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Soundcd Ly pribate subscription, fn 1861.
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Deposited by ALEX. AGASSIZ.
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RECHERCITES
GÉNÉRATION DES HUITRES,
Par C. DAVAINE,
Docteur en médecine, membre de la Société de Biologie, lauréat de l'Institut
(Académie des Sciences)
PARIS.
IMPRIMÉ PAR E. THUNOT ET C*, 26, RUE RACINE.
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INDEX.
Aperçu historique.
PREMIÈRE PARTIE.
Appareil reproducteur et ses produits.
SI.
$ IL.
$ IL.
$ IV.
$ v.
$ VI.
$ VIL
$ VU.
Organe de la génération.
Élément mâle.
Élément femelle.
Hermaphrodisme des huîtres.
Disposition des éléments dans l'organe reproducteur.
Développement de l'organe reproducteur.
Influences extérieures sur le développement de l'organe
reproducteur.
Hermaphrodisme des huîtres comparé avec celui d’au-
tres animaux.
DEUXIÈME PARTIE.
Évolution des œufs, propagation des huîtres.
SL.
$ IL
$ II.
$ IV.
$ v.
$ VI.
Incubation.
Le frai, son époque.
Évolution de l'œuf.
Première période. Ovules avant le fractionnement.
Deuxième période. Du commencement du fractionne-
ment à l'apparition des cils vibratiles.
Troisième période. Jusqu'à l'apparition de l'appareil
ciliaire comme organe distinct.
J
$ VII. Quatrième période. Jusqu'à la chute de l'appareil ci-
liaire.
$ VIIL Cinquième période. Changements qui suivent la chute
de l’appareil ciliaire.
SIX. Développement ultérieur, accroissement.
SX. Fécondité des huîtres. Causes de destruction.
$ XI. Propagation des huîtres.
$ XII. Fécondations artificielles; croisement des huîtres.
Conclusions.
RECHERCHES
SUR
LA GÉNÉRATION DES HUITRES.
Pendant l'été de l’année 1849, j'entrepris dans le laboratoire
de M. Rayer, avec M. le docteur Ghaussat, des recherches sur la
génération des huîtres. Bien que, dans ces dernières années, les
travaux d’embryogénie sur les mollusques aient été très-multi-
pliés, et que des études plus ou moins complètes aient été faites sur
des espèces voisines de l’huître, aucun travail, à notre connais-
sance, n'existait sur l’embryogénie de ce mollusque. On a d’au-
tant plus lieu de s'étonner de cette lacune que les huiîtres, par
leur abondance dans nos mers, par l'usage que nous en faisons
et par la facilité avec laquelle on se les procure à de grandes dis-
tances des régions qui les produisent, semblent plus qu'aucun
autre mollusque avoir dû attirer l'attention des naturalistes.
8
Nous publiâmes, M. Chaussat et moi, dans les comptes rendus
de la Société de biologie (juillet 1849), les résultats de nos
observations, parmi lesquels nous signalâmes surtout les trans-
formations remarquables offertes par l’embyron de l'huître. Ces
résultats, malgré nos longues et laborieuses recherches qui por-
tèrent sur plus de trois cents huîtres, laissaient beaucoup à désirer
sous plusieurs rapports. La question de sexualité, sur laquelle les
naturalistes ont émis des opinions très-diverses, n'avait nullement
été éclaircie. Sur un grand nombre d’huîtres, nous avions constaté
dans l'organe de la reproduction l'existence exclusive de l'élément
mâle (les zoospermes); sur quelques autres, nous n’avions pu y
découvrir que l'élément femelle (ovules) ; mais d’autres fois nous
avons reconnu d’une manière non douteuse la présence simulta -
née dans l'organe sexuel d’ovules et de zoospermes bien carac-
térisés.
De ces faits, en apparence contradictoires, on ne pouvait con-
clure ni à l’hermaphrodisme ni à la séparation des sexes chez
l'huître. Était-ce par exception, par anomalie, comme nous
l'avons entendu dire, que plusieurs de ces mollusques nous avaient
offert dans le même crgane des ovules et des zoospermes? On eût
été plus naturellement conduit à conclure que ces animaux peu-
vent être hermaphrodites ou avoir les sexes séparés indifférem-
ment, suivant les individus. Mais cette manière de voir ne nous
paraissait pas non plus admissible par la considération que cette
indifférence sexuelle eût été sans analogue aujourd’hui connu
dans le règne animal.
La solution de cette question difficile n’était pas seulement
intéressante au point de vue zoologique, elle l'était encore au
point de vue économique , car les succès obtenus dans ces der-
niers temps par la fécondation artificielle chez les poissons ont
9
fait penser à appliquer ce moyen de reproduction à la propaga-
tion des huîtres.
Plusieurs savants qui se sont occupés de ce sujet, ont admis,
sans l'avoir démontrée, la séparation des sexes chez les huîtres.
Les résultats exposés ci-dessus ne me permettaient pas d'adopter
cette opinion. Malgré l’insuccès de nos travaux sous ce rapport, je
ne désespérai pas de trouver la raison de l’apparente contradic-
tion qu'ils avaient signalée dans la sexualité des huîtres. De
nouvelles recherches que j'ai entreprises à ce sujet au Havre et à
Paris dans le courant de l’été dernier, m'ont permis de déter-
miner les conditions dans lesquelles l’huître présente tantôt l’élé-
ment mâle exclusivement, tantôt l'élément femelle ou tantôt l’un
et l’autre à la fois. J’ai pu reconnaître ainsi que ce mollusque ne
déroge point, sous le rapport de la sexualité, aux lois qui régissent
les autres animaux.
M. Rayer, qui n'avait encouragé à entreprendre ces étu-
des, les a suivies avec un bienveillant intérêt. Les résultats aux-
quels je suis arrivé ont été constatés par plusieurs savants, parmi
lesquels je citerai mon ami M. le docteur Claude Bernard et M. le
docteur Desjardins, médecin distingué du Havre, qui a mis à ma
disposition, avec une obligeance extrême, tous les moyens dont
il pouvait disposer pour faciliter mon travail.
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APERÇU HISTORIQUE.
Avant que l’on eût appliqué le microscope à la détermination des
éléments des organes reproducteurs chez les mollusques, les zoolo-
gistes les plus éminents de notre siècle croyaient ces organes formés
sur un même type chez tous les acéphales. Les uns considéraient ces
animaux comme doués d’un hermaphrodisme complet; d’autres pen-
saient qu’ils n’étaient pourvus que d’un appareil femelle, et que leurs
œufs n’avaient pas besoin d’être fécondés pour se développer. Mais les
observations de Prévost (de Genève) sur la mulette des peintres (1825),
de Wagner (1835), deSiebold(1837), de M. Milne-Edwards, etc.,sur divers
autres mollusques, démontrèrent que le type des organes de la généra-
tion chez les mollusques acéphales est loin d’être uniforme, les uns
ayantdes organes mâles et des organes femelles portés par des individus
différents, les autres ayant les deux appareils réunis sur un même indi-
vidu. La sexualité d’un grand nombre de ces mollusques est aujourd’hui
bien déterminée; mais sur les organes de la reproduction de l’huître
en particulier, on ne possède encore rien de certain. Néanmoins, dans
divers recueils, on trouve sur ces organes, ou sur leurs produits,
des assertions plus ou moins exactes, des faits plus ou moins bien
observés, dont il ne sera pas sans intérêt de donner un court aperçu.
L'auteur de l’histoire de la Société royale de Londres, Th. Sprat, y
rapporte quelques faits relatifs à la génération des huîtres. A l’article
Histoire de la génération et du gouvernement des huîtres vertes, vul-
gairement appelées huîtres de Colchester (HIsT. OF THE ROYAL S0G. OF
LONDON ; trad. franc. 1669), il dit : « Au mois de mai les huîtres jettent
» leur frai (que les pêcheurs appellent spat), qui ressemble à une goutte
» de suif, et qui est de la grandeur d’un demi-penny d’argent. Le frai
» s'attache à des pierres, à de vieilles écailles d’huître, etc. » « On
» conjecture avec quelque apparence de raison que le frai ou spat
» commence d’avoir l’écaille dans les 24 heures. » Dans le même article,
Sprat indique comme caractère de l’huître femelle, d’avoir une sub-
stance laiteuse dans son manteau, tandis qu’il y a une substance noire
chez le mâle. L'époque indiquée pour le frai, sa ressemblance avec
une goutte de suif ne sont point exactes. Quant aux caractères qui
distingueraient le mâle de la femelle chez les huîtres, ils rappellent
12
une erreur populaire relative à cette distinction, qui existe encore au-
jourd’hui dans quelques contrées,
Th. Willis (DE ANIMA BRUTORUM EXERCIT. DUÆ, 1672, p. 17), dans
son anatomie de l’huître, très-bonne d’ailleurs pour le temps, n’a
point fait mention de l'appareil sexuel. A propos de la coquille, il dit
qu’elle est déjà formée dans l'œuf, ce qui est vrai jusqu’à un certain
point.
Lister, dans son ouvrage intitulé HISTORIÆ ANIMALIUM ANGLIÆ TRES
TRACTATUS, Lond., 1678, a donné l’anatomie de l’huître d’après Willis.
Il a aussi rapporté en entier l’article cité de l’histoire de la Société
royale, avec cette légère variante : «Mense maio fœturam ejiciunt
» ostrea, id quod à nostris piscatoribus spat vocatur, id à figurà len-
» ticulari est at ipsis lenticulis pauld majus. »
En 1689, Jac. Brach a donné , dans les ÉPHÉMÉRIDES DES CURIEUX DE
LA NATURE (Dec. II, an VIII, obs. 203, de ovis ostreorum), des indi-
cations très-précises sur l’époque de la reproduction , sur l’apparence
et la nature du frai chez les huîtres. « Vers la fin du printemps, dit-il,
» pendant l'été et jusqu’au commencement de l’automne, les huîtres
» possèdent et rejettent une sorte de lait. »..... «Si, avec un bon
» microscope, l’on examine attentivement ce lait, on le trouve formé
» par une innombrable quantité d'œufs. » Pline avait déjà parlé du
lait que quelques huîtres possèdent en été, et qu’il regardait comme
un liquide fécondant (Hisr. NAT., trad. par M. Littré; t. I, liv. IX,
et t. II, 1. XXXII). Jac. Brach ne se borne pas à déterminer la na-
ture de ce liquide, mais il distingue dans les œufs qui le composent
plusieurs apparences. Dans un premier état (qui correspond sans
doute à la période du fractionnement) les œufs sont, dit-il, d'un blanc
éclatant, irrégulièrement arrondis, comme wne pilule mal faite. Dans
un second état, ils sont blanchâtres, arrondis, mais plus comprimés
que les premiers, et se rapprochent déjà de la forme d’une huître ; en
outre, ils se meuvent et parcourent dans diverses directions le liquide
dans lequel on les observe. Enfin, en dernier lieu, le lait est devenu
plus épais, noirâtre, semblable à de la purée, les œufs ont acquis une
organisation plus parfaite, n’ont plus de mouvements, et sont alors
rejetés de la coquille maternelle.
Six ans après (1695), Leeuwenhoek (ARCANA NATURÆ DELECTA, 1722,
t. III, p. 512) examina aussi le frai de l’huître ; il y constata la pré-
sence des ovules et il essaya de déterminer le nombre que peut en
13
produire une seule huître. Il ne suivit pas avec le même soin que Brach
leurs formes successives, mais il vit que les mouvements de l'embryon
dépendaient d’un organe proéminent entre les valves, organe qu’il
crut être l'appareil branchial que l’animal aurait pu, à volonté, faire
saillir au dehors ou rentrer dans sa coquille.
Si les faits signalés par Brach et par Leeuwenhoek eussent attiré
l'attention des naturalistes, il est probable qu'ils eussent eu une grande
influence sur les progrès ultérieurs de l’embryologie.
Leeuwenhoek découvrit en outre dans l'organe sexuel les animal-
cules spermatiques dont il donne une bonne description (ouvr. cité,
Epist. 103, p. 143); il constata que ces animalcules sont d’abord réunis
en masses arrondies et qu’ils se désagrégent ensuite. Étonné de leur
nombre prodigieux , il cherche à en donner l’idée en disant que trois
huîtres qu’il avait examinées devaient contenir plus de ces animal-
cules que l’Europe entière ne contient d'habitants. Leeuwenhoek crut
pouvoir conclure de ses observations que les huîtres ont les sexes
séparés.
Méry (MÉM. DE L’ACAD. DES SCIENCES , 1710), Adanson (HISTOIRE NA-
TURELLE DES COQUILLAGES), Considérant que les huîtres fixées au rocher
ne peuvent se rapprocher pour l’acte de la fécondation, les regardaient
comme hermaphrodites.
Job. Baster (OPUSCULA SUGCESSIVA DE ANIMALCULIS ET PLANTIS, 1762,
liv. 2, p. 63) adopta cette opinion ; il constata aussi que le suc laiteux
que renferment quelques huîtres en été est formé par des œufs.
Ces notions si précises données par Brach, Leeuwenhoek et Baster
restèrent dans l'oubli. Guvier semble avoir ignoré que l'agglomération
des œufs de certains mollusques offre l'apparence d’une substance lai-
teuse; il dit (ANAT. Comp., 2° édit., t. VIII, p. 496), en parlant des
acéphales testacés hern aphrodites : « Il s’y manifeste, à une certaine
» époque, une liqueur laiteuse qui peut être un vrai sperme propre à
» féconder les œufs. » Et l’on retrouve encore aujourd’hui, dans des
ouvrages classiques d'histoire naturelle, l'indication inexacte de l’é-
poque du frai et celle de sa ressemblance avec une goutte de suif,
donnée par Sprat dans les mémoires de la Société royale de Londres.
M. Deshayes (Dicr. HisT. NAT , par Ch. Dorbigny, t. VI, 1846, art.
Huitres) indique d’une manière très-précise la position de l'organe *
de la reproduction de l’huître, qu’il regarde comme un ovaire; mais
les notions qu'il donne ensuite sur l’œuf ou sur l'embryon manquent
14
d’exactitude. Relativement aux compartiments dont on remarque les
ouvertures à la base des branchies, M. Deshayes dit qu’ils servent à
l’incubation des œufs, erreur commise déjà par Jos. Poli (TESTACEA
UTRIUSQUÆ SICILIÆ EORUMQUE HISTORIA ET ANATOME TABULIS ÆNEIS ILLUS-
TRATÆ).
Enfin plusieurs savants zoologistes, jugeant sans doute par analo-
gie, ou trompés par des observations trop peu suivies, pensent au-
jourd’hui que les huîtres ont les sexes séparés (COMPTES RENDUS DE
L'ACAD. DES, SCIENCES, +. XXVIII, p. 291 et 380, 1849). Les études que
nous avions faites, M. Chaussat et moi, il y a quatre ans, rendaient
pour moi cette proposition très contestable, Les nouvelles recherches
que j'ai entreprises à ce sujet m'ont mis à même de reconnaître que
l’huître possède un appareil reproducteur doué de l’hermaphrodisme
le plus complet.
Je diviserai ce travail en deux parties. Dans la première, je m'oc-
cuperai de l'organe reproducteur et de ses produits. Je consacrerai
la seconde à l'étude de l’évolution de l’œuf et de l'embryon, que je
ferai suivre de quelques remarques sur la propagation des huîtres.
PREMIÈRE PARTIE.
APPAREIL REPRODUCTEUR ET SES PRODUITS.
$ 1. — @rgane de la génération.
L'organe de la reproduction, chez l’huître (pl. I, fig. 4, a), occupe la
partie moyenne et supérieure de l'animal (la bouche étant en avant
eten haut). Recouvert extérieurement par la membrane du manteau
qui lui adhère, il entoure la masse formée par le foie, l'estomac et
une grande partie de l'intestin. Ses limites, en haut, correspondent
au bord inférieur des palpes labiaux (fig. 4, c), en bas à la cavité
du péricarde (fig. 1 et 2, d), se prolongeant avec l’anse intes-
tinale (fig. 2, {), au devant du muscle adducteur des valves
(fig. 4 et 2, e). Pendant l’époque de la reproduction, cet organe
forme, chez l’huître adulte, une masse blanchâtre plus ou moins
épaisse, et que l’on ne peut, à la simple vue, distinguer de la sub-
15
stance graisseuse qui existe souvent dans les parties voisines. Hors le
temps de la reproduction, toute trace de l’organe sexuel disparaît
ordinairement, en sorte que, chez les huîtres très-maigres, la por-
tion du manteau qui lui sert d’enveloppe est appliquée sur la sub-
stance propre du foie.
La glande sexuelle de l’huître produit à la fois les ovules et les
zoospermes, comme je l'établirai ci-après. Aucun organe ne lui est
annexé pour servir à la fécondation ou à l’incubation des œufs.
Ceux-ci, après la fécondation, passent dans la cavité extérieure ou
branchiale du manteau (pl. I, fig. 2, g) dans laquelle ils séjournent un
certain temps, répandus entre ses lobes et les lames branchiales. Les
œufs sortent de l'ovaire en suivant des canalicules ramifiés sur les-
quels je donnerai ailleurs de plus amples détails (v. $ V). Ces canalicules
aboutissent dans la partie de la glande sexuelle située en avant et en
bas du musele adducteur des valves; leur extrémité s’ouvre pour don-
ner issue aux œufs, par plusieurs petits pertuis (fig. 2, k) que
je n’ai pu voir qu’au moment de la ponte. Au sortir de ces pertuis,
les œufs se trouvent dans une cavité intérieure formée par la masse
des viscères, la base des branchies et la membrane du manteau
(fig. 2, h); mais ils n’y séjournent pas et passent aussitôt à l’extérieur
dans la cavité branchiale.
Quelque soin que j'aie apporté à cet examen, et quelque multi-
pliées qu’aient été mes recherches, je n’ai pu découvrir la route que
les œufs prennent pour arriver de la première cavité dans la seconde,
entre lesquels on ne trouve aucune communication.
$ 11. — Élément mâle.
Les zoospermes de l’huître ont un corps arrondi, légèrement ova-
laire, avec un point ou noyau central assez distinct (pl. 1, fig. 4, B). Le
corps a de deux à trois millièmes de millimètre. Leur queue, très-
longue relativement (3 à 4 centièmes de millimètre), est excessive-
ment grêle; elle ne devient perceptible à un grossissement de sept
cents fois, qu'après avoir été traitée par l’iode et avec un jour favo-
rable, en sorte qu’il est souvent impossible de distinguer les animal-
cules lorsqu'ils sont isolés. Avant leur maturité, les zoospermes sont
réunis par masses (fig. 4, À, fig. 5, c, c). Le nombre des animal-
cules ainsi agglomérés ne peut être évalué, même approximative-
16
ment. Ces masses, variables quant à la dimension, sont arrondies ou
ovalaires, aplaties, et paraissent exclusivement formées d’une mul-
titude de corpuscules ronds juxtaposés (corps des zoospermes); cha-
cune de ces masses est entourée d’une auréole que produisent les
queues des zoospermes libres et incessamment agitées. Cette auréole
permet de reconnaître, même à un faible grossissement, les zoospermes
ainsi agrégés. Lorsqu'on examine ces agrégats pendant quelques in-
stants, on ne tarde pas à voir les animalcules les plus rapprochés de
la circonférence se séparer de la masse commune dont ils s’arrachent,
pour ainsi dire, quelquefois par des mouvements très-vifs. La désa-
grégation, se communiquant de proche en proche jusqu’au centre, le
groupe entier finit par disparaître.
En général, les animalcules se désagrégent avec d’autant plus de
rapidité qu’on les observe à une époque plus rapprochée de celle de
la fécondation ; mais il y a des exceptions sous ce rapport. Après la
désagrégation, les mouvements des zoospermes ne tardent pas à di-
minuer, puis à disparaître ; bientôt du moins il n’est plus possible de
distinguer les animalcules spermatiques des corpuscules d’une autre
nature agités par le mouvement brownien.
Parmi les masses de zoospermes, on trouve ordinairement des
agrégats semblables pour la forme et la dimension, ou un peu plus
grands, mais constitués par des cellules (pl. I, fig. 3, A). Ces agrégats
ne possèdent point d’auréole, comme les masses de zoospermes; ils
peuvent comme elles se désagréger avec plus ou moins de prompti-
tude. Les cellules qui les composent ont, en moyenne, cinq millièmes
de millimètre de diamètre (fig 3, B). Elles apparaissent avant les
zoospermes , et leur disparition arrive aussi avant celle de ces ani-
malcules. Ce sont évidemment leurs cellules de développement, des
cellules spermatogènes; mais l'observation directe ne m’a jamais per-
mis de constater dans leur intérieur la présence de zoospermes, ce
qui tient sans doute à la difficulté très-grande de reconnaître ces ani-
malcules chez l’huître lorsqu'ils sont isolés.
Ayant fait des recherches comparatives chez les moules (mytilus
edulis), qui ont les sexes séparés, j'ai constaté que, dans le testicule
de ces mollusques, il existe avec les zoospermes des amas de cellules
semblables à celles que l’on remarque chez les huitres. Ces groupes
de cellules ne se rencontrent jamais dans l'ovaire. Après leur désa-
grégation, j'ai plusieurs fois constaté dans ces cellules un ou deux
17
zoospermes enroulés. Les zoospermes, chez la moule, étant mieux
caractérisés et plus visibles que chez l'huître, rendent compte de
cette différence dans les résultats de l'observation. Ces amas doivent
donc être considérés, chez l'huître aussi bien que chez la moule,
comme des agglomérations de cellules spermatogènes.
$ 11. — Élément femelle.
L'ovule de l’huître, avant d’être fécondé, a la forme d’une petite
sphère parfaitement ronde, forme que l’on voit presque toujours m0-
difiée par la pression des corps voisins (pl. I, fig. 5, B et pl. IT, fig. 1,
A, B, CG;
On peut reconnaître dans l’ovule une membrane enveloppante, un
contenu granuleux et une vésicule transparente.
La membrane d’enveloppe (vitelline) est d’une ténuité telle que les
plus forts grossissements ne peuvent la faire distinguer; aussi se
rompt-elle avec une extrême facilité. L'existence de cette membrane
devient cependant évidente, au moment de la rupture d’un ovule,
par la manière dont la matière contenue s'écoule au dehors et sou
vent par le cercle que cette matière dessine en s’accumulant autour
de la membrane affaissée et plus ou moins vide.
La substance propre de l’œuf (le vitellus) est composée de granula-
tions moléculaires extrêmement ténues, d'une teinte plus grisàtre que
celle des zoospermes, et qui, après leur sortie de l'œuf, se dispersent
et sont agitées d’un mouvement brownien très-prononcé.
La vésicule transparente (germinative) se montre dans l’ovule
comme un espace plus clair (pl I, fig. 5, B, pl. IL fig. 1, c), assez sou-
vent excentrique. Au moment de la rupture de l’ovule, elle s'échappe
avec le flot du vitellus, s’allonge, s’élargit, prend des formes variées
pour passer entre les divers obstacles qu'elle rencontre, jusqu’à ce
que, pouvant se développer en liberté, elle reprenne sa forme nor-
male. Cette vésicule est alors parfaitement ronde, transparente et
limpide. Elle a six centièmes de millimètre de diamètre dans l’œuf
mûr (pl. II, fig. 2). Je n'ai pu constater dans cette vésicule au-
eun nucléole ou tache germinative. Plusieurs fois, ayant cru recon-
naître une tache germinative, je l’ai vue disparaître par un mouve-
ment du liquide qui balayait la surface de la vésicule. La dimension
9
18
de la vésicule germinative m'a toujours paru proportionnelle à celle
de l’ovule.
Les ovules, dans une même huître, sont tous sensiblement égaux,
lorsque leur développement n’a pas été troublé par des influences
particulières; c’est le cas ordinaire des huîtres récemment pêchées
en mer.
L'ovule non fécondé se sépare rarement intact de la capsule qui le
contient; sa mollesse extrème fait que, lorsqu'il est isolé, il s’aplatit
plus ou moins sur la lame de verre qui le supporte, et son volume en
paraît augmenté; son diamètre apparent est encore exagéré par la
compression de la lamelle de verre que l’on place ordinairement sur
le stratum pour en faciliter l'examen. Dans ces conditions, l’ovule qui
a acquis tout son développement et qui est apte à être fécondé, a deux
dixièmes de millimètre de diamètre. Lorsqu'il flotte dans le liquide en
observation, il ne peut être exactement mesuré, mais il paraît avoir
alors de 12 à 15 centièmes de millimètre. Dans la suite de ce travail,
je prendrai, comme diamètre normal de l'œuf mûr, celui qu’il offre
entre deux lames de verre, c’est-à dire deux dixièmes de millimètre,
$ IV. — Hermaphrodisme des huîtres.
a. En examinant au microscope l’organe de la génération chez
plusieurs huîtres, on reconnaît qu’il peut offrir trois caractères diffé-
rents : 4° Il peut présenter les caractères du testicule par la présence
de zoospermes ; 2° d’un ovaire par la présence d’ovules; 3° d’une
glange hermaphrodite par la présence simultanée d’ovules et de zoo-
spermes. Ces résultats, auxquels nous avaient conduit nos premiers
travaux (voir COMPTES RENDUS DE LA SOCIÉTÉ DE BIOLOGIE, tome I,
1849, page 98), ne pouvaient être la véritable expression de la condi-
tion sexuelle des huîtres. La séparation des sexes était-elle la loi?
L'hermaphrodisme devait être une exception, une anomalie, ou réci-
proquement ; or, de quelque côté qu'on eût cherché l’état normal,
l’anomalie devenait par trop fréquente Admettre que les huîtres sont
indifféremment hermaphrodites ou à sexes séparés, c'était admettre
une condition encore inconnue dans le règne animal. Ces considéra-
tions nous portèrent à penser que les diverses apparences qu'avait
offertes à notre examen l'organe reproducteur des huîtres n'étaient
15
que des phases de l’état le plus compliqué, de l'hermaphrodisme; mais
quelles sont les conditions suivant lesquelles se produisent ces phases
dans l’organe sexuel de ces mollusques ?
b. Vivement désireux d'arriver à la solution de cette question, j'en-
trepris de nouvelles recherches sur un grand nombre d’huîtres de
l'espèce connue vulgairement sous le nom de pied-de-cheval (ostrea
hippopus) qui, par le grand développement de leurs organes, m'of-
fraient les meilleures conditions pour arriver à la détermination cher-
chée. En outre, ces huîtres étant pêchées dans la rade du Havre au fur
et à mesure de mes besoins, n’avaient subi aucune influence qui eût
pu altérer le développement normal de leur appareil reproducteur.
Je reconnus chez ces mollusques, tantôt l’un, tantôt l’autre des
trois états que nous avons signalés, et, comme dans nos précédentes
recherches, ceux qui ne contenaient que des zoospermes furent un
peu plus nombreux que ceux qui contenaient à la fois des zoospermes
et des ovules; les huîtres qui ne contenaient que des ovules furent
relativement très-rares.
Après de longues et minutieuses études pour arriver à la connais-
sance des conditions de ces variations de l'organe sexuel, la question
me parut plus obscure que jamais.
c. Enfin, cependant, ayant remarqué que dans les cas ou les z00-
spermes étaient difficiles ou impossibles à constater les ovules étaient
toujours au contraire très-apparents et d’un volume considérable, je
fus mis sur la voie de la découverte de ces conditions, car, s’il existe
des huîtres femelles, on déit trouver chez elles des ovules aux divers
degrés de développement. Conduit de la sorte àcomparer entre euxles
nombreux dessins que j'avais faits des éléments de l'organe repro-
ducteur, je trouvai que les ovules, chez toutes les huîtres qui n’avaient
offert que l'élément femelle, étaient de même volume que des ovules
qui portaient les signes d’une fécondation récente. Il devenait done
probable que l’absence, dans ces cas, de l’un des éléments d’une
glande hermaphrodite, des zoospermes, tenait, non à ce que ces ani-
malcules n’avaient point existé avec les ovules, mais à ce que, la
fécondation étant accomplie et leur rôle terminé, ils avaient disparu
à l'époque où l’on en faisait la recherche. D'un autre côté. je recon-
nus encore que les ovules que j'avais rencontrés avec des masses de
zoospermes avaient tous un volume moindre qu’un œuf fécondé ou
arrivé à maturité.
20
Par là se trouvait établi ce fait que l’apparence femelle ou l'ap-
parence hermaphrodite tient à la période du développement à laquelle
on observe l'organe de la génération chez l’huître; dès lors il ne pou-
vait exister de doute sur la signification de l'apparence mâle: elle
tenait évidemment à l'apparition précoce des zoospermes.
Quoïque ces conclusions s’accordassent parfaitement avec toutes
mes recherches antérieures et quoiqu’elles rendissent parfaitement
raison des diverses apparences observées dans l'organe sexuel de
l’huître , je voulus cependant la vérifier par de nouvelles études J’exa-
minai de nouveau l'organe sexuel d’un grand nombre d’huîtres et les
résultats furent entièrement conformes à ceux que j'avais obtenus jus-
que-là.
Toutes les fois que je rencontrai des ovules sans zoospermes ou des
ovules avec des zoospermes déjà plus ou moins désagrégés , ces ovules
n'avaient jamais moins de deux dixièmes de millimètre de diamètre,
dimension de leur maturité.
Toutes les fois que je rencontrai des ovules qui avaient moins de
deux dixièmes de millimètre, il existait en même temps des zoospermes
agréges (pl. L fig. 5,c, c).
Ainsi donc les conditions, en apparence contradictoires, que l’on
retrouve dans l'organe sexuel de l’huître, tiennent aux diverses phases
du développement des éléments d’un organe hermaphrodite. Ces con-
ditions se manifestent dans l’ordre suivant :
1° Les zoospermes deviennent apparents avant les ovules dans la
glande sexuelle (apparence mâle).
20 Les ovules paraissent ensuite, et jusqu’à leur maturité ils s’y
rencontrent toujours avec des zoospermes réunis par masses (appa-
rence hermaphrodite).
3° Lorsque les ovules ont acquis tout leur développement, les zoo-
spermes se désagrégent (opèrent la fécondation), puis disparaissent. A
cette époque, on ne trouve plus que des ovules dans la glande
sexuelle (apparence femelle).
d. Les zoospermes apparaissent plus tôt que les ovules; mais on ne
veut admettre que ceux-ci n’existaient pas dans tous les cas où l’on
n’en a point reconnu; car, bien que ces corps parvenus à un certain
diamètre, deux centièmes de millimètre par exemple, soient faciles à
reconnaître à leur vésicule transparente entourée d’un vitellus opaque,
il n’en est pas de même lorsqu'ils n’ont que le tiers ou la moitié de ce
21
diamètre. Alors le vitellus n’est pas apparent, la vésicule germinative
ne forme point un caractère distinctif, et l'œuf, réduit à cette vésicule
ou n'étant encore qu’une petite sphère transparente, ne se distingue
point de la cellule qui le renferme. Les masses de zoospermes, au
contraire, se décèlent de très-bonne heure par l’auréole de leurs fila-
ments agités et peuvent donner, dans ce Cas, à l'appareil sexuel le ca-
ractère d’un organe mâle.
e. Avant l’époque de l’apparition des ovules et jusqu’à celle où ils
atteignent deux dixièmes de millimètre de diamètre, les zoospermes
sont toujours réunis par masses. Ces masses de zoospermes sont assez
variables, quant à leur volume, dans une même huître; néanmoins, il
est facile de s'assurer qu’elles prennent un accroissement propor-
tionnel à celui des ovules.. Lorsque ceux-ci sont arrivés à leur matu-
rité, les masses de zoospermes ont aussi acquis leur plus grand dé-
veloppement. A cette époque, on les trouve se désagrégeant ou
complétement désagrégés ; dans d’autres cas ils ont disparu , et l’on
conçoit qu’il en doive être ainsi lorsque la fécondation étant opérée ,
le rôle de ces particules animées est fini.
f. Alors les œufs ne tardent pas à quitter la glande sexuelle; car
ceux qu'on examine immédiatement après la ponte ne présentent
encore que les premiers phénomènes qui suivent la fécondation : le
temps que passent les ovules dans l'organe sexuel après la fécondation
étant sans doute très-court, la période qui y correspond doit être
rarement observée. En effet, dans les recherches que j’ait faites avec
M. Chaussat, sur trois cents huîtres examinées, nous n’en trouvâmes
que deux femetiles, et dans mes dernières recherches, la proportion
n’a pas été beaucoup plus forte. ;
Ainsi, l'apparition tardive des ovules donne à certaines huîtres
l'apparence de mâles ; la disparition des zoospermes a une époque dé-
terminée donne à d’autres l’apparence de femelles, ce qui explique
les résultats contradictoires auxquels sont arrivés différents obser-
vateurs.
g. À ces causes d'erreur, il faut en ajouter d’autres inhérentes à
la difficulté même de la constatation des éléments de la glande
sexuelle. Pour les zoospermes, s’il est facile de les reconnaître, même
à un faible grossissement, lorsqu'ils sont réunis en masses, il est très-
difficile, au contraire, de les distinguer lorsqu'ils sont isolés; leurs
mouvements ont trop de rapport avec le mouvement brownien qui
22
agite de même les granules moléculaires du vitellus, pour qu'il puisse
servir de caractère distinctif, et leur filament est d’une ténuité telle
qu'il échappe souvent aux plus forts grossissements.
Pour les ovules, leur mollesse extrême, leur diffluence, ne les pré-
sente presque toujours au microscope que brisés et méconnaissables,
Il faut ajouter à cela que les groupes de zoospermes s’échappant avec
une extrême facilité des loges qui les contiennent et que le contraire
arrivant aux œufs, si l’on place sur le porte-objet une parcelle de
l'organe reproducteur, les ovules restés dans la masse opaque ne sont
pas perceptibles, tandis que les agrégats de zoospermes, nageant dans
le liquide plus transparent qui entoure cette masse, se reconnaissent
tout d’abord à l’auréole qui les caractérise. Il est facile alors de croire
que l’on a affaire à une huître mâle. Il est vrai que si la fragilité de
la membrane propre de l’ovule rend souvent la recherche de ce corps
très-difficile, la résistance de celle de la vésicule transparente m’a
souvent aussi donné la certitude de l’existence d’ovules qu'avec quel-
que persistance et des précautions convenables, je finissais par con-
stater. Cette résistance de la vésicule germinative fait que ces vési-
cules, en général arrondies ou plus ou moins déformées par la pression
des corps voisins, se retrouvent nageant comme des globules graisseux
dans le stratum en observation (pl. I, fig. 5, d. d.). Le peu de réfrin-
gence de leur circonférence, l’uniformité de leur volume, ne permet-
traient pas de les confondre avec des globules de graisse.
h. Dans la recherche des éléments de la glande reproductrice, je
procède de la manière suivante : Je place sur le porte-objet une par-
celle de l'organe étendue d’eau de mer ou d’eau salée, et je cherche
avec un grossissement de 350 fois à déterminer la présence des
zoospermes; ceux-ci une fois constatés, je place de nouveau sur le
porte-objet une couche assez épaisse de la même matière que j'ai
préalablement étalée avec beaucoup de précautions, de manière à
briser le moins possible les ovules qui pourraient y être contenus, et
j'en fais la recherche avec un faible grossissement. Souvent alors, si
je n’aperçois point d’ovules bien caractérisés, les vésicules germina-
tives intactes me donnent la certitude qu'il en existe, et j'en poursuis
la recherche.
Cette manière de constater la présence des zoospermes ou des œufs
est suffisante dans un grand nombre de cas. Lorsque les ovules sont
très-petits, il est, en général, plus facile de les reconnaître en plaçant
23
sous le compresseur une petite portion du tissu de l'organe; si l'on
pratique alors une compression lente et graduée, il arrive un moment
où l'on voit les ovules se crever dans leur loge et laisser échapper leur
vésicule germinative avec le vitellus. On retrouve ensuite dans le li-
quide sorti par la compression quelques ovules intacts parmi de nom-
breuses masses de zoospermes.
Lorsque les ovules sont arrivés à maturité, leur constatation n'offre
plus de difficultés; mais celle des zoospermes est devenue difficile, car
leurs masses se sont plus ou moins désagrégées.
Alors, en examinant successivement avec un faible grossissement
(195 fois environ) ; afin d’avoir un Champ plus étendu, des parcelles
de substances prises dans différents points de l'organe sexuel et ren-
dues moins opaques par l'addition d’eau salée, j'ai pu parfois re-
connaître quelques masses de zoospermes, non encore désagrégées
dont je constatai ensuite mieux la nature en substituant à l'objectif
faible un objectif plus fort. Lorsque je ne rencontrai plus aucun
agrégat de zoospermes, en colorant la matière avec de la teinture
aqueuse d’iode et en dirigeant le miroir refléteur sur un nuage blanc,
il m’a encore été quelquefois possible de déterminer la présence de ces
animalcules parmi des ovules arrivés au terme de leur accroissement.
I. J'ajouterai que ces recherches ne peuvent être convenablement
faites que sur des huîtres récemment péchées en mer, celles que l’on
conserve dans des parcs n'offrant souvent à l'observateur que des
éléments avortés.
J. L'étude de l'organe de la génération et de l’évolution de ses élé-
ments ne peut laisser de doute sur sa nature; C’est évidement un
organe hermaphrodite, une glande ovo-spermagène.
K. D’autres considérations, déduites de faits étrangers à cette
glande, mènent aux mêmes conclusions. En effet, si l’huître avait les
sexes séparés, la liqueur séminale devrait se manifester quelquefois
au dehors de l'organe qui la produit, ou bien les ovules devraient se
trouver quelquefois après leur expulsion de l’ovaire, sans les signes
d’une fécondation préalable ; or quoique mes recherches se soit éten-
dues sur au moins un millier d'huîtres, jamais je n’ai trouvé hors de
la glande ovospermagène la semence fécondante ou les ovules non
fécondés. Ce n’est que dans les cas où, l’huître ayant été ouverte sans
précautions suffisantes, l'organe sexuel est déchiré, que l'on retrouve
au dehors des zoospermes dont l'origine est facile à reconnaître.
24
Enfin, lorsque après la ponte il y a en incubation dans le manteau
d’une huître des myriades d'œufs, qui assurément ont été produits
par elle, en examinant au microscope l'organe sexuel de cette huître,
on y constate fréquemment, comme nous le verrons ci-après (v. $ VI),
la présence de zoospermes réunis par masses reconnaissables à l’au-
réole de leurs filaments et aux mouvements qui les caractérisent.
$ W. — Disposition des éléments dans l‘organe reproducteur.
L’organe de la génération chez l’huître fournissant à la fois les
ovules et les zoospermes, il était intéressant de rechercher comment
ces deux éléments s’y trouvent répartis, Les tissus ovarien et testicu-
laire sont-ils également disséminés dans toute sa masse ou en occu-
pent-ils des portions distinctes ? L’inspection extérieure ne peut faire
reconnaître entre les diverses parties de l’organe aucune différence de
conformation ou de couleur par lesquelles se manifesterait la sépara:
tion des éléments. La coloration de la glande sexuelle n’est cependant
pas invariable ; elle diffère suivant qu’on l’examine avant qu’on puisse
y Constater au microscope l'existence des ovules ou après leur appari-
tion. Dans le premier cas elle a unecouleur grisâtre, un aspect corné,
tandis que dans lesecond elle est blanchâtre et d’un aspect grenu; mais
cette différence dans l'apparence de l'organe, se manifestant dans toute
sa masse également, peut faire présumer seulement que les éléments
ovarien et testiculaire ysont partout également répartis.
Je cherchai à reconnaître leur disposition en soumettant au micro-
scope des parcelles de tissu prises en un grand nombre de points diffé-
rents dans la glande ovospermagène d'huîtres qui m’avaient offert des
œufs et des zoospermes, et je constatai dans tous les points la présence
des deux éléments. Je constatai en outre que les masses de zoospermes
se trouvent rassemblées par petits groupes (pL I, fig. 5, c, c). Mais ce
procédé ne me fournit aucune autre indication sur la disposition
respective des éléments sexuels. La facilité extrême avec laquelle les
masses de zoospermes s’échappent de leurs loges et l'extrême diffluence
des ovules opposent à ce genre de recherches des obstacles insur-
montables ; car quelque soin que l’on prenne pour placer sous l’objec-
tif une parcelle intacte du tissu de la glande reproductrice, si cette
parcelle est mince, les zoospermes se retrouvent dans le liquide am-
25
biant et les ovules sont pour la plupart déchirés et méconnaissables ;
si cette parcelle est assez épaisse pour conserver intacts les éléments,
l’opacité de la masse n’y laisse rien découvrir.
Pour obvier à ces inconvénients, je choisis des huîtres chez les-
quelles j'avais constaté l’existence simultanée d’ovules et de zoosper-
mes à divers degrés de développement, je séparai avec précaution
des autres organes la glande ovospermagène que je soumis à une des-
siccation assez rapide. J’espérais, en enlevant de l'organe desséché
des tranches très-minces, pouvoir distinguer au moins la distribution
respective des ovules et des zoospermes. Ces tranches, placées entre
deux lamelles de verre et humectées avec de l’eau, qui leur rendait jus-
qu’à un certain point leur volume et leur apparence primitives, per-
mettaient de distinguer quelquefois les éléments qui les composaient ,
d'une manière assez satisfaisante. En variant ces préparations , en les
traitant par divers réactifs, j’obtins souvent de très-bons résultats ;
mais la teinture aqueuse d’iode, colorant les ovules plus fortement que
les masses de zoospermes, m'a donné les résultats les plus nets. J’ai
reconnu ainsi que la glande ovospermagène est formée d’aréoles ou
loges irrégulières (pl. I, fig. 6), dont les unes restent vides et les autres
renferment les œufs ou les zoospermes : je n’ai point reconnu de diffé-
rence entre les tissus qui contiennent l’un ou l’autre de ces éléments.
En général, les masses de zoospermes se trouvent réunies en nombre
indéterminé, et les ovules sont disposés à l’entour d’une manière assez
régulière (pl. 1, fig. 7); quelquefois on les voit former des cercles
très-réguliers. Les groupes d’ovules et de zoospermes sont circonscrits
par les aréoles vides qui les isolent et leur donnent l’aspect d’ilots plus
ou moins bien limités, plus ou moins rapprochés. L'espace occupé par
ces aréoles vides m’a paru d'autant plus considérable qu’on les observe
à une époque plus éloignée de la maturité des ovules. Sur la surface
d’une coupe de la glande ovospermagène, dans l’espace d’un milli-
mètre carré (pl. I, fig. 7), j'ai compté de huit à douze de ces îlots et
plus, ce qui dépend en partie du plus ou moins de développement des
éléments.
En voyant sur une coupe les groupes de zoospermes et d’ovules sé-
parés et bien circonscrits, on serait disposé à penser que ces groupes
forment de petites masses entièrement isolées. L'étude de la glande
ovospermagène m'a démontré qu’il n’en est point ainsi. Toutes les
loges qui contiennent les éléments de la génération sont contiguës
26
les unes aux autres, en séries qui représentent des ramifications dans
lesquelles ces éléments sont disposés concentriquement , les zoosper-
mes formant la couche interne et les ovules la couche externe ou en-
veloppante. Une coupe qui divise ces ramifications donne des figures
arrondies, ovalaires ou alongées, suivant que la coupe a rencontré ces
ramifications, perpendiculairement, obliquement ou longitudinale-
ment. Gette disposition des éléments de la glande ovospermagène est
très-apparente à la simple vue sur certaines huîtres, chez lesquelles
l'organe sexuel commence à se développer (pl. I, fig. 1, a). La surface
de cet organe offre alors des dessins semblables à ceux d’une agate
arborisée. Dans un développement plus avancé, les ramifications, de
plus en plus déliées, apparaissent comme les nervures de la face infé-
rieure d’une feuille d’une plante dicotylédonée, nervures dont les
dernières ramifications forment un réseau qui finit par se confondre
avec le parenchyme. La glande ovospermagène, chez quelques huîtres,
conserve cette apparence arborisée, même jusqu’au terme de la matu-
rité des ovules. Les ramifications principales aboutissent à la partie
inférieure de l'organe (pl. I, fig. 2, k) dans la portion qui se prolonge
sur l’anse intestinale au devant du muscle adducteur des valves.
Lorsque les ovules sont fécondés, il m’a paru qu’ils abondonnent la
glande sexuelle en suivant les canaux que leur offrent ces ramifications
successivement vidées.
$ VE. — Développement de l’organe reproducteur,
La glande reproductrice se développe de très-bonne heure chez les
huîtres. J’ai tout lieu de penser qu’elle paraît au bout de quelques
mois, chez celles qui sont nées au printemps; mais c’est l'élément
mâle seul qui se manifeste alors. Ayant examiné souvent de très-
petites huîtres que je trouvais attachées sur d’autres, j’ai fréquem-
ment rencontré des zoospermes, chez des individus dont la coquille
avait moins de deux centimètres dans son plus grand diamètre. Au
mois de septembre dernier, ayant ouvert une de ces petites huîtres
dont le corps avait huit millimètres de diamètre, et qui était certaine-
ment née dans l’année même (je ne puis donner la dimension de la co-
quille dont la circonférence était brisée), je constatai dans une couche
blanchâtre qui entourait le foie de nombreuses masses de zoospermes,
27
reconnaissables à l’auréole de leurs filaments, à leurs mouvements et à
leur mode de désagrégation. Aucun autre élément ne pouvait faire
supposer l'existence d’ovules ou de vésicules germinatives. Je n’ai
jamais trouvé d’ovules que chez des huîtres déjà parvenues à la di-
mension où elles deviennent marchandes. Cette observation s'accorde
avec la remarque d’un écaillier du Havre, qui fait un grand commerce
d'huîtres, et qui me dit que parmi les huîtres qu’il débite, les plus
petites sont très-rarement laiteuses (en état de frai).
Ges faits tendraient donc à prouver que l'élément mâle se forme
avant l'élément femelle ; l'examen de la glande ovospermagène des
huîtres après la ponte donne les mêmes résultats. Alors, en effet, les
zoospermes ne tardent pas à se reproduire dans cet organe, et l’on
peut s’assurer qu’ils se forment ou qu’ils sont reconnaissables bien
avant les ovules ; or, comme on retrouve à cette époque, entre les
lobes du manteau, des œufs ou des embryons à des degrés divers de
développement (voir 2° partie), on peut suivre, pour ainsi dire pas à
pas la marche du développement des zoospermes, en prenant pour
échelle celui des œufs qui se trouvent en incubation dans le manteau
de l’huître dont on examine l'organe sexuel. Immédiatement après
la ponte, ou lorsque les œufs pondus n’ont encore subi que les pre-
mières phases du fractionnement, on ne rencontre dans la glande
ovospermagène ni Zoospermes ni ovules en voie de formation. En
général, des cellules spermatogènes se montrent dans cette glande,
lorsque les ovules contenus dans le manteau commencent à être
pourvus de cils vibratiles. Ces cellules, petites d’abord et très-pâles,
apparaissent bientôt plus grandes et mienx caractérisées; en même
temps on trouve quelques masses de zoospermes très-pâles et à
mouvements très-lents. Lorsque les embryons contenus dans la cavité
incubatrice ont un appareil de natation distinct, la glande ovosper-
magène contient toujours des cellules spermatogènes et des masses
de zoospermes bien caractérisé$2Enfin, à l’époque ou les embryons
sont rejetés du manteau de l’huître mère, les masses de zoospermes
sont nombreuses, bien développées, et, ont acquis des mouvements
très-vifs. Une seule fois j'ai trouvé à cette époque dans la glande re-
productrice des ovules déjà distincts.
Il résulte donc de tous ces faits que, soit lors de l’apparition de
l'organe sexuel, soit dans ses développements ultérieurs, l'élément
mâle se reconnaît avant l'élément femelle, et très-probablement il se
28
développe le premier. Ce résultat offre ceci de particulier, que, pour
les animaux supérieurs au moins, l’ovule paraît bien avant les z00-
spermes.
$ VII. — influences extérieuress ur le développement de l’organe
de la génération. ï
Les circonstances extérieures ont une influence remarquable sur le
développement de l’organe reproducteur: une pratique suivie dans les
parcs aux huîtres, rend ce fait très-évident. L’huître laiteuse étant
moins bonne et souvent tout à fait mauvaise, les propriétaires de
parcs s’attachent à empêcher leurs huîtres de frayer ; ils y parviennent
par les moyens suivants : chaque jour, après le coucher du soleil, on
retire les huîtres sur les bords des bassins, et on les laisse exposées
hors de l’eau pendant toute la nuit; le matin, on les y repousse. Les
parcs ainsi gouvernés donnent une proportion d’huîtres laiteuses
infiniment moindre que ceux où elles ne reçoivent pas ces soins.
L'examen de la glande reproductrice de ces huîtres montre très-
souvent des différences notables entre leurs ovules et ceux d'huîtres
récemment pêchées en mer. Dans celles-ci, les ovules se trouvent
tous, en général, au même degré de développement et offrent les ca-
ractères que nous avons exposés ailleurs (S III); dans l’huître de pare,
les œufs diffèrent des précédents sous le rapport de leur apparence et
sous celui de leur volume respectif; ils sont fréquemment plus
opaques, de sorte que la vésicule germinative n’est pas apparente;
en outre, leur membrane d’enveloppe a plus de consistance, d'où
résulte moins de tendance à se déformer et à se rompre ; mais c’est
surtout par les variations de leur volume que ces œufs sont remar-
quables. On les trouve souvent à des degrés très-divers de développe-
ment dans les mêmes points de la glande ovospermagène. Lorsque l’on
a sous les yeux ces ovules d’un volume si variable, on les prendrait
pour des fragments détachés d'œufs fractionnés. Il est évident que
ces corps ont subi un arrêt plus ou moins complet dans leur dévelop-
pement, d’où est résulté quelque changement dans leur constitution.
L'élément testiculaire ne m'a pas paru participer de l’avortement
qui est si apparent sur l'élément ovarien. Je n’ai rien remarqué,dans
les masses de zoospermes qui eût quelques rapports avec ces anoma-
29
lies des ovules; il est vrai qu'il eût été sans doute plus difficile de les
reconnaître.
Si l’on se demande quelle est l'influence particulière qui produit ces
changements dans l’organe sexuel, on pourra la chercher soit dans
le trouble produit dans l'économie de l’huître, soit dans la privation
périodique de nourriture, soit dans les variations de température
auxquelles se trouve exposé ce mollusque; c’est cette dernière in-
fluence, croyons-nous, qui est ici agissante. En effet, la température
de la mer (prise sur les côtes de Normandie, à quelque distance du
rivage) dans les mois de juillet et d'août, varie entre 17,5 et 20 degrés
centigrades. La chaleur de l’eau des parcs est souvent plus élevée;
c’est donc par une chaleur de 17 à 20 degrés que les huîtres frayent ;
or l’on sait que la température des objets exposés à la surface du sol
pendant les belles nuits d'été descend souvent bien au-dessous de
10 degrés centigrades. On peut donc regarder les alternatives de
froid et de chaleur auxquelles sont soumises les huîtres ainsi traitées
comme la cause des variations que l’on remarque dans les produits de
l'organe reproducteur.
Quoi qu'il en soit, c’est un fait digne de remarque que l’avortement
plus ou moins complet des ovules de l’huître des parcs. Sans vouloir
établir de comparaison, je rappellerai cependant que certains ani-
maux, élevés en domesticité ou placés dans des conditions particu-
lières, cessent dese reproduire. N’est-il pas à présumer que cefait tient
à des conditions organiques plus ou moins analogues à celles dont il
vient d’être question ?
$ VIII. — Hermaphrodisme de l‘huître comparé avec celui
d’autres animaux.
Je crois avoir établi que l’huître est hermaphrodite. Les contradic-
tions des naturalistes sur cette question m'ont engagé à entrer dans
des développements plus longs que ne semblerait devoir le comporter
le sujet. En signalant les causes d’erreur et les difficultés que j'ai
rencontrées dans cette étude, j'ai voulu rendre plus facile la vérifica-
tion des faits que j'ai avancés. Peut-être quelques-unes des remarques
consignées dans ce travail seront-elles applicables à l'étude des
organes d’autres mollusques, dont la sexualité est encore aujourd’hui
en discussion, ou n’a point encore été recherchée.
30
L'hermaphrodisme est l’état normal d’un grand nombre de mol-
lusques; mais chez aucun de cés animaux l’on n’a encore signalé
une disposition organique, analogue à celle que j'ai reconnue chez
l'huître. Ici, les cellules qui sécrètent les ovules et les zoospermes
sont réparties par toute la masse de la glande sexuelle. Les zoospermes
arrivés à maturité se désagrégent, se trouvent en contact avec les
ovules et les fécondent. Cet acte s’accomplit sur place, dans l'intimité
des tissus, et sans doute sans la participation de l’animal à qui appar-
” tient l'organe dans lequel se passent ces phénomènes.
Chez les autres mollusques hermaphrodites, la disposition des élé-
ments sexuels peut être ramenée à deux modes particuliers :
4° L’ovaire et le testicule sont confondus dans le même organe :
c’est le cas d’un grand nombre de gastéropodes. Ici, quoique les ovules
et les zoospermes ne soient séparés, comme chez les huîtres, que par
des parois très-minces, cependant ces éléments ne sont point destinés
l’un pour l’autre ; ils quittent séparément l'organe qui les a formés par
des canaux distincts, et la fécondation ne s'opère que par la coopé-
ration d’un autre individu.
2° L’ovaire et le testicule existent dans le même individu; mais ils
forment deux organes séparés: c’est le cas de quelqnes acéphales.
Chez le pecten, ces deux glandes sont juxtaposées et se distinguent
l’une de l’autre par leur couleur différente. Une fois je trouvai sur un
de ces mollusques , que j’examinais avec M. Rayer, une anomalie qui
peut être regardée comme une transition à la fusion des éléments
sexuels. La substance du testicule, outre sa masse principale, for-
mait de petits îlots répandus en divers points de la masse de l'ovaire.
Pour les autres classes d'animaux chez lesquels l’hermaphrodisme
a été constaté, les conditions des éléments sexuels sont plus ou moins
analogues à celles que l’on connaît chez les mollusques. Un seul fait
a été signalé que l’on puisse rapprocher de l’hermaphrodisme de
l’huître. M. de Quatrefages (ANNALES DES SCIENCES NATURELLES, 2°série,
t. XVII, 1842) a reconnu chez la synapte de Duvernoy un organe dans
lequel se forment les ovules et les zoospermes. « Le développement
» des œufs et la secrétion du sperme paraissent être combinés de ma-
» nière que celui-ci est complétement élaboré, au moment où les pre-
» miers commencent à se trouver à l’étroit dans les lacunes intertes-
» ticulaires; les œufs continuant à grossir doivent nécessairement
» comprimer de plus en plus le testicule et en exprimer en quelque
31
» sorte sur eux la liqueur fécondante. » Quant à la disposition anato-
mique de l'organe, elle diffère beaucoup de celle de la glande ovo-
spermagène de l’huître. J’observerai encore que chez ce mollusque
l’œuf n'est fécondé que lorsqu'il a atteint tout son développement,
tandis que dans la synapte l’ovule continuerait à s'accroître après la
fécondation.
Ainsi, jusqu’aujourd'hui, l’on ne connaît point chez les mollusques
de conditions organiques semblables à celles de l’appareil sexuel de
l’huître, et dans tout le règne animal un seul exemple a été signalé
qui puisse en être rapproché.
DEUXIÈME PARTIE.
ÉVOLUTION DES OEUFS. — PROPAGATION DES HUÎTRES.
$ LE. — incubation.
Lorsque l’huître effectue sa ponte, elle n’abandonne point ses œufs
comme le font un grand nombre d'animaux marins; elle les retient,
au contraire, et les garde en incubation, jusqu’à ce qu’ils aient acquis
un certain degré d'organisation. Ce n’est point comme chez les
moules, les anondontes, etc., dans des poches particulières, véritables
matrices, que les ovules séjournent et se développent à l’insu de l’a-
nimal qui les porte, l’huître conserve instinctivement ses œufs entre
les lobes de son manteau ( pl. I, fig. 4 et 2. b'b"") que l’on trouve ordi-
nairement étroitement appliqués sur leur masse. Maintenus par ces
lobes , répandus entre les lames branchiales, dans leur région anté-
rieure et supérieure (fig. 2, g. g.) les ovules y sont plongés dans
une substance muqueuse, sécrétée par ces organes et qui est néces-
saire à leur évolution et à leur accroissement. Après une incubation
suffisante, l’huître mère les rejette transformés en embryons déjà
pourvus de leur coquille et munis d’un appareil de natation qui leur
permettra de s'éloigner et de se répandre sur les rochers voisins,
$ II. — Le frai; son époque.
Les ovules ou les embryons agglomérés dans le manteau de l’huttre
32
forment une sorte de bouillie blanchâtre, à laquelle on a donné le nom
de lait ou de frai. Les huîtres en mer, frayent depuis le commence-
ment du mois de juin jusqu’à la fin de septembre. Au mois de juillet,
j'ai trouvé le nombre d’huîtres laiteuses proportionnellement plus
considérable. Dans les parcs, quelques-uns de ces mollusques frayent
dèsle commencement de mai, ce qui m'a paru dépendre de la tempé-
rature plus élevée qu’acquiert l’eau conservée dans des bassins peu
profonds. Le frai est assez variable pour la quantité dans des huîtres
de même grandeur ; d’un blanc de lait, pendant un certain temps, il
prend une teinte légèrement violacée et même brunâtre , lorsque les
ovules , dont il est presque entièrement composé, sont transformés en
embryons pourvus d’une coquille plus ou moins colorée.
$ III. — Évolution de l’œuf.
Pour l’œuf de l’huître, le travail embryogénique commence lors-
qu’il estencore renfermé dans la capsule qui l’a produit; aussi l’in-
stant du départ de ce travail ne peut-il être précisé. La succession des
phénomènes du développement ne peut être non plus observée régu-
lièrement comme pour les ovules d’autres animaux qui ne se fécon-
dent point eux-mêmes, ou qui abandonnent leurs œufs sur les pierres
ou sur les plantes submergées. Ces œufs, fécondés artificiellement par
l'observateur ou surpris au moment de la ponte, peuvent être suivis
d’instant en instant dans leur évolution dont il est possible d’appré-
cier alors le départ et les phases successives. Chez l’huître, à la
difficulté de l’étude des premiers phénomènes de l’évolution s'ajoute
encore celle qui résulte, après la ponte, du séjour nécessaire des,
ovules dans leur cavité incubatrice; car, si on les en retire, leur
développement cesse et ils périssent; si on les y laisse, il faut, pour
les mettre en évidence, pratiquer la section du muscle adducteur des
valves de l'animal qui les renferme, ce qui le fait périr en quelques
heures, et par suite ces ovules eux-mêmes.
Dans l'exposition des phénomènes embryogéniques chez l'huître, je
ne chercherai donc point à préciser la transition et la durée des phases
successives du développement ; j'indiquerai seulement les états divers
que m'ont offerts les ovules ou les larves qui leur succèdent.
33
$ LV. — PREMIÈRE PÉRIODE : Ovules avant le fractionnement.
Si l’on examine des ovules contenus dans l’organe de la génération
après la disparition des zoospermes et avant le commencement de la
ponte, l’on remarque dans leur constitution quelques modifications
qui précèdent les premières transformations extérieures ; ces modifi-
cations portent principalement sur le vitellus qui n’est plus formé de
granules moléculaires libres, se dispersant comme une fine poussière
dès que la membrane de l’œuf est déchirée. Alors le vitellus semble
avoir acquis un Certain degré d’épaississement ; il se répand hors de
la membrane vitelline comme une substance finement caillebottée
(pl. IL fig. 3, D, E), et laisse dans l’intérieur ou autour de cette mem-
brane une sorte de trame granuleuse. En même temps on trouve
la vésicule germinative, soit intacte, soit très-peu apparente, soit
entièrement disparue. L’ovule lui-même a acquis plus de consistance,
il abandonne plus facilement sa capsule ovarienne et conserve mieux
sa forme lorsqu'il en est sorti.
Chez plusieurs huîtres qui avaient commencé leur ponte, les ovules
qui se trouvaient encore dans l'organe reproducteur ne présentaient
pour la plupart, à leur surface, aucune trace de segmentation ; mais
ils offraient dans leur vésicule germinative des phénomènes singuliers
par leur variété; ainsi, j'ai pu observer sur des ovules non frac-
tionnés : 6
4° L’absence complète de la vésicule germinative ;
2° Une vésicule germinative de dimension normale avec une autre
plus petite adhérente (pl. IL, fig. 8, A;
3° Une seule vésicule germinative, mais d'un diamètre moitié
moindre que le normal (fig. 3, B);
L° Deux vésicules germinatives égales et chacune d’un diamètre
moitié moindre que le normal (fig. 8, C).
Les ovules sur lesquels j'ai observé ces variations de la vésicule
germinative ne m'ont point paru altérés. L'huître qui les contenait
était bien vivante, et les œufs répandus dans le manteau étaient frac-
tionnés et tout à fait normaux. Je ne chercherai point à expliquer ces
apparences diverses de la vésicule germinative; je me bornerai à faire
remarquer qu'elles ne doivent point être attribuées à des phénomènes
d’altération.
JA
S V. — DEUXIÈME PÉRIODE ; Du commencement du fractionnement
à l'apparition des cils vibratiles.
Après la ponte, les ovules parvenus dans la cavité fncubatrice y
sont toujours fractionnés; ce n’est qu’exceptionnellement que j'ai
quelquefois rencontré, parmi plusieurs centaines d’œufs qui présen-
taient à leur surface les premières phases de la segmentation, un
ovule (probablement stérile) muni de sa vésicule germinative.
Je n’ai point observé d’ovules divisés en deux segments , cependant
j'ai pu voir un grand nombre d'œufs qui ne présentaient encore
d’autres traces de fractionnement que de simples traits fort difficiles
à distinguer à la surface du vitellus, dont le partage était en outre
indiqué par trois ou quatre vésicules transparentes. Avec ces ovules,
j'en trouvais d’autres divisés en quatre segments ou plus, bien limi-
tés, sphériques ; chacun de ces segments ou sphères (pl. IE, fig 4) pos-
sédait ordinairement, mais non toujours, une vésicule analogue à la
vésicule germinative, que la compression rendait manifeste; on pou-
vait démontrer aussi à la surface de chacune de ces sphères une mem-
brane propre; elle devenait très-apparente après un certain temps de
séjour des ovules dans l’eau, qui, par endosmose, écartait cette mem-
brane de son contenu. Les sphères n'étaient point renfermées dans
une enveloppe commune, la membrane de l’ovule se fractionnant
avec le vitellus, et formant une enveloppe propre à chacune des
sphères secondaires. Ces sphères représentent ainsi, à la dimension
près, l’ovule primitif. N'étant réunies le plus souvent que par une
petite portion de leur périphérie, elles donnent l’idée de plusieurs
ovules simplement accolés ; lorsqu'elles se séparent, on ne trouve
entre elles aucun moyen d'union. Les sphères de fractionnement
offrent des dimensions et une disposition respectives variables. Dans
la segmentation par quatre, j'ai trouvé très-rarement les quatre
sphères égales; souvent elles étaient toutes d’un volume inégal. Quel-
quefois disposées en croix (pl. ILE, fig. 5, on voyait d’autres fois trois
sphères plus petites rangées sur un côté de la périphérie de la plus
volumineuse (fig. 6.) Lorsque les segments étaient en plus grand
nombre, de 8 par exemple, j'ai vu quatre sphères principales, d’un
volume à peu près égal, juxtaposées en forme de croix avec quatre
sphères plus petites au point d'union des sphères principales (fig. 40).
35
D'autres fois, toutes les sphères étant très-inégales, se trouvaient
agglomérées sur un point de la périphérie d’une sphère plus volumi-
neuse (fig. 9). Il serait inutile d'indiquer toutes les variétés du frac-
tionnement que m'ont offertes ces ovules; les figures annexées à ce
travail pourront en donner une idée (pl. IL, fig. 4 à 16).
Les sphères se multipliant, diminuent proportionnellement de vo-
lume, mais elles gardent toujours leurs caractères primitifs, à savoir :
irrégularité de leur volume respectif, existence d’une vésicule trans-
parente presque constante et d’une enveloppe propre pour chaque
segment (fig. 14, B). Il ne se forme point de sphères dont l'aspect, dif-
férent de celui des autres, indiquerait une différence de nature ou de
destination Par la diminution du volume et la multiplication progres-
sive des segments, l’ovule se concentre davantage et reprend son as-
pect sphérique primitif (fig. 12, 13, 44). Plus tard, l’ovule s’allonge un
peu et devient cordiforme (fig. 145, 16); alors sa surface paraît comme
chagrinée; si on l’écrase, on remarque que ses éléments consistent
en de très-petites sphères, ou plutôt en des cellules (car la plupart ne
sont plus sphériques), qui ont presque toutes, comme les sphères
primitives, un noyau transparent et un volume respectivement
variable.
Les premières phases du fractionnement de l'œuf de l'huître sont
irrégulières. On ne voit point ici une division progressive par 2, 4,
8, etc., comme on l’a signalé pour l’ovule d’un grand nombre d’ani-
maux; On ne voit pas non plus, comme chez plusieurs autres chez
lesquels le vitellus ne suit pas cette progression en se fractionnant,
une formation des sphères secondaires, identiquement la même pour
tous les ovules. Cette irrégularité dans le début du fractionnement a
été signalée déjà chez quelques invertébrés. Les œufs de l’huître n’en
arrivent pas moins à une phase qui parait identique pour tous; lors-
qu'ils sont devenus cordiformes, on ne reconnait plus entre eux au-
cune différence, ainsi que dans les périodes qui suivent. Le vitellus,
offrant plusieurs variétés dans la segmentation , qui n’en sont pas
moins suivies de la formation d’un embryon identique pour chaque
œuf, la vésicule germinative ne peut-elle offrir de même des phéno-
mènes variables, sans compromettre le développement normal des
phases ultérieures de l’évolution ? On pourrait se rendre compte ainsi
des diverses apparences offertes par la vésicule germinative de l'œuf
de l’huître après la fécondation.
36
Depuis l'instant de la ponte Jusqu'au moment où les ovules sont
cevenus cordiformes, on les trouve dans le manteau d’une même
huître à des degrés plus ou moins avancés du fractionnement ; par-
venus à l’état cordiforme et dans les périodes ultérieures, tous les
ovules ou les embryons contenus dans une huître paraissent être au
même point de leur développement. Cette différence tient sans doute
à l’espace de temps nécessaire au passage d’une phase dans une autre.
On sait que dans la plupart des animaux toutes les phases du fraction-
nement s’accomplissent en un ou deux jours. De l’œuf fractionné en 2
à l'œuf fractionné en 8, il n’y a qu’une différence de quelques heures ;
rien de plus naturel alors que de les rencontrer ensemble dans la ca-
vité incubatrice. Maïs, pour les autres périodes, la lenteur de l’évolu-
tion, la longue durée de chaque phase n'apporte point de différence
sensible entre des embryons plus jeunes ou plus âgés de quelques
heures.
$ WI. — MnoisiÈue PÉRIODE : Jusqu'à l'apparition de l'appareil
ciliaire comme organe distinct,
L'échancrure qui donnait à l'ovule l'apparence cordiforme s’efface,
et sur deux points distincts, qui mesurent le quart de la circonférence
de l’ovule, apparaissent deux ou trois cils vibratiles que l’on ne re-
connaît d’abord qu’à l'agitation du liquide ambiant ‘pl. II, fig. 17, A, a).
A l'opposé de l’un de ces groupes de cils vibratiles, un trait transpa-
rent se dessine sur la circonférence de l’ovule (fig. 17, A; b) : c’est le
premier indice de la charnière. En même temps les cellules paraissent
s'être accumulées an centre de l’œuf, qui est plus opaque.
Dans un état plus avancé, les cils vibratiles deviennent plus appa-
rents, plus longs, et la portion de la circonférence qui leur est inter-
posée se couvre de cils nombreux et minces (fig. 18, a, a). Cette por-
tion de circonférence sera la partie antérieure de l'embryon. Le trait
de la charnière (b) qui lui est opposé, et qui existe donc à la partie
postérieure, sépare le reste de la circonférence en deux parties in-
égales, premier indice du défaut de symétrie qui se voit chez l'animal
adulte. La masse centrale opaque (c) prend un contour plus distinct
et s’isole mieux des cellules périphériques, qui représentent alors une
bandelette circulaire et concentrique (d). En regard de la charnière,
un espace transparent se prononce entre la masse centrale et la ban-
37
delette périphérique (e). Disons tout de suite que cet espace transpa-
rent, allongé transversalement, ne correspondra à aucun organe : C’est
simplement un espace vide.
A cette période, l’ovule peut déjà être regardé comme transformé
en embryon. s
Les changements que j'aurai encore à noter jusqu’à l'apparition de
l'appareil ciliaire, comme organe distinct, ne consistent que dans un
développement plus complet des parties que nous avons mentionnées
(pl. IL, fig. 19, À, B, C, D, E). Ainsi celle qui est couverte de cils vibratiles
fait plus de saillie, et augmente par conséquent le diamètre antéro-
postérieur (fig. 19, B, a); cependant elle se confond encore avec la
masse commune. Les cils sont plus nombreux, plus forts, et leurs mou-
vements permettent déjà à l'embryon de nager dans le liquide envi-
ronnant. La charnière n’est plus la seule partie appréciable de la co-
quille; on distingue deux valves oceupant toute la partie postérieure
de la circonférence (fig. 19, A, C, D, E), mais laissant encore à décou-
vert le tiers ou la moitié antérieure de l'embryon (D). Ges valves sont
plus ou moins écartées ; quelquefois leur écartement est tel qu’elles se
trouvent toutes deux dans le même plan (E). Une compression trop
forte les brise en fragments très-nets (E). La masse centrale se partage
en deux portions (fig. 19, B), dont l’une, plus opaque, correspond
probablement au foie, tandis que l’autre, dans laquelle on ne tardera
pas à reconnaître des mouvements très-lents d'expansion et de resser-
rement, deviendra le tube digestif. Cette partie limite en avant l’es-
pace vide (e). qui de la sorte augmente ou diminue, suivant l’état de
contraction de l'intestin. La bandelette périphérique prend une appa-
rence membraneuse ; sa circonférence extérieure offre de légères ir-
régularités. Elle est appliquée aux valves, qu’elle suit dans ses difré-
rents degrés d'ouverture (fig. 19, E). Enfin elle présente déjà quel-
ques caractères des bords libres du manteau, qui deviendra de plus en
plus distinct.
Chez ces embryons, la coquille est formée par une substance cal-
caire; lors même qu'elle n’est encore indiquée que par le trait de la
charnière, elle contient déjà du carbonate de chaux. On le démontre
en la traitant sous le microscope par l'acide acétique; il est vrai que
si l'embryon, placé sous le microscope entre deux lamelles de verre,
est plongé dans une couche d’eau assez épaisse, l'addition de l'acide
acétique pourra ne pas être suivie d’un dégagement de gaz apparent,
38
l'acide carbonique dégagé se dissolvant à mesure qu’il se produit. J'ai
obvié à cet inconvénient en plaçant dans une très-petite quantité d’eau
un grand nombre d’embryons. L’eau se sature tout de suite, et l’acide
carbonique en excès se dégage en bulles nombreuses. Je suis arrivé
au même résultat en laissant dessécher les embryons, et en les trai-
tant ensuite par l'acide acétique concentré. Pour m'’assurer que l’a-
cide carbonique dégagé venait bien de la coquille, j'ai traité de la
même manière des ovules qui ne présentaient pas encore le trait de la
charnière, et je n’ai obtenu aucun dégagement de gaz.
Nous venons de voir l'œuf transformé en un embryon dont les or-
ganes sont déjà indiqués et dont la vie se manifeste par des mouve-
ments, soit qu’il écarte ou rapproche ses valves, soit qu’il circule dans
le liquide ambiant; cependant aucun organe ne se distingue encore
par ses éléments propres; si l’on écrase l'embryon, à part les cils vi-
bratiles qui semblent se dissoudre et les fragments de la coquille,
toutes ses parties constituantes sont encore homogènes. La masse
centrale qui va donner naissance aux viscères, la couche périphérique
aux lobes du manteau etaux branchies, présentent encore des éléments
identiques; ce sont des cellules semblables à celles qui composaient
l’ovule à l’état cordiforme, plus petites néanmoins et variables comme
celles-ci quant à leurs dimensions respectives (pl. IL, fig. 17, B, C).
Ainsi les sphères, puis les cellules vitellines se disposent d’une ma-
nière particulière ; elles forment des groupes d’où naîtront ultérieu-
rement et par des transitions insensibles, les divers appareils organi-
ques. Il est évident que le vitellus en entierse transforme en embryon ;
on ne voit ici aucune formation analogue au blastoderme ou au sac
vitellin. Des cellules vitellines seules et sans intermédiaire suffisent à
la formation des organes et à la constitution de l'embryon.
$S VIL, — QUATRIÈME PÉRIODE : Jusqu°à la chute de l’appareil
ciliaire.
Dans cette période, l'embryon prend de l’accroissement et les or-
ganes deviennent plus distincts ; l’appareil ciliaire est celui qui offre
les phénomènes les plus intéressants. Cet appareil proémine davan-
tage en avant, son bord se dégage de la circonférence de l'embryon
avec lequel il ne semble plus former un seul corps; c’est un lobe sé-
paré, qui se reconnaît enfin comme un organe particulier, distinct du
39
manteau et des branchies (pl. Il, fig. 20, A, B). Cet organe (aa), dont
la base est maintenant nettement limitée par le bord de la coquille,
est susceptible de très-légers mouvements d'expansion ou de contrac-
tion qui ne modifient pas sensiblement sa forme. L’embryon ne peut le
retirer dans sa coquille, Au moyen de cet appareil, il nage dans le
liquide avec une grande rapidité, il le traverse à son gré dans tous les
sens, va, vient, tourne autour de lui-même ou des obstacles qu’il ren-
contre. Rien n'est plus curieux et plus intéressant que de voir, sous le
microscope, ces petits mollusques parcourir la gouttelette d’eau qui
les réunit en grand nombre, s’éviter mutuellement, se croiser en tout
sens avec une merveilleuse rapidité, sans se heurter, sans se rencon-
trer jamais. La petite huître ne se sert de cet appareil que pour nager
et jamais pour marcher ou ramper, jamais, non plus, les cils qui le
recouvrent ne suspendent leurs mouvements vibratoires. La base de
l'appareil locomoteur se rétrécissant graduellement, cet organe de-
vient de plus en plus proéminant et n’est bientôt plus attaché que par
un pédicule assez mince (pl. II. fig. 21); néanmoins, il entraîne encore
l'embryon à sa remorque. Enfin, ce dernier lien se brise et la petite
huiître tombe et reste immobile, tandis que son appareil locomoteur,
vivement agité par le mouvement de ses cils, continue à circuler dans
le liquide ambiant; mais alors, organe aveugle et sans volonté direc-
trice, il se jette sur tout ce qu’il rencontre, il roule sur lui-même, sur
la lame de verre, jusqu’à ce que, arrêté par quelque obstacle, il ma-
nifeste néanmoins longtemps encore sa vitalité par l’agitation de ses
cils.
L'appareil locomoteur, ainsi détaché, a la forme d’un bourrelet cir-
culaire, dont le centre est percé d’une ouverture oblongue (pl. If,
fig. 22, A,B). Le bourrelet est disposé en entonnoir; sa concavité
donne naissance à une rangée de cils gros et longs, et son rebord en
est entièrement recouvert. L'ouverture centrale de cet entonnoir, qui
était placée en regard de la bouche (visible seulement lorsque cet ap-
pareil est tombé), s’y adaptait vraisemblablement, et les cils naissant
dans le fond de l’entonnoir ont sans doute pour fonction de diriger
dans la cavité buccale les particules alimentaires. On en acquiert la
conviction dans le cas où, après la chute de l'appareil ciliaire, le fond
de l’entonnoir est resté en plus ou moins grande partie adhérent à
l'embryon.
Tant qu’il fait partie de l'embryon, l'organe ciliaire représente une
AG
couronne surmontant le bord antérieur de la coquille ouverte (fig. 21);
lorsque les valves sont rapprochées, cette couronne, repliée sur elle-
même (fig. 19, A), semble former deux lobes distincts.
Quant aux organes internes, la portion de la masse centrale qui cor-
respond à l'intestin prend la forme d’une poire, ou mieux d’une cornue
(fig. 20, B. g), qui embrasserait dans sa concavité la masse plus opaque
du foie. La grosse extrémité, qui est l’estomac, est située dans le
côté le plus rétréci de la coquille et correspond à la partie de la cir-
conférence où nous verrons plus tard paraître l’ouverture de la bouche.
La petite extrémité (le col de la cornue) forme l'intestin et se dirige
vers le côté le plus large de la coquille; par les progrès du développe-
ment, cette partie du tube digestif s’allonge et se replie ordinairement
en une anse k visible dans l’espace vide et douée de contractions ap-
préciables. La bandelette périphérique, très-rétrécie vers la charnière,
forme manifestement de chaque côté des feuillets distincts sur quelques-
uns desquels le mouvement vibratile se prononcera aussitôt après la
chute de l'appareil ciliaire.
Je n’ai pu déterminer encore, à cette période, d’une manière cer-
taine, la bouche, ni la fin de l'intestin, ni les autres organes, quoique
j'aie cherché à les reconnaître par des observations très-multipliées et
très-longues, et quoique j'aie essayé de colorer le tube intestinal par
diverses matières végétales ou animales, comme on le fait pour l'étude
des infusoires.
En voyant l'embryon de l’huître nager rapidement et avec sûreté
dans toutes les directions, on ne peut se refuser à croire qu'il ne pos-
sède le sens de la vue; car comment pourrait-il avoir la notion de
tous les obstacles qu’il rencontre et qu’il évite avec tant de préci-
sion ? Cependanton n’aperçoit dans ses organes aucun point coloré,
aucune trace de pigment qui pourrait indiquer l’organe de la vue.
Quant à l'organe auditif que l’on a signalé dans l'embryon de quelques
mollusques acéphales, je n’en ai trouvé aucun indice dans celui de
l'huître,
On n’a point encore déterminé, que je sache, ce que deviennent les
appareils ciliaires des larves des divers mollusques gastéropodes ou
acéphales, chez lesquels ces organes ont été reconnus. Les observa-
teurs n’ont donné sur leur mode de disparition que des conjectures.
Il est très-probable que chez ces mollusques, comme chez les huîtres,
l'appareil locomoteur tombe lorsque ses fonctions sont terminées.
bi
Je n’ai pu savoir quel est le temps que l’embryon passe en incuba-
tion dans le manteau maternel; j'ai tout lieu de croire, cependant,
qu’il est de plus d’un mois. L’huître rejette ses embryons avant le
moment où ils perdent leur appareil de natation. Le raisonnement
indique qu'il en doit être ainsi ; le fait suivant en est la confirmation.
Je n’ai observé d’embryons en train de perdre leur appareil que dans
des huîtres conservées depuis plusieurs jours en bourriche, où leurs
valves étaient maintenues forcément fermées. Pour des larves parve-
nues à une période plus avancée, on comprend qu'il soit beaucoup
plus rare d’en rencontrer dans le manteau de l’huître; j'en ai trouvé,
cependant, deux fois sur des huîtres pêchées depuis une huitaine de
jours ; presque tous ces embryons étaient morts; néanmoins j'ai pu
en observer plusieurs encore vivants et sur lesquels je vais donner
quelques détails.
$ WELL. — CINQUIÈME PÉRIODE : Changements qui suivent la chute
de l‘appareil ciliaire,
Après la chute de l’appareil de natation, les petites huîtres offrent
dans leur circonférence un défaut de symétrie qui s’est manifesté dès
l’apparition du trait de la charnière, et qui est l’un des caractères de
l'animal adulte ; mais elles en diffèrent sous plusieurs rapports : ainsi,
les deux valves sont égales (pl. IL, fig. 24, C); elles offrent toutes les
deux une convexité semblable qui donne à la coquille une forme sub-
globuleuse ; la bouche, qui est devenue visible (fig. 24, A, B, a), n’est
point encore située sous la charnière c, elle se voit à l'opposé, au point
où était fixé l'appareil ciliaire. Enfin, l'examen des diverses parties
reconnaissables à travers les valves démontre que les organes diffèrent
encore beaucoup de ceux de l'animal adulte, tant dans leur forme que
dans leur situation respective.
La bouche a est pourvue de lobes plus ou moins aigus qui se rap-
prochent ou s’écartent, et dans lesquels on ne peut méconnaître les
lèvres ; un pinceau de cirrhes b part de leur intervalle, naissant sur
ces lèvres mêmes ou dans la cavité qu’elles circonscrivent. Ces cirrhes,
très longs, proéminent hors de la coquille; ils s’agitent vivement :
leurs mouvements sont très-rapides lorsque les lèvres s’entr’ouvrent
(fig. 24, À) ; ils diminuent au contraire considérablement lorsqu'elles se
rapprochent (fig. 24, B). L’agitation des cirrhes dirige vers l'ouverture
42
de la bouche un courant (fig. 24, A) qui, évidemment, a pour effet de
précipiter les particules nutritives dans cette cavité. Toutes les petites
huîtres que j'ai observées à cette période n'étaient pas munies de ces
cirrhes, et je n’ai pu déterminer s'ils appartiennent à l'appareil ci-
liaire, dont la base chez quelques-unes serait restée adhérente après
la chute du bourrelet extérieur, ou s’ils sont de nouvelle formation.
Le grand développementdes larves chez lesquelles je les ai rencontrées,
me ferait pencher vers cette dernière opinion.
La vie, qui ne se manifeste que par des mouvements très-obscurs
dans les organes internes de l'embryon pendant l'existence de l'appareil
ciliaire semble s’éveiller avec énergie dès que cet organe a disparu.
La partie rétrécie de la bandelette circulaire située entre la charnière
et l’espace vide, celle qui circonscrit la masse de l’intestin et du foie,
ne tardent pas à montrer à leur surface un mouvement vibratile très-
prononcé (pl. IL, fig 23). Ce mouvement vibratile annonce une fonction
nouvelle ; il est évidemment en rapport avec la respiration et détermine
l'existence des branchies.
En même temps ou un peu plus tard, on observe sous la cavité
buccale un organe très-petit, transparent, piriforme, qui, par ses
battements accélérés, ne peut être méconnu (fig. 24, À, B, d): c’est le
cœur. Ses mouvements de systole et de diastole se succèdent rapide-
ment et sans interruption. J'ai compté jusqu’à 110 battements par
minute, différence très-remarquable, si on les compare avec les mou-
vements du cœur de l’huître adulte dont les battements ne sont guère
de plus de 10 dans le même espace de temps.
Ainsi, dès que se manifeste la respiration par les mouvements vibra-
tiles des branchies, la circulation se manifeste par les mouvements
du cœur; cet organe est tellement apparent, tellement distinct dans
la période qui nous occupe, qu’on ne peut supposer que son existence
a été méconnue dans les périodes antérieures ; s’il existait, il est cer-
tain qu'il n’accomplissait point encore les fonctions qui lui sont dévo-
lues. Certes, l'apparition si tardive dans l’huître d’un organe qui, dans
les animaux vertébrés, précède presque tous les autres, a lieu d’é-
tonner; mais ce fait, si singulier qu’il soit, ne peut être révoqué en
doute. Il n’est d’ailleurs point particulier à l’huître ; les observateurs
qui se sont occupés de l’embryogénie des mollusques, ont signalé
l'apparition tardive du cœur chez plusieurs genres de ces animaux.
M, Vogt (ANNALES DES SCIENCES NAT., 9° série, t. VI, 1846), à propos du
43
développement de l’actéon, a porté son attention d'une manière toute
particulière sur ce point, et il va même jusqu’à penser qu’avec l’ab-
sence du cœur, il y a absence de circulation chez l'embryon de ce
mollusque.
Quant à la fonction de la respiration que M. Vogt dénie également
aux appareils de natation des larves des mollusques, nous ne saurions
être de son avis. Les phénomènes que nous avons observés dans l’em-
bryon de l’huître prouvent bien clairement que les appareils de loco-
motion servent en même temps à la respiration : en effet, l’absence de
mouvements Ciliaires à la surface des branchies, avant la chute de
l'appareil de natation, indique que ces organes ne respiraient pas
encore; or quel était, à cette époque, l'organe chargé de cette fonc-
tion ? Évidemment, celui dont la disparition coïncide avec le dévelop-
pement fonctionnel des branchies, c’est-à-dire l'appareil ciliaire. C’est
ainsi que le poumon entre en fonction chez beaucoup de batraciens,
au moment où se flétrissent les branchies du tétard, chez les oiseaux,
au moment ou l’allantoïde s’atrophie, etc.
L’examen des phénomènes que nous avons exposés démontrent donc
que l’appareil ciliaire est un organe beaucoup plus complexe qu’il ne
le paraît au premier abord. Il dirige les particules alimentaires dans
la cavité buccale, il absorbe l'oxygène dissous dans le liquide ambiant,
il obéit à la volonté de l'embryon et l’entraîne rapidement à sa suite.
Appareil de préhension, de respiration, de locomotion, sa chute dé-
termine dans l’état de l'embryon des changements en rapport avec ces
trois fonctions; on voit apparaître alors des lèvres et des cirrhes
pour saisir les aliments, des branchies pour respirer, mais aucun or-
gane ne vient accomplir la troisième fonction, et l’huître, privée de
son appareil vibratile, est condamnée pour toujours à l’immobilité.
$ IX. — Développement ultérieur. Accroissement.
Je n’ai point observé le développement ultérieur de l’embryon de
l'huître. Pour arriver à l’état parfait, il doit évidemment subir encore
dans son organisation quelques changements, dont l'étude ne tarde-
rait pas sans doute à devenir fort difficile ou même impossible à
cause de l’opacité de la coquille. M. Laurent (communication à la
Société de biologie, 1852), ayantexaminé de petites huîtres qui avaient
moins d’un millimètre de diamètre, fit la remarque que les valves dif-
hu
féraient de celles de l’animal adulte, en ce qu'elles étaient toutes les
deux semblables.
Sous le rapport de l’accroissement de l’huître, on n’a point de don-
nées bien positives. Il paraîtrait que la croissance de ce mollusque est
très-rapide dans les premiers jours qui suivent sa sortie de la cavité
incubatrice ; mais elle serait ensuite fort variable, suivant les circon-
stances dans lesquelles l’huître se trouverait placée. M. Dureau de la
Malle (COMPTES RENDUS DE L'AGADÉMIE DES SCIENCES, t. XXXIV, p. 596,
1852) rapporte que des huîtres qui, sur le banc d’Yellette, acquièrent
en cinq ans leur entière croissance, c’est-à-dire 9 centimètres de dia-
mètre, ont acquis cette taille moyenne en un an et demi dans la baie
de CancCale.
$ X. — Fécondité des huîtres. Causes de destruction.
A peine sorties de la coquille maternelle, les petites huîtres sont
assaillies par de nombreux ennemis. Avant qu’elles n’aient touché le
sol, alors que, par leur agglomération, elles forment une bouillie lai-
teuse en suspension dans l’eau de la mer, elles deviennent la proie de
myriades de poissons, de mollusques, de crustacés, etc., qui en dé-
truisent des quantités innombrables; celles qui échappent à la pour-
suite de tous ces ennemis, en rencontrent de nouveaux et plus nom-
breux encore sur les pierres, sur les coquilles, sur les plantes où elles
doivent se fixer. Tous ces corps, en effet, la coquille maternelle même
qui les protégeait, sont recouverts de serpules, de balanes, etc., etc.,
de polypes sans nombre , superposés les uns aux autres et dont les
cirrhes toujours agités, dont les tentacules toujours tendus, saisissent
et engloutissent ces embryons, lorsqu'ils arrivent à leur portée; enfin,
lorsque les petites huîtres se sont fixées et que leurs valves ont acquis
une consistance capable de les protéger contre ces ennemis, il en est
d’autres, comme les astéries, les crabes, etc., qui les surprennent dans
leur coquille entr’ouverte et les dévorent. Certes, toutes les causes de
destruction auxquelles sont exposés ces mollusques ne tarderaient pas
à faire disparaître l’espèce, si elle n’avait pour se défendre une
merveilleuse fécondité.
Leeuwenhoek avait été frappé de l'immense quantité d'œufs que
peut produire une huiître, et il en parle en plusieurs endroits avec
admiration. Les embryons d’une huître qu’il montra à ses amis (ouvr.
45
cité, lettre 103) furent estimés à 100,000 « Dans une autre (lettre 92)
» qui était d'une taille relativement considérable, je trouvai, dit-il,
» une si grande quantité de petites huîtres, que je n’oserai dire le
» nombre auquel je les estimai, car peu de personnes me croiraient.»
Pour donner une idée de leur petitesse et de leur nombre, Leeuwenhoek
ajoute : « Une observation attentive m’a montré que 120 de ces huîtres,
» placées en ligne droite, font la longueur d’un pouce. Si nous sup-
» posons que ces huîtres sont des corps ronds, en prenant le cube du
» nombre 120, nous obtiendrons 1,728,000. Par conséquent, une sphère
» dont l'axe est d’un pouce seulement est 1,728,000 fois plus grosse
» qu'une de ces petites huîtres, ou bien ce nombre d’huîtres forme
» une sphère dont l’axe est d’un pouce. »
J'ai cherché à déterminer le nombre d'œufs ou d’embryons contenus
dans quelques huîtres ; je procédai de la manière suivante : Je versai
le frai dans une éprouvette graduée; après l’avoir laissé reposer un
temps suflisant, je notai le nombre de centimètres cubes auxquels il
s'élevait et qui allait quelquefois jusqu’à 10. Ayant pris ensuite au
microscope la dimension des œufs ou des embryons qui composaient
le frai, dimension qui n’a jamais dépassé deux dixièmes de millimètre
de diamètre, je pus facilement calculer le nombre d'œufs ou d'em-
bryons contenus dans un centimètre cube, et par suite le nombre total.
Je reconnus que les appréciations de Leeuwenhoek n'étaient point
exagérées ; car, quoique chez les huîtres que j'examinai, une certaine
quantité du frai se fût perdue pendant qu’on les ouvrait, quoique
j'eusse exagéré les dimensions des embryons pour compenser toute
chance d'erreur, je trouvai dans une huître 600,000 œufs, dans une
autre 1,200,000 œufs, enfin, dans une autre 4,125,000 embryons. Les
huîtres sur lesquelles je fis ces recherches étaient, il est vrai, des indivi-
dus de grande taille, de l'espèce dite pied-de-cheval.Maiïs chez les huîtres
ordinaires, le frai n’est pas moins abondant proportionnellement, et
le nombre de leurs œufs doit s'élever, chez beaucoup d'individus, à
plusieurs centaines de mille. Il faut ajouter à cela que la réapparition
des éléments de la reproduction dans la glande sexuelle, pendant que
l’huître contient des embryons en incubation dans son manteau,
prouve qu’elle exécute plusieurs pontes dans une saison, ce qui donne
à la fécondité de ce mollusque des proportions extrêmement remar-
quables,
AG
$ XI. — Propagation des huîtres.
a. Si l’on considère que les œufsdel’huître, fécondés dans l'ovaire,
transformés en embryon dans une cavité incubatrice, ne sont point
sujets à rester stériles ou à périr pendant leur évolution, mais qu’ils
forment tout autant d'embryons qui n’abandonnent la coquille mater-
nelle qu'après avoir traversé les phases les plus destructives pour un
grand nombre d'animaux, et spécialement pour les poissons ; si l’on
considère encore l’immensité de leur production l’on verra que la
propagation des huîtres pourrait être, pour ainsi dire, indéfinie, s’il
était possible de soustraire leurs embryons aux ennemis qui les détrui-
sent avant qu'ils ne se soient fixés, et que c’est en dehors de l’huître
elle-même qu’il faut chercher les causes du dépérissement de certains
bancs et les moyens d’y remédier. Je sortirais des limites que je me suis
imposées , si j'examinais ici, comme elle le mérite, la question de la
propagation à ces divers points de vue; je me bornerai à quelques
remarques sur ce sujet.
b. Pour propager les huîtres dans les parages qui n’en produisent
pas, si le sol est favorable, si les causes de destruction ne prédominent
pas, il suffit d'y jeter un certain nombre de ces mollusques. Dans le
siècle dernier, le marquis de Pombal (célèbre ministre de Portugal)
ayant fait jeter quelques cargaisons d’huîtres sur les côtes de ce pays,
qui n’en produisait pas, ces mollusques s’y sont tellement multipliés
qu'ils y sont aujourd'hui très-communs. Le même fait s’est reproduit
en Angleterre vers la même époque; un propriétaire de Caernarvon
en ayant fait jeter une certaine quantité dans le détroit de Menay,
elles s’y propagèrent rapidement et furent pour lui, pendant longtemps
une source considérable de revenus. Le gouvernement anglais, pre-
nant exemple sur ce particulier, fit porter des chargements d’huîtres
sur divers points des côtes de l'Angleterre, où elles prospérèrent
également.
c. Si certains bancs d’huîtres pêchés à fond par la drague s’épuisent
rapidement, d’autres, traités de la même manière depuis un temps
immémorial, fournissent néanmoins à une pêche considérable. D'un
côté comme de l’autre, l’huître produit ses myriades d'embryons qui
doivent suflire et au delà au repeuplement. 11 y a donc dans le pre-
mier cas des causes particulières de dépérissement qu'il serait impor
47
tant de connaître pour les prévenir. C’est sans doute dans la dégrada-
tion du fond, dans l’accroissement consécutif des causes de destruction,
qu’il faut chercher la raison de ce dépérissement. Quelques-unes de ces
causes ont été signalées anciennement en Angleterre, et l’on a cherché
à les combattre par des règlements sévères : Sprat et Lister (ouvrages
cités) rapportent que les pêcheurs, dans ce pays, doivent séparer les
petites huîtres du cultch (tout corps solide auquel elles s’attachent,
comme pierres, vieilles écailles d’huîtres, etc.), et le rejeter dans la
mer, afin de conserver la fécondité du fond «La cour de l’amirauté
» met de fortes amendes sur ceux qui détruisent le cultch….. La raison
» pour laquelle on condamne à une telle amende ceux qui détruisent
» le cultch provient de ce que l’on a remarqué que, si on l’enlève, la
» vase augmente, et alors les moules et les petits coquillages s’y en-
» gendrent et détruisent les huîtres, qui n’ont rien pour y attacher
» leur frai. »
C’est sans doute à la nature du sol que tient sa dégradation plus ou
moins facile, et la différence que l’on observe dans l’état de conserva-
tion des divers bancs d’huîtres. On comprend qu'ici des règlements
particuliers puissent intervenir avec succès.
d. En France, la propagation des huîtres ne reçoit point de soins
spéciaux : ce sont les bancs naturels qui fournissent à la consomma-
tion du pays; mais, dans quelques contrées, l’on en forme d’artificiels,
ou du moins l’on y favorise la conservation du frai et la production de
l’huître. C’est surtout en Angleterre, sur les côtes des comtés d’Essex,
de Kent, etc., que cette industrie est pratiquée avec méthode. Dans le
lac Fusaro (royaume de Naples), pour favoriser la propagation et le
développement des huîtres, on plante des piquets sur lesquels elles
s’attachent en abondance, et leur pêche consiste alors à retirer ces
piquets et à les en détacher. En 1845, M. Carbonnel | COMPTES RENDUS
DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, t. XXI) a proposé de faire des bancs arti-
ficiels d’huîtres, mais il n’a point donné de publicité à ses moyens , et
sa proposition est restée sans résultats.
e. La formation de bancs artificiels par le frai semble devoir être
facile et avantageuse, lorsque l’on considère, d’une part l'immense
production des œufs de l’huître, et de l’autre le nombre considérable
d’ennemis qui les détruisent et dont on pourrait les préserver. La
consommation annuelle de la France ne montant pas à 200 millions
d'huîtres, il suffirait de quelques milliers de ces mollusques pour en
48
reproduire un nombre égal , si leurs embryons étaient soustraits aux
causes de destruction qui les attendent au sortir de la coquille mater-
nelle. On atteindrait probablement en grande partie ce but, en pla-
çant des huîtres laiteuses dans des bassins qui recevraient de l’eau de
mer pure et dont le fond revêtu de pierres, de claies ou de piquets
récemment submergés, ne serait point recouvert d’une couche d’ani-
maux destructeurs. On transporterait ensuite dans des lieux favora-
bles à leur accroissement, dans des enclos, comme il en existe à Can-
cale pour la croissance et l’engraissement des huîtres pêchées en mer,
les embryons devenus des huîtres et ayant acquis une grandeur con-
venable.
$ XII.—Fécondations artificielles, Croisement des huîtres.
On a proposé, pour propager les huîtres, de pratiquer des fécon-
dations artificielles, comme on le fait avec succès pour les poissons.
(COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES, t. XX N, p. 291). On
a pensé même qu’on pourrait améliorer certaines races ou obtenir des
hybrides par des croisements (COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES
SCIENCES, t. XXXIV, p. 163). On n'arriverait à ces résultats que si
l’huître avait les sexes séparés. Je crois avoir établi non-seulement
que l'huître est hermaphrodite, mais que les œufs ne sont pondus
qu'après avoir été fécondés par un élément qui ne vient point du de-
hors. En outre les œufs ont besoin pour se développer de séjourner un
certain temps dans le manteau de l’huître qui les a produits. Dans de
nombreux essais que j'ai faits pour suivre l’évolution des œufs, je n’ai
jamais réussi à les voir se développer, fût-ce pendant quelques jours,
lorsqu'ils avaient été retirés de leur cavité incubatrice. Dans ce cas,
les œufs ou les embryons périssent constamment et d'autant plus rapi-
dement qu'ils sont moins avancés dans leur développement. On ne
tarde pas à voir apparaître une multitude d'animaux infusoires qui
hâtent leur décomposition. D'ailleurs, les huîtres eussent-elles les
sexes séparés, comment appliquer ici la méthode des fécondations ar-
tificielles ? Comment reconnaître, sans l’ouvrir, qu'une huître possède
des œufs ou de la semence à maturité, et comment l'ouvrir sans la faire
périr aussi bien que les œufs quelle doit conserver en incubation pen-
dant un temps assez long ? Au reste, il n’est nul besoin de soins pour
obtenir des œufs en quantités innombrables et des embryons assez
LL
A9
avancés dans leur organisation pour qu’ils puissent vivre hors de leur
cavité incubatrice; il suffit de laisser des huîtres en repos dans un parc
pendant quelques jours pour les voir devenir laiteuses et produire
des embryons qui, tant qu’ils sont protégés par la coquille maternelle,
vivent et se développent régulièrement.
Si l’on a cru obtenir des métis de l’huître d’Ostende avec l'huitre
pied-de-cheval (COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES, t. XXXIX,
p. 598), est-on bien certain que ces huîtres diffèrent spécifiquement ?
Forment-elles, même, des races distinctes, et leurs différences ne tien-
nent-elles pas aux conditions spéciales dans lesquelles ces huîtres sont
placées ? On sait que les huîtres pêchées sur nos côtes et élevées dans
des parcs en Angleterre offrent un tout autre aspect que les nôtres.
La connaissance de l’organisation de l’appareil reproducteur des
huîtres et des conditions du développement de leurs œufs ne peut
laisser de doute sur l'impossibilité d'obtenir de nouvelles races par le
croisement et de les propager par des fécondations artificielles ; quant
à ce dernier moyen en particulier, la fécondité propre aux huîtres le
rendrait tout à fait superflu.
CONCLUSIONS.
Les faits exposés dans ce mémoire conduisent aux conclusions sui-
vantes :
L’huître est hermaphrodite.
L’apparence mâle ou l'apparence femelle que présente souvent l’or-
gane reproducteur de ce mollusque, tiennent à l'apparition tardive des
ovules et à la disparition des zoospermes à une époque déterminée.
Les éléments mâle et femelle sont répartis dans toute la masse de
l’organe reproducteur.
La fécondation s’opère dans la glande sexuelle même, par la désa-
grégation des masses de zoospermes.
Jamais la semence ne se répand au dehors de l’organe qui la produit,
et les œufs, au moment de la ponte, portent toujours des signes de
fécondation.
Les éléments sexuels se reproduisent dans l'organe de la génération,
pendant que les œufs en incubation sont contenus dans la cavité bran-
chiale du manteau.
en
50
L'étude de l'organe de la génération ne peut être convenablement
faite que sur des huîtres pêchées en mer, celles des parcs ne présen-
tant ordinairement que des ovules avortés,
L'hermaphrodisme, tel qu’il existe chez les huîtres, n’a point encore
été signalé chez les mollusques, et parmi les autres animaux on ne peut
en rapprocher que celui de la synapte de Duvernoy.
L’huître garde ses œufs en incubation entre les lobes de son man-
teau,
Les huîtres frayent depuis la fin de mai jusqu’à la fin de septembre.
Après la fécondation et avant le fractionnement de l’œuf, le vitellus
offre un changement notable dans sa constitution.
Les premières phases du fractionnement des ovules ne sont pas ré-
gulières.
Le vitellus en entier se transforme en embryon.
Les sphères, puis les cellules vitellines se disposent d’une manière
particulière et forment des groupes d’où naissent ultérieurement et
par des transitions insensibles les divers appareils organiques.
La coquille paraît de très-bonne heure, et dès qu’elle devient appa-
rente elle contient du carbonate de chaux.
L'embryon possède un appareil ciliaire au moyen duquel il nage et
se dirige à volonté dans toutes les directions.
L'appareil ciliaire est en même temps un organe de respiration.
À une époque déterminée, cet appareil se sépare de l’embryon. Alors
le cœur commence à battre, et un mouvement vibratile se manifeste
sur les branchies.
A l’époque de la chute de l'appareil ciliaire, la coquille de l'embryon
n’est point symétrique, mais ses deux valves sont semblables.
La fécondité des huîtres est immense.
C’est en dehors de l’huître elle-même qu'existent les causes du
dépérissement de certains bancs, et qu’il faut chercher les moyens
d'y remédier.
La formation de bancs artificiels d’huîtres paraît très-praticable.
La propagation par des fécondations artificielles et l'amélioration
des espèces ou des races par des croisements sont impossibles.
FIN.
PLANCHES.
EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE I.
Fig. I. Cette figure représente une huître dont la valve droite a été enlevée. Tous les organes
sont dans leur position naturelle. La glande sexuelle est indiquée par les lettres a,a. — b. Ca-
puchon du manteau sous lequel se trouve la bouche. — #,b'. Lobe gauche du manteau, —
ÿ!!,b". Lobe droit du manteau fortement rétracté. L'espace compris entre ces lobes est occupé
par les lames branchiales, et forme la cavité extérieure du manteau dans laquelle les œufs restent
en incubation. — c. Palpes labiaux.—d. Cavité du péricarde. —e. Muscle adducteur des valves.
— f,f. Branchies.
Fic. II. Cette figure représente la partie antérieure et supérieure d’une huître. Un lambeau &
de la membrane du manteau à été détaché et renversé pour mettre à découvert la cavité inté-
rieure du manteau et la partie inférieure de l'organe sexuel, Dans la cavité extérieure ou bran-
chiale, on a figuré le frai tel qu’il se trouve après la ponte, répandu entre les branchies et les
lobes du manteau. Les lettres de la fig. I indiquent les mêmes organes dans la fig. I1.—9,g. Le
frai en incubation. — h,h. Base des branchies et ouvertures de leurs compartiments, que l'on
aperçoit dans la cavité intérieure, mise à découvert par l'enlèvement du lambeau à. — k. Pertuis
existant à la partie inférieure de la glande sexuelle et par lesquels sortentles ovules. — 7. Ex-
trémité inférieure de l'anse intestinale.
Fic. IE. A. Agrégat de cellules spermatogènes grossies 340 fois. — B. Quelques-unes de ces
cellules grossies 700 fois.
Fic. IV. A. Masse de zoospermes grossis 340 fois. Les queues des zoospermes forment au-
tour de la masse une auréole caractéristique. — B. Zoospermes isolés, grossis 700 fois.
Fi. V. A. Parcelle de la glande sexuelle grossio 400 fois. Les éléments étaient développés à
un point qui permettait de reconnaître au même grossissement les ovules et les masses de z00-
spermes. La plupart des ovules écrasés ne sont plus reconnaissables qu’à leur vésicule germina-
tive intacte, — d,d. Quelques-unes de ces vésicules. — c,c. Quelques-unes des masses de z00-
spermes. — B. Ovules extraits de la même parcelle et vus au même grossissement. Leur diamètre
est d'environ la moitié de celui d’un œuf mr.
Fic. VI. Parcelle très-mince de l'organe sexuel enlevée après dessiccation. Cette parcelle a été
humectée avec de l'eau et grossie 540 fois. On n'avait constaté dans l'organe à l'état frais que
des masses de zoospermes. — a,a. Ces masses. — b. Aréoles vides.
Fic. VIL Parcelle d’un millimètre carré enlevée à l'organe sexuel desséché, dans lequel on
avait constaté préalablement l'existence d'ovules et de masses de zoospermes (grossie 40 fois).
Cette parcelle ayant été placée entre deux lamelles de verre et bumectée avec de la teinture aqueuse
d'iode, les ovules sont devenas plus apparents que les masses de zoospermes. Ils forment des
cercles a,a qui entourent ces masses b,b. Ces éléments réunis sont disposés en groupes isolés
les uns des autres par des aréoles vides cc.
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PLANCHE II.
Cette planche représente l’œuf et son évolution.
Toutes les figures, excepté la fig. XVII C, ont été dessinées à un grossissement de 400 fois.
Les différences de volume que l’on remarque entre quelques-uns des ovules tiennent en grande
partie à la compression plus ou moins forte qu'exerçait la lamelle de verre qui les maintenait,
F1G. I. OEufs mûrs non encore fécondés. — a. Membrane vitelline. — b. Vitellus. — c. Vé-
sicule germinative. — B et C. Des ovules plus ou moins déformés et tels qu’ils se présentent
ordinairement au microscope,
Fic. II. A. Vésicule transparente d’un œuf mûr et granules moléculaires du vitellus. — B. La
même vésicule isolée.
Fic. III. Divers œufs fécondés et encore contenus dans la glande sexuelle. — A,B,C. Difè-
rent par leur vésicule germinative. — D,E. OEufs écrasés. Le vitellus a pris une certaine consis-
tance : dans l'un des ovales, la vésicule germinative paraît en partie dissoute ; dans l’autre, elle
n’était plus visible.
Fic. IV à XIII. OEufs fractionnés à divers degrés.
Fic. XIV. Ovule plus avancé dans son fractionnement et très-comprimé, pour rendre appré=
ciables les éléments qui le composent. — B. Fragments isolés du même ovule,
Fic. XV, XVI. Ovules devenus cordiformes.
Fic. XVII. A. OEuf commencant à avoir des cils vibratiles, a,a. — b. Charnière.—B. Por-
tion du même œuf écrasé, pour faire voir les éléments dont il se compose, — C. Ces éléments
grossis 340 fois.
Fic. XVIII. OEuf ou embryon plus avancé. — a,a. Cils vibratiles. — b. Charnière. —
c. Masse centrale. — d, Bandelette périphérique. — e, Espace vide.
FiG. XIX. Embryon pouvant déjà se mouvoir au moyen de ses cils vibratiles.—A,B,C,D,E. Le
même vu dans divers sens ; la coquille est très-apparente. Dans la fig. D, on voit qu'elle ne
récouvre qu’une partie de l'embryon. Dans la fig. E, les deux valves, dont l'une est brisée, sont
étendues dans le même plan.
FiG. XX. À. Embryon ayant un appareil ciliaire (a,a) bien limité, au moyen duquel il nage
rapidement dans le liquide ambiant, Plusieurs organes sont devenus très-distincts. — b. Ghar-
nière. — c. Masse centrale formant le foie et l’estomac. — d,d. Bandelette périphérique repré-
sentant le manteau et les branchies. — e, Espace vide. — Dans lafig. B. f, le foie? —
g. L’estomac. — h. Une anse de l'intestin.
Fic. XXI. Embryon plus avancé, dont l'appareil ciliaire (a,a) est prêt de se séparer.
Fic. XXII. Appareil ciliaire après sa séparation du corps de l'embryon. — A. Vu de face.
B. Vu de profil.
Fic. XXII. Embryon après la chute de l'appareil ciliaire ; un mouvement vibratile se ma-
nifeste de a en a et de b en b.
Fic. XXIV. Embryon ayant perdu l'appareil ciliaire depuis un certain temps (probablement
plusieurs jours). La coquille, devenue moins transparente, laisse voir plusieurs organes d’une
manière confuse. Dans la fig. A, la coquille est entr'ouverte ; les lobes (lèvres) qui circonscrivent
la cavité a (bouche) sont écartés. Des cirrhes (bb) qui en partent, déterminaient par leur agitation
un courant vers la bouche. — d. Le cœur, — c. La charnière. — Dans la fig. B, la coquille
est fermée, les lèvres sont rapprochées, les cirrhes n'élaient agilés que par des mouvements très-
lents. Le cœur (d) continuait à battre avec la même rapidité, — C. Le même embryon vu par la
charnière.
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