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RECUEIL
DES
Notices et Mémoires
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
DU
DÉPARTEMENT DE CONSTANTINE
1"' VOLUME DE LA CINQUIÈME SÉRIE
QUARANTE-QUATRIÈME VOLUME DE LA COLLECTION
ANNÉE 1910
CONSTANTINE
IMPRIMERIE D. BRAHAM, 2, RUE DU PALAIS, 2
ALaER
JOURDAN, Libraire-Editeur
Place du Gouvernement
PARIS
René ROGER
Librairie africaine et coloniale
38, rue de Fleurus
1911
M
UNIVERSITY
OF FLORIDA
LIBRARIES
RECUEIL
DES
Notices et Mémoires
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
DU
DÉPARTEMENT DE CONSTANTINE
l""^ VOLUME DE LA CINQUIÈME SÉRIE
QUARANTE-aUATRIÈME VOLUME DE LA COLLECTION
ANNÉE 1910
CONSTANTINE
IMPRIMERIE D. BRAHAM, 2, RUE DU PALAIS, 2
ALGER
JOURDAN, Libraire-Editeur
Place du 6ouvernement
PARIS
René ROGER
Librairie africaine et coloniale
38, rue de Fleurus
1911
of 7lon:lc wr^ri
Avis important
Article 29 des statuts. — « La Société laisse aux
« auteurs la responsabilité des faits et déductions histori-
(( ques, archéologiques, scientifiques ou autres, exposés
« dans les mémoires imprimés dans son Recueil. »
LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ
PRËSÏDKNTS D'HOHHEUE
MM. LuTAUD, Gouverneur Général de l'Algérie.
PiiELUT, ^, Préfet du Déparlement.
MoRiNAUD, ^, Maire de Constantine.
Composition du Bureau pour 1911
Président :
1^^ Vice- Président :
2^ Vice- Président :
Secrétaire :
Secrétaire- Adjoint
Trésorier :
M. Maguelonne.
M. Hinglais.
M. Gustave Meucier.
M. ***
M. Patte.
M. Debuuge.
Trésorier- Adjoint : M. de Guibert.
Commission des Manuscrits
MM. Maguelonne, Président;
Hinglais,
Mercier (Gustave),
Debruge.
Membres
VI
1874 MM. HiNGLAis, O I U, proviseur en retraite, con-
servateur du Musée, bibliothécaire de la
ville, correspondant du Ministère, Cons-
tantine.
1899 Jaubert (l'abbé), 0 A 1|, chanoine honoraire,
secrétaire général de l'évêché, Constantine.
190i JoLY, architecte, délégué financier, Guelma,
correspondant du Ministère.
1908 JoLY, professeur à la Chaire d'arabe, à Cons-
tantin'^.
1907 JoNCHAY (du), e^, chef d'escadrons au 3*^ Chas-
seurs d'Afrique, à Constantine.
1910 Latourneuie (Maurice), 0 A ÇÈ . imprimeur,
Constantine.
1910 Lecocq, professeur au collège de Tlemcen.
1903 Leroy, |j , 0 I P, docteur en médecine,
conseiller général, Constantine.
1878 LuciANi, #,0 1 II, conseiller du Gouverne-
ment, Alger.
1892 Maguelonne, 0 I IJ, directeur des Domaines,
Constantine.
1907 Marçais, professeurà la Médersa, Constantine.
1891 Mejdoub ICalafat, 0 I P, professeur d'arabe
au Lycée, Constantine.
1896 Mercier (Gustave), 0 A 1|, avocat au barreau
de Constantine, ofïicier interprùtede réserve^
correspondant du Ministère.
1908 Merlin, directeur des Antiquités, à Tunis.
1904 Montagnon (l'abbé), 0 A CJ, à Khenchela.
1890 Morinaud (Emile), ^, ancien député, maire
de Constantine, Président du Conseil Géné-
ral, délégué financier.
1911 MouFFOK (Omar ben), commis de Préfecture,
Constantine.
1908 Narboni (Elie), à Constantine.
VII
1911 MM. Navon, direcleur de V Alliance israélUe, Gons-
tantine.
1909 Patte (Paul) , rédacteur h la IVéfeclure de
Constantine.
1903 RiRET, 0 A 1|, administrateur de la commune
mixte d'Oum-el-Bouaghi (Canrobert), cor-
respondant du Ministère.
1881 Robert, 0 I %^, administrateur principal en
retraite, correspondant du Ministère, Bordj-
bou-Arréridj (Constanline).
4903 Sabatier, ingénieur des Ponts et Chaussées,
à Sétif.
1907 SaintCalbre, 0 A ||, direcleur de la Mé-
dersa, à Conslantine.
1910 Thépknifr, contrôleur au Mont de Piélé ,
Conslantine.
1905 Vel, directeur de l'Hôpital, à Ménerville.
1906 ViGNON, surveillant général au Lycée de Cons-
lantine.
VIII
HKMBHES COHHESPONDANTS
1900 MM. Barry, 0 I If, inspecteur des fouilles de Tim-
gad, correspondant du Ministère, Timgad,
(Constanline).
1889 Bernard, architecte, 3, rue des Cordeliers,
Conipiègne.
1891 Bertrand (Louis), 0 I '||, conservateur du
Musée de Philippeville, correspondant du
Ministère
1903 Brunache, j^, 0 a ||, administrateur de corn ■
mune naixte,82, rue Michelet, Alger.
1900 Carton (Dr), %, 0 I ||, médecin -major de
l^e clas?e, président de l'Institut de Carthage
et de la Société d'archéologie de Sousse,
membre non résident du Comité, La Goulelle.
1910 Causse, conservateurdes Hypothèques, Balna.
1903 Cherbonneau, 0 A H, avoué, Sétif.
1888 Delattre (le R. P.), #^, 0 I if, prêtre mis-
sionnaire d'Alger, membre correspondant
de l'Institut, conservateur du Musée de
S* Louis de Carthage, La Goulell^Crunisie".
1890 DoMERGUE, topographe principal en retraite,
correspondant honoraire du Ministère,
Saint-Geniès (Aveyron).
1890 EspÉRANDiEU, %:, 0 I tl, commandant d'In-
fanterie en retraite, membre non résident du
Comité, 37, rue de Bellechasse, Paris.
1878 Farces, 0 ^, 0 I II, commandant en retraite»
correspondant du Ministère, Amplepuis
(Rhône).
1906 Flamand, f^, 0 I ||, chargé du cours à la
Faculté des sciences d'Alger, dirtcteur-
adjoint de la carte géologique, Alger-Mus-
lapha.
IX
1905 MM. François (l'abbé), curé à Constantine.
1894 Gauckler, ^, O I #, correspondant de l'Ins-
titut, 90, rue d'Assas, Paris.
1907 Gauthier^ Joseph (l'abbé), curé à Tocqueville.
1892 GcETscRY, 0 ^, 0 I II, général de division,
Nancy.
1874 GoYT, topographe principal en retraite, 31, rue
Saint André, Grenoble.
1893 GuÉRiN, 0 A tl, sous-directeur des Contri-
butions diverses en retraite, avocat, 4, rue
de Constantine, Alger.
1892 Hannezo, %, 0 1 II , commandant, corres-
pondant du Ministère, Mâcon.
1909 HovART, capitaine, affaires indigènes, à Khen-
chela.
1890 Jacquot, 0 I II, juge honoraire, 6, rue Fantin-
Latour, Grenoble.
1897 Leroy (Louis), 0 1 ||, explorateur, Biskra.
1901 LoiziLLON, administrateur de la commune
mixte des Bibans (Bordj-Medjana).
1888 MiLvoY, architecte, rue Dijon, 1, Amiens.
1907 Morris, O A CI, administrateur de la com-
mune mixte de La Meskiana (Constantine).
1908 Maitrot, 0 A "||, capitaine de gendarmerie,
à Bastia.
1908 NiCLOUx, lieutenant aux Affaires indigènes, à
Biskra.
1888 Fallu de Lessert, avocat, rue de Tournon,
17, Paris.
1910 Piquet, architecte, Aïn-Beïda.
1901 Ponté, propriétaire, à Mila, 21, rue Rohault-
de-Fleury, Constantine.
1910 REBUFFfcL, conducteur des Ponts et Chaussées,
à Batna.
1911 MM. REYGASSE,adminislraleur-adioint,Khenchela.
1902 RouQUETTE (Dr), #,[0 I t|, médecin-major
de 1'® classe, correspondant du Ministère,
. 4, place de la Liberté, Nice.
1875 Roy, 0 #, 0 I ^, ministre plénipotentiaire,
secrétaire général du gouvernement tuni-
sien, Tunis.
1885 Saladin, ^, 0 I i|, architecte, diplômé par
le Gouvernement, 69'^'^, boulevard de Cour-
celles, Paris.
1904 Sanrey , %, docteur en médecine, maire,
Batna.
1910 Simon, capilaine des affaires indigènes, déta-
ché à Casablanca.
1908 Solignac (Marcel), répétiteur au Collège de
Bône.
1892 T0U.TAIN, 0 I||, professeur à l'école des
Hautes Etudes. 25, rue du Four, Paris.
1903 Vallet, O a 1|, ancien publiciste, conseiller
général, Fedj-M'zala.
1893 Viré (C), avocat à Bordj-Menaïel (Alger).
Communes mixtes et divers venant en aide à la Société
Akbou.
Ain Touta.
Aïn-el- Ksar.
Aurès.
Aïn-M'lila.
Bibans.
Collo.
Cbâteaudun- du-Rhumel.
Djidjelli.
El-Milia.
Eulmas.
Guergour.
Jemmapes.
Khenchela.
Morsott.
Meskiana.
Soummam.
Souk-Ahras.
Taher.
Lycée de Conslantine.
Admis à l'écliange :
1907 ScHUTTER, professeur d'histoire à l'Université
d'Erlangen (Bavière).
XI
SOCIETES CORRESPONDANTES
Agf.n. — Société d'agriculture, sciences et arts.
Aix. — Académie des sciences, agriculture, arts et belles-
lettres.
— Société d'études provençales.
— Annales des facultés de droit et de lettres.
Alais. — Société scientifique et littéraire.
Alger. — École supérieure des Lettres.
— Société historique algérienne.
— Société de géograpliie d'Alger et de l'Afrique du
Nord.
Amiens. — Société des antiquaires de Picardie.
Angouléme. — Société archéologique et historique de la
Charente.
AucH. — Société archéologique du Gers.
AuTUN. — Société éduenne.
AvALLON. — Société d'études.
Avignon. — Académie de Vaucluse.
AuxERRE. — Société des sciences historiques et naturelles
de l'Yonne.
Bar-le-Duc. — Société des lettres, sciences et arts.
Beaune. — Société d'archéologie.
Beauvais. — Société académique d'archéologie, sciences
et arts du département de l'Oise.
Béziers. — Société archéologique, scientifique et littéraire.
Bône. — Académie d'Hippone.
Bordeaux. — Société archéologique.
— Société de géographie commerciale.
Bourg. — Bulletin de la Société de géographie de l'Ain.
Bourges. — Société historique, littéraire et artistique du
Cher.
Brest. — Société académique.
XII
Chambéry. — Société savoisienne d'histoire et d'archéo-
logie.
Chartres. — Société archéologique d'Eure-et-Loir.
Dax. — Société de Borda.
Douai. — Union géographique du Nord de la France.
Épinal. — Société d'émulation des Vosges.
Gap. — Société d'études des Hautes Alpes.
Grenoble. — Académie delphinale.
GuÉRET. — Société des sciences naturelles et archéologi-
ques de la Creuse.
Langres. — Société historique et archéologique.
Laon. — Société académique.
Limoges. — Société archéologique et historique du Li-
mousin.
Lyon. — Société littéraire, historique et archéologique.
— Académie des sciences, belles lettres et arts.
— Bulletin historique du diocèse de Lyon.
Le Mans. — Société historique et archéologique du Maine.
Marseille. — Société de statistique.
— Société archéologique de Provence, 63, bou-
levard Longchamps.
MoNTAUBAN. — Société archéologique du Tarnet-Garonne.
Montbéliard. — Société d'émulation.
Montpellier. — Société languedocienne de géographie.
— — Société archéologique.
Nancy. — Académie de Stanislas.
— Société d'archéologie lorraine et du musée his-
torique lorrain.
— Société de géographie de l'Est.
Nantes. — Société archéologique.
Narbonne. — Commission archéologique.
Nice. — Scciélé des lettres, sciences et arts.
Nîmes. — Académie du Gard.
Oran. — Société de géographie et d'archéologie.
Orléans. — Société archéologique et historique de l'Orléa-
nais.
mi
Paris. — Institut de France.
— Comité des travaux historiques et scientifiques
— Bulletin de l'Ecole des Charles.
— Société des antiquaires de France
— Société d'ethnographie.
— Société de géographie.
— Société d'anthropologie.
— Association pour l'encouragement des études
grecques.
— Société des études historiques.
— Reçue géographique internationale.
— Musée Guimet.
— Société académique indo-chinoise de France.
— Revue des Colonies et des Protectorats, ministère
des Colonies.
— Reçue de statistique.
— Réunion d'études algériennes, 12, galerie d'Or-
léans.
— Journal asiatique.
— Bulletin de la Société des études coloniales et
maritimes.
— Reçue archéologique .
— Reçue des études historiques.
Perpignan. — Société agricole^ scientifique et littéraire.
Poitiers. — Société des antiquaires de l'Ouest.
Reims. — Académie nationale.
Rennes. — Société archéologique d'Ille-et-Vilaine.
RoGHECHOUART. — Société des Amis des sciences et des
arts.
Rodez. — Société des lettres, sciences et arts del'Aveyron.
Rouen. — Commission des antiquités de la Seine -Infé-
rieure.
Saint -Brieug. — Société d'émulation des Côtes - du -
Nord.
Saint- DiÉ. — Société philomathique.
Saint-Malo. — Société historique et archéologique.
XlV
Saint-Omer. — Société des antiquaires de la Morinie.
Semur. — Société des sciences historiques et naturelles.
Sens. — Société archéologique.
SoissoNS. — Société archéologique, historique et scienti-
Hque.
SoussE. — Bulletin de la Société archéologique.
Toulon. — Académie du Var.
Toulouse. — Académie des sciences, inscriptions et belles-
lettres.
— Bulletin de la Société de géographie.
— Société archéologique du Midi de la France.
Tours. — Société d'archéologie de la Touraine.
— Société d'agriculture, sciences, arts et belles-
lettres du département d'Indre-et-Loire.
— Société de géographie.
Tunis. — Institut de Carthage. — Association tunisienne
des lettres, sciences et arts, à Tunis.
Valogne. — Mémoires de la Société archéologique.
Vannes. — Société polymathique du Morbihan.
Vervins. — Société archéologique.
XV
SOCXKTES ETHANGKRES
Allemagne. — Société d'anthropologie de Berlin.
Alsace- Lorraine. — Société d'histoire et d'archéologie de
la Lorraine, à Metz.
— Société pour la conservation des mo-
numenls historiques de l'/Vlsace, à
Strasbourg.
Amérique du Sud (La Plata). — Direction générale de
statistique de la province de Buenos-
Ayres.
Angleterre. — Société des antiquaires de Londres.
— Ecosse. — Société des Antiquaires, Edim-
bourg.
— Société des antiquaires de Cambridge.
— Institut canadien de Toronto (Canada).
— Société de numismatique et d'archéologie
de Montréal.
Belgique. — Société des Bollandistes, Bruxelles.
— Société d'archéologie de Bruxelles.
Brésil. — Musée national de Rio-Janeiro.
Egypte. — Institut égyptien, au Caire.
— Comité de conservation des monuments de l'art
arabe.
— Société khédivale de géographie, au Caire.
États-Unis d'Amérique. — Musée Paebody d'archéologie
et d'ethnographie américai-
ne de Cambridge.
— Institut Smithsonien de Wa-
shington.
— Commission d'inspection géo-
logique des Etats-Unis (Dé-
partement de l'Intérieur), à
Washington.
— Société d'anthropologie, à Wa-
shington
— Académie des sciences natu-
relles de Davenport, lowa.
icVi
États-Unis d'Améiuque. — Université de Californie, à
Berkeley.
Musée Hméricain d'histoire
naturelle, à New-York.
— AssDciation américaine pour
l'avancement des sciences,
à Washington.
Italie. — Institut archéologique d'Allemagne, à Rome.
— École française de Rome.
— Société africaine d'Italie, à Naples.
— Société africaine d'Italie, à Florence.
— Académie des Lincei, à Rome.
Norvège. — Université royale, à Christiana.
Pérou. — • Bulletin de la Société de géographie de Lima.
Suède. — Académie royale archéologique de Stockholm.
— Institut géologique de l'Université d'Upsala.
Suisse. — Société d'histoire et d'archéologie de Genève.
— Société de géographie de Berne.
— Nî^ — •
/ .v/jU
KT O TE
SUR LA
Route de Tébessa à Biskra
par Négriiie
L — de Théveste à Ad Majores
Appelé à Chéria par une affaire de service en
décembre 1905, j'ai eu le regret de ne pouvoir pren-
dre, au départ de Tébessa, la voie romaine de Thé-
veste à Ad Majores, par le Bahiret-el-Arneb et l'ai
seulement rejointe, à Bordj-Telidjène, d'où part, en
fait, mon itinéraire archéologique.
Au cours de cette traversée, malheureusement
trop rapide et trop entourée d'apparat officiel pour
que des reclierches m'aient été faciles, ni parfois
même possibles, mon attention et celle du Capitaine
Daugan (qui m'accompagnait à titre d'ofïicier d'or-
donnance), a été particulièrement attirée sur les dé-
tails qui suivent :
a) Quand on approche de l'extrémité sud du bas-
sin du Bahiret-Telidjène, on aperçoit, à environ
3''500 vers l'ouest, des ruines qui s'étendent, du
nord au sud, sur une longueur d'au moins 2 kilo-
mètres et qui paraissent correspondre exactement
à l'Henchir-Zoura de la carte au 1/200,000*.
mentionne même pas et il nous a été impossible de
découvrir, dans le rayon de la vue, aucune autre
trace des ruines décrites au tome xix du Recueil des
Notices de la Société de Constantine, que le puits, en
effet romain, qui donne son nom à ce point topogra-
phique. Il faut penser, en conséquence, que les dé-
bris antiques signalés à Bir-ben-Titaya seraient à
chercher sur un palier de la montagne;
d) Nous avons campé, à 11 kilomètres environ au
sud de Bir-ben-Titaya, au point que la carte dénomme
Ras-el-Euch, situé à l'entrée nord d'une gorge étroite
et sinueuse. Sur le rebord de la falaise, haute de 15
à 20 mètres, qui domine à l'est, le point de campe-
ment, s'étend un amas de ruines plus considérable
que les précédentes et où il paraît impossible de ne
pas reconnaître une autre station militaire. Le plateau
mamelonné, éperon détaché du Djebel -Meslane ,
qu'occupent les ruines, s'étend sur 3 ou 400 mètres
de longueur; il est dominé, au nord-ouest, par un
assez grand fort, en pierres de grand appareil, d'un
travail très soigné, dont les murs s'élèvent encore à
2'^50 ou 3 mètres au-dessus du sol.
Un phénomène difficile à expliquer a renversé, en
partie, les unes sur les autres, les gros blocs, par-
faitement taillés et ajustés, qui constituaient les mu-
railles et dont plusieurs portent des traces de mou-
lures. Les ruines d'une maison, de construction
assez élégante, avec atrium et bassin, sont parfaite-
ment reconnaissables, au nord-est des ruines, qui ne
paraissent pas avoir été entourées d'une enceinte.
A 200 mètres environ au sud du fortin, sur la
pente descendant à la rivière, est le soubassement,
haut encore de plus de 2 mètres, d'un assez beau
mausolée, à base carrée, orné de moulures, mais
sans aucune inscription apparente. Le mausolée a
été violé, comme l'ont été presque tous les monu-
ments semblables dans cette région et le sarcophage
fouillé.
e) La gorge étroite par laquelle s'écoulent, entre
le Djebel -Ong et le Djebel- Zerzour, les eaux de
l'Oued-Méchera est le seul point où quelques traces
de la voie romaine puissent être constatées, par
l'existence de débris d'une séguia maçonnée Je ne
vois, du reste, rien à ajouter à la description, pitto-
resque et très fidèle, que donne de ce passage la
Géographie comparée de la Province d'Afrique, par
MM. Ch. Tissot et S. Reinach (tome II, page 537),
si ce n'est que les vestiges de l'Henchir-el-Ansel
(Foum-el-Méchera) ont disparu ou sont, maintenant,
si peu apparents qu'il ne nous a pas été possible
de les reconnaître, quoique nous ayons fait grand
halte en ce point. La position indiquée serait, d'ail-
' leurs, bien choisie pour l'établissement d'un poste
appelé à surveiller l'entrée sud de la double gorge
de l'Oued-Méchera et de l'Oued-oum-Salah.
II. " Ad Majores (Bessen'ani)
Les ruines d'Ad-Majores, d'où vient sans doute
la dénomination du Djebel-Madjour, piton escarpé
qui les domine immédiatement, d'environ 250 mè-
tres, s'étendent en plaine, à l'extrémité d'un éperon
détaché de la montagne, à environ 6 kilomètres du
Ksar actuel de Négrine, auquel elles sont reliées par
une piste accidentée qui paraît se confondre avec la
voie antique.
— 6 -
Ces ruines, si on compare leur état actuel avec
la description qu'en donne l'ouvrage précité de
MM. Ch. Tissot et S. Reinacli, ont beaucoup souf-
fert, depuis 25 ans, ce qui paraît s'expliquer surtout
par l'action des agents atmosphériques sur le mé-
diocre calcaire employé par les Romains pour leurs
constructions de la région saharienne. Le ksar de
Négrine, qui est exclusivement construit en pisé, n'a
guère dû, en effet, emprunter de matériaux aux
ruines et je ne sache pas qu'aucun important travail
de route, de pont ou de barrage, exécuté dans leur
rayon immédiat, ait entraîné les indigènes à y faire
de sérieux emprunts. La construction moderne la
plus rapprochée est un barrage arabe, sur l'Oued-
Djarech, dont je parlerai plus loin et qui paraît bien
éloigné (32 kilomètres) pour qu'il ait été possible de
rien prendre à Besseriani.
Actuellement, les seules ruines apparentes, au-
dessus du sol, sont une partie de l'arc de triomphe,
ou porte monumentale, — signalé par Baudot {Re-
cueil de la Société de Constantine, année 1875, p. 120j
et, à quelques mètres de là, un pan de mur, en
pierres du Djebel-Madjour (sulfate de chaux cristal-
lin), qui s'effritent visiblement. Ce pan de mur paraît
à la veille de s'efïondrer.
Quant à l'enceinte de la ville antique, exactement
décrite dans la Géographie comparée de la Province
romaine d'Afrique (page 350) et qui figure bien un
polygone elliptique d'environ 1,800 mètres de déve-
loppement, on trouve encore, en les cherchant, les
murs extérieurs et les tours de flanquement, mais,
ces murs, actuellement, affleurent à peine le sol et
leur destruction paraît aller s'accélérant.
— 7 —
Seuls, les monuments de quelque importance,
comme l'arc de triomphe cité plus haut ou comme
les murs du fort dont je vais parler, avaient été
construits en calcaire dur, qui, plus résistant, a
laissé sur le sol des débris plus importants.
Ce fort (castrum) s'élève sur le côté sud de l'en-
ceinte; ses dimensions et le tracé ont été fidèlement
reproduits dans l'ouvrage de MM. Ch. Tissot et
S. Reinach, mais les pierres des murs (grand appa-
reil) ont, depuis la visite de M. Baudot, été entière-
ment renversées et sont éparses sur le sol. En outre,
rien ne reste actuellement debout des quatre portes
du fort.
Le capitaine Daugan et le capitaine Guéneau (du
service géographique de l'armée), qui visitaient les
ruines en détail, pendant que je montais, moi-même,
au Madjour, ont pu retrouver, gisant parmi les
blocs, toutes les inscriptions signalées par Baudot
et reproduites dans la Géographie comparée (pages 531
à 534;, moins celle de la porte de l'est, n^' 2478, du
VHP volume du Corpus. De nouvelles recherches
conduites par le capitaine Guéneau (qui réside tem-
porairement à Négrine, avec une brigade topogra-
phique;, permettront sans doute de retrouver les
quatre pierres qui la composent.
Le sol, à l'intérieur de l'enceinte, est semé de
nombreux débris de poterie antique et couvert de
traces de constructions diverses affleurant le sol.
Auprès de l'arc de triomphe, ou porte monumen-
tale, signalé plus haut, on trouve, en se dirigeant
vers l'ouest :
1° Le soubassement d'un mausolée, de forme
carrée, dont les pierres en calcaire dur, parfaitement
conservées, ont gardé des traces de moulures et de
sculptures;
2" Un certain nombre de stèles funéraires gisant
sur le sol.
De ce côté se trouvait évidemment la nécropole,
les tombes étant placées des deux côtés de la voie
romaine, venant de l'ouest, qui, d'ailleurs, se con-
fondait sans doute, vers Négrine, avec la route de
Théveste et qui pénétrait dans Ad Majores par la
porte monumentale dont je viens de parler.
Deux inscriptions ont été, entre autres, relevées
sur ces monuments par le capitaine Daugan ; je les
donne ci-contre, parce qu'elles paraissent présenter
quelque intérêt, en ce qu'elles montrent que Ad
Majores était, vraisemblablement, au moins au début
de l'occupation, une colonie de oétérans.
DM S-
SABINVS
FELIXVET
VIX • ANNIS
LXVIII • FILI
PATRI ME
RENTI FE
GERVNT
Un des objets de mon ascension du Djebel-Madjour
était le désir de retrouver quelque indice de la voie
romaine que le capitaine Ragot, dit suivre « la crête
de la montagne, » dans la direction de Tamaghza
(Ad Turres). Je dois dire que non seulement je
n'en ai rien trouvé, mais que ce que j'ai vu de cette
- 9 -
très difficile montagne m'a convaincu de Timpossi-
bilité de l'avoir jamais fait suivre par une route.
Le Djebel-Madjour et la longue arête, coupée de
rares brèches, qui le continue jusqu'à Gafsa, sous
les noms de Djebel-Toueref, Djebel-Rifour et (après
Tamaghza) Djebel-Zimra, Djebel-Seldja et Djebel-
Stah, sont impraticables, dans la direction est-ouest,
et les anciens (comme le font actuellement les indi-
gènes) ont toujours dû, pour se rendre de Négrine
à Tamaghza (de Ad Majores à Ad Turres), employer
une des deux pistes qui longent parallèlement le
pied de la chaîne, au nord et au sud.
Celle du nord, que les Arabes pratiquent de pré-
férence, peut-être par tradition et parce qu'elle a de
l'eau, est un peu plus courte et, assure-t-on, bordée
de ruines importantes que la brigade topographique
s'occupe de relever; elle rejoignait, vers Midès, la
voie romaine de Thélepte à Tacape, par Bir-el-Ater
et, débouchant dans le Sahara par la gorge de Foum-
en-Nâs, descendait, par Chebika (Spéculum), vers le
chott Gharsa.
Celle du sud devait passer par Seïada, groupe de
ruines antiques situées à 20 kilomètres au sud-est
de Besseriani, puis, par l'un des puits de Bir el-
Haouch (nord ou sud) et, de là, gagner, vers Oglat-
Ksira, la route précitée, ou encore remonter vers
Gafsa, par l'Oued-Melah.
Des recherches vont être poursuivies en vue de
découvrir, si possible, les bornes dont devaient être
jalonnés ces deux tronçons de route, longs de 30 à
35 kilomètres à peine, par lesquels (à n'en guère
douter) s'établissait la liaison entre la route straté-
gique du sud del'Aurèset la grande voie, également
militaire, conduisant à Gabès et au littoral Tripolitain.
- 10 -
III, — d'Ad Majores à Ad Médias
Les stations de cette route, d'après la version
rectifiée donnée par la Géographie comparée de la
Province romaine d'Afrique aux indications de la table
de Peutinger (en inversant, en outre, Tordre des
stations) sont les suivantes :
STATIONS
DISTA
en milles
NCES
en kilomèt.
LOCALITÉS
IDENTIFIÉES
A d Majorées
Ad Médias
XXVIII
41^408
Besseriani.
Henchir Taddert.
Badias.
XXV
37 025
Badès.
?
XXIV
35 544
Bir Bardou
Thahudeos
XXXIII
48 873
Thouda.
Ad Piscinam
IX
13 329
Biskra.
176^239
Les circonstances de mon inspection ne m'ont
permis de suivre, à peu près exactement, que la
première partie de cet itinéraire, entre Badès et Né-
grine; encore ai-je dû charger le capitaine Daugan
de reconnaître la partie est de la première étape, en
partant de Besseriani, pendant que je remontais moi-
même au nord-ouest jusqu'à Ferkane, pour nous
retrouver, à la grand'halte, sur l'Oued-Djarech.
Autant qu'il nous a paru, cette route, pour bordée
qu'elle ait été de bornes militaires, comme les voies
classées, n'a jamais dû être, pas plus qu'aujourd'hui,
une chaussée entretenue et établie d'après le type
classique. Tracée en ligne assez sensiblement droite,
à travers le Sahara septentrional, qui, dans cette
— 11 —
partie, est une plaine nue, si complètement unie que
les cours d'eau descendant vers les chotts changent
fréquemment de lit, elle a dû être une simple piste
de caracanes, seulement jalonnée de puits et de
postes. Tout au moins, n'avons-nous pu retrouver
aucun vestige de voie antique, même dans le voisi-
nage immédiat de ce qui subsiste des postes et des
bornes.
La recherche de celles de ces bornes dont le capi-
taine Ragot a signalé l'existence entre Besseriani et
Taddert, mais sans rien préciser et comme s'il rap-
portait la chose par renseignements, était au premier
rang de nos préoccupations et c'est surtout pour
repérer l'une d'elles, avec inscription, qu'un indigène
disait pouvoir précisément montrer, sur la rive
gauche de l'Oued- Djarech, que j'y avais envoyé
M. Daugan. La préoccupation s'est trouvée, comme
on verra, très fondée, car c'est sans doute à cette
recherche qu'aura été dû le sauoetaqe de cette inté-
ressante relique.
Grande avait été la déception du capitaine Daugan,
lorsqu'arrivant, sous la conduite de son guide indi-
gène, à l'emplacement en question, il s'était trouvé
en présence d'une excavation, d'apparence encore
récente, mais entièrement vide. Quelques bergers du
voisinage, pressés de questions, finirent par avouer
que la pierre avait dû être utilisée pour la construc-
tion d'un barrage établi, durant le dernier automne,
en vue d'étendre la zone d'irrigation de l'Oued-Dja-
rech et situé à 1,800 mètres environ à l'ouest-nord-
ouest de l'emplacement de la borne.
Le capitaine Daugan s'y étant rendu aussitôt,
aperçut en effet le barrage, long de plus de 200 mè-
- 12 —
très, dont avaient parlé les bergers arabes et déses-
péra, d'abord, de pouvoir rien retrouver sous sa
masse. Il entreprit, cependant, sans se décourager, la
recherche des pierres antiques, dont quelques-unes
faisaient saillie et fut assez heureux pour découvrir,
enfin, un fragment portant l'inscription MILIAXVIIII,
qui ne pouvait manquer d'appartenir à la borne cher-
chée, dont les autres parties restèrent cependant
introuvables.
Aussitôt instruit de ces circonstances, qui indi-
quaient une contravention formelle aux instructions
du Gouvernement Général, que j'avais moi-même
plusieurs fois renouvelées, j'invitai le commandant
Guénin, commandant supérieur du cercle deTébessa,
qui m'avait accorhpagné jusqu'à la limite de son
territoire, (séparé par l'Oued-Djarech de celui du
cercle de Khenchela), à ne pas s'éloigner, sans avoir
tout mis en œuvre pour compléter la trouvaille du
capitaine Daugan et réparer, ainsi, autant que pos-
sible, l'acte de vandalisme de ses administrés. Je
suis heureux d'ajouter immédiatement que, dans la
nuit même, je recevais, à Bir-Taddert, une lettre de
cet excellent officier supérieur, (dont j'aurai à parler
encore), m'informant de l'heureux résultat des re-
cherches faites sous sa direction, qui avaient remis
au jour, ou à peu près, la borne entière, fragmentée
en trois tronçons principaux (^\
(i) En raison de l'état de la borne XVIIII et pour éviter que ses dé-
bris soient, à nouveau, détournés, j'ai prescrit qu'ils soient rapportés à
Négrine, où la borne reconstituée sera conservée dans le 'Bordj; son
emplacement a été ou va être marqué par un signal en pierres, en même
temps qu'il a été repéré sur la carte à 1/400,000'= et le sera sur la
mappe à i/ioo,oooe que lèvent, actuellement, les officiers du service
géographique.
— 13 -
Borne milliaire de la route de
Ad Majores à Ad Piscinam,
trouvée
aux environs de l'Oued-Djarech
(Point 4 (lu croquis)
-7
IMP CAES
iHiiiniiiiii s E
VERO ////////
/[////IIII/IIIIIUII
MILIA
XVIIIl
Le chiffre de XVIIIÎ
millesinscrit sur la borne
paraît mesurer exacte-
ment la distance (28 kil.
139), qui sépare l'em-
placement de la borne
de Bir-Taddert, d'où
partait, par suite, le nu-
mérotage. Quant à la
dédicace à l'empereur
Sévère, le martelage du
mot qui précède et du
mot qui suit ce nom,
laisse sans solution la
question de savoir s'il
s'agit, soit d'un des em-
pereurs dits Syriens,
Septime ou Alexandre,
soit du collègue de l'em-
pereur Galère, dont le
règne a été singulière-
ment éphémère, mais à
qui, cependant, on pour-
rait admettre que la dé-
dicace s'appUquât, car
l'Afrique (par la répar-
tition de l'an 306) releva,
pendant un an environ,
de son admiinstration
et il a été trouvé, sur
une des routes inté-
rieures de l'Aurès, une
borne où son nom figure
avec celui de l'empereur
Galère.
— 14 —
On peut même se demander si le martelage subi
par l'inscription n'aurait pas eu pour objet d'appli-
quer à cet empereur une dédicace ancienne, qui visait
primitivement Septime, Sévère, ou son petit-neveu,
Alexandre. Ce petit problème recevra peut-être sa
solution quand pourront être étudiées, en parfaite
connaissance, les inscriptions relevées par les offi-
ciers du service géographique sur les bornes mil-
liaires de cette région (i).
Nous-mêmes en avons cherché, en poursuivant
notre route; malheureusement, il ne nous a été pos-
sible d'en trouver aucune, entre Bir-Taddert et Badès ;
et j'ai d'autant plus regretté cette circonstance que
peut-être eussions nous pu, si le numérotage des
bornes, à l'ouest de Bir-Taddert, avait eu aussi cette
station pour point de départ, trouver là l'explication
du nom de Ad Médias que lui avaient donné les
Romains. Car, que veut dire ce nom de Ad Médias
et de quel itinéraire cette station était-elle le milieu?
De la route de Lambèse à Théveste, par le sud de
l'Aurès? Non, sans doute, car les chifïres ne con-
cordent pas, la distance totale étant d'environ 436 ki-
lomètres, alors que celle de Taddert à Tébessa, par
Négrine, n'atteint même pas 200 kilomètres (à peu
(I) Le capitaine Guéneau m'écrit que ses officiers et lui ont retrouvé,
entre Bir-Taddert et Bir-Douhali, la borne signalée par Ragot portant
dédicace de Minicius Natalis à Nerva (ou plutôt, croirais-je, à Trajan),
puis, deux milliaires encore debout, portant le numérotage IIX et XIII,
l'une sans insciiption, l'autre avec une inscription dégradée. Aux der-
nières nouvelles, les officiers de la brigade topographique avaient repéré
une douzaine d'autres bornes, (dont plusieurs à l'état de gisement), à
5 kilomètres au sud-ouest de Montana. Quelques-unes de ces bornes
seraient frustes. Le capitaine Guéneau, sans attendre la publication du
rapport annuel destiné à être inséré au Bulletin archéologique du Minis-
tère de l'Instruction publique, a bien voulu m'envoyer à ce sujet les élé-
ments de la notice ci-après, n«> 2, page 25.
— 15 —
près 195). Serait-ce, alors, le milieu de la distance
entre Lambèse et Tacape? La chose ne semblerait
pas impossible, à la condition qu'il s'agisse d'un itiné-
raire direct, par Gafsa; mais ce problème nouveau
ne pourra être éclairci que si on trouve, à l'est de
Besseriani, de nouvelles bornes (dont j'ai recom-
mandé la recherche) et si on constate qu'elles conti-
nuent le numérotage dont nous avons trouvé l'origine
à Taddert.
IV. ~ M Médias (Henchir ou Bir-Taddert)
L'emplacement àQ Ad Médias, qui semble exacte-
ment identifiée Bir-Taddert, n'est, plus actuellement,
marqué que par un puits, d'origine romaine, de 45
mètres de profondeur.
Autour de ce puits, surtout à l'est et au nord-est,
des uimalus, d'un très faible relief, marquent l'em-
placement de l'ancienne ville, dont rien ou presque
rien n'émerge plus au-dessus du sol. Mais une
incroyable quantité de débris de poterie jonchent la
terre et, parmi elles, à fleur de sol, se rencontrent
quelques monnaies. J'ai pu, moi-même, recueillir
ainsi, sans recherche, en parcourant les ruines pour
relever les fondations des monuments importants,
huit pièces de bronze assez détériorées, mais qui
peuvent peut-être aider à déterminer une époque.
Il ne nous a pas été possible de relever sur le sol
d'autres emplacements nettement déterminés que
ceux de deux enceintes, carrées ou presque carrées,
formées de murs d'une épaisseur de 0"80, qui cor-
respondrait assez à celle de postes fortifiés ou cita-
delles, quoique ces fondations soient en pierres de
-le-
petit appareil, irrégulièrement taillées. Mais ceci
s'explique si j'ajoute qu'il n'existe aucune pierre,
dans un rayon de 25 à 30 kilomètres autour de
Taddert.
La plus petite des deux enceintes, située à l'ouest
et qui forme un carré régulier de 50 mètres de côté,
contient le puits romain. La plus grande, qui forme
un carré long de 55 mètres sur 50, avec une porte
de 2 mètres de largeur sur le côté sud-est, est située
à 250 mètres à l'est de la précédente.
De Taddert on aperçoit distinctement, à environ
6 kilomètres au nord, un autre puits, également
couvert par nos soins, que les indigènes affirment
être aussi de construction romaine et qu'ils dénom-
ment Blr-Reteni. Ce puits paraît occuper assez
exactement l'emplacement figuré sur les cartes au
1/400,000^ et au 1/800,000% sous le nom de N'fida
Sidi- Abdallah, d'où partent deux pistes, l'une, au
nord-ouest, qui remonte vers Taberga, par la gorge
de rOued-Ensira et par le Foum-Dradji et la vallée
de l'Oued-Bidjer, l'autre, au nord-est, qui, coupant au
court, par l'Oued-Sidi-Abdallah, rejoint, sur le cours
supérieur de l'Oued-bou-Dokhan, le chemin de Guen-
tis, qui relie Tébessa à cette partie du Sahara, par
Sidi-Abid, Aïn-Guerra et Ghéria; (on sait qu'il existe
près de Sidi-Abid des ruines qui seraient celles d'un
poste militaire romain).
Mon itinéraire, au départ de Taddert, a continué
à se confondre avec la voie antique, jusqu'au pas-
sage de rOued-Tagmit, à partir duquel j'ai obliqué
sensiblement à l'ouest pour gagner Zeribet- Ahmed ^
laissant à droite la piste qui conduit, au nord-ouest,
- 17 -
directement sur Baclès, qu'on aperçoit du reste
d'assez loin, malgré son faible relief et qui jalonne
la direction du débouché de l'Oued-el-Arab.
Zéribet- Ahmed, où j'ai fait étape, s'élève sur un
petit mamelon, naturel ou artificiel, qui n'a gardé
aucune trace extérieure d'occupation romaine. J'in-
cline fortement à penser, cependant, que le miséra-
ble village actuel doit occuper l'emplacement d'un
ancien poste romain, bien placé pour surveiller la
piste toujours très fréquentée, qui conduit dans le
Sahara méridional, par Bir Hamadja (où on signale
des vestiges antiques), et par le puits d'Oglaat-Badja,
seul point d'eau et passage toujours assuré entre le
Chott Sellem et la tête des eaux du Chott Rharsa.
7. _ Badias (Badès )
Badias ou Badès est construit, comme Zéribet-
Ahmed, sur un léger renflement du sol qui a toutes
les apparences d'un tumulus, exhaussé sans doute
par l'accumulation des débris antiques (de 8 à 10
mètres de hauteur totale) sur lequel est bâti le
village arabe.
Les traces du poste romain (Limes Badiensis),
percent, du reste, en dilférents points, sous les terres
du monticule. D'assez notables débris, demi-enterrés,
de l'enceinte sont très visibles sur u;ie hauteur de
3 à 4 mètres, en difïérents points de la lisière nord
du village.
Ce mur, constitué par des lits de briques rouges
(de 6 centimètres d'épaisseur sur 40 centimètres de
largeur et de longeur), que séparent des couches de
blocage d'environ 20 centimètres d'épaisseur, se
- 18 -
présente sous l'aspect indiqué dans le croquis ci-
dessous :
Oni40
Il est difficile d'apprécier l'épaisseur du mur, en
apparence considérable, la face intérieure étant noyée
dans les terres du monticule qui supporte le village
arabe; on peut, cependant, l'évaluer au minimum à
1 mètre.
Vers l'est de l'enceinte antique, à peu de distance
d'une des piscines dont il va être parlé, se voit, aux
trois quarts enfoncée dans le sol, la partie supérieure
d'une porte, également construite en briques et
moellons (ou galets de l'oued), avec voûte en encor-
bellement.
Deux grandes piscines, d'origine antique, subsis-
tent en dehors de l'enceinte. L'une d'elles est encore
utilisée; l'autre, actuellement desséchée, est située
sur la face nord de Badès. Les habitants ont gardé
le souvenir cVescaliers en pierre, par lesquels on
descendait jadis pour prendre l'eau dans cette se-
conde piscine et qui sont noyés dans les talus.
A 800 mètres au nord-est du village est un puits
romain, assez profond et d'un grand diamètre, qui
ne semble plus contenir d'eau. Ce puits est complè-
tement maçonné en briques; on accède à une pro-
— 19 —
fondeur de 8 à 10 mètres qui doit coi'respondre à
l'ancien ])lan d'eau, par une galerie oblique, taillée
dans le tuf et maçonnée, par parties, dans laipielle
est descendu, en ma présence, un arabe qui m'a
rapporté une grande bri(|ue identique à celles de
l'enceinte et dont on ne peut douter qu'elle soit ro-
maine.
Un double pan de mur, de 4 mètres environ de
hauteur et d'une grande épaisseur, formant au som-
met demi-voùte, s'élève sur la face est de Badès.
Ces deux blocs de maçonnerie constituent les stades
ruines romaines s'élevant au-dessus du sol et attirent
l'œil quand on arrive au village, venant du sud. Il
paraît admissible qu'elles soient les derniers vestiges
d'un château d'eau. Cette hypothèse paraît plus vrai-
semblable que celle qui ferait de cette construction
une tour de garde, en raison de son éloignement
(environ 80 mètres) du village et de son voisinage
d'une large séguia, en partie maçonnée, qui peut
avoir une origine antique.
Il semble que des fouilles opérées dans l'intérieur
de Badès donneraient quelques résultats ; mais il
faudrait sacrifier en partie le village arabe, d'ailleurs,
d'une extrême pauvreté, et dont les habitants, peu
nombreux, se nourrissent presque exclusivement
d'orge bouillie.
L'autorité militaire a utilisé le relief relatif et la
position isolée du village, construit en plaine, à envi-
ron 9 kilomètres des derniers contreforts de l'Aurès,
pour y établir, à l'angle sud-ouest, un poste optique
(ju'on aperçoit, dominant le village, dans les photo-
graphies donnant la vue d'ensemble. Un examen
attentif n'a permis de découvrir, dans cette construc-
- 20 -
tion, aucune trace de matériaux antiques, non plus
d'ailleurs, que de bornes, de colonnes ou d'inscrip-
tions, dans le village et aux environs immédiats.
On serait tenté de croire, dans ces conditions, que
Badès eût été un centre peu peuplé, exclusivement
militaire, de surveillance et de correspondance,
n'était le développement de restes, très authentiques,
d'importants travaux d'adduction d'eau, d'origine
romaine, qui subsistent entre Badès, Liana, El-Ksar
et Khanga-Sidi-Nadji, en amont duquel village étaient
captées les eaux de l'Oued-el-Arab.
Ces conduites, assez considérables et assez bien
conservées pour qu'il puisse être encore, actuelle-
ment, question de reconstituer les parties extérieures
qui ont, seules, souffert, en vue de rétablir autour
des centres précités une large zone d'irrigation, ont
été découvertes, en 1899, par M. le capitaine Touchard,
aujourd'hui chef de bureau arabe de Touggourt, dont
l'étude, aussi consciencieuse qu'intelligente et sus-
ceptible d'être féconde en résultats, se résume en ce
qui suit.
En visitant attentivement les abords du village de
Badès, cet officier avait constaté qu'il subsiste, dans
un des pans de la muraille d'enceinte romaine, des
vestiges, très nets, d'un tronçon de canal en grosses
briques cimentées, qui pénètre dans l'enceinte, en
traversant la muraille. Un peu plus loin, dans la
direction de Liana et à 600 mètres de Badès, il avait
de même rencontré, sur la rive gauche de l'Oued-el-
Arab, plusieurs blocs de maçonnerie informes, évi-
demment romains, qui semblent continuer le canal
et, plus loin encore, dans la même direction, mais
cette fois sur la berge opposée de l'oued, de très
Croquis des restes dune
Conduite deau romaine entre Bades et K han|a ■ S.di - Nadji
— 21 -
visibles tronçons d'une conduite d'eau maçonnée,
dont les indigènes affirmaient unanimement l'origine
antique.
C'est de ces premières constatations que le capi-
taine Touchard est parti pour rechercher s'il n'exis-
tait pas un vaste ensemble de travaux construits par
les Romains, ayant pour objet d'amener à Badès,
alors le seul centre romain de la région, les eaux
relativement abondantes descendant de la montagne
par la gorge de l'Oued-el-Arab.
En effet, les travaux de recherche aussitôt exé-
cutés, sous la direction du capitaine Touchard, par
les habitants de Liana, ne tardèrent pas à mettre au
jour, sur une étendue de 5 kilomètres environ, entre
leurs jardins. et ceux de l'oasis de Khanga-Sidi-
Nadji, une conduite, presque partout souterraine, de
construction évidemment romaine et en très bon
état de conservation sur la plus grande partie de sa
longueur.
Construite en cailloux de rivière, joints par de la
chaux hydraulique, qui, actuellement, a acquis la
dureté de la pierre, la conduite a 0™35 de largeur
sur 0"'40 de profondeur; ses parois intérieures sont
revêtues d'un léger enduit de ciment qui subsiste
encore en certaines parties.
L'épaisseur de la maçonnerie varie entre 0™20 et
0"40. La pente générale de la conduite est de 0'"08
par mètre, ce qui correspond à un débit d'environ
19 mètres cubes par minute.
Des traces visibles de culées maçonnées en béton
de ciment permettent d'affirmer que la conduite tra-
versait, en aqueduc, les ravins qui coupent, en ces
deux points, sa direction générale.
00 _
Enfin, les reclierches aboutirent encore à la décou-
verte de deux puits (regards ou puits d'extraction),
par lesquels on accédait à la galerie, dans la partie
qui précédait l'entrée d'un tunnel conduisant à l'Oued-
el-Arab par la palmeraie de Khanga-Sidi-Nadji. Les
parois des murs de ces puits sont en pierres sèches
et il ne paraît pas certain, qu'ils soient de construction
romaine.
Les intéressantes constatations du capitaine Tou-
chard ont servi à prouver, une fois de plus, le déve-
loppement que les Romains avaient su donner aux
travaux d'hydraulique agricole et les sacrifices fé-
conds qu'ils savaient consentir pour créer la vie,
jusque dans le désert.
Quant au projet, en apparence assez simple, de
rétablissement du canal décrit ci-dessus, il n'a pas
pris corps, jusqu'à présent, en raison du chifïre
encore relativement élevé du devis des dépenses et,
plus encore peut-être, à cause des rivalités existant
entre les villages de Badès, de Liana et de Khanga-
Sidi-Nadji, le dernier de ces centres (qui est de
beaucou[j le plus puissant) ayant ou croyant avoir
tout à perdre à la dérivation faite au bénéfice des
riverains d'aval.
Et il devient de moins en moins probable que ce
travail se fasse de sitôt, maintenant que la division
nouvelle de l'Algérie en deux grandes circonscrip-
tions administratives, étrangères, je ne voudrais pas
dire hostiles, l'une à l'autre, a placé Badès et Liana
dans les territoires du Sud, alors que Khanga-Sidi-
Nadji fait partie des territoires du Nord.
- 23 —
VI. — de Badès h Biskra
J'ai poursuivi, par Zérihet-el-Oueil, Ijir-Bardou,
Aïn-Naga et Sidi-Okba, (où j'ai, soit couché, soit fait
la grand ' halte) , ma route de Badès sur Biskra.
Cette route, en zigzag, ne m'a permis de ren-
contrer aucun vestige de centres romains ou de voie
antique.
Bir-Bardou, lui-même qui paraît répondre assez
bien à la station anonyme de la table de Peutinger,
n'a absolument conservé qu'un puits romain et deux
très faibles tumulus, semés de quelques débris de
poterie commune, où il ne nous a môme pas été pos-
sible de trouver de pierres taillées. Evidemment, le
poste, s'il a existé en ce lieu, (ce qui est probable,
car la place est favorable pour surveiller les chemins,
très fréquentés, qui contournent, par l'est, le massif
de l'Ahmar-Khaddou), n'a jamais reçu un grand dé-
veloppement et ses constructions ont dû être faites
uniquement en moellons et en galets de rivières, qui
ont été facilement dispersés, après la retraite des
occupants.
VIL — Nous complémentaires
Note 1 (Voir page 3)
Le capitaine Guéneau, à qui j'avais fait part de
mon observation qu'il n'existe aucune trace de cons-
truction ou reconstruction Ijyzantine, dans la vallée,
si habitée, de l'Oued-Mechera, d'où mon doute que les
Byzantins aient étendu leur domination jusqu'au
Sahara, m'écrit qu'il a trouvé, engagés dans les
derniers débris de murs qui subsistent à Besseriani,
— 91 —
deux caissons funéraires, ({u'ii n'a pu qu'im[)arfaite-
ment déchiffrer, les lettres étant remplies par un
mortier très dur.
Il y voit (avec raison, je pense, étant donnés les
procédés connus des Byzantins), la preuve qu'ils
avaient réoccupé Ad Majores et y avaient au moins
établi un poste fortifié. .
Rien ne dit, d'ailleurs, qu'ils y soient parvenus
par la ligne, plus courte, mais militairement plus
dangereuse pour eux, de l'Oued-Mechera. Trois di-
rections : celle de Biskra (où ils se sont certainement
établis), celle de Tébessa (par Bir-el-Ater) et celle
de Gafsa (par Ad Turres) ont pu, en effet, les y
amener. En tout cas, le fait contesté de cette occu-
pation semble, désormais, très vraisemblable.
Le capitaine Guéneau donne, comme il suit, le
déchiffrement des deux caissons funéraires :
D -M-S . D . M . s
ANNIVS IVLIVS-SOREX
VENVSTV VIXIT ANNIS
S A N N I S L • A li M I L I A 0 P
VIXIT A T AT/LAVXOR
X MERENTl. FECIT.
(Les lettres sont d'ua bon style el d'une exécution soignée).
Note 2 (Voir page 12)
Il résulte d'une seconde communication du capi-
taine Guéneau, (qui a bien voulu y joindre le double
croquis, au i/400,000^ reproduit ci-après, où il a
reporté les emplacements exacts des bornes décou-
vertes par ses officiers et par lui-même), qu'ils
— 25 -
avaient, à la dote du 28 janvier 1906, trouvé cinq
bornes ou groupe de bornes, savoir : (Voir le croquis).
Point 1 . — La borne trouvée en ce point n'est
îutre que celle signalée par Ragot, portant une dé-
ilicace à Nerva (je crois plutôt à Trajan) par le légat
Minicius Natalis. Cette borne est située entre Bir-
Faddert et Bir Douhali (le capitaine Guéneau écrit
DjaliS à 3 milles d'Ad Médias.
Point 2. — Deux bornes encore debout, distantes
l'une de l'autre de 7 mètres, ont été trouvées au
point 2, situé à 22 kilomètres environ de Taddert,
à l'est de Bir-Douhali. L'une (celle de l'ouest) porte
simplement M ILI A (ce qui senable correspondre exacte-
T-.^ ment à la dislance, comptée de
11 X Bir-Taddert).
L'autre porte une dédicace dont la partie supé-
rieure a été martelée et où on n'a pu déchiffrer que
36 qui suit :
L R
V D V
L MINICIO NATALE
LEG- AVG- PR-PR-
XIII
Le 3^ bâton du chiffre 13 est mal gravé et sa lec-
;ure semble incertaine. Qu'il faille, d'ailleurs, lire
KII ou XIII, il paraît certain que cette distance
3'applique à une direction divergente, qui est proba-
blement celle du point 3 du croquis, situé, selon
:oute apparence, sur la route de Ferkane, peut-être
ivec eml)ranchement sur M'dila, où le capitaine
auéneau a reconnu l'existence d'importants vestiges
'omains et d'un castellum, qu'il compte explorer.
iwraltoîîasrijc j:r-rr
- 26
Point 3. — Le point 3, dénommé Henchir-Ouled-
Taouchi, est situésur la rive droite del'Oued-Montana
(Oued-Djarech), probaljlement sur la direction signa-
lée plus haut, conduisant de Taddert à Ferkane. On
y a trouvé, sur une espace d'environ 400 mètres,
cinq ou six bornes ayant beaucoup souffert, sur trois
desquelles le capitaine Guéneau a, cependant, réussi
à lire ce qui suit :
l"-" borne
2« borne
I M I G A
1/ M
I VLIVO PHIII
(à peu près illisible) A N t i 0
G E q D 1 0 F 1-: L I
^ ÛPl
VGPONT-MXI
RP- PP
3» borne (brisée en deux fragments et martelée partiellement)
IM? CAES/
♦
Foldout
Hère
♦
♦
♦
M
I^XJinSTES
ET
VESTIGES ANCIENS
RELEVES
DANS LA PROVINCE DE CONSTANTINE
1° Feuille Pliilippeville
(au 1/200,000 « de la carte topographiqvie de l'Algérie
du service géographinue de l'Armée )
1. Djebel-Skikda. Galeries anciennes à l'extrémité
N.-E. (Coquand, Description géologique de la province
de Constayitine, p. 19, d'après Fournel, Richesse miné-
rale, etc., I, p. 132-133).
3° Feuille Boue
( au 1/200,000° )
1. Filfila, Ajouter : Coquand, op. cit., p. 57-61-65,
aux références du n" 3 de VAtlas archéologique de
l'Algérie, Feuille Bône.
2. Filfila. Ajouter : Coquand, op. cit., p. 76 et 80,
à la liste des références des n"« 1 et 2 de VAtlas. —
Mine de fer au voisinage de l'acqueduc romain.
(Coquand, op. cit., p. 80).
- 30 -
3. Edour (ou Edough). Mines de fer exploitées par
les Romains dans les environs de Bône, Coquand
[op. cit., p. 23) et notamment près du marabout de
Sidi Ahmed ben Elhadj.
4. AïaElrnokra. Ajouter : Coquand {op. cit., p. 31)
aux références du n'' 23 de VÀtlas archéologique.
5. Djebcl-Taya. Coquand {op. cit., p. 83), dit que
les Indigènes exploitent depuis un temps immémo-
rial les gîtes d'antimoine. Un peu à l'E d'une grotte
occupée par les ouvriers de la mine, Coquand {op. cit.,
p. 83). signale une autre grotte avec inscription ro-
maine, qu'il suppose avoir été occupée par les chré-
tiens au temps des persécutions. Coquand {op. cit.
p. 68 et 95), indique une fontaine romaine (sic), dont
l'eau servait à irriguer les jardins des Indigènes.
Coquand {op. cit., p. 65), signale encore des ruines
dites de Ksantina Gue lima au S.-E. du Filiila, dans
une direction aboutissant à un point situé à 10 kil.
au S. du lac Fezzara.
Puis {op. cit., p 132), des ruines (?) à Oum-Gueri-
guech, dans les montagnes.
Je n'ai pu retrouver ces deux points sur les cartes.
3° Feuille Le Hliroiib
(au 1/50,000")
1. Bou Nouara. Escargotière avec silex, coupée par
la voie ferrée, côté droit, en allant de Bou-Nouara au
Khroub, en face les poteaux télégraphiques 13 et 14,
à environ 200 mètres 0. de la gare (Pallary).
2. El-Guera. Entre les points 810 et 816, à l'E. du
village, enceinte de gros blocs, reste de vieux murs
berbères (Pallary)
- 31 -
3. Entre Aïa-boii-Merzoug et la maisonnette du
passage à niveau, doubles murs berbères bien
conservés (Pollary).
N,-B. Les dolmens de Ja région d'Ain- bou-Merzoug seraient appelés
maaden , Jjc-s par les Indigènes, d'après M. Joleaud.
4° feuille Boii'Taleb
(au l/200,00(>j
1. Bazinas ruinées à ISgaou?., au-dessus de Ras-
el-Aïn.
2. Bazinas ruinées dans la forêt, entre Ngaous et
Bir-Ouled-Aouf ei vestiges probal)les de dolmens-
blocs debout entourés de pierres en tas circulaires.
3. A l'E. de liir-Ouled-Aouf, chemin allant sur Aïn-
Touta, pendant 2 kilomètres ou plus, nombreuses
bazinas ruinées et tumulus.
4. Oiied-Berrich, a l'emplacement de la mechta et de
la mosquée, sis peu à l'amont de l'endroit où le cours
d'eau sort des montagnes (Zaouya de Sidi Mostapha
El Abbasi), ruines romaines sur 200^x100™ d'étendue.
5. La ruine romaine indiquée au n' 189 de V Atlas,
entre Aïn-ben-Azzouz et Sotiane, ne me paraît pas
mérite rl'épithète de « sans importance » que lui donne
l'Atlas, puisqu'elle occupe une surface de plus de
300"^ X 300"'.
5° Veuille El-Kaiitai*a
(au 1/200,000 )
1 . Toutes les terrasses caillouteuses bordant au N.
la plaine du Hodna, entre le débouché de l'Oued-
Berrich et Sofiane, sont semées de bazinas générale-
ment mal conservées, mais quelquefois très grandes;
sur ces mêmes terrasses, en face le débouché de
- 32 -
rOued-Çaboune, à 4kil. environ au sud du pied des
montagnes, on trouve, de loin en loin, des vestiges
d'agglomérations construites en gros cailloux ou en
pierres sèches; juste en face la coupure de l'Oued-
Çaboune, fondations d'enceinte avec tours en gros
cailloux plus soigneusement assemblés.
2. Sur ces mêmes terrasses, au débouché de
rOued-Berriche, petite ruine romaine (bourg) et ves-
tiges aussi d'une agglomération indigène.
6° Feuille Aiirès
(au l/200,flOO«)
Tout à 'ait dans l'angle N.-E., sur le chemin d'Ain -
Touta à rOued Berriche, Bir-Ouled-Aouf et Ngaous,
vestiges de bazinas et ruines de constructions avec
quelques pierres de taille.
7° Feuille Biskra
(au 1/200.000=)
1. Chaîne de collines allant de la prise d'eau vers
le S.-O., quantité de tombeaux préislamiques circu-
laires, en cailloux (bazinas) efïondrés. Quelques-uns
ont été monumentaux. Vestiges de plates-formes les
supportant ou de murs en cailloux allant des uns
aux autres. Ces tombeaux occupent surtout le som-
met des collines, mais aussi quelquefois les flancs
ou le pied. Silex (racloirs, pointes de flèches), gros-
sièrement taillés, alentour.
2. A l'ouest de la voie du tramway de Biskra au
Hammam, dans la boucle que décrit cette voie, en
contournant l'extrémité des collines précitées, tom-
bes analogues aux précédentes.
— 33 —
3. Pied de l'extrémité K. de Eddelouate, vestiges
de bazinas mal conservées, en grande partie cachées
par le sable et les éboulis de la montagne.
4. Au Vieux -Biskra, dans le mamelon dit le
" Fort turc", on trouve les restes d'une forteresse
en pierres de taille de gros appareil (travertin dur,
amené de loin) avec tour carrée à l'O; cette cons-
truction paraît bien antérieure aux Turcs; elle sem-
ble romaine ou byzantine, et paraît profondément
engagée dans la terre accumulée autour d'elle.
§0 Région de McgHiic
1. Auprès de Négrine, versant S. de Coudiat-
el-Maïz, le long de la piste de Négrine à Midès, silex.
2. Oued-Haci-Elkerma, en bordure, tombeaux pré-
islamiques circulaires, dits rejem, dans le pays.
3. liir-Zarif-Elouaar, foyer et escargotière à 30 mè-
tres du puits sur la rive gauche d'un petit ravin.
Ces renseignements relatifs à la région de Négrine
m'ont été commun"qués en juillet 1909, par M. Pal-
lary, qui les tenait de M. Roux, ingénieur à la Com-
pagnie des Phosphates de Redeyef.
9" Feuille Saiut-Donat
(au 1/50,000")
Sur la rive gauche de l'oued El-Mehari, en amont
de la voie ferrée, vestiges de bazinas.
10° ïenîlle Sîdî-Dris
(au 1/50,000^)
Dans l'E. de la feuille, au pied du Djebel Souari,
vers l'extrémité O. de ce relief, ruines romaines
(ferme).
— 34 —
11° Coiistantiiic
Je signalerai, pour terminer, une inscription funé-
raire portée sur une stèle découverte au Coudiat-Ati,
en décapant cette colline.
D. M.
C I VLl Vd Ç^ G F
Q VIH (^ FELIX
V I<: S T I A H I
V S Çi? V (i? A
L X X X X \' I
H <^ S ci) E
A. JOLY et L. JOLEAUD.
LES
REFUGES AÉRIENS DE L'AURÈS
. — M>3^-gï^^^?i>^ —
Notre attention a été attirée, lors d'ime excursion
dans l'Aurès (en 1903), par de singulières habitations
— évidemment très anciennes et aujourd'hui pour
la plupart abandonnées — rencontrées aux abords
du chemin muletier de Khenchela à Zeribet-el-Oued,
C'est exactement entre Taljerga et Zaouïa, dans le
flanc du Kef-Tarit et à l'ouest du chemin, que nous
avons aperçu les refuges dont nous allons parler;
mais Raskalla (le brigadier deïra de Khenchela qui
nous servait de guide) nous a signalé d'autres habi-
tations du même genre sur la rive opposée de l'Oued-
Magrahmer (?), d à Guibel (?).
La légende raconte que Tarit était une jeune femme
du pays chaouïa, fille du sultan de Gasba; quant à
la tradition elle rapporte que les refuges aériens sont
antérieurs à la conquête romaine et elle veut que ce
soit les soldats italiens qui aient coupé les commu-
nications primitives y donnant accès afin d'avoir les
populations locales à leur merci. Enfin, Raskalla
'nous a assuré que certains de ces refuges ont encore
(1) Nom à rapprocher de Magiaoua, ruine romaine sur uu rocher
isolé, à l'entrée des gorges de Haramatn-Guergour.
- 36 - * '^
servi de réduits aux indigènes à l'époque des Turcs
et que les Chaouïa s'y retranchaient lorsqu'une co-
lonne de janissaires était signalée dans la région.
Nous ajouterons, pour l'avoir constaté de visu,
que la i)iste muletière longeant le pied des rochers
(et souvent resserrée entre ceux-ci et la rivière au
|)oint de former un vérital)le défilé) est le passage
habituel des caravanes remontant du Sahara au Tell
ou vice versa. Cette circonstance pourrait expliquer
que si Kef-Tarit a déjà été occupé aux é})oques loin-
taines dont nous parlons plus haut, c'est précisément
à cause de sa situation sur un point de transhumance
ou de migration archiséculaire.(i) Les Romains, qui
savaient profiter de tous les avantages topographiques
des pays conquis et qui connaissaient admirablement
'leurs possessions, n'ignoraient pas l'importance du
passage de Kef-Tarit; aussi, entre leur centre agri-
cole deZaouïa et l'entrée du défilé (à Gasba), avaient-
ils édifié un poste militaire, poste peu considéralile
en vérité comme étendue, mais d'une très grande
utilité pour protéger leurs communications de ce
côté de l'Aurès.
De chaque côté de la rivière, à Kef-Tarit, la mon-
tagne est taillée à pic et se présente sous ra])parence
d'une gigantesque falaise de 100 à 150 mètres de
hauteur, dont le sommet est horizontal et couvert de
pâturages ou de broussailles. Tantôt cette vertigi-
neuse muraille est baignée directement par la rivière
et tantôt les éboulis ont formé au pied du rocher un
(1) Tel est le col situé au pied et à l'est du massif des Mouassa, entre
le Bou-Thaleb et le Guetiane et que borde le fameux mur appelé
Kret-Faraoun. Ce col est un passage pour les caravanes venant du sud
et allant esliver dans la plaine de Sétif.
Croquis schématique des refuges aériens de rOuecl-Tarit, sur la piste de Khenchela
à Zéribet-el-Oued
- 38 -
talus plus ou moins large et haut, mais toujours
très incliné, d'où émergent, çà et là, d'énormes (]uar-
tiers de rocs et les troncs contournés d'oliviers mil-
lénaires s'élevant au-dessus des fourrés de lentis-
ques sauvages et des buissons plus gais de lauriers-
roses.
Mais ces falaises ne sont pas unies : la montagne
étant formée de couches superposées de roches de
dureté différente, les plus tendres ont été effritées
par l'action des agents atmosphériques tandis que
les plus résistantes demeuraient intactes. De là une
succession de terrasses légèrement en saillie sur le
vide et d'anfractuosités dont le fond recule de 3, 4
ou 5 mètres sur la face verticale. Entre le plancher
d'une terrasse et le plafond formé par le dessous de
la terrasse supérieure, le vide est d'à peu près 9 à
12 pieds.
C'est dans cet intervalle, sur les corniches les plus
élevées, que les indigènes primitifs — ancêtres de
nos chaouïa modernes — avaient édifié leurs habita-
tions, construites en pierres sèches et en boue :
habitations dont la nature s'était chargé de fournir
le plancher, le plafond et la muraille de fond, ne
laissant à l'industrie l)erbère ({ue le soin d'élever les
façades et les murs de refend.
Ces abris ont parfois près de cent mètres d'éten-
due. On conçoit que des demeures aériennes comme
celles-ci devaient être parfaitement à l'abri d'un coup
de main, des inondations, des risques de neige et de
pluie, et des visites des fauves — si nombreux jadis
dans tout l'Aurès.
Mais, comment y accéder? va-t-on me demander.
Les Berbères avaient deux procédés à leur disi)0-
sition : 1" Les échelles; 2° Le monte-charge.
- 39 —
Dans la ]»roinièi'e niaiiièrc, ils disposaidil iiiu^ série
de courtes échelles de terrasse en terrasse, eu pro-
fitaut des cassures de la roche pour |)asser d'un
gradin à l'autre. Quelques-unes de ces échelles sub-
sistent encore, nous a-t-on dit; mais pour y aller
voir il faut avoir une grande habitude de la gymnas-
tique et ne pas craindre le vertige. Ce n'était mallieu-
sement pas notre cas!
Dans ce procédé, il suffisait de retirer quelques
échelles pour rendre toute escalade impossible. Les
assiégés, qui avaient en permanence dans leur aire
des provisions de grain et d'eau, se riaient de leurs
ennemis qui — l;)ientôt lassés et atïamés — ne tar-
daient pas à abandonner le blocus.
Quant aux troui)eaux, seule richesse de ces pau-
vres gens, on les faisait filer à la première alerte sur
les sommets de la montagne par des sentiers abrupts,
qu'un quartier de roc roulé en travers pouvait barrer
et qu'une poignée de Ijergers, armés de frondes et
de bâtons, suffisaient pour garder.
La deuxième manière, avons-nous dit, était le
monte-charge. Voici en quoi elle consistait :
Sur la terrasse choisie pour y haljiter on fixait
solidement une poulie, attachée au plafond et légère-
ment en saillie sur la corniche. Une corde, dont la
longueur était calculée sur la hauteur de la falaise,
permettait de descendre un panier (une benne, si
vous préférez ) qu'on remontait ensuite pour inter-
cepter la communication. Dans ce panier prenaient
place, un à un, les haljitant.s que les nécessités de
l'existence appelaient en bas et on y plaçait les vivres
et les objets destinés à être utilisés en haut.
Quand toute la |)Oj)ulation était appelée, par les
- 40 —
travaux agricoles, à descendie dans la vallée, un gar-
dien fasses) demeurait sur la terrasse de la jjoulie
afin de pouvoir faire manœuvrer le treuil quand le
besoin s'en présentait.
Il est prol)al)le, d'ailleurs, que la tribu devait rési-
der habituellement en bas et n'occuper les gradins de
la falaise que dans les moments de troubles.
A une demi-heure sud de Zaouïa, contre le chemin
conduisant de cette oasis à Amra (et entre celui-ci
et la rivière), on remarque un gros bloc de rocher
qui a roulé de la montagne et qui présente jn'écisé-
ment — à la hauteur d'un premier étage — un abri
entre deux couches de roche dure : c'est Kef Gatous.
Des chaouïa ont muré le devant de l'anfractuosité
par une murette en pierres sèches et se sont fait
ainsi une haljitation très sortal)le et, à coup sûr, très
pittoresque.
Aux dires des habitants du pays cette construction
est très ancienne et ils l'attribuent aux barrbarr.
A Amra, village situé à une demi-heure sud de
Kef-Gatous, nous avons visité une troisième espèce
de refuge : celui de Tizi-Grarine.
C'est un énorme rocher — haut de 40 à 50 mètres,
long de 150 et large de 30 (très ai)proximativement)
— détaché de la montagne et demeuré sur le talus
d'éboulis, au milieu d'un véritaljle chaos de quartiers
de roches et de pierraille. Ce rocher est |)artout coujjé
à pic et déhe toute escalade. Du côté de la montagne
il s'est fendu en tombant et présente une fissure
large de 2 mètres, aussi haute que le bloc et remplie
de petites pierres, de terre et de détritus de toute
sorte. Ce remblai a été arrangé artificiellement de
façon à présenter un plan incliné permettant de gagner
- 41 -
farilement le sommet du rocher, (lui est })resque
plan. Une porte en ferme l'entrée inférieure; ses
montants sont scellés dans les ])arois des deux, par-
ties du rocher. A la sortie supérieure de la rampe,
la roche manque; pour })ermettre au chemin de re-
joindre la terrasse, on a fixé dans le rocher des claies
recouvertes de terre et qui reposent sur des troncs
d'arbres coincés dans les fissures. O On marche donc
sur le vide ! Une de ces claies enlevées, le refuge est
isolé de la terre ferme . . .
Comme la montagne est à cent mètres de Tizi-
Grarine, aucun jjrojectile ne pouvait atteindre ses
habitants.
Il paraît que cette forteresse était le refuge des
gens d'Amra à l'époque des incursions turques. Mais
je ne doute pas qu'elle ait été utilisée de tout temps et
je crois que des fouilles y feraient trouver des silex
et des tessons permettant de constater son occupa-
tion aux temps préhistoriques.
Nous ne terminerons pas cette notice sur les
refuges de l'Aurès sans rappeler les galaa , (-) ces
burgs indigènes en maçonnerie juchés sur les pitons
rocheux dominant les dédieras chaouïa et ne possé-
dant pour toute ouverture extérieure qu'une porte
étroite solidement verrouillée. Un gardien y habite
constamment et chaque famille du village voisin y
possède une chambre, sorte de grenier où elle en-
ferme ses objets les plus précieux quand la tribu
part en migration annuelle.
(1) Procédé usité dans certains chemins de montagne entre T'kout
el Médina, dans l'Aurès.
(2) Nature, 22 août 1903,
- 42 —
Ces chambres l'ont intérieurement le tour de la galaa
et s'étagent sur deux ou trois rangs de hauteur. Des
rampes en clayonnage permettent de monter depuis
la cour aux différents étages et une terrasse cir-
culaire termine le tout. C'est là que, aux épo(pies de
trouble, se tient en permanence Fasses — tel le guet-
teur surveillant la i)laine du haut du donjon d'un
castel médiéval.
L. JACQUOT,
Juge honoraire à Grenoble.
sous le sultan El Naçeur
L'histoire qui va suivre nous a été contée par un vieil
indigène kabyle de Bougie, très lettré, nommé Sakmadji;
elle jette un jour peu connu sur la moralité du règne du
sulian El Naceur, à Bougie, et nous a paru, à ce titre,
devoir intéresser les lecteurs du Recueil des Notices et
Mémoires de la Société archéologique :
C'était sous le règne du sultan El Naceur, alors
que Bougie, déjà nommée la "petite Mekke ", bril-
lait dans le monde par ses sciences, ses arts et
l'instruction de ses habitants. C'était aussi l'époque
où notre cité, par sa splendeur et ses magnifiques
palais, rendait jalouses Kairouan, Fez et Grenade,
et où son sultan, El Naceur, était à l'apogée de sa
gloire, voyait ses ordres exécutés de Tunis à Tlem-
cen, et venait de donner son nom " El Naceur " à
Bekaïa, à Bedjaïa, et à notre Bougie actuelle.
La gloire n'avait point enorgueilli les habitants de
notre ville; pénétrés de leur responsabilité, de leur
science et de leurs talents, ils ne faisaient point
ostentation de leur œuvre, sentiments qui abaissent
les caractères. Ils étaient dignes, bons, serviables,
et chaque maison, assure-t-on, avait au moins un
— 44 -
liomine dont la réputation de sagesse était telle que,
s'il survenait ([uelque conilit d'intérêts entre t'amilles,
le différend n'était pas porté devant le cadi ou tout
autre magistrat, mais on s'adressait à un ancien qui
mettait aussitôt les parties d'accord, sans qu'aucune
récrimination ne surgit, tellement le conseil ou le
jugement de l'arbitre émérite était empreint d'é({uité,
de sagesse et de désintéressement.
Les magistrats vivaient heureux d'un titre, mais
étaient choisis parmi des gens aisés, car les hono-
raires étaient rares et la majeure partie des habitants
les ignoraient ou à peu près, n'ayant jamais recours
à eux.
Or, c'est à ce moment qu'advint l'anecdote sui-
vante :
« Un musulman de la banlieue, cultivateur de son
état, nommé Amzian, vint un matin à El-Nasseria
pour y faire des acquisitions diverses. Il s'adressa à
un tadjer, j^^ (boutiquier), du nom de Boubeker
et lui acheta des épices, ainsi qu'une certaine quantité
d'étoffes et il fut convenu que cette étoffe serait me-
surée au draa, c^i j- (bras), qui est la mesure de la
main fermée au coude, et qui peut offrir certains
aléas, suivant que l'homme qui y a recours est plus
ou moins grand.
« Ce mode de mesurer suscita la difficulté qui causa
tout l'émoi de cette atïaire. En effet, ayant calculé le
total de ses achats, le long et sec Amzian, remit au
marchand, petit et replet comme le comportait son
état sédentaire, la somme de deux dinars en or et lui
laissa en garde ses acquisitions, qu'il devait revenir
prendre à sa sortie du bain maure. Le fait de cette
- 45 -
avance, ou laissant la niarchaiidise payée, prouve
l)ien la couliance (|ue les gens avaient, en ce lem|)s-là,
les uns vis-à-vis des autres.
« Son hain pris, Amzian revint à son tadjei' cl lut
surpris de voir l'étoffe déjà coupée; il la mesura avec
son bras et ne trouvant pas la (piautité qu'il ci'oyait
avoir achetée, se plaignit au marchand. Celui-ci répon-
dit que, d'après l'usage, c'était au vendeui' (jue ce
soin était réservé.
« Amzian déclara alors qu'il ne pouvait accepter
le marché dans ces conditions.
« Bùubeker, gardant tout son calme, dit au culti-
vateur : « Comme tu voudras, je suis prêt à te re-
mettre ton argent. »
« Mais Amzian, en colère devant la placidité de
son adversaire, se prenant le menton et la barbe de
la main droite, ce qui, selon lui, donnait force de
serment à son dire, prononça ces paroles : « Par ma
femme, oui, je le veux ainsi et j'exige que tu me
rendes les deux mêmes dinars que je t'ai remis. »
« Tu es bien imprudent de jurer ainsi, lui dit le
commerçant, comment veux-tu que je te rende tes
pièces; elles ont été placées par moi dans un sac avec
d'autres, je ne puis que te rendre la même valeur,
en pièces semblables si tu le désires, mais je suis
dans l'impossibilité d'accéder autrement à ta re-
quête. »
« Amzian persistant et voulant ne point se parju-
rer, dit à Boubeker : « Si tu ne veux pas accéder à
ce que je te demande, viens' avec moi devant le
Cadi. »
« Le Cadi ! reprit le négociant, mais il faut que tu
demeures bien loin de notre ville, pour faire cette
- 46 -
proposition; ne sais-tu pas que nous n'en avons pas
à El-Nasseria. Nos difïérends se tranchent tous de-
vant les hommes sages qui habitent au miheu de
nous et leurs avis, sans frais, tiennent pour nous
mieux que jugements et actes ofiiciels. »
« Gomment, reprit Amzian, je ne pourrai pas avoir
satisfaction? Mais, j'y pense, c'est aujourd'hui naar
el khemis (jeudi) jour du marché et c'est celui où notre
sultan El Naceur (que Dieu lui accorde sa bénédic-
tion!) tient ses audiences publiques, dans la cour de
son Palais de l'Etoile (nedjmaj 'i„5..r>ci • Viens avec
moi, allons devant lui. »
« Le commerçant, tout en regrettant de perdre
ainsi son temps pour un si singulier client, ayant
confié son magasin à son fils, consentit à suivre
Amzian.
« Ils entrèrent au Palais de l'Etoile et trouvèrent
le Sultan qui, entouré de trois ou quatre scribes
(khodjas) écoutait, assis sur des tapis, en plein air,
des administrés qui venaient recourir à sa justice ou
ou lui demander conseil.
« Lorsque le tour d'Amzian fut arrivé, celui-ci se
présenta, toujours suivi de Boubeker, et lui raconta
très exactement ce qui s'était passé entre son ven-
deur et lui; il ajouta qu'il aurait voulu faire résoudre
son affaire, sans le déranger, par le Cadi du bled (de
la ville), mais que Boubeker lui ayant appris qu'il
n'y en avait i)lus à Bougie, il le suppliait de lui faire
donner satisfaction.
« Le Sultan, qui avait écouté ce récit avec atten-
tion, se rendit compte à la fois de l'imprudence du
serment d'Amzian et de la bonne foi de Boubeker ;
ne trouvant pas le moyen d'arranger cette affaire, il
- 47 -
usa d'un subterfuge pour gagner du temps et,
s'adressant au négociant : « Comment, Boul)eker,
as-tu pu dire que dans ma bonne ville il n'y avait
pas de Cadi? Ne connais-ln pas Si Malireddin, le
légiste distingué, le savant (jui a ])lanclii dans l'étude
des commentateurs du " Livre '"^ Je vous ordonne à
tous les deux d'aller le trouver immédiatement et de
vous conformer à ce qu'il décidera.
« S'étant respectueusement inclinés, sans oser
ajouter une réflexion, les deux ])laideurs quittèrent
le palais du Sultan et se rendirent à la mahakma
(salle de séances du juge indigène). La salle était
vide comme d'babitude, et le vénérable clieikh, qui
déchifïrait un texte difficile, étonné d'être ainsi dé-
rangé dans son travail, interrompit immédiatement
sa lecture en raison de la rareté du fait, et engagea
Amzian à parler. Ce dernier fit de nouveau le récit
qu'il avait fait au Sultan.
« Le Cadi demanda alors à Boubeker si les faits
étaient exacts, s'il avait des objections à présenter,
celui-ci répondit : « Absolument rien, le récit est
fidèle ; le campagnard a été imprudent ; je désire une
seule chose, c'est que ta clairvoyance puisse résoudre
cette question au plus vite et que je sois rendu à
mes affaires.
« Le magistrat consulta alors différents manuscrits
placés à côté de lui et, après avoir réfléchi, se retour-
nant vers Amzian, lui parla ainsi : « Mon fils, tu as
été fort imprudent de t'ètre ainsi lié par un serment
aussi solennel, et dont la réalisation est impossible;
or, j'ai revu Sidi Klielil et deux autres commenta-
teurs, dont les autorités sont indéniables. »
« Ton serment, je le répète, ne peut avoir la solu-
— 48 -
tion voulue; donc ta femme doit te rester étrangère;
il te faut la divorcer aussitôt rentré chez toi. »
« Amzian, entendant cette sentence, veut parler
encore; on lui impose silence, et le Cadi, d'ailleurs,
a repris le cours de sa lecture.
(( Boubeker, après quelques mots de consolation,
quitte son compagnon forcé, et, après lui avoir dit
qu'il se tenait à sa disposition pour la forme du rem-
boursenient qu'il choisira, se hâte de regagner sa
boutique.
(( Le pauvre cultivateur sort de la mahakma dé-
solé; la question d'achat, de dinars, de rembourse-
ment n'existe plus dans son esprit ; son chagrin est
profond, il le voit sans remède; s'il ne veut encourir
la vengeance céleste, il doit quitter la femme qu'il
aime, vaillante au travail, dont il a déjà deux enfants
et qui en porte un troisième dans son sein. Il maudit
son imprévoyance, son emportement et ses fatales
paroles; sa peine est si grande qu'il se met à pleurer
en cheminant sans Init. A ce moment, un homme à
barbe blanche, que cette douleur étonne, s'arrête,
examine le malheureux, puis, compatissant à la peine
profonde que trahit son visage, lui adresse ainsi la
parole : « 0 cam})agnard ! (car ton costume révèle
cette indication), pourquoi |)leurer? tu es un homme,
il ne faut pas se laisser ainsi abattre. Reprends cou-
rage, nous sommes entre les mains de Dieu. Amzian,
sans s'arrêter, répond : « Oui, il vous sied bien de
ne pas comprendre la peine, parce que, sans doute,
vous êtes heureux et sans soucis. » « Eh bien! re-
prend le vieillard, à raconter ses maux on les sou-
lage. Quelle est ta peine? Si je puis m'em])loyer à la
diminuer, je ferai de mon mieux; voyons, dis-moi
ton chagrin » ; et il se met à marcher à côté de lui.
— 49 -
« Surpris d'alîord de ce témoignage de sympathie de
la })art d'un inconnu, Amzian le regarde plus atten-
tivement et lui explique dans quelle situation il se
trouvait.
« Effectivement, tu as été imprudent, lui dit le
vieillard, mais il n'est mal ({ui ne comporte son re-
mède. Voyons, viens avec moi chez ton marchand,
nous examinerons tous trois ce qu'il sera possible
de faire pour te tirer de cette fâcheuse position.
« Amzian se laisse guider sans grande confiance^
mais fasciné par l'air respectable et la bonhommie du
vieux cheikh.
« Ils arrivent chez le tadjer Boubeker. Le vieillard,
s'adressant au marchand : « Voici ce que ce paysan
vient de me raconter, tout cela est-il exact? » Sur
l'afïirmation de Boubeker, le cheikh Si Ahmed (ainsi
se nommait ce vieillard), lui demande : « Avez-vous
eu déjà des difficultés ensemble? Serais-tu disposé
à le tirer d'embarras? »
« Non, jamais, répondit Boubeker, c'est la première
fois que je me suis entretenu avec lui et Dieu aurait
bien dû le conduire ailleurs, car son imprévoyance
et son emportement ont fait tout le mal; je me suis
prêté à son désir, nous avons été chez le Sultan,
chez le Cadi; j'ai perdu toute une matinée. Personne
n'a trouvé remède au mauvais pas où il s'est mis
délibérément; je le plains, je voudrais l'aider, mais
je ne vois pas ce que je puis faire encore. »
« Ecoute-moi, dit Si Ahmed, tu te trompes, le sort
de ce malheureux est entre tes mains, tu i)eux lui
rendre la tranquillité et le repos. »
« Que faut-il faire? re[)rit Boubeker, je crois que
tu es un sage, parle! »
- 50 -
Si Ahmed. — « Tu as mis les dinars du cultivateur
dans ta sacoche, avec ceux que tu possédais déjà, tu
peux l'affirmer ? »
Boul)eker. — « Sans aucun doute, par notre pro-
phète. »
Si Ahmed. — « Eh bien! compte devant nous la
somme totale renfermée dans ta sacoche, puis, en-
suite, remets-la à Amzian. Il aura en mains, de cette
façon, avec les autres, les deux dinars qu'il t'a remis;
son serment sera exécuté. Il puisera alors dans ta
l)Ourse un nombre égal de pièces à celles données et
te remettra après le reste de la somme avec son
contenant ; ainsi, tout sera arrangé, le serment exé-
cuté, et ce pauvre fellah retrouvera sa femme, ses
enfants et ira vivre dans le bien. Ainsi fut-il fait et
Amzian, heureux, embrassait les mains et les pieds
du vieillard, demandant à Dieu de verser les béné-
dictions sur lui.
« Il remerciait aussi Boubeker de son concours et,
tout heureux, allait se diriger vers la porte Fouka,
lorsque deux musulmans qu'il n'avait pas remarqués
et qui l'avaient suivi depuis sa sortie du Palais de
l'Etoile, intervinrent et invitèrent le campagnard, le
marchand et le vieillard à les suivre ; ils les condui-
sirent devant le sultan El Naceur.
(( Le pauvre Amzian, déjà si joyeux, fut repris
d'inquiétude et se demanda quel esprit malin (<Jjin)
le poursuivait encore, ou si quelqu'un lui avait jeté
un sort.
(( Devant le Sultan qui, dans l'après-midi, avait
repris dans la cour ses audiences publicpies, ils furent
surpris de trouver le Cadi.
« Si El Naceur ordonna à Amzian de lui exposer
- 51 -
ce (\u\ s'était i)assé depuis sa sortie du Palais et
celui-ci lui lit part de sa coiisultalion cliez le Gadi ;
de son désespoir en sortant tle chez ce docte magis-
trat, qui lui avait fait application de la règle coranique;
de sa rencontre du vieillard, comment cet homme de
bien avait arrangé son affaire; sa joie et son honheur
de s'être atïranchi de cette mauvaise situation créée,
il le reconnaissait, par son mauvais caractère et par
son serment néfaste.
« Le sultan El Naceur ayant prié le Cadi de s'expli-
quer sur ce cas, le magistrat lui donna les sourates et
le verset du Coran, qui traitait du serment; puis fai-
sant preuve d'érudition, il cita les passages de Sidi
Khellil, ayant trait au même jjoint en litige; il allait
même invoquer d'autres auteurs, lorscju'il fut arrêté
par le Sultan qui, se tournant vers les trois indigènes,
témoins silencieux de cet exposé, leur dit :
« Dieu soit glorifié de me donner, dans ma bonne
ville, des sages comme toi. Si Ahmed! Sois plus
prudent, une autre fois, Amzian ! Toi, Boubeker,
continue à exercer ton métier avec honnêteté et Dieu
augmentera tes biens ! Toi, Cheikh-Cadi, retourne à
tes livres, mais vois aussi plus loin ; sois plus homme
que savant, plus humain que lettré, et reste le plus
possible à tes méditations ! Toi, Si Ahmed, qui suis
le vrai chemin, fais toujours le bien autour de toi;
tu es dans le vrai, et mieux vaut un sage comme
toi que des magistrats uniquement préoccupés des
textes et qui voient la teltre bien plus que l'esprit des
écritures.
« Boubeker, tu avais raison; évitez les procès,
adressez-vous à vos sages, et allez en paix ! »
Cette histoire est un peu longue peut être, mais il nous
— 52 -
a para qu'elle perdrait à être diminuée, car elle est em-
preinte d'une réelle morale, npplicable à tous les lemp^ et à
tous les peuples.
CHOISNET,
Sous-Préfet en retraite.
LE PRÉHISTORIQUE
DANS
LES ENVIRONS DE TÉBESSA
Vers la lin de l'année 1909, nous avions l'occasion
d'entrer en relations avec M. Latapie, gendarme à
Tébessa, lequel dans ses rares moments de loisirs,
s'occupait depuis environ une année, de recherches
superficielles dans la région qu'il habite, sur certaines
stations préhistoriques. Après divers envois de silex
à déterminer et une visite qu'il nous ht à Gonstantine,
nous l'engagions vivement à produire à notre Société
archéologique un plan et une notice sur les lieux
intéressants qu'il avait pu rencontrer.
Ce plan ne comportait pas moins d'une quarantaine
d'endroits qu'il désignait sous les noms d'escargo-
tières, — véritables kjœkœnmœddings, connus des indi-
gènes sous les noms de Enchir- Bemeilia et de Enchir-
Uabouch (i) — dolmens, tumulus et stations diverses,
et nous pouvions conclure que la région signalée
(i) Bulletin de la Société archéologique de Constantine, année 1910,
pages 225 à 235
- 54 —
était exceptionnellement riche en restes et vestiges
des multiples périodes de l'âge de la j)ierre.
Puis, il nous revenait, (ju'au cours d'une fouille
que nous avions faite à Aumale (Algérie), dans la
région des hauts plateaux, en 1901, un amas consi-
dérable de coquilles terrestres, dans lecjuel on recueil-
lait quelques silex, avait particulièrement attiré notre
attention, et, depuis, à Bougie, sur le littoral, dans
la grotte sépulcrale « Ali-Bacha » pareille constatation
avait été faite. Là, en efïet, sur plus de 0"U5 d'épais-
seur en contact avec une belle industrie qui a été
signalée à deux reprises,'^) et sur toute la surface du
premier caveau dégagé, mais à une assez grande
profondeur, on trouvait une grande quantité de co-
quilles, principalement des lnlir m^pcr^a, dont beau-
coup portaient encore des traces de contact avec le
feu.
Quelques auteurs jusqu'à ce jour, s'étant bornés
à signaler les escargotières comme des stations à
coquilles et à silex, nous ne pouvions manquer d'être
frappé et surtout intrigué par la fréquence de ces
gisements dans la région de Tél)essa, et nous de-
mandions, au début de l'année courante (1910) une
suln'ention à la Société archéologique de Constan-
tine, afin de nous permettre d'aller étudier sur place
les escargotières avancées par M. Latapie dans sa
notice.
A cet effet, nous faisions venir de Bougie l'ouvrier
exercé que nous avions déjà occu[)é pendant six ans
(i) Association française pour l'avancement des Sciences. Congrès de
Montauban, 1902. Fouilles Je la grotte Ali-Bacha, à Bougie;
Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistorique
de Monaco, 1906. La station quaternaire d' Ali-Bacha, à Bougie,
- 55 -
et ail commencement d'à viil nons noua rendions à
Téhessa.
Tout au début de noire travail, nous tenons à
remercier l)ien sincèrement le collaborateur — un
peu trop effacé — (pie nous avons trouvé en M. La-
tapie, pour ses démarches et son précieux concours,
car c'est beaucoup à lui que nous devons les fouilles
qui ont été entreprises, c'est tout au moins à son
instigation.
Nous avons également rencontré auprès de M. le
Maire, de M. l'Administrateur et de M. le Comman-
dant supérieur de Tébessa, le plus bienveillant accueil,
tant pour les renseignements dont nous pouvions
avoir besoin que pour les autorisations de fouilles
accordées — dans un Init si utile à la science — et
nous croyons être l'interprète reconnaissant de la
Société archéologique de Constantine en leur disant
aussi, merci.
La région explorée par nous, comportant des épo-
ques diverses d'haljitat, nous nous proposons de
scinder notre compte rendu et nous allons d'abord,
et surtout, nous occuper des escargotières.
Les esçjarcotières
Sans nous arrêter à faire une descrii)tion de la
ville de Tébessa souvent décrite et par divers auteurs,
cela à différents titres, nous arriverons directement
au sujet qui doit nous occuper tout particulièrement,
il va faire renaître un passé beaucoup })lus ancien
que celui attribué à cette pourtant vieille cité, jus-
qu'à ce jour. Afin de pouvoir nous guider au cours
de nos reclierclies, nous avons dressé un plan de la
région ex})lorée (lig. 1), il comporte les seules sta-
tions où des fouilles ont été exécutées.
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(Fig. 1) Plan nœi à l'ccheJle, drs stafioiis préliisloriques de la réoion
de Tébessa où des fouilles ont été pratiquées "
— 57 —
Escargotière de R'fana
A 6 kilomètres environ an sud-onest de Tél)essQ,
en bordure de la })iste se dirigeant vers la bergerie
militaire, ajn'ès avoir dépassé le moulin connu sous
le nom de son propriétaire, M. Cambon, à ({uehjues
centaines de mètres plus haut et tout autour d'une
maisonnette, refuge pour les bergers, s'étend l'escar-
gotière de R'fana.
i (Fig 2) Plan de l'esgarcolière^^de H ' fana
Il j n'est pas douteux que pour [construire cette
maison, \o\\ [ne|soit tombé sur un véritable sol d'es-
cargots, car elle se trouve en pleine station et grande
aura dû être la surprise des maçons. Au ])as du
ravin coule l'Oued-R'i'ana qui, paraît-il, ne tarit ja-
mais. Perchée sur un mamelon en pente douce, notre
escargotière — comme du reste toutes celles que
nous aurons à ]>asser en revue — produit tle loin
— 58 -
une curieuse impression et on dirait l)ien mieux une
véritaljle charbonnière. Ce n'est, en efïet, qu'une
grosse tâche noire qui tranche nettement sur la cou-
leur terne et jaunâtre de la terre.
A la surface, on recueille cjuelques silex et on reste
surpris en présence de la quantité d'hélix i)ulvérisées
qui forment croûte sur le sol. Un phénomène très
sim{)le s'est produit depuis l'époque d'hahitat, et qui
sait combien de siècles, ainsi qu'il continue du reste
encore à se produire tous les jours, moins c'est
possible en raison de la couche protectrice qui nuit
beaucoup à la pénétration. Le sol essentiellement
cendreux et friable se désagrège; chaque hiver la
pluie, en été le vent — et il nous a nuit considéra-
blement — ont emporté une certaine partie de la
cendre dont se composent pour ainsi dire exclusive-
ment nos escargotières. Les coquilles et les silex
plus lourds demeurent le plus souvent en place et
les bergers, à force de passer avec leurs troupeaux,
se chargent ensuite de pré|)arer le sol dans l'état où
on le trouve.
La station de R'fana affecte une forme quasi-cir-
culaire d'une quinzaine de mètres de diamètre; elle
se trouve aujourd'hui parfaitement retournée, car à
part l'emplacement de la maisonnette et ses abords
immédiats qu'il fallait avant tout respecter, la station
a été fouillée jusqu'au sol ancien, lecpiel n'est ren-
contré qu'à une profondeur moyenne de 1"^50.
En raison de la puissante épaisseur sul)sistante,
il est, pensons-nous, assez facile de se rendre compte
de rim|)ortance du mamelon (pii nous occu])e au
moment de son abandon par les habitants.
Maintenant (|ue non seulement R'fana, mais égale-
-- 59 -
ment d'aulrps escargotières ont \n\ nous livrer une
j)aiii(^ (le leur secret, nous pouvons peut-être sans
crainte les comparer aux amas de co({uilles kjdîkken-
mceddinger du Danemark, tlu Portugal et de certains
lilloraux, car les l'apports communs sont telh^nenl
nombreux, ainsi (ju'il sera facile de le constater au
cours de notre travail, (pie nous |)eiisons inutile
d'insister. Certains auteurs, géologues surtout, ont
du reste déjà emprunté cette appellation, et nos fouilles
terminées, nous dirons aujourd'hui pour désigner
une escargotière : amas considérable de cendres très
noires, pulvérulentes et de coriuilles terrestres innom-
brables, parfois en^ bancs serrés et compacts, sur un
diamètre de 10 à 100 mètres et plus, et sur une
épaisseur de plusieurs mètres, dans lequel on ren-
contre de très rares ossements d'hommes et d'ani-
maux en contact avec une remarquable industrie de
l'âge de pierre, laquelle nous pensons correspondante
de la belle époque Magdalénienne.
Chose curieuse, la région de Tébessa produit encore
de nos jours des escargots en très grande quantité,
et on nous a affirmé qu'il s'en expédiait sur Mar-
seille des choix importants pour la consommation.
D'où vient donc cette préférence du sol des mol-
lusques terrestres pour leur propagation, les géolo-
gues pourraient sans doute nous éclairer?
Il n'est donc à notre avis que naturel, lorsque
nous établissons un parallèle entre les peuplades de
l'intérieur et celles du littoral, de rencontrer peut-
être à une même époque, les mêmes besoins et les
mêmes aspirations chez les habitants de certaines
régions.
Nous avons pu nous rendre compte que la pro-
- 60 -
portion des escargots était d'au-moins quatre à cinq
mille pour un ossement d'animal, et l'homme des
escargotières était donc par dessus tout, un consom-
mateur de mollusques, exceptionnellement Carnivore
tout comme les ichtyophages, qui se nourrissent
presque exclusivement de poissons.
La nature du sol, à l'intérieur des escargotières ne
varie pas; c'est sur toute l'épaisseur de la cendre
noire et des coquilles, parfois de véritables bancs de
ces coquilles. Par places on relève des foyers, mais
simplement à même du sol, et ce n'est que rarement
qu'il nous a été procuré de rencontrer ces foyers
avec garu-iture de pierres. Alors, la cendre est plus
compacte et forme des tâches très jaunâtres et tran-
chantes sur la noire régularité du terrain. Partout
les charbons sont noml)reux, partout enlin on cons-
tate l'action du feu.
Puisque maintenant il est avéré que les hal)itants
des escargotières faisaient leur nourriture — pour
ainsi dire — essentielle d'escargots, quel pouvait
être le mode d'extraction de l'animal de sa coquille?
On sait que de nos jours encore cette séparation
n'est pas toujours des plus facile et nous avons dû
demander à la civilisation et à l'industrie, tout com-
me à l'époque préhistorique, un outil approprié à ce
genre de travail.
Et, en effet, ils étaient déjà civilisés et industrieux
nos vieux devanciers des escargotières, c'est du
moins ce que nous allons montrer au cours de notre
travail, car leur outillage nous reste à défaut d'autre
témoignage.
Depuis treize ans que nous fouillons le sol des
stations en plein air, des cavernes et des abris sous
- 61
roche en Algérie, que oe soit sur le littoral ou dans
la région des hauts plateaux, partout nous avions été
frappé de la grande quantité des escargots rencontrés,
mais jamais à vrai dire autant (|ue dans la région de
Téhessa que nous avons pu étudier. Partout aussi
nous avions été intrigué par la fréquence d'un outil,
toujours demeuré énigmatique, burin pour les uns,
simple pointe de jet pour d'autres, et sur lequel nous-
mème n'avions pu jusqu'à ce jour formuler que des
conjectures.
En 1905, nous avons publié une
étude sur cette curieuse industrie,
sans toutefois pouvoir en préciser la
servitude. f)
Aujourd'hui la lumière se fait et
nous nous trouvons tout simplement
en présence d'une pointe de silex qui
s'emmanchait et servait à extraire
l'animal, l'escargot, de sa coquille.
Au cours de notre fouille de R'fana,
nous avons pu heureusement dégager
un os d'oiseau dans lequel se trouvait
encore engagé un de ces petits outils
que nous présentions en 1905 comme
burins anguleux.
Emmanché du côté de la pointe
allongée, l'autre partie anguleuse pou-
vait aller fouiller l'intérieur de la co-
quille, nous le pensons du moins,
assez facilement (Fig. 3).
( Fig. 3). Gr. nat.
Silex emmanché
dans
un os d'oiseau
(r) L'homme préhistorique, n" 9, septembre 1905 ; Etude sur les bu-
rins? et les silex déforme géométrique.
— 62 -
Nous avons vu que la proportion des os est très
faible et cependant ceux d'oiseaux dominent, il est
donc assez logique que l'homme recherchait surtout
ces derniers pour être employés.
A défaut d'os, les bois durs pouvaient aussi être
utilisés, mais on le conçoit, il n'en subsiste aucune
trace. Entre tous, l'outil par excellence rencontré
dans les escargotières, c'est la lame en bec de per-
roquet. Pourquoi donc cette forme particulière si
elle n'était pas purement intentionnelle? Nous aurons,
du reste, à revenir sur ce sujet quand nous passerons
en revue l'industrie recueillie dans nos fouilles.
Dans les amas de coquilles du littoral européen,
nous avons aussi constaté la pauvreté des ossements
rencontrés; est-ce à dire pour cela que l'homme des
escargotières n'était par Carnivore? Nous pouvons
répondre qu'il l'était, mais si peu, proportionnelle-
ment, que nous le comparerons aux ichtyophages, et,
à défaut de poissons, sa nourriture principale con-
sistait en mollusques terrestres.
Nous avons pu faire une constatation qui pourrait
aussi nous donner une précieuse indication quant au
moyen employé pour dégager l'animal de sa coquille.
Sur une certaine quantité d'escargots, on remarque,
vers le centre de la périphérie des spires, une ouver-
ture irrégulière qui paraît avoir été faite avec la
pointe de la lame en bec de perroquet. N'avons-nous
pas là le moyen naturellement indiqué pour détacher
l'animal lorsqu'il adhérait par trop à la base de son
enveloppe? La chose parait assez vraisemblable.
Et à présent, essayerons-nous de chercher à savoir
quel pouvait être le mode de cuisson de tant d'es-
cargots? Exposés sur la cendre chaude, ce devait
— 63 —
être certainement le moyen le plus simple et le })lus
pratique; mais à côté de cela ne pouvait-il en exister
un autre? Sur beaucoup do corpiilles on relève des
traces de leur contact avec des charbons, mais sur
la plus grande quantité on ne constate rien, il est
vrai que la cendre, simplement chaude, ne décompo-
sait pas les enveloppes.
Ayant remarqué au cours de notre fouille la pré-
sence de fragments de coquille d'œuf d'autruche,
nous avons fait tamiser durant quelques heures afin
de juger de leur proportion. Disons de suite, en pas-
sant, qu'il serait impossible d'utiliser le tamis en
permanence, car le moindre vent — et il en fait pres-
que toujours dans cette région — vous met en quel-
ques minutes dans un état épouvantable et vous
transforme en véritable charbonnier. Toutefois, nous
avons pu nous convaincre que les débris de l'œuf
d'autruche sont communs; malheureusement ils se
confondent le plus souvent avec les hélix brisées.
Sur certains fragments on constate une calcination
profonde et en l'absence totale de poterie, nous nous
demandons si l'homme des escargotières n'utili-
sait pas ces énormes œufs, préparés au préalable,
pour la cuisson à l'eau de ses escargots. Nous avons
fait l'expérience que ce genre de récipient pouvait
recevoir une certaine quantité de coquilles, plus même
qu'on ne le supposerait.
A un autre point de vue nous avons voulu aussi
surveiller ces débris, car la gravure sur coquille
d'œuf d'autruche, ainsi que nous l'avons déjà signa-
lé (i), étant connue à l'époque néolithique ancienne et
(i; L'homme préhistorique, mars 1905 : L'ornement aux époques
préhistoriques sur les hauts plateaux de l'Atlas et sur le littoral.
— 64 -
récente, elle pouvait l'être aussi antérieurement.
Nous verrons à la fin de notre compte rendu que
nous avions raison et nous possédons, de nos escar-
gotières fouillées, une douzaine de fragments fine-
ment et fort curieusement gravés.
Notre intention n'est pas de nous arrêter d'une
façon particulière sur l'industrie de chaque escargo-
tière; cette industrie, a quelques variantes près, étant
sensiblement la même, nous traiterons cette partie
à la fin de notre travail et nous nous bornerons à
signaler au fur et à mesure de nos fouilles les parti-
cularités que nous rencontrerons et qui nous paraî-
tront intéressantes.
Le caractère principal des ossements recueillis, aussi
bien ceux qui ont servi à l'alimentation que ceux
ayant servi à l'outillage, c'est qu'ils sont fortement
fossilisés et couverts de profondes vermiculations
qui leur donnent un cachet particulier et absolument
remarquable. Bien haljiles seraient les faussaires —
il en existe même en objets préhistoriques — pour
arriver à imiter l'industrie de l'os dans les escargo-
tières. Nous voulons, en passant, en ce qui concerne
les ossements, attirer l'attention sur un point parti-
culier, lequel peut avoir son utilité pour la compré-
hension de leur conservation parfois remarquable, si
on considère qu'il s'agit de stations en plein air et
exposées à toutes les intempéries. A cela il y a une
raison. Nous avons vu que depuis l'abandon de nos
escargotières, la surface mamelonnée s'était dénudée,
pluie et vent, en enlevant toujours de plus en plus
une certaine partie de cendres, il nous restait à la
surface une couche écrasée et fort compacte de
coquilles. Cet enduit véritable, d'un côté, l'énorme
- 65 -
couche de cendres grasses restant en dessous, de
l'autre, font que ces curieuses stations sont devenues
comme imperméables.
A deux reprises, notre temps étant limité, nous
avons dû y travailler par la pluie; nous l'avons fait
sans aucune gène et, qui plus est, sans y constater
de pénétration car les eaux glissent, c'est le mot, sur
cette enveloppe carapace, d'une façon extraordinaire.
On conçoit donc assez facilement la conservation
parfois parfaite de certains des ossements recueillis.
Nous avons cru utile de nous étendre un peu sur
certains renseignements généraux; on nous en saura
gré, car jusqu'à ce jour, on n'était pas encore fami-
liarisé avec la composition intérieure d'une escargo-
tière et quelques remarques pourraient être profi-
tables.
Escargotière du 3"'^ kilomètre 200
Au 3''200, sur la route de Tébessa à Bekkaria-
Gafsa, juste à l'endroit où la ligne de chemin de fer
du Kouif se rapproche le plus de la route, existe une
escargotière plus conséquente que celle de R'fana
que nous venons de quitter. Elle est très facile à
reconnaître — à présent surtout qu'elle a été retour-
née — car il a fallu la traverser aussi bien pour la
construction de la route que pour la voie ferrée.
A un certain endroit mème^ ainsi que nous l'indi-
quons ci-après (fig. 4), on avait enlevé une bonne
partie du terrain pour servir de ballast.
Presque à la base de la montagne dominant à
droite, c'est comme le dernier échelon des mamelons
qui séparent le terrain accidenté de la vaste plaine
s'étendant à l'opposé.
66 -
Cette escargotière a demandé un mois et demi de
fouilles méthodiques et aujourd'hui on ])eut dire
qu'elle est culbutée.
(Fig. 4). Plan de Tescargolière du 3">» kiloinèlre 200
La composition du terrain est la même qu'à R'fana,
mais la couche, de cendres fines et noires avec tou-
jours même quantité considérable d'hélix est peut-être
plus conséquente encore, puisque ce n'est guère
qu'à près de deux mètres de ])rofondeur que le sol
ancien est rencontré.
Par bancs horizontaux et épais, à des profondeurs
variables, on trouve essentiellement des escargots en
nombre incalculable, si on envisage que ce phéno-
mène se reproduit sur une surface de plus de
250 mètres. Nombreux sont les foyers à même du sol
et nous n'en avons relevé qu'un à 1™60 de profondeur.
- 67
formé de trois pierres énormes et ai^laties placées
en dolmen. Ces pierres avaient en moyenne 0""40 d'é-
paisseur, elles étaient assez régulières et avaient dû
être choisies dans le calcaire en lamelles de la mon-
tagne voisine. A l'intérieur, de nombreux charbons
et une cendre compacte et jaunâtre.
A 3 mètres de ce foyer et à droite en se rappro-
chant de la route, reposant sur le sol ancien, il a été
rencontré trois squelettes humains dont les osse-
ments, sans connexion entre eux, étaient ramassés
sur eux-mêmes. Les trois têtes, à peu près complètes,
ont été conservées pour faire l'oljjet d'une description
particulière, s'il en est besoin. A quelques mètres
encore plus loin et tout à fait en bordure de la route,
il existait encore les restes, mais en fort mauvais
état, de plusieurs individus, et, chose singulière, il
semble qu'une tête seulement ait été déposée en cet
endroit. Rien de ces derniers débris n'a pu être
gardé. Les tètes sont curieusement vermiculées au
même titre que les autres ossements de la fouille;
il semble que nous nous trouvions bien là en pré-
sence des anciens habitants des escargotières. Le fait
du reste n'est 'pas nouveau et a été signalé déjà en
Portugal dans des amas de coquilles situés le long
d'un petit affluent du Tage, à Mugem. Peut-être un
jour nous sera-t-il procuré d'étudier cette particularité
de plus près, elle en vaut certes la peine. Sur d'au-
tres escargotières, M. Latapie avait pu constater la
présence d'ossements humains et il sera donc tou-
jours facile de pousser plus loin pareille étude.
Escargotière d'Ain-Morsott
Sous le n'^ 10 de sa nomenclature des lieux où on
- 68 -
trouve des silex de surface, M, Latapie a signalé à
Aïn-Morsott une station préhistorique, à environ
200 mètres au nord-est de la prise d'eau qui alimente
le centre de Morsott.
D'après une trouvaille récente qu'il avait faite à
cet endroit, nous avons pensé utile d'y faire une
visite.
(Fig. 5). Fragment de bordure de vase à faciès néolithique
En plus d'un fragment de coquille d'œuf d'autruche
sur lequel on relevait quelques traits gravés au bu-
rin, il avait été recueilli un morceau de poterie assez
curieux, dont nous donnons un dessin (fig. 5). Ce
fragment de bordure d'un vase de taille moyenne,
comporte une forte ligne ondulée sur la périphérie,
avec en plus un peu au-dessous, une autre ligne de
même origine simplement circulaire. Des points très
accentués et creux achèvent, avec la pâte elle-même
de la poterie, de lui donner un faciès franchement
néolithique. Il eut donc été intéressant de rencontrer
une escargotière d'une époque d'habitat différente.
— 69 -
De loin, l'endroit rpii nous avait été désigné^') se
distingue très nettement et de suite nous reconnais-
sions que nous nous trouvions en i)résence d'une
escargotière.
Nous y avons fouillé durant toute une journée et
deux larges tranchées ont été pratiquées à l'endroit
que nous jugions le plus favoraljle.
L'industrie, quoique ayant beaucoup d'affinité avec
celle des escargotières de R'fana et du S" kil. 200,
se rapproche beaucoup plus du néolithique ancien.
On ne trouve encore aucune trace de poterie et
évidemment le fragment de bordure recueilli par
M. Latapie n'était là qu'accidentellement.
Les objets de silex sont plus fins, plus petits; on
recueille surtout l'industrie commune à l'aurore néo-
lithique (fig. 6) et que nous avons tant de fois signa-
lée comme bijouterie véritable, préhistorique. Les
lames en bec de perroquet sont très rares, mais on
trouve là cet outillage énigmatique des silex de forme
géométrique; la figure 6 nous en montre quatre dont
l'un, surtout, celui de droite, incurvé fortement des
deux côtés est particulièrement curieux.
Dans une précédente étude sur des outils sembla-
bles recueillis à Aumale, nous avons avancé que
peut-être ils avaient pu servir à armer des faucilles?
L'ethnographie comparée nous montre encore quel-
que chose d'assez analogue. De toute façon quelques-
uns de ces silex ont beaucoup d'analogie avec les
petits ciseaux, tranchets, flèches à tranchant trans-
versal de maintes stations de France (2). Il était sur-
(i) Chose digne de remarque, les indigènes, Ips petits bergers sur-
tout connaissent très loin à la ronde ces Enchir-Babouch.
• 2) Canneville près Creil (Oise' nous a donné cette industrie.
- 70 -
tout i„tére.sant de faire ressortir la haute antiquité
de cet outillage qu'on croyait spécial au néolithi ,u
présence et les conditions de sa trouvaille ,a„;
escargot,ere de Morsott tendent à montrer ,,uil
faut lau-e remonter son origine à beaucoup j.lns 1 aut
dans la préhistoire.
(Fig. 6) Petites pointes et silex de forme,
de l'escargotière de Morsott
s géométriques
— 71
Escargotière de la route du Kef Aïn-el-Mazoui
Un peu plus loin (pie le 12'' kilomètre sur la route
(le Tébessa au Kef, M. Lata})ie signale aussi comme
station préhistorique et sous le n" 15 de sa nomencla-
ture, une fort curieuse escargotière, laquelle malheu-
reusement nous n'avons pu étudier que durant une
huitaine de jours, notre mission pour 1910 étant
terminée.
o'Ù
A 150 mètres environ, un peu au nord de la route
et de l'autre côté de l'Oued-el-Mazoui, la montagne
- 72 -
est comme coupée perpendiculairement en falaise,
aux rochers rougeâtre, qui tranchent nettement sur
la couleur locale et se remarquent de très loin.
Le puissant massif à l'emplacement de l'escargo-
tière qui nous occupe, forme un vaste abri sous
roche, lequel a été habité à diverses époques, sur
une grande largeur et sur toute la profondeur. Depuis
notre retour, M. Latapie, sur nos conseils, a exploré
les abords de cet abri et sur l'une des parois du rocher,
mais assez loin, il a observé un dessin fort simple
et très primitif, nettement accusé, consistant en un
assemblage de points et de traits, qui parait être
contemporain de l'époque d'occupation ancienne.
Une importante tranchée a été ouverte un peu en
avant du surplomb de l'abri et dans le sens longitu-
dinal. A 0"^50 de profondeur il a été rencontré des
ossements humains broyés et en mauvais état de
conservation en mélange
avec de grossiers débris
de poterie, sans trace
d'autre industrie. Mais
à une trentaine de centi-
mètres en dessous et
jusque la profondeur
de l"i30 environ, il a été
recueilli de nombreux et
jolis silex, des os polis
et un petit lot de débris
de coquille d'œuf d'au-
truche dont quelques-
uns gravés.
Nous donnons (fig. 8)
la reproduction de deux
des plus curieux objets
w
(Fig. 8'. Harpon en os poli et sile.x
à tranchant en dents de scie
( Grandeur naturelle)
- 73 -
recueillis à Aïii-el-Mazoui, un superbe harpon ou
aiguille en os poli, et c'est le premier de cette forme
([ue nous rencontrons, ainsi ([u'une de ces pointes
déjà signalées (lig. 3 et 6) laiiuelle est taillée en dents
de scie sur toute la partie tranchante. Ce fait aussi
est exceptionnel et il nous revient (jue, dans le musée
préhistorique de M. de Mortillet, il existe quelque
chose d'analogue sous le nom de harpon.
Il sera parlé plus loin de l'industrie de la gravure
sur coquille d'œuf d'autruche et nous en donnerons
également des dessins.
La fouille totale de cet abri, aurait, nous n'en pou-
vons douter, procuré d'autres curiosités, et c'est à
regret que nous devons l'abandonner, mais peut-être
aurons nous un jour l'occasion de reprendre et de
terminer ce travail.
Escargotière d'A'in-e!-Mouhâad
Parmi les différents objets recueillis à la surface
par M. Latapie au cours de ses tournées, nous avions
remarqué une industrie singulière de flèches gros-
sières semblables à de rares spécimens que nous
avions nous même recueillis dans difïérentes fouilles.
De plus en plus intrigué par la découverte d'un
outillage à pédoncules au même endroit, malgré le
peu de temps dont nous pouvions disposer, les dif-
ficultés de transport et la distance, nous avons pu
aller étudier sur place cette curieuse station dont il
sera parlé un peu plus loin.
A 25 kilomètres environ au S.-E. de Tébessa existe
un poste de douane tunisienne, El-Loubira, vaste et
confortable construction perdue au milieu d'un site
- 74 -
des plus sauvage, où nous avons trouvé de braves
gens et une cordiale et franche hospitalité.
Pour s'y rendre, on prend la piste du Kouif — pas
très carrossable cette piste ! — puis lorsqu'on arrive
à la forêt de pins à quelques kilomètres de là, on
oblique sur la droite pour prendre un raccourci.
7t(i/^3 (/e<xa Jde/Wcff/ip ^
èïî ^^ -^/^ ^ ^^- /'fouAZîci
(Fig. 9). Station des outils pédoncules de El-Loubira et escargotière
Avant d'arriver au col, gorge véritable que forme le
puissant massif et où passe la piste cahoteuse, on
trouve sur la droite, tout-à-fait en bordure de la
traverse , et également à droite , une gigantesque
escargotière qui occupe toute la surface d'un mame-
lon détaché de près de 200 mètres de longueur et
une cinquantaine de mètres de largeur à la base.
On reste surpris en présence de ces restes d'un si
lointain passé et on se demande le temps qu'il a fallu
pour accumuler en ces lieux une montagne de déchets
— 75 -
de cuisine, cendres et escargots, dont faute de temps
il ne nous a pas été possible de reconnaître l'épais-
seur.
M. Latapie a présenté cette station, sous le nom
d'Aïn-el-Mouliaâd et il parle d'une source de ce
nom à peu de distance. Mais nous dirons, qu'en fait
de source, nous n'avons vu (ju'une faible mare dont
l'eau est si saumâtre et si sale que nos chevaux
refusaient d'en boire. Toutefois, à une autre époque,
cette source a pu être plus importante, c'est du moins
ce qui expliquerait la présence de notre vaste escar-
gotière.
Dans cette région, toutes les eaux sont saumâtres
et pour leur consommation et celle de leurs animaux,
les douaniers de El-Loubira vont en chercher à près
de 4 kilomètres pour l'avoir potable.
Deux fouilles ont été pratiquées dans la montagne
d'escargots qui nous occupe, l'une à l'est, l'autre à
l'ouest ; mais comme nous n'étions pas venu aussj
loin pour fouiller une nouvelle station à coquilles,
nous l'abandonnions, après six heures de travail, pour
nous porter immédiatement à côté sur la station aux
outils pédoncules ramassés par M. Latapie.
Cependant, cette fouille de reconnaissance nous
suffira pour parler de la merveilleuse industrie de
silex qu'on y recueille.
D'une transparence remarquable le silex possède
les teintes les plus belles et les plus diverses, et c'est
la première fois qu'il nous est procuré de faire pa-
reille constatation, car dans nos précédentes fouilles
d'Aumale, Bougie et Constantine, il est presque tou-
jours noirâtre et opaque.
Les objets recueillis dans l'escargotière d'Aïn-el-
- 76 -
Mouhaâd flattent l'œil par leur pureté et leur aspect
chatoyant, ils se rapprochent de ceux des oasis du
sud, faits en majeure partie avec des silex hydratés.
A regret aussi il nous a fallu quitter cette belle
station, dans laquelle il y aurait à occuper une
véritable équipe de fouille pendant plusieurs années
et, pour terminer, disons que, comme partout dans
les autres escargotières, on ne trouve pas trace de
poterie.
Station d' A ïn-el- Mouhaâd
Immédiatement à la base de notre escargotière, en
revenant vers Tébessa et à gauche, on recueille l'in-
dustrie dont nous avons parlé plus haut et pour la-
quelle nous étions venu tout exprès à El-Loubira.
En toute franchise, nous avouons que si la préhis-
toire n'était déjà pas si riche en stations typiques,
nous aurions baptisé celle qui nous occupe, tant
l'outillage qu'on y récolte est différent de tout ce que
nous avons trouvé jusqu'à ce jour, et tout naturelle-
ment nous nous servirions de l'expression « industrie
El-Loubirienne », mais nous ne voulons pas ajouter
une confusion de plus et nous n'envisagerons que
l'industrie des outils pédoncules, recueillis à Aïn-el-
Mouhaâd.
Dans toute cette région, au point de vue géologi-
que, nous nous trouvons dans un véritable chaos
crétacique, parfois émergeant en crêtes prodigieuses
et fantasquement déchirées , parfois au contraire ^
rasant le sol et formant une succession de mamelons
plus ou moins accidentés, entrecoupés de petits val-
lons et de cuvettes, tout cela relié par des pentes
- 7? -
généralement douces et facilement accessibles, sur
lesijuelles i)oussent en f[uantité des pins, genre
d'Alep, et lescjuelles constituent la forêt dont nous
parlions au début.
C'est du reste la seule essence d'arbres forestiers,
au sens propre du nom, qui pousse en ces lieux.
A tleur de sol et épars dans un rayon d'une cin-
quantaine de mètres, nous avons recueilli une certaine
quantité de silex semljlables à ceux que M. Latapie
avait lui-même trouvés lors de la découverte de ce
gisement. A la surface, on ramasse également deux
espèces de coquillages fossiles, en assez grand nom-
bre, une ostrea assez volumineuse et un brachiopodes
indéterminé.
Au milieu de cett-e station, nous avons ouvert
deux importantes tranchées et nous avons pu retenir
une importante série de silex de taille énigmatique.
A la surface, le terrain est composé de sable blanc
et d'argile, mais le sable y entre pour la presque
totalité. Un peu plus bas et jusqu'à la profondeur de
0"^40, le sable est plus blanc et presque pur, et c'est
dans toute cette épaisseur que nous avons recueilli
l'outillage que nous présentons. Notre conviction est
que plus bas encore on doit toujours le rencontrer,
mais nous n'avons pu pousser plus loin nos fouilles,
limité que nous étions par le temps.
Nulle trace de faune végétale ou animale, aucun
indice enfin autre que les objets recueillis. Jusqu'à
une assez grande distance, le terrain paraît identique
et n'est pas trop accidenté, il ne faut donc guère en-
visager un glissement méthodique et régulier et
nous pensons nous trouver en présence de véritables
dépôts sablo-argileux, ainsi qu'il en existe tant à une
- 78 -
période relativement récente des diverses formations
géologiques.
Il ne nous avait jamais été procuré l'occasion, jus-
qu'à ce jour, de tomber sur semblable et si curieuse
industrie, aussi, pour plus de compréhension, avons-
nous jugé utile de faire reproduire, deux planches
de sujets typiques, par la photographie.
Nous allons les passer rapidement en revue, car
ils méritent de retenir l'attention.
La caractéristique de cette station est l'outillage
pédoncule et à notre connaissance cette industrie n'a
été signalée qu'une fois, il y a fort peu de temps, et
sans que les auteurs qui en parlent évasivement
paraissent y attacher beaucoup d'importance. (^)
Nous trouvons, en effet, page 115 du tome II du
Congrès de Monaco, ce passage qui ne permet aucun
doute « elle renferme une industrie à faciès
néolithique, flèches grossières, instruments pédon-
cules, etc » Il y a donc là, très vraisemblable-
ment, une industrie analogue à celle que nous avons
pu recueillir près d'El-Loubira et sur laquelle nous
allons un peu nous arrêter car à tous les points de
vue elle le mérite.
(Voir planche I)
Premier sujet des deux premières rangées : pointe-
lame de 0"'095 de longueur, 0™04 dans la plus grande
largeur, un côté tranchant, l'autre plus épais a été
retouché à 0™03 vers la pointe qui est nettement
accusée des deux côtés. Comme du reste dans tous
les spécimens reproduits, le pédoncule est très appa-
rent.
(i) Le préhistorigue dans h Sud Tunisien par le docteur Capitan et
M. Boudy. Congrès international d'anthropologie de Monaco, 1906.
p-l
- 79 -
La i)remière rangée nous montre sept flèches,
quelques-unes grossières, d'autres au conliaire fort
finement retouchées. Il en est qui, par leurs dimen-
sions, rentrent beaucoup mieux dans la catégorie des
javelots.
La deuxième, très effilée et légèrement recourbée
d'un côté, est taillée d'une façon particulière : une
première taille à longs éclats venant mourir vers la
partie médiane très accusée, puis une reprise de
taille à fort petits éclats sur toute la bordure.
Si dans ces types, on a l'impression nette de
flèches, que dire des deux rangées du bas ou nous
avons tout un outillage particulier, pédoncule d'une
façon indiscutable et par conséquent avec intention.
Il est facile de donner un nom à quelques-uns et on
peut remarquer le grattoir, le grattoir-lame, la lame.
Mais pour d'autres, comme les deux sujets du bas
et vers le miheu de la rangée, c'est un peu plus
énigmatique, car ils sont simplement tranchants.
Ainsi que le dit notre éminent collègue M. le doc-
teur Capitan, si on se trouve, pour la généralité des
silex recueillis, en présence d'une industrie à faciès
néolithique, il en est à côté, ainsi que nous allons le
constater dans la planche suivante, qui ne peuvent
que fortement nous intriguer.
(Voir Planche II)
Dans la planche II, en effet, nous trouvons la
reproduction fidèle d'autres silex recueillis au cours
de notre fouille d'Aïn-el-Mouhaàd; ils sont suffi,
samment suggestifs, pour que nous ne nous y arrê-
tions pas plus longtemps et nous ferons simplement
- 80 -
remarquer plus particulièrement, les deux derniers
spécimens et à droite dans la première rangée : un
disque en quartzite rouge et brillant, de facture
chelléenne, et à côté un grattoir tranchoir également
en quartzite jaunâtre qui sent rudement le mous-
térien.
Que dire aussi des deux pointes de la deuxième
rangée et au milieu? Ainsi que celle de droite gros-
sièrement retouchée des deux côtés par éclats alter-
natifs?
Nous estimons avoir trop peu fait pour pouvoir
nous avancer et une fouille importante seule pourrait
peut-être nous éclairer. Quoiqu'il en soit, cette indus-
trie, recueillie à El-Loubira, est extrêmement curieuse
et notre savant ami M. Pallary a dû lui-même le
juger ainsi, puis(|ue d'après nos indications, il s'y
est rendu après nous au cours de sa mission de 1910.
R'fana-station
A quelques centaines de mètres avant de parvenir
au moulin de R'fana, entre la piste et l'oued, il y a
lieu de signaler une petite station sur laquelle M. La-
tapie avait déjà recueilli pas mal de silex. Nous
avons tout lieu de croire que la période d'occupation
de cette station n'a été que temporaire, car les sujets
rencontrés sont clairsemés et ils ont un caractère
particulier non en rapport avec la nature géologique
du sol alluvionnaire.
Ils sont à faciès néolithique et presque tous très
fortement patines blanc pur ou l)lanc d'ivoire, fait
qui n'a pu être constaté par nous qu'à ce seul en-
droit.
- 81 —
Tumulus cromlechs, près R'fana station
Ce qui donne surtout une certaine originalité à la
station que nous venons de signaler, c'est que, immé-
diatement à côté, il existe des monuments circulaires
qui ne sont ni des tumulus, ni des cromlechs, mais
qui en tiennent le milieu.
Nous avons fouillé trois de ces énigmatiques mo-
numents et, en l'absence de matériaux archéologi-
ques, nous avons tout lieu de supposer qu'ils sont
simplement votifs.
Ce sont des cercles pleins, de 2 mètres environ de
diamètre, faits de pierres roulées et de galets tor-
rentiels, émergeant très peu de terre et occupant
une épaisseur de 0'"50 à 0'"60.
Partout on constate une décomposition significa-
tive produite par un feu violent; beaucoup de ces
pierres sont cuites et se brisent facilement ; en des-
sous de ce rempart on ne rencontre qu'une cendre
fine et très noire, avec des charbons, sur une assez
forte épaisseur. Nul objet ni ossement pouvant nous
éclairer quant à l'origine, n'a été rencontré.
Tout à proximité de cet endroit en revenant sur
Tébessa, dans la montagne et à droite, ainsi que sur
la gauche au bord de l'oued et se faisant face, exis-
tent deux vastes tumulus de forme elliptique, à grand
appareil de fortes pierres irrégulièrement assemblées.
Nous nous bornons à les signaler, le temps nous
ayant fait défaut pour les fouiller. Ces monuments,
toutefois, ne sont pas très rares dans la région et
MM. Pallary et Latapie ont pu en dégager une cer-
taine quantité qui leur ont procuré une industrie de
- 82 -
poterie, perles de verre et ornements de cuivre, d'une
époque relativement récente.
Tumuliis de Ksar- Gourai
A une dizaine de kilomètres, sur la route du Kef,
le long de l'oued et à gauche, nous étions allé visiter
une escargotière où M. Latapie recueillait beaucoup
de débris de poterie diverses et à la surface, lors-
qu'une circonstance fortuite nous procura l'occasion
de fouiller un tumulus immédiatement voisin.
Une fouille pratiquée ne nous donnant nulle trace
de poterie, il fallait bien que les débris reconnus à la
surface soient venus de quelque part. Aidé en cela
par M. Latapie, nous ne tardions pas à découvrir un
tumulus dans lequel apparaissaient une bande char-
bonneuse et l'orifice brisé d'un grand vase.
Nous avons pu le fouiller partiellement et c'est
identiquement ce que nous avons signalé à Bougie
au cours de nos fouilles de 1904 du tumulus du Pic
des Singes (•).
Sous une couche protectrice de pierres et de ga-
lets fortement calcinés, représentant le foyer, on
trouve une bande noirâtre et charbonneuse, tandis
que plus bas et tout autour, la terre apparaît toute
blanche, par places, — comme des restes de chaux
— et à côté très rouge.
Disséminés à l'intérieur, nous avons pu dégager
et reconstituer partiellement les restes d'un très
grand vase de forme régulière, à panse rebondie et
mesurant 0"^30 de hauteur, 0™28 dans le plus grand
(i) Bougie. Compte rendu des fouilles faites en 1904, par M. De-
bruge, Société archéologique deConstaftline, année 1906.
o
M
w
- 83 -
diamètre, 0"^18 de fond et 0"^20 à l'orifice. A 0"^0l
tout au plus du bord de cet orifice, il existe un
bourrelet de suspension très court et ne dépassant
guère la surface circulaire que de 0"^0i5. En regard,
il devait s'en trouver également un (}ui a disparu
avec une bonne partie du récipient. Tout à côté et à
droite de ce premier et grand vase que nous avons
trouvé dans sa position régulière, c'est-à-dire posé
sur son fond, nous avons recueilli les morceaux d'un
plat qui avait dû être placé renversé pour protéger
un tout petit vase heureusement complet. Il ne
mesure que 0'"05 de fond, 0"'08 de diamètre et
0™045 de hauteur. En regard et vers le milieu du dia-
mètre, d'un côté il existe une dépression vers l'inté-
rieur, tandis que de l'autre, il subsiste environ 0™01
de l'amorce d'un manche ou d'un long bourrelet de
préhension.
A gauche, nous avons recueilli une moitié du col
d'une urne avec l'anse encore adhérente. Nous avons
tant bien que mal fait reproduire ces différents objets,
(Photographie fig. 10).
Toute cette céramique commune, de vieille facture
berbère, est épaisse; c'est une composition d'argiles
grossières employées avec toutes leurs impuretés et
qui donnent, après une cuisson relativement bonne,
une poterie bicolore grisâtre et rougeàtre. Sur toute
la surface interne et externe on peut remarquer des
dendrites très apparentes laissées par les racines des
plantes, qui à une certaine époque ont pu se dé-
velopper sur ce tumulus. Nous pensons que des
fouilles complètes procureraient dans cette région
un mobilier archéologique fort instructif et pour
ainsi dire inconnu.
- 84 -
Dolmens du Kef-el-Djelem
Pas très loin de l'endroit que nous quittons, en
obliquant au nord-ouest et à environ 13 kilomètres
de Tébessa, sur la piste d'Aïn-el-Diba au Dyr, en
plein sommet d'une des montagnes dominantes et à
gauche de la piste, il existe une certaine quantité de
dolmens de moyenne grandeur, la plupart etïondrés
et, ainsi que nous avons pu nous en rendre compte,
violés depuis longtemps.
M. Latapie nous ayant donné l'assurance qu'ils
n'avaient pas encore été signalés et que, d'autre jiart,
il en existait paraissant en place et intacts, nous
avons cru bien faire d'aller en fouiller quelques-uns et
ainsi qu'on le verra, nous n'avons pas à le regretter.
Contrarié par un vent d'une violence inouie et ne
permettant pas de continuer, nous n'avons pu en
visiter que trois. L'un debout ne contenait plus que
quelques ossements humains informes. Dans un se-
cond, au contraire, dont la plateforme culbutée ne
se trouvait même plus dans le voisinage, bien qu'il
ait été violé à une époque que nous ne pouvons
fixer, nous avons été assez heureux de recueillir les
restes de la tète, ainsi que certains os ramassés au
même endroit, le tout ayant appartenu à un individu
très robuste. Tout près de ces restes humains et tout
à fait dans l'angle droit supérieur, nous avons pu
recueillir les débris d'un vase de pure facture néoli-
thique dont nous donnons une reproduction ci-contre
(fig. 11), car nous avons pu le reconstituer jn^esque
complètement.
La forme en est gracieuse, élégante même et sa
faible épaisseur très régulière le place bien loin de
- 85 -
ce que nous avons recueilli dans le tumulus dont
nous avons parlé précédemment. Il a beaucoup d'af-
finité avec les beaux vases néolithiques des dolmens
de France et des grottes des Pyrénées. Deux silex
ont été trouvés dans les déblais : un tout petit grat-
toir et un éclat avec conclioïde. A la surface du sol
et tout autour on n'en récolte pas.
La terre autour de notre trouvaille était noire, cen-
dreuse, avec quelques charbons; tous les ossements
sont profondément calcinés et rendent un son argen-
tin très significatif.
Nous avons pu sauver la mâchoire inférieure et il
est facile de se rendre compte que l'individu était un
vieillard, car à plusieurs endroits les alvéoles des
(ients — et il n'en reste plus aucune — se sont re-
fermées. Le crâne est lui-même d'une épaisseur très
exagérée 0^010 à 0'"0i2 et nous n'avons encore ob-
servé cette particularité que chez les individus trou-
vés dans la grotte sépulcrale Ali-Bacha à Bougie (^\
Nous possédons également un ossement paraissant
avoir appartenu à un tiljia de forme platycnémique
et nous devons ajouter que tous les os retenus com-
portent de profondes vermiculations. On sait, que
jusqu'à ce jour, il n'a guère été possible d'établir de
chronologie en ce qui touche aux dolmens du nord
de l'Algérie. Il ne faut pas perdre de vue que tout
n'a pas encore été fait, ni dit sur ce sujet, et nous
connaissons pas mal de matériaux recueilhs dans
(Il M. le Docteur Delisle. — Noie sur les ossements humains de lagrotte
Ali-Bacha, A. F. A. S. Congrès de Montâuhm\^02.
M. le Docteur Delisle. — Deuxième note sur les ossements humains pré-
historiques de la grotte Ali-Bacha, à Bougie, fouilles de M. Debruge.
Congrès international d'anthropologie de Monaco, 1906 .
— 86 -
des dolmens, qui auraient besoin d'une sérieuse re-
vue. Nous aurons du reste un jour à revenir sur ce
sujet qui n'est encore qu'à l'enfance, mais il est regret-
table de le dire, beaucoup de fouilles de dolmens ont
été faites à diverses époques non pas dans un but
d'utilité scientifique mais dans un but de lucre cu-
pide, ou dans celui plus naturel, d'enrichir une col-
lection privée.
Un troisième dolmen également culbuté et simple-
ment indiqué par la chambre tombale, ne nous a
rien procuré et à notre grand regret nous avons dû
abandonner la place, le vent, ainsi que nous l'avons
dit, la rendant intenable.
Station de Koiichada
Une très petite station, en passe de disparition,
nous a été signalée par M. Latapie. Comme il y avait
remarqué des ossements humains et que ce n'était
guère qu'à 6 kilomètres de Tébessa nous avons pu
nous y rendre.
Sur la piste de Kissa, au lieu dit Kouchada, au
milieu de la plaine, nous avons remarqué, en efïet,
sur un faible mamelon, des os longs de jambes hu-
maines qui émergeaient. Nous avons, de çà de là, re-
cueilli quelques silex et fait pratiquer quelques fouil-
les. Nous pensons nous trouver là en présence de
vestiges tumulaires d'une époque indéterminée.
Les corps sont allongés et les os paraissent très
anciens.
La grotte de Youks-les-Bains
On nous avait vanté la grotte de Youks-les-Bains
- 87 -
comme fort curieuse et importante et pouvant cacher
des restes préhistoriques. Une promenade inopinée
y ayant été organisée par des amis, dont nous
conserverons le meilleur souvenir, nous avons pu
nous convaincre que si cette grotte a pu servir de
refuge autrefois à des troglodytes, il fallait renoncer
à y chercher leurs traces.
En efïet, la disposition géologique du massif a dû
subir des modifications sérieuses, bouleversements
et éboulements, conséquence des tremblements de
terre toujours communs en Afrique et enfin rem-
plissage extraordinaire.
On ne peut accéder dans l'intérieur de la grotte de
Youks-les-Bains qu'en plongeant et la déclivité du
sol est sensible, dangereuse même par suite de l'hu-
midité. Lorsque la partie de remplissage est franchie,
on tombe alors dans le chaos des pierres énormes
éboulées de la voûte et pour visiter les différents
boyaux qui constituent l'intérieur, il faut se livrer à
une gymnastique assez sérieuse. En un mot, on a
l'impression, comme dans beaucoup de grottes du
reste, que les eaux ont joué là le plus grand rôle de
formation et en effet à Youks l'eau sourde encore en
abondance et limpide à une dizaine de mètres en
contrebas.
L'endroit du puissant massif coupé en falaise et
en cul-de-sac où se trouve cette grottte, est beaucoup
plus loin que le centre de Youks-les-Bains et c'est
assez péniblement qu'on y accède; mais disons-le
bien vite, on ne regrette nullement la promenade et
si l'homme sauvage que nous allions y chercher n'a
pas voulu se faire voir, la nature, elle, s'y montre
dans toute sa merveilleuse sauvagerie.
station chelléeDne de El-MAala-Biod
Avant de passer aux diverses industries recueillies
dans les escargotières de la région de Tébessa, il
nous reste à dire un mot d'une sim])le visite que
nous avons faite, par très mauvais temps, à la station
chelléenne de El-Màala-Biod.
Il aurait fallu pouvoir consacrer plusieurs journées
à cette visite pour en donner quelques renseigne-
ments positifs, malheureusement nous ne pouvions
tout faire à la fois, l'éloignement — 45 kilomètres en-
viron de Tébessa — les difficultés de transport et
nos faibles ressources ne nous ont pas permis de
pousser plus loin nos investigations.
Tout ce que nous pouvons afïïrmer, c'est que à
l'endroit où nous nous sommes rendu et d'après
renseignements, en maints autres lieux tout le long
de la rivière se dirigeant vers l'Ouenza et la Tunisie,
on recueille en quantité une belle industrie chelléenne,
principalement le classique coup-de-poing. Cette in-
dustrie doit se trouver en place, car le long des ber-
ges rongées et à une assez grande profondeur il n'y
a qu'à les sortir, émergeant naturellement du sol.
Dans une tranchée pratiquée par des indigènes
pour la réfection d'une piste, M. Latapie a pu re-
cueillir, sur des dél)lais, un fort fragment de mâchoire
inférieure d'un animal indéterminé, les dents n'exis-
tant plus, mais elle paraît appartenir à l'époque
contemporaine de l'outillage rencontré.
Il y aurait là une étude superbe à faire, mais cha-
cun sait les grandes difficultés à vaincre pour en-
treprendre de pareilles fouilles et nous nous bornons
donc à signaler cet intéressant gisement.
►
— 89 —
Industries des escargotières
Silex
Les silex sont assez communs dans les escargo-
tières et la généralité ont servi, mais il y a tout lien
de croire qu'ils ne se travaillaient pas sur place, car,
on ne rencontre sur ces sortes de stations, ni per-
cuteurs ni nucleus et c'est à peine si, après de nos
longues fouilles, nous possédons quelques-uns de
ces objets.
Afin de nous guider et de pouvoir passer plus
commodément une revue du bel outillage recueilli,
nous avons fait tirer une série de photographies par
l'excellent artiste qu'est M. Lauffenburger et ainsi
vont pouvoir défiler sous nos yeux les diverses va-
riétés d'objets rencontrés.
(Voir planche III)
Lames
Les lames sont longues, le plus souvent plates, à
une ou deux arêtes longitudinales. Elles sont très
tranchantes des deux côtés et ce n'est qu'exception-
nellement que nous signalerons des retouches et sur
un seul côté. Encore convient-il à notre avis de ran-
ger ces dernières dans la catégorie des lames en bec
de perroquet. Notre planche III en comporte deux,
la dixième de la première rangée, et la cinquième
de la deuxième rangée. Retouchées l'une à droite et
l'autre à gauche, elles forment pointes, comme beau-
coup d'autres du reste en notre possession.
(.Voir planche IV)
-95 -
Lames recourbées en bec de perroquet
Ainsi que nous l'avons dit au cours de notre tra-
vail, l'outil par excellence des escargotières est la
lame en bec de perroquet.
La planche IV en reproduit seize dont quelques-
unes sont remarquables. De même que dans les la-
mes ordinaires, on retrouve une et deux arêtes lon-
gitudinales. L'un des côtés est régulier droit et tran-
chant, l'autre au contraire est plutôt épais et soi-
gneusement retouché sur toute la partie dorsale,
formant vers la pointe comme un quart de cercle
d'où son nom caractéristique.
Si, exceptionnellement, quelques-unes de ces la-
mes sont plutôt fragiles, on sent dans la généralité,
un outil robuste, bien en main et appelé à une cons-
tante servitude.
Nous avons vu l'affectation que nous donnions à
cet outil et nous sommes surpris de n'y avoir pas
songé plus vite; il a fallu cette circonstance parti-
culière qu'il est commun dans les escargotières où
nous avons pu l'étudier aussi simplement.
De même qu'il existe de gros et de petits escargots
dans nos stations, l'homme avait à sa disposition un
gros outillage que nous venons de passer en revue
et un petit (fig. 1, 3 et 5).
Certains types de lames en bec de perroquet,
comme l'avant -dernier de la deuxième rangée, de
même que le n*^ 3, trouvent leur place dans notre
planche; ils sont toutefois beaucoup plus larges, ne
pouvaient guère se manier qu'entre le pouce et l'in-
dex, et pouvaient avoir une autre utilisation. Ils
rentreraient, à notre avis, dans la catégorie des
- 91 -
tranchoirs. La lame n" 1 de la première rangée peut-
être classée aussi avec les outils à usages multiples,
du côté opposé à la pointe, il forme grattoir parfait
à fines retouches.
( Voir planche V )
Pointes diverses
A côté de ces lames pointues et recourbées, il
existe dans les escargotières des environs de Tébessa
une autre variété de pointes qui, à notre avis,
ont pu également servir d'outils pour dégager la
chair des escargots. La planche V nous donne une
reproduction, dans la rangée du bas, de onze de ces
pointes, droites, taillées et retouchées tout à fait
dans les mêmes conditions que les lames à bec de
perroquet.
Là aussi on possède un outil bien en main, parfois
épais et résistant, mais nous ne voyons aucun incon-
vénient à le confondre avec des pointes, et, d'outils,
en faire des armes, car emmanchés ils pouvaient
fort bien constituer des flèches et des javelots.
La première rangée diffère considérablement de la
seconde, moins longues et beaucoup plus larges, ces
pointes ne sont qu'à une seule arête médiane longi-
tudinale. Elles sont quelquefois retouchées soit d'un
côté, soit de l'autre et jamais des deux à la fois. De
plus, la base donne souvent l'impression de retouches
intentionnelles en vue de l'emmanchement, aussi il
n'y a aucune hésitation à considérer ces sujets com-
me des pointes de jet.
( Voir planche VI )
- 92 —
Outils divers
Cette planche combinée nous montre différents
outils rencontrés au cours de nos fouilles.
Iro rangée : trois spécimens de gauche, grattoirs
longs non retouchés, taillés dans les galets de silex
et utilisés très simplement sur la partie circulaire
obtenue.
Ce genre de grattoir est assez commun et nous
l'avons signalé un peu partout à Aumale, à Bougie
et à Constantine. Il tient une bonne place à l'époque
des escargotières et il continue à se développer à
l'époque qu'il est convenu d'appeler néolithique an-
cienne.
Les trois types du milieu sont des grattoirs conca-
ves, robustes et bien accusés. Ce genre d'outil est
très rare alors que plus tard il devient commun.
Pour les trois derniers sujets de cette rangée, nous
nous trouvons en présence d'outils que nous n'avons
pas encore eu l'occasion de signaler. C'est un genre
de grosse lame à base équarrie comme pour l'em-
manchement, tandis que la partie opposée est épaisse
et coupée droit ou en biseau. Beaucoup plus robuste
que le burin avec lequel il a une certaine analogie,
cet outil a servi surtout pour faire des retouches
ainsi que le prouvent les nombreuses étoiles enlevées
par pressions répétées et situées vers le milieu de
la tête. Notre ami M. Pallary aurait rencontré un
outil semblable en Tunisie ?
En dessous, un joli nucleus et un curieux disque
i-acloir à éclats alternatifs par-dessus, le dessous lisse
et comme poli. Toute la rangée du bas nous mon-
tre, à commencer par la gauche, une gamme décrois-
C3
w
- 9â -
santé de nos curieuses pointes des escargotières, la
plus grande mesure 0"U0 et la plus petite 0'"03 à tel
point qu'à côté d'outils destinés à l'homme on croirait
voir des copies proportionnées pour l'enfant.
(Voir planche VII)
Grattoirs
On aurait tort de supposer que nos consomma-
teurs d'escargots passaient toute leur existence à ré-
colter et à manger des mollusques, car dans les
escargotières, on retrouve la preuve du contraire et
l'outil si classique de toutes les époques préhistori-
ques, le grattoir, y a sa place importante.
La planche VII nous montre les formes diverses
sous lesquelles il se rencontre et il est facile d'y re-
connaître encore une persistance du type du Mous-
tier. Les plus communs sont les grattoirs longs
finement retouchés, parfois ils sont double comme
les trois derniers spécimens du bas.
( Voir planche VIII )
Ecorchoir, Tranchoirs
Nous entendons quelques collègues en préhistoire
se récrier de se trouver encore en présence d'un
nom nouveau, et cependant celui-là n'a rien que de
très naturel et nous ne pouvons guère présenter le
premier sujet de notre planche VIII que comme un
ecorchoir. Il mesure 0'"13 de longueur, 0^025 de lar-
geur; le dos, franchement retouché, possède encore
à un centimètre de la pointe bien effilée, une épais-
seur de plus de un centimètre. La partie tranchante
subsiste dans sa forme normale, sur un peu plus du
- 94 -
tiers de la longueur pour aller mourir vers la pointe,
tandis que l'autre partie, par un fort éclat enlevé a
été préparée en vue de l'utilisation que nous attri-
buons à ce curieux objet. Il pouvait-ètre pris à pleine
main très facilement, mais aussi entre le pouce
allongé, les deux doigts voisins contournant le dos
et par pression naturelle maintenant solidement cette
façon de couteau, contre la paume de la main. C'est
la première fois que nous rencontrons un outil sem-
blable.
Le reste de la planche est occupé par une série de
tranchoirs, quelques-uns retouchés d'un côté, les
autres sans retouches; la partie tranchante parfois
est droite, mais elle est aussi recourbée et en général
on })Ossède là, un outil rolmste.
( Voir planche IX )
Industrie de l'os
Nous avons signalé au début de notre travail que
généralement les ossements recueillis sont couverts
de vermiculations curieuses et profondes, il n'est
donc pas surprenant de retrouver cette particularité
sur les différents objets qui constituent l'industrie de
l'os poli dans les escargotières.
Parfois, un simple éclat est simplement poli vers
la pointe, mais en général le poli existe sur toute la
surface des objets. Sous divers aspects de taille et
de forme, la pointe domine et ce n'est qu'exception-
nellement que nous aurons à signaler d'autres parti-
cularités.
Le premier ol)jet de la planche IX dépasse cer-
tainement les dimensions pour être un fort poinçon,
M
¥
— 95 —
car il mesure 0'^20, et c'est donc à notre avis un
])oignard.
Le second pouvait également être de grande di-
mension, mais il est cassé vers la base, de date an-
cienne.
Dans le troisième objet, très soigneusement effilé,
on reconnaît facilement un fémur de petit carnassier-
Le quatrième ol)jet est énigmatique, à moins que
ce ne soit une gaine ou un manche d'outil? C'est
un os long, solide et creux et il se trouve poli exté-
rieurement et intérieurement sur toute la longueur
de même que vers le sommet arrondi.
A côté, nous avons un genre de spatule, le bout
très aminci en angle arrondi ; c'est le seul spécimen
d'os poli et plat que nous possédions de nos fouilles
de Tébessa.
L'outil du milieu a une analogie frappante avec
celui en silex que nous avons décrit assez longue-
ment et présenté comme un écorchoir, (planche VIII);
il suffit de s'y reporter pour que la comparaison soit
admise.
Tout le reste de la planche comporte des poinçons
et perçoh^s dont beaucoup sont malheureusement
incomplets.
( Voir planche X )
Os poli. — Ornement
La planche X nous montre quelques objets remar-
quables recueilhs dans les escargotières.
De chaque côté à droite et à gauche en oblique :
deux pointes de poignards brisées; deux dents inci-
sives de ruminant, entaillées au-dessus de la cou-
ronne assez profondément pour la suspension.
R
— 96 -
Dans le sens horizontal, trois os polis à double
pointe, sur l'usage desquels on n'est pas encore l)ien
fixé. Nous en avons déjà signalé un semblable à
titre exceptionnel de l'industrie des grottes. (i)
Au centre, une curieuse pendeloque en calcaire
dur, perforée à l'une de ses extrémités et a un milli-
mètre à peine du bord. La perforation est conique
des deux côtés se rejoignant vers le milieu. En le
regardant du côté de la perforation et dans le sens
longitudinal, ce curieux ol)jet ressemble à un poisson
aux yeux énormes.
Au-dessous, une superbe perle découpée dans un
fragment de coquille d'œuf d'autruche. Contrairement
à toutes celles que nous avons signalées jusqu'à
présent, au lieu de conserver sa forme plate, on a
soigneusement gratté toute la périphérie interne et
externe de façon à lui donner l'aspect d'une petite
bague cylindrique.
Toute la rangée du bas de cette planche nous
montre l'image de pointes diverses, perçoirs, aiguil-
les et harpons; les deux dernières ont été faites
dans des os creux d'oiseau, particularité assez rare.
Gravures sur coquilles d'œuf d'autruche
Si, par les diverses industries que nous venons de
passer en revue, l'homme des escargotières a beau-
coup de points communs avec l'homme des cavernes
et des abris sous roche de l'époque du renne ou
magdalénienne, il en est un surtout plus digne en-
(i) Fouille de la grotte du mouflon à Constantine Congres de Lille,
1909. — Association française 2}our l'avancement des sciences.
— 97 —
core de retenir l'attention. On sait que dans nos
belles stations de France, il a été recueilli un lot
important d'os gravés et c'est un fait acquis que les
sauvages de l'époque — ainsi ([u'on a grand tort de
les désigner — étaient déjà de véritables artistes non
seulement en gravure, mais aussi en sculpture.
Chose particulièrement curieuse, en Algérie où
l'on s'occupe cependant beaucoup à présent de re-
cherches préhistoriques, on n'a pas encore signalé
la gravure sur os. Nous ne voulons pas tenir compte
d'un fragment de large côté, scié par le milieu de
l'épaisseur sur lequel nous avons relevé une série de
traits, (1) ce n'est là qu'un fait exceptionnel. Mais si
la gravure sur os n'existe pas, en revanche dans les
escargotières des environs de Tébessa, nous avons
pu recueillir une belle série de fragments de coquilles
d'œuf d'autruche sur lesquels on relève des gravu-
res et il est certain, d'après ce qu'il en subsiste, que
les œufs complets travaillés dans ce goût devaient
être très artistiques.
Qu'on n'aille pas croire la gravure sur coquille
d'œuf d'autruche aussi commode que cela , nous
avons expérimenté la chose et c'est au contraire
d'une réelle difficulté. Nous avons pris quelques-unes
de ces pointes dont nous avons reproduit les dessins
(fig. 1, 3 et 5), car elles paraissent indiquées pour
ce travail si léger et si fin, mais la fragile pointe à
la moindre pression se brise comme du verre et ce
n'est qu'avec des silex plus épais, coupés un peu en
biseau comme des burins, qu'il est possible d'arriver
à un résultat.
(i) La Grotte des Ours à Constantine^ %_ccueil des OvCévioires publiés
par la Société archéologique, 1909, page 142, fig. 27.
La moin n'a guère de force sur la rotondité de
l'œuf, car le point d'appui est insuffisant et l'outil
glisse d'une façon extraordinaire. Nous ne croyons
pas utile de nous arrêter particulièrement sur clia(]ue
dessin, il est facile de les suivre d'après les repro-
ductions; ils sont d'une finesse remarquable et très
réguliers et certains comportent des figures géomé-
triques compliquées d'une assez sérieuse difficulté
d'exécution.
L'homme des escargotières avait donc une habi-
leté appréciable et ce n'est certes pas exagéré de
comparer ses gravures sur coquilles d'œuf d'autru-
che à celles laissées sur os par l'homme de la Ma-
deleine. Là, comme dans les autres industries, on
peut donc établir une certaine contemporanéité.
Du reste, cette industrie typique que nous signa-
lons aujourd'hui a déjà été avancée par divers au-
teurs et à des endroits différents. M. le D^ Gobert,
un de nos correspondants à Redeyef (Tunisie), a
recueilli quelques fragments de coquilles d'œuf d'au-
truche avec des dessins analogues à ceux que nous
présentons. M. Robert, dans sa grotte de Bouza-
baouine, a trouvé l'oiseau lui-même gravé sur sa co-
quille et, d'autre part, sans que nous en connaissions
l'origine, il existe également au musée de Mustapha
un lot de ces fragments, aussi avec dessins.
Nous-mêmes, ainsi que nous l'avons dit précédem-
ment, avons publié dans la revue L'homme préhis-
torique, n° 3, de mars 1905, une étude sur divers
fragments de coquilles qui nous venaient de Fort
Mac-Mahon, à 150 kilomètres au sud-ouest d'El-
Goléa. Huit de ces fragments recueillis et en notre
possession comportent des dessins curieux, mais
\
— 99 —
en général ce sont des assemblages de palmettes
obtenues par raclage, travail tout différent et néoli-
tliique.
Broyeurs - Polissoirs
De même que dans toutes les autres fouilles faites
]iar nos soins et portant sur diverses époques pré-
historiques, dans nos escargotières de Tébessa, nous
avons retrouvé aussi des broyeurs forme boulet et
des polissoirs de différentes factures.
La photographie ci-contre (fig. 12) nous en montre
quelques-uns : le polissoir de droite est très curieu-
sement usé sur six faces, lui donnant une vague
ressemblance avec un marteau et, chose particulière,
les deux extrémités ont en effet servi de percuteur.
Debout, nous voyons une superbe plaquette rou-
lée et peut-être usée intentionnellement. Elle paraît
être en grès fin et avoir très longuement servi pour
broyer de la sanguine. La surface principale est
fortement concave et dans le sens longitudinal on
remarque les stries profondes laissées à la longue.
Trouvée à l'escargotière du 3'' kilom. 200, cette pla-
quette mesure 0'"22 de longueur, 0™16 de largeur et
0™04 d'épaisseur, elle est encore fortement teintée
par la matière colorante broyée. Au cours de nos
fouilles, quoique en petite quantité, nous avons
aussi recueilli de l'ocre rouge, de l'hématite et du
fer oligiste écailleux, preuve évidente que l'homme
de cette époque se teignait et se tatouait déjà.
Faune des escargotières
Nous avons vu que dans ces amoncellements
considérables de coquilles, la faune était pour ainsi
- 100 -
dire strictement malacologique. Parmi les échan-
tillons prélevés — et ce sont toujours et partout les
mêmes — à son passage à Gonstantine, notre col-
lègue et ami M. Pallary a pu reconnaître :
Hélix aspersa, espèce dominante;
Hélix melanostoma;
Hélix Constantinœ ;
Albea candidissima.
Dans les ossements conservés, il a été possible
de reconnaître d'une façon certaine les individus
suivants :
Alcelaphus probubalis,. Pomel. De nombreuses dents
et une corne.
Grand bœuf. Une énorme tête de fémur, un cal-
caneum, un astragale et une certaine quantité de
dents incisives et molaires.
Bœuf Sp....? Une autre variété de bœuf plus petit
dont les restes sont insuffisants pour déterminer la
variété.
Zèbre. Diverses dents molaires et prémolaires.
Gnou. Plusieurs molaires, phalanges et métacar-
piens.
Lièvre. Un fragment d'humérus.
Eléphant Sp....? Représenté par une surface articu-
laire de tibia d'un jeune individu.
Gazella subkevella. Pomel.
Tortue d'eau....?
A. DEBRUGE,
Correspondant du Ministère de V Instruction 'puhltque .
NOTES ARCHÉOLOGIQUES
CONCERNANT
La Région de Tocqueville
I. — La Chapelle de Zer'aba
Dans le xlii'' volume du Recueil de la Sociélé
archéologique de Constantine, année 1908, p. 115,
j'ai publié l'inscription suivante, découverte près de
la mechta Zer'aba (i), à cinq kilomètres nord-ouest
de Tocqueville :
L.T. SANG
TI . RO
GATIANI
MARIVRIS
La Société mit à ma disposition un crédit pour
rechercher l'édifice chrétien dont cette inscription
semblait indiquer l'emplacement. Après bien des
sondages infructueux, j'ai fini par retrouver, à 30 mè-
tres de là, les vestiges à peine reconnaissables d'une
chapelle.
De ce modeste bâtiment (longueur : 18 "'30, lar-
geur : 6'"35), il ne reste plus, à l'ouest, que le sou-
bassement du mur de l'abside. Vers l'est, quelques
(1) M^'-el-Krerba de la carte au 50,033% feuille Aïa-Tagrout.
— 1Ô2 —
pierres de taille, dressées verticalement de distance
en distance, dessinent le rectangle de la nef unique.
La maçonnerie qui les reliait a totalement disparu.
Une de ces pierres porte la dédicace païenne qu'on
lira plus loin, n° 1.
Le sol antique n'offre aucune trace de pavage. Il
recouvrait de nombreux corps d'adultes et d'enfants,
ensevelis, têtes à l'ouest, entre des dalles générale-
ment brutes. Sur une de ces dalles, empruntée à
une sépulture païenne antérieure, est gravée l'épi-
taphe reproduite ci-dessous, n° 2. Le squelette d'un
enfant garde les marques fort nettes de la couleur
verte qui teignait les vêtements du petit cadavre. Au
fond de l'abside, deux briques carrées de 0'"60 de
côté sur O^'OH d'épaisseur, ornées d'un chrisme de
basse époque, servaient de couverture à un tom-
beau.
Rien, malheureusement, dans ces maigres décou-
vertes, ne permet d'identifier le saint Rogatien à qui
la chapelle paraît avoir été dédiée. Peut-être même
était-elle déjà détruite, par une cause que nous igno-
rons, quand la piété des fidèles plaça sur ses ruines,
pour perpétuer le souvenir de leur ancienne destina-
tion, l'inscription mentionnant le nom du martyr. On
continua, par dévotion, à enterrer les morts dans
l'enceinte écroulée. Ce qui me le fait supposer, c'est
que, dans le milieu de la nef, où les tombeaux se
rencontrent en plus grand nombre, je n'ai remarqué
aucun fragment de tuile. Au contraire, les débris de
la toiture abondent sur les côtés, le long des murs
disparus. L'intérieur fut sans doute déblayé, après
la destruction de l'édifice, pour servir de lieu de
sépulture.
- 103 -
Ainsi s'expliquerait la lecture Lfocia^) T(UHli) sanctl
Rogatiani manavh, qui vient naturellement à l'esprit.
Dans les commencements, la messe de l'évèque
était la seule qui se célébrait. Plus tard, le nombre
croissant des chrétiens nécessita la création des
Titulii^) ou églises secondaires. Titulum et Ecclesiam
esse ilem, dit le rubriciste Gavanti (t. ir, sect. vur,
c. V, n. 1), eo quod in loco Ecclesiae construendae fige-
batur Crux in Titulum. ,., . Titularis ergo Ecclesiae est
ille Sanctus a quo Titulus seu Eecksia denominationem
hahet. Notre inscription sera't donc une sorte de pla-
que commémorative, avec ce sens : A cet endroit
s'élevait l'église dédiée au martyr Saint Rogatien.
Si l'on n'admet pas cette interprétation, que je ne
donne pas du reste comme certaine, on pourrait voir
dans ces mots Locus TiiuU, etc., un simple écriteau
servant à désigner et à réserver l'emplacement où
les chrétiens du lieu avaient l'intention de construire
plus tard leur chapelle.
Parmi les saints du nom de Rogatien inscrits aux
martyrologes latins comme ayant confessé la foi en
Afrique, le plus connu est un vieux prêtre de l'Eglise
de Garthage qui, pendant la persécution de Dèce, fut
incarcéré, à la suite d'un mouvement populaire, avec
le laïque Félicissime. G'est à ce Rogatien et à ses
compagnons de captivité que Saint Gyprien adressa,
en 250, sa lettre 6^ pour les exhorter au martyre.
Dans sa lettre 81% écrite peu avant sa mort (258), il
encourage un autre Rogatien et ses compagnons
(1) Voyez Kraus : Realencyclopcidie, sub hoc voc. Le premier qui ait
érigé à Kome des TltuU est le pape Denys (259-269). Le pape Marcellus
(308-310) XXV Titulos in urbe Romana constituit.
- 104 -
alors en prison, à suivre l'exemple de Rogatien et
de Félicissime qui les ont précédés dans les fers et
leur ont tracé la voie glorieuse. Ces deux saints pé-
rirent sous Dèce en 250. Les martyrologes latins en
font mention au 26 octobre.
Au sujet de saint Félicissime, je rappellerai une
mensa copiée par M. Gsell, à Aïn-el-Ksar, à 15 kilo-
mètres de Tocqueville, entre ce centre et Colbert :
Mensam [martyrum7] Feliciss[mi ? . . Mig]ginis, Man\a]e
[[ecerunt et] dedicaoerun[t. . .]a7ius et Constan[tia ?](l).
Voici les inscriptions païennes trouvées dans la
chapelle de la mechta Zer'aba :
N° 1. — Sur une des pierres de taille de la nef.
Hauteur : 1"'00; largeur : 0™42; épaisseur : 0™35.
Hauteur des lettres : 0'"05-0''04.
////////////s
/////////s
////////// V
/////////////
C/////MIVS
sv^svs
MAG ET
OVMVRVDES
vs
A la ligne 6, la troisième lettre doit être un c. Li-
gne 7, M et A sont liés.
. . .mius Suc(ces)sus ? mag(ister) et Ov(lus) ? Muru(s) ?
de s(uo) v(otumj s(olverunt).
(1) Gsell. Bull, archéol. du Comité, 1899, p. 457, note 3.
— 105 —
N° 2. — Sur une dalle des tombeaux de la nef
DMSLSIAI
VMINIVLIN
SMDINIVIX.
T ANOS X
PCCLXX
Cette inscription a disparu. Elle porte la date pro-
vinciale 270, qui correspond à l'année 309 de notre
ère.
IL — Inscriptions de la mec lit a Zer'aba
N° 3. — Près de l'aire à battre de la ferme Mes-
saoud ben Haroun. Longueur : 0"'50; largeur : 0'"43.
Hauteur des lettres : 0"05.
DOMS
LACLIVS
SEDATVS
VAXXXX
La formule de la première ligne ne prouve pas né-
cessairement que le texte soit chrétien (•). L'o cepen-
dant, bien que certain, est moins net que les autres
lettres. On dirait que le graveur a voulu le dissimu-
ler sans l'omettre. Les a ne sont pas barrés.
D(eo) o(ptimo) m(aximo) ? s(acriimj. L(ucAus) Aelius
Sedatus v(ixit) admis) XXXX.
N° 4. — Ferme Messaoud ben Haroun. A l'angle
(1) Voyez C. I. L., xii, 1069.
— 106 -
d'un mur de la cour extérieure. Longueur : 0"'55;
largeur : 0"^28. Hauteur des lettres : 0"'045-0™04.
/////////////
/////////////
//////////////
///VI///NI//
xxxxv
Q DIE VII
DVS NOV
P CCLXXX
>..vi[xUan]ni[s] XXXXV. Q(uiemt?) die VI idus nov
(embres) P(rovinciae) CCLXXX.
Cette inscription paraît chrétienne. Le défunt ou la
défunte dont le nom est illisible, mourut le 8 novem-
bre 319.
N° 4. — Dans un cadre. Longueur : 0"^43; lar-
geur : 0"'30; épaisseur : 0"^07. Hauteur des lettres :
0™045.
MESAIVLISEV
COLOCAHIT
IVLIS . SPENFI
nOGATVS
Me(n)sa(m) luli(i) Scv(eri) col(l)oca(v)it ? lulifujs
Spen. . . Ii(lins) Rogalus W.
N" 5. — Fragment. Dans un cadre à queue d'aron-
de, A disparu.
IISIL
FVHF
HOCOPEI
I iV L
ATOVAT
FA
FLAV
(1) Cf. Recueil de Constantine, vol. J, p. 75, et C. /. L., viii, 7427.
- 107 —
III. — Autres inscriptions de la région de Tocquevi/le
A un kilomètre sud-est de Zer'aba, au bord d'un
chemin qui conduit du pont de Tocqueviiie (rive
gauche), au village de Lavoisier, dans les Maâdid, on
pouvait admirer naguère le soubassement en belles
pierres de taille ornées de moulures, d'un mausolée
carré mesurant 5"'60 de côté. L'entrée, à f'ouest, était
indiquée par une cavité de 0"80 de long sur 0"'17 de
large et 2 ou 3 centimètres de profondeur, ménagée
dans le seuil. Le sol était bétonné. Il y a quelques
années, on recueillit dans les décombres un fragment
de marbre blanc qui semble être le genou drapé
d'une statue grandeur nature. Au mois de juin der-
nier, on découvrit au même endroit cette curieuse
dédicace :
N° 7. — Hauteur : 0"'63; largeur : 0"^48; épais-
seur : 0"^30. Hauteur des lettres : 0'"03-0"'025.
HOC EGO ME ViVO SIG
NVM DEDICAVl SEPVLCHRO
FRETVS PATRONIS TITVS
RITE BENIGNI3
VT MAE VIRTVTIS PERTINGAT FAMAMINO
RES
AD MEVS ET VENIANT PRECLARA FAGTA
NEPOTES
Lettres liées : Ligne 2 : v-m, d-i, a~v. Ligne 5 : i-R.
Hoc ego nie vivo signum dedicavi sepulchro,
Freius patronis Titus rite benignis ;
Ut m{e)ae virtutis pertingat fama minores,
Ad me(o)s et vejiiant pr(a)eclara facta nepotes.
— 108 —
Je pense qu'on peut traduire ces vers aussi mau-
vais que pompeux : « Moi, Titus, tier de la bienveil-
<• lance que mes patrons m'ont témoignée à juste
« titre (') j'ai érigé, de mon vivant, cette statue dans
(( le tombeau, alin que la renommée de ma vertu
« parvienne à la postérité, et que la mémoire de
(( mes belles actions passe à mes descendants. »
Les travaux de la colonisation ont dispersé les
pierres du fnausolée. Quant au fragment de statue
et à l'inscription, M. Brusset, colon à Tocqueville,
les conserve avec soin dans la cour de sa maison.
N° 8. — Dans une petite ruine située sur un mon-
ticule, à 1,800 mètres environ nord-est du village,
près du chemin qui va du pont de Tocqueville à
Ouled-Braham. Caisson. Hauteur : 0"'61; largeur :
0"'41.
L'inscription est gravée dans un cadre de 0"'52
sur 0'"34. Hauteur des lettres : 0"'045-0'"04.
D • M • s
L. AEMILIVS
ADzVTOR . V .
ANNIS . XXX
AELI-A VRBA
NAP-T-ISSIM
O FILIO FECIT
D{is) w{anibus) s{acrum). L{ucius) Aemilius Adjutor
v{ixit) annis XXX. Aelia Urbana piissimo filio fecit.
N" 9. — La base du même caisson garde les res-
(1) Sans doute en l'affranchissant.
— 109 —
tes d'une inscription métrique. Hauteur des lettres :
0"^025.
VENTVS
Ar:GNis
CEPTVM
SOHORKM
RO
DAPVNTES
liiAM
bRISOTlNFRI
IS IMAGO
ORVMPRISCVS
ARISSIM
N° 10. — A Aïn-Toumella, à 200 mètres Est des
ruines de Thamallula, près de la ferme Douarche,
sur un mamelon qui doit recouvrir la nécropole
païenne de la ville. Caisson. Longueur : 1"'13; hau-
teur : 0"'68; largeur : 0"'54. Hauteur des lettres :
0"^05-0"^03. Dans un cadre :
BONAE MEMO
RIAEETLAVDABI///
VIROCAESELVALENTI
NOPATRl ETOCTAVIAE
SATVRNINAEMATRILCAE
SEL . HONOR ATVS FIL///
RENTIBDI " //bMERL'S
Lettres liées : Ligne 2 : a-v. Ligne 3 : a-e et n-t.
Ligne 4 : a-e. Ligne 5 : v-r et a-e.
Bonae mevioriae et laudabi[li] vivo Caesel{lio) Valen-
^.MtcÔ -patri et Octaviae Saturninae matri, L{ucius) Caesel
{lius) Honoratus fîl{iu9][pa]rentib(us) dig(ni)s o\i dic[ti)s
b{ene) meritis.
• — 110 —
N° 11. — Ibidem. Stèle. Hauteur : 1"^00; largeur :
0"'53. Hauteur des lettres 0"'055. Au-dessus de l'ins-
cription, buste grossier.
D . M -s
P -AI k . DOISE
VER VIXIT
ANOS LXXXV
D(is) m[anibus) s(acrum). Plublius) Ael{ius) Do ? Se-
ver{us} vixit a(n)nos LXXXV.
J. GAUTHIER,
Cwé de Tocqueville,
VESTIGES ANTIQUES
DE
LA RÉGION DE BORDJ-BOU-ARRÈRIDJ
— NO^ —
Kherbet Si-Embarek
Les ruines de Si-Embarek sont situées dans le
douar Hasnaoua, de la commune de Bordj-bou-Arré-
ridj, à environ sept kilomètres au nord-est de cette
ville.
On y voit les traces de deux vastes constructions
situées à une petite distance l'une de l'autre. La pre-
mière a une longueur de 120 mètres et une largeur
de 36 mètres dans sa partie nord et de 34 mètres
dans sa partie sud.
La porte d'entrée, large de 4 mètres environ, est
située sur la face ouest; elle était précédée de deux
murs de six mètres formant avant-corps et corridor.
A gauche de la porte et placées à l'intérieur sur
le même alignement du mur du corridor, se trouvent
quatre auges juxtaposées destinées fort probablement
à servir d'abreuvoir aux animaux.
— 112 —
A l'intérieur de l'enppinfo i •. •
«PPareii som placées 17 L ■ '"'"'' "^ «'"nd
tance les unes c^I "„™; cl î T ■""'""' "^ ''^'
supporter des eolo,t '""' """''« "-•-•^"'
nés ou piliers qui de-
vaient probaJjlement
à leur tour supporter
la charpente d'un
hangar ou d'une écu-
rie; cependant, il n'a
été retrouvé aucune
colonne.
L'enceinte, parfaite-
ment visible, a deux
angles rentrant un
dans la partie nord,
i'autre dans la partie
est.
Cette vaste cons-
truction romaine ou
byzantine devait ser-
vir à une exploitation
agricole si l'on en
me par les auges-
abreuvoirs situés près
de la porte. Aucune
inscription n'a été dé-
couverte dans cette
^'^^^ne( Voir planche^).
(Planche 1)
Echelle de 0-001 par mètre
/t>mi;
— 113 —
La deuxième construction, qui est rectangulaire
avec un prolongement en forme d'impasse se dirigeant
vers le nord, était moins importante. Elle avait ce-
pendant cincjuante mètres de long sur quarante de
large. L'impasse avait vingt-huit mètres de long sur
six mètres de large.
Cette deuxième construction avait une muraille de
même épaisseur que celle de la construction n° 1,
mais il n'a pas été possible de retrouver les traces
de l'entrée.
Un angle rentrant existait dans la partie sud-est
de la construction qui paraît aussi avoir eu l'affecta-
tion d'une exploitation agricole. Aucune inscription
n'a été découverte parmi les nombreuses pierres qui
encombrent la ruine de ce deuxième bâtiment (Voir
planche 2).
(Planche 2)
Ruines découvertes au lieu dit : Kherbet Si-Embarek
Echelle de O-nOOl par mètre
— 114 -
Mensa à Kherbet-Zembia
Une mensa a été trouvée à Kherbet-Zembia, ruine
située sur un mamelon près de Gérez (Bel-Imour).
La pierre sur laquelle a été gravée l'inscription est
une dalle en calcaire du pays ayant la forme d'un
losange.
L'inscription se trouve gravée dans un cadre por-
tant trois petits cercles parallèles au centre d'un plus
grand cercle sur lequel s'appuient les quatre bran-
ches de la croix chrétienne.
Cette mensa est la dix-neuvième trouvée dans le
département de Constantine et la troisième de la ré-
gion de Bordj-bou-Arréridj.
A. ROBERT,
Administrateur principal de Commune mixte honoraire,
Correspondant du Ministère de V Instruction 2niblique.
LA NÉCROPOLE ROMAINE
la Route de Philippeville à Goiistantiae
Dans le courant du mois de septembre 1910, en
faisant des fouilles à Constantine entre les points
initiaux des routes de Philippeville et Bienfait pour
la construction d'un mur de soutènement, les terras-
siers mirent à jour de nombreuses tombes romaines.
Ces fouilles, qui atteignaient une profondeur de
7 mètres, présentaient trois couches de terrains bien
tranchées. L'inférieure d'une épaisseur de 3 mètres
environ de terres rouges provenait des érosions de
la colline du Coudiat et renfermait les sépultures
romaines. La surface de l'ancien sol était très nette-
ment indiquée et l'une des stèles, celle portant le
n° 5 décrite plus loin était encore debout, telle qu'elle
avait été placée dans le cours du IIP siècle. De
nombreux débris de poteries brisées, de verres et
d'ossements, quelques monnaies étaient disséminés
dans cette couche de terrain. Il n'a pu être retiré de
là qu'un vase à parfums en verre ébréché sur un
côté, mais d'une assez jolie facture qui a été déposé
au Musée.
— 116 —
Cette couche de terrains ronges était recouverte
d'une épaisseur d'environ 2 mètres de terre noirâtre,
littéralement constellée de débris charbonneux. Peut-
être y aurait-il lieu de rattacher l'apport de ces terres
à la reconstruction de Gonstantine par Constantin
en 312. Dans cet ordre d'idées, on pourrait en dé-
duire que, si au moment de sa prise par les légions
de Maxence, Cirta possédait des monuments publics
et des habitations construites en pierres taillées et
sculptées, la plèbe habitait des maisons en terre crue
qui n'ofïrirent guère de résistance à l'incendie et à
la destruction.
L'amoncellement de ce genre de ruines sur cer-
tains points, obligea probablement à un déblaiement
et on ne trouva rien de mieux que de déverser les
décombres sur cette partie de la nécropole romaine,
car les sépultures n'y ont pas été violées puisque
certaines stèles étaient encore debout, en aplomb
parfait, entre autres celle portant le n° 5 qui, plaquée
contre la paroi de la tranchée, reportait la pensée
des visiteurs à dix-sept siècles en arrière.
On peut, en effet, conclure des données qui pré-
cèdent, que la nécropole qui nous occupe remonte à
l'époque de Dioctétien (vers 285-290) et qu'elle fut
remblayée par les débris de Cirta vers 312-313. Cette
couche de terres noirâtres était absolument vierge
de sépultures; les tombes ne réapparaissent que
dans une nouvelle couche subjacente de terrains
rouges renfermant de nombreuses sépultures arabes.
— 117 -
I.
2.
3.
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T â SITTIA o VSPHILODES
RE3TVTVS MVSTIA P0TW3VAXXV
^ ^ ^^ VA LX
HTBQ HSE SE
- 118 -
La plupart des inscriptions qui font l'objet de la
planche ci-jointe sont assez frustes; seule celle qui
figure sous le n 5 est soignée comme taille et com-
me caractères. Les n"^ 8, 9 et 10 portent le gentilice
d'une famille Pompeïa. Dans les n ^ 4 et 5 le lapicide
a figuré la ponctuation en forme de feuille (hederte);
dans les n"' 3 et 7 la forme des L est la caractéris-
tique des inscriptions postérieures au IL siècle.
Dans le n" IL existe une ligature de trois lettres
TiT, ainsi qu'une formule assez rare h.t.b.q. qui
doit se traduire llic tu bene quiescas. Dans le n"" 1
trois formules y sont gravées : h. s. (hic situsj,
LST (levis sit terra) otbq (ossa tua bene quiescant).
Il est vrai qu'il s'agit d'une centenaire tout comme
dans le n^ 11 dont le titulaire atteignit 110 ans. Cela
semblerait démontrer une fois de plus, étant donné
les nombreuses épitaphes de centenaeres découvertes
dans la région, la salubrité parfaite du climat.
Les inscriptions n"'* 1 et 13 se rapportent à une
gens Sittia.
Enfin, sur le n'^ 13 figure un cognomen d'origine
grecque. Faut-il le lire philodes potvs et consi-
dérer alors r I existant entre le t et 1' v comme une
faute du lapicide? Où bien diviser en deux mots le
premier PHtLODES signifiant ami du chant, mais
alors que signifierait potivs qui, en réalité, n'est
qu'un adverbe? Il serait alors préférable de conclure
suivant la première hypothèse. C'est du reste l'opi-
nion d'un éminent membre honoraire de notre com-
pagnie, M. Gagnât, membre de l'Institut, professeur
au collège de France.
E. THÉPENIER
DE LA RÉGION DE SÈTIF
§ r '^ — Forts lomstins
Grand fort des ruines de Ad Sa va m
(Hammam-Guergour)
Le vandalisme des entrepreneurs aura bientôt
achevé de faire disparaître celles des ruines romai-
nes que la brutale cupidité indigène et la colonisa-
tion européenne avaient épargnées. Encore quelques
nouveaux centres à créer et il ne restera plus d'au-
tres traces de l'occupation préhistorique, latine ou
grecque, que les pierres de taille utilisées dans les
constructions modernes et les quelques sculptures
sauvées çà et là par de trop rares amis de l'histoire,
de l'archéologie ou même tout simplement de l'art
sous quelque forme qu'il se présente.
Combien d'agglomérations anciennes, explorées
soit par M. Gsell, soit par moi, il y a quinze ou
vingt ans, ont été déjà complètement rasées sans
que personne ait songé à en relever les plans ou à
- 12Ô -
mettre de côté, tout au moins, les pierres intéressan-
tes: inscriptions, bas-reliefs, sarcophages, colonnes ou
sculptures diverses! On fera donc bien, au sein de
notre Société, de faire une large place aux mono-
graphies et aux études d'ensemble qui permettront
non seulement de conserver le souvenir de la colo-
nisation antique, mais aussi d'en faire connaître les
détails et, en quelque sorte, d'en pénétrer les secrets.
L'Administration coloniale elle-même pourra trou-
ver quelque profit à ces études en apprenant com-
ment les anciens possesseurs du sol avaient su capter
les eaux, si nécessaires aux besoins de l'Algérie et
si rares à toutes les époques ; comment ils avaient
pu se garder contre les tribus ennemies; comment
enfin ils avaient réussi à administrer à peu de frais
ces immenses territoires et à assurer, avec des
effectifs ridiculement restreints, la sécurité au milieu
de peuplades soumises en apparence, mais éminem-
ment turbulentes et toujours prêtes à se révolter.
C'est pourquoi, après avoir donné dans un travail
d'ensemble. Voies romaines de la région de Sétif , (^)
des indications générales concernant l'emplacement
de toutes les ruines, grandes ou petites, connues à
l'époque dans le périmètre de Sétif, nous avons en-
trepris de compléter notre travail par une série d'é-
tudes embrassant chacune un objet particulier.
Que ceux de nos collègues qui, pour différentes
raisons, ne pourront se livrer à un travail aussi
étendu, imitent au moins MM. Joleaud et Joly, dont
l'inventaire peut rendre aux archéologues de grands
services.
(1) Rec. de la Société arch- de Constantùno, 1907, vol. xli.
— 121 —
Place forte de Ad Sa va m
K Hannuam-Guergour;
Nous avons vu (vol. xxxiu, xli et xli i) que le
gouverneur de la province de Sétif avait élevé, dans
un certain rayon autour de sa capitale, un grand
nombre de châteaux-forts ou de constructions forti-
fiées destinées, soit à garder la frontière de la Mau-
rétanie Sitifienne contre les incursions des tribus de
l'Est, soit à prévenir les coups de mains des harkas
berbères du massif des Babor.
En outre de ces forts d'arrêt — comme on dirait
à notre époque — il existait d'autres points straté-
giques importants et qu'il était nécessaire de garder
tant pour maintenir les tribus dans le devoir en leur
imposant une garnison prête à réprimer sur l'heure
tout mouvement insurrectionnel (nos smalas) que
pour assurer en tout temps la sécurité des routes et
la paisible circulation des trafiquants et des voya-
geurs (bordjs, relais d'étapes).
Nous avons donné en 1909 (vol. xli) le plan du
fort de Magraoua, qui gardait le débouché sud du
superbe canon dans lequel s'engouffre le Bou-Sellam
avant de pénétrer dans le massif, terriblement acci-
denté, des Babor. Nous donnons, cette fois, le plan
sommaire de la place forte de Ad Savam, qui pro-
tégeait la sortie nord de ce même défilé. Bien que
les mechtas voisines et surtout le Hammam (Ham-
mam-Guergour) aient fait à la citadelle des emprunts
considérables pour l'édification de leurs gourbis, il
subsiste encore une grande partie de l'enceinte bas-
tionnée. Nul doute, d'ailleurs, que des fouilles métho-
diques ne permettent de retrouver facilement le plan
122
intérieur de la place; car celle-ci a pu être pillée,
mais non détruite, puis(|u'il n'existe ni village kabyle
ni centre européen aux environs immédiats de Ham-
mam-Guergour et qu'on n'a pas eu besoin de pierres
de taille.
La pai'tie conservée consiste en une muraille en
pierres de grand appareil et dont nous n'avons pu
mesurer la hauteur, faute d'échelle et de perche;
nous l'estimons à 6 ou 7 mètres. Cette muraille
porte encore sept tours carrées^ dont deux en bon
état et les autres plus ou moins ruinées; six sont sur
la face regardant à l'est et qui est la plus étendue, et
une seulement sur la face nord, qui est très étroite.
Le mur Est n'est pas rectiligne, mais tend au con-
traire à s'ouvrir à l'extérieur, de telle façon que la
face sud devait avoir une fois et demi la largeur de
la face nord. Les murs sud et ouest font complète-
ment défaut mais ont dû exister autrefois. L'inté-
rieur du fort est rempli de matériaux qui en rendent
l'exploration difficile et qu'il faudrait enlever.
Nous avons noté les restes d'une piscine, dans la
partie nord-est de l'intérieur, et un curieux escalier
de iO ou 12 marches ont été toutes taillées dans un
même bloc de rocher, équarri ensuite à droite et à
gauche et se terminant au sommet par une partie
fruste. A notre avis, il s'agit d'un monument public '■
chaire à prêcher, tribune pour orateur ou autel pour
servir à des cérémonies solennelles. Si notre mé-
moire ne nous trompe pas, cet escalier se trouve à
peu près au centre de l'enceinte.
La tour la mieux conservée présente sur son côté
intérieur et presque à la partie supérieure une ou-
ver-ture pouvant servir de porte, cintrée en haut et
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— 123 —
pouvant mesurer environ 1"50 ou 1"^75 sur 0"^50 à
0'"60. Sans doute cette baie ouvrait-elle sur un esca-
lier de bois qui permettait d'y accéder depuis la
cour de la forteresse.
Croquis d'une des tours
La roche aux gradins
Je n'ai trouvé qu'une inscription (vol. xxxiv,
p. 260, n" 13), mais -j'ajoute que je n'ai guère pa^é
plus d'une heure ou deux à Ad Savam. Puissent
ces lignes inciter quelqu'un de nos collègues en
archéologie à faire à Hammam-Guergour une excur-
sion un peu plus longue.
Fortin d'EI-Ksar (Aïn-Agram)
(Voir la planche ci-contre)
Cette ruine se trouve sur la carte de Saint-Arnaud
(n'' 94) du service géographique de l'armée (50/000'^),
au nord de la route de Sétif à Constantine et dans
l'angle sud-ouest. Pour la rencontrer, remonter
droit en haut entre les kilomètres 28 et 29 et clier-
— 124 —
cher ensuite horizontalement à hauteur du kilomè-
tre 4; elle est au pied du Draa-Z'nadia (cote 1,091).
Il y a là trois groupes de ruines et c'est le plus
méridional des trois. Les deux autres sont les
restes d'agglomérations sans aucun caractère mili-
taire, qui s'élevaient auprès de la source appelée
Aïn-Agram.
Tout ce secteur est couvert de ruines, tant ber-
bères que romaines. Le groupe d'Aïn-Agram fait
partie de la seconde ligne de défense, la première
(Guelt-Zerga et Kherbet-Abderrhaïm) occupant les
hauteurs situées à 3 kilomètres plus à l'est, au seuil
de la grande vallée de l'Oued-Medjez qui formait,
croyons-nous, la frontière entre la Numidie et la
Maurétanie Sitifienne. En face, de l'autre côté de la
vallée et assez loin dans la montagne, est Djemila.
A 9 kilomètres nord est Mons. Droit au sud c'est
la région des lacs, puis Ampère-Aïn-Azel, le pas-
sage de transhumance que Ijorde à l'est le Guetiane
et à l'ouest le Kret-Faraoun, enfin le Hodna. A
l'ouest sont les hacieridas de Aïn-Regada et de Me-
guel)el, postes avancés de Sétif.
El-Ksar était le point d'appui des défenseurs obli-
gés d'abandonner la première ligne de défense;
c'était aussi le réduit des colons des deux villages
d'Aïn-Agram. Il commandait en même temps la tète
du vallon qui descend jusqu'à la ferme Cruchon,
sur la route nationale et gardait les deux sources
d'Aïn-Agram et d'Aïn-Tolba. La distace qui le sépa-
rait de la ruine la plus voisine était d'environ
400 mètres.
Il ne reste de ce fort qu'un quadrilatère en pierres
de taille rasé à 1 mètre du sol et mesurant 55 mè-
- 125 —
très (nord-sud) sur 50 mètres (est-ouest). On voit à
l'intérieur des traces d'un mur de refend orienté
est-ouest. Il y avait au milieu de la face Est une
porte de 3'"10 d'ouverture; le cheikh nous a dit qu'il
avait vu cette porte encore intacte, et il la compa-
rait à une des portes de l'enceinte moderne de Sé-
tif. D'après ses indications la largeur aurait été de
5"'60, ce que nous ne nous expliquons pas. 11 ne
paraît pas avoir existé d'autre porte.
L'intérieur du fort est encombré de pierres qui
témoignent de l'existence primitive de nombreuses
constructions. Gomme toujours, la ruine d'El-Ksar
a été pillée par les indigènes et par les colons et on
ne pourra plus rien y découvrir d'intéressant qa'en
fouillant le sol. Nous n'y avons trouvé qu'une mau-
vaise colonne, à l'extérieur du rempart (nord-est).
En dehors de la face nord, nous avons vu un amon-
cellement de pierres couvrant à peu près 3 hectares:
là devait être un faubourg habité par les mercantils
et les familles des soldats, peut-être aussi par les
auxiliaires indigènes.
Bien que le fort fût édifié sur une élévation de
terrain, la garnison n'avait qu'une vue très restreinte
parce que El-Ksar était construit dans une vallée
étroite et relativement encaissée. Son rôle était un
rôle de police et de protection plutôt qu'un rôle de
surveillance de la frontière. Nous pensons qu'il devait
servir aussi de résidence aux autorités locales et aux
services administratifs, et que c'était peut-être éga-
lement un relais de poste pour les voyageurs allant
de Cirta ou de Djemila à Sitifis et pour ceux venant
du Meghris et de Bougie et se dirigeant Sur Batna.
— 126 -
III.
Kherbet Abd-er Rhaïm
Celte ruine, qui comprend trois groupes de cons-
tructions réparties sur trois mamelons, est sur la
frontière de la Maurétanie Sitifienne, entre Aïn-
Agram et la ferme Cruchon (route nationale de Sétif
à Constantine). Elle faisait partie de la première ligne
du système de défense existant à l'est de Sétif et
servait d'appui aux populations espacées le long de
la vallée de l'Oued-Medjez, depuis Mons (') jusqu'aux
lacs.
En arrière venaient Aïn-Agram, puis — en troi-
sième ligne ~ Aïn Regada et Meguebel.
A sa droite, au sud de la route nationale et de la
ferme Cruchon, était un autre point de défense qui
a malheureusement été complètement pillé.
Abd-er-Rhaïm était plutôt du type hacienda que
du type foi t proprement dit. Mais comme nous ne
l'avons pas compris dans nos deux premières études
{Trois citadelles romaines vol. xxxiir, et l.es Haciendas
romaines, vol. xliii) nous l'indiquons ici de façon à en
terminer avec les ouvrages militaires de cette région.
Cet établissement se présente sous la forme d'un
grand rectangle de 60 mètres sur 55, construit sur
un léger relief du sol et pourvu de constructions
intérieures appuyées contre ses faces nord et sud.
Ces pièces sont en général très petites ou très étroites
et font penser plutôt à des magasins qu'à des loge-
ments. Les murs extérieurs sont du type en harpes.
A l'extérieur, du côté sud, on voit les vestiges de
(1) Mous a été décrit trop souvent pour que nous en reparlions encore
ici.
— 127 —
plusieurs constructions de bonne allure. Du même
côté on remarque une sorte de chemin, large de
4'"25, qui grimpe entre deux murs jusqu'à l'angle
S.-O. et peut être comparé à ce qu'on appelle en
terme de fortification un chemin couvert. Les sou-
terrains décrits dans le vol. xxxiii sont entre ce che-
min et les constructions extérieures.
§ 2. — Puits romains
Puits d'A in - ta - Moudger
Lorsqu'on suit le chemin du Génie de Sétif à Mons
par Aïn-Mouss, on arrive — après Bir-el-Mer et
— 128 —
avant Aïn-Hammama (15 kilomètres de Sétif) — à
rOued-Rherib. Sur la rive droite est la petite mechta
d'Aïn-ta-Moudjer, construite au milieu des pierres
d'une ruine romaine comprise entre les milliaires vu
et IX, mais sur le bord opposé à la voie.
Dans les décombres qui embarrassent les jardins
de la mechta, nous avons remarqué un puits présen-
tant cette particularité d'avoir un orifice en forme de
fer à cheval, la margelle étant faite de pierres de
taille bien arrangées. Cette ouverture mesure 1"'25
de grand axe et 0"^82 dans son petit diamètre. Quant
à la profondeur du puits nous n'avons pu la calculer,
celui-ci étant à peu près comblé.
Bir-en-N'sa
Bir-en-N'sa (le puits des femmes) se trouvait dans
une propriété de la Compagnie Genevoise, entre le
6*" kilomètre de la route nationale de Sétif à Cons-
tantine et Aïn-Regada, à peu près à 700 mètres nord
de la route sus-désignée, au bord d'un chemin non
classé partant d'un petit pont.
Ce puits a été creusé dans une légère dépression
commençant à Aïn-Regada (la source intermittente)
et finissant en ruisseau dans les environs de la route.
Il a été modifié au moins deux fois depuis sa cons-
truction : probablement une première fois à l'époque
byzantine; puis, en 1876, par la Compagnie Gene-
voise. Dernièrement, enfin, il a été démoli pour faire
place à un puits entièrement neuf, et, c'est en cons-
tatant sa disparition que nous avons songé à publier
les plans et le croquis que nous en avions pris en
1896-98.
- 120 -
L'intérêt principal de cette construction, assez ba-
nale en elle-même, réside en ce fait que le puits pa-
raît avoir alimenté, à Bir-en-N'sa même, un établis-
sement soit privé soit public, dont on voit encore les
traces et qui s'était superposé à une station paléoli-
thicjue. La tranchée ouverte en 1876 par les ordres
du Directeur de la Compagnie (alors M. Bosquillon
de Frencheville) a coupé les différentes parties de
l'établissement et mis à découvert un atelier de taille
préhistorique qui a donné un grand nombre d'outils
en jaspe noir.
Le puits avait la forme d'une demi-circonférence
ayant sa partie convexe au nord et sa partie rectili-
gne au sud. L'eau en sortait par trois bouches taillées
chacune dans un fort bloc de pierre et rappelant les
trois arches d'un pont en miniature. A droite et à
gauche, un petit mur en pierres de taille entourait
un bassin de 7 mètres de long et d'à peu près 3 mè-
tres de large, fermé en aval par un retour du mur.
Au-dessus des bouches le puits avait été relevé ou
surhaussé par des pierres ramassées au hasard et
parmi lesquelles nous avons remarqué notamment
des clefs de voûte. Couronnant cette muraille de for-
tune, un mur à l'européenne achevait de donner à la
construction un aspect des plus hétéroclite. Il n'en
subsiste plus absolument rien aujourd'hui !
A une vingtaine de mètres au sud du puits com-
mençaient les constructions, complètement enterrées
et qu'on aurait toujours ignorées si les ouvriers
n'avaient pas été obligés de les éventrer pour creu-
ser le canal d'assainissement qui existe toujours.
Nous avons relevé, en allant du nord au sud (c'est-
à-dire du puits vers la route), une petite pièce de
^ 130 —
4"^30, une autre de 2'"50 sur S'^TS, une grande salle
de 7"'65. Le sol de cette dernière pièce était à r"60
au-dessous du chemin qui longe le canal ; le plan-
cher de la pièce intermédiaire était à 2'"40 ; celui de
la première salle paraît aA-oir été encore plus bas et
nous ne l'avons pas trouvé. Ces planchers étaient en
mosaïque très commune, reposant sur un lit de gros
galets (O'"30).
C'est au-dessous de la mosaïque, par conséquent
à 1"'90 du sol, que commençait la couche de terre
mêlée de cendre et de coquilles d'escargots dans
laquelle ont été trouvés les silex. Cette couche a une
épaisseur de 0"'60; après elle commence une terre
vierge légèrement jaunâtre, coupée d'une bande de
couleur blanche dont la partie inférieure disparaît
sous l'eau.
Les murs de refend romains mesurent, en allant
du nord au sud : 0^60, - 0^60, - 0"60, - 0"^52, - 0"??
les murs 3 et 4 étant accolés. Ils sont faits en ma-
çonnerie et présentent presque tous des assises de
briques triangulaires noyées dans le ciment. La cons-
truction est orientée sensiblement nord-est, sud-
ouest.
Auprès de Bir-en-N'sa et à une cinquantaine de
pas à l'ouest du canal, sur un tertre, se voyaient, il
y a quinze ans, un chapiteau et des pierres de taille
qui indiquaient que là avait dû être une villa.
Nous n'avons pas vu les silex recueillis par
M. Bosquillon de Frencheville. Parmi ceux que nous
avons ramassés il y a des pointes de flèches et de
javelots, des poinçons, des couteaux, des racloirs,
un percuteur (?j et des scies (?) ; une série de cent
pièces a figuré à l'exposition préhistorique de Beau-
- 131 -
vais, et le Recueil de la Société archéologique de
Constantine a publié une planche des plus beaux
outils dans son vol. xxxrv (1901).
Guidjel
Ce centre est sur la piste de Sétif à Zaraï, qui part
de Sétif par la porte de Biskra et qui otïre sur son
parcours très peu de ruines, peut-être par suite du
manque d'eau dans cette région.
A Guidjel (13 kil.), auprès de la mosquée — pitto-
resque et historique — est un beau puits romain en
maçonnerie coupée à intervalles
égaux de six montants ou cor-
dons verticaux en pierres de
taille. Le diamètre de l'ouver-
ture est de r"29 ; la profondeur
apparente est de 5 ou 6 mètres;
le fond est comblé.
Aïn-Ksir-el-Ghoul
Piste Aïn Kalfoum- Bir-el-Kherba - La Barbinais.
A 28 kilomètres de Sétif, et après avoir franchi
rOued-Malah, l'Oued-bou-Sellam et l'Oued-Tixter,
on rencontre une ruine romaine assez étendue :
Aïn-Ksir-el-Ghoul (source du Gh'iteau de l'Ogre).
Au milieu des pierres de taille, pressoirs, auges,
nous avons vu une margelle de puits, ou plutôt
la moitié d'une margelle, formée d'une pierre de
l'"53 sur 0"'60, échancrée sur une face par un demi-
cercle de O^'TS de diamètre, laissant de chaque côté
- 132 -
un bord de 0"'37, et sur l'autre par une moitié de
carré d'environ 0'"85 de côté.
^ **. 5 3
Cette disposition semble indiquer que la pierre
recouvrait un puits cylindrique.
J. JAGQUOT,
Juge, honoraire à Ch'enohle.
POIDS HOMAÏHS
trouvés à Sigus
Les poids romains que reproduit la planche ci-
jointe furent trouvés à Sigus il y a quelque temps.
Je les ai acquis en échange de monnaies consulaires
et impériales. Sur la demande de notre Président,
je vais donner ici une courte note à leur occasion.
Ces poids, en porphyre noir, ont la forme de
sphères aplaties aux deux pôles. En voici les dimen-
sions et la valeur pondérale en grammes.
Celui qui porte l'inscription est haut de 0'"085,
son diamètre maximum est de 0"U0; le diamètre des
bases est de 0"'075; son poids est de 1,600 grammes.
L'autre, haut de 0'"13, a un diamètre maximum
de 0^'17; le diamètre des bases est de 0'"11; il pèse
6,430 grammes.
Au dernier moment, après exécution de la planche,
M Maguelonne a été assez heureux pour trouver un
troisième poids de même forme, également en por-
phyre noir, et provenant de la même région. Ce poids
est haut de0"'03 ; son diamètre maximun est de 0"'05;
son diamètre de base est d'un côté de 0"'03, de l'autre
côtédeO'^04; il pèse 140 grammes.
— 134 —
Comme on le voit, en tenant compte de leur usure
évidente, surtout pour le premier et le dernier qui
paraissent porter la trace d'un petit anneau (le der-
nier a en outre été poli récemment sur une base qui,
de ce fait, a 0™0i- de diamètre), on peut regarder ces
poids comme représentant : le plus petit une demi-
livre romaine, le moyen 5 livres et le plus gros
20 livres de 322 grammes l'une. Ils sont bien, en
efïet, des multiples l'un de l'autre, en prenant pour
base la livre de 322 grammes et en restituant ce qui
leur manque, sans aucun doute, du fait de l'usure
signalée.
On sait que la valeur de la livre romaine a varié,
et sous la République et sous l'Empire. Macquard
lui attribue 327 grammes; Hultsch 327 gr. 45; d'au-
tres 325 grammes.
Toutefois, bien qu'ils datent de l'époque de Marc-
Aurèle (ainsi qu'on va le voir), les poids de Sigus
doivent être rapprochés, comme valeur librale, d'un
Quincussis connu, conservé à Rome au musée Kircher
et provenant du musée Borgia. Babelon l'a reproduit
et décrit dans son ouvrage sur les Monnaies co7isu-
laires.
« Lingot de bronze de forme rectangulaire. —
« Aigle de face, les ailes éployées, tenant le foudre
« dans ses serres. — ^. Pégase galopant vers la
« gauche; au dessous l'inscription romanom. — Quin-
« cussis, 1,610 gr. 99. Musée Kircher, a Rome(^). »
Ce Quincussis pèse donc, à très peu près, comme
le poids moyen de Sigus, soit 5 livres de 322 gr. 19
et une fraction.
(l) Ernest Babelon, Monnaies de la République romaine, T. I, p. 5-6.
—'1885, Rollin et Feuardent.
— 135 —
La collection Farges possède 4 poids en porphyre
du genre de ceux de Sigus. Ils sont décrits dans le
catalogue de cette collection à la page 8 et reproduits
planche III, n'- 20, 21, 22 et 23 'U. Leur valeur en
grammes se rapproche beaucoup de ceux que nous
décrivons ici, mais ils proviennent tous quatre de
localités diO'érentes Le Kef, Feriana, Gounilida et
Tébessa. L'un d'entre eux, celui de Tébessa, est en
porphyre rouge. Le u° 21 est de même dimension et
de même poids que notre troisième : 140 grammes ;
hauteur 0'"03; base 0"04. Le n« 23 pèse 1,568 gr. ;
hauteur 0"075 ; base 0'^075. C'est à peu près le poids
moyen de Sigus. Tous deux sont aussi en porphyre
noir.
Le musée Lavigerie, de Carthage, possède aussi
mie belle série de poids sphériques aplatis aux pôles,
en basalte noir. L'un de ces poids se rapproche de
celui de Sigus, visé par Q. Junius Rasricus, il pèse
1,575 grammes; un autre en pèse 165, valeur qui se
rapproche du plus petit des poids dont il s'agit dans
cette Noie.
Un des poids du musée Lavigerie, en basalte noir,
pèse jusqu'à 14,265 grammes i-^).
Le musée de Timgad possède 18 poids en pierre
noire ; quelques-uns de ces poids sont marqués, on
y lit :
V. H. II. III. nv. etc. (3)
Je ne connais aucun poids romain trouvé dans
l'Afrique du Nord portant une inscription de contrôle
(1) Collection Farges, par Besnier et Blanchet, Leroux, 1900.
(2) Renseignements dus à l'obligeance du R, P. Delattre.
foiuie'^^drS^d"' ^"^ ^ l'obligeance de M. Barry, inspecteur des
— 136 —
comme le poids de 5 livres trouvé à Sigus. Ce poids
porte l'estampille otïicielle du préfet de Rome Qaintus
Junius Rusticus.
Voici, en effet, l'inscription gravée en lettres de la
bonne époque, et sur deux lignes, autour de la sphère
librale, sorte de QaincussU, pesant 1,600 grammes :
EX AVCTORIT. Q. IVNl. RVSTICI. PR. VRB.
VIRl. CLARISSIMl.
Ex auctorit{ate) Q{inti) Jum{i] Rastici Pr{œfecti) Urb{i)
Viri Clarissimi.
Plusieurs musées possèdent des poids de même
forme, portant vérification faite au nom du préfet de
Rome Quintus Junius liusticus. Il y en a au Louvre,
aux musées de Londres, Bruxelles, Berlin, Gatane,
Florence, Naples, Rome, etc. (Vid. corpus, i. l. y.,
8119, 1; X, 8068, 5; xni, 10030, etc.V
On peut se demander si les poids de Sigus, en-
voyés en Afrique avec le visa du préfet de Rome, ne
sont pas des étalons destinés à réglementer les poids
de la province de Numidie. Il semble cependant que
dans ce cas on eut dû les trouver à Lambèse ou à
Cirta, à moins qu'on ne veuille admettre leur trans-
fert à Sigus par un vérificateur en tournée.
« La plupart des poids ou mesures sont anépigra-
(( phes, dit M. René Gagnât, ou portent seulement
(( l'indication en chiffres de leur valeur ou de leur-
ce capacité. Sur quelques-uns, cependant, on lit des
(( inscriptions plus ou moins développées contenant,
({ par exemple, une date, la désignation de l'étalon
(( auquel l'objet est conforme, la mention des magis-
« trats qui ont présidé à la vérification du poids,
(( celle du lieu où cette vérification a été faite ou
(( d'autres renseignements accessoires. (') »
(1) R. Cagnat, Cours élémentaire cC épig raphic latine^ p. 178.
— 137 —
lyè Dictionnaire d'Archéologie, publié sous la direction
de Daremberg, donne quelques exemples de ces ins-
criptions; il ne sera pas inutile d'en rappeler ici cer-
tains qui ne manquent pas d'originalité.
Sur deux poids trouvés à Pompeï on lit :
Fur cave malum. (c. i, l. x, 8067,6.).
Eme habebis. (c. i. L. x, 8067,7.).
Parfois les poids portent la mention de la consé-
cration à une divinité, comme le poids de 10 livres
conservé au Louvre sur lequel on peut lire :
Deœ Seg{etœ] F{ori). c. i. L. xiii, 1641; null. de la
Soc. des Antiquaires de France, 1879, p. 162.
Le lieu de la vérification se lit sur divers poids.
Ex. : Exacta ad Cas{toris templum). (ci. L. v, 8119,4).
On lit encore : Jussu ou cura œdilium, ou In Capi-
tolio, etc., ou Pondus pnblicum. (c. i. l. xin, 10030).
On lit aussi le nom de l'Empereur : (c. i. l. n,
4962, 4), etc.
Après les réformes de Trajan et d'Hadrien, les
poids portent surtout le nom du préfet de la ville.
Le préfet de Rome s'appelait : Prœfecnis Urbi ; on
trouve très rarement la mention : Prœfectus Urbis.
Ce magistrat était nommé par l'Empereur. Il faut
descendre jusqu'au temps d'Alexandre Sévère pour
voir le Sénat exercer, à propos de cette fonction,
comme à propos de celle de préfet du Prétoire, le
droit de présentation.
Le préfet de Rome était toujours d'ordre sénato-
rial. Ce titre était même le couronnement de la car-
rière sénatoriale et il fallait, pour l'acquérir, que le
titulaire eût passé par le consulat. Il n'était môme
pas rare, surtout au IP siècle, que le Prœlectus Urbi
~ 138 —
fut pourvu d'un second consulat au cours de sa ma-
gistrature. Ajoutons que le préfet de Rome était
nommé pour un temps indéterminé, jusqu'à sa mort
ou jusqu'à révocation par l'Empereur. Le premier,
Piso Fnuji, fut Prœfectvs Urhi pendant 15 ans.
Les attributions du préfet de Rome étaient les
suivantes : (^)
Il était chargé de maintenir l'ordre et de veiller à
la sécurité publique. Il avait le commandement des
Cohortes Urbaines, Urbanœ Cohortes. C'est lui qui
avait la haute surveillance des cirques, amphithéâ-
tres et autres lieux de spectacles.
Il avait aussi la surveillance des marchés, d'où
découlait pour lui la direction du service des poids
et mesures et la surveillance des boutiques de chan-
geurs.
Il surveillait encore toutes les classes dangereuses
et suspectes, les esclaves, les affranchis, les usurpa-
tions d'héritage, etc., ainsi que les distributions de
blé à la Plèbe Urbaine.
^ Sa juridiction criminelle se doublait d'une juridic-
tion civile; il jugeait non seulement en première
instance, mais encore en appel.
De son ressort, relevaient Rome et toute la ban-
lieue. (2)
Enfin, il fallait être de rang sénatorial pour avoir
droit au titre de VW Clarissimus.
Le Prœfectus Urbi, Vir Clarissimus, dont les poids
de Sigus portent le contrôle, est un personnage his-
et m'g.^''^* ^^'^^'"^^'"S, Saglio, etc., article Prœfectus Urbi, p. 557-559
roSaS'n.^p'^ïl; ^^•^™'"s^» ^t Macquard, Organisatton de V Empire
— 139 —
torique. Il était philosophe et fut le maître de Marc-
Aurèle''). C'était un stoïcien. Il tourna vers la phi-
losophie son impérial élève, déjà littérateur, en lui
faisant lire Epictète, résumé de la doctrine stoï-
cienne. '^) L'Empereur philosophe fit de Junim Ilus-
ticus, son plus intime confident et ami; il lui confiait
ses affaires publiques et privées (3). Junius Rusticus
fut nommé préfet de Rome en 163, dans la seconde
année de Marc-Aurèle, année que l'Empereur passa
tout entière dans sa capitale. Il conserva cette ma-
gistrature plusieurs années sous cet empereur et
L. Verus. Il l'exerçait encore en 167.
Consul en 133, Rusticus le fut pour la seconde fois
en 162.
Après sa mort, Marc-Aurèle demanda au Sénat
de lui élever des statues.
C'est Quintus Junius Rusticus, Prœfectus Urbi qui pré-
sida le procès de Saint Justin et condamna à mort
ce philosophe converti au christianisme et devenu,
par sa logique serrée, un redoutable adversaire pour
les philosophes païens.
Les Actes du martyre de Saint Justin, publiés par
Dom Ruinart et regardés comme des plus authenti-
ques, le nomment formellement et ne laissent aucun
doute à ce sujet.
En vrai stoïcien, on le voit demander au philoso-
phe chrétien quelle est sa doctrine, mais ne pas
chercher à l'approfondir. Plein du mépris des hom-
mes d'Etat romains pour le christianisme, il condamna
Justin.
(1) Je dois à l'obligeance de M. Gsell plus d'un renseignement utile sur
le Cursus honorum de J. Rusticus.
(2) Marc-Aurèle, Pensées, i, 17.
(3) J. Capitolin, Vita Antonini philosophi, 3. — DionCassius, Lxxi, 35,
— 140 —
Si, comme son disciple impér'ol, il hésitait à croire
à l'immortalité de l'âme (^), il dut être bien étonné
des réponses de Saint Jusiin et trouver étranges des
affirmations comme celle-ci :
« Tu penses donc que tu monteras au ciel pour
y recevoir une récompense?
— Je ne le pense pas, je le sais, et j'en ai une telle
certitude que je n'éprouve pas, à ce sujet, le plus
léger doute i~l o
Cela se passait à Rome en 163, l'année même où
Husiicus venait d'être investi de la préfecture urbaine.
Parmi les compagnons de Saint Justin se trouvait
un esclave nommé Evelpistus. S'adressant à lui, Junius
Ruslicus lui dit : « Et toi, qui es-tu? — Je suis esclave
de César, mais chrétien, répondit celui-ci, j'ai reçu
du Christ la liberté; par ses bienfaits, par sa grâce,
j'ai la même espérance que ceux-ci l^'').))
C'était la première fois, remarque P. Allard (^),
qu'un esclave osait revendiquer en public, devant
un magistrat du peuple romain, sa dignité d'homme,
parler d'affranchissement spirituel, proclamer l'éga-
lité des âmes. Il le faisait devant le préfet de Rome,
dont les poids de Sigus portent le visa.
A cette fière réponse, Rusticus aurait dû tressaillir ;
un autre esclave, Epictète, qu'il admirait, dont il
avait lu les livres, dont il avait fait connaître la phi-
losophie au maître du monde, avait écrit : « Sache
que l'esclave tire comme toi son origine de Jupiter
(1) Marc-Aurèle, Pensées, vu, 32.
(2) Ruinart, Acta S. Justlni, p. 45-50 des Acta Martijnim (Veronœ'
MVCCXXXI).
(3) Acta S. Justfni, loc. cit.
(4) Hist. des Persccut. pendant les douas premiers siècles, p. 385.
— 141 —
même ; il est son fils comme toi ; il est né des mêmes
semences divines O. » Cependant le stoïcien gai'da
le silence. Il avait pn accueillir avec sympathie la
protestation théorique et solitaire du penseur païen;
mais il devait laisser passer, sans paraître l'enten-
dre, l'ardente affirmation d'un chrétien osant se pro-
clamer devant lui esclave de César, mais affranchi du
Chrisl I
Enfin, le visa de Junius Rusticus sur un poids trouvé
en Numidie, à 40 kilomètres de Gonstantine, offre
un intérêt spécial parce que Rusticus était l'ami d'un
rhéteur célèbre né dans la capitale des rois Numides,
Fronton de Cirta.
Comme Junius Rusticus, Fronton fut un des pré-
cepteurs du jeune Marc-Aurèle ; il enseigna l'élo-
quence à ce prince et à L. Verus, tandis que le futur
Préfet de Rome les initiait à la philosophie stoïcienne.
L'avocat Fronton passait pour l'homme le plus
éloquent de la capitale du monde. Il prononça contre
les chrétiens un discours célèbre (2'. Il était en relations
fréquentes et amicales avec Quintus Junius Rusticus.
A lui aussi on éleva des statues après sa mort.
A cette époque les philosophes et les rhéteurs sont
maîtres du pouvoir, des places, des gouvernements,
disposent de toutes les influences, dirigent l'esprit
public. Si on interroge les fastes consulaires de
Rome, on y trouve un philosophe ou un rhéteur
tenant les faisceaux. Si on parcourt les provinces, il
est peu de Proconsuls, de Légats ou de Préfets qui
n'aient, à un certain jour, professé la philosophie ou
(1) Arrien, Dissert., i, 13.
(2) Minucius Félix, Octavius, 9 et 31.
— 142 —
enseigné la rhétorique. Marc-Aurèle se félicite naïve-
ment d'avoir donné aux maîtres chargés de former
sa jeunesse les satisfactions et les récompenses qu'ils
ont désirées. Il reste leur dis'^iple jusque sur le trône.
Rusticus succéda, comme préfet de Rome, à Publius
Salvius Julianus, qui interrogea, en 162, Sainte Félicité
et ses sept fils, et envoya à l'empereur le procès-
verbal de l'interrogatoire qu'il leur avait fait subir
par ordre de Marc-Aurèle lui-même.
En même temps qu'ils peuvent servir à étudier
les variantes de la livre romaine, les poids de Sigus
font donc revivre dans notre mémoire une page
de l'histoire romaine et de celle de l'église. Ils évo-
quent le souvenir d'un rhéteur cirthéen, jadis célè-
bre dans la capitale du monde, et précepteur de deux
empereurs ; celui d'un philosophe, maître de Marc-
Aurèle; celui d'un préfet de Rome qui condamna à
mort le martyr Saint Justin, un des plus grands
philosophes du second siècle, converti au christia-
nisme; celui du premier esclave qui osa revendiquer
publiquement sa dignité d'homme devant un magis-
trat de l'Empire et mourut martyr de sa foi.
Constantine, 14 avril 1911, en la fête de Saint
Justin.
H. JAUBERT,
Chanoine honoraire, Historiographe du Diocèse,
INSCRIPTIONS RELEVÉES EN 1910
PAR
M. L. J ACQUOT
JUGE HONORAIRE, A GRENODLE
Gaellal. — A Guellal (au sud de Sétif), devant le
grand portail des écuries du tenancier de la buvette :
Deux étoiles à six branches inscrites chacune dans
une petite circonférence. Entre les deux cercles en
est un troisième de même dimension, dans l'intérieur
duquel est figurée une croix aux quatre branches
égales, frustre. Ces dessins sont sur la tranche
verticale d'une dalle mesurant approximativement
0"^50 de long, un peu moins de large et une quin-
zaine de centimètres d'épaisseur.
Maafeur. — Maafeur est un douar de la com-
mune mixte des Rihras, situé à mi-chemin de la
route de Colbert à Ampère, soit à environ 35 kilo-
mètres sud de Sétif.
Entre les kilomètres 8 et 9 de cette route, on voit
— 144 —
encore les vestiges d'une vaste agglomération romai-
ne occupant les deux côtés de la route actuelle et
qui s'étendait sur le flanc sud d'un mamelon à pente
douce. Ces ruines paraissent couvrir une surface de
24 hectares, soit 600 mètres de long sur 400 mètres
de large, autant du moins qu'on peut en juger en
les parcourant rapidement au milieu des cultures.
Une maison cantonnière construite auprès de la
bourgade, du côté Est, et un petit bosquet qui s'élève
près de la ruine, à l'Ouest, permettront au touriste
de retrouver très facilement l'emplacement du centre
romain.
Parmi les innombrables débris qui parsèment le
terrain, les indigènes nous ont montré plusieurs
pierres tombales à inscription dont nous reprodui-
sons ici les textes.
Sur le bord de la route, fossé Nord, à l'Ouest de
la ruine et en face du petit bois, un caisson semi-
cylindrique en calcaire blanc, mesurant environ 0"'80
de large et 0"50 de haut sur 0"'90 de long. Sur la
face antérieure on lit :
D
V VSRESPFC
T ANIS IV
//////////////
//////////////
VIXIT ANIS II
Les caractères sont mal dessinés, quelquefois très
penchés, mais le plus souvent droits, avec des di-
mensions peu régulières.
Au Sud de la route et à 400 mètres environ dans
les champs, dans la muraille d'un gourbi abandonné,
un caisson mesurant à peu près 0'"90 sur 0™55, à
— 145 —
sommet arrondi, avec une bordure latérale extérieure
réticulée, sculptée en bas-relief.
///////////
///////////
os LXXXV
A côté du précédent, un troisième caisson mesu-
rant environ 0'"40 de large et encore enterré.
DM s
1 V. ES . T
LK TA. VIXIT
ANIS- LI
Les lettres sont aussi mal tracées que celles de la
pierre n" 1.
Même forme de pierre (caisson à sommet arrondi).
D M s
////////////
////////////
VMPAVIIM
VIXIT ANIS
IXXV
On remarque que ce sont surtout les n et les s
qui sont irrégulièrement burinés. Le haut de l'épi-
taphe semble avoir été martelé.
A 10 mètres à l'Est du gourbi renfermant les ins-
criptions 2, 3 et 4, une dernière pierre de même
forme que les précédentes, mais plus haute et avec
des lettres d'une facture un peu plus soignée :
D M s
Cl^ SFC
DVS VIXIT
ANIS LXXXI
— l46 —
Tcgjirt — Au cours d'une excursion faite en
mai 1910 à Tigzirt (arrondissement de Tizi-Ouzou)^
en compagnie de M. G Viré, nous avons relevé les
inscriptions suivantes :
Dans la rue principale de Tigzirt-'^ (village fran-
çais), formant banc sur le trottoir Est, devant une
écurie, une dalle en grès dur qui avait servi — aux
dires des colons — de couvercle à un sacrophage
trouvé sur place : long. 0'"95, larg. 0'"75, épaisseur
O'^^IS; lettres de 0"'06 à 0™09, inhabilement tracées.
Au centre de la pierre est un cercle en relief de 23
à 24 centimètres de diamètre. L'inscription occupe
le bas de la dalle :
MLMORIA CAECILIANI
A Tigzirt, sur le bord de la moraine et déposée
sur une murette, au Nord-Est du village et dans le
voisinage du temple : pierre tombale arrondie au
sommet, haute de 0'"64, large de 0'"70, épaisse de
0'"12, en grès dur. Les lettres mesurent de 4 à 6 cen-
timètres et sont d'une mauvaise facture :
M ISi R
CONÉ Dfev»
XIT ANNS
I Ilir A CCEP
IHSESI ///////
INPACE
A Tigzirt, dans la ruine, quartier Sud-Ouest déter-
miné par la rue centrale (nord-sud), et la rue trans-
versale (est-ouest). Pierre en grès dur mesurant
l'"52 de long, 0'"65 de large et 0'"12 d'épaisseur.
Ecriture difficilement lisible, caractères médiocres.
(1) Boulevard de l'Est.
- 14t -
NAiv s//i/qoN
ILIV3 VE ciMiMn:
ME
iMORlACA / AMORIA
PATRISMKI
A la première ligne, M. Viré lit r au lieu de n.
A la troisième ligne, le lapidaire a sauté deux let-
tres (m e) et les a rajoutées au-dessus du mot après
coup.
Dellys. — A Dellys, dans la collection Viré, les
marques de potiers suivantes :
A même sur la terre (poterie samienne) :
LANNPRILl ou LMVHPHILE
Dans un cartouche carré à coins arrondis :
Dans un cartouche allongé :
CRIS/////
Idem.
PHER
Cartouche écorné :
ST
MID
Dans le talon gauche d'une semelle, imprimé en
creux :
Idem.
C. C. ME
Idem (le talon a été emporté par une cassure) :
...AI
— 148 —
Grenoble. — A Grenoble, dans notre collection et
provenant de Sétif (camp des typhiques).
Dans un pied (le talon à gauche) :
Sur un tesson en pâte friable (grands caractères) :
MA
Sur un fond de vase (lettres grêles et hésitantes) :
10/
NIO
Sur un tesson (même genre d'écriture) :
A M (.'
Dans un écusson, figurant on cercle surmonté
d'une sorte de mitre :
Dans un pied tourné à droite et rapporté de Dellys :
//VD
Dans un pied tourné à droite et imprimé sur un
fond de vase :
Quelques Armes curieuses
DU
DÉPÂRTIMEMT Dl CONSTANTIN 1
Amicus Plato, sed Magis arnica veritas.
I.
Les canons de la Kalaa des Beni-Abbès
En pleine Kabylie, en dehors de toute communica-
tion avec la mer ou avec les grandes villes de l'inté-
rieur, en un nid d'aigle, repaire de bandits qui comme
tous les aventuriers, finirent par créer une famille
respectée et honorée, on trouva quatre canons d'ori-
gine européenne, venus on ne sait ni d'où ni com-
ment.
Ces canons furent découverts par M. de Ghevarrier,
le premier Européen qui ait visité la Kalaa.
Ce touriste en parla au Général Daumas qui, à son
tour, en toucha un mot dans ses Etudes historiques
sur la Grande Kabylie.
Enfin, en 1865, parut dans le Recueil de la Société
archéologique de Constantine, un article du 30 avril
-^ 150 -
1864 signé du distingué M. Vaysettes, l'auteur de
V Histoire de Constantine sous les Beys.
C'est assez dire quelle est la valeur de cette étude.
J'en extrais ce qui pourrait être utile à mon travail.
Malheureusement, je dois reconnaître, dès mainte-
nant, que M. Vaysettes a vu les canons à terre, c'est-
à-dire qu'il n'a pu en examiner qu'une face.
Sa description en souffre ; malgré cela, son étude
contient d'excellentes et très savantes choses qui
peuvent ouvrir des aperçus sur l'origine de ces
pièces.
« Le premier canon, le plus beau comme matière
« et comme travail, est en bronze et mesure près de
« 2 mètres de longueur et 0'"30 à la bouche, épais-
ce seur des parois comprise.
« Dans la partie supérieure de la volée, il est en-
ce touré de huit rangées de fleurs de lys, compre-
« nant, alternativement, l'une, six et l'autre, cinq de
« ces fleurs.
« Du côté de la culasse, un peu au-dessus de la
« lumière, est gravée une L majuscule, surmontée
« d'une triple fleur de lys formant couronne royale.
« Sur toute la surface extérieure, on remarque
« des dessins bizarres, incorrects, qui ne sont pas
« autre chose que des imitations grossières des fleurs
« de lys primitives et des noms hébreux encadrés
« dans des arabesques plus ou moins réussies que
« quelques ciseleurs juifs (et on sait qu'ils étaient
« autrefois nombreux à la Kalaa). se sont amusés à
« graversurlebronze.il se i)ourrait, toutefois, qu'on
« trouvât tel nom, telle date qui mettrait sur la voie
(( pour remonter à la provenance de cette pièce.
« L'heure avancée ne nous en a pas permis la lec-
« ture.
— 151 -
« La seconde pièce est en fer et mesure, en lon-
« gneur, environ dix centimètres de plus que la pré-
« cédente. Elle est comme celle-ci en très bon état
« de conservation ; mais elle n'a ni ornementation;
« ni marque de fabrique d'aucune sorte, au moins
« sur la jjartie que l'œil peut embrasser dans la posi-
« tion actuelle qu'elle occupe.
« Il m'a cependant été aiïîrmé par un lettré de
« l'endroit, qu'elle porte gravée en caractères arabes,
« l'inscription suivante qui, si elle est vraie, lui assi-
({ gnerait une origine tout à fait locale.
Cenâat Hadj Abdallah, Ealdji
« ce qui signifie : ouvrage du Pèlerin Abdallah,
« chrétien. «
M. Vaysettes en conclut, bien que les moyens des
Kabyles, très habiles armuriers pour petit calibre,
leur permettent difficilement de réaliser ce tour de
force, qu'il y aurait eu, dans les environs de la Kalaa
une fonderie de canons, dirigée par un Espagnol
renégat ! ! !
« Les deux autres pièces d'un calibre bien moindre
« que les deux précédentes sont des couleuvrines
« en fer, longues d'environ un mètre et demi, sans
« ornement, sans marque de fabrique.
« L'une d'elles est cassée en grande partie ; l'au-
« tre est intacte. »
L'auteur donne ensuite la description du Général
Daumas d'après les renseignements de M. de Ghe-
varrier.
« Abd el Aziz passe non seulement pour avoir
« construit la Kasbah (de Kalaa) dont on voit encore
« les ruines, mais encore pour avoir introduit dans
- i5â -
( Kiielaa quatre canons de gros calibre. Eu égard
( au site de la ville, ce fait serait traité de fabuleux,
( si les quatre pièces n'en attestaient encore par leur
( présence l'inexplicable vérité. Deux sont du calibre
('36 et d'origine française, car elles portent des
( Heurs de lys et une L surmontée de la couronne
( royale. La troisième était beaucoup moindre, la
( quatrième est cassée. Elles jonchent aujourd'hui
( la terre, l'une sous un arbre au village des Ouled-
( Hamadouche, les autres près de la mosquée
d'Ouled-Yahia ben Daoud et dans les mares des
Ouled-Aïssa.
« Les habitants conservent encore quelques no-
( tions exactes sur la charge de ces pièces ; ils disent
( que les plus grosses portent un boulet plein de
( 18 kilogrammes et consomment à chaque coup
( 6 kilos de poudre. »
M. de Chevarrier et les Officiers de la colonne
Camon contre Bou Barla, en juillet 1851, virent ces
pièces à Kalaa.
M. Vaysettes, en 188i, les vit à Boni, où elles
étaient depuis trois ans, à la suite d'un ordre admi-
nistratif.
L'auteur fait une longue et savante digression sur
l'origine de ces pièces qui ne peuvent avoir été em-
ployées dans le pays avant 1534 ou 1535, au moment
de l'apparition des Turcs et des expéditions de Klieïr
ed Din et de son frère Barberousse ; d'ailleurs, il cite
un passage de la Fondation de la Régence d'Alger, de
Sander Rang, qui prouve que l'artillerie était , avant
cette époque, inconnue en Afrique.
« Ces machines infernales que les hommes dont
(( nous parlons (les Tunisiens) ne connaissaient pas
- 153 —
« encore, firent une telle impression sur leur esprit
« qu'ils écrivirent à Kheïr ed Din i)onr implorer sa
« miséricorde. »
En 1542, Hassan Agha, second de Kheïr ed Din,
envahit la grande Kahylie à la tète de 3,000 mous-
quetaires turcs, 2,000 cavaliers arabes et 12 pièces
d'artillerie de petit calibre sur afïùt.
En 1552, Abd el Aziz donna 120 Kabyles à Salah
Raïs pour son expédition contre Touggourt. Ces
kabyles tramèrent les canons dans le sable.
En 1557, Abd el Aziz reçut en "présent de Hassan
Dey, trois pièces d'artillerie laissées à M'sila par
Salah Raïs.
En 1559, Hassan se brouilla avec Abd el Aziz et
marcha contre lui avec 3,000 Turcs et 8 pièces d'ar-
tillerie. Il construisit deux forts, l'un à la Medjana,
l'autre à Zammoura « où l'on voit encore aujourd'hui
des pièces d'artillerie. » (i)
Aussitôt après son départ, Abd el Aziz enleva le
bord] de la Medjana, le démolit et emmena des piè-
ces espagnoles qui avaient été prises sur les chré-
tiens, en 1548. Cette assertion est de M. Berbrugger
dans son ouvrage : Les Epoques militaires de la Grande
Kahylie (1857).
M. Vaysettes croit que les trois pièces de fer sont
celles données par Hassan Dey et laissées à M'sila
par Salah Raïs et que la pièce de bronze provient de
l'expédition du duc de Beaufort contre Djidjelli, en
(1) Je suis obligé de relever deux erreurs :
Le premier fortin fut construit non à Medjana mais à Aïn-bou-
Arréridj.
Les canons de Zemorah étaient en 1864 à Bordj-bou-Arréridj, depuis
peu de temps il est vrai. Us jouèrent, d'ailleurs, un certam rôle au siège
de cette place, en 1871.
- 154 -
1664. Car, dit-il, on abandonna sur la plage 36 pièces
d'artillerie, le 31 octobre 1664 et les Beni-Abbès du-
rent transporter cette pièce à bras par la vallée de
rOued-Sahel.
Cette étude est complétée par quelques notes du
Commandant Payen, commandant supérieur du cer-
cle de Bord] , parues dans le même Recueil de Cons-
tantine de l'année 1870.
(( Notre Société a publié en 1865, page 31 du Be-
« cueil, une notice sur les canons trouvés à Guelaa
« (Beni-Abbès). Comme il peut et il doit y avoir
« même des lecteurs désireux de connaître la forme
(( et les dimenssions de ces puissantes armes, c'est
(( avec l'espoir de les satisfaire que j'ai exécuté les
« croquis de deux de ces engins de guerre, plus les
« détails d'ornementation de l'un d'eux fondu, sans
« nul doute, sous le règne de Louis XIV et prove-
(( nant, je suppose, de l'artillerie de siège débarquée
« à Djidjelli, lors de l'occupation éphémère de 1664.
« Aussi, afin de fixer la valeur des caractères hé-
« braïques que des apprentis graveurs israélites ont
« buriné ça et là sur les faces du canon de In'onze,
(( j'ai pris les quatre estampages ci-annexés ; ces
« burinages sont relativement récents car il existe,
« à Bordj-bou-Arréridj, des familles juives originaires
« de Guelaa qui reconnaissent les noms de leurs
« grands parents comme étant désignés dans ces
« épigraphes. »
Les dessins dressés par le commandant Payen ne
sont pas tout à fait exacts et je vais tenter de décrire
la pièce de bronze d'après les plus récentes données
dues à la complaisance du colonel Hardy, conserva-
teur du Musée des Invalides (section de l'artillerie)
Dessin vx3cl du Canon t
iff
.tr:
'V -
I I
N
o
o
O
— 155 —
et d'après celles que j'ai pu relever moi-même sur
place.
(Voir planche I )
La pièce mesure 2'"59 de lougueur. Sou calibre
n'est que de 0'"175; mais l'épaisseur de ses parois
lui donne à la bouche un diamètre de 0™3i4. La
bouche est bordée d'un bourrelet à plusieurs mou-
lures de dessin différent de celui du commandant
Payen; sa longue-ur totale est de 0'"07. La volée,
sur une longueur de 0™945, est couverte de fleurs
de lys , il y en a onze rangées de quatre fleurs.
Chacune des fleurs, en relief, mesure 0™084 de hau-
teur sur 0°'062 de largeur. Après un ressaut de deux
moulures de 0™035 de longueur, commence la
culasse lisse et longue de 1"'367 en tronc de cône
et dont les diamètres extrêmes sont de 0"'0336 et de
0"^380. Elle porte, à 0"^306 du ressaut, deux touril-
lons de 0™156 de diamètre et de 0"U5 de longueur.
Sur le dessus de la pièce, à 0™729 du ressaut, se
dessine une L majuscule, en relief, de 0™126 de
longueur sur 0"^041 de largeur. Cette lettre quelque
peu différente de celle du Commandant, est, aux deux
tiers de sa hauteur, posée en pal dans une couronne
portant trois émaux, écrasés aujourd'hui, et adornée
en son dessus de trois fleurs de lys dont le dessin
n'est pas semblable à celui des fleurs de la volée ;
ces dernières sont formées de trois branches bien
distinctes, tandis que celles de la couronne très
épanouies, portent leurs trois pétales adjacentes ;
toutefois, les latérales sont découpées de même
façon que celles de la volée ; ce n'est pas ce que
représente le commandant Payen.
(Voir planche II)
— 156 -
Qu'il me soit permis de faire remarquer que ce ne
furent jamais les armes de France que M. Féraud
dit s'être trouvées sur les canons de Djidjelli; il y a
loin de ce monograme à l'écu d'azur aux trois lys
d'or.
A 0"^023 de la lumière, de 0'^012 de diamètre,
commence une série de moulures et de talons qui,
après s'être élargie jusqu'à avoir 0'"42 de diamètre,
finit brusquement par un talon de O'^IS de diamètre.
Il n'y a pas de bouton de culasse. L'épaissenr des
parois à la lumière est de 0'^1075.
Sur cette pièce, on a relevé des gravures faites au
burin par des Israélites. D'où venaient ces artistes?
Ils étaient autrefois très nombreux à Bougie ; ils y
avaient émigré d'Espagne d'où ils avaient été chassés
en 1492. Ils avaient apporté avec eux, dans leur
nouvelle patrie, non seulement leur fortune, mais
encore leur intelligence, leur science et leur aptitude
au commerce et à l'industrie. Charles Quint les
chassa, à son tour, de Bougie, en novembre 1541.
« Nous avons trouvé leurs descendants disséminés
dans les tribus kabyles des environs où ils exerçaient
les professions d'orfèvre et de bijoutier » (M. Féraud,
Histoire de Bougie).
Ceux de Kalaa exerçaient la profession de graveurs.
J'ai prié le rabbin de Bordj-bou-Arréridj de relever
et de traduire les inscriptions notées par le comman-
dant Payen. Il y a une différence notable entre les
deux traductions, cela tient à ce que ces gravures
sont grossièrement faites et mal écrites par des
commençants.
Des familles citées, une existe encore à Bordj. Je
l'ai interrogée et voici les renseignements que j'ai
.yji.91
^Zg\a/^
Traduction et indication
s familles désignées
- 157 —
pu obtenir. Ces inscriptions auraient été faites par
de jeunes israélites apprentis graveurs dont les
familles habitaient Kalaa. En jouant, ils s'exerçaient
sur le bronze qui était providentiellement mis à leur
disposition.
D'après les données recueillies auprès de ces fa-
milles, j'ai pu fixer la date approximative de ces
inscriptions.
(Voir planche III)
Yacoub Hadjedj ben Azar {i'' inscription) est mort
il y a 40 ans, à l'âge de 80 ans passés, près de 90.
Cela nous reporterait donc, en supposant qu'il ait eu
15 ans quand il apprenait son métier, vers 1790 ou
1795.
Pour la pièce de fer, je suis obligé de m'en rappor-
ter au commandant Payen, je ne garantis pas l'exac-
titude des mesures.
La pièce longue de 2"^84 était un peu supérieure à
la première, comme calibre. Elle était de 18 cent. 5,
son diamètre à la bouche était de 32 centimètres ;
cette bouche était une astragale en tuhpe de 0™12 de
longueur, puis venait une volée lisse de l'^lO, deux
moulures, une culasse de l'"36, une série de moulu-
res et de talons de O'^IO de longueur sur un diamè-
tre maximum de 0"^44 et se terminant à 0^14.
La culasse portait à 0^20 des moulures supérieu-
res, des tourillons de 0™14 de longueur et de diamè-
tre. Sur le dessus, à 0"'60 des moulures, on remar-
quait un cartouche en losange dans lequel, paraît-il,
on lisait en arabe :
— 158 —
\ Sr J ■ ^- ^ ^^- C) ■
.-"^ «
;'
Il y avait, dit-on, et sons toute réserve, une inscrip-
tion indiquant que le canon venait de Lyon.
Les deux petites pièces sont, l'une en fer forgé,
l'autre en bronze, d'une longueur de 2 mètres envi-
ron, du calibre de 6 à 7 centimètres. En arrière de
la culasse ouverte, se trouve un cadre rectangulaire
terminé par une longue queue qui servait au poin-
tage. Ce sont des pièces du genre bombarde, petit
modèle, se chargeant par la culasse avec des charges
métalliques qui étaient maintenues par le cadre et
des coins.
Ce genre de canon dont l'usage se perdit sur terre
vers le milieu du xv° siècle, fut longtemps encore en
usage dans la marine.
On trouve, dans V Hydrographie du P. Georges Four-
nier, aumônier à bord des galères, sous Louis XIII,
la désignation de ces pièces.
Les galères étaient armées de neuf pièces en proue.
La plus grosse, au milieu, s'appelait le coursier ou
canon de course ; elle était de 33 livres de calibre.
Les plus rapprochées d'elle portaient seulement cinq
à six livres de balles; auprès de ces dernières, se
trouvaient les pierriers qui avaient plus d'embou-
chure et se chargeaient avec des pierres pour tirer
de près. En troisième lieu, on trouvait les vers ou-
— 159 —
verts par dessus (pièces d'artillerie plus communé-
ment appelées berces ou barces) qui se chargeaient
avec des boîtes remplies de clous et de fer, destmées
également à tirer de près; enfin, les escarpines de la
grosseur des arquebuses cà croc que l'on chargeait
de balles ramées pour couper les voiles et les corda-
ges de l'ennemi.. . . Toutes ces petites pièces étaient
montées sur des chevalets de fer sans aucune roue.
Le capitaine don Alvar Gomez el Zagal, gouver-
neur de Bône, parle de pièces semblables dans son
rapport à Charles Quint (13 septembre 1535).
La plus grande des deux pièces est en fer forge,
elle mesure 2-47 de longueur et a 60 -/- de calibre.
La bouche en bourrelet a 0-08 de longueur sur 0-11
de diamètre, ce qui lui donne des parois de 0-02d
d épaisseur. La volée de 1-24 de longueur a 0-082
d'épaisseur c'est-à-dire présente des parois de 11 -/'"■
A l'arrière, la volée se renfle un peu sur une lon-
gueur de 0-28 et a un diamètre extérieur de 0-09o,
ce qui lui donne des parois de 18 -/- environ, enfin
elle se termine par un bourrelet de 0-04 de longueur
et de 0-13 de diamètre. A 0-05 en arrière du renfle-
ment, se voient deux tourillons de 0-05 de longueur
et de 0-045 de diamètre. Sur le bourrelet arrière,
s'agrafïe un cadre trapézoïdal dont les parois ont
0-03 d'épaisseur et 0'^07 de hauteur. Les dimensions
intérieures de ce cadre sont de 0^33 de hauteur sur
0'"115 et 0'"145 de bases, la grande base en arrière.
Des grifïes s'attachent à l'avant du bourrelet, elles
n'ont que 0"0075 d'épaisseur et une longueur égale
à celle du bourrelet soit 0"^04.
Au milieu de la grande base et à l'extérieur, s'atta-
che une queue troncônique de 0"47 de longueur et
— 160 -•
dont les diamètres extérieurs sont de 0"U48 et 0"^035.
Cette queue est terminée par un bouton. Dans le
cadre, se plaçait une charge de la forme d'un cylin-
dre irrégulier de 0'"32 de long et de O'^llS de dia-
mètre.
Cette charge métallique portait sur le dessus une
poignée et au-dessous un étrier avec des trous. Un
coin placé en arrière, entre le cadre et la charge,
s'appliquait contre la tranche arrière de la culasse;
une clavette passée dans l'étrier lequel enserrait une
barre réunissant les parois du cadre, l'empêchait de
sortir par le dessus.
La longue queue servait à pointer à l'aide d'une
échelle de trous disposée suivant des modes diffé-
rents d'après les pièces, leur nationalité ou leur
emploi.
La seconde pièce en bronze diffère quelque peu de
la première; en dehors de ce qu'elle est beaucoup
plus massive, elle présente quelques différences de
construction, surtout quant au mode de chargement.
.Elle a une longueur totale de l'"29 et malgré cela
son calibre est supérieur à celui de la première; il
est de 66 millimètres. La bouche forme un bourrelet
de 0'"05 de longueur sur 0"'13 de diamètre, l'épais-
seur des parois est de 0"'032. La volée a une lon-
gueur de 0"'53 et un diamètre extérieur de 0"^10, ses
parois sont de 17 "V™ 5.
Cette pièce présente ensuite un renflement à peine
sensible de 0'"13 de longueur ; sur ce renflement et
à 6 centimètres en arrière de sa jonction avec la
volée, se voient deux tourillons de 0"'04 de longueur
et de 0"045 de diamètre. Sur le dessus de la volée,
à cheval sur le renflement, se remarque un carton-
- 161 —
che en forme d'écu de 0'"06 de largeur sur O.^'O? de
hauteur. Sur le champ de cet écu, sont gravées :
Au milieu du chef, une petite croix dont le bras
horizontal patte est plus long que le vertical potence.
En fasce médiane, les lettres :
lA - TH
La partie arrière de la pièce difïère totalement de
ce qui a été vu jusqu'à présent ; il n'y a plus ni bour-
relet, ni cadre, mais bien un tonnerre de diamètre
supérieur au calibre de l'arme et dont sur une cer-
taine longueur, le dessus aurait été enlevé.
On ne peut mieux comparer ce système qu'a celui
des fusils à tabatière, sans le couvercle toutefois.
Cette disposition se compose d'un anneau circu-
laire et complet de O'^Oi de longueur et de 0"U5 de
diamètre intérieur, ce qui donne à ces parois une
épaisseur de 0"^025, puis le dessus du tonnerre est
enlevé sur une longueur de 0"U8. On a ainsi une
espèce d'auge demi-cylindrique de 0^025 d'épaisseur
de parois. Sur la tranche arrière, est fixée une queue
de direction de 0"^036 et de 0™048 de diamètres extrê-
mes et de 0'"35 de longueur, elle est terminée par un
bouton.
Dans la tabatière, se plaçait une charge cylindrique
de 0"13 de longueur et de 0'^095 de diamètre. Cette
charge se fixait en arrière par un coin et en dessous,
comme il ne peut être question d'étrier, par un tenon
qui s'engageait dans une mortaise ad hoc prise dans
l'épaisseur du métal de la tranche arrière du tonnerre.
Quelle est maintenant l'origine de ces pièces ?
La pièce de bronze viendrait, dit-on, de Djidjelli,
— 162 —
de l'occupation par le duc de Beaufort, du 22 juillet
au 31 octobre 1664.
M. Féraud dans son Hislob-e des villes de la province
de Constantine écrivait, en 1865, en parlant de la
retraite de Djidjelli :
« On fut obligé d'abandonner 36 pièces d'artillerie
« gravées aux armes de France, faute d'instruments
« nécessaires pour remuer et embarquer ces pièces. »
Plus loin :
« Cette désastreuse retraite coûta 1,400 hommes,
« 30 pièces de canons de fonte, 15 de fer et plus de
« 50 mortiers. Lors de notre débarquement à Djid-
« jelli, en 1839, nous avons retrouvé plusieurs de
« ces canons couchés et abandonnés sur la plage. . .
« Les canons de la Kalaa des Beni-Abbès provien-
« nent en partie de ceux laissés à Djidjelli \mv les
(( Français ....
« Ces canons durent être amenés par mer jusqu'à
« Bougie et traînés ensuite de là jusqu'à la Kalaa en
« remontant la vallée de l'Oued-Sahel. L'un d'eux
« porte gravé sur la culasse un L dans une couronne
« royale et toute la volée de la pièce est recouverte
« de fleurs de lys .... »
M. Mercier écrit dans son Histoire si documentée
de l'Afrique septentrionale véritable œuvre de béné-
dictin où rien n'est avancé qui n'ait été contrôlé.
« Il (Le comte de Gardane) eut la douleur d'aban-
(( donner sur le rivage 30 pièces de canon en fonte,
« 15 en fer et plus de 50 mortiers. On manquait en
.(( effet de palans pour les charger ...»
Il n'y avait pas dans ce butin ramassé par les
Turcs, de canons de bronze et les mortiers, quand
- 163 -
bien même ils auraient été de ce métal, ne peuvent
être confondus avec des pièces de Ë'^SO de longuein\
Je crois donc qu'il faut chercher ailleurs l'origine
de cette pièce française.
Les premiers canons tirent leur apparition en Eu-
rope, en 1313 ; en France, en 1338.
Depuis cette date, il y eût en France. trois séries
de rois dont les noms commencèrent par un L.
Louis XI de 1461 à 1487, Louis XII de 1498 à 1515,
enfin la longue série commençant à Louis XIII
en 1610 et finissant à Louis XVIII en 1824, c'est-à-
dire à la veille de la conquête de l'Algérie.
Je vais essayer de refaire l'histoire des relations
de ces monarques avec les Africains.
Louis XI passa un traité de commerce avec le roi
de Tunis et celui de Bône, en 1482.
Louis XII s'immisça peu dans les affaires de la
Méditerranée, il était beaucoup trop occupé par les
guerres d'Italie.
Toutefois, on connaît l'expédition de Philippe de
Ravestein contre Métélin, en 1501, et celles de Pré-
gent de Bidoux contre Naples, en 1503, et contre
Gênes, la même année.
Mais toutes ces actions militaires se passèrent au
large des côtes algériennes.
Malgré cela, on pourrait trouver des pièces de
canon au chiffre du " Père du peuple " car, lorsque
Charles Quint s'empara de La Goulette, le 14 juillet
1535, il trouva parmi les 140 canons de la place, nom-
bre de pièces françaises données par François P^' en
haine de l'empereur et en vertu du traité négocié
avec Soleïman le Magnifique par le baron de Saint-
— 164 —
Blancard, maître d'hôtel du roi et capitaine général
de l'armée de mer de France et parmi ces pièces,
quelques-unes devaient porter le chiffre du prédéces-
seur et cousin du roi Gentilhomme.
C'est ce fait qui est relaté par le marquis de Gurion-
Nitas dans son Aperçu sur l'Etat d'Alger (1830).
« Cette première conquête rendit l'empereur maître
« de la flotte et de l'arsenal. La flotte se composait
« de 18 galères et l'artillerie montait à 100 canons,
« nombre })rodigieux pour ce temps. »
Dans son Histoire d'Alger (1841), M. Ch. de
Rotalier est plus afïirmatif encore ; il parle de 300
pièces d'artillerie en bronze, une quantité de canons
en fer et 31 vaisseaux dont les voiles et les boulets
étaient marqués d'une fleur de lys.
En 1541, le 2 novembre, l'empereur Charles Quint
revenait de sa désastreuse expédition d'Alger où il
avait déjà laissé des canons français. « Puis on
« monta aux batteries lors de la prise d'Alger où l'on
« constata, avec étonnement, la présence des canons
(( portant les armes de France. C'étaient des pièces
(( prises jadis à Pavie par Charles Quint et abandon-
« nées en 1541 par celui-ci après son désastre devant
« Alger (Prise d'Alger, H. Klein). »
Je n'ai pas l'honneur de partager l'opinion de
M. Klein sur l'origine des canons français d'Alger,
car il ne faut pas oublier que la flotte de l'amiral
André Doria était composée des bâtiments qui étaient
déjà allés à Tunis, six ans auparavant et que d'autre
part, lorsque André Doria et son neveu Philippin,
alors au service de la France, passèrent à celui de
l'Espagne, en 1527, ils emmenèrent avec eux toutes
- 165 -
les galères de France, malgré la promesse faile an
marqnis de Bai'l)é/-ienx, amii-al de France :
« Voici les galères de votre maîlre ([ne je vons
(( remets, voici celles de ma répnhlicjne (Gènes) ({ne
je conserve. . . »
Charles Qnint s'arrêta donc à Bongie, le 2 novem-
bre 15il. Peut-être, avant de partir le 16 novembre
laissa-t-il, à la petite garnison espagnole qui tenait la
ville, quelques pièces françaises prises à Tunis.
D'ailleurs, d'après M. Féraud, pendant son court
séjour, l'empereur remarqua l'importance militaire
de la ville et en Ht augmenter les défenses, comme
le témoigne rinscri{)tion de la KasJjali.
QVAMMVRIS
CASTELLIQMV
NIVITIMPKA
ROLVSV AFRICA
NVS FERDINAN
DIMEMORATI
NEPOSET HA
ERESSOLIDEO
ONORET GLORIA
(( Cette ville a été pourvue de murailles et d'un
« château par l'empereur Charles Quint l'Africain,
(( petit-fils et successeur de l'inoubliable Ferdinand.
« A Dieu seul, honneur et gloire. »
Si cette assertion est exacte, on peut s'expliquer
assez facilement la présence de la pièce française à
la Kalaa. En effet, d'après une tradition conservée
dans la famille des Oulad-Mokhran, Abd el Aziz fon-
dateur, présumé à tort, de la princi])auté kabyle des
Béni Abbès, se lia d'amitié avec les Espagnols de
Bougie. Ceux-ci lui fournirent des ouvriers pour for-
- 166 -
tifier la Kalaa, sa capitale, et des armes pour se dé-
fendre contre les Turcs qui avaient de leur côté fait
alliance avec le roi de Koukou. Si cette hypothèse
n'explique pas la présence de la grosse pièce, elle
affirme certainement la provenance des deux petites
comme il sera vu plus loin. En tous cas, il ne faut
pas songer à prendre les pièces à Bougie après le
départ des Espagnols et la prise de la ville par Salah
Raïs, en 1555, car « les canons abandonnés par les
Chrétiens étaient hors d'usage » (M. Féraud, His-
toire de Bougie).
Mais, reprenons l'histoire des guerres maritimes
et méditerranéennes sous le règne de Louis xiii et
de ses descendants.
Louis xm eût surtout affaire aux protestants et
aux Espagnols, beaucoup plus qu'aux Turcs et aux
pirates barbaresques. En 1635, 1637, 1638 et 1639,
l'archevêque de Bordeaux M*'''' de Sourdis et le comte
d'Harcourt battirent le golfe du Lion avec leurs flottes
combinées, mais leur but était surtout de combattre
les Espagnols.
Le marquis de Brézé leur succéda en 1640 et suivit
la même tactique jusqu'en 1642.
Pendant la minorité de Louis xiv, la guerre conti-
nua dans les mêmes parages, sous le maréchal de
la Meillerai (1646), le chevalier Paul (1647) et le gé-
néral des galères Armand de Vignerot Duplessis,
duc de Richelieu (décembre 1647).
De 1652 à 1654, après la majorité de Louis xiv
(1651) et la liquidation de l'affaire de Bordeaux, le
chevalier Paul et le da3 de Gaise prirent la mer et
allèrent assiéger Castelamare.
Eu 1655, le chevalier de Valb3lle S3 défealit glo-
ï
- 167 -
rieuseiiioiit à Majoi'([iie pour une (luostioii de imvillou
(M 1(^ (lue (le Veiulinne paiiil de Toulon pour assîéo-er
Pahunas et Barcelone.
Après la mort de Mazarin (1661), la course l)arba-
resque et contre les barbaresques commença sérieu-
sement sous les ordres de François de Vendôme,
duc de Beaufort, grand maître, chef et surintendant
de la navigation et du commerce, l'ancien roi des
Halles et l'élève du chevalier Paul. Le chevalier lui-
même s'était rendu à Tripoli, Tunis, Alger et Barce-
lone, mais sans combattre.
Le commandeur de Valbelle et les capitaines de
Saintot et Gyprien firent à la même époque, d'heu-
reuses croisières particulières.
Le chevalier Paul recommença ses courses l'année
suivante avec le chevalier d'Hocquincourt, le capi-
taine Cruvillier et le chevalier Anne Hilarion de
Contentin de Tourville. Ils coulèrent et prirent nom-
bre de vaisseaux Tripolitains et Algériens, sans rien
perdre eux-mêmes.
En 1662, le duc de Baaufort fit contre Alger une
manifestation sans résultat pBuJant que Tourville
continuait ses exploits de corsaire.
En 1663, nouvelles courses de Tourville et d'Hoc-
quincourt pendant que le chevalier Paul, avec six
bâtiments, enlevait trois vaisseaux dans le port de
la Goulette. Puis le chevalier repartit en juillet avec
le duc de Beaufort et coula vingt navires algériens.
Mais il fut assailli dans sa croisière par une tempête
terrible en vue d'Alger : « L'escadre fut dispersée,
« eut beaucoup de peine à éviter d'être affalée à la
« côte et ne gagna qu'avec de grandes ditïicultés le
« port de Formentera » (Louis Guérin).
- 168 -
En 1664, Louis XIV résolut de s'assurer un établis-
sement sur les côtes barbaresques. Le 3 mars 1664,
le duc de Beaufort partit en éclaireur pendant que le
chevalier Paul et Duquesne préparaient l'expédition.
Le l*''^ juillet, la flotte sortit de Toulon sous les
ordres du duc, à l'effectif de 16 vaisseaux de ligne,
7 bâtiments, 41 barques et 8 galères, ces dernières
commandées par le comte de Terme.
6,000 hommes s'embarquèrent sous les ordres du
comte de Gadagne. A Malte, on devait prendre les
galères de la religion, commandées par le bailli d'Ar-
ménie. Le chevalier Paul était le guide de l'expédi-
tion. On connaît le résultat de la croisière feinte de-
vant Bougie, l'occupation de Djidjelli, }juis le désastre
complet ; mais il ne resta pas sur la côte, comme je
l'ai déjà dit, de canons de bronze.
En 1665, pour venger cet échec, le duc de Beaufort
alla attaquer les corsaires dans le port même de Tu-
nis, puis, avec le chevalier Paul, détruisit la flotte
barbaresque, d'abord devant Cherchell, puis devant
Alger, pendant que Tourville et d'Hocquincourt conti-
nuaient leurs exploits sous le pavillon de Venise.
En 1666, le commissaire général de la marine,
Trubert, alla négocier avec le dey d'Alger le rachat
des chrétiens.
En 1667, Louis-Victor de Rochechouart se rendit
devant Alger avec cinq vaisseaux et obtint satisfac-
tion de pirateries commises sur des bâtiments fran-
çais.
En 1669, le duc de Beaufort alla secourir Candie
qui appartenait aux Vénitiens et était assiégé par les
Turcs; il s'y fit tuer.
En 1672, le lieutenant-général de Martel croisa sur
— 169 —
les côtes barbaresques, renouvela les traités avec le
dey d'Alger et alla canoniier Tunis avec l'aide de
M. de la Brossardière.
En 1673, le lieutenant-général d'Almeras alla faire
une croisière de surveillance sur les côtes d'Algérie
et de Tunisie.
En 1674, Messine se révolta contre les Espagnols.
Louis XIV envoya une première escadre soutenir les
insurgés, sous les ordres du chevalier de Valbelle,
puis une seconde, sous les ordres de François de
Rochechouart, devenu marquis de Vivonne, enfin une
troisième avec M. Duplessis de la Brossardière.
Messine devint alors le point d'où rayonnèrent les
corsaires français : Venise (juillet 1675), Reggio (août
1675), Agosta (août 1675), Melazzo (octobre 1675).
En 1676, Duquesne et Ruyter se rencontrèrent
devant le Stromboli et le Gibel. Ruyter y fut tué.
Le marquis de Vivonne remporta d'autres victoires
à Palerme puis à Traormina et à Scaletta.
En 1678, Duquesne fit une démonstration en Cata-
logne et à Gênes.
En i68i, un capitaine de vaisseau, M. de Beaujeu, fut
pris avec an petit bâtiment et emmené à Alger.
Duquesne fit une croisière en Tripolitaine et en
1682, bombarda Alger avec les galiotes de Bernard
Renan d'Elisaçaraï dit Petit Renan.
En 1683, le bombardement recommença et le dey
Baba-Hassan rendit, le 29 juin, le capitaine de Beau-
jeu; mais son successeur Mezzo-Morto envoya le P.
Lev'acher, consul de France, en guise de boulet, le
29 juillet.
La même année, le capitaine de Relinguer se dé-
— 170 -
fendit à l'île d'Elbe, seul contre trente-cinq galères
espagnoles.
En 1684, Duquesne et le marquis de Seignelay
bombardèrent Gènes.
En 1685, le maréchal d'Estrées alla bombarder
Tripoli, obtint un traité et vint manifester à Tunis.
En 1686, Forant, le marquis de Goëtlogon, les
comtes d'Estrées et de Tourville et le chevalier de
Château-Regnault eurent des affaires avec les Espa-
gnols pour le salut du pavillon.
En 1688, l'amiral d'Estrées alla de nouveau bom-
barder Alger.
En 1691, l'amiral d'Estrées, fils du précédent, aida
Catinat à prendre Nice jjuis bombarda Barcelone et
Alicante.
En 1693, le même officier alla assiéger Rosas.
La même année, l'amiral de Tourville brûla des
bâtiments anglais en rade de Malaga, près de Gi-
braltar.
En 1696, au cap Bon, le commodore Killegrew
s'empara de deux vaisseaux français: le " Content"
et le " Trident", capitaines de Ghalart et d'Aulnai.
En 1697, l'amiral d'Estrées prit part au siège de
Barcelone par le duc de Vendôme.
En 1701, le chevalier de Fortin alla canonner Ve-
nise puis bloquer Trieste au commencement de la
guerre de succession d'Espagne.
Le 22 juillet 1704, une escadre sortit de Toulon
sous les ordres du grand amiral de France, le comte
de Toulouse ; le 24 août, il rencontra à Velez-Malaga,
à la tête de 50 vaisseaux, 6 lirulots, 8 galiotes et
19 galères, une flotte composée de 50 vaisseaux alliés
et d'autres petits bâtiments.
— 171 —
Le chevalier de Pointis, après la bataille, alla aider
Petit Renan à faire le siège de Gibraltar ; il y perdit
cinq frégates et vit son escadre se disperser par effet
des vents, [)nis disj)araître finalement dans nn désas-
tre dû à son manvais état, à son infériorité et à la
tempête.
En 1706, croisière devant Barcelone et siège de la
ville.
En 1707, le chef d'escadre de Villars, frère du ma-
réchal, protégea Minorque contre les Anglais puis
croisa devant Gènes et coula 3 vaisseaux tunisiens.
En 1708, les capitaines de Grenonville et de Roche-
pierre firent de fructueuses et glorieuses sorties en
Méditerranée.
En 1709, le capitaine de brûlot Cassart escorta un
convoi de blé venant de Barbarie, coula trois vais-
seaux anglais, s'échoua à Porto-Farina, fut très bien
reçu par les Tunisiens et rentra triomphalement à
Marseille.
Le lieutenant de frégate de l'Aigle, commandant le
" Phénix" prit trois vaisseaux anglais et trois vais-
seaux hollandais.
En 1710, Cassart escorta de nouveau un convoi
venant du Levant et ramena deux vaisseaux anglais.
De l'Aigle prit un vaisseau tunisien, alla manifes-
ter devant Tunis et obtint la liberté de tous les Fran-
çais maintenus dans les bagnes.
Sous la régence de Philippe d'Orléans, aucune
affaire maritime n'eut lieu en Méditerranée.
Sous le règne de Louis XV, la marine déclina. En
1741, elle ne possédait plus que deux vaisseaux de
premier rang; en 1743, un seul restait.
Malgré tout, en 1728, le chef d'escadre de Grandpré
- 172 -
alla faire une manifestation devant Tunis qui fit des
concessions, puis il alla bombarder Tripoli.
En 1729, le capitaine de Goyon passa deux traités
avec Tripoli, et le chevalier de Raïmondis, de l'ordre
de Malte, prit un corsaire Algérien.
En 1730, le capitaine de Gencien ne reçut que poli-
tesses intéressées du dey d'iVlger.
En 1731, Duguay-Trouin renouvela les traités avec
ce souverain.
En 1732, le bailli de Vatan alla à Gènes demander
réparation de l'incendie d'un bâtiment français.
En 1738, le capitaine d'Orsères de Pardaillan trans-
porta en Corse un corps d'armée, sous les ordres du
comte de Boissieux.
En 1742, le capitaine de Saurcus-Murat échoua,
dans une expédition, contre une île de la côte de
Tunisie.
En 1743, un prisonnier marseillais, nommé Lefort,
réussit à amener le dey à composition et la paix fut
signée.
En 1744, bataille devant Toulon entre les Franco-
Espagnols et les Anglais.
En 1746, les Anglais prirent les îles S*^'-Marguerite.
En 1747, les îles furent reprises par les Français
qui envoyèrent 6,000 hommes au secours des Génois
révoltés contre l'Autriche.
En 1756, le lieutenant-général de la Galissonnière
conduisit à Minorque le maréchal de Richelieu et
12,000 hommes. Après le débarquement, le lieutenant-
général battit l'amiral anglais Byug, pendant que le
maréchal s'emparait de Port-Mahon.
En 1757, deux corsaires, de Glaudewez et de Grasse
firent sortir de Marseille deux galères déclassées, la
''Brave" et la "Duchesse" et firent la course en
— 173 —
Méditerranée. Ils prirent un corsaire anglais de seize
canons qu'ils amenèrent à Cette.
En 1759, l'amiral anglais Boscawen empêcha l'ami-
ral français de La Clue de franchir le détroit de Gi-
braltar, venant de Toulon.
En 1764, 7 bataillons français passèrent en Corse;
l'île fut cédée à la France, le 15 mai 1768.
Sous le règne de Louis XVI, la marine française vit
renaître ses beaux jours, mais il n'y eut pas d'opéra-
tion en Méditerranée.
En 1781, le comte de Guichen et Don Luis de Gor-
dova sillonnèrent en maîtres la Méditerranée et pri-
rent Port-Mahon et Minorque.
En 1782, le duc de Grillon, aidé de Don Lms de
Cordova, commandant les escadres française et espa-
gnole, assiégea Gibraltar.
Je crois inutile de m'occuper de la Révolution et
de la 1^^^ République, car d'après ce que j'ai pu dé-
duire des explications données par les Israélites de
Bordj, le canon français était déjà à Kalaâ à cette
époque.
Que l'on me pardonne cette longue et fastidieuse
série de faits, mais j'ai tenu à remémorer tous les
événements maritimes qui se sont produits en Médi-
terranée de façon à ne rien laisser dans l'ombre et a
pouvoir établir mes conclusions sur des bases soli-
des.
On a vu très peu de vaisseaux pris par les corsai-
res barbaresques, surtout des bâtiments portant du
18.
Néanmoins, je vais étudier cette question et en
en admettant la possibilité, rechercher si des prises
auraient pu être conduites à Bougie,
— 174 —
II.
Très riche et très llorissante avant l'occupation
espagnole, surtout sous le règne d'En-Nacer, Bougie
ne lit que déchoir après la reprise par Sabah Raïs
(1555). Le port de Bougie ne contint jamais plus que
des bâtiments marchands, « le monopole de la pira-
terie étant exclusivement réservé aux navires d'Al-
ger. )) (Féraud, Histoire de Bougie).
Les janissaires turcs, d'autre part, étaient trop
pauvres pour pouvoir faire cadeau, même à leurs
amis, d'une pièce d'aussi grande valeur que celle qui
nous occupe, alors surtout que leur armement lais-
sait fort à désirer.
En septembre 1649, le père Dan, supérieur de l'or-
dre de la Rédemption, passa devant Bougie en se
rendant au Bastion de France. Il écrivit : « Nous
« aperçûmes Bougie, autrefois fort grande et peuplée
« de quantité de corsaires (|ue la beauté de son })ort
« y attirait de toutes parts ; mais maintenant elle est
« fort ruinée et il ne s'y voit aucun navire de cour-
« ses. Ceux d'Alger, de qui elle dépend, empêchent
(( le mieux qu'ils peuvent d'y équiper aucun vaisseau
« pour courir la mer, de crainte qu'ils ont que cela
« ne divertisse et ruine entièrement le commerce de
« leurs pirateries. »
Le 30 juillet 1663, quand l'expédition française
passa devant Bougie, il' y avait dans la place cent
Turcs sur lesquels soixante-dix moururent de la
peste (Elle de la Primaudaie).
Le 6 septembre 1674, le chevalier d'Arvieux visita
Bougie et écrivit : « Les soldats n'oseraient sortir de
« leurs forts et sont continuellement sur leurs gar-
— 175 —
« (les, à cause des Maures de la campagne (\n\ ne
(( leur font aucun quartier. . . .
(( 11 y a un marabout appelé Choïk Abd el Kader
(( (pie les Turcs et les Maures regardent comme un
(( saint ...
(( Il y a. . . . une grosse tour avec deux pièces de
« canon. »
En octol)re 1725, le voyageur français Peysonnel
écrivit : « A Bougie, tout tombe aujourd'hui en rui-
« nés, car les Turcs ne réparent rien. »
On voit donc que si le vaisseau portant la pièce
était venu à Bougie soit comme prise, soit comme
épave, la ville aurait eu plus de deux canons, ou, en
tous cas, aurait gardé précieusement et jalousement
les pièces arrivant si miraculeusement.
Mais si l'on admet l'hypothèse d'un bâtiment jeté
à la côte, même en dehors de toute opération de
guerre, ce qui est assez plausible, étant données les
violentes tempêtes qui régnent sur la Méditerranée
et les difficultés des côtes d'Afrique, le naufrage,
dans ce cas, a dû avoir lieu sur un point quelconque
de la côte, et non à Bougie, et les marabouts des
Amokhran, usant de leur influence reconnue par les
Maures et les Turcs, ont dû s'approprier l'une des
pièces, la faire passer par Bougie et la vallée de la
Soummam et la donner en royal présent à leurs cou-
sins, les Oulad-Mokhran de la Medjana et de la
Kalaa.
Pour bien comprendre cette hypothèse, il faut re-
voir la généalogie des Mokhrani, tout au moins à
leur origine :
- 176 —
Emir Abd er rahman des Oulad-Hammad
I
Ahmed ben Abderrahman
fonde le royaume Kabyle des Béni Abbès (mort en 1510)
I
I
I
Abd el Aziz
Amokliran
Sultan, mort en 1559
grand ami des Espagnols
de Bougie
Sultan, succéda ci son frère
mort en 1598
I
Sidi Nacer
Sultan, mort en 1600,
assassiné par ses sujets.
Le royaume disparait.
I
I
I
Sidi Betka
Si Mohamed Amokhran
mort en 1680 sauvé par sa mère
sauvé par les Hachen conduit à Amadan, devenu
conduit à La Medjana, marabout, grand ami des
père de Oulad-Mokhrane Turcs de Bougie
I
Si Abd el Kader Amo-
khran
vers 1674 1682
I
Si Mohammed Chérif
vers 1702
Tels sont les renseignements que peut l'ouiMur
l'histoire. Malheureusement, ils sont ou troi) précis
ou trop vagues.
— in -
L'hypothèse des canons de Louis XII donnés par
François P% trouvés à Tunis et apportés par Charles-
Quint à Bougie, senil)le la plus vraisemhlahle, hien
que n'ayant pas dt^s bases extrèmenienl solides.
Celle du duc de Beaufort est à rejeter. Celle de
l'échouement est plus vraisemblable mais trop vague,
portant sur une durée de deux cents ans et sur une
série de quatre rois, car je laisse Louis XVIII de côté;
sous son règne, la pièce, comme le prouvent les ins-
criptions hébraïques, se trouvant depuis longtemps
à Kalaa.
Mais on peut circonscrire ces dates en faisant
appel à une science beaucoup trop ignorée et négligée
de notre tenij^s ; je veux parler du Blason, dont sou-
vent les règles et surtout leurs fluctuations peuvent
arriver à la rescousse des faits de l'histoire, pour
préciser un événement ou fixer une date.
On trouve sur la pièce une L majuscule dans une
couronne portant des fleurs de lys.
La forme de la lettre pleine et assez massive la
reporte aux xvi, xvii et xviir' siècles ; c'est la forme
qui succéda aux mièvreries et aux enroulements des
enluminures du moyen-âge ; toutefois, elle semble
être de l'époque de transition et pas très éloignée de
la Renaissance.
Il y a, en art héraldique, plusieurs espèces de cou-
ronnes portant des fleurs de lys :
l*^ La couronne royale fermée dont le bandeau est
surmonté de cinq bandes qui se réunissent au som-
met sous une fleur de lys et dont les bases sont
ornées chacune de la fleur héraldique ;
2° La couronne du Dauphin de France fermée éga-
lement, mais à trois branches seulement, 1, 3 et 5,
ayant une fleur entre deux d'entre elles ;
-— 178 —
3° La couronne des Enfants de France, ouverte à
cinq tleurs de lys ;
4^' La couronne des Princes du sang à trois Heurs,
1, Set 5, accostées en deux et quatre de feuilles d'àclie.
( Voir planche IV )
La couronne du canon n'est ni Royale, ni Dau-
phine, ni des Enfants de France; car de toute façon,
abstraction faite de la fermeture qui aur^ait gêné pour
poser une L en pal, il devrait y avoir cinq fleurs de
lys.
Est-elle des princes du sang ? pas davantage, car
les feuilles d'âche manquent.
C'est donc là pure fantaisie et ce serait simplement, |
comme le dit M. Vaysettes : « Trois fleurs formant
couronne royale. » C'est plus probable, bien qu'entre
les trois tleurs, se trouvent deux petites pointes
comme celles cpii supportent les })etites perles dans
une couronne de vicomte.
On peut objecter qu'il y a eu en France des prin-
ces qui étaient du sang sans être royaux; c'était des
princes légitimés. Je puis, pour ne rien laisser inex-
ploré, chercher dans dans toute l'histoire quels fu-
rent les personnages dans ces conditions cpii furent
amiraux ou grands maîtres de l'artillerie et dont
l'initiale était une L.
J'en trouve trois :
1« Louis, bâtard de Bourbon, fils de Charles I'•^
duc de Bourbon, légitimé en 1463, nommé général
de France en 1466, par conséquent sous le règne de
Louis XI. Il faut donc l'écarter, étant donné le peu de
relations, à cette époque, entre la France et les états
barbaresques ;
i
Ah
c
c
1(
u
C(
p]
p]
re
ai
n
di
de
Le
re
1)0
Planche V
I
J^jurfùJju
Xt*rù/ttA/t
-^UtK. ^C
eficuÀ^ci^
JjùiM^X^L
- 179 —
2" Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Tou-
louse, iils de Louis XIV et de M'"- de McMitespan,
grand amiral de Fi'anee en IG^^^. Il eroisa longtemps
dans la Méditerranée, en |)arlii'uli(M' en 1702. 170i et
1706;
3'' Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, Iils
de Louis XIV et de M"^" de Montespan, général des
galères en 1611 et grand maître de l'artillerie en 1674.
Mais une ordonnance de 1673 avait réglementé
l'armement des vaisseaux du roi et l'artillerie ne dé-
pendait plus du grand maître de l'artillerie. Il faut
ajouter qu'en 1689, les calibres avaient été fixés à
sept : 36, 2i, 18, 12, 8, 6 et 4, c'est-à-dire que la
pièce en question rentrerait presque dans les calibres
imposés.
La forme des fleurs de lys peut faciliter également
le choix d'une époque, car elle varia souvent. Pen-
dant la Renaissance, c'est-à-dire du xiv au xvr siè-
cle, la fleur de lys, qui avait fait son apparition dans
l'art héraldique au xn** siècle et qui était, jusque là,
composée de trois pétales et de deux pistils, ou mieux
portait les pistils latéraux en deux lambeaux, se
transforma et devint plus élancée; les pistils ou lam-
beaux disparurent, les pétales se rapprochèrent mais
sans se toucher. La fleur fut composée de deux par-
ties séparées par une barre horizontale. La partie
supérieure comprit trois pétales distincts, la partie
inférieure fut unique, ce fut un pendentif à trois
pointes. Sous Louis XIV, au xvii" siècle, la fleur
s'épaissit, la barre subsista, mais elle fut posée sim-
plement sur les pétales qui furent suivis, c'est-à-dire
qu'ils se retrouvèrent dans le haut comme dans le
bas, mais ils furent alors accolés les uns aux autres
dans toute leur longiiaur. (Voir planche V )
- lâo -
Les fleurs de la volée du canon seraient donc Re-
naissance, celles de la couronne presque xvii'' siècle.
Celte anomalie i)ourrail s'exi)li(|uer, car au commen-
cement du xviii'' siècle il y eut un revirement de
" mode"; on en revint, mais pour peu de temps, à
la fleur élancée, et notre canon peut avoir été fondu
à cette époque de transition entre 1680 et 1720 ; c'est
bien le moment où les deux princes légitimés étaient,
l'un grand maître de l'artillerie, l'autre grand amiral.
Si l'on tient compte des ordonnances royales, ce
pourrait être l'initiale du comte de Toulouse, le fils
Itien aimé de Louis XIX, chef de l'artillerie de la ma-
rine (ordonnance de 1673) et qui devait monter des
vaisseaux portant du calibre 18 (ordonnance de 1689)
c'est-à-dire des pièces semblables à la notre.
Je vais essayer de résumer cette longue discussion
et de condenser mes hypothèses pour en tirer la
substantifique moelle.
Histoire. — On trouve, à toute époque, des croisiè-
res françaises sur les côtes de Barbarie, mais les
prises de bâtiments de guerre de tonnage assez fort
pour porter du 18, sont })lus que rares ; en tous cas
ces prises ne furent jamais amenées à Bougie. Les
bâtiments jetés à la côte sont moins que nombreux
et l'échouement et la perte consécutive d'un gros
bâtiment ne fussent pas passés inaperçus. Il n'y a
donc que des pièces de Louis XII qui aient pu être
amenées à Bougie par Charles-Quint et être données
par les Espagnols à leur allié Abd el Aziz, sultan de
la Kalaa des Beni-Abbès.
Géographie. — Cette pièce n'a pu passer que par
— 181 -
Bougie et la vallée de l'Oued-Sahel, il faut doue ({ue
sou ])assage soit sigualé à Bougie même.
Art héraldique. — La courouue du mouograuime
échappe à toutes recherches et à toutes règles; c'est
uue triple tleur formaut courouue. La forme des
Heurs de la volée eu fixe le travail à la Reuaissauce.
Celle des tieurs de la courouue teudrait vers le
XVII'' siècle.
Artillerie. — Le lieuteuaut-colouel Hardy, couser-
vateur du Musée des luvalides (sectiou d'artillerie)
affirme que la forme géuérale des pièces du commeu-
cemeut du xvi'' siècle est semblable à celle du cauou
étudié et que les attributs sout bien ceux que l'on
retrouve sur les pièces de Louis XIL Voici, d'ailleurs,
un passage d'une des lettres qu'il a bien voulu
m'adresser : a Le canon est sans contredit de l'épo-
« que de Louis XII. La forme de la couronne qui
« surmonte la lettre L est entièrement différente de
« celle des couronnes qui figurent sur les canons de
« l'époque de Louis XIV et Louis XV. »
C'est donc une pièce de Louis XII amenée et laissée
à Bougie, en 1541, par Charles-Quint, soit qu'il l'ait
prise à Tunis dans le butin où figuraient les canons
donnés par François I"' à Barberousse, soit qu'elle
soit venue des galères françaises qu'André Doria
avait entraînées dans sa défection.
La pièce de fer a une origine beaucoup plus
curieuse. Sa forme massive, sans bouton de culasse,
assez semblable à celle de sa sœur de bronze, sem-
blerait la placer vers le xv*" siècle.
Aucun ornement ne permet de préciser d'autre fa-
- 182 —
çon. Il y aurait bien l'inscription française lui donnant
Lyon comme lieu d'origine, mais cette inscription,
nul ne la possède in extenso; la seule personne qui
se souviendrait de l'avoir vue, Si Seddick hen Ilalla,
caïd d'El-Maïn, commune des Bil)ans, n'est pas ailir-
matif.
L'inscription arabe donnée plus haut est plus inté-
ressante, sa traduction est la suivante :
« Au nom de Dieu clément, miséricordieux.
« A notre maître, prince des croyants, Mohammed
« ben Abd el Aziz el Abassi (originaire des Beni-
« Abbès) qui gouverne avec zèle pour la cause de
« Dieu ! (pie Dieu lui accorde assistance et le rafïer-
« misse au pouvoir !
« Fondu dans le mois de Djoumada deuxième 767.
« Fait par l'esclave blanc Hacène le Chrétien (ou
« le Franc). »
D'après M. Surle, garde domanial des eaux et
forêts à Boni, qui n'a jamais vu la pièce, mais qui
s'est informé dans le pays, la tradition afïîrme que
le canon a été acheté par Mohammed ben Abd el
Aziz el Abassi et fabriqué à Lyon, ou à Toulon, se-
lon d'autres, sous la surveillance d'un envoyé du
Sultan, un Européen qui s'était fait Musulman et (jui
portait le nom d'El Hadj Hassein.
Il ajoute : Il existe encore, parait-il, de ses descen-
dants à Guelaa (Famille des Hassein). M. Surle ne
confondrait-il pas avec les Hacliem ?
En tous cas, voici un point fixé, un Sultan qui a
eu à son service un nommé Hacène, d'origine euro-
péenne; le livre et la tradition, dirait un ecclésiaste,
sont d'accord.
- 183 —
Onelle est cette date de Djonmada deuxième 7G7 ?
A raide de la formule des 33'", ou arrive facilement
à ianvier 1366, c'est-à-dire cinquante ans après l ap-
parition des premières armes à feu en Europe.
J'ai demandé à M. le Conservateur de la bibhothe-
nue de Lyon s'il avait connaissance d'une fonderie
aussi ancienne. Je regrette que l'absence de réponse
sur ce sujet ne me permette pas de fixer ce_ pouit
des plus intéressants. En tous cas, cette question de
date n'est pas un obstacle insurmontable puisque
dès 1273, d'après Ibn Khaldoun, Abou Youssouf,
sultan du Maroc, avait fait usage de canons au siège
delà ville de Silgilmessa.
Quel est-ce ce sultan Mohammed ben Abd el Aziz .
On a vu un Abd el Aziz aux Beni-Abbès en 1550,
c'est celui à qui, très faussement, on attribue la fon-
dation de la principauté, reprise en réahté par son
aïeul l'émir Abderrahman, mais qui avait existé bien
avant d'après Abd el Kader Rachdi, historien arabe,
qui, du temps de Salah Bey, écrivit l'histoire des
Cheurfa. Cet érudit appelle la dynastie de laque le
pourrait faire partie le sultan Abd el Aziz, la dynastie
des Betkaoui. tt n; af
Quel était cet Hacène en même temps Euldj et
Roumi ? Avant d'aller plus loin, je laisse la plume
aux linguistes.
M Léon Roches écrit : « Euldj est le nom que 1 on
« donne aux Circassiens, Giorgiens, chrétiens ou
« musulmans qui sont les pages du sultan, pachas
« beys et autres dignitaires musulmans. Dans 1 ouest,
« c'est un titre, qui emporte avec lui une idée de
a mépris. En Algérie, au contraire, les Arabes ont
« adopté cette expression pour désigner tout eu-
— 184 -
« ropéen devenu musulman. La véritable expres-
« sion arabe est mouclieched (qui a rendu témoi-
(( gnage) sous entendu en vertu de la véritable foi. »
M. Ben Sedira traduit J-^ par esclave blanc, chré-
tien par opposition à ^--f- esclave noir.
Cet euldj Hacène est qualifié de roumi. M. Léon
Roches écrit à ce sujet : « Les Arabes appellent un
« chrétien roumi. A l'exception des musulmans ins-
(( fruits, ils ignorent le sens de cette appellation.
« Roumi, qui dérive évidemment de Rome, était
« la dénomination sous laquelle Mohammed dési-
« gnait les Grecs de Consfanfinople. Ainsi on a
« trouvé une lettre du prophète musulman à l'empe-
« reur Héraclius qui commence ainsi : lia Herak
« l'Aadhin-er-Roumi (A Héraclius grand des Grecs) ))
M. Roches aurait pu traduire aussi bien : Grand
des chrétiens, fils de Rome.
M. Ben Sedira traduit également yjj par grecs,
romains ou chrétiens.
Mais d'autres auteurs veulent faire de roumi un
franc, un Français.
C'est dans le cas présent, la seule solution accep-
table car autrement on aurait :
L'esclave blanc chrétien converti Hacène le chré-
tien. Or, si Hacène est chrétien converti, il ne peut
pas être chrétien en même temps, ce serait un non
sens, tandis que musulman de religion, il peut très
bien être désigné par sa race : Le musulman Hacène
le Franc.
C'est ce qui expliquerait l'origine française de la
pièce. Cela détruit l'hypothèse de fonderie kabyle de
M. Vayssette, mais cela ne veut pas dire, comme
— 185 —
l'affirma un autre auteur, qu'il n'y eut jamais aucune
fonderie en Algérie avant l'occupation française.
Car, en 1788, Mohammed Pacha acheta 12,765
livres de cuivre dans le but de faire fondre des ca-
nons pour les forts. Ce cuivre rouge provenait d'une
ca])ture faite par la balancelle du Maallem es Sejain
(constructeur de navires) et avait été payé à raison
de 10 réaux (60 fr.) le quintal (22 choual 1192).
Ce cuivre fut probablement confié au sieur Dupont,
fondeur du roi (de France), qui était venu s'établir à
Alger, en 1775.
En tout cas, le sultan, assez puissant pour se per-
mettre des pièces de 18 centimètres de calibre, ne
tira pas grand avantage de ce canon, car d'après
M. le général Olivier, « il était tombé dans un ravin
« au pied de Galaa, dans son transport de Bougie
« aux Beni-Abbès, et les gens du pays l'y avaient
« laissé. »
J'ai entendu raconter par un témoin oculaire de
1862 que ce fut toute une afïaire que de l'en sortir
et que, malgré les efforts des hommes et des mulets,
on n'y serait pas arrivé si le Hackem n'avait pas été
là avec ses spahis.
Je me résume comme je l'ai fait pour la pièce de
bronze.
En 1366, un sultan, prince des croyants, fit fondre
en France, sous la surveillance d'un de ses officiers,
français d'origine, et converti à l'islamisme, un canon
de fer qui fut retrouvé dans un ravin.
Mais quel fut ce sultan, prince des croyants, c'est-
à-dire portant le plus élevé et le plus vénéré des titres
que puissent posséder les souverains musulmans,
— 186 -
celui que j^lus tard ses correligionnaires refusèrent
pendant longtemps à l'émir Abd el Kader?
J'ai parlé d'un prince de la dynastie des " Betka-
oum" et ce, parce qu'il porte le surnom d'El Abassi,
qui veut dire, non sultan de Abl)ès, mais originaire
du pays des Beni-Abbès, Or, tout le monde sait, ou
plutôt beaucoup de personnes savent, que les sultans
de Bougie, successeurs du grand En Nacer étaient
originaires de la Kalàa des Beni-Hammad et avaient
des propriétés aux Beni-Abbès dont les princes
étaient leurs tributaires.
On trouve à Bougie, vers 1356, un émir Abou
l'Abbas sans que son prénom ou celui de son père
soit signalé par les historiens. On en retrouve un
autre, en 1510, nommé El Abbas, neveu du sultan
Abd el Aziz.
Tous deux eurent des affranchis chrétiens à leur
service, mais le premier seul remi)lirait les conditions
de date.
En tous cas, ce Mohammed ben Abd el Aziz a
donc pu naître chez les Beni-Abbès et être en même
temps fils d'un prince de Bougie. Il est d'ailleurs plus
vraisemblable qu'un prince de cette ville, plutôt qu'un
principicule montagnard, ait fait faire en France une
pièce de 2'"80 de longueur, 50 ans après l'apparition
des canons en Europe, sans insister sur ce point que
90 ans s'étaient écoulés depuis leur mise en usage
au Maghreb. Plus tard la pièce fut, ou emmenée à
la Kalàa au moment de l'arrivée des Espagnols à
Bougie, ou rendue par les chrétiens au prince des-
cendant des Hammad.
187 -
III.
Alca jacia est \)0\\v les gTandes pièces, restent les
(leiiN. peliles. Mais si leur sveltesse est toute menue,
la lâche est beaucoup plus ai'due que pour leurs
grandes sœurs. La question chronologique se com-
plique de la question de nationalité et pour lixer ces
deux grands points, je possède bien peu de choses,
sauf quelques lignes tracées par M. de Chevarrier et
reproduites par M. Féraud dans son Histoire de
Bordj- boU'A rré ridj (1871).
« Il existe actuellement, sur le mur d'enceinte de
« Bordj -bou-Arréridj, quelques petits canons qui
« doivent remonter à l'époque des premières expédi-
« tions des Turcs. Deux de ces pièces que nous
« nommerons fauconneaux, sont du modèle des en-
ce gins de guerre du commencement du xv'' siècle ;
« elles sont très longues et d'un petit calibre. La
« culasse est terminée par une tige en sorte de man-
« che qui n'a pas moins de 60 centimètres de long.
« Ces pièces, posées sur trépied, se chargeaient par
« la culasse où existe une sorte de chambre comme
« celle du chassepot, se fermant par un couvercle
« mobile. Leur forme est curieuse et comme le vo-
(( lume en rend le transport facile, je suis surpris
« qu'on ne les ait pas placées déjà dans un Musée
« d'Artillerie où elles souffriraient moins que sur un
« mur, de l'action des temps. »
Je n'ai pas besoin d'insister sur les énormités
contenues dans ces quelques lignes.
Ce sont évidemment les pièces qui m'occupent qui
sont ici décrites.
- 188 -
Mais en 1871, et même auparavant, puisqu'en 1871,
M. Féraucl reproduisait ce passage extrait d'un autre
ouvrage, il n'y avait pas de murs à Bordj. La forti-
fication se composait uniquement d'un fortin ou d'un
château non armé et de la caserne et ou du fort, en
principe pas plus armé, mais dans lequel se trou_
valent deux canons mis sur affût par un habitant du
village, M. Ackermann.
Or, ces deux canons, desquels les anses et les
boutons de culasse de l'époque de Louis XIV existent
encore au Musée de l'Artillerie, étaient non pas des
berces ou barces semblables à celles qui nous occu-
pent, mais bien des fauconneaux comme le dit M. de
Chevarrier, c'est-à-dire comme ne le dit pas cet au-
teur, des pièces à âme lisse, sans queue et sans ta-
batière. Ils étaient en bronze très chargé en cuivre
et non en fer ou en fonte. Ce ne sont pas là des
hypothèses, mais des faits.
Ces canons ont servi pendant le siège, et M. Ac-
kermann, leur monteur sur roues, en a été un des
servants. Ce canonnier d'occasion vit encore et son
témoignage est sans conteste.
Ces canons venaient du fort turc de Zemorah. Ils
étaient d'origine espagnole et pouvaient provenir de
la prise de Tlemcen (1548). En tous cas, ils n'avaient
rien à voir avec les Bougiotes et surtout avec les
Beni-Abbès, contre qui ils étaient braqués. On pos-
sède des pièces officielles indéniables sur leur trans-
port à Bordj.
De plus, ils sont bien connus dans la ville, c'était
eux qui servaient au temps du rhamadan avant l'in-
surrection ; l'assertion est du général Olivier, ancien
commandant supérieur de Bordj ; et les berces de
- 189 -
fonte arrivèrent à Bordj en 1873 seulement, comme
on le verra. Heureusement scripta manent.
Le vœu de M. de Gliavarrier n'a jamais été exaucé
({u'en partie. Les pièces de bronze ont été détruites
et leurs débris envoyés à Paris ; les pièces de fonte
sont restées pendant bien longtemps encore exposées
aux intempéries et ne sont dans un musée que de-
puis peu de temps.
On sait que les pièces en question se chargeaient
par la culasse, c'est-à-dire étaient des vers du genre
bombarde et que les bombardes, en usage sur terre
jusqu'au milieu du xv^ siècle, furent employées pen-
dant très longtemps encore sur les bâtiments de
guerre ; or, à moins qu'elles ne soient indigènes, ces
pièces n'ont pu venir en Afrique que sur un vaisseau,
cela me donne une latitude de trois à quatre siècles.
L'examen des pièces pourrait seul me renseigner
d'une façon précise.
La plus grande, mince, longue, étroite, rouillée,
rongée par le temps, ne présente aucun signe exté-
rieur. La seconde, plus petite, plus massive, plus
courtaude et mieux conservée, porte, comme je l'ai
dit, un écusson sur son tonnerre.
Cet écu peut, peut-être, fixer une date.
Il ne présente pas les volutes de Louis XV, les
enguirlandements de Louis XVI, pas même les lignes
froides, majestueuses et dures du grand siècle du
grand roi ; c'est un écu bon enfant et sans prétention
qui doit remonter à une époque où l'art héraldique
devait se contenter de suivre les règles déjà bien
compliquées du blason.
On sait que chaque nationalité avait une forme
d'écu différente.
— 190 -
Je vais étudier les écus non seulement des puis-
sances méditerranéennes, mais de toutes les puis-
sances de l'Europe du moyen-âge; j'en excepterai la
Suisse et la Pologne qui n'eurent jamais de flotte et
qui n'eurent pas de langue spéciale dans l'ordre de
Malte.
L'écu français peut se présenter sous deux aspects
différents : au xiii^ siècle, le chef est horizontal, les
deux côtés verticaux s'incurvent vers la moitié de
leur hauteur de façon à mourir en pointe; il peut
être comparé à une ellipse dont l'un des foyers, celui
du haut, serait reculé à l'infini. Mais au xiir siècle,
les canons n'existaient pas encore; cet écu est donc
à écarter.
Le second, du xvi^ siècle, en pleine période de tra-
vail pour l'artillerie, est beaucoup plus carré de for-
me, les côtés descendent jusqu'aux trois quarts de
leur hauteur, puis s'incurvent brusquement, de façon
que le côté inférieur, la pointe, forme exactement une
accolade renversée et couchée.
L'écu italien est tout différent, c'est un pectoral de
cuirasse ou une guimbe de casque allongée, mais
dont l'attache de cou serait un enroulement. Les
amorces des bras sont nettement dessinées. C'est un
peu, en terme de blason, le hausse-col des officiers
de fortune de France.
( Voir planche VI )
L'écu allemand est assez difficile à décrire ; c'est
une pièce ovale, mais dont le côté gauche serait aux
trois quarts de sa hauteur, vers le chef, découpé
d'un trou rond et dont le côté droit serait terminé
vers le haut en angle curvihgne.
Planclie VI.
■^*\ûur»<wJi. "a^^
\ûui\<wJi %\^ WiU
/>a*M<eà/» AN)-Vuilk
ttlU*.v»>^/'
"^
7
IWaÎauj*
OiV^^-v^*^
— 191 —
L'écu anglais est tout d'angles.
Le champ, de mêmes dimensions que celui des
autres écus, est raccordé par deux pentes obliquant
vers l'extérieur, avec un chef plus large. Les côtés,
aux trois quarts de leur hauteur vers la pointe,
convergent l'un vers l'autre en ligne droite.
L'écu espagnol est semblable au français, quant à
la partie supérieure. La partie inférieure est un arc
parfait dont le centre se trouve au milieu du chef.
L'écu de la pièce n'appartient, à proprement parler,
à aucun de ces genres, il est arrondi comme l'espa-
gnol, mais comme le français, il présente une petite
pointe dans le bas.
On ne peut donc se créer une opinion ferme d'après
ces données.
Cet écu franco-espagnol, porte en chef une croix
mi-potencée, mi-pattée, de gravure très grossière. Ce
genre d'emblème est le propre des ordres hospitaliers
et ils sont nombreux. Je me bornerai à examiner les
ordres militaires dont le but était de combattre les
musulmans et de protéger les pèlerins.
Toutes les croix de ces ordres sont des dérivés de
la croix potencée et il est admissible que le graveur,
assez primitif d'ailleurs, ait hésité devant les compli-
cations d'une fleur de lys par exemple et ait simple-
ment représenté le principe premier de l'emblème de
l'ordre.
La croix potencée pure et simple est l'attribut de
l'Ordre du Saint-Esprit.
Il y eut deux ordres français portant ce nom. En
1160 le premier fut créé par des chanoines hospita-
liers qui n'avaient rien de guerrier; puis, en 1352,
— 192 —
Louis d'Anjou, roi de Sicile et de Jérusalem, institua
un ordre militaire.
La croix potencée cantonnée de quatre petites croix
grecques, dite croix de Jérusalem, symbolise l'Ordre
du Saint- Sépulcre. Créé par Henri II d'Angleterre en
1174, approuvé par le pape Innocent III en 1199, cet
ordre, à l'époque du schisme anglais, vint se fondre
dans l'ordre de Malte.
Ce sont les deux seuls ordres dans lesquels on
trouve la croix potencée sans aucune modification.
(Voir planche VII)
Les Templiers ou Chevaliers du Temple ou pauvres sol-
dats de Jésus-Christ, créés en 1118, confirmés en 1128,
portaient la croix patriarchale rouge potencée, ou
selon d'autres, la croix à huit pointes rouge brodée
d'or, ou encore la croix ancrée, c'est-à-dire la croix
potencée dont les potences se sont aiguisées et abais-
sées vers le centre. Cet ordre disparut en 1312 avant
l'apparition des canons.
Dans les autres ordres, les modifications furent
plus complètes encore.
L'Espagne et le Portugal affectionnent la fleur de
lys ; les potences s'allongent, se recourbent élégam-
ment sur les bras de la croix de façon à former une
sorte de fleur de lys.
En 1164, fut créé en Espagne un ordre dit de Saint-
Jacques de l'Epée ou de Santiago ou de Calatrava,
approuvé par le pape en 1175 ; il avait pour mission
d'assister les pauvres, défendre les pèlerins et com-
battre les musulmans.
Sa croix était fichée et représentait une dague.
Planche VII,
's^ip'
tWlVtllt
tAVcy
\i{f>
>\(>^
>5^
~ 193 -
C'est beaucoup plus tard, quand cet ordre eût été
sécularisé et fût devenu simplement honorifique, que
la dague s'allongea jusqu'à devenir une épée et qu'on
le trouve au Portugal et ensuite au Brésil.
Il portait une dague, ai-je dit ; la branche supé-
rieure de la croix s'était élargie en pommeau, les
branches horizontales se terminaient en fleurs de lys
assez lourdes, la branche inférieure était appointée
mais restait de même longueur que la supérieure.
Quelques temps auparavant, en 1156, en Aragon,
s'était fondé un ordre, dit de Saint- Julien, pour com-
battre la domination des Maures. Approuvé en 1177,
il prit, en 1221, le nom d'Alcantara. Il portait une
croix fleurdelysée dont les pétales des lys se tou-
chaient aux angles de la croix.
En Portugal, en 1143, on vit apparaître l'Ordre
d'Avis, qui portait la même croix fleurdelysée, mais
les branches des lys s'arrêtaient au milieu de celles
de la croix.
Enfin, le plus grand de tous ces ordres, celui dans
lequel vinrent se confondre plusieurs des précédents,
fut créé en 1113, sous le nom de Saint-Jean de Jéru-
salem. Il prit, en 1171, celui de Saint-Jean d'Acre; en
1291, de Chypre; en 1310, de Rhodes; enfin, en 1530,
de Malte, du nom de l'île qui lui fut cédée par Charles-
Quint. Cet ordre portait une croix dont les potences,
au lieu de s'abaisser comme dans celles vues jusqu'à
présent, se relevaient et formaient huit pointes, sym-
boles des huit béatitudes que les chevaliers devaient
toujours avoir en eux : 1° le contentement perpétuel;
2° vivre sans malice ; 3" pleurer ses péchés ; 4° s'hu-
milier aux injures ; 5° aimer la justice ; 6" être miséri-
cordieux; 7° être sincère et net de cœur; 8° endurer
— 194 -
persécution (Document manuscrit de la bibliothèque
de l'Arsenal. Vie militaire et religieusedu moyen-
âge. — Paul Lacroix) (i).
On pourrait citer encore d'autres ordres moins
importants :
Les Trinitaires ou de la Rédemption des capiifs appe-
lés en France les Mathurins, fondés par Jean de Matha
en 1198. Cet ordre avait pour but de racheter les
captifs chrétiens et au besoin, les chevaliers prenaient
leur place dans les fers musulmans.
lu'Ordre de la Merci ou de Noire-Dame de la Merci, créé
en Espagne en 1218, approuvé en 1235, devint mo-
nastique au xiv^ siècle.
(i) Le nom de Malte viendrait du grec; puis l'île disparut de l'his-
toire et réapparut beaucoup plus tard sous le même nom mais avec
une origine étymologique totalement différente.
Les Grecs avaient appelé l'île 3Jél/iè ou en giec Ms/arr^) à cause
du miel qui s'y trouvait en abondance et qui était renommé dans le
monde antique.
Les Arabes appelèrent la même île Malte, de Ja_I_.i» (malata), c'est-à-
dire formée de races mélangées et impures. En effet, cette île, déjà pas
mal deshomogènéisée par les pêcheurs de races différentes du bassin
méditerranéen, par les chrétiens chassés de l'Ifrikia par les Arabes,
vers 700, et par les pirates chrétiens qui s'y étaient créé des repaires au
xiv^ siècle, le fut bien davantage encore par l'arrivée des chevaliers de
Rhodes, chevaliers de toutes nationalités. C'eût été peu, puisque liés
par le vœu de chasteté, les chevaliers ne pouvaient procréer et augmen-
ter, dans l'avenir du moins, l'amalgame des races, mais ils amenèrent
avec eux 300 lamilles de l'île de Rhodes en application du traité signé
avec Solé'iman.
Les habitants s'appelèrent ]a.'U (maalti), c'est-à-dire méchants de
race impure.
Le latin rend bien mieux l'idée exprimée par les deux vocables arabes :
ii_l_j» se traduirait par génère mixto et irrqmro oriundus fecii,
Ja'U par împrobus génère imjpuro.
Le mot imjirobvs ne voulait pas dire impropre mais exprimait une
idée qui pourrait difficilement, en français, se définir par le mauvais du
mélange des races déjà rnauvaises par elles-mêmes, la quintesc-nce de
l'impureté dans les ascendants. Ceci au point de vue étymologique seu-
lement et sans aucune arrière-pensée.
— 195 —
On connaît suffisamment l'histoire des relations
européennes avec les états barbaresques pour pouvoir
^aire un choix dans cette longue liste.
Quelques-uns de ces ordres n'existaient plus à
l'apparition des canons, d'autres étaient destinés à
chasser les Maures d'Espagne et rien de plus. Quatre
ordres seulement pourraient nous intéresser :
Saint-Jacques de i'Epée, Aviz, Malte et peut-être
La Trinité.
Les Espagnols et les Portugais seraient venus en
Afrique avec Charles-Quint, les Maltais avec le duc
de Beaufort (un bataillon de Malte), les Trinitaires
dans leurs nombreux voyages.
Mais il faut remarquer que la croix potencée de la
pièce de canon a sa branche horizontale plus longue
que l'autre; or, tous les ordres qui nous intéressent
ont leurs branches égales, sauf peut-être celui de
Saint-Jacques dont la branche verticale très massive
affine et allège la branche horizontale, et le graveur
a pu vouloir représenter cette disposition en allon-
geant sa croix.
Il me reste à étudier les quatre lettres ; j'avais cru
y lire S A et j'avais traduit Sancta Tr'mitas, ce qui
aurait bien concordé avec la pointe française de l'écu,
mais il a fallu renoncer à cette hypothèse quelque
attrayante qu'elle soit pour nos compatriotes. C'est
bien un I et Ton peut lire avec des à peu près, en
latin :
lAcobus THagula
ou lAcobus THabis
Tmgula et Trabs signifiant gros et lourd javelot et
pouvant être pris pour épée à deux mains par oppo-
- 196 -
sition à Ens, épée mince, ou gladium, glaive ou épée
courte.
Mais on trouve clans la langue espagnole une accep-
tion plus catholique, c'est le cas de le dire. Il existe
une lettre la jota qui se prononce Rh ou g dur ou
ch allemand ou X grec moderne ou mieux encore
Kh ou ^ arabe.
On peut donc lire :
Rh' ou Kli'ala-Trava.
De plus, dans cet ordre de Calatrava, il y a une
particularité en faveur de ma thèse. En 1476, Ferdi-
nand le Gathohque usurpa la maîtrise de l'ordre. En
1512, cette usurpation fut confirmée par le pape. Or,
Charles-Quint étant le petit-fils de Ferdinand et par
conséquent le grand maître de l'ordre, il est tout na-
turel que, dans son armée, se soient trouvés des che-
valiers de Saint-Jacques de l'Epée.
Il faut donc faire venir les canons de Bougie et
non de l'expédition de Tlemcen. Ils furent donnés
par la garnison de Bougie et non par Hassan Dey,
pas plus qu'ils ne peuvent provenir de l'expédition
contre Alger du vice roi de Sicile, pour l'Espagne,
en 1518, expédition dans laquelle les chrétiens per-
dirent 26 vaisseaux jetés à la côte. « La mer rapporta
« en quantité, sur le rivage, du fer, du bois, des
« canons, de la poudre, des cordages et même des
« galiotes entières, toutes choses dont on manquait
(( à Alger. » Histoire maritime de France (L. Guérin).
IV.
Trois autres hypothèses espagnoles peuvent encore
être admises, à titre de mémoire seulement. A hau-
- 197 -
teiir de l'île Lipai'i, Barberousse, dans une de ses
l)i'emières courses, rencontra une voile montée par
des Espagnols et allant à Naples. Après trois jours
de combat, il s'empara du navire ({u'il conduisit à la
Goulette. Il donna au bey de Tunis, Muley-Mauset,
les prisonniers, les chevaux, les objets précieux et
l'artillerie. Le souverain lui donna en échange un
vaisseau de sa flotte. Peut-être pourrait-on admettre
que Charles-Quint trouva ces canons espagnols à la
Goulette et les emporta avec la pièce française fleur-
delysée.
Le 2i août 1518, la tempête, qui assaillit l'escadre
espagnole du marquis de Moncade, jeta à la côte une
galère chargée d'artillerie et de munitions. L'expé-
dition du général espagnol O'Reilly, en 1775, laissa
aussi 17 pièces de canon de bronze sur le rivage
d'Alger.
Ces points fixés, il reste à étudier minutieusement
les migrations de ces quatre canons.
En 1862, un capitaine d'Etat-Major, suivi d'une
vingtaine de soldats, se rendit à la Kalaa. Il était
accompagné du bachagha de la Medjana, Mohammed
ben el Hadj Ahmed el Mokhrani. Il fit extraire du
ravin la pièce de fer qui y dormait depuis fort long-
temps. Ce fut une opération extrêmement difficile
dont se rappellent encore les indigènes de la Kalaa .
Les quatre pièces furent traînées à terre avec des
cordes, auxquelles s'étaient attelés des indigènes du
pays et furent enfermées dans le bordj de Boni, où
les virent M. Vaysettes et le commandant Payen.
Pendant l'insurrection, les pièces restèrent dans le
bordj qui était gardé par un kabyle, lequel ne fut
nullement inquiété. Le commandant du Cheyron ma-
— 198 —
nifesta plusieurs fois, pendant le siège de Bordj-ljou-
Arréridj, l'inquiétude où il était de voir les indigènes
se servir de ces pièces et venir battre en brèche les
murs du fortin.
Cet abandon des pièces par les Arabes ne s'expli-
que pas quand on ne réfléchit pas aux conditions
particulières dans lesquelles elles se trouvaient. Les
grosses pièces ne pouvaient pas être maniées et mi-
ses sur afïùt sans appareils spéciaux ni même mon-
tées, elles ne pouvaient être de grande utilité dans
un pays aussi montagneux que l'est la région de la
Kalaa et de la Medjana ; quant aux petites, leurs
âmes ouvertes aux deux extrémités, ce cadre vide,
durent dérouter toutes les conceptions balistiques des
indigènes.
Cependant, si cela avait été possible, ils s'en seraient
servi, puisque devant Fort-National, le 17 mai, ils
mirent en batterie, à Imaïnsérène, un vieux canon
trouvé dans le cercle de Tizi-Ouzou. Trois des pro-
jectiles lancés atteignirent- l'un, la maison du Com-
mandant de place, l'autre, le toit du poste de la porte
d'Alger, le troisième traversa la porte elle-même;
mais les boulets de fer pleins, de dix centimètres de
diamètre et du poids de 2 kil. 500, étaient difficiles à
se procurer, les Kabyles y renoncèrent.
Quelques jours auparavant, ils avaient accompli
un véritable tour de force.
A Beni-Mançour (du 6 au 11 mai 1871), ils avaient
dirigé contre le fort, un canon rudimentaire. « Les
« Aït-Abbès, qui sont des armuriers renommés,
« avaient réussi à fabriquer une espèce de canon en
« bois et fer avec lequel ils avaient pu envoyer jus-
« qu'à quinze projectiles en fer dont l'un avait effondré
« le toit de l'infirmerie du bordj. » (Louis Rinn).
— 199 —
L'affùl de ce canon fut retrouvé le 27 mai au vil-
lage \le Aït-bou-Ali, ((ui domine le l.ordj, mais le
canon avait disparu.
Ait étant le correspondant kabyle du mot arabe
Béni, les Aït-Al)bès de Mansourah sont les mêmes
que les Beni-Abl)ès, sujets directs du bachagha. Ils
auraient donc, au lieu de fabri.pier un^ canon, pris
ceux de Boni, s'ils avaient pu s'en servir.
Il se passa, en février 1871, un fait plus extraor-
dinaire encore. Une colonne dite -de Kabylie orien-
tale" sous les ordres du colonel Ponsard, du 9^ Pro-
visoire, fut chargée d'aller dans les tribus, chercher
les armes qui pourraient y être cachées. Cette co-
lonne campa à Boni.
Le 31 décembre, le Colonel écrivit au capitaine de
Saint-Julien, commandant le cercle de Bordj-bou-
Arréridj :
« Je me décide à rester un jour de plus pour que
« la présence des troupes contribue à faire ren-
« trer les armes ciui pourraient l)ien être cachées
(( encore et que je fais rechercher une fois en place
« dans ces parages. »
Le même jour, le capitaine Cardot, chef du bureau
arabe de la colonne, écrivait au même oflicier :
(( Nos opérations sont terminées, il y a bien encore
« (pielques armes à faire rentrer, mais c'est une
« aftaire de temps pour les avoir. »
Le 1-^^ janvier 1872, le capitaine Bourguignon, chef
d'Etat-Major de la colonne, écrivit au Commandant
sui)érieur :
(( Le colonel Ponsard me charge de vous dire qu il
(( a fait partir pour Galaa M. le capitaine Cardot
(( avec quelques cavaliers et que pour lui faciliter
- 200 -
« l'accom plissement de sa mission (qui a pour ])ut
(( de rechercher des armes cachées), il séjourne à
« Bord] -Boni. »
Je veux bien que des canons de 2"'50 déposés dans
un bordj ne soient pas des armes cachées et que la
colonne Ponsard, quand elle l'aurait voulu, n'aurait
pas pu les enlever; mais il est étonnant qu'on n'en
])arle pas dans une correspondance qui est loin
d'avoir la concision et la rigidité d'une correspon-
dance officielle. La colonne aurait-elle campé à Boni
sans se douter de ce qui se trouvait à côté d'elle?
ce serait quelque peu extraordinaire.
En fin 1872, le Gouverneur Général de l'Algérie,
l'amiral de Gueydon, adressa à la division de Cons-
tantine une lettre particulièrement dure pour les in-
digènes.
Dans cette lettre, il disait que ces indigènes ayant
trouvé moyen d'amener les pièces de leur ))oint
d'origine à Kalaa, trouveraient moyen également
de les amener dans une ville française et qu'il ne
voulait rien leur laisser, pas même un bout de hcelle.
Comment l'amiral avait-il appris l'existence de ces
canons? par un officier de la colonne Ponsard ou
d'une colonne similaire? par Si Ali Chérif, le mara-
bout de Chellata?, ... Ce serait intéressant à savoir.
Mes moyens d'investigation ne m'ont pas permis
d'éclaircir ce point.
La Division écrivit, le 18 février 1873, à la Subdi-
vision de Sétif :
« M. le Gouverneur Général, ayant ap})ris d'une
« manière indirecte qu'il existe au bordj de Boni
« des canons amenés autrefois de Guélah, désirerait
« ([ue ces l)0uches à feu fussent placées dans la ville
(( française la plus voisine.
— 201 —
« J'ai riionneur de vous prier de vouloir bien me
« faire conuaître par quel moyen vous pourriez
« faire transporter à Bordj-l)OU-Arréridj, point le plus
« voisin de Boni, les pièces dont il s'agit.
« Recevez, mon cher Général, l'assurance de mes
« sentiments afïectueux.
« L? Général de Division, Commandant la Division,
« Signé : de LACROIX. »
Le général Deplanque communiqua cette lettre au
capitaine de Saint-Julien qui répondit, le 26 février :
« J'ai l'honneur de répondre à votre dépêche du
« 20 février courant, n" 58, au sujet du transport à
« Bordj-bou-Arrérid] des canons existant dans le
« caravansérail à Boni. Autrefois, ces bouches à feu
« se trouvaient à Guelaa, d'où on les a descendues
« jusqu'à Boni, avec le seul concours des mdigènes
« et non sans exposer ceux-ci à plus d'un danger.
« Elles sont au nombre de quatre dont deux sont
« des pièces de siège longues et deux des couleu-
« vrines de petit calibre.
« Pour le transport de ces pièces jusqu'ici, il serait
« nécessaire de faire venir de Sétif des affûts avec
« attelages.
« L'état ci-joint indique le diamètre des pièces
« et de leurs tourillons, pour faciliter le choix des
(1 affûts qui pourraient être envoyés afin que les
« pièces s'engagent bien dans l'évidement et que les
(( tourillons s'emboîtent convenablement dans les
({ encastrements.
« Dans le cas où vous décideriez que ce mode de
« transport serait adopté, je vous ferais remarquer,
« mon Général, qu'il ne pourrait être employé de
« suite et qu'il v aurait lieu d'attendre que les che-
« mins soient secs et plus praticables : quelques
- 2Ô2 -
« réparations seront même indispensables pour amé-
« liorer quelques mauvais passages et faire dispa-
« raître les éboulements qui se sont produits pen-
« dant l'hiver.
Renseignements sur les canons existant à Boni
DÉSIGNATION
des
PIÈCES
LONGUEUR
(le
la bouche à
l'extrémité de h
culasse
DIAMÈTRE
de
la pièce à hauleur
des
tourillons
DIAMÈTRE
des
tourillons
Pièce n° 1
2-67
2™5G
2^45
2-^45
0-36
0-3G
0-23
0-23
0-17
0-15
0-75
0-75(1)
Pièce n° 2
Couleuvrine n" 1
' Couleuvrine rr 2
(I) Brisée à la culasse. {1
« Bordj, le 26 janvier 1873.
« L' Administrateur de district,
« Signé : de S» JULIEN. «
Il n'est pas besoin d'insister sur la fantaisie des
mesures prescrites. C'est à croire qu'elles n'ont pas
été prises, mais appréciées d'un bureau, alors que
la raison qui les faisait donner était assez importante
et que les cinq jours qui s'écoulèrent entre la récep-
tion de la demande et l'envoi de la réponse étaient
plus que suffisants pour couvrir l'aller et le retour
des 38 kilomètres qui séparent Bordj de Boni.
Le général Deplanque répondit au général de
Lacroix, le 28 février :
(( Par dépêche du 18 février, n° 160, vous m'avez
« fait savoir que, d'après le désir de M. le Gouver-
« neur Général, les canons de Boni devraient être
« conduits à Bordj-bou-Arréridj.
- 203 —
« J'ai riiomieui' de vous adresser, ci-joint, coi)ie de
« la lettre de M. l'Administrateur de Bordj au sujet
« (lu transport de ces pièces.
« Je n'ai pas, à Sétif, les affûts nécessaires pour
« l'opération projetée, aussi, vous prierais-je de vou-
(( loir bien donner les ordres nécessaires à M. le
« Commandant de l'artillerie de la Division pour que
« dans le courant de l'été, il soit donné suite aux
« projets de M. le Gouverneur.
« Si l'artillerie ne possédait pas les affûts néces"
« saires, M. le Directeur pourrait faire construire des
« traîneaux ad hoc. Dans tous les cas, le transport
« ne pourra avoir lieu que lorsque les routes auront
« été réparées et qu'elles seront complètement dessé-
« chées.
« Veuillez agréer, etc,
« Le Général commandant la Subdivision,
« Signé : DEPLANQUE. »
Mais l'artillerie refusa de fournir affûts ou traî-
neaux et, le 6 mars, la Division écrivit de nouveau à
Sétif :
« En réponse à votre dépêche du 28 février, n*^ 263,
« j'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il n'est
« pas possible d'envoyer des affûts de l'artillerie pour
« transporter les canons de Boni.
« Il conviendra donc de faire fabriquer sur place
« un ou plusieurs traîneaux en utilisant les ressour-
« ces du pays.
« Je vous prierai de hâter la confection de ces
« moyens de transport et de les utiliser le plus tôt
« possible afin que les canons dont il s'agit, ne de-
ce meurent pas plus longtemps à Boni.
« Recevez, etc.
« Le Général de la Dicision, commandant la Dioision,
a Signé : de LACROIX. »
— 204 —
Des ordres furent donnés immédiatement à Bordj
et à Akbou, cercle duquel dépendait Boni.
Le Commandant supérieur d'Akbou télégraphia à
celui de Bordj :
« Akbou, le 8 avril 1873, 8 h. 45 du matin.
(( District à M. le Commandant du district Bordj.
« M. le capitaine Oriot part aujourd'hui pour Boni
« et y restera trois jours pour exécuter le transport
« prescrit par le Général. Prière d'envoyer si possi-
« ble un officier pour se concerter avec iui. »
Le capitaine de S*-Julien, commandant supérieur
du district de Bordj-bou-Arréridj, envoya l'officier-
interprète Valette, accompagné du spahi Ahmed ben
el Araf.
Les officiers après s'être concertés firent confec-
tionner quatre petits chariots par un nommé Tahar
ben Siline, menuisier, de la tribu des Beni-Yadel,
fraction d'El-Maïn. Ces chariots étaient en bois de pin
et de chêne; ils se composaient de quatre roues ou
plutôt de quatre rondelles de 40 centimètres de dia-
mètre et de 20 centimètres d'épaisseur; en travers
des essieux de ces roues, on plaça deux perches et,
en avant, on ajusta un timon muni de barres trans-
versales de distance en distance et d'un anneau à
l'extrémité.
Le 13 avril, jour de Pâques, on plaça une grosse
pièce avec une petite sur chacun des chariots et on se
mit en route par la piste du Génie qui allait de Boni
à la Medjana. En tête du convoi, marchaient des
travailleurs armés de pioches, pelles et haches et
chargés d'aménager la route au fur et à mesure des
besoins. Chaque chariot était traîné par luie vingtaine
— 205 —
d'hommes attelés, ({ui à des cordes fixées h rannean,
qui aux barres transversales. Au Teiiict-el-Khremis,
les Djebaïlia qui avaient amené les pièces jusqu'au
col, les donnèrent au Beni-Yadel qui les amenèrent
à Bord], le 14.
Il en fut rendu compte au général Deplanque qui
écrivit, le 17 avril, au général de Lacroix :
« En réponse à votre lettre du 6 mars, n° 21 J, j'ai
« l'honneur de vous faire connaître que les canons
« de Boni sont arrivés à Bordj-bou-Arréridj, le
« 14 avril.
« Veuillez, etc. . . »
Arrivées dans la place, les deux grosses pièces
furent déposées devant le Bureau arabe qui était ins-
tallé provisoirement dans le fort. Elles se trouvèrent
à côté des deux fauconneaux finement ciselés qui
venaient du fort turc de Zemorah.
Les deux petites pièces, jugées sans valeur, furent
jetées devant le fortin actuel et abandonnées dans
l'herbe. Au cours de l'année 1874, M. Bigonet, de
Bordj-bou-Arréridj, collectionneur enragé et ami du
capitaine Mélix, chef du bureau aral)e, voyant que
les pièces du fort restaient abandonnées, demanda au
capitaine de lui donner un des fauconneaux qui étaient
cbessés de chaque côté de la porte du bureau. Le
ca})itaine répondit que c'était impossible, car l'arsenal
de Constantine les demandait. Cela se passait en 1874,
et ce n'est qu'en 1875, qu'on reparla des dites pièces
à propos d'un convoi de six pièces Parrott de dix
livres venant de Philippeville et destinées à l'arme-
ment de la place de Bordj ; ces pièces, annoncées par
lettre du 19 mars 1875 de la Division au Commandant
— 206 —
supérieur, n'arrivèrent qu'à la fin de l'année 1875 et
les pièces anciennes durent alors rétrograder sur
Sétif, comme le fait supposer les lettres ci-dessous,
dans laquelle je relèverai une erreur de nombre. Il
y avait bien six canons, mais quatre seulement étaient
en bronze et de plus le poids de 50 kilos me semble
d'un minimum exagéré.
« Lettre n^ 123, du 19 juin 1875, du Colonel, direc-
« teur d'Artillerie, à Constantine, à M. le Général
« commandant l'artillerie en Algérie, à Alger.
« J'ai l'honneur de vous rendre compte que l'arme-
« ment destiné à la place de Bordj-bou-Arréridj est
« actuellement à Constantine et que j'aurai besoin
« pour le faire parvenir à sa destination de 31 atte-
« lages à deux chevaux ou mulets.
« Le détachement du train d'artillerie n'ayant que
« six attelages disponibles, déduction faite de ceux
« nécessaires pour le service courant de la direétion,
« il me faudrait encore vingt-cinq attelages qui pour-
« raient être fournis par la batterie montée, y com-
« pris la section de Bône.
« Si vous approuvez cette proposition, je vous
« prierai de fixer la date à laquelle le convoi devra
« être dirigé sur Bordj-bou-Arréridj. M. le Comman-
(( dant de l'artillerie à Sétif m'a rendu compte qu'il
« y a dans le fort de Bordj-bou-Arréridj six canons
« en bronze très anciens, dont deux du poids de
« 1,600 à 1,700 kilog. et quatre d'un poids compris
« entre 50 et 35 kilog.
« Je profiterai du retour du convoi pour faire ra-
ce mener ces bouches à feu à Constantine, si vous
« m'en donnez l'autorisation. »
Toutefois, les canons restèrent à Sétif jusqu'en
— 207 —
1877 en compagnie d'autres pièces venues je ne sais
d'où. Ils turent amenés ensuite à Gonstantine qui
délivra un reçu à Sétif, le 12 mai 1877. Le Lieutenant-
colonel, directeur de l'arlillerie à Gonstantine, après
avoir examiné les pièces, en refera au Ministre, lui
demandant l'autorisation de les envoyer à Bourges
pour que la démolition fût épargnée à celles d'entre
elles qui en valaient la peine.
N» 75 Coniantine, le 8 mai 1877.
Objet :
Matériel de l'Artillerie
Au sujet de bouches à Jeu
en broute
hors de service
« J'ai l'honneur de vous rendre compte que j'ai
« fait venir de Sétif à Gonstantine, par les convois
(( hebdomadaires, c'est-à-dire sans frais pour l'Etat,
« sept bouches à feu classées aux vieux bronzes et
« pesant ensemble 3,100 kil. Elles ont été conquises
« sur les Arabes et l'une d'elles paraît assez curieuse
« pour prendre place au Musée des Invalides. Elle
« est d'origine française et porte de nombreuses
« fleurs de lys en relief sur la volée, elle pèse 1,250
« kilos et est du calibre de 180 ™/'"- Les autres sont
« fabrication inconnue et sont couvertes de caractè-
« res arabes.
« Par votre dépêche n" 18815, du 26 avril courant,
« vous m'avez prescrit d'expédier à la fonderie de
« Bourges cinq canons réformés de la place de Gons-
« tantine. J'ai l'honneur de vous demander l'autori-
« sation d'envoyer en même temps les sept bouches
« à feu précitées à cet établissement qui pourra les
(( examiner de plus près et réexpédier à Paris celles
— 208 —
« qui sont réellement dignes d'intérêt au point de
« vue technique et archéologique. »
Il est à remarquer que dans cette lettre les deux
grosses pièces sont signalées; celle de bronze l'est
d'une façon très explicite, celle de fonte doit être
comprise dans celles aux inscriptions arabes.
Mais, d'après la lettre ci-après du Ministre, le
bronze seul fut envoyé à Bourges, c'est-à-dire sept
des pièces sur les douze visées par la lettre de la
direction.
La grosse pièce de fer disparût donc ; il n'en existe
plus aucune trace, elle a dû être démolie; les re-
cherches que j'ai pu faire aux archives des Domaines
ne m'ont rien donné, car les procès-verbaux de vente
d'objets mobiliers ne sont conservés que pendant
vingt ans et les archives, actuellement les plus an-
ciennes, remontent à 1891.
Pour en revenir à la pièce de bronze, voici toute
la correspondance ofHcielle à laquelle elle a donné
lieu. Cette correspondance m'a été aimablement com-
muniquée par M. le Directeur de la Fonderie de
Bourges.
Paris le 23 mai 1877.
NO 23,020
Le Ministre de la Guerre
Au sujet débouches à feu Monsieur le Directeur de la Fonderie
en hroii\e
hors de service de Bourges.
« Je vous informe que la fonderie de Bourges re-
« cevra de la place de Gonstantine (Direction de l'ar-
« tillerie) sept bouches à feu, classées aux vieux
(( bronzes, qui proviennent de prises faites sur les
« Arabes.
« D'après les renseignements qui me sont adres-
« ses par M. le Directeur d'artillerie, à Gonstantine,
— 209 —
« l'une (le ces pièces, d'origine française, présenterait
« un certain intérêt artistique; je vous prie de la
« faire examiner à son arrivée et de me faire con-
(( naître si elle vous paraît mériter d'être conservée
« pour prendre place au Musée d'Artillerie. Dans le
« cas où elle ne vous paraîtrait pas susceptible de
« recevoir cette destination, la l)0uclie à feu dont il
« s'agit devrait être employée, comme les six autres,
« pour l'exécution des commandes faites à la fon-
« derie, au titre du budget ordinaire. »
*
« Reçu de la place de Constantine la bouche à feu
« en question comprise dans un envoi de 3,100 kilos
« de bronze en bouches à feu françaises, le 3 juil-
(( let 1877. »
N" 706 Bourges, le 8 juillet 1877.
Ati sujet du canon et de
divers objets enjolivés
présentant un cerjain intérêt Xe Directeur de la Fonderie de Bourges
à Monsieur le Ministre de la Guerre.
au point de vue
artistique
« Conformément aux prescriptions contenues
« dans votre dépêche n° 23020, en date du 23 mai 1877,
« relative à l'envoi à la fonderie par la place de Cons-
« tantine de sept bouches à feu classées au vieux
« bronzes, j'ai fait examiner une pièce d'origine fran-
« çaise mêlée à des pièces provenant de prises sur
« les Arabes.
« Cette pièce m'a paru présenter un certain intérêt
« artistique. La volée du canon est parsemée de
« fleurs de lys.
« J'estime qu'il y a lieu de conserver ce canon
« pour lui faire i)rendre place au Musée d'Artillerie. »
- 210 —
N" 33,378 Le Winhlre de la Guerre
à Monsieur le Directtvr de la Fonderie
Envoi d'une louche à Jeu, ^^^ Bourges
louions de culasse
au Musée d'Artillerie
Monsieur le Directeur,
« En réponse à votre lettre du 8 juillet courant,
(( n° 966, je vous invite à faire expédier au Musée
« d'Artillerie (Hôtel des Invalides) à Paris, la bouche
(( à feu en bronze d'origine française et les boutons
« de culasse, anses de canon.... qui, aux termes de
(( votre lettre précitée paraissent présenter un cer-
« tain intérêt artistique.
« Ces différents objets seront pris en charge par
« le dépôt central de l'artillerie ; leur envoi aura lieu
(( par les transports de la guerre, petite vitesse, et au
« titre du budget ordinaire. Il m'en sera rendu
« compte.
* *
« Expédiée, le 2 août 1877, au dépôt central à
« Paris, cette Ijouche à feu comprise dans un envoi
{( de 4340 kilos de bronze en 89 bouches à feu fran-
« çaises. »
*
* *
Cette pièce de bronze est cataloguée sous le n" 56.
Elle se trouve actuellement dans la cour de droite
du Musée de l'Armée (section d'artillerie) elle est
dressée contre le mur de gauche.
Les pièces espagnoles continuèrent à rouiller dans
l'herbe pendant cinq ou six ans; elles étaient encore
là au moment de la remise du cercle de Bordj-bou-
Arréridj à l'autorité civile (1880) et cela d'après
l'attestation de l'ancien Khodja du bureau arabe.
— 211 -
Les rliariots furent détruits et l)rùlés à leur arrivée
à Bordj; ils étaient hors d'usage, ce qui est assez
compréhensible, étant données leur construction qui
devait laissait à désirer et les difficultés de la route
qu'ils avaient parcourue.
Les deux berces furent enfin transportées à une
époque qui ne peut-être fixée, au Palais de la Divi-
sion de Gonstantine, au Palais d'Ahmed ; ce dut être
peu de temps après 1880, car cette date donna lieu à
une erreur grossière. Lorsque je vis les deux canons
en 1899, il me fut dit, comme à beaucoup d'autres
personnes, qu'ils avaient été ramenés de l'expédition
de Tunisie.
On constata à leur arrivée à Gonstantine qu'ils
n'étaient pas aussi endommagés qu'on aurait pu le
croire d'après les dires du général Daumas, de M. Fé-
raud et du capitaine de S^-Julien. Ils furent recons-
titués en ce sens qu'on les compléta par des cham-
bres à feu et des coins de serrage et qu'on les monta
sur des affûts desquels auraient été bien étonnés le
Père Fournier, l'auteur de V Hydrographie et les gra-
veurs des estampes de l'ouvrage de Paul Lacroix.
Puis, à la suite d'une étude que je ils à ce sujet,
sur l'invitation du général de Torcy, commandant
de la division de Gonstantine et qui fut communiquée
au général Niox, directeur du musée de l'Armée, le
Ministre de la Guerre fut saisi, le 29 janvier 1906,
de la question du transport des deux berces aux In-
valides.
Elles y arrivèrent le 2 juin 1906 et furent inscrites
le même jour au registre des entrées en les termes
suivants :
« 6145. — Ganon en fer forgé se chargeant par la
- 212 —
« culasse, de la i)i'emière moitié du xv'' siècle, saus
« chambre à feu ui coin de serrage, à queue eu fer
« de 0'"i7 ; largeur totale 2'» 47; calibre 60 "V"\
« L'afï'ut est une reconstitution ([)as très l)ien faite)
« ainsi que l'étrier de j)ied.
« Envoyé de Gonstantine au Musée, don de M. le
« Général de division de Torcy, commandant la
« Division de Gonstantine.
« Dépèche ministérielle 4227, G. du 26 avril 1906,
« 6146 — Ganon de bronze se chargeant j^ar la cu-
« lasse, de la 2*^ moitié du xv^ siècle, sans chambre
« à feu ni coin de serrage ; à queue de fer de 0™36 ;
« longueur totale i™29; calibre 66 "V"\ Sur le dessus
« de la volée, un écusson porte les lettres I A <> T R
(( et une croix pattée. L'affût est une reconstitution
« (pas très bien faite) »
Les deux pièces sans leurs afïùts par trop fantai-
sistes reposent actuellement et provisoirement dans
la 2'^^ section du Musée, salle d'Assas, 2" travée
(Gollections d'Algérie).
MAITROT,
Capitaine de gendarmerie à Bastia ,
iiiiie et lis
DE LA TRIBU
CHAPITRE PREMIER
Description géographique
Délimitation. — La Iribu des Ziban est comprise
entre le 35'' et le 34°30 de latitude septentrionale et
entre le 2" et le 3' de longitude Est. Ses limites sont :
au Nord, les contreforts sud, de l'Ahmar-Khaddou
(Djebel-Zerzour) et de l'Aurès (Djebel-Sra-Nita-Chi-
clia) la chaîne des collines deBou-Ghezel, qui le sépare
de la plaine d'El-Outaïa, puis les monts du Zab, dont
les sommets principaux sont : le Djebel-Modiane,
Chaïma, Bou-kra-Sbalina et Doukhane; à l'Ouest,
une ligne tantôt fictive et tantôt naturelle, passant
par divers sommets élevés de cette même chaîne de
montagnes, ou suivant quelques lits d'Oued, part du
Djebel-Doukhane et s'abaisse jusqu'à l'Oued-Djeddi
en séparant la tribu des Ziban d'abord du départe-
— 214 —
ment d'Alger et ensuite de quelques autres tribus du
Cercle. Au Sud, une ligne connexe fictive et admi-
nistrative partage en deux parties une grande bande
comprise entre rOued-Djeddi et rOued-Itel. Cette
ligne s'appuie d'un côté à rOued-Djeddi et de l'autre
au Chott-Melrir dont le bord Nord-Ouest et Nord
continue la limite Sud. Enfin, à l'Est, la limite est
découpée dans cette grande plaine qui s'étend entre
l'Ahmar-Khaddou et le Cliott et qui contient des
quantités considérables de terres cultivables.
La superficie du territoire de cette tribu est de
464.087 hectares.
Le Tell est séparé du Sahara par une haute chanie
de montagne qui présente, sur un versant, des
contreforts étendus et des pentes progressives, et
dont l'autre descend à pic dans la plaine. Cette
chaîne assez élevée (2,312 mètres au point culminant)
est désignée sous le nom de monts de l'Aurès.
Rien de plus magnifique que cette muraille qui
surplombe le Sahara. Le Djebel Chechar, à gauche
de Biskra, l'Ahmar Kheddou, à droite, dominent la
grande plaine d'une hauteur immense. D'après Ibn-
Khaldoun, l'historien poète : « Cette chaîne de mon-
tagnes touche à la voûte céleste et cache dans un
voile de nuages sa tète couronnée d'étoiles; ses flancs
servent de retraite aux orages, ses oreilles entendent
les discours qui se prononcent dans le ciel ; son faîte
domine l'Océan. »
Divisions naturelles. — Le territoire des Ziban
est à cheval sur trois zones distinctes da Sahara.
A la zone septentrionale, appartient la région occu-
pée par les Ahl Amour et les Ghamra.
- 215 —
C'est, à l'Est, une sorte d'amphithéâtre ouvert,
borné au Nord et au Sud par deux chaînes parallèles,
que des accidents montagneux relient entre eux à
l'Ouest. La partie comprise entre ces chaînes de col-
lines est un pays généralement plat, couvert par les
terres d'alluvions que les pluies ont arrachées chaque
hiver, aux pentes dénudées des montagnes.
Bien irriguée, cette région serait fertile.
La 2" zone, plus au Sud, est occupée par les oasis
des Ziban, vaste plaine où viennent mourir les der-
nières pentes des monts du Zab. Cette zone est abri-
tée au Nord par ces accidents de terrain, et les oasis
semblent se presser contre la montagne pour s'y
abriter des vents froids et y retrouver les conditions
de température de leurs voisines de l'Oued Rihr,
plus favorisées sous le rapport de la température. On
y retrouve des sources qui donnent de l'eau toute
l'année; il y existe une nappe d'eau souterraine d'une
grande étendue.
Dans le Zab Daharaoui, de place en place, la nappe
affleure le sol et produit des marais. En d'autres
endroits, la couche supérieure du sol s'effondre et
laisse voir des crevasses qui semblent communiquer
avec une caverne sans fin.
Cette région est surtout fertile pour la culture du
palmier.
La 3* zone est la plus ingrate de toutes; c'est le
rivage Sud de l'Insula Magreb, vaste plaine tantôt
pierreuse, tantôt sablonneuse, où l'eau manque pres-
que toujours.
Aucune source ne vivifie ces terrains et quand les
pluies de la saison froide ont manqué, le sol n'est
plus garni que de quelques tiges desséchées-
- 216 -
Du mois de novembre au mois de mai, les torrents
et les rivières, enflés par les pluies, grossissent ra-
pidement et débordent souvent; mais quand viennent
les grandes chaleurs, ils diminuent brusquement et
souvent même se dessèchent complètement,
A chaque zone correspond une population distincte.
Dans la région des oasis vit un peuple sédentaire,
adonné au commerce et au jardinage. Dans les deux
autres, existe une population nomade, possédant de
nombreux troupeaux, cultivant quelques terrains
djelfs , qu'elle a acquis par voie de conquête ou
d'échange. Ces nomades ne pouvant faire vivre cons-
tamment leurs troupeaux sur les pâturages des terres
qu'ils détiennent se sont créés des droits dans les
régions plus favorisées.
Orographie. — Les montagnes qui bordent, au
Nord, la tribu des Ziban, appartiennent à la chaîne
saharienne qui s'étend du cap Bon , en Tunisie , à
l'Océan, en face du pic de Ténérifïe, après avoir tra-
versé par une direction Nord-Est, Sud-Ouest, le Nord
de la Tunisie, l'Algérie et le sud Marocain. Cette
chaîne porte en Algérie les noms de monts de l'Au-
rès, monts du Zab, des Oulad Naïls, du Djebel-
Amour et monts des Ksour.
Les deux massifs de l'Aurès et du Zab dominent
tout le territoire de la tribu et lui fournissent presque
toutes ses eaux. Leurs crêtes limitent, au Nord, le
Sahara et leurs escarpes se dressent vers le Sud
comme un rampart qui atteint quelquefois 1,000 à
1,200 mètres de hauteur.
Dans l'Aurès, le massif se forme en longues arêtes
qui séparent de longues et belles vallées, cultivées et
— 217 —
habitées, arrosées par des eaux (lui roulent torren-
tueusement dans des lits larges et profondément dé-
coupés dans des berges rocheuses et qui vont ensuite
se perdre dans les sables salins du Chott après avoir
fertilisé les petites oasis qui s'épanouissent au pied
de ce massif.
Les monts du Zab n'ont pas cette forme impo-
sante. Ils se relèvent sur de vastes bassins, tel que
celui du Hodna ou la plaine d'El-Outaïa, les entou-
rent presque complètement et ne laissent les eaux
s'écouler que par des écluses souvent trop étroites.
Cependant leurs flancs tourmentés se creusent de
ravins profonds et sauvages qui permettent à peine
le passage à l'homme.
Hydrographie. — Tous les cours d'eau qui sillon-
nent la tribu appartiennent au versant sud de la
chaîne saharienne "dont il a été parlé ci-dessus et au
bassin du Chott Melrir dans lequel ils versent leurs
eaux. On suppose que ce chott, qui forme, au Sud
des monts de l'Aurès, une grande dépression sans
eau, en temps ordinaire, mais couverte d'une épaisse
couche de sables salins, a dû communiquer à l'ori-
gine avec la Méditerranée par le golfe de Gabès.
Les principales rivières que l'on rencontre dans la
tribu des Ziban^ sont : l'Oued Labiod, l'Oued Biskra
et rOued Djeddi. Ils se grossissent d'un certain nom-
bre de cours d'eau bien moins importants.
Oued Labiod. — Cet Oued, qui reçoit ses premiè-
res eaux des plateaux -de Médina et du Chélia, coule
du Nord-Est au Sud-Ouest, dans l'Aurès, dans un lit
souvent creusé dans le roc et dont les berges à pic
atteignent 40 ou 50 mètres de hauteur et sont garnies
— 218 -
par un certain petit nombre de villages kabyles com-
posés de 20 ou 30 maisons. Après s'être créé un
passage dans des gorges étroites et sauvages, dont
les plus remarquables sont celles de Tiranimime et
de M'chounech, il sort dans la plaine au-dessus de
Sériana, et, changeant de direction, il continue de
couler vers le Sud-Est sous le nom d'Oued Biraz.
Cette direction Sud-Est sera celle de tous les oueds
de la tribu, aussitôt sortis des massifs montagneux,
ils coulent dans la plaine de Mansouria et chacun
d'eux disparaît ensuite dans le Chott.
Oued Biskra. — Il prend naissance au plateau de
Batna, descend dans le Sud après avoir arrosé suc-
cessivement : les Ksour, Aïn-Touta, les Tamarin,
El-Kantara, où il traverse une chaîne de montagnes
par une gorge extrêmement remarquable, d'une lon-
gueur de 30 à 40 mètres entre deux murailles de
rocher; il coupe ensuite la plaine d'El-Outaya,
contourne le dernier contrefort sud des monts du
Zab et arrose Biskra.
Ce n'est qu'à quelques kilomètres au Sud de cette
ville qu'il rentre dans la tribu des Ziban par une
direction Sud-Est ; ses eaux, qui avaient disparu
après Biskra, reparaissent de nouveau et servent à
fertiliser les terres de Saâda, cultivées par les Arab
Cheraga et les Ouled Si'di Salah ; après quoi, l'une
de ses branches prend le nom d'Oued Melah et va
se jeter dans le Chott.
L'Oued Biskra constitue le bassin secondaire de
toutes les eaux qui sillonnent la partie nord de la
tribu et qui forment des cours d'eau assez nom-
breux ; bien que quelques-uns aient un cours assez
considérable, ils ne se jettent pas cependant dans
— 219 —
rOuetl Biskra lui-même, mais se perdent dans la
plaine d'El-Outaïa avant de l'atteindre.
Parmi ces oueds, il faut citer l'Oued Djouchni, qui
court entre deux montagnes resserrées et qui sort
dans la plaine à la pointeNord-Est delà tril)u ; TOued-
Salsou, formé des oued Naïnia et Asfer, qui se
réunissent à l'Oued Labiod à l'endroit appelé D'fila
M'ta Saison ; enfin, l'Oued Mazouchia, qui sert à arro-
ser quelques cultures des Ahl Amour.
« Oued D.jedd[. ~ « La longue vallée de l'Oued
ft Djeddi limite au sud les accidents montagneux de
« la chaîne saharienne ; elle se termine dans le Chott
« Melrir à l'extrémité de ce grand bassin que Ton
« peut appeler la mer intérieure de l'Algérie, mer ou
« lac desséché depuis bien longtemps sans doute. »
(Niox).
Cet oued vient du Djebel Amour, coule de l'Ouest
à l'Est et prend dans sa partie supérieure le nom
d'Oued Meri. Il fertilise à ce moment l'oasis de
Lagouath, Mais, en temps ordinaire, il est sec en
maints endroits ; les pluies d'hiver le grossissent
considérablement et rendent ses eaux dangereuses
(Inondation du 30 septembre 1886) ; son lit desséché
se continue dans une vallée généralement déserte et
sans cultures, jusqu'au moment où il entre dans les
Ziban. arrose de ses eaux souterraines les oasis de
Sidi Khaled et des Ouled Djellal et livre ensuite ses
berges à la culture dans le Zab Guebli.
Arrivé à la rencontre de la route de Biskra à
Tuggurth, point marqué par le bordj de Saàda, il se
dirige immédiatement vers le Sud-Est, arrose quel-
ques terres de Saàda, les cultures d'El Aouch et se
jette dans le Chott par deux larges branches profon-
- 220 -
des qui roulent, après chaque crue, des quantités d'eau
si considérables que la plaine aux environs ne pré-
sente plus que quelques racines ou tiges dépouillées,
courbées sur le sol dans le sens du cours des eaux.
L'Oued Djeddi n'a dans les Ziban que quelques
affluents peu importants à signaler : l'Oued bou Me-
lali qui vient de Doucène et se jette dans l'Oued
Djeddi à la limite ouest de la tribu ; l'Oued Mlili qui
vient des monts du Zab et arrose quatre oasis.
Ajoutons qu'à 7 kilomètres de Biskra existe une
source d'eaux chaudes, dite "Hammam Salahin ",
connue plus généralement sous le nom de " Fontaine-
Chaude " et utilisée de tous temps par les indigènes
contre les douleurs rhumatismales- Ces eaux étaient
désignées par les Romains sous le nom de ad IHsci-
nam.
Forêts. — Sur les cours inférieurs de l'Oued-
Biskra, laissant au milieu une clairière défrichée
qui sert de terrain de culture aux Arab Cheraga et
aux Oulad Sidi Salah, s'étend ce que l'on appelle le
bois de Saâda.
Il ne dépasse pas au Nord le bordj de Saâda,
s'arrête, au Sud, aux fermes d'El Haouch,est limité à
l'Ouest par le cours de l'Oued Djeddi et à l'Est par
celui de l'Oued Melah. La seule essence qu'on y
trouve est le tamarin, dont les touffes serrées et arbo-
rescentes atteignent des hauteurs de trois ou quatre
mètres et rendent sur certains points les passages
difficiles. Entre ces toufïes poussent difïérentes plan-
tes, telles que le guettât et l'alenda qui servent de
nourriture aux chameaux.
C'est, en somme, un bois peu important comme
221 —
étendue et comme ressource forestière, qui tend à
décroître tous les jours depuis que, par suite de la
pacification du pays, les nomades peuvent s'y établir
à demeure sans crainte des attaques de leurs voisins,
couper le bcis pour leurs besoins ou ceux des popu-
lations environnantes et faire en même temps des
défrichements pour la culture.
CHAPITRE II
Historique
Notions générales. — L'histoire de la tribu des
Ziban est l'histoire du Zah tout entier, de l'ancienne
Gétulie, dont Vescera ou Beschera (Biskra) était la
capitale.
L'étymologie du mot " Zab " est fort ancienne et
antérieure très probablement à l'occupation romaine.
Ibn Khaldoun lui donne le sens d'oasis; cette étymo-
logie, qui est aujourd'hui très rationnelle, paraît moins
logique quand on considère que le Zab formait autre-
fois une province très étendue, qui englobait le
Hodna et, qu'au nord de cette vaste dépression, se
trouvaient les villes de Zabi, Médiana, Zabuniorum,
Linien, Zabensis.
Selon Procope, le Zab serait le nom primitivement
donné à la Mauritanie Sitifienne ; en Mésopotamie,
deux affluents du Tigre portent le nom de petit Zab
et grand Zab.
Les Romains ont appelé le petit Zab " Caprus " et
les Arabes ont appelé la rivière qui fertilise une par-
tie des Ziban "Oued Djeddi" (la rivière du chevreau).
222
Période ancienne. — Nous n'avons que des no-
tions très confuses sur les premiers habitants de la
région septentrionale de l'Afrique. L'opinion généra-
lement admise est que cette région tut d'abord ha-
bitée par les Lybiens et les Gétules, populations bar-
bares n'ayant ni constitution, ni gouvernement. Ce
n'était, a écrit Pline, qu'un ramassis de peuplades
n'ayant de commun entre elles que la façon de se
haïr (1).
A une époque inconnue, dit Salluste, un ban com-
posé de Mèdes, de Perses et d'Arméniens envahit
les contrées de l'Atlas. Les Perses, se mêlant aux
premiers des habitants du littoral, formèrent le peu-
ple Numide. Les Mèdes et les Arméniens, s'alliant
aux Lybiens, donnèrent naissance à la race Maure.
Mais la plus grande masse des Gélules, confinée
dans les vallées du grand Atlas, repoussa toute
alliance et forma le noyau de ces tribus restées re-
belles à toute civilisation étrangère et qu'on a appelées
Berbères.
A l'origine, dit encore Salluste, les Gétules étaient
une race dure, exercée aux fatigues, couchant sur la
terre et s'entassant dans des mapalid, espèces de
tentes allongées, faites d'un tissu grossier et dont le
toit cintré ressemblait à la carène renversée d'un
vaisseau.
L'historien juif Josephe dit que les Gétules pro-
viennent d'Hévilus, fils de Chus, chef des Ethiopiens,
dont les descendants habitent les rivages de la Mer
Rouge. C'est le seul renseignement que nous possé-
(1) Hist. nat., v. 17 et suiv.
223 —
dions sur l'origine des Gélules ; leur invasion se pro-
duisit vers 1300 avant notre ère (i).
Domination Carthaginoise. — Vers l'an 860 avant
Jésus-Christ, Didon, fille de Mutto, roi de Tyr,
fuyant la tyrannie de son frère Pygmalion. qui venait
de faire mourir son mari, Sicharbas ou Sichée, prê-
tre d'Héraclès, pour s'emparer de ses richesses,
aborda en Afrique avec de nombreux Tyriens.
En échange d'immenses trésors, elle ne demanda
que l'espace de terre que pouvait couvrir la peau
d'un bœuf. Didon fit découper cette peau en lanières
si minces qu'elle finit par circonscrire un très vaste
espace, sur lequel s'éleva bientôt une imposante cita-
delle, Byrsa.
Le bruit de ces événements pénétra jusqu'en Gé-
tulie et le roi de ce pays, Jarbas, séduit par les
richesses de Didon, voulut la contraindre à l'épouser;
mais celle-ci refusa la main du Berbère et se donna
la mort pour échapper à ses obsessions.
Trois siècles plus tard, la Répubhque Phénicienne
brille de toute sa splendeur, maîtresse de la côte
occidentale de l'Afrique, de la côte orientale de l'Es-
pagne et des grandes îles de la Méditerranée. Mais
bientôt la rivahté de Rome et de Carthage mit aux
prises les deux Répubhques, les plus puissantes dont
l'histoire ait conservé le souvenir et les fit entrer en
lutte pour la possession de la Méditerranée, qui de-
vait donner au vainqueur l'empire du monde.
Les Gétules refusèrent de fusionner avec la colo-
nie phénicienne; mais, bien que réfractaires à la civi-
(1) Colonel de Lartigue, Monographie de l'Aurùs, p. 114.
— 224 —
lisation, ils subirent malgré eux l'influence de Car-
thage qui ouvrit au trafic intérieur les voies de com-
munication qui sont encore aujourd'hui parcourues
par nos caravanes; ils s'initièrent ainsi au commerce
et à l'agriculture. Du reste, l'armée mercenaire de
cette puissante République comptait dans ses rangs
de nombreux Gétules; ils firent, à la suite d'Annibal
et d'Amilcar, les campagnes d'Italie.
Un célèbre voyageur, Magon, entreprit trois voya-
ges dont on n'a pu retrouver les itinéraires, mais on
sait que ses explorations s'étendirent fort avant dans
le Sahara.
Enfin, Annibal, pour ses courses à travers le Sud
de l'Europe, recruta de nombreux mercenaires en
Gétulie, et ceux de ces derniers qui rentrèrent dans
leur pays, y apportèrent des connaissances et des
usages qui eurent une influence forcée sur les mœurs
des barbares.
Période Romaine. — En détruisant Carthage
(146 av. J.-C), Rome ne se substitua pas immédia-
tement à elle; elle se borna à exercer sur le pays un
haut patronage, espérant ainsi tourner les difficultés
qu'elle craignait rencontrer pour son administration.
Elle divisa le pouvoir entre les chefs indigènes qui
avaient été ses alliés et peu à peu son influence et
sa civihsation s'étendirent dans tout le Nord de
l'Afrique. La Gétulie bénéficia de son contact comme
les contrées voisines.
On sait comment Jugurtha, neveu de Micipsa, se
débarrassa des deux lils laissés par ce prince et
parvint à lui succéder. Il s'était assuré la faveur du
Sénat Romain par de riches présents, mais l'assas-
— 225 —
sinat de ses parents auxquels il avait dérobé le pou-
voir, excita à un tel point l'indignation du peuple
romain que le Sénat dût céder à l'opinion publique
et déclarer la guerre à l'usurpateur.
Pendant cette guerre qui dura sept ans, les Gé-
tules jouèrent indirectement un rôle actif. Jugurtha
trouva chez eux de sérieux auxiliaires et ce peuple,
qui avait vécu jusqu'alors libre de toute alliance,
fournit à l'ennemi de Rome de nombreux contin-
gents. C'est dans l'Aurès et en Gétulie que Jugurtha
venait se réfugier après chaque défaite, se retremper
et puiser des forces nouvelles.
« Au sud des Numides, dit Salluste, sont les Gé-
tules vivant les uns sous des huttes, les autres
dispersés dans l'Etat sauvage. Après la prise de
Thala par Metellus, dit le même historien, Jugurtha
s'enfonça dans le pays des Gétules, peuple farouche
et barbare ; il y recruta des soldats et il les habitua
à la discipline qu'il avait apprise lui-même dans les
légions romaines. ))
Jugurtha vaincu, Rome, se souvenant du rôle joué
par la Gétulie dans cette guerre, l'annexa à la colonie
romaine.
Mais les Gétules subirent les lois de la civilisation
romaine sans jamais se laisser dompter. Toutefois,
ils ne purent, rester complètemenl indifférents au
voisinage de la colonisation. La pacification du pays
par la présence d'une armée disciplinée, les voies
de communication pénétrant dans l'intérieur, l'essor
donné à la culture des céréales produisirent leur
effet jusqu'au pied de la chaîne de l'Aurès; l'influence
du travail sur les Maures entraîna pour la première
fois la population à adopter la vie sédentaire et à pré-
— 226 —
férer aux fatigues de la vie nomade, les paisibles
travaux de l'agriculture.
Il faut se hâter d'ajouter que ces résultats furent
surtout obtenus par les efïorts d'un prince éclairé,
Juba II, qui servit d'intermédiaire entre Rome et les
populations de la Numidie.
A la fin du règne d'Auguste, la tranquillité du
pays était telle, qu'une seule légion (2' légion Au-
guste) établie à Lambèse, suffisait pour maintenir la
paix dans toute la région et cette paix eût été, sans
doute, de longue durée, sans les révoltes que sut
allumer l'agitateur Tacfarinas.
Après avoir servi dans les Légions romaines où il
se façonna à leur tactique militaire, il les abandonna,
leva quelques partisans et se livra au pillage des
habitations isolées. Le nombre de ses soldats gran-
dit avec sa réputation et bientôt il eut sous ses or-
dres une armée capable de tenir campagne et avec
laquelle il combattit les légions romaines; après cha-
que échec, il trouvait lui aussi, en Gétulie, un asile
sûr et des forces nouvelles pour recommencer la
guerre. Cette révolte contribua pour une large part
à l'occupation militaire du sud des monts de l'Aurès.
Non seulement les voies de communication furent
gardées, mais encore l'Oued Djedi, que les Romains
paraissaient avoir pris comme limite sud, fut garni
d'une ligne de postes fortifiés dont on voit encore
aujourd'hui les ruines.
Après la défaite de Tacfarinas, l'Afrique resta
paisible pendant dix-sept ans. Dans cet intervalle,
Tibère mourut et Galigula lui succéda. Le meurtre
de Ptolémée produisit un immense soulèvement en
Mauritanie, mais la Gétulie ne paraît pas y avoir
pris part.
— 227 -
A partir de cette époque, l'Afrique du Nord fu
liée au sort de la Métropole et subit le contre-coup
des événements qui se produisirent dans l'empire
romain.
Quant à la Gétulie, bien que soumise à la domi-
nation romaine, elle formait encore un vaste terri-
toire où les tribus, maintenues dans l'obéissance par
les postes qui gardaient les voies de communication,
conservaient une certaine liberté d'allure.
Toutefois, l'agriculture s'y était perfectionnée, le
commerce y avait pris un notable essor et la paix
était assurée et maintenue par le besoin d'échanges
et de relations avec la Colonie, plus encore que par
l'occupation militaire.
En 297 après J.-C, les Gétules semblent se laisser
entraîner dans le mouvement insurrectionnel. Tandis
que Julianus se fait proclamer Empereur d'Occident,
les tribus de l'Aurès et du Sud arborèrent l'étendard
de la révolte. L'empereur Maximien Galère ne par-
vint qu'à grande peine à réprimer ces troubles et,
pour la première fois, nous voyons appliquer à
l'égard des tribus insurgées la mesure de l'interne-
ment.
L'ère du Christianisme a commencé en Afrique
au II® siècle; un prêtre de Carthage, Tertullien, fit
entendre sa voix sur toute la côte, et la cruauté des
Gouverneurs romains fut impuissante contre les pro-
grès de la religion nouvelle. Il y eut bientôt dans
toute l'Afrique un grand nombre de petites églises,
à la tète desquelles étaient des pasteurs, des évèques;
à la fin du IP siècle, ceux-ci sont assez nombreux
pour tenir des conciles; un concile fut réuni à Cirta
en 205, un autre à Carthage en 255 ; ce dernier présidé
par Saint-Cyprien rassembla quatre-vingt-cinq évo-
ques d'Afrique; au nailieu du IIP siècle, l'Afrique
comptait plus de deux cents évêques.
L'empereur Dèce voulut arrêter cet essor par de
sanglantes persécutions (303), il ne fit qu'en déplacer
la source et les apôtres delà religion nouvelle, quit-
tant le littoral et les régions civilisées, s'enfoncèrent
dans le Sud et apportèrent la foi chrétienne jusqu'en
Gétulie. Au milieu du III^ siècle, il y avait déjà un
évêque à Badis (Badès) au sud de l'Aurès.
En 411, Vescera ou Beschra (Biskra) avait pour
évêque Optât qui assista à la conférence de Carthage.
C'est probablement le Saint Optât dont on a retrouvé
l'épitaphe dans la catacombe de Saint-Callixte, à
Rome, car il fut exilé.
Un autre évêque de Vescera, Félix, figure en tête
des évêques de Numidie appelés à Carthage en 484,
puis exilés par Huneric.
Enfin, la notice de Léon le Sage dit que le Castrum
Bedera (probablement Vescera ou Bescera) avait
encore un évêque en 883 O.
Mais la puissance romaine était sur son déclin;
tandis que les successeurs de Constantin commettent
la faute de se partager son empire, point de départ
de la décadence romaine, le Gouverneur de l'Afrique,
le comte Romanus se ligue secrètement avec les
tribus du Désert et leur ofïre de leur hvrer les flo-
rissantes cités que son devoir était de protéger.
Les Gétules, assurés de l'impunité, escaladent
leurs montagnes, pénétrent en armes dans les fer-
(l) Toulotte. Géographie de l'Afrique Chrétienne, Numidie, p. 337, de
Rossi, Romo Sotteranea, I, p. 278 et 303; II, p. 48 et 222.
— 229 —
tiles campagnes soumises à la colonisation romaine
et les pillent, après avoir massacré leurs habitants.
Les Maures, à leur tour, s'insurgent en masse sous
la conduite de Firmus.
Le Gouverneur romain, que. sa récente trahison
désignait à la haine des indigènes, ne pût lutter
contre l'Afrique entière. Rome dut envoyer Théodose,
que la pacification de la Grande-Bretagne venait de
rendre célèbre et redoutable. Comme cela avait eu
lieu avec Jugurtha et avec Tacfarinas, le général ro-
main eut facilement raison du rebelle tant qu'il le
combattit dans les plaines soumises à la domination
romaine, mais ce dernier, à l'exemple de ses prédé-
cesseurs, n'hésita pas à franchir les monts de l'Aurès
et à s'enfoncer dans le Sud. La lutte aurait continué
et Firmus serait revenu du Sahara à l'improviste,
même plus fort que jamais, si Théodose n'avait
compris l'enseignement qu'il devait tirer des révoltes
précédentes.
Après avoir assuré ses communications, le géné-
ral romain s'élança dans le Sahara, bien décidé à
en finir en rendant responsables les tribus qui avaient
donné asile au rebelle.
Nous ne retracerons pas les péripéties de la lutte ;
selon toute probabilité, ce n'est pas la Gétulie, mais
bien le Djerid qui en fut le théâtre. Nous dirons seu-
lement que Firmus fut livré par les barbares, effrayés
des échecs successifs que leiu^ avait attirés leur
complicité avec le rebelle. Firmus vaincu, ses parents
continuèrent un instant la lutte, mais, adroitement
divisés par l'habileté de la politique romaine, ils ne
purent longtemps résister et furent vaincus à leur
tour.
- 230 -
Ce succès définitif ne releva pas l'Empire romain-
1 Europe subissait alors une crise autrement redou-
table : les Francs, les Vandales portaient partout le
sac et le carnage.
L'invasion ne s'arrêta pas là : le mariage du comte
Boniface avec une jeune Vandale, les complots de
son rival Aëlius firent tomber l'Afrique elle-même
aux mains des Vandales.
Ainsi finit la domination romaine.
En résumé, la plaine des-Ziban, inculte et désolée
a l'origme des temps, devint le refuge des berbères
fuyant la domination étrangère; ils vivaient là à
retat sauvage, promenant leur indépendance farou-
che dans le désert, dans le pays dévoré par le soleil.
Sous le règne des princes indigènes Micipsa et
Juba, leur influence se fît sentir jusqu'au sud des
monts de l'Atlas; ils s'initièrent à l'agriculture et
decouvrèrent une fertilité extraordinaire dans le sol
de la contrée qu'ils habitaient. Puis, les guerres de
Jugurtha firent comprendre à Rome la nécessité de
commander à une région dont le voisinage était une
menace perpétuelle et un asile pour les rebelles.
A cette époque, comme aujourd'hui, les popula-
tions de la plaine étaient, pour la plus grande partie
des objets nécessaires à la vie, tributaires des con-
trées situées au nord de la chaîne de l'Aurès II
suffisait, pour les dominer, de garder les passages
qui pouvaient leur donner accès à travers cette
chame de montagnes. C'est ce que firent les Romains.
Le défilé étroit et resserré, qui aujourd'hui s'appelle
El-Kantara, s'appelait à cette époque Galceum Her^
cuhs. De là, partait une voie de communication qui
— 231 —
reliait Laml);rsis (Lambèse) à Besoera ou Vescera
(Biskra) et à Gemellœ (M'iili).
Plus tai'd, la vallée de l'Oued Djedi fat occupée
militairement. De distance en distance des fortins,
placés comme des postes avancés et dont on voit
encore aujourd'hui les ruines, gardaient les passages
de la rivière et de la route qui conduit, actuellement,
par le Rab-Guebli, de Biskra aux Ouled-Djellal. Un
premier fortin a été retrouvé près de l'Oued Taga,
puis trois autres entre le Djebel Mahmel et l'Oued
Abdi, dont un, assez important, à Adrar-Amellal,
plus au sud de la forteresse de Tiksarien et celle de
Menàa, au confluent de l'Oued Abdi et de l'Oued el-
Amar. Enfin, vers Biskra, le fort de Branis gardait
le débouché sud de la vallée.
En outre, un fort puissant s'élevait en pleine mon-
tagne, au cœur du massif du Djebel Amar-Kaddou,
non loin de l'endroit appelé aujourd'hui Kimel (i).
Ces postes étaient pour ainsi dire les sentinelles
avancées de la ligne Batna, Khenchela, Tébessa
(Lambœsis, Mascula, Théveste), ligne qui couronnait
les hauteurs de l'Atlas et en gardait le massif. Au
débouché de l'Oued Abiod était établi Thabudéos
(Thouda); on y a trouvé de grands fûts de colonnes
et des thermes, et il est à présumer que les pierres
des constructions qui y existaient on été utilisées
pour les habitations de l'oasis de Sidi-Okba; on a
découvert, en efïet, à Sidi-Okba, une inscription pro-
venant, sans nul doute, des ruines de Thouda et où
il est question d'un certain M. Messius Messor, Prœfec-
tiis Cokortisi-).
(1) L'-cdonel de Lartigue, Monographie de l'Aurès^ p. 140.
(2) L'-colonel de Lartigue, Monographie de l'Auras, p. 142, 143.
— 232 —
D'autre part, la vallée de l'Oued Abdi était défen-
due par Bescera ou Vescera (Biskra); on a retrouvé
sur la rive droite de la rivière des restes de forte-
resse, notamment un puits de 20 mètres de profon-
deur. Un texte épigraphique nous apprend que la
place était gardée, au début du IIP siècle, par un
détachement du Numerus Palmyrenorum, dont le
gros était campé à El-Kantara 1^) .
Enfin, un dernier poste, dont il ne reste plus de
ruines, existait à El-Outaya.
C'est grâce à cette occupation étroite et serrée que
les Romains purent éviter toute grande révolte dans
l'Aurès et dans le Sud. Mascula (Khenchela) n'avait
d'ailleurs été créée que parce qu'elle commandait la
route de Gonstantine au Souf et on a retrouvé à
Ghadamès des inscriptions qui prouvent le passage
des Romains; ils avaient donc excursionné dans tout
le Sud.
Sous le règne d'Auguste, les colonies romaines
furent transformées en territoire civil, commandées
par un Prœses ou un Gorrector ; mais les régions
du Sud, comme la Gétulie, furent toujours mainte-
nues en territoire militaire et commandées par le
Dux limitis ou le Pnpositus limitis. Dans quelques
inscriptions on trouve même le titre Procuralor Au-
gusii ad curam Gtntium.
Période Vandale et Restauration Byzantine. —
Les Vandales, venus de Sarmatie, étaient alors établis
en Espagne; appelés par le Comte Boniface, général
et gouverneur de l'Afrique, qui croyait avoir à se
(1) L'-colonel de Lartigue, Monographie de l'Aurès, p. 143,
— 233 —
plaindre de l'impératrice Placidie, ils franchirent le
détroit de Gibraltar, en mai 429, sous la conduite de
leur roi Genséric. Dans dix ans, ils eurent conquis
toute l'Afrique romaine. Le colosse romain était
installé en Afrique depuis près de 600 ans; quelques
mois, pour ainsi dire, suffirent aux Vandales pour
s'en emparer et le démolir.
Pendant cette période de troubles et de luttes
intérieures, on ne trouve, dans l'histoire, rien qui soit
particulier au Zab; ce qu'on sait, toutefois, de la
domination Vandale, de son manque d'organisation,
de son peu de cohésion, de l'absence de toute insti-
tution militaire utilisant les forces du pays, permet
de supposer que la conquête ne dépassa pas les
dernières ramifications de l'Aurès.
Non seulement, d'ailleurs, cette région montagneuse
ne fut jamais complètement soumise, mais sous le
règne d'Humeric, fils de Genséric, l'Aurès se dé-
clara indépendant. La région du Zab suivit incon-
testablement son exemple, si tant est qu'elle eût été
jamais soumise. Procoque indique le nom des prin-
cipaux chefs indigènes qui commandaient à l'époque
de l'arrivée de Bélisaire en Afrique, et parmi eux
figure Orthaïas qui avait sous ses ordres les popu-
lations du Hodna, du Belezma et du Zab(i).
Aucune ruine, aucune inscription, aucun document
n'établissent l'influence de l'occupation Vandale et de
la période Byzantine sur la population des Ziban.
Période Arabe. — La décadence, dans laquelle
étaient tombés les descendants dégénérés des Ro-
(1) L'-colonel de Lartigue, Monouraphie de l'Auras, page 1G7, note 2.
— 234 -
mains, était assez profonde pour les rendre incapa-
bles d'opposer une résistance sérieuse à une nou-
velle invasion, qui ne tarda pas à se produire; le
nouvel envahisseur devait être le peuple Arabe, que
Mahomet, grâce à la religion nouvelle, l'Islamisme,
qu'il venait de fonder, put réunir en un faisceau
puissant.
L'historien Ellien, contemporain du règne d'Adrien,
nous a laissé une esquisse des Arabes de son temps.
{( Ce sont, dit-il, des guerriers à demi nus, vivant
« tous de la même manière et ne portant que de
« petites saies de couleur qui s'arrêtent en haut des
(i cuisses. Montés sur de rapides coursiers et secon-
« dés par des chameaux agiles, ils sont toujours
« errants çà et là, soit en paix, soit en guerre; au-
« cun d'eux ne touche à la charrue, ne soigne un
« seul arbre, ne demande à la terre cultivée sa
« subsistance; toujours en mouvement, ils sont sans
« foyer, sans demeure fixe et sans loi; pour eux,
« voyager, c'est vivre. •»
Le gouvernement de ces peuples était purement
patriarcal. Dans chaque tribu, le plus^ ancien de cer-
taines familles privilégiées jouissait d'une influence
qui lui donnait des pouvoirs étendus pour la direc-
tion ou la défense des intérêts communs. Quant aux
contestations de tribu à tribu qui s'élevaient entre
elles, soit pour la possession des pâturages, soit à
la suite des enlèvements de troupeaux, elles étaient
souvent réglées par l'arbitrage des Cheikhs ou An-
ciens; mais, souvent aussi, les partis ennemis en
venaient aux mains.
Ayant fait accepter une foi commune à ces groupes
que divisait une constante rivalité, Mahomet en fit
— 235 —
une grande nation, qui devait être forcément conqué-
rante, car elle était énergique, habituée aux dangers
des combats et admirablement endurcie aux fatigues
de toutes sortes.
C'est ainsi qu'en 6i7, le plus habile et le plus
courageux des cavaliers de l'Arabie, Abdallah ben
Saïd, frère de lait du khalife Othmann, après une
marche pénible à travers le désert, arriva sous les
murs de Tripde et y défit le patrice Grégoire.
L'émotion fut grande dans le Nord de l'Afrique;
l'audace inouïe de ces conquérants, qui ne craignaient
pas d'attaquer leur territoire par le Sahara, frappa
d'épouvante les barbares qui y cachaient leur indé-
pendance. Et, dès que la nouvelle du sac d'Alexandrie
et de la prise de Tripoli fut connue dans l'Aurès,
on s'attendit à chaque instant à voir les Arabes
surgir du désert, bravant la soif, la chaleur et le
danger de se perdre dans ces immenses solitudes.
Toutefois, cette première alerte fut vaine; épuisé
par la fatigue et les maladies épidémiques, rappelé
par les dissensions religieuses qui ensanglantaient
déjà l'Islam à son berceau, Abdallah avait dû aban-
donner provisoirement l'Afrique occidentale.
. Six ans plus tard, une seconde invasion fut entre-
prise par le khalife Moawiah ; l'armée musulmane
mit en fuite les Byzantins et s'empara de l'antique
Gyrène.
Un ordre venu de Damas l'arrêta encore une fois
et la conquête définitive fut de nouveau ajournée.
La troisième invasion fut plus heureuse. Elle était
conduite par Okba ben Nafa, qui mérita le surnom
de Conquérani. Comme un ouragan, sans se laisser
arrêter par aucun obstacle, l'armée musulmane tra-
- 236 —
versa la Tunisie, l'Algérie et le Maroc, et courut
jusqu'à l'Occident, sur les rivages de l'Atlantique.
La plupart des villes du littoral n'avaient pas cessé
d'appartenir à l'Empire Grec, mais toutes les tribus
sauvages du versant méridional de l'Atlas étaient
soumises. Les populations grecques n'occupaient
plus qu'un territoire resserré entre la mer et la con-
quête arabe, et, pour rendre leur situation plus cri-
tique encore et s'assurer une issue en cas de retraite,
Okba, revenant victorieux sur ses pas, fonda une
ville, Kairouan, destinée à devenir le grand centre
politique et religieux de l'ouest.
La sécurité causée par le succès des Arabes ne fut
pas de longue durée. Bientôt les Berbères, descen-
dant de leurs montagnes, menacèrent les musulmans.
Okba s'avança à leur rencontre. La bataille eût
lieu au milieu même des Ziban, auprès du village
de Thouda ou Tehouda, au sud-est de Biskra ; elle
fut longue et opiniâtre. Vingt fois les cavaliers arabes
s'élancèrent à la charge. Vingt fois ils furent repous-
sés. Dans cette sanglante rencontre Okba fut tué.
Voyant qu'il ne pouvait échapper, il descendit de
cheval, dit la prière et brisa son épée. Trois cents de
de ses compagnons l'imitèrent et se firent bravement
tuer avec lui. Okba fut enterré à l'endroit même où
il était tombé. Autour de son tombeau, dans l'oasis
qui, depuis, porte son nom, les Berbères devenus
musulmans, élevèrent plus tard un village auquel
ils donnèrent également le nom du conquérant
<' Sidi-Okba oO^ 682 de J.-C). Le. chef indigène qui
(1) L'oasis de Sidi-Okba est devenue la capitale religieuse des Ziban.
Sa mosquée, qui est un but de pèlerinage, est considérée comme un lieu
saint, dont la visite attire la nénédiclion divine; c'est le plus ancien
— 237 —
avait remporté cette éclatante victoire, Koceïla, élu
roi par un grand nombre de tribus, fonda un royaume
berbère, dont le siège était à Kairouan, et qui com-
prenait le Zab actuel et presque tout l'Aurès.
La Berbérie, pour la première fois réunie en un
royaume indépendant sous un de ses enfants, connut
sous ce roi plusieurs années de paix et de tranquil-
lité. Les tribus qui avaient embrassé l'Islamisme,
s'empressèrent de répudier ce nouveau culte et de
revenir à leur première religion, chrétienne, juive ou
païenne. Mais les Arabes, retenus momentanément
en Orient par les guerres civiles qui déchiraient leur
patrie, revinrent bientôt à la charge et Koceïla fut
battu et tué à Mems (Sbiba) en 690. La lutte contre
les envahisseurs fut continuée par « La Kahena »,
reine de l'Aurès et des Berbères ; mais celle-ci fut
battue et tuée à son tour en 703. La Berbérie devint
alors la proie des musulmans qui profitèrent des dis-
sensions religieuses allumées dans le pays par le
mélange de chrétiens et de berbères nouvellement
convertis à l'Islamisme pour établir leur domination
sur l'Aurès et sur la région du Zab.
En 737, Okacha ben Aioul el Ferari leva l'étendard
de la révolte à Gabès. Gomme une traînée de poudre
l'insurrection gagna le Djerid, puis le Zab.
monument de l'Islamisme en Algérie; elle est entourée d'un portique et
sa terrasse est soutenue par 26 colonnes, dont les chapiteaux, diverse-
ment sculptés, sont ornés de peintures. Le minaret est carré et va en
s'amincissant. Sidi-Okba repose dans une kouba à droite du Mihrab; le
tsabout ou châsse, qui i-ecouvie l'émir et sur lequel sont jetées des pièces
d'étoflles de soie brodées d'inscriptions arabes, est des plus modestes.
Sur un des piliers de la kcuba on lit : oj U) j 5_^_à.c ^^ 1 jj»
y\Jj! ./\ocs. (ceci est le tombeau de Okba, fils de Nafa, que Dieu le
reçoive dans sa miséricorde). Cette inscription, eu caractères koufiques
du 1" siècle de l'hégire, est la plus ancienne de l'Algérie (de Lartigue,
Monographie de l'Aurès, p. 180, note 1).
— 238 -
Les insurgés partis de cette dernière contrée, se
divisèrent en deux corps qui devaient converger sur
Tébessa. Attaqués séparément par l'armée arabe, ils
furent vaincus et le pays rentra dans l'obéissance.
A partir de ce moment, l'histoire de l'Afrique
occidentale n'est plus qu'une longue énumération
de luttes intestines, de rivalités, de révoltes; puis
l'invasion Hilalienne jeta encore sur l'Ifrikia comme
une nuée de sauterelles, dit Ibn Khaldoun, un mil-
lion de gens affamés, habitués à la guerre et au pil-
lage, qui parcoururent l'Afrique pendant plus de
10 ans, détruisant pour le plaisir de détruire, cou-
pant les arbres, brûlant les villes, les villages, les
fermes et apportant le désert là où de belles cam-
pagnes existaient auparavant. C'est à ces envahis-
seurs qu'on doit la ruine complète de l'Afrique du
Nord, son déboisement, et par suite la disparition
de l'eau et des sources.
Et comme ces hordes n'avaient aucune idée d'un
gouvernement régulier, qu'elles ne se soumettaient
à aucune autorité, leur influence fut néfaste pour la
population berbère. Elles s'établirent dans les régions
les plus fertiles et firent des vaincus leurs fermiers,
leurs khammès. Beaucoup de ces derniers s'expa-
trièrent, quittèrent leurs montagnes et turent obligés,
pour trouver un refuge et la liberté, de s'enfoncer
dans le Sud; ils se fixèrent sur des points que
n'avait jamais visités aucune des dominations précé-
dentes. Les autres courbèrent la tête sous le joug.
Cependant la conquête était essentiellement religieuse
et quiconque se soumit dût accepter la religion de
Mahomet.
En revanche, tout vaincu, converti à l'Islam, était
— 239 —
considéré à partir de ce moment comme un coreli-
gionnaire et il pouvait même aspirer aux fonctions
publiques.
Préoccupés de leur mission religieuse, les musul-
mans se bornèrent à conquérir et à convertir, et
firent peu d'efforts pour doter le pays d'une admi-
nistration capable d'y maintenir la paix ; d'autre
part, à cause de l'éloignement du pouvoir, à cause
des dissensions religieuses qui éclatèrent même en
Arabie, à cause aussi des rivalités qui en furent la
conséquence, l'Afrique ne tarda pas à se fraction-
ner en une multitude de petits Etats indépendants,
dont les chefs ne cherchèrent qu'à affermir et à
étendre leurs domaines aux dépens des voisins.
L'Afrique Occidentale, le Magreb pour les Arabes,
n'eut bientôt plus d'Emir titulaire; chaque petit cheikh
s'attribua ce titre; la puissance politique du khalife
de Bagdad cessa même d'être reconnue et on en
arriva à ne plus le considérer que comme un chef spi-
rituel de la religion. Tandis que la fusion s'établissait
entre les vainqueurs et les vaincus convertis à l'Islam,
la scission minait sourdement l'unité arabe. Après
plusieurs générations, des groupes de tribus, issus
d'une même invasion, en arrivèrent à oublier leur
origine commune et redevinrent ce qu'elles étaient
en Arabie avant l'œuvre civilisatrice de Mahomet.
Dès lors, elles retrouvèrent, dans les solitudes
désolées de l'Afrique, leurs instincts de bergers
nomades; le sol ne fut soumis à aucun partage;
chaque tribu n'eut d'autre lot que celui que le sort
des armes et le hasard des événements lui avait
attribué et c'est ainsi qu'après dix-huit siècles, nous
retrouvons, vivant côte à côte, les uns de la vie
— 240 —
sédentaire, les autres de la vie nomade, les anciens
Gélules devenus les habitants des oasis des Ziban
et les anciens conquérants, aujourd'hui les Arab-
Cheraga, les Ouled-Sidi-Salàh, les Ahl- Amour et
les Ghamra. Les Aborigènes ont à peine changé,
tandis qu'à leur contact, les Advènes ont perdu en
peu de temps jusqu'au souvenir des splendeurs de
leur civilisation passée.
Berbères. — La période berbère n'a pas laissé plus
de traces dans les Ziban que la domination vandale.
Le Zab fut d'abord soumis à la domination des
Hammadites (branche de la dynastie sanhadjienne
des Zirites), qui établit le siège de son empire à
Bougie, puis à celle des Almohades ; les princes de
ces dynasties possédaient bien un certain degré de
civilisation, mais, emportés dans le tourbillon des
guerres incessantes qui signalèrent leur règne, ils
ne purent fonder un gouvernement durable.
Période turque. — C'est au commencement du
xvi'' siècle que l'empire Ottoman étendit sa domi-
nation dans l'Afrique du Nord et, par suite, sur la
région du Zab. Les Turcs occupèrent Biskra dans
le courant du xvi^ siècle, mais leur autorité ne s'y
exerça d'une façon effective que vers 1640, et ce ne
fut même que vers 1700 que des Cheiks furent inves-
tis dans les tribus.
Pendant cette période, le Sahara fut le théâtre de
luttes perpétuelles où les tribus nomades se dispu-
taient le droit de ]jiller les oasis. La domination tur-
que, qui devait durer plus de trois siècles, fut des
plus précaires dans le Zab; l'organisation politique
— 241 —
qu'ils y instituèrent était des plus simples. Chaque
village et chaque tribu étaient commandés par un
cheikk ; à Biskra résidait un Caïd et le Clieikh El Arab,
représentant direct du Bey; l'autorité de ce dernier
ne s'exerçait d'une façon sérieuse que lorsque des
troupes turques venaient l'appuyer. Des colonnes
qui avaient surtout pour but d'assurer, les armes à
la main, le recouvrement de l'impôt, sortaient cha-
que année de Constantine et venaient lui prêter leur
concours.
Ces troupes étaient généralement assez mal reçues ;
c'est ainsi que la tribu des Ouled Daoud, qui occupe
la vallée de l'Oued-Abiod, ne laissa jamais passer
les Turcs ; maints combats furent livrés par elle pour
les empêcher de pénétrer plus avant.
La dignité de Cheik El Arab fut longtemps l'apa-
nage des Ouled ben Okkar, une des branches de la
grande famille des descendants de Yacoub ben Ali.
L'insolence des personnages de cette famille fut
telle qu'elle porta ombrage à l'autorité du Bey de Cons-
tantine et, en 1776, Salah Bey leur suscita un rival.
Il le choisit dans la famille de Ben Ganah. Plu-
sieurs versions ont été établies sur l'origine de cette
famille. La plus accréditée est qu'elle descend d'un
certain Nosoud (probablement Messaoud) qui était
lui-même un ancêtre de Yacoub ben Ali. Si les deux
familles n'avaient pas une origine commune, elles
avaient contracté une alliance récente; Ferhat ben
M'hammed ben Bou Okkar, cheikh El Arab sous
Salah Bey, avait épousé une fille de la famille des
Ben Ganah.
Au moment où Bou Okkar, qui succédait à son
père comme cheikh El Arab, se rendait odieux aux
— 242 —
tribus par sa cruauté et sa sévérité, El Hadj ben
Ganah revenait de la Mecque avec un grand nombre
d'Arabes influents et dont il avait su faire la conquête
pendant le pèlerinage, par son esprit, son afïal)ilité
et ses richesses.
Salah Bey, saisit avec empressement l'occasion et
favorisa la défection des Ahl ben Ali, qui, sorte de
jannissaires auprès du cheikh El-Arab, venaient de
reconnaître El Hadj ben Ganah, et avaient entraîné
dans ce mouvement, bon nombre de tribus du Tell.
A partir de ce moment, l'histoire du Sahara n'est
plus que celle des deux familles Bou-Okkar et Ben
Ganah; nous les voyons alternativement renversés
ou soutenus par les Turcs, suivant les intérêts du
moment et le succès relatif des intrigues de chaque
parti.
A El Hadj ben Ganah, succéda Ferhat ben Ahmed,
auquel succéda Mohamed ben El Hadj ben Ganah;
puis Debbah bou Okkar reçut le caftan, qui lui fut
à nouveau retiré pour être rendu à Mohamed ben
El Hadj ben Ganah.
Cependant, le règne de Salah Bey laisse un autre
souvenir dans les Ziban. Ce bey fut le seul qui ait
tenté d'établir une administration dans le pays ; il
poussa les indigènes à la culture. Il fit quatre voya-
ges dans le Zab, dont il paraît avoir remarqué la
fertilité; et, c'est lui, qui régla une des questions
les plus importantes dans ce pays d'oasis, le partage
des eaux, l'eau étant la base et le point de départ de
la propriété au Sud des monts Aurès.
- 243 -
CHAPITRE III
Conquête française
1830-1844. — Jamais peut-être l'Afrique Occi-
dentale n'avait été dans un état de division aussi
grand qu'au moment où nos troupes débarquèrent à
Sidi-Ferruch; ce résultat était dû à la politique tur-
que qui se contentait de récolter des impôts, sans
souci de l'administration intérieure; les tribus du
sud étaient devenues de véritables petits royaumes,
tributaires seulement du gouvernement Ottoman.
Notre drapeau ne fut planté dans le Zab qu'en 1844,
Mais, pour l'histoire de ce pays, il importe de faire
ressortir les rivalités qui existaient à ce moment là
entre les grandes familles qui s'y disputaient le pou-
voir.
Après la prise d'Alger et après la bataille de
Staouëli, le bey de Gonstantine, El Hadj Ahmed,
fut abandonné par ses contingents kabyles et arabes.
N'ayant plus autour de lui que sa garde turque, il
quitta Gonstantine.
Dans la vallée de la Medjana, il fut cerné par un
nombre d'Arabes auquel il n'aurait pu résister sans
l'intervention opportune du cheikh El Arab, Moha-
med ben El Hadj Ben Ganah, suivi de 800 chevaux.
Après avoir rétabli le Bey dans son palais de
Gonstantine, Mohamed ben El Hadj, revint dans le
Sahara à la rencontre de Brahim El-Guirili, ancien
bey de Gonstantine (i), qui venait, à la tète d'un fort
parti, prendre possession de son commandement.
(I) Institué par Brahim Pacha.
— 244 —
Cet usurpateur eut le bonheur de rencontrer sur sa
route Ferhat ben Saïd, qui avait été clieikh El-Arab
jusqu'à l'avènement d'El-Hadj Ahmed, et qui fit cause
commune avec l'ancien bey. Il amenait, avec lui les
Alh ben Ali, les Cheurfa, les Ghamra, une partie des
Ouled Sahmou du Hodna et les Ouled Abdennour,
séduits par l'appui moral de son nom, son prestige
et sa réputation de bravoure.
C'était à l'automne 1830; la rencontre eut lieu à
El-Bechira, Grâce à la trahison des Ouled Sahmou,
préparée par Mohamed ben El-Hadj ben Ganah pen-
dant la nuit qui précéda le combat, Ferhat ben Saïd
essuya une défaite complète.
Il ne se laissa pas abattre par cet insuccès et se
retira à Tolga. Malgré les périls de cette position
désavantageuse qui le mettait entre Mohamed ben
El-Hadj, retiré avec sa smala et les Sahari à El-Ou-
taïa, et les Arab Gheraba qui lui fermaient la route
du Sud, Ferhat ben Saïd envoya ses émissaires dans
toutes les oasis du Zab Daharaoui et du Zab Guebli,
où les Alh ben Ali, les Cheurfa et les Ramra sont
propriétaires. Les fantassins de ces oasis et le goum
des Ouled Saoula répondirent à l'appel de Ferhat qui,
à la tête de sa troupe, franchit le col de Motrof pour
déboucher directement dans la plaine d'El-Outaïa.
Mohamed ben El-Hadj fut battu à El-Harima et dût
se retirer à El-Kantara. La situation des partisans
du cheikh El-Arab était critique. En se retirant dans
le Nord, il laissait dans le Sahara les Arab Gueraba.
L'été allait succéder au printemps et ces nomades
se demandaient comment ils pourraient franchir le
Zab et les passages de l'Aurès pour aller estiver.
Mohamed ben El-Hadj dût demander appui au
— 245 -
Bey de (^onstantine ciui, comprenant l'urgence de la
situation, se mit en route avec tous les goums du
Tell et vint camper à Dar Azous, sur la route d'El-
Outaïa à Biskra,
Ferliat ben Saïd vint occuper cette route à hauteur
de la petite arête montagneuse qui limite au Nord
la tribu des Ziban; la victoire fut éclatante pour le
Bey de Gonstantine. Quatre cents tentes des Ahl
ben Ali, des Cheurfa et des Ouled Zian furent cap-
turés. Ferhat ben Saïd, traversa Biskra en toute hâte
et se sauva dans la direction de Mlili. Le Bey com-
prit qu'il fallait profiter de la victoire et ruiner à tout
jamais le parti des Bou OkKar. Les Cheurfas s'étaient
retirés dans le Zab Guebli, les Ahl ben Ali et les
Ghamra s'étaient réfugiés à Lichana et à Zaatcha. Le
Bey marcha aussitôt sur ces deux villages. Les
Sahari établirent leur camp entre l'Oued Bouchagroun
et Midah. Les Gheraba prirent position au Sud du
côté de Tolga. Toutes les oasis voisines firent leur
soumission et, entraînées par cet exemple, les Cheur-
fa abandonnèrent leurs alliées et demandèrent l'aman
au Bey.
Celui-ci, n'ayant plus à compter qu'avec les Ahl-
ben-Ali et les Ghamra, commença à faire couper les
palmiers de l'oasis. Pendant que ce travail s'exécutait,
Mohamed ben El Hadj voulut essayer des négocia-
tions; 120 cavaliers furent envoyés en Miad, à Li-
chana, mais ils furent gardés comme otages et le
Bey fut prévenu que, s'il ne levait pas son camp, les
prisonniers seraient tués depuis le premier jusqu'au
dernier. La colère du Bey fut terrible en apprenant
les conditions qu'osaient lui imposer les rebelles, et,
sous l'impression de son ressentiment, il donna
~ 246 —
l'ordre d'une attaque générale. Les Turcs, avec
l'artillerie, devaient suivre le chemin d'Aïn-Fouhar
au village de Zaatcha; les Saharis, celui qui, de la
Zaouia, aboutit au même point; les Stnia, les Ra-
hman et les Bou Azid devaient prendre le chemin
du marabout de Sidi Harzallah qui vient de la direc-
tion de Farfar.
L'attaque fut commencé avec beaucoup de vigueur et
les défenseurs refoulés abandonnèrent leurs jardins.
Mais les progrès des assaillants durent s'arrêter aux
fossés du village et devant les murs à travers les
crénaux desquels un ennemi invisible tirait à coup
sûr. Le Bey dut se retirer, les assiégés perdirent ce
jour-là 300 hommes ; les assiégeants laissèrent der-
rière eux 400 tués et 200 blessés.
Il fallut bien accepter les conditions qui avaient
excité l'indignation du Bey. Il fut convenu que les
120 otages seraient rendus, que les Ghamra, les véri-
tables défenseurs de Zaatcha, livreraient 30 otages
. et le Bey se retira avec Mohamed ben El Hadj par
la route de Constantine.
Il était temps. Au moment où cette troupe, encom-
brée de blessés et de malades, franchissait le col
d'El-Kantara, Ferhat ben Saïd, avec des forces
nouvelles composées d'Ouled Naïl, débouchait dans
les Ziban. Les oasis qui avaient fait leur soumission
furent punies d'une amende; la caïd de Biskra dut
prendre la fuite et Ahmed ben Amerali rentra en
fonctions.
Pendant l'hiver de 1831 et le printemps de 1832,
Ferhat resta le maître du Sahara. A la voix du
marabout de Khanga, quelques nAontagnards de
l'Ahmar Khaddou et du Djebel Ghechar se soule-
vèrent contre Ferhat ben Saïd.
— 247 —
Ce dernier les dispersa et en tua quarante, dont
les têtes furent envoyées au caïd de Biskra, Ahmed
ben Amerali; mais Ferhat ben Saïd avait oublié de
se faire renseigner sur ce qui se passait dans le Tell.
Le jour où le convoi apportait ce sanglant trophé, le
caïd de Biskra avait cessé de vivre et sa propre tête
gisait sur les marches de sa maison.
Désireux de réparer son échec de l'année précé-
dente, le Bey, après avoir reconstitué sa cavalerie,
était revenu de Gonstantine avec une rapidité telle
qu'il pénétra dans Biskra avant que la nouvelle de
son départ n'y fut arrivée. Les 60 hommes des
Ghamra laissés par Ferhat et le caïd Amerali furent
massacrés. Le lendemain matin après une marche
de nuit de 80 kilomètres, l'armée du Bey tombait à
l'improviste à Badès sur le camp de Ben Ferhat.
Tout fut pris, tentes, hommes et animaux ; Ben
Ferhat seul parvint à s'échapper, s'enfuit au Souf et
de là se retira chez les Ouled Naïl. Sa fortune sem-
blait perdue à tout jamais. Abandonné de tous, il fit
sa soumission aux Français, mais ses démarches,
bien accueillies à Alger, ne purent aboutir.
Au retour de cette expédition, le Bey prit le titre
de Pacha et nomma Bey de Gonstantine à sa place
un kabyle intrigant, Ben Aïssa, qui était loin d'avoir
servi sa cause avec le même dévouement que Mo-
hamed ben El Hadj ben Ganah. Le désappointement
et le mécontentement de ce dernier furent très vifs
et une rupture s'en suivit entre le nouveau Pacha et
son ancien allié. Alors commença une suite d'intri-
gues par lesquelles le Pacha, exploitant la nouvelle
de sa rupture avec Mohamed ben El Hadj, essaya
d'attirer dans un piège Ferhat ben Saïd, auquel il
- 248 -
n'avait pas pardonné ses échecs passés. Mais ce
rusé personnage ne se laissa pas prendre aux ou-
vertures trompeuses du nouveau Pacha.
Toutes ces menées amenèrent la mort de Moha-
med ben El Hadj, qui, trompé par de fausses offres
de réconcilation, se laissa entraîner à M'sila où le
Pacha le reçut magnifiquement et l'empoisonna. Pour
détourner les soupçons, le Pacha nomma Cheikh El-
Arab le frère cadet du défunt, Bouaziz ben Boula-
kras. Il ne se contenta pas de cette marque de faveur,
il adopta les enfants de Mohamed ben El Hadj.
A partir de ce moment, la tranquilité régna tant
bien que mal dans les Ziban, jusqu'à la prise de.
Constantine (13 octobre 1837). A la nouvelle de cet
important événement, le Pacha, abandonné de pres-
que tous les Arabes, ne resta plus entouré que de
la smala des Ben Ganah et des Sahari.
Pendant qu'il hésitait encore sur le parti à pren-
dre, Ferhat ben Saïd était déjà arrivé à Constantine,
14 jours après la prise de la ville, et avait fait sa
soumission aux Français.
Il n'y avait plus pour le Pacha qu'une chance de
salut, profiter du séjour de Ben Ferhat à Constanti-
ne, s'emparer du Zab et s'y installer. Mais, pendant
qu'il s'y rendait, il apprit que Ferhat ben Saïd, dou-
blant les étapes, avait fondu sur Biskra et s'en était
emparé, lui barrant ainsi la route du Sud. Cepen-
dant, craignant les forces que le Pacha avait recru-
tées tout le long de sa route, Ben Ferhat songea à
aller s'établir à Lichana et il quitta Biskra par la
route du Zab au moment où le goum des Ben Ganah
y entrait par celle du Sahara.
Le Pacha suivit les conseils des Ben Ganah qui
— 249 -
estimait qu'il n'y avait pas un instant à perdre si
l'on voulait éviter un nouveau siège de Zaatcha;
prenant avec eux toute la garnison de Biskra, ils
coupèrent droit par le col de Khenizen et allèrent
prendre position au Marabout de Sidi Rahal, ap-
puyés sur les Bou Arid qui s'étaient enfermés dans
leurs villages de Foughala et d'El-Amri.
Ben Ferhat peu désireux d'accepter la bataille en
rase campagne s'était enfermé dans Lichana, après
avoir envoyé son frère chez les Ouled Naïl afin de
lui ramener du renfort.
Pour ne pas être inférieurs en nombre, les Ben
Ganah envoyèrent chercher leurs partisans les Rah-
mane et les Selmia qui étaient sur l'Oued Itel.
Le Pacha voulait attaquer Lichana sans délai. Les
Ben Ganah réussirent à obtenir qu'on attendit les
renforts de l'Oued Itel, et qu'au lieu d'attaquer Li-
chana, on dévasterait d'abord les oasis du Zal) Gue-
bli, d'un accès beaucoup plus facile; de cette ma-
nière, tout en punissant les Cheurfa de leur infidélité,
on obligerait Ben Ferhat à sortir de Lichana et ac-
cepter le combat dans la plaine.
Les Rahmane et les Selmia ne tardèrent pas à
arriver et, le jour convenu, on attaqua les deux oasis
de Lioua et de Sahira.
Comme l'avaient prévu les Ben Ganah, Ferhat ben
Saïd vint aussitôt au secours des Cheurfa.
Battu dans la plaine, Ben Ferhat fut assez heureux
pour s'enfuir et, tandis que les cavaliers qui le pour-
suivaient revenaient sans avoir pu l'atteindre, les
gens de Sahira faisaient cesser le feu de l'infanterie
turque en laissant croire que Ferhat était dans leurs
— 250 —
murs et qu'ils le livreraient si on voulait leur accor-
der l'aman.
Les pourparlers durèrent jusqu'à la nuit et, le len-
demain matin, le Pacha apprit en même temps la
ruse des Cheurfa et la fuite de tous ceux qu'il tenait
la veille cernés dans Sahira.
Cette victoire incomplète coûta au Pacha et aux
Ben Ganah une centaine d'hommes. Le parti ennemi
en perdit plus de 600; ce combat est un des plus
sanglants qui aient été livrés dans les Ziban.
Le Pacha, après avoir ravagé le Zab Guebli et
avoir reçu la soumission du Zab Daharaoui, se retira
à Saàda avec les Ben Ganah et y passa tout l'hiver.
Ben Berbech, nommé Caïd par le Pacha, étant de-
venu fou, fut remplacé par Abderrahman Talbi. Mo-
hamed Sghir ben Ganah tut nommé cheikh de Sidi
Okba.
Bou Abdallah, cheikh de Saoula, fut nommé cheik
de tout le Zab Chergui ; enfin, le Bey de Touggourt
renouvela le serment d'obéissance qu'il adressait
chaque année au gouvernement de Constantine.
Le Pacha et les Ben Ganah croyaient leur situa-
tion bien établie dans les Ziban, d'autant plus qu'on
ne répondait que par des faux-fuyants aux ouvertures
réitérées de Ben Ferhat, qui ne demandait au gou-
vernement français qu'une poignée d'hommes et lui
olïrait le Sahara.
C'est à cette époque que le nom de l'B^mir Abd-
el Kader commença à retentir pour la première fois
dans la province de Constantine.
Exploitant le traité de la Tafna, l'Emir avait envoyé
partout des émissaires annonçant (ju'un Chérif, au-
quel des signes miraculeux avaient révélé sa mission.
— 251 —
venait déjà de forcer les chrétiens à une paix hon-
teuse. Ces récits, auxquels l'éloignement donnait
plus de prestige, frappèrent l'imagination de Si el
Hassein ben Azouz, membre d'une des familles les
plus influentes du Sahara et établi à El-Bordj de-
puis quatorze générations.
Il avait été élevé dans la smala de Ferhat ben Saïd
et, bien que de noblesse religieuse, son éducation,
au cours des pérégrinations de la vie avantureuse
du grand chef arabe, en avait fait plutôt un guerrier
qu'un personnage religieux.
Il dépêcha secrètement un serviteur auprès d'El
Hadj Abd-el-Kader avec mission de lui dépeindre le
Bey de Constantine comme un tyran dont les injus-
tices et les cruautés frappaient la province. Il ajouta
que la seule autorité digne de l'obéissance de tant
de fidèles musulmans était celle de l'Emir : « Nom-
me moi ton Khalifat, disait-il en terminant, et je te
ferai gagner de grandes richesses. »
S'étant ainsi préparé le terrain et assuré, par les
réponses qu'il avait reçues, que ses propositions ne
déplaisaient pas à l'Emir, il fut assez habile pour se
faire envoyer auprès de lui comme émissaire par
Ferhat ben Saïd.
Ses espérances furent complètement réalisées et
à son retour de Médéa, El Hassein ben Azouz fut
installé comme khalifa d'Abd-el-Kader par un lieute-
nant de l'Emir El-Barkhani, accompagné de 700 fan-
tassins et 1,200 cavaliers.
Quant le Pacha apprit que l'Emir Abd-el-Kader
envoyait des troupes dans les Ziban, il ne songea
plus qu'à se retirer dans le Tell. Mais ne voulant
laisser aucune ressource aux troupes devant les-
— 252 —
quelles il battait en retraite, il alla camper avec toute
son armée clans les oasis des Ziban et y fit détruire
les cultures.
El Berkani, qui était alors à Bitam, songea bien
à attaquer le Pacha, mais il était conseillé par Ferhat
ben Saïd et El Hassein ben Azouz qui n'avaient de
haine que pour les Ben Ganah. Ceux-ci ne voulaient
pas se retirer dans le Tell sans emmener avec eux
les Bou Arid et leur plus fidèle tribu, les Gheraba,
Ils se portèrent du côté des premiers qui étaient
concentrés à Foughala et à El-Amri. Pour y arriver
plus tôt, ils avaient pris par M'doukal et Khenguet-
Djouchni; mais ils arrivèrent trop tard, El Berkani
avait déjà lancé sa nombreuse cavalerie par le col
de Sadouri, et les Bou Azid étaient cernés quand les
Ben Ganah arrivèrent.
Grâce à l'entremise de la zaouïa de Tolga, les ha-
bitants de Foughala et d'El-Amri furent épargnés;
ils durent cependant payer la difïa et promettre d'a-
bandonner le parti des Ben Ganah.
Instruits par cet exemple, les Rahmane et les Sel-
mia, toujours campés sur l'Oued Itel, firent leur sou-
mission au Heutenant de l'Emir, mais des émissaires
secrets firent connaître aux Ben Ganah que cette
démarche, imposée par les circonstances, ne serait
qu'apparente et qu'ils pouvaient toujours compter
sur eux.
El Berkani se dirigea sur Biskra qu'il ne fit que
traverser. Il avait appris qu'un immense convoi de
bagages appartenant au Pacha et aux Ben Ganah
était encore dans les gorges d'El-Kantara. L'endroit
lui parut trop bien choisi pour laisser échapper l'occa-
sion de s'en emparer. Il arriva trop tard et il se contenta
— 253 —
de piller les malheureux villages d'El-Kantara. Rap-
pelé par Abd-el-Kader, il quitta El Hassein ben Az-
zouz en lui laissant un bataillon de 200 réguliers et
deux canons.
Fer liât ben Saïd s'aperçut alors que son allié Has-
sein l'avait joué en le devançant auprès d'Abd-el-
Kader, et il reprit ses négociations avec le gouverne-
ment français. Le rusé Hassein se doutait du plan
qu'allait suivre son ancien maître. Les lettres écrites
au gouvernement français par ce dernier furent sai-
sies par le khalifa d' Abd-el-Kader et Ferhat. arrê-
té, fut emprisonné par l'Emir.
Resté seul maître du Sahara, Hassein ben Azzouz
s'occupa d'enrôler des soldats et, avec ces moyens
d'intimidation, il entreprit des négociations avec les
Gheraba; plusieurs familles influentes lui firent leur
soumission. Le reste de la tribu fut razzié et perdit
50 hommes. Le produit de la razzia s'éleva à 400 cha-
meaux et 1,200 moutons.
Ce système de razzia plut extrêmement à Hassein
ben Azzouz; il lui assurait une fidélité sans bornes
et un zèle à toute épreuve de la part de ses soldats,
qui se partageaient le butin ; mais il fut la cause de
la prompte décadence de son parti. Les attaques
irraisonnées devinrent bientôt des vols à main armée
et ses alliés l'abandonnèrent l'un après l'autre.
Qu'étaient devenus, pendant ce temps, et l'ancien
Bey de Constantine, auquel nous ne donnerons plus
le titre de Pacha, et les Ben Ganah?
Le premier avait entrepris, mais en vain, des né-
gociations avec le Bey de Tunis. « Viens à moi avec
(( confiance, lui avait-il été répondu, je te donnerai
« un territoire où tu pourras vivre honorablement ;
— 254 -
« quant à faire la guerre aux Français, il y a entre
« eux et moi des traités qui s'y opposent. »
Le malheureux prince écrivit aussi à Constanti-
nople, ce fut peine perdue.
Cependant, les Ben Ganah lui restèrent fidèles jus-
qu'au dernier moment. C'est à tort qu'on les accuse
d'avoir pressé El Hadj Ahmed de quitter le Dir où
il avait encore des tribus fidèles à sa cause; Moha-
med Srir ben Guidoune, qui fut plus tard caïd de
Biskra, alla au contraire au-devant des Bou-Arid,
des Rahmane et des Selmia qu'il ramena au Bey et
avec lesquels ce dernier put lever les impôts que les
populations ne consentaient à payer qu'en présence
de la force armée.
Mais quand vint l'automne de 1838, les Ben Ganah
ne purent empêcher leurs nomades de rentrer dans
le Sahara. Leur smala retarda autant qu'elle le put
son départ, mais il fallut céder à la force des choses
et l'ancien Bey dut dire adieu à ses alliés.
Le lendemain même, comprenant bien que tout
espoir était perdu pour le gouvernement turc, les
Ben Ganah se présentèrent au général de Négrier
qui, préparé d'avance à cet événement, accueillit fa-
vorablement leurs ofïres de soumission. 11 fut mal-
heureusement remplacé par le général Galbois, dont
l'arrivée et l'installation retardèrent les négociations
et ce ne fut qu'au commencement de l'automne
qu'ayant laissé les nomades s'en aller seuls dans le
Sahara, ils vinrent faire leur soumission (décem-
bre 1838). Depuis, les membres de cette famille sont
restés toujours fidèles à la France.
Nommé Gkeikh El Arab, avec le commandement
des régions du Sud, Bou Aziz ben Ganah s'empressa
— 255 —
de faire annoncer dans les Ziban que l'autorité fran-
çaise venait de l'investir de la dignité de Khalifa. Les
émissaires tombèrent entre les mains d'Hassein
ben Azzouz, qui occupait encore la majeure partie
du territoire, et eurent la tête coupée, mais la nou-
velle n'en fut pas moins connue dans tout le Sahara.
L'hiver de 1838 à 1839 ne fut signalé par aucun
événement important. Au printemps de 1839, les
Douada vinrent au-devant des Gheraba pour les aider
à franchir les défilés de l'Aurès. Ils passèrent le col
de Kheniren, trouvèrent El Hadj Bey, frère de
Ferhat, installé au milieu des Ouled Sidi Sliman,
fraction des Cheurfa, razzièrent cette fraction et s'é-
tablirent à Doucen, rendez-vous donné aux nomades
du çofï Ben Ganah.
Hassein ben Azzouz vint aussitôt prendre position
à Sidi Ranah. Il comptait sur l'appui des Cheraga,
aux yeux desquels il avait fait valoir sa situation de
Khalifa de l'Emir. Mais les Ben Ganah l'avaient pré-
venu et la situation d'Abd-el-Kader, qui ne pouvait
alors envoyer aucun secours à son Khalifa, avait été
habilement représentée par eux aux Arab Cheraga.
Aussi, lorsque Hassein ben Azzouz voulut entraîner
ces derniers contre les Gheraba, engagés dans le
col de Kheniren, les Cheraga refusèrent-ils de mar-
cher. Furieux, Hassein ben Azouz fit tirer sur eux
par ses askers; cette maladresse le priva à tout ja-
mais de l'espoir de se réconcilier avec ses anciens
alliés. Les Ben Ganah et leur çofï purent donc conti-
nuer tranquillement leur route vers le Tell. Ils re-
vinrent à l'automne, et l'hiver se passa sans incident.
Au printemps de 1840, Ahmed ben El Hadj ben
Ganah vint au devant des Gheraba pour les réunir
— 256 —
et les amener devant le Tell. Hassein ben Azzouz,
désireux de venger son échec de l'année précédente,
avait écrit au Khalifa de l'Emir, dans le Hodna, de
lui envoyer tous les goums disponibles. Ces goums
arrivèrent trop tard, les Gheraba avaient dû franchir
les crêtes nord des Ziban. Un combat sanglant eut
lieu sur les bords de l'Oued Saison, au Nord de la
plaine d'El-Outa^"^ Les Ben Ganah disposaient d'un
effectif de 1,200 cavaliers et de 900 fantassins. Ben
Azzouz avait avec lui 500 réguliers avec du canon,
1,000 cavaliers et 800 fantassins des régions du Zab
et du Hodna.
Hassein ben Azzouz fut honteusement battu et
faillit être fait prisonnier par Si M'hammed ben Bou
Aziz ben Ganah; deux canons, trois drapeaux et
tout le bagage de l'ennemi restèrent aux mains des
vainqueurs qui, de leur côté, eurent de grosses
pertes (i'.
Cette victoire eut un immense retentissement ; elle
assura d'une manière définitive la prépondérance
des Ben Ganah et si quelques combats eurent encore
lieu les années suivantes, cela tient à l'empressement
que mirent les nomades à conduire leurs troupeaux
dans le Tell, empressement qui les empêcha de
poursuivre les vaincus et de profiter de leur succès.
Quand il apprit les événements qui venaient de se
produire, Abd el Kader mit Ferhat ben Saïd en liberté
afin de donner un nouvel essor aux intrigues et aux
agitations du Sahara ; celui-ci, El Hadj Mustapha
ben Kharoubi et Hassein ben Azzouz se réunirent à
l'automne suivant à Salia, pour empêcher le retour
(1) Err.est Mercier, Hitftoïi-e de Co/islantine, p. 4^8.
\
— 257 —
des Gheraba dans le Sahara. Ils avaient été rejoints
par Hamed bel Iladj , khalifa de Sidi Okba, dont
l'inlluence s'était augmentée d'une partie de celle
perdue par Azzouz.
Les Gueraba ne purent forcer le passsage; mais
tandis qu'on les attendait dans les défilés deBellerma,
ils passèrent par Chergua, M'soussa, l'Oued el Rou-
bar, tête de l'Oued El Arab, et, débouchant dans le
Zab Guebli, allèrent prendre position sur l'Oued
Itel. Puis, ralliés par l'Agha de Touggourth, les Selmia
et les Rahmane allèrent guerroyer dans les oasis du
Souf, tandis que les Bou Azid gardaient les trou-
peaux sur l'Oued Itel.
La conséquence de l'adroite manœuvre des Ghe-
raba faillit ne pas leur être favorable. En efïet, au
printemps de 1841, tandis qu'ils étaient enfoncés dans
le Sud, les Cheraga faisaient dévorer les récoltes
des Ziban, y recueillaient l'impôt; les Gheraba ris-
quaient donc de ne pouvoir regagner, au commen-
cement de l'été, leurs pâturages du Tell, desquels
ils étaient désormais séparés par leurs ennemis.
A cette époque, la fortune de Hassein ben Azzouz
était à son déclin. Le Khalifa de Sidi Okba conçut
le dessein de le remplacer comme lieutenant de l'Emir
dans le Sahara, et, comme Ferhat ben Saïd le gênait,
il résolut naturellement de s'allier aux Ben Ganah.
Ses propositions furent accueillies avec empresse-
ment et les Ben Ganah accoururent au rendez-vous
fixé à Biskra.
A cette nouvelle, Ferhat ben Saïd se retira à Tolga ;
le Cheikh el Arab avait cantonné ses goums à Chetma
et à Filiach; les Lakdar qui l'avaient rallié étaient
campés au pied du bord] Turc et les Ahl ben Ali,
autour de Cora.
- 258 —
Cette dispersion permit à Ferhat ben Saïd, qui
était venu en reconnaissance à Aïn Oumach, de fondre
sur les Lakdar qui, surpris et taillés en pièces, s'en-
fuirent abandonnant leurs troupeaux.
Sans perdre de temps, Ferhat ben Saïd, suivi des
cavaliers d'Abd-el-Kader et des goumiers dont les
chevaux n'étaient pas encore fatigués, s'avança à
travers les palmiers de l'oasis jusqu'au campement
des Ahl ben Ali. Profitant de la surprise de ces der-
niers, il vint au milieu d'eux, leur fit croire qu'il
était à la tête de forces importantes, leur reprocha
leur désobéissance à son égard et leur offrit le par-
don : « Chargez vos tentes et suivez-moi, ajouta-t-il
en terminant ». Subjugués les Ahl ben Ali obéirent
et se mirent en route pour le Zab.
Pendant que ces événements se passaient, les
Lakdar, dépouillés au fort Turc, étaient allés donner
l'alarme au camp des Ben Ganah. Le Cheikh el Arab
apprend la nouvelle à Chetma. Tout d'abord, il refusa
d'y croire. Cependant, le doute ne lui étant plus possi-
ble, il rassembla à la hâte ses cavahers et se. mit en
route pour Biskra. En arrivant à Labia, il vit, sur la
berge opposée, le convoi des Ahl ben Ali qui se re-
tirait vers le Sud. Croyant à une trahison, il cessa
la poursuite et le lendemain prit la route du Tell.
Au mois de juillet suivant Hassein ben Azzouz,
tombé entre les mains de Sidi Mokrani, khalifa de
la Medjana, fut livré aux Français par ce dernier.
Le moment semblait venu pour les Ben Ganah de
prendre leur revanche. Après s'être concertés avec
ben Ahmed ben El Hadj, khalifa de Sidi Okba, ils
se mirent en marche vers le Sud. Ferhat ben Saïd,
installé à Biskra préféra abandonner cette ville et
- 259 -
attendre l'ennemi dans le Zab Daharoui ; il y était
plus à portée pour recevoir des secours de l'Ouest.
Il était en même temps plus éloigné du Zab Gliergui
et des oasis de la rive gauche qui obéissaient à Ben
Ahmed ben El Hadj ; il se retira à l'Ain Khedidja, au
sud de Tolga. Les Ahl Amour campèrent entre El-
Amri et El-Bordj et les Ouled Naïl au nord d'El-
Amri.
Après avoir envoyé des reconnaissances pour se
renseigner sur les positions et les forces de l'ennemi,
les Ben Ganah débouchèrent dans le Zab, battirent
les Ouled Naïl et leur enlevèrent 30,000 moutons;
ils les poursuivirent et les harcelèrent jusqu'à Dou-
cen et ils revinrent camper devant El-Amri. Ils s'atten-
daient à un retour ofïensif des Ouled Naïl, qui eut
lieu, en effet, et fut repoussé avec succès.
A ce moment, arriva Ben Ahmed ben El Hadj
avec ses contingents du Zab Chergui; il fit sa jonc-
tion avec les Ben Ganah. A cette nouvelle, les Ahl
Amour abandonnèrent Ferhat, qui n'ayant plus autour
de lui qu'une cinquantaine de fantassins dut s'enfuir
la nuit à Sahira et de là aux Ouled Djellal. Ce succès
eut un immense retentissement.
Les Gheraga se rallièrent aussitôt aux Ben Ganah
et le Zab entier leur fit sa soumission. Au retour de
leur estivage dans le Tell, ils apprirent que Ferhat
ben Saïd avait été assassiné chez les Bou Azid qu'il
avait essayé de gagner à sa cause.
Les discussions étaient loin d'être terminées ; au
moment où ils apprenaient la mort de leur principal
ennemi, les Ben Ganah se découvrirent un rival nou-
veau : Ben Ahmed bel Hadj, khalifa de Sidi Okba,
que la moitié de Biskra demandait comme Caïd pour
- 260 -
faire pièce à Ahmed bel Hadj ben Ganah. Ils appre-
naient aussi que ce rival entretenait une correspon-
dance suivie avec Abd-el-Kader. L'effet s'en fit bientôt
sentir et, en janvier 184-2, le khalifa de l'Emir dans
le Hodna, se dirigeant sur les Ziban, arriva à
M'doukal.
Les Ben Ganah rappelèrent leurs nomades du Sud ;
mais les contingents qui leur furent envoyés ne leur
permettant pas de tenir la campagne, ils se réfugiè-
rent dans le Tell au moment où le khalifa de l'Emir
pénétrait dans les Ziban par le col de Ben Rezel et
faisait son entrée à Biskra sans coup férir. Ben Ah-
med bel Hadj fut solennellement proclamé khalifa
d'Abd-el-Kader dans les Ziban ; n'osant poursuivre
les Ben Ganah dans le Tell, il fit brusquement irrup-
tion dans le Zab Daharaoui où le Cheikh El Arab
comptait un grand nombre de partisans.
En passant auprès des oasis de Lichana et de Far-
far, quelques coups de fusil furent échangés. Devant
Tolga une action assez vive s'engagea. Les assaillants
avaient déjà perdu 50 hommes et comptaient 200
blessés, lorsque Ali ben Amar, cheikh des Khouan
de l'ordre de Si Abderrahman, sortit de sa zaouia,
drapeaux en tête et entouré de ses tolba, pour inter-
venir pacifiquement entre les combattants; mais, au
moment où il franchissait les premiers murs de
clôture, il reçut une balle qui le tua net.
Ce crime de lèse religion exaspéra au plus haut
point le fanatisme des gens de Tolga, Efïrayés, les
assaillants se retirèrent et rentrèrent à Biskra. Le
khahfa de l'Emir, qui ne tenait pas à continuer une
campagne qui ne lui rapportait rien, profita de cette
accalmie et rentra dans le Hodna en laissant 400 ré-
guUers à Ben Ahmed bel Hadj.
— 261 —
L'automne de 1842 était arrivé; les Ben Ganali
revinrent vers le Sud avec leurs nomades, et, prenant
la rive gauche de l'Oued Biskra, se dirigèrent sur
Sidi Okba, où le khalifa de l'Emir s'était enfermé
avec ses troupes.
Au lieu d'attaquer de vive force l'oasis, les Ben
Ganah préférèrent obliger les habitants à en sortir
en les cernant et en détournant le canal qui leur
amenait l'eau; mais c'était se condamner à attendre
au moins quinze jours sous les murs de Sidi Okba.
L'attaque ne fut pas heureuse et ils durent se retirer
laissant un grand nombre de blessés sur le champ
de bataille. Le restant de l'hiver, les nomades restè-
rent groupés à Saàda autour du Cheikh El Arab.
Le printemps de 1843 leur permit de remonter vers
le Nord et, tandis qu'un émissaire allait à Constan-
tine solliciter des secours, les Ben Ganah razzièrent
les oasis de la rive gauche, firent dévorer leurs ré-
coltes et abatirent les palmiers. Bien que leur am-
bassadeur auprès du gouvernement à Gonstantine
n'ait rapporté que des lettres remplies de promesses,
les Ben Ganah voulurent encore tenter un effort
contre Sidi Olvba.
Ils réussirent cette fois à décider les nomades à
attendre quinze jours, bloquèrent l'oasis et détour -
nèrent l'eau. Leur plan faillit réussir; déjà une pre-
mière sortie avait été repoussée; mais la ville étant
mal investie, ses défenseurs purent communiquer
avec quelques ennemis du çofï des Ben Ganah qui
étaient restés à la casbah de Biskra. Ceux-ci tirèrent
des coups de fusil et attirèrent à eux l'armée des
Ben Ganah. Pendant ce temps, une sortie générale
des gens de Sidi Okba causait une panique extrême
— 26â —
dans les rangs des Ben Ganah, qui durent se retirer
à Lichana.
Cet échec faillit avoir de graves conséquences :
habilement travaillés en sous main, les nomades,
à l'exception des Cheurfa et de la Smala, déclarè-
rent qu'ils étaient las de ces luttes continuelles où
ils risquaient leur vie et qui ne leur rapportaient que
la ruine. Ils refusèrent de marcher de nouveau si
on ne leur payait pas la a dia » des morts et si on
ne les indemnisait pas des blessures qu'ils avaient
reçues.
Cette année, mal commencée pour les Ben Ganah,
fut encore marquée par un événement malheureux,
la mort de Si M'hamed ben Bou Aziz ben Ganah,
dont les bons conseils et l'énergie dans les combats
manquèrent souvent par la suite dans sa famille.
1S44. — Au printemps de 1844, et après une dis-
sension passagère qui faillit mettre à jamais la brouille
entre les Saharis et les Zemoul, le gouvernement
français se décida enfin à une expédition dans le
Sahara.
Le duc d'Aumale, commandant la province, après
avoir fait occuper Batna, demanda 100 chameaux au
Cheikh El Arab; ce dernier envoya des ordres en
conséquence aux nomades campés dans le Sahara.
Les chameaux furent réunis; mais quand ils pas-
sèrent les gorges d'El-Kantara, ils tombèrent entre
les mains des Lakdar et des Ouled Sultan que le
Bey avait postés sur leur route.
Le 21 février, 4 compagnies d'élites, 200 chevaux
et le goum des Douada surprirent les Lakdar auprès
du ksour et les dispersèrent Le lendemain, aux Ta-
— 263 —
marins, ils retrouvèrent les chameaux tombés aux
mains de l'ennemi et s'en emparèrent après une
brillante escarmouche.
La colonne put donc se mettre en route le 25. Elle
était composée de 2,400 hommes d'infanterie (2" de
ligne, légion étrangère, tirailleurs indigènes), de
600 chevaux [3^ chasseurs et 3« spahis), 4 pièces de
montagne et 2 pièces de campagne ; elle arriva le 29 à
El-Kantara. Sur la route, le colonel Bouscarin avait
razzié les Lakdar avec les tirailleurs et les spahis.
Les habitants d'El-Kantara, loin d'opposer la moin-
dre résistance, se hâtèrent de faire leur soumission.
Le 4 mars, le duc d'Aumale entrait à Biskra sans
coup férir.
Mohammed Srir, khalifa d'Abd-el-Kader, avait
quitté cette ville depuis cinq jours, avec ses troupes
régulières et s'était réfugié dans l'Aurès. Il avait
vainement tenté d'amener avec lui la population qui
nous reçut à bras ouverts. Le soir même, les dépu-
tations de toutes les petites villes des Ziban et de
toutes les tribus nomades, sans exception, étaient
dans notre camp, demandant le pardon de toutes
leurs fautes, l'autorité et la protection de la France.
(Rapport du duc d'Aumale).
L'arrivée d'une colonne importante à Biskra chan-
gea la face des choses et détruisit d'un seul coup
tout le prestige que le khahfa de l'Emir avait gagné
dans la période qui venait de s'écouler.
Les oasis du Sahara n'en pouvaient plus; elles
avaient chaque année supporté le poids de la lutte
et Ben Ahmed ben El Hadj ne put désormais trou-
ver d'échos que dans l'Ahmar Kaddou, chez les
kabyles qui, réfugiés dans leurs montagnes, n'avaient
pas eu trop à soutïrir des guerres précédentes.
— 264 —
Le duc d'Aumale comprit qu'il ne pouvait laisser
le khalifa de l'Emir installé aux portes de Biskra et
il se décida à punir les M'chounech pour avoir donné
asile aux rebelles. Le 12, une reconnaissance com-
posé d'un bataillon et de 150 chevaux, fut reçue à
coups de fusils. Comme elle se retirait, son but
n'étant pas d'engager l'attaque mais bien de recon-
naître la position, Ben Ahmed ben El Hadj ne man-
qua pas d'exploiter aux yeux des Arabes les appa-
rences de cette manœuvre et en fit une victoire dont
la nouvelle excita au plus haut degré le fanatisme
des gens de la montagne. Aussi, lorsque le duc
d'Aumale se présenta devant la ville, avec une colon-
ne de 1,200 hommes et 400 chevaux, éprouva-t-il
une résistance opiniâtre et il fallut toute l'énergie de
nos troupes pour vaincre à la fois cette résistance
et les obstacles naturels du sol. La victoire de
M'chounech nous coûta 6 tués et 16 blessés. Ben
Ahmed s'enfuit dans la montagne et nos troupes
occupèrent pendant quelques jours le village con-
quis.
De retour à Biskra, le duc d'Aumale posa les
premières bases de l'organisation administrative du
Cercle. Les choses furent réglées de manière à inves-
tir le Cheikh el Arab d'une autorité que ses services
permettaient de lui donner avec confiance, tout en
laissant le Commandant supérieur exercer sur ses
actes une surveillance continuelle qui donnait aux po-
pulations les garanties qu'elles réclamaient. Les droits
de chaque fonctionnaire, la qualité de l'impôt, l'exer-
cice de la justice, les migrations annuelles des no-
mades furent réglés avec autant de précision que
possible. Les biens des émigrés, qui ne furent pas
— 265
rentrés le 25 mars, furent confisqués. On créa une
compagnie de tirailleurs de 300 hommes commandée
par un ollicier français et destiné à garder la casbah.
Malheureusement les mauvaises nouvelles reçues
de Batna forcèrent à évacuer Biskra.
Après le départ du duc d'Aumale, le commandant
Thomas resta encore une vingtaine de jours à Bis-
kra qu'il quitta à son tour en laissant le comman-
dement da détachement au lieutenant Petitgand.
La facilité, avec laquelle, pour recruter des indi-
gènes, on enrôlait tous les déserteurs de l'armée de
Ben Ahmed ben El Hadj, inspira à ce dernier l'idée
d'envoyer de faux déserteurs pour emboucher la
garnison; cette ruse réussit. Le 12 mai, à 2 heures
du matin, 150 hommes du khahfa arrivèrent à la
casbah. Presque toute la garnison était comphce.
La résistance fut impossible pour les soldats fran-
çais et les quelques tirailleurs restés fidèles. Tous
turent massacrés à l'exception du sergent- major
Pelisse, qui réussit à gagner Tolga avec le Caïd de
Biskra, et 3 artilleurs épargnés pour servir à la ma-
nœuvre des canons. Dès le lendemain, le khalifa
arriva à la casbah et s'occupa avec activité d'en en-
lever le matériel et les approvisionnements. Il eut
raison de se hâter. Le 18 mai au matin, il dut s'en-
fuir au moment où notre cavalerie débouchait au
galop dans l'oasis. C'était la colonne ramenée à
Biskra par le duc d'Aumale; ce prince y séjourna
une semaine qui fut employée à compléter l'organi-
sation administrative du pays.
Il laissa au Cheikh El Arab le commandement des
Ziban, y compris le Zab el Ghergui et les nomades
du Sud. Cette immense autorité était contrebalancée
— 266 —
par l'influence d'un personnage religieux Si Mokrani,
qui plus tard joua un si grand rôle dans l'histoire
du Hodna et de la vallée de la Medjana. A ce per-
sonnage fut confié le commandement du Hodna, des
Sahari, de M'doukal, d'El-Kantara, d'El-Outaïa, des
Beni-Ferah et de toute la région de l'Oued Abdi
inférieure; son territoire s'étendait jusqu'aux portes
de Biskra. Le Zab Chergui, si longtemps refuge des
rebelles, avait été partagé entre les deux branches
rivales des Ouled Saoula.
L'Ahmar Khaddou, le Djebel Chechar à l'Est, les
Ouled Zekri au Sud-Ouest étaient insoumis. Les
Ouled Derradj. bien qu'ayant donné l'assurance de
leur sympathie pour le nouveau gouvernement ,
étaient sur la limite entre l'obéissance et l'insoumis-
sion.
Le Bey de Touggourt reconnaissait la suzeraineté
de la France et consentait à payer à ce gouverne-
ment un tribut, comme il en payait un au Bey de
Constantine. Il était obligé d'accepter cette suzerai-
neté parce que les sédentaires de Touggourt et du
Souf n'auraient pas pu se procurer des grains, s'ils
n'avaient pas pu aller sur les marchés du Tell.
A la suite de la trahison de Biskra, beaucoup d'in-
digènes s'étaient enfuis; leurs biens furent frappés
de séquestre. Le 16 juin, 200 hommes de la garni-
son, soutenus par un peloton de chasseurs et un
peloton de spahis, se rendirent à Sidi-Okba et y
chargèrent 230 mulets de grains, appartenant aux
émigrés. De plus, Ben Ahmed ben El Hadj avait
ensemencé un terrain à El Habel, sur la route de
Biskra à Mehammed, la récolte en fut donnée au
Caïd des Ouled Saoula.
— 267 —
Le 30 juin, à la pointe du jour, Ben Ahmed ben
El Hadj tomba sur les villages de Droub et d'El-
Habel et mit en fuite les habitants. Le 20 juillet il se
présenta de nouveau à Khangua, chez les Ouled
Sidi Nadji, s'empara de leurs maisons, les pilla et se
retira en toute hâte dans la montagne. Il fallait agir
rapidement et empêcher la suite d'une série de coups
de mains aussi audacieux. En attendant que leur
auteur fut puni lui-même, le duc d'Aumale frappa
ses complices. Les deux villages de Zeribet el Oued
et de Liana ne s'étaient pas portés au secours de
leurs voisins, les Khangua; le duc d'Aumale mfligea
L500 francs d'amende au premier et 2,000 francs au
second. Depuis cette époque jusqu'à la fin de l'an-
née 1844, la tranquillité ne fut plus troublée que par
des vols et des assassinats étrangers à la politique-
Ben Ahmed ben El Hadj. remonté dans ses monta-
gnes, gardait un silence inquiétant. Les renseigne-
ments fournis sur son compte avaient annoncés qu'il
entretenait des relations avec l'ancien Bey deConstan-
tine et on s'attendait, d'un moment à l'autre, à le voir
reprendre la campagne avec des forces nouvelles.
IS45 — Au commencement de l'hiver, les mon-
tagnards de l'Ahmar Kaddou firent des offres de
soumission; malheureusement, elles n'étaient ap-
puyées par aucune garantie et elles furent soupçon-
nées de n'être pas sincères. Aussi, furent-elles re-
poussées.
L'hiver fut dur, la neige envahit les hauteurs, et
les gens de la montagne, n'osant pas emmener paî-
tre leurs troupeaux dans la plaine, située au Nord,
crurent plus prudent de descendre dans le Zab
Ghergui.
- 268 —
Le 4 février, les goums des Ahl beii Ali et les
Khiala de Biskra enlevèrent 100 moutons aux Touaba
puis se rabattirent sur M'chounech, razzièrent en-
core 400 moutons et se retirèrent sans être poursui-
vis.
A cette époque, les Mememcha firent des offres
de soumission. Cet évèvement n'intéresse l'histori-
que des Ziban que parce que le Commandant supé-
rieur de Biskra dut faire des démonstrations dans
le Zab Chergui pour appuyer la colonne du général
Bedeau, et parce que les succès de cette colonne ame-
nèrent une nouvelle pacification de l'Aurès.
Malgré de grands désordres qui éclatèrent au mois
de novembre dans le Hodna, le contre-coup de la
grande insurrection de 1845 ne se fit pas trop sentir
dans les Ziban. Cette révolte se termina, d'ailleurs,
par ja victoire de notre allié Si Mokrani, contre Si
Saad ben Tobbaïn, agent de Bou Maza. Craignant
une nouvelle attaque, Si Mokrani s'enferma dans
l'oasis de Mdoukal et y resta longtemps bloqué.
i846. - L'année 1846 amena la soumission des
Ouled Djellal et celle de Sidi Khaled,
La tribu des Ouled Amor et Saïd n'avait cessé
depuis l'occupation française de donner la main à
Ben Ahmed ben El Hadj. Il fut décidé qu'elle serait
punie de sa complicité et, le 5 mars, le commandant
de Saint-Germain, avec le bataillon d'Afrique, les
spahis et les goums de Bou Hadidja, après une
marche rapide, bloqua le village d'El-Faya qui fut
enlevé d'assaut et pillé. Les Ouled Amor fournirent
encore 15 otages et payèrent 10,000 francs d'amende.
Les relations d'Abd-el-Kader avec la grande confé-
— 269 -
dération des Ouled Nail Cheragua ou Ouled Zekri
entretenaient dans cette tribu un esprit d'indiscipline
et d'insoumission qu'il fallait réprimer. Leurs coups
de main répétés devenaient de plus en plus auda-
cieux. Le 24 septembre, 70 cavaliers, 4,500 fantasins
vinrent enlever les troupeaux de l'oasis d'Oumach.
Malheureusement l'absence d'une cavalerie régulière
à Biskra empêchait de poursuivre ces insaisissables
nomades qu'aucun obstacle dans le Sud n'empêchait
d'échapper à l'action de nos colonnes. On s'y prit
d'une autre façon pour les punir ; les Ouled Zekri
furent exclus du cercle de Biskra et de Sétif. C'était
leur interdire l'accès du Tell et condamner leurs
troupeaux à une ruine imminente. Les Ouled Zekri
essayèrent d'échapper à cette sévère mesure en se
disséminant au milieu des autres tribus ; mais leur
ruse fut découverte et les Ouled Moulet qui y avaient
prêté la main furent razziés; on leur enleva 2,000
moutons.
Tandis que le Zab Guebli était troublé par les in-
cursions des Ouled Zekri, le Zab Chergui était l'objet
de coups de main audacieux de la part des Nemem-
cha.
Une première fois, le commandant de Saint-Ger-
main était sorti de Biskra avec une compagnie d'in-
fanterie, un peloton de spahis et un goum, et était
allé se poster à Liana. Les Nemencha s'étaient enfuis,
mais la colonne française, insuffisamment, forte, ne
put se lancer à la poursuite des fuyards ; elle dut
rentrer à Biskra. Quelques jours après, les Nemem-
cha se présentèrent devant Liana sous la conduite
d'un Chérif Ahmed ou Belkacem ; les gens de Liana
firent bonne contenance : deux attaques de l'extérieur
— 270 -
échouèrent, mais les munitions manquèrent dans le
village et les habitants durent l'évacuer pendant la
nuit. Le Chérif tourna alors ses vues sur Khanga
devant lequel il mit le siège le 7 novembre.
Une colonne dût partir de Biskra ; le 8 novembre
au soir, le commandant de Saint-Germam arrivait
sur" l'Oued El Arab avec 500 baïonnettes et 200 che-
vaux. A cette nouvelle, le Chérif leva précipitamment
le camp. Les gens de Khanga reprenant courage
s'élancèrent à sa poursuite. Au coucher- du soleil, le
commandant de Saint-Germain lança son goum en
avant et le suivit avec son infanterie. La bande des
Nememcha fut bientôt rejointe ; la tente du Cherif,
2,000 moutons, 30 chameaux, tombèrent entre nos
mains.
Cette expédition, couronnée de -succès et menée
avec une rapidité incroyable, fut une leçon d'une
grande utilité. Elle prouva aux villages voisins de
Biskra que la protection française était efficace : elle
enseigna en même temps aux nomades insoumis que
le rayon d'action de notre nouveau poste s'étendait
jusqu'au sein même de leurs pâturages.
Avant de rentrer à Biskra, le commandant de
Saint-Germain fit encore une pointe vers l'Est et
tomba à l'improviste sur un douar des Nememcha
auquel il enleva 100 tentes, 200 chameaux et 3,000
moutons. Les oasis de Liana et Khangua furent
fortifiées. Les habitants qui s'étaient enfuis y ren-
trèrent en masse et, ayant laissé ces villages dans
les meilleures conditions de défense possible, le com-
mandant de Saint-Germain reprit, le 24 décembre,
le chemin de Biskra.
— 271 —
1841 . — Un jeune et simple derwich, venu on ne
sait d'où, vivait, depuis quelques temps, au milieu
des Cheurfa, chez une vieille femme, veuve, bonne
musulmane, qui l'avait accueilli chez elle pour faire
une bonne œuvre. C'était Si Mohamed ben Abdallah,
le Chérif nommé Bon Maza, l'instigateur et le chef
de la révolte du Dahara. Il menait une vie aussi
édifiante que possible et ne parlait à personne; il
priait du matin au soir, se nourrissait des offrandes
qu'on lui apportait et en enrichissait la pauvre femme
qui lui avait donné asile. Sa manière de vivre, ses
extases, ses prières continuelles, finirent par lui ac-
quérir une certaine réputation de sainteté qui grandit
de jour en jour.
Un beau soir, dans un festin offert par un voisin à
un grand nombre de convives, il se leva tout à coup
et, d'un ton inspiré, annonça qu'il était le Sultan
choisi par Dieu pour exterminer les Français et ré-
tablir le triomphe de la foi musulmane. La prédication
terminée, la foule se dispersa avec un vague pres-
sentiment que d'étranges événements allaient s'ac-
complir et chacun secoua sa vieille foi endormie ; la
nouvelle vola de montagne en montagne et bientôt,
sous les gourbis du Dahara comme sous les tentes
de la plaine, il ne fut plus question que de l'Envoyé
de Dieu, le Sultan Mohamed ben Abdallah.
La révolte éclata; un moment circonscrite dans la
région d'Orléansville, elle devint bientôt générale et
quelques mois plus tard, Bou Maza, pressé par la
colonne de Médéah, dut se jeter chez les Ouled Naïl.
Le Caïd de Biskra fut envoyé avec un goum pour
couvrir les oasis des Ouled Djellal, déjà réunies par
l'approche de l'agitateur.
_ 272
Mais le nom de Bou Maza avait glacé tous les
courages et nos goumiers prirent honteusement la
fuite quand ils aperçurent à l'horizon le drapeau du
Chérif du Dahara. Bou Maza entra sans coup férir
chez les Ouled Djellal; la population, préparée par
la zaouia de Si Moktar ben Abderrahman, le reçut
comme un envoyé de Dieu.
Dès qu'il eut connaissance de l'arrivée prochaine
du Chérif, le général Bedeau donna l'ordre au géné-
ral Herbillon, commandant la subdivision de Batna,
de se porter en toute hâte dans les Ziban. Le 5 jan-
vier 1847, le général Herbillon se mit en route; lais-
sant Biskra à l'est, il se dirigea directement d'El-
Outaya sur Tolga et le 10, il arriva aux Ouled Djellal.
A l'arrivée de nos troupes, Bou Maza s'était retiré
sur l'Oued Itel; mais, sous l'empire de l'excitation
causée par son arrivée et par ses discours, les indi-
gènes des Ouled Djellal s'étaient trop compromis pour
pouvoir reculer, Le général Herbillon prit position
sur les escarpements de la rive droite de la rivière,
à 300 mètres environ de l'oasis; du camp on n'a-
percevait que le minaret du village. Après cinq heures
de pourparlers, il fut hors de doute que les Ouled
Djellal ne céderaient qu'à la force.
Avant de commencer efïectivement l'attaque, le
Général voulut essayer tout d'abord l'effet d'une dé-
monstration ofïensive. Mais ce mouvement d'assaut
ne réussit pas comme on anrait pu l'espérer. La
colonne, opérant par le Nord, se trouva engagée si
sérieusement que le général Herbillon dut, pour la
dégager, attaquer vivement le village par le Sud. Au
lieu d'une démonstration, cette journée fut un san-
glant combat qui nous coûta 70 hommes; parmi
- 273 —
lesquels un officier supérieur, le commandant Billon.
Les Ouled Djellal furent néanmoins intimidés et le
soir même ils demandèrent l'aman. Il leur fut accor-
dé à la condition de payer 50,000 francs et de livrer
2i otages. Dès le II, au soir, les conditions étalent
exécutées.
Renforcé de deux bataillons, le général Herbillon,
par une marche forcée, se porta à Mengoub, sur
rOued Itel ; Bou iMaza ne se laissa pas surprendre
et suivi de quelques cavaliers seulement, il reprit la
route du Gliélif.
L'année 1847 fut encore marquée par la sortie
d'une colonne de Biskra, sous les ordres du colonel
Sonnet. Elle devait opérer contre les Nememcha, de
concert avec deux colonnes parties l'une de Batna,
l'autre de Tébessa. Mais la grande expédition de
Kabylie interrompit ces démonstrations au moment
où l'on allait peut-être remporter un éclatant succès.
Parti le 27 mars, le colonel Sonnet rentra à Biskra
le 27 avril. Le reste de l'année de 1847 s'écoula sans
aucun événement important dans le cercle de Biskra.
484'^. — Nous avons dit quels étaient en 1844
nos rapports avec le Bey ou mieux avec le cheikh
de Touggourt. Nos relations avec lui étaient bonnes;
ce Chef nous payait régulièrement son tribut annuel.
Dès la fin de 1847, il eut l'idée d'exploiter sa situation
auprès nous pour étendre sa domination sur l'oasis
voisine, Temacin, la rivale de Touggourt commandée
alors par un Cheikh de la même famille. En jan-
vier 1848, il obtint, l'appui de nos nomades pour
attaquer Temacin qui vint à composition et paya
80,000 francs. Cette somme était, paraît-il, destinée à
- 2^4 -
solder les auxiliaires qui avaient aidé le Cheikh de
Touggourt, mais ce dernier, après avoir reçu les
contributions de guerre, avait oublié, dit-on, ses pro-
messes et n'avait rien donné à ses soldats; une sé-
dition s'en serait suivie et le Chef arabe ne l'aurait
calmée qu'à grand peine.
Le gouvernement français profita de cette occasion
pour envoyer à Touggourt une mission. Au mois
de mars, le Chef du Bureau arabe de Biskra, Dubos-
quet, accompagné de l'Ingénieur des Mines Dubosq,
fut reçu avec de grands égards par le Cheikh de
Touggourt. Ce dernier, bientôt après, pour conti-
nuer sa politique, rendit un nouvel hommage à l'au-
torité française en venant saluer à Biskra le Com-
mandant de Saint-Germain. Puis, croyant le moment
venu de recueillir les fruits de sa soumission, il
parla de l'ambition qu'il avait d'augmenter les pos-
sessions françaises en ajoutant le Souf au cheikhat
de Touggourt. Il lui fallait, pour cela, l'appui d'une
colonne française. Le commandant de Saint-Germain
reçut Si Abderrahman ben Djellal avec les plus
grandes marques d'estime et de sympathie; il ne
négligea aucune occasion de flatter la vanité de ce
chef indigène, mais il ne put s'engager et lui pro-
mettre ce qu'il lui demandait, surtout à un moment
où les événements survenus en France ne permet-
taient pas de tenter de nouvelles expéditions.
Cependant, pour paralyser les faux bruits que les
ennemis de la France faisaient courir, le colonel
Canrobert partit de Batna avec une colonne. Appre-
nant que l'ancien Bey de Gonstantine était dans la
montagne où il ne cessait d'exciter les indigènes à
se révolter, le Colonel se concerta avec le comman-
— 275 -
dant de Saint- Germain qui, sortant lui-même de
Biskra, garda tous les passages par lesquels le Bey
pouvait descendre dans le Sahara. En même temps
des recommandations sévères étaient faites à nos
tribus restées fidèles. Les Beni-Melkem, notamment,
obéissant aux instructions du Commandant supé-
rieur de Biskra, fermaient au Bey toute issue vers
l'Est. Se voyant pris, le Bey dut se rendre quelques
jours après. Voici comment le commandant de Saint-
Germain raconte cet événement au colonel Canro-
bert :
« Votre dernière lettre du 31 mai me donnait
« comme certaine votre arrivée à Mena pour le 3 juin ;
« je calculai que vous pouviez être rendu sur les
« hauteurs de Taguethious le 5 juin; ayant laissé
« quelques cavaliers dans le Sahara, pour la garde
(( des tentes, je partis le 5 juin, avant le jour, de
« Foum Oued el Aguef et je m'avançai dans la di-
(( rection de Kebaïch, dont j'étais éloigné de huit
« lieues environ.
a J'emmenai avec moi 20 spahis réguliers, 25 sa-
(( haris du goum d'El-Outaïa, 425 cavaliers de la
« nouba de Biskra, les cavaliers des Ouled Sahoula,
« 425 de leurs serviteurs, enfin le Cheikh El Arab
« et les Douada, ayant ensemble de 160 à 165 cava-
« lier s.
« Le chemin qui conduit à Kebaïch est difficile ; le
(( terrain est couvert d'énormes cailloux roulés, il
« est, en outre, très accidenté et sans eau.
(( Je marchais rapidement, lorsqu'à trois heures de
« Kebaïch, un serviteur du Bey, accompagné d'un
« cheikh des Ouled Abderrahman, se présenta à
« moi. Il me remit une lettre de son maître dans la-
« quelle était contenue une autre lettre du Bureau
« arabe de Batna, écrite à la date du 27 décembre 1847.
- 276 -
« Dans cette lettre, le Bey me disait qu'il était en
a pourparlers avec Monsieur le Commandant de
(( Batna ; il me demandait de lui envoyer l'aman pour
(( lui et pour sa famille; il rappelait sa grandeur passée
0 pour obtenir d'être traité avec égard. Il ne faisait
« d'autres conditions que celle d'avoir à faire direc-
0 tement à moi, sans l'entremise des Chefs arabes.
« M'adressant au serviteur, je lui dis d'exposer
(( clairement et promptement le but de sa mission ;
« il me répondit que le Bey désirait franchement
(( l'aman, que cet aman, d'ailleurs, lui avait été ac-
te cordé six mois avant par la lettre du Bureau arabe
<( de Batna. J'écartai cette prétention, inadmissible
« après un délai de six mois et ses dernières intri-
« gués.
« J'ajoutai que si le Bey voulait se mettre à ma
« disposition, il ne lui serait pas fait de mal, mais
« qu'il lui fallait venir immédiatement se remettre
(( entre mes mains.
« Demain, il viendra, me dit le serviteur. Non ré-
(( pondis-je, aujourd'hui même et je vais continuer
« à marcher vers lui. Le serviteur du Bey me de-
(( manda alors d'écrire une lettre d'aman dont je
« chargerais un envoyé qui l'accompagnerait près
« près du Bey.
« J'y consentis, j'écrivis aussitôt la lettre suivante :
« Venez à moi sans crainte, je vous donne l'aman;
« je vous envoie Amar, mon interprète; il est com-
« me mon fils; revenez avec lui en bannissant toute
« crainte de votre cœur; il vous remettra une lettre
« et une montre comme gage de confiance. »
« Le brigadier Amar ben Abdellah partit aussitôt
« avec le serviteur du Bey et deux spahis : je gardai
— 277 -
« près de moi comme otage le Cheikh des Onled
(( Abderrahmaii et je suivis au grand trot.
« J'avais quelque appréhension sur les sentiments
« des Ouled Abderrahman et ce sentiment était
(i fondé.
(( Lorsque j'arrivai sur le dernier plateau qui do-
« mine Kebaïch, je vis le brigadier Amar et les deux
« spahis en présence des Ouled Abderrahmann en
« armes, la plupart d'entre eux embusqués derrière
(( les rochers et refusant de laisser passer mon en-
« voyé.
« Un grand désordre régnait dans cette tribu, un
« parti considérable se prononçant pour la résistance.
« Cependant, le serviteur du Bey parvint à m'amener
« un des principaux au moyen duquel j'entrai en
« relation avec les Ouled Abderrahman.
(» Je leur fis envisager qu'ils allaient être attaqués
« de trois côtés, car votre colonne devait n'être pas
« éloignée et je savais que les Béni Melken, séparés
« de moi par une chaîne de montagnes étroite, s'a-
« vançaient vers Chebaïch par le Nord-Est.
" J'avais fait mettre pied à terre à une partie des
« goums et fait conduire les chevaux en arrière; je
« reçus alors un second message du Bey. Celte lettre,
« portant le caractère d'une véritable précipitation,
« me confirma dans la pensée que votre mouvement
« et celui des Béni Melken se prononçaient claire-
« ment.
« Je jugeai que le Bey était aux abois et ne comp-
« tait plus sur la protection des Ouled-Abderrahman.
« Cette seconde lettre, apportée par son mamelouk
(( de confiance me disait en peu de mots : « Envoyez-
«« moi l'aman pour moi et ma suite, je viendrai à
— 278 —
((« vous; mais ne me prenez pas par la force, car j'ai
«(( été Sultan; ne m'humiliez pas; je veux me sou-
«(( mettre et terminer cette vie errante. »
« Je répondis au mamelouk n'avoir rien à ajouter
(( à la lettre dont le brigadier était porteur.
(t Pendant ce temps, les négociations avec les
(( Ouled Abderrahman avaient réussi. J'avais exigé
« trois d'entre eux comme caution de la sûreté de
« mon envoyé, le brigadier Amar. Ces trois hommes
« m'ayant été amenés, non toutefois, sans difficultés,
0 je fis partir le brigadier accompagné par les sol-
« dats du Bey.
(( Le brigadier Amar étant parvenu près du Bey,
« lui remit ma lettre, celui-ci se décida à venir à
({ moi et il arriva bientôt accompagné de quelques
(( serviteurs. J'avais fait retirer les Arabes et leurs
« chefs. Le Bey ayant mis pied à terre et moi en-
« suite, il me dit confier entièrement son sort et ce-
« lui des siens à la générosité des Français. Il renon-
ce vêla ensuite sa demande de n'avoir aucune relation
« avec les Arabes, ce que je lui promis de nouveau.
« Dès le même jour, le Bey et sa famille vinrent
« camper avec moi dans le Sahara. Les spahis seuls
« furent commis à sa garde : les Arabes de tout rang
« furent tenus éloignés de sa présence. Il fut conduit
« dans cet ordre à Biskra, où il arriva le 7 juin. »
Nous arrêterons ici la partie historique ; ni notre
installation définitive à Biskra, ni la prise d'Ahmed
Bey ne ramenèrent du soir au lendemain la tranquillité
dans ce pays ; l'intervention effective de nos troupes
fut encore nécessaire pendant une dizaine d'années.
En 1849, un autre prétendu chérif, nommé Bou
Zian, habitant de Zaatcha, leva" l'étendard de la ré-
- 279 -
volte et prêcha la guerre sainte. Une colonne sons
le commandement du commandant de Saint-Germain
fut envoyée pour arrêter cette insurrection; un im-
portant combat fut livré le 17 septembre, (fui amena
la défaite des indigènes, mais où fut tué le comman-
dant de Saint-Germain. Pour mettre fin à la révolte,
les troupes françaises vinrent mettre le siège devant
l'oasis de Zaatcha; ce siège mémorable qui dura du
7 octobre au 27 novembre, nous coûta 20 officiers,
60 blessés et 300 soldats tués et 620 blessés ; il eut
pour conséquence d'amener la soumission immédiate
des oasis des Ziban. A plusieurs reprises, les co-
lonnes furent encore chargées de pacifier le pays,
notamment en 1853 (Commandant Collineau), puis
en 1858 et 1859 (Général Desvaux).
Dans l'intervalle eut lieu l'occupation de Toug-
gourt (1854), dont le commandement, comprenant,
en outre, le Souf et l'Oued R'hir, fut confié à Ali
Bey, fils de Ferhat ben Saâd, que l'on fit venir exprès
de Sétif, où il végétait misérablement depuis la mort
de son père. Cette rentrée en scène du représentant
du çof de Bou Okkar avait pour oljjet, dans la pen-
sée du général Desvaux , de donner un contre-poids
à la famille des Ben Ganah, dont l'autorité commen-
çait à devenir menaçante.
La famine et le choléra de 1867 rouvrirent la
période de troubles et d'actes de piraterie qu'on avait
eu tant de peine à réprimer; cette période venait
à peine de se fermer, lorsqu'éclata l'insurrection
de 1871. Les tribus du cercle de Biskra n'y partiel-"
pèrent pas et Biskra resta indemne de tout attaque.
Si Ali Bey fut autorisé à s'installer à Saàda avec
mission de couvrir le sud de Biskra avec les tribus
— 280 —
de son çof et les tribus du çof de Ben Ganah, y
compris les Sahari, furent groupés au Nord, entre
El Outaya et Doucen ; Biskra était ainsi placée entre
les deux camps avec sa casbah et sa garnison fran-
çaise et les deux çofs étaient en même temps char-
gés de se surveiller réciproquement.
Trompant cette surveillance, les nomades de Ghe-
raba et les Saharis se précipitèrent dans la plaine
d'El-Outaya et se livrèrent au pillage aussi bien des
fermes françaises, que des tribus fidèles ou insur-
gées. Il fallut l'arrivée à Biskra (8 décembre 1871)
de la colonne Delacroix pour ramener la tranquihté
et la sécurité dans la région saharienne. On peut
même dire que c'est seulement à partir de cette
époque que cette région a commencé à jouir des
bienfaits de notre occupation, grâce aux sages dis-
positions arrêtées par le commandement pour main-
tenir les divers groupes nomades dans les campe-
ments qui leur avaient été respectivement assignés
et pour donner satisfaction, dans des conditions
régulières et normales, aux besoins de transhumance
de leurs troupeaux.
La révolte de Bou-Azid, à El-Amri, promptement
réprimée (mars 1876) et qui ne fut qu'un incident
purement local, provoqué par la mauvaise adminis-
tration du caïd Boulakhras ben Ganah, révoqué
depuis, clôt la série des soulèvements dans les Ziban.
CHAPITRE IV
Situation économique
Climat. — Le chmat est, dans toute la région,
d'une douceur exceptionnelle dans la saison d'hiver
— 281 —
mais iH'ùlQiit pendant l'été. La température moyenne
est de 23 degrés environ, avec des écarts de 2 de-
grés en décembre et janvier, et de 48 degrés en juil-
let et août.
Dans les années moyennes, la pluie tombe pen-
dant quelques jours à l'automne et au printemps et
rarement dans le reste de l'année, sans jamais pou-
voir rafraîchir cette terre dont la surface se couvre
d'énormes crevasses sous l'action des rayons du
soleil.
Lorsque l'année reste sèche, les grains que l'on
confie à la terre ne germent ni ne lèvent et les pâtu-
rages sont rares. Au contraire, si les saisons sont
pluvieuses, il n'est pas rare de voir les mêmes oueds
rouler les eaux de deux ou trois crues, dont les
masses vont se perdre dans le Chott, après avoir
franchi les berges quelque fois très élevées des ri-
vières, en se répandant sur toute la plaine et en cour-
bant sur leur passage les arbustes environnants. Au
commencement de l'été, les nomades vont dans le
Tell à la recherche des pâturages que leur pays ne
peut plus offrir à leurs troupeaux. Ils usent des
droits qu'une habitude plusieurs fois séculaire leur
a concédés. Au contraire, à l'automne, ils rentrent
dans leurs terres de parcours que les pluies de la
saison ont généralement vivifiées et, à leur suite,
arrivent les troupeaux du Nord chassés par les ri-
gueurs du climat.
Des vents qui soufflent habituellement, le plus
violent et le plus à craindre est le vent du Sud qui,
en été, soulève de véritables nuages de sable brûlant.
Il n'est pas rare de voir les récoltes des jardins
brûlées complètement après une période assez lon-
gue de siroco.
— 282 -
Oasis. — Les Ziban se divisent en Zab du nord,
Zab du sud et Zab de l'est.
Zab du nord. — Les oasis sont créées même au
pied de la dernière ride des monts du Zab qui les
abritent du vent du Nord. Les principaux villages
sont : Bou-Aragroun, Lichana, Tolga, El-Bordj,
Farfar, Foughalla, El-Amri. Les jardins sont ferti-
lisés par des sources abondantes qui descendent de
la montagne.
Autrefois, les oasis, ont dû être plus florissantes,
mais il serait facile de leur rendre leur ancienne fer-
tilité et leur donner un plus grand développement ;
il suffirait pour cela d'aménager intelligemment les
eaux dont la plus grande partie se perd sans profit.
On pourrait construire des canaux maçonnés et
voûtés pour remplacer ces séguia sinueuses et en
pleine terre qui forment un immense feston et per-
dent une partie notable de leurs eaux en se dévelop-
pant sur une longueur souvent exagérée.
Tolga est la plus grande des oasis du Zab Darahoui.
Elle a joué un certain rôle dans l'histoire; elle est
construite sur l'emplacement d'un camp romain. Elle
renferme quelques mosquées et une zaouïa de l'ordre
des Rahmania, qui compte de nombreux fidèles dans
toutes les tribus du Sahara et qui a souvent rendu
des services signalés à l'influence française.
Le Zab Darahoui comptait aussi Zaatcha, dont il
ne reste qu'une ruine informe et qui a joué un si
grand rôle à divers moments de l'histoire, particu-
lièrement en 18i9 où elle soutint un siège de 14 jours
contre les troupes françaises. Elle faisait corps avec
l'oasis de Lichana qui lui donna rapi)ui de ses forces.
- 283 —
El Amri l'ut, en 1870, le centre d'une révolte qui,
immédiatement localisé, efut facilement réprimée. Ses
palmiers, ainsi que ceux de Fougiiala qui apparte-
naient aux Bon Azid, finirent séquestrés, puis vendus
par le domaine de l'Etat à deux sociétés françaises
qui les exploitent.
Zab du sud. — Il est séparé du Zab nord par
une bande marécageuse et sablonneuse. Ses oasis
sont généralement ^créées dans la vallée de l'Oued-
Djeddi, qui les arrose avec les eaux de son cours
souterrain. Cependant, quelques villes reçoivent leurs
eaux des ources qui prennent naissance dans les mon-
tagnes au Nord. Telles sont : Oumach, Mlili et Ben
Thious.
Les villes ou villages du Zab Guebli, sont : Ou-
mach, Mlili, Ourkal, Bigau, Ben Thious, Lioua, Sa-
hira.
Mlili est, d'après quelques auteurs, sur l'emplace-
ment d'un Castrum romain (gemet'œ). Les deux
oasis des Ouled Djellal et de Sidi Khaled, qui sont
administrativement en dehors des Ziban, appartien-
nent géographiquement au Zab Guebli.
Zab de l'est. — Il s'étend depuis l'Oued Biskra, à
l'Ouest, jusqu'à l'Oued el Arab, à l'Est, et des pentes
méridionales de l'Aurès, au Nord, jusqu'au Chott
Melrir au Sud. Une partie seulement des villes qu'il
renferme est comprise dans la tribu des Ziban.
La principale est Sidi Okba célèbre par sa mosquée,
qui paraît être le premier monument arabe en Algé-
rie. C'est là, que repose le corps du général arabe,
Okba ben Nafa qui, au premier siècle de l'hégire W,
(1) Voir, Supra, page 18.
- 284 -
conquit l'Ifrikia, s'élança par une marche audacieuse
de Kairouan jusqu'à l'océan et revenant triomphale-
ment sur ses pas, après avoir défait tous les ennemis
de l'Islam, se fit battre et massacrer, avec toute la
fleur de sa chevalerie, par les Berbères, ses anciens
alliés qu'il avait humiliés par son arrogance. La ren-
contre eut lieu à Thouda, ancien centre romain.
On lui éleva un monument à l'endroit où il était mort
et autour de ce monument se fonda Sidi-Okba (682).
Sidi-Okba est la plus grande ville du Zab Cher-
gui , mais elle est actuellement incapable de prospérer,
faute de l'eau nécessaire à la culture de ses palmiers.
Les autres villages sont : Sériana, où le com-
mandant de Saint-Germain défit les bandes du ma-
rabout des Ouled Youb en marche pour renforcer
l'insurrection de Zaatcha et Drouh. On trouve encore
au Sud, deux petites oasis, nommées l'une El-
Haouch et l'autre Sidi Mohamed ben Moussa.
Voies de communication. — Les voies de com-
munication sont très nombreuses et généralement
faciles, étant établies sur un terrain argileux résis-
tant, jamais détrempé par les eaux de pluie, mais au
contraire battu et tassé par le passage de nombreu-
ses caravanes.
Presque toutes les grandes routes aboutissent à
Biskra. Ce sont en commençant par l'Ouest :
1° La route de Biskra à Barika qui traverse la
grande plaine d'El-Outaïa. Pénètre dans les monts
du Zab par le défilé de Saison et se dirige sur
M'doukal en suivant l'Oued Chaïma pendant quelques
temps;
2° La route de Biskra à Bou-Saâda par le Zab
— 285 —
Darahoui et les puits de Sadouri longe le pied du
mont du Zab, est carossable jusqu'au pied de
Foughalla et le deviendrait avec très peu de travaux
jusqu'à Sadouri. Après quoi elle rentre dans le mas-
sif montagneux qui forme la ceinture de l'Oued
Chair ;
3'^' La route de Biskra à Doucène et aux Ouled-
Djellal suit le même trajet que la précédente jusqu'à
Farfar, bifurque ensuite pour traverser El-Amri et
se partage en deux branches carossables, l'une pour
aller à Doucène, l'autre aux Ouled-Djellal ;
4*^ La route de Biskra au Zab Guebli se dirige sur
Mlili; relie tous les villages du Zab Guebli et se
prolonge ensuite jusqu'aux Ouled-Djellal en suivant
la rive gauche de l'Oued-Djeddi ;
5" La route de Biskra à Touggourt, qui doit
faire suite à la route nationale de Stora à Biskra,
traverse toute l'oasis de Biskra, suit à faible distance
la rive droite de l'Oued Biskra jusqu'au bordj de
Saâda, traverse, à ce moment, l'Oued Djeddi, atteint
ensuite Chagga et se bifurque, à cet endroit, en deux
branches, qui vont l'une sur Touggourt par l'Oued
Rir, l'autre sur le Souf par M'guebra et le Chott. La
route qui va à Touggourt est parcourue, deux fois
par semaine, par une voiture publique qui fait le ser-
vice de la poste;
6° La route de Biskra à Zeribet-el-Oued, qui tra-
verse l'Oued -Biskra en amont de Filiach, est car-
rosable jusqu'à Sidi-Okba;
7° La route de Biskra à Batna par l'Aurès et
Médina est carrossable jusqu'à Drouh en passant
par Chetma ;
8° La route nationale de Biskra à Branis remonte
— 286 -
la rive droite de l'Oued Biskra jusqu'au col des
Chiens ;
9" La route nationale de Stora à Biskra entre
dans la tribu des Ziban au col de Sphax.
D'autres voies de communication de moindre
importance existent encore dans l'intérieur du terri-
toire. Ce sont des pistes plus ou moins larges par-
courues par les caravanes. On peut citer la route de
Tolga à El-Outaïa, par le col de Khenisen; celle de
M'doukal à Doucène par le défilé Mta Sahoua et le
Teniet-Naam ; celle de M'doukal à Sadouri, remon-
tant le cours de l'Oued-Labiod; celle de Biskra à
Oumach; le chemin d'Oumach aux puits de Baadj,
le chemin de Sidi-Okba à M'chounech par la mon-
tagne; celui de Garta à Zeribet-el-Oued, de Sidi-Okba
à Sidi-Salah, à Sidi- Mohammed -ben-Moussa-el-
Faïed, etc. ; enfin, tous les chemins faisant commu-
niquer entre eux les villages des Zil)an.
Il y a lieu d'ajouter à cette énumération la voie
ferrée de Constantine à Biskra par Batna. Les indi-
gènes se servent beaucoup du chemin de fer pour
leurs voyages; si quelques-uns préfèrent employer
le chameau pour le transit de leurs marchandises,
on peut dire que ce moyen de locomotion est déjà
en partie remplacé par la vapeur. En 1899, 5,500,000
kilogrammes de dattes ont été embarqués à la gare
de Biskra; 1,500,000 kilogrammes de grains ont été
importés par la même voie; ces chiffres ont plus
que doublés aujourd'hui et ils iront encore en aug-
mentant lorsque le chemin de fer stratégique, actuel-
lement en construction, de Biskra à Touggourt, sera
livré.
— 287 —
Population, mœurs. — La i)opulatioii de la tribu
est relativement considérable. Elle compte plus de
25,000 âmes.
Les mœurs des habitants varient essentiellement
suivant le caractère sédentaire ou nomade c^ui les
distingue. Les uns, grands nomades, habitués à de
longs parcours tous les ans, cherchent les campe-
ments les plus éloignés de l'action de l'autorité,
masquent leurs douars dans des plis abrupts de
terrain oi^i l'a^il ne peut soupçonner la présence d'êtres
animés; mènent leurs troupeaux sur les cîmes les
plus élevées, non seulement pour y trouver des
pâturages encore inexplorés, mais encore, guidés
par cette méfiance naturelle de l'Arabe qui craint
toujours au fond que son cheptel n'éveille les convoi-
tises dont il a tant souffert avant notre gouverne-
ment. Ces nomades sont farouches et querelleurs.
Bien que peu sanguinaires, ils préfèrent encore quel-
quefois tirer le couteau et se faire justice eux-mêmes
que de s'adresser à l'autorité, et cette manière de
procéder est d'autant plus fréquente chez eux que
leur situation isolée au milieu des montagnes les
couvre mieux contre l'action judiciaire.
Les autres, au contraire, citadins habitant les
villes, se livrent au commerce et ne se déplacent
que lorsque les transactions les y obligent. Bon nom-
bre s'expatrient volontiers et vont dans les grandes
villes du littoral faire tous les métiers; quelques-uns
y deviennent quelquefois ivrognes et souvent mau-
vais sujets; d'autres rentrent avec amour dans leur
pays, après avoir amassé une petite fortune avec la-
quelle ils achètent immédiatement quelques palmiers.
— 288 -
La possession de la terre les attire et constitue à
leurs yeux l'idéal de l'aisance. Mais ils sont peu
industrieux, même lorsqu'ils ont été en contact avec
les européens et qu'ils ont vu quel parti remarquable
on peut tirer de la terre fertile qu'ils habitent; géné-
ralement rebelles à toute espèce de progrès, laissant,
faute d'un peu de travail, se perdre la moitié de
l'eau, que les sources leur donnent si parcimonieu-
sement, incapables de comprendre que leurs intérêts
sont intimement liés à la prospérité du pays, ne
faisant rien par conséquent pour la rendre meilleure,
n'essayant ni de creuser des puits artésiens, ni de
construire des barrages assez solides pour capter
les eaux des crues, ils ne donnent en somme qu'un
minimum de produit; ce ne sera que par la persua-
sion et par l'exemple qu'il sera peut-être possible, à
la longue, de leur incalquer des idées de travail et
de progrès qui sont encore bien en désaccord avec
leur paresse et leur fatalisme naturels. C'est ce
même fatalisme qui les entraîne, avec une superbe
imprévoyance, à engager des immeubles d'une voleur
dix fois supérieure à la somme qu'ils sont obligés
d'emprunter lorsque l'année a été mauvaise. Avec
cela, frondeurs et processifs à outrance, ils tombent
trop souvent entre les mains de l'agent d'afïaires
véreux qui les trompe et les ruine.
Habitations. — Leurs habitations sont construites
en toubes, sorte de briques larges faites d'argile
pétrie et séchée au soleil. Elles sont assemblées à
l'aide d'un ciment argileux; quelques-unes sont
crépies à la chaux et ont assez bon air. Depuis quel-
ques années, leurs maçons ont acquis des notions
d'aplomb et de ligne droite inconnue auparavant.
- 289 -
Leurs constructions nouvelles tranchent singulière-
ment, par leur régularité, avec ce qui subsiste encore
des anciennes. Ces maisons sont quelquefois spa-
cieuses; d'aulre fois, elles forment un véritable dé-
dale de petites chambres, d'étages très bas et d'es-
caliers tournants dans lesquels on se perd. D'ailleurs,
les nomades, bien que possédant une maison dans
un des villages des Ziban, vivent sous la tente quand
ils viennent à la ville, souvent même ils installent
leur tente dans la cour ou dans un jardin voisin,
réservant les chambres pour des magasins. Le plus
souvent, ils s'établissent en douars à proximité des
oasis où ils possèdent des jardins, y demeurent
pendant quelque temps et ensuite transportent leurs
tentes au loin.
Agriculture. — L'agriculture consiste dans le la-
bourage des terres de culture et dans le travail des
jardins d'oasis. Le labourage est la part du travail
du nomade, tandis que le jardinage est réservé au
sédentaire. Les jardins sont tous plantés de palmiers
donnant les espèces les plus variées de dattes ; sous
les palmiers poussent les arbres fruitiers, tels que
le figuier, l'abricotier, le grenadier, l'oranger, etc.,
et, enfin, la vigne qu'on laisse pousser Hbrement et
qui s'attache en longues guirlandes aux branches
des arbres les plus élevés. Entre les arbres, la terre
cultivée fait pousser des légumes, tels que oignons,
carottes, navets, piments, etc. Sur certains points,
autour des oasis, les séguias d'arrosage se perdent
dans de vastes étendues de terre qu'elles rendent
très propres à la culture de l'orge et du blé.
Les nomades sont moins favorisés, ils ont peu de
- 290 -
terres irriguées. Ils sont obligés de défricher dans
la plaine, au fond des petites vallées et des daïas, et
confient leurs grains à une terre qui rendrait au
centuple si elle était suffisamment irriguée. Le no-
made se contente de Teau qui vient des pluies et sa
terre de labours reste souvent desséchée pendant
toute l'année. Pourtant cette terre est d'une fertilité
. remarquable et il y a là une richesse enfouie que
des capitaux bien employés pourraient exploiter avec
succès.
L'eau existe en quantité bien plus considérable
qu'il est nécessaire; mais rien ne retient celle des
crues, qui coule rapide entre les berges escarpées
de longs oueds. Elle arrive alors vers le chott en
masses irrésistibles et devient une cause de ruine
au lieu d'être une source de richesses. Que l'on
construise des barrages nombreux et résistants dans
des oueds tels que l'Oued Labiod de l'Aurès, les
oueds Djouchni et Saison du Zab, pour ne citer que
les plus importants, et l'on retiendra des volumes
incalculables d'eau. Ces oueds sont, en efïet, remar-
quables. Creusés dans le roc entre des mouvements
montagneux considérables, ils se livrent passage à
travers des défilés étroits et solides qui sont les
points indiqués de construction des barrages. Le sol
rocheux donnerait à ces barrages une assise iné-
branlable, en même temps que les berges voisines
leur ofïriraient des points d'appui résistants. Mais
c'est le fait de l'initiative privée d'obtenir ces résul-
tats et cette initiative ne pourra se manifester que
lorsque les colons français posséderont une certaine
partie du pays, y auront des intérêts considérables
engagés et y seront installés à demeure. A ce mo-
- â9i -
ment, la face du pays sera renouvelée et les résul-
tats atteints seront immenses.
Troupeaux. — Les troupeaux de la tribu sont
relativement peu nombreux; ils se composent en
chiffres ronds de 7,000 chameaux, 30,000 moutons
et 20,000 chèvres. Cependant, ils ne peuvent trouver
en toute saison, dans les terrains de parcours que
les nomades possèdent, les pâturages nécessaires à
leur existence. Aussi, au commencement de l'été,
remontent-ils vers le Nord oi^i ils vont en achaba. Les
endroits où ils se rendent le plus souvent et à la
suite de droits acquis par un long usage, sont :
rOued-Atménia, Chàteaudun-du-Rhumel, Saint-
Arnaud, Oued-Zénati, Fedj-M'zala, Aïn-M'lila, Batna,
Oum-el-Bouaghi, Khenchela, Aïn-Beïda, Guelma et
Sédrata.
Quant aux bêtes de somme proprement dites, on
ne compte en dehors des chameaux que 250 mulets
et 1500 ânes. Enfin, la tribu ne peut mettre sur pied
un goum bien considérable; elle ne possède pas plus
de 250 à 300 chevaux.
Commerce et, Industrie. — Le commerce du pays
est pour ainsi dire purement local, mais il tend à
prendre un grand développement; on exporte sur-
tout des dattes en grande quantité; (^) en dehors des
dattes, le pays ne produit guère que des légumes,
des fruits ou quelques céréales qui se vendent sur
les marchés voisins et sont généralement consom-
més sur place. Le commerce des oasis du Zab
prendra un réel essor le jour où Ton mettra en va-
(1) Les dattes exportées viennent surtout du Souf et de TOued-Rhir.
— 292 -
leur toutes les terres de culture qui existent dans
la région. Cette mise en valeur ne peut se faire qu'à
l'aide de capitaux mis à la disposition de l'initiative
privée et ce n'est que peu à peu, et à la longue,
qu'on peut espérer un semblable résultat.
Quant à l'industrie, elle est pour ainsi dire nulle.
Elle consiste dans le tissage de quelques burnous ou
de tapis et dans la confection de quelques ouvrages
de sparterie; l'industrie des tapis commence à pren-
dre un certain développement qui ira sans cesse en
augmentant, parce que les tapis fabriqués dans cette
région sont maintenant mieux faits, grâce aux mo-
dèles importés par les soins du Gouvernement et
par suite plus appréciés.
CHAPITRE V
Division de la tribu en douars
Ainsi qu'il a été dit précédemment, la population
des Ziban est composée d'éléments divers, différant
entre eux par l'origine, les mœurs et la nature des
intérêts qui les rattachent au sol.
Si, au moment de leur immigration, les Arabes ont
d'abord imposé leur domination aux gens des oasis,
en ont fait leurs magasiniers et les ont forcé de leur
servir un tribut dit de protection (Khefara), cette
situation n'a pas tardé de se modifier par suite de
l'existence nomade des envahisseurs qui, en maints
endroits, sont devenus leurs associés, ont uni leurs
intérêts aux leurs et ont pris leurs usages.
Il n'en est pas moins resté un certain nombre de
— 293 —
tribus qui, n'ayant pu trouver place dans le Tell,
sont restées groupées sous le commandement du
Cheikh El Arab, à l'époque turque, et ont continué
à vivre de l'existence nomade, stationnant l'hiver
dans le Sahara et remontant, dès les premières cha-
leurs, demander au Tell les pâturages nécessaires
à leurs troupeaux; tels sont les Bou Azid, les Ma-
khadma et les Moualit.
On a souvent comparé le Sahara à une mer
immense dans laquelle les oasis constitueraient des
îles. Les nomades sont les navigateurs, on pourrait
même dire les forbans de cette immensité et ce n'est
pas sans une appréhension légitime très justifiée,
d'ailleurs, par les exactions dont ils ont été victimes
pendant près d'un siècle, à l'occasion de la lutte du
çof Ben Ganah et du çof Bou Okkar, que les sé-
dentaires des oasis subissent, deux fois par an, le
passage de ces incommodes voisins. Bien différente
est la population des oasis, composée de Berbères
ou d'Arabes berbérisés, dont la culture des jardins
et surtout des palmiers constitue la principale res-
source.
La division de la tribu en douars n'était donc
pas sans présenter de grandes difficultés, en raison
de cette diversité d'intérêts des populations qui
l'occupent et aussi de la destination à donner aux
vastes espaces incultes qui constituent la majeure
partie de son territoire.
D'autre part, la question des eaux a, dans le Sa-
hara, une importance capitale. Tenant compte de
ces difficultés, la Commission administrative du
Sénatus-Gonsulte :
1° A groupé ensemble les oasis soumises au
même régime des eaux;
— 294 —
2° A réuni à la population sédentaire de chacun de
ces groupes d'oasis les fractions nomades qui y ont
des intérêts;
3° Et y a annexé les territoires de parcours des
dites fractions.
Elle a ainsi créé sept douars dont les éléments
constitutifs sont les suivants :
la rive gauche de l'Out
0£st.-deMel(lnJin
là. à« Sol.im.
Areb Clioregai ,
(traclion
NomodoB
Ouled-Sidi-Moussa
Ojtidsoua el Zmall
id. KobsbM
f OuUd bon-Kli
Amour I Ouled Messhi
i Ouled-Aliat.
\ Naousre. .
l-'iirtop. .' .' .' , .' .'
Uouchagroun
b ClierogA
/ Oultid Am
I Gliamrs ! n< Mmim
i ( :.--
Atil b, Ali I Gouadoha el Ouled-Agab .
Moualil ■
Gouadoho
Klfltroa el Ouled-Nair
I intérieur du rOued Diskc
id
id.
a iodâpondante.
: inlûrieur de l'Oued-KeblI
es indépendanlas.
id'.
:e* indépenddnlus.
UnaU-ZBouiSl M'Ii
— 295 —
La répartition ci-dessus a apporté une modification profonde
dans l'administration du territoire des Ziban qui est actuelle-
ment divisé en 38 sections, ayant chacune un cheikh à sa tète
et dont voici l'énumération :
Nos
DÉSIGNATION
des
CAÏDAS DONT ELLES DÉPKNDENT
OU
d'ordre
SECTIONS
CHEIKATS INDÉPENDANTS
qu'elles servent à constituer
1
Ghemougate. ^
1
2
Bouchagroun.
3
Lichana.
Zab
4
Tolga.
5
El Bordj.
, Dahraoui
6
Farfar.
1
7
El Amri Fougahda.
^
8
FiUiach.
\
9
Oumach.
10
Chetma.
11
Droh.
\ Zab
12
Gartha.
, Central
13
Thouda.
\
14
Seriana.
1 1
15
Sidi Khelil.
1
Caïdat des Ziban.
16
Mlili.
\
17
Bigou Zaouïa.
18
Ourlai.
19
Menala et Zerouït M'iili.
Zab
20
Ben Thious Mekhadma.
GuebU 1 II
21
Lioua.
\
22
Sahira.
1
23
Ouled Ben Khelil.
^■
24
Ouled Atlaf.
^
25
El Nouafa.
Ahl
26
El Kebabsa.
i Amour
27
Ouled Messahel.
'
— 296 —
No»
D'ORDRE
28
29
30
31
DÉSIGNATION
des
SECTIONS
SidiOkba.
Gouadcha.
Kelalna et Oued Nacer.
El Noualed.
CAÏDAS DONT ELLES DEPENDENT
OU
CHEIKATS INDÉPENDANTS
qu'elles servent à constituer
Cheikat indépendant de Sidi Okba.
Ahl
ben Ali
32
33
34
35
Djedaoua Smaïl.
Ouled Ranem.
Ouled Sidi Noussa
Ghaïbet El Amor.
Cherfa
Caïdat
des Arab Cheraga
36
37
0^ Mounnent. 0*^ Noussa,
Beni-Brahim.
Ramra
38
Ouled SidiSalah.
Cheikat indépendant des Ouled Sidi
Sala h.
CHAPITRE VI
Du caractère de la propriété
La question de classement de la propriété indigène
était assez complexe, en raison de la nature parti-
culière des éléments dont elle se compose.
Il est hors de doute que, dès avant l'époque ro-
maine,les Ziban constituaient une riche contrée, mais,
pour cette prospérité, la nature fut pour peu de
chose : l'industrie humaine créa tout. Du jour où l'on
mit en valeur autre chose que les espaces où il suffi-
sait de labourer et de semer, on dut aménager les
- 297 -
eaux. On ne saurait en donner de meilleure preuve
qu'en citant le système hydraulique de l'Oued-Djedi,
dont le capitaine W. Ragot parle en ces termes : O
« Il existe dans le lit de l'Oued-Djeddi, des ruines
(( d'un grand barrage romain qui rejetait les eaux
« non seulement sur la rive gauche, mais aussi sur
« la rive droite, du côté du Sahara. Aux canaux
« principaux s'embouchaient d'autres conduites d'eau
« secondaires. A côté des points de bifurcations, on
« remarque généralement des constructions en pierre
« de taille. Quelques petits postes fortifiés assez
« éloignés se trouvaient dans des positions telles
« qu'on peut supposer que leur emplacement avait
« été choisi pour protéger les terres irriguées par
« ces barrages, en même temps que pour concourir
(( à la défense du pays. Fait peu connu, on voit dans
« le Sahara les traces d'une immense séguia, appelée
(( séguia ben El Kras, qui, d'après les dires des
« indigènes, commencerait près de l'oasis des On-
ce led Djellal et irait aboutir au chott Melghir. Au
(( iv^ siècle, El Mekki en parle et la désigne sous le
« nom de séguia Ibn Khanzar.
« Ainsi, jadis, cette zone désertique était arrosée et
« on tirait parti des très bonnes terres qui couvrent
« cette région. Ces irrigations, dans un pays qui est
« aujourd'hui le type de l'aridité, prouvent combien
« s'est modifié le régime des eaux de l'Oued-Djeddi. »
Ce n'est donc pas d'aujourd'hui que l'eau est, dans
les tribus du Sud, la base de toute richesse agricole
et la condition essentielle de toute cultture.
(1) Cité dans le rapport de la Commission administrative de la tnbu
des Zibans, du 27 janvier 1896.
— 298 -
Contrairement à ce qui existait autrefois, la vie
agricole, par suite des invasions successives et des
guerres continuelles, s'est peu à peu localisée dans
les oasis ainsi que dans les quelques zones res-
treintes qui les entourent ; l'eau suffisamment abon-
dante, mais mal captée et encore plus mal canalisée,
y est restée ce qu'elle était, c'est-à-dire le principal,
et le sol, l'accessoire de la propriété; d'où ces règle-
ments d'eau si précis, dont une partie est due,
dit-on, à Salah Bey et qu'on retrouve dans toutes
les oasis.
La possession individuelle de l'eau, sans laquelle le
sol serait resté absolument improductif, a été le point
de départ et la base de la propriété, et, en même
temps, s'est constituée la propriété du sol que les
indigènes avaient vivifié; mais l'intérêt exceptionnel
que présentait la possession de l'eau a empêché
celle-ci de ne former, avec la terre, qu'une même
propriété.
La Commission administrative du Sénatus-Consulte
a consacré le caractère melk qu'ont toujours eu l'eau
et le sol irrigué, tout en réservant à l'Etat les droits
qui lui sont dévolus par la loi du 16 juin 1851 sur
le lit des cours d'eau.
Le caractère de la propriété de toutes les terres
qui ne rentrent pas dans la catégorie précédente est
assez difficile à établir. En droit musulman, toute
terre qui n'a pas fait l'objet d'une appropriation pri-
vée est réputée Bled el Islam.
Il paraît difficile de voir, dans la façon dont les
nomades jouissent des espaces incultes qui séparent
les oasis, autre chose qu'un droit de passage ou
même de parcours dont ni la durée ni l'intensité
n'ont jamais été définies.
— 299 —
Ce ne sont point, en eiïet, les seuls nomades rat-
tachés administrativement aux Ziban qui y mènent
leurs troupeaux ; d'autre part, ce n'est pas seulement
sur ce point que ces nomades séjournent. Inéluc-
tablement poussés, tantôt au Nord, tantôt au Sud,
pour procurer la nourriture à leurs troupeaux, ces
indigènes ne se sont pas plus créé de droits dans le
Sahara que dans les régions du Tell qu'ils fréquen-
tent depuis des siècles et oi^i leur séjour annuel
n'est souvent toléré qu'avec impatience par les habi-
tants.
Il existe, d'ailleurs, en dehors de l'aridité du sol
une série de faits qui ne leur ont pas permis de
prendre définitivement pied sur les territoires du
Sud. L'aperçu historique, donné aux premiers cha-
pitres de cette notice, rappelle, à grandes lignes, les
luttes d'influence qui ont longtemps ensanglanté les
Ziban; cela explique comment, jusqu'au moment de
la pacification complète du Sud, les fractions noma-
des n'ont pu avoir de territoire déterminé. Cette
appréciation est tellement exacte que, dès 1866, l'Ad-
ministration n'a pas hésité, malgré les protestations
des Ahl ben Ali, des Amour, des Ghamra, des Ouled
Zian et des Lakhdar Halfaouia, à constituer de toutes
pièces, un territoire à la tribu nomade des Sahari,
dont le concours n'a jamais fait défaut à la France,
et à réserver, pour les besoins ultérieurs de la colo-
nisation, la meilleure partie de la plaine d'El-Outaïa.
Il y a là une indication certaine du trouble pro-
fond qui existait dans le Sahara, même vingt ans
après la conquête, et on ne saurait s'arrêter aux dis-
positions de l'article 1"' du Sénatus- Consulte du
22 avril 1863, qui déclare les tribus de l'Algérie
- 300 -
propriétaires des terrains dont elles ont la jouissance
permanente et traditionnelle, pour refuser à l'Etat,
sinon un droit absolu de propriété, tout au moins
un droit de souveraineté qu'il tient comme succes-
seur du Cheikh el Islam et qui lui permettra, tout
en donnant la plus large satisfaction au besoin des
indigènes, de restaurer, à l'aide de travaux hydrau-
liques, l'ancienne colonisation romaine dans les
Ziban.
Le territoire des Ziban est constitué par trois
catégories de terrains bien distincts : O les oasis et
les zones de culture qui les entourent ou en dépen-
dent, les terres de culture qui forment la partie de
la tribu située au Nord des monts du Zab, et enfin
les immenses espaces incultes qui servent de par-
cours aux troupeaux pendant l'hiver.
Dans les oasis et leurs dépendances, le sol n'a
pas, en réalité, de valeur par lui-même; il ne cons-
titue que l'accessoire d'un autre élément de la pro-
priété qui est l'eau. Ce que l'on possède et ce que
l'on partage, ce que l'on achète ou ce que l'on vend,
ce sont surtout les parts d'eau. De là, ces règlements
minutieux que l'on retrouve dans toutes les oasis.
Aussi, la Commission administrative a-t-elle consacré
le caractère melk que présente, dans les oasis des
Ziban, non seulement le terrain irrigué, mais l'eau
elle-même, tout en réservant, au profit du domaine
public, les droits qui lui sont dévolus par la loi du
16 juin 1851 sur les lits des rivières.
Au contraire, le caractère collectif a été assigné à
l'ensemble des terres situées dans la partie Nord-
(1) B. O., 1904, p. 278 et suiv.
— 301 —
Ouest de la tribu, habitée par les partisans arabes
des Ahl Amour et des Gliamra. Ce classement se
justifie par la disposition des parcelles cultivées,
groupées dans les bas-fonds, et aussi par la nature
particulière de cette région qui rappelle celle des
Hauts-Plateaux.
Quant aux espaces incultes, aux steppes, ils furent
attribués à l'Etat par la Commission du Sénatus-
Consulte ; mais, sur les réclamations formulées par
les djemaas, des jugements du Tribunal civil de
Batna, en date du 25 août 1896, ordonnèrent le
classement de ces terrains dans la catégorie des
immeubles de propriété collective. Appel ayant été
relevé de ces jugements, une transaction intervint,
le 7 juillet 1900, aux termes de laquelle les djemaas
cédèrent à l'Etat, en toute propriété et jouissance,
le dixième de la superficie des terrains contestés. H^
En conséquence, un arrêté du Gouverneur Géné-
ral du 7 mars 1904 (2) a réparti ainsi qu'il suit le
territoire de la tribu :
(1) B. O., 1904, pages 278 et suiv.
(2) B. 0„ 1904, id.
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— 303 —
Aux termes de l'arrêté gouvernemental précité, du
7 mars 1904, sont réservés les droits d'usage des
divers douars de la tribu tant sur les terres saines
et de parcours ou même de culture, après l'enlève-
ment des récoltes, que sur le droit à l'eau nécessaire
à leur alimentation, à l'abreuvement de leurs trou-
peaux et à leurs besoins domestiques; sont égale-
ment réservés les divers droits d'usage des nomades
et le droit de passage, pour les indigènes des Ziban
et leurs troupeaux, sur les terrains domaniaux si-
tués dans les douars de Lichana, Mekhadma, Ou"
reliai et Sâada.
J. MAGUELONNE.
ÏHSCBÏPTIOHS
DÉCOUVERTES A KHENOHELA
I. _ On vient de découvrir à Khenchela l'inscrip-
tion ci-contre qui nous paraît être une plaque com-
mémorative de la restauration et de la dédicace des
Bains d'Eté, qui se trouvent selon toute probabilité
à l'endroit où l'inscription a été découverte. Cet en-
droit se trouve en ville, dans le lot acheté par Ma-
dame Dougnac, femme d'un garde-forestier et placé
derrière la prison, côté Est. En creusant pour les
fondations de sa nouvelle maison, M. Dougnac s'est
trouvé en présence d'une fosse circulaire non bâtie
et comblée de terre et de gravats. A trois mètres de
profondeur ont été trouvés les fragments de cette
inscription brisée comme l'indiquent les traits mar-
qués sur l'inscription ci-jointe, des débris de vasque
en pierre ouvragée et tout autour de la fosse, des
fragments de colonne supportant des dalles en for-
me de siège. Un morceau de l'inscription manque,
mais on a l'espoir de le retrouver plus tard en
continuant de déblayer la fosse destinée à devenir
une cave.
- S06 —
Au milieu du lot se trouve encore debout un pan
de mur fait de blocage ayant environ 4 mètres de
haut. La nature de cette ruine m'avait fait dire, il y
a une dizaine de mois^, avant les travaux actuels,
qu'on pourrait bien se trouver en présence de ther-
mes. Aujourd'hui, j'en ai l'absolue certitude. Le seul
inconvénient est qu'aujourd'hui, ce lot étant propriété
privée, on ne puisse conduire des fouilles méthodi-
ques qui amèneraient sûrement à jour des choses
intéressantes.
La fosse vient d'être déblayée jusqu'au sol primitif,
et a amené la découverte, dans la direction Nord,
de galeries non explorées, mais qui, selon toute évi-
dence, conduisaient aux fourneaux destinés à la dis-
tribution de la chaleur dans les différentes salles.
Une tranchée faite dans le jardin actuel a égale-
ment mis à jour une partie de bétonnage qui parait
être le sol des thermes. J'ai l'espoir, lorsque le lot
sera déblayé en entier, de pouvoir vous signaler
quelques mosaïques ou quelque autre objet intéres-
sant.
IL — Un autre fragment d'inscription, trouvé au
même endroit, nous a paru également intéressant.
C'est le commencement d'une dédicace qui a presque
l'allure d'un quatrain.
L'évocation des deux fleuves Nil et Euphrate est
tout au moins curieuse, en ce lieu, et fait double-
ment regretter l'absence du complément de cette
dédicace.
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VALENTINIAN///
Hauteur des lettres : 0™05
P. MONTAGNON,
Curé de Khenchela,
Cheikh ABOU EL ABBAS AHMED EZ ZOUAOUI
BENI-ZIAD (Rouffach)
A Rouffach, sur la montagne qui domine le village,
qui s'appelait autrefois Djebel-Ouazgueur (i), et dans
les flancs de laquelle s'élevait l'antique centre de Mastar
(dont le nom phénicien inDQ signifie refuge, abri),
se trouve, à une altitude d'environ 1,322 mètres, le
tombeau d'Abou El Abbas Ahmed ez Zouaoui, ori-
ginaire, dit-on, du sud algérien, et qui mourut cente-
naire dans ces parages.
Sur le tombeau de ce grand marabout, qui fut un
éminent taumaturge,.on lit l'inscription suivante gra-
vée sur bois en relief, en caractères " Mécherqi ".
(1) Ce vocable est formé du mot arabe Djebel (Mont) et d'un autre
mot berbère Azguer signifiant (Bœuf).
— 310 —
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> u^ 2r , c j .^ ,. , 1 , . wo ^^v^jx. U
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•• (m .
« ^u nom rfe Z)/ea, le Clément, le Miséricordieux, que
Dieu répande ses bénédictions sur notre Seigneur Moham-
med.
« Réfugie-toi auprès de ce sanctuaire. Fais que tes actes
soient empreints d'intentions pieuses. Sois humble et plein
de piété ainsi qu'il convient à un être brisé par l'affliction.
Demande à Dieu par l'intercession du Ouali qui repose ici
tout ce que tu désires, tu verras tes vœux exaucés par le Dieu
tout puissant.
(' Ceci est le tombeau du saint, le Pâle de son temps, le
protecteur de toutes les créatures: Abou el Abbas Ahmed
ez Zouaoui, de la descendance de l'élu et du choisi de Dieu,
— 311 —
Ses miracles se sont manifestés d'une façon éclatante dans
les montagnes et les plaines à tel point qu'ils ne sont ignorés
de personne. La renommée de ce saint est universelle ; il
occupe un rang supérieur à tous les autres.
«. Le soleil peut-il se cacher quand il entre dans le siqne
du zodiaque {bélier) f
9. Il (ce saint) a été appelé à rejoindre le sein de Dieu et
à disparaître ainsi aux jjsux des mortels.
« Fait dans le mois de Redjeb de l'année 1216. »
L'année 1216 de l'hégire correspond h l'année 178 i
de l'ère chrétienne.
Le texte de cette inscription n'est pas sans présen-
ter quelques incorrections, ce qui en rend sa traduc-
tion quelque peu difficile; sauf quelques termes et
quelques tournures de phrases que nous avons cru
devoir changer, la traduction que nous donnons est
celle de M. Bousaada Areski, interprète à la Direc-
tion des Domaines.
Joseph BOSCO.
Sur la route du Bar do, à Constantine, vient d'être
mise à jour, en face des ateliers de MM. Broche et
Laliiteau, une stèle en forme de caisson portant les
restes ci-après d'une inscription funéraire :
CANINIA MA(r)
CELLA TIL DVL
(C)ISS///////
Les inscriptions ci-après ont été découvertes au
Hamma, à 7 kilomètres environ de Constantine, et
nous ont été remises par M. Joseph Bosco, chercheur
infatigable :
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QTERE
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Ces quatre inscriptions ont été trouvées à la ferme
Teuma; les deux dernières sont sur la même pierre.
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MIVS MIVL
VHBANVS PAG
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L'inscription portant le n» 4 a été trouvée à la
ferme Courtois, et celle portant le li" 5 aux platriè-
res, au pied des ruines d'El-Hanacher.
* *
M. Ballu, architecte en chef des monuments histo-
riques de l'Algérie, membre honoraire de notre So-
ciété, a rendu compte, au mois de décembre der-
nier (^), des fouilles exécutées par le Service des mo-
numents historiques en Algérie; le département de
Constantine est, comme chacun sait, celui qui donne
tous les ans le plus de résultats et aussi les résultats
les plus intéressants.
Gaelma. — Notre aimable collègue M. Joly a
continué la restauration du théâtre et exécuté, dans
la cour de la caserne, des fouilles fructueuses qui ont
fait découvrir les restes d'un monument qui paraît
être une basilique ; une mosaïque à dessins géomé-
triques et trois inscriptions ont été mises à jour ; ces
inscriptions indiquent que le pavement de ce monu-
ment a été fait par plusieurs personnes parmi les-
quelles un certain " Severianus, sous-diacre, et les
siens ".
Khemissa. — Les fouilles de Thubursicum Numi-
darum ont été reprises ; le théâtre a été déblayé ; tous
(1) J. 0. du 13 janvier 1911, n" 12.
Double i orte au Nord-Est du Forum .
Fragment du Tliéâtre.
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Porte orientale du péribole du Temple Nord.
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Stèle.
— 315 —
les gradins en sont à peu près intacts ; aussi l'aspect
de cette ruine est-il saisissant, ainsi qu'on peut s'en
rendre compte par les re])roductions ci-jointes, que
nous devons à l'amabilité de notre dévoué collègue,
M. JolyC).
Lombèse. — Les travaux de déblais ont porté sur
les grands thermes avoisinant l'arc triomphal de Sep-
time Sévère et improprement désignés sous le nom
de Palais du Légat ; à côté du mur extérieur a été
découvert un beau reste de mausolée reposant sur
deux gradins de pierre en bon état et renfermant des
ossements et deux jolis lacrymatoires en verre; ce
tombeau se dressait sur la voie septimienne qui a été
fort peu détériorée. On a également mis à jour des
fragments de statue et quatre textes épigraphiques
intéressants, dont trois, presque semblables, différent
seulement par le nom du donateur ; voici la traduc-
tion du premier :
« Consacré à Hercule invincible, pour le salut et la
victoire des deux Empereurs Césars : L. Septime
Sévère Pertinax, Pieux, et Marc-Aurèle Antonin
(Caracalla), tous deux Augustes ; et de Julia (Domna)
mère auguste de l'Empereur (Auguste). Q. Anicius
Faustus, étant légat des deux Auguste, propréteur,
homme clarissime, en l'honneur de Publius JEWus
ancien centurion de la légion en congé, honora-
ble, son père, avec la permission du peuple, ^lius
Menecrates, flamine perpétuel, a donné à sa patrie
(ces statues) au nombre de trois. »
{l) Voir les planches ci-jointes. M. Joly nous a envoyé, en outre, en
même temps que quatre autres photographies reproduites ci-contre, une
vue d'ensemble de Khemissa que nous regrettons de ne pouvoir repro-
duire et qui sera comprise dans l'envoi que se propose de faire la Société
archcologique do Constantino à l'Exposition de Kome.
— 316 - .
La fin du deuxième texte, dont le commencement
est semblable au précédent, se traduit ainsi : .... en
l'honneur de Mœvius Sarnus Honoratus, procurateur
des trois Auguste, avec sa sœur P. yElius Menecra-
tes, fit don à sa patrie de ces statues au nombre de
trois.
Le troisième texte fit don à sa patrie en son
nom et au nom de sa sœur.
D'après le quatrième, Quintus Anicius Faustus,
consulaire, patron, dédie le monument ; puis l'ins-
cription porte : Marcus Sedius Rufus, avocat, flamine
perpétuel, ayant géré le flaminat Commodien Hercu-
léen, la quinquennalité, le duumvirat et la questure,
en son nom et au nom de Gargilia Nucerina, sa
femme; l'ayant promis, il l'a donné.
Djemila. — Les ruines de Cuicul sont maintenant
devenues accessibles à toutes les voitures, et sont
pourvues d'un musée qui devient tous les jours plus
intéressant. On avait tout d'abord pensé à créer le
musée de Djemila à Sétif, mais les communes voi-
sines des ruines se sont émues et ont demandé que
le musée fut installé à Djemila même ; le Conseil mu-
nicipal de Saint-Arnaud a même offert à cet efïet
5,000 francs à l'Administration qui a fait édifier une
grande salle, mesurant 6 mètres sur 10"'50, avec une
hauteur de 8"50, et à laquelle a été annexée une
pièce destinée à servir de bureau ou de logement au
futur Conservateur.
Les travaux de déblaiement, sous la direction de
M. de Crésolles, inspecteur des Monuments histori-
ques, ont mis à jour un arc de triomphe, des voies
et des portes, des maisons privées, un temple et de
— 317 -
noiîibreuses inscriptions ; les plus intéressantes ont
pour objet des dédicaces à l'Empereur Probus, (pii
régna de 276 à 282 après J.-C. ; à Garacalla (211-217),
à l'Empereur Jovien (363-364) ; aux trois Auguste,
princes invincibles : Arcadius, Honorius et Théodose
le Jeune ; (ce dernier est Théodose II qui régna de
408 à 450 après J.-C); à l'Empereur César Marc-
Aurèle Probus ; à l'Empereur Valérien ; à des Em-
pereurs inconnus, la fin seule du texte ayant été
trouvée; à la Victoire, par L. Claudius, fils de-T. de
la tribu Papiria Brutto, édile, préfet, duumvir, au-
gure ; à Marc (Aurèle) Anlonin, père du divin
Commode ; à l'Auguste Antonin le Pieux, par Julius
Rogatus ; à l'Empereur César Marc Antoine Gordien
(Gordien III), (datée de 244 après J.-C); à Tiberia
Claudia Subatiana Aquilina et à Tiberia Claudia Digna
Subatia Saturnina, femmes clarissimes, filles de
Tiberius Claudius Subatianus Proculus (qui fut gou-
verneur de la Numidie en 208).
A signaler aussi une intéressante inscription por-
tant que sous l'Empereur César L. Septime Sévère,
fils du divin Marc-Aurèle Antonin le Pieux, frère du
divin Commode, petit-fils du divin Antonin le Pieux,
arrière petit-fils du divin Hadrien, et sous les Empe-
reurs : César Marc-Aurèle Antonin (Garacalla) Au-
guste et L. Septime Géta César, nobilissime, frère
de Marc-Aurèle Antonin Auguste (Garacalla) et Julia
Domna, auguste mère des Camps, la république des
Cuiculitains a construit des greniers ; la dédicace est
faite par Q. Anicius Faustus, légat d'Auguste, pro-
préteur, père de la Colonie.
En outre des monuments précités, les fouilles ont
fait découvrir des fragments de statues, des lampes
— 318 —
et des mosaïques représentant des scènes de la vie
romaine.
Timgad. — Les opérations de déblai, dirigées par
notre sympathique membre correspondant M. Barry,
ont fait découvrir, en 1910, une basilique chrétienne
dont le chœur était dallé en mosaïque et les salles
secondaires en béton, des maisons privées, un mau-
solée, un établissement de bains, et plusieurs ins-
criptions incomplètes dont l'une des plus intéressan-
tes constate que, sous l'Empereur M. Aurèle Sévère
(Caracalla) et sous (Julia Domna), mère de l'Empe-
reur, les approches de la fontaine ont été entourées de
grilles d'airain et ornées de portes et de " pronaos " ;
dans une autre, il s'agit d'un personnage qui gou-
verna la Numidie à la fin du in^ siècle : Severinius
Apronianus, et qui fit restaurer l'aqueduc de Lam-
bèse.
Les fouilles ont en outre mis à jour des fragments
de statue, des poids en granit, des lampes païennes,
vandales et chrétiennes, des gargoulettes, des mon-
naies diverses, des épingles à cheveux, des poinçons,
deux cueillers en argent artistement travaillées, des
boucles d'oreilles en or et des pierres précieuses de
diverses formes.
*
* *
En terminant, nous remercions particulièrement
ceux de MM. les Administrateurs qui nous ont déjà
envoyé, conformément à l'autorisation qu'a bien
voulu leur donner, l'an dernier, M. Phelut, notre
distingué Préfet, président d'honneur de notre Société,
une petite subvention pour remplacer celle que le
— 319 —
Conseil Général s'est vu dans la nécessité de nous
supprimer et nous permettre ainsi de continuer, en
même temps que nos intéressants travaux, la publi-
cation de nos recueils annuels.
Nous serions très obligé à ceux rpii ne nous ont
pas encore fait parvenir leur obole, de vouloir bien
adresser les mandats au Président de la Société ar-
chéologique, 7, rue de France, à Constantine.
Le présent volume sera adressé, comme l'an der-
nier , à tous les Administrateurs des communes
mixtes du Département.
J. MAGUELONNE.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Présidents honoraires. — Composition du
Bureau pour 1911 et Commission des manus-
crits III
Membres honoraires IV
Membres titulaires V
Membres correspondants VllI
Sociétés correspondantes Xt
Sociétés étrangères XV
Note sur la. route de Tébessa à Biskra, par
Négrine. — M. le général de Torcy ... 1
Ruines et vestiges anciens relevés dans la pro-
vince de Constantine. — MM. A. Joly et
L. Joleaud 29
Les refuges aériens de l'Aurès. — M. L. Jac-
quot 35
Bougie sous le sultan El Nageur. - M. Choisnet. 43
Le préhistorique dans les environs de Tébessa.
— M. A. Debruge 53
Notes archéologiques concernant la région de
Tocqueville. — M. l'abbé J. Gauthier . . 101
Vestiges antiques de la région de Bordj-bou-
Arréridj . —M.A.Robert 111
La Nécropole romaine de la route de Philip-
peville à Constantine. — M. E. Thépenier . 115
Forts et puits 7'omains de la région de Sétif.
— M. L. Jacquot 119
Poids romains trouvés à Sigus. — M. l'abbé
H.Jaubert 133
— 322 —
Pages.
Inscriptions relevées en 1910, par M. L. Jac-
QUOT 143
Quelques armes curieuses du département de
Constantine. — M. le capitaine Maitrot . 149
Monographie historique et géograpliique de la
tribu des Ziban. — M. J. Maguelonne . . 213
Incriptions découvertes à Khenchela. —
M. l'abbé P. Montagnon. 305
Inscription funéraii'e du cheikh Abou el
Abbas Ahmed ez Zouaoui. — Beni-Ziad
(Rouffach). - M.J.Bosco 309
Chronique. — M. J. Maguelonne .... 313
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Constantine. — Imp. D. Braham
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EXTRAIT DES STATUTS
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE CONSTANTINE
Article PREMIER. — La Société archéologique du départe-
menfde Constantine a été fondée en 1852 dans le but de recueil-
lir, de conserver et de décrire les monuments antiques du dépar-
tement ; elle a aussi pour but "de favoriser l'étude de l'histoire,
de la géographie et de l'archéologie algérienne; elle peut
accueillir également des communications intéressant l'Afrique
septentrionale.
Art. 3. — Le nombre des membres titulaires est iUimité. On
en fait partie après en avoir tait la demande par écrit, avoir été
présenté par deux membres et admis au scrutin secret et à la
majorité des voix dans la séance qui suit celle de la présentation.
Art. 22. — Les membres correspondants, sur leur demande
écrhe et sur leur présentation par deux membres titulaires, sont
admis à la pluralité des vdix dans la séance qui suit celle de leur
présentation. La Société peut aussi conférer d'office ce titre à des
personnes qui lui adressent des travaux pour son %ecueil ou des
communications utiles.
Art. 29. — La Société laisse aux auteurs la responsabilité
des faits et déductions historiques, archéologiques, scientifiques
ou autres, exposés dans les mémoires imprimés dans son Recueil.
Art. 32. — Les membres titulaires de la Société sont astreints
à une cotisation annuelle de douze francs,, les membres corres-
pondants à une cotisation annuelle de cinq francs, payable inté-
gralement dans le courant du mois de janvier .
Le prix du diplôme est fixé à cinq francs pour les membres
titulaires ou correspondants.
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