
colonies françaises.
'^La Turquie est diplomatiquement et militairement inféodée
à rAllemagne.*^M. Bohler l'a montré avec faits à l'appui. La liste
des visites allemandes faites à Constantinople s'est même
allongée depuis qu'il l'a dressée : le Kronprinz et son frère
cadet viennent" d'être les hôtes d'Abdul-Hamid II. L'armée
turque, dont l'Europe, dès 1878, a découvert avec étonnement
la valeur et le fanatisme persistants, est aujourd'hui armée par
les Krupp, organisée et instruite par les von der Goltz. En cas
de conflagration générale, l'Empire Ottoman serait, vraisembla-
blement, pour l'Empire Allemand un compagnon de combat au
moins aussi sûr que ses amis tripliciens. Or, il s'agit de créer
en Asie la machine à mobiliser devenue nécessaire à la Tur-
quie, depuis qu'elle se prépare à faire la guerre de la façon
la plus européenne, la plus moderne et la plus scientifique. Il
s agit donc, sans aucun doute, de travailler pour le roi de
Prusse.
Enfin, il est aisé de voir qui profitera de la création d'un
vaste et riche pays à coloniser. Ce n'est point nous : nous
n'avons plus d'excédent de population ; nous n'émigrons guère;
nous avons mieux à faire dans les colonies françaises que nous
n'arrivons même pas à mettre en valeur. Les Allemands ont,
au contraire, besoin d'une région où leur émigration ne se per-
drait pas comme aux Etats-Unis : 5 millions des leurs s'y sont
déjà, depuis 1820, peu à peu noyés dans l'élément anglo-saxon.
Le plateau d'Anatolie serait préférable au lointain Chantoun,
k
OUEBIVMKS DVIiOMATieUBS Et GCBiCDrflàLES
trop peuplé, à rAmérîfne du Sud, où -mesaoe ia iioidrèie<4e
Monroe. Ces nouveaux colons, — certaines résistanoes janeli-
gieuses une fois vaincues, — seraient les bienvenus. D'après
von der Goltz, « personne plus que le sultan Abdul-Hamid II ne
désire l'établissement de colons européens, et surtout aile-
mands ! Ils s'iasUlleFaMsat le looag des vQi«s ferrées et, comme
W dit le Sultan dams urne avdienoe à von Ae^ Goltz, ils acquer-
raient profit et bien-être, pendant que le pays profiterait du
ca^pital d'iatelligesce et de connaiLssaiiees qu'ils apparteraient
avec eux. Le âiMan chai^gea von der Goltz de rapporter ses
paroles à Berlim ^ 3
Les colons allemands n'auraient pas seulement rimmençe
avantage de s'iostaUer dans <in EtatMen disposéen teor faveur :
ils seraient sur La prolongation du Lhwng nack Os^teu et le cçp-
tinueraient à leur grand i>é»ééice oonune à oelai de TEiopire
Allemaiid ^.
«
^n somme, en nous associant à lentreprise de Bagdad, nous
nous engageons dans une partie de l'Empire Ottoman où nous
n'avons aucune situation essentielle à défendre. Nous courons
les risques d'une affaire qui pourrait bien ne pas t^tre bonne.
Nous allons à Teacontre d'iniérôts français- respectables, et
nous rendons, au contraire, des services signalés à un associé
nouveau, que plus d'un s'étonnera de nous voir choisir:
l'Empire allemand.*^
Il est évident que « l'alliance franco-russe ne doit pas signi-
fier servilité » — ni complète ni partielle — « de la France à
l'égard de la Russie ^ w.^lais je ne vois rien dans l'entreprise
de Bagdad qui nous oblige — ce qui est toujours daagereux
— à léser gravement les intérêts de notre allié. ^
i Max ScuLAGiNWEiT : Die Bagdadbahn nnd die deulschen inlere^ten in Klem-
asien.
^ On lit dans une lettre d'Italie publiée par le Temps du 23 mai : £n ce qui con-
cerne le protectorat officiel des catboliqueB d'Orient, « ce qae rxileinagiie demande
Ml Baint-Siègc, c'est la délimiiaâon de certaÏDes splières d'ii^kieace. La Frace
conserverait dans plusieurs iiégians son protectorat traditionnel, l'Italie serait pro-
tectrice ailleurs, V Autriche-Hongrie le deviendrait dans les Balkans et tAtUmagne
vmtfirait l'être en Avie Mineure, » L'empereur allemand a-4-îl abandonné la prèlen*
kion de protéger purement et «implement ses nationaux allemaads catholkfiies dans
tout l'Orient? A-t-il reconnu que le protectorat supposerait un protecteur résolu et
soatenant, sans considération de nationalités, les intérêts collectifs dont il a la garde?
C'est possiUe. Ce qui est, ici, intéressant à noter, c*e0t le cboÎK ^ëes deux splières
d'influenoe attribuées, dans le |UK>J6t de Guillaume II, à rfinpire alionand et à
rAutriche-Hongrie considérée comme l'alliée fidèle de TEmpine allemand : les Bal-
kans et l'Asie Mineure, c'est-à-dire tous les territoires nécessaires au 2>r(my.
3 IIburi Bohlbr, p. 293.
l'intérêt français en ASIE OCCIDENTALE 68B
' Il ne faut pas oublier qu'en opérant dans l'Asie Occidentale
BOUS a^ssons dans le voisinage de la Russie.
Nous faisons quelque chose d'analogue à ce qu'elle ferait si
elle s'unissait à l'Angleterre et à l'Allemagne pour lutter, au
Maroc, contre notre influence^ — ou, afin de choisir une com-
paraison géographiquement analogue, si elle nous suscitait des
difficultés au sud des Pyrénées, ce Caucase de l'Ouest. Nous allontH
rendre plus vulnérable une frontière sur laquelle elle n'avait
jusqu'ici à veiller, en cas de guerre, que pour prendre, ~ si
elle le jugeait bon, — loffensive. Nous allons nous avancer
sur le « terrain de chasse » de nos alliés, en ennemis, et coude
à coude avec notre adversaire éventuel dans une grande guerre
européenne toujours possible. Les Allemands disent hautement'
qu'ils veulent faire évanouir le rêve qu'ont fait les Russes de
s'établir dans l'Arménie turque et de s'ouvrir un débouchi^ sur
la Méditerranée, non plus par le Bosphore, mais sur le golfe
d'Alexandrette.
Qu'on ne dise pas qu'il s'agit d'empêcher l'asservisse iii en l
par les cosaques des malheureux Arméniens. Nous travaillons
à superposer au pouvoir des Turcs et à l'hostilité des Kurdes,
— déjà si lourds pour eux, — l'influence allemande.
Nous allons aider la plus grande Allemagne à triom[ her
de la plus grande Russie.
• «Reste, dit M. Bohler, la concurrence faite au chemin de fer
Tiflis-Tabris-Bender-Boucheir. Malgré toute notre bonne vo-
lonté, nous n'apercevons pas de concurrence possible... » It î, il
y a confusion. — La Russie projette en effet de construire un
chemin de fer partant de Transcaucasie ou du Transcaspieo, el
se dirigeant, vers le golfe Persique ou l'océan Indien, sur
Boucheir, Bender Abbas, ou Tchabar. Ce chemin de fer ett,
comme le dit M. Bohler, une ligne « à portée politique, un
moyen de déboucher en mer libre». "En ce qui le concenu , In
Russie ne craint guère la concurrence du chemin de fer de
Bagdad, mais bien l'hostilité allemande dans le golfe Persique,
résultat de la construction du chemin de fer dont la têt<* du
ligne désirée est Koueit. L'hostilité anglaise suffisait. — C'est
pour d'autres chemins de fer russes que le chemin de fer de
Bagdad est un concurrent commercial à redouter. Plus d'un
voyageur, qui serait revenu de Chine par le Transsibérien, re-
viendra, — la voie allemande une fois achevée, — parle j^tdU}
Persique. D'autre part, la Russie est décidée à construire un
embranchement du Transsibérien qui a l'Inde pour objectif : le
chemin de Bagdad est son concurrent direct. ^
* Uberally art. cit.
fft
f
\
684 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS BT COLONIALES
On lit dans cet article du Messager des finances russe, ins-
piré par M. de Witte, et lu à la tribune de la Chambre des
députés par M. Deloncle :
« Le grand Transsibérien nous a coûté beaucoup de peines et
a d'argent. On est en train de tracer par Orenbourg, Taschkend
« et Kouschk, la voie la plus directe vers la frontière de l'Inde.
« Est-il possible, maintenant où la ligne traversant TAsie sur
«toute sa longueur est terminée et la construction de l'autre voie
«ferrée proche de sa réalisation, que le gouvernement russe,
« sans tenir compte des conditions géographiques et contraire-
« ment à des vœux traditionnels, dépense de l'argent pour la
« construction d'a/ie ligne destinée a nous faire concurrence
« et qui se dirigera vers PInde en passant sur un territoire
« étranger *. »
Sans doute, l'alliance franco-russe né doit pas signifier « ser-
vilité de la France à l'égard de la Russie » ; mais il n'y aurait
aucune servilité à nous abstenir, — au besoin un peu par amitié
pour notre allié, — d'une initiative que notre intérêt bien en-
tendu suffirait en somme à nous empêcher de prendre.
^1 est des régions de l'Asie où les politiques française et
russe sont, ou ont été, forcément en conflit : — depuis bien long-
temps, en Palestine, où le protectorat rudimentaire des ortho-
doxes, que tend à exercer et à développer la Russie, gêne sur
bien des points le vieux protectorat catholique de la France';
^ 11 faut aussi avoir présente à l'esprit la « déclaraiicn d'un intérêt considérable »
faite aussitôt après le passage précédent dans l'organe de M. de Witte : « On affirme
qu'une pareille ligne (une ligne vers l'Inde au delà des limites de la Russie) nous pla-
cerait face à face avec l'Angleterre, ce qui pourrait être la cause de grands dangers et do
complications. Mais cette objection, plus surannée que justifiée, est plutôt basée eur
une méfiance traditionnelle réciproque avec l'Angleterre que sur la réalité exempte de
préjugés. La Russie et l'Angleterre ne sont, quant à présent, pas des concurrents
l'une à regard de l'autre sur le marché universel, et il n'existe presque nulle part
entre elles des intérêts qui ne puirsent être délimités. Dans le domaine universel du
commerce et de l'industrie, l'Angleterre a plutôt à craindre la concurrence de
l'Allemagne. Quant à la Russie et à l'Angleterre, c'est plutôt de loin qu'elles le
semblent réciproquement dangereuses, parce qu'elles se connaissent peu l'une et
l'autre. De près, le jour où les frontières des deux puissances seront mises en con-
tact par une ligne traversant Hérat, et quand auront été établies, au mojen de ce
chemin de fer, des relations de frontière, le brouillard des anciens malentendus et
des appréhensions sera promptement dissipé, et le nœud gordien de la méfiance réci-
proque, qui glt maintenant dans le Pamir, sera tranché. » Journal officiel^ séaDCC
de la Chambre des députés du 11 mars 1903, p. 1102, col. 1 et 2.
s La « Société de Palestine », dont le centre est à Moscou, s'appuie sur toute la
Russie orthodoxe tournée vers les villes saintes. Elle semble être assez for(e pour
pouvoir imposer ses volontés à un gouvernement qui voudrait lui résister. — Depuis
1890, l'action des Russes a commencé à s'exercer en Syrie, dans les districts de Tibé-
riade et de Tripoli.
l'intérêt français en ASIE OCCIDENTALE 685
il y a quelques années, en Arménie, où la politique passive de
la Russie a entravé une action désintéressée de la France.
Mais il est d'autres régions où Tindépendance des deux alUi'^s
Tun à l'égard de Tautre, ou Tabstention de Tun d'eux, est pos-
sible, et serait peut-être préférable à la ligne de conduiU*
adoptée. ^
On se souvient que, le 20 mars 1902, les représentants diplo-
matiques de la France et de la Russie ont donné communica-
tion de la déclaration suivante aux ministres des Affaires
étrangères des puissances signataires du protocole de Pékin du
7 septembre 1901.
« Les gouvernements alliés de la France et de la Russie
« ayant reçu communication de la convention anglo-japonaise du
«30 janvier 1902,... obligés d'envisager, eux aussi, le cas oir,
a soit Faction agressive des tierces puissances, soit de nouveaux
«troubles en Chine, mettant en question l'intégralité et le libre
«développement de cette puissance, deviendraient une menaee
« pour leurs propres intérêts, se réservent d'aviser éventuelh^-
« ment aux moyens d'en assurer la sauvegarde. » /
En Extrême-Orient, la France et la Russie sont donc étroite-
ment liées, en face de l'Angleterre et du Japon. La situation
est grosse de danger. Aujourd'hui où les leaders les plus in
fluents de la majorité parlementaire parlent si souvent de fairi^
disparaître toutes les causes possibles de conflit, il semblerait
naturel de s'en inquiéter. Nous pouvons être automatiquement
entraînés dans une guerre pour un intérêt exclusivement
russe.
Toutefois, il faut distinguer.
S'il y a eu, le 20 mars 1902, simple divulgation partielle du
pacte primitif d'alliance, il n'y a rien à dire : les avantages
généraux de garantie franco-russe peuvent suffisamment justi-
fier cette clause particulière, quelque lourde qu'elle puisse
être.
Mais, s il y a pacte nouveau *, c'est le cas de dire qu'il y w.
1 II est impossible de trouver aucun éclaircissement dans les explications donnée -
au printemps de 1902 par M. Delcassé, notamment à la tribune du Sénat. A la séatin
de la Chambre des députés du il mars 1903 (J. off., p. 1109, col. 3)» la question x
été incidemment posée. M. Ribot venait de dire : « Ce qui fait la force, ce qui fera la
durée de celte alliance (l'alliance franco-russe ), c'est précisément que nous avons
gardé le droit à une indépendance égale dans toutes les questions qui n'ont pas é\v
prévues... Quand deux pajs sont liés comme la France et la Russie, ils doivent dan-
toutes les questions, mémo dans celles qui sont étrangères aux traités ou au s
conventions intervenus, se mettre d'accord ; cela est une force pour la politique
rommune qu'ils pratiquent, mais il faut que cela résulte de conversations où chacun
garde sa liberté, sa dignité, son indépendance, nul ne pouvant être engagé dans uih'
action politique dont il n'aurait pas déterminé librement le but et mesuré l'étendue.
M. Jaurès interrompit • u Vous blâmez alors la convention de Corée ? » Kl k
^686 OUBSTIOMS DIPLOMATIQUES BT GOLOIUAUSS
non pas « servilité », mais sûrement inégalité entre alliés.
Il y aurait bien égalité : si la France avait actuellement sur
la Chine méridionale des prétentions analogues à celles de la
Russie sur la Mandchourie. Les deux alliés, prétendant foire,
— en dépit de Talliance anglo-japonaise ou tout autre adver •
saire — l'un une plus grande Sibérie, Tautre une plus grande
Indo-Chine, se seraient réciproquement cautionnés.
Mais M. Delcassé s'est toujours élevé contre l'idée de porter
atteinte à Tintégrité de la Chine. M. Doumei^ue, adversaire
acharné des idées d'expansion de M. Doumer,. quand ce dernier
était gouverneur général de Tlndo-Chine, est ministre des
Colonies. Enfin, ee n'est vraiment pas quand le ministre des
Affaires étrangères avait, dans ses négociations avec le Siam,
accepté le projet de traité que Ton sait, qu'il est permis de
prêter au gouvernement français des idées d'expansion territo-
riale en Extrême-Orient. — Alors?
WClors, tout se paie en ce monde, surtout quand on a affaire à
une diplomatie aussi peu nonchalante et bonace que la diplo-
matie russe. L'entreprise franco-allemande de Bagdad prenait
corps au moment de la notification de mars 1902. Si l'un des
faits est la cause de l'autre, — hypothèse vraisemblable, mais
qui ne pourra, je l'avoue, Atre vérifiée avant limgtemps, — il
faut bien avouer que collaborer avec le roi de Prusse coûte
eher! ^
Enfin, à cause de notre intervention inopportune en Asie oc-
cidentale, nous allons gâter une situation d'où, sans que nous
ayons à nous eu mêler, nous aurions pu tirer des avantages
inespérés.
On sait que, depuis longtemps, la Rnssie est peu active en
Europe et que. parallèlement à l'alliance franco-russe, les rap-
ports russo-allemands — surtout grâce aux effets constants
de Berlin — sont excellents.
De là, dans l'alliance franco-russe, non point certes un germe
•de mort, mais une certaine lourdeur, une attitude passive et
une situation difficile pour la France.
Or, la Russie, son Transsibérien une fois terminé, a pu s'ac-
4X>rder, malgré les difficultés pendantes au bord du Pacifique,
un moment de repos, d'entr'acte, pour scruter la politique
mondiale.
luiuistre des AfTaires étrangères déclara de sa place: ail n'j a pas de convention \ >
Il n'y a pas de convention. Peut-on en conclure qu'A y a eu simplement notîficatioii
d'une clause du traité primitif? Non; car, s'il y a fait nonveau résoltant d'une no-
tification aux puissances après un simple échange de vues, on peut à la rigneor. jon-
glant avec le.< mots, dire qu'il n'y a pas o convention ». — L'obscurité reste complète.
mm
l'intérêt FRARÇAIS en ASIE OCeiDBRTAIiU 587
Elte a airsshièl aperçv qu9i VÂllenta^ue vient im miner TÂsm
Oecidieiitate. ^ Vans la latte intnise pouir te commerce; et l'es
temtofves, q«i derîefDt de jbw e« j<ouv plifô féfoee- et plifs sau-
vage, écrit l€ ipoUÂcîftle anglais ^i signe Calclias dans la
Fortnigktly Review^ chaque potvt saiaiseakl» ck Xot carte* es*
menacé de plus d'un côté à la fois. Là où une puissance a
attendu pour entrer en possession toute naturelle, elle est
exposée à découvrir, en s'éveiilant un beau matin, qu'un
voisin entreprenant, — pr^t à fournir les explications les plus
pîausililes, — a planté des bornes... pendant la nuit. La Russie
commence à s'apercevoir que, tandis qu'elle attendait la chute
spontanée des fruits en Orient, son formidable voisin a com-
mencé à secouer la branche '. Le DYang nach Osten^ qui ne la
préoccupait guère à sa source, lui nuit à son embouchure.
Le seul moyen sérieux de prévenir les dégâis (Tun torrent est
de fe régulariser à son origine^ et non de lui opposer des digues
là où il est déjà impétueux.
Voilà donc l'attention de la Russie enfin attirée sur ITnrope
centrale, en même temps que son action opposée à celle de
rAÎIemagne. «Tai développé cette idée dans de précédents
articles*.
Mais, au moment où Te conffit s'engage^ au moment où la
force des choses travaille pour nous, au moment où FAngle-
terre, après avoir hésité, sembîe se ranger résolument du côté de
la Russie % nous ne gardons pas «ne habile réserve ! Pour notre
malheur, nous prenons place parmi les concurrents. Et ce n'est
^ VkmhwghtVy^ RêvietMr juS&erV 1)9011, p. it26.
3 Quesl, DipL et Col., n» 136, passim; n» 143, p. 148-136.. — Voir aussi Bevus
hleuêy 24 mai iâ02 : Influence de Vexpanxion asiatique sur les politiques russe et
allemande.
3 Bf. Gabriel EanotaM» éavit : « ij». ministre ées Affiûfes élisuigèpes anglBiB*^
« lord Lansdawoe, sans même attendra cgue le roi Edouard, soit rentcé dans sa capi-
« taie, prononce k la Chambre des Lords ces paroles... : « Je n'ai aucune hésitation
n à déclarer, dtt-il', qae Kp gouvemefinene bri «an nique regsirdteraitl'étaBlîssementd^une
<( base' na«ale eltd'un pnvt: foetifié; sur le çolfe P«raqpiev par une autre puissance,
n comme une grave menace pour les intérêts anglais, et q^i'il s'opposerait à son éta-
it blissement par fous lies moyens en son pouvoir. » Voilà un coup de trompette, ou
ff noue nooB tk*eiiipens fort. A bon en tenikurv salut... Or, quelles sent^ en dehors de
<c L'Ajigfleterce, les puiasanese mtéres^ées. directement, à Panteniv du golfe Peraique ?
M La Russie d'abord. C'est la vieille rivale de l'Angleterre en ces lieux. Et, d'autre
«( part, rAIIemagne, qui, depuis quehque temps, parait Jeter les yeux sur l'Asie
< MiUBurs et If Asie CTaniiaiIia. Ëst-c9 » l^dlresse de la Russie ? Bst-«e à l'adresse de
(( l'Allemagne que sont prononcées lies paroles de lord Lansilfiwne ? La partie liée
« autour du chemin de fer de Bagdad peut servir à nous éclairer. Dans une alTaire
«« décisive, l'Angleterre, après mûre réflexion, s'est rapprochée de la Russie ; par
u conséquent, d Jet s'eat apposée à l'Allemagne. — Concluez. » Et dans le même
article : « En Asie Mineure et en Perse, la question du chemin de fer de Bagdad.
M celle de Koueit ont mis aux prises quatre grandes puissances... : l'Allemagne et
« la France appuyant le projet de chemin de fer, la Russie et rAngle terre Te comBal-
u tant énergiquement. »
i
688 QUESTIONS DIPLOHATIOUBS BT GOLOMIALKS
pas pour permettre à la Russie d'esquisser une sorte de triplice
à but spécial et de prononcer son attitude ; mais bien pour pren-
dre position contre elle, à côté de TAUemagne; pour assurer
au Drang un débouché en Asie et en augmenter ainsi en
Europe la violence et les ravages.
«
-^ Si l'entreprise de Bagdad compte de nombreux partisans en
France, c'est qu'aux financiers intéressés à son lancement se
sont joints beaucoup de nos coloniaux.
A leurs yeux, le cheminement de l'Allemagne, à travers l'Eu-
rope centrale et balkanique, vers l'Asie occidentale, ne présente
aucun inconvénient : le pangermanisme tourne le dos & la
France, et « veut bien pour le moment affecter vis-à-vis de
« nous plus de dédain que de colère. Ce sont là des dispositions
« excellentes pour nous permettre de surveiller impartialement
« les progrès de la doctrine : c'est aux Etats éventuellement
<t lésés qu'il appartient, s'il leur convient, de ressentir la menace;
« aux races condamnées par le germanisme de comprendre la
a nécessité de la cohésion*. «
Les progrès du Z>/'flwg^ continental rassurent même bon nom-
bre de coloniaux français. Ils espèrent qu'une Allemagne qui
grandit sur terre finira par oublier ses vastes projets de domi-
nation maritime et ne prendra pas part avec trop d'âpreté à la
curée coloniale.
Ce sont là des idées qui étaient, il y a un ou deux ans, celles
de ces grands coloniaux que sont les Anglais : ils en ont, depuis,
reconnu la vanité. '
Je me propose d'examiner, dans un prochain article, si les
progrès de l'Allemagne vers l'Est et les progrès de l'Allemagne
sur l'eau, loin d'être contradictoires, ne sont pas complémen-
taires, — les uns comportant et entraînant les autres.
/Aujourd'hui nous sommes encore libres d'empêcher les loco-
motives allemandes de traverser le Bosphore sur le pont gigan-
tesque dont les plans sont déjà dressés et d'atteindre le golfe
l*ersique. — Demain, si nous, avons collaboré avec les Alle-
mands, nous ne serons plus libres de nous opposer à ce que de
nouveaux paquebots et de nouveaux cuirassés allemands
sillonnent les mers d'Asie et la MéditerranéeX
Rkné Henry.
> Journal des Débats, 31 août 1902.
L'OPINION GRECQUE
ET
LA QUESTION DE MACÉDOINE
Nous ne voulons point revenir sur la question macédonienne
envisagée en eUe-m^me : les articles de MM. René Henry et
( -asimir Pralon, publiés par les Quesiions, ont montré à nos lec-
teurs les divers aspects du problème. Ce que nous voudrions
esquisser ici, c'est seulement l'état d'esprit d'un des principaux
intéressés, de l'élément grec.
Il n'est pas besoin d'insister sur l'importance que présente la
connaissance exacte des divers facteurs locaux : savoir avec cer-
titude à quoi aspirent, ce que veulent et révent les diverses
nationalités antagonistes des Balkans, c'est assurément entrer
assez avant dans l'étude de la question de Macédoine, toujours
pendante, tantôt assoupie, tantôt renaissante, dont l'Europe
aura à s'occuper, tant qu'elle ne sera pas résolue.
Aussi voudrions-nous décrire l'état d'ùme de l'opinion grec-
que, la manière dont elle considère le problème macédonien, la
politique qu'elle commande au gouvernement d'Athènes. Pour
ce faire, quoi de mieux que d'être l'écho de Grecs intelligents el
avisés, qui connaissent bien les aspirations de leur nation, en
critiquent quelques-unes, se font Tavocat des autres, et tout
compte fait, nous renseignent admirablement sur la pensée
publique de leur pays. Précisément un jeune homme de la
société grecque de Paris, M. Périclès Argyropoulo, vient de taire»
deux conférences très suggestives ii cet égard \ Très au courant
de la vie politique hellène, il a retracé, avec un talent d'exposi-
tion incontestable, la situation de la Macédoine et de son propre
pays. Nous ne pouvons en ces pages résumer tous ses dévelop-
pements; aussi, reten^int seulement quelques points, nous vou-
drions esquisser : 1° de quelle fac^on la (Jrèce envisage la situa-
tion actuelle de la Macédoine ; 2° quelle politique ses intérêts ol
ses sentiments l'ont amenée à suivn» vis-à vis des Turcs et des
Bulgares, principalement; 3^ quelle solution elle préconise.
Naturellement nous ne serons ici quiin écho, sympa-
I Conférences du 11 mai 1903 ù la Bodinière sur la « Macédoine » et du
13 mai 1903 à l'Ecole des sciences politiques sur « ro[)inion grecque et les solutions
de la question macédonienne ».
QuEST. DiPL. ET Col. — t. xv 44
;j(
690 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
thique comme le commandent les sentiments traditionnels de
la France pour la Grèce, mais sans vouloir aucunement prendre
parti. Au reste, ce qu'il importe ici, c'est de savoir, non pas
seulement la vérité en elle-même, mais encore comment elle
est aperçue par l'opinion hellène : c'est à cela uniquement que
tend cette transcription d^un auditeur *.
Quelle est, d'après l'opinion grecque, la situation actuelle en
Macédoine? La Macédoine souffre d'un mal chronique et d'un
mal aigu : le mal chronique, c'est une administration, un
gouvernement, régime d'arbitraire, contrôlé par l'espionnage et
fondé sur la corruption. La misère est profonde, l'insécurité com-
plète; les impôts sont perçus selon le bon plaisir du percepteur,
qui est parfois le grand propriétaire turc lui-même dont vous
êtes le fermier ; le pays est tellement surchargé de taxes que le
brigandage y fleurit et n'est pas réprimé : bakchisch et brigan-
dage, c'est le régime ordinaire de la Macédoine et le seul moyen
^ de n'y être pas malheureux est, pour les chrétiens, de se faire
brigand.
Quant au contrôle du gouvernement, il est malfaisant et
dissolvant : c'est le produit d'un mal séculaire auquel est
venue s'ajouter l'empreinte d'Abdul-Hamid. Le Sultan est
aujourd'hui la source de ce mal chronique, la corruption des
agents et des fonctionnaires, qui a empoisonné son empire; les
provinces que l'on veut régénérer, il n'y a pas d'autres
remèdes que de les isoler de lui.
Mais si l'administration turque est un mal, elle est surtout le
prétexte à un autre mal, celui-ci aigu et actuel ; c'est l'invasion des
bandes bulgares qui sèment la terreur autour d'elles. Dans cette
Macédoine, carrefour et lieu de passage historique, vivent sept
peuples (Grecs, Bulgares, Turcs, Serbes, Koutzo-Valaques, Juifs
et Albanais) qui se livrent entre eux à une lutte implacable, à
la fois nationale, sociale et religieuse. Ces éléments, sollicités
par des forces divergentes, le Bulgare veut se les asservir ou les
chasser : plus que tous autres, il vise le Grec, le plus nombreux
et le plus influent. Quelque temps il se contenta de la propa-
gande pacifique et bienfaisante par les écoles, mais il échoua;
impuissant, il se tourna vers Faction brutale, il forma des comités.
Toute l'action de ces comités est dominée par leur caractère
révolutionnaire ; ils se souviennent du coup de main de la Rou-
1 Nous remercioDs MM. Clado et Argyropoulo d'avoir bien ¥Oulo, avant qu'elle
ne paraissOi revoir l'expression de leur pensée.
l'opinion grkcquk et la question dis macédoine 691
mélie Orientale, exécuté avec audace par Alexandre de Batten-
bei^, et reconnu comme fait accompli par l'Europe ; ils espèrent
résoudre tontes les questions par ce même procédé^ toute leur
œuvre est commandée par cette pensée. De plus, les Bulgares
sont, dans Fàme, des socialistes révolutionnaires : la plus prolé-
taire des nations des Balkans, de naturel brutal^ ce peuple n'a
que le sentiment de son besoin et de son désir ; en lui donc git
une prédisposition à résoudre tous les conflits par la force.
Aussi la révolution est-elle devenue pour lui une solution
naturelle : les Bulgares y ont été poussés par Texarchat bulgare
lui-même qui, constatant son impuissance à triompher par la
propagande pacifique de Técole, a conseillé la conquête à main
armée * ; ils y ont été poussés par les Turcs, qui, considérant les
Grecs comme leurs pires ennemis après la guerre de 1897, les
ont excités contre eux, sans prévoir qu'ils faisaient le jeu des
révolutionnaires bulgares.
Ceux-ci ont d^autant mieux <c marché » que les Grecs étaient
pour eux tout à la fois Tadversaire politique, le peuple le plus
nombreux en Macédoine, et aussi l'adversaire social, car
THellène y est l'élément le plus riche, le plus instruit, le plus
civilisé, citadin et commerçant, tandis que les Bulgares et les
Slaves en général sont plutôt paysans, pauvres et frustes, payant
difficilement sur leurs récoltes les 63 % que demandent le
grand propriétaire turc et le fisc impérial.
Aussi les comités résolurent-ils, il y a environ un an, d'agir
en Macédoine et.,, en Europe ^ En Macédoine, ils firent une
véritable campagne de brigandages, de meurtres, commis sur
les Grecs comme sur les Turcs, extorquant de Targent par la
terreur, recrutant leurs partisans par Tintimidation, suppri-
mant leurs adversaires. Après avoir ensanglanté le pays, ils
s'imposèrent à lui. Mais leur œuvre brutale était factice : il
fallait agir au plus vite pour empêcher Téchafaudage de crouler,
la population macédonienne bulgare ne les suivant qu'en partie
et toujours à contre-cœur. Ils décidèrent Tinsurrection pour cv
printemps ; mais cette insurrection n'est qu'une invasion : ce
• Cela résulte d'une brochure que cite le conférencier : la Macédoine, édition de
PhilippopoH, 1885, publié par l'exarchat à propos du millénaire de saint Méthode.
Dèa la page 3, on j lit : « Notre avenir en Macédoine git dans le soulèvement » ; et
toute la brochure respire cet esprit.
* Le conférencier caractérise ainsi les comités et leurs tendances ; celui de Michai-
lowsky est dominé par le rêve politique, veut l'annexion de la Macédoine à la Bul-
L^rie, a de fortes attaches officielles : c'est l 'orp:ane du « secret du prince » Ferdi-
nand ; celai de Sarafof, violent, révolutionnaire et démocratique, aspire à une
Macédoine indépendante et prolétarienne dont la Bulgarie ne serait que l'annexe. Le
comité de l'organisation intérieare est plus effacé et plus hocoéte : son but est la
victoire sociale du prolétariat, engendrant la victoire politique des Bulgares, qui le
composent en majorité au Nord.
^92 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
^ont des bandes de Bulgares venus de Bulgarie qui « révolu-
tionnent » le pays, et c'est une invasion d'anarchistes et de
révolutionnaires, qui n'ont pris à la civilisation occidentale
que des ferments de haine et d'envie. Le mouvement n'a pu se
généraliser; les paysans rendent les armes qu'on leur a distri-
buées, voire s'en servent contre les bandes. Les documents
impartiaux, les rapports consulaires constatent tous ce fait \
La population paisible n'est pas avec les révolutionnaires, elle
ne les suit pas, elle les subit, elle subit leurs atrocités bulgares :
ia révolution macédonienne est une invasion de révolution-
naires venus de Bulgarie qui, unis à des brigands du pays, ont
commis leurs atrocités bulgares et ont espéré, tout à la fois,
s'enrichir, forcer la population à se révolter, et faire croire h
l'Europe qu'elle devait intervenir en leur faveur.
Aussi ont-ils tout fait pour gagner l'Europe à leur cause : ils
ont agi par tous les moyens, campagne de presse,conférences,etc.
Ils ont voulu démontrer que la Macédoine était bulgare et que,
les réformes s'étant fait attendre, les Macédoniens n'avaient
plus d'autres ressources que de se soulever en masse : l'Europe
devait les y aider ou, du moins, garder à leur égard une neu-
tralité amicale et leur permettre de recommencer le coup de
main de la Roumélie Orientale.
Pour arriver à cette fin, ils n'ont pas craint de tuer, brûler et
voler, de soulever les représailles turques, contre-coup direct de
ia propagande « par le fer et par le feu » des Bulgares; on a dû
concentrer des troupes, le fanatisme a été excité et aux « atro-
cités bulgares » ont répondu des « atrocités turques >»; on a
arrêté les innocents, canonné, volé, assassiné, et les Bulgares
comptaient là-dessus pour déterminer l'Europe à intervenir, en
surexcitant l'opinion publique occidentale.
« *
Cette façon d'envisager la situation actuelle en Macédoine
explique la politique suivie aujourd'hui par la Grèce vis-à-vis
de la Turquie et de la Bulgarie. Le gouvernement et une partie
de l'opinion publique se sont dit : Nous avons à nous plaindre
en Macédoine du Turc et du Bulgare, mais le Turc, c'est le mal
» Cf. le Bluff Uook, p. 66,79, 98. 107, 136, i41, !52. 176, 211, 215, 230, eic; Livre
jaune, l" public, p. 4; M Choublier (bulgarophile cependant, dit le conférencier]
<^crit dans sa dépêche du 4 mars 1902 : « Les chefs du comité sentent approcher le
jour où ils devront agir coûte que coûte, sous peine de voir toute leur organisation
n'eiTondrer... Les bandes seront-elles suivies si peu que ce soit par les populations?
Rien n'est moins probable. » Le Temps et la Neue freie Presse pensent qu'il faut
armer les habitants contre leur libérateur ; la Tribuna, sous la signature de RiccioUi
Garibaldi, conclut que c'est un mouvement bulgare et non macédonien.
l'opinion grecque et la question de macédoine 693
chronique. Le Bulgare, c'est le danger actuel et en fait plus
redoutable que le Turc : depuis quatre ans il nous assassine et
c'est nous principalement que le Bulgare veut éliminer en
Macédoine. Or, nous craignons plus de voir le Bulgare s'in-
staller en Macédoine que le Turc y rester. La domination
turque s'effrite et TEmpire Ottoman c'est un peu notre chose ; un
grand nombre de nos frères y vivent, il y a un Etat grec (le
Patriarchat) dans TEtat turc ; nous nous regardons comme se&
héritiers présomptifs et nous n'aimons pas que d'autres tou-
chent à cet héritage. Le Bulgare, c'est l'autre larron. La vie, du
reste, sous la domination bulgare, serait tout à fait intenable
pour le Grec de Macédoine : l'exemple de la Roumélie Orientale
est probant à cet égard. Nous y pouvions encore vivre sous le
Turc; avec le Bulgare, nous ne le pouvons plus et nous devons
fuir l'oppression bulgare. Enfin, nous ne voulons pas de la
solution bulgare, l'autonomie, à cause précisément de l'exem-
ple de la Roumélie Orientale : nous craignons le « coup de
main ». Ainsi, dans ce conflit turco-bulgare, le gouvernement
et Vopinion grecque sont contre le Bulgare^ donc pour le
« statu quo » et par conséquent pour le Turc,
A vrai dire, si l'opinion publique est poussée seulement par
ces motifs sentimentaux et ne va pas au delà dans l'expression
de ses pensées, le gouvernement grec d'une part, certains
hommes politiques d'autre part, vont plus loin dans cette voie.
Le gouvernement est en coquetterie avec la Sublime Porte,
car il a des raisons actuelles, extérieures à la question macé-
donienne, de se conduire ainsi. Il est avec le gouvernement
turc en instance de traité de commerce (et il y a 80.000 sujets
du royaume en Turquie), de traité pour la pAche des éponges
sur la côte de Cyrénaïque (plusieurs îles de l'Archipel vivent de
cette pêche), de traité pour le raccordement des chemins de fer
g;recs avec les turcs (pour faire rejoindre à la voie Athènes-
Larissa la ligne de Salonique qui va bientôt être rattachée
directement à l'Europe centrale) et de traité sur la naturalisa-
lion des Grecs de Turquie comme sujets du royaume (il y en
a 6 millions en Turquie). Le cabinet athénien s'est donc vu
obligé de ménager le gouvernement turc, et il a profité de la
question de Macédoine pour faire « les affaires » de la Grèce,
comme les Bulgares avaient profité des événements de Crète
pour faire les leurs en Macédoine (affaire des bérats).
Il y eut donc, en quelque sorte, marché de gouvernement à
gouvernement, et l'Hellène a adopté vis-à-vis des insurrections
une attitude défavorable, fermant sa frontière à tout passage
d'armes, conseillant à tous les Grecs de ne jamais se joindre aux
i
694 QfJBSTIOMS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
Bulgares. Telle est Texplication du « flirt turco-^ec » actuel,
que ropinion ne combat pas, parce qu^elle en sait les bénéfices.
Certains hommes politiques sont allés plus loin encore et ont
prôné une véritable alliance gréco-turque. Le souvenir de
Byzance demeure vivace en Grèce, d'autant plus qu'il y a en
Orient deux Etats grecs, le royaume et Tempire : TEmpire turc
contient en effet un véritable état sacerdotal, ayant autant de
sujets que le royaume, s'étendant sur tout l'Orient, reste de
Byzance, et seulement le vassal de TEtat musulman. De là
est né ce rêve de fusion turco-grecque, à Timage de celle
des Romains et des Grecs dans l'Empire byzantin. C'est une des
formes du panhellénisme contemporain. On comprend toute
la splendeur de cette idée, surtout pour un peuple qui a les
grands souvenirs, le vieux passé du peuple hellène et qui, pour
réaliser un avenir digne de cette tradition, n'a que le petit
nombre d'habitants que Ton sait.
Aussi quelques asprits ont vu une manière de réaliser ce rêve
grâce à raffaire macédonienne. Attaqués par le Bulgare, Grecs
et Turcs s'unissaient en tout et pour tout et peu à peu on assis-
terait à la transformation de cette alliance en un Etat gréco-
turc, qui serait m«ûtre de l'Orient. Or, dans cet Etat le Grec,
supérieur en civilisation, en culture et en richesse au Turc,
(c mènerait )> ce dernier un peu à la façon des Hongrois en
Autriche-Hongrie. En se faufilant dans l'Empire, le royaume
en deviendrait le maître.
Ce rêve, où Ion sent l'empreinte du passé, M. Périclès
Argyropoulo le laisse aux illuminés qui s'en sont faits les apô-
tres* : ce serait, dit-il, la réannexion de la Grèce à l'Empire
Ottoman et cet essai de revivification de l'Empire serait vain, ou
il serait l'abandon du principe des nationalités qui prédomine
en Orient au profit d'une conception impériale de domination
et de paix romaine. Mais n'est-il pas curieux que six ans après
la guerre gréco-turque, la puissance des splendeurs perdues, la
force du passé ait tant d'attraits, qu'elle puisse faire naître de
pareils projets.
»
Etant donné ces conditions, il est aisé de deviner quelle solu-
* Un de ses partisans est le député grec D' BeUo, dont le projet d'empire helléno-
turc a démenti les pensées occidentales : il est allé & Constantinople parler d'une
union analogue à celle des Etats allemands et de la Prusse. Le Sultan deviendrait
Empereur de Byzance, il n'j aurait qu'un ministre de la Guerre et us nûiiistre
des Affaires étrangères à Constantinople, un ministre de la Marine à Athènes : on
n*8 pas compris en Occident que c'était là une manifestation, une déviation —
néfaste, selon le conférencier, — du panhellénisnie.
i
l'opinion grecque kt la question de macédoine 695
lion 1a Grèce peut préconiser pour le problème macédonien :
elle pense : vous Hes incapables de gouverner ce pays, nous ne
voulons pas que nos rivaux s'en chargent, mais bien volontiers
nous en assumerions la responsabilité. Mais si c'est là la pensée
commune, il y a la manière : celle de M. Aygropoulo est des
plus conciliantes, parmi celles que les Grecs proposent. Le mal,
dit-il, a deux causes : le contrôle néfaste du Sultan et les luttes
intérieures. L'action européenne, et particulièrement austro-
russe, s'est efforcée seulement d'exercer une pression à Sofia, où
sans doute l'on pourrait surveiller plus qu'on ne fait, mais qui
n'est cependant maître que d'un comité sur trois. Elle agit près
de la Sublime Porte pour faire introduire des réforme adminis-
tratives; mais ces réformes sont absolument insuffisantes, car
elles ne tarissent pas la source du mal qui est Tintervention du
Sultan. La seule réforme efficace consiste à substituer à la sou-
veraineté effective d'Abdul-Hamid le contrôle de TEurope. En
dehors de cela, rien ne sera sérieux. Voyez le résultat actuel
des réformes : les administrés n'en veulent pas, car ils n'ont
pas confiance et la corruption a trop fait son œuvre pour qu'une
réforme administrative opérée par les agents de la cour puisse
réussir. Par exemple, on a pris l'habitude de payer le juge, et
comme rien de fondamental n'est changé, on n'a aucune con-
fiance de gagner son procès honnêtement. Les Bulgares n'en
veulent pas, car cela les empêcherait de pécher en eau trouble
(ils font tout pour empêcher le recrutement de la gendarmerie) ;
les Albanais les repoussent de la façon qu'on sait : ils croient
servir le Padischah en lui désobéissant et ils ont répondu aux
tentatives parles» atrocités albanaises » récentes — assassinat
de M. Tcherbina ; pillage de Voutchina ; enlèvement de douze
gendarmes chrétiens; siège de Mitrovitza le 31 mars ; la mission
des réformes cernée à Ipek le 16 avril; deux juges arméniens
et juifs assassinés à Scutari le 20 avril, etc. — Les réformes
ont échoué et échoueront parce qu'on n'a pas su, ou plutôt
voulu, voir la cause profonde des troubles.
Il faut, pour arriver à un résultat sérieux, introduire l'auto-
nomie, faire de la Macédoine une i^gypte où l'Europe jouerait le
rôle de l'Angleterre. Mais elle ne résoudrait que la moitié du
problème : l'Europe intervenant, on ne pourrait lui demander
délaisser des milliers d'hommes pour maintenir la paix entre
les nationalités. 11 faut donc, le Sultan éliminé, donner la majo-
rité à un des éléments en conflit? Naturellement M. Argyro-
poulo conclut en faveur de la Grèce, et il nous présente les justifi-
cations suivantes : Nous sommes certainement la majorité dans
la bande Sud de la Macédoine et sur la côte ; les Bulgares peut-
k
fi96 QUESTIONS DIPLOMATIQUISS ET COLONIALES
iHre dans la bande Nord ; au Centre, les populations sont mêlées.
Naturellement nous faisons abstraction de la Vieille-Serbie et de
la plaine de Kossovo, qui reviendrait à la Serbie sans conteste,
do l'Albanie et de TEpire. Quant au reste, nous avons le choix
rntre une autonomie soumise à Tinfluence bulgare (com-
prenant le Nord et le Centre) avec l'annexion du Sud à la
(inVe, ou d'une autonomie soumise à l'influence grecque (com-
posant le Sud et le Centre) avec une annexion du Nord à la Bul-
trarie. La première solution est inacceptable : ce serait rendre
bi vie impossible aux très nombreux Grecs habitant cette région.
Nous, au contraire, chacun sait avec quelle douceur nous traitons
lesdissidents, qui sont presque favorisés (le président delacourde
cassation de Crète est un Turc ; nous violons la constitution en
faveur des Koutzo-Valaques d-e nos montagnes, en n'exigeant
pas d'eux le service militaire ; les musulmans qui avaient fui
la Thessalie y sont en partie revenus, car nous les laissons libres
et leurs représentants siègent avec leur costume national dans
notre parlement) ; nous ne molestons jamais, dès que nous
avons partie gagnée, et nous n'empruntons pas au Patriarchat
certains des procédés dont se plaignent parfois les nationalités
dissidentes qui sont placées sous son hégémonie. Il semble
bien qu'il y ait là une forte considération en faveur de
la préférence à nous donner. Ce n'est pas tout : nous ne
pourrions supporter une autonomie bulgare, car nous nous
rappelons trop le coup de main de la Roumélie Orientale. Nous,
au contraire, nous respecterions la souveraineté nominale du
Sultan ; nous la respecterions d'autant plus, que nous crain-
drions moins d'être chassés par un rival entreprenant; et c'est
pour cela que nous envisageons comme la meilleure solution
1 autonomie du Centre et du Sud de la Macédoine sous un prince
fi:rec, qui fournirait les cadres de la nouvelle administration
nécessaire, avec le contrôle de l'Europe pour les finances et
quelques autres matières, et sous la suzeraineté delà Sublime
Porte.
Mais la Grèce ne se fait aucune illusion sur ce qu'elle doit
espérer de TKurope. Réformer TEmpire, c'est le démembrer,
sinon nominalement,du moins effectivement. Une telle solution,
on doit l'imposer au Sultan et par la force des armes. Or
l'Europe a peur de toute intervention militaire, elle fera tout
pour l'éviter. Elle ne s'y résoudra que forcée par un « déplorable
accident » , comme fut qualifiée par un ministre anglais, aux Com-
munes, la bataille de Navarin. C'est en cela que les Comités
bulgares voient juste : ils veulent créer l'accident, et à la faveur
des idées répandues par eux ils espèrent que l'Europe leur accor-
f^'^^tl^'F
L*OPmiON GRKCOUE ET LA QUEST(ON DE MACÉDOINE 697
clera alors une Macédoine bulgare. Contre cela nous protestons:
si le « déplorable accident » survient, la Grèce ne veut pas être
frustrée de l'influence à laquelle elle a le droit.
« «
Il était intéressant d'obtenir confirmation de l'exposé de ce
point de vue grec auprès du D*" Clado, une des personnalités
les plus connues de la société grecque de Paris. Très au cou-
rant de tous les événements des Balkans, véritable centre
d'infornaations pour ses compatriotes, le D*" Clado déplore
rinaction que les Hellènes ont gardée jusqu'à présent pour
combattre la propagande bulgare en Occident II est absolu-
ment d'accord sur tous les points essentiels avec son compa-
triote, M. Argyropoulo. Il n'est pas douteux, dit-il, tout indique
que nous avons assisté non à une insurrection, mais à une
invasion préparée depuis 1899 : la vraie raison est d'ailleurs
indiquée dans la lettre confidentielle suivante adressée par
M. Rizow, agent commercial, en Macédoine, au prince Ferdi-
nand, le 26 avril 1899 :
C'est un aveuglement du ministère Grécow (alors au pouvoir) et qui
porte en soi la ruine du bulgarisme, de croire qu'il soit possible d'aug-
menter les succès remportés jusqu'ici par les Bulgares en Macédoine, au
moyen du système ecclésiastique et scolaire. L'activité de la Bulgarie est
arrêtée dans cette direction. Nous ne pouvons plus rien par l'église et Vécole.
Plus la situation actuelle se prolongera, plus nos adversaires (les Grecs)
gagneront du terrain et plus nous serons en mauvaise posture. Toutes les
concessions amicales que nous pouvons espérer de la Turquie ont été
obtenues. Une nouvelle faveur de la Porte, si elle était jamais possible,
nous rapporterait plus de dommage que de profit, car elle nous détourne-
rait du but principal qui doit être de nous préparer à affranchir purement et
simplement les Macédoniens, (Lettre confidentielle de M. Rizow au prince
Ferdinand.)
Ce sont, pour la plupart, des bandits venus de Bulgarie
comme Sarafof et autres, comme les auteurs de l'attentat de
Salonique, qui ont organisé cette invasion. Il n'est guère niable
qu'ils ont trouvé appui auprès de la cour de Sofia : on
leur laissait voler 60.000 fusils dans les arsenaux ; à la fron-
tière, on fermait les yeux. Le prince, comme tout le peuple,
était leur complice. Quand le ministre Danef, sous la pres-
sion austro-russe, en arrêtait, le prince les faisait relâcher.
En réalité, le prince aspire à jouer dans les Balkans le
rôle d'un Victor-Emmanuel dont les chefs de comité seraient
les Garibaldi. Sa pensée constante tend à une plus grande
Bulgarie : toutes les ressources de TEtat passent à Tarmée.
i lf*
698 QUESTIONS DIPLOMATIQUBS BT COLONIALES
Instruction, travaux publics, etc., aucun service n'est déve-
loppé; mais à l'armée il consacre tous ses soins. Le Bulgare
est donc, dans les Balkans, notre ennemi-né et bien plus que
le Turc. Heureusement, pour l'instant, leur invasion en Macé-
doine paraît terminée: leurs exploits de Salonique, à la Banque
ottomane et au Guadalquivir sont leur chant du cygne. Ils n'ont
plus de ressources ; ils espéraient en trouver au trésor de la
Banque ; sans argent, ils ne peuvent rien; ils ont perdu la pre-
mière manche et le nouveau ministère bulgare négocie avec
Constantinople pour se faire acheter par quelques concessions
la cessation des troubles qu'ils sont pour le moment impuis-
sants à continuer. Jusqu'à quand l'accalmie? on l'ignore. Mais
ce qu'il importe, c'est de fixer les responsabilités. La plus
grande partie doit en retomber sur les Bulgares, peut-être aussi
sur leurs partisans d'Europe, qui, illusionnés par eux, ont gémi
sur leur malheureux sort et ont tenu des meetings contre le
Turc pour le Bulgare. Celuî-ci a pris grand soin de faire savoir
partout que la France les soutenait, par conséquent la Russie,
qu'il suffisait de faire naître un déplorable accident et ils n'ont
pas hésité : si seulement les musulmans, exaspérés, au lieu de
faire la salutaire opération de police que l'équipage du Gua-
dalquivir louait, avaient massacré par représailles tous les
« roumis » de Salonique, quelle espérance en une intervention à
laquelle on aurait acculé l'Europe!
Nous allons donc rentrer dans une période de calme... jus-
qu'à ce que des exploits turcs, bulgares ou albanais recommen-
cent. Il faudra bien cependant une solution. Pour moi, celle
que présente mon ami Argyropoulo est trop modérée : sur
2 millions d'habitants en Macédoine, nous sommes 945.000*,
les Turcs 100.000, les Bulgares 200.000; nous formons donc la
grande majorité, comme il est facile de s'en rendre compte par
la carte allemande de Kiepert. Les voyageurs s'y trompent par-
fois, car le bulgare est une langue très simple, que l'on apprend
pour les relations commerciales, que Ton parle dans les mar-
chés entre nationalités différentes, comme un volapûk, moyen
nécessaire et commode de communication. Mais, en réalité,
nous représentons la moitié de la population et assurément la
partie la plus riche et la plus civilisée. Aussi ne voyons -nous
que deux solutions : il faut éviter que Constantinople soit
coupée de ses possessions de TOuest, l'Albanie, l'Epire. Aussi,
pour rester en communication (car il ne faut pas poser toutes
les questions à la fois), faut-il ou que la Macédoine reste sous la
suzeraineté turque (et alors tout entière autonome sous un prince
* Patriarchistes.
f
l'opinion grecque et la question de macédoine 699
grec), ou qu'elle soit annexée purement et simplement à la
Grèce, eji réservant la rone Nord qui, avec la Vieille-Serbie,
serait le lieu de passage entre les deux parties de TEmpire.
Il n'y aurait rien là qui soit essentiellement contraire aux
intérêts de TAutriche, par exemple. Elle tend à rejoindre Salo-
nique : politiquement, la Russie ne le permettrait pas; com-
mercialement, nous lui ferons les conditions les plus favora-
bles, nous ne demanderons pas mieux. Quant à la France, son
intérêt est d'être avec nous ; la sympathie de notre pays pour
le vôtre n'est pas douteuse. Cela est même une des causes qui
ont occasionné la grande colère de Guillaume 11 contre nous;
quand il vint à Athènes pour le mariage de sa sœur, nos accla-
mations se portèrent plus sur la mission française que sur lui :
inde irœ. Dans toutes nos écoles de Grèce et de Macédoine, le
français est seul obligatoire avec le grec. Cela vous assure une
influence morale, et quand vous voudrez, commerciale, qui
n'est pas à dédaigner. Aussi avons-nous ressenti cruellement la
partialité de votre Livre jaune^ imprégné de bulgarophilie et
dont on vient de vous récompenser à Salonique.
Nous n'indiquons nos prétentions que pour maintenir nos
droits, ne pas les laisser se prescrire. A tout autre change-
ment que celuî-ôi, nous préférons de beaucoup le statu qiio,
avec, seulement, pour le rendre supportable, le doublement par
des chrétiens de tous les postes, sans qu'en fait, par des mem-
bres de droit, on donne aux Turcs la majorité, comme actuelle-
ment *. Nous savons très bien qu'avec le statu quo^ par la force
propre de notre développement, nous hellénisons peu à peu
l'Empire; nous conquérons peu à peu la richesse, le commerce,
les propriétés ; en Macédoine, en Asie Mineure, nous formons
déplus en plus la classe cultivée, influente et fortunée. Aussi
comptons-nous que le temps marche avec nous. L'Empire turc,
l'homme malade, quand il mourra, ne pourra avoir d'autres
héritiers présomptifs que nous et l'œuvre du temps, en facili-
tant rhellénîsation de l'Empire, facilitera par cela même la
liquidation de la succession. Aussi ne pouvons-nous compren-
dre les illuminés qui parlent de fusion gréco-turque aujour-
d'hui. 11 y a, entre ces deux éléments, un antagonisme profond de
race et d'instinct. Moi-même, qui suis un Grec de TEmpire,
élevé à Smyrne, qui ai connu dans la maison de mon père les
hauts fonctionnaires turcs de la ville, je ressens ce quelque
^ Ou mieux encore il faudrait mettre fin à ce qui est au fond de la question
macédonienne latente : l'insécurité créée par les dilapidations. Si toutes les ressources
qu'on tire de la Macédoine ne sortaient pas du pays, cette terre, bien douée entre
toutes, serait parfaitement prospère.
700 QOKSTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALKS
chose d'invincible qui indique la complète antinomie des deux
races. Et croyez bien que l'opinion publique grecque est telle :
que notre gouvernement conte fleurette à celui de Constanti-
nople, pour obtenir quelques avantages matériels, on laisse
faire sans enthousiasme, par intérêt, bien entendu ; mais aller
plus loin, que non ! Nous estimons le Bulgare notre plus
dangereux adversaire, parce qu'il est le plus entreprenant et
celui qui paraît devoirse faire, par la force, un avenir; mais le
Turc est aussi et restera notre ennemi : nous ne pouvons être
frères, mais seulement successeurs...
• «
Il y a, me semble-t-il, quelque chose de tout à fait frappant,
quand on voit le fond des aspirations de ces peuples balkani-
ques et de la Grèce en particulier. On pourrait croire que l'im-
périalisme est un sentiment réservé aux grands peuples,
orgueilleux et conscients de leur force : il n'en est rien. Il n'y a
pas que l'Angleterre qui rêve de « la plus grande Angleterre »
et l'Allemagne de « la plus grande Allemagne ». La Bulgarie a
toute sa politique actuelle dirigée par cette idée de « la plus
grande Bulgarie » et la Grèce, de même, ne songe qu'au pan-
hellénisme, à « la plus grande Grèce ». Les plus pressés des
Hellènes la veulent réaliser sous celte étrange forme d'Empire
gréco-turc de même apparence que l'Allemagne; les plus réa-
listes rejettent dans le lointain leur idéal, mais se désignent déjà
comme les héritiers naturels de l'Empire turc. L'Empire grec
chez les uns, la grande Bulgarie du traité de San-Stéfano avec
le souvenir du coup de main de la Roumélie Orientale chez les
autres, dominent leurs préoccupations présentes, guident leur
pensée, leurs sentiments, leur politique : ce sont ces longs
espoirs qui rendent si malaisée la solution de la question macé-
donienne, mais nous ne pouvons nier qu'ils sont en eux-mêmes
le signe d'une vie nationale intense. C'est pour un peuple une
réserve d'énergie, quand ces souvenirs d'antan, cette force du
passé, disciplinent et unissent les aspirations populaires.
Gabriel Loris-JARAv.
i
LES AFFAIRES D'ALGÉRIE
La marche des affaires algériennes est en ce moment parti-
culièrement intéressante à suivre. Nous avons, sans doute, la
satisfaction de constater que la crise si profondément regret-
table, ouverte à la veille môme du départ du président de la
République pour l'Algérie, peut désormais ôtre considérée
comme terminée. C'est du moins ce que tend à établir la note
officieuse suivante, communiquée ces jours derniers à la
presse :
La démissioa de M. Revoil, en qualité de gouverneur général de
l'Algérie, avait produit il y a un mois une émotion qui devait se traduire
par une interpellation de M. Etienne devant la Chambre. On annonce que
la nomination de M. Jonnart, comme successeur de M. Revoil, et la pro-
messe formelle qu'une ambassade serait donnée à ce dernier dès la
première vacance, terminent l'incident.
Mais, malgré tout, la question algérienne continue de sou-
lever d'assez vives discussions dans la presse et dans le monde
parlementaire. Aussi, pour permettre à nos lecteurs de se faire
une opinion impartiale et raisonnée sur ces affaires d'Algérie,
toujours si controversées et si complexes, nous nous contente-
rons simplement aujourd'hui d'exposer les traits essentiels de
la politique intérieure et extérieure de la colonie — et cela,
d'après les renseignements et documents que nous fournissent
les journaux qui s'en sont occupés dès l'arrivée à Alger du
nouveau gouverneur général.
• «
En ce qui concerne d abord la politique intérieure de l'Algérie,
le très distingué président doyen desdélégations, M. Bertrand, a
pris soin, en ouvrant la session, de rappeler, dans son discours
d'usage, les idées si souvent professées par M. Jonnart « qui,
« quoique jeune encore, a-t-il ajouté, est déjà un vieil Algérien,
« ayant la vision claire des institutions spéciales qui convien-
« nent à la jeune colonie , si différente à tous les points de vue
« de notre vieille France.
« C'est son programme, si nettement exposé dans son remar-
« quable rapport du budget algérien de 1893, qui doit inspirer
« toutes nos réformes. C'est son programme que M. Revoit a suivi
« pendant deux ans; c'est ce même programme que M. Jonnart
« veut appliquer. Nous n'avons aucune appréhension à conce-
« voir; nous n'avons aucune surprise à redouter. »
702 QUESTIONS IHPUnUZIQQES ET GOLONULES
On se rappelle, en effet, que, rapporteur du budgetde l'Algérie
en 1893, M. Jonnart saisit cette occasion de formuler, avec une
précision qui ne pouvait laisser place à aucune équivoque et qui
par conséquent l'engageait formellement pour l'avenir, tout
un programme de gouvernement pour notre grande colonie
d'Afrique.
L'Algérie, écrivait Alors M. Jonnart, n'est pas une colonie dans le sens
habituel du mot, non plus qu'une simple agrégation de dépariemeots
français .
Elle a un caractère intermédiaire qui n'a pas de nom ni d'exemple dans
notre système politique.
Le régime qui lui convient n'est pas l'assimilation, et ce n'est pas
l'autonomie...
• .•• • ...•.,...
L'Algérie n'est pas une. Les départements qui la composent ont des
tendances divergentes ; dans les limites mêmes de chaque province, on se
heurte à une grande diversité de besoins et d'intérêts, à des jalousies
vivaces et des divisions profondes. Nulle part l'esprit local n'a plus de
force.
Le gouvernement général intervient pour imprimer à l'organisme algé-
rien une impulsion générale, suivant des vues d'ensemble. Il réalise
l'unité administrative.
En présence d une population européenne de 500.000 habitants à peine,
comprenant les éléments les plus divers, sans cohésion entre eux, n'ayant
ni la même langue ni les mêmes aspirations, vit et se développe une popu-
lation indigène de 3 millions et demi de sujets dont les éléments sont éga-
lement dissemblables par l'origine, par les mœurs et les intérêts.
Ces races diverses doivent être gouvernées avec des idées propres a
chacune d'elles et avec des nuances particulières, mais suivant rintérêt
dominant la patrie française...
L'unité de vues et de direction dans le gouvernement de l'Algérie s'esi
toujours imposée ; elle s'impose avec plus de force que jamais.
La tâche de Tadministration algérienne, en effet, grandit avec les ambi-
tions ou plutôt les nécessités de notre politique coloniale.
Notre diplomatie ne saurait avoir d'auxiliaire plus utile, et uon seule-
ment dans son action au Maroc, en Tunisie, dans le Nord de l'Afrique,
mais encore dans la pénétration des régions inexplorées du Centre afri-
cain, objet des convoitises, de l'Europe entière.
Suivant l'heureuse expression du chef actuel de Fadministration algé-
rienne, M. Cambon : « Le gouvernement général ne représente pas unique-
i< ment l'intérêt des Français d'Algérie, il représente l'intérêt de la
« France. »
Il est à Alger le régulateur éminent, l'arbitre nécessaire du conflit d'inté-
rêts qui fatalement met aux prises la colonisation européenne avec les
usages et les droits de la race indigène.
Sa mission n'a jamais été plus justifiée, car à aucune époque le gouver-
nement de nos sujets musulmans n'a réclamé plus de fermeté et d'esprit
de suite, de justice et de bienveillance.
I
LES AFFAIRES d'aLGÉRIE 703
Otii, le gouvernement général doit être maintenu, mais pour qu'il
accomplisse son œuvre il faut qu'il soit fort et qu*il soit libre.
Or, il existe, mais dépourvu d'autorité et d'initiative !
L*abus de la centralisation en a faussé les rouages...
Or, ce qu'écrivait en 1893 le rapporteur du budget algérien,
le gouverneur général de 1903 a tenu à le répéter au moment
d'aller prendre possession de son poste. Voici en effet, d'après
YEcho dOran^ le résumé des déclarations que M. Jonnart a
faites le 12 mai à M. Saint-Germain, sénateur d'Oran, avec qui
il s'était rencontré à Lyon.
M. Saint-Germain crut devoir appeler d'abord l'attention du
nouveau gouverneur sur la situation fâcheuse du Sud-Oranais.
M. Jonnart répondit que sa première préoccupation serait de prendre les
mesures que comportent les faits survenus récemment. Il convoquera im-
médiatement à Alger le général O'Conor, commandant la division d'Oran,
et aura avec lui et le commandant du 19* corps, une consultation dans
laquelle seront examinées et discutées toutes les dispositions nécessaires
pour mettre un terme aux attentats dont sont victimes continuellement les
convois des tribus indigènes sur les frontières marocaines.
L'Algérie peut compter sur la fermeté du gouverneur pour assurer la
sécurité et le respect de nos territoires.
Diverses autres questions ont été ensuite traitées, notamment celles des
tribunaux répressifs, et du rachat des chemins de fer algériens.
En ce qui concerne les tribunaux répressifs, M. Jonnart réclamera éner-
giquement leur maintien ; il acceptera néanmoins, pour donner toute satis-
faction possible aux opinions qui se sont manifestées dans les milieux
parlementaires, certaines modifications inspirées par des idées de justice
et de droit, telles que rabaissement de la limite de la durée des condamna-
tions donnant le droit d'interjeter appel. Il adhérera également à ce que les
nominations des assesseurs français et musulmans, représentants auxi-
liaires du ministère public, soient faites sur les propositions de la Cour
d'Alger. Il espère que la commission qui doit être organisée par le ministre
de la Justice pour étudier la réforme dfi l'institution s'inspirera d'idées de
sagesse et exclura le parti pris pour rechercher et préconiser les réformes
reconnues nécessaires et équitables.
M. Jonnart viendra au surplus devant la commission comme interprète
autorisé des desiderata des populations algériennes dont il saura défendre
les préférences; puis la commission comprendra des personnalités capables
de soutenir le gouverneur.
En feront partie les représentants de l'Algérie: MM. Etienne et Saint-
Germain pour le département d'Oran; MM. Albin Rozet, Flandin et de
Pressensé, représentants de la Chambre; M. Loew, président de chambre
à la Gourde Cassation, récemment mis à la retraite; MM. Viviani, Le Poi-
tevin et divers magistrats de la Cour de Paris.
M. Jonnart est persuadé qu'avec de tels éléments, la commission ne
prendra que des résolutions mûrement réfléchies, prudentes et conformes
704 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS KT COLONULES
aux intérêts de la sécurité daa^ la colonie, du respect de la justice et de
rhumanité.
Relativement au rachat des voies ferrées, M. Jonnart n*a pas encore
arrêté son opinion définitive. Il est impossible, du reste, que la question
vienne à la prochaine session des Délégations qui doit commencer lundi
prochain. Le bureau du ministère des Travaux publics n'a pas achevé
l'étude du dossier et cette affaire est d'une trop grosse importance pour
pouvoir être tranchée sans que les Délégations possèdent des élémenis
absolument complets d'information, de façon à pouvoir se prononcer en
toute connaissance de cause. Pour lui, il examinera minutieusement toutes
les solutions sans parti pris, en recherdiant seulement celle qu'il jugera la
meilleure pour les intérêts algériens, les progrès de la colonisation, les
avantages du commerce et de Tagriculture.
Le choix devra être fait entre l'exploitation par deux Compagnies con-
cessionnaires. Tune ayant le réseau de l'Est, l'autre le réseau de l'Ouesiei
Alger étant le point de démarcatipn entre les deux exploitations, ou l'ex-
ploitation directe par la colonie, subrogée aux droits de l'État.
Ce dernier système doit être minutieusement étudié ; il aurait de sérieux
avantages, rendrait l'Algérie maîtresse des tarifs, des horaires, du prolon-
gement des lignes, des améliorations des services et pourrait aussi, à un
moment donné, procurer d'importants bénéfices.
L'expérience de l'exploitation directe du réseau franco-algérien indique
que la colonie peut tirer, en exploitant elle-même, de considérables profils,
mais en supposant que la colonie dût recourir à la rétrocession à deux
Compagnies fermières, il faudra voir si ne doit pas être innové, à cette occa-
sion, un nouveau système consistant à astreindre les Compagnies conces-
sionnaires à prendre en charge simultanément le transport par terre elle
transport maritime des marchandises, de façon que les colons, en remet-
tant leurs produits à une gare de chemin de fer quelconque, n'aient plus a
s'inquiéter du transport dans la métropole.
Les Compagnies algériennes de chemin de fer assumeraient la responsa-
bilité complète de faire parvenir les marchandises à destination. Ce serait
à elles de s'entendre avec les Compagnies de navigation, actuellement
existantes, pour réaliser la combinaison.
En tout cas, ce projet mérite un sérieux examen de la part des Déléga-
tions. M. Jonnart assure qu'elles Tétudieront avec l'attention que comporte
l'importance de la solution.
M. Jonnart se déclare enfin partisan résolu du maintien de Torganisj*
tion administrative existante: conseils généraux, préfectures et sous-pre-
fectures, mais il désire poursuivre la réalisation des idées qu'il avait précé-
demment émises lors de son premier séjour à Alger, c'est-à-dire : large
décentralisation, augmentation des pouvoirs des préfets et des conseil^
généraux, rôle actif des sous-préfets et des administrateurs pour l'amélio-
ration du contrôle permanent et rigoureux des populations indigènes.
M. Jonnart espère fermement rencontrer parmi les colons et les assem-
blées élues, à tous les degrés, un ferme et confiant appui.
11 ne va pas en Algérie pour quelques mois, il veut rester longtemps à
la tête du gouvernement général, et il estime que la conservation de sod
mandat de député lui permettra de mettre au service de la colonie l'auto-
LES AFFAIKES D ALGÉRIE 705
rite des relations parlementaires qu'il possède dans divers milieux du
Palais-Bourbon. Toutefois si, à un moment donné, après des renouvelle-
ments successifs de la durée de sa mission, il était contraint d'abandonner
son siège législatif pour conserver ses fonctions gubernatoriales, il n'hési*
terait pas à sacrifier sa qualité de député pour mener à bien l'œuvre entre-
prise; mais il croit fermement que la conservation de son siège législatif
ne peut qu'être utile à la prompte solution des affaires de la colonie. C'est
pourquoi il le conserve.
En terminant, M. Jonnart a répété combien il était heureux de revenir
dans notre pays. Dès qu'il connut la démission de M. Hevoil, il apprit que
M. Combes avait proposé sa succession à M. Pichon qui allait accepter.
C'est alors qu'il fit connaître au président du Conseil qu'il serait disposé
à reprendre sa tâche, jadis interrompue.
M. Combes déféra aussitôt à son désir et acquiesça à sa demande. C'est
ainsi que fut signée la nomination.
VEcho d^Oran^ après avoir ainsi rapporté cette intéressante
conversation concluait :
Nous pouvons ajouter que M. Jonnart est d'accord absolument avec le
gouvernement sur tous les points de «son programme. Aucun dissentiment
ne semble pouvoir survenir entre le gouverneur et le pouvoir central.
M. Jonnart prendra donc possession de ses fonctions dans des condi-
tions exceptionnellement favorables de stabilité.
«
En ce qui concerne la politique extérieure de l'Algérie, on a
vu par l'exposé qui précède quels étaient les intentions du nou-
veau gouverneur. M. Jonnart a soumis en effet au gouvernement,
qui Ta ratifié, tout un programme d*action immédiate dont
une note Havas vient de préciser ainsi les grandes lignes :
Les mesures prises par le gouverneur général de l'Algérie, d'accord
avec le général commandant en chef le 19* corps d'armée, en vue d'assurer
la sécurité dans le Sud-Oranais, consistent principalement dans l'utilisa-
tion des forces indigènes de harkas, de goums qui, comme les bandes de
pillards marocains, sont extrêmement mobiles.
Les mouvements de ces groupes seront appuyés par deux colonnes qui
renforceront nos postes du Sud-Oranais et qui occuperont les points d'où
il est le plus aisé de surveiller les rassemblements des Marocains et d'em--
pécher la concentration des bandes.
Les ksours du territoire marocain, qui recueillent habituellement nos
agresseurs, seront châtiés.
Il ne s'agit pas d'occuper un point quelconque du territoire marocain,
mais d'exercer le droit de suite dans toute sa rigueur, de façon à décoursh*
ger les pillards.
Au surplus, le gouvernement marocain sera certamement reconnaissant
au gouvernement français de tous les efforts qui tendront à rétablir l'ordre
et la sécurité dans cette région, où il n*y a plus ni administration ni
QussT. DiPt. «T Coi.. — t. xv. 41
\\
^ w
706 QUKSTIONS DlPLOMATlQUes KT COLONIALES
police, et où, par suite de la disette des récoltes, les razzias sont d'autant
plus à craindre.
^ Commentant cette note, le Temps a publié, le 26 mai, les
' réflexions suivantes :
• Gomme on le voit, on a dii se résoudre à diriger des colonnes vers la
; région de la Saoura, pour y ramener un peu de tranquillité ; caria saison
r est beaucoup trop avancée pour qu'il soit possible, sans exposer aux plus
i grands dangers la sant(^ des troupes, d'entreprendre aucune opération
[' ; active d'une certaine envergure.
;. Les erreurs commises eussent pu être facilement évitées si les mesures
r, convenables avaient été prises à temps Les avis et les propositions dans
ce sens n'ont cependant pas manqué, et nous nous félicitons notamment
de nous être rencontre avec l'unanimité de la presse algérienne et colo-
niale et de la presse militaire, pour faire ressortir les côtés pratiques et
économiques, à la fois, du système des compagnies mixtes, préconisé par
un ancien ofUcier des affaires arabes, le commandant Frisch, système qui
a d'ailleurs reçu l'approbation du gouvernement, puisqu'il a été appliqua
aux oasis sahariennes, où il donne les meilleurs résultats.
Le Sud-Oranais en un pays particulièrement propice à la guerre de
surprises. Accidenté et cependant sans mouvements de terrain trop vio-
lents, il présente une série de petits plateaux favorables aux rencontres et
séparés par des ondulations assez douces pour ne pas entraver la marche
des goums, mais assez accentués pour abriter à de courtes distances des
forces relativement considérables. Les populations qui Thabilent ont une
mobilité extraordinaire et la lutte ne peut y être autre chose qu'un jeu,
souvent pénible, bruyant et dangereux, de finesse et d'à-propos: la promp-
titude dans l'exécution des opérations est la première condition du
succès.
Or, quand un parti ennemi est signalé sur un point ou en mouvement
dans une direction donnée, s'il faut rassembler à grande distance de là et
mettre en route plusieurs bataillons, escadrons et batteries, donner à
cette colonne un chef, un état-major, des vivres, des munitions et de^
moyens de trans, ort, presque toujours on arrivera trop tard; la bande
aura « fait son coup n, puis elle aura mis un grand nombre de kilomètres
entre elle et les troupes envoyées à sa poursuite. Il faudra ensuite plu-
sieurs semaines, quelquefois des mois entiers, pour tirer vengeance de
l'acte ou des actes criminels accomplis. C'est là un très grave inconvé-
nient, non seulement au point de vue de l'augmentation considérable des
dépenses, mais surtout au point de vue de notre prestige sur les indigènes^
qi^itaxe nos lenteurs de faiblesse et de pusillanimité.
La plupart des insurrections nationales n'ont pas eu d'autres causes
immédiates ; ce qui se comprend chez des peuples qui ne s'inclinent que
<leirantla force brutale et la répression immédiate.
Au contraire, des compagnies mixtes judicieusement réparties sur la
surface du territoire, organisées de manière à se suffire à elles-mêmes et
. dont tous les éléments sont constamment groupés et presque toujours en
mouyeraént, peuvent, au contraire, partir une heure apcès H réception de
LES AFFAIRES DALGÉRIE 707
la nouvelle, accomplir au besoin une ou deux marches forcées, atteindrt^
Tennemi avanl que celui ci ait eu seulement connaissance de leur mouve-
ment et, par conséquent, empêcher des événements désastreux de ^^
produire : en un mot, châtier immédiatement des coupables ou « étouffer
une insurrection dans rœuf ».
Etre la terreur des maraudeurs et des pillards, faire des reconnaissancei»
rapides en se montrant partout, pousser môme des pointes hardies jus: qup
dans le désert, apparaître inopinément au milieu des tribus soupçonnées
de sentiments ou de desseins hostiles, voilà le rôle que peuvent remplir
les compagnies mixtes dans le Sud Algérien. Il est facile de comprendra,
après ce rapide exposé, quels services nombreux et importants peuvent
rendre des troupes de cette nature, parfaitement entraînées et accli-
matées, connaissant à fond le pays et les indigènes, toujours en alerte.
Chaque compagnie remplacerait avantageusement plusieurs bataillons non
habitués au climat et aux longues marches sous un soleil de feu et doni
la présence peut être utile ailleurs.
Au point de vue budf;étaire, c*est par millions que se chiffreraient
annuellement les économies résultant de leur organisation.
Sous le prétexte d'évitfT des difficultés imaginaires du côté du Maroc,
nous nous sommes obstinés jusqu'à présent à respecter jusqu'au ridicule
une frontière que nous avons eu la naïveté de créer nous-mêmes, puisqui^
l'article 6 du traité de délimitation entre le Maroc et la France, du
18 mars 1825, dit formellement que « le pays au Sud des Ksour étant
inhabitable, parce qu'il n'y a pas d'eau et que c'est le désert proprement
dit », la délimitation en est superflue.
La politique d'inaction, dont M. Etienne a, avec sa grande autorité,
dénoncé à plusieurs reprises l'illusion et le danger, semble heureusement
abandonnée; malheureusement l'approche des grandes chaleurs va rendre
impossible toute action décisive contre les tribus de l'Oued -Guir. Il nout^
semble qu'il serait prudent dès lors de profiter du répit forcé dont nous
disposons pour essayer de l'organisation proposée par le commandai
Frisch, de manière que, dès octobre prochain, deux ou trois compagnie^
mixtes puissent circuler entre la Saoura et l'Oued-Guir.
Le gouvernement marocain, nous dit la dépêche de V Agence Havas, sera
certainement reconnaissant au gouvernement français de tous les efTortP
qui tendront à rétablir Tordre et la sécurité dans cette région. Ce ne peui
être qu'une supposition, car le Makhzen n'a cure de la région située ;i
TEst du Tafilelt; il a, d'ailleurs, bien d'autres « chiens à fouetter » en ti
moment. Quant à nous, l'article 7 du traité précité a reconnu à chacuti
des deux États le droit de poursuivre et de châtier à sa guise les fauteur>^
de désordre sur le territoire de l'autre. Les compagnies mixtes nou^
paraissent tout indiquées pour ce rôle et seules elles sont capables de Ir
remplir aux moindres pertes et aux moindres frais.
A propos de cette même question du Sud-Oranais, il est
intéressant de rappeler ici l'écliange de lettres qui a eu lien
entre M. Eug. Etienne et le président du Conseil. Voici le textti
de ces importants documents" :
708 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
I. — Lettre de M. Eug. Etienne a M. Combes.
Paris, li mai 1903.
Monsieur le Président du Conseil,
Au lendemain des attaques dont nos convois et nos postes dans le Sud-
Oranais étaient l'objet, j'ai eu l'honneur de vous demander de donner des
ordres immédiats pour que des mesures de répression soient exercées sur
rheure à l'égard des assaillants. Je vous faisais remarquer que Timpunité
dont jouissaient les bandes pillardes aurait pour effet de soulever les tri-
bus marocaines voisines de nos territoires qui sont toujours prêtes à
fondre sur nous dès que notre vigilance et notre fermeté paraissent se
relâcher. L'événement qui vient de se produire à quelques kilomètres de
Taghit, confirme, hélas ! ces tristes prévisions.
Il ne s'agit plus en effet d'un djich, c'est-à-dire d'une bande de voleurs
et d'assassins qui attaque les sentinelles de nos postes ou les petites cara-
vanes sans escorte, mais bien d'un contingent de 1.500 hommes apparte-
nant aux puissantes tribus marocaines des Oulad-Djerir, des Beni-Guilet
des Berabers. Le convoi était destiné au ravitaillement de nos troupes; il
était important tant par le nombre d'hommes et de chameaux qui le com-
posaient que par la valeur des denrées. Les hommes ont été tués ou
blessés; les marchandises et les chameaux enlevés. Demain, si le gouver-
nement ne se décide pas à agir, la situation ne fera qu'empirer.
Pour avoir voulu éviter d'exécuter des opérations de police indispen-
sables, et de poursuivre jusque chez eux, ainsi que nous en avions le
droit par le traité de 1845, les coupeurs de routes qui ont déjà fait trop de
victimes, nous nous trouvons en face d'événements graves. Encore quel-
ques jours et le gouvernement se trouvera acculé à une véritable expédi-
tion.
J'ajoute que les tribus fidèles éprouvent une vive anxiété. Elles se
demandent si la France n'est plus assez forte pour faire respecter son
territoire et protéger les biens et les personnes. Si, malheureusement,
cette douloureuse impression venait à pénétrer Tesprit de nos indigènes,
il faudrait nous attendre aux plus cruelles déceptions. C'est dans le but de
nous épargner de pénibles surprises et d'empêcher de coûteuses et rui-
neuses opérations de guerre, que je ne cesse depuis longtemps déjà, de
vous signaler mes inquiétudes et de vous prier d'agir sans répit. A l'heure
actuelle, l'émotion est grande dans toute la province d'Oran. Vous en avez
l'écho par la délibération du Conseil général qui reflète très exactement
l'état de l'opinion.
J'ai l'espoir que vous voudrez bien me faire savoir que les instructions
!^ les plus précises ont été adressées au Gouverneur général de l'Algérie.
?f . Veuillez agréer, etc..
Eug. Etienne, député d^Oran,
II. — Lettre de M. Combes a M, Euo. Etienne.
Paris, 12 mai 1903.
Monsieur le député.
Par lettre du 11 mai courant, vous avez bien voulu me signaler la néces-
V
■^ppppp^"
UlS AFFAIRES D* ALGÉRIE 709
site de faire parvenir d'urgence des instructions précises au gouverneur
général d*Âlgérie pour mettre fin aux incursions sur notre territoire des
bandes de pillards marocains.
Me rappelant les conseils que vous avez bien voulu me donner précé-
demment à cet égard, vous paraissez supposer qu'il n'a dépendu que de
moi d'éviter, en les suivant, la regrettable agression qui vient d'avoir lieu
aux environs de Taghit. Je ne saurais, monsieur le député, accepter une
pareille responsabilité.
Si j'ai tenu fermement la main à ce qu'aucune expédition militaire,
aucune création de poste, aucune occupation territoriale nouvelle ne soit
ordonnée ou poursuivie à l'insu et sans l'autorisation expresse du gouver-
nement, je n'ai jamais cessé de me montrer favorable à toutes les mesures
de protection qui m'ont été signalées comme indispensables à la tranquil-
lité de notre frontière Sud-Ouest.
Sans vouloir rappeler que, sur les instances les plus pressantes de
M. Revoil et des officiers de sa maison militaire qui l'inspiraient, je suis
allé jusqu'à autoriser la création des postes de Tit et d*Inzize, dans l'Ëx-
tréme-Sud touatien, autorisation qui, d'ailleurs, a dû être retirée à la suite
des renseignements apportés au conseil des ministres par le général
André, je me bornerai à vous signaler que le 6 avril, notamment, il s'est
bien agi d'une action à entreprendre en dehors des limites de l'Algérie.
M. Revoil, avec mon assentiment, adressait au commandant du 19* corps
des instructions télégraphiques, tendant à poursuivre les Marocains
« dans le rayon nécessaire de défense et de protection de nos postes, c'est-
à-dire à contourner Bechar et à fouiller le massif du Moumen », mais en
conservant à ces opérations un caractère exclusif de police.
Plus récemment, le 8 courant, M. Jonnart, d'accord avec moi, a donné
des ordres pour l'application des mesures de répression nécessaires à la
sécurité de nos postes.
Si j'ajoute que répondant à la question de renforcer l'effectif de ces
postes par des éléments indigènes, le gouvernement général a reconnu
qu'il convenait de « se limiter aux postes actuels déjà bien assez nom-
breux ]»; que, d'autre part, en ce qui concerne les conditions (désavanta-
geuses que nous imposerait la configuration de la vallée Zousfana, il
lavait déclarée excellente en 1899, vous voudrez bien reconnaître, mon-
sieur le député, que la responsabilité des événements qui se déroulent
dans le Sud -Ouest algérien ne saurait en aucune manière incomber au
gouvernement et en particulier au ministre de l'intérieur.
Veuillez agréer, monsieur le député, l'expression de ma haute considé-
ration.
Le Président du Conseil^
Combes.
III. — Lettre de M. Eue. Etienne a M. Combes.
Monsieur le président du conseil,
Je reçois votre lettre du 12 courant. Elle me fait connaître qu'à la date
du 6 avril dernier, et à celle du 8 mai, le gouverneur général de l'Algérie,
avec votre assentiment, a donné les instructions uéces^^aires au comman-
dant du 19* corps pour répondre aux agressions des bandes marocaines.
i
740 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES'
Quelque tardifs qu'ils soient, j'enregistre avec une vive satisfaction les
ordres qui ont été donnés, mais vous me permettrez devons faire remarquer
que, du l^*" septembre 1901 au !•' avril 1903, nous avons eu, dans ces
attaques répétées de nos postes et convois, 5^ tués et 43 blessés.
Si^au début, legouvernement avait pris les mesures qu'il prescrit aujour-
d'hui, il est à présumer que la paix régnerait depuis longtemps dans le
Sud-Oranais et que nous n'aurions pas à enregistrer le dernier et sanglant
épisode de Taghit.
Veuillez agréer, monsieur le président du conseil, l'assurance de mes
sentiments les plus distingués.
Eugène Etienne,
Vice-président de la Chambre,
Ces documents ont donné lieu, dans la presse, à d'intéressants
commentaires. Nous nous bornerons à citer ici l'opinion de
Y Eclair et celle du Temps qui nous semblent, Tune et lautre,
dégager excellemment la moralité de Tincident.
Voici d'abord ce qu'écrivait TiBc/tt/r, le 49 mai, le lende-
main de la publication des lettres :
11 vient de s'échanger entre le président du conseil et M. Etienne, au
sujet des alTaires de la frontière marocaine, deux lettres singulièrement
instructives. Nous apprenons, en effet, par les propres aveux de
M. Combes, que, bien que prévenu en temps utile par le député d'Oran des
dangers que couraient nos détachement* desenvirons de Figuig, le gouver-
nement a tenu la main à ce qu'aucune action militaire ne fût engagée ni
aucun poste installé dans cette région, sansson autorisation expresse.
Quel usage le gouvernement a-t-il fait du pouvoir qu'il s'était réservé de
décider seul des opérations de police destinées à assurer la protection de
notre frontière du Sud? La lettre ne le dit pas en termes très explicites.
Elle reconnaît cependant, et le fait est particulièrement suggestif, que cer-
taines mesures de défense, proposées par M. Revoil et d'abord autorisées,
ont été rapportées bientôt après sur l'intervention personnelle du général
André. D'ailleurs, les réticences de M. Combes ne sauraient faire illusioQ
à personne et les faits parlent assez haut pour dissiper toute équivoque. La
lettre ministérielle se complaît à constater que M. Jonnart a, depuis le
8 mai dernier, toutes autorisations qu'il lui faut pour appliquer les
mesures nécessaires; mais ce n'est pas le 8 mai dernier que le péril a
surgi; il s'était déjà manifesté par des faits graves, dès le mois de sep-
tembre 1901. Or, de cette date au i»»* avril 1903 (la démission de M. Revoil
est du iO) les attaques incessantes et non réprimées des Arabes contre nos
convois et nos postes nous ont coûté, ainsi que le fait observer, dans sa
verte réponse, M. Etienne, 56 tués et 43 blessés.
Le môme soir, le Temps publiait à son tour Tentrefilet sui-
vant :
Les lettres que viennent d'échanger M. le président du conseil et
M. Eugène Etienne, au sujet de la protection de notre frontière algérienne,
visent à la fois le passé et l'avenir. Elles sont plus fâcheuses, d'ailleurs,
pour le passé que rassurantes pour l'avenir. Et le jour qu'elles jettent sur
les méthodes gouvernementales est passablement inquiétant.
IKS AFFAIRES D'aLGÉHIE 711
Nous avons dit, au moment de la démission forcée de M. Revoil, ce que
nous pensions du procédé brutal appliqué à ce haut fonctionnaire. Et nouï^
nous sommes émus de ce procédé, moins encore parce qu'il atteignait un
homme dont nul ne contestait les services, que parce qu'il témoignaii
d'une méconnaissance étrange de l'intérêt public. Depuis lors, il est vrai,
la nomination de M. Jonnart a apporté aux Algériens une garantie, qui
leur a été précieuse. Mais quand le ministre de l'Intérieur, au cours dv^
incidents que Ton sail, a acculé M. Revoil à démissionner, il n'était fniu
plus sûr de l'acceptation de M. Jonnart qn^il n'était soucieux des vœux de
l'Algérie. Il agi.<sait donc dans un mouvement de nervosité injustifié i*l
sans doute injustifiable, — si nous en croyons le silence qui s'est fnil
depuis lors sur la prétendue enquête, d'où devait sortir, affirmait-on, lu
démonstration de la complicité de M. Revoil avec un journal de provincu
hostile au président du conseil.
La lettre de M. Etienne est grave. Elle émane d'un homme dont h*s
meneurs du bloc hésiteront à suspecter la bonne foi et le loyalisme. CetlB
lettre, cependant, est formelle, et sous une forme polie, elle condamne
sans appel possible le ministère de l'Intérieur. M. Combes avait écrit nu
député d'Oran que le 6 avril et le 8 mai dernier le mini.-tère avait auto-
risé le gouverneur général (M. Jonnart) « à donner au commandant du
19* corps les instructions nécessaires pour répondre aux agret^sions dt'ti
uandes marocaines ». M. Etienne réplique que ce n'est pas le 6 avril ni
le 8 mai qu'il avait signalé ces attaques, et il rappelle, en termes couverts
mais d'une netteté parfaite, ce que tout le monde sait — ce qui résulteraii
officiellement d'un débat public sur la question •:— à savoir que, penJaja
les derniers mois de son administration, M. Revoil n'a pu obtenir du gou-
vernement les autorisations qu'on accorde aujourd'hui à M. Jonnart.
Nous nous féliciions, pour M. Jonnart et pour l'Algérie, que ces auto-
risations soient acquises, et nous sommes sûrs que Téminent gouverneur
f^énéral fera l'usage le plus heureux de la liberté qui lui est donnée. 11 nou>
est, par contre, impossible d'apercevoir, dans la lettre embrouillée lU^
M. le président du conseil et parmi les récriminations obscures dont elln
est pleine, une seule raison qui ait pu le déterminer à empêcher M. Revoil,
malgré ses instances répétées, de mettre fin à un état de choses qui ît
coûté la vie à plus de cinquante de nos soldats. Et il ne nous est puti
moins impossible, après avoir lu ces deux lettres, de ne point constater
que l'hostilité personnelle, dont M. Revoil fut la victime, est antérieurf-
de plusieurs mois aux incidents que tout le monde connaît.
S'il en eût été autrement, nous pensons, avec M. Etienne, « que la paix
régnerait depuis longtemps dans le Sud-Oranais, et que nous n'aurioui.
pas eu à enregistrer le dernier et sanglant épisode de Taghit ». Des ran-
cunes, peut-être, n'auraient pas été satisfaites; mais l'Algérie — et U
France — y auraient gagné.
• •
Dans nos prochaines livraisons, nous continuerons de suivrt^
ainsi les affaires d'Algérie avec toute Tattention qu'elles méri-
tent, en prenant soin de faire connaître les appréciations dont
elles sont l'objet dans la presse et au Parlement.
J.-H. Franklin.
LA QUESTION DE TERRE-NEUVE
LES PRIMEIS A l/ ARMEMENT*
D^autres ont dit tous les obstacles apportés à notre industrie
par les Terre-Neuviens, obstacles qu*ils n'ont jamais opposés '
d'une manière directe aux pécheurs américains et canadiens
par exemple.
Oh ! ce n'est pas par pure francophobie. Mais simplement
parce que nos pécheurs sont favorisés par des primes du gou-
vernement, primes qui leur permettent de vendre la morue à
bas prix et de faire encore des bénéfices suffisants. Pour em-
ployer l'expression anglaise, il n'y a pas fair play ; il n'y a
pas égalité entre pécheurs français et anglais et c'est cela qui
les chagrine. Nos amis protestent bien haut de leurs senti-
ments d'égalité dans la lutte de la concurrence, quand la non-
égalité est à leur détriment. Mais quand elle est à leur profit,
ils défendent, et avec raison, cette non-égalité. Témoin : la
haute barrière de douanes qui entoure Terre-Neuve.
Ces primes, cause du bon marché du produit, empêchent les
capitalistes terre-neu viens de placer leurs fonds dans l'arme-
ment de pèche; ces placements, en effet, ne seraient pas suffi-
samment rémunérés. C'est là le gros grief. Les Anglais pèchent
quand même, et les Canadiens et les Américains ; mais pour
leur patrie respective où ils sont plus ou moins protée^és. En
dehors, ils peuvent difficilement venir nous concurrencer. Sur
les marchés méditerranéens entre autres, ils sont obligés de
subir les prix dépréciés que nos armateurs peuvent consen-
tir, grâce à l'aide puissante du gouvernement.
Si cette aide venait à disparaître, notre industrie métropoli-
taine serait probablement tuée, pour la raison que les Terre-
Neuviens, comme les Saint-Pierrais, qui sont sur les lieux
mêmes, ayant moins de fraiS; auraient plus de marge pour
consentir des rabais tout en couvrant leurs dépenses.
Les primes ont été accordées par tous les gouvernements qui
se sont succédé depuis 1816 ; et il y a lieu de penser qu'aucun
gouvernement français ne consentira à satisfaire à la demande
* Voir les deux précédents articles : Lk Breton, la Question de Terre-Neuve
{Qicest. DipL, t. XV, l»»" avril 1903, p. 4M et sq. ; 15 mai 1903, p. 640 H sq.).
i
LA QUESTION DE TEBRE-NEUVfi 713
du gouvernement de Saint-Jean : il jetterait dans la misère
80 à 100.000 personnes et tarirait la source du recrutement
de notre marine.
Les primes sont comprises sous deux dénominations qui
s'expliquent par les considérations suivantes :
1® La prime à Farmement accordée pour favoriser l'arme-
ment de navires, faciliter l'apprentissage et entretenir les qua-
lités des marins de nos navires de guerre ;
2? La prime sur les produits pour permettre & nos pécheurs
de soutenir la concurrence étrangère sur les marchés étrangers.
Actuellement les primes sont ainsi réglées :
Primes à Varmement, — Cinquante francs par homme
d'équipage pour la pèche avec sécherie, soit à la côte, soit à
Saint-Pierre et Miquelon.
Cinquante francs par homme d'équipage pour la pèche sans
sécherie en Islande.
Trente francs par homme d'équipage pour la pêche sans
sécherie sur les bancs de Terre-Neuve.
Primes sur les produits de pèche. — Ces primes ne sont
acquises qu'aux morues séchées de pêche française expédiées
soit des lieux de pêche, soit des entrepôts de France. Elles sont
de 20 francs, i6 francs et 12 francs par quintal métrique, sui-
vant le lieu de destination : pays étranger ou colonie française
sur les rives de l'Atlantique, de la Méditerranée ou de l'océan
Indien.
Vingt francs sont acquis par quintal métrique de rogue que
les pêcheurs rapporteront en France du produit de leur pêche.
Prime pour la réoccupation du French-Shore, — Indépen-
damment des primes d'armement, une prime de 50 francs par
homme est allouée sur les fonds du budget local aux petits
pêcheurs dont il a été parlé ci-dessus. En outre, une somme de
4.000 francs a été accordée de nouveau en 1901 par la marine
pour être répartie entre les embarcations de petite pêche qui
se sont rendues au French-Shore.
Ces primes ne peuvent être modifiées avant juin 1911. Ainsi
en a ordonné la loi de décembre 1900, au plus grand profit de
cette industrie qui, comme toute autre, demande de la stabi-
lité.
Enfin, le décret du 17 septembre 1881 a étendu aux arme-
ments de Saint-Pierre les bénéfices de la prime d'armement de
50 francs. Le fait est qu'on ne comprendrait pas pourquoi des
Français qui se sont expatriés ne jouiraient pas des mêmes
avantages que leurs compatriotes plus casaniers.
Malheureusement cette manière d'agir n'est pas commune en
i
714 otJrantms mnj^HATiotnss wr coL1n^A^«s
France et la plupart de nos colonies demandent non pas des
avantages par rapport aux Français de France, mais demandent
simplement à n'Otre pas considérées comme des colonies étran-
gères. C'est à grand'peine que ce dû leur est accordé. Cette
prime de 50 francs, dont bénéficient les goélettes sainl-pier-
raises, ne va pas sans Tobligation d'une durée de pèche de
120 jours effectifs.
Pour empêcher toute fraude, la colonie, parallèlement à l'oc-
troi de cette prime, a interdit l'introduction dans la colonie de
toute morue de toute issue ne provenant pas de pèche française.
La confiscation du bateau, de tout ce qu'il porte et des amendes
sont la sanction de ce règlement.
En France, la morue étrangère paye de 48 à 63 fr. 60 les
100 kilogrammes de droit de douane suivant les pays d origine.
C'est un tarif nettement prohibitif, protecteur, assurant à nos
pêcheurs seuls, islandais et terre-neuviens, la fourniture des
33.000 tonnes (1.000 kilogrammes) de morues que consomme
la France.
LKS SALAIRES
Les marchés passés entre les employeurs et les employés ne
sont pas al^solument identiques dans les différents ports. Quels
qu'ils soient, ils doivent toujours être enregistrés par le com-
missaire de l'inscription maritime qui, au nom de l'Etat, as-
sume le devoir de faire respecter le contrat par les parties.
Une pratique est générale : le pêcheur est directement inté-
ressé au succès de l'entreprise.
Lorsque l'on arme les navires, les marins se présentent soit
aux armateurs, soit aux capitaines; les choix sont faits, les
prix débattus de gré à gré.
Voici comment, approximativement, la chose est réglée :
Du produit de la vente totale des fruits de la campagne de
pêche, les deux tiers ou les trois quarts sont prélevés par l'ar-
mement, le dernier tiers ou le dernier quart est réservé à
l'équipage. Cette fraction du produit est répartie par u part»
entre les marins, et c'est dans la manière qu'est faite cette ré-
partition que gît la différence.
Ainsi un navire de Fécamp, dont le quart de la valeur de la
cargaison totale est réservé à l'équipage, verra un cinquième
de ce quart attribué à son capitaine et les quatre autres cin-
quièmes répartis également entre tous les marins.
Tel autre navire, de Saint-Malo, par exemple, verra le tiers
du produit réparti en 27 parts ainsi attribuées ;
LA QUESTION DE TEBRE-^EUVE 715
Le capitaine 2 2/4 parts.
» second 2 »
» subrécargue 3 »
)• maître 11/4 »
» saleur 1 »
A reporter 9 3/4 parts.
Report 9 3/4 parts.
7 patrons de do ris. .7 »
9 avants 9 »
1 novice 0 3/4 >•
1 mousse 0 2/4 *
Total 27 parts.
Les armateurs des petits bâtiments métropolitains et les
goélettes saint-pîerraîses procèdent parfois différemment, bien
que tous respectent le principe : « Tant vaut la pêche, tant
vaut le salaire. »
Les marins sont payés au « grand mille », c'est-à-dire qu'ils
touchent 35, 40 ou 45 francs par mille de morues qu'ils ont
prises*. Le capitaine, bien que ne pochant pas effectivement,
touche son « grand mille » et, en sus, 1 franc, Ifr. 10 ou 1 fr. 20
par quintal.
Tels sont les deux grands systèmes en usage pour établir le
salaire d'un homme embarqué sur un terre-neuvien.
Ces chiffres établis entre l'armateur' et le marin, tout n'est
pas dit; le plus difficile reste à faire.
Le jour de l'embauchage, il est d'usage que l'armateur fasse,
sur les bénéfices espérés, des avances aux marins. Avances
inscrites au traité déposé à l'Inscription maritime et qui seront
remboursées en fin de campagne. Ces avances servent à faire
vivre les familles des pôcheurs pendant Tété. Elles varient de
4 à 700 francs pour les marins et de 6 à JJOO francs pour les ca-
pitaines, seconds et subrécargues.
En sus de cette avance, et cette fois en dehors de l'Inscrip-
tion maritime, l'armateur fait, toujours le jour de l'embau-
chage, à tout son équipage, un véritable cadeau dit « Denier à
Dieu » ou w purdon ». 11 donne de 60 à 100 francs au capitaine,
de 50 à 80 francs aux patrons de doris, de 30 à 60 francs aux
avants de doris et de 20 à 25 francs aux novices et mousses.
C'est sur la quotité de ces sommes que s'élèvent le plus de
discussions. Un marin, connu comme bon pêcheur, élèvera ses
prétentions. L'armateur, au contraire, cherchera à diminuer
des débours qui peuvent ne lui rien rapporter.
Car si le navire se perd et que l'assurance paye peu ; si le
soir même de l'engagement le marin en état d'ivresse se tue ;
s'il manque le départ de son navire; ou s'il est malade et ne
peut pêcher pendant partie ou totalité de la saison, l'armateur
se trouve avoir déboursé une somme parfois élevée sans profit
^ Le mille de morues de moyenne taille pèse au vert 13 quintaux. Le quintal
vaut à Saint-Pierre environ 17 francs.
1\\
QUE*
France et la pi
avantages par
simjïletnent à
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iiitervitMil il «m s l'amicmeTil ïIp rms navires de commerce e(
conuiH'tit ic> lutninios soumis ^*n\ règlements de l'inscription
tuariiinje ne [»euvent s<* réclainr^r lîn droil commun. Car en leur
LA QUESTION DE ÏEBRE-NEUVE 717
jur les armateurs ont consenti des avances sur la foi de la
romesse faite par TEtat de tenir la main à l'exécution du
contrat.
11 est incontestable que si ces contrats officiels ne sont plus
exécutés, la modalité des salaires sera changée et probablement
aussi la quotité ; car les nouveaux risques encourus de ce fait
éloigneront les capitaux de l'industrie de la pêche. D'où une
baisse inéluctable du nombre des offres d'emploi.
Cette participation aux bénéfices, c'est du socialisme bien
compris. 11 serait malheureux de toucher trop brutalement aux
textes qui règlent ces matières ; car ces textes sont le fruit
d'usages séculaires; ils se modifient lentement, comme ces usa-
ges, par la force même des choses.
Il est assez difficile de connaître exactement les sommes reçues
par chaque marin d'un navire ; de même il n'est pas aisé de con-
sulter les livres d'un armateur. Mais nous pourrons fixer les
idées, grâce à un petit opuscule écrit par M. Louis Légasse, de
Saint-Pierre. 11 nous donne les sommes payées aux différents
hommes formant l'équipage de la goélette la Navarraise, Ce
bâtiment (90 tonneaux) fut armé pendant six mois et neuf jours
en 1899, du 10 avril au 19 octobre. Il captura 3.400 quintaux
de morues de bonne qualité. Ce résultat peut être considéré
comme celui d'une bonne pêche moyenne et la vente atteignit
61.000 francs dont 27.224 allèrent à l'équipage. La répartition
fut ainsi faite :
Le capitaine de la goélette toucha 5 . 451 francs
Le second 1.492 —
Le premier maître 1 . 359 —
Le deuxième maître 1 .273 —
Le saleur 1 .265 —
Un patron de doris 1.228 —
— 1.210 —
— <.202 —
— 1.176 —
— 1.042 —
Un avant de doris U 58 —
— 1.133 —
— 1.109 —
— 1.062 —
— 1.050 —
— 1.015 —
— 1.002 —
— 976 —
Un novice 789 —
Un mousse , 532 —
Un cuisinier (salaire fixe} 700 —
27.224
718 QUESTIONS Dll'LOMATlQUËS ET COLONIALES
Ces salaires sont, à peu de chose près, ceux que touchent tous
les marins ; qu'ils soient embarqués sur un grand trois-mâts
métropolitain ou sur une goélette locale.
Le capitaine du trois-màts aura seul un traitement bien plus
considérable que le capitaine du petit bâtiment et cela va de
soi. Les responsabilités sont plus grandes. Dans un cas, le capi-
taine commande un navire de 3 à 400 tonneaux, monté par 30
ou 40 hommes; dans l'autre, son navire ne jauge que 60 k
100 tonneaux et n'est monté que par une quinzaine d'hommes.
Le chargement, les ustensiles, le gréement, la coque représen-
tent une valeur dix fois plus forte dans un cas que dans l'autre,
entraînant pour Thomme qui en a la charge une plus forte
rémunération. Celle-ci peut atteindre 8 et 10.000 francs si la
pèche est bonne. Si, une année, le capitaine du métropoli-
tain ne touche que 6.000 francs, c'est que la pêche aura été
mauvaise. Alors l'armateur aura perdu de l'argent.
Quelques armateiirs accordent encore des primes à leurs
deux ou trois meilleurs pêcheurs. Ces primes varient de 50 à
100 francs et sont attribuées soit à ceux qui ont capturé le plus
grand nombre de poissons, soit à ceux qui se sont montrés le
plus exact en service.
Somme toute, un marin se fait environ 1.200 francs pen-
dant une saison de pêche qui n'est ni bonne ni mauvaise. Cette
saison de pêche effective dure six mois. Mais, pour un navire
métropolitain, il y a lieu d'ajouter deux mois pour le voyage,
aller et retour, et l'armement du navire en France. Autrement
dit, notre homme gagnera 1.200 francs en huit mois (5 francs
par jour) pendant lesquels il est nourri, éclairé, chauffé. Ses
dépenses ne seront autres que celles qu'il fera pour l'entretien
de sa garde-robe, — hélas, combien rudimentaire! — pour
l'achat de son tabac et lors de ses longues et abrutissan-
tes séances dans les cabarets de Saint-Pierre pendant les re-
lâches.
Les 2.500 ou 3.000 marins de France qui vont chaque année
chercher du travail dans notre colonie sont pour une grande
partie engagés ferme avant l'embarquement par les représen-
tants des armateurs saint-pierrais ; et dès l'arrivée du vapeur,
leur goélette entre en armement. L'autre partie de ces marins
part « à la pouche », c'est-à-dire sans engagement. Aussitôt
débarqués, ces marins a à la pouche )> se présentent au bureau
de l'Inscription maritime ou aux armateurs et l'embauchage
se fait.
Tous ces marins gagnent autant les uns que les autres, s'ils
déploient la même ardeur, mais ils doivent payer leur passage
LA QUESTION DE TERKE-NEUVE 719
sur le vapeur-transport, d'où une dépense de 300 fr. (150 fr. par
voyage), A cette dépense est une contre-partie. Les marins
gagnent une partie du temps de la traversée du voilier... En
huit jours le vapeur effectue chacun de ses voyages et les dates
d'appareillage sont fixées de telle sorte que tous les marins
peuvent partir, après désarmement de leur goélette, sans perte
de temps appréciable. De sorte que les marins de France, qui
arment les goélettes saint-pierraises, gagnent leurs 1.200 francs
en sept mois (6 mois de pêche, 15 jours de traversée et 15 jours
de grâce). Notre homme a donc encore cinq mois de son année
à travailler cliez lui. Il ne serait certes pas malheureux, s'il
n'avait des habitudes d'intempérance et de paresse contre les-
quelles la lutte est peu organisée.
Un salaire de 5 francs par jour et la nourriture constituent à
l'heure actuelle la rémunération normale d'un travail qui ne
demande pas un long apprentissage, ni beaucoup d'adresse. En
revanche, celte rémunération mériterait d'être augmentée, si
l'on envisage la dureté excessive de l'existence du pêcheur
banquier et les dangers qu'il court. Encore n'y a-t-il pas lieu
de se les exagérer outre mesure. Cependant ils sont plus
grands que tous ceux auxquels sont exposés les ouvriers à
terre à quelque corps de métier qu'ils appartiennent. Sur les
bancs de Terre-Neuve, comme dans les mines, ou sur le faîte
d'une maison, Thabilude du danger fait oublier de prendre les
précautions indispensables les plus simples et bien souvent les
pêcheurs sont victimes de leur insouciaûce, de leur impré-
voyance, du mépris qu'ils professent pour les règlements tuté-
laires édictés par la marine.
C'est une éducation à faire, des mœurs à réformer, une œu-
vre de longue haleine à laquelle s'emploient quelques arma-
teurs éclairés et tous les commandants des navires de guerre en
station dans ces parages.
Le « petit pêcheur » de Saint-Pierre est incontestablement
plus heureux. Possesseur de son doris, ayant son fils comme
« avant », il pêche à proximité de son habitation et revient
chaque soir dans sa famille. A l'abri de tout danger, il peut
prendre très aisément dans sa saison 100 quintaux de morues
que sa femme et ses enfants sécheront. S'il profite d'une bonne
occasion, il vendra sa pêche 16 francs ou 18 francs le quintal,
soit 1.600 à 1.800 francs de bénéfices nets. La mise de fonds
qu'il aura dû consentir s'élèvera à 200 francs : un doris, 50 fr.;
ustensiles de pêche, 100 fr.; installations à terre, 50 fr., et ce
sera tout.
Ils sont nombreux les habitants de Skint-Pierre et de l'île
720 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
aux Chiens, qui ayant commencé avec un doris sont mainte-
nant possesseurs d'une petite goélette.
CONCLUSION
A Terre-Neuve, 12.000 Français pratiquent la pêche. Sans
exagération, l'on peut avancer que 90.000 autres personnes en
vivent, si Ton songe que les familles de pêcheurs sont nom-
breuses et que cette industrie nécessite Texistence de plu-
sieurs autres industries telles que celles de la construction
navale, de la voilerie, de la corderie, de la saunerie. Bref,
100.000 Français vivent de l'exploitation de la mine quasi
inépuisable qu'est la mer, sans l'intervention de nos sociétés
financières lanceuses de mines qui n'ont que trop souvent enri-
chi les lanceurs.
L'industrie de la pêche ne nécessite pas de gros capitaux.
Tout homme travailleur et sobre qui la pratique peut devenir
possesseur de ses instruments de travail.
Par ailleurs, les lois qui lient employeurs et employés met-
tent les uns et les autres à Tabri de ces secousses sociales si
désastreuses aux colossales entreprises terriennes, tant minières
que métallurgiques, tout en assurant l'avenir aux uns et aux
autres par des bénéfices suffisants et des retraites.
En deux mots, l'industrie de la pêche remplit en partie les
desiderata socialistes.
Lk Breton.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES
I. — EUROPB.
France. — Les négociations avêc le Siam. — Aucune information n'a
été fournie par le ministère des Affaires étrangères sur l'état des
négociations avec le Siam, depuis le communiqué du 7 avril qui
annonçait la prorogation au 31 décembre 1903 du délai de ratification
de la convention du 7 octobre 1902. Il est cependant à présumer que
les négociations se poursuivent; autrement on ne comprendrait pas
pourquoi le gouvernement a tant tenu à écarter toute solution défini-
tive et a, contre toute attente, dessaisi la commission parlementaire
compétente. La situation ne s'est pas améliorée au Siam, que nous
sachions; s'il était indispensable, il y a six mois, de prendre des
mesures pour sauvegarder nos intérêts gravement atteints par les
agissements de la cour de Bangkok, Turgence de ces mesures pro-
tectrices n*a pu que devenir plus pressante avec le ternps. Et qu'on
ne vienne pas nous dire que des difficultés plus immédiates, celle
du Maroc par exemple, absorbent actuellement l'attention du ministre.
Les difficultés nouvelles ne sauraient faire disparaître les anciennes
et ce n'est pas parce qu'un nouveau danger menace à droite que l'on
peut négliger celui qui nous harcèle à gauche. Un ministre des
Affaires étrangères ne saurait sérier à. sa guise les questions. 11 doit
avoir l'œil à tout et être toujours en action. Le pilote du navire ne
peut se laisser absorber par un accident quelconque de la route : son
regard doit toujours embrasser l'ensemble de l'horizon et son sang-
froid et sa présence d'esprit ne doivent qu'augmenter avec le péril.
Au surplus, si l'on garde une si absolue réserve au quai d*Orsay,
cela ne veut pas dire que Ton n'ait rien à communiquer. Nous sa-
vons, en effet, que le ministre des Affaires étrangères et le prési-
dent de la commission des Affaires extérieures et coloniales de la
Chambre des députés se sont mis d'accord sur de nouvelles condi-
tions à obtenir du Siam et que ces conditions, si elles étaient obte-
nues, pourraient mettre fin au conflit. Cette entente est des plus
heureuses et ne peut qu'être approuvée, mais encore faut-il qu'elle
soit suivie d'effet.
Qdb8t. Dipl. et Col. — t. xv, 4G
'.J
7^ QUESTIONS DIPLOMATIQUBS BT GOLONULBS
En toutcaSy Userait nécessaire de renseigner l'opinion, autrement
que par des indiscrétions forcément incomplètes. M. Delcassé, en
annonçant qu*ii remettait sur le métier son infortuné projet, a
avoué par cela même qu'il s*était trompé une première fois. Or, cela
n'est paspour nous inspirer une confiance aveugle en l'avenir; nous
voudrions être sûrs qu'il ne va pas se tromper une seconde fois. Et
c'est pourquoi nous réclamons un peu de lumière.
" Fédération dês industriels et des négociants français. — L'assem-
blée coDstilutive de cette Association, dont nous avons parlé dans
notre livraison du 1" avril dernier, a eu lieu le 18 mai i903, sous la
présidence de M. André Lebon, qui, devant une nombreuse assis-
tance, a prononcé, en termes élevés, un discours-programme, dans
lequel il a indiqué les questions principales qui allaient tout d'abord
faire Tobjet des travaux de la Fédération : création d'une école de
commis voyageurs, organisation du crédit à six mois et à un an
pour les affaires d'exportation, création d'un contrôle interna-
tional privé du crédit, etc.
Les statuts, préparés par les soins du Comité d'initiative, avec le
concours d*éminent8 jurisconsultes, et basés sur la loi du {*■* juillet
1901 sur les associations, ont été approuvés et le bureau constitué.
La Fédération se compose de fondateurs, donateurs, sociétaires,
adhérents et correspondants. Elle créera, en France et dans nos
colonies, des comités régionaux. D'ores et déjà, et pour donner à
leurs travaux une méthode rigoureuse, non moins que pour aboutir
rapidement à des résultats pratiques sur les diverses questions qui
vont leur être soumises, les membres de la Fédération se sont répartis
en un certain nombre de sections dont voici Ténumération :
lo Section du commerce intérieur;
2o Section du commerce extérieur et des conventions commerciales;
3<> Section industrielle;
4» Section de législation et d'économie sociales ;
b* Section coloniale;
6» Section des renseignements commerciaux internationaux et de pro*
tection mutuelle contre les mauvais débiteurs;
1^ Section de l'instruction technique, industrielle et commerciale;
8* Section des transports et communications par terre et par eau ;
9« Section de propagande.
Le nombre et la nature des sections pourront être modifiés sui-
vant les besoins.
L'assemblée a ensuite procédé à la constitution de ses organes
administratifs par la désignation des membres du Conseil général^
dans le sein duquel ils ont eux-mêmes choisi le Comité directeur^
composé d*un président, dix vice-présidents, un trésorier, un tré-
RfclNSEIGNEMI^MTi» POLITIQUES 723
sorier adjoint, un archiviste-bibliothécaire et dix secrétaires.
M. André Lebon, ancien ministre du Commerce et des Colonies,
président des conseils d'administration de la Compagnie des Mes-
sageries maritimes et du Crédit foncier agricole d^Algérie, adminis*
trateur du Crédit foncier de France, a été nommé président de la
Fédération. Le siège social de celle-ci est actuellement rue de Pro-
vence, 59.
n. — AFRIQUE.
Algérie. -^ L'arrivée de M. Jonnart; le discours du gouverneur général
aux DiléjaUons financières. — M. Jonnart, gouverneur général de
l'Algérie, est arrivé à Alger le 14 mai et la population lui a fait un
accueil des plus sympathiques. Aux souhaits de bienvenue que lui
adressait le maire d*Alger, M. Altairac, M. Jonnart a répondu en
précisant en quelques paroles ses intentions et son programme.
« Mon ambition. Messieurs, a-t-il conclu, c'est de faire appel à
« toutes les forces vives de la colonie, au concours de toutes les
« intelligences et de toutes les bonnes volontés, et 1 institution répu-
« blicaine ayant poussé ici des racines indestructibles, d'orienter de
« plus en plus les efforts et les énergies de la nouvelle France vers
« Tétude des problèmes économiques el sociaux, vers les solutions
• fécondes destinées à provoquer Télan des initiatives, à favoriser
« les entreprises de la colonisation et de la pénétration fran-
« çaises. »
Ces déclarations ont produit une vive impression et ont été très
applaudies.
Quatre jours plus tard, le 18 mai, le gouverneur général a ouvert
la session ordinaire des Délégations financières pour Tannée 1903
et il a prononcé, à cette occasion, un éloquent discours dans lequel il
a dil que la sagesse, la clairvoyance politique, dont les Délégations
ont fait preuve, est la justification de la politique de décentralisation
qu*il a toujours préconisée.
Cette décentralisation, ajoutait-il, ne saurait en aucune façon détendre les
liens indissolubles qui unissent TAlgérie à la mère patrie. Mais j*ai pu me
rendre compte par un long séjour au milieu de vous que les abus et les fautes
dont on faisait un grief à rÀlgérie, non sans exagération parfois, étaient
le fait des institutions plutôt que des hommes, et que les vices du sys-
tème préjudiciaient à tout le mond9, tant à nos sujets musulmans qu'à
la colonie européenne. De' là mon insistance à réclamer pour ce pays une
iidministration et une législation originales, appropriées à ses mœurs, au'
génie des races qui s'y coudoient, qui, insensiblement, se pi^nètrent sans
arriver à se fondre complètement.
Telle est donc l'idée maîtresse qui a présidé aux réformes accomplies
7M
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
<ianâ ees dernières années. Ces réformes ne sont autre chose que Tapplica-
tion du principe de décentralisation.
Au point de vue administratif et financier, Tœuvre de décentralisation
n'est pas complète, mais elle est très avancée.
Au point de vue économique, elle est à peine ébauchée. Il est temps
d'aboutir. Plus que jamais, les chemins de fer apparaissent comme le
meilleur instrument, Tindispensable outil de la colonisation française.
Un projet préparé par mon honorable prédécesseur a pour but de
remettre à l'Algérie, à la condition qu'elle consente un sacrifice immédiat,
la plénitude des pouvoirs en matière de chemins de fer. M. le ministre des
Travaux publics a approuvé ce projet et j'ai obtenu qu'il en saisisse M. le
ministre des Finances. Je demande à M. Rouvier de vouloir bien me faire
connaître le plus tôt possible les résolutions définitives de son département,
ayant le vif désir de soumettre à vos délibérations ce projet dont vous
connaissez déjà les tendances et l'économie générales. On peut, à coup
sûr, envisager différentes solutions de cette importante question, la plus
pressante qui se dresse devant nous ; mais le but auquel nos communs
efforts doivent tendre a été clairement défini : il faut arriver à Tunifica-
cation des réseaux et des tarifs, cette œuvre comportant rabaissement
gradué et la simplification des tarifs et aussi des combinaisons nouvelles
qui assurent à Timportation et à l'exportation algériennes toutes les faci-
lités et les garanties désirables aussi bien pour les transports des mar-
chandises sur mer que pour les transports dans la colonie et sur le
continent.
Je ne crois pas ce programme trop ambitieux. Doter l'Algérie d'organes
nouveaux, se pliant aux exigences de la vie économique, déterminant la
mise en valeur plus rapide et plus rationnelle des ressources de son sol,
Textension progressive de sa sphère d'influence et de son action commer-
ciale, est-il une tâche qui sollicite plus activement le concours de vos
lumières et de vos bonnes volontés?
Le développement de l'outillage économique de la colonie est non
moins important; il a d'ailleurs été l'objet de vos constantes préoccupa-
tions et vous estimez, sans doute, avec moi que les travaux d'hydraulique
agricole devront tenir une place de plus en plus grande dans notre pro-
gramme de travaux publics.
¥
Une autre partie de notre tâche, non moins capitale que considérable
à réaliser, c'est le peuplement du pays par les Français.
Le moyen le plus pratique d'atteindre ce résultat, c'est rattribution de
la terre aux familles françaises, soit par vente, soit par concessions gra-
tuites, avec résidence obligatoire dans les deux cas. « Nos fils d'abord ! *
a dit M. le président de la République, synthétisant les exigences de la
politique algérienne. Il est entendu que partout où la vente est possible,
le Gouvernement général, désireux d'acclimater et d*étendre le système de
vente, projette d'heureuses modifications au décret de 1878, qui n'autorise
pas la vente à bureaux ouverts. Mais pour l'accomplissement du pro-
gramme habilement conçu par mon prédécesseur, qui tend à reculer les
limites de la colonisation par l'utilisation de territoires qui lui étaient
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES
725
jusqu'ici fermés, le système de la concession gratuite ne saurait être dès à
présent abandonné.
Vous connaissez à merveille les difficultés d'acclimatation et d'adap-
talion, bientôt surmontées, mais qui peuvent au début décourager ceux
qui débutent dans ce pays. Vous ne serez donc pas surpris de m'entendre
exprimer cette opinion que dans la répartition des concessions une part
légitime revient aux fils de colons, et vous m'approuverez aussi de décider^
en principe, qu'il y a lieu d'attacber de plus en plus à Tattribution gra-
tuite, réservée par nos règlements aux fils de colons, la signification d'une
prime aux familles nombreuses.
La colonisation doit s'appuyer sur des finances solides; les modifica-
tions fiscales doivent être entreprises avec circonspection. Ces considéra-
tions ont déterminé le Gouvernement à vous proposer un dégrèvement
des sucres moindre qu'en France. En ce qui concerne les sucres, en effet,
Texposé des motifs du projet de budget fait ressortir que la détaxe de con-
sommation votée par le Parlement pour la métropole aurait pour résultai
de nous priver d'une recette de plus de 6 millions. Ce chiffre parait exagérée
à ceux qui escomptent, en cas d'abaissement du droit à 25 francs, le déve-
loppement delà consommation et surtout la diminution de la fraude. Quoi
qu'il en soit, la moins-value serait considérable et vous aurez à vou^
demander s'il n'est pas plus sage de vous en tenir provisoirement à un
dégrèvement modéré de la taxe de consommation sur les sucres.
• • • • • • • ...••••••^
Mais surtout notre œuvre a besoin de sécurité. Les progrès du ban-
ditisme ont nécessité l'établissement des tribunaux répressifs. On les a
critiqués et assurément toute institution est perfectible, mais tous les
indigènes bonnétes comme les colons réclament une justice simple ei
rapide.
L'expérience, en effet, paraît avoir donné raison à ceux qui depuis
dix ans ont conseillé l'application en Algérie d'une politique nouvelle. Il
faut prendre garde que l'Administration soit vouée à un perpétuel recom-
mencement et qu'après avoir souffert des errements anciens, la colonie ne
soit exposée à les voir revivre. Je me permets d'affirmer encore une fois,
fidèle à d anciennes opinions, que c'est une erreur grave et un danger que
de mêler et de confondre l'Administration des Européens et des indigènes
et de vouloir appliquer en bloc à ces derniers des institutions et des règle-
ments qui conviennent aux pays de civilisation plus avancée et de men-
talité bien différente.
Je n'hésite pas à confesser, du reste, qu'il vaut mieux prévenir que repris
mer et que le droit de conquête implique des responsabilités et des devoirs.
Je maintiens que notre entreprise de colonisation sera d'autant mieux
affermie et plus prospère que nous aurons exercé sur la population indi*
gène une tutelle plus généreuse et plus bienveillante. Montrons-nous trèa
fermes vis-à-vis de nos sujets musulmans, mais aussi très humains et
particulièrement soucieux de leur condition morale et matérielle. La
réforme administrative dont j'ai pris l'initiative, et que M. Revoil a com-
plétée par la création d'une Direction des Affaires indigènes, tend précisé-
ment à assurer une surveillance plus active des territoires indigènes
I
726 QUBSTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
en même temps qa'une gestion plas étroite et plus yigilante de leur^
intérêts.
J'ai à cœur de vous rendre cette justice, Messieurs, que mon prédéces-
seur vous a trouvés, en toute circonstance, disposés à seconder se»
louables efforts pour l'amélioration du sort des indigènes. Dans le domaine
de l'Assistance, toutou presque tout était à organiser ; il reste beaucoup à
faire ; cependant la création récente de dix-neuf bureaux de bienfaisance
spéciaux aux musulmans dans les principales villes de l'Algérie et de cli-
niques pour les femmes et les enfants, la participation des indigènes aux
créditK consacrés aux frais d'hospitalisation, sont des actes qui vous font
honneur en même temps qu'à l'Administration algérienne.
- Je vous sais gré, notamment, d'avoir approuvé l'affectation à des œuvrrs
d'assistance, de bienfaisance et d'utilité publique intéressant exclusivement
les populations musulmanes, des ressources provenant des centimes ad-
ditionnels antérieurement prélevés au profit de la constitution de la pro-
priété. Une notable partie de ces ressources va nous permettre d'accorder
de sérieux encouragements aux arts et métiers musulmans, à la restaura-
tion des industries arabes jadis florissantes et d'édicter des mesures plus
efficaces dans l'intérêt de l'hygiène et de la santé de nos sujets. Les mala-
dies d'yeux, dans les quartiers arabes de nos villes et les douars, et la mor-
talité enfantine ont particulièrement retenu notre attention et vont faire
l'objet de mes plus prochaines instructions au personnel des Affaires indi-
gènes. Grâce à vous, l'argent ne fait point défaut; je compte maintenantsur
l'élan des volontés f t des cœurs pour réaliser ici l'œuvre d'humanité et de
bonté si éloquemment évoquée il y a quelques jours par M. le Président de
la République, et qui répond en tous points aux vues généreuses et aux
traditions séculaires de la France.
Notre rôle est, avant tout, un rôle d'éducation. M. le Président du Con-
seil, comme rapporteur de la Commission sénatoriale d'enquête, présidée
naguère par Jules Ferry, a écrit sur l'instruction des indigènes des page»
décit'ives et n'a pas cessé de témoigner de sa vive sollicitude pour le déve-
loppement de l'enseignement supérieur et de l'enseignement primaire e^
professionnel, tant au profit des Arabes que des Kabyles. Il m a invité à
ne rien négliger pour donner une nouvelle impulsion à ces deux ordres
d'enseignement. C'est une tâche à laquelle je ne faillirai pas. Deux me-
derças vont être construites, vous le savez, à Alger et à Tlemcen : celle de
Constantine sera agrandie. Quant à l'enseignement primaire, il sera de
plus en plus nettement orienté dans le sens professionnel. M. le recteur
de l'Académie d'Alger retrace, en quelques lignes singulièrement instruc-
tives et réconfortantes, les résultats obtenus dans les écoles indigènes par
une élite remarquable d'instituteurs dont l'action sociale s'exerce avec au-
tant de fruit que l'acte pédagogique. Tout le monde s'accorde à dire quil
convient d'encourager surtout l'enseignement agricole, plutôt pour le?
adultes encoie que pour les enfants, parla création de champs d'expé-
rience, de cours de greffage, et la vulgarisation des meilleurs procédés
pour la fabrication de l'huile, etc.
Durantvotre session, du reste, la question de renseignement en Algérie
occupera une place prépondérante à votre ordre du jour.
Ce n'est pas chez les indigènes seuls que le service de l'enseignement
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 727
primaire est en souffrance, M. Revoil, dont je m'empresse de reprendre
les propositions, vous a expliqué qu'un cinquième des enfants d*âge sco-
laire de l'Algérie, non compris les musulmans, n'a fréquenté aucune école
pendant la dernière année scolaire; plus de vingt mille sur cent six mille
n'ont reçu aucune instruction, et le plus grand nombre habite des grandes
Yilles. Pour remédier à ce déplorable état de choses, il sera nécessaire de
créer 379 classes nouvelles. Mon prédécesseur vous a demandé d'accom-
plir cet effort considérable en cinq années, à partir de t004. Je suis prêt à
soutenir devant vous le projet élaboré par l'Administration. Je veux espérer
que vous autoriserez son exécution. Vous ajouterez ainsi une belle page
â l'histoire des Délégations, commencée hier, et déjà si bien remplie.
Il s'agit, en effet, d'un côté, d'amener les indigènes à mieux nous com-
prendre et par suite â mieux nous aimer, et d'un autre côté, de faire dé-
finitivement de ce pays une nouvelle France, en conservant précisément
une âme française à nos enfants et en imprégnant de nos sentiments et
de notre idéal les jeunes étrangers qui, pour la plupart, n'auront d'autre
patrie que la nôtre.
Je viens aujourd'hui vous répéter, Messieurs, que ma collaboration la
plus cordiale et la plus dévouée vous est acquise. Travaillons ensemble à
l'épanouissement des forces vives, à la mise en valeur des admirables
ressources et au bon renom de cette Algérie qui tient chaque jour une
plus grande place dans les affections et les espérances nationales.
La 6n de ce discours a élé accueillie par les applaudissements una-
nimes de l'assemblée.
— Dans le Sud'-Oranais. — On a reçu le rapport officiel concer-
nant Tenlèvement à Taghit, par une bande marocaine, le 6 mai der-
nier, du convoi libre destiné à ravitailler quelques postes de
l'Extrème-Sud; ce rapport constate que raulorilé militaire avait
donné pour escorte au convoi une compagnie montée de la légion.
Le représentant de Tentrepreneur du convoi, arrivé au Ksar-el-
Aroug, déclara au chef de Tescorte que les chameliers du convoi,
appartenant à la tribu des Doui-Menia, se refusaient à suivre la
roule de Zousfana, se croyant plus en sûreté, même sans escorte, en
inclinant vers TËsl, à travers TErg.
Une partie du convoi, portant des vivres pour les caravansérails
de la roule de Zousfana, suivit cette route avec Tescorte et ne fut
pas inquiétée. Le reste, qui, malgré Tavis du commandant de
l'escorte, avait pris une autre direction, fut attaqué le lendemain
par une forte harka.
Commentant ces jours-ci ces derniers événements du Sud, le Temps
donnait sur la question des aperçus intéressants que nous croyons
devoir reproduire ici :
La situation dans le Sud-Oranais, disait le Temps, est devenue subitement
inquiétante; il est même à craindre, comme nous le disions déjà le 4 avril
7^ QUESTIONS DIPLOMATIQUBS BT GOLOIOALBS
dernier, que nous n'ayons avant peu des événements très graves à enre-
gistrer, si des mesures énergiques et rationnelles ne sont pas prises au
plus tôt. Car, enfin, il nous faut faire un aveu qui n'est pas flatteur pour
nous, c'est que, en moins de trois mois, nos postes n'ont pas subi moins
de cinq attaques sérieuses, dont aucune n*a été réprimée. Or, rien ne peut
enhardir davantage les turbulentes tribus de TOued-Guir, rien n*exalte
autant le fanatisme des Arabes que ces succès impunis. Si Ton n'y met
ordre, ils risquent même d'avoir la plus fâcheuse répercussion sur nos
grandes tribus nomades du Sud-Oranais ; et peut-être alors, faute d'avoir
pris à temps nos précautions, aurons-nous une véritable insurrection sur
les bras. N'oublions pas que, dans ces régions et avec les populations si
impressionnables qui les habitent, il suffit d'une étincelle pour mettre le
feu aux poudres : les insurrections de 1864 ei de 1881 l'ont prouvé.
Nous le répétons donc à nouveau : aussi longtemps que notre système
de défensive passive sera maintenu, il n'y aura aucune tranquillité rela-
tive possible aux environs de Figuig.
En effet, les fractions de troupes disséminées sur notre longue ligne de
caravansérails qui va de Duveyrier à Beni*Abbès sont trop faibles numé-
riquement et ne sont pas outillés pour agir en dehors de leurs murs
d'enceinte. Elles sont réduites à l'immobilité absolue en face de l'adver-
saire le plus mobile qu'il y ait.
En fait, nous faisons volontairement litière de tous les enseignements
de la guerre d'Afrique, desquels il résulte qu'on ne peut espérer aucun suc-
cès dans ce pays si l'on n'est pas aussi mobile que l'ennemi. Les c saha-
riens » les plus compétents ont signalé les dangers auxquels nous expo-
saient les errements actuels. Il y a quelques années déjà, l'un d'eux, le
commandant Frisch, dans une étude très remarquée sur la défense de
l'Algérie Tunisie, proposait la création de sortes de marches sahariennes
qui seraient occupées en permanence par des colonnes mobiles composées
de deux ou trois compagnies mixtes comprenant les trois armes, vivant
sur le pays et toujours en mouvement en dehors de la période des
grandes chaleurs. Dans une brochure plus récente, cet officier supérieur
développait son idée première et l'appliquait aux oasis sahariennes et à la
région de Zousfana, nouvellement occupées.
Sou projet pour les oasis sahariennes a été adopté; il n'y avait pas de
motif pour ne pas en faire autant plus au Nord. L'expérience démontre
qu'il avait raison.
Avec ces compagnies mixtes sans cesse en mouvement, les troupes à
entretenir dans le Sud-Oranais pouvaient être très réduites par rapport à
ce qu'elles sont aujourd'hui, parce qu'on suppléait à la faiblesse des effec-
tifs par le mouvement; tirant du pays tout le gros de leur subsistance,
elles n'avaient nul besoin de ces convois de ravitaillement qui coûtent si
cher.
Les circonstances actuelles vont probablement nous forcer à organiser et
à mettre en route une colonne avec son énorme et indispensable convoi,
sans compter tous les ravitaillements par la base d'opération : coût, un
nombre respectable de millions, comme en 1901. Encore cette colonne ne
pourra-t-elle être en état d'agir sur le théâtre des opérations avant plusieurs
semaines, alors que les compagnies mixtes seraient toujours sur place,
RENSEIGNEMENTS POUTIQUfiS
729
oavoi que leurs
mobilisées et pouvant se suffire à elles-mêmes sans aut
moyens de transport habituels.
On voit combien ce système est rationnel et économique ; espérons qu'on
finira par retendre à la région si dangereuse du Sud-Oranais, puisqu'on
Ta trouvé pratique pour celle des oasis sahariennes, qui est moins
exposée.
On a vu plus haut quelles décisions le gouvernement a prises pour
assurer la sécurilé de notre territoire, et les commentaires auxquels
ces décisions ont donné lieu dans là presse.
Maroc. — La situation. — Les nouvelles du Maroc ont été, ces
jours derniers, moins mauvaises. Les craintes qu'avait inspirées le
siège de Tétouan ne se sont pas, heureusement, réalisées. L*échec
éprouvé par les rebelles lors de leur première attaque conlre la ville
avait été assez grave pour les immobiliser. De cette façon, les ren-
forts envoyés de Tanger par voie de mer eurent le temps d'arriver à
destination. Tétouan, ainsi renforcé et ravitaillé, n'avait guère plus
rien à craindre. Les rebelles, déjà démoralisés par leur première
défaite, se sont rendu compte qu'un nouvel assaut serait inutile. 11
ne leur restait plus qu'à lever le siège et à retourner dans leurs
foyers en attendant une meilleure occasion. C'est ce qu'ils viennent
de faire. Tétouan se trouve donc à l'heure actuelle complètement
délivré.
Ce résultat positif et certain reste définitivement acquis. 11 n'en
est pas de même de la nouvelle de l'entrée des troupes du sullan à
Tazza. Il y a quelques jours les dépêches avaient signalé que le minis-
tre de laguerre avait enfin entrepris la fameuse marche depuis long-
temps annoncée contre le centre d'opérations du prétendant.
Certains correspondants, allant trop vite en besogne, l'ont fait
ensuite entrer à Tazza après un combat sanglant. Or, s'il est certain
que le ministre El Menebi ait quitté Fez avec l'intention d*aller à
Tazza, on a appris parla suite qu'il s'était arrêté en roule, à quelques
kilomètres de Fez. Bien plus, on ne saurait pas très bien à quelle date
il pourrait reprendre sa marche, à cause d'une mutinerie qui aurait
éclaté parmi les soldats restés dans la capitale.
Ainsi donc, il faut rayer de l'actif du sultan la prétendue victoire
de Tazza.Le prétendant dispose toujours de son centre d'opérations.
Cependant, Tinaction prolongée de Bou-Hamara est un signe mani-
feste de faiblesse. Tout, d'ailleurs, semble indiquer que la cause du
prétendant est plutôt en baisse, malgré l'apathie de ses adversaires.
RENSEIGNEMENTS ECONOMIQUES
1. — GÉNÉRALITÉS.
Prodaction da fer et de Tacier dans le monde. — Il résulte d'ane
statistique, que nous avons sous les yeux, que la production du fer et
de Tacier dans le monde entier a énormément augmenté dans la
deuxième moitié du xix* siècle.
La production du fer brut a décuplé, passant de 4.401.415 tonnes
anglaises à 40.087.616 tonnes, comme le démontre le tableau sui-
vant :
Années. Tonnes. Années. Tonnes.
1835
6.150.000
1880
... 17.950.000
1860
7.400.000
lï»85
... 19.100.000
1865
9.250.000
1890
... 27.157.000
1870.. . .
H. 900.000
.. 13.675.000
1895.. ..
28.871.000
1875
1900
40.087.616
En 1900, la production du fer se répartissait, entre les divers pays,
de la façon suivante :
Etats-Unis
Grande-Bretagne
Allemagne et Luxembourg:
Russie
France
Autriche- Hongrie
Belgique
Suède
Espagne
Canada
Italie, Japon, Mexique, etc.
Total.
Tonnes.
13.789.242
8.959.691
8.381.373
2.859.815
2.669 966
1.431.989
1.00 .872
518.263
2Â9.3I5
86.090
100.000
40.087.616
'^
Il est curieux de voir combien la production de Vaciêr était faible
en 1850. On en était encore réduit à le préparer au creuset, par la
cémentation ou le puddlage, en très petites quantités à la ftiis, et à
grands frais. Cesl Tinlroduclion du procédé Bessemer et l'emploi du
foyer ouvert qui ont développé la production. En 1857, la fabrication
Bessemer fut inlroduile en Angleterre, le procédé Siemens-Martin y
apparut en 18G4, et quatre ans plus tard aux Ëlats-Unis.
1855
120.000
1860. . ..
200.000
1865
3:'>0.000
1870
700 000
1875
2.000.000
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 731
En 1850, la production de Tacier dans le monde n'était que de
80.000 lonnes; elle augmenta surtout à partir de 1875 :
Années. Tonnes. Années. Tonnes.
1880 4.274.000
i885 6.147.000
1890 1^.231.000
1895 16.149.000
1900 27.130.815
En 1900, la part de production des divers pays fut la suivante :
Tonnes.
États-Unis iO. 188.329
Allemagne et Luxembourg 6.257.745
Grande-Bretagne 5.050.000
Russie 1.800.366
France 1.569.481
Autriche- Hongrie 1.126.942
Belgique 644.132
Suède 295 636
Espagne i48. «84
Canada et autres pays 50.000
Total 27. 130.815
Ajoutons que dans le premier semestre de 1902, la production du
fer drutsesi notablement accrue, si on la compare à celle de la pé-
riode correspondante de l'année précédente. Dans ces six premiers
mois, Taugmenlation a été de 1.133.961 tonnes aux Ëtals-Unis; dans
les neuf premiers mois, elle a été de 303.376 tonnes en Allemagne;
de janvier à septembre, de 223.710 tonnes en Belgique; po'.ir les six
premiers mois, de 62.780 tonnes au Canada; elle est également no-
table en Angleterre. Seules, la France et la Suède présentent pour
les six premiers mois un recul de 95.531 et de 27.000 tonnes.
II. — EUROPE.
Turquie. — Commerce avec la France enidOi, — Les importations
turques en France se sont élevées à 105.601.000 francs, contre
107.785.000 en 1900; la diminution est donc de 2 % . Les exporta-
tions françaises en Turquie ont atteint le chilTre de 47.365.000 francs
contre 49-768.000 en 1900, ce qui fait une décroissance appréciable
de 2.400.000 francs.
L'année 1901 a donc été en général plutôt mauvaise pour le com-
merce franco-ottoman.
NOMINATIONS OFFICIELLES
■IKISTÈIIE DEt» AFFAMES ÉTRANfiÂKES
L'exequatur a été accordé à :
MM. •
E. Carrance, consul du Venezuela à Agen.
Jofté Kœhler Aubian, consul du Paratçuay à Bordeaux.
Julio Balbas 7 Ferez, vice-consul d'Espagne à Nantes.
E. Lesage, consul de Belgique à Melun.
J. Haemers, consul de Belgique à Rouen.
Hermann VerApreuven, consul de Belgique au Havre.
T. Bojeux, consul de Belgique à Chartres.
L. Petitjean, consul de Belgique à Compiègne.
Emile Coppens, vice-consul de Belgique à Montataire.
Ed. Delaltre. vice-conêul de Belgique à Meaux.
■irVISTÉKE DU COHMEKGE
Ont été nommés ou promus dans l'ordre national de la Légion d'honneur :
Au grade d'officier,
M. Giraud (J.-M.-J.), président de la Chambre de commerce d'Oran.
Au grade de chevalier,
MM.
Picard (P.-Ant.), inspecteur des postes et des télégraphes à Paris.
Castan (L.-P.), président de la Chambre de commerce d*Alger.
Tessier (Albert), président de la Chambre de commerce de PhiUppeville.
HLlîlSTÈRE DE LA GUERRE
TroapeM métropolllalne».
SERVICE VÉTÉRINAIRE
Tonkin. — M. Blot, vélér. en 2«, est désig. pour servir à l'artillerie coloniale
au Tonkin.
Troupes coloalales.
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL
OoohinoMne. — M. /e général de Beylié, command. la brigade de Cochinchine,
est nommé command. de la défense de Saïgon-Cap Saint- Jacques.
INFANTERIE
Afrique Oooidentale. — Sont affectés :
M. le capit, Dauvillier à l'état-major part, do l'A. O. F. ; M. le lieut. Mongelons
à Tétat-major part, de la Côte d'Ivoire ; M. le lieut. Albin à la 2* comp. du {•' séné-
galais.
M. le lieut, Duboc est désigné pour servir au bat. de la Côte d'Ivoire.
M. le lieut. Jigaudon est désig. pour serv. à l'état-maj. des troupes de TAfr.
occid.
Congo. — Ont été désignés pour servir au rég. indigène du Congo :
M. le chef de bat. Morel (M.-E.); le capit. Mahieu, et le sous-lieul. Barthe.
Ohlne. — Ont été désignés pour servir au 16' rég. :
M. le chef de bat. Lemoel; MM. les capit. Chautard, et Audié; MM. les lieut.
Fontaine (G.), Laurent (A.-E.), Mongodin, Pourchet, Mégnou, et M. I© sous-lieut.
Ramspacher.
Coohinolline. — Sont désignés pour servir en Cochinchine :
MM. les capit. Bouet et Thiéry, le lieut. Froraenty, et les sous-lietU. Estéve et
Legrand.
Sont affectés :
M. le chef, de bat. BuUier, au rég. de tiraill. annamites, l*** bat. ;
M. le chef de bat. Grimaud, au 11« rég., l»»" bat.;
M. le capit. Monziols, à la 5* comp. du rég. de tirail. annamites ;
M. le capit, Cailleau, à la 3* comp. du 11 « rég. ;
NOMINATIONS OFFICIELLES 733
M. le eapii. Dubois de la Villerabel à la comp. Cambodgienne ;
H. le lieui. Crabos à la 6* comp. du rég. de tiraill. annamites;
M. le lient. Mahîeu, à la 12* comp. du rég. de tiraill. annamites;
M. le lieut. Morel, à la comp. cambodgienne ;
M. le lient, Chaumont, à la 7« comp. du U« rég. ;
M. le lient. Veillât, à la 10» comp. du 11« rég. ;
M. le lient, Giraud (A.-J.), à la 5* comp. du !l« rég. ;
M. le sons-lieut, Grégoire, à la 12« comp. du il* rég. ;
M. le sous-tient. Gilquin, à la l" comp. du 11* rég.;
M. le sous-tient Chauflin, à la 11« comp. du rég. de tiraill. annamites;
M. le sous-tient. Fouques, à la 9** comp. du rég. de tiraill. annamites.
Tox^kin. — Sont affectés :
M. le lient-col. Louvel, au lO*' rég.;
M. le capit. Hesse, à la il* comp. du 2^ tonkinois;
M. le capit. Pauvrehomme, à la 2« comp. du 9» rég.;
M. le lient. Caillette est nommé comptable du bat. de tiraill. chinois ;
M. le lient. Ruaux, à la 2« comp. de !«<' tonkinois;
M. le lient. Simonet (A.), à l'état-major part, comme officier de renseig. «lu
2* territ. milit. ;
M. le tient. Legras, à la 6* comp. du 10» rég. ;
M. le lient. Weissemburg, à la i""® comp. du IS** rég.;
M. le lient. Péri est nommé lieutenant trésorier au l*»* tonkinois.
Ont été désignés pour servir au Tonkin :
M. le chef de bat. Seal; MM. les capit. Cadet, Forestier et Rouvin; MM, icâ
lient. Marty (A.-J.), Bonaccorsi et Ringue ; MM. les sous-lieut. Tirveillot et Des?,*^-
mond.
Pour servir au 18« rég. :
MM. les cnpit. Doudoux et Lionnet.
Pour servir au o« tonkinois :
MM. les capit Manet, Fautrat, Lapoable et M. le lient, Langlois.
Madagascar. — M. le chef de bat. Imhaus est design, pour servir au 2« m il-
gâches.
M. le capit. de Rostang est désig. pour la 14« comp. et M. le capit. Vialatte pour
la 15' comp. du 3*^ sénégalais.
Ont été désignés pour servir à Madagascar :
M. le chef de bat. Buat, M. le capit. Gautheret; MM. les lient. Elegœt, Mahé eL
MM. les sous-lieut. Leroy (L.-H.) et Forgeron.
Sont affectés :
M. le chef de bat. Feldmann, au 2® malgaches ;
M. le lient. Pichon, à la 3« comp. du 3* sénégalais ;
M. le lient. Boennec, à la 9* comp. du 2« malgaches ;
M. le sotis- lient. Noël, à la 5* comp. du 15* rég.;
M. le lient. Bloin, à la 3* comp. du l^' malgaches ;
M. le lient. Bornand, au l«r malgaches, comme officier d'habill. et d'arm.
M. le lient, Suzzoni à la 16« comp. du 3« sénégalais.
M. le lient. Gressard est nommé officier d'habill. au 3^' sénégalais.
Martinique. — M. le lient. Dehaye est nommé lieut. comptable au bat. de la
Martinique.
M. le lieut. Miallier est affecté à la 3* comp. du bat. de la Martinique,
ARTILLERIE
Goohinohine. — Sont désignés pour servir en Cochinchine :
MM. le chef d'escad. Bernard, les capit. Lambert, Taupiac et Charlier.
Tonkin. — Sont désignés pour servir au Tonkin : MM. les capit. Le Divellec lI
Bizard.
Officiers d'administration.
Afrique Oooidentale. — MM. Gay, offic. d'admin. de 1" cl., Mathieu et
Dracon, offic. d'admin, de 2« cl., sont désig. pour servir au Sénégal.
Madagascar. — M.*Lignon, oflic, d'admin, de 2« cl., est désig. pour venir 4i
Madagascar.
Tonkin. — M. Charbonnier, offic. d'admin. de l'« cl., est désig. pour sefvir uu
Tonkin.
734 QUESTIONS DIPLOMATIQUES £T COLONIALES
SERVICE DK SANTE
Afrique Oooidentale. — M. le méd.ppal de {'• cl. Rangé est nommé direc-
teur du service de santé de l'A. O. Fi ;
M. le m^d.-nwj. de {'"cl. Lajet est affecté à l'hôpit. colonial de Dakar;
M. le tnéd. aide-maj, de i^ cL Ribot est affecté à la direction du service de santé
de Saint-Louis;
M. le pharm.-maj. de 2' cl. Guîlloteau est placé à l'hôpital colonial de Saint-
Louis.
Congo. -— M. le méd. aide-maj. de !'• el. Kérandel est désîg. pour servir au
Congo ;
M. le méd, aide-maj. de\^ cl. Doomenjou est désig. pour servir au Cbari.
Ooéanie. — M. le méd. aide-maj. de 1" cl. VioUe est désig. pour s^vir à
Tahiti.
MINISTÈRE DE LA HAR1.\E
ÉTAT-MAJOK DE LA FLOTTE
Extrême-Orient. — M. le UeuL de vaiss. Matha est désig. pour embarq. sur
le Bugeaud;
M. le mécanic. ppal de 2* cl. Simonneau est désig. pour embarq. sur le Château-
renaulL
Levant. — M. Venseig, de uaise, Beaugé est désig. poar embarq. sur le Vau-
tour.
CORPS DU COMMISSARIAT
Sztrôme-Orient. — M. le commiss. de 2* cl. Le Hir est désig. pour embarq.
sur le Bugeaud.
Océan Indien. » M. le commiss. de 2« cl. Huau est désig. pour embarq. sur
la Nièvre.
SERVICE DE SANTÉ
Extrême-Orient. — M. le méd. en chef de l'* cl. Abelin est désig. pour
embarq. sur le làonlcalm^ comme médecin de l'escadre.
HL^ISTÈRE DES C0LO3IIES
M. Decazes (E.-L.-F.), administr. en chef de i^^ cl. des colonies, est délégué
dans les fonct. de secret, génér. du gouvem. du Dahomey. — M. Martin (J.), ad-
ministr. en chef de l'^ cl. des colonies, est délégué dans les fonct. de secret, génér.
du gouvern. de la Côte d'Ivoire. — M. Richard (J.-L ), secret, général de «• cl. des
colonies, est nommé secret, général du gouvern. de la Martinique. — M. Angoul-
oan^ (G.), secret, général de l'o cl. des colonies, est nommé secret, général du
gouvern. de la Guadeloupe. — M. Noufflard (C.-H.-A.), secret, général de 2* cl.
des colonies, est nommé secret, général du gouvern. du Congo. — M. L^jeune
(H.-A.-J.}, administr.-adjoint de 2* cl. des colonies, est inscrit d'office à la suite du
tableau d'avanc. de Tannée 1903, pour l'emploi d'administr.-adjoint de i^* cl.
. A Toccasion de Texposition d'Hanoi ont été promus ou nommés dans l'ordre na-
tional de la Légion d'honneur :
Au grade de commandeur.
MM. Rodin (F.-A.-R.), sculpteur; membre du jury des Beaux-Arts à l'exposit. de
Hanoi. — Marx (R.), inspect. général des musées des départ.
Au grade dofficier.
MM. Bigard-Fabre (Ed.-A.-E.), chef de bureau au minist. de Tlnstr. publique.
*— Martin (H.^J. G), peintre; membre du jury des Beaux-Arts à l'exposit. de
Hanoi. — Poinlelin (A.-E.), peintre, exposant. — Quost (Ernest), peintre; membre
du jurj des Beaux-Arts à l'exposit. de Hanoi. — Desmoulin (Fernand), graveur. —
Bellan fD.-L.), fabricant de tulles perlés et de broderies. — Dapuis (J -B.-L.},
maître de forges. — Domange (L.-H.-J.-A.), manufacturier. — Dubouloz (J.-A.j,
industriel. — Pinard (M.-L.-D.-A.), maître de forges. — Kahn (Paul), fabricant de
vêtements en srros pour garçonnets. — Violet (Lambert), négociant. — Poupinel
(E.-P.), négociant en bois de sciage. — Niclausse (E.>P. J.), industriel. — Mildé
(C.-F.-G.-A.-M ), fabricant d'appareils électriques et d'automobiles. — Thinet
(J.-M.-J.-F.), fabricant de coutellerie — Darracq (P.-A.), industriel. — Jourdan
(A.-D.J, libraire-éditeur. — Schweizer (Alfred), commissionnaire en marchandises.
— Cognatq (Th.-E.), uégtjciauc. — Getten (M.-M.-A.), ingénieur en chef des pont»
NOMINATIONS OFFICIELLES 735
et chaussées, direct, général de la comp. fraoç. des ch. de fer de rindo-Chiue et du
Yunnao. — Brou (P.-ïl.-N.), direct, général adj. des postes et des lélégr. en Annam
cl au Tonkin. — Baille (V.-L.-Ch.-F ), inspect. des services civils de ï'Indo-Chine;
maire de la ville de Hanoi. — Capus (Guillaume}, direct, de l'agric. et du comm.
en Indo-Chine. — Hardouin (Charles), chef de cabinet du gouvern. général de
rindo-Chine.
Au grade de chevalier.
MM. Duvent (C..-J.-V.), artiste-peintre. — Rousseau (J.-J.), artiste-peintre. —
Allègre (R.-L.), artiste-peintre. — Fourié (A -A.), artiste-peintre. — Lfbourg
(A.-M.), artiste-peintre. — Redon (OJilon), peintre et graveur. — Moncel (A.-E.),
sculpteur. — Carabin (F.-R.), sculpteur et décorateur. — Laporle dit Laporle-
Blairsy (L.-M.-V.), sculpteur et décorateur. — Foumereau dit Fournereau-Yon
(L.-L.-M.), architecte, iospect. de Tenseign. du dessin et des musées. — Fonteneau
(J.-E.-A.), sous-chef de bureau au ministère des Colonie*. — Baignol (M.-F.-A.),
industriel. — Bergougnan (C.-R.), industriel. — Baudry (H.-A.), manufacturier. —
Eydoux (J.-F.), industriel. — Chameroy (E.-A.), industriel. — Butin (F.-O.),
induj»triel. — Jacguot (E.-C.-A.), luthier.
Freund Deschamps (Charles), industriel. — Mantoux (J.-G.), éditeur. — Simon
(Paul), négociant. — Bayle (C.-F.), industriel. — Roy (H.-L.j, imlustriel. — Blin
(Jules), industriel. — Bord (A.-G. dit Anloain), fabricant de planus. — Bloche
(A.-D ), industriel. — Picard (Alcide), imprimeur-libraire-éditeur. — Dronelle
(E.-F.). négociant. — Curlier (F.-J.), négociant en vins et eaux-de-vie. — Nilol
(Edouard), industriel. — Chastenet (H.-L), n^gociaut exportateur. — Storck
(A.-A.), imprimeur-éditeur. — Cornélius (Edouard), négociant. — Mercier (E.-P.),
doreur et relieur artistique. — Vert (Baptiste), distillateur. — Porcabœuf{A.-L.)^
imprimeur d'art en taille-douce. — Batidotn( A. -P.-A.), joaillier. — Afo//« (A.-M.-J.),
industriel. — Haas (Edmond), industriel.
Gagneur (A.-F.), négociant. — Nony (L.-A), éditeur. — DesbUf (M.-M.-E.),
industriel. — Paz (E.-D.), constructeur électricien. — VuHlaume (F.-E.), ingé-
nieur constructeur. — AUézin (E.-L.-E.), armateur. — Rolival (J.-E.), préMd. du
conseil d'admin. et direct, tech. de la comp. des wagons-réservoirs. — Bureau
(C.-B.-G ), ingénieur. — Pirou (E.-L.), photographe. — Campagne (Henri), cour-
tier de marchandi'^es assermenté au trib. de comm. de la Seine. — Ban*auU (P.-E.),
négociant. — Ae Gouey (J.-E.), industriel. — Robin (M.-L.-M.), industriel chimiste.
— BiaiS'Misseron (J.-A.), industriel. — Havy (A -L.-G.), négociant. — Dorvauli
(F.-D.-M.), chimiste agronome. — More/ (J.-T.), industriel. — Cauvin (L.-P.-A.-L.),
industriel, administr. de la maison Cauvin-Yvose.
Schwob (Georges), industriel, trésorier du syndicat profess. 1' « Union des
tramways de France ». — Conza (M.-A.), négociant exportateur. — Vibaux (A.-J.),
industriel, filateur de coton et de laine, à Roubaix. — Fontaine (A.-R.), industriel.
— Lecœur (J.-J.-B.), négociant. — Massol (Pierre), direct de la Société nouvelle
des caves de Roquefort (Avejron). — Auricoste (Noël), direct, de 1*0 ffice national.
— Cuniac (E.-F.-J.-B.), maire de Saigon. — Denis (Alphonse), chef de la maison
Denis frères de Bordeaux. — Godard (Sébastien), négociant à Hanoi. — De Lar-
minai (Louis), ingén. en chef de 2" cl. des ponts et chaussées. — Dupuy (O.-F.-B.),
ingénieur civil. — Ajalbert (Jean), publiciste, homme de lettres. — Chérouurier
(G.-A.), sous-chef de bureau de 2« cl. au minist. des Col., adjoint au directeur de
l'Office colonial.
Berthelot (P.-J.-L.), secrétaire d'amb. de 2« cl., chargé de mission en Indo-
Chine. — Finot (Louis), directeur de l'école française d'Extrême-Orient. — Ducamp
(G.-R ), inspect. des eaux et forêts, chef du service forestier en Indo-Chine. —
Mettetal (Frédéric), avocat défenseur, premier adjoint au maire de Hanoi. — Leca-
cheux (Louis), vice-président de la Chambre d'agriculture du Tonkin. — Schneider
(F.-H.), imprimeur-éditeur au Tonkin. — Saint- Port-Mortier (M.-X. J.), ingénieur
civil, a dirigé tous les travaux de constr. et de montage du pont de Hanoi. — Bei*-
Ihelot (J.-P.)» publiciste, délégué du journal la Petite Gironde à l'exposition de
Hanoi. — Engel (EugèneJL, industriel. — Ruffier, peintre orientaliste, à Saïgon. —
Bussy (A.-L.), inspect. de 3* cl. des bâtiments civils.
Larue (V.-B.), industriel à Saïgon. — Viterbo (J.-V.), industriel, entrepreneur de
travaux publics, à Hanoi. — D'Abbadie (Jules), directeur des messageries fluviales
de l'Indo-Chine. — Vandelet (O.-A.), présid. de la Chambre mixte d'agric. et du
k
^^^ QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
commerce du Cambodge. — Joliboiê (P.-A.), conducteur des ponte et cliau8aée8. —
Ogliastre (Antoine), négociant à Saigon. — Guillaume, entrepreneur à Hanoi,
ancien présid. de la Ch. de comm. de Saigon. — Dauphinot (Georges), attaché
commercial à la légation de Bangkok. — Schnéegans (E.-J.), présid. de la Cb. de
commerce de Saigon. -— Bourgoin-Meiffre, filateur et tisseur. — Leroux (A.-J.),
industriel-agriculteur à la Réunion. — Manard^ entrepreneur de travaux publics à
Hanoï. — Claude (L.-J.), imprimeur-éditeur en Cochinchine.
Sont également promus ou nommés dans la Légion d'honneur pour services ex-
ceptionnels rendus à l'occasion des catastrophes de la Martinique :
Au grade d'officier,
MM. Lemaire (J.-B.-P.), gouvern. de 2* cl. des colonies, gouvcrn. de la Marti-
nique: — Bouvier (J.-H.-J.-A.), méd. de !'• cl. de la marine en retr., méd. du senr.
local à la Martinique. — Dain (V.-C.-Ë.), colonel d'infanterie coloniale. — Joulii
(Alphonse), capitaine de frégate. — Herbay (L.-E.), chef d'escadron de gendar-
merie. — Lidin (L.-A.-G.), méd. ppal de 2* cl. des tr. coloniales, direct, du ser-
vice de santé de la Martinique.
Au grade de chevalier.
MM. Lacroix (F.-A.-A.), profess. au Muséum d'histoire naturelle. — Sévère
(Victor), maire de Fort-de-France. — Grelet (Félix), maire de là commune du Prê-
cheur. — De Montaigne (P.-E.), conduct. de 3* cl. des ponts et chaussées à la Mar-
tinique. — Mathieu (J.-A.-P.), médecin en second de l'hôpital civil de Fort-de-
Prance. — Evanno (J.-L.-V.), capitaine d'artillerie coloniale. — Renaud (C.-X.-J.),
lieutenant de l'* cl. à la comp. de gendarm de la Martinique. — Roussel (A.-A.),
lieutenant d iofanterie coloniale. — Damian (L.-J.-M.), méd.-major de 2* cl. des tr.
coloniales k la Martinique. — L'Herminier (P.-L.-J.-F.), méd.-major de 2* cl. des
tr. coloniales.
Est promu au grade d'officier de la Légion d'honneur :
M. Assaud (S.-G.-E.), procur. général, chef du service judiciaire en Indo- Chine.
BIBLIOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES
Bn Danemark, par M. Charles Berchon, membre de la Société de
Géographie. — Un volume in-16, illustré de 52 gravures. Hachette et
C»«, Paris, 1903.
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hospitalier en même temps, ouvert à tous les progrès, à la fois vertueux
et prospère, idéaliste et industrieux : telle est du moins Tidée que nous en
donne M. Berchon dans son vivant récit, et l'on sent que le portrait est
exact et sincère.
LES REVUES
REVUES FRANÇAISES
Annales des selenees politl^nes (mat). R. Waultrin : Le rapprochement
dano-allemand et la question du Schleswig. — Stéphane Piot : Deux années
d'agitations sgraires en Italie (1901-1902). — A. Poisson : La politique douanière
de l'empire allemand. Le prince de Bismarck, etc.
Armée el Hartne (17 mai). Le roi d'Angleterre en France. ~~ L'escadre de la
Méditerranée sur la côte d'Afrique. — M. C. : L'immigration étrangère à Mada-
gascar. — (24 mai). L. db Saint-Fégor : Les loisirs du soldat. ^ Gab : Les colo-
nies et les dépenses navales anglaises : L'Australie et le Canada. -^ Marine de
guerre de l'Australie.
Bnlletin dn Comité de l'Afriqoe ffk«nçalse (mai). La démission du gouver-
neur général de l'Algérie. Nomination de M. Jonnart. — Les Cheurfa d'Ouezzan.
— La situation dans r£xtréme-Sud algérien. — La navigation commerciale du
Niger.
L'Administrateur-Oérant : P> Campadi.
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Diplomatiques et Coloniales
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PARAISSANT LE !•' ET LE 16 DE CHAQUE MOIS.
^'V:^^ COlu.., .
»4 ^ I I 9*^-^
i J UL 7 •-'''13
Eug. Etienne Notre politique africaine. — . Algérie et Maroc 737
Député d'Oran.
C'*' Ch. de Moûy La Macédoine, la Grèce et l'intérêt français 754
Ambassadeur do France.
Henri Froidevaux Les derniers travaux de l'Institut Colonial interna-
Agrégé d'histoire et de géogra- finnal 7^0
phie, dScteur-ès-lettrea. llOnai 'OJ
Aspe-Fleurimont Les employés coloniaux de nos possessions d'Afrique. 771
Coaseiller du commerce extérieur. /
J.-H. Franklin Les Affaires d'Algérie. — Les incidents de Figuig — 784
GHROrVIQUES DE I^A. QUIIVZilLlIVE
Renseignements politiques 799
Renseignements économiques 807
Nominations officielles 810
Bibliographie — Livres et Revues 811
Table des Matières du Tome XV (1^' semestre 1903, 814
I. — Tribus de la frontière Sud-Ouest algérienne 740-741
II. — L'Ouest-Africain français 748-749
III. — Environs de Figuig 787
IV. — Confins du ^Sud-Ouest algérien 792-793
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QUESTIONS
DIPLOMATIOUES ET COLONIALES
NOTRE POLITIQUE AFRICAINE
ALQArIE et MAROC
■ - I > I I ry
\'l" »• .
Les événements, dont le Sud-Oranais vient d'être tout récem-
ment le théâtre, sont présents à toutes les mémoires, et l'émo-
tion qu'ils ont excitée, quand on la dégage des questions de
personnes, paraît due principalement au manque de notions
précises sur l'origine de l'état de choses actuel et sur ses périls,
aussi bien que sur la diversité des vues touchant la meilleure
manière d'y porter remède, sans risquer de compromettre notre
prépondérance légitime dans l'Afrique du Nord-Ouest, sans
risquer non plus de nous lancer de nouveau dans d'inutiles et
onéreuses dépenses militaires.
On veut savoir d'où Ton vient et où Ton va.
Il me semble, quant à moi, que le moment est venu de
donner de définitifs éclaircissements sur le vrai caractère de
notre politique africaine et de ses moyens d'action. C'est cer-
tainement la meilleure manière d'éviter le retour des fautes
commises, et de refaire l'accord des esprits sur une question
qui touche de si près aux intérêts vitaux de la France et de
l'Algérie.
Certes, le plus souvent, il n'est guère avantageux de pro-
duire dans un débat public les motifs particuliers d'une poli-
tique d'ensemble; il est cependant nécessaire que le Parlement
et l'opinion publique soient tenus au courant des questions
générales dans lesquelles la politique du pays se trouve
engagée.
Relativement au Sud algérien, cet exposé de notre politique
est rendu aujourd'hui plus nécessaire que jamais par les inci-
dents qui viennent de se produire; mais je me hâte d'ajouter
qu'il paraît sans péril, car il n'est pas au monde de politique
QuEST. DiPL. ET Col. — t. xv, — «• 152. — 16 juin 1903. 47
"738 OUKSÏlONS DtPLOlUTlQUES BT COLONIALES
plus franche, plus loyale, plus prudente et plus respectueuse
des droits d'autrui et des traités, que la politique poursuivie
par la France et par F Algérie dans le Nord-Ouest africain.
Souvent j'ai regretté que le gouvernement n'en fît pas
connaître les vues générales et l'idée directrice, aussi vais-je
aujourd'hui essayer d'en esquisser les traits principaux, tels
qu'ils me sont apparus ; il sera facile à chacun d'en déduire et
les devoirs de notre politique actuelle, et la meilleure manière
de la faire aboutir, sans risques nouveaux et sans dépenses
nouvelles.
Cette politique, on me permettra de la considérer dans son
ensemble, à l'occasion des récents incidents de Figuig, mais en
prenant le recul nécessaire pour en bien marquer les lignes
générales; je rechercherai donc sommairement quelle a été au
cours de ces dernières années notre politique africaine : au
Sahara, sur les Confins marocains, et au Maroc même.
AU SAHARA
Et d'abord, devions-nous avoir une politique saharienne?
Beaucoup de bons esprits n'ont pas craint de poser cette ques-
tion; ils se sont demandé si, pour éviter de perdre notre temps
et de consacrer des dépenses excessives à Toccupation de terri-
toires peu rémunérateurs, il ne convenait pas de renoncer à
toute politique saharienne ; s'il ne valait pas mieux réserver
toute notre activité politique et toutes nos forces pour les ques-
tions marocaines, qui sont vitales pour la France et l'Algérie,
au point que si elles devaient être résolues contre nous, elles
compromettraient notre situation dans l'Afrique du Nord.
Us ajoutaient que nous risquions de lâcher la proie pour
l'ombre, et surtout, par une action maladroite, d'engager malgré
nous la question marocaine à une heure défavorable pour nos
intérêts.
D'autres bons esprits également pensaient, au contraire, que la
sécurité du Sahara algérien, la nécessité de marquer nettement
l'unité de notre empire africain — dont la grandeur même indique
de la façon la plus nette quelle place prépondérante la France
compte prendre dans l'Afrique de l'Ouest — et par-dessus tout,
l'inconvénient qui résulterait de sa prise de possession par
d'autres, étaient autant de raisons qui ne permettaient pas de
différer une extension que l'on pouvait faire si facilement, sans
dépenses et sans risques.
Ils ajoutaient que cette politique, bien conduite, ne pouvait
NOTRE POLITIQUE AFRICAINE 739
créer aucune difficulté avec le Maroc, et que la mesure même
de notre action dans ces régions marquerait bien plus nette-
ment notre modération qu'une inaction dangereuse, nous lais-
sant à la merci d'incidents que l'on pourrait mal interpréter.
Ils ajoutaient enfin que les entreprises incessantes du gou-
vernement chérifien, qui, à l'instigation de Tétranger, nous
invitait sans cesse à évacuer nos postes, nous obligeaieul h
agir, en guise de riposte, et que cette riposte était nécesj^al-
rement une action saharienne.
Or, cette question a été tranchée depuis longtemps par le f^ou-
vernement,qui, par une série d'actes successifs, a engagé flepuis
1890 une politique saharienne tendant à l'unification de iiolro
domaine national en Afrique.
Une observation attentive permet même de dégager facilt*Di(^nt
la méthode suivie, dont mille incidents quotidiens ont pu mal-
heureusement nous faire perdre de vue l'unité.
Le programme que le gouvernement s'est imposé parait avoir
compris les points suivants :
1® Créer politiquement le Sahara français;
2** Le parcourir et le policer;
3® L'administrer d'une façon adéquate à son caractère parti-
culier, et le plus économiquement possible.
Reprenons ces différents points :
L'unité politique du Sahara français ne pouvait évideuntient
être obtenue que si son caractère de territoire français tUait
reconnu par les puissances européennes et par le Maroc*
Dès 1891, la convention Say-Barroua, puis la couvent imi dt*
délimitation qui suivit l'incident de Fachoda. puis le truîiL* de
délimitation du Rio de Oro, conclu avec TEspagne, écheloniÉrrr^at
toute une séri(|d*actes politiques, par lesquels le gouverin'unnit
de la métropole fit connaître sa décision de considérer le Sadara
comme français et d'unifier notre empire africain.
Le couronnement logique de cet édifice devait être tiatu-
relloment lacceptation de cette situation par le gouvemt im^it
chérifien, et son acquiescement s'est manifesté au cour^ <h*s
accords intervenus récemment entre la République française H
le Maroc, puisque nos] agents ont été assez heureux pour uhti^-
nir du sultan la reconnaissance définitive de nos droits sur li^
Sahara, désormais terre française.
Le premier point était ainsi acquis.
Cette terre devenue française, la France se devait de la r^con-
naître aussitôt, et de la policer de telle manière que les attentais,
caractéristiques de la vie habituelle des peuplades qui liKifpî-
tent, fussent supprimés et remplacés par l'activité commeni a l*\
742 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULKS
Elle se devait, en un mot, de faire concorder son action gou-
vernementale avec ses vues politiques.
Ce programme de conquête et de police fut à Torigine conçu de
deux manières différentes. On voulut d'abord explorer et recon-
naître le Sahara par une série de missions destinées à le. parcourir
en tous sens et à marquer du même coup notre souveraineté.
C'est à ce système que se rattache le plan grandiose qui devait
faire converger sur le Tchad les missions Foureau-Lamy,
Gentil, et Voulet-Chanoine. C'est à ce système également que se
rattachait la mission Flamand, lorsqu'il fut prescrit à ce savant
par le ministre de l'Instruction publique de reconnaître le
Tadmait et le Mouydir, et par le ministre des Colonies d'explorer
les routes de Tombouctou.
Mais peu après, on reconnut la nécessité de modifier cette
manière de faire, de compléter ces héroïques traversées de
l'Afrique, admirables, mais onéreuses, et ne laissant pas grand
résultat derrière elles, par l'occupation progressive et économi-
que du Sahara, marquant cette occupation par les étapes
suivantes :
Prise de possession du Touat ;
Pacification du pays Touareg;
Enfin, jonction avec le Soudan.
La première étape fut faite dans des conditions que chacun
sait. Je reviendrai naturellement tout à l'heure sur les fautes
qui ont marqué l'occupation des Oasis et la prise de possession
du Touat, quand j'examinerai le mode nécessaire de notre
action dans ces régions.
La deuxième étape, la pacification du pays Touareg, a été
parcourue d'une façon admirable sous le gouvernement de
M. Revoil ; et l'on ne saurait trop louer les efforts du comman-
dant Laperrine, des lieutenants Cottenest et Guilho-Lohan,
qui, sans coûter un sou, presque sans coup férir, ont résolu la
question Touareg, vengé les missions Flatters et Mores
dont ils recueillirent les épaves, étendant ainsi notre domi-
nation et la paix française jusqu'au Sud du Hoggar, et même
jusqu'aux portes de Tombouctou.
Restait la troisième étape : elle devait faire la jonction avec
le Soudan, chose facile, de pure forme pour ainsi dire, grâce
aux mesures précédentes, et sans risques d'aucune sorte: ni
financiers, ni politiques, ni militaires. Cette jonction fut
décidée d'abord par le gouvernement de l'Afrique Occidentale
qui engagea les dépenses nécessaires, mit en mouvement des
troupes, mais la vit arrêtée par le gouvernement. Elle fut de
pouveau engagée par l'Algérie, presque sans dépenses cette
NOTRE POUTIQUE AFRICAINE 743
fois, d'après le type précédemment appliqué pour la pacification
des pays Touareg, mais encore arrêtée par le gouvernement
dans des conditions qui sont présentes à toutes les mémoires.
Sans ces arrêts, aussi onéreux que Texécution même, et sans
les erreurs qui ont marqué l'occupation du Touat, le programme
dont je parlais tout h Theure eût réalisé l'occupation ration-
nelle et économique du Sahara, presque sans coup férir, sans
dépenses spéciales, et en moins de trois ans, par les troi^
étapes que j'ai indiquées plus haut.
A ces vastes territoires, que l'Europe et le Maroc nous
reconnaissaient et que nous occupions successivement, il fal-
lait nécessairement une administration nouvelle et écono-
mique, les délivrant des réglementations ou entraves métropo-
litaines, et correspondant aux ressources médiocres du sol.
Cette initiative salutaire fut prise par le Parlement, lorsqu'il
invita le gouvernement à déposer, et qu'il vota lui-môme
dernièrement la loi qui jette les bases d'une administration
appropriée et distincte des territoireis qui nous intéressent.
Il parait bien qu'il ne pouvait guère être fait œuvre d'un
caractère plus méthodique, plus avisé ni plus grandiose.
Je reviendrai tout à l'heure sur les erreurs qui ont été com-
mises dans l'application. Mais il est seulement équitable de se
rendre compte, que si elle n'avait pas été contrariée par des
circonstances regrettables, une politique saharienne aussi pru-
dente, aussi méthodique et aussi réservée ne pouvait que
nous procurer des avantages nombreux, sans inconvénients
d'aucune sorte.
SUR LES CONFINS MAROCAINS
Notre politique quant à notre frontière marocaine offre un
caractère remarquable : elle fournit le rare exemple d'une fron-
tière commune entre un puissant Etat européen et un faible
Etat musulman, restée telle que le premier jour, après
soixante ans de voisinage.
Certes, aux écrivains étrangers qui nient la modération de
la France et son respect séculaire des traités, je ne connais
pas de meilleure réponse à faire que de leur dire : Regardez
notre frontière marocaine; est-il un seul pays qui, au bout
d'un pareil temps et dans de semblables conditions de voi-
sinage, puisse témoigner d un pareil respect de la parole
donnée ?
744 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET^COLOMALES
La situation qui nous est faite par ce voisinage remonte au
traité de 1845; elle vient d'être récemment précisée jusqu'au
Sahara, de telle manière que la mesure apportée à notre action
soit une plus haute affirmation de notre sagesse que l'inac-
tion même.
La politique qui se trouve définie par ces précisions, ou ac-
cords, se heurte à des difficultés particulières. Le pays limi-
trophe de notre territoire, en effet, est en réalité indépendant
du sultan ; et cependant par nos traités, par nos cartes et par
nos traditions, c'est l'autorité du sultan que nous reconnaissons
dans ces contrées.
En présence d'une situation aussi complexe, d'où naissaient
chaque jour des attentats incessants contre le commerce et les
personnes, trois politiques étaient possibles :
L'inaction ;
L'entente avec les tribus ;
L'entente avec le sultan.
Quant à la valeur respective de ces trois politiques, quant
à l'influence qu'elles ont exercée sur nos relations avec le
Maghzen et sur la pacification de ces régions, il est facile d'en
juger, car elles ont été tour à tour, et pour ainsi dire successi-
vement, suivies depuis la fondation de la République.
La guerre de 1870, en effet, était venue troubler une poli-
tique d'entente particulière avec le Maroc, pendant laquelle
nous nous étions chargés de la police de ces régions insoumises,
presque jusqu'aux régions administrées directement par le
sultan; et à plusieurs reprises, le gouvernement chérifien avait
manifesté sa satisfaction d'un état de choses qui maintenait
l'ordre sur ses confins, sans qu'il eût de dépenses à faire ni de
risques à courir. Les colonnes des Béni Snassen, de l'Oued-Za,
de rOued-Guir en sont la preuve parmi beaucoup d'autres.
La guerre de 1870 fut suivie d'une période d'inertie,
d'abstention, de reculs successifs, et de malentendus que la
politique de ces dernières années s'est efforcée d'effacer.
H est bien évident, en effet, que toutes les fois qu'une grande
nation subit une défaite, cette défaite ne s'arrête point à la
signature du traité qui met fin à la guerre ; jusqu'à ce qu'elle
ait de nouveau montré sa force et repris son rang dans le
monde, le Vie victis! lui vaut d'autres défaites morales ou
économiques sur tous les points du globe.
Il en fut ainsi en Algérie. Nous fûmes condamnés, par la
prudence, à une politique de réserve et d'effacement qui non
seulement ne nous permit pas d'appliquer immédiatement
NOTRB POLITIQUE APRIGAINK 145
l'accord particulier qui, dès 1870, mettait sous notre juridiction
les Douï-Menia dont il est question aujourd'hui, mais encore
nous créa la gêne laplus forte, lorsque la répression de l'insur-
rection des Ouled-Sidi-Cheikh nous conduisit de nouyeau aux
environs de Figuig ou de TOued-Zelmou.
Cette politique systématiquement défensive facilitait évi-
demment les intrigues étrangères qui, dès lors poussèrent cons-
tamment le Maroc à nous susciter des difficultés. Nous en
vinmes à ce point, qu'en 1888 le Maroc obtenait de nous la
destruction de notre poste de Djenien-bou-Resk, et émettait la
prétention de nous faire reculer jusqu'à l'Oued-Namous. Le
malentendu qui s'éleva à ce sujet faillit dégénérer en un con-
flit des plus graves.
La politique d'effacement et de prudence excessive qui nous
avait conduits à cette humiliation, à une insurrection, à des
menaces de complications extérieures, venait ainsi de se révéler
comme l'une des plus périlleuses.
Il faut donc, dans ces régions, une politique vigilante, une
politique de police, évitant les incidents, mais restant une poli-
tique d'action, cette action, bien entendu, devant être exercée
avec mesure et avec sagesse. En raison des circonstances par-
ticulières exposées tout à l'heure, elle peut ou s'appuyer sur
les tribus, ou s'appuyer sur le sultan.
Quelle est de ces deux lignes de conduite la meilleure à
suivre? C'est une question qui pourrait paraître malaisée à
trancher, si l'expérience ne l'avait déjà résolue, en démontrant
par les faits les avantages particuliers et les conséquences lo-
cales de l'une ou de l'autre entente. En effet, depuis que nous
avons renoncé à la politique d'inaction, la politique d'entente
avec les tribus a été exclusivement suivie jusqu'à la fin du
gouvernement de M. Laferrière ; et la politique d'entente avec
le sultan a été mise en pratique, exclusivement aussi, par le
gouvernement de M. Revoil, il est donc facile de les comparer.
La politique d'entente avec les tribus nous donna rapidement
des résultats très précieux. 11 est à peine besoin de rappeler
qu'elle nous permit de pousser notre chemin de fer jusqu'à
Beni-Ounif ; c'est grâce à elle, grâce à l'entente momentanée
avec Bou Amama, qui exerce sur les tribus du Sud-Ouest
une influence considérable, que le général Bertrand, admira-
blement secondé par le capitaine Nocher, put prendre posses-
sion de toute la Zousfana et d'Igli, sans tirer un coup de fusil,
à une époque où le Sud était singulièrement troublé et où
cette opération pacifique était un véritable tour de force.
C'est que cette politique répond à la réalité même des choses
4T
746 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
dans le Sud-Oranais ; dès qu'on s'est entendu avec les tribus
d'un pays où les tribus sont toutes-puissantes et où raulorité du
sultan est précaire, on peut par cette entente faire régner le
bon ordre et la sécurité à très peu de frais et dans les meilleures
conditions possibles*.
Ainsi, nous avons pu d'un seul coup rétablir toute notre
influence presque jusqu'au point où elle avait été portée en
1870; nous disons presque, puisque nous n'avons pas encore
entièrement replacé sous notre allégeance tous les Douï-Menia.
Cette politique a cependant des inconvénients : les intrigues
étrangères, qui se sont multipliées depuis quelque temps au
Maroc, et qui ont tout osé, jusqu'à tenter de lui faire signer des
engagements menaçant notre situation, cherchaient alors à
profiter de notre entente avec les tribus insoumises pour nous
représenter comme hostiles à l'établissement de l'autorité du
sultan dans ces régions, et pour lui offrira tout propos, et hors
de propos, un appui contre nos prétendues menées.
C'est évidemment la raison pour laquelle M. Revoil — qui,
pendant son court passage à Tanger, avait su, d'une situation
mise en péril et à relations défiantes, faire une situation d'en-
tente et de confiance réciproque entre le gouvernement maro-
cain et le gouvernement français, situation qu'il devait bientôt
corroborer par nos conventions de frontière — crut devoir rem-
placer la politique d'entente particulière avec les tribus par la
politique d'entente officielle avec le sultan.
A cette nouvelle politique sont dus les récents accords qui,
au moins en principe, résolvent si heureusement les difficultés
de ce voisinage si complexe.
Mais cette politique, surtout si elle est poursuivie d'une
façon exclusive, ne peut évidemment réussir qu'à la condition
que nous aidions le sultan à ranger les tribus insoumises dans
le devoir; elle ne peut réussir qu'à la condition que notre
autorité s'établisse sur les Douï-Menia et les Ouled-Djerir qui
sont nos sujets, et dont nous sommes responsables, tandis que
l'autorité du sultan doit s'établir et s'exercer sur les Beni-Guil
et les Beraber. En d'autres termes, elle ne peut exister que si
nous appliquons loyalement les accords intervenus entre les
parties, et qui comprennent la poussée de notre chemin de fer
jusqu'à Igli par Kenadsa. C'est à cette condition d'action, et à
cette condition seulement, que l'ordre peut régner dans ces
régions. Or, si le sultan a fait son devoir dans la mesure où
ses moyens le lui permettaient jusqu'à ce jour, il n'apparaît
pas que nous ayons fait le nôtre ; et c'est certainement à cette
hésitation, dont j'ai souvent signalé tout le danger, que nous
^.jppppwv"^^
NOTRE POLITIQUE AFRICAINE 747
devons l'état troublé qui risque d'entraîner aujourd'hui des
complications si onéreuses.
Et ceci est encore vrai, mais dans une mesure différente, si
Ton prétend substituer — comme les accords conclus par M. Re-
voil le permettent aujourd'hui — à Tune ou à l'autre des deux
politiques exclusives, alternativement suivies,, une politique
qui vise à la fois et le sultan et les tribus, et qui cherche
à maintenir entre ces deux forces souvent hostiles l'entente et
la paix. C'était la tâche que, dès la signature des accords, le
précédent gouverneur demandait à entreprendre . Nul doute
que M. Jonnart ne s'y consacre avec succès.
Il est bien entendu que le mot de « politique exclusive », ne
saurait avoir ici ni le sens ni la portée d'une critique à l'adresse
des deux éminents gouverneurs dont j'ai rappelé l'action métho-
dique.
Les circonstances^ la force et la raison des choses ont toujours
dicté leur politique : le premier, parce que la non-coordination
des efforts entre Alger et Tanger, et surtout l'attitude agressive
du sultan à notre égard, l'y obligeaient; le second, parce que,
au contraire, les débuts d'une politique d'entente entre Alger et
Tanger, qui avait permis de déjouer les intrigues étrangères, l'y
poussaient nécessairement. Mais les accords que signa M. Revoil
avaient pour but de rétablir l'équilibre dans ces régions, et
par une définition exacte des devoirs réciproques de chacun,
promettaient de restituer l'état de choses qui nous avait donné
avec le Maroc trente-cinq ans de paix et d'entente, jusqu'en
1870.
J'en ai dit assez pour que notre devoir dans la circonstance
soit très nettement tracé.
Appliquer le plus rapidement possible toutes les conditions
de l'entente politique et commerciale, qui vient d'être si heu-
reusement conclue sur la base même des anciens traités et qui
les confirme de nouveau, poursuivre, au vu et au su du monde
entier, notre politique d'accord avec le sultan et de police vis-
à-vis des tribus, c'est là le caractère nécessaire de l'action que
nous devons conduire dans ces régions, c'est là la base et la
mesure des sévérités auxquelles les derniers événements nous
obligent.
La paix sera assurée par cette politique.
Nous examinerons plus loin comment nous pouvons atteindre
ce but pacifique, sans dépenses excessives et sans complications
à redouter.
750 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
AU MAROC
Le troisième point, que je ne puis qu'effleurer, évidemment,
a trait à la politique marocaine.
Il me sera permis de dire cependant que l'expédition du
Touat, et surtout Tattitude énergique et vigoureuse que le
gouvernement, sur la demande de M. Revoil, a su adopter lors
de TafTaire Pouzet,ont eu pour le relèvement de notre influence
et de notre crédit au Maroc, et pour écarter les intrigues diri-
gées contre nous dans ce pays, la plus heureuse efficacité.
L'amitié aime à s'appuyer sur la force ; et la force que nous
avons montrée dans ces circonstances récentes, aussi bien que la
force qui doit aujourd'hui aider le sultan à rétablir l'ordre sur
nos confins, est la meilleure garantie que nous puissions donner
au gouvernement chérifien de notre amitié et de notre ferme
volonté de défendre l'intégrité de son empire. C'est la plus sûre
manière de maintenir la paix, et le Maghzen s'en rend parfaite-
ment compte. Le Maroc sait très bien que nous ne \e protégeons
contre personne, tandis que n'importe quelle puissance \^ proté-
gerait contre nous.
Les représentants que le sultan avait à Alger, ou qu'il a
envoyés lors du voyage en Algérie du Président de la Répu-
blique, ont demandé à resserrer encore les liens d'amitié si
heureusement renoués, et qui deviennent son plus ferme
appui. Sachons répondre à cet appel et témoigner notre faveur
aux interprètes d'une politique aussi féconde^.
Quels que soient les troubles qui ensanglantent aujourd'hui
le Maroc, notre politique vis-à-vis du Maghzen ne peut changer ;
elle s'inspire de principes supérieurs et des traités, et non d'in-
trigues particulières et personnelles à tel ou tel souverain.
Il est à souhaiter que les événements ultérieurs nous mettent
chaque jour davantage en mesure de la développer et de faire
reconnaître ainsi les services qu'elle peut rendre. L'enthousiasme
avec lequel on a appris, à Fez, que nous nous décidions à mettre
d'accord nos paroles avec nos actes, nous est le plus sûr garant
que cette politique est la bonne.
J'ai cru intéressant de parcourir ainsi sommairement et de
mettre en lumière les grandes lignes de notre action politique
dans l'Afrique du Nord, si méthodiquement menée, malgré les
incohérences qui l'ont traversée.
Gomme je le disais en commençant, elles peuvent éclairer
NOTRE POLITIQUE AFRICAINE 751
d'une vive lumière, non seulement le passée mais les résolu-
tions que nous commande l'heure présente.
11 s'agit seulement de forcer à l'application des traités et
au respect des accords internationaux les éléments de trouble,
qui combattent à la fois le sultan et la France, et qui cherchent
à maintenir sur nos frontières un état de brigandage intolé-
rable, absolument incompatible avec le moindre sentiment
de dignité nationale.
Quel sentiment doit éprouver l'Europe en face de ces me-
sures? Soixante ans de voisinage et de traités fidèlement obser-
vés et respectés suffisent à répondre.
Voyons maintenant rapidement, sans quoi cet exposé bien
succinct ne serait pas complet, comment les opérations doivent
être conduites. Je n'ai certainement pas la prétention de donner,
sur les opérations militaires à poursuivre, des indications tech-
niques ; mais il est nécessaire de répondre aux allusions sou-
vent faites touchant les dépenses invraisemblables et exagérées
qui ont terminé l'affaire du Touat, et de montrer comment,
cette fois-ci, ilme paraît nécessaire que notre action soit conduite,
11 y a toujours une grande difficulté à se garder également de
ces deux extrêmes, l'aveuglement téméraire et le bon sens trop
timide, et il semble que trop souvent nous ne puissions échap-
per à un défaut que pour retomber dans un autre.
Entre l'inaction et la guerre, il y a un moyen terme, la police;
il est pourtant démontré qu'une police active, alerte, encou-
ragée, soutenue, évite la guerre onéreuse et les catastrophes
qui suivent l'inaction.
Il est certain que c'est pour ne pas avoir compris cette dis-
tinction, et pour avoir trop tôt renoncé à la police, afin d'uti-
liser les troupes, que les erreurs de l'affaire du Touat ont été
commises; elles peuvent encore se commettre aujourd'hui.
Il est bien évident que, si le gouvernement avait permis au
commandant Baumgarten d'en finir avec la question du Touat,
en remontant rejoindre la colonne Bertrand qui allait se porter
au-devant de lui et qui occupait la Zousfana sans coup férir,
l'affaire du Touat serait restée à très peu de chose près dans les
limites financières qu'avait prévues M. Laferrière, et que le
gouvernement avait acceptées, quitte à en fixer ultérieurement
la date d'exécution.
Au lieu de cela, la conduite des opérations a été retirée au
gouvernement général pour être donnée au 19® corps, très insuf-
fisamment préparé à ces questions sahariennes, et l'on a accu-
mulé inutilement, dans ces régions pauvres, les inutiles, lourds
et onéreux effectifs de troupes régulières qui ne peuvent sub-
752 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET GOLORULBS
sister dans ces espaces qu'au prix d'énormes sacrifices d'argent
et d'animaux, au lieu de s'en tenir simplement à des procédés
de police exécutés par des éléments sahariens.
De même, il semble que, pour n'avoir pas voulu appliquer
dans le Sud-Oranais les mesures de police que réclamait le
précédent gouverneur général, nous risquons aujourd'hui de
nous engager dans des dépenses excessives et peut-être ineffi-
caces par l'emploi devenu nécessaire des troupes de la
guerre.
Disons-le franchement, de pareilles erreurs ne doivent plus
se renouveler; elles ne sont pas pardonnables, alors qu'à l'appui
de la méthode contraire on a l'exemple de la soumission et de
la pacification de régions énormes, presque aussi grandes que la
France, policées sans dépenser un sou, avec de légers sacrifices,
par le commandant Laperrine et les lieutenants Cottenest et
Guilho-Lohan.
Il est temps de ne plus paralyser de semblables tentatives et
de ne plus arrêter le président du Conseil au moment où, sans
dépenses, il allait nous donner enfin l'unité de notre empire
africain.
Je sais bien que, du côté de l'Ouest, la situation est différente
de celle des Oasis, et qu'on ne peut combattre les Beraber^ et les
DouY-Menia comme les Touareg; mais le principe est le même,
et il est nécessaire que les troupes régulières de la guerre se
bornent à servir de point d^appui — mais d'appui efficace, si
cela est nécessaire — aux opérations de police faites par les offi-
ciers des affaires indigènes et des compagnies sahariennes.
Depuis longtemps une quatrième compagnie sahajjenne
devrait être créée à Beni-Âbbès.
Cette compagnie saharienne aurait pour objet de faire face
aux incursions des Beraber du Sahara et d'empêcher, avec beau-
coup moins de frais, et avec beaucoup plus d'efficacité que les
nombreux postes établis le long de la Zousfana, les incursions
que les Beraber n'ont pas craint de pousser, il y a deux ans,
jusque sur nos postes du Touat.
Pour que son action soit efficace, il faut qu'elle soit libre et
qu'elle puisse parcourir sans entraves toutes ces régions infestées
de coupeurs de routes, qu'elle puisse remonter l'Oued-Guir aussi
haut que cela sera nécessaire, et aussi haut que nous en avons
le droit de par les accords récemment conclus avec le Maroc et
les traditions qui nous ont fait trouver une première fois, sur
ces rives, le secret de la paix du Sud-Ouest.
Pour que son action s'exerce avec sécurité, les troupes euro-
péennes et l'artillerie doivent être seulement maintenues à Aîn-
NOTRE POLITIQUE AFRICAINE 753
Sefra, à Beai-Ounif, à Ben-Zireg provisoirement, puis, s'il y a
lieu, vers Kenadsa, c'est-à-dire le long du chemin de fer qui les
ravitaille à peu de frais, avec des détachements très mobiles
pouvant, dans un rayon déterminé et avec des convois aussi
légers que possible, prêter un appui efficace à Faction de police
dirigée et conduite principalement par nos troupes sahariennes
ainsi que par nos goums indigènes sous la conduite des offi-
ciers des affaires indigènes.
Certes, il n'est pas dans ma pensée d'opposer les officiers des
afi'aires indigènes aux officiers des corps de troupes; mais il me
sera bien permis de dire que les seconds doivent seulement
prêter leur appui à l'action de police conduite par les premiers,
que c'est faute d'avoir suivi cette méthode réclamée par
MM. Laferrière et Revoil — et qui, dans tous les pays, fait que
l'armée ne doit pas se substituer à la police, mais toujours lui
prêter main-forte — que nous avons eu des mécomptes si
onéreux, suivis d'une inaction si chargée d'incidents doulou-
reux.
C'est en mesurant l'action des troupes européennes, toujours
onéreuses à utiliser, et qu'il ne faut mettre en mouvement qu'à
bon escient, c'est en multipliant, par contre, l'action des
troupes indigènes commandées par les officiers des affaires
indigènes, et qui ne coûtent rien ou presque rien à mobiliser,
c'est ainsi que nous arriverons à rétablir, s'il n'est pas trop
tard, Tordre et la sécurité dans ces régions.
Ce sera la partie la plus délicate de notre politique. Bien
menée et couronnant la punition si brillamment infligée au
coupe-gorge de Zenaga par le général O'Connor, elle instau-
rera une paix féconde pour l'honneur de notre drapeau et
au grand avantage d'un commerce qui rend déjà productif le
chemin de fer de Figuig.
C'est le sens des propositions faites par tous les gouverneurs
généraux qui se sont succédé depuis cinq ans en Algérie.
Je veux croire que c'est enfin le sens des ordres donnés par
le gouvernement et je veux être le premier à l'en féliciter.
EuG. Etienm:,
Député d'Oran.
QuB9T..DiPL. ET Col. — t. xv. 48
LA MACÉDOINE, LA GRÈCE ET L'INTÉRÊT FRANÇAIS
i
Il nous a semblé intéressant de soumettre Tétude que nous avons faite
ici sur « Topinion grecque et la question de Macédoine * » à rappréciation
d'un diplomate, toujours fort préoccupé des choses grecques. M. le comte
Charles de Moûy, ambassadeur de France, fut autrefois notre représentant
à Athènes pour le plus grand avantage des intérêts français. Nul n'était
mieux désigné que lui pour marquer de quelle façon nous devions envi-
sager les événements de Macédoine. Plutôt que de nous inspirer simple-
ment dans un article de ses déclarations, nous avons cru préférable de les
reproduire dans leur netteté. Nous devons en retenir surtout la conception
qu'il nous indique des intérêts français dans la question, particulièrement
en présence du Livre jaune; celui-ci donnait à notre diplomatie une appa-
rence bulgarophile, en passant sous silence le facteur grec ; on sait l'émo-
tion qu'il souleva chez les Hellènes et qui se traduisit par la conversation
de M. d'Ormesson, notre représentant actuel à Athènes, avec le ministre
des Affaires étrangères de Grèce, conversation reproduite ultérieure-
ment dans une dépêche. M. de Moûy exprime le souhait qu'une tout autre
direction soit donnée à notre diplomatie, si tant est que ce soit volontaire-
ment que celle-ci soit ou semble être engagée aujourd'hui dans une voie
opposée à celle qu'il indique. Nos lecteurs jugeront sans doute que ces
déclarations se suffisent à elles-mêmes et valaient la peine d'être transcrites
sans commentaires.
Gabriel Lolis-Jaray.
Résoudre la question de Macédoine par la diplomatie est une
parfaite impossibilité, une chimère : certes je suis le première
reconnaître la haute valeur de Faction diplomatique, ses ser-
vices pour la causé de la paix, mais il ne faut pas lui demander
rirréalisable. Comment en effet nous apparaissent les facteurs
en présence? Voici dune part la Macédoine et les Macédoniens,
c'est-à-dire des entités. Je cherche en vain une Macédoine, je
voudrais trouver un peuple macédonien; il me faut pour cela
remonter jusqu'aux époques antiques de Philippe et d'Ale-
xandre. Il y avait alors un Etat macédonien, qui semble bien
grec : Alexandre était hellène, sinon de naissance et de race, au
moins d'éducation, ayant (^té élevé par Aristote, et cVst lacivili-
1 Quest. DipL et Col., !•' juin 1903.
LA MACÉDOINE, LA GRÈCE ET L'INTÉRÊT FRANÇAIS 755
sation grecque que lui et ses armées répandirent dans une partie
du monde. Depuis lors, ce peuple macédonien, à la race incer-
taine, en tout cas hellénisé, a peut-être subsisté dans les couches
profondes de la population macédonienne, mais il ne nous
apparaît plus. L'apparence, c'est un embrouillement de races;
les cartes du jeu ont été mélangées, au point qu'on ne peut
s'y reconnaître. Prenez toutes les cartes ethnographiques :
les hachures qui désignent telles ou telles nationalités ne sont
jamais aux mêmes endroits. 11 est en effet souvent difficile de
savoir à quelle race reporter un village : la langue, la religion,
l'école ne sont pas toujours des indications exactes; il faudrait
étudier tour à tour la civilisation et les sentiments de chaque
agglomération, besogne impossible ! Nous ne pouvons juger que
sur des présomptions, des vraisemblances. A cet égard, il semble
bien que ce soient encore les Grecs qui dominent en Macédoine :
le Messager (T Athènes^ organe d'un Français résidant depuis
longtemps en Grèce, a publié sur ce point une série d'articles qui
me paraissent très suggestifs. D'autres indices me font pencher
vers la même conclusion. Mais il n'en demeure pas moins que la
Macédoine comprend aujourd'hui le résidu de toutes ces nations
qui peu à peu se sont détachées de l'Empire ottoman. La diplo-
matie est impuissante à faire à chacun sa part ; elle ne peut
dire à chaque nationalité : voici votre morceau réservé ; le mor-
ceau est toujours trouvé trop petit par Tune, trop grand par les
autres.
Et ce n'est pas tout. 11 y a le Sultan. Croit-on que celui-ci se
laissera enlever, sinon de force, ses territoires? Sans doute, on
prétend réserver son pouvoir, mais l'obliger à des réformes.
Ah ! les réformes ! la diplomatie ne peut mieux faire actuelle-
ment : il n'y a donc qu'à l'approuver d'agir en ce sens; mais il
faut bien se rendre compte que les réformes ne sont pas un
remède curatif, c'est tout au plus un calmant momentané. Dans
le mal chronique, on fait une piqûre de morphine, et c'est tout.
Il ne faut pas se le dissimuler : la seule solution est celle qui a
permis de faire la Grèce, la Roumanie, la Serbie, la Bul-
garie, etc.; de même que jadis le Turc rongea peu à peu l'Empire
grec jusqu'à s'en emparer tout entier, de même aujourd'hui la
chrétienté suit la même voie, mais en sens inverse. Les réformes
sont le palliatif que met -en avant une diplomatie embarrassée
qui ne veut pas la guerre; le Sultan n'en fera aucune de
réelle et profonde : les Turcs de Macédoine n'en veulent pas.
Rien de durable ne peut se fonder par cette méthode. La
seule efficace est rendue quasi impossible aujourd'hui, car les
puissances n'ont pas devant elles une nation à qui Ton rendrait
756 QUI£ST10NS DIPLOMATIQUES ET GOLONIALKS
la liberté de ses destinées. Nous ne pouvons donc qu'attendre et
souhaiter qu'un peuple se révèle, qu'on puisse libérer.
A vrai dire, Grecs et Bulgares travaillent, mais par des
moyens différents : les premiers plus civilisés, plus instruits,
aussi plus timides depuis leurs récentes défaites, essaient
d'helléniser la Macédoine par la puissance de leur culture et la
propagande des idées. Les seconds, race encore fruste, très
inférieurs aux Grecs en civilisation, veulent lutter par le coup
de main, le meurtre et la terreur. Quant à moi, je crois que,
sur le terrain purement pacifique, les Grecs s'assimileraient
les populations. Leur force à cet égard a toujours été incontes-
table : depuis les temps antiques, où ils ont quasi hellénisé
Rome victorieuse, jusqu'au jour présent où la grécisation se
marque en Asie Mineure et dans l'Albanie du Sud, le peuple
grec s'est toujours montré un remarquable assimilateur. C'est
sur cette faculté qu'ils peuvent compter, s'ils s'en donnent la
peine, pour faire un empire ottoman à leur image et par là
prendre des gages pour l'avenir.
Mais il n'y a pas que la force de Tidée et de la culture ; la
force des armes doit entrer en jeu et c'est cela qui peut faire
échec à la propagande grecque. On comprend que la Grèce n'as-
pire présentement qu'à la paix et veuille se ménager les bonnes
grâces de la Sublime Porte, car pacifiques et non-combattus.
les Grecs ont dans l'Empire les atouts dans leur jeu. C'est ce
que sentent très bien les Bulgares : leur action brutale enxMacé-
doine n'a d'autres buts que de contrecarrer l'action pacifique
des Grecs, de reconquérir sur eux par la force ce que ces der-
niers ont pris par leur développement pacifique.
Que pouvons-nous actuellement, sinon laisser le Sultan réta-
blir Tordre troublé par les Bulgares, nous efforcer, par une
action diplomatique vigilante d'empêcher toutes représailles
injustes, endormir le mal pendant un temps par l'espérance
de réformes ou par leur réalisation qui ne sera jamais que très
fragmentaire. Le reste ne dépend pas de nous, mais des cir-
constances, de l'événement. Le feu peut être mis aux poudres à
l'improviste et l'Europe peut être contrainte à intervenir.
Dans cette occurrence, quel est noire intérêt, à nous autres
Français? A mon sens, il est clair et non douteux : nous devons
nous faire les protecteurs des Grecs, leur obtenir par notre
action tout ce qu'il sera possible. Sans doute, nous n'avons
aucun motif de nous poser en adversaires des autres natio-
nalités, nous devons au contraire souhaiter leur force, leur
indépendance, nous devons vouloir que les Balkans soient
leur domaine réservé, sur lequel n'empiètent pas les grandes
LA MACÉDOINE, LA GRÈCE ET L'iNTÉRÊT FRANÇAIS 757
puissances. Mais, parmi elles, notre intérêt est de favoriser les
Grecs. Pourquoi? il ne s'agit point ici de sentiment, quoi-
que incontestablement les philhellènes de France se rappellent
toujours ces vieux souvenirs de la littérature, de l'art et de la
beauté hellènes, avec lesquels nos cerveaux ont été pétris ; il ne
s'agit pas seulementde suivre une tradition bientôt séculaire, car
la France fut la première à vouloir et à favoriser Findépendance
grecque ; il ne s'agit même pas de se laisser prendre au charme
de ce peuple et de répondre aux sentiments amis que j'ai pu
apprécier là-bas. C'est notre intérêt qui nous commande d'agir
en ce sens. De toutes les nationalités des Balkans, c'est la seule
qui ne soit pas sous le protectorat moral des voisins du
Nord. Des autres, nous ne pouvons espérer faire nos clientes :
la place est prise. La Grèce, au contraire, peut servir l'in-
lluence française, en échange des services que nous lui ren-
dons. C'est là seulement que nous pouvons espérer posséder
une action prépondérante. Dès aujourd'hui nous tenons une
large place en Grèce : notre langue est parlée partout ; pendant
les six ans que j'ai passés à Athènes, j'ai pu, et dans la capitale
et dans les grandes villes, trouver partout une société parlant
le français. Cette situation, nous devons aspirer à la consolider;
et quelle politique meilleure que celle qui répond tout à la fois
à nos sentiments traditionnels, à des souvenirs toujours chers,
au progrès de la civilisation, en même temps qu'à l'intérêt
français, guide de notre action?
Il n'est donc pas douteux que si quelque événement, —
qu'on doit toujours prévoir, — venait forcer l'Europe à tenir
un nouveau Congrès de Berlin, il nous faudrait jouer partie liée
avec la Grèce. En 1878, sans vouloir une grande Bulgarie, le
Congrès favorisa cependant l'extension de la principauté bul-
gare créée par l'invention de laRoumélie orientale. Je me rap-
pelle encore au Congrès lord Salisbury se levant : grand,
chauve, l'image d'un ecce homo, il nous dit avec son intona-
tion d'Anglais, la merveilleuse trouvaille qu'il proposait. On
savait à quoi s'en tenir. Un congrès est une scène où chacun
débite plus ou moins bien son rôle. Et quelques années après,
l'Europe laissa faire et la Bulgarie se doubla de la Roumélie. La
malheureuse Grèce fut moins favorisée. J'eus plus tard la
délicate mission de lui faire entendre raison, de lui montrer
le beau morceau qu'après tout on lui av-ait accordé en lui don-
nant la Thessalie, de la convaincre qu'il y avait maldonne dans
la promesse de l'Europe de lai remettre cette Epire, qui est
cependant toute grecque et que mes efforts avaient contribué
à lui faire promettre. Elle a droit à quelques compensations
758 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONULES
et nous devrions obtenir pour elle l'Epire, le sud de l'Albanie
et le plus possible de la Macédoine.
Mais quand le pourrons-nous, et le pourrons-nous? Nul ne le
sait. Tout dépendra des circonstances dans lesquelles la ques-
tion d'Orient se posera. C'est pour nous l'inconnu. Qui aurait
dit, il y a cent ans, que les Balkans seraient divisés en petits
Etats et ne seraient pas la proie de la Russie. Sait-on ce qui s'y
prépare, avec les ambitions italiennes en Albanie, l'Autriche
qui surveille la plaine du haut de la Bosnie, la Russie qui ne se
désintéresse point de Constantinople, TAUemagne qui y joue
son rôle? On peut rêver de Confédération balkanique, d'Em-
pire grec, d'Unité comme dans la péninsule voisine, qui certes
en était éloignée il y a seulement un siècle. Mais cela sort du
domaine des prévisions actuelles. Présentement, au jour où
notre diplomatie aurait de nouveau à décider du sens de son
action, il me parait que ses efforts devraient tendre à favoriser
une « plus grande Grèce ».
Charles de Moûy,
Ambassadeur.
LES DERNIERS TRAVAUX
DE
L'INSTITUT COLONUL INTERNATIONAL
Il n'est pas nécessaire de dire aux lecteurs des Questions
Diplomatiques et Coloniales ce qu'est Tlnstitut Colonial inter-
national; mieux qu'une longue étude, l'article que M. Charles
Noufflard a publié ici même sur la session tenue à La Hayo en
1901 * leur a fait connaître à quel genre de travaux se livrent
au moins tous les deux ans, dans des réunions plus ou moins
espacées, mais qui tendent à se multiplier et à devenir an-
nuelles, les membres de cette association exclusivement scfeii-
tifique et dépourvue de tout caractère officiel. Fondé en 1894,
sur l'initiative de M. J. Chailley-Bert, le secrétaire bien connu
de l'Union Coloniale française, par MM. Léon Say, J. D. Fran-
sen Van de Putte, le grand ministre réformateur des colonies
néerlandaises, et Van der Lith, pour « faciliter et répandre
i< l'étude comparée de l'administration et du droit des colo-
« nies^ », l'Institut Colonial international est vraiment, comme
on l'a dit, — grâce à la présence de personnages qui ont marqué
d'une manière éminente leur place dans l'administration do
leur patrie et de différentes colonies, — une admirable école
d'enseignement mutuel, du moins pour les plus jeunes de ses
membres, pour ceux qui se rendent aux sessions avec le désir
de bénéficier de l'expérience d'autrui et d'obtenir de chacun
des indications précises sur tel ou tel point encore peu étudié,
sur telle ou telle expérience coloniale récente, sur les consé-
quences réelles de telle ou telle modification dans la législation
ou l'administration d'une colonie déterminée. Commencées dans
la salle des séances, dans des discussions suscitées par l'examen
1 Ulnstuut colonial internalional et la session de La Haye {Quest. DipL el
Col., t. XII, !«'• juillet 1901, pp. 29 41).
' Rappelons ici le passage essentiel de l'article l**" des Staluts de l'Institut Colnnial
international. Cette Compagnie, ditle texte, « a pour but: 1* de faciliter et de répandre
« l'étude comparée de l'administration et du droit des colonies; en particulier - des
« différents systèmes de gouvernement des colonies (possessions, protectorats, etc.) ; de
<( la législation coloniale, en tant qu'elle peut intéresser, soit plusieurs colonies déter-
a minées par des mesures arrêtées en commun, soit toutes les colonies par l'importanco
« des problèmes résolus ; des ressources des diverses colonies, de leur régime écono-
« mique et commercial, etc. ; 2° de créer des relations internationales entre les per-
<f sonnes qui s'occupent d'une façon suivie de Tétudc du droit et de radministratioii
« des colonies — hommes politiques, administrateurs, savants, — et de faciliter
« l'échange des idées et des connaissances spéciales entre hommes compétente;
« 3* d'organiser le plus rapidement possible un bureau international de renseigne^
« meots... »
i
1(M) QUESTIONS UiPLOMATIQLES ET COLONIALES
do rapports soigneusement étudiés, les conversations se poursui-
vent en dehors d'elle, fécondes en enseignements multiples,
grâce à la bienveillance de ceux qui, sans se lasser, mettent à
la disposition de collègues plus jeunes, membres effectifs ou
associés, les trésors de leurs observations et de leur expérience.
Ainsi s'explique que les sessions de l'Institut Colonial inter-
national, en dépit du petit nombre et de la dispersion de ses
membres, soient de plus en plus fréquentées. Jamais peut-être
n'avait-on vu encore réunion pareille à celle de Londres;
était-ce pour fêter cette sorte de consécration que donnait à la
nouvelle association le fait de tenir pour la première fois,
moins de dix ans après sa naissance, une session en Angleterre?
La chose n'est nullement invraisemblable; en tout cas, dans
une des salles de l'India Office, non moins historique', mais
beaucoup plus austère que la belle salle de Trêves du Bin-
nenhof, que de personnages éminents rassemblés aux côtés de
lord Reay, ancien gouverneur de Bombay, ancien sous-secré-
taire d'Etat pour les Indes, président de l'Instiut Colonial inter-
national, et de M. Camille Janssen, gouverneur général hono-
raire de l'Etat indépendant du Congo, secrétaire général!
C'était S. A. le duc Jean Albert de Mecklembourg, président de
la <( Deutsche Kolonial Gesellschaft », le prince A. d'Arenberg,
président du Comité de l'Afrique Française, M. Paul Cambon,
l'ambassadeur actuel de France à Londres, ancien résident
général en Tunisie, M. F. de Marlens, Téminent jurisconsulte
dont l'autorité est universelle, M. X.-G. Pierson, ancien mi-
nistre des Finances des Pays-Bas, sir Alfred Lyall, ancien
lieutenant-gouverneur des provinces du Nord-Ouest, membre
du Conseil des Indes, sir Hubert Jerningham, ancien gouver-
neur de Maurice et de Trinidad, M. L. Bodio, le statisticien
italien bien connu, le colonel Thys, MM. J. Chailley-Bert, Karl
von der Heydt, Vohsen, le P. Piolet, d'autres encore dont nous
aurions plaisir à citer les noms, si nous ne craignions d'abuser
de la patience de nos lecteurs par une de ces énumérations
dont, naguère, le bon Homère a su presque seul éviter la séche-
resse et la monotonie.
Aussi bien n'est-ce pas là ce qu'il convient de faire à cette
place, pas plus qu'il ne convient d'analyser l'excellent discours
par lequel lord Reay a ouvert la session de 1903; bornons-
nous donc à indiquer brièvement, avant la publication défini-
tive du compte rendu sténographique des séances et des rap-
1 Dans cette satie ont été transportés, en eÛ'et, et sont suigncusement consenés
les portraits, les tableaux, les meubles de l'ancienne salle des directeurs de la Com-
pagnie des Indes.
LES DERNIERS TRAVAUX DE l'iNSTITUT COLONIAL INTERNATIONAL 761
ports qui y furent présentés, quelles questions furent discutées
à la récente session de Londres, et quelles idées émirent les
différents orateurs qui prirent successivement la parole sur les
questions mises à Tordre du jour, vraiment très chargé, de la
réunion.
Des cinq sujets sur lesquels des rapports avaient été tl i s tri-
bu es aux membres de rinstitut Colonial international, le \n-r-
mier, relatif au régime foncier, avait déjà été brièvf*m*^Jkî
abordé en 1899 à la session de Bruxelles, et avait fourni à lu
session de La Haye de 1901 matière à une discussion très UvW-
lanle et très approfondie; maintenue à l'ordre du jour de la
session de Londres, la question du régime foncier aux col^mieti
a retrouvé dans M. le D"" G.-K. Anton, professeur à rUiiivi^r-
site d'Iéna, un rapporteur aussi érudit et aussi précis qu'au[i!i-
ravant*. Après avoir examiné, à l'aide des documents fmlilii'^s
par l'institut Colonial au tome V de la série des textes nluLifs
au régime foncier, quel est ce régime m^me dans les cultmies
anglaises tropicales de l'Océanie et de l'Afrique, et avoii-
éclairé ces documents à Taide des données que fourniss*vnl la
géographie et l'ethnographie, M. Anton en a dégagé de ht insr-
nière la plus claire ce qui est « spécifiquement anglais n, à
savoir « cette disposition qui, dans toutes les concessions tie
terres de la Couronne, stipule des réserves au profit des rrmtes,
des chemins de fer, et en général de tous les moyens dp mm-
munication », et cette autre disposition encore qui, t< |H)iir
« l'octroi de concessions de terres, ne fait aucune dinV-
« rence entre les Anglais et ceux qui ne le sont pas ». C'esl i*n
s'ihspirant des faits relevés par lui au cours de son étudi* <]ul^
le savant professeur d'Iéna s'est trouvé amené à formuler 1(*&
trois thèses suivantes, dont nous reproduisons scrupuleuseimnl
le texte :
I. — a) Toutes les terres destinées aux indigènes doivent être réspn>'*f»«
comme telles et exceptées de la liberté des transactions.
6) Les cultures des indigènes et leur méthode de travail doivent T^irc
développées d'une façon rationnelle; il y a lieu éventuellement d'en nilro^
duire de nouvelles en faisant connaître aux indigènes les plantej> ;iij].fù-
priées et en les initiant au travail nécessaire à leur culture.
» On se rappelle que différentes études du D^ Anton ont naguère été jinlFlM'*L-i
dans les Questions Diplomatiques el Coloniales^ notamment son Parallèle etitrf fa
colonisation ancienne et la colonisation moderne^ démontré par les colon i sa tr^mê
française et anglaise du Canada, en 1898 (t. III, p. 355-365, 432-438 et 48"-^1Ki . h F
son travail sur /e Régime foncier dans VÊtat indépendant du Congo, en litjMi i. X,
p. 136-167 et 212-223).
76â QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
II. — a) Ce n'est pas le capital privé seul qui constitue le facteur le plus
approprié pour la mise en valeur des terres de la Couronne dans les
régions tropicales ; l'Etat et les communes peuvent également s'y employer
avec plein succès.
. b) Les terres de la Couronne dans les régions tropicales ne doivent pas
être cédées aux sociétés et aux particuliers en pleine propriété, mais en
jouissance temporaire seulement.
III. — a) Pour la colonisation nouvelle de régions tropicales, l'Acte
Torrens est, de toutes, la meilleure forme de constatation du droit immo-
bilier : par contre, sa substitution à un système de droit immobilier exis-
tant dépend de la valeur de celui-ci.
6) Le droit immobilier, si excellent qu'il soit, ne suffît pas à créer une
situation saine d'agriculture: il faut qu'à côté de lui fonctionne un crédit
foncier colonial approprié.
Dans la discussion qui a suivi ont été fournis de très pré-
cieux renseignements sur ce qui se passe au point de vue du
régime foncier dans différentes colonies néerlandaises (Java et
Sumatra), dans les nouvelles colonies américaines, etc. ; mais
ce n'est peut-être pas tant dans ces exposés substantiels dus
à MM. van De venter et A.-W. Greely, ni dans celui fait par
M. A.-L. van Hasselt, professeur à l'Ecole de Delft, sur les
coutumes des Malais de Sumatra, que dans l'examen de ce que
peuvent faire les indigènes qu'a résidé l'intérêt du long échange
de vues auquel se sont livrés les membres de l'Institut Colonial
international.
M. le D'C.-Th. van Deventer avait débuté par demandera
M. Anton de modifier certaines de ses expressions (pour lui,
toutes les terres destinées aux indigènes doivent être excep-
tées de la liberté des aliénations aux non-indigènes) et par
montrer comment la création d'une section spéciale pour les
indigènes au célèbre Jardin botanique de Buitenzorg répon-
dait à un desideratum formulé par son collègue allemand.
Placée sur ce terrain, la discussion s'est continuée pleine
d'intérêt pendant plusieurs heures. M. Janssen, qui se refuse à
voir dans les indigènes autre chose que des mineurs, ne pou-
vait pas critiquer la première thèse du D*" Anton ; il a par contre,
sur la thèse suivante, exprimé quelques réserves, montré com-
ment peut intervenir l'Etat dans la protection des terres indi-
gènes, et recherché comment pourraient être pratiquement
appliqués dans les colonies tropicales les principes posés par
lui précédemment. Aucun des essais dont il a connaissance n a
réussi, et cela parce que : i® le travail permanent n'est pas
encore entré dans les habitudes des indigènes ; 2° le salaire est
généralement trop fort; 3" le blanc même ne peut pas cultiver
la terre dans les contrées tropicales ; aussi faut-il amener l'indi-
LES DERNIERS TRAVAUX DE l'iNSTITUT COLONIAL INTERNATIONAL 763
gène à mettre lui-même le sol en valeur. M. Janssen a terminé en
préconisant l'introduction dans les colonies tropicales d'un sys-
tème de métayage, de cheptel, susceptible de maintenir aux
indigènes Tusage des terres dont ils avaient auparavant
rusae^e.
A rencontre ou à Tappui de ce qu'avait dit M. C. Janssen,
M. Ernest Vohsen a apporté un certain nombre de faits pri^cis
relatifs au développement de la culture du cacao à Lagos par
Jes indigènes, et aux cultures entreprises au Cameroun avec le
concours des naturels du pays dont (a-t-il dit en propres
termes) « M. Wœrmann est enchanté ». Quant à faire de rindi-
gène l'associé du colon, c'est ce qu'on a essayé de réaliser dans
le Sud-Ouest africain allemanjl sous forme de cheptel ; un jne-
mier essai n'a certainement pas abouti, mais il semble qu'une
seconde tentative ait donné de bons résultats.
Sur rinvitation de M. Chailley-Bert, le colonel Thys a expliqué
comment il avait procédé à l'égard des indigènes du Congo, et
comment, à l'heure actuelle, les noirs employés aux travaux
du chemin de fer de Matadi à Léopoldville, se pliaient d'eux-
mêmes à la besogne et comprenaient la nécessité et les avan-
tages du travail. Rien de plus intéressant que cette communi-
cation du colonel Thys, complémentaire de celles que l'Instihit
Colonial avait déjà entendues naguère dans ses sessions dr
Berlin et de Paris, et permettant de suivre une des pins
curieuses évolutions auxquelles il puisse être donné d'assish-r;
aussi rassemblée tout entière a-t-elle témoigné de la fa^^on
la plus manifeste, le plaisir que lui avait causé cet exposé sorîn-
logique plein de faits de la plus haute importance*.
Prenant l'indigène à un stade plus élevé de son dévelop[îL'-
ment, M. le D' Pierson (auquel on a dû d'autre part un magis-
tral exposé du célèbre système Van den Bosch) a recherché lofs
causes de l'endettement des indigènes de l'Inde anglais^^
signalé leur ignorance, l'exaction de l'impôt, la rigueur de la
perception, et, revenant sur certaines constatations fail<*s
naguère à la session de La Haye, insisté sur les dangers f|U('
présente l'usure faite par certains indigènes à leurs conipa-
triotes. Sir Alfred Lyall et lord Reay ont confirmé l'exactitnili'
des renseignements donnés par M. Pierson; ils ont expti(|iir^
pourquoi on a dû, à cause de l'usure, renoncer à créer à Bombay
des banques hypothécaires, et comment il conviendrait d'y
1 M. Charles Noufflard a exposé, sur le même sujet, les faits qu'il avait pu m*
comment observer sur les chantiers de construction des chemins de fer de Mfula^
gascar et de l'Ethiopie, et a ainsi apporté à la réunion de précieuses confirmatiuiis
des paroles du colonel Thjs.
^^^ QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
créer des banques d'épargne ; le président de l'Institut Colonial
a également indiqué pourquoi il est inexact de critiquer la
rigueur de l'impôt, son exagération à Bombay, mais comment
l'indigène souffre, durant les années de famine, de sa fixité ; ce
qu'il conviendrait et ce qu'on s'efforce de faire, c'est, dans les
années mauvaises, de donner plus de souplesse à l'impôt.
Il semble bien, au total, que M. J. Chailley-Bert ait, de cette
discussion dont nous ne pouvons qu'esquisser à grands traits
les principaux points, dégagé la véritable conclusion quand,
après avoir montré comment MM. Pierson et Anton différaient
d'opinion sur un même point, — sur la vente des terres indi-
gènes, — parce qu'ils pensaient à des cas différents, et après
avoir exposé ce qui avait été fait en Cochinchine et au Sénégal
pour la culture des terres par les indigènes ; il a formulé les deux
propositions suivantes : i*^ tant que la chose sera possible, il
conviendra de ne pas entraver la liberté des transactions ; â*» il
ne faut pas s'en tenir à une thèse unique, mais bien avoir des
solutions variables suivant les cas. Et telle est bien, en effet,
la vraie solution scientifique de la question ; il est impossible,
dans un problème aussi complexe que celui du régime foncier,
de recourir à une seule règle générale ; là où le sol est bon,
les indigènes pourront certainement, comme lont déclaré lord
Reay et M. Chailley-Bert, produire du coton, du riz, du blé, sans
que l'Européen ait besoin d'intervenir en aucune façon; en
sera-t-il de même ailleurs?
Les excellents rapports présentés par le D»" Anton aux diffé-
rentes sessions de 1899, 1900, 1901 et 1903 seront (ainsi
en a-t-il été décidé sur la proposition de M. Chailley-Bert)
réunis avec les discussions qu'ils ont suscitées dans une publi-
cation spéciale dont nous ne saurions trop, d'ores et déjà,
recommander la lecture à tous ceux qui s'intéressent aux ques-
tions coloniales. Ils y trouveront une foule de renseignements
précieux et de vues instructives, et quand, arrivés à la fin du
volume, ils le fermeront, ils concluront sans doute que de tels
rapports, de semblables discussions, font honneur à l'Institut
Colonial international.
Beaucoup moins importantes ont été les discussions soulevées
par la question, soit des rapports politiques entre métropole et
colonies, soit de l'enseignement colonial général.
Du consciencieux et intéressant rapport de M. Arthur Girault,
nous ne dirons rien, puisque les Questions Diplomatiques et
Coloniales en ont naguère publié une des parties les plus
LES DERNIERS TRAVAUX DE L'iNSTITUT COLONUL INTERNATIONAL 765
importantes ' ; il nous suffira d'en donner ici les conclusions,
telles qu'elles ont été formulées par l'auteur lui-même à la fin
de son travail. Les voici :
I. — l^ncipes généi*aux :
L'objectif de la politique coloniale doit être, non de préparer une sépara-
tion jugée d'avance inévitable, mais de maintenir et de fortifier les liens qui
unissent les différentes parties de l'Empire.
En conséquence, la politique coloniale de la métropole doit être telle que
les colonies n'aient aucun intérêt à la séparation.
II. — Action de la métropole sur les colonies :
La politique coloniale doit être basée sur un principe de décentralisation.
En conséquence :
a) Les affaires administratives doivent être réglées sur place;
b) La direction gouvernementale doit être de préférence donnée dans la
colonie ;
c) Il est désirable que le pouvoir législatif impérial ou métropolitain vote
pour chaque colonie une loi organique fixant les principes qui devront régir
ses rapports avec la mère-patrie ; mais la législation intérieure du pays doit
être, autant que possible, faite dans la colonie ;
d) L'organisation de la justice doit être décentralisée ;
e) L'armée coloniale doit avoir une organisation autonome ;
f) La législation douanière et le budget de la colonie doivent être faits sur
place par les autorités locales.
— Dans les colonies de peuplement, il convient de décentraliser en éten-
dant les attributions des assemblées représentatives.
Dans les colonies d'exploitation et dans les colonies mixtes, il convient de
décentraliser en déconcentrant.
— En principe, et sauf dans les vieilles colonies de peuplement, l'auto-
rité doit être concentrée aux colonies entre les mains d'un seul (principe
d'unité d'autorité).
III. — Action des colonies sur la métropole :
Il est juste de reconnaître aux colonies le droit d'exercer une certaine
influence sur la politique métropolitaine. Elles doivent avoir tout au moins
voix au chapitre toutes les fois que leurs intérêts particuliers ou les intérêts
généraux de l'empire sont enjeu.
A défaut de la constitution d'un Parlement impérial, il est désirable que
les colonies soient représentées au Parlement métropolitain ; mais les règles
relatives à4a composition du corps électoral ne doivent pas être les mêmes
dans les colonies nouvelles que dans la métropole et peuvent varier suivant
les colonies.
— Los habitants des colonies et ceux de la métropole doivent être placés,
en fait comme en droit, sur un pied d'égalité absolu, au point de vue de
l'admissibilité aux honneurs et aux fonctions publiques.
t Voir la revue du {•' mai 1903, t. XV, pp. 585-589 (La représentation des colo-
nies au Parlement), Dès 1897, M. A. Girault avait fait au Congrès international
colonial de Bruxelles une communication sur les Rapports politiques entre la mé-
tropole et les colonies ; Représentation des colonies {compte rendu, p. 112-123).
766 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS KT COLONIALES
Que de questions méritant soit un minutieux examen, soit
une longue discussion, soulevées par le rapport dont ou vient de
lire les conclusions! En particulier sur les propositions de
M. Girault relatives à l'action des colonies sur la métropole, on
pouvait s'attendre à une lutte ardente; il n'en a rien été. Seul,
sir Hubert Jerningham, dans un travail remarquablement com-
posé, écrit dans un français plein de nerf et d'élégance tout à la
fois, a successivement examiné une à une les différentes u posi-
tions » formulées par le rapporteur, indiquant pourquoi il adop-
tait un certain nombre d'entre [elles, et pourquoi il rejetait les
autres. Il a, comme il fallait s'y attendre, particulièrement com-
battu la phrase dans laquelle M. Girault déclarait considérer
comme désirable que les colonies fussent représentées au Parle-
ment métropolitain, et a donné, avec son autorité d'homme d'ac-
tion et d'expérience, rompu aux affaires et n'envisageant pas
seulement les choses à un point de vue théorique, son adhésion
complète aux idées formulées par M. d'Estou ruelles de Constant
sur la représentation coloniale.
Pourquoi, après ce début plein de promesses, la discussion
a-t-elle perdu toute vivacité? Il est assez difficile de le dire.
Sans aucun doute, les membres français de l'Institut Colonial
international étaient particulièrement frappés de la leçon qui
s'était dégagée pour eux dans Tintervalle, à Mansion House, de
l'invitation faite par le lord maire, sir Marcus Samuel, juif de
naissance, à un jésuite français, de bénir la table où la Cité de
Londres conviait ses hôtes à s'asseoir; mais en était-il de même
pour les autres membres de l'Institut? Avaient-ils les mêmes
raisons de méditer cet acte de politesse, de tolérance et de
liberté, et n'avaient-ils rien à dire, sur les questions controver-
sées entre le rapporteur et sir Hubert Jerningham, qui n'eût
déjà été dit par l'un d'entre eux? Non, sans aucun doute; mais,
visiblement, on s'est réservé, attendant peut-être, pour exa-
miner à fond les théories de M. A. Girault, que le sujet étudié
par M. Chailley-Bert (« Quelle est la meilleure manière de
légiférer pour les colonies? ») fût mis en discussion. Mais cette
importante question a été, en dépit des efforts faits par M. de
Martens pour qu'il en fût autrement, réservée pour la prochaine
session, et voilà comment le travail de M. Girault n'a pas été
aussi complètement étudié qu'à tous les points de vue il méri-
tait de l'être; il le sera d'ailleurs sans aucun doute un peu plus
tard, car la question des rapports politiques entre métropole
et colonies demeure, comme plusieurs autres, à Tordre du jour
des futures sessions de l'Institut, et elle ne tardera pas à être
reprise d'une manière ou d'une autre, et à être traitée avec
LES DERNIERS TRAVAUX DE L*INSTITUT COLONIAL INTERNATIONAL 7d7
toute l'ampleur que comporte un sujet aussi considérable et
aussi complexe.
En sera-t-il de môme de la troisième question inscrite à
Tordre du jour de la session de Londres, celle de renseigne-
ment colonial général? Nous n'oserions l'affirmer. Tout le
monde avait cependant été d'accord en 1900 pour la mise à
l'étude de ce sujet important et délicat, que le rapporteur a
débuté par définir. L'enseignement colonial général, c'est,
a-t-il dit, celui qui est destiné au grand public lettré de Tune
ou l'autre des métropoles européennes, à ceux qui viennent
chercher auprès des maîtres de l'enseignement public des
informations précises et rigoureusement contrôlées, des
méthodes scientifiques et une haute culture intellectuelle. Cette
définition une fois donnée, nous nous sommes efforcés d'envi-
sager, dans les différents paragraphes de notre travail, les mul-
tiples questions qui se posent au sujet de la constitution et de
l'organisation de l'enseignement colonial général; puis, après
avoir présenté un bref tableau d'ensemble de cet enseignement,
tel qu'il existe actuellement dans les différents pays colonisa-
teurs de l'Europe, nous avons cru pouvoir conclure en formu-
lant les propositions suivantes :
I. — Un enseignement colonial général doit exister dans chaque métro-
pole, parce qu'un enseignement de ce genre est d'une réelle utilité.
. II. — Cet enseignement doit être considéré comme un exercice de haute
culture intellectuelle et orienté dans un sens rigoureusement scientifique
et dans un but absolument désintéressé. Il doit laisser à d'autres institu-
tions d*un caractère différent la préparation absolument spéciale, et immé-
diatement directe et pratique aux entreprises coloniales.
Mais il ne doit s'interdire en aucune façon de montrer les applications
pratiques qui en découlent, et il ne doit même négliger aucune occasion
de mettre ces applications en pleine lumière.
III. — L'enseignement colonial général doit avoir des cadres très larges
et très souples ; la géographie, l'ethnologie, l'histoire, les sciences phy-
siques et naturelles en constitueront les cadres.
Quant à l'étude des langues indigènes, à celle du droit et des différentes
sciences, en vue des applications que ces sciences peuvent immédiatement
trouver dans les pays neufs, etc., elle sera réservée pour un autre enseigne-
ment pratique, préparatoire et spécial aux différentes carrières coloniales.
IV. — L'enseignement colonial général doit être donné dans les Univer-
sités existant dans chaque métropole.
V. — Il devra varier d'importance, non seulement suivant les pays,
mais même à l'intérieur de chaque pays, suivant les régions, et pourra,
suivant les intérêts locaux et les relations de différentes régions avec le.;
colonies et avec l'étranger, s'attacher particulièrement à l'étude d'une
768 VUt£STIONS DIPLOMATIQUES KT COLONIALES
partie déterminée de la terre, sans perdre pour cela son caractère scienti-
fique et désintéressé.
VI. — Dans certaines métropoles européennes, l'enseignement colonial
général, tel qu'il a été défini plus haut, n'existe encore en aucune manière;
dans d'autres, l'initiative gouvernementale et l'initiative privée travaillent
avec persévérance à l'organiser. Mais le plan d'ensemble a commencé par
faire défaut, de telle sorte 'que, jusqu'à présent, un tel enseignement
n'existe encore nulle part d'une manière complète.
VII. — Impossible à constituer entièrement du jour au lendemain, il
peut, dès maintenant, l'être systématiquement en partie. Les lacunes se
combleront peu à peu, par suite de la formation d'hommes aptes à remplir
chaque chaire.
VIII. — Alors pourront être créées dans les Universités des sections
coloniales, formées par la réunion des dififérentes chaires existantes et
douées de leur individualité propre. Ce jour-là seulement, renseignement
colonial général atteindra son plein et entier épanouissement.
De ces propositions, aucune n'a été discutée à fond par les
membres présents de Tlnstitut Colonial, contrairement à
l'attente du rapporteur, à qui certaines divergences d'opinion
avaient naguère semblé promettre, — lorsque, à la fin de la ses-
sion de La Haye, en 1901, il avait dû faire un exposé succinct
de ses idées, — un échange de vues opposées, et, selon l'ex-
pression de M. Chailley-Bert, des luttes courtoises, mais ter-
ribles. 11 serait toutefois très injuste de dire que Texamen du
rapport sur renseignement colonial général ait été sans intérêt;
M. L. Nocentini, professeur à TUniversité de Rome, a donné de
précieuses indications sur les sérieux efforts faits en Italie pour
créer un enseignement colonial; M. Van Hasselt, après avoir
rectifié certaines idées trop optimistes du rapporteur relatives à
la connaissance que possède le peuple néerlandais des questions
coloniales, a esquissé tout un système d'enseignement colonial,
en débutant par les écoles élémentaires. Enfin, le P. Piolet a,
de son côté, brièvement exposé ses vues sur l'organisation
complète de l'enseignement colonial en France, depuis l'école
primaire jusque dans les Facultés; il a terminé en demandant
quelque chose de plus : la création, au Collège de France, de
cette chaire de science coloniale, pour laquelle la Chambre des
députés a refusé les crédits qu'avait naguère demandés le
groupe colonial, sur l'initiative du prince A. d'Arenberg,
d'accord avec le ministre de l'Instruction publique *. Notons
aussi — avec un échange de vues entre M. Von der Heydt,
président de la Société allemande de l'Est de l'Afrique, et
M. Chailley-Bert sur ce qu'est la science et sur la science
^ Nous ne pouvons qu'applaudir à cette proposition, que nous avions nous-mêmes
formulée naguère, dans notre rapport préliminaire à la session de La Haye de 1901.
LES DERNIERS TRAVAUX DE L'INSTITUT COLONIAL INTERNATIONAL 7fi9
coloniale — que M. Augustin Bernard, à propos de la troisième
proposition dont on vient de lire le texte, a demandé, en
appuyant sa demande sur de sérieux motifs, Tintroduction des
langues indigènes dans les cadres de l'enseignement colonial
général.
Telles sont les principales observations qu'a motivées le rap-
port préparatoire à la dernière des questions discutées par
l'Institut Colonial international dans sa session de Londres ; un
certain nombre d'autres points du rapport (la place de l'histoire
dans renseignement colonial général, par exemple), abordés
seulement dans des conversations particulières, pourront être
repris à une des prochaines réunions de l'Institut, lorsque les
progrès réalisés dans les différentes métropoles européennes par
l'enseignement colonial général nécessiteront une nouvelle étude
de la question, qui a d'ailleurs été maintenue à l'ordre du jour.
s»
Peut-on dire, au reste, que l'Institut Colonial, après avoir
étudié à fond une question déterminée, après avoir publié sur
elle une série de documents, la laisse de côté et s'en désinté-
resse ? Nullement. Rien n'en fournit mieux la preuve que la
proposition faite par le D*" N.-G. Pierson et par ses collègues
néerlandais* de constituer dans chaque pays une commission
composée de membres de Tlnstitut Colonial, dont la tâche
serait de se tenir au courant des nouveaux documents impor-
tants se rapportant aux colonies relevant de ce pays et relatifs
à des sujets déjà traités dans les publications de l'Institut, puis
de signaler au président de la Compagnie, avec un exposé des
motifs, les documents dont elle jugerait la publication utile.
L'Institut Colonial a accepté avec empressement cette proposi-
tion, qui était précédé de ce très court, mais décisif exposé
des motifs :
« Dans la séance de l'Institut tenue à La Haye le 28 mai 1901 ,
i( notre collègue M. Chailley-Bert, en parlant des publications
« relatives au régime foncier, faisait l'observation qu' « aucune
« collection de documents ne peut être close : celles que nous
« considérons aujourd'hui comme définitives seront vieillies
« dans cinq ans. »
« Cette observation peut être appliquée à tout ce que notre
« Institut a publié jusqu'ici. Dans cinq ans, et peut-être plus
« tôt, une grande partie de ces travaux n'aura qu'une valeur
« historique; les publications donneront un tableau de lalégis-
« lation telle qu'elle était autrefois, et ceux qui les consulte-
i MM. J.-H. Fransen Van de Patte, C.-Ph. van Deventeret A.-L. van Hasselt
QuBST. DiPL. ET Col. — t. xv. 49
770 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
H ront pour y trouver la législation existante courront grand
« péril de se tromper.
« II n y a qu'un moyen d'écarter le danger, c'est de continuer
K à publier les documents se rattachant aux sujets traités dans
« les publications antérieures. »
Ainsi rinstitut Colonial international s'achemine peu à peu
vers la publication de cette Revue Coloniale internationale^
contenant des articles d'un intérêt général pour les colonies de
toutes les nations, dont, dès le premier jour, l'article 2 de ses
Statuts a envisagé la création ultérieure * . Cette publication
nouvelle, qui ne saurait manquer de rendre les plus grands ser-
vices, constituera sans aucun doute dès son apparition le digne
pendant de la Bibliothèque Coloniale internationale dans les
six séries de laquelle ont déjà été publiés dix-sept volumes de
documents de la plus haute importance sur la main-d'œuvre,
les fonctionnaires coloniaux, le régime foncier, le régime des
protectorats, les chemins de fer aux colonies et dans les pays
neufs, le régime minier ^. A l'énorme travail que représente
la réunion des matériaux nécessaires pour la composition de
ces dix-sept volumes, le choix à faire entre les documents, la
traduction en français des textes étrangers, ajoutez la rédaction
des rapports préliminaires à la discussion de chaque question
mise à Tordre. du jour \ la publication de six volumes de
comptes rendus des sessions, la création d'un bureau interna-
tional de renseignements et d'une bibliothèque coloniale, et
vous comprendrez pourquoi l'excellent président de l'Institut
Colonial, lord Reay, pouvait dire le 26 mai dernier, dans son
magistral discours d'ouverture, que la Compagnie est vraiment
sortie de l'enfance et peut dès maintenant tirer honneur de
l'œuvre qu'elle a accomplie.
Henri Froide vaux.
> « Pour atteindre ce but (le but défini dans l'article !«' des Statuts), l'Institut :
« ... 2° préparera, aussitôt qu'il sera d'avis que le moment est propice, une Revue
« Coloniale internationale contenant des articles d'un intérêt général pour les colo-
« nies de toutes les nations. »
* Voici l'état actuel de ces publications : l»"® série, la Main^d^œuvre aux colonies,
3 vol.; 2« série, les Fonctionnaires coloniaux, 2 vol.; 3« série, le Régime foncier
aux colonies, 5 vol.; 4« série, le Régime des protectorats, 2 vol.; 5" série, les Che-
mins de fer aux colonies et dans les pays neufs, 3 vol. ; le Régime minier aux
colonies, 2 vol. — A ces différentes séries s'ajoute, hors cadre, la série des comptes
rendus des six sessions tenues à Bruxelles en 1894 et en 1899, à La Haje en 1895 et
en 1901, à Berlin en 1897 et à Paris en 1900 (6 vol.).
3 Trois des rapports distribués aux membres de l'Institut Colonial avant la session
de Londres n'ont pas été discutés; ce sont ceux de MM. J. Chaillej-Bert sur la
meilleure manière de légiférer aux colonies, de Valroger sur le régime minier dans
les troi.« Guyanes, et de l'illustre Sir Alfred Lyall sur l'irrigation dans Tlnde. Ces
rapports seront examinés dans la prochaine session, qui aura lieu à Wiesbaden en
1904 sous la présidence du duc Jean-Albert de Mecklembourg, durant la semaine
qui précédera la Pentecôte.
LES EMPLOYES COLONIAUX
DE NOS POSSESSIONS D'AFRIQUE
Voilà un sujet qui pourrait sembler peu digne d'être tr-iitr
dans une Revue, du genre de celle-ci, aux yeux des persojiiR's
(et le nombre en va heureusement diminuant sans cesse), i\\ù
pensent que les questions, qui s'y rattachent, n'ont qu'uin»
importance à peine équivalente à la matière des emplois dans la
métropole. Mais, pour ceux qui sont plus familiarisés avec l^'s
choses d'outre-mer, il en est tout différemment; s'ils estinit^l
que Tavenirde notre domaine africain dépend de la fa(^on dnnl
sera, en lin de compte (il faudra bien y arriver un jour on
l'autre, et le plus tôt sera le mieux), résolu le problème de lu
main-d'œuvre indigène, ils considèrent, aussi, que le choix di^s
agents et employés, qui sont appelés à diriger cette main-dViMi-
vre et à représenter sur place des grandes sociétés coloniali^is,
est d'un intérêt capital pour leur avenir, et que celui-ci isl
intimement lié à la manière dont le personnel sera recru h-,
traité et siuveillé. On peut donc, semble-t-il, parler utileiui^nt
du choix des auxiliaires à envoyer au loin, des conditions i*i
avantages qui leur sont ou doivent leur être faits, des procf'^l^'s
divers à employer à leur égard, de la direction à imprimer fi
leurs efforts, du contrôle de leurs actes et des récompensais h
ne pas marchander, lorsqu'elles sont méritées. Il importe, m
effet, d'éclairer Topinion publique que les tendances de piilili-
cations récentes pourraient égarer, si Ton s'abstenait de meitrt'
toutes choses au point. Parmi les maisons de commerce et U*s
sociétés coloniales, possédant des intérêts en Afrique, il g*<Mi
trouve malheureusement plusieurs dont les chefs ignorent nii
dédaignent l'art de choisir leurs employés, les traitent lù-firw
presque inhumainement, ou bien encore ont besoin, pour In
réalisation de leurs spéculations en Europe, de gens sou[^l(^s.
mais tarés, qu'on écarte impitoyablement lorsqu'ils ne peuvtTil
plus servir c\rien; pour ne pas souffrir de révélations possililt?s^
on les charge, au bon moment, de tous les péchés d'lsra(?l ; ^>ii
772 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
exploite leur passé douteux et leurs vices. Quand on peut arri-
ver jusqu'à les affamer, c'est tout profit : moyennant un maigre
subside, on se fait rendre les armes — c'est-à-dire les pièces
— qui pouvaient nuire. Mais, à côté de ces coloniaux, se disant
tels tout au moins, exploiteurs malhonnêtes de leurs sem-
blables (employés modestes de factoreries ou gros actionnaires
européens), il existe des maisons sérieuses qui font de leur
mieux pour se recruter un personnel trié sur le volet, dont
le souci est de sélectionner sans cesse les éléments divers qu'il
renferme, dont, enfin, la préoccupation constante est de mettre
chacun à la place qui convient le mieux à ses capacités, de
récompenser les efforts sincères, d'améliorer la situation de
tous, raisonnablement, pour qu'aucun ne soit fondé à se dire
mécontent. Ainsi donc, il convient d'examiner : 1® la conduite
à tenir à Tégard des candidats qui se présentent pour remplir
les emplois vacants qu'ils se croient dignes de remplir; 2" les
stipulations contractuelles à faire avec eux, leur raison d'être,
leur légitimité et leurs sanctions possibles; 3* les diverses
modalités d'engagement et la manière de les exécuter ; 4** les
conditions de confort et d'hygiène à adopter ; 5® les relations
des employés avec les agents principaux et les rapports des uns
et des autres avec leur maison d'Europe, soucieuse de savoir
exactement ce qui se passe, mais désireuse de maintenir la
discipline, et non moins préoccupée de la défense de ses intérêts
que de la situation et de l'avenir de chacun de ses auxiliaires.
Car, aux colonies plus qu'en Europe, la paix sociale, disons
aussi la paix économique, n'est possible que par l'union du
capital et du travail, par leur entente équitable, par leur coopé-
ration constante : l'un, le capital, a le droit incontestable à une
large rémunération pour les risques certains auxquels il s'ex-
pose ; l'autre, le travail, est fondé à obtenir non pas seulement
i un fort traitement (en nature ou en argent), eu égard aux
h risques spéciaux de santé qu'il fait courir, mais encore des
f- compensations grandissantes avec les résultats qu'il donne,
^; quand ceux-ci sont bien et réellement acquis, c'est-à-dire
'' déduction faite d'un certain nombre d'éléments qui, trop
souvent, figurent sur les inventaires, alors qu'ils consti-
; tuent plus que des aléas : des pertes plus ou moins diffé-
rées, bien que certaines. Il faut, en un mot, que capital et
travail, suffisamment et également éclairés sur leurs intérêts
'i respectifs, ne les croient pas opposés entre eux et que, en
[ conséquence, un même esprit de solidarité ne cesse de les
h.. animer.
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■■T .m .% TJ
LES EMPLOYÉS COLONIAUX DE NOS POSSESSIONS d'aFRIQUE 773
DU CHOIX DES EMPLOYES
A. Conditions physiques. — Pour qui connaît l'effet dépri-
mant du climat tropical (action de la chaleur et de l'humidité)
et les modifications, que produisent dans l'organisme divers
changements dans l'alimentation (privation presque totale des
légumes verts, etc.), et dans les habitudes, la nécessité de ne
recruter les employés coloniaux que parmi des hommes sains
et formés s'impose inéluctablement. Une visite préalable à un
médecin consciencieux est donc obligatoire ; par là, l'on saura
que le candidat n'a ni affection cardiaque, ni scrofule, ni rachi-
tisme, ni tuberculose, ni maladie de foie. Pour le reste, ainsi
que pour l'estomac et les intestins, la santé de l'intéressé
dépendra de sa conduite, de son hygiène et de sa sobriété.
S'il était toujours possible de choisir pour le mieux, il
conviendrait de n'engager que des tempéraments moyens,
ni trop bilieux, ni trop sanguins, ni trop nerveux. Quant
à l'âge, je n'hésite pas à exclure les jeunes gens ayant moins
de vingt ans et les hommes qui, n'ayant jamais vécu dans
les pays chauds, dépassent trente-cinq ans; chez les pre-
miers, il y a souvent insuffisance de formation physique ; chez
les seconds, l'inconvénient contraire est fréquent. La meilleure
période de la vie est donc vers la vingt-cinquième année, qui
concorde à peu près avec la libération du service militaire. Il
est évident que, si le séjour aux colonies dispensait de celui-ci,
ainsi que de bons esprits le souhaitent, on pourrait y envoyer
les jeunes hommes un peu plus tôt, à condition toutefois de
leur éviter les moins bons endroits, afin de leur faciliter l'accli-
matation ; cette observation, d'ailleurs, est d'ordre général et
ne doit jamais être perdue de vue par les chefs de maisons :
elle se rattache, au surplus, à la question très importante du
milieu moral duquel il sera parlé plus loin.
B. Conditions intellectuelles, — Entre ceux, que leurs fonc-
tions appellent à renseigner le public sur ce qu on peut faire
aux colonies, et des jeunes gens, désireux de s'expatrier, s'en-
gage fréquemment le colloque suivant : « Je veux aller aux
« colonies. — Dans laquelle ? — Cela m'est indifférent. — Pour
« quoi y faire ? — Tout ce qu'on voudra ! » Voilà un homme
de bonne volonté, pensera-t-on ! Non pas : c'est une pure non-
valeur.
Combien je préfère l'individu qui vient dire : « J'ai fait mon
« service militaire au Sénégal, au Soudan; je me suis familia-
774 QUESTIONS OIPLOMATIOUKS ET C0L0NULE8
« risé avec les dialectes indigènes; j'ai observé le caractère et
u la nature des gens ; je crois avoir saisi les idées et les manières
« qui conviennent à leur tempérament; si j'avais une place
« sérieuse, assurée, il me semble que je me débrouillerais. »
A celui-là, il ne faut pas demander grand'chose de plus; s'il
a de la conduite et de la santé, il réussira ; il convient seule-
ment de ne pas le laisser partir, avant qu il possède des notions
de bonne comptabilité, lui permettant au moins de calculer ses
prix de revient et de raisonner ses opérations. La connaissance
d'une langue étrangère, l'anglais surtout, sera, sinon partout
indispensable, du moins de la plus grande utilité.
C. Conditions morales. — La disposition d'esprit, dans
laquelle partent les jeunes employés coloniaux, est de la plus
grande importance, eu égard aux luttes morales qu'ils auront à
soutenir là-bas, loin de leur famille, loin, souvent aussi, de tout
contrôle sérieux, sans le frein du milieu civilisé, dans lequel
nous vivons ici, qui étreint nos instincts parfois désordonnés,
et aux exigences duquel nous conformons, volontairement ou
même à notre insu, notre manière d'être. Le chefde maison, que .
vient solliciter un candidat, doit donc faire porter spécialement
ses investigations sur le côté moral : la situation de sa famille,
le nombre de ses frères et sœurs, l'école où il a étudié, son
degré d'instruction, ce qu'il a fait depuis la fin de ses classes,
les motifs qui l'invitent à partir si loin de sa patrie : autant de
questions, la dernière surtout, qui appellent un examen appro-
fondi. A son tour, le chefde maison expliquera ce qu'est la vie
du commerçant, du colon, aux colonies; d'après celle où le
candidat devra se rendre, il lui dira la dureté de l'existence,
faite de labeur et de privations, sous un climat pénible, au milieu
de populations à peu près sauvages, sans distractions intellec-
tuelles en dehors du travail ; il le désillusionnera sur les récits,
parfois fantaisistes, de certains voyageurs qui, le péril et les
ennuis passés, ne s'en souviennent plus guère dans leurs écrits;
les actions d'éclat, pour le commun des mortels, c'est du
roman ; les chasses magnifiques, c'est du rêve ; le trantran
quotidien est plus monotone et ce trantran-là doit durer près
de trois années avant qu'on puisse venir se refaire l'esprit et le
corps dans le monde civilisé. En un mot, si la peinture doit
rester exacte, il vaut mieux en foncer un peu les tons.
Il faut, en effet, tout prévoir et tout dire à celui qui veut
partir; la solitude dangereuse, l'isolement néfaste, l'ennui
démoralisateur, le découragement provenant de la maladie, du
marasme des affaires, d'échecs immérités, d'ambitions hâtives,
prématurées, inassouvies; il faut le prémunir, aussi, contre les
'^■■f
LES EMPLOYÉS COLONIAUX DE NOS POSSESSIONS D*AFRIQCË 773
mauvais conseils, toujours plus ou moins intéressés; il faut le
garder de ces inimitiés enfantines, inexplicables, qui énervent
et nuisent à tout et à tous ; il y a là une fâcheuse tendance,
trop générale, contre laquelle il est nécessaire de réagir sans
cesse; est-il raisonnable de voir, comme cela se produit sou-
vent, quatre ou cinq blancs divisés en deux... camps, passer
leur temps à s'observer mutuellement du matin au soir et à
s'irriter jusqu'au paroxysme par des milliers de coups d'épingle
indignes d'un être intelligent?
Quand, après tous ces avertissements, le chef de maison se
sera, en dernière analyse, rendu bien compte qu'il a été com-
pris, que le candidat ne demande pas à partir n importe ou
pour y faire n'importe quoi^ par suite d'une contrariété de
famille, d'une histoire d'amourette, de mauvaise conduite ou
de dissipation, mais parce qu'il veut faire son trou plus facile-
ment qu'en France où la vie matérielle, absorbant de maigres
salaires, empêche de réaliser la moindre économie, alors, mais
alors seulement, il pourra espérer qu'il a devant lui un homme
de volonté et décidé à obéir et à bien faire, mieux peut-être
aa loin qu'il n'aurait pu dans la métropole, parce que sa per-
sonnalité aura davantage l'occasion de s'y manifester, de s'y
épanouir plus à l'aise. Quelques conseils au sujet de la conduite
à tenir à l'égard du personnel féminin de là-bas ne seront pas
déplacés : tout le monde y pense, en partant; mais l'hypocrisie
de nos mœurs fait que personne n'en parle. Cela est mauvais.
Les dépenses d'un employé colonial, en dehors du point abso-
lument secondaire (il doit rester tel toujours) qui vient d'être
visé, sont de fort minime importance, puisque, généralement,
il est défrayé de tout, sauf de son habillement qui, étant de
coton blanc ordinaire, coûte bien peu par année ; l'économie
est donc presque forcée ; de cet argent, l'intéressé fera, sans
doute, deux parts : l'une sera laissée au siège de sa maison en
compagnie, qui l'emploiera en achetant pour lui des valeurs de
tout repos, d'où sécurité mutuelle; l'autre fera l'objet d'une
délégation à sa famille qui, de la sorte, suivra ses efforts et
saura régulièrement ce qu'il devient par la voie du chef de sa
maison, du directeur de sa Société. Il n'y a pas à hésiter à
engager un jeune homme qui, de lui-môme, fixe ainsi le sort
de son avenir; son intention de bien faire est évidente et sin-
cère et si, au cours de son emploi, il a quelque défaillance de
bon vouloir, des moments de lassitude dus à des désillusions,
on ne lui ménagera pas les encouragements ; le soutenir sera
même un devoir, à condition toutefois que ces bonnes disposi-
tions ne l'amènent pas à abuser.
776 QUESTIONS DIPLOMATIOUfiS ET COLONULES
Mais si le sujet est bon, le fait se produira rarement et sà
bonne conduite lui gagnera rapidement Testîme et la conPiance
de ses chefs.
DES STIPULVTIONS CONTRACTUELLES ET DE LEUR EXÉCUTIOX
Je suis résolument partisan du contrat écrit, bien en règle,
tout au moins pour la première fois que l'on traite; malgré
tout, on se connaît peu; il est bon de s^étudier; de plus, les
jeunes gens ont souvent besoin d'être retenus par quelque chose
de plus que la pure raison ; enfin^ il est nécessaire que chacun
connaisse bien la nature et Tétendue de ses droits et de ses
devoirs.
Voici les points principaux qui doivent faire l'objet de préci-
sions bien nettes :
M) Taux et mode de règlement du salaire; éléments complémentaires
de rémunération.
JV) Frais de voyage et rapatriement; maladies, etc., etc.
0) Inhibitions relatives à l'acceptation d'emploi dans la même colonie.
M. Taux et modes de rémunération, — Il était d'usage,
jadis, dans les maisons commerçant au Sénégal et dans les
Rivières du Sud, de traiter sur des bases très larges avec un
homme au courant du pays; on lui confiait une pacotille
importante; il édifiait, à ses frais, les installations qui lui
étaient nécessaires pour la traite de la gomme et des ara-
chides à laquelle il se livrait. Ses produits d'exportation étaient
réalisés par les soins de sa maison d'Europe et les bénélices
nets de la campagne se partageaient généralement par moitié;
l'agent intéressé était alors responsable des auxiliaires qu'il
avait sous ses ordres ; la difficulté et la lenteur des communica-
tions par les navires à voiles raréfiaient la concurrence, main-
tenaient de bons prix, faisaient réaliser de très gros bénéfices
couvrant facilement tous les aléas. Le développement de la navi-
gation à vapeur modifia cette situation et permit l'arrivée de
nouveaux venus; alors qu'auparavant le commerce colonial
n'était possible qu'aux grandes maisons d'armement, il devint
accessible h de plus nombreuses initiatives; les gains dimi-
nuèrent et il fut impossible de faire aux employés la part aussi
belle ; en dehors d'appointements fixes modiques, les uns reçu-
rent un tantième sur leur chiffre d'affaires, les autres sur le
bénéfice net annuel de leur comptoir; ces deux procédés ont du
bon ; mais chacun présente un inconvénient : avec le premier,
LES EMPLOYÉS COLONIAUX DE NOS POSSESSIONS D AFRIQUE "ill
l'on peut craindre que, pour grossir son chiffre d'affaires, rem-
ployé vende à trop bas prix; avec le second, il peut naître, entre
lui et sa maison, des difficultés sur la manière d'obtenir le béné-
fice net, des discussions peuvent surgir sur les valeurs (mar-
chandises avariées ou démodées, créances aventurées) devant
figurer à Tinventaire et sur la façon d'établir le bilan annuel.
Dans certaines maisons, dont le genre des affaires rend la
chose possible, on alloue tant par kilogramme de caoutchouc
acheté, tant par bille d'acajou expédiée, tant par tonne
d'amandes ou d'huile de palme exportée, en spécifiant, par
avance, les prix d'achat nécessaires qui ne devraient pas être
dépassés.
Mais toutes ces conditions ne peuvent concerner que les
employés principaux ; aux jeunes gens, qui arrivent et qui
doivent tout apprendre de l'apprentissage qu'ils vont faire, on ne
peut offrir qu'un salaire mensuel fixe peu élevé au début, mais
appelé agrandir suivant les qualités et les services de chacun. Il
ne faut pas perdre de vues, en effet, que le débutant coiite à la mai-
son qui l'emploie beaucoup plus qu'il ne lui rapporte; c'estd'ail-
leursle cas des apprentis cheznous dansbon nombre de métiers ;
à ceux-ci, très souvent, l'on ne donne aucune rétribution ; parfois
même on exige d'eux une indemnité dite d'apprentissage ou
d'entretien. Il n'en saurait être ainsi aux colonies pour de mul-
tiples raisons. Mais, pour la fixation des appointements, cet élé-
ment d'appréciation doit être pris en considération. On a estimé
que, pour un engagement de trois ans, un débutant ne produit
un travail réellement profitable qu'au bout de la seconde année;
c'est dire que, lors de l'expiration du contrat, c'est à peine si son
concours a compensé à sa maison le coût, la valeur de l'appren-
tissage qu'il a fait chez elle. Ce qui précède suffit à expliquer
pourquoi l'on voit débuter des jeunes gens à raison de 125
ou de 150 francs par mois, en sus du logement, de la nourri-
ture, avec ou sans frais de blanchissage. Les chiffres, qui pré-
cèdent, s'appliquent, bien entendu aux jeunesgens qui ne savent
rien faire, qui n'ont pas de spécialité; il va de soi que la con-
naissance des langues et de la comptabilité appelleront des
offres plus élevés ; d'ailleurs, on ne doit pas le laisser ignorer aux
intéressés, sans ce bagage de début, ils feront difficilement leur
chemin; faute de pouvoir établir des prix de revient et raison-
ner les opérations d'un comptoir, ils resteront dans les emplois
inférieurs de boutiquiers, surveillant, copiste, etc.
Toutefois, il convient de reconnaître que, dans certaines mai-
sons, il y a une tendance fâcheuse à offrir des salaires déri-
soires. On procède ainsi en partant de cette idée démoralisante
\
778 QUICSTIUNS DIPLOMATIQUBS BT GOLONIALKS
que remployé, au loin, à Tabri de toute surveillance, arrive
toujours à se payer très largement lui-même. J'ai, pour ma part,
toujours protesté contre un pareil système ; si celui, qui désire
entrer chez vous, n'a pas votre entière confiance, ne l'engagez
pas ; dans le contraire, vous n'avez pas le droit de douter, à
priorijde Thonnêteté de quelqu'un que vous prenez à votre ser-
vice ; autrement, il y a là un germe morbide qui ne peut que se
développer par l'éloignement et que l'esprit de suspicion trans-
forme vite en crise aiguè. Quelqu'un a dit que Thonnêteté
devait se payer, comme on le fait pour un objet de réelle valeur.
Il y a du vrai sous cet aphorisme un peu brutal : un honnête
homme, conscient de ses mérites, voudra qu'on le paie ce qu'il
veut, parce qu'il défendra les intérêts des chefs de sa maison
comme les siens propres; le coquin n'a pas de ces scrupules ;
ce qu'il lui faut, c'est la place; il acceptera n'importe quel
salaire, qu'il a l'intention de décupler par de multiples sources
de profit inavouables. Je n'hésite donc pas à dire qu'il est juste,
donc nécessaire, de calculer les émoluments des employés, de
manière qu'un bon sujet — et il s'en trouve heureusement —
puisse, au bout de quinze à vingt ans de séjour colonial, se
retirer avec des économies lui permettant de vivre et de jouir
d'un repos bien mérité.
Mais chacun doit être récompensé selon ses œuvres ; le défaut
des débutants, c'est de s'impatienter des lenteurs de leur avan-
cement; je leur conseille d'attendre sagement; la patience pour
eux, c'est, à leur insu, du temps gagné. J'ai connu des employés
qui, au bout de sept ou huit ans d'Afrique, ne touchaient en
tout mensuellement, que 300 à 400 francs; puis, tout d'un coup,
ils sont devenus chefs de comptoirs importants; leur situation
était assurée avec des économies annuelles de 8 à 10.000 francs.
Ils avaient su attendre, sans dévier de la ligne droite; leur
intelligence, leur honnêteté, leur expérience étaient leurs seuls
moyens d'action, sans compromission avec personne. Ils sont
arrivés ; ce sont des heureux par leurs seuls mérites, et non
pas, comme des jaloux ne manqueraient pas de le dire, parce
que ce seraient de simples veinards. Il faut donc, sans cesse, prê-
cher la patience aux jeunes, dans leur propre intérêt ; ils s'en
apercevront d'ailleurs, bien vite s'ils savent réfléchir, voir et
comprendre.
N. Frais de voyage et rapatriement, — Une des raisons, pour
lesquelles les émoluments de début des jeunes employés sont
modiques, consiste en la nécessité de leur consentir presque
toujours dos avances avant leur départ, notamment pour les
frais de leur voyage. Or l'expérience prouve que, dans la pro-
LES EMPLOYÉS COLONIAUX DE NOS POSSESSIONS d'aPBIQUE 779
portion de 50 % environ, les chefs de maison ne peuvent
presque jamais rentrer dans ces débours relativement élevés,
soit quUis se trouvent dans Tobligation de congédier, au bout
de peu de temps, l'employé devenu une mauvaise tête ou une
non- valeur, à divers titres, soit que l'état de sa santé nécessite
son rapatriement ; à cet égard, il convient de ne point passer
sous silence les fâcheuses complaisances de médecins locaux
qui, trop souvent, facilitent, au moyen de certificats presque
toujours identiques, le retour en Europe, aux frais de leur
maison, aux jeunes gens qui s'aperçoivent que la vie coloniale
manque de plaisirs ou d'avenir pour leurs ambitions, ou bien
même sont très heureux d'avoir pu faire un voyage lointain de
quelques mois aux frais de la princesse. On conçoit donc que
les chefs de maison s'efforcent de se prémunir, dans la mesure
du possible, contre les conséquences pécuniaires de pareils
abus. Ces brèves considérations expliquent la nature, la portée
et le but de la clause suivante qui, à de légères variantes près,
est devenue de style dans les contrats des employés allant en
Afrique.
La Société X... fait à M l'avance de ses frais de voyage d'aller en
deuxième classe (en première classe, s'il s'agit de bateaux allemands, où
le confort est rudimentaire); la Société s'en remboursera au moyen de
retenues mensuelles sur ses appointements, à raison de.... par mois, de
façon qu'elle soit couverte lors de l'expiration de la première année du
contrat; si l'employé cesse d'appartenir à la Société avant l'accomplisse-
ment de sa période conventionnelle de trois ans, il perd, de plus, tout
droit à son rapatriement, quel que soit le motif — sauf le cas de maladie
— de la cessation de son emploi; si, au contraire, l'employé a exécuté
entièrement ses obligations, la Société lui paiera les frais de son voyage
de retour et, de plus, lui fera remise, à son arrivée en France, d'une
somme égale à celle de ses frais de voyage d'aller.
Cette combinaison a un double objet : a) éviter que l'employé
— comme cela avait lieu fréquemment jadis — n'ayant pas
voyagé, à ses frais^ de Marseille à Cotonou, par exemple, quitte
le comptoir ou s'en fasse renvoyer un mois après son arrivée,
afin de pouvoir entrer dans une maison concurrente avec des
appointements mensuels immédiatement plus élevés, celle-ci
n'ayant pas à amortir d'abord 7 ou 800 francs de frais de voyage
et pouvant ainsi payer de suite plus cher; b) encourager le
jeune homme à faire ses trois ans, par l'attrait de ce qu'on
pourrait appeler une prime de retour.
La clause, rappelée ci-dessus, est donc infiniment sage; elle
ne peut être critiquée que par ceux qui partent avec une inten-
tion autre que celle de remplir fidèlement leur emploi.
780 QUESTIONS DII'LOMATIOUES BT COLONIALES
0. Inhibitions relatives à Vacceptation Remplois dans la
même colonie, — C'est un sujet qui a donné naissance à bien
des polémiques, voire môme à des procès et, cependant, il de-
vrait être de la plus grande simplicité, si les conflits d'intérêts,
la mauvaise foi ou le défaut de probité ne le compliquaient pas
parfois singulièrement. En France, un patron a-t-il le droit de
convenir avec remployé auquel il confie ses intérêts, les secrets
commerciaux, ou simplement les procédés d'affaires de sa mai-
son, qu'il initie à la connaissance de sa clientèle, que, s'il le
quitte volontairement ou s'il se fait congédier, il lui sera inter-
dit, pendant un délai de trois, cinq ou dix ans, soit d'entrer
dans une maison rivale de la mêrne localité ou région, soit de
créer une entreprise concurrente? Oui évidemment et les tribu-
naux ont continué de faire respecter une semblable stipulation
qui, en elle-même, est absolument licite, puisqu'elle est limitée
à un périmètre et à une durée déterminés. Il en doit être ainsi,
a fortiori,, dans les affaires coloniales. En Afrique, ce n'est
guère la maison d'Europe que connaît la clientèle noire, mais
surtout l'employé de factorerie auquel elle a coutume d'acheter,
que ce soit à Porto-Novo, à Grand-Lahou ou à Boké. Si donc
cet employé quitte sa factorerie et s'en va dans une voisine, les
indigènes le suivent, plutôt que de s'adresser à un nouveau
venu qui ne connaît pas grand'chose de leur langage, de leurs
habitudes et de leurs besoins. De plus, l'employé — quittant sa
maison pour entrer dans une autre ou, parfois, pour s'établir
à son compte avec une commandite européenne, ou encore,
dans les moments d'engouement, ainsi qu'on l'a constaté à
Konakry, il y a trois ans, pour devenir l'agent d'une nouvelle
Société — possède des indications précieuses qu'il a recueillies
au cours de son apprentissage, et à l'aide desquelles il peut faire
le plus grand tort à ses anciens patrons. Il est donc de la plus
vulgaire prudence de se prémunir contre de tels dangers et de
la plus élémentaire moralité d'obtenir la sanction judiciaire
d'une stipulation aussi licite, lorsqu'elle est raisonnable quant
à son étendue et à sa durée ; il va de soi qu'il serait enfantin,
par exemple, d'interdire à un agent ayant travaillé au Setté-
Cama, dans l'Ogoué, au Kouilou-Niari, — le tout au Congo
français, — d'engager ses services dans le Haut-Oubanghi. En
cette matière, tout est une question de mesure. Mais, en elle-
même, rinhibition est légitime; on doit l'insérer dans les con-
trats, de façon à pouvoir s'en réclamer si besoin est. La liberté
du travail n'a rien à faire en pareille occurrence, pas plus aux
colonies qu'en Europe. Il s'agit de sauvegarder des droits impor-
tants et de déjouer des manœuvres fréquemment malhonnêtes;
rien de plus.
LES EMPLOYÉS COLOiMAUX DK NOS POSSESSIONS d'aFRIQUE 781
Si, du chef des clauses contractuelles relatives aux inhibi-
tions, dont il vient d'être question, et aussi aux frais de voyojîo,
les dolésinces assez fréquentes, parce que inconsidérées, il<»s
employés ne sont point légitimes, il en est tout autrement, h
mon avis du moins, des plaintes qu'on leur entend sonvuni
formuler au sujet du défaut de confort de l'habitation, du
MANQUE d'hygiène et dc r INSUFFISANCE DE L ALIMENTATION. Cc SOriL
là des choses dont on ne s'est presque jamais préoccupé; clie/.
les administrateurs de Sociétés, qui n'ont pas voyagé dans la
brousse, c'est faute de savoir, sans doute; chez d'autres, c'i^st
par économie mal entendue. En tout état de cause, il y a là
des faits d'inhumanité trop fréquents dont on doit souhait*^?
la disparition. A notre époque, la médecine coloniale a réalis*'^
suffisamment de progrès pour qu'on sache qu'il est imprudnit
d'établir les locaux d'habitation près des cours d'eaux^ Jo
refuser aux employés le confortable conforme aux lois de Tliy-
giène, de ne pas varier leur alimentation en leur donnant \n
possibilité d'avoir des légumes frais dans des potagers lïirii
soignés. Cela coûte cher, c'est vrai; mais la santé s'en troiiv<^
bien et l'on évite — sinon totalement — de trop fréquents > t
dispendieux rapatriements.
Malgré toutes les précautions de diagnostic moral d<mL
il a été question aux pages précédentes, malgré de bons pro-
cédés, il arrive, hélas ! trop souvent, que, sous l'influeiirf
malheureuse d'un climat déprimant ou d'autres causes moins
avouables (liaisons fâcheuses, appétits pécuniaires immo-
dérés, etCî., etc.), l'on voit des jeunes gens, partis de Frati<i'
bons sujets, se gâter dans la colonie. Tantôt ils sont setil-
fautifs; tantôt leurs chefs immédiats manquent d'équitO nti
même simplement d'adresse à leur égard. La conduite à tenir
vis-à-vis du personnel est fort délicate lorsqu'on vit sous h*>
tropiques. L'éloignement de l'Europe nécessite une discipline
absolue, une obéissance passive aux ordres de l'agent-chef ; < ar
celui-ci peut parfois se tromper ou être trompé, avoir des piv-
férences injustifiées et commettre des injustices, jamais hnii
graves au demeurant, mais que la chaleur du soleil et l'isoli*-
ment des nuits grossissent démesurément. Si donc une hiérur-
chie aussi rigoureuse offre quelques inconvénients possibli^s,
elle a, tout compte établi, beaucoup plus d'avantages dans Tiiî-
térêt commun. La direction d'Europe doit, d'ailleurs, ne p<i^
782 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
manquer de recourir, de temps en temps, à une inspection
bien faite.
l'avenir DES EMPLOYÉS
Je viens d'indiquer ce qui devrait être; cela revient à dire
que tout n'est pas pour le mieux, tant s'en faut, du côté du
personnel des employés attachés aux maisons ou Sociétés possé-
dant des intérêts en Afrique. Il y a, toutefois, de notables et
heureuses exceptions, et j'ai eu l'occasion d'écrire ailleurs
tout le bien que j'en pensais. En général, on constate une insuf-
fisance de qualités intellectuelles et une tendance morale
fâcheuse de dénigrement des supérieurs, d'égoïsme aveugle
souvent malhonnête, d'ambition bête, d'âpreté pécuniaire
déraisonnable, de fourberie invincible ; que cela tienne à un
recrutement défectueux ou à des procédés fâcheux, il n'en est
pas moins triste d'être obligé de reconnaître que nous avons
beaucoup de progrès à réaliser dans cet ordre d'idées, et c'est
précisément parce que les hommes d'affaires (au bon sens du
mot) savent à quoi s'en tenir à cet égard qu'ils se montrent si
réservés dans les créations d'entreprises nouvelles. Qu'arrive-
t-il? Les rares bons agents ou employés ne chôment jamais de
places ; les anciennes maisons les connaissent ; aux nouvelles,
il ne reste que les autres^ beaux parleurs sans doute, mais
dépourvus de savoir réel et d'honnêteté; ils roulent de comp-
toir en comptoir — essayant de faire leur pelote partout où
ils passent — au grand détriment des intérêts qui leur sont
confiés et qui périclitent rapidement. Il y a, ainsi, un stock
de personnel flottant, qui vit des affaires coloniales, mais qui
les démonétisent, soit par leurs actes, soit par leurs psopos. Les
cadres administratifs se sont beaucoup améliorés dans les
colonies; il est temps, pour celles-ci, qu'on s'emploie au même
but pour les cadres commerciaux.
L'opinion publique, en France, a fini par s'incliner devant
les nécessités politiques de posséder un domaine d'outre-mer.
Si des hommes pratiques, faisant le décompte de ce que coûte
cet état de choses à notre budget par rapport à la modicité des
profits qu'en retirent notre commerce et notre industrie,
s'efforcent d'amener les pouvoirs publics à faciliter, à encoura-
ger, par tous les moyens, l'utilisation économique de nos
possessions lointaines, où presque tout est à faire, il ne semble
pas que, dans l'ensemble de la société française, les choses de
la colonisation aient fait, jusqu'ici, beaucoup de progrès.
LES EMPLOYÉS COLONIAUX DE NOS POSSESSIONS D*AFRIQUE 783
L'établissement de quelques comptoirs de plus, sur la côte
africaine, ne peut pas être considéré comme la manifestation
d'un courant nouveau et sérieux.
La bourgeoisie a toute une éducation à faire en cette matière.
Elle ne se préoccupe pas — ou fort peu — des nouvelles
branches d'activité qui, de ce côté, s'offrent à ses enfants ;
souvent môme elle boude les coloniaux qu'elle tient générale-
ment en médiocre estime, soit parce qu'elle a entendu parler
de spéculations malhonnêtes (où n'en trouve-t-on pas?), soit
parce que, dans son esprit, s'est incrustée cette idée que, aux
colonies françaises, on ne rencontrait que des fruits secs de la
métropole ou des gens tarés. Il est fâcheux qu'elle n'ait pas
voulu ou pu se rendre compte que toute chose mérite examen;
de celui-ci, fait sérieusement, elle aurait acquis la conviction
que le mal n'est pas aussi général, aussi absolu, qu'elle se l'ima-
gine et qu'il y avait place honorable à prendre pour des hommes
de bien.
Du jour où cette pensée aura pénétré dans l'esprit de la bour-
geoisie (car malgré les calomnies dont nous sommes l'objet,
les gens travailleurs et honnêtes sont chez nous en immense
majorité), ses fils iront au loin étudier les entreprises nouvelles
possibles ; ses capitaux viendront aux mieux conçues; ses prin-
cipaux membres donneront, en outre, à celles-ci le concours de
leur expérience et de leur honorabilité. A ce moment-là, les
enfants du peuple n'hésiteront plus à s'expatrier, parce qu'ils
sauront qui dirigera leurs efforts \ Pour atteindre ce but, qu'on
se résolve enfin à ne plus prendre les épaves de la vie, mais
des organismes vigoureux et sains physiquement et intellec-
tuellement; il y aura des sacrifices pécuniaires à faire, c'est
vrai; mais on ne devra pas hésiter à y consentir, eu égard aux
avantages sérieux qui en découleront. De la sorte, à chacun, au
capital et au travail, reviendra une part équitable et sociale-
ment moralisatrice.
Aspe-Flelrimont,
Conseiller du commerce extérieur.
1 II existe plusieurs sociétés ou institution» s'occupant du placement des employés
en France, à l'étranger et dans les colonies ; chacune dans sa sphère, comme
\ Office Colonial et la Société des Employés du commerce d'exportation, est
appelée à rendre de réels services aux intéressés ; il est regrettable que l'état de
nos mœurs fasse que leurs efTorts ne les mettent pas à même de faire mieux, malgré
leur zèle fort louable.
"^rwm
LES AFFAIRES D'ALGERIE
LES INCIDENTS DE FIGUIG
Les événements se sont précipités ces jours derniers, au
l'iguig, nécessitant de promptes résolutions. On sait que
.\L Jonnart avait décidé d'aller se rendre compte par lui-même
île la situation dans le Sud. Les instructions que le gouverneur
gi'^néral avaient reçues du gouvernement avant son départ envi-
sageaient, en effet, dans la région de Figuig, une double action.
D'une part, conformément aux stipulations du traité dé 1843,
une colonne militaire, que devaient précéder des goums de
Douï-Menia ralliés à la France, devait accomplir au Sud-Ouest
de Figuig, en passant par Taghit, où eut lieu Tattaque du
\\ mai dernier, et en contournant le Djebel-Béchar, une opéra-
tion de police destinée à rétablir Tordre. D'autre part, il était
ï^onvenu que les gens de Zénaga, coupables des violences les
plus caractérisées, seraient l'objet d'une répression parti-
ru lière.
En allant étudier, sur place, les moyens les plus pratiques de
répondre aux vues du gouvernement, M. Jonnart avait pour but
(le se rendre compte delà configuration de la région frontière,
(lu meilleur tracé qu'il convient d'adopter pour le prolongement
li^'S urgent de la voie ferrée, et enfin de régler sur les lieux
l'organisation de l'opération de police reconnue nécessaire, de
ÏAt'on que les vues du gouvernement ne fussent pas dépassées.
Certes, nous reconnaissons que, du moment que M. Revoil, le
])[écédent gouverneur général, très au courant de la situation
délicate des affaires du Sud, était brusquement remplacé, il était
utile que le nouveau gouverneur allùt se renseigner sur place.
^L Revoil l'avait fait, de môme que M. Cambon et M. Lafer-
iî(Te qui, eux aussi, étaient allés à Djenien-bou-Resk ; si
M. Jonnart se fût contenté d'aller à Beni-Ounif, entre deux
svances des Délégations, il n'y aurait eu qu'à l'approuver.
Mais il en fut tout autrement de l'affaire de Zénaga, comme le
montre assez sévèrement V Eclair :
1/attaque qui s'est produite devait être prévue ; elle Tétait, l'importance
immériquedes troupes composant l'escorte suffirait à en faire foi.
Dans ces conditions, il est permis de se demander si le gouverneur gêné-
LES AFFAIRES D' ALGÉRIE 185
rai, en se transportant aux abords de Figuîg, était seulement mû par le
désir de constater de ses propres yeux un état de trouble que les sanglants
épisodes de ces dernières semaines avaient déjà amplement fait connaître,
et s'il n'y était pas venu avec cette pensée de derrière la tête que peut-ôtre
sa présence donnerait aux événements qui ne pouvaient manquer d'éclater,
une importance et un retentissement susceptibles de frapper les cabinets
européens et de justifier à leurs yeux les opérations militaires, que depuis
longtemps on dit le gouvernement français résolu à entreprendre dans cette
partie de l'Afrique.
Quoi qu'il en soit, cette démarche Ju gouverneur général pro-
voqua les incidents regrettables dont le Temps a donné le récit
suivant, le l®*" juin :
On sait que le gouverneur général, désireux de se rendre compte par
lui-môme des mesures qu'il est nécessaire de prendre pour éviter les
incursions fréquentes, sur notre territoire, des pillards marocains, a entre-
pris une excursion le long de la frontière marocaine. M. Jonnart est
accompagné du général O'Connor, commandant la division d'Oran.
Nous avons annoncé, hier, que le gouverneur général, arrivé au point
extrême de son voyage, avait assisté à un dîner que lui offraient les otïi-
ciers à Djenan-ed-Dar, l'un de nos postes situés à 4 kilomètres au Sud de
Beni-Ounif, terminus du chemin de fer du Sud-Oranais, situé lui-même à
6 kilomètres au Sud des ksour de Figuig.
Hier, à sept heures du matin, M. Jonnart quittait Djenan-ed-Dar en
voiture et revenait au poste de Beni-Ounif. Son intention était de pousser
une reconnaissance aux portes de l'oasis de Figuig.
M. Jonnart était accompagné du général O'Connor, de M. Aynard, direc-
teur de son cabinet, de M. Gérenle, sénateur, de plusieurs officiers, et de
membres de la presse algérienne. Arrivé à Beni-Ounif, il quitta sa voiture,
monta à cheval avec sa suite pour aller dans la direction du col de Zénaga
où il devait se rencontrer avec Tamel de Figuig.
Le cortège du gouverneur, encadré de spahis, de tirailleurs et de
légionnaires, s'achemina alors vers le col de Zénaga.
Quand il fut à proximité de ce col, M. Jonnart rencontra l'amel de
Figuig avec lequel il s'entretint au sujet des mesures de police à prendre
sur la frontière marocaine, grâce au contingent de soldats chérifîens qui
viennent d'arriver de Tanger.
L'amel assura le gouverneur des bonnes dispositions de son gouverne-
ment à l'égard du maintien de l'ordre sur la frontière.
Après l'avoir renseigné sur les motifs de sa visite, M. Jonnart dit qu'il
regrettait de constater que cette bonne volonté ne produisait aucun résultat
effectif; on ne saurait donc s'étonner si le gouvernement français était
amené prochainement à faire la police de la frontière par ses propres
moyens, tout en respectant l'intégrité du territoire marocain.
L'amel reconnut que les circonstances actuelles ne permettaient pas au
Maghzen de faire obéir Figuig. Il déclara que le gouvernement marocain
était prêt à seconder les intentions du gouvernement français.
L'amel ne dissimula pas les craintes qu'il avait de ne pouvoir, malgré la
QuEST. DiPL. ET Col. — t. xv. 50
786 QUESTIONS DIPLOMATIQUES BT COLONIALES
présence de ses soldats, réprimer les incursions sur notre territoire des
ksouriens de Figuig. Il insista pour que le cortège poursuivit sa route par
la vallée de Zénaga jusqu'aux portes de Figuig, cette reconnaissance
devant avoir, suivant lui, une certaine portée sur l'esprit des indigènes des
oasis.
M. Jonnart et son escorte, toujours encadrés par les spahis, s'avancèrent
ainsi jusque sur une hauteur dominant Figuig à une distance d'environ
500 mètres.
L'agitation était extrême dans le ksar. Tous les habitants semblaient
garnir les murs de l'enceinte et l'on voyait briller des armes. Cette effer-
vescence ne présageait rien de bon et M. Jonnart, prenant congé du pacha,
décida de revenir en arrière.
Sur l'avis du général O'Connor — dont les événements qui suivirent ont
prouvé la perspicacité — le cortège ne suivit pas au retour le même trajet
qu'à l'aller, la vallée de Zénaga, pleine de ravins et de palmeraies, ne sem-
blant pas assez sûre aux officiers de l'escorte.
Le cortège n'avait pas fait 500 métros que des coups de feu de plus en
plus rapprochés se faisaient entendre dénonçant la présence de véritables
embuscades organisées par les Marocains.
Tandis que le cortège continuait sa route, les tirailleurs et les légion-
naires se déployaient sur les flancs de la colonne et engageaient le feu à
leur tour contre les agresseurs.
Les assaillants étaient si rapprochés par endroits que de véritables corps-à-
corps se produisirent. Un légionnaire abattit un Marocain d'un coup de
baïonnette après avoir essuyé un coup de feu et s'empara de son fusil
qu'il a ensuite offert à M. Jonnart.
Dès la première attaque de la colonne, le général O'Connor dépêcha à
Djenan-ed-Dar pour réclamer des renforts. Une compagnie de tirailleurs se
mit à son tour en embuscade dans les palmeraies tandis que trois compa-
gnies des l*»" et 2" étranger allaient occuper le col de Zénaga.
Le gouverneur général et sa suite regagnent Beni-Ounif pendant que
des civières sont envoyées de ce poste pour ramener nos blessés qui sont
au nombre de treize. Parmi eux se trouvent l'adjudant Martel, qui a le
genou emporté ; le sergent-major Neuendorfif, de la légion étrangère, est
atteint à la cuisse : un légionnaire a la joue traversée. M. Jonnart leur
rend visite et leur prodigue des consolations.
Les Figuiguiens s'élaient embusqués, pour le passage de M. Jonnart et
de sa suite, dans les plis du terrain. Il est certain que plusieurs ont tiré à
moins de 300 mètres à droite et à gauche au moment du passage du gou-
verneur et c'est miracle que personne du groupe, comprenant des civils et
une trentaine d'officiers, n'ait été atteint, car, lorsque les légionnaires firent
un feu continu, les balles des Figuiguiens isolés, cachés dans les palmiers,
partaient en même temps. Mais le groupe de la tète à la queue avait 250 à
300 mètres ; il était flanqué par des spahis qui ne pouvaient pas tirer sur
les Marocains cachés, ni en l'air pour éloigner les bandits, car ils crai-
gnaient d'effrayer nos montures dans un passage horriblement difficile.
On croit que les pertes marocaines sont considérables, car, en plusieurs
endroits, les légionnaires tirèrent à bout portant.
Il résulte des renseignements recueillis que si le retour s'était effectué
i
LES AFFAIRES d'aLGÉRIE
787
par la vallée de la Zénaga, le cortège du gouverneur €Ourait le plus grand
risque d'être anéanti.
ENVIRONS
de
FIGUIG
; Tcnj
us \X7\
■% .>■■'
Echelle
Après la fusillade des Figuiguiens, Tamel a fait remarquer au gouver-
neur que cet incident justifiait ce qu'il lui avait dit de l'état des esprits qui
règne à Figuig.
L'amel, d'ailleurs, après cette attaque, n'a pas osé regagner sa rési-
dence, et il hésite encore à se rendre à Figuig.
Interrogé sur les événements qui venaient de se dérouler, M. Jonnart a
déclaré :
« Je sais maintenant ce que je désirais savoir sur l'état des esprits dans
788 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
« cette région entière. Je constate que les gens de Zénaga sont irréduc-
t tibles et que les autorités marocaines sont absolument impuissantes à
t rétablir Tordre et la sécurité dans cette région. »
Dès le lendemain, en effet, le gouverneur général, après avoir
échange de nombreux télégrammes avec le président du Con-
seil, arrêtait les mesures à prendre à Beni-Ounif, et le 4 juin, à
la Chambre des députés, M. Combes faisait les déclarations sui-
vantes, en réponse à une demande d'interpellation de M. Fir-
min Faure :
M. Emile Coinl}e8, président du Conseil^ ministre de l Intérieur et des
Cultes, — Je demande à M. Firmin Faure de ne pas insister pour la dis-
cussion de son interpellation. Ce que je pourrais dire n'ajouterait guère à
ce que la Chambre connaît d«''jà et ne serait pas sans inconvénient pour
l'exécution des décisions que le gouvernement a prises.
J'espère donc que la Chambre voudra bien se contenter d'une très courte
déclaration.
Messieurs, depuis quelques mois, nos possessions du Sud-Oranais, dans
le voisinage du Maroc, ont été le théâtre de divers attentats contre les per-
sonnes et les biens i\m attestent l'audace, tous les jours croissante, de leurs
autours.
M. le lieutenant-oolonel Rousset. — Il y a vingt ans que cela dure !
M. le président du Conseil, ministre de Tlntérieur et des Cultes. —
Aux crimes isolés ont succédé dos attaques par bandes armées plus ou moins
nombreuses, dont ravant-dernière a été marquée par la destruction ou Ten-
lèvoment d*un grand convoi destiné à nos postes de la frontière.
A la suite de cette violation de notre territoire, le gouvernement a résolu
d'aller chercher les pillards jusque dans leurs repaires.
Le gouverneur général de l'Algérie, désireux de se rendre compte par
lui-même de l'état des choses, dos dangers de la situation, et aussi de récon-
forter par sa parole et sa présence les chefs indigènes et les tribus qui nous
sont soumises, a entrepris une tournée et s'est avancé du côté de Figuigen
compagnie de l'amel qui représente dans cette oasis le sultan du Maroc. Il
a été assailli traîtreusement par plus de 500 bandits et il n'a échappé au
péril que grâce à l'intelligence du général commandant l'escorte et à la
bravoure des soldats. (Applaudissements.)
Ainsi, Messieurs, le devoir s'impose plus que jamais au gouvernement de
punir sévèrement les tribus coupables et d'empêcher par des rigueurs
exemplaires le renouvellement do pareils attentats. Les ordres donnés à
cet elVet depuis plusieurs jours s'exécutent rapidement.
Lf^s troupes jugées nécessaires se hâtent vers les cantonnements qui leur
ont été assignés. Dos que leur concentration, qui ne saurait tarder, aura
été otî'ectuée, la campagne sera menée avec vi^^ueur,
Uion no saurait d'ailleurs nous arrêter. Le traité conclu en 1845 avec le
Maroc nous reconnaît le droit de suite q\\ territoire marocain. Nous en
userons d'autant plus librement, Messieurs, que nous entendons bien cou-
gcrvor à notre action militaire le caractère d'une opération de police. Tout
LES AFFAIRES d'aLGÉRIE 789
le monde sait que nous avons pour principe dirigeant de notre politique,
dans cette partie de TÀfrique, l'intégrité de l'empire marocain.
Nous nous garderons, en conséquence, de donner prise aux soupçons sur
les intentions qui nous animent dans les circonstances actuelles. Nous ne
rêvons ni d'une conquête, ni d'une prise de possession plus ou moins tem-
poraire. Ce sont simplement des représailles contre des bandits et des pil-
lards que nous voulons exercer, comme nous en avons le droit, et nous les
exercerons dans la limite des traités et conventions que nous avons signés
avec le Maroc.
Aucun doute sur ce point ne peut et ne doit exister dans l'esprit du gou-
vernement marocain et surtout dans celui des puissances de l'Europe inté-
ressées à maintenir le statu quo territorial de cet empire.
Ainsi, Messieurs, rassurés sur nos sentiments, ce gouvernement et ces
puissances applaudiront, nous en sommes sûrs, à tout acte de vigueur de
notre part, qui vengera les méfaits commis et qui ôtera à leurs auteurs,
sinon pour toujours, du moins pour longtemps, l'envie de recommencer*
{Applaudissements sur un grand nombre de bancs.)
L'opération, indiquée par le président du Conseil, fut stric-
tement exécutée. Le 8 juin, le générai O'Connor, commandant
la division d'Oran, procédait au bombardement du ksar de
Zénaga.
Voici d'ailleurs le récit officiel de cette opération :
Beni-Ounif, 8 juin.
Au lever du jour, le général O'Connor sortait de Beni-Ounif où avaient
été concentrées toutes les troupes qui devaient prendre part à l'action,
c'est-à-dire 3 bataillons de la légion étrangère, 3 escadrons de cavalerie,
dont 2 de chasseurs d'Afrique et 1 de spahis, plus 1 batterie d'artillerie
comprenant 4 pièces de 75 nouveau modèle, 2 pièces de 80 d'artillerie de
montagne et une batterie de pièces de 95 sur affût de campagne, En tout,
3.500 hommes environ.
Le général O'Connor avait l'intention d'effectuer une reconnaissance,
et de garder et de prendre au besoin les trois cols de la Juive, de Zénaga
et de Tarlat qui, sur la frontière franco-marocaine, donnent accès aux
oasis de Figuig. Voyant la situation propice, le général décida de com-
mencer l'attaque.
L'artillerie passa par le col de la Juive, se portant à 1.200 mètres environ
des premiers remparts de Zénaga. Ces remparts sont en pisé, c'est-à-dire
formés de terre et de boue comprimées; au centre de l'enceinte, à
i.OOO mètres de ces fortifications rudimentaires, s'élèvent les habitations
des Figuiguiens, également construites en pisé.
L'artillerie, comme si elle défilait en parade, arriva sur un petit plateau
et exécuta avec une correction parfaite le mouvement de feu en avant en
batterie. Les disciplinaires, sans armes, remplissaient l'office de servants.
A cinq heures dix, le général O'Connor donna l'ordre d'ouvrir le feu en
lançant des obus à la mélinite dans les remparts extérieurs de Zénaga de
façon à faire une brèche pour découvrir l'horizon et démasquer les habi-
790 QUESTIONS DIPLOHATIQUES ET COLONIALES
tations. Lorsque la muraille fut tombée, le feu fut dirigé sur Tintérieur du
ksar, à 2.200 mètres environ.
L'effet fut foudroyant ; les obus éclataient à Tintérieur des habitations
qui formaient caisse à air, et faisaient tout sauter. Quelques obus furent
ensuite lancés sur différentes oasis, notamment sur Toasis d'Oudaghir, à
une grande distance, de façon à laisser voir aux Marocains la puissance et
la portée de nos canons.
Pour terminer, le feu fut dirigé sur le minaret de la mosquée située à
l'intérieur de Zénaga. Cette mosquée était très vénérée, sa destruction
•fera une grande impression sur les Figuiguiens.
Grâce à la précision de notre tir, le minaret a été coupé en deux, et les
ailes de droite et de gauche éventrées.
Ce sont principalement les pièces de 95 qui ont coopéré à la destruction,
pendant que les pièces de 75 à tir rapide surveillaient les mouvements des
Figuiguiens; ces derniers avaient fait des retranchements devant leurs
/emparts et se tenaient derrière leurs murs. Au moment où le bombar-
dement commença, ils s'enfuirent tous devant les obus.
Les Marocains embusqués dans la palmeraie, entre le col de la Juive et
le col de Zénaga, tirèrent les premiers sur les artilleurs. Ni les hommes ni
les chevaux ne furent atteints.
A onze heures, le général O'Connor donna l'ordre de cesser le feu et fit
rentrer toutes les troupes d'infanterie à Beni-Ounif et les troupes d'artil-
lerie à Djenan-ed-Dar,
A part un goumier indigène qui a été tué au col de Zénaga, nous n'avons
subi aucune perte; nous n'avons pas de blessés.
On. ignore le nombre des tués et des blessés marocains; on ne connaît,
pour le moment, ni l'impression que cet acte de police a produite chez les
Figuiguiens, ni quelles sont leurs intentions.
Le général O'Connor attend que les Figuiguiens viennent à compo-
sition. Toutes les femmes et tous les enfants de Zénaga avaient fui depuis
plusieurs jours.
L'effet du bombardement fut celui que ron pouvait attendre.
Les ksouriens, terrifiés, demandèrent aussitôt à faire leur sou-
mission. Le général O'Connor reçut, le 10 juin, les représen-
tants des djemmaa des sept ksour de Figuig et leiu» imposa ses
conditions. Là encore, nous avons recours aux dépêches offi-
cielles, pour exposer les faits.
Beni-Ounif, 10 juîo.
Dès la première heure du jour, suivant les conditions imposées par le
général O^Connor, les représentants des djemmaa des sept ksour de Figuig
se rendent sur le territoire français pour faire leur soumission.
Ils s'arrêtent au marabout de Sidi Sliman bou Smaha, situé dans le
ksar do Beni-Ounif, à 2.500 mètres du col de Zénaga. C'est Tagha Si
Moulay, du cercle d'Ain-Sefra, en résidence à Tiout, qui ménage Tentre-
Mie qui doit avoir lieu à dix heures du matin entre les djemmaa et le
général O'Connor. Une tente appartenant à l'agha Si Moulay est dressée
près du marabout ; des chaises et une table sont installées sous cette tente.
f
LES AFFAIRES D'aLGÉRIE 791
C'est là que les conditions de soumission vont être imposées aux Figui-
guiens.
Les djemmaa des deux ksour d'Oudhghir et d'Oulah-Sliman, qui n'ont
jamais participé aux attaques dirigées contre nous, se tiennent à part, vou-
lant montrer qu'elles ne se solidarisent pas avec les cinq autres ksour.
En attendant l'arrivée du général O'Connor, les membres des djemmaa
sont assis sur le petit mur en pierre qui borde le marabout de Sidi-Sli-
man ; un groupe de maghzani et de goumiers en armes forme le cercle
autour d'eux.
Les membres des djemmaa entrent ensuite dans le marabout où ils
restent en prière pendant près d'une heure.
Ils en ressortent sans parler, avec cette impassibilité des musulmans qui
fait que tout ce qui les entoure semble les laisser indifférents.
A dix heures moins le quart, est arrivée à la redoute une compagnie de
tirailleurs, clairons sonnants, tambours battants. La compagnie s'est par-
tagée en deux, formant, à droite et à gauche de la tente, une haie
d'honneur.
A dix heures précises, le général O'Connor, à cheval, arrive à son tour,
en grand uniforme. Il est escorté de tous ses officiers d'ordonnance et des
officiers des affaires indigènes. Au milieu du peloton se détache un spahi
qui porte le fanion de la division, rayé blanc et rouge.
A ce moment, le spectacle est vraiment imposant. Le général, ganté de
blanc, salue militairement, pendant que les clairons et les tambours des
tirailleurs sonnent et battent aux champs. Devant la tente du général se
tiennent, rangés à l'alignement, nos soldats et tous les membres des
djemmaa qui viennent de sortir du marabout. Derrière, sur une seconde
ligne, sont rangés les cavaliers du Maghzen, superbement drapés dans
leurs manteaux bleus, et de nombreux goumiers de la région.
Le général O'Connor met pied à terre et rentre sous la tente avec
Tagha Si Moulay, auquel il serre la main. L'interprète militaire de
l""® classe Hamet, de la division d'Oran, dit alors aux représentants des
djemmaa de s'avancer. Ceux-ci se rangent encercle sur le bord de la tente.
Un membre de la djemmaa de Zénaga dit alors :
« Nous désirons vivre en bonne intelligence et en bon voisinage avec les
<c Français. »
Le général O'Connor l'arrête, et, fièrement campé devant les représen-
tants de Figuig, les deux bras croisés sur la poitrine, le regard haut et la
voix ferme, prononce avec énergie, en scandant les mots et en appuyant
sur les passages importants, l'allocution suivante où il impose ses condi-
tions :
ALLOCUTION DU GÉNÉRAL 0*CONNOR
La France est patiente, parce qu'elle est juste et parce qu'elle est
forte. Mais elle entend rester toujours la maîtresse de l'heure. Depuis
plus de viivgl ans, les Algériens s'efforcent de vivre avec vous en
bons voisins. Vous, vous n'avez employé à leur égard que des pro-
cédés mauvais et injustes : vol, pillage, assassinat. Le Figuig est
devenu, depuis deux ans surtout, un véritable repaire de bandits. Il
faut que cela cesse, et cela cessera, je vous Tafflrme.
''^c;è^i'ÏQiEr Rissani
Es ^îf?bô^i o Abouam
- ; ■ V»- • ik.
à
{/
K
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O^tatBerdij
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794 QUESTIONS DIPLOMATIQUKS ET COLOIOALES
Avant-hier, j*ai infligé comme premier avertissement pour toos
les ksour nn commencement de châtiment au ksar de Zénaga, et suis
prêt à continuer s'il est nécessaire.
Des gens mal intentionnés vous ont dit que la France vons punis-
sait parce que beaucoup d'entre vous s'étaient déclarés pour le pré-
tendant et contre le sultan Abdul-Aziz. Cest faux; ils vous ont
trompés.
Jamais la France ne fait acte de parti en intervenant chez ses voi-
sins; de même les djemmaa de vos ksour conservent toutes leurs
libertés et toute leur autorité.
Mais qui dit autorité dit responsabilité. Elles supporteront donc
toute la responsabilité des actes répréhensibles commis par les leurs
ou par ceux qu'elles reçoivent. Lorsque Allah veut châtier ses servi-
teurs qui sont sortis du droit chemin, il donne pour les punir la force
à qui il veut, et vous savez qu'il vous est ordonné de vous incliner
devant sa volonté.
Non seulement la France ne désire pas l'abaissement ni la ruine
de Figuig, mais tout au contraire sa prospérité. Si vous savez com-
prendre et faire le nécessaire grâce au chemin de fer que nous venons
de pousser à vos portes, le Figuig doit devenir le grand entrepôt du
Sud-Ouest et arriver à une prospérité qu'il n'a jamais connue jus
qu'à ce jour; mais la première condition est la sécurité. Je suis venu
pour l'assurer, et je l'assurerai sans reculer devant aucun moyen, s'il
est nécessaire.
Mon mandataire va vous donner connaissance des conditions que
j'exige de vous, comme réparation d'abord, puis surtout comme
garantie pour l'avenir. Je n'admets pas qu'elles soient disculées.
Ce discours est traduit en arabe phrase par phrase par l'interprète mili-
taire. Il produit une profonde impression sur les assistants. Pendant le
temps que durent rallocution du général O'Connor et la traduction de l'inter-
prète, les Figuiguiens restent immobiles et silencieux. Le général ajoute :
« Maintenant, je vais vous laisser avec mes mandataires qui vous feront
connaître quelles sont mes conditions. »
A ce moment, un représentant de Zénaga avance la main pour la tendre
au général ; celui-ci la repousse d'un geste et sort de la tente sans saluer.
Tous les Figuiguiens s'inclinent et portent la main à la hauteur de leur
front, en faisant le salut militaire.
Le général, escorté de ses officiers d'ordonnance, remonte à cheval, se
dirigeant au trot vers la redoute de Beni-Ounif, pendant que les clairons
et les tambours sonnent et battent aux champs.
Les Figuiguiens entrent alors sous la tente, et le capitaine Fariau, chef
des affaires indigènes de la division d'Oran, transmet aux Figuiguiens les
conditions imposées par la France.
« Un délai de vingt-quatre heures leur a été accordé pour conférer avec
leurs mandants et faire connaître leur réponse, ces conditions étant à
accepter ou à refuser en bloc sans modifications.
LES AFFAIRES d'aLGÉRIE 795
Les vingt-quatre heures écoulées, les représentants des sept
ksour de Figuig arrivaient au marabout de Sidi-Sliman et
déclaraient qu'ils acceptaient sans discussion les conditions
fixées dont voici le détail :
1® Relations de bon voisinage;
2° L'accès des ksour est interdit aux fauteurs de troubles;
3" La liberté et la sécurité sont assurées aux Français se rendant dans
les ksour;
4° La responsabilité des méfaits et livraison des malfaiteurs sur la
demande des autorités françaises.
5« L'interdiction de franchir les cols en armes sans autorisation;
6° Les ksouriens devront aviser les autorités françaises des événements
importants ;
70 Une indemnité de guerre de 60.105 francs est imposée à l'ensemble
des ksour qui devront en outre livrer un certain nombre d*armes et
remettre 14 otages.
En échange, la France confirme la liberté, la sécurité et les droits de
propriété sur son territoire.
Le même soir, 11 juin, à cinq heures, le général O'Connor
passa une grande revue de toutes les troupes actuellement à
Beni-Ounif : il félicita vivement les officiers et les hommes de
leur superbe attitude; puis les troupes regagnèrent leur camp.
L'incident de Zénaga peut donc être considéré comme réglé.
A vrai dire, Ton a été généralement surpris d'une solution si
prompte, qui ne semble comporter que de très médiocres répa-
rations pour le passé et de trop faibles garanties pour l'avenir.
C'est ce qu'exprime ainsi VEclair :
A l'issue, cette affaire de Figuig nous apparaît comme une vaste fumis-
terie. Elle avait mieux débuté. L'opération militaire semble avoir été
remarquablement conduite. L'effet nous en a bien été un peu gâté par des
dépêches d'une emphase déplacée; mais c'est un mérite, non méprisable
en somme, que d'avoir su obtenir, sans verser une goutte de sang français,
le résultat qu'on avait en vue. Je dis : résultat tactique ; quant à l'autre, le
politique, on ne l'aperçoit pas. Et c'est l'étonnement universel que le
médiocre profit qu'on a tiré de la rapide victoire de nos troupes.
On nous avait vanté la parfaite connaissance qu'avait le général
O' Connor du caractère des Arabes, la sage méfiance où il se tenait de leur
perfidie, de leur facilité à violer les engagements les plus solennels. Et le
langage ferme que nous lui avons vu tenir confirmait bien celte apprécia-
tion. Qui donc alors a dicté les étonnantes conditions qu'on nous a fait
connaître de la capitulation consentie aux oasis? Les Figuiguiens nous
« promettent » d'entretenir avec nous « des relations de bon voisinage »,
d'interdire l'accès des ksour aux fauteurs de troubles, d'assurer la sécu-
rité des Français, de livrer à nos autorités les auteurs des agressions
éventuelles, de ne pas franchir en armes les cols sans notre autorisation,
796 QUESTIONS DIPLOBIATIQUES ET COLONIALES
de nous aviser de tous les événements importants et de nous payer une
indemnité de guerre de 60.000 francs. Un point, c'est tout.
Les Figuiguiens nous donnent de bonnes paroles et nous nous en con-
tentons. C'est nous qui paierons les frais de la guerre. Il est évident que
nous ne verrons jamais un sou des 60.000 francs qu'ils s'engagent à nous
verser. Et, d'ailleurs, quelle garantie prenons-nous contre leur mauvaise
foi? Aucune. On devait les désarmer; on ne le fait môme pas. Ils livreront
pour la forme « un certain nombre d'armes d. Sans doute, il n'eût pas été
d'une bonne politique d'annexer Figuig et personne ne le demandait. Mais
tout le monde pensait que, sans nous emparer de la redoutable oasis, nous
allions y établir et y assurer l'autorité du sultan, sous la protection de nos
canons. Il est impossible de comprendre pourquoi nous ne l'avons pas fait.
Toutefois il est juste de reconnaître que d'autres esprits ont
apprécié les faits d'une façon plus optimiste. C'est ainsi que
nous lisons dans le Journal des Débats la note suivante ;
Les dernières dépêches de Beni-Ounif présentent comme définitive 1^
soumission des habitants de ksour de Figuig. Ceux-ci, par l'entremise des
membres des djemmâa, se sont inclinés devant les conditions, très pré-
cises, que le général O'Connor leur avait imposées au nom du gouverne-
ment général. Ce sont des conditions assez dures pour Tamour-propre des
indigènes, qui livrent des otages et se voient empêchés de circuler dans
une certaine zone sans notre autorisation. Elles sont, d'autre part, assez
onéreuses (stipulant une forte indemnité} pour que le souvenir en pèse
lourdement sur les habitants les plus frappés et leur enlève toute velléité
de nouveaux guet-apens. Il y a donc lieu d'espérer que l'affaire se termi-
nera là. « L'opération de police » que M. Jonnart avait désiré voir
s'accomplir, selon un programme qu'il avait nettement délimité, n'a
entraîné de notre côté aucuue perte d'hommes; elle s'arrête sur un pre-
mier exemple, à un point précis qui parait ne devoir pas être dépassé. On
évite les fatigues et les sacrifices d'une expédition qui, à cette époque de
l'année, était particulièrement inquiétante. L'honneur en revient aussi
bien au gouverneur général qui, même après l'attentat de Zénaga, a con-
servé tout son sang-froid et la fermeté de ses desseins, qu'au général
O'Connor, qui a exécuté ses instructions en faisant preuve de la grande
connaissance de l'état d'esprit des indigènes et d'une superbe crânerie
militaire.
Quoi qu'il en soit, la soumission des ksouriens de Figuig
n'est pas une solution définitive. Il reste à résoudre toute la
question des tribus qui nous ont enlevé nos convois, tandis
que les Figuiguiens n'ont guère été que leurs receleurs et
n'avaient jusqu'ici sur la conscience que quelques coups de
fusil isolés sur nos postes et nos factionnaires à Beni-Ounif
et à Duveyrier.
Le plus aisé est fait ; le plus malaisé reste à faire.
Or, il est certain que la nouvelle attitude prise parle gouver-
nement en Algérie n'est pas de nature à faciliter notre action.
LtS AFFAIRES D^ALGÉRTE 797
Le programme, arrôté par M. Revoil pour mettre à la raison
ces turbulentes tribus, consistait à créer à Beni-Abbès une
4® compagnie saharienne, en faisant remonter vers le Nord les
troupes de la guerre qui, dans le Sahara, ne peuvent rendre
d'utiles services. On multipliait ainsi les troupes sahariennes,
troupes légères, dans ces régions, et Ton réservait Temploi des
troupes de la guerre seulement comme appui et de préférence
le long de la voie ferrée où elles ne coûtent pas plus cher qu'en
station. C'est en effet la seule solution pratique. Toute autre
disposition entraînerait des difficultés inextricables pour
atteindre et poursuivre ces insaisissables malfaiteurs.
En outre, cette action doit Otre menée de façon très déli-
cate, pour ne pas encourager les intrigues étrangères à Fez et
ne pas effaroucher le Maghzen. M. Revoil avait su, comme
après lui M. Saint-René Taillandier, très habilement préparer
les voies, en renouant, entre le Maghzen et nous, des rapports
sincèrement amicaux. Le représentant du sultan. Si Moham-
med el Guebbaz, était même venu en Algérie, où il est encore,
pour fixer avec nous les derniers points qui restaient à
régler.
Or, on a pu craindre malheureusement de voir abandonner
cette sage politique. Une partie notable de Topinion oranaise
paraît disposée à ne tenir aucun compte de l'entente féconde
conclue entre le Maghzen et nous. Il suffit, pour s'en rendre
compte, de relire certains articles de journaux locaux qui,
comme VEcho cVOran^ ne craignent pas d'appeler l'incident
de Figuig Vinciderit libérateur,
U incident libérateur : n'est-ce pas ainsi qu'il conviendra de désigner
l'attaque que M. le Gouverneur général et son escorte ont subie en vue de
Figuig, au col de la Juive, s'il a pour conséquences heureuses de nous
délivrer de tous les ambassadeurs et chefs de mission que nous avons été
pompeusement chercher à Tanger, et que nous entretenions largement à
Alger aux frais des contribuables français?
N'est-il pas temps, en effet, de renvoyer d'où ils viennent ces négocia-
teurs du sultan de Fez — et non du Maroc qui ne lui appartient pas — qui
viennent de nous démontrer jusqu'à quel point ils sont dépourvus d'auto-
rité sur les tribus qui nous avoisinent ?
N'était-ce pas humiliant de voir présenter solennellement à Tlemcen au
Président de la République cet amel fugitif d'Oudjda — fonctionnaire
marocain in partibus infidelium? — Aurait-on jamais imaginé de faire
recevoir par le Roi d'Italie le sous-préfet de Sisteron ou celui de Barce-
lonnette, si ces honorables fonctionnaires avaient été chassés de leur sous-
préfecture et s'étaient réfugiés en Italie?
Ne peut-on poser utilement aujourd'hui à M. Mohammed el Guebbaz, que
nous avons institué diplomate pour le plaisir de discuter avec lui, le
798 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
dilemme suivant : ou le sultan de Fez et vous-même ainsi que votre
umel de Figuig aviez une autorité quelconque sur les gens de cette oasis,
v-i alors vous êtes complices de l'attentat qu'ils ont commis, et, par suite,
vous n'avez qu'à rejoindre votre illustre maître; ou le sultan de Fez, vous
i*l votre amel n'aviez aucune autorité sur les Figuiguiens, et alors de quel
'Irôit discutiez-vous avec nous la question de la gare de Beni-Ounif, le
i racé de notre chemin de fer et les rapports pouvant exister entre nous et
les populations de cette région? Dans ce cas encore, retournez au plus
vite auprès de votre puissant maître.
De toute façon, cessez de vous occuper de nos affaires et regagnez
Tanger. Nous saurons bien, sans votre assentiment inutile, régler nos dif-
férends avec les tribus de notre frontière.
Et ainsi l'incident de Beni-Ounif nous aura délivrés d'une politique
jiOfaste, et ce sera, comme nous le disions, un fait libérateur.
Est-ce à cet état d'esprit qu'obéissait le gouverneur de l'Al-
gérie, lorsqu'une première fois il « refusait de recevoir Si
ii Mohammed et Guebbaz venu à Saïda pour lui exprimer ses
0 regrets de l'incident de Beni-Ounif ».
Cette résolution inattendue devait émouvoir notre ministre
lies Affaires étrangères, et c'est certainement la raison pour
laquelle M. Jonnart, modifiant à Alger son attitude, est allé
rendre visite à l'envoyé chérifien, comme Tannonce la dépêche
suivante :
Alger, 9 juin (par dépêche].
Le gouverneur général, accompagné de M. Aynard, directeur de son
i'abinet, et du lieutenant de Tilly, de sa maison militaire, s'est rendu cet
après-midi auprès de Mohammed el Guebbaz, chef de la mission marocaine
i|m est revenue à Alger.
M. Jonnart a remercié Mohammed el Guebbaz de la démarche que
re[irésentant du Maroc a faite auprès de lui, à Saîda, le lendemain de
Taî tentât de Zénaga, pour lui exprimer les vifs regrets du sultan.
Il n'y a plus lieu d'insister; on n'aurait pu que déplorer des
mesures qui pouvaient compromettre tout le parti français au
Maroc et placer notre ministre à Tanger dans la situation la
plus fausse.
Les puissances européennes, et notamment l'Angleterre, ne
craignaient qu'une chose : notre entente avec le sultan; ne
rivaient qu'une chose de notre part : des actes imprudents et
bruyants qui leur permissent d'intervenir. On juge de leur
joie en présence de l'incident de Zénaga qui posait de nouveau
bien inopportunément, devant l'Europe entière, la question du
Maroc.
J.-II. Franklin.
CHRONIQUES DE LA QUINZAINE
RENSEIGNEMENTS POUTIQUES
I. — EUROPE.
France. — M. Loubet à Londres et le roi d* Italie à Paris, — Deux
communiqués de V Agence Havas viennent de donner un caraclèn?
définitif et officiel aux projets de voyage de M. Loubet en Angleterr-^
et du roi d'Italie en France.
La visite du Président de la République au roi d'Angleterre esl
fixée au 6 juillet. M. Loubet arrivera à Londres dans Taprès-midi et
en partira le jeudi 9 dans la matinée. Il sera accompagné de M. Dal-
cassé. Durant son séjour, M. Loubet sera Thôte du roi au palais de
Saint-James ; mais il offrira au roi un dîner de gala qui aura lieu h
l'ambassade de France.
Quant à la visite du roi d'Italie, elle est fixée au 16 juillet. Le roi
descendra au ministère des Affaires étrangères et sera notre hôLr
durant trois jours. Pour accentuer encore le caractère de sa visito
et lui donner plus de portée, le roi, ajournant au mois de novem-
bre son voyage en Angleterre, viendra directement de Rome à Parii^
et rentrera directement à Rome. L'amiral Morin, ministre des
Affaires étrangères, accompagnera le roi, de manière à bien préciser
l'importance politique de ce voyage.
— Oroupemmt des forces militaires dans les colonies, — Un décreLj
rendu sur la proposition des ministres de la Guerre et des Colonies^
institue un système de groupement de toutes les forces militaires
stationnées aux colonies.
En effet, pour tirer le meilleur parti de ces forces disséminées sur
toute l'étendue de notre domaine colonial, pour pouvoir les concen-
trer plus rapidement, s'il était nécessaire, sur les points les plus
importants que leur situation stratégique, économique ou politique,
exposerait plus particulièrement aux tentations de l'ennemi, il y
avait le plus grand intérêt à grouper dans une même organisation
militaire et à placer sous un seul commandement celles qui, par
leur voisinage ou la facilité de leurs communications, pourraient
en cas de guerre, se prêter un mutuel appui et coopérer à la défense
du point le plus menacé.
Il est formé dans ce but, en dehors de l'Algérie et de la Tunisie ,
cinq groupes de colonies, dans chacun desquels toutes les forcer
T ^^T= ■.^■^.
HOO QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
militaires sont réujiies sous un même commandement supérieur.
1" groupe : Indo-Chine.
2« groupe : Afrique occidentale (Sénégal, territoire de la Séné-
gambie et du Niger, territoires militaires de l'Afrique occidentale
française, Guinée française, Côte d'Ivoire, Dahomey, Congo français
et territoire du Tchad).
3*^ groupe : Madagascar (colonie principale), la Réunion, les Go-
mores.
4*^ groupe : les Antilles (Martinique, Guadeloupe et dépendances,
Guyane).
5* groupe : Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Tahiti).
Voici les autres dispositions principales du décret :
Chaque groupe aura un conseil de défense unique.
L'organisation et la composition des forces militaires afifectées à
chaque groupe, ainsi que leur répartition entre les colonies du
groupe, sont arrêtées par le ministre des Colonies, après avis de-
mandé au ministre de la Guerre.
Dans chaquegroupe,lecommandementsupérieur de l'ensemble des
forces militaires, ainsi que des services ou établissements qui lear
sont affectés, est exercé, sous la haute autorité du gouverneur géné-
ral ou gouverneur de la colonie principale, par un officier général
ou supérieur qui prend le titre de commandant supérieur des
troupes du groupe.
Les détachements stationnés dans les colonies autres que la colo-
nie principale du groupe sont placés sous le commandement de
Tofficier d'infanterie ou d'artillerie coloniales le plus ancien dans le
grade le plus élevé. Cet officier prend le titre de commandant du
détachement ou des détachements, selon le cas. «
Il est sous la haute autorité du gouverneur de la colonie, à l'égard
duquel il est responsable de l'emploi des troupes dans l'intérieur de
la colonie.
Le gouverneur de chaque colonie continue à correspondre direc-
tement avec le ministre des Colonies pour tout ce qui concerne
remploi des troupes stationnées dans la colonie qu'il est chargé
d'administrer.
En temps de guerre, les troupes et services stationnés dans une
des colonies d'un groupe, y compris les réserves locales, peuvent
i.-tre appelés, en totalité ou en partie, à rallier la colonie principale
ou toute autre colonie du groupe sur Tordre du ministre des Colo-
nies, ou, en cas de nécessité, sur réquisition du gouverneur général
ou gouverneur de la colonie principale, prise sur la proposition du
commandant supérieur des troupes et après avis conforme du con-
seil de défense. Il en est rendu compte au ministre des Colonies.
RENSEI6N£ME?fTS POLITIQUES
801
Angleterre. — Libre-échange ou protection, — Depuis longtemps les
tendances protectionnistes de M. Chamberlain ne sont un mystère
pour personne. La protection est d'ailleurs le corollaire obligé de
rimpérialisme et certaines mesures fiscales destinées à protéger le
commerce colonial ont déjà prouvé que M. Chamberlain accepte
sans hésitation les conséquences économiques de sa politique. Tou-
tefois la question n*avait pas encore été posée franchement, bruta-
lement devant le pays. C'est ce qui a été fait, il y a quelques jours, le
10 juin, à la Chambre des Communes, à propos de la taxe sur les
blés. L'opposition avait choisi ce prétexte pour mettre le gouverne-
ment au pied du mur. M. Chaplin, en demandant au ministre des
Finances s*il entendait maintenir longtemps encore une taxe pure-
ment fiscale, conséquence essentiellement temporaire de la guerre
du Transvaal, mettait en cause toute la politique gouvernementale.
Personne ne s'y est trompé, et M. Richtie, ministre de l'Intérieur,
moins que tout autre, car il crut devoir se séparer nettement sur le
terrain économique de son collègue M. Chamberlain et faire une
solennelle profession de foi libre-échangiste.
Ces déclarations, appuyées par des déclarations analogues de
M. Hicks Beach, l'ancien ministre des Finances, et par les discours
très catégoriques des principaux leaders de l'opposition, produisi-
rent une très vive sensation. Le bruit courut même que M. Cham-
berlain allait donner sa démission et que le ministère ne pourrait
survivre à ce choc. Il n'en a rien été. M. Balfour, en effet, par ua
expédient, qui ne pouvait faire illusion à personne, a réussi k
écarter un débat décidément trop dangereux. Il semble certain
maintenant qu'il n'y aura pas de crise ministérielle avant les
vacances. Mais la question n'en reste pas moins nettement posée. Il
faudra un jour prochain — un jour qui ne peut être loin — la
résoudre dans un sens ou dans l'autre.
Italie. — Le motivement irrédentiste en Italie. — Des manifestations
hostiles aux étudiants italiens se sont récemment produites k
Innsbrilck et ont provoqué en Italie des manifestations contraires,
d'un caractère particulièrement violent, qui mettent de nouveau en
lumière les causes de différends existant entre l'Autriche et l'Italie.
La source primitive et permanente de l'hostilité des Italiens contre
l'Autriche est l'ensemble des revendications qui ont donné.naissance
au mouvement irrédentiste : Trieste et le Trentin, peuplés en majo-
rité d'Italiens, sont demeurés séparés de la mère patrie et, de plus,
sont soumis à un régime passablement oppressif. Si les irrédentistes
tournent exclusivement les regards vers cette région, au lieu de les
diriger, par exemple, vers la Corse ou le Tessin, qui se trouvent
exactement dans la même situation ethnographique, c'est que la
QuEST. DiPL. ET Col. — t. xv. 51
ï
802 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
main de TAutriche s'y fait sentir lourdement, dans le domaine admi-
nistratif ou particulier. Elle refuse au Trentin toute autonomie et ne
Yeut pas accorder satisfaction au désir assez légitime, exprimé par
ses sujets italiens, d*avoir tout au moins une Faculté de droit ita-
lienne à Trieste, puisque des chaires où renseignement est donné en
italien existent déjà à TUniversité dlnnsbrûck. Ces revendications
déjà anciennes prennent, du fait des récents événements, un carac-
tère d^acuité assez grave, et les changements qui se produisent pea
à peu dans la situation générale de ces provinces contribuent,d'aQtre
part, à exaspérer les irrédentistes. A Tinfluence autrichienne se sub-
stitue en effet de plus en plus Tinfluence allemande^ représentée
surtout par le parti pangermaniste. Le Schulverein allemand, subven-
tionné de Berlin, y fonde des écoles allemandes de tous côtés; on
établit dans ces régions pittoresques des hôtels et restaurants alle-
mands; on germanise jusqu'à Talpinisme. Le parti allemand mili-
tant empêche la construction des voies ferrées qui relieraient les
centres italiens et cherche à interposer entre eux, par rorientation
des lignes de chemin de fer, des centres allemands. Ainsi donc, non
seulement l'Italie ne voit aucun moyen de réunir à elle ces provinces,
mais elle a de plus à craindre d'avoir à entreprendre une véritable
conquête morale, par suite des changements qui se seront produits
dans la population, dans sa langue, dans son esprit général, si
jamais le rêve irrédentiste se réalisait.
A la question irrédentiste s'ajoutent les difficultés d'ordre général
pendantes entre TAutriche et l'Italie.
Tout d*abord la question d'Albanie. L'Autriche déclare ne chercher
en Albanie que des débouchés commerciaux et n*ambitionner, pour
la plus grande partie de cette province, que l'autonomie, le jour où
elle se séparerait de la Turquie. Nous disons « pour la plus grande
partie », car l'Autriche entend bien occuper cependant la partie de
l'Albanie qui s'étend au Sud de la Bosnie jusqu'un peu au delà de
ï- Mitrovitza, cette région constituant, pour un pays appelé à inler-
\ venir dans les questions balkaniques, une position stratégique de
f premier ordre. Quant au reste de l'Albanie, elle entend le voir
demeurer libre. L'Italie préconise, au contraire, une politique de
partage. Sans doute, elle a signé avec l'Autriche une convention
' maintenant le statu quo en Albanie, mais elle voudrait que cette con-
vention soit revisée dans le sens d'un partage que l'Autriche se
refuse à admettre, car ce serait presque faire de l'Adriatique un lac
italien.
La question économique intervient également. L'Autriche-Hongrie
a dénoncé son traité de commerce avec l'Italie et il est extrêmement
douteux qu'elle consente à lui continuer le traitement de faveur
accordé jusque-là à ses vins, car la Hongrie, productrice importante
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 803
de vins, voudrait se réserver le marché autrichien. Le préjudice
serait considérable pour Tltalie et le gouvernement italien se voit
forcé de préparer un projet de tarifs très élevés, constituant une
véritable arme de guerre contre TAutriche.
Enfin l'Italie redoute les tendances politiques de Tarchiduc Fran-
çois-Ferdinand, héritier présomptif du trône d'Autriche. Déjà l'em-
pereur François-Joseph a vivement mécontenté les Italiens en ne
rendant jamais au roi Humbert la visite que celui-ci lui avait faite à
Vienne (l'entrevue de Venise ne saurait, en effet, être comptée
comme un équivalent). L'héritier présomptif a toujours évité de
passer par Rome, et sa femme, la princesse Hohenberg, assiste à
des réunions où sont votées des résolutions tendant au rétablis-
sement du pouvoir temporel. On sait qu'aucune question ne tient
plus à cœur aux Italiens que la reconnaissance sans restrictions des
événements qui ont parachevé, en 1870, la création de leur jeune
royaume, et l'attitude de l'empereur et de l'archiduc est de nature
à provoquer, sinon des appréhensions concrètes, tout au moins
une grande méfiance.
Il est assez caractéristique de voir des journaux comme le Carrière
Mla Sera et le Oiornale (Tltalia — qui, il y a quelques semaines, pré-
conisaient une union plus étroite avec l'Autriche en vue d'une inter-
vention active delà politique italienne dans la question des Balkans
— se joindre, malgré tout et quoique à regret, au courant d'opinion
qui soulève leur pays. Le gouvernement ilalien, à qui, au début, ces
manifestations ne semblaient pas déplaire et qui laissait volontiers
passer dans la presse officielle des attaques contre l'Autriche, vient
de se ressaisir et semble disposé à arrêter le mouvement. Le comte
Nigra, ambassadeur d'Italie à Vienne, dont on annonçait la pro-
chaine retraite, reste à son poste dans ces circonstances difficiles,
et tout porte à croire que l'agitation va s'apaiser. Mais il serait
superficiel de qualifier de feu de paille ce mouvement d'opinion, car
il a pour origine des causes permanentes qui peuvent, à chaque
instant, le faire renaître. Le gouvernement autrichien pourrait, avec
quelque complaisance, faire disparaître ou atténuer certaines de ces
causes de conflits. Il n'y semble guère disposé, non pas sans doute
par hostilité de principe, mais, forcé de satisfaire aux revendica-
tions auçsi acharnées que contradictoires formulées par les éléments
qui composent l'Autriche-Hongrie, il doit être lui-même embarrassé
tout le premier. L. J.
Serbie. — U assassinat du roi et de la reine de Serbie. — Un drame
terrible a ensanglanté, dans la nuit du 10 au il juin, le palais royal
de Belgrade et mis fin à la dynastie des Obrénovitch. Le roi
Alexandre et la reine Draga ont été massacrés et avec eux les deux
■V
i
804 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
frères de la reine, Nicodème et Nicolas Liunievitza, le président du
Conseil, Zinzar Markovitch, le ministre de la Guerre, Miiovan Pav-
lovitch, et plusieurs officiers de la garde.
Le complot a été exécuté par de jeunes officiers, mais les fils en
ont été tenus certainement par des hommes politiques. Préparé de
longue date, il ne devait pas éclater encore. Mais il a été hâté par le
bruit qui courait que la nouvelle Skoupchtiua, élue sous une terrible
pression électorale, sans un settl opposant, et réduite, par là, à
être une simple Chambre d'enregistrement royal, allait régler défi-
nitivement la question de la succession au trône en consentant à
reconnaître Liunievitza, frère de la reine Draga, comme héritier
présomptif. Ce bruit, répandu à tort ou à raison, précipita les
choses.
Leur détestable besogne une fois accomplie, les conjurés, sui-
vant un plan établi d'avance, ont immédiatement constitué un nou-
veau gouvernement ainsi composé :
Yovan Avakoumovitch, président du Conseil, sans portefeuille;
Ljoubomir, ministre des Affaires étrangères;
Stojan Protitch, ministre de l'Intérieur;
Georges Gentchitch, ministre du Commerce ;
Le général Yovan Atanazkovitch, ministre de la Guerre;
Voislav Velkovitch, ministre des Finances ;
Le colonel Alexandre Machine, ministre des Travaux publics ;
Le professeur Ljoubomir Atoîanovitch, ministre des Cultes;
Ljoubomir Ghivkovitch, ministre de la Justice.
Le nouveau gouvernement a fait afficher aussitôt la proclamation
suivante :
AU PEUPLE SERDE
Cette nuit, ont été fusillés le roi et la reine. Dans ce moment anxieux
pour les destinées de la Serbie, les amis de la patrie et du peuple se sont
unis pour former un nouveau gouvernement.
En annonçant ce fait au peuple serbe, le nouveau gouvernement est con-
vaincu que le peuple serbe se groupera en masse autour de lui et Taidera
à maintenir dans tout le pays Tordre et le respect du droit.
Le gouvernement fait savoir, par la présente proclamation, qu'à partir
de ce jour, la Constitution du 6 avril 1901 entre en vigueur. La représen-
tation nationale dissoute par proclamation du 24 mars est convoquée pour
le 15 juin à Belgrade.
Le 15 juin, la Skoupchtina, réunie ainsi en séance extraordinaire,
a élu roi, à l'unanimité, Pierre Karageorgevitch; celui-ci a accepté
la couronne et a pris le nom de Pierre I".
Il est pour le moment très difficile d'apprécier les conséquences
possibles de ce drame qui reste encore essentiellement d'ordre inté-
rieur. Mais il est possible qu'il ait quelque prochaine répercussion
RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 805
sur la politique européenne et nous ne saurions partager Toptimisme
de notre ministre des Affaires étrangères qui déclarait au lendemain
de ces tragiques événements que la France n'avait pas à s'en préoc-
cuper, n'ayant pas d'intérêts directs en Serbie.
n. ^ AFRIQUE.
Algérie. — Les tribunaux répressifs. — M. Vallé a présidé la pre-
mière séance, qui s'est tenue le 9 juin, de la commission qu'il a con-
stituée pour examiner les modifications à apporter aux décrets ayant
constitué les tribunaux répressifs indigènes en Algérie. Le garde des
sceaux, dans une allocution d'ouverture, a rappelé les termes de
l'ordre du jour de la Chambre où celle-ci engageait le gouvernement
<K à assurer aux inculpés les garanties inséparables de toute justice
« et, en même temps, aux colons, la sécurité indispensable >.
M. Vallé s'étant retiré, la commission a immédiatement commencé
ses travaux. Nous en reparlerons ultérieurement.
Afrique Occidentale. — Délimitation de nos territoires. — Le dernier
courrier de la côte d'Afrique apporte de bonnes nouvelles de la mis-
sion franco-anglaise chargée d'opérer la délimitation de la frontière
située entre le Niger et le Tchad, frontière résultant de la convention
signée en juin 1898. Cette mission a déjà, parait-il, établi le point
exact de Sokoto, ignoré jusqu'alors. Or, on se souvient que ce point
a une importance considérable, puisque c'est autour de lui que court
le rayon de 100 milles, qui est appelé à servir de frontière entre les
possessions anglaises et françaises.
D*après ce que nous croyons savoir, les études de la mission modi-
fieraient beaucoup la situation actuelle. C'est ainsi que certains points
qui, à rOuest, se trouvaient en territoire anglais, vont se trouver
compris en territoire français; par contre, à l'Est, notre position per-
drait plusieurs points assez importants.
La mission, au reste, poursuit activement ses études, non sans de
grandes difficultés, la région de Sokoto étant en effervescence à la
suite des récentes opérations anglaises contre le sultan du pays.
D'autre part, le 8 juin, est arrivé à Marseille le D' Maclaud, admi-
nistrateur des colonies, chargé par le. ministère de diriger les opéra-
tions de délimitation entre la Guinée portugaise et nos possessions
de l'Afrique Occidentale. Ces travaux de délimitation, interrompus
par la mauvaise saison, dureront vraisemblablement encore une
année.
Le lieutenant Brocard, de Tinfanterie coloniale, second de la
mission, rentrera par le prochain courrier.
BOG QUESTIONS DIPLOMATIQURS BT COLONIALBS
En même temps est également arrivée la section française de la
commission de délimitation qui vient de fixer la frontière entre la
colonie anglaise de la Côte d*Or et nos colonies de la Côte dlvoire
il du deuxième territoire du Soudan ; elle comprenait Tadministrateur
Delafosse, chef de mission ; le capitaine Bouvet, de Tartillerie colo-
niale, et le lieutenant Lafargue, de l'infanterie coloniale.
Les opérations de délimitation se sont effectuées sans incident et,
^1 âce à la bonne harmonie qui n'a cessé de régner durant ces dix-
huit mois de voyage entre les commissaires anglais et français, toutes
les questions litigieuses ont pu être réglées d'une façon satisfaisante.
Madagascar. — Instructions sanitaires du général Oallieni. — Le
général Gallieni vient d'adresser au directeur du service de santé et
rmx administrateurs des différentes provinces de l'île des instructions
sanitaires très détaillées ayant pour objet de préserver les grands
ports de la colonie des épidémies pestilentielles fréquentes dans les
possessions européennes de l'hémisphère austral et, notamment,
dans les colonies anglaises des Indes, de Maurice et du Cap où elles
causent, chaque année, de grands ravages.
Ces instructions, qui constituent un véritable programme de mobi-
lisation sanitaire en cas de peste, de choléra ou de fièvre jaune, con-
firment et généralisent les mesures sanitaires qui, à Tamatave, en
1897 et 1898, et à Majunga, en 1902, ont permis d'enrayer rapide-
ment les dernières épidémies et d'en limiter les effets sur la popula-
tion européenne et indigène.
En exécution de ces instructions et en attendant la promulgation
dans la colonie de la loi de 1902, des conseils sanitaires et des com-
missions des logements sont institués en permanence pour veiller à
la santé publique et empêcher la contamination par voie mari-
llme.
Des mesures analogues sont prises pour les provinces de Tintérieur.
Un service télégraphique d'observations météorologiques mari-
limes ayant pour objet la prévision des tempêtes et des cyclones
vient d^étre organisé entre l'Afrique du Sud et les principaux ports
de Madagascar et Tananarive.
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES
I. — AFRIQUE.
Madagascar. — Le commerce des vins. — La consommation du vin a
suivi, depuis 1897, une progression constante, ainsi qu'on peut s'en
rendre compte par le tableau suivant qui donne la valeur des vins
importés :
1897 { .018.724 fr.
1898 1.164. 341 »
1899 2.171 .653 »
1900 2.322.911 »
1901 2.512.535 »
1902 3.345.658 »
Cette consommation ne peut que progresser au fur et à mesure de
Taccroissement de la population européenne de Tile. D'ailleurs, dans
plusieurs régions, les indigènes se mettent peu à peu à boire du vin.
Toutefois, le Bulletin économique de Madagascar^ auquel nous
empruntons ces renseignements, signale la mauvaise qualité de cer-
tains produits importés dans la colonie, et les conséquences fâcheuses
qu'elle pourrait avoir, en amenant une réduction dans la consom-
mation.
Il n'est presque pas vendu de vin blanc à Madagascar.
Le vin de coupage est consommé par les indigènes de la côte, à
cause de la modicité de son prix et de sa forte teneur en alcool; il
revient à 60 centimes environ, la bouteille, prise à Tamatave.
La barrique de 225 litres de vin rouge ordinaire, rendue à Tama-
tave, revient à 115 francs; le blanc est vendu 140 francs. Les vins fins
arrivent par caisses de 12 à 24 bouteilles et sont vendus, au détail, à
raison de 2 fr. 50 à 5 francs la bouteille.
Les prix ci-dessus subissent évidemment une majoration, lorsque
les marchandises sont transportées à l'intérieur de l'île. Mais, grâce
à la mise en service de nouveaux modes de transport, à l'ouverture
de nouvelles routes et aux améliorations des anciennes voies de com-
munication, le tarif des transports a subi une baisse importante, qui
a eu sur le prix des marchandises une heureuse répercussion.
Egypte. — Le canal de Suez. — Il ressort des intéressantes statis-
tiques publiées par le Bulletin décadaire de la Compagnie de Suez
que le mouvement maritime a atteint, en 1902, un niveau qui n'avait
.^SWV^i^JE,^
S08
QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
pas encore été égalé, ainsi qu'il ressort de la comparaison triennale
et- après :
Nombre de Tonnage Tonnage
navires gross
Années
1900...
1901...
1902...
3.441
3.699
3.708
13.699.238
15.163.233
15.694.359
net
9.738.152
10.823.840
11.248.413
Les recettes perçues sur le tonnage des navires sont passées de
87.^43.568 francs en 1900, à 97.110.154 francs en 1901 et à
101,067.535 francs en 1902. Durant ces trois exercices, les recettes
totales perçues en Egypte ont été comme suit : 91.849.255 francs;
101.743.686 francs ; 105.383.877 francs.
La décomposition du mouvement maritime par catégories de
navigation s'établit de la manière suivante pendant le^ ' deux der-
Bières années :
Catégories 1901 1902
Navires de commerce
Navires postaux
Navires d*État
Nu vires affrétés par les gouvernements.
Navires sur lest
Tonnage net
7.456.022
2.786.279
208.340
265.245
107.954
Tonnage net
7.996.514
2.864.938
180.831
141.161
64.969
10.823.840 11.248.413
Par pavillons, le mouvement de 1902 se décompose comme suit :
Pavillons
Nombre
de navires
Tonnage
net
Allemand
Américain
Anglais
Austro-Hongrois .
Danois
Egyptien
Espagnol
Français
Hellénique
Italien
Japonais
Néerlandais ,
Norvégien
Ottoman
Portugais
Russe
Siamois
Suédois
Totaux.
480
21
2.i6r3
139
14
6
30
274
14
83
61
218
41
38
3
110
2
7
3. •708
1.
07.322
47.390
6.772.911
417.826
42.425
3.306
95.840
769.110
19 011
167.213
232.052
520.030
74.966
41.031
2.662
328.548
800
6.970
11.248.413
RENSEIGNEMENTS ÉCONOMIQUES 809
La part proportionnelle du pavillon anglais dans le tonnage net
transité dépasse 60 %. Le pavillon allemand vient ensuite avec plus
de 15 %. Nous ne venons qu'au troisième rang avec 6,8 %. Arrivent
ensuite les marines néerlandaise (4,6 X)^ austro-hongroise (3,7 %)^
russe (2,9 Jf), japonaise (2,1 jj;), etc.
Le nombre de passagers a été de 223.658 contre 270.607. La
diminution porte exclusivement sur les militaires.
IL — AMÉRIQUE.
Mexique. — Le commerce des fils de fer pour clôtures. — Fourniture
éventuelle de traverses en acier, — Il résulte d'une communication de
la Légation de Belgique à Mexico, au Bulletin Commercial^ de
Bruxelles, que, par suite des progrès de la colonisation et de la
création de nombreux ranchos, il se fait au Mexique une consomma-
tion considérable de clôtures métalliques. L'article connu sous le
nom de ronce artificielle est surtout très demandé.
Pour obtenir des commandes, les tréfileries devraient se faire
représenter sur place et envoyer à leurs agents des échantillons avec
prix courants, etc. Elles trouveraient bientôt un débouché impor-
tant sur le territoire de la République. Dans les États de Vera-Cruz
et d'Oaxaca, le premier soin des propriétaires, après Tachât d'un
terrain, est de le clôturer; les propriétés étant d'ordinaire d'une
grande étendue, la consommation des fils de fer nécessaires atteint
des chiffres fort élevés.
Il est à présumer également que, dans quelques années, toutes les
compagnies exploitant des voies ferrées situées en terres chaudes
seront forcées de renouveler leurs traverses, lesquelles ne résistent
pas à plusieurs saisons de pluies consécutives. Comme le prix du
bois, par suite du déboisement systématique et continuel (qui ne
trouve pas de contre-partie) est destiné à s'élever de plus en plus,
les compagnies finiront très probablement par adopter les tra-
verses en acier. Il ne serait donc pas inutile de faire parvenir dès
maintenant aux principaux directeurs des chemins de fer mexicains
les conditions de vente des traverses en acier.
<i» » <i>
I-
'Vt^^f^i
NOMINATIONS OFFICIELLES
^
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRAN6ÈRES
L'exequatur a été accordé à :
MM.
Pablo Âmespil, consul de la République Argentine à Dunkerque.
Walter Rislej Hearn, consul général de Sa Majesté britannique au Havre, avec
juridiction sur les départements de la Seine-Inférieure, du Calvados, de l'Orne et
de l'Eure.
Pablo Bolognesi, agent consulaire d'Italie à Hyères (Var).
Georges R. Oorbett, vice^consul de Sa Majesté britannique à Hyères.
E. Thomas, consul de Belgique à Longwy.
Luis Marinas y Lavaggi, consul général d'Espagne à Alger.
Salvador Ortega, consul général de Guatemala à Paris.
R.-D.-G. Macdonald, consul de Sa Majesté britannique à Bordeaux.
MEVISTÈRE BE LA 6UERRE
Un décret en date du 26 mai dernier détermine comme suit rorganisation des
forces militaires stationnées dans les colonies ou pays de protectorat, autres que
l'Algérie ou la Tunisie, qui sont réparties en cinq groupes et, dans chacun d'eux,
réunies sous un même commandement supérieur.
1*' GHOUPB (groupe DE L'INDO-CHINE)
Indo-Chine.
2" GBOUPE (groupe DE l'aFRIQUE OCCIDENTALE)
Afrique Occidentale. — Colonie principale.
Sénégal.
Territoires de la Séaégambie et du Niger.
Territoires militaires de TAfrique Occidentale française.
Guinée française.
Côte d'Ivoire.
Dahomey.
Congo fiançais.
Congo.
Territoires du Tchad.
3" GROUPE (groupe DE l' AFRIQUE ORIENTALE)
Madagascar (colonie principale).
Réunion.
Les Comores.
4* groupe (groupe DES ANTILLES)
Martinique (colonie principale).
Guadeloupe et dépendances.
Guyane.
5* groupe (groupe du PAaFIQUE)
Nouvelle-Calédonie (colonie principale).
Tahiti.
Tronpefi métropolt laines.
INFANTERIE
Saliara. — M. le capit. Métois est désig. pour prendre le command. de la com-
pag. des oasis sahariennes du Tidikelt.
Troupes coloniales.
ARTILLERIE
Coohinollixie. — M. le capit. Halss est affecté à Tétat-major du régiment à
Saigon.
M. le capit. Nicaise est désig. pour la 6* batterie du régiment au cap Saint-
Jacques.
BIBLIOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES 811
Afrique Oooidentale. — M. le capU, Thiébaux est désig. pour servir nu che-
min de fer de Kajes au Niger.
Madagascar. — M. le lieut.-coL Deviterne est nommé directeur de rartîllfirie
à Diégo-Suarez.
M. le capit. Galy-Aché est affecté à la 4* batterie de montagne à Tananarîve.
M. le capit. Bourrât est nommé adjoint au directeur de l'artillerie de Tanatiarive.
Martinique. — M. le lient. Petitjean est affecté au détachement d'ouvncrs d^ là
Martinique.
CORPS DU COMMISSARIAT
Indo-Clline. — M. le commiss, ppal de 2' cl. Auge est désigné pour servir en
Indo-Chine.
Cochinchine. — M. le commiss, de !'• cl. Véron est désigné pour ner^îr à
Saigon.
Tonkin. — M. le commiss. de l»"» cl. Varangot est désigné pour servir a ïlal-
phong.
M. le commiss. de 1'* cl. Piquemal est affecté à la brigade de réserve de CbÎQe
au Tonkin.
Madagascar. — M. le commiss. de l'« cl. Théodore est désig. pour servir à
Majunga.
MM. les commiss. de 2« cl. Sossotle et Bousquet sont désig. pour servir à Tama-
tave.
SERVICE DE SANTÉ
Afrique Ocoidentale. — M. le méd. aide-maj. de i^ cl. Doumenj^u est
désig. pour servir à la Guinée française.
Congo. — M. le méd. aide^maj. de !'• cl. Percheron est désig. pour i^orvir au
Chari.
MIIVISTÈBE BE L^ MARINE
CORPS DU COMMISSARIAT
Madagascar. — M. le commiss. de l»"» cl. Verrier est désigné pour remplir les
fonctions de chef des services administratifs de Diégo-Suarez.
SeiDices administratifs.
Cochinchine. — M. Wauscoor» commis de 2* c/., est désigné pour servir à
l'arsenal de Saigon.
MIIVISTÈRE DES COLONIES
M. Majer est nommé, pour une période de quatre années, membre suppliant du
Conseil privé de la Cochinchine.
Par décret en date du 27 mai 1903, ont été nommés :
Grefûer du tribunal de première instance de Saigon (Indo-Chine), M. Jacquey,
Greflier du tribunal de première instance de Mjtho, M. Baptiste.
Greffier du tribunal de première instance de Pnom-Penh, M. Boutier.
Greffier du tribunal de première instance de Chaudoc, M. Lebreton.
Greflier de la justice de paix à compétence étendue de Bac-Lieu, M. Ganofskj.
BIBLIOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES
La Bohême d'aujourd'hui, par M. Henri Hantich. Une brochure
de 40 p., Paris, édition de la Revue hebdomadaire.
Malgré l'apparence de son nom, l'auteur de cette intéressante brochure
est un Tchèque, professeur à l'Ecole de commerce de Prague. Il a voulu,
comme il le dit, faire une œuvre de vulgarisation et esquisser le mouve-
ment littéraire, artistique, économique et politique dans la Bohême coïi-
temporaine. En matière politique, il n'a qu'indiqué le principe des rvveii-
dications tchèques et défendu le droit d'Etat; en matière économique, il iv
crayonné à grands traits le développement des sociétés et des industries
812 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
tchèques (en 1901, les sociétés anonymes en Bohème étaient, les tchèques
au nombre de 122 avec 122 millions de couronnes comme capital, les
allemandes au nombre de 143 avec 438 millions); la partie de son étude la
plus étendue et aussi la plus neuve pour un public français est ceUe où il
présente le tableau de la floraison littéraire et artistique tchèque depuis le
début du xix« siècle jusqu'à l'heure présente. Nous ne pouvons que répéter
le conseil que donne l'auteur à ses compatriotes, en terminant son pané-
gyrique bien présenté, et redire avec lui la parole du grand historien
Palacky : « Dans le travail et dans le savoir est votre salut. » Ceux qui
portent intérêt aux Tchèques croient voir en cela, avec leurs grands
ancêtres, la voie à suivre plus féconde en heureux résultats que les
tapages, les exagérations et les enfantillages, comme de vouloir changer
Garlsbad en Karlovy-Vary ou Marienbad en Marianské-L&zne !
Gabriel Louis-Jaray.
Sibérie et Californie, par M. Albert Bordeaux. Paris, 1903, in-16.
Plon-Nourrit.
En qualité d'ingénieur, M. Albert Bordeaux a fait plusieurs voyages
d'études dans les régions où se trouvent des mines d'o», au Transvaal,
en Californie, et l'année dernière en Sibérie. — C'est donc surtout au
point de vue minier qu'il a décrit les pays explorés par lui, et de fait il a
réuni dans ce volume des données historiques et statistiques très intéres-
santés sur les mines de Sibérie ; mais, au lieu de les présenter sous la
forme aride des publications officielles, il a su les encadrer dans son récit
de voyage, plein d'humour, de fines observations sur les choses et les gens.
Avec l'auteur, nous pénétrons dans la vie intime des populations qui
vivent de l'exploitation des mines, en Sibérie et Californie, et nous pou-
vons faire une comparaison entre le caractère, le genre d'existence des
mineurs dans ces deux pays. — Enfin, M. Bordeaux a fait une description
très vivante et très précise du parcours suivi par le Transsibérien,
qu'il a examiné en touriste, en ingénieur et aussi en artiste.
J. F.
A travers la Tripolitaine, par M. IL-M. de Mathuisieulx, chargé
de mission par le ministre de l'Instruction publique, avec une préface
de M. L. Bertrand. — Un volume in-16 illustré de 63 graMires. Ha-
chette et C»o, à Paris, 1903.
Depuis la conquête dft la Tunisie par la France et l'occupation de
l'Egypte par l'Angleterre, les Turcs interdisent formellement l'accès de la
Tripolitaine aux étrangers. Hormis les renseignements du colonel Mon-
teil, qui traversa cette région à son retour du Tchad, nous ne connaissons
que peu de choses du grand vilayet africain, que M. de Mathuisieulx vient
d'explorer.
Grâce à une faveur exceptionnelle accordée par le gouvernement otto-
man, M. de Mathuisieulx a pu parcourir des régions où les anciens voya-
geurs n'avaient pu pénétrer. Il en a rapporté un récit auquel on ne pourra
refuser l'attrait de l'inédit. Sans être un voyage de grandes découvertes,
l'itinéraire de notre narrateur a traversé des régions dont les habitants,
les produits et le sol offrent des particularités aussi intéressantes que peu
connues.
Ouvrages déposés au bureau de la Remie.
Le Niger : Voie ouverte à notre empire africain, par le capitaine Lenfànt, avec
une préface de M. E. Etienne. Un vol. in-8** de 250 pages avec 113 illustrations et
une carte hors texte. Hachette et Ci», éditeurs. Paris, 1903.
BIBLIOGRAPHIE — LIVRES ET REVUES 813
La Transformation de VEgypte, par Albert Métw. Un vol. in-16 de 310 pages.
Félix Alcan, éditeur. Paris, 1903.
En Mongfllie, par le comte de Lesdain, attaché à la Légation de France à Pékin.
Un vol. petit in'4* de 200 pages, avec nombreuses illustrations hors texte.
A. Challamel, éditeur. Paris 1903.
Rénovation celtique^ par Serge Sculfort de Beaurepas. Deux forts vol. in-8o d'en-
viron 600 pages chacun. H. Champion, éditeur. Paris, 1903.
Pacte colonial nouveau et réciprocité de franchise. Etude sur les relations écono-
miques des colonies françaises avec la métropole, par Ericbst Carré, docteur en
droit. Un vol. in-S» de 208 pages. Charles Valin, éditeur. Caen, 1903.
Compagnies et Sociétés coloniales allemandes, par Pierre Decharme, docteur en
droit et docteur es lettres. Un vol. in-8*. Masson et C^«, éditeurs. Paris, 1903.
Problèmes algériens et tunisiens, par Paul Melon.] Une brochure in-S® de 167 pages.
A. Challamel, éditeur. Paris, 1903.
U Algérie et l'assimilation des indigènes musulmans^ par le capit. Passols. Une
brochure in-8o de 118 pages. Henri Charles-Lavauzelle, éditeur. Paris-Limoges,
1903.
L'Ile de Peregil, Son importance stratégique, sa neutralisation, par E. Rouard de
Gard. Une brochure in-8o de 22 pages. A. Pedone, Paris. Ed. Privât, Toulouse,
1903.
Côte d'Ivoire et Libéria. Variations cartographiques relatives à ces contrées, par le
capitaine d'Ollonb. Une brochure in-S» de 20 pages. A. Colin, éditeur. Paris,
1903.
Annuaire du ministère des Colonies pour 1903. Un fort vol. de 808 pages. Henri
Charles-Lavauzelle, éditeur. Paris, 1903.
LES REVUES
REVUES FRANÇAISES
iirniée eC Marine (31 mai). L'hôpital militaire thermal de Vichj. — Ud. Yalach :
L'ambassade marocaine à bord du Du Chayla. — (7 juin). Les officiers d'état-
major de la réserve et de l'armée territoriale : l'école'' d'instructiûa;tVoyage d'état-
major en 1903. — Le bi-centenaire de Saint-Pétersbourg. — H. S. : Une excur-
sion à Figuig. — (14 juin). Ernest Laut : Douaniers de France. — Les affaires
de Figuig.
Bnllelln dn Comité de l'Asie française [mai). Robert de Caix : Les intérêts
français en Chine. — Les négociations avec le Siam. — J. L T. : La politique
anglaise dans l'Asie Occidentale. — L'Angleterre et le golfe Persique : les décla-
rations de lord Lansdowne. — Henry Bmou : L'affaire de Niou-Tchouang et la
question de la Mandchourie. — L. K. : Les puissances européennes en Chine. —
Charles Mourey : L'Angleterre, l'Inde tt l'Afghanistan.
La Ligne maritime [mai). Léon Bbrthaut : Les départs pour Terre-Neuve. —
Verseau : Les marines des pays balkaniques.
Quinzaine coloniale (25 7/iat). L'emprunt du gouvernement de l'Afrique Occi-
dentale. — Les chemins de fer du Tonkin. — La question des Nouvelles-
Hébrides.
La Réforme économique (31 mai). J. Méline : Ententes industrielles. — P.
V. : Le bétail étranger en France. — J. Desmets : La fin du libre échange en
Angleterre. — Cn. Georgeot : Notre commerce au Siam.
Revue commerciale de Rordcauz (30 mai). P. Carle-Dauteg : Autour du
programme de l'Association cotonnière coloniale.
Revue g^énérale des Sciences (15 mai). J. Chailley-Bert : L'irrigation dans
les Indes anglaises. Première partie : Les diverses méthodes d'irrigation. —
L)'' Weisgerbbr : Voyage de reconnaissance au Maroc. Deuxième partie : Climat,
flore, faune, population. — (30 mai). J. Chailley-Bert : L'irrigation dans les
Indes anglaises. Deuxième partie : Résultats de l'irrigation par les canaux per-
manents. — D** F. Weisgerrer : Pathologie et thérapeutique marocaines.
Revue de Madagascar. — Les voies de communications à Madagascar.
Revue politique et parlementaire (10 juin). René Goblet : Où allons-nous?
■'..jupi^m ijiiiu
TABLE DES MATIÈRES DU TOME QUINZIÈME
1" JANVIER — 15 JUIN 1903
LIVRAISON DU 1" JANVIER 1903
Lft (question du Maroc, par Saint-Gebmain 1
La rrise de l'argent en Indo-Chine, par Le Myre de Vilers 8
Lf cimflit anglo-gerinano-vénézuélien, par *'* 18
Lr XllI® Congrès international des orientalistes à Hambourg, par René Basset 25
»Li s [lussions catholiques françaises au xix« siècle, par René Pinon 33
Madagascar : Les territoires militaires, par L. Brinet 42
Rt'Eiiiiugnements politiques 49
llfii&tMgnements économiques 57
NoiïM nations officielles 60
BiMioi^raphie. — Livres et Revues 62
Cartes et gravures : /. Carte du Maroc 3
//. Carte du Venezuela 21
LIVRAISON DU 15 JANVIER 1903
Xulsv expansion coloniale et les partis politiques, par *** 65
' La qutîstiou de la Macédoine, par René Henry * 82
La niiL'slion du Maroc, par X 103
Notre Enquête : A propos des affaires de Siaui : Opinions de M. G. Chaslenei,
tV un collaborateur d'Extrême-Orient, de M. Robert de Gaix {Journal des Dé-
fais). — Protestation de l'Association des écrivains militaires, maritimes et colo-
nJLinx ; Président, M. H. Houssaye i08
Heusdgnements politiques 116
Renseignements économiques 122
' Nominations officielles 125
Bihliopraphie. — Livres et Revues 127
Curies et gravures : /. Péninsule des Balkans : indications orographiques 84
II. La Turquie (f Europe 81 et 88
///. La Péninsule des Balkans d'après le traité de San-
Stefano 91
LIVRAISON DU 1" FÉVRIER 1903
1 .il délimitation de l'Ethiopie, par Auguste Terrier 129
■* Lu question de Macédoine, par René Henry 143
Le paludisme et l'initiative privée en Corse, par Alexandre Guasco 157
Féïkralisme et socialisme en Australasie, par J. Denais-Darnays 167
Le tî-aité franco-siamois et l'opinion allemande, par René Moreux 184
Renseignements politiques 188
lîtiiseignements économiques 199
Nniiiinations officielles 202
iiibhofc'raphie. — Livres et Revues 207
Cartes et gravures : /. Frontière entre le Soudan anglo- égyptien et l'Ethiopie. 132
//. Délimitation de l'Afrique Orientale 133
LIVRAISON DU 15 FÉVRIER 1903
Li i;ommerce du Sahara, par E. Fallot 209
La question du Venezuela, par Georges Bouler 226
Lut: i>remière occupation allemande au Venezuela (xvi' siècle), par Gonzalès-
FïGUEIRAS 240
TABLE DES MATIÈRES DU TOME QUINZIÈME 815
La presse politique en Bohême, Moravie et Silésie, par Gabriel Louis-Jaray 245
Renseignements politiques 259
Renseignements économiques 265
Nominations officielles s 2f>8
Bibliographie. — Livres et Revues 271
Cartes et gravures : Carie du Sahara 212 et 213
LIVRAISON DU lor MARS 1903
Le chemin de fer de Bagdad : Les inlénMs français et allemands en Turquie, par
Henri Bohler 273
Les Boxeurs et les troubles de Se-tchouun, par Alexandre Guasco 296
Le projet d'emprunt du gouvernement général de l'Afrique Occidentale Française, par
Aspe-Fleurimont, 305
Le Congrès national des travaux publics, par E. Pbyhalbe 311
Renseignements politiques 317
Renseignements économiques 328
Nominations officielles 332
Bibliographie. — Livres et Revues 334
Cartes et gravures : /. Le chemin de fer de Bagdad 287
//. Lavillede Tcheng-tou-fou 299
LIVRAISON DU 15 MARS 1903
Les affaires macédoniennes, par Casimir Pralon 337
La question du Congo, par *** 346
Situation économique de la Côte d'Ivoire, .par J. Xior 354
Quatre plaies coloniules, par Maurice Buret 363
La Bohême en deuil, par Henri IIvntich 374
Renseignements politiques 376
Renseignements économiques 392
Nominations officielles 395
Bibliographie. — Livres et Revues 399
Cartes et gravures : La Côte d'Ivoire 357
LIVRAISON DU 1" AVRIL 4903
Les finances d'Etat en Allemagne, par Gabriel Louis- Jaray 401
La question de Terre-Neuve : Saini-Pierre et Miquelon, par Le Breton 411
La question du coton, par Aspe-Fleurimont 429
Situation économique de la Côte d'Ivoire, par J. Xior 433
Renseignements politiques 449
Renseignements économiques 457
Nominations officielles 460
Bibliographie. — Livres et Revues 462
Cartes et gravures : Ile de Saint-Pierre el les Miquelon 415
LIVRAISON DU 15 AVRIL 1903
Les affaires macédoniennes, par Casimir Pralon 465
L'évolution de la politique intérieure et extérieure du Japon, par Rising Sun 483
Le contesté boliviano-brésilien : le territoire de l'Acre, par Louis Jadot 497
Le Congrès colonial de 1903, par J. Franconîe 504
Les tribunaux répressifs et la question des indigènes en Algérie : Discours prononcé
à la Chambre des députés, le 4 avril 1903, par P. Revoil 509
Renseignements politiques 532
Renseignements économiques 538
Nominations officielles 540
Bibliographie. — Livres et Revues 544
Caries et gravures : /. La frontière boliviano-brésilienne 498
IL Le territoire contesté de VAcre 300 et 501
816 QUESTIONS DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
LIVRAISON DU !«' MAI 1903
Les pays du Tchad et TEurope, par Henri Lorin 545
Une révolution légale en Irlande, par Gabriel Loms- Jaray , 513
La représentation des colonies au Parlement, par Arthur Girault 585
Renseignements politiques 590
Renseignements économiques 600
Nominations officielles 604
Bibliographie. — Livres et Revues 606
Cartes et gravures : Carie des pays du Tchad 551
LIVRAISON DU 15 MAI 1903
X Le chemin de fer de Bagdad et l'opinion anglaise, par Jean Imbart be la Tour... 609
L'émigration italienne en Tunisie, par Louis Jadot 615
Les Russes en Extrême-Orient, par Paul Labdé 623
La question de Terre-Neuve : Saint-Pierre et Miquelon, par Le Breton 640
Renseignements politiques 655
Renseignements économiques 665
Nominations officielles 668
Bibliographie. — Livres et Revues 611
Cartes et gravures : Carte du chemin de fer de Bagdad 611
LIVRAISON DU i" JUIN 1903
Y L'intérêt français en Asie occidentale : Le chemin de fer de Bagdad et Talliance
franco-russe, par René Henry 673
^ L*opinion grecque et la question de Macédoine, par Gabriel Louis-Jaray 689
Les affaires d'Algérie, par J.-II. Franklin 701
La question de Terre-Neuve : Les primes à Tarmement; les salaires, par Le
Breton 714
Renseignements politiques 721
Renseignements économiques 730
Nominations officielles 732
Bibliographie. — Livres et R«^vues 736
Cartes et gravures : Ile de Ten^e-Neuve : le French Shore 716
LIVRAISON DU 15 JUIN 1903
Notre politique africaine : Algérie et Maroc, par Eue. Etienne 737
'^La Macédoine, la Grèce et l'intérêt français, par le comte Ch. de Moùy 754
Les derniers travaux de Tlnstltut Colonial international, par Henri Fboideyaux 759
Les employés coloniaux de nos possessions d'Afrique, par Aspe-Fleurimont. 771
Les affaires d Algérie : les incidents de Figuig, par J.-H. Franklln 784
Renseignements politiques 799
Renseignements économiques 807
Nominations officielles 810
Bibliographie. — Livres et Revues 814
Cartes et gravures : /. Tribus du Sud-Ouest algérien 740 et 741
//. VOuest Africain français 748 et 749
///. Environs de Figuig 787
IV. Confins du Sud-Ouest algérien 792 et 793
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