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RECUEIL COMPLET
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TRAVAUX PRÉPARATOIRES
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DU
CODE CIVIL.
TOME SIXIEME.
Se trouve aussi
Chez R. LEROUX, Libraire, rue Serpente, n* 14.
IMIfUMPlUK DR M.\KCM\?»I> OU UHP.UIL,
RECUEIL COMPLET
DES
TRAVAUX PREPARATOIRES
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CODE CIVIL,
SUIVI
d'une édition de ce code a laquelle sont ajoutés les lois, décrets et
ordonnances formant le complement de la legislation civile de la
FRANCE, ET OU SE TROUVENT INDIQUES, SOUS CHAQUE ARTICLE SÉPARÉMENT ,
TOUS LES PASSAGES DU RECUEIL QUI s'y RATTACHENT.
Par p. a. FENET,
AVOCAT A LA COUR ROYALE DE PARIS.
TOME SIXIEME.
PARIS,
AU DÉPÔT, RUE SAINT- ANDRÉ-DES-ARCS , N« 5i ,
C^^<-tX V^ytXO^
MDCGCXXVJI.
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RECUEIL COMPLET
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TRAVAUX PRÉPARATOIRES
DU
CODE CIVIL.
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DISCUSSIONS,
MOTIFS, RAPPORTS ET DISCOURS.
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TITRE PRELIMINAIRE.
De la publication , des effets et de V application
des lois en général.
CONSEIL D'ÉTAT.
(Procès-verbal de la Séance du 4 thermidor an IX. — 23 juillet 1801.)
jM. Portalis, d'après le renvoi fait par les consuls à la
section de législation dans la dernière séance *, présente
un projet de loi extrait du livre préliminaire du Code civil
et relatif à la publication , aux effets et à V application des lois en
général.
L'article i" est ainsi conçu :
< Les lois seront exécutoires dans toute la République,
* Il est arrêté, dans la séance du 18 messidor an IX, 2° que les dispositions dn livre
préliminaire qui appartiennent à la législation seront rédigées en un seul projet de loi.
I Voyez VHitloire du Code, j
4 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC
«< (juinzc jours après la promulîçalion faite par le Preriiier
« Consul.
« Ce délai pourra, selon rexigence des cas, être modifié
(. par la loi qui sera l'objet de la publication. •
Le rapporteur dit (jue, dans le Projet de Code civil , on
avait distingué les lois en lois administratives, judiciaires
et mixtes. Les premières devaient devenir obligatoires du
jour où elles auraient été publiées par les autorités admi-
nistratives; les secondes, du jour où elles l'auraient été
par les tribunaux d'appel; les troisièmes, c'est-à-dire les
lois mixtes, devaient l'être, en ce qui pouvait être relatif
à la compétence de chaque autorité, du jour de la publi-
cation par l'autorité compétente.
Le tribunal de cassation et le tribunal d'appel de Paris
adoptent le fond de ce système, et ne proposent que des
chanij;emens de rédaction.
La majorité des autres tribunaux regarde ce mode de pu-
blication présenté dans le projet de Code, comme insuffisant,
contraire aux vrais principes, et sujet aux plus grands abus.
Les uns (lisent qu'une sinq)le lecture delà loi à l'audience
d'un tribunal d'appel ne saurait autoriser la présomption
légale , (\ue , dans l'instant même de celte lecture , la loi est
connue des tribunaux d'arrondissement , situés souvent à
une grande distance des tribunaux d'appel. Ils désireraient
que la loi fût publiée par ces tribunaux, qui sont les premiers
à l'appliriucr et à l'exécuter, et qu'elle ne fût même exécu-
toire qu'ajirès un certain délai, h. dater du jour de cette
publication, lequel délai serait mis à profit pour faire afficher
la loi, sinon dans toutes les communes, du moins dans
toutes celles où il y a un juge de paix. Ils observent que
les frais d'impression et d'aHîche seront moins onéreux
pour le trésor publie dans un ordre de choses (|ui garantit
plus de stabilité aux lois; et que d'ailleurs, dans une ma-
tière aussi importante , Pinlérét du fisc ne saurait balancer
celui des cilovens de l'Ltal.
1)1' LA PIJULICATION DES LOIS. 5
Les aiilrcs tribunaux, e» reconnaissanl la urocssilé
(l'atlresser les lois à toutes les autorités chargées de leur
ap|)licatioii ou de leur exécution , et môme de les faire
connaître à tous les citoyens par la voie de l'aiViche, pro-
posent de fixer un délai à dater de la promulgation de la
loi par le Premier Consul , iprès lequel la loi sera au même
instant exécutoire dans toute l'étendue de la République.
Les divers systèmes que les observations des tribunaux
nous présentent n'avaient point échappé à la section ; elle
en avait discuté d'avance les inconvéniens et les avantages.
La publication des lois est une conséquence du principe
que les lois ne peuvent être obligatoires avant d'être con-
nues : mais il est impossible de trouver un mode de publi-
cation qui ait l'effet d'atteindre personnellement chaque
individu ; on est réduit à se contenter de la certitude mo-
rale que tous les citoyens ont pu connaître la loi.
Pour peser les divers degrés de cette certitude morale,
il faut distinguer les lieux et les temps.
Dans l'ancien régime, la loi était secrètement rédigée;
on l'adressait ensuite aux cours souveraines. Ces cours pou-
vaient en refuser ou en siispendre l'enregistrement, et dé-
libérer des remontrances. L'enregistrement étant une forme
préalable à l'exécution de la loi , cette exécution ne pouvait
avoir lieu qu'après que la loi avait été enregistrée.
Nous devons même faire remarquer que, dans la plupart
des anciennes provinces de France , la loi n'était exécutoire
que du jour de la publication qui en était faite par les tri-
bivnaux inférieurs.
Le système de ceux qui voudraient ne rendre la loi exé-
cutoire que du jour de sa publication par les tribunaux
d'appel ou par les tribunaux d'arrondissement, se rap
proche de cet ancien ordre de choses.
Mais cet ordre n'existe plus. Dans notre droit actuel , la
loi a toute sa force et tous ses caractères avant d'être adressée
aux Tribunaux et aux diverses autorités conipétcnlcs.B'autre
b DISCU8SIOÎIS , MOTIFS , elc.
pari, la loi a déjà acquis le plus haut degré de publicité
par les discours des orateurs du gouvernement, par la dis-
cussion du tribunal, et par celle qui est faite en présence
du corps législatif. La loi ne peut être pronnulguée par le
Premier Consul que dix jours après le décret du corps
législatif; et pendant ce délai , la connaissance de la loi
continue à circuler dans toute la République.
L'envoi officiel de la loi aux autorités compétentes n'est
donc plus, dans la hiérarchie des pouvoirs, qu'un moyen
régulier de rendre la loi plus intimement présente aux
différentes parties de l'état, et d'en assurer le dépôt dans
tous les lieux où elle doit Otre ol>éie.
Cet envoi pouvant être fait partout dans un temps déter-
miné, pourquoi n'adopteiait-on pas la proposition de fixer
un délai suffisant après lequel la loi serait, au même ins-
tant, exécutoire dans toute la France?
Une telle idée, qu'il n'eût pas été possible de réaliser
tant qu'il existait des cours qui avaient le droit de refuser
ou de suspendre l'enregistrement des lois, ne rencontre
aujourd'hui aucun obstacle.
Elle aurait, dit-on , l'inconvénient de retarder l'exécu-
tion des lois dans certains départemens, et surtout dans
ceux où il importe (juelquefbis le plus que les lois soient
promplemcnt exécutées.
En retardant Pcxécutioii des lois, lorsqu'elles sont déjà
suffisamment connues , elle pourrait donner lieu, dans le
temps intermédiaire, à im grand nombre de fraudes contre
ces lois.
Mais on peut répondre t|ue , dans les cas rares où il serait
essentiel cju'unc loi nouvelle fût exécutée sans délai à
Paris et da»is les départernins environnans, cette loi pour-
rait le dctlarer. Nous y avons pourvu par une disposition
particulière.
Quant aux fraudes dont le délai peut devenir roccasioii ,
on ne les préviendra dans aucun système ; cai la disCLwt»ion
DK LA PUBLICATION Vh^ LOIS. 7
des lois étant publique, ceux qui veulent cons(3mmer des
arrangeniens auxquels la nouvelle loi s'opposerait, auront
toujours le temps et la liberté de le faire avant la pronriul-
gation de cette loi.
Ce qui est certain . c'est que l'idée d'établir un délai
uniforme après lequel la loi serait exécutoire le même jour
dans toute la République, préviendrait cette diversilé de
jugemens sur les mêmes questions et entre les membres de
la même cité, qui est un sujet de scandale, et ces incerti-
tudes locales sur l'époque de l'exécution de la loi , qui sont
une grande source de difficultés et de procès.
L'idée d'un délai uniforme aurait encore l'avantage de
rendre l'exécution de la loi indépendante de la négligence
de l'homme, et de mieux constater le principe que, dans
notre droit public, le fait des tribunaux et des autres auto
rites ne peut plus rien ajouter à la force et au caractère de
ia loi.
Le rapi)orieur observe en outre que l'idée d'un délai
uniforme dispenserait de recourir à la distinction des lois
administratives, des lois judiciaires et des lois mixtes. Par
là on préviendrait tous les doutes, toutes les incertitudes
qui pourraient naître, dans tout autre système, de la né-
cessité de faire celte distinction. De plus, l'unité dans le
mode de rendre les lois exécutoires influerait, plus qu'on
ne pense, sur le degré de confiance et de respect qu'on
doit à toutes les lois.
Le Pbemier Consul dit que déjà la constitution suspend de
dix jours la promulgation de la loi : ajouter encore quinze
jours à ce terme, ce serait souvent manquer le but que
s'est proposé le législateur, surtout lorsqu'il a porté des
lois répressives , ou d'autres lois dont l'exécution ne peut
être différée.
Le Consul Cambacérès applique la même objection aux
lois civiles. Il en est qu'on pourrait éluder pendant le délai
qui s'écoulerait entre le moment où elles seraient dé-
8 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
crétées et le momeiU où elles obligeraient les ciloyeu».
31. Portalis repond que, quant aux lois répressives, le
remède est dans le projet de loi , puisqu'il accorde la faculté
d'abrég:er le délai général.
Pour ce qui concerne la publication des lois civiles , l'in-
convénient qu'on a relevé subsisterait dans tous les sys*
tèmes.
Le Premier Cowsul dit que la section parait s'écarter de
ses propres principes, lorsque, contre les dispositions du
droit romain et l'opinion unanime des jurisconsultes, elle
admet que la loi ne sera pas obligaloiie aussitôt qu'elle
sera connue.
M. IJotLAY objecte qu'il en est ainsi dans le système de la
législation actuelle , puisque la loi ne devient exécutoire
que du jour où l'envoi qui en est fait a été mentionné sur
Je registre de l'administration.
M. KoEDEBER dit que c'est dans la constitution qu'on doit
chercher la solution de la question.
Mie veut, article XLI , que la promulgation soit faite par
le Premier Consul, Le mot promulgation veut dire publication.
C'est donc le Premier Consul seul qui publie.
L'enregistrement n'est donc pas nécessaire à la promul-
gation ; car la promulgation appartenant en entier au Pre-
mier Consul , il ne la partage pas avec un préfet. L'enregis-
trement du préfet est un simple acte de dépôt , qui n'a pas
pour objet de faire connaître la loi. Mais cet enregistre-
ment n'est pas connu le même jour dans toute l'étendue
de la préfecture , non plus (pic la promulgation du Premier
Consul dans tous les départemcns. Que faut-il donc ajouter
à la promulgation pour s'assurer «jue la loi est connue? un
délai dans le((nel la notoriété de la promulgation puisse
probablement parvenir à tous les citoyens. C'est là la règle
suivie en Angleterre et en Amérique, (k^pendant, comme
il serait ridicule d^étabiir un tarif des distances , ou pour-
rait y avoir égard d'une manière générale ^ et dire que uul
1)E LA PUBLICATION DJiS LOIS. ()
jio pourra pn^enilrc igiiorauce de la loi, le jour même de
sa promulgation dans le lieu où siège le gouvernement, et
dans les autres lieux après un délai de cinq jours par dis-
tance de trente lieues.
M. ÏRoscHET dit que, dans cette matière, il faut distin-
guer le fait de la théorie.
La théorie est que les lois ne sont obligatoires que lors-
qu'elles sont connues; mais, dans le fait, on ne peut
trouver de formes pour donner connaissance de la loi à
chaque citoyen individuellement : la difficulté augmente
même par le peu d'empressement que met le commun
des hommes à s'instruire des lois ; lorsqu'ils ont besoin
de les interroger, ils s'adressent aux jurisconsultes. On
doit donc chercher un moyen qui fasse connaître les
lois à ceux qui veulent s'en instruire. On ne pouvait
espérer ce résultat des formes usitées jusqu'à présent;
elles avaient d'ailleurs l'inconvénient de varier, suivant
les lieux, les époques où les lois devenaient obligatoires.
Dans cet état de choses, le mode proposé par la section
parait le seul possible : il n'est pas sans inconvéaiens;
quel autre mode en est exempt ? C'est sans doute une grande
difficulté que le retard qu'éprouve l'exécution des lois qui
commandent et qui défendent; mais le projet y remédie.
Quant aux lois facultatives et à celles qui agissent indépen-
damment de la volonté de l'homme, comme sont les lois
qui règlent les successions, le retard du moment où elles
deviennent obligatoires ne blesse que l'intérêt particulier :
mais il sert l'intérêt général, qui veut que les lois devien-
nent obligatoires partout au même moment. Au surplus,
ce serait se jeter dans des débats interminables, que de
vouloir établir la distinction des lois qui commandent, de
celles qui permettent, de celles qui défendent. Il est pré-
lerable de choisir, pour rendre la loi obligatoire, l'époque
où elle peut être connue de tous. Ce mode cependant ne
dispenserait pas d'ordonner, par lui régieaient, que le
10 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
ministre de la justice sera tenu d'envoyer la loi aux tribu-
naux et aux autres autorités dans un temps déterminé. Il
faudra aussi mettre quelque dilïérence entre le continent
et les colonies, à l'égard du délai général après lequel la
loi devra être exécutée.
M. Boulât propose de donner au gouvernement le droit
de fixer l'époque où la loi deviendra obligatoire dans
chaque colonie.
Le Premier Consul dit (ju'on pourrait «a déclarer exécu-
toire du jour de son arrivée.
11 demande pourquoi, en général, les lois ne seraient
pas réputées exécutoires du jour où elles seraient présen-
tées à l'audience des tribunaux par le commissaire du
gouvernemonl.
M. RoEDERER observe que ce serait faire revivre rancienuc
forme de l'enregistrement.
Le Premier Consul persiste à penser que ce serait offenser
la majesté de la volonté nationale, que de ne rendre la loi
obligatoire que vingt-cinq jours après qu'elle est connue.
M. BouLAY dit que, si l'on datait l'empire de la loi du
joiir où elle serait présentée par le commissaire du gou-
vernement, on laisserait à ce magistrat la faculté d'en
différer l'exécution.
Le Ministre de la Justice dit ({ue la publication de la loi
n'est complète que lorsque la loi est physi(|ucment présentée
dans le lieu où elle doit être exécutée ; ainsi Ton ne peut
s'empéchcr d'avoir égard aux distances. Le meilleur moyen
à prendre pour règle, est de déclarer la loi exécutoire du
jour qu'elle est présentée par le commissaire du gouverne-
ment.
Le Conhul (^ambacéres dit (|ue les inconvéniens qu'on
croit devoir résulter du mode actuel de publication des
lois, ne sont pas jusqu'ici justifiés par des exemples. La
seule question que ce mode ait fait naître, est celle de
savoir bi les tribunaux sont obliges de juger confonuéuicnl
DE LA 1>1]BLICAT10N DES LOIS. 1 1
à la loi avant de l'avoir reçue. Le changement qu'on pro-
pose d*apporter au mode actuel de publication est donc
sans motif : pourquoi priver celui qui vit dans un dépar-
tement où la loi est connue, de la faculté d'en user?
M. Regmer pense que les Français étant éî^aux en droits,
ils doivent tous être soumis au même moment à l'empire
de la loi, quelle qu'elle soit, rigoureuse ou favorable.
Le Premier Consll dit que le principe de l'égalité des
droits est respecté , lorsque tous les Français sont égale-
ment soumis à la loi au moment où elle arrive dans le
lieu qu'ils habitent.
M. Emery dit que l'uniformité du délai prévient les effets
de la négligence ou de la malveillance des tribunaux qui
différeraient de publier la loi.
11 ajoute que la promulgation de la loi la rend obligatoire,
mais qu'elle ne devient exécutoire que par la publication;
qu'ainsi, ne pas adopter le système d'un délai uniforme,
c'est s'exposer c\ faire vivre pendant un temps sous des
règles différentes, des contrées, même peu distantes l'une
de l'autre.
iM.fPsRLiER croit que la nature des choses repousse in-
vinciblement un délai général et uniforme; mais il pense
qj^e l'on peut et que Ton doit, d'après une autre donnée,
et sur une autre plan, prévenir les effets, soit de la négli-
gence, soit de la malveillance, qui tendraient à priver
quelques portions du territoire français du bénéfice d'une
prompte publication de la loi. Il n'y a , selon l'idée qu'en
a fournie M. Rœclcrer , qu'à régler par les distances le jour
où la loi deviendra obligatoire dans chaque département
de la République, sans le secours d'une publication ma-
térielle : ce qui doit tout concilier.
M. Tronchet dit qull ne suffit pas , pour que la loi
reçoive son exécution, qu'elle soit connue des citoyens;
qu'elle doit encore être dans la main du magistrat, et
qu'on ne peut s'en assurer qu'en accordant un délai général.
19. DISCUSSIOS, MOTIFS, clC.
M. liERLiER réplique que ce délai général el uiiifornu:
ne donnerait pas l'assurance que la loi fùl parvenue aux
tribunaux les plus éloignés, au jour où elle deviendrait
obligatoire : au surplus, ce n'est pas au moment précis où
la loi acquerra ce caractère, (fue les citoyens seront dans le
cas d>n demander l'application au magistrat, du moins en
ce qui touche à l'ordre judiciaire ; et la loi sera dans la
main des juges, long-temp? avant que leur ministère soit
invoqué.
Le Premier Consul soutient que le système de la section
embarrasserait l'exécnlion de la loi. Il faudrait sans cesse
mettre en délibération l'époque à laquelle la loi deviendrait
obligatoire : le délai général ne serait maintenu que pour
les gr;mdes lois civiles ; il serait abrogé pour toutes les
autres. Il est peu de lois dont l'exéculion puisse être dil-
féréc pendant vingt-cinq jours; et lorsqu'elle est trèf»-
iirgente, il faut que le gouvernement puisse l'accélérer en
envoyant des courriers extraordinaires.
Le Ministre de là Justice dit que déjà les tribunaux onl
reconnu le principe (jue la loi, dans les matières civiles,
peut être exécutoire du moment (ju'elle est connue ^#t ad-
mettent les actes dans*!esquels l'une des parties déclare
qu'elle slipule d'après une loi promulguée el non encore
envoyée à l'administration. La promulgation, en effet, est
la vraie publication de la loi; la publication locale n'a été
imaginée que pour en répandre davantage la connaissance.
M. PoRTALis dit que la promulgatiun complète le carac-
tère de la loi ; que la publication est la consé(|uence de la
promulgation, et a pour objet de faire connaître la loi.
11 ne pense pas , au stirplus, (ju'il soit contraire à la nia-
jf'slé de la loi, de la laisser (]uelrpie temps sans exécution,
lorsque; c'est la loi elle-même qui le veut.
Lfcg diflicultés (lu'entraînc le retard n'exixtt nt que pour
les lois administratives, parce (|ue ordinairement elles sont
urgentes.
DK LA PUBLICATION DES LOIS. |^
Le Premier Consul propose de regarder le clief-lieii de
chaque département comme le point de centre où la loi
«loit être publiée , et de régler le délai à raison d'un jour par
\ingt lieues, à partir de la ville où la loi est promulguée.
Cependant, la présomption de la notoriété reposant sur le
principe que la loi est obligatoire lorsqu'elle est connue,
le |;ouvernement, dans des circonstances urgentes, pour-
rait abréger le délai , en envoyant la loi par des courriers
extraordinaires.
M. Bigot-Préameneu pense que la publication matérielle
peut seule donner au gouvernement l'assuiance qu'il a
rempli le devoir de faire connaître la loi. Comment, d'ail-
leurs , le tribunal de cassation pourrait- il annuler des ju-
gemensoùla loi serait blessée, s'il n'a la certitude qu'elle
a été connue par les juges?
Le Premier Consul met aux voix la question de savoir si
les lois ne seront obligatoires qu'après un délai général; il
invile les rédacteurs du Code civil à voter avec les conseil-
lers d'étaf.
Le Conseil rejette la proposition de fixer un délai général
et uniforme à l'exécution des lois.
Le Premier Conscl charge la section de présenter un autre
projet d'urticle.
iM. PoRTALis fait lecture de Particle 2, lequel est ainsi
conçu ;
*
t La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point
* d'effet rétroactif.
« Néanmoins la loi interprétative d'une loi précédente
« aura son effet du jour de la loi qu'elle explique, sans
« pcéjudict des jugemens rendus en dernier ressort, des
« transactions , décisions arbitrales et autres passées en
« force de chose jugée. »
Il expose que le principe de la non-rétroactivité des lois
no peut être contesté.
l4 DISCUSSIONS, MOTIFS, etC.
Tous les tribunaux , continue-t-il , approuvent la pre-
mière partie de l'article ; mais la seconde est l'oblet de
plusieurs observations.
Le tribunal d'Agen prétend <|ue les lois, môme simple-
ment interprétatives ou explicatives, ne doivent point
avoir d'effet rétroactif.
L'opinion de ce tribunal est isolée.
Ceux de Lyon et de Toulouse voudraient que Ton déter-
minât les bornes dans lesquelles une loi purement expli-
cative doit se renfermer.
Le tribunal de Douai observe que les jugemcns en dernier
ressort ne sont pas les seuls qu'on doive respecter dans
l'application d'une loi interprétative ; que les jugemens
de première instance (jui ont été acquiesces, ou dont on
n'a point interjeté appel dans le délai de d^oil, méritent
la même faveur.
L'observation est juste : on pourrait aisément remplir
les vues de ceux qui la font, en ajoutant un mot qui piit
envelopper toutes les décisions passées en force de chose jugée.
Mais il serait plus difficile de déterminer en thèse ce
qu'on doit entendre par une loi purement interprétative.
Il serait peut-être sage de supprimer la seconde partie
de l'article, en laissant les choses dans les termes du droit
commun.
M. Defermon dit que le principe de la non-rétroactivité,
quoiipie incontestable, ne doit pas être réduit en disposi-
tion législative, parce qu'il n'établit qu'un précepte pour
les législateurs.
M. BouLiY répond qu'il établit aussi un précepte pour
IcK juges.
PLLsiEDits MEMBRES nv CoNSEiL demandent que la seconde
partie de l'arlicle soit retranchée ; ils la regardent comme
inutile.
Le (iONSEiL adopte la première partie de l'article, et re-
tranche la seconde.
DE LA. PUBLICATION DES LOIS. lÔ
M. PoRTALis fait lecture du 3" et du 4' article, lesquels
sont ainsi conçus :
Art. 3. « La loi oblige indistinctement ceux qui habitent '
« le territoire. L'étranger y est soumis pour les biens qu'il
M y possède , et personnellement en tout ce qui intéresse la
M police pendant sa résidence. »
Art. 4» <' Le Français résidant en pays étranger conti-
•1 nuera d'être soumis aux lois françaises pour ses biens
<> situés en France , et pour tout ce qui touche à son état
(• et à la capacité de sa personne. »
Après une légère discussion , ces articles sont renvoyés
au projet de loi relatif aux personnes qui jouissent des droits
civils et à celles qui n'en jouissent pas.
M. PoBTALis fait lecture des articles 5 et 6, lesquels sont
ainsi conçus :
Art. 5. « La forme des actes est réglée par les lois du ap. 3
« pays dans lequel ils sont faits ou passés. »
Art. 6. « Il est défendu aux juges d'interpréter les lois 5
a par voie de disposition générale et réglementaire. »
Ces articles sont adoptés.
Le iiAPPOBTEUR lit l'article 7, lequel est ainsi conçu : 4
«Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence,
«« de l'obscurité, ou de l'insuffisance de la loi, se rendra
•' coupable de déni de justice. »
Il observe que cet article a pour objet d'empêcher les
juges de suspendre ou de diflérer arbitrairement leurs dé-
cisions par des référés au législateur.
L'article est adopté.
M. FoRTAUs lit l'article 8, lequel est ainsi conçu : ap- 5
« Lorsque, par la crainte de quelque fraude, la loi aura
« déclaré nuls certains actes, ses dispositions ne pourront
« être éludées , sous prétexte que ces actes ne sont pas frau-
< duleux. »
l6 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
M. Defkrmon objcrte que rarlicle suppose que la loi
pourra déclarer nuls des actes non frauduleux.
M. PoRTALis répond que la loi ne pouvant entrer dans
l'examen de chariue acte, est obligée, dans certains cas,
de statuer d'après une présomption générale de fraude. Il
cile pour exemple la déclaration de 1712 , qui déclare nuls
les transports faits dans les douze jours avant la faillite.
L'article est adopté, avec la substitution du mot pré-
somption au mot crainte.
6 M. P0ETA.LIS fait lecture de l'article 9, lequel est ainsi
conçu :
« La contravention aux lois qui intéressent le public ou
« les bonnes mœurs ne pourra être couverte par des con-
« veillions ni par des fins de non-recevoir. »
M. BouLAY propose la rédaction suivante :
«' II ne peut être dérogé par des actes particuliers aux
« lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. »
Cette rédaction est adoptée.
(Procès-verbal de la Séance du 6 thermidor an IX. — aS juillet 1801.)
M. PoRTALis présente la nouvelle rédaction du projet de
loi arrêté à la dernière séance, concernant la publication , les
effets et l'application des lois en général,
tum. M. BoiJLAY propose de ne pas faire, des dispositions du
projet, un projet de loi particulier, mais de les placer
chacune dans les divers projets aux([uels elles peuvent se
rapporter. Les articbîs relatifs à la publication des lois se-
raient placés à la fin du (^ode civil.
iM. Hnp.PERKR observe que ces articles n'appartiennent
pas spécialement à la législation civile; qu'ils tiennent au
droit public, et doivent être le sujet d'une loi particulière
et indépendante.
M. Tronchet pense que ce serait trop laisser durer le*
DE LA. PUBLICATION DES LOIS. ly
iiicoiivéïiiens du mode actuel de publication , que de relé-
guer à la fin du Code civil les dispositions qui établiront
un meilleur mode; qu'il importe même de publier, sui-
vant le mode nouveau , les lois civiles qui vont être
faites.
Lb Consul Cambàcérès demande s'il est dans Tintenlion
de la section de placer l'article qui défend aux juges d'in-
terpréter les lois par voie de disposition générale et régle-
mentaire.
M. RoEDERER observe que cette disposition réglant le
pouvoir des juges, elle doit être la matière d'une loi sé-
parée.
Le Consul Cambàcérès dit qu'en adoptant la proposition
de M. Boulay , on se trouverait souvent embarrassé sur le
classement des articles du projet.
M. Tronchet pense qu'on pourrait sans diiïiculté les
placer dans le Code civil, qui sera comme le péristyle de
Id législation française, lorsqu'elle sera partagée en un
petit nombre de Codes.
Le Conseil, consulté, maintient la délibération par la-
quelle il avait, danr. la précédente séance, réuni en un
seul projet de loi les articles relatifs à la publication, aux
effets et à l'application des lois.
Le Premier Conscl ordonne l'impression de la nouvelle
rédaction présentée par M. Portails.
(Procès-vecbai de la Séance du 14 thermidor an IX. — a août 1801. )
M. PoRTALis fait lecture de la nouvelle rédaction du
projet de loi présenté dans la séance du 4 de ce mois , et
relatif à la publication , aux effets et h V application des lois.
L'article i" est ainsi conçu :
« Les lois seront exécutoires dans tout le territoire con-
« tinental de la République , à compter de leur promulga-
« tion par le Premier Consul ; savoir :
VI. a
l8 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
p Dans le ressort du tribunal de... , après le délai de
w Dans le ressort de , après le délai de »
M. Defermon observe qu'il serait plus simple de régler le
délai sur les distances calculées par vingt-cin(| lieues.
Le Ministre de la Justice appuie la première partie de
l'article; mais la spécification de chaque ressort lui paraît
trop réglementaire , et ne convient pas à une loi.
Le Pbemier Consul dit qu'on pourrait déclarer la loi obli-
gatoire, dans le lieu où siège le gouvernement, du jour de
la promulgation , et dans les autres déparlemens , après un
délai qui serait calculé à raison d'une heure par lieue,
en prenant le chef-lieu pour point de distance : de ma-
nière que quand la loi y serait connue, elle serait réputée
l'être dans tout le déparlement. Ce mode de publication
aurait l'avantage d'être indépendant de toute division ter-
ritoriale. Ainsi Ton ne serait pas obligé de le modifier, s'il
survenait quelque changement dans les divisions actuelle-
ment existantes.
L'évaluation des distances serait fixée par un règlement.
Cette mesure laisserait au gouvernement la facilité de mo-
difier la détermination des distances, toutes les fois que
des obstacles naturels, comme un débordement de rivière,
la chute d'un pont, on d'aulres causes semblables, inter-
cepteraient les communications ordinaires.
iM. ToNCnET objecte qu'il est des chefs-lieux de départe-
ment tellement rapprochés de Paris, que la loi y devien-
drait obligatoire deux heures après la promulgation, c'est-
à-dire, dans un délai évidemment trop court pour qu'elle
j>ût être connue dans tout le déparlement. Pour échapper
à cet inconvénient, M. Tro/ic/ut [)ro[)Osc de fixer d'abord
un délai uniforme et invariable de dix jours , et d'y ajouter
ensuite un second délai calculé d'a[)rès hîs dislances.
Le Pkemier Consul dit (pi'on pourrait fixer le premier
délai à vingt-quatre heures.
M. Malleville trouve la rédaction de la section cmbar-
DE LA 1»UBL1CAÏI0X DES LOIS. I9
rassée. Il propose la rédaction suivante : « Lorsque les lois
€ auront été promulguées , elles seront exécutoires dans
« les délais ci-aprcs. »
M. Laciéb voudrait que Tarticle s'expliquât aussi sur la
publication des lois dans les départemens non continen-
taux.
Le Premier Consul dit que cet objet doit être renvoyé au
règlement que le gouvernement sera autorisé à faire.
L'article de la section est rejeté. Le Premier Consul la
charge de rédiger un nouvel article , d'après les amende-
mens qui ont été proposés.
L'article 2 est adopté; il est ainsi conçu : a
« La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point
« d'effet rétroactif. »
L'article 3 est soumis à la discussion ; il est ainsi conçu : 3
« La loi oblige indistinctement ceux qui habitent le terri-
toire. ')
M. Tbo>-chet dit que cette rédaction est trop générale.
Klle contredirait l'art, 7 àw ^vo]Qt sur les droits civils , lequel
ne soumet l'étranger qu'aux lois de police et de sûreté.
On pourrait le rédiger ainsi :
ft La loi régit les propriétés foncières situées sur le ter-
« riloire de la République , les biens meubles et la per-
« sonne des Français. »
*
M. Regnàvd (de Saint-Jean-d'Angely ) observe que l'ar-
ticle ne s'entend que des lois civiles, en tant qu'elles pro-
noncent sur les droits personnels et sur la propriété des
étrangers.
M. Tronchet répond que l'étranger n'est pas soumis aux
lois civiles qui règlent l'état des personnes.
M. Régnier pense qu'on peut laisser subsister la rédac-
tion générale, parce qu'ensuite on établira les exceptions.
iM. Regnaud (de Saint-Jeau-d'Angely ) répond que l'on
serait forcé d'aller plus loin, si l'on voulait énoncer ici
2.
20 DISCUSSIOKS , MOTIFS, elC
toutes les exceplions : elles ne concernent pas les étran-
gers seuls, mais encore les femmes françaises mariées à
des étrangers, les Françaises veuves d'étrangers, et plu-
sieurs autres personnes. Il suffit donc ici de poser le principe;
les exceptions se trouveront dans les autres projets de loi.
M. Troncoet propose de retrancher le mot indistinctement.
L'article est adopté avec cet amendement.
ap 3 L'article 4 est soumis à la discussion ; il est ainsi conçu :
« La forme des actes est réglée par les lois du pays dans
« lequel ils sont faits ou passés. »
M. RoEDERER dit que, si dans cet article l'on a en vue les
actes passés en France, on suppose que la forme des actes
ne sera pas la même dans tous les départemens; que si la
disposition s'applique aux actes passés en pays étranger,
le législateur sort du cercle où il doit se renfermer, parce
qu'il ne lui appartient pas d'étendre son pouvoir au-delà
du territoire français. Il conviendrait donc de se borner à
dire que les actes faits par des Français en pays étranger
sont valables, lorsqu'ils sont dans la forme prescrite par
les lois du pays où ils ont clé passés.
M. FiEGSiER observe que' de tels actes sont valables en
France, même lorsqu'ils ont été faits par des étrangers ; il
ajoute qu'au surplus le léi;islateur français ne prononce
sur le mérite de ces actes qu'autant (ju'on les ferait valoir
en France, et que les tribunaux français seraient forcés
de les juger.
L'article est adopté.
Les articles f) et i\ sont présentés à la discussion ; ils sont
ainsi conçus :
5 Art. 5. « Il est défendu aux juges d'interpréter les lois
« par voie de disposition générale et réglementaire. ■
4 Art. 6. « Le juge qui refusera de juger sous prétexte <lu
« silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, se
« rendra coupable de déni de justice. »>
Ï)E LA PUBLICATION DES LOIS. 2 1
M. lUGMtii demande que l'arlicle G soit placé avant l'ar-
Ucle 5, parce que l'ordre naturel des idées veut qu'on
indique aux juges ce qu'ils devront faire, avant de leur
dire ce qu'ils ne pourront pas faire.
Il observe que le mot interpréter, employé dans l'arti-
cle 5, pourrait choquer ceux qui ne saisiraient pas le sens
dans lequel on l'emploie ; et pour prévenir cet inconvé-
nient, il propose la rédaction suivante :
« Les juges ne prononceront que sur les causes qui leur
« seront présentées. Toute disposition générale et régle-^
u mentaire leur est interdite. »
Le CoivsrL Cambacérès dit qu'il est sage d'empêcher les
juges de créer des difficultés sur le sens des lois afin de se
«lispenser de prononcer; mais que l'article 6 est si impé-
ratif, que le juge pourra statuer, quoique la volonté de la
loi soit incertaine , ou même avec la conviction qu'il s'en
écarte. Ainsi la rédaction proposée peut faciliter les usur-
pations des tribunaux sur le pouvoir législatif.
M. PoRTALis répond qu'en matière criminelle le juge ne
doit prononcer que lorsque la loi a qualifié de délit le fait
qui est déféré à la justice, et qu'elle y attache une peine ;
qu'en matière civile, au contraire, le juge ne peut se re-
fuser à prononcer indistinctement sur toutes les causes
qui lui sont présentées, parce que, s'il ne trouve pas dans
la loi de règles pour décider, il doit recourir à l'équité
naturelle. Le juge civil est le ministre de la loi, quand la
loi a parlé; il est l'arbitre des différens, quand elle se tait.
Il s'élèvera toujours beaucoup de contestations qu'on ne
pourra juger par la loi écrite. Ce serait trop multiplier les
lois que de les faire naître des doutes des juges. On peut
donc employer le mot interpréter : on peut aussi le retran-
cher sans inconvénient, pourvu qu'on conserve le prin-
cipe.
Le Ministre de la Justice dit qu'il y a deux sortes d'inter-
prétations, celle de législation et celle de doctrine ; que cette
2Î> DISCUSSIONS, MOTIFS, etC
dernière appartient essentiellement aux tribunaux ; que la
première est celle qui leur est interdite ; que lorsqu'il est dé-
fendu aux juges à' interpréter , il est évident que c'est de Vin-
terprétation législative qu'il s'agit. Il cite l'article 7 du titre Y^
de l'ordonnance de 1G67 , qui défend aux juges d^ interpréter
les ordonnances. Il en conclut que le sens de ce mot étant
fixé, il n'y a aucun inconvénient à l'employer.
M. Tronchet dit que l'on a abusé , pour réduire les juges
à un état purement passif, de la défense que leur avait
faite l'Assemblée constituante , d'interpréter les lois et de
réglementer. Cette défense n'avait pour objet que d'empê-
cher les tribunaux d'exercer une partie du pouvoir légis-
latif, comme l'avaient fait les anciennes cours, en fixant
le sens des lois par des interprétations abstraites et géné-
rales, ou en les suppléant par des arrêts de règlement.
Mais , pour éviter l'abus qu'on en a fait, il faut laisser au
juge l'interprétation, sans laquelle il ne peut exercer son
ministère. En effet, les contestations civiles portent sur le
sens différent que chacune des parties prêle à la loi : ce
n'est donc pas par une loi nouvelle, mais par l'opinion du
juge , que la cause doit être décidée. La néce<;sité d'établir
ce principe rend les articles 5 et G indispensables.
On craint que les juges n'en abusent pour juger contre
le texte de la loi : s'ils se le permettaient, le tribunal de
cassation anéantirait leurs jugcmens.
Au reste, pour ne pas laisser d'équivo([uc, on pourrait
rédiger ainsi : « Il est défendu aux tribunaux de pronon-
« cer, par voie de disposition générale et réglementaire,
« sur les causes qui sont |)orlées devant eux. »
L'article 5 est adopté, et i)lacé dans l'ordre proposé par
M. Jirff/iier.
M. RoF.nr.RER dit (jue l'arlicle G donne trop de pouvoir au
juge, en l'obligeant de prononcer même dans le silence
de la loi. Par exemple, si le Code civil ne contenait point
DB LA PUBLICATION DKS LOIS. »5
de dispositions sur la siiccessibilité de l'étranger, et qu'un
étranger revendiquât la succession d'un Français son pa-
rent, le tribunal devant lequel la cause serait portée
serait autorisé, par la rédaction de l'article, à décider en
législateur une question politique de la plus haute im-
portance. Il appartient au juge d'appliquer la loi ; il ne
lui appartient pas de remplir les lacunes de la législation,
quand la loi garde un silence absolu.
Qu'on ne craigne pas le retour de l'abus dont a parlé
M. Troncht't. 11 était né de l'ignorance des juges d'alors, et
de la crainte que leur inspiraient les partis qui déchiraient
lÊlat. La circonspection n'est pas naturelle aux juges ,
surtout lorsqu'ils sont éclairés et qu'ils ont le sentiment
de leurs lumières.
M. PoRTALis répond que le cours de la justice serait in-
terrompu, s'il n'était permis aux juges de prononcer que
lorscjue la loi a parlé. Peu de causes Font susceptibles d'êlrc
décidées d'après une loi , d'après un texte précis : c'est
par les principes généraux, par la doctrine , par la science
du droit, qu'on a toujours prononcé sur la plupart des
contestations. Le Code civil ne dispense pas de ces connais-
sances ; au contraire il les suppose.
M. Tronchet ajoute que quand, dans le cas proposé pas
M. Rœderer, le Code civil serait muet, le juge prononce-
rail, d'après les principes généraux, sur l'état de l'étran-
ger, lesquels, refusant à l'étranger les droits civils, le
rendent incapable de succéder.
M. lioLLAY dit que la loi ne disposant que pour l'avenir,
il est toujours des contestations qu'elle ne peut servir à
iuger, et qu'il faut décider par les principes généraux:
ce sont celles qui sont nées avant la loi.
M. Bigot-Pbéamenec dit qu'il est dangereux de permettre
aux tribunaux d'altendre une loi; qu'ils n'en ont pas be^
-soin, parce qu'ils trouvent toujours leur règle ou dans la
loi écrite, ou dans les principes de l'équité naturelle; que.
24 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
par celte considéialion, le tribunal de cassation annulle,
pour cause de déni de justice cl d'excès de pouvoir, tous
les jugemens de référé.
Le CoNsiL CAMBACbRïis dit qu'il est impossible d'atteindre
le but indiqué par la section , et d'éviter les inconvéniens
qui ont été relevés dans la discussion : dans ce dessein , il
propose de substituer des expressions facultatives aux
termes impératifs de l'article ; en sorte qu'un juge qui
n'aura pas prononcé ne soit pas nécessairement pour-
suivi. Le Consul lit la rédaction suivante :
u Le juge qui aura refusé de juger sous prétexte du
« silence, de l'obscurité ou de Tinsuffisance de la loi,
« pourra être poursuivi comme coupable de déni de
« justice. »
Cette rédaction est adoptée.
ap. 5 L'article 7 est soumis à la discussion ; il est ainsi conçu :
0 Lorsque, par la présomption de (pielque fraude, la
« loi aura déclaré nuls certains actes, ses dispositions ne
« pourront être éludées sous prétexte que ces actes ne sont
« point frauduleux. »
M. Uecmer dit que l'intention de la section paraît avoir
été d'exclure toute preuve contraire à la présomption
établie par la loi.
La rédaction ne rend pas assez clairement cette idée.
M. l'iŒiDEKER attaque la rédaction sous im autre rapport.
Il dit (]ue la loi ne devant contenir que des dispositions
générales, elle ne peut déclarer nuls certains actes , niais
certaines espèces d'actes. Des actes particuliers ne peuvent
être suspects que parce que, de leur nature, ils sont
husceptiblcs de Iraude.
M. l'iÉAL dit (jue l'article concerne, non les lois qui prr)s-
j:rivent tous les actes «l'une même es})6ce, mais des actes
de toutes les espèces lorsqu'ils sont faits dans certaines cir-
constances. Ainsi une obligation souscrite par un individu
«K LA PUBLICATION DES LOIS. 25
ei! faillite, dans les dix jours qui précèdent la faillite, est
nulle , non parce qu'une obligation i;erait un acte nul de sa
nature, mais parce qu'elle a été souscrite dans des circons-
tances qui la fléirissent d'une présomption de fraude.
M. RoEDERER observe que ce n'est pas à lu loi, mais aux
tribunaux, qu'il appartient de déclarer nuls certains actes
déterminés.
M. Regmer répond que la nullité doit être prononcée par
la loi et appliquée par un jugement.
i>l. PoRTALis dit que, dans la première rédaction , on avait
employé le mot crainte pour indiquer que la loi déclarait
des actes nuls plutôt pour prévenir la fraude que parce
qu'elle suppose qu'ils sont tous frauduleux : il rappelle que,
dans la séance du 4 de ce mois, ce mot a été remplacé par
celui de présomption.
M. Régnier propose la rédaction suivante :
« Lorsque la loi, à raison des circonstances, aura réputé
■ certains actes frauduleux , on ne sera pas admis à prouver
« qu'ils ont été faits sans fraude. »
Le Premier Consul trouve cette disposition trop res-
treinte. La loi peut annuler des actes pour d'autres causes
que pour présomption de fraude : c'est ainsi qu'elle proscrit
l'obligation surprise par séduction à un fils de famille.
M. PoRTALis dit que c'était pour rendre la disposition
aussi générale qu'il serait possible, pour y comprendre
tous les actes suspects de fraude , qu'on avait employé
l'expression par la crainte de quelque abus.
M. Regmep. observe que sa rédaction est dans les termes
de la généralité qu'on désire; qu'au surplus le sort des
actes qu'elle n'atteindrait pas se trouVe réglé par d'autres
lois ; que l'essentiel est de bien exprimer que Ton n'ad-
mettra en aucun cas la preuve contre la présomption
établie par la loi.
M. ËMMERY dit que la section a voulu qu'on ne mît
pas la vérité de la chose en opposition avec la présomption
26 DISCUSSIONS, MOTIFS, clC
It'gale : cependant l'expression sous prétexte, dont elle se
sert, peut laisser au juge l'opinion qu'il lui est encore
permis d'examiner.
La rédaction de M. Régnier, étant plus absolue, remplit
mieux les vues de la section.
M. Thibaideau dit que, dans l'intention de la section,
l'article ne s'applique qu'aux actes que la loi annulle
comme les présumant frauduleux, et non aux actes nuls
pour dol , incapacité des contractans et autres vices; ce
qui sera traité aux Contrats et Obligations.
M. RœDtRLH propose la rédaction suivante :
« Lorsque la loi , par la crainte de quelque fraude, aura
" prohibé certains actes sous peine de nullité , on ne sera
0 pas admis à prouver qu'ils ont élé faits de bonne foi. »
M. Tronchet observe que la prohibition et la nullité dont
il s'agit ne sont établies qu'en faveur des tiers ; qu'ainsi on
ne doit parler ici que des actes frauduleux.
La rédaction de M. /^<^^/?/(°;- est adoptée.
L'article 8 est soumis à la discussion et adopté ; il est
ainsi conçu :
*
« Il ne peut étic dérogé, par des actes particuliers, aux
« lois qui intéressent Tordre public et les bonnes mœurs. »
(Procès-verbal de la Séance du 4 fructidor nii IX. — Z2. août 1801.)
M. PoRTALis présente une troisième rédaction du Projet
lie loi sur la jnihlication , les efiets et V application des Lois en
i^ànêral.
L'article i"c8l soumis a la discussion ; il est ainsi conçu :
« Les lois sont cxéVîutoires dans tout le territoire français,
«' en vertu de la promulga'ion (jui en est l'aile par le l*re
u niier (>on8ul.
«« Klles seront txéculécs dans chacpu'. partie de la Képu-
«* blique, du moment où la promulgation pourra y ùlrc
« coniuie.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 2^
M La proiiuilgatiou faite par le Premier Consul sera ré-
« piitée connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de
« Paris, vingt-quatre heures après sa date, et dans tout le
« ressort de chacun des autres tribunaux, après l'expiration
€ du môme délai, augmenté d'autant d'heures qu'il y a de
« m} riamètres entre Paris et la ville où chacun de ces tri-
« bunaux a son siège. »
M. FouRCROY observe sur cet article que le délai d'une
heure par myriamètre est évidemment trop court pour le
continent, et qu'il est absolument impossible de l'appliquer
aux colonies.
M. Regnaiîd (de Saint-Jean-d'Angely) propose de porter
le délai à deux heures, attendu que le myriamètre est le
double de la lieue ancienne.
M. PoRTÂLis adopte ce changement.
Il répond à M. Fourcroy que le délai calculé par heures
est précédé d'un délai général de vingt-quatre heures;
qu'au surplus il ne s'agit ici que du continent : le délai de
la publication des lois dans les colonies et dans les îles de
l'Europe doit être déterminé par un règlement. Les cir-
constances et les causes naturelles rendent l'époque de
Tarrivée dans ces contrées trop incertaine , pour que le
délai puisse être fixé invariablement par une loi.
M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angely) dit qu'alors il
devient nécessaire d'exprimer l'exception dans la loi même.
M. PoRTALis réplique que l'exception découle naturelle-
ment de l'article. Il pose en effet trois principes : le premier
est que la loi tire sa force d'exécution de la promulgation
qu'en fait le Premier Consul; le second, qu'elle est exécu-
toire dans chaque partie du territoire français au moment
où elle peut y êlre connue ; le troisième, qu'elle est pré-
sumée connue dans chaque département après un délai
uniforme de vingt-quatre heures, augmenté d'autant d'heu-
res qu'il y a de myriamètres depuis le lieu de la promul-
i^alion jusqu'à la ville où siège le tribunal d'ap[)el. Or, il est
•iS DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
évident que cette présomption n'est admissible (jue pour le
continent, et non pour les îles et les colonies, dont le che-
min peut être alongé , ou même entièrement intercepté par
la contrariété des vents et des maisons. Il faut se régler, à
leur égard, par le second principe.
M. Tronchet dit qu'il laisse de côté les colonies , pour les-
quelles un règlement particulier est indispensable; mais
(pie sur le continent, la loi ne devient obligatoire que lors-
qu'elle est présumée connue , et qu'elle est arrivée dans la
main du magistrat chargé de la faire exécuter. Cette der-
nière condition ne sera pas accomplie si le délai est trop
court. Cependant il est impossible qu'en deux heures la loi
parvienne même aux magistrats du département le plus
rapproché de Paris. Si elle est publiée par la voie du Bul-
letin, lequel contient toujours plusieurs lois, elle ne sera
imprimée quelquefois que long-temps après sa promulga-
tion ; si le ministre de la justice l'envoie en expédition ma*
nuscrite, ses bureaux suffiront à peine à l'expédier dans un
laps de temps considérable. Les anciennes lois fixaient or-
dinairement les délais à un jour par dix lieues ou au-des-
sous. Le calcul des distances par heures entraine de graves
inconvéniens.
Le Consul Cambagérè:s rappelle que le Conseil a adopté le
principe de calcul par heures.
M. Tbonchet dit que pour prévenir les questions sur les
distances, on se propose de les laisser déterminer parle
gouvernement; et (|ue cependant on ne lui donne plus
assez de latitude , si on l'oblige de les régler par le calcul
des heures.
Le Consul CambacérÎ's dit (pic le délai de vingl-qu.Ure
heures est certainement trop court pour que la loi puisse
être connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de Paris.
M. Tbonchet observe (|u'il est inq)ossiblc d'envoyer la loi ,
dans le délai proposé, aux chefs-lieux des départeinens,
auxtribunauxd'appclctauxtribunauxde première instance.
DE LA PUULICATION DES LOIS. 29
M, Defermon dit que, puisque l'objet qu'on se propose
est d'éviter loute discussion sur le moment où la loi sera
devenue obligatoire, la fixation d'un délai déterminé est ce
qu'il y a de plus important. L'étendue du délai n'est plus
qu'une question secondaire. H n'y a pas d'inconvénient à
ne la pas trop resserrer , d'autant plus que la loi est connue
aussitôt qu'elle est décrétée. Quant aux lois d'urgence, il
est beaucoup de moyens d'en hâter la publication.
M. PoRTALis dit qu'il s'agit moins, en effet, de trouver des
moyens de faire connaître la loi, que de fixer une époque
où elle sera censée connue.
Lb CoNsrL Cambacérès fixe l'état de la délibération, et
met d'abord aux voix la question de savoir si l'on main-
tiendra la fixation du délai adopté dans la dernière séance.
Le Conseil décide qu'elle ne sera pas maintenue.
Le Consul ouvre la discussion sur la durée du premier
délai. Sera-t-il de vingt-quatre heures ou de plusieurs jours?
Telle est la question qu'il propose.
M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angely) propose de le fixer
à trois jours, attendu que vingt-quatre heures ne suffiraient
pas pour faire connaître la loi dans tout l'arrondissement
du tribunal d'appel de Paris.
Le Mimstre de la Justice pense qu'il y a un autre motif de
le prolonger : c'est, dit-il, que le moment où l'impression
de la loi est achevée ne peut concorder avec le départ de
tous les courriers qui doivent la porter dans les départemens.
Le Consul Cambacérès dit que, dans celte discussion, l'on
ne doit pas se borner au seul intérêt du magistrat ; qu'il y
a encore à considérer l'intérêt des particuliers, qui, s'ap-
puyant sur le principe , que la loi est exécutoire lorsqu'elle
est connue, contractent d'après la loi, avant qu'elle soit
parvenue aux magistrats.
Le Ministre de la Justice observe que la distinction si
juste que vient de faire le Consul ne s'applique qu'aux ma-
5o DISCUSSIONS , MOTIFS , elc
tières civiles; mais que, dans le criminel, on doit prévoir
le cas où un délit serait commis entre la sanction et la pu-
blication de la loi qui le punit ; que par ce motif, il faut un
délai uniforme pour toutes les lois.
M. PoRTALis dit que, puisqu'on adopte le principe cjue la
loi est exécutoire lorsqu'elle est connue, il suffit, pour
qu'elle le devienne, que le délai après lequel il est possible
qu'elle soit connue expire , sans qu'il soit nécessaire que le
magistrat l'ait reçue.
Le Ministre de la Jtstice propose de fixer le premier délai
à quarante-huit heures.
M. BoTTLAY propose trente-six heures.
Cette dernière proposition est adoptée.
Le Conseil arrête ensuite que le second délai sera de
deux heures par myriamètre.
L'article est adopté avec ces deux amendemens.
M. BiGOT-PRÉAMENEr demande qu'on fixe d'une manière
précise le moment où écherront les trente-six heures du
premier délai.
M. PoRTALis observe que le mot après qu'il a employé , ne
laisse aucun doute sur le dics termini; qu'il n'y aurait de
doute que si l'on avait dit dans les trente-six heures.
Les autres articles sont successivement soumis à la dis-
cussion , et adoptés ; ils sont ainsi conçus :
, Art. 2. « La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a
« point d'effet rétroactif. «
3 Art. r>. « La loi oblige tous ceux qui habitent le territoire.»
ap 3 Art. C\. V La forme des actes est réglée par les lois du
« pays dans lequel il» sont faits ou passés. »
ap. 5 Art. 5. « Lorsque la loi, à raison des circonstances, aura
« réputé frauduleux certains actes, on ne sera pas admis à
0 prouver qu'ils ont été faits sans fraude. »
4 Art. <■). « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 5l
I silence, de l'obscurité on de riiisnffisancede la loi, pourra
« Ctre poursuivi comme coupable de déni de justice. »
Art. 7. ft II est défendu aux juges de prononcer sur les
• causes qui leur sont soumises, par voie de disposition gé-
« nérale et réglementaire. »
Art. 8. « On ne peut déroger, par des conventions par-
ti ticulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les
« bonnes mœurs. »
( Proccs-vcrbal de la Séance du a4 brumaire an X. — i5 novembre 1801.)
M. BoTîLiT fait une dernière lecture du projet de loi sur
la publication, les effets et l'application des lois en général.
Il est ainsi conçu :
*
Art. I". « Les lois sont exécutoires dans tout le territoire »
« français, en vertu de la promulgation qui en est faite par
« le Premier Consul.
« Elles seront exécutées dans chaciue partie de la repu-
€ blique, du moment où la promulgation pourra y être
tt connue.
t La promulgation faite par le Premier Consul sera ré-
« pulée connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de
« Paris, trente-six heures après sa date; et dans tout le
«ressort de chacun des autres tribunaux d'appel, après
'< l'expiration du même délai , augmenté d'autant de fois
« deux heures qu'il y a de myriamètres entre Paris et la
« ville où chacun de ces tribunaux a son siège. »
Art. 2. « La loi de dispose que pour l'avenir, elle n'a a
« point d'effet rétroactif. »
Art. 3. V La loi oblige ceux qui habitent le territoire. « 3
Art. 4) 5, 6, 7 et 8. {^Semblables à ceux rapportés au procès- ap.-3-
verbal de la séance précédente . ) 455
Le Premier Consul pense qu'il est nécessaire de rédiger ap..,
un article particulier pour la publication des lois dans les
colonies et sur le continent, dans le cas d'empêchemens
02 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
provenant de la force majeure , comme serait celui d'une
invasion.
LEiMiNiSTfiE DE LA JcsTiCE fait obscrvcr que le projet de loi
n'établit qu'une présomption qui cède à la certitude des
faits dans les hypothèses que prévoit le Premier Consul.
Le Pbemier Coinsfl dit qu'indépendamment des obstacles
généraux qui font cesser la présomption , il peut se rencon-
trer aussi des obstacles particuliers qui empêchent le
courrier, porteur de la loi, d'arriver? quoiqu'ils n'aient pas
empêché d'autres malles de passer, et que, dans ces cir-
constances, les tribunaux seront obliges de prononcer sur
l'époque où la loi sera devenue obligatoire.
M.TRONcnET distingue, dans cette matière, ce qui est du
domaine de la loi d'avec ce qui est purement réglemen-
taire. C'est au règlement qu'il appartient de déterminer
comment l'envoi de la loi sera fait par le ministre de la
justice, comment les préfets en constateront la réception.
Il y aura donc toujours une preuve constante de l'époque
où la loi sera parvenue : cette preuve suffira pour les obsta-
cles particuliers; la loi statuera sur les obstacles généraux.
Toute exception donnerait lieu à des incertitudes et à des
procès.
M.Berlieb fait observer que Tarlicle premier répond, par
son texte même, à la difficulté résultant d'une invasion,
puisqu'il porte que la loi sera exécutée, dans chaque partie
de la République , du moment où la promulgation pourra
y être connue; et que la connaissance légale de la promul-
gation ne peut pénétrer dans un pays envahi.
Les articles du projet sont successivement soumis à la
discussion et adoptés.
( iToret-verbal du mèmt jour. )
Les Consuls de la République arrêtent que le projet de
loi présenté par le Conseil d'iitat, relatif à la publication.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 33
aux cflets et à l'application des lois en général, sera pro-
posé le 5 frimaire au corps législatif.
Le Premier Consul nomme, pour le présenter et pour en
soutenir la discussion, MM. Portails, Boulay et Berlier y
membres du Conseil d'État.
Le gouvernement pense que la discussion sur ce projet
doit s'ouvrir le 25 du même mois.
CORPS LÉGISLATIF.
PBÉSENTATION ET EXPOSÉ DES MOTIFS, PAR M. PORTALIS.
(Séance du 3 frimaire an X. — 24 novembre 1801. )
Législateurs, le gouvernement a regardé comme un de
ses premiers soins , celui de remplir le vœu manifesté dans
les délibérations de nos assemblées nationales, pour la
rédaction si désirée d'une législation civile.
La guerre , qui a si souvent l'effet de suspendre le cours
des projets salutaires, n'a point arrêté les opérations rela-
tives à ce grand ouvrage.
Ces opérations ont commencé avec la constitution même
sous laquelle nous avons le bonheur de vivre.
Dès la fin de votre dernière session, le projet de Code
civil vous fut distribué, pour que chacun de vous pût,
dans le sein de sa famille, et aidé par les plus douces ins-
pirations du sentiment, méditer comme époux, comme
enfant, comme père , les règles et les maximes qu'il aurait
bientôt à proclamer comme législateur.
A la même époque, le projet de Code fut adressé au
tribunal de cassation et à tous les tribunaux d'appel, qui
formèrent des commissions composées d'hommes instruits,
et capables de répondre dignement à la confiance pu-
blique.
VI. 3
0l\ DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Les observations qui nous sont parvenues ont été re-
cueillies et inipriniécs. Aucun écrit public sur la matière
n'a élé négligé : on ne pouvait s'environner de trop de
lumières.
La vérilé, surtout eu matière de législation, est le bien
de tous les hommes. Chercher à la découvrir, n'est pas un
droit qui appartienne exclusivement aux fonctionnaires pu-
blics. Quand des particuliers instruits discutent de bonne
foi un objet de législation, quand ils ne se proposent que
d'offrir le tiibut de leurs connaissances à la patrie, il faut
voir en eux des auxiliaires et non des ennemis. Malheu-
reusement, après une grande révolution, les hommes
timides se taisent; ils semblent craindre de laisser aper-
cevoir leur existence. ï.es indifférens, qui sont toujours le
plus grand nombre , demeurent étrangers à tout ce qui se
passe : c'est un inconvénient grave , si des écrivains aigris
ou mécontcns se montrent; leurs \àécB filtrent à travers
leurs passions , et s'y teignent. La découverte des choses vraies
ou utiles est ordinairement la récompense des caractères
modérés et des bons esprits.
Nous devons rendre hommage au zèle et aux recherches
des magistrats qui ont été consultés. £n nous transmettant
l'opinion de leurs justiciables, en nous transmettant leurs
propres pensées , ils nous ont éclairés sur des points im~
portans. Les principes des lois .sont toujours utilement dis-
cutés, c|uand ils le sont par des hommes (|ui, par état, en
font ra[)plication la plus étendue et la plus variée.
Ainsi , dans le même temps où le courage de nos armées
nous assurait un si grand accroissentent de force et de
gloire, la .sagesse du gouvernement, calme comme si elle
n'av.n't pas élé distraite par d'autres objets, jetait dans
l'intérieur les fondenicns de cette autre puissance (|ui cap-
tive peut-être plus iiùrement le respect des nations, je
veux parler de la puisi^ance qui s'établit par les bonnes
institutions et (lar les bonnes lois. Les étrangers, rivaux ou
DE LA PUBLICATION UJiS LOIS. Ô5
euiiemis, sont bien plus inquiets du plus petit avantage
qu'un état obtient par la victoire, que des grands biens
qu'il peut se procurer par une administration bien or-
donnée : et ce sentiment est naturel; car la prospérité qui
naît de la conduite sage d'un gouvernement, rappelle
aussi ses vertus, et Ton y voit une sauve-garde contre
l'abus qu'il pourrait faire de l'accroissement de ses forces.
N'en douions pas, législateurs, les idées d'ordre, de
morale et d'amélioration qui ont été suivies avec constance
depuis deux années, et que vous avez solennellement con-
sacrées, nous ont conquis la confiance de l'Europe.
Quel magnifique spectacle la nation française n'offre-
t-elle pas au monde ! Le même jour, pour ainsi dire, où Ton
vous présente les traités conclus à la suite de tant de né-
gociations si glorieusement terminées, je suis chargé de
soumettre à votre sanction le premier des projets de lois
destinés à former notre législation civile, et de vous ex-
poser le plan général de l'ouvrage. Il est donc vrai qu'au-
jourd'hui , dans cet auguste sanctuaire , la Paix et la Justice
s'embrassent. Aucun instant n'a été perdu pour le bonheur :
au milieu de la guerre, nous avons su nous préparer à
jouir de la paix; et, dans la paix, nos travaux vont être
soutenus et encouragés par les grands souvenirs de tous
nos triomphes dans la guerre.
Législateurs, avant de vous exposer le plan général du
projet de Code civil, et de vous faire connaître l'esprit dans
lequel ce projet a été rédigé, il importe de fixer votre
attention sur la nature et les difficultés d'une telle entre-
prise.
Qu'est-ce qu'un Code civil? c'est un corps de lois desti-
nées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de
famille et dintérèl qu'ont entre eux des hommes qui ap-
partiennent à la même cité.
Chaque société a son droit civil.
Ce droit n'a pu se former que successivement : un
3.
36 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC
peuple ne se civilise que peu à peu; d'abord il est plutôt
régi par des usages que par des lois. Les idées générales
de bien public, les notions sur tout ce qui est utile et
raisonnable, suivent le progrès des lumières. Quelques lois
sont publiées par inlervalle pour corriger les coutumes et
pour les suppléer; des décisions mutipliées, et souvent
contraires, interviennent pour interpréter et pour conci-
lier les coutumes et les lois; bientôt le droit civil n'offre
plus qu'un amas confus d'usages et de règles qui effraient
par leur diversité et par leur multitude , et (ju'il est impos-
sible de réduire en système.
Dans cet état de choses, veut-on refondre ou réformer
la législation civile d'un peuple ? la première difficulté que
l'on éprouve est celle de réunir les connaissances néces-
saires, presque toutes éparses, et dont la plupart n'ont
même jamais été sérieusement recherchées.
Le droit civil s'entremêle et s'unit à tout. On est donc
sûr de rencontrer tous les intérêts privés, quand on s'avise
de parler au nom de l'intérêt public. Ceux qui se trouvent
bien de l'ordre établi haïssent les changemens; ceux qui
sont mal craignent le pire : chacun voudrait du moins
tourner les opérations à son profit personnel, sans se
mettre en peine du préjudice qui peut en résulter pour
les autres.
Autrefois les gens de lettres et les philosophes dédai-
gnaient letude de la jurisprudence; ils en étaient écartés
par l'allrait des arts d'agrément, et plus encore par la
poiiti<|uc mystérieuse du temps, qui craignait que l'on
s'occupât des affaires de la société, et cpii croyait ne pou-
voir tolérer que des littérateurs, des théologiens et des
géomètres. Mais tandis que cette ancienne indifférence pour
leti objets de législation laissait un libre cours aux erreurs
de tout genre, rinlé.cl que Ton y apporte aujourd'hui
contraint le législateur à une circonspection salutaire,
saos doute, mais qi.i rend sa marche inûnimcut plus
DE LA PUBLICATION» DES LOIS. 'b']
difficile et plus laborieuse; on trouve sans cesse le légis-
lateur aux prises avec les systèmes.
Une multitude d'autres obstacles naissent encore de
crltc variété d'usages et de privilèges qui séparaient et
distinguaient les anciennes provinces de France les unes
des autres.
Enfin la vacillation continuelle des lois, depuis dix ans,
a livré les esprits à tout vent de doctrine, et ne peut
qu'entretenir les oppositions et les résistances.
C'est à travers toutes ces difficultés qu'une législation
civile en France doit se développer.
En traçant le plan de cette législation , nous avons dû
nous prémunir et contre l'esprit de système qui tend à
tout détruire, et contre l'esprit de superstition, de servi-
tude et -de paresse, qui tend à tout respecter.
Depuis le milieu du dix-huitième siècle, il y a une
grande agitation dans les esprits. Nos découvertes et nos
progrès dans les sciences exactes et dans les sciences natu-
relles ont exagéré en nous la conscience de nos propres
forces, et ont produit cette fermentation vive qui, de
proche en proche, s'est étendue à tout ce qui nous est
tombé sous la main. Après avoir découvert le système du
monde physique, nous avons eu l'ambition de reconstruire
le monde moral et politique. Nous sommes revenus sur
les diverses institution , et on ne revient guère sur un objet
sang vouloir réformer plus ou morns, et bien ou mal, tout
ce qui a été fait ou dit auparavant : de là cette foule d'ou-
vrages qui ont donné l'éveil aux imaginations ardentes,
qui ont remué la raison sans l'éclairer, et qui nous ont
condamnés à vivre d'illusions et de chimères.
Les prodiges qui se sont opérés pendant la révolution
«ont bien faits pour accroître notre confiance; mais, à
coté de ces prodiges , des désordres malheureusement trop
connus ne nous ont-ils pas avertis de nos erreurs et de nos
fautes .^
58 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
Quelques personnes paraissent regretter de ne rencon-
trer aucune grande conception dans le projet de (Iode civil
qui a été soumis à la discussion. Elles se plaignent de n'y
voir qu'une refonte du droit romain, de nos anciennes
coutumes et de nos ancienne.v maximes.
Il serait à désirer que l'on pût attacher quelque idée
précise à ce qu'on entend par grande conception. Yeut-on
exprimer par ce mot quelque nouveauté bien hardie, quel-
que institution à la manière des Solon et des Lycurgue?
Mais ne nous y trompons pas, législateurs; une nou-
veauté hardie n'est souvent qu'une erreur brillante dont
l'éclat subit ressemble à celui de la foudre qui frappe le
lieu même qu'elle éclaire.
Gardons-nous donc de confondre le génie qui crée avec
l'esprit novateur qui bouleverse ou dénature.
Les institutions de Solon et de Lycurgue , qui ùous pa-
raissent si singulières, avaient leurs racines dans les
mœurs des peuples pour (|ui elles étaient faites. Sjlon
nous avertit lui-mêuje qu'il ne faut jamais donner à un
peuple que les lois qu'il peut comporter.
Les temps anciens ne ressemblent point à nos temps
modernes. Dans l'antiquité, les nations étaient plus iso-
lées , et conséquemment plus susceptibles d'être régies
par des institutions exclusives. Dans nos temps modernes ,
où le connnerce a établi plus de liens de conmiunication
entre Ifes divers états, qu'il n'en existait autrefois entre les
villes d'un même empire; dans nos temps modernes, où
les mêmes arts, les mêmes sciences, la même religion,
la uiême morale ont établi une sorte de communauté entre
tous les peuples policés de rKurojie : luie nation qui vou-
drait s'isoler de toutes les autres par ses maximes, se jet-
terait dans une situation forcée qui gênerait sa politi(|ue,
et compiomcltrait sa puissance, en l'obligeanl de rcnon-
(^cr à toutes SCS relations, ou qui ne pourrait sub>islcr, si
CCS relations étaient conscr>ées.
DE LA PliBLlCATIOiX DES LOIS. 59
Le rt pioche lait au rédacleur du projel d'avoir travaillé,
au moins en partie, d'après le droit romain cl d'après les
aneienues coutumes, mérite d'être apprécié à sa juste
valeur.
Connait-on un peuple qui se soil donné un Code civil
tout entier, un Code absolument nouveau, rédigé sans
égard pour aucune des choses que l'on pratiquait aupa-
ravant ?
Interrogeons l'histoire, elle est la physique expérimen-
tale de la législa'tion. Elle nous apprend qu'on a respecté
partout les maximes anciennes, comme étant le résultat
d'une longue suite d'observations.
Jamais un peuple ne s'est livré à la périlleuse entreprise
de se séparer subitement de tout ce qui l'avait civilisé, et
de refaire son entière existence.
La loi des Douze -Tables ne fut que le recueil des lois
des anciens rois de Rome. «
Le Code de Justinicn et ceux de ses prédécesseurs ne
furent que des compilations.
En France, les belles ordonnances du célèbre chancelier
de l'Hôpital , celles de Louis XIV, n'offrent que le choix
éclairé des dispositions les plus sages (|ue l'on retrouve
dans nos coutumes ou dans les anciens dépots de la légis-
lation française.
De nos jours, Frédéric 11, roi philosophe, a-t-il fait
autre chose que de réunir avec méthode les règles et les
principes que nous avons reçus des Romains, et qui ont
civilisé l'Europe ?
Le Code général de Prusse, qui a été plus récemment
publié, a plus d'étendue que celui de Fré<léric ; mais il n'a
été que le gardien sage et fidèle de toutes les maximes
reçues; il a même respecté les coutumes locales.
Pour(|uoi donc aurions-nous eu l'imprudence de répu-
dier le riche héritage de nos pères ?
Cependant, il faut l'avouer, il se trouve dans la dtiréc
4o DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
des états des époques décisives où les événemens changent
la position et la fortune des peuples, comme ccrlaincs
crises changent le tempérament des individus. Alors il
devient possible et même indispensable de faire des réfor-
mes salutaires ; alors une nation , placée sous un meilleur
génie, peut proscrire des abus qui l'accablaient, et re-
prendre, à certains égards, une nouvelle vie.
Mais alors même, si cette nation brille déjà depuis long-
temps sur la terre; si depuis long-temps elle occupe le
premier rang parmi les peuples policés, elle doit encore
ne procéder à des réformes qu'avec de sages méuagemens.
Elle doit, en s'élevaut avec la vigueur d'un peuple nou-
veau , conserver toute la maturité d'un ancien peuple.
On peut inditféremment porter la faux dans un champ
qui est en friche; mais sur un sol cultivé , il faut n'arra-
cher que les plantes parasites qui étouffent les productions
utiles. •
En revenant sur notre législation civile, nous avons cru
qu'il sufQsait de tracer une ligne de séparation entre les
réformes qu'exige l'état présent de la république et les
idées d'ordre réel que le temps et le respect des peuples
ont consacrées.
Les théories nouvelles ne sont que les systèmes de quel-
ques individus : les maximes anciennes sont l'esprit des
siècles.
Sans doute le génie peut, en communi(iuant par la
pensée avec le bonheur des hommes, découvrir des rap-
ports inconnus jusqu'à lui; mais le temps seul peut assurer
aux productions du génie des hommages et des partisans,
parce (|uc le temps seul habitue les hommes à la concep-
tion des vérités qui étendent ou multiplient nos rapports.
Le législateur. <|ui ne peut sans danger franchir subite-
ment d'aussi grands intervalles, doit demeurer dans les
linn'tes que la tradition des himières a déterminées, jus-
(|u'à ce (jue les événemens et les choses l'avertissent qu'il
DIÎ LA PUBLICATION DES LOIS. 4l
peul, sans conunolion et sans secousse , niarcher dans la
carrière qui lui avait été ouverte par le i^éuie-
Les d'Aguesseau, les Lamoignon , et tous les bons esprits
sentaient , par exemple , la nécessité d'avoir une législation
uniforme. Des lois différentes n'engendrent que trouble
et confusion parmi des peuples qui, vivant sous le mémo
gouvernement, et dans une communication continuelle,
passent ou se marient les uns chez les autres , et , soumis à
d'autres coutumes, ne savent jamais si leur patrimoine
est bien à eux.
Mais au temps où les Lamoignon et les d'Aguesseau
rtianifcstaient leur vœu, il eût été dangereux et même
impossible de le réaliser. Aujourd'hui une législation uni-
forme sera un des grands bienfaits de la révolution.
Tant qu'il a existé, en France, des différences et des
distinctions politiques entre les personnes, tant qu'il y a
eu des nobles et des privilégiés, on ne pouvait faire dispa-
raître de la législation civile les différences et les distinc-
tions qui tenaient à ces vanités sociales, et qui établis-
saient dans les familles un ordre particulier de succéder,
pour ceux qui avaient déjà une manière particulière
d'exister dans l'état. Aujourd'hui toutes les lois des suc-
cessions peuvent, sans contradiction et sans obstacle,
incliner vers les principes de l'équité générale.
Des magistrats célèbres avaient demandé que les insti-
tutions civiles ne fussent plus mêlées avec les intitulions
religieuses , et que l'état des hommes fût indépendant du
culte qu'ils professaient. Mais comment un si grand chan-
gement pouvait-il s'opérer, tant que l'on reconnaissait une
religion dominante, tant que cette religion était une loi
fondamentale de l'état?
Depuis, la tolérance des cultes a été proclamée, il a été
possible alors de séculariser la législation. On a organisé
cette grande idée, qu'il faut souffrir tout ce que la provi-
dence souffre^ et que la loi, sans s'enquérir des opinions
4 2 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc
religieuses des citoyens, ne doit voir que des Français,
comme la nature ne voit que des hommes.
Vous pouvez actuellement, législateurs, juger quelle a
été la marche que Ton a suivie dans la rédaction du projet
de Code civil.
On n'a pas perdu de vue qu'il ne suffit pas en législa-
tion de faire des choses bonnes, qu'il faut encore n'en
laire que de convenables; que l'esprit de modération est le
véritable esprit du législateur y et que le bien politique comme
If bien moral , se trouve toujours entre deux limites.
Après vous avoir fait connaître, législateurs, l'esprit
général dans lequel le projet de Code a été rédigé , noOs
allons vous exposer la division de l'ouvrage.
Cette division peut être envisagée sous deux rap[>orts,
c'est-à-dire, relativement au fond des matières qui en sont
l'objet , et relativement à la forme extérieure dans laquelle
ces matières sont classées.
Par rapport au fond des matières, l'arrangement le plus
naturel serait incontestablement celui où les objets se suc-
céderaient par les nuances souvent insensibles qui servent
tout à la fois à les séparer et à les unir. Mais est-il toujours
possible de saisir ces nuances?
En examinant les diverses manières dont les différens
jurisconsultes ont divisé le droit , nous avons demeuré trop
convaincus de l'arbitraire qui régnera toujours dans une
pareille division , pour croire ([lie celle que nous proposons
soit l'unique ou la meilleure. Mais nous avons cru qu'il
n'y avait point d'ulililé à changer les divisions communes.
En conséquence , nous avons conservé l'ordre suivi dans
le droit romain.
Tiire Le projet <le (^ode présente d'abord quelques maximes
sur les loi» en général, ensuite on y traite des jxrsonnrs ,
fit s choses , rt de la manière de les tiefjiiénr.
Les rédacteurs du projet avaient défini les dillcrentes
espèces de droits, l« droit naturel, le droit positif, le
pre
un
DK LA PUBLICATION DES LOL^. 45
droit public, le droit des gens, le droit civil, le droit
criminel.
Mais on a judicieusement remarqué que les détinitions
îçénérales ne contiennent, pour la plupart, que des ex-
pressions vagues et abstraites, dont la notion est souvent
plus difficile à fixer que celle de la chose même que Ton
définit.
De plus , il nous a paru sage de faire la part de la science
et la part de la législation.
Les lois sont des volontés.
Tout ce qui est définition , enseignement, doctrine, est
du ressort de la science. Tout ce qui est commandement,
disposition proprement dite, est du ressort des lois.
S'il est des définitions dont le législateur doive se rendre
l'arbitre, ce sont celles qui appartiennent à cette partie
niuable et purement positive du droit, qui est tout entière
sous la dépendance du législateur même ; mais il en est
autrement des définitions qui tiennent à la morale, et à
des choses qui ont une existence indépendante des volontés
arbitraires de l'homme. Nous nous sommes réduits, relati-
vement à tout ce qui regarde les lois en général, à fixer le
mode de leur publication, leurs principaux effets, et la
manière respectueuse dont les juges doivent les appli-
quer.
Les personnes sont le principe et la fin du droit; car les
choses ne seraient rien pour le législateur sans l'utilité
iqu'en retirent les personnes.
Nous reconnaissons, avec tous les moralistes et avec tous
les philosophes que le genre humain ne forme qu'une
grande famille ; mais la trop grande étendue de cette
famille, l'a obligé de se séparer en différentes société»
<\\\\ ont pris le nom de peuples , de ?intions , (Vrtats , et dont
les membres se rapprochent par des liens ])articuliers ,
indépendamment de ceux qui les unissenl au système
général.
44 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
De là, dans toute société politique, la distinction de»
nationaux et des étrangers.
Nous n'avons pu répudier celte distinction; elle sort de
la constitution ménie des peuples.
Liv 1- ISous avons fixé les caractères auxquels on est reconnu
tii. I - .
ch. 3. Français ou étranger.
La liberté naturelle qu'ont les hommes de cherclier le
bonheur partout où ils croient le trouver, nous a déter-
minés à fixer les conditions auxquelles un étranger peut
devenir Français, et un Français peut devenir étranger.
Nous n'avons point à craindre que des hommes qui sont
nés sur le sol fortuné de la France veuillent abandonner
une si douce [jatrie; mais pourquoi refuserions-nous ceux
que tant de motifs peuvent attirer sous le plus heureux
des climats, et qui, étrangers à la France par leur nais-
sance , cesseraient de l'èlrc par leur choix ?
Quelques philosophes avaient pensé que les droits civils
ne doivent être refusés à personne, et qu'il fallait ainsi
former une seule nation de toutes les nations. Cette idée
est généreuse et grande, mais elle n'est point dans l'ordre
des affections humaines. On affaiblit ces affections en les
généralisant; la patrie n'est plus rien pour celui qui n'a
que le inonde pour patrie; l'humanité, la justice, sont les
liens généraux de la société universelle des hommes : mais
il est des avantages particuliers que chacpie société doit à
ses membres , (jui ne sont point réglés par la nature , et
qui ne [)euvcnt être rendus communs à d'autres que par
la convention. Nous traiterons les étrangers comme ils
nous traiteraient eux-mêmes ; le principe de la réciprocité
sera envers eux la mesure de notre conduite et de nos
égards. Il est pourtant des droits qui ne sont point inter-
dits aux étrangers : ces droits sont tous ceux qui appar-
tiennent bien plus au droit des gens (ju'au droit civil, et
dont l'exercice ne pourrait être interrompu sans porter at-
teinte aux diverses relations qui existent entre les peuples.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. ^5
Un français peut perdre les droits civils par ;ine condam- ib ch
nation capitale ou pour tout autre peine à laquelle la loi
peut avoir attaché cette privation. (Comment pourrait-on
regarder comme associé celui qui, par ses attentats et ses
crimes, aurait rompu les pactes de l'association ?
Ce qu'on aj)pelle Télat civil d'un homme n'est autre chose ^5^
cjMc l'aptitude à exercer les droits que les lois civiles garan- *''• *•
tissent aux membres de la société. Cet élat élantla plus
sacrée de toutes les propriétés, le législateur s'en est rendu
le gardien en établissant des registres destinés à constater
les actes les plus importans de la vie civile. Nous nous som-
mes occupés de la forme et de la sûreté de ces registres,
dont rétablissement est commun à toutes les nations qui
connaissent l'usage de l'écriture.
Un homme n'occupe qu'un point dans l'espace comme £
dans le temps, quoique par ses relations il puisse étendre *'* ^•
et multiplier son existence. Il a donc nécessairement un
domicile. Ce domicile est, d'après tous les principes, le
lieu de son principal établissement. Le droit de changer de
domicile est un des plus beaux droits de la liberté humaine.
Mais ce changement est soumis à des règles , pour que les
tiers qui ont intérêt à le connaître ne soient pas trompés,
et puissent trouver Thomme avec qui ils ont des relations
volontaires ou forcées.
Les lois ont toujours veillé .pour les absens; c'est l'hu- i-iv «
manilé môme qui excite à cet égard la sollicitude du légis- ^'^'^'
lafeur : plus que jamais l'absence doit devenir, dans nos
temps modernes, l'objet de l'attention et de la vigilance des
législateurs; car aujourd'hui l'industrie, le commerce,
l'amour des découvertes, la culture des arts et des sciences,
déplacent perpétuellement les hommes. On doit une pro-
tection spéciale à ceux qui se livrent à des voyages de long
cours et à des entreprises périlleuses, pour rapporter en-
suite dans leur patrie des richesses et des connaissances
46 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
qu'ils ont acquises avec de grands efforts et au péril de
leur vie.
Liv. .- Une société n'est ^oiut composée d'individus isolés et
tit 5
épars : c'est un assemblage de familles. Ces familles sont
autant de petites sociétés particulières dont la réunion
forme l'Etat, c'est-à-dire, la grande famille qui les com-
prend toutes.
Les familles sont formées par le mariage. Le mariage est
de l'institution même de la nature. Il a une tropgrande
influence sur la destinée des hommes et sur la propagation
de Tespèce humaine, pour que les législateurs l'abandon-
nent à la licence des passions.
Le mariage soumet les époux à des obligations sacrées
envers les enfans qui naissent de leur union. Il les soumet
à des obligations mutuelles. Il faut donc que l'on connaisse
ceux qui ont à remplir ces obligations. De là les formes
proposées pour la solennité de ce contrat.
Pour le mariage, il faut pouvoir remplir les vues delà
nature. Il était donc nécessaire de fixer l'âge auquel deux
époux pourraient utilement s'unir.
Il importe de favoriser les alliances et de protéger les
mœurs; il importe de ne pas blesser les vues de la nature,
et de ne pas offenser Thonnètelé publique. De là les pro-
hibitions de mariage pourcause de parenté. Toutes les na-
tions ont proscrit les mariages incestueux, parce que le
cri de la nature a retenti dans le cœur de tous les hommes.
Les nations civilisées ont étcnd\i plus loin Tcmpire de la
pudeur, et elles ont respecté certaines convenances qui,
sans être l'ouvrage immédiat <lc la nature, se trouvent
fondées sur des raisons naturelles.
i.iv i- De droit commun , la mort de l'un des époux peut seule
dissoudre le mariage. Nous avons [)ourlant cru que la loi
civile ne pouvait être aussi inflexible que la religion et la
morale , cl dans notre projet nous conservons le divorce*,
lit. 6.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 4?
mais avec des luénagemens capables d'en prévenir les
abus. Nous le conservons pour les cas où les vices ont plus
dVnergie et de force pour énerver les lois, que les lois n'en
ont pour réprimer les vices.
A côté du divorce nous laissons la faculté de demander la i^ cl«- 5i
simple séparation de corps qui relâche le lien du mariage
sans le rompre. Nous avons pensé que , sous des lois qui
autorisent la liberté des cultes, il fallait laisser respirer les
ànies librement, et ne pas placer un homme fidèle à sa re-
ligion entre le désespoir et sa conscience.
Dans les causes du divorce nous n'avons point placé Tin- l'îv »-
tit. 6.
compatibilité d'humeur et de caractère , à moins qu'elle ne
lût le résultat d'un consentement mutuel; nous avons re-
gardé comme contraire à l'essence même des choses, qu'un
contrat aussi sacré que le mariage pût être arbitraîreinent
rompu sur la demande et sur la simple allégation de l'une
des parties, c'est-à-dire, par la volonté et pour l'avantage
d'un seul des époux.
Après avoir tracé les causes de divorce , nous avons indi-
qué les formes d'après lesquelles il devait être instruit et
jugé. L'intervention de la justice nous a paru nécessaire.
En Angleterre, il faut une loi. Ailleurs, il faut un acte du
souverain. Partout une question de divorce est une question
nationale, dont les suites et la décision ont paru intéresser
la société entière.
Chaque famille doit avoir son gouvernement. Le mari , Liv. i-
Ic père en a toujours été réputé le chef. La puissance ma- ^'
ritale, la puissance paternelle, sont des institutions répu-
blicaines. C'est surtout chez les peuples libres que le pou-
voir des maris et des pères a été singulièrement étendu et
respecté.-Dans les monarchies absolues, dans les états des
potiques, le pouvoir qui veut nous asservir cherche à
affaiblir tous les autres. Dans les républiques, on forlifie
la magistrature domestique, pour pouvoir ssans danger
adoucir la magistrature politique et civile.
48 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
Légis^ateu^s, vous conserverez au gouvernement de la
famille tout son ressort, pour conserver au citoyen toute sa
liberté. La famille est le sanctuaire des mœurs. C'est là
que les vertus privées préparent aux vertus publiques ;
c'est là que les sentimens de la nature nous disposent à
remplir les devoirs qui sont imposés par les lois.
La faveur du mariage, le maintien des familles, qui
sont la pépinière de l'état; le grand intérêt qu'a la société
à proscrire les unions vagues et incertaines, sont autant de
motifs puissans qui ont déterminé tous les peuples policés
à distinguer les enfans naturels des enfans légitimes.
Tous les enfans qui naissent sous la foi du mariage ont
pour père celui que le mariage démontre. Ils jouissent de
tous les avantages de la légitimité, c'est-à-dire ils appar-
tiennent à une famille, et ils jouissent, dans cette famille,
de tous les droits que l'ordre des successions leur assure au
patrimoine commun.
Les enfans naturels, c'est-à-dire les enfans nés hors le
mariage, n'ont point de famille, à moins qu'ils ne soient
légitimés par le mariage subséquent des auteurs de leurs
jours. Dans le projet de Code on ne leur assure qu'une
créance sur les biens de leurs père et mère. Ils n'ont rien
s'ils ne sont reconnus. La recherche de la paternité leur
est prohibée, parce qu'ils n'ont aucune présomption de
droit en leur faveur, et que le fait de la paternité est tou-
jours incertain ; s'ils peuvent rechercher leur mère, c'est
lorsqu'ils administrent des commencemens de preuve par
écrit.
Il nous a paru, au contraire, que les enfans nés sous la
foi du mariage doivent être traités plus favorablement ,
quand ils réclament un état qu'on a voulu leur crtlcver par
fraude. Il leur suffit de prouver le fait de la maternité,
poiir faire reconnaître leur père. On ne doit pourtant pas
les admettre à intenter leur action, sans un commence-
ment de preuve. Le système contraire menacerait la tran-
Di: LA PUBLICATION DES LOIS. 40
<iuillité (les familles, et il ébranlerait la société entière.
Les enfuns naturels et les cnfans légitimes doivent être Liv. i-
pn>tégé8 par les lois , tant qu'ils sont dans l'âge où ils ne
peuvent se diriger eux-mêmes. De là l'institution des tu-
telles, et les obligations imposées aux tuteurs.
Nous n'avons parlé jusqu'ici (juc de la filiation ou de la iiv. i-
lit 8
paternité réelles; mais il est une filiation et une paternité
fictives qui ne sont point l'ouvrage de la nature, et qui ne
sont que l'ouvrage de la volonté. Les décrets de nos assem-
blées nationales ont proclamé le principe de l'adoption :
doit-on régulariser l'exécution de ce principe? On a re-
marqué que, dans ses effets, l'adoption otFre le choix
éclairé de Tesprit, qui remplace l'aveugle opération des
sens. L'adoption, continue-ton, si on la considère dans
ses motifs, sera inspirée par cette sensibilité expansive qui
ne croit jamais avoir assez multiplié les objets de son atta-
chement. Elle pourra être diclée encore par cet esprit de
bienfaisance si cher à toute société, et qui nous eu pré-
sente tous les membres comme des frères et des enfans.
Si Ton craint que l'adoption ne favorise le célibat, on
pourra ne la permettre qu'à ceux qui auront cherché par
le mariage à remplir le vœu de la nature.
Toutes ces grandes (questions vous seront soumises. Elles
méritent de fixer l'attention générale.
Nous avons conservé l'âge de la majorité à vingt-un ans. Liv. i-
A cet âge, les hommes sont présumés capables de tout.
Nous avons pourtant prorogé la minorité jusqu'à vingt-
cinq ans pf)ur le fait du mariage , parce (ju'un tel engage-
ment est exposé à plus de danger, et qu'il a des suites
plus importantes pour ceux qui le contractent.
Les majeurs sont quelquefois privés de l'usage de leur Ib.ch.a.
raison. Il faut alors que la loi les protège contre eux-
mêmes. On les interdit ; on les prive de la liberté pour
leur conserver l'existence.
VI. /l •
OO DISCrSSIOS , MOTIFS, clc.
Tels sont les plaus qui vous seront présentés lelativc-
ment à l'étal des personnes; et cette parlie du projet du
Code civil est la seule qui puisse vous être soumise dans le
cours de cette session.
Liv î- Quant aux biens , no<is avons distingué leurs diflérentes
et 3 11. • . ï •
natures, et les diverses manières de les acquérir.
5,6 La grande distinction des diverses espèces des biens est
celle des meubles et des immeubles.
Les droits, les servitudes, les actions, peuvent rentrer
dans Tune de ces deux classes.
i-'^ 3- Les successions et les contrats embrassent tous les moyens
lit I et3. ^ -^
d'acquérir.
Liv. 1- Le système hypothécaire est subordonné à quelques règles
tit. i."*.
particulières qu'il serait inutile pour le moment de déve-
lopper.
Voilà tout l'ordre du Code relativement au fond des ma-
tières qui en font l'objet.
Quant à la forme extérieure dans laquelle ces matières
seront classées, le projet du Code sera divisé dans chacune
de ses parties principales en projets de lois , les projets de
lois en titres, et les titres en sections, selon que l'étendue
et la diversité des objets le comporteront.
Les projets de lois , leurs titres et leurs sections seront
<livisés en articles, pour la commodité de ceux qui auront
à faire l'application ou la recherche de ces articles ; on les
numérotera de suite, comme s'ils ne formaient tous qu'une
seule et même loi.
Titre Noiis ap[)ortons aujourd'hui le premier projet, il a pour
^ "° titre : I^e ta publication , des rjl'rts et de VappUcation des lois.
• Lnc loi n'oblige qu'autant (|ue l'on peut présumer qu^elle
est coiuiue. La loi ne peut fraj>per sans avertir.
Il serait impossible ({u'une loi tut notifiée à chaque in-
dividu. On doit 86 contenter de la présomption morale que
chaque individu a |)u la connaître.
% En conR«^quencc , nous avons fixé le temps prop;ressif dans
DE LA PUBLICATION DES LOIS. Ôl
lequel la connaissance de la loi pouvait successivcmcr*
parvenir aux citoyens de tous les déparlemens.
La loi ne peut avoir d'effet rétroactif: ce principe est in- ^
contestable ; nous l'avons proclamé.
Elle oblige tous ceux qui vivent sous son empire. Habiter '
le territoire, c'est se soumettre à la souveraineté.
De nos jours, les hommes ne sont pas toujours dans le aj. 3
même lieu : les communications commerciales et indus-
trielles entre les divers peuples sont multipliées et rapides ;
il nous a paru nécessaire de rassurer le commerce , en lui
garantissant la validité des actes dans lesquels on s'était
conformé aux formes reçues dans les divers pays où ces
actes pouvaient avoir été faits et passés. Comme les dispo- =P ^
sitions des lois ne doivent jamais être éludées, nous avons
prévu le cas d'une loi qui, par la crainte ou la prévoyance
de certains abus , an nulle tous les actes faits dans certaines
circonstances comme suspects de fraude ; et nous avons
pensé que, dans ce cas, on ne peut être reçu à prouver
que ces actes ne sont point frauduleux : c'est l'hypothèse de
la déclaration de 1712, qui annulle tous les transports faits
dix jours avant la faillite.
Il y avait des juges avant qu'il y eût des lois; ces juges. 4
dans ces tem{)S d'ignorance et de grossièreté, étaient des
ministres d'équilé entre les hommes; ils le sont encore,
quand ils ne sont point dirigés par les lois écrites ; ils ne
peuvent donc , sous le prétexte de l'obscurité et du silence
des lois, suspendre arbitrairement leur ministère.
Les juges sont, à certains égards, associés à l'esprit de 5
législation , mais ils ne peuvent partager le pouvoir légis-
latif; ils ne peuvent donc, dans leurs jugcmens, se per-
mettre aucuie disposition réglementaire.
Enfin, nous avons cru devoir consacrer le principe, que fi
les citoyens ne peuvent , par des conventions particulières,
déroger aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes
4.
bi DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
mœurs : ce principe est la sauve-garde de la morale cl de
la législation.
Tel est , législateurs , l'aperçu général du projet du Code,
el tels sont les motifs particuliers du premier projet de loi
que nous soumettons à votre sanction.
Nous n'avons pas besoin d'insister sur la nécessité de
donner une législation civile à la France , cette nécessité
a été reconnue par vos décrets. Les lois passagères qui ont
été publiées pendant la révolution, ressemblaient à des pi-
liers flottans au milieu d'une mer orageuse. Le peuple
français demande à se reposer sur des maximes qui puis-
sent garantir sa tranquillité et sou bonheur.
Le corps législatif arrêta dans la même séance que le
projet et l'exposition des motifs seraient transmis au Tri-
bunal par un message.
TRIBUNAL
RAPPORT FAIT A I.'aSSEMBLÉE GÉNKRAI.E, PAR M. ANDRIF.TTX,
AU NOM DE LA COMMISSION SPKCIALK *.
(Séance da la frimaire an X. • — 3 décembre 1801.)
Tribuns, nous entrons aujourd'hui dans la discussion du
projet du nouveau Code civil de la France.
Douze ans sont bientôt écoulés depuis que l'assemblée
constituante promit à la nation ce Code dont la nécessité
élait généralement sentie.
Depuis ce tem|)s , les assemblées qui ont succédé à la
constituante ont essayé vainement de réaliser sa promesse :
des lois partielles ont été faites, plusieurs projets ont été
• Celte comniitiion élail compose tic» lnlyin» Hmahu , Lhutevm.l», FAOrK ,
I.AUSbAT t-l AïoniKiix, rappoilcur
DK LA PUBLICATIO?( DES LOIS. 53
j»iései»lés; eu lut un rêve de chacun des liommcs de bicu
qui entrèrent, soit dans la convention nationale, soit dans
les diverses législatures, de penser qu'ils pourraient contri-
buer à la rédaction et à la prompte publication d'un Code
uniforme de lois pour la France.
Tous s'aperçurent successivement que ce vœu patriotique
ne pouvait alors être accompli; ils regrettèrent moins qu'il
ne le fût pas , en songeant qu'au milieu de ces chocs divers
d'intérêts, d'opinions, de passions, de ces orages terribles
qui poussèrent les assemblées tantôt dans un sens, tantôt
dans un autre, la législation se fût trop ressentie des er-
reurs et des excès qui dominèrent tour-à-tour.
Enfui un temps plus heureux et plus calme a paru : c'est
deux ans après l'époque qui a enchaîné les orages de la ré-
volution , que le projet de Code civil nous est présenté.
Au milieu des travaux guerriers, l'activité infatigable et
féconde du gouvernement a préparé ce monument pai-
sible.
Il a choisi , sur la foi de l'opinion publique et de la re-
nommée , quelques-uns de nos jurisconsulles les plus expé-
rimentés et les plus habiles, et les a chargés de tracer le
plan de l'édifice. Sans perdre un seul moment, leur projet a
élé soumis aux lumières des magistrats, offert à l'examen
des citoyens ; les observations du tribunal de cassation ,
celles de tous les tribunaux d'appel, ont été recueillies,
conférées ensemble : la discussion s'est ouverte au Conseil
d'iitat, en présence et avec le concours des auteurs du
projet ; et par un admirable effet de ces longues et justes
combinaisons dont le vulgaire s'étonne, et dont il prend
souvent les résultats pour les faveurs de la fortune, mais
dans lesquelles l'homme moins crédule et plus observateur
reconnaît la main du génie qui maîtrise les événemens
parce qu'il sait les prévoir, les préparer et les conduire, à
peine celte terrible guerre de dix ans est-elle terminée par
une paix glorieuse, que la première loi du Code civil est
54 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
présentée à la saiiclion du Corps législatil', qui pourra,
dans le seul cours de la session actuelle , remplir en partie
la longue attente de la nation, en lui donnant le premier
tiers de ce nouveau Code civil.
Ce ne sont point là les doux loisirs ( c'est bien mieux que
cela), ce sont les précieux travaux de la paix qu'un génie
bienfaisant nous procure : et tandis que, de toutes parts,
s'agite l'industrie active et féconde; tandis que le com-
merce se ranime et reprend ses relations; tandis que les
arts utiles, encouragés, préparent à la France un degré
incalculable d'aisance et de prospérité, nous aussi, tri-
buns, nous sommes appelés à payer à la France notre ho-
ïiorabls tribut; remplissons celte tâche difficile et glo-
, rieuse, celle de contribuer à donner à notre pays des lois
durables.
Loin de nous , loin du Tribunal la pensée d'apporter le
moindre obstacle, le moindre relard à l'achèvement de ce
grand ouvrage si nécessaire, si vivement désiré, si long-
temps attendu ! mais loin de nous aussi la faiblesse cou-
pable de fermer les yeux sur les défauts que nous croirions
apercevoir dans les projets qui nous seront présentés, de
voter l'adoption de lois qui nous paraîtraient essentielle-
ment mauvaises, et de compromettre à la fois le sort de
la génération actuelle et celui des siècles à venir!
C'est dans ces scntimens que la commission s'est occupée
du travail (|ue vous lui avez confié, et dont je viens vous
rendre compte. Nous avons divisé l'examen du projet de
loi en deux parties.
La première corjliendra des observations générales sur
le projet [)ris dans son enseml)lc.
La deuxii'îmc renfermera des observations particulière»
sur chacun des articles.
\)t LA PUBLICATION UJiS LU1>. 55
Ji l. Observations gcncmles.
1 . Ce projet, à la tète du Code, serait-il k sa place? 'i''if«
piéliin
a". La [)lupart des articles qui le composent sont-ils des
articles de loi ? 3". Est-il en général bien rédigé? 4°- Serait-
il entîn une introduction digne du Code civil français?
Ce projet serait-il à sa place? pour le décider, voyons
quelle est sa nature, son objet. Il est tcVaHÎ à la publication,
aux effets et ci l'application des lois en général : il n'est donc
pas relatif au Code civil seulement; il Test aussi au Code
criminel, au Code judiciaire, au Code rural, au Code
commercial, à tous les autres; il est même relatif aux lois
temporaires et transitoires. Il ne fait donc pas partie du
Code civil. Doit-il ouvrir un Code auquel il n'appartient
pas plus qu'à toutes les autres lois ?
Non, sans doute; ou ce serait, dès le commencement,
tomber dans un grand défaut de méthode.
Une loi sur la publication des lois en général doit se
faire à pari ; c'est une loi de l'ordre politique, et à placer
au rang de celles organiques de la constitution.
Si vous jetez les yeux sur la plupart des articles, sur le 2-3-
2% sur le 5*^, sur le 4^i snr le 8®, vous n'y reconnaîtrez pas et 6
des articles de lois; ils ne contiennent point de dispositions
expresses, prohibitives, impératives, ou même facultatives:
ce sont des principes énoncés > ce sont des axiomes de mo-
rale ou de jurisprudence.
L'exposé observe, avec beaucoup de sagesse, qu'il faut
faire la part de la science et celle de la législation. Il nous
semble que le projet ne tient pas ce qu'a promis l'ex-
posé.
Les articles 5, 6, et 7, relatifs aux devoirs des juges, à ap. <>
la manière dont ils doivent aj)pliquer ou même suppléer
les lois 5 rappellent le premier litre de l'ordonnance de 1G67,
de iobucnation des ordonnantes j et cc souvenir nous aveil*t
56 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
qu'ils a[)partic'nnenl au Code judiciaire, non pas au Code
civil.
Quant à la rédaction générale, à l'ensemble du projet,
on peut lui reprocher une incohérence frappante. On pou-
vait tout aussi bien placer le troisième article le second,
faire des deuxième et troisième les septième et huitième,
ou mettre celui qui est le premier à la fin de tous les au-
tres. Si même on ôtait ce premier article, le seul, à le
bien prendre, qui fasse la matière et le fond du projet, que
resterait-il ? Des articles qui ne sont rapprochés que par la
juxtaposition, des articles dont les uns appartiennent évi-
demment à d'autres lois, cl les autres ne peuvent appar-
tenir à aucune.
Il n'y avait pas môme de raison pour qu'on ne fît aussi
bien entrer dans ce projet beaucoup d'autres règles géné-
rales non moins importantes.
Le Conseil d'État a arrêté que dans la rédaction du Code
civil, on emploiera toujours le futur. Pourquoi? Parce
qu'en français le futur remplace l'impératif, et convient
par conséquent à la rédaction des lois, qui sont faites pour
ordonner ou pour défendre.
Voyez les lois des Douze-Tables, qui étaient un modèle
de précision, et que, du temps de Cicéron, on apprenait
encore par cœur comme une chose qu'il n'était pas permis
d'ignorer, ut carmcn ncccssar'uun ; toutes leurs dispositions
étaient à l'impératif : Privilégia ne inogaiito. — Quodcunuiue
Ijojmlusjussity idjus rdiumquc csto. Cela était positif, formel,
et sans exception.
La plupart de nos anciennes lois françaises, les ordon-
nances royales, les édils et déclarations, s'exprimaient
tantôt par la formr.le très-impérative : Foulons et ordonnons;
et nous jdnlt ce t/ui .suit ; tantôt par le futur, qui é<|uivaut,
dans notre langue, ;• rinq)ératir: l'e-rj/loit de tle//ifi/tde sera
Ubellé, l'huissier y fera mention de son inntKttrienle, le tout h
luinc de niilliir, dit rordonnanc<: de iCiOj.
DE LA PUBLICATION Ui-S LOIS. ÔJ
Les coutumes seules avaient, dans beaucoup de leurs
dispositions, adopté l'indicatif présent : Le mort saisit le vif...
Celte rédaction , qui se ressent de sa gothîcité , est au moins
juste et exacte en cela qu'elle est renonciation d'un fait
présent. On sait que les coutumes étaient rédigées d'après
des enquêtes par turbes, et sur le témoignage verbal ou par
écrit des anciens et des prud'hommes; ce n'était qu'un re-
cueil de faits et d'usages reçus, qu'on couchait sur un re-
gistre, pour servir de règle pendant un temps, et dans la
vue de former par la suite , de toutes ces coutumes réunies ,
un Code unique pour la France.
Les principaux décrets de l'assemblée constituante, et
notamment la constitution de 1791 ? emploient exclusive-
ment le futur dans toutes les dispositions impératives.
Ce n'est que depuis peu d'années que les rédacteurs de
nos lois ont adopté l'indicatif présent, qui leur a paru sans
doute plus solennel^ plus court, plus élégant, mais, qui
réellement n'est pas très-exact. La loi ne peut pas dire :
telle chose est, quand elle n'est pas, quand la loi même a
pour objet d'ordonner que telle chose sera désormais et à
l'avenir.
Il y a bien une distinction à faire, et le projet de loi que
nous discutons en offre un exemple.
Quelques-uns de ses articles sont impératifs ; et ceux-là
sont tous rédigés au futur.
Les autres sont au temps présent, parce qu'ils ne sont
qu'énonciatifs, et qu'ils ne font que déclarer des principes
déjà connus, qu'exposer des règles de droit ou de morale.
Mais c'est une grande question que celle de savoir s'il
doit se trouver de semblables articles dans les lois : votre
commission a penché pour la négative, parce qu'elle a cru
que ces principes, ces règles appartiennent, non pas à la
législation , mais à la doctrine.
A moins qu'on ne voulût, à l'imitation du Digeste, placer
58 DISCUSSIONS , MOTIFS , elc
cil lête ou h la fin du Code civil, un titre Des Régies du droit,
ce qui pourrait avoir son utilité; mais ce titre ne serait pas
une loi , à proprement parler. La règle expose , enseigne ;
la loi commande, permet, défend ou punit.
J'arrive à la quatrième question générale. Ce projet de
loi est-il une introduction digne du Code civil? Il n'est
jieut-être aucun de vous qui n'ait déjà fait la réponse.
Quoi! ce Code civil tant attendu, pour lequel depuis si
long- temps on rassemble tant d'cxcellens matériaux,
viprès que nos jurisconsultes les plus habiles, les magistrats
de tous nos tribunaux, enfin tous les citoyens éclairés, ont
clé appelés à concourir à la rédaction d'un ouvrage qui
doit être un des monumens du siècle, et étonner encore la
postérité au milieu du récit de tant de choses étonnantes :
ce Code présenterait d'abord une loi qui n'est pas à sa vé-
ritable place (car elle devrait être hors de rang pour faire
mieux entendre (ju'ellc s'applique à tout) , une loi de huit
articles non ordonnés entre eux, et dont la rédaction , en
i^énéral. est vicieuse ! Est-ce là un porlique qui réponde à
la majesté de l'édifice?
Plusieurs de nos collègues ont paru regretter qu'on n*eût
pas plutôt présenté les six titres du projet de Code civil
dont les huit articles ont été extraits : il est vrai que ce
commencement serait plus majestueux, plus instructif; il
ressemblerait davantage au commencement d<s Institutes
et à celui du Digeste : mais il aurait cet inconvénient dont
nous avons déjà parlé , celui de mêler ensemble la science
cl la législation, les définitions elles dispositions, l'instruc-
tion et la volonté.
Qu'on ne dise pas (|uc nous poursuivons vainement une
chimère, une perfection idéale et im|)Ossit)le : non, nous
ne formons pas ce vœu , (|ui serait peut-être excusable dans
cette occasion unique ; nous ne demandons pas les meil-
leures lois possibles; nous en demandons qui remplissent
DE LA PUBLICATION DES LOIS. ÔQ
leur but, et que le corps législatif puisse offrir à la nation
comme des règles, et laisser à la postérilé comme des mo-
dèles.
De cette discussion sur le projet en général, il doit être
résulté pour la plupart d'entre vous que le tribunat ne peut
l'adopter. Si quelques esprits étaient encore chancelans,
la discussion qui va suivre achèvera de les entraîner vers
le rejet.
§ II. Observations particulières sur chaque article.
Art. 1®^. « Les lois sont exécutoires dans tout le territoire
« français, en vertu de la promulgation qui en est faite par
a le Premier Consul.
« Elles seront exécutées dans chaque partie de la France ,
<« du moment où la promulgation pourra y être connue.
« La promulgation faite par le Premier Consul sera ré-
« putée connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de
<• Paris, trente-six heures après sa date, et, dans tout le
a ressort de chacun des autres tribunaux d'appel, après
«• l'expiration, du même délai , augmenté d'autant de fois
« deux heures qu'il y a de myriamètres entre Paris et la
« ville où chacun de ces tribunaux a son siège. »
Le premier paragraphe n'est que la suite immédiate et
nécessaire de l'article 4i de la constitution; puisque cet
article attribue la promulgation des lois au Premier Consul,
il paraît évident que cette promulgation rendra les lois
exécutoires, c'est-à-dire, susceptibles d'exécution.
Mais les lois, d'abord exécutoires, ou, si l'on veut,
obligatoires par leur seule promulgation, doivent ensuite
être exécutées. Il doit être fixé une époque où leur exécution
soit nécessaire et de rigueur.
Quand commencera cette ûpoque où les lois devront être
exécutées néccssaiicmcnl ? Ce sera , suivant le projet de
loi. dans chaque partie de la Franco, du momeni où la pro-
Go DISLUSSIONS , MOTIFîi , elC
iiiuigation pourra y cire coniuic. lleniarquez ces mois : du
MOMENT et POURRA.
Et quel sera le moment, l'instant fixe et indivisible auquel
une loi pourra être connue?
Ce sera, <l'après le reste de rarlicle, à Téchéance d'un
délai dont le premier terme n'est pas fixé , dont on ne voit
cjue la fin, encore très-susceptible de variation, d'instabi-
lité. On se plaint de l'arbitraire du mode actuel de publi-
cation ; n'y en aura-t-il pas autant et même davantage dans
le mode nouveau qu'on propose de lui substituer?
L'exposé présenté par l'orateur du Conseil d'État ne
donne que la substance des motifs qui en ont déterminé
l'adoption.
On voit qu'il y en a eu deux principaux: ï° la nécessité de
faire marcher la loi avec une extrême rapidité, surtout dans
certains cas où il s'agit de lois urgentes, répressives de
fraudes ou de crimes;
2°. La présomption que la loi pourra en effet être connue
dans chacun des points du territoire, à l'époque où elle
commencera à devoir y être exécutée.
On s'est moins occupé, en un mot, de trouver des moyens
de faire connaître la loi, que de fixer une époque où elle
sera censée connue.
Mais d'abord, dans une matière aussi importante, toute
cette théorie séduisante des possibilités, des présomptions
<loit s'évanouir devant des faits. Toutes les présomptions
du monde viendront échouer contre le fait certain que la
loi n'a pas été connue du citoyen à qui on l'oppose, du
tribunal à qui l'on reproche »ie ne pas l'avoir a|)pliquée.
Annullera-t-on l'acte fait par l'un, le jugement rendu par
l'autre dans cette ignorance invincible? lit qu'on ne dise
pas (ju'une pareille ignorance n'aura jamais lieu; elle
pourra se trouver dans pUisieurs cas, si des chemins, si
des ponts sont tout-à-fait ronqius, si un pays est inondé,
si l'ennemi s'en rend maître à main armée, cl coupe toute
DK LA PUBLICATION DKS LOIS. 6l
comnuinication (qne Dieu di^lonriie un tel présage!) Mois
eiifiii voilà des cas où la connaissance de la loi ne pourra
pas parvenir aux citoyens, où elle sera forcément, invin-
ciblement ignorée d'eux et des juges. 11 fallait donc au
moins prévoir ces exceptions et y statuer.
A une heure, que dis-je! à un moment précis et indivi-
sible (car le projet ne dit pas du Jour, mais du moment) , à
un point mathématique dans le temps, et qui changera de
distance en distance, la loi devra être exécutée par les ci-
toyens, dans les différentes parties de la France. Conçoit-
on que tous les Français puissent être ainsi pressés, pour
leurs actes civils, entre deux momens?
Mais voyons comment pourra se faire l'application de
cette loi.
On date bien les actes du jour où ils sont passés ; mais il
en est peu qu'on soit obligé et dans l'usage de dater de
l'heure et du moment : quand il faudra apprécier un acte
non daté de l'heure, du moment précis, comment pourra-
t-on le faire? Car, suivant le mode de publication, l'acte
qui aura été licite à onze heures cin({uante-neuf minutes,
ne le sera plus à midi sonnant. Voilà donc tous les citoyens
obligés de dater désormais l'heure dans tous les actes; et
s'ilsl'oublient, les actes seront-ils nuls ?0n n'admettra dojiic
plus les actes sous signature privée, s'ils n'ont été enre-
gistrés avec la date de l'heure, de la minute? N'est-ce rien
que d'imposer tout d'un coup à tous les Français une obli-
gation aussi pesante qu'elle sera inusitée!
Que d'inégalités bizarres et injustes cette loi viendrait
établir?
Auxerre est à quarante lieues anciennes , ou vingt myria-
mètres environ de Paris ; mais il est du ressort du tribunal
d'appel de Pnris; Piouen est hors de ce ressort, mais il n'est
éloigné de Paris que de quatorze myriamètres : ainsi à
Rouen, qui n'est fju'à vingt-huit lieues anciennes, la loi ne
devra être exécutée que dans soixante-six heures, et à
62 DISCU:v<IONS , MOTIFS, elC.
Auxei're, qui est à luie distanre de quarante lieues, elle
devra l'ètrc dans trente-six heures.
Le moment où doit échoir le délai de l'exécution de la
loi serait souvent incertain et inappréciable; il le serait
d'autant plus que la fin du terme dépend de son commen-
cement , et qu'on ne voit pas à quel moment ce délai com-
mencerait à courir. Ce serait sans doute à partir de la date
de la promulgation : mais cette promulgation n'est point
datée d'une heure précise , elle l'est seulement d'un jour :
vraisemblablement on entend que c'est à compter de la
dernière heure du jour de sa date que le délai commence
à courir , suivant la règle ordinaire qui veut que le jour du
terme ne soit point compté dans le terme. Ainsi, une loi
étant promulguée à Paris, par exemple, le premier du
mois, le »iélaî commencerait à courir à minuit qui suivra
ce jour, et la loi serait réputée connue à Paris, et dans le
ressort, trente-six heures après, c'est-à-dire, à midi du
troisième jour du mois (c'est ainsi du moins que votre
commission a entendu l'article; et si tout le monde ne
l'entend pas de même, ce sera un argument de plus
contre le projet de loi : car il s'ensuivra qu'il est obscur
et prête h plusieurs interprétations); ensuite, à partir de
ce .midi, la connaissance présumée de la loi s'étendrait et
gagnerait de proche en proche dans toutes les parties de
la France.
Mais si l'on donne une fois à la promulgation la date non
pas du jour, mais d'une heure certaine du jour, aussitôt
tout change : toutes les combinaisons sont dérangées; la
connaissance présumée devient alors la connaissance im-
possible, on ne sait plus, on ne peut plus savoir à quel
moment chaque loi doit commencer à être exécutée ; car le
moment de sa promulgation sera toujours ignoré , douteux,
arbitraire : est-il possible de laisser vivre les citoyens dans
cette incertitude continuelle sur l'objci le plus important
pour eux 1' Quoi dv moins propre à concilier aux lois le
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 6Ô
respect dont elles ont besoin ! quoi de moins conforme à
leur majesté, à leur publicité indispensable!
Certes cet ojbjet de la promulgation des lois est d'une
assez haute importance pour demander, à lui seul, non
pas un article de loi, mais une loi entière et expresse..
11 faut que cette loi dise si l'on conserve l'impression,
ralliche. rinsertion au bulletin, l'envoi aux tribunaux et
aux administrations.
Comment peut-on supposer que la transcription actuelle
sur les registres des tribunaux ferait revivre l'ancienne
forme de l'enregistrement? Dans l'ancien ordre des choses,
l'ordoinjance de 1667 autorisait les cours à faire des re-
montrances daps un délai fixe, passé lequel, la loi était
tenue pour publiée, et devait être exécutée. Ce qui don-
nait aux cours cette prépondérance que les tribunaux ac-
tuels et encore moins les préfets, révocables à volonté, ne
peuvent avoir, c'était l'absence d'un corps législatif dont
les parlemens avaient la prétention d'être une sorte d'éma-
nation. Ils participaient à la législation , en faisant des ar-
rêts de règlement pour tout leur ressort; ils avaient ce
qu'on nommait la haute police. , pouvoir souvent redoutable,
et dont les bornes même n'étaient pas connues.
Les tribunaux, sous le régime actuel, sont loin de pou-
voir élever des prétentions semblables. Le tribunal de cas-
sation lui-même se borne à appliquer la loi; il en est le
conservateur, et jugerait coupable de forfaiture un tribunal
qui aurait refusé ou retardé sciemment la transcription
sur ses registres. L'envoi des lois aux tribunaux et aux ad-
ministrations ne les fait, en aucune manière, participer à
l'autorité législative, ni même à la promulgation qui ap-
partient tout entière au Premier Consul; mais ces forma-
lités ont pour objet de donner aux lois une plus grande
publicité, de les faire mieux connaître des citoyens, et
de les tenir sans cesse sous les yeux des magistrats, qui
sont obligés d'y conformer leurs jugeniens et leurs déci-
G4 DISCUSSIONS motifs; etc.
sioiis, cl qui doivent par conséquent en avoir une connais-
sance oflicielle, non pas une connaissance présumée.
Il est bon que la loi contienne une disposition relative à
la publication des lois dans les départemens non continen-
taux de la France ; et si la forme de cette publication peut
être regardée comme suffisamment réglée par un arrêté du
gouvernement, ne faut-il pas que le gouvernement soit
d'abord autorisé par la loi à prendre cet arrêté, à faire ce
règlement ?
Nous supposons que les formalités actuelles, établies par
la loi du 12 vendémiaire an IV, c'est-à-dire l'impression,
l'afficbe, l'insertion au bulletin, et l'envoi aux autorités
judiciaires et administratives, ne sont abolies, qu'elles se-
ront conservées dans le fait; mais, de droit , elles ne se-
ront plus nécessaires : car la connaissance présumée va
devenir la condition unique àe. l'exécution des lois; en bonne
foi, cette condition unique peut-elle être suffisante ?
Ajoutez ({ue la circonscription du territoire d'appel de
Paris peut changer, que les autres tribunaux d'appel peu-
vent être transportés d'une ville à l'autre ; et songez à toutes
les variabilités que ces circonstances apporteraient dans
les droits des citoyens.
Il pourrait même arriver que dans certains cas les dis-
tances seraient changées, modifiées, interverties par des
arrêtés, par de simples réglemcns : dès lors, quelle con-
fusion, quelle incertitude !
Le motif (le la nécessité de donner à certaines lois la plus
prompte exécution , la marche la j)lus rapide, ce motif est
juste sans doute; mais heureusement il ne trouve d'appli-
cation que dans des occasions assez rares, comme lorsqu'il
s'y'it de mesures répressives; et, dans ces occasions , (lui
empêcherait d'abréger le délai ordinaire par une disposition
expresse ([u'oi: insérerait dans la loi même?
Le mode proposé nécessiterait des calculs abstraits, bon
delà portée du plus grand nombre, cl trop compliqués
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 65
pour être entendus de tout le monde; et pour cette raison
seule, il ne doit pas être consacré par une loi.
« Le stvle des lois, dit Montesquieu, doit être simple; »
et un peu |>lus loin il ajoute : « Les lois ne doivent point
t être subtiles ; elles sont faites pour des gens de médiocre
c entendement; elles ne sont point un art de logi(jue, mais
«la raison simple d'un père de famille (i). »
Voila bien des inconvéniens sans doute au mode de pu-
blication, ou plutôt au défaut de publication qui vous est
proposé : nous ne douions pas que la discussion n'en fasse
apercevoir encore d'autres, car nous n'avons pu tout dire;
mais nous croyons en avoir dit assez pour démontrer que
cet article, le plus important de ceux du projet de. loi, est
celui quil est le moins possible d'adopter, et doit, lui seul,
en déterminer le rejet.
Art. 2. <• La loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point
• d'effet rétroactif. »
C'est là plutôt lin principe de droit et de morale qu'une
disposition législative; c'est un article à renvoyer au titre
des règles du droit, si l'on juge à propos d'en faire un.
Art. 5. « La loi oblige ceux qui habitent le territoire. .»
La rédaction de cet article nous a paru extrêmement vi^
cieuse. En effet,
i''. Dire seulement, Z^/o/ oh/ige ceux qui habitent le terri-
toire, c'est dire, en d'autres termes, qu'elle n'oblige pas
ceux qtii ne l'habitent point, proposition fausse et démentie
par le second projet de loi qui vous a été présenté, et qui
statue qu'un Français résidant en pays étranger continue
d'être soumis aux lois françaises, relativement à ses droits
civiU et aux biens qu'il possède en France.
2^ Il n'est pas vrai encore que la loi oblige sans excep-
tion ceux qui habitent le territoire, puisque les étrangers re-
vêtus d'un caractère national, ceux qui composent leur
famille et leur suite, ne sont point soumis aux lois civiles
(a) Ejpril de» loi», Ij». «ix, djap. xtL
VI. ;•;
66 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
de la France, quoiqu'ils en habitent le territoire. La ré-
daction de l'article est donc en cela encore inexacte; il
fallait exprimer ou du moins indiquer les exceptions.
Enfin l'article déplacé dans ce projet de loi se reporte
naturellement à celui qui sera relatif aux personnes, et
qui réglera la dislinclion des droits des Français et de ceux
des étrangers.
ap î Art. 4* «■ La forme des actes est réglée par les lois du
•r pays dans lequel ils sont faits ou passés. »
Maxime de droit qui n'a jamais été contestée.
Mais la rédaction pourrait , ce semble , être meilleure.
Que dit à la lettre l'article, tel qu'il est conçu? rien autre
chose, sinon que, dans chaque pays, on suit, pour la
forme des actes, les lois du pays.
Cet article appartient encore au projet de loi relatif aux
étrangers. ' >
ap 5 Art. 5. a Lorsque la loi, à raison des circonstances,
a aura réputé frauduleux certains actes, on ne sera pas
« admis à prouver qu'ils ont été faits sans fraude. »
La loi ne répute pas des actes frauduleux; mais elle les
déclare nuls, parce qu'à raison des circonstances, elle pré-
sume qu'ils ont été faits en fraude. On a mis ici l'esprit de
la loi à la place de sa disposition, ce qui manque d'exac-
titude et de justesse.
La première rédaction de l'article était que, lorsque la lot\
par une présomption de fraude , aura déclaré nuls certains actes y
on ne sera pas admis à prou^( r qu'ils ont été faits sans fraude»
Mais ce qui est étonnant, c'est de trouver dans la pre-
mière loi du Code civil un article <|ui , craprès l'exposé
même des motifs, ne se rapporte qu'au cas particulier d'un
acte fait dans les dix jours (|ui précèdent une l'aillite, acte
qui est déclaré nul par la déclaration du i8 novembre 170'j.
C'est donc un article à renvoyer au Code commercial, an
titre des faillites, ou au (>ode judiciaire, au litre des preuves.
4-« Sur les articles (i et 7, «pii pr(;.scrivent des devoirs aux
DE LA. PUBLICATION DES LOIS. Gj
juges, votre commission observe seulement qu'ils ne sont
pas ici à leur place , el qu'ils tloivent être renvoyés au Code
Judicitiîrc.
Art. 8. « On ne peut déroger, par des conventions par-
ti ticulièrcs , aux lois cjui intéressent Tordre public et les
« bonnes mœurs. »
C'est encore là un axiome de droit, plutôt qu'un article
de loi. Cet axiome paraît traduit du latin : Privatorum pactio
juri publico non dcrogat, 1. 45, ff. de reg, jur. — Jus pabllciim
privatoTuni pactis mutarinon potest, 1. 58, (T. de pactis; mais il
nous semble qu'il est changé dans la traduction. En effet,
les mois jus piiblicumj mis en opposition avec ceux-ci, /?r«-
»'fl/orM//2/?ac^fb, signifient évidemment, non pas le droit public,
mais le droit publiquement vtab1j.yjns publiée stabilitum, owjus
commune, le droit commun; en un mot, les lois. Cela si-
gnifie seulement que les citoyens ne peuvent faire de con-
ventions parliculières contraires au droit général. Aussi
Domat, dans son livre sur les lois civiles, donne-t-il, de
ces deux règles , la traduction exacte et simple en ces ter-
mes : Les dispositions des particuliers ne peuvent empêcher
celles des lois (a).
L'article 8, rédigé comme il Test, manque de précision
et de clarté : aux lois qui intéressent l'ordre public et les
bonnes mœurs! Quelle est celte espèce particulière de
lois ? et qu'est-ce {\\i' intéresser l'ordre public? intéresser
1rs bonnes mœurs?,... Ces expressions peuvent paraître suf-
fisamment intelligibles dans le discours ordinaire; mais
elles ne sont pas assez précises pour entrer dans la rédac-
tion d'une loi.
Il y a plus; d'après la rédaction, on pourra donc être
admis à prouver devant un tribunal que la loi à laquelle la
convention attaquée sera contraire, n'est pas une loi qui
(a) CV»t ce que ronfirment d'autres telles de lois : Quotiet pactuin k JtiE r.ouiiCM reinotum
t*l , ureari kec non oportet. L. 7, ff. De paeti& Pricatorum cauiione LEcratis non ettc rtfragandum
e^ntttltt. L. AT. Ai U;^em Falridiam. — Pacta qiue cdittra i.eces, conslitutionetque, vel bonos moref
$*»t, nuUmm pàm kattre, inilubUiHl jnti, e»t. L. 6, i.iA. Dk pnetU.
5»
08 DISCUSSIONS, JIOTIFS, ClC.
intéresse l'ordre public... ; ou bien, si la convention est
contraire aux bonnes mœurs, qu'elle ue déro-^e du moins
à aucune lui.
En nous résumant, nous avons trouvé que le projet de
loi est, en général, incohérent, mal ordonné, déplacé à
la tête du Codr; civil, et imligne d'y figurer.
Nous avons pensé que le premier article, relatif à la pu-
blication des lois, ne remplit pas son objet, juiisqu'il n'éta-
blit aucun mode de publication ; qu'il serait trop compli-
qué et souvent impraticable ; qu'ih bligerait, dans certains
cas, les niagistrats et les citoyens à l'exécution de lois qui
leur seraient inconnues; qu'il prêterait à des variations
continuelles, soit dans la date de la promulgation, soit
dans la fixation des distances ; qu'enfin , au lieu de cet ar-
ticle insulFisant, une loi unique, mais complète, serait né-
cessaire pour régler le mode de publication des lois.
Il nous a semblé que des sept autres articles, les uns doi-
vent être renvoyés à d'autres projets, et les autres ne sont
que des préceptes, des principes de droit» et non pas des
dispositions législatives, et que plusieurs oi'irent des vices
essentiels de rédaction.
L'avis unanime de votre commission est que le Tribunat
ne peut ado[)ter le projet de loi.
£t je conclus, en son nom, au rejet.
La discussion s'ouvrit de suite , et on entendit dans la
séance du i8 irin)aire les troi-^ prenuères opinions qui sui-
venlj dans celle du jq les quatre suivantes, et dans celle
du 2 1 les quatre dernières.
OPIMON DU TRIliLN CHAZAL,
rOfCTIlK I,K IMIOJKT.
Tribuns, les Romains n'entendaient pas, comme nous,
par (Lodc civil, un recueil particulier de ce cpic nous appe-
DE LA PUULICATION DES LOIS. 69
Ions loi*! civiles, par opposition aux lois niilîtaircs et cri-
iniiieiles de notre pays. Civilis ne signifie pas en lalin ce
qui n*est pas niilit<iire ou criminel : rivills, qui dérive de cl-
vitaSy citis'y signifie rir fa rite; et codex civilis, que n ous tradui-
sons mal, ou ilont nous comprenons mal la traduction par
Code civil , mdcx civilis, veut dire recueil des lois de la cité.
Le Code civil des Romains est le recueil de toutes les lois
de leur cité , et il tient ce que son litre promet. On y trouve
en effet , non-seulement ce que nous nommons lois civiles,
mais encore les lois rurales , les lois militaires, les lois cri-
minelles , les lois de police , les lois administratives , les lois
constitutioniiclles, et toutes les autres lois de cette nation
célèbre; c'est le recueil universel de toute la législation
romaine.
Il était bon , et il convenait sans doute de placer à la
tête de ce grand corps des définitions générales de tous les
droits, sources des lois , de dire les effets conmiuns des
lois diverses qui le composent, et leur communes publi-
cation et application; mais ce qui convenait si bien à la
collection universelle des lois romaines ne convient plus,
vous le sentez, à la collection que nous appelons du même
nom de Code civil avec une autre acception, et qui n'est
que le recueil partiel des lois qui règlent nos rapports de
famille et ceux des citoyens entre eux.
Notre Code civil n'est pas le Code civil des Romains, frhé
l'est pas plus sous le môme nom que notre magistrature,
identicpiement nommée, n'est celle des tribuns de Kome;
c'est autre chose : c'est une partie seulement du Code
civil des Romains, que 'nous avons divisé en plusieurs par-
ties et distribué en autant de Codes.
Le départ des matières commande celui des prémisses;
par cette raison , non par celles alléguées dans l'exposé de
9€s motifs, le Conseil d'État a fait sagement de retrancher
du proiet de loi qui nous est soumis, comme le premier
de notre Code cixil, toutes les définitions étrangères aux
70 DISCUSSIONS , BÎOTIFS , CtC.
matières de ce Code, dont on Tavait surchargé; mais le
Conseil d'État n'aurait pas dû en retrancher en même
temps celles propres aux matières qu'on le destine à re-
cueillir. S'il fallait renvoyer les définitions du droit consti-
tutionnel et des lois constitutionnelles à la constitution,
celles du droit et des lois militaires au Code militaire,
celles du droit criminel et des lois criminelles au Code cri-
minel etc. , notre Code civil devait s'ouvrir par les défini-
tions propres de ce que nous entendons par droit civil et
par lois civiles, définitions d'autant plus nécessaires qu'on
n'entendit pas toujours ailleurs les mêmes choses.
On a pressenti le reproche d'omission que j'énonce ici,
et on a cherché à s'excuser.
On a dit : Rien n'est plus difficile à faire qu'une bonne défi-
nition. Ce n'est pas une raison pour se dispenser de la
donner quand il la faut et qu'on la doit.
On a dit ; Elle appartient ii la science; n'est-ce pas la
science qui en est chargée ? L'orateur du Conseil d'IUat
fait de la modestie lorsqu'il devait payer en lumières , et qu'il
le pouvait si bien; il ne s'agissait que d'expliquer ce qu'on
veut régler, et de rattacher les règles aux principes éternels
de justice et d'équité dont toutes les bonnes règles émanent.
Il manque, sans solide excuse , au projet de loi qui nous
est soumis , comme le premier de notre Code civil , les dé-
fniitions propres et nécessaires que je réclame, et qu'on a
eu tort de supprimer autant qu'on a eu raison de suppri-
mer toutes les autres. Examinons maintenant ce qu'il con-
tient, et voyons si le plus grand nombre de ses articles ne
méritait pas de subir le sort des définitions supprimées,
et si, dans l'état où on nous les offre, il en est un seul à
sa place , et môme bon ù placer ailleurs.
L'article i*^*^ s'cxj)rime en ces termes :
• Los lois sont exécutoire» dans tout le lerritoile fran-
«• çais , en vertu de la promidgation qui en est faite par le
• Premier Consul.
DE LA PUBLICATION DES LOLS. ^1
• Elles scioiit exécutées dans cliaque partie de la répii-
• blique. du moment où la promulgation pourra y être
« connue.
« La promulgation faite par le Premier Consul sera ré-
« pulée connwie dans tout le ressort du tribunal d'appel do
« Paris , treule-six heures après sa date , et dans tout le
• ressort de chacun des autres tribunaux d'appel, après
» l'expiration du même délai, augmenté d'autant de fois
• deux heures qu'il y a de myriamètres entre Paris et la
« ville oii chacun de ces tribunaux a son siège. »
Si l'on considère la nature de cette première disposition ,
on se convaincra qu'elle est absolument inadmissible dans
notre Code civil.
En effet, elle n'e-st pas particulière à ce que nous appe-
lons lois civiles, mais commune à toutes nos autres lois,
dont elle organise la commune promulgation et publica-
tion ; elle n'appartient pas plus à notre Code civil qu'à
notre Code criminel , qu'à notre Code militaire. Organique
et réglementaire de la constitution, c'est au Code des lois
organiques et réglementaires de l'acte constitutionnel
qu'elle appartient exclusivement.
, La même disposition, considérée dans l'état où on nous
l'offre, ne serait admissible nulle part.
Voyez d'abord combien elle est incomplète.
Elle ne dit ni le mode ni les formes de l'acte de pronnd-
gation qu'elle a pour objet d'organiser. On les a détermi-
nées ailleurs ; mais ne devrait-elle pas les réunir ici , puis-
c|ue c'est un Code ou recueil qu'on entreprend?
Elle dit : Que la promulgation faite par le Premier Consul
sera réputée connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de
Paris , trente-six heures après sa date , et dans tout le ressort
de chacun des autres tribunaux d'appel , après Vexjnration du
même délai ^ augmente d'autant de fois deux heures qu'il y a de
myriamètres entre Paris et la ville où chacun de ces tiibunaux a
H>K siège.
72 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
Il y a ici deux lacunes d'une autre espèce; quand la loi
sera-t-elle censée connue dai.sle ressort du tribunal d'appel
de nie de (lorse, et dans les colonies sans tribunaux d'ap-
pel? Complera-t-on pour elles par niyriamètres, et à deux
heures par myrianièlre , plus trente-six?
Ce calcul de deux heures par myrianièlre, plus trenle-
six, exige un toisé omis, et à joindre à la l«»i, de toutes
les dislances de Paris à tous les chefs-lieux des arrondisse-
meni d'appel ; il exige encore l'ordre de mentionner dans
l'acte de promulgation l'heure précise et la minute où cha-
que loi sera promulguée. Le premier magistrat de la France
ne pourra sceller une loi qu'en présence d'une pendule.
JMais les heures courent sans ces'^e , et la loi scellée peut
êlre oubliée et se répudier sur le bureau. La loi, dans ce
cas, arrivera ou sera censée arrivée et connue avant qu'elle
soit partie. La niénic chose aura lieu , sans oubli , lorsque ,
la loi expédiée à 1 instant , les courriers porteurs seront ar-
rêtés ou retardés sur les mers par des tempêtes, sur les
routes par des rivières débordées, des ponts einportés ou
des brigands, et lorsfjuc, dans les temps de troubles, de
guerre el d'invasion , les communications par mer ou avec
un arrondisscnïcnt d'appel seront toul-à-lait interrompues
et coupées.
Le délai pour connaître une loi et lui obéir ne peut
commencer ni de sa date dans l'intérieur d'un palais, ni de
son départ, ni même de son arrivée, mais de sa seule pu-
blication sur les lieux où elle va commander; publication
que Ton a confondue à tort avec la promulgation , qui
irc>t que Tacle antérieur de sceau.
Il i'allail, pour siitisf.iire, pour parera tout, donner <//.r
jours francs, el ce n'était pas trop; dix jours francs à
compter de Taffiche de la lui sur les murs exIi rieurs de
ch<H|ue tribunal criminel, de cha(|ue tribunal d'appel,
suivant r<'spèce de loi, et ordonner que celte ariichc serait
coublaléc par un procès- verbal contracdictoire du préfet
DE LA PUBLICATION DES LOIS. jd
appositeur et du président du tribunal ; le premier publiant
au nom du gouvernement, et le second recevant la pu-
blication au num des gouvernés justiciables de son tri-
bunal.
Les dispositions des articles 2 et 5 du projet qui nous a*tl
occupe, si la dernière est assez mal rédigée, n'ont, ])ar
elles mêmes, aucun inconvénient; mais ces deux disposi-
tions générales , que la loi na point d'effet rétroactif , que la
loi oblige ceux qui habitejit le territoire , ne sont [)as plus que
la première du projet, propres et particulières à notre
Code cjivii. Comme la première, elles sont communes à
tous nos autres Codes faits et à faire ; et , telles qu'on nous
les présente, elles devraient se trouver dans l'acte constitu-
tionnel : elles s'adressent en effet aux législateurs bien plus
qu'aux juges ci\ils; et essentiellement constilulives de
toutes les lois, elles sont par conséquent essentiellement
constitutionnelles. On ne pourrait les tolérer dans notre
Code civil qu'autant qu'on en réduirait la portée, et qu'on
les adapterait et rendrait propres à ce Code par une autre
rédaction ; une rédaction diminutive, telle à peu près que
la suivante :
« Les lois contenues dans ce Co îe ne recevront, comme
« toutes les autres lois, aucun effet rétroactif.
« Et, comme toutes les autres lois, elles obligeront, en
« vertu du droit des gens, les étrangers (|ui habiteront
« notre territoire ainsi et de même que les nationaux. »
De toutes les dispositions contenues dans le projet qui
nous occupe, celles des articles 4? 5 et 8, relatives aux
actes et aux conventions, sont les seules qui, par leur
nature, appartiennent au Code civil; mais leur véritable
place n'est pas à la lête de ce Code; l'ordre, la série des
idées les classent au livre des contrats, sous le titre , dis-
positions générales j où il faut les renvoyer, d'autant plus
que , dans leur état d'imperfection, il serait impossible de
les admettre.
74 DISCUSSIONS , MOTIFS , etc.
3p 3 L'article 4 porte, que la forme des actes est rcglic par les
lois des pays où ils sont faits et passés.
Cet article laisse d*abord à désirer une explication. De
quels pays entendez- vous nous parler ? Est-ce des pays de
la république? La forme des pays de la république, pour
les actes qu'on y passera , sera sans doute une comme elle.
S'il ne s'agit, ainsi qu'on l'expose et qu'on aurait dû l'ex-
primer avec plus de clarté, que des actes passés en pays
étrangers , alors Tarlicle n'est qu'une déclaration , une
reconnaissance formelle du droit des gens, érigée en règle
générale ; mais celte règle générale a , comme toutes les
autres, ses exceptions, dont il fallait l'accompagner, et dont
on n'a pu la séparer sans danger.
Par exemple, de ce que les actes passés en pays étran-
gers ne sont soumis qu'aux formes prescrites par les lois
de ces pays , validez-vous l'acte de mariage qu'un Français
mineur irait faire exprès, sans le consentement de son
père, dans les pays italiques régis par le concile de Trente ,
qui dispense de ce consentement, et anathématise même
quiconque ose l'exiger ?
ap 5 Dans l'article 5, c'est la maxime. elle-même que j'atta-
que : la maxime est que lorsque la loi , à raison des circons-
tances, aura réputé frauduleux certains actes, on ne sera pas
admis à prouver qu'ils ont été faits sans fraude.
La raison , et la justice sur lesquelles il faut fonder les
lois, à peine de les voir crouler, enseignent précisément
tout le contraire; elles enseignent que la présomption doit
toujours céder à la vérité, dont on ne doit jamais refuser la
preuve surtout contre la présomption de fraude c(uc les
plus impérieuses circonstances peuvent seules faire pro-
clamer.
S'il était vrai, ce qui n'est pas, que telle fut l'/npothèse
de la déclaration de 1702 (non de 1711*) ? qui nmulait tons
1rs transports faits dur jours avant une faillite , il fallait la réa-
liser comme exception à la juste règle que j'oppose, et non
DE LA PUHLICATION DKS LOIS. yS
faire de cette exception l'injuste règjle que je combats. On
a voulu rassurer le commerce , rien ne serait plus propre
à l'alarmer que des maximes de cette espèce.
Pour ce*qui est de l'article 8, qui défend les conventions ^
contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs , cet article
devrait défendre encore les conditions semblables apposées
^ujilcgs parles testamens, qui ne sont pas des conventions;
cl Andrieux vous a prouvé que cet article, traduit du latin,
pourrait en être une meilleure traduction (a). Il est le der-
nier du projet. On me pardonnera de l'avoir transposé
pour le discuter au ^^"6, au lieu où la suite des choses le
place, et où la discussion l'appelait.
Il me reste à vous entretenir des articles 6 et 7. 4ots
Ces deux articles, relatifs aux juges, ont pour objet de
leur donner indirectement un caractère nouveau, celui
d'arbitres d'équité dans le silence, l'obscurité ou l'insufii-
sance des lois positives , à la charge de n'en user que sur
des cas particuliers.
C'est le pouvoir qu'avaient à Athènes l'aréopage, et à
Rome le préteur, cjue cumulent encore aujourd'hui cer-
taines cours d'Angleterre , et que cumulaient aussi avec le
droit de règlement toutes nos cours de judicature avant la
révolution.
Je reconnais que ce pouvoir est nécessaire , parce que
la loi , qui se ressent de l'imperfection des hommes qui la
font, n'a pas toujours tout prévu.
Puisque ce pouvoir est nécessaire , il doit exister quelque
part.
Quand nous discutions notre constitution , on proposa
d'altribuer au Sénat conservateur, érigé en jury d'équité,
le jugement des cas que les tribunaux déclareraient n'avoir
pu juger eux-mêmes faute de loi applicable , ou ne pouvoir
juger que contre leur conscience aux termes de la loi.
'») Voici «lie de l'article : • On ne peut déroger par dei couTentioni particulières aui loii qui
• infercoMt l'ordre public et le< bonnei mœurs. «
76 DISCCSSIOKS , MOTIFS , elC.
La propositioM portail que le Séiial conservateur ne ju-
gerait que sur le réféié formel et indispmsJible d'un tribu-
nal, et que ses arrêts d'équité seraient olliciellenient com-
muniqués dans le mois à la législature, auTribfniat et au
gouvernement, afin (|u'ils pourvussent à l'avenir parla loi.
Cette proposilion fut rejetée contre ujon avis. Les arti-
cles G et 7 du proj( t qui nous est soumis la reproduisent
pour les juges. Attribuerez-vous aux juges ce qu'on refusa
d'attribuer au Sénat conservateur? et Tattribuerez-vous
sans frein, sans mesure, sans garantie, sans précaution,
et par une espèce de détour honteux, anti-fiancais, et
indigne de la majesté législative, en disant (jue le juge qui
refusera de juger sous prétexte du silence , de l'obscurité ou de
V insuffisance de la loi , pnuira être poursuivi comme coupable de
déni de justice ; mais qu'il lui est dt fendu de prononcer par voie
de disposition générale et réglementaire ?
Prenez garde que ces paroles enveloppées comprennent,
sous les noms généri(|ues de /o/et déjuge, les deux espèces
de lois civiles et criminelles, et les deux espèces de juges .
civils et criminels. Elles confèrent par consécpient au juge
criminel le pouNoir énorme d'absoudre et de punir arbitrai-
rement.
L'autorité d'adoucir les peines reconnues trop rigou-
reuses par les tribiuiaux, et même de les remettre sur leur
demande (|uan<l elles seraient injustement appliquées; ce
droit limité de faire grâce pour raccom|)lissemenl de la
justice, qui anr.iit été si bien placé entre les mains d*un
2Sénal consci valeur , ne saurait être abandonné, illimité,
cl à discrétion à cent tiibunaux criminels ordinaires, et à
tous ce'ix extraordinaires c|u'on nous a donnés et qu'on
voudri nous donner.
Combien moins peut-on Ictu- abandonner encore, sui-
vant le pM»jel , la punititui arbitraire des citoyens I
Il n'est pas nécessaire de punir quand la loi ne punit
pas. Au criminel^ l'obscurité, le silcucc et l'insuffisance
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 77
de la loi, doivent s'interpréler pour l'accusé et l'affranchir
de la peine.
Au civil, cVst aulre chose. S'il n'est pas nécessaire de
punir, à défaut de loi, il est toiiiours nécessaire de jnj^er
une contestation pendnnte que la loi faite ne torinine pas,
et que la loi à faire ne peut terminer, parce (pi'elle ne
peut avoir ou qu'on ne veut pas lui donner un effet rétroac-
tif. Le pire sérail de laisser subsister la contestation , qu'il
faut étouffer pour la paix entre les citoyens. Tl faut donc,
au civil, recourir nécessairement au jugement d'équité.
Mon opiniun personnelle est bien celle-là ; mais elle
ne serait pas de le commettre aux juges ordinaires. Mon
opinion serait de le remettre à des arbitres nommés par
eux.
Cependant, si l'on insistait pour que les juges le réu-
nissent à l'exemple de Rome , de l'Angleterre et de la France
monarchicjue, je demanderais qu'ils ne pussent jamais le
confondre avec le jugement légal, ce qui aurait les plus
grands inconvéniens.
La séparation si bonne est facile. Je voudrais que les
juges fussent tenus de déclarer d'abord aux parties qu'il
n'y a pas de loi , qu'elle est obscure ou insuilisante , et qu'à
défaut, ils les jugeront d'après l'équité.
Je voudrais que le jugement d'équité ne pût se rendre
que six jours après la signification sans appel et. sans re-
cours de cette déclaration ; car, s'il y avait une loi que les
juges ne connussent pas , ou qu'ils ne voulussent pas con-
naître, il faudrait bien qu'on eût le moyen de les empêcher
de s'en écarter, de les forcer à ra[)piiquer. Dédaignez ces
précautions, les juges ne trouveront jamais de loi claire.
11 est plus commode de juger arbitrairement.
Enfin, je voudrais qu'on décidât .si le jugement d'équité
rendu serait, ou non, soumis comme les autres à l'appel
et au recours, et (|u'il fût toujours suivi d'une proposition
obligée de loi pour faire cesser l'obscurité, ou combler la
-8 Discussions, motifs, olc.
lacune de celle (|ui aurait prortuit comme nécessaire un
tel jugement.
On a dit 7//'/// «••«/> des juives avant qiiil y eût des lois :
cela est vrai ; mais on s'empressa de porter des lois qu'on
imposa pour règles aux juges, afin de se préserver de l'ar-
bitraire des jugcmcns. N'établissons pas que les juges pour-
ront se passer de loi ; et lorsqu'il faudra le souffrir pour un
cas présent, imprévu, que ce soit pour ce seul cas, et ré-
glons à l'instant même les cas semblables futurs. Vous sen-
tez que si les juges pouvaient se passer de loi, on se pas-
serait bientôt de législateurs.
Tribuns, les articles 6 et 7 du projet, tels qu'on vous les
offre, sont absolument inadmissibles en eux-mêmes, et
considérés dans leur nature : vous trouverez qu'ainsi que
les premiers du projet, ces articles si dangereux n'ont en-
core rien de particulier et de propre à notre Code civil ,
dans les préliminaires duquel on est tout surpris de les
rencontrer. Ces articles appartiennent également à tous
nos Codes, et font essentiellement partie des lois organi-
ques ou réglementaires des dispositions de la constitution
relatives aux juges ; ils sont même tout-à-fait additionnels
à la con.slitutiv)n : car nos juges criminels et civils n'existent
constitutionncllnncnt que pour la seule et passive appli-
cation des lois civiles et criminelles.
Qu'il me soit permis, en finissant, d'élever ici , pour ces
deux articles 6 et 7, et pour les premier, second et troisième
du projet, la question que tous les cin([ font iiaiire : la
grande (piestion de savoir si le corps législatif est autorisé
à porter des lois constitutionnelles, et même des lois sim-
plement organiques ou réglementaires de la constitution.
Je sais bien que nous sommes en possession, depuis deux
ans, de faire nos léglemeiis constitutionnels ; mais \v. crois
fermement aussi (|ue c'est un abus qui cric, et qui , tôt ou
lard, sera entendu et cessera : car un abus de ce genre ne
prescrit jamais.
PK LA PUBLICATION DES LOIS. f»(\
La coiislitution csl la règle sacrée du législateur; il ne
peut pas plus y loucher que le juge ne peut toucher à la
loi, qui est la sienne : et de même que celui-ci ne saurait
faire, de l'aveu des auteurs du projet, les lois qui lui man-
quent, ni en développer d'obscures ou d'incomplètes par
des réglemens généraux; de même le législateur ne peut ni
faire des dispositions constitutionnelles, ni faire des régle-
mens généraux constitutionnels^ Si l'un et Fautre avaient
ce pouvoir, il s'ensuivrait que l'un et l'autre seraient maî-
tre de sa règle , car ils pourraient sans cesse la modifier, la
changer et s'en jouer, sous prétexte de l'éclaircir, de la
compléter.
Il est évident que le pouvoir sur la loi ne peut appartenir
qu'au législateur, et le pouvoir sur la constitution qu'à la
magistrature constitutionnaire, au Sénat conservateur.
La distinction, la division du pouvoir constituant et du
pouvoir législatif sont une découverte qui honore la fin du
dix- huitième siècle , et qui est due entièrement à notre na-
tion. Certes! vous ne voulez ni y renoncer, ni violer le
pacte de l'an VIII qui la consacre.
Ainsi, tribuns, quand le projet de loi qui vous est soumis
ne contiendrait que des dispositions propres au Code civil,
quand ces dispositions seraient toutes bonnes, bien à leur
place et bien complètes, vous penseriez qu'il ne vous serait
pas permis encore de l'adopter, attendu que , sur huit ar-
ticles, cinq au moins se trouvent constitutionnels ou ré-
glementaires de la constitution, et excèdent par conséquent
votre pouvoir législatif.
Comment donc l'adopteriez-vous, lorsque les mêmes
arlicles et les trois autres de ce projet dépouillé de ses dé-
finitions projires et nécessaires, se trouvent tout à la fois
ou étrangers à ce Code , ou dé[)lacés à son frontispice, et
qu'ils sont en outre si incomplets et si pleins de vices,
d'imperfections et de dangers ?
Vous ne pouvez que le rejeter.
8o DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
On nous a donné à enirndre qu'il est fàchen\ de rejeter
le premier projet de loi du Oode eivil. Je le sni.»,; mais il
serait bien plus fâcheux de radmellie dans IVlat où vous
le voyez.
Un Code civil n'est pas une de ces lois urgentes et transi-
toires qu'on peut passer avec des dérauts. C est un monu-
ment "i t'Iever pour les siècles. Nous avons le temps, et
notre devoir est de rendre le nôtre dijj[ne du siècle qui vient
de commencer, et de la nation qui rattend. Il ne faut
épargner ni les peines ni les travaux. E\i:eons toute la
perfection dont l'ouvrage est susceptible, et dont ses au-
teurs sont si capables.
Jusqu'ici je n'hésite pas, mon vole est pour le rejet.
OPINION DU TRIBUN DÉMEUNIER,
POUR LE PROJET.
Tribuns , quel que puisse être le mérite du rapport de la
commission , et du discours de l'orateur que vous venez
d'entendre contre \e projet sur la imblivation , les effets et
l'application des lois y ils nous laissent à discuter un grand
nombre de (|uestions générales, qu'on ne paraît pas avoir
jugées digne d'un examen approfondi, et «pie tout néan-
moins invile à discuter avec attention. On sest attaehé aux
détails du projet, et il est à regretter que le rapporteur
n*ait pas eoqiloyé son talent à en exann'ner les bases. Il a
présenté des critiques justes en elles-mêmes, mais <|ui
tiennent peut-être à int système inadmissible , lorsqu'il
«'agit de la rédaction du Code civil, <|ui ne peut être fait
en niasse, qui doit être présenté en détail par l'autorité
chargée de l'initiative de la loi , discuté aussi en détail par
le Tribunat , définitivement ado|)té ou rejeté de la même
manière par le Corps législatif, et daus le(|uel on pourra
ensuite établir luie classification plus ex.u^le.
Dans une matière aussi grave, lorsqu'il est «{uestiou de
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 8l
la première loi du ('.ode civil, ntteiidd avec impaiience
par tous les Français ; lorsque le gouv< rnetnent a chargé
de resfjuisse de ce grand ouvrage des jurisconsultes re-
nommés el juslemeul recommandables. lors«ju'on a con-
sulté le tribunal de cassation et tous les (ribunaux d'appel
de la Républiiiue; lorsqu'on a invoqué les himières de tous
les citoyens; lorsqu'on a mûrement discuté au Conseil
d'Etat ; lors(|ue ei (in, par un exemple qu'il est utile d'en-
courager, ou a publié le résultai de cette discussion; tant
de soins d'une part, en exigent de rt'ciproques de la nôtre.
Sans doute le pouvoir qui nous est délégué est indépendant;
mais il >i 'exerce en public, et il exige de nous un zèle par-
ticulier. Au dessus de toutes les autorités nationales, se
trouve celle du peuple français , qui aujourd'hui ne se laisse
point éblouir, qui juge les résultats,, qu'on ne peut plus
convaincre qu'avec de solides raisons , qui réprouve tout
ce qui est inconvenant , et favorise tout ce qui est juste.
Dès les premières délibérations du Tribunal, vous avez
senti , mes collègues , les dilficultéir particulières que devait
éprouver la formation de la loi sous la constitution de
l'an VllI. Permettez-moi de répéter ce qu'on vous disait
alors, que, dans le cas où vous voteriez le rejet d'un projet
de loi qui ne serait pas adopté par le Corps législatif, il
serait important que le gouvernement, à qui appartient
l'initiative de la l(»i , çonniït si vous en rejeUz les principes,
ou si vous n'en rejetez ({ue les détail;.. Durant les (ifi{\ pre-
mières sessions du Corps législatif , la discussion a Nulfisani-
ment averti quelles étaient vos intentions; mais si les ora-
teurs qui attaqueront le projet actuel , n'eu discutent pas
avec plus d'étendue les bases princij)al€s, ou bien s'ils les
oublient lout-à-fait, il ne si ra pas aisé de s'entendre, et
votre sagesse calculera les .«uiles de celle. omission.
Au mois de nivôse an VIII, vous avez ajourné un projet
d'arrêté qui était ainsi conçu :
VI. 6
8f DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
« Si le Tributiat, admettant le principe et rcnsembU
■ d'un projet de loi, y désire néanmoins soit des modifi-
€ cations de détail, soit des reiranchemens, soit des dis-
« positions supplémentaires, il émet son vœu par la for-
« mule du rejet ; mais rassemblée détermine d'une manière
• précise les modifications, reiranchemens ou additions
« qu'elle désire, et les orateurs chargés d'exposer et de
€ dél'endre devant le Corps législatif les motifs de son vœu,
« sont tenus d'en rendre compte d'une manière formelle. »
Je ne viens pas reproduire ce prujel d'arrêté; il serait
d'une exécution trop diflicile : mais l'esprit en est bon, et
ye pense qu'il doit surtout nous guider dans la discussion
sur le Code civil.
Ces diverses considérations me déterminent à parler
dans une question sur lac|uelle je ne m'étais point pré-
paré : puisque tant d'orateurs inscrits contre le projet
viennent appuyer l'avis unanime de votre commission,
des raisons que d'ailleurs j'aurais jugées plausibles, me
semblent faibles; et si je parais à cette tribune, c'est
moins pour faire adopter le projet, dont, au reste, je vo-
terai l'adoption, que pour le faire discuter aussi longue-
ment qu'il sera possible.
Le projet embrasse des questions générales dont le rap-
porteur n'a pas dit un seul mot ; mes observ.ttions auront
pour but de les iiidir(uer. J'en a"jouterai ensuite quel(iues-
uncs sur les détails, sur les dix erses objections, aussi de
détail, qu'ont faites le rapporteur et le dernier opinant;
et j'aurai occasion d'examiner si plusieurs de ces détails,
que la commission voudrait renvoyer soit à la fui du Code,
soit au (^ode judiciaire, soit au Code de commerce , c'est-
à-dire à deux ou trois ans, ne devraient pas être établis
le plus promptement possible, pour sortir bientôt d'un
état de choses qui, d'après la législation actuelle, a toute
sorte d'inconvéniens.
1. l'arnii b s (juestions générales rpic n'a pas traitées le
DE LA. l'UBLlCAïIOn DES LOIS. 85
rapporteur, et dont cependant la discussion était convc-
uable et même nécessaire, je citerai d'abord riiniformité
d'un délai général, de dix ou quinze jours, pour que la
loi devienne obligatoire. On a fait des objections sans
nombre sur le mode adopté par le projet, sur cette. diffé-
rence d'époques calculée d'après les distances des tribu-
naux d'appel. On n'a pas indiqué l'avis de la commission
touchant la base préliminaire sur ce point. Le Conseil
r
d'Etat a vu des inconvéniens dans un délai uniforme; ses
raisons sont publiques, et, si vous n'êtes pas de cet avis,
ne iugercz-vous pas utile de publier aussi les nôtres? Le
rapporteur a rappelé d'un seul mot (et même, s'il me
permet de le dire, pour commettre une erreur , en ce qui
concerne l'afliche) la loi du 12 vendémiaire an IV, d'a-
près laquelle se fait aujourd'hui la publication des lois.
Pourquoi n'en a-t-il pas examiné le mode ? Il est certaine-
ment défectueux, et les douze articles de cette loi, discutés
avec sévérité, feraient aussi de l'impression.
L'article 1 1 est ainsi conçu : « En conséquence de la pré-
« sente loi, il ne sera plus fait de publication de loi par
« lecture publique, par réimpression ni affiche , ni à son
« de trompe ou de tambour, en aucun département, aux
« frais de la République, si ce n'est lorsque ces formalités
« seront expressément ordonnées par un article de la loi. »
Et (art. 12) : « Les lois et actes du Corps législatif oblige-
« ront, dans l'étendue de chaque département, du jour
«auquel le bulletin officiel où ils seront contenus sera
« distribué au chef-lieu du département. » Cette loi n'or-
donne pas de dresser un procè.s-verbal , ou de consigner
d'une manière authentique le jour de la réception de
chaque bulletin des lois au chef-lieu du département :
rien ne constate l'époque de l'arrivée, et l'on peut dire
qu'elle est plus vague, et, sous tous les rapports, moins
bonne que le projet présenté. La publication de la loi, et,
par conséquent, son exécution, se trouvent aujourd'hui
G.
84 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
à la merci du ministre de la justice; et j'indiquerai plu»
bas les suites d'un pareil ordre de choses. Cette question ,
plus difficile qu'on ne le pense, qu'on a résolue de trois ou
quatre manières depuis le commencement de la révolu-
tion, sur laquelle presque tous les tribunaux d'appel ont
donné leur avis, sur laquelle les premiers rédacteurs du
Code ont eu un avis différent de celui du Conseil d'Etat,
aurait mérité quelques phrases de la part de la commis-
sion. Il est peut-être du devoir des orateurs qui rejettent
ce qui est présenté, d'indiquer le système qui leur paraît
le meilleur. Quant à moi, je suis frappé du danger de tous
les actes frauduleux, et de tous les autres abus que peut
entraîner la fixation d'un délai uniforme, particulièrement
sous la constitution de l'an FUI , qui ne permet la promulgation
que dix jours après le décret du Corps législatif; et malgré
la simplicité de ce système, et la forme singulière sous
laquelle se présente le système du projet , qui, au reste,
serait suivi d'un règlement sur les distances, j'en adopte-
rais le principe.
Plusieurs passages du rapport supposent que la loi peut
être connue de tous les citoyens ; le Conseil d'Etat a pensé
qu'il n'est auoun moyen de donner cette connaissance à
chaque individu, et (pic dans tous les systèmes on sera forcé
de se contenter ici d'une présomption. Le rapport n'a pas
discuté non plus ce point général. 11 a paru désirer la pu-
blication et ralliche «laiis toutes les communes; mais il
était d'autant plus utile de discuter ce système, que l'ai-
fiche dans les communes n'a pas lieu maintenant, ainsi
que vous venez de le voir. Je ne dirai point que l'axiome
théologi({ue , scmpcr creusât ignorantia invincibilis , appli-
cable à ce (|u'on nomme le for intérieur, n'est pas bien
placé dans une discussion sur le Code civil, car il ne se
trouve plus dans l'imprifiié du rapport; mais on y parle
encore, en deux endroits, de Vignorancc invincible; et cet
axiome, en latin ou en franc;ais, prouve trop. N'est-il pa»
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 85
évident, en effet, que, même avec la publication et rafli-
che, dans les communes, un grand nombre de citoyens
pourraient encore faire valoir leur ignorance invincible? La
publication et l'affiche, dans toutes les communes , ne me
paraissent pas nécessaires ; et si Ton pense autrement , il
ne serait pas sans utilité de déduire les motifs de cette
opinion. J'avoue que le rapport a discuté une des bases du
projet , celle qui concerne la transcription des lois sur les
registres des tribunaux : il a donné des raisons fortes contre
le système du Conseil d'État et du gouvernement , qui n'ont
pas été d'avis' de cette trai^cription ; et voulant moins
combattre le rapporteur qu'appeler de nouvelles lumières
sur cette question et sur toutes les autres, je présenterai
aussi mon opinion. En principe, la loi a toute sa force,
elle est, par conséquent, exécutoire, sans l'intervention
des tribunaux. C'est moins le souvenir de l'usurpation des
parlemens , et de quelques tribunaux de l'ancien régime,
que la nature même des pouvoirs, qui doit écarter la trans-
cription sur les registres des autorités judiciaires, laquelle,
au surplus, n'a point lieu dans le mode actuel : car la loi
du 12 vendémiaire an IV, qui charge le ministre de la jus-
tice d'envoyer le bulletin des lois aux présidens des tribu-
naux et aux juges-de-paix , ne parle en aucune manière
de leur transcription. On peut même dire qu'elle n'a eu
lieu que peu de mois depuis 1789; car, si la première loi
sur cette matière, celle du 16 août 1790, ordonna cette
transcription, bientôt après, la constitution de 1791 n'or-
donna plus que de consigne?- les lois dans les registres des tri-
bunaux, c'est-à-dire d'y réunir des exemplaires imprimés
et authentiques de la loi. Dans le mode projeté, cela se
ferait encore, et les tribunaux continueraient à recevoir le
bulletin.
Le projet de loi établit les juges en certains cas ministres
(l'équité. Ils pourront être poursuivis comme coupables de
déni de justice , s'ils refusent de juger sous prétexte du
80 niscussioffi , motifs , elc
silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi (art. 6).
C'est un nouveau système qui sup[)rime tous les référés ,
(|ui fixe un point contesté, qui, à mon avis, réforme un
abus que les événcmens de la révolution ont fort augmenté,
qui rend aux tribunaux le caractère qui leur est propre, et
qu'ils n'auraient jamais dû perdre. Ce système, sur lequel
les tribunaux d'appel de Montpellier, de Lyon et de Rouen
ont fait des observations d'un grand poids, mérite d'être
discuté au Tribunat. S'il est bon , ne faut-il pas l'établir
tout de suite Pet lorsque, sans l'examiner, on s'est con-
tenté de dire qu'il faut le renvoyer au Code judiciaire,
dans cette opinion même , ne devait-on pas dire nettement
si on l'adopte, ou si on le rejette?
La solution de ce point, qui n'a pas été entamée, faisait
tomber plusieurs objections de détail, qui se sont accu-
iiiulécs dans le rapport. En effet, si vous voulez que les
juges soient des ministres d"é(|uité , dans le sens du projet,
ne faut-il j)as établir des principes généraux, ou des maximes
imivcrsellcs, auxquelles ils puissent , par des conséquences
rigoureuses, ou des inductions moins évidentes, raltacber
les cas particuliers?
On nous a dit que le projet qui vous est soumis n'est pas
une introducfion digne du Code civil. Avant d'indiquer les
questions générales qu'il convient d'examiner ici, je re-
marquerai qu'il est peu étendu, qu'il n'a rien d'imposant,
mais que, lorsfjuc le Code sera terminé, avant de numé-
roter les articles dans une seule et même série , on pourra
y ajouter d'autres dispositions générales; et, afin de ré-
pondre à l'objection dans les deux sens, placer quelques
articles, et même, si Ton veut, tous les articles, dans les
portions du Code civil ou du Code judiciaire qu'on leur
assigne. Pour venir maintenant aux questions générales ,
le tribunal d'appel de Koucn ne voudrait ni introduction,
ni livre du droit et des lois : ce n'est donc pas une cliosesi
»inq)le de dire en peu de mois que le projet n'est pas une
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 87
introduction digne du Code civil , car avant tout il faut con-
venir de la nécessité de donner au Code civil une intro-
duction imposante.
Dans le système du rapport, il ne peut s'agir que des
dispositions générales, législatives; mais on ne nous a
point dit l'étendue qu'on voudrait leur donner, quels
objets elles doivent comprendre. Le premier projet de Code
qui nous a été distribué contenait un livre préliminaire
du droit et des lois, en *frente-ueuf articles ; on y trouvait
des définitions générales du droit, et la division des lois
qu'on a retranchées. Sont-ce ces définitions générales et
ces divisions que regrette la commission ? C'est une autre
question sur laquelle on ne nous a rien dit. L'exposé des
motifs a justifié ce retranchement. A mon avis, il a dit avec
justesse que ces objets sont la part de la science et non de
la législation. Quelques personnes ne le pensent pas ainsi.
Je suppose que le projet de loi soit rejeté au Corps légis-
latif; si l'on ne discute point cette question au Tribunat,
comment le gouvernement pourra-l^l connaître notre
opinion , se rendre à nos raisons, ou les combattre, si on
ne les donne pas? Plusieurs tribunaux d'appel ont été
d'avis de ce retranchement, et ont motivé leur opinion.
Cette circonstance n'ajoutera-t-elle pas au petit embarras
qui résulterait de notre silence?
La commission voudrait-elle que le projet de Code fût,
comme les institutes de Justinien , réduit aux principes gé-
néraux du droit, et que le développement et les détails
se trouvassent dans des lois particulières, à peu près
comme ils le sont dans le Code et le digeste du droit ro-
main? Ce système me semblerait mauvais; mais, d'après
les objections qu'on a faites, il serait à désirer que cette
question n'eût pas été oubliée dans le premier rapport sur
le projet de Code civil français.
Enfin, c'est encore une question générale de savoir si ce
qui concerne la publication des lois doit former une loi
88 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
particulière. Le luppori V^ dit sans le prouver, el il est à
* suiihaitLT aussi que cet objet ne soit pas omis dans la dis-
cussion
H. Je passe aux détails, et d'abord permettez-moi , tri-
buns, d'ap,.eler votre attention sur celte question bien
fliniple : si le projet contient, pour le présent, des dispo-
sitions très-utiles, iaut-il diuic les renvoyer à la fui du
Cniie? car vous savez que chacune de ses parties sera pro-
muliiuce ^ans att«-ndre les autres.*
Voici une pnniière observation qui paraît incontestable.
Un Ctide cixil n'est pas un ouvrage de littérature. Feut-on
csp^'rrr séiieusenjent que la rédaction et la classifiraiion
des aili<les ne laisseront rien à désirer? Ne disputcrait-on
pas des années entières sur l'exactitude plus ou moins
ripoine ise de la rl.issification , et s.ir la perfection plus ou
moins f;rande du style? Faut-il le dire (en demandant
toutelois qu'on dj>nue h < ette remarcpie son véritable sens)?
la noblesse, l'éléfianje et la précision du style sont bien
déMiraldcs dans lesUpis ; ellrs conviendraient à la grandeur
et .ui\ lumièri s du peuple français : mais il ne faut pas
meiirc tr«» . dr prix à c-et avantage, et l'on ne d )it com[)ter
que sur les gi.nids écrivains pour cette partie de la gloire
n.itionatc. (hu> les lois soient bonnes , même avec ({uelques
xices df re«'a«tion. voilà tout ce cpie deiu.in e le peuple
fiançais. Plusieurs nations ont trouvé le bonht ur dans des
loi.< ft.it;t'>. quoique assez mal rédigées; el puisse la France
en .noir di'Sorfuais de bonnes, dussent-elles être rédJgées
imparfaitemeiii 1 ^i l'on nous présente des sysitm s de lé-
gislation vicieox en ri:x-m' mes , si des articles d'une loi
particulière bitviseni la justice ou l'intérêt des citoyei.s et
des habilans dr la Franre, s'ils tendent à l'usurpation de
la part de Ton des pouvoirs publics, il faut les attaq\ier
avec courage, el les rej» 1er im| itoyahlement ; mais s ils
Soiil justes et ulilrs, «xaiiiinrz. tribuns, si nous devons
être d'une «éverilé ouibrageusc bur quelques détails de
D£ LA PUBLICATION UE9 LOIS. 89
rédaction, et attendre un degré de perfection qui est trop
dillicile, surloiU dans un ordre de choses où le Code civil
doil élre rédigé et discuté pièce à pièce, si je puis me servir
de celte expression, par plusieurs corps Irès-noinbreux.
Lors(|u\)n examine chacun des articles de la loi , on n'est
point frappé de la majeure partie des objections du rappor-
teur. J'ai déjà indiqué les deux questions générales que
contient Tarticle premier; celle du délai uniforme pour
rendre le délai obligatoire, et celle de la transcription sur
les registres des tribunaux. Quelque système que Ton puisse
adopter, j'ai dit que jamais la loi ne sera connue de tous
les citoyens, ou habitans de la France : j'ajouterai ici que
l'argument tiré de V ignorance Invincible se rétorque contre
le système actuel de la publication, et contre tout autre
qu'on pourrait présenter. Et ces objections de détail qu'on
nous a faites sur la nécessité de dater désormais l'heure
des actes et des enregistremens, sont-elles justes? si elles
le sont, ne le sont-elles pas aussi à l'égard du système ac-
tuel et de tous les autres systèfpes? N'est- il pas évident que
la date de promulgation par le Premier Consul sera celle
du jour et non de l'Iieure où il la signera ? Celte difféience
entre l'époque 01^ la loi sera obligatoire à Auxerre, éloigné
de Paris de quarante lieues anciennes , et Rouen , qui n'est
éloigné de Paris que de vingt huit, est exacte ; mais dans
le système d'un délai uniforme, cette différence ne sera-
t-elle pas bien plus choquante et bien plus dangereuse,
puisque la loi ne serait obligatoire à Paris que vingt-cinq
jours après qu'elle y serait connue, et qu'elle le serait sou-
vent dans les Pyrénées, le jour même où les citoyens en
entendraient parler pour la première fois ? Aime-t-on mieux
le système actuel, qui présenterait encore une bien autre
différence, si le ministre de la justice avait de la négli-
gence ou de la mauvaise volonté , ou même si le bulletin
des lois , destiné à Kouen , par exemple, était oublié dans
ses bureaux? Cet article premier suppose un règlement qui
90 Discussions, hOTiFs, etc.
déternn'nc la distance des lieux où siègent les tribunaux
<rap})cl; c'est ce qu'on parait craindre : mais est-il rien de
plus n'j^lcmenlaire que celte détermination? Quel danger
aurait-elle . et est-il possible de croire que jamais le gouver-
nement se permelte d'en abuser? Au reste, l'article pre-
mier est susceptible d'une objection qui n'a pas été faite.
C'est du siège du gouvernement , qui peut changer, qu'on
doit compter le point de départ, et il eût été préférable de
le dire, au lieu d'employer le mot Paris. Mais une telle
rectification pourrait avoir lieu au besoin, et cette faute
seule ne serait pas un motif de rejet.
Sur l'article 2, qui établit qvie la loi n'a point d'effet
rétroactif, on nous dit, c'est un principe de droit , c'est
une règle du législateur : soit ; mais ce [jrincipe a été bien
oublié : je désire que, pour l'exemple, et en réparation de
nos écarts, il prenne le caractère de loi , et qu'il se trouve
dans le Code. Les tribunaux ont assez long-temps appliqué
des lois rétroactives; et je souhaite qu'ils soient affranchis
le plus tôt possible de lapénJlMe inquiétude d'en voir publier
de nouvelles, ou d'avoir peut-être à juger encore contre ce
principe de droit et contre cette règle de législation.
J'iii trouvé, je l'avoue, minutieuse et inexacte la criti-
que de l'article 3, qui est ainsi conçu : « La loi oblige ceux
« qui habitent le territoire. « On a dit : elle n'oblige donc
pas ceux cpii n'habitent point le territoire ? Non. Cette dis-
position seule ne les obligerait pas; mais les Français que
la loi oblige hors du territoire seront assujétis par une
disposition particulière du Code. On a dit encore : cette
disposition est f.iusse, puis(|u'elle n'oblige pas les ministres
et les ambassadeurs des puissances étrangères qui habitent
le territoire. Mais n'y a-t-il donc pas , dans tous les Codes
du monde, et dans toutes les lois que pourront rédiger les
peuples par la suite, n'y aura-t-il donc pas des dispositions
générales déta(;hées des exceptions, ou des additions à la
r^gle commune ?
DE LA PUBLICATION DtS LOIS. 9I
Sur Part. 4 q"i s^exprime en ces termes : « La forme des ap- 5
« acles est réglée par les lois du pays dans lequel ils sont
• faits ou passés; » on a dit d'abord , c'est une maxime de
droit qui nVst pas contestée. On va voir que, d'après les
dispositions du second projet, il est nécessaire de la con-
vertir en loi. On a dit ensuite, la rédaction en est bien vi-
cieuse. Oui, si vous ne voulez tenir aucun compte des ar-
ticles numérotés 17 et 19 du second projet : ceux-ci éta-
blissent « qu'un étranger, s'il est trouvé en France, pourra
• être traduit devant les tribunaux de France, pour les
« obligations par lui contractées en pays étranger envers
« des Français, et réciproquement, qu'un Français pourra
t être traduit devant un tribunal de France pour des obli-
« galions par lui contractées en pays étranger, même avec
» un étranger. » Il faut bien que le Code détermine la na-
ture des preuves dans ces deux cas. D'après l'article du
projet que nous examinons, les tribunaux français admet-
tront les actes rédigés en Angleterre ou en Russie, par exem-
ple , s'ils le sont dans la forme réglée par la loi de celui des
deux pays où ils auront été faits et passés. Cette explication
fait tomber la critique qu'il a essuyée, et lui donne un peu
plus de sens qu'on ne lui en suppose. Si on avait présenté
ici le développement qui se trouvera ensuite , vous auriez
pu demander pourquoi ce développement n'est pas mieux
classé. 11 est du moins permis de le penser, car cet article
ne vous paraît pas à sa place , et vous la lui assignez au titre
des personnes. Ne serait-il pas juste de parler un peu moins
de la classification, qui ne peut être arrêtée maintenant?
Si la disposition est bonne, adoptez-la bientôt; car si }e
second projet devient une loi, il ne doit pas l'attendre long-
temps : quand le Code sera terminé, on la placera mieux.
Telle est, depuis 1789, la méthode qu'a établie la force des
choses, et si l'on s'en écarte, sera-t-il aisé d'achever le
Code civil?
La criti({ue qu'on a faite de l'article 5 ne me paraît pas ap.s
(yi DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
plus solide. Voici Tarticle : « Lorsque la loi, à raison des
n circonstances, aura réputé frauduleux certains actes,
a on ne sera pas admis à prouver qu'ils ont été faits sans
« fraude. •
Ce qui est étonnant, ajoute le rapport, « c'est de trouver
fl dans la première loi du Code civil un article qui, d'après
n l'exposé même des motifs , ne se rapporte qu'au cas par-
t ticulier d'un acte fait dans les dix jours qui précèdent la
«faillite; acte qui est déclaré nul par la déclaration du
« 18 novembre 1702. » L'exposé des motifs n'a fait que don-
ner un exemple ; et assurément ce n'est pas le seul cas que
comprenne l'article. La disposition qu'il contient est beau-
coup plus étendue qu'on ne l'a dit. Non, ce n'est pas un
article à renvoyer au Code de commerce , titre àts, faillites y
ou au Code judiciaire, titre Aes preuves; c'est une grande
et vaste règle de droit, applicable à une inGnité de cir-
constances , et il y a lieu de la croire nécessaire à l'action
journalière des tribunaux. J'omets sur cet article une autre
critique bien légère. La loi, a-t-on dit, ne réputé pas des
actes frauduleux, elle les déclare nuls. Je ne sais par quelle
autorité on veut faire que ce qui est n'existe pas. Cent lois,
dans nos Codes et dans tous les autres, ont dit que des
actes faits dans de certaines circonstances seraient réputés
frauduleux. La conséquence, sans doute , est qu'ils sont
nuls; mais il est impossible de comprendre cette objection
sous le rapport de la grammaire, ni lorsqu'on l'examine
d'après les axiomes des jurisconsultes. Je laisse à d'autres
le soin de répondre au préopinant, qui attaque le fond de
l'article, et qui prétend qu'aucune loi ne doit réputcr des
actes frauduleux.
Sur les articles 6 et 7, qui établissent en certains cas les
juges ministres dV*(|uilé, et qui leur prescrivent des de-
voirs, 0 votre commission , dit le rapporteur, observe seu-
• Icniciit qu'ils ne sont pas à leur place, et cju'ils doivent
• êlrc renvoyés au Code judiciaire. « J'ai déjà discuté ce
DE LA PUBLICATION DES LOIS. (JO
qui regarde cette classification, qui n'est que provisoire,
et dont on a peut-être beaucoup trop parlé : je n'ajouterai
qu'un mot. On semble donc convenir que les juges doivent
être, en certains cas, des ministres d'équité, et cet aveu
détruit un grand nombre d'objections qu'a faites la com-
mission elle-même contre le projet. Si Ton trouve bon ce
système, dont j'ai indiqué plus haut les avantages, il est
difficile de comprendre pourquoi l'on veut renvoyer cette
amélioration à une époque reculée. Avant de terminer ce
qui regarde cet article, je dois, en réponse au préopinant,
observer ici que l'article 6 n'a aucun rapport aux juges cri-
minels, et qu'il est de principe que les tribunaux criminels
ne peuvent prononcer de peines dans l'absence de la loi.
Enfm , les objections du rapport contre l'article 8 n'of-
frent-elles pas de contradiction ? Il est ainsi conçu : « On
« ne peut déroger par des conventions particulières aux
« lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs, n
Cette rédaction , nous a dit le rapporteur, manque de pré-
cision et de clarté : qu'est-ce qu'intéresser l'ordre public et les
bonnes mœurs? Les tribunaux le diront en public et dans un
jugement motivé; et le tribunal de cassation, régulateur
suprême en celte matière , maintiendra ou annuUera leurs
jugemens. « Ces expressions, a-t-on ajouté, ne sont pas
« assez précises pour entrer dans la rédaction d'une loi. »
Le rapporteur sera embarrassé de dire, après cette critique,
pourquoi il cite lui-même , à cette occasion , la loi romaine ,
liv. 6 du Code de pactis, qui s'exprime ainsi : « Pacta quœ
« contra leges constitutionesque , vel bonos mores fiant, nullam
« vim habere indubitati jarif est. » Il est donc constant que
cette disposition a fait la matière d'une loi romaine, et le
rapporteur indique lui-même cette loi.
Je ne veux point faire le tableau de notre législation ci-
vile actuelle : que tant de fautes et de mauvaises lois soient
ensevelies à jamais dans un profond , dans un éternel oubli I
Mais je crains ce qui pourrait entraver ou éloigner la ré-
(j4 Discussions , MOTIFS , ctc.
forme du Code. Notre devoir est de combattre les projets
qui nous sembleront défectueux, mais discutons-les avec
soin; examinons toujours les bases avant les détails. En
rejetant uiie disposition, que chacun de nous indique la
disposition qu'il voudrait y substituer ; c'est la seule ma-
nière elDcace d'éclairer l'opinion, et d'avertir le gouver-
nement. Si j'ose le répéter, ne comptons pas sur une per-
fection à la(jueile les hommes ne peuvent atteindre en ma-
tière de législation , et dans l'espérance du mieux, ne lais-
sons pas échapper le bien qui nous est oflert. Je vous prie,
tribuns, de rendre justice à la pureté de mes intentions: je
n'ai pas balancé à remplrr un devoir pénible; je n'ai pas
craint de présenter des observations rédigées à la bâte, et
trop ini|)arfaites pour être résumées,
Quoicjue le projet qui vous est soumis laisse beaucoup à
désirer, il peut s'améliorer avant la fin du Code, et j'en
adopte les principes. C'est contre le mode de publication
déterminé par le premier article qu'on a fait le plus d'ob-
jections. Tel qu'il est, mais avec le règlement qui doit l'ac-
couipagner, et qui n'excède pas les pouvoirs du gouverne-
ment, je l'aime autant, je le préfère de beaucoup à un
délai uniforme de dix ou quinze jours après la promulga-
tion. On s'est mépris sur des dispositions (ju'on a regardées
comme insignifiantes; les critiques sur la rédaction me
paraissent légères; aucune des objections qu'on a faites
sur la classification des articles ne me semble grave : ce
projet contient des dispositions utiles et sages que je désire
de voir établir promptemeiit , et dans l'état actuel de la
discussion, j'en vote l'adoption. .
OPirfIO?f DU TRIBUN LUDOT ,
POUR LE PROJET.
Tribuns, tout législateur appelé à réformer les lois de
son pays consultera avec soin les ciiangemcns opérés dans
Dli LA PUBLICATION DKS LOIS. qS
l'esprit , les mœurs , les usagées de ses iiabitaiis; il n'oubliera
pas les circoiislaiices dans lesquelles il se trouve placé, et
la nature du gouvcrneuient établi; eulîn, également en
garde contre les innovations dangereuses et les abus con-
sacrés par les préjugés ou de longues liabitudes , il ne vou-
dra de résultats que ceux avoués par l'expérience ou la
raison.
Tel a, ce me semble, été le plan des rédacteurs du Code
civil, plan qu'ils ont exécuté en très-grande partie.
Pour remplir ce but, les rédacteurs n'ont pas dédaigné
de recourir aux lois romaines, à notre ancien droit, et à
des projets de Code présentés, il y a quelques années, par
des jurisconsultes habiles.
Mais ils ont senti qu'il ne fallait pas s'asservir de trop
près à des méthodes reçues.
La nature des choses ne le permettait pas. Ils ne pou-
vaient douter que l'état de guerre dans lequel gémissait
encore la France quand ils entreprirent leur travail, cesse--
rait bientôt; qu'ainsi il fallait placer à la tête de leur ou-
vrage quelques dispositions fondées sur notre état politi-
(jue, et nos rapports commerciaux avec les peuples qui
nous environnent.
Convaincus, d'ailleurs, par l'expérience de l'impossibi-
lité d'appliquer littéralement les lois en administration
comme en malière de justice distributive, ils ont cherché à
prévenir toute exécution impraticable ou arbitraire : ils ont
en conséquence posé des principes généraux sur la néces-
sité, la manière de faire cette application.
Le droit des peuples anciens et modernes leur servait à
cet égard de modèle.
Les tribunaux français ont applaudi au travail des com-
missaires.
Le gouvernement paraît en avoir adopté les bases.
Un mérite particulier de ce travail consiste dans la préci-
sion des idées.
^6 DI^CUSSI0?I5 , MOTIFS, CtC.
Le gouvernement semble vouloir imprimer à la législa-^
tioii un caractère encore plus précis.
('/est Hu moins ce qu'on peut présumer du premier pro-
jet de loi soumis à la discussion.
Voyon*i si ce projrt merile la critiqur qu'on en a faite.
Dans un état où lis lois se multiplient» et dont l'exécution
devient par là même emharrassanlc , un des premiers soins
du législateur doit être de facilite cette exécution.
Il faut que la loi, pour devenir réellement obligatoire,
soit réputée connue de tous ceux qu'elb obli!;e.
C'est un principe de droit positif que la ijeule raison in-
voquerait, s'il n'était établi (a).
La difficulté consiste dans le moyen de régulariser celte
exécution, ou, si Ton veut, de transmettre aux adminis-
trés la connaissance de la loi, et de tixer l'instant où elle
lie les citoyens.
Il est inutile de rappeler ce qui se pratiquait ancienne-
ment à ce sujet. Les anciennes cours judiciai es. qui avaient
la prétention de participer à la formation de la loi, délibé-
raient avant de l'enregistrer. Elles nexistent plus, et les
tribunaux qui se permettraient aujourd*bui d'arrêter ou de
suspendre l'exécution de la loi, se rendraient coupables
de forfaiture.
Depuis la révolution , on a imaginé plusieurs modes de
publication des lois.
Deux seulement ont été mis à exécution.
L^assemblée constiuianle, qui.établit le premier, voulut
que les loin émanées d'elle fuH>ent adressées aux autorités
administratives et judiciaires; qu'elles fusKcnl connignées
dans leurs registres, lues, publiées et allicbécs dans leurs
déparU'mens et ressorts respectifs.
La mebure était toute poiiti<{ue.
ijt) Leiff HcraiiMim* qur cMimin^uni huminum *iiat, inleili|p ab omnibua dabeni, ul unireni,
imrMTtpiu raruin maïufattitia oogaito , Tcl iokibiU 4ccliiiaul , t«1 parmiaai iMtaolur. C»éuit lik. I.
I. l4. ^« l*ftkm».
Dli L\ PUBLICATION DES LOIS. g*f
La Convention donna quelque chose à l'économie.
Elle substitua au premier mode, abusif sous plus d'un
rapport, celui deTenvoi d'un bulletin des lois, et supprima»
leur publication par lecture publique , réimpression et
alliche.
Quelques lois seulement conservèrent leur première
forme de publication ; mais l'exception ne fut réservée qu'à
un petit nombre, et une disposition expresse de toute loi
de ce genre dut en contenir la mention.
Ainsi la règle fut générale.
Mais ce qu'il est essentiel d'observer, c'est que la loi du
12 vendémiaire an IV, qui prescrit ce mode, et les divers
systèmes tjui tendent à le remplacer, n'ont d'autre but que
d'assigner l'époque où les lois deviendront obligatoires
pour les administrés, et susceptibles d'être appliquées par
les administrations et par les tribunaux; encore cette loi
ne l'a-t-elle pas atteint, comme on va le voir.
L'article 12 rend obligatoires, pour les administrés, les
lois et actes du Corps législatif, dans l'étendue de chaque
déparlement, du jour auquel le bulletin ofûciel où ils sont
contenus est distribué au chef-lieu du département.
Les administrateurs peuvent, sans contredit, lire dans
cette disposition la règle qu'ils ont à suivre pour exécuter
la loi.
Il n'en est pas ainsi des juges : car, si les lois leur sont
adressées ainsi qu'aux administrations, rien ne les oblige
à en faire l'application aux contestations qui leur sont sou-
mises . avant que ces lois aient été présentées à l'audience ,
ou seulement après qu'il y en a été fait mention.
Mais les administrés ! qu'on m'apprenne comment cette
loi leur fait connaître , soit la disposition des lois en géné-
ral, soit l'instant où cette disposition les lie , puisque l'envoi
en est secret, et que le registre où l'arrivée de chaque loi
est certifiée reste déposé aux archives de l'administration.
Quelle est surtout leur perplexité, s'ils ont à requérir ou
VI. 7
g8 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC
à craindre l'application de ces lois sous le rapport judi-
ciaire, puisque les juges eux-mêmes né connaissent pas
d'une manière précise leurs obligations!
L'abus est effrayant, car il prend sa source dans les pre-
miers tribunaux, et s'éteiul jusqu'au tribunal de cassation.
Que résultc-t-il de là princi[)alemenl? c'est que la loi du
12 vendémiaire an IV a manqué son but, comme je viens
de l'observer, en laissant ignorer aux administrés l'instant
où la loi arrive au chef-lieu de département, et par consé-
quent les lie en laissant les juges libres d'appliquer ou de
ne pas appliquer telle loi, même lors(|u'elle leur est connue
par renregistremcnl au chef-lieu du département, si elle
ne leur a pas été présentée à l'audience ! de sorte que cette
loi, obligatoire pour eux comme citoyens, ne l'est pas
comme juges.
Qu'en résullc-t-il encore? c'est qu'évidemment la Con-
vention n'a pas entendu que ce mode fût pour les adminis-
trés un moyen de connaître les dispositions des lois.
Ne serait-il pas étrange, en effet, qu'elle eût dit aux ci-
toyens : Vous serez liés par les lois aussitôt leur publica-
tion, parce qu'elle vous fera connaître leurs dispositions;
et que néanmoins, [)ar un correctif, elle se fût réservé le
droit de donner à cette publication l'apparence du mystère ?
Une telle intention dans la publication des lois u'eût-
elle pas rappelé celle de cet empereur rouiain , (jui, pour
multiplier les infracteurs de ses édits, les faisait alfîcher,
en caractères illisibles, sur des poteaux fort élevés dans la
place publique?
Voilà pourtant le mode de publication que la commission
regrette et préfère au nouveau (|u'on propose, en atta-
chant de plus au premierl'iiiée (fu'il inculque aux citoyens
la notion de Icure devoirs.
Ne nous le dissimulons pas, la Convention ^ (]ui sentait
que, d'après la division du (îorps législatif en deux con-
«oil», la discussion des lois serait en général plus lente,
HE L\ PUBLICATION DKS LOIS. 99
plus approfondie, plus solennelle qu'auparavant, avait
bien priWu que la publication des débats du Corps législatif
serait , plus que tout autre, propre à transmettre aux Fran-
çais la connaissance des lois de la République.
On conçoit d'ailleurs, dans cette hypothèse, que la con-
naissance des lois est encore plus facile à acquérir d'après
le mode actuel de leur formation ainsi que de leur promul-
gation , puisque celle ci ne doit être faite aujourd'hui que
le dixième jour après la loi rendue; tandis qu'anciennement
cette promulgation entraînait tout au plus un délai de deux
jours. Aussi ceux qui désirent un autre mode de publica-
tion des lois que celui prescrit par la loi du 12 vendémiaire
an IV raisonnent dans le même sens; puisque, par l'effet
de chacun de ces modes , l'envoi aux autorités administra-
tives et judiciaires n'en restera pas moins secret.
Il reste donc à peu près avoué par tout le monde que la
publication des lois n'a d'autre objet que d'avertir les ci-
toyens de l'instant où elles deviennent obligatoires pour eux.
Ce point de fait établi , convenait-il de substituer au
mode actuel de publication des lois, évidemment vicieux,
un autre mode de publication uniforme en quelque sorte,
et tel, que toute loi, d'après un délai révolu depuis sa pro-
mulgation , devînt obligatoire au même instant pour tous
les Français?
Ce mode n'eût pas été sans avantage; il eût offert le
spectacle imposant d'une exécution simultanée de la loi
dans toutes les parties de la France ; mais la réflexion y fit
remarquer plusieurs inconvéniens qui le firent écarter.
Il est de fait (|u'il s'écoule assez ordinairement près de
vingt jours entre la proposition d'une loi un peu impor-
tante et son adoption.
Si l'on eût accueilli la proposition ci-dessus énoncée , il
eût fallu environ quinze jours encore avant que la loi fût
susceptible d'exécution.
Ainsi l'on eût langui plus d'un mois dans l'attente d'une
7»
100 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
loi, tandis (juc l'util ili^ publique eut appelé beaucoup plus
toi sou effet.
lie mal eiM été fAclieux en mati^^c civile . et plus f^tcheux
encore ru matière criminelle ou de police.
C'eût ét«^ contredirt' le principe de Texistence de toute
loi , qui veut qu'on en fasse jouir la société aussitôt que
ses dispositions sont dans le cas d'être connues.
En un mot, on eut pu craindre que, sous le prétexte
de discuter des questions politiques ou de droit, l'impru-
dence ou rintrigjue n'eussent attaqué les lois dans Tinter-
valle de leur adoption à celui de leur publication , et qu'il
ne se fût élevé hors du Tribunal une discussion dont l'effet
inévitable eût été d'ôter aux lois cette considération, ce
respect qui doivent les environner.
N'avez- vous pas vu récemment la différence des opinions
sur un principe de droit public inhérent à la nature du
gouvernement , et reconnu jiar la presque totalité des pre-
miers tribunaux de France, exciter néanmoins des débats
polémi(|ues , cl mettre la raison aux prises avec la cons-
cience '.'
On A donc cru devoir se fixer sur le mode de publication
consigné dans le projet de loi qu'on discute.
On ne peut contester qu'il a l'avantage de faire jouir de
la loi, sans retard, les administrés; de la rendre respec-
tivement obligatoire pour eux et pour les agens d'exécution
au même instant; de ne laisser auciin prétexte à l'igno-
rance sur le moment précis où cette obligation sera im-
posée, et de prévenir l'abus retracé plus haut à l'égard des
juges et des justiciables.
Kien n'annonce d'ailleurs que le Bulletin des lois sera
supprimé, ou qur. h; gouvernement négligera d'instruire
les administrations et les tribunaux de leurs devoirs.
Cette dernière présomption surtout est inadmissible.
La marche du législateur, alori* conforme à celle de la
nature. Test aussi aux usages de tous les temps et de tous
DE 1,A PUBLICATION DES LOIS. 10 1-
les pays, quand les hommes ont voulu communiquer entre
eux.
Serait-il vrai, néanmoins, qu'il en résultât de graves
iuconvéuiens, comme on a prétendu l'insinuer?
D'après ce mode de publication, a-t-on dit, la loi sera
donc obligatoire aux extrémités du tribunal d'appel établi à
Paris, c'est-à-dire à une distance d'environ quarante lieues,
dans trente-six heures après la promulgation; tandis qu'il
faudra un délai plus long pour(jue le même effet soit acquis
dans le département de la Seine-Inférieure, c'est l'ï-dirt^ à
une distance plus rapprochée.
Quand cela serait, la différence, dans ce cas, se borne
à quelques heures : vaut-elle bien dès-lors le soin d'une
objection? Cette objection, au reste, s'applique dans son
développement à tous les systèmes de publications de lois,
si l'on en excepte celui qui tend à les rendre obligatoires
au même instant pour la République. Mais ce système n'est
pas celui de la comuiission , et elle n'est pas d'accord avec
elle-même , quand d'un côté elle se plaint de ce que l'ha-
bitant du nord de la France et celui de l'est ne seront pas
liés en même temps par la même loi ; et que de l'autre ,
elle préfère au nouveau mode de publication des lois,
l'ancien, auquel l'inconvénient en question est attaché.
Mais si les communications entre divers départemens de
la France, a-t-on encore objecté, sont coupées soit par
l'invasion de l'ennemi, soit par des inondations?
Dans ce cas, je le demande à ceux qui font l'objection ,
comment ferait-on parvenir le Bulletin des lois? Pourrait-
on même, dans toute autre hypothèse, faire connaître la loi?
11 ne faut pas supposer des cas où toute exécution est
impraticable, pour en argumenter contre une mesure qui ,
sous ce rapport, est dans la même catégorie que toutes les
autres, et exiger l'impossible.
Quant à la difficulté d'exécution de ce mode, elle est
imaginaire.
102 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
Admettez que le délai pour rendre la loi obligatoire sera
réglé par un nombre d'heures déterminé sur la «juantité
des myrianiètres à franchir de Paris aux différens chefs-
lieux des tribunaux, et vous supposez nécessairement que
la i)romulgalion se fera à une heure désignée, et que pour
éviter tout incident sur les fractions de myriamètres, les
distances relatives des lieux à parcourir seront officielle-
ment fixées. Ce soin regarde le gouvernement.
Ce n'est point, au reste, une supposition à établir; le
procès-verbal des séances du Conseil d'iitat \ous apprend
qu'on doit y pourvoir par un règlement.
Ces détails de pure exécution devaient-ils en effet entrer
dans la composition d'une loi?
Qu'après tout, ce nouveau mode ait trouvé des contra-
dicteurs malgré son utilité, il ne faut pas s'en étonner!
De vingt-sept tribunaux consultés sur le projet de Code
civil, dix seulement ont approuvé tacitement l'opinion des
commissaires relativement à la publication des lois ; car ils
ne Tout point combattue.
Dix-sept ontïitta(|ué le principe, ou l'ont trouvé funeste
dans ses conséquences. Les motifs de leur opinion sont
connus; il serait inutile de les reproduire.
On se rappellera seulement qu'ils diffèrent presque tous
les uns des autres.
Parmi les opposans, plusieurs eussent été de l'avis des
rédacteurs du Code; mais la peine attachée au défaut de
publication de la loi dans un délai donné les effraya , et
la mesure fut jugée inconvenante.
Quels (|u'aient été les motifs de ces craintes, le projet
actuel les écarte.
Si, malgré les réflexions dont il vient d'être le sujet,
on ne le trouvait pas admissible, parce qu'il pourrait pré-
senter quelques inconvéniens, qu'on veuille bien faire at-
tention qu'il n'est pas do loi qui, considérée sous (|uel(]ues
rapports |)articulier8 , soit ^ l'abri de la censure.
DS LA PUBLICATION DES LOIS. Io3
Mais, puisqu'on met au mode de publication des lois une
importance qui ne me paraît pas devoir y être attachée ,
qu'il me soit permis de comparer le projet qu'il s'agit d'a-
dopler avec ce qui se praliijue dans un état voisin du
nôtre , où la formation des lois n'est pas sans analogie avec
celles de la République !
Du moment où le prince a donné sa sanction à un bill du
parlement, il acquiert la force de statut ou d'acte de ce
parlement; on le dépose aux archives de l'Etat, et, à la
différence des édits des empereurs romains, dont l'effet
était subordonné à la publication, les statuts ou les actes
du parlement anglais ne sont sujets à aucune promulga-
tion réelle.
On n'en a pas cru la formalité nécessaire, dit le célèbre
publiciste qui en rend compte, parce que la loi présume
que tout individu a pris part à la discussion du parlement ,
et en a voté les actes par l'organe de ses représentans.
Cet usage s'observe depuis environ trois siècles (a).
Peut-il, d'après cette analyse, rester quelque doute sur
l'utilité de la mesure qui vous est proposée ? Et si la ques-
tion présente un problème assez difficile à résoudre, comme
l'ont observé les juges de Rennes, et le ferait penser la di-
versité des opinions qu'elle a produites , le mode qui offre
un résultat plus simple, moins dispendieux et plus certain
que les précédens, ne l'a-t-il pas résolue?
L'article 2 du projet, qui veut que la loi ne soit obliga-
toire qu'à dater de sa promulgation , et qui rejette toute
idée de rétroactivité dans ses dispositions ou dans leur ap-
plication , n'a pas besoin d'être justifié.
La loi, porte l'article 3, oblige ceux qui habitent le ter-
ritoire.
(a) When a bill Las receivcd tlic royal assenl , it is then a stalule or act of parliamcnt.
TbU slatute or act is placed ainoug the records of tbe kingdom , there needing no formai pro-
mulgation to give It the furre of a law, an was n«-pess;iry by tlic civil law willi regard to ihe Enipf-
'"or'i ediris, becauie «;T«ry man in England i« iii judgment of lavr parly to niaking an act of parlia-
jneni , being pr«>t<;iil Ih^rrat by his repre»cntatiTe».
BlackstoîK, liv. I , r/i. j , g 6.
104 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC.
Les lois, a dit Montesquieu , demandent (|ue lout homme
soit soumis aux tribunaux criminels et civils du pays où il
est, et à Tanimadversion du souverain.
Ouvrez le Code, et vous y lisez :
O/nnes Icgibus regantur , ctianisi ad divinani donium pertineant.
Cette disposition est donc évidemment un principe de
droit politique consacre par la raison et les plus célèbres
publicistes (a) , qui n'admet d'exception qu'à l'égard des
envoyés des puissances étrangères.
Eh bien 1 imaginerait-on qu'un principe aussi incontes-
table a été attaqué :• On l'a considéré comme une loi abso-
lue; et sous le prétexte qu'il n'est ici question que de ceux
(|ui habitent le territoire, sans faire mention de leurs biens,
ou de ceux qui. fixés sur le territoire, en sont momenta-
nément absens, on a trouvé l'assertion inexacte. Peut-être
n'y a-t-il d'inexact que l'objection , qui force mal à propos
le sens des choses.
Suivant l'article 4 » l^i forme des actes est réglée par les
lois du pays dans lequel ils sont faits ou passés (b).
On a dit que cet article avait pour but de rassurer le
commerce, en lui (garantissant la validité des actes dans
lesquels on avait suivi les formes reçues dans les divers pays
où ces actes pouvaient avoir été faits et passés.
Peut-être cette déclaration devrait suffire; mais je prie
ceux (jui pourraient désirer un plus grand développement ,
de se rap|)clcr (fue, suivant notre ancienne jurisprudence ,
la forme des contrats se régliit par les lois et les usages des
lieux où ils étaient passés.
(^e principe 8'appli(|uait surtout aux affaires de com-
merce, pour la décision desquelles les juges avaient sou-
vent recours aux parères (»u aux actes de notoriété cpU
constataient ces usages.
Il s'applicpiait en particulier aux lettres de change ,
'•, i,<^,.;, li|,. I Vaili-I. l"m. I i'«g. lio. — Moim-wjuiru , lil>. aC , rli i
»
DE LA PUBLICATIO DKS LOIS. 1 o5
à leurs diverses échéances, et ù la ibrme des protêts, qui
variait à Tin fini.
Aussi l'ordonnance de 1667, qui peut bien faire autorité
dans cette matière, où d'ailleurs il était impossible d'as-
signer des règles uniformes, prescrivant quelques disposi-
tions relatives à la forme des conventions entre particu-
liers , déclara-t-elle ne rien innover en ce qui concernait
les affaires de commerce. /
Que d'ailleurs on veuille bien réfléchir aux rapports qui
existent entre le droit des gens et le droit civil propre à
chaque peuple , on sentira que les relations plus ou moins
fortes entre êtes états qui se sont unis par des traités d'al-
liance ou de commerce, entraînent nécessairement des re-
lations d'intérêt entre les administrés.
N'est-il pas naturel alors de suivre, pour la forme de
leurs conventions , les usages du pays où on les fait , puis-
qu'on ne peut se dissimuler qu'elles sont partout assujéties,
par les lois ou les usages, à des règles qui varient suivant
les lieux et les gouvernemens ?
£nfin, si l'on ne perd pas de vue qu'une disposition de
loi ne peut être séparée de son objet, et qu'ici la législa-
tion tend à favoriser le commerce, l'article que j'analyse
ne peut être apprécié d'après des rapports purement ci-
vils , et doit être adopté.
L'article 5 est conçu dans les mêmes vues.
Lorsque la loi, y est-il dit, aura réputé frauduleux cer-
tains actes , à raison des circonstances où ils auront été ré-
digés , on ne sera point admis à prouver qu'ils ont été faits
sans fraude (a).
On sait qu'en cas de faillite, l'ordonnance de 1675 dé-
clare nulle toute aliénation de meubles ou d'immeubles
faite en fraude des créanciers.
(a; Pacla contenta iju<c ue(|ue dolo inalu , iieque advcrsùs Icgcs, plébiscita, seiiatus consuila ,
"diela priacipum, nequc quo fraus rui eorum liât, facla fraiit , MrvaLo. { Digeilorum l\b- s,
♦il. i4-— Id. Ctdicit Ub, 1, ti». i4 : De eo quod rjt contra Ifgern tel tn fraudfm Irgii.)
lo6 DISCLSSIOISS , MOTIFS, ClC.
Un édit de 1609 portait à peu près les mêmes disposi-
tions.
Des déclarations subséquentes les ont confirmées , et les
tribunaux de commerce ont constamment prononcé d'a-
près ce principe.
Ce serait donc innover que de s'en écarter.
Il y a plus : c'est que si l'on pouvait , sous un prétexte
quelconque, avoir la faculté d'établir que tel acte, con-
traire à la loi par ses dispositions littérales , n'y est pas con-
traire néanmoins par l'esprit qui l'a dicté, ce singulier
genre de preuve paralyserait par le fait même la volonté
du législateur. *
La loi renfermerait en elle-même le principe de sa des-
truction.
L'article dont il s'agit a voulu prévenir cet abus, en
même temps qu'il a voulu mettre fin à la miauvaise foi de
quelques commerçans ; ses dispositions, au reste, sont
presque entièrement calquées sur celles de notre ancien
droit et du droit romain. ( Loi 5 du Code. )
L'expérience de plusieurs siècles en a démontré l'utilité.
L'article (i donne la faculté de prendre à partie le juge
qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obs-
curité ou de l'insuffisance de la loi.
Cet article paraît , au premier coup-d'œil , laisser au
juge la faculté de prononcer à son gré sur les intérêts des
justiciables ; mais lui peu de réilexion fera sentir que de
deux inconvéniens graves, celui de laisser le cours de la
justice sus()endu , ou d'abandonner quelque chose à la
conscience du juge, il valait mieux souffrir le dernier que
l'autre.
On n'ignore pas que les plus habiles législateurs n'ont
posé que des principes généraux sur les matières qui se re-
produisent le plus souvent dans le cours de la vie, et que
la plupart des cas prévus par la loi ne sont [las ceux que
|>réscntent ;\ (lcci<ler les contestations portées «levant les
DE LA BUBLICATION DES LOIS. I07
tribunaux. Ils en ditrèrent par des nuances plus ou moins
fortes : autrement, et si la loi pouvait clairement s'appli-
quer à tous les motifs de débats entre les membres de la
même société, il n'y aurait pas de procès.
Le devoir du juge alors est de discerner le vrai sens de la
loi, de consulter Fobjet pour lequel on Ta faite, l'époque
où elle fut rendue, les circonstances qui l'ont fait rendre,
enfin l'ensemble de ses dispositions, et de les appliquer
avec intégrité.
S'il pense y trouver de l'obscurité, s'il croit y remar-
quer des lacunes, il doit se déterminer d'après la raison
naturelle (a).
C'est, disent les publicistes et les jurisconsultes, une
sorte de loi tacite.
Préférerait-on à cette mesure celle de renvoyer au pou-
voir législatif l'interprétation des lois, d'en faire ainsi un
tribunal de référé, et de dénaturer ses attributions?
Sans se reporter aux abus effrayans dont furent cause
les rescripts des derniers empereurs romains, nos assem-
blées représentatives n'ont-elles pas donné quelques-uns
de ces exemples fâcheux ?
N'avons-nous pas vu un petit nombre d'armateurs puîs-
sans agiter, il y a quelques années, le Corps législatif,
pour donner à la loi du 2g nivôse an VI , sur la course ma-
ritime , une exécution forcée , et vouloir le contraindre à
décider un procès important entre eux et les neutres, parce
que le tribunal de cassation n'avait pas cru pouvoir pren-
dre sur lui de le juger?
Il ne faut pas supposer gratuitement des juges prévari-
cateurs.
S'ils se trompent, ils seront réformés.
(a) Neque legf» , neque senalusconsulla , ita scribi possuiit , ut oinnes casus qui quaiidôquc
incîderent comprehendantur ; sed «ufficil , et ea qua; pierumquc accidunt contineri ; et cum
in aliquà causa sentenlia «"orum manifesta est , is qui jurisdiclioiii prêcest , ad similia procederc ;
alqu»- ita jus dicerc debrl. ( Lil). I, dip. (il. 3. de lef:. }
!o8 DISCUSSIONS, MOTIFS^ elC
S'ils jn^eut contre les dispositions de la loi , leur décision
sera annulée.
Il serait difiQcile d'ajouter à ces garanties.
C'est ainsi qu'on en use en Angleterre : tous les tribu-
naux sans exception sont obligés de régler leurs décisions
sur le droit positif, ou sur la chose jugée, quand ils sont ap-
plicables à la contestation à décider. Hors cette hypothèse,
les juges ne se déterminent que d'après leur conscience et
l'équité.
Mais ce qui prouve jusqu'à quel point ce principe uni-
versel est puisé dans la nature des choses , c'est qu'il est
avoué par les plus grands publicistes.
Cicéron et Blackstone, Grotius et Putrendorf lui ont
rendu succcssiveiuent hommage (a).
Quelques opinions particulières en opposition à ces prin-
cipes , ne sont-elles pas bien contre-balancées par les auto-
rités que je viens d'invoquer ?
Parmi ces opinions, il en est une sans contredit bien
respectable : c'est celle de l'assemblée constituante, qui
craignit l'arbitraire des juges, et leur enjoignit de s'adres-
ser au Corps législatif, toutes les fois qu'ils croiraient né-
cessaire, soit d'interpréter une loi , soit d'en faire une nou-
velle.
Mais il faut prendre garde à la situation dans latiucllc se
trouvait placée cette asseinblée. Klle pouvait craindre de
voir paralyser ses intentions par des magistrats dont rien
ue lui garantissait l'attachement au nouvel ordre de choses
qui s*élcvait.
Au fait, qu'en résuUa-t-il.^ C'est que l'assemblée elle-
même, cmporlée par la multitude des travaux qui l'occu-
paient , abandonna rinlerprétation des lois à son comité de
constitution , dont les décisions se multiplièrent bientôt
(■) i^ithtin , 4» ttgitui, lir. . , nijiktioix- , Jnlroducticn itt loiê, } * • !>*' '> ^^- >7 ■ Cîrorini.
^' «f w(<a(( . rlc; ruffrndnrf, Pf la hi *n général, lir. I , ilmp. 6.
Uli LA PUBLICATION DKS LOIS. 1 09
crune manière lellement abusive, qu'il fallut y mettre un
terme.
Depuis, n'a-t-on pas vu les tribunaux accabler de réfé-
rés le tribunal de cassation et les assemblées législatives ,
pour les difficultés les plus légères dan$ la décision des
procès, et paralyser ainsi le cours de la justice?
Enfin , la considération politique qui dicta le décret en
question n'existe plus ; on ne peut donc opposer la mesure
qui fut prise alort à la disposition de loi (|u'il s'agit d'adop-
ter aujourd'hui.
L'article 7 , qui défend aux jugesde prononcer , sur les
causes qui leur sont soumises , par voie de disposition gé-
nérale et réglementaire , est nne conséquence de la nature
d6 notre gouvernement et du pouvoir judiciaire.
La formation de la loi appartient exclusivement à la
]>nissance législative.
Les juges chargés de l'appliquer aux contestations des
particuliers, dont la connaissance leur est attribuée, ex-
céderaient les limites de leurs fonctions, si, prononçant
sur les différens des citoyens entre eux, leur décision ten-
dait , sous quelque rapport que ce fût, à obliger d'autres
justiciables que ceux sur l'intérêt desquels ils prononcent.
Le pouvoir des juges ne serait plus re qu'il doit être ,
une émanation du pouvoir exécutif, mais une superféta-
tion du pouvoir législatif. j.
Les tribunaux réuniraient alors le double droit de faire
des lois et de les appliquer; monstruosité qu'on n'a vu exis-
ter que dans un très-petit nombre de gouvernemens des-
potiques , et que l'article en question veut prévenir.
'^*^*Ce serait en outre, ainsi que je l'ai déjà observé, un cais
de forfaiture prévu par l'article 644 ^u Code des délits et
des peines.
EnHn , l'article 8 veut qu'on ne puisse, par des conven-
tions particulières, déroger aux lors qui intéressent Tordre
public et les bonnes mœurs.
110 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
On n'a point oublié la distinction qui existe, dans tout
gouvernement policé , entre les diverses espèces de lois qui
constituent sa législation.
Les unes, dont l'objet intéresse la police d'un état en gé-
néral plus que les particuliers entre eux, appartiennent
au droit public.
Les autres sont du ressort du droit privé.
Rien n'enipêcbe sans doute qu'on ne déroge à certaines
dispositions de lois du dernier ordre , parce que les lois
purement civiles n'étant établies que pour l'utilité des par-
ticuliers , il est permis aux contractuns de ne pas s'y con-
former, toutes les fois qu'elles ne sont pas absolument im-
pératives.
Ainsi, sous le premier point de vue, la législation qui
permettait à l'un tles conjoints par mariage de renoncer à la
communauté de biens dans les localités de la France où
elle était établie, (\in ne s'opposait pas à ce qu'on assimilât
aux meubles une partie des propres, pour la faire entrer
dans cette communauté , et qui tolérait d'autres stipula-
tions du même genre, pourra le tolérer encore.
liais tout état biqn ordonné ne souffrira pas qu'on agisse
en contradiction avop aucune des Ipis du premier ordre.
Ainsi , sous ce second point de vue , la législation n'attri-
buera pas d'eifets civils au mariage que des motifs religieux
feraient cékbrcr exclusivement devant un ministre du
culte calboli<|uc ; elle ne permettra pas qu'on rapj»elle dans
un acte des (|ualillcatious abolies, qu'on y stipule des cho-
ses conlxaires à la nature du gouvernement.
C'est dans ce sens que plusieurs dispositions des lois
romaines réputaient nulle toute convention contraire aux
lois.
C'est encore dans ce sens ijue toutes le» législations se
sont accordées pour proscrire les conventions contraires
aux bonnes mœurs (a).
t) parla r|iir I rKiira l''K«'* y\ < cntia ))oii<>i more* 6uut i nuUwn vim bohrrc , iiidubiuti {urii •*)•
DK LA PUBLICATION DKS LOIS. 1 | |
I.os lois, cssenliellemciil conservatrices des mœurs, ne
peuvent consacrer l'imnioralilé.
Chacun des articles du projet de loi que je viens d'ana-
lyser est donc fondé sur le droit romain, ou sur notre
ancien droit , ou sur le sentiment des premiers publicistes ,
ou enfin sur la nature de notre gouvernement.
Noire état politique , nos usages et nos mœurs ne per-
mettaient guère d'adopter un autre système.
On eût voulu que ce système fût plus rapproché de la
méthode des lois anciennes !
On a surtout paru surpris devoir placées dans un projet
de loi civile quelques dispositions relatives au commerce.
L'ordonnance de 16G7, qu'on a invoquée, ne contient-
elle pas un exemple semblable , puisqu'elle a tracé quel-
ques règles relatives à l'instruction des procès entre négo-
cians, quoique sa destination particulière ait eu pour
principal objet d'organiser la marche des contestations
civiles ?
Devait-on donc s'astreindre , dans la rédaction du nou-
veau Code, à des formes trop serviles ? et fallait-il sacrifier
à une vaine méthode des vues politiques dont il est si facile
d'apprécier l'utilité?
Consultez, d'ailleurs, et notre ancien droit et le droit
de la plupart des gouvernemens européens; il sera facile
de se convaincre que, s'ils sont en grande partie composés
du droit romain , on ne s'est pas , dans leur formation ,
rigoureusement astreint aux divisions marquées dans les
Institutes, le Digeste et le Code.
On y verra que , raisonnant d'après la nature des choses,
les législateurs n'ont pu se renfermer strictement dans les
principes du droit civil proprement dit, quand ils ont
établi le Code civil du pays dont ils formaient la législa-
tion ; mais qu'aux dispositions de lois exclusivement pro-
l'Dig. lib. i , lit. 14 , cod. IF. i , t. 3, I. de pactii , etc. — Polhier , Traitii det vbligaliont, tom. I ,
c^'P- I . S >t «rt» 3- )
112 DISCUSSIONS, MOTIFS, OtC
près aux kabitans de ces pays, dans leurs relations respec-
tives, ils ont été forcés d'ajouter d'autres dispositions que
nécessitaient leurs rapports avec les étrangers , sans re-
chercher si cette portion de leurs lois appartenait au droit
naturel ou au droit des gens, ou plutôt persuadés que
l'application des principes abstraits devait être constam-
ment subordonnée à la situation politique et aux besoins de
riiitat.
Au reste, si l'on pouvait considérer comme une inno-
vation la disposition du projet qui a trait aux affaires de
commerce, l'innovation ne serait-elle pas trop ulile , pour
que le Tribunat pût y refuser son assentiment?
Le projet de Code civil, publié il y a quelques mois, a
été généralement approuvé dans son ensemble ; cependant
alTaqué dans beaucoup de parties, s'il eût fallu déférer aux
modifications multi[)liées qu'on a proposé d'y faire, le tra-
vail primitil serait méconnaissable.
Cette réflexion ne serait-elle pas applicable au projet que
nous discutons ?
Ce projet m'a paru sage et concis dans ses dispositions.
J'en vote l'adoption.
opinion m tribun thif.ssk,
coutre i>k fbojst.
Tribuns, le peuple français, en déléguant le pouvoir
législatif dans les deux constitutions de 1791 et de l'an III,
avait consacré une formule, à laquelle seule il devait
reconnaître que la loi émanait de l'autorité qu'il avait
établie.
Cette formule se divisait en deux parties. Dans la pre-
mière était l'intitulé de la loi, qui constatait qu'elle avait
été formée par le concours des corps politiques institués
pour la décréter.
La seconde consacrait, dans des termes invaria^es^
^ DE LA PUBLICATION DES LOIS. 1 1 Ô
Tordre que donnait le pouvoir exécutif de la faire publier
et exécuter dans tout le territoire de l.i France.
Ces deux parties constituaient ce que nous appelons la
formule de la /vornulgation des lois.
L'intervalle qui sépare le 18 brumaire du 4 nivôse an VIII
ayant été marqué par un gouvernement provisoire, il fallut
modifier la formule consacrée par la constitution de
Tan III, et promulguer au nom des Co/isuh ce qui l'avait
été avant au nom du Directoire.
Là se bornait toute modification, parce que la source
du pouvoir émanant toujours du peuple, on continua
d'intituler les lois : Aif nom de la République française .
Il y a bien cependant une addition qu'on trouve , non
pas à la fin de toutes, mais de quelques-unes des lois pu-
bliées à cette époque ; c'est à la suite de la promulgation
des Consuls ; A a nom de la République française ; une autre
promulgation du ministre de la justice : Au nom des Consuls
de la République (a); mais cette addition, dont on a fait
usage quatre fois seulement, prouve par cela même qu'elle
n'est due qu'à la précipitation , aux embarras , à l'incer-
titude qui marquent toujours le passage d'une forme de
gouvernement à une autre.
Par la constitution de Tan VIII, qui délègue le pouvoir
législatif au gouvernement, au Tribunat et au Corps légis-
latif, la formule de la promulgation des lois n'a pas été
consacrée pour la suppléer.
Le Tribunat a arrêté une formule qui constate qu'il a
concouru à la formation de la loi, qu'il y a concouru de
la manière dont l'a voulu la constitution (b).
Le Corps législatif, de son côté, a également consacré
une formule qui constate qu'il a décrété la loi, qu'il l'a
décrétée aussi dans les formes constitutionnelles (c).
. (a) Voyei le* bulletins, n° 3s4 , 3î7, 333 , 334.
(b) Voyes Tarlicle 4a du règlement du Tribunal , du 27 niTOte an VH!.
(c] Voyez les articles 35 et 3fi du Corps législatif, du 37 nirose an VIII
vii * 8
1)4 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
Enfin, le gouvernement a pris aussi un arrêté sous ce
titre : Formule pour la promulgation des lois , dans laquelle il
mentionne en substance le concours du Tribunal et du
Corps législatif (a).
Ces trois sections du pouvoir législatif avaient le droit de
rédiger des formules qui constataient qu'ils avaient con-
couru à la formation de la loi. iMais mieux eût valu, sans
doute, qu'au lieu de rédiger chacun la sienne, les trois
élémcns du pouvoir législatif réunis en eussent décrété
une qui leur eût été commune. Par ce concours se serait
formée une loi qui aurait déterminé ce qui était de l'es-
sence et des formes de la promul-alion des lois.
Nous disons que cela eût mieux valu, parce qu'en prin-
cipe les trois arrêtés isolés ne liant pas réciproquement les
trois corps élémentaires du pouvoir législatif, chacun pou-
vait réciproquement les méconnaître : et c'est ce qui est
arrivé.
La formule adoptée par le Tribunal , insérée dans chaque
procès- verbal, qui constatait l'émission de son vœu, n'a
point été incorporée dans celui par lequel le Corps législatif
déci était la loi, et la formule du Corps législatif, incor-
porée dans chaque loi qu'il décrétait, était retranchée du
corps de la loi par le gouvernement, qui pourtant l'avait
laissé subsister dans les cinij premières ({u'il a promul-
guées (b).
11 résulte de cette cxposilion , que la formule arrêtée par
le gouvernement est la seule qui maintenant soit incorporée
dans les lois, ù partir de la loi du 8 pluviôse an VIII, dans
le troiHième bulletin (c) , sous le n" kj.
11 est vrai ({uc, pour su[)pléer, en quelque sorte, dans la
loi, l'omission de la formule adoptée parle Tribunal, le Corps
législatif rappelle dan» la sienne que la discussion a eu lieu
{m\ Voycs le bullciiii A4 , n* •'«oO.
|b; Vuyrz \rt cinq pri miércs loi* dnu* \i% bullr(iii« > h / l.i drniiirc cil à la dnli' du jC lii-
»<»r an VUI.
c) Voye» U biillciiri 6. n* 19.
l
DE LA l'UBLlCAïIOK DES LOIS. Il5
conformément à la conslitutioii , et i\\\e le gouvernement,
en retranchant l'une et l'autre, fait aussi mention que le
projet a été communi(|ué au Tribunal, et que le Corps
législatif l'a décrété.
Mais pourtant il faut reconnaître qu'il y a dans cet ordre
de choses une espèce d'irrégularité. En effet, la loi étant
formée définitivement par le décret du Corps législatif,
qui intitule loi ce qui d'abord n'était intitulé que projet,
il semble que cette loi devrait être imprimée et promul-
guée telle qu'elle sort des mains du Corps législatif; il
semble que, dans un acte de ce caractère, nulle omission,
nulle modification, soit dans l'essence, soit dans les for-
mes, soit dans les termes consacrés par la formule, ne
peuvent avoir lieu sans quelque inconvénient; n'y eût-il
que celui qui résulte de la certification conforme du mi-
nistre de la justice, qui pèche ainsi contre l'exactitude.
Ce qui précède servira peut-être à faire sentir ce que
doit être une loi sur la promulgation , sur l'envoi , sur la
publication des lois.
Il n'est pas besoin de rappeler que chaque loi doit faire
mention , en titre du pouvoir qui l'a décrétée , de l'autorité
au nom de laquelle elle est proclamée, et enfin du nom
du magistrat qui, la proclamant, donne l'ordre de la pu-
blier et de la faire exécuter.
Ce ne sont pas seulement les principes de nos constitutions
modernes qui le veulent ainsi; elles ont cela de commun
avec ce qui s'observait en France, avant elles, et avec ce
qui s'observe dans tous les états de l'Europe.
Mais la formule qui contient ces trois choses, de qui
doit-elle émanerPLesdeiix précédentesconstitutions avaient
décidé que ce serait du peuple lui-même ; parce que , délé-
guant à des corps politiques le droit de faire la loi , il pa-
raissait avant tout nécessaire do leur tracer les signes aux-
quels il consentait de la reconnaître.
8.
Il6 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
La constitution de Fan VIII n'a pas pris celle précaution ;
mais par cela seul qu'elle établit trois élémens à concouiir
à la formation de la loi , elle appelle ces trois élémens à la
rédaction d'une formule qui doit leur être commune.
Les termes de cette formule doivent être rédigés de telle
sorte, qu'on y voie toujours que toutes les branches du
pouvoir législatif ont concouru à l'émission de chaque loi,
qu'elles y ont concouru dans 1rs formes déterminées par
la constitution.
Elle ^oit être invariable , cette formule, parce que , tant
que le pouvoir législatif n'est modifié , ni dans son essence,
ni dans ses formes, la formule qui constate sa présence ne
peut jamais cesser d'être la même.
Elle doit être exclusive, parce que, dans l'ordre politi-
que, nul acte, ne pouvant être comparé à la loi, ne peut par
conséfjucnt être promulgué avec les formes législatives qui
appartiennent seulement à celle-ci.
Si ce n'était pas la loi , mais le gouvernement qui rédi-
geât seul cette formule, le plus grave inconvénient qui en
résulterait , ce serait d'admettre une branche du pouvoir
à certifier seule la présence des deux autres. C'est comme
participant à la légi.^^îalion que nous envisageons ici le gou-
vernement.
Si nous l'envisagions comme pouvoir exécutif, il le pour-
rait moins encore, puisque la constitution lui donnant,
sous ce rapport, le pouvoir de faire des réglemens pour
l'exécution des lois , il faut (|ue les lois précèdent ces régle-
mens ; il faut donc avant tout faire une loi sur la promul-
gation des lois.
Je parle ici dans les principes du gouvernement lui-
même, et à cet égard on peut lire une délibération du
Conseil d'Etat du f) pluviôse an VII!.
Il s'agissait de savoir si la loi serait loi, du jour où elle
Itérait décrétée par le Corps législatif, ou si au contraire
elle ne prendrait date (jur du jour de «a promulgation.
T>E LA PliBLICATIOiN DliS LOIS. 11*
La section lic législation , consultée sur cette question,
disait (a) :
<( La promulgation est nécessaire, sans doute, mais seu-
« lement pour faire connaître la loi, pour la faire exécuter :
« c'est la première condition , le premier moyen de son
« exécution ; et voilà pourquoi elle appartient au pouvoir
« exécutif. Le gouvernement a une part à la législation,
« mais seulement par la proposition de la loi ; et quand il
« la promulgue, ce n'est plus comme partie intégrante du
« pouvoir législatif, mais seulement comme pouvoir dis-
« tinct et séparé, comme pouvoir exécutif; et il faut bien
« se garder de confondre cette promulgation avec la sanc-
« tion que le roi constitutionnel avait en 1791, ou avec
o Tacceptation que le Conseil des Anciens avait par la
■ constitution de Tan IIL Cette sanction et cette accepta-
« tion étaient parties nécessaires de la formation de la loi,
K et ne ressemblaient exi rien à la promulgation. Aussi la
« loi datait-elle, eu 1791. du jour de la sanction, et, sous
« la constitution de Tan III, du jour de l'acceptation par
(i les Anciens, et non du jour de sa promulgation, soit par
<« le roi constitutionnel, soit par le Directoire exécutif.
« Ainsi, sous la conslitulion actuelle, elle doit dater du
« jour de son émission par le Corps législatif, dernière con-
« dition essentielle à sa formation. »
Ces motifs, approuvés par le Coiiseil d'État, furent
adoptés ensuite par le Premier Consul.
Ce n'est donc pas comme participant à la législation,
mais comme pouvoir exécutif, que le Premier Consul pro-
mulgue les lois : or, rien de ce qui fait partie intégrante des
lois ne peut y être incorporé sans le consentement des trois
branches du pouvoir législatif. S'il en était autrement, il
s'ensuivrait qu'il faudrait retrancher de suite du Code des
délits les peines prononcées contre les uânistres qui revê-
m
(j) Tojii^e bvllttÎQ 6 n** 3;— £ pluvioM.
1 l8 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
tiraient des formes de promulgation législative des actes
non décrétés; parce que , si la formule de promulgation de
la loi cessait d'être une loi , sa violation ou son emploi dans
d'autres actes cesserait d'être un délit.
Je n'ai plus qu'une observation à faire sur ce point. Si le
gouvernement réglait par des arrêtés la formule de la pro-
mulgation , comme il l'aurait réglée sans le concours du
pouvoir législatif, il pourrait sans son concours aussi la
changer ou la modifier; or, les lois seraient aujourd'hui
publiées sous telle forme, et demain sous telle autre. Les
motifs de ces changemens seraient même inconnus au
peuple français : car le gouvernement n'est pas assujéti à
publier les arrêtés qu'il prend. Et pour citera cet égard un
exemple qui ne soit pas étranger à la matière, on peut vé-
rifier que l'arrêté du 29 nivôse an VIII , qui consacre la
formule de la promulgation des lois, n'a été rendu public
qu'au mois de vendémaire an IX (a) : en sorte que le public a
ignoré , pendant neuf mois, non seulement la cause, mais
l'acte qui changeait la forme de la promulgation des lois;
car, je le répèle, les cinq premières lois de la session de
l'an VIII ont été publiées toutes entières : ce n'est que
dans les autres qu'on a omis la partie intégrante de la loi
(ju'y insérait et qu'y insère encore le Corps législatif.
Je conclus de tout ceci que le projet (|ui nous est pré-
senté ne consacrant aucune fornuile de ])romulgation , il
doit par cela seul être rejeté.
Cette omission n'est pas la seule ; on n'y voit pas davan-
tage que les lois seront adressées aux administrations,^
(ju'elles le seront aux tribunaux : en sorte que nous igno-
rons si on les y enverra en cU'el, si l'envoi aura un carac-
tère olïiciel. 11 est dilïicile de se faire à l'idée d'ordonner à
un juge de prononcer conformément à la loi, sans con-
Iraclcravec lui l'obligation , avant tout, do la lui remettre.
■>! V<.y / II- IhIIIcIiii /,', , Il ■■■
DE LA PUBLICATION DES LOIS. II9
On craint, dit -on, les anciens abus de l'cnregistremenl ,
nés de la nécessité d'adresser autrefois les édils dans les
cours ; mais on ne considère ni les temps ni les personnes.
Qu'y a-t-il de commun entre les moyens de résistance de
nos tribunaux et ceux de ces grandes corporations judi-
ciaires qui, réunissant à de vastes propriétés les préroga-
tives féodales , ajoutaient encore au droit de vie et de mort
qu'ils avaient sur les sujets du monanjue , la prétention de
partager la puissance législative. La résistance de ceux-ci
ébranlait l'état jusque dans ses fondemens ; ceux-là, au
contraire, ont besoin de tout l'appui du gouvernement.
C'est de leur consistance , de leur dignité , qu'il faut s'oc-
cuper ; et je ne sache pas qu'en leur ôtant jusqu'au moyen
de lire publiquement la loi à leurs audiences , on aug-
mente par là le sentiment de la considération profonde
dont ils devraient jouir pour prix de leurs pénibles et ho-
norables travaux.
Ces deux omissions du projet, le défaut de formule de
promulgation, le défaut d'envoi des lois dans les tribu-
naux, sont, à mon sens, les principales, quant aux dis-
positions de détail , qui seraient la suite nécessaire de ces
deux principales dispositions , et qui , par conséquent , sont
omises aussi. On peut consulter la loi du 3 novembre 1790,
qui contient les trois parties de la promulgation, de l'en-
voi et de la publication des lois ; elle est un modèle en ce
fc genre, sauf le principe pourtant qu'on y avait adopté de
faire publier les lois jusque dans les municipalités. Si, sur
ce point , la loi offre un excès, le projet nous offre l'excès
contraire. La première voulait que les lois fussent publiées
partout ; celui-ci dispense de les publier nulle part. Je pen-
cherais, au milieu de ces deux excès, pour la disposition
de la loi du 12 vendémiaire an IV , qui déclare exécutoires
les lois du jour où elles sont publiées dans chaque chef-lieu
de département. Ce tempérament me semble fondé sur la
nature de noire législation et sur le caractère officiel qu'on
J20 DISCUSSiONîi, MOTIFS, ClC-
doit donner à l'exécution de la loi. Par la uature de noire
législation , la proposition publique de la loi , sa discussion
préliminaire, son émission solennelle, l'emploi de l'im-
primerio pour la faire circuler d'une manière uniforme à
la vérité, mais réelle, sur tons les points de la France,
doirent rassurer sur la crainte qu'elle soit ii^noréc. Avec de
pareils moyens, ce ne serait pas la connaissance, mais
l'ignorance de la loi, qui serait une fiction.
11 faut convenir ce]>endant que , quelque étendue , quel-
que réelle que fût la connaissance de la loi par ces moyens
de publicité f>réliminaires, cela ne sujDûrait pas : avant d'en
faire l'obligation de tous, avant d'ordonner aux juges d'en
faire la règle de leurs jugeniens, il faut lui imprimer les
caiaclères de fixité , de solennité qui lui conviennent. Si la
loi n'était pas adressée aux tribunaux d'une manière offi-
cielle, caractéristique, et digne d'eux; si, à leur tour, ils
ne la publiaient pas pour qu'elle devînt , à une époque
fixe, la règle de l'obéissance des citoyens, les uns et les au-
tres ne trouveraient plus la source du pouvoir auquel ils
obéissent que dans l'authenticité des gazettes.
.le n'ai plus qu'une observation à faire sur le premier ar-
ticle (lu projet.
Par la tonslitulion , les lois sont publiées le dixième jour
après leur émission. La promulgation se fera selon ce prin-
cipe. Mais comme la promulgation est un fait, comme le
projet la confond avec la publication , et que désormais ce
ne serait plus qu'une .seule et même chose , il s'ensuit que
ce fait sera constaté pour chaque loi par un acte qui fera
mention de l'heure de cette publication unique : cela est
nécessaire , puis(|uc les ell'ets de la publication se feront
ressentir, non pas jour par jour, mais heure par heure.
Or, comme à toute heures il s'ouvr<;des successions; comme
les lois sur les déchéances, sur les prohibitions, auront
leur terme, non pas à l'expiration d'une journée, mais à
la fin d'une heure marquée, il s'ensuit (pic, pour distiu-
m
ê
DJi LA PUBLICATION ULS LOIS. 121
giicr ce qui est lé«»;itiine d'avec ce qui ne l'est plus, il fau-
dra , de tous les poiuls de la France, se procurer le procès-
verbal de publication de chaque loi pour en connaître la
d-àte ; car on ne voit pas que ce procès-verbal doive être ni
imprimé, ni envoyé aux tribunaux, ni publié en manière
quelconque, pour devenir, non pas simplement l'instruc-
tion , mais la règle de tous.
On a dit que le délai d'exécution ne commencerait à
courir qu'à l'expiration de la dernière heure du dixième
jour. Ce n'est là qu'une conjecture et non pas une dispo-
sition du projet : en le supposant , la promulgation ne se-
rait plus un lait; elle serait supposée par un principe, à
moins qu'on ne s'asservît à promulguer chaque loi à mi-
uuil. Autant vaudrait qu'on déclarât qu'il n'y aura pas de
promulgation , et qu'en ajoutant une fiction de plus, on
la réputàt faite à la fin de la dernière heure du dixième
jour.
llestent les sept maximes générales qui terminent le ai 6
projet.
Les examiner toutes, et fixer seulement les conséquen-
ces les plus immédiates qu'on peut en tirer, serait, à mon
sens, un travail assez long pour fournir plusieurs volumes.
Il n'y a guère qu'une opinion sur le danger de légaliser les
maximes générales, et nous devons rendre grâces au i;ou-
vernement de ce que, dès la première séance du Conseil
d'État , il les a reléguées dans le domaine de l'enseignement.
En effet, si la science du droit elle-même, en nous tra-
çant des règles générales, les a toutes modifiées par celle-
ci, qu'il n'y a pas de règle sans exception, comment oser
débuter par des règles générales dont les exceptions ne sont
pas encore [)osées? Ce n'est que quand la loi est complète
qu'on peut savoir ce qu'est la règle, ce que sont les excep-
tions; avant cela , vous donnez au juge, contre votre in-
tention, le droit de confondre l'une et l'autre. Mais, alors
même que la règle et l'exception seraient chacune mises à
122 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
leur place, les maximes générales en seraient-elles plus uti-
les ou moins dangereuses P Je ne le crois pas, parce que
l'expression de la généralité ne renfermant pas les exep-
tions , elle semble les exclure , et alors elle devient fausse ;
elle est inutile, parce que, quand le principe et l'excep-
tion sont posés dans la loi, la loi apprend , d'une manière
exacte et détaillée, ce que la maxime ensuite ne pourrait
plus vous redire que confusément et par surabondance.
Qu'il me soit permis de jeter un coup-d'œil sur la maxime
en apparence la plus évidente , la moins susceptible de
controverse. C'est celle-ci *.
La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet ré-
troactif.
Certainement les lois rétroactives ont des effets rava-
geans ; et jamais, je Tespère , je ne donnerai mon assenti-
ment à de pareilles lois.
Mais, par cela seul qu'on dit que la loi ne dispose que
pour l'avenir , n'est-il pas évident que c'est là un principe
du législateur qui l'a faite , et non pas un principe du juge
qui l'exécute ?
Je m'explique : je suppose que, dans un pays quelcon-
que , dans celui-là même où il y aura une loi qui dira : la
loi n'a point d'effet rétroactif; je suppose que, postérieu-
rement à cette loi , le léj^islatcur rende une loi qui rétroa-
gissc , pcnscrtz-vous que le juge sera le maître de ne pas
exécuter cette dernière loi? Penserez- vous qu'il pourra
dire : 11 y a une loi antérieure qui défend la rétroactivité;
donc , je méconnaîtrai toute lui qui sera contraire à ce pre-
mier principe?
D'autres appelleront peut-être cette résistance salutaire,
et diront que ce sera un frein pour le législateur, cjui ,
étant sûr de la désobéissance, ne violera jamais le principe
de la non -rétroactivité. 11 serait trop long de développer
les consé(|u<'nccs de relie doclrine ; il suffit de l'exposer
pour y l.tirc rértéchir.
DE LA. PUHLICATION UliS LOIS. 120
Mais n'avez-vous pas vu, mes collègues, que, dans le
inénic travail où l'on pose le dogme de la non-rétroacti-
vité que je respecte , on projette déjà de îe modifier. Il y
a des cas, dil-on, où la rétroactivité serait juste, humaine
et nécessaire. Par exemple, dans le cas où un homme est
condamné par contumace , exécuté par effigie ; dans le cas
où la mort civile est la suite de son exécution, où ses hiens
passent, à titre de succession, soit au fisc, soit à ses héri-
tiers : dans ce cas, on propose, comme vous l'avez vu, de
rétroagir. Si le condamné, reparaissant, est acquitté, sa
vie civile ne recommencera pas alors du jour de son abso-
lution ; mais elle sera réputée n'avoir jamais été interrom-
pue ; la succession, ouverte d'abord, sera révoquée, et ses
héritiers ou le fisc seront obligés de lui restituer ce qu'ils
avaient possédé à titre de déshérence ou d'hérédité.
Le principe de la non-rétroactivité a donc aussi ses excep-
tions. Ces exceptions-là , il appartient au législateur de les
déterminer; c'est donc à lui à s'en faire un principe, et
non pas au juge, qui doit toujours exécuter la loi, soit
qu'elle se conforme à ce principe, soit qu'elle le détruise
ou le modifie.
Ici, mes collègues, vous me permettrez de vous faire
part d'un doute qui me tourmente depuis que j'ai entendu
hier à celte tribune une phrase fertile, selon moi, en con-
séquences sur lesquelles il est bon de ne pas s'étourdir.
Un orateur, et c'est parce que j'ai beaucoup de confiance
dans ses lumières, dans son expérience, que je l'ai suivi
avec la plus grande attention : un orateur, après avoir dit
qu'il fallait se hâter de décréter les maximes générales con-
sacrées dans le projet qu'on nous présente ; après avoir dit
qu'attendre, pour les y insérer, l'achèvement de tous les
Codes, c'était retarder de plusieurs années leurs salutaires
effets, a ajouté, en parlant de la rétroactivité des lois,
qu'il existait encore plusieurs lois révolutionnaires infec-
tées de ce vice, et qu'il lui tardait de voir les juges alfran-
124 DISCUSSIONS, MOTJFJJ , elC.
chis (lu ri^uureux devoir de prononcer conforiiiëiuent aux
dispositions de ces lois.
Cela veut-il dire qu'il forme le vœu de voir bientôt le
gouvernement proposer le rapport de ces lois révolution-
naires infectées du vice de la rétroactivité ? Cela veut-il dire,
au cou traire, que la maxime projetée, une fois décrétée en
loi , abolit de fait, par sa seule puissance, toutes les lois
qui ont rétroagi ? Cela veut -il dire que les dispositions de
ces lois seront abandonnées au discernement des juges, <|ui
n'y auront plus d'égard , s'ils y trouvent la rétroactivité
que vous allez condamner par l'adoption du principe gé-
néral ? Si cela était, si on avait lieu de le craindre, non
seulement par ce. trait de lumière échappé, mais encore
parce qu'un jurisconsulte fameux, qui a apporté à la ré-
daction du Code le fruit de sa longue expérience, a pro-
fessé cette doctrine dans les nombreuses consultations qu'il
a signées sur la matière , oh ! alors il faut envisager les effets
de cette crainte que je ne peux plus me dissimuler. Je ne
parlerai pins de l'etfet rétroactif de la loi du 9 nivôse an II ,
en tant qu'il se reportait au i4 juillet 1789, puisqu'il a été
rapporté par la loi du 9 fructidor an 111. Mais vous vous
rappellerez, tribuns, qu'on a prétendu qu'il y avait aussi
rétroactivité dans les lois qui, bornant l'effet des substitu-
tions à celles qui étaient ouvrîtes avant le 'l'ô octobre 179'^ ,
abolissaient celles qui, (juoique faites avant cette époque,
ne s'ouvriraient (pj'a[)rès. On i> prétendu cju'il y avait ré-
troactivité dans l'eflét des lois qui, consacrant l'égalité des
partages, privaient quelques-uns des co-partagcans mariés
des droits légaux d'aînesse ou de masculinité ; qu'il y avait
rétroactivité là où les actes, les coutumes avaient assuré
auxenfanK, soit en naissant, soit avant de naître, des droits
h gitimaires c|ue le système d'égalité actuelle leur refusait.
Si la maxime générale (|u'on vous propose d'adopter, tri-
buns, avait l'effet de laisser désormais à rcntcndemcnt des
i»iges le droit de décider ce point : Y al-il ou u y a-t-il pas
DR LA PUBLICATION DKS LOIS. \*2^
létroaclivité clans telles ou telles loisPscrail-il donc extraor-
dinaire (|ue beaucoup d'entre eux partageassent à cet égard
la doctrine que soutiennent beaucoup de bons esprits, et
qui môme a été reproduite plusieurs fois, et avec beaucoup
de chaleur, dans plusieurs de nos assemblées législatives?
Il suivrait de cette concession, que désormais les substi-
tutions, créées depuis long-temps pour le maintien de l'illus-
tration des familles, continueraient d'être régies pendant
plusieurs générations encore par le principe de l'ancien
droit ; que les droits de primogéniture et de masculinité
qui s'ouvriraient pendant un demi-siècle, seraient ré-
clamés par tous les contemporains nés avant le 4 avril 1791.
Que sail-on si, même pour les successions déjà ouvertes,
partagées, les juges, prenant pour exemple la loi du 3
vendémiaire an IV, n'ordonneraient pas de nouveaux par-
tages, sur le fondement que toute rétroactivité blesse le
principe que vous auriez légalisé ?
O mes collègues, si nous décrétions tout cela : sans nous
en douter ! peut-être l'époque de la consécration du principe
de la non-rétroactivité, serait celle de la plus épouvantable
des rétroactions.
Ces observations me fournissent deux réflexions : la pre-
mière 5 c'est que l'impossibilité d'embrasser d'une seule vue
toutes les conséquences qui dérivent d'une maxime géné-
rale nous expose à décréter ce que nous n'apercevons pas.
La seconde, c'est qu'à la fin des révolutions^ surtout, il
faut se prémunir contre ces maximes illimitées; il faut se
garder de les livrer sans frein à toutes tes déductions de
l'entendement humain. Certes, s'il fallait raisonner sur
l'abolition des droits féodaux, sur celle des titres person-
nels, sur les effets de la nuit immortelle du 4 août i^Sg;
il ne serait pas facile de répondre à ceux qui diraient :
J'avais des rentes féodales : j'avais des litres dignitaires;
j'étais né noble et privilégié ; des duchés , des marquisats ,
m'étaient transmis pour moi et pour les miens, par des
126 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC.
subslitnlioiis aullienticjues. Vous pouviez abolir toul cela
pour l'avenir , mais sans rétroigir; il n'était pas au pou-
voir d'une loi révolutionnaire de nie ravir ni les redevances
déjà sli|)ulées en ma faveur sous l'autorité des lois, ni mes
titres i)ersonnels, ni mes propriétés espérées.
Quoique ce raisonnement soit sans réplique , il est pour-
tant vrai qu'on ne peut l'admettre sans convenir qu'il aurait
fallu , pour fonder l'égalité et la République, maintenir les
vassaux dans le servage , la noblesse dans ses fiefs, et s'en
remettre, si cela causait quelques débats, à l'impartialité
des parlemens, qu'on ne pouvait pas non plus dépouiller
du droit de juger tous les dissentimens civils et politiques,
du droit de vie et de mort, qu'ils avaient aussi acheté par
des contrats authentiques et sous la protection des lois.
Je vote contre l'adoption du projet.
•» OPINION DU TRIBUN HUCUET,
FOUR LE FROJET.
Tribuns , la promulgation , ou , si l'on veut, les enregîs-
tremcns et les publications des lois par les diverses au-
torités, unt été de tout temps un moyen employé , iiKjins
pour les laire connaître à clwupic citoyen, que pour iixer
d'une manière légale et autlunliquc la date à laquelle elles
doivent être obligatoires, et par consétjuent la date à la-
quelle elles devaient être présumées connues.
Kn effet, vouUfir (jiu! la loi soit, de fait , connue de tous
les citoyens, c'est vouloir une chose inqiossiblc et hors de
toutes les combinaisons humaines. On |>résciilerait le sys-
tème colossal de faire faire trente millions de bulletins de
lois pour les adresser h cha(|uc individu personnellement,
qu'encore; les 2() trentiènu s des citoyens ne connaîtraient
pas davantage les lois, soit parce (|u'ils ne pourraient ni
ne voudraient les lire, soit |>arce que généralement ils ne
DE L.V PUnUCATIOIS DES LOIS. I27
pourraient les coniprendrc , ou au moins en saisir le véri-
table sens.
Les lois, ou plutôt encore les consécjuences des lois,
sont généralement connues des individus , non par les dé-
lais, les publications et les enrcgistremens , mais lors-
qu'elles les atteignent, soit dans leurs personnes, soit dans
leurs intérêts; c'est une vérité pratique qu'il est impossi-
ble de méconnaître.
Or, puisqu'il doit vous être démontré qu'il n'est pas dans
votre puissance de faire connaître les lois à tous les citoyens,
vous devez donc vous attacher et vous renfermer dans le
système de la présomption.
Celui qui vous est offert par l'article premier du projet
de loi qui vous est soumis , est le seul qui doit vous con-
venir, parce qu'il améliore ce qui a existé jusqu'à présent,
et qu'il perfectionne, autant (|u'il est possible de perfec-
tionner une fiction, un système de présomption.
Il veut que la loi soit obligatoire et présumée connue à
compter du jour de la promulgation faite par le Premier
Consul, en y ajoutant, pour les distances, une heure par
lieue.
Pour moi, j'avoue que j'aurais mieux aimé que la loi
fût obligatoire à compter tout«simplement du jour de la pro-
mulgation c'est-à-dire dix jours après qu'elle aurait été
rendue ; car enfin il n'est toujours question que d'établir
une présomption, et en vérité ces délais ne lui donneront
pas plus de faveur. La publicité sera toujours nulle, ou du
moins elle n'atteindra jamais son but, parce qu'il est dans
la nature des choses que cela soit ainsi. Je suis loin cepen-
dant de ne pas vouloir de ces délais ; s'ils ne sont pas utiles
à mes yeux, il^s ne peuvent pas nuire : ils ont au moins l'a-
vantage d'aider à la fiction et au système seul admissible
de la présomption.
»De quoi les adversaires du projet se plaignent-ils? De ce
que les délais sont trop courts pour que les lois soient con-
128 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
nues; de ce qu'il n'y a plus d'enregistrement et de publi-
cation dans les tribunaux et dans les corps administratifs.
Mais voyons quelle utilité il y aurait à prolonger ces délais ,
.si beaucoup plus longs ils seraient plus utiles , et de quelle
nécessité pourraient être pour la publicité réelle de lois,
ces enregislremens et publications ([ue l'on semble regretter.
Sous la monarchie , les lois se faisaient en secret dans le
Conseil d'État, elles s'enregistraient également en secret
dans les parlemens; jusqu'alors les citoyens n'en avaient
aucune connaissance, ils n'en avaient pas même d'idée.
Elles s'envoyaient ensuite dans les bailliages et justices in-
férieures : dans plusieurs l'enregistrement se faisait dans
la chambre du Conseil, c'est-à-dire encore en secret; dans
d'autres, au commencement d'une audience où il n'y avait
presque personne. C'était une vaine formalité.
Ensuite quelquefois dans les grandes villes où siégeaient
les parlemens ou les intendans , on faisait , un mois ou deux
mois après ces enregistremens, imprimer et afficher quel-
ques-unes de ces lois, car toutes ne l'étaient pas. Ainsi
affichées, elles étaient lues et comprises tant bien que mal
par les citoyens. Voilà quelle était l'ancienne forme ; et ce-
pendant , à compter du jour de ces enregistremens , les lois
étaient présumées connues de tous les citoyens; et il faut
en convenir, malgré le vice apparent de ces actes de pu-
blicité, il n'en résultait jamais aucun inconvénient, ou ils
étaient très-rares.
Les hommes de lois, ceux (|ui par état et par intérêt
étaient obligés de les connaître ou de les appliquer, en
achetaient des exemplaires, les étudiaient, et par leurs
conseils, ou, en en faisant faire ra])plication par les tri-
bunaux, les faisaient connaître aux citoyens. Voilà ce qui
se prali(piait.
Depuis la révolution les lois ont acquis un plus grand
caractère de publicité, mais seidcnient parce (|uelles se
proposaient, se discutaient et se faisaient dans les séances
Dli LA PUHLICATION DES LOIS. 1 29
publiques des Corps législatifs; caries actes d'enregistre-
ment et de publication dans les tribunaux étaient aussi
défectueux et aussi nuls que sous la monarchie. La loi faite,
le pouvoir exécutif l'envoyait aux tribunaux pour la pu-
blier et l'enregistrer, et voici comment se faisaient ces pu-
blications. Le grelïier donnait lecture du titre seul de la
K)i , c'est-à-dire, par exemple, il disait : loi, décret sur
l'ordre jadiciaire. Le commissaire du gouvernement alors se
levait , demandait acte de la présentation et de la publica-
tion de la loi , et il requérait qu'elle fût enregistrée pour
être exécutée selon sa forme et teneur ; et c'était de ce
jour-là que la loi était obligatoire et présumée connue de
tous les citoyens.
En l'an IV , on sentit la nullité d'une pareille publication ;
on regarda même qu'il était impossible d'améliorer ce sys-
tème ; que, quelque [)arti qu'on prendrait, la publicité, autre
que celle donnée dans le Corps législatif, n'aurait jamais
d'effets réels, et qu'il était impossible d'atteindre ce but.
Alors on supprima cet enregistrement et ces publications
regardés comme ridicules; et, par la loi de vendémiaire
an IV, on se contenta de décider que les lois seraient obli-
gatoires et présumées connues des citoyens, du jour que le
commissaire recevrait le numéro du Bulletin des lois et
qu'il en accuserait la réception au ministre de la justice.
Voilà ce qui se pratique depuis Tan IV.
Que fait aujourd'hui le projet de loi.^ il vient améliorer
ce système, il vient le perfectionner autant, comme je l'ai
déjà dit, qu'il est possible de le faire , lorsque la ba.se n'est
et ne peut être qu'une fiction et qu'une présomption.
Ce que j'y vois de favorable , et qui est , à mes yeux, une
grande amélioration , et j'ose môme dire une perfection ,
c'est que l'époque à lar|uclle les lois seront ol)ligaloires ne
sera plus incertaine ; sa fixation ne dépendra [)1ijs des hom-
mes, de leurs négligences ou de leurs volontés ; il n'y aura
VI. 9
lÔO DISCUSSIONS, MOTIFS, Cl?.
plus d'embarras pour les ciloyens pour connaître la dak*
des enregistremens, la dale des publications.
Juges, notaires, horames de lois, simples citoyens, do-
miciliés à cent lieues de Paris, obligés par état de suivre
les progrès de la législation , ou voulant, par besoin ou par
loisir , connaître les lois . sauront qu'une loi a été présentée
tel jour par le Conseil d'Étal au Corps législatif, qu'elle a
été renvoyée auTribunat, où elle a été discutée en public,
qu'elle a encore été de nouveau discutée au Corps législatif,
qu'enfm elle a été décrétée; qu'à compter de ce jour, elle
a sommeillé pendant dix jours , conformément à l'article ^7
de la constitution, et qu'à l'époque de l'expiration de ces
dix jours elle a dû nécessairement être promulguée par le
Premier Consul : ce tjue veut également la constitution.
Or, comme ces ciloyens sont, comme je l'ai dit. domici-
lifs it cent lieues de Paris, ou à cinquante myriamètres,
ils calculeront que dans cent trente-six heures après les dix
jours, elle sera réputée obligatoire dans le lieu qu'ils habi-
tent; rien ne peut déranger ces calculs : ils sont certains et
positifs; dans dix ans d'ici, comme aujourd'hui, chaque
individu saura, avec la date d'une loi , sans avoir recours à
des nienlious infidèles, à des recherches souvent inutiles
et toujours embarrassantes, que cette loi a été obligatoire
dans tel déparlement à compter de tel jour, et même de
telle heure.
Mais, dil-on, ce projet de loi ne parle pas du Bulletin
des lois; sera- 1- il toujours envoyé aux tribunaux? Oui sans
doute : ce projet de loi ne rapporte pas la loi qui établit le
Bulletin ; il faut bien que les lois soient envoyées, et vous
le voyez ntéme dans la discussion qui a eu lieu au Conseil
d'Ltat, et dont des exemplaiies imprimés vous ont été dis-
tribués : ou y parle de ce Bulletin des lois ; on y parle même
d'un règlement (|ui sera fait à cet égard pour les envois des
lois, et pour fixer les distances.
Mais, dit-on. le mini>tre ou le gouvernement peut
DE LA PUBLICATION DtS LOIS. l5l
mettre du retard dans l'envoi de ces lois. Mais quel int(irêt
le gouvernement aurail-il de le faire ? quel est ce soupçon?
Prenez donc bien garde à la position où nous sommes au-
jourd'hui. Lorsque c'était le Corps législatif qui avait l'ini-
tiative de la loi el sa confirction, on pouvait craindre que
le gouvernement d'alors n'en retardât l'exécution : mais
aujourd'hui c'est le gouvernement qui, mu par ses besoins,
propose la loi. Il est donc impossible de croire qu'ensuite
il en empêche ou en retarde l'exécution; mais il le vou-
drait, on pourrait le craindre, que c'est précisément par
cette raison qu'il faut nous hâter d'adopter le projet de
loi, parce qu'il remédie lui-même à cet inconvénient :
car, d'après les dispositions du projet, il ne peut plus et
n'est plus maître d'en retarder l'exécution, il s'est en-
chaîné lui-même.
Eu elfet, j'ai connaissance qu'une loi a été adoptée tel
jour par le Corps législatif, que dix jours après elle a dû
nécessairement être promulguée, parce que le veut ainsi
la constitution; et comme je demeure à cent lieues, les
cent trente-six heures étant expirées, j'ai le droit, dans
mes intérêts personnels, d'en demander l'exécution dans
les tribunaux ou devant les corps administratifs, et ils ne
peuvent refuser ma demande : je suis, dans mon action,
indépendant de la mauvaise volonté ou de la négligence
des agens du gouvernement.
Mais, dit-ou encore, il est possible que des juges reçoi-
vent la loi après l'expiration des délais voulus pour la rendre
obligatoire, et qu'alors, dans l'ignorance de cette nou-
velle loi, ils jugent conformément aux anciennes.
Mais il y a , dans cette observation, une erreur. C'est
précisément les juges qui ont le moins besoin de connaître
à heure fixe les lois, c'est précisément pour eux que la
négligence dans l'envoi de la loi a moins d'inconvéniens.
Les juges ne peuvent juger les procès qui sont pcndaus
devant eux que conformément aux lois qui existaient lors
9-
1 5îê DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
de rouverturc de raclion. Les lois nouvelles ne sont poin»
applicables aux anciens procès; il y aurait alors un effet
rétroactif : et comme les actions sont formées au moins un
mois, deux mois et 'luclquefois six mois ou un an avant qu'ils
j>uissent juger, le retard de quelques jours dans Tenvoi des
lois ne peut avoir à leur égard aucun inconvénient. VoilA
pour les juges civils; il en est de même pour les juges cri-
minels : ils ne doivent point faire, dans leurs jugemens,
l'application des nouvelles lois, mais bien de celles qui
existaient à l'instant du délit.
Mais, dit-on encore, à l'égard des particuliers qui font
des testamens et des donations, et autres actes, il est bien
essentiel pour eux qu'ils aient le temps de connaître les
lois, pour s'y conformer.
Mais c'est encore parcourir le môme cercle. Ne sommes-
nous pas obligés de convenir qu'il est impossible que la
loi soit connue de tous les individus? Or, dès que cela est
impossible, cet inconvém'enl-là subsistera toujours, et de
longs délais, des publications, des alliches multipliées,
tout cela ne pourra jamais y remédier, parce qu'encore
une fois ces délais, ces enregislremens , ces publications,
et surtout ces afliches, ne produisent rien et ne sont d'au-
cune utilité pour la connaissance des lois Un maçon était
condamné à une amende pour contravention aux réglc-
niens de la maçonnerie , et à cinq cents exemplaires du ju-
gement ; il observa au juge que le but des cinq cents exem-
plaires était vraiscmblablcmenl pour faire connaître le ju-
gement à ses confrères, pour (ju'ils pussent en profiler et
éviter luie pareille rondannialiun. 11 dit au juge : Vos cinq
cents exemplaires s(uit inulilcs; j'ai bien cinq cents con-
frères, mais il y en a quatre cents qui ne savent pas lire.
Le juge trouva l'observation juste, et il ne le condanuia
qu'à cent exemplaires. Il eu est de même de l'afliehe des
lois, les quatre cinquièmes sont inutiles.
Au surplus, ces inconvéniens d'actes et de testamens
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 1 33
faits en ignorance des lois, sont îles inoonvéniens parti-
culiers toujours très-rares; car, jusqu'à présent, on n'eu
a point connu de graves : mais, dans tous les cas, ils ne
peuvciil è'.rc eu balance avec l'intérêt général et une me-
sure fixe et commune ; et si vous vouliez vous arrêter à
tous les petits inconvéniens , vous ne feriez jamais rien en
législation; il faudrait renoncer pour toujours au Code
civil. Ne perdez pas de vue que c'est le meilleur, et non le
plus parfait des moyens, que vous devez chercher : le plus
parfait est impossible à trouver; on n'a pas môme pu nous
en présenter un autre à la place.
On a dit encore que le projet de loi présentait de l'in-
exactitude sur le moment où la loi pourra être connue ,
que le premier terme n'est pas fixé, qu'on ne voit que la
fin, qui est encore susceptible de variation et d'instabilité.
Mais il me semble qu'ici on affecte de méconnaître l'évi-
dence.
Le projet de loi, au contraire, est fait pour que le terme
auquel la loi pourra être connue soit fixe , certain et stable.
Ce n'est point par des raisonnemens que je dois répondre
à cette objection , c'est par un calcul simple et clair.
Le voici.
La Iji est rendue le i5 frimaire, le 2 5 elle est nécessaire-
ment promulguée par le Premier Consul, parce que le veut
ainsi la constitution ; l'habitant du département du Rhône
saura, d'une manière invariable, qu'au moyen de ce que
Lycn est le chef-lieu , et qu'il est distant de cent lieues de
Paris, la loi est obligatoire dans son département le pre-
mier nivôse , à quatre heures de relevée, c'est-à-dire quinze
jours après que la loi a été rendue : voilà du positif qui n'est
sujet à aucune variation, qui ne dépend point de la volonté
des hommes ou de leur négligence.
Mais, observe-ton encore , on date bien les actes du jour
où ils sont passés, mais il en est peu que l'on soit obligé
de dater de l'heure ou du moment : et ici il le faudrait, ce
l34 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
qui est un assujétissement ioipraticable, II faut convenir
que cette observation est bien futile. On date tous les actes
du jour, j'en conviens ; cependant on dit quelquefois :
Avant ou après midi.
Mais on les date du jour; c'est dans ce jour que les dé-
lais de la nouvelle loi sont expirés, et (|u'elle est devenue
obligatoire. L'acte daté de ce jour en contravention à la loi
nouvelle, mais conforme à l'ancienne, n'en est pas moins
valable , parce qu'au moyen précisément de ce que l'heure
n'y est pas, la partie contractante est admise à dire qu'elle
l'a fait avant l'échéance des délais : car qui dit le jour, dit
les vingt-quatre heures ; et pour peu qu'on puisse pré-
sumer qu'il a pu être fait avant l'échéance des délais, la
présomption est en faveur de l'acte. C'est ce que veut une
jurisprudence invariable, et c'est ce qui se juge tous les
jours. On aurait dû ne pas feindre de méconnaître ces
principes.
Mais on parle de ces inconvéniens avec une telle con-
fiance qu'il semblerait qu'ils doivent se renouveler vous
les jours, à toute heure et à tout moment.
Prenez donc garde que ces inconvéniens seront très-
rares, comme ils l'ont été jusqu'ici dans la forme actuelle;
car , dans celle-ci , il y a également des heures. C'est à midi
que les lois sont enregislréesi de manière qu'un acte daté
après midi le jour de l'enregistrement est également nul.
Pour ajouter foi sincèrement à tous ces prétendus incon-
véniens et à leur multiplicité, il faut croire d'avance que
notre législation sera versatile , ((ue le Code civil fait au-
jourd'hui sera changé demain. Il faut oublier surtout que
cela est impossible , puis(|ue le Corps législatif n'est assem-
blé que quatre mois de l'année : enfin , il faut oublier que
la discussion des lois est [)ublique; (|uc la loi est rendue
p\il)liqiicuient douze jours aiqiaravant pour les citoyens
domiciliés dans le tribunal de Paris , et quinze jours pour
ceux domiciliés dans le département du Khoiic.
l
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 1 35
On a jeté un ridicule sur ce que les délais étaient [)lus
loni;s pour Rouen que pour Auxcrre qui est plus éloigné ,
mais cela vient de ce qu'il fallait nécessairement prendre
une base de divison , et que les arrondisseniens des tribu-
naux d'appel étaient plus convenables.
On a dit encore que ces délais courraient malgré le dé-
bordement des eaux, la cessation des communications, un
incendie , l'invasion d'un département par l'ennemi ; mais
c'est ici la force majeure des cas fortuits , pour raison des-
quels il y a nécessairement des exceptions commandées
par les circonstances. Et parce que ces cas sont possibles,
il faut que dans une loi générale on y ait égard! de sorte
que , si l'on peut présumer que le débordement des eaux
ou la guerre puisse durer trois ou quatre mois dans une
partie de la République , il faudra, suivant ce système, que
les lois ne puissent être exécutées dans toute la France que
trois ou quatre mois après la promulgation. Ce raisonne-
ment, suivant moi, n'est pas admissible.
On a parlé des colonies, des pays outre-mer; nciàis on a
donc oublié ([ue , d'après la constitution même, il y aura
pour ces pays des règles et un mode d'administration par-
ticuliers : on voit cela encore dans la discussion qu'il y a
eu au Conseil d'État.
Enfin , on a encore dit que les arrondissemens des tribu-
naux d'appel pourront varier; mais les distances, je l'es-
père, ne varieront pas.
Je crois avoir suffisamment examiné les objections qui
ont été faites contre l'article premier du projet de loi qui
nous occupe.
Tribuns , n'oubliez pas que , sur le système de la publica-
tion des lois, il est impossible d'en trouver un qui soit par-
fait; que c'est le meilleur que vous avez à choisir; que les
moyens pratiqués jusqu'à présent ont toujours été nuls,
sans cependant présenter d'inconvéniens graves; que celui
qui vous est présenté est de fait une amélioration ; car il fixe
l5G DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
irrévocablement, arithméliquenient, l'époque à laquelle
les lois doivent être présumées connues, et cette fixation est
absolument indépendante de la volonté des honuiies, ce
(jui est un avantage qu'oîi n'a pas encore eu jusqu'à pré-
sent.
Je passe à rexamen des autres articles de la loi proposée.
L'article 'i dit : La loi ne dispose que pourravenir : elle
n'a point d'elFet rétroactif.
Sur cet article on a fait, il faut l'avouer, une singulière
objection. On a prétendu que cet article ne devait pas faire
matière d'une loi, parce que c'était plutôt un principe de
droit et de morale qu'une dispoî-ition législative. C'est un
article, a-t-on dit , à renvoyer au titre des règles de droit ,
si l'on juge à propos d'en faire un.
Je vous avoue que je ne conçois pas comment on a pu dire
qu'un principe de droit et de morale ne pouvait être une
disposition législative, comme si toutes les lois civiles ne
devaient pas être une manifestation d'un principe de
droit et de morale. On ne devrait donc pas dire le mort
saisit le vif, le plus proche héritier succède, l'enfant mi-
neur ne peut contracter, établir les tutelles, la puissance
paternelle; car tout cela sont des principes de droit et de
morale. Quoi (pi'il eu soit, que ce soit un principe de droit
ou de morale, un précepte ou une règle de droit, je main-
tiens qu'il faut enfin en faire une disposition législa-
tive. On a tant de fois heurté ce principe, celte règle, qu'il
est nécessaire de le convertir eu article de loi. On repro-
chait {\ un juge d'avoir donné un effet rétroactif à une loi.
Il n'y a pas de loi positive qui me le défende, répondait-il.
Cette disposition est donc nécessaire. Un de mes collègues
craint que cette maxime , convertie en disposition législa-
tive, ne devienne un prétexte pour faire revivre les substi-
tutions, les droits léodaux, etc. ; mais ces droits ont été
aboliH pour le passé comme pour l'avenir. C'est la loi clle-
niôme qui a eu cet effet rétroactif, et le juge ne doit qu'y
DE LA PUBLICATION DES LOIS. IO7
obéir. Au surplus, en convertissant celte maxime en loi , ce
serait même donner à cette disposition un effet rétroactif.
L'article 5 porte que la loi oblige ceux qui habitent le 3
territoire.
On a critiqué cet article; on a prétendu qu'il n'était point
exact, puisque, d'après les dispositions mêmes d'un autre
projet de loi, il y avait des exceptions : on aurait donc
voulu que l'on eût ajouté à Tarlicle, sauf les exceptions.
31ais comme on n'a pas dit, dans l'article, que la loi
oblige sans exception, l'observation est nulle; on ne veut
donc pas voir que c'est la règle générale que l'on a posée, et
qu'ensuite les exceptions pourront venir naturellement.
L'article 4 porte : La forme des actes est réglée par les ap. 5
lois du pays dans lequel ils sont faits ou passés.
Le rapporteur de la commission a reconnu que c'était
une maxime de droit non contestée, mais que cet article
appartenait au projet de loi relatif aux étrangers. Il ne
nous a pas dit pourquoi, et je ne puis le deviner. Quant à
moi , je vois que cette maxime est donnée pour règle aux
juges français. Au surplus, que cet article soit ici, ou soit
ailleurs, je n'y mets pas d'importance, pourvu que cette
maxime vraie, qui, quoi qu'on dise, a été souvent con-
testée, soit enfin une disposition législative.
L'article 5 dit : Lorsque la loi , à raison des circonstances, ap. 5
aura réputé frauduleux certains actes, on ne sera pas admis
à prouver qu'ils ont été faits sans fraude.
Contre cet article , les adversaires du projet de loi , après
en avoir critiqué la rédaction, critique qui, à mon sens,
n'est pas juste et me paraît déplacée, prétendent qu'il doit
être renvoyé au Code commercial au titre des faillites , ou
au Code judiciaire au titre des preuves , parce que, disent-
ils, d'après l'exposé même des motifs, il ne se rapporte
qu'au cas particulier d'un acte fait dans les dix jours qui
précèdent une faillite.
Je leur réponds que ce cas particulier n'a été cité dans
l38 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
les motifs que comme un exemple , mais i|u'il y en a bien
d'autres. J'en puise un dans le projet de loi qui nous oc-
cupe : un individu fait un contrat dont les dispositions sont
contraires à une loi promulguée, et dont les délais sont
expirés : eh bien ! ce citoyen sera-t-il admis à prouver qu'il
était de bonne foi, qu'il n'y a point de fraude, parce qu'il
ignorait la loi ? Ainsi cet article est donc utile et doit rece-
voir votre assentiment.
L'article 6 dit : « Le juge qui refusera de juger sous pré-
texte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la
loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de
justice. »
L'art. 7 dit : « Il est défendu aux juges de prononcer sur
les causes (|ui leur sont soumises , par voie de dispositions
générales et réglementaires. »
Votre commission n'apoint critiqué ces deuxarticlesquant
au fond; et, prenez-y bien garde, elle n'a pas même criti-
qué la rédaction ; elle a seulement formé le vœu pour que
ces articles soient renvoyés au Code judiciaire ; c'est une
opinion qu'elle a émise. Moi, j'ai une opinion contraire;
je pense qu'ils doivent précéder et être en tête du Code
civil, ainsi que je le démontrerai dans un instant. Au sur-
plus, je crois qu'au milieu de ces opinions diverses , eu re-
connaissant l'utilité de ces dispositions, vous conviendrez
que leur place est au moins indifférente, et que, dans tous
les cas , ce n'est point un motif de rejet.
Nos collègues Chazal et Carat ont critiqué l'art. 6; ils
ont prétenflu qu'il donnait au juge un droit d'arbitrage
dans le cas du silence de la loi, ce que même on n'avait
pas voulu accorder au Sénat conservateur lors delà discus-
uion de la constitution. Je soutiens que, d'après toutes les
entraves occasionées par tous ces référés au corps légis-
latif, les conséquences funestes et ruineuses qui en résul-
taient pour les plaideurs (pii éprouvaient des dénis de
justice, rinq)ossil)ilité d'ailleurs où on avait toujours été
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 1 3{^
et OÙ on sera toujours de pouvoir, dans la législation ci-
vile, prévoir toutes les questions que font naître les divers
procès, il était temps de faire cesser ce scandale et de
rendre aux juges le droit de juger, lors du silence de la
loi, suivant leur équité naturelle. Ils ont joui de ce droit
jusqu'à l'époque de la révolution , et encore ce n'est que
quelques tribunaux qui ont imaginé ces référés qu'aucune
loi n'autorisait, et qui avaient l'inconvénient d'arrêter le
cours de la justice et les transactions sociales. De même
qu'en Angleterre il y a une cour d'équité, eh bien, cet
article, en rendant à nos tribunauxles droits qu'ils avaient,
les fera aussi dans ce cas tribunaux d'équité.
Notre collègue Chazal nous a dit que cet arbitrage avait
beaucoup d'inconvéniens, surtout pour les juges criminels,
ii s'est trompé, il ne peut être question que des juges ci-
vils : car les juges criminels ne jugent point, ils ne font
que l'application de la loi.
On a encore critiqué le dernier article , l'article 8, qui
porte : « On ne peut déroger, par des conventions particu-
lières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes
mœurs. »
Ici c'est la rédaction seule que l'on a critiquée : on a
d'abord prétendu que les axiomes latins, privatorum pactio
juri puhlico non derogat^ ei jus publicum privatorum pactis mu~
tari non potes t y étaient traduits par cet article ; mais qu'on
les avait changés.
Qui a dit au rapporteur qu'on avait voulu les traduire
littéralement ? Sans doute il est évident que c'est le même
esprit, le même sens, mais on y a donné une explication
et une définition plus étendues, par ces mots, l'ordre public
et les bonnes mœurs, que ne rend pas \q jus publicum des axio-
mes cités.
On a dit que cet article manquait de précision et de
clarté ; je dois ici en répéter les termes.
« On ne peut déroger par des conventions particulières
l40 DI. CUSSIONS, MOTIFS, ClC.
« aux loi« qui intéressent l'ordre public et les bonnes
« mœurs. »
A mon avis, rien n'est plus positif. Mais, dit le rappor-
teur de votre commission, ces expressions peuvent paraître
sufBsamnient intellijiibles dans les discours ordinaires. Or,
ici il me semble qu'il se condamne lui-même : comme les
lois doivent se rapprocber des discours ordinaires pour être
entendues et comprises par tous les citoyens, la rédaction
en est donc bonne,
com. Enfin, il me reste à répondre aux objections générales
qui ont été faites sur le projet entier. Ou]^a prétendu qu'il
n'était pas assez grand , assez noble pour être le frontispice
, du Code civil; que l'article premier s'appliquait à toutes
les lois, tant civiles que criminelles, et que par conséquent
il ne pouvait être à la tête du Code civil, pour lequel il
n'avait pas des dispositions exclusives ; qu'il devait en être
a détacbé ou au moins être placé à la fin ; que l'article i était
3 un précepte; que l'article 5 aurait dû parler des excep-
ap. 3 lions; que l'article 4 devait être classé dans la série des
ap. 5 contrat!? et des obligations; que l'article 5 devait être placé
4-5 dans le Code commercial ; que l'article 6 et l'article 7 ap-
6 partenaient au Code judiciaire ; enfin que l'article 8 n'était
pas mieux placé, qu'il devait être à la fin du Code.
D'abord, quant à moi, j'avoue que je trouve sa rédac-
tion assez claire et assez positive pour être entendue de
tout le monde, (jue c'est même sa simplicité qui fait sa
noblesse; et qu'un début grand et majestueux nuirait au
surplus de l'ouvrage.
1 Ensuite je dis (|u'avant de faire le Code civil, il est né-
cessaire de savoir d'avance comment s'exécuteront les lois,
d'en connaître les cfTcts et rapj)licalion en général, car il
faut connaître le but où Ton veut tendre; il faut au moins
d'avance pressentir le résultat d'un travail que l'on entre-
prend; il faut au moins savoir et d'avance de (|uelle ma-
nière et dans (juelle forme s'exécuteront les lois (|ue l'on
DE L:V PUBLICATION Dl-S LOIS. l4l
va faire et présenter au peuple. Eh bien ! l'article premier
me riiidiijue tout naturellement. Mais, dit-on, il n'est
pas seulement applicable au Code civil, il l'est ta toutes les
lois. Eh bien ! pour cela , il ne faut pas le metlre en tête
du Code? i>Iais je ne vois pas pourcjuoi. Il est juste même
qu'il y soit, puisque le Code civil sera un recueil considé-
rable de lois, et qu'à ce litre il mérite cette préférence.
Avant de faire le Code civil, il est nécessaire de savoir si
les dispositions législatives qu'il renfermera seront pour le
passé ou pour l'avenir; l'art. 2 apprend que c'est pour
l'avenir, parce que la loi n'a point d'effet rétroactif.
Avant de faire le Code civil ,-il est essentiel de savoir qui
sera obligé de s'y soumettre ; l'art. 5 me ra[)prend.
Inquiet d'avance de savoir si le Code civil pourra pré-
voir et embrasser tous les points législatifs, et dans le cas
où il ne le ferait pas, quelle en serait la conséquence,
l'art. 6 me dit que les juges alors y suppléeront, en jugeant
suivant leur équité naturelle et de suite, et qu'alors le
tribunal devient une cour d'équité.
Ainsi toutes les dispositions du projet doivent être placées
en tête du Code civil, parce qu'elles y sont utiles et indis-
pensables.
Mais est-ce bien à nous à juger du classement des lois et
de la distribution par matière d'un ouvrage|législatir? avons-
nous sur ce un droit constitutionnel? J'avoue que je ne le
pense pas. Je suppose que le gouvernement n'ayant pas eu
le temps de nous présenter un troisième titre du Code, et
que par des circonstances alors connues, et attendu une
urgence indispensable et nécessaire à son administration,
il nous présentât le quatrième titre, serions-nous fondés
à rejeter ce quatrième litre parce qu'il ne serait pas pré-
senté dans son ordre? Je ne le pense pas encore. De quoi
sommes-nous chargés? de discuter des points législatifs. Le
classement, l'ordre des matières ne nous regardent point;
nous n^avons ni l'initiative ni la rédaction. Je vous soumets
l4$ DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
cette observation. J'ai essayé de remplir ma tâche autant .
que le temps me l'a permis, et je me résume.
• Je trouve Tarlicle premier, qui présente le système de la
promul«;alion des lois, autant complet qu'il était possible
aux hommes de le faire dans un système qui ne présente,
par sa nature, que des probabilités, que des présomptions.
C'est le meilleur que l'on devait choisir, et on l'a choisi.
Il fixe irrévocablement l'heure à laquelle les lois doivent
être obligatoires et présumées connues : cette fixation est
une sécurité pour les citoyens , parce qu'elle sera désormais
indépendante de la volonté ou de la négligence des hom-
mes, et qu'un citoyen, dans son cabinet, sans recherches,
sans embarras, pourra connaître, par un calcul simple et
à 6 facile, la date qui rend obligatoires les lois. Quant aux
autres articlei-, quelques-uns, il est vrai, ne renferment
que des maximes et des préceptes de droit et de morale ;
mais je désire les voir convertir en loi, en dispositions lé-
gislatives, pour que désormais ils ne puissent plus être
méconnus. Je trouve que les articles en sont bien ordon-
nés, bien classés; qu'il était utile et indispensable de les
mettre en tète du Code civil; que la rédaction en est
claire, bonne et précise. Kt quand il serait vrai qu'elle ne
pourrait convenir qu'à des discours ordinaires, eh bien,
j'applaudis à ce style; j'en rends grâce aux auteurs, parce
qu'elle sera plus à la portée de tout le monde.
Croyez-vous, tribuns, que les législateurs arrivant de
leurs départcmcns, pressés d'avoir un Code civil depuis
longtemps promis et attendu, comme on vous l'a dit,
chercheront à savoir si tel ou tel article de loi doit être
placé là ou là , si le style en est plus ou moins paré ou bril-
lant? Leurs fonctions et les vôtres ne sont point dans le
style; comme eux, vous n'êtes point chargés de rédiger,
cl vous n'avez, à cet égard , aucune responsabilité. Ils s'at-
tacheront, conmie vous devez le faire, à la bonté ujaté-
ricllc des dispositions ; et pourvu (ju'elles s'entendent et
DE LA. PUBLICATION DES LOIS. 1^5
(|irellcs soient conformes à la volonté et aux mœurs natio-
nales, votre devoir et le leur est rempli.
Allons en avant sur le Code civil; ne nous arrêtons pas
au premier pas ; ambitionnons l'honneur d'y avoir parti-
cipé , et ne restons pas immobiles dans une si belle carrière ;
parcourons-la avec dignité; écartons toutes ces subtilités
avec lesquelles on peut tout attaquer et tout contredire.
C'est avec la raison et un sens droit, que l'on fait les lois
et qu'on les discute : l'esprit souvent égare.
Je vote pour le projet de loi.
OPINION L»U TRIBUN MAILLI A-CARAT,
CONTRE LE PROJET.
Tribuns , le gouvernement a dit par la voix de ses orateurs
et dans l'exposition de ses motifs, que le projet de loi sou-
mis en ce moment à votre discussion était le premier de
ceux qu'il a préparés et qu'il présentera successivement
pour la composition d'un corps complet de lois civiles.
A en juger par ces paroles et par l'ordre même de sa pré-
sentation, ce projet, s'il pouvait devenir une loi, devrait
donc être considéré comme l'introduction caractéristique ,
comme la loi préliminaire de ce Code civil (jui est depuis
si long- temps un des premiers besoins de la nation fran-
çaise.
*
Cette observation, qui est bien simple, suffit pour rendre
évident ce qu'il y a de contradictoire entre le titre de ce
projet et sa destination, entre son caractère, qui e^X général,
et la place qu'on veut lui donner dans une branche particu-
lière de législation.
Cette contradiction, son inconvenance, n'ont échappé
à personne, et la discussion vous les a déjà prouvées : mais
elles peuvent avoir des dangers dont on n'a pas été, je
crois, assez frappé.
Elle serait, sans doute, une erreur bien grande et bien
l44 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
fatale, cette opinion (|ui regarderait comme choses indiffé-
rentes, Tordre et la succession où les lois doivent être
rangées pour devenir des Codes réguli^'rs et complets :
l'art de la classification des lois fait partie de celui de coor-
donner les lois avec les rapports qu'elles sont destinées à
maintenir; ou, pour mieux dire, c'est le même art.
Approprier cha({uc loi à la nature de l'objet sur lequel
elle statue, ou ne pas confondre dans leur classification les
lois d'une nature différente , peuvent être deux opérations ;
mais Tune est la conséquence de l'autre.
Faites passer dans l'ordre des lois administratives une
loi du Code civil , dans la classe des lois civiles une du Code
criminel; vous ne jetez pas seulement la confusion dans les
idées qu'il faut se faire des lois pour avoir la certitude, en
ne suivant qu'elles , de suivre toujours la justice : mais les
rapports que ces lois déterminent deviennent incertains,
leur application arbitraire; les intérêts que ces lois garan-
tissent sont alarmés, froissés, troublés par cette contu-
sion ; l'inquiétude des individus devient de proche eu
proche un malaise général , et l'agitation des citoyens, un
ébranlement de la société.
Dira-t-on que tout est chimérique dans une pareille
supposition ? Je voudrais pouvoir me le persuader : — mais
ces longs malheurs auxquels nous avons assisté, et qui
sont encore récens, peuvent être des exemples; et, pour
les houimes «jui sont capables d'éclairer et non de proscrire
l'avenir par les témoignages du passé, une des causes les
plus profondes des désordres qui ont amené la révolution,
comme de ceux (|ui la prolongèrent trop cruellement, se
retrouve dans cet oubli des différens caractères des loi», et
dans la confusion perpétuelle des classes différentes aux-
quelles chaque loi appartient par son caractère.
Si ces observations, vraies sans doute, on les trouvait
trop peu applicables au projet de loi qui les réveille en
moi, je n'en serais point surprix : il en est peut-être des
DE LA PUBLICATION DF.S LOIS. l45
lois comme «les événcmens, tribuns; on ne peut souvent
se faire une juste idée de leur caractère , parce qu'on en
est trop près , et qu'à cette place on est accessible à beau-
coup d'impressions différentes qui tour à tour en exagè-
rent ou en affaiblissent l'importance.
Mais quelle serait, je vous le demande, l'impression na-
turelle qui vous saisirait en ouvrant le Code civil d'une na-
tion étrangère, et en y voyant pour frontispice une loi sur
la publication, les effets et l'application des lois en général?
Le titre seul de cette loi, d'un ordre général, placée ainsi
en tête d'un ordre particulier de législation , vous ferait pen-
ser, ou je me trompe fort, que ce peuple n'a pas de lois
fondamentales , ou que le caractère de ces lois suprêmes
commence à y dégénérer.
Ne seriez-vous pas blessés, tribuns; et cependant ne se-
rait-il pas naturel qu'un étranger portât un pareil juge-
ment des Français, en ouvrant leur Code civil et en y
voyant pour frontispice la loi dont nous discutons le
projet ?
Ce jugement dont vous avez pu apprécier ainsi la jus-
tesse, ne peut-il pas indiquer, jusqu'à un certain point
quel serait l'effet insensible, mais général, de cette loi
à" un ordre supérieur , de cette loi qui est véritablement de
celles qu'on appelle organiques , et qui deviendrait, par
une classification vicieuse, une loi du Code civil?
Personne n'est plus convaincu que moi de l'importance
des lois par lesquelles sont déterminés et garantis les rap-
ports que les citoyens ont entre eux; mais je sais aussi
qu'il y a telle manière d'exagérer leur importance, qui
peut altérer tous leurs principes, en obscurcissant la source
d'où ils doivent couler, en affaiblissant l'esprit des lois
constitutionnelles.
L'ignorance exagère tout, et cependant c'est l'ignorance
qui, s'arrêlant aux formes extérieures, prononce sur tout
VI. lO
l46 DISCUSSIONS, MOTIPS, ClC
la première, prononce sans cesse des jiigemcns qui sont
des erreurs.
Et c'est pourquoi la classification des lois, qui est une
partie essentielle de leurs formes , si elle est vicieuse , peut
engendrer très-rapidement les plus funestes préjugés.
Il y aurait un moyen infaillible , tribuns , de frapper votre
esprit des funestes effels que pourrait avoir cette loi, à la
place qu'on veut lui donner dans le Code civil; ce serait
de vous offrir toutes les fausses conséquences que pour-
raient en lircr la logique de l'ignorance et la mauvaise foi
des passions. Mais je me garderais bien d'encourir au mi-
lieu de vous , par ce genre de supposition , le reproche
d'agiter de vaines alarmes sur une terre où la paix est
descendue.
Puis-je vous cacher cependant, et pouvez-vous ignorer
qu'il est une espèce d'hommes qui méritent un tout autre
nom que celui d'ignorans, et qui professent du ton le plus
dogmatique, le plus absolu, que toutes les lois dont un
peuple ait vraiment besoin se bornent à un Code civil;
que la nature et les formes des autres lois sont indiffé-
rentes; que les lois politiques, surtout, sont sans objet;
que leur existence est toujours une illusion, et l'opinion
qui les réclame une manie coupable et fatale ?
Ces maximes du pouvoir arbitraire, et leurs fauteurs,
n'auront jamais d'accès dans aucun des pouvoirs que la
constitution a organisés, et s'ils pouvaient jamais acquérir
quchjue influence réelle, ils trouveraient dans chaque
membre de cette assemblée un dénonciateur qui les dé-
vouerait à la vengeance des lois et à l'horreur de la nation.
Mais ce sentiment même, qui nous est commun à tous,
mes collègues, est un motif pour tous de rejeter le projet
d'une loi avec la(juellc ces maximes perverses, cl les passions
«lu'cllcs fomentent, pourraient trop facilement s'allier.
Je ne me propose j)oinl d'entrer , tribuns, dans l'examen
particulier des différens articles de ce projet pour relever
DE LA PUBLICATION DES LOIS. \i^']
tous les vices de sa rédaclioD , le rapport de votre commis-
sion a rempli ce soin d'une manière que je ne pourrais pas
assez heureusement imiter : c'est l'esprit général, et par
conséquent, l'eiret général de ce projet, que je cherche et
que je vais attaquer dans les dispositions qui me le mon-
treront.
Et d'abord, tribuns, je suis arrôté par les expressions et
par le sens du premier article de ce projet. Les lois , y est-
il dit, sont cxccutoircs en vertu de la promulgation qui en est
faite par le Premier Consul.
Ai-je besoin de m'appesantir eu grammairien sur cette
expression en vertu , pour faire apprécier sa valeur , pour
eu montrer toute l'étendue? Non sans doute; et tout le
monde m'enlcndra quand je dirai que la composition et
l'usage de ce mol suffisent pour faire voir ici , dans l'em-
ploi qu'on en fait, une véritable hérésie politique, une
atteinte réelle à notre constitution.
Non , la promulgation n'est pas un caractère constitutif
de la loi , ce que signifierait l'expression en vertu : la pro-
mulgation n'est qu'une forme extérieure de la loi ; elle est
le premier moyen, le premier acte de son exécution, et
non la condition virtuelle, génératrice de l'obéissance qu'on
lui doit. Les lois sont exécutées ou exécutoires en vertu de
ce qu'elles sont lois; les lois sont lois en vertu des condi-
tions auxquelles l'acte constitutionnel a soumis la forma-
tion de ces actes suprêmes : ces conditions virtuelles de la
formation des lois, et par conséquent, de l'obéissance qu'on
leur doit, sont la proposition du gouvernement, la com-
munication au Tribunat, le décret du Corps législatif; ce
n'est ({n'en vertu de cette triple condition qu'il peut être
promulgué de nouvelles lois, dit la constitution. Vous le
voyez donc , tribuns , la promulgation n'est pas une forme
intrinsèque , mais extérieure de la loi.
C'est donc à tort qu'un membre du Conseil d'État a pré-
tendu qi'e la promulgation complète le caractère de la loi :
10.
1^8 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc
ce qui peut compléicr le caractère d'un acte, c'est une
des conditions qui le constituent : or , la promulgation
n'est pas mise par la constitution au nombre des condi-
lious en vertu desquelles il peut être promulgué des lois
nouvelles.
S'il pouvait rester un doute à cet égard, je demanderais
si, après le ilélai de dix jours ordonné par la constitution
pour dénoncer une loi qui lui serait contraire, le gouver-
nement peut en refuser, peut en retarder la promulga-
tion? Non , sans doute, le texte de la constitution ne per-
met pas ici une réponse négative.
Tout décret du Corps législatif, dit la constitution , le
dixième jour après son émission , est promulgué par le Pre-
mier Consul , à moins qu'il n'y ait eu recours au Sénat pour
cause d'inconstitutionnalité.
Donc, après l'expiration de ce délai, la loi est loi, tous
ses caractères constitutifs sont complets; toutes les condi-
tions virtuelles de sa formation sont rem[)lie8 : elle est exé-
cutable ou c.Lccutoiie , comme disent les jurisconsultes.
Cela est tellement vrai, que, si, après l'expiration du
délai constitutionnel , la promulgation de la loi était re-
fusée ou diirérée, le ministre dépositaire du sceau de
l'Klat et chargé de l'envoi des lois, aurait encouru la
peine de la responsabilité; et le Tribunal serait obligé de
l'accuser devant le Corps législatif. Il faut donc dire tout
simplement : Les lois sont exécutées ninvs la promulga-
tion, et non en vertu de la promulgation (|ui en est faite
par le Premier Consul.
Mais je crois (pi'on a donné, surtout t^ cet acte, un ca-
ractère et des effets qui ne lui appartiennent pas, parce
(ju'on ne s'en est pas fait des idées assiîz bien déterminées.
Les uns ont voulu voir une dilférence entre le mot de
promulgation et celui du puùlicaiion ; et cette ditfércnce existe
en eifet : mais elle est dans l'emploi relatif (|u'on fait de
chacun de ces mots, et non dans Tac tion qu'ils expriment.
DE LA PUBLICATION DBS LOIS. l49
Promulguer, ainsi que l'indique assez l'étymologie Vi-
sible du mol , veut dire publier ; mais on a affecté le mot
de promulgation aux actes législatifs, pour caractériser la
pu?)lication de ces actes , qui se font au nom de tous, pour
tous, et sur tous; et c'est ce que désigne la composition
même de ce mot : elle indique bien Taction du pouvoir qui
publie la loi, et Tobjet de l'action.
Il paraît qu'on est tombé dans cette indétermination
d'idées et dans ces fausses distinctions de mots, parce
qu'on a pris pour l'acte de la promulgation les formes dont
il doit être revêtu, et par suite ses moyens pour ses effets.
JL'actc de la promulgation n'en est pas telle ou telle
partie , mais tout ce qui le constitue : ainsi les formules
usitées en têle de l'acte , l'apposition du sceau national, la
signature du Premier Consul et celle du secrétaire d'État,
l'envoi aux différentes autorités compétentes pour l'exécu-
tion , et enfin l'affiche pour les citoyens; c'est cet ensemble
de formes, de moyens et d'effets qui est l'acte de la pro-
mulgation.
S'il y a dans l'acte et l'effet de la promulgation une suc-
cession nécessaire de temps , l'acte et l'effet n'en seront
pas moins indivisibles; c'est la même chose successivement
opérée; c'est une suite d'actes *qui se rapportent tous au
premier, qui en dérivent et qui en dépendent : il faut que
tous aient été accomplis pour que l'acte soit complet.
De là nait la nécessité de fixer un délai uniforme, et
(jui soit relatif à la grandeur de l'objet et à l'étendue des
effets de la promulgation.
Si la République était dans une seule de ses villes , le
délai d'un jour pourrait suffire; plusieurs jours sont né-
cessaires pour que son vaste territoire soit placé, en quel-
(jue sorte, sous l'acte de la promulgation et sous l'empire
de la loi.
On a dit que la majesté de la volonté nationale exigeait
qu'elle fût obéie à l'instant qu'elle est connue : c'est un son-
^
l5o DISCUSSIONS, MOTIFS, elc
timent vertueux , que le respect qu'on a exprimé pour cet
acte souverain ; mais l'idée qu'on se fait de sa majesté est
une erreur.
La majesté de la loi est surtout dans la manifestation
solennelle par laquelle elle se fait connaître à tous pour
commander à tous.
Ces détails prolongés dans lesquels je suis entré pour
essayer de déterminer le véritable caractère de l'acte de la
promulgation, pourront vous prouver, je crois, que les
dispositions qui s*y rapportent dans ce projet de loi, don-
nent tout à la fois au projet un caractère contraire à la
constitution et à l'acte des moyens indignes de son objet.
Il est dans ce projet de loi, tribuns, une disposition
plus absolue, plus abusive, plus funeste encore, sur la-
quelle je dois appeler toute voire attention ; c'est celle dis-
position par laquelle le juge pourra ctre poursuivi comme cou-
pable de déni de Justice , parce qu'il aura refusé déjuger sous le
prétexte du silence , de l'obscurité ou de V insuffisance des lois.
Elle peut paraître étrange , cette disposition , qui efface ,
en quelque sorte, le Code civil, avant qu'il soit présenté.
Qu'est-ce donc, me suis-je demandé, chez une nation
civilisée, c'est-à-dire régie par des lois, qu'est-ce que cette
justice, par laquelle sa puissance intervient dans les dé-
mêlés qui s'élèvent entre des particuliers ? Celte justice, qui
est l'intervenlion même de la société pour le maintien des
rapports qui la composent, peut-elle être donc autre chose
que rap[)licalion des lois qui ont déterminé ces rapports?
Non, tribuns, la justice de la société n'est et ne peut
être que ce que prescrit la loi, que le texte même de la
loi.
Mais si le texte de la loi est tellement obscur qi^'il cache
au juge ce qu'elle a prescrit; si l'objet sur lequel on la ré-
clame n'est pas assez déterminé par elle pour que son ap-
plication puisse l'embrasser, vous exigez que le juge rende
un arrêt lorsqu'il doit être sans détermination; et, bien
DB LA PUBLICATION 0£S LOIS. l5l
plus , lorsque la loi se tait vous voulez qu'il la fasse parler ?
Juger est donc autre chose qu'appliquer la loi.
Et quelle raison donne-t-on de ce dangereux système?//
y avait des juges, dit-on , avant qiiiijreûtdcs lois. Et comment
sait- on si bien ce qui se passait dans ces temps reculés qui
n'ont pas d'histoire ? Oui , sans doute , il y a eu des sauvages
et des barbares avant qu'il y eût des hommes civilisés; il y
a eu aussi des maîtres avant qu'il y eût des magistrats : est-
ce à dire que nous devons donner, que nous donnons le
nom de juges à ceux qui prononcent entre les particuliers,
là oïl les lois n'ont pas prononcé? Non, sans doute, tri-
buns; parmi nous ce sont des arbitres, et en Turquie c'est
le despotisme.
Mais s'il y avait des juges qui jugeassent sans suivre les
lois, dans ces temps qu'on connaît si bien, et ou il n'y
avait pas de lois , il y a apparence qu'on a fait des lois pour
être jugé par elles et non par eux, pour que le juge fût
l'agent et non le maître de la loi, pour qu'il fût l'organe de
la loi et non pas la loi elle-même.
Concluons donc que désormais, du moins , et pour nous,
un juge ne peut être, comme le dit Montesquieu, que la
houchc qui prononce les paroles de la loi.
Les rédacteurs du projet du Code civil se sont trop dé-
fiés d'eux-mêmes, lorsqu'ils ont pu consentir à donner sur
les lois dont ils avaient la première conception , ce terrible
droit de les interpréter, de suppléer à leur insuffisance, et
même à leur silence; mais il ne faut pas que cet abus de
leur modestie prévaille sur le caractère de la loi et sur les
droits des citoyens.
Pour faire connaître et apprécier ce droit de l'interpré-
tation des lois, pour faire frémir sur ses effets et les ci-
toyens, et ces hommes modestes qui ont pu lui sacrifier
d'avance leur ouvrage, il suffit de rappeler les expressions
par lesquelles l'un d'eux a défini l'interprétation dans le
l5*i DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
discours préliminaire d'un des projets de Code civil qui
nous ont été distribués.
Quand la loi est claire j y est-il dit, il faut la suivre; quand
elle est obscure, il faut en approfondir les dispositions; st
Ton manque de loi, il faut consulter Yusage ou Véquité.
L'équité est le retour // la loi naturelle, dans le silence, l'op-
position ou l'obscurité des lois positives.
Quand la loi est claire, \\faut\a. suivre : c'est donc à dire
que lorsqu'elle n'est pas aussi claire qu'elle devrait l'être
toujours, \\ faut ne pas la suivre; et cette clarté de la loi
qui est une condition sine qua non de son application , c'est
le juge qui en décide et qui, selon ses idées sur ce qui
constitue la clarté d'une loi, peut la suivre ou la faire?
Car , d'après le droit de l'interprétation , que dis-je ! d'après
le projet de loi que nous discutons, il faut que le juge juge
toujours, ou il est coupable d'un déni de justice.
Je m'arrête, tribuns, et je ne veux pas continuer ainsi
l'analyse de chaque partie de celte définition ; on pourrait
croire que je veux donner à cet examen un caractère
trop différent, sans doute, de mes intentions : j'ai voulu
seulement, et j'ai dû prouver les dangers de l'interpréta-
tion, par les paroles mêmes de celui (|ui faisait de sa doc-
trine une loi nécessaire du Code civil. Il ne faut pas croire
qu'on puisse faire de ce droit terrible une définition meil-
leure que celle de ce jurisconsulte justement célèbre : non ,
cette définition du droit de l'interprétation est un énoncé
exact et complet de ses effets; et, il faut le dire à la louange
de son auteur, sa conscience a asservi son esprit.
Il n'est donc pas vrai que le juge qui s'abstiondrait de
j uger dans le silence de la loi , qui s'abstiendrait à cause de
Hon obscurité <»u de son insuilisancc , fût coupable d'un
déni do justice; il refuserait le droit d'une injustice , l'im-
punité d'un attentat aux droits des citoyens et à la sainteté
de la loi.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. l53
Mais si le juge refuse un arrêt par l'un de ces motifs, où
les citoyens pourront-ils donc implorer et obtenir justice?
Je réponds d'abord qu'une bonne législation doit préve-
nir ces cas, qu'elle peut au moins les rendre extrêmement
rares ;
En second lieu, que le refus de juger, fait par un juge
quelconque, et ainsi motivé, est un jugement susceptible
d'appel et puis de cassation comme tous les autres ; l'appel,
le renvoi à un autre tribunal, donnent des juges nouveaux
qui , s'ils se refusent à prononcer un arrêt, comme les pre-
miers, prouvent la justice du refus et le besoin d'une nou-
velle loi : mais comme la loi ne peut avoir d'effet rétroactif,
ceux qui sont en discussion sur un objet qu'elle n'a pas
déterminé^ peuvent attendre la loi qui interviendra oommc
la règle volontaire de leur débat.
Enfin , que, si la nature de la discussion ou l'impatience
de la terminer, ne leur permet pas cette attente, ils sont
alors comme s'ils étaient dans ces temps où il n'y avait pas
de lois; ils prennent des arbitres.
L'abus des référés aux législateurs, dont on paraît si jus-
tement effrayé, a cessé d'être à craindre avec les causes
qui l'avaient fait naître parmi nous.
Dans ce passage d'un régime ancien à un nouvel ordre ,
qui s'appelle une révolution, tous les rapports ordinaires de
la société sont inévitablement atteints par le mouvement
qui la renouvelle ; il faut des lois qui suivent ces rapports
dans leur changement: s'il est bien difficile qu'une grande
révolution s'opère tout d'un coup et sans combats, il n'est
pas moins difficile que les combats aient toujours les mêmes
causes, et les victoires les mêmes caractères ; les rapports
de la société sont tourmentés et altérés, comme ses élé-
mens, par les passions qui l'agitent; la plupart des lois,
comme les événemens, peuvent être tour à tour des excès
différens ; et le juge, tremblant d'appliquer une loi née
d'une circonstance qui n'est déjà plus, ou de s'exposer à la
l54 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
vengeance des passions qui, d'un instant à l'autre , font une
circonstance nouvelle, interroge le législateur pour rassu-
rer sa conscience ou sa faiblesse.
Telles sont les causes multipliées et variées qui produisi-
rent l'abus des référés; et le changement des temps, comme
celui de toute notre organisation intérieure, ne permet
plus de craindre qu'elles se renouvellent.
Si rexpérience cependant,, expérience qui ne pourrait
pas être tardive, prouvait que la législation n'est pas assez
complète pour prévenir l'abus des réTérés au législateur,
ce serait là sans doute pour lui Tobjet d'un sérieux examen ;
ce serait là, peut-être, le sujet d'une institution spéciale-
ment destinée à prévenir cet abus, ses dangers, et bien
appropriée à cette destination. L'Angleterre nous offre
l'exemple d'une institution de ce genre dans ses cours
d'équité, dont la cour de chancellerie est la principale. S'il
était possible qu'une législation toute renouvelée, et pré-
parée avec tant de soin, tant de scrupule, par des esprits
si éclairés, puisqu'ils ont été choisis, pût nous rendre,
d'un moment à l'autre, cet établissement indispensable, il
suffirait, pour le réaliser, que la loi donnât une attribution
nouvelle au tribunal de cassation, ou lui traçât seulement
un usage nouveau de celles qu'il a déjà. D'autres moyens
encore propres à ce but, et qui feraient sortir de celle es-
pèce d'interrègne de la loi de grandes impressions, une
morale (fui consacrerait son auguste caractère, seraient
toujours au pouvoir du législateur, et bieu faciles à son
génie : mais, en attendant, tribuns, gardez-vous de croire
que vous puissiez consacrer par votre adoption le projet
d'une loi qui anéantit le bienfait et l'existence des lois ci-
viles qui vont être décrétées.
Mais cette doctrine du droit de l'interprétation des lois,
SCS auteurs croient qu'elle est indis|)ensable, parce qu'ils
n'ont pas assez distingué les maximes du gouvernement
monarchique sous lequel ils ont acquis leur réputation de
OE LA PUBLICATION DES LOIS. l55
graods jurisconsultes, des principes du gouvernement ré-
publicain sous lequel ils sont appelés à mériter la gloire de
législateurs.
Ce n'est pas, tribuns, par mes faibles paroles , mais par
la nature des choses et par l'autorité de Montesquieu , que
je vais établir et rendre sensible la nécessité de cette dis-
tinction et de ses effets. Je suis heureux de pouvoir oppo-
ser à l'exposition des motifs du projet que nous discutons
V Esprit des lois, cet ouvrage qui semble un extrait du grand
livre des destinées.
Apres avoir observé que, dans les états despotiques, il n'y a
point de loi, que le juge est lui-même sa règle, Montesquieu
ajoute : Dans les états monarchiques , il y a une loi; et là où
elle est précise, le juge la suit; là oie elle ne l'est pas, il en cherche
l'esprit. Dans le gouvernement républicain, il est de la nature de
la constitution que les juges suivent la lettre de la loi; il n'y a
point de citoyen contre qui on puisse interpréter une loi, quand
il s'agit de ses biens, de son honneur ou de sa vie.
Remarquez, tribuns, que les paroles de Montesquieu
accordent beaucoup moins à l'arbitraire du juge monar-
chique, que n'en donnent aux juges, dans notre républi-
que, les motifs et le texte du projet de loi que je com-
bats.
Ce n'est pas le nom de Montesquieu seulement, c'est la
nature des choses, qui établit cette différence dans l'appli-
cation des lois d'une monarchie et d'une république.
Ces différences de rangs, d'origines, de conditions, qui
caractérisent une monarchie; ces innombrables et arbi-
traires classifications , où les hommes et les choses y sont
jetés, créent dans cette espèce de société une infinité de
rapports différens d'où naissent la multiplicité et la diver-
sité des lois.
C^ csX dans ces lois c^'' il ne faut pas être étonné, dit Montes-
(juieu, de trouver tant de règles , de restrictions , d^ extensions
qui multiplient les cas particuliers, et semblent faire un art de la
l56 Discussions, MOTIFS, ClC.
raison mcrnc. C'est cet art qui est la jurisprudence , l*arl de
rinterprétation des lois.
Il faut avouer qu*à ces principes généraux de la diversité
des lois dans toutes les monarchies, la monarchie fran-
çaise en joignit qui lui étaient particuliers, et qui produi-
sirent cet assemblage bizarre des Codes les plus contraires ,
cette confusion légale dont le rapport de votre commission
vous a présenté le tableau.
Assurément dans ce chaos, qu'on appelait une législa-
tion, et que ne pouvaient éclairer quelques belles ordonnan-
ces dictées par le génie des THopital ou des d'Aguesseau, le
fil de l'interprétation devenait un guide nécessaire pour
celui qui osait monter sur un tribunal ; et l'arbitraire du
juge pouvait y être la justice.
Mais le remède même aggravait bientôt, aggravait sans
cesse le mal qu'il devait pallier ; et l'immense collection
des arrêts des parlemens , le plus souvent différens dan»
des causes semblables ; les recueils innombrables des nou-
veaux jurisconsultes , aussi d'accord entre eux que les arrêts
des parlemens, étaient devenus autant de sujets de con-
tradiction pour les particuliers, autant de causes de péni-
bles incertitudes ou de moyens d'arbitraire pour le juge (a).
Et je le demande à ceux de mes collègues qui, dans cette
profession si pénible, si honorable, et dont l'utilité est le
'»] Entrr autres {aii.« <|ui pciiv<-Dt pronvir diius i{u*'l|c Kiiuniion alTn ose une pareille législatioD
nMttait ncctruairciiieut et lu maf^Utrals et l<-« partiruliers , j'en cilerai un dont j'ai été lénioiu , et
dont je reçuf uftr impreaioo qui nv iVti |ainai( effacée ni aiïaiLlie.
Lortqui- je tuivttik le< érolei d<- droit . je luivaii auui le barreau pour apprendre à connaître K-«
|i>if en voyant leur appliraiion. Une oaiiie qui avait l>eauroup d'érlat avait appelé un puMic nom-
breux ■ une audienre de la grand'eli ambre du parlement de Bordeaux : j'avorat qui plaida le
premier fooda la juMtce 4e «a t-auir tur trente arrêta de diffireui parlemens, lur plui de trente
dtriiioni dei pluf r/|ébre« juriKuaiulte* ; le lecoiid avocat fonda la justice de sa cause sur Innle
arrêts de dilTéreiii parlemens, sur plut de trente déeiMons des plus célèbres jurisconsultes. Enfin ,
dit-il avec un aeceni de probité qui faisait entendre toute Sun âme, à ce nombre au niuins pareil
d'aulorilés , j'ajoute tout |e poids de l'auluriié du Dumoulin , qui doit faire pencber d<- iu«iii côl^
la balance de la justiee : il perdit son piorég. J'étain Rani doute irop écolier pour .ipprécier a|ori>
tout rr <|u'il y II de mérite dan» le» ouvrantes de Muiiioiiliii ; mais je fus ruiifoudii d<- voir qu'il y
eût .tant de raison» pour KiiftiK r un pr» <" iiim f)i i:ii»uti.« pnur h petUn. et n peu de uiojen»
pour r< »onn»llre |;i jiKlii'i
DB LA PUBLIC ATIOPC Dl-S LOIS. lÔ^
premier salaire, ont réfléchi sur le earaclérc de ces lois
qu'ils invoquaient pour ceux qui no les connaissaient pas;
je le demande à tous ces jurisconsultes incapables d'inven-
ter des dillicullés pour se rendre nécessaires, et de craindre
ce bon sens, cette expression simple de la loi, qui pour-
raient prévenir beaucoup de procès et en rendre la pour-
suite moins incertaine ; je leur demande s'ils n'ont pas
gémi mille fois sur cette législation dont les fils innombra-
bles et sans cesse rompus, pouvaient à peine être démêlés
par tous les efForts de leur esprit, et offrir, de loin en loin ,
à leurs investigations scrupuleuses, un but où se reposât
leur conscience; je leur demande s'ils n'ont pas appelé,
avec toute la France , une législation qui réparât enfin les
effets et prévînt à jamais le retour de l'interprétation des
lois du droit de suppléer à leur insuffisance et à leur si-
lence. El c'est au moment même où cette législation nous
est offerte, qu'on donne à l'application des lois un principe
qui doit les détruire !
Dans une république, tribuns, dans la république fran-
çaise surtout , la simplicité et l'uniformité des lois sont une
conséquence nécessaire de l'égalité absolue qui fait la base
de la constitution ; les lois peuvent y atteindre et détermi-
ner avec précision les rapports qui naissent naturellement
entre des citoyens unis par des besoins communs et par
des intérêls réciproques : dans un tel état, l'interprétation
des lois, le droit de suppléer à leur insuifisance ou à leur
silence, ne pourraient que troubler les déterminations de
la loi, et ébranler toutes ses garanties.
Il faut, sans doute, que les citoyens puissent être arrêtés
dans leurs démêlés par toutes les voies de la conciliation ;
c'est un devoir du législateur, et une partie de son génie,
de multiplier avec habileté tous les moyens de prévenir un
procès : il faut que les arbitres de la confiance , les arbitra-
ges de raison et d'équité naturelles, arrêtent les citoyens
et les réconcilient avant qu'ils aient porté leurs débats jus-
l58 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
qu'an sanctuaire de la loi. Mais, parvenus là, il^ne doivent
avoir que la loi pour juge ; le juge n'y peut être que la bouche
de la loi.
Pour autoriser le droit de l'interprétation dans cette
partie de la législation qui s'appelle civile , on a distingué
ses caractères de ceux qui sont propres à la législation cri-
nninclle : cette distinction qu'on se croit obligé de faire,
est un aveu de l'abus, des dangers de l'interprétation des
lois, et non une preuve que l'usage puisse en être bon , ni
qu'il soit indispensable dans aucun genre de loi.
Les caractères de ces deux branches particulières de la
législation générale sont différens sans doute; et il est bien
impossible de penser à les confondre : mais la différence de
ces caractères doit porter sur les formes de la procédure ;
elle doit donner un caractère distinct aux actes propres à
l'objet de chacune de ces procédures; mais elle ne peut
pas porter sur l'application de ces lois : cette différence
des formes dans les deux procédures ne peut pas en deve-
nir une dans la manière de juger : car, dans l'une comme
dans l'autre procédure, c'est toujours de l'application de
la loi qu'il s'agit , c'est cette application qui est le jugement.
Montesquieu n'a pas fait cette distinction sur la manière
d'appliquer la loi en matière criminelle et en matière ci-
vile, dans un état libre ; la monarchie française ne la faisait
pas davantage; Tinlerprétation et son arbitraire régnaient
sur les sièges de la Tournclle comme sur ceux de la grand'-
chambre des parlemens.
// n'y n point de citoyen y dit Montesquieu, contre qui on
puisse interpréter une loi, quand il s'agit de ses Liens, etc. Cette
expression, ses biens, désigne, sans doute, les lois civiles :
et si elles ont encore bien d'autres objets qui doivent nous
les rendre plus chères; c'est une preuve que Montescjuieu
n'a pas désigné celui-là au hasard : et c'est qu'en effet, la
propriété fait partie de l'existence du citoyen ; c'est un des
plus grands intérêts de la furinalion et du maintien de la
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 1 Sq
société; et je suis élonné, je vous ravouc , tribuns, qu'on
u*apcrçoivc pas à quel point cette différence qu'on veut
niellrc dans la manière de juger au civil et au criminel, et
la distinction sur laquelle on rétablit, pouvent affaiblir le
principe de la propriété, ce principes! vrai, si nécessaire,
si fécond dans les sociétés modernes.
C'est pour les lois civiles comme pour les lois criminelles,
que Montesquieu dit encore : Lesjugemens doivent être fixes
à un tel point, qti*iîs ne soient qu'un texte précis de la loi ; s'ils
étaient une opinion particulière du Juge, on vivrait dans la so-
ciété sans savoir précisément les engagemens que Von y contracte.
Montesquieu y avait pensé, sans doute, pendant les
vingt années qu'il a passées à faire son ouvrage; et puisque
cet esprit si sage dans sa grandeur n'a pas fait cette dis-
tinction, puisqu'il n'en a pas même aperçu le motif, il
m'est permis de penser qu'elle n'est pas aussi fondée sur la
nature des choses qu'on paraît le croire; il m'est permis,
peut-être, de la prendre plutôt pour une erreur de la ju-
risprudence que pour un principe de la justice.
Mais Delolme, qui a fait si bien connaître et apprécier
toutes les parties de la constitution anglaise, cet écrivain,
dont l'esprit paraît si juste , surtout parce qu'il est très-mo-
déré, après avoir exposé les attributions de ces cours
d'équité créées par la loi, et spécialement destinées à sup-
pléer à son insuffisance ou à son silence, juge cependant
cette institution avec une rigueur qui peut étonner et
ébranler la théorie la plus hardie sur l'interprétation des
lois.
Fu la précision des idées qu'on se J orme aujourd'hui, dit
Delolme, du pouvoir des magistrats et des juges, on peut a peine
se figurer que cette espèce de tribunaux , quelque utiles qu'ils
soient , puissent être autorisés.
Et ce qu'il y a de bien remarquable , c'est que les publi-
cîstes anglais tiennent pour maxime que la cour de cqan-
CELLEBiE, qui cst la première des cours d'équité, ne saurait
iGo DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
porter atteinte aux biens, mais à la personne. On peut être fort
surpris de trouver cette opinion parmi les publicistes d'une
nation qui a un sentiment si scrupuleux, si inquiet même
de la liberté : ja crois cependant que celte opinion est
fondée sur l'observation vraie des intérêts et des passions
qui s'agitent dans la société. Il n'est pas rare que la fortune
et les biens d'un homme n'inspirent l'envie et ne poussent
à la recherche des moyens de l'en déposséder; mais, dans
cette faiblesse trop malheureuse, le cœur humain est au
moins très-difficilement capable de se porter jusqu'à une
violence homicide.
Il ne suffit pas, tribuns, d'opposer à cette distinction
et à ses dangereuses conséquences, l'autorité d'un des
premiers génies de notre nation , celle de Delolme , des
publicistes et des exemples de l'Angleterre; il faut qu'elles
soient jugées et dissipées par la nature môme des choses;
et, pour cela, ce sera assez de l'examen le plus simple
comme le plus facile.
En matière civile comme en matière criminelle, c'est
toujours sur un fait que la loi et le juge prononcent.
En matière civile, le fait se complique, il est vrai, plus
qu'en matière criminelle; c'est un acte dont il faut con-
naître les formes que la loi a déterminées.
Ainsi la loi civile fait, en quel(|ue sorte, le patron de
tous les faits , sur lequel le juge doit et peut l'appliquer.
En matière criminelle . l'existence du fait est décidée par
le jury avant que le juge y applique la loi.
Si les jurés avaient été établis en matière civile , comme
l'assemblée constituante fut au moment de le faire , le juge
n'aurait eu qu'à appliquer la loi au fait, dont l'existence
aurait été constante par la déclaration du jury.
Eh bien ! dans la procédure actuelle , le juge, en matière
civile, appli(|ue la loi en ntêmctenqKs qu'il est juge du fait.
C/cHt une raison pour (pie la loi lixe avec plus de préci-
sion les caractères qui constituent le fait au civil.
I
DE LA PUBLICATION DES LOIS» iGl
C*est une raison pour que le juge soit plus religieux à
reconnaître l'identité tlu fait particulier du procès, avec
le patron général que la loi en a tracé.
Mais ce n'est pas une raison pour qu'il puisse voir dans
la loi plus qu'elle ne dit, pour qu'il puisse régulariser un
acte qui n'a pas les caractères de la loi.
11 n'est donc pas vrai , tribuns, qu'en matière civile plus
qu'en matière criminelle, Tapplication des lois d'une ré-
publique puisse être soumise à l'interprétation de leurs
organes. Et si la force des choses, comme je l'aï dit; si
cette multiplicité de rapports différens qui constituent les
monarchies; si celte diversité confuse de lois nécessaires à
la fois et impuissantes pour atteindre à tant de rapports;
si toutes ces causes nous expliquent et semblent justifier
l'empire de l'interprétation sur tous les Codes et sur toutes
les juridictions des états mon^archiques ; sous la constitu-
tion qui régit maintctiant la France, ce sont là autant de
raisons qui nous rendent plus sensible et plus impérieuse
l'obligation de fermer à la fois et à jamais tous les sanc-
tuaires de la loi à cette puissance arbitraire.
Mais il est une autre raison , tribuns, de cette différence
qu'on aperçoit dans la manière générale d'appliquer les
lois d'une monarchie et celles d'une république : c'est la
différence même qui existe dans l'origine des lois de ces
deux états. '
Dans la monarchie, les lois sont l'ouvrage d'une seul
homme, ou de je ne sais quoi; là, elles peuvent venir
d'une introduction plus ou moins autorisée, d'une trans-
mission plus ou moins constatée, de l'usage, d'une vio-
lence qu'on appelle droit de conquête, d'un privilège,
d'une exception, enfin de tout et de rien; eJles ont mille
sources égarées et pas une origine véritable. Le titre incer-
tain de la loi , son arbitraire pour être loi, peut excuser
et, si Von veut, même autoriser l'arbitraire du juge pour
l'appliquer.
VI. Il
l62 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Mais l'origine de la loi , dans une république, ne permet
à aucune puissance humaine de la changer ou de la mo-
difier dans son exécution, de suppléer à son insufijsancc
et encore moins à son silence , de parier quand elle se tait,
de la faire agir quand elle n'existe pas; en un mot, de la
faire au lieu de l'appliquer : car tel est l'effet du droit
de l'interpréter, telle est la conséquence ou plutôt le texte
même du projet que je combats.
La loi dans une république est une émanation de la sou-
veraineté; c'est l'ouvrage du peuple par lui-même ou par
ses représentans, par les pouvoirs que sa constitution a
établis pour faire la loi; la loi, c'est la volonté nationale,
ainsi que l'a dit son premier magistrat dans le Conseil
d'Etat : et c'est pourquoi elle est la seule puissance que
des hommes libres puissent connaître; c'est pourquoi ceux
qui concourent à faire la loi s'appellent citoyens , c'est-à-
dire membres de la cité, individus dont la réunion com-
pose la république, et qu'elle reconnaît pour ses membres
aux conditions que sa Charte constitutionnelle a fixées ;
ils sont sujets de la loi, parce qu'ils ont concouru à la
faire, et ils ne peuvent être appelés (jue citoyens, précisé-
ment parce qu'ils ne peuvent être sujets (|ue de la loi.
Mais après avoir rappelé ainsi le caractè4'e de la loi et
des citoyens qui ne reconnaissent qu'elle, ai- je besoin
d'ajouter que la loi doit être sacrée pour le juge, qu'il ne
peut imposer qu'elle , et non ce qu'il en pense , aux citoyens
qui la réclament ; qu'il doit rester dans le silence lorsqu'elle
n'en est pas sortie ?
Le juge qui jugerait dans le cas où l'exige le projet de
loi que je combats, commettrait le crime qu'il serait
charge de punir, causerait le dommage qu'il serait chargé
de réparer : le citoyen ne peut être sujet à la loi que parce
qu'il l'a enfreinte , et le juge l'enfreindrait pour l'appliquer.
Assurément, si l'on est coupable pour enfreindre une loi,
comment qualifiera -t-on le crime de celui qui supposera
b
DE LA PUHLICATION DES LOIS. l65
l'existence d'une loi pour agir sur quelqu'un ou sur quel-
que chose? C'esl ce crime qu'exige le projet de loi et qu'il
exige d'un juge.
Il faut le répéter, tribuns, c'est surtout ce principe de
l'origine souveraine de la loi, qui fait de son texte la règle
précise et impérative des jugemens dans une république;
cela est tellement vrai , que, partout ou la loi a eu ce
grand caractère, elle a eu cet empire suprême et irrésis-
tible. Assurément, la république romaine n'avait pas les
mêmes élémens que la constitution anglaise , et ce n'est pas
la simplicité de leurs élémens qui peut caractériser l'une
ni l'autre : mais en Angleterre , comme à Rome république,
l'on voit ce véritable attribut de la loi d'être l'ouvrage du
peuple par lui-même, ou par ses représentans constitués,
produire le même effet, l'empire absolu et unique de la
loi. C'est aussi dans l'histoire de la république romaine;
c'est dans l'étude de la constitution anglaise , et dans l'ob-
servation de ses effets, que Montesquieu a surtout puisé
ses principes incontestables sur le caractère et l'application
des lois; et ces principes sont ceux de tous les publicistes
un peu éclairés par l'observation des faits, un peu instruits
de ce qui se pratiquait autrefois et de ce qui se pratique
aujourd'hui chez les nations libres; de ces publicistes,
qui n'ont pas appris dans leurs recherches vertueuses à se
jouer par de vains sophismes des droits des hommes et de
la souveraineté des nations. Ces principes eurent toute leur
vigueur chez les Romains, tant que la république y eut
toute sa vie, et lorsqu'ils s'y affaiblirent, lorsque le préteur
introduisit la formule des actions, la république romaine
était déjà dans cette pente qui allait la précipiter dans le
gouffre de la monarchie absolue.
Assurément Rome n'était plus dans la force de ses insti-
tutions et de ses vertus à l'époque où vécut Cicéron ; et
cependant, dans l'accusation contre Verres, ce grand
homme met au nombre de ses principaux griefs Tinterpré-
11.
l(;4 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
tatioii que le concussionnaire avait faite d*un article de la
loi Voconienne.
C'est par ce respect absolu, par cette observation même
minutieuse de la loi, que T Angleterre se dédommage de
rimperfection des siennes, et la corrige, pour ainsi dire;
car s'il est trop vrai que l'usage d'une mauvaise loi est
funeste, l'efTet seul de l'interprétation est mille fois plus
fatal : on peut éviter jusqu'à un certain point de tomber
dans les cas d'une loi mal faite ; mais rien ne peut garantir
de l'application d'une loi qu'on interprète , encore moins
d'une loi qui est appliquée sans qu'elle existe.
Cette fierté d'un homme qui est sûr de n'obéir qu'à la
loi, cette confiance qu'elle lui donne dans tous les actes
de la vie, ce respect qu'elle lui inspire pour ses sembla-
bles et pour lui-môme, sont les sentimcns les plus féconds
pour le bonheur des individus et pour les prospérités de
l'État : c'est l'observation de ces setitimens et de leurs
effets sur l'existence des Anglais, qui fait aimer, qui rend
touchante jusqu'à la pédanterie qu'ils mettent dans leur
recherche du texte de la loi. Ailleurs on est pédant aussi,
mais dans l'interprétation des lois; et c'est la pédanterie
des Anglais qui vaut mieux.
Les Anglais ont redouté la puissance royale; ils l'ont en-
tourée de barrières qui n'ont pas été toujours assez hautes;
mais ils ont bien i)lus re<louté les abus de la puissance ju-
diciaire; et c'est en effet avec ces abus , (jue ceux du pou-
voir exécutif, l'arbitraire vers Iccjucl il tend sans cesse, peu-
vent former la plus terrible alliance. Celte alliance secrète
et cachée, c(»mme les moyens par Icsipicls elle agit, peut
rendre le pouvoir exécutif absolu , peut mettre entre ses
mains l'Ltal, la fortuiie, la vie des citoyens, sans qu'ils
se soient aperçus du changement de la constitution. Voilà
ce que les Tudors avaient appris aux Anglais. Ces insu-
laires si fiers curent des rois qui affectèrent le despotisme;
et ils purent les supporter, parce (|ue Je despotisme qui se
D£ LA PUBLICATION DES LOIS. 1 65
montre u'cst pas loug-temps à craindre pour des dmc»
fortes; là où elleslc voient elles sont bien sûres de rabattre
quand elles en seront lasses, quand elles le voudront; et
cette certitude les rend patientes : mais le despotisme (|ui
se glisse ù l'ombre des lois est partout et ne peut être
surpris nulle part.
A l'époque où nous sommes, dans le moment où tous
les pouvoirs «{ue la constitution a établis commencent leur
existence, et veulent la cimenter par le respect du carac-
tère qui les distingue, il nous est difficile, sans doute , de
prévoir ces entreprises obscures du pouvoir exécutif, cet
envahissement ténébreux dont l'interprétation des lois peut
devenir pour lui le moyen dans leur application : mais les
lois civiles, comme les lois constitutionnelles, sont faites
pour la durée de ce temps qui altère tout; et la sagesse du
législateur consiste à placer dans son ouvrage des principes
qui préviennent, qui atténuent, et non qui fortifient Te ffort
continuel de ce grand destructeur.
La sagesse du législateur lui fait apercevoir dans des
exemples étrangers ce que sa situation particulière ue
peut pas lui faire craindre pour lui-même ni pour ses con-
temporains ; et l'exemple de l'Angleterre peut nous ap-
prendre tout ce qu'une nation libre doit craindre des abus
de la puissance judiciaire, c'est-à-dire des ctTets de l'in-
terprétation des lois dans leur application ; c'est dans la
recherche des moyens propres à prévenir ces abus, à les
reconnaître, à les punir, que les Anj^lais semblent avoir
épuisé toute la profondeur de leur forte intelligence, et
toutes les ressources de leur sagacité laborieuse : et c'est
bien là le sentinnent d'une nation vraiment libre, et dont
la liberté est devenue le développement des plus heureuses
industries, qui ne veut pas que sa propriété, ses travaux et
leurs produits, toute son existence enfin, soient mis à la
merci d'une volonté individuelle, à la merci de la pensée
particulière d'un juge sur la loi ; mais plutôt et unique-
l66 DISCCSSIONS, MOTIFS, CtC
ment confiés à la loi, et textuellement garantis par sa
toule-puissance. L'usage d'une mauvaise loi est funeste
sans doute ; mais Tinterprélalion peut faire un usage désas-
treux de la meilleure loi ; et quel abus peut se comparer à
ce seul effet de l'interprétation des lois, qui est de faire
vivre au milieu de la société, comme si elle était sans lois ?
C'est un fléau sans bornes, une contagion qui n'a pour
symptômes que ses ravaj;es, un mal qui se cache et agit
dans le remède môme qui devrait le guérir; c'est l'arbi-
traire sous les formes de la loi, et l'anarchie sous les ap-
parences de l'ordre.
Ainsi, par les effets de cette seule disposition de la loi
dont nous discutons le projet, de celte disposition qui
donne à l'organe de la loi le droit de suppléer à son insuffi-
sance, et même à son silence, vous pouvez voir, tribuns,
tous les rapf)orts de notre organisation constitutionnelle se
dénaturer de proche en proche ; ce n'est pas seulement la
détermination de ces rapports et leurs garanties qui devien-
nent diverses , incertaines , précaires ; mais les droits mêmes
du citoyen et son égalité, le caractère du Corps législatif et
ses bienfaits, les attributions du tribunal de cassation et
son action salutaire, qui s'égarent, s'effacent, se perdent
avec la loi devant le pouvoir arbitraire du juge.
L'égalité du citoyen consiste à n'être soumis (|u'à la loi;
par le droit donné au juge de suppléer à son insufûsance et
à son silence, le citoyen devient sujet d'une volonté parti-
culière ; pour Ir.i le juge n'est plus un magistrat; c'est un
homme qui, d'un instant à l'autre, peut exercer un pou-
voir personnel sur sun état, sur ses biens, sur toute son
existence; un homme dont il faut redouter et flatteries
passions.
La permanence et les sessions périodiques du Corps lé-
gislatif sont un principe d'un état républicain et une dis-
position de notre acte constitutionnel , pour «pie les lois
soient toujours coordonnées avec ces rapports qu'elles doi-
DE L\ PUBLICATION DES LOIS. 167
vent maintenir, et que le temps, le mouvement même de
la société, peuvent varier, multiplier : l'expérience de
chaque année doit apprendre au législateur quelles lois
sont insuffisantes , quelles lois sont nécessaires; et ainsi
la législation se répare toujours sans efforts, et se renou-
velle, pour ainsi dire, sans changer. Les lois humaines , dit
Montesquieu, que je dois citer sans cesse pour écarter de
moi jusqu'au soupçon d'exagérer les vrais principes ; les
lois humaines tirent avantage de leur nouveauté, qui annonce
une attention particulière et actuelle du législateur pour les faire
obscriH'r.
Par le droit donné au juge de suppléer à l'insuffisance
et au silence de la loi , l'attention particulière et actuelle du
législateur de\ lent sans objet pour les Français républicains ;
la jurisprudence des tribunaux se substitue au pouvoir du
corps législatif : il y a plus, le caractère de la législation se
corrompt nécessairement par les effets divers de l'interpré-
tation ; mais comme le juge n'a jamais besoin d'une loi
pour rendre un arrêt, le même abus qui rendrait néces-
saire la correction des lois, la rend toujours impossible :
ainsi le corps législatif perd à la fois , et la plus grande par-
tie de ses attributions , et le droit qui pouvait le mieux faire
apprécier son existence, et bénir le retour de ses sessions
périodiques.
Et que Ton ne dise pas que les droits du Corps législatif
sont stipulés et garantis par la défense faite aux juges de
prononcer sur les causes qui leur sont soumises par voie de dis-
positions générales et réglementaires; j'aperçois fort bien com-
ment cette défense réserve dans toute leur intégrité les at-
tributs du pouvoir qui a l'initiative des lois ; mais je ne vois
pas qu'elle réserve rien à l'exercice du pouvoir qui a seul
le droit de les décréter.
Quant aux citoyens, ils perdent tout au lieu de gagner
quelque chose à cette défense de prononcer par voie de dispo-
sitions générales et réglementaires. Puisqu'il faut dépendre de
^68 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
la voloulé du juge au lieu d'être soumis à la loi, c'est ui|
avantage, sans doute, que le juge s'impose et vous fasse
connaître la règle par laquelle il lui plaira de vous juger;
il vaut mieux qu'à l'exemple du préteur romain, il dise à
l'avance comment il interprète la loi où comment il y sup-
plée , que d'être en proie à une interprétation variable
comme les pensées qui peuvent se succéder dans son es-
prit, que d'être eu proie à un arbitraire de tous les instans.
Pour le tribunal de cassation , qui est destiné à casser les
jugemens contraires aux lois et à marquer ainsi continuel-
lement aux tribunaux cette route où ils doivent suivre la
justice, quel usage pourra- 1- il faire de son pouvoir sur des
jugemens rendus dans le silence de la loi ? Ils sont trop
dignes d'exercer cette autorité tutélaire des droits de la loi,
les magistrats qui composent le tribunal de cassation , pour
imiter jamais le juge dont on leur soumettrait un sembla-
ble arrêt : ils s'abstiendraient, et ils ne voudraient pas
compromettre leur propre caractère en oubliant celui de
la loi, qui doit être leur règle positive, invariable, pour la
défendre.
Je ne suppose rien, tribuns; je tire des conséquences, et
il ne faut pas croire qu'elles soient exagérées ; ce n'est que
l'aperçu des résultats nécessaires du droit donné au juge de
supplvcr à r insuffisance et an silence des lois. Ces résultats
8out certains, si les juges reçoivent un pareil droit. Dîra-
t-on qu'ils pourraient le recevoir et ne pas en abuser? Mais
ici l'usage est l'abus : l'exercice seul du droit réalise toutes
les con&é(|uences que j'en ai tirées. Dira-ton que les juges
ne l'cxertcront pas? et pourquoi donc le leur donner?
Mais que dis- je moi-même? La loi dont nous discutons
le projet punit le juge (}ui refuserait, qui suspendrait
l'exercice du droit qu'elle lui donne; elle le déclare coupa-
ble (Vun (U'-ni de justice .
S'il était donc possible, tribuns, que le projet soumis à
votre discussion devînt une loi, une seule de ses disposi-
* DE LA PUBLICATION DES LOIS. iGo
lions amc ocrait successivement la désorganisation du sys^
lènic total de la constitution et de la République française ;
et ce malheur alïVcux ne serait pas le seul. Celte disposi-
tion fait plus que d'effacer le Code civil auquel on l'asso-
cie ; elle fait de ce Code un nouvel aliment de tous les abus
qu'il était destiné à guérir : la diversité des jurisprudences
s'en augmente; l'empire des coutumes renaît en France
sous le nom d'usages; il y a autant de justices en France
qu'il y a de manières différentes d'interpréter les mômes
lois. Tout devient commentaire pour cette interprétation ,
et tout ce qui s'appela la législation de la monarchie, et
toulcs les lois révolutionnaires, et toutes les passions cher-
chent des titres et trouvent des droits dans ce chaos de
contradictions.
Quels effets, tribuns! à quels dangers ils exposent la
fortune et toute l'existence des Français î quel abus mortel
pour le développement de tous les genres d'industrie, pour
les relations du commerce national ! Si ft diversité des ju-
risprudences et la mauvaise administration de la justice
furent comptées autrefois en France au nombre des prin-
cipales causes qui rendaient sa situation intérieure si diffé-
rente de la prospérité intérieure de l'Angleterre , que ne
faudrait-il pas redouter de la perpétuité d'une pareille cause
que d'autres aggraveraient encore ? N'est-il pas vrai que la
foi des transactions s'affaiblit par l'incertitude des formes
et l'instabilité des actes? n'est-il pas vrai qu'alors ce mou-
vement de travaux et d'industries, qui met, pour ainsi
dire , les hommes et les choses dans une circulation conti-
nuelle, se décourage, s'arrête; que la propriété territo-
riale s'appauvrit par le dépérissement des autres, que la
terre même perd ses produits avec ses moyens d'exploita-
tion ?
Eh quoi! ces rapports de la famille et de la nature, ne
sont-ce pas les lois civiles qui les consacrent et les garan-
tissent? Ces rapports si doux, et dont on nous parle avec
170 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC *
un accenl religieux, ces affections profondes qui en nais-
sent et dont on veut que les inspirations salutaires soient
nos méditations mêmes sur le Code qui doit, en quelque
sorte, en être dépositaire, ou veut d'avance les faire sortir
de ce dépôt sacré ! Prêts à les confier à la sainteté de la loi,
on les place dans la dépendance du juge! Enfin , tribuns,
on substitue à la simplicité des lois de la République la con-
fusion des jurisprudences monarchiques, à l'uniformilé
des rapports la diversité des garanties, à l'égalité des droits
les préférences de l'arbitraire, et au règne de la justice
l'autorisation de tous les abus.
Sous tous les rapports qui composent la société, au nom
de toutes les affections qu'elle protège et qui l'affermissent,
par tous les intérêts qu'elle garantit, comme propriétaires,
comme uégocians. comme citoyens, comme hommes, les
Français ne veulent et ne peuvent être soumis désormais
qu'à la loi ; et, interprèle de leurs sentimens, le Tribunat
doit rejeter un projet de loi qui les priverait de tous les
avantages de leur indépendance et du prix de tous leurs
sacrifices.
Je vote ce rejet.
OPIMON DL TRIBLN CUREE,
POUR LK PROJET.
Tribuns , en vous développant les motifs (jui ont déter-
miné le vœu de la commission , noire collègue Andrieux a
montré un trop bon esprit pour n'avoir pas porté lui-môme
le fort de la difficulté, et le point principal de la discussion
qui nous occupe, sur la jiarlie véritablement essentielle du
projet, c'est-à-dire sur l'article qui est relatif au mode de
rendre les lois publiques et exécutoires.
Kn effet, 1rs véritables débats entre nous ne peuvent être
que là : car des remaniues grammaticales n'en sauraient
exciter de bien sérieux; et ((uant aux considérations tirées,
DE LA 1»UBLICA.TI0N DES LOIS. I7I
OU de l'incohérence de certains articles, ou de l'inconvé-
nient de quelques définitions, ou du peu de rapport qu'il
y aurait entre le projet que l'on nous présente, et l'ouvrage
auquel il servirait d'introduction , toutes ces considérations
doivent être examinées, discutées, et elles l'ont été déjà
avec force. Mais, après cela, quel est l'examen essentiel
d'où le Tribunal doive faire dépendre un vœu d'adoption
ou de rejet ? n'est-ce pas l'examen du mode tracé dans le
projet pour donner à la marche des lois, une fois rendues,
celte notoriété qui avertit tous les intérêts, prévient toutes
les surprises, et ne laisse aucun prétexte raisonnable à la
proposition d'erreur ou d'ignorance ?
Or, si le projet remplit cette condition, l'aura-t-on at-
taqué d'une mani'jre solide, en disant d'abord qu'il n'est
pas à sa place là où il est? et pourquoi? parce que la riia-
tière de la publication des lois n'appartient pas plus au
Code civil qu'au Code judiciaire, qu'au Code criminel,
qu'au Code commercial. A quelle branche de la législation
voulez-vous donc qu'elle se rattache; car il faut bien qu'elle
se trouve quelque part ? Il fallait en faire le sujet d'une loi
séparée , laquelle aurait développé l'article constitutionnel
sur la promulgation des lois. C'est là précisément ce que
fait le projet dans l'article proposé. Il est vrai que cette loi
se trouve en tête du Code civil, mais la raison en est bien
simple ; c'est qu'on va commencer par le Code civil l'ou-
vrage complet de la législation française ; c'est que le Code
civil, attendu depuis si long-temps, sera le premier mis à
exécution ; c'est que , sous ce point de vue, il est delà plus
haute importance de régler avant tout la manière dont
s'exécuteront des lois qui vont toucher tous les rapports
sociaux. Je conviens avec vous que le principe de la pro-
mulgation et de la publication des lois rentre dans la sphère
constitutionnelle, qu'il est du ressort de la loi politique;
mais aussi, convenez avec moi que tout ce qui tient au
mode que l'on emploie pour marquer, soit les délaiç, soit
1 7^ DISCUSSIONS , MOTIFS , CtC.
les autres circoiislauces à la suite desquelles la publicaiiou
d'une loi est présumée avoir été entendue de tous les ci-
toyens, en sorte que les tribunaux soient obligés d'appli-
«juer à cette loi les transactions civiles, les actions civiles
c|ui dépendraient de son empire ; convenez, dîs-je, que
tout cela est intimement lié au Code civil, à la loi civile.
Le projet qui nous occupe est donc à sa place eu tête du
Code civil; et par là tombe un des reproches que lui fail
le rapporteur de votre commission.
Maintenant examinons la marche qui a été suivie pour
déterminer ce qui forme, ce qui constate la présomption
juridique d'après laquelle la loi est censée être connue de
tous, comme si elle avait été notifiée à chacun , et voyons
si le mode qu'on a adopté à cet égard est, je ne dis pas
sans inconvéniens, ce que je regarde comme impossible,
mais s'il est du moins sans les inconvéniens qu'on a voulu
nous faire appréhender.
Aux termes de la constitution , le Premier Consul pro-
mulgue les lois, c'est-à-dire, donne le signal qui avertit la
Républi(|ue entière qu'une loi a été rendue.
Tel est le principe d'où on est parti pour proposer de
décréter qu'à l'échéance de certains délais, la loi serait
présumée avoir été connue dans toutes les parties de la
France, en conséquence de la promulgation qui aurait été
faite par le rremier Consul dans le siège du gouvernement.
Cette disposition est sini|)leet tout à la fois pleine de dignité.
Le raj)porteur de la conmiission reconnaît qu'elle est la
suite immédiate et nécessiiire de l'art. 4 » de la constitution ,
mais il ne fallait pas s'arrêter là. L'article 07 de la consti^
tution parle aussi de la promulgation des lois : or, c'est en
laissant île cùlé cet article 07, que le rapporteur a pu se
donner carrière et convaincre d'une absurdité palpable Ui
disposition projetée. Kn cHct, (jue l'on omette cet art. 5^ ,
dès-lors l'argument de notre collègue Andrieux oi insolu-
ble, et voit i connue on peut le réduire à un seul mot en
DK LA PUni.ICATlON DIvS !,OIS. 17^
se servant de la phrase inônic où est conçu rarliclc pro-
posé.
Lu pmmul^atio/i faite ])ar le Premier Consul ^ laquelle n'est
/toi/if connue, sera ivputée connue, etc.
Mais c'est là ce que je nie, que la promulgation du Pre-
mier Consul ne soit pas connue, ne forme pas un terme
fixe, un point de départ incontestable, et pour vous prou-
ver mon assertion , je vous ramène à l'art. 37 qui dit : tout
décret du corps législatif, le dixième jour après son émission,
est promulgué par le Premier Consul. Vous voyez que la pro-
mulgation du Premier Consul est fixée constitutionnellc-
ment au dixième jour. Donc celte promulgation vous pré-
sente dans le dixième jour un point de départ certain et
incontestable.
Maintenant demanderez-vous quelle sera Theure de ce
dixième jour à compter de laquelle commencera à courir
le délai dont il s'agit? je vous répondrai qu'en matière de
législation, de contrats , en un mot, qu'en matière de dé-
lais , (|ui dit le dixième jour veut dire tout le dixième jour :
en effet, l'article constitutionnel porte que tout décret du
corps législatif, le dixième jour après son émission, est
promulgué par le Premier Consul : ainsi le dixième jour
qui suit l'émission de la loi appartient tout en lier à l'acte de
sa promulgation ? ainsi les délais que l'on fera dépendre
d'un pareil acte auront leur premier terme dans le dernier
point de la durée du temps où cet acte a pu être fait. Et
n'importe que le Premier Consul , qui a le dixième jour
tout entier pour faire sa promulgation , puisse la porter à
une heure plutôt qu'à une autre; car à moins d'un règle-
ment de sa part qui attache l'exercice de la faculté que lui
donne la constitution à telle partie du dixième jour, ce qui
alors ferait cesser toute autre présomption ; à moins, dis-
je, d'un pareil règlement , et jusqu'à ce qu'il existe, il de-
meurera constant par le droit commun que la promulgation
d'un décret le dixième jour après son émission , embrassant
J74 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
toute la durée de ce jour, les délais que l'on ferait partir
de cette promulgation ne commenceraient qu'à la dernière
heure de ce dixième jour.
Il est donc évident que le premier terme que nous cher-
chons, celui du départ de la loi en conséquence de la pro-
mulgation faite par le Premier Consul dans le siège actuel
du gouvernement, présente, quoi qu'on ait pu dire, une
époque certaine et déterminée.
L'arrivée de la loi aux tribunaux d'appel est l'autre
terme, et celui-là est établi sur des données positives. Le
rapporteur en convient, tout en se plaignant de Tinstabi-
lité dont est susceptible cette fixation. Mais fallait-il donc
qu'un tableau qui marquât les distances pour chaque tri-
bunal d'appel fît partie et fût un appendice de la loi pro-
jetée ? La chose , je ne crains pas de le dire , eût été trop
absurde; celte détermination des distances est un acte de
simple règlement. La loi déterminera qu'il y aura tels dé-
lais à raison de telles distances; mais après cela l'opéra-
tion pour mesurer et déterminer ces distances est de sim-
ple exécution , et ne peut être que la matière d'un règlement.
Or, ce règlement une fois porté , rien ne sera plus simple
et plus facile que de connaître l'époque et la date précise
à laquelle chaque loi aura commencé à être exécutoire
dans les divers ressorts des tribunaux d'appel , et c'est là le
but principal que Ton devait s'efforcer d'atteindre.
Au reste, si dans le système que l'on vous propose,
comme il arrive dans tous les systèmes destinés à être réa-
lisés, il s'élevait desdillicullès que n'eût pas prévues la sa-
gesse du législateur, soyez persuadés qu'elles seraient bien-
tôt aplanies par la seule marche du temps et des choses.
Quoi qu'il en soit , le mode que l'on nous présente m'a
semblé beaucoup mieux entendu (|uc celui qui existe, l'aire
marcher la loi vers son exécution successive, et cela à rai-
son de délais déterminés sur une échelle fixe des distances
du point central où siège le gouvernement, aux divers
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 1 yÔ
juiints on sont placés les Iribnnanx (l'appel, est un mode
qui , à mon avis, a ({uel(jiie chose de plus positif et de plus
certain que n'est un simple envoi et une simple réception
du Bulletin des lois au chef-lieu du département, seule
formalité pratiquée aujourd'hui pour rendre la loi obli-
gatoire.
.rai fortement insisté sur Tarticle premier du projet,
parce que j'ai été convaincu que tout le projet dépendait de
cet article. levais, en finissant, toucher quelques réflexions ,
sur les autres points de la discussion qui nous occupe. Parmi
les articles qui suivent le premier, ceux même qu'on a
trouvés inconlestables ^ on les a condamnés dans le projet,
comme déplacés. Mais, je vous le demande, où donc des
règles de droit peuvent-elles être mieux à leur place , qu'à
l'entrée d'un corps de droit? On a cité, pour faire sentir
cette incohérence dont on se plaint, le principe d'après le-
quel la loi ne peut avoir d'effet rétroactif. Tribuns, ce prin-
cipe, \éritaih\e palladium de tout ordre social, a été si sou-
vent et si ouvertement violé à de certaines époques, qu'on
ne saurait aujourd'hui ni assez l'inculquer, ni le répéter
assez souvent. Il appartient, dit-on à l'ordre judiciaire : eh
bien ! qu'on le répète encore dans le Code judiciaire ; il
n'y aura pas à cela un grand inconvénient.
Un des préopinans s'est élevé contre l'article 5, qu'il a ap. 5
attaqué comme étant erroné dans son principe , et inique
dans ses effets. Pourquoi ? parce qu'il tend à priver les ci-
toyens de la faculté qu'ils ont naturellement d'être toujours
admis à prouver, contre la loi elle-même, qu'un acte
qu'elle a réputé frauduleux dans certaines circonstances,
encore qu'il soit dans ces mêmes circonstances, n'est pas
néanmoins frauduleux.
Jusqu'à aujourd'hui tous les jurisconsultes avaient re-
connu des présomptions de la nature de celles qui ont fait
porter la maxime exprimée dans l'article 5, des présomp-
tions qu'ils appelaient yMm et de jure, des présomptions qui
1 7^> DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
lie laissaient pas de lieu à la preuve conlraire. On veut dé-
truire celte doctrine; mais juK(|u'i\ ce qu'on y en substitue
une autre, je conseillerai aux législateurs de se tenir à des
règles qui nous ont été transmises comme incontestables,
ci comme renfermant en peu de mots l'esprit de beaucoup
de lois.
4 Je dirai sur rarliclc G, que si des mouvemens oratoires
tenaient lieu de raisons, un des préojiinans aurait eu rai-
son de s'élever avec force contre la disposition que renferme
cet article; car, dit-il, une de ses suites inévitables se-
rait d'intervertir la nature d'un des pouvoirs constitués ,
de mettre en matière civile des arbitres à la place de
juges, et de substituer en matière criminelle la faculté de
faire grâce ou de commuer la peine au devoir rigoureux
d'appliquer le Code pénal au fait déclaré constant. Mais
il y a quelque chose de plus fort que tout cela , et notre
collègue n'aurait pas manqué de s'en apercevoir, s'il eût
poussé un peu plus loin son raisonnement : c'est que ces
juges dont on intervertirait de la sorte le caractère consti-
tutionnel, seraient obligés de se prêtera cette inte/'version
sous peine de forfaiture.
J'aurais désiré que le temps m'eût permis de discuter
avec quelque étendue celte partie du discours de notre
collègue , et de vous démontrer combien ses raisonnemens
sont forcés, ses conséquences outrées et toutes ses craintes
chimériques. iMais, comme voire conmiission ne lésa pas
exprimées, ces craintes; comme elle n'a pas vu dans l'ar-
ticle, l'étrarge bouleversement dont s'est effrayé notre col-
lègue ChazaI , nous avons lieu , je pense, d'être rassurés
entièrement, même sans discussion plus étendue.
àr, Knfin, pour parler en général des articles qui suivent
l'article premier, je dirai qu'en les considérant comme
règles de droit et comme principes de décision en une foule
de cas où ils peuvent donner le point de l'interprétation de
la loi, je ks ai trouvés utiles cl à leur place. J'aurais désiré
DE LA PUBLICATION UI-S LOIS. \n^
seulement que renchaînementen eùlété plus considérable.
J'ai prouvé ailleurs que le mode proposé pour assurer la
publication et l'exécution des lois est facile, simple et
avantageux.
J'en vote l'adoption.
OPINION liU TRIBUN COSTÉ j
CONTRE LE PROJET.
Tribuns, la Fiance n'avait point, n'a point encore une
législation nationale.
Les coutumes, les usages des peuples qui composent au-
jourd'hui ce vaste empire, et qui couvrent son immense
territoire; le droit écrit qui dérive des lois romaines; les
ordonnances, les réglemens , les actes d'une puissance es-
sentiellement arbitraire, formaient une compilation bizar-
rement contradicloiic, où chacun était tenu de recherchei*
les dispositions qui régissaient le canton qu'il habitait, et
où les iuges recueillaient péniblement les principes des dé-
cisions incohérentes qui devaient tourmenter en sens in-
verse, et comme étrangers les uns aux autres, les sujets
d'un même royaume, les membres d'une même société.
La révolution , en abolissant partie de ces lois et cou-
tumes , et en en conservant une autre partie, a accumulé
une multitude , je pourrais dire innombrable , de nouvelles
lois, non moins diffuses et incohérentes : en sorte que la
législation en France est devenue un labyrinthe inextri-
cable, un véritable chaos.
Tel était, et l'Europe s'en étonne, tel est encore l'état
des choses chez une nation qui compte pourtant quatorze
siècles d'existence.
Ce n'est pas que, durant cet espace, les Français, sous la
monarchie, fatigués de ce mélange insensé de lois et cou-
tumes, la plupart informes et barbares, n'en aient en divers
temps réclamé la réforme ou l'abolition.
VI. 12
l-jS DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Mais la forme d'un gouvcrncnicnt qui reconnaissait une
division de sujets en trois ordres, et qui admettait des dis-
tinctions et privilèges fondés sur cette division même,
pouvait-elle comporter un plan d'uniformité?
Ce n'est pas encore que, depuis la convocation des no-
tables , les assemblées nationales qui se sont succédées
aient méconnu qu'un des grands bienfaits de la révolution
devait être un Code général , et qu'elles ne se soient souvent
occupées des moyens de le créer;
Mais pouvaient-elles se livrer efficacement à ce travail
important au milieu des crises politiques, disons, durant
la tourmente révolutionnaire?
Pour consommer ce grand œuvre, il fallait la cessation
de toutes divisions intérieures, l'oubli de toutes les haines,
il fallait le calme des passions. — Enfin , pour créer une
législation raisonnée, uniforme et complète, il fallait at-
teindre l'époque où nous sommes parvenus avec tant de
gloire et de bonheur. •.
La loi dont nous discutons aujourd'hui le projet est re-
lative à la publication , aux effets , et ir l'application des lois en
général.
Cette premi«ire pierre île l'édifice à construire est-elle
convenablement |) réparée ?
Est-elle solidement posée? *
(i'est ce que nous avons à examiner.
Le premier article, en rendant la loi exécutoire dans
tout le territoire français, en veilu de la promulgation du
Premier Consul, admet un temps [>rogre.ssif, dans lequel
la connaissance de cette promulgation peut parvenir aux
citoyens des dépaileniens.
D'après le tilrc n»énie de la loi, cet article doit concerner
la publication.
Or, j'y cherche quelle est cette publication ; et la loi se
lait : — et rarticle consacré à la publication n'en indique
point le mode, n'en règle point la forme; enfin, ue prescrit
DE LA PUBLICATION DJKS LOIS. 1 n(i
point de publication réelle , — et la pronnulgation de la loi
par le Premier Consul est supposée publication dans tous
les dëparteniens.
Ainsi, ce qu'on entend par publication ne serait que
fiction ; et la présomption dans les départemens, qu'il y a
eu promulgation d'une loi à Paris, suffirait pour rendre
obligatoire l'acte présumé loi. Non. Ma raison ne peut
adopter cette idée.
Le mot publication doit avoir une véritable signification.
La publication doit être un acte public , authentique et
notoire.
Elle doit être matérielle, et telle qu'elle puisse trans-
metlre la connaissance eflfective et efficace de la loi.
Enfin, la publication ne peut être une abstraction.
Admettons cependant que je sois dans l'erreur. :
Eh bien ! la promulgatijn par le Premier Consul sera
considérée comme publication générale dans tous les dé-
partemens.
Fidèle observateur des lois de mon pays , ic cherche à
les connaître pour m*y conformer.
J'ai su par les feuilles périodiques qu'il a été présenté
par le gouvernement un projet de loi , que le Tribunal l'a
discuté, le Corps législatif adopté, et que le PremierConsul
Ta proclamé loi de la République,
.le demande maintenant où est le texte de celte loi.
Où obtiendrai-je la conviction que ce que les papiers
présentent comme loi n'est point tronqué, et est fidèle-
ment rendu?
Et s'il en existe plusieurs versions, où m'assurerai-jc
quelle est la véritable?
A quel caraclère, enfin, reconnaîtrai-je le régulateur de
mes actions, la base des actes que je dois contracter ?
Mais , dira-t-on , des dispositions ultérieures suppléeront
au silence de la loi sur ce point important; il en inter-
viendra nécessairement qui déclareront que les formalités
12.
l8o DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
usitées d'inserlion au Buliclin, d'impression, d'affiches,
d'envoi aux tribunaux et admiuislralions, seront conser-
vées , ou qui y apporteront les changemens et modifica-
tions que la nouvelle législation rendra indispensables.
Vous penserez sûrement, mes collègues, que ces formes
salutaires étant inhérentes à la publication, ou étant elles-
mêmes la publication , elles devaient faire partie de la loi
sur la publication.
Autrement le projet que nous discutons ne serait point
ce qu'annonce son titre; ce ne serait point un projet sur
la publication des lois.
Il serait absolument sans objet : car il ne contient pas
même de disposition qui puisse être le type d'arrêtés ou
réglemens propres à régulariser la publication.
Je passe au paragraphe du même article qui détermine
l'époque où les lois deviennent obligatoires dans l'étendue
de chaque tribunal d'appel, d'après la distance qui se
trouvera entre la ville où il siège et celle de Paris.
C'est-à-dire qu'une fixation aussi importante, quidoitêtre
invariable, et porter un caractère de solennité, dépendra
d'une combinaison de distance , deviendra atfaire de calcul.
Mais toutes les difficultés que présente l'application de
ce principe ont-elles été senties?
La paix, un système commercial mieux entendu vont
rapprocher les hommes , rendre leuis relations plus éten-
dues, leurs liaisons d'intérêt plus multipliées.
Cet ordre de choses rend utile, sans doute, la connais-
sance de chacune des épo(|ues où la loi est devenue obliga-
toire dans les diverses parties de la République où l'on peut
avoir à traiter.
Or, je le demande, (jucl homme peut acquérir cette
connaissance, les époques devenant aussi multipliées qu'il
y a de tribunaux d'appel; et cependant quel préjudice ce
défaut de connaissance précise ne peut- il pas lui faire
éprouver?
DE L\ PUBLICATION DES LOIS. l8l
Plusieurs routes conduisent à la môme ville ; elles tlifl'è-
renl cependant entre elles de plusieurs myriamètres, et la
plus abrégée peut n'être pas celle des courriers de cor-
respondance. Sur laquelle de ces deux routes sera graduée
réchollo (pli doit servir de fixation à l'époque où la loi sera
obligatoire?
Un pont nouvellement jeté sur une rivière crée une
route qui n'existait pas , et rapproche de Paris les départe-
mens qu'elle va parcourir; un chemin percé à travers une
montagne évite un long circuit : encore un rapproche-
ment , le passage par bac d'une rive à une autre, le trajet
d'un bras de mer, peuvent éviter une route de vingt, de
trente myriamètres, calculera-t-on la distance sur la route
ainsi abrégée?
Certes , il se pourra que des déparlemens éloignés de
Paris aient des lois avant qu'il en existe dans les déparle-
mens les plus rapprochés; et c'est bien là une inconve-
nance qu'on ne peut consacrer par une loi.
Le même article détermine encore que la promulgation
sera réputée connue dans le tribunal de Paris, trente-
six heures après sa date : mais le ressort de ce tribunal
n'est pas invariablement fixé ; il peut être convenable d'en
étendre le territoire, et alors les treute-sîx heures devien-
dront un délai insuffisant.
Il peut être ouvert, dans certains départemens, quel-
ques nouvelles routes plus directes, et conséquemment
plus abrégées que les routes actuelles : une de ces routes
qui rapprocherait l'espace qui se trouve entre deux villes
où siègent des tribunaux d'appel , changerait les distances
qui existent maintenant entre Paris et dix autres chefs-lieux
de tribunaux d'appel : voilà donc les délais pour l'exécution
des lois changés sur partie du territoire de la République.
Le délai de trente-six heures dans le ressort du tribunal
d'appel de Paris n'est ainsi fixé que parce que Paris est le
siège du gouvernement. Il n'est pas présumable, mais il
l8'2 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
est possible que, dans quelques circonstances, il soit tem-
porairement transféré ailleurs; en ce cas, le délaide trente-
six heures ne serait plus fixation pour le territoire qui com-
pose le tribunal d'appel de Paris, mais le deviendrait pour
le ressort de la ville où serait le siège du gouvernement.
Je pourrais continuer les citations de circonstances pro-
bables qui dérangeront les combinaisons établies sur les
distances actuelles.
Mais il suffit de celles-ci pour se convaincre que le délai
progressif jetterait confusion et incertitude où il faut ordre
et stabilité.
L'on peut objecter, sans doute , que dans des cas extraor-
dinaires, une nouvelle loi apporterait à cet article les chan-
gemens et modifications convenables.
Loin de nous, tribuns, toute idée d'existence future de
lois qui changeraient ou modifieraient le Code national.
Qu'il soit fait pour des siècles !
Disons-le donc. En matière de publication, où tout est
important , où tout doit être d'un droit rigoureux , l'époque
où les lois deviennent obligatoires doit ôtre fixée , invaria-
ble, constamment déterminée.
Elle ne peut , elle ne doit être laissée à l'incertitude des
combinaisons qui prêteraient d'ailleurs à l'arbitraire.
En vain dirait-on que l'article premier du projet indique
suffisamment le moment où ce délai commence.
Le point important est de connaître celui où il finit.
Et comment parvenir à cette connaissance dans un état
de choses aussi compliqué?
Comment, au milieu de tant de confusion, d'incerti-
tude, présumer que la loi, ou plutôt que l'époque où la
loi est obligatoire est connue des citoyens? Comment les
punir de ce (ju ils ignorent, ce qu'ils ne peuvent savoir, et
ce qu'ils ne sont pas à portée de connaître?
Comment appliquer la règle rigoureuse de cet axiome de
droit : J^itorantia juris ncminrm excusât.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 1 83
Je dis donc, mes collègues , l'article proposé n*est point
admissible pour obtenir le caractère de loi; il doit être
réformé.
La dignité des lois et l'intérêt de lous réclament une
publication effective et une fixation d'époque, telle que les
lois deviennent obligatoires au même instant sur tous les
points de la Képublique.
En vain , opposerait-on à ce vœu de délai uniforme
qui me parait si généralement exprimé, la crainte que la
connaissance de la loi, parvenue dans les départemens
éloignés de Paris long-temps avant sa publication , ne
donnât lieu, en certaines circonstances, à quelques abus.
Quelque système que l'on adopte , ces abus ne pourront
jamais être extirpés : car on ne pourra empêcher , quel-
ques précautions que dicte la prudence, que l'existence
d'une loi ne soit connue avant sa publication officielle.
Et sans doute il a été reconnu qu'il ne pouvait résulter
de bien graves inconvéniens de cette connaissance anti-
cipée, puisque la constitution a admis un délai salutaire
de dix jours entre le décret du Corps législatif et la pro-
mulgation du Premier Consul.
Or, puisqu'on ne peut empêcher que pendant ces dix
jours, précédés d'une discussion solennelle, la connais-
sance de la loi ne s'étende dans les départemens :
Quel danger à ce que ce délai se trouve prolongé dans
les départemens voisins du siège du gouvernement de dix
à douze jours, c'est-à-dire du temps sulïisant pour faire
parvenir la loi dans les départemens les plus éloignés?
Mais, objecte-t-on, l'exécution de quelques lois sur les
fînances doit suivre rapidement la connaissance qu'on a
de leur promulgation; autrement ce serait une source
féconde de spéculations frauduleuses.
J'allais répondre : Si quelques lois en ce genre, et elles
seront rares , exigent en effet une rapidité extraordinaire
i84 DISCUSSIONS, MOTIFS, etc
d'exécution, elles pourront comprendre en elles un mode
particulier de mise à exécution.
Mais, retenu par la constitution qui veut dix jours de
suspension avant la promulgation pour toutes les lois en
général, je répèle : Quelque système que Ton adopte, il
est des inconvéniens (|u'on ne pourra prévenir.
En vain, dit-on, une fixation d'époque unique est im-
possible.
Peut-on l'étendre aux colonies des Indes orientales, oc-
cidentales? le peut-on même aux îles françaises de la Mé-
diterranée et de l'Océan ? — Non.
Mais l'article 91 de la Constitution répond à l'objection
quant aux colonies, en déterminant le régime colonial par
des lois spéciales.
Quant aux îles françaises en Europe, il est évident qu'il
conviendrait de leur appliquer un mode particulier.
Je dis donc, fixation d'époque unique pour le territoire
français continental.
J'appelle votre attention, mes collègues, sur l'article 2 :
0 La loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet
t rétroactif. »
C'est bien là un précepte; il doit être inviolable, sacré ;
qu'il reste gravé dans nos esprits! mais ce ne devait point
être un article de loi.
C'est un précepte, mais pour le législateur; il n'est point
pour le juge.
Il avertit le premier qu'il est contraire à la raison et à la
justice de faire des lois rétroactives; mais il ne dispense pas
le second , lors même (ju'au mépris de ce précepte le légis-
lateur rendrait une loi rétroactive dans ses effets; il ne le
dispense |>oint, dis -je, d'en faire l'application.
Ainsi, puisque le juge ne peut mettre le précepte à la
place de la loi, cl qu'il ne lui est pas donné d'en refuser
l'application sous prétexte qu'elle contiendrait ou qu'il la
DE LA PUBLICATION DES LOIS. l85
croirait contenir rétroactivité , cet article est superflu , et
par là même il est dangereux.
Je passe à l'article 5, — » La loi oblige ceux qui habitent
« le territoire français. »
C'est un principe de droit bien incontestable; mais n'est-
ce point s'imposer l'obligation de donner les développe-
mens qu'il provoque , que de l'ériger en article de loi ?
Et puisqu'il est de la règle générale des nations que les
lois ne sont faites que pour ceux qui habitent le pays où
elles existent, ne suffisait-il pas qu'elle restât gravée dans
le Code des droits des nations?
La rédaction en loi d'un principe qui admet que la loi
oblige ceux qui habitent le territoire , et qui ne prévoit
aucune exception, apporte l'induction que la loi n'oblige
pas ceux qui n'habitent pas le territoire ; dès-lors il peut
faire naître les inconvéniens que les préopinans ont re-
tracés.
Mais, dit-on , on placera des exceptions dans d'autres
parties du Code. — Je répondrai d'abord, pourquoi ne pas
placer l'exception à côté de la règle? — ou bien, — si l'ordre
des matières exige impérativement que l'exception soit
placée dans quelqu'autre partie du Code , pourquoi ne pas
annoncer comme devant subir exception, une disposition
que l'on reconnaît en être rigoureusement susceptible, et,
faute de ces expressions , sauf les exceptions qui seront ap-
portées, induire en erreur celui qui connaît la loi et qui ne
connaît point l'exception?
Je dirai , en second lieu , ce projet de loi devant être
exécuté avant que l'exception puisse être convertie en loi ,
il y aura donc un espace de temps durant lequel la règle
générale assujétira indistinctement tous.
Et il y aura ce double inconvénient : d'une part, les
agens en France d'une puissance étrangère seront soumis
à la loi de France jusqu'à ce qu'il y ait exception , s'il en
doit intervenir; — et d'autre, les agens français lésidens
l86 DISCUSSIONS, BfOTIFS, etc.
en pays élrangcr scrout soumis à la loi étrangère eu alten-
(laiit l'exception qui doit les concerner.
ap 3 Portons nos observations sur l'article 4.
« La forme des acles est réglée par les lois du pays dans
u le<|uel ils sont faits ou passés. '»
Ou celte disposition s'applique seulement à la France,
ou en général à tous les pays.
Si elle s'applique seulement à la France, elle est insigni-
fiante et absolument sans objet, puisque la forme des actes
est une dans l'étendue de la République.
Si elle est applicable à tons les pays, elle exige tant de
développemens que, considérée isolément et telle qu'elle
es! présentée, elle est plus dangereuse qu'utile.
La jurisprudence observée jusqu''à ce jour a considéré
les actes passés en pays étrangers, devant les officiers pu-
blics, comme actes sous seing-privé en France, c'est-à-
dire, n'emportant hypothèque et n'étant titre paré.
S'ils continuent d'être considérés comme tels, qu'im-
porte leur forme ?
Entendrait-on qu'en opposition à la jurisprudence ac-
tuelle, les jugcmens rendus en pays étrangers auront en
France force de chose jugée? Mais, je le demande, cette
conséquence peut-elle se tirer des expressions de l'article?
ne devait-il pas plus littéralement exprimer l'intention de
la loi?
Dans quelle incertitude, dans quel embarras vont se
trouver les juges et les parties, en altendant la nouvelle
loi qui établira plus clairement ces points importans?
Car chacun donnera à cet article l'extension qui lui sera
favorable, précisément à cause du vague qu'il contient :
— et ne perdons pas de vue que le projet, s'il est adopté,
aura son exécution dix jours après sa conversion en loi;
qu'ainsi il doit s'écouler im espace de tem|is avant (}uc les
dispositions qui doivent nécessairement en contenir le
dévcl(q)pciiirnt soient promulguées.
DK lA PUBLICATION DES LOIS. 187
L article 5 porte : «p* 5
« Lorsque la loi, à raison des circonstances, aura réputé
« frauduleux certains actes, on ne sera pas admis à prou-
u ver qu'ils ont été faits sans fraude. »
Cet article, tel qu'il est rédigé, et d'après l'application
qu'il présente, offre une disposition relative à des cas par-
ticuliers.
C'est dire qu'il n'aurait point dû trouver sa place au
rang des dispositions qui ne concernent que des cas géné-
raux.
Il y a plus, l'article, par la lettre, semble exclure cer-
tains autres cas, qui, d'après l'esprit, paraîtraient devoir
y être compris.
Je m'explique :
Pourquoi l'article n'admet-il point à prouver que des
actes que la loi, àraison des circonstances, répute frau-
duleux, ont été faits sans fraude?
C'est par la raison qu'on ne doit point être admis à prou-
ver contre la présomption de la loi, c'est-à-dire contre ce
qu'entend, ce que veut la loi.
Mais cette règle ne doit point être spéciale ; — elle doit
être généralisée.
Par exemple, il est évident que , quand une loi est deve-
nue exécutoire, les actes qu'elle régit doirent être confor-
mes à ses dispositions, et que ceux qui seraient contractés
au mépris de ces mêmes dispositions, et en conformité de
lois antérieures, doivent être frappés de nullité.
Or, je le demande, serait-on admis à la preuve qu'au
moment où l'on a fait l'acte on ignorait la loi, que même
il y avait impossibilité physique qu'on la connût?
Sans doute les tribunaux rejetteraient une pareille pré-
tention , et se fonderaient sur ce que les délais pour la pu-
blication une fois expirés, la loi est réputée connue de
tous , et est obligatoire.
Si tels étaient les jugemens, et ils ne pourraient cire
î88 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
autres sur pareilles prétentions, il est donc de principe qu'on
n'est point admis à prouver contre ce que présume la loi.
Ce n'est donc pas seulement dans le cas prévu par l'ar-
ticle 5, que de telles preuves ne sont point admissibles,
mais, en général, dans tous les cas où des actes sont déclarés
formellement nuls par la loi, sur une présomption quel-
conque, lorsque la présomption qu'elle établit est le fon-
dement inH({ue de l'annulation qu'elle prononce.
Il résulte de ce raisoimement <|ue, s'il est rigoureusement
juste de ne point admettre de preuves contre ce que la loi
présume, l'article 5 est insufiisant, puisqu'il ne s'applique
point à tous les cas ; et si on l'envisage uni(juement quant
à son objet particulier, il n'est pointa sa place.
Passons à l'examen de l'article G.
Il porte : « Le juge qui refusera de juger sous prélexle
« du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi,
« pourra être poursuivi comme coupable de déni de jus-
« tice. »
Arrêtons-nous au premier mot. — Le juge.
La disposition ne présente aucune distinction. — Entend-
on tous juges indistinctement? Non. — Car. au criminel,
les juges ne peuvent juger que lors(|ue le fait est qualifié
de délit par la loi et puni comme tel.
Parle- l-on uniquement du juge civil, l'article ne dit
point assez; car il y a mêmes motifs d'appliquer cette dis-
position au commerce; et le projet étant intitulé : De l'ap-
plication des lois en général, comment cet article ne concer-
nerait-il que les lois civiles en particulier?
Il eût été mieux, ce me semble, que l'article eût exprimé
quel juge ou quels juges il entend désigner.
Si, pour ne pas arrêter le cours de la justice, il est sage
d'obliger les juges, en cas d'insuffisance, du silence, ou
d'obscurité de la loi , de statuer d'après les règles d 'équité ,
la principale raison en est que la loi ne devant avoir d'cifet
rétroactif, il ne peut être autrement statué.
DK LA PUBLICATION DIS l.OI^. 1 8q
Car il ne se peut qu'une question, ù laquelle il n'y a point
lie loi applicable, soit déterminée autrement que par un
jui^emenl rendu suivant les lumières et d'après la eons-
cience des juges, ou par une disposition rétroactive.
Mais en adoptant le premier parti, c'est-à-dire l'injonc-
tion au juge de prononcer sur ces questions suivant l'équité
et d'après sa conscience, la loi doit prévenir, autant cpie
possible, les inconvéniens de cette jurisprudence arbitraire
contre laquelle plusieurs opinans se sont élevés avec tant
de raison.
Et ce serait sans doute un moyen d'atteindre ce but, ou
au moins d'en approcher, que d'enjoindre à tout tribunal ,
toutes les fois qu'il y aurait jugement rendu d'après la
conscience et les lumières des juges, en cas de silence,
insuflisance ou obscurité de la loi , d'en référer de suite à
l'autorité chargée de l'initiative des lois.
Alors le gouvernement, averti à l'instant du mal, serait
mis à portée de pourvoir au remède , en provoquant une
loi qui statuerait pour l'avenir sur ce qui n'avait point été
prévu jusqu'alors.
Ce supplément à l'article 6 en justifierait, selon moi, les
dispositions.
Je termine ici mes observations.
Elles contiennent les motifs qui me portent à voter le
rejet.
OPINION DU TRIBUN FAVAKT,
CONTRE LE PROJET.
Tribuns, ce n'est pas sans peine (jue je prends la parole
pour combattre le premier projet de loi qui nous est pré-
senté sur le Code civil , et cette peine a sa source dans l'ad-
miration dont j'ai été frappé pour l'ensemble de ce même
CodCjOÙbrillent, dans une belle ordonnance, les vrais prin-
cipes de la morale publique ; mais plus cet édifice est digne
des Français, plus il honore ceux qui l'ont élevé, plus il
190 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
importe à la gloire de ses auteurs, à la gloire des Français
même, que le défaut du frontispice disparaisse.
Les développemens donnés par les orateurs qui m*onl
précédé me font un devoir, pour ne pas abuser de vos
momens, de me renfermer dans la question principale que
présente le projet , c'est-à-dire , celle de savoir si le mode
de promulgation proposé est admissible.
Je ne rappellerai pas ceux déjà établis par les lois des
a novembre 1790, 14 frimaire an II, et 12 vendémiaire
an IV : je passe sur-le-champ à l'article premier du projet.
« Les lois, dit'il, sont exécutoires dans tout le territoire
0 français , en vertu de la promulgation qui en est faite
€ par le Premier Consul.
M Elles seront exécutées, dans chaque partie de la Répu-
ftblique, du moment où la promulgation pourra y être
« connue.
c La promulgation faite par le Premier Consul sera ré-
« pulée connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de
« Paris, trente-six heures après sa date, et dans tout le
« ressort de chacun des autres tribunaux d'appel après
« l'expiration du même délai, augmenté d'autant de fois
« deux heures qu'il y a de myriamètres entre Paris et la
« ville où chacun de ces tribunaux a son siège. »
Cet article confond la promulgation que fait le Prenu'er
Consul , et qui est un droit attaché au pouvoir exécutif,
avec la publication (|ui doit à l'avenir appartenir à l'auto-
rilé judiciaire , et dont le but est de faire connaître olïiciel-
lement la loi à ceux ((ui doivent lui obéir.
L.i promulgation <|ui émane du Premier Consul, et
<|ui ne doit être faite que dix jours après que la loi a été
adoptée par le (^)rps législatif, est une manifestation au-
tlienti(iuc qu'elle est rex|)rcs.si()n de la volonté générale.
Cette promulgation est le sceau dont la loi doit être revêtue
pour porter aux yeux «le tous le caractère de force et de
puissance qui lui appartient, et qu'elle doit avoir pour
DK LA PUBLICATION DKS LOIS. 1 () l
faire ployer la volonté individuelle an joug de la volonté
"énérale.
Mais quand la loi a reçu cette nianifeslalion , quand elle
est imprimée de ce sceau, elle ne peut pas devenir obliga-
toire à l'instant même. Le projet que je combats le dit,
puisqu'il renferme la fixation d'un délai entre la promul-
gation de la loi et le moment où son exécution doit com-
mencer. La loi n'a pas de force exécutrice par elle-même :
elle ne peut la tenir que des tribunaux qui en font l'appli-
cation , qui en ordonnent l'exécution. £lle doit donc être
envoyée officiellement aux tribunaux, parce que les tri-
bunaux doivent la connaître oiTiciellcment pour l'appliquer
et la faire exécuter.
Il faut que le fait de la réception soit constaté matériel-
lement par la préscniation qu'en fait le commissaire du
gouvernement, et par la publication qui en est faite dans
une séance publique , et consignée dans les registres des
tribunaux.
(>eUe publication dans chaque tribunal a un autre objet :
elle avertit les hommes voués par état à consulter leurs
concitoyens, et les citoyens eux-mêmes, que la loi existe
avec tous les caractères qui la constituent loi.
Ce n'est réellement que de ce utoment que la loi est
< ensée connue : et il faut qu'elle .soit censée connue pour
poiuoir exiger, pour pouvoir commander la soumission h
sa volonté suprême.
C'est cette forme salutaire et bienfaisante qui distingue
la loi d'un peuple libre, des actes arbitraires qui émanent
secrètement de la volonté du tyran qui règne sur un peuple
d'esclaves.
Le Français n'aurait-il pas le droit de dire qu'il n'est pas
soumis à une loi qu'on n'a pas daigné lui faire connaître
par tous les moyens possibles qui étaient dans les mains du
gouvernement, dont le premier devoir est d'éclairer les
consciences avant de commander aux volontés?
192 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
Dire que la promulgation est une publication , c'est con-
iontlre les idées. La publication qui se fait par la promulga-
tion est, 91 j'ose le dire, muette, et n'instruit personne;
et il faut que la loi chez un peuple libre retentisse partout
où le citoyen doit en aller réclamer la protection. Il faut
que le citoyen ait le droit de demandera chaque tribunal
le bénéfice de la loi, et qu'il puisse lui dire : vous la con-
naissez , puisque vous l'avez publiée ; faites-moi jouir des
droits qu'elle m'accorde, et dont vous avez promis de me
faire jouir en m'en faisant entendre les dispositions litté-
rales par la publication que vous en avez faite.
L'article que je discute ne prend aucune précaution pour
que la loi arrive dans les tribunaux. Il dit seulement qu'elle
sCY^i réputée connue dans chaque ressort de tribunal d'appel,
trente-six heures après la promulgation du Premier Con-
sul, plus deux heures par myriamètre de distance de Paris
aux villes où siègent les tribunaux d'appel.
Mais ce délai est ordinairement écoulé avant que la loi
promulguée ait passé du secrétariat du gouvernement à ce-
lui du ministère de la justice, pour y être visée parle mi-
nistre, copiée et transmise à l'imprimerie nationale, pour
être insérée au Bulletin. Ce n'est pas moitié du délai indis-
pensable pour (jue les tribunaux aient reçu olliciellement
la loi. On veut donc qu'ils soient obligés de l'ap'jjliquer
avant d'avoir la certitude oflicielle de son existence et de
sa teneur? et comment aussi punir les citoyens de ne s'y
être pas soumis avant que personne la connût et pûl la
connaître dans le pays?
On objecte (|ue déjà la constitution suspend la promul-
gation de la loi pendant dix jours, depuis son émission , et
cjue les délais accordés de plus par le projet, joints à ces
dix jours, sont au-delà du tenqis nécessaire pour que la loi
puisse être connue partout.
La force de l'objection repose sur la supposition ({uc les
<lix jours d'intervalle prescrits par la constitution entre
DE LA PUBLICATION DKS LOIS. IQ^
rémission de la loi et sa promulgaliou , soiil utiles pour
en répandre la connaissance; or, c'est là une méprise évi-
dente; les journaux apprennent, il est vrai, à la France
entière, dans les dix jours qui suivent l'émission, que le
Corps législatif a adopté une loi sur telle matière : mais
apprennent-ils aux citoyens ce que cette loi leur commande
et ce qu'elle leur défend, ce dont ils doivent s'abstenir et
ce qu'ils ont à faire pour s'y conformer ? chacun y voit-il
distinctement ses obligations et les peines auxquelles il
s'expose en contrevenant à une loi dont le titre seul lui est
connu, et dont les journalistes indiquent tout au plus les
basej principales, souvent d'une manière inexacte?
D'ailleurs, la loi ne doit-elle pas être égale pour tous les
Français, soit qu'elle punisse, soit qu'elle protège, soit
qu'elle attribue des droits, soit qu'elle impose des obliga-
tions ? Le parent qui sera appelé exclusivement à une suc-
cession le premier nivôse, si elle s'ouvre à Paris, ne doit-il
pas y être appelé également si elle s'ouvre le même jour à
Baïonne ou à Nice? Ne serait-il pas absurde que la même
succession, dont les biens seraient situés, moitié dans le
département de l'Yonne, ressort du tribunal d'appel de
Paris, et moitié dans le département delà Côte-d'Or, res-
sort du tribunal d'appel de Dijon, fût recueillie par des
héritiers différens dans chaque ressort, parce que le décès
serait arrivé le lendemain de la promulgation, à Paris, de
la loi qui établirait un nouvel ordre successif? Ne serait-il
pas aussi absurde qu'un crime commis de même le lende-
main de la promulgation d'un nouveau Code des délits et
des peines, ou d'une simple loi pénale, sur les limites des
départemcns de l'Yonne et de la Côte-d'Or, fût puni diffé-
remment, selon qu'il aurait été commis dans le ressort de
Paris, ou vingt pas plus loin , dans le ressort de Dijon ?
Si ces considérations sont décisives pour prouver le vice
du projet que nous discutons, combien ne militent-elles
pas en faveur du projet présenté au Conseil d'État, dans
VI. i3
194 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc
la séance du 4 thermidor, dont le premier article était
ainsi conçu :
« Les lois seront exécutoires dans toute la République ,
« quinze jours après la promulgation faite par le Premier
« Consul.
« Ce délai pourra , selon l'exigence des cas, être modifié
a par la loi qui sera l'objet de la publication. »
Que l'on ajoute à cet article les dispositions nécessaires
pour que le ministre de la justice fasse passer exactement
les lois aux tribunaux ; pour que le commissaire , auprès de
chaque tribunal , en provoque la publication dans les vingt-
quatre heures, et pour qu'elle soit faite sur-le-champ, le
tout à peine de forfaiture : alors nous aurons le double
avantage de voir que, le mên^e jour, la loi sera exécutoire
dans toute la République , et que chaque tribunal aura une
connaissance officielle de la loi avant d'être obligé d'en
faire l'application.
Si aujourd'hui les tribunaux ne peuvent plus retarder ni
refuser la publication, il ne faut pas en conclure que la
publication n'est pas nécessaire , parce qu'elle n'ajoute
rien à la loi. Il faut en conclure au contraire que la for-
malité de la publication n'ayant pas les dangers qu'avait
autrefois l'enregistrement, et étant réellement utile , il n'y
a pas une seule raison plausible pour la refuser aux tribu-
naux qui en ont besoin , et aux citoyens (jui ont le droit de
la demander au gouvernement. La loi est une convention
à laquelle participent tous les meml^res de la société : elle
est obligatoire, et parce qu'ils y ont concouru, et parce
qu'ils la connaissent.
Ainsi, le mode de promulgation proposé par le projet
n'assurant, ni aux tribunaux, ni aux citoyens, la connais-
sance certaine de la loi avant qu'elle soit obligatoire , il
faut nécessairement le rejeter, pour recourir à un mode
qui donne la garantie de cette connaissance.
D'après ces considérations, je vote contre le projet.
t>E LA. PUBLICATION DF.S LOIS» 1 gS
OPINION DU TRIBUN LAHA.tVY >
POUR LE PROJET.
Tribuns, après avoir sauvé la France de tous les périls
tjui menaçaient sa liberté et son indépendance; après
avoir, par d'innombrables prodiges et d'éclatantes victoi-
res, forcé tous ses ennemis à accepter la paix et à traiter
avec elle , il était digne du gouvernement de mettre le sceau
à ses triomphes et à ses bienfaits, en lui donnant ce nou-
veau Code civil si long-temps attendu et si ardemment
désirék
Plus l'entreprise offrait d'obstacles et de difficultés , plus
elle doit paraître grande et généreuse , cette idée conçue
par le gouvernement dès sa naissance , profondément
mûrie au milieu même des soins et des travaux de la
guerre, et réalisée, en partie, au même instant où la paix
générale est venue couronner tous ses efforts.
Qui donc pourrait ne pas rendre hommage à la pater-
nelle sollicitude de ce gouvernement? qui pourrait surtout
ne pas voir, dans cet acte signalé de sa prévoyance et de
sa sagesse , le gage des sentimens qui l'animent, et la ga-
rantie qu'il s'empresse de donner à tous les peuples contre
l'ascendant de la prépondérance qu'il a si justement ac-
quise? En effet (comme Ta observé l'orateur du Conseil
d'Étal dans son discours d'exposition du plan de ce Code),
« La prospérité qui naît de la conduite sage d'un gouver-
« nement rappelle aussi ses vertus, et l'on y voit une sauve-
0 garde contre l'abus qu'il pourrait faire de l'accroissement de
« SCS forces. »
Au reste , je ne me permettrai de prononcer ni sur le
plan, ni sur l'ensemble, ni sur les détails du projet de ce
Code, qui nous fut distribué, en ventôse dernier, pour
que nous en fissions l'objet de nos méditations et de nos
recherches. Je n'examinerai pas non plus si (contraints
i3.
iqG discussions, motifs, elc.
de choisir, dans le chaos de toutes les législations , et au
milieu des ruines et des décombres dp la nôtre, les seuls
élémens qui peuvent en composer une digne de la grande
nation), les rédacteurs ont écarté ce qui était absolument
étanger, et recueilli ce qui pouvait s'adapter le mieux à
son caractère, à ses mœurs , à ses habitudes, à ses institu-
tions et à sa nouvelle existence politique. Outre que ce se-
rait trop présumer de mes forces que d'entreprendre d'ap-
précier, sous tous ces rapports, le mérite d'un aussi im-
portant ouvrage ; outre que nous ne sommes môme pas
appelés à le discuter dans son ensemble, mais dans ses
parties détachées à mesure qu'on nous les présentera, je
dois me borner, quant à présent, à la seule tâche qui m'est
imposée.
Je crois néanmoins devoir énoncer ici l'opinion que j'en
ai conçue, d'après la lecture réfléchie que j'en ai faite et
d'après les changemens ou modifications qu'il a éprouvés
et qu'il peut éprouver encore. C'est que, si ce projet de
Code ( qui aura été formé par la réunion de tous les talens,
parle concours de toutes les lumières, et qui aura encore
subi au Conseil d'Etat toutes les épreuves d'une profonde
et solennelle discussion) n'atteint pas tout le degré de
perfection dont il est susceptible, il laissera infailliblement
très-peu de choses à désirer, et que nous aurons sans doute
bien plus souvent à voler l'adoption qu'à proposer le rejet
de ses diverses dispositions.
C'est d'après cette idée, et ne perdant jamais de vue ni
le doute méthodicjue ni la sage défiance cjui doivent pré-
sider à la recherche de la vérité, que je vais me livrer à
l'examen du projet de loi soumis en ce moment à notre
discussion.
Ce projet, relatif à la publication, aux effets et à l'ap-
plication des lois en général, est composé de huit articles,
qui tous embrassent les principaux rapports sous lesquels
les lois doivent être considérées. \.i\ commission à la(|ueIlo
DE LA PUBLICATION DES LOIS. I97
VOUS en avez renvoyé rexamen , et qui d'abord avait cru y
apercevoir quelcfues motifs d'adoption , n'y a trouvé depuis
que des motifs de rejet ; aussi le rapporteur a-t-il attaqué
tout à la fois et le fond du projet et les divers articles (jui
le composent. Il n*en est pas un seul qui ait pu trouver
grâce devant son indexible sévérité. Il est même telle dis-
position qui, quoique foncièrement bonne, n'a précisé-
ment été censurée que parce qu'elle faisait partie du projet
de loi, et qu'elle eût été mieux placée ailleurs. Tout, en
un mot, a été l'objet de sa critique; critique, à la vérité,
très-franche, très-ingénieuse, très-mesurée, mais aussi
subtile, je crois, que peu fondée en raison.
« Ce projet, dit le rapporteur, est déplacé à la tête du
« Code civil.
a La plupart des articles qui le composent ne sont pas
« des articles de loi ; ce sont des principes énoncés; ce sont
« des axiomes de morale et de jurisprudence.
« Ils ne sont point ordonnée entre eux; ils ne sont rap-
« proches que par la juxta-position, et l'on pourrait même
« les transposer, dans la série qu'on leur a donnée, sans
« qu'ils y parussent plus ou moins incohérens, plus ou
« moins liés l'un à l'autre.
« Le premier de ces articles, relatif à la publication des
Cl lois, ne remplit pas son objet, puisqu'il n'établit aucun
t mode de publication ; qu'il serait trop compliqué et sou-
« vent impraticable; qu'il obligerait, dans certains cas,
« les magistrats et les citoyens à l'exécution de lois qui
« leur seraient inconnues; qu'il prêterait à des variations
« continuelles, soit dans la date de la promulgation, soit
« dans la fixation des distances; qu'enfin , au lieu de cet
«article insuffisant, une loi unique, mais complète,
« serait nécessaire pour régler le mode de publication des
" lois.
« Quant aux sept autres articles, les uns doivent être
<' renvoyés à d'autres projets; les autres ne sont que des
198 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
0 préceptes , des principes de droit , et non des disposition^
« législatives, et plusieurs offrent des vices essentiels de
« rédaction.
a Enfin , ce projet n'est pas digne de servir d'introduction
« au Code français. »
Les orateurs qui ont parlé dans le même sens, en renou-
velant les mêmes objections contre l'ensemble et les détails
du projet, lui ont adressé de plus sérieux et de plus graves
reproches.
L'un deux, en soutenant, comme le rapporteur, «qu'il
n'y a, dans ses diverses dispositions, ni ordre, ni mé-
thode, ni classification , et qu'elles sont toutes ou déplacées
ou étrangères à leur objet, a prétendu encore que l'une
d'elles est en contradiction directe avec les premières no-
tions de la justice et de la morale, en ce qu'elle déclare
certains actes frauduleux , et n'admet pas la preuve qu'ils ont
été faits sans fraude j quoiqu'il soit pourtant vrai qu'une
preuve doit toujours l'emporter sur des présomptions; que
l'article 6 attribue à tous les juges un véritable pouvoir
arbitraire dont ils pourraient abuser, soit en matière ci-
vile, soit en matière criminelle, puisqu'il leur est or-
donné de juger, dans le silence de la loi, suivant les seules
règles de l'équité, sous peine d'être poursuivis comme cou-
pables d'un déni de justice; qu'enfin tous les articles de ce
projet, contenant des dispositions constitutionnelles ou
réglementaires de la constitution, il n'est pas au pouvoir
du Corps législatif de les adopter, »
Un autre orateur a attaqué le projet dans deux de ses
dispositions. Il a prétendu « que le premier article conte-
nait une hérésie politirpie et une atteinte directe à la constitu-
tion, en ce qu'il y est dit : Que les lois sont exécutoires en
vertu de la promulgation ; tandis qu'elles ne peuvent l'être
que d'après cette promulgation. Il a prétendu ensuite que
prescrire aux juges de juf;cr, quand la loi est muette ou in-
siiffisanic, c'était les autoriser non à appliquer, mais à faire
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 1 (J()
la loi , et) y substituaut leur volonté arbitraire. Il a ter-
miné en soutenant que ie projet ne pourrait être adopté ,
sans compromettre notre liberté et notre indépendance» »
Enfin, un troisième orateur a fortement combattu les
dispositions contenues dans les premier et deuxième ar-
ticles. Il a soutenu « que le gouvernement n'avait pas le
droit de tracer seul la formule de promulgation des luis ,
mais seulement celle de ses arrêtés, comme le Tribunat et le
Corps législatif peuvent aussi seuls régler celle de leurs dé-
libérations ; que la première de ces formules , qui doit être
commune aux trois branches de la puissance législative,
ne pouvait être déterminée que par une loi , et qu'elle de-
vait tracer celles qu'ont déjà adoptées le Corps législatif et
le Tribunat; qu'au reste, cela s'est pratiqué dans les cinq
premières lois , à compter du 19 jusqu'au 26 nivôse an 8,
mais que postérieurement ce mode a été changé par le gou-
vernement, sans le concours des autres autorités, qui au-
raient dû participer à ce changement; qu'il est convenable
aujourd'hui de rétablir légalement ce mode conservateur
de l'indépendance des pouvoirs, et qui doit servir de ga-
rantie contre l'abus qui pourrait résulter d'une marche
contraire ; qu'en un mot , il faut faire une loi sur la promul--
cation des lois , et que le projet ne consacrant aucune formule de
promulgation , il doit par cela seul être rejeté, » Passant ensuite
à la disposition relative à la rétroactivité, il a manifesté les
plus vives alarmes contre l'abus qu'on pourrait faire du
principe qu'elle consacrait.
Tel est , en raccourci , le tableau des imperfections , des
défauts , des vices, des inconstitutionnalités, je dirai pres-
que des attentats qu'on reproche au projet que nous dis-
cutons.
Ici , mes collègues , je ne puis me défendre d'une dou-
loureuse réflexion.
Qui aurait prévu qu'un projet de loi destiné à sennr de
portique au majestueux édifice qui s'élève sur les ruines de
200 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
notre ancienne législation , aurait la fatalité de rencontrer
d'aussi insurmontables obstacles, d'éprouver d'aussi for-
tes contradictions, de n'être même pas jugé digne d'y fi-
gurer, et d'en être écarté comme un intrus par les sentinelles
avancées qui doivent en proléger ou en défendre les appro-
ches, en diriger ou en surveiller la distribution ?Qui aurait
pensé que ces prémices d'une production qui a coûté et
qui coûtera encore tant de méditations, de veilles, de tra-
vaux, de soins et de sollicitudes, pourraient être envisagées,
dans le sein duTribunat, comme l'ouvrage delà négligence
ou de la méprise, de l'imprévoyance ou de l'erreur ?...
A Dieu ne plaise que j'entende inculper ici, ni le rap-
porteur de votre commission , dont la censure a été si dé-
cente et si mesurée , ni les autres adversaires du projet, qui
ont été emportés par un zèle outré peut-être , mais qui ,
par cela même, ne peut qu'honorer leurs sentimens. Je
rends, au contraire , un sincère hommage à leurs talens,
à leurs vertus, à leurs louables intentions; et s'il était vrai
qu'ils eussent dépassé les bornes d'une sage et judicieuse
critique, je les plaindrais de s'être égarés, mais je n'en
respecterais pas moins la source d'où proviendrait leurs
écarts.
Je ne me propose point de suivre pas à pas ces divers
orateurs, ni do réfuter toutes leurs objections; je n'en ai
ni le temps ni la faculté. Je supprimerai même toute la
partie de mon opinion où j'avais lâché de justifier chacun
des articles du projet, et cela non seulement pour ne pas
abuser de vos précieux momens, mais encore parce que
les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ont rempli
cette tâche beaucoup mieux que je ne pourrais le faire. Je
vais donc exclusivement m'attacher à défendre l'article
premier, relatif au mode de promulgation, comme for-
mant l'objet le plus inq)orlaiit du projet de loi, et celui que
l'on a attaqué avec le plus de force. Je terminerai par quel-
ques réflexions générales.
DK LA PUBLICATION DBS LOIS. *iOI
Discussion sur le premier article du projet de loi.
El d'abord, pour bien apprécier le nouveau mode de pro-
mulgation que consacre ce premier article, on doit bien
se garder de remonter aux temps antérieurs. Il faut , au
contraire, se fixer invariablement sur les circonstances ac-
tuelles, sur les changemens qu'elles nécessitent, et sur ce
que prescrit la loi fondamentale de toutes les autres.
Voyons donc quel est à cet égard le vœu de la Constitu-
tion : mais, avant tout, convenons une bonne fois que, si
l'on doit bannir de notre Code civil toute espèce de défi-
nition , il doit du moins m'être permis d'en faire usage
dans la discussion à laquelle je vais me livrer; car, en
bonne logique, il est impossible de raisonner conséquem-
ment, si l'on ne commence par définir les termes et par
bien fixer les idées.
L'article 4» de la Constitution porte : « Que le Premier
« Consul promulgue les lois. » Or, qu'est-ce que promul-
guer les lois , dans l'ordre de choses actuel , si ce n'est leur
imprimer le sceau de la publicité pour qu'elles soient no-
toires, et que personne (qu'on me passe l'expression) ncn
puisse prétendre cause d'ignorance ? Donc, d'après le vœn de
l'acte constitutionnel, la publication de la loi ne doit s'o-
pérer qu'au moyen de la promulgation qui en est faite par
le Premier Cocisul.
En effet, s'il était vrai que la promulgation et la publica-
tion des lois ne fussent pas une seule et même chose , et si ,
comme on l'a prétendu, l'une n'était que la conséquence
de l'autre , certes le pacte social n'eût pas manqué de s^en
expliquer. Il n'eût pas manqué de dire que la promulgation
devait être suivie de la publication, ou que, du moins, elle
ne serait, sans cette dernière , qu'une formalité nécessaire
pour rendre la loi obligatoire, mais insuJfisante pour lui
donner le caractère de publicité et pour *n commander
202 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
rexécution ; car sans doute le pacte social a voulu et dû vou-
loir que les lois fussent publiées, puisque la publication est
indispensablement nécessaire pour les rendre exécutoires.
Mais s'il a voulu et dû vouloir que les lois fussent pu-
bliées, et si pourtant il n'a exigé que la promulgation faite
par le Premier Consul , il a donc nécessairement entendu
que cette promulgation serait la publication elle-même.
Supposerait-ou , malgré tout, que ce sont deux choses
très-différentes? Alors, non seulement la Constitution Teûl
dit, mais je soutiens qu'elle eût dû le dire, pour empêcher
qu'on ne les confondît et pour ôter ainsi tout prétexte de
dissentiment sur un objet aussi important.
Cependant elle ne fait aucune mention de ce genre de
publication que quelques orateurs prétendent différer es-
sentiellement de la promulgation. Le mot publication ne se
trouve même pas dans l'article qui attribue au Premier Con-
sul le droit exclusif àe promulguer les lois. Le silence qu'elle
garde à cet égard est donc la preuve la plus parlante, que
la promulgation et la publication sont deux choses identi-
ques et absolument les mêmes ; ce qui est d'autant plus
vrai, que, dans la supposition contraire, la promulgation
n'opérerait rien par elle-même, et blesserait ainsi l'indé-
pendance de celui de qui seul elle doit émaner.
Mais si ce droit réside éminemment dans la personne du
premier magistrat de la République; s'il lui est exclusive-
ment attribué par la constitution, comment pourrait-il en
partager l'exercice avec qui que ce fût? Comment lui serait-
il permis même d'y associer les autorités administratives et
judiciaires?
Et cependant ce serait là le résultat nécessaire du droit
de publication que les adversaires du projet veulent accor-
der à ces autorités; apparcmnienl pour suppléer à la pré-
tendue insufTisancc de la itroinulgation , i)eul-êlrc même
pour y apposer le sceau de la iOgilimilé.
Mien vain diraient-ils, pour ékuler celte consé(|Ucncc,
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 20i>
que la publication n'est pas la promulgation, mais unique-
ment l'acte extérieur qui la rend publique et notoire.
La dillicuité resterait toujours la même.
D'abord, il n'en serait pas moins constant (dans le sys-
tème que je combats) qu'elles seraient toutes deux telle-
ment liées, tellement cohérentes, tellement inséparables,
que l'une ne pourrait exister, ni rien opérer sans l'autre ,
et que par conséquent les autorités à qui l'on aurait conféré
ce droit de publication , ne pourraient l'exercer en au-
cune manière , sans nécessairement participer à l'acte de
promulgation , qui pourtant doit leur être absolument
étranger.
Ensuite, qu'entend-on par l'acte extérieur de publication
qui doit rendre la promulgation publique et notoire ? Quoi !
la promulgation , uniquement destinée à donner à la loi le
caractère de publicité, aurait besoin elle-même d'être pu-
bliée ! Elle n'a été imaginée que pour constater ou garantir
l'existence de la loi et pour la faire connaître ; et elle de-
vrait emprunter un secours étranger pour se faire caution-
ner elle-même et pour se faire connaître à son tour î Quoi I
l'on voudrait que ces autorités secondaires publiassent de
nouveau ce que le chef du pouvoir exécutif a déjà rendu
public , et promulguassent en quelque sorte promulgation
elle-même!
Mais voyons donc, collègues, à quel excès de ridicule et
à quelles absurdes conséquences nous entraînerait un pa-
reil système !
Il me paraît donc évident, d'après l'esprit et le texte lit-
téral de la Charte constitutionnelle , que la promulgation
n'est et ne peut être autre chose, dans la nouvelle hiérar-
chie, que la publication elle-même, ou que du moins
celle-ci est pleinement suppléée par celle-là. Ce qui est
d'autant plus incontestable que, s'il en était autrement, il
s'y trouverait une lacune sur l'objet le plus important de
la législation , et qu'une telle imprévoyance ne peut pas se
204 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
supposer dans une constitution où brillent à la fois la plu.s
grande sagesse et les plus belles conceptions.
Mais quand on supposerait (jue le pacte social ( en se-
bornant à déclarer que le Premier Consul promulgue les
lois) n'a pas entendu le dispenser de remplir une forma-
lité sans laquelle la promulgation serait vaine ou illusoire,
toujours serait-il certain qu'elle aurait du moins réservé au
pouvoir législatif la faculté de tracer le mode de publica-
tion ; qu'ainsi la loi pourrait incontestablement décréter
que la publicité qui résulte de la promulgation équivaut
à celle que produirait tout autre mode, et que celui-là se-
rait préférable qui réunirait tous les avantages et obvierait
à tous les inconvéniens.
Or, tribuns, c'est précisément ce qui vous est proposé
par le paragraphe premier du premier article du projet ,
qui porte :« Que les lois sont exécutoires, dans tout le ter-
« ritoire français, en vertu (a) de la promulgation qui en
« est faite par le Premier Consul. »
Ainsi donc, à moins qu'on ne veuille substituer un mode
arbitraire à celui que la Constitution a textuellement in-
diqué , on ne peut disconvenir que la loi ne devienne i»u-
blique et obligatoire aussitôt qu'elle est promulguée.
A la vérité , il est indispensable d'accorder, à dater de
répo([ue de celle promulgation, un délai suftisantpour que
la loi puisse être connue sur les divers points de la Répu-
blique, au moment où elle doit y élrc exécutée, et c'est à
quoi le même article a sagement pourvu.
Mais il n'en est pas moins incontestable que, ce délai
expiré, la publication doit être réputée aussi entière, aussi
complète, aussi notoire pour toutes les parties du territoire,
(a) Un dri pD-opinaili •oM b«uiii'<iii|i ri'xrir lur reiii|jlui (l< ci- iii»l. Lu lui, n lil ilii , ii'rsi
pa« r(èculoiri- en vtrXu de ta promuti^ailm, iiiuiii im i>eilii di .-c iju'i-llf <:<( loi. Mai* «"V»! In iiiin
«•rrrur. L.1 loi «•»! *aii« doiilr riiiii|i|i'ir .ivuni «il |)ioiniilf(alion , inuin elle no peut flrr nvrulét
«(n'iiu inojflii (Je oeil«' pruniul^alion. (> uV»i (loin- p.it nt letlu lU 1 1* ifu'tile r>( loi, iiirfikoi vtrlit
<*« re ifu\llt ni loi promulguée , qu'rHr dcvirnl cxécmoiri'. Aiofi, '"•'tic olijrriion, >pi'i)n .1 préMnIée
••flininr li gTSTP , »r résout par <<t»r liniplr olucrvaiion.
I
DE LA PUBLICATION Dl-S LOIS. «oâ
qu'elle l'est pour le chef-lieu où siigc le i^ouvcrncment.
El quand je parle tlu délai qui doit suivre la promulga-
tion , reinarcjiiez bien , tribuns , que je ne dis pas qu'il est
indispeusablemenl nécessaire pour que la loi soit connue ,
mais seulement pour qû'eiie puisse l'être, de manière que
chaque citoyen ait à s'imputer de l'avoir ignorée, pouvant
facilement se certiorer de son existence et s'assurer de ses
dispositions.
Or, je soutiens qu'une telle promulgation, outre qu'elle
est dans le vœu de la constitution , donne à la loi tous les
caractères de publicité dont elle est susceptible ; et qu'ainsi
clic produit tout l'elFet qu'elle peut et doit produire. D'où
il suit que l'envoi de la loi aux autorités judiciaires et ad-
ministratives, la réimpression, la transcription etraffîche
seraient moins le complément de sa publication qu'une
véritable superfétation, qui serait plus dangereuse qu'utile.
Je dis que ce serait là une véritable superfétation : et en
effet (comme l'a dit M. Tronchet, dans la discussion qui a
eu lieu au Conseil d'État), « il faut distinguer ici le fait de
<i la théorie : la théorie est que les lois ne sont obligatoires
« que lorsquelles sont connues ; mais , dans le fait, on ne
« peut trouver de forme pour donner connaissance de la
« loi à chaque citoyen individuellement. »
Cette autorité que me fournit ie premier de nos Jurlscon-
suites (a), je ne l'invoque pas précisément comme règle
infaillible de décision. Mais j'observe que le principe qu'il
énonce doit être bien certain et bien incontestable, puis-
que aucun des conseillers d'état, appelés comme lui à le
discuter, n'a entrepris de le désavouer ni de le contredire,
et que le gouvernement, en l'adoptant, en a fait une des
bases sur lesquelles repose l'article du projet relatif à la
publication.
Il faut donc convenir (et en vain voudrait-on le nier,
fa) Le Premier Consul , en présc^oluit M. Tronchel pour raii(li<J<ii à ini<" pi ur Kuaiiir .ni Sén.it
conserTaleur , l'a qualiGé premier Jurisconsulte de France.
206 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
puisqu'on serait démenti par l'évidence même), il faut donc
convenir, ainsi qu'on l'a soutenu dans l'exposé des motifs,
qu'en pareille matière on doit se contenter, à défaut de
certitude , de la présomption morale que chaque citoyen a pu
connaître la loi, lorsqu'il s'est écoulé un intervalle suffisant
entre le moment où elle a été promulguée et celui où a dû
commencer son exécution; et c'est aussi par une suite de
ce principe, que le troisième paragraphe de l'article pre-
mier du projety?Jce le temps progressif dans lequel la connais-
sance de la loi peut successivement parvenir aux citoyens des
départemens,
ft La promulgation, est-il dit, faite par le Premier Con-
« sul, sera réputée connue dans tout le ressort du tribunal
« d'appel de Paris , trente-six heures après sa date _, et dans
« tout le ressort de chacun des autres tribunaux d'appel,
« après l'expiration du même délai, augmenté d'autant de fois
« deux heures qu'il y a de myriamètres entre Paris et la ville où
« chacun des tribunaux a son siège. »
Ce délai, et la manière dont il est calculé et réglé, a es-
suyé bien des critiques ; mais comme elles ont été ample-
ment réfutées par chacun des orateurs qui ont parié en
faveur du projet, je crois ne devoir y répondre que très-
brièvement , pour ne point lasser la patience du Tribunal
par d'inutiles répétitions.
Je me bornerai donc à observer que c'est à tort qu'on
s'est plaint de ce que l'article premier ne fixait pas le mo-
ment indivisible oii une loi pourra être connue ; car si on le rap-
proche de l'article 57 de la Constitution [(fui veut que la loi
soit promulguée le dixième jour après son émission) et de la
délibération du Conseil d'Ktat du 5 pluviôse an VIII, sur
la date des lois ( qui décide que la loi doit dater du jour de son
émission par le Corps législatif) , on se convaincra que cet
article détermine, au contraire, ce moment, et le précise
de la manière la plus fixe et la plus invariable.
J'observerai, en second lieu, (|ue celle fixation d'un
DK LA PUBLICATION DES LOIS. '20']
délai calculé en raison des distances, me parait infiniment
plus avantageuse et plus conforme à la dignité de la loi
(dont l'exécution doit être prompte et rapide) , que celle
d'un délai uniforme, dont la détermination ou la fixité dé-
pendrait du caprice ou de la négligence des administrateurs
et des juges.
J'observerai, en troisième lieu, que, si le mode adopté
peut, comme tout autre, entraîner quelques inconvéniens,
la sagesse du gouvernement saura les prévenir ou y remé-
dier.
Au reste, ce serait bien en vain que, pour donner à la
loi une plus grande publicité , on joindrait à la promulga-
tion faite au chef-lieu où siège le gouvernement, la publi-
cation dans les chefs-lieux de département et même d'ar-
rondissement communal, puisque la connaissance n'en
deviendrait pas , pour cela, générale et universelle, comme il
faudrait qu'elle le fût pour justifier ce système : car alors
même la loi serait également ignorée d'un grand nombre
de citoyens; elle ne serait connue c|ue de quelques-uns ; et
cependant, on ne peut en disconvenir, elle n*en serait pas
moins obligatoire pour tous.
Mais dans ce cas (qui est celui de la publication maté-
rielle et locale), je le demande, serait-il raisonnable de
prétendre , comme l'a prétendu le rapporteur de votre com-
mission , qu'on ne pourrait opposer la loi a celai qui ne la
connaîtrait pas j quoiqu'il eût eu tous les moyens possibles
pour s'en procurer la connaissance? Non sans doute; car
on lui répondrait avec raison, qu'ayant à s'imputer de ne
ravoi»*pas connue, il ne peut alléguer V ignorance invincible.
Pourquoi donc serait-on plus fondé à le prétendre dans
le cas de la seule promulgation faite au chef-lieu où siège
le gouvernement, puisque, au moyen du délai accordé
pour qu'elle puisse franchir toutes les distances, il est une
époque fixe et invariable, autant qu'elle peut l'être, où
tout citoyen a pu et dû la connaître?
'J08 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Qu'on lie dise donc pas que la publication matérielle et
locale est tellement de l'essence de Ja promulgation , qu'elle
ne peut être connue sans elle ou «jue par elle ; car il vau-
drait autant dire que la loi ne peut devenir publique et obli-
gatoire qu'au moyen d'un mode de publication qui en don-
nerait la connaissance individuelle à tous les citoyens. Or,
comme cela est absolument impraticable, on est nécessai-
rement forcé de reconnaître que le mode adopté par le
projet de loi prévient tous les inconvéniens qui pourraient
résulter du mode qu'on propose, et qu'il remplit le seul
but que la loi puisse atteindre.
Ces inconvéniens, au reste, tribuns, je n'ai pas besoin
de vous les indiquer; vous devez tous les prévoir, comme
vous devez tout faire pour les prévenir.
J'ai déjà dit que l'étrange erreur dans laquelle sont tom-
bés tous les adversaires du projet, provient de ce qu'ils
confondent deux ordres de choses absolument différens,
et diamétralement contraires, de ce qu'ils appliquent à
l'un ce qui n'est propre qu'à l'autre ; enfin de ce qu'ils rai-
sonnent, comme ils pourraient cl devraient même raison-
ner, si nous étions encore ce que très-heureusement nous
avons cessé d'être ; et il ne faut , pour se convaincre de celte
vérité, que rapprocher ce qui se pratiquait alors de ce qui
se pratique aujourd'hui.
Kn effet, dans ce régime qui n'est plus, la simple émis-
sion de la loi ne sudîsait pas sans doute pour qu'elle devînt
publique et obhgatoire ; il fallait encore que ces grandes
corporations placées entre le monarque et le peuple pour
défendre les droils de celui-ci, el modérer le pouvoir de
celui-là; il fallait, dis-je, que les cours souveraines, qui
avaient une cs[)èce de veto suspensif, la sanctionnassent,
pour ainsi dire, par leur assentiment. Vuilà pourquoi clic
leur était adressée pour l'enregistrer el la publier; el non
seulement la loi n'était ni censée publiée, ni réputée con-
nue, ni rendue obligatoire , mais elle n'avait même, à
D1-: LA PUBLICATION DES LOIS. 209
proprement parler, la force ou Ta utorilé d'une loi, qu'au-
lant qu'elle était revêtue de la Tormalilé derenregistremcnt
et de la publication.
El cela est si vrai que, quand elles s'obstinaient à ne pas
la remplir, le monarque faisait déployer contre elles Tap-
pareil de la force pour les y contraindre. Preuve évidente
que l'enregistrement et la publication étaient alors la seule
et véritable promulgation ; que la loi ne pouvait être
exécutée sans elle, et qu'ainsi il dépendait, jusqu'à un cer-
tain point, de ces cours souveraines de sus[)endre les effets
de la loi, et d'en paralyser momentanément l'exécution.
Voilà ce qui se pratiquait dans l'ancien régime (a).
Mais il en est tout autrement dans le régime actuel :
l'émission de la loi est pleine et entière; elle a tous les ca-
ractères essentiels qui la constituent, lorsqu'elle a été
proposée par le gouvernement, discutée par le Tribunat. et
adoptée par le Corps législatif.
Je dis plus : aussitôt que ces trois autorités ont concouru
à sa formation, chacune en ce qui la concerne, elle se
marque à l'instant du sceau de la volonté nationale, indé-
pendamment même de la promulgation qui doit en être
faite, et qui n'est nécessaire que pour rendre cette volonté
manifeste et notoire , afin qu'elle puisse exercer tout son
empire.
'a) Si le temps ne m'eûl pas forcé de rrsserrcr mes id('!es fl de icslrtiiidie ma discussion , j'au-
rais pu prendre, dans des temps |)1ur rapproc-lits de nous, de nouveaux exemples de cette dilTc-
rencc qui doit exister entre le mode de pronuiigation d'alors et celui qu'il convient d'adopter au-
jourd'hui.Mais je suppléerai à la nouTcllc démonslrnliuu que je ne peux présenter ici , en rappelant
les termes mime de lu délibération du Conseil d'État , du 5 pluviôse an VIII, inséiéf; dans |c n" (i
du Bulletin de« loin.
u Le gouTcmeineni a une part à la législation , mais seulement par la proposition de la loi , et quand
< il la promulgue , ce n'est plus comme partie inlégrante du pouvoir législatif, mais seulement
« comme pouroir distinct et séparé, comme pouvoir exécutif: et il faulfcien se garder de confondre
« retle. promulgation avec la sanction que le roi constitutionnel avait en 179I1 ou avec l'acceptation
« que le Conteil de» ancien» avait par la ron»titution de l'an III. Cette sanction et cette acceptation
« étaient ^<ir((e« nécettaire» de la formation de la lui, et ne ressemblaient en rien ù ta fromulgntion :
• aussi la loi dalail-clle , en 1791, du jour de la sanction, et «ous la conslilulion de I an III , du jour
« de l'acceptation par le» anciens, et non du jour de ta promulgation, soit par le mi constitutionnel, soit
« par U Directoire exécutif.
« Ainsi , sou» la coiufiiution aciuellc , elle doit dater du jour di ^"u cmitsion par U Corps légit-
' latif, dernière condition esteniielle à sa formatirm. »
VI. i4
2\0 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
Et la preuve de ce que je dis ici, je la trouve dans la dé-
libération du Conseil d'État déjà rappelée, et qui porte ces
mois : « La promulgation est nécessaire, sans doute, mais
«seulement pour faire connaître la loi, pour la faire
« exécuter : c'est la première condition, le premier moyen
« de sou exécution. »
Je la trouve encore, celte preuve, dans la formule même
de promulgation déjà adoptée par le gouvernement, et qui
est ainsi conçue : « Soit la présente loi revêtue du sceau
« de l'État, etc. »
Elle est donc loi avant même d'être publiée, comme elle
est publique et réputée connue par le seul fait de la pro-
mulgation , combiné avec le délai nécessaire pour que la
connaissance puisse en parvenir à tous les citoyens.
Et en effet, tribuns, à quoi se réduit la fonction du pre-
mier magistrat de la République , lorsqu'après avoir coopéré
à l'émission de la loi comme partie intégrante du pouvoir
législatif, il la promulgue ensuile comme pouvoir exécutif?
le voici : Il s'interpose, en quelque sorte, entre la puis-
sance législative et le peuple , entre les représentans qui
l'exercent et le souverain de qui elle émane , et lui dit :
« Vous avez délégué à vos commettans le pouvoir de décré-
« ter la loi ; vous avez tracé vous-même les formes dans les-
9 quelles elle devait être émise ; toutes ces formes ont été
« remplies dans celle que je promulgue ; vous en avez pour
« garant et ma signature et l'empreinte du sceau de l'État ;
« vous serez donc tenu d'y obéir aussitôt qu'elle vous sera
c connue, et (jue le moment sera venu de la mettre à
a exécution. »>
Voilà bien , je crois , ce qui se pratique et ce qui doit se
prali(|uer sous le régime de la constitution de l'an VIII.
Or, je le demande, tribuns, une telle promulgation
n'est-clle pas la publication voulue par la Constitution ?
n'cst-cUc pas une manifestation de la loi aussi marquante
et aussi solennelle (qu'elle doit l'être, pour lui donner tout
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 31 1
le degré de publicité dont elle est susceptible? n'a-t-ellc
pas un caractère assez majestueux, assez imposant par
elle-même, pour qu'elle doive tout opérer, sans l'appui
des formes auxiliaires ou superflues dont on voudrait Ten-
vironner, et qui ne pourraient avoir d'autre effet que d'en
diminuer l'ascendant, et d'en compromettre la dignité?
Enfin, mes collègues, ne vous semble-l-il pas, d'après le
rapprochement que je viens de faire, qu'il doit exister une
aussi énorme différence, un contraste aussi frappant entre
l'ancien et le nouveau mode de publication , qu'il en existe
entre l'odieux gouvernement qui n'est plus, et le gouver-
nement juste qui lui a succédé , entre les formes monar-
chiques et les formes républicaines ?
Etablir une parité entre ces deux ordres de choses, et
approprier à l'un ce qui ne peut convenir qu'à l'autre,
c'est donc réunir les élémens les plus incohérens, et les
plus disparates ; c'est méconnaître à la fois et violer la nou-
velle hiérarchie des pouvoirs; c'est, en un mot, emprunter
d'un régime proscrit une forme abusive, pour l'introduire
dans un régime nouveau, auquel elle ne peut ni ne doit
s'adapter.
Et comment serait-il possible que le nouveau mode de
promulgation ne fût pas suffisant pour répandre partout,
dans un temps donné , la connaissance de la loi ? et que
pourrait j je le répèle, y ajouter de plus la publication ma-
térielle qu'on réclame, comme complément nécessaire de
la promulgation ? A la bonne heure, si la loi était, comme
autrefois, secrètement proposée , secrètement émise, se-
crètement adressée aux autorités, et qu'elles eussent le
droit d'en discuter le mérite, d'en arrêter les effets ou d'en
suspendre l'exécution : alors sans doute cette publication
serait tellement nécessaire, tellement indispensable, qu'il
ne pourrait y avoir de véritable promulgation sans elle,
puisqu'elle -même devrait, en ce cas, la suppléer, et en
tenir lieu.
14.
2 12 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Mais, sous l'empire de notre constitution, il n'y a rien
(le mystérieux, rien de secret , rien de caché dans l'émis-
sion de la loi. Tout est public, solennel, éclatant, soit dans
sa présentation par le gouvernement, soit dans sa discussion
au Tribunal, soit dans son adoption par le Corps législatif.
Ce n'est pas tout ; un grand nombre de citoyens assis-
tent aux séances de ces deux premières autorités , et sont,
pour ainsi dire, autant d'échos qui répètent et propagent
au loin ce qu'ils ont vu et entendu.
Il y a plus encore : les journalistes, présens à ces mêmes
séances, et attentifs à tout ce qui s'y fait, sont, si je peux
m'exprimcr ainsi, autant de témoins nécessaires, autant
de messagers vigilans qui le recueillent et le transmettent
du centre à toutes les extrémités du territoire, en sorte (jue
leurs feuilles sont, pour ainsi dire, de vrais bulletins par-
ticuliers que tout le monde peut consulter au besoin > vu
qu'il n'est pas de bourg, de village, de hameau où elles ne
pénètrent , et où le maire, le juge-de-paix ou tout autre
citoyen ne soit instruit et ne puisse instruire ses voisins de
ce qui s'opère cha(jue jour dans l'ordre civil et politique.
Je sais bien que la connaissance qu'on peut se procurer
par cette voie n'est pas officielle ; mais le gouvernement
est-il tenu de faire notifier la loi à chaque citoyen ? sa seule
obligation ne consiste-t-elle pas à employer le meilleur
moyen de la faire parvenir prompfement, et à éviter tout
ce qui pourraiten dérober ou en retarder la connaissance?
Or , ce moyen ne consis(e-t-il pas dans l'envoi de la loi aux
autorités administratives et judiciaires? La loi leur sera
donc envoyée ; et comment, sans cela, ])onrrait-elic être
exécutée? Conunent les juges |)ourraient-iIs rapplicjuer?
Dans de pareilles circonstances, et avec tant de moyens
de répandre la connaissance delà loi, est- il présumablc
qu'elle puisse être ignorée d'aucun de ceux <|ui auront
ou le désir, ou le devoir, ou le besoin de la connaître?
(^)uant à moi , je l'avoue de bonne foi , jo ne saurais me
I)li LA PUBLICATION DES LOIS. -Ô 1 5
le persuader ; et tinsse- je encourir le reproche de nie trop
confier // rauthentUitc des gazettes , s'il est ici une présomp-
tion à admettre, j'admettrais bien pluiôl Y impossibilité de
l ignorer y que V impossibilité de la connaître.
Ainsi donc , non seulement on ne peut pas dire, comme
le rapporteur de votre commission , que la connaissance
présumée qui résulte de la promulgation , est la connaissance
impossible; maison ne pourra, au contraire, s'empêcher
de convenir, si l'on réfléchit à tout ce (|ue je viens de dire,
que tous les caractères de publicité qui précèdent, accom-
pagnent et suivent l'émission de la loi, sont si ouverts , si
saillans, si multipliés, qu'il est presque impossible que la
loi ne soit aujourd'hui connue , avant même d'être pronml-
suce.
Comment ne le serait-elle donc pas, lorsqu'à cette con-
naissance accidentelle (que donnent les délibérations du
ïribunat et du Corps législatif, rendues publiques, et trans-
mises par les journaux) peut toujours se joindre la con-
naissance pleine , entière et officielle qui résulte de la pro-
mulgation ?
Ici, tribuns, j'aurais désiré pouvoir m'élever à des con-
sidérations d'un ordre supérieur, et il ne m'eût pas été dif-
ficile d'en faire sortir de nouveaux et de plus puissans mo-
tifs d'adoption : mais le temps qui nous presse ne m'a pas
permis de m'y livrer ; je les abandonne donc à votre saga-
cité, et je suis certain qu'elle suppléera amplement à tout
ce que je suis forcé d'omettre.
J'aurais désiré encore pouvoir réfuter quelques-unes des
objections les plus graves des derniers préopinans; mais,
outre que cette tâche m'aurait mené trop loin, j'eusse
peut-être compromis la grande cause que j'aurais voulu
défendre. J'ai donc cru qu'il était plus sage de vous laisser
le soin de les apprécier.
Cependant qu'il me soit permis, tribun», en terminant
celte partie de ma discussion , de vous présenter une obser-
2l4 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
vation bien tranchante et bien décisive ; celle observation ,
la voici :
C'est qu'en substituant au mode constitutionnel de pu-
blication un mode puisé dans les formes monarchiques ou
étrangères au régime actuel, vous donneriez par cela seul
à des autorités subordonnées au pouvoir exécutif une
sorte de coopération à l'acte de promulgation qui ne doit
émaner que du chef de ce pouvoir ; que vous les feriez, en
quelque manière , participer à cet acte suprême, qui pour-
tant n'est susceptible ni de partage, ni d'extension, ni de
modification ; à cet acte enfin qui ne peut être placé sous
aucune autre dépendance que sous celle de la constitution ,
qui en a réglé l'usage et qui l'a exclusivement attribué au
Premier Consul.
Or, ne serait-il pas à craindre que ces autorités que vous
auriez nécessairement associées à l'exercice d'une telle
prérogative, en leur accordant le droit exclusif de publica-
tion , ne serait -il pas à craindre, dis-je, qu'elles ne fi-
nissent par se croire autorisées, dans des temps de crise,
à arrêter, à suspendre ou à retarder l'exécution des lois,
puisqu'il leur serait déjà prouvé qu'elles ne peuvent être
publiées sans leur attache ou leur participation?
Je pense bien assurément et j'espère même que cela
n'arrivera pas; mais quand il s'agit d'une matière aussi
grave et qu'on stipule pour les siècles à venir, il est sage
de tout prévoir et de tout régler d'avance.
Maintenant, je le demande , pourrait-on redouter, en
évitant un excès, de tomber dans l'excès contraire? Serait-
on fondé à craindre que le pouvoir exécutif, qui ne sera pas
toujours dans les mêmes mains, n'abusât de sa préroga-
tive, soit en refusant, ou en différant de promulger les
lois, soit en en arrêtant ou suspendant l'exécution , et cela
sous prétexte qu'on lui aurait reconnu le droit exclusif de
les publier ?
Mais, en premier lieu, u'cst-cc pas IcgouverDcmcut qui
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 21 5
propose des lois, et dès qu'elles sont adoptées, et que le
délai constitutionuel est écoulé , n'est-il pas de son intérêt ,
comme de son devoir, de les promulguer et d'en procurer
la plus prompte exécution ?
£u second lieu , la constitution ne nous fournit-elle pas
une assez forte garantie contre l'abus qu'il pourrait faire
de son pouvoir, puisque , si l'article 4* lui attribue exclu-
sivement l'acte de promulgation, l'article 37 lui enjoint
expressément d'en faire usage le dixième jour après l'é-
mission de la loi ?
Peut-être m'objectera -t- on que la constitution nous
fournit aussi la même garantie contre les autorités admi-
nistratives et judiciaires, puisque le chef du pouvoir exé-
cutif peut révoquer les préfets, et faire poursuivre les ju-
ges en crime de forfaiture.
Je répondrai que, puisque nous sommes placés entre deux
écueils, dont il faut également se préserver, le meilleur
moyen de les éviter tous deux, c'est de marcher d'un pas
ferme sur la ligne tracée par la constitution , et de ne se
porter ni en-deçà, ni au-delà; qu'ainsi il faut s'en tenir au
mode de publication qu'elle consacre et qu'elle fait résul-
ter de la promulgation elle-même.
Mais je ne m'aperçois pas, tribuns, que j'abuse trop
long-temps de votre attention , et que je devrais d'autant
moins m appesantir sur l'objet que je viens de traiter, que
vous êtes, si je ne me trompe, presque tous frappés,
comme moi, de l'utilité, de la justice, de la constitution-
nalilé , et surtout de l'urgence de la loi qu'on vous propose.
Je pourrais donc me dispenser d'insister encore sur ce
point, qui me semble déjà trop éclairci, pour qu'il ne soit
pas superflu de l'éclaircir encore.
Cependant qu'il me soit permis de présenter, en peu de
mots, quelques réflexions qui auront le double avantage, et
de frapper sur quelques-unes des critiques dirigées contre
le projet, et de repousser quelques objections.
2l() DISCUSSIONS, SKTIIS, OtC.
Tous ceux qui ont combatlu le projet de loi lui repro-
chent d'être minutieux, incohérent, mal ordonné, mal
rédigé, et enfin de n'être pas à sa véritable place, à la tête
du Code civil.
Je réponds à ce premier reproche qu'il est désirable
sans doute que l'ordre, la méthode, la précision, l'élé-
gance même distinguent nos nouvelles lois de ces recueils
gothiques d'ordonnances et de coutumes barbares et inin-
telligibles ; que cela serait même nécessaire en quelque
sorte, soit pour leur attirer le respect et la considération
dont elles doivent être environnées, soit encore pour les
parer de toutes les beautés et de tous les charmes du lan-
gage, afin de les rendre en tout dignes de leur noble des-
tination. Mais il ne faut pas non plus porter jusqu'à l'excès
ce désir, d'ailleurs si louable, vu que trop de recherche, de
symétrie et d'affectation dans le style, pourrait aussi leur
ôter quelque chose de la noblesse et de la gravité qui doi-
vent les caractériser.
Que les lois soient claires, précises, et, si j'ose le dire,
familières, pour se rendre intelligibles.
Qu'il n'y ait rien de louche , d'équivoque ou d'insidieux
(ce qui les transformerait en autant de pièges, en les ren-
dant susceptibles de plusieurs interprétations) ; et non-seu-
Icmcnt nous pourrons, mais nous devrons même sacrifier
leur agrérnc!»l à leur utilité.
Or, il est aisé de s'aj»ercevoir (|ue le projet (|u'on nous a
présenté n'offre dans sa contexture aucune de ces graves
imperfections; qu'il ne blesse d'ailleurs ni la morale, ni
l'équité, ni la justice, ni l'acte constitutionnel, comme
l'ont démontré tous les orateurs qui m'ont j>récédé à cette
tribune ; qu'ainsi il est de la sagesse du Tribunal de faire
taire ses scru[)ules sur «les incohérences cl des défauts de
rédaction qui, s'ils existaient dans le projet, ne pourraient ,
en aucune manière , vicier le fond de ses dispositions.
ï.e Tribunal s'empressera donc de volcrPadoplion d'une
DE LA PUBLICATION DES LOIS. t> 1 7
loi que réclament toutes les auti-es lois, et qui, pouvant
s'appliquer à tous les Codes en général et à chacun d'eux
en particulier, ne saurait aucunement être déplacée à la
télé du Code civil.
Au reste, cette détermination est d'autant plus juste et
plus nécessaire, qu'elle nous est impérieusement com-
mandée par les circonstances où nous nous trouvons.
En effet, tribuns, vous ne l'ignorez pas, tous les besoins
nous assiègent ; presque toutes les ressources nous man-
quent, et le malaise est devenu général. Le peuple, lassé
par douze années de combats et de dissensions , a soif de la
justice. Cette justice, qui est la dette du gouvernement,
celle du Corps législatif et la nôtre; cette justice ne peut
lui être rendue sans de bonnes lois, et la plupart de celles
que nous avons sont mauvaises. Hâtons-nous donc de les
réformer. Et puisque cette réforme est commencée, puis-
que l'ouvrage est déjà avancé, puisqu'il n'y a aucun in-
convénient majeur qui doive arrêter notre marche, et qu'il
sera d'ailleurs si facile défaire disparaître les défauts* les
imperfections et les vices môme qui s'y seraient glissés ;
puisqu'enfm le plan de classification du Code a déjà indi-
qué que celle des articles se ferait par série de numéros, et
qu'ainsi il ne faudra qu'une nouvelle loi de classification
pour réunir ou disjoindre leurs diverses dispositions, pour
les rapprocher, les séparer ou les transposer; en un mot,
pour tout coordonner et tout mettre en place, hâtons-nous
donc encore une fois, tribuns, de favoriser l'émission de ce
Code si impatiemment attendu , et n'ayons pas à nous re-
procher d'avoir retardé d'un seul moment la jouissance de
ce bienfait.
En vain nous dirait-on que les articles du projet ne sont
pas des articles de loi, ([ue ce ne sont que des principes
de morale, des règles de droit, des axiomes de jurispru-
dence; qu'il faut faire la part de la science et celle de la
législation ; que les définitions sont du ressort du savant et
2l8 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
non du législateur; qu'enfin le projet, ou pris dans son en-
semble, ou considéré dans ses détails, ne peut orner le
frontispice du Code; qu'il y est absolument déplacé, que
ses divers articles y sont déplacés comme lui ; qu'ils sont
mal ordonnés entre eux , et qu'il faut tous les rejeter pour
les mettre à leur véritable place.
Je pourrais répondre aux adversaires du projet, qui se
montrent si passionnés pour la saine méthode, le bon or-
dre et la belle harmonie : Si vous trouvez tout déplacé à
la tête du Code, au point d'en exclure les principes même
du droit, de la morale et de la jurisprudence, qu'y place-
rez-vous donc, et quelles règles, quelles maximes, quelles
volontés vous paraîtront dignes d'y figurer? Vous ne trouvez
rien de bon , rien de passable dans le projet qui nous est
présenté; vous critiquez toutes ses dispositions : sans doute
la critique est aisée.... mais avez-vous encore rien indiqué
qu'on puisse substituer au projet que vous repoussez?
Vous voulez juger d'avance ce que sera le Code qu'on
nous prépare, ce qu'il doit être, ce qui lui est propre ou
étranger, ce qui lui convient ou ne lui convient pas; maïs
vous ne pouvez connaître encore tous les élémens dont il
se compose. La seule chose qui vous soit connue, c'est le
plan de distribution , la division des matières, l'intitulé des
livres, des titres et des chapitres ; mais vous ignorez toutes
les dispositions de détail.
Vous ne pouvez savoir si tel article du projet de loi , que
vous trouvez hors de place, ne se coordonne pas intime-
ment avec tel autre article d'un autre projet qui ne vous a
point encore été soumis.
Vous ne pouvez savoir si tel autre, que vous trouvez
incohérent , n'est pas en rapport direct et nécessaire avec
(luclqu'iin de ceux (|ui vous seront bientôt présentés.
Vous ignorez si tous ne sont pas liés par la grande chaîne
qui embrasse à la l'ois renscmblc et les détails.
J'infiu, vous ignorez si ce «juc vous bldniez aujourd'hui
DE LA PUBLICATION DLS LOIS. 2 1 9
comme incohérent, confus et mal ordonné , vons ne serez
pas, demain, forcés de l'admirer comme un ciief-d'œuvrc
de clarté, de régularité et de classincalion.
Mais je leur ferai nnc toute autre réponse ; elle est
courte , mais elle est énergique :
Incivile est nisi totcî Icge perspectd pronunciarc.
Je me résume.
La Constitution confère exclusivement au Premier Con-
sul le droit de promulguer les lois : or, promulguer les
lois, dans notre ordre de choses, c'est les publier; donc
la publication des lois ne s'opère que par la promulgation ,
et elles ne sont toutes deux qu'une seule et même chose.
Si la promulgation ne pouvait opérer son effet que par
la publication matérielle et locale, il s'ensuivrait que le
premier magistrat de la République serait en quelque sorte
dans la dépendance des autorités mêmes qu'il est chargé
de diriger et de surveiller, et qu'il entrerait avec elles en
partage de sa suprême prérogative ; ce qui serait le comble
du ridicule et de l'absurdité.
La loi a tous ces caractères avant même d'être promul-
guée ; et la promulgation suffit à sa publication , si Ton
accorde un délai suffisant pour que la loi puisse être connue
au moment où elle doit être exécutée. Or, l'article premier
du projet de loi remplit cet objet en « fixant un temps pro-
« gressif , dans lequel la connaissance de la loi peut suc-
« cessivement parvenir aux citoyens de tous les départe-
« mens. »
Ce délai ( rapproché de l'article 37 de la Constitution et
de la délibération du Conseil d'État , du 5 pluviôse an VIII ,
sur la date dos lois) détermine et précise, de la manière la
plus fixe et la plus invariable , le moment indivisible où la
loi pourra être connue, et celui où elle devra être exécutée
dans chacun des divers tribunaux d'appel de la République.
Ce délai, calculé en raison des distances, est infiniment plus
avantageux et plus conforme à la dignité de la loi (dont
2'iO DISCUSSIONS, 5I0TIFS , etC
rexécution ne peut être ni suspendue ni retardée) que
celle d'un délai uniforme, dont la fixation dépendrait du
caprice ou de la négligence des administrateurs et des
juges. Sans doute, ce mode, quoique le meilleur, peut
avoir ses inconvénicns; mais la sagesse du gouvernement
saura les prévenir ou y remédier.
Il n'y a pas de mode de publication qui puisse donner à
tous les citoyens une connaissance individuelle de la loi;
donc il faut se contenter de la présomption morale qu'elle a
pu être connue . C^We présomption, admise dans tous les
régimes, acquiert dans le nôtre d'autant plus de force et
d'ascendant que tout est public, éclatant et notoire dans
l'émission de la loi; qu'ainsi elle peut être connue avant
même d'être promulguée. La publication matérielle ne
pourrait donc rien ajouter à la manifestation résultante
de la promulgation , qui seule donne à la loi le sceau de
la publicité : elle serait d'ailleurs infiniment dangereuse
en ce qu'elle tendrait à faire participer les autorités su-
balternes à l'exercice d'une prérogative dont elles pour-
raient étrangement abuser.
Tous les orateurs qui ont parlé en faveur du projet ont
démontré que ses diverses dispositions étaient bonnes,
justes, sages, utiles et constitulionnelies : donc, (juand il
offrirait quelques légères im|)erfectioris, elles ne siiffiraienl
pas pour en fonder le rejet, puisqu'elles pourraient aisé-
ment être réparées.
Les besoins du peuple sont prcssans; il a trop attendu
la réforme de ses lois pour qu'il puisse rallendrc encore.
Il lui faut absolument un Code digne de lui, de sa gran-
deur et de sa gloire.
Donc le projet qui nous est soumis, et qui est destiné à
en être le frontispice, doit être adopté avec empressement.
En terminant, tribuns, je ne peux m'empêcher de former
un soubait, qui est aussi le vùlre.
Puisse ce nouveau Code, (|u'appelaient tous les vœux cl
UE LA PUBLICATION DKS LOIS. 22 1
Ions les besoins, répondre dignement, soit aux vues libé-
rales de celui qui, le premier, a pu les remplir, soit à
TopinioD qu'en ont ,déjà donnée et la célébrité des juris-
consultes à qui la rédaction en a été confiée, et les lumières
des magistrats qui l'ont enrichi de leurs observations, et
l'infatigable activité du gouvernement à recueillir et à
coordonner tous les matériaux de ce grand édifice! Puisse-
t-il asseoir le bonheur du peuple français sur les solides
bases de la morale, de l'équité, de la justice, de la liberté
civile et de cet esprit de bienveillance universelle, qui est
le lien commun des individus et des peuples! Puisse-t-il,
enfin, ainsi que l'a, en quelque sorte, présagé l'orateur
du Conseil d'Etat, captiver le respect des nations par la sa-
gesse de nos lois, comme nous l'avons déjà conquis par la
puissance de nos armes !
Je vote l'adoption du projet.
OPINION DU TRIBUN PORTIEZ ( dc l'Oisc),
POUR LE PROJET.
Tribuns, s'il est un besoin senti par toutes les classes de
citoyens; s'il est un vœu fortement exprimé dès le prin-
cipe et dans tout le cours de la révolution, certes c'est le
besoin d'un Code civil uniforme. Ce Code civil est plus vi-
vement et plus fortement réclamé aujourd'hui par tous les
citoyens qui veulent connaître les lois protectrices de leur
liberté civile et politique, de leur propriété, en un mot,
de leurs droits et de leurs devoirs; il est réclamé par les
membres de tous les tribunaux, jaloux de répondre à la
confiance du gouvernement, et de leurs concitoyens; il est
réclamé par tous les administrateurs de la République,
dont la marche est sans cesse retardée par l'incertitude de
notre législation , par la multiplicité des lois obscures , quel-
(luefois contradictoires, qui nous régissent aujourd'hui.
Au milieu des embarras et des obstacles d'une administra-
2 22 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
lion naissante, le gouvernement a mis au nombre de ses
premiers devoirs celui de satisfaire à ce vœu véritable-
ment national.
Grâces soient rendues à ce gouvernement qui, en dic-
tant la paix au-dehors par ses victoires, veut la consolider
au-dedans par des lois sages. Des jurisconsultes éclairés,
désignés par l'opinion publique, et nommés par lui, s'oc-
cupèrent incessamment de la rédaction de ce Code civil; il
est soumis à l'examen des tribunaux de cassation et d'ap-
pel. Une discussion approfondie a lieu bientôt dans le Con-
seil d'JÈtat.
Après les examens, les discussions, les délibérations,
paraît enfin le premier titre de cette loi si long-temps dé-
sirée.
Cependant la commission du Tribunal chargée de l'exa-
men de ce projet, vous en propose le rejet. Des raisons
fortes ont sans doute déterminé le vœu de la commission.
Nous allons les apprécier.
a Une loi de huit articles non ordonnés entre eux, et dont
« la rédaction en général est vicieuse : est-ce là , s'écrie-
0 t-elle , un portique qui réponde à la majesté de rédifice ? »
Tribuns , après une révolution profonde qui a ébranlé jus-
que dans ses fondemens et renversé l'ancien édifice social ,
nous avons erré long-temps sans gouvernail, battus par
les vents. Les passions soufflent encore de toutes parts;
commençons par nous abriter, et nous penserons ensuite
à embellir notre demeure. Qu'importe le frontispice plus
ou moins majestueux de l'édifice ? Sans m'occuper dans la
tempête à étudier les proportions de je ne sais quel beau
idéal et absolu dont la recherche prolonge la tourmente ,
je me contente d'un beau relatif qui nous sauve du nau-
frage.
3ciap. j Mais, dit-on, la rédaction est vicieuse en général; et
cependant on ne cite (|uc les articles 5 et 4 * encore n'ac-
cuse-t-on pas le quatrième d'être mal rédigé; mais seule-
DE LA. PUBLICATION DES LOIS. 2 20
ment la rédaction pourrait, ce semble à la commission,
être meilleure. Eu lisant ces articles, on cherche vaine-
ment le vice de rédaction. Les observations de la commis-
sion frappent sur le fond, et non sur la rédaction. Ici la
commission s'est méprise. Cet article 5 est clair, précis, et
exprimant avec netteté ce qu'il veut dire.
Abordons franchement l'article premier. Je croirai avoir
beaucoup gagné si je suis parvenu à obtenir que l'on m'en-
tende avec l'esprit dégagé des préventions que le rapport
de la commission a fait naître , qu'il a dû faire naître peut-
être ; mais, je ne crains pas de le dire, l'exposé de la com-
mission n'est pas exact. Elle a oublié ce principe en légis-
lation, que, pour juger du sens d'une loi et de son esprit,
il faut la juger par toute la suite , et par la teneur entière
de toutes ses parties, sans en rien tronquer. Or, c'est ce
qui est arrivé à la commission. Vous allez en juger par
l'article du projet, rapproché du passage du rapport qui
le concerne , et des articles constitutionnels relatifs à la
question. Je prie mes collègues de remarquer que l'article
premier contient trois dispositions principales et bien dis-
tiucles. L'erreur de la commission vient de les avoir con-
fondues.
Le premier article porte :
« Les lois sont exécutoires dans tout le territoire fran-
« çais en vertu de la promulgation qui en est faite par le
■ Premier Consul. •
Cette disposition est conforme à l'article 4 1 de la Consti-
tution.
Un autre paragraphe porte : « La promulgation faite par
« le Premier Consul, etc. » Écoulons l'article 5; de la
Constitution, que l'on n'a pas rappelé dans la loi, parce
qu'on a cru qu'elle devait toujours être présente à vos
esprits.
Art. 3^. « Tout décret du Corps législatif, le dixième
224 PISCUSSIOSS , MOTIFS, OtC
« jour après son émission, est promulgué par le Premier
« Consul , à moins que , dans ce délai , il n'y ait eu recours
« au Sénat pour cduse d'inconstitutionnalité. Ce recours
M n'a point lieu contre les lois promulguées. »
Au moyen de ce rapprochement tout devient clair. La loi
est nécessairement promulguée le dixième jour par le Pre-
mier Consul. Or, la promulgation faite par le Premier
Consul sera réputée connue dans tout le ressort du tribunal
d'appel de Paris, trente-six heures après sa date ; et dans
les ressorts des différens tribunaux, à des époques propor-
tionnées à leurs distances respectives de Paris.
Maintenant, que veut dire la commission, quand elle
parle de l'échéance d'un délai dont le preijaier terme n'est
pas fixé, dont on ne voit que la fin, encore très-suscepti-
ble de variation , d'instabilité ? Il est évident que la com-
mission tombe dans une erreur grave, he premier terme
est réellement bien fixé , d'autant plus irrévocablement
fixé, qu'il est pris dans la constitution même.
Tribuns, si l'article premier du projet n'eût contenu que
les deux paragraphes dont nous venons de parler, peut-
être l'article n'eût pas éprouvé de difliculté, parce que
cette disposition fondamentale et principale offre dans sa,
plénitude, le moyen, le but et les effets de la publication
des lois, telle que ses auteurs l'ont conçue. Mais l'article
premier contient un troisième paragraphe, qui, considéré
par la commission isolément, abstractivementet sans rap-
port avec les autres, a causé toute l'erreur. En voici la te-
neur... Elles ( les lois) seront exécutées dans chaque partie
de la République, du moment où la promulgation pourra y
être connue.
« Quand commencera celte épo(|ue où les lois devront
a élre exécutées nécessairement? Ce sera, suivant le projet
u de loi, dans chaipie partie de la République, m' moment
u où la pronmlgalion l'otniu y élre connue. »
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 2i?5
« Ueniarquez ces mots : du moment, et pourra.
«' Et quel sera le moment, rinstant fixe et indivisible au-
« quel une loi pourra être connue? »
Je relis l'article donc les lois ne sont pas exécutées,
quand la promulgation ne pourra y être coiutuc.
Je demande si cette partie de Tarliclc n'a pas pour objet
les cas particuliers dont on a parlé dans le ra])port et la
discussion, les cas d'inondation, de pays occupés par l'en-
nemi, surtout les îles, les colonies, dont le régime est dé-
terminé par des lois spéciales, aux termes de l'article 91 de
la Constitution : car, en règle générale, la loi sera connue
par le moyen indiqué plus haut , et il n'y en aurait point
d'autre dans le cours ordinaire des choses. Mais c'est pré-
cisément parce que des cas particuliers, provenant de cause
majeure, viennent intervertir l'ordre général, que le légis*
lateur, intervenant à son tour, dit : La loi ne sera pas
exécutée dans telle partie de la République, parce que la
promulgation n'a pas pu y être connue. Pour moi, je vois
là l'effet de la prévoyance du législateur.
On nous prie de remarquer ces mots.... du, moment ei
pourra.... Je les ai pesés et j'y donne mon assentimcnti
Quelque parti que l'on prenne , il faudra se contenter de la
présomption morale que chaque individu a pu la connaître.
Prenez un jour, une heure : il en résultera toujours pour
les esprits subtils qu'ils pourront subdiviser à rinfini, et
qu'on n'obtiendra jamais le point fixe et indivisible que
demande la commission; et on pourra toujours demander
avec elle quel sera le moment, l'instant fixe et indivisible
auquel uiic loi pourra être connue.
Au surplus, pour ce qui concerne les cas particuliers,
qu'il faut supposer faire la matière d'un litige, il est évi-
dent que c'est à la sagesse du gouvernement à y pourvoir
par un règlement, et à la conscience du magistrat à ap-
précier jusqu'à (juel point l'ignorance a été ou a pu être in^
vincible.
yi. 1 5
22G DISCUSSIONS, MOTIK^, ClC.
u II n'est pas possible, dit le judicieux Domat (a), que
« l'on fasse connaître les lois à chacun en particulier; il
a suifit , pour leur donner la force de lois , que le public en
« soit averti, car alors elles deviennent des règles publi-
a rjucs que tout le inonde doit observer; et les inconvéniens
« qui peuvent arriver à quelques particuliers, faute de les
« avoir connues , ne balancent pas leur utilité. »
Pardon , tribuns, si j'insiste sur le premier article; mais
la commission a déclaré que c'est celui qu'il est le moins
possible d'adopter, et qui doit lui seul déterminer le rejet
du projet de loi.
La commission trouve dans le mode de publication pro-
posé plus d'arbitraire que dans le mode actuel. Il y a donc
de l'arbitraire dans le mode actuel, au jugement même de
la commission? Je ne partage pas son opinion. Le mode
proposé me paraît préférable à ce qui s'est pratiqué depuis
la constituante jusqu'à présent. En eifet , par la loi du 9 no-
vembre 1789, les lois étaient mises à exécution , dans le
ressort de chaque tribunal, h compter du jour où lesfonna-
lités étaient remplies : ces formalités étaient la transcription
sur les registres, la lecture, la publication etrafliche. Ces
formalités furent supprimées par l'article 2 de la loi du lu
vendémiaire an iV, qui y suppléa par un bulletin officiel.
Les lois, d'après celle du 12 vendémiaire, ont leur force,
dans l'étendue de chaque département, du jour auquel !<;
bulletin ollicicl (jui les contient est distribué au chef-lieu
du déparlement. Dans ces deux hypothèses, une commune
distante de vingt, trente lieues du chef-lieu, est soumise à
l'empire d'une loi (|ue, moralement parlant, souvent elle
pouvait ne pas connaître. Je ne répéterai pas ici ce (|ui a
été dit sur l'abus et l'usage dérisoire que l'on faisait de la
publication de la loi, et l'indécence avec laquelle on s'en
jouait.
Kn terminant la discussion de cet article, j'observerai
DU i.K l'UlîLICATlON DlîS LOIS. 227
y
que la théorie brillanlc sur la prérogative du Premier Con-
sul dans la promulgation de la loi eût été plus à sa place
lors de la discussion de la Constitution que do celle du
Code civil.
Je passe au second article. L'article 2 ne contient pas un »
pléonasme , comme quelques-uns l'ont pensé ; il a deux
objets bien distincts : la première partie concerne l'avenir;
Ja seconde, le passé. Cet article, en rassurant les citoyens,
peut aussi servir de règle aux législateurs : je l'avoue, je
suis peu frappé des craintes qui ont affecté l'un des préo-
pinans. L'article porte avec soi sa garantie, et je me re-
pose à cet égard sur les sentimens et l'intérêt des juges,
du gouvernement, et de tous les administrés, qui, à coup
sûr, ne veulent pas, ne peuvent pas vouloir le retour au
régime de 1789, c'est-à-dire une révolution nouvelle.
L'article 5 a paru vicieux dans sa rédaction , parce qu'il î
«e contient pas certaines exceptions. On veut indiquer ici
les Français absens , les agens diplomatiques; mais on perd
^e vue qu'on se jette alors dans le domaine du droit des
gens, qui règle les traités avec les puissances étrangères,
ou des lois de police particulières.
L'article 4 est nécessaire pour garantir au commerçant ap. j
ia validité des actes dans lesquels on se serait conformé aux
formes reçues dans les divers pays où ces actes pourraient
avoir été faits et passés.
A l'égard de l'article 5, il est étonnant, suivant la com- ap. 5
mission , de trouver, d'après l'exposé même des motifs, un
article qui ne se rapporte qu'au cas particulier d'un acte
fait dans les dix premiers jours qui précèdent une faillite.
La commission se trompe; on a cité celui-là, parce qu'il
fallait en citer un ; mais on en pourrait citer d autres sur
les testamens, les obligations souscrites par des mineurs.
La malice humaine sera toujours plus féconde que la pré-
voyance du législateur.
L'article 7 n'a point excité de réclamation. 5
i5.
22S DL<CU5SI0:^S , MOTIFS, ClC.
6 En admellant le principe général de Tarlicle 8, qui ne
me paraît pas devoir être conleslé, je relèverai celle ex-
pression : l'ordre public et tes bonnes mœurs. Je crois qu'il
faut ou les bonnes mœurs; car Tune de ces deux circons-
tances sulTil pour frapper de vice Ja convention qui serait
faite.
4 La disposition de Tarticle 6 relative aux juges, dans
quelques circonstances, a été vivement attaquée : voici ma
réponse.
Tribuns, si dans quelque loi il se trouve une omissfon
d'une chose qui soit essentielle à la loi, ou qui soit une
suite nécessaire de sa disposition , et qui tende à donner à
la loi son entier effet selon son motif, on peut, en ce cas,
suppléer ce qui manque à l'expression, et étendre la dis-
position de la loi àce qui, étant compris dans son intention,
manquait dans ses termes. Ainsi s'exprime Domat; et ces
principes s'appliquent tout naturellement à Particle 6. Il
se peut présenter mille cas auxquels le législateur n*a
point pourvu , et c'est une prévoyance très-nécessaire , dit
Fauteur du Contrat social, de sentir qu'on ne peut tout
prévoir.
On reproche au projet d'avoir fait la part de La science
et celle de la législation. La plupart des articles, dit-on ,
sont des préceptes , des principes de droit, et non des dis-
positions législatives; et cependant la commission les ren-
3 voie à d'autres lois. Ainsi, suivant elle , l'arlicle 2, porlé
dans le projet de loi, se rapporte naturellement à celui (|ui
sera relatif aux personnes , qui réglera la distinction des
droits des Français et des étrangers.
ap. 3 Ainsi rarticle !\ apjtartient encore au projet de la loi re-
latifaux éhangers ; ainsi les articles 6 et 7 doivent être ren-
voyés au Code judiciaire.
•F- 5 Ainsi l'article 5 est h renvoyer au Code commercial. La
commission ne désapprouve pas, comme vous le voyez.
Tribuns, que CC8 articles soient présentés comme articles
DE LA PUBLICATION DtS LOI.*. 2 ?Q
<îaus les lois, mais seulement qu'ils fasseut partie du pré-
sent projet de loi. D'autre part, la commission convient
qu'un titre des règles du droit pourrait avoir son utilité. Au
reste, quel inconvénient y a-t-il à offrir des dispositions
générales dans la première loi du (Iode civil? Pourquoi tar-
der encore i\ présenter ces principes féconds, régulateurs
de la conscience des juges et des actions des citoyens ? Mais,
dit-on , c'est une grande question que celle de savoir s'il
doit se trouver de semblables articles dans les lois. La com-
mission penche pour la négative, le gouvernement pour
l'affirmative ; c'est donc Jilors un problème à résoudre; ob-
jet de controverse sur le(|uel chacun peut avoir une oj)i-
nion. J'observe que, sous la Constitution de l'an III, les lois
étaient précédées de considérans. Dans tous les cas, je n'a-
perçois pas que ce soit un motif réel d'un rejet de loi, parce
qu'il n'y a rien là qui blesse les droits de l'universalité ou
de partie des citoyens.
Un opinant a reproché au projet de renfermer des arti- '^'^^'^
■^ * preliin.
des constitutionnels : c'est ainsi qu'il appelle ce que d'au-
tres ont appelé des préceptes , des maximes de droit. La
singularité de cette opinion ne trouvera piîs beaucoup de
partisans; et ce reproche grave n'eût pas sans doute
4Î!chappé aux yeux pénétrons de la commission, dont la
perspicacité a saisi jusqu'à des nuances. Imitant son si-
lence, je ne donnerai pas d'importance à cette opinion par
une réfutation sérieuse.
Tribuns , le Code civil est impatiemment attendu , parce
qu'il est pour tous un besoin de chaque jour. Si le public
n'est frappé de la force et de l'évidence des motifs du re-
jet, ne craignez-vous pas qu'il ne s'élève un préjugé défa-
vorable pour la suite de la discussion, et que votre sévérité,
dont je respecte les motifs, ne laisse plus entrevoir, que
dansuneperspective fort éloignée, la jouissance de ce bien-
fait si long-temps et si justement désiré ?
Si , après une longue guerre , un traité de paix vous était
'200 DISCUSSIONS, MOTIFS, elC.
présenté, seriez-vous arrêtés, pour l'adoption , par la con-
sidéralion de quelques vices de rédaction, de quelques in-
cohérences dans les termes, du rapprochement des arti-
cles, uniquement par la juxta-position ? Non, ces vices,
ces incohérences trouveraient grâce devant le mot toujours
si doux, la paix. Eh bien î tribuns, une longue guerre a
rompu les liens qui unissaient les membres de la grande
famille française ; la discorde règne dans les subdivisions
de ce grand état, et le mine sourdement; chaque loi du
Code civil apparaîtra aux familles comme un traité de paix-
Ne vous cmprcsserez-vous pas d'accepter le rôle si beau
de pacificateurs ? Oui , sans doute , et j'en jure par les sen-
limens qui vous animent tous : vous seconderez le gouver-
nement dans son projet bienfaisant de rétablir l'harmonie
dans les cités, de rendre aux citoyens le repos , aux famil-
les la paix, et à tous le bonheur.
Je vote l'adoption du projet.
Le Tribunat ferma la discussion dans la séance du 2r
frimaire an lo , et vota le rejet du projet ; MM. Andrilux ,
Thiiîssé et Favard furent ensuite désignés pour exposer cl
détendre, devant le Corps législatif, les motifs de ce vœu.
CORPS LÉGISLATIF.
DISCOURS PRONONCK PAR M. ANDRIEUX, L UN DES ORATEURS
DU TRIBUNAT.
(Séance du 23 frimaire an X. — 14 dérembre l8oi.)
Tiuc Législateurs, nous venons exposer et défendre devant
'"''"" vous les motifs qui ont déterminé le Tribunat à rejeter, à
la grande majorité des voix, le projet présenté par le gou-
vernement, sous ce titre : De la imhlicatUm, des effets et de
t\ij>])lie(illi)ii des /ois en ^riicnd.
DE LA PUBLIC ATION DES LOIS. 'i 5 I
Parlant le premier au nom du Tribunal, je crois devoir
vous exposer, avec le plus de clarlé qu'il me sera possi-
ble, tout le système des motifs du rejet.
Voici quel ordre je suivrai.
Je commencerai par vous développer les motifs qui
ont décidé le Tribunal à rejeter le premier article du pro-
jet, celui relatif, je ne dirai pas à la publication, mais à
la présomption de publication des lois. J'insisterai sur cet
article, le plus important, je dirai presque le seul impor-
tant du projet de loi.
Je vous rappellerai brièvement les vices des sept autres
articles, elles inconvéniens qui résulteraient de leur adop-
tion.
Je terminerai par des observations générales qui achè-
veront, je l'espère, de vous confirmer dans l'opinion que
vous ne pouvez accorder votre sanction au projet de loi.
J'entre en matière.
« Les lois, dit le premier article, sont exécutoires dans
« tout le territoire français, en vertu de la promulgation
« qui en est faite par le Premier Consul. »)
Déjà il y a dans ce premier paragraphe de l'article une
expression inexacte, et dont l'inexactitude n'est pas sans
quelque conséquence.
La Constitutioo , artile (\\ , attribue au Premier Consul
la promulgation des lois, ou plutôt elle l'en charge; mais
s'ensuit-il que les lois ne soient exécutoires qu'<?/2 vertu de
sa promulgation .^
Prenez garde que celte expression semble donner à la
promulgation du Premier Consul une force virtuelle, ac-
tive, nécessaire au complément de la loi.
Or, dans ce sens , l'expression n'est pas juste ; la part du
gouvernement, dans la législation , consiste à proposer les
lois , à en rédiger les projets , à en demander cl à en sou-
tenir devant vous, Législateurs , l'adoption.
'2Ô2 DISCUSSIONS, MOTIl-^ , ClC
-Lorsque vous avez adopté, la loi est faite; elle eàt com-
plète, cnlière , elle est loi.
Le Premier Consul, et non pas le gouvernement, le
Premier (Consul peut seul la promulguer comme chef du
pouvoir exécutif. Cette promulgation n'est, en aucune ma-
nière, un acte législatif; elle n'a pour objet que de certifier
la loi, et de déclarer qu'elle n'a point été attaquée, pour
cause d'inconstitutionnalité, dans les dix jours de son
émission; c'est après la promulgation, ou si l'on veut, au
moyen de la promulgation , mais ce n'est pas en -vertu de la
promulgation , que la loi doit être exécutée. Elle doit l'être
en vertu de ce qu'elle est loi.
Qu'on ne dise pas qu'une expression pour l'autre est ici
indifférente , et que nous n'élevons qu'une dispute de mots :
c'est par les mots qu'on exprime et qu'on fixe les idées; et
vous sentez bien , législateurs, que ce mot en vertu pré-
sente une idée très-différente de celui-ci : au moyen. L'un
donne à la promulgation un effet trop étendu, une force
qu'elle n'a pas; l'autre lui assigne son véritable caractère.
L'un dit de la promulgation ce qu'elle n'est point; Tautre
exprime exactement ce qu'elle est. C'est donc ce dernier
qu'il fallait employer; et vous apercevez aisément, légis-
lateurs , les inconvéniens et les conséquences de ce défaut
de justesse > sans que j'aie besoin de m'y étendre davan-
tage.
Passons à la forme de la promulgation en général , et au
mode particulier de publication, on, pour mieux dire, au
défaut de publication qui vous est proposé*
La forme de la promulgation ne peut pas être regardée
et traitée comme une chose de peu de conséquence : les
lois sont ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes; tout
ce qui appartient à leur formation , à leur publication , doit
porter un caractère respectable comme elles.
Sous (pichpie constitution (juc l'on vive, les citoyens
ï)Ii LA PUBLICATION DLS L015. ^55
soumis à la loi, les magistrats , ses organes, doivent la re-
connaître à des signes certains, non équivoques, à des for-
mes solennelles.
Ces signes, ces formes, quel pouvoir les déterminera, et
aura seul de d»-oit de les déterminer? Incontestablement
le même pouvoir qui a seul le droit de faire les lois. Quel
autre que le législateur pourrait dire à (|uel signe les actes
du législateur lui-même seront reconnus?
En effet, c'est de la forme de la Constitution établie que
dépendent et le mode de confection de la loi , et ses ca-
ractères distinclifs, et le genre de sa promulgation. Chez
les despotes, la loi se fait en secret par un seul homme, cl
l'on ordonne aux sujets d'obéir à la volonté de leur souve-
rain seigneur; on l'ordonne dans la forme qui plait au
maître; elle dépend de lui comme le fond. Dans les répu-
bliques représentatives, la loi est faite en public, au nom
du peuple, par ses mandataires, et dans les formes consti-
tutionnelles : par une suite nécessaire, elle doit être aussi
promulguée dans les formes constitutionnelles.
La Constitution de 1791 et celle de l'an III avaient fixé
toutes deux, par des articles exprès, la forme de la pro-
mulgation des lois.
La loi du 12 vendémiaire an IV, sur le mode de publi-
cation et d'envoi des lois, a été mise au rang de celles or-
ganiques de la Constitution de l'an III.
La Constitution de l'an VIII ne dit rien sur la forme de
la promulgation , et cette forme a varié depuis que notre
Constitution nouvelle est en activité.
Cette fornne, cependant, ne peut pas, ne doit pas être su-
jette aux variations de l'arbitraire; c'est un acte de législa-
tion , et de législation politique, que de la déterminer; et,
comme sous notre Constitution, le pouvoir législatif est
divisé entre trois autorités, toutes trois doivent concourir à
régler les formes dans lesquelles les lois seront promulguées.
Il s'ensuit qu'une loi sur cet objet est une loi de l'ordre
204 I)ISCUSSIO!^S , MOTIFS , ClC
polilîquc , une loi organi(|nc de la Conslilutioii , et que
l'objet est assez important pour demander, à lui seul, une
loi expresse et complète. Cette loi nous manque; elle est ùt
l'aire.
La trouvez-vous, législateurs, dans le projet qui vous
est soumis? Il ne fixe point la forme de la promulgation ;
il n*en propose aucune ; et tout ce qu'il dit de la promul-
gation , c'est qu'elle doit avoir une date, ce qui est tout
simple , mais ce qui ne peut suflire.
Ne cherchez donc pas dans ce projet la loi sur la pro-
mulgation, qui serait cependant si importante, si néces-
saire; c^était précisément la loi qu'il fallait faire, au lieu
de Tarticle qui vous est présenté.
Mais cet article n'est relatif qu'à la publication ; voyons
s*il remplit son objet, et si vous pouvez lui donner votre
sanction.
Vous connaissez sa disposition; en voici le motif. On a
dit : De quelque manière qu'on s'y prenne, quelque for-
malité qu'on emploie, il ne faut pas s'attendre (|ue tous
les citoyens aient jamais une connaissance personnelle de
la loi ; il est impossible de la leur faire parvenir à tous et à
chacun; le problème à résoudre est donc moins de trou-
ver des moyens de faire connaître la loi , que de fixer une
époque où elle sera censée connue.
Nous admettons le principe, ou plutôt le fait, qu'il n'est
pas possible d'atteindre à la certitude physitjue de donner
à tous les citoyens une connaissance personnelle de la loi;
mais nous n'admettons pas la consécjuence, beaucoup trop
cxpéditive «pi'on en lire , qu'il est donc inutile de chercher
d'em[)loycr des moyens de leur donner cette connaissance,
et (|u'au lieu de s'en mettre en peine, il sulïit de fixer une
époque où la loi sera censée connue.
Est-ce à vous, législateurs, qu'on peut présenter un Ici
système, avec (jucl(|ue espérance de vous le voir consa-
crer?
DE LA rUBLICATIOIS DES tOIS. 2n5
Vous pourrez vous contenter, sans doute, de la prësonn>-
tion ou plutôt de la certitude morale que la loi doit être
connue; mais ce sera quand vous aurez l'onde cette pré-
somption sur des bases solides et suffisantes ; ce sera quand,
d'une part , la loi aura été publiée par l'insertion au Bul-
letin officiel, par l'envoi aux autorités judiciaires et admi-
nistratives ; enfin par tous les moyens qui paraîtront les
plus propres à lui donner une grande, une solennelle pu-
blicité; et quand, d'une autre part, il se sera écoulé un
délai tel que celte publicité ait pu avoir son effet, et que,
si la connaissance de la loi n'est pas parvenue à tous les ci-
toyens , du moins elle ait pu leur parvenir, et que ceux de
qui elie sera encore ignorée ne puissent imputer qu'à eux-
mêmes leur ignorance volontaire.
Dans le système du projet de loi , les moyens de publi-
cité sont nuls; l'article n'en établit, n'en énonce aucun;
et Ton pourrait, si cet article était adopté, supprimer et le
Bulletin et l'envoi des lois aux autorités, et renoncer à tous
les moyens actifs de publicité.
On regarde comme des moyens de publicité suffisante
ce qui se passe lors de la confection de la loi, sa présenta-
tion au Corps législatif, sa discussion au Tribunat, et de-
vant vous, législateurs, puis le délai constitutionnel de dix
jours qui s'écoule entre son adoption et sa promulgation ;
pendant ce temps, dit-on, les journaux impriment, ré-
pandent les projets de lois , publient les discussions ; beau-
coup de citoyens, ceux surtout qui, par devoir, par état ou
par leur position personnelle, ont besoin de connaître la
loi, prennent intérêt à sa formation, la suivent, y assis-
tent en quelque sorte par la lecture des papiers publics ;
il n'est donc pas à craindre que la loi ne soit pas suffisam-
ment connue : il n'y a pas d'autres moyens de publicité en
Angleterre et en Amérique.
Je conviens que les journaux peuvent avertir qu'il se
prépare ou qu'il a été rendu une loi sur telle ou telle ma-
'iOi\ DISCUSSIONS, MOTIFS, elC.
tièrc : mais doiiDent-ils de la loi uue connaissance offi-
cielle, même suffisante? les citoyens intéressés s'en rap-
porteront-ils aux journaux? est-ce sur un texte pris dans
nu journal qu'un administrateur, qu'un juge, (|u'un tri-
bunal motivera ses décisions et ses jugemens ? Et si ce texte
y est altéré ou tronqué? si deux journaux le rapportent
d'une manière différente? On parle de l'Angleterre et de
l'Amérique!... D'abord, il ne faudrait pas omettre de dire
que, dans ces pays, à la fin de cha(|ue session du parlement,
on envoie aux gouverneurs, aux cours, aux tribunaux, et
aux shérifs des comtés, le recueil des lois rendues dans la
session.
Et d'ailleurs, il y a trop de dissemblance d'esprit et d'ha-
bitudes entre ces pays et le nôtre , entre l'avidité avec la-
quelle on y recherche et on y lit les feuilles périodiques,
et l'indifférence dont on les accueille parmi nous, entre
l'exactitude et l'entière liberté des journaux anglais et
américains à rapporter les lois et les débats législatifs, et
la manière dont nos feuilles les tronquent, les défigurent
ou les suppriment, il y a, dis-je, trop de dissemblance
dans tout cela, pour qu'on puisse tirer un argument solide
d'une comparaison si peu exacte.
Quant au délai proposé, est-il suffisant pour que la loi
puisse être raisonnabl^îmcnt présumée connue?
La loi doit être promulguée le dixième jour? c'est à la
fin du dixième jour seulement, ou au conunencement du
onzième, que le secrétaire d'état peut la transmettre, signée
du Premier Consul, et revêtue du sceau de la République,
au ministre de la justice. Il faut que le ministre ^u fasse
faire dans ses bureaux une copie, qu'il certifie, et qu'il
envoie à l'imprimerie du Bulletin des lois. Il faut que cette
copie s'imi)rime! Eh bien, à peine le délai fixé pour
que la connaissance de la loi soit censée parvenue aux ex-
trémités du territoire, à peine, dis-je, ce délai est-il suffi-
sant pour (juc CCS premières formalités d'envoi, de copie
DE LA PUBLICATION DES LOIS. sSy
et d'impression soient remplies; les bureaux et les impri-
meries ne marchent point avec la rapidité des courriers.
Mais l'insuffisance du délai est peut-être son moindre
défaut; ses inégalités, ses variations, la possibilité de l'a-
bréger ou de l'alongerà volonté, son incertitude tourmen-
tante pour les citoyens, la complication même des calculs
qu'il rend nécessaires, voilà beaucoup d'autres motifs qui
se réunissent pour le faire rejeter.
Je reprends ces motifs successivement, et je les établis
eu peu de mots.
Les irrégularités du délai. On nous annonce un Code civil
auquel nous devrons le grand bienfait de l'unité, de l'unifor-
mité des lois dans toute la Uépublique, et pour premier gage
de cette uniformité, dont nous nous applaudissons d'avance,
on nous propose d'abord une loi qui ne sera point uniforme!
une loi qui fera commencer l'exécution des lois à des heures
différentes dans les différens départemens de la République !
Et voyez combien cette inégalité deviendrait quelquefois
bizarre et choquante. Jugez-en , législateurs, par cet exem-
ple que j'ai cité dans mon rapport au ïribunat.
Auxerre est à quarante lieues, anciennes, ou vingt my-
rîamètres environ de Paris , mais il est du ressort du tri-
bunal d'appel de Paris; Rouen est hors de ce ressort ; mais
il n'est éloigné de Paris que de quatorze myriamètres; ainsi
à Rouen, qui n'est qu'à vingt-huit lieues anciennes, la loi
ne devra être exécutée que dans soixante-six heures ; et à
Auxerre, qui est à une distance de quarante lieues, elle
devra l'être dans trente-six heures.
Variation et incertitude dans le délai. En effet, il serait
fixé d'après le nombre de myriamètres (jui forment la dis-
tance entre Paris et chacune des villes où siègent les tri-
bunaux d'appel; il faudrait donc commencer par fixer
cette distance; elle le serait, dira-t-on, par un arrêté, par
un règlement; mais ce règlement, cet arrêté peut être
changé d'un jour à l'autre; il arriverait que la distance
•2 58 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
pourrait cire regardée comme rapprochée, si des circons-
tances abrégeaient le chemin ; comme si un nouveau pont
facilitait le passage d'une rivière ; si, en perçant une mon-
tagne, on évitait un plus long détour ; alors la distance ne
serait plus la même; et comme les maîtres de postes ob-
tiennent quelquefois qu'on alonge ou qu'on double même
des distances qui ne changent pas dans la réalité, qui sait
ce qui arriverait de ces fixations arbitraires de myriamè-
tres, et jusqu'où des intérêts particuliers pourraient quel-
quefois parvenir à les faire raccourcir ou alonger, en pro-
fitant de certaines circonstances ?
C'est donc bien à tort qu'on a dit que, dans ce nouveau
système, les citoyens ne seraient soumis qu'à l'arbitraire
de la loi, toujours préférable à l'arbitraire de l'homme.
C'est à vous, législateurs, de voir si vous voulez adopter
une loi dont le complément nécessaire serait dans un ar-
rêté, dans un règlement de distances, qu'on pourrait chan-
ger à volonté. Serait-ce là une loi complète ? serait-ce une
loi immuable, et préviendrait-elle l'arbitraire?
Le monrient où la loi deviendrait exécutoire serait tou-
jours variable et mobile ; il le serait d'autant plus, que la
fin du terme dépend de son commencement, et que ce
commencement pourrait aussi varier. En effet, le délai
doit commencer de la date de la promulgation , et échoir
ensuite à différentes heures, à diiférens monicns (car c'est
le terme dont se sert le projet de loi) pour les différens dé-
j)arlemens de la Uépubii(|ue.
Jusquesà jiréscnt la promulgation n'est point datée d'une
heure précise ; elle l'est seulement d'un jour (a) , et dans
(a) Oii a dit »ju'il fauilrail «uivrt l;i rigic urdiiiairc : te jour du tt-rtne n'ett point compta dam tt
Urmt ; qu'niiiti une loi ';laiil pruiniilguée , |iar cxoniplc , le i**' du inoii , Ir déliti ronioienccrali
a ruurir ù ininiiil de et jour , f t 'juc \» loi tcrait prt'Duint'C connue ù Parii cl daiK Ir rruorl ,
trenlc-itix lii-urci apri-l , rVil-à-dirr B midi du troi^iinii- j'Hir du moi» , fl «lu'ù partir «Ir rr midi ,
k connaÏMance pr^iumée l'élendraii rt «a^nirail dr |ir«rli<- m |)rn<lie lur loui Ir* poinU dr la
Franrr. Il cH farlirux qu'un arlirlc de loi «lit aMi'7. pru rlair pour avoir besoin de louir nllc ex-
lilir^ilioii , Il dr |>|na , < elle •'(|ili(alioii n'i-f>l lioniH' i|u\iiilanl <|U(! la pioniulcalinn w-ra Miilenirnt
d-«lir du i<ni ; «Ile lomlie ni \\w foi» «m duniie ù la pruniulgaliuii la dale d'une heure preeiitr.
Dli LA PUBLICATION DES LOIS. 2ÔC)
le moilc acliiel île publicalion, <nrellc soil datée du jour
ou de l'heure , il ne peut s'ensuivre aucune différence
ultérieure.
Mais admettez un article de loi (c'est celui du projet)
qui dise que la loi commencera à être exécutée r/a moincnt
où elle /?o«r;Yi être connue, et qui fixe ce moment à telle
heure après Ja date de la promulgation ; n'est-il pas clair
qu'en donnant à la promulgation la date d'une heure pré-
cise, on change à volonté le moment où la loi devra com-
mencer à être exécutée? qu'ainsi une loi pronmlguéeà la
date de six heures du matin , par exemple, devra commen-
cer à être exécutée douze heures avant celle dont la pro-
mulgation sera datée de six heures du soir du même jour?
La promulgation doit toujours se faire le dixième jour,
j'en conviens; mais ce jour a vingt-quatre heures, et le
projet de loi , laissant au gouvernement la faculté de dater
sa promulgation de celle des vingt-quatre heures qu'il vou-
dra, il n'y aura jamais rien de certain sur le moment où la
loi pourra êlre censée connue , et où elle devra commencer
à être exécutée. La connaissance présumée devient alors
la connaissance impossible , puisque l'heure de la date de
la promulgation sera ignorée jusqu'à ce que la loi paraisse
et devienne publique. Est-il possible de laisser vivre les ci-
toyens dans cette incertitude continuelle sur l'objet le plus
important pour eux?
Mais voyons comment pourra se faire l'application de la
loi, d'après un pareil mode de publicalion.
Il est quelques actes qu'on date de l'heure où ils sont
passés; mais ce n'est pas le plus grand nombre : toutes les
conventions, les obligations et la plupart des actes notariés
ne sont datés que du jour; quand il faudra apprécier un
acte non daté de l'heure, et lui appliquer une loi qui sera
devenue exécutoire à un moment fixe et précis, comment
le pourra-t-on faire? Voilà donc tous les citoyens obligés de
dater désormais l'heure dans tous les actes; et s'ils l'ou-
î24o DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
hlient. les actes seront-ils nuls? On n'admettra donc plus
les actes sous signature privée , s'ils n'ont été enregistrés
avec les dates de l'heure, de la minute? Vous voyez, légis-
lateurs, à quelles conséquences ce système peut conduire;
vous voyez qu'il est une source d'incertitudes, de difficul-
tés, de discussions interminables.
Enfin, tous ces calculs d'heures et de myriamètres sont
difficiles, hors de la portée du plus grand nombre ; et pour
cela seul, ils doivent être rejetés d'une loi. « Les lois, dit
« Montesquieu, ne doivent point être subtiles; elles sont
* faites pour les gens de médiocre entendement. »
Le motif pris de la nécessité de donner à certaines lois
la plus prompte exécution, la marche la plus rapide, ne
trouve heureusement son application que dans certains
cas assez rares , et lorsqu'il s'agit de mesures répressives ;
et dans ces occasions peu fréquentes, on trouvera des
moyens extraordinaires d'exécution que la loi n'interdira
point.
Quant aux lois fiscales ou de finances, contre lesquelles
on craint qu'il ne se commette des fraudes dans l'inler-
valle entre leur émission et leur publication , il sera tou-
jours très-difficile d'empêcher ces fraudes , parce que l'in-
térêt particulier est actif, vigilant; parce i|ue la loi, si elle
n'est suffisamment connue, sera du moins assez annoncée
par sa présentation , par sa discussion, pour qu'on songe
à l'éluder; parce qu'enfin , avec quel(|ue rapidité qu'on lui
fasse parcourir des myriamètres, la fraude et l'amour du
gain fuiront encore plus vite devant elle , et n'auront be-
soin que de gagner (|uelqucs heures.
Vous voyez, législateurs, combien d'inconvéniens, et
qui ne sont balancés par aucun avantage, entraînerait le
projet de loi rejeté parle Tribunat; hésileriez-vous encore
à le rejeter? Je n'ajouterai qu'un mot , et je l'emprunterai
à l'un de nos premiers magistrats , (jui a rcm[)li It's fonc-
tions de ministre de la just4ce. et chez lci|uc'l l'expérience
DE 1-A PUBLICATION DES LOIS. 2^1
ajoute aux lumières acquises dans la science des lois. «- Les
« inconvéuiens, a-t-il dit, qu'on croit devoir résulter du
« mode actuel de publication, ne sont pas jusqu'ici jusli-
« fiés par des exemples : la seule question que ce mode ait
« fait naître, est celle de savoir si les tribunaux sont obli-
« gés de juger conformément à la loi avant de l'avoir re-
« eue. Le changement qu'on propose d'apporter au mode
«.actuel de publication est donc sans motifs. » Telle a été
Topinion de ce jurisconsulte célèbre; telle a été celle d'une
grande partie des membres du Tribunat.
Je dirai peu de chose des sept articles suivans, pour ne >à6
pas fatiguer votre attention ; permettez-moi , législateurs ,
de me référer, à cet égard, au rapport qui vous a été dis-
tribué.
Vous y avez vu que la plupart de ces articles sont des rè-
gles générales de jurisprudence qui appartiennent à la
science et non à la législation; règles qu'il est très-dange-
reux de vouloir convertir en articles de lois, parce qu'elles
sont sujettes à de fréquentes exceptions , parce qu'elles de-
viendraient fertiles en applications fausses, en conséquen-
ces funestes ;
Vous avez vu qu'on aurait pu de même, sous ce titre ,
de l'application et des effets des lois en général, citer une foule
d'autres règles ou axiomes de droit qui ne seraient pas
mieux à leur place que les quatre ou cinq qu'on a fait en-
trer dans ce projet;
Vous avez vu que plusieurs de ces articles appartiennent
à des matières particulières, et doivent être renvoyés aux
titres qui en traiteront; que plusieurs aussi présentent des
vices essentiels de rédaction ;
Vous avez vu que tous les articles du projet ne sont ni
liés, ni ordonnés entre eux; qu'ils sont seulement placés
à la suite l'un de l'autre sans méthode et comme au ha-
sard.
£tce serait là, législateurs, le premier titre du nou^eau
VI. 16
24-2 DISCUSSIONS, MOTIFS, ctC
Code français ? et vous le souffririez ? et vous placeriez un
si médiocre péristyle au-devant du grand édifice que vous
préparez pour la nation française et pour les siècles à ve-
nir ?
On ne vous dira pas, sans doute, que vous allez donc re-
tarder la confection de ce Code civil , si nécessaire, si vi-
vement désiré et si long-temps attendu; ce serait vouloir
alarmer vos consciences, au lieu de convaincre votre rai-
son : sans doute, le peuple français est impatient d'avoir
un Code civil; mais il est encore plus jaloux de l'avoir bon,
digne de lui, digne de vous, législateurs, digne de l'épo-
que à la(|uelle vous allez le lui donner, du commence-
ment du dix-neuvième siècle.
• Et d'ailleurs, comment le rejet du projet de loi actuel
pourrait- il retarder la confection du Code civil ? Le prin-
cipal, le seul article important du projet n'appartient pas
plus à ce Code qu'au Code criminel , qu'au Code judiciaire,
qu'à tous les autres ; il est même relatif aux lois temporai-
res et transitoires ; c'est une loi à faire à part sur la forme
de la promulgation et le mode de publication des lois en
général; loi importante et urgente, sans doute, mais dont
l'absence , depuis la mise en activité de la Constitution de
l'an VIII , n'a pas empêché et n'empêche pas encore jour-
nellement que les lois que vous rendez ne soient promul-
guées et publiées suivant le mode qui existe.
a à 6 Quant aux sept autres articles , la plupart sont des prin-
cipes qu'on trouve au Code, au digeste, dans tous nos li-
vres; et je vois bien ce qu'il y a de dangereux, mais je ne
vois pas, je l'avoue, ce qu'il y a d'urgent à les convertir
en articles de lois.
» Vous rejetercz donc co projet, législatc urs, afin qu'au
lieu du premier article , on vous présente une loi bonne et
complète sur la forme de promulgation et le mode de pu-
blication des lois.
a k 6 Vous le rcjclerez , afin (jue des sept autres articles on en
I
DE LA PUBLICATION DES LOIS. «245
supprime tout-à-fait plusieurs qui ne peuvent être des dis-
positions législatives; afin qu'on reporte les autres à leur
véritable place, aux titres auxquels ils appartiennent, et
aussi afin qu'on en revoie et qu'on en corrige la ré-
daction.
Votre refus d'adopter ce projet prouvera que vous voulez
que la majesté du peuple français , tant rehaussée par les
armes , le soit encore par les lumières les mœurs et les lois.
DISCOURS PRONONCÉ PAR LE CONSEILLER d'ÉTAT PORTALIS ,
LVN DES ORATEURS DU GOUVERNEMENT.
(Séance du 33 frimaire an X. — 14 décembre 1801.)
Législateurs, le projet de loi soumis à votre sanction est
attaqué dans son ensemble, et dans chacun des huit arti-
cles qui le composent.
Il est relatif à la publication, aux effets et à V application
des lois en général.
Dans la défense de ce projet, nous suivrons le même
plan que l'on a suivi dans l'attaque.
Examinons d'abord ce que l'on objecte contre l'ensemble
du projet de loi.
Ce projet, s'il faut en croire les orateurs qui l'on cen-
suré, n'est point à sa véritable place; car, n'étant relatif,
dit-on , qu'aux lois en général, il n'appartient pas plus au
Code civil qu'au Code criminel, au Code commercial, et
à tous les autres Codes.
Nous en convenons; et c'est parce que nous en conve-
nons , que le projet de loi dont il s'agit a été destiné à for-
mer une loi distincte de toute autre loi.
Mais , objecte-t-on , le projet de loi que nous discutons
est placé à la tête du Code civil, quoique vous conveniez
qu'il ne lui appartient pas exclusivement.
Je réponds que celte objection est inintelligible pour
moi.
16.
2/|4 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
Expliquons-nous.
C'est à l'occasion du Code civil que l'on s'est occupé du
projet de loi relatifs la publication j aux effets et à l'applica-
tion des lois en général ; mais le litre seul de ce projet an-
nonçait suffisamment que des dispositions et des règles sur
les lois en général n'appartenaient exclusivement à aucun
ordre particulier de lois.
Un Code civil a naturellement plus d'étendue que tout
autre Code : il régit l'universalité des choses et des person-
nes. Les lois criminelles, les lois commerciales sont plus
circonscrites.
D'autre part, la rédaction d'un Code civil a été le pre-
mier vœu de nos assemblées nationales.
Il était donc naturel de s'occuper de ce qui concerne les
lois en général , dans le moment où l'on était invité à s'oc-
cuper de la partie la plus étendue de la législation.
On raisonne sur la place qui doit être assignée au projet
de loi que nous discutons , comme s'il s'agissait d'une
question de préséance pntre des individus.
Les lois ont une époque, une date, parce qu'elles sont
faites dans un temps plutôt que dans un autre; mais elles
ne sont distinguées entre elles que par la matière à laquelle
elles se rapportent.
Chaque loi a son existence, comme chaque loi a son
objet.
Législateurs , dans l'ordre du travail, nous avons pensé
qu'il pouvait être utile de vous présenter un projet de loi
sur les lois en général, avant que de vous présenter les di-
vers projets de lois qui ont été préparés sur les diverses
matières civiles.
Conclura-l-on de là que le projet de loi sur les lois m
général cesse d'ôlre ce (|u'il est pour devenir ce qu'il n'e»t
pas?
On observe que ce projet, qui n'appartient exclusive-
ment à aucun Code, aurait dû être Tobjcl d'une loi parti-
DK LA PUBLICATION UKS LOIS. 'j/iS
culière, d'une loi à par!. EIi bien! qu'a-l-on fait, cl que
pouvait-on faire ? Pour distinguer un projet de loi de tout
autre, connaît-on quelque autre moyen que celui que nous
avons choisi ?
Le titre du projet présenté indique littéralement que ce
projet concerne les lois en général y c'est-c\-dirc toute espèce
de lois : donc il n'est pas exclusivement appliqué aux
lois civiles. Le môme projet est soumis séparément à la
sanction du Corps législatif : donc point de confusion à
craindre.
Je doute que ce soit une bonne manière de censurer un
projet de loi, que de se prévaloir, non des vices que l'on
y découvre , mais de ceux que Ton y cherche , et de propo-
ser des objections démenties par le projet même.
Si quelques orateurs nous ont dit que le projet de loi
n'appartient à aucun Code, d'autres sont partis de l'or-
donnance de 1667, pour nous avertir que ce projet appar-
tient au Code judiciaire.
Il est très-vrai que le premier titre de Tordonnancc de
1667 parle de la publication et de l'interprétation des lois,
et que, dans la même ordonnance, on fait un Code pour
la procédure civile. Mais pourquoi dissimuler que l'ordre
de la procédure civile n'a pas été l'unique objet du législa-
teur? Nous trouvons dans l'ordonnance de 1667 des titres
sur divers points de droit importans s\ir la forme des re-
gistres, sur la reddition des comptes, sur les faits qui
gissent en preuves locales où littérales, sur les prises à
partie.
L'ordonnance de 1667 Citait destinée à faire époque dans
la législation française; elle corrigeait de grands abus; elle
fixait quelques maximes importantes; on profila du mo-
ment pourétablir quelques règles sur la publication et l'in-
terprétation des lois.
Mais de ce qu'il est parlé de la publication des lois dans
une ordonnance qui parle aussi des formes de la procédure,
a46 UI>CUSSIONS , MOTIFS, ctc
conclure qnc la matière de la publication des lois appar-
tient au Code judiciaire, ce serait mal raisonner; car au-
tant aimerais-je entendre dire qu'il faut renvoyer la matière
de la publication des lois à celle des testamens et des suc-
cessions , parce que l'authentique, ut novœ constitutiones ,
régla les formes de la publication des lois, en décidant
une question de testament.
Avant l'ordonnance de 1667 , celle de Moulins avait pa-
reillement réglé les formes de la publication des lois. Or,
l'ordonnance de Moulins roule sur bien d'autres matières
que celles sur lesquelles l'ordonnance de 1GG7 a statué.
Il ne faut donc pas apporter en preuve contre le projet
de loi des exemples qui ne prouvent rien.
Ceux des orateurs qui pensent que l'on doit renvoyer
le projet de loi au Code judiciaire excipent encore des di-
vers articles de ce projet qui règlent les limites et l'étendu c
du ministère des juges dans l'application des lois.
Mais , à moins que l'on ne se croie autorisé à regarder
comme une dépendance du Code judiciaire toute dispo-
sition où le uioi juge se rencontrera, je ne vois pas com-
ment on jjeut exclusivement classer dans ce Code des ob-
jets qui sont d'un ordre plus élevé que ceux qui ne tiennent
qu*au système de la procédure civile. Tout ce qui con-
cerne l'étendue et les limites de la puissance de juger ap-
partient essentiellement au droit public.
Ilestmômc des orateurs qui ont été jusqu'à dire que cette
matière , ainsi que celle de la publication des lois , ne peut
être régie que par des rcglcnicns constitutionnels , et qu'elle
est hors de la sphère de la loi.
Nous voici dans une plus haute région.
Dans ce troisième plan d'attaque , il faut rejeter le pro-
jet, parce que, pour le traduire en loi , le pouvoir du lé-
gislateur ne suffirait pas, et <|u'il faudrait l'intervention du
pouvoir constituant.
Mais qu'est-ce donc (ju'un n'glcmcnt constitutionnel? Ces
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 247
deux mots ne vout point ensemble ; ils impliquent contra-
diction. Le mot règlement ainnouce quelque chose de varia-
ble; le mot constitutionnel annonce quelque chose qui ne
Test pas.
On parle du pouvoir constituant comme s'il était tou-
jours présent , comme s'il faisait partie des pouvoirs con-
stitués.
Erreur : quand la constitution d'un peuple est établie,
le pouvoir constituant disparaît. C'est la parole du créa-
teur qui commanda une fois pour gouverner toujours;
c'est sa main toute-puissante qui se reposa pour laisser
agir les causes secondes, après avoir donné le mouvement
et la vie à tout ce qui existe. Par la Constitution, le corps
politique acquiert tout ce qui lui est nécessaire pour être
viable ; il acquiert une volonté et une action. Mais alors il
se suffit à luiniême pour se conserver et se conduire.
La Constitution a distribué les pouvoirs de l'état comme
la nature a distribué les facultés de l'homme.
La Constitution est au-dessus du législateur. Ainsi on ne
peut changer ni détruire par des lois ce qui est établi par
la Constitution.
Conséquemment , dans la matière qui est l'objet de cette
discussion , une loi ne pourrait déclarer que la promulga-
tion des lois n'est pas nécessaire, puisque la Constitution
suppose littéralement la nécessité de cette promulgation,
et puisqu'elle désigne le pouvoir par qui les lois doivent
être promulguées.
Mais la Constitution n'a point déterminé le mode ni la
forme extérieure de la promulgation des lois. Donc elle a
jugé que ces objets ne sont pas constitutionnels; car on ne
peut pas dire qu'ils aient échappé à sa prévoyance, puis-
qu'elle s'est particulièrement occupée de la matière de la
promulgation. Donc, elle a reconnu que tout l'espace qu'elle
laissait libre dans cette matière était du domaine de la loi.
Je conçois que , dans les cas extraordinaires qui peu-
Îi48 Discussions, MOTIFS, ClC
vent être amenés par le temps, il peut se rencontrer des-
objets qui soient, par leur nature, liors de la main du lé-
gislateur; mais dans toutes les matières sur lesquelles la
Constitution a formellement statué , il est évident que ce
serait blesser la Constitution même , que de regarder
comme constitutionnel ce qu'elle n'a pas voulu traiter
comme tel.
Je sais que la Constitution de Tan III réglait explicite-
ment le mode et les formes de la promulgation des lois ;
mais cette circonstance est une raison de plus pour penser
que c'est avec intention qu'on n'a plus reproduit les mêmes
détails dans la dernière Constitution. Les bons esprits s'é-
taient plaint de ce que la Constitution de l'an III était trop
réglementaire , et de ce qu'elle avait lié par là, à l'immuta-
bilité de la République , des objets qui sont essentiellement
subordoiuiés au cours variable des intérêts, des mœurs et
des circonstances. Dans le nouvel ordre de choses, on n'a
pas voulu s'exposer aux mêmes inconvéniens, et on a laissé
plus de latitude au législateur.
Pour ce qui est des articles du projet de loi, qui sont re-
latifs aux fonctions des juges, comment peut-on raisonna-
blement prétendre que ces articles sont hors de la sphère
de la loi ? L'article 61 de la Constitution s'exprime eu ces
termes : En maticrc civile , il j a des tiihitnaux de première
in^tnnce et des tribunaux d'appel. La loi détermine l'organisa-
tion eles uns et des autres , leur compétence et le territoire for-
mant le ressort de chacun.
Cela est-il clair? Il y aura des tribunau.v de première in-
stance et des tribunaux d'appel. Tel est le vœu de la Constitu-
tion . tout le reste est abandonné à l'empire de la loi.
Dans les controverses ecclésiastiques, ou a eu quelque-
fois besoin d'avertir Us théologiens de n'être pas plus
chrétiens (juc l'évangile ; dans nos controverses politiques,
n<>us avons <|iicl([uefois besoin (|u'on nous dise de n'être
pas plus constitutionnels (/ue ta Constitution.
DIÎ LA PUBLICATION DKS LOIS. 24^
Après avoir réfuté toutes les objections relatives an poihl
de savoir si le projet de loi présenté est à sa véritable place ,
qu'il me soit permis démettre aux prises les divers orateurs
qui ont proposé ces objections.
Les uns voudraient reléguer le projet de loi dans le Code
judiciaire; ceux-là ne le voudraient pas, qui soutiennent
que le projet de loi n'appartient exclusivement à aucun
Code. D'autres avancent, contre l'esprit et la lettre de la
Constitution, que toute la matière sur laquelle le projet
dispose est constitutionnelle, et conséquemment étran-
gère au pouvoir législatif: d'autres ne voient rien, dans les
objets dont il s'agit, qui ne soit du domaine de la loi.
Chacun des orateurs que j'ai à combattre prétend que
son voisin a tort, et en cela ils ont tous raison. Car, à ceux
qui soutiennent que la matière du projet de loi est consti-
tutionnelle, je réponds avec la constitution, qu'elle ne
peut être réglée que par une loi.
A ceux qui voudraient reléguer le projet de loi dans le
Code judiciaire, et qui ont argumenté d'après l'ordonnance
de 1667, j'oppose l'authentique : ut novœ constitutiones , et
l'ordonnance de Moulins, qui n'ont pas suivi le plan de
l'ordonnance de 1667. ^^ ^^^^ réponds encore, d'après la
nature des choses , qu'une loi relative aux lois en général ,
n'est pas plus particulière au Code judiciaire qu'à tout
autre Code.
Finalement, à ceux qui, partant de ce dernier point
convenu, nous reprochent d'avoir présenté, comme un
apanage exclusif du Code civil, un projet de loi qui ne peut
appartenir exclusivement à aucun Code particulier, je ré-
ponds : De quoi vous plaignez-vous? qu'exigez- vous donc
que nous n'ayons déjà fait? Vous voulez un projet séparé;
nous le présentons. Vous craignez que ce projet, rédigé à
l'occasion du Code civil, et préliihinairement à ce Code,
ne puisse être regardé comme un apanage exclusif des ma-
tières civiles : lisez le titre même du projet, vous y verrez
200 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
qu'il est relatif à la publication , aux effets , à l'application des
lois en général. Or, certainement un projet annoncé comme
relatif aux lois en général n'est point annoncé exclusive-
ment comme relatif aux lois citulcs en particulier.
Je le demande aux orateurs que je réfute : comment ont-
ils raisonné? De ce que nous avons dit que le projet de loi
est relatif aux lois en général on s'est hâté de conclure que
Dous avons eu tort d'en faire une dépendance exclusive
des lois civiles. Mais il était bien plus naturel de dire : les
auteurs du projet n'ont pas voulu faire du projet une dé-
pendance privilégiée des lois civiles en particulier, puis-
qu'en nous révélant leur pensée, ils nous ont annoncé
formellement que le projet était relatif aux lois en gé-
néral.
C'est une manière assez bizarre de combattre un auteur,
que celle de raisonner, non sur ce qu'il a dit ou pensé,
mais sur ce qu'il n'a ni pensé ni dit. Avec ce singulier sys-
tème d'attaque, chacun a combattu le projet qu'il faisait
lui-même dans sa tête , et personne n'a vu celui qu'il avait
sous les yeux.
Un second point de vue sous lequel on attaque le projet
de loi consiste à nous le faire^ envisager comme un recueil
de maximes de morale et de jurisprudence, qui ne peu-
vent devenir l'objet d'une loi, et qui doivent être aban-
données à la science.
D'abord, je ne trouve aucune maxime de morale dans le
projet de loi , à moins que l'on ne se fasse de la morale
une toute autre idée que celle que nous en avons tous.
Quant aux maximes de jurisprudence, je ne vois pas
comment elles ne pourraient pas devenir l'objet d'une loi.
C'est la jurisprudence, c'est-à-dire la science du droit,
qui fournit tous les matériaux de la législation.
La science embrasse tout ce qui peut s'offrir à l'espril.
La législation choisit dans la science tout ce qui peut inlé-
resHcr plus directement la société.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 25 1
L'office de la loi, dit-on, n'est que d'ordonner, de
permettre, de défendre, de punir; la loi ne doit donc pas
se borner à proclamer des principes.
Je réponds que le mot ordonner , dont on se sert pour
exprimer une des attributions de la loi, a une signification
plus étendue que Ton ne pense. Il n'est pas limité à l'ex-
pression d'un commandement précis sur un objet déter-
miné. II embrasse toute disposition générale ou particu-
lière qui sert à régler les actions des hommes.
Un principe n'est point une disposition.
J'en conviens. Mais un principe devient une disposition
quand il est sanctionné par la puissance législative.
Avant la sanction publique, un principe n'est que le
résultat d'un ou de plusieurs raisonnemens que d'autres
raisonnemens peuvent atténuer ou obscurcir. Après la
sanction publique, un principe devient un fait positif qui
termine tous les raisonnemens et toutes les incertitudes.
Un principe, tant qu'il n'appartient qu'à la science,
n'est qu'une thèse philosophique qui peut être controver-
sée; mais quand un principe appartient à la législation, il
devient une règle qui doit être obéie.
Les principes, dans le sens que l'on attache à ce mot,
sont indiqués par la raison : les règles sont fixées par l'au-
torité.
Les principes sont appris, inspirés ou découverts : les
règles sont établies.
Le savant, le philosophe, le jurisconsulte enseignent et
propagent les principes; le législateur seul peut faire les
règles : car la raison particulière d'aucun homme ne peut
dominer celle d'un autre homme. Il n'y a que la loi, raison
publique, qui peut utilement parler à tous.
Les Romains , qui ont si long-temps régi et qui régissent
encore le monde par leurs lois, avaient inséré dans leur
Code un titre exprès, des règles du droit, de regulis
juris.
252 DISCUSSIONS, MOTIFS, Ctc
Il ne faut pas tout abandonner à la science. Il ne faut
pas tout régler par des lois.
La science, abandonnée à la dispute, n'offre qu'une
mer sans rivages. Les règles, posées par la législation , fout
que les rivages ne manquent pas à la mer.
Loin de dire que la loi ne doit point fixer des règles, il
faut donc dire, au contraire, que rien n'est plus favorable
que cette sorte d'instruction légale , qui éclaire et com-
mande tout à la fois, et qui rassure la société contre les
fluctuations de la science.
Mais, disent les orateurs qui attaquent le projet, il y a
la plus grande incohérence entre les divers articles. On
pourrait placer au second rang celui qui est au troisième ,
et au troisième celui qui est au second. Rien n'est lié.
Je réponds qu'il y aurait incohérence s'il y avait con-
tradiction ou incompatibilité.
Ce qui est dit dans un article est-il contraire à ce qui
est porté dans un autre? Expliquez- vous. Si cela est, il
faut rejeter le projet.
Mais on n'argue d'aucune contradiction. On suppose
même qu'il n'y en a point, puisqu'on observe seulement
que les divers articles pourraient être arbitrairement dé-
placés sans conséquence. Il n'y a donc point d'incompati-
bilité entre les articles.
On objecte qu'il n'y a pas non plus de liaison.
Je conviens qu'il ne peut ni ne doit y avoir, entre les
articles du projet, les rapports de subordination ou de dé-
pendance qui existent enlre des propositions déduites les
unes des autres.
Mais cela résulte de la nature môme des choses.
Chaque article énonce une règle; chaque règle est un
tout :or, différens tous, réunis ensemble, ne sauraient
l'ôtrc comme le sont les parties d'un même tout. Chaque
règle a son empire , et , pour ainsi dire , son territoire. Au-
cune n'est précisément la conséquence de l'autre. S'il en
D£ LA PUBLICATION DES LOIS. 255
èUit autrement, ce ne seraient pas des règles distinctes et
capables de remplir le but que l'on s'est proposé.
Il ne s'agit donc pas de savoir si les règles posées ont de
l'affinité entre elles , mais si elles en ont avec le titre géné-
ral sous lequel elles sont placées , et qui est relatif ^i la pu-
blication y aux ejfets et à l'application des lois en général.
Mais, ajoute-t-on, puisque vous vouliez établir des rè-
gles , pourquoi n'en avez-vous pas fait une plus longue
série ? Il en est d'importantes qui ne sont pas dans le projet.
Je réponds qu'en présentant le projet de loi, nous n'a-
vons pas entendu présenter un recueil des règles du droit,
mais simplement fixer certaines règles relatives aux effets
et à l'application des lois.
Tantôt on disait que des règles de droit ne pouvaient
jamais devenir des articles de loi ; ici on se plaint de ce
que le projet de loi ne contient pas un assez grand nombre
de règles.
Vous avez omis, dites- vous, des règles importantes.
Mais , faites l'énumération de toutes les règles que vous
croyez importantes dans le droit, et vous n'échapperez pas
au reproche d'en avoir omis quelqu'une. Les Romains n'y
ont point échappé.
Au surplus, notre projet de loi n'a pour objet que de
fixer quelques points de controverse, ou de proclamer
quelques maximes qui ont toujours été rappelées par les
législateurs des nations , quand ils ont promulgué quelque
grand corps de loi.
Tous les reproches d'omission portent donc à faux.
Les orateurs qui ont attaqué le projet dans son ensem-
ble finissent par observer que ce projet n'est pas digne de
servir de frontispice au Code civil.
Mais tout ceci est bien vague.
Je sais ce que l'on veut dire quand on soutient qu'un
projet de loi est bon ou qu'il est mauvais; mais mes idées
ne savent plus où s'arrêter, quand on demande si un pro-
â54 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
jet de loi est digne de servir de frontispice à un autre. Celte
question pourrait être utilement agitée, s'il s'agissait de
l'exorde d'un discours d'ostentation. Alors on pourrait exa-
miner si cet exorde assortit le sujet ou le reste du dis-
cours.
Mais rien de tout cela ne se rencontre dans notre hypo-
thèse. Le projet présenté n'est ni l'exorde d'un discours,
ni le préambule d'une loi ; c'est un projet de loi qui a son
objet distinct, et qui doit être jugé en lui-même, indépen-
damment de tout autre projet.
Le projet présenté n'est qu'en huit articles. Mais qu'im-
porte ? Il ne s'agit pas de compter les articles d'une loi ; il
s'agit de les peser. La loi qui décréta que la France serait
République n'avait qu'un article : en a-t-il existé de plus
importante?
La matière du projet de loi est grave, puisque la plupart
des orateurs ont même soutenu qu'elle était constitution-
nelle. Il suffit de lire la discussion du Tribunal, pour être
pénétré du degré d'importance que les orateurs ont atta-
ché à l'objet de chacun des articles soumis à la sanction
du Corps législatif.
C'est autre chose si l'on prétend que le projet est mal
rédigé, et que les articles qui le composent sont des dan-
gers ou des erreurs.
Mais cette partie de la discussion rentre dans les objec-
tions de détail que l'on a proposées contre chacun de ces
articles. Pour le moment, nous pouvons conclure avec
confiance que le projet, considéré dans son ensemble,
n'offre rien qui puisse en motiver le rejet.
Actuellement notre tâche est de justifier chaque article
pris séparément.
Le premier article porte trois choses :
1°. Que les lois sont exécutoires dans tout le territoire fran-
çais y en vertu de la promul 'Ration qui en est faite par le Premier
Consul;
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 2 55
a". Quelles seront exécutées dans chaque partie de la Repu-
hliquc , du moment où la promulgation pourra y être connue;
5°. Que la promulgation faite par le Premier Consul sera
réputée connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de Paris,
trente-six heures après sa date, et dans tout le ressort de chacun
des autres tribunaux d'appel, après l'expiration du même délai,
augmenté d'autant de fois deux heures qu'il y a de myriamètres
entre Pans et la ville où chacun de ces tribunaux a son siège.
Toutes les dispositions de cet article sont attaquées.
Comment a-t-on pu se permettre d'avancer, dit un des
orateurs, que les lois sont exécutoires en vertu de la pro-
mulgation du Premier Consul ? La promulgation n'est
qu'une formalité extérieure qui ne constitue pas la loi. La
loi est exécutoire, dit l'orateur, parce qu'elle est loi, elle
est loi en vertu des formalités indiquées par le pacte cons-
titutionnel pour la forme de ces actes suprêmes. C'est donc
par un sens faux, par une fausse acception du mot, que
l'on a prétendu définir le caractère des lois , d'une manière
évidemment contraire à Tesprit de la Constitution, qui
est précis.
Tout ce raisonnement n'est fondé que sur des méprises.
La loi peut être considérée sous deux rapports : i" rela-
tivement à l'autorité qui la porte ; 2° relativement au peu-
ple ou à la nation pour qui elle est faite.
Il est des peuples qui, n'étant point encore civilisés,
vivent sans loi; mais toute loi suppose un peuple qui l'ob-
serve et qui lui obéit.
Entre la loi et le peuple pour qui elle est faite, il faut un
moyen de communication ; car il est nécessaire que le peu-
ple sache ou puisse savoir que la loi existe et qu'elle existe
comme loi.
La promulgation est le moyen de constater l'existence de
la loi auprès du peuple , et de lier le peuple à l'observation
de la loi. Aussi, tous les publicistes, tous les jurisconsultes
256 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
regardent la promulgation comme l'édition solennelle de
la loi ; solemnis cditio.
Avant la promulgation, la loi est parfaite, relativement
à l'autorité dont elle est l'ouvrage; mais elle n'est point
encore obligatoire pour le peuple en faveur de qui le légis-
lateur dispose. Sans doute , la promulgation ne fait pas la
loi ; mais les effets de la loi ne peuvent commencer qu'après
la promulgation.
On a donc dit, avec raison , que les lois sont exécutoires
en vertu de la promulgation. La promulgation est une
forme extérieure, mais essentielle, puisqu'elle est consti-
tutionnelle. La promulgation est une forme extérieure à la
loi, comme la parole et l'écriture sont extérieures à la pen-
sée. Mais, comme pour communiquer sa pensée, il faut des
signes qui la transmettent, il est également vrai qu'il faut
une promulgation pour que la loi ne demeure pas étrangère
à ceux qui sont destinés à lui obéir. L'erreur vient de ce
qu'on ne regarde la loi que dans ses rapports avec l'auto-
rité qui la décrète , sans la considérer dans ses rapports
avec la nation pour qui la loi existe.
La première disposition du premier article du projet est
donc inattaquable.
La seconde disposition du même article porte que les
lois seront exécutées dans chaque partie de la République , du
moment où la promulgation pourra y être connue.
Ici on s'élève contre les mots du moment el pourra.
Il est absurde , dit-on , que l'on se contente d'une sim-
ple probabilité, lorsqu'on devrait se ménager la certitude.
Il est absurde encore qu'en se contentant d'une simple
probabilité, on calcule par moment, et qu'on fasse tout
dépendre d'un point mathématique.
Je répondrai d'abord qu'en matière de législation , c'est
la même chose de connaître réellement une loi, ou d'a-
voir pu ou dû la connaître , idem est scîre aut scire /jotuisscy
11F. LA PUniICATION' DIS LOIS. JO^
aut debuissc : de là c'est une règle constante, que l'i'^no-
rance du droit n'excuse pas : ignorantin Juris non e.vcn.utt.
Tout cela est fondé en raison. Les lois sont faites gcné-
ralenient ; Ir^cs gcncralitcr constituiintur y et non in sin<mlas
personas ; c'est-à-dire, les lois prennent les hommes en
masse, elles parlent à la société entière.
Il serait donc contre l'essence même des lois, qu'une loi
fût personnellement intimée à chaque individu. La chose
serait même physiquement impossible. De là, dans le
droit public de toutes les nations, la loi est notifiée au
corps de la société par la promulgation. Réellement et de
fait, beaucoup de gens ignorent une loi, quoique promul-
guée ; mais si on a la certitude morale qu'ils ont pu la con-
naître, l'ignorance de la loi ne peut les excuser. On est
forcé de se contenter de celte certitude morale, puisqu'on
ne pourrait avoir la preuve spécifique de la connaissance
parvenue à chaque individu, que par l'intimation de la loi
à chaque individu, intimation dont l'impossibilité est évi-
dente.
On est donc forcé de calculer sur la connaissance pro-
bable que chacun peut avoir de la loi. Le système des pro-
babilités, en cette matière, n'est donc pas nouveau. Il est
inhérent à tous les systèmes de promulgation; il dérive de
la force même des choses. Les possibilités , les probabilités
peuvent se calculer ; le projet de loi les calcule, en graduant
successivement les distances, et en déclarant successive-
ment la loi exécutoire d'après l'échelle des distances gra-
duées.
Mais, nous dit-on , pourquoi ne pas faire promulguer la
loi partout ? Pourquoi une seule promulgation à Paris ? Il
est facile de répondre à ces questions.
La matière de la promulgation des lois a été disertcmcnt
traitée par tous les publicisles; et voici quels sont les prin-
cipes de cette importante matière.
N'oublions pas ce que nous avons déjà dit, que la pro-
VI. ï7
258 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
mulgalion est une édition solennelle, faile de la loi par
l'autorité compétente, xolcmnis editio. La pronuilgation est
la vive voix du législateur.
La Constitution porte que la promulgation des lois sera
faite par le Premier Consul. 11 n'y a donc et il ne peut y avoir
qu'une seule promulgation des lois en France , et une pro-
mulgation faile par le premier magistrat de la République.
La promulgation des lois est donc un acte qui est essentiel-
lement un et indivisible, comme la République elle-même.
D'où vient donc que, sous l'ancien régime, chaque cour
souveraine promulguait la loi dans son ressort , et qu'il y
avait autant de promulgations qu'il y avait de provinces?
Expliquons ceci.
Sous l'ancien régime, la France était une monarchie,
et cette monarchie se composait de divers états distincts,
dans lesquels le monarque gouvernait sous des titres diffé-
rens. Ici, il gouvernait sous le titre de comte; là, sous le
titre de duc; ailleurs, sous un autre titre quelconque. Dans
chaque état particulier, il était obligé de prendre, dans ses
lois , le titre sous lequel il gouvernait cet état. Une loi qui
serait arrivée en Provence, et dans laquelle le monarque
n'aurait pas pris le tilre de comte, n'y aurait jamais été
naturalisée. Il fallait donc autant de promulgations diffé-
rentes qu'il existait d'états distincts, dans chacun desquels
le monar(|ue gouvernait sous des titres diflérens. La pro-
mulgation ne pouvait être une et indivisible, puis(|ue la
monarchie était composée de divers peuples, de diverses
nations , dunt chacun avait sa constitution et ses lois par-
ticulières.
Cela se vérifie encore en Allemagne , dans les divers
états de l'Empereur, en Espagne où il existe plusieurs
royaumes dans le même royaume, et dans plusieurs au-
tres grandes monarchies de l'Europe.
Mais les i)ut)licistes observent très- judicieusement qu'il
ne faut pas confondre les monarchies dont nous parlons,
Dli L.\ l'UULlCAïION DUS LOIS. «iSq
OÙ il Tant diverses promulgations d'une môme loi parce
qu'il y a diverses nations Irès-distinclcs , avec les étals
qui ne forment qu'un même corps politique, el où il n'y
a qu'une loi comme il n'y a qu*un peuple. Dans ces étals,
la promulgation est une, comme la loi même. C'est l'hypo-
thèse de la République française.
On objectera peut-être qu'il est bien singulier (jue la
promulgation faite dans le lieu ou siège le gouvernement
puisse rendre la loi exécutoire dans tous les autres lieux.
Je réponds que cette prétendue singularité disparaît
quand on dislingue, avec tous les savans, la promulgation
d'avec la connaissance qu'une loi a été promulguée : pro-
mulgatio , et divulgotio pronuilgationis.
La promulgation est consommée par un acte du Premier
Consul. Si la voix de ce premier magistrat pouvait retentir en
même temps dans toutes les parties de la République, la loi
serait partout exécutoire dans l'instant même. Mais comme
la promulgation faite dans le lieu où siège le gouvernement
ne peut pas êlre subitement connue partout, les lois des
diverses nations ont ménagé des délais suûisans pour rjue
la connaissance de la loi promulguée puisse parvenir à
tous ceux qui ont intérêt à la connaître. Mais la loi a déjà
toute sa publicité légale au moment de sa promulgation ; le
reste n'est plus qu'une publicité de fait, que la loi acfjuiert
successivement à mesure que l'on apprend dans les diffc-
rentes parties de la République (jue la loi a été promulguée.
Le délai et toutes les autres précautions de police que l'on
peut prendre pour propager la connaissance d'une loi, ne
sont que pour garantir et étendre cette publicité de fait,
très-distincte de la publicité légale qui est opérée par la
promulgation.
Il y a des pays où , dès l'instant de la promulgation faite
par Tautorilé compétente, la loi est exécutoire dans toutes
les parties de TÉlat. Telle est la législation anglaise.
En Portugal, la loi est exécutoire dans la capitale cl ses
17.
2tio DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
environs huit jours après sa promulgation, et trois mois
après celte promulgation , dans toutes les autres terres et
seigneuries de la monarchie.
Selon l'Authentique, ut novœ constitutiones , une loi était
exécutoire dans tout l'empire romain deux mois après sa
promulgation.
Tous les publicistcs s'accordent à dire qu'un délai suffi-
sant après la promulgation, pour donner la certitude mo-
rale que la loi a pu être connue partout, est le parti le
plus convenable qu'un législateur puisse prendre.
Faut-il un délai uniforme pour toute la République, ou
faut-il un délai successif et gradué suivant les distances ?
Cette question a été fortement agitée par les orateurs. La
plupart d'entre eux se déterminent pour un délai uniforme,
et ils rejettent le projet qui admet un délai successif.
Le délai uniforme présente, au premier aperçu, une
idée qui attache l'esprit; mais, en approfondissant les
choses, on découvre bientôt les inconvéniens d'une idée
plus brillante que solide.
Je ne répéterai pas sur cet objet tout ce qui a été dit
dans la discussion; je m'arrêterai à quelques observations
principales.
Lin délai uniforme a le grand inconvénient de laisser
dormir la loi dans les lieux où elle est connue, pour at-
tendre «iu'elle parvienne dans les lieux où on ne la connaît
point encore. Les hommes qui veulent faire fraude à la loi
nouvelle en ont le temps et les moyens; tandis que ceux à
qui la loi nouvelle pourrait être utile sont dans l'impos-
sibilité d'en profiter.
Ils voient le bien , et ils ne peuvent en jouir. La connais-
sance prématurée d*unc loi non encore exécutoire provoque
contre eux toutes les fraudes, et leur porte souvent des pré-
judices irréitarablcs.
J'ajouterai (ju'un délai uniforme n'est qu'une fiction,
et qu'il est inutile de faire des fictions (piand on peut tenir
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 9.Gi
la réalité. Dans nne vaste républi([ue la connaissance (runc
loi ne peut se manifester dans le même instant. Les lois
sont portées par les hommes, et elles marchent comme
eux. Tout est successif dans cette marche , et tout ne peut
que Têtre. Donc Tidée d'un délai successif et gradué sur
les distances est l'idée la plus conforme à la vérité et à la
raison.
Cette idée est encore la^ plus conforme à la justice et ii
l'ordre essentiel de la société. Quand on porte une loi , il
est évident qu'on en reconnaît l'utilité : pourquoi donc en
retarder l'exécution par des fictions ridicules? C'est, dit-
on, pour traiter également tous les Français; pour que
ceux qui sont les plus éloignés du lieu où siège le gouver-
nement aient les mêmes avantages que ceux qui sont les
plus voisins. Mais y pense-t-on ? La loi n'est point respon-
sable des inconvéniens de localité qu'elle ne peut changer :
à cet égard, chacun doit fie résigner à porter le poids de sa
propre destinée. Mais la loi serait responsable du mal qu'elle
ferait, par des fictions arbitraires, et aux particuliers que
l'on dépouillerait des avantages de leur situation locale , et
à la société, qui ne pourrait que souffrir de l'inexécution
prolongée de la loi.
Ces observations n'ont point échappé aux jurisconsultes
qui ont traité la question avec profondeur, et qui se déci-
dent tous pour un délai successif et gradué d'après les dis-
lances.
On nous reproche d'avoir compté par heure et par myria-
mèlre. Mais les heures se résolvent en jours, comme les
jours se résolvent en heures. Eh quoi ? nous dit-on, il faudra
dater tous les actes par heure ! un instant métaphysique
décidera d'une succession ou de tout autre intérêt majeur !
Vaines subtilités. Quel que soit le mode que l'on choisisse
pour fixer le temps où une loi devient exécutoire, il faudra
toujours qu'il y ait un instant où l'exécution de la loi sera
obligatoire, tandis qu'elle ne l'était pns le moment d'au-
262 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
paravaiit. Combien (racles, dans les affaires ordinaires de
la vie, sont datés du jour et de l'heure! j'en atteste les
registres de tous les tribunaux et ceux de tous les officiers
publics.
Comment fera-t-on l'arpenlage des distances? faudra-
t-il mesurer tout le territoire français? Toutes ces opéra-
tions sont faites; il ne s'agit (|ue de les rendre sensibles
par un règlement et par un tableau.
Pourquoi renvoyer à un règlement ce qu'on pourrait
faire dans la loi même? Parce que les choses d'exécution
sont plutôt la matière d'un règlement que celle d'une loi.
L'office de la loi est de proclamer la règle , les détails appar-
tiennent plus à l'autorité qui exécute qu'à celle qui ordonne.
On nous demande quel sera le point de départ dans le
calcul des heures? La promulgation, qui a une date certaine.
L'essentiel est de déterminer que la loi sera successive-
ment exécutoire d'après un délai successif et gradué sur
les distances : voilà ce que la raison , la justice et le bon
sens demandent; tout le reste est réglementaire.
Dans le projet de loi, nous avons pris, pour régler les
distances, l'éloignement qu'il y a entre Paris, où siège le
gouvernement, et les diverses villes où siègent les tribu-
naux d'appel. On pouvait choisir les villes où sont les pré-
fectures ; mais le calcul aurait été plus compliqué, parce
qu'il y a plus de préfectures que de tribunaux d'appel.
Rouen, dit-on, est plus près de Paris qu'Auxerre ; ce-
pendant la loi sera plutôt exécutée à Auxerre , qui est du
ressort du tribunal d'appel de Paris , qu'à Rouen, qui n'est
pas de ce ressort. Cela peut être. Qu'en conclure? Un in-
convénient aussi léger, et le seul qu'on ait pu remarquer,
prouve qu'il n'y a point de mesure générale qui n'ait quel-
ques inconvénieas particuliers ; mais ces inconvénicns par-
ticuliers , qui sont inévitables dans tout système, ne sau-
raient motiver le rejet do la mesure générale.
On nous leproche d'avoir nominativement parlé dr Vu-
DE LA. PUHLIC/VTION DES LOIS. îiGÔ
ris, tandis que le siège du gouvernement peut changer •
mais on fera un autre tableau des distances, si le siège du
gouvernement change. Le siège des tribunaux d'appel peut
changer aussi ; tout ce qui est humain est sujet à change-
ment : cependant tous les jours on est obligé de baser une
institution sur une autre, et de partir de quelque point
convenu pour arriver au point que Ton cherche.
On objecte encore que notre projet est trop variable,
attendu que les dislances peuvent être abrégées par des
constructions de pouls ou de chemins , ou par des change-
mens dans l'emplacement des postes; mais que conclure
de cette objection? Ce que nous avons déjà dit, que la loi
doit décréter le principe d'un mode successif, et que tout
le reste est essentiellement réglementaire, puis(|ue tout le
reste est essentiellement variable. Le législateur est arbitre
du droit : mais tout ce qui est opération ou question de
fait appartient et ne peut appartenir qu'au magistrat qui
exécute; car les faits, disent les publicistes, appartiennent,
par leur nature, à l'exécution de la loi, et non à la loi
même.
Nous avons été étonnés d'entendre dire que notre sys-
tème est mauvais, parce que, dans le cours des choses hu-
maines, une inondation, un pont emporté, et tous autres
événemens, peuvent déconcerter nos calculs. Je réponds,
avec tous les jurisconsultes, que la loi ne s'occupe point,
et ne doit point s'occuper des choses qui n'arrivent que
par accident, non considérât ea quœper accidens eveniunt. Les
cas de force majeure , les cas fortuits sont de droit une ex-
ception légiliïT>€ à toutes les lois; il suffît de les constater
pour motiver l'exception.
Quant aux colonies , il faudra une législation particulière.
I)ira-t-on que l'oti pouvait choisir un meilleur mode que
celui qui est déterminé parle projet de loi? Mais, <|ue l'on
y prenne garde : les rédacteurs du projet de Code civil
avaient choisi un mode; la section de iégiblatîon en a pro-
Ii64 DISCLSSIOS , MOTIFS, cIC.
pose un autre ; le gouvernement en a adopté un troisième ;
le Tribunal rejette ce troisième mode consacré par le pro-
jet ; mais la commission du Tribunal pencherait pour le
mode proposé par les rédacteurs du projet de Code; d'au-
tres orateurs se sont déterminés pour le mode proposé par
la section ; les jurisconsultes qui ont le plus approfondi la
matière établissent la justice du mode proposé par le gou-
vernement : je demande si, dans un pareil état de choses ,
il peut y avoir des motifs raisonnables de rejet.
On sait que dans notre droit public national , les lois sont
disculées publiquement et avec solennité; on sait qu'après
que le Corps législatif les a décrétées, on reste dix jours
sans les promulguer ; en attendant, elles circulent partout;
on continuera de les envoyer à toutes les autorités consti-
tuées, comme on l'a toujours fait. On ne peut donc crain-
dre qu'une loi soit exécutée avant qu'elle soit connue. Mais ,
dans le mode actuel, l'exécution de la loi dépendait trop
du fait arbitraire de l'homme ; le système d'un délai suc-
cessif après lequel la loi sera exécutée dans les différentes
parties de la France , rend à la loi toute sa dignité et toute
sa force; elle sera indépendante dans sa marche; elle ne
rencontrera plus les intérêts et les passions.
Passons à l'examen de l'article deuxième du projet.
La loi ne disjjosc (jiie pour l'avenir : elle n'a point d effet ré-
troactif.
Les uns rejettent cet article, parce qu'il n'est qu'une
maxime; les autres le rejettent, parce qu'au lieu d'y voir
une maxime, ils n'y voient qu'un danger.
Répondons aux premiers, qu'il est des maximes qu'on
ne saurait trop rappeler, surtout quand on est à la veille
de publier un grand corps de lois nouvelles.
La maxime de la non-rétroactivité des lois a été rappelée
dans le Digeste et dans le (^ode ; elle est consignée dans
toutes les législations; nous jiouvons donc lu consigner
dans la notre.
I
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 205
Je ne comprends pas comment on ne peut voir (pi'un
danger dans celle maxime. On a été tenté de la présenter
comme un piège dont on pouvait abuser pour faire rétro-
grader la révolution. Car, nous a-t-on dit, si vous admet-
tez la non-rétroactivité des lois, que répondrez-vous à celui
qui viendra vous dire : J'étais noble, j'avais des renies
féodales, j'avais l'espérance d'une substitution, j'avais
acheté le droit de vie et de mort en ma qualité d'officier
du parlement; vous n'avez pu détruire tout cela que par
des lois rétroactives; vous reconnaissez pourtant que les
lois ne peuvent plus avoir d'effet rétroactif: donc, en vertu
de votre maxime, il faut me rendre tout ce que vous m'a-
vez ôté.
J'avoue que, si on me proposait pareille objection, je
serais moins modeste que l'orateur qui paraît craindre que
l'on ne pût pas y répondre.
Détruire une institution qui existe, ce n'est certainement
pas faire une loi rétroactive ; car si cela était, il faudrait
dire que les lois ne peuvent rien changer. Le présent et
l'avenir sont sous leur empire. Elles ne peuvent certaine-
ment pas faire qu'une chose qui existe n'ait pas existé ;
mais elles peuvent décider qu'elle n'existera plus. Or, voilà
tout ce qu'ont fait les lois qui ont détruit les fiefs, la no-
blesse et les parlemens.
Quant aux substitutions, la loi qui les abroge n'est pas
plus rétroactive que ne l'étaient d'anciennes lois qui les
avaient réduites à trois degrés.
La Constitution de l'an III avait consacré la maxime de
la non-rétroactivité des lois : les auteurs de cette Constitu-
tion étaient bien éloignés de vouloir favoriser le retour des
fiefs, de la noblesse et des parlemens.
Ne nous livrons donc pas à des terreurs imagina ires'pour
écarter une vérité incontestable. Cette vérité, dites-vous,
n'est que pour le législateur. Je réponds qu'elle est princi-
palement pour les juges; et quand elle serait pour le légis-
266 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
laleur, quel danger y aurait-il de lui voir consacrer une
maxime à larjuelle il est déjà lié par sa conscience, et à la-
quelle il se lierait encore par ses propres lois?
Le troisième article porte que la loi oblige ceux qui habi-
tent le territoire.
Le rapporteur de la commission du Tribunal en conclut
qu'elle n'oblige pas les français qui voyagent. Il faut conve-
nir que la conséquence n'est pas juste.
Sans doute les Français qui voyagent ne sont pas sous-
traits à l'empire de toutes les lois françaises, mais Français
et étrangers, habitant le territoire, y sont soumis. Voilà
le principe général. Car habiter le territoire, c*est se soumettre
à la souveraineté.
On reproche de n'avoir pas parlé des ambassadeurs, de
leur famille et de leur suite. Ce qui regarde les ambassa-
deurs appartient au droit des gens. Nous n'avions point à
nous en occuper dans une loi qui n'est que de régime in-
térieur.
Le principe que vous posez aujourd'hui souffre, dit-pn,
des exceptions. Soit : mais qu'avions-nous besoin d'énu-
mérer ces exceptions, qui ont leur place naturelle dans les
matières particulières auxquelles elles se rapportent?
Chaque fois qu'on énonce un principe, est-on tenu de
faire un traité?
L'article 4 est conçu en ces termes : La forme des actes
est réglée par les lois du pars dans lequel ils sont faits mi paxsés.
On nous demande de quel pays nous entendons parler?
Du pays étranger, puisque les formes sont partout les mê-
mes en France.
On argumente de notre réponse. Eh (fuoi ! nous dit-on,
un Français ira se marier en Italie, où le consentement de^i
pères n'est pas rc(|uis pour le maringe des mineurs ; d'après
votre maxime , il pourra donc se marier sans ce consente-
ment?
Av.mt (jue de raisonner, il faut s'entendre. La maxime
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 267
est limitée à la forme des actes. Or, le consentement des
pères au mariage des eufans mineurs n'est point une forme ,
mais une condition.
L'article 5 porte : Lorsque la loi, à raison des circomtanccSj «P 5
aura réputé frauduleux certains actes , on ne sera point admis
H prouver qu'ils ont été faits sans fraude.
Pour donner la raison de cet article, j'ai cité la loi qui
déclare nuls les transports faits dans les dix jours qui pré-
cèdent la faillite. On m'observe que l'on ne devait point
mettre en maxime générale une règle qui ne se rapporte
qu'à un acte particulier de commerce, et qu'il fallait l'en-
voyer tout cela au Code commercial.
On n'aperçoit donc pas que la loi dont j'ai parlé n'a été
citée que comme exemple, et non comme limitation.
Il s'en faut de beaucoup que la règle qui fait l'objet de
l'article ne frappe que sur quelques matières isolées de
commerce : elle embrasse toutes les mialières. Ainsi, sur
le fondement de cette règle, la loi réputé suspectes de sug-
gestion toutes les libéralités faites à des confesseurs, à des
médecins et chirurgiens, à des tuteurs et autres. Sur le fon-
dement de la même règle, la loi annulle toutes les dispo-
sitions faites en faveur des personnes interposées; et com-
bien d'autres lois semblables sur une foule d'autres
matières! Le principe est donc général.
D'autres orateurs objectent que la loi annulle les actes,
mais qu'elle ne les répute pas frauduleux. C'est aux juges ,
disent-ils, à peser les faits de fraude.
Ceci n'a besoin que d'être éclairci. La loi ne prononce
jamais sur des faits individuels de fraude ; j'en conviens :
cela n'appartient qu'aux juges. Mais la loi, par voie de
disposition générale , peut réputer frauduleux tous les actes
faits dans telles ou telles circonstances qu'elle détermine.
La loi répute et présume, puisqu'on dit tous les jours que
la présomption de la loi vaut mieux que celle de l'homme.
La dernière objection sur l'article dont il s'agit est ap-
268 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
puyée sur ce que toute présomption doit céder à la vérité,
et que conséquemment on doit toujours être admis à prou-
ver qu'un acte n'est pas frauduleux. Mais point de méprise.
Sans doute la vérité prouvée fait cesser toute présomption
contraire, quand le litige consiste à savoir si une chose est
prouvée ou si elle ne Test pas. Mais quand la loi, par une
grande considération d'ordre public , prohibe ou annulle
certains actes comme suspects de fraude, il existe alors ce
que les jurisconsultes appellent un dol réel, dolum re ipsâ,
qui est constaté; par la disposition de la loi elle-même, et
qui termine tout litige.
Art. 6. Le juge qui refusera (le juger , sous prétexte du si-
lence , de V obscurité ou de V insuffisance de la loi , pourra être
poursuivi comme coupable de déni de justice.
On a déployé de grandes forces contre cet article.
Ln des orateurs a prétendu que nous donnions aux juges
un pouvoir désavoué par la Constitution. Je sens, nous a-
t-îldit, qu'il nous manque des tribunaux d'équité qui puis-
sent, suivant les circonstances, adoucir les lois. Il va une
cour d'équité en Angleterre; à Rome, le préteur était un
juge d'équité; en France, le roi avait le droit de faire
grâce ; et les parlemens s'écartaient souvent de la lettre de
la loi. Mais, parmi nous, le ministère du juge est circons-
crit dans l'application fidèle des lois.
Toutes ces objections ne prouvent rien contre Tarticle;
elles prouvent seulement que l'article n'a pas été entendu.
L'auteur de l'objection aurait raison , si nous laissions
aux juges la liberté de mettre l'équité naturelle à la place
de la loi positive. Ainsi , à Rome , le préteur n'appliquait
pas la loi , quand il la croyait contraire ù l'équité natu-
relle. 11 avait introduit les actions de bonne fui , pour élu-
der les lois qui avaient établi des formules précises pour
chaque action. En Angleterre, la cour d'équité, et en
France, les cours souveraines, faisaient souvent des n-glc-
mcns pour modifier les lois. Mais ce n'est pas ce dont il
DU LA. PUBLICATION DES LOIS. 269
s'agit. Noire article ne dispose que pour les cas où la loi
est obscure ou insullisante , et pour ceux où il n'y a mûme
point de loi. Or, dans ces diflérens cas, le juge doit-il sus-
pendre son ministère ou le remplir?
Quand une loi est obscure , l'office du juge est de l'étu-
dier. Son office est encore de la suppléer, quand elle est
insuffisante ou quand elle garde un silence absolu. Si vous
refusez ce pouvoir aux juges, tous les tribunaux sont frap-
pés d'interdiction. Car on ne plaide jamais contre un texte
précis de loi. Il n'y a litige que lorsqu'il y a un doute au
moins apparent. Si les juges, lorsque la loi n'est pas claire
et précise , peuvent dénier la justice, le désordre sera dans
la société ; et quel moyen aurez-vous de vider les contes-
tations des homipes ? Sollicitera-t-on une loi pour le cas
particulier ? Mais les parties n'auraient point contracté
sous la foi de cette loi qui n'existait point encore; elle
ne pourra donc les juger. On tomberait dans tous les in-
convéniens de l'efTet rétroactif. Cependant on ne peut lais-
ser indécises les questions de propriété et autres questions
semblables. Il faut donc que les tribunaux prononcent.
Mais les tribunaux peuvent-ils faire autre chose qu'ap-
pliquer une loi existante? Lisez le célèbre auteur de V£s-
prit des Lois : il observe que, dans une république, les ju-
gemens ne doivent jamais être que l'application d'un texte
précis.
Nous répondrons que l'auteur de V Esprit des Lois a
parlé pour les matières criminelles. Dans ces matières, on
ne peut poursuivre que les crimes que la loi a définis, et
on ne peut appliquer que les peines que la loi inflige.
Ainsi, d'après notre article , quand l'accusation portera
sur un fait que la loi n'aura pas réputé crime , et contre le-
quel elle n'aura conséquemment infligé aucune peine, le
juge absoudra l'accusé; mais il faudra toujours qu'il rende
un jugement : il ne pourrait suspendre son ministère, sans
s'exposer au reproche d'un déni de justice.
2^0 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Dans les matières civiles, il faut de deux choses Tune,
ou interdire la puissance de juger, ou laisser une sorte de
latitude aux juges quand la loi est obscure, ou quand elle
se tait ; car les matières civiles sont immenses, et la pré-
voyance des lois est limitée. Il est impossible d'avoir une
loi pour chaque cas particulier. Il ne faut point de loi pour
les cas rares et extraordinaires. La trop grande multiplicité
des lois est un grand vice politique. Les lois doivent être
préparées lentement et avec maturité : il faut (ju'elles soient
indiquées par l'expérience. Si vous précipitez les mesures
législatives, les lois accableront la société, au lieu de la
régler. Il y avait des juges avant qu'il y eût des lois , et ja-
mais les lois ne pourront atteindre tous les cas qui se pré-
sentent aux juges. Il faut donc laisser au pouvoir judiciaire
les attributions qui dérivent de la plus impérieuse de toutes
les lois, de celle de la nécessité.
Art. 7. Il est défendu aux juges de prononcer, sur les causes
qui leur sont soumises, par voie de disposition générale et régie'
mentaire.
On n'a fait aucune objection particulière contre cet ar-
ticle.
Art. 8. On ne peut déroger, par des lois particulières , aux lois
qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.
Ici on nous accuse d'avoir mal traduit les textes du droit
romain. On prétend que \q jus publicum n*est pas ce que
nous appelons droit public , ou ordre public; \e jus publicum ,
dit-on, était celui qui s'établissait publiquement, y^///>//«'
stabilitum; et que conséquemment toute convention con-
traire aux lois était nulle, sans distinction des lois qui
pouvaient ou non intéresser l'ordre public.
11 faut convenir que l'autour de ces objections ne parle
de traduction (|uc pour nous reprocher d'avoir mal traduit ;
car comment sait-il (|ue nous avons voulu traduire les
textes <|u'il nous oppose ?
Il est indifférent de savoir si, dans le style des lois ro-
DB LA PUBLICATION DliS LOIS. 27I
mailles , les mots jus pnblicum signifient (|uelqucfois les lois
écrites et solennellement publiées, par opposition aux sim-
ples usages et aux simples coutumes qui ne s'établissent
pas avec la même solennité. Mais il s'agit de savoir si les
motsy'av piiùiicum , qui sont employés plus ordinairement
pour exprimer ce que nous entendons par droit public ^recoi'
veut cette signification dans les textes qui disent que Ton
ne peut déroger au droit public par des conventions pri-
vées : JUS publicum privatorum pactis mutnri non potcst. Or,
voici comment est conçu le sommaire de la loi trente-
unième au digesle de pactis : Contra tcnoram Ic^is privatam
utilitatem contincntis pascisci licet. Il est permis de traiter
contre la teneur d'une loi qui ne touche qu'à l'utilité pri-
vée des hommes. Ainsi, le droit public est celui qui intéresse
plus directement la société que les particuliers, et le droit
privé est celui qui intéresse plus directement les particu-
liers que la société. On annulle les conventions contraires
au droit public; mBis on n'annulle pas celles contraires à
des lois (|ui ne touchent qu'au droit privé ou à des intérêts
particuliers. Voilà la maxime de tous les temps. C'est de
celte maxime que dérive la distinction si connue des nul-
lités absolues que rien ne peut couvrir, et des nullités re-
latives qui peuvent être écartées par des fins de non rece-
voir.
Ce que nous disons des conventions contraires au droit
public s'applique à celles contraires aux bonnes mœurs.
Un orateur objecte que notre article paraît se réduire
aux conventions, tandis qu'il faudrait également annuler
tous autres actes , par exemple des legs, des libéralités aux-
quelles on aurait apposé des conditions contraires à l'ordre
public et aux bonnes mœurs. Nous répondons que ce que
la volonté de deux ne peut pas faire, la volonté d'un seul
le peut bien moins encore; et que, si les conventions sont
nulles, il faut, par majorité de raison, annuler les autres
actes.
2-f2 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
Nous ajoiilerons que l'exemple d'un legs ou d'une libé-
ralité à laquelle on aurait apposé des conditions contraires
à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, est mal choisi. Car.
dans ce cas, il n'y a nul doute que la condition seule est
annulée, et que la libéralité demeure. A cet égard, on a
toujours distingué les contrats d'avec les dispositions tes-
tamentaires. Les contrats, dont toutes les dispositions sont
corrélatives, ne peuvent subsister pour une partie et être
annulés pour l'autre, malgré la volonté des coutractans.
Mais dans un testament, on peut respecter la libéralité et
détruire la condition ; parce qu'on présume que l'auteur
de la libéralité a voulu que Ton exécutât tout ce qui pou-
vait l'être , et que Ton respectât sa volonté dans toutes les
cboses^jui ne se trouveraient pas en opposition'avec la loi.
Il n'eût donc pas été sage, en posant une règle générale,
de se jeter dans des détails ou inutiles ou trop contentieux.
Tel est le projet de loi dans son ensemble et dans ses dé-
'itre '■
réiim. tails. Le rapporteur de la commission du ïribunat nous a
dit qu'il serait injuste de chercher la jierfection , et qu'il
faut se contenter de rejeter les projets de loi qui seraient
essentiellement mauvais, et qui pourraient compromettre
le sort de la génération présente et celui des générations à
venir.
Ce projet de loi est donc cssenticUciucnt uniuvais, qui éta-
blit un délai successif, après lequel la promulgation de la
loi est censée connue, c'cst-à-dirc, qui, de tous les systè-
mes proposés sur la matière , choisit celui que les publi-
cistes ont préféré?
Ce projet de loi est essentiellement mauvais ^ qui proclame,
d'après les codes de tous les peuples anciens et modernes,
et d'après tous les codes faits depuis la révolution , que les
lois n'ont point d'cflet rétroactif?
Ce projet de loi est essentiellement mauvais , qui déclare
<iuc les lois oblijçent tout le monde ?
(^e projet de loi est css( nti< ll< tut nt mauvais, qui décide que
DE L\ PUBLICATION DES LOIS. ^"5
les acles doivent être faits dans cliaquc pays selon les for-
mes qui peuvent les rendre aiithcnliques dans les pays où
ils sont faits ? Ne voit-on pas au contraire que , sans ce prin-
cipe, il n'y aurait plus de communication possible entre
les divers peuples ?
Ce projet de loi est ^essentiellement mauvais , qui ôte toute
possibilité aux citoyens de faire des actes que la loi interdit
ou prohibe ?
Ce projet de loi es,t essentiellement mauvais, qui déclare
que le juge doit absoudre , quand il n'y a aucune loi qui
condamne, et qui veut que le juge ne puisse jamais se faire
soupçonner de déni de justice, en suspendant arbitraire-
ment son ministère?
Ce projet de loi est essentiellement mauvais , qui met obs-
tacle à ce que les juges puissent partager le pou\pir légis-
latif?
£nfîu ce projet de loi est essentiellement mauvais , qui dé-
cide qu'on ne peut faire des conventions contraires à l'ordre
public et aux bonnes mœurs ?
Législateurs, vous jugerez, dans votre sagesse et dans
votre conscience, qu'un projet qui consacre toutes les
grandes vérités, toutes les grandes maximes sur lesquelles
repose l'ordre social, est essentiellement bon. Nous n'au-
rions pas eu besoin de répondre à des objections frivoles,
pour défendre des points constitutionnels ou des vérités
éternelles : vos lumières sont notre garantie. Votre amour
de la patrie, votre justice rassurent la société, fondent et
justifient notre confiance.
DISCOURS PRONONCÉ PAR LE TRIBUN THIESSÉ', l'uN UES ORATEURS
DU TRIBUNAT.
(Séance du 24 frimaire an X. — 15 décembre 1801.)
Législateurs, l'orateur que le gouvernement a chargé de
défendre le projet qu'on vous propose de convertir en loi,
VI. 18
2^4 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC.
s'en est acquitté hier d'uuc manière digne de sa haute
réputation. Il a prouvé que sa mission , quelqu'élevée
qu'elle fût, ne se trouverait jamais au-dessus de ses ta-
lens : c'est un avantage qu'il est plus facile d'envier que
d'obtenir.
Mais, par cela même (|ue les difficultés les plus graves
s'aplanissent par la faculté qu'il a de les résoudre, il me
semble qu'il aurait pu dédaigner une espèce de victoire qu'il
s'est efforcé d'obtenir pendant une heure entière sur des
détails qui, fussent-ils contestés, n'étaient pas assez déci-
sifs pour fixer son attention.
Qu'importe, en ctfet, qu'il y ait eu des observations légè-
res, fugitives même contre le projet qu'il défend ? Quand il
les aurait résolues avec avantage, les difficultés fondamen-
tales n'en subsisteraient pas moins.
Ces observations, qu'il appelait minutieuses , contradic-
toires, il les a développées avec plus d'appareil qu'on en
avait mis à les produire , et il en a tiré cette conséquence ,
que, si elles ne se conciliaient pas entre elles, il fallait en
conclure que le projet qu'on vous propose est nécessaire-
ment bon.
Que dirail-il à son tour si , procédant avec la même mé-
thode, au lieu de donner notre attention principale à la
valeur fondamentale du projet, nous exposions, nous ré-
futions, dans le détail, les raisons plus ou moins incompré-
hensibles qu'on a cnqiloyées pour le soutenir?
Par cxemj)lc :
On a dit (pi'il était vrai fjue le système proposé était une
fiction ; (tue, <|uel(|ue parti (|u'on prît, la publication en
serait toujours une; (|u'elle serait une fiction ,([uand mémo
on imprimerait trente millions d'excnq)laires de la loi pour
trente millions d'habitans; et qu'au lieu d'organiser la fic-
tion projetée, mieux eiH valu, peut-être, établir en principe
que, par cela seul qu'il y a un dixième jour après l'émission
d( Il loi , la loi pouvait déclarer que de ce jour-là elle serait
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 275
t^nsée promulc^uéc : fiction pour fiction, ajoutc-t-on ,
celle-là aurait valu toutes les autres.
On voit que Fauteur de cette idée ne masque point la
profonde nullité du profet : si, selon lui, les publications
sont de vaines formalités , si la promulgation sera plus
vaine encore, on peut en tirer cette conséquence, qu'elle
est inutile; que la Constitution, qui la veut, commande
une illusion ; que le Premier Consul, qu'elle en charge,
peut très-raisonnaWement s'en dispenser ; et qu'en rem-
plaçant tout cela par un principe, on fera beaucoup mieux
que de s'inquiéter de l'organisation de quelque mode de
promulgation que ce soit.
On a dit encore, et c'est, je crois, le même défenseur
du projet, qu'il ne fallait s'occuper, ni de l'ordre des ma-
tières , ni du style des lois ; qu'il ne croyait pas que le Tri-
bunal , que le Corps législatif eussent constitutionnellement
le droit de faire cet examen , parce que l'initiative ne leur
appartenait pas ; que l'ordre des matières et le style étaient
dans les attributions exclusives du Conseil d'J^tat; qu'à cet
égard, nulle responsabilité ne pouvait nous atteindre; que
vous n'aviez , législateurs, que des points à décréter (c'est
l'expression du défenseur du projet); que ces points-là,
le Conseil d'État les arrangerait après comme il l'enten -
drait.
Quand j'aurais ainsi relevé beaucoup d'autres observa-
tions dont la justesse, sans doute, peut être contestée, en
tirerais-je la conséquence qu'il faut que le projet soit bien
mauvais, puis(|u'on se trouve réduit à faire de pareils rai-
sonnemens pour le soutenir? Non, sans doute; car cotte
méthode conduirait des deux parts à prouver le pour et le
contre. Il faut en conclure qu'elle est nécessairement mau-
vaise ; qu'il faut l'abandonner ; et, renonçant ainsi à tontes
les observations accessoires, je me livre franchement, et
sans détour, à l'examen des difficultés fondamentales qui
sont de l'essence du projet.
18.
276 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Le projet contient-il tout ce que doit contenir une loi
sur la promulgation ?
Ce qu'il contient n'est-il pas contraire à tous les prin-
cipes, à tous les intérêts du peuple français ?
Les maximes, les règles de droit qui l'accompagnent ne
sont-elles pas plus dangereuses que nécessaires?
Il me semble que ce sont là franchement et capitalement
les diflîcultés qu'il faut résoudre.
Le projet contient-il tout ce que doit contenir une loi
sur la promulgation ?
Pour se décider sur ce point, il ne faut avoir recours,
ni à des théories systématiques, ni à d'ingénieux raison-
nemens ; l'exemple du passé peut servir de guide pour
l'avenir.
A quelque époque et dans quelque pays que ce soit, ja-
mais on n'a vu promulguer une loi qui ne contint en tête
les titres de l'autorilé dont elle émanait.
Par exemple :
En France, quand le monarque parlait seul, c'était Zo«/.y,
par la grâce de Dieuy roi de France, qui couuuandait le salut
à Taspect de ses édits; et qui, de sa science certaine , pleine
puissance et autorité royale , disait , déclarait , ordonnait et lui
plaisait ce qui suit.
Quand son pouvoir était tempéré parla délibération des
États d'une province, ces Étals déclaraient, avec la sanc-
tion royale, (|u'ils avaient, dans tel lieu, fait, arrêté et
délibéré les articles, qui étaient ensuite proclamés comme
loi.
Quand le peuple reprenait le pouvoir législatif, et qu'il
le faisait exercer par délégation, c'était, comme on le voit
dans la Constitution de 1791 :
0 Louis , par la grâce de Dieu et par la loi constitulion-
« nellc de l'État, roi des Français : à tous, présens et à
« venir, salut. L' assemblée nationale a décrété^ et nous vou-
« Ions et ordonnons ce qui suit. »
DE LA PUBLICATION DliS LOIS. 277
Enfin , quand il avait secoué le joug de la royauté ,
c'était, comme on le voit dans la Constitution de l'an Hl ,
Au nom de la République française ,
Que les lois étaient proclamées , et que chacune attestait
que les Conseils législatifs avaient concouru à la décréter
de la manière et dans les formes constitutionnelles.
On ne sache pas d'exemple que les lois composées d'^;-
ticles seulement aient été promulguées sans lire en tête le
nom de Tautorité qui les rendait, et à la fin le nom de l'au-
torité qui, devant les promulguer, devait, par conséquent,
ordonner qu'elles fussent publiées.
Ces exemples seraient à tel point ridicules, qu'on ne les
concevrait pas; et un décret composé d'articles, sans y
mentionner l'autorité qui le rend, serait une véritable pro-
duction anonyme.
Ceci une fois senti, voyons les lois telles qu'elles ont été
promulguées de tout temps ; voyons celles qui ont été pro-
mulguées depuis la Constitution de l'an VIII.
Loi concernant les opérations et communications respec-
tées des autorités chargées par la Constitution de con-
courir à la formation de la loi.
Du 19 nivôse an "VIII de la République une et indivisible.
AuNOM DU PEUPLE FRANÇAIS, BONAPARTE, Premier Con-
sul, PROCLAME loi de la République le décret suivant, rendu
par le Corps législatif le 19 nivôse an VIII, sur la proposi-
tion faite par le gouvernement, le 12 dudit mois, commu-
niquée au Tribunal le i5 du même mois.
Vous voyez donc en tête de ce décret deux choses :
Premièrement, la proclamation du Premier Consul, au
nom du peuple français; elle est immédiatement avant ce
mot, décret.
Suit alors la formule du Corps législatif, qui fait mention
de cinq faits ;
2^8 Discussions, motifs, etc.
1°. De la réunion du Corps législatif au nombre de mem-
bres prescrits par l'article 90 de la Constitution ;
2°. De la proposition du gouvernement et de sa date ;
5". De la communication au Tribunal, et de sa date;
4°. De la présence des orateurs du Tribunal et du gouver-
nement;
5°. Enfm, de l'emploi du scrutin secret pour décréter la
loi.
Cette double formule prouve deux choses :
La première, que c'est le Premier Coiisul qui promulgue
la loi ; et cela est conforme à la Constitution.
La seconde, que le Corps législatif l'a décrétée , et qu'il
Va décrétée dans les formes constitutionnelles.
Olez ces deux parties, otez surtout celle qui y est insérée
par le Corps législatif, qui constate que c'est lui qui a rendu
la loi, il ne restera que des articles, et des articles qui ,
n'émanant d'aucune autorité, ne commandent Tobéis-
gance à personne.
C'est ici le fond de la difficulté, et il faut faire eu sorte
de ne pas l'esquiver.
De deux chose l'une, ou la formule que nous venons de
lire, qui est rédigée par le Corps législatif, est nécessaire,
ou elle ne Test pas.
Dire qu'elle ne serait pas nécessaire, ce serait arriver à
cette absurdité, qu*un papier composé d'articles, et qui
ne constate pas en tôle l'autorité qui les a rédigés, est ce-
pendant une loi.
Si on convient (|u'clle est nécessaire cette formule, cela
nous conduit franchement à la dernière question qu'il faut
aborder et résoudre.
Elle est nécessaire.
Si elle l'est; qui la rédigera ? qui la consacrera? il n'y a
pas de milieu : ce sera le pouvoir législatif ou le pouvoir
exécutif.
Le pouvoir législatif est composé de trois élémcns, le
DE LA PUBLICATION DliS LOIS. 279
gouvernement, le Tribunal, le Corps It^gislalil': isoles , ils
ne Mont rien ; réunis, ils i'ornient la loi.
Faute de réunion , il a bien fallu provisoirement qu'ils
prissent ehacun leur parti ; chacun donc a rédigé sa for-
mule à part ; chacun a attesté , comme il a pu , qu'il avait
concouru à la formation de la loi.
Mais ces arrêtés isolés ne constituaient qu'un état pro-
visoire; ils suppléaient ainsi ce qui n'existait pas : c'était là
un remède qui supposait un mal qui, tôt ou tard, devait
cesser.
Comment cessera-t-il? par la formation d'une loi qui,
réunissant les trois branches du pouvoir législatif, consa-
crera de concert la formule qui doit attester que chacune
prend à chaque loi la part qui lui est assignée par la Cons-
titution.
Ici y aura-t-il une branche du pouvoir législatif qui ré-
clamera sur l'autre une prééminence que n'autorisent pas
les principes de la Constitution ? l'une de ces branches
voudra-t-elle rédiger la formule commune, en excluant
les deux autres, ou deux branches d'accord auraient-elles
la prétention d'exclure la troisième ! II est trop évident que
rien de semblable ne peut être réclamé ; il n'y a pas de
puissance prépondérante entre les trois branches du pou-
voir législatif. Donc leur concours est nécessaire pour in-
troduire dans la loi la formule qui constate qu'elle émane
du Corps législatif.
S'il faut avouer ici que le gouvernement, comme parti-
cipant à la législation, n'a pas plus que les deux autres
branches du pouvoir législatif, celui d'introduire à leur
exclusion une formule qui en devient partie intégrante,
puisque c'est elle qui énonce les titres de l'autorité qui
la rend, prélendra-t-on que le gouvernement a ce pou-
voir sous un autre rapport, comme pouvoir exécutif, par
exemple ?
Il faut, à cet égard, lire les propres principes du Conseil
28o DISCIISSIOÎS'S , MOTIFS, ClC.
(VÉtal, ceux du Premier Consul; ils sont consignés dans la
délibération du 5 pluviôse an VIII. La loi est parfaite, dit-
on , en sortant des mains du pouvoir législatif; c'est comme
pouvoir exécutif que le Premier Consul la proclame : d'où
il suit que , s'il ne peut rien y ajouter , il ne peut rien y in-
troduire.
Cela se conçoitsi facilement, qu'on s'industrieraiten vain
pour chercher des raisons de douter; le pouvoir qui exé-
cute ne peut exécuter que Pacte qui lui est remis; s'il le
faisait lui-même, ou s'il le modifiait, il n'en serait plus
l'exécuteur , mais le créateur ou le modérateur.
Maintenant que ces deux points sont éclaircis;
Savoir, que les trois branches du pouvoir législatif doi-
vent concourir à tout ce qui s'incorpore dans la loi;
Et que le pouvoir exécutif ne peut agir qu'ensuite et par
des actes postérieurs et extrinsèques à sa formation :
Il faudra bien se résoudre à fixer les conséquences qui
résultent de ces deux vérités. »'
La première consiste en ceci : c'est que depuis le pre-
mier mot de l'intitulé , qui est le mot loi , jusques et com-
pris la signature des secrétaires du Corps législatif, il ne
peut pas y avoir une disposition , un mot , une syllabe ,
pas une addition, pas une omission qui modifie la loi, de
quelque mianière que ce soit, sortant des mains du Corps
législatif.
Ainsi, le titre de la loi en téte,l'énumération des pouvoirs
de Pautorité qui la rend, tout ce qui constitue cette pre-
mière partie commune à toutes les lois , doit être réglé par
une formule commune ; et cette règle, c'est à la loi seule
qu'il appartient de la tracer.
Maintenant j'examine la deuxième partie de la formule,
celle qui suit immédiatement la signature des secrétaires
du Corps législatif; clic est ainsi conçue :
« Soit la présente loi revêtue du sceau de PKtat, insérée
" au Bulletin des lois, inscrite dans les registres «les auto-
DE I.V PUBLICATION DliS LOIS. 28 1
« rites judiciaires et atlministrativcs , et le ministre de la
" justice chargé d'en surveiller la publication. »
Pour qu'on ne me reproche pas, sur ce point , de créer
des théories sur lesquelles chacun peut, à son gré, élever des
controverses , je ne fixerai que ce qui a toujours été.
On voit, dans cette dernière partie de la promulgation du
Premier Consul, Tordre de faire quatre choses.
La première , de revêtir la loi du sceau de l'Etat.
La seconde, de l'insérer au Bulletin.
La troisième , de l'insérer dans les livres des autorités
judiciaires et administratives.
La quatrième, d'en surveiller la publication.
J'entreprends de prouver que celte formule doit être dé-
crétée par le Corps législatif. /
1**. J'ai l'autorité de la législation existante, celle de l'as-
semblée constituante, celle des assemblées législatives,
celle de l'exécution actuelle , puisque cette formule de
toutes nos lois est celle consacrée par la loi du 12 vendé-
miaire an IV.
Or, les anciennes lois l'ayant voulu, les lois existantes
le voulant encore , on ne voit pas comment , sans une nou-
velle loi, on voudrait faire passer cette formule dans les
attributions du pouvoir exécutif.
2°. Elle ne pourrait pas y passer; la nature des choses
s'y oppose, parce qu'il appartient au Corps législatif de
déclarer quels actes doivent être revêtus du sceau de l'Etat;
parce que cette solennité étant particulière aux lois , il ne
peut permettre qu'aucuns autres actes, qui ne peuvent lui
être comparés ni en autorité ni en dignité, partagent celte
prérogative ; parce que la publicité des lois étant une suite
nécessaire de leur émission , il doit régler les formules et
l'étendue de cette publicité, soit par l'insertion au Bulletin,
soit par l'affiche, soit par la consignation sur les registres
des tribunaux ou des administrations : et, à cet égard, le
projet actuel consacre le principe, puisqu'il propose au
ii82 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC
Corps législatif de décréter le mode de publication des lois;
ce qui réduit la question au seul point de savoir, non pas
si le j)Ouvoir législatif intervieiulra dans le mode de pro-
mulgation , mais s'il admettra ou non le mode proposé.
Elle sera législative cette formule, parce qu'enfin les
ministres étant responsables de la publication des lois, il
est nécessaire que la puissance qui les en charge soit la
loi.
Dira-t-on que la Constitution de l'an VIII donnant au
Premier Consul le droit de promulguer les lois, elle lui
donne par conséquent le droit d'en rédiger, d'en consa-
crer la formule ?
Si du droit de promulguer les lois s'ensuivait nécessai-
rement le droit de rédiger la formule de promulgation , le
roi constitutionnel, le directoire auraient eu aussi ce droit;
car Tun et l'autre étaient chargés de la promulgation des
lois ; ils l'étaient comme pouvoir exécutif : et si nous lisong
la délibération du Conseil d'État du 5 pluviôse an VIIÏ, on
y voit qu'il reconnaît que c'est aussi comme pouvoir exé-
cutif que le Premier Consul promulgue les lois ; il recon-
naît qu'elles sortent parfaites, complètes, des mains du
Corps législatif, et que rien ne doit être changé ni dans
leur essence, ni dans le texte, du moment où elles sont
décrétées : d'où le Conseil d'état et le Premier Consul ont
conclu (ju'il ne pouvaient pas, ainsi qu'on le leur proposait,
changer, par eienjple, la date des lois, et substituera celle
du décret celle de la promulgation.
Admettre que la puissance exécutrice, (|ui a le droit de
pronmlguer les lois, aurait le droit de rédiger la formule
de promulgation , ce serait s'obliger, par une conséquence
nécessaire, d'admettre (juc les fonctionnaires constitu-
tionnels auraient le droit aussi de régler la formule des
actes qu'on leur donne le |)ouvoir de faire. Ainsi les tribu-
naux, quand on les charge de publier la loi, auraient le
droit de régler la fof me et le protocole <le b publication ;
UK LA PUBLICATION DKS LOIS. 285
ainsi ces mêmes trihiinaux, quand ils rendent des jugc-
mens, auraient le droit de déterminer et le lilre de ces ju-
gemens et la formule du mandat par lc(|uel ils en ordon-
nent Texécution ; ainsi tous les officiers de justice qui ont
le droit , les uns de recevoir les plaintes , les autres de dé-
cerner des mandats, d'autres enfin de rendre des ordon-
nances de prise de corps, auraient aussi le droit de rejeter,
pour tous ces actes, les formules qui sont consacrées par
nos lois , et d'y substituer chacun celle qu'ils jugeraient
être la plus convenable ou la plus abrégée.
Concluons de ceci que le droit de promulguer, de pu-
blier , de juger, de mander, ne donne pas le droit de dé-
terminer la forme des actes par lesquels on mande, on
juge , on publie, on promulgue; que c'est la loi qui déter-
mine et qui a toujours déterminé ces formules; et que,
quant à la promulgation dont il s'agit ici , comme la for-
mule doit en être solennelle , invariable , exclusive ; comme
elle doit constater le concours des trois branches séparées,
indépendantes , qui constituent le pouvoir législatif, c'est
par leur concours, c'est-à-dire par une loi, que doit être
déterminée la formule qui s'incorpore dans toutes les lois»
Cette conclusion répond à ceux qui , reconnaissant que
le pouvoir de promulguer ne donne pas le droit àe consa-
crer les formules de promulgation , prétendraient qu'indé-
pendamment de ce droit, le gouvernement a encore celui
de faire des réglemens pour l'exécution des lois; que c'est
les exécuter que de les promulguer ; d'où suivrait qu'il au-
rait le droit, par un règlement, de déterminer la formule
de la promulgation.
Un règlement est un acte postérieur à la loi ; il n'en fait
pas partie , il ne s'y incorpore pas ; la loi doit donc être
entière avant le règlement; car le règlement ne pourrait
pas procurer l'exécution de ce qui n'existerait pas.
Or, nul acte ne peut être loi , s'il ne contient deux parties.
La première, qui énonce les titres de l'autorité à laquelle
284 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
le peuple a délégué le pouvoir législatif; ceUe partie est
dans toutes les lois.
La seconde, qui contient les dispositions qui sont propres
à chaque loi , mais qui ne seraient pas loi , si le Corps lé-
gislatif ne déclarait pas (ju'il les a décrétées.
Le règlement d'exécution n'arrive donc que quand ces
deux parties constituantes de la loi en forment le texte gé-
néral ; donc le règlement qui s'emparerait de l'une de ces
deux parties ne serait point un acte d'exécution , mais un
acte qui contiendrait la formation de la première partie de
la loi.
Si nous supposions que le pouvoir législatif n'a pas le
droit de consacrer la formule par laquelle il constate qu'il
a rendu la loi , si nous supposions que le pouvoir exécutif a
le droit de la suppléer, de la retrancher, d'yen substituer
une telle qu'il la conçoit aujourd'hui , telle qu'il pourrait la
modifier par la suite :
Dans ce cas, législateurs, il faudrait se résigner aux con-
séquences qui dérivent d'un pareil système ; il faudrait,
conformément à l'omission qui date du 8 pluviôse an VIII,
ne plus rédiger les lois comme vous les avez rédigées jus-
(]u'à ce jour. Dans celle-ci , par exemple :
Il 14e faudrait plus mettre,
« Que le Corps législatif réuni au nombre de membres
(' prescrit par l'article 90 de la Constitution ;
i< Lecture faite du projet de \oi sur la publication, les effets
t et l'application des lois en général , proposé par le gouver-
« ncment le 24 brumaire an X, et communicjuè le 25 au
a Tribunal ;
c Les orateurs du Tribunal et ceux du gouvernement
« entendus dans la séance des 20 et 24 frimaire, et les suf-
" frages recueillis au scrutin secret, dccnie, etc. »
Mais il faudrait mettre,
Loi sur la publication , les effets cl Tapplicalion des lois
en général.
DK LA PUBLICATION DES LOIS. ij85
Art. I. Les lois sont exécutoires dans tout le territoire
français, en vertu, etc.
Il faudrait vous reposer du soin d'annoncer au peuple
français que c'est vous, en effet, qui l'avez décrétée, sur
la formule du pouvoir exécutif, conçue en ces termes : .lu
nom du peuple franc aisj Bonaparte, /'rf/z/^'^r/' Consul, proclame
loi de la République le décret suivant, rendu par le Corps
législatif, le... sur la proposition faite par le gouvernement,
le... communiquée au Tribunat, le... (a).
Le moment est arrivé de maintenir législativement la
formule des lois telle qu'elle est arrêtée par le Corps légis-
latif, ou de l'abandonner tout-à-fait; car il est impossible
qu'on continue, d'une part, h insérer cette formule dans
le texte original de toutes les lois; et de l'autre, qu'on con-
tinue à l'en retrancher lors de la publication qu'on fait de
chacune d'elles.
Je m'arrête.
Si j'ai prouvé, d'une part, que la formule qui fait toujours
la première partie de la loi, est essentiellement dans les
attributions du Corps législatif;
Si j'ai prouvé que celle qui forme la deuxième partie
appartient aussi à la puissance législative;
Il est évident que la loi qui doit contenir celte formule
est, comme cela a toujours été , la loi sur la promulgation
et la publication des lois; et si le projet ne contient pas
cette formule, il doit, à raison de cette omission fonda-
mentale , être rejeté.
Jt me suis proposé de démontrer, en second lieu , que le
projet est contraire à tous les principes, à tous les intérêts
du peuple français.
(a) L'orateur qui m'a guccédé a fait celte objection à laquelle je ne m'attendais pas ; il a dit
ique quand des réglemeus «ubsisienl, il faut ouïes déférer au Sénat, ou ne pas les examiner, i II s'en-
luirrait que toutes les fois que, dans l'examen d'un projet de loi, un tirerait ar(;ument de l'existeacc
d'un arrêté, il faudrait en rester là, et par conséquent décider que le projet à convertir en loi
ne pourrait jamais qu'cire conforme aux dispositions de cet arrêté précédent. Il me serait trop
facile de déduire les conséquences qui résultent de ce système : je me coutculcrai de dcniat]dcr
par qui alors- se iroutciait exerce le pouvoir législatif.
î86 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
On nous répète, depuis qiichiuc temps, que le peuple
Trançais n'est pas un peuple nouveau pour lequel il faille
créer des lois, mais un peuple ancien , dont les mœurs et
les habitudes ne doivent pas être contrariées par celles
qu'on lui destine.
Si cela est vrai, il est nécessaire de le maintenir dans
l'habitude oii il est, oij il a toujours été, soit de lire les
lois affichées, soit de les entendre publier aux audiences,
soit de vérifier dans ses tribunaux la date de leur enregis-
trement, et ne pas le contraindre de venir à Paris cher-
cher, quand il en aura besoin, le procès- verbal de la pro-
mulgation des lois.
Car il y aura sans doute une promulgation réelle , et on
ne la supposera pas fictivement par l'elTet d'un principe
qui la déclarerait censée promulguée le dixième jour.
Si les tribunaux, composés maintenant de la vieille et
de la nouvelle magistrature, sont aussi dans l'habitude de
recevoir ces lois , de les publier aux audiences , de les con-
signer sur leurs registres , et d'y avoir recours pour juger
conformément à leurs dispositions, on ne voit pas que le
projet, qui ne leur promet ni envoi, ni publication, ni dé-
pôt, soit bien conforme à ce dessein répété tant de fois de
ménager les mœurs et les habitudes du peuple français.
Je viens d'apprendre que les journaux publiaient des
arrêtés qui devaient rassurer sur ce point, et qu'on con-
tinuerait d'envoyer aux tribunaux les lois comme par le
passé.
Si ce fait est vrai, comme on l'annonce, il prouve qu'il
y a nécessité de continuer un usage fondé, non seulement
sur la raison, mais sur la nécessité, qui oblige d'envoyer
aux tribunaux des lois ([u'on les charge d'exécuter.
Ce point convenu , il ne reste plus cju'ii examiner celui
de savoir si ce n'est pas à la loi de prendre le soin de faire
déf)Oser les lois dans les tribunaux : si ce n'est pas n elle de
déclarer 5 (juel instant elles seront exécutoires dans leurs
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 287
arrondissemens ; enfin, de décréter s'il est ou s'il n'est pas
utile de les publier et de déterminer les formes de leur
publication.
Sur ce point, on vous a développé bier une tbéorie,
belle sans doute, mais qui, n'ayant pas encore pour elle
l'autorité de l'usage , gagnera peut-être à être examinée.
On vous a dit ; Il y avait autrefois beaucoup de promul-
gations en France, mais maintenant il ne doit plus y en
avoir qu'une : pourquoi cela? C'est que la France ayant
autrefois beaucoup de provinces qui avaient cbacune leurs
privilèges, cet État était composé de beaucoup d'États qui
sejtrouvaient unis sans être confondus : de là la nécessité
de multiplier les pronmlgations sous les formes qui étaient
propres à chaque province.
Mais, ajoute-t-on , depuis que la France est République
une et indivisible, la promulgation de ses lois doit être une
et indivisible comme elle : de là, la disposition constitu-
tionnelle qui charge le Premier Consul seul de cette pro-
mulgation; le reste sera subordonné à des agences minis-
térielles ; et la loi n'a pas besoin d'intervenir dans ces mou-
vemens d'exécution.
Il y a là confusion dans les idées et dans les faits.
On imagine, comme on essaie de l'établir en système
dans le projet, que promulgation et publication sont une
même chose; et de là on affirme que la promulgation du
roi et la publication dans les parlemens étaient autant de
promulgations. Je n'insisterai pas sur cette grossière con-
fusion.
Mais j'admire cette découverte d'hier, qui attribue à la
division départementale, à l'unité de la République, la
nécessité de ne plus parler de publication de loi.
La division départementale remonte à 1790. La Répu-
blique date de 179*2, et on ne voit pas (|u'en 1790 et 1792,
il fût question de faire remplacer toutes les publications
par une promulgation unique.
288 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC
Nous avons la loi du 3 novembre 1790, qui est intitulée
Décret sur les formes de la sanction , de la promulgation de
l'envoi et de la publication des lois.
Nous avons celle du 12 vendémiaire an IV, qui détermine
le mode pour l'envoi et la publication des lois.
Nous avons, depuis, l'usage et les formules de promul-
gation qui contiennent l'ordre àt publier. D'où il suit que
promulgation et publication ont toujours été et sont encore
deux choses distinctes , qu'elles l'ont été sous la monarchie ,
(ju'elles l'ont été depuis la fondation de la République une
et indivisible.
Qu'on affirme que la promulgation appartient au Premier
Consul, cela est vrai ; elle appartenait aussi au directoire,
au roi constitutionnel : qu'on ajoute qu'elle est unique,
cela est vrai encore; elle l'était en 1791; elle l'était en
l'an IV : qu'on en tire la conséquence qu'elle exclut toute
publication ultérieure, cela n'est pas exact. Les lois et les
faits sont là ; ils déposent contre.
Si la promulgation dont est chargé le Premier Consul
n'exclut pas les publications dans les tribunaux, la ques-
tion se réduit à des termes bien simples, c'est de savoir si
elles sont utiles et convenables.
Elles sont utiles, l'usage éternel du passé le justifie as-
sez; elles le sont pour les juges, elles le sont pour le pu-
blic ; qu'on ne revienne pas ici avec cet argument éternel,
dire (jue Timpossibilité de notifier les lois à tous, doit dé-
terminer à ne les publier pour personne : c'est avec ces
exagérations qu'on passe à tous les excès ; si l'on varie sur
le degré plus ou moins grand de publicité, on ne varie pas
sur la nécessité d'en avoir une.
On ne varie pas sur le sentiment de convenance qui
porte à désirer que les tribunaux soient chargés de ces pu-
blications.
Mais vous voulez, dira-t-on , faire dépendre cette publi-
cation de leur négligence, de leur mauvaise volonté ; vous
DE LA PUBLICATION DKS LOIS. sSq
vouioz mettre les hommes à la place de la loi : voilà ce
qu'on allègue. Ne scmble-t-il pas (pie , depuis dix années,
le gouvernement n'ait eu à lutter que contre les résistan-
ces ? Ce sont des chimères que tout cela : on ne cite pas un
seul abus ; on en citerait dix, qu'on ne serait pas en droit
d'en conclure qu'il faut priver la magistrature de ce qu'on
lui doit , de ce qu'on doit à tous les Français.
J'ajouterai qu'au lieu de déprimer l'ordre judiciaire par
des institutions méfiantes, il serait sage peut-être de pen-
ser à sa dignité. L'honneur des tribunaux ne doit pas être
indifférent à la nation française. Sans doute la puissance,
quelquefois utile, plus souvent oppressive, qui était de
l'essence des anciens tribunaux , ne doit plus se relever :
mais quand la République , fondée sur la ruine de tant de
colosses, établit à son tour des autorités, elle doit les ani-
mer du sentiment de leur propre dignité. Au dedans, ce
sont les vertus personnelles de chacun qu'il faut savoir
élever par des marques de confiance; au dehors, la con-
sidération extérieure doit être le prix des pénibles veilles
auxquelles ils se livrent pour le maintien de l'ordre et de la
sûreté de tous. Plus ils ont à lutter contre les souvenirs
extérieurs des anciennes institutions, plus ils doivent trou-
ver de moyens de leur comparer les avantages, la dignité,
l'indépendance des nouvelles. Loin donc de les dépouiller
d'une ombre de pouvoir, dont la crainte est devenue chi-
mérique, il faudrait, au contraire, saisir toutes les occa-
sions d'ajouter à la puissance de la République la partie de
puissance dont les magistrats ont besoin pour imprimer le
respect, qui, s'il ne s'obtient pour leurs personnes, est
bientôt refusé à la majesté de leurs fonctions, et par con-
séquent à la puissance de la loi.
Je n'examinerai pas le reste du système du projet; il suf-
fit qu'en substance il ordonne une promulgation unique à
Paris, et qu'il ôte à la législation les règles et les formes de
publication qui devraient suivre , qu'il annonce évidem-
VI. ig
ago DISCUSSIONS , motifs , etc.
nienl même le dessein de les supprimer, pour que je per-
siste à penser que ce système est contraire à toutes les ha-
bitudes, à tous les principes du peuple Français.
Ici on ne peut assez s'étonner de ces longues exclama-
lions par lesquelles on essayait de faire croire que toutes
les combinaisons du Conseil d'État étaient épuisées. Les
auteurs du Code, dit-on , ont proposé un projet ; la section
en a présenté un autre ; le Conseil d'Etat en a adopté un
troisième. Le Tribunat, à son tour, a présenté des vues,
des systèmes différens, contradictoires; en sorte que, de
quelque côté qu'on jette la vue, on ne sait à quels princi-
pes s'arrêter sur une matière arbitraire en quelque sorte,
et qui a varié tant de fois.
Abstraction faite de quelques idées plus ou moins justes,
qui sont inséparables de toute discussion, si l'on voulait y
regarder de plus près, on reconnaîtrait que les variétés
qu'on impute à la matière ne sont pas si multipliées qu'on
semble le croire; on reconnaîtrait deux choses fondamen-
tales, par exemple, la première, qu'une loi sur la promul-
gation des lois en contient toujours la formule : ce point a
été invariable depuis 1789.
Un autre p<»int non moins invariable, c'est rjue de tout
temps on a envoyé les lois aux tribunaux.
On ne veut ni l'une ni l'autre de ces deux choses qui sont
dans nos liribiludcs, dans nos lois, dans ressence du pou-
voir législatif , dans le besoin des tribunaux; et on vient
nous reproihcr de ne savoir ce (|ue nous voulons!
Qu'on ait dilléré sur le point de savoir si on enverra les
lois à tous les tribunaux , ou seulement aux tribunaux
d'appel; <}u'on ait examiné s'il ne valait pas mieux publier
par alFichc que [)ar la sinqile consignation dans les regis-
tres : sauf) doute ces points sont aussi de (|uelquc inqior-
tance , et on peut en indiquer les avantages et les inconvé-
niens; mais ({u'on appelle tout cela un chaos d'ineonsé-
quences et de conlradiclioiis , c'est ce (|u'avee \\u peu plus
t)K LA PUBLICATION DES LOIS. 2n|
lie froideur on ne manquera pas bicnlut de désavouer,
ï/esprit général sur celle matière n*esl peut-être pas si dif-
ficile i\ saisir; .».i rcssenliel était dans le projet, on éprou-
verait plus de satisfaction à le défendre qu'aie combattre.
Je dirai peu de choses contre les maximes générales qui 5-«
composent les articles 7 et 8 du projet.
Elles me paraissent fausses et dangereuses.
En effet, si la justice du droit elle-même, en nous tra-
çant des règles générales, les a toutes modifiées par celle-
ci, qu'il n'y a pas de règle sans exception, comment oser
débuter par des règles générales dont les exceptions ne sont
pas encore posées? ce n'est que quand la loi est complète
qu'on peut savoir ce qu'est la règle , ce que sont les excep-
tions; avant cela, vous donnez au juge, contre votre in-
tention, le droit de confondre l'une et l'autre, et de déci-
der par la maxime générale ce qui devrait l'être par la
nécessité de l'exception.
Par exemple , en déclarant qu'on ne peut déroger par
des conventions aux lois qui intéressent les bonnes mœurs;»
allez-vous donner ouverture à l'abolition des testamens ou
des donations? allez-vous les faire attaquer, parce qu'on
alléguera un commerce illicite entre le donateur et la do-
nataire, parce qu'on offrira de dévoiler les actes d'une co-
habitation commune? Ces matières, dans lesfjuelles l'avi-
dité collatérale grossit toujours les scandales des révéla-
tions , doivent être traitées avec modération, ce me semble;
et une seule maxime, sur un sujet susceptible de tant de
imances, ne remédierait point au mal, elle y ajouterait un
éclat intéressé f|ui souvent n'est pas beaucoup plus moral
que l'irrégularité qu'il condanme. Qui ne sait (jue le pré-
texte du bien des mœurs, dans ces circonstances, n'est ja-
mais que le mascjne de l'amour des richesses ?
J'ai déjà dit, et je le répète, que cet article, en appa- %
reucc si simple, si évident, ia loi n'a pas d'effet rétir.netif;
elle ne dispose (jne pour l'avenir , considéré comme règle du
»9'
292 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
magistrat, renierniait un principe non moins faux , non
moins dangereux.
Il n'est pas un principe du magistrat, puisque, nonobs-
tant cet article, s'il recevait une loi rétroactive, il serait
obligé de l'exécuter. C'est au législateur à bien se pénétrer
de ce principe ; c'est à lui de ne jamais proposer ni adop-
ter de pareilles lois : mais l'écrire dans le livre de la loi, et
le livrer au magistrat, dans les circonstances actuelles, ce
serait lui donner le guide le plus dangereux.
Ne dit-on pas depuis plusieurs années, ne s'efforce-t-on
pas de persuader que les lois rétroactives sont nulles par
cela seul qu'elles sont rétroactives? ne sait-on pas que cette
doctrine, qui part de la bouche de personnes intéressées,
se propage , pour en tirer les conséquences que j'ai déjà
indiquées, et que , par suite de cette tendance, on la trouve
dans des écrits qui ont une sorte d'autorité, qu'elle a pé-
nétré dans des administrations , et qu'on s'est efforcé de
l'accréditer jusque dans nos assemblées législatives?
Or, je le demande, dans cet état, est-il prudent de li-
vrer cette maxime aux tribunaux, de la convertir en loi,
de n'avoir pas môme le soin de la rédiger comme règle
future ? — Car elle ne dit pas, x^omme on a voulu le faire
entendre, que c'est une promesse, pour l'avenir, de ne plus
faire des lois rétroactives; elle ne dit pas: La loi ne dispo-
sera que pour Tavcnir, elle 11^ aura pas d'effet rétroactif; mais
elle fait une rr^lc présente (ju'elle adresse à tous les tribu-
naux, l^lle leur dit : la loi ne dispose (/ue pour l'avenir , elle
/l'a point d'effet rrtronctij .
Législateurs, la crainte seule de voir une pareille règle
aider à la doctrine subversive que l'intérêt personnel s'ef-
force d'accréditer sur les substitutions , et sur les anciens
droits de masculinité, que beaucoup de })ersonnes préten-
dent avoir acquis, soit en naissant, soit en se mariant, ne
doivent pas vous faire hésiter de la repousser comme Ihu-
tile et dangereuse.
DE LA PUBLICATION DFS LOIS. 29Î
Je ne suis pas rassuré par l'explication donnée iiierù cette
tribune sur ce point ; on répondra, dit-on, à ceux qui vou-
draient faire considérer comme non avenues les anciennes
lois rétroactives, que la loi avait le droit de déclarer que
ce qui était ne serait plus : mais cela ne résout pas cette
dilUculté qui se reproduit sans cesse, et qui consiste à dire
qu'on avoue bien que la loi a dit que ce qui était ne serait
plus ; par conséquent, qu'on ne ferait plus de substitutions
après le 25 octobre 1792; mais on ajoute qu'avoir reporté
ce pouvoir dans le passé, c'était rétroagir, et que les lois
ne rétroagissent pas, qu'elles ne disposent que pour l'a-
venir.
La maxime qui défend de prouver que les actes sont faits ap. 5
sans fraude, quand la loi les aura réputés tels, a aussi ses
inconvéniens.
On a cité, par exemple, la déclaration de 1702; on Ta
citée exemplairement et non pas limitativement, comme
on l'a observé hier, et c'est aussi en ce sens que je l'exa-
mine : mais cette déclaration s'est bien gardée de donner
dans la méprise qu'on veut faire consacrer par la maxime
qu'on nous propose.
On sait que des actes faits à la veille d'une faillite peu-
vent être, les uns frauduleux, les autres de bonne foi; mais
le danger de la fraude l'emportant sur quelques intérêts
particuliers, on trouve sage de déclarer tous ces actes nuls
indistinctement. C'est le texte de la déclaration de 170-2;
mais on se garde bien de les déclarer frauduleux, 1" parce
qu'il serait injuste et oppressif de déclarer frauduleux
fictivement un acte qui, en réalité, peut être de bonne
foi; 2° parce que les conséquences d'un acte frauduleux
sont bien différentes de celles d'un acte nul. Par le pre-
mier, on perd sa crédite, on devient garant, on est ré-
puté complice, on peut être poursuivi criminclIcTncnt; ce
(|ui suppose, contre le texte de la maxime, qu'on peut
prouver que l'acte est de bonne foi : car on ne dira pas
2 94 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
(ju'un homme accusé n'ait pas le droit de prouver qu*il est
innocent.
Les conséquences d'un acte nul, au contraire, évincent
quelquefois le porteur; mais quelquefois aussi il ne perd
que son hypothèque, et il vient au marc la livre avec les
autres créanciers : il n'est réputé ni garant ni complice, et
n'a pas un sort commun et rigoureux avec le failli.
En un mot, nulle loi ne peut dire qu'un acte dont les
causes ne sont pas vérifiées sera réputé frauduleux; nulle
loi ne peut dire qu'un homme qu'on déshonore n'aura pas
le droit de prouver qu'il est honnête homme. Par consé-
quent, une maxime qui le voudrait ainsi, n'étant ni juste
ni morale , ne peut être placée à la tête du livre des lois.
Ces consé([uences s'appliquent à tous les autres cas cités
hier, et qu'on veut faire régir par le même principe.
Législateurs,
I Ce projet ne consacre point de formule de promulgation.
Il supprime la publication des lois.
11 n'oblige pas le pouvoir exécutif à les envoyer aux tri-
bunaux.
Le nouveau système qu'il contient est destructif de toute
espèce de publicité.
2 et suiv. Les maximes posées à la suite sont dangereuses par leur
fausseté, par l'abus qu'on en fera, et par l'absence des ex-
ceptions dont elles seraient susceptibles, et <^ui ne sont
pas encore posées.
L'examen du Code civil est indépendant de ce projet de
loi.
Enfin la loi du 12 vendémiaire an IV, qui s'exécute de-
puis six ans, peut s'exécuter encore jusqu'à ce qu'un pro-
jet complet |)uiKse être adopté pour la remplacer.
Je dépose le vote de rejet du Tribunal.
1)1- LA PUULICVTION DES LOIS. 295
niSCOURS PRONONCÉ PAK LK CONSKIl.LKU li'l/r.VT KOULAK ,
l'un des URATEURS du OOUVERNEMIiUT.
(.Séance du •>4 frimaire an X. — i5 décembre 1801. )
Législateurs , il paraît que c'est le premier article du
projet qui souffre le plus de diflicultés. On a fait contre cet
article différenles sortes d'objections. On a prétendu d'a-
bord qu'il n'élait point à la place qui lui convient. Il est
dilTicilc de concevoir l'importance (ju'on a mise à cette
objection plusieurs fois reproduite. Eh! ([u'imporle au peu-
ple Français où «soit placée la disposition qui règle le mo-
ment où les lois deviennent exécutoires pour lui, pourvu
que cette disposition soit bonne? et certes, si elle était
mauvaise , quel(^ue place qu'on lui assignât dans la législa-
tion , elle n'en deviendrait pas meilleure. Cependant , s'il
fallait justifier le choix de celle qu'on lui a donnée, le Code
civil n'est-il pas, après la Constitution, la loi la plus im-
portante et la plus utile? N'élait-il donc pas naturel, en
travaillant à la confection de ce C-ode qui embrasse les
droits, les devoirs et les obligations de tous les membres de
la société, de régler d'abord le moment où commence la
principale de ces obligations, celle d'obéir à la loi? Et puis-
qu'on mettait à la tête du Code civil un litre préliminaire,
composé de dispositions générales, celle qui règle le mode
de publication de la loi ne devait-elle pas être la première
de ces dis|)osilions? Eût-elle été mise aussi convenablement
À la tête, soit du Code judiciaire, soit du Code rural, ou
de tout autre Code ?
On a dit ensuite que la partie de l'article qui portait que
les lois sont exécutoires dans tout le territoire delà République , on
vertu de la promulgation qui en est faite par le Premier Consul,
renfermait une grande hérésie, cl ([u'il faudrait adopter
une formule qui ra[)pclât le concours des trois branches de
l'autorité législative. IN 'est-ce pas là rêver des hérésies, et
296 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
peut-on se tromper plus complètement et sur la question,
et sur les principes, et sur les faits?
D'abord, il est fort étrange qu'on attaque, comme on vient
(le le faire , la formule actuelle de promulgation. Cette for-
mule n'est pas et ne peut pas être ici la matière d'une dis-
cussion. Elle a été déterminée par un acte du gouverne-
ment; cet acte existe depuis deux ans, sans que personne
se soit encore avisé de soutenir qu'il fui inconstitutionnel.
Il a donc non seulement la force de l'usage, mais la sanc-
tion au moins tacite xle l'autorité qui aurait eu le droit de
le dénoncer, si elle l'avait cru contraire à la Constitution ;
autorité dont on paraît ici méconnaître le.vœu et censurer
la conduite.
Toutefois , qu'on examine celte formule de promulga-
tion qui se trouve à la tète de toutes les lois, et on verra si
^ellc n'est pas conforme aux principes de la Constitution,
si même elle ne remplit pas l'objet qu'on paraît se propo-
ser, d'y énoncer le concours des trois branches du pouvoir
législatif.
Au nom du peuple Français , Bonaparte , Premier Consul y
proclame loi de la République y le décret suivant , rendu par le
Corps législatif y relatif ..... Conformément à la proposition faite
par le gouvernement Communifjué au Tribunat.
Cette formule ne rappelle-t-ellc pas d'abord le pouvoir
souverain qui réside dans le peuple ; eu second lieu, les
trois corps auxquels la volonté nationale a confié le pou-
voir législatif? Si c'est le Premier Consul qui proclame loi
de la Républi(|ue le décret intervenu, n'est-ce pas encore
d'après la volonté nationale?
Or, n'cst-il pas de principe éternel que les lois ne sont pas
exécutoires, tant qu'elles ne sont pas j)romulguées? N'est-
ce pas celte promulgation seule qui leur imprime le mou-
vement et la force d'exécution, cl n'cst-elle pas, dans toute
bonnccoii5litution,un altributchscnlicl du pouvoirexécutif?
DE LA PtliLlCATION DES LOIS. 297
On a prétendu apercevoir je ne sais quelle (|iialité oceullc
et malfaisante dans ces mots : en vertu de la pronuilgation ;
il fallait, a-t-on dit, employer ceux-ci : au moyen de la
promulgation; et on a fait une longue dissertation pour
établir la différence énorme qu'il y avait entre ces deux
expressions. En vérité, il faut avoir le regard bien subtil,
pour y découvrir une telle différence. Je suis persuadé que
le génie des scolastiques, des métaphysiciens, des gram-
mairiens les plus pointilleux y aurait échoué. Je suis per-
suadé même que le délicat et clairvoyant critique, si on
s'était servi des mots nu moyen, y aurait encore aperçu
quelque germe de destruction, et qu'il aurait allégué, con-
tre ces mots qu'il nous propose, les mômes subtilités qu'il
a alléguées contre les mots en vertu, que peut-être alors il
aurait préférés à ceux qu'il nous oppose aujourd'hui.
Mais laissons là ces vaines arguties. Vous prétendez que
ce n'est pas la promulgation qui donne aux lois la force
executive. L'assemblée constituante n'était pas de votre
avis ; car le chef du pouvoir exécutif qu'elle avait organisé
devait dire ces mots dans la promulgation des lois : L'as^
semblée nationale a décrété et nous voulons et ordonnons ce qui
suit. La convention nationale, fort jalouse assurément de
se montrer orthodoxe en matière de principes politiques,
n'était pas non plus de votre avis; car, dans la formule de
promulgation , le pouvoir exécutif créé par elle devait dire :
Au nom de la République , le Direetoire ordonne que la loi sera pu-
bliée, exécutée, etc. Ou dire, dans une formule de promulga-
tion , que le pouvoir ^xéQvxiii ordonne que la loi soit exécutée ;
ou dire , dans une autre formule, que la loi est exécutoire en
vertu de la promulgation , n'est-ce pas, au fond, la môme
idée? Cette idée n'est-elle pas aussi conforme à la théorie
de la division des pouvoirs , (|u'au texte précis de la Cons-
titution ? Et comment peut-on apercevoir dans tout cela
l'ombre môme d'une hérésie !
Mais examinons les objections qui se rapportent plus
ac^S DIsctssIo^s , motifs, etc.
l>articiUièrc(neiit à la disposition de rarticlc. Il renferme
liois parties bieu distinctes, et ce|)endanl bien liées entre
elles. La première, déjà énoncée , est </u<' im lois sont cxvcu-
toircs dans tout le tcnituirc de la Âcjjuhlifjuc, en vertu de la pro-
inul^ation qui est faite par le Premier Consul, et nous venons
de prouver que ce point est incontestable. La deuxième,
que les lois seront exécutées dans chaque partie de la France, du
moment oit la promuli^at ion pourra y être connue. Si le Premier
Consul, en donnant aux lois, par sa pronml^ation , la force
executive, pouvait être entendu au même instant de tous
les Français, sans doute ils seraient tous, au même ins-
tant, obligés de les exécuter. Comme ils ne peuvent con-
naître la promulgation que successivement, il s'ensuit qu'il
est juste de ne les forcer à cette exécution qu'au moment
où ils peuvent avoir cette connaissance.
Or, celte connaissance doit être déterminée d'après la
nature des choses et li distance des lieux , et c'est enfin ce
qu'on trouve dans la troisième partie de rarticlc. On part
du lieu où siège le gouvernement (c'est le ressort du tri-
bunal d'appel de Paris, et ce sera probablement toujours
dans ce ressort, et particulièrement à Paris qu'il siégera),
cl de là, s'arrétant de tribunaux en tribunaux d'appel , on
assigne un nouveau délai, toujours proportionné à la dis-
tance. Ici la loi ne fait (prindi(|uer le principe et détermine
la base du tarif, et il ne fallait pas qu'elle en fit davantage :
mais le règlement développera ce tarif; il entrera dans les
détails, ayant égard à toutes les circonstances des temps et
des lieux.
Maintenant (pie reproche-t-on à ce système? on prétend
qu'il ne donnera pas aux citoyens une connaissance sulïi-
sante des lois. Mais s'a^il-il ici de leur donner ectlo con-
naissance '.* Non : ee n'est pas là Iti but du projet; il ne s'agit
<jue de lixer le moment où la loi doit èlie exécutée par eux.
Au reste, que veul-on dire, quand on parle de la nécessité
de faire connaître la loi i' cnlend-cm cpi'il faut prendre des
DE LA rUBl.ICATION DKS LOTS. 29()
mestires telles i[iic chaque imlividu ail cette connaissance?
Mais on sait bien <[ue cela est iinpossil)lc.
Il siiflil que ceux (|ui ont le plus trintcrèt à connaître les
lois, et surtout (lue la portion instruite de la nation , celle
qui propage successivement cette connaissance cl la répand
sur la niasse à mesure du besoin qu'elle en a ; il sulTit que
cette portion ait le temps et les moyens convenables de
s'assurer de l'existence et de la promulgation des lois.
Or, est-il un système plus propre à lui procurer cette at-
titude que celui qui est proposé? D'abord, quel est le ci-
toyen, prenant un peu de part à la chose publique, qui
ignore la proposition , la discussion et rado[)tion d'un pro-
jet de loi; qui ne sache que le décret doit être promulgué
comme loi le dixième jour après son émission , et , partant
de ce point lîxe, ne puisse avec certitude déterminer le
moment où la loi devient obligatoire pour lui et pour tous
les individus de la llépublique?
On prétend qu'ici nous voulons tout faire dépendre d'un
instant malhémalique, et qu'il est impossible d'assigner
un pareil instant ; mais ce n'est encore là (|u'une vaine sub-
tilité, et que 5 d'ailleurs, on ne peut pas plus alléguer contre
le système proposé, que contre tout autre qu'on pourrait
proposer dans la même matière. Toutes les quantités de l'es-
pace ou du temps ne sont-elles pas réductibles à des iiis-
tans et à des points mathématiques ? Soit (pi'on adopte le
système de la transcription sur les registres des autorités
judiciaires et administratives, soit qu'on préfère celui d'un
jour uniforme pour toute la République, n'y aura-t-il pas tou-
jours un momeiit décisif qui séparera le temps où la loi ne
devait pas encore être exécutée de celui où elle doit l'être?
Au reste, comme il ne peut arriver que bien rarement que
la solution d'une affaire dépende absolument de la connais-
sance de ce moment précis, cette objection, applicable
d'ailleurs à tous les systèmes, ne mérite réellement aucune
considération.
5oO DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
On reproche au systjime proposé de confondre deux
choses qu'on prétend être très-difTérentes, la promulgation et
kl publication ; mais qu'entend-on par publication ? Quand on
dit, par exemple, que les lois ne sont pas exécutoires tant
qu'elles ne sont pas pu hliccs , ne veut-on pas dire par là que
la publication est une condition essentielle sans laquelle
elles ne sont pas exécutoires; qu'ainsi c'est de cette publi-
cation même qu'elles reçoivent leur mouvement d'exécu-
tion. Or, n'est-ce pas là le sens qu'on attache également au
mot promulgation P N'est-ce pas encore celui qu'on doit at-
tacher à celui de proclamation, proclamer, qui se trouve dans
la formule actuelle de la promulgation ? Ces trois mots ont
le même sens politique dans cette formule, dans le titre et
les dispositions de la loi, ainsi que dans la Constitution.
Si par publication il vous plaît d'entendre les moyens de
détail qu'on emploie ou qu'on pourrait employer pour faire
arriver plus sûrement, plus rapidement la loi, soit aux
agens d'exécution , soit aux simples citoyens, vous en êtes
bien les miaîtres ; mais ce n'est pas dans ce sens que les
publicistes ont pris le mot àe publication et qu'il est employé
dans le projet; c'est uniquement dans le sens d'un acte
émanant du chef du pouvoir exécutif, et nécessaire pour
rendre la loi exécutoire.
Comparons maintenant le mode proposé à ceux qu'on
voudrait lui substituer, et voyons s'il n'est pas plus con-
forme aux vrais principes, et d'ailleurs plus praticable et
plus utile.
Voudrait-on que les lois n'eussent leur effet qu'après
avoir été transcrites sur les registres des autorités chargées
de leur exécution ? Mais il faut alors distinguer les lois «lont
l'application n'appartient (ju'aux tribiuiaux, de celles dont
l'appliciftion n'appartient qu'aux autorités administratives;
et cette distinction n'est pas toujours très-facile à faire. Il
en est d'autres qui sont, tout à la fois, et du domaine ad-
ministratif, cl (lu domaine judiciaire, et (jui, dùs-lors.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 5oi
devront ôtre adressées et aux juges et aux ailininistratcurs;
et voyez alors dans quelle situation bizarre se trouveront
les citoyens. Si vous adressez ces lois aux tribiuiaux d'ap-
pel , comme chacun d'eux comprend plusieurs préfectu-
res, il arrivera qu'elles seront déjà exécutoires dans tout le
ressort du tribunal, et que cependant elles ne le seront
pas dans les diverses préfectures dont ce ressort est com-
posé. Si vous les adressez aux tribunaux de première ins-
tance , comme il s'en trouve plusieurs dans chaque préfec-
ture, le même inconvénient aura lieu dans un autre sens.
Dira-t-on que ces lois auront leur effet sous le rapport ju-
diciaire sans l'avoir encore sous le rapport administratif,
ou réciproquement? Mais voilà précisément ce qui est
absurde et embarrassant.
Voyez encore combien d'autres inconvéniens résultent
de ce système : la loi arrive, soit à la préfecture, soit au
tribunal ; ne peut-il pas y avoir de la négligence à la trans-
crire? Cette transcription ne peut-elle pas être différée p^r
mauvaise volonté ou par des intérêts particuliers ? Il y a
plus, et quand une loi contrariera l'intérêt de tout le res-
sort d'un tribunal d'appel, quand la voix de tous les justi-
ciables se fera entendre, quand le tribunal se verra envi-
ronné d'une multitude animée et furieuse, que fera-t-il,
surtout s'il trouve lui-même la loi mauvaise? Pensez-vous
qu'il se porte facilement à l'enregistrer? Ne verra-t-on pas,
avec le temps , des tribunaux s'arroger le droit de remon-
trance et celui de modification ? On ne craint pas cet abus
dans le moment présent, je l'avoue; mais s'il a existé sous
la monarchie, il peut éclater plus facilement sous la Répu-
blique, où les idées vraies ou fausses de liberté, de bien
public et d'opposition se déploient toujours avec beaucoup
plus de latitude et d'énergie que dans tout autre gouver-
nement.
Dira-t-on que, pour obvier à cet abus, ce n'est pas aux
tribunaux d'appel , mais aux tribunaux de première ins-
O02 DisctrssioNS , MOTIFS, elc.
tance, qu'on enverra les lois ? Mais dans des temps criti-
ques, ces ti-ibimanx inférieurs ne suivront-ils pas la direc-
tion du trihunal supérieur? Ne seront-ils pas j)lus soumis
«ncore à rinfluence populaire; et quand ils seront d'ac-
cord, ne trouveront- ils pas dans leur nombre même une
sécurité nouvelle?
Mais, indépendamment de ces graves inconvéniens, le
territoire français étant divisé en une foule de petits tribu-
naux, (juellc inégalité de droits n'en résultera-t-il pas entre
les citoyens, môme les plus voisins?
Examinons la chose de plus près encore. Entendez-vous
que, du moment où la loi arrivera à l'autorité, cette auto-
rité ait le droit de la faire enregistrer, et de la publier seu-
lement quand elle le jugera convenable ? Non , sans doute ;
je conçois que vous ne voulez pas lui accorder ce droit. Vous
exigez donc qu'aussilôt qu'elle arrive, la loi soit transcrite
et publiée. Mais regardez-vous celte formalité de la trans-
cription comme tellement nécessaire, que, tant qu'elle n'est
pas remplie, la loi n'est point exécutoire? Mais c'est bien
vous alors qui tombez dans l'hérésie la plus complète et la
plus absurde. La loi arrive à la préfecture : le préfet dit au
secrétaire, le secrétaire à un chef de bureau, celui-ci à un
commis, de transcrire la loi sur le registre; et tant que le
commis n'a pas fait la transcription , dans le coin de son
bureau, la loi n'est point exécutoire. Voilà sans doute une
théorie bien pure, bien conforinc à la majesté de la loi!
Ce n'est pas tout : soit i\ue la loi soit transcrite sur le re-
gistre administratif ou sur le registre judiciaire, les ci-
toyens, ceux même <jiii demeurent sur les lieux, n'en sa-
vent pas le mol. Il faut dune, s'ils veulent connaître le
moment on ont connnencé leurs droits ou leurs obliga-
tions, (ju'ils aillent eux-mêmes ou cju'ils envoient vérifier
le moment où s'e^l laite la transcription. Et (juelIc intfuié-
tude, quel embarras pour eux, s'ils sont aux extrémités de
l'arrondissement et surtout du ressort du tribunal d'appel I
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 5o5
Voilà donc la théorie tout à la fois la plus fausse cl la plus
i^ènantc pour len citoyens.
Or, rien de semblable se rcncontre-t-il dans le syslème
proposé? Non : dans ce système, ce n'est pas rhoninie,
c'est la loi seule qui règle le moment de l'exécution ; et au
moyen du tarif de l'itinéraire dressé par le gouvernement
sur la base de la loi, il n'est pas un citoyen, dans quelque
Heu qu'il se trouve, qui, sachant le jour où la loi a été
rendue par le Corps législatif, et par conséquent celui où
elle a été promulguée, prenant son itinéraire à la main,
ne voie d'un coup-d'œil le moment où cette loi est deve-
nue exécutoire pour lui , et même pour tous les citoyens de
la République.
Mais considérons encore votre système sous un autre
point de vue. En proposant la transcription , vous ne faites
(car vous en êtes réduits là) de l'autorité qui doit la faire
qu'un instrument purement |)assif, qu'une machine assu-
iétie elle-même au calcul des distances et du temps : or, ne
voyez-vous pas que, sans vous en douter, vous rentrerez
dans le système proposé , mais que vous n'y rentrerez qu'a-
près un long détour? et ne vaut-il pas mieux s'en tenir di-
rectement à ce système, qui est beaucoup plus simple,
que de vouloir arriver au même but en employant une
foule d'agens intermédiaires, qui deviennent inutiles s'ils
font exactement ce qu'ils doivent faire, mais dont la né-
gligence et les passions compromettront très-souvent la
dignité et l'exécution de la loi?
Enfm, quand on a bien pesé les avantages et les incon-
véniens des deux systèmes, on voit qu'ici tout se réduit à
choisir entre l'arbitraire de la loi et l'arbitraire de l'homme :
or, peut-on balancer? L'arbitraire de la loi est invariable ;
il est égal pour tous : celui de l'homme est changeant et
capricieux, toujours soumis à l'influence des personnes et
des circonstances. Il n'y a donc pas de doute que le sys-
tème proposé ne vaille infiniment mieux que celui de la
3o4 DISCUSSIONS , MOTIF.>i , CtC
transcription sur le registre des autorités chargées deTexé-
ciUion des lois.
Comparons-le maintenant à celui de l'uniformité de jour
pour toute la République. On dit : « La loi étant promulguée
par le Premier Consul le dixième jour après son émission ,
ne pourrait-on pas fixer un nouveau délai, par exemple,
de trente jours, passé lequel la loi devrait être exécutée dans
toute l'étendue de la République? » J'avouerai que, pour
ma part , s'il fallait choisir entre ce système et celui de la
transcription sur le registre des autorités judiciaires et ad-
ministratives, je donnerais la préférence au premier, parce
qu'il est indépendant de la négligence, des caprices et des
passions des hommes; mais je ne crois pas qu'il doive
l'emporter sur celui qui est proposé par le projet. S'il a ,
comme celui-ci, l'avantage de n'offrir que l'arbitraire de
la loi , s'il paraît peut-être plus séduisant , au premier coup
d'œil, par une apparence de grandeur et d'égalité, il ren-
ferme des inconvéniens très-graves qu'on ne trouve pas
dans l'autre. D'abord l'idée d'uniformité et d'égalité qu'il
présente, bonne dans un petit état, n'est point applicable
à un grand empire composé de parties très-éloignées du
centre. Si, dans un tel empire, les parties extrêmes ne
jouissent pas si tôt du bienfait d'une loi que les parties
centrales, celte inégalité est une suite inévitable de leur
position ; c'est un résultat de la nécessité des choses. D'ail-
leurs, si c'est un désavantage pour elles quand la loi est fa-
vorable, c'est un avantage quand elle impose de nouvelles
charges ; ainsi tout se compense encore à cet égard , et l'i-
négalité n'est vraiment qu'apparente.
Mais dans un état tel (|ue la France, si vous assignez un
jour uniforme [)Our l'exécution des lois, il est évident (|ue
ce jour, calculé sur la plus longue distance (par exemple,
celle de la Corse ) , et sur les obstacles de tout genre (pii
peuvent retarder la connaissaiice de la loi, devra être très-
reculé. Or , (juc (rinconvénicns peuvent résulter d'un si
DE LA PUJJLICATION DES LOIS. 3o5
long délai! Ils se présentent en foule s'il s'agit d'une loi
urgente, soit de police , soit de sûreté, soit de subsistances
ou d'impositions. On répond que de telles lois seront bien
rares. J'aime à mêle persuader; cependant, quand les lois
principales seront faites, quand on aura pourvu par une
législation fixe au besoin de la société, que restera-t-il? des
besoins de circonstances. Il n'y aura donc plus réellement
que des lois de circonstances à proposer, des lois sollicitées
par l'évidence et par les cris du besoin. Or, c'est surtout
pour cette espèce de lois qu'il importe d'avoir un bon mode
de publication, et surtout un mode expéditif qui fasse exé-
cuter successivement la loi dans le plus court délai ; et il
est évident que le mode proposé est celui de tous qui rem-
plit le mieux cet objet ; il est d'ailleurs le plus conforme au
but et à la dignité de la loi, qui doit commander l'obéis-
sance aussitôt qu'elle existe. Ainsi, sous ce double rapport,
ce mode l'emporte de beaucoup sur celui de l'uniformité
de jour, qui, d'ailleurs, n'a sur lui aucun avantage. Il est
donc, à tout considérer, celui des trois qui présente le
moins d'inconvéniens et le plus d'utilité. Il doit donc avoir
la préférence.
Je passe aux autres objections qui ont été faites contre
le projet. Mais dois-je les relever toutes ? Non , sans doute ;
il en est de si minutieuses , que ce serait abuser beaucoup
trop des momens et de l'attention du Corps législatif que
de les réfuter. On a dit que les articles de ce projet n'avaient
entre eux aucune liaison essentielle. Cependant en est-il
un seul qui ne se rapporte au titre et à l'objet du projet,
c'est-à-dire à la publication , aux effets et à V application des
lois en général? Non , vous ne pourriez pas en indiquer un
seul. Il est vrai qu'ils n'ont pas entre eux la môme liaison
que celle qui doit exister entre les articles d'une loi faite
sur une matière particulière ; mais n'est-ce pas ici un pro-
jet préliminaire et ne contenant que des dispositions géné-
rales ? Or, n'est-il pas de la nature de telles dispositions de
VI. ao
3o6 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC
n'être ni très-précises, ni très-liées entre elles ? Au reste,
les membres de l'opposilion n'ont pas même été d'accord
là-dessus. Les uns auraient voulu qu'il y eût un plus grand
nombre de ces dispositions, et les autres ont trouvé qu'il
y en avait trop. Le projet n'a admis que celles qui ont paru
nécessaires, et le défaut de connexilé de ces dispositions
était une chose inévitable , une chose d'ailleurs fort indif-
férente.
Mais on a fait contre ces dispositions des objections
d'une nature bien différente, et qu'il est important de re-
lever ici, ne fût-ce qu'à cause de leur singularité , et pour
montrer aux yeux de la France entière quel genre d'attaque
on dirige contre les projets du Code civil. On a considéré
la plupart des dispositions du premier projet comme des
lois orgcmiqucs et réglementaires de la Constitution , et on a
prétendu que comme telles elles passaient les bornes du
pouvoir législatif. Voilù vraiment une grande et précieuse
découverte, et dont on doit savoir bon gré à son auteur.
Il aurait bien dû nous indiquer en même temps et nous
rendre palpable la ligne de démarcation qui sépare selon
lui la nature des lois purement législatives de celle des
lois (ju'il appelle organiques ou réglementaires de la Con-
stitution ; car il est fort à craindre qu'on ne les confonde
souvent, et qu'on ne tombe ainsi dans une forfaiture poli-
tique, ce qui serait extrêmement malheureux pour le gou-
vernement, le Tribunat et le Corps législatif. Il y a plus, et
voyez dans quel embarras nous nous trouvons, il y a des
hommes qui croient sérieusement que toutes les lois ne
sont que des lois organiques delà Constitution, que la
Constitution n'a posé et n'a dû poser que les principes gé-
néraux, et que c'est aux législateurs à en tirer toutes les
conséquences; qu'en organisant le pouvoir législatif et en
le confiant à trois autorités différentes, la Constitution
leur a donné le droit de i)ourvoir à tous les besoins publics,
quand ces besoins existeraient des lois nouvelles; (|ue ce
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 007
vœu de la Constitution est d'autant plus évident que, sans
cela, la marche du gouvernement, le mouvement et l'ac-
tivité du corps social seraient à chaque instant suspendus,
et qu'ainsi, à chaque instant, il faudrait rassembler la na-
tion et former un nouveau pouvoir constituant, ce qui
serait assurément le comble de tous les maux. Oh non ! ce
n'est pas cela, s'écrie notre publiciste, je ne demande pas
qu'on forme un nouveau pouvoir constituant; ce pouvoir
existe par la Constitution , c'est le Sénat conservateur.
Bon , voilà bien une autre découverte ! Quoi ! c'est le Sé-
nat conservateur qui aurait le droit de faire les lois orga-
niques et réglementaires de la Constitution , c'est-à-dire
à peu près toutes les lois? En vérité, c'est une chose dont
jusqu'à présent personne ne s'était douté, pas même as-
surément le Sénat conservateur, composé d'hommes si
éclairés, et où se trouvent la plupart de ceux à qui la
France doit le bienfait de la Constitution. Tout le monde
croyait que le Sénat conservateur n'avait d'autre attribu-
tion , sous le rapport des lois et des actes publics , que de
maintenir ou d'annuler ces actes quand ils lui étaient dé-
férés comme inconstitutionnels , soit par le Tribunal, soit
par le Gouvernement; qu'ainsi il n'avait dans son institu-
tion aucun principe d'activité, aucun pouvoir de création;
et voilà que tout-à-coup on l'érigé en pouvoir extraordi-
naire et permanent, pour créer les lois organiques et ré-
glementaires de la Constitution.
Mais ce n'est pas tout encore ; le même publiciste , trou-
vant que forcer les tribunaux de juger dans les cas même
du silence, de l'obscurité et de l'insuffisance des lois, c'est
leur attribuer un pouvoir exorbitant que le législateur lui-
même ne peut, selon lui, leur donner, prétend que ce
pouvoir ne peut appartenir qu'à un jury d'équité. Et où
veut-il placer ce jury? dans le Sénat conservateur. En vé-
rité , c'est avoir sur le Sénat conservateur de bien vastes
desseins. On sait que jamais, ou presque jamais, dans au-
20.
3o8 DISCUSSIONS, MOTIFS, etc
cun procès, on ne peut citer un texte bien clairet bicri
précis de loi , en sorte que ce n'est jamais que par le bon
sens et l'équité que Ton peut se décider, d'où il s'ensui-
vrait qu'en établissant un jury d'équité , ce jury devien-
drait à peu près le juge universel ; qu'ainsi, dans la théorie
qu'on vous propose, le Sénat conservateur serait non seu-
lement le créateur de presque toutes les lois , mais encore
le juge de presque toutes les causes. On avait, dit-il, pro-
posé cette idée lorsqu'on travaillait à la Constitution, et il
est malheureux qu'elle n'ait pas été adoptée. J'ai bien , en
effet, un souvenir confus que cette idée fut mise en avant;
mais je suis très-sûr qu'elle n'obtint pas même les hon-
neurs de la discussion : c'est cependant avec de tels para-
doxes qu'on prétend entraver l'adoption du Code civil.
Faut-il relever encore l'étrange abus que l'on a fait de
l'article qui porte que la loi ne dispose que pour l'avenir et
qu'elle n'a pas d'effet rétroactif? Est-il un principe plus vrai,
plus constant, plus universel que celui-là ? et fut-il jamais
plus nécessaire de le consacrer que dans un Code qui
n'embrasse que des matières sur lesquelles il y a des lois
antérieures ? Ce principe , dit-on , ne regarde que la légis-
lation ; et moi je vous soutiens qu'il regarde plus encore
les juges, et, en général, tous les applicateurs des lois, que
le législateur. N'est-il pas, en effet, invoqué chaque jour
dans les tribunaux, et en est-il un dont on soit dans le cas
de faire un i)lus fréquent usage? Mais, s'est-on écrié, avec
ce principe vous allez favoriser la plus épouvantable réac-
tion ; vous allez faire revivre tout ce que la révolution a
détruit, les droits d'aînesse, les droits mililaires, les droits
seigneuriaux , toute la féodalité. De bonne foi, qui jamais
aurait pu soupçonner qu'on pût donner à cet article une
telle interprétation ? 11 existe dans cette enceinte un grand
nombre de membres de la Convention nationale. Dites-
nous , législateur», vous qui avez fait la Constitution de
l'an m, dites-nous si, lorsque vous insérâtes dans cette
DE LA PUBLICATION DES LOIS. SoQ
Constitution cet article : Aucune loi y ni criminelle , ni civile ,
ne peut avoir (ielfet rétroactif, vous vous proposiez par là de
bouleverser toute la révolution ; si niônie il vous est jamais
tombé dans l'esprit qu'on pût donner à cet article un sens
contre-révolutionnaire.
Il y a des juges, ajoule-t-ou, il y a des administrateurs
qui se croiront autorisés par Tarticle à examiner si telle
loi ne renferme pas des dispositions rétroactives, et qui,
prétendant y en trouver de semblables, se croiront dispen-
sés de les exécuter. Mais est-ce là le sens deTarticle, quand
on le considère par rapport aux juges? A-t-on jamais pu
entendre leur donner le droit d'examiner si la loi qu'on
leur envoie renferme ou non des dispositions rétroactives?
C'est là l'office du législateur : celui des juges est d'exécu-
ter les lois telles qu'elles sont; seulement, dans les con-
testations qu'ils sont chargés de juger, ils doivent consi-
dérer le temps où ces contestations ont pris naissance, et
les lois sous l'empire desquelles les causes de ces contesta-
tions se sont formées : et si depuis, il est intervenu des lois
nouvelles, différentes des premières, ce n'est pas par
celles-ci, mais par celles-là qu'ils doivent se décider. Voilà
la règle sage et nécessaire que leur trace l'article, et c'est
uniquement dans ce sens qu'il doit être pris et qu'il a tou-
jours été entendu dans les tribunaux.
C'est ainsi qu'on a supposé constamment, dans chaque
article, ce qui n'y était pas, et qu'on n'a pas voulu y voir
ce qui y était ; que , par exemple , dans celui qui porte que
la loi oblige ceux qui habitent le territoire , on a prétendu y
voir ces mots , qui n'y sont pas : La loi n'oblige pas ceux qui
n'habitent pas le territoire, que dans l'article qui dit que la
forme des actes est réglée par les lois du pays où ils sont
faits, au lieu de s'en tenir à l'idée que présente le mot
forme , on y a substitué celle que présente le mot condition,
confondant ainsi des choses très-différentes; que, dans
l'article qui porte que, dans le silence, l'obscurité et l'in-
5io DISCUSSIONS, MOTIFS, etc.
suffisance des lois, les juges sont obligés de juger, on a
prétendu voir une autorisation donnée aux juges de juger
contre les lois; et qu'enfin, dans l'application de l'article
qui défend de déroger par des conventions particulières
aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs,
on a confondu les lois qui sont plus particulièrement rela-
tives à l'utilité privée des citoyens, et aux avantages des-
quelles il leur est libre de renoncer, avec celles qui se rap-
portent à l'utilité générale et au bien-être de la masse
enlicre du peuple.
C'est cette conftision de toutes les idées qui a donné lieu
à une si grande foule d'objections de la part des membres
duTribunat; mais la fausseté de ces objections est bien
démontrée, et nous avons lieu d'espérer, législateurs, que
vous adopterez le projet.
DISCOURS PRONONCÉ PAR LE TRIBUN FAVART,
l'uw des orateurs du tribunat.
(Séance du 24 frimaire an X — 15 décembre 1801.)
Législateurs, les orateurs qui m'ont précédé ont déjà
épuisé la discussion sur le projet de loi soumis à votre
examen. Je me bornerai à ramener la principale question
à son véritable point; et, tirant de quelques principes in-
contestables les conséquences naturelles qui en découlent,
je vous démontrerai en peu de mots que la promulgation,
telle qu'elle est prtjsjntée, ne peut pas suffire pour faire
connaître la loi; cl que dès-lors elle ne peut pas tenir lieu
de la publication, qui seule peut la rendre notoire.
C'cf^l à cette idée simple qu'il faut s'attacher. Je vais
l'examiner avec franchise.
Le premier arlicle du projet dit d'abord que les lois sont
exécutoires dans tout le territoire Irançais en vertu de la
promulgation qui en est iailc par le Premier Consul.
Je m'arrête ici.
UE LA PUBLICATIOIH DES LOIS. 3u
Parmi nous , et d'après notre Constitution , un projet de
loi est présejilé par le Conseil d'État , discuté au Tribunal,
décrété par vous, et promulgué par le Premier Consul.
Alors le projet est changé en loi : alors la loi a tous les
caractères qui doivent constituer sa force intrinsèque ; elle
est exécutoire. Je me sers de ce terme qui est dans le projet
de loi , quoiqu'il ne rende pas parfaitement Pidée qui y
semble attachée.
Mais quand doit-elle être exécutée? la deuxième partie
du premier article répond en ces termes :
a Elle sera exécutée dans chaque partie de la République,
du moment où la promulgation pourra y être connue. »
C'est rendre, en termes formels, Iwmmage au principe le
plus sacré de toute bonne législation : il faut qu'une loi
soit connue avant qu'on en puisse exiger l'exécution. Mais
fallait-il se contenter de dire que la loi sera exécutée dans
chaque partie de la République du moment oii la promul-
gation pourra y être connue? ne fallait-il pas dire positi-
vement, du moment où la promulgation y sera connue?
Ce n'est pas une connaissance hypothétique et mathé-
matiquement possible de la loi que l'on a droit de deman-
der; c'est une connaissance réelle et certaine.
Il ne faut pas qu'on puisse réclamer l'exécution d'une
loi, parce qu'il a été possible que sa promulgation ait été
connue dans telle ou telle partie de la République; il faut
qu'on puisse dire que c'est parce qu'elle y a été réellement
connue.
Ensuite, qu'est-ce que connaître la promulgation d'une
loi? c'est savoir qu'une loi a été présentée en projet par le
Conseil d'État, discutée au Tribunat, délibérée au Corps
législatif, adoptée par lui , et revêtue du sceau du pouvoir
exécutif : car la promulgation du Premier Consul ne peut
pas être autre chose, d'après l'article 57 delà Constitution.
C'est dans ce sens que cet article a été exécuté jusqu'à ce
jour, ainsi qu'il résulte de la formule adoptée pour la pro-
5l9 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
mulgation des lois, par un arrêté des Consuls du 29 nivosc
an YIII, et que l'on trouve en tête de chaque loi dans les
termes suivans :
8 Au nom du peuple français, Bonaparte , Premier Con-
« sul, proclame loi de la République le décret suivant, etc. »
Enfin, j'e demande quel sera le moment où la promulga-
tion de la loi pourra être connue dans chaque partie de la
République ? La troisième partie de l'article répond :
« La promulgation faite par le Premier Consul sera ré-
€ putée connue dans tout le ressort du tribunal d'appel de
« Paris, trente-six heures après sa date, et dans tout le
Œ ressort de chacun des autres tribunaux d'appel, après
« l'expiration du même délai, augmenté d'autant de fois
« deux heures qu'il y aura de myriamètres entre Paris et
« la ville où chacun de ces tribunaux a son siège. »
Vous voyez encore ici que ce n'est toujours que la pro-
mulgation de la loi qu'on veut faire connaître, et non la loi.
Vous voyez qu'on ne parle encore que d'une connaissance
hypothétique, d'une connaissance possible mathématique-
ment. Lapromulgation, est-il dit danscette partie du premier
article, sera réputée connue :e\\e sera réputée connue dans un
moment fixé, déterminé irrévocablement par une loi fonda-
mentale. Mais, si des causes majeures, insurmontables, im-
prévues, s'opposent à ce que cette connaissance soit acquise,
il suffira donc de dire qu'elle est réputée acquise, et un ci-
toyen pourra être condamné au nom de la loi qu'il n'aura
pas connue , dont il n'aura même pas su l'existence par une
promulgation qui ait pu physiquementparvenir jusqu'à lui?
et les tribunaux seront obligés d'appliquer une loi dont ils
n'auron t pas reçu la connaissance ofûcielle ? Cela ne se peut
concevoir : cela est trop étranger à nos mœurs, et trop
étranger aux principes de la liberté politique et civile.
Si l'on me dit que la force majeure , qui dérangerait les
calculs du législateur, excuserait le citoyen, et (|uc, dans ce
cas, on ne réclamerait pas contre lui l'exécution d'une loi
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 3l5
dont il n'aurait pu visiblement connaître la promulgation ,
je réponds que cela seul prouve le vice de celte loi, parce
qu'alors il n'y a que de l'arbitraire dans la loi qui ordonne
la promulgation. Elle est arbitraire, parce (ju'elle ne veut
donner aux citoyens qu'une connaissance hypothétique,
présumée, et non certaine, de la promulgation de la loi;
elle est arbitraire, parce qu'elle ne veut faire connaître que
la promulgation des lois, et non leurs dispositions litté-
rales, et dans toute leur pureté; elle est arbitraire enfin ,
parce qu'elle ne marchera pas d'un pas ferme, et qu'elle
rétrogradera, si des circonstances la forcent à reculer.
Est-ce sous ces traits que la loi doit se présenter ? non : elle
doit ordonner, et quand elle a parlé, rien ne doit la faire
fléchir : c'est son inflexible rigueur qui fait sa force : c'est
sa force inébranlable qui fait sa protection. Si elle peut va-
rier, elle n'est plus loi : elle n'est plus la volonté constante
de tous ; elle est semblable à la volonté de l'homme indivi-
duel, qui se décide par les circonstances.
On vous a dit : la promulgation est un acte constitution-
nel qui appartient au Premier Consul. La Constitution
n'ayant exigé que cette promulgation , elle n'astreint pas à
d'autre publication qui devient inutile.
On s'est étrangement abusé, ou on a mal saisi l'article 57
de notre Constitution.
Cet article porte « que tout décret du Corps législatif,
le dixième jour après son émission , est promulgué par le
Premier Consul, à moins que dans le délai il n'y ait eu re-
cours au Sénat pour cause d'inconstitutionnalité. »
Quel est l'objet de cette promulgation ? C'est de certi-
fier qu'il n'y a pas eu de dénonciation au Sénat pour cause
d'inconstitutionnalité, et que le délai constitutionnel étant
expiré sans qu'il y ait eu de réclamation , la loi est devenue
inattaquable, qu'ainsi elle a reçu tous les caractères qui
la constituent loi de la République.
Eh bien ! veut-on s'arrêter à cette idée ? Plus de ditti-
5l4 DISCUSSIONS, MOTIFS, OlC
culte : la première partie de l'articie premier du projet de
loi se trouve conforme à l'article 37 de la Constitution.
Mais, si l'on veut que cette promulgation du Premier
Consul soit le seul moyeu pour faire connaître la loi (et
c'est le sens littéral des deuxième et troisième parties de
l'article premier du projet), alors la difficulté renaît plus
effrayante; ou, pour parler d'après ma conviction intime,
elle s'aplanit devant les principes de la liberté, devant les
maximes du droit public.
La loi n'est obligatoire qu'alors qu'elle est connue ; elle
n'est connue , ou censée l'être , que lorsque tous les moyens
suffisans ont été employés pour la rendre notoire à tous
ceux qui doivent lui obéir.
Ainsi , ne sortons pas de là : la loi promulguée par le
Premier Consul n'est pas connue, ne peut pas être censée
connue ; car la promulgation n'est pas la publication de
la loi.
Promulguer la loi est un devoir que la constitution impose
au premier magistrat de la République ; mais si elle n'a
parlé que de la promulgation, s'ensuit-il que la publication
de la loi ne doive pas avoir lieu? En d'autres termes, s'en-
suit-il que la loi ne doive pas être connue?
De deux choses l'une, ou promulgation et publication
sont synonymes, ou ce sont deux termes différens, et pré-
sentant deux idées distinctes.
S'il n'y a pas de différence entre promulgation et publi-
cation, faites donc que la promulgation publie la loi et la
fasse connaître au peuple : faites donc que lorsque vous
aurez proclamé (|ue la loi est revêtue de tous les caractères
qui la constituent loi, la loi retentisse aux oreilles de tous
les Français, dans tous les tribunaux qui doivent la faire
exécuter.
Si la publication est différente de la promulgation ,
le Premier Consul doit promulguer la loi, et en rester
là ; car la Coiistilulion ne lui dit pas de faire ce que je
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 3l5
vois dans ia deuxième et la troisième partie du projet.
Prétendra-t-oa que le mode de la promulgation lui ap-
partient? mais non : ce mode ne peut lui appartenir. C'est
une vérité à laquelle il a rendu hommage , en vous présen-
tant à discuter et à décréter le projet de loi qui vous occupe.
Eh bien ! ce mode a paru insuffisant au Tribunal, il doit
vous le paraître aussi ; tout l'art des orateurs du gouverne-
ment n'aura pu couvrir d'un voile épais la vérité des princi-
pes, et tel n'a pas été leur projet.
Quelle est la vérité qui doit luire à vos yeux et vous dé-
cider ? C'est que la loi qui n'a pas pour but l'intérêt du
peuple doit être rejetée. Or, jamais loi ne fut plus contraire
aux intérêts du peuple que celle qui vous est offerte ; elle
est contraire à ses intérêts les plus chers et les plus sacrés.'
Il doit connaître la loi avant de lui obéir. La publication
est le seul moyen qui puisse la lui faire connaître : on la
lui refuse. La promulgation qui la laisse ignorer n'est
qu'une vaine formalité, et c'est le seul moyen dont on veut
se servir pour rendre la loi exécutoire.
Voyez maintenant, législateurs, combien, en confon-
dant les idées, on s'écarte des routes qui conduisent au
but qu'on se propose. C'est parce qu'on a confondu la pro-
mulgation d'une loi avec sa publication , qu'on est tombé
dans l'erreur que je combats, et qui, sans doute, sera
sentie par le Conseil d'Etat, dont les vues ont été pures
autant que celles du Tribunal. Oui , c'est la confusion de
ces deux idées qui a dicté le premier article du projet. Il
faut donc remonter aux principes.
La promulgation n'est autre chose que le cachet du gou-
vernement , qui atteste que la loi qui est présentée aux ci-
toyens a reçu tous les caractères qui la constituent loi,
et n'a point été dénoncée au Sénat conservateur pour cause
d'inconstitulionnalité. Elle n'apprend au peuple, je le ré-
pète, que l'historique de la formation de la loi; elle
n'instruit point le peuplcdes dispositions de cette même loi.
5l6 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Qu'est-ce donc qui peut l'en instruire? C'est sa publi-
cation.
Je n'irai point chercher chez les peuples anciens quels
étaient les différens moyens par lesquels on leur faisait con-
naître les lois. Je sais que les précautions qu'ils prenaient
ne peuvent convenir à un état aussi étendu , aussi populeux
que le nôtre, à un état dont les relations de citoyen à citoyen
sont plus nombreuses, plus difficiles, plus variées.
Dans un petit état, chez un peuple naissant, on peut
atteindre à la perfection des moyens propres à faire con-
naître à chaque individu le texte d'une loi.
Parmi nous, le législateur a atteint le but quand il a pris
ceux qui sont en son pouvoir, et qui entraînent le moins
d'inconvéniens possibles.
Défendons-nous de la manie d'imiter ce qui ne peut
nous convenir, et de celle de toujours chercher du nou-
veau. Cherchons le bien de bonne foi, et prenons-le par-
tout oïl il se trouve.
Dans les décombres de cet édifice que la révolution a
fait écrouler, il est possible de déterrer des matériaux di-
gnes de figurer dans celui que nous élevons.
Sous l'ancien régime, on ne se contentait pas de faire
connaître la promulgation d'une loi, c'est la loi elle-même
qu'on faisait connaître ; elle était envoyée aux parlemens,
qui la transmettaient aux autres tribunaux, parle minis-
tère des procureurs-généraux.
Par ce moyen simple , et conforme aux principes , la loi
recevait toute la publicité qu'on peut lui donner dans un
état vaste et renfermant une énorme population.
Il y avait sans doute des inconvéniens dans ce mode : les
remontrances entraînaient des abus dont les parlemens
étaient souvent punis, sans se corriger.
Mais notre Constitution ne permet plus aux tribunaux
de s'interposer entre le peuple et les législateurs qu'il s'est
choisis. Dès-lors les abus des remontrances ne sont plus à
DE LA PUBLICATION DES LOIS. ÔlJ
craindre. Le vice de l'ancienne publication des lois a dis-
paru. Pourquoi donc ne nous saisirions-nous pas de ce
mode, qui avait été adopté par l'assemblée constituante,
et qui avec des modifications serait très-bon ? C'est peut-
être le seul qui nous convienne : c'est celui du moins qui
pare à tous les inconvéniens, autres que ceux qui sont in-
séparables des institutions humaines.
Un des orateurs du gouvernement Ta cependant com-
battu. « Sous la monarchie, a-t-il dit, on n'envoyait la loi
aux tribunaux que parce qu'il y avait différentes princi-
pautés, dont les statuts particuliers exigeaient que les lois
n'y fussent obligatoires qu'après leur publication ; mais au-
jourd'hui que la République est une, il faut aussi que la pu-
blication de la loi soit une, et qu'elle devienne obligatoire
par la seule promulgation. »
Je réponds que, si par quelques traités on a stipulé sous
la monarchie, que la loi ne serait obligatoire qu'après avoir
été publiée, il ne faut pas en conclure que la publication
n'avait lieu en France qu'en vertu de ces traités.
On pourrait en tirer cette conséquence, si la publication
n'avait eu lieu que pour les pays réunis ou conquis, et
dont le sort a été réglé par le traité de paix ou de réunion,
et si elle n'avait commencé qu'après la ratification de ces
mêmes traités.
Mais la publication remonte à des époques antérieures à
ces traités. Ainsi, on publiait les lois en France avant la
réunion du Béarn , avant la conquête de l'Alsace et de la
Franche-Comté. Ainsi, on publiait les lois non seulement
dans les pays conquis et réunis, mais dans toute la France;
et c'est parce qu'on les publiait partout que les pays con-
quis et réunis, voulant en tout être traités aussi favorable-
ment que le reste des Français, demandaient et inséraient
dans les traités que la loi serait publiée chez eux comme
dans le reste de la France.
Au surplus, législateurs, ce n'est pas parce que la publi-
5l8 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
cation ai eu lieu sous la monarchie, qu'il faut la décréter,
de même qu'il ne faudrait pas la rejeter quand elle n'y
aurait pas été connue.
Il faut l'adopter parce qu'elle fait connaître la loi ; car
c'est une maxime sacrée dans tous les états libres et mo-
dérés, que la loi ne peut être obligatoire si elle n'est pas
connue.
La promulgation du Premier Consul ne fait pas connaî-
tre la loi ; la publication en donne une connaissance aussi
parfaite qu'on puisse raisonnablement le désirer.
L'envoi de chaque loi dans les tribunaux d'appel par le
gouvernement, complète la promulgation.
La lecture qui en est faite dans les tribuuaux d'appel en
est la publication. »
Il est donc indispensable d'ordonner l'envoi des lois à
tous les tribunaux d'appel dans un délai fixe, avec ordre
à ces tribunaux d'en faire sur-le-champ la publication ,
sous peine de forfaiture.
Je ne chercherai pas à vous prouver l'insuflisance du
délai pour remplir même le but du projet. Vous avez sans
doute remarqué qu'à l'absence absolue de tout moyen lé-
gal employé pour répandre la loi, se joint l'impossibilité
physique qu'elle soit parvenue dans le délai fixé, partout
où le projet veut qu'elle soit obligatoire et par conséquent
présumée connue. C'est un calcul que chacun de vous peut
facilement faire par la connaissance qu'il a des localités.
Qu'il me soit permis de vous mettre sous les yeux celui
que j'ai fait pour mon département, et prenons pour exem-
ple le tribunal d'appel de lliom, placé à quatre-vingt-douze
lieues de Paris : la loi y sera présumée connue le sixième
jour de sa promulgation ; et ce jour-là même elle sera
exécutoire au fond du ressort de ce tribunal, à Maurs, dé-
partement du Cantal , cpii est à plus de quarante lieues de
IVioin, et où la poste, partant de Paris, ne parvient pas en
moins de huit jours par la voie la plus directe, tandis
DE LA PUBLICATION DES LOIS. SlQ
qu'elle arrive à Riom en trois jours, et que les paquets s'y
dislribuent le quatrième. Il n'y a pas, en général, moitié
du délai indispensable pour que les tribunaux de première
instance aient pu recevoir la loi. On veut donc qu'ils soient
souvent obligés de l'appliquer avant d'avoir la certitude
ofljcielle de son existence et de sa teneur.
Je résume en peu de mots ce que je viens de vous dire.
L'article premier du projet confond la promulgation et
la publication.
Il faut un mode de publication qui assure aux tribunaux
la connaissance certaine et officielle de la loi ; elle ne peut
être obligatoire pour l'homme libre qu'autant qu'il est
censé la connaître; il ne peut la connaître qu'autant que
le gouvernement a pris toutes les mesures qui étaient en
son pouvoir pour la lui faire connaître. Le projet ne con-
tient aucune de ces mesures; elle ne sauraient être sup-
pléées par des arrêtés du gouvernement, parce que tout
ce qui tient au mode de la publication des lois, qui doit
être aussi invariable que la loi même, se trouve essentiel-
lement dans le domaine du législateur.
Ces considérations et celles qui vous ont été présentées
par mes collègues, ont déterminé le Tribunat à rejeter le
projet de loi.
Il les a discutées avec calme, non pas ce calme qui tient
de l'indifférence ou de la crainte, mais ce calme qui atteste
l'amour de la vérité et le désir de la trouver.
Il n'a pas entendu de déclamations ; il a été dirigé par
des principes sûrs : il a vu avec peine que les droits et les
intérêts du peuple seraient compromis, et il n'a pas balancé
de le dire ; il ne balance pas à croire que le Corps législatif,
à qui CCS droits et ces intérêts sont aussi chers, s'empres-
sera d'écarter un pareil projet, dont le rejet n'arrêtera au-
cunement la discussion des autres parties du Code civil.
520 DISCUSSIONS, BIOTIFS, elC
DISCOURS PRONONCÉ PAR LE CONSEILLER d'ÉTAT BERLIER^
l'u^ des orateurs du gouverwement.
(Séaace du 24 frimaire an X.— 15 décembre 1801.)
Législateurs, après ce qui a été dit par mes collègues
Portalis et Boulay à l'appui du projet qui vous est soumis,
il me reste sans doute peu de choses neuves à dire.
Cependant, tel est le caractère de celte discussion , telle
est l'importance de son objet, que je puis et dois vous sou-
mettre encore quelques idées qui peuvent n'être pas sans
utilité , même en ne les considérant que comme le résumé
des débats qui se sont établis sur les points les plus importans.
La discussion s'est divisée en deux parties principales :
La première embrasse les objections d'ordre et de formes;
La seconde, les objections relatives au fond.
A l'égard des premières, la difficulté consistait beau-
coup plus, si je ne me trompe, à les saisir qu'à y ré-
pondre.
Ainsi, l'on reproche au projet de loi de n'être point à sa
place : et pourquoi ? parce que la publication , les effets et
l'application des lois sont une matière qui ne régit pas seu-
lement le Code civil, mais encore les Codes criminel, ju-
diciaire, commercial, rural, etc.; d'où l'on infère que
c'était une loi de l'ordre politique à isoler de chaque Code,
puisqu'elle n'appartenait privativement à aucun.
Il a déjà été répondu à ce sujet, par mon collègue Por-
talis , que la critique porte à faux, puisque le projet dont il
s'agit, discuté comme loi particulière, n'a pas, dès à pré-
sent du moins, de place assignée dans un corps d'ouvrage
qui n'existe point encore, et qu'ainsi rien ne ferait obsta-
cle à ce qu'on l'isolât du (ïodc civil, s'il paraissait ne j)oint
lui appartenir.
Quant à moi, j'ajoute (|uc, lorsqu'il devrait s'y incorpo-
rer un jour, et en constituer le livre préliminaire, selon
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 521
ridée des premiers rédacteurs de ce grand ouvrage , la cri-
tique serait sans fondement.
Je me fonde , à ce sujet , sur les rapports nécessaires qui
existent entre un Code civil et ces autres Codes que Ton
juge à propos de placer sur une ligne parallèle.
Je demande ce que sera un Code de procédure judi-
ciaire, sinon la collection des règles propres à défendre les
droits établis par le Code civil : il sera donc au Code civil
ce que la forme est à la matière.
Je demande ce que sera un Code de commerce, un Code
rural , sinon des collections de règles qui ne devront s'écar-
ter de celles posées au Code principal, qu'autant que l'in-
térêt spécial du commerce ou de l'agriculture sollicitera
des exceptions.
Dans un tel état , qu'on cesse donc de crier à la confu-
sion d'idées; et si une loi relative à la publication , <iux ef-
fets et à V application des lois en général, n'est pas un être
parasite qu'il faille écarter de tous les Codes, je dis qu'elle
appartient au Code civil.
Mais, a-t-on dit, la plupart de ces articles sont sans co-
hésion entre eux ; on pourrait en intervertir l'ordre sans
en changer le sens.
Eh bien ! si l'article 2 est aussi bien placé sous ce numéro
qu'il le serait sous le numéro 4 j q^el peut être l'objet de
votre critique?
Soutenez-vous ces articles inutiles? c'est une objection
d'une autre nature. Mais comme en ce moment je par-
cours celles qui appartiennent plus à l'ordre et à la forme
qu'au fond des matières, je crois la critique vaine sous le
premier rapport.
La plupart de ces articles, avez-vous ajouté, ne sont que
des maximes qu'il fallait laisser dans le domaine de la
science, sans en faire des dispositions de loi.
Sans doute des maximes ne sont point des dispositions de
lois, à moins qu'à raison de leur importance le législateur
VI. 21
322 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC.
n'ait jugé convenable de les t-lever à cette auguste qualité.
Mais c'est dans les détails que l'on verra si le projeta
été trop libéral sur ce point : sévère dans son choix, il n'a
admis qu'un bien petit nombre de préceptes les plus utiles-;
ce qui fait qu'il a peu d'étendue, et ce qui a donné lieu
peut-être à une objection d'une autre catégorie.
Le projet offert n'est point, dit-on , une introduction di-
gne du Code civil; ce n'est pas un portique qui réponde à
la majesté de l'édifice.
Législateurs, le faste n'est pas toujours l'indice des
vraies richesses : telle maison d'une apparence modeste
vaut souvent mieux que l'édifice ruineux et peu solide que
ses dehors indiquent comme un palais. Mais quittons les
figures, et ne voyons que la réalité. Le beau, en matière
de législation , n'est autre chose que ce qui est bon et utile.
Au reste, la stérilité apparente qu'on reproche à notre
projet n'a pas laissé que de donner quelque peine à ses
auteurs.
Un premier travail se présentait avec plus de pompe;
mais, en l'analysant et en le dépouillant de ses ornemens
factices ou étrangers, il a donné pour résultat le projet
qui vous est soumis, et des détails duquel je puis enfin
m'occuper.
Est-il bon et utile? toute la question est-là.
Plusieurs articles ont été combattus comme inutile»;
mais le premier l'a été comme injuste : c'est celui relatif
au mode de rendre la loi exécutoire.
Vous n'attendez pas de moi, législateurs, que j'aille de
nouveau traiter avec étendue un sujet (jui a été approfondi
par ceux qui ont parlé avant moi.
Je me bornerai donc à quelques idées très-simples.
Je ne parlerai pas de l'attaciue dirigée contre la rédac-
tion du premier article ; mon collègue Tortalis y a victo-
rieusement répondu.
Quant au reproche dirigé contre cet article , en ce qu'il
DK LA PUBLICATION DES LOIS. 020
ne caractérise pas la promulgation et n'en trace point les
formes, j'observe d'abord que la promulgation a son carac-
tère déterminé par l'article 57 de la Constitution , qui ne
laisse rien à dire sur ce point.
Je remarque ensuite que ses formes sont établies, cou-
uues et pratiquées avec avantage.
Je remarque que la formule de la promulgation a pris
naissance peu après la Constitution même; et que depuis
ce temps elle a obtenu l'approbation de tous les grands
pouvoirs , et n'a jamais troublé l'heureuse harmonie qui
règne entre eux, parce qu'elle a respecté les droits de tous.
Pourquoi donc remettrait-on en question une formule
qui depuis deux ans est revêtue d'un caractère aussi solen-
nel, aussi juste, aussi paisiblement exercé?
Cela posé, la question reste toute entière dans le point
de savoir quand et comment les lois deviendront exécu-
toires, car le projet n'innove rien à la promulgation ; il la
laisse dans l'état où elle est ; il en reconnaît l'existence an-
térieure, quand il ne parle que des développemens qui
s'opéreront en vertu de la promulgation.
La question ainsi rappelée à ses vrais termes, c'est en
cet état que je vais la traiter.
Une observation préliminaire qu'il me semble convena-
ble de placer ici, et qui porte sur un point d'expérience,
c'est que dans un vaste état, comme la France, il est im-
possible que Idi publication et X" affiche en chaque commune
déterminent le moment où chaque loi y deviendra obliga-
toire.
Une loi trop fameuse, celle du \(\ frimaire an II, avait
introduit cette règle, dont le moindre inconvénient sans
doute résidait dans les frais énormes qu'elle entraînait : il
en était un beaucoup plus grave dans l'extrême diversité
d'effets qui en était le résultat.
Cinquante mille agens pouvaient- ils être tellement
exacts, que la condition de leurs administrés fût la même,
21.
324 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
et ne vit-on pas souvent la loi publiée dans un village y
recevoir son application, tandis qu'elle était sans force dans
le villag;e voisin faute de publication ?
Un tel mode ne pouvait subsisler long-temps, et sans
doute il n'entre dans l'idée de personne de le faire revivre.
Cela posé, et comme il est encore moins praticable de
notifier la loi à chaque individu , il faut bien reconnaître
un point capital en celte matière ; c'est qu'ici tout gît en
présomption légale.
Maintenant trois systèmes se présentent : la meilleure ma-
nière de résoudre une foule de difûcultés, c'est, si je ne
me trompe , de comparer ces trois systèmes entre eux, et je
le ferai brièvement.
Je ne connais que trois modes de déterminer l'époque où
la loi deviendra obligatoire.
Celui d^ la transcription sur les registres d'une autorité lo-
cale; et c'est le dernier état.
Celui à' un délai général et uniforme, à partir d'un point
déterminé, de la promulgation, par exemple, et c'est ce
qu'avait proposé la section de législation au Conseil d'Etat.
Enfin le délai successif en raison des distances.
Le premier de ces modes offre des inconvéniens bien
attestés par l'expérience ; il dépend d'autorités négligentes
ou malveillantes que la loi soit publiée ou plus tôt, ou plus
tard, ce qui établit des inégalités frappantes, et comme le
moment de l'arrivée et celui de la transcription ne sont
pas aussitôt connus, il en résulte, dans le passage d'une
législation à une autre , ou beaucoup d'incertitudes dans
les premiers temps, ou beaucoup d'embarras s'il faut aller
vérifier les registres.
J'observe, au surplus, cpie le moindre inconvénient de ce
mode ( quoi(|ue cet inconvénient soit déjà très-grave ) ,
consiste dans la part qu'il donne aux agens d'exécution ,
agens dont l'activité pourrait, jusqu'à un certain point,
être stimulée, ou la malveillance punie.
DE LA PIJKLICATION DES LOIS. SsS
Mais ce qui s'élève le plus fortement contre ce système,
c'est qu'il ne peut donner aux citoyens la connaissance
précise du moment où la loi devient obligatoire; c'est
qu'à moins d'avoir été présens à la transcription , ou de
venir matériellement vérifier le registre, les citoyens igno-
reront nécessaii'ement, au moins dans les premiers temps,
sous l'empire de quelle loi ils vivent; c'est qu'en un mot
la présomption légale ne reposera, à leur égard, sur rien
de précis.
Figurez- vous, en effet ( et ce cas sera le plus fréquent ),
un homme domicilié à cinq ou six myriamètres de la ville
où la loi devra arriver et être enregistrée.
Si cet envoi est extrêmement rapide, la loi obligera
avant qu'on ait pu la connaître; si an contraire l'enregis-
trement est tardif, il arrivera souvent que la loi sera con-
nue par les débats et papiers publics avani qu'on puisse en
recueillir les effets.
Dans l'une et l'autre espèce, la présomption légale de la
connaissance (le vrai point de départ en cette matière)
sera tout-à-fait dénaturée et subvertie.
J'examine le second système, celui du délai général et
uniforme. Dans ce second mode, les inconvéniens que j'ai
retracés disparaîtraient sans doute, mais pour faire place
à un autre ; c'est que la loi resterait inerte pendant un dé-
lai assez considérable dans les lieux même où elle serait
connue, ce qui serait peu compatible avec sa dignité; mais
ce qui, surtout en certains cas, deviendrait une source de
nombreux abus.
Suppose-t-on en effet une loi qui prohibe certains
actes ? Voyez comment on l'éluderait dans l'intervalle; ce
délai de grâce serait un avertissement à tous ceux qui vou-
draient y contrevenir pour se hâter de le faire; et cet
étrange bénéfice de la fraude appartiendrait encore, comme
par privilège, aux habitons des lieux voisins de celui d'où
la loi partirait.
SaO DISCUSSIONS, motif>, elc.
Iiiutilcuicnt avait-on, dans ce système, laissé entre-
voir la possibilité des dérogations spéciales en cas d'ur-
gence; car ce remède même, s'il n'eût consisté que dans
l'abréviation du délai général, n'eût évilé un mal qu'en
en produisant un autre, et en commettant une grande
injustice envers les habilans de Marseille ou de Bayonne,
envers tous ceux, en un mot, qui se seraient trouvés dans
l'impossibilité physique de connaître la loi dans un délai
trop rapide.
Que serait-ce d'ailleurs qu'un mode qui n'aurait rien de
fixe, et auquel il faudrait journellement déroger? La ma-
jesté de la loi pourrait-elle s'accommoder d'un tel mode,
qui, n'offrant plus qu'un système informe, ne produirait
qu'hésitation et incertitude?
Législateurs, en rejetant l'un et l'autre de ces systèmes,
le projet qui vous est soumis a adopté un parti qui me sem-
ble puisé dans la nature même des choses : en respectant
la loi des distances qu'il n'est permis au législateur ni de
méconnaître ni de franchir, il obvie tout à la fois à la né-
gligence, puisque l'effet de la loi ne dépendra plus d'une
transcription ; à l'ignorance , puisque dans chaque ressort
on saura, sans recourir aux registres, à quelle époque la
loi y est devenue obligatoire; enfin à la fraude, puisque
dans la transition la loi ne deviendra pas le jouet de
ceux qui, connaissant ses dispositions, vivraient néan-
moins sous l'empire de la loi ancienne : étrange contra-
diction qui ne peut cesser que dans le système d'un délai
successif-
Oui , législateurs , ce système est le seul qui soit réelle-
ment dégagé de tous les inconvéniens que j'ai retracés.
L'idée d'un délai général et uniforme a quelque chose
de séduisant, sans doute; mais les esprits habitués à l'a-
nalyse en saisissent facilement la fausseté.
II n'y a pas, en tUcl, jus({u'à l'égalité ((u'clle semble
yffrir, qui ne suit une illusion; car en (|Uoi l'égalité con-
DB LA PUBLICATION DBS LOIS. 327
sÎ9le-t-elle ? à être traité de la mùme manière quand on est
dans la même situation.
Eh bien I si, en calculant ce délai général sur le point
le plus éloigné du territoire, Ton rend la loi obligatoire
pour rhabitant de Marseille, du moment précis où il est
censé la connaître, et sans aucun intervalle, pourquoi
en serait-il autrement par rapport aux départemens inter-
médiaires?
N'est-il pas d'ailleurs dans les notions de tous les peu-
ples, «t dans l'esprit de toutes les législations, que la loi
oblige dès qu'elle est censée connue, et s'il est dans la
nature des choses que celui qui est placé à cent myriamè-
tres la connaisse plus tard que celui qui n'est qu'à cinq ,
pourquoi celui-ci ne serait-il pas obligé plus tôt ?
La véritable égalité est donc dans le système du délai suc-
cessif, et a pour base et point de départ la présomption lé-
gale de la connaissance de la loi.
J'ai, du moins je le crois, suffisamment établi la préé-
minence du délai successif sur le délai général et uniforme :
ses avantages sur la publication usitée jusqu'à ce jour ne
sont pas moins sensibles.
Dans ce dernier système, comme en tout autre, l'obli-
gation d'obéir à la loi n'est toujours fondée que sur la pré-
somption légale qu'on en a connaissance , et la transcrip-
tion sur des registres n'est assurément pas une notification
officielle à chaque habitant du ressort.
Mais puisqu'on est réduit à se contenter d'une présomp-
tion légale, ne convient-il pas de s'arrêter à celle que le
projet indique ?
Ce n'est pas le désir d'innover (lui Ta dictée , elle était
dans le vœu de la Constitution.
Jusqu'à Tan VIII, nulle disposition constitutionnelle
n'ayant tracé le jour précis où la loi devait être mise en ac-
tivité par la promulgation , ni prescrit au pouvoir exécutif
de la promulguer à jour certain , il a bien fallu, dans l'aU-
SaS DISCUSSIONS, motifs, etc.
sence d'un tel point de départ, renoncer à la donnée d'un
jour préfix où la loi deviendrait obligatoire ; il a dès-lors
fallu faire ce qu'on a fait, et suivre une forme qui, dans
un tel ordre de choses, était la moins défectueuse qu'il fût
possible.
Il en est autrement aujourd'hui; la promulgation de la
loi se fait à époque certaine et nécessaire; le gouvernement
doit y pourvoir le dixième jour après sa date ; il ne le peut
ni plus tôt ni plus tard, il est renfermé dans cette limite.
Le mode proposé se trouve donc en harmonie parfaite
avec la Constitution , qui semble avoir elle-même posé le
jallon et indiqué la roule à suivre.
La discussion publique qui précède la loi, les dix Jours
qui s'écoulent entre sa date et sa promulgation, voilà ce
qui donne le premier éveil aux citoyens.
Un délai calculé ensuite sur les distances donne la pleine
assurance que la loi est ou doit être connue.
Et remarquez, législateurs, combien ce système con-
cilie tout.
Chez un peuple moderne, qui connaît bien Tesprit de
la bonne législation , en Angleterre , ainsi qu'on vous l'a
dit dans le cours de cette discussion , la loi oblige du jour
où l'acte du parlement reçoit la sanction royale.
La publicité de la discussion a fait admettre cette doc-
trine chez nos voisins ; mais en n'allant pas jusque là, notre
système n'en offre que plus de garantie aux citoyens :
comment donc le mode proposé pourrait-il être taxé d'im-
prévoyance ou d'insuflisance ?
Je discute mainteiiaiit ({uelques objections spéciales.
11 faut, a-t on dit, que la loi soit aux mains du magis-
trat; donc il faut pourvoir à l'envoi matériel de la loi.
Sans doute il le faut; sans doute le liullelin doit conti-
nuer de parvenir aux administrateurs et aux juges; mais
celte observation, bonne en soi, ne fait que inan(|uer de
justesse dans l'emploi qu'on en l'ail comme d une objection.
DE LA PUBLICATION l)lsS LOIS. D2()
Qu'est-ce en effet que le projet contient de contraire?
Rien : il règle l'époque où la loi deviendra obligatoire pour
les citoyens.
Mais cette époque ne doit pas être confondue avec celle
où le magistrat devra appliquer la loi ; cette application
relative aux actes régis par la loi nouvelle , et passés sous
son empire, laisse apercevoir un intervalle nécessaire en-
tre le moment où elle commence à régir, et celui où son
application peut être réclamée, intervalle durant lequel
( et à moins de supposer une subversion totale dans Tordre
naturel des communications) le magistrat sera muni de
l'instrument matériel, je veux dire du Bulletin, qu'il est
dans l'intérêt du gouvernement de faire circuler prompte-
ment.
Autre hypothèse qui n'est plus relative au cas d'applica-
tion judiciaire.
Suppose-t-on un droit nouveau , une succession ouverte
après le délai ? suppose-t-on encore que la loi n'arrive
dans le ressort que trois ou quatre jours après? Eh bien !
quand il en serait ainsi, quel préjudice réel en résultera-
t-a?
L'héritier averti de son droit aura fait des actes conserva-
toires; l'exécution n'a jamais lieu à l'instant même, et le
Bulletin sera arrivé long-temps avant qu'il s'agisse de li-
quider et de partager.
Comment d'ailleurs ce qui se pratique en Angleterre et
dans les États-Unis avec simplicité, facilité, et au grand
avantage de ces deux nations, serait-il impraticable chez
nous ?
Oh ! a-t-on dit, l'esprit public qui règne chez ces deux
peuples dirige, bien plus qu'en France, leur attention
vers les affaires publiques et les actes de leurs assemblées
politiques.
Eh quoi ! n'est-ce pas calomnier le peuple français que
de le supposer moins attentif aux grands intérêts de l'État ?
55o DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
Je suis loin de partager ce blasphème ; mais une remar-
que de quelque poids sans doute, e'est que, d'après celte
idée même, il n'en conviendrait que mieux encore d'a-
dopter le mode proposé, pour forcer l'attention par Tîn-
térêt personnel, et pour créer ainsi un esprit public, s'il
n'existait pas.
On a objecté le cas d'invasion, et quelques-unes de ces
grandes catastrophes qui, en rendant la connaissance im-
possible, font disparaître une présomption établie sur le
simple trait de temps.
Mais si Ton argumente de cas extraordinaires contre la
règle générale , je me bornerai à répondre que la force ma-
jeure fait toujours cesser l'empire de la règle.
Ou a demandé si le projet s'appliquera aux colonies;
mais le procès-verbal du Conseil d'Etat apprend que ce
doit être l'objet d'une loi ou d'un règlement à part ; c'est
assez probablement sous plus d'un rapport que les colonies
auront besoin de lois spéciales.
Mais ce que je dois me borner, quant à présent, à re-
marquer, c'est que des objections de cette espèce ne peu-
vent faire tomber notre système , s'il convient d'ailleurs au
territoire continental pour lequel il a été créé.
J'examine succinctement quelques autres objections qui
ont du moins l'apparent avantage d'attaquer plus intégra-
lement le projet.
Dans la fixation du délai, l'on a critiqué le calcul par
heures; que d'incertitudes et d'embarras, a-l-on dit, vont
résulter de cette disposition ! comment trouver ce point
mathématique qui séparera le temps régi par la loi an-
cienne , de celui régi par la loi nouvelle? Pour le discerner
faudra-l-il donc dater les actes, ou constater les faits par
heures , par minutes même ?
Cette objection présentée avec tant d'assurance est-elle
cfreclivement fondée? Si l'on s'attachait à l'apprécier lex-
luellenicnt, on dirait (|ue ce point mathémali(|ue qui se-
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 55 1
pare le passé du préseut, et le présent de l'avenir, est ad-
mis dans la législation actuelle môme, parce qu'il est dans
la nature des choses.
Ainsi, et aujourd'hui même, le point qui sépare le jour
de la publication du jour qui la suit est notre règle pour
déterminer le moment on la loi devient obligatoire.
Ne critique-t-on , ou ne veut-on critiquer que l'idée de
scinder le jour en deux parties, dont Tune serait régie par
la loi ancienne, et l'autre par la loi nouvelle? Mais il a
déjà été répondu que le calcul par heures n'est ici désigné
que comme le principe qui servira de base à un règlement
dans lequel, pour déterminer l'échéance à jour franc, la
plus faible fraction pourrait céder à la plus forte.
Mais cette idée même d'un règlement complémentaire
a trouvé des contradicteurs ; en quoi donc blesse-t-elle les
principes ?
Si vous décrétez, législateurs , le projet qui vous est pro-
posé, n'entrera-t-il pas, je ne dis pas seulement dans les
droits , mais encore dans les devoirs du gouvernement, de
compléter par un calcul précis, pour chaque ressort, l'in-
dication donnée par le législateur ? Un tel règlement ne
sera essentiellement que le moyen de donner c\ la loi sa
pleine exécution.
Il ne reste plus sur ce point qu'une objection puisée dans
un exemple. Auxerre, a-t-on dit, quoique plus éloigné de
Paris que n'en est Rouen, ne jouira pas, comme étant du
ressort de Paris, de l'addition de délai accordée aux autres
ressorts, et sera ainsi moins bien traité que ne le seront des
lieux plus rapprochés.
Législateurs, cette objection qui ne s'attache véritable-
ment qu'au point cité, et qui cesse, quand on a franchi le
ressort du tribunal d'appel de Paris, est le résultat d'un
accident, d'une circonscription de ressort, dans laquelle
Paris se trouve un peu excentrique; mais ce léger incon-
vénient ne saurait beaucoup arrêter, car si ou aspirait à la
332 DISCUSSIONS , MOTIFS , CtC.
précision mathématique, il faudrait établir le calcul par la
distance de chaque commune au centre, ce qui est impra-
ticable.
Dira-t-on que Tuniformité du délai obvierait à cet in-
convénient? mais il en créerait d'autres, et d'ailleurs l'ob-
jection se reproduirait sous un autre point de vue, dans
l'intérêt des parties du territoire les plus éloignées : l'on
dirait pour les habitans de Marseille, qu'ils ne doivent pas
être obligés au même moment que les habitans de Paris.
Dira-t-on aussi que cet inconvénient cesserait par la pu-
blication matérielle ; je pourrais reconnaître le fondement
de celte assertion, si l'obligation légale s'établissait par la
publication et l'affiche dans les cinquante et quelques mille
communes de la République; mais, si ce mode, comme
impraticable, n'a pas même reçu les honneurs de la dis-
cussion ; s'il faut , dans le système même de la publication
matérielle, s'arrêter à un point central, les lieux qui s'en
trouveront les plus éloignés pourront faire la même ob-
jection.
Il faut donc l'écarter, puisqu'elle existe dans tous les
systèmes, et s'arrêter aux autres considérations que pré-
sente la matière.
Or, en jugeant par les masses, et en appréciant les di-
vers systèmes, il me semble (jue l'idée simple et élémen-
taire de rendre la loi obligatoire d'après un délai successif,
calculé sur les distances des chefs-lieux de tribunaux d'ap-
pel, est de toutes les données la plus naturelle et |a meil-
leure.
Et comment ne serait-elle pas la meilleure et la plus
utile aux citoyens? prenons pour exemple un habitant de
Lyon , et supposons que , par l'application du tarif des dis-
tances, la loi ne soit obligatoire à Lyon que le septième
jour après la promulgation. Ce point une fois connu , sans
sortir de sa maison , et à la seule inspection d'un journal,
ce iil(»yen saura (jur la loi portée le premier» et promul-
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 533
guée le 11, est obligatoire le i8 pour tout son ressort.
Quel inappréciable avantage ! et comment un tel bien-
fait, un système si heureux a-t-il éprouvé tant de contra-
diction ?
Je passe à l'article second.
Il a aussi subi la censure duTribunat.
Le rapporteur l'avait présenté comme inutile.
D'autres orateurs l'ont envisagé comme dangereux.
Que porte cet article?
La loi ne dispose que pour l'avenir ; clic n'a point d'effet ré-
troactif.
Est-il vrai d'abord que ce ne soit là qu'une maxime inu-
tile , et bonne tout au plus à renvoyer au titre des règles du
droit j si l'on en fait un ?
Non , ce n'est pas une maxime à classer dans le domaine
de la science; c'est un précepte pour le législateur et pour
le juge, précepte que la loi seule peut tracer, puisque la
Constitution , qui n'a pas voulu le détruire , ne l'a cepen-
dant point rappelé, comme l'avaient fait quelques-unes
des Constitutions antérieures.
Mais n'a-t-on pas, au Tribunal même, émis des doutes
sur la compétence du pouvoir législatif, en ce qui touche
aux lois, qu'on juge à propos d'appeler /ow organiques de la
Constitution.
N'a-t-on pas prétendu que le Sénat seul pouvait les por-
ter? comme si la Constitution faisait ceite distinction!
comme si le Sénat n'avait pas ses fonctions limitées au
seul droit de statuer sur les inconstitutionnalités légale-
ment déférées !
J'abandonne celte opinion sans doute solitaire, pour
en rappeler une, qui, bien que placée dans une aulre ca-
tégorie, n'en est pas moins extraordinaire.
Un autre orateur du Tribunal n'a-t-il pas, à l'occasion
du principe rappelé dans l'article 2, témoigné la crainte
que ce ne fût un signal donné aux tribunaux pour se dis-
534 DISCUSSIONS , MOTIFS , CkC.
peoser d'appliquer toutes les lois qu'ils considéreraient
comme ré/roactircs, et notamment tous les décrets émanés
du sublime élan qu'enfanta la nuit du 4 ^u 5 août 1789?
Que cet orateur se rassure : l'Assemblée constituante qui
avait elle-même reconnu le principe de la non-rétroactivité
des lois, et la Convention nationale, qui avait fait plus en
le consacrant dans la Constitution de l'an III, n'avaient
ni l'une ni l'autre pensé que la proclamation de ce principe
pût opérer un tel effet ; ces deux assemblées , dont l'une
conquit la liberté, et dont l'autre fonda la République, ne
voulaient assurément pas plus l'une que l'autre , faire re-
vivre les droits abusifs anéantis dans la nuit du 4 août; le
gouvernement actuel , et toutes les autorités revêtues du
pouvoir national ne le veulent pas davantage; Je suis sans
doute dispensé de l'établir, et voilà la seule réponse qu'il
convienne de faire à cette objection.
Les articles 3, 4 ^^ ^ d" projet ont été si faiblement at-
taqués, et si victorieusement défendus, que je croirais
abuser de votre attention, si je voulais la reporter sur le
fond des dispositions qu'ils renferment.
Je ne dirai que deux mots pour les justifier du reproche
(V inutilité : Non, ce ne sont pas de vagues maximes, que
les règles qui y sont exprimées.
La loi oblige ceux qui habitent le territoire. N'est-ce point là
le principal caractère de la loi?
La forme des actes est réglée par les lois du pays dans lequel
ils sont faits ou passés. N'est-ce pas une limitation nécessaire
à exprimer ?
Lorsque la loi, à raison des circonstances , aura réputé frau-
duleux certains actes, on ne sera pas admis à prouver qu'ils ont
été faits sans fraude. N'est-ce pas la garantie de ses disposi-
tions prohibitives ?
Ces articles primitivement accolés à beaucoup d'autres,
qui n'étaient en effet que des maximes de barreau, ont
donc dû être conservés par exceptions, comme ayant un
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 355
trait plus direct à ce qui constitue le caractère île la loi,
ou à ce qui en assure les elFets.
L'article 6 a paru à quelques orateurs du Tribunat, un 4 et 5
moyen d'invasion offert au pouvoir judiciaire.
Cet article porte que le juge qui refusera de juger sous pré-
texte du silence y de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi y
pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.
Qu'y a-t-il donc là de menaçant pour la prérogative du
législateur?
Je ne sais en vérité comment cette crainte a pu s'intro-
duire dans l'esprit de personne : on n'a donc pas voulu lire
l'article 7, corrélatif à cet article 6, et qui défend aux juges
de prononcer sur les causes qui leur sont souïnhes par voie
de disposition générale et réglementaire.
Voilà le point par lequel les tribunaux eussent pu riva-
liser avec le pouvoir législatif; et loin que cette voie leur
soit ouverte, elle leur est au contraire formellement in-
terdite.
Mais en ramenant l'article 6 à ses véritables termes,
qu'a-t-il voulu ? Faire cesser cette foule de référés qui en-
travent la marche de la justice : le devoir d'un juge est de
juger, et s'il fallait que le législateur s'ingérât après coup
à statuer par voie d'interprétation sur des cas passés ou
des affaires en litige , cela serait-il conforme à l'esprit d'une
bonne législation ? Cela ne rappellerait-il pas un peu trop
les rescrits des empereurs , et les abus qui en furent la suile ?
Il y a sur ce point une vérité simple et élémentaire, c'est
que là où la volonté de la loi ne s'est pas fait connaître,
le juge devient par la nature des choses un ministre d'é-
quité.
Mais , a-t-on dit, que sera-ce donc que cet énorme pou-
voir en matière criminelle surtout?
Vaine frayeur! car c'est là que, dans le silence ou l'obs-
curité de la loi, il n'y a nulle peine à porter, et que tout
556 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
se résont en faveur de Pacciisé ; nos maximes sont cons-
tantes à cet égard.
Ainsi, ce ministère d'équité ne s'applique réellement
qu'aux affaires civiles, mais là il devient souvent nécessaire.
Ce n'est, au surplus, ni une proposition ni une prati-
que nouvelle; ce que veut l'article est précisément ce
qu'observent aujourd'hui les juges qui connaissent leurs
devoirs et veulent les remplir; il n'est véritablement né-
cessaire que pour ceux qui s'écartent d'une route tracée
par la raison et la nécessité.
Au reste , législateurs , il ne vous a point échappé que ce
ministère forcé ne peut jamais établir un pouvoir rival;
car là où la volonté du législateur s'est fait connaître, elle
doit être respectée : le jugement qui y contreviendrait
serait cassé.
Fixerai-je maintenant votre attention sur le dernier ar-
ticle du projet? attaqué seulement dans sa rédaction et
comme maxime déplacée à la tête du Code, il a été dé-
fendu comme ayant un trait direct au caractère et aux
effets de la loi.
Cet objet ne mérite donc pas, au point surtout où nous
sommes arrivés, une discussion plus sérieuse.
Législateurs, j'ai parcouru les principales objections di-
rigées contre le projet de loi , je crois y avoir répondu.
Il est, au surplus, assez évident que, si la critique s'est
attachée au projet dans ses plus légers détails, l'article
premier est néanmoins le vrai et même l'unique foyer du
débat.
Votre sagesse rap[)récicra, et vous portera sans doute
à consacrer une disposition, qui, sans donner lieu à au-
cun déplacement, procurera, à tous les citoyens de la
Jiépiii)liîjiio , l'inappréciable avantage de connaître d'une
manière précise le jour où la loi deviendra obligatoire
pour chaque ressort.
DE LV PUBLICATION DKS LOIS. 3?7
Il me reste à exprimer une pensée plus vaste et digne
de figurer dans la première discussion relative au Code
civil.
Jaloux de donner à la République ce Code si long-temps
attendu , le gouvernement s'est environné d'hommes distin-
gués par de longues éludes et de grands succès dans la car-
rière des lois; il a appelé toutes les lumières; il s'est livré
lui-même à un travail opiniâtre, dans la vue de réaliser oe
grand et imiposant ouvrage, le premier de cette espèce
qui doive émaner d'un pouvoir national et vraiment repré-
sentatif.
L'esprit qui vous anime , législateurs , votre amour pour
le bien public, prouvera que la coopération des diverses
branches du pouvoir législatifs cet important ouvrage,
u'en ralentira point la marche en l'éclairant.
Ainsi, dans des débats où Ton verra presque toujours les
systèmes se heurter ( parce que nulle matière n'eu est plus
susceptible), et où souvent les systèmes les plus opposés
seront de part et d'autre appuyés de raisons plausibles,
votre sagesse , votre patriotisme et votre propre gloire vous
diront qu'il faut, abstraction faite d'un mieux souvent
idéal, accueillir ce qui est bon, approcher du but et méri-
ter la reconnaissance du peuple français par des travaux
dont il puisse ressentir les effets.
La discussion fut fermée dans la séance du 24 frimaire
an X (i5 décembre 1801 ) ; et après avoir procédé au
scrutin secret , le Corps législatif déclara qu'il ne pouvait
adopter le projet de loi.
VL 22
558 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
COMMUNICATION OFFICIEUSE
A LA SECTIOX DE LEGISLATION DU TRIBDNAT.
Dès que le gouvernement eut organisé les communica-
tions officieuses , on reprit la discussion du Code au point
où elle avait été laissée lors du message du 1 2 nivôse an X.
Le projet du titre préliminaire fut adressé h la section ,
sans avoir éprouvé dechang^mens, et sans même avoir subi
aucune discussion nouvelle au Conseil d'État; l'examen
s'en fit dans les séances des 19 et 20 messidor an X
( 8 et 9 juillet 1802).
OBSERVATIONS DE LA SECTION.
Un membre de la commission chargée de l'examen du
projet relatif à la publication , aux effets et à l'application des
lois en général, fait un rapport au nom de cette commis-
sion.
Quelques membres demandent qu'on examine préala-
blement si l'on doit placer en télé du Code civil , et comme
en faisant partie, un titre relatif à l'organisation du mode
de publication des lois : si ensuite on doit laisser subsister
dans ce titre les articles qui suivent l'article premier qui
fixe le mode de publication.
La section renvoie l'examen de cette question après la
discussion des articles qui composent le titre.
L'article premier donne lieu à la discussion desdilférens
modes de publication des lois, pour choisir celui (jui doit
^tre préféré.
Ces modes sont réduits à trois :
1". Le mode de publication par la lecture de la loi aux
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 53g
audiences des tribunaux et par sa transcription sur les re-
gistres.
2°. La publication opérée uniformément, dans toute la
République et au même instant, par le laps d'un délai de
quinze jours ou de tout autre à compter de la promul^^a-
tion du Premier Consul.
"5". Le mode progressif, calculé sur les distances , pro-
posé par le projet de loi dont il s'agit.
La section se prononce contrôle premier mode;
Ses motifs sont : i°. L'inconvénient de faire dépendre le
caractère exécutoire de la loi, du zèle ou de la négligence
de l'homme. 2°. Que, si on adoptait ce mode, on serait peut-
être forcé de distinguer les lois, à raison des matières qui
en seraient l'objet, et de reconnaître le caractère exécu-
toire des lois à la publication faite auprès de certaines au-
torités particulières, selon l'ordre dans lequel on croirait
devoir les classer : ce qui présente une foule d'entraves et
de difficultés. 5°. Que ces inconvéniens graves ne sont ra-
chetés par aucun avantage particulier qu'on puisse attacher
à ce mode , comparativement aux autres. 4"» Que dans no-
tre Constitution actuelle, l'autorité des tribunaux ne de-
vant rien ajouter à la loi, rien n'empêche de courir à tout
autre mode qui sera reconnu plus utile.
La discussion se porte sur les deux autres modes de pu-
blication. La section se prononce pour le mode progressif
calculé en raison des distances.
Ses motifs sont :
Que le mode progressif est l'image même de la vérité ; il
est fondé sur la nature : il fait rendre la loi exécutoire au
moment où on la connaît.
Qu'il n'en est pas de même du mode qui ferait exécuter
la loi partout au même instant : que d'ailleurs, pour
mettre ce modo en pratique, il faudrait ne rendre la loi
exécutoire (ju'après le temps où l'on devrait la présumer
connue à l'extrémité du rayon qui s'éloigne le plus du lieu
22.
54o DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
OÙ siège le gouvernement, délai (jui devrait être au moins
de quinze jours, à compler de la promulgation de la loi;
ce qui emporterait vingt-cinq jours, en y comprenant les
jours d'intervalle entre la sanction de la loi et sa promul-
gation : d'où il résulterait un trop grand retard dans l'exé-
cution de la loi, pour les lieux où déjà elle serait connue.
Qu'en proposant le mode uniforme, on a été obligé d'a-
jouter : « Que le délai pourra , selon l'exigence des cas, être
« modifié par la loi qui serait l'objet de la publication. »
Restriction qui renverse le système de l'uniformité , et dont
la nécessité ne se fait pas sentir dans le mode progressif.
Mais ce mode progressif n'est adopté que sous les modi-
fications suivantes :
i". Que le délai commence et coure par jour et non par
heures , en ajoutant , pour éviter toute difficulté sur la fixa-
tion du commencement et de l'échéance, que , dans le dé-
lai, ne sera point compris le jour de la promulgation.
2°. Qu'il doit être dit que le délai courra de la promul-
gation faite au lieu où siège le gouvernement , et non à comp-
ter de la promulgation J dite à Paris.
5". Que les points de station où la connaissance de la loi
doit opérer pour tout un arrondissement soient les chefs-
lieux des départemens, pour chacun d'eux, et non les
chefs-lieux des tribunaux d'appel pour les arrondissemens
qui en forment les ressorts.
L'n membre fait la j)r()posilion que le gouvernement soit
invité par un vœu formel à présenter à la suite de chacun
des Codes qui seront successivement décrétés, un projet
de loi qui fixe l'épocjuc à la(|uelle leur exécution commen-
cera dans toute la France ; il fait sentir les inconvéniens
d'une exécution partielle dans ce cas. Il se fonde sur
l'exemjjle d'une ordonnance particulière (jui le voulut
ainsi pour le Code prussien.
Cette proposition mise aux voix est adoptée par la sec-
tion.
DE L\ PUBLICATION! DES LOIS. Ô4 1
L'article a, conçu en ces termes : ia loi ne dispose que pour a
l'avenir ; elle nu point d'effet rctroactif, est adopté.
On se fonde sur ce que la disposition de cet article est
un principe constant dont Tapplication ne peut être dou-
teuse , et qu'elle rentre dans le droit positif.
Un membre propose par amendement d'ajouter à cet
article une disposition qui fixe l'effet des lois déclaratives ou
interprétatives, afin de déterminer les cas où il y aurait ré-
troactivité et ceux où il n'y en aurait pas.
Cet amendement, mis aux voix, n'est point adopté.
L'art. 5, ainsi conçu : la loi oblige ceux qui habitent le terri- 3
toire y est discuté.
On fait observer que cette disposition est trop vague , et
peut prêter à des raisonuemens faux et dangereux.
Un membre propose une rédaction dans laquelle il a
fondu les dispositions des articles 16 et 17 du second
projet de loi relatif à la jouissance des droits civils y les-
quelles dispositions doivent avoir leur place au titre dont
il s'agit.
La rédaction est ainsi conçue :
« Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui
û habitent le territoire.
« Les immeubles, même ceux possédés par des étran- 1
« gers, sont régis par la loi.
a Les lois concernant l'état et la capacité des personnes,
« régissent les Français, même résidant en pays étran-
« gers. i)
Cette rédaction , mise aux voix, est adoptée.
La discussion s'ouvre sur l'art. 4? conçu en ces termes : ap. 3
la forme des actes est réglée par les lois du pays dans lerpiel ils
sont faits ou passés.
L'article est adopté.
On discute l'article 5. »P ^
La section en vote le retranchement.
Z^l\'È , DISCUSSIOI^S , MOTIFS, ClC.
Cel article n'a pas présenté un principe assez général y
et d'une application assez certaine.
Ktant ainsi conçu , il pourrait présenter une application
dangereuse , lorsqu'un fait de banqueroute serait porlé de-
vant les tribunaux criminels, en paraissant interdire la
preuve de faits tendant à se disculper d'un délit.
Enfin une disposition à ce sujet a paru être mieux placée,
ou dans le Code judiciaire, au titre des preuves, ou au
Code de commerce , au titre où il sera parlé des actes faits
dans les dix jours antérieurs à la faillite.
4 L'article 6 est adopté ; mais sous la modification qu'il
ne doit pas être dit que le juge pourra être poursuivi comme
coupable de déni de justice.
5 et 6 Les articles 7 et 8 sont adoptés.
Titre On discutc la question relative au placement du titre,
qui avait été renvoyée après l'examen des articles qui le
composent.
La section ne voit pas d'inconvéniens à ce que les dispo-
sitions contenues dans ce titre soient placées en tête du
Code civil; mais elle pense qu'il ne doit pas, à proprement
parler, en faire partie; et elle émet le vœu qu'il forme uu
titre particulier et préparatoire , sous une nomenclature
spéciale qui le distingue et le détache du Code civil.
Les observations de la section de législation du Tri-
bunal furent communiquées à la section du Conseil d*Elat,
et par suite une conférence s'engagea entre les deux sec-
lions, sous la présidence du Consul Canibacérès , à l'efiet
de s'entendre sur les changcmcns que le Tribunal pro-
posait de faire subir au projet.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 54^^
RÉDACTION DÉFINITIVE DU CONSEIL D'ÉTAT.
(Procès-verbal de la séance du «g vendémiaire an XI. — ai octobre 1802.)
M. PoRTALis, d'après la conférence tenue avec les mem-
bres de la section de législation du Tribunal, présente la
rédaction définitive du titre de la publication , des effets et
de l'application des lois en général.
Le Conseil l'adopte, elle est ainsi conçue :
Art. 1^^. Les lois sont exécutoires dans tout le territoire
français, en vertu de la promulgation qui en est faite par
le Premier Con sul.
Elles seront exécutées dans chaque partie de la Répu-
blique, du moment où la promulgation en pourra être
connue.
La promulgation faite par le Premier Consul sera ré-
putée connue dans le département ou siégera le gouverne-
ment, un jour après celui de la promulgation, et dans
chacun des autres départemens après l'expiration du même
délai, augmenté d'autant de jours qu'il y aura de fois dix
myriamètres (environ vingt lieues) entre la ville où la
promulgation en aura été faite, et le chef-lieu de chaque
département.
Art. 2. La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point
d'effet rétroactif.
Art. 3. Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux
qui habitent le territoire.
Les immeubles , même ceux possédés par des étrangers, ^
sont régis par la loi française.
Les lois concernant l'état et la capacité des personnes
régissent les Français, mcme résidant en pays étrangers.
Art. 4. Le juge qui refujera de juger sous prétexte du
silence , de l'obscurité ou de rinsulFisance de la loi, pourra
être poursuivi comme coupable de déni de justice.
544 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC.
5 Art. 5. Il est défendu aux juges de prononcer, par voie
de disposition générale et réglementaire, sur les causes qui
leur sont soumises.
6 Art. G. On ne peut déroger, par des conventions particu-
lières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes
mœurs.
Le gouvernement arrôla, dans la séance du 5o pluviôse
an XI ( ïQ février i8o3) , que le projet du litre prélimi-
naire, adopté au Conseil d'btat le 29 vendémiaire an XI,
serait proposé le 4 venlose au Corps législatif; et le Pre-
mier Consul" nomma MM. Portalis , Lacuée et Miot pour
le présenter, et pour en soutenir la discussion dans la
séance du i4 <lu même mois.
PRÉSENTATION AU CORPS LÉGISLATIF.
EXPOSÉ DES MOTIFS, PAR LE CONSEILLER d'ÉTAT PORTALIS.
( Séance du 4 venlose an XI. — a3 février i8o3. )
Titie Législateurs, le projet de loi que je viens vous présenter,
au nom du gouvernement, est reiatii a la pubUcatum ^ aux
effets et a V(i])plic(ition des luis en général.
Le moment est arrivé où votre sagesse va fixer la législa-
tion civile de la France. Il ne faut que de la violence pour
détruire ; il faut de la constance , du courage et des lumiè-
Ijres pour édifier.
Nos travaux touchent à leur terme.
Le vœu des Français, celui de toutes nos assemblées
nationales seront remplis. Jusqu'ici la diversité des cou-
tiunes formait, dans \ui mémo état, cent états différons.
La loi, partout opposée à elle-même, divisait les citoyens
au lieu de les unir. Cet ordre de choses ne saurait exister
DE L\ PUDLICA.TION DES LOIS. 545
plus long- temps. Des hommes, (pn,à la voix puissanle de
1.1 patrie , et par un élan sublime et généreux , ont subite-
ment renoneé à leurs privilèges et à leurs habitudes, pour
reconnaître un intérêt commun , ont conquis le droit inap-
préciable de vivre sous une commune loi.
C'est dans le moment de cette grande et salutaire révo-
lution dans nos lois, qu'il importe de proclamer quelques-
unes de ces maximes fécondes, qui ont été consacrées par
tous les peuples policés , et qui servent à diriger la marche
de toute législation bien ordonn-ée. Ces maximes sont
l'objet du projet de loi que je présente ; elles n'appartien-
nent à aucun Code particulier; elles sont comme les pro-
légomènes de tous les Codes.
Mais il nous a paru que leur véritable place était en avant
du Code civil, parce que cette espèce de Code est celle
qui, plus que toute autre, embrasse l'universalité des
choses et des personnes.
Publication des lois.
Dans un gouvernement, il est essentiel que les citoyens
puissent connaître les lois sous lesquelles ils vivent et aux-
quelles ils doivent obéir.
De là, les formes établies chez toutes les nations pour la
promulgation et la publication des lois.
On a cru devoir s'occuper de ces formes auxquelles l'exé-
cution des lois se trouve nécessairement liée.
Il est sans doute une justice naturelle émanée de la
raison seule, et cette justice, qui constitue pour ainsi dire
le cœur humain, n'a pas besoin de promulgation. C'est
une lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde,
et qui, du fond de la conscience, réfléchit sur toutes les
actions de la vie.
Mais, faute de sanction, la justice naturelle qui dirige
sans contraindre, serait vaine pour la plupart des hommes,
546 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
si la raison ne se déployait avec l'appareil de la puissance
pour unir les droits aux devoirs, pour substituer l'obliga-
tion à l'instinct, et appuyer, par les commaudemens de
l'autorité, les inspirations de la nature.
Quand on a la force de faire ce que l'on veut, il est dif-
ficile de ne pas croire qu'on en a le droit. On se résignerait
peu à se soumettre à des gênes, si l'on pouvait avec impu-
nité se livrer à ses penchans.
Ce que nous appelons le droit naturel ne suffisait donc
pas : il fallait des commaudemens ou des préceptes for-
mels et coactils.
On voit donc la différence qui existe entre une règle de
morale et une loi d'état.
Or, ce sont les lois d'état qui ont besoin d'être promul-
guées pour devenir exécutoires : car ces sortes de lois, qui
n'ont pas toujours existé, qui changent souvent , et qui ne
peuvent tout embrasser, ont leur époque déterminée et
leur objet particulier. On ne saurait être tenu de leur obéir
sans les connaître.
Sous l'ancien régime, la loi était une volonté du prince.
Cette volonté était adressée aux cours souveraines, qui
étaient chargées de la vérification et du dépôt des lois.
La loi n'était point exécutoire dans un ressort avant d'y
avoir été vérifiée et enregistrée.
La vérification était un examen , une discussion de la
loi nouvelle. J^Ile représentait la délibération qui est de
l'essence de toutes les lois. L'enregistrement était la trans-
cription sur le registre de la loi vérifiée.
Les cours pouvaient suspendre l'enregistrement d'une loi
ou même le refuser; elles pouvaient modifier la loi en l'en-
registrant, et dès-lors ces modifications faisaient partie de
la loi même.
Une loi pouvait être refusée par une cour souveraine et
acceplée par une autre : elle pouvait être diversement nio-
•liliée par les diverses cours.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 347
La législation marchait ainsi d'un pas chancelant, timide
et incertain. Dans cette confusion et dans ce conflit de vo-
lontés différentes, il ne pouvait y avoir d'unilé , de certi-
tude ni de maiesté dans les opérations du Iéi;islateur. On
ne savait jamais si l'étal était régi par la volonté générale ,
ou s'il était livré à l'anarchie des volontés particulières.
Tout cela tenait à la Constitution d'alors.
La France, dans les temps qui ont précédé la révolution,
présentait moins une nation particulière qu'un assemblage
de nations diverses, successivement réunies ou conquises,
distinctes par le climat, par le sol, par les privilèges , par
les coutumes, par le droit civil, par le droit politique.
Le prince gouvernait ces différentes nations sous les ti-
tres différens de duc, de roi , de comte : il avait promis de
maintenir chaque pays dans ses coutumes et dans ses fran-
chises. On sent que, dans une pareille situation , c'était un
prodige quand une même loi pouvait convenir à toutes les
parties de l'empire. Une marche uniforme dans la législa-
tion était donc impossible.
S'il n'y avait point d'unité dans l'exercice du pouvoir
législatif par rapport au fond même des lois, il ne pouvait
y en avoir dans le mode de leur promulgation.
Chaque province de France formant un état ù part, il
fallait pour naturaliser une loi dans chaque province que
cette loi y fût expressément acceptée et promulguée en
vertu de cette acceptation.
Il fallait donc dans chaque province une promulgation
particulière.
Dans certains ressorts, la loi était censée promulguée,
et elle devenait exécutoire pour tous les habilans du pays,
du jour qu'elle avait été enregistrée par le parlement de la
province.
Dans d'autres ressorts , on ne regardait l'enregistrement
dans les cours que comme le complément de la loi consi-
dérée eu elle-même, et non comme sa promulgation ou sa
548 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
publication. On jugeait que la formation de la loi était con-
sommée par l'enregistrement; mais qu'elle n'était promul-
guée que par l'envoi aux sénéchaussées et bailliages, et
qu'elle n'était exécutoire, dans chaque territoire, que du
jour de la publication faite à l'audience par la sénéchaussée,
ou par le bailliage de ce territoire.
Les choses changèrent sous l'assemblée constituante.
Un décret de cette assemblée, du 2 novembre 1790,
porta qu'une loi était complète dès l'instant qu'elle avait
été sanctionnée par le roi; que la transcription et la publi-
cation de la loi, faites par les corps administratifs et par
les tribunaux^ étaient toutes également de même valeur,
et que la loi était obligatoire du moment où la publication
en avait été faite , soit par le corps administratif, soit par
le tribunal de l'arrondissement, sans qu'il fût nécessaire
qu'elle eût été faite par tous les deux.
Le même décret voulait que la publication fût faite par
lecture , placards et affiches.
La Convention ordonna l'impression d'un bulletin des
loîsç et l'envoi de ce bullelin à toutes les autorités consti-
tuées. Elle décida que, dans chaque lieu, la promulgation
de la loi serait faite dans les vingt-quatre heures de la ré-
ception par une publication au son de trompe ou de tam-
bour, et que la loi y deviendrait obligatoire à compter du
jour de la promulgation. La même assemblée nationale,
après avoir achevé la Constitution de l'an IV, et avant de
se séparer, fit, le 12 vendémiaire, un nouveau décret sur
la promulgation cl la publication des lois. Par ce décret,
elle supi)rima les publications à son de trompe ou au bruit
du tambour. Llle conserva l'usage d'un bulletin officiel que
le ministre de la justice lut chargé d'adresser aux présidens
des administrations départementales et munici])alcs, cl
aux divers fonctionnaires mentionnés dans le décret. V\h
déclara que les lois et actes du Corps législatif obligeraient,
dans l'étendue de chacpie département, du jour aiwpicl le
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 349
bulletin officiel serait distribué au chef-lieu du département ;
cl que ce jour serait constaté par un registre où les admi-
nistrateurs de chaque département certifieraient l'arrivée
de chaque numéro.
L'envoi d'un bulletin officiel aux administrations et aux
tribunaux est encore aujourd'hui le mode que l'on suit
pour la promulgation et pour la publication des lois.
Dans le projet de Code civil, les rédacteurs se sont oc-
cupés de cet objet; ils ont consacré le principe que les lois
doivent être adressées aux autorités chargées de les exécu-
ter ou de les appliquer.
Ils ont pensé que les lois dont l'application appartient
aux tribunaux devraient être exécutoires dans chaque partie
de la République du jour de leur publication par les tribu-
naux d'appel, et que les lois administratives devraient être
exécutoires du jour de la publication faite par les corps ad-
ministratifs.
Ils ont ajouté que les lois dont l'exécution et l'application
appartiendraient à la fois aux tribunaux et à d'autres au-
torités, leur seraient respectivement adressées, et qu'elles
seraient exécutoires, en ce qui est relatif à la compétence
de chaque autorité, du jour de la publication par l'autorité
compétente.
Les avantages et les incon venions des divers systèmes
ont été balancés par le gouvernement, et il a su s'élever
aux véritables principes.
Une loi peut être considérée sous deux rapports : i" rela-
tivement à l'autorité dont elle est émanée , 2° relativement
au peuple ou à la nation pour qui elle est faite.
Toute loi suppose un législateur.
Toute loi suppose encore un peuple qui l'observe et qui
lui obéisse.
Entre la loi et le peuple pour qui elle est faite , il faut un
moyen ou un lien de communication : car il est nécessaire
55o DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
(|ue le peuple sache ou puisse savoir que la loi existe et
qu'elle existe comme loi.
La promulgation est le moyen de constater l'existence
de la loi auprès du peuple , et de lier le peuple à l'observa-
tion de la loi.
Avant la promulgation , la loi est parfaite relativement
à l'autorité dont elle est l'ouvrage; mais elle n'est point
encore obligatoire pour le peuple en faveur de qui le légis-
lateur dispose.
La promulgation ne fait pas la loi ; mais l'exécution de
la loi ne peut commencer qu'après la promulgation de la
loi ; Non obllgat lex, nisi promidgata.
La promulgation est la vive voix du législateur.
En France , la forme de la promulgation est constitu-
tionnelle : car la Constitution règle que les lois seront
promulguées, et qu'elles le seront par le Premier Consul.
D'après la Constitution, et d'après les maximes du droit
public universel, nous avons établi, dans le projet, que les
lois seraient exécutoires en vertu de la promulgation faite
par le Premier Consul. Si la voix de ce premier magistrat
pouvait retentir à la fois dans tout l'univers français, toute
précaution ultérieure deviendrait inutile. 31ai8 la nature
même des choses résiste à une telle supposition.
Il faut pourtant que la promulgation soit connue ou
puisse l'être.
Il n'est certainement pas nécessaire d'atteindre chaque
individu. La loi prend les hommes en masse. Elle parle,
non à chaque particulier, mais au corps entier de la so-
ciété.
Il sufTit ((ue les particuliers aient pu connaître la loi.
C'est leur faute s'ils l'ignorent quand ils ont pu et dû la
connaître, idem est scirc ant scirc dchnissc y (uit potuissv.
L'ignorance du droit n'excuse pas.
La loi était autrefois un mystère jusqu ïi sa formation.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 35 1
Elle était préparée dans les conseils secrets du prince. Lors
de la vérification qui en était faite par les cours, la discus-
sion n'en était pas publique, tout était dérobé constam-
ment à la curiosité des citoyens. La loi n'arrivait à la con-
naissance des citoyens que conin\e l'éclair qui sort du nuage.
Aujourd'hui il en est autrement. Toutes les discussions
et toutes les délibérations se font avec solennité et en pré-
sence du public. Le législateur ne se cache jamais derrière
un voile. On connaît ses pensées avant même qu'elles
soient réduites en commandemens. Il prononce la loi au
moment même où elle vient d'être formée, et il la pro-
nonce publiquement.
Un délai de dix jours précède la promulgation , et pen-
dant ce délai, la loi circule dans toutes les parties de
l'empire.
Elle est donc déjà publique avant d'être promulguée.
Cependant, comme ce n'est là qu'une publication de
fait, nous avons cru devoir encore garantir cette publicité
de droit qui produit l'obligation et qui force l'obéissance.
Après la promulgation, nous avons en conséquence mé-
nagé de nouveaux délais pendant lesquels la loi promul-
guée dans le lieu où siège le gouvernement, peut être
successivement parvenue jusqu'aux extrémités de la Répu-
blique.
On avait jeté l'idée d'un délai unique, d'un délai uni-
forme, après lequel la loi aurait été, dans le môme ins-
tant, exécutoire partout.
Mais cette idée ne présentait qu'une fiction démentie
par la réalité. Tout est successif dans la marche de la na-
ture : tout doit l'être dans la marche de la loi.
Il eût été absurde et injuste que la loi fût sans exécution
dans le lieu de sa promulgation et dans les contrées envi-
ronnantes, parce qu'elle ne pouvait pas encore être con-
nue dans les parties les plus éloignées du territoire na-
tional.
352 DISCUSSIONS , MOTIFS , CtC.
Personne n'est affligé de la dépendance des choses. On
l'est de l'arbitraire de l'homme.
J'ajoute que de grands inconvéniens politiques auraient
pu être la suite d'une institution aussi contraire à la justice
qu'à la raison, et à l'ordre physique des choses.
Nous avons donc gradué les délais d'après les distances.
Le système du projet de loi fait disparaître tout ce que
les différons systèmes admis jusqu'à ce jour offraient de
vicieux.
Je ne parle point de ce qui se pratiquait sous l'ancien
régime. Les institutions d'alors sont inconciliables avec les
nôtres.
Mais j'observe que dans ce qui s'est pratiqué depuis la
révolution, on avait trop subordonné l'exécution de la loi
au fait de Ihomme.
Partout on exigeait des lectures, des transcriptions de
la loi; et la loi n'était pas exécutoire avant ces transcrip-
tions et ces lectures. A chaque instant, la négligence ou la
mauvaise foi d'un officier public pouvaient paralyser la lé-
gislation, au grand préjudice de l'État et des citoyens.
Les transcriptions et les lectures peuvent figurer comme
moyens secondaires, comme précautions de secours.
Mais il ne faut pas que la loi soit abandonnée au caprice
des hommes. Sa marche doit être assurée et imperturba-
ble. Image de l'ordre éternel, elle doit, pour ainsi dire, se
suffire à cllc-mr-me. Nous lui rendons toute son indépen-
dance, en ne subordonnant son exécution qu'à des délais,
à des précautions commandées par la nature même.
Le plan des rédacteurs du projet de Code joignait aux
vices de tous les autres systèmes un vice de plus.
Dans ce plan , on distinguait les lois administratives d'a-
vec les autres; et, pour la publication, on faisait la part
des tribunaux et celle des administrateurs.
Jl fallait donc, avec un pareil plan, juger chaque loi,
j)Oiu- fixer l'autorité (jui devait en faire la jiublication.
DE LA PUBLICATION DBS LOIS. 555
Cela eût entraîné des difficullés inlcnninables, et des ques-
tions indiscrètes (jui eussent pu compromettre la dignité
des lois.
Le projet que je présente prévient tous les doutes, rem-
plit tous les intérêts, et satisfait à toutes les convenances.
Effets rètwactifs.
Après avoir fixé l'époque à laquelle les lois deviennent
exécutoires, nous nous sommes occupés des effets.
C'est un principe général que les lois n'ont point d'effet
rétroactif.
A l'exemple de toutes nos assemblées nationales, nous
avons proclamé ce principe.
Il est des vérités utiles qu'il ne suffît pas de publier une
fois, mais qu'il faut publier toujours, et qui doivent sans
cesse frapper l'oreille du magistrat, du juge, du législa-
teur, parce qu'elles doivent constamment être présentes à
leur esprit.
L'office des lois est de régler l'avenir. Le passé n'est plus
en leur pouvoir.
Partout où la rétroactivité des lois serait [admise, non
seulement la sûreté n'existerait plus, mais son ombre
même.
La loi naturelle n'est limitée ni par le temps, ri par les
lieux, parce qu'elle est de tous les pays et de tous les siècles.
Mais les lois positives, qui sont l'ouvrage des hommes,
n'existent pour nous que quand on les promulgue, et elles
ne peuvent avoir d'effet que quand elles existent.
La liberté civile consiste dans le droit de faire ce que la
loi ne prohibe pas. On regarde comme permis tout ce qui
n'est pas défendu.
Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pou-
vait craindre qu'après coup il serait exposé au danger d'être
VI. a3
554 DISCUSSIONS, MOTIFS, etc.
recherché dans ses actions, ou troublé dans ses droits ac-
quis, par une loi postérieure ?
Ne confondons pas les jugemens avec les lois. Il est de
la nature des jugemens de régler le passé, parce qu'ils ne
peuvent intervenir que sur des actions ouvertes, et sur des
faits auxquels ils appliquent les lois existantes. Mais le
passé ne saurait être du domaine des lois nouvelles, qui ne
le régissaient pas.
Le pouvoir législatif est la toute-puissance humaine.
La loi établit, conserve, change, modifie, perfectionne.
Elle détruit ce qui est; elle crée ce qui n'est pas encore.
La tête d'un grand législateur est une espèce d'Olympe
d'où partent ces idées vastes, ces conceptions heureuses
qui président au bonheur des hommes et à la destinée des
empires. Mais le pouvoir de la loi ne peut s'étendre sur
des choses qui ne sont plus, et qui, par là même, sont
hors de tout pouvoir.
L'homme, qui n'occupe qu'un point dans le temps comme
dans l'espace, serait un être bien malheureux, s'il ne pou-
vait pas se croire en siireté , même pour sa vie passée !
pour cette portion de son existence , n'a-t-il pas déjà porté
tout le poids de sa destinée ? Le passé peut laisser des re-
grets; mais il termine toutes les incertitudes. Dans l'ordre
de la nature, il n'y a d'incertain que l'avenir, et encore
l'incertitude est alors adoucie par l'espérance, celte com-
pagne fidèle de notre faiblesse. Ce serait empirer la triste
condition de l'humanité, que de vouloir changer, par le
système de la législation, le système de la nature, et de
chercher, pour un temps qui n'est plus, à faire revivre no»
craintes, sans pouvoir nous rendre nos espérances.
Loin de nous l'idée de ces lois à deux faces, qui, ayant
sans cesse un œil sur le passé, et l'autre sur l'avenir, des-
sécheraient la source de la confiance, et deviendraient un
principe éternel d'injustice, de bouleversement et de dés-
ordre.
DB LA PUBLICATION DES LOIS. 555
Pourquoi, dira-t-on, laisser impunis des abus qui exis-
taient avant la loi que l'on promulgue pour les réprimer?
Parce qu'il ne faut pas que le remède soit pire que le mal.
Toute loi naît d'un abus. Il n*y aurait donc point de loi
qui ne dût être rétroactive. Il ne faut point exiger que les
hommes soient avant la loi ce qu'ils ne doivent devenir
que par elle.
Lois de police et de sûreté.
Toutes les lois, quoique émanées du même pouvoir,
n'ont point le même caractère, et ne sauraient conséquem-
ment avoir la même étendue dans leur application, c'est-
à-dire les mêmes effets; il a donc fallu les distinguer.
Il est des lois, par exemple, sans lesquelles un état ne
pourrait subsister. Ces lois sont toutes celles qui main-
tiennent la police de l'État, et qui veillent à sa sûreté.
Nous déclarons que des lois de cette importance obligent
indistinctement tous ceux qui habitent le territoire.
Il ne peut, à cet égard, exister aucune différence entre
les citoyens et les étrangers.
Un étranger devient le sujet casuel de la loi du pays dans
lequel il passe, ou dans lequel il réside. Dans le cours de
son voyage , ou pendant le temps plus ou moins long de sa
résidence, il est protégé par cette loi : il doif donc la res-
pecter à son tour. L'hospitalité qu'on lui donne appelle et
force sa reconnaissance.
D'autre part, chaque état a le droit de veillera sa con-
servation ; et c'est dans ce droit que réside la souveraineté.
Or, comment un état pourrait-il se conserver et se main-
tenir, s'il existait dans son sein des hommes qui pussent
impunément enfreindre sa police et troubler sa tranquil-
lité ? Le pouvoir souverain ne pourrait remplir la fin pour
laquelle il est établi, si des hommes étrangers ou natio-
naux étaient iudépendans de ce pouvoir. 11 ne peut être
25.
55G DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
limité, ni quant aux choses, ni quant aux personnes. Il
n'est rien s'il n'est tout. La qualité d'étranger ne saurait
être une exception légitime pour celui qui s'en prévaut
contre la puissance publique qui régit le 'pays dans lequel
il réside. Habiter le territoire , c'est se soumettre à la sou-
veraineté. Tel est le droit politique de toutes les nations.
A ne consulter même que le droit naturel , tout homme
peut repousser la violence par la force. Comment donc ce
droit, qui compèle à tout individu, serait-il refusé aux
grandes sociétés contre un étranger qui troublerait l'ordre
de ces sociétés ? Des millions d'hommes réunis en corps
d'état seraient-ils dépouillés du droit de la défense natu-
relle, tandis qu'un pareil droit est sacré dans la personne
du moindre individu?
Aussi, chez toutes les nations, les étrangers qui délin-
quent sont traduits devant les tribunaux du pays.
Nous ne parlons pas des ambassadeurs; ce qui les con-
cerne est réglé par le droit des gens et par les traités.
Lois personnelles.
S'agit-il des lois ordinaires? On a toujours distingué celles
qui sont relatives à l'état et à la capacité des personnes,
d'avec celles qui règlent la disposition des biens. Les pre-
mières sont appelées /?67-.vo/z/?f//6'^, et les secondes réelles.
Les lois personnelles suivent la personne partout. Ainsi
la loi française, avec des yeux de mère, suit les Français
jusque dans les régions les plus éloignées; elle les suit jus-
qu'aux extrémités d u globe.
La qualité de Français, comme celle d'étranger, est
l'ouvrage de la nature ou celui de la loi. On est Français
par la nature, quand on l'est par sa naissance, par son
origine. On l'est par la loi, quand on le devient en rem-
plissant toutes les conditions que la loi prescrit pour effa-
cer les vices de la naissance ou de l'origine.
DE LA PUllLICATION DES LOIS. TtSj
Mais il suffit d'être Français pour être régi par la loi
française , dans tout ce qui concerne l'état de la personne.
Un Français ne peut faire fraude aux lois de son pays
pour aller contracter mariage en pays étrangers sans le
consentement de ses père et mère, avant l'âge de vingt-
cinq ans. Nous citons cet exemple entre mille autres pa-
reils, pour donner une idée de l'étendue et de la force df5s
lois personnelles.
Les différens peuples, depuis les progrès du commerce
et de la civilisation , ont plus de rapport entre eux qu'ils
n'en avaient autrefois. L'histoire du commerce est l'his-
toire de la communication des hommes. Il est donc plus
important qu'il ne Ta jamais été de fixer la maxime que,
dans tout ce qui regarde l'état et la capacité de la personne,
le Français , quelque part qu'il soit , continue d'être régi
par la loi française.
Lois réelles.
Les lois qui règlent la disposition des biens sont appelées ^
réelles : ces lois régissent les immeubles, lors même qu'ils
sont possédés par des étrangers.
Ce principe dérive de ce que les publicistes appellent
ie domaine éminent du souverain.
Point de méprise sur les mots domaine éminent; ce serait
une erreur d'en conclure que chaque état a un droit uni-
versel de propriété sur tous les biens de son territoire.
Les mots domaine éminent n'expriment que le droit qu'a
la puissance publique de régler la disposition des biens par
des lois civiles, de lever sur ces biens des impôts propor-
tionnés aux besoins publics, et de disposer de ces mômes
biens pour quelque objet d'utilité publique, en indemni-
sant les particuliers qui les possèdent.
Au citoyen appartient la propriété , et au souverain l'em-
pire. Telle est la maxime de tous les pays et de tous les
558 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
temps ; mais les propriétés particulières des citoyens , réu-
nies et contiguës, forment le territoire public d'un état; et,
relativement aux nations étrangères, ce territoire forme
un seul tout, qui est sous l'empire du souverain ou de l'É-
tat. La souveraineté est un droit à la fois réel et person-
nel. Conséquemment, aucune partie du territoire ne peut
être soustraite à l'administralion du souverain, comme
aucune personne habitant le territoire ne peut être sous-
traite à sa surveillance ni à son autorité.
La souveraineté est indivisible. Elle cesserait de l'être, si
les portions d'un même territoire pouvaient être régies par
des lois qui n'émaneraient pas du même souverain.
Il est donc de l'essence miême des choses, que les im-
meubles, dont l'ensemble forme le territoire public d'un
peuple , soient exclusivement régis par les lois de ce peu-
ple, quoiqu'une partie de ces immeubles puisse être pos-
sédée par des étrangers.
Règles pour les fuges. '
Il ne suffisait pas de parler des effets principaux des lois ^
il fallait encore présenter aux juges quelques règles d'ap-
plication.
La justice est la première dette de la souveraineté ; c'est
pour acquitter cette dette sacrée que les tribunaux sont
établis.
Mais les tribunaux ne rempliraient pas le but de leur
étiblissement, si, sous prétexte du silence, de l'obscurité
ou de rinsuûisance de la loi, ils refusaient de juger. Il y
avait des juges avant qu'il y eût des lois , et les lois ne peu-
vent prévoir tous les cas qui peuvent s'offrir aux juges.
L'administration delà justice serait donc perpétuellement
interrompue, si un juge s'abstenait de juger toutes les fois
que la contestation qui lui est soumise n'a pas été prévue
par une loi ?
DE LA PUBLICATION DLS LOIS. 55q
L'olUce tics lois est de statuer sur les cas qui arrivent le
plus fréquemment. Les accidens, les cas fortuits, les cas
extraordinaires , ne sauraient être la matière d'une loi.
Dans les choses même qui méritent de fixer la sollici-
tude du législateur, il est impossible de tout fixer par des
règles précises. C'est une sage prévoyance de penser qu'on
ne peut tout prévoir.
De plus, ou peut prévoir une loi à faire sans croire de-
voir la précipiter. Les lois doivent être préparées avec une
sage lenteur. Les états ne meurent pas, et il n'est pas ex-
pédient de faire tous les jours de nouvelles lois.
Il est donc nécessairement une foule de circonstances
dans lesquelles un juge se trouve sans loi. Il faut donc lais-
ser alors au juge la faculté de suppléer à la loi par les lu-
mières naturelles de la droiture et du bon sens. Rien ne se-
rait plus puéril que de vouloir prendre des précautions suf-
fisantes pour qu'un juge n'eût jamais qu'un texte précis à
appliquer. Pour prévenir les jugemens arbitraires, on ex-
poserait la société à miUe jugemens iniques, et, ce qui est
pis, on l'exposerait à ne pouvoir plus se faire rendre jus-
tice ; et avec la folle idée de décider tous les cas , on ferait
de la législation un dédale immense, dans lequel la mé-
moire et la raison se perdraient également.
Quand la loi se tait, la raison naturelle parle encore : si
la prévoyance des législateurs est limitée, la nature est infi-
nie ; elle s'applique à tout ce qui peut intéresser les hom-
mes : pourquoi voudrait-on méconnaître les ressources
qu'elle nous offre?
Nous raisonnons comme si les législateurs étaient des
dieux, et comme si les juges n'étaient pas même des
hommes.
De tous les temps on a dit que l'équité était le supplé-
ment des lois. Or, qu'ont voulu dire les jurisconsultes ro-
mains , quand ils ont ainsi parlé de W'-quité ?
Le mot ('rjuitc est susceptible de diverses acceptions.
56o DISCUSSIONS, MOTIFS, elc
Quelquefois il ne désigne que la volonté constante d'être
juste , et dans ce sens il n*exprime qu'une vertu. Dans
d'autres occasions, le mot cf/ u il c désigne une certaine ap-
titude ou disposition d'esprit qui distingue le juge éclairé
de celui qui ne l'est pas, ou qui l'est moins. Alors Véquité
n'est, dans le magistrat, que le coup-d'œil d'une raison
exercée par l'observation, et dirigée par l'expérience. Mais
tout cela n'est relatif qu'à l'équité morale , et non à cette
équité judiciaire dont les jurisconsultes romains se sont
occupés , et qui peut être définie un retour à la loi natu-
relle, dans le silence, l'obscurité ou l'insuffisance des lois
positives.
C'est cette équité qui est le vrai supplément de la légis-
lation , et sans laquelle le ministère du juge, dans le plus
grand nombre des cas, deviendrait impossible.
Car il est rare qu'il naisse des contestations sur l'appli-
cation d'un texte précis. C'est toujours parce que la loi est
obscure ou insuffisante, ou même parce qu'elle se tait,
qu'il y a matière à litige. Il faut donc que le juge ne s'arrête
jamais. Une question de propriété ne peut demeurer indé-
cise. Le pouvoir de juger n'est pas toujours dirigé dans
son exercice par des préceptes formels. Il l'est par des maxi-
mes, par des usages, par des exemples, par la doctrine.
Aussi le vertueux chancelier (TAgucsseau disait très-bien
que le temple de la justice n'était pas moins consacré à la
science qu'aux lois, et que la véritable doctrine, qui con-
siste dans la connaissance de l'esprit des lois, est supé-
rieure à la connaissance des lois mômes.
Pour que les affaires de la société puissent marcher , il
faut donc que le juge ait le droit d'interpréter les lois et
d'y suppléer. Il ne peut y avoir d'exception à ces règles
que pour les matières criminelles : et encore , dans ces ma-
tières, le juge choisit le parti le plus doux, si la loi est obs-
cure ou insuffisante , et il absout l'accusé , si la loi se tait
sur le crime.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 36 1
Mais en laissant à l'exercice du ministère du juge toute
la latitude convenable, nous lui rappelons les bornes qui
dérivent de la nature même de son pouvoir.
Un juge est associé à Tesprit de législation : mais il ne
saurait partager le pouvoir législatif. Une loi est un acte de
souveraineté, une décision n'est qu'un acte de juridiction
ou de magistrature.
Or, le juge deviendrait législateur, s'il pouvait, par des
réglemens, statuer sur les questions qui s'offrent à son
tribunal. Un jugement ne lie que les parties entre lesquelles
il intervient. Un règlement lierait tous les justiciables et le
tribunal lui-môme.
Il y aurait bientôt autant de législations que de ressorts.
\Jn tribunal n'est pas dans une région assez haute pour
délibérer des réglemens et des lois. Il serait circonscrit
dans ses vues comme il l'est dans son territoire; et ses mé-
prises ou ses erreurs pourraient être funestes au bien pu-
blic.
L'esprit de judicature, qui est toujours appliqué à des
détails, et qui ne prononce que sur des intérêts particu-
liers , ne pourrait souvent s'accorder avec l'esprit du légis-
lateur, qui voit les choses plus généralement et d'une ma-
nière plus étendue et plus vaste.
Au surplus, les pouvoirs sont réglés; aucun ne doit
franchir ses limites.
Conventions contraires à V ordre public et aux bonnes
mœurs.
Le dernier article du projet de loi porte qu'on ne peut
déroger, par des conventions particulières, aux lois qui
intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. Ce n'est
que pour maintenir l'ordre public , qu'il y a des gouverne-
mens et des lois.
Il est donc impossible qu'on autorise entre les citoyens
562 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc-
des conventions capables d'altérer ou de compromettre
l'ordre public.
Des jurisconsultes ont poussé le délire jusqu'à croire que
des particuliers pouvaient traiter entre eux comme s'ils
vivaient dans ce qu'ils appellent l'état de nature, et
consentir tel contrat qui peut convenir à leurs intérêts,
comme s'ils n'étaient gênés par aucune loi. De tels con-
trats , disent-ils, ne peuvent être protégés par des lois qu'ils
ofTensent; mais comme la bonne foi doit être gardée entre
des parties qui se sont engagées réciproquement, il fau-
drait obliger la partie qui refuse d'exécuter le pacte à
fournir par équivalent ce que les lois ne permettaient pas
d'exécuter en nature.
Toutes ces dangereuses doctrines , fondées sur des 8ub-
tilités, et éversives des maximes fondamentales, doivent
disparaître devant la sainteté des lois.
Le maintien de l'ordre public dans une société , est la loi
suprême. Protéger des conventions contre cette loi, ce se-
rait placer des volontés particulières au-dessus de la vo-
lonté générale, ce serait dissoudre l'État.
Quant aux conventions contraires aux bonnes mœurs,
elles sont proscrites chez toutes les nations policées. Les
bonnes mœurs peuvent suppléer les bonnes lois : elles sont
le véritable ciment de l'édifice social. Tout ce qui les of-
fense, offense la nature et les lois. Si on pouvait les blesser
par des conventions, bientôt l'honnêteté publique ne se-
rait plus qu'un vain nom, et toutes les idées d'honneur,
de vertu, de justice, seraient remplacées par les lâches
combinaisons de l'intérêt personnel , et par les calculs du
vice.
Tel est le projet de loi qui est soumis à votre sanction.
Il n'offre aucune de ces matières problématiques qui peu-
vent prêter à l'esprit de système. Il rappelle toutes les
grandes maximes des gouvcrnemcns : il les fixe , il les con-
sacre. C'est à vous, citoyens législateurs, à les décréter par
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 365
tos snffr»iges. Chaque loi nouvelle qui tend à promulguer
des vérités utiles aflbrmit la prospérité de l'État et ajoute
à votre gloire.
Le Corps législatif arrêta que le projet présenté par les
orateurs du gouvernement serait transmis au Tribunat par
un message. La communication se fit le 5 venlose an XI ,
et la section de législation fut chargée de l'examiner.
COaiMUNICATION OFFICIELLE AU TRIBUNAT.
RAPPORT FAIT AU NOM DE LA SECTION DE LÉGISLATION,
PAR LE TRIBUIÏ GRENIER.
(Séance du 9 ventôse an XI. — a8 février i8o3. )
Tribuns, le projet du titre préliminaire du Code civil
est présenté à votre discussion.
Vous en avez renvoyé l'examen à votre section de légis-
lation. Je viens, en son nom, vous soumettre les idées
qu'elle s'en est formées.
Ce Code est l'analyse des méditations des savans juris-
consultes, des tribunaux et des hommes de génie, qui,
saisissant l'ensemble des rapports des citoyens entre eux et
avec les choses, ont composé un faisceau de règles dont
l'observation deviendra la morale universelle, consolidera
les fortunes particulières , et stabilisera la prospérité pu-
blique.
Le titre préliminaire comprend peu d'articles ; mais il
n'en est pas moins important. Déterminer le mode de pu-
blication des lois, régler l'instant où elles obligent chaque
citoyen, fixer le point de vue sous lequel elles doivent être
considérées quant à leurs effets et à leur application : tel
est le but de ce titre.
364 DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC
Ces articles sont autant de dispositions générales qui on6
un point de contact avec toutes les lois. Leur application
dépend, sous un rapport essentiel, de ces dispositions,
comme d'un régulateur général ; et si elles s'écartaient, en
quelques points, des vérités immuables qui doivent être
les principes fondamentaux et préliminaires de toute lé-
gislation , il est aisé de sentir combien les conséquences en
seraient funestes.
L'article i^"" est ainsi conçu :
« Les lois sont exécutoires dans tout le territoire fran-
t çais , en vertu de la promulgation qui en est faite par le
« Premier Consul.
« Elles seront exécutées dans chaque partie de la Répu-
M blique , du moment où la promulgation en pourra être
« connue.
• La promulgation faite par le Premier Consul sera ré-
« putée connue dans le département où siégera le gouver-
« nement, un jour après celui de la promulgation; et,
« dans chacun des autres départemens, après l'expiration
« du même délai, augmenté d'autant de jours qu'il y aura
« de fois dix myriamètres (environ vingt lieues) entre la
« ville où la promulgation en aura été faite ^ et le chef- lieu
« de chaque département. »
Le premier paragraphe de cet article n'a rien présenté
à la section de contraire à la Constitution , ni à la dignité
de la loi.
Ce n'est pas de la promulgation que la loi tient son exis-
tence ; elle a existé auparavant. Mais il ne sui&t pas qu'elle
existe , il faut qu'il y en ait une preuve authentique ; et
c'est cette preuve qui sort de la promulgation.
C'est seulement cette promulgation qui atteste au corps
social l'existence de l'acte qui constitue la loi, et que cet
acte est revêtu de'toulcs les formes constitutionnelles. Alors
seulement la loi paraît armée de toute sa force, et com-
mande l'obéissance pour l'instant où elle sera connue.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 365
S'il est donc vrai que la loi ne reçoive tous ces caractères
que par la promulgation , on a pu dire que Us lois sont cxccu-
toires dans tout le territoire fra/içais en vertu de la promulga-
tion qui en est faite par le Premier Consul. Il serait bien diffi-
cile de saisir une différence réelle entre ces expressions
en vertu de la promulgation de la loi, et celles-ci après , ou
d'après la promulgation.
Relativement aux deux autres paragraphes de l'article ,
avant de les examiner, il est à propos de rappeler un prin-
cipe élémentaire en ce qui concerne l'exécution ou l'obli-
gation de la loi.
C'est qu'en même temps que tous les législateurs ont
consacré le principe que la loi ne pouvait obliger sans
qu'elle fût connue, ils ont senti l'impossibilité de se procu
rer la certitude que chaque particulier eût eu réellement
cette connaissance. On ne pouvait la notifier à chaque in-
dividu ; et c'eût été rendre la loi illusoire que de laisser à
chaque membre de la société la faculté de s'y soustraire,
en alléguant qu'il l'avait ignorée.
En conséquence, tous les législateurs ont établi une pré-
somption de droit, équivalente à une certitude, que la loi
a été connue de tous, après l'observation des formes ad-
mises pour sa publication. Un individu qui ignore la loi
doit s'imputer d'avoir négligé les moyens de la connaître.
Il y a sans doute bien moins d'inconvénient à ce qu'un
citoyen soit lié par une loi qu'il n'a pas connue, lorsque
tous les moyens de publicité ont été pris, qu'à laisser la
société sans loi ; ou , ce qui est la même chose , lui don-
ner des lois que chacun pourrait violer impunément, sous
prétexte d'ignorance.
C'est avec un grand sens que Domat, dont l'ouvrage est
le recueil des principes les plus sûrs en matière de législa-
tion civile , s'est expliqué sur la nécessité qu'il y a que les
lois soient connues pour qu'elles obligent. « Toutes les rè-
0 gles, dit-il, doivent être ou connues, ou tellement ex-
566. DISCUSSIONS, MOTIFS, ClÇ.
« posées à la connaissance de tout le monde, que personne
« ne puisse impunément y contrevenir sous prétexte de les
« ignorer.
«Ainsi, les règles naturelles étant des vérités immuables
tt dont la connaissance est essentielle à la raison, ou ne
« peut dire qu'on les ait ignorées , comme on ne peut dire
« qu'on ait manqué de la raison qui les fait connaître.
o Mais les lois arbitraires n'ont leur effet qu'après que le
c législateur a fait tout ce qui est possible pour l^ faire con-
« naître ; ce qui se fait par les voies qui sont en usage pour
u la publication de ces sortes de lois; et, après qu'elles
« sont publiées, on les tient pour connues à tout le monde, et
a elles obligent autant ceux qui prétendaient les ignorer, que
« ceux qui les savent (a). »
Le législateur ferait donc des efforts impuissans, quels
qu'ils fussent, s'il cherchait le moyen d'attester de fait
que chaque individu a eu les oreilles frappées de la loi.
Ne la rendre obligatoire qu'à une époque où l'on puisse
avoir une juste présomption qu'elle est généralement con-
nue; mesurer le temps dans lequel elle doit l'être, de ma-
nière qu'on ne puisse, entre sa promulgation et son exécu-
tion, pratiquer des fraudes pour l'éluder ; mais surtout faire
en sorte que la loi détermine, d'après des règles fixes,
l'époque de sa mise en action sur les différons points qu'elle
régit, en raison des distances, sans que cette mise en ac-
tion dépende du plus ou moins d'exactitude des différentes
autorités locales : telle est, citoyens tribuns, la tâche du
législateur en cette matière.
Examinons donc quel est celui des systèmes proposés
jusfiu'à présent, dont on puisse le plus raisonnablement
espérer tous ces avantages.
On peut les réduire à trois.
i». La publication opérée uniformément sur tous les
'») \.n U'ii cWil«l , til- I , art, 9.
DE LA PUBLICATION DBS LOIS. 667
points de la République, et au ménie instant^ par le laps
d'un délai quelconque , à compter de la promulgation faite
par le Premier Consul.
a*. Le mode de publication opérée de droit, mais pro-
gressivement sur les différens points delà République, à
raison des distances , eu partant toujours de la promulga-
tion , qui est celui proposé par le projet de loi.
5°. La publication matérielle, si on peut s'exprimer
ainsi , qui aurait lieu par la lecture de la loi aux audiences
des tribunaux , et par la transcription sur les registres.
Comparons d'abord les avantages et les inconvéniens
des deux premiers modes. Les réflexions qui sortiront na-
turellement de ce parallèle feront aisément juger que l'un
ou l'autre de ces deux premiers doit être nécessairement
adopté.
Le système de l'action de la loi, au même moment, sur
tous les points de la République, a séduit de très-bons es-
prits.
Rappelons en substance les raisons sur lesquelles on le
fonde.
On a dit que l'uniformité du délai est simple à concevoir
et facile à retenir;
Qu'elle dispense d'étudier le tarif que nécessite le mode
progressif; ,
Qu'il y a , à la vérité, un inconvénient , en ce que l'exé-
cution de la loi serait quelquefois trop retardée; car on con-
vient qu'il doit toujours y avoir, à compter de la promulga-
tion, un délai suffisant pour que la loi puisse être connue
du point central à l'extrémité de chacun des rayons; mais
qu'on pourrait y remédier en faisant dire par la loi qu'elle
pourrait, selon les cas, fixer l'époque de son exécution
avant le délai ordinaire ;
Qu'au surplus, cet inconvénient ne porterait pt)int sur
les lois facultatives et sur celles qui agissent indépendam-
ment de la volonté de l'homme, comme sur celles qui rè-
368 DISCUSSIONS, MOTIFS, etc
glent les successions. Le relard du moment où elles devien-
nent obligatoires ne blesse que l'intérêt particulier, et non
rintérêt général ;
Que cet inconvénient, s'il avait quelque consistance,
serait racheté par tant d'autres avantages;
Que l'intérêt général veut que l'exécution de la loi com-
mence à la même époque dans toutes les parties du pays •
pour lequel elle est faite ;
Que là où les hommes sont égaux en droits, ils doivent
tous être soumis, au même moment, à l'empire de la loi,
quelle qu'elle soit, rigoureuse ou favorable ;
Qu'en Angleterre, et dans toutes les parties de l'Améri-
que, on ne s'est jamais écarté de ce principe;
Qu'il serait étrange que, le même jour et au même mo-
ment, la peine de mort se trouvât abolie pour une partie
de la France, et subsistât pour l'autre: ce qui, arriverait
avec le délai successif.
Enfin, on suppose qu'un fait, qui jusqu'alors n'aurait
point été compris dans la classe des crimes, fût qualifié tel
par une nouvelle loi : quel serait l'effet du délai successif?
Le même acte , commis le même jour, peut-être à la même
heure, dans deux endroits différens, et séparés seulement
par une rivière ou par un chemin , offrirait d'un côté du
chemin ou de la rivière un crime à punir, et de l'autre un
simple délit , susceptible d'une bien moindre peine. D'où
cela proviendrait-il? Uniquement de ce que ces deux côtés
appartiendraient à deux points différens de l'échelle de
progression.
Je vais exposer les réponses dont la section a cru que
ces objections étaient susceptibles, et il en sortira tous les
avantages que présente le mode progressif.
Si la loi ne peut être obligatoire avant qu'elle soit con-
nue, il est également certain qu'elle doit être obligatoire
dès l'instant qu'elle Test. Son action ne peut être suspen-
due : on croit que ce sont là deux principes constaus.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. ôQa
Or, l'idée de rendre la loi obligatoire, au môme mo-
ment, sur tous les points de la République, attaque de
front ces deux principes.
Ce système suppose , en effet, que la loi est connue par-
tout au même instant ; ntiais cela n'est point, et il n'y en a
pas de possibilité.
Qu'on remarque ensuite Tinconvénient majeur qui ré-
sulte de la longueur du délai qui s'écoulera depuis la pro-
mulgation jusqu'au moment où la loi deviendra obliga-
toire !
Ce délai devrait être en proportion de la distance du lieu
où serait promulguée la loi, jusqu'à l'extrémité du plus
long des rayons : ou , ce qui est de même, en proportion
du temps qu'il faudrait pour qu'on pût présumer que la
connaissance de la loi, est parvenue à cette extrémité. Ce
délai ne pourrait être moindre de quinze jours; ce qui,
avec les dix jours qui s'écouleraient entre l'émission de la
loi et sa promulgation, emporterait vingt-cinq jours. Et l'on
voudrait que pendant ce temps la loi fût sans action , quoi-
que camnue ? Cette mesure serait non seulement trop peu
conforme à la dignité de la loi , mais encore ce serait inviter
à l'éluder en tolérant des fraudes que l'on n'a que trop à
craindre de la cupidité.
Cet inconvénient a été si bien senti par ceux qui ont
conçu l'idée de donner à la loi son action , au même mo-
ment, sur tous les points de la République, qu'ils ont été
forcés de dire que Ton pourrait y remédier en voulant
qu'elle pût, selon les cas, fixer l'époque de son exécution
avant le délai ordinaire; aveu qui , seul , fait absolument
crouler le système.
On ne saurait voir que l'intérêt général exige l'action de
la loi, à la même époque, sur toutes les parties de la
République, et qu'en agissant autrement, ce soit violer le
principe de l'égalité en droits.
Le mode progressif et raisonnablement calculé sur les
VI. 9-4
5^0 DISCUSSIONS, SfOTIFS, CtC.
distances, est plus dans Tégalité que le mode uniforme.
Soit que la loi soit favorable , soit qu'elle soit rigoureuse ,
les citoyens doivent en ressentir les effets ou plus tôt ou
plus tard, selon qu'ils sont réputés la connaître ou l'igno-
rer. Nous devons tous demeurer paisiblement dans la po-
sition , soit physique , soit politique , où nous ont placés la
nature ou Tordre social. La différence des époques de l'exé-
cution des lois, selon les distances, est fondée sur une vé-
rité immuable qui doit faire la base de la présomption de
droit, à laquelle les législateurs ont toujours été obligés de
recourir en cette matière. Toute présomption , toute fiction
établie par la loi , doit se rapprocher , autant que possible,
de la nature; et cela est si vrai, qu'on ne concevrait pas
une présomption de droit, si elle était évidemment con-
traire à la vérité.
Par là disparaissent tous les autres inconvéniens qu'on a
déjà relevés.
Ce ne sont môme pas des inconvéniens, ce sont des
suites naturelles d'une exacte distribution de la justice
selon les différences de position , qu'il ne dépend pas du
législateur de changer pour l'intérêt de quelques-uns au
détriment de certains autres.
D'ailleurs, ces prélendusinconvénienspeuventégalement
se rencontrer dans le système de l'action de la loi, au
même moment, dans toute la République.
Faisons en effet une autre hypothèse que celle qui a déjà
été proposée , et supposons qu'au moment où serait émise
une loi qui abolirait la peine de mort, un particulier vînt
à être définitivement condanuié à subir cette peine par un
tribunal de Paris. La loi serait bien connue de fait ; mais
n'étant pas promulguée, clic ne serait point connue de
droit. Poiirrait-on sns[)cndre l'exécution, et attendre le
délai nécessaire pour (|u'clle fût connue aux extrémités de
la Jlépubli(|ue, comme, par exemple , à Perpignan?
Voilà une difliculté , et cela i)rouvc (|ue , lorsqu'il s'agit
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 37 1
i\e donner des lois , il ne faut point s'arrêter aux cas par-
ticuliers ; qu'on doit considérer ce qui arrive dans le cours
ordinaire des choses.
On ne peut d'ailleurs altirer les regards sur les cas par-
ticuliers dont on a déjà parlé , qu'en supposant qu'il y au-
rait une émission habituelle de lois qui y donnerait lieu.
Mais celle crainte est chimérique. On ne doit pas s'y
attendre, après la promulgation du Code civil et des lois
sur les matières les plus impartantes qui le suivront de
près , et surtout lorsque le retour à Tordre fait de toutes
parts des progrès aussi rapides.
Enfin , l'exemple des deux peuples que l'on a cilés ne
prouve rien pour l'un des systèmes contre l'autre.
En effet, ils n'admettent aucun délai après la pronuil-
gatioh ou ce qui en tient lieu. Ils ont pensé que la publi-
cité des débats et de leurs résultais suffisait pour que per-
sonne ne pût raisonnablement alléguer la cause d'igno-
rance de la loi , après qu'elle avait reçu le sceau de
l'authenticité.
On ne voudrait pas aller sans doute jusqu'à proposer,
et personne n'a proposé en effet, pour la France, un tel
usage, qui peut être justifié, pour les états où il est suivi,
à raison des mœurs, des habitudes et de l'étendue du ter-
ritoire , en sorte que toute discussion à cet égard serait
superflue. Il suffit de dire que la citation était inutile.
Venons actuellement au troisième mode de publication ,
qui résulterait de l'envoi des lois aux tribunaux, et de la
transcription sur leurs registres.
Il est impossible de ne pas être frappé d'abord de l'in-
convénient qu'il présente, en ce qu'il fait dépendre l'ap-
plication de la loi de la volonté de l'homme; le plus ou le
moins de zèle de la part d'un agent peut en avancer ou en
retarder l'exéculion.
Sous la monarchie, la connaissance de la loi se trans-
mettait par l'intermédiaire des tribunaux; ce mode tenait
24.
Ô;2 . DISCUSSIONS, MOTIFS, ClC.
à la forme constitulionnelle. L'enregistrement des cours
souveraines, qui avaient droit de remontrances, était né-
cessaire pour le complément de la loi, et il eût été difficile
de changer cet ordre de choses, parce (ju'il y avait des
stipulations particulières qui avaient assuré à plusieurs
provinces ajoutées à la monarchie le droit d'y faire véri-
fier par leurs tribunaux les lois qui y seraient envoyées,
suivant ce qui se pratiquait en France depuis des siècles.
Cet usage pouvait encore être justifié par la diversité
des coutumes et des intérêts des provinces, diversité qui
donnait souvent lieu à des lois particulières pour le ressort
de certains parlemens.
Enfin , ce système conduirait peut-être à la nécessité de
distinguer les lois selon l'ordre des matières qui en seraient
l'objet, et de les envoyer distribulivement aux autorités
compétentes, judiciaires ou administratives : ce cjui pré-
sente au premier abor.l vuje foule d'entraves qui ont été
généralement prévues.
Mais quand ce mode présenterait moins de difficulté ,
pourquoi le choisirait-on de préférence , lorsqu'il peut être
remplacé plus utilement, et avec des formes propres à
consacrer, pour ainsi dire, notre régénération politique?
Ce fut seulement sous les empereurs romains que s'in-
troduisit l'usage «l'adresser les lois aux préteurs, aux ques-
teurs, ou à d'autres magistrats, selon que les objets des
lois étaient de leur compétence, avec injonction de pren-
dre les mesures convenables pour les faire connaître (a).
Mais du tcnq)S de la République , les provinces (pu' avaient
eu le droit de bourgeoisie et de suffrages, a|>prenaicnl ce
qui se passait sur le lùmun bien plus promptcmcnt que ce
qui serait arrivé plus f»rès d'eux; et en France la renommée
transmet les événcmens de la capitale aux extrémités, avec
une rapidité qui, sous le rapport de la c»)nnaissaneo mo-
rale ilc la loi, reiid inutiles une lecture ou \uio transcrip-
(•] VojTFi! Im furmulM d» mthdI priiidcni Btiiiuu , p. i(s , itk - iOt t( ICC , 4dil. dt iS^>
DK LA. l'IiBLI CATION DES LOIS. 075
tion lailes, souvent obscurément, dans l*cnccinlc de l'au-
ditoire d'un tribunal bien moins éloigné.
C'est donc avec raison qu'on a dit, dans les motifs, que
les précautions prises, pour cet objet, dans une monarchie
où les lois étaient mûries et rédigées dans le silence du ca-
binet, ne conviennent plus à un peuple libre qui prend
part aux lois, ou par lui-même ou par ses représentans,
où la publicité des délibérations, les relations joiîrnalières
et la circulation des journaux, transmettaient aussi rapi-
dement la coimaissance des lois.
L'envoi des lois doit sans doute être fait aux triimnaux ,
et il est toujours à désirer qu'il soit prompt et sûr.
Mais ce qui tient à la lecture et à l'application du texte
authenti({ue de la loi, à sa conservation , est étranger aux
effets qu'on doit attribuer à sa notoriété, sous le rapport
de son caractère obligatoire respectivement aux citoyens.
Après avoir balancé les avantages et les inconvéniens, la
section s'est décidée pour le mode proposé par le projet de
loi.
Ce mode est l'image même de la vérité et de la nature.
Il fait rendre la loi obligatoire pour chaciuo citoyen au mo-
ment où il est présumé la connaître. 11 fait sur chaque
station roffice d'un courrier qui l'y porterait. C'est toujours
la loi qui agit, soit qu'elle s'annonce, soit qu'elle ordonne.
Nul secours humain ne devient nécessaire. Chaque indi-
vidu, au ntoyen d'un tarif des distances, fondé sur un
ordre de choses invariable, et indépendant de la volonté
des hommes, pourra savoir par lui-même le jour auquel
il aura été lié parla loi. L'idée est aussi ingénieuse {|u'utile;
elle nous dispense d'envier, sur ce point, les usages des au-
tres nations.
L'article 2 est ainsi conçu : « La loi ne dispose que pour 2
t l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif. »
C'est là une règle éternelle, qui, quand elle ne serait
écrite dans aucune loi, .serait gravée dans tous los cœurs.
074 DISCUSSIONS, MOTIFS, elCr
Pourquoi ne la placerait-on pas en t^te du livre des lois,
puisqu'elle a trait particulièrement à leur application?
Elle peut être considérée comme un précepte de morale;
mais c'est la morale de la législation.
Aussi la Irouve-t-on dans tous les Codes. Toujours on a
voulu la rendre présente à Tesprit des juges, et il n'est pas
un jurisconsulte qui n'ait dans su mémoire les termes de
la loi romaine : Legcs et constitutloncs futuris certum estdarc
formant ncgotiis , non ad facta prœtcrita revocari{^.
On ne peut avoir oublié les rétroactivités dont plusieurs
lois furent entachées au milieu des orages politiques tou-
jours inséparables des grandes révolutions. Ils ne sont pas
éloignés les temps où, au retour du calme, les législateurs
se sont empressés de les faire disparaître , et il faut conve-
nir qu'après une expérience aussi récente, on serait dans
une position désavantageuse, si on voulait s'opposer à ce
qu'on gravât sur le frontispice du Code civil une maxime
qui garantit le repos des familles.
Art. 5. « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux
B qui habitent le territoire.
« Les immeubles , même ceux possédés par les étrangers,
« sont régis par la loi française.
« Les lois concernant l'état et la capacité des personnes ,
« régissent les Français, même résidant en pays étrangers.»
Voilà autant de principes enseignés par tous les publi-
cistes, généralement admis chez les nations civilisées, et
sans lesquels il serait impossible d'organiser un ordre social.
Ils sont exposés avec autant de précision que de vérité.
Toute société doit vouloir, pour sa conservation, que
tout individu quelconque qui est dans son sein soit sujet
à ses réglemens de police.
Cette règle est susceptible de modifications relativement
aux personnes revêtues d'un caractère représentatif : mais
ces modifications doivent être l'objet de traités ou de sli-
» '•'■X. 7 , au r<»d. D« I.e(;ibii'
DE LA PUBLICATION Dl-S LOIS. 07i>
pulalious entre les États. Il ne peut être ici question (juc de
la règle générale.
Que les immeubles suivent la loi du territoire sur lequel
ils sont situés, cela est incontestable; sans quoi il y aurait
dans un état autant de statuts réels que de possesseurs
étrangers de différentes parties du sol, cequi serait absurde.
ËnOn, les citoyens ne peuvent être régis personnelle-
ment que par les lois de la société dont ils sont membres.
Ni eux, ni la société, ni leurs familles réciproquement ne
peuvent, sous prétexte d'absence ou de simple résidence
dans un pays étranger, rompre les liens qui les unissent.
Art. 4- «Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du
«silence, de l'obscurité, ou de l'insuffisance de la loi,
« pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.»
Art. 5. « Il est défendu aux juges de prononcer, par voie
« de disposition générale et réglementaire, sur les causes
« qui leur sont soumises. »
On ne peut pas plus surprendre l'action de la justice que
celle de la police et de l'administration , sans compromet-
tre d'une manière grave l'intérêt et le repos des citoyens,
et par conséquent la tranquillité publique.
Le législateur ne peut tout prévoir. Cette tâche est au-
dessus des efforts humains.
Des règles positives ^ des principes lumineux et féconds
en conséquences, qui puissent être aisément saisis et ap-
pliqués à tous les cas ou au plus grand nombre; voilà ce
qui caractérisera toujours toute bonne législation.
Les tribunaux ne peuvent donc refuser la justice, sous
prétexte du silence de la loi. Le sentiment du juste et de
l'injuste n'abandonne jamais le juge probe et instruit. Le
législateur doit seul examiner s'il existe réellement ou non
un silence dans la loi, tel qu'il faille y suppléer par une
nouvelle. Il ne pourrait même émettre la loi supplétive ,
(jue quand plusietirs jugemens sur le cas qu'on prétend
n'avoir pas été prévu auraient éclairé sa sagesse.
0^6 DISCUSSIONS, MOTIFS, elc.
Enfin , l'abus des nombreux référés de la part des Iribiï-
naux qui, sous le régime de la Conslilulion de l'an 5, acca-
blaient le Corps législatif, nous garantit la sagesse de l'ar-
ticle 4«
Quant à l'article 5 , il est une conséquence de la division
des pouvoirs ; et toutes réflexions pour en prouver le mérite
seraient oiseuses.
Art. 6 et dernier. « On ne peut déroger par des conven-
(f lions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public
0 et les bonnes mœurs. »
Les conventions ne peuvent porter que sur des intérêts
particuliers. Ce qui constitue l'ordre public tient à l'intérêt
de tous, et la loi doit proléger les mœurs.
Sans cette mesure, la société veillerait en vain, par le»^
lois les plus sages , à son repos et à sa prospérité.
Les règles renfermées dans tous ces articles sont autant
de principes fondamentaux en législation. Quoiqu'il s'agisse
de dispositions générales , leur application n'en est pas
moins certaine, et elles sont l'art d'appliquer toutes les lois.
Il serait déraisonnable de vouloir les isoler ; il serait in-
convenant de les placer à la tête de tout autre recueil de
lois, tel que le Code Judiciaire , ou criminel, quand même
leur émission concourrait avec celle du Code cit>iL Ces
maximes doivent servir d'introduction à ce Code, auprès
duquel tous les autres n'auront qu'un caractère accessoire.
Tribuns, quelle époque mémorable dans les fastes de la
nation, (jue celle de la promulgation d'un Code civil! En-
fin, nous voyons effacer les dernières traces du régime
féodal.
La France, par rapport à la diversité des lois, était en-
core, à peu de chose près, au môme état où César l'avait
vue. 11 dit au commencement du livre fait au milieu de
«es con(|uêtcs , lorsqu'il parle des mœurs et des usages des
peuples gaulois : ffi omncs lins^itfîf institutis , le gibus , intrr se
différant.
DE LA PVBLICATIO.N UtS LOIS. O77
Ce ne sont cependant pas les mêmes lois qui étaient en
usa^e dans les derniers temps. L'histoire nous apprend que
nos coulumes avaient été données aux peuples par les
grands vassaux de la couronne, lorsqu'ils se furent appro-
prié les lîefs, et, ce qui est bien remarquable, nous y
voyons aussi que ces mêmes seigneurs s'étaient constam-
ment opposés à une uniformité de lois, dans la crainte de
favoriser ra:;randissement de l'autorité rovale.
Dans la suite , la force de Thabitude , l'attachement à ses
propres usages, produisirent les mêmes effets que la poli-
tique.
L'idée, conçue sous Charles VII, de réunir toutes les
coutumes en une, après avoir ordonné la rédaction de
chacune, produisit seulement l'avantage d'avoir des cou-
tumes écrites, sans être obligé de recourir à des enquêtes
longues et dispendieuses, lorsqu'il s'élevait quelques doutes
sur ce qu'un simple usage avait érigé en loi.
Ce même projet fut encore renouvelé sous Henri III;
mais les fureurs de la ligue et la mort tragique du prési-
dent Brisson , qui était chargé de son exécution , le firent
échouer.
Il fallait toute la puissance de la révolution, la fusion
de toutes les volontés, pour avoir enfin l'espérance d'un
Code civil.
Mais si la révolution seule a rendu l'entreprise possible,
il était réservé au héros dont le génie ne laisse rien échap-
per de tout ce qui est grand et utile , d'en hâter et d'en fa-
ciliter l'exécution.
Quelle confiance ne devait- il pas avoir en ses propres
lumières! Il a prouvé dans la suite qu'il avait, en législa-
tion civile, des conceptions aussi heureuses qu'il en a eu
de grandes et de sublimes à la tête des armées, qu'il a
constamment menées à la victoire.
Quels secours n'avait-il pas à attendre de ses collègues l
L'un d'eux avait présenté à la Convention nationale un
ô'jS DISCUSSIONS , MOTIFS , elC.
projet de Code civil, ouvrage précieux par la précision du
style, la netteté des idées, et l'ordre dans la classification
des matières, qui a servi de guide à tous les travaux pré-
paratoirey qui l'ont suivi : et les modifications dont il était
susceptible tenaient principalement au changement d'or-
dre constitutionnel et des temps.
Quelles ressources ne trouvait-il pas encore dans le Con-
seil d'État !
Toutes ces circonstances n'ont pas empêché le premier
magistrat de la République de provoquer de nouvelles lu-
mières, et, à sa voix, combien n'en est-il pas sorti de
toutes parts, et en si peu de temps!
Les quatre jurisconsultes qui, sur son invitation, ont
rédigé le nouveau projet de Code civil; le tribunal de cas-
sation ^ et les tribunaux d'appel, qui ont reçu la mission
de le réviser, tous ont acquis, par leur zèle et par leurs
talcDs, des droits à l'estime et à la reconnaissance de la
nation.
Enfin, tous les citoyens ont été assurés de voir accueillir
le tribut de leurs connaissances; et plusieurs se sont ho-
norés en secondant les vue5 du gouvernement.
Mesure aussi grande, aussi politique que sage en elle-
même ! Elle a nationalisé, si l'on peut s'exprimer ainsi , les
matériaux du Code civil. Elle a éloigné Tenvie, qui s'atta-
che trop aisément à un grand ouvrage, lorsque la direc-
tion en est confiée à un seul; il en est résulté des change-
mens utiles, et elle aura excité la confiance avec laquelle
la nation accueillera le l'ruit de tant d'honorables travaux.
La section vous propose de voter l'admission du projet
de loi.
Le Tribunal vota l'adopliondu ))roj('t et chargea MM. Grc
nier, Faurc et Gillcl de la Jucquoiuinière , de porter ht»n
vœu au C4orps législatif
DE LA IMIKLICATION DES LOIS. O79
CORPS LÉGISLATIF.
DISCOURS PRONONCÉ PAR LE TRUIUN FAURE,
l'un des orateurs chargés db présenter le voeu du tribunat.
(Séance du 14 vcnlose an XI. — 5 mars i8o3. )
Législateurs, les bonnes lois sont les fruits tardifs de l'ex-
périence et des lumières.
L'expérience fait reconnaître les lois vicieuses; sans le
secours des lumières, elle ne saurait indiquer le remède.
Avec les lumières seules, une imagination féconde peut
enfanter des théories sublimes; mais il n'est réservé qu'à
l'expérience, de découvrir le prestige des illusions : jusqu'a-
lors les yeux sont plutôt éblouis qu'éclairés. Ce n'est qu'in-
sensiblement que la vue s'accoutume au jour pur de la
vérité.
Quelles ressources , citoyens législateurs, la France n'a-
t-elle pas aujourd'hui pour corriger et perfectionner ses
lois ! Tout ce qu'on peut attendre des vastes connaissances
d'un grand nombre de jurisconsultes distingués, tout ce
que peut produire une Irès-Iongue observation des hommes
et des choses , notre législation en sera le résultat.
Et dans quel temps cette législation va-t-ellc paraître?
C'est à l'époque où la République , illustrée par des vic-
toires à jamais mémorables, recueillant chaque jour les
bienfaits inappréciables de la paix la plus glorieuse , ornée
par les sciences, embellie par les arts, présidée par le gé-
nie, se voit élevée au plus haut degré d'éclat et de gloire.
Le Tribunat m'a chargé de vous présenter son vœu sur
le projet de loi qui a pour titre : De la publication , des effets
et (le l'application des lois en général,
A ces mots des lois en général^ déjà vous reconnaissez
qu'il s'agit de dispositions qui appartiennent à tous les
Codes, et non pas au Code civil seul.
58o DISCUSSIONS , MOTIFS , elc
Le premier article établit un nouveau mode de publica-
tion des lois.
Les autres renferment des maximes sacrées f(uele légis-
lateur ne doit jamais omettre, comme le citoyen ne doit
jamais les oublier.
Je vais parcourir chacun des articles.
Anciennement les lois n'étaient exécutées qu'après avoir
été enregistrées, et le refus d'enregistrement de la part
d'une cour souveraine emportait la défense d'exécution
dans toute l'étendue de son ressort. Ce droit, que les tri-
bunaux du premier rang prétendaient avoir d'empêcher
l'exécution dçs lois, était une émanation de la puissance
législative.
On a depuis reconnu les dangers de la confusion des
deux pouvoirs.
Les tribunaux ont été obligés de se renfermer dans les
limites de leurs attributions; il ne leur a plus été permis de
refuser d'enregistrer les lois, et les acies du pouvoir légis-
latif n'ont plus eu besoin de la sanction du pouvoir judi-
ciaire.
Alors l'enregistrement, borné à une simple transcrip-
tion , n'a plus eu qu'un seul objet, celui de servir à la pu-
blication des lois>
Pourquoi laul-il que les lois soient publiées? Ce n'est
pas seulement pour que les juges en aient coimaissance,
c'est aussi pour qu'elles soient connues de tous les ci-
toyens. La transcription produit-elle ce dernier effet ?
Noiv, sans doute.
Une lecture faite à l'audience, au moment de la trans-
cription, est-elle propre à donner cette connaissance gé-
nérale? Il est évident (|u'clle ne le peut pas.
Cependant ce n'est cpie du moment où la loi est réputée
connue, qu'elle doit être exécutée.
Ce mode de publication contient d'ailleurs m» grand
vice, c'est qu'il fait dépendre dv. la volonlé de riiomiue ce
DK LA PUBLICATION DKS LOIS. 58 1
qui ne doit dépendre que de la volonté de la loi. La perte
d'un bulletin, les accidens de la poste, la néj^ligence d'un
oliicier public, peuvent exposer la loi à rester long-temps
sans exécution, et souvent à être exécutée plus tard dan»
le voisinage du lieu où elle a été rendue qu'au point le
plus éloigné. Un tel mode laisse encore au pouvoir judi-
ciaire la faculté de liàterou de différer l'exécution de la loi,
eu hâtant ou différant sa transcription , et ainsi d'obtenir ,
par un retard , au moins une partie de ce qu'il ne peut plus
obtenir par un refus.
Le but du projet actuel est que l'instant où Texéculion
de la loi doit commencer dans chacun des départemens de
la République, soit fixé d'une manière invariable, et que
cette fixation soit l'ouvrage de la loi seule.
Autant il était difficile avant la révolution de connaître la
loi lorsqu'elle était rendue , autant il est facile aujourd'hui
d'acquérir celte connaissance.
Autrefois les lois se faisaient secrètement ; souvent même
elles restaient cachées dans les ténèbres long-temps après
avoir été faites.
Aujourd'hui , dès qu'un projet de loi est adressé au Corps
législatif, il se répand dans toutes les [larlies de la Répu-
blique. Bientôt ensuite les débats circulent, et lorsqu'enfin
la loi est décrétée , les copies en sont tellement multipliées
par la voie de l'impression, que chacun peut aisément en
prendre connaissance. L'acte constitutioimel exige qu'il y
ait un intervalle de dix jours entre le décret du Corps lé-
gislatif et la promulgation générale faite par le Premier
Consul; et tout le inonde sait (ju'aucune feuille publique
n'attend , pour annoncer la loi, que répo(jue de la promul-
gation soit arrivée.
Autrefois la loi devait être exécutée aussitôt après l'en-
registrement, <\m produisait le double effel d'une sanction
et d'une promulgation. Aujourd'hui , comme je viens de
l'observer, la loi n'est promulguée (juc dix jours après
582 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC
qu'elle a élé reudue ; ainsi son exécution ne pourrait ja-
mais commencer avant l'échéance de ce délai.
Mais la loi proposée ajoute un autre délai pour que la
promulgation soit réputée connue. Elle le gradue suivant
les distances. Elle prend un terme moyen entre le plus et
le moins de célérité dans le passage d'un lieu à l'autre. Elle
porte enfin que la promulgation faite par le Premier Con-
sul sera réputée connue dans le déparlement où siégera le
gouvernement, un jour après celui de la promulgation ; et
dans chacun des autres départemens, après l'expiration du
même délai, augmenté d'autant de jours qu'il y aura de
fois dix myriamètres (environ vingt lieues ) entre la ville
où la promulgation en aura été faite et le chef-lieu de cha-
que département.
Telle est la disposition du premier article, le seul qui
traite de la publication des lois. Il n'en résulte pas la con-
séquence qu'à l'avenir le gouvernement cessera d'envoyer
le bulletin aux tribunaux. On doit en conclure seulement
que l'envoi du bulletin ne sera plus nécessaire pour qu'on
ne puisse se dispenser d'exécuter la loi.
Quelques personnes, en convenant que le délai progres-
sif était plus avantageux que la transcription, ont ajouté
qu'ils ne préféraient l'un à l'autre qu'à cause des termes
fixes attachés au délai, tandis que la transcription n'en
avait aucun.
Mais ils ont prétendu que le meilleur de tous les modes
était le délai uniforme.
Le délai uniforme, ont-ils dit, n'a qu'un seul terme
pour toutes les parties de la France.
Le délai progressif en a un différent pour chaque dis-
tance de vingt lieues.
Le premier est simple et naturel.
Le second exige des calculs.
L'un ne laisse aucune dillicullé dans l'exécution
L'autre ne prévient point lous les embarras.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 383
Avec le délai uniforme, tous les biens de chaque indi-
vidu deviendront au même moment soumis à la môme loi.
Avec le délai progressif, il s'écoulera souvent un inter-
valle de temps penchant lequel partie des biens de la môme
famille restera sous l'empire de l'ancienne législation,
tandis ([u'une autre partie sera déjà sous l'empire de la
nouvelle.
On a répondu que si le délai uniforme semblait, au pre-
mier coup-d'œil, plus séduisant que le délai progressif,
il était facile , avec un peu d'attention , de reconnaître que
le délai progressif devait être préféré.
D'abord , en fait de calcul, ce dernier mode est si clair,
il présente si peu de difficultés, qu'il n'est personne qui ne
puisse en un moment le concevoir et le retenir.
Eu second lieu, n'est-il pas évident que l'action de la
loi doit rester suspendue le moins de temps possible? Elle
doit l'être seulement le temps nécessaire pour que la loi
soit réputée connue; et comme il est impossible que la loi
soit connue partout au même instant, il en résulte que
son exécution doit commencer à des époques plus ou
moins reculées, selon le plus ou le moins d'éloignement
des lieux.
En troisième lieu, le délai uniforme ne pourrait pas être
applicable à toutes les lois indistinctement, comme le sera
le délai progressif. Dans l'hypothèse de l'uniformité de dé-
lai, il y aurait, pour les départemens voisins du lieu où
siège le gouvernement, un intervalle de temps considéra-
ble entre le moment où la connaissance de la loi leur serait
arrivée, et celui où ils pourraient l'exécuter; car le délai
unique devant être réglé d'après le temps nécessaire pour
que la loi fût réputée connue au point le plus éloigné du
centre , il faudrait accorder quinze jours au moins, ce qui,
avec les dix jours antérieurs à la promulgation, formerait
un délai de vingt-cinq jours. Cela posé, toutes les fois
(ju'il s'agirait de lois particulières à l'égard desquelles il
384 DISCUSSIONS , MOTIFS , ClC
importerait à l'État d'obtenir la plus prompte exécution ,
il serait iiulispensable que ces mêmes lois continssent une
dérogation au délai unilorme. Sans celte dérogation, beau-
coup de lois, surtout en matière de fuiance, deviendraient
illusoires, quelquefois même plus dangereuses qu'utiles.
Aussi les partisans du délai uniforme n'ont-ils jarnais man-
qué de proposer en même temps une disposition qui au-
torisât la dérogation. N'était-ce pas consacrer la mutabi-
lité sur un point de législation qui doit être invariable?
Enfin* depuis des siècles, si l'on excepte quelques ordon-
nances, jamais les lois n'ont été mises à exécution partout
au même instant, et l'on ne voit pas que cette exécu-
tion progressive ait été jamais le fondement d'aucune
plainte.
On a remarqué que , suivant le mode proposé par la loi,
le chef-lieu de chaque département servira d'échelle de
distance. A ce moyen , les époques différentes d'exécution
ne seront point trop multipliées, comme elles l'eussent été
en prenant le chef-lieu de chaque arrondissement com-
munal. D'un autre côté, les distances auraient été Ir^p
longues en prenant le chef-lieu de chaque tribunal d'ap-
pel. En un mot, la di*vision sera plus juste et plus égale
que si l'on eût pris l'une ou l'autre mesure.
Tant de motifs réunis ont déterminé le Tribunal en fa-
veur du délai progressif.
Je passe à l'article 2.
L'article 2 porte : La loi ne dispose que pour l'avenir; elle
n'a point d'effet rétroactif.
La loi ne doit avoir pour but que de^ régler les cas non
encore arrivé». S'il en était autrement, jamais il ne pour-
rait exister rien de stabh^ Ce qu'on aurait fait aujourd'hui
conformément à la loi, ou sans qu'aucune loi s'y opposât,
serait détruit demain par une seconde loi , et l'ouvrage de
demain pourrait être à son tour anéanti par l'intervention
d'une loi nouvelle.
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 385
Rien de plus sas^e que le principe énoncé par l'article 2.
En vain on opposerait qu'il ne doit point trouver place
dans un Code de lois, parce qu'il ne regarde que les légis-
lateurs, qui peuvent toujours changer les lois qu'ils ont
laites, et substituer au principe une nouvelle loi rétroactive
dont les tribunaux ne pourraient se dispenser d'ordonner
l'exécution , et à laquelle les citoyens ne pourraient se
dispenser d'obéir.
Cette disposilion ne contient pas seulement un précepte
pour les législateurs, elle contient de plus une obligation
pour les juges et une garantie pour les citoyens.
Elle recommande aux juges de ne jamais appliquer la
loi à des faits antérieurs à son existence.
Elle garantit aux citoyens qu'ils ne seront jamais recher-
chés pour quelque acte que ce soit , si cet acte n'était dé-
fendu par aucune loi lorsqu'on l'aura commis.
Tels sont les principaux motifs de l'assentiment que le
Tribunat a donné à l'article 1.
L'article 5 règle plusieurs points dont l'importance de-
vait en effet leur assigner une place au rang des disposi-
tions relatives à l'application des lois en général.
Il contient hs principales bases d'une matière connue
dans le droit, sous le titre de statuts personnels et de sta-
tuts réels. \\ détermine d'une manière précise et formelle
quelles sont les personnes et quels sont les biens que régit
la loi française.
A l'égard des biens, il suffit qu'ils soient situés en France
pour que la loi de France les régisse. Peu importe d'ail-
leurs que le propriétaire soit Français ou étranger; car il
ne peut y avoir, pour régir ces biens, que les lois du pays
au territoire duquel ils sont attachés. Tel est le statut réel.
On a toujours compté en France autant de statut.*» réels
qu'il y avait de coutumes et d'usages locaux; désormais il
n'y en aura plus (ju'un seul, puisque nous aurons un Code
uniforme pour toute la République.
VI. 25
086 DISCUSSIONS, MOTIFS, CtC.
Quant au statut personnel, on distingue entre les lois
qui règlent l'état et la capacité des personnes, et celles qui
concernent la police et la sûreté du pays.
Il suffît d'être Français pour que l'état et la capacité de
la personne soient régis par la loi française. Que l'individu
réside en France ou qu'il réside en pays étranger, de»
qu'il est Français, la règle est la même; sa qualité de
Français le suivant partout, les lois qui dérivent de celte
qualité doivent le suivre également.
Quant aux lois de police et de sûreté, il suffit d'habiter
le territoire français pour être sous l'empire des lois de
France. L'individu contracte, en entrant dans un pays
dont il n'est pas sujet, l'obligation de se soumettre à toutes
les lois établies pour l'ordre et la tranquillité du pays. S'il
est assez téméraire pour les enfreindre, comment ce pays
pourra-t-il le traiter plus favorablement que ses propres
citoyens?
Je ne m'étendrai point davantage sur les motifs de cet
article, qui a obtenu un assentiment général.
L'article 4 porte que le juge qui refusera de juger sous
prétexte du silence et de l'obscurité, ou de l'insuffisance
de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni
de justice.
Cette disposition est une de celles dont l'expérience a le
plus fait reconnaître l'indispensable nécessité.
Il est souvent arrivé, surtout pendant un assez long in-
tervalle de temps, que des tribunaux civils , trouvant la loi
muette ou obscure sur une question qui leur était soumise,
se sont adressés au Corps législatif pour avoir une solution
qu'ils croyaient ne pas devoir dormer, et en conséquence
ont suspendu le jugement just|u'à ce que la réponse fût
arrivée. On n'aurait point ainsi suspendu le cours de la
justice, si l'on eût été sans cesse pénétré de ce principe,
que la loi n'a point d'clfct rétroactif. Il est incontestable
que la loi, ne pouvant disposer que pour l'avenir, ne doit
DE LA. PUBLICATION DKS LOIS. 587
point Statuer sur des questions soumises aux tribunaux
antérieurement à son existence. Si elle le fait, cette loi
n'est point , par rapport à ces mêmes (|uestions , une dis-
position législative, elle ne l'est que dans l'expression;
mais dans la réalité c'est un jugement. Et de là résulte une
confusion manifeste du pouvoir législatif avec le pouvoir
judiciaire.
D'ailleurs, en émettant une loi sur chaque difficulté non
prévue, de quelle quantité prodigieuse de lois ne serait-on
pas bientôt accablé ? Combien de fois aussi n'arriverait-il
pas que la loi particulière dérogerait à îa loi générale, au
lieu d'être seulement interprétative? Et comme l'ancienne
loi se trouvait liée à d'autres lois corrélatives, il n'y aurait
plus d'ensemble dans les dift'érentes parties de la législa-
tion : on y verrait au contraire une incohérence mons-
trueuse , d'où résulterait une source de procès. Alors,
comme a dit un philosophe célèbre (a) : « Les lois qui doi-
vent servir de flambeau pour nous ftiire marcher, seraient
autant d'entraves qui nous arrêteraient à chaque pas. »
En matière criminelle , les inconvéniens seraient bien
plus graves encore. S'il fallait attendre une loi pour juger
un acte que les juges croiraient condamnable , et sur lequel
aucune loi ne leur paraîtrait avoir prononcé, certes il n'est
pas un citoyen qui ne dût être continuellement effrayé par
la crainte de se voir un jour poursuivi comme coupable,
eu vertu d'une loi postérieure à l'acte qu'il aurait commis
dans un temps oii cet acte n'était nullement détendu.
En un mot , pour toute affaire , soit civile, soit criminelle,
ou la loi parle, ou elle se tait. Si la loi parle , il faut juger
en se conformant à sa volonté. Si elle se tait, il faut juger
encore, mais avec celte différence que, lorsqu'il s'agit
d'une affaire civile, les juges doivent se déterminer par les
règles de l'équité, qui consistent dans les maximes de droit
naturel, de justice universelle et de raison ; et (|ue, lorsqu'il
{»', Bac*ii.
25.
388 DISCUSSIONS, MOTIFS, clc
s'agit d'un procès criminel , l'accusé doit être renvoyé, vu
le silence de la loi. Enfin resle-t-ii encore des difficultés ?
C'est au tribunal de cassation de les lever; tribunal su-
prême, établi pour venir au secours des citoyens dans les
cas où Ton aurait appliqué des lois qui ne devaient pas
l'être, comme dans ceux oii l'on n'aurait trouvé aucune
loi applicable , lorsqu'il en existait qui devait être appli-
quée.
Suivant l'article 4, qui vient d'être analysé , les législa-
teurs ne doivent pas s'attribuer les fonctions de juges.
Suivant l'article 5, les juges ne doivent pas s'ériger en
législateurs. On lit dans ce dernier article, qu'il est défendu
aux juges de prononcer par voie de disposition générale et régie'
mentaire sur les causes qui leur sont soumises.
Autrefois les cours souveraines rendaient des arrêts de
règlement : le droit qu'elles prétendaient avoir à cet égard
était fondé sur une ancienne possession et sur les mêmes
titres que celui qu'elles exerçaient par rapport à l'enregis-
trement des lois. 11 est évident que ces arrêts de règlement
étaient tout à la fois des jugemens et des lois ; des jugemens
pour la cause sur laquelle ils statuaient, des lois pour les
questions semblables ou analogues qui pouvaient se présen-
ter à l'avenir.
Aujourd'hui de tels actes seraient tout à la fois inconstitu-
tionnels et impraticables.
Inconstitutionnels : car la ligne de démarcation est consti-
tutionnellement fixée entre le pouvoir législatif et le pou-
voir judiciaire. Celui-ci n'a pas plus le droit de faire des
lois, que celui-là de rendre des jugemens.
Impraticables : car, si, par exemple, un tribunal d'appel
pouvait faire une disposition générale et réglementaire, il
est incontestable qu'elle serait obligatoire pour tout son
ressort, et qu'elle ne s'étendrait point au-delà de sou res-
sort. Alors chaque tribunal de celle classe pouvant aussi
faire la même chose, il en résulterait inévitablement une
DE LA PUBLICATION DES LOIS. 580
foule de dispositions fîonlradictcdres sur les mêmes points,
et le bienfait d'un Code général qui consiste à rendre la loi
partout uniforme, deviendrait anéanti par des lois par-
tielles, dont la réunion offrirait, après un certain laps de
temps, un Code particulier pour chaque ressort du tribunal
d'appeP.
L'article 6 contient une maxime conforme à celle que les
Romains avaient consacrée. Une convention particulière
blesse-t-elle l'ordre public ou les bonnes mœurs , «lie est
réprouvée par la loi. Ne contient-elle rien ni contre lés
bonnes mœurs, ni contre l'ordre public, elle doit être W
est en effet permise, lors même qu'elle porterait dérotja-
tion à quehjue disposition de loi. Tel est le vœu de l'ar-
ticle 6. Le principe est juste, son application est facile.
Ainsi, par exemple, deux époux ne pourf^^^J"* convenir
de dissoudre leur mariage à la volonté de l'un des deux, et
sans l'observation préalable des conditions (jue la loi pres-
crit. Mais un débiteur et un créancier peuvent faire entre
eux une convention particulière, d'après laquelle l'un
promettra de ne pas user contre l'autre d'une prescription
légale acquise en sa faveur.
Dans le premier cas, la convention est illicite, parce
qu'il s'agit de l'existence d'un mariage, et que cet objet
tient essentiellement à l'ordre public.
Dans le second cas, il s'agit d'un intérêt privé , suscep-
tible d'être modifié au gré des parties; il s'agit d'un acte
contre lequel l'ordre public ne peut réclamer en aucune
façon. La convention est donc valable.
A regard des bonnes mœurs , il y a même raison , je dirai
plus, l'une est une dépendance nécessaire de l'autre. Les
mots ordre public eussent seuls pu suffire, et l'addition
qu'on a faite n'a pour objet que de doimer à la rédaction de
l'article toute la clarté dont elle était susceptible. En effet,
tout ce qui concerne les bonnes mœurs intéresse l'ordre
ogo DISCUSSIONS, MOTIFS, elc
public ; mais tout ce qui intéresse l'ordre public ne concerne
pas les bonnes mœurs.
Citoyens législateurs, j'ai cru devoir me borner à cette
courte analyse sur la loi proposée. L'orateur éloquent qui
vous en a développé les motifs m'a dispensé de tout autre
soin. Une loi conçue par la sagesse, mûrie par la réflexion,
recommandée par des talens supérieurs, appelle de toutes
parts la confiance publique. Le Tribunal s'est empressé de
Tadop»'^'-- C'est à vous, législateurs, qu'il appartient d'en
assurer les avantages, en lui accordant une sanction
au'eJle sollicite à tant de titres.
Le Corps législatif adopta ce projet de loi dans la même
séance , ot la promulgation en fut faite le 24 ventôse an XI
(i5 mars i8o3.)
FIN DU SIXIEME VOLUME.
1®^ DES DISCUSSIONS.
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201-6503
Printed
in USA
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