Skip to main content

Full text of "Recueil complet des travaux préparatoires du code civil : suivi d'une édition de ce code, a laquelle sont ajoutés les lois, décrets et ordonnances formant le complément de la législation civile de la France..."

See other formats


^ 


•  • 


'*mr' 


t^.  ^  *'^^f^: 


^^Ifc     ^-^ 


ro 


t^M  ''^ 


5  0 


RECUEIL  COMPLET 


D£fl 


TRAVAUX  PRÉPARATOIRES 


I 


DU 


CODE  CIVIL. 


TOME   SIXIEME. 


Se  trouve  aussi 
Chez  R.   LEROUX,  Libraire,  rue  Serpente,  n*   14. 


IMIfUMPlUK   DR   M.\KCM\?»I>  OU   UHP.UIL, 


RECUEIL  COMPLET 


DES 


TRAVAUX  PREPARATOIRES 


D  U 


CODE  CIVIL, 

SUIVI 

d'une  édition  de  ce  code  a  laquelle  sont  ajoutés  les  lois,  décrets  et 
ordonnances  formant  le  complement  de  la  legislation  civile  de  la 

FRANCE,  ET  OU  SE  TROUVENT  INDIQUES,  SOUS  CHAQUE  ARTICLE  SÉPARÉMENT  , 
TOUS  LES  PASSAGES  DU  RECUEIL  QUI  s'y  RATTACHENT. 

Par  p.  a.  FENET, 

AVOCAT    A    LA    COUR    ROYALE    DE    PARIS. 


TOME  SIXIEME. 


PARIS, 

AU  DÉPÔT,  RUE  SAINT- ANDRÉ-DES-ARCS ,  N«  5i , 


C^^<-tX  V^ytXO^ 


MDCGCXXVJI. 


¥ 


RECUEIL  COMPLET 


DLS 


TRAVAUX  PRÉPARATOIRES 


DU 


CODE  CIVIL. 


«■>ai>B«ta>»>«»»8a»«»«»«<f  »*B«»a»«Ba>»ta»»*«««*«« 


DISCUSSIONS, 

MOTIFS,  RAPPORTS   ET  DISCOURS. 


m\imtQ09* 


TITRE  PRELIMINAIRE. 

De  la  publication ,  des  effets  et  de  V application 
des  lois  en  général. 

CONSEIL  D'ÉTAT. 

(Procès-verbal  de  la  Séance  du  4  thermidor  an  IX. —  23  juillet  1801.) 

jM.  Portalis,  d'après  le  renvoi  fait  par  les  consuls  à  la 
section  de  législation  dans  la  dernière  séance  *,  présente 
un  projet  de  loi  extrait  du  livre  préliminaire  du  Code  civil 
et  relatif  à  la  publication ,  aux  effets  et  à  V application  des  lois  en 
général. 

L'article  i"  est  ainsi  conçu  : 

<  Les  lois  seront  exécutoires  dans  toute  la  République, 

*  Il  est  arrêté,  dans  la  séance  du  18  messidor  an  IX, 2°  que  les  dispositions  dn  livre 

préliminaire  qui  appartiennent  à  la  législation  seront  rédigées  en  un  seul  projet  de  loi. 
I  Voyez  VHitloire  du  Code,  j 


4  DISCUSSIONS  ,     MOTIFS  ,    ClC 

«<  (juinzc  jours  après  la  promulîçalion  faite  par  le  Preriiier 
«  Consul. 

«  Ce  délai  pourra,  selon  rexigence  des  cas,  être  modifié 
(.  par  la  loi  qui  sera  l'objet  de  la  publication.  • 

Le  rapporteur  dit  (jue,  dans  le  Projet  de  Code  civil ,  on 
avait  distingué  les  lois  en  lois  administratives,  judiciaires 
et  mixtes.  Les  premières  devaient  devenir  obligatoires  du 
jour  où  elles  auraient  été  publiées  par  les  autorités  admi- 
nistratives; les  secondes,  du  jour  où  elles  l'auraient  été 
par  les  tribunaux  d'appel;  les  troisièmes,  c'est-à-dire  les 
lois  mixtes,  devaient  l'être,  en  ce  qui  pouvait  être  relatif 
à  la  compétence  de  chaque  autorité,  du  jour  de  la  publi- 
cation par  l'autorité  compétente. 

Le  tribunal  de  cassation  et  le  tribunal  d'appel  de  Paris 
adoptent  le  fond  de  ce  système,  et  ne  proposent  que  des 
chanij;emens  de  rédaction. 

La  majorité  des  autres  tribunaux  regarde  ce  mode  de  pu- 
blication présenté  dans  le  projet  de  Code,  comme  insuffisant, 
contraire  aux  vrais  principes,  et  sujet  aux  plus  grands  abus. 

Les  uns  (lisent  qu'une  sinq)le  lecture  delà  loi  à  l'audience 
d'un  tribunal  d'appel  ne  saurait  autoriser  la  présomption 
légale  ,  (\ue ,  dans  l'instant  même  de  celte  lecture ,  la  loi  est 
connue  des  tribunaux  d'arrondissement ,  situés  souvent  à 
une  grande  distance  des  tribunaux  d'appel.  Ils  désireraient 
que  la  loi  fût  publiée  par  ces  tribunaux,  qui  sont  les  premiers 
à  l'appliriucr  et  à  l'exécuter,  et  qu'elle  ne  fût  même  exécu- 
toire qu'ajirès  un  certain  délai,  h.  dater  du  jour  de  cette 
publication,  lequel  délai  serait  mis  à  profit  pour  faire  afficher 
la  loi,  sinon  dans  toutes  les  communes,  du  moins  dans 
toutes  celles  où  il  y  a  un  juge  de  paix.  Ils  observent  que 
les  frais  d'impression  et  d'aHîche  seront  moins  onéreux 
pour  le  trésor  publie  dans  un  ordre  de  choses  (|ui  garantit 
plus  de  stabilité  aux  lois;  et  que  d'ailleurs,  dans  une  ma- 
tière aussi  importante  ,  Pinlérét  du  fisc  ne  saurait  balancer 
celui  des  cilovens  de  l'Ltal. 


1)1'    LA   PIJULICATION   DES   LOIS.  5 

Les  aiilrcs  tribunaux,  e»  reconnaissanl  la  urocssilé 
(l'atlresser  les  lois  à  toutes  les  autorités  chargées  de  leur 
ap|)licatioii  ou  de  leur  exécution  ,  et  môme  de  les  faire 
connaître  à  tous  les  citoyens  par  la  voie  de  l'aiViche,  pro- 
posent de  fixer  un  délai  à  dater  de  la  promulgation  de  la 
loi  par  le  Premier  Consul ,  iprès  lequel  la  loi  sera  au  même 
instant  exécutoire  dans  toute  l'étendue  de  la  République. 

Les  divers  systèmes  que  les  observations  des  tribunaux 
nous  présentent  n'avaient  point  échappé  à  la  section  ;  elle 
en  avait  discuté  d'avance  les  inconvéniens  et  les  avantages. 

La  publication  des  lois  est  une  conséquence  du  principe 
que  les  lois  ne  peuvent  être  obligatoires  avant  d'être  con- 
nues :  mais  il  est  impossible  de  trouver  un  mode  de  publi- 
cation qui  ait  l'effet  d'atteindre  personnellement  chaque 
individu  ;  on  est  réduit  à  se  contenter  de  la  certitude  mo- 
rale que  tous  les  citoyens  ont  pu  connaître  la  loi. 

Pour  peser  les  divers  degrés  de  cette  certitude  morale, 
il  faut  distinguer  les  lieux  et  les  temps. 

Dans  l'ancien  régime,  la  loi  était  secrètement  rédigée; 
on  l'adressait  ensuite  aux  cours  souveraines.  Ces  cours  pou- 
vaient en  refuser  ou  en  siispendre  l'enregistrement,  et  dé- 
libérer des  remontrances.  L'enregistrement  étant  une  forme 
préalable  à  l'exécution  de  la  loi ,  cette  exécution  ne  pouvait 
avoir  lieu  qu'après  que  la  loi  avait  été  enregistrée. 

Nous  devons  même  faire  remarquer  que,  dans  la  plupart 
des  anciennes  provinces  de  France ,  la  loi  n'était  exécutoire 
que  du  jour  de  la  publication  qui  en  était  faite  par  les  tri- 
bivnaux  inférieurs. 

Le  système  de  ceux  qui  voudraient  ne  rendre  la  loi  exé- 
cutoire que  du  jour  de  sa   publication  par  les  tribunaux 
d'appel  ou   par  les  tribunaux  d'arrondissement,   se  rap 
proche  de  cet  ancien  ordre  de  choses. 

Mais  cet  ordre  n'existe  plus.  Dans  notre  droit  actuel ,  la 
loi  a  toute  sa  force  et  tous  ses  caractères  avant  d'être  adressée 
aux  Tribunaux  et  aux  diverses  autorités  conipétcnlcs.B'autre 


b  DISCU8SIOÎIS  ,   MOTIFS  ,   elc. 

pari,  la  loi  a  déjà  acquis  le  plus  haut  degré  de  publicité 
par  les  discours  des  orateurs  du  gouvernement,  par  la  dis- 
cussion du  tribunal,  et  par  celle  qui  est  faite  en  présence 
du  corps  législatif.  La  loi  ne  peut  être  pronnulguée  par  le 
Premier  Consul  que  dix  jours  après  le  décret  du  corps 
législatif;  et  pendant  ce  délai ,  la  connaissance  de  la  loi 
continue  à  circuler  dans  toute  la  République. 

L'envoi  officiel  de  la  loi  aux  autorités  compétentes  n'est 
donc  plus,  dans  la  hiérarchie  des  pouvoirs,  qu'un  moyen 
régulier  de  rendre  la  loi  plus  intimement  présente  aux 
différentes  parties  de  l'état,  et  d'en  assurer  le  dépôt  dans 
tous  les  lieux  où  elle  doit  Otre  ol>éie. 

Cet  envoi  pouvant  être  fait  partout  dans  un  temps  déter- 
miné, pourquoi  n'adopteiait-on  pas  la  proposition  de  fixer 
un  délai  suffisant  après  lequel  la  loi  serait,  au  même  ins- 
tant, exécutoire  dans  toute  la  France? 

Une  telle  idée,  qu'il  n'eût  pas  été  possible  de  réaliser 
tant  qu'il  existait  des  cours  qui  avaient  le  droit  de  refuser 
ou  de  suspendre  l'enregistrement  des  lois,  ne  rencontre 
aujourd'hui  aucun  obstacle. 

Elle  aurait,  dit-on  ,  l'inconvénient  de  retarder  l'exécu- 
tion des  lois  dans  certains  départemens,  et  surtout  dans 
ceux  où  il  importe  (juelquefbis  le  plus  que  les  lois  soient 
promplemcnt  exécutées. 

En  retardant  Pcxécutioii  des  lois,  lorsqu'elles  sont  déjà 
suffisamment  connues  ,  elle  pourrait  donner  lieu,  dans  le 
temps  intermédiaire,  à  im  grand  nombre  de  fraudes  contre 
ces  lois. 

Mais  on  peut  répondre  t|ue ,  dans  les  cas  rares  où  il  serait 
essentiel  cju'unc  loi  nouvelle  fût  exécutée  sans  délai  à 
Paris  et  da»is  les  départernins  environnans,  cette  loi  pour- 
rait le  dctlarer.  Nous  y  avons  pourvu  par  une  disposition 
particulière. 

Quant  aux  fraudes  dont  le  délai  peut  devenir  roccasioii , 
on  ne  les  préviendra  dans  aucun  système  ;  cai  la  disCLwt»ion 


DK    LA    PUBLICATION    Vh^    LOIS.  7 

des  lois  étant  publique,  ceux  qui  veulent  cons(3mmer  des 
arrangeniens  auxquels  la  nouvelle  loi  s'opposerait,  auront 
toujours  le  temps  et  la  liberté  de  le  faire  avant  la  pronriul- 
gation  de  cette  loi. 

Ce  qui  est  certain  .  c'est  que  l'idée  d'établir  un  délai 
uniforme  après  lequel  la  loi  serait  exécutoire  le  même  jour 
dans  toute  la  République,  préviendrait  cette  diversilé  de 
jugemens  sur  les  mêmes  questions  et  entre  les  membres  de 
la  même  cité,  qui  est  un  sujet  de  scandale,  et  ces  incerti- 
tudes locales  sur  l'époque  de  l'exécution  de  la  loi ,  qui  sont 
une  grande  source  de  difficultés  et  de  procès. 

L'idée  d'un  délai  uniforme  aurait  encore  l'avantage  de 
rendre  l'exécution  de  la  loi  indépendante  de  la  négligence 
de  l'homme,  et  de  mieux  constater  le  principe  que,  dans 
notre  droit  public,  le  fait  des  tribunaux  et  des  autres  auto 
rites  ne  peut  plus  rien  ajouter  à  la  force  et  au  caractère  de 
ia  loi. 

Le  rapi)orieur  observe  en  outre  que  l'idée  d'un  délai 
uniforme  dispenserait  de  recourir  à  la  distinction  des  lois 
administratives,  des  lois  judiciaires  et  des  lois  mixtes.  Par 
là  on  préviendrait  tous  les  doutes,  toutes  les  incertitudes 
qui  pourraient  naître,  dans  tout  autre  système,  de  la  né- 
cessité de  faire  celte  distinction.  De  plus,  l'unité  dans  le 
mode  de  rendre  les  lois  exécutoires  influerait,  plus  qu'on 
ne  pense,  sur  le  degré  de  confiance  et  de  respect  qu'on 
doit  à  toutes  les  lois. 

Le  Pbemier  Consul  dit  que  déjà  la  constitution  suspend  de 
dix  jours  la  promulgation  de  la  loi  :  ajouter  encore  quinze 
jours  à  ce  terme,  ce  serait  souvent  manquer  le  but  que 
s'est  proposé  le  législateur,  surtout  lorsqu'il  a  porté  des 
lois  répressives ,  ou  d'autres  lois  dont  l'exécution  ne  peut 
être  différée. 

Le  Consul  Cambacérès  applique  la  même  objection  aux 
lois  civiles.  Il  en  est  qu'on  pourrait  éluder  pendant  le  délai 
qui  s'écoulerait  entre  le  moment  où  elles  seraient  dé- 


8  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

crétées  et  le  momeiU  où  elles  obligeraient  les  ciloyeu». 

31.  Portalis  repond  que,  quant  aux  lois  répressives,  le 
remède  est  dans  le  projet  de  loi ,  puisqu'il  accorde  la  faculté 
d'abrég:er  le  délai  général. 

Pour  ce  qui  concerne  la  publication  des  lois  civiles ,  l'in- 
convénient qu'on  a  relevé  subsisterait  dans  tous  les  sys* 
tèmes. 

Le  Premier  Cowsul  dit  que  la  section  parait  s'écarter  de 
ses  propres  principes,  lorsque,  contre  les  dispositions  du 
droit  romain  et  l'opinion  unanime  des  jurisconsultes,  elle 
admet  que  la  loi  ne  sera  pas  obligaloiie  aussitôt  qu'elle 
sera  connue. 

M.  IJotLAY  objecte  qu'il  en  est  ainsi  dans  le  système  de  la 
législation  actuelle ,  puisque  la  loi  ne  devient  exécutoire 
que  du  jour  où  l'envoi  qui  en  est  fait  a  été  mentionné  sur 
Je  registre  de  l'administration. 

M.  KoEDEBER  dit  que  c'est  dans  la  constitution  qu'on  doit 
chercher  la  solution  de  la  question. 

Mie  veut,  article  XLI ,  que  la  promulgation  soit  faite  par 
le  Premier  Consul,  Le  mot  promulgation  veut  dire  publication. 
C'est  donc  le  Premier  Consul  seul  qui  publie. 

L'enregistrement  n'est  donc  pas  nécessaire  à  la  promul- 
gation ;  car  la  promulgation  appartenant  en  entier  au  Pre- 
mier Consul ,  il  ne  la  partage  pas  avec  un  préfet.  L'enregis- 
trement du  préfet  est  un  simple  acte  de  dépôt ,  qui  n'a  pas 
pour  objet  de  faire  connaître  la  loi.  Mais  cet  enregistre- 
ment n'est  pas  connu  le  même  jour  dans  toute  l'étendue 
de  la  préfecture  ,  non  plus  (pic  la  promulgation  du  Premier 
Consul  dans  tous  les  départemcns.  Que  faut-il  donc  ajouter 
à  la  promulgation  pour  s'assurer  «jue  la  loi  est  connue?  un 
délai  dans  le((nel  la  notoriété  de  la  promulgation  puisse 
probablement  parvenir  à  tous  les  citoyens.  C'est  là  la  règle 
suivie  en  Angleterre  et  en  Amérique,  (k^pendant,  comme 
il  serait  ridicule  d^étabiir  un  tarif  des  distances  ,  ou  pour- 
rait y  avoir  égard  d'une  manière  générale  ^  et  dire  que  uul 


1)E    LA    PUBLICATION     DJiS    LOIS.  () 

jio  pourra  pn^enilrc  igiiorauce  de  la  loi,  le  jour  même  de 
sa  promulgation  dans  le  lieu  où  siège  le  gouvernement,  et 
dans  les  autres  lieux  après  un  délai  de  cinq  jours  par  dis- 
tance de  trente  lieues. 

M.  ÏRoscHET  dit  que,  dans  cette  matière,  il  faut  distin- 
guer le  fait  de  la  théorie. 

La  théorie  est  que  les  lois  ne  sont  obligatoires  que  lors- 
qu'elles sont  connues;  mais,  dans  le  fait,  on  ne  peut 
trouver  de  formes  pour  donner  connaissance  de  la  loi  à 
chaque  citoyen  individuellement  :  la  difficulté  augmente 
même  par  le  peu  d'empressement  que  met  le  commun 
des  hommes  à  s'instruire  des  lois  ;  lorsqu'ils  ont  besoin 
de  les  interroger,  ils  s'adressent  aux  jurisconsultes.  On 
doit  donc  chercher  un  moyen  qui  fasse  connaître  les 
lois  à  ceux  qui  veulent  s'en  instruire.  On  ne  pouvait 
espérer  ce  résultat  des  formes  usitées  jusqu'à  présent; 
elles  avaient  d'ailleurs  l'inconvénient  de  varier,  suivant 
les  lieux,  les  époques  où  les  lois  devenaient  obligatoires. 
Dans  cet  état  de  choses,  le  mode  proposé  par  la  section 
parait  le  seul  possible  :  il  n'est  pas  sans  inconvéaiens; 
quel  autre  mode  en  est  exempt  ?  C'est  sans  doute  une  grande 
difficulté  que  le  retard  qu'éprouve  l'exécution  des  lois  qui 
commandent  et  qui  défendent;  mais  le  projet  y  remédie. 
Quant  aux  lois  facultatives  et  à  celles  qui  agissent  indépen- 
damment de  la  volonté  de  l'homme,  comme  sont  les  lois 
qui  règlent  les  successions,  le  retard  du  moment  où  elles 
deviennent  obligatoires  ne  blesse  que  l'intérêt  particulier  : 
mais  il  sert  l'intérêt  général,  qui  veut  que  les  lois  devien- 
nent obligatoires  partout  au  même  moment.  Au  surplus, 
ce  serait  se  jeter  dans  des  débats  interminables,  que  de 
vouloir  établir  la  distinction  des  lois  qui  commandent,  de 
celles  qui  permettent,  de  celles  qui  défendent.  Il  est  pré- 
lerable  de  choisir,  pour  rendre  la  loi  obligatoire,  l'époque 
où  elle  peut  être  connue  de  tous.  Ce  mode  cependant  ne 
dispenserait  pas  d'ordonner,  par  lui  régieaient,   que   le 


10  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

ministre  de  la  justice  sera  tenu  d'envoyer  la  loi  aux  tribu- 
naux et  aux  autres  autorités  dans  un  temps  déterminé.  Il 
faudra  aussi  mettre  quelque  dilïérence  entre  le  continent 
et  les  colonies,  à  l'égard  du  délai  général  après  lequel  la 
loi  devra  être  exécutée. 

M.  Boulât  propose  de  donner  au  gouvernement  le  droit 
de  fixer  l'époque  où  la  loi  deviendra  obligatoire  dans 
chaque  colonie. 

Le  Premier  Consul  dit  (ju'on  pourrait  «a  déclarer  exécu- 
toire du  jour  de  son  arrivée. 

11  demande  pourquoi,  en  général,  les  lois  ne  seraient 
pas  réputées  exécutoires  du  jour  où  elles  seraient  présen- 
tées à  l'audience  des  tribunaux  par  le  commissaire  du 
gouvernemonl. 

M.  RoEDERER  observe  que  ce  serait  faire  revivre  rancienuc 
forme  de  l'enregistrement. 

Le  Premier  Consul  persiste  à  penser  que  ce  serait  offenser 
la  majesté  de  la  volonté  nationale,  que  de  ne  rendre  la  loi 
obligatoire  que  vingt-cinq  jours  après  qu'elle  est  connue. 

M.  BouLAY  dit  que,  si  l'on  datait  l'empire  de  la  loi  du 
joiir  où  elle  serait  présentée  par  le  commissaire  du  gou- 
vernement, on  laisserait  à  ce  magistrat  la  faculté  d'en 
différer  l'exécution. 

Le  Ministre  de  la  Justice  dit  ({ue  la  publication  de  la  loi 
n'est  complète  que  lorsque  la  loi  est  physi(|ucment  présentée 
dans  le  lieu  où  elle  doit  être  exécutée  ;  ainsi  Ton  ne  peut 
s'empéchcr  d'avoir  égard  aux  distances.  Le  meilleur  moyen 
à  prendre  pour  règle,  est  de  déclarer  la  loi  exécutoire  du 
jour  qu'elle  est  présentée  par  le  commissaire  du  gouverne- 
ment. 

Le  Conhul  (^ambacéres  dit  (|ue  les  inconvéniens  qu'on 
croit  devoir  résulter  du  mode  actuel  de  publication  des 
lois,  ne  sont  pas  jusqu'ici  justifiés  par  des  exemples.  La 
seule  question  que  ce  mode  ait  fait  naître,  est  celle  de 
savoir  bi  les  tribunaux  sont  obliges  de  juger  confonuéuicnl 


DE    LA    1>1]BLICAT10N    DES    LOIS.  1  1 

à  la  loi  avant  de  l'avoir  reçue.  Le  changement  qu'on  pro- 
pose d*apporter  au  mode  actuel  de  publication  est  donc 
sans  motif  :  pourquoi  priver  celui  qui  vit  dans  un  dépar- 
tement où  la  loi  est  connue,  de  la  faculté  d'en  user? 

M.  Regmer  pense  que  les  Français  étant  éî^aux  en  droits, 
ils  doivent  tous  être  soumis  au  même  moment  à  l'empire 
de  la  loi,  quelle  qu'elle  soit,  rigoureuse  ou  favorable. 

Le  Premier  Consll  dit  que  le  principe  de  l'égalité  des 
droits  est  respecté ,  lorsque  tous  les  Français  sont  égale- 
ment soumis  à  la  loi  au  moment  où  elle  arrive  dans  le 
lieu  qu'ils  habitent. 

M.  Emery  dit  que  l'uniformité  du  délai  prévient  les  effets 
de  la  négligence  ou  de  la  malveillance  des  tribunaux  qui 
différeraient  de  publier  la  loi. 

11  ajoute  que  la  promulgation  de  la  loi  la  rend  obligatoire, 
mais  qu'elle  ne  devient  exécutoire  que  par  la  publication; 
qu'ainsi,  ne  pas  adopter  le  système  d'un  délai  uniforme, 
c'est  s'exposer  c\  faire  vivre  pendant  un  temps  sous  des 
règles  différentes,  des  contrées,  même  peu  distantes  l'une 
de  l'autre. 

iM.fPsRLiER  croit  que  la  nature  des  choses  repousse  in- 
vinciblement un  délai  général  et  uniforme;  mais  il  pense 
qj^e  l'on  peut  et  que  Ton  doit,  d'après  une  autre  donnée, 
et  sur  une  autre  plan,  prévenir  les  effets,  soit  de  la  négli- 
gence, soit  de  la  malveillance,  qui  tendraient  à  priver 
quelques  portions  du  territoire  français  du  bénéfice  d'une 
prompte  publication  de  la  loi.  Il  n'y  a ,  selon  l'idée  qu'en 
a  fournie  M.  Rœclcrer ,  qu'à  régler  par  les  distances  le  jour 
où  la  loi  deviendra  obligatoire  dans  chaque  département 
de  la  République,  sans  le  secours  d'une  publication  ma- 
térielle :  ce  qui  doit  tout  concilier. 

M.  Tronchet  dit  qull  ne  suffit  pas ,  pour  que  la  loi 
reçoive  son  exécution,  qu'elle  soit  connue  des  citoyens; 
qu'elle  doit  encore  être  dans  la  main  du  magistrat,  et 
qu'on  ne  peut  s'en  assurer  qu'en  accordant  un  délai  général. 


19.  DISCUSSIOS,    MOTIFS,    clC. 

M.  liERLiER  réplique  que  ce  délai  général  el  uiiifornu: 
ne  donnerait  pas  l'assurance  que  la  loi  fùl  parvenue  aux 
tribunaux  les  plus  éloignés,  au  jour  où  elle  deviendrait 
obligatoire  :  au  surplus,  ce  n'est  pas  au  moment  précis  où 
la  loi  acquerra  ce  caractère,  (fue  les  citoyens  seront  dans  le 
cas  d>n  demander  l'application  au  magistrat,  du  moins  en 
ce  qui  touche  à  l'ordre  judiciaire  ;  et  la  loi  sera  dans  la 
main  des  juges,  long-temp?  avant  que  leur  ministère  soit 
invoqué. 

Le  Premier  Consul  soutient  que  le  système  de  la  section 
embarrasserait  l'exécnlion  de  la  loi.  Il  faudrait  sans  cesse 
mettre  en  délibération  l'époque  à  laquelle  la  loi  deviendrait 
obligatoire  :  le  délai  général  ne  serait  maintenu  que  pour 
les  gr;mdes  lois  civiles  ;  il  serait  abrogé  pour  toutes  les 
autres.  Il  est  peu  de  lois  dont  l'exéculion  puisse  être  dil- 
féréc  pendant  vingt-cinq  jours;  et  lorsqu'elle  est  trèf»- 
iirgente,  il  faut  que  le  gouvernement  puisse  l'accélérer  en 
envoyant  des  courriers  extraordinaires. 

Le  Ministre  de  là  Justice  dit  que  déjà  les  tribunaux  onl 
reconnu  le  principe  (jue  la  loi,  dans  les  matières  civiles, 
peut  être  exécutoire  du  moment  (ju'elle  est  connue  ^#t  ad- 
mettent les  actes  dans*!esquels  l'une  des  parties  déclare 
qu'elle  slipule  d'après  une  loi  promulguée  el  non  encore 
envoyée  à  l'administration.  La  promulgation,  en  effet,  est 
la  vraie  publication  de  la  loi;  la  publication  locale  n'a  été 
imaginée  que  pour  en  répandre  davantage  la  connaissance. 

M.  PoRTALis  dit  que  la  promulgatiun  complète  le  carac- 
tère  de  la  loi  ;  que  la  publication  est  la  consé(|uence  de  la 
promulgation,  et  a  pour  objet  de  faire  connaître  la  loi. 

11  ne  pense  pas  ,  au  stirplus,  (ju'il  soit  contraire  à  la  nia- 
jf'slé  de  la  loi,  de  la  laisser  (]uelrpie  temps  sans  exécution, 
lorsque;  c'est  la  loi  elle-même  qui  le  veut. 

Lfcg  diflicultés  (lu'entraînc  le  retard  n'exixtt  nt  que  pour 
les  lois  administratives,  parce  (|ue  ordinairement  elles  sont 
urgentes. 


DK    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  |^ 

Le  Premier  Consul  propose  de  regarder  le  clief-lieii  de 
chaque  département  comme  le  point  de  centre  où  la  loi 
«loit  être  publiée ,  et  de  régler  le  délai  à  raison  d'un  jour  par 
\ingt  lieues,  à  partir  de  la  ville  où  la  loi  est  promulguée. 
Cependant,  la  présomption  de  la  notoriété  reposant  sur  le 
principe  que  la  loi  est  obligatoire  lorsqu'elle  est  connue, 
le  |;ouvernement,  dans  des  circonstances  urgentes,  pour- 
rait abréger  le  délai ,  en  envoyant  la  loi  par  des  courriers 
extraordinaires. 

M.  Bigot-Préameneu  pense  que  la  publication  matérielle 
peut  seule  donner  au  gouvernement  l'assuiance  qu'il  a 
rempli  le  devoir  de  faire  connaître  la  loi.  Comment,  d'ail- 
leurs ,  le  tribunal  de  cassation  pourrait- il  annuler  des  ju- 
gemensoùla  loi  serait  blessée,  s'il  n'a  la  certitude  qu'elle 
a  été  connue  par  les  juges? 

Le  Premier  Consul  met  aux  voix  la  question  de  savoir  si 
les  lois  ne  seront  obligatoires  qu'après  un  délai  général;  il 
invile  les  rédacteurs  du  Code  civil  à  voter  avec  les  conseil- 
lers d'étaf. 

Le  Conseil  rejette  la  proposition  de  fixer  un  délai  général 
et  uniforme  à  l'exécution  des  lois. 

Le  Premier  Conscl  charge  la  section  de  présenter  un  autre 
projet  d'urticle. 

iM.  PoRTALis  fait  lecture  de  Particle  2,  lequel  est  ainsi 
conçu  ; 

* 

t  La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir;  elle  n'a  point 
*  d'effet  rétroactif. 

«  Néanmoins  la  loi  interprétative  d'une  loi  précédente 
«  aura  son  effet  du  jour  de  la  loi  qu'elle  explique,  sans 
«  pcéjudict  des  jugemens  rendus  en  dernier  ressort,  des 
«  transactions  ,  décisions  arbitrales  et  autres  passées  en 
«  force  de  chose  jugée.  » 

Il  expose  que  le  principe  de  la  non-rétroactivité  des  lois 
no  peut  être  contesté. 


l4  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    etC. 

Tous  les  tribunaux  ,  continue-t-il ,  approuvent  la  pre- 
mière partie  de  l'article  ;  mais  la  seconde  est  l'oblet  de 
plusieurs  observations. 

Le  tribunal  d'Agen  prétend  <|ue  les  lois,  môme  simple- 
ment interprétatives  ou  explicatives,  ne  doivent  point 
avoir  d'effet  rétroactif. 

L'opinion  de  ce  tribunal  est  isolée. 

Ceux  de  Lyon  et  de  Toulouse  voudraient  que  Ton  déter- 
minât les  bornes  dans  lesquelles  une  loi  purement  expli- 
cative doit  se  renfermer. 

Le  tribunal  de  Douai  observe  que  les  jugemcns  en  dernier 
ressort  ne  sont  pas  les  seuls  qu'on  doive  respecter  dans 
l'application  d'une  loi  interprétative  ;  que  les  jugemens 
de  première  instance  (jui  ont  été  acquiesces,  ou  dont  on 
n'a  point  interjeté  appel  dans  le  délai  de  d^oil,  méritent 
la  même  faveur. 

L'observation  est  juste  :  on  pourrait  aisément  remplir 
les  vues  de  ceux  qui  la  font,  en  ajoutant  un  mot  qui  piit 
envelopper  toutes  les  décisions  passées  en  force  de  chose  jugée. 

Mais  il  serait  plus  difficile  de  déterminer  en  thèse  ce 
qu'on   doit  entendre  par  une  loi  purement  interprétative. 

Il  serait  peut-être  sage  de  supprimer  la  seconde  partie 
de  l'article,  en  laissant  les  choses  dans  les  termes  du  droit 
commun. 

M.  Defermon  dit  que  le  principe  de  la  non-rétroactivité, 
quoiipie  incontestable,  ne  doit  pas  être  réduit  en  disposi- 
tion législative,  parce  qu'il  n'établit  qu'un  précepte  pour 
les  législateurs. 

M.  BouLiY  répond  qu'il  établit  aussi  un  précepte  pour 
IcK  juges. 

PLLsiEDits  MEMBRES  nv  CoNSEiL  demandent  que  la  seconde 
partie  de  l'arlicle  soit  retranchée  ;  ils  la  regardent  comme 
inutile. 

Le  (iONSEiL  adopte  la  première  partie  de  l'article,  et  re- 
tranche la  seconde. 


DE    LA.    PUBLICATION    DES    LOIS.  lÔ 

M.  PoRTALis  fait  lecture  du  3"  et  du  4'  article,  lesquels 
sont  ainsi  conçus  : 

Art.  3.  «  La  loi  oblige  indistinctement  ceux  qui  habitent       ' 
«  le  territoire.  L'étranger  y  est  soumis  pour  les  biens  qu'il 
M  y  possède ,  et  personnellement  en  tout  ce  qui  intéresse  la 
M  police  pendant  sa  résidence.  » 

Art.  4»  <'  Le  Français  résidant  en  pays  étranger  conti- 
•1  nuera  d'être  soumis  aux  lois  françaises  pour  ses  biens 
<>  situés  en  France ,  et  pour  tout  ce  qui  touche  à  son  état 
(•  et  à  la  capacité  de  sa  personne.  » 

Après  une  légère  discussion ,  ces  articles  sont  renvoyés 
au  projet  de  loi  relatif  aux  personnes  qui  jouissent  des  droits 
civils  et  à  celles  qui  n'en  jouissent  pas. 

M.  PoBTALis  fait  lecture  des  articles  5  et  6,  lesquels  sont 
ainsi  conçus  : 

Art.  5.  «  La  forme  des  actes  est  réglée  par  les  lois  du     ap.  3 
«  pays  dans  lequel  ils  sont  faits  ou  passés.  » 

Art.  6.  «  Il  est  défendu  aux  juges  d'interpréter  les  lois       5 
a  par  voie  de  disposition  générale  et  réglementaire.  » 

Ces  articles  sont  adoptés. 

Le  iiAPPOBTEUR  lit  l'article  7,  lequel  est  ainsi  conçu  :  4 

«Le  juge  qui  refusera  de  juger,  sous  prétexte  du  silence, 
««  de  l'obscurité,  ou  de  l'insuffisance  de  la  loi,  se  rendra 
•'  coupable  de  déni  de  justice.  » 

Il  observe  que  cet  article  a  pour  objet  d'empêcher  les 
juges  de  suspendre  ou  de  diflérer  arbitrairement  leurs  dé- 
cisions par  des  référés  au  législateur. 

L'article  est  adopté. 

M.  FoRTAUs  lit  l'article  8,  lequel  est  ainsi  conçu  :  ap-  5 

«  Lorsque,  par  la  crainte  de  quelque  fraude,  la  loi  aura 
«  déclaré  nuls  certains  actes,  ses  dispositions  ne  pourront 
«  être  éludées ,  sous  prétexte  que  ces  actes  ne  sont  pas  frau- 
<  duleux.  » 


l6  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

M.  Defkrmon  objcrte  que  rarlicle  suppose  que  la  loi 
pourra  déclarer  nuls  des  actes  non  frauduleux. 

M.  PoRTALis  répond  que  la  loi  ne  pouvant  entrer  dans 
l'examen  de  chariue  acte,  est  obligée,  dans  certains  cas, 
de  statuer  d'après  une  présomption  générale  de  fraude.  Il 
cile  pour  exemple  la  déclaration  de  1712  ,  qui  déclare  nuls 
les  transports  faits  dans  les  douze  jours  avant  la  faillite. 

L'article  est  adopté,  avec  la  substitution  du  mot  pré- 
somption au  mot  crainte. 

6  M.  P0ETA.LIS  fait  lecture  de  l'article  9,  lequel  est  ainsi 
conçu  : 

«  La  contravention  aux  lois  qui  intéressent  le  public  ou 
«  les  bonnes  mœurs  ne  pourra  être  couverte  par  des  con- 
«  veillions  ni  par  des  fins  de  non-recevoir.  » 

M.  BouLAY  propose  la  rédaction  suivante  : 

«'  II  ne  peut  être  dérogé  par  des  actes  particuliers  aux 
«  lois  qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes  mœurs.  » 

Cette  rédaction  est  adoptée. 


(Procès-verbal  de  la  Séance  du  6  thermidor  an  IX.  —  aS  juillet  1801.) 

M.  PoRTALis  présente  la  nouvelle  rédaction  du  projet  de 
loi  arrêté  à  la  dernière  séance,  concernant  la  publication ,  les 
effets  et  l'application  des  lois  en  général, 
tum.  M.  BoiJLAY  propose  de  ne  pas  faire,  des  dispositions  du 
projet,  un  projet  de  loi  particulier,  mais  de  les  placer 
chacune  dans  les  divers  projets  aux([uels  elles  peuvent  se 
rapporter.  Les  articbîs  relatifs  à  la  publication  des  lois  se- 
raient placés  à  la  fin  du  (^ode  civil. 

iM.  Hnp.PERKR  observe  que  ces  articles  n'appartiennent 
pas  spécialement  à  la  législation  civile;  qu'ils  tiennent  au 
droit  public,  et  doivent  être  le  sujet  d'une  loi  particulière 
et  indépendante. 

M.  Tronchet  pense  que  ce  serait  trop  laisser  durer  le* 


DE    LA.    PUBLICATION    DES    LOIS.  ly 

iiicoiivéïiiens  du  mode  actuel  de  publication ,  que  de  relé- 
guer à  la  fin  du  Code  civil  les  dispositions  qui  établiront 
un  meilleur  mode;  qu'il  importe  même  de  publier,  sui- 
vant le  mode  nouveau  ,  les  lois  civiles  qui  vont  être 
faites. 

Lb  Consul  Cambàcérès  demande  s'il  est  dans  Tintenlion 
de  la  section  de  placer  l'article  qui  défend  aux  juges  d'in- 
terpréter les  lois  par  voie  de  disposition  générale  et  régle- 
mentaire. 

M.  RoEDERER  observe  que  cette  disposition  réglant  le 
pouvoir  des  juges,  elle  doit  être  la  matière  d'une  loi  sé- 
parée. 

Le  Consul  Cambàcérès  dit  qu'en  adoptant  la  proposition 
de  M.  Boulay ,  on  se  trouverait  souvent  embarrassé  sur  le 
classement  des  articles  du  projet. 

M.  Tronchet  pense  qu'on  pourrait  sans  diiïiculté  les 
placer  dans  le  Code  civil,  qui  sera  comme  le  péristyle  de 
Id  législation  française,  lorsqu'elle  sera  partagée  en  un 
petit  nombre  de  Codes. 

Le  Conseil,  consulté,  maintient  la  délibération  par  la- 
quelle il  avait,  danr.  la  précédente  séance,  réuni  en  un 
seul  projet  de  loi  les  articles  relatifs  à  la  publication,  aux 
effets  et  à  l'application  des  lois. 

Le  Premier  Conscl  ordonne  l'impression  de  la  nouvelle 
rédaction  présentée  par  M.  Portails. 

(Procès-vecbai  de  la  Séance  du  14  thermidor  an  IX.  —  a  août  1801.  ) 

M.  PoRTALis  fait  lecture  de  la  nouvelle  rédaction  du 
projet  de  loi  présenté  dans  la  séance  du  4  de  ce  mois  ,  et 
relatif  à  la  publication  ,  aux  effets  et  h  V application  des  lois. 

L'article  i"  est  ainsi  conçu  : 

«  Les  lois  seront  exécutoires  dans  tout  le  territoire  con- 
«  tinental  de  la  République ,  à  compter  de  leur  promulga- 
«  tion  par  le  Premier  Consul  ;  savoir  : 

VI.  a 


l8  DISCUSSIONS,     MOTIFS,     ClC. 

p  Dans  le  ressort  du  tribunal  de... ,  après  le  délai  de 

w  Dans  le  ressort  de ,  après  le  délai  de » 

M.  Defermon  observe  qu'il  serait  plus  simple  de  régler  le 
délai  sur  les  distances  calculées  par  vingt-cin(|  lieues. 

Le  Ministre  de  la  Justice  appuie  la  première  partie  de 
l'article;  mais  la  spécification  de  chaque  ressort  lui  paraît 
trop  réglementaire ,  et  ne  convient  pas  à  une  loi. 

Le  Pbemier  Consul  dit  qu'on  pourrait  déclarer  la  loi  obli- 
gatoire, dans  le  lieu  où  siège  le  gouvernement,  du  jour  de 
la  promulgation  ,  et  dans  les  autres  déparlemens ,  après  un 
délai  qui  serait  calculé  à  raison  d'une  heure  par  lieue, 
en  prenant  le  chef-lieu  pour  point  de  distance  :  de  ma- 
nière que  quand  la  loi  y  serait  connue,  elle  serait  réputée 
l'être  dans  tout  le  déparlement.  Ce  mode  de  publication 
aurait  l'avantage  d'être  indépendant  de  toute  division  ter- 
ritoriale. Ainsi  Ton  ne  serait  pas  obligé  de  le  modifier,  s'il 
survenait  quelque  changement  dans  les  divisions  actuelle- 
ment existantes. 

L'évaluation  des  distances  serait  fixée  par  un  règlement. 
Cette  mesure  laisserait  au  gouvernement  la  facilité  de  mo- 
difier la  détermination  des  distances,  toutes  les  fois  que 
des  obstacles  naturels,  comme  un  débordement  de  rivière, 
la  chute  d'un  pont,  on  d'aulres  causes  semblables,  inter- 
cepteraient les  communications  ordinaires. 

iM.  ToNCnET  objecte  qu'il  est  des  chefs-lieux  de  départe- 
ment tellement  rapprochés  de  Paris,  que  la  loi  y  devien- 
drait obligatoire  deux  heures  après  la  promulgation,  c'est- 
à-dire,  dans  un  délai  évidemment  trop  court  pour  qu'elle 
j>ût  être  connue  dans  tout  le  déparlement.  Pour  échapper 
à  cet  inconvénient,  M.  Tro/ic/ut  [)ro[)Osc  de  fixer  d'abord 
un  délai  uniforme  et  invariable  de  dix  jours  ,  et  d'y  ajouter 
ensuite  un  second  délai  calculé  d'a[)rès  hîs  dislances. 

Le  Pkemier  Consul  dit  (pi'on  pourrait  fixer  le  premier 
délai  à  vingt-quatre  heures. 

M.  Malleville  trouve  la  rédaction  de  la  section  cmbar- 


DE    LA    1»UBL1CAÏI0X    DES    LOIS.  I9 

rassée.  Il  propose  la  rédaction  suivante  :  «  Lorsque  les  lois 
€  auront  été  promulguées ,  elles  seront  exécutoires  dans 
«  les  délais  ci-aprcs.  » 

M.  Laciéb  voudrait  que  Tarticle  s'expliquât  aussi  sur  la 
publication  des  lois  dans  les  départemens  non  continen- 
taux. 

Le  Premier  Consul  dit  que  cet  objet  doit  être  renvoyé  au 
règlement  que  le  gouvernement  sera  autorisé  à  faire. 

L'article  de  la  section  est  rejeté.  Le  Premier  Consul  la 
charge  de  rédiger  un  nouvel  article ,  d'après  les  amende- 
mens  qui  ont  été  proposés. 

L'article  2  est  adopté;  il  est  ainsi  conçu  :  a 

«  La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir;  elle  n'a  point 
«  d'effet  rétroactif.  » 

L'article  3  est  soumis  à  la  discussion  ;  il  est  ainsi  conçu  :     3 

«  La  loi  oblige  indistinctement  ceux  qui  habitent  le  terri- 
toire. ') 

M.  Tbo>-chet  dit  que  cette  rédaction  est  trop  générale. 
Klle  contredirait  l'art,  7  àw  ^vo]Qt  sur  les  droits  civils ,  lequel 
ne  soumet  l'étranger  qu'aux  lois  de  police  et  de  sûreté. 
On  pourrait  le  rédiger  ainsi  : 

ft  La  loi  régit  les  propriétés  foncières  situées  sur  le  ter- 
«  riloire  de  la  République ,  les  biens  meubles  et  la  per- 
«  sonne  des  Français.  » 

* 

M.  Regnàvd  (de  Saint-Jean-d'Angely  )  observe  que  l'ar- 
ticle ne  s'entend  que  des  lois  civiles,  en  tant  qu'elles  pro- 
noncent sur  les  droits  personnels  et  sur  la  propriété  des 
étrangers. 

M.  Tronchet  répond  que  l'étranger  n'est  pas  soumis  aux 
lois  civiles  qui  règlent  l'état  des  personnes. 

M.  Régnier  pense  qu'on  peut  laisser  subsister  la  rédac- 
tion générale,  parce  qu'ensuite  on  établira  les  exceptions. 

iM.  Regnaud  (de  Saint-Jeau-d'Angely  )  répond  que  l'on 
serait  forcé  d'aller  plus  loin,  si  l'on  voulait  énoncer  ici 

2. 


20  DISCUSSIOKS  ,    MOTIFS,    elC 

toutes  les  exceplions  :  elles  ne  concernent  pas  les  étran- 
gers seuls,  mais  encore  les  femmes  françaises  mariées  à 
des  étrangers,  les  Françaises  veuves  d'étrangers,  et  plu- 
sieurs autres  personnes.  Il  suffit  donc  ici  de  poser  le  principe; 
les  exceptions  se  trouveront  dans  les  autres  projets  de  loi. 

M.  Troncoet  propose  de  retrancher  le  mot  indistinctement. 

L'article  est  adopté  avec  cet  amendement. 

ap  3         L'article  4  est  soumis  à  la  discussion  ;  il  est  ainsi  conçu  : 

«  La  forme  des  actes  est  réglée  par  les  lois  du  pays  dans 
«  lequel  ils  sont  faits  ou  passés.  » 

M.  RoEDERER  dit  que,  si  dans  cet  article  l'on  a  en  vue  les 
actes  passés  en  France,  on  suppose  que  la  forme  des  actes 
ne  sera  pas  la  même  dans  tous  les  départemens;  que  si  la 
disposition  s'applique  aux  actes  passés  en  pays  étranger, 
le  législateur  sort  du  cercle  où  il  doit  se  renfermer,  parce 
qu'il  ne  lui  appartient  pas  d'étendre  son  pouvoir  au-delà 
du  territoire  français.  Il  conviendrait  donc  de  se  borner  à 
dire  que  les  actes  faits  par  des  Français  en  pays  étranger 
sont  valables,  lorsqu'ils  sont  dans  la  forme  prescrite  par 
les  lois  du  pays  où  ils  ont  clé  passés. 

M.  FiEGSiER  observe  que'  de  tels  actes  sont  valables  en 
France,  même  lorsqu'ils  ont  été  faits  par  des  étrangers  ;  il 
ajoute  qu'au  surplus  le  léi;islateur  français  ne  prononce 
sur  le  mérite  de  ces  actes  qu'autant  (ju'on  les  ferait  valoir 
en  France,  et  que  les  tribunaux  français  seraient  forcés 
de  les  juger. 

L'article  est  adopté. 

Les  articles  f)  et  i\  sont  présentés  à  la  discussion  ;  ils  sont 

ainsi  conçus  : 
5  Art.   5.    «  Il  est  défendu  aux  juges  d'interpréter  les  lois 

«  par  voie  de  disposition  générale  et  réglementaire.  ■ 
4         Art.  6.  «  Le  juge  qui  refusera  de  juger  sous  prétexte  <lu 

«  silence,  de  l'obscurité  ou  de  l'insuffisance  de  la  loi,  se 

«  rendra  coupable  de  déni  de  justice.  »> 


Ï)E    LA    PUBLICATION     DES    LOIS.  2  1 

M.  lUGMtii  demande  que  l'arlicle  G  soit  placé  avant  l'ar- 
Ucle  5,  parce  que  l'ordre  naturel  des  idées  veut  qu'on 
indique  aux  juges  ce  qu'ils  devront  faire,  avant  de  leur 
dire  ce  qu'ils  ne  pourront  pas  faire. 

Il  observe  que  le  mot  interpréter,  employé  dans  l'arti- 
cle 5,  pourrait  choquer  ceux  qui  ne  saisiraient  pas  le  sens 
dans  lequel  on  l'emploie  ;  et  pour  prévenir  cet  inconvé- 
nient, il  propose  la  rédaction  suivante  : 

«  Les  juges  ne  prononceront  que  sur  les  causes  qui  leur 
«  seront  présentées.  Toute  disposition  générale  et  régle-^ 
u  mentaire  leur  est  interdite.  » 

Le  CoivsrL  Cambacérès  dit  qu'il  est  sage  d'empêcher  les 
juges  de  créer  des  difficultés  sur  le  sens  des  lois  afin  de  se 
«lispenser  de  prononcer;  mais  que  l'article  6  est  si  impé- 
ratif, que  le  juge  pourra  statuer,  quoique  la  volonté  de  la 
loi  soit  incertaine ,  ou  même  avec  la  conviction  qu'il  s'en 
écarte.  Ainsi  la  rédaction  proposée  peut  faciliter  les  usur- 
pations des  tribunaux  sur  le  pouvoir  législatif. 

M.  PoRTALis  répond  qu'en  matière  criminelle  le  juge  ne 
doit  prononcer  que  lorsque  la  loi  a  qualifié  de  délit  le  fait 
qui  est  déféré  à  la  justice,  et  qu'elle  y  attache  une  peine  ; 
qu'en  matière  civile,  au  contraire,  le  juge  ne  peut  se  re- 
fuser à  prononcer  indistinctement  sur  toutes  les  causes 
qui  lui  sont  présentées,  parce  que,  s'il  ne  trouve  pas  dans 
la  loi  de  règles  pour  décider,  il  doit  recourir  à  l'équité 
naturelle.  Le  juge  civil  est  le  ministre  de  la  loi,  quand  la 
loi  a  parlé;  il  est  l'arbitre  des  différens,  quand  elle  se  tait. 
Il  s'élèvera  toujours  beaucoup  de  contestations  qu'on  ne 
pourra  juger  par  la  loi  écrite.  Ce  serait  trop  multiplier  les 
lois  que  de  les  faire  naître  des  doutes  des  juges.  On  peut 
donc  employer  le  mot  interpréter  :  on  peut  aussi  le  retran- 
cher sans  inconvénient,  pourvu  qu'on  conserve  le  prin- 
cipe. 

Le  Ministre  de  la  Justice  dit  qu'il  y  a  deux  sortes  d'inter- 
prétations, celle  de  législation  et  celle  de  doctrine  ;  que  cette 


2Î>  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    etC 

dernière  appartient  essentiellement  aux  tribunaux  ;  que  la 
première  est  celle  qui  leur  est  interdite  ;  que  lorsqu'il  est  dé- 
fendu aux  juges  à' interpréter ,  il  est  évident  que  c'est  de  Vin- 
terprétation  législative  qu'il  s'agit.  Il  cite  l'article  7  du  titre  Y^ 
de  l'ordonnance  de  1G67  ,  qui  défend  aux  juges  d^ interpréter 
les  ordonnances.  Il  en  conclut  que  le  sens  de  ce  mot  étant 
fixé,  il  n'y  a  aucun  inconvénient  à  l'employer. 

M.  Tronchet  dit  que  l'on  a  abusé  ,  pour  réduire  les  juges 
à  un  état  purement  passif,  de  la  défense  que  leur  avait 
faite  l'Assemblée  constituante ,  d'interpréter  les  lois  et  de 
réglementer.  Cette  défense  n'avait  pour  objet  que  d'empê- 
cher les  tribunaux  d'exercer  une  partie  du  pouvoir  légis- 
latif, comme  l'avaient  fait  les  anciennes  cours,  en  fixant 
le  sens  des  lois  par  des  interprétations  abstraites  et  géné- 
rales, ou  en  les  suppléant  par  des  arrêts  de  règlement. 
Mais  ,  pour  éviter  l'abus  qu'on  en  a  fait,  il  faut  laisser  au 
juge  l'interprétation,  sans  laquelle  il  ne  peut  exercer  son 
ministère.  En  effet,  les  contestations  civiles  portent  sur  le 
sens  différent  que  chacune  des  parties  prêle  à  la  loi  :  ce 
n'est  donc  pas  par  une  loi  nouvelle,  mais  par  l'opinion  du 
juge ,  que  la  cause  doit  être  décidée.  La  néce<;sité  d'établir 

ce  principe  rend  les  articles  5  et  G  indispensables. 

On  craint  que  les  juges  n'en  abusent  pour  juger  contre 

le  texte  de  la  loi  :   s'ils  se  le  permettaient,  le  tribunal  de 

cassation  anéantirait  leurs  jugcmens. 

Au  reste,   pour  ne  pas  laisser  d'équivo([uc,  on  pourrait 

rédiger  ainsi  :    «  Il  est  défendu  aux  tribunaux  de  pronon- 

«  cer,  par  voie  de  disposition  générale  et  réglementaire, 

«  sur  les  causes  qui  sont  |)orlées  devant  eux.  » 

L'article  5  est  adopté,  et  i)lacé  dans  l'ordre  proposé  par 

M.   Jirff/iier. 

M.  RoF.nr.RER  dit  (jue  l'arlicle  G  donne  trop  de  pouvoir  au 
juge,  en  l'obligeant  de  prononcer  même  dans  le  silence 
de  la  loi.  Par  exemple,  si  le  Code  civil  ne  contenait  point 


DB    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  »5 

de  dispositions  sur  la  siiccessibilité  de  l'étranger,  et  qu'un 
étranger  revendiquât  la  succession  d'un  Français  son  pa- 
rent,  le  tribunal  devant  lequel  la  cause  serait  portée 
serait  autorisé,  par  la  rédaction  de  l'article,  à  décider  en 
législateur  une  question  politique  de  la  plus  haute  im- 
portance. Il  appartient  au  juge  d'appliquer  la  loi  ;  il  ne 
lui  appartient  pas  de  remplir  les  lacunes  de  la  législation, 
quand  la  loi  garde  un  silence  absolu. 

Qu'on  ne  craigne  pas  le  retour  de  l'abus  dont  a  parlé 
M.  Troncht't.  11  était  né  de  l'ignorance  des  juges  d'alors,  et 
de  la  crainte  que  leur  inspiraient  les  partis  qui  déchiraient 
lÊlat.  La  circonspection  n'est  pas  naturelle  aux  juges , 
surtout  lorsqu'ils  sont  éclairés  et  qu'ils  ont  le  sentiment 
de  leurs  lumières. 

M.  PoRTALis  répond  que  le  cours  de  la  justice  serait  in- 
terrompu, s'il  n'était  permis  aux  juges  de  prononcer  que 
lorscjue  la  loi  a  parlé.  Peu  de  causes  Font  susceptibles  d'êlrc 
décidées  d'après  une  loi ,  d'après  un  texte  précis  :  c'est 
par  les  principes  généraux,  par  la  doctrine  ,  par  la  science 
du  droit,  qu'on  a  toujours  prononcé  sur  la  plupart  des 
contestations.  Le  Code  civil  ne  dispense  pas  de  ces  connais- 
sances ;  au  contraire  il  les  suppose. 

M.  Tronchet  ajoute  que  quand,  dans  le  cas  proposé  pas 
M.  Rœderer,  le  Code  civil  serait  muet,  le  juge  prononce- 
rail,  d'après  les  principes  généraux,  sur  l'état  de  l'étran- 
ger, lesquels,  refusant  à  l'étranger  les  droits  civils,  le 
rendent  incapable  de  succéder. 

M.  lioLLAY  dit  que  la  loi  ne  disposant  que  pour  l'avenir, 
il  est  toujours  des  contestations  qu'elle  ne  peut  servir  à 
iuger,  et  qu'il  faut  décider  par  les  principes  généraux: 
ce  sont  celles  qui  sont  nées  avant  la  loi. 

M.  Bigot-Pbéamenec  dit  qu'il  est  dangereux  de  permettre 
aux  tribunaux  d'altendre  une  loi;  qu'ils  n'en  ont  pas  be^ 
-soin,  parce  qu'ils  trouvent  toujours  leur  règle  ou  dans  la 
loi  écrite,  ou  dans  les  principes  de  l'équité  naturelle;  que. 


24  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    CtC 

par  celte  considéialion,  le  tribunal  de  cassation  annulle, 
pour  cause  de  déni  de  justice  cl  d'excès  de  pouvoir,  tous 
les  jugemens  de  référé. 

Le  CoNsiL  CAMBACbRïis  dit  qu'il  est  impossible  d'atteindre 
le  but  indiqué  par  la  section  ,  et  d'éviter  les  inconvéniens 
qui  ont  été  relevés  dans  la  discussion  :  dans  ce  dessein ,  il 
propose  de  substituer  des  expressions  facultatives  aux 
termes  impératifs  de  l'article  ;  en  sorte  qu'un  juge  qui 
n'aura  pas  prononcé  ne  soit  pas  nécessairement  pour- 
suivi. Le  Consul  lit  la  rédaction  suivante  : 

u  Le  juge  qui  aura  refusé  de  juger  sous  prétexte  du 
«  silence,  de  l'obscurité  ou  de  Tinsuffisance  de  la  loi, 
«  pourra  être  poursuivi  comme  coupable  de  déni  de 
«  justice.  » 

Cette  rédaction  est  adoptée. 

ap.  5         L'article  7  est  soumis  à  la  discussion  ;  il  est  ainsi  conçu  : 

0  Lorsque,  par  la  présomption  de  (pielque  fraude,  la 
«  loi  aura  déclaré  nuls  certains  actes,  ses  dispositions  ne 
«  pourront  être  éludées  sous  prétexte  que  ces  actes  ne  sont 
«  point  frauduleux.  » 

M.  Uecmer  dit  que  l'intention  de  la  section  paraît  avoir 
été  d'exclure  toute  preuve  contraire  à  la  présomption 
établie  par  la  loi. 

La  rédaction  ne  rend  pas  assez  clairement  cette  idée. 

M.  l'iŒiDEKER  attaque  la  rédaction  sous  im  autre  rapport. 
Il  dit  (]ue  la  loi  ne  devant  contenir  que  des  dispositions 
générales,  elle  ne  peut  déclarer  nuls  certains  actes ,  niais 
certaines  espèces  d'actes.  Des  actes  particuliers  ne  peuvent 
être  suspects  que  parce  que,  de  leur  nature,  ils  sont 
husceptiblcs  de  Iraude. 

M.  l'iÉAL  dit  (jue  l'article  concerne,  non  les  lois  qui  prr)s- 
j:rivent  tous  les  actes  «l'une  même  es})6ce,  mais  des  actes 
de  toutes  les  espèces  lorsqu'ils  sont  faits  dans  certaines  cir- 
constances. Ainsi  une  obligation  souscrite  par  un  individu 


«K    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  25 

ei!  faillite,  dans  les  dix  jours  qui  précèdent  la  faillite,  est 
nulle  ,  non  parce  qu'une  obligation  i;erait  un  acte  nul  de  sa 
nature,  mais  parce  qu'elle  a  été  souscrite  dans  des  circons- 
tances qui  la  fléirissent  d'une  présomption  de  fraude. 

M.  RoEDERER  observe  que  ce  n'est  pas  à  lu  loi,  mais  aux 
tribunaux,  qu'il  appartient  de  déclarer  nuls  certains  actes 
déterminés. 

M.  Regmer  répond  que  la  nullité  doit  être  prononcée  par 
la  loi  et  appliquée  par  un  jugement. 

i>l.  PoRTALis  dit  que,  dans  la  première  rédaction ,  on  avait 
employé  le  mot  crainte  pour  indiquer  que  la  loi  déclarait 
des  actes  nuls  plutôt  pour  prévenir  la  fraude  que  parce 
qu'elle  suppose  qu'ils  sont  tous  frauduleux  :  il  rappelle  que, 
dans  la  séance  du  4  de  ce  mois,  ce  mot  a  été  remplacé  par 
celui  de  présomption. 

M.  Régnier  propose  la  rédaction  suivante  : 
«  Lorsque  la  loi,  à  raison  des  circonstances,  aura  réputé 
■  certains  actes  frauduleux ,  on  ne  sera  pas  admis  à  prouver 
«  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude.  » 

Le  Premier  Consul  trouve  cette  disposition  trop  res- 
treinte. La  loi  peut  annuler  des  actes  pour  d'autres  causes 
que  pour  présomption  de  fraude  :  c'est  ainsi  qu'elle  proscrit 
l'obligation  surprise  par  séduction  à  un  fils  de  famille. 

M.  PoRTALis  dit  que  c'était  pour  rendre  la  disposition 
aussi  générale  qu'il  serait  possible,  pour  y  comprendre 
tous  les  actes  suspects  de  fraude ,  qu'on  avait  employé 
l'expression  par  la  crainte  de  quelque  abus. 

M.  Regmep.  observe  que  sa  rédaction  est  dans  les  termes 
de  la  généralité  qu'on  désire;  qu'au  surplus  le  sort  des 
actes  qu'elle  n'atteindrait  pas  se  trouVe  réglé  par  d'autres 
lois  ;  que  l'essentiel  est  de  bien  exprimer  que  Ton  n'ad- 
mettra en  aucun  cas  la  preuve  contre  la  présomption 
établie  par  la  loi. 

M.  ËMMERY  dit  que  la  section  a  voulu  qu'on  ne  mît 
pas  la  vérité  de  la  chose  en  opposition  avec  la  présomption 


26  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    clC 

It'gale  :  cependant  l'expression  sous  prétexte,  dont  elle  se 
sert,  peut  laisser  au  juge  l'opinion  qu'il  lui  est  encore 
permis  d'examiner. 

La  rédaction  de  M.  Régnier,  étant  plus  absolue,  remplit 
mieux  les  vues  de  la  section. 

M.  Thibaideau  dit  que,  dans  l'intention  de  la  section, 
l'article  ne  s'applique  qu'aux  actes  que  la  loi  annulle 
comme  les  présumant  frauduleux,  et  non  aux  actes  nuls 
pour  dol ,  incapacité  des  contractans  et  autres  vices;  ce 
qui  sera  traité  aux  Contrats  et  Obligations. 

M.  RœDtRLH  propose  la  rédaction  suivante  : 

«  Lorsque  la  loi ,  par  la  crainte  de  quelque  fraude,  aura 
"  prohibé  certains  actes  sous  peine  de  nullité  ,  on  ne  sera 
0  pas  admis  à  prouver  qu'ils  ont  élé  faits  de  bonne  foi.  » 

M.  Tronchet  observe  que  la  prohibition  et  la  nullité  dont 
il  s'agit  ne  sont  établies  qu'en  faveur  des  tiers  ;  qu'ainsi  on 
ne  doit  parler  ici  que  des  actes  frauduleux. 

La  rédaction  de  M.  /^<^^/?/(°;- est  adoptée. 

L'article  8  est  soumis  à  la  discussion  et  adopté  ;  il  est 
ainsi  conçu  : 

* 

«  Il  ne  peut  étic  dérogé,  par  des  actes  particuliers,  aux 
«  lois  qui  intéressent  Tordre  public  et  les  bonnes  mœurs.  » 

(Procès-verbal  de  la  Séance  du  4  fructidor  nii  IX. —  Z2.  août  1801.) 

M.  PoRTALis  présente  une  troisième  rédaction  du  Projet 
lie  loi  sur  la  jnihlication  ,  les  efiets  et  V application  des  Lois  en 
i^ànêral. 

L'article  i"c8l  soumis  a  la  discussion  ;  il  est  ainsi  conçu  : 

«  Les  lois  sont  cxéVîutoires  dans  tout  le  territoire  français, 
«'  en  vertu  de  la  promulga'ion  (jui  en  est  l'aile  par  le  l*re 
u  niier  (>on8ul. 

««  Klles  seront  txéculécs  dans  chacpu'.  partie  de  la  Képu- 
«*  blique,  du  moment  où  la  promulgation  pourra  y  ùlrc 
«  coniuie. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  2^ 

M  La  proiiuilgatiou  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
«  piitée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de 
«  Paris,  vingt-quatre  heures  après  sa  date,  et  dans  tout  le 
«  ressort  de  chacun  des  autres  tribunaux,  après  l'expiration 
€  du  môme  délai,  augmenté  d'autant  d'heures  qu'il  y  a  de 
«  m}  riamètres  entre  Paris  et  la  ville  où  chacun  de  ces  tri- 
«  bunaux  a  son  siège.  » 

M.  FouRCROY  observe  sur  cet  article  que  le  délai  d'une 
heure  par  myriamètre  est  évidemment  trop  court  pour  le 
continent,  et  qu'il  est  absolument  impossible  de  l'appliquer 
aux  colonies. 

M.  Regnaiîd  (de  Saint-Jean-d'Angely)  propose  de  porter 
le  délai  à  deux  heures,  attendu  que  le  myriamètre  est  le 
double  de  la  lieue  ancienne. 

M.  PoRTÂLis  adopte  ce  changement. 

Il  répond  à  M.  Fourcroy  que  le  délai  calculé  par  heures 
est  précédé  d'un  délai  général  de  vingt-quatre  heures; 
qu'au  surplus  il  ne  s'agit  ici  que  du  continent  :  le  délai  de 
la  publication  des  lois  dans  les  colonies  et  dans  les  îles  de 
l'Europe  doit  être  déterminé  par  un  règlement.  Les  cir- 
constances et  les  causes  naturelles  rendent  l'époque  de 
Tarrivée  dans  ces  contrées  trop  incertaine  ,  pour  que  le 
délai  puisse  être  fixé  invariablement  par  une  loi. 

M.  Regnaud  (de  Saint-Jean-d'Angely)  dit  qu'alors  il 
devient  nécessaire  d'exprimer  l'exception  dans  la  loi  même. 

M.  PoRTALis  réplique  que  l'exception  découle  naturelle- 
ment de  l'article.  Il  pose  en  effet  trois  principes  :  le  premier 
est  que  la  loi  tire  sa  force  d'exécution  de  la  promulgation 
qu'en  fait  le  Premier  Consul;  le  second,  qu'elle  est  exécu- 
toire dans  chaque  partie  du  territoire  français  au  moment 
où  elle  peut  y  êlre  connue  ;  le  troisième,  qu'elle  est  pré- 
sumée connue  dans  chaque  département  après  un  délai 
uniforme  de  vingt-quatre  heures,  augmenté  d'autant  d'heu- 
res qu'il  y  a  de  myriamètres  depuis  le  lieu  de  la  promul- 
i^alion  jusqu'à  la  ville  où  siège  le  tribunal  d'ap[)el.  Or,  il  est 


•iS  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    CtC 

évident  que  cette  présomption  n'est  admissible  (jue  pour  le 
continent,  et  non  pour  les  îles  et  les  colonies,  dont  le  che- 
min peut  être  alongé ,  ou  même  entièrement  intercepté  par 
la  contrariété  des  vents  et  des  maisons.  Il  faut  se  régler,  à 
leur  égard,  par  le  second  principe. 

M.  Tronchet  dit  qu'il  laisse  de  côté  les  colonies ,  pour  les- 
quelles un  règlement  particulier  est  indispensable;  mais 
(pie  sur  le  continent,  la  loi  ne  devient  obligatoire  que  lors- 
qu'elle est  présumée  connue ,  et  qu'elle  est  arrivée  dans  la 
main  du  magistrat  chargé  de  la  faire  exécuter.  Cette  der- 
nière condition  ne  sera  pas  accomplie  si  le  délai  est  trop 
court.  Cependant  il  est  impossible  qu'en  deux  heures  la  loi 
parvienne  même  aux  magistrats  du  département  le  plus 
rapproché  de  Paris.  Si  elle  est  publiée  par  la  voie  du  Bul- 
letin, lequel  contient  toujours  plusieurs  lois,  elle  ne  sera 
imprimée  quelquefois  que  long-temps  après  sa  promulga- 
tion ;  si  le  ministre  de  la  justice  l'envoie  en  expédition  ma* 
nuscrite,  ses  bureaux  suffiront  à  peine  à  l'expédier  dans  un 
laps  de  temps  considérable.  Les  anciennes  lois  fixaient  or- 
dinairement les  délais  à  un  jour  par  dix  lieues  ou  au-des- 
sous. Le  calcul  des  distances  par  heures  entraine  de  graves 
inconvéniens. 

Le  Consul  Cambagérè:s  rappelle  que  le  Conseil  a  adopté  le 
principe  de  calcul  par  heures. 

M.  Tbonchet  dit  que  pour  prévenir  les  questions  sur  les 
distances,  on  se  propose  de  les  laisser  déterminer  parle 
gouvernement;  et  (|ue  cependant  on  ne  lui  donne  plus 
assez  de  latitude ,  si  on  l'oblige  de  les  régler  par  le  calcul 
des  heures. 

Le  Consul  CambacérÎ's  dit  (pic  le  délai  de  vingl-qu.Ure 
heures  est  certainement  trop  court  pour  que  la  loi  puisse 
être  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de  Paris. 

M.  Tbonchet  observe  (|u'il  est  inq)ossiblc  d'envoyer  la  loi , 
dans  le  délai  proposé,  aux  chefs-lieux  des  départeinens, 
auxtribunauxd'appclctauxtribunauxde  première  instance. 


DE    LA     PUULICATION     DES    LOIS.  29 

M,  Defermon  dit  que,  puisque  l'objet  qu'on  se  propose 
est  d'éviter  loute  discussion  sur  le  moment  où  la  loi  sera 
devenue  obligatoire,  la  fixation  d'un  délai  déterminé  est  ce 
qu'il  y  a  de  plus  important.  L'étendue  du  délai  n'est  plus 
qu'une  question  secondaire.  H  n'y  a  pas  d'inconvénient  à 
ne  la  pas  trop  resserrer ,  d'autant  plus  que  la  loi  est  connue 
aussitôt  qu'elle  est  décrétée.  Quant  aux  lois  d'urgence,  il 
est  beaucoup  de  moyens  d'en  hâter  la  publication. 

M.  PoRTALis  dit  qu'il  s'agit  moins,  en  effet,  de  trouver  des 
moyens  de  faire  connaître  la  loi,  que  de  fixer  une  époque 
où  elle  sera  censée  connue. 

Lb  CoNsrL  Cambacérès  fixe  l'état  de  la  délibération,  et 
met  d'abord  aux  voix  la  question  de  savoir  si  l'on  main- 
tiendra la  fixation  du  délai  adopté  dans  la  dernière  séance. 

Le  Conseil  décide  qu'elle  ne  sera  pas  maintenue. 

Le  Consul  ouvre  la  discussion  sur  la  durée  du  premier 
délai.  Sera-t-il  de  vingt-quatre  heures  ou  de  plusieurs  jours? 
Telle  est  la  question  qu'il  propose. 

M.  Regnaud  (de  Saint-Jean-d'Angely)  propose  de  le  fixer 
à  trois  jours,  attendu  que  vingt-quatre  heures  ne  suffiraient 
pas  pour  faire  connaître  la  loi  dans  tout  l'arrondissement 
du  tribunal  d'appel  de  Paris. 

Le  Mimstre  de  la  Justice  pense  qu'il  y  a  un  autre  motif  de 
le  prolonger  :  c'est,  dit-il,  que  le  moment  où  l'impression 
de  la  loi  est  achevée  ne  peut  concorder  avec  le  départ  de 
tous  les  courriers  qui  doivent  la  porter  dans  les  départemens. 

Le  Consul  Cambacérès  dit  que,  dans  celte  discussion,  l'on 
ne  doit  pas  se  borner  au  seul  intérêt  du  magistrat  ;  qu'il  y 
a  encore  à  considérer  l'intérêt  des  particuliers,  qui,  s'ap- 
puyant  sur  le  principe ,  que  la  loi  est  exécutoire  lorsqu'elle 
est  connue,  contractent  d'après  la  loi,  avant  qu'elle  soit 
parvenue  aux  magistrats. 

Le  Ministre  de  la  Justice  observe  que  la  distinction  si 
juste  que  vient  de  faire  le  Consul  ne  s'applique  qu'aux  ma- 


5o  DISCUSSIONS  ,  MOTIFS  ,  elc 

tières  civiles;  mais  que,  dans  le  criminel,  on  doit  prévoir 
le  cas  où  un  délit  serait  commis  entre  la  sanction  et  la  pu- 
blication de  la  loi  qui  le  punit  ;  que  par  ce  motif,  il  faut  un 
délai  uniforme  pour  toutes  les  lois. 

M.  PoRTALis  dit  que,  puisqu'on  adopte  le  principe  cjue la 
loi  est  exécutoire  lorsqu'elle  est  connue,  il  suffit,  pour 
qu'elle  le  devienne,  que  le  délai  après  lequel  il  est  possible 
qu'elle  soit  connue  expire ,  sans  qu'il  soit  nécessaire  que  le 
magistrat  l'ait  reçue. 

Le  Ministre  de  la  Jtstice  propose  de  fixer  le  premier  délai 
à  quarante-huit  heures. 

M.  BoTTLAY  propose  trente-six  heures. 

Cette  dernière  proposition  est  adoptée. 

Le  Conseil  arrête  ensuite  que  le  second  délai  sera  de 
deux  heures  par  myriamètre. 

L'article  est  adopté  avec  ces  deux  amendemens. 

M.  BiGOT-PRÉAMENEr  demande  qu'on  fixe  d'une  manière 
précise  le  moment  où  écherront  les  trente-six  heures  du 
premier  délai. 

M.  PoRTALis  observe  que  le  mot  après  qu'il  a  employé ,  ne 
laisse  aucun  doute  sur  le  dics  termini;  qu'il  n'y  aurait  de 
doute  que  si  l'on  avait  dit  dans  les  trente-six  heures. 

Les  autres  articles  sont  successivement  soumis  à  la  dis- 
cussion ,  et  adoptés  ;  ils  sont  ainsi  conçus  : 
,         Art.    2.  «  La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir;  elle  n'a 
«  point  d'effet  rétroactif.  « 

3  Art.  r>.  «  La  loi  oblige  tous  ceux  qui  habitent  le  territoire.» 
ap  3  Art.  C\.  V  La  forme  des  actes  est  réglée  par  les  lois   du 

«  pays  dans  lequel  il»  sont  faits  ou  passés.  » 
ap.  5         Art.  5.  «  Lorsque  la  loi,  à  raison  des  circonstances,  aura 
«  réputé  frauduleux  certains  actes,  on  ne  sera  pas  admis  à 
0  prouver  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude.  » 

4  Art.  <■).  «  Le  juge  qui  refusera  de  juger,  sous  prétexte  du 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  5l 

I  silence,  de  l'obscurité  on  de  riiisnffisancede  la  loi,  pourra 
«  Ctre  poursuivi  comme  coupable  de  déni  de  justice.  » 

Art.  7.  ft  II  est  défendu  aux  juges  de  prononcer  sur  les 
•  causes  qui  leur  sont  soumises,  par  voie  de  disposition  gé- 
«  nérale  et  réglementaire.  » 

Art.  8.  «  On  ne  peut  déroger,  par  des  conventions  par- 
ti ticulières,  aux  lois  qui  intéressent  l'ordre  public  et  les 
«  bonnes  mœurs.  » 


(  Proccs-vcrbal  de  la  Séance  du  a4  brumaire  an  X.  —  i5  novembre  1801.) 

M.  BoTîLiT  fait  une  dernière  lecture  du  projet  de  loi  sur 
la  publication,  les  effets  et  l'application  des  lois  en  général. 
Il  est  ainsi  conçu  : 

* 

Art.  I".  «  Les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire     » 
«  français,  en  vertu  de  la  promulgation  qui  en  est  faite  par 
«  le  Premier  Consul. 

«  Elles  seront  exécutées  dans  chaciue  partie  de  la  repu- 
€  blique,  du  moment  où  la  promulgation  pourra  y  être 
tt  connue. 

t  La  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
«  pulée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de 
«  Paris,  trente-six  heures  après  sa  date;  et  dans  tout  le 
«ressort  de  chacun  des  autres  tribunaux  d'appel,  après 
'<  l'expiration  du  même  délai ,  augmenté  d'autant  de  fois 
«  deux  heures  qu'il  y  a  de  myriamètres  entre  Paris  et  la 
«  ville  où  chacun  de  ces  tribunaux  a  son  siège.  » 

Art.  2.  «  La  loi  de  dispose  que  pour  l'avenir,  elle  n'a     a 
«  point  d'effet  rétroactif.  » 

Art.  3.  V  La  loi  oblige  ceux  qui  habitent  le  territoire.  «       3 

Art.  4)  5,  6,  7  et  8.  {^Semblables  à  ceux  rapportés  au  procès-     ap.-3- 
verbal  de  la  séance  précédente .  )  455 

Le  Premier  Consul  pense  qu'il  est  nécessaire  de  rédiger     ap.., 
un  article  particulier  pour  la  publication  des  lois  dans  les 
colonies  et  sur  le  continent,  dans  le  cas  d'empêchemens 


02  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

provenant  de  la  force  majeure ,  comme  serait  celui  d'une 
invasion. 

LEiMiNiSTfiE  DE  LA  JcsTiCE  fait  obscrvcr  que  le  projet  de  loi 
n'établit  qu'une  présomption  qui  cède  à  la  certitude  des 
faits  dans  les  hypothèses  que  prévoit  le  Premier  Consul. 

Le  Pbemier  Coinsfl  dit  qu'indépendamment  des  obstacles 
généraux  qui  font  cesser  la  présomption  ,  il  peut  se  rencon- 
trer aussi  des  obstacles  particuliers  qui  empêchent  le 
courrier,  porteur  de  la  loi,  d'arriver?  quoiqu'ils  n'aient  pas 
empêché  d'autres  malles  de  passer,  et  que,  dans  ces  cir- 
constances, les  tribunaux  seront  obliges  de  prononcer  sur 
l'époque  où  la  loi  sera  devenue  obligatoire. 

M.TRONcnET  distingue,  dans  cette  matière,  ce  qui  est  du 
domaine  de  la  loi  d'avec  ce  qui  est  purement  réglemen- 
taire. C'est  au  règlement  qu'il  appartient  de  déterminer 
comment  l'envoi  de  la  loi  sera  fait  par  le  ministre  de  la 
justice,  comment  les  préfets  en  constateront  la  réception. 
Il  y  aura  donc  toujours  une  preuve  constante  de  l'époque 
où  la  loi  sera  parvenue  :  cette  preuve  suffira  pour  les  obsta- 
cles particuliers;  la  loi  statuera  sur  les  obstacles  généraux. 
Toute  exception  donnerait  lieu  à  des  incertitudes  et  à  des 
procès. 

M.Berlieb  fait  observer  que  Tarlicle  premier  répond,  par 
son  texte  même,  à  la  difficulté  résultant  d'une  invasion, 
puisqu'il  porte  que  la  loi  sera  exécutée,  dans  chaque  partie 
de  la  République ,  du  moment  où  la  promulgation  pourra 
y  être  connue;  et  que  la  connaissance  légale  de  la  promul- 
gation ne  peut  pénétrer  dans  un  pays  envahi. 

Les  articles  du  projet  sont  successivement  soumis  à  la 
discussion  et  adoptés. 

(  iToret-verbal  du  mèmt  jour.  ) 

Les  Consuls  de  la  République  arrêtent  que  le  projet  de 
loi  présenté  par  le  Conseil  d'iitat,  relatif  à  la  publication. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  33 

aux  cflets  et  à  l'application  des  lois  en  général,  sera  pro- 
posé le  5  frimaire  au  corps  législatif. 

Le  Premier  Consul  nomme,  pour  le  présenter  et  pour  en 
soutenir  la  discussion,  MM.  Portails,  Boulay  et  Berlier y 
membres  du  Conseil  d'État. 

Le  gouvernement  pense  que  la  discussion  sur  ce  projet 
doit  s'ouvrir  le  25  du  même  mois. 

CORPS  LÉGISLATIF. 

PBÉSENTATION   ET  EXPOSÉ  DES  MOTIFS,   PAR    M.   PORTALIS. 

(Séance  du  3  frimaire  an  X.  —  24  novembre  1801.  ) 

Législateurs,  le  gouvernement  a  regardé  comme  un  de 
ses  premiers  soins ,  celui  de  remplir  le  vœu  manifesté  dans 
les  délibérations  de  nos  assemblées  nationales,  pour  la 
rédaction  si  désirée  d'une  législation  civile. 

La  guerre  ,  qui  a  si  souvent  l'effet  de  suspendre  le  cours 
des  projets  salutaires,  n'a  point  arrêté  les  opérations  rela- 
tives à  ce  grand  ouvrage. 

Ces  opérations  ont  commencé  avec  la  constitution  même 
sous  laquelle  nous  avons  le  bonheur  de  vivre. 

Dès  la  fin  de  votre  dernière  session,  le  projet  de  Code 
civil  vous  fut  distribué,  pour  que  chacun  de  vous  pût, 
dans  le  sein  de  sa  famille,  et  aidé  par  les  plus  douces  ins- 
pirations du  sentiment,  méditer  comme  époux,  comme 
enfant,  comme  père  ,  les  règles  et  les  maximes  qu'il  aurait 
bientôt  à  proclamer  comme  législateur. 

A  la  même  époque,  le  projet  de  Code  fut  adressé  au 
tribunal  de  cassation  et  à  tous  les  tribunaux  d'appel,  qui 
formèrent  des  commissions  composées  d'hommes  instruits, 
et  capables  de  répondre  dignement  à  la  confiance  pu- 
blique. 

VI.  3 


0l\  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Les  observations  qui  nous  sont  parvenues  ont  été  re- 
cueillies et  inipriniécs.  Aucun  écrit  public  sur  la  matière 
n'a  élé  négligé  :  on  ne  pouvait  s'environner  de  trop  de 
lumières. 

La  vérilé,  surtout  eu  matière  de  législation,  est  le  bien 
de  tous  les  hommes.  Chercher  à  la  découvrir,  n'est  pas  un 
droit  qui  appartienne  exclusivement  aux  fonctionnaires  pu- 
blics. Quand  des  particuliers  instruits  discutent  de  bonne 
foi  un  objet  de  législation,  quand  ils  ne  se  proposent  que 
d'offrir  le  tiibut  de  leurs  connaissances  à  la  patrie,  il  faut 
voir  en  eux  des  auxiliaires  et  non  des  ennemis.  Malheu- 
reusement, après  une  grande  révolution,  les  hommes 
timides  se  taisent;  ils  semblent  craindre  de  laisser  aper- 
cevoir leur  existence.  ï.es  indifférens,  qui  sont  toujours  le 
plus  grand  nombre  ,  demeurent  étrangers  à  tout  ce  qui  se 
passe  :  c'est  un  inconvénient  grave  ,  si  des  écrivains  aigris 
ou  mécontcns  se  montrent;  leurs  \àécB  filtrent  à  travers 
leurs  passions ,  et  s'y  teignent.  La  découverte  des  choses  vraies 
ou  utiles  est  ordinairement  la  récompense  des  caractères 
modérés  et  des  bons  esprits. 

Nous  devons  rendre  hommage  au  zèle  et  aux  recherches 
des  magistrats  qui  ont  été  consultés.  £n  nous  transmettant 
l'opinion  de  leurs  justiciables,  en  nous  transmettant  leurs 
propres  pensées ,  ils  nous  ont  éclairés  sur  des  points  im~ 
portans.  Les  principes  des  lois  .sont  toujours  utilement  dis- 
cutés, c|uand  ils  le  sont  par  des  hommes  (|ui,  par  état,  en 
font  ra[)plication  la  plus  étendue  et  la  plus  variée. 

Ainsi ,  dans  le  même  temps  où  le  courage  de  nos  armées 
nous  assurait  un  si  grand  accroissentent  de  force  et  de 
gloire,  la  .sagesse  du  gouvernement,  calme  comme  si  elle 
n'av.n't  pas  élé  distraite  par  d'autres  objets,  jetait  dans 
l'intérieur  les  fondenicns  de  cette  autre  puissance  (|ui  cap- 
tive peut-être  plus  iiùrement  le  respect  des  nations,  je 
veux  parler  de  la  puisi^ance  qui  s'établit  par  les  bonnes 
institutions  et  (lar  les  bonnes  lois.  Les  étrangers,  rivaux  ou 


DE    LA    PUBLICATION    UJiS    LOIS.  Ô5 

euiiemis,  sont  bien  plus  inquiets  du  plus  petit  avantage 
qu'un  état  obtient  par  la  victoire,  que  des  grands  biens 
qu'il  peut  se  procurer  par  une  administration  bien  or- 
donnée :  et  ce  sentiment  est  naturel;  car  la  prospérité  qui 
naît  de  la  conduite  sage  d'un  gouvernement,  rappelle 
aussi  ses  vertus,  et  Ton  y  voit  une  sauve-garde  contre 
l'abus  qu'il  pourrait  faire  de  l'accroissement  de  ses  forces. 

N'en  douions  pas,  législateurs,  les  idées  d'ordre,  de 
morale  et  d'amélioration  qui  ont  été  suivies  avec  constance 
depuis  deux  années,  et  que  vous  avez  solennellement  con- 
sacrées, nous  ont  conquis  la  confiance  de  l'Europe. 

Quel  magnifique  spectacle  la  nation  française  n'offre- 
t-elle  pas  au  monde  !  Le  même  jour,  pour  ainsi  dire,  où  Ton 
vous  présente  les  traités  conclus  à  la  suite  de  tant  de  né- 
gociations si  glorieusement  terminées,  je  suis  chargé  de 
soumettre  à  votre  sanction  le  premier  des  projets  de  lois 
destinés  à  former  notre  législation  civile,  et  de  vous  ex- 
poser le  plan  général  de  l'ouvrage.  Il  est  donc  vrai  qu'au- 
jourd'hui ,  dans  cet  auguste  sanctuaire ,  la  Paix  et  la  Justice 
s'embrassent.  Aucun  instant  n'a  été  perdu  pour  le  bonheur  : 
au  milieu  de  la  guerre,  nous  avons  su  nous  préparer  à 
jouir  de  la  paix;  et,  dans  la  paix,  nos  travaux  vont  être 
soutenus  et  encouragés  par  les  grands  souvenirs  de  tous 
nos  triomphes  dans  la  guerre. 

Législateurs,  avant  de  vous  exposer  le  plan  général  du 
projet  de  Code  civil,  et  de  vous  faire  connaître  l'esprit  dans 
lequel  ce  projet  a  été  rédigé,  il  importe  de  fixer  votre 
attention  sur  la  nature  et  les  difficultés  d'une  telle  entre- 
prise. 

Qu'est-ce  qu'un  Code  civil?  c'est  un  corps  de  lois  desti- 
nées à  diriger  et  à  fixer  les  relations  de  sociabilité,  de 
famille  et  dintérèl  qu'ont  entre  eux  des  hommes  qui  ap- 
partiennent à  la  même  cité. 

Chaque  société  a  son  droit  civil. 

Ce   droit  n'a  pu  se    former  que   successivement  :   un 

3. 


36  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC 

peuple  ne  se  civilise  que  peu  à  peu;  d'abord  il  est  plutôt 
régi  par  des  usages  que  par  des  lois.  Les  idées  générales 
de  bien  public,  les  notions  sur  tout  ce  qui  est  utile  et 
raisonnable,  suivent  le  progrès  des  lumières.  Quelques  lois 
sont  publiées  par  inlervalle  pour  corriger  les  coutumes  et 
pour  les  suppléer;  des  décisions  mutipliées,  et  souvent 
contraires,  interviennent  pour  interpréter  et  pour  conci- 
lier les  coutumes  et  les  lois;  bientôt  le  droit  civil  n'offre 
plus  qu'un  amas  confus  d'usages  et  de  règles  qui  effraient 
par  leur  diversité  et  par  leur  multitude  ,  et  (ju'il  est  impos- 
sible de  réduire  en  système. 

Dans  cet  état  de  choses,  veut-on  refondre  ou  réformer 
la  législation  civile  d'un  peuple  ?  la  première  difficulté  que 
l'on  éprouve  est  celle  de  réunir  les  connaissances  néces- 
saires, presque  toutes  éparses,  et  dont  la  plupart  n'ont 
même  jamais  été  sérieusement  recherchées. 

Le  droit  civil  s'entremêle  et  s'unit  à  tout.  On  est  donc 
sûr  de  rencontrer  tous  les  intérêts  privés,  quand  on  s'avise 
de  parler  au  nom  de  l'intérêt  public.  Ceux  qui  se  trouvent 
bien  de  l'ordre  établi  haïssent  les  changemens;  ceux  qui 
sont  mal  craignent  le  pire  :  chacun  voudrait  du  moins 
tourner  les  opérations  à  son  profit  personnel,  sans  se 
mettre  en  peine  du  préjudice  qui  peut  en  résulter  pour 
les  autres. 

Autrefois  les  gens  de  lettres  et  les  philosophes  dédai- 
gnaient letude  de  la  jurisprudence;  ils  en  étaient  écartés 
par  l'allrait  des  arts  d'agrément,  et  plus  encore  par  la 
poiiti<|uc  mystérieuse  du  temps,  qui  craignait  que  l'on 
s'occupât  des  affaires  de  la  société,  et  cpii  croyait  ne  pou- 
voir tolérer  que  des  littérateurs,  des  théologiens  et  des 
géomètres.  Mais  tandis  que  cette  ancienne  indifférence  pour 
leti  objets  de  législation  laissait  un  libre  cours  aux  erreurs 
de  tout  genre,  rinlé.cl  que  Ton  y  apporte  aujourd'hui 
contraint  le  législateur  à  une  circonspection  salutaire, 
saos  doute,  mais   qi.i   rend  sa  marche   inûnimcut   plus 


DE    LA    PUBLICATION»    DES    LOIS.  'b'] 

difficile  et  plus  laborieuse;  on  trouve  sans  cesse  le  légis- 
lateur aux  prises  avec  les  systèmes. 

Une  multitude  d'autres  obstacles  naissent  encore  de 
crltc  variété  d'usages  et  de  privilèges  qui  séparaient  et 
distinguaient  les  anciennes  provinces  de  France  les  unes 
des  autres. 

Enfin  la  vacillation  continuelle  des  lois,  depuis  dix  ans, 
a  livré  les  esprits  à  tout  vent  de  doctrine,  et  ne  peut 
qu'entretenir  les  oppositions  et  les  résistances. 

C'est  à  travers  toutes  ces  difficultés  qu'une  législation 
civile  en  France  doit  se  développer. 

En  traçant  le  plan  de  cette  législation  ,  nous  avons  dû 
nous  prémunir  et  contre  l'esprit  de  système  qui  tend  à 
tout  détruire,  et  contre  l'esprit  de  superstition,  de  servi- 
tude et  -de  paresse,  qui  tend  à  tout  respecter. 

Depuis  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  il  y  a  une 
grande  agitation  dans  les  esprits.  Nos  découvertes  et  nos 
progrès  dans  les  sciences  exactes  et  dans  les  sciences  natu- 
relles ont  exagéré  en  nous  la  conscience  de  nos  propres 
forces,  et  ont  produit  cette  fermentation  vive  qui,  de 
proche  en  proche,  s'est  étendue  à  tout  ce  qui  nous  est 
tombé  sous  la  main.  Après  avoir  découvert  le  système  du 
monde  physique,  nous  avons  eu  l'ambition  de  reconstruire 
le  monde  moral  et  politique.  Nous  sommes  revenus  sur 
les  diverses  institution ,  et  on  ne  revient  guère  sur  un  objet 
sang  vouloir  réformer  plus  ou  morns,  et  bien  ou  mal,  tout 
ce  qui  a  été  fait  ou  dit  auparavant  :  de  là  cette  foule  d'ou- 
vrages qui  ont  donné  l'éveil  aux  imaginations  ardentes, 
qui  ont  remué  la  raison  sans  l'éclairer,  et  qui  nous  ont 
condamnés  à  vivre  d'illusions  et  de  chimères. 

Les  prodiges  qui  se  sont  opérés  pendant  la  révolution 
«ont  bien  faits  pour  accroître  notre  confiance;  mais,  à 
coté  de  ces  prodiges ,  des  désordres  malheureusement  trop 
connus  ne  nous  ont-ils  pas  avertis  de  nos  erreurs  et  de  nos 
fautes  .^ 


58  DISCUSSIONS,  MOTIFS,  elc. 

Quelques  personnes  paraissent  regretter  de  ne  rencon- 
trer aucune  grande  conception  dans  le  projet  de  (Iode  civil 
qui  a  été  soumis  à  la  discussion.  Elles  se  plaignent  de  n'y 
voir  qu'une  refonte  du  droit  romain,  de  nos  anciennes 
coutumes  et  de  nos  ancienne.v  maximes. 

Il  serait  à  désirer  que  l'on  pût  attacher  quelque  idée 
précise  à  ce  qu'on  entend  par  grande  conception.  Yeut-on 
exprimer  par  ce  mot  quelque  nouveauté  bien  hardie,  quel- 
que institution  à  la  manière  des  Solon  et  des  Lycurgue? 

Mais  ne  nous  y  trompons  pas,  législateurs;  une  nou- 
veauté hardie  n'est  souvent  qu'une  erreur  brillante  dont 
l'éclat  subit  ressemble  à  celui  de  la  foudre  qui  frappe  le 
lieu  même  qu'elle  éclaire. 

Gardons-nous  donc  de  confondre  le  génie  qui  crée  avec 
l'esprit  novateur  qui  bouleverse  ou  dénature. 

Les  institutions  de  Solon  et  de  Lycurgue ,  qui  ùous  pa- 
raissent si  singulières,  avaient  leurs  racines  dans  les 
mœurs  des  peuples  pour  (|ui  elles  étaient  faites.  Sjlon 
nous  avertit  lui-mêuje  qu'il  ne  faut  jamais  donner  à  un 
peuple  que  les  lois  qu'il  peut  comporter. 

Les  temps  anciens  ne  ressemblent  point  à  nos  temps 
modernes.  Dans  l'antiquité,  les  nations  étaient  plus  iso- 
lées ,  et  conséquemment  plus  susceptibles  d'être  régies 
par  des  institutions  exclusives.  Dans  nos  temps  modernes  , 
où  le  connnerce  a  établi  plus  de  liens  de  conmiunication 
entre  Ifes  divers  états,  qu'il  n'en  existait  autrefois  entre  les 
villes  d'un  même  empire;  dans  nos  temps  modernes,  où 
les  mêmes  arts,  les  mêmes  sciences,  la  même  religion, 
la  uiême  morale  ont  établi  une  sorte  de  communauté  entre 
tous  les  peuples  policés  de  rKurojie  :  luie  nation  qui  vou- 
drait s'isoler  de  toutes  les  autres  par  ses  maximes,  se  jet- 
terait dans  une  situation  forcée  qui  gênerait  sa  politi(|ue, 
et  compiomcltrait  sa  puissance,  en  l'obligeanl  de  rcnon- 
(^cr  à  toutes  SCS  relations,  ou  qui  ne  pourrait  sub>islcr,  si 
CCS  relations  étaient  conscr>ées. 


DE     LA    PliBLlCATIOiX    DES    LOIS.  59 

Le  rt pioche  lait  au  rédacleur  du  projel  d'avoir  travaillé, 
au  moins  en  partie,  d'après  le  droit  romain  cl  d'après  les 
aneienues  coutumes,  mérite  d'être  apprécié  à  sa  juste 
valeur. 

Connait-on  un  peuple  qui  se  soil  donné  un  Code  civil 
tout  entier,  un  Code  absolument  nouveau,  rédigé  sans 
égard  pour  aucune  des  choses  que  l'on  pratiquait  aupa- 
ravant ? 

Interrogeons  l'histoire,  elle  est  la  physique  expérimen- 
tale de  la  législa'tion.  Elle  nous  apprend  qu'on  a  respecté 
partout  les  maximes  anciennes,  comme  étant  le  résultat 
d'une  longue  suite  d'observations. 

Jamais  un  peuple  ne  s'est  livré  à  la  périlleuse  entreprise 
de  se  séparer  subitement  de  tout  ce  qui  l'avait  civilisé,  et 
de  refaire  son  entière  existence. 

La  loi  des  Douze -Tables  ne  fut  que  le  recueil  des  lois 
des  anciens  rois  de  Rome.  « 

Le  Code  de  Justinicn  et  ceux  de  ses  prédécesseurs  ne 
furent  que  des  compilations. 

En  France,  les  belles  ordonnances  du  célèbre  chancelier 
de  l'Hôpital ,  celles  de  Louis  XIV,  n'offrent  que  le  choix 
éclairé  des  dispositions  les  plus  sages  (|ue  l'on  retrouve 
dans  nos  coutumes  ou  dans  les  anciens  dépots  de  la  légis- 
lation française. 

De  nos  jours,  Frédéric  11,  roi  philosophe,  a-t-il  fait 
autre  chose  que  de  réunir  avec  méthode  les  règles  et  les 
principes  que  nous  avons  reçus  des  Romains,  et  qui  ont 
civilisé  l'Europe  ? 

Le  Code  général  de  Prusse,  qui  a  été  plus  récemment 
publié,  a  plus  d'étendue  que  celui  de  Fré<léric  ;  mais  il  n'a 
été  que  le  gardien  sage  et  fidèle  de  toutes  les  maximes 
reçues;  il  a  même  respecté  les  coutumes  locales. 

Pour(|uoi  donc  aurions-nous  eu  l'imprudence  de  répu- 
dier le  riche  héritage  de  nos  pères  ? 

Cependant,  il  faut  l'avouer,  il  se  trouve  dans  la  dtiréc 


4o  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

des  états  des  époques  décisives  où  les  événemens  changent 
la  position  et  la  fortune  des  peuples,  comme  ccrlaincs 
crises  changent  le  tempérament  des  individus.  Alors  il 
devient  possible  et  même  indispensable  de  faire  des  réfor- 
mes salutaires  ;  alors  une  nation  ,  placée  sous  un  meilleur 
génie,  peut  proscrire  des  abus  qui  l'accablaient,  et  re- 
prendre, à  certains  égards,  une  nouvelle  vie. 

Mais  alors  même,  si  cette  nation  brille  déjà  depuis  long- 
temps sur  la  terre;  si  depuis  long-temps  elle  occupe  le 
premier  rang  parmi  les  peuples  policés,  elle  doit  encore 
ne  procéder  à  des  réformes  qu'avec  de  sages  méuagemens. 
Elle  doit,  en  s'élevaut  avec  la  vigueur  d'un  peuple  nou- 
veau ,   conserver  toute   la  maturité  d'un   ancien   peuple. 

On  peut  inditféremment  porter  la  faux  dans  un  champ 
qui  est  en  friche;  mais  sur  un  sol  cultivé  ,  il  faut  n'arra- 
cher que  les  plantes  parasites  qui  étouffent  les  productions 
utiles.     • 

En  revenant  sur  notre  législation  civile,  nous  avons  cru 
qu'il  sufQsait  de  tracer  une  ligne  de  séparation  entre  les 
réformes  qu'exige  l'état  présent  de  la  république  et  les 
idées  d'ordre  réel  que  le  temps  et  le  respect  des  peuples 
ont  consacrées. 

Les  théories  nouvelles  ne  sont  que  les  systèmes  de  quel- 
ques individus  :  les  maximes  anciennes  sont  l'esprit  des 
siècles. 

Sans  doute  le  génie  peut,  en  communi(iuant  par  la 
pensée  avec  le  bonheur  des  hommes,  découvrir  des  rap- 
ports inconnus  jusqu'à  lui;  mais  le  temps  seul  peut  assurer 
aux  productions  du  génie  des  hommages  et  des  partisans, 
parce  (|uc  le  temps  seul  habitue  les  hommes  à  la  concep- 
tion des  vérités  qui  étendent  ou  multiplient  nos  rapports. 
Le  législateur.  <|ui  ne  peut  sans  danger  franchir  subite- 
ment d'aussi  grands  intervalles,  doit  demeurer  dans  les 
linn'tes  que  la  tradition  des  himières  a  déterminées,  jus- 
(|u'à  ce  (jue  les  événemens  et  les  choses  l'avertissent  qu'il 


DIÎ    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  4l 

peul,  sans  conunolion  et  sans  secousse  ,  niarcher  dans  la 
carrière  qui  lui  avait  été  ouverte  par  le  i^éuie- 

Les  d'Aguesseau,  les  Lamoignon  ,  et  tous  les  bons  esprits 
sentaient ,  par  exemple ,  la  nécessité  d'avoir  une  législation 
uniforme.  Des  lois  différentes  n'engendrent  que  trouble 
et  confusion  parmi  des  peuples  qui,  vivant  sous  le  mémo 
gouvernement,  et  dans  une  communication  continuelle, 
passent  ou  se  marient  les  uns  chez  les  autres ,  et ,  soumis  à 
d'autres  coutumes,  ne  savent  jamais  si  leur  patrimoine 
est  bien  à  eux. 

Mais  au  temps  où  les  Lamoignon  et  les  d'Aguesseau 
rtianifcstaient  leur  vœu,  il  eût  été  dangereux  et  même 
impossible  de  le  réaliser.  Aujourd'hui  une  législation  uni- 
forme sera  un  des  grands  bienfaits  de  la  révolution. 

Tant  qu'il  a  existé,  en  France,  des  différences  et  des 
distinctions  politiques  entre  les  personnes,  tant  qu'il  y  a 
eu  des  nobles  et  des  privilégiés,  on  ne  pouvait  faire  dispa- 
raître de  la  législation  civile  les  différences  et  les  distinc- 
tions qui  tenaient  à  ces  vanités  sociales,  et  qui  établis- 
saient dans  les  familles  un  ordre  particulier  de  succéder, 
pour  ceux  qui  avaient  déjà  une  manière  particulière 
d'exister  dans  l'état.  Aujourd'hui  toutes  les  lois  des  suc- 
cessions peuvent,  sans  contradiction  et  sans  obstacle, 
incliner  vers  les  principes  de  l'équité  générale. 

Des  magistrats  célèbres  avaient  demandé  que  les  insti- 
tutions civiles  ne  fussent  plus  mêlées  avec  les  intitulions 
religieuses ,  et  que  l'état  des  hommes  fût  indépendant  du 
culte  qu'ils  professaient.  Mais  comment  un  si  grand  chan- 
gement pouvait-il  s'opérer,  tant  que  l'on  reconnaissait  une 
religion  dominante,  tant  que  cette  religion  était  une  loi 
fondamentale  de  l'état? 

Depuis,  la  tolérance  des  cultes  a  été  proclamée,  il  a  été 
possible  alors  de  séculariser  la  législation.  On  a  organisé 
cette  grande  idée,  qu'il  faut  souffrir  tout  ce  que  la  provi- 
dence souffre^  et  que  la  loi,  sans  s'enquérir  des  opinions 


4 2  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc 

religieuses  des  citoyens,  ne  doit  voir  que  des  Français, 
comme  la  nature  ne  voit  que  des  hommes. 

Vous  pouvez  actuellement,  législateurs,  juger  quelle  a 
été  la  marche  que  Ton  a  suivie  dans  la  rédaction  du  projet 
de  Code  civil. 

On  n'a  pas  perdu  de  vue  qu'il  ne  suffit  pas  en  législa- 
tion de  faire  des  choses  bonnes,  qu'il  faut  encore  n'en 
laire  que  de  convenables;  que  l'esprit  de  modération  est  le 
véritable  esprit  du  législateur  y  et  que  le  bien  politique  comme 
If  bien  moral ,  se  trouve  toujours  entre  deux  limites. 

Après  vous  avoir  fait  connaître,  législateurs,  l'esprit 
général  dans  lequel  le  projet  de  Code  a  été  rédigé ,  noOs 
allons  vous  exposer  la  division  de  l'ouvrage. 

Cette  division  peut  être  envisagée  sous  deux  rap[>orts, 
c'est-à-dire,  relativement  au  fond  des  matières  qui  en  sont 
l'objet ,  et  relativement  à  la  forme  extérieure  dans  laquelle 
ces  matières  sont  classées. 

Par  rapport  au  fond  des  matières,  l'arrangement  le  plus 
naturel  serait  incontestablement  celui  où  les  objets  se  suc- 
céderaient par  les  nuances  souvent  insensibles  qui  servent 
tout  à  la  fois  à  les  séparer  et  à  les  unir.  Mais  est-il  toujours 
possible  de  saisir  ces  nuances? 

En  examinant  les  diverses  manières  dont  les  différens 
jurisconsultes  ont  divisé  le  droit ,  nous  avons  demeuré  trop 
convaincus  de  l'arbitraire  qui  régnera  toujours  dans  une 
pareille  division  ,  pour  croire  ([lie  celle  que  nous  proposons 
soit  l'unique  ou  la  meilleure.  Mais  nous  avons  cru  qu'il 
n'y  avait  point  d'ulililé  à  changer  les  divisions  communes. 

En  conséquence  ,  nous  avons  conservé  l'ordre  suivi  dans 
le  droit  romain. 
Tiire         Le  projet  <le  (^ode   présente  d'abord  quelques   maximes 
sur  les  loi»  en  général,  ensuite  on  y  traite  des  jxrsonnrs  , 
fit  s  choses  ,  rt  de  la  manière  de  les  tiefjiiénr. 

Les  rédacteurs  du  projet  avaient  défini  les  dillcrentes 
espèces    de   droits,   l«    droit   naturel,    le  droit  positif,    le 


pre 


un 


DK    LA    PUBLICATION    DES    LOL^.  45 

droit    public,    le  droit  des  gens,  le  droit  civil,    le  droit 
criminel. 

Mais  on  a  judicieusement  remarqué  que  les  détinitions 
îçénérales  ne  contiennent,  pour  la  plupart,  que  des  ex- 
pressions vagues  et  abstraites,  dont  la  notion  est  souvent 
plus  difficile  à  fixer  que  celle  de  la  chose  même  que  Ton 
définit. 

De  plus ,  il  nous  a  paru  sage  de  faire  la  part  de  la  science 
et  la  part  de  la  législation. 

Les  lois  sont  des  volontés. 

Tout  ce  qui  est  définition  ,  enseignement,  doctrine,  est 
du  ressort  de  la  science.  Tout  ce  qui  est  commandement, 
disposition  proprement  dite,  est  du  ressort  des  lois. 

S'il  est  des  définitions  dont  le  législateur  doive  se  rendre 
l'arbitre,  ce  sont  celles  qui  appartiennent  à  cette  partie 
niuable  et  purement  positive  du  droit,  qui  est  tout  entière 
sous  la  dépendance  du  législateur  même  ;  mais  il  en  est 
autrement  des  définitions  qui  tiennent  à  la  morale,  et  à 
des  choses  qui  ont  une  existence  indépendante  des  volontés 
arbitraires  de  l'homme.  Nous  nous  sommes  réduits,  relati- 
vement à  tout  ce  qui  regarde  les  lois  en  général,  à  fixer  le 
mode  de  leur  publication,  leurs  principaux  effets,  et  la 
manière  respectueuse  dont  les  juges  doivent  les  appli- 
quer. 

Les  personnes  sont  le  principe  et  la  fin  du  droit;  car  les 
choses  ne  seraient  rien  pour  le  législateur  sans  l'utilité 
iqu'en  retirent  les  personnes. 

Nous  reconnaissons,  avec  tous  les  moralistes  et  avec  tous 
les  philosophes  que  le  genre  humain  ne  forme  qu'une 
grande  famille  ;  mais  la  trop  grande  étendue  de  cette 
famille,  l'a  obligé  de  se  séparer  en  différentes  société» 
<\\\\  ont  pris  le  nom  de  peuples ,  de  ?intions ,  (Vrtats ,  et  dont 
les  membres  se  rapprochent  par  des  liens  ])articuliers , 
indépendamment  de  ceux  qui  les  unissenl  au  système 
général. 


44  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

De  là,  dans  toute  société  politique,  la  distinction  de» 
nationaux  et  des  étrangers. 

Nous  n'avons  pu  répudier  celte  distinction;  elle  sort  de 

la  constitution  ménie  des  peuples. 

Liv   1-       ISous  avons  fixé  les  caractères  auxquels  on  est  reconnu 

tii.  I  -  . 

ch.  3.     Français  ou  étranger. 

La  liberté  naturelle  qu'ont  les  hommes  de  cherclier  le 
bonheur  partout  où  ils  croient  le  trouver,  nous  a  déter- 
minés à  fixer  les  conditions  auxquelles  un  étranger  peut 
devenir  Français,  et  un  Français  peut  devenir  étranger. 
Nous  n'avons  point  à  craindre  que  des  hommes  qui  sont 
nés  sur  le  sol  fortuné  de  la  France  veuillent  abandonner 
une  si  douce  [jatrie;  mais  pourquoi  refuserions-nous  ceux 
que  tant  de  motifs  peuvent  attirer  sous  le  plus  heureux 
des  climats,  et  qui,  étrangers  à  la  France  par  leur  nais- 
sance ,  cesseraient  de  l'èlrc  par  leur  choix  ? 

Quelques  philosophes  avaient  pensé  que  les  droits  civils 
ne  doivent  être  refusés  à  personne,  et  qu'il  fallait  ainsi 
former  une  seule  nation  de  toutes  les  nations.  Cette  idée 
est  généreuse  et  grande,  mais  elle  n'est  point  dans  l'ordre 
des  affections  humaines.  On  affaiblit  ces  affections  en  les 
généralisant;  la  patrie  n'est  plus  rien  pour  celui  qui  n'a 
que  le  inonde  pour  patrie;  l'humanité,  la  justice,  sont  les 
liens  généraux  de  la  société  universelle  des  hommes  :  mais 
il  est  des  avantages  particuliers  que  chacpie  société  doit  à 
ses  membres  ,  (jui  ne  sont  point  réglés  par  la  nature  ,  et 
qui  ne  [)euvcnt  être  rendus  communs  à  d'autres  que  par 
la  convention.  Nous  traiterons  les  étrangers  comme  ils 
nous  traiteraient  eux-mêmes  ;  le  principe  de  la  réciprocité 
sera  envers  eux  la  mesure  de  notre  conduite  et  de  nos 
égards.  Il  est  pourtant  des  droits  qui  ne  sont  point  inter- 
dits aux  étrangers  :  ces  droits  sont  tous  ceux  qui  appar- 
tiennent bien  plus  au  droit  des  gens  (ju'au  droit  civil,  et 
dont  l'exercice  ne  pourrait  être  interrompu  sans  porter  at- 
teinte aux  diverses  relations  qui  existent  entre  les  peuples. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  ^5 

Un  français  peut  perdre  les  droits  civils  par  ;ine  condam-   ib  ch 
nation  capitale  ou  pour  tout  autre  peine  à  laquelle  la  loi 
peut  avoir  attaché  cette  privation.  (Comment  pourrait-on 
regarder  comme  associé  celui  qui,  par  ses  attentats  et  ses 
crimes,  aurait  rompu  les  pactes  de  l'association  ? 

Ce  qu'on  aj)pelle  Télat  civil  d'un  homme  n'est  autre  chose  ^5^ 
cjMc  l'aptitude  à  exercer  les  droits  que  les  lois  civiles  garan-  *''•  *• 
tissent  aux  membres  de  la  société.  Cet  élat  élantla  plus 
sacrée  de  toutes  les  propriétés,  le  législateur  s'en  est  rendu 
le  gardien  en  établissant  des  registres  destinés  à  constater 
les  actes  les  plus  importans  de  la  vie  civile.  Nous  nous  som- 
mes occupés  de  la  forme  et  de  la  sûreté  de  ces  registres, 
dont  rétablissement  est  commun  à  toutes  les  nations  qui 
connaissent  l'usage  de  l'écriture. 

Un  homme  n'occupe  qu'un  point  dans  l'espace  comme  £ 
dans  le  temps,  quoique  par  ses  relations  il  puisse  étendre  *'*  ^• 
et  multiplier  son  existence.  Il  a  donc  nécessairement  un 
domicile.  Ce  domicile  est,  d'après  tous  les  principes,  le 
lieu  de  son  principal  établissement.  Le  droit  de  changer  de 
domicile  est  un  des  plus  beaux  droits  de  la  liberté  humaine. 
Mais  ce  changement  est  soumis  à  des  règles ,  pour  que  les 
tiers  qui  ont  intérêt  à  le  connaître  ne  soient  pas  trompés, 
et  puissent  trouver  Thomme  avec  qui  ils  ont  des  relations 
volontaires  ou  forcées. 

Les  lois  ont  toujours  veillé  .pour  les  absens;  c'est  l'hu-  i-iv  « 
manilé  môme  qui  excite  à  cet  égard  la  sollicitude  du  légis-  ^'^'^' 
lafeur  :  plus  que  jamais  l'absence  doit  devenir,  dans  nos 
temps  modernes,  l'objet  de  l'attention  et  de  la  vigilance  des 
législateurs;  car  aujourd'hui  l'industrie,  le  commerce, 
l'amour  des  découvertes,  la  culture  des  arts  et  des  sciences, 
déplacent  perpétuellement  les  hommes.  On  doit  une  pro- 
tection spéciale  à  ceux  qui  se  livrent  à  des  voyages  de  long 
cours  et  à  des  entreprises  périlleuses,  pour  rapporter  en- 
suite dans  leur  patrie  des  richesses  et  des  connaissances 


46  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    ClC. 

qu'ils  ont  acquises  avec  de  grands  efforts  et  au  péril  de 
leur  vie. 
Liv. .-       Une  société  n'est  ^oiut  composée  d'individus  isolés  et 

tit    5 

épars  :  c'est  un  assemblage  de  familles.  Ces  familles  sont 
autant  de  petites  sociétés  particulières  dont  la  réunion 
forme  l'Etat,  c'est-à-dire,  la  grande  famille  qui  les  com- 
prend toutes. 

Les  familles  sont  formées  par  le  mariage.  Le  mariage  est 
de  l'institution  même  de  la  nature.  Il  a  une  tropgrande 
influence  sur  la  destinée  des  hommes  et  sur  la  propagation 
de  Tespèce  humaine,  pour  que  les  législateurs  l'abandon- 
nent à  la  licence  des  passions. 

Le  mariage  soumet  les  époux  à  des  obligations  sacrées 
envers  les  enfans  qui  naissent  de  leur  union.  Il  les  soumet 
à  des  obligations  mutuelles.  Il  faut  donc  que  l'on  connaisse 
ceux  qui  ont  à  remplir  ces  obligations.  De  là  les  formes 
proposées  pour  la  solennité  de  ce  contrat. 

Pour  le  mariage,  il  faut  pouvoir  remplir  les  vues  delà 
nature.  Il  était  donc  nécessaire  de  fixer  l'âge  auquel  deux 
époux  pourraient  utilement  s'unir. 

Il  importe  de  favoriser  les  alliances  et  de  protéger  les 
mœurs;  il  importe  de  ne  pas  blesser  les  vues  de  la  nature, 
et  de  ne  pas  offenser  Thonnètelé  publique.  De  là  les  pro- 
hibitions de  mariage  pourcause  de  parenté.  Toutes  les  na- 
tions ont  proscrit  les  mariages  incestueux,  parce  que  le 
cri  de  la  nature  a  retenti  dans  le  cœur  de  tous  les  hommes. 
Les  nations  civilisées  ont  étcnd\i  plus  loin  Tcmpire  de  la 
pudeur,  et  elles  ont  respecté  certaines  convenances  qui, 
sans  être  l'ouvrage  immédiat  <lc  la  nature,  se  trouvent 
fondées  sur  des  raisons  naturelles. 
i.iv  i-  De  droit  commun  ,  la  mort  de  l'un  des  époux  peut  seule 
dissoudre  le  mariage.  Nous  avons  [)ourlant  cru  que  la  loi 
civile  ne  pouvait  être  aussi  inflexible  que  la  religion  et  la 
morale  ,  cl  dans  notre  projet  nous  conservons  le  divorce*, 


lit.  6. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  4? 

mais  avec  des  luénagemens  capables  d'en  prévenir  les 
abus.  Nous  le  conservons  pour  les  cas  où  les  vices  ont  plus 
dVnergie  et  de  force  pour  énerver  les  lois,  que  les  lois  n'en 
ont  pour  réprimer  les  vices. 

A  côté  du  divorce  nous  laissons  la  faculté  de  demander  la  i^  cl«-  5i 
simple  séparation  de  corps  qui  relâche  le  lien  du  mariage 
sans  le  rompre.  Nous  avons  pensé  que ,  sous  des  lois  qui 
autorisent  la  liberté  des  cultes,  il  fallait  laisser  respirer  les 
ànies  librement,  et  ne  pas  placer  un  homme  fidèle  à  sa  re- 
ligion entre  le  désespoir  et  sa  conscience. 

Dans  les  causes  du  divorce  nous  n'avons  point  placé  Tin-     l'îv  »- 

tit.  6. 

compatibilité  d'humeur  et  de  caractère  ,  à  moins  qu'elle  ne 
lût  le  résultat  d'un  consentement  mutuel;  nous  avons  re- 
gardé comme  contraire  à  l'essence  même  des  choses,  qu'un 
contrat  aussi  sacré  que  le  mariage  pût  être  arbitraîreinent 
rompu  sur  la  demande  et  sur  la  simple  allégation  de  l'une 
des  parties,  c'est-à-dire,  par  la  volonté  et  pour  l'avantage 
d'un  seul  des  époux. 

Après  avoir  tracé  les  causes  de  divorce ,  nous  avons  indi- 
qué les  formes  d'après  lesquelles  il  devait  être  instruit  et 
jugé.  L'intervention  de  la  justice  nous  a  paru  nécessaire. 
En  Angleterre,  il  faut  une  loi.  Ailleurs,  il  faut  un  acte  du 
souverain. Partout  une  question  de  divorce  est  une  question 
nationale,  dont  les  suites  et  la  décision  ont  paru  intéresser 
la  société  entière. 

Chaque  famille  doit  avoir  son  gouvernement.  Le  mari ,     Liv.  i- 
Ic  père  en  a  toujours  été  réputé  le  chef.  La  puissance  ma-  ^' 

ritale,  la  puissance  paternelle,  sont  des  institutions  répu- 
blicaines. C'est  surtout  chez  les  peuples  libres  que  le  pou- 
voir des  maris  et  des  pères  a  été  singulièrement  étendu  et 
respecté.-Dans  les  monarchies  absolues,  dans  les  états  des 
potiques,  le  pouvoir  qui  veut  nous  asservir  cherche  à 
affaiblir  tous  les  autres.  Dans  les  républiques,  on  forlifie 
la  magistrature  domestique,  pour  pouvoir  ssans  danger 
adoucir  la  magistrature  politique  et  civile. 


48  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    CtC 

Légis^ateu^s,  vous  conserverez  au  gouvernement  de  la 
famille  tout  son  ressort,  pour  conserver  au  citoyen  toute  sa 
liberté.  La  famille  est  le  sanctuaire  des  mœurs.  C'est  là 
que  les  vertus  privées  préparent  aux  vertus  publiques  ; 
c'est  là  que  les  sentimens  de  la  nature  nous  disposent  à 
remplir  les  devoirs  qui  sont  imposés  par  les  lois. 

La  faveur  du  mariage,  le  maintien  des  familles,  qui 
sont  la  pépinière  de  l'état;  le  grand  intérêt  qu'a  la  société 
à  proscrire  les  unions  vagues  et  incertaines,  sont  autant  de 
motifs  puissans  qui  ont  déterminé  tous  les  peuples  policés 
à  distinguer  les  enfans  naturels  des  enfans  légitimes. 

Tous  les  enfans  qui  naissent  sous  la  foi  du  mariage  ont 
pour  père  celui  que  le  mariage  démontre.  Ils  jouissent  de 
tous  les  avantages  de  la  légitimité,  c'est-à-dire  ils  appar- 
tiennent à  une  famille,  et  ils  jouissent,  dans  cette  famille, 
de  tous  les  droits  que  l'ordre  des  successions  leur  assure  au 
patrimoine  commun. 

Les  enfans  naturels,  c'est-à-dire  les  enfans  nés  hors  le 
mariage,  n'ont  point  de  famille,  à  moins  qu'ils  ne  soient 
légitimés  par  le  mariage  subséquent  des  auteurs  de  leurs 
jours.  Dans  le  projet  de  Code  on  ne  leur  assure  qu'une 
créance  sur  les  biens  de  leurs  père  et  mère.  Ils  n'ont  rien 
s'ils  ne  sont  reconnus.  La  recherche  de  la  paternité  leur 
est  prohibée,  parce  qu'ils  n'ont  aucune  présomption  de 
droit  en  leur  faveur,  et  que  le  fait  de  la  paternité  est  tou- 
jours incertain  ;  s'ils  peuvent  rechercher  leur  mère,  c'est 
lorsqu'ils  administrent  des  commencemens  de  preuve  par 
écrit. 

Il  nous  a  paru,  au  contraire,  que  les  enfans  nés  sous  la 
foi  du  mariage  doivent  être  traités  plus  favorablement , 
quand  ils  réclament  un  état  qu'on  a  voulu  leur  crtlcver  par 
fraude.  Il  leur  suffit  de  prouver  le  fait  de  la  maternité, 
poiir  faire  reconnaître  leur  père.  On  ne  doit  pourtant  pas 
les  admettre  à  intenter  leur  action,  sans  un  commence- 
ment de  preuve.  Le  système  contraire  menacerait  la  tran- 


Di:    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  40 

<iuillité  (les  familles,  et  il  ébranlerait  la  société  entière. 

Les  enfuns  naturels  et  les  cnfans  légitimes  doivent  être   Liv.  i- 
pn>tégé8  par  les  lois ,  tant  qu'ils  sont  dans  l'âge  où  ils  ne 
peuvent  se  diriger  eux-mêmes.  De  là  l'institution  des  tu- 
telles, et  les  obligations  imposées  aux  tuteurs. 

Nous  n'avons  parlé  jusqu'ici  (juc  de  la  filiation  ou  de  la     iiv.  i- 

lit    8 

paternité  réelles;  mais  il  est  une  filiation  et  une  paternité 
fictives  qui  ne  sont  point  l'ouvrage  de  la  nature,  et  qui  ne 
sont  que  l'ouvrage  de  la  volonté.  Les  décrets  de  nos  assem- 
blées nationales  ont  proclamé  le  principe  de  l'adoption  : 
doit-on  régulariser  l'exécution  de  ce  principe?  On  a  re- 
marqué que,  dans  ses  effets,  l'adoption  otFre  le  choix 
éclairé  de  Tesprit,  qui  remplace  l'aveugle  opération  des 
sens.  L'adoption,  continue-ton,  si  on  la  considère  dans 
ses  motifs,  sera  inspirée  par  cette  sensibilité  expansive  qui 
ne  croit  jamais  avoir  assez  multiplié  les  objets  de  son  atta- 
chement. Elle  pourra  être  diclée  encore  par  cet  esprit  de 
bienfaisance  si  cher  à  toute  société,  et  qui  nous  eu  pré- 
sente tous  les  membres  comme  des  frères  et  des  enfans. 
Si  Ton  craint  que  l'adoption  ne  favorise  le  célibat,  on 
pourra  ne  la  permettre  qu'à  ceux  qui  auront  cherché  par 
le  mariage  à  remplir  le  vœu  de  la  nature. 

Toutes  ces  grandes  (questions  vous  seront  soumises.  Elles 
méritent  de  fixer  l'attention  générale. 

Nous  avons  conservé  l'âge  de  la  majorité  à  vingt-un  ans.     Liv.  i- 
A  cet  âge,  les  hommes  sont  présumés  capables  de  tout. 

Nous  avons  pourtant  prorogé  la  minorité  jusqu'à  vingt- 
cinq  ans  pf)ur  le  fait  du  mariage ,  parce  (ju'un  tel  engage- 
ment est  exposé  à  plus  de  danger,  et  qu'il  a  des  suites 
plus  importantes  pour  ceux  qui  le  contractent. 

Les  majeurs  sont  quelquefois  privés  de  l'usage  de  leur   Ib.ch.a. 
raison.  Il  faut  alors   que   la   loi   les  protège  contre  eux- 
mêmes.  On  les  interdit  ;    on  les  prive  de  la  liberté  pour 
leur  conserver  l'existence. 

VI.  /l  • 


OO  DISCrSSIOS  ,    MOTIFS,    clc. 

Tels  sont  les  plaus  qui  vous  seront  présentés  lelativc- 

ment  à  l'étal  des  personnes;  et  cette  parlie  du  projet  du 

Code  civil  est  la  seule  qui  puisse  vous  être  soumise  dans  le 

cours  de  cette  session. 

Liv  î-         Quant  aux  biens  ,  no<is  avons  distingué  leurs  diflérentes 

et  3  11.  • .  ï      • 

natures,  et  les  diverses  manières  de  les  acquérir. 
5,6         La  grande  distinction  des  diverses  espèces  des  biens  est 
celle  des  meubles  et  des  immeubles. 

Les  droits,  les  servitudes,  les  actions,  peuvent  rentrer 
dans  Tune  de  ces  deux  classes. 
i-'^  3-         Les  successions  et  les  contrats  embrassent  tous  les  moyens 

lit   I  et3.  ^  -^ 

d'acquérir. 
Liv.  1-  Le  système  hypothécaire  est  subordonné  à  quelques  règles 

tit.  i."*. 

particulières  qu'il  serait  inutile  pour  le  moment  de  déve- 
lopper. 

Voilà  tout  l'ordre  du  Code  relativement  au  fond  des  ma- 
tières qui  en  font  l'objet. 

Quant  à  la  forme  extérieure  dans  laquelle  ces  matières 
seront  classées,  le  projet  du  Code  sera  divisé  dans  chacune 
de  ses  parties  principales  en  projets  de  lois ,  les  projets  de 
lois  en  titres,  et  les  titres  en  sections,  selon  que  l'étendue 
et  la  diversité  des  objets  le  comporteront. 

Les  projets  de  lois  ,  leurs  titres  et  leurs  sections  seront 

<livisés  en  articles,  pour  la  commodité  de  ceux  qui  auront 

à  faire  l'application  ou  la  recherche  de  ces  articles  ;  on  les 

numérotera  de  suite,  comme  s'ils  ne  formaient  tous  qu'une 

seule  et  même  loi. 

Titre  Noiis  ap[)ortons  aujourd'hui  le  premier  projet,  il  a  pour 

^   "°       titre  :  I^e  ta  publication  ,  des  rjl'rts  et  de  VappUcation  des  lois. 

•  Lnc  loi  n'oblige  qu'autant  (|ue  l'on  peut  présumer  qu^elle 

est  coiuiue.  La  loi  ne  peut  fraj>per  sans  avertir. 

Il  serait  impossible  ({u'une  loi  tut  notifiée  à  chaque  in- 
dividu. On  doit  86  contenter  de  la  présomption  morale  que 
chaque  individu  a  |)u  la  connaître. 
%  En  conR«^quencc  ,  nous  avons  fixé  le  temps  prop;ressif  dans 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  Ôl 

lequel  la  connaissance  de  la  loi  pouvait  successivcmcr* 
parvenir  aux  citoyens  de  tous  les  déparlemens. 

La  loi  ne  peut  avoir  d'effet  rétroactif:  ce  principe  est  in-      ^ 
contestable  ;  nous  l'avons  proclamé. 

Elle  oblige  tous  ceux  qui  vivent  sous  son  empire.  Habiter     ' 
le  territoire,  c'est  se  soumettre  à  la  souveraineté. 

De  nos  jours,  les  hommes  ne  sont  pas  toujours  dans  le  aj.  3 
même  lieu  :  les  communications  commerciales  et  indus- 
trielles entre  les  divers  peuples  sont  multipliées  et  rapides  ; 
il  nous  a  paru  nécessaire  de  rassurer  le  commerce ,  en  lui 
garantissant  la  validité  des  actes  dans  lesquels  on  s'était 
conformé  aux  formes  reçues  dans  les  divers  pays  où  ces 
actes  pouvaient  avoir  été  faits  et  passés.  Comme  les  dispo-  =P  ^ 
sitions  des  lois  ne  doivent  jamais  être  éludées,  nous  avons 
prévu  le  cas  d'une  loi  qui,  par  la  crainte  ou  la  prévoyance 
de  certains  abus ,  an  nulle  tous  les  actes  faits  dans  certaines 
circonstances  comme  suspects  de  fraude  ;  et  nous  avons 
pensé  que,  dans  ce  cas,  on  ne  peut  être  reçu  à  prouver 
que  ces  actes  ne  sont  point  frauduleux  :  c'est  l'hypothèse  de 
la  déclaration  de  1712,  qui  annulle  tous  les  transports  faits 
dix  jours  avant  la  faillite. 

Il  y  avait  des  juges  avant  qu'il  y  eût  des  lois;  ces  juges.  4 
dans  ces  tem{)S  d'ignorance  et  de  grossièreté,  étaient  des 
ministres  d'équilé  entre  les  hommes;  ils  le  sont  encore, 
quand  ils  ne  sont  point  dirigés  par  les  lois  écrites  ;  ils  ne 
peuvent  donc ,  sous  le  prétexte  de  l'obscurité  et  du  silence 
des  lois,  suspendre  arbitrairement  leur  ministère. 

Les  juges  sont,  à  certains  égards,  associés  à  l'esprit  de     5 
législation  ,  mais  ils  ne  peuvent  partager  le  pouvoir  légis- 
latif; ils  ne  peuvent  donc,  dans  leurs  jugcmens,  se  per- 
mettre aucuie  disposition  réglementaire. 

Enfin,  nous  avons  cru  devoir  consacrer  le  principe,  que     fi 
les  citoyens  ne  peuvent ,  par  des  conventions  particulières, 
déroger  aux  lois  qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes 

4. 


bi  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

mœurs  :  ce  principe  est  la  sauve-garde  de  la  morale  cl  de 
la  législation. 

Tel  est ,  législateurs  ,  l'aperçu  général  du  projet  du  Code, 
el  tels  sont  les  motifs  particuliers  du  premier  projet  de  loi 
que  nous  soumettons  à  votre  sanction. 

Nous  n'avons  pas  besoin  d'insister  sur  la  nécessité  de 
donner  une  législation  civile  à  la  France ,  cette  nécessité 
a  été  reconnue  par  vos  décrets.  Les  lois  passagères  qui  ont 
été  publiées  pendant  la  révolution,  ressemblaient  à  des  pi- 
liers flottans  au  milieu  d'une  mer  orageuse.  Le  peuple 
français  demande  à  se  reposer  sur  des  maximes  qui  puis- 
sent garantir  sa  tranquillité  et  sou  bonheur. 

Le  corps  législatif  arrêta  dans  la  même  séance  que  le 
projet  et  l'exposition  des  motifs  seraient  transmis  au  Tri- 
bunal par  un  message. 

TRIBUNAL 

RAPPORT   FAIT   A  I.'aSSEMBLÉE  GÉNKRAI.E,   PAR   M.   ANDRIF.TTX, 
AU   NOM  DE  LA  COMMISSION  SPKCIALK  *. 

(Séance  da  la  frimaire  an  X.  • —  3  décembre  1801.) 

Tribuns,  nous  entrons  aujourd'hui  dans  la  discussion  du 
projet  du  nouveau  Code  civil  de  la  France. 

Douze  ans  sont  bientôt  écoulés  depuis  que  l'assemblée 
constituante  promit  à  la  nation  ce  Code  dont  la  nécessité 
élait  généralement  sentie. 

Depuis  ce  tem|)s ,  les  assemblées  qui  ont  succédé  à  la 
constituante  ont  essayé  vainement  de  réaliser  sa  promesse  : 
des  lois  partielles  ont  été  faites,  plusieurs  projets  ont  été 

•  Celte  comniitiion  élail  compose  tic»  lnlyin»  Hmahu  ,  Lhutevm.l»,  FAOrK  , 
I.AUSbAT  t-l  AïoniKiix,   rappoilcur 


DK    LA    PUBLICATIO?(    DES    LOIS.  53 

j»iései»lés;  eu  lut  un  rêve  de  chacun  des  liommcs  de  bicu 
qui  entrèrent,  soit  dans  la  convention  nationale,  soit  dans 
les  diverses  législatures,  de  penser  qu'ils  pourraient  contri- 
buer à  la  rédaction  et  à  la  prompte  publication  d'un  Code 
uniforme  de  lois  pour  la  France. 

Tous  s'aperçurent  successivement  que  ce  vœu  patriotique 
ne  pouvait  alors  être  accompli;  ils  regrettèrent  moins  qu'il 
ne  le  fût  pas  ,  en  songeant  qu'au  milieu  de  ces  chocs  divers 
d'intérêts,  d'opinions,  de  passions,  de  ces  orages  terribles 
qui  poussèrent  les  assemblées  tantôt  dans  un  sens,  tantôt 
dans  un  autre,  la  législation  se  fût  trop  ressentie  des  er- 
reurs et  des  excès  qui  dominèrent  tour-à-tour. 

Enfui  un  temps  plus  heureux  et  plus  calme  a  paru  :  c'est 
deux  ans  après  l'époque  qui  a  enchaîné  les  orages  de  la  ré- 
volution ,  que  le  projet  de  Code  civil  nous  est  présenté. 

Au  milieu  des  travaux  guerriers,  l'activité  infatigable  et 
féconde  du  gouvernement  a  préparé  ce  monument  pai- 
sible. 

Il  a  choisi ,  sur  la  foi  de  l'opinion  publique  et  de  la  re- 
nommée ,  quelques-uns  de  nos  jurisconsulles  les  plus  expé- 
rimentés et  les  plus  habiles,  et  les  a  chargés  de  tracer  le 
plan  de  l'édifice.  Sans  perdre  un  seul  moment,  leur  projet  a 
élé  soumis  aux  lumières  des  magistrats,  offert  à  l'examen 
des  citoyens  ;  les  observations  du  tribunal  de  cassation  , 
celles  de  tous  les  tribunaux  d'appel,  ont  été  recueillies, 
conférées  ensemble  :  la  discussion  s'est  ouverte  au  Conseil 
d'iitat,  en  présence  et  avec  le  concours  des  auteurs  du 
projet  ;  et  par  un  admirable  effet  de  ces  longues  et  justes 
combinaisons  dont  le  vulgaire  s'étonne,  et  dont  il  prend 
souvent  les  résultats  pour  les  faveurs  de  la  fortune,  mais 
dans  lesquelles  l'homme  moins  crédule  et  plus  observateur 
reconnaît  la  main  du  génie  qui  maîtrise  les  événemens 
parce  qu'il  sait  les  prévoir,  les  préparer  et  les  conduire,  à 
peine  celte  terrible  guerre  de  dix  ans  est-elle  terminée  par 
une  paix  glorieuse,  que  la  première  loi  du  Code  civil  est 


54  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

présentée  à  la  saiiclion  du  Corps  législatil',  qui  pourra, 
dans  le  seul  cours  de  la  session  actuelle  ,  remplir  en  partie 
la  longue  attente  de  la  nation,  en  lui  donnant  le  premier 
tiers  de  ce  nouveau  Code  civil. 

Ce  ne  sont  point  là  les  doux  loisirs  (  c'est  bien  mieux  que 
cela),  ce  sont  les  précieux  travaux  de  la  paix  qu'un  génie 
bienfaisant  nous  procure  :  et  tandis  que,  de  toutes  parts, 
s'agite  l'industrie  active  et  féconde;  tandis  que  le  com- 
merce se  ranime  et  reprend  ses  relations;  tandis  que  les 
arts  utiles,  encouragés,  préparent  à  la  France  un  degré 
incalculable  d'aisance  et  de  prospérité,  nous  aussi,  tri- 
buns, nous  sommes  appelés  à  payer  à  la  France  notre  ho- 
ïiorabls  tribut;  remplissons  celte  tâche  difficile  et  glo- 
,  rieuse,  celle  de  contribuer  à  donner  à  notre  pays  des  lois 
durables. 

Loin  de  nous  ,  loin  du  Tribunal  la  pensée  d'apporter  le 
moindre  obstacle,  le  moindre  relard  à  l'achèvement  de  ce 
grand  ouvrage  si  nécessaire,  si  vivement  désiré,  si  long- 
temps attendu  !  mais  loin  de  nous  aussi  la  faiblesse  cou- 
pable de  fermer  les  yeux  sur  les  défauts  que  nous  croirions 
apercevoir  dans  les  projets  qui  nous  seront  présentés,  de 
voter  l'adoption  de  lois  qui  nous  paraîtraient  essentielle- 
ment mauvaises,  et  de  compromettre  à  la  fois  le  sort  de 
la  génération  actuelle  et  celui  des  siècles  à  venir! 

C'est  dans  ces  scntimens  que  la  commission  s'est  occupée 
du  travail  (|ue  vous  lui  avez  confié,  et  dont  je  viens  vous 
rendre  compte.  Nous  avons  divisé  l'examen  du  projet  de 
loi  en  deux  parties. 

La  première  corjliendra  des  observations  générales  sur 
le  projet  [)ris  dans  son  enseml)lc. 

La  deuxii'îmc  renfermera  des  observations  particulière» 
sur  chacun  des  articles. 


\)t   LA   PUBLICATION   UJiS   LU1>.  55 


Ji  l.    Observations  gcncmles. 
1  .  Ce  projet,  à  la  tète  du  Code,  serait-il  k  sa  place?     'i''if« 

piéliin 

a".  La  [)lupart  des  articles  qui  le  composent  sont-ils  des 
articles  de  loi  ?  3".  Est-il  en  général  bien  rédigé?  4°-  Serait- 
il  entîn  une  introduction  digne  du  Code  civil  français? 

Ce  projet  serait-il  à  sa  place?  pour  le  décider,  voyons 
quelle  est  sa  nature,  son  objet.  Il  est  tcVaHÎ à  la  publication, 
aux  effets  et  ci  l'application  des  lois  en  général  :  il  n'est  donc 
pas  relatif  au  Code  civil  seulement;  il  Test  aussi  au  Code 
criminel,  au  Code  judiciaire,  au  Code  rural,  au  Code 
commercial,  à  tous  les  autres;  il  est  même  relatif  aux  lois 
temporaires  et  transitoires.  Il  ne  fait  donc  pas  partie  du 
Code  civil.  Doit-il  ouvrir  un  Code  auquel  il  n'appartient 
pas  plus  qu'à  toutes  les  autres  lois  ? 

Non,  sans  doute;  ou  ce  serait,  dès  le  commencement, 
tomber  dans  un  grand  défaut  de  méthode. 

Une  loi  sur  la  publication  des  lois  en  général  doit  se 
faire  à  pari  ;  c'est  une  loi  de  l'ordre  politique,  et  à  placer 
au  rang  de  celles  organiques  de  la  constitution. 

Si  vous  jetez  les  yeux  sur  la  plupart  des  articles,  sur  le     2-3- 
2%  sur  le  5*^,  sur  le  4^i  snr  le  8®,  vous  n'y  reconnaîtrez  pas      et  6 
des  articles  de  lois;  ils  ne  contiennent  point  de  dispositions 
expresses,  prohibitives,  impératives,  ou  même  facultatives: 
ce  sont  des  principes  énoncés >  ce  sont  des  axiomes  de  mo- 
rale ou  de  jurisprudence. 

L'exposé  observe,  avec  beaucoup  de  sagesse,  qu'il  faut 
faire  la  part  de  la  science  et  celle  de  la  législation.  Il  nous 
semble  que  le  projet  ne  tient  pas  ce  qu'a  promis  l'ex- 
posé. 

Les  articles  5,  6,  et  7,  relatifs  aux  devoirs  des  juges,  à     ap.  <> 
la  manière  dont  ils  doivent  aj)pliquer  ou  même  suppléer 
les  lois  5  rappellent  le  premier  litre  de  l'ordonnance  de  1G67, 
de  iobucnation  des  ordonnantes j  et  cc  souvenir  nous  aveil*t 


56  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

qu'ils  a[)partic'nnenl  au  Code  judiciaire,  non  pas  au  Code 
civil. 

Quant  à  la  rédaction  générale,  à  l'ensemble  du  projet, 
on  peut  lui  reprocher  une  incohérence  frappante.  On  pou- 
vait tout  aussi  bien  placer  le  troisième  article  le  second, 
faire  des  deuxième  et  troisième  les  septième  et  huitième, 
ou  mettre  celui  qui  est  le  premier  à  la  fin  de  tous  les  au- 
tres. Si  même  on  ôtait  ce  premier  article,  le  seul,  à  le 
bien  prendre,  qui  fasse  la  matière  et  le  fond  du  projet,  que 
resterait-il  ?  Des  articles  qui  ne  sont  rapprochés  que  par  la 
juxtaposition,  des  articles  dont  les  uns  appartiennent  évi- 
demment à  d'autres  lois,  cl  les  autres  ne  peuvent  appar- 
tenir à  aucune. 

Il  n'y  avait  pas  môme  de  raison  pour  qu'on  ne  fît  aussi 
bien  entrer  dans  ce  projet  beaucoup  d'autres  règles  géné- 
rales non  moins  importantes. 

Le  Conseil  d'État  a  arrêté  que  dans  la  rédaction  du  Code 
civil,  on  emploiera  toujours  le  futur.  Pourquoi?  Parce 
qu'en  français  le  futur  remplace  l'impératif,  et  convient 
par  conséquent  à  la  rédaction  des  lois,  qui  sont  faites  pour 
ordonner  ou  pour  défendre. 

Voyez  les  lois  des  Douze-Tables,  qui  étaient  un  modèle 
de  précision,  et  que,  du  temps  de  Cicéron,  on  apprenait 
encore  par  cœur  comme  une  chose  qu'il  n'était  pas  permis 
d'ignorer,  ut  carmcn  ncccssar'uun ;  toutes  leurs  dispositions 
étaient  à  l'impératif  :  Privilégia  ne  inogaiito.  —  Quodcunuiue 
Ijojmlusjussity  idjus  rdiumquc  csto.  Cela  était  positif,  formel, 
et  sans  exception. 

La  plupart  de  nos  anciennes  lois  françaises,  les  ordon- 
nances royales,  les  édils  et  déclarations,  s'exprimaient 
tantôt  par  la  formr.le  très-impérative  :  Foulons  et  ordonnons; 
et  nous  jdnlt  ce  t/ui  .suit ;  tantôt  par  le  futur,  qui  é<|uivaut, 
dans  notre  langue,  ;•  rinq)ératir:  l'e-rj/loit  de  tle//ifi/tde  sera 
Ubellé,  l'huissier  y  fera  mention  de  son  inntKttrienle,  le  tout  h 
luinc  de  niilliir,  dit  rordonnanc<:  de  iCiOj. 


DE    LA    PUBLICATION     Ui-S    LOIS.  ÔJ 

Les  coutumes  seules  avaient,  dans  beaucoup  de  leurs 
dispositions,  adopté  l'indicatif  présent  :  Le  mort  saisit  le  vif... 
Celte  rédaction  ,  qui  se  ressent  de  sa  gothîcité  ,  est  au  moins 
juste  et  exacte  en  cela  qu'elle  est  renonciation  d'un  fait 
présent.  On  sait  que  les  coutumes  étaient  rédigées  d'après 
des  enquêtes  par  turbes,  et  sur  le  témoignage  verbal  ou  par 
écrit  des  anciens  et  des  prud'hommes;  ce  n'était  qu'un  re- 
cueil de  faits  et  d'usages  reçus,  qu'on  couchait  sur  un  re- 
gistre, pour  servir  de  règle  pendant  un  temps,  et  dans  la 
vue  de  former  par  la  suite ,  de  toutes  ces  coutumes  réunies , 
un  Code  unique  pour  la  France. 

Les  principaux  décrets  de  l'assemblée  constituante,  et 
notamment  la  constitution  de  1791  ?  emploient  exclusive- 
ment le  futur  dans  toutes  les  dispositions  impératives. 

Ce  n'est  que  depuis  peu  d'années  que  les  rédacteurs  de 
nos  lois  ont  adopté  l'indicatif  présent,  qui  leur  a  paru  sans 
doute  plus  solennel^  plus  court,  plus  élégant,  mais,  qui 
réellement  n'est  pas  très-exact.  La  loi  ne  peut  pas  dire  : 
telle  chose  est,  quand  elle  n'est  pas,  quand  la  loi  même  a 
pour  objet  d'ordonner  que  telle  chose  sera  désormais  et  à 
l'avenir. 

Il  y  a  bien  une  distinction  à  faire,  et  le  projet  de  loi  que 
nous  discutons  en  offre  un  exemple. 

Quelques-uns  de  ses  articles  sont  impératifs  ;  et  ceux-là 
sont  tous  rédigés  au  futur. 

Les  autres  sont  au  temps  présent,  parce  qu'ils  ne  sont 
qu'énonciatifs,  et  qu'ils  ne  font  que  déclarer  des  principes 
déjà  connus,  qu'exposer  des  règles  de  droit  ou  de  morale. 

Mais  c'est  une  grande  question  que  celle  de  savoir  s'il 
doit  se  trouver  de  semblables  articles  dans  les  lois  :  votre 
commission  a  penché  pour  la  négative,  parce  qu'elle  a  cru 
que  ces  principes,  ces  règles  appartiennent,  non  pas  à  la 
législation  ,  mais  à  la  doctrine. 

A  moins  qu'on  ne  voulût,  à  l'imitation  du  Digeste, placer 


58  DISCUSSIONS  ,  MOTIFS ,  elc 

cil  lête  ou  h  la  fin  du  Code  civil,  un  titre  Des  Régies  du  droit, 
ce  qui  pourrait  avoir  son  utilité;  mais  ce  titre  ne  serait  pas 
une  loi ,  à  proprement  parler.  La  règle  expose  ,  enseigne  ; 
la  loi  commande,  permet,  défend  ou  punit. 

J'arrive  à  la  quatrième  question  générale.  Ce  projet  de 
loi  est-il  une  introduction  digne  du  Code  civil?  Il  n'est 
jieut-être  aucun  de  vous  qui  n'ait  déjà  fait  la  réponse. 

Quoi!  ce  Code  civil  tant  attendu,  pour  lequel  depuis  si 
long- temps  on  rassemble  tant  d'cxcellens  matériaux, 
viprès  que  nos  jurisconsultes  les  plus  habiles,  les  magistrats 
de  tous  nos  tribunaux,  enfin  tous  les  citoyens  éclairés,  ont 
clé  appelés  à  concourir  à  la  rédaction  d'un  ouvrage  qui 
doit  être  un  des  monumens  du  siècle,  et  étonner  encore  la 
postérité  au  milieu  du  récit  de  tant  de  choses  étonnantes  : 
ce  Code  présenterait  d'abord  une  loi  qui  n'est  pas  à  sa  vé- 
ritable place  (car  elle  devrait  être  hors  de  rang  pour  faire 
mieux  entendre  (ju'ellc  s'applique  à  tout) ,  une  loi  de  huit 
articles  non  ordonnés  entre  eux,  et  dont  la  rédaction  ,  en 
i^énéral.  est  vicieuse  !  Est-ce  là  un  porlique  qui  réponde  à 
la  majesté  de  l'édifice? 

Plusieurs  de  nos  collègues  ont  paru  regretter  qu'on  n*eût 
pas  plutôt  présenté  les  six  titres  du  projet  de  Code  civil 
dont  les  huit  articles  ont  été  extraits  :  il  est  vrai  que  ce 
commencement  serait  plus  majestueux,  plus  instructif;  il 
ressemblerait  davantage  au  commencement  d<s  Institutes 
et  à  celui  du  Digeste  :  mais  il  aurait  cet  inconvénient  dont 
nous  avons  déjà  parlé  ,  celui  de  mêler  ensemble  la  science 
cl  la  législation,  les  définitions  elles  dispositions, l'instruc- 
tion et  la  volonté. 

Qu'on  ne  dise  pas  (|uc  nous  poursuivons  vainement  une 
chimère,  une  perfection  idéale  et  im|)Ossit)le  :  non,  nous 
ne  formons  pas  ce  vœu ,  (|ui  serait  peut-être  excusable  dans 
cette  occasion  unique  ;  nous  ne  demandons  pas  les  meil- 
leures lois  possibles;  nous  en  demandons  qui  remplissent 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  ÔQ 

leur  but,  et  que  le  corps  législatif  puisse  offrir  à  la  nation 
comme  des  règles,  et  laisser  à  la  postérilé  comme  des  mo- 
dèles. 

De  cette  discussion  sur  le  projet  en  général,  il  doit  être 
résulté  pour  la  plupart  d'entre  vous  que  le  tribunat  ne  peut 
l'adopter.  Si  quelques  esprits  étaient  encore  chancelans, 
la  discussion  qui  va  suivre  achèvera  de  les  entraîner  vers 
le  rejet. 

§  II.  Observations  particulières  sur  chaque  article. 

Art.  1®^.  «  Les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire 
«  français,  en  vertu  de  la  promulgation  qui  en  est  faite  par 
a  le  Premier  Consul. 

«  Elles  seront  exécutées  dans  chaque  partie  de  la  France  , 
<«  du  moment  où  la  promulgation  pourra  y  être  connue. 

«  La  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
«  putée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de 
<•  Paris,  trente-six  heures  après  sa  date,  et,  dans  tout  le 
a  ressort  de  chacun  des  autres  tribunaux  d'appel,  après 
«•  l'expiration,  du  même  délai ,  augmenté  d'autant  de  fois 
«  deux  heures  qu'il  y  a  de  myriamètres  entre  Paris  et  la 
«  ville  où  chacun  de  ces  tribunaux  a  son  siège.  » 

Le  premier  paragraphe  n'est  que  la  suite  immédiate  et 
nécessaire  de  l'article  4i  de  la  constitution;  puisque  cet 
article  attribue  la  promulgation  des  lois  au  Premier  Consul, 
il  paraît  évident  que  cette  promulgation  rendra  les  lois 
exécutoires,  c'est-à-dire,  susceptibles  d'exécution. 

Mais  les  lois,  d'abord  exécutoires,  ou,  si  l'on  veut, 
obligatoires  par  leur  seule  promulgation,  doivent  ensuite 
être  exécutées. Il  doit  être  fixé  une  époque  où  leur  exécution 
soit  nécessaire  et  de  rigueur. 

Quand  commencera  cette  ûpoque  où  les  lois  devront  être 
exécutées  néccssaiicmcnl  ?  Ce  sera ,  suivant  le  projet  de 
loi.  dans  chaque  partie  de  la  Franco,  du  momeni  où  la  pro- 


Go  DISLUSSIONS  ,    MOTIFîi  ,    elC 

iiiuigation  pourra  y  cire  coniuic.  lleniarquez  ces  mois  :  du 

MOMENT  et  POURRA. 

Et  quel  sera  le  moment,  l'instant  fixe  et  indivisible  auquel 
une  loi  pourra  être  connue? 

Ce  sera,  <l'après  le  reste  de  rarlicle,  à  Téchéance  d'un 
délai  dont  le  premier  terme  n'est  pas  fixé ,  dont  on  ne  voit 
cjue  la  fin,  encore  très-susceptible  de  variation,  d'instabi- 
lité. On  se  plaint  de  l'arbitraire  du  mode  actuel  de  publi- 
cation ;  n'y  en  aura-t-il  pas  autant  et  même  davantage  dans 
le  mode  nouveau  qu'on  propose  de  lui  substituer? 

L'exposé  présenté  par  l'orateur  du  Conseil  d'État  ne 
donne  que  la  substance  des  motifs  qui  en  ont  déterminé 
l'adoption. 

On  voit  qu'il  y  en  a  eu  deux  principaux:  ï°  la  nécessité  de 
faire  marcher  la  loi  avec  une  extrême  rapidité,  surtout  dans 
certains  cas  où  il  s'agit  de  lois  urgentes,  répressives  de 
fraudes  ou  de  crimes; 

2°.  La  présomption  que  la  loi  pourra  en  effet  être  connue 
dans  chacun  des  points  du  territoire,  à  l'époque  où  elle 
commencera  à  devoir  y  être  exécutée. 

On  s'est  moins  occupé,  en  un  mot,  de  trouver  des  moyens 
de  faire  connaître  la  loi,  que  de  fixer  une  époque  où  elle 
sera  censée  connue. 

Mais  d'abord,  dans  une  matière  aussi  importante,  toute 
cette  théorie  séduisante  des  possibilités,  des  présomptions 
<loit  s'évanouir  devant  des  faits.  Toutes  les  présomptions 
du  monde  viendront  échouer  contre  le  fait  certain  que  la 
loi  n'a  pas  été  connue  du  citoyen  à  qui  on  l'oppose,  du 
tribunal  à  qui  l'on  reproche  »ie  ne  pas  l'avoir  a|)pliquée. 
Annullera-t-on  l'acte  fait  par  l'un,  le  jugement  rendu  par 
l'autre  dans  cette  ignorance  invincible?  lit  qu'on  ne  dise 
pas  (ju'une  pareille  ignorance  n'aura  jamais  lieu;  elle 
pourra  se  trouver  dans  pUisieurs  cas,  si  des  chemins,  si 
des  ponts  sont  tout-à-fait  ronqius,  si  un  pays  est  inondé, 
si  l'ennemi  s'en  rend  maître  à  main  armée,  cl  coupe  toute 


DK    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  6l 

comnuinication  (qne  Dieu  di^lonriie  un  tel  présage!)  Mois 
eiifiii  voilà  des  cas  où  la  connaissance  de  la  loi  ne  pourra 
pas  parvenir  aux  citoyens,  où  elle  sera  forcément,  invin- 
ciblement ignorée  d'eux  et  des  juges.  11  fallait  donc  au 
moins  prévoir  ces  exceptions  et  y  statuer. 

A  une  heure,  que  dis-je!  à  un  moment  précis  et  indivi- 
sible (car  le  projet  ne  dit  pas  du  Jour,  mais  du  moment) ,  à 
un  point  mathématique  dans  le  temps,  et  qui  changera  de 
distance  en  distance,  la  loi  devra  être  exécutée  par  les  ci- 
toyens, dans  les  différentes  parties  de  la  France.  Conçoit- 
on  que  tous  les  Français  puissent  être  ainsi  pressés,  pour 
leurs  actes  civils,  entre  deux  momens? 

Mais  voyons  comment  pourra  se  faire  l'application  de 
cette  loi. 

On  date  bien  les  actes  du  jour  où  ils  sont  passés  ;  mais  il 
en  est  peu  qu'on  soit  obligé  et  dans  l'usage  de  dater  de 
l'heure  et  du  moment  :  quand  il  faudra  apprécier  un  acte 
non  daté  de  l'heure,  du  moment  précis,  comment  pourra- 
t-on  le  faire?  Car,  suivant  le  mode  de  publication,  l'acte 
qui  aura  été  licite  à  onze  heures  cin({uante-neuf  minutes, 
ne  le  sera  plus  à  midi  sonnant.  Voilà  donc  tous  les  citoyens 
obligés  de  dater  désormais  l'heure  dans  tous  les  actes;  et 
s'ilsl'oublient,  les  actes  seront-ils  nuls  ?0n  n'admettra  dojiic 
plus  les  actes  sous  signature  privée,  s'ils  n'ont  été  enre- 
gistrés avec  la  date  de  l'heure,  de  la  minute?  N'est-ce  rien 
que  d'imposer  tout  d'un  coup  à  tous  les  Français  une  obli- 
gation aussi  pesante  qu'elle  sera  inusitée! 

Que  d'inégalités  bizarres  et  injustes  cette  loi  viendrait 
établir? 

Auxerre  est  à  quarante  lieues  anciennes ,  ou  vingt  myria- 
mètres  environ  de  Paris  ;  mais  il  est  du  ressort  du  tribunal 
d'appel  de  Pnris;  Piouen  est  hors  de  ce  ressort,  mais  il  n'est 
éloigné  de  Paris  que  de  quatorze  myriamètres  :  ainsi  à 
Rouen,  qui  n'est  fju'à  vingt-huit  lieues  anciennes,  la  loi  ne 
devra  être  exécutée   que  dans  soixante-six  heures,  et  à 


62  DISCU:v<IONS  ,    MOTIFS,    elC. 

Auxei're,  qui  est  à  luie  distanre  de  quarante  lieues,  elle 
devra  l'ètrc  dans  trente-six  heures. 

Le  moment  où  doit  échoir  le  délai  de  l'exécution  de  la 
loi  serait  souvent  incertain  et  inappréciable;  il  le  serait 
d'autant  plus  que  la  fin  du  terme  dépend  de  son  commen- 
cement ,  et  qu'on  ne  voit  pas  à  quel  moment  ce  délai  com- 
mencerait à  courir.  Ce  serait  sans  doute  à  partir  de  la  date 
de  la  promulgation  :  mais  cette  promulgation  n'est  point 
datée  d'une  heure  précise ,  elle  l'est  seulement  d'un  jour  : 
vraisemblablement  on  entend  que  c'est  à  compter  de  la 
dernière  heure  du  jour  de  sa  date  que  le  délai  commence 
à  courir ,  suivant  la  règle  ordinaire  qui  veut  que  le  jour  du 
terme  ne  soit  point  compté  dans  le  terme.  Ainsi,  une  loi 
étant  promulguée  à  Paris,  par  exemple,  le  premier  du 
mois,  le  »iélaî  commencerait  à  courir  à  minuit  qui  suivra 
ce  jour,  et  la  loi  serait  réputée  connue  à  Paris,  et  dans  le 
ressort,  trente-six  heures  après,  c'est-à-dire,  à  midi  du 
troisième  jour  du  mois  (c'est  ainsi  du  moins  que  votre 
commission  a  entendu  l'article;  et  si  tout  le  monde  ne 
l'entend  pas  de  même,  ce  sera  un  argument  de  plus 
contre  le  projet  de  loi  :  car  il  s'ensuivra  qu'il  est  obscur 
et  prête  h  plusieurs  interprétations);  ensuite,  à  partir  de 
ce  .midi,  la  connaissance  présumée  de  la  loi  s'étendrait  et 
gagnerait  de  proche  en  proche  dans  toutes  les  parties  de 
la  France. 

Mais  si  l'on  donne  une  fois  à  la  promulgation  la  date  non 
pas  du  jour,  mais  d'une  heure  certaine  du  jour,  aussitôt 
tout  change  :  toutes  les  combinaisons  sont  dérangées;  la 
connaissance  présumée  devient  alors  la  connaissance  im- 
possible, on  ne  sait  plus,  on  ne  peut  plus  savoir  à  quel 
moment  chaque  loi  doit  commencer  à  être  exécutée  ;  car  le 
moment  de  sa  promulgation  sera  toujours  ignoré ,  douteux, 
arbitraire  :  est-il  possible  de  laisser  vivre  les  citoyens  dans 
cette  incertitude  continuelle  sur  l'objci  le  plus  important 
pour  eux  1'  Quoi  dv  moins  propre  à  concilier  aux  lois  le 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  6Ô 

respect  dont  elles  ont  besoin  !  quoi  de  moins  conforme  à 
leur  majesté,  à  leur  publicité  indispensable! 

Certes  cet  ojbjet  de  la  promulgation  des  lois  est  d'une 
assez  haute  importance  pour  demander,  à  lui  seul,  non 
pas  un  article  de  loi,  mais  une  loi  entière  et  expresse.. 

11  faut  que  cette  loi  dise  si  l'on  conserve  l'impression, 
ralliche.  rinsertion  au  bulletin,  l'envoi  aux  tribunaux  et 
aux  administrations. 

Comment  peut-on  supposer  que  la  transcription  actuelle 
sur  les  registres  des  tribunaux  ferait  revivre  l'ancienne 
forme  de  l'enregistrement?  Dans  l'ancien  ordre  des  choses, 
l'ordoinjance  de  1667  autorisait  les  cours  à  faire  des  re- 
montrances daps  un  délai  fixe,  passé  lequel,  la  loi  était 
tenue  pour  publiée,  et  devait  être  exécutée.  Ce  qui  don- 
nait aux  cours  cette  prépondérance  que  les  tribunaux  ac- 
tuels et  encore  moins  les  préfets,  révocables  à  volonté,  ne 
peuvent  avoir,  c'était  l'absence  d'un  corps  législatif  dont 
les  parlemens  avaient  la  prétention  d'être  une  sorte  d'éma- 
nation. Ils  participaient  à  la  législation  ,  en  faisant  des  ar- 
rêts de  règlement  pour  tout  leur  ressort;  ils  avaient  ce 
qu'on  nommait  la  haute  police. ,  pouvoir  souvent  redoutable, 
et  dont  les  bornes  même  n'étaient  pas  connues. 

Les  tribunaux,  sous  le  régime  actuel,  sont  loin  de  pou- 
voir élever  des  prétentions  semblables.  Le  tribunal  de  cas- 
sation lui-même  se  borne  à  appliquer  la  loi;  il  en  est  le 
conservateur,  et  jugerait  coupable  de  forfaiture  un  tribunal 
qui  aurait  refusé  ou  retardé  sciemment  la  transcription 
sur  ses  registres.  L'envoi  des  lois  aux  tribunaux  et  aux  ad- 
ministrations ne  les  fait,  en  aucune  manière,  participer  à 
l'autorité  législative,  ni  même  à  la  promulgation  qui  ap- 
partient tout  entière  au  Premier  Consul;  mais  ces  forma- 
lités ont  pour  objet  de  donner  aux  lois  une  plus  grande 
publicité,  de  les  faire  mieux  connaître  des  citoyens,  et 
de  les  tenir  sans  cesse  sous  les  yeux  des  magistrats,  qui 
sont  obligés  d'y  conformer  leurs  jugeniens  et  leurs  déci- 


G4  DISCUSSIONS  motifs;  etc. 

sioiis,  cl  qui  doivent  par  conséquent  en  avoir  une  connais- 
sance oflicielle,  non  pas  une  connaissance  présumée. 

Il  est  bon  que  la  loi  contienne  une  disposition  relative  à 
la  publication  des  lois  dans  les  départemens  non  continen- 
taux de  la  France  ;  et  si  la  forme  de  cette  publication  peut 
être  regardée  comme  suffisamment  réglée  par  un  arrêté  du 
gouvernement,  ne  faut-il  pas  que  le  gouvernement  soit 
d'abord  autorisé  par  la  loi  à  prendre  cet  arrêté,  à  faire  ce 
règlement  ? 

Nous  supposons  que  les  formalités  actuelles,  établies  par 
la  loi  du  12  vendémiaire  an  IV,  c'est-à-dire  l'impression, 
l'afficbe,  l'insertion  au  bulletin,  et  l'envoi  aux  autorités 
judiciaires  et  administratives,  ne  sont  abolies,  qu'elles  se- 
ront conservées  dans  le  fait;  mais,  de  droit ,  elles  ne  se- 
ront plus  nécessaires  :  car  la  connaissance  présumée  va 
devenir  la  condition  unique  àe.  l'exécution  des  lois;  en  bonne 
foi,  cette  condition  unique  peut-elle  être  suffisante  ? 

Ajoutez  ({ue  la  circonscription  du  territoire  d'appel  de 
Paris  peut  changer,  que  les  autres  tribunaux  d'appel  peu- 
vent être  transportés  d'une  ville  à  l'autre  ;  et  songez  à  toutes 
les  variabilités  que  ces  circonstances  apporteraient  dans 
les  droits  des  citoyens. 

Il  pourrait  même  arriver  que  dans  certains  cas  les  dis- 
tances seraient  changées,  modifiées,  interverties  par  des 
arrêtés,  par  de  simples  réglemcns  :  dès  lors,  quelle  con- 
fusion, quelle  incertitude  ! 

Le  motif  (le  la  nécessité  de  donner  à  certaines  lois  la  plus 
prompte  exécution  ,  la  marche  la  j)lus  rapide,  ce  motif  est 
juste  sans  doute;  mais  heureusement  il  ne  trouve  d'appli- 
cation que  dans  des  occasions  assez  rares,  comme  lorsqu'il 
s'y'it  de  mesures  répressives;  et,  dans  ces  occasions ,  (lui 
empêcherait  d'abréger  le  délai  ordinaire  par  une  disposition 
expresse  ([u'oi:  insérerait  dans  la  loi  même? 

Le  mode  proposé  nécessiterait  des  calculs  abstraits,  bon 
delà  portée  du  plus  grand   nombre,   cl  trop  compliqués 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  65 

pour  être  entendus  de  tout  le  monde;  et  pour  cette  raison 
seule,  il  ne  doit  pas  être  consacré  par  une  loi. 

«  Le  stvle  des  lois,  dit  Montesquieu,  doit  être  simple;  » 
et  un  peu  |>lus  loin  il  ajoute  :  «  Les  lois  ne  doivent  point 
t  être  subtiles  ;  elles  sont  faites  pour  des  gens  de  médiocre 
c entendement;  elles  ne  sont  point  un  art  de  logi(jue,  mais 
«la  raison  simple  d'un  père  de  famille  (i).  » 

Voila  bien  des  inconvéniens  sans  doute  au  mode  de  pu- 
blication, ou  plutôt  au  défaut  de  publication  qui  vous  est 
proposé  :  nous  ne  douions  pas  que  la  discussion  n'en  fasse 
apercevoir  encore  d'autres,  car  nous  n'avons  pu  tout  dire; 
mais  nous  croyons  en  avoir  dit  assez  pour  démontrer  que 
cet  article,  le  plus  important  de  ceux  du  projet  de. loi,  est 
celui  quil  est  le  moins  possible  d'adopter,  et  doit,  lui  seul, 
en  déterminer  le  rejet. 

Art.  2.  <•  La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir,  elle  n'a  point 
•  d'effet  rétroactif.  » 

C'est  là  plutôt  lin  principe  de  droit  et  de  morale  qu'une 
disposition  législative;  c'est  un  article  à  renvoyer  au  titre 
des  règles  du  droit,  si  l'on  juge  à  propos  d'en  faire  un. 

Art.  5.  «  La  loi  oblige  ceux  qui  habitent  le  territoire. .» 

La  rédaction  de  cet  article  nous  a  paru  extrêmement  vi^ 
cieuse.  En  effet, 

i''.  Dire  seulement,  Z^/o/  oh/ige  ceux  qui  habitent  le  terri- 
toire, c'est  dire,  en  d'autres  termes,  qu'elle  n'oblige  pas 
ceux  qtii  ne  l'habitent  point,  proposition  fausse  et  démentie 
par  le  second  projet  de  loi  qui  vous  a  été  présenté,  et  qui 
statue  qu'un  Français  résidant  en  pays  étranger  continue 
d'être  soumis  aux  lois  françaises,  relativement  à  ses  droits 
civiU  et  aux  biens  qu'il  possède  en  France. 

2^  Il  n'est  pas  vrai  encore  que  la  loi  oblige  sans  excep- 
tion ceux  qui  habitent  le  territoire,  puisque  les  étrangers  re- 
vêtus d'un  caractère  national,  ceux  qui  composent  leur 
famille  et  leur  suite,  ne  sont  point  soumis  aux  lois  civiles 

(a)  Ejpril  de»  loi»,  Ij».  «ix,  djap.  xtL 

VI.  ;•; 


66  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

de  la  France,  quoiqu'ils  en  habitent  le  territoire.  La  ré- 
daction de  l'article  est  donc  en  cela  encore  inexacte;  il 
fallait  exprimer  ou  du  moins  indiquer  les  exceptions. 

Enfin  l'article  déplacé  dans  ce  projet  de  loi  se  reporte 
naturellement  à  celui  qui  sera  relatif  aux  personnes,  et 
qui  réglera  la  dislinclion  des  droits  des  Français  et  de  ceux 
des  étrangers. 
ap  î         Art.  4*  «■  La  forme  des  actes  est  réglée  par  les  lois  du 
•r  pays  dans  lequel  ils  sont  faits  ou  passés.  » 
Maxime  de  droit  qui  n'a  jamais  été  contestée. 
Mais  la  rédaction  pourrait ,  ce  semble  ,  être  meilleure. 
Que  dit  à  la  lettre  l'article,  tel  qu'il  est  conçu?  rien  autre 
chose,  sinon  que,  dans   chaque  pays,  on  suit,  pour  la 
forme  des  actes,  les  lois  du  pays. 

Cet  article  appartient  encore  au  projet  de  loi  relatif  aux 
étrangers.    '   > 
ap  5         Art.  5.   a  Lorsque  la  loi,   à   raison  des  circonstances, 
a  aura  réputé  frauduleux  certains  actes,  on  ne  sera  pas 
«  admis  à  prouver  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude.  » 

La  loi  ne  répute  pas  des  actes  frauduleux;  mais  elle  les 
déclare  nuls,  parce  qu'à  raison  des  circonstances,  elle  pré- 
sume qu'ils  ont  été  faits  en  fraude.  On  a  mis  ici  l'esprit  de 
la  loi  à  la  place  de  sa  disposition,  ce  qui  manque  d'exac- 
titude et  de  justesse. 

La  première  rédaction  de  l'article  était  que,  lorsque  la  lot\ 
par  une  présomption  de  fraude ,  aura  déclaré  nuls  certains  actes  y 
on  ne  sera  pas  admis  à  prou^(  r  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude» 
Mais  ce  qui  est  étonnant,  c'est  de  trouver  dans  la  pre- 
mière loi    du   Code  civil   un  article  <|ui ,  craprès  l'exposé 
même  des  motifs,  ne  se  rapporte  qu'au  cas  particulier  d'un 
acte  fait  dans  les  dix  jours  (|ui  précèdent  une  l'aillite,  acte 
qui  est  déclaré  nul  par  la  déclaration  du  i8  novembre  170'j. 
C'est  donc  un  article  à  renvoyer  au  Code  commercial,  an 
titre  des  faillites,  ou  au  (>ode  judiciaire,  au  litre  des  preuves. 
4-«  Sur  les  articles  (i  et  7,  «pii  pr(;.scrivent  des  devoirs  aux 


DE    LA.    PUBLICATION    DES    LOIS.  Gj 

juges,  votre  commission  observe  seulement  qu'ils  ne  sont 
pas  ici  à  leur  place  ,  el  qu'ils  tloivent  être  renvoyés  au  Code 
Judicitiîrc. 

Art.  8.  «  On  ne  peut  déroger,  par  des  conventions  par- 
ti ticulièrcs  ,  aux  lois  cjui  intéressent  Tordre  public  et  les 
«  bonnes  mœurs.  » 

C'est  encore  là  un  axiome  de  droit,  plutôt  qu'un  article 
de  loi.  Cet  axiome  paraît  traduit  du  latin  :  Privatorum  pactio 
juri  publico  non  dcrogat,  1.  45,  ff.  de  reg,  jur.  —  Jus  pabllciim 
privatoTuni  pactis  mutarinon  potest,  1.  58,  (T.  de  pactis;  mais  il 
nous  semble  qu'il  est  changé  dans  la  traduction.  En  effet, 
les  mois  jus piiblicumj  mis  en  opposition  avec  ceux-ci,  /?r«- 
»'fl/orM//2/?ac^fb,  signifient  évidemment,  non  pas  le  droit  public, 
mais  le  droit  publiquement  vtab1j.yjns  publiée  stabilitum,  owjus 
commune,  le  droit  commun;  en  un  mot,  les  lois.  Cela  si- 
gnifie seulement  que  les  citoyens  ne  peuvent  faire  de  con- 
ventions parliculières  contraires  au  droit  général.  Aussi 
Domat,  dans  son  livre  sur  les  lois  civiles,  donne-t-il,  de 
ces  deux  règles ,  la  traduction  exacte  et  simple  en  ces  ter- 
mes :  Les  dispositions  des  particuliers  ne  peuvent  empêcher 
celles  des  lois  (a). 

L'article  8,  rédigé  comme  il  Test,  manque  de  précision 

et  de  clarté   :  aux  lois  qui  intéressent  l'ordre  public et  les 

bonnes  mœurs! Quelle  est  celte  espèce  particulière  de 

lois  ?  et  qu'est-ce  {\\i' intéresser  l'ordre  public? intéresser 

1rs  bonnes  mœurs?,...  Ces  expressions  peuvent  paraître  suf- 
fisamment intelligibles  dans  le  discours  ordinaire;  mais 
elles  ne  sont  pas  assez  précises  pour  entrer  dans  la  rédac- 
tion d'une  loi. 

Il  y  a  plus;  d'après  la  rédaction,  on  pourra  donc  être 
admis  à  prouver  devant  un  tribunal  que  la  loi  à  laquelle  la 
convention  attaquée  sera  contraire,  n'est  pas  une  loi  qui 

(a)  CV»t  ce  que  ronfirment  d'autres  telles  de  lois  :  Quotiet  pactuin  k  JtiE  r.ouiiCM  reinotum 
t*l ,  ureari  kec  non  oportet.  L.  7,  ff.  De  paeti&  Pricatorum  cauiione  LEcratis  non  ettc  rtfragandum 
e^ntttltt.  L.  AT.  Ai  U;^em  Falridiam.  — Pacta  qiue  cdittra  i.eces,  conslitutionetque,  vel  bonos  moref 
$*»t,  nuUmm  pàm  kattre,  inilubUiHl  jnti,  e»t.  L.  6,  i.iA.  Dk  pnetU. 

5» 


08  DISCUSSIONS,    JIOTIFS,    ClC. 

intéresse  l'ordre  public...  ;  ou  bien,  si  la  convention  est 
contraire  aux  bonnes  mœurs,  qu'elle  ue  déro-^e  du  moins 
à  aucune  lui. 

En  nous  résumant,  nous  avons  trouvé  que  le  projet  de 
loi  est,  en  général,  incohérent,  mal  ordonné,  déplacé  à 
la  tête  du  Codr;  civil,  et  imligne  d'y  figurer. 

Nous  avons  pensé  que  le  premier  article,  relatif  à  la  pu- 
blication des  lois,  ne  remplit  pas  son  objet,  juiisqu'il  n'éta- 
blit aucun  mode  de  publication  ;  qu'il  serait  trop  compli- 
qué et  souvent  impraticable  ;  qu'ih  bligerait,  dans  certains 
cas,  les  niagistrats  et  les  citoyens  à  l'exécution  de  lois  qui 
leur  seraient  inconnues;  qu'il  prêterait  à  des  variations 
continuelles,  soit  dans  la  date  de  la  promulgation,  soit 
dans  la  fixation  des  distances  ;  qu'enfin  ,  au  lieu  de  cet  ar- 
ticle insulFisant,  une  loi  unique,  mais  complète,  serait  né- 
cessaire pour  régler  le  mode  de  publication  des  lois. 

Il  nous  a  semblé  que  des  sept  autres  articles,  les  uns  doi- 
vent être  renvoyés  à  d'autres  projets,  et  les  autres  ne  sont 
que  des  préceptes,  des  principes  de  droit»  et  non  pas  des 
dispositions  législatives,  et  que  plusieurs  oi'irent  des  vices 
essentiels  de  rédaction. 

L'avis  unanime  de  votre  commission  est  que  le  Tribunat 
ne  peut  ado[)ter  le  projet  de  loi. 

£t  je  conclus,  en  son  nom,  au  rejet. 

La  discussion  s'ouvrit  de  suite ,  et  on  entendit  dans  la 
séance  du  i8  irin)aire  les  troi-^  prenuères  opinions  qui  sui- 
venlj  dans  celle  du  jq  les  quatre  suivantes,  et  dans  celle 
du  2  1  les  quatre  dernières. 

OPIMON     DU    TRIliLN     CHAZAL, 

rOfCTIlK    I,K    IMIOJKT. 

Tribuns,  les  Romains  n'entendaient  pas,  comme  nous, 
par  (Lodc  civil,  un  recueil  particulier  de  ce  cpic  nous  appe- 


DE    LA    PUULICATION    DES    LOIS.  69 

Ions  loi*!  civiles,  par  opposition  aux  lois  niilîtaircs  et  cri- 
iniiieiles  de  notre  pays.  Civilis  ne  signifie  pas  en  lalin  ce 
qui  n*est  pas  niilit<iire  ou  criminel  :  rivills,  qui  dérive  de  cl- 
vitaSy  citis'y  signifie  rir  fa  rite;  et  codex  civilis,  que  n  ous  tradui- 
sons mal,  ou  ilont  nous  comprenons  mal  la  traduction  par 
Code  civil ,  mdcx  civilis,  veut  dire  recueil  des  lois  de  la  cité. 
Le  Code  civil  des  Romains  est  le  recueil  de  toutes  les  lois 
de  leur  cité ,  et  il  tient  ce  que  son  litre  promet.  On  y  trouve 
en  effet ,  non-seulement  ce  que  nous  nommons  lois  civiles, 
mais  encore  les  lois  rurales  ,  les  lois  militaires,  les  lois  cri- 
minelles ,  les  lois  de  police  ,  les  lois  administratives  ,  les  lois 
constitutioniiclles,  et  toutes  les  autres  lois  de  cette  nation 
célèbre;  c'est  le  recueil  universel  de  toute  la  législation 
romaine. 

Il  était  bon  ,  et  il  convenait  sans  doute  de  placer  à  la 
tête  de  ce  grand  corps  des  définitions  générales  de  tous  les 
droits,  sources  des  lois ,  de  dire  les  effets  conmiuns  des 
lois  diverses  qui  le  composent,  et  leur  communes  publi- 
cation et  application;  mais  ce  qui  convenait  si  bien  à  la 
collection  universelle  des  lois  romaines  ne  convient  plus, 
vous  le  sentez,  à  la  collection  que  nous  appelons  du  même 
nom  de  Code  civil  avec  une  autre  acception,  et  qui  n'est 
que  le  recueil  partiel  des  lois  qui  règlent  nos  rapports  de 
famille  et  ceux  des  citoyens  entre  eux. 

Notre  Code  civil  n'est  pas  le  Code  civil  des  Romains,  frhé 
l'est  pas  plus  sous  le  môme  nom  que  notre  magistrature, 
identicpiement  nommée,  n'est  celle  des  tribuns  de  Kome; 
c'est  autre  chose  :  c'est  une  partie  seulement  du  Code 
civil  des  Romains,  que 'nous  avons  divisé  en  plusieurs  par- 
ties et  distribué  en  autant  de  Codes. 

Le  départ  des  matières  commande  celui  des  prémisses; 
par  cette  raison  ,  non  par  celles  alléguées  dans  l'exposé  de 
9€s  motifs,  le  Conseil  d'État  a  fait  sagement  de  retrancher 
du  proiet  de  loi  qui  nous  est  soumis,  comme  le  premier 
de  notre  Code  cixil,  toutes  les  définitions  étrangères  aux 


70  DISCUSSIONS  ,    BÎOTIFS  ,    CtC. 

matières  de  ce  Code,  dont  on  Tavait  surchargé;  mais  le 
Conseil  d'État  n'aurait  pas  dû  en  retrancher  en  même 
temps  celles  propres  aux  matières  qu'on  le  destine  à  re- 
cueillir. S'il  fallait  renvoyer  les  définitions  du  droit  consti- 
tutionnel et  des  lois  constitutionnelles  à  la  constitution, 
celles  du  droit  et  des  lois  militaires  au  Code  militaire, 
celles  du  droit  criminel  et  des  lois  criminelles  au  Code  cri- 
minel etc.  ,  notre  Code  civil  devait  s'ouvrir  par  les  défini- 
tions propres  de  ce  que  nous  entendons  par  droit  civil  et 
par  lois  civiles,  définitions  d'autant  plus  nécessaires  qu'on 
n'entendit  pas  toujours  ailleurs  les  mêmes  choses. 

On  a  pressenti  le  reproche  d'omission  que  j'énonce  ici, 
et  on  a  cherché  à  s'excuser. 

On  a  dit  :  Rien  n'est  plus  difficile  à  faire  qu'une  bonne  défi- 
nition. Ce  n'est  pas  une  raison  pour  se  dispenser  de  la 
donner  quand  il  la  faut  et  qu'on  la  doit. 

On  a  dit  ;   Elle  appartient  ii  la  science;  n'est-ce   pas  la 

science  qui  en  est  chargée  ? L'orateur  du  Conseil  d'IUat 

fait  de  la  modestie  lorsqu'il  devait  payer  en  lumières ,  et  qu'il 
le  pouvait  si  bien;  il  ne  s'agissait  que  d'expliquer  ce  qu'on 
veut  régler,  et  de  rattacher  les  règles  aux  principes  éternels 
de  justice  et  d'équité  dont  toutes  les  bonnes  règles  émanent. 

Il  manque,  sans  solide  excuse  ,  au  projet  de  loi  qui  nous 
est  soumis ,  comme  le  premier  de  notre  Code  civil  ,  les  dé- 
fniitions  propres  et  nécessaires  que  je  réclame,  et  qu'on  a 
eu  tort  de  supprimer  autant  qu'on  a  eu  raison  de  suppri- 
mer toutes  les  autres.  Examinons  maintenant  ce  qu'il  con- 
tient, et  voyons  si  le  plus  grand  nombre  de  ses  articles  ne 
méritait  pas  de  subir  le  sort  des  définitions  supprimées, 
et  si,  dans  l'état  où  on  nous  les  offre,  il  en  est  un  seul  à 
sa  place ,  et  môme  bon  ù  placer  ailleurs. 

L'article  i*^*^  s'cxj)rime  en  ces  termes  : 

•  Los  lois  sont  exécutoire»  dans  tout  le  lerritoile  fran- 
«•  çais ,  en  vertu  de  la  promidgation  qui  en  est  faite  par  le 
•  Premier  Consul. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOLS.  ^1 

•  Elles  scioiit  exécutées  dans  cliaque  partie  de  la  répii- 

•  blique.    du  moment  où  la  promulgation  pourra  y  être 
«  connue. 

«  La  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
«  pulée  connwie  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  do 
«  Paris  ,  treule-six  heures  après  sa  date ,  et  dans  tout  le 

•  ressort  de  chacun  des  autres  tribunaux  d'appel,  après 
»  l'expiration  du  même  délai,  augmenté  d'autant  de  fois 

•  deux  heures  qu'il  y  a  de  myriamètres  entre  Paris  et  la 
«  ville  oii  chacun  de  ces  tribunaux  a  son  siège.  » 

Si  l'on  considère  la  nature  de  cette  première  disposition  , 
on  se  convaincra  qu'elle  est  absolument  inadmissible  dans 
notre  Code  civil. 

En  effet,  elle  n'e-st  pas  particulière  à  ce  que  nous  appe- 
lons lois  civiles,  mais  commune  à  toutes  nos  autres  lois, 
dont  elle  organise  la  commune  promulgation  et  publica- 
tion ;  elle  n'appartient  pas  plus  à  notre  Code  civil  qu'à 
notre  Code  criminel ,  qu'à  notre  Code  militaire.  Organique 
et  réglementaire  de  la  constitution,  c'est  au  Code  des  lois 
organiques  et  réglementaires  de  l'acte  constitutionnel 
qu'elle  appartient  exclusivement. 

,     La  même  disposition,  considérée  dans  l'état  où  on  nous 
l'offre,  ne  serait  admissible  nulle  part. 

Voyez  d'abord  combien  elle  est  incomplète. 

Elle  ne  dit  ni  le  mode  ni  les  formes  de  l'acte  de  pronnd- 
gation  qu'elle  a  pour  objet  d'organiser.  On  les  a  détermi- 
nées ailleurs  ;  mais  ne  devrait-elle  pas  les  réunir  ici ,  puis- 
c|ue  c'est  un  Code  ou  recueil  qu'on  entreprend? 

Elle  dit  :  Que  la  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul 
sera  réputée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de 
Paris ,  trente-six  heures  après  sa  date ,  et  dans  tout  le  ressort 
de  chacun  des  autres  tribunaux  d'appel ,  après  Vexjnration  du 
même  délai  ^  augmente  d'autant  de  fois  deux  heures  qu'il  y  a  de 
myriamètres  entre  Paris  et  la  ville  où  chacun  de  ces  tiibunaux  a 
H>K  siège. 


72  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

Il  y  a  ici  deux  lacunes  d'une  autre  espèce;  quand  la  loi 
sera-t-elle  censée  connue  dai.sle  ressort  du  tribunal  d'appel 
de  nie  de  (lorse,  et  dans  les  colonies  sans  tribunaux  d'ap- 
pel? Complera-t-on  pour  elles  par  niyriamètres,  et  à  deux 
heures  par  myrianièlre  ,  plus  trente-six? 

Ce  calcul  de  deux  heures  par  myrianièlre,  plus  trenle- 
six,  exige  un  toisé  omis,  et  à  joindre  à  la  l«»i,  de  toutes 
les  dislances  de  Paris  à  tous  les  chefs-lieux  des  arrondisse- 
meni  d'appel  ;  il  exige  encore  l'ordre  de  mentionner  dans 
l'acte  de  promulgation  l'heure  précise  et  la  minute  où  cha- 
que loi  sera  promulguée.  Le  premier  magistrat  de  la  France 
ne  pourra  sceller  une  loi  qu'en  présence  d'une  pendule. 

JMais  les  heures  courent  sans  ces'^e ,  et  la  loi  scellée  peut 
êlre  oubliée  et  se  répudier  sur  le  bureau.  La  loi,  dans  ce 
cas,  arrivera  ou  sera  censée  arrivée  et  connue  avant  qu'elle 
soit  partie.  La  niénic  chose  aura  lieu  ,  sans  oubli ,  lorsque , 
la  loi  expédiée  à  1  instant ,  les  courriers  porteurs  seront  ar- 
rêtés ou  retardés  sur  les  mers  par  des  tempêtes,  sur  les 
routes  par  des  rivières  débordées,  des  ponts  einportés  ou 
des  brigands,  et  lorsfjuc,  dans  les  temps  de  troubles,  de 
guerre  el  d'invasion  ,  les  communications  par  mer  ou  avec 
un  arrondisscnïcnt  d'appel  seront  toul-à-lait  interrompues 
et  coupées. 

Le  délai  pour  connaître  une  loi  et  lui  obéir  ne  peut 
commencer  ni  de  sa  date  dans  l'intérieur  d'un  palais,  ni  de 
son  départ,  ni  même  de  son  arrivée,  mais  de  sa  seule  pu- 
blication sur  les  lieux  où  elle  va  commander;  publication 
que  Ton  a  confondue  à  tort  avec  la  promulgation  ,  qui 
irc>t  que  Tacle  antérieur  de  sceau. 

Il  i'allail,  pour  siitisf.iire,  pour  parera  tout,  donner  <//.r 
jours  francs,  el  ce  n'était  pas  trop;  dix  jours  francs  à 
compter  de  Taffiche  de  la  lui  sur  les  murs  exIi  rieurs  de 
ch<H|ue  tribunal  criminel,  de  cha(|ue  tribunal  d'appel, 
suivant  r<'spèce  de  loi,  et  ordonner  que  celte  ariichc  serait 
coublaléc  par  un  procès- verbal  contracdictoire  du  préfet 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  jd 

appositeur  et  du  président  du  tribunal  ;  le  premier  publiant 
au  nom  du  gouvernement,  et  le  second  recevant  la  pu- 
blication au  num  des  gouvernés  justiciables  de  son  tri- 
bunal. 

Les  dispositions  des  articles  2  et  5  du  projet  qui  nous  a*tl 
occupe,  si  la  dernière  est  assez  mal  rédigée,  n'ont,  ])ar 
elles  mêmes,  aucun  inconvénient;  mais  ces  deux  disposi- 
tions générales  ,  que  la  loi  na  point  d'effet  rétroactif ,  que  la 
loi  oblige  ceux  qui  habitejit  le  territoire ,  ne  sont  [)as  plus  que 
la  première  du  projet,  propres  et  particulières  à  notre 
Code  cjivii.  Comme  la  première,  elles  sont  communes  à 
tous  nos  autres  Codes  faits  et  à  faire  ;  et ,  telles  qu'on  nous 
les  présente,  elles  devraient  se  trouver  dans  l'acte  constitu- 
tionnel :  elles  s'adressent  en  effet  aux  législateurs  bien  plus 
qu'aux  juges  ci\ils;  et  essentiellement  constilulives  de 
toutes  les  lois,  elles  sont  par  conséquent  essentiellement 
constitutionnelles.  On  ne  pourrait  les  tolérer  dans  notre 
Code  civil  qu'autant  qu'on  en  réduirait  la  portée,  et  qu'on 
les  adapterait  et  rendrait  propres  à  ce  Code  par  une  autre 
rédaction  ;  une  rédaction  diminutive,  telle  à  peu  près  que 
la  suivante  : 

«  Les  lois  contenues  dans  ce  Co  îe  ne  recevront,  comme 
«  toutes  les  autres  lois,  aucun  effet  rétroactif. 

«  Et,  comme  toutes  les  autres  lois,  elles  obligeront,  en 
«  vertu  du  droit  des  gens,  les  étrangers  (|ui  habiteront 
«  notre  territoire  ainsi  et  de  même  que  les  nationaux.  » 

De  toutes  les  dispositions  contenues  dans  le  projet  qui 
nous  occupe,  celles  des  articles  4?  5  et  8,  relatives  aux 
actes  et  aux  conventions,  sont  les  seules  qui,  par  leur 
nature,  appartiennent  au  Code  civil;  mais  leur  véritable 
place  n'est  pas  à  la  lête  de  ce  Code;  l'ordre,  la  série  des 
idées  les  classent  au  livre  des  contrats,  sous  le  titre ,  dis- 
positions générales j  où  il  faut  les  renvoyer,  d'autant  plus 
que  ,  dans  leur  état  d'imperfection,  il  serait  impossible  de 
les  admettre. 


74  DISCUSSIONS  ,  MOTIFS ,  etc. 

3p  3  L'article  4  porte,  que  la  forme  des  actes  est  rcglic par  les 

lois  des  pays  où  ils  sont  faits  et  passés. 

Cet  article  laisse  d*abord  à  désirer  une  explication.  De 
quels  pays  entendez- vous  nous  parler  ?  Est-ce  des  pays  de 
la  république?  La  forme  des  pays  de  la  république,  pour 
les  actes  qu'on  y  passera ,  sera  sans  doute  une  comme  elle. 
S'il  ne  s'agit,  ainsi  qu'on  l'expose  et  qu'on  aurait  dû  l'ex- 
primer avec  plus  de  clarté,  que  des  actes  passés  en  pays 
étrangers  ,  alors  Tarlicle  n'est  qu'une  déclaration  ,  une 
reconnaissance  formelle  du  droit  des  gens,  érigée  en  règle 
générale  ;  mais  celte  règle  générale  a ,  comme  toutes  les 
autres,  ses  exceptions,  dont  il  fallait  l'accompagner,  et  dont 
on  n'a  pu  la  séparer  sans  danger. 

Par  exemple,  de  ce  que  les  actes  passés  en  pays  étran- 
gers ne  sont  soumis  qu'aux  formes  prescrites  par  les  lois 
de  ces  pays ,  validez-vous  l'acte  de  mariage  qu'un  Français 
mineur  irait  faire  exprès,  sans  le  consentement  de  son 
père,  dans  les  pays  italiques  régis  par  le  concile  de  Trente , 
qui  dispense  de  ce  consentement,  et  anathématise  même 
quiconque  ose  l'exiger  ? 

ap  5  Dans  l'article  5,  c'est  la  maxime. elle-même  que  j'atta- 
que :  la  maxime  est  que  lorsque  la  loi ,  à  raison  des  circons- 
tances,  aura  réputé  frauduleux  certains  actes,  on  ne  sera  pas 
admis  à  prouver  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude. 

La  raison  ,  et  la  justice  sur  lesquelles  il  faut  fonder  les 
lois,  à  peine  de  les  voir  crouler,  enseignent  précisément 
tout  le  contraire;  elles  enseignent  que  la  présomption  doit 
toujours  céder  à  la  vérité,  dont  on  ne  doit  jamais  refuser  la 
preuve  surtout  contre  la  présomption  de  fraude  c(uc  les 
plus  impérieuses  circonstances  peuvent  seules  faire  pro- 
clamer. 

S'il  était  vrai,  ce  qui  n'est  pas,  que  telle  fut  l'/npothèse 
de  la  déclaration  de  1702  (non  de  1711*)  ?  qui  nmulait  tons 
1rs  transports  faits  dur  jours  avant  une  faillite  ,  il  fallait  la  réa- 
liser comme  exception  à  la  juste  règle  que  j'oppose,  et  non 


DE    LA    PUHLICATION    DKS    LOIS.  yS 

faire  de  cette  exception  l'injuste  règjle  que  je  combats.  On 
a  voulu  rassurer  le  commerce ,  rien  ne  serait  plus  propre 
à  l'alarmer  que  des  maximes  de  cette  espèce. 

Pour  ce*qui  est  de  l'article  8,  qui  défend  les  conventions  ^ 
contraires  à  l'ordre  public  et  aux  bonnes  mœurs ,  cet  article 
devrait  défendre  encore  les  conditions  semblables  apposées 
^ujilcgs  parles  testamens,  qui  ne  sont  pas  des  conventions; 
cl  Andrieux  vous  a  prouvé  que  cet  article,  traduit  du  latin, 
pourrait  en  être  une  meilleure  traduction  (a).  Il  est  le  der- 
nier du  projet.  On  me  pardonnera  de  l'avoir  transposé 
pour  le  discuter  au  ^^"6,  au  lieu  où  la  suite  des  choses  le 
place,  et  où  la  discussion  l'appelait. 

Il  me  reste  à  vous  entretenir  des  articles  6  et  7.  4ots 

Ces  deux  articles,  relatifs  aux  juges,  ont  pour  objet  de 
leur  donner  indirectement  un  caractère  nouveau,  celui 
d'arbitres  d'équité  dans  le  silence,  l'obscurité  ou  l'insufii- 
sance  des  lois  positives  ,  à  la  charge  de  n'en  user  que  sur 
des  cas  particuliers. 

C'est  le  pouvoir  qu'avaient  à  Athènes  l'aréopage,  et  à 
Rome  le  préteur,  cjue  cumulent  encore  aujourd'hui  cer- 
taines cours  d'Angleterre  ,  et  que  cumulaient  aussi  avec  le 
droit  de  règlement  toutes  nos  cours  de  judicature  avant  la 
révolution. 

Je  reconnais  que  ce  pouvoir  est  nécessaire ,  parce  que 
la  loi ,  qui  se  ressent  de  l'imperfection  des  hommes  qui  la 
font,  n'a  pas  toujours  tout  prévu. 

Puisque  ce  pouvoir  est  nécessaire ,  il  doit  exister  quelque 
part. 

Quand  nous  discutions  notre  constitution  ,  on  proposa 
d'altribuer  au  Sénat  conservateur,  érigé  en  jury  d'équité, 
le  jugement  des  cas  que  les  tribunaux  déclareraient  n'avoir 
pu  juger  eux-mêmes  faute  de  loi  applicable  ,  ou  ne  pouvoir 
juger  que  contre  leur  conscience  aux  termes  de  la  loi. 

'»)  Voici  «lie  de  l'article  :   •  On   ne  peut   déroger  par  dei  couTentioni  particulières  aui  loii  qui 
•  infercoMt  l'ordre  public  et  le<  bonnei  mœurs.  « 


76  DISCCSSIOKS  ,    MOTIFS  ,    elC. 

La  propositioM  portail  que  le  Séiial  conservateur  ne  ju- 
gerait que  sur  le  réféié  formel  et  indispmsJible  d'un  tribu- 
nal, et  que  ses  arrêts  d'équité  seraient  olliciellenient  com- 
muniqués dans  le  mois  à  la  législature,  auTribfniat  et  au 
gouvernement,  afin  (|u'ils  pourvussent  à  l'avenir  parla  loi. 
Cette  proposilion  fut  rejetée  contre  ujon  avis.  Les  arti- 
cles G  et  7  du  proj(  t  qui  nous  est  soumis  la  reproduisent 
pour  les  juges.  Attribuerez-vous  aux  juges  ce  qu'on  refusa 
d'attribuer  au  Sénat  conservateur?  et  Tattribuerez-vous 
sans  frein,  sans  mesure,  sans  garantie,  sans  précaution, 
et  par  une  espèce  de  détour  honteux,  anti-fiancais,  et 
indigne  de  la  majesté  législative,  en  disant  (jue  le  juge  qui 
refusera  de  juger  sous  prétexte  du  silence ,  de  l'obscurité  ou  de 
V insuffisance  de  la  loi ,  pnuira  être  poursuivi  comme  coupable  de 
déni  de  justice  ;  mais  qu'il  lui  est  dt fendu  de  prononcer  par  voie 
de  disposition  générale  et  réglementaire  ? 

Prenez  garde  que  ces  paroles  enveloppées  comprennent, 
sous  les  noms  généri(|ues  de  /o/et  déjuge,  les  deux  espèces 
de  lois  civiles  et  criminelles,  et  les  deux  espèces  de  juges  . 
civils  et  criminels.  Elles  confèrent  par  consécpient  au  juge 
criminel  le  pouNoir  énorme  d'absoudre  et  de  punir  arbitrai- 
rement. 

L'autorité  d'adoucir  les  peines  reconnues  trop  rigou- 
reuses par  les  tribiuiaux,  et  même  de  les  remettre  sur  leur 
demande  (|uan<l  elles  seraient  injustement  appliquées;  ce 
droit  limité  de  faire  grâce  pour  raccom|)lissemenl  de  la 
justice,  qui  anr.iit  été  si  bien  placé  entre  les  mains  d*un 
2Sénal  consci valeur ,  ne  saurait  être  abandonné,  illimité, 
cl  à  discrétion  à  cent  tiibunaux  criminels  ordinaires,  et  à 
tous  ce'ix  extraordinaires  c|u'on  nous  a  donnés  et  qu'on 
voudri  nous  donner. 

Combien  moins  peut-on  Ictu-  abandonner  encore,  sui- 
vant le  pM»jel ,  la  punititui  arbitraire  des  citoyens  I 

Il  n'est   pas   nécessaire   de  punir   quand  la   loi  ne  punit 
pas.  Au  criminel^  l'obscurité,  le  silcucc  et  l'insuffisance 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  77 

de  la  loi,  doivent  s'interpréler  pour  l'accusé  et  l'affranchir 
de  la  peine. 

Au  civil,  cVst  aulre  chose.  S'il  n'est  pas  nécessaire  de 
punir,  à  défaut  de  loi,  il  est  toiiiours  nécessaire  de  jnj^er 
une  contestation  pendnnte  que  la  loi  faite  ne  torinine  pas, 
et  que  la  loi  à  faire  ne  peut  terminer,  parce  (pi'elle  ne 
peut  avoir  ou  qu'on  ne  veut  pas  lui  donner  un  effet  rétroac- 
tif. Le  pire  sérail  de  laisser  subsister  la  contestation  ,  qu'il 
faut  étouffer  pour  la  paix  entre  les  citoyens.  Tl  faut  donc, 
au  civil,  recourir  nécessairement  au  jugement  d'équité. 

Mon  opiniun  personnelle  est  bien  celle-là  ;  mais  elle 
ne  serait  pas  de  le  commettre  aux  juges  ordinaires.  Mon 
opinion  serait  de  le  remettre  à  des  arbitres  nommés  par 
eux. 

Cependant,  si  l'on  insistait  pour  que  les  juges  le  réu- 
nissent à  l'exemple  de  Rome ,  de  l'Angleterre  et  de  la  France 
monarchicjue,  je  demanderais  qu'ils  ne  pussent  jamais  le 
confondre  avec  le  jugement  légal,  ce  qui  aurait  les  plus 
grands  inconvéniens. 

La  séparation  si  bonne  est  facile.  Je  voudrais  que  les 
juges  fussent  tenus  de  déclarer  d'abord  aux  parties  qu'il 
n'y  a  pas  de  loi ,  qu'elle  est  obscure  ou  insuilisante ,  et  qu'à 
défaut,  ils  les  jugeront  d'après  l'équité. 

Je  voudrais  que  le  jugement  d'équité  ne  pût  se  rendre 
que  six  jours  après  la  signification  sans  appel  et.  sans  re- 
cours de  cette  déclaration  ;  car,  s'il  y  avait  une  loi  que  les 
juges  ne  connussent  pas ,  ou  qu'ils  ne  voulussent  pas  con- 
naître, il  faudrait  bien  qu'on  eût  le  moyen  de  les  empêcher 
de  s'en  écarter,  de  les  forcer  à  ra[)piiquer.  Dédaignez  ces 
précautions,  les  juges  ne  trouveront  jamais  de  loi  claire. 
11  est  plus  commode  de  juger  arbitrairement. 

Enfin,  je  voudrais  qu'on  décidât  .si  le  jugement  d'équité 
rendu  serait,  ou  non,  soumis  comme  les  autres  à  l'appel 
et  au  recours,  et  (|u'il  fût  toujours  suivi  d'une  proposition 
obligée  de  loi  pour  faire  cesser  l'obscurité,  ou  combler  la 


-8  Discussions,  motifs,  olc. 

lacune  de  celle  (|ui  aurait  prortuit  comme  nécessaire  un 
tel  jugement. 

On  a  dit  7//'///  «••«/>  des  juives  avant  qiiil  y  eût  des  lois  : 
cela  est  vrai  ;  mais  on  s'empressa  de  porter  des  lois  qu'on 
imposa  pour  règles  aux  juges,  afin  de  se  préserver  de  l'ar- 
bitraire des  jugcmcns.  N'établissons  pas  que  les  juges  pour- 
ront se  passer  de  loi  ;  et  lorsqu'il  faudra  le  souffrir  pour  un 
cas  présent,  imprévu,  que  ce  soit  pour  ce  seul  cas,  et  ré- 
glons à  l'instant  même  les  cas  semblables  futurs.  Vous  sen- 
tez que  si  les  juges  pouvaient  se  passer  de  loi,  on  se  pas- 
serait bientôt  de  législateurs. 

Tribuns,  les  articles  6  et  7  du  projet,  tels  qu'on  vous  les 
offre,  sont  absolument  inadmissibles  en  eux-mêmes,  et 
considérés  dans  leur  nature  :  vous  trouverez  qu'ainsi  que 
les  premiers  du  projet,  ces  articles  si  dangereux  n'ont  en- 
core rien  de  particulier  et  de  propre  à  notre  Code  civil , 
dans  les  préliminaires  duquel  on  est  tout  surpris  de  les 
rencontrer.  Ces  articles  appartiennent  également  à  tous 
nos  Codes,  et  font  essentiellement  partie  des  lois  organi- 
ques ou  réglementaires  des  dispositions  de  la  constitution 
relatives  aux  juges  ;  ils  sont  même  tout-à-fait  additionnels 
à  la  con.slitutiv)n  :  car  nos  juges  criminels  et  civils  n'existent 
constitutionncllnncnt  que  pour  la  seule  et  passive  appli- 
cation des  lois  civiles  et  criminelles. 

Qu'il  me  soit  permis,  en  finissant,  d'élever  ici ,  pour  ces 
deux  articles  6  et  7,  et  pour  les  premier,  second  et  troisième 
du  projet,  la  question  que  tous  les  cin([  font  iiaiire  :  la 
grande  (piestion  de  savoir  si  le  corps  législatif  est  autorisé 
à  porter  des  lois  constitutionnelles,  et  même  des  lois  sim- 
plement organiques  ou  réglementaires  de  la  constitution. 
Je  sais  bien  que  nous  sommes  en  possession,  depuis  deux 
ans,  de  faire  nos  léglemeiis  constitutionnels  ;  mais  \v.  crois 
fermement  aussi  (|ue  c'est  un  abus  qui  cric,  et  qui  ,  tôt  ou 
lard,  sera  entendu  et  cessera  :  car  un  abus  de  ce  genre  ne 
prescrit  jamais. 


PK    LA    PUBLICATION     DES    LOIS.  f»(\ 

La  coiislitution  csl  la  règle  sacrée  du  législateur;  il  ne 
peut  pas  plus  y  loucher  que  le  juge  ne  peut  toucher  à  la 
loi,  qui  est  la  sienne  :  et  de  même  que  celui-ci  ne  saurait 
faire,  de  l'aveu  des  auteurs  du  projet,  les  lois  qui  lui  man- 
quent, ni  en  développer  d'obscures  ou  d'incomplètes  par 
des  réglemens  généraux;  de  même  le  législateur  ne  peut  ni 
faire  des  dispositions  constitutionnelles,  ni  faire  des  régle- 
mens  généraux  constitutionnels^  Si  l'un  et  Fautre  avaient 
ce  pouvoir,  il  s'ensuivrait  que  l'un  et  l'autre  seraient  maî- 
tre de  sa  règle ,  car  ils  pourraient  sans  cesse  la  modifier,  la 
changer  et  s'en  jouer,  sous  prétexte  de  l'éclaircir,  de  la 
compléter. 

Il  est  évident  que  le  pouvoir  sur  la  loi  ne  peut  appartenir 
qu'au  législateur,  et  le  pouvoir  sur  la  constitution  qu'à  la 
magistrature  constitutionnaire,  au  Sénat  conservateur. 

La  distinction,  la  division  du  pouvoir  constituant  et  du 
pouvoir  législatif  sont  une  découverte  qui  honore  la  fin  du 
dix- huitième  siècle  ,  et  qui  est  due  entièrement  à  notre  na- 
tion. Certes!  vous  ne  voulez  ni  y  renoncer,  ni  violer  le 
pacte  de  l'an  VIII  qui  la  consacre. 

Ainsi,  tribuns,  quand  le  projet  de  loi  qui  vous  est  soumis 
ne  contiendrait  que  des  dispositions  propres  au  Code  civil, 
quand  ces  dispositions  seraient  toutes  bonnes,  bien  à  leur 
place  et  bien  complètes,  vous  penseriez  qu'il  ne  vous  serait 
pas  permis  encore  de  l'adopter,  attendu  que  ,  sur  huit  ar- 
ticles, cinq  au  moins  se  trouvent  constitutionnels  ou  ré- 
glementaires de  la  constitution,  et  excèdent  par  conséquent 
votre  pouvoir  législatif. 

Comment  donc  l'adopteriez-vous,  lorsque  les  mêmes 
arlicles  et  les  trois  autres  de  ce  projet  dépouillé  de  ses  dé- 
finitions projires  et  nécessaires,  se  trouvent  tout  à  la  fois 
ou  étrangers  à  ce  Code ,  ou  dé[)lacés  à  son  frontispice,  et 
qu'ils  sont  en  outre  si  incomplets  et  si  pleins  de  vices, 
d'imperfections  et  de  dangers  ? 
Vous  ne  pouvez  que  le  rejeter. 


8o  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

On  nous  a  donné  à  enirndre  qu'il  est  fàchen\  de  rejeter 
le  premier  projet  de  loi  du  Oode  eivil.  Je  le  sni.»,;  mais  il 
serait  bien  plus  fâcheux  de  radmellie  dans  IVlat  où  vous 
le  voyez. 

Un  Code  civil  n'est  pas  une  de  ces  lois  urgentes  et  transi- 
toires qu'on  peut  passer  avec  des  dérauts.  C  est  un  monu- 
ment "i  t'Iever  pour  les  siècles.  Nous  avons  le  temps,  et 
notre  devoir  est  de  rendre  le  nôtre  dijj[ne  du  siècle  qui  vient 
de  commencer,  et  de  la  nation  qui  rattend.  Il  ne  faut 
épargner  ni  les  peines  ni  les  travaux.  E\i:eons  toute  la 
perfection  dont  l'ouvrage  est  susceptible,  et  dont  ses  au- 
teurs sont  si  capables. 

Jusqu'ici  je  n'hésite  pas,  mon  vole  est  pour  le  rejet. 

OPINION    DU   TRIBUN  DÉMEUNIER, 
POUR  LE  PROJET. 

Tribuns  ,  quel  que  puisse  être  le  mérite  du  rapport  de  la 
commission  ,  et  du  discours  de  l'orateur  que  vous  venez 
d'entendre  contre  \e  projet  sur  la  imblivation  ,  les  effets  et 
l'application  des  lois  y  ils  nous  laissent  à  discuter  un  grand 
nombre  de  (|uestions  générales,  qu'on  ne  paraît  pas  avoir 
jugées  digne  d'un  examen  approfondi,  et  «pie  tout  néan- 
moins invile  à  discuter  avec  attention.  On  sest  attaehé  aux 
détails  du  projet,  et  il  est  à  regretter  que  le  rapporteur 
n*ait  pas  eoqiloyé  son  talent  à  en  exann'ner  les  bases.  Il  a 
présenté  des  critiques  justes  en  elles-mêmes,  mais  <|ui 
tiennent  peut-être  à  int  système  inadmissible  ,  lorsqu'il 
«'agit  de  la  rédaction  du  Code  civil,  <|ui  ne  peut  être  fait 
en  niasse,  qui  doit  être  présenté  en  détail  par  l'autorité 
chargée  de  l'initiative  de  la  loi ,  discuté  aussi  en  détail  par 
le  Tribunat ,  définitivement  ado|)té  ou  rejeté  de  la  même 
manière  par  le  Corps  législatif,  et  daus  le(|uel  on  pourra 
ensuite  établir  luie  classification  plus  ex.u^le. 

Dans  une  matière  aussi  grave,  lorsqu'il  est  «{uestiou  de 


DE     LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  8l 

la  première  loi  du  ('.ode  civil,  ntteiidd  avec  impaiience 
par  tous  les  Français  ;  lorsque  le  gouv<  rnetnent  a  chargé 
de  resfjuisse  de  ce  grand  ouvrage  des  jurisconsultes  re- 
nommés el  juslemeul  recommandables.  lors«ju'on  a  con- 
sulté le  tribunal  de  cassation  et  tous  les  (ribunaux  d'appel 
de  la  Républiiiue;  lorsqu'on  a  invoqué  les  himières  de  tous 
les  citoyens;  lorsqu'on  a  mûrement  discuté  au  Conseil 
d'Etat  ;  lors(|ue  ei  (in,  par  un  exemple  qu'il  est  utile  d'en- 
courager, ou  a  publié  le  résultai  de  cette  discussion;  tant 
de  soins  d'une  part,  en  exigent  de  rt'ciproques  de  la  nôtre. 
Sans  doute  le  pouvoir  qui  nous  est  délégué  est  indépendant; 
mais  il  >i 'exerce  en  public,  et  il  exige  de  nous  un  zèle  par- 
ticulier. Au  dessus  de  toutes  les  autorités  nationales,  se 
trouve  celle  du  peuple  français  ,  qui  aujourd'hui  ne  se  laisse 
point  éblouir,  qui  juge  les  résultats,,  qu'on  ne  peut  plus 
convaincre  qu'avec  de  solides  raisons ,  qui  réprouve  tout 
ce  qui  est  inconvenant ,  et  favorise  tout  ce  qui  est  juste. 

Dès  les  premières  délibérations  du  Tribunal,  vous  avez 
senti ,  mes  collègues ,  les  dilficultéir  particulières  que  devait 
éprouver  la  formation  de  la  loi  sous  la  constitution  de 
l'an  VllI.  Permettez-moi  de  répéter  ce  qu'on  vous  disait 
alors,  que,  dans  le  cas  où  vous  voteriez  le  rejet  d'un  projet 
de  loi  qui  ne  serait  pas  adopté  par  le  Corps  législatif,  il 
serait  important  que  le  gouvernement,  à  qui  appartient 
l'initiative  de  la  l(»i ,  çonniït  si  vous  en  rejeUz les  principes, 
ou  si  vous  n'en  rejetez  ({ue  les  détail;..  Durant  les  (ifi{\  pre- 
mières sessions  du  Corps  législatif ,  la  discussion  a  Nulfisani- 
ment  averti  quelles  étaient  vos  intentions;  mais  si  les  ora- 
teurs qui  attaqueront  le  projet  actuel ,  n'eu  discutent  pas 
avec  plus  d'étendue  les  bases  princij)al€s,  ou  bien  s'ils  les 
oublient  lout-à-fait,  il  ne  si  ra  pas  aisé  de  s'entendre,  et 
votre  sagesse  calculera  les  .«uiles  de  celle. omission. 

Au  mois  de  nivôse  an  VIII,  vous  avez  ajourné  un  projet 
d'arrêté  qui  était  ainsi  conçu  : 

VI.  6 


8f  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

«  Si  le  Tributiat,  admettant  le  principe  et  rcnsembU 
■  d'un  projet  de  loi,  y  désire  néanmoins  soit  des  modifi- 
€  cations  de  détail,  soit  des  reiranchemens,  soit  des  dis- 
«  positions  supplémentaires,  il  émet  son  vœu  par  la  for- 
«  mule  du  rejet  ;  mais  rassemblée  détermine  d'une  manière 
•  précise  les  modifications,  reiranchemens  ou  additions 
«  qu'elle  désire,  et  les  orateurs  chargés  d'exposer  et  de 
€  dél'endre  devant  le  Corps  législatif  les  motifs  de  son  vœu, 
«  sont  tenus  d'en  rendre  compte  d'une  manière  formelle.  » 

Je  ne  viens  pas  reproduire  ce  prujel  d'arrêté;  il  serait 
d'une  exécution  trop  diflicile  :  mais  l'esprit  en  est  bon,  et 
ye  pense  qu'il  doit  surtout  nous  guider  dans  la  discussion 
sur  le  Code  civil. 

Ces  diverses  considérations  me  déterminent  à  parler 
dans  une  question  sur  lac|uelle  je  ne  m'étais  point  pré- 
paré :  puisque  tant  d'orateurs  inscrits  contre  le  projet 
viennent  appuyer  l'avis  unanime  de  votre  commission, 
des  raisons  que  d'ailleurs  j'aurais  jugées  plausibles,  me 
semblent  faibles;  et  si  je  parais  à  cette  tribune,  c'est 
moins  pour  faire  adopter  le  projet,  dont,  au  reste,  je  vo- 
terai l'adoption,  que  pour  le  faire  discuter  aussi  longue- 
ment qu'il  sera  possible. 

Le  projet  embrasse  des  questions  générales  dont  le  rap- 
porteur n'a  pas  dit  un  seul  mot  ;  mes  observ.ttions  auront 
pour  but  de  les  iiidir(uer.  J'en  a"jouterai  ensuite  quel(iues- 
uncs  sur  les  détails,  sur  les  dix  erses  objections,  aussi  de 
détail,  qu'ont  faites  le  rapporteur  et  le  dernier  opinant; 
et  j'aurai  occasion  d'examiner  si  plusieurs  de  ces  détails, 
que  la  commission  voudrait  renvoyer  soit  à  la  fui  du  Code, 
soit  au  (^ode  judiciaire,  soit  au  Code  de  commerce  ,  c'est- 
à-dire  à  deux  ou  trois  ans,  ne  devraient  pas  être  établis 
le  plus  promptement  possible,  pour  sortir  bientôt  d'un 
état  de  choses  qui,  d'après  la  législation  actuelle,  a  toute 
sorte  d'inconvéniens. 

1.  l'arnii  b  s  (juestions  générales  rpic  n'a  pas  traitées  le 


DE    LA.    l'UBLlCAïIOn    DES    LOIS.  85 

rapporteur,  et  dont  cependant  la  discussion  était  convc- 
uable  et  même  nécessaire,  je  citerai  d'abord  riiniformité 
d'un  délai  général,  de  dix  ou  quinze  jours,  pour  que  la 
loi  devienne  obligatoire.  On  a  fait  des  objections  sans 
nombre  sur  le  mode  adopté  par  le  projet,  sur  cette. diffé- 
rence d'époques  calculée  d'après  les  distances  des  tribu- 
naux d'appel.  On  n'a  pas  indiqué  l'avis  de  la  commission 
touchant  la  base   préliminaire  sur  ce  point.   Le    Conseil 

r 

d'Etat  a  vu  des  inconvéniens  dans  un  délai  uniforme;  ses 
raisons  sont  publiques,  et,  si  vous  n'êtes  pas  de  cet  avis, 
ne  iugercz-vous  pas  utile  de  publier  aussi  les  nôtres?  Le 
rapporteur  a  rappelé  d'un  seul  mot  (et  même,  s'il  me 
permet  de  le  dire,  pour  commettre  une  erreur  ,  en  ce  qui 
concerne  l'afliche)  la  loi  du  12  vendémiaire  an  IV,  d'a- 
près laquelle  se  fait  aujourd'hui  la  publication  des  lois. 
Pourquoi  n'en  a-t-il  pas  examiné  le  mode  ?  Il  est  certaine- 
ment défectueux,  et  les  douze  articles  de  cette  loi,  discutés 
avec  sévérité,  feraient  aussi  de  l'impression. 

L'article  1 1  est  ainsi  conçu  :  «  En  conséquence  de  la  pré- 
«  sente  loi,  il  ne  sera  plus  fait  de  publication  de  loi  par 
«  lecture  publique,  par  réimpression  ni  affiche ,  ni  à  son 
«  de  trompe  ou  de  tambour,  en  aucun  département,  aux 
«  frais  de  la  République,  si  ce  n'est  lorsque  ces  formalités 
«  seront  expressément  ordonnées  par  un  article  de  la  loi.  » 
Et  (art.  12)  :  «  Les  lois  et  actes  du  Corps  législatif  oblige- 
«  ront,  dans  l'étendue  de  chaque  département,  du  jour 
«auquel  le  bulletin  officiel  où  ils  seront  contenus  sera 
«  distribué  au  chef-lieu  du  département.  »  Cette  loi  n'or- 
donne pas  de  dresser  un  procè.s-verbal ,  ou  de  consigner 
d'une  manière  authentique  le  jour  de  la  réception  de 
chaque  bulletin  des  lois  au  chef-lieu  du  département  : 
rien  ne  constate  l'époque  de  l'arrivée,  et  l'on  peut  dire 
qu'elle  est  plus  vague,  et,  sous  tous  les  rapports,  moins 
bonne  que  le  projet  présenté.  La  publication  de  la  loi,  et, 
par  conséquent,  son  exécution,  se  trouvent  aujourd'hui 

G. 


84  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

à  la  merci  du  ministre  de  la  justice;  et  j'indiquerai  plu» 
bas  les  suites  d'un  pareil  ordre  de  choses.  Cette  question , 
plus  difficile  qu'on  ne  le  pense,  qu'on  a  résolue  de  trois  ou 
quatre  manières  depuis  le  commencement  de  la  révolu- 
tion, sur  laquelle  presque  tous  les  tribunaux  d'appel  ont 
donné  leur  avis,  sur  laquelle  les  premiers  rédacteurs  du 
Code  ont  eu  un  avis  différent  de  celui  du  Conseil  d'Etat, 
aurait  mérité  quelques  phrases  de  la  part  de  la  commis- 
sion. Il  est  peut-être  du  devoir  des  orateurs  qui  rejettent 
ce  qui  est  présenté,  d'indiquer  le  système  qui  leur  paraît 
le  meilleur.  Quant  à  moi,  je  suis  frappé  du  danger  de  tous 
les  actes  frauduleux,  et  de  tous  les  autres  abus  que  peut 
entraîner  la  fixation  d'un  délai  uniforme,  particulièrement 
sous  la  constitution  de  l'an  FUI ,  qui  ne  permet  la  promulgation 
que  dix  jours  après  le  décret  du  Corps  législatif;  et  malgré 
la  simplicité  de  ce  système,  et  la  forme  singulière  sous 
laquelle  se  présente  le  système  du  projet ,  qui,  au  reste, 
serait  suivi  d'un  règlement  sur  les  distances,  j'en  adopte- 
rais le  principe. 

Plusieurs  passages  du  rapport  supposent  que  la  loi  peut 
être  connue  de  tous  les  citoyens  ;  le  Conseil  d'Etat  a  pensé 
qu'il  n'est  auoun  moyen  de  donner  cette  connaissance  à 
chaque  individu,  et  (pic  dans  tous  les  systèmes  on  sera  forcé 
de  se  contenter  ici  d'une  présomption.  Le  rapport  n'a  pas 
discuté  non  plus  ce  point  général.  11  a  paru  désirer  la  pu- 
blication et  ralliche  «laiis  toutes  les  communes;  mais  il 
était  d'autant  plus  utile  de  discuter  ce  système,  que  l'ai- 
fiche  dans  les  communes  n'a  pas  lieu  maintenant,  ainsi 
que  vous  venez  de  le  voir.  Je  ne  dirai  point  que  l'axiome 
théologi({ue  ,  scmpcr  creusât  ignorantia  invincibilis ,  appli- 
cable à  ce  (|u'on  nomme  le  for  intérieur,  n'est  pas  bien 
placé  dans  une  discussion  sur  le  Code  civil,  car  il  ne  se 
trouve  plus  dans  l'imprifiié  du  rapport;  mais  on  y  parle 
encore,  en  deux  endroits,  de  Vignorancc  invincible;  et  cet 
axiome,  en  latin  ou  en  franc;ais,  prouve  trop.   N'est-il  pa» 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  85 

évident,  en  effet,  que,  même  avec  la  publication  et  rafli- 
che,  dans  les  communes,  un  grand  nombre  de  citoyens 
pourraient  encore  faire  valoir  leur  ignorance  invincible?  La 
publication  et  l'affiche,  dans  toutes  les  communes  ,  ne  me 
paraissent  pas  nécessaires  ;  et  si  Ton  pense  autrement ,  il 
ne  serait  pas  sans  utilité  de  déduire  les  motifs  de  cette 
opinion.  J'avoue  que  le  rapport  a  discuté  une  des  bases  du 
projet ,  celle  qui  concerne  la  transcription  des  lois  sur  les 
registres  des  tribunaux  :  il  a  donné  des  raisons  fortes  contre 
le  système  du  Conseil  d'État  et  du  gouvernement ,  qui  n'ont 
pas  été  d'avis'  de  cette  trai^cription  ;  et  voulant  moins 
combattre  le  rapporteur  qu'appeler  de  nouvelles  lumières 
sur  cette  question  et  sur  toutes  les  autres,  je  présenterai 
aussi  mon  opinion.  En  principe,  la  loi  a  toute  sa  force, 
elle  est,  par  conséquent,  exécutoire,  sans  l'intervention 
des  tribunaux.  C'est  moins  le  souvenir  de  l'usurpation  des 
parlemens  ,  et  de  quelques  tribunaux  de  l'ancien  régime, 
que  la  nature  même  des  pouvoirs,  qui  doit  écarter  la  trans- 
cription sur  les  registres  des  autorités  judiciaires,  laquelle, 
au  surplus,  n'a  point  lieu  dans  le  mode  actuel  :  car  la  loi 
du  12  vendémiaire  an  IV,  qui  charge  le  ministre  de  la  jus- 
tice d'envoyer  le  bulletin  des  lois  aux  présidens  des  tribu- 
naux et  aux  juges-de-paix ,  ne  parle  en  aucune  manière 
de  leur  transcription.  On  peut  même  dire  qu'elle  n'a  eu 
lieu  que  peu  de  mois  depuis  1789;  car,  si  la  première  loi 
sur  cette  matière,  celle  du  16  août  1790,  ordonna  cette 
transcription,  bientôt  après,  la  constitution  de  1791  n'or- 
donna plus  que  de  consigne?-  les  lois  dans  les  registres  des  tri- 
bunaux, c'est-à-dire  d'y  réunir  des  exemplaires  imprimés 
et  authentiques  de  la  loi.  Dans  le  mode  projeté,  cela  se 
ferait  encore,  et  les  tribunaux  continueraient  à  recevoir  le 
bulletin. 

Le  projet  de  loi  établit  les  juges  en  certains  cas  ministres 
(l'équité.  Ils  pourront  être  poursuivis  comme  coupables  de 
déni  de  justice ,   s'ils  refusent  de  juger  sous  prétexte  du 


80  niscussioffi ,  motifs  ,  elc 

silence,  de  l'obscurité  ou  de  l'insuffisance  de  la  loi  (art.  6). 
C'est  un  nouveau  système  qui  sup[)rime  tous  les  référés , 
(|ui  fixe  un  point  contesté,  qui,  à  mon  avis,  réforme  un 
abus  que  les  événcmens  de  la  révolution  ont  fort  augmenté, 
qui  rend  aux  tribunaux  le  caractère  qui  leur  est  propre,  et 
qu'ils  n'auraient  jamais  dû  perdre.  Ce  système,  sur  lequel 
les  tribunaux  d'appel  de  Montpellier,  de  Lyon  et  de  Rouen 
ont  fait  des  observations  d'un  grand  poids,  mérite  d'être 
discuté  au  Tribunat.  S'il  est  bon  ,  ne  faut-il  pas  l'établir 
tout  de  suite  Pet  lorsque,  sans  l'examiner,  on  s'est  con- 
tenté de  dire  qu'il  faut  le  renvoyer  au  Code  judiciaire, 
dans  cette  opinion  même  ,  ne  devait-on  pas  dire  nettement 
si  on  l'adopte,  ou  si  on  le  rejette? 

La  solution  de  ce  point,  qui  n'a  pas  été  entamée,  faisait 
tomber  plusieurs  objections  de  détail,  qui  se  sont  accu- 
iiiulécs  dans  le  rapport.  En  effet,  si  vous  voulez  que  les 
juges  soient  des  ministres  d"é(|uité  ,  dans  le  sens  du  projet, 
ne  faut-il  j)as  établir  des  principes  généraux,  ou  des  maximes 
imivcrsellcs,  auxquelles  ils  puissent ,  par  des  conséquences 
rigoureuses,  ou  des  inductions  moins  évidentes,  raltacber 
les  cas  particuliers? 

On  nous  a  dit  que  le  projet  qui  vous  est  soumis  n'est  pas 
une  introducfion  digne  du  Code  civil.  Avant  d'indiquer  les 
questions  générales  qu'il  convient  d'examiner  ici,  je  re- 
marquerai qu'il  est  peu  étendu,  qu'il  n'a  rien  d'imposant, 
mais  que,  lorsfjuc  le  Code  sera  terminé,  avant  de  numé- 
roter les  articles  dans  une  seule  et  même  série ,  on  pourra 
y  ajouter  d'autres  dispositions  générales;  et,  afin  de  ré- 
pondre à  l'objection  dans  les  deux  sens,  placer  quelques 
articles,  et  même,  si  Ton  veut,  tous  les  articles,  dans  les 
portions  du  Code  civil  ou  du  Code  judiciaire  qu'on  leur 
assigne.  Pour  venir  maintenant  aux  questions  générales , 
le  tribunal  d'appel  de  Koucn  ne  voudrait  ni  introduction, 
ni  livre  du  droit  et  des  lois  :  ce  n'est  donc  pas  une  cliosesi 
»inq)le  de  dire  en  peu  de  mois  que  le  projet  n'est  pas  une 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  87 

introduction  digne  du  Code  civil ,  car  avant  tout  il  faut  con- 
venir de  la  nécessité  de  donner  au  Code  civil  une  intro- 
duction imposante. 

Dans  le  système  du  rapport,  il  ne  peut  s'agir  que  des 
dispositions  générales,  législatives;  mais  on  ne  nous  a 
point  dit  l'étendue  qu'on  voudrait  leur  donner,  quels 
objets  elles  doivent  comprendre.  Le  premier  projet  de  Code 
qui  nous  a  été  distribué  contenait  un  livre  préliminaire 
du  droit  et  des  lois,  en  *frente-ueuf  articles  ;  on  y  trouvait 
des  définitions  générales  du  droit,  et  la  division  des  lois 
qu'on  a  retranchées.  Sont-ce  ces  définitions  générales  et 
ces  divisions  que  regrette  la  commission  ?  C'est  une  autre 
question  sur  laquelle  on  ne  nous  a  rien  dit.  L'exposé  des 
motifs  a  justifié  ce  retranchement.  A  mon  avis,  il  a  dit  avec 
justesse  que  ces  objets  sont  la  part  de  la  science  et  non  de 
la  législation.  Quelques  personnes  ne  le  pensent  pas  ainsi. 
Je  suppose  que  le  projet  de  loi  soit  rejeté  au  Corps  légis- 
latif; si  l'on  ne  discute  point  cette  question  au  Tribunat, 
comment  le  gouvernement  pourra-l^l  connaître  notre 
opinion  ,  se  rendre  à  nos  raisons,  ou  les  combattre,  si  on 
ne  les  donne  pas?  Plusieurs  tribunaux  d'appel  ont  été 
d'avis  de  ce  retranchement,  et  ont  motivé  leur  opinion. 
Cette  circonstance  n'ajoutera-t-elle  pas  au  petit  embarras 
qui  résulterait  de  notre  silence? 

La  commission  voudrait-elle  que  le  projet  de  Code  fût, 
comme  les  institutes  de  Justinien  ,  réduit  aux  principes  gé- 
néraux du  droit,  et  que  le  développement  et  les  détails 
se  trouvassent  dans  des  lois  particulières,  à  peu  près 
comme  ils  le  sont  dans  le  Code  et  le  digeste  du  droit  ro- 
main? Ce  système  me  semblerait  mauvais;  mais,  d'après 
les  objections  qu'on  a  faites,  il  serait  à  désirer  que  cette 
question  n'eût  pas  été  oubliée  dans  le  premier  rapport  sur 
le  projet  de  Code  civil  français. 

Enfin,  c'est  encore  une  question  générale  de  savoir  si  ce 
qui  concerne  la  publication  des  lois  doit  former  une  loi 


88  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

particulière.  Le  luppori  V^  dit  sans  le  prouver,  el  il  est  à 
*  suiihaitLT  aussi  que  cet  objet  ne  soit  pas  omis  dans  la  dis- 
cussion 

H.  Je  passe  aux  détails,  et  d'abord  permettez-moi ,  tri- 
buns, d'ap,.eler  votre  attention  sur  celte  question  bien 
fliniple  :  si  le  projet  contient,  pour  le  présent,  des  dispo- 
sitions très-utiles,  iaut-il  diuic  les  renvoyer  à  la  fui  du 
Cniie?  car  vous  savez  que  chacune  de  ses  parties  sera  pro- 
muliiuce  ^ans  att«-ndre  les  autres.* 

Voici  une  pnniière  observation  qui  paraît  incontestable. 
Un  Ctide  cixil  n'est  pas  un  ouvrage  de  littérature.  Feut-on 
csp^'rrr  séiieusenjent  que  la  rédaction  et  la  classifiraiion 
des  aili<les  ne  laisseront  rien  à  désirer?   Ne  disputcrait-on 
pas   des  années  entières    sur    l'exactitude    plus  ou  moins 
ripoine  ise  de  la  rl.issification ,  et  s.ir  la  perfection  plus  ou 
moins   f;rande  du  style?  Faut-il    le  dire   (en  demandant 
toutelois  qu'on  dj>nue  h  <  ette  remarcpie  son  véritable  sens)? 
la  noblesse,   l'éléfianje  et  la  précision  du  style  sont  bien 
déMiraldcs  dans  lesUpis  ;  ellrs  conviendraient  à  la  grandeur 
et   .ui\  lumièri  s  du  peuple  français  :  mais  il  ne  faut    pas 
meiirc  tr«»  .  dr  prix  à  c-et  avantage,  et  l'on  ne  d  )it  com[)ter 
que  sur  les  gi.nids  écrivains  pour  cette  partie  de  la   gloire 
n.itionatc.  (hu>  les  lois  soient  bonnes ,  même  avec  ({uelques 
xices  df  re«'a«tion.  voilà   tout  ce  cpie  deiu.in    e  le  peuple 
fiançais.  Plusieurs  nations  ont  trouvé  le  bonht  ur  dans  des 
loi.<  ft.it;t'>.  quoique  assez  mal  rédigées;  el  puisse  la  France 
en  .noir  di'Sorfuais  de  bonnes,  dussent-elles  être  rédJgées 
imparfaitemeiii  1  ^i  l'on  nous  présente  des  sysitm  s  de  lé- 
gislation vicieox  en  ri:x-m' mes  ,   si  des  articles  d'une  loi 
particulière  bitviseni  la  justice  ou  l'intérêt  des  citoyei.s  et 
des  habilans  dr  la  Franre,  s'ils  tendent  à  l'usurpation  de 
la  part  de  Ton  des  pouvoirs  publics,  il  faut  les  attaq\ier 
avec  courage,   el  les  rej»  1er  im|  itoyahlement  ;  mais  s  ils 
Soiil  justes  et  ulilrs,  «xaiiiinrz.    tribuns,   si   nous  devons 
être   d'une  «éverilé  ouibrageusc  bur  quelques  détails  de 


D£    LA    PUBLICATION    UE9    LOIS.  89 

rédaction,  et  attendre  un  degré  de  perfection  qui  est  trop 
dillicile,  surloiU  dans  un  ordre  de  choses  où  le  Code  civil 
doil  élre  rédigé  et  discuté  pièce  à  pièce,  si  je  puis  me  servir 
de  celte  expression,  par  plusieurs  corps  Irès-noinbreux. 

Lors(|u\)n  examine  chacun  des  articles  de  la  loi ,  on  n'est 
point  frappé  de  la  majeure  partie  des  objections  du  rappor- 
teur. J'ai  déjà  indiqué  les  deux  questions  générales  que 
contient  Tarticle   premier;   celle  du  délai  uniforme  pour 
rendre  le  délai  obligatoire,  et  celle  de  la  transcription  sur 
les  registres  des  tribunaux.  Quelque  système  que  Ton  puisse 
adopter,  j'ai  dit  que  jamais  la  loi  ne  sera  connue  de  tous 
les  citoyens,  ou  habitans  de  la  France  :  j'ajouterai  ici  que 
l'argument  tiré  de  V ignorance  Invincible  se  rétorque  contre 
le  système  actuel  de  la  publication,  et  contre  tout  autre 
qu'on  pourrait  présenter.  Et  ces  objections  de  détail  qu'on 
nous  a  faites  sur  la  nécessité  de  dater  désormais  l'heure 
des  actes  et  des  enregistremens,  sont-elles  justes?  si  elles 
le  sont,  ne  le  sont-elles  pas  aussi  à  l'égard  du  système  ac- 
tuel et  de  tous  les  autres  systèfpes?  N'est- il  pas  évident  que 
la  date  de  promulgation  par  le  Premier  Consul  sera  celle 
du  jour  et  non  de  l'Iieure  où  il  la  signera  ?  Celte  difféience 
entre  l'époque  01^  la  loi  sera  obligatoire  à  Auxerre,  éloigné 
de  Paris  de  quarante  lieues  anciennes ,  et  Rouen  ,  qui  n'est 
éloigné  de  Paris  que  de  vingt  huit,  est  exacte  ;  mais  dans 
le  système  d'un  délai  uniforme,  cette  différence  ne  sera- 
t-elle  pas  bien  plus  choquante  et  bien  plus  dangereuse, 
puisque  la  loi  ne  serait  obligatoire  à  Paris  que  vingt-cinq 
jours  après  qu'elle  y  serait  connue,  et  qu'elle  le  serait  sou- 
vent dans  les  Pyrénées,  le  jour  même  où  les  citoyens  en 
entendraient  parler  pour  la  première  fois  ?  Aime-t-on  mieux 
le  système  actuel,  qui  présenterait  encore  une  bien  autre 
différence,  si  le  ministre  de  la  justice  avait  de  la  négli- 
gence ou  de  la  mauvaise  volonté  ,  ou  même  si  le  bulletin 
des  lois  ,  destiné  à  Kouen  ,  par  exemple,  était  oublié  dans 
ses  bureaux?  Cet  article  premier  suppose  un  règlement  qui 


90  Discussions,  hOTiFs,  etc. 

déternn'nc  la  distance  des  lieux  où  siègent  les  tribunaux 
<rap})cl;  c'est  ce  qu'on  parait  craindre  :  mais  est-il  rien  de 
plus  n'j^lcmenlaire  que  celte  détermination?  Quel  danger 
aurait-elle .  et  est-il  possible  de  croire  que  jamais  le  gouver- 
nement se  permelte  d'en  abuser?  Au  reste,  l'article  pre- 
mier est  susceptible  d'une  objection  qui  n'a  pas  été  faite. 
C'est  du  siège  du  gouvernement ,  qui  peut  changer,  qu'on 
doit  compter  le  point  de  départ,  et  il  eût  été  préférable  de 
le  dire,  au  lieu  d'employer  le  mot  Paris.  Mais  une  telle 
rectification  pourrait  avoir  lieu  au  besoin,  et  cette  faute 
seule  ne  serait  pas  un  motif  de  rejet. 

Sur  l'article  2,  qui  établit  qvie  la  loi  n'a  point  d'effet 
rétroactif,  on  nous  dit,  c'est  un  principe  de  droit ,  c'est 
une  règle  du  législateur  :  soit  ;  mais  ce  [jrincipe  a  été  bien 
oublié  :  je  désire  que,  pour  l'exemple,  et  en  réparation  de 
nos  écarts,  il  prenne  le  caractère  de  loi ,  et  qu'il  se  trouve 
dans  le  Code.  Les  tribunaux  ont  assez  long-temps  appliqué 
des  lois  rétroactives;  et  je  souhaite  qu'ils  soient  affranchis 
le  plus  tôt  possible  de  lapénJlMe  inquiétude  d'en  voir  publier 
de  nouvelles,  ou  d'avoir  peut-être  à  juger  encore  contre  ce 
principe  de  droit  et  contre  cette  règle  de  législation. 

J'iii  trouvé,  je  l'avoue,  minutieuse  et  inexacte  la  criti- 
que de  l'article  3,  qui  est  ainsi  conçu  :  «  La  loi  oblige  ceux 
«  qui  habitent  le  territoire.  «  On  a  dit  :  elle  n'oblige  donc 
pas  ceux  cpii  n'habitent  point  le  territoire  ?  Non.  Cette  dis- 
position seule  ne  les  obligerait  pas;  mais  les  Français  que 
la  loi  oblige  hors  du  territoire  seront  assujétis  par  une 
disposition  particulière  du  Code.  On  a  dit  encore  :  cette 
disposition  est  f.iusse,  puis(|u'elle  n'oblige  pas  les  ministres 
et  les  ambassadeurs  des  puissances  étrangères  qui  habitent 
le  territoire.  Mais  n'y  a-t-il  donc  pas  ,  dans  tous  les  Codes 
du  monde,  et  dans  toutes  les  lois  que  pourront  rédiger  les 
peuples  par  la  suite,  n'y  aura-t-il  donc  pas  des  dispositions 
générales  déta(;hées  des  exceptions,  ou  des  additions  à  la 
r^gle  commune  ? 


DE    LA    PUBLICATION    DtS    LOIS.  9I 

Sur  Part.  4  q"i  s^exprime  en  ces  termes  :  «  La  forme  des     ap-  5 
«  acles  est  réglée  par  les  lois  du  pays  dans  lequel  ils  sont 

•  faits  ou  passés;  »  on  a  dit  d'abord ,  c'est  une  maxime  de 
droit  qui  nVst  pas  contestée.  On  va  voir  que,  d'après  les 
dispositions  du  second  projet,  il  est  nécessaire  de  la  con- 
vertir en  loi.  On  a  dit  ensuite,  la  rédaction  en  est  bien  vi- 
cieuse. Oui,  si  vous  ne  voulez  tenir  aucun  compte  des  ar- 
ticles numérotés  17  et  19  du  second  projet  :  ceux-ci  éta- 
blissent «  qu'un  étranger,  s'il  est  trouvé  en  France,  pourra 

•  être  traduit  devant  les  tribunaux  de  France,  pour  les 
«  obligations  par  lui  contractées  en  pays  étranger  envers 
«  des  Français,  et  réciproquement,  qu'un  Français  pourra 
t  être  traduit  devant  un  tribunal  de  France  pour  des  obli- 
«  galions  par  lui  contractées  en  pays  étranger,  même  avec 
»  un  étranger.  »  Il  faut  bien  que  le  Code  détermine  la  na- 
ture des  preuves  dans  ces  deux  cas.  D'après  l'article  du 
projet  que  nous  examinons,  les  tribunaux  français  admet- 
tront les  actes  rédigés  en  Angleterre  ou  en  Russie,  par  exem- 
ple ,  s'ils  le  sont  dans  la  forme  réglée  par  la  loi  de  celui  des 
deux  pays  où  ils  auront  été  faits  et  passés.  Cette  explication 
fait  tomber  la  critique  qu'il  a  essuyée,  et  lui  donne  un  peu 
plus  de  sens  qu'on  ne  lui  en  suppose.  Si  on  avait  présenté 
ici  le  développement  qui  se  trouvera  ensuite ,  vous  auriez 
pu  demander  pourquoi  ce  développement  n'est  pas  mieux 
classé.  11  est  du  moins  permis  de  le  penser,  car  cet  article 
ne  vous  paraît  pas  à  sa  place ,  et  vous  la  lui  assignez  au  titre 
des  personnes.  Ne  serait-il  pas  juste  de  parler  un  peu  moins 
de  la  classification,  qui  ne  peut  être  arrêtée  maintenant? 
Si  la  disposition  est  bonne,  adoptez-la  bientôt;  car  si  }e 
second  projet  devient  une  loi,  il  ne  doit  pas  l'attendre  long- 
temps :  quand  le  Code  sera  terminé,  on  la  placera  mieux. 
Telle  est,  depuis  1789,  la  méthode  qu'a  établie  la  force  des 
choses,  et  si  l'on  s'en  écarte,  sera-t-il  aisé  d'achever  le 
Code  civil? 

La  criti({ue  qu'on  a  faite  de  l'article  5  ne  me  paraît  pas     ap.s 


(yi  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

plus  solide.  Voici  Tarticle  :  «  Lorsque  la  loi,  à  raison  des 
n  circonstances,  aura  réputé  frauduleux  certains  actes, 
a  on  ne  sera  pas  admis  à  prouver  qu'ils  ont  été  faits  sans 
«  fraude.  • 

Ce  qui  est  étonnant,  ajoute  le  rapport,  «  c'est  de  trouver 
fl  dans  la  première  loi  du  Code  civil  un  article  qui,  d'après 
n  l'exposé  même  des  motifs ,  ne  se  rapporte  qu'au  cas  par- 
t  ticulier  d'un  acte  fait  dans  les  dix  jours  qui  précèdent  la 
«faillite;  acte  qui  est  déclaré  nul  par  la  déclaration  du 
«  18  novembre  1702.  »  L'exposé  des  motifs  n'a  fait  que  don- 
ner un  exemple  ;  et  assurément  ce  n'est  pas  le  seul  cas  que 
comprenne  l'article.  La  disposition  qu'il  contient  est  beau- 
coup plus  étendue  qu'on  ne  l'a  dit.  Non,  ce  n'est  pas  un 
article  à  renvoyer  au  Code  de  commerce ,  titre  àts,  faillites  y 
ou  au  Code  judiciaire,  titre  Aes  preuves;  c'est  une  grande 
et  vaste  règle  de  droit,  applicable  à  une  inGnité  de  cir- 
constances ,  et  il  y  a  lieu  de  la  croire  nécessaire  à  l'action 
journalière  des  tribunaux.  J'omets  sur  cet  article  une  autre 
critique  bien  légère.  La  loi,  a-t-on  dit,  ne  réputé  pas  des 
actes  frauduleux,  elle  les  déclare  nuls.  Je  ne  sais  par  quelle 
autorité  on  veut  faire  que  ce  qui  est  n'existe  pas.  Cent  lois, 
dans  nos  Codes  et  dans  tous  les  autres,  ont  dit  que  des 
actes  faits  dans  de  certaines  circonstances  seraient  réputés 
frauduleux.  La  conséquence,  sans  doute ,  est  qu'ils  sont 
nuls;  mais  il  est  impossible  de  comprendre  cette  objection 
sous  le  rapport  de  la  grammaire,  ni  lorsqu'on  l'examine 
d'après  les  axiomes  des  jurisconsultes.  Je  laisse  à  d'autres 
le  soin  de  répondre  au  préopinant,  qui  attaque  le  fond  de 
l'article,  et  qui  prétend  qu'aucune  loi  ne  doit  réputcr  des 
actes  frauduleux. 

Sur  les  articles  6  et  7,  qui  établissent  en  certains  cas  les 
juges  ministres  dV*(|uilé,  et  qui  leur  prescrivent  des  de- 
voirs, 0  votre  commission  ,  dit  le  rapporteur,  observe  seu- 

•  Icniciit  qu'ils  ne  sont  pas  à  leur  place,  et  cju'ils  doivent 

•  êlrc  renvoyés  au  Code  judiciaire.  «  J'ai  déjà  discuté  ce 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  (JO 

qui  regarde  cette  classification,  qui  n'est  que  provisoire, 
et  dont  on  a  peut-être  beaucoup  trop  parlé  :  je  n'ajouterai 
qu'un  mot.  On  semble  donc  convenir  que  les  juges  doivent 
être,  en  certains  cas,  des  ministres  d'équité,  et  cet  aveu 
détruit  un  grand  nombre  d'objections  qu'a  faites  la  com- 
mission elle-même  contre  le  projet.  Si  Ton  trouve  bon  ce 
système,  dont  j'ai  indiqué  plus  haut  les  avantages,  il  est 
difficile  de  comprendre  pourquoi  l'on  veut  renvoyer  cette 
amélioration  à  une  époque  reculée.  Avant  de  terminer  ce 
qui  regarde  cet  article,  je  dois,  en  réponse  au  préopinant, 
observer  ici  que  l'article  6  n'a  aucun  rapport  aux  juges  cri- 
minels, et  qu'il  est  de  principe  que  les  tribunaux  criminels 
ne  peuvent  prononcer  de  peines  dans  l'absence  de  la  loi. 

Enfm  ,  les  objections  du  rapport  contre  l'article  8  n'of- 
frent-elles pas  de  contradiction  ?  Il  est  ainsi  conçu  :  «  On 
«  ne  peut  déroger  par  des  conventions  particulières  aux 
«  lois  qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes  mœurs,  n 
Cette  rédaction ,  nous  a  dit  le  rapporteur,  manque  de  pré- 
cision  et  de  clarté  :  qu'est-ce  qu'intéresser  l'ordre  public  et  les 
bonnes  mœurs?  Les  tribunaux  le  diront  en  public  et  dans  un 
jugement  motivé;  et  le  tribunal  de  cassation,  régulateur 
suprême  en  celte  matière  ,  maintiendra  ou  annuUera  leurs 
jugemens.  «  Ces  expressions,  a-t-on  ajouté,  ne  sont  pas 
«  assez  précises  pour  entrer  dans  la  rédaction  d'une  loi.  » 
Le  rapporteur  sera  embarrassé  de  dire,  après  cette  critique, 
pourquoi  il  cite  lui-même ,  à  cette  occasion ,  la  loi  romaine , 
liv.  6  du  Code  de  pactis,  qui  s'exprime  ainsi  :  «  Pacta  quœ 
«  contra  leges  constitutionesque ,  vel  bonos  mores  fiant,  nullam 
«  vim  habere  indubitati  jarif  est.  »  Il  est  donc  constant  que 
cette  disposition  a  fait  la  matière  d'une  loi  romaine,  et  le 
rapporteur  indique  lui-même  cette  loi. 

Je  ne  veux  point  faire  le  tableau  de  notre  législation  ci- 
vile actuelle  :  que  tant  de  fautes  et  de  mauvaises  lois  soient 
ensevelies  à  jamais  dans  un  profond ,  dans  un  éternel  oubli  I 
Mais  je  crains  ce  qui  pourrait  entraver  ou  éloigner  la  ré- 


(j4  Discussions  ,    MOTIFS  ,    ctc. 

forme  du  Code.  Notre  devoir  est  de  combattre  les  projets 
qui  nous  sembleront  défectueux,  mais  discutons-les  avec 
soin;  examinons  toujours  les  bases  avant  les  détails.  En 
rejetant  uiie  disposition,  que  chacun  de  nous  indique  la 
disposition  qu'il  voudrait  y  substituer  ;  c'est  la  seule  ma- 
nière elDcace  d'éclairer  l'opinion,  et  d'avertir  le  gouver- 
nement. Si  j'ose  le  répéter,  ne  comptons  pas  sur  une  per- 
fection à  la(jueile  les  hommes  ne  peuvent  atteindre  en  ma- 
tière de  législation  ,  et  dans  l'espérance  du  mieux,  ne  lais- 
sons pas  échapper  le  bien  qui  nous  est  oflert.  Je  vous  prie, 
tribuns,  de  rendre  justice  à  la  pureté  de  mes  intentions:  je 
n'ai  pas  balancé  à  remplrr  un  devoir  pénible;  je  n'ai  pas 
craint  de  présenter  des  observations  rédigées  à  la  bâte,  et 
trop  ini|)arfaites  pour  être  résumées, 

Quoicjue  le  projet  qui  vous  est  soumis  laisse  beaucoup  à 
désirer,  il  peut  s'améliorer  avant  la  fin  du  Code,  et  j'en 
adopte  les  principes.  C'est  contre  le  mode  de  publication 
déterminé  par  le  premier  article  qu'on  a  fait  le  plus  d'ob- 
jections. Tel  qu'il  est,  mais  avec  le  règlement  qui  doit  l'ac- 
couipagner,  et  qui  n'excède  pas  les  pouvoirs  du  gouverne- 
ment, je  l'aime  autant,  je  le  préfère  de  beaucoup  à  un 
délai  uniforme  de  dix  ou  quinze  jours  après  la  promulga- 
tion. On  s'est  mépris  sur  des  dispositions  (ju'on  a  regardées 
comme  insignifiantes;  les  critiques  sur  la  rédaction  me 
paraissent  légères;  aucune  des  objections  qu'on  a  faites 
sur  la  classification  des  articles  ne  me  semble  grave  :  ce 
projet  contient  des  dispositions  utiles  et  sages  que  je  désire 
de  voir  établir  promptemeiit ,  et  dans  l'état  actuel  de  la 
discussion,  j'en  vote  l'adoption.  . 


OPirfIO?f    DU    TRIBUN    LUDOT  , 
POUR   LE   PROJET. 


Tribuns,  tout  législateur  appelé  à  réformer  les  lois  de 
son  pays  consultera  avec  soin  les  ciiangemcns  opérés  dans 


Dli    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  qS 

l'esprit ,  les  mœurs ,  les  usagées  de  ses  iiabitaiis;  il  n'oubliera 
pas  les  circoiislaiices  dans  lesquelles  il  se  trouve  placé,  et 
la  nature  du  gouvcrneuient  établi;  eulîn,  également  en 
garde  contre  les  innovations  dangereuses  et  les  abus  con- 
sacrés par  les  préjugés  ou  de  longues  liabitudes ,  il  ne  vou- 
dra de  résultats  que  ceux  avoués  par  l'expérience  ou  la 
raison. 

Tel  a,  ce  me  semble,  été  le  plan  des  rédacteurs  du  Code 
civil,  plan  qu'ils  ont  exécuté  en  très-grande  partie. 

Pour  remplir  ce  but,  les  rédacteurs  n'ont  pas  dédaigné 
de  recourir  aux  lois  romaines,  à  notre  ancien  droit,  et  à 
des  projets  de  Code  présentés,  il  y  a  quelques  années,  par 
des  jurisconsultes  habiles. 

Mais  ils  ont  senti  qu'il  ne  fallait  pas  s'asservir  de  trop 
près  à  des  méthodes  reçues. 

La  nature  des  choses  ne  le  permettait  pas.  Ils  ne  pou- 
vaient douter  que  l'état  de  guerre  dans  lequel  gémissait 
encore  la  France  quand  ils  entreprirent  leur  travail,  cesse-- 
rait  bientôt;  qu'ainsi  il  fallait  placer  à  la  tête  de  leur  ou- 
vrage quelques  dispositions  fondées  sur  notre  état  politi- 
(jue,  et  nos  rapports  commerciaux  avec  les  peuples  qui 
nous  environnent. 

Convaincus,  d'ailleurs,  par  l'expérience  de  l'impossibi- 
lité d'appliquer  littéralement  les  lois  en  administration 
comme  en  malière  de  justice  distributive,  ils  ont  cherché  à 
prévenir  toute  exécution  impraticable  ou  arbitraire  :  ils  ont 
en  conséquence  posé  des  principes  généraux  sur  la  néces- 
sité, la  manière  de  faire  cette  application. 

Le  droit  des  peuples  anciens  et  modernes  leur  servait  à 
cet  égard  de  modèle. 

Les  tribunaux  français  ont  applaudi  au  travail  des  com- 
missaires. 

Le  gouvernement  paraît  en  avoir  adopté  les  bases. 

Un  mérite  particulier  de  ce  travail  consiste  dans  la  préci- 
sion des  idées. 


^6  DI^CUSSI0?I5  ,    MOTIFS,    CtC. 

Le  gouvernement  semble  vouloir  imprimer  à  la  législa-^ 
tioii  un  caractère  encore  plus  précis. 

('/est  Hu  moins  ce  qu'on  peut  présumer  du  premier  pro- 
jet de  loi  soumis  à  la  discussion. 

Voyon*i  si  ce  projrt  merile  la  critiqur  qu'on  en  a  faite. 

Dans  un  état  où  lis  lois  se  multiplient»  et  dont  l'exécution 
devient  par  là  même  emharrassanlc  ,  un  des  premiers  soins 
du  législateur  doit  être  de  facilite  cette  exécution. 

Il  faut  que  la  loi,  pour  devenir  réellement  obligatoire, 
soit  réputée  connue  de  tous  ceux  qu'elb  obli!;e. 

C'est  un  principe  de  droit  positif  que  la  ijeule  raison  in- 
voquerait, s'il  n'était  établi  (a). 

La  difficulté  consiste  dans  le  moyen  de  régulariser  celte 
exécution,  ou,  si  Ton  veut,  de  transmettre  aux  adminis- 
trés la  connaissance  de  la  loi,  et  de  tixer  l'instant  où  elle 
lie  les  citoyens. 

Il  est  inutile  de  rappeler  ce  qui  se  pratiquait  ancienne- 
ment à  ce  sujet.  Les  anciennes  cours  judiciai  es.  qui  avaient 
la  prétention  de  participer  à  la  formation  de  la  loi,  délibé- 
raient avant  de  l'enregistrer.  Elles  nexistent  plus,  et  les 
tribunaux  qui  se  permettraient  aujourd*bui  d'arrêter  ou  de 
suspendre  l'exécution  de  la  loi,  se  rendraient  coupables 
de  forfaiture. 

Depuis  la  révolution  ,  on  a  imaginé  plusieurs  modes  de 
publication  des  lois. 

Deux  seulement  ont  été  mis  à  exécution. 

L^assemblée  constiuianle,  qui.établit  le  premier,  voulut 
que  les  loin  émanées  d'elle  fuH>ent  adressées  aux  autorités 
administratives  et  judiciaires;  qu'elles  fusKcnl  connignées 
dans  leurs  registres,  lues,  publiées  et  allicbécs  dans  leurs 
déparU'mens  et  ressorts  respectifs. 

La  mebure  était  toute  poiiti<{ue. 

ijt)  Leiff  HcraiiMim*  qur  cMimin^uni  huminum  *iiat,  inleili|p  ab  omnibua  dabeni,  ul  unireni, 
imrMTtpiu  raruin  maïufattitia  oogaito ,  Tcl  iokibiU  4ccliiiaul ,  t«1  parmiaai  iMtaolur.  C»éuit  lik.  I. 
I.  l4.   ^«  l*ftkm». 


Dli    L\    PUBLICATION    DES    LOIS.  g*f 

La  Convention  donna  quelque  chose  à  l'économie. 
Elle  substitua  au  premier  mode,  abusif  sous  plus  d'un 
rapport,  celui  deTenvoi  d'un  bulletin  des  lois,  et  supprima» 
leur    publication   par  lecture   publique ,  réimpression  et 
alliche. 

Quelques   lois   seulement   conservèrent  leur   première 
forme  de  publication  ;  mais  l'exception  ne  fut  réservée  qu'à 
un  petit  nombre,  et  une  disposition  expresse  de  toute  loi 
de  ce  genre  dut  en  contenir  la  mention. 
Ainsi  la  règle  fut  générale. 

Mais  ce  qu'il  est  essentiel  d'observer,  c'est  que  la  loi  du 
12  vendémiaire  an  IV,  qui  prescrit  ce  mode,  et  les  divers 
systèmes  tjui  tendent  à  le  remplacer,  n'ont  d'autre  but  que 
d'assigner  l'époque  où  les  lois  deviendront  obligatoires 
pour  les  administrés,  et  susceptibles  d'être  appliquées  par 
les  administrations  et  par  les  tribunaux;  encore  cette  loi 
ne  l'a-t-elle  pas  atteint,  comme  on  va  le  voir. 

L'article  12  rend  obligatoires,  pour  les  administrés,  les 
lois  et  actes  du  Corps  législatif,  dans  l'étendue  de  chaque 
déparlement,  du  jour  auquel  le  bulletin  ofûciel  où  ils  sont 
contenus  est  distribué  au  chef-lieu  du  département. 

Les  administrateurs  peuvent,  sans  contredit,  lire  dans 
cette  disposition  la  règle  qu'ils  ont  à  suivre  pour  exécuter 
la  loi. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  des  juges  :  car,  si  les  lois  leur  sont 
adressées  ainsi  qu'aux  administrations,  rien  ne  les  oblige 
à  en  faire  l'application  aux  contestations  qui  leur  sont  sou- 
mises .  avant  que  ces  lois  aient  été  présentées  à  l'audience , 
ou  seulement  après  qu'il  y  en  a  été  fait  mention. 

Mais  les  administrés  !  qu'on  m'apprenne  comment  cette 
loi  leur  fait  connaître  ,  soit  la  disposition  des  lois  en  géné- 
ral, soit  l'instant  où  cette  disposition  les  lie ,  puisque  l'envoi 
en  est  secret,  et  que  le  registre  où  l'arrivée  de  chaque  loi 
est  certifiée  reste  déposé  aux  archives  de  l'administration. 
Quelle  est  surtout  leur  perplexité,  s'ils  ont  à  requérir  ou 
VI.  7 


g8  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC 

à  craindre  l'application  de  ces  lois  sous  le  rapport  judi- 
ciaire, puisque  les  juges  eux-mêmes  né  connaissent  pas 
d'une  manière  précise  leurs  obligations! 

L'abus  est  effrayant,  car  il  prend  sa  source  dans  les  pre- 
miers tribunaux,  et  s'éteiul  jusqu'au  tribunal  de  cassation. 

Que  résultc-t-il  de  là  princi[)alemenl?  c'est  que  la  loi  du 
12  vendémiaire  an  IV  a  manqué  son  but,  comme  je  viens 
de  l'observer,  en  laissant  ignorer  aux  administrés  l'instant 
où  la  loi  arrive  au  chef-lieu  de  département,  et  par  consé- 
quent les  lie  en  laissant  les  juges  libres  d'appliquer  ou  de 
ne  pas  appliquer  telle  loi,  même  lors(|u'elle  leur  est  connue 
par  renregistremcnl  au  chef-lieu  du  département,  si  elle 
ne  leur  a  pas  été  présentée  à  l'audience  !  de  sorte  que  cette 
loi,  obligatoire  pour  eux  comme  citoyens,  ne  l'est  pas 
comme  juges. 

Qu'en  résullc-t-il  encore?  c'est  qu'évidemment  la  Con- 
vention n'a  pas  entendu  que  ce  mode  fût  pour  les  adminis- 
trés un  moyen  de  connaître  les  dispositions  des  lois. 

Ne  serait-il  pas  étrange,  en  effet,  qu'elle  eût  dit  aux  ci- 
toyens :  Vous  serez  liés  par  les  lois  aussitôt  leur  publica- 
tion,  parce  qu'elle  vous  fera  connaître  leurs  dispositions; 
et  que  néanmoins,  [)ar  un  correctif,  elle  se  fût  réservé  le 
droit  de  donner  à  cette  publication  l'apparence  du  mystère  ? 

Une  telle  intention  dans  la  publication  des  lois  u'eût- 
elle  pas  rappelé  celle  de  cet  empereur  rouiain ,  (jui,  pour 
multiplier  les  infracteurs  de  ses  édits,  les  faisait  alfîcher, 
en  caractères  illisibles,  sur  des  poteaux  fort  élevés  dans  la 
place  publique? 

Voilà  pourtant  le  mode  de  publication  que  la  commission 
regrette  et  préfère  au  nouveau  (|u'on  propose,  en  atta- 
chant de  plus  au  premierl'iiiée  (fu'il  inculque  aux  citoyens 
la  notion  de  Icure  devoirs. 

Ne  nous  le  dissimulons  pas,  la  Convention  ^  (]ui  sentait 
que,  d'après  la  division  du  (îorps  législatif  en  deux  con- 
«oil»,  la  discussion  des  lois  serait  en  général  plus  lente, 


HE    L\    PUBLICATION    DKS    LOIS.  99 

plus  approfondie,  plus  solennelle  qu'auparavant,  avait 
bien  priWu  que  la  publication  des  débats  du  Corps  législatif 
serait ,  plus  que  tout  autre,  propre  à  transmettre  aux  Fran- 
çais la  connaissance  des  lois  de  la  République. 

On  conçoit  d'ailleurs,  dans  cette  hypothèse,  que  la  con- 
naissance des  lois  est  encore  plus  facile  à  acquérir  d'après 
le  mode  actuel  de  leur  formation  ainsi  que  de  leur  promul- 
gation ,  puisque  celle  ci  ne  doit  être  faite  aujourd'hui  que 
le  dixième  jour  après  la  loi  rendue;  tandis  qu'anciennement 
cette  promulgation  entraînait  tout  au  plus  un  délai  de  deux 
jours.  Aussi  ceux  qui  désirent  un  autre  mode  de  publica- 
tion des  lois  que  celui  prescrit  par  la  loi  du  12  vendémiaire 
an  IV  raisonnent  dans  le  même  sens;  puisque,  par  l'effet 
de  chacun  de  ces  modes  ,  l'envoi  aux  autorités  administra- 
tives et  judiciaires  n'en  restera  pas  moins  secret. 

Il  reste  donc  à  peu  près  avoué  par  tout  le  monde  que  la 
publication  des  lois  n'a  d'autre  objet  que  d'avertir  les  ci- 
toyens de  l'instant  où  elles  deviennent  obligatoires  pour  eux. 

Ce  point  de  fait  établi ,  convenait-il  de  substituer  au 
mode  actuel  de  publication  des  lois,  évidemment  vicieux, 
un  autre  mode  de  publication  uniforme  en  quelque  sorte, 
et  tel,  que  toute  loi,  d'après  un  délai  révolu  depuis  sa  pro- 
mulgation ,  devînt  obligatoire  au  même  instant  pour  tous 
les  Français? 

Ce  mode  n'eût  pas  été  sans  avantage;  il  eût  offert  le 
spectacle  imposant  d'une  exécution  simultanée  de  la  loi 
dans  toutes  les  parties  de  la  France  ;  mais  la  réflexion  y  fit 
remarquer  plusieurs  inconvéniens  qui  le  firent  écarter. 

Il  est  de  fait  (|u'il  s'écoule  assez  ordinairement  près  de 
vingt  jours  entre  la  proposition  d'une  loi  un  peu  impor- 
tante et  son  adoption. 

Si  l'on  eût  accueilli  la  proposition  ci-dessus  énoncée  ,  il 
eût  fallu  environ  quinze  jours  encore  avant  que  la  loi  fût 
susceptible  d'exécution. 

Ainsi  l'on  eût  langui  plus  d'un  mois  dans  l'attente  d'une 

7» 


100  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

loi,  tandis  (juc  l'util ili^  publique  eut  appelé  beaucoup  plus 
toi  sou  effet. 

lie  mal  eiM  été  fAclieux  en  mati^^c  civile  .  et  plus  f^tcheux 
encore  ru  matière  criminelle  ou  de  police. 

C'eût  ét«^  contredirt'  le  principe  de  Texistence  de  toute 
loi ,  qui  veut  qu'on  en  fasse  jouir  la  société  aussitôt  que 
ses  dispositions  sont  dans  le  cas  d'être  connues. 

En  un  mot,  on  eut  pu  craindre  que,  sous  le  prétexte 
de  discuter  des  questions  politiques  ou  de  droit,  l'impru- 
dence ou  rintrigjue  n'eussent  attaqué  les  lois  dans  Tinter- 
valle  de  leur  adoption  à  celui  de  leur  publication  ,  et  qu'il 
ne  se  fût  élevé  hors  du  Tribunal  une  discussion  dont  l'effet 
inévitable  eût  été  d'ôter  aux  lois  cette  considération,  ce 
respect  qui  doivent  les  environner. 

N'avez-  vous  pas  vu  récemment  la  différence  des  opinions 
sur  un  principe  de  droit  public  inhérent  à  la  nature  du 
gouvernement ,  et  reconnu  jiar  la  presque  totalité  des  pre- 
miers tribunaux  de  France,  exciter  néanmoins  des  débats 
polémi(|ues  ,  cl  mettre  la  raison  aux  prises  avec  la  cons- 
cience '.' 

On  A  donc  cru  devoir  se  fixer  sur  le  mode  de  publication 
consigné  dans  le  projet  de  loi  qu'on  discute. 

On  ne  peut  contester  qu'il  a  l'avantage  de  faire  jouir  de 
la  loi,  sans  retard,  les  administrés;  de  la  rendre  respec- 
tivement obligatoire  pour  eux  et  pour  les  agens  d'exécution 
au  même  instant;  de  ne  laisser  auciin  prétexte  à  l'igno- 
rance sur  le  moment  précis  où  cette  obligation  sera  im- 
posée, et  de  prévenir  l'abus  retracé  plus  haut  à  l'égard  des 
juges  et  des  justiciables. 

Kien  n'annonce  d'ailleurs  que  le  Bulletin  des  lois  sera 

supprimé,  ou  qur.  h;  gouvernement  négligera  d'instruire 

les  administrations  et  les  tribunaux  de  leurs  devoirs. 

Cette  dernière  présomption  surtout  est  inadmissible. 

La  marche  du  législateur,  alori*  conforme  à  celle  de  la 

nature.  Test  aussi  aux  usages  de  tous  les  temps  et  de  tous 


DE    1,A     PUBLICATION    DES    LOIS.  10  1- 

les  pays,  quand  les  hommes  ont  voulu  communiquer  entre 
eux. 

Serait-il  vrai,  néanmoins,  qu'il  en  résultât  de  graves 
iuconvéuiens,  comme  on  a  prétendu  l'insinuer? 

D'après  ce  mode  de  publication,  a-t-on  dit,  la  loi  sera 
donc  obligatoire  aux  extrémités  du  tribunal  d'appel  établi  à 
Paris,  c'est-à-dire  à  une  distance  d'environ  quarante  lieues, 
dans  trente-six  heures  après  la  promulgation;  tandis  qu'il 
faudra  un  délai  plus  long  pour(jue  le  même  effet  soit  acquis 
dans  le  département  de  la  Seine-Inférieure,  c'est  l'ï-dirt^  à 
une  distance  plus  rapprochée. 

Quand  cela  serait,  la  différence,  dans  ce  cas,  se  borne 
à  quelques  heures  :  vaut-elle  bien  dès-lors  le  soin  d'une 
objection?  Cette  objection,  au  reste,  s'applique  dans  son 
développement  à  tous  les  systèmes  de  publications  de  lois, 
si  l'on  en  excepte  celui  qui  tend  à  les  rendre  obligatoires 
au  même  instant  pour  la  République.  Mais  ce  système  n'est 
pas  celui  de  la  comuiission  ,  et  elle  n'est  pas  d'accord  avec 
elle-même  ,  quand  d'un  côté  elle  se  plaint  de  ce  que  l'ha- 
bitant du  nord  de  la  France  et  celui  de  l'est  ne  seront  pas 
liés  en  même  temps  par  la  même  loi  ;  et  que  de  l'autre , 
elle  préfère  au  nouveau  mode  de  publication  des  lois, 
l'ancien,  auquel  l'inconvénient  en  question  est  attaché. 

Mais  si  les  communications  entre  divers  départemens  de 
la  France,  a-t-on  encore  objecté,  sont  coupées  soit  par 
l'invasion  de  l'ennemi,  soit  par  des  inondations? 

Dans  ce  cas,  je  le  demande  à  ceux  qui  font  l'objection , 
comment  ferait-on  parvenir  le  Bulletin  des  lois?  Pourrait- 
on  même,  dans  toute  autre  hypothèse,  faire  connaître  la  loi? 
11  ne  faut  pas  supposer  des  cas  où  toute  exécution  est 
impraticable,  pour  en  argumenter  contre  une  mesure  qui , 
sous  ce  rapport,  est  dans  la  même  catégorie  que  toutes  les 
autres,  et  exiger  l'impossible. 

Quant  à  la  difficulté  d'exécution  de  ce  mode,  elle  est 
imaginaire. 


102  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

Admettez  que  le  délai  pour  rendre  la  loi  obligatoire  sera 
réglé  par  un  nombre  d'heures  déterminé  sur  la  «juantité 
des  myrianiètres  à  franchir  de  Paris  aux  différens  chefs- 
lieux  des  tribunaux,  et  vous  supposez  nécessairement  que 
la  i)romulgalion  se  fera  à  une  heure  désignée,  et  que  pour 
éviter  tout  incident  sur  les  fractions  de  myriamètres,  les 
distances  relatives  des  lieux  à  parcourir  seront  officielle- 
ment fixées.  Ce  soin  regarde  le  gouvernement. 

Ce  n'est  point,  au  reste,  une  supposition  à  établir;  le 
procès-verbal  des  séances  du  Conseil  d'iitat  \ous  apprend 
qu'on  doit  y  pourvoir  par  un  règlement. 

Ces  détails  de  pure  exécution  devaient-ils  en  effet  entrer 
dans  la  composition  d'une  loi? 

Qu'après  tout,  ce  nouveau  mode  ait  trouvé  des  contra- 
dicteurs malgré  son  utilité,  il  ne  faut  pas  s'en  étonner! 

De  vingt-sept  tribunaux  consultés  sur  le  projet  de  Code 
civil,  dix  seulement  ont  approuvé  tacitement  l'opinion  des 
commissaires  relativement  à  la  publication  des  lois  ;  car  ils 
ne  Tout  point  combattue. 

Dix-sept  ontïitta(|ué  le  principe,  ou  l'ont  trouvé  funeste 
dans  ses  conséquences.  Les  motifs  de  leur  opinion  sont 
connus;  il  serait  inutile  de  les  reproduire. 

On  se  rappellera  seulement  qu'ils  diffèrent  presque  tous 
les  uns  des  autres. 

Parmi  les  opposans,  plusieurs  eussent  été  de  l'avis  des 
rédacteurs  du  Code;  mais  la  peine  attachée  au  défaut  de 
publication  de  la  loi  dans  un  délai  donné  les  effraya  ,  et 
la  mesure  fut  jugée  inconvenante. 

Quels  (|u'aient  été  les  motifs  de  ces  craintes,  le  projet 
actuel  les  écarte. 

Si,  malgré  les  réflexions  dont  il  vient  d'être  le  sujet, 
on  ne  le  trouvait  pas  admissible,  parce  qu'il  pourrait  pré- 
senter quelques  inconvéniens,  qu'on  veuille  bien  faire  at- 
tention qu'il  n'est  pas  do  loi  qui,  considérée  sous  (|uel(]ues 
rapports  |)articulier8  ,  soit  ^  l'abri  de  la  censure. 


DS    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  Io3 

Mais,  puisqu'on  met  au  mode  de  publication  des  lois  une 
importance  qui  ne  me  paraît  pas  devoir  y  être  attachée , 
qu'il  me  soit  permis  de  comparer  le  projet  qu'il  s'agit  d'a- 
dopler  avec  ce  qui  se  praliijue  dans  un  état  voisin  du 
nôtre  ,  où  la  formation  des  lois  n'est  pas  sans  analogie  avec 
celles  de  la  République  ! 

Du  moment  où  le  prince  a  donné  sa  sanction  à  un  bill  du 
parlement,  il  acquiert  la  force  de  statut  ou  d'acte  de  ce 
parlement;  on  le  dépose  aux  archives  de  l'Etat,  et,  à  la 
différence  des  édits  des  empereurs  romains,  dont  l'effet 
était  subordonné  à  la  publication,  les  statuts  ou  les  actes 
du  parlement  anglais  ne  sont  sujets  à  aucune  promulga- 
tion réelle. 

On  n'en  a  pas  cru  la  formalité  nécessaire,  dit  le  célèbre 
publiciste  qui  en  rend  compte,  parce  que  la  loi  présume 
que  tout  individu  a  pris  part  à  la  discussion  du  parlement , 
et  en  a  voté  les  actes  par  l'organe  de  ses  représentans. 

Cet  usage  s'observe  depuis  environ  trois  siècles  (a). 

Peut-il,  d'après  cette  analyse,  rester  quelque  doute  sur 
l'utilité  de  la  mesure  qui  vous  est  proposée  ?  Et  si  la  ques- 
tion présente  un  problème  assez  difficile  à  résoudre,  comme 
l'ont  observé  les  juges  de  Rennes,  et  le  ferait  penser  la  di- 
versité des  opinions  qu'elle  a  produites ,  le  mode  qui  offre 
un  résultat  plus  simple,  moins  dispendieux  et  plus  certain 
que  les  précédens,  ne  l'a-t-il  pas  résolue? 

L'article  2  du  projet,  qui  veut  que  la  loi  ne  soit  obliga- 
toire qu'à  dater  de  sa  promulgation  ,  et  qui  rejette  toute 
idée  de  rétroactivité  dans  ses  dispositions  ou  dans  leur  ap- 
plication ,  n'a  pas  besoin  d'être  justifié. 

La  loi,  porte  l'article  3,  oblige  ceux  qui  habitent  le  ter- 
ritoire. 

(a)  When  a  bill  Las  receivcd  tlic  royal  assenl ,  it  is  then  a  stalule  or  act  of  parliamcnt. 

TbU  slatute  or  act  is  placed  ainoug  the  records  of  tbe  kingdom  ,  there  needing  no  formai  pro- 
mulgation to  give  It  the  furre  of  a  law,  an  was  n«-pess;iry  by  tlic  civil  law  willi  regard  to  ihe  Enipf- 
'"or'i  ediris,  becauie  «;T«ry  man  in  England  i«  iii  judgment  of  lavr  parly  to  niaking  an  act  of  parlia- 
jneni  ,  being  pr«>t<;iil  Ih^rrat  by  his  repre»cntatiTe». 

BlackstoîK,  liv.  I  ,  r/i.   j  ,  g  6. 


104  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC. 

Les  lois,  a  dit  Montesquieu ,  demandent  (|ue  lout  homme 
soit  soumis  aux  tribunaux  criminels  et  civils  du  pays  où  il 
est,  et  à  Tanimadversion  du  souverain. 
Ouvrez  le  Code,  et  vous  y  lisez  : 

O/nnes  Icgibus regantur ,  ctianisi ad divinani  donium pertineant. 

Cette  disposition  est  donc  évidemment  un  principe  de 

droit  politique  consacre  par  la  raison  et  les  plus  célèbres 

publicistes  (a) ,  qui  n'admet  d'exception  qu'à  l'égard  des 

envoyés  des  puissances  étrangères. 

Eh  bien  1  imaginerait-on  qu'un  principe  aussi  incontes- 
table a  été  attaqué  :•  On  l'a  considéré  comme  une  loi  abso- 
lue; et  sous  le  prétexte  qu'il  n'est  ici  question  que  de  ceux 
(|ui  habitent  le  territoire,  sans  faire  mention  de  leurs  biens, 
ou  de  ceux  qui.  fixés  sur  le  territoire,  en  sont  momenta- 
nément absens,  on  a  trouvé  l'assertion  inexacte.  Peut-être 
n'y  a-t-il  d'inexact  que  l'objection  ,  qui  force  mal  à  propos 
le  sens  des  choses. 

Suivant  l'article  4  »  l^i  forme  des  actes  est  réglée  par  les 
lois  du  pays  dans  lequel  ils  sont  faits  ou  passés  (b). 

On  a  dit  que  cet  article  avait  pour  but  de  rassurer  le 
commerce,  en  lui  (garantissant  la  validité  des  actes  dans 
lesquels  on  avait  suivi  les  formes  reçues  dans  les  divers  pays 
où  ces  actes  pouvaient  avoir  été  faits  et  passés. 

Peut-être  cette  déclaration  devrait  suffire;  mais  je  prie 
ceux  (jui  pourraient  désirer  un  plus  grand  développement , 
de  se  rap|)clcr  (fue,  suivant  notre  ancienne  jurisprudence  , 
la  forme  des  contrats  se  régliit  par  les  lois  et  les  usages  des 
lieux  où  ils  étaient  passés. 

(^e  principe  8'appli(|uait  surtout  aux  affaires  de  com- 
merce, pour  la  décision  desquelles  les  juges  avaient  sou- 
vent recours  aux  parères  (»u  aux  actes  de  notoriété  cpU 
constataient  ces  usages. 

Il   s'applicpiait   en    particulier   aux  lettres  de  change , 

'•,  i,<^,.;,  li|,.  I  Vaili-I.  l"m.  I    i'«g.   lio.  — Moim-wjuiru  ,  lil>.  aC  ,  rli      i 


» 
DE     LA     PUBLICATIO    DKS    LOIS.  1  o5 

à  leurs  diverses  échéances,  et  ù  la  ibrme  des  protêts,  qui 
variait  à  Tin  fini. 

Aussi  l'ordonnance  de  1667,  qui  peut  bien  faire  autorité 
dans  cette  matière,  où  d'ailleurs  il  était  impossible  d'as- 
signer des  règles  uniformes,  prescrivant  quelques  disposi- 
tions relatives  à  la  forme  des  conventions  entre  particu- 
liers ,  déclara-t-elle  ne  rien  innover  en  ce  qui  concernait 
les  affaires  de  commerce.  / 

Que  d'ailleurs  on  veuille  bien  réfléchir  aux  rapports  qui 
existent  entre  le  droit  des  gens  et  le  droit  civil  propre  à 
chaque  peuple  ,  on  sentira  que  les  relations  plus  ou  moins 
fortes  entre  êtes  états  qui  se  sont  unis  par  des  traités  d'al- 
liance ou  de  commerce,  entraînent  nécessairement  des  re- 
lations d'intérêt  entre  les  administrés. 

N'est-il  pas  naturel  alors  de  suivre,  pour  la  forme  de 
leurs  conventions  ,  les  usages  du  pays  où  on  les  fait ,  puis- 
qu'on ne  peut  se  dissimuler  qu'elles  sont  partout  assujéties, 
par  les  lois  ou  les  usages,  à  des  règles  qui  varient  suivant 
les  lieux  et  les  gouvernemens  ? 

£nfin,  si  l'on  ne  perd  pas  de  vue  qu'une  disposition  de 
loi  ne  peut  être  séparée  de  son  objet,  et  qu'ici  la  législa- 
tion tend  à  favoriser  le  commerce,  l'article  que  j'analyse 
ne  peut  être  apprécié  d'après  des  rapports  purement  ci- 
vils ,  et  doit  être  adopté. 

L'article  5  est  conçu  dans  les  mêmes  vues. 

Lorsque  la  loi,  y  est-il  dit,  aura  réputé  frauduleux  cer- 
tains actes  ,  à  raison  des  circonstances  où  ils  auront  été  ré- 
digés ,  on  ne  sera  point  admis  à  prouver  qu'ils  ont  été  faits 
sans  fraude  (a). 

On  sait  qu'en  cas  de  faillite,  l'ordonnance  de  1675  dé- 
clare nulle  toute  aliénation  de  meubles  ou  d'immeubles 
faite  en  fraude  des  créanciers. 


(a;  Pacla  contenta  iju<c  ue(|ue  dolo  inalu ,  iieque  advcrsùs  Icgcs,  plébiscita,  seiiatus  consuila  , 
"diela  priacipum,  nequc  quo  fraus  rui  eorum  liât,  facla  fraiit ,  MrvaLo.  { Digeilorum  l\b-  s, 
♦il.  i4-— Id.  Ctdicit  Ub,  1,  ti».  i4  :  De  eo  quod  rjt  contra  Ifgern  tel  tn  fraudfm  Irgii.) 


lo6  DISCLSSIOISS  ,    MOTIFS,    ClC. 

Un  édit  de  1609  portait  à  peu  près  les  mêmes  disposi- 
tions. 

Des  déclarations  subséquentes  les  ont  confirmées  ,  et  les 
tribunaux  de  commerce  ont  constamment  prononcé  d'a- 
près ce  principe. 

Ce  serait  donc  innover  que  de  s'en  écarter. 

Il  y  a  plus  :  c'est  que  si  l'on  pouvait ,  sous  un  prétexte 
quelconque,  avoir  la  faculté  d'établir  que  tel  acte,  con- 
traire à  la  loi  par  ses  dispositions  littérales  ,  n'y  est  pas  con- 
traire néanmoins  par  l'esprit  qui  l'a  dicté,  ce  singulier 
genre  de  preuve  paralyserait  par  le  fait  même  la  volonté 
du  législateur.  * 

La  loi  renfermerait  en  elle-même  le  principe  de  sa  des- 
truction. 

L'article  dont  il  s'agit  a  voulu  prévenir  cet  abus,  en 
même  temps  qu'il  a  voulu  mettre  fin  à  la  miauvaise  foi  de 
quelques  commerçans  ;  ses  dispositions,  au  reste,  sont 
presque  entièrement  calquées  sur  celles  de  notre  ancien 
droit  et  du  droit  romain.  (  Loi  5  du  Code.  ) 

L'expérience  de  plusieurs  siècles  en  a  démontré  l'utilité. 

L'article  (i  donne  la  faculté  de  prendre  à  partie  le  juge 
qui  refusera  de  juger,  sous  prétexte  du  silence,  de  l'obs- 
curité ou  de  l'insuffisance  de  la  loi. 

Cet  article  paraît ,  au  premier  coup-d'œil  ,  laisser  au 
juge  la  faculté  de  prononcer  à  son  gré  sur  les  intérêts  des 
justiciables  ;  mais  lui  peu  de  réilexion  fera  sentir  que  de 
deux  inconvéniens  graves,  celui  de  laisser  le  cours  de  la 
justice  sus()endu ,  ou  d'abandonner  quelque  chose  à  la 
conscience  du  juge,  il  valait  mieux  souffrir  le  dernier  que 
l'autre. 

On  n'ignore  pas  que  les  plus  habiles  législateurs  n'ont 
posé  que  des  principes  généraux  sur  les  matières  qui  se  re- 
produisent le  plus  souvent  dans  le  cours  de  la  vie,  et  que 
la  plupart  des  cas  prévus  par  la  loi  ne  sont  [las  ceux  que 
|>réscntent  ;\  (lcci<ler  les  contestations  portées  «levant  les 


DE    LA    BUBLICATION    DES    LOIS.  I07 

tribunaux.  Ils  en  ditrèrent  par  des  nuances  plus  ou  moins 
fortes  :  autrement,  et  si  la  loi  pouvait  clairement  s'appli- 
quer à  tous  les  motifs  de  débats  entre  les  membres  de  la 
même  société,  il  n'y  aurait  pas  de  procès. 

Le  devoir  du  juge  alors  est  de  discerner  le  vrai  sens  de  la 
loi,  de  consulter  Fobjet  pour  lequel  on  Ta  faite,  l'époque 
où  elle  fut  rendue,  les  circonstances  qui  l'ont  fait  rendre, 
enfin  l'ensemble  de  ses  dispositions,  et  de  les  appliquer 
avec  intégrité. 

S'il  pense  y  trouver  de  l'obscurité,  s'il  croit  y  remar- 
quer des  lacunes,  il  doit  se  déterminer  d'après  la  raison 
naturelle  (a). 

C'est,  disent  les  publicistes  et  les  jurisconsultes,  une 
sorte  de  loi  tacite. 

Préférerait-on  à  cette  mesure  celle  de  renvoyer  au  pou- 
voir législatif  l'interprétation  des  lois,  d'en  faire  ainsi  un 
tribunal  de  référé,  et  de  dénaturer  ses  attributions? 

Sans  se  reporter  aux  abus  effrayans  dont  furent  cause 
les  rescripts  des  derniers  empereurs  romains,  nos  assem- 
blées représentatives  n'ont-elles  pas  donné  quelques-uns 
de  ces  exemples  fâcheux  ? 

N'avons-nous  pas  vu  un  petit  nombre  d'armateurs  puîs- 
sans  agiter,  il  y  a  quelques  années,  le  Corps  législatif, 
pour  donner  à  la  loi  du  2g  nivôse  an  VI ,  sur  la  course  ma- 
ritime ,  une  exécution  forcée  ,  et  vouloir  le  contraindre  à 
décider  un  procès  important  entre  eux  et  les  neutres,  parce 
que  le  tribunal  de  cassation  n'avait  pas  cru  pouvoir  pren- 
dre sur  lui  de  le  juger? 

Il  ne  faut  pas  supposer  gratuitement  des  juges  prévari- 
cateurs. 

S'ils  se  trompent,  ils  seront  réformés. 

(a)  Neque  legf» ,  neque  senalusconsulla ,  ita  scribi   possuiit ,  ut  oinnes   casus    qui   quaiidôquc 

incîderent  comprehendantur  ;  sed  «ufficil ,  et  ea  qua;  pierumquc  accidunt  contineri  ; et  cum 

in  aliquà  causa  sentenlia  «"orum  manifesta  est ,  is    qui   jurisdiclioiii  prêcest  ,  ad  similia  procederc  ; 
alqu»-  ita  jus  dicerc  debrl.  (  Lil).  I,  dip.  (il.  3.  de  lef:. } 


!o8  DISCUSSIONS,     MOTIFS^    elC 

S'ils  jn^eut  contre  les  dispositions  de  la  loi ,  leur  décision 
sera  annulée. 

Il  serait  difiQcile  d'ajouter  à  ces  garanties. 
C'est  ainsi  qu'on  en  use  en  Angleterre  :  tous  les  tribu- 
naux sans  exception  sont  obligés  de  régler  leurs  décisions 
sur  le  droit  positif,  ou  sur  la  chose  jugée,  quand  ils  sont  ap- 
plicables à  la  contestation  à  décider.  Hors  cette  hypothèse, 
les  juges  ne  se  déterminent  que  d'après  leur  conscience  et 
l'équité. 

Mais  ce  qui  prouve  jusqu'à  quel  point  ce  principe  uni- 
versel est  puisé  dans  la  nature  des  choses ,  c'est  qu'il  est 
avoué  par  les  plus  grands  publicistes. 

Cicéron  et  Blackstone,  Grotius  et  Putrendorf  lui  ont 
rendu  succcssiveiuent  hommage  (a). 

Quelques  opinions  particulières  en  opposition  à  ces  prin- 
cipes ,  ne  sont-elles  pas  bien  contre-balancées  par  les  auto- 
rités que  je  viens  d'invoquer  ? 

Parmi  ces  opinions,  il  en  est  une  sans  contredit  bien 
respectable  :  c'est  celle  de  l'assemblée  constituante,  qui 
craignit  l'arbitraire  des  juges,  et  leur  enjoignit  de  s'adres- 
ser au  Corps  législatif,  toutes  les  fois  qu'ils  croiraient  né- 
cessaire, soit  d'interpréter  une  loi ,  soit  d'en  faire  une  nou- 
velle. 

Mais  il  faut  prendre  garde  à  la  situation  dans  latiucllc  se 
trouvait  placée  cette  asseinblée.  Klle  pouvait  craindre  de 
voir  paralyser  ses  intentions  par  des  magistrats  dont  rien 
ue  lui  garantissait  l'attachement  au  nouvel  ordre  de  choses 
qui  s*élcvait. 

Au  fait,  qu'en  résuUa-t-il.^  C'est  que  l'assemblée  elle- 
même,  cmporlée  par  la  multitude  des  travaux  qui  l'occu- 
paient ,  abandonna  rinlerprétation  des  lois  à  son  comité  de 
constitution  ,  dont  les  décisions  se  multiplièrent  bientôt 

(■)  i^ithtin ,  4»  ttgitui,  lir.  .  ,  nijiktioix- ,  Jnlroducticn  itt  loiê,  }  *  •  !>*'  '>  ^^-  >7  ■  Cîrorini. 
^'  «f  w(<a((  .   rlc;  ruffrndnrf,  Pf  la  hi  *n  général,  lir.  I  ,  ilmp.  6. 


Uli  LA  PUBLICATION  DKS  LOIS.  1  09 

crune  manière  lellement  abusive,  qu'il  fallut  y  mettre  un 
terme. 

Depuis,  n'a-t-on  pas  vu  les  tribunaux  accabler  de  réfé- 
rés le  tribunal  de  cassation  et  les  assemblées  législatives , 
pour  les  difficultés  les  plus  légères  dan$  la  décision  des 
procès,  et  paralyser  ainsi  le  cours  de  la  justice? 

Enfin  ,  la  considération  politique  qui  dicta  le  décret  en 
question  n'existe  plus  ;  on  ne  peut  donc  opposer  la  mesure 
qui  fut  prise  alort  à  la  disposition  de  loi  (|u'il  s'agit  d'adop- 
ter aujourd'hui. 

L'article  7  ,  qui  défend  aux  jugesde  prononcer ,  sur  les 
causes  qui  leur  sont  soumises  ,  par  voie  de  disposition  gé- 
nérale et  réglementaire  ,  est  nne  conséquence  de  la  nature 
d6  notre  gouvernement  et  du  pouvoir  judiciaire. 

La  formation  de  la  loi  appartient  exclusivement  à  la 
]>nissance  législative. 

Les  juges  chargés  de  l'appliquer  aux  contestations  des 
particuliers,  dont  la  connaissance  leur  est  attribuée,  ex- 
céderaient les  limites  de  leurs  fonctions,  si,  prononçant 
sur  les  différens  des  citoyens  entre  eux,  leur  décision  ten- 
dait ,  sous  quelque  rapport  que  ce  fût,  à  obliger  d'autres 
justiciables  que  ceux  sur  l'intérêt  desquels  ils  prononcent. 

Le  pouvoir  des  juges  ne  serait  plus  re  qu'il  doit  être  , 
une  émanation  du  pouvoir  exécutif,  mais  une  superféta- 
tion  du  pouvoir  législatif.  j. 

Les  tribunaux  réuniraient  alors  le  double  droit  de  faire 
des  lois  et  de  les  appliquer;  monstruosité  qu'on  n'a  vu  exis- 
ter que  dans  un  très-petit  nombre  de  gouvernemens  des- 
potiques ,  et  que  l'article  en  question  veut  prévenir. 
'^*^*Ce  serait  en  outre,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  observé,  un  cais 
de  forfaiture  prévu  par  l'article  644  ^u  Code  des  délits  et 
des  peines. 

EnHn  ,  l'article  8  veut  qu'on  ne  puisse,  par  des  conven- 
tions particulières,  déroger  aux  lors  qui  intéressent  Tordre 
public  et  les  bonnes  mœurs. 


110  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

On  n'a  point  oublié  la  distinction  qui  existe,  dans  tout 
gouvernement  policé  ,  entre  les  diverses  espèces  de  lois  qui 
constituent  sa  législation. 

Les  unes,  dont  l'objet  intéresse  la  police  d'un  état  en  gé- 
néral plus  que  les  particuliers  entre  eux,  appartiennent 
au  droit  public. 

Les  autres  sont  du  ressort  du  droit  privé. 

Rien  n'enipêcbe  sans  doute  qu'on  ne  déroge  à  certaines 
dispositions  de  lois  du  dernier  ordre  ,  parce  que  les  lois 
purement  civiles  n'étant  établies  que  pour  l'utilité  des  par- 
ticuliers ,  il  est  permis  aux  contractuns  de  ne  pas  s'y  con- 
former, toutes  les  fois  qu'elles  ne  sont  pas  absolument  im- 
pératives. 

Ainsi,  sous  le  premier  point  de  vue,  la  législation  qui 
permettait  à  l'un  tles  conjoints  par  mariage  de  renoncer  à  la 
communauté  de  biens  dans  les  localités  de  la  France  où 
elle  était  établie,  (\in  ne  s'opposait  pas  à  ce  qu'on  assimilât 
aux  meubles  une  partie  des  propres,  pour  la  faire  entrer 
dans  cette  communauté ,  et  qui  tolérait  d'autres  stipula- 
tions du  même  genre,  pourra  le  tolérer  encore. 

liais  tout  état  biqn  ordonné  ne  souffrira  pas  qu'on  agisse 
en  contradiction  avop  aucune  des  Ipis  du  premier  ordre. 

Ainsi ,  sous  ce  second  point  de  vue ,  la  législation  n'attri- 
buera pas  d'eifets  civils  au  mariage  que  des  motifs  religieux 
feraient  cékbrcr  exclusivement  devant  un  ministre  du 
culte  calboli<|uc  ;  elle  ne  permettra  pas  qu'on  rapj»elle  dans 
un  acte  des  (|ualillcatious  abolies,  qu'on  y  stipule  des  cho- 
ses conlxaires  à  la  nature  du  gouvernement. 

C'est  dans  ce  sens  que  plusieurs  dispositions  des  lois 
romaines  réputaient  nulle  toute  convention  contraire  aux 

lois. 

C'est  encore  dans  ce  sens  ijue  toutes  le»  législations  se 
sont  accordées  pour  proscrire  les  conventions  contraires 
aux  bonnes  mœurs  (a). 

t)  parla  r|iir  I  rKiira  l''K«'*  y\  <  cntia  ))oii<>i  more*  6uut  i  nuUwn  vim  bohrrc  ,  iiidubiuti  {urii  •*)• 


DK    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  1  |  | 

I.os  lois,  cssenliellemciil  conservatrices  des  mœurs,  ne 
peuvent  consacrer  l'imnioralilé. 

Chacun  des  articles  du  projet  de  loi  que  je  viens  d'ana- 
lyser est  donc  fondé  sur  le  droit  romain,  ou  sur  notre 
ancien  droit ,  ou  sur  le  sentiment  des  premiers  publicistes  , 
ou  enfin  sur  la  nature  de  notre  gouvernement. 

Noire  état  politique ,  nos  usages  et  nos  mœurs  ne  per- 
mettaient guère  d'adopter  un  autre  système. 

On  eût  voulu  que  ce  système  fût  plus  rapproché  de  la 
méthode  des  lois  anciennes  ! 

On  a  surtout  paru  surpris  devoir  placées  dans  un  projet 
de  loi  civile  quelques  dispositions  relatives  au  commerce. 

L'ordonnance  de  16G7,  qu'on  a  invoquée,  ne  contient- 
elle  pas  un  exemple  semblable ,  puisqu'elle  a  tracé  quel- 
ques règles  relatives  à  l'instruction  des  procès  entre  négo- 
cians,  quoique  sa  destination  particulière  ait  eu  pour 
principal  objet  d'organiser  la  marche  des  contestations 
civiles  ? 

Devait-on  donc  s'astreindre ,  dans  la  rédaction  du  nou- 
veau Code,  à  des  formes  trop  serviles  ?  et  fallait-il  sacrifier 
à  une  vaine  méthode  des  vues  politiques  dont  il  est  si  facile 
d'apprécier  l'utilité? 

Consultez,  d'ailleurs,  et  notre  ancien  droit  et  le  droit 
de  la  plupart  des  gouvernemens  européens;  il  sera  facile 
de  se  convaincre  que,  s'ils  sont  en  grande  partie  composés 
du  droit  romain ,  on  ne  s'est  pas ,  dans  leur  formation  , 
rigoureusement  astreint  aux  divisions  marquées  dans  les 
Institutes,  le  Digeste  et  le  Code. 

On  y  verra  que  ,  raisonnant  d'après  la  nature  des  choses, 
les  législateurs  n'ont  pu  se  renfermer  strictement  dans  les 
principes  du  droit  civil  proprement  dit,  quand  ils  ont 
établi  le  Code  civil  du  pays  dont  ils  formaient  la  législa- 
tion ;  mais  qu'aux  dispositions  de  lois  exclusivement  pro- 

l'Dig.  lib.  i  ,  lit.  14  ,  cod.  IF.  i ,  t.  3,  I.  de  pactii ,  etc.  — Polhier ,  Traitii  det  vbligaliont,  tom.  I , 
c^'P-  I .  S  >t  «rt»  3-  ) 


112  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    OtC 

près  aux  kabitans  de  ces  pays,  dans  leurs  relations  respec- 
tives, ils  ont  été  forcés  d'ajouter  d'autres  dispositions  que 
nécessitaient  leurs  rapports  avec  les  étrangers ,  sans  re- 
chercher si  cette  portion  de  leurs  lois  appartenait  au  droit 
naturel  ou  au  droit  des  gens,  ou  plutôt  persuadés  que 
l'application  des  principes  abstraits  devait  être  constam- 
ment subordonnée  à  la  situation  politique  et  aux  besoins  de 
riiitat. 

Au  reste,  si  l'on  pouvait  considérer  comme  une  inno- 
vation la  disposition  du  projet  qui  a  trait  aux  affaires  de 
commerce,  l'innovation  ne  serait-elle  pas  trop  ulile  ,  pour 
que  le  Tribunat  pût  y  refuser  son  assentiment? 

Le  projet  de  Code  civil,  publié  il  y  a  quelques  mois,  a 
été  généralement  approuvé  dans  son  ensemble  ;  cependant 
alTaqué  dans  beaucoup  de  parties,  s'il  eût  fallu  déférer  aux 
modifications  multi[)liées  qu'on  a  proposé  d'y  faire,  le  tra- 
vail primitil  serait  méconnaissable. 

Cette  réflexion  ne  serait-elle  pas  applicable  au  projet  que 
nous  discutons  ? 

Ce  projet  m'a  paru  sage  et  concis  dans  ses  dispositions. 

J'en  vote  l'adoption. 

opinion   m    tribun   thif.ssk, 
coutre  i>k  fbojst. 

Tribuns,  le  peuple  français,  en  déléguant  le  pouvoir 
législatif  dans  les  deux  constitutions  de  1791  et  de  l'an  III, 
avait  consacré  une  formule,  à  laquelle  seule  il  devait 
reconnaître  que  la  loi  émanait  de  l'autorité  qu'il  avait 
établie. 

Cette  formule  se  divisait  en  deux  parties.  Dans  la  pre- 
mière était  l'intitulé  de  la  loi,  qui  constatait  qu'elle  avait 
été  formée  par  le  concours  des  corps  politiques  institués 
pour  la  décréter. 

La  seconde   consacrait,   dans  des  termes  invaria^es^ 


^  DE    LA    PUBLICATION     DES    LOIS.  1  1 Ô 

Tordre  que  donnait  le  pouvoir  exécutif  de  la  faire  publier 
et  exécuter  dans  tout  le  territoire  de  l.i  France. 

Ces  deux  parties  constituaient  ce  que  nous  appelons  la 
formule  de  la  /vornulgation  des  lois. 

L'intervalle  qui  sépare  le  18  brumaire  du  4  nivôse  an  VIII 
ayant  été  marqué  par  un  gouvernement  provisoire,  il  fallut 
modifier  la  formule  consacrée  par  la  constitution  de 
Tan  III,  et  promulguer  au  nom  des  Co/isuh  ce  qui  l'avait 
été  avant  au  nom  du  Directoire. 

Là  se  bornait  toute  modification,  parce  que  la  source 
du  pouvoir  émanant  toujours  du  peuple,  on  continua 
d'intituler  les  lois  :  Aif  nom  de  la  République  française . 

Il  y  a  bien  cependant  une  addition  qu'on  trouve  ,  non 
pas  à  la  fin  de  toutes,  mais  de  quelques-unes  des  lois  pu- 
bliées à  cette  époque  ;  c'est  à  la  suite  de  la  promulgation 
des  Consuls  ;  A  a  nom  de  la  République  française  ;  une  autre 
promulgation  du  ministre  de  la  justice  :  Au  nom  des  Consuls 
de  la  République  (a);  mais  cette  addition,  dont  on  a  fait 
usage  quatre  fois  seulement,  prouve  par  cela  même  qu'elle 
n'est  due  qu'à  la  précipitation ,  aux  embarras ,  à  l'incer- 
titude qui  marquent  toujours  le  passage  d'une  forme  de 
gouvernement  à  une  autre. 

Par  la  constitution  de  Tan  VIII,  qui  délègue  le  pouvoir 
législatif  au  gouvernement,  au  Tribunat  et  au  Corps  légis- 
latif, la  formule  de  la  promulgation  des  lois  n'a  pas  été 
consacrée  pour  la  suppléer. 

Le  Tribunat  a  arrêté  une  formule  qui  constate  qu'il  a 
concouru  à  la  formation  de  la  loi,  qu'il  y  a  concouru  de 
la  manière  dont  l'a  voulu  la  constitution  (b). 

Le  Corps  législatif,  de  son  côté,  a  également  consacré 
une  formule  qui  constate  qu'il  a  décrété  la  loi,  qu'il  l'a 
décrétée  aussi  dans  les  formes  constitutionnelles  (c). 

.     (a)  Voyei  le*  bulletins,  n°  3s4  ,  3î7,  333  ,  334. 

(b)  Voyes  Tarlicle  4a  du  règlement  du  Tribunal ,  du  27  niTOte  an  VH!. 

(c]  Voyez  les  articles  35  et  3fi  du  Corps  législatif,  du  37  nirose  an  VIII 

vii  *  8 


1)4  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

Enfin,  le  gouvernement  a  pris  aussi  un  arrêté  sous  ce 
titre  :  Formule  pour  la  promulgation  des  lois ,  dans  laquelle  il 
mentionne  en  substance  le  concours  du  Tribunal  et  du 
Corps  législatif  (a). 

Ces  trois  sections  du  pouvoir  législatif  avaient  le  droit  de 
rédiger  des  formules  qui  constataient  qu'ils  avaient  con- 
couru à  la  formation  de  la  loi.  iMais  mieux  eût  valu,  sans 
doute,  qu'au  lieu  de  rédiger  chacun  la  sienne,  les  trois 
élémcns  du  pouvoir  législatif  réunis  en  eussent  décrété 
une  qui  leur  eût  été  commune.  Par  ce  concours  se  serait 
formée  une  loi  qui  aurait  déterminé  ce  qui  était  de  l'es- 
sence et  des  formes  de  la  promul-alion  des  lois. 

Nous  disons  que  cela  eût  mieux  valu,  parce  qu'en  prin- 
cipe les  trois  arrêtés  isolés  ne  liant  pas  réciproquement  les 
trois  corps  élémentaires  du  pouvoir  législatif,  chacun  pou- 
vait réciproquement  les  méconnaître  :  et  c'est  ce  qui  est 
arrivé. 

La  formule  adoptée  par  le  Tribunal ,  insérée  dans  chaque 
procès- verbal,  qui  constatait  l'émission  de  son  vœu,  n'a 
point  été  incorporée  dans  celui  par  lequel  le  Corps  législatif 
déci était  la  loi,  et  la  formule  du  Corps  législatif,  incor- 
porée dans  chaque  loi  qu'il  décrétait,  était  retranchée  du 
corps  de  la  loi  par  le  gouvernement,  qui  pourtant  l'avait 
laissé  subsister  dans  les  cinij  premières  ({u'il  a  promul- 
guées (b). 

11  résulte  de  cette  cxposilion  ,  que  la  formule  arrêtée  par 
le  gouvernement  est  la  seule  qui  maintenant  soit  incorporée 
dans  les  lois,  ù  partir  de  la  loi  du  8  pluviôse  an  VIII,  dans 
le  troiHième  bulletin  (c) ,  sous  le  n"  kj. 

11  est  vrai  ({uc,  pour  su[)pléer,  en  quelque  sorte,  dans  la 
loi,  l'omission  de  la  formule  adoptée  parle  Tribunal,  le  Corps 
législatif  rappelle  dan»  la  sienne  que  la  discussion  a  eu  lieu 

{m\  Voycs  le  bullciiii  A4  ,  n*  •'«oO. 

|b;  Vuyrz  \rt  cinq  pri  miércs  loi*  dnu*  \i%   bullr(iii«   >   h   /       l.i  drniiirc  cil  à  la  dnli'   du  jC  lii- 
»<»r  an  VUI. 

c)  Voye»  U  biillciiri  6.  n*  19. 


l 


DE     LA    l'UBLlCAïIOK    DES    LOIS.  Il5 

conformément  à  la  conslitutioii ,  et  i\\\e  le  gouvernement, 
en  retranchant  l'une  et  l'autre,  fait  aussi  mention  que  le 
projet  a  été  communi(|ué  au  Tribunal,  et  que  le  Corps 
législatif  l'a  décrété. 

Mais  pourtant  il  faut  reconnaître  qu'il  y  a  dans  cet  ordre 
de  choses  une  espèce  d'irrégularité.  En  effet,  la  loi  étant 
formée  définitivement  par  le  décret  du  Corps  législatif, 
qui  intitule  loi  ce  qui  d'abord  n'était  intitulé  que  projet, 
il  semble  que  cette  loi  devrait  être  imprimée  et  promul- 
guée telle  qu'elle  sort  des  mains  du  Corps  législatif;  il 
semble  que,  dans  un  acte  de  ce  caractère,  nulle  omission, 
nulle  modification,  soit  dans  l'essence,  soit  dans  les  for- 
mes, soit  dans  les  termes  consacrés  par  la  formule,  ne 
peuvent  avoir  lieu  sans  quelque  inconvénient;  n'y  eût-il 
que  celui  qui  résulte  de  la  certification  conforme  du  mi- 
nistre de  la  justice,  qui  pèche  ainsi  contre  l'exactitude. 

Ce  qui  précède  servira  peut-être  à  faire  sentir  ce  que 
doit  être  une  loi  sur  la  promulgation ,  sur  l'envoi ,  sur  la 
publication  des  lois. 

Il  n'est  pas  besoin  de  rappeler  que  chaque  loi  doit  faire 
mention  ,  en  titre  du  pouvoir  qui  l'a  décrétée ,  de  l'autorité 
au  nom  de  laquelle  elle  est  proclamée,  et  enfin  du  nom 
du  magistrat  qui,  la  proclamant,  donne  l'ordre  de  la  pu- 
blier et  de  la  faire  exécuter. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  principes  de  nos  constitutions 
modernes  qui  le  veulent  ainsi;  elles  ont  cela  de  commun 
avec  ce  qui  s'observait  en  France,  avant  elles,  et  avec  ce 
qui  s'observe  dans  tous  les  états  de  l'Europe. 

Mais  la  formule  qui  contient  ces  trois  choses,  de  qui 
doit-elle  émanerPLesdeiix  précédentesconstitutions  avaient 
décidé  que  ce  serait  du  peuple  lui-même  ;  parce  que ,  délé- 
guant à  des  corps  politiques  le  droit  de  faire  la  loi ,  il  pa- 
raissait avant  tout  nécessaire  do  leur  tracer  les  signes  aux- 
quels il  consentait  de  la  reconnaître. 

8. 


Il6  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

La  constitution  de  Fan  VIII  n'a  pas  pris  celle  précaution  ; 
mais  par  cela  seul  qu'elle  établit  trois  élémens  à  concouiir 
à  la  formation  de  la  loi ,  elle  appelle  ces  trois  élémens  à  la 
rédaction  d'une  formule  qui  doit  leur  être  commune. 

Les  termes  de  cette  formule  doivent  être  rédigés  de  telle 
sorte,  qu'on  y  voie  toujours  que  toutes  les  branches  du 
pouvoir  législatif  ont  concouru  à  l'émission  de  chaque  loi, 
qu'elles  y  ont  concouru  dans  1rs  formes  déterminées  par 
la  constitution. 

Elle  ^oit  être  invariable  ,  cette  formule,  parce  que  ,  tant 
que  le  pouvoir  législatif  n'est  modifié  ,  ni  dans  son  essence, 
ni  dans  ses  formes,  la  formule  qui  constate  sa  présence  ne 
peut  jamais  cesser  d'être  la  même. 

Elle  doit  être  exclusive,  parce  que,  dans  l'ordre  politi- 
que, nul  acte,  ne  pouvant  être  comparé  à  la  loi,  ne  peut  par 
conséfjucnt  être  promulgué  avec  les  formes  législatives  qui 
appartiennent  seulement  à  celle-ci. 

Si  ce  n'était  pas  la  loi ,  mais  le  gouvernement  qui  rédi- 
geât seul  cette  formule,  le  plus  grave  inconvénient  qui  en 
résulterait ,  ce  serait  d'admettre  une  branche  du  pouvoir 
à  certifier  seule  la  présence  des  deux  autres.  C'est  comme 
participant  à  la  légi.^^îalion  que  nous  envisageons  ici  le  gou- 
vernement. 

Si  nous  l'envisagions  comme  pouvoir  exécutif,  il  le  pour- 
rait moins  encore,  puisque  la  constitution  lui  donnant, 
sous  ce  rapport,  le  pouvoir  de  faire  des  réglemens  pour 
l'exécution  des  lois  ,  il  faut  (|ue  les  lois  précèdent  ces  régle- 
mens ;  il  faut  donc  avant  tout  faire  une  loi  sur  la  promul- 
gation des  lois. 

Je  parle  ici  dans  les  principes  du  gouvernement  lui- 
même,  et  à  cet  égard  on  peut  lire  une  délibération  du 
Conseil  d'Etat  du  f)  pluviôse  an  VII!. 

Il  s'agissait  de  savoir  si  la  loi  serait  loi,  du  jour  où  elle 
Itérait  décrétée  par  le  Corps  législatif,  ou  si  au  contraire 
elle   ne  prendrait  date  (jur  du  jour  de  «a  promulgation. 


T>E    LA    PliBLICATIOiN    DliS     LOIS.  11* 

La  section  lic  législation  ,  consultée  sur  cette  question, 
disait  (a)  : 

<(  La  promulgation  est  nécessaire,  sans  doute,  mais  seu- 
«  lement  pour  faire  connaître  la  loi,  pour  la  faire  exécuter  : 
«  c'est  la  première  condition ,  le  premier  moyen  de  son 
«  exécution  ;  et  voilà  pourquoi  elle  appartient  au  pouvoir 
«  exécutif.  Le  gouvernement  a  une  part  à  la  législation, 
«  mais  seulement  par  la  proposition  de  la  loi  ;  et  quand  il 
«  la  promulgue,  ce  n'est  plus  comme  partie  intégrante  du 
«  pouvoir  législatif,  mais  seulement  comme  pouvoir  dis- 
«  tinct  et  séparé,  comme  pouvoir  exécutif;  et  il  faut  bien 
«  se  garder  de  confondre  cette  promulgation  avec  la  sanc- 
«  tion  que  le  roi  constitutionnel  avait  en  1791,  ou  avec 
o  Tacceptation  que  le  Conseil  des  Anciens  avait  par  la 
■  constitution  de  Tan  IIL  Cette  sanction  et  cette  accepta- 
«  tion  étaient  parties  nécessaires  de  la  formation  de  la  loi, 
K  et  ne  ressemblaient  exi  rien  à  la  promulgation.  Aussi  la 
«  loi  datait-elle,  eu  1791.  du  jour  de  la  sanction,  et,  sous 
«  la  constitution  de  Tan  III,  du  jour  de  l'acceptation  par 
(i  les  Anciens,  et  non  du  jour  de  sa  promulgation,  soit  par 
<«  le  roi  constitutionnel,  soit  par  le  Directoire  exécutif. 

«  Ainsi,  sous  la  conslitulion  actuelle,  elle  doit  dater  du 
«  jour  de  son  émission  par  le  Corps  législatif,  dernière  con- 
«  dition  essentielle  à  sa  formation.  » 

Ces  motifs,  approuvés  par  le  Coiiseil  d'État,  furent 
adoptés  ensuite  par  le  Premier  Consul. 

Ce  n'est  donc  pas  comme  participant  à  la  législation, 
mais  comme  pouvoir  exécutif,  que  le  Premier  Consul  pro- 
mulgue les  lois  :  or,  rien  de  ce  qui  fait  partie  intégrante  des 
lois  ne  peut  y  être  incorporé  sans  le  consentement  des  trois 
branches  du  pouvoir  législatif.  S'il  en  était  autrement,  il 
s'ensuivrait  qu'il  faudrait  retrancher  de  suite  du  Code  des 
délits  les  peines  prononcées  contre  les  uânistres  qui  revê- 

m 

(j)  Tojii^e  bvllttÎQ  6     n**  3;— £  pluvioM. 


1  l8  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

tiraient  des  formes  de  promulgation  législative  des  actes 
non  décrétés;  parce  que ,  si  la  formule  de  promulgation  de 
la  loi  cessait  d'être  une  loi ,  sa  violation  ou  son  emploi  dans 
d'autres  actes  cesserait  d'être  un  délit. 

Je  n'ai  plus  qu'une  observation  à  faire  sur  ce  point.  Si  le 
gouvernement  réglait  par  des  arrêtés  la  formule  de  la  pro- 
mulgation ,  comme  il  l'aurait  réglée  sans  le  concours  du 
pouvoir  législatif,  il  pourrait  sans  son  concours  aussi  la 
changer  ou  la  modifier;  or,  les  lois  seraient  aujourd'hui 
publiées  sous  telle  forme,  et  demain  sous  telle  autre.  Les 
motifs  de  ces  changemens  seraient  même  inconnus  au 
peuple  français  :  car  le  gouvernement  n'est  pas  assujéti  à 
publier  les  arrêtés  qu'il  prend.  Et  pour  citera  cet  égard  un 
exemple  qui  ne  soit  pas  étranger  à  la  matière,  on  peut  vé- 
rifier que  l'arrêté  du  29  nivôse  an  VIII ,  qui  consacre  la 
formule  de  la  promulgation  des  lois,  n'a  été  rendu  public 
qu'au  mois  de  vendémaire  an  IX  (a)  :  en  sorte  que  le  public  a 
ignoré  ,  pendant  neuf  mois,  non  seulement  la  cause,  mais 
l'acte  qui  changeait  la  forme  de  la  promulgation  des  lois; 
car,  je  le  répèle,  les  cinq  premières  lois  de  la  session  de 
l'an  VIII  ont  été  publiées  toutes  entières  :  ce  n'est  que 
dans  les  autres  qu'on  a  omis  la  partie  intégrante  de  la  loi 
(ju'y  insérait  et  qu'y  insère  encore  le  Corps  législatif. 

Je  conclus  de  tout  ceci  que  le  projet  (|ui  nous  est  pré- 
senté ne  consacrant  aucune  fornuile  de  ])romulgation  ,  il 
doit  par  cela  seul  être  rejeté. 

Cette  omission  n'est  pas  la  seule  ;  on  n'y  voit  pas  davan- 
tage que  les  lois  seront  adressées  aux  administrations,^ 
(ju'elles  le  seront  aux  tribunaux  :  en  sorte  que  nous  igno- 
rons si  on  les  y  enverra  en  cU'el,  si  l'envoi  aura  un  carac- 
tère olïiciel.  11  est  dilïicile  de  se  faire  à  l'idée  d'ordonner  à 
un  juge  de  prononcer  conformément  à  la  loi,  sans  con- 
Iraclcravec  lui  l'obligation  ,  avant  tout,  do  la  lui  remettre. 

■>!   V<.y  /  II-  IhIIIcIiii   /,',  ,  Il       ■■■ 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  II9 

On  craint,  dit -on,  les  anciens  abus  de  l'cnregistremenl , 
nés  de  la  nécessité  d'adresser  autrefois  les  édils  dans  les 
cours  ;  mais  on  ne  considère  ni  les  temps  ni  les  personnes. 
Qu'y  a-t-il  de  commun  entre  les  moyens  de  résistance  de 
nos  tribunaux  et  ceux  de  ces  grandes  corporations  judi- 
ciaires qui,  réunissant  à  de  vastes  propriétés  les  préroga- 
tives féodales ,  ajoutaient  encore  au  droit  de  vie  et  de  mort 
qu'ils  avaient  sur  les  sujets  du  monanjue  ,  la  prétention  de 
partager  la  puissance  législative.  La  résistance  de  ceux-ci 
ébranlait  l'état  jusque  dans  ses  fondemens  ;  ceux-là,  au 
contraire,  ont  besoin  de  tout  l'appui  du  gouvernement. 
C'est  de  leur  consistance  ,  de  leur  dignité  ,  qu'il  faut  s'oc- 
cuper ;  et  je  ne  sache  pas  qu'en  leur  ôtant  jusqu'au  moyen 
de  lire  publiquement  la  loi  à  leurs  audiences  ,  on  aug- 
mente par  là  le  sentiment  de  la  considération  profonde 
dont  ils  devraient  jouir  pour  prix  de  leurs  pénibles  et  ho- 
norables travaux. 

Ces  deux  omissions  du  projet,  le  défaut  de  formule  de 
promulgation,  le  défaut  d'envoi  des  lois  dans  les  tribu- 
naux, sont,  à  mon  sens,  les  principales,  quant  aux  dis- 
positions de  détail ,  qui  seraient  la  suite  nécessaire  de  ces 
deux  principales  dispositions  ,  et  qui ,  par  conséquent ,  sont 
omises  aussi.  On  peut  consulter  la  loi  du  3  novembre  1790, 
qui  contient  les  trois  parties  de  la  promulgation,  de  l'en- 
voi et  de  la  publication  des  lois  ;  elle  est  un  modèle  en  ce 
fc  genre,  sauf  le  principe  pourtant  qu'on  y  avait  adopté  de 
faire  publier  les  lois  jusque  dans  les  municipalités.  Si,  sur 
ce  point ,  la  loi  offre  un  excès,  le  projet  nous  offre  l'excès 
contraire.  La  première  voulait  que  les  lois  fussent  publiées 
partout  ;  celui-ci  dispense  de  les  publier  nulle  part.  Je  pen- 
cherais, au  milieu  de  ces  deux  excès,  pour  la  disposition 
de  la  loi  du  12  vendémiaire  an  IV  ,  qui  déclare  exécutoires 
les  lois  du  jour  où  elles  sont  publiées  dans  chaque  chef-lieu 
de  département.  Ce  tempérament  me  semble  fondé  sur  la 
nature  de  noire  législation  et  sur  le  caractère  officiel  qu'on 


J20  DISCUSSiONîi,     MOTIFS,    ClC- 

doit  donner  à  l'exécution  de  la  loi.  Par  la  uature  de  noire 
législation ,  la  proposition  publique  de  la  loi ,  sa  discussion 
préliminaire,  son  émission  solennelle,  l'emploi  de  l'im- 
primerio  pour  la  faire  circuler  d'une  manière  uniforme  à 
la  vérité,  mais  réelle,  sur  tons  les  points  de  la  France, 
doirent  rassurer  sur  la  crainte  qu'elle  soit  ii^noréc.  Avec  de 
pareils  moyens,  ce  ne  serait  pas  la  connaissance,  mais 
l'ignorance  de  la  loi,  qui  serait  une  fiction. 

11  faut  convenir  ce]>endant  que  ,  quelque  étendue  ,  quel- 
que réelle  que  fût  la  connaissance  de  la  loi  par  ces  moyens 
de  publicité  f>réliminaires,  cela  ne  sujDûrait  pas  :  avant  d'en 
faire  l'obligation  de  tous,  avant  d'ordonner  aux  juges  d'en 
faire  la  règle  de  leurs  jugeniens,  il  faut  lui  imprimer  les 
caiaclères  de  fixité  ,  de  solennité  qui  lui  conviennent.  Si  la 
loi  n'était  pas  adressée  aux  tribunaux  d'une  manière  offi- 
cielle, caractéristique,  et  digne  d'eux;  si,  à  leur  tour,  ils 
ne  la  publiaient  pas  pour  qu'elle  devînt ,  à  une  époque 
fixe,  la  règle  de  l'obéissance  des  citoyens,  les  uns  et  les  au- 
tres ne  trouveraient  plus  la  source  du  pouvoir  auquel  ils 
obéissent  que  dans  l'authenticité  des  gazettes. 

.le  n'ai  plus  qu'une  observation  à  faire  sur  le  premier  ar- 
ticle (lu  projet. 

Par  la  tonslitulion ,  les  lois  sont  publiées  le  dixième  jour 
après  leur  émission.  La  promulgation  se  fera  selon  ce  prin- 
cipe. Mais  comme  la  promulgation  est  un  fait,  comme  le 
projet  la  confond  avec  la  publication  ,  et  que  désormais  ce 
ne  serait  plus  qu'une  .seule  et  même  chose ,  il  s'ensuit  que 
ce  fait  sera  constaté  pour  chaque  loi  par  un  acte  qui  fera 
mention  de  l'heure  de  cette  publication  unique  :  cela  est 
nécessaire  ,  puis(|uc  les  ell'ets  de  la  publication  se  feront 
ressentir,  non  pas  jour  par  jour,  mais  heure  par  heure. 
Or,  comme  à  toute  heures  il  s'ouvr<;des  successions;  comme 
les  lois  sur  les  déchéances,  sur  les  prohibitions,  auront 
leur  terme,  non  pas  à  l'expiration  d'une  journée,  mais  à 
la  fin  d'une  heure  marquée,   il  s'ensuit  (pic,  pour  distiu- 


m 
ê 


DJi    LA     PUBLICATION    ULS    LOIS.  121 

giicr  ce  qui  est  lé«»;itiine  d'avec  ce  qui  ne  l'est  plus,  il  fau- 
dra ,  de  tous  les  poiuls  de  la  France,  se  procurer  le  procès- 
verbal  de  publication  de  chaque  loi  pour  en  connaître  la 
d-àte  ;  car  on  ne  voit  pas  que  ce  procès-verbal  doive  être  ni 
imprimé,  ni  envoyé  aux  tribunaux,  ni  publié  en  manière 
quelconque,  pour  devenir,  non  pas  simplement  l'instruc- 
tion ,  mais  la  règle  de  tous. 

On  a  dit  que  le  délai  d'exécution  ne  commencerait  à 
courir  qu'à  l'expiration  de  la  dernière  heure  du  dixième 
jour.  Ce  n'est  là  qu'une  conjecture  et  non  pas  une  dispo- 
sition du  projet  :  en  le  supposant ,  la  promulgation  ne  se- 
rait plus  un  lait;  elle  serait  supposée  par  un  principe,  à 
moins  qu'on  ne  s'asservît  à  promulguer  chaque  loi  à  mi- 
uuil.  Autant  vaudrait  qu'on  déclarât  qu'il  n'y  aura  pas  de 
promulgation  ,  et  qu'en  ajoutant  une  fiction  de  plus,  on 
la  réputàt  faite  à  la  fin  de  la  dernière  heure  du  dixième 
jour. 

llestent  les  sept   maximes  générales   qui  terminent  le     ai 6 
projet. 

Les  examiner  toutes,  et  fixer  seulement  les  conséquen- 
ces les  plus  immédiates  qu'on  peut  en  tirer,  serait,  à  mon 
sens,  un  travail  assez  long  pour  fournir  plusieurs  volumes. 
Il  n'y  a  guère  qu'une  opinion  sur  le  danger  de  légaliser  les 
maximes  générales,  et  nous  devons  rendre  grâces  au  i;ou- 
vernement  de  ce  que,  dès  la  première  séance  du  Conseil 
d'État ,  il  les  a  reléguées  dans  le  domaine  de  l'enseignement. 

En  effet,  si  la  science  du  droit  elle-même,  en  nous  tra- 
çant des  règles  générales,  les  a  toutes  modifiées  par  celle- 
ci,  qu'il  n'y  a  pas  de  règle  sans  exception,  comment  oser 
débuter  par  des  règles  générales  dont  les  exceptions  ne  sont 
pas  encore  [)osées?  Ce  n'est  que  quand  la  loi  est  complète 
qu'on  peut  savoir  ce  qu'est  la  règle,  ce  que  sont  les  excep- 
tions; avant  cela  ,  vous  donnez  au  juge,  contre  votre  in- 
tention, le  droit  de  confondre  l'une  et  l'autre.  Mais,  alors 
même  que  la  règle  et  l'exception  seraient  chacune  mises  à 


122  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

leur  place,  les  maximes  générales  en  seraient-elles  plus  uti- 
les ou  moins  dangereuses  P  Je  ne  le  crois  pas,  parce  que 
l'expression  de  la  généralité  ne  renfermant  pas  les  exep- 
tions ,  elle  semble  les  exclure  ,  et  alors  elle  devient  fausse  ; 
elle  est  inutile,  parce  que,  quand  le  principe  et  l'excep- 
tion sont  posés  dans  la  loi,  la  loi  apprend ,  d'une  manière 
exacte  et  détaillée,  ce  que  la  maxime  ensuite  ne  pourrait 
plus  vous  redire  que  confusément  et  par  surabondance. 

Qu'il  me  soit  permis  de  jeter  un  coup-d'œil  sur  la  maxime 
en  apparence  la  plus  évidente  ,  la  moins  susceptible  de 
controverse.  C'est  celle-ci  *. 

La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir  ;  elle  n'a  point  d'effet  ré- 
troactif. 

Certainement  les  lois  rétroactives  ont  des  effets  rava- 
geans  ;  et  jamais,  je  Tespère ,  je  ne  donnerai  mon  assenti- 
ment à  de  pareilles  lois. 

Mais,  par  cela  seul  qu'on  dit  que  la  loi  ne  dispose  que 
pour  l'avenir ,  n'est-il  pas  évident  que  c'est  là  un  principe 
du  législateur  qui  l'a  faite  ,  et  non  pas  un  principe  du  juge 
qui  l'exécute  ? 

Je  m'explique  :  je  suppose  que,  dans  un  pays  quelcon- 
que ,  dans  celui-là  même  où  il  y  aura  une  loi  qui  dira  :  la 
loi  n'a  point  d'effet  rétroactif;  je  suppose  que,  postérieu- 
rement à  cette  loi ,  le  léj^islatcur  rende  une  loi  qui  rétroa- 
gissc ,  pcnscrtz-vous  que  le  juge  sera  le  maître  de  ne  pas 
exécuter  cette  dernière  loi?  Penserez- vous  qu'il  pourra 
dire  :  11  y  a  une  loi  antérieure  qui  défend  la  rétroactivité; 
donc ,  je  méconnaîtrai  toute  lui  qui  sera  contraire  à  ce  pre- 
mier principe? 

D'autres  appelleront  peut-être  cette  résistance  salutaire, 
et  diront  que  ce  sera  un  frein  pour  le  législateur,  cjui  , 
étant  sûr  de  la  désobéissance,  ne  violera  jamais  le  principe 
de  la  non -rétroactivité.  11  serait  trop  long  de  développer 
les  consé(|u<'nccs  de  relie  doclrine  ;  il  suffit  de  l'exposer 
pour  y  l.tirc  rértéchir. 


DE    LA.    PUHLICATION     UliS    LOIS.  120 

Mais  n'avez-vous  pas  vu,  mes  collègues,  que,  dans  le 
inénic  travail  où  l'on  pose  le  dogme  de  la  non-rétroacti- 
vité que  je  respecte ,  on  projette  déjà  de  îe  modifier.  Il  y 
a  des  cas,  dil-on,  où  la  rétroactivité  serait  juste,  humaine 
et  nécessaire.  Par  exemple,  dans  le  cas  où  un  homme  est 
condamné  par  contumace  ,  exécuté  par  effigie  ;  dans  le  cas 
où  la  mort  civile  est  la  suite  de  son  exécution,  où  ses  hiens 
passent,  à  titre  de  succession,  soit  au  fisc,  soit  à  ses  héri- 
tiers :  dans  ce  cas,  on  propose,  comme  vous  l'avez  vu,  de 
rétroagir.  Si  le  condamné,  reparaissant,  est  acquitté,  sa 
vie  civile  ne  recommencera  pas  alors  du  jour  de  son  abso- 
lution ;  mais  elle  sera  réputée  n'avoir  jamais  été  interrom- 
pue ;  la  succession,  ouverte  d'abord,  sera  révoquée,  et  ses 
héritiers  ou  le  fisc  seront  obligés  de  lui  restituer  ce  qu'ils 
avaient  possédé  à  titre  de  déshérence  ou  d'hérédité. 

Le  principe  de  la  non-rétroactivité  a  donc  aussi  ses  excep- 
tions. Ces  exceptions-là  ,  il  appartient  au  législateur  de  les 
déterminer;  c'est  donc  à  lui  à  s'en  faire  un  principe,  et 
non  pas  au  juge,  qui  doit  toujours  exécuter  la  loi,  soit 
qu'elle  se  conforme  à  ce  principe,  soit  qu'elle  le  détruise 
ou  le  modifie. 

Ici,  mes  collègues,  vous  me  permettrez  de  vous  faire 
part  d'un  doute  qui  me  tourmente  depuis  que  j'ai  entendu 
hier  à  celte  tribune  une  phrase  fertile,  selon  moi,  en  con- 
séquences sur  lesquelles  il  est  bon  de  ne  pas  s'étourdir. 

Un  orateur,  et  c'est  parce  que  j'ai  beaucoup  de  confiance 
dans  ses  lumières,  dans  son  expérience,  que  je  l'ai  suivi 
avec  la  plus  grande  attention  :  un  orateur,  après  avoir  dit 
qu'il  fallait  se  hâter  de  décréter  les  maximes  générales  con- 
sacrées dans  le  projet  qu'on  nous  présente  ;  après  avoir  dit 
qu'attendre,  pour  les  y  insérer,  l'achèvement  de  tous  les 
Codes,  c'était  retarder  de  plusieurs  années  leurs  salutaires 
effets,  a  ajouté,  en  parlant  de  la  rétroactivité  des  lois, 
qu'il  existait  encore  plusieurs  lois  révolutionnaires  infec- 
tées de  ce  vice,  et  qu'il  lui  tardait  de  voir  les  juges  alfran- 


124  DISCUSSIONS,     MOTJFJJ  ,    elC. 

chis  (lu  ri^uureux  devoir  de  prononcer  conforiiiëiuent  aux 
dispositions  de  ces  lois. 

Cela  veut-il  dire  qu'il  forme  le  vœu  de  voir  bientôt  le 
gouvernement  proposer  le  rapport  de  ces  lois  révolution- 
naires infectées  du  vice  de  la  rétroactivité  ?  Cela  veut-il  dire, 
au  cou  traire,  que  la  maxime  projetée,  une  fois  décrétée  en 
loi  ,  abolit  de  fait,  par  sa  seule  puissance,  toutes  les  lois 
qui  ont  rétroagi  ?  Cela  veut -il  dire  que  les  dispositions  de 
ces  lois  seront  abandonnées  au  discernement  des  juges,  <|ui 
n'y  auront  plus  d'égard  ,  s'ils  y  trouvent  la  rétroactivité 
que  vous  allez  condamner  par  l'adoption  du  principe  gé- 
néral ?  Si  cela  était,  si  on  avait  lieu  de  le  craindre,  non 
seulement  par  ce.  trait  de  lumière  échappé,  mais  encore 
parce  qu'un  jurisconsulte  fameux,  qui  a  apporté  à  la  ré- 
daction du  Code  le  fruit  de  sa  longue  expérience,  a  pro- 
fessé cette  doctrine  dans  les  nombreuses  consultations  qu'il 
a  signées  sur  la  matière ,  oh  !  alors  il  faut  envisager  les  effets 
de  cette  crainte  que  je  ne  peux  plus  me  dissimuler.  Je  ne 
parlerai  pins  de  l'etfet  rétroactif  de  la  loi  du  9  nivôse  an  II , 
en  tant  qu'il  se  reportait  au  i4  juillet  1789,  puisqu'il  a  été 
rapporté  par  la  loi  du  9  fructidor  an  111.  Mais  vous  vous 
rappellerez,  tribuns,  qu'on  a  prétendu  qu'il  y  avait  aussi 
rétroactivité  dans  les  lois  qui,  bornant  l'effet  des  substitu- 
tions à  celles  qui  étaient  ouvrîtes  avant  le  'l'ô  octobre  179'^  , 
abolissaient  celles  qui,  (juoique  faites  avant  cette  époque, 
ne  s'ouvriraient  (pj'a[)rès.  On  i>  prétendu  cju'il  y  avait  ré- 
troactivité dans  l'eflét  des  lois  qui,  consacrant  l'égalité  des 
partages,  privaient  quelques-uns  des  co-partagcans  mariés 
des  droits  légaux  d'aînesse  ou  de  masculinité  ;  qu'il  y  avait 
rétroactivité  là  où  les  actes,  les  coutumes  avaient  assuré 
auxenfanK,  soit  en  naissant,  soit  avant  de  naître,  des  droits 
h  gitimaires  c|ue  le  système  d'égalité  actuelle  leur  refusait. 
Si  la  maxime  générale  (|u'on  vous  propose  d'adopter,  tri- 
buns, avait  l'effet  de  laisser  désormais  à  rcntcndemcnt  des 
i»iges  le  droit  de  décider  ce  point  :  Y  al-il  ou  u  y  a-t-il  pas 


DR    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  \*2^ 

létroaclivité  clans  telles  ou  telles  loisPscrail-il  donc  extraor- 
dinaire (|ue  beaucoup  d'entre  eux  partageassent  à  cet  égard 
la  doctrine  que  soutiennent  beaucoup  de  bons  esprits,  et 
qui  môme  a  été  reproduite  plusieurs  fois,  et  avec  beaucoup 
de  chaleur,  dans  plusieurs  de  nos  assemblées  législatives? 

Il  suivrait  de  cette  concession,  que  désormais  les  substi- 
tutions, créées  depuis  long-temps  pour  le  maintien  de  l'illus- 
tration des  familles,  continueraient  d'être  régies  pendant 
plusieurs  générations  encore  par  le  principe  de  l'ancien 
droit  ;  que  les  droits  de  primogéniture  et  de  masculinité 
qui  s'ouvriraient  pendant  un  demi-siècle,  seraient  ré- 
clamés par  tous  les  contemporains  nés  avant  le  4  avril  1791. 
Que  sail-on  si,  même  pour  les  successions  déjà  ouvertes, 
partagées,  les  juges,  prenant  pour  exemple  la  loi  du  3 
vendémiaire  an  IV,  n'ordonneraient  pas  de  nouveaux  par- 
tages, sur  le  fondement  que  toute  rétroactivité  blesse  le 
principe  que  vous  auriez  légalisé  ? 

O  mes  collègues,  si  nous  décrétions  tout  cela  :  sans  nous 
en  douter  !  peut-être  l'époque  de  la  consécration  du  principe 
de  la  non-rétroactivité,  serait  celle  de  la  plus  épouvantable 
des  rétroactions. 

Ces  observations  me  fournissent  deux  réflexions  :  la  pre- 
mière 5  c'est  que  l'impossibilité  d'embrasser  d'une  seule  vue 
toutes  les  conséquences  qui  dérivent  d'une  maxime  géné- 
rale nous  expose  à  décréter  ce  que  nous  n'apercevons  pas. 

La  seconde,  c'est  qu'à  la  fin  des  révolutions^  surtout,  il 
faut  se  prémunir  contre  ces  maximes  illimitées;  il  faut  se 
garder  de  les  livrer  sans  frein  à  toutes  tes  déductions  de 
l'entendement  humain.  Certes,  s'il  fallait  raisonner  sur 
l'abolition  des  droits  féodaux,  sur  celle  des  titres  person- 
nels, sur  les  effets  de  la  nuit  immortelle  du  4  août  i^Sg; 
il  ne  serait  pas  facile  de  répondre  à  ceux  qui  diraient  : 
J'avais  des  rentes  féodales  :  j'avais  des  litres  dignitaires; 
j'étais  né  noble  et  privilégié  ;  des  duchés  ,  des  marquisats , 
m'étaient  transmis  pour  moi  et  pour  les  miens,  par  des 


126  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    CtC. 

subslitnlioiis  aullienticjues.  Vous  pouviez  abolir  toul  cela 
pour  l'avenir ,  mais  sans  rétroigir;  il  n'était  pas  au  pou- 
voir d'une  loi  révolutionnaire  de  nie  ravir  ni  les  redevances 
déjà  sli|)ulées  en  ma  faveur  sous  l'autorité  des  lois,  ni  mes 
titres  i)ersonnels,  ni  mes  propriétés  espérées. 

Quoique  ce  raisonnement  soit  sans  réplique  ,  il  est  pour- 
tant vrai  qu'on  ne  peut  l'admettre  sans  convenir  qu'il  aurait 
fallu  ,  pour  fonder  l'égalité  et  la  République,  maintenir  les 
vassaux  dans  le  servage ,  la  noblesse  dans  ses  fiefs,  et  s'en 
remettre,  si  cela  causait  quelques  débats,  à  l'impartialité 
des  parlemens,  qu'on  ne  pouvait  pas  non  plus  dépouiller 
du  droit  de  juger  tous  les  dissentimens  civils  et  politiques, 
du  droit  de  vie  et  de  mort,  qu'ils  avaient  aussi  acheté  par 
des  contrats  authentiques  et  sous  la  protection  des  lois. 

Je  vote  contre  l'adoption  du  projet. 

•»  OPINION    DU    TRIBUN   HUCUET, 

FOUR  LE  FROJET. 

Tribuns ,  la  promulgation  ,  ou ,  si  l'on  veut,  les  enregîs- 
tremcns  et  les  publications  des  lois  par  les  diverses  au- 
torités, unt  été  de  tout  temps  un  moyen  employé  ,  iiKjins 
pour  les  laire  connaître  à  clwupic  citoyen,  que  pour  iixer 
d'une  manière  légale  et  autlunliquc  la  date  à  laquelle  elles 
doivent  être  obligatoires,  et  par  consétjuent  la  date  à  la- 
quelle elles  devaient  être  présumées  connues. 

Kn  effet,  vouUfir  (jiu!  la  loi  soit,  de  fait  ,  connue  de  tous 
les  citoyens,  c'est  vouloir  une  chose  inqiossiblc  et  hors  de 
toutes  les  combinaisons  humaines.  On  |>résciilerait  le  sys- 
tème colossal  de  faire  faire  trente  millions  de  bulletins  de 
lois  pour  les  adresser  h  cha(|uc  individu  personnellement, 
qu'encore;  les  2()  trentiènu  s  des  citoyens  ne  connaîtraient 
pas  davantage  les  lois,  soit  parce  (|u'ils  ne  pourraient  ni 
ne  voudraient  les  lire,  soit  |>arce  que  généralement  ils  ne 


DE    L.V    PUnUCATIOIS    DES    LOIS.  I27 

pourraient  les  coniprendrc ,  ou  au  moins  en  saisir  le  véri- 
table sens. 

Les  lois,  ou  plutôt  encore  les  consécjuences  des  lois, 
sont  généralement  connues  des  individus ,  non  par  les  dé- 
lais, les  publications  et  les  enrcgistremens ,  mais  lors- 
qu'elles les  atteignent,  soit  dans  leurs  personnes,  soit  dans 
leurs  intérêts;  c'est  une  vérité  pratique  qu'il  est  impossi- 
ble de  méconnaître. 

Or,  puisqu'il  doit  vous  être  démontré  qu'il  n'est  pas  dans 
votre  puissance  de  faire  connaître  les  lois  à  tous  les  citoyens, 
vous  devez  donc  vous  attacher  et  vous  renfermer  dans  le 
système  de  la  présomption. 

Celui  qui  vous  est  offert  par  l'article  premier  du  projet 
de  loi  qui  vous  est  soumis ,  est  le  seul  qui  doit  vous  con- 
venir, parce  qu'il  améliore  ce  qui  a  existé  jusqu'à  présent, 
et  qu'il  perfectionne,  autant  (|u'il  est  possible  de  perfec- 
tionner une  fiction,  un  système  de  présomption. 

Il  veut  que  la  loi  soit  obligatoire  et  présumée  connue  à 
compter  du  jour  de  la  promulgation  faite  par  le  Premier 
Consul,  en  y  ajoutant,  pour  les  distances,  une  heure  par 
lieue. 

Pour  moi,  j'avoue  que  j'aurais  mieux  aimé  que  la  loi 
fût  obligatoire  à  compter  tout«simplement  du  jour  de  la  pro- 
mulgation c'est-à-dire  dix  jours  après  qu'elle  aurait  été 
rendue  ;  car  enfin  il  n'est  toujours  question  que  d'établir 
une  présomption,  et  en  vérité  ces  délais  ne  lui  donneront 
pas  plus  de  faveur.  La  publicité  sera  toujours  nulle,  ou  du 
moins  elle  n'atteindra  jamais  son  but,  parce  qu'il  est  dans 
la  nature  des  choses  que  cela  soit  ainsi.  Je  suis  loin  cepen- 
dant de  ne  pas  vouloir  de  ces  délais  ;  s'ils  ne  sont  pas  utiles 
à  mes  yeux,  il^s  ne  peuvent  pas  nuire  :  ils  ont  au  moins  l'a- 
vantage d'aider  à  la  fiction  et  au  système  seul  admissible 
de  la  présomption. 

»De  quoi  les  adversaires  du  projet  se  plaignent-ils?  De  ce 
que  les  délais  sont  trop  courts  pour  que  les  lois  soient  con- 


128  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

nues;  de  ce  qu'il  n'y  a  plus  d'enregistrement  et  de  publi- 
cation dans  les  tribunaux  et  dans  les  corps  administratifs. 
Mais  voyons  quelle  utilité  il  y  aurait  à  prolonger  ces  délais , 
.si  beaucoup  plus  longs  ils  seraient  plus  utiles  ,  et  de  quelle 
nécessité  pourraient  être  pour  la  publicité  réelle  de  lois, 
ces enregislremens  et  publications  ([ue  l'on  semble  regretter. 

Sous  la  monarchie  ,  les  lois  se  faisaient  en  secret  dans  le 
Conseil  d'État,  elles  s'enregistraient  également  en  secret 
dans  les  parlemens;  jusqu'alors  les  citoyens  n'en  avaient 
aucune  connaissance,  ils  n'en  avaient  pas  même  d'idée. 
Elles  s'envoyaient  ensuite  dans  les  bailliages  et  justices  in- 
férieures :  dans  plusieurs  l'enregistrement  se  faisait  dans 
la  chambre  du  Conseil,  c'est-à-dire  encore  en  secret;  dans 
d'autres,  au  commencement  d'une  audience  où  il  n'y  avait 
presque  personne.  C'était  une  vaine  formalité. 

Ensuite  quelquefois  dans  les  grandes  villes  où  siégeaient 
les  parlemens  ou  les  intendans ,  on  faisait ,  un  mois  ou  deux 
mois  après  ces  enregistremens,  imprimer  et  afficher  quel- 
ques-unes de  ces  lois,  car  toutes  ne  l'étaient  pas.  Ainsi 
affichées,  elles  étaient  lues  et  comprises  tant  bien  que  mal 
par  les  citoyens.  Voilà  quelle  était  l'ancienne  forme  ;  et  ce- 
pendant ,  à  compter  du  jour  de  ces  enregistremens ,  les  lois 
étaient  présumées  connues  de  tous  les  citoyens;  et  il  faut 
en  convenir,  malgré  le  vice  apparent  de  ces  actes  de  pu- 
blicité, il  n'en  résultait  jamais  aucun  inconvénient,  ou  ils 
étaient  très-rares. 

Les  hommes  de  lois,  ceux  (|ui  par  état  et  par  intérêt 
étaient  obligés  de  les  connaître  ou  de  les  appliquer,  en 
achetaient  des  exemplaires,  les  étudiaient,  et  par  leurs 
conseils,  ou,  en  en  faisant  faire  ra])plication  par  les  tri- 
bunaux, les  faisaient  connaître  aux  citoyens.  Voilà  ce  qui 
se  prali(piait. 

Depuis  la  révolution  les  lois  ont  acquis  un  plus  grand 
caractère  de  publicité,  mais  seidcnient  parce  (|uelles  se 
proposaient,  se  discutaient  et  se  faisaient  dans  les  séances 


Dli    LA    PUHLICATION    DES    LOIS.  1  29 

publiques  des  Corps  législatifs;  caries  actes  d'enregistre- 
ment et  de  publication  dans  les  tribunaux  étaient  aussi 
défectueux  et  aussi  nuls  que  sous  la  monarchie.  La  loi  faite, 
le  pouvoir  exécutif  l'envoyait  aux  tribunaux  pour  la  pu- 
blier et  l'enregistrer,  et  voici  comment  se  faisaient  ces  pu- 
blications. Le  grelïier  donnait  lecture  du  titre  seul  de  la 
K)i ,  c'est-à-dire,  par  exemple,  il  disait  :  loi,  décret  sur 
l'ordre  jadiciaire.  Le  commissaire  du  gouvernement  alors  se 
levait ,  demandait  acte  de  la  présentation  et  de  la  publica- 
tion de  la  loi ,  et  il  requérait  qu'elle  fût  enregistrée  pour 
être  exécutée  selon  sa  forme  et  teneur  ;  et  c'était  de  ce 
jour-là  que  la  loi  était  obligatoire  et  présumée  connue  de 
tous  les  citoyens. 

En  l'an  IV  ,  on  sentit  la  nullité  d'une  pareille  publication  ; 
on  regarda  même  qu'il  était  impossible  d'améliorer  ce  sys- 
tème ;  que,  quelque  [)arti  qu'on  prendrait,  la  publicité,  autre 
que  celle  donnée  dans  le  Corps  législatif,  n'aurait  jamais 
d'effets  réels,  et  qu'il  était  impossible  d'atteindre  ce  but. 
Alors  on  supprima  cet  enregistrement  et  ces  publications 
regardés  comme  ridicules;  et,  par  la  loi  de  vendémiaire 
an  IV,  on  se  contenta  de  décider  que  les  lois  seraient  obli- 
gatoires et  présumées  connues  des  citoyens,  du  jour  que  le 
commissaire  recevrait  le  numéro  du  Bulletin  des  lois  et 
qu'il  en  accuserait  la  réception  au  ministre  de  la  justice. 
Voilà  ce  qui  se  pratique  depuis  Tan  IV. 

Que  fait  aujourd'hui  le  projet  de  loi.^  il  vient  améliorer 
ce  système,  il  vient  le  perfectionner  autant,  comme  je  l'ai 
déjà  dit,  qu'il  est  possible  de  le  faire  ,  lorsque  la  ba.se  n'est 
et  ne  peut  être  qu'une  fiction  et  qu'une  présomption. 

Ce  que  j'y  vois  de  favorable ,  et  qui  est ,  à  mes  yeux,  une 
grande  amélioration  ,  et  j'ose  môme  dire  une  perfection  , 
c'est  que  l'époque  à  lar|uclle  les  lois  seront  ol)ligaloires  ne 
sera  plus  incertaine  ;  sa  fixation  ne  dépendra  [)1ijs  des  hom- 
mes, de  leurs  négligences  ou  de  leurs  volontés  ;  il  n'y  aura 

VI.  9 


lÔO  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    Cl?. 

plus  d'embarras  pour  les  ciloyens  pour  connaître  la  dak* 
des  enregistremens,  la  dale  des  publications. 

Juges,  notaires,  horames  de  lois,  simples  citoyens,  do- 
miciliés à  cent  lieues  de  Paris,  obligés  par  état  de  suivre 
les  progrès  de  la  législation  ,  ou  voulant,  par  besoin  ou  par 
loisir ,  connaître  les  lois .  sauront  qu'une  loi  a  été  présentée 
tel  jour  par  le  Conseil  d'Étal  au  Corps  législatif,  qu'elle  a 
été  renvoyée  auTribunat,  où  elle  a  été  discutée  en  public, 
qu'elle  a  encore  été  de  nouveau  discutée  au  Corps  législatif, 
qu'enfm  elle  a  été  décrétée;  qu'à  compter  de  ce  jour,  elle 
a  sommeillé  pendant  dix  jours ,  conformément  à  l'article  ^7 
de  la  constitution,  et  qu'à  l'époque  de  l'expiration  de  ces 
dix  jours  elle  a  dû  nécessairement  être  promulguée  par  le 
Premier  Consul  :  ce  tjue  veut  également  la  constitution. 
Or,  comme  ces  ciloyens  sont,  comme  je  l'ai  dit.  domici- 
lifs  it  cent  lieues  de  Paris,  ou  à  cinquante  myriamètres, 
ils  calculeront  que  dans  cent  trente-six  heures  après  les  dix 
jours,  elle  sera  réputée  obligatoire  dans  le  lieu  qu'ils  habi- 
tent; rien  ne  peut  déranger  ces  calculs  :  ils  sont  certains  et 
positifs;  dans  dix  ans  d'ici,  comme  aujourd'hui,  chaque 
individu  saura,  avec  la  date  d'une  loi ,  sans  avoir  recours  à 
des  nienlious  infidèles,  à  des  recherches  souvent  inutiles 
et  toujours  embarrassantes,  que  cette  loi  a  été  obligatoire 
dans  tel  déparlement  à  compter  de  tel  jour,  et  même  de 
telle  heure. 

Mais,  dil-on,  ce  projet  de  loi  ne  parle  pas  du  Bulletin 
des  lois;  sera- 1- il  toujours  envoyé  aux  tribunaux?  Oui  sans 
doute  :  ce  projet  de  loi  ne  rapporte  pas  la  loi  qui  établit  le 
Bulletin  ;  il  faut  bien  que  les  lois  soient  envoyées,  et  vous 
le  voyez  ntéme  dans  la  discussion  qui  a  eu  lieu  au  Conseil 
d'Ltat,  et  dont  des  exemplaiies  imprimés  vous  ont  été  dis- 
tribués :  ou  y  parle  de  ce  Bulletin  des  lois  ;  on  y  parle  même 
d'un  règlement  (|ui  sera  fait  à  cet  égard  pour  les  envois  des 
lois,  et  pour  fixer  les  distances. 

Mais,  dit-on.    le   mini>tre  ou    le  gouvernement  peut 


DE    LA    PUBLICATION    DtS    LOIS.  l5l 

mettre  du  retard  dans  l'envoi  de  ces  lois.  Mais  quel  int(irêt 
le  gouvernement  aurail-il  de  le  faire  ?  quel  est  ce  soupçon? 
Prenez  donc  bien  garde  à  la  position  où  nous  sommes  au- 
jourd'hui. Lorsque  c'était  le  Corps  législatif  qui  avait  l'ini- 
tiative de  la  loi  el  sa  confirction,  on  pouvait  craindre  que 
le  gouvernement  d'alors  n'en  retardât  l'exécution  :  mais 
aujourd'hui  c'est  le  gouvernement  qui,  mu  par  ses  besoins, 
propose  la  loi.  Il  est  donc  impossible  de  croire  qu'ensuite 
il  en  empêche  ou  en  retarde  l'exécution;  mais  il  le  vou- 
drait, on  pourrait  le  craindre,  que  c'est  précisément  par 
cette  raison  qu'il  faut  nous  hâter  d'adopter  le  projet  de 
loi,  parce  qu'il  remédie  lui-même   à  cet  inconvénient  : 
car,  d'après  les  dispositions  du  projet,  il  ne  peut  plus  et 
n'est   plus  maître  d'en  retarder  l'exécution,    il  s'est  en- 
chaîné lui-même. 

Eu  elfet,  j'ai  connaissance  qu'une  loi  a  été  adoptée  tel 
jour  par  le  Corps  législatif,  que  dix  jours  après  elle  a  dû 
nécessairement  être  promulguée,  parce  que  le  veut  ainsi 
la  constitution;  et  comme  je  demeure  à  cent  lieues,  les 
cent  trente-six  heures  étant  expirées,  j'ai  le  droit,  dans 
mes  intérêts  personnels,  d'en  demander  l'exécution  dans 
les  tribunaux  ou  devant  les  corps  administratifs,  et  ils  ne 
peuvent  refuser  ma  demande  :  je  suis,  dans  mon  action, 
indépendant  de  la  mauvaise  volonté  ou  de  la  négligence 
des  agens  du  gouvernement. 

Mais,  dit-ou  encore,  il  est  possible  que  des  juges  reçoi- 
vent la  loi  après  l'expiration  des  délais  voulus  pour  la  rendre 
obligatoire,  et  qu'alors,  dans  l'ignorance  de  cette  nou- 
velle loi,  ils  jugent  conformément  aux  anciennes. 

Mais  il  y  a ,  dans  cette  observation,  une  erreur.  C'est 
précisément  les  juges  qui  ont  le  moins  besoin  de  connaître 
à  heure  fixe  les  lois,  c'est  précisément  pour  eux  que  la 
négligence  dans  l'envoi  de  la  loi  a  moins  d'inconvéniens. 
Les  juges  ne  peuvent  juger  les  procès  qui  sont  pcndaus 
devant  eux  que  conformément  aux  lois  qui  existaient  lors 

9- 


1  5îê  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

de  rouverturc  de  raclion.  Les  lois  nouvelles  ne  sont  poin» 
applicables  aux  anciens  procès;  il  y  aurait  alors  un  effet 
rétroactif  :  et  comme  les  actions  sont  formées  au  moins  un 
mois,  deux  mois  et  'luclquefois  six  mois  ou  un  an  avant  qu'ils 
j>uissent  juger,  le  retard  de  quelques  jours  dans  Tenvoi  des 
lois  ne  peut  avoir  à  leur  égard  aucun  inconvénient.  VoilA 
pour  les  juges  civils;  il  en  est  de  même  pour  les  juges  cri- 
minels :  ils  ne  doivent  point  faire,  dans  leurs  jugemens, 
l'application  des  nouvelles  lois,  mais  bien  de  celles  qui 
existaient  à  l'instant  du  délit. 

Mais,  dit-on  encore,  à  l'égard  des  particuliers  qui  font 
des  testamens  et  des  donations,  et  autres  actes,  il  est  bien 
essentiel  pour  eux  qu'ils  aient  le  temps  de  connaître  les 
lois,  pour  s'y  conformer. 

Mais  c'est  encore  parcourir  le  môme  cercle.  Ne  sommes- 
nous  pas  obligés  de  convenir  qu'il  est  impossible  que  la 
loi  soit  connue  de  tous  les  individus?  Or,  dès  que  cela  est 
impossible,  cet  inconvém'enl-là  subsistera  toujours,  et  de 
longs  délais,  des  publications,  des  alliches  multipliées, 
tout  cela  ne  pourra  jamais  y  remédier,  parce  qu'encore 
une  fois  ces  délais,  ces  enregislremens ,  ces  publications, 
et  surtout  ces  afliches,  ne  produisent  rien  et  ne  sont  d'au- 
cune utilité  pour  la  connaissance  des  lois  Un  maçon  était 
condamné  à  une  amende  pour  contravention  aux  réglc- 
niens  de  la  maçonnerie ,  et  à  cinq  cents  exemplaires  du  ju- 
gement ;  il  observa  au  juge  que  le  but  des  cinq  cents  exem- 
plaires était  vraiscmblablcmenl  pour  faire  connaître  le  ju- 
gement à  ses  confrères,  pour  (ju'ils  pussent  en  profiler  et 
éviter  luie  pareille  rondannialiun.  11  dit  au  juge  :  Vos  cinq 
cents  exemplaires  s(uit  inulilcs;  j'ai  bien  cinq  cents  con- 
frères, mais  il  y  en  a  quatre  cents  qui  ne  savent  pas  lire. 
Le  juge  trouva  l'observation  juste,  et  il  ne  le  condanuia 
qu'à  cent  exemplaires.  Il  eu  est  de  même  de  l'afliehe  des 
lois,  les  quatre  cinquièmes  sont  inutiles. 

Au  surplus,  ces  inconvéniens  d'actes  et  de  testamens 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1 33 

faits  en  ignorance  des  lois,  sont  îles  inoonvéniens  parti- 
culiers toujours  très-rares;  car,  jusqu'à  présent,  on  n'eu 
a  point  connu  de  graves  :  mais,  dans  tous  les  cas,  ils  ne 
peuvciil  è'.rc  eu  balance  avec  l'intérêt  général  et  une  me- 
sure fixe  et  commune  ;  et  si  vous  vouliez  vous  arrêter  à 
tous  les  petits  inconvéniens  ,  vous  ne  feriez  jamais  rien  en 
législation;  il  faudrait  renoncer  pour  toujours  au  Code 
civil.  Ne  perdez  pas  de  vue  que  c'est  le  meilleur,  et  non  le 
plus  parfait  des  moyens,  que  vous  devez  chercher  :  le  plus 
parfait  est  impossible  à  trouver;  on  n'a  pas  môme  pu  nous 
en  présenter  un  autre  à  la  place. 

On  a  dit  encore  que  le  projet  de  loi  présentait  de  l'in- 
exactitude sur  le  moment  où  la  loi  pourra  être  connue , 
que  le  premier  terme  n'est  pas  fixé,  qu'on  ne  voit  que  la 
fin,  qui  est  encore  susceptible  de  variation  et  d'instabilité. 
Mais  il  me  semble  qu'ici  on  affecte  de  méconnaître  l'évi- 
dence. 

Le  projet  de  loi,  au  contraire,  est  fait  pour  que  le  terme 
auquel  la  loi  pourra  être  connue  soit  fixe ,  certain  et  stable. 
Ce  n'est  point  par  des  raisonnemens  que  je  dois  répondre 
à  cette  objection ,  c'est  par  un  calcul  simple  et  clair. 
Le  voici. 

La  Iji  est  rendue  le  i5  frimaire,  le  2  5  elle  est  nécessaire- 
ment promulguée  par  le  Premier  Consul,  parce  que  le  veut 
ainsi  la  constitution  ;  l'habitant  du  département  du  Rhône 
saura,  d'une  manière  invariable,  qu'au  moyen  de  ce  que 
Lycn  est  le  chef-lieu ,  et  qu'il  est  distant  de  cent  lieues  de 
Paris,  la  loi  est  obligatoire  dans  son  département  le  pre- 
mier nivôse ,  à  quatre  heures  de  relevée,  c'est-à-dire  quinze 
jours  après  que  la  loi  a  été  rendue  :  voilà  du  positif  qui  n'est 
sujet  à  aucune  variation,  qui  ne  dépend  point  de  la  volonté 
des  hommes  ou  de  leur  négligence. 

Mais,  observe-ton  encore  ,  on  date  bien  les  actes  du  jour 
où  ils  sont  passés,  mais  il  en  est  peu  que  l'on  soit  obligé 
de  dater  de  l'heure  ou  du  moment  :  et  ici  il  le  faudrait,  ce 


l34  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

qui  est  un  assujétissement  ioipraticable,  II  faut  convenir 
que  cette  observation  est  bien  futile.  On  date  tous  les  actes 
du  jour,  j'en  conviens  ;  cependant  on  dit  quelquefois  : 
Avant  ou  après  midi. 

Mais  on  les  date  du  jour;  c'est  dans  ce  jour  que  les  dé- 
lais de  la  nouvelle  loi  sont  expirés,  et  (|u'elle  est  devenue 
obligatoire.  L'acte  daté  de  ce  jour  en  contravention  à  la  loi 
nouvelle,  mais  conforme  à  l'ancienne,  n'en  est  pas  moins 
valable  ,  parce  qu'au  moyen  précisément  de  ce  que  l'heure 
n'y  est  pas,  la  partie  contractante  est  admise  à  dire  qu'elle 
l'a  fait  avant  l'échéance  des  délais  :  car  qui  dit  le  jour,  dit 
les  vingt-quatre  heures  ;  et  pour  peu  qu'on  puisse  pré- 
sumer qu'il  a  pu  être  fait  avant  l'échéance  des  délais,  la 
présomption  est  en  faveur  de  l'acte.  C'est  ce  que  veut  une 
jurisprudence  invariable,  et  c'est  ce  qui  se  juge  tous  les 
jours.  On  aurait  dû  ne  pas  feindre  de  méconnaître  ces 
principes. 

Mais  on  parle  de  ces  inconvéniens  avec  une  telle  con- 
fiance qu'il  semblerait  qu'ils  doivent  se  renouveler  vous 
les  jours,  à  toute  heure  et  à  tout  moment. 

Prenez  donc  garde  que  ces  inconvéniens  seront  très- 
rares,  comme  ils  l'ont  été  jusqu'ici  dans  la  forme  actuelle; 
car ,  dans  celle-ci ,  il  y  a  également  des  heures.  C'est  à  midi 
que  les  lois  sont  enregislréesi  de  manière  qu'un  acte  daté 
après  midi  le  jour  de  l'enregistrement  est  également  nul. 

Pour  ajouter  foi  sincèrement  à  tous  ces  prétendus  incon- 
véniens et  à  leur  multiplicité,  il  faut  croire  d'avance  que 
notre  législation  sera  versatile ,  ((ue  le  Code  civil  fait  au- 
jourd'hui sera  changé  demain.  Il  faut  oublier  surtout  que 
cela  est  impossible  ,  puis(|ue  le  Corps  législatif  n'est  assem- 
blé que  quatre  mois  de  l'année  :  enfin  ,  il  faut  oublier  que 
la  discussion  des  lois  est  [)ublique;  (|uc  la  loi  est  rendue 
p\il)liqiicuient  douze  jours  aiqiaravant  pour  les  citoyens 
domiciliés  dans  le  tribunal  de  Paris ,  et  quinze  jours  pour 
ceux  domiciliés  dans  le  département  du  Khoiic. 


l 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1 35 

On  a  jeté  un  ridicule  sur  ce  que  les  délais  étaient  [)lus 
loni;s  pour  Rouen  que  pour  Auxcrre  qui  est  plus  éloigné  , 
mais  cela  vient  de  ce  qu'il  fallait  nécessairement  prendre 
une  base  de  divison  ,  et  que  les  arrondisseniens  des  tribu- 
naux d'appel  étaient  plus  convenables. 

On  a  dit  encore  que  ces  délais  courraient  malgré  le  dé- 
bordement des  eaux,  la  cessation  des  communications,  un 
incendie ,  l'invasion  d'un  département  par  l'ennemi  ;  mais 
c'est  ici  la  force  majeure  des  cas  fortuits  ,  pour  raison  des- 
quels il  y  a  nécessairement  des  exceptions  commandées 
par  les  circonstances.  Et  parce  que  ces  cas  sont  possibles, 
il  faut  que  dans  une  loi  générale  on  y  ait  égard!  de  sorte 
que ,  si  l'on  peut  présumer  que  le  débordement  des  eaux 
ou  la  guerre  puisse  durer  trois  ou  quatre  mois  dans  une 
partie  de  la  République  ,  il  faudra,  suivant  ce  système,  que 
les  lois  ne  puissent  être  exécutées  dans  toute  la  France  que 
trois  ou  quatre  mois  après  la  promulgation.  Ce  raisonne- 
ment, suivant  moi,  n'est  pas  admissible. 

On  a  parlé  des  colonies,  des  pays  outre-mer;  nciàis  on  a 
donc  oublié  ([ue ,  d'après  la  constitution  même,  il  y  aura 
pour  ces  pays  des  règles  et  un  mode  d'administration  par- 
ticuliers :  on  voit  cela  encore  dans  la  discussion  qu'il  y  a 
eu  au  Conseil  d'État. 

Enfin  ,  on  a  encore  dit  que  les  arrondissemens  des  tribu- 
naux d'appel  pourront  varier;  mais  les  distances,  je  l'es- 
père, ne  varieront  pas. 

Je  crois  avoir  suffisamment  examiné  les  objections  qui 
ont  été  faites  contre  l'article  premier  du  projet  de  loi  qui 
nous  occupe. 

Tribuns ,  n'oubliez  pas  que ,  sur  le  système  de  la  publica- 
tion des  lois,  il  est  impossible  d'en  trouver  un  qui  soit  par- 
fait; que  c'est  le  meilleur  que  vous  avez  à  choisir;  que  les 
moyens  pratiqués  jusqu'à  présent  ont  toujours  été  nuls, 
sans  cependant  présenter  d'inconvéniens  graves;  que  celui 
qui  vous  est  présenté  est  de  fait  une  amélioration  ;  car  il  fixe 


l5G  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

irrévocablement,  arithméliquenient,  l'époque  à  laquelle 
les  lois  doivent  être  présumées  connues,  et  cette  fixation  est 
absolument  indépendante  de  la  volonté  des  honuiies,  ce 
(jui  est  un  avantage  qu'oîi  n'a  pas  encore  eu  jusqu'à  pré- 
sent. 

Je  passe  à  rexamen  des  autres  articles  de  la  loi  proposée. 

L'article  'i  dit  :  La  loi  ne  dispose  que  pourravenir  :  elle 
n'a  point  d'elFet  rétroactif. 

Sur  cet  article  on  a  fait,  il  faut  l'avouer,  une  singulière 
objection.  On  a  prétendu  que  cet  article  ne  devait  pas  faire 
matière  d'une  loi,  parce  que  c'était  plutôt  un  principe  de 
droit  et  de  morale  qu'une  dispoî-ition  législative.  C'est  un 
article,  a-t-on  dit ,  à  renvoyer  au  titre  des  règles  de  droit , 
si  l'on  juge  à  propos  d'en  faire  un. 

Je  vous  avoue  que  je  ne  conçois  pas  comment  on  a  pu  dire 
qu'un  principe  de  droit  et  de  morale  ne  pouvait  être  une 
disposition  législative,  comme  si  toutes  les  lois  civiles  ne 
devaient  pas  être  une  manifestation  d'un  principe  de 
droit  et  de  morale.  On  ne  devrait  donc  pas  dire  le  mort 
saisit  le  vif,  le  plus  proche  héritier  succède,  l'enfant  mi- 
neur ne  peut  contracter,  établir  les  tutelles,  la  puissance 
paternelle;  car  tout  cela  sont  des  principes  de  droit  et  de 
morale.  Quoi  (pi'il  eu  soit,  que  ce  soit  un  principe  de  droit 
ou  de  morale,  un  précepte  ou  une  règle  de  droit,  je  main- 
tiens qu'il  faut  enfin  en  faire  une  disposition  législa- 
tive. On  a  tant  de  fois  heurté  ce  principe,  celte  règle,  qu'il 
est  nécessaire  de  le  convertir  eu  article  de  loi.  On  repro- 
chait {\  un  juge  d'avoir  donné  un  effet  rétroactif  à  une  loi. 
Il  n'y  a  pas  de  loi  positive  qui  me  le  défende,  répondait-il. 
Cette  disposition  est  donc  nécessaire.  Un  de  mes  collègues 
craint  que  cette  maxime ,  convertie  en  disposition  législa- 
tive, ne  devienne  un  prétexte  pour  faire  revivre  les  substi- 
tutions, les  droits  léodaux,  etc.  ;  mais  ces  droits  ont  été 
aboliH  pour  le  passé  comme  pour  l'avenir.  C'est  la  loi  clle- 
niôme  qui  a  eu  cet  effet  rétroactif,  et  le  juge  ne  doit  qu'y 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  IO7 

obéir.  Au  surplus,  en  convertissant  celte  maxime  en  loi ,  ce 
serait  même  donner  à  cette  disposition  un  effet  rétroactif. 

L'article  5  porte  que  la  loi  oblige  ceux  qui  habitent  le     3 
territoire. 

On  a  critiqué  cet  article;  on  a  prétendu  qu'il  n'était  point 
exact,  puisque,  d'après  les  dispositions  mêmes  d'un  autre 
projet  de  loi,  il  y  avait  des  exceptions  :  on  aurait  donc 
voulu  que  l'on  eût  ajouté  à  Tarlicle,  sauf  les  exceptions. 

31ais  comme  on  n'a  pas  dit,  dans  l'article,  que  la  loi 
oblige  sans  exception,  l'observation  est  nulle;  on  ne  veut 
donc  pas  voir  que  c'est  la  règle  générale  que  l'on  a  posée,  et 
qu'ensuite  les  exceptions  pourront  venir  naturellement. 

L'article  4  porte  :  La  forme  des  actes  est  réglée  par  les     ap.  5 
lois  du  pays  dans  lequel  ils  sont  faits  ou  passés. 

Le  rapporteur  de  la  commission  a  reconnu  que  c'était 
une  maxime  de  droit  non  contestée,  mais  que  cet  article 
appartenait  au  projet  de  loi  relatif  aux  étrangers.  Il  ne 
nous  a  pas  dit  pourquoi,  et  je  ne  puis  le  deviner.  Quant  à 
moi ,  je  vois  que  cette  maxime  est  donnée  pour  règle  aux 
juges  français.  Au  surplus,  que  cet  article  soit  ici,  ou  soit 
ailleurs,  je  n'y  mets  pas  d'importance,  pourvu  que  cette 
maxime  vraie,  qui,  quoi  qu'on  dise,  a  été  souvent  con- 
testée, soit  enfin  une  disposition  législative. 

L'article  5  dit  :  Lorsque  la  loi ,  à  raison  des  circonstances,     ap.  5 
aura  réputé  frauduleux  certains  actes,  on  ne  sera  pas  admis 
à  prouver  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude. 

Contre  cet  article ,  les  adversaires  du  projet  de  loi ,  après 
en  avoir  critiqué  la  rédaction,  critique  qui,  à  mon  sens, 
n'est  pas  juste  et  me  paraît  déplacée,  prétendent  qu'il  doit 
être  renvoyé  au  Code  commercial  au  titre  des  faillites ,  ou 
au  Code  judiciaire  au  titre  des  preuves ,  parce  que,  disent- 
ils,  d'après  l'exposé  même  des  motifs,  il  ne  se  rapporte 
qu'au  cas  particulier  d'un  acte  fait  dans  les  dix  jours  qui 
précèdent  une  faillite. 

Je  leur  réponds  que  ce  cas  particulier  n'a  été  cité  dans 


l38  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

les  motifs  que  comme  un  exemple  ,  mais  i|u'il  y  en  a  bien 
d'autres.  J'en  puise  un  dans  le  projet  de  loi  qui  nous  oc- 
cupe :  un  individu  fait  un  contrat  dont  les  dispositions  sont 
contraires  à  une  loi  promulguée,  et  dont  les  délais  sont 
expirés  :  eh  bien  !  ce  citoyen  sera-t-il  admis  à  prouver  qu'il 
était  de  bonne  foi,  qu'il  n'y  a  point  de  fraude,  parce  qu'il 
ignorait  la  loi  ?  Ainsi  cet  article  est  donc  utile  et  doit  rece- 
voir votre  assentiment. 

L'article  6  dit  :  «  Le  juge  qui  refusera  de  juger  sous  pré- 
texte du  silence,  de  l'obscurité  ou  de  l'insuffisance  de  la 
loi,  pourra  être  poursuivi  comme  coupable  de  déni  de 
justice.  » 

L'art.  7  dit  :  «  Il  est  défendu  aux  juges  de  prononcer  sur 
les  causes  (|ui  leur  sont  soumises ,  par  voie  de  dispositions 
générales  et  réglementaires.  » 

Votre  commission  n'apoint  critiqué  ces  deuxarticlesquant 
au  fond;  et,  prenez-y  bien  garde,  elle  n'a  pas  même  criti- 
qué la  rédaction  ;  elle  a  seulement  formé  le  vœu  pour  que 
ces  articles  soient  renvoyés  au  Code  judiciaire  ;  c'est  une 
opinion  qu'elle  a  émise.  Moi,  j'ai  une  opinion  contraire; 
je  pense  qu'ils  doivent  précéder  et  être  en  tête  du  Code 
civil,  ainsi  que  je  le  démontrerai  dans  un  instant.  Au  sur- 
plus, je  crois  qu'au  milieu  de  ces  opinions  diverses  ,  eu  re- 
connaissant l'utilité  de  ces  dispositions,  vous  conviendrez 
que  leur  place  est  au  moins  indifférente,  et  que,  dans  tous 
les  cas ,  ce  n'est  point  un  motif  de  rejet. 

Nos  collègues  Chazal  et  Carat  ont  critiqué  l'art.  6;  ils 
ont  prétenflu  qu'il  donnait  au  juge  un  droit  d'arbitrage 
dans  le  cas  du  silence  de  la  loi,  ce  que  même  on  n'avait 
pas  voulu  accorder  au  Sénat  conservateur  lors  delà  discus- 
uion  de  la  constitution.  Je  soutiens  que,  d'après  toutes  les 
entraves  occasionées  par  tous  ces  référés  au  corps  légis- 
latif, les  conséquences  funestes  et  ruineuses  qui  en  résul- 
taient pour  les  plaideurs  (pii  éprouvaient  des  dénis  de 
justice,  rinq)ossil)ilité  d'ailleurs  où  on  avait  toujours  été 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1 3{^ 

et  OÙ  on  sera  toujours  de  pouvoir,  dans  la  législation  ci- 
vile, prévoir  toutes  les  questions  que  font  naître  les  divers 
procès,  il  était  temps  de  faire  cesser  ce  scandale  et  de 
rendre  aux  juges  le  droit  de  juger,  lors  du  silence  de  la 
loi,  suivant  leur  équité  naturelle.  Ils  ont  joui  de  ce  droit 
jusqu'à  l'époque  de  la  révolution ,  et  encore  ce  n'est  que 
quelques  tribunaux  qui  ont  imaginé  ces  référés  qu'aucune 
loi  n'autorisait,  et  qui  avaient  l'inconvénient  d'arrêter  le 
cours  de  la  justice  et  les  transactions  sociales.  De  même 
qu'en  Angleterre  il  y  a  une  cour  d'équité,  eh  bien,  cet 
article,  en  rendant  à  nos  tribunauxles  droits  qu'ils  avaient, 
les  fera  aussi  dans  ce  cas  tribunaux  d'équité. 

Notre  collègue  Chazal  nous  a  dit  que  cet  arbitrage  avait 
beaucoup  d'inconvéniens,  surtout  pour  les  juges  criminels, 
ii  s'est  trompé,  il  ne  peut  être  question  que  des  juges  ci- 
vils :  car  les  juges  criminels  ne  jugent  point,  ils  ne  font 
que  l'application  de  la  loi. 

On  a  encore  critiqué  le  dernier  article  ,  l'article  8,  qui 
porte  :  «  On  ne  peut  déroger,  par  des  conventions  particu- 
lières, aux  lois  qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes 
mœurs.  » 

Ici  c'est  la  rédaction  seule  que  l'on  a  critiquée  :  on  a 
d'abord  prétendu  que  les  axiomes  latins,  privatorum  pactio 
juri  puhlico  non  derogat^  ei  jus  publicum  privatorum  pactis  mu~ 
tari  non  potes t y  étaient  traduits  par  cet  article  ;  mais  qu'on 
les  avait  changés. 

Qui  a  dit  au  rapporteur  qu'on  avait  voulu  les  traduire 
littéralement  ?  Sans  doute  il  est  évident  que  c'est  le  même 
esprit,  le  même  sens,  mais  on  y  a  donné  une  explication 
et  une  définition  plus  étendues,  par  ces  mots,  l'ordre  public 
et  les  bonnes  mœurs,  que  ne  rend  pas  \q  jus  publicum  des  axio- 
mes cités. 

On  a  dit  que  cet  article  manquait  de  précision  et  de 
clarté  ;  je  dois  ici  en  répéter  les  termes. 

«  On  ne  peut  déroger  par  des  conventions  particulières 


l40  DI.  CUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

«  aux  loi«   qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes 
«  mœurs.  » 

A  mon  avis,  rien  n'est  plus  positif.  Mais,  dit  le  rappor- 
teur de  votre  commission,  ces  expressions  peuvent  paraître 
sufBsamnient  intellijiibles  dans  les  discours  ordinaires.  Or, 
ici  il  me  semble  qu'il  se  condamne  lui-même  :  comme  les 
lois  doivent  se  rapprocber  des  discours  ordinaires  pour  être 
entendues  et  comprises  par  tous  les  citoyens,  la  rédaction 
en  est  donc  bonne, 
com.         Enfin,  il  me  reste  à  répondre  aux  objections  générales 
qui  ont  été  faites  sur  le  projet  entier.  Ou]^a  prétendu  qu'il 
n'était  pas  assez  grand  ,  assez  noble  pour  être  le  frontispice 
,      du  Code  civil;  que  l'article  premier  s'appliquait  à  toutes 
les  lois,  tant  civiles  que  criminelles,  et  que  par  conséquent 
il  ne  pouvait  être  à  la  tête  du  Code  civil,  pour  lequel  il 
n'avait  pas  des  dispositions  exclusives  ;  qu'il  devait  en  être 
a     détacbé  ou  au  moins  être  placé  à  la  fin  ;  que  l'article  i  était 
3     un  précepte;  que  l'article  5  aurait  dû  parler  des  excep- 
ap.  3     lions;  que  l'article  4  devait  être  classé  dans  la  série  des 
ap.  5     contrat!?  et  des  obligations;  que  l'article  5  devait  être  placé 
4-5     dans  le  Code  commercial  ;  que  l'article  6  et  l'article  7  ap- 
6     partenaient  au  Code  judiciaire  ;  enfin  que  l'article  8  n'était 
pas  mieux  placé,  qu'il  devait  être  à  la  fin  du  Code. 

D'abord,  quant  à  moi,  j'avoue  que  je  trouve  sa  rédac- 
tion assez  claire  et  assez  positive  pour  être  entendue  de 
tout  le  monde,  (jue  c'est  même  sa  simplicité  qui  fait  sa 
noblesse;  et  qu'un  début  grand  et  majestueux  nuirait  au 
surplus  de  l'ouvrage. 
1  Ensuite  je  dis  (|u'avant  de  faire  le  Code  civil,  il  est  né- 
cessaire de  savoir  d'avance  comment  s'exécuteront  les  lois, 
d'en  connaître  les  cfTcts  et  rapj)licalion  en  général,  car  il 
faut  connaître  le  but  où  Ton  veut  tendre;  il  faut  au  moins 
d'avance  pressentir  le  résultat  d'un  travail  que  l'on  entre- 
prend; il  faut  au  moins  savoir  et  d'avance  de  (|uelle  ma- 
nière et  dans  (juelle  forme  s'exécuteront  les  lois  (|ue  l'on 


DE    L:V    PUBLICATION    Dl-S    LOIS.  l4l 

va  faire  et  présenter  au  peuple.  Eh  bien  !  l'article  premier 
me  riiidiijue  tout  naturellement.  Mais,  dit-on,  il  n'est 
pas  seulement  applicable  au  Code  civil,  il  l'est  ta  toutes  les 
lois.  Eh  bien  !  pour  cela ,  il  ne  faut  pas  le  metlre  en  tête 
du  Code?  i>Iais  je  ne  vois  pas  pourcjuoi.  Il  est  juste  même 
qu'il  y  soit,  puisque  le  Code  civil  sera  un  recueil  considé- 
rable de  lois,  et  qu'à  ce  litre  il  mérite  cette  préférence. 

Avant  de  faire  le  Code  civil,  il  est  nécessaire  de  savoir  si 
les  dispositions  législatives  qu'il  renfermera  seront  pour  le 
passé  ou  pour  l'avenir;  l'art.  2  apprend  que  c'est  pour 
l'avenir,  parce  que  la  loi  n'a  point  d'effet  rétroactif. 

Avant  de  faire  le  Code  civil  ,-il  est  essentiel  de  savoir  qui 
sera  obligé  de  s'y  soumettre  ;  l'art.  5  me  ra[)prend. 

Inquiet  d'avance  de  savoir  si  le  Code  civil  pourra  pré- 
voir et  embrasser  tous  les  points  législatifs,  et  dans  le  cas 
où  il  ne  le  ferait  pas,  quelle  en  serait  la  conséquence, 
l'art.  6  me  dit  que  les  juges  alors  y  suppléeront,  en  jugeant 
suivant  leur  équité  naturelle  et  de  suite,  et  qu'alors  le 
tribunal  devient  une  cour  d'équité. 

Ainsi  toutes  les  dispositions  du  projet  doivent  être  placées 
en  tête  du  Code  civil,  parce  qu'elles  y  sont  utiles  et  indis- 
pensables. 

Mais  est-ce  bien  à  nous  à  juger  du  classement  des  lois  et 
de  la  distribution  par  matière  d'un  ouvrage|législatir?  avons- 
nous  sur  ce  un  droit  constitutionnel?  J'avoue  que  je  ne  le 
pense  pas.  Je  suppose  que  le  gouvernement  n'ayant  pas  eu 
le  temps  de  nous  présenter  un  troisième  titre  du  Code,  et 
que  par  des  circonstances  alors  connues,  et  attendu  une 
urgence  indispensable  et  nécessaire  à  son  administration, 
il  nous  présentât  le  quatrième  titre,  serions-nous  fondés 
à  rejeter  ce  quatrième  litre  parce  qu'il  ne  serait  pas  pré- 
senté dans  son  ordre?  Je  ne  le  pense  pas  encore.  De  quoi 
sommes-nous  chargés?  de  discuter  des  points  législatifs.  Le 
classement,  l'ordre  des  matières  ne  nous  regardent  point; 
nous  n^avons  ni  l'initiative  ni  la  rédaction.  Je  vous  soumets 


l4$  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

cette  observation.  J'ai  essayé  de  remplir  ma  tâche  autant    . 
que  le  temps  me  l'a  permis,  et  je  me  résume. 
•        Je  trouve  Tarlicle  premier,  qui  présente  le  système  de  la 
promul«;alion  des  lois,  autant  complet  qu'il  était  possible 
aux  hommes  de  le  faire  dans  un  système  qui  ne  présente, 
par  sa  nature,  que  des  probabilités,  que  des  présomptions. 
C'est  le  meilleur  que  l'on  devait  choisir,  et  on  l'a  choisi. 
Il  fixe  irrévocablement  l'heure  à  laquelle  les  lois  doivent 
être  obligatoires  et  présumées  connues  :  cette  fixation  est 
une  sécurité  pour  les  citoyens ,  parce  qu'elle  sera  désormais 
indépendante  de  la  volonté  ou  de  la  négligence  des  hom- 
mes, et  qu'un  citoyen,  dans  son  cabinet,  sans  recherches, 
sans  embarras,  pourra  connaître,  par  un  calcul  simple  et 
à 6     facile,  la  date  qui  rend  obligatoires  les  lois.   Quant  aux 
autres  articlei-,  quelques-uns,   il  est  vrai,  ne  renferment 
que  des  maximes  et  des  préceptes  de  droit  et  de  morale  ; 
mais  je  désire  les  voir  convertir  en  loi,  en  dispositions  lé- 
gislatives, pour  que  désormais  ils  ne  puissent  plus  être 
méconnus.  Je  trouve  que  les  articles  en  sont  bien  ordon- 
nés, bien  classés;  qu'il  était  utile  et  indispensable  de  les 
mettre  en   tète  du  Code    civil;   que  la   rédaction   en   est 
claire,  bonne  et  précise.  Kt  quand  il  serait  vrai  qu'elle  ne 
pourrait  convenir  qu'à  des  discours  ordinaires,  eh  bien, 
j'applaudis  à  ce  style;  j'en  rends  grâce  aux  auteurs,  parce 
qu'elle  sera  plus  à  la  portée  de  tout  le  monde. 

Croyez-vous,  tribuns,  que  les  législateurs  arrivant  de 
leurs  départcmcns,  pressés  d'avoir  un  Code  civil  depuis 
longtemps  promis  et  attendu,  comme  on  vous  l'a  dit, 
chercheront  à  savoir  si  tel  ou  tel  article  de  loi  doit  être 
placé  là  ou  là  ,  si  le  style  en  est  plus  ou  moins  paré  ou  bril- 
lant? Leurs  fonctions  et  les  vôtres  ne  sont  point  dans  le 
style;  comme  eux,  vous  n'êtes  point  chargés  de  rédiger, 
cl  vous  n'avez,  à  cet  égard  ,  aucune  responsabilité.  Ils  s'at- 
tacheront, conmie  vous  devez  le  faire,  à  la  bonté  ujaté- 
ricllc  des  dispositions  ;  et  pourvu  (ju'elles  s'entendent  et 


DE    LA.    PUBLICATION     DES    LOIS.  1^5 

(|irellcs  soient  conformes  à  la  volonté  et  aux  mœurs  natio- 
nales, votre  devoir  et  le  leur  est  rempli. 

Allons  en  avant  sur  le  Code  civil;  ne  nous  arrêtons  pas 
au  premier  pas  ;  ambitionnons  l'honneur  d'y  avoir  parti- 
cipé ,  et  ne  restons  pas  immobiles  dans  une  si  belle  carrière  ; 
parcourons-la  avec  dignité;  écartons  toutes  ces  subtilités 
avec  lesquelles  on  peut  tout  attaquer  et  tout  contredire. 

C'est  avec  la  raison  et  un  sens  droit,  que  l'on  fait  les  lois 
et  qu'on  les  discute  :  l'esprit  souvent  égare. 

Je  vote  pour  le  projet  de  loi. 

OPINION    L»U    TRIBUN    MAILLI  A-CARAT, 
CONTRE  LE  PROJET. 

Tribuns ,  le  gouvernement  a  dit  par  la  voix  de  ses  orateurs 
et  dans  l'exposition  de  ses  motifs,  que  le  projet  de  loi  sou- 
mis en  ce  moment  à  votre  discussion  était  le  premier  de 
ceux  qu'il  a  préparés  et  qu'il  présentera  successivement 
pour  la  composition  d'un  corps  complet  de  lois  civiles. 

A  en  juger  par  ces  paroles  et  par  l'ordre  même  de  sa  pré- 
sentation, ce  projet,  s'il  pouvait  devenir  une  loi,  devrait 
donc  être  considéré  comme  l'introduction  caractéristique  , 
comme  la  loi  préliminaire  de  ce  Code  civil  (jui  est  depuis 
si  long- temps  un  des  premiers  besoins  de  la  nation  fran- 
çaise. 
* 

Cette  observation,  qui  est  bien  simple,  suffit  pour  rendre 
évident  ce  qu'il  y  a  de  contradictoire  entre  le  titre  de  ce 
projet  et  sa  destination,  entre  son  caractère,  qui  e^X général, 
et  la  place  qu'on  veut  lui  donner  dans  une  branche  particu- 
lière de  législation. 

Cette  contradiction,  son  inconvenance,  n'ont  échappé 
à  personne,  et  la  discussion  vous  les  a  déjà  prouvées  :  mais 
elles  peuvent  avoir  des  dangers  dont  on  n'a  pas  été,  je 
crois,  assez  frappé. 

Elle  serait,  sans  doute,  une  erreur  bien  grande  et  bien 


l44  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

fatale,  cette  opinion  (|ui  regarderait  comme  choses  indiffé- 
rentes, Tordre  et  la  succession  où  les  lois  doivent  être 
rangées  pour  devenir  des  Codes  réguli^'rs  et  complets  : 
l'art  de  la  classification  des  lois  fait  partie  de  celui  de  coor- 
donner les  lois  avec  les  rapports  qu'elles  sont  destinées  à 
maintenir;  ou,  pour  mieux  dire,  c'est  le  même  art. 

Approprier  cha({uc  loi  à  la  nature  de  l'objet  sur  lequel 
elle  statue,  ou  ne  pas  confondre  dans  leur  classification  les 
lois  d'une  nature  différente ,  peuvent  être  deux  opérations  ; 
mais  Tune  est  la  conséquence  de  l'autre. 

Faites  passer  dans  l'ordre  des  lois  administratives  une 
loi  du  Code  civil ,  dans  la  classe  des  lois  civiles  une  du  Code 
criminel;  vous  ne  jetez  pas  seulement  la  confusion  dans  les 
idées  qu'il  faut  se  faire  des  lois  pour  avoir  la  certitude,  en 
ne  suivant  qu'elles ,  de  suivre  toujours  la  justice  :  mais  les 
rapports  que  ces  lois  déterminent  deviennent  incertains, 
leur  application  arbitraire;  les  intérêts  que  ces  lois  garan- 
tissent sont  alarmés,  froissés,  troublés  par  cette  contu- 
sion ;  l'inquiétude  des  individus  devient  de  proche  eu 
proche  un  malaise  général ,  et  l'agitation  des  citoyens,  un 
ébranlement  de  la  société. 

Dira-t-on  que  tout  est  chimérique  dans  une  pareille 
supposition  ?  Je  voudrais  pouvoir  me  le  persuader  :  — mais 
ces  longs  malheurs  auxquels  nous  avons  assisté,  et  qui 
sont  encore  récens,  peuvent  être  des  exemples;  et,  pour 
les  houimes  «jui  sont  capables  d'éclairer  et  non  de  proscrire 
l'avenir  par  les  témoignages  du  passé,  une  des  causes  les 
plus  profondes  des  désordres  qui  ont  amené  la  révolution, 
comme  de  ceux  (|ui  la  prolongèrent  trop  cruellement,  se 
retrouve  dans  cet  oubli  des  différens  caractères  des  loi»,  et 
dans  la  confusion  perpétuelle  des  classes  différentes  aux- 
quelles chaque  loi  appartient  par  son  caractère. 

Si  ces  observations,  vraies  sans  doute,  on  les  trouvait 
trop  peu  applicables  au  projet  de  loi  qui  les  réveille  en 
moi,  je  n'en  serais  point  surprix  :  il  en  est  peut-être  des 


DE     LA    PUBLICATION    DF.S    LOIS.  l45 

lois  comme  «les  événcmens,  tribuns;  on  ne  peut  souvent 
se  faire  une  juste  idée  de  leur  caractère ,  parce  qu'on  en 
est  trop  près ,  et  qu'à  cette  place  on  est  accessible  à  beau- 
coup d'impressions  différentes  qui  tour  à  tour  en  exagè- 
rent ou  en  affaiblissent  l'importance. 

Mais  quelle  serait,  je  vous  le  demande,  l'impression  na- 
turelle qui  vous  saisirait  en  ouvrant  le  Code  civil  d'une  na- 
tion étrangère,  et  en  y  voyant  pour  frontispice  une  loi  sur 
la  publication,  les  effets  et  l'application  des  lois  en  général? 

Le  titre  seul  de  cette  loi,  d'un  ordre  général,  placée  ainsi 
en  tête  d'un  ordre  particulier  de  législation ,  vous  ferait  pen- 
ser, ou  je  me  trompe  fort,  que  ce  peuple  n'a  pas  de  lois 
fondamentales ,  ou  que  le  caractère  de  ces  lois  suprêmes 
commence  à  y  dégénérer. 

Ne  seriez-vous  pas  blessés,  tribuns;  et  cependant  ne  se- 
rait-il pas  naturel  qu'un  étranger  portât  un  pareil  juge- 
ment des  Français,  en  ouvrant  leur  Code  civil  et  en  y 
voyant  pour  frontispice  la  loi  dont  nous  discutons  le 
projet  ? 

Ce  jugement  dont  vous  avez  pu  apprécier  ainsi  la  jus- 
tesse, ne  peut-il  pas  indiquer,  jusqu'à  un  certain  point 
quel  serait  l'effet  insensible,  mais  général,  de  cette  loi 
à" un  ordre  supérieur ,  de  cette  loi  qui  est  véritablement  de 
celles  qu'on  appelle  organiques ,  et  qui  deviendrait,  par 
une  classification  vicieuse,  une  loi  du  Code  civil? 

Personne  n'est  plus  convaincu  que  moi  de  l'importance 
des  lois  par  lesquelles  sont  déterminés  et  garantis  les  rap- 
ports que  les  citoyens  ont  entre  eux;  mais  je  sais  aussi 
qu'il  y  a  telle  manière  d'exagérer  leur  importance,  qui 
peut  altérer  tous  leurs  principes,  en  obscurcissant  la  source 
d'où  ils  doivent  couler,  en  affaiblissant  l'esprit  des  lois 
constitutionnelles. 

L'ignorance  exagère  tout,  et  cependant  c'est  l'ignorance 
qui,  s'arrêlant  aux  formes  extérieures,  prononce  sur  tout 

VI.  lO 


l46  DISCUSSIONS,    MOTIPS,    ClC 

la  première,  prononce  sans  cesse  des  jiigemcns  qui  sont 
des  erreurs. 

Et  c'est  pourquoi  la  classification  des  lois,  qui  est  une 
partie  essentielle  de  leurs  formes ,  si  elle  est  vicieuse  ,  peut 
engendrer  très-rapidement  les  plus  funestes  préjugés. 

Il  y  aurait  un  moyen  infaillible ,  tribuns ,  de  frapper  votre 
esprit  des  funestes  effels  que  pourrait  avoir  cette  loi,  à  la 
place  qu'on  veut  lui  donner  dans  le  Code  civil;  ce  serait 
de  vous  offrir  toutes  les  fausses  conséquences  que  pour- 
raient en  lircr  la  logique  de  l'ignorance  et  la  mauvaise  foi 
des  passions.  Mais  je  me  garderais  bien  d'encourir  au  mi- 
lieu de  vous ,  par  ce  genre  de  supposition  ,  le  reproche 
d'agiter  de  vaines  alarmes  sur  une  terre  où  la  paix  est 
descendue. 

Puis-je  vous  cacher  cependant,  et  pouvez-vous  ignorer 
qu'il  est  une  espèce  d'hommes  qui  méritent  un  tout  autre 
nom  que  celui  d'ignorans,  et  qui  professent  du  ton  le  plus 
dogmatique,  le  plus  absolu,  que  toutes  les  lois  dont  un 
peuple  ait  vraiment  besoin  se  bornent  à  un  Code  civil; 
que  la  nature  et  les  formes  des  autres  lois  sont  indiffé- 
rentes; que  les  lois  politiques,  surtout,  sont  sans  objet; 
que  leur  existence  est  toujours  une  illusion,  et  l'opinion 
qui  les  réclame  une  manie  coupable  et  fatale  ? 

Ces  maximes  du  pouvoir  arbitraire,  et  leurs  fauteurs, 
n'auront  jamais  d'accès  dans  aucun  des  pouvoirs  que  la 
constitution  a  organisés,  et  s'ils  pouvaient  jamais  acquérir 
quchjue  influence  réelle,  ils  trouveraient  dans  chaque 
membre  de  cette  assemblée  un  dénonciateur  qui  les  dé- 
vouerait à  la  vengeance  des  lois  et  à  l'horreur  de  la  nation. 
Mais  ce  sentiment  même,  qui  nous  est  commun  à  tous, 
mes  collègues,  est  un  motif  pour  tous  de  rejeter  le  projet 
d'une  loi  avec  la(juellc  ces  maximes  perverses,  cl  les  passions 
«lu'cllcs  fomentent,  pourraient  trop  facilement  s'allier. 

Je  ne  me  propose  j)oinl  d'entrer  ,  tribuns,  dans  l'examen 
particulier  des  différens  articles  de  ce  projet  pour  relever 


DE  LA  PUBLICATION  DES  LOIS.  \i^'] 

tous  les  vices  de  sa  rédaclioD  ,  le  rapport  de  votre  commis- 
sion a  rempli  ce  soin  d'une  manière  que  je  ne  pourrais  pas 
assez  heureusement  imiter  :  c'est  l'esprit  général,  et  par 
conséquent,  l'eiret  général  de  ce  projet,  que  je  cherche  et 
que  je  vais  attaquer  dans  les  dispositions  qui  me  le  mon- 
treront. 

Et  d'abord,  tribuns,  je  suis  arrôté  par  les  expressions  et 
par  le  sens  du  premier  article  de  ce  projet.  Les  lois ,  y  est- 
il  dit,  sont  cxccutoircs  en  vertu  de  la  promulgation  qui  en  est 
faite  par  le  Premier  Consul. 

Ai-je  besoin  de  m'appesantir  eu  grammairien  sur  cette 
expression  en  vertu  ,  pour  faire  apprécier  sa  valeur ,  pour 
eu  montrer  toute  l'étendue?  Non  sans  doute;  et  tout  le 
monde  m'enlcndra  quand  je  dirai  que  la  composition  et 
l'usage  de  ce  mol  suffisent  pour  faire  voir  ici ,  dans  l'em- 
ploi qu'on  en  fait,  une  véritable  hérésie  politique,  une 
atteinte  réelle  à  notre  constitution. 

Non  ,  la  promulgation  n'est  pas  un  caractère  constitutif 
de  la  loi ,  ce  que  signifierait  l'expression  en  vertu  :  la  pro- 
mulgation n'est  qu'une  forme  extérieure  de  la  loi  ;  elle  est 
le  premier  moyen,  le  premier  acte  de  son  exécution,  et 
non  la  condition  virtuelle,  génératrice  de  l'obéissance  qu'on 
lui  doit.  Les  lois  sont  exécutées  ou  exécutoires  en  vertu  de 
ce  qu'elles  sont  lois;  les  lois  sont  lois  en  vertu  des  condi- 
tions auxquelles  l'acte  constitutionnel  a  soumis  la  forma- 
tion de  ces  actes  suprêmes  :  ces  conditions  virtuelles  de  la 
formation  des  lois,  et  par  conséquent,  de  l'obéissance  qu'on 
leur  doit,  sont  la  proposition  du  gouvernement,  la  com- 
munication au  Tribunat,  le  décret  du  Corps  législatif;  ce 
n'est  ({n'en  vertu  de  cette  triple  condition  qu'il  peut  être 
promulgué  de  nouvelles  lois,  dit  la  constitution.  Vous  le 
voyez  donc ,  tribuns  ,  la  promulgation  n'est  pas  une  forme 
intrinsèque  ,  mais  extérieure  de  la  loi. 

C'est  donc  à  tort  qu'un  membre  du  Conseil  d'État  a  pré- 
tendu qi'e  la  promulgation  complète  le  caractère  de  la  loi  : 

10. 


1^8  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc 

ce  qui  peut  compléicr  le  caractère  d'un  acte,  c'est  une 
des  conditions  qui  le  constituent  :  or  ,  la  promulgation 
n'est  pas  mise  par  la  constitution  au  nombre  des  condi- 
lious  en  vertu  desquelles  il  peut  être  promulgué  des  lois 
nouvelles. 

S'il  pouvait  rester  un  doute  à  cet  égard,  je  demanderais 
si,  après  le  ilélai  de  dix  jours  ordonné  par  la  constitution 
pour  dénoncer  une  loi  qui  lui  serait  contraire,  le  gouver- 
nement peut  en  refuser,  peut  en  retarder  la  promulga- 
tion? Non  ,  sans  doute,  le  texte  de  la  constitution  ne  per- 
met pas  ici  une  réponse  négative. 

Tout  décret  du  Corps  législatif,  dit  la  constitution ,  le 
dixième  jour  après  son  émission ,  est  promulgué  par  le  Pre- 
mier Consul ,  à  moins  qu'il  n'y  ait  eu  recours  au  Sénat  pour 
cause  d'inconstitutionnalité. 

Donc,  après  l'expiration  de  ce  délai,  la  loi  est  loi,  tous 
ses  caractères  constitutifs  sont  complets;  toutes  les  condi- 
tions virtuelles  de  sa  formation  sont  rem[)lie8  :  elle  est  exé- 
cutable ou  c.Lccutoiie ,  comme  disent  les  jurisconsultes. 

Cela  est  tellement  vrai,  que,  si,  après  l'expiration  du 
délai  constitutionnel ,  la  promulgation  de  la  loi  était  re- 
fusée ou  diirérée,  le  ministre  dépositaire  du  sceau  de 
l'Klat  et  chargé  de  l'envoi  des  lois,  aurait  encouru  la 
peine  de  la  responsabilité;  et  le  Tribunal  serait  obligé  de 
l'accuser  devant  le  Corps  législatif.  Il  faut  donc  dire  tout 
simplement  :  Les  lois  sont  exécutées  ninvs  la  promulga- 
tion, et  non  en  vertu  de  la  promulgation  (|ui  en  est  faite 
par  le  Premier  Consul. 

Mais  je  crois  (pi'on  a  donné,  surtout  t^  cet  acte,  un  ca- 
ractère et  des  effets  qui  ne  lui  appartiennent  pas,  parce 
(ju'on  ne  s'en  est  pas  fait  des  idées  assiîz  bien  déterminées. 
Les  uns  ont  voulu  voir  une  dilférence  entre  le  mot  de 
promulgation  et  celui  du puùlicaiion  ;  et  cette  ditfércnce  existe 
en  eifet  :  mais  elle  est  dans  l'emploi  relatif  (|u'on  fait  de 
chacun  de  ces  mots,  et  non  dans  Tac  tion  qu'ils  expriment. 


DE    LA    PUBLICATION    DBS    LOIS.  l49 

Promulguer,  ainsi  que  l'indique  assez  l'étymologie  Vi- 
sible du  mol ,  veut  dire  publier  ;  mais  on  a  affecté  le  mot 
de  promulgation  aux  actes  législatifs,  pour  caractériser  la 
pu?)lication  de  ces  actes  ,  qui  se  font  au  nom  de  tous,  pour 
tous,  et  sur  tous;  et  c'est  ce  que  désigne  la  composition 
même  de  ce  mot  :  elle  indique  bien  Taction  du  pouvoir  qui 
publie  la  loi,  et  Tobjet  de  l'action. 

Il  paraît  qu'on  est  tombé  dans  cette  indétermination 
d'idées  et  dans  ces  fausses  distinctions  de  mots,  parce 
qu'on  a  pris  pour  l'acte  de  la  promulgation  les  formes  dont 
il  doit  être  revêtu,  et  par  suite  ses  moyens  pour  ses  effets. 

JL'actc  de  la  promulgation  n'en  est  pas  telle  ou  telle 
partie ,  mais  tout  ce  qui  le  constitue  :  ainsi  les  formules 
usitées  en  têle  de  l'acte  ,  l'apposition  du  sceau  national,  la 
signature  du  Premier  Consul  et  celle  du  secrétaire  d'État, 
l'envoi  aux  différentes  autorités  compétentes  pour  l'exécu- 
tion ,  et  enfin  l'affiche  pour  les  citoyens;  c'est  cet  ensemble 
de  formes,  de  moyens  et  d'effets  qui  est  l'acte  de  la  pro- 
mulgation. 

S'il  y  a  dans  l'acte  et  l'effet  de  la  promulgation  une  suc- 
cession nécessaire  de  temps ,  l'acte  et  l'effet  n'en  seront 
pas  moins  indivisibles;  c'est  la  même  chose  successivement 
opérée;  c'est  une  suite  d'actes *qui  se  rapportent  tous  au 
premier,  qui  en  dérivent  et  qui  en  dépendent  :  il  faut  que 
tous  aient  été  accomplis  pour  que  l'acte  soit  complet. 

De  là  nait  la  nécessité  de  fixer  un  délai  uniforme,  et 
(jui  soit  relatif  à  la  grandeur  de  l'objet  et  à  l'étendue  des 
effets  de  la  promulgation. 

Si  la  République  était  dans  une  seule  de  ses  villes ,  le 
délai  d'un  jour  pourrait  suffire;  plusieurs  jours  sont  né- 
cessaires pour  que  son  vaste  territoire  soit  placé,  en  quel- 
(jue  sorte,  sous  l'acte  de  la  promulgation  et  sous  l'empire 
de  la  loi. 

On  a  dit  que  la  majesté  de  la  volonté  nationale  exigeait 
qu'elle  fût  obéie  à  l'instant  qu'elle  est  connue  :  c'est  un  son- 


^ 


l5o  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc 

timent  vertueux ,  que  le  respect  qu'on  a  exprimé  pour  cet 
acte  souverain  ;  mais  l'idée  qu'on  se  fait  de  sa  majesté  est 
une  erreur. 

La  majesté  de  la  loi  est  surtout  dans  la  manifestation 
solennelle  par  laquelle  elle  se  fait  connaître  à  tous  pour 
commander  à  tous. 

Ces  détails  prolongés  dans  lesquels  je  suis  entré  pour 
essayer  de  déterminer  le  véritable  caractère  de  l'acte  de  la 
promulgation,  pourront  vous  prouver,  je  crois,  que  les 
dispositions  qui  s*y  rapportent  dans  ce  projet  de  loi,  don- 
nent tout  à  la  fois  au  projet  un  caractère  contraire  à  la 
constitution  et  à  l'acte  des  moyens  indignes  de  son  objet. 
Il  est  dans  ce  projet  de  loi,  tribuns,  une  disposition 
plus  absolue,  plus  abusive,  plus  funeste  encore,  sur  la- 
quelle je  dois  appeler  toute  voire  attention  ;  c'est  celle  dis- 
position par  laquelle  le  juge  pourra  ctre  poursuivi  comme  cou- 
pable de  déni  de  Justice ,  parce  qu'il  aura  refusé  déjuger  sous  le 
prétexte  du  silence ,  de  l'obscurité  ou  de  V insuffisance  des  lois. 
Elle  peut  paraître  étrange  ,  cette  disposition  ,  qui  efface  , 
en  quelque  sorte,  le  Code  civil,  avant  qu'il  soit  présenté. 
Qu'est-ce  donc,  me  suis-je  demandé,  chez  une  nation 
civilisée,  c'est-à-dire  régie  par  des  lois,  qu'est-ce  que  cette 
justice,  par  laquelle  sa  puissance  intervient  dans  les  dé- 
mêlés qui  s'élèvent  entre  des  particuliers  ?  Celte  justice,  qui 
est  l'intervenlion  même  de  la  société  pour  le  maintien  des 
rapports  qui  la  composent,  peut-elle  être  donc  autre  chose 
que  rap[)licalion  des  lois  qui  ont  déterminé  ces  rapports? 
Non,   tribuns,   la   justice  de  la  société  n'est  et  ne  peut 
être  que  ce  que  prescrit  la  loi,  que  le  texte  même  de  la 
loi. 

Mais  si  le  texte  de  la  loi  est  tellement  obscur  qi^'il  cache 
au  juge  ce  qu'elle  a  prescrit;  si  l'objet  sur  lequel  on  la  ré- 
clame n'est  pas  assez  déterminé  par  elle  pour  que  son  ap- 
plication puisse  l'embrasser,  vous  exigez  que  le  juge  rende 
un  arrêt  lorsqu'il  doit  être  sans  détermination;  et,  bien 


DB    LA    PUBLICATION    0£S    LOIS.  l5l 

plus ,  lorsque  la  loi  se  tait  vous  voulez  qu'il  la  fasse  parler  ? 
Juger  est  donc  autre  chose  qu'appliquer  la  loi. 

Et  quelle  raison  donne-t-on  de  ce  dangereux  système?// 
y  avait  des  juges,  dit-on  ,  avant  qiiiijreûtdcs  lois.  Et  comment 
sait- on  si  bien  ce  qui  se  passait  dans  ces  temps  reculés  qui 
n'ont  pas  d'histoire  ?  Oui ,  sans  doute ,  il  y  a  eu  des  sauvages 
et  des  barbares  avant  qu'il  y  eût  des  hommes  civilisés;  il  y 
a  eu  aussi  des  maîtres  avant  qu'il  y  eût  des  magistrats  :  est- 
ce  à  dire  que  nous  devons  donner,  que  nous  donnons  le 
nom  de  juges  à  ceux  qui  prononcent  entre  les  particuliers, 
là  oïl  les  lois  n'ont  pas  prononcé?  Non,  sans  doute,  tri- 
buns; parmi  nous  ce  sont  des  arbitres,  et  en  Turquie  c'est 
le  despotisme. 

Mais  s'il  y  avait  des  juges  qui  jugeassent  sans  suivre  les 
lois,  dans  ces  temps  qu'on  connaît  si  bien,  et  ou  il  n'y 
avait  pas  de  lois ,  il  y  a  apparence  qu'on  a  fait  des  lois  pour 
être  jugé  par  elles  et  non  par  eux,  pour  que  le  juge  fût 
l'agent  et  non  le  maître  de  la  loi,  pour  qu'il  fût  l'organe  de 
la  loi  et  non  pas  la  loi  elle-même. 

Concluons  donc  que  désormais,  du  moins ,  et  pour  nous, 
un  juge  ne  peut  être,  comme  le  dit  Montesquieu,  que  la 
houchc  qui  prononce  les  paroles  de  la  loi. 

Les  rédacteurs  du  projet  du  Code  civil  se  sont  trop  dé- 
fiés d'eux-mêmes,  lorsqu'ils  ont  pu  consentir  à  donner  sur 
les  lois  dont  ils  avaient  la  première  conception ,  ce  terrible 
droit  de  les  interpréter,  de  suppléer  à  leur  insuffisance,  et 
même  à  leur  silence;  mais  il  ne  faut  pas  que  cet  abus  de 
leur  modestie  prévaille  sur  le  caractère  de  la  loi  et  sur  les 
droits  des  citoyens. 

Pour  faire  connaître  et  apprécier  ce  droit  de  l'interpré- 
tation des  lois,  pour  faire  frémir  sur  ses  effets  et  les  ci- 
toyens, et  ces  hommes  modestes  qui  ont  pu  lui  sacrifier 
d'avance  leur  ouvrage,  il  suffit  de  rappeler  les  expressions 
par  lesquelles  l'un  d'eux  a  défini  l'interprétation  dans  le 


l5*i  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

discours  préliminaire  d'un  des  projets  de  Code  civil  qui 
nous  ont  été  distribués. 

Quand  la  loi  est  claire  j  y  est-il  dit,  il  faut  la  suivre;  quand 
elle  est  obscure,  il  faut  en  approfondir  les  dispositions;  st 
Ton  manque  de  loi,  il  faut  consulter  Yusage  ou  Véquité. 
L'équité  est  le  retour  //  la  loi  naturelle,  dans  le  silence,  l'op- 
position ou  l'obscurité  des  lois  positives. 

Quand  la  loi  est  claire,  \\faut\a.  suivre  :  c'est  donc  à  dire 
que  lorsqu'elle  n'est  pas  aussi  claire  qu'elle  devrait  l'être 
toujours,  \\  faut  ne  pas  la  suivre;  et  cette  clarté  de  la  loi 
qui  est  une  condition  sine  qua  non  de  son  application  ,  c'est 
le  juge  qui  en  décide  et  qui,  selon  ses  idées  sur  ce  qui 
constitue  la  clarté  d'une  loi,  peut  la  suivre  ou  la  faire? 
Car ,  d'après  le  droit  de  l'interprétation ,  que  dis-je  !  d'après 
le  projet  de  loi  que  nous  discutons,  il  faut  que  le  juge  juge 
toujours,  ou  il  est  coupable  d'un  déni  de  justice. 

Je  m'arrête,  tribuns,  et  je  ne  veux  pas  continuer  ainsi 
l'analyse  de  chaque  partie  de  celte  définition  ;  on  pourrait 
croire  que  je  veux  donner  à  cet  examen  un  caractère 
trop  différent,  sans  doute,  de  mes  intentions  :  j'ai  voulu 
seulement,  et  j'ai  dû  prouver  les  dangers  de  l'interpréta- 
tion, par  les  paroles  mêmes  de  celui  (|ui  faisait  de  sa  doc- 
trine une  loi  nécessaire  du  Code  civil.  Il  ne  faut  pas  croire 
qu'on  puisse  faire  de  ce  droit  terrible  une  définition  meil- 
leure que  celle  de  ce  jurisconsulte  justement  célèbre  :  non , 
cette  définition  du  droit  de  l'interprétation  est  un  énoncé 
exact  et  complet  de  ses  effets;  et,  il  faut  le  dire  à  la  louange 
de  son  auteur,  sa  conscience  a  asservi  son  esprit. 

Il  n'est  donc  pas  vrai  que  le  juge  qui  s'abstiondrait  de 
j  uger  dans  le  silence  de  la  loi ,  qui  s'abstiendrait  à  cause  de 
Hon  obscurité  <»u  de  son  insuilisancc ,  fût  coupable  d'un 
déni  do  justice;  il  refuserait  le  droit  d'une  injustice ,  l'im- 
punité d'un  attentat  aux  droits  des  citoyens  et  à  la  sainteté 
de  la  loi. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  l53 

Mais  si  le  juge  refuse  un  arrêt  par  l'un  de  ces  motifs,  où 
les  citoyens  pourront-ils  donc  implorer  et  obtenir  justice? 

Je  réponds  d'abord  qu'une  bonne  législation  doit  préve- 
nir ces  cas,  qu'elle  peut  au  moins  les  rendre  extrêmement 
rares  ; 

En  second  lieu,  que  le  refus  de  juger,  fait  par  un  juge 
quelconque,  et  ainsi  motivé,  est  un  jugement  susceptible 
d'appel  et  puis  de  cassation  comme  tous  les  autres  ;  l'appel, 
le  renvoi  à  un  autre  tribunal,  donnent  des  juges  nouveaux 
qui ,  s'ils  se  refusent  à  prononcer  un  arrêt,  comme  les  pre- 
miers, prouvent  la  justice  du  refus  et  le  besoin  d'une  nou- 
velle loi  :  mais  comme  la  loi  ne  peut  avoir  d'effet  rétroactif, 
ceux  qui  sont  en  discussion  sur  un  objet  qu'elle  n'a  pas 
déterminé^  peuvent  attendre  la  loi  qui  interviendra  oommc 
la  règle  volontaire  de  leur  débat. 

Enfin  ,  que,  si  la  nature  de  la  discussion  ou  l'impatience 
de  la  terminer,  ne  leur  permet  pas  cette  attente,  ils  sont 
alors  comme  s'ils  étaient  dans  ces  temps  où  il  n'y  avait  pas 
de  lois;  ils  prennent  des  arbitres. 

L'abus  des  référés  aux  législateurs,  dont  on  paraît  si  jus- 
tement effrayé,  a  cessé  d'être  à  craindre  avec  les  causes 
qui  l'avaient  fait  naître  parmi  nous. 

Dans  ce  passage  d'un  régime  ancien  à  un  nouvel  ordre , 
qui  s'appelle  une  révolution,  tous  les  rapports  ordinaires  de 
la  société  sont  inévitablement  atteints  par  le  mouvement 
qui  la  renouvelle  ;  il  faut  des  lois  qui  suivent  ces  rapports 
dans  leur  changement:  s'il  est  bien  difficile  qu'une  grande 
révolution  s'opère  tout  d'un  coup  et  sans  combats,  il  n'est 
pas  moins  difficile  que  les  combats  aient  toujours  les  mêmes 
causes,  et  les  victoires  les  mêmes  caractères  ;  les  rapports 
de  la  société  sont  tourmentés  et  altérés,  comme  ses  élé- 
mens,  par  les  passions  qui  l'agitent;  la  plupart  des  lois, 
comme  les  événemens,  peuvent  être  tour  à  tour  des  excès 
différens  ;  et  le  juge,  tremblant  d'appliquer  une  loi  née 
d'une  circonstance  qui  n'est  déjà  plus,  ou  de  s'exposer  à  la 


l54  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

vengeance  des  passions  qui,  d'un  instant  à  l'autre ,  font  une 
circonstance  nouvelle,  interroge  le  législateur  pour  rassu- 
rer sa  conscience  ou  sa  faiblesse. 

Telles  sont  les  causes  multipliées  et  variées  qui  produisi- 
rent l'abus  des  référés;  et  le  changement  des  temps,  comme 
celui  de  toute  notre  organisation  intérieure,  ne  permet 
plus  de  craindre  qu'elles  se  renouvellent. 

Si  rexpérience  cependant,,  expérience  qui  ne  pourrait 
pas  être  tardive,  prouvait  que  la  législation  n'est  pas  assez 
complète  pour  prévenir  l'abus  des  réTérés  au  législateur, 
ce  serait  là  sans  doute  pour  lui  Tobjet  d'un  sérieux  examen  ; 
ce  serait  là,  peut-être,  le  sujet  d'une  institution  spéciale- 
ment destinée  à  prévenir  cet  abus,  ses  dangers,  et  bien 
appropriée  à  cette  destination.  L'Angleterre  nous  offre 
l'exemple  d'une  institution  de  ce  genre  dans  ses  cours 
d'équité,  dont  la  cour  de  chancellerie  est  la  principale.  S'il 
était  possible  qu'une  législation  toute  renouvelée,  et  pré- 
parée avec  tant  de  soin,  tant  de  scrupule,  par  des  esprits 
si  éclairés,  puisqu'ils  ont  été  choisis,  pût  nous  rendre, 
d'un  moment  à  l'autre,  cet  établissement  indispensable,  il 
suffirait,  pour  le  réaliser,  que  la  loi  donnât  une  attribution 
nouvelle  au  tribunal  de  cassation,  ou  lui  traçât  seulement 
un  usage  nouveau  de  celles  qu'il  a  déjà.  D'autres  moyens 
encore  propres  à  ce  but,  et  qui  feraient  sortir  de  celle  es- 
pèce d'interrègne  de  la  loi  de  grandes  impressions,  une 
morale  (fui  consacrerait  son  auguste  caractère,  seraient 
toujours  au  pouvoir  du  législateur,  et  bieu  faciles  à  son 
génie  :  mais,  en  attendant,  tribuns,  gardez-vous  de  croire 
que  vous  puissiez  consacrer  par  votre  adoption  le  projet 
d'une  loi  qui  anéantit  le  bienfait  et  l'existence  des  lois  ci- 
viles qui  vont  être  décrétées. 

Mais  cette  doctrine  du  droit  de  l'interprétation  des  lois, 
SCS  auteurs  croient  qu'elle  est  indis|)ensable,  parce  qu'ils 
n'ont  pas  assez  distingué  les  maximes  du  gouvernement 
monarchique  sous  lequel  ils  ont  acquis  leur  réputation  de 


OE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  l55 

graods  jurisconsultes,  des  principes  du  gouvernement  ré- 
publicain sous  lequel  ils  sont  appelés  à  mériter  la  gloire  de 
législateurs. 

Ce  n'est  pas,  tribuns,  par  mes  faibles  paroles ,  mais  par 
la  nature  des  choses  et  par  l'autorité  de  Montesquieu ,  que 
je  vais  établir  et  rendre  sensible  la  nécessité  de  cette  dis- 
tinction et  de  ses  effets.  Je  suis  heureux  de  pouvoir  oppo- 
ser à  l'exposition  des  motifs  du  projet  que  nous  discutons 
V Esprit  des  lois,  cet  ouvrage  qui  semble  un  extrait  du  grand 
livre  des  destinées. 

Apres  avoir  observé  que,  dans  les  états  despotiques,  il  n'y  a 
point  de  loi,  que  le  juge  est  lui-même  sa  règle,  Montesquieu 
ajoute  :  Dans  les  états  monarchiques ,  il  y  a  une  loi;  et  là  où 
elle  est  précise,  le  juge  la  suit;  là  oie  elle  ne  l'est  pas,  il  en  cherche 
l'esprit.  Dans  le  gouvernement  républicain,  il  est  de  la  nature  de 
la  constitution  que  les  juges  suivent  la  lettre  de  la  loi;  il  n'y  a 
point  de  citoyen  contre  qui  on  puisse  interpréter  une  loi,  quand 
il  s'agit  de  ses  biens,  de  son  honneur  ou  de  sa  vie. 

Remarquez,  tribuns,  que  les  paroles  de  Montesquieu 
accordent  beaucoup  moins  à  l'arbitraire  du  juge  monar- 
chique, que  n'en  donnent  aux  juges,  dans  notre  républi- 
que, les  motifs  et  le  texte  du  projet  de  loi  que  je  com- 
bats. 

Ce  n'est  pas  le  nom  de  Montesquieu  seulement,  c'est  la 
nature  des  choses,  qui  établit  cette  différence  dans  l'appli- 
cation des  lois  d'une  monarchie  et  d'une  république. 

Ces  différences  de  rangs,  d'origines,  de  conditions,  qui 
caractérisent  une  monarchie;  ces  innombrables  et  arbi- 
traires classifications ,  où  les  hommes  et  les  choses  y  sont 
jetés,  créent  dans  cette  espèce  de  société  une  infinité  de 
rapports  différens  d'où  naissent  la  multiplicité  et  la  diver- 
sité des  lois. 

C^  csX  dans  ces  lois  c^'' il  ne  faut  pas  être  étonné,  dit  Montes- 
(juieu,  de  trouver  tant  de  règles ,  de  restrictions ,  d^ extensions 
qui  multiplient  les  cas  particuliers,  et  semblent  faire  un  art  de  la 


l56  Discussions,    MOTIFS,    ClC. 

raison  mcrnc.  C'est  cet  art  qui  est  la  jurisprudence ,  l*arl  de 
rinterprétation  des  lois. 

Il  faut  avouer  qu*à  ces  principes  généraux  de  la  diversité 
des  lois  dans  toutes  les  monarchies,  la  monarchie  fran- 
çaise en  joignit  qui  lui  étaient  particuliers,  et  qui  produi- 
sirent cet  assemblage  bizarre  des  Codes  les  plus  contraires  , 
cette  confusion  légale  dont  le  rapport  de  votre  commission 
vous  a  présenté  le  tableau. 

Assurément  dans  ce  chaos,  qu'on  appelait  une  législa- 
tion, et  que  ne  pouvaient  éclairer  quelques  belles  ordonnan- 
ces dictées  par  le  génie  des  THopital  ou  des  d'Aguesseau,  le 
fil  de  l'interprétation  devenait  un  guide  nécessaire  pour 
celui  qui  osait  monter  sur  un  tribunal  ;  et  l'arbitraire  du 
juge  pouvait  y  être  la  justice. 

Mais  le  remède  même  aggravait  bientôt,  aggravait  sans 
cesse  le  mal  qu'il  devait  pallier  ;  et  l'immense  collection 
des  arrêts  des  parlemens ,  le  plus  souvent  différens  dan» 
des  causes  semblables  ;  les  recueils  innombrables  des  nou- 
veaux jurisconsultes ,  aussi  d'accord  entre  eux  que  les  arrêts 
des  parlemens,  étaient  devenus  autant  de  sujets  de  con- 
tradiction pour  les  particuliers,  autant  de  causes  de  péni- 
bles incertitudes  ou  de  moyens  d'arbitraire  pour  le  juge  (a). 

Et  je  le  demande  à  ceux  de  mes  collègues  qui,  dans  cette 
profession  si  pénible,  si  honorable,  et  dont  l'utilité  est  le 

'»]  Entrr  autres  {aii.«  <|ui  pciiv<-Dt  pronvir  diius  i{u*'l|c  Kiiuniion  alTn  ose  une  pareille  législatioD 
nMttait  ncctruairciiieut  et  lu  maf^Utrals  et  l<-«  partiruliers ,  j'en  cilerai  un  dont  j'ai  été  lénioiu ,  et 
dont  je  reçuf  uftr  impreaioo  qui  nv  iVti  |ainai(  effacée  ni  aiïaiLlie. 

Lortqui-  je  tuivttik  le<  érolei  d<-  droit .  je  luivaii  auui  le  barreau  pour  apprendre  à  connaître  K-« 
|i>if  en  voyant  leur  appliraiion.  Une  oaiiie  qui  avait  l>eauroup  d'érlat  avait  appelé  un  puMic  nom- 
breux ■  une  audienre  de  la  grand'eli ambre  du  parlement  de  Bordeaux  :  j'avorat  qui  plaida  le 
premier  fooda  la  juMtce  4e  «a  t-auir  tur  trente  arrêta  de  diffireui  parlemens,  lur  plui  de  trente 
dtriiioni  dei  pluf  r/|ébre«  juriKuaiulte*  ;  le  lecoiid  avocat  fonda  la  justice  de  sa  cause  sur  Innle 
arrêts  de  dilTéreiii  parlemens,  sur  plut  de  trente  déeiMons  des  plus  célèbres  jurisconsultes.  Enfin  , 
dit-il  avec  un  aeceni  de  probité  qui  faisait  entendre  toute  Sun  âme,  à  ce  nombre  au  niuins  pareil 
d'aulorilés  ,  j'ajoute  tout  |e  poids  de  l'auluriié  du  Dumoulin  ,  qui  doit  faire  pencber  d<-  iu«iii  côl^ 
la  balance  de  la  justiee  :  il  perdit  son  piorég.  J'étain  Rani  doute  irop  écolier  pour  .ipprécier  a|ori> 
tout  rr  <|u'il  y  II  de  mérite  dan»  le»  ouvrantes  de  Muiiioiiliii  ;  mais  je  fus  ruiifoudii  d<-  voir  qu'il  y 
eût  .tant  de    raison»  pour  KiiftiK  r  un  pr»  <"     iiim  f)i   i:ii»uti.«  pnur  h   petUn.  et  n  peu  de  uiojen» 

pour  r<  »onn»llre  |;i  jiKlii'i 


DB    LA    PUBLIC ATIOPC    Dl-S    LOIS.  lÔ^ 

premier  salaire,  ont  réfléchi  sur  le  earaclérc  de   ces   lois 
qu'ils  invoquaient  pour  ceux  qui  no  les  connaissaient  pas; 
je  le  demande  à  tous  ces  jurisconsultes  incapables  d'inven- 
ter des  dillicullés  pour  se  rendre  nécessaires,  et  de  craindre 
ce  bon  sens,  cette  expression  simple  de  la  loi,  qui  pour- 
raient prévenir  beaucoup  de  procès  et  en  rendre  la  pour- 
suite moins  incertaine  ;  je  leur  demande  s'ils  n'ont  pas 
gémi  mille  fois  sur  cette  législation  dont  les  fils  innombra- 
bles et  sans  cesse  rompus,  pouvaient  à  peine  être  démêlés 
par  tous  les  efForts  de  leur  esprit,  et  offrir,  de  loin  en  loin  , 
à  leurs  investigations  scrupuleuses,  un  but  où  se  reposât 
leur  conscience;  je  leur  demande  s'ils  n'ont  pas  appelé, 
avec  toute  la  France ,  une  législation  qui  réparât  enfin  les 
effets  et  prévînt  à   jamais  le  retour  de  l'interprétation  des 
lois  du  droit  de  suppléer  à  leur  insuffisance  et  à  leur  si- 
lence. El  c'est  au  moment  même  où  cette  législation  nous 
est  offerte,  qu'on  donne  à  l'application  des  lois  un  principe 
qui  doit  les  détruire  ! 

Dans  une  république,  tribuns,  dans  la  république  fran- 
çaise surtout ,  la  simplicité  et  l'uniformité  des  lois  sont  une 
conséquence  nécessaire  de  l'égalité  absolue  qui  fait  la  base 
de  la  constitution  ;  les  lois  peuvent  y  atteindre  et  détermi- 
ner avec  précision  les  rapports  qui  naissent  naturellement 
entre  des  citoyens  unis  par  des  besoins  communs  et  par 
des  intérêls  réciproques  :  dans  un  tel  état,  l'interprétation 
des  lois,  le  droit  de  suppléer  à  leur  insuifisance  ou  à  leur 
silence,  ne  pourraient  que  troubler  les  déterminations  de 
la  loi,  et  ébranler  toutes  ses  garanties. 

Il  faut,  sans  doute,  que  les  citoyens  puissent  être  arrêtés 
dans  leurs  démêlés  par  toutes  les  voies  de  la  conciliation  ; 
c'est  un  devoir  du  législateur,  et  une  partie  de  son  génie, 
de  multiplier  avec  habileté  tous  les  moyens  de  prévenir  un 
procès  :  il  faut  que  les  arbitres  de  la  confiance ,  les  arbitra- 
ges de  raison  et  d'équité  naturelles,  arrêtent  les  citoyens 
et  les  réconcilient  avant  qu'ils  aient  porté  leurs  débats  jus- 


l58  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

qu'an  sanctuaire  de  la  loi.  Mais,  parvenus  là,  il^ne  doivent 
avoir  que  la  loi  pour  juge  ;  le  juge  n'y  peut  être  que  la  bouche 
de  la  loi. 

Pour  autoriser  le  droit  de  l'interprétation  dans  cette 
partie  de  la  législation  qui  s'appelle  civile ,  on  a  distingué 
ses  caractères  de  ceux  qui  sont  propres  à  la  législation  cri- 
nninclle  :  cette  distinction  qu'on  se  croit  obligé  de  faire, 
est  un  aveu  de  l'abus,  des  dangers  de  l'interprétation  des 
lois,  et  non  une  preuve  que  l'usage  puisse  en  être  bon  ,  ni 
qu'il  soit  indispensable  dans  aucun  genre  de  loi. 

Les  caractères  de  ces  deux  branches  particulières  de  la 
législation  générale  sont  différens  sans  doute;  et  il  est  bien 
impossible  de  penser  à  les  confondre  :  mais  la  différence  de 
ces  caractères  doit  porter  sur  les  formes  de  la  procédure  ; 
elle  doit  donner  un  caractère  distinct  aux  actes  propres  à 
l'objet  de  chacune  de  ces  procédures;  mais  elle  ne  peut 
pas  porter  sur  l'application  de  ces  lois  :  cette  différence 
des  formes  dans  les  deux  procédures  ne  peut  pas  en  deve- 
nir une  dans  la  manière  de  juger  :  car,  dans  l'une  comme 
dans  l'autre  procédure,  c'est  toujours  de  l'application  de 
la  loi  qu'il  s'agit ,  c'est  cette  application  qui  est  le  jugement. 

Montesquieu  n'a  pas  fait  cette  distinction  sur  la  manière 
d'appliquer  la  loi  en  matière  criminelle  et  en  matière  ci- 
vile, dans  un  état  libre  ;  la  monarchie  française  ne  la  faisait 
pas  davantage;  Tinlerprétation  et  son  arbitraire  régnaient 
sur  les  sièges  de  la  Tournclle  comme  sur  ceux  de  la  grand'- 
chambre  des  parlemens. 

//  n'y  n  point  de  citoyen  y  dit  Montesquieu,  contre  qui  on 
puisse  interpréter  une  loi,  quand  il  s'agit  de  ses  Liens,  etc.  Cette 
expression,  ses  biens,  désigne,  sans  doute,  les  lois  civiles  : 
et  si  elles  ont  encore  bien  d'autres  objets  qui  doivent  nous 
les  rendre  plus  chères;  c'est  une  preuve  que  Montescjuieu 
n'a  pas  désigné  celui-là  au  hasard  :  et  c'est  qu'en  effet,  la 
propriété  fait  partie  de  l'existence  du  citoyen  ;  c'est  un  des 
plus  grands  intérêts  de  la  furinalion  et  du  maintien  de  la 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1  Sq 

société;  et  je  suis  élonné,  je  vous  ravouc ,  tribuns,  qu'on 
u*apcrçoivc  pas  à  quel  point  cette  différence  qu'on  veut 
niellrc  dans  la  manière  de  juger  au  civil  et  au  criminel,  et 
la  distinction  sur  laquelle  on  rétablit,  pouvent  affaiblir  le 
principe  de  la  propriété,  ce  principes!  vrai,  si  nécessaire, 
si  fécond  dans  les  sociétés  modernes. 

C'est  pour  les  lois  civiles  comme  pour  les  lois  criminelles, 
que  Montesquieu  dit  encore  :  Lesjugemens  doivent  être  fixes 
à  un  tel  point,  qti*iîs  ne  soient  qu'un  texte  précis  de  la  loi  ;  s'ils 
étaient  une  opinion  particulière  du  Juge,  on  vivrait  dans  la  so- 
ciété sans  savoir  précisément  les  engagemens  que  Von  y  contracte. 

Montesquieu  y  avait  pensé,  sans  doute,  pendant  les 
vingt  années  qu'il  a  passées  à  faire  son  ouvrage;  et  puisque 
cet  esprit  si  sage  dans  sa  grandeur  n'a  pas  fait  cette  dis- 
tinction, puisqu'il  n'en  a  pas  même  aperçu  le  motif,  il 
m'est  permis  de  penser  qu'elle  n'est  pas  aussi  fondée  sur  la 
nature  des  choses  qu'on  paraît  le  croire;  il  m'est  permis, 
peut-être,  de  la  prendre  plutôt  pour  une  erreur  de  la  ju- 
risprudence que  pour  un  principe  de  la  justice. 

Mais  Delolme,  qui  a  fait  si  bien  connaître  et  apprécier 
toutes  les  parties  de  la  constitution  anglaise,  cet  écrivain, 
dont  l'esprit  paraît  si  juste  ,  surtout  parce  qu'il  est  très-mo- 
déré, après  avoir  exposé  les  attributions  de  ces  cours 
d'équité  créées  par  la  loi,  et  spécialement  destinées  à  sup- 
pléer à  son  insuffisance  ou  à  son  silence,  juge  cependant 
cette  institution  avec  une  rigueur  qui  peut  étonner  et 
ébranler  la  théorie  la  plus  hardie  sur  l'interprétation  des 
lois. 

Fu  la  précision  des  idées  qu'on  se  J orme  aujourd'hui,  dit 
Delolme,  du  pouvoir  des  magistrats  et  des  juges,  on  peut  a  peine 
se  figurer  que  cette  espèce  de  tribunaux ,  quelque  utiles  qu'ils 
soient ,  puissent  être  autorisés. 

Et  ce  qu'il  y  a  de  bien  remarquable ,  c'est  que  les  publi- 
cîstes  anglais  tiennent  pour  maxime  que  la  cour  de  cqan- 
CELLEBiE,  qui  cst  la  première  des  cours  d'équité,  ne  saurait 


iGo  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

porter  atteinte  aux  biens,  mais  à  la  personne.  On  peut  être  fort 
surpris  de  trouver  cette  opinion  parmi  les  publicistes  d'une 
nation  qui  a  un  sentiment  si  scrupuleux,  si  inquiet  même 
de  la  liberté  :  ja  crois  cependant  que  celte  opinion  est 
fondée  sur  l'observation  vraie  des  intérêts  et  des  passions 
qui  s'agitent  dans  la  société.  Il  n'est  pas  rare  que  la  fortune 
et  les  biens  d'un  homme  n'inspirent  l'envie  et  ne  poussent 
à  la  recherche  des  moyens  de  l'en  déposséder;  mais,  dans 
cette  faiblesse  trop  malheureuse,  le  cœur  humain  est  au 
moins  très-difficilement  capable  de  se  porter  jusqu'à  une 
violence  homicide. 

Il  ne  suffit  pas,  tribuns,  d'opposer  à  cette  distinction 
et  à  ses  dangereuses  conséquences,  l'autorité  d'un  des 
premiers  génies  de  notre  nation  ,  celle  de  Delolme ,  des 
publicistes  et  des  exemples  de  l'Angleterre;  il  faut  qu'elles 
soient  jugées  et  dissipées  par  la  nature  môme  des  choses; 
et,  pour  cela,  ce  sera  assez  de  l'examen  le  plus  simple 
comme  le  plus  facile. 

En  matière  civile  comme  en  matière  criminelle,  c'est 
toujours  sur  un  fait  que  la  loi  et  le  juge  prononcent. 

En  matière  civile,  le  fait  se  complique,  il  est  vrai,  plus 
qu'en  matière  criminelle;  c'est  un  acte  dont  il  faut  con- 
naître les  formes  que  la  loi  a  déterminées. 

Ainsi  la  loi  civile  fait,  en  quel(|ue  sorte,  le  patron  de 
tous  les  faits  ,  sur  lequel  le  juge  doit  et  peut  l'appliquer. 

En  matière  criminelle  .  l'existence  du  fait  est  décidée  par 
le  jury  avant  que  le  juge  y  applique  la  loi. 

Si  les  jurés  avaient  été  établis  en  matière  civile  ,  comme 
l'assemblée  constituante  fut  au  moment  de  le  faire  ,  le  juge 
n'aurait  eu  qu'à  appliquer  la  loi  au  fait,  dont  l'existence 
aurait  été  constante  par  la  déclaration  du  jury. 

Eh  bien  !  dans  la  procédure  actuelle  ,  le  juge,  en  matière 
civile,  appli(|ue  la  loi  en  ntêmctenqKs qu'il  est  juge  du  fait. 

C/cHt  une  raison  pour  (pie  la  loi  lixe  avec  plus  de  préci- 
sion les  caractères  qui  constituent  le  fait  au  civil. 


I 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS»  iGl 

C*est  une  raison  pour  que  le  juge  soit  plus  religieux  à 
reconnaître  l'identité  tlu  fait  particulier  du  procès,  avec 
le  patron  général  que  la  loi  en  a  tracé. 

Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  qu'il  puisse  voir  dans 
la  loi  plus  qu'elle  ne  dit,  pour  qu'il  puisse  régulariser  un 
acte  qui  n'a  pas  les  caractères  de  la  loi. 

11  n'est  donc  pas  vrai ,  tribuns,  qu'en  matière  civile  plus 
qu'en  matière  criminelle,  Tapplication  des  lois  d'une  ré- 
publique puisse  être  soumise  à  l'interprétation  de  leurs 
organes.  Et  si  la  force  des  choses,  comme  je  l'aï  dit;  si 
cette  multiplicité  de  rapports  différens  qui  constituent  les 
monarchies;  si  celte  diversité  confuse  de  lois  nécessaires  à 
la  fois  et  impuissantes  pour  atteindre  à  tant  de  rapports; 
si  toutes  ces  causes  nous  expliquent  et  semblent  justifier 
l'empire  de  l'interprétation  sur  tous  les  Codes  et  sur  toutes 
les  juridictions  des  états  mon^archiques  ;  sous  la  constitu- 
tion qui  régit  maintctiant  la  France,  ce  sont  là  autant  de 
raisons  qui  nous  rendent  plus  sensible  et  plus  impérieuse 
l'obligation  de  fermer  à  la  fois  et  à  jamais  tous  les  sanc- 
tuaires de  la  loi  à  cette  puissance  arbitraire. 

Mais  il  est  une  autre  raison ,  tribuns,  de  cette  différence 
qu'on  aperçoit  dans  la  manière  générale  d'appliquer  les 
lois  d'une  monarchie  et  celles  d'une  république  :  c'est  la 
différence  même  qui  existe  dans  l'origine  des  lois  de  ces 
deux  états.  ' 

Dans  la  monarchie,  les  lois  sont  l'ouvrage  d'une  seul 
homme,  ou  de  je  ne  sais  quoi;  là,  elles  peuvent  venir 
d'une  introduction  plus  ou  moins  autorisée,  d'une  trans- 
mission plus  ou  moins  constatée,  de  l'usage,  d'une  vio- 
lence qu'on  appelle  droit  de  conquête,  d'un  privilège, 
d'une  exception,  enfin  de  tout  et  de  rien;  eJles  ont  mille 
sources  égarées  et  pas  une  origine  véritable.  Le  titre  incer- 
tain de  la  loi ,  son  arbitraire  pour  être  loi,  peut  excuser 
et,  si  Von  veut,  même  autoriser  l'arbitraire  du  juge  pour 
l'appliquer. 

VI.  Il 


l62  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Mais  l'origine  de  la  loi ,  dans  une  république,  ne  permet 
à  aucune  puissance  humaine  de  la  changer  ou  de  la  mo- 
difier dans  son  exécution,  de  suppléer  à  son  insufijsancc 
et  encore  moins  à  son  silence ,  de  parier  quand  elle  se  tait, 
de  la  faire  agir  quand  elle  n'existe  pas;  en  un  mot,  de  la 
faire  au  lieu  de  l'appliquer  :  car  tel  est  l'effet  du  droit 
de  l'interpréter,  telle  est  la  conséquence  ou  plutôt  le  texte 
même  du  projet  que  je  combats. 

La  loi  dans  une  république  est  une  émanation  de  la  sou- 
veraineté; c'est  l'ouvrage  du  peuple  par  lui-même  ou  par 
ses  représentans,  par  les  pouvoirs  que  sa  constitution  a 
établis  pour  faire  la  loi;  la  loi,  c'est  la  volonté  nationale, 
ainsi  que  l'a  dit  son  premier  magistrat  dans  le  Conseil 
d'Etat  :  et  c'est  pourquoi  elle  est  la  seule  puissance  que 
des  hommes  libres  puissent  connaître;  c'est  pourquoi  ceux 
qui  concourent  à  faire  la  loi  s'appellent  citoyens ,  c'est-à- 
dire  membres  de  la  cité,  individus  dont  la  réunion  com- 
pose la  république,  et  qu'elle  reconnaît  pour  ses  membres 
aux  conditions  que  sa  Charte  constitutionnelle  a  fixées  ; 
ils  sont  sujets  de  la  loi,  parce  qu'ils  ont  concouru  à  la 
faire,  et  ils  ne  peuvent  être  appelés  (jue  citoyens,  précisé- 
ment parce  qu'ils  ne  peuvent  être  sujets  (|ue  de  la  loi. 

Mais  après  avoir  rappelé  ainsi  le  caractè4'e  de  la  loi  et 
des  citoyens  qui  ne  reconnaissent  qu'elle,  ai- je  besoin 
d'ajouter  que  la  loi  doit  être  sacrée  pour  le  juge,  qu'il  ne 
peut  imposer  qu'elle ,  et  non  ce  qu'il  en  pense ,  aux  citoyens 
qui  la  réclament  ;  qu'il  doit  rester  dans  le  silence  lorsqu'elle 
n'en  est  pas  sortie  ? 

Le  juge  qui  jugerait  dans  le  cas  où  l'exige  le  projet  de 
loi  que  je  combats,  commettrait  le  crime  qu'il  serait 
charge  de  punir,  causerait  le  dommage  qu'il  serait  chargé 
de  réparer  :  le  citoyen  ne  peut  être  sujet  à  la  loi  que  parce 
qu'il  l'a  enfreinte  ,  et  le  juge  l'enfreindrait  pour  l'appliquer. 
Assurément,  si  l'on  est  coupable  pour  enfreindre  une  loi, 
comment  qualifiera -t-on  le  crime  de  celui  qui  supposera 


b 


DE    LA    PUHLICATION    DES    LOIS.  l65 

l'existence  d'une  loi  pour  agir  sur  quelqu'un  ou  sur  quel- 
que chose?  C'esl  ce  crime  qu'exige  le  projet  de  loi  et  qu'il 
exige  d'un  juge. 

Il  faut  le  répéter,  tribuns,  c'est  surtout  ce  principe  de 
l'origine  souveraine  de  la  loi,  qui  fait  de  son  texte  la  règle 
précise  et  impérative  des  jugemens  dans  une  république; 
cela  est  tellement  vrai ,  que,  partout  ou  la  loi  a  eu  ce 
grand  caractère,  elle  a  eu  cet  empire  suprême  et  irrésis- 
tible. Assurément,  la  république  romaine  n'avait  pas  les 
mêmes  élémens  que  la  constitution  anglaise ,  et  ce  n'est  pas 
la  simplicité  de  leurs  élémens  qui  peut  caractériser  l'une 
ni  l'autre  :  mais  en  Angleterre ,  comme  à  Rome  république, 
l'on  voit  ce  véritable  attribut  de  la  loi  d'être  l'ouvrage  du 
peuple  par  lui-même,  ou  par  ses  représentans  constitués, 
produire  le  même  effet,  l'empire  absolu  et  unique  de  la 
loi.  C'est  aussi  dans  l'histoire  de  la  république  romaine; 
c'est  dans  l'étude  de  la  constitution  anglaise ,  et  dans  l'ob- 
servation de  ses  effets,  que  Montesquieu  a  surtout  puisé 
ses  principes  incontestables  sur  le  caractère  et  l'application 
des  lois;  et  ces  principes  sont  ceux  de  tous  les  publicistes 
un  peu  éclairés  par  l'observation  des  faits,  un  peu  instruits 
de  ce  qui  se  pratiquait  autrefois  et  de  ce  qui  se  pratique 
aujourd'hui  chez  les  nations  libres;  de  ces  publicistes, 
qui  n'ont  pas  appris  dans  leurs  recherches  vertueuses  à  se 
jouer  par  de  vains  sophismes  des  droits  des  hommes  et  de 
la  souveraineté  des  nations.  Ces  principes  eurent  toute  leur 
vigueur  chez  les  Romains,  tant  que  la  république  y  eut 
toute  sa  vie,  et  lorsqu'ils  s'y  affaiblirent,  lorsque  le  préteur 
introduisit  la  formule  des  actions,  la  république  romaine 
était  déjà  dans  cette  pente  qui  allait  la  précipiter  dans  le 
gouffre  de  la  monarchie  absolue. 

Assurément  Rome  n'était  plus  dans  la  force  de  ses  insti- 
tutions et  de  ses  vertus  à  l'époque  où  vécut  Cicéron  ;  et 
cependant,  dans  l'accusation  contre  Verres,  ce  grand 
homme  met  au  nombre  de  ses  principaux  griefs  Tinterpré- 

11. 


l(;4  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

tatioii  que  le  concussionnaire  avait  faite  d*un  article  de  la 
loi  Voconienne. 

C'est  par  ce  respect  absolu,  par  cette  observation  même 
minutieuse  de  la  loi,  que  T Angleterre  se  dédommage  de 
rimperfection  des  siennes,  et  la  corrige,  pour  ainsi  dire; 
car  s'il  est  trop  vrai  que  l'usage  d'une  mauvaise  loi  est 
funeste,  l'efTet  seul  de  l'interprétation  est  mille  fois  plus 
fatal  :  on  peut  éviter  jusqu'à  un  certain  point  de  tomber 
dans  les  cas  d'une  loi  mal  faite  ;  mais  rien  ne  peut  garantir 
de  l'application  d'une  loi  qu'on  interprète  ,  encore  moins 
d'une  loi  qui  est  appliquée  sans  qu'elle  existe. 

Cette  fierté  d'un  homme  qui  est  sûr  de  n'obéir  qu'à  la 
loi,  cette  confiance  qu'elle  lui  donne  dans  tous  les  actes 
de  la  vie,  ce  respect  qu'elle  lui  inspire  pour  ses  sembla- 
bles et  pour  lui-môme,  sont  les  sentimcns  les  plus  féconds 
pour  le  bonheur  des  individus  et  pour  les  prospérités  de 
l'État  :  c'est  l'observation  de  ces  setitimens  et  de  leurs 
effets  sur  l'existence  des  Anglais,  qui  fait  aimer,  qui  rend 
touchante  jusqu'à  la  pédanterie  qu'ils  mettent  dans  leur 
recherche  du  texte  de  la  loi.  Ailleurs  on  est  pédant  aussi, 
mais  dans  l'interprétation  des  lois;  et  c'est  la  pédanterie 
des  Anglais  qui  vaut  mieux. 

Les  Anglais  ont  redouté  la  puissance  royale;  ils  l'ont  en- 
tourée de  barrières  qui  n'ont  pas  été  toujours  assez  hautes; 
mais  ils  ont  bien  i)lus  re<louté  les  abus  de  la  puissance  ju- 
diciaire; et  c'est  en  effet  avec  ces  abus ,  (jue  ceux  du  pou- 
voir exécutif,  l'arbitraire  vers  Iccjucl  il  tend  sans  cesse,  peu- 
vent former  la  plus  terrible  alliance.  Celte  alliance  secrète 
et  cachée,  c(»mme  les  moyens  par  Icsipicls  elle  agit,  peut 
rendre  le  pouvoir  exécutif  absolu  ,  peut  mettre  entre  ses 
mains  l'Ltal,  la  fortuiie,  la  vie  des  citoyens,  sans  qu'ils 
se  soient  aperçus  du  changement  de  la  constitution.  Voilà 
ce  que  les  Tudors  avaient  appris  aux  Anglais.  Ces  insu- 
laires si  fiers  curent  des  rois  qui  affectèrent  le  despotisme; 
et  ils  purent  les  supporter,  parce  (|ue  Je  despotisme  qui  se 


D£    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1 65 

montre  u'cst  pas  loug-temps  à  craindre  pour  des  dmc» 
fortes;  là  où  elleslc  voient  elles  sont  bien  sûres  de  rabattre 
quand  elles  en  seront  lasses,  quand  elles  le  voudront;  et 
cette  certitude  les  rend  patientes  :  mais  le  despotisme  (|ui 
se  glisse  ù  l'ombre  des  lois  est  partout  et  ne  peut  être 
surpris  nulle  part. 

A  l'époque  où  nous  sommes,  dans  le  moment  où  tous 
les  pouvoirs  «{ue  la  constitution  a  établis  commencent  leur 
existence,  et  veulent  la  cimenter  par  le  respect  du  carac- 
tère qui  les  distingue,  il  nous  est  difficile,  sans  doute  ,  de 
prévoir  ces  entreprises  obscures  du  pouvoir  exécutif,  cet 
envahissement  ténébreux  dont  l'interprétation  des  lois  peut 
devenir  pour  lui  le  moyen  dans  leur  application  :  mais  les 
lois  civiles,  comme  les  lois  constitutionnelles,  sont  faites 
pour  la  durée  de  ce  temps  qui  altère  tout;  et  la  sagesse  du 
législateur  consiste  à  placer  dans  son  ouvrage  des  principes 
qui  préviennent,  qui  atténuent,  et  non  qui  fortifient  Te  ffort 
continuel  de  ce  grand  destructeur. 

La  sagesse  du  législateur  lui  fait  apercevoir  dans  des 
exemples  étrangers  ce  que  sa  situation  particulière  ue 
peut  pas  lui  faire  craindre  pour  lui-même  ni  pour  ses  con- 
temporains ;  et  l'exemple  de  l'Angleterre  peut  nous  ap- 
prendre tout  ce  qu'une  nation  libre  doit  craindre  des  abus 
de  la  puissance  judiciaire,  c'est-à-dire  des  ctTets  de  l'in- 
terprétation des  lois  dans  leur  application  ;  c'est  dans  la 
recherche  des  moyens  propres  à  prévenir  ces  abus,  à  les 
reconnaître,  à  les  punir,  que  les  Anj^lais  semblent  avoir 
épuisé  toute  la  profondeur  de  leur  forte  intelligence,  et 
toutes  les  ressources  de  leur  sagacité  laborieuse  :  et  c'est 
bien  là  le  sentinnent  d'une  nation  vraiment  libre,  et  dont 
la  liberté  est  devenue  le  développement  des  plus  heureuses 
industries,  qui  ne  veut  pas  que  sa  propriété,  ses  travaux  et 
leurs  produits,  toute  son  existence  enfin,  soient  mis  à  la 
merci  d'une  volonté  individuelle,  à  la  merci  de  la  pensée 
particulière  d'un  juge  sur  la  loi  ;   mais  plutôt  et  unique- 


l66  DISCCSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

ment  confiés  à  la  loi,  et  textuellement  garantis  par  sa 
toule-puissance.  L'usage  d'une  mauvaise  loi  est  funeste 
sans  doute  ;  mais  Tinterprélalion  peut  faire  un  usage  désas- 
treux de  la  meilleure  loi  ;  et  quel  abus  peut  se  comparer  à 
ce  seul  effet  de  l'interprétation  des  lois,  qui  est  de  faire 
vivre  au  milieu  de  la  société,  comme  si  elle  était  sans  lois  ? 
C'est  un  fléau  sans  bornes,  une  contagion  qui  n'a  pour 
symptômes  que  ses  ravaj;es,  un  mal  qui  se  cache  et  agit 
dans  le  remède  môme  qui  devrait  le  guérir;  c'est  l'arbi- 
traire sous  les  formes  de  la  loi,  et  l'anarchie  sous  les  ap- 
parences de  l'ordre. 

Ainsi,  par  les  effets  de  cette  seule  disposition  de  la  loi 
dont  nous  discutons  le  projet,  de  celte  disposition  qui 
donne  à  l'organe  de  la  loi  le  droit  de  suppléer  à  son  insuffi- 
sance, et  même  à  son  silence,  vous  pouvez  voir,  tribuns, 
tous  les  rapf)orts  de  notre  organisation  constitutionnelle  se 
dénaturer  de  proche  en  proche  ;  ce  n'est  pas  seulement  la 
détermination  de  ces  rapports  et  leurs  garanties  qui  devien- 
nent diverses ,  incertaines ,  précaires  ;  mais  les  droits  mêmes 
du  citoyen  et  son  égalité,  le  caractère  du  Corps  législatif  et 
ses  bienfaits,  les  attributions  du  tribunal  de  cassation  et 
son  action  salutaire,  qui  s'égarent,  s'effacent,  se  perdent 
avec  la  loi  devant  le  pouvoir  arbitraire  du  juge. 

L'égalité  du  citoyen  consiste  à  n'être  soumis  (|u'à  la  loi; 
par  le  droit  donné  au  juge  de  suppléer  à  son  insufûsance  et 
à  son  silence,  le  citoyen  devient  sujet  d'une  volonté  parti- 
culière ;  pour  Ir.i  le  juge  n'est  plus  un  magistrat;  c'est  un 
homme  qui,  d'un  instant  à  l'autre,  peut  exercer  un  pou- 
voir personnel  sur  sun  état,  sur  ses  biens,  sur  toute  son 
existence;  un  homme  dont  il  faut  redouter  et  flatteries 
passions. 

La  permanence  et  les  sessions  périodiques  du  Corps  lé- 
gislatif sont  un  principe  d'un  état  républicain  et  une  dis- 
position de  notre  acte  constitutionnel ,  pour  «pie  les  lois 
soient  toujours  coordonnées  avec  ces  rapports  qu'elles  doi- 


DE    L\    PUBLICATION    DES    LOIS.  167 

vent  maintenir,  et  que  le  temps,  le  mouvement  même  de 
la  société,  peuvent  varier,  multiplier  :  l'expérience  de 
chaque  année  doit  apprendre  au  législateur  quelles  lois 
sont  insuffisantes  ,  quelles  lois  sont  nécessaires;  et  ainsi 
la  législation  se  répare  toujours  sans  efforts,  et  se  renou- 
velle, pour  ainsi  dire,  sans  changer.  Les  lois  humaines ,  dit 
Montesquieu,  que  je  dois  citer  sans  cesse  pour  écarter  de 
moi  jusqu'au  soupçon  d'exagérer  les  vrais  principes  ;  les 
lois  humaines  tirent  avantage  de  leur  nouveauté,  qui  annonce 
une  attention  particulière  et  actuelle  du  législateur  pour  les  faire 
obscriH'r. 

Par  le  droit  donné  au  juge  de  suppléer  à  l'insuffisance 
et  au  silence  de  la  loi ,  l'attention  particulière  et  actuelle  du 
législateur de\ lent  sans  objet  pour  les  Français  républicains  ; 
la  jurisprudence  des  tribunaux  se  substitue  au  pouvoir  du 
corps  législatif  :  il  y  a  plus,  le  caractère  de  la  législation  se 
corrompt  nécessairement  par  les  effets  divers  de  l'interpré- 
tation ;  mais  comme  le  juge  n'a  jamais  besoin  d'une  loi 
pour  rendre  un  arrêt,  le  même  abus  qui  rendrait  néces- 
saire la  correction  des  lois,  la  rend  toujours  impossible  : 
ainsi  le  corps  législatif  perd  à  la  fois ,  et  la  plus  grande  par- 
tie de  ses  attributions ,  et  le  droit  qui  pouvait  le  mieux  faire 
apprécier  son  existence,  et  bénir  le  retour  de  ses  sessions 
périodiques. 

Et  que  Ton  ne  dise  pas  que  les  droits  du  Corps  législatif 
sont  stipulés  et  garantis  par  la  défense  faite  aux  juges  de 
prononcer  sur  les  causes  qui  leur  sont  soumises  par  voie  de  dis- 
positions générales  et  réglementaires;  j'aperçois  fort  bien  com- 
ment cette  défense  réserve  dans  toute  leur  intégrité  les  at- 
tributs du  pouvoir  qui  a  l'initiative  des  lois  ;  mais  je  ne  vois 
pas  qu'elle  réserve  rien  à  l'exercice  du  pouvoir  qui  a  seul 
le  droit  de  les  décréter. 

Quant  aux  citoyens,  ils  perdent  tout  au  lieu  de  gagner 
quelque  chose  à  cette  défense  de  prononcer  par  voie  de  dispo- 
sitions générales  et  réglementaires.  Puisqu'il  faut  dépendre  de 


^68  DISCUSSIONS,    MOTIFS,     ClC 

la  voloulé  du  juge  au  lieu  d'être  soumis  à  la  loi,  c'est  ui| 
avantage,  sans  doute,  que  le  juge  s'impose  et  vous  fasse 
connaître  la  règle  par  laquelle  il  lui  plaira  de  vous  juger; 
il  vaut  mieux  qu'à  l'exemple  du  préteur  romain,  il  dise  à 
l'avance  comment  il  interprète  la  loi  où  comment  il  y  sup- 
plée ,  que  d'être  en  proie  à  une  interprétation  variable 
comme  les  pensées  qui  peuvent  se  succéder  dans  son  es- 
prit, que  d'être  eu  proie  à  un  arbitraire  de  tous  les  instans. 

Pour  le  tribunal  de  cassation ,  qui  est  destiné  à  casser  les 
jugemens  contraires  aux  lois  et  à  marquer  ainsi  continuel- 
lement aux  tribunaux  cette  route  où  ils  doivent  suivre  la 
justice,  quel  usage  pourra- 1- il  faire  de  son  pouvoir  sur  des 
jugemens  rendus  dans  le  silence  de  la  loi  ?  Ils  sont  trop 
dignes  d'exercer  cette  autorité  tutélaire  des  droits  de  la  loi, 
les  magistrats  qui  composent  le  tribunal  de  cassation ,  pour 
imiter  jamais  le  juge  dont  on  leur  soumettrait  un  sembla- 
ble arrêt  :  ils  s'abstiendraient,  et  ils  ne  voudraient  pas 
compromettre  leur  propre  caractère  en  oubliant  celui  de 
la  loi,  qui  doit  être  leur  règle  positive,  invariable,  pour  la 
défendre. 

Je  ne  suppose  rien,  tribuns;  je  tire  des  conséquences,  et 
il  ne  faut  pas  croire  qu'elles  soient  exagérées  ;  ce  n'est  que 
l'aperçu  des  résultats  nécessaires  du  droit  donné  au  juge  de 
supplvcr  à  r insuffisance  et  an  silence  des  lois.  Ces  résultats 
8out  certains,  si  les  juges  reçoivent  un  pareil  droit.  Dîra- 
t-on  qu'ils  pourraient  le  recevoir  et  ne  pas  en  abuser?  Mais 
ici  l'usage  est  l'abus  :  l'exercice  seul  du  droit  réalise  toutes 
les  con&é(|uences  que  j'en  ai  tirées.  Dira-ton  que  les  juges 
ne  l'cxertcront  pas?  et  pourquoi  donc  le  leur  donner? 
Mais  que  dis- je  moi-même?  La  loi  dont  nous  discutons 
le  projet  punit  le  juge  (}ui  refuserait,  qui  suspendrait 
l'exercice  du  droit  qu'elle  lui  donne;  elle  le  déclare  coupa- 
ble (Vun  (U'-ni  de  justice . 

S'il  était  donc  possible,  tribuns,  que  le  projet  soumis  à 
votre  discussion  devînt  une  loi,  une  seule  de  ses  disposi- 


*  DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  iGo 

lions  amc ocrait  successivement  la  désorganisation  du  sys^ 
lènic  total  de  la  constitution  et  de  la  République  française  ; 
et  ce  malheur  alïVcux  ne  serait  pas  le  seul.  Celte  disposi- 
tion fait  plus  que  d'effacer  le  Code  civil  auquel  on  l'asso- 
cie ;  elle  fait  de  ce  Code  un  nouvel  aliment  de  tous  les  abus 
qu'il  était  destiné  à  guérir  :  la  diversité  des  jurisprudences 
s'en  augmente;  l'empire  des  coutumes  renaît  en  France 
sous  le  nom  d'usages;  il  y  a  autant  de  justices  en  France 
qu'il  y  a  de  manières  différentes  d'interpréter  les  mômes 
lois.  Tout  devient  commentaire  pour  cette  interprétation  , 
et  tout  ce  qui  s'appela  la  législation  de  la  monarchie,  et 
toulcs  les  lois  révolutionnaires,  et  toutes  les  passions  cher- 
chent des  titres  et  trouvent  des  droits  dans  ce  chaos  de 
contradictions. 

Quels  effets,  tribuns!  à  quels  dangers  ils  exposent  la 
fortune  et  toute  l'existence  des  Français  î  quel  abus  mortel 
pour  le  développement  de  tous  les  genres  d'industrie,  pour 
les  relations  du  commerce  national  !  Si  ft  diversité  des  ju- 
risprudences et  la  mauvaise  administration  de  la  justice 
furent  comptées  autrefois  en  France  au  nombre  des  prin- 
cipales causes  qui  rendaient  sa  situation  intérieure  si  diffé- 
rente de  la  prospérité  intérieure  de  l'Angleterre ,  que  ne 
faudrait-il  pas  redouter  de  la  perpétuité  d'une  pareille  cause 
que  d'autres  aggraveraient  encore  ?  N'est-il  pas  vrai  que  la 
foi  des  transactions  s'affaiblit  par  l'incertitude  des  formes 
et  l'instabilité  des  actes?  n'est-il  pas  vrai  qu'alors  ce  mou- 
vement de  travaux  et  d'industries,  qui  met,  pour  ainsi 
dire  ,  les  hommes  et  les  choses  dans  une  circulation  conti- 
nuelle, se  décourage,  s'arrête;  que  la  propriété  territo- 
riale s'appauvrit  par  le  dépérissement  des  autres,  que  la 
terre  même  perd  ses  produits  avec  ses  moyens  d'exploita- 
tion ? 

Eh  quoi!  ces  rapports  de  la  famille  et  de  la  nature,  ne 
sont-ce  pas  les  lois  civiles  qui  les  consacrent  et  les  garan- 
tissent? Ces  rapports  si  doux,  et  dont  on  nous  parle  avec 


170  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC  * 

un  accenl  religieux,  ces  affections  profondes  qui  en  nais- 
sent et  dont  on  veut  que  les  inspirations  salutaires  soient 
nos  méditations  mêmes  sur  le  Code  qui  doit,  en  quelque 
sorte,  en  être  dépositaire,  ou  veut  d'avance  les  faire  sortir 
de  ce  dépôt  sacré  !  Prêts  à  les  confier  à  la  sainteté  de  la  loi, 
on  les  place  dans  la  dépendance  du  juge!  Enfin  ,  tribuns, 
on  substitue  à  la  simplicité  des  lois  de  la  République  la  con- 
fusion des  jurisprudences  monarchiques,  à  l'uniformilé 
des  rapports  la  diversité  des  garanties,  à  l'égalité  des  droits 
les  préférences  de  l'arbitraire,  et  au  règne  de  la  justice 
l'autorisation  de  tous  les  abus. 

Sous  tous  les  rapports  qui  composent  la  société,  au  nom 
de  toutes  les  affections  qu'elle  protège  et  qui  l'affermissent, 
par  tous  les  intérêts  qu'elle  garantit,  comme  propriétaires, 
comme  uégocians.  comme  citoyens,  comme  hommes,  les 
Français  ne  veulent  et  ne  peuvent  être  soumis  désormais 
qu'à  la  loi  ;  et,  interprèle  de  leurs  sentimens,  le  Tribunat 
doit  rejeter  un  projet  de  loi  qui  les  priverait  de  tous  les 
avantages  de  leur  indépendance  et  du  prix  de  tous  leurs 
sacrifices. 

Je  vote  ce  rejet. 


OPIMON    DL    TRIBLN   CUREE, 
POUR    LK   PROJET. 


Tribuns  ,  en  vous  développant  les  motifs  (jui  ont  déter- 
miné le  vœu  de  la  commission  ,  noire  collègue  Andrieux  a 
montré  un  trop  bon  esprit  pour  n'avoir  pas  porté  lui-môme 
le  fort  de  la  difficulté,  et  le  point  principal  de  la  discussion 
qui  nous  occupe,  sur  la  jiarlie  véritablement  essentielle  du 
projet,  c'est-à-dire  sur  l'article  qui  est  relatif  au  mode  de 
rendre  les  lois  publiques  et  exécutoires. 

Kn  effet,  1rs  véritables  débats  entre  nous  ne  peuvent  être 
que  là  :  car  des  remaniues  grammaticales  n'en  sauraient 
exciter  de  bien  sérieux;  et  ((uant  aux  considérations  tirées, 


DE    LA    1»UBLICA.TI0N    DES    LOIS.  I7I 

OU  de  l'incohérence  de  certains  articles,  ou  de  l'inconvé- 
nient  de  quelques  définitions,  ou  du  peu  de  rapport  qu'il 
y  aurait  entre  le  projet  que  l'on  nous  présente,  et  l'ouvrage 
auquel  il  servirait  d'introduction ,  toutes  ces  considérations 
doivent  être  examinées,  discutées,  et  elles  l'ont  été  déjà 
avec  force.  Mais,  après  cela,  quel  est  l'examen  essentiel 
d'où  le  Tribunal  doive  faire  dépendre  un  vœu  d'adoption 
ou  de  rejet  ?  n'est-ce  pas  l'examen  du  mode  tracé  dans  le 
projet  pour  donner  à  la  marche  des  lois,  une  fois  rendues, 
celte  notoriété  qui  avertit  tous  les  intérêts,  prévient  toutes 
les  surprises,  et  ne  laisse  aucun  prétexte  raisonnable  à  la 
proposition  d'erreur  ou  d'ignorance  ? 

Or,  si  le  projet  remplit  cette  condition,  l'aura-t-on  at- 
taqué d'une  mani'jre  solide,  en  disant  d'abord  qu'il  n'est 
pas  à  sa  place  là  où  il  est?  et  pourquoi?  parce  que  la  riia- 
tière  de  la  publication  des  lois  n'appartient  pas  plus  au 
Code  civil  qu'au  Code  judiciaire,  qu'au  Code  criminel, 
qu'au  Code  commercial.  A  quelle  branche  de  la  législation 
voulez-vous  donc  qu'elle  se  rattache;  car  il  faut  bien  qu'elle 
se  trouve  quelque  part  ?  Il  fallait  en  faire  le  sujet  d'une  loi 
séparée ,  laquelle  aurait  développé  l'article  constitutionnel 
sur  la  promulgation  des  lois.  C'est  là  précisément  ce  que 
fait  le  projet  dans  l'article  proposé.  Il  est  vrai  que  cette  loi 
se  trouve  en  tête  du  Code  civil,  mais  la  raison  en  est  bien 
simple  ;  c'est  qu'on  va  commencer  par  le  Code  civil  l'ou- 
vrage complet  de  la  législation  française  ;  c'est  que  le  Code 
civil,  attendu  depuis  si  long-temps,  sera  le  premier  mis  à 
exécution  ;  c'est  que ,  sous  ce  point  de  vue,  il  est  delà  plus 
haute  importance  de  régler  avant  tout  la  manière  dont 
s'exécuteront  des  lois  qui  vont  toucher  tous  les  rapports 
sociaux.  Je  conviens  avec  vous  que  le  principe  de  la  pro- 
mulgation et  de  la  publication  des  lois  rentre  dans  la  sphère 
constitutionnelle,  qu'il  est  du  ressort  de  la  loi  politique; 
mais  aussi,  convenez  avec  moi  que  tout  ce  qui  tient  au 
mode  que  l'on  emploie  pour  marquer,  soit  les  délaiç,  soit 


1  7^  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    CtC. 

les  autres  circoiislauces  à  la  suite  desquelles  la  publicaiiou 
d'une  loi  est  présumée  avoir  été  entendue  de  tous  les  ci- 
toyens, en  sorte  que  les  tribunaux  soient  obligés  d'appli- 
«juer  à  cette  loi  les  transactions  civiles,  les  actions  civiles 
c|ui  dépendraient  de  son  empire  ;  convenez,  dîs-je,  que 
tout  cela  est  intimement  lié  au  Code  civil,  à  la  loi  civile. 
Le  projet  qui  nous  occupe  est  donc  à  sa  place  eu  tête  du 
Code  civil;  et  par  là  tombe  un  des  reproches  que  lui  fail 
le  rapporteur  de  votre  commission. 

Maintenant  examinons  la  marche  qui  a  été  suivie  pour 
déterminer  ce  qui  forme,  ce  qui  constate  la  présomption 
juridique  d'après  laquelle  la  loi  est  censée  être  connue  de 
tous,  comme  si  elle  avait  été  notifiée  à  chacun  ,  et  voyons 
si  le  mode  qu'on  a  adopté  à  cet  égard  est,  je  ne  dis  pas 
sans  inconvéniens,  ce  que  je  regarde  comme  impossible, 
mais  s'il  est  du  moins  sans  les  inconvéniens  qu'on  a  voulu 
nous  faire  appréhender. 

Aux  termes  de  la  constitution  ,  le  Premier  Consul  pro- 
mulgue les  lois,  c'est-à-dire,  donne  le  signal  qui  avertit  la 
Républi(|ue  entière  qu'une  loi  a  été  rendue. 

Tel  est  le  principe  d'où  on  est  parti  pour  proposer  de 
décréter  qu'à  l'échéance  de  certains  délais,  la  loi  serait 
présumée  avoir  été  connue  dans  toutes  les  parties  de  la 
France,  en  conséquence  de  la  promulgation  qui  aurait  été 
faite  par  le  rremier  Consul  dans  le  siège  du  gouvernement. 
Cette  disposition  est  sini|)leet  tout  à  la  fois  pleine  de  dignité. 
Le  raj)porteur  de  la  conmiission  reconnaît  qu'elle  est  la 
suite  immédiate  et  nécessiiire  de  l'art.  4  »  de  la  constitution  , 
mais  il  ne  fallait  pas  s'arrêter  là.  L'article  07  de  la  consti^ 
tution  parle  aussi  de  la  promulgation  des  lois  :  or,  c'est  en 
laissant  île  cùlé  cet  article  07,  que  le  rapporteur  a  pu  se 
donner  carrière  et  convaincre  d'une  absurdité  palpable  Ui 
disposition  projetée.  Kn  cHct,  (jue  l'on  omette  cet  art.  5^ , 
dès-lors  l'argument  de  notre  collègue  Andrieux  oi  insolu- 
ble, et  voit  i  connue  on  peut  le  réduire  à  un  seul  mot  en 


DK    LA     PUni.ICATlON     DIvS    !,OIS.  17^ 

se  servant  de  la  phrase  inônic  où  est  conçu  rarliclc  pro- 
posé. 

Lu  pmmul^atio/i  faite  ])ar  le  Premier  Consul  ^  laquelle  n'est 
/toi/if  connue,  sera  ivputée  connue,  etc. 

Mais  c'est  là  ce  que  je  nie,  que  la  promulgation  du  Pre- 
mier Consul  ne  soit  pas  connue,  ne  forme  pas  un  terme 
fixe,  un  point  de  départ  incontestable,  et  pour  vous  prou- 
ver mon  assertion  ,  je  vous  ramène  à  l'art.  37  qui  dit  :  tout 
décret  du  corps  législatif,  le  dixième  jour  après  son  émission, 
est  promulgué  par  le  Premier  Consul.  Vous  voyez  que  la  pro- 
mulgation du  Premier  Consul  est  fixée  constitutionnellc- 
ment  au  dixième  jour.  Donc  celte  promulgation  vous  pré- 
sente dans  le  dixième  jour  un  point  de  départ  certain  et 
incontestable. 

Maintenant  demanderez-vous  quelle  sera  Theure  de  ce 
dixième  jour  à  compter  de  laquelle  commencera  à  courir 
le  délai  dont  il  s'agit?  je  vous  répondrai  qu'en  matière  de 
législation,  de  contrats  ,  en  un  mot,  qu'en  matière  de  dé- 
lais ,  (|ui  dit  le  dixième  jour  veut  dire  tout  le  dixième  jour  : 
en  effet,  l'article  constitutionnel  porte  que  tout  décret  du 
corps  législatif,  le  dixième  jour  après  son  émission,  est 
promulgué  par  le  Premier  Consul  :  ainsi  le  dixième  jour 
qui  suit  l'émission  de  la  loi  appartient  tout  en  lier  à  l'acte  de 
sa  promulgation  ?  ainsi  les  délais  que  l'on  fera  dépendre 
d'un  pareil  acte  auront  leur  premier  terme  dans  le  dernier 
point  de  la  durée  du  temps  où  cet  acte  a  pu  être  fait.  Et 
n'importe  que  le  Premier  Consul ,  qui  a  le  dixième  jour 
tout  entier  pour  faire  sa  promulgation  ,  puisse  la  porter  à 
une  heure  plutôt  qu'à  une  autre;  car  à  moins  d'un  règle- 
ment de  sa  part  qui  attache  l'exercice  de  la  faculté  que  lui 
donne  la  constitution  à  telle  partie  du  dixième  jour,  ce  qui 
alors  ferait  cesser  toute  autre  présomption  ;  à  moins,  dis- 
je,  d'un  pareil  règlement ,  et  jusqu'à  ce  qu'il  existe,  il  de- 
meurera constant  par  le  droit  commun  que  la  promulgation 
d'un  décret  le  dixième  jour  après  son  émission ,  embrassant 


J74  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

toute  la  durée  de  ce  jour,  les  délais  que  l'on  ferait  partir 
de  cette  promulgation  ne  commenceraient  qu'à  la  dernière 
heure  de  ce  dixième  jour. 

Il  est  donc  évident  que  le  premier  terme  que  nous  cher- 
chons, celui  du  départ  de  la  loi  en  conséquence  de  la  pro- 
mulgation faite  par  le  Premier  Consul  dans  le  siège  actuel 
du  gouvernement,  présente,  quoi  qu'on  ait  pu  dire,  une 
époque  certaine  et  déterminée. 

L'arrivée  de  la  loi  aux  tribunaux  d'appel  est  l'autre 
terme,  et  celui-là  est  établi  sur  des  données  positives.  Le 
rapporteur  en  convient,  tout  en  se  plaignant  de  Tinstabi- 
lité  dont  est  susceptible  cette  fixation.  Mais  fallait-il  donc 
qu'un  tableau  qui  marquât  les  distances  pour  chaque  tri- 
bunal d'appel  fît  partie  et  fût  un  appendice  de  la  loi  pro- 
jetée ?  La  chose ,  je  ne  crains  pas  de  le  dire ,  eût  été  trop 
absurde;  celte  détermination  des  distances  est  un  acte  de 
simple  règlement.  La  loi  déterminera  qu'il  y  aura  tels  dé- 
lais à  raison  de  telles  distances;  mais  après  cela  l'opéra- 
tion pour  mesurer  et  déterminer  ces  distances  est  de  sim- 
ple exécution ,  et  ne  peut  être  que  la  matière  d'un  règlement. 

Or,  ce  règlement  une  fois  porté  ,  rien  ne  sera  plus  simple 
et  plus  facile  que  de  connaître  l'époque  et  la  date  précise 
à  laquelle  chaque  loi  aura  commencé  à  être  exécutoire 
dans  les  divers  ressorts  des  tribunaux  d'appel ,  et  c'est  là  le 
but  principal  que  Ton  devait  s'efforcer  d'atteindre. 

Au  reste,  si  dans  le  système  que  l'on  vous  propose, 
comme  il  arrive  dans  tous  les  systèmes  destinés  à  être  réa- 
lisés, il  s'élevait  desdillicullès  que  n'eût  pas  prévues  la  sa- 
gesse du  législateur,  soyez  persuadés  qu'elles  seraient  bien- 
tôt aplanies  par  la  seule  marche  du  temps  et  des  choses. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  le  mode  que  l'on  nous  présente  m'a 
semblé  beaucoup  mieux  entendu  (|uc  celui  qui  existe,  l'aire 
marcher  la  loi  vers  son  exécution  successive,  et  cela  à  rai- 
son de  délais  déterminés  sur  une  échelle  fixe  des  distances 
du  point  central  où  siège  le  gouvernement,   aux  divers 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1  yÔ 

juiints  on  sont  placés  les  Iribnnanx  (l'appel,  est  un  mode 
qui ,  à  mon  avis,  a  ({uel(jiie  chose  de  plus  positif  et  de  plus 
certain  que  n'est  un  simple  envoi  et  une  simple  réception 
du  Bulletin  des  lois  au  chef-lieu  du  département,  seule 
formalité  pratiquée  aujourd'hui  pour  rendre  la  loi  obli- 
gatoire. 

.rai  fortement  insisté  sur  Tarticle  premier  du  projet, 
parce  que  j'ai  été  convaincu  que  tout  le  projet  dépendait  de 
cet  article.  levais,  en  finissant,  toucher  quelques  réflexions  , 
sur  les  autres  points  de  la  discussion  qui  nous  occupe.  Parmi 
les  articles  qui  suivent  le  premier,  ceux  même  qu'on  a 
trouvés  inconlestables  ^  on  les  a  condamnés  dans  le  projet, 
comme  déplacés.  Mais,  je  vous  le  demande,  où  donc  des 
règles  de  droit  peuvent-elles  être  mieux  à  leur  place  ,  qu'à 
l'entrée  d'un  corps  de  droit?  On  a  cité,  pour  faire  sentir 
cette  incohérence  dont  on  se  plaint,  le  principe  d'après  le- 
quel la  loi  ne  peut  avoir  d'effet  rétroactif.  Tribuns,  ce  prin- 
cipe, \éritaih\e palladium  de  tout  ordre  social,  a  été  si  sou- 
vent et  si  ouvertement  violé  à  de  certaines  époques,  qu'on 
ne  saurait  aujourd'hui  ni  assez  l'inculquer,  ni  le  répéter 
assez  souvent.  Il  appartient,  dit-on  à  l'ordre  judiciaire  :  eh 
bien  !  qu'on  le  répète  encore  dans  le  Code  judiciaire  ;  il 
n'y  aura  pas  à  cela  un  grand  inconvénient. 

Un  des  préopinans  s'est  élevé  contre  l'article  5,  qu'il  a  ap.  5 
attaqué  comme  étant  erroné  dans  son  principe ,  et  inique 
dans  ses  effets.  Pourquoi  ?  parce  qu'il  tend  à  priver  les  ci- 
toyens de  la  faculté  qu'ils  ont  naturellement  d'être  toujours 
admis  à  prouver,  contre  la  loi  elle-même,  qu'un  acte 
qu'elle  a  réputé  frauduleux  dans  certaines  circonstances, 
encore  qu'il  soit  dans  ces  mêmes  circonstances,  n'est  pas 
néanmoins  frauduleux. 

Jusqu'à  aujourd'hui  tous  les  jurisconsultes  avaient  re- 
connu des  présomptions  de  la  nature  de  celles  qui  ont  fait 
porter  la  maxime  exprimée  dans  l'article  5,  des  présomp- 
tions qu'ils  appelaient  yMm  et  de  jure,  des  présomptions  qui 


1  7^>  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

lie  laissaient  pas  de  lieu  à  la  preuve  conlraire.  On  veut  dé- 
truire celte  doctrine;  mais  juK(|u'i\  ce  qu'on  y  en  substitue 
une  autre,  je  conseillerai  aux  législateurs  de  se  tenir  à  des 
règles  qui  nous  ont  été  transmises  comme  incontestables, 
ci  comme  renfermant  en  peu  de  mots  l'esprit  de  beaucoup 
de  lois. 

4  Je  dirai  sur  rarliclc  G,  que  si  des  mouvemens  oratoires 
tenaient  lieu  de  raisons,  un  des  préojiinans  aurait  eu  rai- 
son de  s'élever  avec  force  contre  la  disposition  que  renferme 
cet  article;  car,  dit-il,  une  de  ses  suites  inévitables  se- 
rait d'intervertir  la  nature  d'un  des  pouvoirs  constitués , 
de  mettre  en  matière  civile  des  arbitres  à  la  place  de 
juges,  et  de  substituer  en  matière  criminelle  la  faculté  de 
faire  grâce  ou  de  commuer  la  peine  au  devoir  rigoureux 
d'appliquer  le  Code  pénal  au  fait  déclaré  constant.  Mais 
il  y  a  quelque  chose  de  plus  fort  que  tout  cela ,  et  notre 
collègue  n'aurait  pas  manqué  de  s'en  apercevoir,  s'il  eût 
poussé  un  peu  plus  loin  son  raisonnement  :  c'est  que  ces 
juges  dont  on  intervertirait  de  la  sorte  le  caractère  consti- 
tutionnel, seraient  obligés  de  se  prêtera  cette  inte/'version 
sous  peine  de  forfaiture. 

J'aurais  désiré  que  le  temps  m'eût  permis  de  discuter 
avec  quelque  étendue  celte  partie  du  discours  de  notre 
collègue  ,  et  de  vous  démontrer  combien  ses  raisonnemens 
sont  forcés,  ses  conséquences  outrées  et  toutes  ses  craintes 
chimériques.  iMais,  comme  voire  conmiission  ne  lésa  pas 
exprimées,  ces  craintes;  comme  elle  n'a  pas  vu  dans  l'ar- 
ticle, l'étrarge  bouleversement  dont  s'est  effrayé  notre  col- 
lègue ChazaI ,  nous  avons  lieu ,  je  pense,  d'être  rassurés 
entièrement,  même  sans  discussion  plus  étendue. 

àr,  Knfin,  pour  parler  en  général  des  articles  qui  suivent 
l'article  premier,  je  dirai  qu'en  les  considérant  comme 
règles  de  droit  et  comme  principes  de  décision  en  une  foule 
de  cas  où  ils  peuvent  donner  le  point  de  l'interprétation  de 
la  loi,  je  ks  ai  trouvés  utiles  cl  à  leur  place.  J'aurais  désiré 


DE    LA    PUBLICATION    UI-S    LOIS.  \n^ 

seulement  que  renchaînementen  eùlété  plus  considérable. 

J'ai  prouvé  ailleurs  que  le  mode  proposé  pour  assurer  la 

publication    et  l'exécution  des  lois  est  facile,  simple  et 


avantageux. 

J'en  vote  l'adoption. 

OPINION    liU    TRIBUN     COSTÉ  j 
CONTRE  LE  PROJET. 

Tribuns,  la  Fiance  n'avait  point,  n'a  point  encore  une 
législation  nationale. 

Les  coutumes,  les  usages  des  peuples  qui  composent  au- 
jourd'hui ce  vaste  empire,  et  qui  couvrent  son  immense 
territoire;  le  droit  écrit  qui  dérive  des  lois  romaines;  les 
ordonnances,  les  réglemens  ,  les  actes  d'une  puissance  es- 
sentiellement arbitraire,  formaient  une  compilation  bizar- 
rement contradicloiic,  où  chacun  était  tenu  de  recherchei* 
les  dispositions  qui  régissaient  le  canton  qu'il  habitait,  et 
où  les  iuges  recueillaient  péniblement  les  principes  des  dé- 
cisions incohérentes  qui  devaient  tourmenter  en  sens  in- 
verse, et  comme  étrangers  les  uns  aux  autres,  les  sujets 
d'un  même  royaume,  les  membres  d'une  même  société. 

La  révolution  ,  en  abolissant  partie  de  ces  lois  et  cou- 
tumes ,  et  en  en  conservant  une  autre  partie,  a  accumulé 
une  multitude  ,  je  pourrais  dire  innombrable ,  de  nouvelles 
lois,  non  moins  diffuses  et  incohérentes  :  en  sorte  que  la 
législation  en  France  est  devenue  un  labyrinthe  inextri- 
cable, un  véritable  chaos. 

Tel  était,  et  l'Europe  s'en  étonne,  tel  est  encore  l'état 
des  choses  chez  une  nation  qui  compte  pourtant  quatorze 
siècles  d'existence. 

Ce  n'est  pas  que,  durant  cet  espace,  les  Français,  sous  la 
monarchie,  fatigués  de  ce  mélange  insensé  de  lois  et  cou- 
tumes, la  plupart  informes  et  barbares,  n'en  aient  en  divers 
temps  réclamé  la  réforme  ou  l'abolition. 

VI.  12 


l-jS  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Mais  la  forme  d'un  gouvcrncnicnt  qui  reconnaissait  une 
division  de  sujets  en  trois  ordres,  et  qui  admettait  des  dis- 
tinctions et  privilèges  fondés  sur  cette  division  même, 
pouvait-elle  comporter  un  plan  d'uniformité? 

Ce  n'est  pas  encore  que,  depuis  la  convocation  des  no- 
tables ,  les  assemblées  nationales  qui  se  sont  succédées 
aient  méconnu  qu'un  des  grands  bienfaits  de  la  révolution 
devait  être  un  Code  général ,  et  qu'elles  ne  se  soient  souvent 
occupées  des  moyens  de  le  créer; 

Mais  pouvaient-elles  se  livrer  efficacement  à  ce  travail 
important  au  milieu  des  crises  politiques,  disons,  durant 
la  tourmente  révolutionnaire? 

Pour  consommer  ce  grand  œuvre,  il  fallait  la  cessation 
de  toutes  divisions  intérieures,  l'oubli  de  toutes  les  haines, 
il  fallait  le  calme  des  passions. — Enfin  ,  pour  créer  une 
législation  raisonnée,  uniforme  et  complète,  il  fallait  at- 
teindre l'époque  où  nous  sommes  parvenus  avec  tant  de 
gloire  et  de  bonheur.  •. 

La  loi  dont  nous  discutons  aujourd'hui  le  projet  est  re- 
lative à  la  publication ,  aux  effets  ,  et  ir  l'application  des  lois  en 
général. 

Cette  premi«ire  pierre  île  l'édifice  à  construire  est-elle 
convenablement  |) réparée  ? 

Est-elle  solidement  posée?      * 

(i'est  ce  que  nous  avons  à  examiner. 

Le  premier  article,  en  rendant  la  loi  exécutoire  dans 
tout  le  territoire  français,  en  veilu  de  la  promulgation  du 
Premier  Consul,  admet  un  temps  [>rogre.ssif,  dans  lequel 
la  connaissance  de  cette  promulgation  peut  parvenir  aux 
citoyens  des  dépaileniens. 

D'après  le  tilrc  n»énie  de  la  loi,  cet  article  doit  concerner 
la  publication. 

Or,  j'y  cherche  quelle  est  cette  publication  ;  et  la  loi  se 
lait  :  —  et  rarticle  consacré  à  la  publication  n'en  indique 
point  le  mode,  n'en  règle  point  la  forme;  enfin,  ue  prescrit 


DE    LA    PUBLICATION     DJKS    LOIS.  1  n(i 

point  de  publication  réelle  ,  —  et  la  pronnulgation  de  la  loi 
par  le  Premier  Consul  est  supposée  publication  dans  tous 
les  dëparteniens. 

Ainsi,  ce  qu'on  entend  par  publication  ne  serait  que 
fiction  ;  et  la  présomption  dans  les  départemens,  qu'il  y  a 
eu  promulgation  d'une  loi  à  Paris,  suffirait  pour  rendre 
obligatoire  l'acte  présumé  loi.  Non.  Ma  raison  ne  peut 
adopter  cette  idée. 

Le  mot  publication  doit  avoir  une  véritable  signification. 

La  publication  doit  être  un  acte  public ,  authentique  et 
notoire. 

Elle  doit  être  matérielle,  et  telle  qu'elle  puisse  trans- 
metlre  la  connaissance  eflfective  et  efficace  de  la  loi. 

Enfin,  la  publication  ne  peut  être  une  abstraction. 

Admettons  cependant  que  je  sois  dans  l'erreur.  : 

Eh  bien  !  la  promulgatijn  par  le  Premier  Consul  sera 
considérée  comme  publication  générale  dans  tous  les  dé- 
partemens. 

Fidèle  observateur  des  lois  de  mon  pays ,  ic  cherche  à 
les  connaître  pour  m*y  conformer. 

J'ai  su  par  les  feuilles  périodiques  qu'il  a  été  présenté 
par  le  gouvernement  un  projet  de  loi ,  que  le  Tribunal  l'a 
discuté,  le  Corps  législatif  adopté,  et  que  le  PremierConsul 
Ta  proclamé  loi  de  la  République, 

.le  demande  maintenant  où  est  le  texte  de  celte  loi. 

Où  obtiendrai-je  la  conviction  que  ce  que  les  papiers 
présentent  comme  loi  n'est  point  tronqué,  et  est  fidèle- 
ment rendu? 

Et  s'il  en  existe  plusieurs  versions,  où  m'assurerai-jc 
quelle  est  la  véritable? 

A  quel  caraclère,  enfin,  reconnaîtrai-je  le  régulateur  de 
mes  actions,  la  base  des  actes  que  je  dois  contracter  ? 

Mais ,  dira-t-on  ,  des  dispositions  ultérieures  suppléeront 
au  silence  de  la  loi  sur  ce  point  important;  il  en  inter- 
viendra nécessairement  qui  déclareront  que  les  formalités 

12. 


l8o  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    ClC. 

usitées  d'inserlion  au  Buliclin,  d'impression,  d'affiches, 
d'envoi  aux  tribunaux  et  admiuislralions,  seront  conser- 
vées ,  ou  qui  y  apporteront  les  changemens  et  modifica- 
tions que  la  nouvelle  législation  rendra  indispensables. 

Vous  penserez  sûrement,  mes  collègues,  que  ces  formes 
salutaires  étant  inhérentes  à  la  publication,  ou  étant  elles- 
mêmes  la  publication  ,  elles  devaient  faire  partie  de  la  loi 
sur  la  publication. 

Autrement  le  projet  que  nous  discutons  ne  serait  point 
ce  qu'annonce  son  titre;  ce  ne  serait  point  un  projet  sur 
la  publication  des  lois. 

Il  serait  absolument  sans  objet  :  car  il  ne  contient  pas 
même  de  disposition  qui  puisse  être  le  type  d'arrêtés  ou 
réglemens  propres  à  régulariser  la  publication. 

Je  passe  au  paragraphe  du  même  article  qui  détermine 
l'époque  où  les  lois  deviennent  obligatoires  dans  l'étendue 
de  chaque  tribunal  d'appel,  d'après  la  distance  qui  se 
trouvera  entre  la  ville  où  il  siège  et  celle  de  Paris. 

C'est-à-dire  qu'une  fixation  aussi  importante,  quidoitêtre 
invariable,  et  porter  un  caractère  de  solennité,  dépendra 
d'une  combinaison  de  distance ,  deviendra  atfaire  de  calcul. 

Mais  toutes  les  difficultés  que  présente  l'application  de 
ce  principe  ont-elles  été  senties? 

La  paix,  un  système  commercial  mieux  entendu  vont 
rapprocher  les  hommes  ,  rendre  leuis  relations  plus  éten- 
dues, leurs  liaisons  d'intérêt  plus  multipliées. 

Cet  ordre  de  choses  rend  utile,  sans  doute,  la  connais- 
sance de  chacune  des  épo(|ues  où  la  loi  est  devenue  obliga- 
toire dans  les  diverses  parties  de  la  République  où  l'on  peut 
avoir  à  traiter. 

Or,  je  le  demande,  (jucl  homme  peut  acquérir  cette 
connaissance,  les  époques  devenant  aussi  multipliées  qu'il 
y  a  de  tribunaux  d'appel;  et  cependant  quel  préjudice  ce 
défaut  de  connaissance  précise  ne  peut- il  pas  lui  faire 
éprouver? 


DE    L\    PUBLICATION    DES    LOIS.  l8l 

Plusieurs  routes  conduisent  à  la  môme  ville  ;  elles  tlifl'è- 
renl  cependant  entre  elles  de  plusieurs  myriamètres,  et  la 
plus  abrégée  peut  n'être  pas  celle  des  courriers  de  cor- 
respondance. Sur  laquelle  de  ces  deux  routes  sera  graduée 
réchollo  (pli  doit  servir  de  fixation  à  l'époque  où  la  loi  sera 
obligatoire? 

Un  pont  nouvellement  jeté  sur  une  rivière  crée  une 
route  qui  n'existait  pas ,  et  rapproche  de  Paris  les  départe- 
mens  qu'elle  va  parcourir;  un  chemin  percé  à  travers  une 
montagne  évite  un  long  circuit  :  encore  un  rapproche- 
ment ,  le  passage  par  bac  d'une  rive  à  une  autre,  le  trajet 
d'un  bras  de  mer,  peuvent  éviter  une  route  de  vingt,  de 
trente  myriamètres,  calculera-t-on  la  distance  sur  la  route 
ainsi  abrégée? 

Certes ,  il  se  pourra  que  des  déparlemens  éloignés  de 
Paris  aient  des  lois  avant  qu'il  en  existe  dans  les  déparle- 
mens les  plus  rapprochés;  et  c'est  bien  là  une  inconve- 
nance qu'on  ne  peut  consacrer  par  une  loi. 

Le  même  article  détermine  encore  que  la  promulgation 
sera  réputée  connue  dans  le  tribunal  de  Paris,  trente- 
six  heures  après  sa  date  :  mais  le  ressort  de  ce  tribunal 
n'est  pas  invariablement  fixé  ;  il  peut  être  convenable  d'en 
étendre  le  territoire,  et  alors  les  treute-sîx  heures  devien- 
dront un  délai  insuffisant. 

Il  peut  être  ouvert,  dans  certains  départemens,  quel- 
ques nouvelles  routes  plus  directes,  et  conséquemment 
plus  abrégées  que  les  routes  actuelles  :  une  de  ces  routes 
qui  rapprocherait  l'espace  qui  se  trouve  entre  deux  villes 
où  siègent  des  tribunaux  d'appel ,  changerait  les  distances 
qui  existent  maintenant  entre  Paris  et  dix  autres  chefs-lieux 
de  tribunaux  d'appel  :  voilà  donc  les  délais  pour  l'exécution 
des  lois  changés  sur  partie  du  territoire  de  la  République. 

Le  délai  de  trente-six  heures  dans  le  ressort  du  tribunal 
d'appel  de  Paris  n'est  ainsi  fixé  que  parce  que  Paris  est  le 
siège  du  gouvernement.  Il  n'est  pas  présumable,  mais  il 


l8'2  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

est  possible  que,  dans  quelques  circonstances,  il  soit  tem- 
porairement transféré  ailleurs;  en  ce  cas,  le  délaide  trente- 
six  heures  ne  serait  plus  fixation  pour  le  territoire  qui  com- 
pose le  tribunal  d'appel  de  Paris,  mais  le  deviendrait  pour 
le  ressort  de  la  ville  où  serait  le  siège  du  gouvernement. 

Je  pourrais  continuer  les  citations  de  circonstances  pro- 
bables qui  dérangeront  les  combinaisons  établies  sur  les 
distances  actuelles. 

Mais  il  suffit  de  celles-ci  pour  se  convaincre  que  le  délai 
progressif  jetterait  confusion  et  incertitude  où  il  faut  ordre 
et  stabilité. 

L'on  peut  objecter,  sans  doute ,  que  dans  des  cas  extraor- 
dinaires, une  nouvelle  loi  apporterait  à  cet  article  les  chan- 
gemens  et  modifications  convenables. 

Loin  de  nous,  tribuns,  toute  idée  d'existence  future  de 
lois  qui  changeraient  ou  modifieraient  le  Code  national. 

Qu'il  soit  fait  pour  des  siècles  ! 

Disons-le  donc.  En  matière  de  publication,  où  tout  est 
important ,  où  tout  doit  être  d'un  droit  rigoureux ,  l'époque 
où  les  lois  deviennent  obligatoires  doit  ôtre  fixée  ,  invaria- 
ble, constamment  déterminée. 

Elle  ne  peut ,  elle  ne  doit  être  laissée  à  l'incertitude  des 
combinaisons  qui  prêteraient  d'ailleurs  à  l'arbitraire. 

En  vain  dirait-on  que  l'article  premier  du  projet  indique 
suffisamment  le  moment  où  ce  délai  commence. 

Le  point  important  est  de  connaître  celui  où  il  finit. 

Et  comment  parvenir  à  cette  connaissance  dans  un  état 
de  choses  aussi  compliqué? 

Comment,  au  milieu  de  tant  de  confusion,  d'incerti- 
tude, présumer  que  la  loi,  ou  plutôt  que  l'époque  où  la 
loi  est  obligatoire  est  connue  des  citoyens?  Comment  les 
punir  de  ce  (ju  ils  ignorent,  ce  qu'ils  ne  peuvent  savoir,  et 
ce  qu'ils  ne  sont  pas  à  portée  de  connaître? 

Comment  appliquer  la  règle  rigoureuse  de  cet  axiome  de 
droit  :  J^itorantia  juris  ncminrm  excusât. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1 83 

Je  dis  donc,  mes  collègues  ,  l'article  proposé  n*est  point 
admissible  pour  obtenir  le  caractère  de  loi;  il  doit  être 
réformé. 

La  dignité  des  lois  et  l'intérêt  de  lous  réclament  une 
publication  effective  et  une  fixation  d'époque,  telle  que  les 
lois  deviennent  obligatoires  au  même  instant  sur  tous  les 
points  de  la  Képublique. 

En  vain ,  opposerait-on  à  ce  vœu  de  délai  uniforme 
qui  me  parait  si  généralement  exprimé,  la  crainte  que  la 
connaissance  de  la  loi,  parvenue  dans  les  départemens 
éloignés  de  Paris  long-temps  avant  sa  publication ,  ne 
donnât  lieu,  en  certaines  circonstances,  à  quelques  abus. 

Quelque  système  que  l'on  adopte  ,  ces  abus  ne  pourront 
jamais  être  extirpés  :  car  on  ne  pourra  empêcher ,  quel- 
ques précautions  que  dicte  la  prudence,  que  l'existence 
d'une  loi  ne  soit  connue  avant  sa  publication  officielle. 

Et  sans  doute  il  a  été  reconnu  qu'il  ne  pouvait  résulter 
de  bien  graves  inconvéniens  de  cette  connaissance  anti- 
cipée, puisque  la  constitution  a  admis  un  délai  salutaire 
de  dix  jours  entre  le  décret  du  Corps  législatif  et  la  pro- 
mulgation du  Premier  Consul. 

Or,  puisqu'on  ne  peut  empêcher  que  pendant  ces  dix 
jours,  précédés  d'une  discussion  solennelle,  la  connais- 
sance de  la  loi  ne  s'étende  dans  les  départemens  : 

Quel  danger  à  ce  que  ce  délai  se  trouve  prolongé  dans 
les  départemens  voisins  du  siège  du  gouvernement  de  dix 
à  douze  jours,  c'est-à-dire  du  temps  sulïisant  pour  faire 
parvenir  la  loi  dans  les  départemens  les  plus  éloignés? 

Mais,  objecte-t-on,  l'exécution  de  quelques  lois  sur  les 
fînances  doit  suivre  rapidement  la  connaissance  qu'on  a 
de  leur  promulgation;  autrement  ce  serait  une  source 
féconde  de  spéculations  frauduleuses. 

J'allais  répondre  :  Si  quelques  lois  en  ce  genre,  et  elles 
seront  rares ,  exigent  en  effet  une  rapidité  extraordinaire 


i84  DISCUSSIONS,  MOTIFS,  etc 

d'exécution,  elles  pourront  comprendre  en  elles  un  mode 
particulier  de  mise  à  exécution. 

Mais,  retenu  par  la  constitution  qui  veut  dix  jours  de 
suspension  avant  la  promulgation  pour  toutes  les  lois  en 
général,  je  répèle  :  Quelque  système  que  Ton  adopte,  il 
est  des  inconvéniens  (|u'on  ne  pourra  prévenir. 

En  vain,  dit-on,  une  fixation  d'époque  unique  est  im- 
possible. 

Peut-on  l'étendre  aux  colonies  des  Indes  orientales,  oc- 
cidentales? le  peut-on  même  aux  îles  françaises  de  la  Mé- 
diterranée et  de  l'Océan  ?  —  Non. 

Mais  l'article  91  de  la  Constitution  répond  à  l'objection 
quant  aux  colonies,  en  déterminant  le  régime  colonial  par 
des  lois  spéciales. 

Quant  aux  îles  françaises  en  Europe,  il  est  évident  qu'il 
conviendrait  de  leur  appliquer  un  mode  particulier. 

Je  dis  donc,  fixation  d'époque  unique  pour  le  territoire 
français  continental. 

J'appelle  votre  attention,  mes  collègues,  sur  l'article  2  : 
0  La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir,  elle  n'a  point  d'effet 
t  rétroactif.  » 

C'est  bien  là  un  précepte;  il  doit  être  inviolable,  sacré  ; 
qu'il  reste  gravé  dans  nos  esprits!  mais  ce  ne  devait  point 
être  un  article  de  loi. 

C'est  un  précepte,  mais  pour  le  législateur;  il  n'est  point 
pour  le  juge. 

Il  avertit  le  premier  qu'il  est  contraire  à  la  raison  et  à  la 
justice  de  faire  des  lois  rétroactives;  mais  il  ne  dispense  pas 
le  second ,  lors  même  (ju'au  mépris  de  ce  précepte  le  légis- 
lateur rendrait  une  loi  rétroactive  dans  ses  effets;  il  ne  le 
dispense  |>oint,  dis -je,  d'en  faire  l'application. 

Ainsi,  puisque  le  juge  ne  peut  mettre  le  précepte  à  la 
place  de  la  loi,  cl  qu'il  ne  lui  est  pas  donné  d'en  refuser 
l'application  sous  prétexte  qu'elle  contiendrait  ou  qu'il  la 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  l85 

croirait  contenir  rétroactivité ,  cet  article  est  superflu ,  et 
par  là  même  il  est  dangereux. 

Je  passe  à  l'article  5,  —  »  La  loi  oblige  ceux  qui  habitent 
«  le  territoire  français.  » 

C'est  un  principe  de  droit  bien  incontestable;  mais  n'est- 
ce  point  s'imposer  l'obligation  de  donner  les  développe- 
mens  qu'il  provoque ,  que  de  l'ériger  en  article  de  loi  ? 

Et  puisqu'il  est  de  la  règle  générale  des  nations  que  les 
lois  ne  sont  faites  que  pour  ceux  qui  habitent  le  pays  où 
elles  existent,  ne  suffisait-il  pas  qu'elle  restât  gravée  dans 
le  Code  des  droits  des  nations? 

La  rédaction  en  loi  d'un  principe  qui  admet  que  la  loi 
oblige  ceux  qui  habitent  le  territoire ,  et  qui  ne  prévoit 
aucune  exception,  apporte  l'induction  que  la  loi  n'oblige 
pas  ceux  qui  n'habitent  pas  le  territoire  ;  dès-lors  il  peut 
faire  naître  les  inconvéniens  que  les  préopinans  ont  re- 
tracés. 

Mais,  dit-on  ,  on  placera  des  exceptions  dans  d'autres 
parties  du  Code.  —  Je  répondrai  d'abord,  pourquoi  ne  pas 
placer  l'exception  à  côté  de  la  règle?  —  ou  bien, —  si  l'ordre 
des  matières  exige  impérativement  que  l'exception  soit 
placée  dans  quelqu'autre  partie  du  Code  ,  pourquoi  ne  pas 
annoncer  comme  devant  subir  exception,  une  disposition 
que  l'on  reconnaît  en  être  rigoureusement  susceptible,  et, 
faute  de  ces  expressions ,  sauf  les  exceptions  qui  seront  ap- 
portées,  induire  en  erreur  celui  qui  connaît  la  loi  et  qui  ne 
connaît  point  l'exception? 

Je  dirai ,  en  second  lieu ,  ce  projet  de  loi  devant  être 
exécuté  avant  que  l'exception  puisse  être  convertie  en  loi , 
il  y  aura  donc  un  espace  de  temps  durant  lequel  la  règle 
générale  assujétira  indistinctement  tous. 

Et  il  y  aura  ce  double  inconvénient  :  d'une  part,  les 
agens  en  France  d'une  puissance  étrangère  seront  soumis 
à  la  loi  de  France  jusqu'à  ce  qu'il  y  ait  exception ,  s'il  en 
doit  intervenir;  —  et  d'autre,  les  agens  français  lésidens 


l86  DISCUSSIONS,    BfOTIFS,   etc. 

en  pays  élrangcr  scrout  soumis  à  la  loi  étrangère  eu  alten- 
(laiit  l'exception  qui  doit  les  concerner. 
ap  3         Portons  nos  observations  sur  l'article  4. 

«  La  forme  des  acles  est  réglée  par  les  lois  du  pays  dans 
u  le<|uel  ils  sont  faits  ou  passés.  '» 

Ou  celte  disposition  s'applique  seulement  à  la  France, 
ou  en  général  à  tous  les  pays. 

Si  elle  s'applique  seulement  à  la  France,  elle  est  insigni- 
fiante et  absolument  sans  objet,  puisque  la  forme  des  actes 
est  une  dans  l'étendue  de  la  République. 

Si  elle  est  applicable  à  tons  les  pays,  elle  exige  tant  de 
développemens  que,  considérée  isolément  et  telle  qu'elle 
es!  présentée,  elle  est  plus  dangereuse  qu'utile. 

La  jurisprudence  observée  jusqu''à  ce  jour  a  considéré 
les  actes  passés  en  pays  étrangers,  devant  les  officiers  pu- 
blics, comme  actes  sous  seing-privé  en  France,  c'est-à- 
dire,  n'emportant  hypothèque  et  n'étant  titre  paré. 

S'ils  continuent  d'être  considérés  comme  tels,  qu'im- 
porte leur  forme  ? 

Entendrait-on  qu'en  opposition  à  la  jurisprudence  ac- 
tuelle, les  jugcmens  rendus  en  pays  étrangers  auront  en 
France  force  de  chose  jugée?  Mais,  je  le  demande,  cette 
conséquence  peut-elle  se  tirer  des  expressions  de  l'article? 
ne  devait-il  pas  plus  littéralement  exprimer  l'intention  de 
la  loi? 

Dans  quelle  incertitude,  dans  quel  embarras  vont  se 
trouver  les  juges  et  les  parties,  en  altendant  la  nouvelle 
loi  qui  établira  plus  clairement  ces  points  importans? 

Car  chacun  donnera  à  cet  article  l'extension  qui  lui  sera 
favorable,  précisément  à  cause  du  vague  qu'il  contient  : 
—  et  ne  perdons  pas  de  vue  que  le  projet,  s'il  est  adopté, 
aura  son  exécution  dix  jours  après  sa  conversion  en  loi; 
qu'ainsi  il  doit  s'écouler  im  espace  de  tem|is  avant  (}uc  les 
dispositions  qui  doivent  nécessairement  en  contenir  le 
dévcl(q)pciiirnt  soient  promulguées. 


DK    lA    PUBLICATION    DES    LOIS.  187 

L  article  5  porte  :  «p*  5 

«  Lorsque  la  loi,  à  raison  des  circonstances,  aura  réputé 
«  frauduleux  certains  actes,  on  ne  sera  pas  admis  à  prou- 
u  ver  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude.  » 

Cet  article,  tel  qu'il  est  rédigé,  et  d'après  l'application 
qu'il  présente,  offre  une  disposition  relative  à  des  cas  par- 
ticuliers. 

C'est  dire  qu'il  n'aurait  point  dû  trouver  sa  place  au 
rang  des  dispositions  qui  ne  concernent  que  des  cas  géné- 
raux. 

Il  y  a  plus,  l'article,  par  la  lettre,  semble  exclure  cer- 
tains autres  cas,  qui,  d'après  l'esprit,  paraîtraient  devoir 
y  être  compris. 

Je  m'explique  : 

Pourquoi  l'article  n'admet-il  point  à  prouver  que  des 
actes  que  la  loi,  àraison  des  circonstances,  répute  frau- 
duleux, ont  été  faits  sans  fraude? 

C'est  par  la  raison  qu'on  ne  doit  point  être  admis  à  prou- 
ver contre  la  présomption  de  la  loi,  c'est-à-dire  contre  ce 
qu'entend,  ce  que  veut  la  loi. 

Mais  cette  règle  ne  doit  point  être  spéciale  ;  —  elle  doit 
être  généralisée. 

Par  exemple,  il  est  évident  que ,  quand  une  loi  est  deve- 
nue exécutoire,  les  actes  qu'elle  régit  doirent  être  confor- 
mes à  ses  dispositions,  et  que  ceux  qui  seraient  contractés 
au  mépris  de  ces  mêmes  dispositions,  et  en  conformité  de 
lois  antérieures,  doivent  être  frappés  de  nullité. 

Or,  je  le  demande,  serait-on  admis  à  la  preuve  qu'au 
moment  où  l'on  a  fait  l'acte  on  ignorait  la  loi,  que  même 
il  y  avait  impossibilité  physique  qu'on  la  connût? 

Sans  doute  les  tribunaux  rejetteraient  une  pareille  pré- 
tention ,  et  se  fonderaient  sur  ce  que  les  délais  pour  la  pu- 
blication une  fois  expirés,  la  loi  est  réputée  connue  de 
tous ,  et  est  obligatoire. 

Si  tels  étaient  les  jugemens,  et  ils  ne  pourraient  cire 


î88  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

autres  sur  pareilles  prétentions,  il  est  donc  de  principe  qu'on 
n'est  point  admis  à  prouver  contre  ce  que  présume  la  loi. 

Ce  n'est  donc  pas  seulement  dans  le  cas  prévu  par  l'ar- 
ticle 5,  que  de  telles  preuves  ne  sont  point  admissibles, 
mais,  en  général,  dans  tous  les  cas  où  des  actes  sont  déclarés 
formellement  nuls  par  la  loi,  sur  une  présomption  quel- 
conque, lorsque  la  présomption  qu'elle  établit  est  le  fon- 
dement inH({ue  de  l'annulation  qu'elle  prononce. 

Il  résulte  de  ce  raisoimement  <|ue,  s'il  est  rigoureusement 
juste  de  ne  point  admettre  de  preuves  contre  ce  que  la  loi 
présume,  l'article  5  est  insufiisant,  puisqu'il  ne  s'applique 
point  à  tous  les  cas  ;  et  si  on  l'envisage  uni(juement  quant 
à  son  objet  particulier,  il  n'est  pointa  sa  place. 

Passons  à  l'examen  de  l'article  G. 

Il  porte  :  «  Le  juge  qui  refusera  de  juger  sous  prélexle 
«  du  silence,  de  l'obscurité  ou  de  l'insuffisance  de  la  loi, 
«  pourra  être  poursuivi  comme  coupable  de  déni  de  jus- 
«  tice.  » 

Arrêtons-nous  au  premier  mot.  — Le  juge. 

La  disposition  ne  présente  aucune  distinction. — Entend- 
on  tous  juges  indistinctement? Non.  —  Car.  au  criminel, 
les  juges  ne  peuvent  juger  que  lors(|ue  le  fait  est  qualifié 
de  délit  par  la  loi  et  puni  comme  tel. 

Parle- l-on  uniquement  du  juge  civil,  l'article  ne  dit 
point  assez;  car  il  y  a  mêmes  motifs  d'appliquer  cette  dis- 
position au  commerce;  et  le  projet  étant  intitulé  :  De  l'ap- 
plication des  lois  en  général,  comment  cet  article  ne  concer- 
nerait-il que  les  lois  civiles  en  particulier? 

Il  eût  été  mieux,  ce  me  semble,  que  l'article  eût  exprimé 
quel  juge  ou  quels  juges  il  entend  désigner. 

Si,  pour  ne  pas  arrêter  le  cours  de  la  justice,  il  est  sage 
d'obliger  les  juges,  en  cas  d'insuffisance,  du  silence,  ou 
d'obscurité  de  la  loi ,  de  statuer  d'après  les  règles  d 'équité  , 
la  principale  raison  en  est  que  la  loi  ne  devant  avoir  d'cifet 
rétroactif,  il  ne  peut  être  autrement  statué. 


DK    LA    PUBLICATION     DIS    l.OI^.  1 8q 

Car  il  ne  se  peut  qu'une  question,  ù  laquelle  il  n'y  a  point 
lie  loi  applicable,  soit  déterminée  autrement  que  par  un 
jui^emenl  rendu  suivant  les  lumières  et  d'après  la  eons- 
cience  des  juges,  ou  par  une  disposition  rétroactive. 

Mais  en  adoptant  le  premier  parti,  c'est-à-dire  l'injonc- 
tion au  juge  de  prononcer  sur  ces  questions  suivant  l'équité 
et  d'après  sa  conscience,  la  loi  doit  prévenir,  autant  cpie 
possible,  les  inconvéniens  de  cette  jurisprudence  arbitraire 
contre  laquelle  plusieurs  opinans  se  sont  élevés  avec  tant 
de  raison. 

Et  ce  serait  sans  doute  un  moyen  d'atteindre  ce  but,  ou 
au  moins  d'en  approcher,  que  d'enjoindre  à  tout  tribunal , 
toutes  les  fois  qu'il  y  aurait  jugement  rendu  d'après  la 
conscience  et  les  lumières  des  juges,  en  cas  de  silence, 
insuflisance  ou  obscurité  de  la  loi ,  d'en  référer  de  suite  à 
l'autorité  chargée  de  l'initiative  des  lois. 

Alors  le  gouvernement,  averti  à  l'instant  du  mal,  serait 
mis  à  portée  de  pourvoir  au  remède ,  en  provoquant  une 
loi  qui  statuerait  pour  l'avenir  sur  ce  qui  n'avait  point  été 
prévu  jusqu'alors. 

Ce  supplément  à  l'article  6  en  justifierait,  selon  moi,  les 
dispositions. 

Je  termine  ici  mes  observations. 

Elles  contiennent  les  motifs  qui  me  portent  à  voter  le 
rejet. 

OPINION    DU    TRIBUN    FAVAKT, 
CONTRE  LE   PROJET. 

Tribuns,  ce  n'est  pas  sans  peine  (jue  je  prends  la  parole 
pour  combattre  le  premier  projet  de  loi  qui  nous  est  pré- 
senté sur  le  Code  civil ,  et  cette  peine  a  sa  source  dans  l'ad- 
miration dont  j'ai  été  frappé  pour  l'ensemble  de  ce  même 
CodCjOÙbrillent,  dans  une  belle  ordonnance,  les  vrais  prin- 
cipes de  la  morale  publique  ;  mais  plus  cet  édifice  est  digne 
des  Français,  plus  il  honore  ceux  qui  l'ont  élevé,  plus  il 


190  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    ClC 

importe  à  la  gloire  de  ses  auteurs,  à  la  gloire  des  Français 
même,  que  le  défaut  du  frontispice  disparaisse. 

Les  développemens  donnés  par  les  orateurs  qui  m*onl 
précédé  me  font  un  devoir,  pour  ne  pas  abuser  de  vos 
momens,  de  me  renfermer  dans  la  question  principale  que 
présente  le  projet ,  c'est-à-dire  ,  celle  de  savoir  si  le  mode 
de  promulgation  proposé  est  admissible. 

Je  ne  rappellerai  pas  ceux  déjà  établis  par  les  lois  des 
a  novembre  1790,  14  frimaire  an  II,  et  12  vendémiaire 
an  IV  :  je  passe  sur-le-champ  à  l'article  premier  du  projet. 

«  Les  lois,  dit'il,  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire 
0  français ,  en  vertu  de  la  promulgation  qui  en  est  faite 
€  par  le  Premier  Consul. 

M  Elles  seront  exécutées,  dans  chaque  partie  de  la  Répu- 
ftblique,  du  moment  où  la  promulgation  pourra  y  être 
«  connue. 

c  La  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
«  pulée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de 
«  Paris,  trente-six  heures  après  sa  date,  et  dans  tout  le 
«  ressort  de  chacun  des  autres  tribunaux  d'appel  après 
«  l'expiration  du  même  délai,  augmenté  d'autant  de  fois 
«  deux  heures  qu'il  y  a  de  myriamètres  entre  Paris  et  la 
«  ville  où  chacun  de  ces  tribunaux  a  son  siège.  » 

Cet  article  confond  la  promulgation  que  fait  le  Prenu'er 
Consul  ,  et  qui  est  un  droit  attaché  au  pouvoir  exécutif, 
avec  la  publication  (|ui  doit  à  l'avenir  appartenir  à  l'auto- 
rilé  judiciaire  ,  et  dont  le  but  est  de  faire  connaître  olïiciel- 
lement  la  loi  à  ceux  ((ui  doivent  lui  obéir. 

L.i  promulgation  <|ui  émane  du  Premier  Consul,  et 
<|ui  ne  doit  être  faite  que  dix  jours  après  que  la  loi  a  été 
adoptée  par  le  (^)rps  législatif,  est  une  manifestation  au- 
tlienti(iuc  qu'elle  est  rex|)rcs.si()n  de  la  volonté  générale. 
Cette  promulgation  est  le  sceau  dont  la  loi  doit  être  revêtue 
pour  porter  aux  yeux  «le  tous  le  caractère  de  force  et  de 
puissance  qui  lui  appartient,  et  qu'elle  doit  avoir  pour 


DK    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  1  ()  l 

faire  ployer  la  volonté  individuelle  an  joug  de  la  volonté 
"énérale. 

Mais  quand  la  loi  a  reçu  cette  nianifeslalion  ,  quand  elle 
est  imprimée  de  ce  sceau,  elle  ne  peut  pas  devenir  obliga- 
toire à  l'instant  même.  Le  projet  que  je  combats  le  dit, 
puisqu'il  renferme  la  fixation  d'un  délai  entre  la  promul- 
gation de  la  loi  et  le  moment  où  son  exécution  doit  com- 
mencer. La  loi  n'a  pas  de  force  exécutrice  par  elle-même  : 
elle  ne  peut  la  tenir  que  des  tribunaux  qui  en  font  l'appli- 
cation ,  qui  en  ordonnent  l'exécution.  £lle  doit  donc  être 
envoyée  officiellement  aux  tribunaux,  parce  que  les  tri- 
bunaux doivent  la  connaître  oiTiciellcment  pour  l'appliquer 
et  la  faire  exécuter. 

Il  faut  que  le  fait  de  la  réception  soit  constaté  matériel- 
lement par  la  préscniation  qu'en  fait  le  commissaire  du 
gouvernement,  et  par  la  publication  qui  en  est  faite  dans 
une  séance  publique ,  et  consignée  dans  les  registres  des 
tribunaux. 

(>eUe  publication  dans  chaque  tribunal  a  un  autre  objet  : 
elle  avertit  les  hommes  voués  par  état  à  consulter  leurs 
concitoyens,  et  les  citoyens  eux-mêmes,  que  la  loi  existe 
avec  tous  les  caractères  qui  la  constituent  loi. 

Ce  n'est  réellement  que  de  ce  utoment  que  la  loi  est 
<  ensée  connue  :  et  il  faut  qu'elle  .soit  censée  connue  pour 
poiuoir  exiger,  pour  pouvoir  commander  la  soumission  h 
sa  volonté  suprême. 

C'est  cette  forme  salutaire  et  bienfaisante  qui  distingue 
la  loi  d'un  peuple  libre,  des  actes  arbitraires  qui  émanent 
secrètement  de  la  volonté  du  tyran  qui  règne  sur  un  peuple 
d'esclaves. 

Le  Français  n'aurait-il  pas  le  droit  de  dire  qu'il  n'est  pas 
soumis  à  une  loi  qu'on  n'a  pas  daigné  lui  faire  connaître 
par  tous  les  moyens  possibles  qui  étaient  dans  les  mains  du 
gouvernement,  dont  le  premier  devoir  est  d'éclairer  les 
consciences  avant  de  commander  aux  volontés? 


192  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

Dire  que  la  promulgation  est  une  publication  ,  c'est  con- 
iontlre  les  idées.  La  publication  qui  se  fait  par  la  promulga- 
tion est,  91  j'ose  le  dire,  muette,  et  n'instruit  personne; 
et  il  faut  que  la  loi  chez  un  peuple  libre  retentisse  partout 
où  le  citoyen  doit  en  aller  réclamer  la  protection.  Il  faut 
que  le  citoyen  ait  le  droit  de  demandera  chaque  tribunal 
le  bénéfice  de  la  loi,  et  qu'il  puisse  lui  dire  :  vous  la  con- 
naissez ,  puisque  vous  l'avez  publiée  ;  faites-moi  jouir  des 
droits  qu'elle  m'accorde,  et  dont  vous  avez  promis  de  me 
faire  jouir  en  m'en  faisant  entendre  les  dispositions  litté- 
rales par  la  publication  que  vous  en  avez  faite. 

L'article  que  je  discute  ne  prend  aucune  précaution  pour 
que  la  loi  arrive  dans  les  tribunaux.  Il  dit  seulement  qu'elle 
sCY^i réputée  connue  dans  chaque  ressort  de  tribunal  d'appel, 
trente-six  heures  après  la  promulgation  du  Premier  Con- 
sul, plus  deux  heures  par  myriamètre  de  distance  de  Paris 
aux  villes  où  siègent  les  tribunaux  d'appel. 

Mais  ce  délai  est  ordinairement  écoulé  avant  que  la  loi 
promulguée  ait  passé  du  secrétariat  du  gouvernement  à  ce- 
lui du  ministère  de  la  justice,  pour  y  être  visée  parle  mi- 
nistre, copiée  et  transmise  à  l'imprimerie  nationale,  pour 
être  insérée  au  Bulletin.  Ce  n'est  pas  moitié  du  délai  indis- 
pensable pour  (jue  les  tribunaux  aient  reçu  olliciellement 
la  loi.  On  veut  donc  qu'ils  soient  obligés  de  l'ap'jjliquer 
avant  d'avoir  la  certitude  oflicielle  de  son  existence  et  de 
sa  teneur?  et  comment  aussi  punir  les  citoyens  de  ne  s'y 
être  pas  soumis  avant  que  personne  la  connût  et  pûl  la 
connaître  dans  le  pays? 

On  objecte  (|ue  déjà  la  constitution  suspend  la  promul- 
gation de  la  loi  pendant  dix  jours,  depuis  son  émission  ,  et 
cjue  les  délais  accordés  de  plus  par  le  projet,  joints  à  ces 
dix  jours,  sont  au-delà  du  tenqis  nécessaire  pour  que  la  loi 
puisse  être  connue  partout. 

La  force  de  l'objection  repose  sur  la  supposition  ({uc  les 
<lix  jours  d'intervalle   prescrits  par  la  constitution  entre 


DE    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  IQ^ 

rémission  de  la  loi  et  sa  promulgaliou  ,  soiil  utiles  pour 
en  répandre  la  connaissance;  or,  c'est  là  une  méprise  évi- 
dente; les  journaux  apprennent,  il  est  vrai,  à  la  France 
entière,  dans  les  dix  jours  qui  suivent  l'émission,  que  le 
Corps  législatif  a  adopté  une  loi  sur  telle  matière  :  mais 
apprennent-ils  aux  citoyens  ce  que  cette  loi  leur  commande 
et  ce  qu'elle  leur  défend,  ce  dont  ils  doivent  s'abstenir  et 
ce  qu'ils  ont  à  faire  pour  s'y  conformer  ?  chacun  y  voit-il 
distinctement  ses  obligations  et  les  peines  auxquelles  il 
s'expose  en  contrevenant  à  une  loi  dont  le  titre  seul  lui  est 
connu,  et  dont  les  journalistes  indiquent  tout  au  plus  les 
basej  principales,  souvent  d'une  manière  inexacte? 

D'ailleurs,  la  loi  ne  doit-elle  pas  être  égale  pour  tous  les 
Français,  soit  qu'elle  punisse,  soit  qu'elle  protège,  soit 
qu'elle  attribue  des  droits,  soit  qu'elle  impose  des  obliga- 
tions ?  Le  parent  qui  sera  appelé  exclusivement  à  une  suc- 
cession le  premier  nivôse,  si  elle  s'ouvre  à  Paris,  ne  doit-il 
pas  y  être  appelé  également  si  elle  s'ouvre  le  même  jour  à 
Baïonne  ou  à  Nice?  Ne  serait-il  pas  absurde  que  la  même 
succession,  dont  les  biens  seraient  situés,  moitié  dans  le 
département  de  l'Yonne,  ressort  du  tribunal  d'appel  de 
Paris,  et  moitié  dans  le  département  delà  Côte-d'Or,  res- 
sort du  tribunal  d'appel  de  Dijon,  fût  recueillie  par  des 
héritiers  différens  dans  chaque  ressort,  parce  que  le  décès 
serait  arrivé  le  lendemain  de  la  promulgation,  à  Paris,  de 
la  loi  qui  établirait  un  nouvel  ordre  successif?  Ne  serait-il 
pas  aussi  absurde  qu'un  crime  commis  de  même  le  lende- 
main de  la  promulgation  d'un  nouveau  Code  des  délits  et 
des  peines,  ou  d'une  simple  loi  pénale,  sur  les  limites  des 
départemcns  de  l'Yonne  et  de  la  Côte-d'Or,  fût  puni  diffé- 
remment, selon  qu'il  aurait  été  commis  dans  le  ressort  de 
Paris,  ou  vingt  pas  plus  loin  ,  dans  le  ressort  de  Dijon  ? 

Si  ces  considérations  sont  décisives  pour  prouver  le  vice 
du  projet  que  nous  discutons,  combien  ne  militent-elles 
pas  en  faveur  du  projet  présenté  au  Conseil  d'État,  dans 
VI.  i3 


194  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc 

la  séance  du  4  thermidor,   dont  le  premier  article  était 
ainsi  conçu  : 

«  Les  lois  seront  exécutoires  dans  toute  la  République , 
«  quinze  jours  après  la  promulgation  faite  par  le  Premier 
«  Consul. 

«  Ce  délai  pourra  ,  selon  l'exigence  des  cas,  être  modifié 
a  par  la  loi  qui  sera  l'objet  de  la  publication.  » 

Que  l'on  ajoute  à  cet  article  les  dispositions  nécessaires 
pour  que  le  ministre  de  la  justice  fasse  passer  exactement 
les  lois  aux  tribunaux  ;  pour  que  le  commissaire ,  auprès  de 
chaque  tribunal ,  en  provoque  la  publication  dans  les  vingt- 
quatre  heures,  et  pour  qu'elle  soit  faite  sur-le-champ,  le 
tout  à  peine  de  forfaiture  :  alors  nous  aurons  le  double 
avantage  de  voir  que,  le  mên^e  jour,  la  loi  sera  exécutoire 
dans  toute  la  République ,  et  que  chaque  tribunal  aura  une 
connaissance  officielle  de  la  loi  avant  d'être  obligé  d'en 
faire  l'application. 

Si  aujourd'hui  les  tribunaux  ne  peuvent  plus  retarder  ni 
refuser  la  publication,  il  ne  faut  pas  en  conclure  que  la 
publication  n'est  pas  nécessaire ,  parce  qu'elle  n'ajoute 
rien  à  la  loi.  Il  faut  en  conclure  au  contraire  que  la  for- 
malité de  la  publication  n'ayant  pas  les  dangers  qu'avait 
autrefois  l'enregistrement,  et  étant  réellement  utile  ,  il  n'y 
a  pas  une  seule  raison  plausible  pour  la  refuser  aux  tribu- 
naux qui  en  ont  besoin  ,  et  aux  citoyens  (jui  ont  le  droit  de 
la  demander  au  gouvernement.  La  loi  est  une  convention 
à  laquelle  participent  tous  les  meml^res  de  la  société  :  elle 
est  obligatoire,  et  parce  qu'ils  y  ont  concouru,  et  parce 
qu'ils  la  connaissent. 

Ainsi,  le  mode  de  promulgation  proposé  par  le  projet 
n'assurant,  ni  aux  tribunaux,  ni  aux  citoyens,  la  connais- 
sance certaine  de  la  loi  avant  qu'elle  soit  obligatoire ,  il 
faut  nécessairement  le  rejeter,  pour  recourir  à  un  mode 
qui  donne  la  garantie  de  cette  connaissance. 

D'après  ces  considérations,  je  vote  contre  le  projet. 


t>E    LA.    PUBLICATION    DF.S    LOIS»  1  gS 


OPINION   DU   TRIBUN    LAHA.tVY  > 
POUR  LE   PROJET. 

Tribuns,  après  avoir  sauvé  la  France  de  tous  les  périls 
tjui  menaçaient  sa  liberté  et  son  indépendance;  après 
avoir,  par  d'innombrables  prodiges  et  d'éclatantes  victoi- 
res, forcé  tous  ses  ennemis  à  accepter  la  paix  et  à  traiter 
avec  elle ,  il  était  digne  du  gouvernement  de  mettre  le  sceau 
à  ses  triomphes  et  à  ses  bienfaits,  en  lui  donnant  ce  nou- 
veau Code  civil  si  long-temps  attendu  et  si  ardemment 
désirék 

Plus  l'entreprise  offrait  d'obstacles  et  de  difficultés ,  plus 
elle  doit  paraître  grande  et  généreuse ,  cette  idée  conçue 
par  le  gouvernement  dès  sa  naissance ,  profondément 
mûrie  au  milieu  même  des  soins  et  des  travaux  de  la 
guerre,  et  réalisée,  en  partie,  au  même  instant  où  la  paix 
générale  est  venue  couronner  tous  ses  efforts. 

Qui  donc  pourrait  ne  pas  rendre  hommage  à  la  pater- 
nelle sollicitude  de  ce  gouvernement?  qui  pourrait  surtout 
ne  pas  voir,  dans  cet  acte  signalé  de  sa  prévoyance  et  de 
sa  sagesse ,  le  gage  des  sentimens  qui  l'animent,  et  la  ga- 
rantie qu'il  s'empresse  de  donner  à  tous  les  peuples  contre 
l'ascendant  de  la  prépondérance  qu'il  a  si  justement  ac- 
quise? En  effet  (comme  Ta  observé  l'orateur  du  Conseil 
d'Étal  dans  son  discours  d'exposition  du  plan  de  ce  Code), 
«  La  prospérité  qui  naît  de  la  conduite  sage  d'un  gouver- 
«  nement  rappelle  aussi  ses  vertus,  et  l'on  y  voit  une  sauve- 
0  garde  contre  l'abus  qu'il  pourrait  faire  de  l'accroissement  de 
«  SCS  forces.  » 

Au  reste ,  je  ne  me  permettrai  de  prononcer  ni  sur  le 
plan,  ni  sur  l'ensemble,  ni  sur  les  détails  du  projet  de  ce 
Code,  qui  nous  fut  distribué,  en  ventôse  dernier,  pour 
que  nous  en  fissions  l'objet  de  nos  méditations  et  de  nos 
recherches.  Je  n'examinerai  pas  non  plus  si  (contraints 

i3. 


iqG  discussions,  motifs,  elc. 

de  choisir,  dans  le  chaos  de  toutes  les  législations ,  et  au 
milieu  des  ruines  et  des  décombres  dp  la  nôtre,  les  seuls 
élémens  qui  peuvent  en  composer  une  digne  de  la  grande 
nation),  les  rédacteurs  ont  écarté  ce  qui  était  absolument 
étanger,  et  recueilli  ce  qui  pouvait  s'adapter  le  mieux  à 
son  caractère,  à  ses  mœurs ,  à  ses  habitudes,  à  ses  institu- 
tions et  à  sa  nouvelle  existence  politique.  Outre  que  ce  se- 
rait trop  présumer  de  mes  forces  que  d'entreprendre  d'ap- 
précier, sous  tous  ces  rapports,  le  mérite  d'un  aussi  im- 
portant ouvrage  ;  outre  que  nous  ne  sommes  môme  pas 
appelés  à  le  discuter  dans  son  ensemble,  mais  dans  ses 
parties  détachées  à  mesure  qu'on  nous  les  présentera,  je 
dois  me  borner,  quant  à  présent,  à  la  seule  tâche  qui  m'est 
imposée. 

Je  crois  néanmoins  devoir  énoncer  ici  l'opinion  que  j'en 
ai  conçue,  d'après  la  lecture  réfléchie  que  j'en  ai  faite  et 
d'après  les  changemens  ou  modifications  qu'il  a  éprouvés 
et  qu'il  peut  éprouver  encore.  C'est  que,  si  ce  projet  de 
Code  (  qui  aura  été  formé  par  la  réunion  de  tous  les  talens, 
parle  concours  de  toutes  les  lumières,  et  qui  aura  encore 
subi  au  Conseil  d'Etat  toutes  les  épreuves  d'une  profonde 
et  solennelle  discussion)  n'atteint  pas  tout  le  degré  de 
perfection  dont  il  est  susceptible,  il  laissera  infailliblement 
très-peu  de  choses  à  désirer,  et  que  nous  aurons  sans  doute 
bien  plus  souvent  à  voler  l'adoption  qu'à  proposer  le  rejet 
de  ses  diverses  dispositions. 

C'est  d'après  cette  idée,  et  ne  perdant  jamais  de  vue  ni 
le  doute  méthodicjue  ni  la  sage  défiance  cjui  doivent  pré- 
sider à  la  recherche  de  la  vérité,  que  je  vais  me  livrer  à 
l'examen  du  projet  de  loi  soumis  en  ce  moment  à  notre 
discussion. 

Ce  projet,  relatif  à  la  publication,  aux  effets  et  à  l'ap- 
plication des  lois  en  général,  est  composé  de  huit  articles, 
qui  tous  embrassent  les  principaux  rapports  sous  lesquels 
les  lois  doivent  être  considérées.  \.i\  commission  à  la(|ueIlo 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  I97 

VOUS  en  avez  renvoyé  rexamen  ,  et  qui  d'abord  avait  cru  y 
apercevoir  quelcfues  motifs  d'adoption  ,  n'y  a  trouvé  depuis 
que  des  motifs  de  rejet  ;  aussi  le  rapporteur  a-t-il  attaqué 
tout  à  la  fois  et  le  fond  du  projet  et  les  divers  articles  (jui 
le  composent.  Il  n*en  est  pas  un  seul  qui  ait  pu  trouver 
grâce  devant  son  indexible  sévérité.  Il  est  même  telle  dis- 
position qui,  quoique  foncièrement  bonne,  n'a  précisé- 
ment été  censurée  que  parce  qu'elle  faisait  partie  du  projet 
de  loi,  et  qu'elle  eût  été  mieux  placée  ailleurs.  Tout,  en 
un  mot,  a  été  l'objet  de  sa  critique;  critique,  à  la  vérité, 
très-franche,  très-ingénieuse,  très-mesurée,  mais  aussi 
subtile,  je  crois,  que  peu  fondée  en  raison. 

«  Ce  projet,  dit  le  rapporteur,  est  déplacé  à  la  tête  du 
«  Code  civil. 

a  La  plupart  des  articles  qui  le  composent  ne  sont  pas 
«  des  articles  de  loi  ;  ce  sont  des  principes  énoncés;  ce  sont 
«  des  axiomes  de  morale  et  de  jurisprudence. 

«  Ils  ne  sont  point  ordonnée  entre  eux;  ils  ne  sont  rap- 
«  proches  que  par  la  juxta-position,  et  l'on  pourrait  même 
«  les  transposer,  dans  la  série  qu'on  leur  a  donnée,  sans 
«  qu'ils  y  parussent  plus  ou  moins  incohérens,  plus  ou 
«  moins  liés  l'un  à  l'autre. 

«  Le  premier  de  ces  articles,  relatif  à  la  publication  des 
Cl  lois,  ne  remplit  pas  son  objet,  puisqu'il  n'établit  aucun 
t  mode  de  publication  ;  qu'il  serait  trop  compliqué  et  sou- 
«  vent  impraticable;  qu'il  obligerait,  dans  certains  cas, 
«  les  magistrats  et  les  citoyens  à  l'exécution  de  lois  qui 
«  leur  seraient  inconnues;  qu'il  prêterait  à  des  variations 
«  continuelles,  soit  dans  la  date  de  la  promulgation,  soit 
«  dans  la  fixation  des  distances;  qu'enfin  ,  au  lieu  de  cet 
«article  insuffisant,  une  loi  unique,  mais  complète, 
«  serait  nécessaire  pour  régler  le  mode  de  publication  des 
"  lois. 

«  Quant  aux  sept  autres  articles,  les  uns  doivent  être 
<'  renvoyés  à  d'autres  projets;  les  autres  ne  sont  que  des 


198  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

0  préceptes ,  des  principes  de  droit ,  et  non  des  disposition^ 
«  législatives,  et  plusieurs  offrent  des  vices  essentiels  de 
«  rédaction. 

a  Enfin ,  ce  projet  n'est  pas  digne  de  servir  d'introduction 
«  au  Code  français.  » 

Les  orateurs  qui  ont  parlé  dans  le  même  sens,  en  renou- 
velant les  mêmes  objections  contre  l'ensemble  et  les  détails 
du  projet,  lui  ont  adressé  de  plus  sérieux  et  de  plus  graves 
reproches. 

L'un  deux,  en  soutenant,  comme  le  rapporteur,  «qu'il 
n'y  a,  dans  ses  diverses  dispositions,  ni  ordre,  ni  mé- 
thode, ni  classification  ,  et  qu'elles  sont  toutes  ou  déplacées 
ou  étrangères  à  leur  objet,  a  prétendu  encore  que  l'une 
d'elles  est  en  contradiction  directe  avec  les  premières  no- 
tions de  la  justice  et  de  la  morale,  en  ce  qu'elle  déclare 
certains  actes  frauduleux ,  et  n'admet  pas  la  preuve  qu'ils  ont 
été  faits  sans  fraude  j  quoiqu'il  soit  pourtant  vrai  qu'une 
preuve  doit  toujours  l'emporter  sur  des  présomptions;  que 
l'article  6  attribue  à  tous  les  juges  un  véritable  pouvoir 
arbitraire  dont  ils  pourraient  abuser,  soit  en  matière  ci- 
vile, soit  en  matière  criminelle,  puisqu'il  leur  est  or- 
donné de  juger,  dans  le  silence  de  la  loi,  suivant  les  seules 
règles  de  l'équité,  sous  peine  d'être  poursuivis  comme  cou- 
pables d'un  déni  de  justice;  qu'enfin  tous  les  articles  de  ce 
projet,  contenant  des  dispositions  constitutionnelles  ou 
réglementaires  de  la  constitution,  il  n'est  pas  au  pouvoir 
du  Corps  législatif  de  les  adopter,  » 

Un  autre  orateur  a  attaqué  le  projet  dans  deux  de  ses 
dispositions.  Il  a  prétendu  «  que  le  premier  article  conte- 
nait une  hérésie  politirpie  et  une  atteinte  directe  à  la  constitu- 
tion, en  ce  qu'il  y  est  dit  :  Que  les  lois  sont  exécutoires  en 
vertu  de  la  promulgation  ;  tandis  qu'elles  ne  peuvent  l'être 
que  d'après  cette  promulgation.  Il  a  prétendu  ensuite  que 
prescrire  aux  juges  de  juf;cr,  quand  la  loi  est  muette  ou  in- 
siiffisanic,  c'était  les  autoriser  non  à  appliquer,  mais  à  faire 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  1  (J() 

la  loi ,  et)  y  substituaut  leur  volonté  arbitraire.  Il  a  ter- 
miné en  soutenant  que  ie  projet  ne  pourrait  être  adopté  , 
sans  compromettre  notre  liberté  et  notre  indépendance»  » 

Enfin,  un  troisième  orateur  a  fortement  combattu  les 
dispositions  contenues  dans  les  premier  et  deuxième  ar- 
ticles. Il  a  soutenu  «  que  le  gouvernement  n'avait  pas  le 
droit  de  tracer  seul  la  formule  de  promulgation  des  luis  , 
mais  seulement  celle  de  ses  arrêtés,  comme  le  Tribunat  et  le 
Corps  législatif  peuvent  aussi  seuls  régler  celle  de  leurs  dé- 
libérations ;  que  la  première  de  ces  formules ,  qui  doit  être 
commune  aux  trois  branches  de  la  puissance  législative, 
ne  pouvait  être  déterminée  que  par  une  loi ,  et  qu'elle  de- 
vait tracer  celles  qu'ont  déjà  adoptées  le  Corps  législatif  et 
le  Tribunat;  qu'au  reste,  cela  s'est  pratiqué  dans  les  cinq 
premières  lois ,  à  compter  du  19  jusqu'au  26  nivôse  an  8, 
mais  que  postérieurement  ce  mode  a  été  changé  par  le  gou- 
vernement, sans  le  concours  des  autres  autorités,  qui  au- 
raient dû  participer  à  ce  changement;  qu'il  est  convenable 
aujourd'hui  de  rétablir  légalement  ce  mode  conservateur 
de  l'indépendance  des  pouvoirs,  et  qui  doit  servir  de  ga- 
rantie contre  l'abus  qui  pourrait  résulter  d'une  marche 
contraire  ;  qu'en  un  mot ,  il  faut  faire  une  loi  sur  la  promul-- 
cation  des  lois ,  et  que  le  projet  ne  consacrant  aucune  formule  de 
promulgation ,  il  doit  par  cela  seul  être  rejeté,  »  Passant  ensuite 
à  la  disposition  relative  à  la  rétroactivité,  il  a  manifesté  les 
plus  vives  alarmes  contre  l'abus  qu'on  pourrait  faire  du 
principe  qu'elle  consacrait. 

Tel  est ,  en  raccourci ,  le  tableau  des  imperfections  ,  des 
défauts ,  des  vices,  des  inconstitutionnalités,  je  dirai  pres- 
que des  attentats  qu'on  reproche  au  projet  que  nous  dis- 
cutons. 

Ici ,  mes  collègues ,  je  ne  puis  me  défendre  d'une  dou- 
loureuse réflexion. 

Qui  aurait  prévu  qu'un  projet  de  loi  destiné  à  sennr  de 
portique  au  majestueux  édifice  qui  s'élève  sur  les  ruines  de 


200  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

notre  ancienne  législation  ,  aurait  la  fatalité  de  rencontrer 
d'aussi  insurmontables  obstacles,  d'éprouver  d'aussi  for- 
tes contradictions,  de  n'être  même  pas  jugé  digne  d'y  fi- 
gurer, et  d'en  être  écarté  comme  un  intrus  par  les  sentinelles 
avancées  qui  doivent  en  proléger  ou  en  défendre  les  appro- 
ches, en  diriger  ou  en  surveiller  la  distribution  ?Qui  aurait 
pensé  que  ces  prémices  d'une  production  qui  a  coûté  et 
qui  coûtera  encore  tant  de  méditations,  de  veilles,  de  tra- 
vaux, de  soins  et  de  sollicitudes,  pourraient  être  envisagées, 
dans  le  sein  duTribunat,  comme  l'ouvrage  delà  négligence 
ou  de  la  méprise,  de  l'imprévoyance  ou  de  l'erreur  ?... 

A  Dieu  ne  plaise  que  j'entende  inculper  ici,  ni  le  rap- 
porteur de  votre  commission  ,  dont  la  censure  a  été  si  dé- 
cente et  si  mesurée  ,  ni  les  autres  adversaires  du  projet,  qui 
ont  été  emportés  par  un  zèle  outré  peut-être ,  mais  qui , 
par  cela  même,  ne  peut  qu'honorer  leurs  sentimens.  Je 
rends,  au  contraire  ,  un  sincère  hommage  à  leurs  talens, 
à  leurs  vertus,  à  leurs  louables  intentions;  et  s'il  était  vrai 
qu'ils  eussent  dépassé  les  bornes  d'une  sage  et  judicieuse 
critique,  je  les  plaindrais  de  s'être  égarés,  mais  je  n'en 
respecterais  pas  moins  la  source  d'où  proviendrait  leurs 
écarts. 

Je  ne  me  propose  point  de  suivre  pas  à  pas  ces  divers 
orateurs,  ni  do  réfuter  toutes  leurs  objections;  je  n'en  ai 
ni  le  temps  ni  la  faculté.  Je  supprimerai  même  toute  la 
partie  de  mon  opinion  où  j'avais  lâché  de  justifier  chacun 
des  articles  du  projet,  et  cela  non  seulement  pour  ne  pas 
abuser  de  vos  précieux  momens,  mais  encore  parce  que 
les  orateurs  qui  m'ont  précédé  à  cette  tribune  ont  rempli 
cette  tâche  beaucoup  mieux  que  je  ne  pourrais  le  faire.  Je 
vais  donc  exclusivement  m'attacher  à  défendre  l'article 
premier,  relatif  au  mode  de  promulgation,  comme  for- 
mant l'objet  le  plus  inq)orlaiit  du  projet  de  loi,  et  celui  que 
l'on  a  attaqué  avec  le  plus  de  force.  Je  terminerai  par  quel- 
ques réflexions  générales. 


DK  LA  PUBLICATION  DBS  LOIS.  *iOI 

Discussion  sur  le  premier  article  du  projet  de  loi. 

El  d'abord, pour  bien  apprécier  le  nouveau  mode  de  pro- 
mulgation que  consacre  ce  premier  article,  on  doit  bien 
se  garder  de  remonter  aux  temps  antérieurs.  Il  faut ,  au 
contraire,  se  fixer  invariablement  sur  les  circonstances  ac- 
tuelles, sur  les  changemens  qu'elles  nécessitent,  et  sur  ce 
que  prescrit  la  loi  fondamentale  de  toutes  les  autres. 

Voyons  donc  quel  est  à  cet  égard  le  vœu  de  la  Constitu- 
tion :  mais,  avant  tout,  convenons  une  bonne  fois  que,  si 
l'on  doit  bannir  de  notre  Code  civil  toute  espèce  de  défi- 
nition ,  il  doit  du  moins  m'être  permis  d'en  faire  usage 
dans  la  discussion  à  laquelle  je  vais  me  livrer;  car,  en 
bonne  logique,  il  est  impossible  de  raisonner  conséquem- 
ment,  si  l'on  ne  commence  par  définir  les  termes  et  par 
bien  fixer  les  idées. 

L'article  4»  de  la  Constitution  porte  :  «  Que  le  Premier 
«  Consul  promulgue  les  lois.  »  Or,  qu'est-ce  que  promul- 
guer les  lois ,  dans  l'ordre  de  choses  actuel ,  si  ce  n'est  leur 
imprimer  le  sceau  de  la  publicité  pour  qu'elles  soient  no- 
toires, et  que  personne  (qu'on  me  passe  l'expression)  ncn 
puisse  prétendre  cause  d'ignorance  ?  Donc,  d'après  le  vœn  de 
l'acte  constitutionnel,  la  publication  de  la  loi  ne  doit  s'o- 
pérer qu'au  moyen  de  la  promulgation  qui  en  est  faite  par 
le  Premier  Cocisul. 

En  effet,  s'il  était  vrai  que  la  promulgation  et  la  publica- 
tion des  lois  ne  fussent  pas  une  seule  et  même  chose ,  et  si , 
comme  on  l'a  prétendu,  l'une  n'était  que  la  conséquence 
de  l'autre ,  certes  le  pacte  social  n'eût  pas  manqué  de  s^en 
expliquer.  Il  n'eût  pas  manqué  de  dire  que  la  promulgation 
devait  être  suivie  de  la  publication,  ou  que,  du  moins,  elle 
ne  serait,  sans  cette  dernière  ,  qu'une  formalité  nécessaire 
pour  rendre  la  loi  obligatoire,  mais  insuJfisante  pour  lui 
donner  le  caractère  de  publicité  et  pour  *n  commander 


202  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

rexécution  ;  car  sans  doute  le  pacte  social  a  voulu  et  dû  vou- 
loir que  les  lois  fussent  publiées,  puisque  la  publication  est 
indispensablement  nécessaire  pour  les  rendre  exécutoires. 

Mais  s'il  a  voulu  et  dû  vouloir  que  les  lois  fussent  pu- 
bliées, et  si  pourtant  il  n'a  exigé  que  la  promulgation  faite 
par  le  Premier  Consul ,  il  a  donc  nécessairement  entendu 
que  cette  promulgation  serait  la  publication  elle-même. 

Supposerait-ou ,  malgré  tout,  que  ce  sont  deux  choses 
très-différentes?  Alors,  non  seulement  la  Constitution  Teûl 
dit,  mais  je  soutiens  qu'elle  eût  dû  le  dire,  pour  empêcher 
qu'on  ne  les  confondît  et  pour  ôter  ainsi  tout  prétexte  de 
dissentiment  sur  un  objet  aussi  important. 

Cependant  elle  ne  fait  aucune  mention  de  ce  genre  de 
publication  que  quelques  orateurs  prétendent  différer  es- 
sentiellement de  la  promulgation.  Le  mot  publication  ne  se 
trouve  même  pas  dans  l'article  qui  attribue  au  Premier  Con- 
sul le  droit  exclusif  àe  promulguer  les  lois.  Le  silence  qu'elle 
garde  à  cet  égard  est  donc  la  preuve  la  plus  parlante,  que 
la  promulgation  et  la  publication  sont  deux  choses  identi- 
ques et  absolument  les  mêmes  ;  ce  qui  est  d'autant  plus 
vrai,  que,  dans  la  supposition  contraire,  la  promulgation 
n'opérerait  rien  par  elle-même,  et  blesserait  ainsi  l'indé- 
pendance de  celui  de  qui  seul  elle  doit  émaner. 

Mais  si  ce  droit  réside  éminemment  dans  la  personne  du 
premier  magistrat  de  la  République;  s'il  lui  est  exclusive- 
ment attribué  par  la  constitution,  comment  pourrait-il  en 
partager  l'exercice  avec  qui  que  ce  fût?  Comment  lui  serait- 
il  permis  même  d'y  associer  les  autorités  administratives  et 
judiciaires? 

Et  cependant  ce  serait  là  le  résultat  nécessaire  du  droit 
de  publication  que  les  adversaires  du  projet  veulent  accor- 
der à  ces  autorités;  apparcmnienl  pour  suppléer  à  la  pré- 
tendue insufTisancc  de  la  itroinulgation  ,  i)eul-êlrc  même 
pour  y  apposer  le  sceau  de  la  iOgilimilé. 

Mien  vain  diraient-ils,  pour  ékuler  celte  consé(|Ucncc, 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  20i> 

que  la  publication  n'est  pas  la  promulgation,  mais  unique- 
ment l'acte  extérieur  qui  la  rend  publique  et  notoire. 

La  dillicuité  resterait  toujours  la  même. 

D'abord,  il  n'en  serait  pas  moins  constant  (dans  le  sys- 
tème que  je  combats)  qu'elles  seraient  toutes  deux  telle- 
ment liées,  tellement  cohérentes,  tellement  inséparables, 
que  l'une  ne  pourrait  exister,  ni  rien  opérer  sans  l'autre  , 
et  que  par  conséquent  les  autorités  à  qui  l'on  aurait  conféré 
ce  droit  de  publication ,  ne  pourraient  l'exercer  en  au- 
cune manière ,  sans  nécessairement  participer  à  l'acte  de 
promulgation  ,  qui  pourtant  doit  leur  être  absolument 
étranger. 

Ensuite,  qu'entend-on  par  l'acte  extérieur  de  publication 
qui  doit  rendre  la  promulgation  publique  et  notoire  ?  Quoi  ! 
la  promulgation ,  uniquement  destinée  à  donner  à  la  loi  le 
caractère  de  publicité,  aurait  besoin  elle-même  d'être  pu- 
bliée !  Elle  n'a  été  imaginée  que  pour  constater  ou  garantir 
l'existence  de  la  loi  et  pour  la  faire  connaître  ;  et  elle  de- 
vrait emprunter  un  secours  étranger  pour  se  faire  caution- 
ner elle-même  et  pour  se  faire  connaître  à  son  tour  î  Quoi  I 
l'on  voudrait  que  ces  autorités  secondaires  publiassent  de 
nouveau  ce  que  le  chef  du  pouvoir  exécutif  a  déjà  rendu 
public  ,  et  promulguassent  en  quelque  sorte  promulgation 
elle-même! 

Mais  voyons  donc,  collègues,  à  quel  excès  de  ridicule  et 
à  quelles  absurdes  conséquences  nous  entraînerait  un  pa- 
reil système  ! 

Il  me  paraît  donc  évident,  d'après  l'esprit  et  le  texte  lit- 
téral de  la  Charte  constitutionnelle ,  que  la  promulgation 
n'est  et  ne  peut  être  autre  chose,  dans  la  nouvelle  hiérar- 
chie, que  la  publication  elle-même,  ou  que  du  moins 
celle-ci  est  pleinement  suppléée  par  celle-là.  Ce  qui  est 
d'autant  plus  incontestable  que,  s'il  en  était  autrement,  il 
s'y  trouverait  une  lacune  sur  l'objet  le  plus  important  de 
la  législation  ,  et  qu'une  telle  imprévoyance  ne  peut  pas  se 


204  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

supposer  dans  une  constitution  où  brillent  à  la  fois  la  plu.s 
grande  sagesse  et  les  plus  belles  conceptions. 

Mais  quand  on  supposerait  (jue  le  pacte  social  (  en  se- 
bornant  à  déclarer  que  le  Premier  Consul  promulgue  les 
lois)  n'a  pas  entendu  le  dispenser  de  remplir  une  forma- 
lité sans  laquelle  la  promulgation  serait  vaine  ou  illusoire, 
toujours  serait-il  certain  qu'elle  aurait  du  moins  réservé  au 
pouvoir  législatif  la  faculté  de  tracer  le  mode  de  publica- 
tion ;  qu'ainsi  la  loi  pourrait  incontestablement  décréter 
que  la  publicité  qui  résulte  de  la  promulgation  équivaut 
à  celle  que  produirait  tout  autre  mode,  et  que  celui-là  se- 
rait préférable  qui  réunirait  tous  les  avantages  et  obvierait 
à  tous  les  inconvéniens. 

Or,  tribuns,  c'est  précisément  ce  qui  vous  est  proposé 
par  le  paragraphe  premier  du  premier  article  du  projet , 
qui  porte  :«  Que  les  lois  sont  exécutoires,  dans  tout  le  ter- 
«  ritoire  français,  en  vertu  (a)  de  la  promulgation  qui  en 
«  est  faite  par  le  Premier  Consul.  » 

Ainsi  donc,  à  moins  qu'on  ne  veuille  substituer  un  mode 
arbitraire  à  celui  que  la  Constitution  a  textuellement  in- 
diqué ,  on  ne  peut  disconvenir  que  la  loi  ne  devienne  i»u- 
blique  et  obligatoire  aussitôt  qu'elle  est  promulguée. 

A  la  vérité  ,  il  est  indispensable  d'accorder,  à  dater  de 
répo([ue  de  celle  promulgation,  un  délai  suftisantpour  que 
la  loi  puisse  être  connue  sur  les  divers  points  de  la  Répu- 
blique, au  moment  où  elle  doit  y  élrc  exécutée,  et  c'est  à 
quoi  le  même  article  a  sagement  pourvu. 

Mais  il  n'en  est  pas  moins  incontestable  que,  ce  délai 
expiré,  la  publication  doit  être  réputée  aussi  entière,  aussi 
complète,  aussi  notoire  pour  toutes  les  parties  du  territoire, 

(a)  Un  dri  pD-opinaili  •oM  b«uiii'<iii|i  ri'xrir  lur  reiii|jlui  (l<  ci-  iii»l.  Lu  lui,  n  lil  ilii  ,  ii'rsi 
pa«  r(èculoiri-  en  vtrXu  de  ta  promuti^ailm,  iiiuiii  im  i>eilii  di  .-c  iju'i-llf  <:<(  loi.  Mai*  «"V»!  In  iiiin 
«•rrrur.  L.1  loi  «•»!  *aii«  doiilr  riiiii|i|i'ir  .ivuni  «il  |)ioiniilf(alion  ,  inuin  elle  no  peut  flrr  nvrulét 
«(n'iiu  inojflii  (Je  oeil«'  pruniul^alion.  (>  uV»i  (loin-  p.it  nt  letlu  lU  1 1*  ifu'tile  r>(  loi,  iiirfikoi  vtrlit 
<*«  re  ifu\llt  ni  loi  promulguée  ,  qu'rHr  dcvirnl  cxécmoiri'.  Aiofi,  '"•'tic  olijrriion,  >pi'i)n  .1  préMnIée 
••flininr  li  gTSTP  ,  »r  résout  par  <<t»r   liniplr  olucrvaiion. 


I 


DE    LA    PUBLICATION    Dl-S    LOIS.  «oâ 

qu'elle  l'est  pour  le  chef-lieu  où  siigc  le  i^ouvcrncment. 

El  quand  je  parle  tlu  délai  qui  doit  suivre  la  promulga- 
tion ,  reinarcjiiez  bien  ,  tribuns ,  que  je  ne  dis  pas  qu'il  est 
indispeusablemenl  nécessaire  pour  que  la  loi  soit  connue , 
mais  seulement  pour  qû'eiie  puisse  l'être,  de  manière  que 
chaque  citoyen  ait  à  s'imputer  de  l'avoir  ignorée,  pouvant 
facilement  se  certiorer  de  son  existence  et  s'assurer  de  ses 
dispositions. 

Or,  je  soutiens  qu'une  telle  promulgation,  outre  qu'elle 
est  dans  le  vœu  de  la  constitution ,  donne  à  la  loi  tous  les 
caractères  de  publicité  dont  elle  est  susceptible  ;  et  qu'ainsi 
clic  produit  tout  l'elFet  qu'elle  peut  et  doit  produire.  D'où 
il  suit  que  l'envoi  de  la  loi  aux  autorités  judiciaires  et  ad- 
ministratives, la  réimpression,  la  transcription  etraffîche 
seraient  moins  le  complément  de  sa  publication  qu'une 
véritable  superfétation,  qui  serait  plus  dangereuse  qu'utile. 

Je  dis  que  ce  serait  là  une  véritable  superfétation  :  et  en 
effet  (comme  l'a  dit  M.  Tronchet,  dans  la  discussion  qui  a 
eu  lieu  au  Conseil  d'État),  «  il  faut  distinguer  ici  le  fait  de 
<i  la  théorie  :  la  théorie  est  que  les  lois  ne  sont  obligatoires 
«  que  lorsquelles  sont  connues  ;  mais ,  dans  le  fait,  on  ne 
«  peut  trouver  de  forme  pour  donner  connaissance  de  la 
«  loi  à  chaque  citoyen  individuellement.  » 

Cette  autorité  que  me  fournit  ie  premier  de  nos  Jurlscon- 
suites  (a),  je  ne  l'invoque  pas  précisément  comme  règle 
infaillible  de  décision.  Mais  j'observe  que  le  principe  qu'il 
énonce  doit  être  bien  certain  et  bien  incontestable,  puis- 
que aucun  des  conseillers  d'état,  appelés  comme  lui  à  le 
discuter,  n'a  entrepris  de  le  désavouer  ni  de  le  contredire, 
et  que  le  gouvernement,  en  l'adoptant,  en  a  fait  une  des 
bases  sur  lesquelles  repose  l'article  du  projet  relatif  à  la 
publication. 

Il  faut  donc  convenir  (et  en  vain  voudrait-on  le  nier, 

fa)  Le  Premier  Consul  ,  en  présc^oluit  M.  Tronchel  pour  raii(li<J<ii  à  ini<"  pi  ur  Kuaiiir  .ni  Sén.it 
conserTaleur ,  l'a  qualiGé  premier  Jurisconsulte  de  France. 


206  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

puisqu'on  serait  démenti  par  l'évidence  même),  il  faut  donc 
convenir,  ainsi  qu'on  l'a  soutenu  dans  l'exposé  des  motifs, 
qu'en  pareille  matière  on  doit  se  contenter,  à  défaut  de 
certitude ,  de  la  présomption  morale  que  chaque  citoyen  a  pu 
connaître  la  loi,  lorsqu'il  s'est  écoulé  un  intervalle  suffisant 
entre  le  moment  où  elle  a  été  promulguée  et  celui  où  a  dû 
commencer  son  exécution;  et  c'est  aussi  par  une  suite  de 
ce  principe,  que  le  troisième  paragraphe  de  l'article  pre- 
mier du  projety?Jce  le  temps  progressif  dans  lequel  la  connais- 
sance de  la  loi  peut  successivement  parvenir  aux  citoyens  des 
départemens, 

ft  La  promulgation,  est-il  dit,  faite  par  le  Premier  Con- 
«  sul,  sera  réputée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal 
«  d'appel  de  Paris ,  trente-six  heures  après  sa  date  _,  et  dans 
«  tout  le  ressort  de  chacun  des  autres  tribunaux  d'appel, 
«  après  l'expiration  du  même  délai,  augmenté  d'autant  de  fois 
«  deux  heures  qu'il  y  a  de  myriamètres  entre  Paris  et  la  ville  où 
«  chacun  des  tribunaux  a  son  siège.  » 

Ce  délai,  et  la  manière  dont  il  est  calculé  et  réglé,  a  es- 
suyé bien  des  critiques  ;  mais  comme  elles  ont  été  ample- 
ment réfutées  par  chacun  des  orateurs  qui  ont  parié  en 
faveur  du  projet,  je  crois  ne  devoir  y  répondre  que  très- 
brièvement  ,  pour  ne  point  lasser  la  patience  du  Tribunal 
par  d'inutiles  répétitions. 

Je  me  bornerai  donc  à  observer  que  c'est  à  tort  qu'on 
s'est  plaint  de  ce  que  l'article  premier  ne  fixait  pas  le  mo- 
ment indivisible  oii  une  loi  pourra  être  connue  ;  car  si  on  le  rap- 
proche de  l'article  57  de  la  Constitution  [(fui  veut  que  la  loi 
soit  promulguée  le  dixième  jour  après  son  émission)  et  de  la 
délibération  du  Conseil  d'Ktat  du  5  pluviôse  an  VIII,  sur 
la  date  des  lois  (  qui  décide  que  la  loi  doit  dater  du  jour  de  son 
émission  par  le  Corps  législatif)  ,  on  se  convaincra  que  cet 
article  détermine,  au  contraire,  ce  moment,  et  le  précise 
de  la  manière  la  plus  fixe  et  la  plus  invariable. 

J'observerai,    en  second  lieu,  (|ue  celle  fixation  d'un 


DK    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  '20'] 

délai  calculé  en  raison  des  distances,  me  parait  infiniment 
plus  avantageuse  et  plus  conforme  à  la  dignité  de  la  loi 
(dont  l'exécution  doit  être  prompte  et  rapide)  ,  que  celle 
d'un  délai  uniforme,  dont  la  détermination  ou  la  fixité  dé- 
pendrait du  caprice  ou  de  la  négligence  des  administrateurs 
et  des  juges. 

J'observerai,  en  troisième  lieu,  que,  si  le  mode  adopté 
peut,  comme  tout  autre,  entraîner  quelques  inconvéniens, 
la  sagesse  du  gouvernement  saura  les  prévenir  ou  y  remé- 
dier. 

Au  reste,  ce  serait  bien  en  vain  que,  pour  donner  à  la 
loi  une  plus  grande  publicité ,  on  joindrait  à  la  promulga- 
tion faite  au  chef-lieu  où  siège  le  gouvernement,  la  publi- 
cation dans  les  chefs-lieux  de  département  et  même  d'ar- 
rondissement communal,  puisque  la  connaissance  n'en 
deviendrait  pas ,  pour  cela,  générale  et  universelle,  comme  il 
faudrait  qu'elle  le  fût  pour  justifier  ce  système  :  car  alors 
même  la  loi  serait  également  ignorée  d'un  grand  nombre 
de  citoyens;  elle  ne  serait  connue  c|ue  de  quelques-uns  ;  et 
cependant,  on  ne  peut  en  disconvenir,  elle  n*en  serait  pas 
moins  obligatoire  pour  tous. 

Mais  dans  ce  cas  (qui  est  celui  de  la  publication  maté- 
rielle et  locale),  je  le  demande,  serait-il  raisonnable  de 
prétendre ,  comme  l'a  prétendu  le  rapporteur  de  votre  com- 
mission ,  qu'on  ne  pourrait  opposer  la  loi  a  celai  qui  ne  la 
connaîtrait  pas  j  quoiqu'il  eût  eu  tous  les  moyens  possibles 
pour  s'en  procurer  la  connaissance?  Non  sans  doute;  car 
on  lui  répondrait  avec  raison,  qu'ayant  à  s'imputer  de  ne 
ravoi»*pas  connue,  il  ne  peut  alléguer  V  ignorance  invincible. 

Pourquoi  donc  serait-on  plus  fondé  à  le  prétendre  dans 
le  cas  de  la  seule  promulgation  faite  au  chef-lieu  où  siège 
le  gouvernement,  puisque,  au  moyen  du  délai  accordé 
pour  qu'elle  puisse  franchir  toutes  les  distances,  il  est  une 
époque  fixe  et  invariable,  autant  qu'elle  peut  l'être,  où 
tout  citoyen  a  pu  et  dû  la  connaître? 


'J08  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Qu'on  lie  dise  donc  pas  que  la  publication  matérielle  et 
locale  est  tellement  de  l'essence  de  Ja  promulgation ,  qu'elle 
ne  peut  être  connue  sans  elle  ou  «jue  par  elle  ;  car  il  vau- 
drait autant  dire  que  la  loi  ne  peut  devenir  publique  et  obli- 
gatoire qu'au  moyen  d'un  mode  de  publication  qui  en  don- 
nerait la  connaissance  individuelle  à  tous  les  citoyens.  Or, 
comme  cela  est  absolument  impraticable,  on  est  nécessai- 
rement forcé  de  reconnaître  que  le  mode  adopté  par  le 
projet  de  loi  prévient  tous  les  inconvéniens  qui  pourraient 
résulter  du  mode  qu'on  propose,  et  qu'il  remplit  le  seul 
but  que  la  loi  puisse  atteindre. 

Ces  inconvéniens,  au  reste,  tribuns,  je  n'ai  pas  besoin 
de  vous  les  indiquer;  vous  devez  tous  les  prévoir,  comme 
vous  devez  tout  faire  pour  les  prévenir. 

J'ai  déjà  dit  que  l'étrange  erreur  dans  laquelle  sont  tom- 
bés tous  les  adversaires  du  projet,  provient  de  ce  qu'ils 
confondent  deux  ordres  de  choses  absolument  différens, 
et  diamétralement  contraires,  de  ce  qu'ils  appliquent  à 
l'un  ce  qui  n'est  propre  qu'à  l'autre  ;  enfin  de  ce  qu'ils  rai- 
sonnent, comme  ils  pourraient  cl  devraient  même  raison- 
ner, si  nous  étions  encore  ce  que  très-heureusement  nous 
avons  cessé  d'être  ;  et  il  ne  faut ,  pour  se  convaincre  de  celte 
vérité,  que  rapprocher  ce  qui  se  pratiquait  alors  de  ce  qui 
se  pratique  aujourd'hui. 

Kn  effet,  dans  ce  régime  qui  n'est  plus,  la  simple  émis- 
sion de  la  loi  ne  sudîsait  pas  sans  doute  pour  qu'elle  devînt 
publique  et  obhgatoire  ;  il  fallait  encore  que  ces  grandes 
corporations  placées  entre  le  monarque  et  le  peuple  pour 
défendre  les  droils  de  celui-ci,  el  modérer  le  pouvoir  de 
celui-là;  il  fallait,  dis-je,  que  les  cours  souveraines,  qui 
avaient  une  cs[)èce  de  veto  suspensif,  la  sanctionnassent, 
pour  ainsi  dire,  par  leur  assentiment.  Vuilà  pourquoi  clic 
leur  était  adressée  pour  l'enregistrer  el  la  publier;  el  non 
seulement  la  loi  n'était  ni  censée  publiée,  ni  réputée  con- 
nue,   ni  rendue  obligatoire  ,  mais  elle  n'avait    même,   à 


D1-:    LA    PUBLICATION     DES    LOIS.  209 

proprement  parler,  la  force  ou  Ta utorilé  d'une  loi,  qu'au- 
lant  qu'elle  était  revêtue  de  la  Tormalilé  derenregistremcnt 
et  de  la  publication. 

El  cela  est  si  vrai  que,  quand  elles  s'obstinaient  à  ne  pas 
la  remplir,  le  monarque  faisait  déployer  contre  elles  Tap- 
pareil  de  la  force  pour  les  y  contraindre.  Preuve  évidente 
que  l'enregistrement  et  la  publication  étaient  alors  la  seule 
et  véritable  promulgation  ;  que  la  loi  ne  pouvait  être 
exécutée  sans  elle,  et  qu'ainsi  il  dépendait,  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  de  ces  cours  souveraines  de  sus[)endre  les  effets 
de  la  loi,  et  d'en   paralyser  momentanément  l'exécution. 

Voilà  ce  qui  se  pratiquait  dans  l'ancien  régime  (a). 

Mais  il  en  est  tout  autrement  dans  le  régime  actuel  : 
l'émission  de  la  loi  est  pleine  et  entière;  elle  a  tous  les  ca- 
ractères essentiels  qui  la  constituent,  lorsqu'elle  a  été 
proposée  par  le  gouvernement,  discutée  par  le  Tribunat.  et 
adoptée  par  le  Corps  législatif. 

Je  dis  plus  :  aussitôt  que  ces  trois  autorités  ont  concouru 
à  sa  formation,  chacune  en  ce  qui  la  concerne,  elle  se 
marque  à  l'instant  du  sceau  de  la  volonté  nationale,  indé- 
pendamment même  de  la  promulgation  qui  doit  en  être 
faite,  et  qui  n'est  nécessaire  que  pour  rendre  cette  volonté 
manifeste  et  notoire ,  afin  qu'elle  puisse  exercer  tout  son 
empire. 

'a)  Si  le  temps  ne  m'eûl  pas  forcé  de  rrsserrcr  mes  id('!es  fl  de  icslrtiiidie  ma  discussion  ,  j'au- 
rais pu  prendre,  dans  des  temps  |)1ur  rapproc-lits  de  nous,  de  nouveaux  exemples  de  cette  dilTc- 
rencc  qui  doit  exister  entre  le  mode  de  pronuiigation  d'alors  et  celui  qu'il  convient  d'adopter  au- 
jourd'hui.Mais  je  suppléerai  à  la  nouTcllc  démonslrnliuu  que  je  ne  peux  présenter  ici  ,  en  rappelant 
les  termes  mime  de  lu  délibération  du  Conseil  d'État  ,  du  5  pluviôse  an  VIII,  inséiéf;  dans  |c  n"  (i 
du  Bulletin  de«  loin. 

u  Le  gouTcmeineni  a  une  part  à  la  législation ,  mais  seulement  par  la  proposition  de  la  loi ,  et  quand 
<  il  la  promulgue  ,  ce  n'est  plus  comme  partie  inlégrante  du  pouvoir  législatif,  mais  seulement 
«  comme  pouroir  distinct  et  séparé,  comme  pouvoir  exécutif:  et  il  faulfcien  se  garder  de  confondre 
«  retle.  promulgation  avec  la  sanction  que  le  roi  constitutionnel  avait  en  179I1  ou  avec  l'acceptation 
«  que  le  Conteil  de»  ancien»  avait  par  la  ron»titution  de  l'an  III.  Cette  sanction  et  cette  acceptation 
«  étaient  ^<ir((e«  nécettaire»  de  la  formation  de  la  lui,  et  ne  ressemblaient  en  rien  ù  ta  fromulgntion  : 
•  aussi  la  loi  dalail-clle  ,  en  1791,  du  jour  de  la  sanction,  et  «ous  la  conslilulion  de  I  an  III  ,  du  jour 
«  de  l'acceptation  par  le»  anciens,  et  non  du  jour  de  ta  promulgation,  soit  par  le  mi  constitutionnel,  soit 
«  par  U  Directoire  exécutif. 

«  Ainsi ,  sou»  la  coiufiiution  aciuellc  ,  elle  doit  dater  du  jour  di  ^"u  cmitsion  par  U  Corps  légit- 
'  latif,  dernière  condition  esteniielle  à  sa  formatirm.  » 

VI.  i4 


2\0  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

Et  la  preuve  de  ce  que  je  dis  ici,  je  la  trouve  dans  la  dé- 
libération du  Conseil  d'État  déjà  rappelée,  et  qui  porte  ces 
mois  :  «  La  promulgation  est  nécessaire,  sans  doute,  mais 
«seulement  pour  faire  connaître  la  loi,  pour  la  faire 
«  exécuter  :  c'est  la  première  condition,  le  premier  moyen 
«  de  sou  exécution.  » 

Je  la  trouve  encore,  celte  preuve,  dans  la  formule  même 
de  promulgation  déjà  adoptée  par  le  gouvernement,  et  qui 
est  ainsi  conçue  :  «  Soit  la  présente  loi  revêtue  du  sceau 
«  de  l'État,  etc.  » 

Elle  est  donc  loi  avant  même  d'être  publiée,  comme  elle 
est  publique  et  réputée  connue  par  le  seul  fait  de  la  pro- 
mulgation ,  combiné  avec  le  délai  nécessaire  pour  que  la 
connaissance  puisse  en  parvenir  à  tous  les  citoyens. 

Et  en  effet,  tribuns,  à  quoi  se  réduit  la  fonction  du  pre- 
mier magistrat  de  la  République ,  lorsqu'après  avoir  coopéré 
à  l'émission  de  la  loi  comme  partie  intégrante  du  pouvoir 
législatif,  il  la  promulgue  ensuile  comme  pouvoir  exécutif? 
le  voici  :  Il  s'interpose,  en  quelque  sorte,  entre  la  puis- 
sance législative  et  le  peuple ,  entre  les  représentans  qui 
l'exercent  et  le  souverain  de  qui  elle  émane ,  et  lui  dit  : 
«  Vous  avez  délégué  à  vos  commettans  le  pouvoir  de  décré- 
«  ter  la  loi  ;  vous  avez  tracé  vous-même  les  formes  dans  les- 
9  quelles  elle  devait  être  émise  ;  toutes  ces  formes  ont  été 
«  remplies  dans  celle  que  je  promulgue  ;  vous  en  avez  pour 
«  garant  et  ma  signature  et  l'empreinte  du  sceau  de  l'État  ; 
«  vous  serez  donc  tenu  d'y  obéir  aussitôt  qu'elle  vous  sera 
c  connue,  et  (jue  le  moment  sera  venu  de  la  mettre  à 
a  exécution.  »> 

Voilà  bien ,  je  crois ,  ce  qui  se  pratique  et  ce  qui  doit  se 
prali(|uer  sous  le  régime  de  la  constitution  de  l'an  VIII. 

Or,  je  le  demande,  tribuns,  une  telle  promulgation 
n'est-clle  pas  la  publication  voulue  par  la  Constitution  ? 
n'cst-cUc  pas  une  manifestation  de  la  loi  aussi  marquante 
et  aussi  solennelle  (qu'elle  doit  l'être,  pour  lui  donner  tout 


DE    LA   PUBLICATION    DES    LOIS.  31  1 

le  degré  de  publicité  dont  elle  est  susceptible?  n'a-t-ellc 
pas  un  caractère  assez  majestueux,  assez  imposant  par 
elle-même,  pour  qu'elle  doive  tout  opérer,  sans  l'appui 
des  formes  auxiliaires  ou  superflues  dont  on  voudrait  Ten- 
vironner,  et  qui  ne  pourraient  avoir  d'autre  effet  que  d'en 
diminuer  l'ascendant,  et  d'en  compromettre  la  dignité? 
Enfin,  mes  collègues,  ne  vous  semble-l-il  pas,  d'après  le 
rapprochement  que  je  viens  de  faire,  qu'il  doit  exister  une 
aussi  énorme  différence,  un  contraste  aussi  frappant  entre 
l'ancien  et  le  nouveau  mode  de  publication ,  qu'il  en  existe 
entre  l'odieux  gouvernement  qui  n'est  plus,  et  le  gouver- 
nement juste  qui  lui  a  succédé ,  entre  les  formes  monar- 
chiques et  les  formes  républicaines  ? 

Etablir  une  parité  entre  ces  deux  ordres  de  choses,  et 
approprier  à  l'un  ce  qui  ne  peut  convenir  qu'à  l'autre, 
c'est  donc  réunir  les  élémens  les  plus  incohérens,  et  les 
plus  disparates  ;  c'est  méconnaître  à  la  fois  et  violer  la  nou- 
velle hiérarchie  des  pouvoirs;  c'est,  en  un  mot,  emprunter 
d'un  régime  proscrit  une  forme  abusive,  pour  l'introduire 
dans  un  régime  nouveau,  auquel  elle  ne  peut  ni  ne  doit 
s'adapter. 

Et  comment  serait-il  possible  que  le  nouveau  mode  de 
promulgation  ne  fût  pas  suffisant  pour  répandre  partout, 
dans  un  temps  donné ,  la  connaissance  de  la  loi  ?  et  que 
pourrait j  je  le  répèle,  y  ajouter  de  plus  la  publication  ma- 
térielle qu'on  réclame,  comme  complément  nécessaire  de 
la  promulgation  ?  A  la  bonne  heure,  si  la  loi  était,  comme 
autrefois,  secrètement  proposée  ,  secrètement  émise,  se- 
crètement adressée  aux  autorités,  et  qu'elles  eussent  le 
droit  d'en  discuter  le  mérite,  d'en  arrêter  les  effets  ou  d'en 
suspendre  l'exécution  :  alors  sans  doute  cette  publication 
serait  tellement  nécessaire,  tellement  indispensable,  qu'il 
ne  pourrait  y  avoir  de  véritable  promulgation  sans  elle, 
puisqu'elle -même  devrait,  en  ce  cas,  la  suppléer,  et  en 
tenir  lieu. 

14. 


2  12  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    ClC. 

Mais,  sous  l'empire  de  notre  constitution,  il  n'y  a  rien 
(le  mystérieux,  rien  de  secret ,  rien  de  caché  dans  l'émis- 
sion de  la  loi.  Tout  est  public,  solennel,  éclatant,  soit  dans 
sa  présentation  par  le  gouvernement,  soit  dans  sa  discussion 
au  Tribunal,  soit  dans  son  adoption  par  le  Corps  législatif. 
Ce  n'est  pas  tout  ;  un  grand  nombre  de  citoyens  assis- 
tent aux  séances  de  ces  deux  premières  autorités  ,  et  sont, 
pour  ainsi  dire,  autant  d'échos  qui  répètent  et  propagent 
au  loin  ce  qu'ils  ont  vu  et  entendu. 

Il  y  a  plus  encore  :  les  journalistes,  présens  à  ces  mêmes 
séances,  et  attentifs  à  tout  ce  qui  s'y  fait,  sont,  si  je  peux 
m'exprimcr  ainsi,  autant  de  témoins  nécessaires,  autant 
de  messagers  vigilans  qui  le  recueillent  et  le  transmettent 
du  centre  à  toutes  les  extrémités  du  territoire,  en  sorte  (jue 
leurs  feuilles  sont,  pour  ainsi  dire,  de  vrais  bulletins  par- 
ticuliers que  tout  le  monde  peut  consulter  au  besoin  >  vu 
qu'il  n'est  pas  de  bourg,  de  village,  de  hameau  où  elles  ne 
pénètrent ,  et  où  le  maire,  le  juge-de-paix  ou  tout  autre 
citoyen  ne  soit  instruit  et  ne  puisse  instruire  ses  voisins  de 
ce  qui  s'opère  cha(jue  jour  dans  l'ordre  civil  et  politique. 

Je  sais  bien  que  la  connaissance  qu'on  peut  se  procurer 
par  cette  voie  n'est  pas  officielle  ;  mais  le  gouvernement 
est-il  tenu  de  faire  notifier  la  loi  à  chaque  citoyen  ?  sa  seule 
obligation  ne  consiste-t-elle  pas  à  employer  le  meilleur 
moyen  de  la  faire  parvenir  prompfement,  et  à  éviter  tout 
ce  qui  pourraiten  dérober  ou  en  retarder  la  connaissance? 
Or ,  ce  moyen  ne  consis(e-t-il  pas  dans  l'envoi  de  la  loi  aux 
autorités  administratives  et  judiciaires?  La  loi  leur  sera 
donc  envoyée  ;  et  comment,  sans  cela,  ])onrrait-elic  être 
exécutée?  Conunent  les  juges  |)ourraient-iIs  rapplicjuer? 
Dans  de  pareilles  circonstances,  et  avec  tant  de  moyens 
de  répandre  la  connaissance  delà  loi,  est- il  présumablc 
qu'elle  puisse  être  ignorée  d'aucun  de  ceux  <|ui  auront 
ou  le  désir,  ou  le  devoir,  ou  le  besoin  de  la  connaître? 
(^)uant  à  moi  ,  je  l'avoue  de  bonne  foi ,  jo  ne  saurais  me 


I)li    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  -Ô  1 5 

le  persuader  ;  et  tinsse- je  encourir  le  reproche  de  nie  trop 
confier  //  rauthentUitc  des  gazettes  ,  s'il  est  ici  une  présomp- 
tion à  admettre,  j'admettrais  bien  pluiôl  Y  impossibilité  de 
l  ignorer  y  que  V impossibilité  de  la  connaître. 

Ainsi  donc ,  non  seulement  on  ne  peut  pas  dire,  comme 
le  rapporteur  de  votre  commission  ,  que  la  connaissance 
présumée  qui  résulte  de  la  promulgation  ,  est  la  connaissance 
impossible;  maison  ne  pourra,  au  contraire,  s'empêcher 
de  convenir,  si  l'on  réfléchit  à  tout  ce  (|ue  je  viens  de  dire, 
que  tous  les  caractères  de  publicité  qui  précèdent,  accom- 
pagnent et  suivent  l'émission  de  la  loi,  sont  si  ouverts  ,  si 
saillans,  si  multipliés,  qu'il  est  presque  impossible  que  la 
loi  ne  soit   aujourd'hui  connue ,  avant  même  d'être pronml- 


suce. 


Comment  ne  le  serait-elle  donc  pas,  lorsqu'à  cette  con- 
naissance accidentelle  (que  donnent  les  délibérations  du 
ïribunat  et  du  Corps  législatif,  rendues  publiques,  et  trans- 
mises par  les  journaux)  peut  toujours  se  joindre  la  con- 
naissance pleine  ,  entière  et  officielle  qui  résulte  de  la  pro- 
mulgation ? 

Ici,  tribuns,  j'aurais  désiré  pouvoir  m'élever  à  des  con- 
sidérations d'un  ordre  supérieur,  et  il  ne  m'eût  pas  été  dif- 
ficile d'en  faire  sortir  de  nouveaux  et  de  plus  puissans  mo- 
tifs d'adoption  :  mais  le  temps  qui  nous  presse  ne  m'a  pas 
permis  de  m'y  livrer  ;  je  les  abandonne  donc  à  votre  saga- 
cité, et  je  suis  certain  qu'elle  suppléera  amplement  à  tout 
ce  que  je  suis  forcé  d'omettre. 

J'aurais  désiré  encore  pouvoir  réfuter  quelques-unes  des 
objections  les  plus  graves  des  derniers  préopinans;  mais, 
outre  que  cette  tâche  m'aurait  mené  trop  loin,  j'eusse 
peut-être  compromis  la  grande  cause  que  j'aurais  voulu 
défendre.  J'ai  donc  cru  qu'il  était  plus  sage  de  vous  laisser 
le  soin  de  les  apprécier. 

Cependant  qu'il  me  soit  permis,  tribun»,  en  terminant 
celte  partie  de  ma  discussion ,  de  vous  présenter  une  obser- 


2l4  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

vation  bien  tranchante  et  bien  décisive  ;  celle  observation  , 
la  voici  : 

C'est  qu'en  substituant  au  mode  constitutionnel  de  pu- 
blication un  mode  puisé  dans  les  formes  monarchiques  ou 
étrangères  au  régime  actuel,  vous  donneriez  par  cela  seul 
à  des  autorités  subordonnées  au  pouvoir  exécutif  une 
sorte  de  coopération  à  l'acte  de  promulgation  qui  ne  doit 
émaner  que  du  chef  de  ce  pouvoir  ;  que  vous  les  feriez,  en 
quelque  manière  ,  participer  à  cet  acte  suprême,  qui  pour- 
tant n'est  susceptible  ni  de  partage,  ni  d'extension,  ni  de 
modification  ;  à  cet  acte  enfin  qui  ne  peut  être  placé  sous 
aucune  autre  dépendance  que  sous  celle  de  la  constitution , 
qui  en  a  réglé  l'usage  et  qui  l'a  exclusivement  attribué  au 
Premier  Consul. 

Or,  ne  serait-il  pas  à  craindre  que  ces  autorités  que  vous 
auriez  nécessairement  associées  à  l'exercice  d'une  telle 
prérogative,  en  leur  accordant  le  droit  exclusif  de  publica- 
tion ,  ne  serait -il  pas  à  craindre,  dis-je,  qu'elles  ne  fi- 
nissent par  se  croire  autorisées,  dans  des  temps  de  crise, 
à  arrêter,  à  suspendre  ou  à  retarder  l'exécution  des  lois, 
puisqu'il  leur  serait  déjà  prouvé  qu'elles  ne  peuvent  être 
publiées  sans  leur  attache  ou  leur  participation? 

Je  pense  bien  assurément  et  j'espère  même  que  cela 
n'arrivera  pas;  mais  quand  il  s'agit  d'une  matière  aussi 
grave  et  qu'on  stipule  pour  les  siècles  à  venir,  il  est  sage 
de  tout  prévoir  et  de  tout  régler  d'avance. 

Maintenant,  je  le  demande ,  pourrait-on  redouter,  en 
évitant  un  excès,  de  tomber  dans  l'excès  contraire?  Serait- 
on  fondé  à  craindre  que  le  pouvoir  exécutif,  qui  ne  sera  pas 
toujours  dans  les  mêmes  mains,  n'abusât  de  sa  préroga- 
tive, soit  en  refusant,  ou  en  différant  de  promulger  les 
lois,  soit  en  en  arrêtant  ou  suspendant  l'exécution  ,  et  cela 
sous  prétexte  qu'on  lui  aurait  reconnu  le  droit  exclusif  de 
les  publier  ? 

Mais,  en  premier  lieu,  u'cst-cc  pas  IcgouverDcmcut  qui 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  21  5 

propose  des  lois,  et  dès  qu'elles  sont  adoptées,  et  que  le 
délai  constitutionuel  est  écoulé  ,  n'est-il  pas  de  son  intérêt , 
comme  de  son  devoir,  de  les  promulguer  et  d'en  procurer 
la  plus  prompte  exécution  ? 

£u  second  lieu ,  la  constitution  ne  nous  fournit-elle  pas 
une  assez  forte  garantie  contre  l'abus  qu'il  pourrait  faire 
de  son  pouvoir,  puisque  ,  si  l'article  4*  lui  attribue  exclu- 
sivement l'acte  de  promulgation,  l'article  37  lui  enjoint 
expressément  d'en  faire  usage  le  dixième  jour  après  l'é- 
mission de  la  loi  ? 

Peut-être  m'objectera -t- on  que  la  constitution  nous 
fournit  aussi  la  même  garantie  contre  les  autorités  admi- 
nistratives et  judiciaires,  puisque  le  chef  du  pouvoir  exé- 
cutif peut  révoquer  les  préfets,  et  faire  poursuivre  les  ju- 
ges en  crime  de  forfaiture. 

Je  répondrai  que,  puisque  nous  sommes  placés  entre  deux 
écueils,  dont  il  faut  également  se  préserver,  le  meilleur 
moyen  de  les  éviter  tous  deux,  c'est  de  marcher  d'un  pas 
ferme  sur  la  ligne  tracée  par  la  constitution ,  et  de  ne  se 
porter  ni  en-deçà,  ni  au-delà;  qu'ainsi  il  faut  s'en  tenir  au 
mode  de  publication  qu'elle  consacre  et  qu'elle  fait  résul- 
ter de  la  promulgation  elle-même. 

Mais  je  ne  m'aperçois  pas,  tribuns,  que  j'abuse  trop 
long-temps  de  votre  attention  ,  et  que  je  devrais  d'autant 
moins  m  appesantir  sur  l'objet  que  je  viens  de  traiter,  que 
vous  êtes,  si  je  ne  me  trompe,  presque  tous  frappés, 
comme  moi,  de  l'utilité,  de  la  justice,  de  la  constitution- 
nalilé  ,  et  surtout  de  l'urgence  de  la  loi  qu'on  vous  propose. 
Je  pourrais  donc  me  dispenser  d'insister  encore  sur  ce 
point,  qui  me  semble  déjà  trop  éclairci,  pour  qu'il  ne  soit 
pas  superflu  de  l'éclaircir  encore. 

Cependant  qu'il  me  soit  permis  de  présenter,  en  peu  de 
mots,  quelques  réflexions  qui  auront  le  double  avantage,  et 
de  frapper  sur  quelques-unes  des  critiques  dirigées  contre 
le  projet,  et  de  repousser  quelques  objections. 


2l()  DISCUSSIONS,    SKTIIS,    OtC. 

Tous  ceux  qui  ont  combatlu  le  projet  de  loi  lui  repro- 
chent d'être  minutieux,  incohérent,  mal  ordonné,  mal 
rédigé,  et  enfin  de  n'être  pas  à  sa  véritable  place,  à  la  tête 
du  Code  civil. 

Je  réponds  à  ce  premier  reproche  qu'il  est  désirable 
sans  doute  que  l'ordre,  la  méthode,  la  précision,  l'élé- 
gance même  distinguent  nos  nouvelles  lois  de  ces  recueils 
gothiques  d'ordonnances  et  de  coutumes  barbares  et  inin- 
telligibles ;  que  cela  serait  même  nécessaire  en  quelque 
sorte,  soit  pour  leur  attirer  le  respect  et  la  considération 
dont  elles  doivent  être  environnées,  soit  encore  pour  les 
parer  de  toutes  les  beautés  et  de  tous  les  charmes  du  lan- 
gage, afin  de  les  rendre  en  tout  dignes  de  leur  noble  des- 
tination. Mais  il  ne  faut  pas  non  plus  porter  jusqu'à  l'excès 
ce  désir,  d'ailleurs  si  louable,  vu  que  trop  de  recherche,  de 
symétrie  et  d'affectation  dans  le  style,  pourrait  aussi  leur 
ôter  quelque  chose  de  la  noblesse  et  de  la  gravité  qui  doi- 
vent les  caractériser. 

Que  les  lois  soient  claires,  précises,  et,  si  j'ose  le  dire, 
familières,  pour  se  rendre  intelligibles. 

Qu'il  n'y  ait  rien  de  louche  ,  d'équivoque  ou  d'insidieux 
(ce  qui  les  transformerait  en  autant  de  pièges,  en  les  ren- 
dant susceptibles  de  plusieurs  interprétations)  ;  et  non-seu- 
Icmcnt  nous  pourrons,  mais  nous  devrons  même  sacrifier 
leur  agrérnc!»l  à  leur  utilité. 

Or,  il  est  aisé  de  s'aj»ercevoir  (|ue  le  projet  (|u'on  nous  a 
présenté  n'offre  dans  sa  contexture  aucune  de  ces  graves 
imperfections;  qu'il  ne  blesse  d'ailleurs  ni  la  morale,  ni 
l'équité,  ni  la  justice,  ni  l'acte  constitutionnel,  comme 
l'ont  démontré  tous  les  orateurs  qui  m'ont  j>récédé  à  cette 
tribune  ;  qu'ainsi  il  est  de  la  sagesse  du  Tribunal  de  faire 
taire  ses  scru[)ules  sur  «les  incohérences  cl  des  défauts  de 
rédaction  qui,  s'ils  existaient  dans  le  projet,  ne  pourraient , 
en  aucune  manière  ,  vicier  le  fond  de  ses  dispositions. 

ï.e  Tribunal  s'empressera  donc  de  volcrPadoplion  d'une 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  t>  1  7 

loi  que  réclament  toutes  les  auti-es  lois,  et  qui,  pouvant 
s'appliquer  à  tous  les  Codes  en  général  et  à  chacun  d'eux 
en  particulier,  ne  saurait  aucunement  être  déplacée  à  la 
télé  du  Code  civil. 

Au  reste,  cette  détermination  est  d'autant  plus  juste  et 
plus  nécessaire,  qu'elle  nous  est  impérieusement  com- 
mandée par  les  circonstances  où  nous  nous  trouvons. 

En  effet,  tribuns,  vous  ne  l'ignorez  pas,  tous  les  besoins 
nous  assiègent  ;  presque  toutes  les  ressources  nous  man- 
quent, et  le  malaise  est  devenu  général.  Le  peuple,  lassé 
par  douze  années  de  combats  et  de  dissensions ,  a  soif  de  la 
justice.  Cette  justice,  qui  est  la  dette  du  gouvernement, 
celle  du  Corps  législatif  et  la  nôtre;  cette  justice  ne  peut 
lui  être  rendue  sans  de  bonnes  lois,  et  la  plupart  de  celles 
que  nous  avons  sont  mauvaises.  Hâtons-nous  donc  de  les 
réformer.  Et  puisque  cette  réforme  est  commencée,  puis- 
que l'ouvrage  est  déjà  avancé,  puisqu'il  n'y  a  aucun  in- 
convénient majeur  qui  doive  arrêter  notre  marche,  et  qu'il 
sera  d'ailleurs  si  facile  défaire  disparaître  les  défauts*  les 
imperfections  et  les  vices  môme  qui  s'y  seraient  glissés  ; 
puisqu'enfm  le  plan  de  classification  du  Code  a  déjà  indi- 
qué que  celle  des  articles  se  ferait  par  série  de  numéros,  et 
qu'ainsi  il  ne  faudra  qu'une  nouvelle  loi  de  classification 
pour  réunir  ou  disjoindre  leurs  diverses  dispositions,  pour 
les  rapprocher,  les  séparer  ou  les  transposer;  en  un  mot, 
pour  tout  coordonner  et  tout  mettre  en  place,  hâtons-nous 
donc  encore  une  fois,  tribuns,  de  favoriser  l'émission  de  ce 
Code  si  impatiemment  attendu ,  et  n'ayons  pas  à  nous  re- 
procher d'avoir  retardé  d'un  seul  moment  la  jouissance  de 
ce  bienfait. 

En  vain  nous  dirait-on  que  les  articles  du  projet  ne  sont 
pas  des  articles  de  loi,  ([ue  ce  ne  sont  que  des  principes 
de  morale,  des  règles  de  droit,  des  axiomes  de  jurispru- 
dence; qu'il  faut  faire  la  part  de  la  science  et  celle  de  la 
législation  ;  que  les  définitions  sont  du  ressort  du  savant  et 


2l8  DISCUSSIONS,    MOTIFS,     CtC 

non  du  législateur;  qu'enfin  le  projet,  ou  pris  dans  son  en- 
semble, ou  considéré  dans  ses  détails,  ne  peut  orner  le 
frontispice  du  Code;  qu'il  y  est  absolument  déplacé,  que 
ses  divers  articles  y  sont  déplacés  comme  lui  ;  qu'ils  sont 
mal  ordonnés  entre  eux  ,  et  qu'il  faut  tous  les  rejeter  pour 
les  mettre  à  leur  véritable  place. 

Je  pourrais  répondre  aux  adversaires  du  projet,  qui  se 
montrent  si  passionnés  pour  la  saine  méthode,  le  bon  or- 
dre et  la  belle  harmonie  :  Si  vous  trouvez  tout  déplacé  à 
la  tête  du  Code,  au  point  d'en  exclure  les  principes  même 
du  droit,  de  la  morale  et  de  la  jurisprudence,  qu'y  place- 
rez-vous  donc,  et  quelles  règles,  quelles  maximes,  quelles 
volontés  vous  paraîtront  dignes  d'y  figurer?  Vous  ne  trouvez 
rien  de  bon ,  rien  de  passable  dans  le  projet  qui  nous  est 
présenté;  vous  critiquez  toutes  ses  dispositions  :  sans  doute 
la  critique  est  aisée....  mais  avez-vous  encore  rien  indiqué 
qu'on  puisse  substituer  au  projet  que  vous  repoussez? 

Vous  voulez  juger  d'avance  ce  que  sera  le  Code  qu'on 
nous  prépare,  ce  qu'il  doit  être,  ce  qui  lui  est  propre  ou 
étranger,  ce  qui  lui  convient  ou  ne  lui  convient  pas;  maïs 
vous  ne  pouvez  connaître  encore  tous  les  élémens  dont  il 
se  compose.  La  seule  chose  qui  vous  soit  connue,  c'est  le 
plan  de  distribution  ,  la  division  des  matières,  l'intitulé  des 
livres,  des  titres  et  des  chapitres  ;  mais  vous  ignorez  toutes 
les  dispositions  de  détail. 

Vous  ne  pouvez  savoir  si  tel  article  du  projet  de  loi ,  que 
vous  trouvez  hors  de  place,  ne  se  coordonne  pas  intime- 
ment avec  tel  autre  article  d'un  autre  projet  qui  ne  vous  a 
point  encore  été  soumis. 

Vous  ne  pouvez  savoir  si  tel  autre,  que  vous  trouvez 
incohérent ,  n'est  pas  en  rapport  direct  et  nécessaire  avec 
(luclqu'iin  de  ceux  (|ui  vous  seront  bientôt  présentés. 

Vous  ignorez  si  tous  ne  sont  pas  liés  par  la  grande  chaîne 
qui  embrasse  à  la  l'ois  renscmblc  et  les  détails. 

J'infiu,  vous  ignorez  si  ce  «juc  vous  bldniez  aujourd'hui 


DE    LA    PUBLICATION    DLS    LOIS.  2  1 9 

comme  incohérent,  confus  et  mal  ordonné ,  vons  ne  serez 
pas,  demain,  forcés  de  l'admirer  comme  un  ciief-d'œuvrc 
de  clarté,  de  régularité  et  de  classincalion. 

Mais  je  leur  ferai  nnc  toute  autre  réponse  ;  elle  est 
courte ,  mais  elle  est  énergique  : 

Incivile  est  nisi  totcî  Icge  perspectd pronunciarc. 

Je  me  résume. 

La  Constitution  confère  exclusivement  au  Premier  Con- 
sul le  droit  de  promulguer  les  lois  :  or,  promulguer  les 
lois,  dans  notre  ordre  de  choses,  c'est  les  publier;  donc 
la  publication  des  lois  ne  s'opère  que  par  la  promulgation , 
et  elles  ne  sont  toutes  deux  qu'une  seule  et  même  chose. 

Si  la  promulgation  ne  pouvait  opérer  son  effet  que  par 
la  publication  matérielle  et  locale,  il  s'ensuivrait  que  le 
premier  magistrat  de  la  République  serait  en  quelque  sorte 
dans  la  dépendance  des  autorités  mêmes  qu'il  est  chargé 
de  diriger  et  de  surveiller,  et  qu'il  entrerait  avec  elles  en 
partage  de  sa  suprême  prérogative  ;  ce  qui  serait  le  comble 
du  ridicule  et  de  l'absurdité. 

La  loi  a  tous  ces  caractères  avant  même  d'être  promul- 
guée ;  et  la  promulgation  suffit  à  sa  publication ,  si  Ton 
accorde  un  délai  suffisant  pour  que  la  loi  puisse  être  connue 
au  moment  où  elle  doit  être  exécutée.  Or,  l'article  premier 
du  projet  de  loi  remplit  cet  objet  en  «  fixant  un  temps  pro- 
«  gressif ,  dans  lequel  la  connaissance  de  la  loi  peut  suc- 
«  cessivement  parvenir  aux  citoyens  de  tous  les  départe- 
«  mens.  » 

Ce  délai  (  rapproché  de  l'article  37  de  la  Constitution  et 
de  la  délibération  du  Conseil  d'État ,  du  5  pluviôse  an  VIII , 
sur  la  date  dos  lois)  détermine  et  précise,  de  la  manière  la 
plus  fixe  et  la  plus  invariable ,  le  moment  indivisible  où  la 
loi  pourra  être  connue,  et  celui  où  elle  devra  être  exécutée 
dans  chacun  des  divers  tribunaux  d'appel  de  la  République. 
Ce  délai,  calculé  en  raison  des  distances,  est  infiniment  plus 
avantageux  et  plus  conforme  à  la  dignité  de  la  loi  (dont 


2'iO  DISCUSSIONS,    5I0TIFS  ,    etC 

rexécution  ne  peut  être  ni  suspendue  ni  retardée)  que 
celle  d'un  délai  uniforme,  dont  la  fixation  dépendrait  du 
caprice  ou  de  la  négligence  des  administrateurs  et  des 
juges.  Sans  doute,  ce  mode,  quoique  le  meilleur,  peut 
avoir  ses  inconvénicns;  mais  la  sagesse  du  gouvernement 
saura  les  prévenir  ou  y  remédier. 

Il  n'y  a  pas  de  mode  de  publication  qui  puisse  donner  à 
tous  les  citoyens  une  connaissance  individuelle  de  la  loi; 
donc  il  faut  se  contenter  de  la  présomption  morale  qu'elle  a 
pu  être  connue .  C^We  présomption,  admise  dans  tous  les 
régimes,  acquiert  dans  le  nôtre  d'autant  plus  de  force  et 
d'ascendant  que  tout  est  public,  éclatant  et  notoire  dans 
l'émission  de  la  loi;  qu'ainsi  elle  peut  être  connue  avant 
même  d'être  promulguée.  La  publication  matérielle  ne 
pourrait  donc  rien  ajouter  à  la  manifestation  résultante 
de  la  promulgation ,  qui  seule  donne  à  la  loi  le  sceau  de 
la  publicité  :  elle  serait  d'ailleurs  infiniment  dangereuse 
en  ce  qu'elle  tendrait  à  faire  participer  les  autorités  su- 
balternes à  l'exercice  d'une  prérogative  dont  elles  pour- 
raient étrangement  abuser. 

Tous  les  orateurs  qui  ont  parlé  en  faveur  du  projet  ont 
démontré  que  ses  diverses  dispositions  étaient  bonnes, 
justes,  sages,  utiles  et  constitulionnelies  :  donc,  (juand  il 
offrirait  quelques  légères  im|)erfectioris,  elles  ne  siiffiraienl 
pas  pour  en  fonder  le  rejet,  puisqu'elles  pourraient  aisé- 
ment être  réparées. 

Les  besoins  du  peuple  sont  prcssans;  il  a  trop  attendu 
la  réforme  de  ses  lois  pour  qu'il  puisse  rallendrc  encore. 
Il  lui  faut  absolument  un  Code  digne  de  lui,  de  sa  gran- 
deur et  de  sa  gloire. 

Donc  le  projet  qui  nous  est  soumis,  et  qui  est  destiné  à 
en  être  le  frontispice,  doit  être  adopté  avec  empressement. 

En  terminant,  tribuns,  je  ne  peux  m'empêcher  de  former 
un  soubait,  qui  est  aussi  le  vùlre. 

Puisse  ce  nouveau  Code,  (|u'appelaient  tous  les  vœux  cl 


UE    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  22  1 

Ions  les  besoins,  répondre  dignement,  soit  aux  vues  libé- 
rales de  celui  qui,   le  premier,  a  pu  les  remplir,  soit  à 
TopinioD  qu'en  ont  ,déjà  donnée  et  la  célébrité  des  juris- 
consultes à  qui  la  rédaction  en  a  été  confiée,  et  les  lumières 
des  magistrats  qui  l'ont  enrichi  de  leurs  observations,  et 
l'infatigable  activité  du  gouvernement  à   recueillir  et  à 
coordonner  tous  les  matériaux  de  ce  grand  édifice!  Puisse- 
t-il  asseoir  le  bonheur  du  peuple  français  sur  les  solides 
bases  de  la  morale,  de  l'équité,  de  la  justice,  de  la  liberté 
civile  et  de  cet  esprit  de  bienveillance  universelle,  qui  est 
le  lien  commun  des  individus  et  des  peuples!  Puisse-t-il, 
enfin,  ainsi  que  l'a,  en  quelque  sorte,  présagé  l'orateur 
du  Conseil  d'Etat,  captiver  le  respect  des  nations  par  la  sa- 
gesse de  nos  lois,  comme  nous  l'avons  déjà  conquis  par  la 
puissance  de  nos  armes  ! 
Je  vote  l'adoption  du  projet. 

OPINION    DU    TRIBUN    PORTIEZ    (  dc  l'Oisc), 
POUR  LE  PROJET. 

Tribuns,  s'il  est  un  besoin  senti  par  toutes  les  classes  de 
citoyens;  s'il  est  un  vœu  fortement  exprimé  dès  le  prin- 
cipe et  dans  tout  le  cours  de  la  révolution,  certes  c'est  le 
besoin  d'un  Code  civil  uniforme.  Ce  Code  civil  est  plus  vi- 
vement et  plus  fortement  réclamé  aujourd'hui  par  tous  les 
citoyens  qui  veulent  connaître  les  lois  protectrices  de  leur 
liberté  civile  et  politique,  de  leur  propriété,  en  un  mot, 
de  leurs  droits  et  de  leurs  devoirs;  il  est  réclamé  par  les 
membres  de  tous  les  tribunaux,  jaloux  de  répondre  à  la 
confiance  du  gouvernement,  et  de  leurs  concitoyens;  il  est 
réclamé  par  tous  les  administrateurs  de  la  République, 
dont  la  marche  est  sans  cesse  retardée  par  l'incertitude  de 
notre  législation ,  par  la  multiplicité  des  lois  obscures ,  quel- 
(luefois  contradictoires,  qui  nous  régissent  aujourd'hui. 
Au  milieu  des  embarras  et  des  obstacles  d'une  administra- 


2  22  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

lion  naissante,  le  gouvernement  a  mis  au  nombre  de  ses 
premiers  devoirs  celui  de  satisfaire  à  ce  vœu  véritable- 
ment national. 

Grâces  soient  rendues  à  ce  gouvernement  qui,  en  dic- 
tant la  paix  au-dehors  par  ses  victoires,  veut  la  consolider 
au-dedans  par  des  lois  sages.  Des  jurisconsultes  éclairés, 
désignés  par  l'opinion  publique,  et  nommés  par  lui,  s'oc- 
cupèrent incessamment  de  la  rédaction  de  ce  Code  civil;  il 
est  soumis  à  l'examen  des  tribunaux  de  cassation  et  d'ap- 
pel. Une  discussion  approfondie  a  lieu  bientôt  dans  le  Con- 
seil d'JÈtat. 

Après  les  examens,  les  discussions,  les  délibérations, 
paraît  enfin  le  premier  titre  de  cette  loi  si  long-temps  dé- 
sirée. 

Cependant  la  commission  du  Tribunal  chargée  de  l'exa- 
men de  ce  projet,  vous  en  propose  le  rejet.  Des  raisons 
fortes  ont  sans  doute  déterminé  le  vœu  de  la  commission. 
Nous  allons  les  apprécier. 

a  Une  loi  de  huit  articles  non  ordonnés  entre  eux,  et  dont 
«  la  rédaction  en  général  est  vicieuse  :  est-ce  là ,  s'écrie- 
0  t-elle ,  un  portique  qui  réponde  à  la  majesté  de  rédifice  ?  » 
Tribuns ,  après  une  révolution  profonde  qui  a  ébranlé  jus- 
que dans  ses  fondemens  et  renversé  l'ancien  édifice  social , 
nous  avons  erré  long-temps  sans  gouvernail,  battus  par 
les  vents.  Les  passions  soufflent  encore  de  toutes  parts; 
commençons  par  nous  abriter,  et  nous  penserons  ensuite 
à  embellir  notre  demeure.  Qu'importe  le  frontispice  plus 
ou  moins  majestueux  de  l'édifice  ?  Sans  m'occuper  dans  la 
tempête  à  étudier  les  proportions  de  je  ne  sais  quel  beau 
idéal  et  absolu  dont  la  recherche  prolonge  la  tourmente , 
je  me  contente  d'un  beau  relatif  qui  nous  sauve  du  nau- 
frage. 
3ciap.  j  Mais,  dit-on,  la  rédaction  est  vicieuse  en  général;  et 
cependant  on  ne  cite  (|uc  les  articles  5  et  4  *  encore  n'ac- 
cuse-t-on  pas  le  quatrième  d'être  mal  rédigé;  mais  seule- 


DE   LA.    PUBLICATION    DES    LOIS.  2  20 

ment  la  rédaction  pourrait,  ce  semble  à  la  commission, 
être  meilleure.  Eu  lisant  ces  articles,  on  cherche  vaine- 
ment le  vice  de  rédaction.  Les  observations  de  la  commis- 
sion frappent  sur  le  fond,  et  non  sur  la  rédaction.  Ici  la 
commission  s'est  méprise.  Cet  article  5  est  clair,  précis,  et 
exprimant  avec  netteté  ce  qu'il  veut  dire. 

Abordons  franchement  l'article  premier.  Je  croirai  avoir 
beaucoup  gagné  si  je  suis  parvenu  à  obtenir  que  l'on  m'en- 
tende avec  l'esprit  dégagé  des  préventions  que  le  rapport 
de  la  commission  a  fait  naître ,  qu'il  a  dû  faire  naître  peut- 
être  ;  mais,  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  l'exposé  de  la  com- 
mission n'est  pas  exact.  Elle  a  oublié  ce  principe  en  légis- 
lation, que,  pour  juger  du  sens  d'une  loi  et  de  son  esprit, 
il  faut  la  juger  par  toute  la  suite ,  et  par  la  teneur  entière 
de  toutes  ses  parties,  sans  en  rien  tronquer.  Or,  c'est  ce 
qui  est  arrivé  à  la  commission.  Vous  allez  en  juger  par 
l'article  du  projet,  rapproché  du  passage  du  rapport  qui 
le  concerne ,  et  des  articles  constitutionnels  relatifs  à  la 
question.  Je  prie  mes  collègues  de  remarquer  que  l'article 
premier  contient  trois  dispositions  principales  et  bien  dis- 
tiucles.  L'erreur  de  la  commission  vient  de  les  avoir  con- 
fondues. 

Le  premier  article  porte  : 

«  Les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire  fran- 
«  çais  en  vertu  de  la  promulgation  qui  en  est  faite  par  le 
■  Premier  Consul.  • 

Cette  disposition  est  conforme  à  l'article  4 1  de  la  Consti- 
tution. 

Un  autre  paragraphe  porte  :  «  La  promulgation  faite  par 

«  le  Premier  Consul,  etc.  » Écoulons  l'article  5;  de  la 

Constitution,  que  l'on  n'a  pas  rappelé  dans  la  loi,  parce 
qu'on  a  cru  qu'elle  devait  toujours  être  présente  à  vos 
esprits. 

Art.  3^.  «  Tout  décret  du   Corps  législatif,   le  dixième 


224  PISCUSSIOSS  ,    MOTIFS,    OtC 

«  jour  après  son  émission,  est  promulgué  par  le  Premier 
«  Consul ,  à  moins  que ,  dans  ce  délai ,  il  n'y  ait  eu  recours 
«  au  Sénat  pour  cduse  d'inconstitutionnalité.  Ce  recours 
M  n'a  point  lieu  contre  les  lois  promulguées.  » 

Au  moyen  de  ce  rapprochement  tout  devient  clair.  La  loi 
est  nécessairement  promulguée  le  dixième  jour  par  le  Pre- 
mier Consul.  Or,  la  promulgation  faite  par  le  Premier 
Consul  sera  réputée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal 
d'appel  de  Paris,  trente-six  heures  après  sa  date  ;  et  dans 
les  ressorts  des  différens  tribunaux,  à  des  époques  propor- 
tionnées à  leurs  distances  respectives  de  Paris. 

Maintenant,  que  veut  dire  la  commission,  quand  elle 
parle  de  l'échéance  d'un  délai  dont  le  preijaier  terme  n'est 
pas  fixé,  dont  on  ne  voit  que  la  fin,  encore  très-suscepti- 
ble de  variation  ,  d'instabilité  ?  Il  est  évident  que  la  com- 
mission tombe  dans  une  erreur  grave,  he  premier  terme 
est  réellement  bien  fixé  ,  d'autant  plus  irrévocablement 
fixé,  qu'il  est  pris  dans  la  constitution  même. 

Tribuns,  si  l'article  premier  du  projet  n'eût  contenu  que 
les  deux  paragraphes  dont  nous  venons  de  parler,  peut- 
être  l'article  n'eût  pas  éprouvé  de  difliculté,  parce  que 
cette  disposition  fondamentale  et  principale  offre  dans  sa, 
plénitude,  le  moyen,  le  but  et  les  effets  de  la  publication 
des  lois,  telle  que  ses  auteurs  l'ont  conçue.  Mais  l'article 
premier  contient  un  troisième  paragraphe,  qui,  considéré 
par  la  commission  isolément,  abstractivementet  sans  rap- 
port avec  les  autres,  a  causé  toute  l'erreur.  En  voici  la  te- 
neur... Elles  (  les  lois)  seront  exécutées  dans  chaque  partie 
de  la  République,  du  moment  où  la  promulgation  pourra  y 
être  connue. 

«  Quand  commencera  celte  épo(|ue  où  les  lois  devront 
a  élre  exécutées  nécessairement?  Ce  sera, suivant  le  projet 
u  de  loi,  dans  chaipie  partie  de  la  République,  m'  moment 
u  où  la  pronmlgalion  l'otniu  y  élre  connue.  » 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  2i?5 

«  Ueniarquez  ces  mots  :  du  moment,  et  pourra. 

«'  Et  quel  sera  le  moment,  rinstant  fixe  et  indivisible  au- 
«  quel  une  loi  pourra  être  connue?  » 

Je  relis  l'article donc  les  lois  ne  sont  pas  exécutées, 

quand  la  promulgation  ne  pourra  y  être  coiutuc. 

Je  demande  si  cette  partie  de  Tarliclc  n'a  pas  pour  objet 
les  cas  particuliers  dont  on  a  parlé  dans  le  ra])port  et  la 
discussion,  les  cas  d'inondation,  de  pays  occupés  par  l'en- 
nemi, surtout  les  îles,  les  colonies,  dont  le  régime  est  dé- 
terminé par  des  lois  spéciales, aux  termes  de  l'article  91  de 
la  Constitution  :  car,  en  règle  générale,  la  loi  sera  connue 
par  le  moyen  indiqué  plus  haut ,  et  il  n'y  en  aurait  point 
d'autre  dans  le  cours  ordinaire  des  choses.  Mais  c'est  pré- 
cisément parce  que  des  cas  particuliers,  provenant  de  cause 
majeure,  viennent  intervertir  l'ordre  général, que  le  légis* 
lateur,  intervenant  à  son  tour,  dit  :  La  loi  ne  sera  pas 
exécutée  dans  telle  partie  de  la  République,  parce  que  la 
promulgation  n'a  pas  pu  y  être  connue.  Pour  moi,  je  vois 
là  l'effet  de  la  prévoyance  du  législateur. 

On  nous  prie  de  remarquer  ces  mots....  du,  moment  ei 
pourra....  Je  les  ai  pesés  et  j'y  donne  mon  assentimcnti 
Quelque  parti  que  l'on  prenne  ,  il  faudra  se  contenter  de  la 
présomption  morale  que  chaque  individu  a  pu  la  connaître. 
Prenez  un  jour,  une  heure  :  il  en  résultera  toujours  pour 
les  esprits  subtils  qu'ils  pourront  subdiviser  à  rinfini,  et 
qu'on  n'obtiendra  jamais  le  point  fixe  et  indivisible  que 
demande  la  commission;  et  on  pourra  toujours  demander 
avec  elle  quel  sera  le  moment,  l'instant  fixe  et  indivisible 
auquel  uiic  loi  pourra  être  connue. 

Au  surplus,  pour  ce  qui  concerne  les  cas  particuliers, 
qu'il  faut  supposer  faire  la  matière  d'un  litige,  il  est  évi- 
dent que  c'est  à  la  sagesse  du  gouvernement  à  y  pourvoir 
par  un  règlement,  et  à  la  conscience  du  magistrat  à  ap- 
précier jusqu'à  (juel  point  l'ignorance  a  été  ou  a  pu  être  in^ 
vincible. 

yi.  1 5 


22G  DISCUSSIONS,    MOTIK^,    ClC. 

u  II  n'est  pas  possible,  dit  le  judicieux  Domat  (a),  que 
«  l'on  fasse  connaître  les  lois  à  chacun  en  particulier;  il 
a  suifit ,  pour  leur  donner  la  force  de  lois  ,  que  le  public  en 
«  soit  averti,  car  alors  elles  deviennent  des  règles  publi- 
a  rjucs  que  tout  le  inonde  doit  observer;  et  les  inconvéniens 
«  qui  peuvent  arriver  à  quelques  particuliers,  faute  de  les 
«  avoir  connues ,  ne  balancent  pas  leur  utilité.  » 

Pardon  ,  tribuns,  si  j'insiste  sur  le  premier  article;  mais 
la  commission  a  déclaré  que  c'est  celui  qu'il  est  le  moins 
possible  d'adopter,  et  qui  doit  lui  seul  déterminer  le  rejet 
du  projet  de  loi. 

La  commission  trouve  dans  le  mode  de  publication  pro- 
posé plus  d'arbitraire  que  dans  le  mode  actuel.  Il  y  a  donc 
de  l'arbitraire  dans  le  mode  actuel,  au  jugement  même  de 
la  commission?  Je  ne  partage  pas  son  opinion.  Le  mode 
proposé  me  paraît  préférable  à  ce  qui  s'est  pratiqué  depuis 
la  constituante  jusqu'à  présent.  En  eifet ,  par  la  loi  du  9  no- 
vembre 1789,  les  lois  étaient  mises  à  exécution  ,  dans  le 
ressort  de  chaque  tribunal,  h  compter  du  jour  où  lesfonna- 
lités  étaient  remplies  :  ces  formalités  étaient  la  transcription 
sur  les  registres,  la  lecture,  la  publication  etrafliche.  Ces 
formalités  furent  supprimées  par  l'article  2  de  la  loi  du  lu 
vendémiaire  an  iV,  qui  y  suppléa  par  un  bulletin  officiel. 
Les  lois,  d'après  celle  du  12  vendémiaire,  ont  leur  force, 
dans  l'étendue  de  chaque  département,  du  jour  auquel  !<; 
bulletin  ollicicl  (jui  les  contient  est  distribué  au  chef-lieu 
du  déparlement.  Dans  ces  deux  hypothèses,  une  commune 
distante  de  vingt,  trente  lieues  du  chef-lieu,  est  soumise  à 
l'empire  d'une  loi  (|ue,  moralement  parlant,  souvent  elle 
pouvait  ne  pas  connaître.  Je  ne  répéterai  pas  ici  ce  (|ui  a 
été  dit  sur  l'abus  et  l'usage  dérisoire  que  l'on  faisait  de  la 
publication  de  la  loi,  et  l'indécence  avec  laquelle  on  s'en 
jouait. 

Kn  terminant  la  discussion  de  cet  article,  j'observerai 


DU    i.K    l'UlîLICATlON    DlîS    LOIS.  227 

y 
que  la  théorie  brillanlc  sur  la  prérogative  du  Premier  Con- 
sul dans  la  promulgation  de  la  loi  eût  été  plus  à  sa  place 
lors  de  la  discussion  de  la  Constitution  que  do  celle  du 
Code  civil. 

Je  passe  au  second  article.  L'article  2  ne  contient  pas  un  » 
pléonasme ,  comme  quelques-uns  l'ont  pensé  ;  il  a  deux 
objets  bien  distincts  :  la  première  partie  concerne  l'avenir; 
Ja  seconde,  le  passé.  Cet  article,  en  rassurant  les  citoyens, 
peut  aussi  servir  de  règle  aux  législateurs  :  je  l'avoue,  je 
suis  peu  frappé  des  craintes  qui  ont  affecté  l'un  des  préo- 
pinans.  L'article  porte  avec  soi  sa  garantie,  et  je  me  re- 
pose à  cet  égard  sur  les  sentimens  et  l'intérêt  des  juges, 
du  gouvernement,  et  de  tous  les  administrés,  qui,  à  coup 
sûr,  ne  veulent  pas,  ne  peuvent  pas  vouloir  le  retour  au 
régime  de  1789,  c'est-à-dire  une  révolution  nouvelle. 

L'article  5  a  paru  vicieux  dans  sa  rédaction  ,  parce  qu'il  î 
«e  contient  pas  certaines  exceptions.  On  veut  indiquer  ici 
les  Français  absens ,  les  agens  diplomatiques;  mais  on  perd 
^e  vue  qu'on  se  jette  alors  dans  le  domaine  du  droit  des 
gens,  qui  règle  les  traités  avec  les  puissances  étrangères, 
ou  des  lois  de  police  particulières. 

L'article  4  est  nécessaire  pour  garantir  au  commerçant     ap.  j 
ia  validité  des  actes  dans  lesquels  on  se  serait  conformé  aux 
formes  reçues  dans  les  divers  pays  où  ces  actes  pourraient 
avoir  été  faits  et  passés. 

A  l'égard  de  l'article  5,  il  est  étonnant,  suivant  la  com-  ap.  5 
mission  ,  de  trouver,  d'après  l'exposé  même  des  motifs,  un 
article  qui  ne  se  rapporte  qu'au  cas  particulier  d'un  acte 
fait  dans  les  dix  premiers  jours  qui  précèdent  une  faillite. 
La  commission  se  trompe;  on  a  cité  celui-là,  parce  qu'il 
fallait  en  citer  un  ;  mais  on  en  pourrait  citer  d  autres  sur 
les  testamens,  les  obligations  souscrites  par  des  mineurs. 
La  malice  humaine  sera  toujours  plus  féconde  que  la  pré- 
voyance du  législateur. 

L'article  7  n'a  point  excité  de  réclamation.  5 

i5. 


22S  DL<CU5SI0:^S  ,    MOTIFS,    ClC. 

6  En  admellant  le  principe  général  de  Tarlicle  8,  qui  ne 
me  paraît  pas  devoir  être  conleslé,  je  relèverai  celle  ex- 
pression :  l'ordre  public  et  tes  bonnes  mœurs.  Je  crois  qu'il 
faut  ou  les  bonnes  mœurs;  car  Tune  de  ces  deux  circons- 
tances sulTil  pour  frapper  de  vice  Ja  convention  qui  serait 
faite. 
4  La  disposition  de  Tarticle  6  relative  aux  juges,  dans 
quelques  circonstances,  a  été  vivement  attaquée  :  voici  ma 
réponse. 

Tribuns,  si  dans  quelque  loi  il  se  trouve  une  omissfon 
d'une  chose  qui  soit  essentielle  à  la  loi,  ou  qui  soit  une 
suite  nécessaire  de  sa  disposition  ,  et  qui  tende  à  donner  à 
la  loi  son  entier  effet  selon  son  motif,  on  peut,  en  ce  cas, 
suppléer  ce  qui  manque  à  l'expression,  et  étendre  la  dis- 
position de  la  loi  àce  qui,  étant  compris  dans  son  intention, 
manquait  dans  ses  termes.  Ainsi  s'exprime  Domat;  et  ces 
principes  s'appliquent  tout  naturellement  à  Particle  6.  Il 
se  peut  présenter  mille  cas  auxquels  le  législateur  n*a 
point  pourvu  ,  et  c'est  une  prévoyance  très-nécessaire ,  dit 
Fauteur  du  Contrat  social,  de  sentir  qu'on  ne  peut  tout 
prévoir. 

On  reproche  au  projet  d'avoir  fait  la  part  de  La  science 
et  celle  de  la  législation.  La  plupart  des  articles,  dit-on  , 
sont  des  préceptes ,  des  principes  de  droit,  et  non  des  dis- 
positions législatives;  et  cependant  la  commission  les  ren- 
3     voie  à  d'autres  lois.  Ainsi,  suivant  elle  ,  l'arlicle  2,  porlé 
dans  le  projet  de  loi,  se  rapporte  naturellement  à  celui  (|ui 
sera  relatif  aux  personnes  ,  qui  réglera  la  distinction  des 
droits  des  Français  et  des  étrangers. 
ap.  3         Ainsi  rarticle  !\  apjtartient  encore  au  projet  de  la  loi  re- 
latifaux  éhangers  ;  ainsi  les  articles  6  et  7  doivent  être  ren- 
voyés au  Code  judiciaire. 
•F- 5         Ainsi  l'article  5  est  h  renvoyer  au  Code  commercial.  La 
commission  ne  désapprouve  pas,  comme  vous  le  voyez. 
Tribuns,  que  CC8  articles  soient  présentés  comme  articles 


DE    LA    PUBLICATION    DtS    LOI.*.  2  ?Q 

<îaus  les  lois,  mais  seulement  qu'ils  fasseut  partie  du  pré- 
sent projet  de  loi.  D'autre  part,  la  commission  convient 
qu'un  titre  des  règles  du  droit  pourrait  avoir  son  utilité.  Au 
reste,  quel  inconvénient  y  a-t-il  à  offrir  des  dispositions 
générales  dans  la  première  loi  du  (Iode  civil?  Pourquoi  tar- 
der encore  i\  présenter  ces  principes  féconds,  régulateurs 
de  la  conscience  des  juges  et  des  actions  des  citoyens  ?  Mais, 
dit-on ,  c'est  une  grande  question  que  celle  de  savoir  s'il 
doit  se  trouver  de  semblables  articles  dans  les  lois.  La  com- 
mission penche  pour  la  négative,  le  gouvernement  pour 
l'affirmative  ;  c'est  donc  Jilors  un  problème  à  résoudre;  ob- 
jet de  controverse  sur  le(|uel  chacun  peut  avoir  une  oj)i- 
nion.  J'observe  que,  sous  la  Constitution  de  l'an  III,  les  lois 
étaient  précédées  de  considérans.  Dans  tous  les  cas,  je  n'a- 
perçois pas  que  ce  soit  un  motif  réel  d'un  rejet  de  loi,  parce 
qu'il  n'y  a  rien  là  qui  blesse  les  droits  de  l'universalité  ou 
de  partie  des  citoyens. 

Un  opinant  a  reproché  au  projet  de  renfermer  des  arti-     '^'^^'^ 

■^  *  preliin. 

des  constitutionnels  :  c'est  ainsi  qu'il  appelle  ce  que  d'au- 
tres ont  appelé  des  préceptes ,  des  maximes  de  droit.  La 
singularité  de  cette  opinion  ne  trouvera  piîs  beaucoup  de 
partisans;  et  ce  reproche  grave  n'eût  pas  sans  doute 
4Î!chappé  aux  yeux  pénétrons  de  la  commission,  dont  la 
perspicacité  a  saisi  jusqu'à  des  nuances.  Imitant  son  si- 
lence, je  ne  donnerai  pas  d'importance  à  cette  opinion  par 
une  réfutation  sérieuse. 

Tribuns ,  le  Code  civil  est  impatiemment  attendu ,  parce 
qu'il  est  pour  tous  un  besoin  de  chaque  jour.  Si  le  public 
n'est  frappé  de  la  force  et  de  l'évidence  des  motifs  du  re- 
jet, ne  craignez-vous  pas  qu'il  ne  s'élève  un  préjugé  défa- 
vorable pour  la  suite  de  la  discussion,  et  que  votre  sévérité, 
dont  je  respecte  les  motifs,  ne  laisse  plus  entrevoir,  que 
dansuneperspective  fort  éloignée,  la  jouissance  de  ce  bien- 
fait si  long-temps  et  si  justement  désiré  ? 

Si ,  après  une  longue  guerre  ,  un  traité  de  paix  vous  était 


'200  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elC. 

présenté,  seriez-vous  arrêtés,  pour  l'adoption  ,  par  la  con- 
sidéralion  de  quelques  vices  de  rédaction,  de  quelques  in- 
cohérences dans  les  termes,  du  rapprochement  des  arti- 
cles, uniquement  par  la  juxta-position  ?  Non,  ces  vices, 
ces  incohérences  trouveraient  grâce  devant  le  mot  toujours 
si  doux,  la  paix.  Eh  bien  î  tribuns,  une  longue  guerre  a 
rompu  les  liens  qui  unissaient  les  membres  de  la  grande 
famille  française  ;  la  discorde  règne  dans  les  subdivisions 
de  ce  grand  état,  et  le  mine  sourdement;  chaque  loi  du 
Code  civil  apparaîtra  aux  familles  comme  un  traité  de  paix- 
Ne  vous  cmprcsserez-vous  pas  d'accepter  le  rôle  si  beau 
de  pacificateurs  ?  Oui ,  sans  doute ,  et  j'en  jure  par  les  sen- 
limens  qui  vous  animent  tous  :  vous  seconderez  le  gouver- 
nement dans  son  projet  bienfaisant  de  rétablir  l'harmonie 
dans  les  cités,  de  rendre  aux  citoyens  le  repos  ,  aux  famil- 
les la  paix,  et  à  tous  le  bonheur. 
Je  vote  l'adoption  du  projet. 

Le  Tribunat  ferma  la  discussion  dans  la  séance  du  2r 
frimaire  an  lo  ,  et  vota  le  rejet  du  projet  ;  MM.  Andrilux  , 
Thiiîssé  et  Favard  furent  ensuite  désignés  pour  exposer  cl 
détendre,  devant  le  Corps  législatif,  les  motifs  de  ce  vœu. 

CORPS   LÉGISLATIF. 


DISCOURS   PRONONCK    PAR    M.  ANDRIEUX,  L  UN  DES  ORATEURS 
DU    TRIBUNAT. 

(Séance  du  23  frimaire  an  X. — 14  dérembre  l8oi.) 

Tiuc  Législateurs,  nous  venons  exposer  et  défendre  devant 

'"''""  vous  les  motifs  qui  ont  déterminé  le  Tribunat  à  rejeter,  à 
la  grande  majorité  des  voix,  le  projet  présenté  par  le  gou- 
vernement, sous  ce  titre  :  De  la  imhlicatUm,  des  effets  et  de 
t\ij>])lie(illi)ii  des  /ois  en  ^riicnd. 


DE    LA    PUBLIC ATION    DES    LOIS.  'i  5  I 

Parlant  le  premier  au  nom  du  Tribunal,  je  crois  devoir 
vous  exposer,  avec  le  plus  de  clarlé  qu'il  me  sera  possi- 
ble, tout  le  système  des  motifs  du  rejet. 

Voici  quel  ordre  je  suivrai. 

Je  commencerai  par  vous  développer  les  motifs  qui 
ont  décidé  le  Tribunal  à  rejeter  le  premier  article  du  pro- 
jet, celui  relatif,  je  ne  dirai  pas  à  la  publication,  mais  à 
la  présomption  de  publication  des  lois.  J'insisterai  sur  cet 
article,  le  plus  important,  je  dirai  presque  le  seul  impor- 
tant du  projet  de  loi. 

Je  vous  rappellerai  brièvement  les  vices  des  sept  autres 
articles,  elles  inconvéniens  qui  résulteraient  de  leur  adop- 
tion. 

Je  terminerai  par  des  observations  générales  qui  achè- 
veront, je  l'espère,  de  vous  confirmer  dans  l'opinion  que 
vous  ne  pouvez  accorder  votre  sanction  au  projet  de  loi. 

J'entre  en  matière. 

«  Les  lois,  dit  le  premier  article,  sont  exécutoires  dans 
«  tout  le  territoire  français,  en  vertu  de  la  promulgation 
«  qui  en  est  faite  par  le  Premier  Consul.  ») 

Déjà  il  y  a  dans  ce  premier  paragraphe  de  l'article  une 
expression  inexacte,  et  dont  l'inexactitude  n'est  pas  sans 
quelque  conséquence. 

La  Constitutioo ,  artile  (\\ ,  attribue  au  Premier  Consul 
la  promulgation  des  lois,  ou  plutôt  elle  l'en  charge;  mais 
s'ensuit-il  que  les  lois  ne  soient  exécutoires  qu'<?/2  vertu  de 
sa  promulgation  .^ 

Prenez  garde  que  celte  expression  semble  donner  à  la 
promulgation  du  Premier  Consul  une  force  virtuelle,  ac- 
tive, nécessaire  au  complément  de  la  loi. 

Or,  dans  ce  sens ,  l'expression  n'est  pas  juste  ;  la  part  du 
gouvernement,  dans  la  législation  ,  consiste  à  proposer  les 
lois  ,  à  en  rédiger  les  projets ,  à  en  demander  cl  à  en  sou- 
tenir devant  vous,  Législateurs  ,  l'adoption. 


'2Ô2  DISCUSSIONS,    MOTIl-^  ,    ClC 

-Lorsque  vous  avez  adopté,  la  loi  est  faite;  elle  eàt  com- 
plète, cnlière  ,  elle  est  loi. 

Le  Premier  Consul,  et  non  pas  le  gouvernement,  le 
Premier  (Consul  peut  seul  la  promulguer  comme  chef  du 
pouvoir  exécutif.  Cette  promulgation  n'est,  en  aucune  ma- 
nière, un  acte  législatif;  elle  n'a  pour  objet  que  de  certifier 
la  loi,  et  de  déclarer  qu'elle  n'a  point  été  attaquée,  pour 
cause  d'inconstitutionnalité,  dans  les  dix  jours  de  son 
émission;  c'est  après  la  promulgation,  ou  si  l'on  veut,  au 
moyen  de  la  promulgation  ,  mais  ce  n'est  pas  en  -vertu  de  la 
promulgation  ,  que  la  loi  doit  être  exécutée.  Elle  doit  l'être 
en  vertu  de  ce  qu'elle  est  loi. 

Qu'on  ne  dise  pas  qu'une  expression  pour  l'autre  est  ici 
indifférente ,  et  que  nous  n'élevons  qu'une  dispute  de  mots  : 
c'est  par  les  mots  qu'on  exprime  et  qu'on  fixe  les  idées;  et 
vous  sentez  bien  ,  législateurs,  que  ce  mot  en  vertu  pré- 
sente une  idée  très-différente  de  celui-ci  :  au  moyen.  L'un 
donne  à  la  promulgation  un  effet  trop  étendu,  une  force 
qu'elle  n'a  pas;  l'autre  lui  assigne  son  véritable  caractère. 
L'un  dit  de  la  promulgation  ce  qu'elle  n'est  point;  Tautre 
exprime  exactement  ce  qu'elle  est.  C'est  donc  ce  dernier 
qu'il  fallait  employer;  et  vous  apercevez  aisément,  légis- 
lateurs ,  les  inconvéniens  et  les  conséquences  de  ce  défaut 
de  justesse >  sans  que  j'aie  besoin  de  m'y  étendre  davan- 
tage. 

Passons  à  la  forme  de  la  promulgation  en  général ,  et  au 
mode  particulier  de  publication,  on,  pour  mieux  dire,  au 
défaut  de  publication  qui  vous  est  proposé* 

La  forme  de  la  promulgation  ne  peut  pas  être  regardée 
et  traitée  comme  une  chose  de  peu  de  conséquence  :  les 
lois  sont  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  parmi  les  hommes;  tout 
ce  qui  appartient  à  leur  formation ,  à  leur  publication  ,  doit 
porter  un  caractère  respectable  comme  elles. 

Sous  (pichpie  constitution    (juc  l'on  vive,  les  citoyens 


ï)Ii    LA    PUBLICATION    DLS    L015.  ^55 

soumis  à  la  loi,  les  magistrats  ,  ses  organes,  doivent  la  re- 
connaître à  des  signes  certains,  non  équivoques, à  des  for- 
mes solennelles. 

Ces  signes,  ces  formes,  quel  pouvoir  les  déterminera,  et 
aura  seul  de  d»-oit  de  les  déterminer?  Incontestablement 
le  même  pouvoir  qui  a  seul  le  droit  de  faire  les  lois.  Quel 
autre  que  le  législateur  pourrait  dire  à  (|uel  signe  les  actes 
du  législateur  lui-même  seront  reconnus? 

En  effet,  c'est  de  la  forme  de  la  Constitution  établie  que 
dépendent  et  le  mode  de  confection  de  la  loi ,  et  ses  ca- 
ractères distinclifs,  et  le  genre  de  sa  promulgation.  Chez 
les  despotes,  la  loi  se  fait  en  secret  par  un  seul  homme,  cl 
l'on  ordonne  aux  sujets  d'obéir  à  la  volonté  de  leur  souve- 
rain seigneur;  on  l'ordonne  dans  la  forme  qui  plait  au 
maître;  elle  dépend  de  lui  comme  le  fond.  Dans  les  répu- 
bliques représentatives,  la  loi  est  faite  en  public,  au  nom 
du  peuple,  par  ses  mandataires,  et  dans  les  formes  consti- 
tutionnelles :  par  une  suite  nécessaire,  elle  doit  être  aussi 
promulguée  dans  les  formes  constitutionnelles. 

La  Constitution  de  1791  et  celle  de  l'an  III  avaient  fixé 
toutes  deux,  par  des  articles  exprès,  la  forme  de  la  pro- 
mulgation des  lois. 

La  loi  du  12  vendémiaire  an  IV,  sur  le  mode  de  publi- 
cation et  d'envoi  des  lois,  a  été  mise  au  rang  de  celles  or- 
ganiques de  la  Constitution  de  l'an  III. 

La  Constitution  de  l'an  VIII  ne  dit  rien  sur  la  forme  de 
la  promulgation ,  et  cette  forme  a  varié  depuis  que  notre 
Constitution  nouvelle  est  en  activité. 

Cette  fornne,  cependant,  ne  peut  pas,  ne  doit  pas  être  su- 
jette aux  variations  de  l'arbitraire;  c'est  un  acte  de  législa- 
tion ,  et  de  législation  politique,  que  de  la  déterminer;  et, 
comme  sous  notre  Constitution,  le  pouvoir  législatif  est 
divisé  entre  trois  autorités,  toutes  trois  doivent  concourir  à 
régler  les  formes  dans  lesquelles  les  lois  seront  promulguées. 

Il  s'ensuit  qu'une  loi  sur  cet  objet  est  une  loi  de  l'ordre 


204  I)ISCUSSIO!^S  ,    MOTIFS  ,    ClC 

polilîquc  ,  une  loi  organi(|nc  de  la  Conslilutioii ,  et  que 
l'objet  est  assez  important  pour  demander,  à  lui  seul,  une 
loi  expresse  et  complète.  Cette  loi  nous  manque;  elle  est  ùt 
l'aire. 

La  trouvez-vous,  législateurs,  dans  le  projet  qui  vous 
est  soumis?  Il  ne  fixe  point  la  forme  de  la  promulgation  ; 
il  n*en  propose  aucune  ;  et  tout  ce  qu'il  dit  de  la  promul- 
gation ,  c'est  qu'elle  doit  avoir  une  date,  ce  qui  est  tout 
simple  ,  mais  ce  qui  ne  peut  suflire. 

Ne  cherchez  donc  pas  dans  ce  projet  la  loi  sur  la  pro- 
mulgation, qui  serait  cependant  si  importante,  si  néces- 
saire; c^était  précisément  la  loi  qu'il  fallait  faire,  au  lieu 
de  Tarticle  qui  vous  est  présenté. 

Mais  cet  article  n'est  relatif  qu'à  la  publication  ;  voyons 
s*il  remplit  son  objet,  et  si  vous  pouvez  lui  donner  votre 
sanction. 

Vous  connaissez  sa  disposition;  en  voici  le  motif.  On  a 
dit  :  De  quelque  manière  qu'on  s'y  prenne,  quelque  for- 
malité qu'on  emploie,  il  ne  faut  pas  s'attendre  (|ue  tous 
les  citoyens  aient  jamais  une  connaissance  personnelle  de 
la  loi  ;  il  est  impossible  de  la  leur  faire  parvenir  à  tous  et  à 
chacun;  le  problème  à  résoudre  est  donc  moins  de  trou- 
ver des  moyens  de  faire  connaître  la  loi ,  que  de  fixer  une 
époque  où  elle  sera  censée  connue. 

Nous  admettons  le  principe,  ou  plutôt  le  fait,  qu'il  n'est 
pas  possible  d'atteindre  à  la  certitude  physitjue  de  donner 
à  tous  les  citoyens  une  connaissance  personnelle  de  la  loi; 
mais  nous  n'admettons  pas  la  consécjuence,  beaucoup  trop 
cxpéditive  «pi'on  en  lire  ,  qu'il  est  donc  inutile  de  chercher 
d'em[)loycr  des  moyens  de  leur  donner  cette  connaissance, 
et  (|u'au  lieu  de  s'en  mettre  en  peine,  il  sulïit  de  fixer  une 
époque  où  la  loi  sera  censée  connue. 

Est-ce  à  vous,  législateurs,  qu'on  peut  présenter  un  Ici 
système,  avec  (jucl(|ue  espérance  de  vous  le  voir  consa- 
crer? 


DE    LA    rUBLICATIOIS    DES    tOIS.  2n5 

Vous  pourrez  vous  contenter,  sans  doute,  de  la  prësonn>- 
tion  ou  plutôt  de  la  certitude  morale  que  la  loi  doit  être 
connue;  mais  ce  sera  quand  vous  aurez  l'onde  cette  pré- 
somption sur  des  bases  solides  et  suffisantes  ;  ce  sera  quand, 
d'une  part ,  la  loi  aura  été  publiée  par  l'insertion  au  Bul- 
letin officiel,  par  l'envoi  aux  autorités  judiciaires  et  admi- 
nistratives ;  enfin  par  tous  les  moyens  qui  paraîtront  les 
plus  propres  à  lui  donner  une  grande,  une  solennelle  pu- 
blicité; et  quand,  d'une  autre  part,  il  se  sera  écoulé  un 
délai  tel  que  celte  publicité  ait  pu  avoir  son  effet,  et  que, 
si  la  connaissance  de  la  loi  n'est  pas  parvenue  à  tous  les  ci- 
toyens ,  du  moins  elle  ait  pu  leur  parvenir,  et  que  ceux  de 
qui  elie  sera  encore  ignorée  ne  puissent  imputer  qu'à  eux- 
mêmes  leur  ignorance  volontaire. 

Dans  le  système  du  projet  de  loi ,  les  moyens  de  publi- 
cité sont  nuls;  l'article  n'en  établit,  n'en  énonce  aucun; 
et  Ton  pourrait,  si  cet  article  était  adopté,  supprimer  et  le 
Bulletin  et  l'envoi  des  lois  aux  autorités,  et  renoncer  à  tous 
les  moyens  actifs  de  publicité. 

On  regarde  comme  des  moyens  de  publicité  suffisante 
ce  qui  se  passe  lors  de  la  confection  de  la  loi,  sa  présenta- 
tion au  Corps  législatif,  sa  discussion  au  Tribunat,  et  de- 
vant vous,  législateurs,  puis  le  délai  constitutionnel  de  dix 
jours  qui  s'écoule  entre  son  adoption  et  sa  promulgation  ; 
pendant  ce  temps,  dit-on,  les  journaux  impriment,  ré- 
pandent les  projets  de  lois ,  publient  les  discussions  ;  beau- 
coup de  citoyens,  ceux  surtout  qui,  par  devoir,  par  état  ou 
par  leur  position  personnelle,  ont  besoin  de  connaître  la 
loi,  prennent  intérêt  à  sa  formation,  la  suivent,  y  assis- 
tent en  quelque  sorte  par  la  lecture  des  papiers  publics  ; 
il  n'est  donc  pas  à  craindre  que  la  loi  ne  soit  pas  suffisam- 
ment connue  :  il  n'y  a  pas  d'autres  moyens  de  publicité  en 
Angleterre  et  en  Amérique. 

Je  conviens  que  les  journaux  peuvent  avertir  qu'il  se 
prépare  ou  qu'il  a  été  rendu  une  loi  sur  telle  ou  telle  ma- 


'iOi\  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elC. 

tièrc  :  mais  doiiDent-ils  de  la  loi  uue  connaissance  offi- 
cielle, même  suffisante?  les  citoyens  intéressés  s'en  rap- 
porteront-ils aux  journaux?  est-ce  sur  un  texte  pris  dans 
nu  journal  qu'un  administrateur,  qu'un  juge,  (|u'un  tri- 
bunal motivera  ses  décisions  et  ses  jugemens  ?  Et  si  ce  texte 
y  est  altéré  ou  tronqué?  si  deux  journaux  le  rapportent 
d'une  manière  différente?  On  parle  de  l'Angleterre  et  de 
l'Amérique!...  D'abord,  il  ne  faudrait  pas  omettre  de  dire 
que,  dans  ces  pays,  à  la  fin  de  cha(|ue  session  du  parlement, 
on  envoie  aux  gouverneurs,  aux  cours,  aux  tribunaux,  et 
aux  shérifs  des  comtés,  le  recueil  des  lois  rendues  dans  la 
session. 

Et  d'ailleurs,  il  y  a  trop  de  dissemblance  d'esprit  et  d'ha- 
bitudes entre  ces  pays  et  le  nôtre ,  entre  l'avidité  avec  la- 
quelle on  y  recherche  et  on  y  lit  les  feuilles  périodiques, 
et  l'indifférence  dont  on  les  accueille  parmi  nous,  entre 
l'exactitude  et  l'entière  liberté  des  journaux  anglais  et 
américains  à  rapporter  les  lois  et  les  débats  législatifs,  et 
la  manière  dont  nos  feuilles  les  tronquent,  les  défigurent 
ou  les  suppriment,  il  y  a,  dis-je,  trop  de  dissemblance 
dans  tout  cela,  pour  qu'on  puisse  tirer  un  argument  solide 
d'une  comparaison  si  peu  exacte. 

Quant  au  délai  proposé,  est-il  suffisant  pour  que  la  loi 
puisse  être  raisonnabl^îmcnt  présumée  connue? 

La  loi  doit  être  promulguée  le  dixième  jour?  c'est  à  la 
fin  du  dixième  jour  seulement,  ou  au  conunencement  du 
onzième,  que  le  secrétaire  d'état  peut  la  transmettre,  signée 
du  Premier  Consul,  et  revêtue  du  sceau  de  la  République, 
au  ministre  de  la  justice.  Il  faut  que  le  ministre  ^u  fasse 
faire  dans  ses  bureaux  une  copie,  qu'il  certifie,  et  qu'il 
envoie  à  l'imprimerie  du  Bulletin  des  lois.  Il  faut  que  cette 

copie  s'imi)rime! Eh  bien,  à  peine  le  délai  fixé  pour 

que  la  connaissance  de  la  loi  soit  censée  parvenue  aux  ex- 
trémités du  territoire,  à  peine,  dis-je,  ce  délai  est-il  suffi- 
sant pour  (juc  CCS  premières  formalités  d'envoi,  de  copie 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  sSy 

et  d'impression  soient  remplies;  les  bureaux  et  les  impri- 
meries ne  marchent  point  avec  la  rapidité  des  courriers. 

Mais  l'insuffisance  du  délai  est  peut-être  son  moindre 
défaut;  ses  inégalités,  ses  variations,  la  possibilité  de  l'a- 
bréger ou  de  l'alongerà  volonté,  son  incertitude  tourmen- 
tante pour  les  citoyens,  la  complication  même  des  calculs 
qu'il  rend  nécessaires,  voilà  beaucoup  d'autres  motifs  qui 
se  réunissent  pour  le  faire  rejeter. 

Je  reprends  ces  motifs  successivement,  et  je  les  établis 
eu  peu  de  mots. 

Les  irrégularités  du  délai.  On  nous  annonce  un  Code  civil 
auquel  nous  devrons  le  grand  bienfait  de  l'unité,  de  l'unifor- 
mité des  lois  dans  toute  la  Uépublique,  et  pour  premier  gage 
de  cette  uniformité,  dont  nous  nous  applaudissons  d'avance, 
on  nous  propose  d'abord  une  loi  qui  ne  sera  point  uniforme! 
une  loi  qui  fera  commencer  l'exécution  des  lois  à  des  heures 
différentes  dans  les  différens  départemens  de  la  République  ! 

Et  voyez  combien  cette  inégalité  deviendrait  quelquefois 
bizarre  et  choquante.  Jugez-en  ,  législateurs,  par  cet  exem- 
ple que  j'ai  cité  dans  mon  rapport  au  ïribunat. 

Auxerre  est  à  quarante  lieues,  anciennes,  ou  vingt  my- 
rîamètres  environ  de  Paris ,  mais  il  est  du  ressort  du  tri- 
bunal d'appel  de  Paris;  Rouen  est  hors  de  ce  ressort  ;  mais 
il  n'est  éloigné  de  Paris  que  de  quatorze  myriamètres;  ainsi 
à  Rouen,  qui  n'est  qu'à  vingt-huit  lieues  anciennes,  la  loi 
ne  devra  être  exécutée  que  dans  soixante-six  heures  ;  et  à 
Auxerre,  qui  est  à  une  distance  de  quarante  lieues,  elle 
devra  l'être  dans  trente-six  heures. 

Variation  et  incertitude  dans  le  délai.  En  effet,  il  serait 
fixé  d'après  le  nombre  de  myriamètres  (jui  forment  la  dis- 
tance entre  Paris  et  chacune  des  villes  où  siègent  les  tri- 
bunaux d'appel;  il  faudrait  donc  commencer  par  fixer 
cette  distance;  elle  le  serait,  dira-t-on,  par  un  arrêté,  par 
un  règlement;  mais  ce  règlement,  cet  arrêté  peut  être 
changé  d'un  jour  à  l'autre;   il  arriverait  que  la  distance 


•2  58  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

pourrait  cire  regardée  comme  rapprochée,  si  des  circons- 
tances abrégeaient  le  chemin  ;  comme  si  un  nouveau  pont 
facilitait  le  passage  d'une  rivière  ;  si,  en  perçant  une  mon- 
tagne, on  évitait  un  plus  long  détour  ;  alors  la  distance  ne 
serait  plus  la  même;  et  comme  les  maîtres  de  postes  ob- 
tiennent quelquefois  qu'on  alonge  ou  qu'on  double  même 
des  distances  qui  ne  changent  pas  dans  la  réalité,  qui  sait 
ce  qui  arriverait  de  ces  fixations  arbitraires  de  myriamè- 
tres,  et  jusqu'où  des  intérêts  particuliers  pourraient  quel- 
quefois parvenir  à  les  faire  raccourcir  ou  alonger,  en  pro- 
fitant de  certaines  circonstances  ? 

C'est  donc  bien  à  tort  qu'on  a  dit  que,  dans  ce  nouveau 
système,  les  citoyens  ne  seraient  soumis  qu'à  l'arbitraire 
de  la  loi,  toujours  préférable  à  l'arbitraire  de  l'homme. 

C'est  à  vous,  législateurs,  de  voir  si  vous  voulez  adopter 
une  loi  dont  le  complément  nécessaire  serait  dans  un  ar- 
rêté, dans  un  règlement  de  distances,  qu'on  pourrait  chan- 
ger à  volonté.  Serait-ce  là  une  loi  complète  ?  serait-ce  une 
loi  immuable,  et  préviendrait-elle  l'arbitraire? 

Le  monrient  où  la  loi  deviendrait  exécutoire  serait  tou- 
jours variable  et  mobile  ;  il  le  serait  d'autant  plus,  que  la 
fin  du  terme  dépend  de  son  commencement,  et  que  ce 
commencement  pourrait  aussi  varier.  En  effet,  le  délai 
doit  commencer  de  la  date  de  la  promulgation  ,  et  échoir 
ensuite  à  différentes  heures,  à  diiférens  monicns  (car  c'est 
le  terme  dont  se  sert  le  projet  de  loi)  pour  les  différens  dé- 
j)arlemens  de  la  Uépubii(|ue. 

Jusquesà  jiréscnt  la  promulgation  n'est  point  datée  d'une 
heure  précise  ;  elle  l'est  seulement  d'un  jour  (a) ,  et  dans 

(a)  Oii  a  dit  »ju'il  fauilrail  «uivrt  l;i  rigic  urdiiiairc  :  te  jour  du  tt-rtne  n'ett  point  compta  dam  tt 
Urmt  ;  qu'niiiti  une  loi  ';laiil  pruiniilguée ,  |iar  cxoniplc ,  le  i**'  du  inoii ,  Ir  déliti  ronioienccrali 
a  ruurir  ù  ininiiil  de  et  jour  ,  f  t  'juc  \»  loi  tcrait  prt'Duint'C  connue  ù  Parii  cl  daiK  Ir  rruorl , 
trenlc-itix  lii-urci  apri-l ,  rVil-à-dirr  B  midi  du  troi^iinii-  j'Hir  du  moi»  ,  fl  «lu'ù  partir  «Ir  rr  midi , 
k  connaÏMance  pr^iumée  l'élendraii  rt  «a^nirail  dr  |ir«rli<-  m  |)rn<lie  lur  loui  Ir*  poinU  dr  la 
Franrr.  Il  cH  farlirux  qu'un  arlirlc  de  loi  «lit  aMi'7.  pru  rlair  pour  avoir  besoin  de  louir  nllc  ex- 
lilir^ilioii  ,  Il  dr  |>|na  ,  <  elle  •'(|ili(alioii  n'i-f>l  lioniH'  i|u\iiilanl  <|U(!  la  pioniulcalinn  w-ra  Miilenirnt 
d-«lir   du  i<ni  ;  «Ile  lomlie  ni  \\w  foi»  «m  duniie  ù  la  pruniulgaliuii  la  dale  d'une  heure  preeiitr. 


Dli    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  2ÔC) 

le  moilc  acliiel  île  publicalion,  <nrellc  soil  datée  du  jour 
ou  de  l'heure ,  il  ne  peut  s'ensuivre  aucune  différence 
ultérieure. 

Mais  admettez  un  article  de  loi  (c'est  celui  du  projet) 
qui  dise  que  la  loi  commencera  à  être  exécutée  r/a  moincnt 
où  elle /?o«r;Yi  être  connue,  et  qui  fixe  ce  moment  à  telle 
heure  après  Ja  date  de  la  promulgation  ;  n'est-il  pas  clair 
qu'en  donnant  à  la  promulgation  la  date  d'une  heure  pré- 
cise, on  change  à  volonté  le  moment  où  la  loi  devra  com- 
mencer à  être  exécutée?  qu'ainsi  une  loi  pronmlguéeà  la 
date  de  six  heures  du  matin ,  par  exemple,  devra  commen- 
cer à  être  exécutée  douze  heures  avant  celle  dont  la  pro- 
mulgation sera  datée  de  six  heures  du  soir  du  même  jour? 

La  promulgation  doit  toujours  se  faire  le  dixième  jour, 
j'en  conviens;  mais  ce  jour  a  vingt-quatre  heures,  et  le 
projet  de  loi ,  laissant  au  gouvernement  la  faculté  de  dater 
sa  promulgation  de  celle  des  vingt-quatre  heures  qu'il  vou- 
dra, il  n'y  aura  jamais  rien  de  certain  sur  le  moment  où  la 
loi  pourra  êlre  censée  connue  ,  et  où  elle  devra  commencer 
à  être  exécutée.  La  connaissance  présumée  devient  alors 
la  connaissance  impossible  ,  puisque  l'heure  de  la  date  de 
la  promulgation  sera  ignorée  jusqu'à  ce  que  la  loi  paraisse 
et  devienne  publique.  Est-il  possible  de  laisser  vivre  les  ci- 
toyens dans  cette  incertitude  continuelle  sur  l'objet  le  plus 
important  pour  eux? 

Mais  voyons  comment  pourra  se  faire  l'application  de  la 
loi,  d'après  un  pareil  mode  de  publicalion. 

Il  est  quelques  actes  qu'on  date  de  l'heure  où  ils  sont 
passés;  mais  ce  n'est  pas  le  plus  grand  nombre  :  toutes  les 
conventions,  les  obligations  et  la  plupart  des  actes  notariés 
ne  sont  datés  que  du  jour;  quand  il  faudra  apprécier  un 
acte  non  daté  de  l'heure,  et  lui  appliquer  une  loi  qui  sera 
devenue  exécutoire  à  un  moment  fixe  et  précis,  comment 
le  pourra-t-on  faire?  Voilà  donc  tous  les  citoyens  obligés  de 
dater  désormais  l'heure  dans  tous  les  actes;  et  s'ils  l'ou- 


î24o  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

hlient.  les  actes  seront-ils  nuls?  On  n'admettra  donc  plus 
les  actes  sous  signature  privée ,  s'ils  n'ont  été  enregistrés 
avec  les  dates  de  l'heure,  de  la  minute?  Vous  voyez,  légis- 
lateurs, à  quelles  conséquences  ce  système  peut  conduire; 
vous  voyez  qu'il  est  une  source  d'incertitudes,  de  difficul- 
tés, de  discussions  interminables. 

Enfin,  tous  ces  calculs  d'heures  et  de  myriamètres  sont 
difficiles,  hors  de  la  portée  du  plus  grand  nombre  ;  et  pour 
cela  seul,  ils  doivent  être  rejetés  d'une  loi.  «  Les  lois,  dit 
«  Montesquieu,  ne  doivent  point  être  subtiles;  elles  sont 
*  faites  pour  les  gens  de  médiocre  entendement.  » 

Le  motif  pris  de  la  nécessité  de  donner  à  certaines  lois 
la  plus  prompte  exécution,  la  marche  la  plus  rapide,  ne 
trouve  heureusement  son  application  que  dans  certains 
cas  assez  rares ,  et  lorsqu'il  s'agit  de  mesures  répressives  ; 
et  dans  ces  occasions  peu  fréquentes,  on  trouvera  des 
moyens  extraordinaires  d'exécution  que  la  loi  n'interdira 
point. 

Quant  aux  lois  fiscales  ou  de  finances,  contre  lesquelles 
on  craint  qu'il  ne  se  commette  des  fraudes  dans  l'inler- 
valle  entre  leur  émission  et  leur  publication ,  il  sera  tou- 
jours très-difficile  d'empêcher  ces  fraudes  ,  parce  que  l'in- 
térêt particulier  est  actif,  vigilant;  parce  i|ue  la  loi,  si  elle 
n'est  suffisamment  connue,  sera  du  moins  assez  annoncée 
par  sa  présentation  ,  par  sa  discussion,  pour  qu'on  songe 
à  l'éluder;  parce  qu'enfin  ,  avec  quel(|ue  rapidité  qu'on  lui 
fasse  parcourir  des  myriamètres,  la  fraude  et  l'amour  du 
gain  fuiront  encore  plus  vite  devant  elle  ,  et  n'auront  be- 
soin que  de  gagner  (|uelqucs  heures. 

Vous  voyez,  législateurs,  combien  d'inconvéniens,  et 
qui  ne  sont  balancés  par  aucun  avantage,  entraînerait  le 
projet  de  loi  rejeté  parle  Tribunat;  hésileriez-vous  encore 
à  le  rejeter?  Je  n'ajouterai  qu'un  mot ,  et  je  l'emprunterai 
à  l'un  de  nos  premiers  magistrats  ,  (jui  a  rcm[)li  It's  fonc- 
tions de  ministre  de  la  just4ce.  et  chez  lci|uc'l  l'expérience 


DE    1-A    PUBLICATION    DES    LOIS.  2^1 

ajoute  aux  lumières  acquises  dans  la  science  des  lois.  «-  Les 
«  inconvéuiens,  a-t-il  dit,  qu'on  croit  devoir  résulter  du 
«  mode  actuel  de  publication,  ne  sont  pas  jusqu'ici  jusli- 
«  fiés  par  des  exemples  :  la  seule  question  que  ce  mode  ait 
«  fait  naître,  est  celle  de  savoir  si  les  tribunaux  sont  obli- 
«  gés  de  juger  conformément  à  la  loi  avant  de  l'avoir  re- 
«  eue.  Le  changement  qu'on  propose  d'apporter  au  mode 
«.actuel  de  publication  est  donc  sans  motifs.  »  Telle  a  été 
Topinion  de  ce  jurisconsulte  célèbre;  telle  a  été  celle  d'une 
grande  partie  des  membres  du  Tribunat. 

Je  dirai  peu  de  chose  des  sept  articles  suivans,  pour  ne     >à6 
pas  fatiguer  votre  attention  ;  permettez-moi ,  législateurs  , 
de  me  référer,  à  cet  égard,  au  rapport  qui  vous  a  été  dis- 
tribué. 

Vous  y  avez  vu  que  la  plupart  de  ces  articles  sont  des  rè- 
gles générales  de  jurisprudence  qui  appartiennent  à  la 
science  et  non  à  la  législation;  règles  qu'il  est  très-dange- 
reux de  vouloir  convertir  en  articles  de  lois,  parce  qu'elles 
sont  sujettes  à  de  fréquentes  exceptions ,  parce  qu'elles  de- 
viendraient fertiles  en  applications  fausses,  en  conséquen- 
ces funestes  ; 

Vous  avez  vu  qu'on  aurait  pu  de  même,  sous  ce  titre  , 
de  l'application  et  des  effets  des  lois  en  général,  citer  une  foule 
d'autres  règles  ou  axiomes  de  droit  qui  ne  seraient  pas 
mieux  à  leur  place  que  les  quatre  ou  cinq  qu'on  a  fait  en- 
trer dans  ce  projet; 

Vous  avez  vu  que  plusieurs  de  ces  articles  appartiennent 
à  des  matières  particulières,  et  doivent  être  renvoyés  aux 
titres  qui  en  traiteront;  que  plusieurs  aussi  présentent  des 
vices  essentiels  de  rédaction  ; 

Vous  avez  vu  que  tous  les  articles  du  projet  ne  sont  ni 
liés,  ni  ordonnés  entre  eux;  qu'ils  sont  seulement  placés 
à  la  suite  l'un  de  l'autre  sans  méthode  et  comme  au  ha- 
sard. 

£tce  serait  là,  législateurs,  le  premier  titre  du  nou^eau 
VI.  16 


24-2  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ctC 

Code  français  ?  et  vous  le  souffririez  ?  et  vous  placeriez  un 
si  médiocre  péristyle  au-devant  du  grand  édifice  que  vous 
préparez  pour  la  nation  française  et  pour  les  siècles  à  ve- 
nir ? 

On  ne  vous  dira  pas,  sans  doute,  que  vous  allez  donc  re- 
tarder la  confection  de  ce  Code  civil ,  si  nécessaire,  si  vi- 
vement désiré  et  si  long-temps  attendu;  ce  serait  vouloir 
alarmer  vos  consciences,  au  lieu  de  convaincre  votre  rai- 
son :  sans  doute,  le  peuple  français  est  impatient  d'avoir 
un  Code  civil;  mais  il  est  encore  plus  jaloux  de  l'avoir  bon, 
digne  de  lui,  digne  de  vous,  législateurs,  digne  de  l'épo- 
que à  la(|uelle  vous  allez  le  lui  donner,  du  commence- 
ment du  dix-neuvième  siècle. 
•  Et  d'ailleurs,  comment  le  rejet  du  projet  de  loi  actuel 

pourrait- il  retarder  la  confection  du  Code  civil  ?  Le  prin- 
cipal, le  seul  article  important  du  projet  n'appartient  pas 
plus  à  ce  Code  qu'au  Code  criminel ,  qu'au  Code  judiciaire, 
qu'à  tous  les  autres  ;  il  est  même  relatif  aux  lois  temporai- 
res et  transitoires  ;  c'est  une  loi  à  faire  à  part  sur  la  forme 
de  la  promulgation  et  le  mode  de  publication  des  lois  en 
général;  loi  importante  et  urgente,  sans  doute,  mais  dont 
l'absence ,  depuis  la  mise  en  activité  de  la  Constitution  de 
l'an  VIII ,  n'a  pas  empêché  et  n'empêche  pas  encore  jour- 
nellement que  les  lois  que  vous  rendez  ne  soient  promul- 
guées et  publiées  suivant  le  mode  qui  existe. 

a  à  6  Quant  aux  sept  autres  articles ,  la  plupart  sont  des  prin- 
cipes qu'on  trouve  au  Code,  au  digeste,  dans  tous  nos  li- 
vres; et  je  vois  bien  ce  qu'il  y  a  de  dangereux,  mais  je  ne 
vois  pas,  je  l'avoue,  ce  qu'il  y  a  d'urgent  à  les  convertir 
en  articles  de  lois. 
»  Vous  rejetercz  donc  co  projet,  législatc  urs, afin  qu'au 

lieu  du  premier  article ,  on  vous  présente  une  loi  bonne  et 
complète  sur  la  forme  de  promulgation  et  le  mode  de  pu- 
blication des  lois. 

a  k  6        Vous  le  rcjclerez ,  afin  (jue  des  sept  autres  articles  on  en 


I 


DE     LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  «245 

supprime  tout-à-fait  plusieurs  qui  ne  peuvent  être  des  dis- 
positions législatives;  afin  qu'on  reporte  les  autres  à  leur 
véritable  place,  aux  titres  auxquels  ils  appartiennent,  et 
aussi  afin  qu'on  en  revoie  et  qu'on  en  corrige  la  ré- 
daction. 

Votre  refus  d'adopter  ce  projet  prouvera  que  vous  voulez 
que  la  majesté  du  peuple  français ,  tant  rehaussée  par  les 
armes ,  le  soit  encore  par  les  lumières  les  mœurs  et  les  lois. 

DISCOURS   PRONONCÉ    PAR    LE    CONSEILLER  d'ÉTAT   PORTALIS  , 
LVN   DES  ORATEURS  DU  GOUVERNEMENT. 

(Séance  du  33  frimaire  an  X.  —  14  décembre  1801.) 

Législateurs,  le  projet  de  loi  soumis  à  votre  sanction  est 
attaqué  dans  son  ensemble,  et  dans  chacun  des  huit  arti- 
cles qui  le  composent. 

Il  est  relatif  à  la  publication,  aux  effets  et  à  V application 
des  lois  en  général. 

Dans  la  défense  de  ce  projet,  nous  suivrons  le  même 
plan  que  l'on  a  suivi  dans  l'attaque. 

Examinons  d'abord  ce  que  l'on  objecte  contre  l'ensemble 
du  projet  de  loi. 

Ce  projet,  s'il  faut  en  croire  les  orateurs  qui  l'on  cen- 
suré, n'est  point  à  sa  véritable  place;  car,  n'étant  relatif, 
dit-on  ,  qu'aux  lois  en  général,  il  n'appartient  pas  plus  au 
Code  civil  qu'au  Code  criminel,  au  Code  commercial,  et 
à  tous  les  autres  Codes. 

Nous  en  convenons;  et  c'est  parce  que  nous  en  conve- 
nons ,  que  le  projet  de  loi  dont  il  s'agit  a  été  destiné  à  for- 
mer une  loi  distincte  de  toute  autre  loi. 

Mais  ,  objecte-t-on  ,  le  projet  de  loi  que  nous  discutons 
est  placé  à  la  tête  du  Code  civil,  quoique  vous  conveniez 
qu'il  ne  lui  appartient  pas  exclusivement. 

Je  réponds  que  celte  objection  est  inintelligible  pour 

moi. 

16. 


2/|4  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    ClC 

Expliquons-nous. 

C'est  à  l'occasion  du  Code  civil  que  l'on  s'est  occupé  du 
projet  de  loi  relatifs  la  publication  j  aux  effets  et  à  l'applica- 
tion des  lois  en  général  ;  mais  le  litre  seul  de  ce  projet  an- 
nonçait suffisamment  que  des  dispositions  et  des  règles  sur 
les  lois  en  général  n'appartenaient  exclusivement  à  aucun 
ordre  particulier  de  lois. 

Un  Code  civil  a  naturellement  plus  d'étendue  que  tout 
autre  Code  :  il  régit  l'universalité  des  choses  et  des  person- 
nes. Les  lois  criminelles,  les  lois  commerciales  sont  plus 
circonscrites. 

D'autre  part,  la  rédaction  d'un  Code  civil  a  été  le  pre- 
mier vœu  de  nos  assemblées  nationales. 

Il  était  donc  naturel  de  s'occuper  de  ce  qui  concerne  les 
lois  en  général ,  dans  le  moment  où  l'on  était  invité  à  s'oc- 
cuper de  la  partie  la  plus  étendue  de  la  législation. 

On  raisonne  sur  la  place  qui  doit  être  assignée  au  projet 
de  loi  que  nous  discutons ,  comme  s'il  s'agissait  d'une 
question  de  préséance  pntre  des  individus. 

Les  lois  ont  une  époque,  une  date,  parce  qu'elles  sont 
faites  dans  un  temps  plutôt  que  dans  un  autre;  mais  elles 
ne  sont  distinguées  entre  elles  que  par  la  matière  à  laquelle 
elles  se  rapportent. 

Chaque  loi  a  son  existence,  comme  chaque  loi  a  son 
objet. 

Législateurs  ,  dans  l'ordre  du  travail,  nous  avons  pensé 
qu'il  pouvait  être  utile  de  vous  présenter  un  projet  de  loi 
sur  les  lois  en  général,  avant  que  de  vous  présenter  les  di- 
vers projets  de  lois  qui  ont  été  préparés  sur  les  diverses 
matières  civiles. 

Conclura-l-on  de  là  que  le  projet  de  loi  sur  les  lois  m 
général  cesse  d'ôlre  ce  (|u'il  est  pour  devenir  ce  qu'il  n'e»t 
pas? 

On  observe  que  ce  projet,  qui  n'appartient  exclusive- 
ment à  aucun  Code,  aurait  dû  être  Tobjcl  d'une  loi  parti- 


DK    LA    PUBLICATION     UKS    LOIS.  'j/iS 

culière,  d'une  loi  à  par!.  EIi  bien!  qu'a-l-on  fait,  cl  que 
pouvait-on  faire  ?  Pour  distinguer  un  projet  de  loi  de  tout 
autre,  connaît-on  quelque  autre  moyen  que  celui  que  nous 
avons  choisi  ? 

Le  titre  du  projet  présenté  indique  littéralement  que  ce 
projet  concerne  les  lois  en  général  y  c'est-c\-dirc  toute  espèce 
de  lois  :  donc  il  n'est  pas  exclusivement  appliqué  aux 
lois  civiles.  Le  môme  projet  est  soumis  séparément  à  la 
sanction  du  Corps  législatif  :  donc  point  de  confusion  à 
craindre. 

Je  doute  que  ce  soit  une  bonne  manière  de  censurer  un 
projet  de  loi,  que  de  se  prévaloir,  non  des  vices  que  l'on 
y  découvre ,  mais  de  ceux  que  Ton  y  cherche  ,  et  de  propo- 
ser des  objections  démenties  par  le  projet  même. 

Si  quelques  orateurs  nous  ont  dit  que  le  projet  de  loi 
n'appartient  à  aucun  Code,  d'autres  sont  partis  de  l'or- 
donnance de  1667,  pour  nous  avertir  que  ce  projet  appar- 
tient au  Code  judiciaire. 

Il  est  très-vrai  que  le  premier  titre  de  Tordonnancc  de 
1667  parle  de  la  publication  et  de  l'interprétation  des  lois, 
et  que,  dans  la  même  ordonnance,  on  fait  un  Code  pour 
la  procédure  civile.  Mais  pourquoi  dissimuler  que  l'ordre 
de  la  procédure  civile  n'a  pas  été  l'unique  objet  du  législa- 
teur? Nous  trouvons  dans  l'ordonnance  de  1667  des  titres 
sur  divers  points  de  droit  importans  s\ir  la  forme  des  re- 
gistres, sur  la  reddition  des  comptes,  sur  les  faits  qui 
gissent  en  preuves  locales  où  littérales,  sur  les  prises  à 
partie. 

L'ordonnance  de  1667  Citait  destinée  à  faire  époque  dans 
la  législation  française;  elle  corrigeait  de  grands  abus;  elle 
fixait  quelques  maximes  importantes;  on  profila  du  mo- 
ment pourétablir  quelques  règles  sur  la  publication  et  l'in- 
terprétation des  lois. 

Mais  de  ce  qu'il  est  parlé  de  la  publication  des  lois  dans 
une  ordonnance  qui  parle  aussi  des  formes  de  la  procédure, 


a46  UI>CUSSIONS  ,    MOTIFS,    ctc 

conclure  qnc  la  matière  de  la  publication  des  lois  appar- 
tient au  Code  judiciaire,  ce  serait  mal  raisonner;  car  au- 
tant aimerais-je  entendre  dire  qu'il  faut  renvoyer  la  matière 
de  la  publication  des  lois  à  celle  des  testamens  et  des  suc- 
cessions ,  parce  que  l'authentique,  ut  novœ  constitutiones , 
régla  les  formes  de  la  publication  des  lois,  en  décidant 
une  question  de  testament. 

Avant  l'ordonnance  de  1667 ,  celle  de  Moulins  avait  pa- 
reillement réglé  les  formes  de  la  publication  des  lois.  Or, 
l'ordonnance  de  Moulins  roule  sur  bien  d'autres  matières 
que  celles  sur  lesquelles  l'ordonnance  de  1GG7  a  statué. 

Il  ne  faut  donc  pas  apporter  en  preuve  contre  le  projet 
de  loi  des  exemples  qui  ne  prouvent  rien. 

Ceux  des  orateurs  qui  pensent  que  l'on  doit  renvoyer 
le  projet  de  loi  au  Code  judiciaire  excipent  encore  des  di- 
vers articles  de  ce  projet  qui  règlent  les  limites  et  l'étendu  c 
du  ministère  des  juges  dans  l'application  des  lois. 

Mais ,  à  moins  que  l'on  ne  se  croie  autorisé  à  regarder 
comme  une  dépendance  du  Code  judiciaire  toute  dispo- 
sition où  le  uioi  juge  se  rencontrera,  je  ne  vois  pas  com- 
ment on  jjeut  exclusivement  classer  dans  ce  Code  des  ob- 
jets qui  sont  d'un  ordre  plus  élevé  que  ceux  qui  ne  tiennent 
qu*au  système  de  la  procédure  civile.  Tout  ce  qui  con- 
cerne l'étendue  et  les  limites  de  la  puissance  de  juger  ap- 
partient essentiellement  au  droit  public. 

Ilestmômc  des  orateurs  qui  ont  été  jusqu'à  dire  que  cette 
matière ,  ainsi  que  celle  de  la  publication  des  lois ,  ne  peut 
être  régie  que  par  des  rcglcnicns  constitutionnels ,  et  qu'elle 
est  hors  de  la  sphère  de  la  loi. 

Nous  voici  dans  une  plus  haute  région. 

Dans  ce  troisième  plan  d'attaque  ,  il  faut  rejeter  le  pro- 
jet,  parce  que,  pour  le  traduire  en  loi  ,  le  pouvoir  du  lé- 
gislateur ne  suffirait  pas,  et  <|u'il  faudrait  l'intervention  du 
pouvoir  constituant. 

Mais  qu'est-ce  donc   (ju'un   n'glcmcnt  constitutionnel?  Ces 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  247 

deux  mots  ne  vout  point  ensemble  ;  ils  impliquent  contra- 
diction. Le  mot  règlement  ainnouce  quelque  chose  de  varia- 
ble; le  mot  constitutionnel  annonce  quelque  chose  qui  ne 
Test  pas. 

On  parle  du  pouvoir  constituant  comme  s'il  était  tou- 
jours présent ,  comme  s'il  faisait  partie  des  pouvoirs  con- 
stitués. 

Erreur  :  quand  la  constitution  d'un  peuple  est  établie, 
le  pouvoir  constituant  disparaît.  C'est  la  parole  du  créa- 
teur qui  commanda  une  fois  pour  gouverner  toujours; 
c'est  sa  main  toute-puissante  qui  se  reposa  pour  laisser 
agir  les  causes  secondes,  après  avoir  donné  le  mouvement 
et  la  vie  à  tout  ce  qui  existe.  Par  la  Constitution,  le  corps 
politique  acquiert  tout  ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  être 
viable  ;  il  acquiert  une  volonté  et  une  action.  Mais  alors  il 
se  suffit  à  luiniême  pour  se  conserver  et  se  conduire. 

La  Constitution  a  distribué  les  pouvoirs  de  l'état  comme 
la  nature  a  distribué  les  facultés  de  l'homme. 

La  Constitution  est  au-dessus  du  législateur.  Ainsi  on  ne 
peut  changer  ni  détruire  par  des  lois  ce  qui  est  établi  par 
la  Constitution. 

Conséquemment ,  dans  la  matière  qui  est  l'objet  de  cette 
discussion ,  une  loi  ne  pourrait  déclarer  que  la  promulga- 
tion des  lois  n'est  pas  nécessaire,  puisque  la  Constitution 
suppose  littéralement  la  nécessité  de  cette  promulgation, 
et  puisqu'elle  désigne  le  pouvoir  par  qui  les  lois  doivent 
être  promulguées. 

Mais  la  Constitution  n'a  point  déterminé  le  mode  ni  la 
forme  extérieure  de  la  promulgation  des  lois.  Donc  elle  a 
jugé  que  ces  objets  ne  sont  pas  constitutionnels;  car  on  ne 
peut  pas  dire  qu'ils  aient  échappé  à  sa  prévoyance,  puis- 
qu'elle s'est  particulièrement  occupée  de  la  matière  de  la 
promulgation.  Donc,  elle  a  reconnu  que  tout  l'espace  qu'elle 
laissait  libre  dans  cette  matière  était  du  domaine  de  la  loi. 

Je  conçois  que ,  dans  les  cas  extraordinaires  qui  peu- 


Îi48  Discussions,    MOTIFS,    ClC 

vent  être  amenés  par  le  temps,  il  peut  se  rencontrer  des- 
objets  qui  soient,  par  leur  nature,  liors  de  la  main  du  lé- 
gislateur; mais  dans  toutes  les  matières  sur  lesquelles  la 
Constitution  a  formellement  statué  ,  il  est  évident  que  ce 
serait  blesser  la  Constitution  même ,  que  de  regarder 
comme  constitutionnel  ce  qu'elle  n'a  pas  voulu  traiter 
comme  tel. 

Je  sais  que  la  Constitution  de  Tan  III  réglait  explicite- 
ment le  mode  et  les  formes  de  la  promulgation  des  lois  ; 
mais  cette  circonstance  est  une  raison  de  plus  pour  penser 
que  c'est  avec  intention  qu'on  n'a  plus  reproduit  les  mêmes 
détails  dans  la  dernière  Constitution.  Les  bons  esprits  s'é- 
taient plaint  de  ce  que  la  Constitution  de  l'an  III  était  trop 
réglementaire  ,  et  de  ce  qu'elle  avait  lié  par  là,  à  l'immuta- 
bilité de  la  République ,  des  objets  qui  sont  essentiellement 
subordoiuiés  au  cours  variable  des  intérêts,  des  mœurs  et 
des  circonstances.  Dans  le  nouvel  ordre  de  choses,  on  n'a 
pas  voulu  s'exposer  aux  mêmes  inconvéniens,  et  on  a  laissé 
plus  de  latitude  au  législateur. 

Pour  ce  qui  est  des  articles  du  projet  de  loi,  qui  sont  re- 
latifs aux  fonctions  des  juges,  comment  peut-on  raisonna- 
blement prétendre  que  ces  articles  sont  hors  de  la  sphère 
de  la  loi  ?  L'article  61  de  la  Constitution  s'exprime  eu  ces 
termes  :  En  maticrc  civile ,  il  j  a  des  tiihitnaux  de  première 
in^tnnce  et  des  tribunaux  d'appel.  La  loi  détermine  l'organisa- 
tion eles  uns  et  des  autres  ,  leur  compétence  et  le  territoire  for- 
mant le  ressort  de  chacun. 

Cela  est-il  clair?  Il  y  aura  des  tribunau.v  de  première  in- 
stance et  des  tribunaux  d'appel.  Tel  est  le  vœu  de  la  Constitu- 
tion .  tout  le  reste  est  abandonné  à  l'empire  de  la  loi. 

Dans  les  controverses  ecclésiastiques,  ou  a  eu  quelque- 
fois besoin  d'avertir  Us  théologiens  de  n'être  pas  plus 
chrétiens  (juc  l'évangile  ;  dans  nos  controverses  politiques, 
n<>us  avons  <|iicl([uefois  besoin  (|u'on  nous  dise  de  n'être 
pas  plus  constitutionnels  (/ue  ta  Constitution. 


DIÎ    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  24^ 

Après  avoir  réfuté  toutes  les  objections  relatives  an  poihl 
de  savoir  si  le  projet  de  loi  présenté  est  à  sa  véritable  place  , 
qu'il  me  soit  permis  démettre  aux  prises  les  divers  orateurs 
qui  ont  proposé  ces  objections. 

Les  uns  voudraient  reléguer  le  projet  de  loi  dans  le  Code 
judiciaire;  ceux-là  ne  le  voudraient  pas,  qui  soutiennent 
que  le  projet  de  loi  n'appartient  exclusivement  à  aucun 
Code.  D'autres  avancent,  contre  l'esprit  et  la  lettre  de  la 
Constitution,  que  toute  la  matière  sur  laquelle  le  projet 
dispose  est  constitutionnelle,  et  conséquemment  étran- 
gère au  pouvoir  législatif:  d'autres  ne  voient  rien,  dans  les 
objets  dont  il  s'agit,  qui  ne  soit  du  domaine  de  la  loi. 

Chacun  des  orateurs  que  j'ai  à  combattre  prétend  que 
son  voisin  a  tort,  et  en  cela  ils  ont  tous  raison.  Car,  à  ceux 
qui  soutiennent  que  la  matière  du  projet  de  loi  est  consti- 
tutionnelle, je  réponds  avec  la  constitution,  qu'elle  ne 
peut  être  réglée  que  par  une  loi. 

A  ceux  qui  voudraient  reléguer  le  projet  de  loi  dans  le 
Code  judiciaire,  et  qui  ont  argumenté  d'après  l'ordonnance 
de  1667,  j'oppose  l'authentique  :  ut  novœ  constitutiones ,  et 
l'ordonnance  de  Moulins,  qui  n'ont  pas  suivi  le  plan  de 
l'ordonnance  de  1667.  ^^  ^^^^  réponds  encore,  d'après  la 
nature  des  choses ,  qu'une  loi  relative  aux  lois  en  général , 
n'est  pas  plus  particulière  au  Code  judiciaire  qu'à  tout 
autre  Code. 

Finalement,  à  ceux  qui,  partant  de  ce  dernier  point 
convenu,  nous  reprochent  d'avoir  présenté,  comme  un 
apanage  exclusif  du  Code  civil,  un  projet  de  loi  qui  ne  peut 
appartenir  exclusivement  à  aucun  Code  particulier,  je  ré- 
ponds :  De  quoi  vous  plaignez-vous?  qu'exigez- vous  donc 
que  nous  n'ayons  déjà  fait?  Vous  voulez  un  projet  séparé; 
nous  le  présentons.  Vous  craignez  que  ce  projet,  rédigé  à 
l'occasion  du  Code  civil,  et  préliihinairement  à  ce  Code, 
ne  puisse  être  regardé  comme  un  apanage  exclusif  des  ma- 
tières civiles  :  lisez  le  titre  même  du  projet,  vous  y  verrez 


200  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

qu'il  est  relatif  à  la  publication ,  aux  effets ,  à  l'application  des 
lois  en  général.  Or,  certainement  un  projet  annoncé  comme 
relatif  aux  lois  en  général  n'est  point  annoncé  exclusive- 
ment comme  relatif  aux  lois  citulcs  en  particulier. 

Je  le  demande  aux  orateurs  que  je  réfute  :  comment  ont- 
ils  raisonné?  De  ce  que  nous  avons  dit  que  le  projet  de  loi 
est  relatif  aux  lois  en  général  on  s'est  hâté  de  conclure  que 
Dous  avons  eu  tort  d'en  faire  une  dépendance  exclusive 
des  lois  civiles.  Mais  il  était  bien  plus  naturel  de  dire  :  les 
auteurs  du  projet  n'ont  pas  voulu  faire  du  projet  une  dé- 
pendance privilégiée  des  lois  civiles  en  particulier,  puis- 
qu'en  nous  révélant  leur  pensée,  ils  nous  ont  annoncé 
formellement  que  le  projet  était  relatif  aux  lois  en  gé- 
néral. 

C'est  une  manière  assez  bizarre  de  combattre  un  auteur, 
que  celle  de  raisonner,  non  sur  ce  qu'il  a  dit  ou  pensé, 
mais  sur  ce  qu'il  n'a  ni  pensé  ni  dit.  Avec  ce  singulier  sys- 
tème d'attaque,  chacun  a  combattu  le  projet  qu'il  faisait 
lui-même  dans  sa  tête ,  et  personne  n'a  vu  celui  qu'il  avait 
sous  les  yeux. 

Un  second  point  de  vue  sous  lequel  on  attaque  le  projet 
de  loi  consiste  à  nous  le  faire^  envisager  comme  un  recueil 
de  maximes  de  morale  et  de  jurisprudence,  qui  ne  peu- 
vent devenir  l'objet  d'une  loi,  et  qui  doivent  être  aban- 
données à  la  science. 

D'abord,  je  ne  trouve  aucune  maxime  de  morale  dans  le 
projet  de  loi ,  à  moins  que  l'on  ne  se  fasse  de  la  morale 
une  toute  autre  idée  que  celle  que  nous  en  avons  tous. 

Quant  aux  maximes  de  jurisprudence,  je  ne  vois  pas 
comment  elles  ne  pourraient  pas  devenir  l'objet  d'une  loi. 

C'est  la  jurisprudence,  c'est-à-dire  la  science  du  droit, 
qui  fournit  tous  les  matériaux  de  la  législation. 

La  science  embrasse  tout  ce  qui  peut  s'offrir  à  l'espril. 
La  législation  choisit  dans  la  science  tout  ce  qui  peut  inlé- 
resHcr  plus  directement  la  société. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  25 1 

L'office  de  la  loi,  dit-on,  n'est  que  d'ordonner,  de 
permettre,  de  défendre,  de  punir;  la  loi  ne  doit  donc  pas 
se  borner  à  proclamer  des  principes. 

Je  réponds  que  le  mot  ordonner ,  dont  on  se  sert  pour 
exprimer  une  des  attributions  de  la  loi,  a  une  signification 
plus  étendue  que  Ton  ne  pense.  Il  n'est  pas  limité  à  l'ex- 
pression d'un  commandement  précis  sur  un  objet  déter- 
miné. II  embrasse  toute  disposition  générale  ou  particu- 
lière qui  sert  à  régler  les  actions  des  hommes. 

Un  principe  n'est  point  une  disposition. 

J'en  conviens.  Mais  un  principe  devient  une  disposition 
quand  il  est  sanctionné  par  la  puissance  législative. 

Avant  la  sanction  publique,  un  principe  n'est  que  le 
résultat  d'un  ou  de  plusieurs  raisonnemens  que  d'autres 
raisonnemens  peuvent  atténuer  ou  obscurcir.  Après  la 
sanction  publique,  un  principe  devient  un  fait  positif  qui 
termine  tous  les  raisonnemens  et  toutes  les  incertitudes. 

Un  principe,  tant  qu'il  n'appartient  qu'à  la  science, 
n'est  qu'une  thèse  philosophique  qui  peut  être  controver- 
sée; mais  quand  un  principe  appartient  à  la  législation,  il 
devient  une  règle  qui  doit  être  obéie. 

Les  principes,  dans  le  sens  que  l'on  attache  à  ce  mot, 
sont  indiqués  par  la  raison  :  les  règles  sont  fixées  par  l'au- 
torité. 

Les  principes  sont  appris,  inspirés  ou  découverts  :  les 
règles  sont  établies. 

Le  savant,  le  philosophe,  le  jurisconsulte  enseignent  et 
propagent  les  principes;  le  législateur  seul  peut  faire  les 
règles  :  car  la  raison  particulière  d'aucun  homme  ne  peut 
dominer  celle  d'un  autre  homme.  Il  n'y  a  que  la  loi,  raison 
publique,  qui  peut  utilement  parler  à  tous. 

Les  Romains ,  qui  ont  si  long-temps  régi  et  qui  régissent 
encore  le  monde  par  leurs  lois,  avaient  inséré  dans  leur 
Code  un  titre  exprès,  des  règles  du  droit,  de  regulis 
juris. 


252  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    Ctc 

Il  ne  faut  pas  tout  abandonner  à  la  science.  Il  ne  faut 
pas  tout  régler  par  des  lois. 

La  science,  abandonnée  à  la  dispute,  n'offre  qu'une 
mer  sans  rivages.  Les  règles,  posées  par  la  législation ,  fout 
que  les  rivages  ne  manquent  pas  à  la  mer. 

Loin  de  dire  que  la  loi  ne  doit  point  fixer  des  règles,  il 
faut  donc  dire,  au  contraire,  que  rien  n'est  plus  favorable 
que  cette  sorte  d'instruction  légale ,  qui  éclaire  et  com- 
mande tout  à  la  fois,  et  qui  rassure  la  société  contre  les 
fluctuations  de  la  science. 

Mais,  disent  les  orateurs  qui  attaquent  le  projet,  il  y  a 
la  plus  grande  incohérence  entre  les  divers  articles.  On 
pourrait  placer  au  second  rang  celui  qui  est  au  troisième , 
et  au  troisième  celui  qui  est  au  second.  Rien  n'est  lié. 

Je  réponds  qu'il  y  aurait  incohérence  s'il  y  avait  con- 
tradiction ou  incompatibilité. 

Ce  qui  est  dit  dans  un  article  est-il  contraire  à  ce  qui 
est  porté  dans  un  autre?  Expliquez- vous.  Si  cela  est,  il 
faut  rejeter  le  projet. 

Mais  on  n'argue  d'aucune  contradiction.  On  suppose 
même  qu'il  n'y  en  a  point,  puisqu'on  observe  seulement 
que  les  divers  articles  pourraient  être  arbitrairement  dé- 
placés sans  conséquence.  Il  n'y  a  donc  point  d'incompati- 
bilité entre  les  articles. 

On  objecte  qu'il  n'y  a  pas  non  plus  de  liaison. 

Je  conviens  qu'il  ne  peut  ni  ne  doit  y  avoir,  entre  les 
articles  du  projet,  les  rapports  de  subordination  ou  de  dé- 
pendance qui  existent  enlre  des  propositions  déduites  les 
unes  des  autres. 

Mais  cela  résulte  de  la  nature  môme  des  choses. 

Chaque  article  énonce  une  règle;  chaque  règle  est  un 
tout  :or,  différens  tous,  réunis  ensemble,  ne  sauraient 
l'ôtrc  comme  le  sont  les  parties  d'un  même  tout.  Chaque 
règle  a  son  empire ,  et ,  pour  ainsi  dire ,  son  territoire.  Au- 
cune n'est  précisément  la  conséquence  de  l'autre.  S'il  en 


D£    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  255 

èUit  autrement,  ce  ne  seraient  pas  des  règles  distinctes  et 
capables  de  remplir  le  but  que  l'on  s'est  proposé. 

Il  ne  s'agit  donc  pas  de  savoir  si  les  règles  posées  ont  de 
l'affinité  entre  elles  ,  mais  si  elles  en  ont  avec  le  titre  géné- 
ral sous  lequel  elles  sont  placées ,  et  qui  est  relatif  ^i  la  pu- 
blication y  aux  ejfets  et  à  l'application  des  lois  en  général. 

Mais,  ajoute-t-on,  puisque  vous  vouliez  établir  des  rè- 
gles ,  pourquoi  n'en  avez-vous  pas  fait  une  plus  longue 
série  ?  Il  en  est  d'importantes  qui  ne  sont  pas  dans  le  projet. 

Je  réponds  qu'en  présentant  le  projet  de  loi,  nous  n'a- 
vons pas  entendu  présenter  un  recueil  des  règles  du  droit, 
mais  simplement  fixer  certaines  règles  relatives  aux  effets 
et  à  l'application  des  lois. 

Tantôt  on  disait  que  des  règles  de  droit  ne  pouvaient 
jamais  devenir  des  articles  de  loi  ;  ici  on  se  plaint  de  ce 
que  le  projet  de  loi  ne  contient  pas  un  assez  grand  nombre 
de  règles. 

Vous  avez  omis,  dites- vous,  des  règles  importantes. 

Mais ,  faites  l'énumération  de  toutes  les  règles  que  vous 
croyez  importantes  dans  le  droit,  et  vous  n'échapperez  pas 
au  reproche  d'en  avoir  omis  quelqu'une.  Les  Romains  n'y 
ont  point  échappé. 

Au  surplus,  notre  projet  de  loi  n'a  pour  objet  que  de 
fixer  quelques  points  de  controverse,  ou  de  proclamer 
quelques  maximes  qui  ont  toujours  été  rappelées  par  les 
législateurs  des  nations ,  quand  ils  ont  promulgué  quelque 
grand  corps  de  loi. 

Tous  les  reproches  d'omission  portent  donc  à  faux. 

Les  orateurs  qui  ont  attaqué  le  projet  dans  son  ensem- 
ble finissent  par  observer  que  ce  projet  n'est  pas  digne  de 
servir  de  frontispice  au  Code  civil. 

Mais  tout  ceci  est  bien  vague. 

Je  sais  ce  que  l'on  veut  dire  quand  on  soutient  qu'un 
projet  de  loi  est  bon  ou  qu'il  est  mauvais;  mais  mes  idées 
ne  savent  plus  où  s'arrêter,  quand  on  demande  si  un  pro- 


â54  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

jet  de  loi  est  digne  de  servir  de  frontispice  à  un  autre.  Celte 
question  pourrait  être  utilement  agitée,  s'il  s'agissait  de 
l'exorde  d'un  discours  d'ostentation.  Alors  on  pourrait  exa- 
miner si  cet  exorde  assortit  le  sujet  ou  le  reste  du  dis- 
cours. 

Mais  rien  de  tout  cela  ne  se  rencontre  dans  notre  hypo- 
thèse. Le  projet  présenté  n'est  ni  l'exorde  d'un  discours, 
ni  le  préambule  d'une  loi  ;  c'est  un  projet  de  loi  qui  a  son 
objet  distinct,  et  qui  doit  être  jugé  en  lui-même,  indépen- 
damment de  tout  autre  projet. 

Le  projet  présenté  n'est  qu'en  huit  articles.  Mais  qu'im- 
porte ?  Il  ne  s'agit  pas  de  compter  les  articles  d'une  loi  ;  il 
s'agit  de  les  peser.  La  loi  qui  décréta  que  la  France  serait 
République  n'avait  qu'un  article  :  en  a-t-il  existé  de  plus 
importante? 

La  matière  du  projet  de  loi  est  grave,  puisque  la  plupart 
des  orateurs  ont  même  soutenu  qu'elle  était  constitution- 
nelle. Il  suffit  de  lire  la  discussion  du  Tribunal,  pour  être 
pénétré  du  degré  d'importance  que  les  orateurs  ont  atta- 
ché à  l'objet  de  chacun  des  articles  soumis  à  la  sanction 
du  Corps  législatif. 

C'est  autre  chose  si  l'on  prétend  que  le  projet  est  mal 
rédigé,  et  que  les  articles  qui  le  composent  sont  des  dan- 
gers ou  des  erreurs. 

Mais  cette  partie  de  la  discussion  rentre  dans  les  objec- 
tions de  détail  que  l'on  a  proposées  contre  chacun  de  ces 
articles.  Pour  le  moment,  nous  pouvons  conclure  avec 
confiance  que  le  projet,  considéré  dans  son  ensemble, 
n'offre  rien  qui  puisse  en  motiver  le  rejet. 

Actuellement  notre  tâche  est  de  justifier  chaque  article 
pris  séparément. 

Le  premier  article  porte  trois  choses  : 

1°.  Que  les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire  fran- 
çais y  en  vertu  de  la  promul 'Ration  qui  en  est  faite  par  le  Premier 
Consul; 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  2  55 

a".  Quelles  seront  exécutées  dans  chaque  partie  de  la  Repu- 
hliquc ,  du  moment  où  la  promulgation  pourra  y  être  connue; 

5°.  Que  la  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera 
réputée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de  Paris, 
trente-six  heures  après  sa  date,  et  dans  tout  le  ressort  de  chacun 
des  autres  tribunaux  d'appel,  après  l'expiration  du  même  délai, 
augmenté  d'autant  de  fois  deux  heures  qu'il  y  a  de  myriamètres 
entre  Pans  et  la  ville  où  chacun  de  ces  tribunaux  a  son  siège. 

Toutes  les  dispositions  de  cet  article  sont  attaquées. 
Comment  a-t-on  pu  se  permettre  d'avancer,  dit  un  des 
orateurs,  que  les  lois  sont  exécutoires  en  vertu  de  la  pro- 
mulgation du  Premier  Consul  ?  La  promulgation  n'est 
qu'une  formalité  extérieure  qui  ne  constitue  pas  la  loi.  La 
loi  est  exécutoire,  dit  l'orateur,  parce  qu'elle  est  loi,  elle 
est  loi  en  vertu  des  formalités  indiquées  par  le  pacte  cons- 
titutionnel pour  la  forme  de  ces  actes  suprêmes.  C'est  donc 
par  un  sens  faux,  par  une  fausse  acception  du  mot,  que 
l'on  a  prétendu  définir  le  caractère  des  lois ,  d'une  manière 
évidemment  contraire  à  Tesprit  de  la  Constitution,  qui 
est  précis. 

Tout  ce  raisonnement  n'est  fondé  que  sur  des  méprises. 

La  loi  peut  être  considérée  sous  deux  rapports  :  i"  rela- 
tivement à  l'autorité  qui  la  porte  ;  2°  relativement  au  peu- 
ple ou  à  la  nation  pour  qui  elle  est  faite. 

Il  est  des  peuples  qui,  n'étant  point  encore  civilisés, 
vivent  sans  loi;  mais  toute  loi  suppose  un  peuple  qui  l'ob- 
serve et  qui  lui  obéit. 

Entre  la  loi  et  le  peuple  pour  qui  elle  est  faite,  il  faut  un 
moyen  de  communication  ;  car  il  est  nécessaire  que  le  peu- 
ple sache  ou  puisse  savoir  que  la  loi  existe  et  qu'elle  existe 
comme  loi. 

La  promulgation  est  le  moyen  de  constater  l'existence  de 
la  loi  auprès  du  peuple ,  et  de  lier  le  peuple  à  l'observation 
de  la  loi.  Aussi,  tous  les  publicistes,  tous  les  jurisconsultes 


256  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

regardent  la  promulgation  comme  l'édition  solennelle  de 
la  loi  ;  solemnis  cditio. 

Avant  la  promulgation,  la  loi  est  parfaite,  relativement 
à  l'autorité  dont  elle  est  l'ouvrage;  mais  elle  n'est  point 
encore  obligatoire  pour  le  peuple  en  faveur  de  qui  le  légis- 
lateur dispose.  Sans  doute ,  la  promulgation  ne  fait  pas  la 
loi  ;  mais  les  effets  de  la  loi  ne  peuvent  commencer  qu'après 
la  promulgation. 

On  a  donc  dit,  avec  raison  ,  que  les  lois  sont  exécutoires 
en  vertu  de  la  promulgation.  La  promulgation  est  une 
forme  extérieure,  mais  essentielle,  puisqu'elle  est  consti- 
tutionnelle. La  promulgation  est  une  forme  extérieure  à  la 
loi,  comme  la  parole  et  l'écriture  sont  extérieures  à  la  pen- 
sée. Mais,  comme  pour  communiquer  sa  pensée,  il  faut  des 
signes  qui  la  transmettent,  il  est  également  vrai  qu'il  faut 
une  promulgation  pour  que  la  loi  ne  demeure  pas  étrangère 
à  ceux  qui  sont  destinés  à  lui  obéir.  L'erreur  vient  de  ce 
qu'on  ne  regarde  la  loi  que  dans  ses  rapports  avec  l'auto- 
rité qui  la  décrète ,  sans  la  considérer  dans  ses  rapports 
avec  la  nation  pour  qui  la  loi  existe. 

La  première  disposition  du  premier  article  du  projet  est 
donc  inattaquable. 

La  seconde  disposition  du  même  article  porte  que  les 
lois  seront  exécutées  dans  chaque  partie  de  la  République ,  du 
moment  où  la  promulgation  pourra  y  être  connue. 

Ici  on  s'élève  contre  les  mots  du  moment  el pourra. 

Il  est  absurde ,  dit-on ,  que  l'on  se  contente  d'une  sim- 
ple probabilité,  lorsqu'on  devrait  se  ménager  la  certitude. 
Il  est  absurde  encore  qu'en  se  contentant  d'une  simple 
probabilité,  on  calcule  par  moment,  et  qu'on  fasse  tout 
dépendre  d'un  point  mathématique. 

Je  répondrai  d'abord  qu'en  matière  de  législation ,  c'est 
la  même  chose  de  connaître  réellement  une  loi,  ou  d'a- 
voir pu  ou  dû  la  connaître  ,  idem  est  scîre  aut  scire /jotuisscy 


11F.    LA    PUniICATION'    DIS    LOIS.  JO^ 

aut  debuissc  :  de  là  c'est  une  règle  constante,  que  l'i'^no- 
rance  du  droit  n'excuse  pas  :  ignorantin  Juris  non  e.vcn.utt. 

Tout  cela  est  fondé  en  raison.  Les  lois  sont  faites  gcné- 
ralenient  ;  Ir^cs  gcncralitcr  constituiintur y  et  non  in  sin<mlas 
personas  ;  c'est-à-dire,  les  lois  prennent  les  hommes  en 
masse,  elles  parlent  à  la  société  entière. 

Il  serait  donc  contre  l'essence  même  des  lois,  qu'une  loi 
fût  personnellement  intimée  à  chaque  individu.  La  chose 
serait  même  physiquement  impossible.  De  là,  dans  le 
droit  public  de  toutes  les  nations,  la  loi  est  notifiée  au 
corps  de  la  société  par  la  promulgation.  Réellement  et  de 
fait,  beaucoup  de  gens  ignorent  une  loi,  quoique  promul- 
guée ;  mais  si  on  a  la  certitude  morale  qu'ils  ont  pu  la  con- 
naître, l'ignorance  de  la  loi  ne  peut  les  excuser.  On  est 
forcé  de  se  contenter  de  celte  certitude  morale,  puisqu'on 
ne  pourrait  avoir  la  preuve  spécifique  de  la  connaissance 
parvenue  à  chaque  individu,  que  par  l'intimation  de  la  loi 
à  chaque  individu,  intimation  dont  l'impossibilité  est  évi- 
dente. 

On  est  donc  forcé  de  calculer  sur  la  connaissance  pro- 
bable que  chacun  peut  avoir  de  la  loi.  Le  système  des  pro- 
babilités, en  cette  matière,  n'est  donc  pas  nouveau.  Il  est 
inhérent  à  tous  les  systèmes  de  promulgation;  il  dérive  de 
la  force  même  des  choses.  Les  possibilités ,  les  probabilités 
peuvent  se  calculer  ;  le  projet  de  loi  les  calcule,  en  graduant 
successivement  les  distances,  et  en  déclarant  successive- 
ment la  loi  exécutoire  d'après  l'échelle  des  distances  gra- 
duées. 

Mais,  nous  dit-on  ,  pourquoi  ne  pas  faire  promulguer  la 
loi  partout  ?  Pourquoi  une  seule  promulgation  à  Paris  ?  Il 
est  facile  de  répondre  à  ces  questions. 

La  matière  de  la  promulgation  des  lois  a  été  disertcmcnt 
traitée  par  tous  les  publicisles;  et  voici  quels  sont  les  prin- 
cipes de  cette  importante  matière. 

N'oublions  pas  ce  que  nous  avons  déjà  dit,  que  la  pro- 
VI.  ï7 


258  DISCUSSIONS,  MOTIFS,  elc. 

mulgalion  est  une  édition  solennelle,  faile  de  la  loi  par 
l'autorité  compétente,  xolcmnis  editio.  La  pronuilgation  est 
la  vive  voix  du  législateur. 

La  Constitution  porte  que  la  promulgation  des  lois  sera 
faite  par  le  Premier  Consul.  11  n'y  a  donc  et  il  ne  peut  y  avoir 
qu'une  seule  promulgation  des  lois  en  France ,  et  une  pro- 
mulgation faile  par  le  premier  magistrat  de  la  République. 
La  promulgation  des  lois  est  donc  un  acte  qui  est  essentiel- 
lement un  et  indivisible,  comme  la  République  elle-même. 
D'où  vient  donc  que,  sous  l'ancien  régime,  chaque  cour 
souveraine  promulguait  la  loi  dans  son  ressort ,  et  qu'il  y 
avait  autant  de  promulgations  qu'il  y  avait  de  provinces? 
Expliquons  ceci. 

Sous  l'ancien  régime,  la  France  était  une  monarchie, 
et  cette  monarchie  se  composait  de  divers  états  distincts, 
dans  lesquels  le  monarque  gouvernait  sous  des  titres  diffé- 
rens.  Ici,  il  gouvernait  sous  le  titre  de  comte;  là,  sous  le 
titre  de  duc;  ailleurs,  sous  un  autre  titre  quelconque. Dans 
chaque  état  particulier,  il  était  obligé  de  prendre,  dans  ses 
lois ,  le  titre  sous  lequel  il  gouvernait  cet  état.  Une  loi  qui 
serait  arrivée  en  Provence,  et  dans  laquelle  le  monarque 
n'aurait  pas  pris  le  tilre  de  comte,  n'y  aurait  jamais  été 
naturalisée.  Il  fallait  donc  autant  de  promulgations  diffé- 
rentes qu'il  existait  d'états  distincts,  dans  chacun  desquels 
le  monar(|ue  gouvernait  sous  des  titres  diflérens.  La  pro- 
mulgation ne  pouvait  être  une  et  indivisible,  puis(|ue  la 
monarchie  était  composée  de  divers  peuples,  de  diverses 
nations ,  dunt  chacun  avait  sa  constitution  et  ses  lois  par- 
ticulières. 

Cela  se  vérifie  encore  en  Allemagne ,  dans  les  divers 
états  de  l'Empereur,  en  Espagne  où  il  existe  plusieurs 
royaumes  dans  le  même  royaume,  et  dans  plusieurs  au- 
tres grandes  monarchies  de  l'Europe. 

Mais  les  i)ut)licistes  observent  très- judicieusement  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  les  monarchies  dont  nous  parlons, 


Dli  L.\   l'UULlCAïION   DUS  LOIS.  «iSq 

OÙ  il  Tant  diverses  promulgations  d'une  môme  loi  parce 
qu'il  y  a  diverses  nations  Irès-distinclcs  ,  avec  les  étals 
qui  ne  forment  qu'un  même  corps  politique,  el  où  il  n'y 
a  qu'une  loi  comme  il  n'y  a  qu*un  peuple.  Dans  ces  étals, 
la  promulgation  est  une,  comme  la  loi  même.  C'est  l'hypo- 
thèse de  la  République  française. 

On  objectera  peut-être  qu'il  est  bien  singulier  (jue  la 
promulgation  faite  dans  le  lieu  ou  siège  le  gouvernement 
puisse  rendre  la  loi  exécutoire  dans  tous  les  autres  lieux. 

Je  réponds  que  cette  prétendue  singularité  disparaît 
quand  on  dislingue,  avec  tous  les  savans,  la  promulgation 
d'avec  la  connaissance  qu'une  loi  a  été  promulguée  :  pro- 
mulgatio ,  et  divulgotio  pronuilgationis. 

La  promulgation  est  consommée  par  un  acte  du  Premier 
Consul.  Si  la  voix  de  ce  premier  magistrat  pouvait  retentir  en 
même  temps  dans  toutes  les  parties  de  la  République,  la  loi 
serait  partout  exécutoire  dans  l'instant  même.  Mais  comme 
la  promulgation  faite  dans  le  lieu  où  siège  le  gouvernement 
ne  peut  pas  êlre  subitement  connue  partout,  les  lois  des 
diverses  nations  ont  ménagé  des  délais  suûisans  pour  rjue 
la  connaissance  de  la  loi  promulguée  puisse  parvenir  à 
tous  ceux  qui  ont  intérêt  à  la  connaître.  Mais  la  loi  a  déjà 
toute  sa  publicité  légale  au  moment  de  sa  promulgation  ;  le 
reste  n'est  plus  qu'une  publicité  de  fait,  que  la  loi  acfjuiert 
successivement  à  mesure  que  l'on  apprend  dans  les  diffc- 
rentes  parties  de  la  République  (jue  la  loi  a  été  promulguée. 
Le  délai  et  toutes  les  autres  précautions  de  police  que  l'on 
peut  prendre  pour  propager  la  connaissance  d'une  loi,  ne 
sont  que  pour  garantir  et  étendre  cette  publicité  de  fait, 
très-distincte  de  la  publicité  légale  qui  est  opérée  par  la 
promulgation. 

Il  y  a  des  pays  où ,  dès  l'instant  de  la  promulgation  faite 
par  Tautorilé  compétente,  la  loi  est  exécutoire  dans  toutes 
les  parties  de  TÉlat.  Telle  est  la  législation  anglaise. 

En  Portugal,  la  loi  est  exécutoire  dans  la  capitale  cl  ses 

17. 


2tio  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

environs  huit  jours  après  sa  promulgation,  et  trois  mois 
après  celte  promulgation ,  dans  toutes  les  autres  terres  et 
seigneuries  de  la  monarchie. 

Selon  l'Authentique,  ut  novœ  constitutiones ,  une  loi  était 
exécutoire  dans  tout  l'empire  romain  deux  mois  après  sa 
promulgation. 

Tous  les  publicistcs  s'accordent  à  dire  qu'un  délai  suffi- 
sant après  la  promulgation,  pour  donner  la  certitude  mo- 
rale que  la  loi  a  pu  être  connue  partout,  est  le  parti  le 
plus  convenable  qu'un  législateur  puisse  prendre. 

Faut-il  un  délai  uniforme  pour  toute  la  République,  ou 
faut-il  un  délai  successif  et  gradué  suivant  les  distances  ? 
Cette  question  a  été  fortement  agitée  par  les  orateurs.  La 
plupart  d'entre  eux  se  déterminent  pour  un  délai  uniforme, 
et  ils  rejettent  le  projet  qui  admet  un  délai  successif. 

Le  délai  uniforme  présente,  au  premier  aperçu,  une 
idée  qui  attache  l'esprit;  mais,  en  approfondissant  les 
choses,  on  découvre  bientôt  les  inconvéniens  d'une  idée 
plus  brillante  que  solide. 

Je  ne  répéterai  pas  sur  cet  objet  tout  ce  qui  a  été  dit 
dans  la  discussion;  je  m'arrêterai  à  quelques  observations 
principales. 

Lin  délai  uniforme  a  le  grand  inconvénient  de  laisser 
dormir  la  loi  dans  les  lieux  où  elle  est  connue,  pour  at- 
tendre «iu'elle  parvienne  dans  les  lieux  où  on  ne  la  connaît 
point  encore.  Les  hommes  qui  veulent  faire  fraude  à  la  loi 
nouvelle  en  ont  le  temps  et  les  moyens;  tandis  que  ceux  à 
qui  la  loi  nouvelle  pourrait  être  utile  sont  dans  l'impos- 
sibilité d'en  profiter. 

Ils  voient  le  bien  ,  et  ils  ne  peuvent  en  jouir.  La  connais- 
sance prématurée  d*unc  loi  non  encore  exécutoire  provoque 
contre  eux  toutes  les  fraudes,  et  leur  porte  souvent  des  pré- 
judices irréitarablcs. 

J'ajouterai  (ju'un  délai  uniforme  n'est  qu'une  fiction, 
et  qu'il  est  inutile  de  faire  des  fictions  (piand  on  peut  tenir 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  9.Gi 

la  réalité.  Dans  nne  vaste  républi([ue  la  connaissance  (runc 
loi  ne  peut  se  manifester  dans  le  même  instant.  Les  lois 
sont  portées  par  les  hommes,  et  elles  marchent  comme 
eux.  Tout  est  successif  dans  cette  marche  ,  et  tout  ne  peut 
que  Têtre.  Donc  Tidée  d'un  délai  successif  et  gradué  sur 
les  distances  est  l'idée  la  plus  conforme  à  la  vérité  et  à  la 
raison. 

Cette  idée  est  encore  la^  plus  conforme  à  la  justice  et  ii 
l'ordre  essentiel  de  la  société.  Quand  on  porte  une  loi ,  il 
est  évident  qu'on  en  reconnaît  l'utilité  :  pourquoi  donc  en 
retarder  l'exécution  par  des  fictions  ridicules?  C'est,  dit- 
on,  pour  traiter  également  tous  les  Français;  pour  que 
ceux  qui  sont  les  plus  éloignés  du  lieu  où  siège  le  gouver- 
nement aient  les  mêmes  avantages  que  ceux  qui  sont  les 
plus  voisins.  Mais  y  pense-t-on  ?  La  loi  n'est  point  respon- 
sable des  inconvéniens  de  localité  qu'elle  ne  peut  changer  : 
à  cet  égard,  chacun  doit  fie  résigner  à  porter  le  poids  de  sa 
propre  destinée.  Mais  la  loi  serait  responsable  du  mal  qu'elle 
ferait,  par  des  fictions  arbitraires,  et  aux  particuliers  que 
l'on  dépouillerait  des  avantages  de  leur  situation  locale ,  et 
à  la  société,  qui  ne  pourrait  que  souffrir  de  l'inexécution 
prolongée  de  la  loi. 

Ces  observations  n'ont  point  échappé  aux  jurisconsultes 
qui  ont  traité  la  question  avec  profondeur,  et  qui  se  déci- 
dent tous  pour  un  délai  successif  et  gradué  d'après  les  dis- 
lances. 

On  nous  reproche  d'avoir  compté  par  heure  et  par  myria- 
mèlre.  Mais  les  heures  se  résolvent  en  jours,  comme  les 
jours  se  résolvent  en  heures.  Eh  quoi  ?  nous  dit-on,  il  faudra 
dater  tous  les  actes  par  heure  !  un  instant  métaphysique 
décidera  d'une  succession  ou  de  tout  autre  intérêt  majeur  ! 
Vaines  subtilités.  Quel  que  soit  le  mode  que  l'on  choisisse 
pour  fixer  le  temps  où  une  loi  devient  exécutoire,  il  faudra 
toujours  qu'il  y  ait  un  instant  où  l'exécution  de  la  loi  sera 
obligatoire,  tandis  qu'elle  ne  l'était  pns  le  moment  d'au- 


262  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    ClC. 

paravaiit.  Combien  (racles,  dans  les  affaires  ordinaires  de 
la  vie,  sont  datés  du  jour  et  de  l'heure!  j'en  atteste  les 
registres  de  tous  les  tribunaux  et  ceux  de  tous  les  officiers 
publics. 

Comment  fera-t-on  l'arpenlage  des  distances?  faudra- 
t-il  mesurer  tout  le  territoire  français?  Toutes  ces  opéra- 
tions sont  faites;  il  ne  s'agit  (|ue  de  les  rendre  sensibles 
par  un  règlement  et  par  un  tableau. 

Pourquoi  renvoyer  à  un  règlement  ce  qu'on  pourrait 
faire  dans  la  loi  même?  Parce  que  les  choses  d'exécution 
sont  plutôt  la  matière  d'un  règlement  que  celle  d'une  loi. 
L'office  de  la  loi  est  de  proclamer  la  règle ,  les  détails  appar- 
tiennent plus  à  l'autorité  qui  exécute  qu'à  celle  qui  ordonne. 

On  nous  demande  quel  sera  le  point  de  départ  dans  le 
calcul  des  heures?  La  promulgation,  qui  a  une  date  certaine. 

L'essentiel  est  de  déterminer  que  la  loi  sera  successive- 
ment exécutoire  d'après  un  délai  successif  et  gradué  sur 
les  distances  :  voilà  ce  que  la  raison  ,  la  justice  et  le  bon 
sens  demandent;  tout  le  reste  est  réglementaire. 

Dans  le  projet  de  loi,  nous  avons  pris,  pour  régler  les 
distances,  l'éloignement  qu'il  y  a  entre  Paris,  où  siège  le 
gouvernement,  et  les  diverses  villes  où  siègent  les  tribu- 
naux d'appel.  On  pouvait  choisir  les  villes  où  sont  les  pré- 
fectures ;  mais  le  calcul  aurait  été  plus  compliqué,  parce 
qu'il  y  a  plus  de  préfectures  que  de  tribunaux  d'appel. 

Rouen,  dit-on,  est  plus  près  de  Paris  qu'Auxerre  ;  ce- 
pendant la  loi  sera  plutôt  exécutée  à  Auxerre ,  qui  est  du 
ressort  du  tribunal  d'appel  de  Paris  ,  qu'à  Rouen,  qui  n'est 
pas  de  ce  ressort.  Cela  peut  être.  Qu'en  conclure?  Un  in- 
convénient aussi  léger,  et  le  seul  qu'on  ait  pu  remarquer, 
prouve  qu'il  n'y  a  point  de  mesure  générale  qui  n'ait  quel- 
ques inconvénieas  particuliers  ;  mais  ces  inconvénicns  par- 
ticuliers ,  qui  sont  inévitables  dans  tout  système,  ne  sau- 
raient motiver  le  rejet  do  la  mesure  générale. 

On  nous  leproche  d'avoir  nominativement  parlé  dr  Vu- 


DE    LA.    PUHLIC/VTION     DES    LOIS.  îiGÔ 

ris,  tandis  que  le  siège  du  gouvernement  peut  changer  • 
mais  on  fera  un  autre  tableau  des  distances,  si  le  siège  du 
gouvernement  change.  Le  siège  des  tribunaux  d'appel  peut 
changer  aussi  ;  tout  ce  qui  est  humain  est  sujet  à  change- 
ment :  cependant  tous  les  jours  on  est  obligé  de  baser  une 
institution  sur  une  autre,  et  de  partir  de  quelque  point 
convenu  pour  arriver  au  point  que  Ton  cherche. 

On  objecte  encore  que  notre  projet  est  trop  variable, 
attendu  que  les  dislances  peuvent  être  abrégées  par  des 
constructions  de  pouls  ou  de  chemins  ,  ou  par  des  change- 
mens  dans  l'emplacement  des  postes;  mais  que  conclure 
de  cette  objection?  Ce  que  nous  avons  déjà  dit,  que  la  loi 
doit  décréter  le  principe  d'un  mode  successif,  et  que  tout 
le  reste  est  essentiellement  réglementaire,  puis(|ue  tout  le 
reste  est  essentiellement  variable.  Le  législateur  est  arbitre 
du  droit  :  mais  tout  ce  qui  est  opération  ou  question  de 
fait  appartient  et  ne  peut  appartenir  qu'au  magistrat  qui 
exécute;  car  les  faits,  disent  les  publicistes,  appartiennent, 
par  leur  nature,  à  l'exécution  de  la  loi,  et  non  à  la  loi 
même. 

Nous  avons  été  étonnés  d'entendre  dire  que  notre  sys- 
tème est  mauvais,  parce  que,  dans  le  cours  des  choses  hu- 
maines, une  inondation,  un  pont  emporté,  et  tous  autres 
événemens,  peuvent  déconcerter  nos  calculs.  Je  réponds, 
avec  tous  les  jurisconsultes,  que  la  loi  ne  s'occupe  point, 
et  ne  doit  point  s'occuper  des  choses  qui  n'arrivent  que 
par  accident,  non  considérât  ea  quœper  accidens  eveniunt.  Les 
cas  de  force  majeure  ,  les  cas  fortuits  sont  de  droit  une  ex- 
ception légiliïT>€  à  toutes  les  lois;  il  suffît  de  les  constater 
pour  motiver  l'exception. 

Quant  aux  colonies ,  il  faudra  une  législation  particulière. 

I)ira-t-on  que  l'oti  pouvait  choisir  un  meilleur  mode  que 
celui  qui  est  déterminé  parle  projet  de  loi?  Mais,  <|ue  l'on 
y  prenne  garde  :  les  rédacteurs  du  projet  de  Code  civil 
avaient  choisi  un  mode;  la  section  de  iégiblatîon  en  a  pro- 


Ii64  DISCLSSIOS  ,    MOTIFS,     cIC. 

pose  un  autre  ;  le  gouvernement  en  a  adopté  un  troisième  ; 
le  Tribunal  rejette  ce  troisième  mode  consacré  par  le  pro- 
jet ;  mais  la  commission  du  Tribunal  pencherait  pour  le 
mode  proposé  par  les  rédacteurs  du  projet  de  Code;  d'au- 
tres orateurs  se  sont  déterminés  pour  le  mode  proposé  par 
la  section  ;  les  jurisconsultes  qui  ont  le  plus  approfondi  la 
matière  établissent  la  justice  du  mode  proposé  par  le  gou- 
vernement :  je  demande  si,  dans  un  pareil  état  de  choses  , 
il  peut  y  avoir  des  motifs  raisonnables  de  rejet. 

On  sait  que  dans  notre  droit  public  national ,  les  lois  sont 
disculées  publiquement  et  avec  solennité;  on  sait  qu'après 
que  le  Corps  législatif  les  a  décrétées,  on  reste  dix  jours 
sans  les  promulguer  ;  en  attendant,  elles  circulent  partout; 
on  continuera  de  les  envoyer  à  toutes  les  autorités  consti- 
tuées, comme  on  l'a  toujours  fait.  On  ne  peut  donc  crain- 
dre qu'une  loi  soit  exécutée  avant  qu'elle  soit  connue.  Mais , 
dans  le  mode  actuel,  l'exécution  de  la  loi  dépendait  trop 
du  fait  arbitraire  de  l'homme  ;  le  système  d'un  délai  suc- 
cessif après  lequel  la  loi  sera  exécutée  dans  les  différentes 
parties  de  la  France  ,  rend  à  la  loi  toute  sa  dignité  et  toute 
sa  force;  elle  sera  indépendante  dans  sa  marche;  elle  ne 
rencontrera  plus  les  intérêts  et  les  passions. 

Passons  à  l'examen  de  l'article  deuxième  du  projet. 

La  loi  ne  disjjosc  (jiie  pour  l'avenir  :  elle  n'a  point  d effet  ré- 
troactif. 

Les  uns  rejettent  cet  article,  parce  qu'il  n'est  qu'une 
maxime;  les  autres  le  rejettent,  parce  qu'au  lieu  d'y  voir 
une  maxime,  ils  n'y  voient  qu'un  danger. 

Répondons  aux  premiers,  qu'il  est  des  maximes  qu'on 
ne  saurait  trop  rappeler,  surtout  quand  on  est  à  la  veille 
de  publier  un  grand  corps  de  lois  nouvelles. 

La  maxime  de  la  non-rétroactivité  des  lois  a  été  rappelée 
dans  le  Digeste  et  dans  le  (^ode  ;  elle  est  consignée  dans 
toutes  les  législations;  nous  jiouvons  donc  lu  consigner 
dans  la  notre. 


I 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  205 

Je  ne  comprends  pas  comment  on  ne  peut  voir  (pi'un 
danger  dans  celle  maxime.  On  a  été  tenté  de  la  présenter 
comme  un  piège  dont  on  pouvait  abuser  pour  faire  rétro- 
grader la  révolution.  Car,  nous  a-t-on  dit,  si  vous  admet- 
tez la  non-rétroactivité  des  lois,  que  répondrez-vous  à  celui 
qui  viendra  vous  dire  :  J'étais  noble,  j'avais  des  renies 
féodales,  j'avais  l'espérance  d'une  substitution,  j'avais 
acheté  le  droit  de  vie  et  de  mort  en  ma  qualité  d'officier 
du  parlement;  vous  n'avez  pu  détruire  tout  cela  que  par 
des  lois  rétroactives;  vous  reconnaissez  pourtant  que  les 
lois  ne  peuvent  plus  avoir  d'effet  rétroactif:  donc,  en  vertu 
de  votre  maxime,  il  faut  me  rendre  tout  ce  que  vous  m'a- 
vez ôté. 

J'avoue  que,  si  on  me  proposait  pareille  objection,  je 
serais  moins  modeste  que  l'orateur  qui  paraît  craindre  que 
l'on  ne  pût  pas  y  répondre. 

Détruire  une  institution  qui  existe,  ce  n'est  certainement 
pas  faire  une  loi  rétroactive  ;  car  si  cela  était,  il  faudrait 
dire  que  les  lois  ne  peuvent  rien  changer.  Le  présent  et 
l'avenir  sont  sous  leur  empire.  Elles  ne  peuvent  certaine- 
ment pas  faire  qu'une  chose  qui  existe  n'ait  pas  existé  ; 
mais  elles  peuvent  décider  qu'elle  n'existera  plus.  Or,  voilà 
tout  ce  qu'ont  fait  les  lois  qui  ont  détruit  les  fiefs,  la  no- 
blesse et  les  parlemens. 

Quant  aux  substitutions,  la  loi  qui  les  abroge  n'est  pas 
plus  rétroactive  que  ne  l'étaient  d'anciennes  lois  qui  les 
avaient  réduites  à  trois  degrés. 

La  Constitution  de  l'an  III  avait  consacré  la  maxime  de 
la  non-rétroactivité  des  lois  :  les  auteurs  de  cette  Constitu- 
tion étaient  bien  éloignés  de  vouloir  favoriser  le  retour  des 
fiefs,  de  la  noblesse  et  des  parlemens. 

Ne  nous  livrons  donc  pas  à  des  terreurs  imagina ires'pour 
écarter  une  vérité  incontestable.  Cette  vérité,  dites-vous, 
n'est  que  pour  le  législateur.  Je  réponds  qu'elle  est  princi- 
palement pour  les  juges;  et  quand  elle  serait  pour  le  légis- 


266  DISCUSSIONS,    MOTIFS,     CtC 

laleur,  quel  danger  y  aurait-il  de  lui  voir  consacrer  une 
maxime  à  larjuelle  il  est  déjà  lié  par  sa  conscience,  et  à  la- 
quelle il  se  lierait  encore  par  ses  propres  lois? 

Le  troisième  article  porte  que  la  loi  oblige  ceux  qui  habi- 
tent le  territoire. 

Le  rapporteur  de  la  commission  du  Tribunal  en  conclut 
qu'elle  n'oblige  pas  les  français  qui  voyagent.  Il  faut  conve- 
nir que  la  conséquence  n'est  pas  juste. 

Sans  doute  les  Français  qui  voyagent  ne  sont  pas  sous- 
traits à  l'empire  de  toutes  les  lois  françaises,  mais  Français 
et  étrangers,  habitant  le  territoire,  y  sont  soumis.  Voilà 
le  principe  général.  Car  habiter  le  territoire,  c*est  se  soumettre 
à  la  souveraineté. 

On  reproche  de  n'avoir  pas  parlé  des  ambassadeurs,  de 
leur  famille  et  de  leur  suite.  Ce  qui  regarde  les  ambassa- 
deurs appartient  au  droit  des  gens.  Nous  n'avions  point  à 
nous  en  occuper  dans  une  loi  qui  n'est  que  de  régime  in- 
térieur. 

Le  principe  que  vous  posez  aujourd'hui  souffre,  dit-pn, 
des  exceptions.  Soit  :  mais  qu'avions-nous  besoin  d'énu- 
mérer  ces  exceptions,  qui  ont  leur  place  naturelle  dans  les 
matières  particulières  auxquelles  elles  se  rapportent? 

Chaque  fois  qu'on  énonce  un  principe,  est-on  tenu  de 
faire  un  traité? 

L'article  4  est  conçu  en  ces  termes  :  La  forme  des  actes 
est  réglée  par  les  lois  du  pars  dans  lequel  ils  sont  faits  mi  paxsés. 

On  nous  demande  de  quel  pays  nous  entendons  parler? 
Du  pays  étranger,  puisque  les  formes  sont  partout  les  mê- 
mes en  France. 

On  argumente  de  notre  réponse.  Eh  (fuoi  !  nous  dit-on, 
un  Français  ira  se  marier  en  Italie,  où  le  consentement  de^i 
pères  n'est  pas  rc(|uis  pour  le  maringe  des  mineurs  ;  d'après 
votre  maxime  ,  il  pourra  donc  se  marier  sans  ce  consente- 
ment? 

Av.mt  (jue  de  raisonner,  il  faut  s'entendre.  La  maxime 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  267 

est  limitée  à  la  forme  des  actes.  Or,  le  consentement  des 
pères  au  mariage  des  eufans  mineurs  n'est  point  une  forme , 
mais  une  condition. 

L'article  5  porte  :  Lorsque  la  loi,  à  raison  des  circomtanccSj      «P  5 
aura  réputé  frauduleux  certains  actes ,  on  ne  sera  point  admis 
H  prouver  qu'ils  ont  été  faits  sans  fraude. 

Pour  donner  la  raison  de  cet  article,  j'ai  cité  la  loi  qui 
déclare  nuls  les  transports  faits  dans  les  dix  jours  qui  pré- 
cèdent la  faillite.  On  m'observe  que  l'on  ne  devait  point 
mettre  en  maxime  générale  une  règle  qui  ne  se  rapporte 
qu'à  un  acte  particulier  de  commerce,  et  qu'il  fallait  l'en- 
voyer tout  cela  au  Code  commercial. 

On  n'aperçoit  donc  pas  que  la  loi  dont  j'ai  parlé  n'a  été 
citée  que  comme  exemple,  et  non  comme  limitation. 

Il  s'en  faut  de  beaucoup  que  la  règle  qui  fait  l'objet  de 
l'article  ne  frappe  que  sur  quelques  matières  isolées  de 
commerce  :  elle  embrasse  toutes  les  mialières.  Ainsi,  sur 
le  fondement  de  cette  règle,  la  loi  réputé  suspectes  de  sug- 
gestion toutes  les  libéralités  faites  à  des  confesseurs,  à  des 
médecins  et  chirurgiens,  à  des  tuteurs  et  autres.  Sur  le  fon- 
dement de  la  même  règle,  la  loi  annulle  toutes  les  dispo- 
sitions faites  en  faveur  des  personnes  interposées;  et  com- 
bien d'autres  lois  semblables  sur  une  foule  d'autres 
matières!  Le  principe  est  donc  général. 

D'autres  orateurs  objectent  que  la  loi  annulle  les  actes, 
mais  qu'elle  ne  les  répute  pas  frauduleux.  C'est  aux  juges , 
disent-ils,  à  peser  les  faits  de  fraude. 

Ceci  n'a  besoin  que  d'être  éclairci.  La  loi  ne  prononce 
jamais  sur  des  faits  individuels  de  fraude  ;  j'en  conviens  : 
cela  n'appartient  qu'aux  juges.  Mais  la  loi,  par  voie  de 
disposition  générale ,  peut  réputer  frauduleux  tous  les  actes 
faits  dans  telles  ou  telles  circonstances  qu'elle  détermine. 
La  loi  répute  et  présume,  puisqu'on  dit  tous  les  jours  que 
la  présomption  de  la  loi  vaut  mieux  que  celle  de  l'homme. 

La  dernière   objection  sur  l'article  dont  il  s'agit  est  ap- 


268  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

puyée  sur  ce  que  toute  présomption  doit  céder  à  la  vérité, 
et  que  conséquemment  on  doit  toujours  être  admis  à  prou- 
ver qu'un  acte  n'est  pas  frauduleux.  Mais  point  de  méprise. 
Sans  doute  la  vérité  prouvée  fait  cesser  toute  présomption 
contraire,  quand  le  litige  consiste  à  savoir  si  une  chose  est 
prouvée  ou  si  elle  ne  Test  pas.  Mais  quand  la  loi,  par  une 
grande  considération  d'ordre  public ,  prohibe  ou  annulle 
certains  actes  comme  suspects  de  fraude,  il  existe  alors  ce 
que  les  jurisconsultes  appellent  un  dol  réel,  dolum  re  ipsâ, 
qui  est  constaté;  par  la  disposition  de  la  loi  elle-même,  et 
qui  termine  tout  litige. 

Art.  6.  Le  juge  qui  refusera  (le  juger ,  sous  prétexte  du  si- 
lence ,  de  V obscurité  ou  de  V insuffisance  de  la  loi ,  pourra  être 
poursuivi  comme  coupable  de  déni  de  justice. 

On  a  déployé  de  grandes  forces  contre  cet  article. 

Ln  des  orateurs  a  prétendu  que  nous  donnions  aux  juges 
un  pouvoir  désavoué  par  la  Constitution.  Je  sens,  nous  a- 
t-îldit,  qu'il  nous  manque  des  tribunaux  d'équité  qui  puis- 
sent, suivant  les  circonstances,  adoucir  les  lois.  Il  va  une 
cour  d'équité  en  Angleterre;  à  Rome,  le  préteur  était  un 
juge  d'équité;  en  France,  le  roi  avait  le  droit  de  faire 
grâce  ;  et  les  parlemens  s'écartaient  souvent  de  la  lettre  de 
la  loi.  Mais,  parmi  nous,  le  ministère  du  juge  est  circons- 
crit dans  l'application  fidèle  des  lois. 

Toutes  ces  objections  ne  prouvent  rien  contre  Tarticle; 
elles  prouvent  seulement  que  l'article  n'a  pas  été  entendu. 

L'auteur  de  l'objection  aurait  raison  ,  si  nous  laissions 
aux  juges  la  liberté  de  mettre  l'équité  naturelle  à  la  place 
de  la  loi  positive.  Ainsi ,  à  Rome  ,  le  préteur  n'appliquait 
pas  la  loi ,  quand  il  la  croyait  contraire  ù  l'équité  natu- 
relle. 11  avait  introduit  les  actions  de  bonne  fui ,  pour  élu- 
der les  lois  qui  avaient  établi  des  formules  précises  pour 
chaque  action.  En  Angleterre,  la  cour  d'équité,  et  en 
France,  les  cours  souveraines,  faisaient  souvent  des  n-glc- 
mcns  pour  modifier  les  lois.    Mais  ce   n'est  pas  ce  dont  il 


DU    LA.    PUBLICATION    DES    LOIS.  269 

s'agit.  Noire  article  ne  dispose  que  pour  les  cas  où  la  loi 
est  obscure  ou  insullisante ,  et  pour  ceux  où  il  n'y  a  mûme 
point  de  loi.  Or,  dans  ces  diflérens  cas,  le  juge  doit-il  sus- 
pendre son  ministère  ou  le  remplir? 

Quand  une  loi  est  obscure ,  l'office  du  juge  est  de  l'étu- 
dier. Son  office  est  encore  de  la  suppléer,  quand  elle  est 
insuffisante  ou  quand  elle  garde  un  silence  absolu.  Si  vous 
refusez  ce  pouvoir  aux  juges,  tous  les  tribunaux  sont  frap- 
pés d'interdiction.  Car  on  ne  plaide  jamais  contre  un  texte 
précis  de  loi.  Il  n'y  a  litige  que  lorsqu'il  y  a  un  doute  au 
moins  apparent.  Si  les  juges,  lorsque  la  loi  n'est  pas  claire 
et  précise ,  peuvent  dénier  la  justice,  le  désordre  sera  dans 
la  société  ;  et  quel  moyen  aurez-vous  de  vider  les  contes- 
tations des  homipes  ?  Sollicitera-t-on  une  loi  pour  le  cas 
particulier  ?  Mais  les  parties  n'auraient  point  contracté 
sous  la  foi  de  cette  loi  qui  n'existait  point  encore;  elle 
ne  pourra  donc  les  juger.  On  tomberait  dans  tous  les  in- 
convéniens  de  l'efTet  rétroactif.  Cependant  on  ne  peut  lais- 
ser indécises  les  questions  de  propriété  et  autres  questions 
semblables.  Il  faut  donc  que  les  tribunaux  prononcent. 

Mais  les  tribunaux  peuvent-ils  faire  autre  chose  qu'ap- 
pliquer une  loi  existante? Lisez  le  célèbre  auteur  de  V£s- 
prit  des  Lois  :  il  observe  que,  dans  une  république,  les  ju- 
gemens  ne  doivent  jamais  être  que  l'application  d'un  texte 
précis. 

Nous  répondrons  que  l'auteur  de  V Esprit  des  Lois  a 
parlé  pour  les  matières  criminelles.  Dans  ces  matières,  on 
ne  peut  poursuivre  que  les  crimes  que  la  loi  a  définis,  et 
on  ne  peut  appliquer  que  les  peines  que  la  loi  inflige. 

Ainsi,  d'après  notre  article ,  quand  l'accusation  portera 
sur  un  fait  que  la  loi  n'aura  pas  réputé  crime  ,  et  contre  le- 
quel elle  n'aura  conséquemment  infligé  aucune  peine,  le 
juge  absoudra  l'accusé;  mais  il  faudra  toujours  qu'il  rende 
un  jugement  :  il  ne  pourrait  suspendre  son  ministère,  sans 
s'exposer  au  reproche  d'un  déni  de  justice. 


2^0  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Dans  les  matières  civiles,  il  faut  de  deux  choses  Tune, 
ou  interdire  la  puissance  de  juger,  ou  laisser  une  sorte  de 
latitude  aux  juges  quand  la  loi  est  obscure,  ou  quand  elle 
se  tait  ;  car  les  matières  civiles  sont  immenses,  et  la  pré- 
voyance des  lois  est  limitée.  Il  est  impossible  d'avoir  une 
loi  pour  chaque  cas  particulier.  Il  ne  faut  point  de  loi  pour 
les  cas  rares  et  extraordinaires.  La  trop  grande  multiplicité 
des  lois  est  un  grand  vice  politique.  Les  lois  doivent  être 
préparées  lentement  et  avec  maturité  :  il  faut  (ju'elles  soient 
indiquées  par  l'expérience.  Si  vous  précipitez  les  mesures 
législatives,  les  lois  accableront  la  société,  au  lieu  de  la 
régler.  Il  y  avait  des  juges  avant  qu'il  y  eût  des  lois ,  et  ja- 
mais les  lois  ne  pourront  atteindre  tous  les  cas  qui  se  pré- 
sentent aux  juges.  Il  faut  donc  laisser  au  pouvoir  judiciaire 
les  attributions  qui  dérivent  de  la  plus  impérieuse  de  toutes 
les  lois,  de  celle  de  la  nécessité. 

Art.  7.  Il  est  défendu  aux  juges  de  prononcer,  sur  les  causes 
qui  leur  sont  soumises,  par  voie  de  disposition  générale  et  régie' 
mentaire. 

On  n'a  fait  aucune  objection  particulière  contre  cet  ar- 
ticle. 

Art.  8.  On  ne  peut  déroger,  par  des  lois  particulières ,  aux  lois 
qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes  mœurs. 

Ici  on  nous  accuse  d'avoir  mal  traduit  les  textes  du  droit 
romain.  On  prétend  que  \q  jus  publicum  n*est  pas  ce  que 
nous  appelons  droit  public ,  ou  ordre  public;  \e  jus  publicum , 
dit-on,  était  celui  qui  s'établissait  publiquement,  y^///>//«' 
stabilitum;  et  que  conséquemment  toute  convention  con- 
traire aux  lois  était  nulle,  sans  distinction  des  lois  qui 
pouvaient  ou  non  intéresser  l'ordre  public. 

11  faut  convenir  que  l'autour  de  ces  objections  ne  parle 
de  traduction  (|uc  pour  nous  reprocher  d'avoir  mal  traduit  ; 
car  comment  sait-il  (|ue  nous  avons  voulu  traduire  les 
textes  <|u'il  nous  oppose  ? 

Il  est  indifférent  de  savoir  si,  dans  le  style  des  lois  ro- 


DB    LA    PUBLICATION    DliS    LOIS.  27I 

mailles ,  les  mots  jus  pnblicum  signifient  (|uelqucfois  les  lois 
écrites  et  solennellement  publiées,  par  opposition  aux  sim- 
ples usages  et  aux  simples  coutumes  qui  ne  s'établissent 
pas  avec  la  même  solennité.  Mais  il  s'agit  de  savoir  si  les 
motsy'av  piiùiicum ,  qui  sont  employés  plus  ordinairement 
pour  exprimer  ce  que  nous  entendons  par  droit  public  ^recoi' 
veut  cette  signification  dans  les  textes  qui  disent  que  Ton 
ne  peut  déroger  au  droit  public  par  des  conventions  pri- 
vées :  JUS  publicum  privatorum  pactis  mutnri  non  potcst.  Or, 
voici  comment  est  conçu  le  sommaire  de  la  loi  trente- 
unième  au  digesle  de  pactis  :  Contra  tcnoram  Ic^is  privatam 
utilitatem  contincntis  pascisci  licet.  Il  est  permis  de  traiter 
contre  la  teneur  d'une  loi  qui  ne  touche  qu'à  l'utilité  pri- 
vée des  hommes.  Ainsi,  le  droit  public  est  celui  qui  intéresse 
plus  directement  la  société  que  les  particuliers,  et  le  droit 
privé  est  celui  qui  intéresse  plus  directement  les  particu- 
liers que  la  société.  On  annulle  les  conventions  contraires 
au  droit  public;  mBis  on  n'annulle  pas  celles  contraires  à 
des  lois  (|ui  ne  touchent  qu'au  droit  privé  ou  à  des  intérêts 
particuliers.  Voilà  la  maxime  de  tous  les  temps.  C'est  de 
celte  maxime  que  dérive  la  distinction  si  connue  des  nul- 
lités absolues  que  rien  ne  peut  couvrir,  et  des  nullités  re- 
latives qui  peuvent  être  écartées  par  des  fins  de  non  rece- 
voir. 

Ce  que  nous  disons  des  conventions  contraires  au  droit 
public  s'applique  à  celles  contraires  aux  bonnes   mœurs. 

Un  orateur  objecte  que  notre  article  paraît  se  réduire 
aux  conventions,  tandis  qu'il  faudrait  également  annuler 
tous  autres  actes ,  par  exemple  des  legs,  des  libéralités  aux- 
quelles on  aurait  apposé  des  conditions  contraires  à  l'ordre 
public  et  aux  bonnes  mœurs.  Nous  répondons  que  ce  que 
la  volonté  de  deux  ne  peut  pas  faire,  la  volonté  d'un  seul 
le  peut  bien  moins  encore;  et  que,  si  les  conventions  sont 
nulles,  il  faut,  par  majorité  de  raison,  annuler  les  autres 
actes. 


2-f2  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

Nous  ajoiilerons  que  l'exemple  d'un  legs  ou  d'une  libé- 
ralité à  laquelle  on  aurait  apposé  des  conditions  contraires 
à  l'ordre  public  ou  aux  bonnes  mœurs,  est  mal  choisi.  Car. 
dans  ce  cas,  il  n'y  a  nul  doute  que  la  condition  seule  est 
annulée,  et  que  la  libéralité  demeure.  A  cet  égard,  on  a 
toujours  distingué  les  contrats  d'avec  les  dispositions  tes- 
tamentaires. Les  contrats,  dont  toutes  les  dispositions  sont 
corrélatives,  ne  peuvent  subsister  pour  une  partie  et  être 
annulés  pour  l'autre,  malgré  la  volonté  des  coutractans. 
Mais  dans  un  testament,  on  peut  respecter  la  libéralité  et 
détruire  la  condition  ;  parce  qu'on  présume  que  l'auteur 
de  la  libéralité  a  voulu  que  Ton  exécutât  tout  ce  qui  pou- 
vait l'être ,  et  que  Ton  respectât  sa  volonté  dans  toutes  les 
cboses^jui  ne  se  trouveraient  pas  en  opposition'avec  la  loi. 

Il  n'eût  donc  pas  été  sage,  en  posant  une  règle  générale, 
de  se  jeter  dans  des  détails  ou  inutiles  ou  trop  contentieux. 

Tel  est  le  projet  de  loi  dans  son  ensemble  et  dans  ses  dé- 

'itre  '■ 

réiim.  tails.  Le  rapporteur  de  la  commission  du  ïribunat  nous  a 
dit  qu'il  serait  injuste  de  chercher  la  jierfection ,  et  qu'il 
faut  se  contenter  de  rejeter  les  projets  de  loi  qui  seraient 
essentiellement  mauvais,  et  qui  pourraient  compromettre 
le  sort  de  la  génération  présente  et  celui  des  générations  à 

venir. 

Ce  projet  de  loi  est  donc  cssenticUciucnt  uniuvais,  qui  éta- 
blit un  délai  successif,  après  lequel  la  promulgation  de  la 
loi  est  censée  connue,  c'cst-à-dirc,  qui,  de  tous  les  systè- 
mes proposés  sur  la  matière ,  choisit  celui  que  les  publi- 
cistes  ont  préféré? 

Ce  projet  de  loi  est  essentiellement  mauvais ^  qui  proclame, 
d'après  les  codes  de  tous  les  peuples  anciens  et  modernes, 
et  d'après  tous  les  codes  faits  depuis  la  révolution  ,  que  les 
lois  n'ont  point  d'cflet  rétroactif? 

Ce  projet  de  loi  est  essentiellement  mauvais ,  qui  déclare 
<iuc  les  lois  oblijçent  tout  le  monde  ? 

(^e  projet  de  loi  est  css(  nti<  ll<  tut  nt  mauvais,  qui  décide  que 


DE    L\    PUBLICATION     DES    LOIS.  ^"5 

les  acles  doivent  être  faits  dans  cliaquc  pays  selon  les  for- 
mes qui  peuvent  les  rendre  aiithcnliques  dans  les  pays  où 
ils  sont  faits  ?  Ne  voit-on  pas  au  contraire  que ,  sans  ce  prin- 
cipe, il  n'y  aurait  plus  de  communication  possible  entre 
les  divers  peuples  ? 

Ce  projet  de  loi  est  ^essentiellement  mauvais ,  qui  ôte  toute 
possibilité  aux  citoyens  de  faire  des  actes  que  la  loi  interdit 
ou  prohibe  ? 

Ce  projet  de  loi  es,t  essentiellement  mauvais,  qui  déclare 
que  le  juge  doit  absoudre  ,  quand  il  n'y  a  aucune  loi  qui 
condamne,  et  qui  veut  que  le  juge  ne  puisse  jamais  se  faire 
soupçonner  de  déni  de  justice,  en  suspendant  arbitraire- 
ment son  ministère? 

Ce  projet  de  loi  est  essentiellement  mauvais ,  qui  met  obs- 
tacle à  ce  que  les  juges  puissent  partager  le  pou\pir  légis- 
latif? 

£nfîu  ce  projet  de  loi  est  essentiellement  mauvais ,  qui  dé- 
cide qu'on  ne  peut  faire  des  conventions  contraires  à  l'ordre 
public  et  aux  bonnes  mœurs  ? 

Législateurs,  vous  jugerez,  dans  votre  sagesse  et  dans 
votre  conscience,  qu'un  projet  qui  consacre  toutes  les 
grandes  vérités,  toutes  les  grandes  maximes  sur  lesquelles 
repose  l'ordre  social,  est  essentiellement  bon.  Nous  n'au- 
rions pas  eu  besoin  de  répondre  à  des  objections  frivoles, 
pour  défendre  des  points  constitutionnels  ou  des  vérités 
éternelles  :  vos  lumières  sont  notre  garantie.  Votre  amour 
de  la  patrie,  votre  justice  rassurent  la  société,  fondent  et 
justifient  notre  confiance. 


DISCOURS   PRONONCÉ   PAR  LE  TRIBUN  THIESSÉ',   l'uN  UES  ORATEURS 

DU    TRIBUNAT. 


(Séance  du  24  frimaire  an  X. — 15  décembre  1801.) 

Législateurs,  l'orateur  que  le  gouvernement  a  chargé  de 
défendre  le  projet  qu'on  vous  propose  de  convertir  en  loi, 
VI.  18 


2^4  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC. 

s'en  est  acquitté  hier  d'uuc  manière  digne  de  sa  haute 
réputation.  Il  a  prouvé  que  sa  mission  ,  quelqu'élevée 
qu'elle  fût,  ne  se  trouverait  jamais  au-dessus  de  ses  ta- 
lens  :  c'est  un  avantage  qu'il  est  plus  facile  d'envier  que 
d'obtenir. 

Mais,  par  cela  même  (|ue  les  difficultés  les  plus  graves 
s'aplanissent  par  la  faculté  qu'il  a  de  les  résoudre,  il  me 
semble  qu'il  aurait  pu  dédaigner  une  espèce  de  victoire  qu'il 
s'est  efforcé  d'obtenir  pendant  une  heure  entière  sur  des 
détails  qui,  fussent-ils  contestés,  n'étaient  pas  assez  déci- 
sifs pour  fixer  son  attention. 

Qu'importe,  en  ctfet,  qu'il  y  ait  eu  des  observations  légè- 
res, fugitives  même  contre  le  projet  qu'il  défend  ?  Quand  il 
les  aurait  résolues  avec  avantage,  les  difficultés  fondamen- 
tales n'en  subsisteraient  pas  moins. 

Ces  observations,  qu'il  appelait  minutieuses  ,  contradic- 
toires, il  les  a  développées  avec  plus  d'appareil  qu'on  en 
avait  mis  à  les  produire ,  et  il  en  a  tiré  cette  conséquence , 
que,  si  elles  ne  se  conciliaient  pas  entre  elles,  il  fallait  en 
conclure  que  le  projet  qu'on  vous  propose  est  nécessaire- 
ment bon. 

Que  dirail-il  à  son  tour  si ,  procédant  avec  la  même  mé- 
thode, au  lieu  de  donner  notre  attention  principale  à  la 
valeur  fondamentale  du  projet,  nous  exposions,  nous  ré- 
futions, dans  le  détail,  les  raisons  plus  ou  moins  incompré- 
hensibles qu'on  a  cnqiloyées  pour  le  soutenir? 

Par  cxemj)lc  : 

On  a  dit  (pi'il  était  vrai  fjue  le  système  proposé  était  une 
fiction  ;  (tue,  <|uel(|ue  parti  (|u'on  prît,  la  publication  en 
serait  toujours  une;  (|u'elle  serait  une  fiction  ,([uand  mémo 
on  imprimerait  trente  millions  d'excnq)laires  de  la  loi  pour 
trente  millions  d'habitans;  et  qu'au  lieu  d'organiser  la  fic- 
tion projetée,  mieux  eiH  valu,  peut-être,  établir  en  principe 
que,  par  cela  seul  qu'il  y  a  un  dixième  jour  après  l'émission 
d(  Il  loi ,  la  loi  pouvait  déclarer  que  de  ce  jour-là  elle  serait 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  275 

t^nsée  promulc^uéc  :  fiction  pour   fiction,   ajoutc-t-on , 
celle-là  aurait  valu  toutes  les  autres. 

On  voit  que  Fauteur  de  cette  idée  ne  masque  point  la 
profonde  nullité  du  profet  :  si,  selon  lui,  les  publications 
sont  de  vaines  formalités  ,  si  la  promulgation  sera  plus 
vaine  encore,  on  peut  en  tirer  cette  conséquence,  qu'elle 
est  inutile;  que  la  Constitution,  qui  la  veut,  commande 
une  illusion  ;  que  le  Premier  Consul,  qu'elle  en  charge, 
peut  très-raisonnaWement  s'en  dispenser  ;  et  qu'en  rem- 
plaçant tout  cela  par  un  principe,  on  fera  beaucoup  mieux 
que  de  s'inquiéter  de  l'organisation  de  quelque  mode  de 
promulgation  que  ce  soit. 

On  a  dit  encore,  et  c'est,  je  crois,  le  même  défenseur 
du  projet,  qu'il  ne  fallait  s'occuper,  ni  de  l'ordre  des  ma- 
tières ,  ni  du  style  des  lois  ;  qu'il  ne  croyait  pas  que  le  Tri- 
bunal ,  que  le  Corps  législatif  eussent  constitutionnellement 
le  droit  de  faire  cet  examen ,  parce  que  l'initiative  ne  leur 
appartenait  pas  ;  que  l'ordre  des  matières  et  le  style  étaient 
dans  les  attributions  exclusives  du  Conseil  d'J^tat;  qu'à  cet 
égard,  nulle  responsabilité  ne  pouvait  nous  atteindre;  que 
vous  n'aviez  ,  législateurs,  que  des  points  à  décréter  (c'est 
l'expression  du  défenseur  du  projet);  que  ces  points-là, 
le  Conseil  d'État  les  arrangerait  après  comme  il  l'enten  - 
drait. 

Quand  j'aurais  ainsi  relevé  beaucoup  d'autres  observa- 
tions dont  la  justesse,  sans  doute,  peut  être  contestée,  en 
tirerais-je  la  conséquence  qu'il  faut  que  le  projet  soit  bien 
mauvais,  puis(|u'on  se  trouve  réduit  à  faire  de  pareils  rai- 
sonnemens  pour  le  soutenir?  Non,  sans  doute;  car  cotte 
méthode  conduirait  des  deux  parts  à  prouver  le  pour  et  le 
contre.  Il  faut  en  conclure  qu'elle  est  nécessairement  mau- 
vaise ;  qu'il  faut  l'abandonner  ;  et,  renonçant  ainsi  à  tontes 
les  observations  accessoires,  je  me  livre  franchement,  et 
sans  détour,  à  l'examen  des  difficultés  fondamentales  qui 
sont  de  l'essence  du  projet. 

18. 


276  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Le  projet  contient-il  tout  ce  que  doit  contenir  une  loi 
sur  la  promulgation  ? 

Ce  qu'il  contient  n'est-il  pas  contraire  à  tous  les  prin- 
cipes, à  tous  les  intérêts  du  peuple  français  ? 

Les  maximes,  les  règles  de  droit  qui  l'accompagnent  ne 
sont-elles  pas  plus  dangereuses  que  nécessaires? 

Il  me  semble  que  ce  sont  là  franchement  et  capitalement 
les  diflîcultés  qu'il  faut  résoudre. 

Le  projet  contient-il  tout  ce  que  doit  contenir  une  loi 
sur  la  promulgation  ? 

Pour  se  décider  sur  ce  point,  il  ne  faut  avoir  recours, 
ni  à  des  théories  systématiques,  ni  à  d'ingénieux  raison- 
nemens  ;  l'exemple  du  passé  peut  servir  de  guide  pour 
l'avenir. 

A  quelque  époque  et  dans  quelque  pays  que  ce  soit,  ja- 
mais on  n'a  vu  promulguer  une  loi  qui  ne  contint  en  tête 
les  titres  de  l'autorilé  dont  elle  émanait. 

Par  exemple  : 

En  France,  quand  le  monarque  parlait  seul,  c'était  Zo«/.y, 
par  la  grâce  de  Dieuy  roi  de  France,  qui  couuuandait  le  salut 
à  Taspect  de  ses  édits;  et  qui,  de  sa  science  certaine ,  pleine 
puissance  et  autorité  royale ,  disait ,  déclarait ,  ordonnait  et  lui 
plaisait  ce  qui  suit. 

Quand  son  pouvoir  était  tempéré  parla  délibération  des 
États  d'une  province,  ces  Étals  déclaraient,  avec  la  sanc- 
tion royale,  (|u'ils  avaient,  dans  tel  lieu,  fait,  arrêté  et 
délibéré  les  articles,  qui  étaient  ensuite  proclamés  comme 
loi. 

Quand  le  peuple  reprenait  le  pouvoir  législatif,  et  qu'il 
le  faisait  exercer  par  délégation,  c'était,  comme  on  le  voit 
dans  la  Constitution  de  1791  : 

0  Louis ,  par  la  grâce  de  Dieu  et  par  la  loi  constitulion- 
«  nellc  de  l'État,  roi  des  Français  :  à  tous,  présens  et  à 
«  venir,  salut.  L' assemblée  nationale  a  décrété^  et  nous  vou- 
«  Ions  et  ordonnons  ce  qui  suit.  » 


DE    LA    PUBLICATION    DliS    LOIS.  277 

Enfin ,  quand  il  avait  secoué  le  joug  de  la  royauté , 
c'était,  comme  on  le  voit  dans  la  Constitution  de  l'an  Hl , 

Au  nom  de  la  République  française  , 

Que  les  lois  étaient  proclamées ,  et  que  chacune  attestait 
que  les  Conseils  législatifs  avaient  concouru  à  la  décréter 
de  la  manière  et  dans  les  formes  constitutionnelles. 

On  ne  sache  pas  d'exemple  que  les  lois  composées  d'^;- 
ticles  seulement  aient  été  promulguées  sans  lire  en  tête  le 
nom  de  Tautorité  qui  les  rendait,  et  à  la  fin  le  nom  de  l'au- 
torité qui,  devant  les  promulguer,  devait,  par  conséquent, 
ordonner  qu'elles  fussent  publiées. 

Ces  exemples  seraient  à  tel  point  ridicules,  qu'on  ne  les 
concevrait  pas;  et  un  décret  composé  d'articles,  sans  y 
mentionner  l'autorité  qui  le  rend,  serait  une  véritable  pro- 
duction anonyme. 

Ceci  une  fois  senti,  voyons  les  lois  telles  qu'elles  ont  été 
promulguées  de  tout  temps  ;  voyons  celles  qui  ont  été  pro- 
mulguées depuis  la  Constitution  de  l'an  VIII. 

Loi  concernant  les  opérations  et  communications  respec- 
tées des  autorités  chargées  par  la  Constitution  de  con- 
courir à  la  formation  de  la  loi. 

Du  19  nivôse  an  "VIII  de  la  République  une  et  indivisible. 

AuNOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS,  BONAPARTE,  Premier  Con- 
sul, PROCLAME  loi  de  la  République  le  décret  suivant,  rendu 
par  le  Corps  législatif  le  19  nivôse  an  VIII,  sur  la  proposi- 
tion faite  par  le  gouvernement,  le  12  dudit  mois,  commu- 
niquée au  Tribunal  le  i5  du  même  mois. 

Vous  voyez  donc  en  tête  de  ce  décret  deux  choses  : 

Premièrement,  la  proclamation  du  Premier  Consul,  au 
nom  du  peuple  français;  elle  est  immédiatement  avant  ce 
mot,  décret. 

Suit  alors  la  formule  du  Corps  législatif,  qui  fait  mention 
de  cinq  faits  ; 


2^8  Discussions,  motifs,  etc. 

1°.  De  la  réunion  du  Corps  législatif  au  nombre  de  mem- 
bres prescrits  par  l'article  90  de  la  Constitution  ; 

2°.  De  la  proposition  du  gouvernement  et  de  sa  date  ; 

5".  De  la  communication  au  Tribunal,  et  de  sa  date; 

4°.  De  la  présence  des  orateurs  du  Tribunal  et  du  gouver- 
nement; 

5°.  Enfm,  de  l'emploi  du  scrutin  secret  pour  décréter  la 

loi. 

Cette  double  formule  prouve  deux  choses  : 

La  première,  que  c'est  le  Premier  Coiisul  qui  promulgue 
la  loi  ;  et  cela  est  conforme  à  la  Constitution. 

La  seconde,  que  le  Corps  législatif  l'a  décrétée  ,  et  qu'il 
Va  décrétée  dans  les  formes  constitutionnelles. 

Olez  ces  deux  parties,  otez  surtout  celle  qui  y  est  insérée 
par  le  Corps  législatif,  qui  constate  que  c'est  lui  qui  a  rendu 
la  loi,  il  ne  restera  que  des  articles,  et  des  articles  qui , 
n'émanant  d'aucune  autorité,  ne  commandent  Tobéis- 
gance  à  personne. 

C'est  ici  le  fond  de  la  difficulté,  et  il  faut  faire  eu  sorte 
de  ne  pas  l'esquiver. 

De  deux  chose  l'une,  ou  la  formule  que  nous  venons  de 
lire,  qui  est  rédigée  par  le  Corps  législatif,  est  nécessaire, 
ou  elle  ne  Test  pas. 

Dire  qu'elle  ne  serait  pas  nécessaire,  ce  serait  arriver  à 
cette  absurdité,  qu*un  papier  composé  d'articles,  et  qui 
ne  constate  pas  en  tôle  l'autorité  qui  les  a  rédigés,  est  ce- 
pendant une  loi. 

Si  on  convient  (|u'clle  est  nécessaire  cette  formule,  cela 
nous  conduit  franchement  à  la  dernière  question  qu'il  faut 
aborder  et  résoudre. 

Elle  est  nécessaire. 

Si  elle  l'est;  qui  la  rédigera  ?  qui  la  consacrera?  il  n'y  a 
pas  de  milieu  :  ce  sera  le  pouvoir  législatif  ou  le  pouvoir 
exécutif. 

Le  pouvoir  législatif  est  composé  de  trois  élémcns,  le 


DE    LA    PUBLICATION     DliS    LOIS.  279 

gouvernement,  le  Tribunal,  le  Corps  It^gislalil':  isoles  ,  ils 
ne  Mont  rien  ;  réunis,  ils  i'ornient  la  loi. 

Faute  de  réunion ,  il  a  bien  fallu  provisoirement  qu'ils 
prissent  ehacun  leur  parti  ;  chacun  donc  a  rédigé  sa  for- 
mule à  part  ;  chacun  a  attesté  ,  comme  il  a  pu  ,  qu'il  avait 
concouru  à  la  formation  de  la  loi. 

Mais  ces  arrêtés  isolés  ne  constituaient  qu'un  état  pro- 
visoire; ils  suppléaient  ainsi  ce  qui  n'existait  pas  :  c'était  là 
un  remède  qui  supposait  un  mal  qui,  tôt  ou  tard,  devait 
cesser. 

Comment  cessera-t-il?  par  la  formation  d'une  loi  qui, 
réunissant  les  trois  branches  du  pouvoir  législatif,  consa- 
crera de  concert  la  formule  qui  doit  attester  que  chacune 
prend  à  chaque  loi  la  part  qui  lui  est  assignée  par  la  Cons- 
titution. 

Ici  y  aura-t-il  une  branche  du  pouvoir  législatif  qui  ré- 
clamera sur  l'autre  une  prééminence  que  n'autorisent  pas 
les  principes  de  la  Constitution  ?  l'une  de  ces  branches 
voudra-t-elle  rédiger  la  formule  commune,  en  excluant 
les  deux  autres,  ou  deux  branches  d'accord  auraient-elles 
la  prétention  d'exclure  la  troisième  !  II  est  trop  évident  que 
rien  de  semblable  ne  peut  être  réclamé  ;  il  n'y  a  pas  de 
puissance  prépondérante  entre  les  trois  branches  du  pou- 
voir législatif.  Donc  leur  concours  est  nécessaire  pour  in- 
troduire dans  la  loi  la  formule  qui  constate  qu'elle  émane 
du  Corps  législatif. 

S'il  faut  avouer  ici  que  le  gouvernement,  comme  parti- 
cipant à  la  législation,  n'a  pas  plus  que  les  deux  autres 
branches  du  pouvoir  législatif,  celui  d'introduire  à  leur 
exclusion  une  formule  qui  en  devient  partie  intégrante, 
puisque  c'est  elle  qui  énonce  les  titres  de  l'autorité  qui 
la  rend,  prélendra-t-on  que  le  gouvernement  a  ce  pou- 
voir sous  un  autre  rapport,  comme  pouvoir  exécutif,  par 
exemple  ? 

Il  faut,  à  cet  égard,  lire  les  propres  principes  du  Conseil 


28o  DISCIISSIOÎS'S  ,    MOTIFS,    ClC. 

(VÉtal,  ceux  du  Premier  Consul;  ils  sont  consignés  dans  la 
délibération  du  5  pluviôse  an  VIII.  La  loi  est  parfaite,  dit- 
on  ,  en  sortant  des  mains  du  pouvoir  législatif;  c'est  comme 
pouvoir  exécutif  que  le  Premier  Consul  la  proclame  :  d'où 
il  suit  que ,  s'il  ne  peut  rien  y  ajouter ,  il  ne  peut  rien  y  in- 
troduire. 

Cela  se  conçoitsi  facilement,  qu'on  s'industrieraiten  vain 
pour  chercher  des  raisons  de  douter;  le  pouvoir  qui  exé- 
cute ne  peut  exécuter  que  Pacte  qui  lui  est  remis;  s'il  le 
faisait  lui-même,  ou  s'il  le  modifiait,  il  n'en  serait  plus 
l'exécuteur ,  mais  le  créateur  ou  le  modérateur. 

Maintenant  que  ces  deux  points  sont  éclaircis; 

Savoir,  que  les  trois  branches  du  pouvoir  législatif  doi- 
vent concourir  à  tout  ce  qui  s'incorpore  dans  la  loi; 

Et  que  le  pouvoir  exécutif  ne  peut  agir  qu'ensuite  et  par 
des  actes  postérieurs  et  extrinsèques  à  sa  formation  : 

Il  faudra  bien  se  résoudre  à  fixer  les  conséquences  qui 
résultent  de  ces  deux  vérités.  »' 

La  première  consiste  en  ceci  :  c'est  que  depuis  le  pre- 
mier mot  de  l'intitulé ,  qui  est  le  mot  loi  ,  jusques  et  com- 
pris la  signature  des  secrétaires  du  Corps  législatif,  il  ne 
peut  pas  y  avoir  une  disposition ,  un  mot ,  une  syllabe , 
pas  une  addition,  pas  une  omission  qui  modifie  la  loi,  de 
quelque  mianière  que  ce  soit,  sortant  des  mains  du  Corps 
législatif. 

Ainsi,  le  titre  de  la  loi  en  téte,l'énumération  des  pouvoirs 
de  Pautorité  qui  la  rend,  tout  ce  qui  constitue  cette  pre- 
mière partie  commune  à  toutes  les  lois  ,  doit  être  réglé  par 
une  formule  commune  ;  et  cette  règle,  c'est  à  la  loi  seule 
qu'il  appartient  de  la  tracer. 

Maintenant  j'examine  la  deuxième  partie  de  la  formule, 
celle  qui  suit  immédiatement  la  signature  des  secrétaires 
du  Corps  législatif;  clic  est  ainsi  conçue  : 

«  Soit  la  présente  loi  revêtue  du  sceau  de  PKtat,  insérée 
"  au  Bulletin  des  lois,  inscrite  dans  les  registres  «les  auto- 


DE    I.V    PUBLICATION    DliS    LOIS.  28 1 

«  rites  judiciaires  et  atlministrativcs ,  et  le  ministre  de  la 
"  justice  chargé  d'en  surveiller  la  publication.  » 

Pour  qu'on  ne  me  reproche  pas,  sur  ce  point ,  de  créer 
des  théories  sur  lesquelles  chacun  peut,  à  son  gré,  élever  des 
controverses  ,  je  ne  fixerai  que  ce  qui  a  toujours  été. 

On  voit,  dans  cette  dernière  partie  de  la  promulgation  du 
Premier  Consul,  Tordre  de  faire  quatre  choses. 

La  première ,  de  revêtir  la  loi  du  sceau  de  l'Etat. 

La  seconde,  de  l'insérer  au  Bulletin. 

La  troisième ,  de  l'insérer  dans  les  livres  des  autorités 
judiciaires  et  administratives. 

La  quatrième,  d'en  surveiller  la  publication. 

J'entreprends  de  prouver  que  celte  formule  doit  être  dé- 
crétée par  le  Corps  législatif.  / 

1**.  J'ai  l'autorité  de  la  législation  existante,  celle  de  l'as- 
semblée constituante,  celle  des  assemblées  législatives, 
celle  de  l'exécution  actuelle  ,  puisque  cette  formule  de 
toutes  nos  lois  est  celle  consacrée  par  la  loi  du  12  vendé- 
miaire an  IV. 

Or,  les  anciennes  lois  l'ayant  voulu,  les  lois  existantes 
le  voulant  encore  ,  on  ne  voit  pas  comment ,  sans  une  nou- 
velle loi,  on  voudrait  faire  passer  cette  formule  dans  les 
attributions  du  pouvoir  exécutif. 

2°.  Elle  ne  pourrait  pas  y  passer;  la  nature  des  choses 
s'y  oppose,  parce  qu'il  appartient  au  Corps  législatif  de 
déclarer  quels  actes  doivent  être  revêtus  du  sceau  de  l'Etat; 
parce  que  cette  solennité  étant  particulière  aux  lois ,  il  ne 
peut  permettre  qu'aucuns  autres  actes,  qui  ne  peuvent  lui 
être  comparés  ni  en  autorité  ni  en  dignité,  partagent  celte 
prérogative  ;  parce  que  la  publicité  des  lois  étant  une  suite 
nécessaire  de  leur  émission  ,  il  doit  régler  les  formules  et 
l'étendue  de  cette  publicité,  soit  par  l'insertion  au  Bulletin, 
soit  par  l'affiche,  soit  par  la  consignation  sur  les  registres 
des  tribunaux  ou  des  administrations  :  et,  à  cet  égard,  le 
projet  actuel  consacre  le  principe,  puisqu'il  propose  au 


ii82  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC 

Corps  législatif  de  décréter  le  mode  de  publication  des  lois; 
ce  qui  réduit  la  question  au  seul  point  de  savoir,  non  pas 
si  le  j)Ouvoir  législatif  intervieiulra  dans  le  mode  de  pro- 
mulgation ,  mais  s'il  admettra  ou  non  le  mode  proposé. 

Elle  sera  législative  cette  formule,  parce  qu'enfin  les 
ministres  étant  responsables  de  la  publication  des  lois,  il 
est  nécessaire  que  la  puissance  qui  les  en  charge  soit  la 
loi. 

Dira-t-on  que  la  Constitution  de  l'an  VIII  donnant  au 
Premier  Consul  le  droit  de  promulguer  les  lois,  elle  lui 
donne  par  conséquent  le  droit  d'en  rédiger,  d'en  consa- 
crer la  formule  ? 

Si  du  droit  de  promulguer  les  lois  s'ensuivait  nécessai- 
rement le  droit  de  rédiger  la  formule  de  promulgation ,  le 
roi  constitutionnel,  le  directoire  auraient  eu  aussi  ce  droit; 
car  Tun  et  l'autre  étaient  chargés  de  la  promulgation  des 
lois  ;  ils  l'étaient  comme  pouvoir  exécutif  :  et  si  nous  lisong 
la  délibération  du  Conseil  d'État  du  5  pluviôse  an  VIIÏ,  on 
y  voit  qu'il  reconnaît  que  c'est  aussi  comme  pouvoir  exé- 
cutif que  le  Premier  Consul  promulgue  les  lois  ;  il  recon- 
naît qu'elles  sortent  parfaites,  complètes,  des  mains  du 
Corps  législatif,  et  que  rien  ne  doit  être  changé  ni  dans 
leur  essence,  ni  dans  le  texte,  du  moment  où  elles  sont 
décrétées  :  d'où  le  Conseil  d'état  et  le  Premier  Consul  ont 
conclu  (ju'il  ne  pouvaient  pas,  ainsi  qu'on  le  leur  proposait, 
changer,  par  eienjple,  la  date  des  lois,  et  substituera  celle 
du  décret  celle  de  la  promulgation. 

Admettre  que  la  puissance  exécutrice,  (|ui  a  le  droit  de 
pronmlguer  les  lois,  aurait  le  droit  de  rédiger  la  formule 
de  promulgation  ,  ce  serait  s'obliger,  par  une  conséquence 
nécessaire,  d'admettre  (juc  les  fonctionnaires  constitu- 
tionnels auraient  le  droit  aussi  de  régler  la  formule  des 
actes  qu'on  leur  donne  le  |)ouvoir  de  faire.  Ainsi  les  tribu- 
naux, quand  on  les  charge  de  publier  la  loi,  auraient  le 
droit  de  régler  la  fof  me  et  le  protocole  <le  b  publication  ; 


UK    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  285 

ainsi  ces  mêmes  trihiinaux,  quand  ils  rendent  des  jugc- 
mens,  auraient  le  droit  de  déterminer  et  le  lilre  de  ces  ju- 
gemens  et  la  formule  du  mandat  par  lc(|uel  ils  en  ordon- 
nent Texécution  ;  ainsi  tous  les  officiers  de  justice  qui  ont 
le  droit ,  les  uns  de  recevoir  les  plaintes ,  les  autres  de  dé- 
cerner des  mandats,  d'autres  enfin  de  rendre  des  ordon- 
nances de  prise  de  corps,  auraient  aussi  le  droit  de  rejeter, 
pour  tous  ces  actes,  les  formules  qui  sont  consacrées  par 
nos  lois ,  et  d'y  substituer  chacun  celle  qu'ils  jugeraient 
être  la  plus  convenable  ou  la  plus  abrégée. 

Concluons  de  ceci  que  le  droit  de  promulguer,  de  pu- 
blier ,  de  juger,  de  mander,  ne  donne  pas  le  droit  de  dé- 
terminer la  forme  des  actes  par  lesquels  on  mande,  on 
juge  ,  on  publie,  on  promulgue;  que  c'est  la  loi  qui  déter- 
mine et  qui  a  toujours  déterminé  ces  formules;  et  que, 
quant  à  la  promulgation  dont  il  s'agit  ici ,  comme  la  for- 
mule doit  en  être  solennelle ,  invariable ,  exclusive  ;  comme 
elle  doit  constater  le  concours  des  trois  branches  séparées, 
indépendantes  ,  qui  constituent  le  pouvoir  législatif,  c'est 
par  leur  concours,  c'est-à-dire  par  une  loi,  que  doit  être 
déterminée  la  formule  qui  s'incorpore  dans  toutes  les  lois» 

Cette  conclusion  répond  à  ceux  qui ,  reconnaissant  que 
le  pouvoir  de  promulguer  ne  donne  pas  le  droit  àe  consa- 
crer les  formules  de  promulgation  ,  prétendraient  qu'indé- 
pendamment de  ce  droit,  le  gouvernement  a  encore  celui 
de  faire  des  réglemens  pour  l'exécution  des  lois;  que  c'est 
les  exécuter  que  de  les  promulguer  ;  d'où  suivrait  qu'il  au- 
rait le  droit,  par  un  règlement,  de  déterminer  la  formule 
de  la  promulgation. 

Un  règlement  est  un  acte  postérieur  à  la  loi  ;  il  n'en  fait 
pas  partie ,  il  ne  s'y  incorpore  pas  ;  la  loi  doit  donc  être 
entière  avant  le  règlement;  car  le  règlement  ne  pourrait 
pas  procurer  l'exécution  de  ce  qui  n'existerait  pas. 

Or,  nul  acte  ne  peut  être  loi ,  s'il  ne  contient  deux  parties. 

La  première,  qui  énonce  les  titres  de  l'autorité  à  laquelle 


284  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

le  peuple  a  délégué  le  pouvoir  législatif;  ceUe  partie  est 
dans  toutes  les  lois. 

La  seconde,  qui  contient  les  dispositions  qui  sont  propres 
à  chaque  loi ,  mais  qui  ne  seraient  pas  loi ,  si  le  Corps  lé- 
gislatif ne  déclarait  pas  (ju'il  les  a  décrétées. 

Le  règlement  d'exécution  n'arrive  donc  que  quand  ces 
deux  parties  constituantes  de  la  loi  en  forment  le  texte  gé- 
néral ;  donc  le  règlement  qui  s'emparerait  de  l'une  de  ces 
deux  parties  ne  serait  point  un  acte  d'exécution  ,  mais  un 
acte  qui  contiendrait  la  formation  de  la  première  partie  de 
la  loi. 

Si  nous  supposions  que  le  pouvoir  législatif  n'a  pas  le 
droit  de  consacrer  la  formule  par  laquelle  il  constate  qu'il 
a  rendu  la  loi ,  si  nous  supposions  que  le  pouvoir  exécutif  a 
le  droit  de  la  suppléer,  de  la  retrancher,  d'yen  substituer 
une  telle  qu'il  la  conçoit  aujourd'hui ,  telle  qu'il  pourrait  la 
modifier  par  la  suite  : 

Dans  ce  cas,  législateurs,  il  faudrait  se  résigner  aux  con- 
séquences qui  dérivent  d'un  pareil  système  ;  il  faudrait, 
conformément  à  l'omission  qui  date  du  8  pluviôse  an  VIII, 
ne  plus  rédiger  les  lois  comme  vous  les  avez  rédigées  jus- 
(]u'à  ce  jour.  Dans  celle-ci ,  par  exemple  : 

Il  14e  faudrait  plus  mettre, 

«  Que  le  Corps  législatif  réuni  au  nombre  de  membres 
('  prescrit  par  l'article  90  de  la  Constitution  ; 

i<  Lecture  faite  du  projet  de  \oi  sur  la  publication,  les  effets 
t  et  l'application  des  lois  en  général ,  proposé  par  le  gouver- 
«  ncment  le  24  brumaire  an  X,  et  communicjuè  le  25  au 
a  Tribunal  ; 

c  Les  orateurs  du  Tribunal  et  ceux  du  gouvernement 
«  entendus  dans  la  séance  des  20  et  24  frimaire,  et  les  suf- 
"  frages  recueillis  au  scrutin  secret,  dccnie,  etc.  » 

Mais  il  faudrait  mettre, 

Loi  sur  la  publication  ,  les  effets  cl  Tapplicalion  des  lois 
en  général. 


DK    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  ij85 

Art.  I.  Les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire 
français,  en  vertu,  etc. 

Il  faudrait  vous  reposer  du  soin  d'annoncer  au  peuple 
français  que  c'est  vous,  en  effet,  qui  l'avez  décrétée,  sur 
la  formule  du  pouvoir  exécutif,  conçue  en  ces  termes  :  .lu 
nom  du  peuple  franc  aisj  Bonaparte,  /'rf/z/^'^r/'  Consul,  proclame 
loi  de  la  République  le  décret  suivant,  rendu  par  le  Corps 
législatif,  le...  sur  la  proposition  faite  par  le  gouvernement, 
le...  communiquée  au  Tribunat,  le...  (a). 

Le  moment  est  arrivé  de  maintenir  législativement  la 
formule  des  lois  telle  qu'elle  est  arrêtée  par  le  Corps  légis- 
latif, ou  de  l'abandonner  tout-à-fait;  car  il  est  impossible 
qu'on  continue,  d'une  part,  h  insérer  cette  formule  dans 
le  texte  original  de  toutes  les  lois;  et  de  l'autre,  qu'on  con- 
tinue à  l'en  retrancher  lors  de  la  publication  qu'on  fait  de 
chacune  d'elles. 

Je  m'arrête. 

Si  j'ai  prouvé,  d'une  part,  que  la  formule  qui  fait  toujours 
la  première  partie  de  la  loi,  est  essentiellement  dans  les 
attributions  du  Corps  législatif; 

Si  j'ai  prouvé  que  celle  qui  forme  la  deuxième  partie 
appartient  aussi  à  la  puissance  législative; 

Il  est  évident  que  la  loi  qui  doit  contenir  celte  formule 
est,  comme  cela  a  toujours  été ,  la  loi  sur  la  promulgation 
et  la  publication  des  lois;  et  si  le  projet  ne  contient  pas 
cette  formule,  il  doit,  à  raison  de  cette  omission  fonda- 
mentale ,  être  rejeté. 

Jt  me  suis  proposé  de  démontrer,  en  second  lieu ,  que  le 
projet  est  contraire  à  tous  les  principes,  à  tous  les  intérêts 
du  peuple  français. 

(a)  L'orateur  qui  m'a  guccédé  a  fait  celte  objection  à  laquelle  je  ne  m'attendais  pas  ;  il  a  dit 
ique  quand  des  réglemeus  «ubsisienl,  il  faut  ouïes  déférer  au  Sénat,  ou  ne  pas  les  examiner,  i  II  s'en- 
luirrait  que  toutes  les  fois  que,  dans  l'examen  d'un  projet  de  loi, un  tirerait  ar(;ument  de  l'existeacc 
d'un  arrêté,  il  faudrait  en  rester  là,  et  par  conséquent  décider  que  le  projet  à  convertir  en  loi 
ne  pourrait  jamais  qu'cire  conforme  aux  dispositions  de  cet  arrêté  précédent.  Il  me  serait  trop 
facile  de  déduire  les  conséquences  qui  résultent  de  ce  système  :  je  me  coutculcrai  de  dcniat]dcr 
par  qui   alors-  se  iroutciait  exerce  le  pouvoir  législatif. 


î86  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

On  nous  répète,  depuis  qiichiuc  temps,  que  le  peuple 
Trançais  n'est  pas  un  peuple  nouveau  pour  lequel  il  faille 
créer  des  lois,  mais  un  peuple  ancien  ,  dont  les  mœurs  et 
les  habitudes  ne  doivent  pas  être  contrariées  par  celles 
qu'on  lui  destine. 

Si  cela  est  vrai,  il  est  nécessaire  de  le  maintenir  dans 
l'habitude  oii  il  est,  oij  il  a  toujours  été,  soit  de  lire  les 
lois  affichées,  soit  de  les  entendre  publier  aux  audiences, 
soit  de  vérifier  dans  ses  tribunaux  la  date  de  leur  enregis- 
trement, et  ne  pas  le  contraindre  de  venir  à  Paris  cher- 
cher, quand  il  en  aura  besoin,  le  procès- verbal  de  la  pro- 
mulgation des  lois. 

Car  il  y  aura  sans  doute  une  promulgation  réelle  ,  et  on 
ne  la  supposera  pas  fictivement  par  l'elTet  d'un  principe 
qui  la  déclarerait  censée  promulguée  le  dixième  jour. 

Si  les  tribunaux,  composés  maintenant  de  la  vieille  et 
de  la  nouvelle  magistrature,  sont  aussi  dans  l'habitude  de 
recevoir  ces  lois  ,  de  les  publier  aux  audiences ,  de  les  con- 
signer sur  leurs  registres ,  et  d'y  avoir  recours  pour  juger 
conformément  à  leurs  dispositions,  on  ne  voit  pas  que  le 
projet,  qui  ne  leur  promet  ni  envoi,  ni  publication,  ni  dé- 
pôt, soit  bien  conforme  à  ce  dessein  répété  tant  de  fois  de 
ménager  les  mœurs  et  les  habitudes  du  peuple  français. 

Je  viens  d'apprendre  que  les  journaux  publiaient  des 
arrêtés  qui  devaient  rassurer  sur  ce  point,  et  qu'on  con- 
tinuerait d'envoyer  aux  tribunaux  les  lois  comme  par  le 
passé. 

Si  ce  fait  est  vrai,  comme  on  l'annonce,  il  prouve  qu'il 
y  a  nécessité  de  continuer  un  usage  fondé,  non  seulement 
sur  la  raison,  mais  sur  la  nécessité,  qui  oblige  d'envoyer 
aux  tribunaux  des  lois  ([u'on  les  charge  d'exécuter. 

Ce  point  convenu ,  il  ne  reste  plus  cju'ii  examiner  celui 
de  savoir  si  ce  n'est  pas  à  la  loi  de  prendre  le  soin  de  faire 
déf)Oser  les  lois  dans  les  tribunaux  :  si  ce  n'est  pas  n  elle  de 
déclarer  5  (juel  instant  elles  seront  exécutoires  dans  leurs 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  287 

arrondissemens  ;  enfin,  de  décréter  s'il  est  ou  s'il  n'est  pas 
utile  de  les  publier  et  de  déterminer  les  formes  de  leur 
publication. 

Sur  ce  point,  on  vous  a  développé  bier  une  tbéorie, 
belle  sans  doute,  mais  qui,  n'ayant  pas  encore  pour  elle 
l'autorité  de  l'usage  ,  gagnera  peut-être  à  être  examinée. 

On  vous  a  dit  ;  Il  y  avait  autrefois  beaucoup  de  promul- 
gations en  France,  mais  maintenant  il  ne  doit  plus  y  en 
avoir  qu'une  :  pourquoi  cela?  C'est  que  la  France  ayant 
autrefois  beaucoup  de  provinces  qui  avaient  cbacune  leurs 
privilèges,  cet  État  était  composé  de  beaucoup  d'États  qui 
sejtrouvaient  unis  sans  être  confondus  :  de  là  la  nécessité 
de  multiplier  les  pronmlgations  sous  les  formes  qui  étaient 
propres  à  chaque  province. 

Mais,  ajoute-t-on  ,  depuis  que  la  France  est  République 
une  et  indivisible,  la  promulgation  de  ses  lois  doit  être  une 
et  indivisible  comme  elle  :  de  là,  la  disposition  constitu- 
tionnelle qui  charge  le  Premier  Consul  seul  de  cette  pro- 
mulgation; le  reste  sera  subordonné  à  des  agences  minis- 
térielles ;  et  la  loi  n'a  pas  besoin  d'intervenir  dans  ces  mou- 
vemens  d'exécution. 

Il  y  a  là  confusion  dans  les  idées  et  dans  les  faits. 

On  imagine,  comme  on  essaie  de  l'établir  en  système 
dans  le  projet,  que  promulgation  et  publication  sont  une 
même  chose;  et  de  là  on  affirme  que  la  promulgation  du 
roi  et  la  publication  dans  les  parlemens  étaient  autant  de 
promulgations.  Je  n'insisterai  pas  sur  cette  grossière  con- 
fusion. 

Mais  j'admire  cette  découverte  d'hier,  qui  attribue  à  la 
division  départementale,  à  l'unité  de  la  République,  la 
nécessité  de  ne  plus  parler  de  publication  de  loi. 

La  division  départementale  remonte  à  1790.  La  Répu- 
blique date  de  179*2,  et  on  ne  voit  pas  (|u'en  1790  et  1792, 
il  fût  question  de  faire  remplacer  toutes  les  publications 
par  une  promulgation  unique. 


288  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC 

Nous  avons  la  loi  du  3  novembre  1790,  qui  est  intitulée 
Décret  sur  les  formes  de  la  sanction ,  de  la  promulgation  de 
l'envoi  et  de  la  publication  des  lois. 

Nous  avons  celle  du  12  vendémiaire  an  IV,  qui  détermine 
le  mode  pour  l'envoi  et  la  publication  des  lois. 

Nous  avons,  depuis,  l'usage  et  les  formules  de  promul- 
gation qui  contiennent  l'ordre  àt  publier.  D'où  il  suit  que 
promulgation  et  publication  ont  toujours  été  et  sont  encore 
deux  choses  distinctes ,  qu'elles  l'ont  été  sous  la  monarchie , 
(ju'elles  l'ont  été  depuis  la  fondation  de  la  République  une 
et  indivisible. 

Qu'on  affirme  que  la  promulgation  appartient  au  Premier 
Consul,  cela  est  vrai  ;  elle  appartenait  aussi  au  directoire, 
au  roi  constitutionnel  :  qu'on  ajoute  qu'elle  est  unique, 
cela  est  vrai  encore;  elle  l'était  en  1791;  elle  l'était  en 
l'an  IV  :  qu'on  en  tire  la  conséquence  qu'elle  exclut  toute 
publication  ultérieure,  cela  n'est  pas  exact.  Les  lois  et  les 
faits  sont  là  ;  ils  déposent  contre. 

Si  la  promulgation  dont  est  chargé  le  Premier  Consul 
n'exclut  pas  les  publications  dans  les  tribunaux,  la  ques- 
tion se  réduit  à  des  termes  bien  simples,  c'est  de  savoir  si 
elles  sont  utiles  et  convenables. 

Elles  sont  utiles,  l'usage  éternel  du  passé  le  justifie  as- 
sez; elles  le  sont  pour  les  juges,  elles  le  sont  pour  le  pu- 
blic ;  qu'on  ne  revienne  pas  ici  avec  cet  argument  éternel, 
dire  (jue  Timpossibilité  de  notifier  les  lois  à  tous,  doit  dé- 
terminer à  ne  les  publier  pour  personne  :  c'est  avec  ces 
exagérations  qu'on  passe  à  tous  les  excès  ;  si  l'on  varie  sur 
le  degré  plus  ou  moins  grand  de  publicité,  on  ne  varie  pas 
sur  la  nécessité  d'en  avoir  une. 

On  ne  varie  pas  sur  le  sentiment  de  convenance  qui 
porte  à  désirer  que  les  tribunaux  soient  chargés  de  ces  pu- 
blications. 

Mais  vous  voulez,  dira-t-on ,  faire  dépendre  cette  publi- 
cation de  leur  négligence,  de  leur  mauvaise  volonté  ;  vous 


DE    LA    PUBLICATION    DKS    LOIS.  sSq 

vouioz  mettre  les  hommes  à  la  place  de  la  loi  :  voilà  ce 
qu'on  allègue.  Ne  scmble-t-il  pas  (pie ,  depuis  dix  années, 
le  gouvernement  n'ait  eu  à  lutter  que  contre  les  résistan- 
ces ?  Ce  sont  des  chimères  que  tout  cela  :  on  ne  cite  pas  un 
seul  abus  ;  on  en  citerait  dix,  qu'on  ne  serait  pas  en  droit 
d'en  conclure  qu'il  faut  priver  la  magistrature  de  ce  qu'on 
lui  doit ,  de  ce  qu'on  doit  à  tous  les  Français. 

J'ajouterai  qu'au  lieu  de  déprimer  l'ordre  judiciaire  par 
des  institutions  méfiantes,  il  serait  sage  peut-être  de  pen- 
ser à  sa  dignité.  L'honneur  des  tribunaux  ne  doit  pas  être 
indifférent  à  la  nation  française.  Sans  doute  la  puissance, 
quelquefois   utile,  plus  souvent  oppressive,  qui  était  de 
l'essence  des  anciens  tribunaux ,  ne  doit  plus  se  relever  : 
mais  quand  la  République ,  fondée  sur  la  ruine  de  tant  de 
colosses,  établit  à  son  tour  des  autorités,  elle  doit  les  ani- 
mer du  sentiment  de  leur  propre  dignité.  Au  dedans,  ce 
sont  les  vertus  personnelles  de  chacun  qu'il  faut  savoir 
élever  par  des  marques  de  confiance;  au  dehors,  la  con- 
sidération extérieure  doit  être  le  prix  des  pénibles  veilles 
auxquelles  ils  se  livrent  pour  le  maintien  de  l'ordre  et  de  la 
sûreté  de  tous.  Plus  ils  ont  à  lutter  contre  les  souvenirs 
extérieurs  des  anciennes  institutions,  plus  ils  doivent  trou- 
ver de  moyens  de  leur  comparer  les  avantages,  la  dignité, 
l'indépendance  des  nouvelles.  Loin  donc  de  les  dépouiller 
d'une  ombre  de  pouvoir,  dont  la  crainte  est  devenue  chi- 
mérique, il  faudrait,  au  contraire,  saisir  toutes  les  occa- 
sions d'ajouter  à  la  puissance  de  la  République  la  partie  de 
puissance  dont  les  magistrats  ont  besoin  pour  imprimer  le 
respect,  qui,  s'il  ne  s'obtient  pour  leurs  personnes,  est 
bientôt  refusé  à  la  majesté  de  leurs  fonctions,  et  par  con- 
séquent à  la  puissance  de  la  loi. 

Je  n'examinerai  pas  le  reste  du  système  du  projet;  il  suf- 
fit qu'en  substance  il  ordonne  une  promulgation  unique  à 
Paris,  et  qu'il  ôte  à  la  législation  les  règles  et  les  formes  de 
publication   qui  devraient  suivre  ,  qu'il  annonce  évidem- 
VI.  ig 


ago  DISCUSSIONS  ,  motifs  ,  etc. 

nienl  même  le  dessein  de  les  supprimer,  pour  que  je  per- 
siste à  penser  que  ce  système  est  contraire  à  toutes  les  ha- 
bitudes, à  tous  les  principes  du  peuple  Français. 

Ici  on  ne  peut  assez  s'étonner  de  ces  longues  exclama- 
lions  par  lesquelles  on  essayait  de  faire  croire  que  toutes 
les  combinaisons  du  Conseil  d'État  étaient  épuisées.  Les 
auteurs  du  Code,  dit-on  ,  ont  proposé  un  projet  ;  la  section 
en  a  présenté  un  autre  ;  le  Conseil  d'Etat  en  a  adopté  un 
troisième.  Le  Tribunat,  à  son  tour,  a  présenté  des  vues, 
des  systèmes  différens,  contradictoires;  en  sorte  que,  de 
quelque  côté  qu'on  jette  la  vue,  on  ne  sait  à  quels  princi- 
pes s'arrêter  sur  une  matière  arbitraire  en  quelque  sorte, 
et  qui  a  varié  tant  de  fois. 

Abstraction  faite  de  quelques  idées  plus  ou  moins  justes, 
qui  sont  inséparables  de  toute  discussion,  si  l'on  voulait  y 
regarder  de  plus  près,  on  reconnaîtrait  que  les  variétés 
qu'on  impute  à  la  matière  ne  sont  pas  si  multipliées  qu'on 
semble  le  croire;  on  reconnaîtrait  deux  choses  fondamen- 
tales, par  exemple,  la  première,  qu'une  loi  sur  la  promul- 
gation des  lois  en  contient  toujours  la  formule  :  ce  point  a 
été  invariable  depuis  1789. 

Un  autre  p<»int  non  moins  invariable,  c'est  rjue  de  tout 
temps  on  a  envoyé  les  lois  aux  tribunaux. 

On  ne  veut  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  deux  choses  qui  sont 
dans  nos  liribiludcs,  dans  nos  lois,  dans  ressence  du  pou- 
voir législatif ,  dans  le  besoin  des  tribunaux;  et  on  vient 
nous  reproihcr  de  ne  savoir  ce  (|ue  nous  voulons! 

Qu'on  ait  dilléré  sur  le  point  de  savoir  si  on  enverra  les 
lois  à  tous  les  tribunaux  ,  ou  seulement  aux  tribunaux 
d'appel;  <}u'on  ait  examiné  s'il  ne  valait  pas  mieux  publier 
par  alFichc  que  [)ar  la  sinqile  consignation  dans  les  regis- 
tres :  sauf)  doute  ces  points  sont  aussi  de  (|uelquc  inqior- 
tance  ,  et  on  peut  en  indiquer  les  avantages  et  les  inconvé- 
niens;  mais  ({u'on  appelle  tout  cela  un  chaos  d'ineonsé- 
quences  et  de  conlradiclioiis  ,  c'est  ce  (|u'avee  \\u  peu  plus 


t)K    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  2n| 

lie  froideur  on  ne  manquera  pas  bicnlut  de  désavouer, 
ï/esprit  général  sur  celle  matière  n*esl  peut-être  pas  si  dif- 
ficile i\  saisir;  .».i  rcssenliel  était  dans  le  projet,  on  éprou- 
verait plus  de  satisfaction  à  le  défendre  qu'aie  combattre. 

Je  dirai  peu  de  choses  contre  les  maximes  générales  qui     5-« 
composent  les  articles  7  et  8  du  projet. 

Elles  me  paraissent  fausses  et  dangereuses. 

En  effet,  si  la  justice  du  droit  elle-même,  en  nous  tra- 
çant des  règles  générales,  les  a  toutes  modifiées  par  celle- 
ci,  qu'il  n'y  a  pas  de  règle  sans  exception,  comment  oser 
débuter  par  des  règles  générales  dont  les  exceptions  ne  sont 
pas  encore  posées?  ce  n'est  que  quand  la  loi  est  complète 
qu'on  peut  savoir  ce  qu'est  la  règle  ,  ce  que  sont  les  excep- 
tions; avant  cela,  vous  donnez  au  juge,  contre  votre  in- 
tention, le  droit  de  confondre  l'une  et  l'autre,  et  de  déci- 
der par  la  maxime  générale  ce  qui  devrait  l'être  par  la 
nécessité  de  l'exception. 

Par  exemple ,  en  déclarant  qu'on  ne  peut  déroger  par 
des  conventions  aux  lois  qui  intéressent  les  bonnes  mœurs;» 
allez-vous  donner  ouverture  à  l'abolition  des  testamens  ou 
des  donations?  allez-vous  les  faire  attaquer,  parce  qu'on 
alléguera  un  commerce  illicite  entre  le  donateur  et  la  do- 
nataire, parce  qu'on  offrira  de  dévoiler  les  actes  d'une  co- 
habitation commune?  Ces  matières,  dans  lesfjuelles  l'avi- 
dité collatérale  grossit  toujours  les  scandales  des  révéla- 
tions ,  doivent  être  traitées  avec  modération,  ce  me  semble; 
et  une  seule  maxime,  sur  un  sujet  susceptible  de  tant  de 
imances,  ne  remédierait  point  au  mal,  elle  y  ajouterait  un 
éclat  intéressé  f|ui  souvent  n'est  pas  beaucoup  plus  moral 
que  l'irrégularité  qu'il  condanme.  Qui  ne  sait  (jue  le  pré- 
texte du  bien  des  mœurs,  dans  ces  circonstances,  n'est  ja- 
mais que  le  mascjne  de  l'amour  des  richesses  ? 

J'ai  déjà  dit,  et  je  le  répète,  que  cet  article,  en  appa-     % 
reucc  si  simple,  si  évident,  ia  loi  n'a  pas  d'effet  rétir.netif; 
elle  ne  dispose  (jne  pour  l'avenir ,  considéré  comme  règle  du 

»9' 


292  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

magistrat,  renierniait  un  principe  non  moins  faux ,  non 
moins  dangereux. 

Il  n'est  pas  un  principe  du  magistrat,  puisque,  nonobs- 
tant cet  article,  s'il  recevait  une  loi  rétroactive,  il  serait 
obligé  de  l'exécuter.  C'est  au  législateur  à  bien  se  pénétrer 
de  ce  principe  ;  c'est  à  lui  de  ne  jamais  proposer  ni  adop- 
ter de  pareilles  lois  :  mais  l'écrire  dans  le  livre  de  la  loi,  et 
le  livrer  au  magistrat,  dans  les  circonstances  actuelles,  ce 
serait  lui  donner  le  guide  le  plus  dangereux. 

Ne  dit-on  pas  depuis  plusieurs  années,  ne  s'efforce-t-on 
pas  de  persuader  que  les  lois  rétroactives  sont  nulles  par 
cela  seul  qu'elles  sont  rétroactives?  ne  sait-on  pas  que  cette 
doctrine,  qui  part  de  la  bouche  de  personnes  intéressées, 
se  propage ,  pour  en  tirer  les  conséquences  que  j'ai  déjà 
indiquées,  et  que  ,  par  suite  de  cette  tendance,  on  la  trouve 
dans  des  écrits  qui  ont  une  sorte  d'autorité,  qu'elle  a  pé- 
nétré dans  des  administrations ,  et  qu'on  s'est  efforcé  de 
l'accréditer  jusque  dans  nos  assemblées  législatives? 

Or,  je  le  demande,  dans  cet  état,  est-il  prudent  de  li- 
vrer cette  maxime  aux  tribunaux,  de  la  convertir  en  loi, 
de  n'avoir  pas  môme  le  soin  de  la  rédiger  comme  règle 
future  ?  —  Car  elle  ne  dit  pas,  x^omme  on  a  voulu  le  faire 
entendre,  que  c'est  une  promesse,  pour  l'avenir,  de  ne  plus 
faire  des  lois  rétroactives;  elle  ne  dit  pas:  La  loi  ne  dispo- 
sera que  pour  Tavcnir,  elle  11^ aura  pas  d'effet  rétroactif;  mais 
elle  fait  une  rr^lc  présente  (ju'elle  adresse  à  tous  les  tribu- 
naux, l^lle  leur  dit  :  la  loi  ne  dispose  (/ue  pour  l'avenir ,  elle 
/l'a  point  d'effet  rrtronctij . 

Législateurs,  la  crainte  seule  de  voir  une  pareille  règle 
aider  à  la  doctrine  subversive  que  l'intérêt  personnel  s'ef- 
force d'accréditer  sur  les  substitutions  ,  et  sur  les  anciens 
droits  de  masculinité,  que  beaucoup  de  })ersonnes  préten- 
dent avoir  acquis,  soit  en  naissant,  soit  en  se  mariant,  ne 
doivent  pas  vous  faire  hésiter  de  la  repousser  comme  Ihu- 
tile  et  dangereuse. 


DE    LA    PUBLICATION    DFS    LOIS.  29Î 

Je  ne  suis  pas  rassuré  par  l'explication  donnée  iiierù  cette 
tribune  sur  ce  point  ;  on  répondra,  dit-on,  à  ceux  qui  vou- 
draient faire  considérer  comme  non  avenues  les  anciennes 
lois  rétroactives,  que  la  loi  avait  le  droit  de  déclarer  que 
ce  qui  était  ne  serait  plus  :  mais  cela  ne  résout  pas  cette 
dilUculté  qui  se  reproduit  sans  cesse,  et  qui  consiste  à  dire 
qu'on  avoue  bien  que  la  loi  a  dit  que  ce  qui  était  ne  serait 
plus  ;  par  conséquent,  qu'on  ne  ferait  plus  de  substitutions 
après  le  25  octobre  1792;  mais  on  ajoute  qu'avoir  reporté 
ce  pouvoir  dans  le  passé,  c'était  rétroagir,  et  que  les  lois 
ne  rétroagissent  pas,  qu'elles  ne  disposent  que  pour  l'a- 
venir. 

La  maxime  qui  défend  de  prouver  que  les  actes  sont  faits     ap.  5 
sans  fraude,  quand  la  loi  les  aura  réputés  tels,  a  aussi  ses 
inconvéniens. 

On  a  cité,  par  exemple,  la  déclaration  de  1702;  on  Ta 
citée  exemplairement  et  non  pas  limitativement,  comme 
on  l'a  observé  hier,  et  c'est  aussi  en  ce  sens  que  je  l'exa- 
mine :  mais  cette  déclaration  s'est  bien  gardée  de  donner 
dans  la  méprise  qu'on  veut  faire  consacrer  par  la  maxime 
qu'on  nous  propose. 

On  sait  que  des  actes  faits  à  la  veille  d'une  faillite  peu- 
vent être,  les  uns  frauduleux,  les  autres  de  bonne  foi;  mais 
le  danger  de  la  fraude  l'emportant  sur  quelques  intérêts 
particuliers,  on  trouve  sage  de  déclarer  tous  ces  actes  nuls 
indistinctement.  C'est  le  texte  de  la  déclaration  de  170-2; 
mais  on  se  garde  bien  de  les  déclarer  frauduleux,  1"  parce 
qu'il  serait  injuste  et  oppressif  de  déclarer  frauduleux 
fictivement  un  acte  qui,  en  réalité,  peut  être  de  bonne 
foi;  2°  parce  que  les  conséquences  d'un  acte  frauduleux 
sont  bien  différentes  de  celles  d'un  acte  nul.  Par  le  pre- 
mier, on  perd  sa  crédite,  on  devient  garant,  on  est  ré- 
puté complice,  on  peut  être  poursuivi  criminclIcTncnt;  ce 
(|ui  suppose,  contre  le  texte  de  la  maxime,  qu'on  peut 
prouver  que  l'acte  est  de  bonne  foi  :  car  on  ne  dira  pas 


2 94  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

(ju'un  homme  accusé  n'ait  pas  le  droit  de  prouver  qu*il  est 
innocent. 

Les  conséquences  d'un  acte  nul,  au  contraire,  évincent 
quelquefois  le  porteur;  mais  quelquefois  aussi  il  ne  perd 
que  son  hypothèque,  et  il  vient  au  marc  la  livre  avec  les 
autres  créanciers  :  il  n'est  réputé  ni  garant  ni  complice,  et 
n'a  pas  un  sort  commun  et  rigoureux  avec  le  failli. 

En  un  mot,  nulle  loi  ne  peut  dire  qu'un  acte  dont  les 
causes  ne  sont  pas  vérifiées  sera  réputé  frauduleux;  nulle 
loi  ne  peut  dire  qu'un  homme  qu'on  déshonore  n'aura  pas 
le  droit  de  prouver  qu'il  est  honnête  homme.  Par  consé- 
quent, une  maxime  qui  le  voudrait  ainsi,  n'étant  ni  juste 
ni  morale  ,  ne  peut  être  placée  à  la  tête  du  livre  des  lois. 

Ces  consé([uences  s'appliquent  à  tous  les  autres  cas  cités 
hier,  et  qu'on  veut  faire  régir  par  le  même  principe. 
Législateurs, 
I         Ce  projet  ne  consacre  point  de  formule  de  promulgation. 
Il  supprime  la  publication  des  lois. 
11  n'oblige  pas  le  pouvoir  exécutif  à  les  envoyer  aux  tri- 
bunaux. 

Le  nouveau  système  qu'il  contient  est  destructif  de  toute 
espèce  de  publicité. 
2  et  suiv.  Les  maximes  posées  à  la  suite  sont  dangereuses  par  leur 
fausseté,  par  l'abus  qu'on  en  fera,  et  par  l'absence  des  ex- 
ceptions dont  elles  seraient  susceptibles,  et  <^ui  ne  sont 
pas  encore  posées. 

L'examen  du  Code  civil  est  indépendant  de  ce  projet  de 
loi. 

Enfin  la  loi  du  12  vendémiaire  an  IV,  qui  s'exécute  de- 
puis six  ans,  peut  s'exécuter  encore  jusqu'à  ce  qu'un  pro- 
jet complet  |)uiKse  être  adopté  pour  la  remplacer. 
Je  dépose  le  vote  de  rejet  du  Tribunal. 


1)1-     LA     PUULICVTION     DES     LOIS.  295 

niSCOURS    PRONONCÉ    PAK    LK    CONSKIl.LKU    li'l/r.VT   KOULAK  , 
l'un   des  URATEURS  du  OOUVERNEMIiUT. 

(.Séance  du  •>4  frimaire  an  X.  —  i5  décembre  1801.  ) 

Législateurs ,  il  paraît  que  c'est  le   premier  article  du 
projet  qui  souffre  le  plus  de  diflicultés.  On  a  fait  contre  cet 
article  différenles  sortes  d'objections.  On  a  prétendu  d'a- 
bord qu'il  n'élait  point  à  la  place  qui  lui  convient.  Il  est 
dilTicilc  de  concevoir  l'importance  (ju'on   a  mise  à  cette 
objection  plusieurs  fois  reproduite.  Eh!  ([u'imporle  au  peu- 
ple Français  où  «soit  placée  la  disposition  qui  règle  le  mo- 
ment où  les  lois  deviennent  exécutoires  pour  lui,  pourvu 
que  cette  disposition   soit  bonne?  et  certes,  si  elle  était 
mauvaise  ,  quel(^ue  place  qu'on  lui  assignât  dans  la  législa- 
tion ,  elle  n'en  deviendrait  pas  meilleure.  Cependant ,  s'il 
fallait  justifier  le  choix  de  celle  qu'on  lui  a  donnée,  le  Code 
civil  n'est-il  pas,  après  la  Constitution,  la  loi  la  plus  im- 
portante et  la  plus  utile?  N'élait-il  donc  pas  naturel,  en 
travaillant  à  la  confection  de   ce   C-ode   qui  embrasse  les 
droits,  les  devoirs  et  les  obligations  de  tous  les  membres  de 
la  société,  de  régler  d'abord  le  moment  où  commence  la 
principale  de  ces  obligations,  celle  d'obéir  à  la  loi?  Et  puis- 
qu'on mettait  à  la  tête  du  Code  civil  un  litre  préliminaire, 
composé  de  dispositions  générales,  celle  qui  règle  le  mode 
de  publication  de  la  loi  ne  devait-elle  pas  être  la  première 
de  ces  dis|)osilions?  Eût-elle  été  mise  aussi  convenablement 
À  la  tête,  soit  du  Code  judiciaire,  soit  du  Code  rural,  ou 
de  tout  autre  Code  ? 

On  a  dit  ensuite  que  la  partie  de  l'article  qui  portait  que 
les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire  delà  République ,  on 
vertu  de  la  promulgation  qui  en  est  faite  par  le  Premier  Consul, 
renfermait  une  grande  hérésie,  cl  ([u'il  faudrait  adopter 
une  formule  qui  ra[)pclât  le  concours  des  trois  branches  de 
l'autorité  législative.  IN 'est-ce  pas  là  rêver  des  hérésies,  et 


296  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

peut-on  se  tromper  plus  complètement  et  sur  la  question, 
et  sur  les  principes,  et  sur  les  faits? 

D'abord,  il  est  fort  étrange  qu'on  attaque,  comme  on  vient 
(le  le  faire  ,  la  formule  actuelle  de  promulgation.  Cette  for- 
mule n'est  pas  et  ne  peut  pas  être  ici  la  matière  d'une  dis- 
cussion. Elle  a  été  déterminée  par  un  acte  du  gouverne- 
ment; cet  acte  existe  depuis  deux  ans,  sans  que  personne 
se  soit  encore  avisé  de  soutenir  qu'il  fui  inconstitutionnel. 
Il  a  donc  non  seulement  la  force  de  l'usage,  mais  la  sanc- 
tion au  moins  tacite  xle  l'autorité  qui  aurait  eu  le  droit  de 
le  dénoncer,  si  elle  l'avait  cru  contraire  à  la  Constitution  ; 
autorité  dont  on  paraît  ici  méconnaître  le.vœu  et  censurer 
la  conduite. 

Toutefois ,  qu'on  examine  celte  formule  de  promulga- 
tion qui  se  trouve  à  la  tète  de  toutes  les  lois,  et  on  verra  si 
^ellc  n'est  pas  conforme  aux  principes  de  la  Constitution, 
si  même  elle  ne  remplit  pas  l'objet  qu'on  paraît  se  propo- 
ser, d'y  énoncer  le  concours  des  trois  branches  du  pouvoir 
législatif. 

Au  nom  du  peuple  Français ,  Bonaparte ,  Premier  Consul  y 
proclame  loi  de  la  République  y  le  décret  suivant ,  rendu  par  le 
Corps  législatif  y  relatif  .....  Conformément  à  la  proposition  faite 
par  le  gouvernement Communifjué  au  Tribunat. 

Cette  formule  ne  rappelle-t-ellc  pas  d'abord  le  pouvoir 
souverain  qui  réside  dans  le  peuple  ;  eu  second  lieu,  les 
trois  corps  auxquels  la  volonté  nationale  a  confié  le  pou- 
voir législatif?  Si  c'est  le  Premier  Consul  qui  proclame  loi 
de  la  Républi(|ue  le  décret  intervenu,  n'est-ce  pas  encore 
d'après  la  volonté  nationale? 

Or,  n'cst-il  pas  de  principe  éternel  que  les  lois  ne  sont  pas 
exécutoires,  tant  qu'elles  ne  sont  pas  j)romulguées?  N'est- 
ce  pas  celte  promulgation  seule  qui  leur  imprime  le  mou- 
vement et  la  force  d'exécution,  cl  n'cst-elle  pas,  dans  toute 
bonnccoii5litution,un  altributchscnlicl  du  pouvoirexécutif? 


DE    LA    PtliLlCATION     DES    LOIS.  297 

On  a  prétendu  apercevoir  je  ne  sais  quelle  (|iialité  oceullc 
et  malfaisante  dans  ces  mots  :  en  vertu  de  la  pronuilgation  ; 
il  fallait,  a-t-on  dit,  employer  ceux-ci  :  au  moyen  de  la 
promulgation;  et  on  a  fait  une  longue  dissertation  pour 
établir  la  différence  énorme  qu'il  y  avait  entre  ces  deux 
expressions.  En  vérité,  il  faut  avoir  le  regard  bien  subtil, 
pour  y  découvrir  une  telle  différence.  Je  suis  persuadé  que 
le  génie  des  scolastiques,  des  métaphysiciens,  des  gram- 
mairiens les  plus  pointilleux  y  aurait  échoué.  Je  suis  per- 
suadé même  que  le  délicat  et  clairvoyant  critique,  si  on 
s'était  servi  des  mots  nu  moyen,  y  aurait  encore  aperçu 
quelque  germe  de  destruction,  et  qu'il  aurait  allégué,  con- 
tre ces  mots  qu'il  nous  propose,  les  mômes  subtilités  qu'il 
a  alléguées  contre  les  mots  en  vertu,  que  peut-être  alors  il 
aurait  préférés  à  ceux  qu'il  nous  oppose  aujourd'hui. 

Mais  laissons  là  ces  vaines  arguties.  Vous  prétendez  que 
ce  n'est  pas  la  promulgation  qui  donne  aux  lois  la  force 
executive.  L'assemblée  constituante  n'était  pas  de  votre 
avis  ;  car  le  chef  du  pouvoir  exécutif  qu'elle  avait  organisé 
devait  dire  ces  mots  dans  la  promulgation  des  lois  :  L'as^ 
semblée  nationale  a  décrété  et  nous  voulons  et  ordonnons  ce  qui 
suit.  La  convention  nationale,  fort  jalouse  assurément  de 
se  montrer  orthodoxe  en  matière  de  principes  politiques, 
n'était  pas  non  plus  de  votre  avis;  car,  dans  la  formule  de 
promulgation ,  le  pouvoir  exécutif  créé  par  elle  devait  dire  : 
Au  nom  de  la  République ,  le  Direetoire  ordonne  que  la  loi  sera  pu- 
bliée, exécutée,  etc.  Ou  dire,  dans  une  formule  de  promulga- 
tion ,  que  le  pouvoir  ^xéQvxiii  ordonne  que  la  loi  soit  exécutée  ; 
ou  dire ,  dans  une  autre  formule,  que  la  loi  est  exécutoire  en 
vertu  de  la  promulgation ,  n'est-ce  pas,  au  fond,  la  môme 
idée?  Cette  idée  n'est-elle  pas  aussi  conforme  à  la  théorie 
de  la  division  des  pouvoirs ,  (|u'au  texte  précis  de  la  Cons- 
titution ?  Et  comment  peut-on  apercevoir  dans  tout  cela 
l'ombre  môme  d'une  hérésie  ! 

Mais  examinons  les  objections  qui  se  rapportent  plus 


ac^S  DIsctssIo^s  ,  motifs,  etc. 

l>articiUièrc(neiit  à  la  disposition  de  rarticlc.  Il  renferme 
liois  parties  bieu  distinctes,  et  ce|)endanl  bien  liées  entre 
elles.  La  première,  déjà  énoncée  ,  est  </u<'  im  lois  sont  cxvcu- 
toircs  dans  tout  le  tcnituirc  de  la  Âcjjuhlifjuc,  en  vertu  de  la  pro- 
inul^ation  qui  est  faite  par  le  Premier  Consul,  et  nous  venons 
de  prouver  que  ce  point  est  incontestable.  La  deuxième, 
que  les  lois  seront  exécutées  dans  chaque  partie  de  la  France,  du 
moment  oit  la  promuli^at ion  pourra  y  être  connue.  Si  le  Premier 
Consul,  en  donnant  aux  lois,  par  sa  pronml^ation ,  la  force 
executive,  pouvait  être  entendu  au  même  instant  de  tous 
les  Français,  sans  doute  ils  seraient  tous,  au  même  ins- 
tant, obligés  de  les  exécuter.  Comme  ils  ne  peuvent  con- 
naître la  promulgation  que  successivement,  il  s'ensuit  qu'il 
est  juste  de  ne  les  forcer  à  cette  exécution  qu'au  moment 
où  ils  peuvent  avoir  cette  connaissance. 

Or,  celte  connaissance  doit  être  déterminée  d'après  la 
nature  des  choses  et  li  distance  des  lieux  ,  et  c'est  enfin  ce 
qu'on  trouve  dans  la  troisième  partie  de  rarticlc.  On  part 
du  lieu  où  siège  le  gouvernement  (c'est  le  ressort  du  tri- 
bunal d'appel  de  Paris,  et  ce  sera  probablement  toujours 
dans  ce  ressort,  et  particulièrement  à  Paris  qu'il  siégera), 
cl  de  là,  s'arrétant  de  tribunaux  en  tribunaux  d'appel ,  on 
assigne  un  nouveau  délai,  toujours  proportionné  à  la  dis- 
tance. Ici  la  loi  ne  fait  (prindi(|uer  le  principe  et  détermine 
la  base  du  tarif,  et  il  ne  fallait  pas  qu'elle  en  fit  davantage  : 
mais  le  règlement  développera  ce  tarif;  il  entrera  dans  les 
détails,  ayant  égard  à  toutes  les  circonstances  des  temps  et 
des  lieux. 

Maintenant  (pie  reproche-t-on  à  ce  système?  on  prétend 
qu'il  ne  donnera  pas  aux  citoyens  une  connaissance  sulïi- 
sante  des  lois.  Mais  s'a^il-il  ici  de  leur  donner  ectlo  con- 
naissance '.*  Non  :  ee  n'est  pas  là  Iti  but  du  projet;  il  ne  s'agit 
<jue  de  lixer  le  moment  où  la  loi  doit  èlie  exécutée  par  eux. 
Au  reste,  que  veul-on  dire,  quand  on  parle  de  la  nécessité 
de  faire  connaître  la  loi  i'  cnlend-cm  cpi'il  faut  prendre  des 


DE    LA    rUBl.ICATION    DKS    LOTS.  29() 

mestires  telles  i[iic  chaque  imlividu  ail  cette  connaissance? 
Mais  on  sait  bien  <[ue  cela  est  iinpossil)lc. 

Il  siiflil  que  ceux  (|ui  ont  le  plus  trintcrèt  à  connaître  les 
lois,  et  surtout  (lue  la  portion  instruite  de  la  nation  ,  celle 
qui  propage  successivement  cette  connaissance  cl  la  répand 
sur  la  niasse  à  mesure  du  besoin  qu'elle  en  a  ;  il  sulTit  que 
cette  portion  ait  le  temps  et  les  moyens  convenables  de 
s'assurer  de  l'existence  et  de  la  promulgation  des  lois. 

Or,  est-il  un  système  plus  propre  à  lui  procurer  cette  at- 
titude que  celui  qui  est  proposé?  D'abord,  quel  est  le  ci- 
toyen, prenant  un  peu  de  part  à  la  chose  publique,  qui 
ignore  la  proposition  ,  la  discussion  et  rado[)tion  d'un  pro- 
jet de  loi;  qui  ne  sache  que  le  décret  doit  être  promulgué 
comme  loi  le  dixième  jour  après  son  émission  ,  et ,  partant 
de  ce  point  lîxe,  ne  puisse  avec  certitude  déterminer  le 
moment  où  la  loi  devient  obligatoire  pour  lui  et  pour  tous 
les  individus  de  la  llépublique? 

On  prétend  qu'ici  nous  voulons  tout  faire  dépendre  d'un 
instant  malhémalique,  et  qu'il  est  impossible  d'assigner 
un  pareil  instant  ;  mais  ce  n'est  encore  là  (|u'une  vaine  sub- 
tilité, et  que  5  d'ailleurs,  on  ne  peut  pas  plus  alléguer  contre 
le  système  proposé,  que  contre  tout  autre  qu'on  pourrait 
proposer  dans  la  même  matière. Toutes  les  quantités  de  l'es- 
pace ou  du  temps  ne  sont-elles  pas  réductibles  à  des  iiis- 
tans  et  à  des  points  mathématiques  ?  Soit  (pi'on  adopte  le 
système  de  la  transcription  sur  les  registres  des  autorités 
judiciaires  et  administratives,  soit  qu'on  préfère  celui  d'un 
jour  uniforme  pour  toute  la  République,  n'y  aura-t-il  pas  tou- 
jours un  momeiit  décisif  qui  séparera  le  temps  où  la  loi  ne 
devait  pas  encore  être  exécutée  de  celui  où  elle  doit  l'être? 
Au  reste,  comme  il  ne  peut  arriver  que  bien  rarement  que 
la  solution  d'une  affaire  dépende  absolument  de  la  connais- 
sance de  ce  moment  précis,  cette  objection,  applicable 
d'ailleurs  à  tous  les  systèmes,  ne  mérite  réellement  aucune 
considération. 


5oO  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

On  reproche  au  systjime  proposé  de  confondre  deux 
choses  qu'on  prétend  être  très-difTérentes,  la  promulgation  et 
kl  publication  ;  mais  qu'entend-on  par  publication  ?  Quand  on 
dit,  par  exemple,  que  les  lois  ne  sont  pas  exécutoires  tant 
qu'elles  ne  sont  pas  pu  hliccs ,  ne  veut-on  pas  dire  par  là  que 
la  publication  est  une  condition  essentielle  sans  laquelle 
elles  ne  sont  pas  exécutoires;  qu'ainsi  c'est  de  cette  publi- 
cation même  qu'elles  reçoivent  leur  mouvement  d'exécu- 
tion. Or,  n'est-ce  pas  là  le  sens  qu'on  attache  également  au 
mot  promulgation P  N'est-ce  pas  encore  celui  qu'on  doit  at- 
tacher à  celui  de  proclamation,  proclamer,  qui  se  trouve  dans 
la  formule  actuelle  de  la  promulgation  ?  Ces  trois  mots  ont 
le  même  sens  politique  dans  cette  formule,  dans  le  titre  et 
les  dispositions  de  la  loi,  ainsi  que  dans  la  Constitution. 

Si  par  publication  il  vous  plaît  d'entendre  les  moyens  de 
détail  qu'on  emploie  ou  qu'on  pourrait  employer  pour  faire 
arriver  plus  sûrement,  plus  rapidement  la  loi,  soit  aux 
agens  d'exécution  ,  soit  aux  simples  citoyens,  vous  en  êtes 
bien  les  miaîtres  ;  mais  ce  n'est  pas  dans  ce  sens  que  les 
publicistes  ont  pris  le  mot  àe publication  et  qu'il  est  employé 
dans  le  projet;  c'est  uniquement  dans  le  sens  d'un  acte 
émanant  du  chef  du  pouvoir  exécutif,  et  nécessaire  pour 
rendre  la  loi  exécutoire. 

Comparons  maintenant  le  mode  proposé  à  ceux  qu'on 
voudrait  lui  substituer,  et  voyons  s'il  n'est  pas  plus  con- 
forme aux  vrais  principes,  et  d'ailleurs  plus  praticable  et 
plus  utile. 

Voudrait-on  que  les  lois  n'eussent  leur  effet  qu'après 
avoir  été  transcrites  sur  les  registres  des  autorités  chargées 
de  leur  exécution  ?  Mais  il  faut  alors  distinguer  les  lois  «lont 
l'application  n'appartient  (ju'aux  tribiuiaux,  de  celles  dont 
l'appliciftion  n'appartient  qu'aux  autorités  administratives; 
et  cette  distinction  n'est  pas  toujours  très-facile  à  faire.  Il 
en  est  d'autres  qui  sont,  tout  à  la  fois,  et  du  domaine  ad- 
ministratif, cl  (lu  domaine  judiciaire,  et  (jui,  dùs-lors. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  5oi 

devront  ôtre  adressées  et  aux  juges  et  aux  ailininistratcurs; 
et  voyez  alors  dans  quelle  situation  bizarre  se  trouveront 
les  citoyens.  Si  vous  adressez  ces  lois  aux  tribiuiaux  d'ap- 
pel ,  comme  chacun  d'eux  comprend  plusieurs  préfectu- 
res, il  arrivera  qu'elles  seront  déjà  exécutoires  dans  tout  le 
ressort  du  tribunal,  et  que  cependant  elles  ne  le  seront 
pas  dans  les  diverses  préfectures  dont  ce  ressort  est  com- 
posé. Si  vous  les  adressez  aux  tribunaux  de  première  ins- 
tance ,  comme  il  s'en  trouve  plusieurs  dans  chaque  préfec- 
ture, le  même  inconvénient  aura  lieu  dans  un  autre  sens. 
Dira-t-on  que  ces  lois  auront  leur  effet  sous  le  rapport  ju- 
diciaire sans  l'avoir  encore  sous  le  rapport  administratif, 
ou  réciproquement?  Mais  voilà  précisément  ce  qui  est 
absurde  et  embarrassant. 

Voyez  encore  combien  d'autres  inconvéniens  résultent 
de  ce  système  :  la  loi  arrive,  soit  à  la  préfecture,  soit  au 
tribunal  ;  ne  peut-il  pas  y  avoir  de  la  négligence  à  la  trans- 
crire? Cette  transcription  ne  peut-elle  pas  être  différée  p^r 
mauvaise  volonté  ou  par  des  intérêts  particuliers  ?  Il  y  a 
plus,  et  quand  une  loi  contrariera  l'intérêt  de  tout  le  res- 
sort d'un  tribunal  d'appel,  quand  la  voix  de  tous  les  justi- 
ciables se  fera  entendre,  quand  le  tribunal  se  verra  envi- 
ronné d'une  multitude  animée  et  furieuse,  que  fera-t-il, 
surtout  s'il  trouve  lui-même  la  loi  mauvaise?  Pensez-vous 
qu'il  se  porte  facilement  à  l'enregistrer?  Ne  verra-t-on  pas, 
avec  le  temps ,  des  tribunaux  s'arroger  le  droit  de  remon- 
trance et  celui  de  modification  ?  On  ne  craint  pas  cet  abus 
dans  le  moment  présent,  je  l'avoue;  mais  s'il  a  existé  sous 
la  monarchie,  il  peut  éclater  plus  facilement  sous  la  Répu- 
blique, où  les  idées  vraies  ou  fausses  de  liberté,  de  bien 
public  et  d'opposition  se  déploient  toujours  avec  beaucoup 
plus  de  latitude  et  d'énergie  que  dans  tout  autre  gouver- 
nement. 

Dira-t-on  que,  pour  obvier  à  cet  abus,  ce  n'est  pas  aux 
tribunaux  d'appel ,  mais  aux  tribunaux  de  première  ins- 


O02  DisctrssioNS  ,  MOTIFS,  elc. 

tance,  qu'on  enverra  les  lois  ?  Mais  dans  des  temps  criti- 
ques, ces  ti-ibimanx  inférieurs  ne  suivront-ils  pas  la  direc- 
tion du  trihunal  supérieur?  Ne  seront-ils  pas  j)lus  soumis 
«ncore  à  rinfluence  populaire;  et  quand  ils  seront  d'ac- 
cord, ne  trouveront- ils  pas  dans  leur  nombre  même  une 
sécurité  nouvelle? 

Mais,  indépendamment  de  ces  graves  inconvéniens,  le 
territoire  français  étant  divisé  en  une  foule  de  petits  tribu- 
naux, (juellc  inégalité  de  droits  n'en  résultera-t-il  pas  entre 
les  citoyens,  môme  les  plus  voisins? 

Examinons  la  chose  de  plus  près  encore.  Entendez-vous 
que,  du  moment  où  la  loi  arrivera  à  l'autorité,  cette  auto- 
rité ait  le  droit  de  la  faire  enregistrer,  et  de  la  publier  seu- 
lement quand  elle  le  jugera  convenable  ?  Non  ,  sans  doute  ; 
je  conçois  que  vous  ne  voulez  pas  lui  accorder  ce  droit.  Vous 
exigez  donc  qu'aussilôt  qu'elle  arrive,  la  loi  soit  transcrite 
et  publiée.  Mais  regardez-vous  celte  formalité  de  la  trans- 
cription comme  tellement  nécessaire,  que,  tant  qu'elle  n'est 
pas  remplie,  la  loi  n'est  point  exécutoire?  Mais  c'est  bien 
vous  alors  qui  tombez  dans  l'hérésie  la  plus  complète  et  la 
plus  absurde.  La  loi  arrive  à  la  préfecture  :  le  préfet  dit  au 
secrétaire,  le  secrétaire  à  un  chef  de  bureau,  celui-ci  à  un 
commis,  de  transcrire  la  loi  sur  le  registre;  et  tant  que  le 
commis  n'a  pas  fait  la  transcription ,  dans  le  coin  de  son 
bureau,  la  loi  n'est  point  exécutoire.  Voilà  sans  doute  une 
théorie  bien  pure,  bien  conforinc  à  la  majesté  de  la  loi! 
Ce  n'est  pas  tout  :  soit  i\ue  la  loi  soit  transcrite  sur  le  re- 
gistre administratif  ou  sur  le  registre  judiciaire,  les  ci- 
toyens, ceux  même  <jiii  demeurent  sur  les  lieux,  n'en  sa- 
vent pas  le  mol.  Il  faut  dune,  s'ils  veulent  connaître  le 
moment  on  ont  connnencé  leurs  droits  ou  leurs  obliga- 
tions, (ju'ils  aillent  eux-mêmes  ou  cju'ils  envoient  vérifier 
le  moment  où  s'e^l  laite  la  transcription.  Et  (juelIc  intfuié- 
tude,  quel  embarras  pour  eux,  s'ils  sont  aux  extrémités  de 
l'arrondissement  et  surtout  du  ressort  du  tribunal  d'appel  I 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  5o5 

Voilà  donc  la  théorie  tout  à  la  fois  la  plus  fausse  cl  la  plus 
i^ènantc  pour  len  citoyens. 

Or,  rien  de  semblable  se  rcncontre-t-il  dans  le  syslème 
proposé?  Non  :  dans  ce  système,  ce  n'est  pas  rhoninie, 
c'est  la  loi  seule  qui  règle  le  moment  de  l'exécution  ;  et  au 
moyen  du  tarif  de  l'itinéraire  dressé  par  le  gouvernement 
sur  la  base  de  la  loi,  il  n'est  pas  un  citoyen,  dans  quelque 
Heu  qu'il  se  trouve,  qui,  sachant  le  jour  où  la  loi  a  été 
rendue  par  le  Corps  législatif,  et  par  conséquent  celui  où 
elle  a  été  promulguée,  prenant  son  itinéraire  à  la  main, 
ne  voie  d'un  coup-d'œil  le  moment  où  cette  loi  est  deve- 
nue exécutoire  pour  lui ,  et  même  pour  tous  les  citoyens  de 
la  République. 

Mais  considérons  encore  votre  système  sous  un  autre 
point  de  vue.  En  proposant  la  transcription  ,  vous  ne  faites 
(car  vous  en  êtes  réduits  là)  de  l'autorité  qui  doit  la  faire 
qu'un  instrument  purement  |)assif,  qu'une  machine  assu- 
iétie elle-même  au  calcul  des  distances  et  du  temps  :  or,  ne 
voyez-vous  pas  que,  sans  vous  en  douter,  vous  rentrerez 
dans  le  système  proposé ,  mais  que  vous  n'y  rentrerez  qu'a- 
près un  long  détour?  et  ne  vaut-il  pas  mieux  s'en  tenir  di- 
rectement à  ce  système,  qui  est  beaucoup  plus  simple, 
que  de  vouloir  arriver  au  même  but  en  employant  une 
foule  d'agens  intermédiaires,  qui  deviennent  inutiles  s'ils 
font  exactement  ce  qu'ils  doivent  faire,  mais  dont  la  né- 
gligence et  les  passions  compromettront  très-souvent  la 
dignité  et  l'exécution  de  la  loi? 

Enfm,  quand  on  a  bien  pesé  les  avantages  et  les  incon- 
véniens  des  deux  systèmes,  on  voit  qu'ici  tout  se  réduit  à 
choisir  entre  l'arbitraire  de  la  loi  et  l'arbitraire  de  l'homme  : 
or,  peut-on  balancer?  L'arbitraire  de  la  loi  est  invariable  ; 
il  est  égal  pour  tous  :  celui  de  l'homme  est  changeant  et 
capricieux,  toujours  soumis  à  l'influence  des  personnes  et 
des  circonstances.  Il  n'y  a  donc  pas  de  doute  que  le  sys- 
tème proposé  ne  vaille  infiniment  mieux  que  celui  de  la 


3o4  DISCUSSIONS  ,    MOTIF.>i  ,    CtC 

transcription  sur  le  registre  des  autorités  chargées  deTexé- 
ciUion  des  lois. 

Comparons-le  maintenant  à  celui  de  l'uniformité  de  jour 
pour  toute  la  République.  On  dit  :  «  La  loi  étant  promulguée 
par  le  Premier  Consul  le  dixième  jour  après  son  émission  , 
ne  pourrait-on  pas  fixer  un  nouveau  délai,  par  exemple, 
de  trente  jours,  passé  lequel  la  loi  devrait  être  exécutée  dans 
toute  l'étendue  de  la  République?  »  J'avouerai  que,  pour 
ma  part ,  s'il  fallait  choisir  entre  ce  système  et  celui  de  la 
transcription  sur  le  registre  des  autorités  judiciaires  et  ad- 
ministratives, je  donnerais  la  préférence  au  premier,  parce 
qu'il  est  indépendant  de  la  négligence,  des  caprices  et  des 
passions  des  hommes;  mais  je  ne  crois  pas  qu'il  doive 
l'emporter  sur  celui  qui  est  proposé  par  le  projet.  S'il  a , 
comme  celui-ci,  l'avantage  de  n'offrir  que  l'arbitraire  de 
la  loi ,  s'il  paraît  peut-être  plus  séduisant ,  au  premier  coup 
d'œil,  par  une  apparence  de  grandeur  et  d'égalité,  il  ren- 
ferme des  inconvéniens  très-graves  qu'on    ne  trouve  pas 
dans  l'autre.  D'abord  l'idée  d'uniformité  et  d'égalité  qu'il 
présente,  bonne  dans  un  petit  état,  n'est  point  applicable 
à  un  grand  empire  composé  de  parties  très-éloignées  du 
centre.  Si,  dans  un  tel  empire,  les  parties  extrêmes  ne 
jouissent  pas  si  tôt  du  bienfait  d'une  loi  que  les  parties 
centrales,  celte  inégalité  est  une  suite  inévitable  de  leur 
position  ;  c'est  un  résultat  de  la  nécessité  des  choses.  D'ail- 
leurs, si  c'est  un  désavantage  pour  elles  quand  la  loi  est  fa- 
vorable, c'est  un  avantage  quand  elle  impose  de  nouvelles 
charges  ;  ainsi  tout  se  compense  encore  à  cet  égard  ,  et  l'i- 
négalité n'est  vraiment  qu'apparente. 

Mais  dans  un  état  tel  (|ue  la  France,  si  vous  assignez  un 
jour  uniforme  [)Our  l'exécution  des  lois,  il  est  évident  (|ue 
ce  jour,  calculé  sur  la  plus  longue  distance  (par  exemple, 
celle  de  la  Corse  ) ,  et  sur  les  obstacles  de  tout  genre  (pii 
peuvent  retarder  la  connaissaiice  de  la  loi,  devra  être  très- 
reculé.  Or  ,  (juc  (rinconvénicns  peuvent  résulter  d'un  si 


DE    LA    PUJJLICATION    DES    LOIS.  3o5 

long  délai!  Ils  se  présentent  en  foule  s'il  s'agit  d'une  loi 
urgente,  soit  de  police ,  soit  de  sûreté,  soit  de  subsistances 
ou  d'impositions.  On  répond  que  de  telles  lois  seront  bien 
rares.  J'aime  à  mêle  persuader;  cependant,  quand  les  lois 
principales  seront  faites,  quand  on  aura  pourvu  par  une 
législation  fixe  au  besoin  de  la  société,  que  restera-t-il?  des 
besoins  de  circonstances.  Il  n'y  aura  donc  plus  réellement 
que  des  lois  de  circonstances  à  proposer,  des  lois  sollicitées 
par  l'évidence  et  par  les  cris  du  besoin.  Or,  c'est  surtout 
pour  cette  espèce  de  lois  qu'il  importe  d'avoir  un  bon  mode 
de  publication,  et  surtout  un  mode  expéditif  qui  fasse  exé- 
cuter successivement  la  loi  dans  le  plus  court  délai  ;  et  il 
est  évident  que  le  mode  proposé  est  celui  de  tous  qui  rem- 
plit le  mieux  cet  objet  ;  il  est  d'ailleurs  le  plus  conforme  au 
but  et  à  la  dignité  de  la  loi,  qui  doit  commander  l'obéis- 
sance aussitôt  qu'elle  existe.  Ainsi,  sous  ce  double  rapport, 
ce  mode  l'emporte  de  beaucoup  sur  celui  de  l'uniformité 
de  jour,  qui,  d'ailleurs,  n'a  sur  lui  aucun  avantage.  Il  est 
donc,  à  tout  considérer,  celui  des  trois  qui  présente  le 
moins  d'inconvéniens  et  le  plus  d'utilité.  Il  doit  donc  avoir 
la  préférence. 

Je  passe  aux  autres  objections  qui  ont  été  faites  contre 
le  projet.  Mais  dois-je  les  relever  toutes  ?  Non  ,  sans  doute  ; 
il  en  est  de  si  minutieuses ,  que  ce  serait  abuser  beaucoup 
trop  des  momens  et  de  l'attention  du  Corps  législatif  que 
de  les  réfuter.  On  a  dit  que  les  articles  de  ce  projet  n'avaient 
entre  eux  aucune  liaison  essentielle.  Cependant  en  est-il 
un  seul  qui  ne  se  rapporte  au  titre  et  à  l'objet  du  projet, 
c'est-à-dire  à  la  publication ,  aux  effets  et  à  V application  des 
lois  en  général?  Non  ,  vous  ne  pourriez  pas  en  indiquer  un 
seul.  Il  est  vrai  qu'ils  n'ont  pas  entre  eux  la  môme  liaison 
que  celle  qui  doit  exister  entre  les  articles  d'une  loi  faite 
sur  une  matière  particulière  ;  mais  n'est-ce  pas  ici  un  pro- 
jet préliminaire  et  ne  contenant  que  des  dispositions  géné- 
rales ?  Or,  n'est-il  pas  de  la  nature  de  telles  dispositions  de 
VI.  ao 


3o6  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC 

n'être  ni  très-précises,  ni  très-liées  entre  elles  ?  Au  reste, 
les  membres  de  l'opposilion  n'ont  pas  même  été  d'accord 
là-dessus.  Les  uns  auraient  voulu  qu'il  y  eût  un  plus  grand 
nombre  de  ces  dispositions,  et  les  autres  ont  trouvé  qu'il 
y  en  avait  trop.  Le  projet  n'a  admis  que  celles  qui  ont  paru 
nécessaires,  et  le  défaut  de  connexilé  de  ces  dispositions 
était  une  chose  inévitable ,  une  chose  d'ailleurs  fort  indif- 
férente. 

Mais  on  a  fait  contre  ces  dispositions  des  objections 
d'une  nature  bien  différente,  et  qu'il  est  important  de  re- 
lever ici,  ne  fût-ce  qu'à  cause  de  leur  singularité  ,  et  pour 
montrer  aux  yeux  de  la  France  entière  quel  genre  d'attaque 
on  dirige  contre  les  projets  du  Code  civil.  On  a  considéré 
la  plupart  des  dispositions  du  premier  projet  comme  des 
lois  orgcmiqucs  et  réglementaires  de  la  Constitution ,  et  on  a 
prétendu  que  comme  telles  elles  passaient  les  bornes  du 
pouvoir  législatif.  Voilù  vraiment  une  grande  et  précieuse 
découverte,  et  dont  on  doit  savoir  bon  gré  à  son  auteur. 
Il  aurait  bien  dû  nous  indiquer  en  même  temps  et  nous 
rendre  palpable  la  ligne  de  démarcation  qui  sépare  selon 
lui  la  nature  des  lois  purement  législatives  de  celle  des 
lois  (ju'il  appelle  organiques  ou  réglementaires  de  la  Con- 
stitution ;  car  il  est  fort  à  craindre  qu'on  ne  les  confonde 
souvent,  et  qu'on  ne  tombe  ainsi  dans  une  forfaiture  poli- 
tique, ce  qui  serait  extrêmement  malheureux  pour  le  gou- 
vernement, le  Tribunat  et  le  Corps  législatif.  Il  y  a  plus,  et 
voyez  dans  quel  embarras  nous  nous  trouvons,  il  y  a  des 
hommes  qui  croient  sérieusement  que  toutes  les  lois  ne 
sont  que  des  lois  organiques  delà  Constitution,  que  la 
Constitution  n'a  posé  et  n'a  dû  poser  que  les  principes  gé- 
néraux, et  que  c'est  aux  législateurs  à  en  tirer  toutes  les 
conséquences;  qu'en  organisant  le  pouvoir  législatif  et  en 
le  confiant  à  trois  autorités  différentes,  la  Constitution 
leur  a  donné  le  droit  de  i)ourvoir  à  tous  les  besoins  publics, 
quand  ces  besoins  existeraient  des  lois  nouvelles;  (|ue  ce 


DE     LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  007 

vœu  de  la  Constitution  est  d'autant  plus  évident  que,  sans 
cela,  la  marche  du  gouvernement,  le  mouvement  et  l'ac- 
tivité du  corps  social  seraient  à  chaque  instant  suspendus, 
et  qu'ainsi,  à  chaque  instant,  il  faudrait  rassembler  la  na- 
tion et  former  un  nouveau  pouvoir  constituant,  ce  qui 
serait  assurément  le  comble  de  tous  les  maux.  Oh  non  !  ce 
n'est  pas  cela,  s'écrie  notre  publiciste,  je  ne  demande  pas 
qu'on  forme  un  nouveau  pouvoir  constituant;  ce  pouvoir 
existe  par  la  Constitution  ,  c'est  le  Sénat  conservateur. 
Bon  ,  voilà  bien  une  autre  découverte  !  Quoi  !  c'est  le  Sé- 
nat conservateur  qui  aurait  le  droit  de  faire  les  lois  orga- 
niques et  réglementaires  de  la  Constitution ,  c'est-à-dire 
à  peu  près  toutes  les  lois?  En  vérité,  c'est  une  chose  dont 
jusqu'à  présent  personne  ne  s'était  douté,  pas  même  as- 
surément le  Sénat  conservateur,  composé  d'hommes  si 
éclairés,  et  où  se  trouvent  la  plupart  de  ceux  à  qui  la 
France  doit  le  bienfait  de  la  Constitution.  Tout  le  monde 
croyait  que  le  Sénat  conservateur  n'avait  d'autre  attribu- 
tion ,  sous  le  rapport  des  lois  et  des  actes  publics  ,  que  de 
maintenir  ou  d'annuler  ces  actes  quand  ils  lui  étaient  dé- 
férés comme  inconstitutionnels ,  soit  par  le  Tribunal,  soit 
par  le  Gouvernement;  qu'ainsi  il  n'avait  dans  son  institu- 
tion aucun  principe  d'activité,  aucun  pouvoir  de  création; 
et  voilà  que  tout-à-coup  on  l'érigé  en  pouvoir  extraordi- 
naire et  permanent,  pour  créer  les  lois  organiques  et  ré- 
glementaires de  la  Constitution. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  encore  ;  le  même  publiciste ,  trou- 
vant que  forcer  les  tribunaux  de  juger  dans  les  cas  même 
du  silence,  de  l'obscurité  et  de  l'insuffisance  des  lois,  c'est 
leur  attribuer  un  pouvoir  exorbitant  que  le  législateur  lui- 
même  ne  peut,  selon  lui,  leur  donner,  prétend  que  ce 
pouvoir  ne  peut  appartenir  qu'à  un  jury  d'équité.  Et  où 
veut-il  placer  ce  jury?  dans  le  Sénat  conservateur.  En  vé- 
rité ,  c'est  avoir  sur  le  Sénat  conservateur  de  bien  vastes 
desseins.  On  sait  que  jamais,  ou  presque  jamais,  dans  au- 

20. 


3o8  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    etc 

cun  procès,  on  ne  peut  citer  un  texte  bien  clairet  bicri 
précis  de  loi ,  en  sorte  que  ce  n'est  jamais  que  par  le  bon 
sens  et  l'équité  que  Ton  peut  se  décider,  d'où  il  s'ensui- 
vrait qu'en  établissant  un  jury  d'équité ,  ce  jury  devien- 
drait à  peu  près  le  juge  universel  ;  qu'ainsi,  dans  la  théorie 
qu'on  vous  propose,  le  Sénat  conservateur  serait  non  seu- 
lement le  créateur  de  presque  toutes  les  lois ,  mais  encore 
le  juge  de  presque  toutes  les  causes.  On  avait,  dit-il,  pro- 
posé cette  idée  lorsqu'on  travaillait  à  la  Constitution,  et  il 
est  malheureux  qu'elle  n'ait  pas  été  adoptée.  J'ai  bien  ,  en 
effet,  un  souvenir  confus  que  cette  idée  fut  mise  en  avant; 
mais  je  suis  très-sûr  qu'elle  n'obtint  pas  même  les  hon- 
neurs de  la  discussion  :  c'est  cependant  avec  de  tels  para- 
doxes qu'on  prétend  entraver  l'adoption  du  Code  civil. 

Faut-il  relever  encore  l'étrange  abus  que  l'on  a  fait  de 
l'article  qui  porte  que  la  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir  et 
qu'elle  n'a  pas  d'effet  rétroactif?  Est-il  un  principe  plus  vrai, 
plus  constant,  plus  universel  que  celui-là  ?  et  fut-il  jamais 
plus  nécessaire  de  le  consacrer  que  dans  un  Code  qui 
n'embrasse  que  des  matières  sur  lesquelles  il  y  a  des  lois 
antérieures  ?  Ce  principe  ,  dit-on ,  ne  regarde  que  la  légis- 
lation ;  et  moi  je  vous  soutiens  qu'il  regarde  plus  encore 
les  juges,  et,  en  général,  tous  les  applicateurs  des  lois,  que 
le  législateur.  N'est-il  pas,  en  effet,  invoqué  chaque  jour 
dans  les  tribunaux,  et  en  est-il  un  dont  on  soit  dans  le  cas 
de  faire  un  i)lus  fréquent  usage?  Mais,  s'est-on  écrié,  avec 
ce  principe  vous  allez  favoriser  la  plus  épouvantable  réac- 
tion ;  vous  allez  faire  revivre  tout  ce  que  la  révolution  a 
détruit,  les  droits  d'aînesse,  les  droits  mililaires,  les  droits 
seigneuriaux ,  toute  la  féodalité.  De  bonne  foi,  qui  jamais 
aurait  pu  soupçonner  qu'on  pût  donner  à  cet  article  une 
telle  interprétation  ?  11  existe  dans  cette  enceinte  un  grand 
nombre  de  membres  de  la  Convention  nationale.  Dites- 
nous  ,  législateur»,  vous  qui  avez  fait  la  Constitution  de 
l'an  m,  dites-nous  si,  lorsque  vous  insérâtes  dans  cette 


DE  LA  PUBLICATION  DES  LOIS.  SoQ 

Constitution  cet  article  :  Aucune  loi  y  ni  criminelle ,  ni  civile , 
ne  peut  avoir  (ielfet  rétroactif,  vous  vous  proposiez  par  là  de 
bouleverser  toute  la  révolution  ;  si  niônie  il  vous  est  jamais 
tombé  dans  l'esprit  qu'on  pût  donner  à  cet  article  un  sens 
contre-révolutionnaire. 

Il  y  a  des  juges,  ajoule-t-ou,  il  y  a  des  administrateurs 
qui  se  croiront  autorisés  par  Tarticle  à  examiner  si  telle 
loi  ne  renferme  pas  des  dispositions  rétroactives,  et  qui, 
prétendant  y  en  trouver  de  semblables,  se  croiront  dispen- 
sés de  les  exécuter.  Mais  est-ce  là  le  sens  deTarticle,  quand 
on  le  considère  par  rapport  aux  juges?  A-t-on  jamais  pu 
entendre  leur  donner  le  droit  d'examiner  si  la  loi  qu'on 
leur  envoie  renferme  ou  non  des  dispositions  rétroactives? 
C'est  là  l'office  du  législateur  :  celui  des  juges  est  d'exécu- 
ter les  lois  telles  qu'elles  sont;  seulement,  dans  les  con- 
testations qu'ils  sont  chargés  de  juger,  ils  doivent  consi- 
dérer le  temps  où  ces  contestations  ont  pris  naissance,  et 
les  lois  sous  l'empire  desquelles  les  causes  de  ces  contesta- 
tions se  sont  formées  :  et  si  depuis,  il  est  intervenu  des  lois 
nouvelles,  différentes  des  premières,  ce  n'est  pas  par 
celles-ci,  mais  par  celles-là  qu'ils  doivent  se  décider.  Voilà 
la  règle  sage  et  nécessaire  que  leur  trace  l'article,  et  c'est 
uniquement  dans  ce  sens  qu'il  doit  être  pris  et  qu'il  a  tou- 
jours été  entendu  dans  les  tribunaux. 

C'est  ainsi  qu'on  a  supposé  constamment,  dans  chaque 
article,  ce  qui  n'y  était  pas,  et  qu'on  n'a  pas  voulu  y  voir 
ce  qui  y  était  ;  que ,  par  exemple ,  dans  celui  qui  porte  que 
la  loi  oblige  ceux  qui  habitent  le  territoire ,  on  a  prétendu  y 
voir  ces  mots  ,  qui  n'y  sont  pas  :  La  loi  n'oblige  pas  ceux  qui 
n'habitent  pas  le  territoire,  que  dans  l'article  qui  dit  que  la 
forme  des  actes  est  réglée  par  les  lois  du  pays  où  ils  sont 
faits,  au  lieu  de  s'en  tenir  à  l'idée  que  présente  le  mot 
forme ,  on  y  a  substitué  celle  que  présente  le  mot  condition, 
confondant  ainsi  des  choses  très-différentes;  que,  dans 
l'article  qui  porte  que,  dans  le  silence,  l'obscurité  et  l'in- 


5io  DISCUSSIONS,  MOTIFS,  etc. 

suffisance  des  lois,  les  juges  sont  obligés  de  juger,  on  a 
prétendu  voir  une  autorisation  donnée  aux  juges  de  juger 
contre  les  lois;  et  qu'enfin,  dans  l'application  de  l'article 
qui  défend  de  déroger  par  des  conventions  particulières 
aux  lois  qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes  mœurs, 
on  a  confondu  les  lois  qui  sont  plus  particulièrement  rela- 
tives à  l'utilité  privée  des  citoyens,  et  aux  avantages  des- 
quelles il  leur  est  libre  de  renoncer,  avec  celles  qui  se  rap- 
portent à  l'utilité  générale  et  au  bien-être  de  la  masse 
enlicre  du  peuple. 

C'est  cette  conftision  de  toutes  les  idées  qui  a  donné  lieu 
à  une  si  grande  foule  d'objections  de  la  part  des  membres 
duTribunat;  mais  la  fausseté  de  ces  objections  est  bien 
démontrée,  et  nous  avons  lieu  d'espérer,  législateurs,  que 
vous  adopterez  le  projet. 

DISCOURS   PRONONCÉ    PAR   LE    TRIBUN  FAVART, 
l'uw  des  orateurs  du  tribunat. 

(Séance  du  24  frimaire  an  X  — 15  décembre  1801.) 

Législateurs,  les  orateurs  qui  m'ont  précédé  ont  déjà 
épuisé  la  discussion  sur  le  projet  de  loi  soumis  à  votre 
examen.  Je  me  bornerai  à  ramener  la  principale  question 
à  son  véritable  point;  et,  tirant  de  quelques  principes  in- 
contestables les  conséquences  naturelles  qui  en  découlent, 
je  vous  démontrerai  en  peu  de  mots  que  la  promulgation, 
telle  qu'elle  est  prtjsjntée,  ne  peut  pas  suffire  pour  faire 
connaître  la  loi;  cl  que  dès-lors  elle  ne  peut  pas  tenir  lieu 
de  la  publication,  qui  seule  peut  la  rendre  notoire. 

C'cf^l  à  cette  idée  simple  qu'il  faut  s'attacher.  Je  vais 
l'examiner  avec  franchise. 

Le  premier  arlicle  du  projet  dit  d'abord  que  les  lois  sont 
exécutoires  dans  tout  le  territoire  Irançais  en  vertu  de  la 
promulgation  qui  en  est  iailc  par  le  Premier  Consul. 

Je  m'arrête  ici. 


UE    LA    PUBLICATIOIH    DES    LOIS.  3u 

Parmi  nous  ,  et  d'après  notre  Constitution  ,  un  projet  de 
loi  est  présejilé  par  le  Conseil  d'État ,  discuté  au  Tribunal, 
décrété  par  vous,  et  promulgué  par  le  Premier  Consul. 

Alors  le  projet  est  changé  en  loi  :  alors  la  loi  a  tous  les 
caractères  qui  doivent  constituer  sa  force  intrinsèque  ;  elle 
est  exécutoire.  Je  me  sers  de  ce  terme  qui  est  dans  le  projet 
de  loi ,  quoiqu'il  ne  rende  pas  parfaitement  Pidée  qui  y 
semble  attachée. 

Mais  quand  doit-elle  être  exécutée?  la  deuxième  partie 
du  premier  article  répond  en  ces  termes  : 

a  Elle  sera  exécutée  dans  chaque  partie  de  la  République, 
du  moment  où  la  promulgation  pourra  y  être  connue.  » 

C'est  rendre,  en  termes  formels,  Iwmmage  au  principe  le 
plus  sacré  de  toute  bonne  législation  :  il  faut  qu'une  loi 
soit  connue  avant  qu'on  en  puisse  exiger  l'exécution.  Mais 
fallait-il  se  contenter  de  dire  que  la  loi  sera  exécutée  dans 
chaque  partie  de  la  République  du  moment  oii  la  promul- 
gation pourra  y  être  connue?  ne  fallait-il  pas  dire  positi- 
vement, du  moment  où  la  promulgation  y  sera  connue? 

Ce  n'est  pas  une  connaissance  hypothétique  et  mathé- 
matiquement possible  de  la  loi  que  l'on  a  droit  de  deman- 
der; c'est  une  connaissance  réelle  et  certaine. 

Il  ne  faut  pas  qu'on  puisse  réclamer  l'exécution  d'une 
loi,  parce  qu'il  a  été  possible  que  sa  promulgation  ait  été 
connue  dans  telle  ou  telle  partie  de  la  République;  il  faut 
qu'on  puisse  dire  que  c'est  parce  qu'elle  y  a  été  réellement 
connue. 

Ensuite,  qu'est-ce  que  connaître  la  promulgation  d'une 
loi?  c'est  savoir  qu'une  loi  a  été  présentée  en  projet  par  le 
Conseil  d'État,  discutée  au  Tribunat,  délibérée  au  Corps 
législatif,  adoptée  par  lui ,  et  revêtue  du  sceau  du  pouvoir 
exécutif  :  car  la  promulgation  du  Premier  Consul  ne  peut 
pas  être  autre  chose,  d'après  l'article  57  delà  Constitution. 
C'est  dans  ce  sens  que  cet  article  a  été  exécuté  jusqu'à  ce 
jour,  ainsi  qu'il  résulte  de  la  formule  adoptée  pour  la  pro- 


5l9  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

mulgation  des  lois,  par  un  arrêté  des  Consuls  du  29  nivosc 
an  YIII,  et  que  l'on  trouve  en  tête  de  chaque  loi  dans  les 
termes  suivans  : 

8  Au  nom  du  peuple  français,  Bonaparte  ,  Premier  Con- 
«  sul,  proclame  loi  de  la  République  le  décret  suivant,  etc.  » 

Enfin,  j'e  demande  quel  sera  le  moment  où  la  promulga- 
tion de  la  loi  pourra  être  connue  dans  chaque  partie  de  la 
République  ?  La  troisième  partie  de  l'article  répond  : 

«  La  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
€  putée  connue  dans  tout  le  ressort  du  tribunal  d'appel  de 
«  Paris,  trente-six  heures  après  sa  date,  et  dans  tout  le 
Œ  ressort  de  chacun  des  autres  tribunaux  d'appel,  après 
«  l'expiration  du  même  délai,  augmenté  d'autant  de  fois 
«  deux  heures  qu'il  y  aura  de  myriamètres  entre  Paris  et 
«  la  ville  où  chacun  de  ces  tribunaux  a  son  siège.  » 

Vous  voyez  encore  ici  que  ce  n'est  toujours  que  la  pro- 
mulgation de  la  loi  qu'on  veut  faire  connaître,  et  non  la  loi. 

Vous  voyez  qu'on  ne  parle  encore  que  d'une  connaissance 
hypothétique,  d'une  connaissance  possible  mathématique- 
ment. Lapromulgation,  est-il  dit  danscette  partie  du  premier 
article,  sera  réputée  connue :e\\e  sera  réputée  connue  dans  un 
moment  fixé,  déterminé  irrévocablement  par  une  loi  fonda- 
mentale. Mais,  si  des  causes  majeures,  insurmontables,  im- 
prévues, s'opposent  à  ce  que  cette  connaissance  soit  acquise, 
il  suffira  donc  de  dire  qu'elle  est  réputée  acquise,  et  un  ci- 
toyen pourra  être  condamné  au  nom  de  la  loi  qu'il  n'aura 
pas  connue ,  dont  il  n'aura  même  pas  su  l'existence  par  une 
promulgation  qui  ait  pu  physiquementparvenir  jusqu'à  lui? 
et  les  tribunaux  seront  obligés  d'appliquer  une  loi  dont  ils 
n'auron  t  pas  reçu  la  connaissance  ofûcielle  ?  Cela  ne  se  peut 
concevoir  :  cela  est  trop  étranger  à  nos  mœurs,  et  trop 
étranger  aux  principes  de  la  liberté  politique  et  civile. 

Si  l'on  me  dit  que  la  force  majeure ,  qui  dérangerait  les 
calculs  du  législateur,  excuserait  le  citoyen,  et  (|uc,  dans  ce 
cas,  on  ne  réclamerait  pas  contre  lui  l'exécution  d'une  loi 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  3l5 

dont  il  n'aurait  pu  visiblement  connaître  la  promulgation , 
je  réponds  que  cela  seul  prouve  le  vice  de  celte  loi,  parce 
qu'alors  il  n'y  a  que  de  l'arbitraire  dans  la  loi  qui  ordonne 
la  promulgation.  Elle  est  arbitraire,  parce  (ju'elle  ne  veut 
donner  aux  citoyens  qu'une  connaissance  hypothétique, 
présumée,  et  non  certaine,  de  la  promulgation  de  la  loi; 
elle  est  arbitraire,  parce  qu'elle  ne  veut  faire  connaître  que 
la  promulgation  des  lois,  et  non  leurs  dispositions  litté- 
rales, et  dans  toute  leur  pureté;  elle  est  arbitraire  enfin , 
parce  qu'elle  ne  marchera  pas  d'un  pas  ferme,  et  qu'elle 
rétrogradera,  si  des  circonstances  la  forcent  à  reculer. 
Est-ce  sous  ces  traits  que  la  loi  doit  se  présenter  ?  non  :  elle 
doit  ordonner,  et  quand  elle  a  parlé,  rien  ne  doit  la  faire 
fléchir  :  c'est  son  inflexible  rigueur  qui  fait  sa  force  :  c'est 
sa  force  inébranlable  qui  fait  sa  protection.  Si  elle  peut  va- 
rier, elle  n'est  plus  loi  :  elle  n'est  plus  la  volonté  constante 
de  tous  ;  elle  est  semblable  à  la  volonté  de  l'homme  indivi- 
duel, qui  se  décide  par  les  circonstances. 

On  vous  a  dit  :  la  promulgation  est  un  acte  constitution- 
nel qui  appartient  au  Premier  Consul.  La  Constitution 
n'ayant  exigé  que  cette  promulgation  ,  elle  n'astreint  pas  à 
d'autre  publication  qui  devient  inutile. 

On  s'est  étrangement  abusé,  ou  on  a  mal  saisi  l'article  57 
de  notre  Constitution. 

Cet  article  porte  «  que  tout  décret  du  Corps  législatif, 
le  dixième  jour  après  son  émission ,  est  promulgué  par  le 
Premier  Consul,  à  moins  que  dans  le  délai  il  n'y  ait  eu  re- 
cours au  Sénat  pour  cause  d'inconstitutionnalité.  » 

Quel  est  l'objet  de  cette  promulgation  ?  C'est  de  certi- 
fier qu'il  n'y  a  pas  eu  de  dénonciation  au  Sénat  pour  cause 
d'inconstitutionnalité,  et  que  le  délai  constitutionnel  étant 
expiré  sans  qu'il  y  ait  eu  de  réclamation  ,  la  loi  est  devenue 
inattaquable,  qu'ainsi  elle  a  reçu  tous  les  caractères  qui 
la  constituent  loi  de  la  République. 

Eh  bien  !  veut-on  s'arrêter  à  cette  idée  ?  Plus  de  ditti- 


5l4  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    OlC 

culte  :  la  première  partie  de  l'articie  premier  du  projet  de 
loi  se  trouve  conforme  à  l'article  37  de  la  Constitution. 

Mais,  si  l'on  veut  que  cette  promulgation  du  Premier 
Consul  soit  le  seul  moyeu  pour  faire  connaître  la  loi  (et 
c'est  le  sens  littéral  des  deuxième  et  troisième  parties  de 
l'article  premier  du  projet),  alors  la  difficulté  renaît  plus 
effrayante;  ou,  pour  parler  d'après  ma  conviction  intime, 
elle  s'aplanit  devant  les  principes  de  la  liberté,  devant  les 
maximes  du  droit  public. 

La  loi  n'est  obligatoire  qu'alors  qu'elle  est  connue  ;  elle 
n'est  connue ,  ou  censée  l'être ,  que  lorsque  tous  les  moyens 
suffisans  ont  été  employés  pour  la  rendre  notoire  à  tous 
ceux  qui  doivent  lui  obéir. 

Ainsi ,  ne  sortons  pas  de  là  :  la  loi  promulguée  par  le 
Premier  Consul  n'est  pas  connue,  ne  peut  pas  être  censée 
connue  ;  car  la  promulgation  n'est  pas  la  publication  de 
la  loi. 

Promulguer  la  loi  est  un  devoir  que  la  constitution  impose 
au  premier  magistrat  de  la  République  ;  mais  si  elle  n'a 
parlé  que  de  la  promulgation,  s'ensuit-il  que  la  publication 
de  la  loi  ne  doive  pas  avoir  lieu?  En  d'autres  termes,  s'en- 
suit-il que  la  loi  ne  doive  pas  être  connue? 

De  deux  choses  l'une,  ou  promulgation  et  publication 
sont  synonymes,  ou  ce  sont  deux  termes  différens,  et  pré- 
sentant deux  idées  distinctes. 

S'il  n'y  a  pas  de  différence  entre  promulgation  et  publi- 
cation, faites  donc  que  la  promulgation  publie  la  loi  et  la 
fasse  connaître  au  peuple  :  faites  donc  que  lorsque  vous 
aurez  proclamé  (|ue  la  loi  est  revêtue  de  tous  les  caractères 
qui  la  constituent  loi,  la  loi  retentisse  aux  oreilles  de  tous 
les  Français,  dans  tous  les  tribunaux  qui  doivent  la  faire 
exécuter. 

Si  la  publication  est  différente  de  la  promulgation , 
le  Premier  Consul  doit  promulguer  la  loi,  et  en  rester 
là  ;  car  la  Coiistilulion  ne  lui  dit  pas  de  faire  ce  que  je 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  3l5 

vois  dans  ia  deuxième  et  la  troisième   partie  du  projet. 

Prétendra-t-oa  que  le  mode  de  la  promulgation  lui  ap- 
partient? mais  non  :  ce  mode  ne  peut  lui  appartenir.  C'est 
une  vérité  à  laquelle  il  a  rendu  hommage ,  en  vous  présen- 
tant à  discuter  et  à  décréter  le  projet  de  loi  qui  vous  occupe. 

Eh  bien  !  ce  mode  a  paru  insuffisant  au  Tribunal,  il  doit 
vous  le  paraître  aussi  ;  tout  l'art  des  orateurs  du  gouverne- 
ment n'aura  pu  couvrir  d'un  voile  épais  la  vérité  des  princi- 
pes, et  tel  n'a  pas  été  leur  projet. 

Quelle  est  la  vérité  qui  doit  luire  à  vos  yeux  et  vous  dé- 
cider ?  C'est  que  la  loi  qui  n'a  pas  pour  but  l'intérêt  du 
peuple  doit  être  rejetée.  Or,  jamais  loi  ne  fut  plus  contraire 
aux  intérêts  du  peuple  que  celle  qui  vous  est  offerte  ;  elle 
est  contraire  à  ses  intérêts  les  plus  chers  et  les  plus  sacrés.' 
Il  doit  connaître  la  loi  avant  de  lui  obéir.  La  publication 
est  le  seul  moyen  qui  puisse  la  lui  faire  connaître  :  on  la 
lui  refuse.  La  promulgation  qui  la  laisse  ignorer  n'est 
qu'une  vaine  formalité,  et  c'est  le  seul  moyen  dont  on  veut 
se  servir  pour  rendre  la  loi  exécutoire. 

Voyez  maintenant,  législateurs,  combien,  en  confon- 
dant les  idées,  on  s'écarte  des  routes  qui  conduisent  au 
but  qu'on  se  propose.  C'est  parce  qu'on  a  confondu  la  pro- 
mulgation d'une  loi  avec  sa  publication ,  qu'on  est  tombé 
dans  l'erreur  que  je  combats,  et  qui,  sans  doute,  sera 
sentie  par  le  Conseil  d'Etat,  dont  les  vues  ont  été  pures 
autant  que  celles  du  Tribunal.  Oui ,  c'est  la  confusion  de 
ces  deux  idées  qui  a  dicté  le  premier  article  du  projet.  Il 
faut  donc  remonter  aux  principes. 

La  promulgation  n'est  autre  chose  que  le  cachet  du  gou- 
vernement ,  qui  atteste  que  la  loi  qui  est  présentée  aux  ci- 
toyens a  reçu  tous  les  caractères  qui  la  constituent  loi, 
et  n'a  point  été  dénoncée  au  Sénat  conservateur  pour  cause 
d'inconstitulionnalité.  Elle  n'apprend  au  peuple,  je  le  ré- 
pète, que  l'historique  de  la  formation  de  la  loi;  elle 
n'instruit  point  le  peuplcdes  dispositions  de  cette  même  loi. 


5l6  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Qu'est-ce  donc  qui  peut  l'en  instruire?  C'est  sa  publi- 
cation. 

Je  n'irai  point  chercher  chez  les  peuples  anciens  quels 
étaient  les  différens  moyens  par  lesquels  on  leur  faisait  con- 
naître les  lois.  Je  sais  que  les  précautions  qu'ils  prenaient 
ne  peuvent  convenir  à  un  état  aussi  étendu ,  aussi  populeux 
que  le  nôtre,  à  un  état  dont  les  relations  de  citoyen  à  citoyen 
sont  plus  nombreuses,  plus  difficiles,  plus  variées. 

Dans  un  petit  état,  chez  un  peuple  naissant,  on  peut 
atteindre  à  la  perfection  des  moyens  propres  à  faire  con- 
naître à  chaque  individu  le  texte  d'une  loi. 

Parmi  nous,  le  législateur  a  atteint  le  but  quand  il  a  pris 
ceux  qui  sont  en  son  pouvoir,  et  qui  entraînent  le  moins 
d'inconvéniens  possibles. 

Défendons-nous  de  la  manie  d'imiter  ce  qui  ne  peut 
nous  convenir,  et  de  celle  de  toujours  chercher  du  nou- 
veau. Cherchons  le  bien  de  bonne  foi,  et  prenons-le  par- 
tout oïl  il  se  trouve. 

Dans  les  décombres  de  cet  édifice  que  la  révolution  a 
fait  écrouler,  il  est  possible  de  déterrer  des  matériaux  di- 
gnes de  figurer  dans  celui  que  nous  élevons. 

Sous  l'ancien  régime,  on  ne  se  contentait  pas  de  faire 
connaître  la  promulgation  d'une  loi,  c'est  la  loi  elle-même 
qu'on  faisait  connaître  ;  elle  était  envoyée  aux  parlemens, 
qui  la  transmettaient  aux  autres  tribunaux,  parle  minis- 
tère des  procureurs-généraux. 

Par  ce  moyen  simple ,  et  conforme  aux  principes ,  la  loi 
recevait  toute  la  publicité  qu'on  peut  lui  donner  dans  un 
état  vaste  et  renfermant  une  énorme  population. 

Il  y  avait  sans  doute  des  inconvéniens  dans  ce  mode  :  les 
remontrances  entraînaient  des  abus  dont  les  parlemens 
étaient  souvent  punis,  sans  se  corriger. 

Mais  notre  Constitution  ne  permet  plus  aux  tribunaux 
de  s'interposer  entre  le  peuple  et  les  législateurs  qu'il  s'est 
choisis.  Dès-lors  les  abus  des  remontrances  ne  sont  plus  à 


DE    LA    PUBLICATION   DES    LOIS.  ÔlJ 

craindre.  Le  vice  de  l'ancienne  publication  des  lois  a  dis- 
paru. Pourquoi  donc  ne  nous  saisirions-nous  pas  de  ce 
mode,  qui  avait  été  adopté  par  l'assemblée  constituante, 
et  qui  avec  des  modifications  serait  très-bon  ?  C'est  peut- 
être  le  seul  qui  nous  convienne  :  c'est  celui  du  moins  qui 
pare  à  tous  les  inconvéniens,  autres  que  ceux  qui  sont  in- 
séparables des  institutions  humaines. 

Un  des  orateurs  du  gouvernement  Ta  cependant  com- 
battu. «  Sous  la  monarchie,  a-t-il  dit,  on  n'envoyait  la  loi 
aux  tribunaux  que  parce  qu'il  y  avait  différentes  princi- 
pautés, dont  les  statuts  particuliers  exigeaient  que  les  lois 
n'y  fussent  obligatoires  qu'après  leur  publication  ;  mais  au- 
jourd'hui que  la  République  est  une,  il  faut  aussi  que  la  pu- 
blication de  la  loi  soit  une,  et  qu'elle  devienne  obligatoire 
par  la  seule  promulgation.  » 

Je  réponds  que,  si  par  quelques  traités  on  a  stipulé  sous 
la  monarchie,  que  la  loi  ne  serait  obligatoire  qu'après  avoir 
été  publiée,  il  ne  faut  pas  en  conclure  que  la  publication 
n'avait  lieu  en  France  qu'en  vertu  de  ces  traités. 

On  pourrait  en  tirer  cette  conséquence,  si  la  publication 
n'avait  eu  lieu  que  pour  les  pays  réunis  ou  conquis,  et 
dont  le  sort  a  été  réglé  par  le  traité  de  paix  ou  de  réunion, 
et  si  elle  n'avait  commencé  qu'après  la  ratification  de  ces 
mêmes  traités. 

Mais  la  publication  remonte  à  des  époques  antérieures  à 
ces  traités.  Ainsi,  on  publiait  les  lois  en  France  avant  la 
réunion  du  Béarn ,  avant  la  conquête  de  l'Alsace  et  de  la 
Franche-Comté.  Ainsi,  on  publiait  les  lois  non  seulement 
dans  les  pays  conquis  et  réunis,  mais  dans  toute  la  France; 
et  c'est  parce  qu'on  les  publiait  partout  que  les  pays  con- 
quis et  réunis,  voulant  en  tout  être  traités  aussi  favorable- 
ment que  le  reste  des  Français,  demandaient  et  inséraient 
dans  les  traités  que  la  loi  serait  publiée  chez  eux  comme 
dans  le  reste  de  la  France. 

Au  surplus,  législateurs,  ce  n'est  pas  parce  que  la  publi- 


5l8  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

cation  ai  eu  lieu  sous  la  monarchie,  qu'il  faut  la  décréter, 
de  même  qu'il  ne  faudrait  pas  la  rejeter  quand  elle  n'y 
aurait  pas  été  connue. 

Il  faut  l'adopter  parce  qu'elle  fait  connaître  la  loi  ;  car 
c'est  une  maxime  sacrée  dans  tous  les  états  libres  et  mo- 
dérés, que  la  loi  ne  peut  être  obligatoire  si  elle  n'est  pas 
connue. 

La  promulgation  du  Premier  Consul  ne  fait  pas  connaî- 
tre la  loi  ;  la  publication  en  donne  une  connaissance  aussi 
parfaite  qu'on  puisse  raisonnablement  le  désirer. 

L'envoi  de  chaque  loi  dans  les  tribunaux  d'appel  par  le 
gouvernement,  complète  la  promulgation. 

La  lecture  qui  en  est  faite  dans  les  tribuuaux  d'appel  en 
est  la  publication.  » 

Il  est  donc  indispensable  d'ordonner  l'envoi  des  lois  à 
tous  les  tribunaux  d'appel  dans  un  délai  fixe,  avec  ordre 
à  ces  tribunaux  d'en  faire  sur-le-champ  la  publication  , 
sous  peine  de  forfaiture. 

Je  ne  chercherai  pas  à  vous  prouver  l'insuflisance  du 
délai  pour  remplir  même  le  but  du  projet.  Vous  avez  sans 
doute  remarqué  qu'à  l'absence  absolue  de  tout  moyen  lé- 
gal employé  pour  répandre  la  loi,  se  joint  l'impossibilité 
physique  qu'elle  soit  parvenue  dans  le  délai  fixé,  partout 
où  le  projet  veut  qu'elle  soit  obligatoire  et  par  conséquent 
présumée  connue.  C'est  un  calcul  que  chacun  de  vous  peut 
facilement  faire  par  la  connaissance  qu'il  a  des  localités. 

Qu'il  me  soit  permis  de  vous  mettre  sous  les  yeux  celui 
que  j'ai  fait  pour  mon  département,  et  prenons  pour  exem- 
ple le  tribunal  d'appel  de  lliom,  placé  à  quatre-vingt-douze 
lieues  de  Paris  :  la  loi  y  sera  présumée  connue  le  sixième 
jour  de  sa  promulgation  ;  et  ce  jour-là  même  elle  sera 
exécutoire  au  fond  du  ressort  de  ce  tribunal,  à  Maurs,  dé- 
partement du  Cantal ,  cpii  est  à  plus  de  quarante  lieues  de 
IVioin,  et  où  la  poste,  partant  de  Paris,  ne  parvient  pas  en 
moins  de  huit  jours  par  la  voie  la  plus  directe,   tandis 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  SlQ 

qu'elle  arrive  à  Riom  en  trois  jours,  et  que  les  paquets  s'y 
dislribuent  le  quatrième.  Il  n'y  a  pas,  en  général,  moitié 
du  délai  indispensable  pour  que  les  tribunaux  de  première 
instance  aient  pu  recevoir  la  loi.  On  veut  donc  qu'ils  soient 
souvent  obligés  de  l'appliquer  avant  d'avoir  la  certitude 
ofljcielle  de  son  existence  et  de  sa  teneur. 

Je  résume  en  peu  de  mots  ce  que  je  viens  de  vous  dire. 

L'article  premier  du  projet  confond  la  promulgation  et 
la  publication. 

Il  faut  un  mode  de  publication  qui  assure  aux  tribunaux 
la  connaissance  certaine  et  officielle  de  la  loi  ;  elle  ne  peut 
être  obligatoire  pour  l'homme  libre  qu'autant  qu'il  est 
censé  la  connaître;  il  ne  peut  la  connaître  qu'autant  que 
le  gouvernement  a  pris  toutes  les  mesures  qui  étaient  en 
son  pouvoir  pour  la  lui  faire  connaître.  Le  projet  ne  con- 
tient aucune  de  ces  mesures;  elle  ne  sauraient  être  sup- 
pléées par  des  arrêtés  du  gouvernement,  parce  que  tout 
ce  qui  tient  au  mode  de  la  publication  des  lois,  qui  doit 
être  aussi  invariable  que  la  loi  même,  se  trouve  essentiel- 
lement dans  le  domaine  du  législateur. 

Ces  considérations  et  celles  qui  vous  ont  été  présentées 
par  mes  collègues,  ont  déterminé  le  Tribunat  à  rejeter  le 
projet  de  loi. 

Il  les  a  discutées  avec  calme,  non  pas  ce  calme  qui  tient 
de  l'indifférence  ou  de  la  crainte,  mais  ce  calme  qui  atteste 
l'amour  de  la  vérité  et  le  désir  de  la  trouver. 

Il  n'a  pas  entendu  de  déclamations ;  il  a  été  dirigé  par 

des  principes  sûrs  :  il  a  vu  avec  peine  que  les  droits  et  les 
intérêts  du  peuple  seraient  compromis,  et  il  n'a  pas  balancé 
de  le  dire  ;  il  ne  balance  pas  à  croire  que  le  Corps  législatif, 
à  qui  CCS  droits  et  ces  intérêts  sont  aussi  chers,  s'empres- 
sera d'écarter  un  pareil  projet,  dont  le  rejet  n'arrêtera  au- 
cunement la  discussion  des  autres  parties  du  Code  civil. 


520  DISCUSSIONS,    BIOTIFS,    elC 

DISCOURS   PRONONCÉ   PAR   LE  CONSEILLER  d'ÉTAT  BERLIER^ 

l'u^  des  orateurs  du  gouverwement. 

(Séaace  du  24  frimaire  an  X.— 15  décembre  1801.) 

Législateurs,  après  ce  qui  a  été  dit  par  mes  collègues 
Portalis  et  Boulay  à  l'appui  du  projet  qui  vous  est  soumis, 
il  me  reste  sans  doute  peu  de  choses  neuves  à  dire. 

Cependant,  tel  est  le  caractère  de  celte  discussion ,  telle 
est  l'importance  de  son  objet,  que  je  puis  et  dois  vous  sou- 
mettre encore  quelques  idées  qui  peuvent  n'être  pas  sans 
utilité ,  même  en  ne  les  considérant  que  comme  le  résumé 
des  débats  qui  se  sont  établis  sur  les  points  les  plus  importans. 

La  discussion  s'est  divisée  en  deux  parties  principales  : 

La  première  embrasse  les  objections  d'ordre  et  de  formes; 

La  seconde,  les  objections  relatives  au  fond. 

A  l'égard  des  premières,  la  difficulté  consistait  beau- 
coup plus,  si  je  ne  me  trompe,  à  les  saisir  qu'à  y  ré- 
pondre. 

Ainsi,  l'on  reproche  au  projet  de  loi  de  n'être  point  à  sa 
place  :  et  pourquoi  ?  parce  que  la  publication ,  les  effets  et 
l'application  des  lois  sont  une  matière  qui  ne  régit  pas  seu- 
lement le  Code  civil,  mais  encore  les  Codes  criminel,  ju- 
diciaire, commercial,  rural,  etc.;  d'où  l'on  infère  que 
c'était  une  loi  de  l'ordre  politique  à  isoler  de  chaque  Code, 
puisqu'elle  n'appartenait  privativement  à  aucun. 

Il  a  déjà  été  répondu  à  ce  sujet,  par  mon  collègue  Por- 
talis ,  que  la  critique  porte  à  faux,  puisque  le  projet  dont  il 
s'agit,  discuté  comme  loi  particulière,  n'a  pas,  dès  à  pré- 
sent du  moins,  de  place  assignée  dans  un  corps  d'ouvrage 
qui  n'existe  point  encore,  et  qu'ainsi  rien  ne  ferait  obsta- 
cle à  ce  qu'on  l'isolât  du  (ïodc  civil,  s'il  paraissait  ne  j)oint 
lui  appartenir. 

Quant  à  moi,  j'ajoute  (|uc,  lorsqu'il  devrait  s'y  incorpo- 
rer un  jour,  et  en  constituer  le  livre  préliminaire,  selon 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  521 

ridée  des  premiers  rédacteurs  de  ce  grand  ouvrage ,  la  cri- 
tique serait  sans  fondement. 

Je  me  fonde ,  à  ce  sujet ,  sur  les  rapports  nécessaires  qui 
existent  entre  un  Code  civil  et  ces  autres  Codes  que  Ton 
juge  à  propos  de  placer  sur  une  ligne  parallèle. 

Je  demande  ce  que  sera  un  Code  de  procédure  judi- 
ciaire, sinon  la  collection  des  règles  propres  à  défendre  les 
droits  établis  par  le  Code  civil  :  il  sera  donc  au  Code  civil 
ce  que  la  forme  est  à  la  matière. 

Je  demande  ce  que  sera  un  Code  de  commerce,  un  Code 
rural ,  sinon  des  collections  de  règles  qui  ne  devront  s'écar- 
ter de  celles  posées  au  Code  principal,  qu'autant  que  l'in- 
térêt spécial  du  commerce  ou  de  l'agriculture  sollicitera 
des  exceptions. 

Dans  un  tel  état ,  qu'on  cesse  donc  de  crier  à  la  confu- 
sion d'idées;  et  si  une  loi  relative  à  la  publication ,  <iux  ef- 
fets et  à  V application  des  lois  en  général,  n'est  pas  un  être 
parasite  qu'il  faille  écarter  de  tous  les  Codes,  je  dis  qu'elle 
appartient  au  Code  civil. 

Mais,  a-t-on  dit,  la  plupart  de  ces  articles  sont  sans  co- 
hésion entre  eux  ;  on  pourrait  en  intervertir  l'ordre  sans 
en  changer  le  sens. 

Eh  bien  !  si  l'article  2  est  aussi  bien  placé  sous  ce  numéro 
qu'il  le  serait  sous  le  numéro  4  j  q^el  peut  être  l'objet  de 
votre  critique? 

Soutenez-vous  ces  articles  inutiles?  c'est  une  objection 
d'une  autre  nature.  Mais  comme  en  ce  moment  je  par- 
cours celles  qui  appartiennent  plus  à  l'ordre  et  à  la  forme 
qu'au  fond  des  matières,  je  crois  la  critique  vaine  sous  le 
premier  rapport. 

La  plupart  de  ces  articles,  avez-vous  ajouté,  ne  sont  que 
des  maximes  qu'il  fallait  laisser  dans  le  domaine  de  la 
science,  sans  en  faire  des  dispositions  de  loi. 

Sans  doute  des  maximes  ne  sont  point  des  dispositions  de 
lois,  à  moins  qu'à  raison  de  leur  importance  le  législateur 
VI.  21 


322  DISCUSSIONS,     MOTIFS,    CtC. 

n'ait  jugé  convenable  de  les  t-lever  à  cette  auguste  qualité. 
Mais  c'est  dans  les  détails  que  l'on  verra  si  le  projeta 
été  trop  libéral  sur  ce  point  :  sévère  dans  son  choix,  il  n'a 
admis  qu'un  bien  petit  nombre  de  préceptes  les  plus  utiles-; 
ce  qui  fait  qu'il  a  peu  d'étendue,  et  ce  qui  a  donné  lieu 
peut-être  à  une  objection  d'une  autre  catégorie. 

Le  projet  offert  n'est  point,  dit-on  ,  une  introduction  di- 
gne du  Code  civil;  ce  n'est  pas  un  portique  qui  réponde  à 
la  majesté  de  l'édifice. 

Législateurs,  le  faste  n'est  pas  toujours  l'indice  des 
vraies  richesses  :  telle  maison  d'une  apparence  modeste 
vaut  souvent  mieux  que  l'édifice  ruineux  et  peu  solide  que 
ses  dehors  indiquent  comme  un  palais.  Mais  quittons  les 
figures,  et  ne  voyons  que  la  réalité.  Le  beau,  en  matière 
de  législation ,  n'est  autre  chose  que  ce  qui  est  bon  et  utile. 
Au  reste,  la  stérilité  apparente  qu'on  reproche  à  notre 
projet  n'a  pas  laissé  que  de  donner  quelque  peine  à  ses 
auteurs. 

Un  premier  travail  se  présentait  avec  plus  de  pompe; 
mais,  en  l'analysant  et  en  le  dépouillant  de  ses  ornemens 
factices  ou  étrangers,  il  a  donné  pour  résultat  le  projet 
qui  vous  est  soumis,  et  des  détails  duquel  je  puis  enfin 
m'occuper. 

Est-il  bon  et  utile?  toute  la  question  est-là. 
Plusieurs  articles   ont  été  combattus  comme   inutile»; 
mais  le  premier  l'a  été  comme  injuste  :  c'est  celui  relatif 
au  mode  de  rendre  la  loi  exécutoire. 

Vous  n'attendez  pas  de  moi,  législateurs,  que  j'aille  de 
nouveau  traiter  avec  étendue  un  sujet  (jui  a  été  approfondi 
par  ceux  qui  ont  parlé  avant  moi. 

Je  me  bornerai  donc  à  quelques  idées  très-simples. 
Je  ne  parlerai  pas  de  l'attaciue  dirigée  contre  la  rédac- 
tion du  premier  article  ;  mon  collègue  Tortalis  y  a  victo- 
rieusement répondu. 

Quant  au  reproche  dirigé  contre  cet  article  ,  en  ce  qu'il 


DK    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  020 

ne  caractérise  pas  la  promulgation  et  n'en  trace  point  les 
formes,  j'observe  d'abord  que  la  promulgation  a  son  carac- 
tère déterminé  par  l'article  57  de  la  Constitution ,  qui  ne 
laisse  rien  à  dire  sur  ce  point. 

Je  remarque  ensuite  que  ses  formes  sont  établies,  cou- 
uues  et  pratiquées  avec  avantage. 

Je  remarque  que  la  formule  de  la  promulgation  a  pris 
naissance  peu  après  la  Constitution  même;  et  que  depuis 
ce  temps  elle  a  obtenu  l'approbation  de  tous  les  grands 
pouvoirs ,  et  n'a  jamais  troublé  l'heureuse  harmonie  qui 
règne  entre  eux,  parce  qu'elle  a  respecté  les  droits  de  tous. 

Pourquoi  donc  remettrait-on  en  question  une  formule 
qui  depuis  deux  ans  est  revêtue  d'un  caractère  aussi  solen- 
nel, aussi  juste,  aussi  paisiblement  exercé? 

Cela  posé,  la  question  reste  toute  entière  dans  le  point 
de  savoir  quand  et  comment  les  lois  deviendront  exécu- 
toires, car  le  projet  n'innove  rien  à  la  promulgation  ;  il  la 
laisse  dans  l'état  où  elle  est  ;  il  en  reconnaît  l'existence  an- 
térieure, quand  il  ne  parle  que  des  développemens  qui 
s'opéreront  en  vertu  de  la  promulgation. 

La  question  ainsi  rappelée  à  ses  vrais  termes,  c'est  en 
cet  état  que  je  vais  la  traiter. 

Une  observation  préliminaire  qu'il  me  semble  convena- 
ble de  placer  ici,  et  qui  porte  sur  un  point  d'expérience, 
c'est  que  dans  un  vaste  état,  comme  la  France,  il  est  im- 
possible que  Idi  publication  et  X" affiche  en  chaque  commune 
déterminent  le  moment  où  chaque  loi  y  deviendra  obliga- 
toire. 

Une  loi  trop  fameuse,  celle  du  \(\  frimaire  an  II,  avait 
introduit  cette  règle,  dont  le  moindre  inconvénient  sans 
doute  résidait  dans  les  frais  énormes  qu'elle  entraînait  :  il 
en  était  un  beaucoup  plus  grave  dans  l'extrême  diversité 
d'effets  qui  en  était  le  résultat. 

Cinquante  mille  agens  pouvaient- ils  être  tellement 
exacts,  que  la  condition  de  leurs  administrés  fût  la  même, 

21. 


324  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

et  ne  vit-on  pas  souvent  la  loi  publiée  dans  un  village  y 
recevoir  son  application,  tandis  qu'elle  était  sans  force  dans 
le  villag;e  voisin  faute  de  publication  ? 

Un  tel  mode  ne  pouvait  subsisler  long-temps,  et  sans 
doute  il  n'entre  dans  l'idée  de  personne  de  le  faire  revivre. 

Cela  posé,  et  comme  il  est  encore  moins  praticable  de 
notifier  la  loi  à  chaque  individu  ,  il  faut  bien  reconnaître 
un  point  capital  en  celte  matière  ;  c'est  qu'ici  tout  gît  en 
présomption  légale. 

Maintenant  trois  systèmes  se  présentent  :  la  meilleure  ma- 
nière de  résoudre  une  foule  de  difûcultés,  c'est,  si  je  ne 
me  trompe ,  de  comparer  ces  trois  systèmes  entre  eux,  et  je 
le  ferai  brièvement. 

Je  ne  connais  que  trois  modes  de  déterminer  l'époque  où 
la  loi  deviendra  obligatoire. 

Celui  d^  la  transcription  sur  les  registres  d'une  autorité  lo- 
cale; et  c'est  le  dernier  état. 

Celui  à' un  délai  général  et  uniforme,  à  partir  d'un  point 
déterminé,  de  la  promulgation,  par  exemple,  et  c'est  ce 
qu'avait  proposé  la  section  de  législation  au  Conseil  d'Etat. 

Enfin  le  délai  successif  en  raison  des  distances. 

Le  premier  de  ces  modes  offre  des  inconvéniens  bien 
attestés  par  l'expérience  ;  il  dépend  d'autorités  négligentes 
ou  malveillantes  que  la  loi  soit  publiée  ou  plus  tôt,  ou  plus 
tard,  ce  qui  établit  des  inégalités  frappantes,  et  comme  le 
moment  de  l'arrivée  et  celui  de  la  transcription  ne  sont 
pas  aussitôt  connus,  il  en  résulte,  dans  le  passage  d'une 
législation  à  une  autre ,  ou  beaucoup  d'incertitudes  dans 
les  premiers  temps,  ou  beaucoup  d'embarras  s'il  faut  aller 
vérifier  les  registres. 

J'observe,  au  surplus,  cpie  le  moindre  inconvénient  de  ce 
mode  (  quoi(|ue  cet  inconvénient  soit  déjà  très-grave  ) , 
consiste  dans  la  part  qu'il  donne  aux  agens  d'exécution  , 
agens  dont  l'activité  pourrait,  jusqu'à  un  certain  point, 
être  stimulée,  ou  la  malveillance  punie. 


DE    LA     PIJKLICATION     DES    LOIS.  SsS 

Mais  ce  qui  s'élève  le  plus  fortement  contre  ce  système, 
c'est  qu'il  ne  peut  donner  aux  citoyens  la  connaissance 
précise  du  moment  où  la  loi  devient  obligatoire;  c'est 
qu'à  moins  d'avoir  été  présens  à  la  transcription  ,  ou  de 
venir  matériellement  vérifier  le  registre,  les  citoyens  igno- 
reront nécessaii'ement,  au  moins  dans  les  premiers  temps, 
sous  l'empire  de  quelle  loi  ils  vivent;  c'est  qu'en  un  mot 
la  présomption  légale  ne  reposera,  à  leur  égard,  sur  rien 
de  précis. 

Figurez- vous,  en  effet  (  et  ce  cas  sera  le  plus  fréquent  ), 
un  homme  domicilié  à  cinq  ou  six  myriamètres  de  la  ville 
où  la  loi  devra  arriver  et  être  enregistrée. 

Si  cet  envoi  est  extrêmement  rapide,  la  loi  obligera 
avant  qu'on  ait  pu  la  connaître;  si  an  contraire  l'enregis- 
trement est  tardif,  il  arrivera  souvent  que  la  loi  sera  con- 
nue par  les  débats  et  papiers  publics  avani  qu'on  puisse  en 
recueillir  les  effets. 

Dans  l'une  et  l'autre  espèce,  la  présomption  légale  de  la 
connaissance  (le  vrai  point  de  départ  en  cette  matière) 
sera  tout-à-fait  dénaturée  et  subvertie. 

J'examine  le  second  système,  celui  du  délai  général  et 
uniforme.  Dans  ce  second  mode,  les  inconvéniens  que  j'ai 
retracés  disparaîtraient  sans  doute,  mais  pour  faire  place 
à  un  autre  ;  c'est  que  la  loi  resterait  inerte  pendant  un  dé- 
lai assez  considérable  dans  les  lieux  même  où  elle  serait 
connue,  ce  qui  serait  peu  compatible  avec  sa  dignité;  mais 
ce  qui,  surtout  en  certains  cas,  deviendrait  une  source  de 
nombreux  abus. 

Suppose-t-on  en  effet  une  loi  qui  prohibe  certains 
actes  ?  Voyez  comment  on  l'éluderait  dans  l'intervalle;  ce 
délai  de  grâce  serait  un  avertissement  à  tous  ceux  qui  vou- 
draient y  contrevenir  pour  se  hâter  de  le  faire;  et  cet 
étrange  bénéfice  de  la  fraude  appartiendrait  encore,  comme 
par  privilège,  aux  habitons  des  lieux  voisins  de  celui  d'où 
la  loi  partirait. 


SaO  DISCUSSIONS,  motif>,  elc. 

Iiiutilcuicnt  avait-on,  dans  ce  système,  laissé  entre- 
voir la  possibilité  des  dérogations  spéciales  en  cas  d'ur- 
gence; car  ce  remède  même,  s'il  n'eût  consisté  que  dans 
l'abréviation  du  délai  général,  n'eût  évilé  un  mal  qu'en 
en  produisant  un  autre,  et  en  commettant  une  grande 
injustice  envers  les  habilans  de  Marseille  ou  de  Bayonne, 
envers  tous  ceux,  en  un  mot,  qui  se  seraient  trouvés  dans 
l'impossibilité  physique  de  connaître  la  loi  dans  un  délai 
trop  rapide. 

Que  serait-ce  d'ailleurs  qu'un  mode  qui  n'aurait  rien  de 
fixe,  et  auquel  il  faudrait  journellement  déroger?  La  ma- 
jesté de  la  loi  pourrait-elle  s'accommoder  d'un  tel  mode, 
qui,  n'offrant  plus  qu'un  système  informe,  ne  produirait 
qu'hésitation  et  incertitude? 

Législateurs,  en  rejetant  l'un  et  l'autre  de  ces  systèmes, 
le  projet  qui  vous  est  soumis  a  adopté  un  parti  qui  me  sem- 
ble puisé  dans  la  nature  même  des  choses  :  en  respectant 
la  loi  des  distances  qu'il  n'est  permis  au  législateur  ni  de 
méconnaître  ni  de  franchir,  il  obvie  tout  à  la  fois  à  la  né- 
gligence,  puisque  l'effet  de  la  loi  ne  dépendra  plus  d'une 
transcription  ;  à  l'ignorance  ,  puisque  dans  chaque  ressort 
on  saura,  sans  recourir  aux  registres,  à  quelle  époque  la 
loi  y  est  devenue  obligatoire;  enfin  à  la  fraude,  puisque 
dans  la  transition  la  loi  ne  deviendra  pas  le  jouet  de 
ceux  qui,  connaissant  ses  dispositions,  vivraient  néan- 
moins sous  l'empire  de  la  loi  ancienne  :  étrange  contra- 
diction qui  ne  peut  cesser  que  dans  le  système  d'un  délai 
successif- 

Oui ,  législateurs ,  ce  système  est  le  seul  qui  soit  réelle- 
ment dégagé  de  tous  les  inconvéniens  que  j'ai  retracés. 

L'idée  d'un  délai  général  et  uniforme  a  quelque  chose 
de  séduisant,  sans  doute;  mais  les  esprits  habitués  à  l'a- 
nalyse en  saisissent  facilement  la  fausseté. 

II  n'y  a  pas,  en  tUcl,  jus({u'à  l'égalité  ((u'clle  semble 
yffrir,  qui  ne  suit  une  illusion;  car  en  (|Uoi  l'égalité  con- 


DB    LA    PUBLICATION    DBS    LOIS.  327 

sÎ9le-t-elle  ?  à  être  traité  de  la  mùme  manière  quand  on  est 
dans  la  même  situation. 

Eh  bien  I  si,  en  calculant  ce  délai  général  sur  le  point 
le  plus  éloigné  du  territoire,  Ton  rend  la  loi  obligatoire 
pour  rhabitant  de  Marseille,  du  moment  précis  où  il  est 
censé  la  connaître,  et  sans  aucun  intervalle,  pourquoi 
en  serait-il  autrement  par  rapport  aux  départemens  inter- 
médiaires? 

N'est-il  pas  d'ailleurs  dans  les  notions  de  tous  les  peu- 
ples, «t  dans  l'esprit  de  toutes  les  législations,  que  la  loi 
oblige  dès  qu'elle  est  censée  connue,  et  s'il  est  dans  la 
nature  des  choses  que  celui  qui  est  placé  à  cent  myriamè- 
tres  la  connaisse  plus  tard  que  celui  qui  n'est  qu'à  cinq  , 
pourquoi  celui-ci  ne  serait-il  pas  obligé  plus  tôt  ? 

La  véritable  égalité  est  donc  dans  le  système  du  délai  suc- 
cessif, et  a  pour  base  et  point  de  départ  la  présomption  lé- 
gale de  la  connaissance  de  la  loi. 

J'ai,  du  moins  je  le  crois,  suffisamment  établi  la  préé- 
minence du  délai  successif  sur  le  délai  général  et  uniforme  : 
ses  avantages  sur  la  publication  usitée  jusqu'à  ce  jour  ne 
sont  pas  moins  sensibles. 

Dans  ce  dernier  système,  comme  en  tout  autre,  l'obli- 
gation d'obéir  à  la  loi  n'est  toujours  fondée  que  sur  la  pré- 
somption légale  qu'on  en  a  connaissance  ,  et  la  transcrip- 
tion sur  des  registres  n'est  assurément  pas  une  notification 
officielle  à  chaque  habitant  du  ressort. 

Mais  puisqu'on  est  réduit  à  se  contenter  d'une  présomp- 
tion légale,  ne  convient-il  pas  de  s'arrêter  à  celle  que  le 
projet  indique  ? 

Ce  n'est  pas  le  désir  d'innover  (lui  Ta  dictée ,  elle  était 
dans  le  vœu  de  la  Constitution. 

Jusqu'à  Tan  VIII,  nulle  disposition  constitutionnelle 
n'ayant  tracé  le  jour  précis  où  la  loi  devait  être  mise  en  ac- 
tivité par  la  promulgation  ,  ni  prescrit  au  pouvoir  exécutif 
de  la  promulguer  à  jour  certain  ,  il  a  bien  fallu,  dans  l'aU- 


SaS  DISCUSSIONS,  motifs,  etc. 

sence  d'un  tel  point  de  départ,  renoncer  à  la  donnée  d'un 
jour  préfix  où  la  loi  deviendrait  obligatoire  ;  il  a  dès-lors 
fallu  faire  ce  qu'on  a  fait,  et  suivre  une  forme  qui,  dans 
un  tel  ordre  de  choses,  était  la  moins  défectueuse  qu'il  fût 
possible. 

Il  en  est  autrement  aujourd'hui;  la  promulgation  de  la 
loi  se  fait  à  époque  certaine  et  nécessaire;  le  gouvernement 
doit  y  pourvoir  le  dixième  jour  après  sa  date  ;  il  ne  le  peut 
ni  plus  tôt  ni  plus  tard,  il  est  renfermé  dans  cette  limite. 

Le  mode  proposé  se  trouve  donc  en  harmonie  parfaite 
avec  la  Constitution  ,  qui  semble  avoir  elle-même  posé  le 
jallon  et  indiqué  la  roule  à  suivre. 

La  discussion  publique  qui  précède  la  loi,  les  dix  Jours 
qui  s'écoulent  entre  sa  date  et  sa  promulgation,  voilà  ce 
qui  donne  le  premier  éveil  aux  citoyens. 

Un  délai  calculé  ensuite  sur  les  distances  donne  la  pleine 
assurance  que  la  loi  est  ou  doit  être  connue. 

Et  remarquez,  législateurs,  combien  ce  système  con- 
cilie tout. 

Chez  un  peuple  moderne,  qui  connaît  bien  Tesprit  de 
la  bonne  législation ,  en  Angleterre ,  ainsi  qu'on  vous  l'a 
dit  dans  le  cours  de  cette  discussion ,  la  loi  oblige  du  jour 
où  l'acte  du  parlement  reçoit  la  sanction  royale. 

La  publicité  de  la  discussion  a  fait  admettre  cette  doc- 
trine chez  nos  voisins  ;  mais  en  n'allant  pas  jusque  là,  notre 
système  n'en  offre  que  plus  de  garantie  aux  citoyens  : 
comment  donc  le  mode  proposé  pourrait-il  être  taxé  d'im- 
prévoyance ou  d'insuflisance  ? 

Je  discute  mainteiiaiit  ({uelques  objections  spéciales. 

11  faut,  a-t  on  dit,  que  la  loi  soit  aux  mains  du  magis- 
trat; donc  il  faut  pourvoir  à  l'envoi  matériel  de  la  loi. 

Sans  doute  il  le  faut;  sans  doute  le  liullelin  doit  conti- 
nuer de  parvenir  aux  administrateurs  et  aux  juges;  mais 
celte  observation,  bonne  en  soi,  ne  fait  que  inan(|uer  de 
justesse  dans  l'emploi  qu'on  en  l'ail  comme  d  une  objection. 


DE    LA    PUBLICATION    l)lsS    LOIS.  D2() 

Qu'est-ce  en  effet  que  le  projet  contient  de  contraire? 
Rien  :  il  règle  l'époque  où  la  loi  deviendra  obligatoire  pour 
les  citoyens. 

Mais  cette  époque  ne  doit  pas  être  confondue  avec  celle 
où  le  magistrat  devra  appliquer  la  loi  ;  cette  application 
relative  aux  actes  régis  par  la  loi  nouvelle ,  et  passés  sous 
son  empire,  laisse  apercevoir  un  intervalle  nécessaire  en- 
tre le  moment  où  elle  commence  à  régir,  et  celui  où  son 
application  peut  être  réclamée,  intervalle  durant  lequel 
(  et  à  moins  de  supposer  une  subversion  totale  dans  Tordre 
naturel  des  communications)  le  magistrat  sera  muni  de 
l'instrument  matériel,  je  veux  dire  du  Bulletin,  qu'il  est 
dans  l'intérêt  du  gouvernement  de  faire  circuler  prompte- 
ment. 

Autre  hypothèse  qui  n'est  plus  relative  au  cas  d'applica- 
tion judiciaire. 

Suppose-t-on  un  droit  nouveau  ,  une  succession  ouverte 
après  le  délai  ?  suppose-t-on  encore  que  la  loi  n'arrive 
dans  le  ressort  que  trois  ou  quatre  jours  après?  Eh  bien  ! 
quand  il  en  serait  ainsi,  quel  préjudice  réel  en  résultera- 

t-a? 

L'héritier  averti  de  son  droit  aura  fait  des  actes  conserva- 
toires; l'exécution  n'a  jamais  lieu  à  l'instant  même,  et  le 
Bulletin  sera  arrivé  long-temps  avant  qu'il  s'agisse  de  li- 
quider et  de  partager. 

Comment  d'ailleurs  ce  qui  se  pratique  en  Angleterre  et 
dans  les  États-Unis  avec  simplicité,  facilité,  et  au  grand 
avantage  de  ces  deux  nations,  serait-il  impraticable  chez 
nous  ? 

Oh  !  a-t-on  dit,  l'esprit  public  qui  règne  chez  ces  deux 
peuples  dirige,  bien  plus  qu'en  France,  leur  attention 
vers  les  affaires  publiques  et  les  actes  de  leurs  assemblées 
politiques. 

Eh  quoi  !  n'est-ce  pas  calomnier  le  peuple  français  que 
de  le  supposer  moins  attentif  aux  grands  intérêts  de  l'État  ? 


55o  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

Je  suis  loin  de  partager  ce  blasphème  ;  mais  une  remar- 
que de  quelque  poids  sans  doute,  e'est  que,  d'après  celte 
idée  même,  il  n'en  conviendrait  que  mieux  encore  d'a- 
dopter le  mode  proposé,  pour  forcer  l'attention  par  Tîn- 
térêt  personnel,  et  pour  créer  ainsi  un  esprit  public,  s'il 
n'existait  pas. 

On  a  objecté  le  cas  d'invasion,  et  quelques-unes  de  ces 
grandes  catastrophes  qui,  en  rendant  la  connaissance  im- 
possible, font  disparaître  une  présomption  établie  sur  le 
simple  trait  de  temps. 

Mais  si  Ton  argumente  de  cas  extraordinaires  contre  la 
règle  générale ,  je  me  bornerai  à  répondre  que  la  force  ma- 
jeure fait  toujours  cesser  l'empire  de  la  règle. 

Ou  a  demandé  si  le  projet  s'appliquera  aux  colonies; 
mais  le  procès-verbal  du  Conseil  d'Etat  apprend  que  ce 
doit  être  l'objet  d'une  loi  ou  d'un  règlement  à  part  ;  c'est 
assez  probablement  sous  plus  d'un  rapport  que  les  colonies 
auront  besoin  de  lois  spéciales. 

Mais  ce  que  je  dois  me  borner,  quant  à  présent,  à  re- 
marquer, c'est  que  des  objections  de  cette  espèce  ne  peu- 
vent faire  tomber  notre  système ,  s'il  convient  d'ailleurs  au 
territoire  continental  pour  lequel  il  a  été  créé. 

J'examine  succinctement  quelques  autres  objections  qui 
ont  du  moins  l'apparent  avantage  d'attaquer  plus  intégra- 
lement le  projet. 

Dans  la  fixation  du  délai,  l'on  a  critiqué  le  calcul  par 
heures;  que  d'incertitudes  et  d'embarras,  a-l-on  dit,  vont 
résulter  de  cette  disposition  !  comment  trouver  ce  point 
mathématique  qui  séparera  le  temps  régi  par  la  loi  an- 
cienne ,  de  celui  régi  par  la  loi  nouvelle?  Pour  le  discerner 
faudra-l-il  donc  dater  les  actes,  ou  constater  les  faits  par 
heures  ,  par  minutes  même  ? 

Cette  objection  présentée  avec  tant  d'assurance  est-elle 
cfreclivement  fondée?  Si  l'on  s'attachait  à  l'apprécier  lex- 
luellenicnt,  on  dirait  (|ue  ce  point  mathémali(|ue  qui  se- 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  55 1 

pare  le  passé  du  préseut,  et  le  présent  de  l'avenir,  est  ad- 
mis dans  la  législation  actuelle  môme,  parce  qu'il  est  dans 
la  nature  des  choses. 

Ainsi,  et  aujourd'hui  même,  le  point  qui  sépare  le  jour 
de  la  publication  du  jour  qui  la  suit  est  notre  règle  pour 
déterminer  le  moment  on  la  loi  devient  obligatoire. 

Ne  critique-t-on ,  ou  ne  veut-on  critiquer  que  l'idée  de 
scinder  le  jour  en  deux  parties,  dont  Tune  serait  régie  par 
la  loi  ancienne,  et  l'autre  par  la  loi  nouvelle?  Mais  il  a 
déjà  été  répondu  que  le  calcul  par  heures  n'est  ici  désigné 
que  comme  le  principe  qui  servira  de  base  à  un  règlement 
dans  lequel,  pour  déterminer  l'échéance  à  jour  franc,  la 
plus  faible  fraction  pourrait  céder  à  la  plus  forte. 

Mais  cette  idée  même  d'un  règlement  complémentaire 
a  trouvé  des  contradicteurs  ;  en  quoi  donc  blesse-t-elle  les 
principes  ? 

Si  vous  décrétez,  législateurs  ,  le  projet  qui  vous  est  pro- 
posé, n'entrera-t-il  pas,  je  ne  dis  pas  seulement  dans  les 
droits  ,  mais  encore  dans  les  devoirs  du  gouvernement,  de 
compléter  par  un  calcul  précis,  pour  chaque  ressort,  l'in- 
dication donnée  par  le  législateur  ?  Un  tel  règlement  ne 
sera  essentiellement  que  le  moyen  de  donner  c\  la  loi  sa 
pleine  exécution. 

Il  ne  reste  plus  sur  ce  point  qu'une  objection  puisée  dans 
un  exemple.  Auxerre,  a-t-on  dit,  quoique  plus  éloigné  de 
Paris  que  n'en  est  Rouen,  ne  jouira  pas,  comme  étant  du 
ressort  de  Paris,  de  l'addition  de  délai  accordée  aux  autres 
ressorts,  et  sera  ainsi  moins  bien  traité  que  ne  le  seront  des 
lieux  plus  rapprochés. 

Législateurs,  cette  objection  qui  ne  s'attache  véritable- 
ment qu'au  point  cité,  et  qui  cesse,  quand  on  a  franchi  le 
ressort  du  tribunal  d'appel  de  Paris,  est  le  résultat  d'un 
accident,  d'une  circonscription  de  ressort,  dans  laquelle 
Paris  se  trouve  un  peu  excentrique;  mais  ce  léger  incon- 
vénient ne  saurait  beaucoup  arrêter,  car  si  ou  aspirait  à  la 


332  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,     CtC. 

précision  mathématique,  il  faudrait  établir  le  calcul  par  la 
distance  de  chaque  commune  au  centre,  ce  qui  est  impra- 
ticable. 

Dira-t-on  que  Tuniformité  du  délai  obvierait  à  cet  in- 
convénient? mais  il  en  créerait  d'autres,  et  d'ailleurs  l'ob- 
jection se  reproduirait  sous  un  autre  point  de  vue,  dans 
l'intérêt  des  parties  du  territoire  les  plus  éloignées  :  l'on 
dirait  pour  les  habitans  de  Marseille,  qu'ils  ne  doivent  pas 
être  obligés  au  même  moment  que  les  habitans  de  Paris. 

Dira-t-on  aussi  que  cet  inconvénient  cesserait  par  la  pu- 
blication matérielle  ;  je  pourrais  reconnaître  le  fondement 
de  celte  assertion,  si  l'obligation  légale  s'établissait  par  la 
publication  et  l'affiche  dans  les  cinquante  et  quelques  mille 
communes  de  la  République;  mais,  si  ce  mode,  comme 
impraticable,  n'a  pas  même  reçu  les  honneurs  de  la  dis- 
cussion ;  s'il  faut ,  dans  le  système  même  de  la  publication 
matérielle,  s'arrêter  à  un  point  central,  les  lieux  qui  s'en 
trouveront  les  plus  éloignés  pourront  faire  la  même  ob- 
jection. 

Il  faut  donc  l'écarter,  puisqu'elle  existe  dans  tous  les 
systèmes,  et  s'arrêter  aux  autres  considérations  que  pré- 
sente la  matière. 

Or,  en  jugeant  par  les  masses,  et  en  appréciant  les  di- 
vers systèmes,  il  me  semble  (jue  l'idée  simple  et  élémen- 
taire de  rendre  la  loi  obligatoire  d'après  un  délai  successif, 
calculé  sur  les  distances  des  chefs-lieux  de  tribunaux  d'ap- 
pel, est  de  toutes  les  données  la  plus  naturelle  et  |a  meil- 
leure. 

Et  comment  ne  serait-elle  pas  la  meilleure  et  la  plus 
utile  aux  citoyens?  prenons  pour  exemple  un  habitant  de 
Lyon  ,  et  supposons  que  ,  par  l'application  du  tarif  des  dis- 
tances, la  loi  ne  soit  obligatoire  à  Lyon  que  le  septième 
jour  après  la  promulgation.  Ce  point  une  fois  connu  ,  sans 
sortir  de  sa  maison ,  et  à  la  seule  inspection  d'un  journal, 
ce  iil(»yen  saura  (jur  la  loi  portée  le  premier»  et  promul- 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  533 

guée  le  11,   est   obligatoire  le   i8   pour  tout  son  ressort. 

Quel  inappréciable  avantage  !  et  comment  un  tel  bien- 
fait, un  système  si  heureux  a-t-il  éprouvé  tant  de  contra- 
diction ? 

Je  passe  à  l'article  second. 

Il  a  aussi  subi  la  censure  duTribunat. 

Le  rapporteur  l'avait  présenté  comme  inutile. 

D'autres  orateurs  l'ont  envisagé  comme  dangereux. 

Que  porte  cet  article? 

La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir  ;  clic  n'a  point  d'effet  ré- 
troactif. 

Est-il  vrai  d'abord  que  ce  ne  soit  là  qu'une  maxime  inu- 
tile ,  et  bonne  tout  au  plus  à  renvoyer  au  titre  des  règles  du 
droit j  si  l'on  en  fait  un  ? 

Non ,  ce  n'est  pas  une  maxime  à  classer  dans  le  domaine 
de  la  science;  c'est  un  précepte  pour  le  législateur  et  pour 
le  juge,  précepte  que  la  loi  seule  peut  tracer,  puisque  la 
Constitution  ,  qui  n'a  pas  voulu  le  détruire ,  ne  l'a  cepen- 
dant point  rappelé,  comme  l'avaient  fait  quelques-unes 
des  Constitutions  antérieures. 

Mais  n'a-t-on  pas,  au  Tribunal  même,  émis  des  doutes 
sur  la  compétence  du  pouvoir  législatif,  en  ce  qui  touche 
aux  lois,  qu'on  juge  à  propos  d'appeler /ow  organiques  de  la 
Constitution. 

N'a-t-on  pas  prétendu  que  le  Sénat  seul  pouvait  les  por- 
ter? comme  si  la  Constitution  faisait  ceite  distinction! 
comme  si  le  Sénat  n'avait  pas  ses  fonctions  limitées  au 
seul  droit  de  statuer  sur  les  inconstitutionnalités  légale- 
ment déférées  ! 

J'abandonne  celte  opinion  sans  doute  solitaire,  pour 
en  rappeler  une,  qui,  bien  que  placée  dans  une  aulre  ca- 
tégorie, n'en  est  pas  moins  extraordinaire. 

Un  autre  orateur  du  Tribunal  n'a-t-il  pas,  à  l'occasion 
du  principe  rappelé  dans  l'article  2,  témoigné  la  crainte 
que  ce  ne  fût  un  signal  donné  aux  tribunaux  pour  se  dis- 


534  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    CkC. 

peoser  d'appliquer  toutes  les  lois  qu'ils  considéreraient 
comme  ré/roactircs,  et  notamment  tous  les  décrets  émanés 
du  sublime  élan  qu'enfanta  la  nuit  du  4  ^u  5  août  1789? 

Que  cet  orateur  se  rassure  :  l'Assemblée  constituante  qui 
avait  elle-même  reconnu  le  principe  de  la  non-rétroactivité 
des  lois,  et  la  Convention  nationale,  qui  avait  fait  plus  en 
le  consacrant  dans  la  Constitution  de  l'an  III,  n'avaient 
ni  l'une  ni  l'autre  pensé  que  la  proclamation  de  ce  principe 
pût  opérer  un  tel  effet  ;  ces  deux  assemblées  ,  dont  l'une 
conquit  la  liberté,  et  dont  l'autre  fonda  la  République,  ne 
voulaient  assurément  pas  plus  l'une  que  l'autre ,  faire  re- 
vivre les  droits  abusifs  anéantis  dans  la  nuit  du  4  août;  le 
gouvernement  actuel ,  et  toutes  les  autorités  revêtues  du 
pouvoir  national  ne  le  veulent  pas  davantage;  Je  suis  sans 
doute  dispensé  de  l'établir,  et  voilà  la  seule  réponse  qu'il 
convienne  de  faire  à  cette  objection. 

Les  articles  3,  4  ^^  ^  d"  projet  ont  été  si  faiblement  at- 
taqués, et  si  victorieusement  défendus,  que  je  croirais 
abuser  de  votre  attention,  si  je  voulais  la  reporter  sur  le 
fond  des  dispositions  qu'ils  renferment. 

Je  ne  dirai  que  deux  mots  pour  les  justifier  du  reproche 
(V inutilité  :  Non,  ce  ne  sont  pas  de  vagues  maximes,  que 
les  règles  qui  y  sont  exprimées. 

La  loi  oblige  ceux  qui  habitent  le  territoire.  N'est-ce  point  là 
le  principal  caractère  de  la  loi? 

La  forme  des  actes  est  réglée  par  les  lois  du  pays  dans  lequel 
ils  sont  faits  ou  passés.  N'est-ce  pas  une  limitation  nécessaire 

à  exprimer  ? 

Lorsque  la  loi,  à  raison  des  circonstances ,  aura  réputé  frau- 
duleux certains  actes,  on  ne  sera  pas  admis  à  prouver  qu'ils  ont 
été  faits  sans  fraude.  N'est-ce  pas  la  garantie  de  ses  disposi- 
tions prohibitives  ? 

Ces  articles  primitivement  accolés  à  beaucoup  d'autres, 
qui  n'étaient  en  effet  que  des  maximes  de  barreau,  ont 
donc  dû  être  conservés  par  exceptions,  comme  ayant  un 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  355 

trait  plus  direct  à  ce  qui  constitue  le  caractère  île  la  loi, 
ou  à  ce  qui  en  assure  les  elFets. 

L'article  6  a  paru  à  quelques  orateurs  du  Tribunat,  un      4  et  5 
moyen  d'invasion  offert  au  pouvoir  judiciaire. 

Cet  article  porte  que  le  juge  qui  refusera  de  juger  sous  pré- 
texte du  silence  y  de  l'obscurité  ou  de  l'insuffisance  de  la  loi  y 
pourra  être  poursuivi  comme  coupable  de  déni  de  justice. 

Qu'y  a-t-il  donc  là  de  menaçant  pour  la  prérogative  du 
législateur? 

Je  ne  sais  en  vérité  comment  cette  crainte  a  pu  s'intro- 
duire dans  l'esprit  de  personne  :  on  n'a  donc  pas  voulu  lire 
l'article  7,  corrélatif  à  cet  article  6,  et  qui  défend  aux  juges 
de  prononcer  sur  les  causes  qui  leur  sont  souïnhes par  voie 
de  disposition  générale  et  réglementaire. 

Voilà  le  point  par  lequel  les  tribunaux  eussent  pu  riva- 
liser avec  le  pouvoir  législatif;  et  loin  que  cette  voie  leur 
soit  ouverte,  elle  leur  est  au  contraire  formellement  in- 
terdite. 

Mais  en  ramenant  l'article  6  à  ses  véritables  termes, 
qu'a-t-il  voulu  ?  Faire  cesser  cette  foule  de  référés  qui  en- 
travent la  marche  de  la  justice  :  le  devoir  d'un  juge  est  de 
juger,  et  s'il  fallait  que  le  législateur  s'ingérât  après  coup 
à  statuer  par  voie  d'interprétation  sur  des  cas  passés  ou 
des  affaires  en  litige ,  cela  serait-il  conforme  à  l'esprit  d'une 
bonne  législation  ?  Cela  ne  rappellerait-il  pas  un  peu  trop 
les  rescrits  des  empereurs ,  et  les  abus  qui  en  furent  la  suile  ? 

Il  y  a  sur  ce  point  une  vérité  simple  et  élémentaire,  c'est 
que  là  où  la  volonté  de  la  loi  ne  s'est  pas  fait  connaître, 
le  juge  devient  par  la  nature  des  choses  un  ministre  d'é- 
quité. 

Mais ,  a-t-on  dit,  que  sera-ce  donc  que  cet  énorme  pou- 
voir en  matière  criminelle  surtout? 

Vaine  frayeur!  car  c'est  là  que,  dans  le  silence  ou  l'obs- 
curité de  la  loi,  il  n'y  a  nulle  peine  à  porter,  et  que  tout 


556  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

se  résont  en  faveur  de  Pacciisé  ;  nos  maximes  sont  cons- 
tantes à  cet  égard. 

Ainsi,  ce  ministère  d'équité  ne  s'applique  réellement 
qu'aux  affaires  civiles,  mais  là  il  devient  souvent  nécessaire. 

Ce  n'est,  au  surplus,  ni  une  proposition  ni  une  prati- 
que nouvelle;  ce  que  veut  l'article  est  précisément  ce 
qu'observent  aujourd'hui  les  juges  qui  connaissent  leurs 
devoirs  et  veulent  les  remplir;  il  n'est  véritablement  né- 
cessaire que  pour  ceux  qui  s'écartent  d'une  route  tracée 
par  la  raison  et  la  nécessité. 

Au  reste ,  législateurs ,  il  ne  vous  a  point  échappé  que  ce 
ministère  forcé  ne  peut  jamais  établir  un  pouvoir  rival; 
car  là  où  la  volonté  du  législateur  s'est  fait  connaître,  elle 
doit  être  respectée  :  le  jugement  qui  y  contreviendrait 
serait  cassé. 

Fixerai-je  maintenant  votre  attention  sur  le  dernier  ar- 
ticle du  projet?  attaqué  seulement  dans  sa  rédaction  et 
comme  maxime  déplacée  à  la  tête  du  Code,  il  a  été  dé- 
fendu comme  ayant  un  trait  direct  au  caractère  et  aux 
effets  de  la  loi. 

Cet  objet  ne  mérite  donc  pas,  au  point  surtout  où  nous 
sommes  arrivés,  une  discussion  plus  sérieuse. 

Législateurs,  j'ai  parcouru  les  principales  objections  di- 
rigées contre  le  projet  de  loi ,  je  crois  y  avoir  répondu. 

Il  est,  au  surplus,  assez  évident  que,  si  la  critique  s'est 
attachée  au  projet  dans  ses  plus  légers  détails,  l'article 
premier  est  néanmoins  le  vrai  et  même  l'unique  foyer  du 
débat. 

Votre  sagesse  rap[)récicra,  et  vous  portera  sans  doute 
à  consacrer  une  disposition,  qui,  sans  donner  lieu  à  au- 
cun déplacement,  procurera,  à  tous  les  citoyens  de  la 
Jiépiii)liîjiio  ,  l'inappréciable  avantage  de  connaître  d'une 
manière  précise  le  jour  où  la  loi  deviendra  obligatoire 
pour  chaque  ressort. 


DE    LV    PUBLICATION    DKS    LOIS.  3?7 

Il  me  reste  à  exprimer  une  pensée  plus  vaste  et  digne 
de  figurer  dans  la  première  discussion  relative  au  Code 
civil. 

Jaloux  de  donner  à  la  République  ce  Code  si  long-temps 
attendu ,  le  gouvernement  s'est  environné  d'hommes  distin- 
gués par  de  longues  éludes  et  de  grands  succès  dans  la  car- 
rière des  lois;  il  a  appelé  toutes  les  lumières;  il  s'est  livré 
lui-même  à  un  travail  opiniâtre,  dans  la  vue  de  réaliser  oe 
grand  et  imiposant  ouvrage,  le  premier  de  cette  espèce 
qui  doive  émaner  d'un  pouvoir  national  et  vraiment  repré- 
sentatif. 

L'esprit  qui  vous  anime ,  législateurs  ,  votre  amour  pour 
le  bien  public,  prouvera  que  la  coopération  des  diverses 
branches  du  pouvoir  législatifs  cet  important  ouvrage, 
u'en  ralentira  point  la  marche  en  l'éclairant. 

Ainsi,  dans  des  débats  où  Ton  verra  presque  toujours  les 
systèmes  se  heurter  (  parce  que  nulle  matière  n'eu  est  plus 
susceptible),  et  où  souvent  les  systèmes  les  plus  opposés 
seront  de  part  et  d'autre  appuyés  de  raisons  plausibles, 
votre  sagesse  ,  votre  patriotisme  et  votre  propre  gloire  vous 
diront  qu'il  faut,  abstraction  faite  d'un  mieux  souvent 
idéal,  accueillir  ce  qui  est  bon,  approcher  du  but  et  méri- 
ter la  reconnaissance  du  peuple  français  par  des  travaux 
dont  il  puisse  ressentir  les  effets. 


La  discussion  fut  fermée  dans  la  séance  du  24  frimaire 
an  X  (i5  décembre  1801  )  ;  et  après  avoir  procédé  au 
scrutin  secret ,  le  Corps  législatif  déclara  qu'il  ne  pouvait 
adopter  le  projet  de  loi. 


VL  22 


558  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

COMMUNICATION    OFFICIEUSE 

A  LA  SECTIOX     DE    LEGISLATION   DU  TRIBDNAT. 

Dès  que  le  gouvernement  eut  organisé  les  communica- 
tions officieuses ,  on  reprit  la  discussion  du  Code  au  point 
où  elle  avait  été  laissée  lors  du  message  du  1 2  nivôse  an  X. 

Le  projet  du  titre  préliminaire  fut  adressé  h  la  section  , 
sans  avoir  éprouvé  dechang^mens,  et  sans  même  avoir  subi 
aucune  discussion  nouvelle  au  Conseil  d'État;  l'examen 
s'en  fit  dans  les  séances  des  19  et  20  messidor  an  X 
(  8  et  9  juillet  1802). 

OBSERVATIONS     DE    LA    SECTION. 

Un  membre  de  la  commission  chargée  de  l'examen  du 
projet  relatif  à  la  publication ,  aux  effets  et  à  l'application  des 
lois  en  général,  fait  un  rapport  au  nom  de  cette  commis- 
sion. 

Quelques  membres  demandent  qu'on  examine  préala- 
blement si  l'on  doit  placer  en  télé  du  Code  civil ,  et  comme 
en  faisant  partie,  un  titre  relatif  à  l'organisation  du  mode 
de  publication  des  lois  :  si  ensuite  on  doit  laisser  subsister 
dans  ce  titre  les  articles  qui  suivent  l'article  premier  qui 
fixe  le  mode  de  publication. 

La  section  renvoie  l'examen  de  cette  question  après  la 
discussion  des  articles  qui  composent  le  titre. 

L'article  premier  donne  lieu  à  la  discussion  desdilférens 
modes  de  publication  des  lois,  pour  choisir  celui  (jui  doit 
^tre  préféré. 

Ces  modes  sont  réduits  à  trois  : 

1".   Le  mode  de  publication  par  la  lecture  de  la  loi  aux 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  53g 

audiences  des  tribunaux  et  par  sa  transcription  sur  les  re- 


gistres. 


2°.  La  publication  opérée  uniformément,  dans  toute  la 
République  et  au  même  instant,  par  le  laps  d'un  délai  de 
quinze  jours  ou  de  tout  autre  à  compter  de  la  promul^^a- 
tion  du  Premier  Consul. 

"5".  Le  mode  progressif,  calculé  sur  les  distances ,  pro- 
posé par  le  projet  de  loi  dont  il  s'agit. 

La  section  se  prononce  contrôle  premier  mode; 

Ses  motifs  sont  :  i°.  L'inconvénient  de  faire  dépendre  le 
caractère  exécutoire  de  la  loi,  du  zèle  ou  de  la  négligence 
de  l'homme.  2°.  Que,  si  on  adoptait  ce  mode,  on  serait  peut- 
être  forcé  de  distinguer  les  lois,  à  raison  des  matières  qui 
en  seraient  l'objet,  et  de  reconnaître  le  caractère  exécu- 
toire des  lois  à  la  publication  faite  auprès  de  certaines  au- 
torités particulières,  selon  l'ordre  dans  lequel  on  croirait 
devoir  les  classer  :  ce  qui  présente  une  foule  d'entraves  et 
de  difficultés.  5°.  Que  ces  inconvéniens  graves  ne  sont  ra- 
chetés par  aucun  avantage  particulier  qu'on  puisse  attacher 
à  ce  mode  ,  comparativement  aux  autres.  4"»  Que  dans  no- 
tre Constitution  actuelle,  l'autorité  des  tribunaux  ne  de- 
vant rien  ajouter  à  la  loi,  rien  n'empêche  de  courir  à  tout 
autre  mode  qui  sera  reconnu  plus  utile. 

La  discussion  se  porte  sur  les  deux  autres  modes  de  pu- 
blication. La  section  se  prononce  pour  le  mode  progressif 
calculé  en  raison  des  distances. 

Ses  motifs  sont  : 

Que  le  mode  progressif  est  l'image  même  de  la  vérité  ;  il 
est  fondé  sur  la  nature  :  il  fait  rendre  la  loi  exécutoire  au 
moment  où  on  la  connaît. 

Qu'il  n'en  est  pas  de  même  du  mode  qui  ferait  exécuter 
la  loi  partout  au  même  instant  :  que  d'ailleurs,  pour 
mettre  ce  modo  en  pratique,  il  faudrait  ne  rendre  la  loi 
exécutoire  (ju'après  le  temps  où  l'on  devrait  la  présumer 
connue  à  l'extrémité  du  rayon  qui  s'éloigne  le  plus  du  lieu 

22. 


54o  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

OÙ  siège  le  gouvernement,  délai  (jui  devrait  être  au  moins 
de  quinze  jours,  à  compler  de  la  promulgation  de  la  loi; 
ce  qui  emporterait  vingt-cinq  jours,  en  y  comprenant  les 
jours  d'intervalle  entre  la  sanction  de  la  loi  et  sa  promul- 
gation :  d'où  il  résulterait  un  trop  grand  retard  dans  l'exé- 
cution de  la  loi,  pour  les  lieux  où  déjà  elle  serait  connue. 

Qu'en  proposant  le  mode  uniforme,  on  a  été  obligé  d'a- 
jouter :  «  Que  le  délai  pourra ,  selon  l'exigence  des  cas,  être 
«  modifié  par  la  loi  qui  serait  l'objet  de  la  publication.  » 
Restriction  qui  renverse  le  système  de  l'uniformité ,  et  dont 
la  nécessité  ne  se  fait  pas  sentir  dans  le  mode  progressif. 

Mais  ce  mode  progressif  n'est  adopté  que  sous  les  modi- 
fications suivantes  : 

i".  Que  le  délai  commence  et  coure  par  jour  et  non  par 
heures ,  en  ajoutant ,  pour  éviter  toute  difficulté  sur  la  fixa- 
tion du  commencement  et  de  l'échéance,  que  ,  dans  le  dé- 
lai, ne  sera  point  compris  le  jour  de  la  promulgation. 

2°.  Qu'il  doit  être  dit  que  le  délai  courra  de  la  promul- 
gation faite  au  lieu  où  siège  le  gouvernement ,  et  non  à  comp- 
ter de  la  promulgation  J dite  à  Paris. 

5".  Que  les  points  de  station  où  la  connaissance  de  la  loi 
doit  opérer  pour  tout  un  arrondissement  soient  les  chefs- 
lieux  des  départemens,  pour  chacun  d'eux,  et  non  les 
chefs-lieux  des  tribunaux  d'appel  pour  les  arrondissemens 
qui  en  forment  les  ressorts. 

L'n  membre  fait  la  j)r()posilion  que  le  gouvernement  soit 
invité  par  un  vœu  formel  à  présenter  à  la  suite  de  chacun 
des  Codes  qui  seront  successivement  décrétés,  un  projet 
de  loi  qui  fixe  l'épocjuc  à  la(|uelle  leur  exécution  commen- 
cera dans  toute  la  France  ;  il  fait  sentir  les  inconvéniens 
d'une  exécution  partielle  dans  ce  cas.  Il  se  fonde  sur 
l'exemjjle  d'une  ordonnance  particulière  (jui  le  voulut 
ainsi  pour  le  Code  prussien. 

Cette  proposition  mise  aux  voix  est  adoptée  par  la  sec- 
tion. 


DE    L\    PUBLICATION!    DES    LOIS.  Ô4 1 

L'article  a,  conçu  en  ces  termes  :  ia  loi  ne  dispose  que  pour     a 
l'avenir  ;  elle  nu  point  d'effet  rctroactif,  est  adopté. 

On  se  fonde  sur  ce  que  la  disposition  de  cet  article  est 
un  principe  constant  dont  Tapplication  ne  peut  être  dou- 
teuse ,  et  qu'elle  rentre  dans  le  droit  positif. 

Un  membre  propose  par  amendement  d'ajouter  à  cet 
article  une  disposition  qui  fixe  l'effet  des  lois  déclaratives  ou 
interprétatives,  afin  de  déterminer  les  cas  où  il  y  aurait  ré- 
troactivité et  ceux  où  il  n'y  en  aurait  pas. 

Cet  amendement,  mis  aux  voix,  n'est  point  adopté. 

L'art.  5,  ainsi  conçu  :  la  loi  oblige  ceux  qui  habitent  le  terri-      3 
toire  y  est  discuté. 

On  fait  observer  que  cette  disposition  est  trop  vague  ,  et 
peut  prêter  à  des  raisonuemens  faux  et  dangereux. 

Un  membre  propose  une  rédaction  dans  laquelle  il  a 
fondu  les  dispositions  des  articles  16  et  17  du  second 
projet  de  loi  relatif  à  la  jouissance  des  droits  civils  y  les- 
quelles dispositions  doivent  avoir  leur  place  au  titre  dont 
il  s'agit. 

La  rédaction  est  ainsi  conçue  : 

«  Les  lois  de  police  et  de  sûreté  obligent  tous  ceux  qui 
û  habitent  le  territoire. 

«  Les  immeubles,  même  ceux  possédés  par  des  étran-  1 

«  gers,  sont  régis  par  la  loi. 

a  Les  lois  concernant  l'état  et  la  capacité  des  personnes, 
«  régissent  les  Français,  même  résidant  en  pays  étran- 
«  gers.  i) 

Cette  rédaction  ,  mise  aux  voix,  est  adoptée. 

La  discussion  s'ouvre  sur  l'art.  4?  conçu  en  ces  termes  :     ap.  3 
la  forme  des  actes  est  réglée  par  les  lois  du  pays  dans  lerpiel  ils 
sont  faits  ou  passés. 

L'article  est  adopté. 

On  discute  l'article  5.  »P  ^ 

La  section  en  vote  le  retranchement. 


Z^l\'È      ,  DISCUSSIOI^S  ,    MOTIFS,    ClC. 

Cel  article  n'a  pas  présenté  un  principe  assez  général  y 
et  d'une  application  assez  certaine. 

Ktant  ainsi  conçu  ,  il  pourrait  présenter  une  application 
dangereuse  ,  lorsqu'un  fait  de  banqueroute  serait  porlé  de- 
vant les  tribunaux  criminels,  en  paraissant  interdire  la 
preuve  de  faits  tendant  à  se  disculper  d'un  délit. 

Enfin  une  disposition  à  ce  sujet  a  paru  être  mieux  placée, 
ou  dans  le  Code  judiciaire,   au  titre  des  preuves,  ou  au 
Code  de  commerce ,  au  titre  où  il  sera  parlé  des  actes  faits 
dans  les  dix  jours  antérieurs  à  la  faillite. 
4  L'article  6  est  adopté  ;  mais  sous  la  modification  qu'il 

ne  doit  pas  être  dit  que  le  juge  pourra  être  poursuivi  comme 
coupable  de  déni  de  justice. 
5  et  6        Les  articles  7  et  8  sont  adoptés. 

Titre  On  discutc  la  question  relative  au  placement  du  titre, 
qui  avait  été  renvoyée  après  l'examen  des  articles  qui  le 
composent. 

La  section  ne  voit  pas  d'inconvéniens  à  ce  que  les  dispo- 
sitions contenues  dans  ce  titre  soient  placées  en  tête  du 
Code  civil;  mais  elle  pense  qu'il  ne  doit  pas,  à  proprement 
parler,  en  faire  partie;  et  elle  émet  le  vœu  qu'il  forme  uu 
titre  particulier  et  préparatoire ,  sous  une  nomenclature 
spéciale  qui  le  distingue  et  le  détache  du  Code  civil. 

Les  observations  de  la  section  de  législation  du  Tri- 
bunal furent  communiquées  à  la  section  du  Conseil  d*Elat, 
et  par  suite  une  conférence  s'engagea  entre  les  deux  sec- 
lions,  sous  la  présidence  du  Consul  Canibacérès ,  à  l'efiet 
de  s'entendre  sur  les  changcmcns  que  le  Tribunal  pro- 
posait de  faire  subir  au  projet. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  54^^ 


RÉDACTION  DÉFINITIVE   DU  CONSEIL  D'ÉTAT. 

(Procès-verbal  de  la  séance  du  «g  vendémiaire  an  XI.  —  ai  octobre  1802.) 

M.  PoRTALis,  d'après  la  conférence  tenue  avec  les  mem- 
bres de  la  section  de  législation  du  Tribunal,  présente  la 
rédaction  définitive  du  titre  de  la  publication ,  des  effets  et 
de  l'application  des  lois  en  général. 

Le  Conseil  l'adopte,  elle  est  ainsi  conçue  : 

Art.  1^^.  Les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire 
français,  en  vertu  de  la  promulgation  qui  en  est  faite  par 
le  Premier  Con  sul. 

Elles  seront  exécutées  dans  chaque  partie  de  la  Répu- 
blique, du  moment  où  la  promulgation  en  pourra  être 
connue. 

La  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
putée connue  dans  le  département  ou  siégera  le  gouverne- 
ment, un  jour  après  celui  de  la  promulgation,  et  dans 
chacun  des  autres  départemens  après  l'expiration  du  même 
délai,  augmenté  d'autant  de  jours  qu'il  y  aura  de  fois  dix 
myriamètres  (environ  vingt  lieues)  entre  la  ville  où  la 
promulgation  en  aura  été  faite,  et  le  chef-lieu  de  chaque 
département. 

Art.  2.  La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir;  elle  n'a  point 
d'effet  rétroactif. 

Art.  3.  Les  lois  de  police  et  de  sûreté  obligent  tous  ceux 
qui  habitent  le  territoire. 

Les  immeubles  ,  même  ceux  possédés  par  des  étrangers,  ^ 
sont  régis  par  la  loi  française. 

Les  lois  concernant  l'état  et  la  capacité  des  personnes 
régissent  les  Français,  mcme  résidant  en  pays  étrangers. 

Art.  4.  Le  juge  qui  refujera  de  juger  sous  prétexte  du 
silence ,  de  l'obscurité  ou  de  rinsulFisance  de  la  loi,  pourra 
être  poursuivi  comme  coupable  de  déni  de  justice. 


544  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC. 

5  Art.  5.  Il  est  défendu  aux  juges  de  prononcer,  par  voie 
de  disposition  générale  et  réglementaire,  sur  les  causes  qui 
leur  sont  soumises. 

6  Art.  G.  On  ne  peut  déroger,  par  des  conventions  particu- 
lières, aux  lois  qui  intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes 
mœurs. 

Le  gouvernement  arrôla,  dans  la  séance  du  5o  pluviôse 
an  XI  (  ïQ  février  i8o3)  ,  que  le  projet  du  litre  prélimi- 
naire, adopté  au  Conseil  d'btat  le  29  vendémiaire  an  XI, 
serait  proposé  le  4  venlose  au  Corps  législatif;  et  le  Pre- 
mier Consul"  nomma  MM.  Portalis ,  Lacuée  et  Miot  pour 
le  présenter,  et  pour  en  soutenir  la  discussion  dans  la 
séance  du  i4  <lu  même  mois. 

PRÉSENTATION  AU  CORPS  LÉGISLATIF. 

EXPOSÉ  DES  MOTIFS,   PAR    LE    CONSEILLER  d'ÉTAT   PORTALIS. 
(  Séance  du  4  venlose  an  XI.  —  a3  février  i8o3.  ) 

Titie  Législateurs,  le  projet  de  loi  que  je  viens  vous  présenter, 
au  nom  du  gouvernement,  est  reiatii  a  la pubUcatum ^  aux 
effets  et  a  V(i])plic(ition  des  luis  en  général. 

Le  moment  est  arrivé  où  votre  sagesse  va  fixer  la  législa- 
tion civile  de  la  France.  Il  ne  faut  que  de  la  violence  pour 
détruire  ;  il  faut  de  la  constance ,  du  courage  et  des  lumiè- 
Ijres  pour  édifier. 

Nos  travaux  touchent  à  leur  terme. 

Le  vœu  des  Français,  celui  de  toutes  nos  assemblées 
nationales  seront  remplis.  Jusqu'ici  la  diversité  des  cou- 
tiunes  formait,  dans  \ui  mémo  état,  cent  états  différons. 
La  loi,  partout  opposée  à  elle-même,  divisait  les  citoyens 
au  lieu  de  les  unir.  Cet  ordre  de  choses  ne  saurait  exister 


DE    L\    PUDLICA.TION     DES    LOIS.  545 

plus  long-  temps.  Des  hommes,  (pn,à  la  voix  puissanle  de 
1.1  patrie ,  et  par  un  élan  sublime  et  généreux ,  ont  subite- 
ment renoneé  à  leurs  privilèges  et  à  leurs  habitudes,  pour 
reconnaître  un  intérêt  commun  ,  ont  conquis  le  droit  inap- 
préciable de  vivre  sous  une  commune  loi. 

C'est  dans  le  moment  de  cette  grande  et  salutaire  révo- 
lution dans  nos  lois,  qu'il  importe  de  proclamer  quelques- 
unes  de  ces  maximes  fécondes,  qui  ont  été  consacrées  par 
tous  les  peuples  policés ,  et  qui  servent  à  diriger  la  marche 
de  toute  législation  bien  ordonn-ée.  Ces  maximes  sont 
l'objet  du  projet  de  loi  que  je  présente  ;  elles  n'appartien- 
nent à  aucun  Code  particulier;  elles  sont  comme  les  pro- 
légomènes de  tous  les  Codes. 

Mais  il  nous  a  paru  que  leur  véritable  place  était  en  avant 
du  Code  civil,  parce  que  cette  espèce  de  Code  est  celle 
qui,  plus  que  toute  autre,  embrasse  l'universalité  des 
choses  et  des  personnes. 

Publication  des  lois. 

Dans  un  gouvernement,  il  est  essentiel  que  les  citoyens 
puissent  connaître  les  lois  sous  lesquelles  ils  vivent  et  aux- 
quelles ils  doivent  obéir. 

De  là,  les  formes  établies  chez  toutes  les  nations  pour  la 
promulgation  et  la  publication  des  lois. 

On  a  cru  devoir  s'occuper  de  ces  formes  auxquelles  l'exé- 
cution des  lois  se  trouve  nécessairement  liée. 

Il  est  sans  doute  une  justice  naturelle  émanée  de  la 
raison  seule,  et  cette  justice,  qui  constitue  pour  ainsi  dire 
le  cœur  humain,  n'a  pas  besoin  de  promulgation.  C'est 
une  lumière  qui  éclaire  tout  homme  venant  en  ce  monde, 
et  qui,  du  fond  de  la  conscience,  réfléchit  sur  toutes  les 
actions  de  la  vie. 

Mais,  faute  de  sanction,  la  justice  naturelle  qui  dirige 
sans  contraindre,  serait  vaine  pour  la  plupart  des  hommes, 


546  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

si  la  raison  ne  se  déployait  avec  l'appareil  de  la  puissance 
pour  unir  les  droits  aux  devoirs,  pour  substituer  l'obliga- 
tion à  l'instinct,  et  appuyer,  par  les  commaudemens  de 
l'autorité,  les  inspirations  de  la  nature. 

Quand  on  a  la  force  de  faire  ce  que  l'on  veut,  il  est  dif- 
ficile de  ne  pas  croire  qu'on  en  a  le  droit.  On  se  résignerait 
peu  à  se  soumettre  à  des  gênes,  si  l'on  pouvait  avec  impu- 
nité se  livrer  à  ses  penchans. 

Ce  que  nous  appelons  le  droit  naturel  ne  suffisait  donc 
pas  :  il  fallait  des  commaudemens  ou  des  préceptes  for- 
mels et  coactils. 

On  voit  donc  la  différence  qui  existe  entre  une  règle  de 
morale  et  une  loi  d'état. 

Or,  ce  sont  les  lois  d'état  qui  ont  besoin  d'être  promul- 
guées pour  devenir  exécutoires  :  car  ces  sortes  de  lois,  qui 
n'ont  pas  toujours  existé,  qui  changent  souvent ,  et  qui  ne 
peuvent  tout  embrasser,  ont  leur  époque  déterminée  et 
leur  objet  particulier.  On  ne  saurait  être  tenu  de  leur  obéir 
sans  les  connaître. 

Sous  l'ancien  régime,  la  loi  était  une  volonté  du  prince. 

Cette  volonté  était  adressée  aux  cours  souveraines,  qui 
étaient  chargées  de  la  vérification  et  du  dépôt  des  lois. 

La  loi  n'était  point  exécutoire  dans  un  ressort  avant  d'y 
avoir  été  vérifiée  et  enregistrée. 

La  vérification  était  un  examen  ,  une  discussion  de  la 
loi  nouvelle.  J^Ile  représentait  la  délibération  qui  est  de 
l'essence  de  toutes  les  lois.  L'enregistrement  était  la  trans- 
cription sur  le  registre  de  la  loi  vérifiée. 

Les  cours  pouvaient  suspendre  l'enregistrement  d'une  loi 
ou  même  le  refuser;  elles  pouvaient  modifier  la  loi  en  l'en- 
registrant, et  dès-lors  ces  modifications  faisaient  partie  de 
la  loi  même. 

Une  loi  pouvait  être  refusée  par  une  cour  souveraine  et 
acceplée  par  une  autre  :  elle  pouvait  être  diversement  nio- 
•liliée  par  les  diverses  cours. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  347 

La  législation  marchait  ainsi  d'un  pas  chancelant,  timide 
et  incertain.  Dans  cette  confusion  et  dans  ce  conflit  de  vo- 
lontés différentes,  il  ne  pouvait  y  avoir  d'unilé  ,  de  certi- 
tude ni  de  maiesté  dans  les  opérations  du  Iéi;islateur.  On 
ne  savait  jamais  si  l'étal  était  régi  par  la  volonté  générale  , 
ou  s'il  était  livré  à  l'anarchie  des  volontés  particulières. 

Tout  cela  tenait  à  la  Constitution  d'alors. 

La  France,  dans  les  temps  qui  ont  précédé  la  révolution, 
présentait  moins  une  nation  particulière  qu'un  assemblage 
de  nations  diverses,  successivement  réunies  ou  conquises, 
distinctes  par  le  climat,  par  le  sol,  par  les  privilèges  ,  par 
les  coutumes,  par  le  droit  civil,  par  le  droit  politique. 

Le  prince  gouvernait  ces  différentes  nations  sous  les  ti- 
tres différens  de  duc,  de  roi ,  de  comte  :  il  avait  promis  de 
maintenir  chaque  pays  dans  ses  coutumes  et  dans  ses  fran- 
chises. On  sent  que,  dans  une  pareille  situation  ,  c'était  un 
prodige  quand  une  même  loi  pouvait  convenir  à  toutes  les 
parties  de  l'empire.  Une  marche  uniforme  dans  la  législa- 
tion était  donc  impossible. 

S'il  n'y  avait  point  d'unité  dans  l'exercice  du  pouvoir 
législatif  par  rapport  au  fond  même  des  lois,  il  ne  pouvait 
y  en  avoir  dans  le  mode  de  leur  promulgation. 

Chaque  province  de  France  formant  un  état  ù  part,  il 
fallait  pour  naturaliser  une  loi  dans  chaque  province  que 
cette  loi  y  fût  expressément  acceptée  et  promulguée  en 
vertu  de  cette  acceptation. 

Il  fallait  donc  dans  chaque  province  une  promulgation 
particulière. 

Dans  certains  ressorts,  la  loi  était  censée  promulguée, 
et  elle  devenait  exécutoire  pour  tous  les  habilans  du  pays, 
du  jour  qu'elle  avait  été  enregistrée  par  le  parlement  de  la 
province. 

Dans  d'autres  ressorts ,  on  ne  regardait  l'enregistrement 
dans  les  cours  que  comme  le  complément  de  la  loi  consi- 
dérée eu  elle-même,  et  non  comme  sa  promulgation  ou  sa 


548  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

publication.  On  jugeait  que  la  formation  de  la  loi  était  con- 
sommée par  l'enregistrement;  mais  qu'elle  n'était  promul- 
guée que  par  l'envoi  aux  sénéchaussées  et  bailliages,  et 
qu'elle  n'était  exécutoire,  dans  chaque  territoire,  que  du 
jour  de  la  publication  faite  à  l'audience  par  la  sénéchaussée, 
ou  par  le  bailliage  de  ce  territoire. 

Les  choses  changèrent  sous  l'assemblée  constituante. 

Un  décret  de  cette  assemblée,  du  2  novembre  1790, 
porta  qu'une  loi  était  complète  dès  l'instant  qu'elle  avait 
été  sanctionnée  par  le  roi;  que  la  transcription  et  la  publi- 
cation de  la  loi,  faites  par  les  corps  administratifs  et  par 
les  tribunaux^  étaient  toutes  également  de  même  valeur, 
et  que  la  loi  était  obligatoire  du  moment  où  la  publication 
en  avait  été  faite ,  soit  par  le  corps  administratif,  soit  par 
le  tribunal  de  l'arrondissement,  sans  qu'il  fût  nécessaire 
qu'elle  eût  été  faite  par  tous  les  deux. 

Le  même  décret  voulait  que  la  publication  fût  faite  par 
lecture  ,  placards  et  affiches. 

La  Convention  ordonna  l'impression  d'un  bulletin  des 
loîsç  et  l'envoi  de  ce  bullelin  à  toutes  les  autorités  consti- 
tuées. Elle  décida  que,  dans  chaque  lieu,  la  promulgation 
de  la  loi  serait  faite  dans  les  vingt-quatre  heures  de  la  ré- 
ception par  une  publication  au  son  de  trompe  ou  de  tam- 
bour, et  que  la  loi  y  deviendrait  obligatoire  à  compter  du 
jour  de  la  promulgation.  La  même  assemblée  nationale, 
après  avoir  achevé  la  Constitution  de  l'an  IV,  et  avant  de 
se  séparer,  fit,  le  12  vendémiaire,  un  nouveau  décret  sur 
la  promulgation  cl  la  publication  des  lois.  Par  ce  décret, 
elle  supi)rima  les  publications  à  son  de  trompe  ou  au  bruit 
du  tambour.  Llle  conserva  l'usage  d'un  bulletin  officiel  que 
le  ministre  de  la  justice  lut  chargé  d'adresser  aux  présidens 
des  administrations  départementales  et  munici])alcs,  cl 
aux  divers  fonctionnaires  mentionnés  dans  le  décret.  V\h 
déclara  que  les  lois  et  actes  du  Corps  législatif  obligeraient, 
dans  l'étendue  de  chacpie  département,  du  jour  aiwpicl  le 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  349 

bulletin  officiel  serait  distribué  au  chef-lieu  du  département  ; 
cl  que  ce  jour  serait  constaté  par  un  registre  où  les  admi- 
nistrateurs de  chaque  département  certifieraient  l'arrivée 
de  chaque  numéro. 

L'envoi  d'un  bulletin  officiel  aux  administrations  et  aux 
tribunaux  est  encore  aujourd'hui  le  mode  que  l'on  suit 
pour  la  promulgation  et  pour  la  publication  des  lois. 

Dans  le  projet  de  Code  civil,  les  rédacteurs  se  sont  oc- 
cupés de  cet  objet;  ils  ont  consacré  le  principe  que  les  lois 
doivent  être  adressées  aux  autorités  chargées  de  les  exécu- 
ter ou  de  les  appliquer. 

Ils  ont  pensé  que  les  lois  dont  l'application  appartient 
aux  tribunaux  devraient  être  exécutoires  dans  chaque  partie 
de  la  République  du  jour  de  leur  publication  par  les  tribu- 
naux d'appel,  et  que  les  lois  administratives  devraient  être 
exécutoires  du  jour  de  la  publication  faite  par  les  corps  ad- 
ministratifs. 

Ils  ont  ajouté  que  les  lois  dont  l'exécution  et  l'application 
appartiendraient  à  la  fois  aux  tribunaux  et  à  d'autres  au- 
torités, leur  seraient  respectivement  adressées,  et  qu'elles 
seraient  exécutoires,  en  ce  qui  est  relatif  à  la  compétence 
de  chaque  autorité,  du  jour  de  la  publication  par  l'autorité 
compétente. 

Les  avantages  et  les  incon venions  des  divers  systèmes 
ont  été  balancés  par  le  gouvernement,  et  il  a  su  s'élever 
aux  véritables  principes. 

Une  loi  peut  être  considérée  sous  deux  rapports  :  i"  rela- 
tivement à  l'autorité  dont  elle  est  émanée ,  2°  relativement 
au  peuple  ou  à  la  nation  pour  qui  elle  est  faite. 

Toute  loi  suppose  un  législateur. 

Toute  loi  suppose  encore  un  peuple  qui  l'observe  et  qui 
lui  obéisse. 

Entre  la  loi  et  le  peuple  pour  qui  elle  est  faite  ,  il  faut  un 
moyen  ou  un  lien  de  communication  :  car  il  est  nécessaire 


55o  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

(|ue  le  peuple  sache  ou  puisse  savoir  que  la  loi  existe  et 
qu'elle  existe  comme  loi. 

La  promulgation  est  le  moyen  de  constater  l'existence 
de  la  loi  auprès  du  peuple ,  et  de  lier  le  peuple  à  l'observa- 
tion de  la  loi. 

Avant  la  promulgation ,  la  loi  est  parfaite  relativement 
à  l'autorité  dont  elle  est  l'ouvrage;  mais  elle  n'est  point 
encore  obligatoire  pour  le  peuple  en  faveur  de  qui  le  légis- 
lateur dispose. 

La  promulgation  ne  fait  pas  la  loi  ;  mais  l'exécution  de 
la  loi  ne  peut  commencer  qu'après  la  promulgation  de  la 
loi  ;  Non  obllgat  lex,  nisi  promidgata. 

La  promulgation  est  la  vive  voix  du  législateur. 

En  France ,  la  forme  de  la  promulgation  est  constitu- 
tionnelle :  car  la  Constitution  règle  que  les  lois  seront 
promulguées,  et  qu'elles  le  seront  par  le  Premier  Consul. 

D'après  la  Constitution,  et  d'après  les  maximes  du  droit 
public  universel,  nous  avons  établi,  dans  le  projet,  que  les 
lois  seraient  exécutoires  en  vertu  de  la  promulgation  faite 
par  le  Premier  Consul.  Si  la  voix  de  ce  premier  magistrat 
pouvait  retentir  à  la  fois  dans  tout  l'univers  français,  toute 
précaution  ultérieure  deviendrait  inutile.  31ai8  la  nature 
même  des  choses  résiste  à  une  telle  supposition. 

Il  faut  pourtant  que  la  promulgation  soit  connue  ou 
puisse  l'être. 

Il  n'est  certainement  pas  nécessaire  d'atteindre  chaque 
individu.  La  loi  prend  les  hommes  en  masse.  Elle  parle, 
non  à  chaque  particulier,  mais  au  corps  entier  de  la  so- 
ciété. 

Il  sufTit  ((ue  les  particuliers  aient  pu  connaître  la  loi. 
C'est  leur  faute  s'ils  l'ignorent  quand  ils  ont  pu  et  dû  la 
connaître,  idem  est  scirc  ant  scirc  dchnissc  y  (uit  potuissv. 
L'ignorance  du  droit  n'excuse  pas. 

La  loi  était  autrefois  un  mystère  jusqu ïi  sa  formation. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  35 1 

Elle  était  préparée  dans  les  conseils  secrets  du  prince.  Lors 
de  la  vérification  qui  en  était  faite  par  les  cours,  la  discus- 
sion n'en  était  pas  publique,  tout  était  dérobé  constam- 
ment à  la  curiosité  des  citoyens.  La  loi  n'arrivait  à  la  con- 
naissance des  citoyens  que  conin\e  l'éclair  qui  sort  du  nuage. 

Aujourd'hui  il  en  est  autrement.  Toutes  les  discussions 
et  toutes  les  délibérations  se  font  avec  solennité  et  en  pré- 
sence du  public.  Le  législateur  ne  se  cache  jamais  derrière 
un  voile.  On  connaît  ses  pensées  avant  même  qu'elles 
soient  réduites  en  commandemens.  Il  prononce  la  loi  au 
moment  même  où  elle  vient  d'être  formée,  et  il  la  pro- 
nonce publiquement. 

Un  délai  de  dix  jours  précède  la  promulgation ,  et  pen- 
dant ce  délai,  la  loi  circule  dans  toutes  les  parties  de 
l'empire. 

Elle  est  donc  déjà  publique  avant  d'être  promulguée. 

Cependant,  comme  ce  n'est  là  qu'une  publication  de 
fait,  nous  avons  cru  devoir  encore  garantir  cette  publicité 
de  droit  qui  produit  l'obligation  et  qui  force  l'obéissance. 

Après  la  promulgation,  nous  avons  en  conséquence  mé- 
nagé de  nouveaux  délais  pendant  lesquels  la  loi  promul- 
guée dans  le  lieu  où  siège  le  gouvernement,  peut  être 
successivement  parvenue  jusqu'aux  extrémités  de  la  Répu- 
blique. 

On  avait  jeté  l'idée  d'un  délai  unique,  d'un  délai  uni- 
forme, après  lequel  la  loi  aurait  été,  dans  le  môme  ins- 
tant, exécutoire  partout. 

Mais  cette  idée  ne  présentait  qu'une  fiction  démentie 
par  la  réalité.  Tout  est  successif  dans  la  marche  de  la  na- 
ture :  tout  doit  l'être  dans  la  marche  de  la  loi. 

Il  eût  été  absurde  et  injuste  que  la  loi  fût  sans  exécution 
dans  le  lieu  de  sa  promulgation  et  dans  les  contrées  envi- 
ronnantes, parce  qu'elle  ne  pouvait  pas  encore  être  con- 
nue dans  les  parties  les  plus  éloignées  du  territoire  na- 
tional. 


352  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    CtC. 

Personne  n'est  affligé  de  la  dépendance  des  choses.  On 
l'est  de  l'arbitraire  de  l'homme. 

J'ajoute  que  de  grands  inconvéniens  politiques  auraient 
pu  être  la  suite  d'une  institution  aussi  contraire  à  la  justice 
qu'à  la  raison,  et  à  l'ordre  physique  des  choses. 

Nous  avons  donc  gradué  les  délais  d'après  les  distances. 

Le  système  du  projet  de  loi  fait  disparaître  tout  ce  que 
les  différons  systèmes  admis  jusqu'à  ce  jour  offraient  de 
vicieux. 

Je  ne  parle  point  de  ce  qui  se  pratiquait  sous  l'ancien 
régime.  Les  institutions  d'alors  sont  inconciliables  avec  les 
nôtres. 

Mais  j'observe  que  dans  ce  qui  s'est  pratiqué  depuis  la 
révolution,  on  avait  trop  subordonné  l'exécution  de  la  loi 
au  fait  de  Ihomme. 

Partout  on  exigeait  des  lectures,  des  transcriptions  de 
la  loi;  et  la  loi  n'était  pas  exécutoire  avant  ces  transcrip- 
tions et  ces  lectures.  A  chaque  instant,  la  négligence  ou  la 
mauvaise  foi  d'un  officier  public  pouvaient  paralyser  la  lé- 
gislation, au  grand  préjudice  de  l'État  et  des  citoyens. 

Les  transcriptions  et  les  lectures  peuvent  figurer  comme 
moyens  secondaires,  comme  précautions  de  secours. 

Mais  il  ne  faut  pas  que  la  loi  soit  abandonnée  au  caprice 
des  hommes.  Sa  marche  doit  être  assurée  et  imperturba- 
ble. Image  de  l'ordre  éternel,  elle  doit,  pour  ainsi  dire,  se 
suffire  à  cllc-mr-me.  Nous  lui  rendons  toute  son  indépen- 
dance, en  ne  subordonnant  son  exécution  qu'à  des  délais, 
à  des  précautions  commandées  par  la  nature  même. 

Le  plan  des  rédacteurs  du  projet  de  Code  joignait  aux 
vices  de  tous  les  autres  systèmes  un  vice  de  plus. 

Dans  ce  plan  ,  on  distinguait  les  lois  administratives  d'a- 
vec les  autres;  et,  pour  la  publication,  on  faisait  la  part 
des  tribunaux  et  celle  des  administrateurs. 

Jl  fallait  donc,  avec  un  pareil  plan,  juger  chaque  loi, 
j)Oiu-   fixer    l'autorité  (jui  devait  en   faire  la   jiublication. 


DE  LA  PUBLICATION  DBS  LOIS.  555 

Cela  eût  entraîné  des difficullés  inlcnninables,  et  des  ques- 
tions indiscrètes  (jui  eussent  pu  compromettre  la  dignité 
des  lois. 

Le  projet  que  je  présente  prévient  tous  les  doutes,  rem- 
plit tous  les  intérêts,  et  satisfait  à  toutes  les  convenances. 

Effets  rètwactifs. 

Après  avoir  fixé  l'époque  à  laquelle  les  lois  deviennent 
exécutoires,  nous  nous  sommes  occupés  des  effets. 

C'est  un  principe  général  que  les  lois  n'ont  point  d'effet 
rétroactif. 

A  l'exemple  de  toutes  nos  assemblées  nationales,  nous 
avons  proclamé  ce  principe. 

Il  est  des  vérités  utiles  qu'il  ne  suffît  pas  de  publier  une 
fois,  mais  qu'il  faut  publier  toujours,  et  qui  doivent  sans 
cesse  frapper  l'oreille  du  magistrat,  du  juge,  du  législa- 
teur, parce  qu'elles  doivent  constamment  être  présentes  à 
leur  esprit. 

L'office  des  lois  est  de  régler  l'avenir.  Le  passé  n'est  plus 
en  leur  pouvoir. 

Partout  où  la  rétroactivité  des  lois  serait  [admise,  non 
seulement  la  sûreté  n'existerait  plus,  mais  son  ombre 
même. 

La  loi  naturelle  n'est  limitée  ni  par  le  temps,  ri  par  les 
lieux,  parce  qu'elle  est  de  tous  les  pays  et  de  tous  les  siècles. 

Mais  les  lois  positives,  qui  sont  l'ouvrage  des  hommes, 
n'existent  pour  nous  que  quand  on  les  promulgue,  et  elles 
ne  peuvent  avoir  d'effet  que  quand  elles  existent. 

La  liberté  civile  consiste  dans  le  droit  de  faire  ce  que  la 
loi  ne  prohibe  pas.  On  regarde  comme  permis  tout  ce  qui 
n'est  pas  défendu. 

Que  deviendrait  donc  la  liberté  civile,  si  le  citoyen  pou- 
vait craindre  qu'après  coup  il  serait  exposé  au  danger  d'être 
VI.  a3 


554  DISCUSSIONS,  MOTIFS,  etc. 

recherché  dans  ses  actions,  ou  troublé  dans  ses  droits  ac- 
quis, par  une  loi  postérieure  ? 

Ne  confondons  pas  les  jugemens  avec  les  lois.  Il  est  de 
la  nature  des  jugemens  de  régler  le  passé,  parce  qu'ils  ne 
peuvent  intervenir  que  sur  des  actions  ouvertes,  et  sur  des 
faits  auxquels  ils  appliquent  les  lois  existantes.  Mais  le 
passé  ne  saurait  être  du  domaine  des  lois  nouvelles,  qui  ne 
le  régissaient  pas. 

Le  pouvoir  législatif  est  la  toute-puissance  humaine. 
La  loi  établit,  conserve,  change,  modifie,  perfectionne. 
Elle  détruit  ce  qui  est;  elle  crée  ce  qui  n'est  pas  encore. 

La  tête  d'un  grand  législateur  est  une  espèce  d'Olympe 
d'où  partent  ces  idées  vastes,  ces  conceptions  heureuses 
qui  président  au  bonheur  des  hommes  et  à  la  destinée  des 
empires.  Mais  le  pouvoir  de  la  loi  ne  peut  s'étendre  sur 
des  choses  qui  ne  sont  plus,  et  qui,  par  là  même,  sont 
hors  de  tout  pouvoir. 

L'homme,  qui  n'occupe  qu'un  point  dans  le  temps  comme 
dans  l'espace,  serait  un  être  bien  malheureux,  s'il  ne  pou- 
vait pas  se  croire  en  siireté ,  même  pour  sa  vie  passée  ! 
pour  cette  portion  de  son  existence ,  n'a-t-il  pas  déjà  porté 
tout  le  poids  de  sa  destinée  ?  Le  passé  peut  laisser  des  re- 
grets; mais  il  termine  toutes  les  incertitudes.  Dans  l'ordre 
de  la  nature,  il  n'y  a  d'incertain  que  l'avenir,  et  encore 
l'incertitude  est  alors  adoucie  par  l'espérance,  celte  com- 
pagne fidèle  de  notre  faiblesse.  Ce  serait  empirer  la  triste 
condition  de  l'humanité,  que  de  vouloir  changer,  par  le 
système  de  la  législation,  le  système  de  la  nature,  et  de 
chercher,  pour  un  temps  qui  n'est  plus,  à  faire  revivre  no» 
craintes,  sans  pouvoir  nous  rendre  nos  espérances. 

Loin  de  nous  l'idée  de  ces  lois  à  deux  faces,  qui,  ayant 
sans  cesse  un  œil  sur  le  passé,  et  l'autre  sur  l'avenir,  des- 
sécheraient la  source  de  la  confiance,  et  deviendraient  un 
principe  éternel  d'injustice,  de  bouleversement  et  de  dés- 
ordre. 


DB    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  555 

Pourquoi,  dira-t-on,  laisser  impunis  des  abus  qui  exis- 
taient avant  la  loi  que  l'on  promulgue  pour  les  réprimer? 
Parce  qu'il  ne  faut  pas  que  le  remède  soit  pire  que  le  mal. 
Toute  loi  naît  d'un  abus.  Il  n*y  aurait  donc  point  de  loi 
qui  ne  dût  être  rétroactive.  Il  ne  faut  point  exiger  que  les 
hommes  soient  avant  la  loi  ce  qu'ils  ne  doivent  devenir 
que  par  elle. 

Lois  de  police  et  de  sûreté. 

Toutes  les  lois,  quoique  émanées  du  même  pouvoir, 
n'ont  point  le  même  caractère,  et  ne  sauraient  conséquem- 
ment  avoir  la  même  étendue  dans  leur  application,  c'est- 
à-dire  les  mêmes  effets;  il  a  donc  fallu  les  distinguer. 

Il  est  des  lois,  par  exemple,  sans  lesquelles  un  état  ne 
pourrait  subsister.  Ces  lois  sont  toutes  celles  qui  main- 
tiennent la  police  de  l'État,  et  qui  veillent  à  sa  sûreté. 

Nous  déclarons  que  des  lois  de  cette  importance  obligent 
indistinctement  tous  ceux  qui  habitent  le  territoire. 

Il  ne  peut,  à  cet  égard,  exister  aucune  différence  entre 
les  citoyens  et  les  étrangers. 

Un  étranger  devient  le  sujet  casuel  de  la  loi  du  pays  dans 
lequel  il  passe,  ou  dans  lequel  il  réside.  Dans  le  cours  de 
son  voyage ,  ou  pendant  le  temps  plus  ou  moins  long  de  sa 
résidence,  il  est  protégé  par  cette  loi  :  il  doif  donc  la  res- 
pecter à  son  tour.  L'hospitalité  qu'on  lui  donne  appelle  et 
force  sa  reconnaissance. 

D'autre  part,  chaque  état  a  le  droit  de  veillera  sa  con- 
servation ;  et  c'est  dans  ce  droit  que  réside  la  souveraineté. 
Or,  comment  un  état  pourrait-il  se  conserver  et  se  main- 
tenir, s'il  existait  dans  son  sein  des  hommes  qui  pussent 
impunément  enfreindre  sa  police  et  troubler  sa  tranquil- 
lité ?  Le  pouvoir  souverain  ne  pourrait  remplir  la  fin  pour 
laquelle  il  est  établi,  si  des  hommes  étrangers  ou  natio- 
naux étaient  iudépendans  de  ce  pouvoir.  11  ne  peut  être 

25. 


55G  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

limité,  ni  quant  aux  choses,  ni  quant  aux  personnes.  Il 
n'est  rien  s'il  n'est  tout.  La  qualité  d'étranger  ne  saurait 
être  une  exception  légitime  pour  celui  qui  s'en  prévaut 
contre  la  puissance  publique  qui  régit  le  'pays  dans  lequel 
il  réside.  Habiter  le  territoire ,  c'est  se  soumettre  à  la  sou- 
veraineté. Tel  est  le  droit  politique  de  toutes  les  nations. 

A  ne  consulter  même  que  le  droit  naturel ,  tout  homme 
peut  repousser  la  violence  par  la  force.  Comment  donc  ce 
droit,  qui  compèle  à  tout  individu,  serait-il  refusé  aux 
grandes  sociétés  contre  un  étranger  qui  troublerait  l'ordre 
de  ces  sociétés  ?  Des  millions  d'hommes  réunis  en  corps 
d'état  seraient-ils  dépouillés  du  droit  de  la  défense  natu- 
relle, tandis  qu'un  pareil  droit  est  sacré  dans  la  personne 
du  moindre  individu? 

Aussi,  chez  toutes  les  nations,  les  étrangers  qui  délin- 
quent  sont  traduits  devant  les  tribunaux  du  pays. 

Nous  ne  parlons  pas  des  ambassadeurs;  ce  qui  les  con- 
cerne est  réglé  par  le  droit  des  gens  et  par  les  traités. 

Lois  personnelles. 

S'agit-il  des  lois  ordinaires?  On  a  toujours  distingué  celles 
qui  sont  relatives  à  l'état  et  à  la  capacité  des  personnes, 
d'avec  celles  qui  règlent  la  disposition  des  biens.  Les  pre- 
mières sont  appelées /?67-.vo/z/?f//6'^,  et  les  secondes  réelles. 

Les  lois  personnelles  suivent  la  personne  partout.  Ainsi 
la  loi  française,  avec  des  yeux  de  mère,  suit  les  Français 
jusque  dans  les  régions  les  plus  éloignées;  elle  les  suit  jus- 
qu'aux extrémités  d  u  globe. 

La  qualité  de  Français,  comme  celle  d'étranger,  est 
l'ouvrage  de  la  nature  ou  celui  de  la  loi.  On  est  Français 
par  la  nature,  quand  on  l'est  par  sa  naissance,  par  son 
origine.  On  l'est  par  la  loi,  quand  on  le  devient  en  rem- 
plissant toutes  les  conditions  que  la  loi  prescrit  pour  effa- 
cer les  vices  de  la  naissance  ou  de  l'origine. 


DE    LA    PUllLICATION    DES    LOIS.  TtSj 

Mais  il  suffit  d'être  Français  pour  être  régi  par  la  loi 
française ,  dans  tout  ce  qui  concerne  l'état  de  la  personne. 

Un  Français  ne  peut  faire  fraude  aux  lois  de  son  pays 
pour  aller  contracter  mariage  en  pays  étrangers  sans  le 
consentement  de  ses  père  et  mère,  avant  l'âge  de  vingt- 
cinq  ans.  Nous  citons  cet  exemple  entre  mille  autres  pa- 
reils, pour  donner  une  idée  de  l'étendue  et  de  la  force  df5s 
lois  personnelles. 

Les  différens  peuples,  depuis  les  progrès  du  commerce 
et  de  la  civilisation ,  ont  plus  de  rapport  entre  eux  qu'ils 
n'en  avaient  autrefois.  L'histoire  du  commerce  est  l'his- 
toire de  la  communication  des  hommes.  Il  est  donc  plus 
important  qu'il  ne  Ta  jamais  été  de  fixer  la  maxime  que, 
dans  tout  ce  qui  regarde  l'état  et  la  capacité  de  la  personne, 
le  Français ,  quelque  part  qu'il  soit ,  continue  d'être  régi 
par  la  loi  française. 

Lois  réelles. 

Les  lois  qui  règlent  la  disposition  des  biens  sont  appelées     ^ 
réelles  :  ces  lois  régissent  les  immeubles,  lors  même  qu'ils 
sont  possédés  par  des  étrangers. 

Ce  principe  dérive  de  ce  que  les  publicistes  appellent 
ie  domaine  éminent  du  souverain. 

Point  de  méprise  sur  les  mots  domaine  éminent;  ce  serait 
une  erreur  d'en  conclure  que  chaque  état  a  un  droit  uni- 
versel de  propriété  sur  tous  les  biens  de  son  territoire. 

Les  mots  domaine  éminent  n'expriment  que  le  droit  qu'a 
la  puissance  publique  de  régler  la  disposition  des  biens  par 
des  lois  civiles,  de  lever  sur  ces  biens  des  impôts  propor- 
tionnés aux  besoins  publics,  et  de  disposer  de  ces  mômes 
biens  pour  quelque  objet  d'utilité  publique,  en  indemni- 
sant les  particuliers  qui  les  possèdent. 

Au  citoyen  appartient  la  propriété  ,  et  au  souverain  l'em- 
pire. Telle  est  la  maxime  de  tous  les  pays  et  de  tous  les 


558  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

temps  ;  mais  les  propriétés  particulières  des  citoyens ,  réu- 
nies et  contiguës,  forment  le  territoire  public  d'un  état;  et, 
relativement  aux  nations  étrangères,  ce  territoire  forme 
un  seul  tout,  qui  est  sous  l'empire  du  souverain  ou  de  l'É- 
tat. La  souveraineté  est  un  droit  à  la  fois  réel  et  person- 
nel. Conséquemment,  aucune  partie  du  territoire  ne  peut 
être  soustraite  à  l'administralion  du  souverain,  comme 
aucune  personne  habitant  le  territoire  ne  peut  être  sous- 
traite à  sa  surveillance  ni  à  son  autorité. 

La  souveraineté  est  indivisible.  Elle  cesserait  de  l'être,  si 
les  portions  d'un  même  territoire  pouvaient  être  régies  par 
des  lois  qui  n'émaneraient  pas  du  même  souverain. 

Il  est  donc  de  l'essence  miême  des  choses,  que  les  im- 
meubles, dont  l'ensemble  forme  le  territoire  public  d'un 
peuple ,  soient  exclusivement  régis  par  les  lois  de  ce  peu- 
ple, quoiqu'une  partie  de  ces  immeubles  puisse  être  pos- 
sédée par  des  étrangers. 

Règles  pour  les  fuges.  ' 

Il  ne  suffisait  pas  de  parler  des  effets  principaux  des  lois  ^ 
il  fallait  encore  présenter  aux  juges  quelques  règles  d'ap- 
plication. 

La  justice  est  la  première  dette  de  la  souveraineté  ;  c'est 
pour  acquitter  cette  dette  sacrée  que  les  tribunaux  sont 
établis. 

Mais  les  tribunaux  ne  rempliraient  pas  le  but  de  leur 
étiblissement,  si,  sous  prétexte  du  silence,  de  l'obscurité 
ou  de  rinsuûisance  de  la  loi,  ils  refusaient  de  juger.  Il  y 
avait  des  juges  avant  qu'il  y  eût  des  lois ,  et  les  lois  ne  peu- 
vent prévoir  tous  les  cas  qui  peuvent  s'offrir  aux  juges. 
L'administration  delà  justice  serait  donc  perpétuellement 
interrompue,  si  un  juge  s'abstenait  de  juger  toutes  les  fois 
que  la  contestation  qui  lui  est  soumise  n'a  pas  été  prévue 
par  une  loi  ? 


DE    LA    PUBLICATION    DLS    LOIS.  55q 

L'olUce  tics  lois  est  de  statuer  sur  les  cas  qui  arrivent  le 
plus  fréquemment.  Les  accidens,  les  cas  fortuits,  les  cas 
extraordinaires ,  ne  sauraient  être  la  matière  d'une  loi. 

Dans  les  choses  même  qui  méritent  de  fixer  la  sollici- 
tude du  législateur,  il  est  impossible  de  tout  fixer  par  des 
règles  précises.  C'est  une  sage  prévoyance  de  penser  qu'on 
ne  peut  tout  prévoir. 

De  plus,  ou  peut  prévoir  une  loi  à  faire  sans  croire  de- 
voir la  précipiter.  Les  lois  doivent  être  préparées  avec  une 
sage  lenteur.  Les  états  ne  meurent  pas,  et  il  n'est  pas  ex- 
pédient de  faire  tous  les  jours  de  nouvelles  lois. 

Il  est  donc  nécessairement  une  foule  de  circonstances 
dans  lesquelles  un  juge  se  trouve  sans  loi.  Il  faut  donc  lais- 
ser alors  au  juge  la  faculté  de  suppléer  à  la  loi  par  les  lu- 
mières naturelles  de  la  droiture  et  du  bon  sens.  Rien  ne  se- 
rait plus  puéril  que  de  vouloir  prendre  des  précautions  suf- 
fisantes pour  qu'un  juge  n'eût  jamais  qu'un  texte  précis  à 
appliquer.  Pour  prévenir  les  jugemens  arbitraires,  on  ex- 
poserait la  société  à  miUe  jugemens  iniques,  et,  ce  qui  est 
pis,  on  l'exposerait  à  ne  pouvoir  plus  se  faire  rendre  jus- 
tice ;  et  avec  la  folle  idée  de  décider  tous  les  cas ,  on  ferait 
de  la  législation  un  dédale  immense,  dans  lequel  la  mé- 
moire et  la  raison  se  perdraient  également. 

Quand  la  loi  se  tait,  la  raison  naturelle  parle  encore  :  si 
la  prévoyance  des  législateurs  est  limitée,  la  nature  est  infi- 
nie ;  elle  s'applique  à  tout  ce  qui  peut  intéresser  les  hom- 
mes :  pourquoi  voudrait-on  méconnaître  les  ressources 
qu'elle  nous  offre? 

Nous  raisonnons  comme  si  les  législateurs  étaient  des 
dieux,  et  comme  si  les  juges  n'étaient  pas  même  des 
hommes. 

De  tous  les  temps  on  a  dit  que  l'équité  était  le  supplé- 
ment des  lois.  Or,  qu'ont  voulu  dire  les  jurisconsultes  ro- 
mains ,  quand  ils  ont  ainsi  parlé  de  W'-quité  ? 

Le  mot    ('rjuitc  est   susceptible  de   diverses  acceptions. 


56o  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc 

Quelquefois  il  ne  désigne  que  la  volonté  constante  d'être 
juste ,  et  dans  ce  sens  il  n*exprime  qu'une  vertu.  Dans 
d'autres  occasions,  le  mot  cf/ u il c  désigne  une  certaine  ap- 
titude ou  disposition  d'esprit  qui  distingue  le  juge  éclairé 
de  celui  qui  ne  l'est  pas,  ou  qui  l'est  moins.  Alors  Véquité 
n'est,  dans  le  magistrat,  que  le  coup-d'œil  d'une  raison 
exercée  par  l'observation,  et  dirigée  par  l'expérience.  Mais 
tout  cela  n'est  relatif  qu'à  l'équité  morale ,  et  non  à  cette 
équité  judiciaire  dont  les  jurisconsultes  romains  se  sont 
occupés  ,  et  qui  peut  être  définie  un  retour  à  la  loi  natu- 
relle, dans  le  silence,  l'obscurité  ou  l'insuffisance  des  lois 
positives. 

C'est  cette  équité  qui  est  le  vrai  supplément  de  la  légis- 
lation ,  et  sans  laquelle  le  ministère  du  juge,  dans  le  plus 
grand  nombre  des  cas,  deviendrait  impossible. 

Car  il  est  rare  qu'il  naisse  des  contestations  sur  l'appli- 
cation d'un  texte  précis.  C'est  toujours  parce  que  la  loi  est 
obscure  ou  insuffisante,  ou  même  parce  qu'elle  se  tait, 
qu'il  y  a  matière  à  litige.  Il  faut  donc  que  le  juge  ne  s'arrête 
jamais.  Une  question  de  propriété  ne  peut  demeurer  indé- 
cise. Le  pouvoir  de  juger  n'est  pas  toujours  dirigé  dans 
son  exercice  par  des  préceptes  formels.  Il  l'est  par  des  maxi- 
mes, par  des  usages,  par  des  exemples,  par  la  doctrine. 
Aussi  le  vertueux  chancelier  (TAgucsseau  disait  très-bien 
que  le  temple  de  la  justice  n'était  pas  moins  consacré  à  la 
science  qu'aux  lois,  et  que  la  véritable  doctrine,  qui  con- 
siste dans  la  connaissance  de  l'esprit  des  lois,  est  supé- 
rieure à  la  connaissance  des  lois  mômes. 

Pour  que  les  affaires  de  la  société  puissent  marcher ,  il 
faut  donc  que  le  juge  ait  le  droit  d'interpréter  les  lois  et 
d'y  suppléer.  Il  ne  peut  y  avoir  d'exception  à  ces  règles 
que  pour  les  matières  criminelles  :  et  encore ,  dans  ces  ma- 
tières, le  juge  choisit  le  parti  le  plus  doux,  si  la  loi  est  obs- 
cure ou  insuffisante  ,  et  il  absout  l'accusé  ,  si  la  loi  se  tait 
sur  le  crime. 


DE   LA    PUBLICATION   DES   LOIS.  36 1 

Mais  en  laissant  à  l'exercice  du  ministère  du  juge  toute 
la  latitude  convenable,  nous  lui  rappelons  les  bornes  qui 
dérivent  de  la  nature  même  de  son  pouvoir. 

Un  juge  est  associé  à  Tesprit  de  législation  :  mais  il  ne 
saurait  partager  le  pouvoir  législatif.  Une  loi  est  un  acte  de 
souveraineté,  une  décision  n'est  qu'un  acte  de  juridiction 
ou  de  magistrature. 

Or,  le  juge  deviendrait  législateur,  s'il  pouvait,  par  des 
réglemens,  statuer  sur  les  questions  qui  s'offrent  à  son 
tribunal.  Un  jugement  ne  lie  que  les  parties  entre  lesquelles 
il  intervient.  Un  règlement  lierait  tous  les  justiciables  et  le 
tribunal  lui-môme. 

Il  y  aurait  bientôt  autant  de  législations  que  de  ressorts. 

\Jn  tribunal  n'est  pas  dans  une  région  assez  haute  pour 
délibérer  des  réglemens  et  des  lois.  Il  serait  circonscrit 
dans  ses  vues  comme  il  l'est  dans  son  territoire;  et  ses  mé- 
prises ou  ses  erreurs  pourraient  être  funestes  au  bien  pu- 
blic. 

L'esprit  de  judicature,  qui  est  toujours  appliqué  à  des 
détails,  et  qui  ne  prononce  que  sur  des  intérêts  particu- 
liers ,  ne  pourrait  souvent  s'accorder  avec  l'esprit  du  légis- 
lateur, qui  voit  les  choses  plus  généralement  et  d'une  ma- 
nière plus  étendue  et  plus  vaste. 

Au  surplus,  les  pouvoirs  sont  réglés;  aucun  ne  doit 
franchir  ses  limites. 

Conventions  contraires  à  V ordre  public  et  aux  bonnes 

mœurs. 

Le  dernier  article  du  projet  de  loi  porte  qu'on  ne  peut 
déroger,  par  des  conventions  particulières,  aux  lois  qui 
intéressent  l'ordre  public  et  les  bonnes  mœurs.  Ce  n'est 
que  pour  maintenir  l'ordre  public  ,  qu'il  y  a  des  gouverne- 
mens  et  des  lois. 

Il  est  donc  impossible  qu'on  autorise  entre  les  citoyens 


562  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc- 

des  conventions  capables  d'altérer   ou  de  compromettre 
l'ordre  public. 

Des  jurisconsultes  ont  poussé  le  délire  jusqu'à  croire  que 
des  particuliers  pouvaient  traiter  entre  eux  comme  s'ils 
vivaient  dans  ce  qu'ils  appellent  l'état  de  nature,  et 
consentir  tel  contrat  qui  peut  convenir  à  leurs  intérêts, 
comme  s'ils  n'étaient  gênés  par  aucune  loi.  De  tels  con- 
trats ,  disent-ils,  ne  peuvent  être  protégés  par  des  lois  qu'ils 
ofTensent;  mais  comme  la  bonne  foi  doit  être  gardée  entre 
des  parties  qui  se  sont  engagées  réciproquement,  il  fau- 
drait obliger  la  partie  qui  refuse  d'exécuter  le  pacte  à 
fournir  par  équivalent  ce  que  les  lois  ne  permettaient  pas 
d'exécuter  en  nature. 

Toutes  ces  dangereuses  doctrines  ,  fondées  sur  des  8ub- 
tilités,  et  éversives  des  maximes  fondamentales,  doivent 
disparaître  devant  la  sainteté  des  lois. 

Le  maintien  de  l'ordre  public  dans  une  société  ,  est  la  loi 
suprême.  Protéger  des  conventions  contre  cette  loi,  ce  se- 
rait placer  des  volontés  particulières  au-dessus  de  la  vo- 
lonté générale,  ce  serait  dissoudre  l'État. 

Quant  aux  conventions  contraires  aux  bonnes  mœurs, 
elles  sont  proscrites  chez  toutes  les  nations  policées.  Les 
bonnes  mœurs  peuvent  suppléer  les  bonnes  lois  :  elles  sont 
le  véritable  ciment  de  l'édifice  social.  Tout  ce  qui  les  of- 
fense, offense  la  nature  et  les  lois.  Si  on  pouvait  les  blesser 
par  des  conventions,  bientôt  l'honnêteté  publique  ne  se- 
rait plus  qu'un  vain  nom,  et  toutes  les  idées  d'honneur, 
de  vertu,  de  justice,  seraient  remplacées  par  les  lâches 
combinaisons  de  l'intérêt  personnel ,  et  par  les  calculs  du 
vice. 

Tel  est  le  projet  de  loi  qui  est  soumis  à  votre  sanction. 
Il  n'offre  aucune  de  ces  matières  problématiques  qui  peu- 
vent prêter  à  l'esprit  de  système.  Il  rappelle  toutes  les 
grandes  maximes  des  gouvcrnemcns  :  il  les  fixe ,  il  les  con- 
sacre. C'est  à  vous,  citoyens  législateurs,  à  les  décréter  par 


DE    LA   PUBLICATION    DES    LOIS.  365 

tos  snffr»iges.  Chaque  loi  nouvelle  qui  tend  à  promulguer 
des  vérités  utiles  aflbrmit  la  prospérité  de  l'État  et  ajoute 
à  votre  gloire. 

Le  Corps  législatif  arrêta  que  le  projet  présenté  par  les 
orateurs  du  gouvernement  serait  transmis  au  Tribunat  par 
un  message.  La  communication  se  fit  le  5  venlose  an  XI , 
et  la  section  de  législation  fut  chargée  de  l'examiner. 


COaiMUNICATION  OFFICIELLE   AU  TRIBUNAT. 

RAPPORT  FAIT  AU  NOM  DE   LA    SECTION  DE  LÉGISLATION, 
PAR  LE  TRIBUIÏ  GRENIER. 

(Séance  du  9  ventôse  an  XI.  —  a8  février  i8o3.  ) 

Tribuns,  le  projet  du  titre  préliminaire  du  Code  civil 
est  présenté  à  votre  discussion. 

Vous  en  avez  renvoyé  l'examen  à  votre  section  de  légis- 
lation. Je  viens,  en  son  nom,  vous  soumettre  les  idées 
qu'elle  s'en  est  formées. 

Ce  Code  est  l'analyse  des  méditations  des  savans  juris- 
consultes, des  tribunaux  et  des  hommes  de  génie,  qui, 
saisissant  l'ensemble  des  rapports  des  citoyens  entre  eux  et 
avec  les  choses,  ont  composé  un  faisceau  de  règles  dont 
l'observation  deviendra  la  morale  universelle,  consolidera 
les  fortunes  particulières ,  et  stabilisera  la  prospérité  pu- 
blique. 

Le  titre  préliminaire  comprend  peu  d'articles  ;  mais  il 
n'en  est  pas  moins  important.  Déterminer  le  mode  de  pu- 
blication des  lois,  régler  l'instant  où  elles  obligent  chaque 
citoyen,  fixer  le  point  de  vue  sous  lequel  elles  doivent  être 
considérées  quant  à  leurs  effets  et  à  leur  application  :  tel 
est  le  but  de  ce  titre. 


364  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC 

Ces  articles  sont  autant  de  dispositions  générales  qui  on6 
un  point  de  contact  avec  toutes  les  lois.  Leur  application 
dépend,  sous  un  rapport  essentiel,  de  ces  dispositions, 
comme  d'un  régulateur  général  ;  et  si  elles  s'écartaient,  en 
quelques  points,  des  vérités  immuables  qui  doivent  être 
les  principes  fondamentaux  et  préliminaires  de  toute  lé- 
gislation ,  il  est  aisé  de  sentir  combien  les  conséquences  en 
seraient  funestes. 

L'article  i^""  est  ainsi  conçu  : 

«  Les  lois  sont  exécutoires  dans  tout  le  territoire  fran- 
t  çais  ,  en  vertu  de  la  promulgation  qui  en  est  faite  par  le 
«  Premier  Consul. 

«  Elles  seront  exécutées  dans  chaque  partie  de  la  Répu- 
M  blique ,  du  moment  où  la  promulgation  en  pourra  être 
«  connue. 

•  La  promulgation  faite  par  le  Premier  Consul  sera  ré- 
«  putée  connue  dans  le  département  où  siégera  le  gouver- 
«  nement,  un  jour  après  celui  de  la  promulgation;  et, 
«  dans  chacun  des  autres  départemens,  après  l'expiration 
«  du  même  délai,  augmenté  d'autant  de  jours  qu'il  y  aura 
«  de  fois  dix  myriamètres  (environ  vingt  lieues)  entre  la 
«  ville  où  la  promulgation  en  aura  été  faite  ^  et  le  chef- lieu 
«  de  chaque  département.  » 

Le  premier  paragraphe  de  cet  article  n'a  rien  présenté 
à  la  section  de  contraire  à  la  Constitution ,  ni  à  la  dignité 
de  la  loi. 

Ce  n'est  pas  de  la  promulgation  que  la  loi  tient  son  exis- 
tence ;  elle  a  existé  auparavant.  Mais  il  ne  sui&t  pas  qu'elle 
existe ,  il  faut  qu'il  y  en  ait  une  preuve  authentique  ;  et 
c'est  cette  preuve  qui  sort  de  la  promulgation. 

C'est  seulement  cette  promulgation  qui  atteste  au  corps 
social  l'existence  de  l'acte  qui  constitue  la  loi,  et  que  cet 
acte  est  revêtu  de'toulcs  les  formes  constitutionnelles.  Alors 
seulement  la  loi  paraît  armée  de  toute  sa  force,  et  com- 
mande l'obéissance  pour  l'instant  où  elle  sera  connue. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  365 

S'il  est  donc  vrai  que  la  loi  ne  reçoive  tous  ces  caractères 
que  par  la  promulgation ,  on  a  pu  dire  que  Us  lois  sont  cxccu- 
toires  dans  tout  le  territoire  fra/içais  en  vertu  de  la  promulga- 
tion qui  en  est  faite  par  le  Premier  Consul.  Il  serait  bien  diffi- 
cile de  saisir  une  différence  réelle  entre  ces  expressions 
en  vertu  de  la  promulgation  de  la  loi,  et  celles-ci  après ,  ou 
d'après  la  promulgation. 

Relativement  aux  deux  autres  paragraphes  de  l'article , 
avant  de  les  examiner,  il  est  à  propos  de  rappeler  un  prin- 
cipe élémentaire  en  ce  qui  concerne  l'exécution  ou  l'obli- 
gation de  la  loi. 

C'est  qu'en  même  temps  que  tous  les  législateurs  ont 
consacré  le  principe  que  la  loi  ne  pouvait  obliger  sans 
qu'elle  fût  connue,  ils  ont  senti  l'impossibilité  de  se  procu 
rer  la  certitude  que  chaque  particulier  eût  eu  réellement 
cette  connaissance.  On  ne  pouvait  la  notifier  à  chaque  in- 
dividu ;  et  c'eût  été  rendre  la  loi  illusoire  que  de  laisser  à 
chaque  membre  de  la  société  la  faculté  de  s'y  soustraire, 
en  alléguant  qu'il  l'avait  ignorée. 

En  conséquence,  tous  les  législateurs  ont  établi  une  pré- 
somption de  droit,  équivalente  à  une  certitude,  que  la  loi 
a  été  connue  de  tous,  après  l'observation  des  formes  ad- 
mises pour  sa  publication.  Un  individu  qui  ignore  la  loi 
doit  s'imputer  d'avoir  négligé  les  moyens  de  la  connaître. 

Il  y  a  sans  doute  bien  moins  d'inconvénient  à  ce  qu'un 
citoyen  soit  lié  par  une  loi  qu'il  n'a  pas  connue,  lorsque 
tous  les  moyens  de  publicité  ont  été  pris,  qu'à  laisser  la 
société  sans  loi  ;  ou  ,  ce  qui  est  la  même  chose ,  lui  don- 
ner des  lois  que  chacun  pourrait  violer  impunément,  sous 
prétexte  d'ignorance. 

C'est  avec  un  grand  sens  que  Domat,  dont  l'ouvrage  est 
le  recueil  des  principes  les  plus  sûrs  en  matière  de  législa- 
tion civile ,  s'est  expliqué  sur  la  nécessité  qu'il  y  a  que  les 
lois  soient  connues  pour  qu'elles  obligent.  «  Toutes  les  rè- 
0  gles,  dit-il,  doivent  être  ou  connues,  ou  tellement  ex- 


566.  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClÇ. 

«  posées  à  la  connaissance  de  tout  le  monde,  que  personne 
«  ne  puisse  impunément  y  contrevenir  sous  prétexte  de  les 
«  ignorer. 

«Ainsi,  les  règles  naturelles  étant  des  vérités  immuables 
tt  dont  la  connaissance  est  essentielle  à  la  raison,  ou  ne 
«  peut  dire  qu'on  les  ait  ignorées ,  comme  on  ne  peut  dire 
«  qu'on  ait  manqué  de  la  raison  qui  les  fait  connaître. 

o  Mais  les  lois  arbitraires  n'ont  leur  effet  qu'après  que  le 
c  législateur  a  fait  tout  ce  qui  est  possible  pour  l^  faire  con- 
«  naître  ;  ce  qui  se  fait  par  les  voies  qui  sont  en  usage  pour 
u  la  publication  de  ces  sortes  de  lois;  et,  après  qu'elles 
«  sont  publiées,  on  les  tient  pour  connues  à  tout  le  monde,  et 
a  elles  obligent  autant  ceux  qui  prétendaient  les  ignorer,  que 
«  ceux  qui  les  savent  (a).  » 

Le  législateur  ferait  donc  des  efforts  impuissans,  quels 
qu'ils  fussent,  s'il  cherchait  le  moyen  d'attester  de  fait 
que  chaque  individu  a  eu  les  oreilles  frappées  de  la  loi. 

Ne  la  rendre  obligatoire  qu'à  une  époque  où  l'on  puisse 
avoir  une  juste  présomption  qu'elle  est  généralement  con- 
nue; mesurer  le  temps  dans  lequel  elle  doit  l'être,  de  ma- 
nière qu'on  ne  puisse,  entre  sa  promulgation  et  son  exécu- 
tion, pratiquer  des  fraudes  pour  l'éluder  ;  mais  surtout  faire 
en  sorte  que  la  loi  détermine,  d'après  des  règles  fixes, 
l'époque  de  sa  mise  en  action  sur  les  différons  points  qu'elle 
régit,  en  raison  des  distances,  sans  que  cette  mise  en  ac- 
tion dépende  du  plus  ou  moins  d'exactitude  des  différentes 
autorités  locales  :  telle  est,  citoyens  tribuns,  la  tâche  du 
législateur  en  cette  matière. 

Examinons  donc  quel  est  celui  des  systèmes  proposés 
jusfiu'à  présent,  dont  on  puisse  le  plus  raisonnablement 
espérer  tous  ces  avantages. 
On  peut  les  réduire  à  trois. 
i».  La  publication  opérée  uniformément  sur  tous  les 

'»)  \.n  U'ii  cWil«l ,  til-  I ,  art,  9. 


DE    LA    PUBLICATION    DBS    LOIS.  667 

points  de  la  République,  et  au  ménie  instant^  par  le  laps 
d'un  délai  quelconque ,  à  compter  de  la  promulgation  faite 
par  le  Premier  Consul. 

a*.  Le  mode  de  publication  opérée  de  droit,  mais  pro- 
gressivement sur  les  différens  points  delà  République,  à 
raison  des  distances  ,  eu  partant  toujours  de  la  promulga- 
tion ,  qui  est  celui  proposé  par  le  projet  de  loi. 

5°.  La  publication  matérielle,  si  on  peut  s'exprimer 
ainsi ,  qui  aurait  lieu  par  la  lecture  de  la  loi  aux  audiences 
des  tribunaux ,  et  par  la  transcription  sur  les  registres. 

Comparons  d'abord  les  avantages  et  les  inconvéniens 
des  deux  premiers  modes.  Les  réflexions  qui  sortiront  na- 
turellement de  ce  parallèle  feront  aisément  juger  que  l'un 
ou  l'autre  de  ces  deux  premiers  doit  être  nécessairement 
adopté. 

Le  système  de  l'action  de  la  loi,  au  même  moment,  sur 
tous  les  points  de  la  République,  a  séduit  de  très-bons  es- 
prits. 

Rappelons  en  substance  les  raisons  sur  lesquelles  on  le 
fonde. 

On  a  dit  que  l'uniformité  du  délai  est  simple  à  concevoir 
et  facile  à  retenir; 

Qu'elle  dispense  d'étudier  le  tarif  que  nécessite  le  mode 
progressif;  , 

Qu'il  y  a ,  à  la  vérité,  un  inconvénient ,  en  ce  que  l'exé- 
cution de  la  loi  serait  quelquefois  trop  retardée;  car  on  con- 
vient qu'il  doit  toujours  y  avoir,  à  compter  de  la  promulga- 
tion, un  délai  suffisant  pour  que  la  loi  puisse  être  connue 
du  point  central  à  l'extrémité  de  chacun  des  rayons;  mais 
qu'on  pourrait  y  remédier  en  faisant  dire  par  la  loi  qu'elle 
pourrait,  selon  les  cas,  fixer  l'époque  de  son  exécution 
avant  le  délai  ordinaire  ; 

Qu'au  surplus,  cet  inconvénient  ne  porterait  pt)int  sur 
les  lois  facultatives  et  sur  celles  qui  agissent  indépendam- 
ment de  la  volonté  de  l'homme,  comme  sur  celles  qui  rè- 


368  DISCUSSIONS,  MOTIFS,  etc 

glent  les  successions.  Le  relard  du  moment  où  elles  devien- 
nent obligatoires  ne  blesse  que  l'intérêt  particulier,  et  non 
rintérêt  général  ; 

Que  cet  inconvénient,  s'il  avait  quelque  consistance, 
serait  racheté  par  tant  d'autres  avantages; 

Que  l'intérêt  général  veut  que  l'exécution  de  la  loi  com- 
mence à  la  même  époque  dans  toutes  les  parties  du  pays    • 
pour  lequel  elle  est  faite  ; 

Que  là  où  les  hommes  sont  égaux  en  droits,  ils  doivent 
tous  être  soumis,  au  même  moment,  à  l'empire  de  la  loi, 
quelle  qu'elle  soit,  rigoureuse  ou  favorable  ; 

Qu'en  Angleterre,  et  dans  toutes  les  parties  de  l'Améri- 
que, on  ne  s'est  jamais  écarté  de  ce  principe; 

Qu'il  serait  étrange  que,  le  même  jour  et  au  même  mo- 
ment, la  peine  de  mort  se  trouvât  abolie  pour  une  partie 
de  la  France,  et  subsistât  pour  l'autre:  ce  qui,  arriverait 
avec  le  délai  successif. 

Enfin,  on  suppose  qu'un  fait,  qui  jusqu'alors  n'aurait 
point  été  compris  dans  la  classe  des  crimes,  fût  qualifié  tel 
par  une  nouvelle  loi  :  quel  serait  l'effet  du  délai  successif? 
Le  même  acte  ,  commis  le  même  jour,  peut-être  à  la  même 
heure,  dans  deux  endroits  différens,  et  séparés  seulement 
par  une  rivière  ou  par  un  chemin ,  offrirait  d'un  côté  du 
chemin  ou  de  la  rivière  un  crime  à  punir,  et  de  l'autre  un 
simple  délit ,  susceptible  d'une  bien  moindre  peine.  D'où 
cela  proviendrait-il?  Uniquement  de  ce  que  ces  deux  côtés 
appartiendraient  à  deux  points  différens  de  l'échelle  de 
progression. 

Je  vais  exposer  les  réponses  dont  la  section  a  cru  que 
ces  objections  étaient  susceptibles,  et  il  en  sortira  tous  les 
avantages  que  présente  le  mode  progressif. 

Si  la  loi  ne  peut  être  obligatoire  avant  qu'elle  soit  con- 
nue, il  est  également  certain  qu'elle  doit  être  obligatoire 
dès  l'instant  qu'elle  Test.  Son  action  ne  peut  être  suspen- 
due :  on  croit  que  ce  sont  là  deux  principes  constaus. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  ôQa 

Or,  l'idée  de  rendre  la  loi  obligatoire,  au  môme  mo- 
ment, sur  tous  les  points  de  la  République,  attaque  de 
front  ces  deux  principes. 

Ce  système  suppose ,  en  effet,  que  la  loi  est  connue  par- 
tout au  même  instant  ;  ntiais  cela  n'est  point,  et  il  n'y  en  a 
pas  de  possibilité. 

Qu'on  remarque  ensuite  Tinconvénient  majeur  qui  ré- 
sulte de  la  longueur  du  délai  qui  s'écoulera  depuis  la  pro- 
mulgation jusqu'au  moment  où  la  loi  deviendra  obliga- 
toire ! 

Ce  délai  devrait  être  en  proportion  de  la  distance  du  lieu 
où  serait  promulguée  la  loi,  jusqu'à  l'extrémité  du  plus 
long  des  rayons  :  ou  ,  ce  qui  est  de  même,  en  proportion 
du  temps  qu'il  faudrait  pour  qu'on  pût  présumer  que  la 
connaissance  de  la  loi,  est  parvenue  à  cette  extrémité.  Ce 
délai  ne  pourrait  être  moindre  de  quinze  jours;  ce  qui, 
avec  les  dix  jours  qui  s'écouleraient  entre  l'émission  de  la 
loi  et  sa  promulgation,  emporterait  vingt-cinq  jours.  Et  l'on 
voudrait  que  pendant  ce  temps  la  loi  fût  sans  action ,  quoi- 
que camnue  ?  Cette  mesure  serait  non  seulement  trop  peu 
conforme  à  la  dignité  de  la  loi ,  mais  encore  ce  serait  inviter 
à  l'éluder  en  tolérant  des  fraudes  que  l'on  n'a  que  trop  à 
craindre  de  la  cupidité. 

Cet  inconvénient  a  été  si  bien  senti  par  ceux  qui  ont 
conçu  l'idée  de  donner  à  la  loi  son  action ,  au  même  mo- 
ment, sur  tous  les  points  de  la  République,  qu'ils  ont  été 
forcés  de  dire  que  Ton  pourrait  y  remédier  en  voulant 
qu'elle  pût,  selon  les  cas,  fixer  l'époque  de  son  exécution 
avant  le  délai  ordinaire;  aveu  qui ,  seul ,  fait  absolument 
crouler  le  système. 

On  ne  saurait  voir  que  l'intérêt  général  exige  l'action  de 
la  loi,  à  la  même  époque,  sur  toutes  les  parties  de  la 
République,  et  qu'en  agissant  autrement,  ce  soit  violer  le 
principe  de  l'égalité  en  droits. 

Le  mode  progressif  et  raisonnablement  calculé  sur  les 

VI.  9-4 


5^0  DISCUSSIONS,    SfOTIFS,    CtC. 

distances,  est  plus  dans  Tégalité  que  le  mode  uniforme. 
Soit  que  la  loi  soit  favorable ,  soit  qu'elle  soit  rigoureuse  , 
les  citoyens  doivent  en  ressentir  les  effets  ou  plus  tôt  ou 
plus  tard,  selon  qu'ils  sont  réputés  la  connaître  ou  l'igno- 
rer. Nous  devons  tous  demeurer  paisiblement  dans  la  po- 
sition ,  soit  physique ,  soit  politique ,  où  nous  ont  placés  la 
nature  ou  Tordre  social.  La  différence  des  époques  de  l'exé- 
cution des  lois,  selon  les  distances,  est  fondée  sur  une  vé- 
rité immuable  qui  doit  faire  la  base  de  la  présomption  de 
droit,  à  laquelle  les  législateurs  ont  toujours  été  obligés  de 
recourir  en  cette  matière.  Toute  présomption  ,  toute  fiction 
établie  par  la  loi ,  doit  se  rapprocher  ,  autant  que  possible, 
de  la  nature;  et  cela  est  si  vrai,  qu'on  ne  concevrait  pas 
une  présomption  de  droit,  si  elle  était  évidemment  con- 
traire à  la  vérité. 

Par  là  disparaissent  tous  les  autres  inconvéniens  qu'on  a 
déjà  relevés. 

Ce  ne  sont  môme  pas  des  inconvéniens,  ce  sont  des 
suites  naturelles  d'une  exacte  distribution  de  la  justice 
selon  les  différences  de  position  ,  qu'il  ne  dépend  pas  du 
législateur  de  changer  pour  l'intérêt  de  quelques-uns  au 
détriment  de  certains  autres. 

D'ailleurs,  ces  prélendusinconvénienspeuventégalement 
se  rencontrer  dans  le  système  de  l'action  de  la  loi,  au 
même  moment,  dans  toute  la  République. 

Faisons  en  effet  une  autre  hypothèse  que  celle  qui  a  déjà 
été  proposée  ,  et  supposons  qu'au  moment  où  serait  émise 
une  loi  qui  abolirait  la  peine  de  mort,  un  particulier  vînt 
à  être  définitivement  condanuié  à  subir  cette  peine  par  un 
tribunal  de  Paris.  La  loi  serait  bien  connue  de  fait  ;  mais 
n'étant  pas  promulguée,  clic  ne  serait  point  connue  de 
droit.  Poiirrait-on  sns[)cndre  l'exécution,  et  attendre  le 
délai  nécessaire  pour  (|u'clle  fût  connue  aux  extrémités  de 
la  Jlépubli(|ue,  comme,  par  exemple  ,  à  Perpignan? 

Voilà  une  difliculté ,  et  cela  i)rouvc  (|ue ,  lorsqu'il  s'agit 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  37  1 

i\e  donner  des  lois ,  il  ne  faut  point  s'arrêter  aux  cas  par- 
ticuliers ;  qu'on  doit  considérer  ce  qui  arrive  dans  le  cours 
ordinaire  des  choses. 

On  ne  peut  d'ailleurs  altirer  les  regards  sur  les  cas  par- 
ticuliers dont  on  a  déjà  parlé ,  qu'en  supposant  qu'il  y  au- 
rait une  émission  habituelle  de  lois  qui  y  donnerait   lieu. 

Mais  celle  crainte  est  chimérique.  On  ne  doit  pas  s'y 
attendre,  après  la  promulgation  du  Code  civil  et  des  lois 
sur  les  matières  les  plus  impartantes  qui  le  suivront  de 
près ,  et  surtout  lorsque  le  retour  à  Tordre  fait  de  toutes 
parts  des  progrès  aussi  rapides. 

Enfin  ,  l'exemple  des  deux  peuples  que  l'on  a  cilés  ne 
prouve  rien  pour  l'un  des  systèmes  contre  l'autre. 

En  effet,  ils  n'admettent  aucun  délai  après  la  pronuil- 
gatioh  ou  ce  qui  en  tient  lieu.  Ils  ont  pensé  que  la  publi- 
cité des  débats  et  de  leurs  résultais  suffisait  pour  que  per- 
sonne ne  pût  raisonnablement  alléguer  la  cause  d'igno- 
rance de  la  loi ,  après  qu'elle  avait  reçu  le  sceau  de 
l'authenticité. 

On  ne  voudrait  pas  aller  sans  doute  jusqu'à  proposer, 
et  personne  n'a  proposé  en  effet,  pour  la  France,  un  tel 
usage,  qui  peut  être  justifié,  pour  les  états  où  il  est  suivi, 
à  raison  des  mœurs,  des  habitudes  et  de  l'étendue  du  ter- 
ritoire ,  en  sorte  que  toute  discussion  à  cet  égard  serait 
superflue.  Il  suffit  de  dire  que  la  citation  était  inutile. 

Venons  actuellement  au  troisième  mode  de  publication  , 
qui  résulterait  de  l'envoi  des  lois  aux  tribunaux,  et  de  la 
transcription  sur  leurs  registres. 

Il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  d'abord  de  l'in- 
convénient qu'il  présente,  en  ce  qu'il  fait  dépendre  l'ap- 
plication de  la  loi  de  la  volonté  de  l'homme;  le  plus  ou  le 
moins  de  zèle  de  la  part  d'un  agent  peut  en  avancer  ou  en 
retarder  l'exéculion. 

Sous  la  monarchie,  la  connaissance  de  la  loi  se  trans- 
mettait par  l'intermédiaire  des  tribunaux;  ce  mode  tenait 

24. 


Ô;2  .  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    ClC. 

à  la  forme  constitulionnelle.  L'enregistrement  des  cours 
souveraines,  qui  avaient  droit  de  remontrances,  était  né- 
cessaire pour  le  complément  de  la  loi,  et  il  eût  été  difficile 
de  changer  cet  ordre  de  choses,  parce  (ju'il  y  avait  des 
stipulations  particulières  qui  avaient  assuré  à  plusieurs 
provinces  ajoutées  à  la  monarchie  le  droit  d'y  faire  véri- 
fier par  leurs  tribunaux  les  lois  qui  y  seraient  envoyées, 
suivant  ce  qui  se  pratiquait  en  France  depuis  des  siècles. 

Cet  usage  pouvait  encore  être  justifié  par  la  diversité 
des  coutumes  et  des  intérêts  des  provinces,  diversité  qui 
donnait  souvent  lieu  à  des  lois  particulières  pour  le  ressort 
de  certains  parlemens. 

Enfin  ,  ce  système  conduirait  peut-être  à  la  nécessité  de 
distinguer  les  lois  selon  l'ordre  des  matières  qui  en  seraient 
l'objet,  et  de  les  envoyer  distribulivement  aux  autorités 
compétentes,  judiciaires  ou  administratives  :  ce  cjui  pré- 
sente au  premier  abor.l  vuje  foule  d'entraves  qui  ont  été 
généralement  prévues. 

Mais  quand  ce  mode  présenterait  moins  de  difficulté  , 
pourquoi  le  choisirait-on  de  préférence  ,  lorsqu'il  peut  être 
remplacé  plus  utilement,  et  avec  des  formes  propres  à 
consacrer,  pour  ainsi  dire,  notre  régénération  politique? 

Ce  fut  seulement  sous  les  empereurs  romains  que  s'in- 
troduisit l'usage  «l'adresser  les  lois  aux  préteurs,  aux  ques- 
teurs, ou  à  d'autres  magistrats,  selon  que  les  objets  des 
lois  étaient  de  leur  compétence,  avec  injonction  de  pren- 
dre les  mesures  convenables  pour  les  faire  connaître  (a). 

Mais  du  tcnq)S  de  la  République ,  les  provinces  (pu'  avaient 
eu  le  droit  de  bourgeoisie  et  de  suffrages,  a|>prenaicnl  ce 
qui  se  passait  sur  le  lùmun  bien  plus  promptcmcnt  que  ce 
qui  serait  arrivé  plus  f»rès  d'eux;  et  en  France  la  renommée 
transmet  les  événcmens  de  la  capitale  aux  extrémités,  avec 
une  rapidité  qui,  sous  le  rapport  de  la  c»)nnaissaneo  mo- 
rale ilc  la  loi,  reiid  inutiles  une  lecture  ou  \uio  transcrip- 

(•]  VojTFi!  Im  furmulM  d»  mthdI  priiidcni  Btiiiuu  ,  p.  i(s  ,  itk  -  iOt  t(  ICC  ,  4dil.  dt  iS^> 


DK    LA.    l'IiBLI CATION     DES    LOIS.  075 

tion  lailes,  souvent  obscurément,  dans  l*cnccinlc  de  l'au- 
ditoire d'un  tribunal  bien  moins  éloigné. 

C'est  donc  avec  raison  qu'on  a  dit,  dans  les  motifs,  que 
les  précautions  prises,  pour  cet  objet,  dans  une  monarchie 
où  les  lois  étaient  mûries  et  rédigées  dans  le  silence  du  ca- 
binet, ne  conviennent  plus  à  un  peuple  libre  qui  prend 
part  aux  lois,  ou  par  lui-même  ou  par  ses  représentans, 
où  la  publicité  des  délibérations,  les  relations  joiîrnalières 
et  la  circulation  des  journaux,  transmettaient  aussi  rapi- 
dement la  coimaissance  des  lois. 

L'envoi  des  lois  doit  sans  doute  être  fait  aux  triimnaux  , 
et  il  est  toujours  à  désirer  qu'il  soit  prompt  et  sûr. 

Mais  ce  qui  tient  à  la  lecture  et  à  l'application  du  texte 
authenti({ue  de  la  loi,  à  sa  conservation  ,  est  étranger  aux 
effets  qu'on  doit  attribuer  à  sa  notoriété,  sous  le  rapport 
de  son  caractère  obligatoire  respectivement  aux  citoyens. 

Après  avoir  balancé  les  avantages  et  les  inconvéniens,  la 
section  s'est  décidée  pour  le  mode  proposé  par  le  projet  de 
loi. 

Ce  mode  est  l'image  même  de  la  vérité  et  de  la  nature. 
Il  fait  rendre  la  loi  obligatoire  pour  chaciuo  citoyen  au  mo- 
ment où  il  est  présumé  la  connaître.  11  fait  sur  chaque 
station  roffice  d'un  courrier  qui  l'y  porterait.  C'est  toujours 
la  loi  qui  agit,  soit  qu'elle  s'annonce,  soit  qu'elle  ordonne. 
Nul  secours  humain  ne  devient  nécessaire.  Chaque  indi- 
vidu, au  ntoyen  d'un  tarif  des  distances,  fondé  sur  un 
ordre  de  choses  invariable,  et  indépendant  de  la  volonté 
des  hommes,  pourra  savoir  par  lui-même  le  jour  auquel 
il  aura  été  lié  parla  loi.  L'idée  est  aussi  ingénieuse  {|u'utile; 
elle  nous  dispense  d'envier,  sur  ce  point,  les  usages  des  au- 
tres nations. 

L'article  2  est  ainsi  conçu  :  «  La  loi  ne  dispose  que  pour     2 
t  l'avenir;  elle  n'a  point  d'effet  rétroactif.  » 

C'est  là  une  règle  éternelle,  qui,  quand  elle  ne  serait 
écrite  dans  aucune  loi,  .serait  gravée  dans  tous  los  cœurs. 


074  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elCr 

Pourquoi  ne  la  placerait-on  pas  en  t^te  du  livre  des  lois, 
puisqu'elle  a  trait  particulièrement  à  leur  application? 

Elle  peut  être  considérée  comme  un  précepte  de  morale; 
mais  c'est  la  morale  de  la  législation. 

Aussi  la  Irouve-t-on  dans  tous  les  Codes.  Toujours  on  a 
voulu  la  rendre  présente  à  Tesprit  des  juges,  et  il  n'est  pas 
un  jurisconsulte  qui  n'ait  dans  su  mémoire  les  termes  de 
la  loi  romaine  :  Legcs  et  constitutloncs  futuris  certum  estdarc 
formant  ncgotiis ,  non  ad facta  prœtcrita  revocari{^. 

On  ne  peut  avoir  oublié  les  rétroactivités  dont  plusieurs 
lois  furent  entachées  au  milieu  des  orages  politiques  tou- 
jours inséparables  des  grandes  révolutions.  Ils  ne  sont  pas 
éloignés  les  temps  où,  au  retour  du  calme,  les  législateurs 
se  sont  empressés  de  les  faire  disparaître  ,  et  il  faut  conve- 
nir qu'après  une  expérience  aussi  récente,  on  serait  dans 
une  position  désavantageuse,  si  on  voulait  s'opposer  à  ce 
qu'on  gravât  sur  le  frontispice  du  Code  civil  une  maxime 
qui  garantit  le  repos  des  familles. 

Art.  5.  «  Les  lois  de  police  et  de  sûreté  obligent  tous  ceux 
B  qui  habitent  le  territoire. 

«  Les  immeubles ,  même  ceux  possédés  par  les  étrangers, 
«  sont  régis  par  la  loi  française. 

«  Les  lois  concernant  l'état  et  la  capacité  des  personnes  , 
«  régissent  les  Français,  même  résidant  en  pays  étrangers.» 

Voilà  autant  de  principes  enseignés  par  tous  les  publi- 
cistes,  généralement  admis  chez  les  nations  civilisées,  et 
sans  lesquels  il  serait  impossible  d'organiser  un  ordre  social. 
Ils  sont  exposés  avec  autant  de  précision  que  de  vérité. 

Toute  société  doit  vouloir,  pour  sa  conservation,  que 
tout  individu  quelconque  qui  est  dans  son  sein  soit  sujet 
à  ses  réglemens  de  police. 

Cette  règle  est  susceptible  de  modifications  relativement 
aux  personnes  revêtues  d'un  caractère  représentatif  :  mais 
ces  modifications  doivent  être  l'objet  de  traités  ou  de  sli- 

»    '•'■X.  7  ,  au  r<»d.  D«  I.e(;ibii' 


DE    LA    PUBLICATION    Dl-S    LOIS.  07i> 

pulalious  entre  les  États.  Il  ne  peut  être  ici  question  (juc  de 
la  règle  générale. 

Que  les  immeubles  suivent  la  loi  du  territoire  sur  lequel 
ils  sont  situés,  cela  est  incontestable;  sans  quoi  il  y  aurait 
dans  un  état  autant  de  statuts  réels  que  de  possesseurs 
étrangers  de  différentes  parties  du  sol,  cequi  serait  absurde. 

ËnOn,  les  citoyens  ne  peuvent  être  régis  personnelle- 
ment que  par  les  lois  de  la  société  dont  ils  sont  membres. 
Ni  eux,  ni  la  société,  ni  leurs  familles  réciproquement  ne 
peuvent,  sous  prétexte  d'absence  ou  de  simple  résidence 
dans  un  pays  étranger,  rompre  les  liens  qui  les  unissent. 

Art.  4-  «Le  juge  qui  refusera  de  juger,  sous  prétexte  du 
«silence,  de  l'obscurité,  ou  de  l'insuffisance  de  la  loi, 
«  pourra  être  poursuivi  comme  coupable  de  déni  de  justice.» 

Art.  5.  «  Il  est  défendu  aux  juges  de  prononcer,  par  voie 
«  de  disposition  générale  et  réglementaire,  sur  les  causes 
«  qui  leur  sont  soumises.  » 

On  ne  peut  pas  plus  surprendre  l'action  de  la  justice  que 
celle  de  la  police  et  de  l'administration  ,  sans  compromet- 
tre d'une  manière  grave  l'intérêt  et  le  repos  des  citoyens, 
et  par  conséquent  la  tranquillité  publique. 

Le  législateur  ne  peut  tout  prévoir.  Cette  tâche  est  au- 
dessus  des  efforts  humains. 

Des  règles  positives  ^  des  principes  lumineux  et  féconds 
en  conséquences,  qui  puissent  être  aisément  saisis  et  ap- 
pliqués à  tous  les  cas  ou  au  plus  grand  nombre;  voilà  ce 
qui  caractérisera  toujours  toute  bonne  législation. 

Les  tribunaux  ne  peuvent  donc  refuser  la  justice,  sous 
prétexte  du  silence  de  la  loi.  Le  sentiment  du  juste  et  de 
l'injuste  n'abandonne  jamais  le  juge  probe  et  instruit.  Le 
législateur  doit  seul  examiner  s'il  existe  réellement  ou  non 
un  silence  dans  la  loi,  tel  qu'il  faille  y  suppléer  par  une 
nouvelle.  Il  ne  pourrait  même  émettre  la  loi  supplétive  , 
(jue  quand  plusietirs  jugemens  sur  le  cas  qu'on  prétend 
n'avoir  pas  été  prévu  auraient  éclairé  sa  sagesse. 


0^6  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    elc. 

Enfin  ,  l'abus  des  nombreux  référés  de  la  part  des  Iribiï- 
naux  qui,  sous  le  régime  de  la  Conslilulion  de  l'an  5,  acca- 
blaient le  Corps  législatif,  nous  garantit  la  sagesse  de  l'ar- 
ticle 4« 

Quant  à  l'article  5  ,  il  est  une  conséquence  de  la  division 
des  pouvoirs  ;  et  toutes  réflexions  pour  en  prouver  le  mérite 
seraient  oiseuses. 

Art.  6  et  dernier.  «  On  ne  peut  déroger  par  des  conven- 
(f  lions  particulières  aux  lois  qui  intéressent  l'ordre  public 
0  et  les  bonnes  mœurs.  » 

Les  conventions  ne  peuvent  porter  que  sur  des  intérêts 
particuliers.  Ce  qui  constitue  l'ordre  public  tient  à  l'intérêt 
de  tous,  et  la  loi  doit  proléger  les  mœurs. 

Sans  cette  mesure,  la  société  veillerait  en  vain,  par  le»^ 
lois  les  plus  sages ,  à  son  repos  et  à  sa  prospérité. 

Les  règles  renfermées  dans  tous  ces  articles  sont  autant 
de  principes  fondamentaux  en  législation.  Quoiqu'il  s'agisse 
de  dispositions  générales ,  leur  application  n'en  est  pas 
moins  certaine,  et  elles  sont  l'art  d'appliquer  toutes  les  lois. 

Il  serait  déraisonnable  de  vouloir  les  isoler  ;  il  serait  in- 
convenant de  les  placer  à  la  tête  de  tout  autre  recueil  de 
lois,  tel  que  le  Code  Judiciaire ,  ou  criminel,  quand  même 
leur  émission  concourrait  avec  celle  du  Code  cit>iL  Ces 
maximes  doivent  servir  d'introduction  à  ce  Code,  auprès 
duquel  tous  les  autres  n'auront  qu'un  caractère  accessoire. 

Tribuns,  quelle  époque  mémorable  dans  les  fastes  de  la 
nation,  (jue  celle  de  la  promulgation  d'un  Code  civil!  En- 
fin, nous  voyons  effacer  les  dernières  traces  du  régime 
féodal. 

La  France,  par  rapport  à  la  diversité  des  lois,  était  en- 
core, à  peu  de  chose  près,  au  môme  état  où  César  l'avait 
vue.  11  dit  au  commencement  du  livre  fait  au  milieu  de 
«es  con(|uêtcs  ,  lorsqu'il  parle  des  mœurs  et  des  usages  des 
peuples  gaulois  :  ffi  omncs  lins^itfîf  institutis ,  le  gibus ,  intrr  se 
différant. 


DE    LA    PVBLICATIO.N    UtS    LOIS.  O77 

Ce  ne  sont  cependant  pas  les  mêmes  lois  qui  étaient  en 
usa^e  dans  les  derniers  temps.  L'histoire  nous  apprend  que 
nos  coulumes  avaient  été  données  aux  peuples  par  les 
grands  vassaux  de  la  couronne,  lorsqu'ils  se  furent  appro- 
prié les  lîefs,  et,  ce  qui  est  bien  remarquable,  nous  y 
voyons  aussi  que  ces  mêmes  seigneurs  s'étaient  constam- 
ment opposés  à  une  uniformité  de  lois,  dans  la  crainte  de 
favoriser  ra:;randissement  de  l'autorité  rovale. 

Dans  la  suite ,  la  force  de  Thabitude  ,  l'attachement  à  ses 
propres  usages,  produisirent  les  mêmes  effets  que  la  poli- 
tique. 

L'idée,  conçue  sous  Charles  VII,  de  réunir  toutes  les 
coutumes  en  une,  après  avoir  ordonné  la  rédaction  de 
chacune,  produisit  seulement  l'avantage  d'avoir  des  cou- 
tumes écrites,  sans  être  obligé  de  recourir  à  des  enquêtes 
longues  et  dispendieuses,  lorsqu'il  s'élevait  quelques  doutes 
sur  ce  qu'un  simple  usage  avait  érigé  en  loi. 

Ce  même  projet  fut  encore  renouvelé  sous  Henri  III; 
mais  les  fureurs  de  la  ligue  et  la  mort  tragique  du  prési- 
dent Brisson  ,  qui  était  chargé  de  son  exécution  ,  le  firent 
échouer. 

Il  fallait  toute  la  puissance  de  la  révolution,  la  fusion 
de  toutes  les  volontés,  pour  avoir  enfin  l'espérance  d'un 
Code  civil. 

Mais  si  la  révolution  seule  a  rendu  l'entreprise  possible, 
il  était  réservé  au  héros  dont  le  génie  ne  laisse  rien  échap- 
per de  tout  ce  qui  est  grand  et  utile ,  d'en  hâter  et  d'en  fa- 
ciliter l'exécution. 

Quelle  confiance  ne  devait- il  pas  avoir  en  ses  propres 
lumières!  Il  a  prouvé  dans  la  suite  qu'il  avait,  en  législa- 
tion civile,  des  conceptions  aussi  heureuses  qu'il  en  a  eu 
de  grandes  et  de  sublimes  à  la  tête  des  armées,  qu'il  a 
constamment  menées  à  la  victoire. 

Quels  secours  n'avait-il  pas  à  attendre  de  ses  collègues  l 
L'un  d'eux   avait  présenté  à  la  Convention   nationale  un 


ô'jS  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    elC. 

projet  de  Code  civil,  ouvrage  précieux  par  la  précision  du 
style,  la  netteté  des  idées,  et  l'ordre  dans  la  classification 
des  matières,  qui  a  servi  de  guide  à  tous  les  travaux  pré- 
paratoirey  qui  l'ont  suivi  :  et  les  modifications  dont  il  était 
susceptible  tenaient  principalement  au  changement  d'or- 
dre constitutionnel  et  des  temps. 

Quelles  ressources  ne  trouvait-il  pas  encore  dans  le  Con- 
seil d'État  ! 

Toutes  ces  circonstances  n'ont  pas  empêché  le  premier 
magistrat  de  la  République  de  provoquer  de  nouvelles  lu- 
mières, et,  à  sa  voix,  combien  n'en  est-il  pas  sorti  de 
toutes  parts,  et  en  si  peu  de  temps! 

Les  quatre  jurisconsultes  qui,  sur  son  invitation,  ont 
rédigé  le  nouveau  projet  de  Code  civil;  le  tribunal  de  cas- 
sation ^  et  les  tribunaux  d'appel,  qui  ont  reçu  la  mission 
de  le  réviser,  tous  ont  acquis,  par  leur  zèle  et  par  leurs 
talcDs,  des  droits  à  l'estime  et  à  la  reconnaissance  de  la 
nation. 

Enfin,  tous  les  citoyens  ont  été  assurés  de  voir  accueillir 
le  tribut  de  leurs  connaissances;  et  plusieurs  se  sont  ho- 
norés en  secondant  les  vue5  du  gouvernement. 

Mesure  aussi  grande,  aussi  politique  que  sage  en  elle- 
même  !  Elle  a  nationalisé,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi ,  les 
matériaux  du  Code  civil.  Elle  a  éloigné  Tenvie,  qui  s'atta- 
che trop  aisément  à  un  grand  ouvrage,  lorsque  la  direc- 
tion en  est  confiée  à  un  seul;  il  en  est  résulté  des  change- 
mens  utiles,  et  elle  aura  excité  la  confiance  avec  laquelle 
la  nation  accueillera  le  l'ruit  de  tant  d'honorables  travaux. 

La  section  vous  propose  de  voter  l'admission  du  projet 
de  loi. 


Le  Tribunal  vota  l'adopliondu  ))roj('t  et  chargea  MM.  Grc 
nier,  Faurc  et  Gillcl  de  la  Jucquoiuinière  ,  de  porter  ht»n 
vœu  au  C4orps  législatif 


DE    LA    IMIKLICATION     DES    LOIS.  O79 

CORPS  LÉGISLATIF. 

DISCOURS   PRONONCÉ  PAR  LE  TRUIUN  FAURE, 
l'un  des  orateurs  chargés  db  présenter  le  voeu  du  tribunat. 

(Séance  du  14  vcnlose  an  XI. — 5  mars  i8o3. ) 

Législateurs,  les  bonnes  lois  sont  les  fruits  tardifs  de  l'ex- 
périence et  des  lumières. 

L'expérience  fait  reconnaître  les  lois  vicieuses;  sans  le 
secours  des  lumières,  elle  ne  saurait  indiquer  le  remède. 

Avec  les  lumières  seules,  une  imagination  féconde  peut 
enfanter  des  théories  sublimes;  mais  il  n'est  réservé  qu'à 
l'expérience,  de  découvrir  le  prestige  des  illusions  :  jusqu'a- 
lors les  yeux  sont  plutôt  éblouis  qu'éclairés.  Ce  n'est  qu'in- 
sensiblement que  la  vue  s'accoutume  au  jour  pur  de  la 
vérité. 

Quelles  ressources ,  citoyens  législateurs,  la  France  n'a- 
t-elle  pas  aujourd'hui  pour  corriger  et  perfectionner  ses 
lois  !  Tout  ce  qu'on  peut  attendre  des  vastes  connaissances 
d'un  grand  nombre  de  jurisconsultes  distingués,  tout  ce 
que  peut  produire  une  Irès-Iongue  observation  des  hommes 
et  des  choses  ,  notre  législation  en  sera  le  résultat. 

Et  dans  quel  temps  cette  législation  va-t-ellc  paraître? 

C'est  à  l'époque  où  la  République  ,  illustrée  par  des  vic- 
toires à  jamais  mémorables,  recueillant  chaque  jour  les 
bienfaits  inappréciables  de  la  paix  la  plus  glorieuse ,  ornée 
par  les  sciences,  embellie  par  les  arts,  présidée  par  le  gé- 
nie, se  voit  élevée  au  plus  haut  degré  d'éclat  et  de  gloire. 

Le  Tribunat  m'a  chargé  de  vous  présenter  son  vœu  sur 
le  projet  de  loi  qui  a  pour  titre  :  De  la  publication ,  des  effets 
et  (le  l'application  des  lois  en  général, 

A  ces  mots  des  lois  en  général^  déjà  vous  reconnaissez 
qu'il  s'agit  de  dispositions  qui  appartiennent  à  tous  les 
Codes,  et  non  pas  au  Code  civil  seul. 


58o  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    elc 

Le  premier  article  établit  un  nouveau  mode  de  publica- 
tion des  lois. 

Les  autres  renferment  des  maximes  sacrées  f(uele  légis- 
lateur ne  doit  jamais  omettre,  comme  le  citoyen  ne  doit 
jamais  les  oublier. 

Je  vais  parcourir  chacun  des  articles. 

Anciennement  les  lois  n'étaient  exécutées  qu'après  avoir 
été  enregistrées,  et  le  refus  d'enregistrement  de  la  part 
d'une  cour  souveraine  emportait  la  défense  d'exécution 
dans  toute  l'étendue  de  son  ressort.  Ce  droit,  que  les  tri- 
bunaux du  premier  rang  prétendaient  avoir  d'empêcher 
l'exécution  dçs  lois,  était  une  émanation  de  la  puissance 
législative. 

On  a  depuis  reconnu  les  dangers  de  la  confusion  des 
deux  pouvoirs. 

Les  tribunaux  ont  été  obligés  de  se  renfermer  dans  les 
limites  de  leurs  attributions;  il  ne  leur  a  plus  été  permis  de 
refuser  d'enregistrer  les  lois,  et  les  acies  du  pouvoir  légis- 
latif n'ont  plus  eu  besoin  de  la  sanction  du  pouvoir  judi- 
ciaire. 

Alors  l'enregistrement,  borné  à  une  simple  transcrip- 
tion ,  n'a  plus  eu  qu'un  seul  objet,  celui  de  servir  à  la  pu- 
blication des  lois> 

Pourquoi  laul-il  que  les  lois  soient  publiées?  Ce  n'est 
pas  seulement  pour  que  les  juges  en  aient  coimaissance, 
c'est  aussi  pour  qu'elles  soient  connues  de  tous  les  ci- 
toyens. La  transcription  produit-elle  ce  dernier  effet  ? 
Noiv,  sans  doute. 

Une  lecture  faite  à  l'audience,  au  moment  de  la  trans- 
cription, est-elle  propre  à  donner  cette  connaissance  gé- 
nérale? Il  est  évident  (|u'clle  ne  le  peut  pas. 

Cependant  ce  n'est  cpie  du  moment  où  la  loi  est  réputée 
connue,  qu'elle  doit  être  exécutée. 

Ce  mode  de  publication  contient  d'ailleurs  m»  grand 
vice,  c'est  qu'il  fait  dépendre   dv.  la  volonlé  de  riiomiue  ce 


DK     LA     PUBLICATION    DKS     LOIS.  58 1 

qui  ne  doit  dépendre  que  de  la  volonté  de  la  loi.  La  perte 
d'un  bulletin,  les  accidens  de  la  poste,  la  néj^ligence  d'un 
oliicier  public,  peuvent  exposer  la  loi  à  rester  long-temps 
sans  exécution,  et  souvent  à  être  exécutée  plus  tard  dan» 
le  voisinage  du  lieu  où  elle  a  été  rendue  qu'au  point  le 
plus  éloigné.  Un  tel  mode  laisse  encore  au  pouvoir  judi- 
ciaire la  faculté  de  liàterou  de  différer  l'exécution  de  la  loi, 
eu  hâtant  ou  différant  sa  transcription  ,  et  ainsi  d'obtenir  , 
par  un  retard  ,  au  moins  une  partie  de  ce  qu'il  ne  peut  plus 
obtenir  par  un  refus. 

Le  but  du  projet  actuel  est  que  l'instant  où  Texéculion 
de  la  loi  doit  commencer  dans  chacun  des  départemens  de 
la  République,  soit  fixé  d'une  manière  invariable,  et  que 
cette  fixation  soit  l'ouvrage  de  la  loi  seule. 

Autant  il  était  difficile  avant  la  révolution  de  connaître  la 
loi  lorsqu'elle  était  rendue ,  autant  il  est  facile  aujourd'hui 
d'acquérir  celte  connaissance. 

Autrefois  les  lois  se  faisaient  secrètement  ;  souvent  même 
elles  restaient  cachées  dans  les  ténèbres  long-temps  après 
avoir  été  faites. 

Aujourd'hui ,  dès  qu'un  projet  de  loi  est  adressé  au  Corps 
législatif,  il  se  répand  dans  toutes  les  [larlies  de  la  Répu- 
blique. Bientôt  ensuite  les  débats  circulent,  et  lorsqu'enfin 
la  loi  est  décrétée  ,  les  copies  en  sont  tellement  multipliées 
par  la  voie  de  l'impression,  que  chacun  peut  aisément  en 
prendre  connaissance.  L'acte  constitutioimel  exige  qu'il  y 
ait  un  intervalle  de  dix  jours  entre  le  décret  du  Corps  lé- 
gislatif et  la  promulgation  générale  faite  par  le  Premier 
Consul;  et  tout  le  inonde  sait  (ju'aucune  feuille  publique 
n'attend ,  pour  annoncer  la  loi,  que  répo(jue  de  la  promul- 
gation soit  arrivée. 

Autrefois  la  loi  devait  être  exécutée  aussitôt  après  l'en- 
registrement,  <\m  produisait  le  double  effel  d'une  sanction 
et  d'une  promulgation.  Aujourd'hui  ,  comme  je  viens  de 
l'observer,  la  loi  n'est  promulguée   (juc   dix    jours  après 


582  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC 

qu'elle  a  élé  reudue  ;  ainsi  son  exécution  ne  pourrait  ja- 
mais commencer  avant  l'échéance  de  ce  délai. 

Mais  la  loi  proposée  ajoute  un  autre  délai  pour  que  la 
promulgation  soit  réputée  connue.  Elle  le  gradue  suivant 
les  distances.  Elle  prend  un  terme  moyen  entre  le  plus  et 
le  moins  de  célérité  dans  le  passage  d'un  lieu  à  l'autre.  Elle 
porte  enfin  que  la  promulgation  faite  par  le  Premier  Con- 
sul sera  réputée  connue  dans  le  déparlement  où  siégera  le 
gouvernement,  un  jour  après  celui  de  la  promulgation  ;  et 
dans  chacun  des  autres  départemens,  après  l'expiration  du 
même  délai,  augmenté  d'autant  de  jours  qu'il  y  aura  de 
fois  dix  myriamètres  (environ  vingt  lieues  )  entre  la  ville 
où  la  promulgation  en  aura  été  faite  et  le  chef-lieu  de  cha- 
que département. 

Telle  est  la  disposition  du  premier  article,  le  seul  qui 
traite  de  la  publication  des  lois.  Il  n'en  résulte  pas  la  con- 
séquence qu'à  l'avenir  le  gouvernement  cessera  d'envoyer 
le  bulletin  aux  tribunaux.  On  doit  en  conclure  seulement 
que  l'envoi  du  bulletin  ne  sera  plus  nécessaire  pour  qu'on 
ne  puisse  se  dispenser  d'exécuter  la  loi. 

Quelques  personnes,  en  convenant  que  le  délai  progres- 
sif était  plus  avantageux  que  la  transcription,  ont  ajouté 
qu'ils  ne  préféraient  l'un  à  l'autre  qu'à  cause  des  termes 
fixes  attachés  au  délai,  tandis  que  la  transcription  n'en 
avait  aucun. 

Mais  ils  ont  prétendu  que  le  meilleur  de  tous  les  modes 
était  le  délai  uniforme. 

Le  délai  uniforme,  ont-ils  dit,  n'a  qu'un  seul  terme 
pour  toutes  les  parties  de  la  France. 

Le  délai  progressif  en  a  un  différent  pour  chaque  dis- 
tance de  vingt  lieues. 

Le  premier  est  simple  et  naturel. 

Le  second  exige  des  calculs. 

L'un  ne  laisse  aucune  dillicullé  dans  l'exécution 

L'autre  ne  prévient  point  lous  les  embarras. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  383 

Avec  le  délai  uniforme,  tous  les  biens  de  chaque  indi- 
vidu deviendront  au  même  moment  soumis  à  la  môme  loi. 

Avec  le  délai  progressif,  il  s'écoulera  souvent  un  inter- 
valle de  temps  penchant  lequel  partie  des  biens  de  la  môme 
famille  restera  sous  l'empire  de  l'ancienne  législation, 
tandis  ([u'une  autre  partie  sera  déjà  sous  l'empire  de  la 
nouvelle. 

On  a  répondu  que  si  le  délai  uniforme  semblait,  au  pre- 
mier coup-d'œil,  plus  séduisant  que  le  délai  progressif, 
il  était  facile ,  avec  un  peu  d'attention  ,  de  reconnaître  que 
le  délai  progressif  devait  être  préféré. 

D'abord ,  en  fait  de  calcul,  ce  dernier  mode  est  si  clair, 
il  présente  si  peu  de  difficultés,  qu'il  n'est  personne  qui  ne 
puisse  en  un  moment  le  concevoir  et  le  retenir. 

Eu  second  lieu,  n'est-il  pas  évident  que  l'action  de  la 
loi  doit  rester  suspendue  le  moins  de  temps  possible?  Elle 
doit  l'être  seulement  le  temps  nécessaire  pour  que  la  loi 
soit  réputée  connue;  et  comme  il  est  impossible  que  la  loi 
soit  connue  partout  au  même  instant,  il  en  résulte  que 
son  exécution  doit  commencer  à  des  époques  plus  ou 
moins  reculées,  selon  le  plus  ou  le  moins  d'éloignement 
des  lieux. 

En  troisième  lieu,  le  délai  uniforme  ne  pourrait  pas  être 
applicable  à  toutes  les  lois  indistinctement,  comme  le  sera 
le  délai  progressif.  Dans  l'hypothèse  de  l'uniformité  de  dé- 
lai, il  y  aurait,  pour  les  départemens  voisins  du  lieu  où 
siège  le  gouvernement,  un  intervalle  de  temps  considéra- 
ble entre  le  moment  où  la  connaissance  de  la  loi  leur  serait 
arrivée,  et  celui  où  ils  pourraient  l'exécuter;  car  le  délai 
unique  devant  être  réglé  d'après  le  temps  nécessaire  pour 
que  la  loi  fût  réputée  connue  au  point  le  plus  éloigné  du 
centre ,  il  faudrait  accorder  quinze  jours  au  moins,  ce  qui, 
avec  les  dix  jours  antérieurs  à  la  promulgation,  formerait 
un  délai  de  vingt-cinq  jours.  Cela  posé,  toutes  les  fois 
(ju'il  s'agirait  de  lois  particulières  à  l'égard  desquelles  il 


384  DISCUSSIONS  ,    MOTIFS  ,    ClC 

importerait  à  l'État  d'obtenir  la  plus  prompte  exécution , 
il  serait  iiulispensable  que  ces  mêmes  lois  continssent  une 
dérogation  au  délai  unilorme.  Sans  celte  dérogation,  beau- 
coup de  lois,  surtout  en  matière  de  fuiance,  deviendraient 
illusoires,  quelquefois  même  plus  dangereuses  qu'utiles. 
Aussi  les  partisans  du  délai  uniforme  n'ont-ils  jarnais  man- 
qué de  proposer  en  même  temps  une  disposition  qui  au- 
torisât la  dérogation.  N'était-ce  pas  consacrer  la  mutabi- 
lité sur  un  point   de  législation  qui  doit  être  invariable? 

Enfin*  depuis  des  siècles,  si  l'on  excepte  quelques  ordon- 
nances, jamais  les  lois  n'ont  été  mises  à  exécution  partout 
au  même  instant,  et  l'on  ne  voit  pas  que  cette  exécu- 
tion progressive  ait  été  jamais  le  fondement  d'aucune 
plainte. 

On  a  remarqué  que  ,  suivant  le  mode  proposé  par  la  loi, 
le  chef-lieu  de  chaque  département  servira  d'échelle  de 
distance.  A  ce  moyen  ,  les  époques  différentes  d'exécution 
ne  seront  point  trop  multipliées,  comme  elles  l'eussent  été 
en  prenant  le  chef-lieu  de  chaque  arrondissement  com- 
munal. D'un  autre  côté,  les  distances  auraient  été  Ir^p 
longues  en  prenant  le  chef-lieu  de  chaque  tribunal  d'ap- 
pel. En  un  mot,  la  di*vision  sera  plus  juste  et  plus  égale 
que  si  l'on  eût  pris  l'une  ou  l'autre  mesure. 

Tant  de  motifs  réunis  ont  déterminé  le  Tribunal  en  fa- 
veur du  délai  progressif. 

Je  passe  à  l'article  2. 

L'article  2  porte  :  La  loi  ne  dispose  que  pour  l'avenir;  elle 
n'a  point  d'effet  rétroactif. 

La  loi  ne  doit  avoir  pour  but  que  de^  régler  les  cas  non 
encore  arrivé».  S'il  en  était  autrement,  jamais  il  ne  pour- 
rait exister  rien  de  stabh^  Ce  qu'on  aurait  fait  aujourd'hui 
conformément  à  la  loi,  ou  sans  qu'aucune  loi  s'y  opposât, 
serait  détruit  demain  par  une  seconde  loi  ,  et  l'ouvrage  de 
demain  pourrait  être  à  son  tour  anéanti  par  l'intervention 
d'une  loi  nouvelle. 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  385 

Rien  de  plus  sas^e  que  le  principe  énoncé  par  l'article  2. 

En  vain  on  opposerait  qu'il  ne  doit  point  trouver  place 
dans  un  Code  de  lois,  parce  qu'il  ne  regarde  que  les  légis- 
lateurs, qui  peuvent  toujours  changer  les  lois  qu'ils  ont 
laites,  et  substituer  au  principe  une  nouvelle  loi  rétroactive 
dont  les  tribunaux  ne  pourraient  se  dispenser  d'ordonner 
l'exécution  ,  et  à  laquelle  les  citoyens  ne  pourraient  se 
dispenser  d'obéir. 

Cette  disposilion  ne  contient  pas  seulement  un  précepte 
pour  les  législateurs,  elle  contient  de  plus  une  obligation 
pour  les  juges  et  une  garantie  pour  les  citoyens. 

Elle  recommande  aux  juges  de  ne  jamais  appliquer  la 
loi  à  des  faits  antérieurs  à  son  existence. 

Elle  garantit  aux  citoyens  qu'ils  ne  seront  jamais  recher- 
chés pour  quelque  acte  que  ce  soit ,  si  cet  acte  n'était  dé- 
fendu par  aucune  loi  lorsqu'on  l'aura  commis. 

Tels  sont  les  principaux  motifs  de  l'assentiment  que  le 
Tribunat  a  donné  à  l'article  1. 

L'article  5  règle  plusieurs  points  dont  l'importance  de- 
vait en  effet  leur  assigner  une  place  au  rang  des  disposi- 
tions relatives  à  l'application  des  lois  en  général. 

Il  contient  hs  principales  bases  d'une  matière  connue 
dans  le  droit,  sous  le  titre  de  statuts  personnels  et  de  sta- 
tuts réels.  \\  détermine  d'une  manière  précise  et  formelle 
quelles  sont  les  personnes  et  quels  sont  les  biens  que  régit 
la  loi  française. 

A  l'égard  des  biens,  il  suffit  qu'ils  soient  situés  en  France 
pour  que  la  loi  de  France  les  régisse.  Peu  importe  d'ail- 
leurs que  le  propriétaire  soit  Français  ou  étranger;  car  il 
ne  peut  y  avoir,  pour  régir  ces  biens,  que  les  lois  du  pays 
au  territoire  duquel  ils  sont  attachés.  Tel  est  le  statut  réel. 
On  a  toujours  compté  en  France  autant  de  statut.*»  réels 
qu'il  y  avait  de  coutumes  et  d'usages  locaux;  désormais  il 
n'y  en  aura  plus  (ju'un  seul,  puisque  nous  aurons  un  Code 
uniforme  pour  toute  la  République. 

VI.  25 


086  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    CtC. 

Quant  au  statut  personnel,  on  distingue  entre  les  lois 
qui  règlent  l'état  et  la  capacité  des  personnes,  et  celles  qui 
concernent  la  police  et  la  sûreté  du  pays. 

Il  suffît  d'être  Français  pour  que  l'état  et  la  capacité  de 
la  personne  soient  régis  par  la  loi  française.  Que  l'individu 
réside  en  France  ou  qu'il  réside  en  pays  étranger,  de» 
qu'il  est  Français,  la  règle  est  la  même;  sa  qualité  de 
Français  le  suivant  partout,  les  lois  qui  dérivent  de  celte 
qualité  doivent  le  suivre  également. 

Quant  aux  lois  de  police  et  de  sûreté,  il  suffit  d'habiter 
le  territoire  français  pour  être  sous  l'empire  des  lois  de 
France.  L'individu  contracte,  en  entrant  dans  un  pays 
dont  il  n'est  pas  sujet,  l'obligation  de  se  soumettre  à  toutes 
les  lois  établies  pour  l'ordre  et  la  tranquillité  du  pays.  S'il 
est  assez  téméraire  pour  les  enfreindre,  comment  ce  pays 
pourra-t-il  le  traiter  plus  favorablement  que  ses  propres 
citoyens? 

Je  ne  m'étendrai  point  davantage  sur  les  motifs  de  cet 
article,  qui  a  obtenu  un  assentiment  général. 

L'article  4  porte  que  le  juge  qui  refusera  de  juger  sous 
prétexte  du  silence  et  de  l'obscurité,  ou  de  l'insuffisance 
de  la  loi,  pourra  être  poursuivi  comme  coupable  de  déni 
de  justice. 

Cette  disposition  est  une  de  celles  dont  l'expérience  a  le 
plus  fait  reconnaître  l'indispensable  nécessité. 

Il  est  souvent  arrivé,  surtout  pendant  un  assez  long  in- 
tervalle de  temps,  que  des  tribunaux  civils  ,  trouvant  la  loi 
muette  ou  obscure  sur  une  question  qui  leur  était  soumise, 
se  sont  adressés  au  Corps  législatif  pour  avoir  une  solution 
qu'ils  croyaient  ne  pas  devoir  dormer,  et  en  conséquence 
ont  suspendu  le  jugement  just|u'à  ce  que  la  réponse  fût 
arrivée.  On  n'aurait  point  ainsi  suspendu  le  cours  de  la 
justice,  si  l'on  eût  été  sans  cesse  pénétré  de  ce  principe, 
que  la  loi  n'a  point  d'clfct  rétroactif.  Il  est  incontestable 
que  la  loi,  ne  pouvant  disposer  que  pour  l'avenir,  ne  doit 


DE    LA.    PUBLICATION    DKS    LOIS.  587 

point  Statuer  sur  des  questions  soumises  aux  tribunaux 
antérieurement  à  son  existence.  Si  elle  le  fait,  cette  loi 
n'est  point  ,  par  rapport  à  ces  mêmes  (|uestions ,  une  dis- 
position législative,  elle  ne  l'est  que  dans  l'expression; 
mais  dans  la  réalité  c'est  un  jugement.  Et  de  là  résulte  une 
confusion  manifeste  du  pouvoir  législatif  avec  le  pouvoir 
judiciaire. 

D'ailleurs,  en  émettant  une  loi  sur  chaque  difficulté  non 
prévue,  de  quelle  quantité  prodigieuse  de  lois  ne  serait-on 
pas  bientôt  accablé  ?  Combien  de  fois  aussi  n'arriverait-il 
pas  que  la  loi  particulière  dérogerait  à  îa  loi  générale,  au 
lieu  d'être  seulement  interprétative?  Et  comme  l'ancienne 
loi  se  trouvait  liée  à  d'autres  lois  corrélatives,  il  n'y  aurait 
plus  d'ensemble  dans  les  dift'érentes  parties  de  la  législa- 
tion :  on  y  verrait  au  contraire  une  incohérence  mons- 
trueuse ,  d'où  résulterait  une  source  de  procès.  Alors, 
comme  a  dit  un  philosophe  célèbre  (a)  :  «  Les  lois  qui  doi- 
vent servir  de  flambeau  pour  nous  ftiire  marcher,  seraient 
autant  d'entraves  qui  nous  arrêteraient  à  chaque  pas.  » 

En  matière  criminelle ,  les  inconvéniens  seraient  bien 
plus  graves  encore.  S'il  fallait  attendre  une  loi  pour  juger 
un  acte  que  les  juges  croiraient  condamnable ,  et  sur  lequel 
aucune  loi  ne  leur  paraîtrait  avoir  prononcé,  certes  il  n'est 
pas  un  citoyen  qui  ne  dût  être  continuellement  effrayé  par 
la  crainte  de  se  voir  un  jour  poursuivi  comme  coupable, 
eu  vertu  d'une  loi  postérieure  à  l'acte  qu'il  aurait  commis 
dans  un  temps  oii  cet  acte  n'était  nullement  détendu. 

En  un  mot ,  pour  toute  affaire ,  soit  civile,  soit  criminelle, 
ou  la  loi  parle,  ou  elle  se  tait.  Si  la  loi  parle  ,  il  faut  juger 
en  se  conformant  à  sa  volonté.  Si  elle  se  tait,  il  faut  juger 
encore,  mais  avec  celte  différence  que,  lorsqu'il  s'agit 
d'une  affaire  civile,  les  juges  doivent  se  déterminer  par  les 
règles  de  l'équité,  qui  consistent  dans  les  maximes  de  droit 
naturel,  de  justice  universelle  et  de  raison  ;  et  (|ue,  lorsqu'il 

{»',  Bac*ii. 

25. 


388  DISCUSSIONS,    MOTIFS,    clc 

s'agit  d'un  procès  criminel ,  l'accusé  doit  être  renvoyé,  vu 
le  silence  de  la  loi.  Enfin  resle-t-ii  encore  des  difficultés  ? 
C'est  au  tribunal  de  cassation  de  les  lever;  tribunal  su- 
prême, établi  pour  venir  au  secours  des  citoyens  dans  les 
cas  où  Ton  aurait  appliqué  des  lois  qui  ne  devaient  pas 
l'être,  comme  dans  ceux  oii  l'on  n'aurait  trouvé  aucune 
loi  applicable ,  lorsqu'il  en  existait  qui  devait  être  appli- 
quée. 

Suivant  l'article  4,  qui  vient  d'être  analysé  ,  les  législa- 
teurs ne  doivent  pas  s'attribuer  les  fonctions  de  juges. 

Suivant  l'article  5,  les  juges  ne  doivent  pas  s'ériger  en 
législateurs.  On  lit  dans  ce  dernier  article,  qu'il  est  défendu 
aux  juges  de  prononcer  par  voie  de  disposition  générale  et  régie' 
mentaire  sur  les  causes  qui  leur  sont  soumises. 

Autrefois  les  cours  souveraines  rendaient  des  arrêts  de 
règlement  :  le  droit  qu'elles  prétendaient  avoir  à  cet  égard 
était  fondé  sur  une  ancienne  possession  et  sur  les  mêmes 
titres  que  celui  qu'elles  exerçaient  par  rapport  à  l'enregis- 
trement des  lois.  11  est  évident  que  ces  arrêts  de  règlement 
étaient  tout  à  la  fois  des  jugemens  et  des  lois  ;  des  jugemens 
pour  la  cause  sur  laquelle  ils  statuaient,  des  lois  pour  les 
questions  semblables  ou  analogues  qui  pouvaient  se  présen- 
ter à  l'avenir. 

Aujourd'hui  de  tels  actes  seraient  tout  à  la  fois  inconstitu- 
tionnels et  impraticables. 

Inconstitutionnels  :  car  la  ligne  de  démarcation  est  consti- 
tutionnellement  fixée  entre  le  pouvoir  législatif  et  le  pou- 
voir judiciaire.  Celui-ci  n'a  pas  plus  le  droit  de  faire  des 
lois,  que  celui-là  de  rendre  des  jugemens. 

Impraticables  :  car,  si,  par  exemple,  un  tribunal  d'appel 
pouvait  faire  une  disposition  générale  et  réglementaire,  il 
est  incontestable  qu'elle  serait  obligatoire  pour  tout  son 
ressort,  et  qu'elle  ne  s'étendrait  point  au-delà  de  sou  res- 
sort. Alors  chaque  tribunal  de  celle  classe  pouvant  aussi 
faire  la  même  chose,  il  en  résulterait  inévitablement  une 


DE    LA    PUBLICATION    DES    LOIS.  580 

foule  de  dispositions  fîonlradictcdres  sur  les  mêmes  points, 
et  le  bienfait  d'un  Code  général  qui  consiste  à  rendre  la  loi 
partout  uniforme,  deviendrait  anéanti  par  des  lois  par- 
tielles, dont  la  réunion  offrirait,  après  un  certain  laps  de 
temps,  un  Code  particulier  pour  chaque  ressort  du  tribunal 
d'appeP. 

L'article  6  contient  une  maxime  conforme  à  celle  que  les 
Romains  avaient  consacrée.  Une  convention  particulière 
blesse-t-elle  l'ordre  public  ou  les  bonnes  mœurs ,  «lie  est 
réprouvée  par  la  loi.  Ne  contient-elle  rien  ni  contre  lés 
bonnes  mœurs,  ni  contre  l'ordre  public,  elle  doit  être  W 
est  en  effet  permise,  lors  même  qu'elle  porterait  dérotja- 
tion  à  quehjue  disposition  de  loi.  Tel  est  le  vœu  de  l'ar- 
ticle 6.  Le  principe  est  juste,  son  application  est  facile. 
Ainsi,  par  exemple,  deux  époux  ne  pourf^^^J"*  convenir 
de  dissoudre  leur  mariage  à  la  volonté  de  l'un  des  deux,  et 
sans  l'observation  préalable  des  conditions  (jue  la  loi  pres- 
crit. Mais  un  débiteur  et  un  créancier  peuvent  faire  entre 
eux  une  convention  particulière,  d'après  laquelle  l'un 
promettra  de  ne  pas  user  contre  l'autre  d'une  prescription 
légale  acquise  en  sa  faveur. 

Dans  le  premier  cas,  la  convention  est  illicite,  parce 
qu'il  s'agit  de  l'existence  d'un  mariage,  et  que  cet  objet 
tient  essentiellement  à  l'ordre  public. 

Dans  le  second  cas,  il  s'agit  d'un  intérêt  privé  ,  suscep- 
tible d'être  modifié  au  gré  des  parties;  il  s'agit  d'un  acte 
contre  lequel  l'ordre  public  ne  peut  réclamer  en  aucune 
façon.  La  convention  est  donc  valable. 

A  regard  des  bonnes  mœurs ,  il  y  a  même  raison ,  je  dirai 
plus,  l'une  est  une  dépendance  nécessaire  de  l'autre.  Les 
mots  ordre  public  eussent  seuls  pu  suffire,  et  l'addition 
qu'on  a  faite  n'a  pour  objet  que  de  doimer  à  la  rédaction  de 
l'article  toute  la  clarté  dont  elle  était  susceptible.  En  effet, 
tout  ce  qui  concerne  les  bonnes  mœurs  intéresse  l'ordre 


ogo  DISCUSSIONS,  MOTIFS,  elc 

public  ;  mais  tout  ce  qui  intéresse  l'ordre  public  ne  concerne 
pas  les  bonnes  mœurs. 

Citoyens  législateurs,  j'ai  cru  devoir  me  borner  à  cette 
courte  analyse  sur  la  loi  proposée.  L'orateur  éloquent  qui 
vous  en  a  développé  les  motifs  m'a  dispensé  de  tout  autre 
soin.  Une  loi  conçue  par  la  sagesse,  mûrie  par  la  réflexion, 
recommandée  par  des  talens  supérieurs,  appelle  de  toutes 
parts  la  confiance  publique.  Le  Tribunal  s'est  empressé  de 
Tadop»'^'--  C'est  à  vous,  législateurs,  qu'il  appartient  d'en 
assurer  les  avantages,  en  lui  accordant  une  sanction 
au'eJle  sollicite  à  tant  de  titres. 

Le  Corps  législatif  adopta  ce  projet  de  loi  dans  la  même 
séance ,  ot  la  promulgation  en  fut  faite  le  24  ventôse  an  XI 
(i5  mars  i8o3.) 


FIN  DU  SIXIEME  VOLUME. 
1®^  DES  DISCUSSIONS. 


^«ÛiUtor 


4331— 

C  j  1 ISS2 


îr 


1/ 


.1 


•I 


201-6503 


Printed 
in  USA 


■^r-rJfî 


j<ar».