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RECUEIL
DE
VOYAGES ET DE MÉMOIRES
PUBLIÉ
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
TOME SEPTIÈME
CHEZ ARTHUS BERTRAND, LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ
RUE HAUTEFEUILLE, N° 23
M DCCC LXIV
RECUEIL
VOYAGES ET DE MÉMOIRES
OUVRAGES PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RECUEIL DE VOYAGES ET DE MÉMOIRES.
(Chaque volume se vend séparément.)
Tome 1°, contenant les Voyages.de Marco Polo : un volume in-4°.
Tome II (4'° et 2€ parties), avec 18 planches. Prix, 18 fr.
Contenant : 1° Une Relation de Ghanat et des Coutumes de ses habitants ;
2° Des Relations inédites de la Cyrénaïque;
3° Une Notice sur la mesure géométrique de quelques sommités des Alpes;
4° Résultats des questions adressées à un Maure de Tischit et à un Nègre de Walet;
5° Réponses aux questions de la Société sur l’Afrique septentrionale ;
6° Un Itinéraire de Constantinople à la Mecque ;
7° Une Description des ruines découvertes près de Palenqué; suivie de Recherches
sur l’ancienne population de l’Amérique ;
8° Une Notice sur la earte générale des pachalicks de Hkaleb, Orfa et Bagdad ;
9° Un Mémoire sur la Géographie de Perse;
10° Des Recherches sur les antiquités des États-Unis de l'Amérique septentrionale.
Tome III, contenant l’Orographie de l'Europe, par M. L. BRuGuIÈRE, ouvrage couronné par la
Société dans sa séance générale du 31_ mars 1826, avec une carte orographique,
13 tableaux synoptiques, et vues des principales chaînes de montagnes. Prix, 20 fr.
Towe IV. Avec une carte et plusieurs fac-simile. Prix, 30 fr.
Contenant : 1° Description des merveilles d'une partie de l'Asie, par le P. Jordan, de Sévérac;
2° Relation d’un voyage à l’île d’Amat, d’après les manuscrits de M. Henri Ternaux;
3° Vocabulaires de plusieurs contrées de l'Afrique, d’après M. Kænig;
4° Voyages en Orient de Guillaume de Rubruk;
5° Notice sur les anciens voyages de Tartarie en général, et sur celui de Jean du
Plan de Carpin en particulier; avec une carte, par M. D’AVEZAC;
6° Relation de la Tartarie de Jean du Plan de Carpin;
7° Voyage de Bernard et de ses compagnons en Égypte et en Terre-Sainte;
8° Relation des voyages de Sævulf à Jérusalem et en Terre-Sainte.
Tome V et VI, contenant la géographie d’Edrisi, traduite de l’arabe en français, d’après deux
manuscrits de la Bibliothèque du Roi, et accompagnée de notes, par P. Amé-
dée Jaubert, membre de l’Institut, ete, avec 3 cartes. Prix, 24 fr. chaque
volume.
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ. d
Ce Recueil paraît tous les mois, par numéros-de-quatre à cinq feuilles : les douze cahiers for-
ment, à la fin de l’année, deux volumes in-8°, avec planches.
Prix: pour Paris, 12 fr.; pour les départements, 15 fr. ; pour l'étranger, 18 fr.
1"e série, 20 vol., de 1821 à 1833.
2e série, 20 vol., de 1834 à 1843.
3° série, 14 vol., de 1844 à 1850.
4° série, 20 vol., de 1851 à 1860.
5° série, 6 vol., de 1861 à 1863.
Paris. — Imprimerie de E, Marniner, rue Mignon, 2.
in. 50
D / .@,
RECUEIL
DE
VOYAGES ET DE MÉMOIRES
PUBLIÉ
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
TOME SEPTIÈME
CHEZ ARTHUS BERTRAND, LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ
RUE HAUTEFEUILLE, N° 23
M DCCC LXIV
1 LIRE
1584 er
1 d (ae V
h a s
GRAMMAIRE ET DICTIONNAIRE
ABRÉGES
DE LA LANGUE BERBÈRE
AVERTISSEMENT.
H est des hommes qui, dans l'étroite sphère de leur spécialité, contri-
buërent à la gloire, à la prospérité de leur patrie, et dont les utiles services,
les noms mêmes sont restés pour ainsi dire inconnus’. Dans l'intérêt
du progrès des sciences, comme par esprit de justice, cependant, nous
ne devrions pas nous montrer oublieux à l'égard de nos devanciers;
car, sil existe un mobile capable de porter au bien, d'exciter l'ardeur
des âmes généreuses, c'est, sans doute, l'espoir fondé de recueillir, dans
l'opinion de la postérité, la récompense des efforts tentés pour mériter
ses suffrages.
C'est sous l'impression de ce sentiment et pour essayer de rendre à
mon vénérable prédécesseur un hommage tardif, il est vrai, mais légi-
time, mais digne de son patriotisme, de son zéle et de sestalents, que j'ai
accepté, malgré mon insuflisance, la nouvelle tâche qui m'était imposée
par la Société de géographie, et que j'ai entrepris de publier la Gram-
maire et le Dictionnaire berbères composés par feu Venture de Paradis,
il y a plus d'un demi-siècle, alors que rien ne faisait pressentir l'utilité
dont pourrait être un pareil travail. Qu'il me soit permis, à cette occa-
sion, de transcrire ici les expressions dont se servait cet habile et
modeste orientaliste dans une note manuscrite, qu'un hasard heureux
a fait tomber entre mes mains :
«Pour donner à mes lecteurs quelque confiance dans le travail que
je leur présente, il est peut-être nécessaire de leur dire la maniere dont
} Je dis : pour ainsi dire, car il a paru dans la article, bien qu'écrit avec bienveïllance, laisse
Biographie des contemporains (t. V, supplément) beaucoup à désirer sous le rapport de l'exactitude.
un article-consacré à Venture de Paradis; mais cet IL est d’ailleurs très-incomplet.
il AVERTISSEMENT.
je. l'ai composé. En 1788, il vint à Paris deux Maures sujets de Maroc ;
l'un d'eux était né dans la province de Haha, et l'autre dans les mon-
tagnes enclavées dans les environs de Sous'; tous les deux savaient
le berbère ainsi que l'arabe, et il me vint en idée de mettre à profit les
fréquentes visites que j'étais obligé de recevoir d'eux à cause de mon
emploi de secrétaire interprète du roi, pour prendre quelque idée de
la langue berbère. Je commencçai par écrire, sous leur dictée, quelques
cahiers contenant les mots les plus usuels ; ensuite je leur demandai
de courtes phrases, afin de deviner les déclinaisons et les conjugai-
sons, qu'il leur était impossible de m'expliquer, attendu que, ne sa-
chant ni lire, ni écrire en aucune langue, ils n'avaient jamais appris
de principes grammaticaux.
«H y avait déjà deux ou trois mois que je me livrais à cette étude,
lorsque M. le comte de la Luzerne, ministre secrétaire d'État au dé-
partement de la marine, m'envoya à Alger, pour y coopérer au succès
d'une négociation qui intéressait la tranquillité du commerce et de la
navigation. ........
« Les circonstances rendirent mon séjour dans ce pays beaucoup
plus long que je ne l'avais cru lors de mon départ de Paris, et je
pris le parti d'employer mes moments de loisir à continuer l'étude
que javais entreprise avec les deux Marocains dont je viens de
parler.
« Je trouvai, parmi les étudiants en théologie musulmane dans les
colléges d'Alger, deux jeunes gens nés dans les montagnes de Felissen
(Felissah), situées dans la caïderie de Sebou, à dix-huit lieues est d'Alger.
Je pris avec eux des arrangements, et, pendant près d’un an, ils vinrent
passer chaque jour une ou deux heures avec moi.
«C'est par leur secours que j'ai composé ce vocabulaire. Je m'étais
fat un devoir de surmonter l'ennui que m'occasionnait souvent un
pareil travail dés le moment où, ayant revu avec eux les mots et les
2 , Û É : Fe
H n'est pas rare de voir arriver de ces pro- force et d'adresse vraiment prodigieux; ces hommes
vinces et de Tarodant des hommes de cette même parlent l'arabe et le berbère.
race, qui exécutent sur nos théâtres des tours de
AVERTISSEMENT. il
phrases que j'avais écrits à Paris, j'avais reconnu que la langue qu'on
parle dans les montagnes de Constantine est, à bien peu de chose
près, la même qui est en usage dans les montagnes de Maroc.
« Ce dictionnaire n’est point complet; il y manque plusieurs des mots
nécessaires pour exprimer même des choses communes, et il aurait
fallu pouvoir remplacer divers mots arabes par les termes équivalents
en véritable berbère ; mais mes maïtres les ignoraient. Tel qu'il est,
cependant, ce travail suffira pour initier les philologues à la connais-
sance de cette langue, et il ne tiendra qu'a un Européen studieux
appelé en Barbarie par des affaires de commerce ou de politique, de
perfectionner, sans se donner trop de peine, ce qui m'en a donné
beaucoup à ébaucher. »
Tel était le vœu formé par cet excellent homme au moment où, après
de longs voyages, après de pénibles fatigues, désormais simple professeur
de turk à l'école spéciale des langues orientales, école qui venait d’être
établie près la Bibliothèque nationale, Venture espérait enfin pouvoir ter-
miner sa carrière en France. Mais le gouvernement en jugea autrement.
À l'époque du départ de la mémorable expédition d'Egypte, le général
Bonaparte, désirant s'entourer des lumières et de Texpérience d'un
homme qui connaissait si bien l'Orient, et surtout l'Egypte, où il avait
résidé plusieurs années, le choisit pour premier secrétaire interprète du
chef de l'armée, et le fit embarquer sur le vaisseau amiral. Devenu l'insé-
parable compagnon du grand homme, on juge de quelle utilité durent
être ses conseils. En effet, doué d'un esprit d'investigation qui le portait
à rechercher avec curiosité tout ce qui pouvait avoir trait aux mœurs,
aux habitudes, aux idées orientales; possédant, pour parler les idiomes
de ces peuples, l'aptitude particulière aux habitants des contrées méri-
dionales de la France, dans le sein desquelles il avait reçu le jour, il
avait celte franchise, parfois un peu rude, qui, sans exclure la bienveïl-
lance du caractère, est si propre à inspirer aux étrangers, aux Orien-
taux surtout, une Juste confiance dans la loyauté française.
À ces qualités éminentes, Venture joignail une connaissance appro-
fondie du génie des langues de l'Arabie, de la Turquie et de la Perse;
A.
IV AVERTISSEMENT.
sa conversation était mêlée de ces sentences spirituelles, de ces expres-
sions populaires qui souvent ajoutent tant de charme et de force au
discours; il avait une gaieté douce, des manières affables, du piquant,
du trait dans l'esprit, de sorte que, même dans des circonstances im-
portantes, il lui fut donné de pouvoir terminer d'un seul mot d'épineuses
négociations.
Convaincu que les fonctions d'interprète exigent, de la part de celui
qui aspire à les bien remplir, indépendamment du talent de reproduire
avec fidélité toutes les nuances de la pensée, un sentiment exquis des
convenances, une certaine délicatesse de style, et quelquefois même
une véritable hardiesse dans le choix des expressions, il se faisait une
haute idée de l'importance de sa charge; il ne négligeait aucune occa-
sion de faire valoir les services des jeunes traducteurs qui travaillaient
sous sa direction, en sorte qu'à ses yeux un orientaliste était, soit en
Asie, soit en Afrique, un homme essentiel, indispensable, en un mot
un trésor d'une inestimable valeur. Objet de son inépuisable bienveï-
lance au début de ma carrière, je me suis trouvé dans le cas d'éprouver
les eflets de cette opinion exagérée, et il m'est arrivé plusieurs fois
d'entendre le général Bonaparte se plaindre en riant des incessantes
obsessions de Venture en faveur de ses collaborateurs.
Outre Tutilité politique et commerciale qu'il entrevoyait dans ses
travaux sur la langue berbère, Venture se flaitait de l'espoir qu'il ne
serait pas impossible de retrouver, dans cette langue, des traces de l'an-
cien punique, et il s'était livré, relativement au fameux passage que
Plaute nous a conservé dans son Pæœnulus, à des recherches qui n’ont pas
été totalement sans résultats.
- On conçoit en effet combien il semblait curieux à un philologue aussi
habile, combien ïl serait intéressant pour nous-mêmes de pouvoir dé-
chiffrer d'une manière certaine les nombreuses inscriptions phéni-
ciennes qui ont été trouvées, soit en Algérie, soit en Sardaigne, soit à
Malte, et dont le docte Bochart, l'abbé Barthélemy, et plus tard M. Ge-
senius et notre illustre Quatremère se sont occupés. S'il est un moyen
de parvenir à l'interprétation exacte de ces inscriptions, nul doute que
AVERTISSEMENT. \
ce ne soit l'étude approfondie de la langue qu'on parlait autrefois sur
les mêmes lieux. Or cette langue ne pouvait être qu'un dialecte offrant
plus ou moins de traits de ressemblance avec le berbère; et, de même
qu'aujourd'hui, comme tout le monde le sait, le berbère est mêlé d'arabe,
de même l'ancien carthaginois était mêlé de syriaque et de chaldéen :
tant il est vrai que sur le littoral de l'Afrique septentrionale, comme en
Europe, la civilisation s’est avancée d'orient en occident.
Cette langue présentait, d’ailleurs, à un orientaliste aussi exercé que
l'était Venture, plusieurs particularités remarquables :
1° L'extrême analogie de son système grammatical avec celui des
langues d'origine sémitique que nous connaissons ;
2° Le peu de rapports étymologiques existants entre le berbére et
ces mêmes langues ;
3° La présence (inconnue dans les idiomes asiatiques) de l'article
indéfini le, la, les;
4° La déclinaison des noms ayant lieu, comme en hébreu, comme
en arabe, au moyen de particules préfixes, et non comme en latin,
d'après la terminaison des cas ;
5° La régularité de la conjugaison des verbes, lingénieux mécanisme
de langage au moyen duquel s'opèrent les dérivations de ces verbes,
et l'absence totale des infinitifs, remplacés par des noms d'action.
Si, sous le rapport philosophique, cette langue, toute barbare qu'elle
puisse être, offrait à Venture attrait qui s'attacherait à un idiome parlé
par des enfants illettrés; si, dans l'intérêt de l'érudition, elle lui parais-
sait de nature à donner accès à la connaissance des dialectes les plus
anciens de l'Afrique, combien il aurait apprécié l'utilité dont elle peut
être dans nos relations actuelles avec les Kabyles, c'est-à-dire avec les
aborigènes de ces provinces désormais assujetties à nos lois! Qui ne sent
en effet que le premier et le plus sûr moyen de donner à ces peuples
une idée des bienfaits de la civilisation, c'est de pénétrer profondément
dans la connaissance de leur méthode analytique de la pensée, de
leur phraséologie, de leur syntaxe et de leur construction ? Osons le
croire, ces peuples nous sauront gré, quelque jour, des efforts que
VI AVERTISSEMENT.
nous aurons consacrés à l'étude intéressante, instructive, sans doute,
mais difficile, de leur langue. Brisant les liens où les retiennent un
intolérant fanatisme, une grossière ignorance, des préjugés anti-sociaux,
ils ne répugneront plus à s'initier à la connaissance de nos usages et de
nos mœurs; ils comprendront que, de toutes les religions, la nôtre, le
catholicisme sans les Jésuites, est celle qui répond le mieux aux besoins
de l’homme; qu'en lennoblissant à ses propres yeux, elle Iui donne
une Juste idée de la dignité de son espèce, lui apprend ce qu'il doit en-
tendre par les mots de vertu, d'équité, de bonheur, et le dirige enfin
vers le but que se proposèrent, sans aucun doute, la sagesse et la bonté
de son Créateur.
P. AMÉDÉE JAUBERT.
Paris, février 1844.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
SUR
i
VENTURE DE PARADIS,
LUE À LA COMMISSION CENTRALE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE LE 1° DÉCEMBRE 18/43, ET À L'ASSEMBLÉE
GÉNÉRALE LE 15 DÉCEMBRE, À L'OCCASION DE LA PUBLICATION DE LA GRAMMAIRE ET DU DICTIONNAIRE
BERBÈRES PAR LA SOCIÉTÉ.
Dès les premiers temps de son existence, la Société de géographie a ex-
primé le vœu de voir publier le Dictionnaire berbère de Venture, demeuré
manuscrit depuis plus de cinquante années, au grand dommage des études
africaines et particulièrement de l'ethnographie des peuplades du mont
Atlas. Les savants avaient une faible idée de l'importance de cet ouvrage, dé-
posé par Volney à la Bibliothèque royale, quand Langlès en donna un court
extrait à la suite de la traduction du voyage de Hornemann. La Société, qui
avait, dès l'an 1824, conçu le dessein de le mettre au jour pour le besoin
de la géographie et de la philologie seulement, savait qu'à l'ouvrage étaient
jointes une grammaire et des remarques sur la race berbère; mais elle était
loin de prévoir que, quelques années plus tard, cet écrit deviendrait une
sorte de besoin public; que la France posséderait une partie du territoire
même où règne cet idiome, et que nos soldats seraient en relation journalière
avec les hommes qui le parlent. Combien, après la conquête de l'Algérie, la
Société eut à regretter que son vœu n'eût pas été entendu ! Toutefois, ses
instances persévérantes continuèrent, depuis l'événement, pendant plusieurs
années de suite. Dans le tome IV de ses mémoires ?, elle publia plusieurs vo-
cabulaires et signala, d’après le manuscrit de Venture, l'analogie du berbère
avec l'idiome parlé dans l’oasis de Syouah, et, dans son recueil périodique,
elle appela sur cette langue l'attention des savants.
Enfin en 1843, le maréchal duc de Dalmatie, ministre de la guerre
(grâces lui en soient rendues!), a confirmé une précédente décision ministé-
* Pages 130 et suiv.
VIII NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR.
rielle du 2 octobre 1839, conforme à la demande de la Société, et il a bien
voulu venir à son aidé pour la publication de l'ouvrage entier. Heureuse-
ment aussi nous avons obtenu le concours de M. le ministre du commerce,
alors notre président; c'est ce travail qui sera bientôt sous les yeux du pu-
blic français et européen.
Après l'avertissement que doit mettre en tête de l'ouvrage celui de ses
membres que la Société a chargé de présider à l'impression, M. le chevalier
Amédée Jaubert, quil soit permis à lun des compagnons de voyage de
Venture, lors de l'expédition française en Egypte, de dire quelques mots de
sa vie; on n'accueillera peut être pas sans intérêt ces détails, qu'on pourrait
dire presque ignorés, puisque la Biographie universelle ne fait pas même
mention d'un nom si recommandable. Celui qui écrit ces lignes conserve
encore, après bien des années, un souvenir plein de respect et de recon-
naissance pour la personne de Venture, dont il admirait le dévouement, le
patriotisme et le savoir, à l'époque à jamais mémorable de la campagne
d'Égypte. Ce sentiment est celui que lui vouent et lui -ont voué tous les
orientalistes de l'expédition. et tous les membres de l'Institut d'Égypte.
Venture était particulièrement connu de M. Suard et recherché dans sa
maison, qui réunissait beaucoup de gens de lettres. À la mort de ce dernier,
des papiers qui lui avaient appartenu, et qui provenaient de Venture, me
furent remis, de la part de la veuve (et en ma qualité), comme pouvant
servir à la rédaction de la Description de l'Égypte, publiée par ordre du
gouvernement. Il sy trouvait quelques notes biographiques, des notes de
M. Digeon, et des observations critiques de Venture au sujet des lettres de
Savary. Ces observations, datées du Kaire, le 25 février 1787, prouvaient
toute la sagacité et la justesse d'observation du savant interprète ; mais
elles avaient perdu un peu de leur importance depuis les travaux de l'Ins-
ütut et de la Commission des sciences d'Égypte, qui, d’ailleurs, avaient
décidé en principe, qu'il ne fallait point se livrer, dans l'ouvrage, à la cri-
tique des précédents voyageurs. Les remarques de Venture pourront tou-
telois trouver leur place ailleurs ; ici je ne dois parler que de la personne
de l’auteur; il mérite, par ses travaux, la reconnaissance des gens de lettres
et une place dans le souvenir des hommes.
Jean Michel de Venture de Paradis, secrétaire interprète du gouverne-
ment pour les langues orientales, né à Marseille en 1739, le 8 du mois
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR. IX
de mai, sur la paroisse Saint-Ferréol, appartenait à une famille noble,
d'où étaient sortis des militairesidistingués, des drogmans et des consuls.
Son père avait été consul dans le Levant; son trisaïeul, Jean de Venture,
écuyer, était consul et gouverneur de la ville de Marseille 1, Son bisaïeul,
André de Venture, marié en 1660, eut cinq garçons de son mariage. Son
aïeul, Charles de Venture, était, à vingt ans, capitaine au régiment de
Vendôme; il devint commandant des milices de Provence sous le maréchal
de Belle-Isle. Marié en 1699, il eut deux fils, dont l'aîné, Jean-Michel,
était le père de celui dont nous écrivons la vie. Jean-Michel de Venture,
qui avait été interprète à Seyde, fut consul, pour la Suède, en Crimée,
de 1741 à 1744; il eut aussi deux fils: l'aîné, Jean-Joseph, né à la Canée
en 1730, et notre Jean-Michel, né à Marseille en 1739. Celui-ci fit ses
études à l’École des jeunes de langues. Ses progrès furent tels que dès
lannée 174, c'est-à-dire âgé seulement de quinze ans et comme son
père, il partit pour Constantinople, afin de se fortifier dans l'étude de la
langue turque. À l'âge de vingt-deux ans, il remplissait déjà à Seyde
l'emploi d'interprète. En 1770, le jeune drogman fut envoyé en Egypte,
sous le premier interprète de France, qui était alors M. Digeon, et, en 1772,
il épousa sa fille au Caire.
C'est à cette époque que Venture connut le célèbre Aly-Bey. On sait
qu'à la mort de Mohammed Abou-Dahab, successeur de ce prince, les beys
se disputèrent l'autorité; dans ces temps d’anarchie, c'est-à-dire vers 1776,
la turbulente milice des mamlouks molestait nos négociants, et mettait
même en péril les intérêts de notre commerce. Venture fut envoyé
en France pour faire connaître la situation des choses; aussitôt qu'il
eut rempli cette mission, il fut associé au baron de Tott, que le gou-
vernement venait de charger de visiter les échelles du Levant. Cette nou-
velle mission est de l'an 1777. M. de Sartine lui ordonna de se rendre au
Maroc en 1778. Par ordre de Louis XVI, il passa à Tunis en 1780, comme
chancelier interprète du consulat. Après avoir rendu, dans ce dernier poste,
toutes sortes de services au commerce français et à la compagnie française
* On lit dans une lettre d’un échevin de Mar- biens, qu’elle pouvait faire ses preuves pour l'ordre
seille à M. de Malézieux (15 juillet 1744) « que la de Malthe, elc. »
maison Venture de Paradis était une des plus an- ? L'acte de célébration est du 14 juillet : M" Di-
ciennes de la ville, qu'elle avait possédé de grands geon est née à Chio.
x NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR.
d'Afrique (qui lui donna un honorable témoignage de sa reconnaissance !),
il fut nommé en 1781, le 18 mai, secrétaire interprète du roi en langues
orientales au ministère des affaires étrangères à Paris. En 1786, il était
à Toulon, occupé d'une négociation épineuse relative à un envoyé du
Maroc. Deux ans après, en 1788, Venture fit la connaissance, à Panis,
d'un certain Tripolitain, secrétaire de lenvoyé de la régence de Tripoli,
qui passait en Hollande, et il recueillit alors de lui des notions sur. la
route de Tripoli au Fezzan. Cet homme proposait d'accompagner le voya-
geur français qu'on voudrait envoyer dans cette contrée. Venture fit.de
ces renseignements le sujet d'une notice intéressante.
Dans cette même année 1788, il alla encore au Levant, chargé de régler
un différent très-grave entre Alger et la France. C'est à cette époque qu'il
composa, à l'aide de plusieurs indigènes du mont Atlas, une grammaire
berbère, et un dictionnaire français-berbère et arabe-berbère : unan fut
consacré à ce travail. Au bout de deux ans de séjour à Alger, c'est-à-dire
en 1790, il revint à son poste. À son retour en France, il fut accueilli par
Volney, et il lui remit des extraits de son travail sur le berbère; plus tard,
Volney déposa l'ouvrage même à la Bibliothèque nationale *.
En 1793, il fut adjoint à la nouvelle ambassade de France à Constanti-
nople et s’y rendit avec M. de Sémonville pour une mission secrète, après
avoir séjourné quelque temps à Venise *. Sa nomination à ce poste est du
31 mai 1793; le même jour, il recevait un brevet de consul général de la
république à Smyrne. Au mois de novembre 1794, il était chargé de suivre
M. Verninac, ambassadeur près la Porte Ottomane. En 1796, le Directoire
le nomma premier interprète de la légation française; il resta à Constanti-
nople jusqu'en 1797, époque où le divan envoya, à son tour, au Directoire
un ambassadeur, Esseïd Aly-Effendi. Venture eut la mission del'accompagner
à Paris. I saisit cette circonstance pour prendre enfin quelque repos; mais ce
repos devait être un loisir occupé; car il avait été nommé, en 1795; pro-
fesseur de turk à l'Ecole spéciale des langues orientales vivantes, école qu'on
venait créer et qui a depuis rendu et ne cesse de-rendre des services :si-
gnalés pour nos relations politiques et commerciales avec le Levant.
* Par décision du 26 janvier 1786. ë * Son passe-port de Venise à Constanlinople porte
* C'est la première copie. Voir la note autographe la date du 9 ventôse an 1. (27 février 1795).
de Volney, écrite en tête de l'ouvrage.
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR. xI
Venture ne put jouir longtemps de cette position qui lui permettait
enfin de se livrer aux charmes de l'étude et de la vie de famille, ce qu'il
désirait sincèrement, car il avait eu deux filles de son mariage. À peine un
an s'était écoulé, que le chef de l'armée d'Angleterre, c'est-à-dire de l'ex-
pédition mystérieuse d'Orient, appela Venture à une nouvelle carrière de
travaux et de périls. Sa réputation d'homme profondément versé dans la
connaissance des langues et desmœurs du Levant le fit choisir, par le général
Bonaparte, pour premier interprète de l'armée; il obéit sans murmurer;
seulement il recommanda sa famille au gouvernement’.
Après la prise d'Alexandrie, on conçoit quelles difficultés durent arrêter
le vainqueur, quand il fut question de se rendre par la ligne la plus courte,
c'est-à-dire à travers le désert, au-devant de l'armée des beys, de prévenir
leur attaque par une de ces manœuvres hardies qui ont immortalisé le
grand capitaine. Faire franchir une mer de sable par une armée de Fran-
çais, pour la première fois, avec de la cavalerie et de l'artillerie, sans pro-
visions de vivres et de fourrages suffisantes, sans guides sûrs, sans eau
surtout, était une entreprise bien téméraire; et, pourtant, le salut de
l'expédition dépendait d'un coup de main hardi et d'une prompte réso-
lution. Dans ces circonstances critiques, l'expérience et les lumières de
Venture furent d’un secours précieux. Comme les chefs des tribus arabes,
principalement de la puissante tribu des Aoulad-Aly, s'étaient présentés
devant de général en chef, et que personne ne savait quelles étaient leurs
vraies dispositions, l'inquiétude était grande et partagée par le général lui-
même, lorsque Venture se mit promptement en rapport intime avec les
Arabes. 11 expliqua clairement au général que ces hommes n'avaient point
en cemoment d'intentions hostiles; loin de là, qu'ils venaient lui proposer
leurs chameaux, leurs bestiaux, des outres chargées d’eau, des guides pour
le désert, enfin tout ce qui pouvait assurer une marche prompte de l'armée
jusqu'aux rives du Nil; on sait le reste. C’est alors qu'on vit tout ce que peut
un homme de cœur et de talent pour le succès d’une entreprise difficile.
2 Je trouve dans sa réponse à Charles Lacroix, une expédition secrète. Son dévouement ne lui per-
ministre des relations extérieures, les expressions met pas de faire la moindre réflexion sur son âge
suivantes; elles méritent d’être conservées ici: «Le sexagénaire et il ne consulte que le désir de pou-
gouvernement vient de donner l’ordre au citoyen voir être utile. .... »
Venture de se rendre à Toulon pour partir avec
XI! NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR.
Après la victoire, il ne cessa de travailler, pour sa part, à la formation, à
la consolidation du nouvel établissement français. Qui pouvait mieux y
réussir que celui qui avait fait en Égypte deux séjours et y avait résidé huit
années? Il connaissait si bien les différentes classes de la population, les
agents publics, les Coptes, les effendis, les chefs de la religion, les maisons
de beys et de kachefs, c'est-à-dire leurs familles restées au Kaire! Cette
ville opulente contenait beaucoup de richesses et d'objets précieux que les
mamlouks y avaient laissés en émigrant ; il fallait en assurer la propriété au
trésor. L'impôt en deniers et en nature n’était pas moins important à régler;
il en était de même des comptes à exiger des anciens fonctionnaires. Venture
était consulté sur toutes ces opérations et sur bien d’autres dans le détail
desquelles je ne puis entrer. J'ai entendu dire au célèbre et savant général
Caffarelli-Dufalga, qu'il ne connaissait pas d'hommes plus utiles à l’armée
d'Orient que Venture et Conté.
À ce dévouement patriotique, à ces talents rares, dire qu'il joignait un
désintéressement parfait, c'est compléter le portrait de cet homme remar-
quable. L'Institut d'Égypte l'appela dans son sein. S'il n'eut pas le loisir
d'y lire des mémoires, c'est qu'il était absorbé par un service de tous les ins-
tants. Le général Bonaparte, qui lui témoignait la plus haute considération
et le consultait souvent, ne pouvait se passer de lui presque un seul moment;
et, quand il résolut l'expédition de Syrie, il s'en fit accompagner. Tombé
malade de la dyssenterie au siége de Saint-Jean d’Acre, Venture fut trans-
porté, sur sa demande, au couvent de Nazareth, dont il connaissait les
religieux de longue date; puis, lors de la retraite de l'armée, il revint
au camp français, porté sur un brancard. Pendant la marche, il expira;
c'était au mois de mai 1799. Il n’avait encore que cinquante-neuf ans; le
ciel mit fin trop tôt à cette belle vie, plus pleine de services que d'années ?:
Sa fin précoce excita les plus vifs regrets dans l'armée. Il joignait à un
profond savoir, à une expérience consommée, une activité infatigable , une
rare franchise et un noble caractère. Il était bon et généreux; à chacun
Le fidèle serviteur qui l'accompagnait en Syrie, connaître par de savants ouvrages sur les langues
et qui vit encore, fut chargé de rapporter à M”: Ven- et les mœurs orientales, comme il s'est acquis une
ture ses dernières dispositions. haute renommée par ses voyages en Orient et par
* Il eut pour successeur, dans ces fonctions dif- ses missions diplomatiques.
ficiles, M. Amédée Jaubert, qui, depuis, s’est fait
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR. XIII
de ses voyages, il avait soin d'assurer, par de généreuses dispositions,
l'existence et le bien-être de sa famille. Il n'avait point de fils; il a laissé,
outre sa veuve, qui vit encore, deux filles”, qui sont mortes toutes les deux ?.
Marseille a, depuis longtemps, donné le nom de Venture à une de ses rues;
le nom de Paradis appartient depuis deux siècles à un quartier et à une
très-grande rue de cette ville.
I me reste à citer, pour honorer la mémoire de Venture, un olorieux témoi-
gnage; c'est celui de Napoléon. Je le transcris ici littéralement, d'après le ma-
nuscrit de la campagne d'Egypte, dicté par le grand capitaine : « Le sultan
Kebir (le général en chef de l'armée d'Orient) n'oublia rien de ce qui pou-
vait les rassurer, leur inspirer de la confiance et des sentiments favorables.
Il était parfaitement secondé par son interprète, le citoyen Venture, qui
avait passé quarante ans à Constantinople et dans différents pays musul-
mans. C'était le premier orientaliste d'Europe. Il rendait avec élégance,
facilité, et de manière à produire l'effet convenable, tous ses discours *. »
La liste des ouvrages de Venture restés manuscrits est assez étendue;
celle de ses écrits imprimés est plus courte; on connait de ces derniers,
1° plusieurs fragments insérés dans le Magasin encyclopédique, savoir :
Discours de prééminence entre le vin et la bougie, traduit de l'arabe (Mag. encycl.
1" année, 1799, t. I, p.116); Séance à Ramlé, traduit d'une des séances de
Hharyry (ibid. 1795, t.11, p.279); et Anecdote sur le mariage d'Al-Mamoun avec
Bourän, traduit par Venture et Langlès (ibid. 20° année, 1815, t. VI, p. 1 38);
2° un aperçu de la route de Tripoli de Barbarie à Fezzan*; 3° Les pieux exploits
d'Aroudj et de Khaïr-eddin, traduit de l'arabe (Gazawat Aroudy we Khaïr-eddin),
! L'une d'elle a épousé, en 1793, M. P. Male-
szewki, mort en 1898, auteur de l'Essai historique
et politique sur la Pologne. Cet ouvrage posthume
a été publié en 1833 par sa seconde femme, ma-
demoiselle Gartan de Coulon, en un volume in-8°;
Paris, 1833.
? M. Léonard Chodzko, litérateur polonais juste-
ment estimé, a épousé l’une de ses pelites-filles.
* On lit dans le journal d'Abd-er-Rahman Gabarti,
homme qu'on ne peut soupçonner de partialité
pour les Français : « Venture était un drogman du
général en chef. C'était un homme éloquent et
aimable ; il possédait parfaitement le turc, l'arabe,
le grec, l'italien et le français. » On doit à Venture
d’avoir fait connaître la mystérieuse doctrine des
Druzes; il avait recueilli dans le Liban, à la suite
du pillage d'un de leurs villages par le pacha d'Alep,
des manuscrits de leurs livres sacrés. C’est un hom-
mage que rend à sa mémoire M. de Sacy; je crois
devoir consigner ici ses paroles : «Le Français dont
il est ici question est M. Venture de Paradis,
drogman célèbre, mort dans l'expédition de Syrie,
où il avait accompagné l'armée française. . . ..
M. Venture composa un mémoire très-intéressant
sur les Druzes et y joignit la traduction de leur
catéchisme.» (Voyez la note 1, page suiv.)
‘ Cet écrit est cité par J. Lalande (Mémoire sur
l'intérieur de l'Afrique, Paris, an 111, pag. 32) ; depuis,
XIV NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR.
1 vol. in-fol. C'est l'histoire des deux Barberousse d'Alger, ouvrage récem-
ment publié par MM. Ferdinand Denis et Fr. Rang, sous le titre de Fondation
de la régence d'Alger, lustoire des Barberousse, chronique arabe du xvi° siècle, 2 vol.
in-8°, 1837; 4° Mémoire pour servir à l'histoire des Druzes, peuple du Liban,
publié à Londres, en anglais, en 1786, comme une traduction. Le manus-
crit de cet ouvrage de Venture, conservé à la Bibliothèque royale, est écrit
d'une autre main que la sienne et plus étendu. Il est singulier qu'il ait
paru, pour la première fois, en langue anglaise : c'est ce qu'on lit dans le
mémoire de M. de Sacy sur le culte du veau chez les Druzes. Il à paru
ensuite en français dans les Annales de la géographie et des voyages !.
Ses ouvrages manuscrits sont les suivants, d'après la liste que j'ai formée
à la Bibliothèque royale”; ils sont tous autographes.
1° Passe-temps chronologique et historique, ou coup d'œil récréatif sur les règnes
des khalifes, des rois, des sultans d Égypte, de la composition du cheykh, le
plus docte des docteurs, Yousef ben-Mervyi, natif de Jérusalem, de la doctrine
d'Hanbal, 1 vol. in-fol. (Je possédais au Kaire cet ouvrage en manuscrit, et
je l'ai mis à profit dans ma Description du Kaire) °.
2° Tableau de l'Egypte, ou abrégé géographique et politique de l'empire des
Mamlouks, par Khalil-ibn-Schahin-al-Zairé, visir du Sultan Barsebaï,
traduit de l'arabe, in-fol.
On y trouve la fameuse lettre du khalife Omar à Amrou-ben el-A’s sur
l'état de l'Égypte , et la réponse d'Amrou.
3° Kitab al-Djeman, abrégé d'histoire universelle, par Abou Abdallah
Seid al-Hardj Mohammed el- Andblontse traduit de l'arabe, in-4°.
4° Halvet el-kumit, la douceur du vin.... par Chems el-dyn abou- abd-
allah Mohammed el-Nowadji, 1 vol. ua traduit d’un manuscrit arabe
de la Bibliothèque nationale. Le sujet est un récit anecdotique. Sur l’auto-
Langlès l'a publié à la suite de la traduction du
Voyage de Hornemann, pag. 451 à 463.
! Mémoires de la clusse d'histoire et de littérature
anciennes, 1818, tom. III, p. 80 et suiv. Ann. des
Voyages, tom. IV, pag. 325, année 1808.
* Dans la Biographie des contemporains, supplé-
ment, tome V, une liste a été donnée À l'article Ven-
ture, mais incomplète; cette liste étant complétée ici,
j'espère qu'elle ne sera pas déplacée, ni regardée
comme superflue. J’ai puisé à cette source quelques
faits biographiques, en ayant trouvé plusieurs autres
d'accord avec les papiers de Venture, mes propres
souvenirs et mes notes. Les papiers que cite l’auteur
de l'article comme étant en ma possession, sont
ceux que je tiens de M. Suard.
* Description de la ville du Kaire, in-fol. pag. 88,
et Description de l'Égypte, état moderne, tome Il
(2° partie), pag. 666.
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR. XV
graphe de Venture, une main qui paraît être la sienne a ajouté ces mots:
«traduit par Victor Porta;» toutefois, ce n’est pas une simple copie; l'au-
tographe est souvent raturé par Venture, et celui-ci rapporte des passages du
texte un grand nombre de fois. Il n’est pas présumable que Venture n'eût
fait que copier la traduction d'un autre et un volume in-folio tout entier.
5° Pièces à la suite du mémoire ci-dessus pour servir à l'histoire des Druzes,
restées inédites, savoir : trois Extraits traduits des livres de Hamzah, fils d'Al,
prophète des Druzes, 65 pages in-fol. et Traduction littérale d'un catéchisme, par
demandes et par réponses, contenant la doctrine des Druzes, 33 pages.
6° Grammaire berbère (in-fol. autographe).
7° Dictionnaire berbère (in-fol. deux copies, aussi autographes). Ces deux
derniers ouvrages sont ceux que la Société de géographie a fait imprimer
et qui sont sur le point de paraître; malheureusement, ils sont restés comme
perdus pour le monde savant, pendant plus d'un demi-siècle, tandis qu'ils
auraient pu contribuer à ouvrir au commerce, ainsi qu'aux sciences, une
des portes de l’Afrique centrale.
Il existe encore de Venture, en manuscrit, à la Bibliothèque royale,
parmi les papiers de l'abbé Raynal, plusieurs opuscules: 1° des réponses très-
étendues aux questions de Raynal sur Tripoli, Tunis, Maroc, Alger et sur
la Barbarie en général”: ces fragments se rapportent à autant de mémoires de
Raynal sur toutes les régences; 2° des recherches sur divers sujets, parmi
lesquels je signalerai surtout, comme importantes, des notions sur l'Atlas et
le Sahara, renfermant six itinéraires de Afrique septentrionale, que Venture
tenait des deux Marocains, Ben Ali et Abd-el-Rahmän, qui étaient à Paris en
1788; 3° des notions particulières sur les Berbères et les Chulouhs, le tout
formant 172 pages in-fol. Venture a fourni aussi des matériaux pour un
grand mémoire de Raynal sur la compagnie d'Afrique.
La famille de Venture possède des pièces et des notes curieuses sur
l'époque du fameux Aly-Bey, sur l'ambassade de Seïd Aly-Effendy au-
près du Directoire de la République française, sur les Coptes d'Égypte, sur
les Druzes, sur le port d'Alexandrie, sur le commerce de la mer Rouge; des
* Les mémoires mêmes ont été publiés par posthume de G.T. Raynal, augmenté d'un aperçu
M. Peuchet dans l’ouvrage intitulé : Histoire philo- de l'état acluel de ces établissements et du com-
sophique et politique des établissements du commerce merce qu'y font les Européens, etc. 2 vol. in-8°,
des Européens dans l'Afrique septentrionale, ouvrage Paris, 1826.
XVI NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR.
parties de sa correspondance avec Volney et avec plusieurs ministres,
M. de Sartine, le maréchal de Castries, M. de la Luzerne, le comte deSaint-
Priest, M. de Loménie, M. de Talleyrand, Charles Lacroix, etc. des anec-
dotes et autres fragments traduits de l'arabe; un fragment sur l’expédition
de Charles-Quint à Alger; différentes pièces diplomatiques, et des notes
sur Alger et son gouvernement, ainsi que sur le commerce de la Barbarie.
H se trouve aussi dans ces papiers un écrit intitulé : Nouces et extraits d'un
ouvrage intitulé : Diwan-al-ssabbet, traité sur l'amour, de la composition de
Ibn Ebi-Hageli, écrit vers l'an 760 de l'hégire, 96 pages in-fol. Venture a
ajouté sur le titre les mots suivants: « traduit par Victor Porta, n° 1461, au
Vatican l;» mais cette copie (si toutefois c'en est une) est toute chargée de
corrections et de citations du texte arabe.
JOMARD,
Ancien commissaire du gouvernement pour la publication
de la Description de l'Égypte.
LA
N. B. On a faussement accusé Langlès, l'un de nos honorables fondateurs, d'avoir dissi-
mulé la source de la notice qu'il a donnée sur la langue berbère; car c'est en ces termes
qu’il s'exprime : «Comme j'ai extrait cette notice des papiers de mon respectable et savant
ami et collègue feu le citoyen Venture, c'est lui que je vais laisser parler ?. »
Au contraire, on a selon moi de grandes obligations à Langlès d'avoir appelé l'attention
sur les manuscrits de Venture relatifs au berbère, et d’avoir émis le vœu qu'on les mit en
lumière. «Les savants, dit-il, regretteront, sans doute, qu'un si précieux ouvrage, qui a
coûté à son auteur de longues fatigues et une somme d’argent assez considérable, semble
condamné À un éternel oubli 3.»
J'ajouterai que Langlès fit des démarches directes auprès du gouvernement pour ob-
tenir l'impression de l'ouvrage, témoin ses lettres à M. Portal, ministre de la marine. Plus
anciennement encore, Volney avait exprimé le même vœu‘. Plusieurs savants se sont aussi
occupés de cet ouvrage à des époques plus ou moins reculées; ils avaient même songé à le
compléter à l'aide de documents récents : c'est un but qui sera atteint, on a lieu de l'espé-
rer, par l'important travail sur le Berbère, dont M. le ministre de la guerre a ordonné la
publication 5. La Société de géographie a cru devoir publier la grammaire et le dictionnaire
de Venture sans y apporter de changement. J-D.
! On cite encore, comme étant de Venture, des * Voyage de Frédéric Hornemann, pag. 413,
‘ notes sur les oasis, sur les Mékamât ou Séances de Paris, an x1 (1803). — * Ibid. pag. 4o4.
Hharyry, sur l'étude des langues orientales et les * Note de Volney en tête du Dictionnaire ber-
jeunes de langues. J'ignore ce qu’elles sont deve- bère, première copie.
nues; on ne les retrouve ni dans les papiers de ® Décision du 22 avril 1842. Voyez le Moniteur
l'abbé Raynal, ni dans ceux de la famille. du 21 mai 1842.
PRÉFACE DE L'AUTEUR.
Quelle est l’origine de cette langue que l’on parle depuis les montagnes
de Sous, qui bordent la mer Océane, jusqu à celles de Meletis, qui domi-
nent sur les plaines de Kaïrowan, dans le royaume de Tunis? Cette langue,
à quelque petite différence près, est aussi celle que lon parle dans l'île de
Girbé, à Monastyr et dans la plupart des bourgades répandues dans le
Sahara, entre autres dans celles de la tribu des Beni-Mozab. Est-ce un idiome
dérivé de la langue punique? Je laisse aux savants à décider la question.
Ils pourront le faire aisément avec le secours du vocabulaire dont je leur
fais l'offre, vocabulaire que j'ai composé et vérifié sur les lieux mêmes, et
que je puis assurer être exact. lu
Plusieurs voyageurs ont déjà donné une idée de cette langue, mais ils
ne se sont pas assez étendus pour qu'on puisse en juger parfaitement. Le
docteur Shaw, dans ses voyages; M: Georges Hirt, Danois, dans une Re-
lation de l'empire de Maroc, écrite en allemand; et M. Chénier, dans ses
Recherches sur les Arabes, ont composé quelques vocabulaires, dont le plus
volumineux comprend à peine cent cinquante mots; et encore, faute de
pouvoir bien s'entendre avec ceux qu'ils interrogeaient, ces vocabulaires
sont remplis de méprises, indépendamment des sons qui ne sont pas ren-
dus avec exactitude. Par exemple, M. Hirt nomme la lune ayour; mais ayour
n'est que le mois lunaire; la lune se nomme tiziri. Azal, selon lui, est le
? A l'époque de la composition de cet ouvrage,
on ne possédait qu'une connaissance imparfaite de
la géographie des contrées dont se compose l'AI-
gérie, des principales tribus berbères et du système
grammatical de la langue parlée par ces peuples.
H n'est donc pas étonnant que la Préface qu'on va
lire renferme quelques inexactitudes. Nous n'avons
cru devoir néanmoins rien changer au texte de
notre auteur, persuadé que des personnes mieux
à portée que nous ne le sommes de rectifier les
erreurs don il s'agit, suppléeront facilement à notre
silence à cet égard. (Note de M. P. À. Jaubert.)
€
XVIII PRÉFACE DE L'AUTEUR.
jour; mais azal n'est que le moment précis qui divise en deux parties égales
le temps écoulé entre le lever du soleil et l'heure de midi, comme l’ésser est
l'heure intermédiaire entre midi et le soleil couchant. Le jour proprement
dit est was; ainsi du reste.
Le fond de la langue berbère n'est que le jargon d’un peuple sauvage;
elle n’a pas de termes pour exprimer les idées abstraites, et elle est obligée
de les emprunter aux Arabes. L'homme n'est pas sujet à la paresse, à la
mort; il est paresseux, il est mort; le pain n'a pas de rondeur, il est rond.
La langue de ces peuples ne leur fournit que des termes concrets pour
exprimer des qualités unies à leurs sujets, et c'est autant qu'il en faut à des
hommes que la tyrannie des plaines oblige à vivre isolés dans leurs mon-
tagnes, et que la jalousie et l'intérêt mettent toujours en guerre avec les
habitants des montagnes voisines.
Les Berbères n'ont aucune conjonction qui réponde à notre et, et les
parties de l’oraison ne sont pas liées. Pour dire : il boit et il mange, ils disent:
il boit, il mange. L'habitude leur apprend à faire des phrases courtes pour
exprimer leurs sensations, bornées presque aux seuls besoins des animaux.
Ils ont cependant le qui et le que (wein) et la particule & 1, répondant à notre
il, qui aident leurs narrations et les empêchent d'être obscures.
Tous les mots relatifs aux arts et à la religion sont empruntés de l'arabe;
ils leurs donnent une terminaison berbère, en retranchant l'article et en
mettant au commencement un & t, et un autre £ ou rit à la fin. Par
exemple, el mutekhel, en langue barbaresque, signifie fusil;les Berbères en
feront temukhelt, ou temukhhalnit. Macas, en arabe, signifie ciseau; ils diront
temacast, où temacasit.
. Is empruntent aussi de l'arabe les épithètes qui leur manquent, et
ils les habillent à la berbère, en les faisant précéder de la syllabe da js.
Cadim, en: ancien arabe, sera dacadim en berbère; raquig, maigre, da-
raqac, etc.
Les mots vraiment originaux de cette > langue sont les suivants, et ceux de
cette classe : lkaiwl istimera, malgré; ! DS thoura , maintenant; si ath ma-
theniou, mes frères: Lé mon frère; os ouelima, ma sœur; FN] gsssi eddedough
. . 43 ave Lé ne
adadagh, je viens acheter; wŸ»5 theoulawiz, les femmes; l&=5) ÿka, un
© Ge mot, probablement d'origine italienne, n’est autre que ora, « à cette heure. » (Note de M. P. À.J.)
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xIx
peintre; Jpéls da ghouzil, un orphelin; «=! outchi, le manger; ESS teque-
mart, jument, etc. Ils n'ont maintenant point d'autres caractères, pour écrire
leur langue, que ceux des Arabes, auxquels ils ajoutent trois lettres per-
sanes qui manquent à l'alphabet arabe, le Ÿ que, le 5 Je, le à tchin. Mais
comme la plupart de leurs montagnes ont toujours été inaccessibles aux
conquérants de l'Afrique, il n’y aurait rien d’extraordinaire à rencontrer
chez eux quelques livres écrits en caractères originaux qu'ils ignorent,
s'il était possible de parcourir l'Atlas sans danger. Cependant, toutes mes
recherches à ce sujet, dans les lieux où j'ai été à portée d'avoir quelques
relations, me laissent peu d'espérance.
Quoique leur religion soit l'islamisme, il y a très-peu de personnes parmi
eux qui sachent l'arabe; les marabouts leur expliquent l’Alcoran dans leur
langage, et les prières du peuple, comme parmi les nègres musulmans, se
bornent, en général, à la profession de foi, la seule chose nécessaire, dans
leur croyance, pour être sauvé. L'avantage qu'ont leurs marabouts de savoir
un peu lire et écrire et de parler l'arabe, leur donne le plus grand crédit, et
ce sont eux qui commandent dans la plupart de ces montagnes. Les peuples
qui parlent cette langue ont divers noms; ceux des montagnes qui appar-
tiennent à Maroc se nomment Chuluhs. Ceux qui habitent dans les plaines
de cet empire sous des tentes, à la manière des Arabes, se nomment Ber-
bères, et ceux qui vivent dans les montagnes d'Alger et de Tunis se nomment
Cabayles ou Gébalis.
Dans l'empire de Maroc, et surtout dans le royaume de Sous, il y a des
tribus berbères très-puissantes et en état de se défendre contre les armées de
l'empereur.
Les montagnes les plus considérables des Cabayles, dans le royaume d'Al-
ger, sont les suivantes, dans la province de l'Est :
Zevawa, à deux petites journées de Bône. Il y a dans cette montagne
cent villages, grands ou petits, comprenant depuis dix maisons jusqu'à cent
et cent cinquante. C'est une peuplade puissante qui est en paix avec Alger,
et qui n'a jamais pu être soumise.
Batroun, séparée de Zevawa par quelques plaines et quelques vallons,
paye tribut au bey de Constantine. On y fait de la poudre à canon et beau-
coup de fausse monnaie. On y travaille aussi le fer et on y fait des épées
larges et longues à l'usage de tous ces peuples.
xk PRÉFACE DE L'AUTEUR.
Felissah ou Mellil, située
Zevawa.
El-Monattaca, séparé par un simple vallon de Felissah ou Mellil. Les tri-
bus de Felissah ou Mellil et d'El-Monattaca, réunies, ont résisté pendant
trois ans consécutifs, sous le règne du dey Baba Ali, à toutes les forces des
Algériens, qui ont été ensuite forcés de leur accorder la paix. Elles payent
une très-légère imposition au caïd de Sebou. Maïs le plus riche cultivateur
x
à quatre lieues à l'ouest de la montagne de
de ces montagnes paye, au plus, environ dix sous de notre monnaie, soit en
fruits, soit en argent.
Felissat el-Baher, sur le bord de la mer, entre Begiajé (Bougie) et le col.
Ben Genad, près de Dellis.
Les montagnes qui sont à l'entour de la Mitidja, vaste plaine auprès
d'Alger, sont : Zerkewa, Gergera, Bouzdin.
Sur les confins du Sahara, en approchant de Biscara, lieu de garnison
algérienne, sont les montagnes de Koukou, qui renferment un peuple
immense qui n'a jamais été entamé.
Dans la province de l'Ouest, on rencontre les montagnes de Lerhat, près
de Sidi Ferouch, Chenwa, Beni Hewa, Beni Farahh, Beni Menat, Bem
Manassar, Bountifoux. El-Berkami est le nom des marabouts héréditaires
qui y commandent. Dans la province du Midi sont les montagnes de Beni
Salah, Beni Meça'oud, Mouzaya.
Les Turks ne pénètrent jamais dans ces montagnes, et les peuplades qui y
sont rassemblées ne payent tribut au gouvernement que lorsque la faim ou
des raisons de convenance les obligent d'en descendre, soit pour cultiver
des plaines voisines, soit pour se débarrasser du superflu de leurs denrées,
soit enfin pour avoir la faculté de fréquenter les villes et d'y gagner leur pain
en louant leurs services. Tous ces montagnards ne sont partout que le même
peuple : à Alger, à Maroc, à Tunis, ce sont les restes des Carthaginois, des
Romains, des Grecs, des Vandales. Ils parlent tous la même langue, à quel-
ques différences près qui nelles empêchent pas de s'entendre. Presque tous
ignorent l'arabe. Ils portent leurs cheveux coupés en forme de calotte, du
milieu de laquelle pend une touffe; ils vont tête nue; la plupart n'ont que
la moustache et pas de barbe. Les femmes ne se couvrent pas le visage. Ils
sont très-vindicatifs, etles habitants de deux montagnes voisines sont tou-
Jours en guerre. Leurs chefs, qui sont le plus souvent ministres de la reli-
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xx
gion, ne peuvent les punir que par l'amende, mais jamais par la prison ou
par la mort. Ils professent tous la religion musulmane mêlée de beaucoup de
superstitions. Lorsque l’ârch ou la tribu est en guerre, c'est un crime que
de rester à la maison. L'enfant en âge de puberté est forcé d'aller au com-
bat. Il n’y a pas de pleurs ni de deuil pour un homme mort en combattant
pour la cause commune.
Les garnisons que les Algériens ont dans le Sahara sont à Biscara, à Ta-
bella, à Sour et à Gouzlan. Les Beni Mozab ont de la déférence pour ces
troupes étrangères, mais ils ne souffrent pas de garnison dans leurs bour-
gades, et le gouvernement d'Alger n'a jamais pu les soumettre parce que
leur pays est séparé, par un désert aride de plusieurs jours de marche,
des confins du Sahara. Les cheikhs de leurs villages portent à Alger de
légers présents. En revanche, les Mozabis jouissent de certains priviléges. Ils
ont les boucheries, les bains publics, la vente des légumes et l'échange de la
petite monnaie. Ils entretiennent des liaisons directes avec le Tounbouctou,
etils y font le commerce des esclaves noirs, qu'ils viennent vendre à Alger.
Il vient aussi à Alger des nègres, amenés par des marchands de Maroc, qui
les apportent à Betmenars. Les Algériens en envoient annuellement en Tur-
quie de huit cents à mille. Leur prix, à Alger, est de trois cents livres ou de
trois cent cinquante livres tournois.
Les Laghwat sisi sont des peuples du Sahara plus à portée de Mascara.
Hs sont indépendants. Le bey du Ponant fait de temps en temps des incur-
sions dans leurs villages, et il y fait un butin considérable. Ils sont à huit
ou dix journées du marché de Mascara. Les Laghwat passent pour des
hommes infatigables à la course.
Les Beni Mozab sont hérétiques, suivant les mahométans. Ils suivent
la secte d'Al. Ils ne peuvent faire leurs prières qu'après avoir ôté leurs
culottes et s'être purifiés dans toutes les parties du corps. Ils parlent
un dialecte de la langue des montagnards, et ce même dialecte se parle
à Gerbéet, à Monastyr, lieux où lon professe les mêmes principes de
religion. g |
Les montagnards de l'Atlas ne connaissent pas l’usage du linge. Un simple
manteau de laine à capuchon et un morceau d'étoffe de laine qui leur couvre
le corps depuis le nombril jusqu'aux talons, forment tout leur habillement.
Le reste du corps est nu sous le bernous. Les femmes n'ont qu'une haïke
xxIT PRÉFACE DE L'AUTEUR.
dont elles s'enveloppent et qu'elles assujettissent par le moyen de deux
agrafes qui posent sur leurs épaules.
Leurs maisons consistent en un rez-de-chaussée et une cour plus ou
moins carrée, à l'entour de laquelle sont deux ou trois appartements dont
un est spécialement destiné à renfermer les provisions de l’année. Les mai-
sons sont bâties avec de la terre et des briques cuites au soleil, et elles sont
tapissées, au dehors, de bouze de vache; ce qui empêche la pluie de les
démolir. Elles sont couvertes de terrasses.
Ces peuples ne connaissent pas l'usage des serrures, pas même de celles
en bois dont on se sert en Égypte et en Syrie. Leurs portes ne peuvent se
fermer qu’en dedans, par le moyen d'une barre de bois, de sorte qu'il
reste toujours quelqu'un à la maison pour la garder. Il y a aussi beaucoup
de ces montagnes où l’on ne connaît pas les briquets ni l'amadou. Ils con-
servent du feu, et, lorsqu'il s'éteint, ils vont en chercher à la maison voi-
sine, et quelquefois au plus prochain village. Ils ne s'éclairent, pendant la
nuit, qu'avec du bois allumé, et ils n’ont ni lampe, ni chandelle.
Leur industrie consiste, en général, à fabriquer, avec la laine de leurs
moutons, les bernous et les haïkes dont ils se revêtent; des nattes, qui leur
servent de sofa et de lit; de la poterie très-grossière et des gamelles de
bois. Leur chaussure est faite avec une peau de bœuf qu'ils lient par des
courroies à leurs pieds et à leurs jambes en forme de brodequins.
Leur nourriture est très-simple et très-frugale. Des figues sèches, des
raisins secs, de la grosse semoule, des fèves, du miel, du lait, des glands
doux, des caroubes, des œufs, de l'huile d'olive ou de l'huile d’arghan, de
la farine d'orge faite avec un moulin à bras, farine qu'ils font rissoler dans
une marmite et qu'ils pétrissent avec de l'eau ou du lait : voilà à peu près
tout ce qui compose leurs ressources. Ces moyens, quelque bornés qu'ils
soient, suffisent à leur bonheur, parce qu'ils ne sortent pas de leurs mon-
tagnes et qu'ils ne s'imaginent pas qu'il y ait des gens plus fortunés dans
l'univers.
La grande différence qu'il y a entre le dialecte barbaresque et celui
de l'Égypte et de la Syrie, me paraît venir de ce que les Maures ont em-
prunté beaucoup de mots de la langue berbère, comme les Berbères en
empruntent beaucoup aux Arabes.
Pour rendre ce dictionnaire plus utile, je l'ai expliqué, autant que j'ai
PRÉFACE DE L'AUTEUR. XXIIT
pu, en langue barbaresque, dont les mots ne se trouvent pas toujours dans
les dictionnaires arabes, et je me suis servi toujours du mot vulgaire,
pour que le voyageur puisse se faire entendre.
Les Berbères, avant l'islamisme, étaient gouvernés par des rois de la
postérité d'Oureb, fils de lounous, fils de Sedghid, fils de Mazigh.
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GRAMMAIRE BERBERE.
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A1
GRAMMAIRE BERBERE.
La langue berbère ne possède aucun terme abstrait; c’est l’idiome d’un peuple
sauvage qui n’a de mots que pour exprimer ce qu'il voit et ce qu'il palpe. Les
Berbères empruntent aux Arabes tous les mots relatifs aux sciences, aux arts.et à la
religion, en ajoutant un & t au commencement et à la fin du mot. On a évité
d'insérer ces mots dans le présent ouvrage, à l'exception des termes les plus
usuels. Les Berbères n’ont aucune conjonction pour lier les parties du discours,
comme ef, mais; pour dire : Je bois et je ris, ils disent simplement : Je bois, je ris.
CONJUGAISON.
Nous commencerons la conjugaison par l'impératif, parce qu'il n’est composé,
pour l'ordinaire, que de lettres radicales; en y ajoutant un ë ghaïn à la fin, on a la
1° personne du passé ; pour la 2° personne, on met un & { au commencement; pour
la 3°, un &1; pour la 1" du pluriel, un (4; n; pour la 2°, un & ft au commencement et
un + m à la fin; pour la 3°, un 4 n à la fin. Il faut observer que le prétérit est le seul
temps bien précisé dans la conjugaison des verbes. Le présent se forme.générale-
ment en ajoutant la particule sŸ ad devant les modes du prétérit. Le futur prend
aussi la même particule, et on ajoute quelque adverbe qui désigne un temps à venir.
La manière de conjuguer les verbes est uniforme !, et ce sont toujours les mêmes
terminaisons. Les temps se bornent à l'impératif et au prétérit; car, en ajoutant
sŸ ou Ÿ devant le passé, on fait. le présent ou l’optatif, et en ajoutant au présent
quelque adverbe qui marque l'avenir, on fait le futur. Au moyen des exemples que
je donnerai, celui qui feuillettera le vocabulaire berbère avec un peu d'attention,
saisira bientôt la marche de la conjugaison.
La lettre £ gh, ajoutée à la 2° personne de l'impératif, forme la 1°° personne du
singulier du prétérit.
EXEMPLES:
IMPÉRATIF. 1 PASSÉ.
Fais cuire. Subb. Lis J'ai fait cuire. Subbagh. fu
Triomphe. Erni. à) J'ai triomphé. Ernigh. és
Cherche. Foud. SR J'ai cherché. Foudagh. En
Trouve. Ouf. és) J'ai trouvé. Oufigh. él
! Cette assertion est contredite par le témoignage de sidi Ahmed Taleb, de Bougie. (Note de l'éditeur.)
1.
ñ | GRAMMAIRE BERBÈRE.
Quand la 1"* lettre de l'impératif est un | élif, cet élif est souvent élidé; mais la
règle n’est pas générale et il n’y a que l'usage qui puisse l’apprendre.
EXEMPLES:
IMPÉRATIF. PASSÉ.
Fais. Esker. Ki J'ai fait. Sekeragh. ses
Laboure. Ekriz. Si J'ai labouré. Kerzagh. =
L'éhif 1, qui est la première des lettres radicales de l'impératif, prend auss!
souvent un » pour adoucir la prononciation du passé.
EXEMPLE :
ou
Remplis (la jarre). Agham. _AS) J'airempli (la jarre). Oughmagh. és
Pour adoucir la prononciation de ce ghaïin ë qui termine et qui désigne la 1° per-
sonne au passé, on ajoute un » d'par euphonie.
EXEMPLES:
J'ai rempli (la jarre). Oughmagh. é& 3) J'ai rempli (la jarre). Oughmaghd. NÉE #
J'ai labouré. Kerzagh. DS J'ai labouré. Kerzaghd. ES
Cette règle est générale dans les mots dont la dernière radicale est un & ghaïn.
EXEMPLES:
IMPÉRATIF. PASSÉ.
Sors. Effagh. ri Je suis sorti. Efghaghd. LEA
Prends. Ouvagh. En. J'ai pris. Oughaghd. Niésl
La 2° personne du prétérit du singulier se forme en mettant un &> f au commen-
cement des radicales de l'impératif, et si c'est un élif qui est la 1"° radicale, cet
élif disparait. On ajoute aussi un » d à la fin.
EXEMPLES :
IMPÉRATIF. 2° PERSONNE DU PRÉTÉRIT AU SINGULIER.
"2072 PC
Fais. Esker. pi Tu as fait. Tesekred. 5 JA AE
or o 0,
Triomphe. Erni. 5 ) Tu as triomphe. Ternid. Nas
l 07 2 © 20 7.
Retourne. Oughal. JS) Tu as retourné. Toughled. NS
2, 9» ,07
Pleure. Etserou. D Ja Tu as pleuré. Tetseroud. > Dane]
"2 0077
Prie. Zall. Jh; Tu as prié. Tezallad. ANNEE
o
Renverse. À Saghli. as K Tu as renversé. Tesaghlid. NAkins LS
7
GRAMMAIRE BERBÈRE. 5
La 3° personne du passé au singulier prend un & i à la place du & t qui désigne
la 2° personne, et le d de la fin disparaît; ou, pour rendre la règle plus simple,
il faut ajouter un & à à la première radicale de l'impératif.
EXEMPLES :
IMPÉRATIF. PASSÉ.
Fais. Esker. ne H a fait. Lisker. $ .
Tourne. Ezzi. si Hi a tourné. Tizzi. sy
Pile. Eddiz. 5 I a pile. Iiddiz. 55%
Pétris. Ough. és H a pétri. Tougha. En
On doit prendre garde ici que l'élif ajouté à la fin de ;,1 ough ne forme pas une ex-
ception, et que l’on pourrait suppléer à cet élif par le simple fatha. La 1° personne
du pluriel au prétérit se forme en mettant un 4 n devant la 1" radicale de lim-
pératif, et si cette 1" radicale est un élf, il disparait.
EXEMPLES:
IMPÉRATIF. PASSÉ.
Ris. Des. AT Nous avons ri. Nedes. ES
Fais. Esker. nes Nous avons fait. Nesker. pire
Cours. Ezzil. Ji Nous avons couru. Nouzzel. Ja
Coupe. Aghzim. Poe Nous avons coupé. Naghzim. LS
\
La 2° personne du pluriel au prétérit prend un & { devant la première radicale
de l'impératif et un . m à la fin de la dernière.
EXEMPLES:
IMPÉRATIF. PASSÉ.
: 0207 CAA'EA
Fais. Esker. pie] Vous avez fait. Teskerem. D
© CAAEA
Habille-toi. Ils. re) Vous vous êtes habillés. Telsem. ps
ur 07
Sors. Effagh. &) Vous êtes sortis. Tefgham. _e%à5
207 LZA'LA
Rassasie-toi. Erwou. ssl Vous vous êtesrassasiés. Terwem. 73
La 3° personne du pluriel au prétérit prend un ÿ n à la fin des radicales de
l'impératif, et, lorsque l'éhf est la 1° radicale, il s’élide; mais cette règle n’est pas
générale, et 1l n’y a que l'usage qui en décide.
Prie.
Fais.
IMPÉRATIF.
Zall. dj;
Esker. fi
GRAMMAIRE BERBEÈRE.
EXEMPLES :
Il a prié.
0207
Ils ont fait.
On ajoute aussi, par euphonie, un » d à la fin, comme:
Is ont prié.
Hs ont fait.
Zallen.. : WGN5 Zallend
Sekeren. se Sekerend.
PASSÉ.
070 7
Zuallen. oi;
pe:
Sekeren.
Cette conjugaison, unique pour tous les verbes, offre quelques variations moti-
vées par l'usage où sont ces peuples d'indiquer avec précision le genre féminin.
A la 3° personne du singulier au prétérit, lorsqu'il s’agit d’une femme, au lieu
du & til faut mettre un & f.
H a fait.
Il a pu.
H a augmenté.
EXEMPLES :
Lisker. pie Elle a fait.
Tizmer. pee Elle a pu.
Lirnad. sb Elle a augmenté.
Tesker. pus
Tezmar. ie
Ternad. SÉ,5
La 2° personne du passé au pluriel ajoute un & t au x m, lorsqu'il s’agit du
genre féminin.
Vous avez pétri (hommes). Tougham.
Vous avez torréfié (idem).
Vous avez trait (idem).
EXEMPLES :
LA >? o Ç 2
AE Vous avez pétri (femmes). Toughamt. CAS 5
Tezem. DS Vous avez torréfié (idem). Tezemt. cr
Tezighgham. RES Vous avez trait (idem). Tezighghamt. CaEyS
La 3° personne du passé, au pluriel, ajoute un & fau 4 n. C'est précisément
notre ent dans nos conjugaisons françaises.
Is ont fait.
Is ont ri.
Ils ont balayé.
EXEMPLES:
Sekeren. ne” Elles ont fait.
Desen. us Elles ont ri.
Ennadan. crail Elles ont balayé.
Sekerent. CAS Lu
00/77
Desent. Law D
00 707
Ennadant. cauaii
GRAMMAIRE BERBÈRE.
ee
1
La 2° personne du pluriel à limparfait est aussi distinguée lorsqu'il s'agit du
genre féminin.
Faites (hommes).
Portez (idem).
EXEMPLES:
Sekeret. ee Faites (femmes). Sekerimit.
Erfidet. SAIT Portez (idem). Erfidimi.
224
e
07
ee)
La conjugaison entière d'un verbe éclaircira encore mieux les règles qu'on
vient de voir.
IMPÉRATIF.
MASCULIN. FÉMININ.
0-07
Fais. DROIT, D CO ES EEE SES
2 7 0/
Fais, toi. Esker ketchini. pres A] Fais, toi. Esker kemmini.
l'EALTCA
Faites. Sekeret. es Lu Faites. SekerimL.
2, or
Faites, vous.
J'ai fait.
Moi, j'ai fait.
Tu as fait.
Toi, tu as fait.
NH a fait.
Lui, il a fait.
Nous avons fait.
Nous, nous avons fait.
Vous ayez fait.
Vous, vous avez fait.
Hs ont fait.
Eux, ils ont fait.
Sekeret kunwi.
MASCULIN.
Sekeraghd ou
Sekeragh.
Nekini sikeragh.
Tesekrad.
Ketchini tesekrad.
Lisker.
Nithsa üsker.
Nesker.
Nukni nesker.
Teskerem.
Kunwui teskerem.
Sekeren, sekerend.
Nuthni sekeren.
ee
Faites, vous.
PARFAIT.
Sekerimt kunemt.
4 0207
ES pui
2
4
z
o7 ? Lt
£
FÉMININ.
Kemnuni tesekrad.
Tesker.
Nithsat tesker.
0/7
DÉS sS
CECA'ES
07/07
Jus enS
00 27 0727
DS» Se
Gao
us GS
Nathenti sekerent.
9107
ps ES
o 22 2
AO S ET
2
8 GRAMMAIRE BERBÈRE.
PRÉSENT.
MASCULIN. FÉMININ.
Je fais. Adiskaragh , BE A RC
Adsekaraghad, - és
Adsekaragh. ET
Tu fais. Ateskerad. SET leu, sida
N fait. Adisher. | ÉmssT | Ateshar me
Nous faisons. Adnesher. NE AAA 7
Vous faites. Ateskerem. pes T Ateskeremt. car fus T
Hs font. Adsekeren sn | Adeterer 5 KusT
Adsekerend. SE OST 2e PRE ET
FUTUR.
Je ferai demain.
Adsekeragh azikka. 1 Em) ou
Tu feras demain. Ateskerad azikka.
Le futur se conjugue de même que le présent ; il n’y a que l’adverbe azikka, ou
tout autre, qui désigne le temps à venir.
OPTATIF.
Que je fasse, littéral. j'ai désiré faire. Nekini ebghih adsekeragh.
Que tu fasses.
Qu'il fasse.
Qu'elle fasse.
Que nous fassions.
Que vous fassiez (hommes).
Que vous fassiez (femmes ).
Qu'ils fassent.
Qu'elles fassent.
Ketchini tebghid ateskerad.
Nithsa übgha adisker.
Nithsat tebgha atesker.
Nukni nebgha adnesker.
Kunwi tebgham ateskcrem.
Kunenti tebghamt ateskeremt.
Nuthni ebghan adsekerend.
Nuthenti ebghant adsekerent.
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cs st exo (At
GRAMMAIRE BERBÈRE.
M. Plaise a Dieu que je fasse, htt.
mon cœur a désiré de faire’.
F. Plaise a Dieu que tu fasses.
M. Plaise à Dieu qu'il fasse.
F. Plaise à Dieu qu'elle fasse.
M. F. Plaise à Dieu que nous fassions.
Is disent aussi irrégulière" :
M. Plaise à Dieu Fée vous fassiez.
F. Plaise à Dieu que vous fassier.
M. Plaise à Dieu qu'ils fassent.
F. Plaise à Dieu qu'elles fassent.
Prends garde de faire.
Prenez garde de faire.
9
Tilha ouliou adsekeragh, ou ji he Est Fa LU
Lilha oul inek ateskerad.
Tilha oul inem ateskerad.
Lilha oul's, ou oul ine’s adisker.
Tilha oul inetset atesker.
Elhan oul ennagh adnesker.
Elhan oulawennagh adnesker.
Elhan oulennewen ateskerem.
Elhan oul ennewent ateskeremt.
Elhan oul enneser adsekeren.
Elhan oul ennesent adsekerent.
Er themaouth ateskerad.
Eret temaouth ateskerem.
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5 Las) En:
ET 0 2 L£ 0 7
us) es,Lé ES
o ? nm
Le négatif se forme en mettant devant le verbe la particule ;2l our ou »5 wer.
On y joint aussi , comme en français, le pronom personnel ou le pronom démons-
. . . . © .
tratif; mais il n’est pas égal de mettre ,,i our au lieu de wer; ,; wer ne s'emploie
ordinairement qu'avec le pronom.
Ne fais pas.
Ne faites pas.
Ne dis pas.
Ne dites pas *.
EXEMPLES :
0/07 0
Our esker. pe pi
CELA 0 2
Our sekerat. Es 5 fl
o 0 2
Our in. wo) »s}
; pl
Our init. SA) yo
Tous les verbes, en général, se conjuguent de même, et il n’y a aucune exception
8 Jugu " P
ni aucune variation.
* Comme les Berbères n’ont pas d'infinitif, c’est le présent qui en tient lieu dans la construction.
* Voyez l'art. NE dans le dictionnaire, pour ne pas répéter ici tous les exemples qu'on y trouve pour
servir de règles.
10 GRAMMAIRE BERBÈRE.
DES LETTRES.
Les Berbères, pour écrire leur idiome, se servent de l'alphabet arabe, auquel
ils ajoutent trois lettres persanes, le à schim, le 5 je, le Ÿ qué.
Voici la méthode dont on s’est servi dans cet ouvrage pour rendre la valeur des
: LÉ as (7 À © «2 8
lettres en caractères français : a, E, 1, 0. X«æ)Ï akbel, maïs; >£>\ izmer, mouton;
+
PA 272? TT TRS
DA) izameren ,-les moutons; UA£»} oghlan, les dents; Glel iman, un individu ,
une personne ‘
& B. — J'ai cru remarquer que tous les mots où entre cette lettre ne sont pas
originairement berbères.
&s T. — ms tezourin, du raisin.
« TH. — C’est le thita des Grecs, comme il se prononce dans Seés. Cette lettre
est ne -fréquente dans la lnpne berbère.
MS thoura, maintenant; SG ethmathniou, mes frères; os thmiadayn, les
filles.
z DJ OU GIM. — ET) edjigiquen, ils ont quitté.
DEO C
zH — ss vi \&i ahdgiadjouen timis , la flamme.
E KE — EE khaliaa, viande salée et conservée dans l'huile. Les mots dans
lesquels cette lettre se rencontre ne sont pas berbères.
æ TCH. — cs) outchi, le manger; : ketch, toi.
SD — 0) adou, le vent; ES dewa, dessous.
s pu fort adouci. — %5Ÿ adhi, moi ; ST adhak, toi.
DR — ds werti, un verger ; +51 admer, poitrine ; D aram, chameau.
32 — 5 ezizzou, fleur.
3 3 comme dans jolie, Jean, etc. — SRE daghoujil, un orphelin; ee eja-
abouber, les entrailles.
De SU Go sin, deux ; tree mimmis, son fils.
vë CH. — Last acchich, enfant; ÉSÉ taboucht, teton.
Le 8$ ou s/— Euskgs timacasst, ‘ciseau. Les mots dans lesquels on rencontre
cette lettre ne sont pas d'origine berbère.
L Ta ou T double. — pas bellouth, gland; v=ytb thifirkhan, enfant.
GRAMMAIRE BERBÈRE. 11
& px ou double 5. — Les mots dans lesquels se rencontre cette lettre ne sont
pas d’origine berbère.
gd or o
pui GS aäbbout, le ventre ; Edsxié (was mis temenaäoult, fils de prostituée.
LC C'est le gamma des Grecs. C'est la lettre qui domine dans la langue
berbère , avec le thita. Les oreilles qui de bonne heure ne sont pas accoutumées
à prononcer le ghain, croient entendre une 8 grasse, mais il existe une grande diffé-
07/07 © 2
rence entre ces deux prononciations. és) edghagh, une pierre; ps) aghoulim ,
une peau.
G FA. — qui efous, main; wa») afrioun, feuille.
Ets Ê , f CAE .
6 & ou Q. — 5) acli, nègre; whs5s+e) amoucran, un grand, un seigneur.
dk. — JS akal, terre, poussière ; «ST akai, tête: ST akk, tout.
À GU, GUE, GUI. — uw $S lequemiert, jument; L,SS tequerfa, corbeau.
di — ei elim, paille: RS lebda , toujours.
un M. — g) imi, bouche; D am, comme : 5554 merawed, dix.
o N. — Læy nizha, beaucoup, trop.
> OU W. — 5 aghou, lait aigre; AMEL) aksoum, viande: ns iwen, un; hy>a5$1s
wadefirwa, l'un après l’autre.
5 H aspirée. — ai theoudicht, une toupie.
I — gg thidi, sueur; Si eired, un ügre.
dns ei ella, il était.
DE LA DÉCLINAISON.
Les noms, dans la langue berbère, sont indéclinables, mais leurs pluriels varient
beaucoup : aussi, à cause de leur irrégularité, on a eu soin de mettre ces pluriels dans
le dictionnaire. Quant aux cas, ils sont désignés par des prépositions qu’on trouvera
dans leur ordre alphabétique. Les mots n’ont pas d'article qui réponde à notre le,
la. La marque du genre est très-variée, mais je n’ai pas assez d'usage de cette langue
ae ñ ete QC
pour en donner des règles sûres. Voici les prépositions dont on se sert : ,i = ui - 6 -
2 y ) . . pp:
é-+-2% -»# - &). Lorsque j'ai voulu me servir indifféremment de toutes ces
prépositions, on m'a fait sentir que je me trompais. Celles quicependant sont le plus
souvent employées sont les prépositions {ji - 3 - ©.
12 GRAMMAIRE BERBÈRE:.
Le seuil de la porte.
Les toisons de laine.
Chêne des sangliers.
EXEMPLES :
SAS
2 ON
Emnar en thabourt.
Tlulisin en thadout.
Thibouchichin n'ilfan.
0 707
2
Le visage de l'homme. Acadoum ou wergaz.
se . Hd
Bellouth gh'ilfan. vus L
2
Gland des cochons.
DCR
= © 102 je
ot 57 ie)
Les prépositions qui marquent le datif sont les suivantes: $ - ui -w-s-cl.
S’oufella b'oakham.
Le dessus de la maison.
Le cheïkh de Felisen.
Amoucran aghi Felisen.
EXEMPLES :
Alhomme. I werghaz. 5ÉSsuce)
À la femme. TI themthout. 2h A)
A la maison. Ghar oukham. Pen 5
A la ville. I temazert. 5 qui
A Mekinès. … Ghi Meknes. RSS LS
A la maison. S'akham. AE
I me serait impossible d’assigner le véritable lieu et place où l'on doit employer
plutôt une des prépositions qu’une autre; mais j'ai remarqué que dans la conver-
sation &si 1 et us is étaient celles qui revenaient le plus souvent.
La marque de l’ablatif est la préposition 5 zigh, ou la préposition Dé ghaf.
EXEMPLES:
Du moulin. Zigh thosirt. cs à 5
De la ville. Zigh hemdint.… SX ÿ
Du verger. Ghaf werth. en Li
De la montagne. Ghaf edrur. DST is
Les noms berbères dont la première radicale est un élif perdent cet élif dans
la construction , et il se change en ; ou, comme on aura pu le remarquer dans les
exemples cités ci-dessus :
07 30 2%
Le visage de l’homme. Acadoum ou werghaz, 56 si rot)
CEA
au lieu de erghaz. 315)
GRAMMAIRE BERBÈRE.
l
3
Les pronoms personnels, lorsqu'il sont régis par un verbe, se mettent après ce
même verbe, comme en français; à l'exception, cependant, du pronom de la 1"° per-
sonne du singulier, qui est désigné par un & à mis à la fin du verbe, et celui de
la 3° personne du singulier, désigné par un g 5.
Donne-moi.
Baise-moi.
Je l'ai battu
On lui a donné.
EXEMPLES :
Efhi si
Soudeni. 84 ne
; Outaghth. So)
Efkane’s. al
Lorsque le verbe qui régit les mêmes pronoms personnels est négatif, ces pro-
noms se joignent à la particule négative.
Ne me bats pas.
H ne nous battra pas.
EXEMPLES:
2 2 2
Ouri ouwit. oo) «ps
o / Id P4
Ouragh üwet. y DE
Mais les pronoms personnels, lorsqu'ils sont au datif, se mettent, devant le
verbe qui les régit, de cette manière :
À moi.
À ioi (masc.).
À toi (fém.).
À lui, à elle.
A nous.
À vous (masc.).
À vous (fém.).
À eux.
À elles.
P
1“pers. Înou.
2° pers. Înek.
æ
Adhi. «s5}
Adhak. DST
Adham où adhakim. PSS
Adhds CUS
Adhagh. gsr
Adhewen. En
8 03
Adhewent ou adakunt. GaASTST - EE
C7
Adhasan. oi)
Adhasent. nl
RONOMS POSSESSIFS.
re) pour le masculin et le féminin.
di idem.
fA
GRAMMAIRE BERBEÈRE.
PRONOMS POSSESSIFS LIÉS À UN NOM.
Mon livre.
Ton livre (masc.).
Ton livre (fém.).
Son livre (masc.).
Son livre (fém.).
Notre livre.
Votre livre (masc.).
Votre livre (fém.).
Leur livre (masc.).
Leur livre (fém.).
MANIÈRE DE COMPTER EN BERBÉÈRE.
Kitabinou. als
Kitabinek. des
Kitabinem. RS
Kitabines. pes
Kitabinetset. EUR ES
Kitabennagh. ë KEuS
Kitabennewen. GAS
o 077
Kitabennewent. CAS me LS
2
URCATd'EACA
Kitabennesen. US"
OA >
CRE LA AT A
Kitabennesent. CRM LES
LA
Un. Wan. sin
Deux. Thenat. entres
Trois. Kerad. ss
Quatre. Couz. 55
Cinq. Summus. ns
Six. Sedis. pu dus
Sept. Set. Es
Huit. Tem. 5
Neuf. Dza. 5s
Dix. Merawed, ou, par sie Rss
contract. Merau. derie
Onze. Tan demrau. ses uk
Douze. Sin démrau. es En
Treize. Kerad demrau. Lies LS
Quatorze. Couz demrau.
27 07 0 2
ses 5
Quinze.
Serze.
Dix-sept.
Dix-huit.
Dix-neuf.
Vingt.
Vingt et un.
Vingt-deux.
Vingt-trois.
Vingt-quatre.
Vingt-cinq.
Vingt-six.
Vingt-sept.
Vingt-huit.
Vingt-neuf.
Trente.
Trente et un.
Trente-deux.
Trente-trois.
Quarante.
Quarante et un.
Quarante-deux.
Cinquante.
Cinquante et un.
Soixante.
Soixante et un.
Soixante et dix.
Soixante et onze.
GRAMMAIRE BERBÉRE.
Summus demrau.
Sedis demrau.
Set demrau.
Tem demrau.
Dza demrau.
Sin demrawinin.
Tan sin demrawinin.
Thenat demrawinin nethnat.
Sin demrawinin kerad.
Sin demrawinin couz.
Sin demrawinin summus.
Sin demrawinin sedis.
Sin demrawinin set.
Sin demrawinin tem.
Sin demrawinin dza.
Kerad demrawinin.
Kerad demrawinin ian.
Kerad demrawinin thenat.
Kerad demrawinin kerad.
Couz demrawinin.
Couz demrawinin ian.
Couz demrawinin thenat.
Summus demrawinin.
Summus demrawinin ian.
Sidis demrawinin.
Sidis demrawinin ian.
Set demrawinin.
Set demrawinin ian.
y eo 0 207 0 77
2 0 sus 0
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us à ro, 0
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16
Quatre-vingts.
Quatre-vingt-un.
Quatre-vingt-dix.
Quatre-vingt-onze.
Cent.
Cent un.
Cent deux.
Deux cents.
Trois cents.
Mille.
Deux mille.
Trois mille.
Million.
Cent millions.
GRAMMAIRE BERBÈRE.
Tem demrawinin.
Tem demrawinin ian.
Dza demrawinin.
Dza demrawinin tan.
Met.
Muet ian.
Müet thenat.
Thenat muet.
Kerad muet.
Ifid.
Thenat 1fid.
Kerad ifid.
Merawed ifidan.
Müet merawed 1fidan.
0 ad 07
5) > ei
+07 o7
ok eee fs
07 o , for vf
ob ob ss
07
DICTIONNAIRE BERBÈRE.
EXPLICATION
DES ABRÉVIATIONS DONT ON S’EST SERVI DANS LE PRÉSENT OUVRAGE.
DINBe et eee Singulier. Fém........ Féminin.
PARENTS Pluriel. Imp re Impératif.
Masc..::2:. Masculin. RE Linnée.
La lettre M désigne les mots qui sont particuliérement en ‘usage dans les états de Maroc, et dont les
montagnards des régences d'Alger et de Tunis ne se servent pas.
La lettre À désigne les mots qui tirent leur origine de l'arabe de Barbarie.
DICTIONNAIRE BERBEÈRE.
BERBÈRE
FRANCAIS.
TRANSCIIT. FIGURE.
À
A-AB
x
À , AU, À LA. T, ghar.
— comme signe du dauf. Sé’, is ghi.
Nous demandons à Dieu. Nethalib à rebbi.
Donne à l'homme. Efki à werghaz.
J'ai dit à la femme. Nigh à temthout.
Au four. Ghar el'kouche.
A la maison. Ghar oukiham.
ONE CA 3 0,
Va vite à la maison. Eddou ghivel sé akham. DAME Joss »55)
dry
A la ville. Is temazert. us,5Lé uni
y o © 24
Le sultan est allé à Meknès. Aghoullid idda ghi Mek- | 5 555 XD,
5
nes.
À, au, dans la signification de sur. | Ghaf.
# 0 > #1 [2 /
© ©
Au visage de l'homme. Ghaf acadoum werghaz. HOT prob LAS
— dans la signif. de susQue. Er.
D'ici à notre pays il y a loin. Esia er themourtennagh
iguough el'hal.
ABANDONNE, ump. Fil.
T1 a abandonné. Ifel.
J'ai abandonné. Felagh.
o
/ j
ABEILLE (l ATA PU À } Vs AS
I IZIZWG, ZW lb DIS
20
FRANÇAIS.
Agsenr (Il est).
Le chat est absent de chez nous.
ABSINTHE.
AcanTee (Acanthus mollis, L.)
ACCEPTE, imp.
J'ai accepté.
Il a accepté.
AccoMMoDE, apprête le manger. imp.
Accommodons le manger.
Je l'ai accommodé.
Accommodons la viande dans la mar-
mite.
ACCOUCHEMENT.
— difficile.
Elle est accouchée.
Je suis accouchée.
Tu es accouchée.
Vous êtes acéouchées.
Elles sont accouchées.
La femme est accouchée d'un enfant
mâle.
Elle est accouchée d'un enfant mort.
ABS-ACC
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Ighab.
Emchich ighab es ghour-
nagh.
Damemmai.
Sabounic.
Cabil.
Cabilagh.
ZTacbel.
Sub imensi.
En nesub imensi.
Subghath.
Ad-nesub ou en-nesub
aksoum digh tislit.
Atarou.
Usr il-nifus.
©
79% 2
2»
Tourou , tourwed.
Ourough, ouroughd.
,,0
Sp»
Tourou, tourwed.
Tourwem.
Ourant.
Temithout tourwed ac-
chich.
Tourouïan erauin mout. rm)
chi
e © >
NE oo =
À
FIGURE.
FE] ©)
A
© 2
ÉD
22
-»2»
°,9 2
LDS
Los
FRANÇAIS.
Elle a éprouvé des douleurs dans son
ventre ; elle veut accoucher.
AcmËte, toi, c. à d. mels-y le prix”.
J'achète.
Ils ont acheté.
Je vais acheter.
Nous avons acheté cher.
Acier.
Acre de terre, un arpent et demi
environ; ce que deux bœufs peu-
vent labourer en un jour.
AFFAIRE.
J'ai affaire.
AFIN DE, AFIN QUE.
Nous avons mis de l'ail sur le cou du
cheval, afin de le garantir du coup
d'œil.
Je mettrai un berger auprès du trou-
peau, afin que le loup ne le mange
pas.
AGAvE d'Amérique (agave americana,
L.).
ACH-AGA
BERBÈRE
A ——
TRANSCRIT.
Toughits el'wegea, digh
äbboudis tebgh etsa-
Trou.
Awagh ketchini sough.
Adoughigh, adaghagh.
Oughan.
Eddough adaghagh.
Nesagh sil ghalt, nou-
gha sil ghal.
Tekir.
Tékirzé en theiougha.
Choughlat.
Dari choughlat.
Akhkin.
Nesker tichirt ghaf
tamghant ou oudiou
akkin our letsaghan
es thith.
Nek adawigh amiksa
ghour oulli, akkin
our thentits wechen.
Summar. A.
2 or dr #0
ss OÙ ES
0 7 ©
* Dans toute l'Arabie et dans les États barbaresques, c’est à l'acheteur à offrir un prix de la chose qu'il veut avoir. Le ven-
deur se contente de lui dire, quand l'offre ne lui convient pas : AN] Gy? iouf allah, uQue Dieu en paye le prix!»
AGN-AIM
FRANÇAIS.
AGNEAU.
AGONISANT.
Cet homme est agonisant.
AGrares, que les femmes arabes
mettent sur leurs épaules pour ar-
rêter leurs habits.
AGRÉE, imp.
J'ai agréé.
ÂIGRE.
AIGUILLE à coudre.
— d'emballage.
AIGUILLON, pour piquer les bœufs.
— dard du scorpion.
Ai.
AI triangulaire, plante sauvage (al.
lium, L.).
AIME, imp.
J'aime.
Je t'aime.
BERBÈRE
_ a
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Ezimer. sing.
Ezmeren. pl.
Tetmisat.
ou 707
: 0, ©
Erghaz ütsoufough digh &s Es 5
errouh. o we
DA)
Tikhlal.
sing.
Tikhlalin. pl.
Irdou. A.
Erdigh.
Desoummam, esem-
moum.
Tisighnit, tismi. sing.
Tisighnatin
tisimiwin.
Isighni.
Amehmaz.
Tisiquist.
Tichirt.
Bibras.
Hammil.
Hammelagh, righ.
Hammelaghak.
Q * Q LA
LA
ARABE.
Rs
col
Ji dis
UT mac)
cu)
pan
FRANÇAIS.
Je ne t'aime pas.
Tu m'aimes.
Il m'aime.
Nous l’aimons.
Je ne t'aime pas.
H ne m'aime pas du tout.
Il ne nous aime pas du tout.
AISSELLE.
ALATERNE (rhamnus alaternus, L.).
ALcairTe ton enfant, imp.
La femme allaite son enfant.
Aurer. (Voyez Va.)
Nous sommes allés.
Je suis allé à la maison.
Allons donc, marche.
ALLUME, imp.
J'ai allumé.
Allume le feu.
Je lai allumé.
ALLUMETTE.
ALuN.
AIS-ALU
BERBÈRE
"À ES
TRANSGRIT.
Our righak.
Ketchini tehammelu.
Nithsa iahmelir.
Nukni nehammelith.
Werth hammelagh.
LCA
Nühsa ouri iehammul 251
era.
Nithsa onragh ieham- «sy
mul era.
Thabic. sing.
Thawabic. pl.
Melilez.
Esouthoud mimmik.
Themthout tesouthoud
mimmis.
Tewadu.
Nedda.
Rouhagh sé'akham.
Az aghirzat.
Eseragh.
Seraghagh.
Eseragh timis.
Seraghaghth.
Elouquid.
Chebb.
FIGURE.
2 ©
XF wi La
dwys ù
23
FRANÇAIS.
AMapou.
AMANDE.
Amanpier (Un).
Awgre jaune, dont on fait des col-
liers et des bracelets en Barbarie.
AMÈNE, imp.
J'ai amené.
Tu as amené.
T1 a amené.
Is ont amené des nègres du Sahara.
Amène le cheval que je monte.
Ami.
Mon ami.
Les amis.
Mes amis.
Awpoure, enflure sur la peau.
AN, ANNÉE.
Un an.
L'an passé.
L'an qui vient.
AMA-AN
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Caw. Turk.
Louz. A.
Tat tellouzt.
Luban.
Auwid.
Oubighd.
Toubid.
loubid.
sahra.
Awid ad rekbagh äou- ÈS
diou.
Damdakul.
Damdakuli.
Dameddoukal.
Dameddoukaliou.
Tichilfoukt.
Esoughas. sing.
Isoughasen. pl.
au soughas.
Esoughase yadden.
Esoughase adias.
FIGURÉ.
o
, 70% 00,
© 2
Bouiend aclan zighis UE) UK) Nos
OO
ane
ANC-APP
25
| FRANÇAIS.
Il y a un an.
I y a deux ans.
Il ya trois ans.
Quatre ans.
ANCÊTRES.
L'âne brait.
— de la petite espèce, de la gran-
deur des dogues.
ANESSE.
ANÉMONE, fl. (anemone hortensis, L.)
ANIMAUX.
ANNEAU, bague.
— de la jambe.
ANSE.
ANus.
APPARTEMENT inférieur, rez-de-chaus-
sée.
APPELLE, imp.
J'ai appelé.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Ilindi.
ess)
s? ii ds
PE ee
Selli ilindi.
Selli ou selli ilindi.
Erbäa isoughasen.
Imzoura.
Dacadim.
Aghioul.
Ighouial.
Aghioul iteéghghid.
Edghond.
Tdqhidan.
Taghioult.
Tighoual.
Melfhail.
Hewaïch.
Tbrim.
Akhalkhal.
Afous ousaghoum.
Assroum.
Ahanou.
Suwvel.
Sioulagh.
ARABE.
ODA
FRANÇAIS.
Tu as appelé.
H a appelé.
Nous avons appelé.
Vous avez appelé.
His ont appelé.
Appelle-le.
J'ai appelé le domestique.
APPORTE, iMp.
H a apporté.
Nous avons apporté.
Apporte de l’eau, que nous buvions.
Apporte à manger, que nous mangions.
Apporte quelque chose à manger, du
miel, des dattes, du pain, de la
viande,
Apporte un mouchoir, que je m'essuie
le nez.
APPRENDS , imp.
J'apprends.
Nous avons appris.
APPROCHE, imp.
Approche de moi.
Approche de lui.
Après, derrière.
APP-APR
BERBÈRE
À EME
TRANSCRIT.
———————————
Tesiouled.
lisiwel.
Nesiwel.
Tesioulem:.
Sioulen.
Kera's.
Keragh isimghan.
Auwid.
Loubid.
Noubid.
Awid aman en'sou.
Awid en nitch.
Awid kera en nitch la-
ment, icayn, agh-
roum, tefilu.
Awid temahremt adssa-
fadagh enzerniou.
Elmid.
Adlemdagh.
Nelmid.
Azid.
Azid ghouri.
Azid ghours.
Nef, deffir, tighourdin.
FIGURÉ.
07 7 7
14 pet
do 20
ESS - - r5yS)
CL RE]
LME >
2 ne AK
#55! ENST
FRANÇAIS.
Après diner.
Après souper.
L'un après l'autre.
Je suis allé après lui.
Après demain.
Après que.
Après que nous l'aurons fait, nous nous
en irons.
ARAIGNÉE.
ArBOusIER des Pyrénées ( arbutus
unedo, L.).
ARBRE ({dattier).
— ‘épineux qui produit des mûres.
ARGENT.
— mounayé (drachmes).
ArGiLe blanche, avec laquelle on fait
des moellons, en y mélant du
sable de mer.
ARISTOLOCHE LONGUE, plante (aristo-
lochia longa, L.).
ARMÉE, camp.
ARRÊTE-TOI, imp.
II s'est arrêté.
Nous nous sommes arrêtés,
ARRIVE, imp.
ARA-ARR
BERBÈRE
NE
TRANSCRIT.
Nef imquilr.
Nef iminsi.
Îewen deffir iwen.
Teswiäa en.
/
CE ou, ©
FIGURE.
o
Of amas [us Leaxr
2
, £ ’ £ CES
Teswiâa en neskeres en = Lams el CEST
LA
neddou.
Tisist, issu.
Esesnou.
Ennoukla , tebouchicht. |ex-iis-
Enedggil.
Nacaret.
Idrimen.
Thoumdlt.
Burouchtoum.
ATmehalla.
Ibid.
ibid.
Nebid.
Elkin.
AP
A5 = D
FRANÇAIS.
Nous sommes arrivés.
Ils sont arrivés.
Le sultan est arrivé à Fès.
ARTIGHAUT.
— sauvage.
AsPerGE blanche (asparagus albus, L.).
— à feuilles aiguës (asparagns acu-
üifolius, L.).
ASSASSIN.
Asser, point qui partage 1 après-midi
en deux parties.
ÂSSIEDS-TOI, imp.
Nous nous sommes assis.
Ils se sont assis.
ATTENDS, imp. espère.
Nous avons aitendu.
Is ont attendu.
ATTRAPE-MAIN, plante.
Ause, de grand-matin.
L'étoile du matin.
Lève-toi de grand matin.
Levez-vous de grand matin.
[| AUGMENTE, imp.
Augmentez.
ART-AUG
BERBÈRE
À —
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Nelkim.
Lilimen.
Aghillid ülem fes.
Thegha.
Thegha diout.
Eskoum, eskoumbek.
Nesima.
Ingha.
Taghzin.
Aquim, ghawer, sida-
De OA +
Lolo - 25)
oun.
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DIARRS -_ ASS
. Nacquim, naghghiour.
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HESL si
CROP
Acquimen , ghaweren.
Ergiou.
Nukni nergia.
Nuthni ergian.
Hantad.
Zik.
Ithri nassbah.
Ekkir zik.
Ekhirt zik.
Ernoud.
Ernoutid.
AUJ-AUT
FRANÇAIS.
J'ai augmenté.
Tu as augmenté.
11 a augmenté.
Noûs avons augmenté.
Vous avez augmenté.
Is ont augmenté.
AUJOURD'HUI.
AUMÔNE.
J'ai donné l'aumône.
AUPRES.
Auprès de moi.
Auprès de toi.
Auprès de toi, femme.
Auprès de lui, auprès d'elle.
Auprès de nous.
Auprès de vous.
Auprès de vous, femmes.
Auprès d'eux.
Auprès d'elles.
AUTOMNE.
L'automne est venu.
AUTRE, un autre.
AUTRES, les autres.
BÉRBÈRE
TRANSCRIT.
Ernigh, ernighd”.
Ternid.
Lirnad.
Nernad.
Ternemd.
Ernen.
Essa, ghassa.
Sadaca.
Efkigh sadaca.
Ghour.
Ghouri.
Ghourak.
Glhourem.
Ghour's.
Ghournagh.
Ghourwen.
Ghourkunt.
Ghoursen.
Ghoursent.
El-Kharif.
Elkharif iouba.
Wein neden.
Weïn nednin.
dernière radicale est un £: (Voyez la Grammaire.)
29
ARABE.
FIGURÉ.
9, © 07 [2 07
y)
* Le 5 qui est à la fin d'ernigh se met pour adoucir la prononciation ; il est surtout en usage dans les mots dont la
30 AVA-AVO
BERBÈRE
FRANÇAIS. NE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Je 0 0/07
Avare (littéralement : homme dont Erghaz üccour afousis. peur) Jù 51)
les mains sont sèches).
J
Avec, ensemble, conjointement. Dou, akid, oukid, ouk. LE ë ie #
Avec, marquant la cause matérielle! Si.
instrumentale.
Avec moi. Akidi.
Oo %
Avec toi. Akidak. dau
07 P
Avec lui. Akide's. VS)
’
r-0
Avec nous. Akidennagh. Lust
H a tué son frère avec un couteau. Tingha ighmas sv'an ouf. Ulis me le
rou. HE
Ds
© 02/7
Ils se battent avec la fronde. Kathen sil'lawen. cale ReLs
vos
AVEUGLE. Iderghal. JL, %}
107
— Pi. Iderghahin. lé, %i
2
Avoir, j'ai. Ghouri. Sn
> u 7?
Je n'ai pas. Oulach ghouri. Se TA
2 or?
H n'a pas. Oulach ghour's. es LE)
J'avais, j'ai eu. Hill, thella ghouri. Do KS u se
C7)
Tu avais, tu as eu. Hilla, thella ghourak. ds $ - se
00 D cs’
H avait, il a eu. lilla, thella ghour's. us 5 $
Je n'avais pas. Ourilla, ourthella ghou- | & ;) É %, 1 a se ») À]
ri.
NON NT md
Tu n'avais pas. Ourilla, ourthella ghou- ds W5,91 - Don
rak.
‘ mn <' m0
I n'avait pas. Ourilla, ourthella ghour's. sé »5) SE UT
0 RON 2
Nous n'avions pas. Ourilla, ourthella ghour- bre DS 9) Mo
nagk. F
BAG-BAL 31
BERBÈRE
FRANÇAIS. À —— —
TRANSCRIT. FIGURÉ.
——————
B
BaGaGe. Alcous, taghrart.
Bacurrr, espèce de gâteau fait avec| Baghrir.
du beurre et du miel.
BaGues. Tezbekt.
Baçuerre de fusil. Elemdek.
Baise, imp. Souden.
Baise-le. Soudenith.
Je l'ai baisé. Soudenaghth.
I l'a baisé. Isoudenith.
J'ai baisé la main du cheïkh. Soudenagh afous amouk-
ran.
Baiser (Le). Isoudun.
Bazar. Timssalahat, timdouest.
BALAYE, imp. Ennad.
J'ai balayé. Ennadagh.
Tu as balayé. Tennadad.
Je balaye. Ad ennadagh.
32 BAN-BAT
BERBÈRE
FRANÇAIS. mm. | ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Is ont balayé. Ennadan.
Bancar, estropié. : Oubkou.
BARBE. Themert.
BARBIER. Iksouzal, esatthal. ALES pui
uv 07
PRE
BarQuE, chaloupe. Ibarkou, telcaribt. ERIC - >=)
7 07
BARRE ‘. Emder. KA}
o
BasTonxaDE et Biron. Thighrit. CA US
0 77 07 o 0707
On l'a pris; on lui a donné la baston- Athfenth efhanes tigh- | ps ii Li
nade. rit.
Biranp. Rau elharam.
BÂTIMENT, navire. Tanouth, tesfint.
Bars, imp. Ouuit.
J'ai battu Nekini outagh.
Je l'ai battu. Outaghth.
J'ai été battu. Nekini lesoutagh.
T1 a été battu. Litsewt.
Nous avons battu. Newet.
Nous le battrons. Nukni ad newetelh.
Nous avons été battus les premiers. Nukni netsewet imzoura.
Il ne nous battra pas. Ouragh ühet.
Vous ne me battrez pas. Ouri tekitem.
* Instrument qui sert à fermer la porte des maisons en dedans ; car, dans les montagnes de l'Atlas, on ne connail guère les
serrures en fer; pas même les serrures en bois dont on se sert en Égypte et en Syrie.
FRANCAIS.
H ne les battra pas.
Je bats le briquet.
BAUME de marécage à grandes feuilles
cotonnées des deux bouts.
BEAU, BON.
Beaucour.
Nous avons gagné beaucoup.
Bec DE GRUE, de la grande espèce,
plante.
Bècne.
BEGuE.
Bee, plante (cucubatus behen).
BéxLtER.
BELLE, BONNE.
BERBERE, homme libre.
BERcE , imp.
J'ai bercé.
Tu as bercé.
BAU-BER 33
BERBÈRE
TT ——
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Niüthsa werthen üket.
Adzindagh timis.
Temirjea.
Delâali, ülha, ifoulki.
Athas, behre.
Naghna behré.
Moucht el’khail.
Aghilzim. sing.
Ighilziam. pl.
Luslous, elthel.
Tightghacht.
Ikerri.
Tkerraren.
Deläalit, telha, tifoul-
kit.
Amzigh, amazirgh.
Houzz eddouh.
Houzzagh.
Tehouzad.
FRANÇAIS.
Il a bercé.
Nous avons bercé.
Vous avez bercé.
Hs ont bercé.
L'enfant pleure, berce-le.
BERCEAU.
BERGER.
Bernous, cape de laine blanche ou
noire avec un capuchon, à l'usage
de la Barbarie.
Bérorne (Espèce de).
BEURRE FRAIS.
BEURRE FONDU, mantègue.
BIEN, richesse.
BïEN, adverbe.
Bien ou mal.
Bien portant.
Bien portante.
Sois le bienvenu.
Sois la bienvenue.
BiENTÔT.
BER-BIE
TRANSCRIT.
Iihouz.
Nehouz.
Tehouzem.
Houzzen.
BERBÈRE
FIGURÉ.
Acchich ütrou, houzzith.
Eddouh.
Amiksa.
Tabernust, abidi.
Hachbet tegharfe.
Oudi ouri melahra
Oudi.
Eyla, oublagh.
Trwa.
Irua nigh ikhohin.
licoubbé.
Tecoubbé
Merhaba iesik.
Merhabr iesem.
Daquiq.
37
s>9)
o
ë
dei _ sui
FRANÇAIS.
Bientôt nous retournerons à la mai-
son.
B1ERE, cercueil.
Bisar, mêts de Barbarie‘.
BLanc.
BLANCHE.
BLANQUILLE , pièce d'argent monnayée
en Barbarie, valant environ 3 sous.
Deux blanquilles, valant 6 sous en-
viron.
BLe.
Nous avons foulé le blé.
BLÉ DE TURQUIE, maïs.
BLEssé.
Je suis blessé.
Je l'ai blessé.
BLESSURE.
Bzev, bleu de ciel.
Bœcr, taureau.
Bois à brüler.
* Espèce de couscoussou fait avec des fèves, de la grosse semoule ,
BIE-BOI
TRANSCRIT.
BERBÈRE
FIGURÉ.
“ + 07 0
Daquiq en neverri se'a- | (S35— u) Gas
kham.
Themdalt.
Bisar.
Damellal, emellal ,
imilloul.
Temellelt. fém.
Temouzount.
Senat temouzounin.
Irden, irdin.
Neserwet irden.
Akbel.
Iidgrah.
Nekini gerhagh.
Nekini gerahaghth.
Tehist.
Esmawr.
Ezghir. sing
Izgharen. pl.
Esghar.
Izgharen. pl.
Tkchound.
masc.
/
0 7
DA
00 707
AIX
o 0 “uv
5) _ ED)
vo. gd)
Ce
More.
2 — < 4
et de la viande salée et conservée dans l'huile.
ARABE.
39
36 BOI-BON
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT.
—_—_—_—_—_—— qe
Bois Puanr, arbrisseau (anagyris fœ- Ekll.
tida, L.).
Bois, forêt. Amadugh.
Bots, imp. Sew.
J'ai bu. Sewigh.
Tu as bu. Tesewed.
I a bu. liswa.
Nous avons bu. Neswa.
Vous avez bu. Teswem.
Ils ont bu. Sewen.
» ©
LA CA g
—
H a bu beaucoup de vin. Liswa eman ou adil | Xssÿ »
athas.
Boire, tabatière. Thacarourt, telkesit.
Borteux. Erejdel.
Box. Deläk.
Bon à rien, vaurien. Werwèlat.
Bonxeur. dad.
Son bonheur. Sâaune's.
Notre bonheur. Séadnagh.
Bonsour. Sabahak bi lkhair.
Bone FÊTE. Yd enbark.
Bonwer de laine rouge, que les Orien-| Techachit.
taux portent sous leur turban.
o MORIN
Je porte un bonnet sur ma tête. Adiskeragh techachit | ex ax Less Sas)
ghaf ikhfou. CARE
mis) CS
BOR-BOU 37
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
BorGxe. Aboucat. 6m).
D'UN
Bossu. Boudkerount. EEE ETS
Boxe. Wergquéle. FES
Bouc. Ikilwach.
Ikilwachen.
Boucue. Imi.
Imawen.
Elle a une petite bouche. Thella ders imi imzi.
Ma bouche. Imiou.
Ta bouche. Imik.
Sa bouche. Imts.
Ouvre la bouche. Erzem im.
Ferme la bouche. Can ini.
Boucner. Aghzar.
Boue. Aloud.
BouGi. Techemmäayn , telkan-
dil tekira.
Bouin (Le). Isslac.
BouizLon BLANC, molène. Salih lildagh.
BouLANGER. Oukwes.
Bourpon, grosse mouche ennemie| Erzaz. sing.
des abeilles.
Irzazen. pl.
Bourracue, plante. Foud ellacam.
Bourow, furoncle. Tequirmemt.
38
FRANÇAIS.
Bouze de vache.
— sèche pour faire du feu.
BrAceLETs de corne, ou d'autre ma-
tière, pour le poignet.
— pour le bras.
— pour le pied.
BrancHe d'arbre.
Bras.
Brave, courageux, littéralement: qui
sait manier le fer.
BrReEBIs.
Bripr.
BRIQUET.
Bats le briquet.
Je bats le briquet.
Tu bats le briquet.
H bat le briquet.
BROGHE, BROCHETTE.
BRODERIE.
Je brode.
Nous avons brodé.
Vous avez brodé.
Ils ont brodé.
BOU-BRO
BERBÈRE
_——
TRANSCRIT. FIGURÉ.
0, 2 2
ce)
Imouzouren.
El'ouquid ifounasin.
oi
Mouc'iasen.
Tinbalin , izibghan.
Tekhalkhalin.
Ichkendeoun.
Tghil. sing.
Tghallen. pl.
Tukath vezzal. sing.
Tukathen vezzal. pl.
Thikhsi, thili.
Elgham.
Zinad.
Ezned.
Adeindagh.
Atezended.
Ad üsned.
Eseffoud.
Berchman.
Ad berchmanagh.
Neberchman.
Teberchmanem.
Berchmanend.
FRANÇAIS.
BROUILLARD.
Bruyère en arbre (erica arborea, L.).
Bryone, plante (bryone vulqaris, L.).
Buste, la partie supérieure du corps,
depuis les hanches.
Burix.
Nous avons fait du butin.
CABANE.
CACHE, imp.
J'ai caché.
Il a caché son mouchoir de soie.
CaAGHE-Tor, imp.
Je me suis caché.
O femme, cache-toi des hommes.
CacuET ”.
Cac d'oiseau.
CazamBocHE, gros millet blanc.
CALOTTE ROUGE.
CaméLÉoN.
* Ou plutôt bague sur laquelle est gravé le nom propre avec quelque sentence , pour servir de cachet.
F ñ
BRO-CAM
BERBÈRE
A —————
TRANSCRIT,
Theghout.
Noumicha.
Facouss bou ghouial.
Ghachghouch.
Essäy.
Nesäad essày.
Ezroub.
Senji.
Senfigh.
Jisenfi sibniéte's.
Effr.
Effragh.
E’themthout effir ima-
nim ghaf mudden.
Tejboukt.
Cafes ighdad.
Bichna.
Techachit.
Taetu.
FIGURE.
A0
CAN-CAS
FRANÇAIS.
Canarp.
Cancre, espèce de crabe.
CANNE, roseau.
CaNNes à sucre.
|| Carircaire, herbe médicinale.
GapucHon.
CAROTTE.
CarOUBIER, arbre {ceratonia siliqua ,
1).
Casaque de laine, que les Maures
mettent sous leur bernous.
Je suis revêtu d'un bernous avec une
casaque de laine.
Casse, imp.
J'ai cassé la cruche.
La cruche est cassée.
Casste, arbre épineux qui porte une
fleur jaune en forme de houppe et
d'une odeur suave.
CasTAGNETTES fort larges, à l'usage
des nègres.
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Thergha. sing.
Therghin. pl.
Tjouzad bou emun.
Tifiraquist. sing.
Tifiracasin. pl.
Taghanimt. sing.
Ighounen ,
agha-
nim. pl.
Aghanim azidem.
Kusber.
Taclemount.
Zeroudie.
Kharroube.
Tegillabt.
Adilsagh tabernust akk Cas y Ë
tegillabt.
Erz.
Erzigh echmoukh.
Terza echmoukh,
Ezizzou.
Caraquib.
©
à —
FIGURÉ.
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En
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LjsT
ST
FRANÇAIS.
.
Casracnerres doubles et liées par
une lame de fer, à l'usage des
nègres.
Cavarter.
Cet homme est fort bon cavalier.
Ceci, CELUI-CI.
CELLE-LÀ, CETTE.
CELA.
CELuI-rA.
CEux-LA.
CELLES-LA.
Ceci m'est utile.
Cela suffit.
Celle-1à a de beaux yeux.
Fais ceci avec cela.
Cette chose-là, nous la faisons selon la
coutume de nos ancêtres.
Ces hommes-là,
Ces femmes}.
Ceinture de soie légère.
— de cuir dont les Berbères se
ceignent.
CAS-CEI
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Oudnein ghinawe.
Demnain. sing.
Demnai. pl.
Erghaz demnaï eläali
Waghi, aghi.
Taghi, ali.
Weinna.
Edwin.
Edwun.
Tiinna.
Waghi unfiau.
Waghi atas.
Taghi ders thith ifoulki.
Esker waghi ak dewa-
ghi.
Erghazen eduun.
Thoulawen tunna.
Sarbik.
Aghous.
FIGURE.
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CES
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A1
42
FRANÇAIS.
CEINTURE de guerre, où l’on met les
cartouches, les pistolets.
CENDRE.
CENT.
Deux cents.
Trois cents”.
CENTAURÉE (centaurea pullata, L.).
— GALAGTITE (centaurea qaluctites,
L.).
CERISE.
CERVELLE.
CHacaz et Lour.
Caîne d'or, ornement du cou.
CHaïsE, escabeau, banc de pierre.
Cnazeur du soleil.
CHALUMEAU, instrument de pâtre.
CHAMEAU.
CHAMELLE, femelle du chameau.
Là
CEI-CHA
BERPBÈRE
TRANSCRIT.
Timahzent.
Ighid.
Mué.
Thenat elmue.
Kerad elmiié.
Hachbet enisi.
Taskéré.
Kirez.
Akhichkhach acaroui,
dimagh.
Weschenn. sing.
Weschanen. pl.
Tesinsilt.
Timingert.
Telhar in tafoukt.
Maquec.
Elghoum, aram. sing.
Tlghoumen, alghou-
man, aramen. pl.
Telghoumt, taramt.
* Voir la manière de compter en berbère, pag. 14.
FIGURÉ.
FRANÇAIS.
La femelle du chameau ne met bas
qu'après neuf mois.
Cnamæpyris (teucrium chamæpytis) ,
plante à laquelle les Arabes attri-
buent de grandes vertus.
CHAMPIGNON.
Cuanson.
CHANTE, imp.
Chante, toi femme.
Je chante.
Cuapon, coq châtré.
CHARBON.
CHarBon, furoncle dangereux.
CHarpon, produisant une gomme
(atractilis qummufera, L.).
CHARDON (carduus, L.).
CHARDONNERET, oiseau.
CHarGe de fusil, étui pour mesurer
la poudre.
CHARRUE.
Manche de la charrue.
CHasse, renvoie, imp.
H m'a chassé.
CHA
BERBÈRE
QT —
TRANSCRIT. FIGURÉ.
76 » 0 207
Telyhoumt our tetsarou Die D CAS
er dumten tisâa wa- or vu» u
iouren. ne C5 ol
107
Chendeghouru. 559$ NA
Telfoucäayn.
Amartr.
Ghanni.
Ghanni kemmun.
Adghannigh.
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Aiazid ehsenes thiou | #45 prime | Xs;b)
themin, lenbehudg , o 4
echichau.
“
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ABS, si
Thirghin.
Timmust.
Thilitsen.
Izifou.
Thimarcamt.
Tegiaboubt.
Elmäoun.
Teoussat.
Tkouquil.
Ikouclir.
3
LA
CHA
FRANCAIS.
Nous l'avons chassé,
CHar.
Le chat miaule.
CHATTE.
CHÂTEAU.
CHaun.
Eau chaude,
H fait chaud.
Cueixu, chef d’un ou de plusieurs
villages.
Le cheikh de la montagne de Felisen
8
(qui domine Begiaïa ou Bougie).
Le cheikh de Muattaca, au sud de
Felisen.
CHEMIN.
CHEMINÉE.
ChEMIsE d'étoffe ou de laine.
— de toile.
CHaAuDRON.
CHAUVE.
CHauvE-sourIs.
CHaux.
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Nikoucleth.
o 22 07
Emchich, mouch. LE? = CA
sing.
© La 2 La + 0
Imchachen, mouchen. pl. | or? - guise)
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Emchich üteäaghghid. Nr re)
24
o
Temchicht, tamouchi. s. srl = Se
© re o 07
lamou- CETA _- CAMES
chain. pl.
Temchichin ,
Teghadirt.
Zacal.
Eman zacalit.
Zacal el'hal.
Amoucran.
Imoucranin. pl.
Gale ve
7 04 0
Amoucran nel muâatlaca. PERRNÉ Uhr)
Amoucran aghi felisen.
LE ù
00 » 07/7
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CR 2
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Ebrid, agharas.
Kewanin.
Tacandourt.
Taseit.
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NES = jus
0 202
Thesilt, tacdourt.
Amzouth.
Duzaghounennui.
Liquibs.
CHE
A5
—
FRANCAIS.
Cène KERMES, portant des glands
âpres (quercus locrifera, L.).
CHèNE à glands doux comme les
châtaignes, commun en Barba-
rie, en Syrie et en Espagne.
CHÈNE VERT.
CHENILLE.
CHeNiLLETTE, plante (scorpiurus ver-
miculatus, L.).
Cuercue, imp.
Je cherche.
J'ai cherché.
Tu as cherché.
Il a cherché.
Nous avons cherché.
Vous avez cherché.
Is ont cherché.
J'ai cherché et j'ai trouvé.
CHevar.
Le cheval de l'homme
Le cheval de la femme.
Ils sont tous montés à cheval.
Le cheval hennit.
Creveux.
Casvizze du pied.
—
BERBÈRE
"SE —
TRANSCGRIT.
Tibouchichin ghilfan.
bel-
Tibouchichin
louth aziden.
ou
Oud elmu.
Bourebou.
Hachbet el'hadgel.
Küch, nadi.
Adnadigh.
Noudagh.
Tounaded.
Jounad.
Nounad.
Tounadem.
Ounaden.
Noudagh oufigh.
Aoudiou, eis, aghmar.s.
Täaoudiwen, eisen. pl.
Aoudiou nerghaz.
Eis in themthout.
Mudden nin eisen.
Aaoudiou ütenahanih.
Dichäar, azal.
Tequechirirt.
FIGURE.
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16 CHE-CHI
BERBÈRE
FRANÇAIS. __— a
TRANSCRIT. FIGURE.
CHÈVRE. Thaghat. sing.
Thighaten. pl.
CHEVREAU. Ighid. sing.
Ighiden. pl.
Cuèvrereuizze ( hnicera caprifo-| Sultan alghabé.
hum, L.).
Cuez, préposilion qui marque la de-| Ghour, ghar, der, dar.
meure.
Chez lui. Ghours.
Chez moi, dans ma maison. Dar akhanu.
Chez le cheikh. Der amoucran.
De chez nous. Sougharnagh.
De chez eux. Soughoursen.
CHIE, imp. Kitch edraque.
J'ai chié. Nek derguagh.
Tu as chié. Kitch terqued.
Il a chié. Nüthsu üdreque.
Nous avons chié Nukni nedreque.
Vous avez chié. Kunuwi lederquem.
Is ont chié. Nuthni ederquen.
CHIEN. Aidi. sing.
Idan. pl.
Le chien aboje. Aidi üsighlef.
Chien enragé. Aidi damesoud.
FRANÇAIS.
Cuxex (Petit).
CHIENNE.
La chienne a mis bas.
La chienne a fait des petits.
CHrenwe (Petite).
Cnose.
Cette chose-là, je l'ai faite.
Chose commencée.
Cou.
CHRÉTIEN.
Les chrétiens qui arrivent dans nos
montagnes, on ne peut les prendre;
ils deviennent musulmans et ils se
marient.
Cixs.
CIMETIÈRE.
CinQ.
Crrcowcis.
CHI-CIR
BERBÈRE
TRANSCRIT,
Acdjoun.
Icdjan.
Taidit.
Taiadin.
Taidit tourou.
Taidit tesers icdjan.
Tacdjount.
Temselt taghaoussa.
Temselt seke-
raghth.
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Taghaonssa tubda.
Kurounb.
Iroumi.
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Timacbart.
Semmous.
Mukhatten.
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18 CIR-COL
BERBÈRE
FRANÇAIS. mm | ARABE.
TRANSCRIT. FIGURE.
Cet enfant a été circoncis.
Acchich aghi üsakhten. |(-5-<*9 AT rés)
9 7 © w © ee
Awid mimmik adas sikh- us}s) che Ko)
Amène ton fils, que je le circoncise.
Cire.
Cire mélée avec le miel, rayon de miel.
Ciseau de menuisier.
— de maçon.
Ciseaux pour couper la toile.
CLémariTe à vrilles (clematis cir-
-rosa, L.).
Czitoris.
CLYPÉOLE MARITIME (clypeola mari-
tima, L.).
Cocmon domeslique et sauvage.
Le cœur me bat.
Nos cœurs sont aflligés
COFFRE.
Coin, fruit.
Coz, Cov.
On lui a coupé le cou.
Cozère; il est en colère.
tenaqh.
Tekir.
Adacquis.
Amounghar.
Eläatlé.
Timacasst.
Touzint.
Azenbour.
Hachbet elyda.
7
Iifan.
Oùul.
Ouluwen.
Ouliou üket.
Iahzen oulawennagh.
Tessandouct.
Sefergel.
Temgharat. sing.
Timghardin. pl.
Ghizmen temgharat's.
Tiüchahh.
FRANÇAIS.
CoLiQuE.
CoLLier, à grains d'or.
— d'ambre jaune.
— de verroterie.
CozLie.
Corzyre, poudre noire faite avec de
l'alquifoux ;: dont les femmes de
l'Orient s'enduisent les yeux.
Corocassie, espèce de topinambour.
CoLonxE.
ComBar.
ComB1En.
Combien as-tu acheté l'agneau ?
Combien de fois?
Combien de fois ne les ont-ils pas
vaincus ?
Come, semblable.
Comme ceci
Comme cela.
COL-COM
TRANSCRIT.
Wegeda en theâabout.
Tezliquit, tesbikt.
Acd luban.
Lubkhingha.
Ighil.
Ighallen.
Thazoult.
Coulcas.
BERBÈRE
FIGURÉ.
EEE vu} Er»
CAS 5 - CA 7
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Tighidjdit. sing.
Tighidjda.
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Menichta.
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Em, enicht, zund.
Em waghi.
Em oubin.
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50 COM-CON
BERBÈRE
FRANÇAIS. _—
TRANSCRIT.
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Je C'apporterai un singe qui est comme Adak thidawigh ibken Le) ésloss JS 5
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un rat. enicht ougharda. A
16,69 . à
POI ROIO EE
Cette fille-là est belle comme le soleil. Tehaialt ati tefoulki zund ren à) cales
tefouht.
CoMMENCE, imp. Tbda.
I a commencé à faire. Libda üsker.
© , © A
ComMExT. Emek, men, man, men-|- ULe = @A - ur]
gha. 7e,
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Comment te portes-tu ? Emek tellid? NAS BW)
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Comment sont vos habits? Emek themilsat ennewen? is SE da
07
Comment as-tu dit? Men tennid? RAS a
vsu7 vo
Comment a fait sa sœur? Mengha tesker welimas? RS es Lx
9 0
CoNFriTURE. - Mâadgioun.
Connais, sache, imp. Esin.
Je le connais. Sinaghth.
Je ne le connais pas. Ours sinaghra.
I1 me connaît. Nithsa üsenu.
H nous connaît. Lisennagh.
Coxsripé (I est. Our üsmir adjidrage. ds ST 5e oi
Je suis constipé, je ne puis aller à la] Our zemragh addergnagh. zS)ssi = sos
selle.
CoNYALESCENT. Ty.
Convive, hôle. Inebghi. sing.
Inebghawen. pl.
FRANÇAIS.
Le coq chante.
CoqQuirraces.
CorBEau.
Gore, de chanvre ou de crin.
— en sparlerie.
Petite corde en sparterie.
Grande corde en sparterie.
Corpon, de laine ou de poil de chèvre”.
CorDONNIER.
Corizre, petit coquillage blanc qui
sert d'ornement et de monnaie en
Nigritie.
Core, fruit.
Corarp.
Cove, de bœuf ou d'autre animal.
— de chevaux.
Corps, de l’homme ou de l'animal.
Côre, os courbe et plat.
COQ-COT
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Aiïazid, afoullous. ss.
Jouzad. pl.
Aïazid üthedden.
Tchoughlal el'bahar.
Thequerfa, thequeiwer.
Emrar, eziker. : sing.
Imraren.
Esaghoun.
Isaghwann.
Esaghoun amzian.
Esaghoun amoucran.
Elmedgdoul, el'khaith.
Adoucal.
Timäazqghanin, abzoun.
Zarour.
Dadahan.
Eich. sing.
Eichiwen. pl.
Icher ou aoudiou.
Emsuloukh.
Ebardi.
sing.
Ibardun. pl.
FIGURÉ.
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* Les Arabes mettent ce cordon autour de leur tête en guise de turban. Il a un pouce de grosseur ou de largeur, et deux
aunes de long.
51
92
FRANÇAIS.
CoucuanrT, occident.
Coucuer du soleil. Voyez Sorr.
CoucxE-ro1, imp.
Il s’est couché.
AHons nous coucher.
COULEUR VIOLETTE ‘.
Cour.
— de pied.
CovPe, imp.
H coupe.
J'ai coupé.
Nous avons coupé.
Is ont coupé.
On dit aussi : Coupe, imp.
Nous avons coupé.
Ils ont coupé.
Coupe le blé, moissonne.
Hs ont coupé le blé.
Coupons le blé aujourd'hui.
COUPEROSE.
Covupze.
* Les femmes arabes et berbères se teignent les lèvres et le menton avec cette couleur, qu'elles obtiennent en mâchant
l'écorce d'un jeune noyer.
a
COU
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Touchi.
Talächit.
Gin.
lighin.
Ja neghin, ia natthass.
Eghousim.
Thütha. sing.
Thüthiwen. pl.
Ticaret.
Aghzim.
Adiüghzem.
Ghizmagk.
Naghzim.
Ghizmen.
Nebi.
Büen.
Emguir.
Nuthni megueren.
Essa en nemquer,
Zudÿj taib.
Sin. sing.
Sinat. pl.
FRANÇAIS.
Une couple de bœufs,
Couples de vaches.
Cource.
— propre à porter l'eau.
COURRIER, exprès.
Cours DE VENTRE.
J'ai le cours de ventre.
Il a le cours de ventre.
Cours, va devant, imp.
=— marche vite.
Courez.
J'ai couru.
Nous avons couru.
Ils ont couru.
Course.
Courr, l'opposé de long.
Couscoussou ‘.
Fais un bon couscoussou avec de la
viande.
Cousin, parent.
Cousin, moustique.
Le cousin m'a piqué.
COU
BERBÈRE
À
TRANSCRIT. FIGURÉ.
°,
Sin izgharen. D) ES Be
Sinat tefounasin. (on pis Eee
Tacssit.
Tacssit negiadj.
Araccas.
Ibizdan, abrid.
Joughi abrid.
Lil adis.
zwir, efit.
Ezil.
Ezlet.
Ezlagh.
Nouzel.
Ezlen.
Tezla.
Dawizlan, wezzil.
55 - LYS
LA L4
2 0,5
Suksou. omSous
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Esker suksou deläli ouk AIS Sas Ka
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Adhoughal. sing. Ju5T
Idoughlan. pl. RES)
Tizi abibe, Kai - euyss
Thizil üskoutouft.
CSS ns
* Grosse semoule cuite à la vapeur de l'eau bouillante. C'est le pilau des Barbaresques.
53
FRANÇAIS.
Courrau recourbé, khangiar.
— de table.
Covrezas.
Couverture de laine, qui sert aussi
de vêtement aux Arabes.
Couvre, imp.
Couvre-moi.
J'ai couvert.
J'ai été couvert.
Cracrar
CRACHE, imp.
J'ai craché sur le visage de cet homme.
Ï1 a craché sur mes habits.
Craixs, imp.
J'ai craint.
Tu as craint.
H a craint
Nous avons craint.
Vous avez craint.
Ïs ont craint.
Crapaup.
CRÉNEAUX du parapet d'un rempart.
COU-CRE
BERBÈRE
ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Kemmié.
Efrou.
Agenewr.
Ahuik, akhousi.
Edil.
Edli.
Nek deligh
Nek dilagh.
Imithmen.
Sousef.
Sousefagh ghaf acadoum
ou werghaz.
Liousef ghaf thelebe inou.
Eksoud, aoughad.
Eksoudagh , aoughadagh.
Toughudad.
Toughad
Noughad.
Toughadem.
Aoughadan.
M oughourghour,
Iscal oughadir.
FRANÇAIS.
CrEPIS BISANNUEL, plante (crepis
biennis, L.).
| CRESSON DE FONTAINE.
CRIE, imp.
Hs crient.
Pourquoi cries-tu si fort? Parle douce-
CROSSE DE FUSIL.
Crorre de chèvre ou de brebis.
CrucHE.
Cuire (Fais), imp.
J'ai fait cuire.
Tu as fait cuire.
Il a fait cuire.
Nous avons fait cuire.
Vous avez fait cuire.
Is ont fait cuire.
Cuisine.
Cursse.
Cuivre.
CRE-CUI
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Almerrara.
Gharnounech.
Sivel.
Sioulen, sioulend.
Echimui teswalid nisha si-
wel silaquil.
Serir en temoukhalt.
Tebourourt. sing.
Abourour. pl.
Saghoum , echmoukh.
Subb.
Sabbagh.
Tesubbed.
Tisubb.
Nesub.
Tesubbem.
Subben.
Aûris, anwal.
Temssad. sing.
Imssaden. pl.
Enhas.
99
FIGURÉ.
55
ARABE.
56
FRANÇAIS.
CurorTE LONGUE, de toile ou de laine.
CuLTIVATEUR et moissonneur.
CYCLAMEN, pain de pourceau, plante.
CynocossEe, plante (cynoglossum , L.).
Dane.
Dans, préposition de lieu.
Dans ce pays-ci il y a beaucoup de
monde.
Dans les montagnes, il y a de braves
gens qui savent manier les armes.
Le bois est très-touflu, il y a deslions; et
littéralem. dans lui il y a des lions.
Dans le chemin.
Dans la maison.
Danse, mp.
Danse, toi femme.
Je danse.
Vous dansez.
CUL-DAN
| BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Thakhna, acounnid. s.
Thikhnewa. pl.
Teserwal, tetibban.
Imkeraz.
Elhadibi.
Almassassa.
D
Temcourt.
207
Sais
Digh, igh, ghi. = ë = ë s &s
Digh temourt waghi el-| £Vs C5) és
ghachi athas. ee
Digh cdrar erghazen de- ossi ,hsi 2
läli ükathen wezzal. # > 97
Ji 5 ds
LA
Amadugh tücwa nizha di- Les jee AAA)
ghis ismawen.
MS
Ghi gharas. me &
Igh oukham.
Echdah.
Echdah kemmini.
Ad chedhagh
Ad techidham.
DAR-DE 97
BERBÈRE
FRANÇAIS. mm | ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Les filles dansent. Thilawin adchidhan. pris) LD
DarrRe, tumeur avec rougeur el dé-| Alhazzazé.
mangeaison. ;
/
Dares. Tini, icayn. ob) =
a
f (CEE
Darner. at furoukht. CAS 975 el
DauPni, poisson de mer. Ilf en lebhar. FEU nf Re)
DavanTaGe, plus. Echad. sLéf
DE, Du, DE LA, prép. qui marquent] Ghal, ghi, ni, en, ou,|»\ a = o- a 1E Je > gb
les rapports. aghi, neu, eb.
Nous nous sommes levés du lit. Nenkker ghal firach.
Glands de cochons. Bellouth gh'ilfun.
Chènes de sangliers. Thibouchichin n'ilfan.
Les toisons de laine. Thilisin en tadout.
0 7 , 2 2
Le visage de l'homme. Acadoum ou werghaz. 3e) n) root)
(2 , CA EE e CI 21
Le cheïkh de la montagne de Felisen. Amoucran aghi felisen. ds £) ee)
07 w
Le maître de l'or, doreur. Elmuallim neu wirgk. ë» 2 Met
HORS
La moitié du chemin. Ezghen eb bouberid. Sp æ]) wo)
DE, pu, préposition de lieu. Ghal, ghaf, zigh,zighiz.| 55 - 55 - Dé - Le
2
Thesirt übâad ghaf tem- DR À Ru C5 pu
dint.
Le moulin est éloigné de la ville.
ct 24
SAINS
où u/02
Je suis sorti de la maison. Oufyhaghd zigh oukham. des à AUTT)
Je suis descendu de l'échelle. Ersagh zighiz sullum. CSS ea]
10/1 o
00% os
Je suis parti d'Alger. Sufragh zighiz mezyhan- Ses En
na.
58
FRANÇAIS.
De, pour, depuis.
De l'an passé jusqu'à présent.
DÉ À coupre.
DécuiRE , mp.
J'ai déchiré.
Découvre, imp.
J'ai découvert.
DÉJEUNER.
Due, imp.
Délie le nœud.
Je l'ai délié.
Il a délié sa ceinture.
DÉLucE.
DEman.
Après-demain.
DÉMANGEAISON.
La peau me démange.
Demi, moitié, milieu.
Demi-mouzoune, pièce monnayée, de
3 sous environ.
Demi-heure.
DENT DE LION, plante (leontodon ta-
raxacon , L.).
DE-DEN
BERBÈRE
À"
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Zigh. D)
=,
LA 2
Zigh soughas üâdden er| (JR Us LE pan no)
thoura.
Teäasfourt.
Bi.
Bigh.
Erzim.
Ruzmagh.
Imkih.
Efsi.
Efsi tiguerest.
Efsight.
Zefsi aghouse's.
Eman thoufan.
Ezikka.
Nef esikka.
Itchi.
Jiüchi acsoumiou.
Ezquen, icsim.
Ezquen mouzouna.
Icsim saäa.
Darset elädgiouz.
ARABE.
FRANÇAIS.
DENTS DE DEVANT.
— MÂCHELIÈRES.
Les dents me font mal, j'en ferai arra-
cher une.
Dépense, lieu de la maison où l'on
tient les provisions.
Dépôr.
Je mets ce dépôt chez toi.
Mets-le chez moi.
Depuis, prép. de temps et de lieu.
Depuis l'an passé je n'ai pas voyagé.
Depuis les pieds jusqu'à la tête, je suis
couvert de poussière *.
Dernier.
I est venu ici le dernier.
| DERRIÈRE, subst.
DERRIÈRE , après.
DEN-DER 59
BERBÈRE
TRANSCRIT.
077 02 2
pb - Xéol
U r0 2
o ©
us
Oughoul, thagar. sing.
Oughlan. pl.
Toughmas.
CO CA 0 2
Oughlaniou carahu, adik- Sy ae)
sagh ierret sighizsen. |,
PNR
S >
? mi
#0
Taghourfet.
Lemane.
Adsersagh lemane iaghi SL xs sénat
ghourak. ne
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0 © ,
© 2
dej es
w L2 (8)
Sagh ilindi üädden wer| (je Nb) losel
HIS
Sersits ghouri.
Sugh, si.
sufragh.
o © o
LIEN Z,
Es D»
07 0 7
Sidarniou er ikhfou akk is) pl COLE
LA
thelebé inou sakal.
Engueghourou. sing.
Engueghoura. pl.
24 0 o7 v
loused gharda engue- mars is,é Dys
ghourou.
Oukhna , takhna. Les - ss)
Ledéfir. #5
* Littéralement : Depuis mes pieds jusqu'à ma tête, tous mes habits sont dans la poussière.
60
DES-DEV
FRANÇAIS.
Les gens sont derrière nous.
Descexps, imp.
Descends à terre.
Je suis descendu.
Tu es descendu.
Il est descendu.
Nous sommes descendus.
Vous êtes descendus.
Hs sont descendus.
DESCENTE.
Dessous, AU-DESSOUS.
Au-dessous de lui.
Au-dessous de leurs habits.
Dessus, AU-DESSUS.
Le dessus de la maison.
Au-dessus de la maison.
Deux.
Deux hommes.
Deux femmes.
DEVANCE, imp.
Nous avons devancé.
DEvanrT, en présence, vis-à-vis.
BERBÈRE
TT ——
TRANSCRIT, FIGURÉ.
0% >
ASE si Ye
Mudden izdè firennagh.
0 7
Ers. ui
Ers ghar elcaäu. xS LUI Dé um
Q © 02
&s} - &si
Tersid. Du
Ersagh, ersigh.
Lirs.
Nersi.
Tersem.
Ersen.
Ouhouz.
Dewa.
Dewa s.
Dewa thelebé ennesen.
Enigh, soufella.
Sou/ella boukhan.
Ennigh oukham.
Sin.
Sinat.
Sin erghazen.
Sinat thouluwen.
Ezwer.
Nezwer.
Ezzet.
DÉV-DIN 61
BERBÈRE
FRANÇAIS. EE —— ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
o üz7 0
L'un devant l’autre. lwen ezzet iwen. LU es) LU
+ ÉA
Les filles sont devant vous. Thiadaïin ezzet wen. noi url
70/z7 yo 5
Ton frère est devant nous. Oughmak ezzet ennagh. ASS) DIE
Ci-devant. Ighzouwarnin. rs se)
H1 lui a fait ci-devant enfler le derrière Lbzic oukhna's ighzou- 1 ARE Re
avec un bâton. warnin. AE +
Déviporr. Timaghzil.
Deviens, imp. Oukkul.
Je suis devenu. Ouklagh.
Tu es devenu. Touklad.
Il est devenu. loukhul.
Nous sommes devenus. Noukkul.
Vous êtes devenus. Touklem.
Ils sont devenus. Ouklen.
DraBze. Echcheithan.
w 5 LE
Dre. Aghallid,moucour, rebbi.| à) - py5 0 ANLE)
de NA OT
Que Dieu te rende heureux * ! Oukni henni rebbi. 3) a =»)
£ & 2 =
Que Dieu te préserve de mal ! Akiaroudy rebbi elbas. us di 8) dDojlus)
: j 22 LA 4 CA 2
Drrricire, rude. Touâar, wäaran. US» - Sr
o , 2? o ©
Les chemins des montagnes sont diffi- Iberdan idourer wäaran. Use BTE HE)
ciles.
o ” d'A © Ce
Dimance. Ghas elahad. SN (mé
Dinpox. Bouioukhnan. BLESSE
* Compliment d'usage lors d’un mariage berbère.
62
FRANÇAIS.
Dixer.
Dis, imp.
Dis la vérité, dis un mot de vérité.
Je l'ai dite.
Autrement : Dis, imp.
J'ai dit.
Tu as dit.
H a dit.
Nous avons dit.
Vous avez dit.
Is ont dit.
Dis-lui de faire.
Dis-leur de faire.
Discours, parole.
Dispute (La).
Nous nous sommes disputés.
Hs se sont disputés.
Autrem*: Nous nous sommesdisputés.
Hs se disputent.
Doicr.
DoMEsTIQUE.
DIN-DOM
BERBÈRE
TRANSCRIT, FIGURÉ.
Elles. of | Li pal
Siwel.
en tidits.
Sioulaghth.
In.
Ennigh.
Tennid.
Iinna.
Nennayh.
Tennam.
Innan.
Ine's adisker.
Inesen adsekeren.
Awal.
Tazeit.
Nezei.
Züen.
Nethaäghid.
Thaëghiden:
Adad. sing.
Idaden, idouden. pl.
o 2 , *
Wos5) _ WSS)
OC
Adhri. SNS
ds
a ds
FRANÇAIS.
Donxe, imp.
Donne-lui.
Donne-moi ta fille pour mon fils.
Donne-moi une femme; je demeurerai
avec elle.
Que Dieu te donne du poison ! (Façon
de jurer des Berbères.)
Nous avons donné des mouzounes,
Ils lui ont donné l'aumône.
Dors, imp.
J'ai dormi.
Tu as dormi.
Il a dormi.
Tu as beaucoup dormi.
Va dormir.
Depuis ces deux nuits je n'ai pas dormi.
Dos.
Son dos est courbé.
D'où, de quel lieu, de quel côté,
adverbe.
D'où est celui-là?
D'où es-tu?
DON-DOU
BERBÈRE
TT ——
TRANSCRIT. FIGURE.
Efhi.
Efhis.
Efhü illik à mimmi.
Efkü, efküd themthoud Sas = si
ad aquimagh nek ouk-
kidis. <—) s)
2 ce
NES
PRINT © ee
Adak üifk rebbi esumm. rw) 8) él djs)
Nefha timouzounin.
Efhkanes essadaca.
Ghan, athighnad.
Ghanagh, thissagh.
Teghan, tethssad.
Lighan, üthssad.
Ketchini tethssad athas. us bT ave ae
’
Q w
Ekkir athssad. SELF &i
o, À mr Q
Sin id aghi wer thissagh.| »9 &) si Q—hN
©
Aûärour.
Tifagh wadrourts.
Ensi.
Ensi waghi.
Ensik.
64
DOU-ÉCO
FRANÇAIS.
D'où êtes-vous?
D'où es-tu, femme?
D'où viens-tu?.
DoucEMENT.
Doux.
Douze.
Droite (La), le côté droit.
Eau, de l'eau.
Apporte de l'eau, que nous buvions.
L'eau coule.
Écxaras, pour soutenir la vigne ou
toute autre plante.
,
Ecuecs.
Nous avons joué aux échecs.
Je joue aux échecs.
ÉCHELLE.
Je suis monté par une échelle à la mai-
son.
Ecno.
Eczarr.
EcouTe, imp.
BERBÈRE
—— Æ
TRANSCRIT, FIGURÉ.
2) 2 l24
Ensikun kunwi ? Er GA)
[2 07
Ensikim ? A EI]
CAE
5 o 07
nsi tousid, ensi tekkid. 5) - Due 5)
Ensi ! , ensi tek L&wS Ras DS (GAS
w
© ©
Sil'äquil.
Zeid, daziden.
Sinat merau. si € us
© 2 OR
Theman iefous. vo U
quere
Eman, aman. wub)
Ges
Awid eman ensou.
1< 0,7
Eman üüttézil. Jr pl
Terkist. Cm ÿ5
Sathrandg. éne
Nekhoummaz sathrandg.
Adkhummeragh sathrando.
Sullum.
0:70 UE /
Nekini ouliagh ghaf sul-| LiS és) GAS
lum ghour oukham. TON
Ds À DS rh
CN ge <) o
Saut bou cherouf.
Aïbarcenit. El)
Esil JT
2
Gay » ro
ARABE.
s0)
ÉCR-ÉGO
65
FRANÇAIS.
Écoute-moi.
J'ai écouté.
Tu as écouté.
I] a écouté.
Nous avons écouté.
Vous avez écouté.
Ils ont écouté.
Écris, imp.
J'écris.
Nous avons écrit.
Je lui ai écrit.
I] m'a éenit.
Nous vous avons écrit.
Nous leur avons écrit.
Cela est écrit.
;
EÉcriToIrE.
Apporte l'écritoire, que nous écrivions.
Ecuries.
EGaremENT, de même, ensemble.
Ts ont fait de même, également.
ÉGORGE, imp.
BERBÈRE
EE |
TRANSCRIT.
Eslid.
Esligh.
Tesla.
Lisla.
Nesla.
Teslem.
Esilen.
Ouri.
Aderagh.
Nera.
Nek ourighu's.
Nuthni ioureu.
Nukni noureiawen.
Nakni noureiasen.
Taghaoussa tiara.
Tedawit.
Enbih, weskif.
Oukk.
Oukk sekeren.
Ezlou.
FIGURÉ.
66
FRANÇAIS.
J'ai égorgé.
ñ 4
Tu as égorgé.
Cet homme-là a égorgé sa femme.
Nous avons égorgé l'agneau devant le
cheikh *.
Les loups ont égorgé le troupeau.
ÉGRATIGNE, imp.
J'ai égratigné.
ñ : A :
Le chat a égratigne mon visage.
Erze, pronom féminin.
Elle a fait.
Elles ont ri.
EMBRASURE, pour tirer le fusil.
Emeraupe.
EMPEREUR, ou roi.
L'empereur d'Occident, le roi de Ma-
roc,
Le dey d'Alger.
Ewpris, imp.
J'ai empli.
ÉGR-EMP
BERBÈRE
À
TRANSCRIT, FIGURÉ.
Zeligh.
Tezlou.
for
Erghaz waghi uüzlathem- ÿ— Es sie
thoutr's. ve
f #ù Se
Nukni nezla ezimer ezzet Ds) Jr 2.
amoucran. 02e 037
Wechanen zilen oulli.
Akhbech.
Khabbechagh.
© LEA o 07
Emchich ükhbech. aca-|(FÆ (Qitnéel
doumiou.
o o o o
CE Lo
tu) 2 el
CEA LA
© AGE Gi)
SAR RENE
Nithsat, inithsat. sing.
Nuthenti, ennesent. pl.
Mithsat tesker.
Nuthenti desent,
Sekal.
Seydi.
Aghilhd.
Aghiltid nel maghreb.
Aghillid nel'gezair.
Tchar.
Tchouragh.
* Manière deidemander protection dans l'Atlas.
FRANÇAIS.
Tu as empli.
Il a empli.
Nous avons empli.
Vous avez émpli.
Ils ont empli.
EMPoIGNE, serre, imp.
J'ai empoigné.
Tu as empoigné.
Ils ont empoigné.
EMPORTE, imp.
J'ai emporté.
J Il a emporté
EN, dans.
J'espère en Dieu, puis en toi.
ENceNTE, grosse.
Encore.
Encore un peu.
. ENGRE pour écrire.
Exranr.
Mon enfant.
Mes enfants.
Les petits enfanis.
EMP-ENF 67
Litchour.
Terou. DA
Akka. LE [best > ytf
BERBÈRE
ARABE.
TRANSCRIT: FIGURÉ.
LE
Tetchourad. DT
© >
Netchour
Tetchourem.
Tchouran.
Ekmich afousik.
Kemchagh.
Tekmichad.
Kemchen.
Esmati.
07
2,
û ce c
Semoutayh, semoutigh: ES you = Uysu
0
Tismouti. Grue
07
Der, dar. Dis =)
OS ARC os
Ergiagh dar rebbi oukk ds 8) pts =)
darak. ï
dis
xls
4
CIC CRE ANR &
Edrous akka. LL) uso) Rs ES
Simagh.
Acchich, thifirkhan.
Acchichin. pl
Acchichinou.
Eddewarawinou.
Errach, terwan.
68 | ENF-ENT
BERBÈRE
FRANÇAIS. 7 — ARABE.
FIGURE.
TRANSCRIT.
OP NO
Les petits enfants jouent. Errach adouraren. ohss) usb}
Re EU D L OP EI © en
Que la bénédiction de Dieu soit répan- Adique albérékè digh => xs) ébs)
due sur ta tête et sur tes enfants! ikhfik akk eddewara-| «
(Compliment de condoléance.) vik. dj dr si)
Enfant pubère , littéralement: enfant Acchich iouzam.
qui jeûne.
Q LA OS Le :. .
Enfant impubère, qui ne jeûne pas. Acchich wer dad iouzam. se ;» Léa) db n$ AN
07 2
vb
Der RDC
ENFANTEMENT. Atarou. Di NA
LA
0/0 0,”
Douleurs de l’enfantement. Enghaz atarou. sb) ,l5) sSJ,J) =
o DEEE CO 2 07
La femme est en travail d'enfant. Themthout sudbbout et-| sn run cybé
sarou. > es
Die)
EN 2 V
ENNEMI. Daädou. sXSTS sùSs
Diädawen. Ua X&S
mo [2 o 4
Ce pays-là est notre ennemi. Tedert inna diâda wen-|\ Ness La) &N5
LA
nennagk. D ÉLroS
ExraGé. Damesoud.
Timdil.
ENTERREMENT.
J'ai enterré.
Midilagh.
Tu as enterré. Temdil. 1 AS
CP 2 07 0 »
Ils ont enterré la femme du cheikh. Midilen themihout en u) cs-bé QIX
amoucran. o ea
uirte)
© 207
EnTrainres, boyaux. Ijeéboub. As)
u 07
Tjeñbouben. ©? LS) 6) Lei
ENT-ÉPI
FRANÇAIS.
ENTRE, imp.
Je suis entré.
Il est entré.
Nous sommes entrés.
Is sont entrés dans la maison.
Entre, parmi.
Entre eux.
Entre vous.
Les gens se sont battus entre eux.
H s’est élevé une guerre entre nous.
EpPaure.
1
ÉPée longue et large à l'usage des
Berbères.
ÉpPERoN.
Épi.
ÉPICERIES , ou plutôt toutes sortes d'é-
piceries broyées et mêlées ensemble.
Ep.
,
ÉPrNE BLANCHE, arbrisseau.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Ekchim.
Kichmagh.
Likchim.
Nekchim.
Kechemen 1 oukham.
Ghouighar, ghaighar.
Ghouigharesen.
Ghaigkarewen:
Mnautauelt- sus
gharesen.
LA A © 07
licéa imenghi ghaigha- ARE ki) (E
gun ghag RE EL AE
rennagh.
Thait.
Thouiet.
Lemcha.
Lemachi.
Sabir.
Thidert.
Thiderin.
Ras elhanout.
Esennan.
Isinnanen.
Zerour.
ARABE.
BERBÈRE
FRANÇAIS. —— - = ARABE.
TRANSCRIT. FIGURE.
ÉprouvanTaiz pour les oiseaux. Elkhial.
Éroux. Dis.
Érouse. Tislit.
CA
, l'ACA o ©
L'épouse a été déflorée. Tislit tekchim. ps cas
0 7 © © / ©
L'époux a défloré l'épousée. Disli ükchim ghaf tislit. sc pe» dus
L'époux en a joui. Disli üghats.
EÉQUINOXE DU PRINTEMPS. Elhusoum.
— D'AUTOMNE. Elcusim.
ÉRÉSIPÈLE. Hamret.
EscaLier, le seuil de la porte. Emnar.
EscayoLce, sorte de graine pour les| Ahkouz.
oiseaux.
Esctave. Isnigh.
Isimghan.
Esparr, ou plutôt sparre, jonc dont| Elsous.
on fait des cordes, des nattes.
Esp1ox. Erghab.
EsPrir. Eläquil.
7 9 0 707
CT o
Ce vieillard n'a plus son esprit; n'é- Emghar oulach elécl's ; ya VÉŸ9T Lol
coute pas ses discours. our tesagh awals. TO AC
ue) glus ol
©
EsqQuizee *. Ti.
Je suis essoufflé. Lehlagh.
EssourrLié (Il est). | Lüheth.
|
* Gros oignon sauvage dont le suc est un poison pour certains animaux.
ÉTA-ÊTR
71
FRANÇAIS.
Tu es essoufflé.
Éranc, marais.
Éré (L').
L'été est fort chaud dans notre pays.
Érenns, imp.
J'ai étendu.
Tu as étendu.
I a étendu mes habits pour qu'ils se
séchassnt.
ÉTERNUEMENT.
Énncezces, bluettes.
ÉrTorce.
Cette nuit-là, le ciel est plein d'étoiles.
ÉTOURNEAUX , oiseaux.
ÉTRANGER.
Êvre. — Il était, il a été, il fut.
Elle a été.
J'ai été, je fus.
Tu as été.
Nous avons été.
Vous avez été (masc.).
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Telhets.
ESS - le
Le re)
Tanoumda, tibhirin.
Anebdou, timqueraz.
PROMO CE
Anebdou zacal athas digh yr—b) JS; sXaS)
themourtennagh. u ru por
ASE &>
Efser.
Feseragh.
Tefsered.
F2 DO
Lifser hawayginou ad ü- 5) Ales punis
hivent. ue
Tewinzi.
ob)
Tthri. sing. & sy)
Tfathiougin.
Ithran. pl. EE)
RETRO
Ida tighnau tettchour| 2 Ss sis EI)
sithran.
e,)07
Izarzouren. DD) y)
Daberrani, oughrib. yés) = EE
Tilla. e
Tella.
Elligh.
Tellid.
Nella.
Tellam.
72
FRANCAIS.
Vous avez été (fém.).
Is ont été.
Elles ont été.
ÉTRIER.
ÉrRiLLE.
Érror (Ii est).
Eurnorgz, plante (euphorbia).
EvropP£ens.
Eux.
A eux, leur.
Nous leur avons préparé (littéralement:
fait) un excellent repas.
EVANOUISSEMENT.
H s’est évanout.
Je me suis évanoui, littéralement : mon
esprit s’est perdu.
Expiré (Ji a).
EXTINCTION DE voix.
Fan, sans goût.
Facor.
ÉTR-FAG
BERBÈRE
À —
TRANSCRIT. FIGURÉ.
o
Tellant. av
Ellan.
Ellant.
Rikab.
Temchit nuweïs.
id.
Hezzazc.
Iroumün.
Nathni, iddawin.
Adasen.
o ”
© ©
Adasen nesker imensi de- =
©
lâli.
Meskoun.
Toughith meskoun.
Lidaû elaclinou.
Teffagh errouhis.
Bahouhat essaut.
F
Damesas.
Tesdimt isgharen.
ARABE.
FAI-FAR 73
FRANÇAIS.
Faïgre, malingre, maladif.
Faim et appétit.
J'ai appétit.
J'ai faim.
Tu as faim.
H a faim.
Nous avons faim.
Vous avez faim.
Hs ont faim.
Fais, imp.
J'ai fait. Voy. la conj. du verbe Faire.
Farrorr. — I] faut que...
Il faut que je fasse.
1 faut que tu fasses.
H faut qu'il fasse.
FAMILLE.
Sa famille est nombreuse, il a des filles
et des garçons.
FanraroN, homme qui se vante.
Fanrassin, homme de pied armé.
FARINE.
Crible 1a farine.
BERBÈRE
À
TRANSCRIT. FIGURÉ.
107
Demdäouf. Gysluaes
Laz.
Taghi lac
Louzagh.
Telouz.
Iilouz.
Nelouz.
Telouzem.
Louzen.
Esker.
Sekeragh.
Hadd en.
Haddi en adeskeragh.
Hadduk en adtesker.
Haddis en adisker.
Elwachoul.
o PUR peur © 2 PL IA
Elwachouli's athas, ghour's usb) TEA]
thiadaïin akk douwer-
rech.
oisLES vusé
Pr
À LION ON 2E2 2
Erghaz üttezouh, ghaf| is cod Li x») à zh
imant's. 6 »
jee Je
/
UE 4
as
LES
Terrach.
Aouren. no
VS 0244
Sif aouren. ce) ia GS N) X,S
74 FAR-FEU
BERBÈRE
FRANÇAIS. ' — - ARABE.
TRANSCRIT.
J'ai criblé la farine. Sifagh aouren.
FARINE DE BLÉ TORRÉFIÉ, pétrie avec Thammana.
du miel et du beurre *.
— D'ORGE TORRÉFIÉE, pétrie avec du| Rowinu.
lait *.
Faucon. Thair la hour.
Faure, péché. Lekhathit.
Faux, FAUCILLE, instrument pour! Emguir.
faucher.
FEMME. Themthoat, themghart.
Femmes, en général le sexe-fémi-| Thoulawin, thoulawen.
nin.
FENÊTRE. Sarqid.
FexouiL (anethum fœniculum , L.). Besbas.
Fer. Wezzal.
Fer de la charrue. Teghoursa.
Fer de cheval. Esfai, sefihat.
FERME, imp. et serre. Err, quinn.
H a fermé. Lirra, üccan.
Nous avons fermé. Nerra, neccan.
As-tu fermé la porte? Ketchini terrid thabourt?
Je l'ai fermée. Kightesül.
Feu. Timis, elafit.
* Provision de voyage des Arabes et dans toute la Barbarie.
** Chez les Arabes, et dans toutes les montagnes et les campagnes de Barbarie, voici la manière de faire le pain : après
avoir fait torréfier le blé et l'orge, on les moud sur une très-petite meule à bras; ensuite on sépare la farine du son, et lors-
qu'on veut faire du pain, on fait cuire cette farine pétrie dans une poële ou sur la cendre.
FEU-FIG
FRANÇAIS.
Cours, fais du feu.
FEUILLE D'ARBRE.
Les feuilles se sont séchées; elles sont
tombées.
FEUILLES DE PLATANE .
Feurre, étofle dont la laine est fou-
lée et collée.
FÈVE DE MARAIS.
F&ve SECHE, dépouillée de son écorce.
Fièvre.
La fièvre m'a pris; J'ai la fièvre.
Fièvre maligne,
1 a la fièvre maligne; il est à l'agonie.
FiGue RAQUETTE, noromée, en Barba-
rie, figue des Francs ou des Chré-
tiens.
FiGuEs FRAÎGHES.
—— SECHES.
Hmange des figues sèches avec des
glands.
Ficuiers.
BERBÈRE
À RS
TRANSCRIT. FIGURÉ.
sheet
us)
zil, esker elafit.
Afrioun.
sing.
Iferrawen. pl. us jo]
ue se, ? 0e”
Iferrawen acouren, gha- «tb cp) usbs)
lien.
2) 4
Thalavut EU
Fersade.
Ibiou.
Ibawen.
Thifilwin.
Thevla.
07 A
Toughu thevla. V5 ETS
Teñadist. cas Les
o , CA o 2 2
Toughs ledadist, utse- Sos UE »—5
Jough digherrouh. 0 >
ganl > étui
y) e5b
D
/
2
Tazert iroumur.
Tibakhsisin.
Tazert. EE
2 u” o Dire
Adtchagh tazert dou bel-| #5 EE és)
louth. o w
5 Lx
So #7 0 ©
Sy ess
Tinouklin tazert.
Gba
oi - sf
* Pendant l'hiver, ces feuilles servent de nourriture aux chèvres et aux vaches, dans les montagnes de l'Atlas.
76 FIL-FIN
BERBÈRE
FRANÇAIS. —_———“—
TRANSCRIT. FIGURÉ.
, ces) 9 de
Les figuiers portent beaucoup. Tinouklin ourouvwent a- ca 00) GX AS
thas. 0,7
Fix à coudre. Tfalan.
Fire, imp. fais du fil. Ellim.
J'ai filé. Ellimagh.
Tu as filé. Tellim.
La femme file. Themthout tetsellem.
Fiers, rets. Timaghzelt.
Fizze. Tacchicht. sing.
Tacchichin. pl.
dDoA 7
Fille vierge. Teäzaout, tehaialt. JL = En
Filles, en général. Thihadaïn. oise
0 70
Chez nous, les filles ne sont pas du Ghournagh thihadain our pisLsS Te
tout jolies. telha era.
Ma fille. Ill.
Sa fille. Ils.
Fizs. Lwi, nus.
Le fils du sultan Mis aghillid.
Le fils du cheïkh. Mis amoucrun.
Mon fils. Imemi, numnu.
Fix, rusé. Dahili.
Finis, imp. Fouk.
J'ai fini. Foukagh.
Tu as fini. Tefoukad.
FRANÇAIS.
H a fini.
Nous avons fini.
Vous avez fini.
Ils ont fini.
FLAMME.
FLeur.
FLors, vagues.
FLorte De cBevEux, que les Musul-
mans laissent au-dessus du crâne ‘.
Fire À 8ec, dont l'embouchure est
très-large *.
Fore.
Foix, et toute herbe sèche, pour la
nourriture des animaux.
Fors.
Une fois.
Combien de fois?
FONTAINE.
Forér, bois.
Forr, robuste.
FORTEMENT.
FORTERESSE.
* Particulièrement , calotte de cheveux coupés courts, que les Berbères ont coutume de laisser croître. Ils ne portent rien
sur la tête.
“* Les Turcs la nomment nai. I] y a aussi en Barbarie une autre chebabe, extraordinairement longue et sans trou.
FLA-FOR
BERBÈRE
RE —
TRANSCRIT. FIGURE,
lifouk.
Nefek.
T'efoukem.
Foukan.
Ahadgiagiou en timis.
Edjidjeque, ejdique. s.
Edjiquen. pl.
Elmaudya.
Echebboub.
Echchébubé.
Thesa.
Asaghour.
Thakult.
lwet thikilt.
Eich hal en thikilt.
Thaith newaman.
Amadagh, thaghant.
Licwa.
Nizha.
Teghadirt.
1]
=]
78 FOS-FRO
BERBÈRE
FRANCAIS. —_————————
TRANSCRIT. FIGURÉ.
A | EUR De
Fossé d'un château. Hafia oughadir. Doi ais CES
Fou (Il est). Tinchef.
Four. Kouché.
FourMt ROUGE Aouthouf. sing.
Tiouthoufin. pl.
Fourmis- Thiwedfin, ioutfuln.
FRAPPE, imp. Louth.
Il Y'a frappé avec un couteau. liwetheth sian oufrou.
FRERE. Tghma. sing.
Athmathen. pl
Mon frère. Ighmaiïnou.
Ton frère. Ighmak.
Ton frère, à toi femme. Ighmaïneu.
Son frère. Ighma's.
Notre frère. Doughmanayh.
Votre frère. Doughma ennewen.
Votre frère, à vous femmes. Dougyhma ennewent.
Leur frère. Doughmo ennesen.
Leur frère, à elles femmes. Doughma ennesent.
Mes frères. Athmatheniou.
or 9
Tes frères, etc. comme ci-dessus. Athmathenak. dE)
o LS 2 C4
FRIPON, mauvais sujet. Rau elharam. ya sb L; Ns
o
4 " ù w 7 ,
FRoID, et aussi LE FROID. Esimmid. Xaçw) 5
ch
FRO-FUM 79
BERBÈRE
me ARABE.
FRANCGAIS.
TRANSCRIT.
Eau froide. Eman esimmid. Nanou) re] Co 85; sL
LA sf
o w * PR
Aujourd'hui il fait froid. Esa esimmid. aout Lu 5p» rm)
0 on
FROMAGE BLANC‘. Aghoughh. ses) eee
Apporte du lait, que je fasse du fro- Awid_ aïfhi adsekeragh FACE ST Een
mage. aghoughli. u rs
Il. sing. bi te
.… Îllawen.
Fronpz, pour lancer des pierres.
pl.
Errach kathen sillawen. LUS LsE vb
Les enfants se battent avec la fronde.
FRONT. Tewenza.
Fruits. Elkharif.
Elkharif ioubba.
Les fruits sont mürs ”.
Fuis, imp. Erwel. io) Sy#)
H a fui. Lirwel.
Nous avons fui. Nerwel.
Is ont fui chez le marabout; on ne les
Rewelen ghour ou mera- bois nl SE ss
bith oursen taïfen era. Le uv,
Di ob pipi
a pas pris.
4 24
Furre. Teroula.
Sew doukhan. ylæs pe ul&s cyil
Fume, imp. proprement, bois la fu-
mée du tabac.
Adsewagh.
Je fume.
Tu fumes, etc. Atesew.
Fumée.
Aghgou.
* Seule espèce de fromage que l'on connaisse dans toute la Barbarie.
#“* On remarquera qu'elkharif signifie proprement l'automne , et que les Berbères n'ont pas d'autre mot pour exprimer col-
lectivement les fruits de cette saison.
no, À,
FUM-GEN
FRANÇAIS.
Fomwererre, plante (fumaria, L.).
Fumer.
Fuseau, instrument qui sert à filer.
Fuseau (Le bouton du).
GAL.
J'ai pris la gale, et, littéralement, la
gale m'a pris.
GamELLE, jatte de bois.
GaRANCE (rubia tinctorum , L.).
Garçon, enfant mâle.
Gaucne (La), le côté gauche.
GELÉE BLANCHE.
H est tombé une gelée sur l’eau.
GENGIVES.
GENDRE
Mon gendre.
Les gendres, ou les cousins.
GENET ÉPINEUX (spartium spinosum,
I
* Celui qui épouse 1a fille d'un homme ou la fille de ses frères et de ses sœurs.
BERBÈRE
|
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Warac elnisa.
Zibil.
Tennaourt.
Tequechirirt. sing.
Tiguechirer. pl.
Idjidjid.
Tonghaù idjidjid.
Tezleft.
Habikhtsour.
Acchich, ehazau.
ET - rai
© 70, 224
Theman zelmad. SL, Uk
Aghris.
us ef
Eu
HSE
ÎLE, ST
MST
RAS
Joe
© LA
Lwet waghris ghaf emun.| LS
Aghousmar.
Adhoughal.
Adhoughaliou.
Idhoulan.
Elkendoul.
GEN-GOM
81
FRANÇAIS.
GENou.
Gens, hommes, troupe.
GÉRANIUM, plante (geranium molle, L.).
Gerge de blé, d'orge, etc.
Gicor de mouton ou de tout autre
animal.
GINGEMBRE.
GIROFLE, épicerie.
GiRorLée, fleur.
Grron.
Gzaxp doux, qui se mange comme
la châtaigne.
Je pèle les glands.
Je les grignote.
GLAND amer, gland de cochon.
GLISSE , imp.
J'ai glissé.
Tu as glissé.
Il a glissé.
Nous avons glissé.
Vous avez glissé.
Hs ont glissé.
GOMME ARABIQUE.
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Tighchirer.
Mudden.
Thaharfirfe.
Tacatssount. sing.
Ticatssounin. pl.
Teftil bou aksoum.
Zindjébir.
Guirfé.
Carenfal.
Chematha.
Ebellouth.
Adiscouchragh ebellouth.
Adaghazzagh zighiz.
Ebellouth ghilfun.
Chad.
Chadagh.
Techad.
Lichad.
Nechad.
Techadem. *
Chaden.
Tunin.
FIGURÉ.
ARABE.
02
FRANÇAIS.
Goo, herbe potagère, qui produit
un fruit gluant (espèce d'althea).
Gore De Loup, plante dont la feuille
ressemble à celle de l'arum (arum
arisasum , L.).
Gosier.
Goùre, tâte, imp.
J'ai goûté.
Tu as goûté.
H a goûté.
GRAND.
GRANDE.
| GraPrE de raisin, de dattes, etc.
Gras, plein d'embonpoint.
Grasse, bien portante,
GRATTE, imp.
Je me gratte.
Tu te grattes.
I se gratte.
Nous nous grattons.
Vous vous grattez.
Hs se grattent.
GRÊLE.
GON-GRÉ
BERBÈRE
ER
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Bamic.
Bukouka.
Aghirdjoum.
Mud.
Mudigh.
Temdi,
lumdi.
Amoucran, moucran.
Moucrit.
Aghazou. sing,
Tghouza. pl.
Icoubbe.
Técoubbé.
Ekmuz.
Adkemmizagh.
Atekemnuzed.
Adikemmuz.
Adnekemmiz.
Atekemmizem.
Ekmizen.
20e
Abrouri. &) Dei
ARABE.
07
SD
GRE-HAB 83
BERBÈRE
FRANÇAIS. _—— - —__| ARABE.
TRANSCRIT.
GRENADES, fruit. Teroummanin.
GRENOUILLE, et aussi CRAPAUD. Moucourcour , ghour-
glour.
GRIGNOTE, imp. Ghazz.
J'ai grignoté. Ghazzagh.
Is ont grignoté. Ghazzen.
GROSSE MER. — La mer est grosse. | Lebhar mouccar.
GROTTE, caverne. Achrouf.
Guénis, recouvre la santé, imp. Ahl, ahlou.
Je suis guéri. Ahligh.
Tu es guéri. Tahlid.
I est guéri. Iahla.
Nous sommes guéris. Nahla.
Vous êtes guéris. Tahlam.
Îs sont guéris. Ahlan.
Guirare, à huit cordes de laiton”. | Eléoud.
— de Guinée; à trois cordes de| Kithara ghanawé.
boyau, d’une forme singulière, à
l'usage des nègres.
H
HaBiLce-To1, imp. Etlous thelebuk. ERE vas
DAAMOD CAE
Je m'habille. Adtelousagh thelebé inou. mo) En ms)
© ‘
DL 9 2
H s'est habillé. Litlous thelebes. pas ni
o COCA © LA
Nous nous sommes habillés, Netlous thelebennayh. Ë AS (so
* {y en a de deux sortes; une fort large, à manche droit, et l'autre à manche recourbé , depuis la première cheville jusqu’à
l'extrémité de la quatrième.
8/1
HAB-HÉR
FRANCAIS.
Hagir, vêtement.
Mes habits ne valent plus rien.
Ses habits sont propres.
Hacue.
Haxcues.
Depuis les lanches jusqu'à la tête.
HasarD (Par).
Je l'ai trouvé par hasard.
Hawr-Bo1s, à sept trous, dont le bec
est très-large.
HENNÉ (hawsonia inermis) ”.
HERBE FRAÎCHE ”.
L'herbe a poussé; tout est verd.
Herges de la campagne.
Herbes potagères.
Hérissox.
Nous mangeons les hérissons dans
notre pays.
Héritier. — Il a hérité.
Son frère est mort; il a hérité de lui.
* Poudre de la feuille d'un arbre de ce nom, qui donne une couleur aurore que toutes les femmes de l'Orient et de la Bar-
BERBÈRE
EEE —
TRANSCRIT, FIGURÉ.
© 29% , ESA
Thelebé, elbad. SUOI - xls
“ 2 PCA
Thelebé inou doulachit. AAA y 5 si) ARE
Thelebes tichbah.
Tighilzimt.
Imchachem.
Zigh imchachenak
iKhfik.
Timougharn.
Oufighth timougharn.
Alghaïatha.
Elhinni.
Errebiy.
Ehichour.
Alkhoudra.
Enisi.
sing.
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Iniswen. Be)
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pl.
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Nakni enich iniswen pers] é) -$
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Loureth. LS) pe
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rs ighmas ioureth |) y ueLs Se
z1q Luz.
=. >
barie appliquent sur les ongles, sur la paume de la main et sur les pieds.
#* Littéralement, le printemps, et, par suite, toutes les espèces d'herbes qui poussent dans cetle saison.
FRANÇAIS.
J'ai hérité de lui.
HERMINETTE, outil de charpentier.
Heure.
Une heure.
Un quart d'heure,
Demi-heure,
HiBou.
Hrer.
Hier, pendant le jour.
Hier, de nuit,
Hiver.
La mer est trop, grosse pour que nous
voyagions pendant l'hiver.
Homme.
Homes en général.
Hoxre , déshonneur.— C’est honteux.
C’est honteux À moi.
C'est honteux à toi.
C'est honteux à lui.
C’est honteux à toi, femme.
C’est honteux à elle.
A — à
HER-HON
BERBÈRE
ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Werthaghth.
Cadoum.
Teswià.
al leswià.
Terb en teswià.
Ighsim teswià.
Berdaghioul.
Ghidad , idyhan.
Idalli.
Lzerzen.
Chitwa zeman ousimmid. | X-aswo) Ye) lai
07,7 07 0# v 07
Lebhar mouccar en ne- ins OÙ pe >=)
safer era digh chitwa. ,9 jh
LS RS
ses
L2 Ce
Erghaz. 551
sing.
Irghazen. pl.
Mudden.
Delaûr.
Delaér fell.
Delaër felluk.
Delaär felles.
Delaär fellekim.
Delaûr fellam.
86 HOT-HYD
BERBÈRE
FRANÇAIS. ER The ARABE.
TRANSGRIT. FIGURE.
dr rOor © e%
C'est honteux à nous, hommes. Delaër fellanagh. AE
for © , o,
C'est honteux à nous, femmes. Delaûr fellagh. NCRCE
C’est honteux à vous, hommes. Delaûr fellakun. gæY ss
o © Fi ro 0 ,
C'est honteux à vous, femmes. Delaär fellakunt. AS LS
o / ro © 7%
C'est honteux à eux. Delaär fillasen. pa , LS
o © ro [9 171
C'est honteux à elles. Delaûr fillasent. cu HS
Hôre, personne que l'on reçoit. Inebqui. sing. ds)
o / £ 07
Inebgawen. pl. BA)
Hurze d'olive. Zeit. ES
of 07
L'huile est chère. Zeit iaghli. de Sy) AC easy)
y vd der =
Apporte de l'huile, que nous y trem- Awid zeit en nesèque. élus O) Ca No}
pions notre pain *.
0/0 Jp
Huîrres, coquillage. Aghoullal. JS)
0 #07 CA
Huwr, avale un liquide en retirant| Eskef. er") sw)
ton haleine, imp.
CAE nc
Humez le café, c'est-à-dire buvez le Sekfet elcahwé. 54) CAR ur Jon |
café.
84 À j
or © ) 7
J'ai humé. Sekfagh. Es Came
07 0 , Lé
Tu as humé. Tesekfad. ANNEE)
Ur 710
Il a humé. Liskef. CR)
GPO?
Nous avons humé. Neskef. BI 7e)
Vous avez humé. Tesekfem. DE
07 © 7
Ïs ont humé. Sekfen. oi
Fe 224 _
HyDROPISIE. Aththan. wub) p29 = ul
* Le repas ordinaire des gens de la campagne et des ouvriers de la Barbarie se compose de pain et d'huile mélée d’un
peu de jus de citron.
HYE-IL
FRANÇAIS.
FH est atteint d'hydropisie.
HYÈxE.
Icr.
Viens ici.
Iz, pronom de la:3° pers. sing.
Is, pronom de la 3° pers. plur.
NH fait.
1 achète.
ls se sont tu.
H ya, c'est-à-dire dans lui, dans elle,
dans eux, dans elles.
Notre pays est difficile; il y a des gens
qui ne craignent rien.
Nos montagnes sont bien cultivées; il y
a beaucoup de figuiers.
Oursel.
BERBÈRE
TRANSCRIT.
loudan «ththan.
sing.
Oursehn. pl
Gharda.
Esid gharda.
Neth, nithsa, 1.
Nuthi, iddawin ‘.
Neth adiskar, où sim-
plement adiskar.
Nithsa adiagh, ou sim- Ë 25)
plement udiagh:
Nuthni
simplement
sousamen ; ‘ou
Sousa-
men.
Dighi. dighisen: LAS -
+ 07
o , 2
Themourtennagh iouaûr ; JS Ë hs
dighis irghazén our 3 6 2
DISC
ESS
tesayhowwaden ara.
Idraren ennagh äamran ; ob Et) cb)
dighisen tinouklin athar.
ARABE.
| * Les pronoms neth, nithsa et nuthni peuvent se retrancher, parce que le {S ; qui se met au commencement de la 3° pers.
du verbe au singulier, et le Y qui se met à la 3° pers. du verbe au pluriel, sont assez caractéristiques.
88
ILE-IVR
FRANÇAIS.
La forêt est fort épaisse; il y a des lions.
H n'y a point.
Dans la maison il n'y a pas d’eau.
Dans la rivière il n'y a pas de poisson.
ILE.
Izricire, défendu par la loi.
ImaAGINE-To1, combine, imp.
J'ai imaginé.
Tu as imaginé,
H a imaginé.
Nous avons imaginé.
Vous avez imaginé.
Hs ont imaginé.
Imau , prêtre musulman.
Ils vous ont dit des injures.
INSTRUMENT DE MUSIQUE.
INTENDANT DE MAISON.
Iris, fleur des champs.
IvrOGNE.
Iurie-Le, dis-lui des injures, imp.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
s RS Dove
Amadagh ücwa nisha; Les ee AA)
dighi's izmawen. £
Oulachit.
Digh oukham oulachit Caaad Y à
eman.
Digh esif oulachit isil-| aa Y ol nas &>
man.
Tiznint.
Delharam.
Kouker, kitch.
Koukeragh.
Tekoukerad.
Tikouker.
Nekouker.
Tekoukerem.
Koukeren.
Amerabith, amcar.
Ergham felles.
Righman fellakun.
Hüaden.
Mucaddem boukham.
Berwac.
Liswa.
JAC-JEU
89
FRANÇAIS:
JAGINTEE, fleur.
Jazousre.
H est jaloux de toi.
Ne sois pas jaloux de moi.
JAMBE.
H s’est cassé les jambes.
JARDIN.
JARDINIER.
JARRE, cruche à deux anses, en
usage dans les ménages de la Bar-
barie.
Jasmin.
— JAUNE (Jasminum humile, L.).
— SAUVAGE, produisant une fleur
bleue.
JE, pronom de la 1° pers. sing. *
Je fais.
Jeu DE mAsarD, et tout jeu où l'on
peut perdre ou gagner de l'argent”.
BERBÈRE
Le —— = EE
TRANSCRIT. FIGURE.
Sunbul.
Hased.
Tihasidak.
Ouri tanasid.
Adar.
Idaren.
Lirza idarent's.
Elghalla.
Elghallawat.
Khadim n'elghalla.
Echmoukh, esaghoum.
Jasmin.
Aghroumi.
Sewak errahian.
Nek, nekini.
0,707
Nek ou Nekini adaskaragh, ESams) ass 5
ou bien adaskaragh.
Lekhoumar.
ARABE.
* Ce pronom se met ou se retranche à volonté, parce que le Ë qui se met à la fin d'un verbe, pour désigner la première per-
sonne, en tient lieu.
#* La loi musulmane probibe toute espèce dejeu , sans distinction.
90 JEU-JOU
BERBÈRE
FRANCAIS. nn —— ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Nous avons joué à un jeu de hasard. Nekhammar.
Hs ont joué. Khameren.
JEupr. Ghas elkhamus.
JEÜNE, imp. Zoum ketchini.
Je jeûne. Atouzamagh.
Tu jeûnes. Atouzamed.
I jeûne. Adiouzam.
Nous jeûnons. Adnouzam.
Vous jeûnez. Atouzamem.
"D
Hs jeünent. Adouzamen. STE
CE 2
J'ai jeûné, ete. Ouzamagh. &5s)
©
Jour, agréable. Del, ielhi, zerrighin. | 45 - 423$
2
© uw
DE
4
07 7 [2
tu es jolie, 6 f ! Delalikim ia themthout. Enr JS
Que tu es Jolie, Ô lemme aluium 1a themthou cybé DANCE
Joxc, sorte d'herbe de marécage, dont! Edlis.
on fait des nattes et des cordes.
Jour, la partie du visage qui prend! Oudum.
depuis les yeux jusqu'au menton.
JouE, imp. Ourer.
J'ai joué. Weraragh.
Je joue. | Adouraragh.
Ils jouent. Adouraren.
JouG, instrument qui sert à atteler Azaghil.
les bœufs.
Izoughla.
JOU-JUS 91
BERBÈRE
FRANÇAIS. RE ARABE,
TRANSCRIT. FIGURE.
Was.
Ousuan.
Le quart du jour, vers les neuf heures Azal.
du matin.
Le point du jour. TIghli was,
Le jour se fait. louli was.
Les jours sont devenus longs. Ousan ghouaft.
Jours courts. Ousan wesilt.
Juez. Elälim.
Jour. Oudeï.
Oudein. pl.
JUMEAUX. Akniwen.
3 > Lo l2
La femme a fait deux jumeaux. Themthout tourou akni-| 5355 ETS
wen.
JUMENT. Tequemert. sing.
Tequemerin. pl.
June, fais serment, imp. Ghall.
J'ai juré, j'ai fait serment. Ghoullagh.
Nous avons juré, Naghghoul.
H a juré sur ma tête. Lighghal soucariou.
Il m'a mangé mon argent; je l'ai fait
jurer. laghth.
| JusouA. Ar, er.
Jusqu'à présent. Er thoura.
92 LA-LAB
à
BERBÈRE
FRANÇAIS. EE — ——
TRANSCGRIT. FIGURE.
CRC TT
D'ici jusqu'à notre maison. Lisia er akhamennagh. gl) D) La
0,107 0010 47
Du village jusqu’aujardin. Zigh thedert ar werti. ds 5) SX S me)
L
LA, adverbe de lieu. Dihin.
Assieds-toi là. Sidaoun din.
Vous les trouverez là. Dihin toufamthen.
Le balai est 1à. Dihin timssalahat.
La, Les, pronom relatif régi par un| S, 4h, sen, then, tis,|- GS - os PCT
verbe. ats *.
Baise-la ; baise-le. Soudenith.
Je l'ai baisé, ou baisée. Soudenaghth.
H ne l’a pas baisé, ou baisée. Werth üsouden.
Je les ai battus, ou battues. Ouwitaghthen.
Je ne les ai pas battus, ou battues. Werthen ouwitagh.
Ne le fais pas. Our's esker.
Faites-le. Seleretits.
Partagez-le ensemble. Ebdoutits elwahid.
Je l'ai fermé, ou fermée. Righth, righd's ou righ-|-
tesid.
LABOURE, imp. Etkriz.
J'ai labouré. Kerzagh, kerzaghd.
* En berbtre, ces signes du pronom relatif sont masculins et féminins. Ils se placent à la fin du verbe, à moins que le verbe
ne soil précédé de la particule négative yo ou j5 Dans ces cas, ils se ent à cette particule. Les particules pronominales
dont on se sert le plus souvent sont @ et 5; on ne met le y» et Q@ qu'avec les verbes qui se terminent par un € ou
par un 5 et devant la particule négative.
LAB-LAN 93
BERBÈRE
FRANÇAIS. =
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Tu laboures. Tekerzed.
Il laboure. Likriz, ukrizd.
Nous avons labouré. Nekriz.
Vous avez labouré. Tekerzem
Ils ont labouré. Kerzen, kerzend.
LABOUREUR. Imkeraz.
Laine. Tadouth.
Lair. Aifhi, aghfei.
— AIGRE. Tighi, aghou.
Apporte du lait aigre, que nous y trem- Awid en neshef ighui.
pions (notre pain).
Lait de vache. Af hi en tefounes.
de brebis. Aifhi oulli.
de chèvre. À Aïfki en thaghat. seb Gi Lui
0/07 0/7
- de chamelle. Aïfki en telyhamt. Cas el srl
CIO ©
d'änesse. Aïfki en taghioult. ESRCE el Li)
0/07
caillé. Tedjlest.
— caillé, cuit avec du beurre, ce qui Teklilt.
fait une espèce de fromage
Larrron (sonchus, L.). Ibizdan.
LAITUE ROMAINE. Khas.
LAMPE DE TERRE. Missbahh.
LanGue. Ils.
L Ilsan.
94 LAR-LE
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
LARGE. Lisäa.
LAURIER (laurus victorialis, L.). Rend.
LAvaNDE sTÆCas (/avendula stœcas,| Elhan.
1
LaAvanDE (Grande) ”. Halhal.
LAVE, imp. Sired.
© / CA LA o De
y i i ifasinnew Lili &sS
Lavez vos mains. Siredet 1Jasinnewen. CE ess 2 Des
J'ai lavé mes pieds. Siredagh idareni. Es) ES
© BHO 71700)
H a lavé sa chemise de laine ou sa Lisirid tekandourti's. Qu) 9 ARS Du
veste de dessous. f
[2 PA LA 20%
La vieille a lavé ses hardes. Temghart teserid thele- Qué Symni C5 RÉ
2
be’s.
o, La , ” P.
Nous avons lavé. Nesared, nestred. D Am 5505
42 2 PP.
Vous avez lavé. Teserdem. AD yS
07
Hs ont lavé. Sireden. CDs
Le, Les, pronom relatif ”. Th, 5.
Then, sen. pl.
Je l'ai vu. Ezrighath.
Je ne l'ai pas vu. Werth ezrigh.
Our's ezrighd.
Je le connais. Sinaght.
Je les connais. Sinaghthen.
, 70 07 © 0
Je ne les connais pas. Werthen sinagh, wer-|(y—)» - Es 5»
then sinaghud. os
ACEE
LA
* Les femmes, en Barbarie, en mangent pour engraisser.
*“* Suivez la règle expliquée ci-dessus, pag. 92, pour les pronoms La, LES.
FRANÇAIS.
Je ne les connais pas du tout.
Je l'ai amené.
Je ne les ai pas amenés.
Nous ne les aimons pas.
Lenrize, légume.
Lenrisque (pistachia lentiscus, L.).
Graine de lentisque, dont les Berbères
de l'Atlas font de l'huile.
Lese, fais du tort, imp.
Je lui ai fait du tort.
J'ai été lésé”.
Lesr d’un navire.
Leur, LEURS, pronom relatif”
Leur maison (masc.).
Leurs cheyaux (masc.).
Leur habillement {fém.).
Leurs bracelets ( fém.).
Leur, à eux, à elles, pronom relatif] Adhasen.
régi par un verbe.
* Les Berbères ne connaissent pas de verbes passifs, ou, pour parler plus exactement, ceux qu'ils connaissent sont très-
LEN-LEU
BERBÈRE
pp À —
TRANSCRIT. FIGURE.
ff De
a = soi
Oursen sinagh era.
Onbighth. oubighthid.
70, Zo
/
erthen , wertheni doub- es 2SS _ O2
bigh.
Oursen nehammul.
MAUR UP)
Xe (ul
Telintit. CARS
Eldherou. ») NN)
Hab eldherou. DEN =
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Dourr. JS
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Nekini darraghth. CAS NS ane
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Nekini dourragh, mieux SSI à aS
dararen imaniou.
LA
#45 Lo
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Elahirich. CE ||
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Ennesen. masc GA)
5 ; 9 © 7107
Ennesent. fém. ERA |)
o rw ve
Atkham en’nesem. Qi) als)
022 2
laôou diwen'nesen. GMbrS pr
o © 2 tof Et
Thelebé en'nesent. Cum) AUS
Moukya sen'nesent.
mas. lol
Adhasent. fém. ere)
rares. En général, ils ont très-peu de noms abstraits, comme tous les peuples sauvages.
“* Lorsqu'il est annexé à un nom, on retranche souvent l’ j par euphonie, et le premier ml] devant le ré) final d'un mot.
95
ARABE.
ws
96 LÉZ-LIE
BERBÈRE
FRANÇAIS. —— | mms | ARABE,
TRANSCRIT. FIGURÉ.
77 0 07 0 7x
Je leur ai donné des figues sèches. Adhasen efkigh tazert. us))L5 end] gels) s
2 st Ne
Nous leur (à elles) avons ouvert la Adhasent nerra thabourt. cs, 5 cas)
porte.
= 6 0 , 2
Porte-leur (à elles) des dattes. e Adhasent awid tin. LS EN) CAM 5)
s o 0,7 u,
Lézarp, de la petite espèce. Tezermoumit. CAO 20 yS RAP 20 y)
2 20 CAM)
— de la grosse espèce. Aharboubou. nor DA
LIBERTIN. Damerioul. Jyanes èb
3 © 07
LIBERTINE, coureuse. Temrioult. ere |- FER EE
 A
RAS.
LiBRE ”. Amazirgh. sing. ED ST Le
o © La 0 7
Temazirqht. pl. CAS );Lé Dh)
o, PT 0 CP
Sais-tu la langue des libres, c'est-à-dire Tesnid awal en tema-| (y) Jo) Dai 5
des Berbères? — J'en sais un peu. zirght? — Sinagh|e , SE
imih. Éus — cas); Le
kyel
Licou. Sarimé. x£ yo
. d He 2 2
Lie, imp. Quinn. O L,)
À : PSE 7
J'ai hé. Quinnagh. ESS cab,
oo
Ils l'ont lié. Quinnes. LAS
» è AO) 2
Liéce. Fergennis. UE y
0707 © © Câ
LIEN. Eïcan. où) |[als, - aus
2077 Ld
Lierre, arbrisseau qui s'attache aux] Ezenzou. 25) AP)
arbres et aux murs.
CAT o "2
Lieu, endroit Adghar. les) TES
KR u rs ere
Le lieu est proche. Adghar jicarib. œ) Gy ,Lés)
* Dénomination dont s’honorent les habitants de l'Atlas.
FRANÇAIS.
Je suis allé à la chasse; j'ai tué quatre
lièvres.
LIMACE, LIMAÇON.
Linaire, plante (antirrkinum re-
Jlexum, L).
Lion.
Dans le Sahara il y a beaucoup de
lions.
Lir ÉLEVÉ et sofa.
— d’une natte et d'une couverture.
Livre de Dieu, le Coran.
Lors, lointain.
Je veux aller dans un lieu lointain.
Lowc.
LowGuE.
LoRSQuUE.
Lorsque nous aurons fini cette choselà.
Lorsque les filles auront dansé.
LIE-LOR
BERBÈRE
À
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Outhoul, outlul. sing. Jasol S ANA
Liouthal. pl. JB
217 SECTE
Rouhagh ghar siadè ne- esLiu 5 ES
ghaghad kouz ijouthal.| +, > or
one ii
Minghajoughlan.
Zehrawie,
zim - belhar. sing.
Izmawen. pl. Us)
Digh assahra izmawen uokesl 1,=<°1 >
athas.
Tekenna-tissi.
Tighirtis.
Kitab rebbi.
Tgough.
10%07 o ©
Righ endough ghar ad- Les) ,s DEL &
ghar igough.
Daghouziffan, ighzif.
Taghzift.
Ermi, thoura en.
2,7 22 0” 3
Thoura en nefouk tag- xos el Ski U} Las
haoussa taghi. 2
# 3 07 »
Thoura en thoulawin G—3 V5 U) Lo
chidhan.
2
ol De - wi [Isf - ous
97
98 LOU-LUN
BERPBÈRE «
FRANÇAIS. 7 mm | ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
o TM ) 7 L4 [27
Lorsque nous aurons fumé, nous man- Ermi neseuv doulhan en os ts 5)
gerons. niteh.
Lovr et chacal. Wechen. sing.
Wechanen. pl.
Lui, il, pronom de la 3° pers.” Nithsa, inithsa nitha , ei. Lis - Luigi) < Luis
Nithsa adisker, où adis-|- >=)
ker, ou sekerethinithsa.| o >,
Lui, régi par un verbe, subst. S, adhas.
Dis-lui. Ine's.
On lui a donné la bastonnade. Efkane’s thighrit.
4 07
Nous lui avons fait un bon régal. Adhas nesker imensi de- Pr) ne usis)
léli.
als
Je lui ai pris son mouchoir. Adhas oughaghd temha- Docs à pe
remb's. 22
LuMIÈRE. Wech.
© 24 07
Lumière du soleil. Wech en tefoukt. - ee 5 ei Us
des étoiles. Weckh en ithran. na) … LS
Ghas el ethnein, was el ie 1 EN ne
ethnein. uv ve
BU]
LuüNE. Tizini. &y2S
NUE
La lune se lève. Touli, toulid tiziri. Sr Ne = dy5
* I s'emploie ou se retranche à volonté, si ce n'est lorsqu'il s’agit d’une démonstration particulière.
LUP-MAI
BERBÈRE
FRANCAIS.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
© Le
La lune se couche. Ataghlid tiziri. ST XNAkss)
Lupin, pois plat et un peu amer. Tedjilbent.
LUZERNE. Lacourt.
M
Ma, MON, MES, pronoms possessifs| Jnou,inou sans élif, tou.
de la première pers. sing.
Ma maison. Akham inou.
Mon pays. Themourtinon.
Ma tête. Ikhfiou,
Mes frères. Athmatheniou.
Mes pieds. Idareniou.
MaceroN (smyrnium olusatrum, L.). Timacssin.
Macon. Benna en akham. sing.
Bennain en tighimmi. p.
MaGicieN, sorcier. Eshar.
. 07 o o 0
Cet homme-là est magicien; il peut Waghi eshar üzmer en| Q} 7-25 JE So
faire descendre la lune du ciel. üres tiziri zigh thigh- ‘.
ca u = °,
nan. 2) SES ur
MAIGRE, mince. Duracac. masc.
204
ROZ
Teracaqt. fém. CASS),S
A ER Ve
Son épouse est maigre; elle n'est pas Tislitis teracaqt oulachit ca is), pas
du tout jolie. telhi era. 2
jj 26 CAM Vs
99
100 MAI-MAL
BERBÈRE
FRANÇAIS. D
TRANSCRIT. FIGURÉ.
CE 772
Maux. Efous. sing. umss)
© LA
Ifasen. pl. des)
07 _ PA
H s’est coupé la main. Libi efousenen. TA] =
LA
Q Pr ga 2
Lave tes mains, Sired ifasenak. dliulii De
CHE 725 )
Les deux pleines mains. Ouraoun. usbs
270320) '
Prends-en tes deux pleines mains, Tchar ouraounik. dsohol LS
LA)
MAINTENANT. Thoura. Do5
Maïs, blé de Turquie. Akbel. XS}
o Ar
Maisox. Akham, tighimmi. s. cars - AL)
Ikhamin. pl. els
GE 2
Mazane. Toudan. ue
J'ai dE malade à la mort pendant Nekini helkagh summus | (#6 ke GAS
quinze jours. demrau wesen. o ,, o 0,
O3 ses
°, OC)
Son frère est dangereusement malade. Doughmas jehlik. COUV UML» >
Maz capuc. Amour. pl
22 9 . 4
I est sujet au mal caduc. loughith twamour. J#e CARE pe
MazGré. Istimera. ul
leré : . GEATE KG j
Malgré lui. Istimera fell's. unis Dean)
BE pu
Iharrek istimera fella-
nagh.
I est parti malgré nous.
DE LL Q QE Ce
Sekeraghth istimera ghaf CiS Léul CAS au
Je l'ai fait malgré le cheikh.
amoucran, 22%
uit)
MALHEUR. Lehadt.
o # 07
MALPROPRE. Erkan. ul)
ARABE.
A
FRANÇAIS.
Mance, imp.
J'ai mangé.
Vous avez beaucoup mangé,
Hs mangent du couscoussou,
Apporte à manger.
Mawçcer (Le),
ManrTeau, de laine noire.
—, de laine grossière et à rubans de
diverses couleurs.
Mawrècue, beurre fondu et salé.
MAQUEREAU.
MarcHAND, trafiquant.
MARCHE, imp.
J'ai marché.
Tu as marché,
I a marché,
Nous avons marché,
Vous avez marché,
Ils ont marché,
MARCHE DONC, avance.
Maropi.
MARÉCHAL FÉRRANT, qui panse les
chevaux.
{
MaAnïAGe.
Marie (La).
MAN-MAR
BERBÈRE
À
TRANSCRIT:
Lich.
Tchagh.
Kunuwi tatcham athas.
Nathni attchen suksow,
Awid en nüch. |
Outcha.
Silham,
Takhnift
Oudi.
Dejout-acran,
Musebbib.
Eddou.
Eddough.
Tededdou , tededdoud.
Ideddou.
Nededdou.
Tededdoum,
Ededdoun.
Az aghirzat.
Thabib ouweisun,
Nikah.
Tisht.
FIGURÉ.
101
102
FRANÇAIS.
en |
La mariée a été dépucelée.
MARIE-TOI, imp.
Je me suis marié.
Tu t'es marié.
Il s'est marié.
Nous nous sommes mariés.
Vous vous êtes mariés.
Is se sont mariés.
MARMITE, de terre.
La marmite avec sa passoire, pour faire
le couscoussou.
MarMiTE, de cuivre.
MARRUBE PUANT (bullota nigra, L.).
MARTEAU.
Masric (pistachis lentiscus, L).
MÂT, d’un navire.
Leur mât s'est cassé.
Mareras, pour un grand lit.
—, pour une seule personne.
Marx (Le).
Mavvais, ce qui ne vaut rien.
MAR-MAU
Trith ou dirith.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Tislit tekchim. Fe Enghuns
Erchel. N si
Rechlagh. di
Terchel, terchélud. NE SES
Lirchel. À _.
Nerchel. À s
Ni de
Rechelen, rechelend. SAS ile
Thesilt. sing. Eh
Thisilin. pl «Has
Thesilt ak dou souksud. [55 JT is
Tanghoult. hs 5
Meriwed. S$27S
zdouz. 5 St
El dherou. LA
>,
Wechghou. as
lirzasen wechghon. mes se
Madrabe. Fe
Mathrah. “Le
ee: me)
ARABE.
—_——————|
2
DD)
MAU-MEN 105
BERBÈRE
FRANÇAIS. _ à
FIGURÉ.
TRANSCRIT.
Mauve, herbe. Medjir. JE
MécHanT, pervers. Duharami-aghdar.
Akluir.
MEILLEUR, mieux.
Le sucre est meïlleur que le miel. Essukker akhir en tha-|(y
memt.
RO IORE
Le mulet vaut mieux que le cheval Eserdoun akhir ou âou- ii Dee
dans les montagnes. diou ghaf edrar. DEN
obsi LR me
07 © 0-0 ES
L'homme est meilleur que la femme. Erghaz akhir en them- O} FR)
thout,
007
Mère, mélange, imp. i Sakhlad.
J'ai mêlé.
Sekhaldagh.
Tu as mêlé. Teskhaldad.
0/07
T1 a mélé. Lisakhlad.
/
0077
Nous avons mêlé. Mesakhlad.
Vous avez mêlé. Tesakhladem.
Ils ont mêlé. Sakhalden.
(° 100 (RE MER] 0/7
Méle de la farine avec du lait aigre; Sakhlad aourn ouk dighi dj cs) As
apporte que je mange. awid ad tchagh. RARE
dd 5) ou) >
o 24 210%
Méuier, plante (cerinthe major). Amzough echcheikh. gs) #2) aä\ US»
o D 2 5 224 :
MELocura, plante gluante dont on| Muloukhiet el wasfan. uLteosl RS po rx RM
fait beaucoup de cas en Égypte,
en Barbarie et en Nigritie.
© 0 » g
MENSONGE. Tikerkas. PAST PRES
CARTES CEST 4
Toutes ses paroles sont des mensonges. Akk avalis tikerkas. Vu Las us jo) oi
Rs Le. .". |
104 MEN-MER
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
© °, MAT
Ce que tu dis est un mensonge. Waghi wein tennid tiker- Ni G—22 &ls
kas.
MENTEUR. Liskidib.
. J'ai menti. Sekhiridagh.
Tu as menti. Teskhiridad.
I a menti. Liskhirid.
Nous avons menti. Neskhirid.
Vous avez menti. Teskhiridem.
Hs ont menti. Sekhiriden.
Menrue. Naëänäu.
— verte (mentha viridis, L.). Züäathar.
— aquatique (mentha aquatica, L.).| Feliou.
— à feuilles rondes (mentha rotundi-| Eddoumran.
folia, L.).
MENTON. Themert. sing.
Themertin. pl.
MENUISIER. Anzar.
Mer. Lebhar.
La mer est grosse aujourd'hui, Essa lebhar mouccar.
MERCREDI. Ghas, ou was el erbda.
MercuRieLLE (mercurialis perennis). | Touchanin.
MERDE. Izzan.
BERBÈRE
FRANÇAIS. RE ——
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Temma.
Temmat.
Ma mère. Temmau.
. Sa mère. Temma s.
Leurs mères. . Jemmat ennesen. masc.
lemmat ennesent. fém.
Merze, oiseau à plumage noir et à| Ahgiamoum, thauthawa.
bec jaune.
Thgiamoumen.
MEsuRE, imp. Eful.
Mesure deux pics (deux coudées). Î Eküil sin ighalin.
J'ai mesuré. Ketelagh.
Tu as mesuré. Tektelad.
Hs ont nr Ketelan.
MérTrer. Thalouft.
. Mers, imp. Sersi.
J'ai mis. Sersagh.
Tu as mis. Tesersid.
H a mis. lisersi.
Nous avons mis. Nesersi.
Vous avez mis. Tesersidem.
Ts ont mis. Sersüen.
© © 070 ,07
Mint. Tezwarnen , ighsim was, | jus Fr) - ROUSS
ammas newas.
He) à
105
106
MIE-MOI
FRANÇAIS.
Mic.
Mieux, il vaut mieux.
Micre.
Deux mille.
Dix mille.
Mizzion.
Mur.
Mrrorr.
Petit miroir à coulisse.
Moezze (La).
Mor, le premier pronom personnel.
Moi, homme.
Moi, femme.
Moi, je l'ai fait.
Pour moi.
Moineau, oiseau couleur de terre.
Mois LUNAIRE.
Le mois lunaire est fini.
MoïssoNXE, imp.
BERBÈRE
mm
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Thamment.
Touf.
Ifid.
Sin ifdan.
077 g ' op 4
Merau 1fdan. El 5yS À
£ / / PR
Merau miet ifdan. BE) ke sie [Xe 82s ||
Ammas n’id, ighsim id. A Û SENS L&T f RS Ë
q Mo) UN A
El miri.
“hr
Tesmacalt.
Adÿf.
GA$ - dus - db
JET
oi, 2 04
Nek, nik, nekini seke- ASS - dé - dd
Nelkini themthout. Es
raghth.
Neck, nik, nekini.
Nckini erghaz.
Ghaf imaniou.
aus
Aiour, aghour. sing.
Aiouren, aghouren. p.
Zemmout waiour.
Emguer.
MOI-MON 107
BERBÈRE
FRANÇAIS. nn
TRANSCRIT. FIGURÉ.
J'ai moissonné. Megueragh.
Tu as moissonné. Temguered.
Il a moissonné. Ilimquer.
Nous avons moissonné. Nemquer.
. Vous avez moissonné. Temgueren.
Is ont moissonné. Mequeren.
MorssONNEUR. Imgueras.
2
Mormié (La). Ezquen, ighsium, ammas. LAIT pusi _- oi
A
La moilié du chemin. zquen bou berid. LE LA wo)
Donne-moi la moitié de.ton pain. Efkü ighsim boughrou- PTE ner)
mak. 20 5
élesysse
w CP2 =
J'ai mangé la moitié du melon d'eau. Tchagh ammas en bat- ab el yes 1e
thikh.
Morëne, bouillon blanc (verbascum| Salih lil dagh.
sinuatum , L.).
MomenrT, un moment. Teswiat.
Un petit moment encore. Teswiat akka.
Moxpe, troupe de gens, subst. Mudden, el ghachi.
MonraGxe. Edrar. sing.
Ouderar, idourer. pl. So) are 5)
2 4e 2
Les hommes qui vont à la guerre dans Mudden adalien digh ou-| 5 els) UN
les montagnes ont beaucoup à souf- derar adinnaghan em-| # > »
frir. chaca athas fellasen. n 2$
Rte
Monte, imp.
108
FRANÇAIS.
Je monte.
Nous montons.
Ïls montent.
Monrre, petite horloge.
MonrRe, fais voir, imp.
Montre-moi.
Je lui ai montré ma maison.
Il m'a montré sa lettre.
Nous leur avons montré notre jardin.
Ils montrent leur derrière.
Morceau de pain.
— de viande.
— de racine d'arbre pour le feu.
— (Un petit), un petit brin.
Morr, il est mort.
L'homme est mort, allons-nous-en l’en-
terrer.
La femme du cheikh est morte; appe-
lons les femmes pour la laver.
Morrier.
Moucxe.
MON-MOU
BERBÈRE
EE fr —
TRANSCRIT, FIGURÉ.
o , oO
Adeliagh. eWis)
20
Adnouli. d55)
2, ,/Z 0,7,
Adoulien, adalien. els) _ cols)
Mounghala.
Siken.
Siinu.
Siknigh akhaminou.
lisikna beraielis.
© 7 PDC) pe
Adasen nesiken el ghalla- D o—4s}
nagh. 07 //0/
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Copa À CVS
Q/= U 307
zdouz -aferdou. 5578) - 5955)
sing.
pl.
MOU
FRANÇAIS.
Movucue d'âne.
Moucuorr.
— de soie.
Porte-moi un mouchoir que je m'es-
suie le nez, que je me mouche.
Moups, imp.
J'ai moulu.
Tu as moulu.
Il a moulu.
Nous avons moulu.
Vous avez moulu,
Ils ont moulu.
Apporte le moulin, que nous mou-
lions.
Mourrié.
Le berger s’est mouillé.
Nous nous sommes mouillés.
Vous vous êtes mouillés.
Ils se sont mouillés.
Moures, coquillage.
Movzin à farine, qu'on fait tourner
avec la main, ou tout autre mou-
lin qu'on fait aller avec des ani-
maux.
Mouzix à eau.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
x 2 0 7
Izan boughial. Jus will
Temharemt.
Sibniel.
L2 o 9 #0
PT ST
Awid temharemt adssafa- | a; 5 à)
dagh enzerniou. TA £
455) ENkeST
07
Ezd. 55)
Zadagh. ES
Tezed.
lized.
Nezed.
Tezedem.
Zeden. US)
D 07 00 7 0
Awid thesirt en nezed. |555 o) L5 pus SE)
Tubzik.
Amiksa übzek.
Nukni nebzik.
Kunui tcbzikem.
Nathni bisken.
Serenbak.
Thesirt.
Thesirt bou eman.
109
ARABE.
110 MOU-MYR
a —
BERBÈRE
FRANÇAIS. ——
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Moustacne”. Chilaghoum.
Wechnaf.
MourTanpe, plante (sinapis arvensis, L.).
MouTaRDE ”. El kercaz.
Mourox ENTIER el non châtré. {Voy.| Ikerri. sing. sy) LAS
BéLrer.) ae 4
Ikraren.
Mouzouxe ‘”, Mouzoun.
Muer.
Dabukouch, aghnau.
Muze. Taserdount. sing. cais> us AS
Tiserdiatin. pl.
’
Mule craintive, qui craint. Taserdount toughad. NÉ 55 CA 5
— ombrageuse, qui se fait des fan- Taserdount tetlihaiel.
tômes.
0 0107
Muzer. Aserdoun. sing. UsS ya)
Tsirdian.
pl.
MuraiLzzes d’une ville ou d'un chà- Aghadir. D ST Dans
teau, remparts.
Muserre, sorte de cornemuse. Tachoullith, tailouth. LL - LIN, son)
. . OAI DUR
Le berger s'en va, portant la musette Amikse tideddou, dewas uses 55 Vase)
sous son aisselle. tachoullith. A
e
PA
N'
MusuLMaNs. Insilman. à Kusi
© 20 y © ,
MYyRTE (myrtus communis, L.). Rihan chelmoun. LM V0)
LA
* Les Berbères, en général, ne portent que la moustache , et point de barbe.
** Composition faite de sénevé broyé qu'on détrempe dans du vinaigre ou dans quelque sirop.
*#* Pièce d'argent mounayé de Barbarie, valant environ trois sous.
FRANÇAIS.
Narcisse à bouquet (narcissus tazetta,
Fo).
Nate, tissu de paille ou de jonc.
Faiseur de nattes; il fait des nattes.
Naver.
NE, particule négative”.
Ne fais pas.
Ne dis pas.
Ne le fais pas.
Ne le dis pas.
Je ne le connais pas.
Il ne les a pas vus.
I ne m'a pas donné.
H ne vous battra pas.
Je ne t'ai pas baisé.
N ne t'a pas écoutée, toi femme.
Je ne vous aime pas.
Ils ne vous ont pas prise, vous femme.
NAR-NE
BERBÈRE
ARABE.
TRANSCRIT, FIGURE.
N
Tikhloulin en nebi.
Tagharthile. sing.
Tighirthial. pl.
Lisker tighirthial.
Tequequirt, terkem. s.
Tiquiquer, terakinun. p].
Our, wer.
Our esker.
Our in.
Ourth esker.
Ourth in.
Werthen sinagh.
Werihen üzra.
Ouri efka.
Ouragh üket.
Werk sondenagh.
Werkim üsla.
Ourwen hammelagh.
Werkunt taifen.
* On fait suivre cette particule , comme en français, du pronom personnel,
112
NÈF-NOE
FRANÇAIS.
Is ne vous regardent pas, vous femme.
NèrLe, fruit de néflier.
NèGre, esclave ou libre.
NÉGRESSE.
NEIGE.
Nevur, nombre.
NEz, narines.
Ni, imp.
J'ai nié.
NH m'a nié.
Noces.
T1 faut que nous fassions la noce; nous
y appellerons des convives qui feront
des décharges de fusil ; nous leur don-
nerons un bon festin; après cela, les
joueurs d'instruments passeront la
nuit auprès de nous à jouer.
Nœup, enlacement d'une chose
pliante.
BERBÈRE
nf
TRANSCRIT. FIGURE.
Werwent admouclan. >) emo ,
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ARABE.
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FRANÇAIS.
Délie le nœud.
NoœuD cOULANT.
Norr, de couleur noire.
Noire.
NoiseTTeE.
NomBriL.
Now, Now.
NornE, Nos, adjectifs possessifs.
Notre frère.
Notre sœur.
Notre maison.
Nos bœufs.
Nos chèvres.
NouRRICE.
Nous, pronom de la 1" pers. au pl.
Nous, hommes.
Nous, femmes.
Nous rions.
* Nukni et Nukunti peuvent se retrancher, puisque le nom qui précède le verbe est affecté du signe caractéristique de la
NOE-NOU
113
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Efhi tikrest.
Thüersi. sing.
Thüersiwen. pl.
Dabrikan , inghal.
Tebrikent.
Likirgha.
Thimit, tedjiaäbout.
Emdeh, houhou, wayt.
Nagh, ennagh.
7. 72
Douyhmenagh, dighma- ebLses = ACTE
nagh.
Weltmanagh.
ARABE.
FIGURÉ.
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Akham ennagh, où akha-|- 1] DA)
mennagh.
Izgharennagh.
Thighatenennagh.
Terdäat.
Nukni. masc.
Nukunti. fém.*
Nulni dirghazen.
Nulkunti thilawin.
Nukni ad nedis. masc.
première personne du pluriel dans tous les temps.
AA
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DISEASE
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Gr
i14
FRANÇAIS.
Nous rions.
Nous, régi par un verbe.
Ton frère nous a envoyé un agneau.
H nous a dit.
Ne nous quitte pas.
Nous, régi par une préposition.
Avec nous.
Auprès de nous.
Au-dessus de nous.
Au-dessous de nous.
Nouveau.
NouvELLE LUNE (litléralement la nou-
velle lune paraît).
Noyer.
Nuaces.
Nuages qui portent de la pluie.
Nuir.
Cette nuit.
J'ai veillé Ja nuit.
Le cheikh nous a donné deux chevaux.
NOU-NUI
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
7
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Amoucran adhagh üfka Les "5 Lire)
sin iaoûdiwen.
Nukunti ad nedis. fém.
Adagh, agh, gh.
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Nithsa üinnagh. ès LE
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SRE
Ouragh edgi.
Ennagkh, nagh.
Akidennagh.
Ghournagh. cos
Sou/ellanagh. Eu
Dewanagh. AUS
Dadjédid. SN ER
07 >)
Toulal waiour.
lat tetsewikt.
Esighna.
Esighna bou eman
Id. sing.
Idad. Pl.
Ida.
Nekini cassragkh id.
FRANÇAIS.
Nous avons veillé la nuit.
Tu n’as pas dormi la nuit passée.
Cette nuit, il fait obscur.
Passe la nuit.
Je passe la nuit.
Tu passes la nuit.
Il passe la nuit.
Nous passons la nuit.
Vous passez la nuit.
Is passent la nuit.
NuQue, la partie de derriere le cou.
OBscuRITÉ.
OEur..
— de chat.
Les yeux de cette femme brillent
comme deux étoiles.
Le blanc des yeux.
NUQ-OEI 115
BERBÈRE
Re —
TRANSCRIT. FIGURE.
a ,, 07 eo?
Nulni nacssar id. 5) pes ss
OM CNE 5) Z
Ketchini our tathssad ida Nes 2) es
nu
izerien.
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0 7
Ida tellest, ida telles. 1S$ = cms js)
Ens.
Adinsagh.
Atensad.
Adiens.
Adnens.
Adlensem.
Adiünsen.
Emghard.
(0)
Telas.
Thith. sing.
Thithawin. pl.
Ellin. (plus usité.)
Thath bou emchich.
Ellin en themthont taghi 36 Eu si oki
alseraghan enicht sin
tthran.
Emellal en thith.
116 OEI-ON
BERBÈRE
FRANÇAIS. EE
TRANSCRIT. FIGURE.
Le noir des yeux (la prunelle). Ebrikan en thith. Las U) ox
0 0 27 0/7 ©
OErz-ne-poeur, plante (buphtalmum| Tefkerount. CNET E RASE
maritimum, L.). NOT
ny
(2
OEcur. Themellet. sing.
Thimillalin , thimillin,|- ME - GINE
tighlun. pl. o
Lite
PR
# rs + 07
Fais-moi cuire des œufs, que je mange. Eskerii themillalin edou- EN 37 =)
bent adtchagh. DEN 8, ne
gs) ET
© 2
ces OL
©
Ze
Pour moi, les œufs sont préférables au Ghouri tighlün akhür en pu
couscoussou. suksou.
Orr,, oiseau plus gros que le canard.| Lübrac.
O1GNon. Ezlim. sing.
Izlimin. pl.
Oiseav. Afroukh. sing.
Ifrakh, ighdad. pl.
L'oiseau a volé. Afroukh ifigh. és 25
Les oiseaux ont volé. HT ee)
uw 29)
OL1ve. Ezemmour, acain ezzit. es] bles)
Ozivier. Tizimrin, zebboud). ns _ ns
OmBELLIFÈRE (famille de plantes). ET kelakh.
Omsre, ombrage. Amalou.
Ov, pronom indéfini. Mudden.
On a fait. Mudden sekeren.
LEE TR
ONC-ORP 117
BERBÈRE
FRANGAIS. ARABE.
TRANSCRIT:.
On dit. Mudden adinnan.
Once :. Taouquit.
ONGLE PATERNEL. Aûâm.
— MATERNEL. Khal.
: pe HE g C7 7
Mon oncle paternel m'aime. Aäémmü thammelii. he A1
o LO 0 707 7
Notre oncle paternel s'est marié. Khalennagh trchel. My ile
u
Oxcze. Ichir. sing.
Icharen. pl.
Tan demrau.
Wirgh, wircq.
OREILLE. Amzough. sing.
Imzoughan. pl.
ORFÈVRE. Eskak.
Or GE. Thimzin, toumsin.
L'orge a poussé. Thimzin ekirint.
La farine d'orge. Aouren bou thimzin.
À LES SR
Dans nos montagnes, nous-ne man- Digh ouderarennagh, our| y» E-S)b5s &°2
geons que du pain d'orge. adnütch echad enough 67 © ve
roum bou thimzin. el SL) as}
oi » nr!
OrNé. Tuchbih:
ORNÉE. Techbihat.
ORPHELIN. Daghoujil. sing.
Dughoujilan. pl.
* Pièce de monnaie de Maroc, valant quatre mouzounes, environ douze sous.
118
FRANÇAIS.
ORPHELINE.
ORPIMENT .
ORTIE.
Os.
- H s'est cassé les os.
Oseizre des prés (acelosa pratensis, L.).
OTE, imp:
J'ai ôté mes habits.
Il a ôté ses souliers.
Is ont ôté leurs manteaux.
Ov, conjonction alternative.
Bien ou mal.
Le cheval ou le mulet,
Où, adverbe de lieu,
Où est le cheikh?
Où est ton filsa
OvguiE, imp.
N'oublie pas.
ORP-OUB
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Teghoupilt.
Teghoujilin.
Dehebie.
Azikdouf.
Ighas.
Ighsan.
Lirza ighsane's.
Tesemmoumt.
Ekis.
Eksagk thelebe inou.
Lihis thisile's.
Eksan abidi ennesen.
Nigh.
Trwa nigh akhchin.
Eïs nigh aserdoun.
Mendha.
Mendha amoucran.
Mendha mimnuk.
Etsou, telou.
Wer elsou, our letou.
* Dans tout l'Orient et en Barbarie, on le mêle avec un peu de chaux et avec une terre glaise nommée tifl; les femmes
s'en servent pour faire tomber le poil des aisselles et celui des parties sexuelles. Les juifs font aussi usage de celte même
composition pour s’épiler la barbe dans les endroits où il leur est défendu de passer le rasoir.
OUI-OUV 119
BERBÈRE
FRANÇAIS. + ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
J'ai oublié. Etsough.
Tu as oublié. Tetsou.
Il a oublié. Litsou.
Nous avons oublié. Nitsa.
Vous avez oublié. Tetsam.
Ils ont oublié. Etsewen.
Our. Enaäm, iah.
Oui, ma mère. Tah iemma.
Oui, mon ami. Ena am dameddakuli.
Ourre pour l'eau, ou pour tout autre Aidid. sing.
liquide.
Aïdiden. pl.
— faite d’une peau de gazelle ou de| Tichchoulad, tülwin.
chevreau *.
Ouvre, imp. El eldi.
N'ouvre pas. Our elli.
J'ai ouvert la porte. Elligh thabourt.
Tu as ouvert la fenêtre. Tellid sardyiam.
H a ouvert sa tabatière. Iilli thacarour t's.
Nous avons ouvert. Nelli.
Vous ayez ouvert. Telliem.
Ils ont ouvert. Elliien.
* On y renferme des grappes de dattes ou des provisions de voyage.
120
PAC-PAN
FRANÇAIS.
Pacte, accord.
Parzre de froment.
— d'orge.
Paix.
Femme, pétris le pain.
Tourne le pain dans le four ou dans la
casserole.
Le pain est levé; porte-le au four, pour
qu'il se cuise:
Le pain s’est tellement moisi qu'il est
devenu vert.
Paix de beurre, ou pot de beurre.
— de pourceau, plante (cyclamen).
Paire, couple.
Une paire de chevaux.
Une paire de mules.
Paix.
On a fait la paix.
Panais SAUVAGE, plante.
PANIER DOUBLE, qu'on met sur l'âne
ou sur la mule.
PANTOUFLE.
BERBÈRE
mo
TRANSCRIT. FIGURÉ.
————
Oughri.
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Elim.
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Ough aghroum à ia them- nes bass) &)
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Aghroum , oughroum.
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Thewarecht aboudi. «> ETAT
Elhadibi.
Sin.
Sinat.
Sin eisen.
Sinat tiserdiatin.
Lehéné.
Sekeren lehéné.
Thimiksimin.
Ezenbil.
Idoucal.
PAP-PAR
121
FRANÇAIS.
Parier.
Le papier boit.
PAPILLON.
PAQUERETTE ANNUELLE (bellis annua,
L.).
Parapis, le jardin céleste.
Parpon.
J'ai pardonné.
Tu as pardonné.
Il a pardonné.
Nous avons pardonné.
Vous ayez pardonné.
Ils ont pardonné.
PARENTS.
Mes parents.
Nos parents.
PARESSEUX.
C’est un paresseux, un vaurien, qui ne
travaille jamais.
Pare, converse, imp.
J'ai parlé.
Tu as parlé.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ,
Elkaghad.
Elliaghad ioulihrue.
l'erthouthou.
Wemilan.
Eldjennet.
Semah.
Semahagh.
Tesmahad.
lismah.
Nesamih.
Tesamaham.
Semahan.
Oudmen.
Oudmenü.
Oudmennagh.
Taäghiz.
[2 2 CB
laäghiz doulachit our pol CAVE S 5e
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* LA F1
Imsilai, etimsilai. «> eh Æ EE)
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Mesilaiagh. Eu
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Temsilaied. NM h
ARABE.
122
FRANÇAIS.
H a parlé.
Nous avons parlé.
Vous avez parlé.
Hs ont parlé.
Is parlent ensemble, et l'un n'écoute
pas le discours de l'autre.
Parmi.
Parmi nous.
Parmi les vaches.
Parmi la foule.
PAROLE, discours.
Pars, imp.
Je suis parti.
Tu cs parti.
Son frère est parti.
Nous sommes partis de Biscara l'an
passé.
Vous êtes partis.
Hs sont partis.
Je partirai après-demain,
PARTAGE, imp.
Partager.
Partagez-le entre vous, fémmes.
Ebdou.
PAR
BERBÈRE
© —
TRANSCRIT, FIGURÉ.
nt
limsilai.
Nemsilai.
Temsilaien.
Mesilain.
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sila niden.
Ghouighara, ghaighara. |
Ghouigharennagh.
Ghaïighara tefounasin.
Ghaighara mudden.
Awal, emsila.
Harrik.
Hurrikagh.
Teharrikad.
Ighma's üharrik.
Neharrik zigh Ben 5
esoughasa taûdden.
Teharrikem.
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ARABE.
PAR-PAS
FRANCGAIS.-
J'ai partagé.
Tu as partagé.
H a partagé.
Nous avons partagé.
Vous avez partagé.
Ils ont partagé.
PARTIE SUPÉP:EURE du corps humain,
depuis les hanches jusqu'à la tête.
— INFÉRIEURE du corps humain, de-
puis les hanches jusqu'aux pieds.
PARTIES NATURELLES de l'homme.
— de la femme.
PAssERINE VELUE (passerina hirsuta ,
L.).
Passe la rivière, imp.
Passons la rivière.
J'ai passé la rivière à pied.
Hs ont passé la rivière à cheval.
Passe la nuit à veiller:
BERBÈRE
RÉ LC er —
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Bedigh.
Tebdid.
Tibda.
Nebda.
Tebdam.
Bedan.
Ghachghouch.
Emsel.
Abbouch; echilloul, äftal.
iflalin.
Ahatchoum. sing.
Thattchounin. pl.
Mithnan.
Ezqhur esif.
En nezghir esif.
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Zighragh esif ghaf idar-| is ira) 25
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Zagharan esif ghaf ia-| Lis ira) OS)
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Acssar id.
123
ARABE.
16.
FRANÇAIS.
Nous avons passé la nuit auprès de lui.
Ils passent la nuit à danser.
Ton père est malade; je passerai la
auit auprès de lui avec toi.
Passe la farine.
Je l'ai passée.
Passe-Lur sa faute, pardonne-lui.
Je l'ai passée, je l'ai pardonnée.
Passoire, où on fait le coucoussou à
la vapeur de l'eau bouillante.
PÂTE, farine détrempée avec du le-
vain, et pétrie.
Prends de la farine, fais de la pâte.
Paume de la main.
PauME, pour jouer.
Jouons. à la paume.
PAUPIÈRES.
Pauvre.
Pays.
PAS-PAY
BÉRBÈRE
— of — ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Daghallil. sing. MIS | este - is
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Thamourt , themourt, EL = cypé- cs, 4Ë aÿs
asaka, ayt. sing. —
Thimoura. pi. sË
FRANÇAIS.
Cette année, on a cultivé tout le pays.
Peau de bœuf, de chameau, de mou-
ton, elc.
— de chevreau, de gazelle, d'agneau.
— de moulon‘.
— de l'homme.
La peau me démange.
Gratte ma peau, gratte-moi.
Pècue, fruit du pêcher.
PEIGNE.
PELLE, instrument
pour remuer
quelque chose.
Pecoton de fil.
Penpanrs d'oreilles.
Pépis, et tout noyau de fruit.
PErDRIx.
Allons à la chasse de la perdrix.
PEA-PER
TRANSCRIT. FIGURÉ.
DA 0/0 7 Op
Mudden kerzen themourt OT ST CA
akk esoughasa.
Aghoulim.
Tghoulman.
Eïlou.
Iloin.
Anemsir.
Ilem, aksoum, ouber- Joe ni f]
ghaz aghoulim, ou-
berghaz.
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PE ei
a
% yo.
Licheii aksoumiou,
Ekmiz aghoulimiou.
Khoukh.
Thimchuth.
Limarouch.
Tekourt.
Telkharsin.
Tiaäcain.
Teskourt. sing,
Tisikkourin. pl.
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Ta nedaddou en nassthad 2) 2e G
tisikkourin.
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* C'est-à-dire: celle dont on se sert dans les ménages arabes et berbères pour recevoir la farine qui tombe du moulin à
bras.
125
ARABE.
126
FRANÇAIS.
PÈRE.
Mon père.
Notre père.
Son père.
PERLE.
Persiz.
PERSONKE, individu.
Ma personne.
Ta personne.
Sa personne.
Notre personne.
Votre personne.
Leur personne.
PerveNCuE (La), plante (vinca ma-
Jor, L).
Pesrte (La).
Per.
PÈTE, imp.
J'ai pété.
Tu as pété.
Il a pété.
PÈR-PÈT
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Baba, iba.
Baba inou.
Baba ennagh.
Iba's.
Thicayn.
Maädenous.
Iman.
Imaniou.
Imanik.
Imanim,.
Imants.
Imanennagh
Imaneunewen. masc.
Imanenkunt, fém.
Imanennesen. masc.
fém.
Imanennesent.
Sewak errahian.
Tirke, tehaboubt.
Ourdun.
Ard kechini.
Erdaghad.
Terdad.
Tirdad.
ee
FRANÇAIS.
Nous avons pété.
Vous avez pété.
Ils ont pété.
Perir.
PeriTe.
PETITE VÉROLE.
Perirs (Les), les enfants de l’homme
ou de l'animal.
PETITS ENFANTS.
Pérris, imp.
J'ai pétri.
Tu as pétri.
I a pétri.
Nous avons pétri.
Vous avez pétri.
Is ont pétri.
Peu, un peu.
Marche un peu.
Repose-toi un peu.
H a peu perdu.
Un peu de farine.
PeuPLier BLANC (populus alba, L).
PEuT-ÊTRE.
PET-PEU
BERBÈRE
À
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Nerdad.
Terdadem.
Arden.
Mezzi. sing.
Mezzian , damezzian. pl.
Tamzient.
Tezerzeit.
Errau, rau.
Erreckh.
Ough.
Oughigh.
Toughid.
Tougha.
Nougha.
Tougham.
Oughan.
Edrous, imik.
Eddou edrous.
Senfou imik.
Iakhsar imik.
Éd, 01 0 07
Edrous en aouren. on o) us)
Sufssaf.
Weisen.
128
PIE-PIL
FRANÇAIS.
Peut-être cela arrivera, peut-être cela
n'arrivera pas.
Peut-être demain il pleuvra.
Cet homme va à pied.
Sous mon pied.
Pie DE porc, bouton d'or de la fa-
mille des renoncules (ranunculus
creticus, L.).
PIERRE, caillou.
PIERRE TENDRE :.
Pierre à fusil.
Pire, broie, imp.
J'ai pilé.
Tu as pilé.
BERBÈRE
LA
TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Weisen adias, weisen| (y wbs) C2
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ÆET mouthar.
Edghagh,izzou. sing.
Idjhaghan, izzan. pl.
Teblut. sing.
Tibladin.
Thenichcha.
Thenichwin.
Tthbir.
Lthbiren.
Eddiz.
Eddezagh.
Teddezad.
* On s'en sert pour paver les cours intérieures des maisons dans la Syrie, en Égypte ct en Barbarie.
FRANCAIS.
Il a pilé.
Nous avons pilé.
Vous avez pilé.
Is ont pilé.
La ferme pile du sel.
Je veux piler du poivre.
PrLoNx.
Pix de Jérusalem (pinus alepina, Mil-
ler).
Pinces, pincetle.
Prpe.
Pissar, urine.
Pisse, imp.
Je pisse.
Tu pisses.
H pisse.
Nous pissons.
Vous pissez.
Is pissent.
Montre-moi un endroit pour pisser.
Pissenzir (leontodon taraxacon).
Pisrozers.
PIL-PIS
BERBÈRE
À
TRANSCRIT.
liddis.
Neddiz.
Teddezem.
Eddezen.
.Themthout ateddiz tisint
Ebghigh an eddezagh ef.
fl.
Assghar.
Sunouber.
Lemehabis.
Esebsi.
Ibizdan, üuchchan.
Abzid.
Adbizdagh
Adtebisdad.
Adübzid.
Adnebzid.
Adtebizdem.
Adbizden.
Kibzid digh teserwalis.
Duarset el aädjiouz.
Telcabouzt.
FIGURÉ.
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129
ARABE.
130
PLA-PLE
FRANÇAIS.
———_—_—_ —_—_—
PLace, espace, lieu, chemin.
Fais-moi de la place, que je m'en aille.
Ils lui ont fait de la place pour s'as-
seoir.
PLaronp, le dessous d'un plancher.
Prait-11 ?
PLANCHER.
PLANTE qui empoisonne les moutons.
PLar de terre, où l’on met les mets.
— de terre, assiette.
— de faïence.
PLamiNE de fusil.
PLÂTRE.
PLEuRr.
PLEURE, imp.
J'ai pleuré.
Tu as pleuré.
I a pleuré.
Nous avons pleuré.
Vous avez pleuré.
BERBÈRE
À PS
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Abrid.
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131
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FRANÇAIS.
TRANSCRIT.
Hs ont pleuré. Elseroun.
La nouvelle mariée pleure; son époux
est mort. temmout.
Pie du linge, un habit, imp. Iskour, adou.
J'ai plié. Eskouragh, oudigh.
Tu plies. Teskoured, toudoud.
H plie. Liskour, ioudou.
Nous plions. Neskour, noudon.
Vous pliez.
Is plient. Eskouren, adouwen.
PLrows. Ikiri.
PLure. Elehwa.
Aghoufour, anzar.
— forte averse.
H pleut. Iüukket elehwa.
I va pleuvoir. Ella itlikket elehwa.
1 tombe une averse. Adirs aghou/four.
Aujourd'hui il tombe beaucoup de
pluie.
PLume. Rich bou furoukh.
Pzus, plus nombreux, adjectif. Irnan. sing.
Irnanin. pl.
PLôr À prevu! pLaise À peu! et lit-| ilha ouliou !
téralement : mon cœur désire.
Plaise à Dieu que je fasse!
Teskourem, tadouwen.
Tilha ouliou adsekeragh!
BERBÈRE
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FIGURÉ.
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PLU-POI
FRANÇAIS.
Plaise à Dieu que nous fassions!
Plaise à Dieu que tu viennes!
Plaise à Dieu que cela arrive !
Pocue d'habit, etc.
Pons d'un dinar ou d'un sequin
sultané.
PoIcée.
Donne-moi une poignée de fèves.
H a pris une poignée de glands.
PoinrT pu Tour.
Il ne m'aime point du tout.
J1 n'a rien du tout.
Elle n’est pas du tout venue.
Porre.
Pors cuicue.
Fais-nous du couscoussou avec des pois
chiches et de la viande salée et con-
servée dans l'huile (khalida).
Porsox.
Que Dieu te donne du poison * !
* Imprécation en usage chez les Berbères.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Elhan oulawennagh ad sj ELsods) op
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Tilha ouliou en tousidad'!|> Xavss oo! Gb
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POI-POR
FRANÇAIS.
Porsson.
PoiTRiNE.
Poivre et Poivron.
Un peu de poivre.
Un peu de poivron ou de poivre.
Porrrox, littéralement : juif.
Pouwe.
POMME DE TERRE, Ou patale sauvage
;
qu'on trouve dans le Sahara.
Pouwrer.
Powr.
Porc domestique ou sauvage.
Porc-Éprc.
La chair du porc-épic est excellente;
nous la mangeons dans notre pays.
Porreau cultivé ou sauvage.
PorTe.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Eslim.
Isilman.
Edmer.
Idmaren.
Efiil
Keren efilfil.
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Teflouth.
Thabourt, sing. cs)
Thiboura. pl.
133
134
FRANÇAIS.
La porte de la ville.
La porte de la maison.
J'ai porté.
Tu as porté.
Il a porté.
Nous avons porté.
Vous avez porté.
Hs ont porté,
J'ai porté.
Tu as porté.
Il a porté.
Nous avons porté.
Vous avez porté.
Ils ont porté.
PouDRE D'or.
PouLAILLER.
Poucaix, le petit de la cavale.
Les poulains ont changé leurs dents.
Porte (quelque chose de léger), imp.
Porre, transporte (ce fardeau), imp.
Pou, vermine de la tête et du corps.
POR-POU
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Thabourt en temdint.
Thabourt aboukham.
Awi, oubbi.
Oubbigh.
Toubbid.
Toubbid.
Noubhi.
Toubbiden.
Oubbüen.
Erfid.
Erfedagh.
Terfedad.
Lrfed.
Nerfid.
Terfdem.
Erfiden ou erfeden.
Tilhit.
Tilkin. pl.
Wirgh.
Teaächets en iouzad.
Djedañoun.
Idjdaän. pl.
Djedaäoun ükis ough-
lan.
sing.
sing.
FIGURÉ.
07 07 0
ES XE U} us ,2 5
FRANÇAIS.
La poule glousse.
La poule appelle ses poussins.
La poule conve ses œufs.
Cette poule pond beaucoup d'œufs.
Poucers.
Pour, en faveur de.
Pour Dieu.
Pour son fils.
Pour moi.
Pour Que, afin que.
Je te donne des mouzounes pour que tu
ne le fasses pas.
Je suis venu ici pour que je le fasse,
pour le faire.
Pourpre, poisson de mer.
POU
BERBÈRE
TRANSCRIT.
Taiazit, tefellust, techi-
chaout. ” sing.
o HP
Tiouzad, tefellousin.pl.| ess - LT
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dus 07 ©
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Taiazit tescourcour. DJS EAAE
LA
Tefellust tesawal à werra-
uts.
Taiazit tebrik ghaf thi-
millalin.
Taiazil telsarou athas
tlimillalin.
Errau en taiazit.
Ghaf.
Ghaf rebbi.
Ghaf mimmis.
Ghaf adhi, ghaf imaniou.
Akhin.
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Wesighad gharda akkin es) j5ys
adsekerayhth.
Tfiraquiss n’elbahar.
135
136
POU-PRE ï
FRANÇAIS.
Pourquoi.
Pourquoi cries-tu si fort?
Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?
Pourquoi n’es-tu pas venu ?
Pourri, tombant en lambeaux.
Mes habits sont pourris, tombent en
lambeaux.
PoussiÈRE.
PouTrE, grosse solive.
Pouvoir. Je peux.
Tu peux.
Il peut.
Nous pouvons.
Vous pouvez.
Is peuvent.
Je puis le faire.
Le cheikh ne peut pas me faire donner
la bastonnade.
PRAIRIE.
PRÉCÉDENT.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Echinu.
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Echimi werth tesekred? Ses S)9 we)
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Echimi our tousidad? S Xp De es)
Terka.
Thelebé inou terka.
Ahkal.
Tighidjda, idjka.
Adzemragh.
Alezemred.
Adizmer.
Adnezmer.
Atezemrem.
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Adzemren. U705)
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Adzemragh adsekeraghth. EE ee 255)
Amoucran our adizmer
üfli tüighrit.
Aghdal.
Zerin.
Zerinin.
FRANÇAIS.
PRÉCÉDENT, premier, devancier.
PRÉGIPICE.
Le cheval est tombé dans le précipice.
Les chèvres sont tombées dans le pré-
cipice.
PRENDS, saisis, imp.
J'ai pris, j'ai saisi.
Tu as pris.
H a pris.
Nous avons pris.
Vous avez pris.
Ds ont pris.
PRENDs, mets-toi en possession, imp.
J'ai pris, je me suis emparé.
Tu as pris.
H a pris.
Nous avons pris.
Vous avez pris.
Îs ont pris.
PRENDS GARDE, mélie-toi, imp.
Prenez garde, méfiez-vous d'eux.
PRÉ-PRE
BERBÈRE
—_———— > |
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Emzouwerou. sing.
Imzoura. pl.
Themda.
Aäoudion üghali dih| 5 es ss
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Atthaf.
Athfagh.
Tathaf.
Iitthaf.
Natthaf.
Tatthafem.
Athfen.
Ouwagh, emiz.
Oughagh, mizagh.
Toughad, temiz, temized.
Toughad, ümiz.
Noughad, nemiz.
Tougham, temizem.
Oughan, emizen.
Zar, er themaout.
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Erit themaout ghafiman- is En er: ER)
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or)
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138
FRANÇAIS.
Prends garde de faire.
PRÉSENT.
Je fui ai porté un présent; il l'a ac-
cepté.
PRÉSENTEMENT.
PrÊr.
PRÈTE, imp.
J'ai prêté.
Tu as prêté.
ll a prêté.
Nous avons prêté.
Vous avez prêté.
Is ont prêté.
Prête-moi de l'argent; je te le rendrai
dans deux mois.
Prie Dieu, imp.
J'ai prié.
Tu as prié.
I a prié.
Nous avons prié.
Vous avez prié.
Hs ont prié.
PRIÈRE.
PRÉ-PRI
BERBÈRE
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TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Irdal.
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Terdalad.
Lirdel.
Nerdel.
Terdelem.
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Zoullagh:
Tezallad.
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Nezzal,
Tézallem.
Zallen.
Tezallit.
FRANCAIS.
Prince (du sang de Mahomet).
Printemps.
Prix d’une chose.
PROMESSE.
Quelqu'un m'a fait une promesse.
ProPrE, net.
Les habits sont propres.
PROTÉGÉ.
Le cheikh m'a protégé.
PROTÉGE.
J'ai protégé.
Tu as protégé.
Il a protégé.
Nous avons protégé.
Vous avez protégé.
Ils ont protégé.
H est allé se réfugier chez le marabout
qui l'a protégé.
Provision de bouche
PRuNE.
PRuUNELLE, le milieu de l'œil.
PRUNJER SAUVAGE (prunus insititia, L.).
Puar.
PRI-PUA
BERBÈRE
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TRANSCRIT. FIGURÉ.
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ARABE.
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BERBÈRE
FRANÇAIS. ne —— —— ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
PUANTE. Tefouhant.
Pure, en état de jeüner, de faire] Acchich iouzam.
le ramadan.
Puce. Alkoured. sing.
Ihkourden. pl.
PuceLze, jeune fille qui n'est pas Tacchicht tamzient wer cat eb CARS
mariée. aädd terchal. % ww
Porse, remplis la cruche, etc. imp. Ougham.
J'ai puisé. Oughmagh.
Tu as puisé. Toughmad.
Il a puisé. Toughmad.
Nous avons puisé. Nougham.
Vous avez puisé. Toughmam.
Ils ont puisé. Oughman.
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Les femmes sont allées puiser de l'eau. Thoulawin rohant adag- LR, os)
houment eman.
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Puits. Enou.
Punaise. Bacq.
Pus, sang corrompu. Nekel.
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PurTaix. Temnaäoult, temighant, - RÉ - dirigé
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Fils de putain. Rau temnaäoult. AIRE 0 »b
FRANCAIS.
QuaDrRuPÈDE.
Quanp, lorsque.
Quand nous aurons fini cette affaire,
nous en commencerons d'autres.
Quand je suis sorti de la maison, je
suis entré chez ton frère.
QUATORZE.
QuaTre.
Que d'interrogation et d'admiration.
Qu'est-ce que cela?
Que ferai-je?
Que veux-tu de moi?
Qu'avez-vous fait hier après le souper?
Que dit-on du roi de Maroc?
Que tu es jolie !
QUA-QUE
BERBÈRE
TRANSCRIT.
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Hewaich.
Ermi.
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FIGURÉ.
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Kouz dimrau.
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142 QUE-QUI
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TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Que tu es belle! Deluälikim kemmeni ! CEE IE EURE
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Que, QUELLE, pron. relatif d'inter-| ÆEnsi, man. YU - «gwi) TE 9
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Quelle est ta sœur ? Ensi wellmas ? dalle mil x) çe
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Quelle heure est-il ? Man saû ? xs uk xElS T4
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Quel est ton père? Man babak ? DIE ul dos es
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QUELQUE, QUELQUE CHOSE, QUELQUE | Kira. = vas
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Apporte quelque chose à manger. Awid hira en nütch. ol u} Le XN)
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Nous avons quelque peu de couscous- Ella dernag kira suksou nous j LS" UE Ÿ}
sou, de viande. en tefihi. EE
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Donne-moi quelque peu de dattes. Iflü hira tini. csa5 De eo)
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QuENouILLE. Telmaghzelt. Jp
02772 707)
Querezrer (Se). Nous nous sommes] Neteaäghghad. LE AS)
querellés.
0777 © 2079
Vous vous êtes querellés. Teaäghgham. LA ISS LATAS)
C2 PL 0
lis se querellent. Ateaäghghiden. U NAS) SE
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Queue. Edjiahanid. sing. RUES, JS
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Tdjiahanad. pl. sUS LS;
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La queue du cheval. Edjiahanid bou añoudiou. ms » NAS £
© © _ La
La queue du cochon. Edjiahanid ni1f. So AVES,
Ô : © , vs o,
Qui interrogatif. Enwa. 5) - D pi Ua
QUI
FRANCAIS.
Qui est là?
Qui est à la porte?
Qui est sur la terrasse ?
Qui es-tu?
Qur, QUE, pronom relatif.
On a saisi l’homme qui m'a battu.
La viande qui est cuite dans la mar-
mite vaut mieux que celle qui est
rôtie.
La maison qu'a bâtie le cheikh est
ruinée.
Je donne au cheikh la dîme des figues
que j'ai recueillies de mon jardin.
Les poissons qu'on ne peut prendre
sont en grand nombre dans l’eau.
La poule que l'on prend se démène
pour sa vie, pour elle.
Les chrétiens qui viennent dans notre
BERBÈRE
TRANSCRIT: FIGURÉ.
Enwa dilin ?
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144 QUI-RAS
BERBÈRE
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deviennent musulmans et ils s'y ouriznüren athfenthen;| «, 0 > 0, ©
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marient. . iddawin ouklend insil-| F4) up)
man, richlen dinna. |eu ; ©
NS »\ 151
os Os)
Quinze. Summus dimrau.
Quirte, abandonne, imp Dji.
J'ai quitté. Djigh, djighd.
Tu as quitté. Tedjid.
Il a quitté. Lidja.
Nous avons quitté. Nedjia.
Vous avez quitté. Tedjem.
Is ont quitté. Djian.
J'ai quitté ma maison. Djigh akhaminou.
Pourquoi a-t-il quitté son pays ? Echimi üdjia temourtr's?
R
Ragor, outil de menuisier. Milsa.
Raïsin. Tezourin, adil.
— sec. Zebib.
RASE, imp. Saththal.
Je rase. Adsithlagh.
Tu rases. Atesathlad.
Il rase. Adisatthal.
RAS-RÉC 145
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT.
Nous rasons. Adnesatthal.
Vous rasez. Adtesatthalan.
Ils rasent. Adsatthalan.
Viens ici, que je te rase.
lagh.
Rasoir. Adjenewi.
RassasE-Tor, imp. Erwou.
Rassasiez-vous. Erwet.
Je me suis rassasié. Erwigh.
Tu t'es rassasié. Terwid.
I s'est rassasié. lirwa.
Nous nous sommes rassasiés. Nerwa.
Vous vous êtes rassasiés. Terwem.
Hs se sont rassasiés. Erwen.
Mon ventre est rassasié. Theaäboutiou terwa.
Rar et Souris. Agharda, ougharda. s.
TIghirdin. pl.
Rate, partie spongieuse du corps. Thourin.
RaAvE. Tifirsin.
RAYON DE MIEL. Teghourast. sing.
Tighourasin. pl.
Récorre des grains. Naämé.
Cette année, la récolte est bonne. Esou ghasa naëmé athas.
La6
REC-REI
FRANÇAIS.
REGUEILLE , imp.
k J'ai recueilli.
Tu as recueilli.
H à recueilli.
Nous avons recueilli:
Vous avez recueilli.
Hs ont recueilli.
RecuLows (A).
Viéns ici à reculons:
H marche à reculon:.
Rens, gâteau feuilleté et pétri avec
du beurre.
REGARDE, imp.
Je regarde.
Tu regardes.
Il regarde.
Nous regardons.
Vous regardez.
Is regardent.
RèGLEs DES FEMMES. On dit en ber-
bère : La femme a son écoulement
de sang.
Reis, épine du dos.
BERBÈRE
re = ©"
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Ismoun.
Simounagh.
Tesmouned.
Lismoun.
Nesmoun.
Tesmounem,
Simounen.
Istighourdin. ROSE us)
Esid gharda is tighourdi- on) js, —< al
nal. / >
dos )ptas
Nüthsa ideddou istighour- ue) 23 d— Luis
dine's. DÉS
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Reis.
Mouccal.
Admouclagh.
Atemoucal.
Toumcal.
Adnemcal.
Atemouclem.
Admouclen.
0 =, os AZ
Themthout tiththezel si- Gp2 as JS ETS
demmen.
Adrour. Snyel
Hu |
ARABE.
REL-RÉP
FRANÇAIS.
ReziGiEux, musulman.
ReMmEper.
Remparr.
RENVERSE, imp.
J'ai renversé.
Tu as renversé.
Il a renversé.
Nous avons renversé
Vous avez renversé.
Hs ont renversé.
RENVOIE , imp.
J'ai renvoyé.
Tu as renvoyé.
Il a renvoyé.
Nous avons renvoyé.
Vous avez renvoyé.
Ils ont renvoyé.
Je l'ai renvoyé.
Nous avons renvoyé son présent.
Repas.
RÉPUDIE, imp.
J'ai répudié.
BERBÈRE
TT
TRANSCRIT.
Almurabith. sing.
Almurabithin. pl.
Isafir.
Eghadir en teghadirt.
Saghi.
SAP,
Tesaghlid.
Hisaghli
Nesughli.
Tesaghliem.
Saghlien.
Err.
Erragh.
Terred.
Iirra.
Nerra.
Terrem.
Erren.
Errighth.
Nerra tedjiaaltis.
Imensi.
Ebrou.
Beroughad.
147
ns
ARABE.
ru. js
0e,
148 RÉS-REV
BERBÈRE
FRANÇAIS. À
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Tu as répudié, Tebra.
H a répudié, Tibra.
Nous avons répudié. Nebra.
Vous avez répudié. Tebram.
Hs ont répudié. Beran.
Notre voisin a répudié sa femme; tout Aâchirennagh übra them- Le bise
de suite il l'a renvoyée. thouti's; iakkoul üret-|,
sid.
RÉséDA BLANC (reseda alba, L.). Hachbet elkharouf.
RESTE, superflu. Ichad.
RETOURNE, imp. Oughal, oucal.
Je suis retourné. Oughalaghd, oucalaghd.
Tu es retourné. Toughalid, toucalid.
Il est retourné. Joughal, ioucal.
Nous sommes retournés. Noughal.
Vous êtes retournés. Toughalemd.
Hs sont retournés. Oughalan.
4 307 0 07/7 >
Je suis retourné à la maison. Oughalaghd ghar ouk- DRE ANIER j
ham.
Les cavaliers sont retournés à leur Dimnaïn oughalend ghar Nuits, plis
village. thedert ennesen. on rte
2/07
RÉVEILLE-MATIN (euphorbia heliosco-| Kerbebouh. Eye
pia, L.).
Z , ©
Revèrs-ror, habille-toi, imp. Ils keichini. masc. rss To)
LA C2 4
uw 0 ©
Ils kemmini. fém. GAS wi
FRANÇAIS.
Je me suis revêtu.
Tu tes revêtu.
Il s'est revêtu.
Nous nous sommes revêtus.
Vous vous êles revêtus.
Ils se sont revêtus.
Moi, je me revêts d'un bernous et d'une
chemise de laine.
Rave.
Rrcue. On dit en berbère : Il a beau-
coup de biens; ou : Il rend grâces
à Dieu.
Rire.
Je n’ai rien entendu.
On ne dit rien.
Rien du tout.
Ris, imp.
J'ai ri.
Tu as ri.
Hari.
Nous avons ri.
Vous avez ri.
Is ont ri.
Les filles rient beaucoup.
RHU-RIS
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
o 9° ©
Elsighou, ils:gh. Ebud) =, Emil
[9 07
Telsid.
lilsa.
Nelsa.
Telsem.
Ilsen.
Nek adilsagk abidi ak] SSAT £ladot dl
tecandourt.
02 _—
vu 0
Tämarn. wbsl
hamed allah.
lat.
Our selligh iat.
Our tinin at.
Oulach.
Des.
Desagh.
Tedsid.
Lidsi.
Nedis.
Tedsem.
Desen.
9 9 7 0 y, 0 72
Thoulawin atedsentathas. | aan N5) L?2Ÿ 5
022
149
150 RIS-ROT
BERBÈRE
FRANÇAIS. ; | ARABE.
TRANSCRIT.
© D) 2
Pourquoi ne riez-vous pas, vous Echimi kunamti our ated- pinlie 2
femmes? sent ? 0070
0 07
Cet homme rit de nous, se moque de Erghaz üdis fellanagh. ASE us : Li
nous.
9
RiscuTÉ *. Richté.
RIVAGE DE LA MER. Rif le’bhar.
Sur le rivage. Ghaf rif.
RIVIÈRE. Ighzar, esif. sing.
Ighzerawen, 1isaffen. pl.
La rivière est gonflée. Esif iahmel.
Riz, légume. Eruz.
RoI CHRÉTIEN . Emghar.
Ronces pes Haies (ruber fruticosus, L.).| Inedjel.
RONFLE, imp. Tterkharidy.
Tu ronfles beaucoup. Ketchini titer Kharidj ë [= re sé
athas. G ce
En
#7 07 0 7/07
Cet homme ronfle dans son sommeil. | Erghaz üterkharikh digh ee és ji
idas.
me)
0, > © ©
Rosr, fleur. Edjdik niwerd. 55 dus$f
RoséE. Nida.
Rosrer. Ennoukla niverd.
ROTE, imp. Iquergha. = 6
<< 1
J1 a roté. Liquergha. E D D
* Pâte qu'on coupe en morceaux, et dont on fait une soupe ou une espèce de couscoussou.
*# Le vrai sens de ce mot, dont les Maures et tous les musulmans arabes se servent pour désigner un roi chrétien, est
«rebelle, usurpateur, tyran,» et, pour comble de mépris, ils donnent à ce titre une terminaison féminine.
ROT-SAB 151
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT.
Tu as roté. Teguerghad.
Ils ont roté. Guerghan.
ou, 2 Lei
Moi, je n'ai pas roté. Nekini our querghaghd. NE y Dsl En
Rôr1. Efkenef. us |
Rôrir (Fais), imp. Esiknef.
J'ai fait rôtir. Sekinfagh.
Tu as fait rôtir. Tesikne/.
I a fait rôur. Lisiknef.
Nous avons fait rôtir. Neseknef.
Vous avez fait rôtir. Tesiknefem.
Is ont fait rôtir. Sikenfen.
ml 00
Achète un morceau de viande, que] Awaghd techriht, neth ne- EE is Elo)
nous le fassions rôtir. seknef. À
9 ©
ANCAEUEE
5 CAS
0/07
D
0 Z 27
5)
RouGe, couleur. Ezoughghagh. AUS
Rouce, fard. El aûcar.
u 7 ou, 2
RouGeoze. Tebouzoughaght, ° zar- OA - CARE 9 DAS
bioun. É
Rourree. Tanguert.
Rue, plante. Fidjlé.
SABLE. Tefza.
Sasors du bœuf, du mouton, des| Tifenza.
chèvres, etc.
— du cheval, du mulet, de l'âne. El hafir.
152 SAB-SAL
BERBÈRE
FRANÇAIS. je
TRANSCRIT. FIGURÉ.
SazoTs spongieux du chameau. El akhfaf. Glass I
SABRE, non recourbé ou recourbé. Lemcha.
Lemamich.
— court. Taouzelt.
Sac DE IN, qui, rempli de blé ou| Asako.
d'orge, forme la charge d’un mulet.
— dont deux font la charge d’un| Tegharghart.
chameau.
Sac DE cORDE , en forme de filets, pour Tegemmouaat.
porter de la paille, des herbages.
Sac DE PEAU, ou de laine double, pour| Khourdj.
être mis sur la selle du voyageur.
SAGHE, imp. Esin.
Je sais. Sinagh.
Tu sais. Tesined.
H sait. Lisin, üsen.
Nous savons. Nesin.
Vous savez. Tesinem.
Is savent. Sinen.
Je ne sais pas. Our sinagh.
Tu ne sais pas. Ours tesined.
Nous ne savons rien. Our nesin iat.
Qui sait ? qui le sait? Weisen.
SAGE-FEMME, accoucheuse. Nefsé.
SALÉ. Marragh.
FRANÇAIS.
Eau salée.
SALIS, imp.
J'ai sali.
Tu as sali.
Il a sali.
Nous avons sali.
Vous avez sali votre chemise, votre
veste de dessous.
Ils ont sali leurs habits.
SALPÈÊTRE.
SAMEDI.
SANG.
Tire-moi du sang, saigne-moi.
On l'a saigné.
Que nous te saignions.
SANG DE CHEVAL.
SANGLIER.
SANGSUE.
SANTON.
Dans notre pays, nous avons beaucoup
de santons.
SARIETTE, herbe odoriférante.
SAL-SAR
BERBÈRE
TRANSCRIT,
Eman marragh.
Eserki.
Serkigh.
Teserkid.
Liserki.
Neserki.
2 tt 07
© +
Teserkiem tecandour, ten- DD DS D me]
newen.
Serkien thelebé ennesen.
Melh el barout.
Ghas, was elsebt.
Idemimin.
Eksu idemmun.
Eksane's idemmin.
En neksik idemmin.
Sibt nouweis.
Mourran.
Adghour. sing.
Tdghouren. pl.
Aghourrem.
40 7
> ©
Digh themourtennagh si &S
ighourremin athas. O2
umbi ses)
Merdcouch.
Lo
153
154
FRANÇAIS.
EEE
Sauce (sulvia, L.),en berbère : cure-
dent du prophète.
Sauce, verveine (salvia verbenaca, L).
SAUTE , imp.
Sautez.
J'ai sauté.
Tu sautes.
l1 saute.
Nous sautons.
Vous sautez.
Ils ont sauté.
SAUTERELLE.
Les sauterelles ont mangé la moisson.
Les sauterelles qui sont rôties au four
sont bonnes à manger; les Arabes
les aiment.
SAUVAGE, non cultivé.
SAVATE, vieux soulier.
SAVETIER.
SAVON.
SCIE.
SAU-SCI
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Sewak ennebi.
Hachbet kul bblie.
Akkir, indou.
Akrit, hindout.
Akragk, hindough.
Tekired, tehindoud.
Lkkir, ühindou.
Nekkir, nehindou.
Tekirrem, tehindewen.
Akkiren, hindewen.
Abziz. sing.
Ibzaz. pl.
Ibzaz tchan naâme.
Ibzuz wein eknefen digh oies) O?2 D?)
kouché elhan toutchi ;
l'74 A ©
araben hammelenthen. op} xs &2>
tir 2
Diout.
Erkes.
Erkasen.
Kharraz elbal.
Sabounit.
Minchar.
FRANÇAIS.
Scorpion.
Le dard du scorpion.
ScorsoNÈRE (scorsonera picroides, L.).
SEc.
Mes hardes se sont séchées.
Ses culottes se sèchent.
Quand ma chemise de laine sera sèche,
je la revêtirai.
Ton bernous s'est séché.
SECRÉTAIRE , tout homme qui sait lire
et écrire.
SEL.
— de roche.
— ammoniac.
— alcali naturel, natron.
SELLE de cheval.
— de mule et d'âne.
Secze mon cheval, imp.
Je l'ai sellé.
SELLIER.
SELON, conformément.
Selon la coutume ancienne.
SEMBLABLE, COMIme.
SCOR-SEM
TRANSCRIT.
FIGURÉ.
9 Ü go
Timisuäbbadou, tequir- CAR y 5j - 95 ru
doumt.
Tisiquist.
Merraré.
Taccour.
Hawaidjinou ktvent.
Teserawili's adkiwent.
o 0,
HS se
A
ass si url
2 de
Ermi tekiou tecandourti- RSR s)
nou, athilsagh.
Abidik ukiou.
Thaleb.
Tisint.
Melh el haiderani.
Nichadir.
Nathroun, athroun.
Tharikt.
Teberdaût.
Quinn eisinou.
Quinaghth.
Bouthariken.
Ghaf.
Ghaf alaädé imzoura.
Em, enicht.
os) - vayls
pal Gi
o 07
CARAS
2
En) ÊE
LA
pe) 55) BrÉ
e le
155
156
FRANÇAIS.
Semblable à ceci.
— à cela.
— à un singe.
— à un hibou.
SEMAILLES , Semences.
La rivière a débordé sur les semailles.
SEMAINE.
Une semaine.
SEMOULE.
— à gros grains, préparée pour faire
du couscoussou ou de Ja soupe.
Fais une soupe de grosse semoule avec
du khaliaa.
SENEGON (senecio vulgaris, L.).
SERPENT.
Le serpent m'a piqué au pied.
SERRURE DE FER.
SERRURIER.
SERVANTE.
SEM-SER
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Em waghi.
Em oubun.
Enicht ougharda.
Enicht berdaghioul.
Tighran.
Esif iiaäm ghaf üghran.
Wic.
©
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Wan wic, ian wic.
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Liouzen. 3
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Timhoummouzt.
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nr 7»)
Hachbet salimé.
Azrem, efighar.
sing.
Izirman, efigharen. pl.
Azrem ücarchü sough En
adar.
.—
DE
Gus 07
Quifil en vezzal. Ji wi XS
Jayel
FRANÇAIS.
SERVITEUR.
Seuiz de la porte.
SIÈCLE, espace de cent ans.
SIGNE, geste pour s'entendre.
Je lui ai fait signe.
SILENCE.
SILÈNE, plante.
Sizzon de la charrue.
SINGE.
La viande des singes est puante.
Six.
SODOMITE.
SŒUR.
Ma sœur.
SŒURS.
Nos sœurs.
Vos sœurs.
Leurs sœurs.
Sora.
So, le fil du cocon.
Emnar en thabourt.
Carn.
Limara.
Sekraghas limara.
Ifisti.
Newar el dhib.
Iberdan.
Ibki, zadtout. sing.
Ibken, zaôtit. pl.
Aksoum ibken tifouh.
Sedis.
Abouwerech.
Weltma.
Weltma inou.
Isitmau.
Isitmawennagh.
Isitmawennewen.
Isitmawennesen.
Tegmirt.
Harirmit.
SER-SOI 15
BERBÈRE
RE — ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
S o CNE
Aâzri. GXS DES
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5) Li, ss
>) sie
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Sul | Gi,ei
158
FRANÇAIS.
Soir.
La soif m'a pris.
J'ai soif.
Tu as soif.
H a soif.
Nous avons soif.
Vous avez soif.
Ils ont soif.
SOIR.
So1S LE BIENVENU.
SOLDATS ARABES GASERNES.
SOLEIL.
Le soleil se lève.
Le soleil se couche.
Le couchant du soleil.
SOLIVE.
SOMMEIL.
Je sommeille.
Tu sommeilles.
I sommeille.
Nous sommeillons.
SOI-SOM
BERBÈRE
—————
TRANSGRIT. FIGURÉ.
Fad.
laghü fad.
Foudagh.
Tefoudad.
Iifoud.
Nefoud.
Tefoudem.
Efouden. BE)
© ë Ld'Ed
Telaächit.
DE
tr 07
Merhaba 1esik matsa- PRES, Las pe
ghalt. 0-70 7
SI cel
Mukhazzenié.
Tefoukt.
Tefoukt touli, toulid. Du = de Si
07 07 27
Tefouht taghli, taghlid.| NAS - LS CAS LS
Touchi.
Thessere. sing.
Thesserivin. pl:
Idas.
Etsenoudumagh.
Tetsenoudum.
Litsenoudum.
Netsenoudum.
FRANÇAIS.
Vous sommeillez.
Is sommeillent.
Son, sA, SEs, adj. poss.
Son sabre.
Son troupeau.
Ses mains.
Ses amis.
Sa maison.
Sa iabatière.
Sox, la partie grossière de la farine.
SONGE , rêve.
J'ai songé.
Tu as songé.
Il a songé.
Nous avons songé.
Vous avez songé.
Is ont songé.
Sors, imp.
Sortez.
Je suis sorti.
Tu es sorti.
Il est sorti.
… Nous sommes sortis,
Vous êtes sortis.
SON-SOR
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
0/5 >» 707
AR D Dhs
075 >/07
Tetsenoudumem.
Etsenoudumen.
Lines, nes, si.
Lemcha ines.
Oulli ines.
Ifasines.
Dimeddou kalines.
Akhamv's.
Thacarourte's.
Aghourchal, hilemmin.
Tewarghit.
Werghagh, werghaghd.
Touragh.
louragh.
Nouragh.
Tewergham.
Werghan.
Effagh.
Effaghat.
Efghagh, efghaghd.
Tefyhad.
Liffagh.
Neffagh.
Tefgham.
159
160
FRANÇAIS.
Ils sont sortis.
Maintenant, je sors de la maison.
Je sortirai demain pour te voir.
Souci Des cHaMPs (calendula arven-
sis, L.).
SourrLer pour le feu.
SourFLEeT, coup de la main sur le
visage.
SourRE.
SoëL, qui a bu trop de vin.
SOULIER.
Attends que je mette mes souliers.
SOUPÇON.
Je soupçonne.
Je ne soupçonne pas.
SOUPER.
Après souper.
SOURCE D'EAU, formant un ruisseau
ou une rivière.
Source LÉGÈRE, eau qui filtre d’un
rocher.
SOU
BERBÈRE
EEE —— |
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Efghan. LS)
Thoura, adefghagh sough F) Len &sioT he
akham.
w 0/07 a
Ezikha ad efyhaghd ak-|ex-S4 Ass) 51 K)
kin ad zerighak. ‘ #
Newar bilnuüman.
Tasout.
Emdil.
Kibrit.
Tiswa.
Thasilé.
Erdjiou adilsagh thisile. Aus ANR
Chekk. |
Adchekkagh.
Our chekkagh.
Iminsi. wgwmiel rl _ Le
xx ia)|
Nef. iminsi, tighourdin | - Ps "| Lis
iminsi.
Thela.
El uünssour.
FRANÇAIS.
SOURCILS.
Sourp, qui n'entend pas.
SOUS, DESSOUS.
Sous mon pied.
Sous mon aisselle.
Sous lui.
Sous l'arbre.
Sous le ciel.
Stæcuas (grafolium stæchas, L.).
SuarRe, toile dans laquelle on ense-
velil.
Sucz, tire à toi la liqueur avec ton
haleine, imp.
J'ai sucé.
Tu as sucé.
I a sucé.
Nous avons sucé.
Vous avez sucé.
Ils ont sucé.
Nous avons sucé du lait aigre avec
notre pain.
SUCRE.
SOU-SUC
BERBÈRE
A
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Themmiout. sing.
Themmiwin, ammi-
win. pl.
Edrdour.
CAL | L£A LCA
Dewa , dewat , souwada. F5 mu = ES _ 5
Ca ME NCA 2
miss) ET
2 dy 7
Souwada oudariou.
Dewal thabiquis.
Dewa's.
Dewat ennoukla.
Souwada thighnau.
Warac el hanech.
Alfoudle ‘.
Eskef.
Sekfagh.
Teskef.
Liskef.
Neskef.
Tesekfem.
Sekefen.
0 + 07
Neskef ighi dou oughrou-|°5 a) er)
mennagh.
Esukkur.
* Ge n'est qu'une toile grossière dont on se sert, dans Atlas, pour ensevelir les morts.
162
FRANÇAIS.
SuEuR.
Je‘sue, littéral. : la sueur me coule.
Tu sues.
Nous suons, la sueur nous coule.
Surrir (Cela).
SUIE.
Sur, pour, à, au.
Sur son visage, à son visage.
Sur ma tête, à ma tête.
Sur notre nez, à notre nez.
Sur ta Barbe, À ta barbe.
Sur, dessus, préposition de lieu.
Sur la maison.
Sur le plancher.
Sur l'arbre.
Sur les montagnes.
L'un sur l'autre.
Les us sur les autres.
SURMÉ ‘.
SUE-SUR
BERBÈRE
— ———
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Thidi.
Tekfilüid thidi.
Termek thidi.
Tekflinagh thidi.
Waghi athas.
Aghghou en tighidjda.
Ghaf, ghar.
Ghaf acadoumis.
Ghaf ikhfou.
Ghar inzerennagkh.
Ghar themertak.
Soufella, ennigh.
Soufella eboukham.
Ennigh tigharghart.
Soufella tebouchicht.
07 » oo
DE
Ennigh idourer.
Win neden soufelles.
dut MT 2 077
lewen soufella übaäydan. uyleaw) Does (y
Thazoult. ca) PE
* Poudre noire , composée avec de l'alquifoux, dont les femmes de l'Orient se peignent les yeux et les cils:
TAI-TAM 165
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
——
T
Tars-Tor, imp. Sousim , fist.
Je me suis tu. Sousemagh, fistagh.
Tu t'es tu. Tesousemad, tefistad.
H s'est tu. Lisousem, üfist.
Nous nous sommes tus. Nesonsem, nefist.
Vous vous êtes tus. Tesousemam, tefistem.
Ils se sont tus. Sensemen, fisten.
Tazon et la plante des pieds. Aghoursz. sing.
Ighourzan. pl.
‘Tamsoun qui se bat des deux côtés. | Teghindjra.
Tamsour de basque. Def”, tarr, bendir.
Tamis. Thelloumt. sing.
Thellounun. pl.
Remue, agite le tamis. Houzz thelloumt.
TAMISE , imp. Sif.
Je tamise. Sifagh.
Tu tamises. Tesifud.
Il tamise. Lisif.
Nous tamisons. Nesif.
Vous tamisez. Tesifem.
Us tamisent. Sifen.
* Def est un tambour de basque simple ; tarr est un tambour de basque avec cinq plaques de cuivre doubles, arrangées à
distances égales à l'entour du cercle; bendir est un tambour de basque carré.
164
TAP-TEN
FRANÇAIS.
Tamise l'orge.
Taris de Barbarie, d'un tissu gros-
sier et peu large.
—- de Turquie, tapis velouté.
| — pour faire la prière.
| TAUREAU.
Teiexe, ver qui ronge les hardes.
TelGnE, maladie qui atiaque le sabot
des animaux à cornes.
A Témoin. .
Les témoins n'ont pas dit la vérité.
Le juge a renvoyé ce témoin; il ne l'a
pas entendu.
Temps.
Tu as le temps.
Je n'ai pas le temps de faire.
Nous avons le temps, il n’est pas tard.
TENDRE, non dur.
BERBÈRE
ee 5 css |. ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Ge Fe
Sif thimzin. 63 tou
207 0 7
Zerbie. AW) Les
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Ezghir. sing. 25) DS - 5%
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Inighi. sing. al | - à alé
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Wact. Er ue)
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ESas si
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Iisoul el hal. Aie Dos
Delaccac. masc. GDS & D É «y
EX 202 “ 4
Telacact. fém. ASS
TER-TIG
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT. FIGURE.
Terrasse d'une maison: Ifilleenakham djiour en SA ES) o) ne]
tighimmi.
TERRE, poussière. Akal.
Terre, globe terrestre. Teghounits.
chaussée.
Tère. Ikhf, acaroui, akaï. s. AVÿ= en - ur]
[2 PAS
Tkhfawen ,ivarouin.p. DE - yo
Cet homme est vieux; la tête lui branle. Erghuz mouccar;üttéhou- 5 = 55)
zou tkhfrs.
unis]
La tête me fait mal. Acarouinou ticarhi. ar® D)
0 9
Taïis-toi, tu me casses la tête. Fist ketch tenghidikhfiou. is Ë amd
Taboucht. sing.
Tibbachin. pl.
Elle a de petits tetons. Thella ghourow's tibba- perte Um» $
chin mezzian.
Tu as de jolis tetons. Tibbachinek telhan.
THELIGONIUM CYNOCRAMBE, plante. Hachbet hadjersié.
TauyA, bel arbre ressemblant à l'if, | Adräur.
Tire, léopard. Eired:
Lierden. pl:
o
Dans nos montagnes il ÿ a beaucoup de Digh idourernagh üerden USyal Ebssl &>
tigres. athas. o y,
165
La terre, le sol de la maison, rez-de Thigharghart. SE US En) a
uh
166
FRANÇAIS.
TIMBALES ‘.
Tique, insecte noirâtre qui s'attache
aux animaux.
Tissu de fil, de laine, de soie; pièce
d'étoffe de quelque qualité qu'elle
soit.
Tor, pron. subst. de la 2° pers.
Toi, homme.
Toi, femme
Toi, tu as fait.
Tor, TE, pron. de la 2° pers. régi par
un verbe.
Je te batirai.
Il Ca baisé.
Il t'a baisée.
Je te donne une vache.
Je te donne unicollier.
Torze de lin.
Toice d'araignée.
TIM-TOI
BERBÈRE
ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ
CPAS
Althabeilat. cu)
& CARE)
Ghourad. sis
s'? 0/07
Ezittha. ÿ1) À
Ketch, ketchini. masc.
Kimm, kemimaini. fem.
Ketch, ketchini erghaz.
Kemminithemthout;them-
thoutkimm,
Ketch, ketchini adteske-
red.
masc.
Kimm, kimmini adteske-
red. fém.
Ab, adak, k. masc.
Azam, kam, m. fém.
Ak outagkh. masc.
Aliem outagh. fém.
Iisoudenak.
Iisoudenikem.
Adak efkagh tefounest.
Adam efkagh tesbikt,
Telkettan.
Eitta en tisist.
*“ Il y en a une de moitié plus petite que l'autre.
3 Lu Ta$-es
9 - DsT- 9T
Dal De A)
&n 9T
Es) es
SET
RS Sp
A rsa) me ei si
0, ©
Cafe Ad] DEL
FRANÇAIS.
Toison, la laine qui couvre le mouton.
Torr, la couverture, le dessus de la
maison.
Nous sommes montés sur le toit, sur la
terrasse.
Tomge, tombeau.
TOMBE, imp.
Je suis tombé.
Tu es tombé.
Il est tombé.
Nous sommes tombés.
Vous êtes tombés.
Hs sont tombés.
Mon cheval est tombé.
Il tombe une averse.
La maison tombe en ruine.
Ton , TA ,TEs, adj. poss. de la 2° pers.
P P
Ton petit chien.
Ton agneau.
Ton chat.
Ton chameau.
TOI-TON
BERBÈRE
ET ————
TRANSGRIT. FIGURE.
Thilist.
Thilisin.
Ennigh oukham.
Nouli ennigh oukham.
Azikka. sing.
Izikwan. pl.
Ghak, res.
Ghalijagh, resagh.
Toughli, tersed.
Loughli, ires, ürs.
Nougli, neres.
Teghaliem , tersem.
Ghalien, resen.
Joughli weisinou.
Adirs aghoufour.
Akham üreb.
Einak, k.
Einem, m.
Acdjoun inek.
Eizimer inèem.
Emchich inak.
Elghoum inem.
168
FRANÇAIS.
- Ton frère. ! :
«Ta sœur.
Tes chèvres.
Tes vaches.
TONNERRE.
Le tonnerre est dans l'air; il tonne.
ToRRÉFIER et FAIRE FRIRE.
J'ai torréfhé.
Tu as fait frire.
IH a torréfié.
Nous avons fait frire.
Vous avez torréfé.
Ils ont fait frire.
Torréfie l'orge.
J'ai torréfié le blé*.
Nous faisons frire les poissons.
TON-TOR
TRANSCRIT.
Tghmak. masC! Je)
242
Ighmam. fém. | ré)
10 7
Weltmak. mascC. DIESR
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Weliman. fém. Us
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Nezza. 55
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Tezzem. r>
Zan. ob
Ezzou thimzin.
Zighd irden.
Adnezza isilman.
TorrenT, ruisseau formé par les| Thergha.
pluies. te
Le torrent a grossi.
Therghin.
Thergha mouccar.
BERBÈRE
>
FIGURÉ.
sing. ES
pl. ÉS
ie ÉS
ARABE.
* Voici la manière de faire du pain chez les Arabes et dans presque tout l'Atlas. On commence par faire torréfier l'orge et
le blé, à peu près comme nous faisons pour le café ; ensuite on le moud avec un moulin à bras; on sépare le son de la
farine. On en fait, avec de l'eau ou du lait, une pâte qu'on met cuire une seconde fois sur la cendre ou dans une poële à
frire. On mange aussi cette farine torréfiée détrempée dans l'eau , sans la faire cuire de nouveau.
FRANÇAIS.
Le torrent coule.
Les torrents coulent.
Passons le torrent.
Le torrent est à sec.
Torr, manquement, faute.
J'ai tort.
Tu as tort.
H a tort, etc.
TorTuE.
Tousours.
Tourre, jouet de bois fait en forme
de poire.
TourNE et FAIS TOURNER, imp.
Je tourne.
Tu tournes.
I1 tourne.
Nous tournons.
Vous tournez.
Ils tournent, et 1ls font tourner.
Cela tourne.
Le moulin tourne par le vent.
Tour, signifie aussi avec.
Tout à moi.
Tout à toi.
TOR-TOU
BERBÈRE
TE — à
TRANSCRIT.
Thergha ittezil.
Therghin tezzelen.
En nezghir thergha.
T'hergha iaccour.
Didnoub.
Didnoub fell.
Didnoub fellak
Didnoud felle's.
Efekroun.
Lebda, ebda.
Tehoudicht.
Ezz, ennid.
Adziagh, adnidagh.
Adteza, adtennid.
Adizzi, adinnid.
Adnezzi, adnennid.
Adtezziem, adtennidem.
Adzian, adnidem.
Wu ilezzi.
Tesirt itezzi souwadou.
Akk.
Akk inou.
Akkinak.
FIGURÉ.
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169
ARABE.
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170 TOU-TREI
BERBÈRE
FRANCAIS.
Tout à toi.
Tout à lui.
Tout à elle.
Tout à nous.
Tout à vous,
Tout à eux.
Tout à elles.
Tout blanc.
Tout noir.
Tout de suite.
Toux.
Je trais.
Tu trais.
I trait.
Nous trayons.
Vous trayez.
Is traient.
TREIZE.
J'ai la toux, la toux m'a pris.
Trais la vache, imp.
Amène la chèvre, que nous a trayons.
Trèrce ({rifolium pratense, L.).
TRANSCRIT.
Akk inem.
Akk: ines.
Afk initsat.
Akk ennagh.
Akk enncwen. masc.
Akk ennekunt. fém.
Akk ennesen. *
Akk ennesent.
Akk damellal.
Akk dabrikan.
Lekkou!.
Thousout, tekouit.
Toughi thousont.
Ezziqh tefounest.
Ezighghagh.
Tezighghad.
Izzagh.
Nezzagh.
Tezighgham.
Ezighghan.
Awid thaghat atenezzagh.
Tkhfis.
Kerrad dimrau.
FIGURÉ.
- ass
y sé
© LA De LÉ
at
TRE-TRO
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
TReMBLE , arbre, Safssaf.
TREMBLEMENT DE TERRE. Tezenzilt.
TriBu, divisée en plus ou moins de| Aérch, aâit, dechour.
villages ou de tentes.
La tribu de Félissen. Aärch felicen.
— de Mouattaca. Aürch elmouättaca.
— de Zewavis. Aärch zewawa.
— de Koukou ‘. Aärch koukou.
— d’Aâit Imour. Aäit Imour.
— Aûït Kerwan. Aäïit Kerwan.
— Aâit loussi. Aäit loussi.
— Aâït Aâttha*. Aüït Aâttha.
Troïrs. Kerrad.
Trois mille. Kerrad ifdan.
Trois cents. Kerrad mie.
TROMPE , imp. Zigh.
Ne le trompe pas. Ours zighth.
J'ai trompé. Zighagh.
Tu as trompé. Tezighad.
Il a trompé. Ligh.
Nous avons trompé. Nezigh.
Vous avez trompé. Tezigham.
* Ges quatre tribus, montagnardes sont les plus considérables de la province de Constantine.
** Ces quatre tribus habitent, entre Fès et Taflet, les montagnes que baignent les eaux de l'Océan.
171
172
TRO-TUE
FRANCAIS.
Hs ont trompé.
TROMPETTE.
Tronc d'arbre.
J'ai porté un tronc d'arbre qui m'a fait
tomber l'épaule et le nombril.
Trop.
Trou.
Le trou d’un rat.
/
TROUPEAU.
TROUvE, imp.
J'ai trouvé.
Tu as trouvé.
Il a trouvé.
Nous avons trouvé.
Vous avez trouvé.
Ils ont trouvé.
J'ai cherché, je n’ai pas trouvé.
True.
Cette truie a deux petits.
|
BERBÈRE
À ME
TRANSCRIT.
Zighan.
Ghaiatha.
Acaroum, akdjemour. s.
FIGURÉ.
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De) - 0) L)
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Icourman, ikdjemouran. ED) 2 j Es BST)
CPE
07 0 2 =
Erfadagh acaroum taghli xS DD EN
thaïtsiou akk thimi-
thiou.
Nizha.
Oukhdyid.
Oukhdjid en ongharda.
Oulli.
Oui.
Oufigh, oufighd.
Toufid.
Loufa.
Noufa.
Toufam.
Oufan.
Foudayh our oujigh.
Tihft.
Tilfatin.
(CINE CEE)
és) pol 559
Tülift taghi ghour's mera-| (we;
wid errau.
Engha.
TUM-UNE 173
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
u us
5)
J'ai tué. Enghigh, enghighd. ACCES ESS
Tu as tué. Tenghid.
Il a tué. Ingha.
Nous avons tué. Nengha
Vous avez tué. Tengham.
Hs ont tué. Enghan.
Cet homme a tué mon frère, j'en tirerai Erghaz aghi ingha oug- LES HS
vengeance. mainou, aderragh eth-|
sart's. 2°) o—ù 15)
Tumeur. Ibzic.
Turgan de laine. Terkerzit.
Telament.
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Lewen, ian, wan, wa. Je - us = uk = Un
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Une fille. Iwet tacchicht. CAGAASIRS Cp
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Un jour. Tan was. unis vb
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Une fois. Tant tikilt. A5 est
Un après l’autre, ou une chose après Wadefirwa. Isle
l'autre. 4
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Un autre. & Wein neden. US (rs
174
URI-VAI
FRANÇAIS.
Un des autres.
UÜriNE.
Va, imp. d'ALLER.
Je vais.
Tu vas.
I va.
Nous allons.
Vous allez.
Ts vont.
Je vais acheter.
Vacue.
Jeune vache.
La vache mupit.
Cette vache a beaucoup de lait.
La vache a fait une génisse.
Varnes, triomphe, imp.
J'ai vaincu.
Tu as vaincu.
I a vaincu.
Nous avons vaincu.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Eddou.
Adeddougk.
Ateddou.
Adiddou.
Adneddou.
Ateddewem.
Addedwen.
Adeddough adaghagh.
Tefounest. sing.
Tefounasin. pl.
Temwat.
Tefounest tessarimmih.
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Tefounest taghi yhour‘s US SL Ca) D ÀS
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Ne
© 2
AA) E 24
Tefounest tourou temwat. cé DER
Erni.
Ernigh, ernighd.
Ternid.
Irna.
Nerna.
FRANÇAIS.
Vous avez vaincu.
Ils ont vaincu.
Les ennemis les ont vaincus.
Ils ne nous ont pas vaincus.
VaLÉRIANE, corne d'abondance (vale-
riana cornucopia, L.).
VALET.
VALoN.
Vase De TERRE oblong {tharabouck)
dont le dessus est couvert en par-
chemin ‘.
VAURIEN et IL NE VAUT RIEN.
Vaurour.
1 lui a ouvert la veine (il l'a saigné).
VENDS, imp.
Je vends.
Tu vends.
Il vend.
Nous vendons.
Vous vendez.
VAL-VEN 175
BERBÈRE
LS ERREURS ARABE.
TRANSCRIT. FIGURE.
Ternem
Ernen.
Diaédawen ernenthen.
Wernagh erren.
Hachbet elsiba.
Aäzri.
Talat.
Aghwal.
Douluchit.
Ighouder.
Tghidir.
Aghallous.
Tghallousin.
Azar. sing.
© = OS)
Tzouran , azournin. P- C5S)s)) D wbs5t
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Adzenzagh. 255)
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Atezenzid. N3555)
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s. 7 2
Adnezinz. : 5555)
fo A p
Alezinzem. 5»)
* On le tient sous le bras et il sert, ainsi que le tambour de basque, à marquer la cadence.
176
VEN-VER
FRANÇAIS.
Hs vendent.
Moi, je ne l'ai pas vendu.
Je ne puis le vendre.
Vends-moi ton cheval.
Il a vendu sa maison.
VENDREDI.
VENGEANCE.
Il faut que je tire vengeance de lui.
VENT.
Vent frais de mer.
Vent chaud et empoisonné qui souflle
quelquefois dans le désert.
VENTRE.
Le ventre me fait mal.
Son ventre est enflé.
Notre ventre est plein.
Ver.
Ver qui attaque le blé.
Ver qui attaque les fèves, et générale-
ment tous les légumes.
VER.
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Adenzen.
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Theaäbboutiou icarhu.
Aäbboulis ibzic.
Ehalicnagh irwa.
Teuka, teukiout.
Sous.
Chulouch.
Azighzau.
FRANÇAIS.
VERGER, jardin.
VÉRITÉ (La).
Dis la vérité.
Parole de vérité.
VERMILLON.
J'ai teint ma couverture de laine en
vermillon.
VÉROLE, maladie vénérienne.
VÉROLE (PETITE).
VÉRONIQUE DES GHAMPS (veronica agres-
tis, L.).
VERRE, et tout vase pour boire.
VERRUE.
Vesce (La) (vicia sativa. L.).
VEssIE.
VÊTEMENT.
Veur.
VEuvE.
VIANDE.
Viande salée et fumée.
VER-VIA
BERBÈRE
A — — — —
TRANSCRIT. FIGURÉ.
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Werti”. ds
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Elkermez.
Athan amoucran.
Tezerzeit, tebaout.
Inzar en timchicht.
Thas.
Tifiliwin.
Djilbane.
Ekirchiou. sing.
Ekirchiwen. pl.
Themilsat.
Tmoughal.
Temoughalt.
202
Aksoum, ouksoum, te- cm | DA
fihi z
Cadid.
* Ce mot rappelle involontairement le latin kortus. (Note de l'éditeur.)
1974
ARABE.
178
VIE
FRANÇAIS.
Viande salce, séchée et conservée dans
l'huile”.
— rôtie.
— bouillie, en berbère, viande cuite
dans la marmite.
La viande est gâtée.
La viande n’est pas cuite.
J'aime mieux le couscousson que la
viande.
ViEILLARD, vieux.
Ton frère est devenu vieux, sa barbe
est blanche.
Ce vieillard déraisonne.
Le nouveau marié est trop vieux.
VIriLse.
La vieïlle a perdu ses dents.
BERBÈRE
nee Le RE — ARABE.
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Khaliä. hs
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* C'est la provision de ménage dans toute la Barbarie.
FRANÇAIS.
La vieille peut faire descendre la lune
au milieu de nous.
La vieille m'a dit ce qui doit arriver.
La vieille peste contre nous.
Viens, imp.
Je suis venu.
Tu es venu.
Il est venu.
Nous sommes venus.
Vous êtes venus.
Is sont venus.
1 vient tout à l'heure,
Moi, je viendrai demain.
IH ne peut rien venir de moi, c'est-à-
dire je n'y puis rien.
I ne vient rien de lui, c’est-à-dire il
n'y peut rien.
Viens vite.
VierGE , pucelle.
Vir, vivant.
VIE-VIF
BERBÈRE
LE : = PEUR
TRANSCRIT. FIGURE.
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Esagh, wesigh, wesighd,
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Tousidad, techcad.
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Noused, nechcad.
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Tousem, tousemd, tech-|_
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Ousen , ousend, echcaden. | = Dis) E Q—s!
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Our dias era zighi.
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Eddou ghiwel.
Teladzibt.
Idder.
180
FRANÇAIS.
Vicwr.
Vi, méprisable.
VILLAGE.
Viize murée.
Vin.
VINAIGRE.
ViozemmenT, de force, adv.
Viouer, plante.
VioLox à deux cordes de boyau qu'on
appuie sur les genoux.
VIPÉRINE, plante {echium vulgare).
Visacr.
Vite, promptement.
VITRE.
[| Vizance, plante.
VorzA (Le).
La voilà.
Les voilà.
Vois, imp.
J'ai vu.
Tu gs vu.
TH a vu.
Nous avons vu.
VIG-VOI
BERBÈRE
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Teferrant , tijnent.
Dirith.
Tedert, tedert. sing.
Touder, thouder. pl.
Alquissar.
Eman o aädil.
Ousoummim.
Istimera.
Albalé.
Rebab.
Ilis en ezghir.
CRE
Acadoum, widmen. des - n55b)
Glhivwel.
Jad.
Thousint.
Waghini.
Taghini,
Weighini.
Ezer, sel.
Zerigk, selegh.
Tezrid, tesel.
Izra. isel.
Nezra, neset.
VOI-VOL
FRANÇAIS.
Vous avez vu.
Ils ont vu.
Je suis allé à Maroc, j'ai vu le sultan.
Je vais voir.
As-tu vu la sœur?
Je ne l'ai pas vue.
Vorsin.
+
Nos voisins se disputent toujours.
J'ai un voisin derrière ma maison.
Voz, l’action d'un oiseau qui vole.
H vole.
Ils volent.
L'autruche ne vole pas; elle court sur
ses jambes.
Voz.
Lui, il a fait un vol.
Vozeur.
On a pris le voleur; on l’a pendu.
BERBÈRE
À
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Tezrem, teselemd.
Ezren, selend.
Rouhag k
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zerighd oughillid.
Adeddough adzerigh. &ÿs } £° 5)
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Aâchiran. pl.
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Neaâmet our adifigh ; te- 25 59) SG
zel ghaf idarenc's. 2 vor
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Toukirda.
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Sync) - SRE)
Nilhsa isker toukerda.
Imecrad, imikerd.
Athfen imekrad ; aâlla- SK Ar
canth.
Etre
181
ARABE.
182 VOT-VOU
BÉRBÈRE
FRANGAIS. ——-
TRANSCRIT. FIGURÉ.
Ê UC 20,0.
On lui a coupé la main et le pied. Ghizmen afousis akk dou- d) tas si) use
darts.
CALE
uylsss
Ce
Vorre, adj. possessif. Ennewen. masC.
Ennekunt. fém.
[2 +07 © 2
Votre pays. Themourt ennewen. m. ul Sp
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Votre village. Thedert ennekunt. Ë caG | ES
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Vos montagnes. Idourer ennewcn. masc. nes BTE)
o 2 070 La
Vos collines. Ighallennekunt. fém. À
Vous, pron. pers. subst. Kunwi. masC.
Kunamti. fém. AA
07 LE
Vous hommes. Kunwi erghazen. U) D) un
©
Vous femmes. Kunamti thoulawin. ee Ae
vu, 2407
Vous avez fait. Kunuwi teskerem. masc. De ne
Ÿ © 07,
Kunamiü teskeremt. fém. ca Sous le
re
Vous régi par un verbe ou par une Adhawen, kun,wen. m. V9 = 2 nt
préposition. AN Cu
Adhawent, adhakunt, Fee cao)si
kant. fém. GAS
ÈS =
2 Dee
Je vous ai donné. Adhawen efkagh. es Us)
o uv
Je vous connais. Sinaghkun. LA
Js vous ont fait. Adhawen seleren. pes Us) si
u 20
Ils vous ont laissé. Giankan. oSlZ
Auprès de vous. Ghourwen. UF
CET
Je vous ai dit. Adhawent ennigh. fém. ais esse
uw 207
JH vous battra. ILetlane fém; AAGSS
VOY-VUE 183
BERBÈRE
FRANÇAIS.
TRANSCRIT.
Adhakunt our hamme-
Je ne vous aime pas.
lagh. fém.
Je ne vous ai pas vu. Werkunt zerighd. fém.
Auprès de vous. Ghourkunt. fém.
Sur vous. Soufellakunt. fém.
Voyace. Hirké.
L'an passé j'ai fait un voyage. Esoughasa iaädden seke-
ragh hirke.
Vue (La). Nidhre.
hr
+
sent Soit ndoN eus BE
+. EE M8 ever ba sf, f
L
PTDÉPALE NT Cr1ES
ner PONE C4
SONORE
ND TC IAE LE
INDEX ALPHABÉTIQUE
DES
MOTS BERBÈRES ET ARABICO-BERBÈRES
CONTENUS DANS LE DICTIONNAIRE DE VENTURE,
PAR M. P. AMÉDÉE JAUBERT.
©] De, du, prép.
«33 sing. gs 3,UL plur. Côte, os courbe.
36 Barque, chaloupe.
65] Arrète-toi, imp.
lGl Commence, imp.
los Toujours.
sus Partage, imp.
wlssl Silon de Ia charrue.
3 55] Répudié, imp.
Et Grêle,
1] Chemin, place, espace.
sta) Cours de ventre.
LS 2 olS ssl Le noir des yeux, la prunelle.
>! Anneau, bague.
olsÿl Laitron ( sonchus, L.).
GS! Urine.
DoilGorille, ornement.
FF sing. 5lgl plur. Sauterelle.
xl Tumeur.
Fr?) Urine.
nel sing. ol plur. Singe.
u= nee PL
LL Gland doux. oué L,Ll Gland amer.
Dés! sing. gl plur. Parties naturelles de l'homme.
bal Borgne.
NCuant moustique.
«wsuw) Bernous, vêtement de Jaine.
sl sing. G54 plur. Fève de marais
9) GT Enfantement , accouchement.
Q*Î La, les, pron. relat.
53231 Pleure, imp.
céail Pomme.
& SR Je sommeille.
5 - ju3l Oublie, imp.
dé El Habille-toi, imp.
ST cetea.
sl sing. ol plur. Pigeon.
2 «5351 L'étoile du matin.
LT Vengeance.
SUST Dors, imp.
lee
sb sing. ss GI llur. Queue.
SAT sing. olast plur. Ane de la petite espèce, de
la grandeur d'un dogue,
a: js Coutelas.
gba Chalumeau, instrument de pâtre.
Si «| 39à| Terrasse d'une maison.
ssl Gale.
dési sing. sl plur. Fleur.
186 s
s|
F
55 Garçon.
5e Appartement inférieur, rez-de-chaussée.
ET come de laine qui sert de vêtement.
cl ossl plur. Parties naturelles de la
femme.
rs sing. ol plur. Merle.
US SEM
73e ll Léard de la grosse espèce.
Ji = ds Guéris, recouvre la santé, imp.
BE sing. orlsl plur, Maison.
yes Égratigne, imp.
9) EI JL} cervelle.
Dsl sing. w5lal plur, Tête.
AN Sabots spongieux du chameau.
sl Trèfle (trifolium pratense, L.).
Je Anneau, ornement pour la jambe.
mal Couverture de laine qui sert de vêtement.
Sas Meilleur, mieux.
1 sing. 3IS1 plur. Nuit.
ST sing. EE) plur. Doiot.
Si @l3 plur. Jambe.
sl À 2 51 sing. os! plur. Pied.
Ë I: J'écris.
Sat A eux.
Dsl Cire mêlée avec le miel.
PA J'achète. æls J'ai acheté.
PTE Eux, ils.
ëli» 3] de brode.
3351 Vif, vivant.
js Pile, broie, imp.
335 Marche, imp.
OS) Mes enfants.
das 9331 Viens vite, imp.
5 sing. 5339 Pre) plur. Montagne.
59353 Sourd.
us Peu, un peu.
Cr Argent monnayé.
o70o7e
El. Je peux.
dus pe pui ST Je bats le briquet.
East Je fume. |
ES de soupçonne.
DÉS endroit.
US sing. GÉÉSI plur. Pierre, caillou.
Al Hier.
pre las Due st plur. Sangsue.
Ji Neige.
Ja Couvre, imp.
gai Jonc.
GpLesl Rhume.
ST aing. Gplil plur. Poitrine.
ew—
url Sang.
ST Plie, imp.
55 Vent.
e ci Berceau.
Ie.
Sven pronom régi par un verbe ou par une
préposition.
CAL Celui-là. ol Ceux-là.
ét Il vole. ST Ils volent.
de 2 NÉ Raisin.
ST Lui, régi par un verbe.
£ ST Nous, régi par un verbe.
css SIT Toi, te, pron. de la ® pers. régi par un
verbe.
GB Vous, masc. régi par un verbe.
JE si sing. DO 3] plur. Gendre, cousin, parent.
» CON C Det Le P
j Ferme, imp.
ÉLe 21 À, jusqu'à:
x Renvoie, imp.
CA
b | Point du tout.
wbl Les HEAR enfants.
DT sing. AN plur. Chameau.
clé] Prends garde, imp.
5) Attends, espère, mp.
Jis;l Prêt, subst.
Jo Prête, imp.
|, - +l,5l Les petits de l'homme ou de l'animal.
22 =52) P
@25| Blé
Jo! Petits enfants.
55! Casse, imp.
5l Riz.
EDS siny. 635! plur. Bourdon, grosse mouche
ennemie des abeilles.
255! Découvre, imp.
dsl Boiteux.
7” Descends, imp.
) Marie-toi, imp.
32 Agrée, imp.
&;1 Protégé.
LE; Espion.
ji sing. ob)! plur. Homme.
D, 3; Î Fanfaron, homme qui se vante.
Fu DES [ Avare.
Lis st Injurie-le, imp.
sl Porte, transporte, mp.
SÉ) T Courrier, exprès.
os; ( Malpropre.
e 7e
us sing. tte) plur. Savate, vieux soulier.
5 Lorsque.
Ob5l sing. ob, | plur, Plus, plus nombreux, adj.
55 Augmente, imp.
sl Vaincs, triomphe, ump.
js] Fuis, imp.
os) Européens.
551 Rassasie-toi, imp.
sl sing. CE plur. Porc-épic.
El sing. 9)! = wbs5! plur. Veine.
o»55l Étourneaux.
colÿyët 5 Allons donc, marche, imp.
Jétsl sing.
Jb jf L'heure intermédiaire entre le lever du soleil et
5 plur. Joug.
midi.
Ji Cheveux.
be Vent chaud el empoisopné.
cl Devant, en présence.
ci Approche, imp.
si Mouds, imp.
#3 Derrière, après, prep.
555] Marteau.
55 Mortier.
25! Vois, imp
es sing. Ole) plur. Serpent.
ae) Cabane.
ni) De nuit.
335! Torréfier et faire frire.
935l Cassie, arbre épineux.
2 55 sing. 155! plur. Pierre, caillou.
os issu de laine, de soie
ül Trais, imp.
5] ne o; 1 plar. Bœuf, taureau.
ol = sl Passe la rivière, imp.
Æ) Demain.
188 del dl
4 ss atngs bé :5| plur. Tombe, tombeaux. SET Magicien, sorcier.
cos] Ortie. $ ee) sing. O3 ul plur. Mulet.
LS Ines nccniles ei Allume, imp.
oran Gi Salis, imp.
Ji Égorge, imp. nr Arbousier.
Al sing. ol plur. Oignon. Jui Barbier.
5l sing. G5lé5l plur. Lion. Slt sing. @5l&xl plur. Bois à brûler.
Dos Olive. AC Fer de cheval.
3651 Platine de fusil $,kal Broche, brochette.
CR) Clitoris. > Jul Créneaux.
Juil Panier double. AK! Orfèvre.
ÉÉbiniere crise pre Fais, imp.
5531 Devance, imp. Re) Sucre.
AESI Rouge, couleur rouge. ee] Hume, suce, imp.
«53| Tourne, et fais tourner, imp. 5962] Plie, imp.
51551 Verd. élues = 3,R1 Asperge blanche.
Ke] Corde de chanvre. Je Écoute, imp.
55 sing. ol plur. Agneau. al sing. EU plur. Poisson.
ä si Fleurs. pe Poison.
se ë 55 Rose, fleur. Slt] Emporte, imp.
Le; Poteel grosse solive. cpl Bleu de ciel.
Url 45 au, à la, signe du datif. és! sing. (sal plur. Esclave.
Ur] Viens, imp. Ggil Recueille, imp.
nets Sol Froid.
EU Foin, et toute herbe sèche. sl Connais, sache, imp.
23e] Jarre, cruche à deux ansés. A) Gal plur. Épine.
osélel sing. bete plur. Corde en sparterie. SALE] Allaïte, imp.
pu Remède. ET sing. alé gel plar. An, année.
SC Pays. Lal Nuages
PE) Sac de crin. Lstrul Aiguille d'emballage.
quel Pipe. il sing. œUl plur. Rivière.
Léul Malgré, violemment, de force. gl Sache, imp.
REr uw! À reculons. SU Davantage, plus.
AE] Reste, superflu.
nr] Flocon de cheveux.
coûl Danse, imp.
el sing. pl plur. Ongle.
Sypël Grotte, caverne.
sil Viens, imp.
Dal Branche d'arbre.
Jotlal sing. orJllal plur. Parties naturelles de
l'homme.
es Jarre, cruche à deux anses.
sil masc. cs lfém. Que d'interrogation et d'admiration
sal Pourquoi ?
sa) anus.
DS leito.
SALE Bouilli, snbst
del Hier pendant le jour.
el Moelle.
oËT Hydropisie.
oft Beaucoup.
PJ Prends, imp.
Let Reins, épine du dos.
set. Cuisine.
ë Mu.
A Nous, régi par un verbe.
31) Muralles d'une ville, remparts.
gl Chemin.
En Le £ plur. Grappe de raisin.
él sing. Gaël plur. Os.
5555 NT Dieu.
DA cr cry plur. Veau.
65| fu Cannes à sucre.
Slosl RUE Oiseaux.
Mein Prairie.
à 189
niet Méchant, pervers.
ap Gosier.
BE Sa singe = 33Ë| plur. Rat et souris.
pool - pa él Pain
«£ él Jasmin jaune.
sel Gelée blanche.
D) PAT Boucher.
SI sing. Gl)jél plur. Rivière.
LE él Long.
pét Coupe, ump.
oil jél Ci-devant.
pl La moitié.
pssl x Midi.
sl pas: Minuit.
aus pusil Demi-heure.
Sel Fumée.
J! sing. AE plur. Bras.
ol Empereur, roi.
pi sing. phil plur. Bèche, subst.
Etes Matin.
œl dél Le point du jour.
Cl Frère.
Se Cheval.
EN Muet.
rai Lait aigre.
JET, Vase dé terre qui sert de tambour.
58 os
D] sing. Dol plur. Vautour.
sÿ Suie.
3 nu opsël plur. Mois lunaire.
Sl sing. Dlpel plur. Le talon , et la plante des
pieds.
Ju;,éf Son, la partie grossière de la farine.
Hall Santon.
190 cs
M Ceinture de cuir.
prsél Couleur violette.
Et Gencives.
ds ét Fromage.
Dr
»gl Pluie, forte averse
Hi ZT
JU Le Huître, coquillage.
&l Ceci.
AT De, du, prép
Gel sing. (url plur. Chevreau
Jsël sing. JU,É plur. Ane.
ep! Étincelies, bluettes.
AE Fil à coudre.
«| Cours, va devant.
Jtl sing. sl pl Parties naturelles de l'homme.
d3] Mille.
sl Cache-toi, imp.
Sell Mortier.
3 pi Couteau de table.
eo sing. zl ll plur. Oiseau.
dl sing. (31351 plur. Feuülle d'arbre.
étusl Silence.
yat Étends, imp.
sl Délie, imp.
ä Sors , imp.
ed Tortue.
L Donne, imp.
HE! Poivre.
REF Gi all Terrasse d'une maison.
gl nu ol plur. Main.
pli sl Anse d'une cruche, d'un vase.
Uslsl Coq
Lt sing. ol plur. Serpent.
AA] sing. oil plur. Peau de bœuf, de chameau.
S
poil Visage.
Ps 56T. sing. Le 5] plur. Tronc d'arbre.
&sBT sing. _wy)6l plur. Tête.
wall œ Olive.
ol sing. ol plur. Petit chien.
ps s] Demi, moitié, milieu.
GEST sing Dhéas li ph Eofant, garçon.
ST img. Gb plur. Nègre, esclave ou libre.
ri Assieds-toi, imp.
&345| adj. masc. Gras. ds fém. Grasse, bien por-
tante.
ol Postérieur.
“
| Tout; signifie aussi avec.
S| Toi , te, pron. de la 2° pers. régi par un verbe.
Lee Entore.
Jens, poussière.
Je Blé de Turquie, mais.
Xi Mesure , imp.
Lo
es | 1Ésing: ô) sl plar. Tronc d'arbre.
et Saute, imp.
al Laboure, imp.
reel sing. one plar. Vessie.
al sing. (3) Let plur. Bélier.
| Ote, imp.
£ ee) J'ai craint.
Jet Barbier.
prel D pri Viande.
pl Peau de l'homme.
ml Entre, imp.
dé) Bois à brûler.
Ji! Esquille, gros oignon.
TPS sing. rs) plur. Bouc. .
Je Bois puant, arbrisseau.
pl 19]
je Gratte, ump.
clesil gel Empoigne, serre, imp.
Fe Afin de, afin que, pour que.
CkS] Rôti.
Del Jumeaux.
ele 0335! plur. Puce.
3 2e) Escayolle, graine.
ae Avec, ensemble, conjointement.
Htl Feu.
EX] Baguette de fusil.
JM Bègue.
ul sing. EU) plur. Langue.
585l Al ul Vipérine, plante.
Le ul Revêts-toi, habille-toi, imp.
Fo Bride.
ps) sing. 434) plur. Chameau.
cl sing. oil pluriel. Cochon domestique ou sau-
vage.
> ol Al Dauphin, poisson de mer.
ni | Diner, subs.
ga 3 | File, fais du fil, imp.
soil - di Ouvre, imp.
si Apprends, imp.
|, @l Pluie.
ST Boue.
Monte. imp.
a [ Paille de froment.
5] Semblable, comme.
£BUT Bois, forêt.
2)" Chanson.
bte sing- CE )) Le plur. Berbère, homme libre.
3 Ombre, ombrage.
OU! Personne, individu.
ob Eau.
de A bb Vin.
ob OÙ Déluge.
Géel Crachat.
al Barre qui sert à fermer les portes.
o@2liNon, poiat du tout.
Hu) Soufllet, coup de la main sur le visage
Li Imam, prêtre.
Caen 0: Lsel plur. Corde de chanvre ou de erin.
Sal Prends, imp.
ë ren dé 3j} plur. Oreille.
A à 2 lMéiner, plante
D 2) Ancêtres.
L, ll Chauve.
No) sing. Lo jel plur. Premier, devancier.
ei Berbère, homme libre.
A Serrurier
A Partie inférieure du corps humain.
le) Corps de l'homme ou de l'animal.
HT re cree
Im] Parle, imp.
Gill Hanche.
Génial sing. GEl&el plur. Chat.
AE sing. opel plur. Vicillard, vieux.
Gi Roi chrétien.
Sel La nuque.
re prêtre.
Se = ho masc. Grand. es y Ëe füm.
Grande.
BEA &Sl£el plur. Cheikh.
del Comment.
ne | Faux , faucille.
192 a
5) Moissonne, imp.
3LKL Moissonneur, cultivateur, laboureur.
er. à
aa) Déjeuner.
J'ùt Blanc.
LT Moitié (La).
CN plur. Sourcils
64 Escalier.
pt Of 5 Seuil de la porte.
re) Souper.
él Protége, imp.
Al Ciseau de menuisier.
al Combat.
bei Mal caduc.
Jésel Veuf.
SLA Aiguitlon.
a sing. oLel plur. Bouche.
ol De, du, prép.
Jo%l Été (L').
&Sl sing. EE plur. Convive, hôte.
LE Cuivre.
L (iliPlie averse:
) penses
eénie OÙ 515l Véronique des champs.
gl Nèlte.
55! sing. ol plur. Nez, narines.
ne] Passe la nuit, imp.
bit Musulmans.
«s5l ado. D'où P/de quel lien?
ous Quel, quelle? pron. relatif d'interrogation.
cris | Comme , semblable.
si Plattilo
ds] Oui.
Gt Assassin.
Efruere
JGit Noir.
SE NNetre
nr sing. LS plur. Dernier.
Las Peau de mouton.
EG Nous, régi par une prép.
ei Notre, nos, adj. poss.
o 7e
Gal masc. Cxu| fém. Leur , leurs, pron. relat.
al Habits.
GA Balaye, imp.
AG Arbre.
lui Gil Pommier.
5 HET Rosier.
OST maso. En dore Ce
és Sur, dessus, prép. de lieu.
ci Puits.
1, =, ai Qui ? interrogahf.
JET Cuisine.
sl Tourne, et Fais tourner, imp.
) sing. Os) plur. Hérisson.
&l Dessus, le dessus.
Je: él Toit.
nl De, du, prép.
an Prends, mets-toi en possession, imp.
AE gli] Achète, inp.
Déliniens. parole.
HE La peau de l'homme.
122) Estropié.
ei Bien, richesse.
Sal Porte (quelque chose), imp.
sul Bats, imp.
Ji! 2.5 sing. JUS] plur. Lièvre.
#4 Manger (Le), subst.
dE sl Trou.
FER Derrière, subst.
Fi none
oe3 Parents.
us sing. 239 plur. Juif.
us Poltron, littéralement Juif.
«3 Beurre fondu et salé.
et 5! «39 Beurre frais.
A Ne, particule négative.
Hall Les deux mains pleines.
El Joue, tmp.
Das sing. éslaÿs) plur. Hyène
G| Farine
Es] Écris, imp.
dl, Ni 523 Constipé, il est constipé.
5 OÙ ï Jours courts.
se) Vinaigre.
ST sing. obsl plur. Fourmi rouge.
nE imp.
de 3l Crains, imp.
Ds. Pacte, accord.
Dal Étranger, adj.
Jsjl Retourne, imp.
JÉd sing. ÿ plur. Dents de devant.
fl Puise, imp.
En Trouve, imp.
Kl Retourne, imp.
=}
ER Allumette.
webs) EPA] Bouze de vache sèche.
dd Également.
es 193
Cp Avec.
Jet Deviens, imp.
sel Descente.
ue) Boulanger.
Se Avec, ensemble, conjointement.
Je sing. st plur. Cœur.
Ji Rien du tout.
st Troupeau.
sl Porte, imp.
ou Amène, apporte , imp.
y Ventre.
jréel Herbes de la campagne
cs| 1, pron. de la 3° pers.
«sl Lui, il, pron. relat.
El] A , au, à la.
s33bl sing. lg) pi Coq.
plinal = 8) - Gr gel SEX Chapon,
coq châtré.
et Pays.
€2552| Ronfle, imp.
«sal sing. oly#ol plur. Étoile.
Al Mange, imp. x
Æ) Démangeaison.
gloal Sommeil.
Jo sing. EUETe] plur. Aveugle.
JEol Pantoufle.
&Y sol Les gendres ou les cousins.
«sul Wii Glosl Br Chien.
ogoil sing. Dossat plur. Outre pour l'eau ou pour
tout autre liquide.
ox Mauvais, ce qui ne vaut rien.
Sat sing. w3xl plr. Tigre, léopard.
ll Bien, adv.
194 E Du
ol Bracelets. ab! sing. os] plur. Fronde pour lancer des
«js sing. lol plur. Mouche. pierres.
s#452| Chardon. “el Peau.
cer sing. ont plur. Entraïlles, boyaux. soi H y a un an.
«sÿ2l Convalescent. Al sinq. ol plur. Peau de chevreau, de ga-
y! sing. gl plur. Cheval. zelle, fran
gLtusl plar. Sœurs. 23e Voleur.
GSqaal Baiser, subst. Jallel Blanc.
ya sing. col plur. Corne de bœuf ou de tout el Repas.
autre animal. 03935€! Bouze de vache.
AG ol JE yat Combien de fois? te
val Pepins, et tous noyaux de fruit. duel pa un peu.
D yEnel Voleur.
el Dis, imp.
AUS L sing. exX2% plur. Elle, pron. fé.
ul Son, sa, ses, pron. poss.
seal Beau, bon. ol Ton, ta, tes, pron. rel. de la 2 pers.
Os ons | Teigne, maladie. rl Ton, ta, tes, pron. poss. de la 2° pers.
ue al Dattes. \ el Mon, ma, mes, pron. poss, de la 1° pers.
Gé] Lien. Léo] Lui, il, pron. rel. de la 3 pers.
Gel sing. O1 plur. Mouton non châtré. Jéet Ronces de haies.
- Le] Loin, lointain. no | sing. EC lur. Témoin.
CT. cs ce 9: LV lP
5 3 Chasse, renvoie , imp. $ 1] sing. ns sl lur. Mois lunaire.
TT P DL 9. Ga! P
« 5 Plomb. 3Ll il Canard.
Si ol 315,3
pa a Pois chiche. Ojsl Semoule.
JL Bien, richesse. gl Fils, enfants.
dl Ma fille.
S
GI se GG Père. eye) a Extinction de voix.
SG Vêtement, habit. Yon Eye Hibou.
aJG Violier, plante. OÙ ys Broderie.
aile Gombo (hibiscus esculentus). EN Éclair.
dl Iris, fleur des champs.
2e 22
PISTS: Aristoloche longue, plante.
ylus Fenouil.
Lis Calamboche, gros millet blanc.
Loyés Bagbrir, espèce de gâteau fait avec du beurre
F du miel.
A Punaise.
Pie Gorge de loup, plante.
eo -
J4 Lion.
ral = (ed sinq. a al os plur. Maçon.
EE Bernous.
exësls sing- als plur. Teton.
AENTES
LU Laine.
5E Tambour de basque.
exe) D Chamelle.
EE sing. ES plur. Plat de terre.
50 Figues sèches.
3)! &3G Figue raquette.
É Dispute, subst.
5540 sing. xSU235ueS plu. Mule.
ee Ù5 Soufllet pour le feu.
ul Chemise de toile.
o Fe
LUE Musette, sorte de cornemuse.
sb sing. ul - msél plur. Canne, roseau.
ace Chose.
e
©
co jsb Asser, heure intermédiaire entre midi et le
coucher du soleil.
eo 17 ; PEU
ex y Dépense, nom du lieu où l'on tient les pro-
visions.
ab Cette, pron. démonstr. fém. de la 8° pers.
noce Tambour de basque.
DE )GS Sellier
éd sp Bossu.
2338 Chenille.
ae 13 Poire.
LD
Lis Pomme de terre ou patate sauvage.
og Beaucoup.
3 Déchire, imp.
5 Bisar, mets de la Barbarie
AE Dindon.
KE La voilà.
lee pb she Mao
es5 5 Ù Petite chienne.
ext Capuchon.
Y0Vañon:
a pen
Pl sing. AE plur. Chatte.
EE) Marmite en cuivre.
cÿ$5Ù Rouille, subst.
LG Bâtiment, navire
nÉ Sabre court.
cs puy Vicille.
cs 6 Once, pièce de monnaie de Maroc.
GG sing. 3l54ai plur. Poule.
ssl Tapis pour faire la prière.
2005 sing. 2305 plur. Chienne.
LbL Musette, sorte de cornemuse,
ES Petite vérole.
DAS Étang, marais.
Ex 3 Y5 Selle de mule et d'âne.
ter Noire.
195
196 pu
se sert pour paver.
brebis.
DE) jS Rougeole.
crée A 225 Arbre.
enplE Charge de fusil.
Eee Nombril.
aE Présent.
LE Casaque de laine.
Cu Lupin, pois plat et un peu amer.
a Lait caillé.
de la un
coyalé Peste.
«15 Fille, vierge.
«JUL Fille, vierge.
JE sing. GE plur. Agrafe.
HE Bracelet pour le pied.
Il Of LE Narcisse, fleur.
es Manteau de laine grossière.
Solos Écritoire.
DS Vérité.
c>)0S sing. 395 plur. Village.
ls Fantassin, homme de pied armé.
asus a) 2» Un quart d'heure.
Dao Nourrice.
ESS Turban de laine.
ur EE Échalas pour soutenir la vigne.
RSS sing. el plur. Navet.
2e y Peste.
935 Enceinte, grosse.
sl sing. Qr JS plur. Pierre tendre dont on
EE sing. 33271 plur. Crotte de chèvre ou de
ox Culotte longue de toile ou de laine.
OlsS Les petits enfants.
JS Fuite.
HE 55 Grenades, fruit.
ES Prière.
RCE Bague.
Oplaul EDS Fagot.
3) Petite vérole.
ee) Lézard de la petite espèce.
V5 Course.
le Gamelle, jatte de bois.
5 Collier à grains d'or.
ÿ5 Olivier.
55 Tremblement de terre.
33 He.
O3 Midi.
93 Raisin,
exb;s Cachet, bague.
ESS Vigne.
JS La, les, pron. relatif de la 5° pers.
Rave Collier à grains d'or.
Je Culotte longue en toïle ou en laine.
Dur “ge tes plur. Salive.
cias Bâtiment, navire,
Les sing. nee plur. Perdrix.
cl Mariée, épouse.
CJÉaxS Petit miroir à coulisse.
Eure Oseille des prés.
CsAaÏ sing. On plur. Aiguille à coudre.
Etui Sel.
entres Chaîne d'or.
s Heure.
is ya Moment, un moment.
ol on ou) Après que.
ss Lit élevé et sofa.
sl Bonnet de laine teint en rouge.
LE Morceau de viande.
balais Ampoule, enflure sur la peau.
ges Bougie.
53,5 Outre faite d'une peau de gazelle ou de che-
vreau.
plis Poule.
w5uta Coffre.
a Fièvre maligne.
cr )02i Servante.
C5 yR us Dé à coudre.
Ses sl gs Poulailler.
es Forteresse, château.
Enr Bagage.
ex5 ya Lit fait d'une natte et d'une couverture.
Us sing. Jia plur. Natte, tissu de paille
ou de jonc.
Pnenes Sac de crin, dont deux font la charge d'un
chameau.
ca 35 Bastonnade et Bâton.
ESS Longue.
13a5 Poutre, grosse solive.
3535 Barre qui sert à fermer les portes.
CDS sing. as plur. Colonne.
53435 Genou.
crajlas Hache.
es h5 Maison.
Gas Tambour qui se bat des deux côtés.
coul; 25 sing. ES plur. Rayon de miel.
ais Fer de la charrue.
ed sing. Ojas plur. Orphelin.
re 25 Terre, globe terrestre.
eyes Pomme.
css il AE H a expiré.
pol 3: Je Gigot de mouton ou de tout autre
animal.
Es
ex ya5 Vigne.
CR Printemps.
GARE sing. Goes plar. Poule
bb Porreau cultivé et sauvage.
Le Soleil (le).
22
d D
Cxuigas sing. jul5 plur. Vache.
es Viande.
jus Coup de pied.
e 39 5 Boîte, tabatière.
or
co anis sing. yaris pl. Gerbe de blé , d'orge, ou
autre céréale.
Er Chaudron.
Des Tapis de Turquie, tapis velouté.
cris sing. orné plur. File.
Sais Courge.
cali Négresse.
JUS Chemise d'étoffe ou de laine.
pe) Bien portante.
eus sing. Es plur. Navet.
Ernie Scorpion.
ES di 5 Acre de terre, un arpent et demi
environ.
are Nœud.
Re Corbeau.
ere Bouton, furoncle.
Eye) sing. Pier plur. Cheville du pied.
198 Me
Go ais Je sue, lttéral. la sueur me coule.
INDES Lait caillé cuit.
nes sing. nes plur. Jument.
= ue Sofa.
ST Poignée.
KES Lit élevé et sofa.
Tes Peloton de fil.
ee re Toux.
me Cire.
ST Acier.
cxuSS Blessure.
SE Larme.
NU Obscurité.
PACE Turban de soie.
eé>y8lb 1545 Chaleur duisojeils
us di Pendants d'oreilles.
el Vierge, pucelle.
coaëals Coucher du soleil, soir
Sat Chamelle.
gel Champignon
ex GS Barque, Chaloupe.
bats deuil Bougie.
Fes Toïle de lin.
Bsar Boîte, tabatière.
cel sing ol plur. Pou, vermine de la tête
et du corps.
AE Quenouille.
NE Provision de bouche.
cils Lentille, légume.
WE Belle, bonne.
EVE Mouchoir.
uxejs45 Ceinture de guerre.
re Semoule à gros grain.
CARS Plat de faïence.
xls Balai.
UE Enterrement.
y Barbe.
boys Baume de marécage à grandes feuilles.
Se Libertine.
s ©
De Charbon, espèce de furoncle dangereux.
aus Scorpion.
cHué” Chose.
Je Las Étrille.
RS sing. HN plur. Chatte.
AL sing. ol plur. Cuisse.
As Balai.
y Femme.
er
Cyte" sing. os plur. Vieille femme.
Co)èe* sing. GI jee" plur. Cou, col.
pe Dévidoir.
LE) p Cimetière.
Ce Maceron.
eg
ed Blanche.
G vs Chaise, escabeau, banc de pierre.
ee se Femme de mauvaise vie.
le Jeune vache.
ENT Blanquille, pièce d'argent monnayé valant
trois sous.
cdé,s Veuve.
3 57
ego sing. DÉPIe plur. Prunelle de l'œil.
EURE, Bracelets pour le bras.
es Tonnerre.
Enes Fuseau, instrument qui sert à filer.
ous Gomme arabique.
13155 L'action d'aller.
TE Vent.
CE x
CRE » Songe, rêve.
s je =
D 95 =: Dons Elle est accouchée.
ex Clématite à vrilles, plante.
ose, Mercurielle, plante.
es Le couchant du soleil, l'occident.
ac Manche de la charrue.
DES Dents mâchelières.
JS Laés J'ai la fièvre.
DCS Vol, l’action d'un oiseau qui vole.
Les Ver.
15,5 Vol, rapt.
Re Teigne, ver qui ronge les hardes.
os Orge.
155 Front.
Sa Éternument.
ne Toupie, jouet de bois fait en forme de
poire.
Cite Figues fraîches.
le Carl Chêne kermès.
Ex 045 Femme de mauvaise vie.
55 -l,5545 Abeille.
«js Lune.
«> La, les, pron. relatif de la 3° pers.
pb sing. 8,5 plur. Porte.
Et Selle de cheval.
AE Surmé, collyre, espèce de poudre noire.
pose Is se disputent.
G 199
Er sing. dela plur. Aiguille à coudre.
cul _ cxapagi Araignée
cu us Aiguillon, dard du scorpion.
yes Ail
CE a Plancher.
Or 3pg#xs Après.
che Behen, sorte de racine médicinale.
Len Pieds de bœuf, de mouton, etc.
les Belle, bonne.
cul ès sing. LL ysras plar. Cancre, espèce
de crabe.
tes Mensonge.
oies Morceau de racine d'arbre pour le feu.
els sing. os plur. Truie
US Feu.
ose jee Corille, petit coquillage qui sert de mon-
naie et d'ornement en Nigritie.
els Filets, rets,
cxsñns Ciseaux pour couper la toile
LÉ 365 Hasard, par hasard.
56 Er Figuier.
LS Dattes.
Las Celles-là.
EG sing. les plur. Chèvre.
EE Feuilles de liane.
ex JL Métier.
ex€b Miel.
2 NES DA
S gs" — 3790 sing: 0 ps”, plur. Pays.
200 fu
ete sing. & 9 plur. Épaule.
sl sing. sl plur. Plat de terre moyen,
sur lequel on sert les mets.
pes Chardon produisant une gomme.
de È so Brebis.
tes sing. LR plur. Derrière, subst.
se sing. el plur. Paume de la main.
LG sing. DA plar. Torrent, ruisseau formé par
les pluies.
LS sing. Das plur. Canal.
UE Charbon.
LS Foie.
€ pus Moulin à farine, qu'on fait tourner à la main,
ls sing. os plur. Marmite de terre.
A Chaudron.
ae Ventre.
5 Artichaut.
ea Forêt, bois.
es) Brouillard.
es Fève sèche, dépouillée de son écorce.
edes Fois.
y Paume pour jouer.
re Corbeau.
SE Source d’eau, formant un ruisseau ou une rivière.
ME Habit, vêtement.
EÜ Paille d'orge.
sb sing. os plur. Tamis.
UE LE La droite, le côté droit.
sû; ol La gauche, le côté gauche.
uxsks* Pâte, farine détrempée.
lac? Précipice.
exJlas Bière, cercueil.
coys* sing. Cove plur. Menton.
esse Chardonneret, oiseau.
GA Orge.
Lis Peigne.
En Femme.
Ji ob Règles des femmes.
Les Noces.
crade Panais sauvage, plante.
EE Vêtement.
ÛL sing. pad - HO - clé plur. Out
Le Nombril.
“=
Sr sing. er plur. Sourcils.
Een Le, la, les, pure rel. de la 3° pers.
GS Dur og plur. Pierre à fusil.
STE cxblss Pain de beurre, ou pot de beurre.
| Maintenant , à présent.
Las P
o! 55 Lorsque.
Cor Rate, partie du corps molle et spongieuse.
Sas Toux.
D Lao Femmes (se dit en général du sexe
féminin ).
cl, Argile blanche.
La Filles (er
Er sing. SR D0S plur. Épi.
son Sueur.
sys sing. Op plur. Nœud coulant.
ce 0 Cousin, moustique.
des Soulier.
ES) La terre, le sol de la maison.
LS sing. Ga LaS plur. El.
obls LS Ron
culs sing. Gras plur. Toison.
0 33 Fourmi.
US sing. CES plur. Coup.
È — 201
oeles sing. psloal plur. Poulain, le petit de la &æ Paradis, le jardin céleste.
cavale. = Quitte, abandonne, imp.
alle Vesce (vicia sativa). ee Plâtre.
te Emplis, imp. | SA JE Coquillages.
@
USE Pain de pourceau, plante. los)l is Clypéole maritime.
3 Sabot du cheval, du mulet. el is Centaurée. LEE ikËS Centaurée
oe Lavande. galactite.
jh Garance. 4535 &aäs Bétoine.
oi > I faut que. it )= is Theligonum cynocrambe.
ds Pars, imp. ail &nëZæ Seneçon.
as = Voyage. a ae ii Sauge, verveine.
Eye Soie, fil du cocon. RE Ja Fossé d’un château.
Ml Dartre, tumeur avec rougeur et démangeaison. SE: Lavande, grande lavande.
Au Jalousie. se Érésipèle.
pre Équinoxe du printemps. Je Aime, imp.
Jz = Chenillette, plante. Ur Attrape-main, plante.
à re Réséda blanc. se Poudre de henné.
= eo :
Eadl &a= Valériane, corne d'abondance.
go =
: z, 3-0 DR rreeeD .
S'OAIES Jardinier. y“ Laitue romaine.
CACHE)
Je Oncle maternel. oyäs Herbes potagères.
dUl 5bs Savetier. als Viande salée, séchée et conservée dans l'huile.
> Sac de peau ou de laine, double. de Is ont joué.
GS Caroubier, arbre. tS Pêche, fruit.
ETS Automne. JLs Épouvantail pour les oiseaux.
LI Fruits. LS Cordon que les Arabes portent en guise de turban.
202 b p
EE Étranger. pe us Aigre.
olGt5 Noir. 325 Cheveux.
re Muet. 5588 Tribu divisée en plusieurs villages.
Justs Nouveau. DE Les Leur frère.
ælySt3 Méchant, pervers. (35 Tambour de basque.
des Fin, ne 555 Après.
55155 Jfém. Maigre, mince. EE Bientôt.
As Chauve-souris. 2125 Hlicite, défendu par la loi.
ETSE Doux. SDS Honte, déshonneur.
jo£ls sing. CARE plur. Ennemi. ds masc. ce Jém. Joli, agréable, bon.
Jaléls sing. ob | plur. Pauvre. LUE masc. c: ex fém. Tendre.
obgéls Long. ét Cervelle.
Jaiséls sing. ils plur. Orphelin. cils Faible, malingre.
olegils masc. se fém. Puant. GW sing. Wy2Re5 plur. Cavalier.
posts Ancien. els = 1,5 Sous, dessous.
Joss Ami. ae Passoire pour faire le couscoussou.
Ja xl5 Libertin. cxpsY à Vaurien.
glæls Fade, sans goût. ul Menthe à feuilles rondes.
SaSts Enragé. am Orpiment.
JUS Blanc. or£> Là.
«tels Absinthe. APCE Tort, manquement, faute.
CAE Court. 322 Mauvais, vil, méprisable.
DE es En, dans, chez. HE Dans.
hs Neuf, nombre. EE = 2 Hi y a, c'est-à-dire dans lui, dans
Ur Ris, imp. elle, dans eux.
«3 Époux. Da Sauvage, non cultivé.
S
] An Mastic ou lentisque, plante dont les Berbères emploient la graine pour faire de l'huile.
>
dl ul Épiceries, AA 45 Fripon, bâtard.
Enars en Fils de prostituée.
ob, Violon à deux cordes de boyau qu'on appuie
sur les genoux.
#5) Herbe fraîche.
ui Tombe, imp.
une soupe,
3%) Tonnerre.
cb cb Couperose.
5 Prends garde.
03515 Rougeole.
255 Corme, fruit.
J l5 Prie Dieu, imp.
de; Fumier.
g Don
5 Raisin sec.
do Tapis de Barbarie.
das 555 Carotte.
555 Épine blanche, arbrisseau.
Ô)3 3 Prunier sauvage.
wr#35 Agréable.
02) sing. PUS plur. Précédent.
eo 07
Che) sing. us; plur. Singe.
ci Vitre.
U À, au, à la, signe du datif.
Son, sa, ses.
y » Sa,
7 La, les, pron. relatif régi par un verbe.
e :
ARS y Pâte qu'on coupe en morceaux et dont on fait
5 Gâteau feuilleté.
955 Laurier.
as) Farine d'orge torréfiée.
ds 6) Myrte.
ne Je) Plume.
&) J'aime.
e
ed «3» Rivage de la mer.
hs; Menthe verte.
ë De, pour, depuis.
DE) = & De, du, prép. de lieu.
J55 Chaud.
SL; Briquet.
MS Gingembre.
dj Comme, semblable.
555 Vends, imp.
on Jeûne, imp.
al; Linéaire, plante.
ex 5 Huile d'olive.
Eu Doux.
ë) Trompe, imp.
ds; Aube, grand matin.
05 Is se sont disputés
Ur Lui, régi par un verbe.
U* Depuis, prép. de temps.
cs = Avec, marquant la cause instrumentale.
203
204 pa Law
He Éperon cl Pardon.
pËlu Cruche. at J'ai pardonné.
= ÿ S] ét Passe-lui sa faute, ump. 5 Agave d'Amérique.
tr Cuis, fais cuiro, imp. ét Encre pour écrire.
Er Accommode, apprête, tmp. y Cinq.
Je cas Sang de cheval. 3e Q Quinze.
Epueu Mouchoir de soie. oæ La, les, pron. relatif.
ÈE J'ai menti. Je Jacinthe, fleur
AVES Mële, mélange, imp. Be Cache, imp.
gras Six. Le” Bois, imp.
«ue Mets, imp. ob=ll D qu Jasmin sauvage.
A2 Moules, coquillages. CES dre Pervenche, plante.
EN KE ol LS Crosse de fusil. ul des Sauge, littéral. Cure-dent du Prophète.
2e Échecs. 135% Sous, dessous.
Je Rase, imp. os 3 Fume, imp. proprement : bois la fumée
ne Bonheur. de tabac.
2. Butin. Ode Baise, imp.
ë Depuis, préposition de temps et de lieu. gp Espart, jonc dont on fait des cordes, des nattes.
dé Renverse, imp. ue Ver qui attaque le blé.
Ex Fer de cheval. cé Crache, imp.
JS y Coing, fruit. ra Tais-toi, imp.
LS ol Qæ Paupières. 2 Dessus, le dessus.
Êe Plafond , le dessous d'un plancher. Je Crie, imp.
ILES Embrasure pour tirer le fusil. gl os Assieds-toi, imp.
gs Couscoussou. ORS Émeraude.
gs Montre, fais voir, ump. Se Lave, imp.
dJæ Vois, écoute, imp. usaw Tamise, imp.
ee Manteau de laine noire. ee sing. ete plur. Deux, couple, paire.
all ol Chèvrefeuille. JL Ever Douze.
JEale Doucement. Jon Appelle, imp.
pee Échelle. Jr Dis, imp.
o :
SL Glisse, imp.
8 Alun.
als Flûte à bec, dont l'embouchure est très-large.
das ob; l ke Hiver.
és Prince du sang de Mahomet.
es Affaire.
5 O1 525 Celles, pron, relatif.
d& Soupçon.
CE Sa Moustache.
eye Savon.
asple Acanthe.
glol ne Molère, bouillon blanc.
rEtr Lt Bonjour.
Cia
n
à We
UE Ver qui attaque les fèves, et généralement tous
les légumes.
ab Giton.
205
Dre Chamæpytis, Yvette, plante à laquelle les
Arabes attribuent de grandes vertus.
LAN
à Neige.
4 . û
Lis Un petit morceau, un petit brin.
GUbX& Diable.
Ex Fenêtre.
ae Licol.
«èähe Peuplier blanc, tremble.
sue Pin de Jérusalem.
45 Aumône. 5 ce Écho.
OZ = . p'rûs
#
dy;s Ceinture de soie légère.
a?
| jt &2,2 Pissenlit, dent de lion.
b
&<b J'ai dormi.
HE Dents de devant.
ob Enfant.
axeb Farine de blé torréfé.
a 35 58 Géranium, plante.
es Vizange, plante.
LE Merle.
52 xb Faucon.
re Lèse, imp.
353 Moineau, oiseau couleur de terre.
y Verre, et tout vase pour boire.
ARE
JE Secrétaire, tout homme qui sait lire et écrire.
Ab sing. (lb plur. Aisselle.
A db Maréchal, qui panse les chevaux.
ENRe Timbales (il y en a une de moitié plus petite
que l’autre).
e rt
ex«lab Plante qui empoisonne les moutons.
206
pe Ventre.
ds Ciseau de maçon.
0e Valet, serviteur, domestique.
cs Tribu, divisée en plus ou moins de villages ou
de tentes.
ee”
_ySy£.Thuya, bel arbre ressemblant à l'if.
Le, sing. ulysie plur: Voisin.
5e Rouge, fard.
oi] os Collier d'ambre jaune.
Je Esprit.
Ë Nous, régi par un verbe.
Œ- & Dans.
ë De, du, prép. qui marque le rapport.
«ÿlé Monde, troupe de gens, foule.
dE Tombe, imp.
D5lé Assieds-toi, imp.
La - lé Entre, parmi.
ne Sur, pour, à, au, chez.
SE Tique, insecte noirâtre qui s'attache aux ani-
maux.
1356 Ici.
Fee Grenouille et crapaud.
Dos Cresson de fontaine
Lee Lest d'un navire.
jé Grignote, imp,
LSé Aujourd'hui.
UNS 9 (Ré Lundi
SIT 4 Mardi.
425,9] ré Mercredi.
[ _ —
= Oncle paternel.
ee Source, eau qui filtre d’un rocher.
dE Guitare à huit cordes.
ui SE Chêne vert.
oué YA Castagnettes doubles et liées par une
lame de fer, à l'usage des nègres.
Ds sing. Es plur. Cheval.
es Tribu divisée en plus ou moins de villages.
2e) one Bonne fête.
< Prune.
ul y Jeudi.
= t)] ul = y£ Samedi.
5231 dE Dimanche.
ce se 2 x t
VU: ic Buste, partie supérieure du corps humain.
«ss Sur, pour, à, au, de, du, en faveur de; selon.
Jde De, du, préposit. de lieu.
de Jure, imp. ;
SE sing. SE plur. Jardin.
VÉ Couche-toi, imp.
OS Dors, imp.
«sis Chante, imp.
»g$ Chez, auprès, prép. qui marque la demeure.
bi db D Riches
ps J'ai.
es :,$ Entre, parmi.
«& À, au, à la, signe du datif.
alé Trompette, haut-bois à sept trous.
lo Hier.
e
d J;xë Vite, promptement.
BG Soif. ais Suaire, toile dans laquelle on ensevelit.
alè Rue, plante. Jb g 23 Brione, plante.
us Liége. J Abandonne, imp.
5 Feutre, étoffe dont la laine est foulée et collée. pe G Menthe aquatique.
Zee
by Papillon. ravl SD) Bourrache , plante.
4553 Girofle, épicerie. 355 J'ai soif
cru Tais-toi, imp. d,5 Finis, imp.
®)
p°Ù -Herminette, outil de charpentier. 5usl Us Cage d'oiseau.
F6 Équinoxe d'automne. Ji Gi Jës Serrure de fer.
4 Amadou. y Colocassie, espèce de topinambour.
Je Accepte, imp. oc Lie, imp.
05 Viande fumée et salée. wo Ferme, imp.
15 Castagnettes fort larges à l'usage des nègres. He Selle, imp.
«39 Siècle, espace de cent ans. Ü
Ja; Giroflée, fleur.
25 Ville murée. «5 Prix d'une chose.
D)
ë) Toi, te, pron. de la 2° pers. régi par un verbe. is Cerise.
« Ton, ta, tes, adj. poss. de la 2 pers. 5652 Moutarde.
LAS ES, yenailon.
ex Soufre. es ne Chou.
CU ke Livre de Dieu, le Coran. Pas Capillaire, herbe médicinale.
E £ … Toi, pron, de la 2 pers. 5,06 o5lbe Guitare de Guinée, à trois cordes.
Dé Quelque chose, quelque peu. 6 Ombellifère, famille de plantes.
Te Trois. Le = = Toi.
De RE Treize. ue Couteau recourbé.
pool LEZ Morceau de pain. Les Vous, régi par un verbe ou une préposition.
13e Réveille-matin, plante. NES Vous, pron. pers. fém.
208 Xe
Juie Genêt épineux.
up Vous, pron. pers. masc.
Lnilsé Cheminée.
ire Quatre.
sl je Quatorze.
53 Faim et appétit.
a Ambre jaune, dont on fait des colliers.
a PA) Grosse mer.
FEVMEe
>
Q Q .
BEL Collier de verroterie.
la] Toujours.
SA Oie.
aol Malbeur.
ex Faute, péché.
35,2
co ygà) Luzerne.
Le) Noisette.
= Ton, ta,tes, adj. poss. de la ® pers.
AU Sois le bienvenu.
we Charrue.
ol Quel, quelle? pron. relatif d'interrogation.
où Comment?
ol Passerine velue.
Jos Cordon qui sert de turban aux Arabes.
de Armée, camp.
ge Circoncis.
aie Soldats arabes casernés.
pos J'ai enterré.
A Toi, te, pron. de la 2 pers. fém. régi par un verbe.
ae Four.
ee Imagine-toi, imp.
— Cherche, imp.
Sn Imagine-toi , imp.
ee Is se sont séchés.
Es) Chaux.
UE Pelle, instrument pour remuer quelque chose.
us Pince, pincette.
ES sing. ti plur. Épée longue et large à l'usage
des Berbères.
ail sing. «it plur. Sabre.
o La Signe, geste pour s'entendre.
W% On, pron. indéfini.
Yo Hommes en général.
«sue Goûte, tâte, imp.
ble sing. yxbslye plur. Religieux.
ee Sorioubre.
ele Crépis bisannuel.
se Poids d’un dinar ou d'un sequin sultané.
olosl is le Million.
Œlus Us je E ee US pe Sois le bienvenu, sois la
bienvenue.
Di3 Sariette, herbe odoriférante.
ES Salé.
«s3e Miroir.
Says Marrube puant.
«sie sing. SE = ob plur. Petit.
DAS Marchand, trafiquant.
ages Évanouissement
de be Bec de grue de la grande espèce, plante.
= Lampe de terre
ne Cynoglosse, plante.
dès Matelas pour un grand lit.
©
DRE
+ Matelas pour une seule personne.
0 Confiture.
É FRA Persil.
dé
Je ne
Le pois Interidant de maison.
DE Grenouille et crapaud.
Jé Regarde, imp.
23 de Salpêtre.
Je Anémone, fleur.
LL Rabot, outil de menuisier.
os «sl Melochia, plante gluante.
pur Alaterne, plante.
ue Comment ?
16% Où, adverbe de lieu:
JEke Scie.
es Combien ?
( Comment?
OI, 5lEÈe Limace, limacçon.
JE Montre, petite horloge.
ms Vagues.
© Los Sanglier.
PERS
V9) Pièce d'argent monnayé valant trois sous.
De sing. DE plur. Chat.
: É
ZE À OST
gel Bracelets en corne ou en toute autre matière be Pied de porc, plante
pour le poignet.
bad à Sel de roche
G) De, du, prép. qui marque le rapport.
«BG Cherche, imp.
& Nous, régi par une préposition.
16 Notre, nos, adj. possessi/.
É AJÈTP) !
es"
üsaxi Nous nous sommes querellés.
Lis - Li - Ex ru il, pron. de la 3° pers.
BG sing. tie plur. Elle, pron. pers.
CUS plar, Hs, eux, pron. de la 3° pers.
loi Rosée.
70 sing. Dos plur. Autre.
L5 Nous avons écrit.
CA
(Sr Fortement, trop.
Ce Fils.
ie Cent.
gi Son, sa, ses, adj. poss.
agus Asperge à feuilles aiguës
>3b5 Sel aminoniac.
obl = Gb Sel alcali naturel, natron.
eh Vue.
am Récolte de grains.
2% Menthe, plante.
ë Ou, conj. alternative.
css Après.
4 Sage-femme, accoucheuse.
35 Argent.
e r°-
51 5e Nous avons passé la nuit.
210 cs
LL ds - ul Je, moi, pron. de la 1" pers.
si Mariage.
CURE
Je: Pus, sang corrompu.
Me ENT
LES masc. RES fém. Nous, pron. de la 1° pers.
plur.
lo 5 515 L'un après l’autre,
db sing. AU plur. Jour.
Qls Midi.
DST (ls Lundi.
Re fi) æb Mardi.
as3 3] #5 Mercredi.
asc SE Vendredi.
exxall (ge |; Samedi.
mer Famille.
&b Celui-ci.
gel «ls Suffit, cela suflit.
LS l; Le voilà.
als Non, non.
cpl Gi 75 Colique.
à Visage.
23 Particule négative.
on sing. oÙS,s plur. Verger, jardin.
3 Or, Bone d'or.
Er = és J'ai songé.
9 Or:
JE G55 Stechas grafolium.
LJi 3 Fumeterre, plante.
jus Saute, imp.
S De, du, prép. qui marque le rapport.
œü)l ot Silène, plante.
RU 515 Souci des champs.
Lino i Bruyère en arbre.
D y
alé; Botte.
° ye- nes ;
ed ss Bon à rien, vaurien.
da55 Court.
res Écurie.
Eee Je suis venu.
és Lumière.
3 Mât d'un navire.
DÉS sing. ee plur. Chacal et loup.
lé, Moutarde, plante.
5085 Promesse.
wls3 Difficile, rude.
ECR Temps.
&; Sœur.
Os; Paquerette annuelle.
O3 Vous, régi par un verbe ou par une prép.
Ga23 Peutêtre; qui sait?
ET Les voilà.
es Semaine.
wa Autre.
@23 Qui, que, pron. relatif.
Gus Cela.
Je LS Quadrupède.
oi 58 Berce, imp.
PP Non, non.
AE Rien.
ei ob Noyer, arbre.
S5 &b Amandier.
CS «lb Dattier.
al Jasmin.
k5 el Une fois.
523 o6 Onze.
luesils Étang, marais
oL Oui.
dÿ$ Mouillé.
ke H est en colère.
SL Agonisant.
Lot RUES H pleut.
CS Blessé.
Le y Pourri, tombant en lambeaux
ue Jai T1 a le cours de ventre.
(a Large.
Do Menteur.
1 Faiseur de nattes; il fait des nattes.
os Ivrogne.
és Propre, net.
2 masc. LAS Jém. Orné.
&lä5 Malade.
Grés Étroit, il est étroit.
CS
j=2: Paresseux.
= JE
os Instrument de musique.
LA Son, la partie grossière de la farine.
PANIER Absent, il est absent
ol Semailles, semences
lé Fort, robuste.
Gé Bien portant.
AS Sec.
Ji ele; sing. J5s pes plur. Brave.
Jës Tout de suite,
St J1 était, il a été,
Gb Beau, bon.
A il Gb Plût à Dieu! liftéral. mon cœur désire.
Séb Essoufé.
rn Joli , agréable.
Ge sing. ob plur. Mère.
er Mort, il est mort.
LRERE Fou, il est fou.
+= Ma, mon, mes
mor Fourmi.
Se Frappe, imp.
«59 Héritier, il a hérité.
2
Deus gr H est venu
jé Difficile.
Das Cx£s Il s'est évanoui.
da Mieux, il vaut mieux.
sl ds; Nouvelle lune.
er masc. Sy Jém. Un.
Ph
saphaiec at uninewrnnt aJe pi
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Mare Examide tés li, midé ue
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DE L’'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
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OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.
La Société de géographie a eu connaissance de plusieurs itinéraires
recueillis par Venture de Paradis en 1788, et qui faisaient partie des
papiers de Raynal, aujourd'hui déposés à la Bibliothèque royale. Les itiné-
raires dont il s'agit sont accompagnés de notions sur l'Atlas et le Sahara,
et d'observations qui font connaître l'état de différentes contrées de l'Afrique
septentrionale, pour une époque antérieure d'un peu plus d’un demi-siècle.
Le travail de Venture comprend aussi des remarques sur l’état physique
de diverses contrées, sur leurs productions de tout genre, sur leur com-
merce, leur population et leurs usages.
La Société a pensé qu'elle ferait une chose utile à la géographie en pu-
bliant ces documents à la suite du Dictionnaire et de la Grammaire berbères
de Venture, d'autant plus qu'ils donnent quelquefois la traduction de mots
propres à cet idiome, en même temps que des noms de lieux et de végétaux
en langue berbère.
On a cru devoir n’apporter aucun changement à ces fragments et même
y conserver l'orthographe et les noms d'individus assez obscurs, qui étaient
en fonctions au temps où ont été rédigés les itinéraires, quoique en ap-
parence ces noms ne présentent pas un intérêt scientifique; ils peuvent,
en effet, fournir des lumières sur la date et l'authenticité d’autres documents
analogues.
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ITINÉRAIRES
DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE,
AVEC DES NOTIONS SUR L'ATLAS ET LE SAHARA,
PAR VENTURE DE PARADIS.
I. ROUTE DE TAFILET A TOUNBOUCTOU,
VILLE LIBRE ET COMMERÇANTE, SOUS LA PROTECTION DE PLUSIEURS ROIS NÈGRES.
De Tafilet, on se rend en cinq jours de marche, entirant vers l’ouest, à Datz. On
sait que Tafñlet est un lieu d’exil pour tous les descendants de la famille régnante
à Maroc. Les enfants de Molla Ismael, tant blancs que noirs, qui y furent re-
légués, montaient à onze cents. De leur race, et de ceux qui ensuite ont eu le
même sort, est née une population immense, qu'on évalue à plus de vingt mille
âmes. Elle est divisée en quarante villages qu'on nomme Al-Coussour, c’est-à-dire
les palais. Chaque chef de famille a ses terres et ses maisons; et tous les chérifs
sont dans l’aisance. L'empereur de Maroc a aussi un palais à Tafilet, où il va quel-
quefois. Il fait surveiller les exilés par un caïd et des troupes.
Tafilet est entrecoupé par plusieurs rivières. Les pluies y sont rares. C’est le
pays où le dattier réussit le mieux; il y en a, à ce qu'on prétend, soixante et dix
espèces. Par le moyen de l’arrosage, on fait venir du blé, de l'orge, du maïs, du
riz, de l’indigo. L'arbre du hinné y vient très-bien, et sa feuille, pilée, est un objet
_de commerce important. Il y a aussi à Tafilet beaucoup de fruits, à l'exception du
raisin, des pommes, des figues et des poires.
Datz est le nom d’une rivière qui arrose une grande plaine entourée de mon-
tagnes. Les montagnes, sont occupées par Les Chulouhs, et les plaines, par les Ber-
bères, habitant sous des tentes à la manière des Arabes. Ces Chulouhs et ces Ber-
bères vivent dans l'indépendance, et ne sont soumis qu’à leurs cheikhs.
L'habillement des Berbères consiste, pour les hommes, ea une culotte de toile,
28
218 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
une grande chemise de toile blanche et une ceinture. Les cheiks portent, de plus,
un caftan de soie, de toile, ou de drap.
La coiffure est un turban de soie ou de mousseline, sous une calotte rouge
de Fès. Les enfants ont les cheveux pendants, et un cordon de soie à l’entour de
la tête. Les enfants mâles portent une pendelotte.
Les femmes berbères, ont un izar de toile blanche, c'est-à-dire une espèce de
drap de lit un peu plus long que large, qui leur entoure le corps, et qui est arrêté
par une ceinture. Elles ont trois pendants à chaque oreille, plusieurs bracelets et
des khalkhal.
Elles ont leurs cheveux pendants, et elles portent sur la tête un habrouk de
soie, qui est un voile de diverses couleurs; elles marchent à visage découvert et
elles sont chargées de tous les détails du ménage, soit sous la tente, soit au dehors.
Le pays de Datz, tant la plaine que les montagnes, peut renfermer une soixan-
taine de villages et de douars. On y cultive du blé, de l'orge, des vignes, des fi-
guiers, des amandiers, des grenadiers, et le pays est riche en bestiaux.
A Datz commence le royaume de Sous, qui n’est plus aujourd’hui qu'une pro-
vince de l'empire marocain; mais, en général, toutes les montagnes ne reconnaissent
point l'autorité du sultan.
En sortant de Datz, et tirant vers le midi, on entre dans un pays montagneux,
qu'on nomme Werzazat.
Werzazat est couvert de villages habités par des Chulouhs. Le chef-lieu de cette
contrée est Tighram, résidence du cheikh marabouth, Sidi Muhammed ben
Abd-ul-Rahman !. Il commande à tout ce pays et il ne paye rien au roi de Maroc.
Au midi de Werzazat est une contrée montagneuse qu'on nomme Aït-Ougia-
nif. Elle a une étendue de six à sept jours de marche, où on rencontre beaucoup
de villages. Le chef-lieu se nomme Taznarth, et le cheikh chulouh qui y réside,
se nomme cheikh Muhammed Gianif. Le pays est riche.
En quittant Aït-Ougianif, et en tirant vers le sud-ouest, on arrive à Zenagha,
contrée montagneuse remplie de villages et commandée par le cheikh chulouh
Ibrahim-el-Zenagha. I ne paye aucun tribut au roi de Maroc.
De Zenagha on se rend, en tirant vers le sud-ouest, à Seghtana, pays où on re-
cueille beaucoup de safran et où il y a une très-belle race de moutons noirs, ayant
une toison très-fine. Le chef-lieu de cette contrée montagneuse se nomme Ham-
kirra et le cheikh qui y réside, et qui commande à tout le pays, se nomme Sidi
Muhammed Abd-ul-Kerim. Il est gendre du feu Molla Idris, cousin de l'empereur
défunt; il paye tribut. La contrée de Seghtana peut avoir quarante lieues de long.
Le pays est riche en blé, orge et légumes.
© Voir les Observations préliminaires, pag. 215, pour ce nom et les noms semblables qui suivent.
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 219
De Seghtana, en tirant toujours vers le sud-ouest, à travers les montagnes, on se
rend à Zaghmouzun. Zaghmouzun est une rivière qui donne son nom à toute la
contrée, dont le chef-lieu est Nighilnouyou. Le cheikh qui y commande se nomme
cheikh Ibrahim Nighilnougou. Il est Chulouh et il paye tribut à l'empereur.
Au sud de Zaghmouzun est un district considérable nommé Targha-Mimoun,
de sa ville capitale. Targha-Mimoun signifie, en berbère, la rivière bénite, et cette
* rivière traverse la ville. Le cheikh qui y commande s'appelle cheikh Muhammed
ben-Ali-Targha-Mimoun. Il est Chulouh et paye tribut au sultan.
Cette partie de la contrée de Zaghmouzun est très-riche en blé, en orge, en
dattes, en figues, en raisin, en safran et en bestiaux.
De Zaghmouzun, en tirant vers l’ouest, on se rend en trois jours à la contrée
qu'on nomme Gharb-el-Sous, c'est-à-dire la partie occidentale du royaume de
Sous. Elle est arrosée par un grand fleuve qu'on nomme Ras-el-Ouad. Elle est
couverte de villes et de villages. On y rencontre des plaines et des vallons plantés
d’oliviers qui fournissent une quantité d'huile considérable.
Gharb-el-Sous, ou autrement Ras-el-Ouad, est divisé en quatre districts. Le
premier a pour chef-lieu Tinzert; le second, Limhara; le troisième, Irazan; et le
quatrième, Adredour. Ce pays est soumis au sultan, auquel il donne annuellement,
pour tribut, deux cent mille ducats, plus quatre cents nègres, mâles et femelles;
deux cents chameaux, deux cents chevaux, deux cents mulets et deux cents vaches,
et, indépendamment de ce tribut réglé, il y a aussi le prix des babouches (les
épingles ou le pot de vin), qui monte à une somme très-considérable au renou-
vellement annuel du bail. Le sultan, le gouverneur de la province et leurs princi-
paux officiers, en ont leur part.
Du fleuve Ras-el-Ouad, en tirant vers le sud-ouest, on se rend, en trois jours
de marche, à la contrée dite Mizighina.
Mizighina est un pays de plaine habité par des Chulouhs; il est du royaume de
Sous, qu'on nomme dans le pays Ouad-Sous. Le cheikh qui commande à cette
contrée est soumis au sultan et paye tribut; ses enfants et ceux des particuliers
de marque sont au service de l'empereur en qualité de cavaliers casernés qu'on
nomme mukhazenié, ou hasshah.
De Mizighina, on se rend en tirant vers le sud-ouest, en cinq heures, à Tarou-
dant, grande ville où il ÿ a un caïd de la part du sultan. Taroudant est une des
sept villes impériales bâties par les sultans connus sous le nom de Mulouk-al-Sa-
Adyé. Les terres de Taroudant sont très-fertiles; cinquante livres de dattes ne
valent pas plus d’un sou de notre monnaie. Ce pays est rempli de citronniers et
d’orangers.
De Taroudant, en tirant vers le sud-ouest, on se rend, en cinq heures de
28.
220 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
marche, à Ouwara. Ouwara est le nom d’une plaine peuplée d’Arabes campant
sous des tentes. Ils ont deux chefs principaux : l’un nommé cheikh Sa-Ayd el-
Coumairi, et l’autre cheikh Muhammed el-Muhein. Ils payent tribut au sultan.
De Ouwara, en vingt-cinq heures de marche, en tirant vers le sud, on se rend à
Aït-Wedrim. Ait-Wedrim signifie mine d'argent. C’est une ville considérable, bâtie
sur la montagne, et habitée par des Chulouhs soumis et payant tribut. Les terres
de cette contrée sont trés-ertiles : on y recueille du blé, de l'orge, de l'huile.
Les jardins donnent des amandes, des figues, des raisins. On n’y vend rien à la
balance, mais tout à la mesure.
De Aït-Wedrim, on se rend en trois jours, en tirant vers ‘le sud, à Toucribt,
capitale d’un très-vaste district montagneux, occupé par des Chulouhs dépendants
et payant tribut : il y a plus de cent cinquante villages dans ce district. On y re-
cueille des amandes, des noix, du miel et de la cire. On y rencontre des forêts
d'amandiers et de noyers.
De Toucribt, on se rend en quinze heures de marche, en tirant vers le sud,
à Ait-Brahim. Ait-Brahim est une ville de deux mille âmes de population, bâtie
sur la montagne, et ayant juridiction sur une trentaine de villages. Ce pays, fertile
en blé, orge, huile, amandes, cire et miel, paye tribut à l’empereur. Le cheikh
chulouh qui y commande envoie ce tribut, et, ainsi que la plupart des cheikhs
chulouhs dépendants, se dispense de le porter lui-même à Maroc.
De Aït-Brahim, en cinq heures de marche, on se rend, en tirant vers le sud,
à Stouka, nom d’une contrée considérable, dont le chef-lieu se nomme Ait-
Loughann. Cette ville a une population de sept à huit mille âmes, et elle a une
juridiction sur plus de cent cinquante villages. Ce pays montagneux est habité
par des Chuloubs payant tribut. Les terres y sont fertiles. On y sème du blé, de
l'orge, du mil blanc. Il y a des vignes et des arbres fruitiers.
De Aït-Loughann, on se rend en dix heures, en tirant vers le sud, à Ait-Belfa,
ville de trois ou quatre mille âmes. Aït-Belfa est du district de Stouka. Le cheikh
chulouh qui y commande paye tribut.
De Aüït-Belfa, en dix heures de marche, on se rend, en tirant vers le sud-ouest,
à Ait-Semlal, ville bâtie sur la montagne, et habitée par des Chulouhs payant
tribut ; elle est aussi de la dépendance de Siouka. C’est le dernier des lieux mon-
tagneux, dans cette partie méridionale du Sahara qui paye redevance à l'empereur
de Maroc.
De Aït-Semlal, en dix heures de marche, vers le sud-ouest, on se rend dans
une contrée très-considérable et fort montagneuse qu’on nomme Ait-Hamd. La
capitale de cette contrée est Mirlat. Le grand cheikh de ce pays se nomme cheikh
Muhammed ou el-Hasan ; le pouvoir suprême est héréditaire dans sa famille. Le
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 221
pays d’Ait-Hamd est traversé par un fleuve qu'on nomme Ouad-Oualghav. Mirlai
est sur la rive occidentale de ce fleuve ; et Tabident, autre ville assez considérable,
est sur la rive méridionale. Elles sont habitées par des nègres; les blancs n’y
peuvent vivre, à cause du mauvais air. Le cheïkh habite sur la montagne, ainsi
que les Chulouhs. La population de cette contrée est estimée à trente mille âmes.
De Tabident, en cinq heures de marche vers le sud, on se rend à Taghzut,
nom d’une ville bâtie sur la montagne et habitée par les Chulouhs. Ce district est
de la dépendance d’Ait-Hamd.
De Taghzut, en trois heures de marche vers le sud-ouest, on se rend à Temsitt,
ville qui a un district considérable, et qui est aussi de la dépendance d’Aït-Hamd.
Son territoire produit des grains, des olives, des figues, du raisin et des dattes.
De Temsitt, en dix heures de marche vers le sud, on se rend à une vaste
contrée montagneuse qu'on nomme Daoultit; sa ville capitale est Tillinn. La po-
pulation de cette ville chulouh est estimée à dix mille âmes, en y comprenant
les juifs. Dans tout l'Atlas il n'y a que deux villes où on voie des juifs établis.
Tillinn en est une, et Illigh, dans le royaume de Sous, est la seconde. Ils y vivent
tranquilles sous la protection des cheikhs, qui les regardent comme des esclaves
utiles.
De Tilhinn, en quinze heures de marche vers le sud, on se rend à Tehala,
grande ville de la dépendance de Daoultit.
De Tehala, en douze heures de marche, vers le sud, on se rend à Ida-Oughar-
Sumought, qui, en berbère, signifie les possesseurs de la poudre fatale. C'est une
autre ville considérable de la dépendance de Daoultit.
De Ida-Oughar-Sumought, en un jour de marche vers le sud, on se rend à Au-
ghighit, grande ville de dix mille âmes de population, et de la dépendance de
Daoultit. Les montagnes enclavées dans la contrée de Daoultit sont très-escarpées
et d’un difhcile accès. Cependant les habitants tirent un bon parti de tout ce qui
peut être cultivé ; ils ont beaucoup de bestiaux. Ces montagnes, qui font partie du
royaume de Sous, ont des mines de fer; on le travaille et on y fait des fusils, des
sabres et des poignards. Les gens d’Aughighit passent pour méchants et voleurs. Les
Chulouhs partout sont industrieux, cultivateurs et amis du travail. Les Berbères,
au contraire , sont généralement paresseux, et ils n'aiment point à travailler la terre.
De Aughighit, en dix heures de marche vers le sud, on se rend à Ait-Souab,
ville bâtie sur une montagne escarpée remplie de panthères. Elle est aussi de la
dépendance de Daoultit. Cette ville a plusieurs villages sous sa juridiction. On y
récolte des grains et des fruits.
De Aiït-Souab, en deux jours et demi de marche vers le sud, on entre dans un
district nommé Aït-Mousa-Oubcou. Oubcou signifie, en langue berbère, un homme
222 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
dont les jambes sont faibles et tremblantes : c’est une indisposition commune dans
cette montagne, et on prétend qu'elle est occasionnée par un légume ressemblant
au pois chiche, qui vient de lui-même sans être semé. On le nomme ikiker; il a la
vertu d’exciter au coït, et l'usage immodéré que les gens de cette contrée font du
plaisir conjugal leur affaiblit les jambes. Les femmes ne sont point sujettes à cette
incommodité.
Le chef-lieu d’Ait-Mousa-Oubcou se nomme Azizel. C’est une grande ville habitée
par des Chulouhs; elle est encore de la dépendance de Daoultit.
D'Azizel, en trois jours de marche vers le sud, on se rend à Aït-Oumanoudy,
ville qui donne son nom à la montagne sur laquelle elle est bâtie et où, depuis
une quinzaine d'années, on exploite une mine de cuivre. Le cuivre qu’on en tire
est supérieur à celui de Tezagbalt, dont nous parlerons ci-après. Cette montagne
est fertile dans les vallons; le dattier y réussit. Elle est encore de la dépendance
de Daoultit.
De Aït-Oumanoudy, en deux jours de marche vers le sud-ouest, on se rend à
Tezaghalt, grande ville commerçante et peuplée par les Chulouhs. C’est une es-
pèce de république, gouvernée par quarante chefs, qu’on élit tous les ans et qu'on
appelle Aït-Erba’yn. Cette ville paye à tous les cheikhs de Daoultit une redevance
annuelle de deux cent mille ducats pour être protégée et tranquille. Dans les en-
virons de cette ville, ïl y a quatre mines de cuivre, que les officiers municipaux
font exploiter pour le compte de la ville. Le cuivre qu'on en retire et que l’on
vend n’est pas assez épuré et il faut le refondre. Les habitants de Tezaghalt s’oc-
cupent à faire des marmites et toutes sortes d’ustensiles de ménage; ils battent
aussi des fuls (monnaie de cuivre) au titre de l’empereur de Maroc; aussi payent-
ils une redevance annuelle au sultan, sous le nom de présent. Cette redevance
consiste en soixante quintaux de fuls. Les gens de Tezaghalt sont faibles et mala-
difs, à cause de l'exploitation des mines et du travail du cuivre; ils mangent beau-
coup d'opium, qu'on leur porte d'Europe.
De Tezaghalt, en quatre jours de marche vers le sud-ouest, on se rend à Ibzi-
ghaghin, grande ville, bâtie sur la montagne, habitée par les chérifs descendants
de Sidi Ahmed ben-Mousa, qui était roi de tout le royaume de Sous et de Maroc.
Un de ses descendants, nommé Sidi Jahja, commande en souverain dans toute
cette contrée, et il retire la dime de tous les habitants. Le gouverneur de Sous
lui paye aussi une redevance annuelle pour la sûreté des routes. Les habitants de
cette contrée sont Chulouhs et ils ne parlent que la langue berbère.
De Ibzighaghin, en huit heures de marche vers l’ouest, on se rend à Iligh, ca-
pitale de la contrée nommée les Pays de Sidi Ahmed ou Mousa. C’est à Iligh que
le marabout souverain fait sa résidence. Cette ville est dans une vaste plaine, en-
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 223
tourée de montagnes et traversée par une rivière qu'on nomme Iligh, du nom de
la ville.
De Iligh, en dix heures de marche vers l’ouest, on se rend à Wizzan, ville con-
sidérable, où réside un cheikh soumis à Sidi Jahja, qui règne dans toute la pro-
vince de Daoultit. Daoultit est comprise dans le royaume de Sous, qui est presque
tout indépendant, quoiqu'il fasse la plus grande partie de empire de Maroc. C’est
aussi ce qui fait dire au proverbe : jydi 29 Guen Qu di GLS of « Si l’on com-
paraït l'empire d'Occident à un bernous, Sous en serait le manteau et le restant,
le capuchon. » ;
De Wizzan on se rend, en cinq heures de marche vers l’ouest et en s’approchant
de la mer, à Asaka-Oubbagh, qui signifie en berbère le pays du bien. C’est le nom
d’une ville habitée par les Chulouhs, sous la protection de Sidi Jahja, souverain
de la province de Daoultit : elle domine sur une contrée montagneuse qui produit
cependant beaucoup de grains et de fruits.
De Asaka-Oubbagh, en vingt heures de marche vers l’ouest, on se rend à Tiz-
nint, ville sur le bord de la mer Océane, habitée par les Chulouhs, sous la pro-
tection de Sidi Jahja; elle est de la province de Daoultit. Vis-à-vis de cette ville,
est une île inhabitée et assez grande. Faute de bateaux, les habitants de Tiznint
ne la fréquentent pas. Tiznint, en berbère, signifie une île.
De Tiznint, en dix heures de marche vers le sud, on se rend à Messa, grande
ville, bâtie sur une montagne qui domine la mer et habitée par les Chulouhs.
Vis-à-vis d'elle, et à peu de distance, il y a aussi une grande ile inhabitée. Le pays
est fertile en grains et rempli d’oliviers et d’arbres fruitiers. La rivière d'High vient
se jeter dans l'Océan près de Messa. Cette rivière est fort poissonneuse , et les gens
de Messa se nourrissent du poisson qu’elle fournit. Messa est de la province de
Daoulit.
De Messa, en deux jours et demi de marche vers le sud, on arrive à Ida-oubakil,
ville sur une montagne habitée par des Chuloubs, sous la protection de Sidi Jahja;
elle est aussi de la province de Daoultit. Ida-oubakil signifie en berbère les gens
sages.
De Ida-oubakil, en trois jours de marche vers le sud, on se rend à Ighram, ville
qui donne son nom à une contrée montagneuse assez vaste de la province de
Daouktit.
De Ighram, en trois jours de marche vers le sud, on se rend à Oufran, ville
habitée par des nègres, et la dernière ville de la province de Daoultit. On estime
la population d'Oufran à plus de vingt mille âmes, sans compter trois ou quatre
mille juifs. Son gouvernement est républicain; elle est régie par quarante per-
sonnes élues, qu'on nomme Ait-Erba’in. Elle paye une redevance à Sidi Jahja. Pour
224 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
donner une idée de la fertilité de son territoire, on dit qu’une carotte y pèse vingt
à trente livres, et un navet jusqu'à cinquante livres. Ce qu'il y a de certain, c’est
que les carottes et les navets y sont d’une grosseur excessive et d’un goût excellent;
on les conserve toute l’année. Deux courges y font la charge d’un chameau, et les
melons d’eau pèsent cinquante à soixante livres. On y recueille du blé et de l'orge.
Quant aux dattes, elles sont en si grande abondance, que trente livres valent à
peine une blanquille, qui vaut trois sous de France. Les Arabes du Sahara viennent
y faire journellement des emplettes. Ge pays est aussi très-riche en troupeaux et
en chevaux. Les Arabes payent les provisions qu'ils achètent avec de la poudre
d'or et des moutons. Les juifs d'Oufran jouissent de la plus grande tranquillité,
sous la protection spéciale de Sidi Jahja. Il y en a parmi eux de très-riches.
De Oufran, en deux jours de marche vers le sud, on se rend à Temanert, ville
habitée par des nègres comme Oufran, et gouvernée aussi par quarante personnes.
La richesse du pays consiste en dattes. Elle ne paye aucun tribut. Ces nègres sont
musulmans et ils ont des marabouts nègres comme eux. À Temanert, ainsi qu'à
Oufran, on ne parle que le berbère.
De Temanert, en un jour de marche vers le sud, on se rend à Akka, ville nègre,
de la dépendance de Temanert. On n'y parle également que le berbère. Ce pays
est extraordinairement chaud, et ses principales richesses sont les dattes et lindigo.
Sa population est de quatre à cinq mille âmes.
De Akka, en deux jours de marche versle sud, on se rend à Wilt, ville nègre de
la dépendance de Temanert. On n’y parle que le berbère. Les richesses des habi-
tants consistent principalement en dattes, que les Arabes viennent y acheter. Ce
pays est également très-chaud.
De Temanert à Tounbouctou, il n’y a que quinze jours de route, en droite ligne;
mais les caravanes aiment mieux se détourner, parce qu'il leur faudrait traverser
des terres habitées par des Arabes qui passent pour méchants et traîtres. De Te-
manert, elles se rendent ordinairement à Wilt, qui est la dernière montagne de
ce côté-la. De Wilt, on descend dans le Sahara; et la première horde d’Arabes
que l’on rencontre se nomme Arib-Ida ou Belal. Ils occupent, tantôt d'un côté,
tantôt de l’autre, une étendue de pays de près de huit jours de marche. Ces Arabes
ne passent pas pour des gens auxquels on puisse se fier.
En sortant des terres de leur domination, on entre sur celles qui sont occupées
par une autre horde d’Arabes qu'on nomme Tezakent. Ils ne sont ni si nombreux,
ni si puissants que leurs voisins; mais ils passent pour bons musulmans et rigides
observateurs de la loi. Ils se mêlent de commerce, et les caravanes sont en toule
sûreté parmi eux. L'étendue du pays qui leur appartient va jusqu’au territoire de
Tounbouctou.
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 225
La ville de Tounbouctou est à sept à huit journées de distance de Tounbou,
capitale du royaume nègre de ce nom. La communication de l’une à l’autre ville
est très-facile. On rencontre, sur la route, beaucoup de villages nègres où on se
procure des rafraichissements.
Tounbouctou n’est point une ville murée, et on estime sa population à vingt-cmmq
mille âmes; elle est protégée par cinq rois nègres, musulmans ainsi que tous leurs
sujets. Ces rois nègres sont celui de Foullen, celui de Marca, celui de Tounbou,
celui de Kuwar et celui de Bournou. Chacun de ces rois y envoie une de ses filles
pour y prendre part au gouvernement, à l'exception de celui de Bournou, qui y
envoie un calife. Ces princesses nègres se marient à Tounbouctou avec les parti-
culiers qui leur plaisent, et elles préfèrent ordinairement les marchands maures
que le commerce attire dans cette ville. La police y est très-bien observée, et on n'y
connaît ni le vol, ni l’assassinat. Le vol y est puni comme le plus grand des crimes.
On prend le voleur, on le lie dans un sac et on va le jeter dans la rivière de Ouad-
Dera-a, qui est éloignée de trois journées de Tounbouctou.
L'empereur de Maroc a été souvent le maître de cette ville, où il envoyait un
gouverneur, et il n’y a guère plus de quarante à cinquante ans qu'elle est sortie
de sa domination.
Chaque princesse nègre a une troupe de soldats à son service, soit pour la garde
de sa personne, soit pour la police et la sûreté de la ville. Chacune d'elles per-
çoit dix pour cent sur les marchandises qu'apportent les caravanes du royaume
dont elle est; quant aux douanes des marchandises qu'on apporte de Maroc, elles
partagent entre elles et le calife de Bournou. Ces droits réunis suflisent amplement.
à leurs dépenses.
Tounbouctou paye un droit de ghafar, c’est-à-dire de protection, aux Arabes
du Sahara qu'on nomme Mughaffara. Ce sont ces Arabes qui se chargent de l’es-
corte des caravanes, et qui leur louent des chameaux.
Les Arabes mughaffara sont les tribus de Berakné, de Terarza, de Mehamda,
de Lerargia, de Sa-Adna, de Za-Affra et quelques autres; ils sortent d’une même
tige et ils sont les plus puissants des Arabes du Sahara. La tribu la plus puissante
d'Arabes, après les Mughaffara, est celle des Oudaya, qui campent du côté de
Ouad-Noun.
À quatre lieues de la ville de Tounbouctou, il y a une petite rivière qu’on
nomme Nahar-Ouasil; mais l’eau n’en est point bonne, et il n’y a que les chameaux
et les moutons qui peuvent en boire; les habitants boivent de l’eau de puits, qui
est très-bonne et très-salubre.
Leur nourriture est, en général, du riz en pilau et du couscoussou, fait avec de
la farine de moutri, qui est une espèce de sagou. Le riz vient très-bien auprès de
29
226 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
la rivière de Ouasil, et 1l est de bonne qualité. Le pays fournit beaucoup de dattes.
La viande de mouton y est excellente, maïs il n’y a ni poules ni volailles.
Le vêtement des hommes est une chemise de toile bleue, ayant des manches
extrêmement larges; on le nomme derra-a. Leur tête est couverte d’un fès et d’un
turban de toile qu'ils nomment el-ghina. Is portent aussi une ceinture de soie ou
de cuir qu'ils appellent moudamma. Hs ont coutume de porter un bracelet de mor-
phil ou d'argent.
Les femmes s’habillent avec l’ouzar et le haram. L’ouzar est une pièce d’étofle de
laine ou de soie dont elles se couvrent le corps, et le haram est un voile de soie
qu’elles mettent sur leur tête, et qui descend fort bas. Elles portent des bracelets
aux bras et aux pieds.
Les Arabes viennent à Tounbouctou et y achètent du riz, du moutri, des dattes
et autres choses, pour lesquelles ils donnent, en échange, de la poudre d’or, des
plumes d’autruches et des nègres.
Tounbouctou ne reçoit ni juif, ni chrétien; il faut faire, à la porte de la ville, la
profession de foi musulmane.
On prétend qu’un étranger qui arrive à Tounbouctou ne peut se passer de
femmes. La nourriture et le climat y excitent la concupiscence, et mettent les
hommes en état de faire des prodiges. Celui qui n’a point de femmes en demande
à son voisin, qui se fait un devoir de lui en fournir.
On parle à Tounbouctou plusieurs langues : l'arabe et les langues de Bombara,
de Tounbou, de Foullen et de Marca. Ce sont des langages différents.
Les femmes nées à Tounbouctou sont très-jolies, et il y en a beaucoup de
blanches.
Parmi les négresses, celles du royaume de Foullen sont les plus jolies et les
mieux faites; mais, comme ce pays est musulman, elles ne peuvent point être
vendues.
Tous les deux ans ou trois ans, il part de Fès pour Tafdet, pour Ouad-Noun et
pour Tounbouctou, une caravane très-nombreuse de marchands, et voici les mar-
chandises qu'ils portent : des haïques de Fès, des ceintures de laine et de soie, des
mouchoirs de soie, des tapis de Barbarie grands et petits, des velours faits en Bar-
barie, de l’ambre, du basilic sec, des roses sèches, du benjoin, du girofle, du
mastic, de l’encens, du corail, toutes sortes de toiles de lin grossières et fines,
des cordons de soie et de laine: servant de turban aux Arabes, des babouches, du
tabac de Meknès, des foutes, espèce d’essuie-mains en diverses couleurs; du tabac
rapé, de l’alun, de l’étain, du gingembre, du poivre, des tasses de cuivre, de pe-
tits coquillages, soit pour monnaie, soit pour l’ornement des négresses; du musc,
toutes sortes de quincailleries grossières, de la verroterie, du corail noir, qu'on
ITINÉRAIRES DE-L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 227
pêche à Gedda et à Bassora; de la mousseline, des toiles bleues, du papier, etc.
Elles rapportent de Tounbouctou de la gomme arabique, des plumes d’autruche ,
du morphil, de la poudre d’or, des nègres, de la laine très-fine et du coton. Ce
sont ‘surtout les gens de Kououan et de Foullen qui fournissent de nègres les
marchés de Tounbouctou; ils les prennent sur les terres du Bombara. Un nègre
8
se vend, à Tounbouctou, pour une ceinture de soie, ou autre chose équivalente,
de la valeur de 10 à 12 livres de notre monnaie.
NOTIONS SUR LE SAHARA.
QUI M'ONT ÉTÉ DONNÉES PAR LES NOMMÉS BEN-ALI ET ABD-UL-RAHMAN, SUJETS DE MAROC,
QUI ÉTAIENT À PARIS EN 1760 |.
II. ROUTE DE TOUNBOUCTOU AU SÉNÉGAL,
PAR LE SAHARA.
De la ville de Tounbouctou, on se rend, en dix jours de marche, à Ginni.
Ginni est une ville peuplée de nègres du royaume de Kuwar; sa population est de
deux à trois mille âmes. Les fondements des maisons sont en pierre, et les mu-
railles en terre battue. On cultive dans son territoire du riz, du maïs, de grosses
fèves de marais et du moutri. Il n’y a point de dattiers. Près de Ginni, il y a une
petite rivière qui porte le même nom. Cette rivière charrie de la poudre d’or.
De Ginni, en prenant à l’ouest, on se rend, en vingt-cinq jours, à Rewan.
Rewan est une ville peuplée de Maures et de nègres. Il y a aux environs des mines
de sel qui font la richesse des habitants; la vente du sel leur procure tout ce qui
leur est nécessaire. Il peut y avoir dans cette ville deux à trois mille âmes, et peut-
être plus. La terre des environs n’est point productive et il n’y a point de dattiers.
Les gens de Rewan vendent leur sel aux nègres, qui le mangent comme nous
mangeons des dragées; ils en ont toujours sur eux. Une tablette de sel de la
grandeur d’une semelle, et de l'épaisseur d’un pouce, est, dans les marchés de
Nigritie, le prix ordinaire d’un nègre.
De Rewan , en tirant toujours vers l’ouest, on se rend, en vingt jours, à Tissit.
* Dans une note, Venture avertit que ces Notions auraient besoin d'être vérifiées.
29.
228 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
Tissit est une grande ville peuplée de Maures, sous la protection des Arabes
nommés Oudaya, et Welad-abou-Seba-a. Sa population est estimée de huit à dix
mille âmes. C’est une ville commerçante, et son territoire est fertile en riz, en
moutri, espèce de mil; en illan, graine noire de la grosseur du maïs; en mais,
en fèves, et en dattes de qualité inférieure, comme celles de tout l'intérieur du
Sahara; elles sont sèches et petites. Tissit a aussi quelques mines de sel, qui font
sa plus grande richesse. Les Maures qui l’habitent sont de couleur cuivrée.
De Tissit, en tirant toujours vers l’ouest, on se rend, en douze jours, à Wedan.
Wedan est une petite ville peuplée de Maures, sous la protection des Oudaya, et
sa population peut être de deux mille âmes. Ses environs sont stériles; on y cultive
seulement un peu de riz et de moutri, et sa ressource est dans les mines de sel,
qui lui servent à faire des échanges avantageux.
De Wedan, en suivant les côtes de la mer, on se rend, en quinze jours, au
Sénégal. Cette route n'est point fatigante. On y trouve de l’eau et des provisions
chez les Arabes parmi lesquels il faut passer. Les caravanes de Maroc ou de
Tounbouctou qui traversent le Sahara, marchent sous la protection des Arabes
mughafara, ou des Oudaya, moyennant une redevance.
De temps en temps, il se forme des caravanes composées des nègres de Foullen,
de Kuwar, de Tonbou, de Marca et de Bournou, qui traversent l'Afrique, se ren-
dent au Caire pour se joindre aux pèlerins maugrebins qui vont à la Mecque. Les
cinq royaumes sont musulmans, et les nègres de ces contrées ne peuvent être
légitimement esclaves ‘chez les musulmans.
Le royaume de Foullen est voisin du pays de Bombara, la contrée la plus vaste
des nègres. Les deux pays sont séparés par un fleuve. Les nègres de Bombara sont
idolâtres, et c'est sur eux que les nègres musulmans font des incursions. Les cara-
vanes de Maroc vont jusqu’à la rivière de Bombara y échanger leurs toiles, leurs
ceintures, leur tabac et leur sel, pour des nègres et de la poudre d’or; mais les
gens de Maroc ont de la peine à résister à la chaleur et à la fatigue de cette route.
Les gens de Bombara vendent leurs propres enfants. Ce commerce se fait sans se
voir et sans se parler : les marchands maures mettent leurs lots sur les bords du
fleuve, et se retirent; les gens de Bombara mettent à côté la poudre d'or qu'ils
veulent donner. Si le marchand maure est content, il prend la poudre d’or, et
les autres, les effets exposés.
Édrisi nomme la partie de la contrée où se fait ce négoce Beled-ul-Tebr, pays
de la poudre d’or. Selon lui, il est situé près de Wancara, ville et province plus
orientale que celle de Ghana.
Les habitants de Tocrour, qui occupent les extrémités de l'Afrique, à occident,
font aussi un grand négoce en poudre d’or, que les gens du pays croient être
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 229
végétal, comme celui des provinces indiennes limitrophes de la Perse. (Voyez
l'article Mahmoud ben-Sebectin dans d'Herbelot.)
Les esclaves nègres que l’on préfère en Barbarie sont ceux qui sont nés dans le
Sahara, dans les tribus d’Arabes qui les vendent; et la raison de cette préférence
est que ces enfants sont plus près de s’accoutumer à la nourriture ordinaire des
pays policés. I y a beaucoup de peuples nègres qui ne mangent que de la viande
crue et des serpents. La gomme arabique et le miel font, en général, une des
grandes ressources de leur subsistance.
III. ROUTE DE TOUNBOUCTOU A OUAD-NOUN.
De Tounbouctou, en quarante jours de marche, on se rend à Wédan. Wédan
est une ville dont la richesse consiste en mines de sel. Ce sont des Arabes oudaya
qui en sont les habitants. La population est estimée de trois à quatre mille âmes.
Dans la route de Tounbouctou à Ouédan, on trouve très-peu d'arbres, et aussi
trés-peu d’eau. On ne rencontre de l'eau que tous les trois ou quatre jours.
De Wédan, on se rend en sept jours, à Boustana, nom d'une rivière qui traverse
le Sahara, et qui va se jeter dans l'Océan vers Doukhailé. Toutes ces contrées ap-
partiennent aux Arabes oudaya. Sur les bords de la Boutana, naissent les arbres
qui produisent la gomme arabique. C’est un arbre de haute futaie, très-épineux ;
les chameaux en mangent les feuilles. Il ÿ vient aussi un arbre qu'on nomme en
arabe el-betam; il produit une graine comme celle du café, mais de couleur
bleuâtre; on la mange après l'avoir fait torréfier : ce fruit se nomme habb el-hetam.
Dans toutes les contrées du Sahara, on trouve l'arbre qui donne la gomme arabique
et le betam. |
Il y a aussi, dans le Sahara, une autre espèce de graine qui est d'une grande
ressource pour les Arabes. L’arbrisseau qui la produit se nomme el-durou : c’est
le lentisque, pistachia lentiscus (Lin.). Sa graine est, en premier lieu, verte; en-
suite elle devient rouge; et, quand elle est müre, elle prend la couleur de l'olive
noire : les Arabes la mangent torréfiée. [ls en retirent aussi de l’huile, après l'avoir
pilée dans un mortier et l'avoir fait bouillir dans l’eau. L'huile surnage, et ils la ra-
massent. Cette graine est fort chaude, et on prétend qu’elle augmente les forces
maritales.
Du fleuve Boutana, on se rend, en trois jours, en tirant vers l’est, à Seghi el-
Hamra. Seghi el-Hamra est un grand fleuve qui va se jeter dans l'Océan, près de
la contrée nommée Khaïli; les rivières de Wad-Dra-a, de Ouasil, et une branche
de la Boutana, viennent se jeter dans son lit. Les bords de Seghi el-Hamra sont
230 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
remplis d'arbres gommifères, de betam et de lentisques. La plupart des Arabes ÿ
établissent leurs camps. k
De Seghi el-Hamra on se rend, en sept jours, en tirant vers l’est, à Ouad-Noun.
Cette rivière donne son nom à toute cette contrée, qui est renfermée par quatre
montagnes fort peu hautes, et habitées par des Maures et des Chulouhs.
Il serait honteux, parmi les montagnards de l'Atlas, de verser une larme sur la -
mort de celui qui meurt en combattant. La manière de s avouer vaincu, parmi eux,
est d’égorger un animal en lhonneur du vainqueur : c’est la plus grande marque
d'ignominie, et ils préfèrent acheter la paix par des présents et de l'argent. Lorsque
les Chulouhs sont en guerre, ils décident le jour du combat, qu’on nomme Nihar
el-Tarad, et il n’y a aucun acte d'hostilité jusqu’au jour convenu.
De Aït el-Hasan, on se rend en tirant vers l’ouest, en deux jours, à Aït-Hurbil,
contrée montagneuse habitée par des Chulouhs qui payent la dîime au sultan de
Maroc, par les mains du cheikh qui les commande. Aït-Harbil est un pays de
grains.
De Aït-Harbil, on se rend en trois jours, en tirant vers l’ouest, à Aghadir, que
les Européens ont nommé Sainte-Croix. C’est un pays montagneux; et les Arabes
qui campent aux environs d’Aghadir, du côté du midi, se nomment Sebanat et
Oughsimé. Aghadir est régie par un caïd qui a sous ses ordres des soldats nègres.
C'est une grande ville qui a été abandonnée, en conséquence des ordres du sultan,
depuis dix à douze ans, c’est-à-dire vers l'an 1778.
IV. ROUTE DE OUAD-NOUN A AGHADIR, OU SAINTE-CROIX.
(Aghadir est un mot berbère qui signifie pays montagneux.)
De Ouad-Noun, en tirant un peu vers l’est, on se rend en trois jours à Ouad-
Ghisser.
Ouad-Ghisser est une rivière qui se jette dans l'Océan près de Messa. Cette
contrée est fertile en dattes, en blé, en miel et en huile d’arghan. La cire et le
miel sont la principale richesse de ce pays. Les abeilles ne s'y reposent jamais,
car il n’y fait jamais froid. Ce pays est occupé par des Arabes qu'on nomme Mezzat.
Ils sont indépendants, et ils peuvent se présenter en bataille avec dix mille
cavaliers.
H'est à propos d'expliquer ce que c'est que l'huile d’arghan. L’arghan est un
arbre de haute futaie, très-épineux et d’une forme irrégulière ; 1l est très-commun
dans les montagnes de l'Atlas; 11 produit un fruit de la grosseur d’une petite datte;
les chèvres et les moutons le mangent très-volontiers : ils rejettent le noyau qui
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 231
est dans le centre de ce fruit, et on a soin de le ramasser. Lorsqu'on en à une
assez grande provision, on les casse, pour en retirer une amande, que l’on fait
tant soit peu torréfier et que l'on pile ensuite ; lorsqu'elle est réduite en pâte, on
en exprime le suc, qui est l'huile d’arghan, qu’on mange et dont on s’éclaire. Cette
huile est surtout très-bonne pour la friture, en prenant la précaution, comme on
fait pour l'huile de sésame, de l’'enflammer, pour que le feu en consume les parties
les plus grasses; cette huile sert aussi à faire de très-bon savon.
De Ouad-Ghisser on se rend, en quatre jours, en tirant vers l’est, à une contrée
montagneuse nommée Ait-Bamran: elle est remplie de petites villes murées et de
villages; ce sont des Chulouhs qui lhabitent. Ils recueillent de la cire, du miel,
du, blé et de l'orge. Les principaux cheïkhs de cette contrée se nomment cheikh
Muhammed où Ummou, cheikh Muhammed-Abou-Chughal et Sidi Muhammed-
Ait-Bamran; celui-ci est marabout,
De Aiït-Bamran on se rend, en trois Jours, à Ait-el-Hasan, contrée montagneuse,
difficile et peuplée par des Chulouhs indépendants, dont la richesse ne consiste
qu'en cire et en miel. Du produit de la vente de ces objets, ils achètent les provi-
sions que la terre leur refuse. C'est une peuplade de vingt-cinq mille hommes.
Ilscombattent à pied; leur principal cheikh est cheikh Bilcasin Naït-el-Hasan. Dans
une bataille que ce cheikh livra aux Chuloubs de Aït-Bamran, il perdit sept enfants,
et il s’en félicitait, en disant qu'ils étaient morts dans le champ d'honneur.
La province dont la contrée de Ouad-Noun fait partie s'appelle Metkené ; elle
est peuplée par les Arabes nommés Metkené.
Cette tribu, composée d'un grand nombre de cavaliers, passe pour guerrière ;
elle est commandée par quatre cheikhs, et le premier d’entre eux se nomme cheikh
Abd-Allah. Il habite une ville de la plaine nommée Ghèéla-Imim. Le second cheikh
se nomme El-Hady-Ab-ul-Cadir, qui habite une ville nommée Taghadirt-Oufilla ,
située sur une des montagnes de Ouad-Noun, Le troisième cheikh est El-Hasan-ben-
Mubhammed, qui habite aussi une des quatre montagnes qui renferment la contrée
de Ouad-Noun; et enfin le quatrième se nomme Muhammed-Ouyda, qui habite
aussi une des montagnes de Taghadirt.
Vous remarquerez qu'Aghadir ou Taghadirt est un mot berbère qui signifie un
lieu montagneux. Ces quatre cheikhs habitent des maisons; mais la plus grande partie
de leurs sujets campent sous des tentes; ils sont cultivateurs. La terre est très-pro-
ductive à Ouad-Noun. Le blé, l'orge et les légumes y réussissent à merveille.
232 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
V. ROUTE D'AGHADIR À MOGHADOR.
D'Aghadir, que nous nommons Sainte-Croix, on se rend, en quatre ou cinq
heures de marche vers l’est, à la montagne dite Ida ou Tanam. Les habitants de
cette montagne sont Chulouhs et ne sont point soumis au sultan. Ce sont eux qui
fournissent toutes les provisions d'Aghadir, qui autrefois était en leur pouvoir. Cette
montagne est remplie de villages gouvernés par divers cheikhs.
De Ida ou Tanam, on se rend, en un jour de marche vers le nord-ouest, à la
rivière dite Tamrakht, qui est du district de Ida ou Tanam. Le cheikh qui commande
dans les pays arrosés par cette rivière est aujourd’hui (1788) cheikh Said ou Mansour.
Cette contrée est fertile en grains et en fruits. Tamrakht se jette dans l'Océan, à
huit lieues nord d’Aghadir. Les Danois ont tenté, il y a quelques années, de s'em-
parer de ce pays et de s’y établir; mais leurs efforts, mal combinés, ont échoué,
parce qu’au lieu de faire leur établissement dans la plaine, ils auraient dû avoir
le courage de le faire sur les hauteurs.
De Tamrakht, on se rend, en deux jours de marche vers le nord-ouest, à la ri-
vière dite Beni-Temer, qui est de la province de Haha. Quoique tous les habitants
de cette province soient Chulouhs, ils obéissent au sultan; elle est gouvernée par
un caïd.
De Beni-Temer, on serend, en un jour de marche vers le nord-ouest, à la mon-
tagne nommée Aghin-Waram, qui signifie, en berbère, tête de chameau. Cette
dénomination donne l’idée de la forme de cette montagne et de son élévation.
Elle est enclavée dans la province de Haha, et les Chulouhs qui l’habitent payent
tribut.
De Aghin-Waram, on se rend, en deux jours de marche vers l’ouest, à Ida-Ou-
ghart, contrée peuplée de villages chulouhs et dépendante de Haha.
De Ida-Oughart, en un jour de marche vers l’ouest, on se rend à Moghador,
dont le nom arabe est Souweira. L'empereur mort dernièrement (1790), Sidi-Mu-
hamed-ben-Abd-Allah la fait bâtir, et a exigé que tous les négociants européens
établis en divers endroits de ses états y fixassent leur maison de commerce.
VI. ROUTE DE MOGHADOR A ASSAFI.
De Moghador, en un jour de marche vers le nord, on entre dans la contrée
nommée Siadma, peuplée d’Arabes campant sous des tentes. Cette contrée est
arrosée par une rivière qu'on nomme Tanssif.
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 233
De Siadma, en un jour de marche, vers le nord, on entre dans une contrée
nommée Al-Ghiat, peuplée d'Arabes campant sous des tentes. Gette contrée fait
partie de la province d’Abda.
D’Al-Ghiat, en un jour de marche vers le nord, on se rend à Assafi, ville ma-
ritime de la province d’Abda. La province d'Abda est une des plus fertiles de l'em-
pire marocain; elle produit du blé, de l'orge, des légumes, des raisins, des figues,
du beurre, du miel, de la cire, et elle est aussi fort riche en animaux domestiques;
sa population est considérable. C’étaient principalement les Arabes de Abda qui
avaient mis sur le trône Sidi-Muhammed, défunt.
VII. ROUTE D'ASSAFI À SALÉ ET RIBATH.
D’Assañ, en deux jours de marche vers le nord, on se rend à Ejer, ville mari-
time de la province d’Abda. Son territoire est très-fertile; elle a un port formé par
des rochers, dont l'embouchure est trop étroite pour de gros navires.
De Ejer, en un jour de marche vers le nord, on se rend à Walidia, ville mari-
time de la province de Dukela. Le port de Oualidia ne peut recevoir que de très-
petits navires. Son territoire est occupé par des Arabes campant sous des tentes.
De Walidia, en trois jours de marche vers le nord, on se rend à Sidi-Ibrahim-
ben-Helal, ville maritime de la province de Dukela. Elle a un petit port pour des
bateaux.
De Sidi-Ibrahim-ben-Helal, en trois jours de marche, on se rend à Mazaghan,
connue dans le pays sous le nom d’Al-Breza. C’est encore une ville maritime de la
province de Dukela ; son port est bon, et son territoire est cultivé par des Arabes
campant sous des tentes.
De Mazaghan, ou plutôt d’Al-Breza, en un jour de marche, on se rend à Ez-
murr, ville maritime, que les Francs nomment Azamord. Cette ville est encore de
la province de Dukela, et son territoire est cultivé par des Arabes campant sous
des tentes. La rivière d'Umm-Rebia, que les Francs nomment Morbeia, a son em-
bouchure au nord d'Ezmurr; c’est une très-grande rivière, et la plus grande même
qu'il y'ait dans tout l'empire du Maroc; elle est très-poissonneuse ; on y sale beau-
coup de poisson que l'on vend dans tout l'empire; chaque jour il y vient des cara-
vanes de chameaux pour en charger.
En quittant le territoire d'Ezmurr, on entre dans la province de Sawia, qui
est très-étendue, très-riche et très-peuplée par des Arabes campant sous des
tentes; elle n’a que trois ou quatre petites villes. En trois jours de marche, d'Ez-
murr, on se rend à Dar-el-Beidha, petite ville maritime de la province de Sawia.
30
234 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
De Dar-el-Beidha, on se rend, en un jour, à Kisbet-b-il-Hasan, autre petite ville
maritime de la province de Sawia.
De Kisbet-b-il-Hasan, en deux jours, on se rend à Fadhala, ville maritime avec
un bon port de mer, de la province Sawia.
De Fadhala, on se rend, en un jour, à Salé et Ribath. Ce sont deux villes séparées
par une rivière qu’on peut traverser avec des bateaux.
Pour traverser la plupart des rivières de l'empire de Maroc voici la manière
ordinaire dont on s’y prend : on a des peaux de bœufs préparées pour être enflées;
on en lie trente ou quarante ensemble, sur lesquelles on met des cannes égale-
ment liées; on charge sur ce pont flottant les passagers et les marchandises ; deux
Arabes le tirent vers eux en nageant, et deux autres le poussent par derrière; les
chameaux et les chevaux traversent à la nage. On appelle ces espèce de radeaux
maadie.
On y arrive, du côté de la campagne, par une grande porte qu’on ouvre à l’heure
du michouar. Le sultan est à cheval, entouré de ses ministres, ou plutôt de ses
secrétaires, et de ses soldats, et il juge les procès du peuple; mais le plus pauvre
ne doit point se présenter les mains vides; il faut qu'il apporte au moins des poules
et des œufs. Partout où l’empereur se transporte, c’est toujours en plein champ
qu'il donne ses audiences.
En droite ligne de Maroc, la première ville de l'Atlas qu'on rencontre est Ou-
riké, qui donne son nom à un district montagneux assez étendu. Ouriké est une
ville murée, contenant une population de douze cents âmes à peu près. Le cheikh,
qui commande à des Chulouhs, se nomme cheikh Muhammed-el-Ouriki. Le sultan
n'y commande pas, et les seuls droits que payent les habitants sont le zekiat, c’est-
à-dire un quarantième des revenus de la terre et des bestiaux en faveur des prêtres
musulmans. La contrée d'Ouriki peut renfermer quarante ou cinquante villages
soumis au même cheikh; ce pays est arrosé par beaucoup de sources qui vivifient
une grande quantité de jardins, dont les légumes et les fruits se vendent à
Maroc.
VIH. ROUTE DE SALÉ ET RIBATH A FÉS.
De Salé et Ribath, en trois jours de marche vers l’est, on se rend a Miknès, ville
impériale de la province d’Ait-Imour. Cette province est presque tout occupée
par des Berbères vivant sous des tentes et soumis au sultan. Ils sont très-nom-
breux et ils s'occupent de la culture des terres. Ce pays est riche en grains et en
bestiaux. Ils parlent la même langue que les Chulouhs, à l'exception de quelque
différence dans la prononciation et dans adoption particulière de certains mots.
ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. 235
Dans la province d’Ait-Imour, la ville la plus remarquable après Fès, est
Wezzan, ville maure, commandée par un marabouth descendant de Sidi-ben-Isa.
Le sultan a beaucoup d’égard pour lui et lui envoie même des présents.
Fès est à neuf lieues de Miknès, et on s'y rend par une route très-commode et
très-agréable. On la fait ordinairemant en six et sept heures avec des mules de louage,
qui vont l’amble. Fès est de la province de Beni-Hasan, peuplée d’Arabes campant
sous des tentes. Les chrétiens ni les juifs ne peuvent point entrer à Fès, et, pour
qu'ils y soient reçus, il faut un ordre du sultan ou des protections particulières
dans la ville. Les superstitieux musulmans la regardent comme une ville sainte,
qui ne doit point être profanée par le regard des mécréants. La ville de Cairoan,
dans le royaume de Tunis, est dans le même usage.
IX. ROUTE DE MAROC A TELMESAN.
Merakich, que nous nommons Maroc, est à quatre-vingts lieues sud de Miknés.
On y arrive à travers les campements des Berbères et des Arabes. Ces campements
forment de petits villages ambulants, qu'on nomme douars; mais les lieux qui ap-
partiennent à chacune de ces tribus, sont circonscrits, et elles ne peuvent se trans-
porter au delà de leurs limites.
Les voyageurs trouvent dans ces douars les provisions nécessaires à leur sub-
sistance, et, lorsqu'ils voyagent par ordre du sultan ou sous l’escorte de ses sol-
dats, on leur fournit, gratis, leur nourriture et celle de leurs montures.
Ces campements sont responsables de la sûreté des routes; mais ils exigent
qu’on ne voyage par de nuit et qu'on campe près d'eux.
La ville de Maroc est éloignée d'environ dix lieues de l'Atlas et de vingt lieues
de la mer. Elle est dans une plaine agréable, plantée de palmiers et d’oliviers, et
arrosée par quatre rivières qui se nomment Tansüf, Ouad-Nefis, Tessaouth et
Ouad-Missiwa. Il y a, en outre, quantité d’autres sources qui pourraient fertiliser
ce territoire et le rendre un lieu de délices. L’enceinte de la ville est très-vaste,
mais remplie de ruines, et les quartiers habités sont éloignés les uns des autres.
Elle ne renferme pas plus de trente mille âmes en comptant même la cour et les
troupes du sultan. Ce qu'il y a de plus remarquable consiste en quelques mos-
quées et en un édifice destiné à la vente des étoffes et d’autres effets qu'on nomme
Al-Caisserié. Un faubourg mure, d'environ deux milles de tour, à l'extrémité occi-
dentale de la ville, contient deux cents familles juives, et ce quartier se nomme
la juiverie.
Le palais impérial est à l’autre extrémité de la ville, à l'est; c'est une enceinte
236 ITINÉRAIRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
très-vaste et très-solidement bâtie. Elle renferme plusieurs pavillons et jardins
fort bien entretenus par des jardiniers européens. Entre ces pavillons et la cam-
pagne, est une grande place entourée de murs, appellée Michwar. Cest là que
l’empereur donne ses audiences publiques, quatre fois la sémaine.
MÉMOIRE
SUR LA PARTIE MÉRIDIONALE
DE
L'ASIE CENTRALE
PAR
NICOLAS DE KRHANIKOFE.
£aris. — fmprünerie de L, MARTINET , rue Mignon, 2.
MÉMOIRE
SUR LA PARTIE MÉRIDIONALE
DE
L'ASIE CENTRALE.
Depuis les temps les plus reculés, la partie méridionale de
l'Asie centrale, qui comprend les provinces du Khorassan, de
lezd, de Kirman, le Séistan et une partie de l'Afghanistan, à
servi de théâtre à de grands faits historiques, et par conséquent
cette vaste portion du continent asiatique ne pouvait rester com
plétement ignorée des géographes et des historiens de l'antiquité,
du moyen âge et des temps modernes. Néanmoins, ce pays est
beaucoup moins éludié que d’autres régions de l'Asie dont le
passé occupe une place infiniment plus modeste dans l’histoire
du monde. Cette anomalie s’explique en partie par l'éloignement
de ces contrées de tout centre de civilisation tant ancienne que
moderne,
Le sud de l'Asie centrale ne nous présente jamais, dans son
passé, une période de développement constant ; jamais il n’a servi
de théâtre à une série consécutive de faits dignes de fixer sur lui
les regards du monde, Son passé a un caractère éminemment
fiévreux ; à de longs intervalles, de grandes commotions viennent
rompre la monotonie de la vie des peuples qui l’habitent; des
2h0 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
flots de sang coulent dans ces plaines arides, des villes disparais-
sent, et le désert, rétréci par le travail de l’homme dans les
moments de paix et de calme, étend ses limites; mais l'orage
passé, l’ancienne marche des choses reprend son cours, l'énergie
nationale est employée à combattre les envahissements du désert
et à se préserver des influences de l’anarchie, inhérentes à l’his-
toire de ce pays. L'intérêt momentanément attaché à son exis-
tence disparaït, et des siècles s’écoulent sans que le monde civilisé
éprouve le moindre besoin de s’enquérir de ce qui se passe dans
ces solitudes.
La position géographique de ces contrées contribue aussi à les
tenir éloignées des intérêts et même des sympathies du monde
civilisé. Dans le courant des siècles, les centres de civilisation se
sont successivement déplacés, de l'Inde en Mésopotamie, puis en
Égypte, en Grèce, à Rome et dans la partie occidentale de l’Eu-
rope; mais, à l’époque même de leur plus grand rapprochement
de la partie méridionale de l’Asie centrale, ils en étaient tellement
distants, que l’influence bienfaisante de leur action civilisatrice
s'y est très peu fait sentir. Voilà pourquoi les anciens Grecs et
les Romains ne parlent de ce pays qu’à l’occasion des campagnes
d'Alexandre le Grand; leurs prédécesseurs, les Perses Akhémé-
nides, n’en font mention, pour ainsi dire, qu’accidentellement,
pour rehausser l'éclat des titres du souverain et pour rendre
plus retentissante la renommée de ses conquêtes, en introdui-
sant, dans la liste des pays soumis, quelques noms, plus ou
moins connus, des provinces de cette partie de l’Asie.
La longue lutte entre les races arabes et les races iraniennes,
lutte dont l’origine remonte aux temps les plus reculés, a laissé
peu de traces dans les littératures qui nous sont accessibles ; mais
elle prépara le triomphe dela cause arabe dans ces pays, et elle y a
ouvert les voies à l’islamisme, qui s’y maintient victorieux depuis
douze cents ans. Aussi, c’est de ce temps seulement que commence
pour nous la véritable connaissance de la géographie ancienne de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 2h14
ces pays, car d’après les documents grecs et romains elle présen-
tera toujours beaucoup de vague. Les anciens, comme les mo-
dernes, n’usaient pas toujours de la précaution salutaire de
n’admettre dans leurs sciences que des faits positivement connus,
et se contentaient souvent d'à peu près, aussi peu clairs pour eux
qu'ils le sont pour nous.
Avant la fin du premier siècle de l’hégire, le pouvoir des Arabes
était déjà fermement établi dans le Khorassan, le sud de la
Perse, le Séistan, la Transoxiane et une partie de l'Afghanistan.
L’éloignement de ces pays du centre du khalifat de Baghdad exi-
geait que les gouverneurs arabes, les chefs des corps expédition-
naires, les empoyés du fisc et les inspecteurs envoyés de temps à
autre de la capitale pour élucider des questions administratives
et gouvernementales, parlassent avec plus de précision des pays
mentionnés dans leurs rapports que ce n’était l’usage sous les
gouvernements indigènes. Voilà l'origine de ces itinéraires détail-
lés que nous trouvons dans presque toutes les géographies arabes,
L'intérêt administratif attaché à ces pays, les voyages que quel-
ques khalifs eux-mêmes ont cru devoir entreprendre pour visiter
ces lointaines dépendances de leur couronne, enfin les exigences
du commerce, stimulaient le zèle des voyages chez des particuliers,
et la littérature arabe est certes la plus ancienne de toutes celles
qui nous aient conservé des relations plus ou moins exactes et
détaillées d’explorations de ce genre. Grâce aux travaux de
MM. d’Herbelot, Silvestre de Sacy, de Guignes, Reinaud, Jaubert,
Defrémery et d’autres savants, presque exclusivement francais,
les principaux ouvrages géographiques des Arabes nous sont con-
nus en traduction ou en extraits, et nous pouvons les juger dans
leur ensemble.
Plus détaillés que les anciens dans la description des pays qu’ils
visitent, les Arabes laissent beaucoup à désirer pour la précision
de leurs informations. Le génie arabe, par sa nature même, est
peu enclin aux généralisations; ceci a préservé leurs physiciens
242 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
et leurs naturalistes des erreurs où sont tombés les Grecs, trop
prompts à élever des systèmes avectrès peu de matériaux solides;
mais ceci exclut aussi de leurs descriptions géographiques ces
aperçus généraux et concis qu’on rencontre dans les ouvrages des
géographes anciens. Plus corrects, en général, que leurs prédé-
cesseurs dans les détails, ni Massoudi, ni l’Istakhry, mi Edrisi,
pour ne citer que les sommités de la littérature géographique
arabe, ne contiennent de descriptions comparables, par leur con-
cision éloquente, à celles quel’ontrouve souvent dansStrabon, dans
César et dans Tacite. Mais leur défaut principal, et qui leur est
commun avec les géographes grecs et romains, c’est le manque
absolu de moyens d’évaluer tant soit peu exactement la distance
et la position respective des endroits où ils ne résidèrent pas assez
longtemps pour en fixer la latitude, soit par la mesure de la lon-
gueur de l’ombre à midi, soit par des observations astronomiques
proprement dites.
Ce défaut d'orientation devient plus sensible à mesure que les
pays qu'ils décrivent s’éloignent des centres de leur civilisation,
c'est-à-dire qu'il croît en raison inverse de la fréquence de
leurs voyages dans telle ou telle province. Voilà pourquoi les
données arabes sur les pays situés entre Alexandrie, la Mecque
et Baghdad, sont beaucoup plus faciles à orienter sur nos cartes
que leurs descriptions des contrées situées en dehors de ce triangle.
L'Europe du moyen âge a peu contribué à corriger les tradi-
tions géographiques de l’antiquité et du moyen âge arabe. À de
rares intervalles, des voyageurs européens tels que Marco Polo,
le P. Benedict Goez, Schiltperger, Ciavijo et d’autres, se sont
aventurés dans ces pays inhospitaliers ; mais les récits des priva-
tions qu’ils y ont endurées, et les dangers auxquels ils s'étaient
exposés, n’étaient guère de nature à tenter beaucoup de voyageurs à
les imiter. Au récit de leurs aventures personnelles, ils joignaient
incidemment des détails géographiques, les uns vrais et d’autres
fabuleux, de sorte que pendant très longtemps la Perse, en géné-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 2h43
ral, et sa partie orientale surtout, ont été presque inconnues en
Europe, et que l’on peut dire que sa véritable découverte pour les
savants de l'Occident ne date que du temps des voyages d'Oléa-
rius, de Tavernier et de Chardin.
l'éclat jeté sur l'empire persan par les Séfévides, leur inclina-
tion à lier des rapports d'amitié et de commerce avec les nations
européennes, l'établissement dans leurs États de factoreries hol-
landaises et de missions religieuses catholiques romaines, les pre-
mières tentatives des Anglais pour asseoir sur des bases solides leur
influence en Perse, et principalement la carrière brillante de Nadir
Chah et l'étendue de ses conquêtes, expliquent pourquoi, vers la
fin du xvne siècle et la première moitié du xvi°, l'attention des
gouvernements européens fut attirée vers des contrées qu'ils
pouvaient facilement ignorer dans les siècles précédents, et pour-
quoi aussi à cette époque ils encourageaient les efforts particuliers
vers l'exploration de ces pays. Dansla Persia, seuregni persici status de
la collection elzévirienne, nous avons un résumé succinct, fait avec
beaucoup de soin, des explorations entreprises en Perse dans le
xvi° siècle, et nous pouvons facilement nous convaincre, même
sans recourir aux sources, que les voyageurs de cette époque, tels
que Richard Steel et John Crowther (1615), Henri Poser (1621), et
le frère Manrique (1653), ainsi que des agents intelligents tels que
Teïxera et d’autres, tout en nous communiquant des renseigne-
ments assez curieux sur l’histoire, les mœurs et l’état social des
pays qu'ils ont visités, ajoutent fort peu à nos connaïssances géo-
graphiques sur la partie méridionale de l’Asie centrale. La même
observation s'adresse aux voyages si instructifs, sous beaucoup
d’autres rapports, de Tavernier et de Chardin; aussi nous dis-
penserons-nous de les analyser en détail.
La formation d’un puissant empire afghan après l'assassinat de
Nadir Chah, et le danger qui pouvait résulter pour les possessions
anglaises dans l’Inde de l'ambition de la famille des Douranis,
ferniersient établie sur la frontière septentrionale de l'empire da
244 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
Grand Mogol, furent, dans le xvirr siècle, les premiers stimulants
qui engagèrent un Européen à affronter les dangers que présentait
alors, et que présente jusqu’à nos jours à un simple voyageur, la
route directe entre la vallée de l’Indus et l'Europe, Forster,employé
de la compagnie des Indes orientales, fut le premier quisedécida, en
1783, de revenir en Europe par cette route peu commode et peu
sûre. Des régions de l’Asie centrale proprement dite, Forster n’a vu
que l'Afghanistan occidental, une partie du Séistan, la province
de Hérat, le Khorassan moyen et le littoral méridional de la mer
Caspienne. Ayant visité le Kachemir, il traversa l'Afghanistan, et
passant, le 8 octobre de l’année 1783, à Kandahar, ilarriva par la
route de Guirichk, Bakoua et Okel, le 2 novembre, à Hérat. Après
un séjour detrois semaines dans cette ville, sur laquelle il donne très
peude détails, il serendit à Tourchiz, nomqu'ilécrit, d'aprèsla pro-
nonciationdesmuletiers, T'erchich. Il y arriva le 13 décembre, ayant
visité en route Ghourian, Khaf ou Roubhi, et Achkara. A cause du
grand froid qui régnait alors dans le Khorassan, les caravanes hé-
sitaient à se mettre en marche, ce qui le retint à Tourchiz jusqu’au
28 décembre ; il n’arriva à Chahroud que le 5 janvier de l’année
1784. De là, il se rendit en sept ou huit jours à Mechedisser, port
de la mer Caspienne, par la route ordinaire de Balfrouch. Loin
de s’être préparé à ce voyage par une étude préalable quelconque,
M. Forster s’y est décidé comme on sedécide à aller, en spectateur,
à une partie de chasse périlleuse sans se donner même la peine
de s’armer convenablement. Il n’avait pris avec lui que de l’argent
et quelques habits. Quant à se munir d'instruments de précision, il
le considérait comme superflu ou dangereux, car:il quitta l’Inde sans
même emporter une montre pour estimer avec quelque précision
la durée des marches de caravane; aussi, évalue-t-il les distances
entre les stalions de sa route uniquement d’après les indications
des indigènes, en farsangues persanes. La nécessité de cacher ses
moyens pécuniaires, de se déguiser même, le forçait à imiter en
tout ses compagnons de voyage, c’est-à-dire à s’abstenir de pren-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 245
dre des notes sur les lieux, de voyager pendant la nuit, de ne pas
s'arrêter là où il serait intéressant de séjourner quelque temps
pour explorer des sites remarquables, ou pour visiter des monu-
ments curieux. Son peu de goût pour les sciences naturelles en
général, son manque de teinture scientifique, faisaient qu’en par-
courant diverses contrées, ce n’était pas la configuration du ter-
rain ou les propriétés physiques du pays qui se gravaient dans sa
mémoire, mais plutôt les incidents de ses aventures personnelles,
qui rarement servent à peindre les mœurs; de telle sorte qu'après
avoir lu son ouvrage, on se fait une idée beaucoup plus exacte
du caractère de tel ou tel autre marchand ou mollah persan que
le hasard lui a donné pour compagnon de route, que du caractère
des contrées qu’il a visitées. Néanmoins, la relation de son voyage
a été accueillie partout avec un vif intérêt, et son livre a été tra-
duit dans presque toutes les langues européennes. Ce fut le major
J. Rennell, membre de la Sociéié royale et ci-devant chef du
levé topographique de l'Inde, qui profita, pour ses propres tra-
vaux géographiques, des explorations de M. Forster. Il publia en
1792 un ouvrage très remarquable de 498 pages in-4°, sous le
titre un peu long de Memoir of a map of Hindoostan or the Mogul Em-
pire, with an introduction illustrative of the geography and present division
of that country, and a map of the countries situated between the heads
of the indian rivers and the Caspien sea. La partie de cet ouvrage qui
s'occupe de l’Asie centrale est intitulée : Account of the map of the
countries lying between the heads of the indian rivers and the Caspian
sea; il y apprécie les services rendus par M. Forster à la géogra-
phie, de la manière suivante ( page 187) : « La description de la
» route de M. Forster, de Kandahar à la mer Caspienne, jette une
» grande lumière sur la géographie de ces pays, de même que sur
» d’autres matériaux géographiques qui étaient enveloppés jusqu’à
» Jui d’une certaine obscurité. » Plus loin ( page 189 ), il précise un
peu plus cette louange exprimée en termes trop généraux, notam-
ment il dit : « Ce gentleman nous donne une idée nouvelle sur la
VI, 29
246 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
» direction des chaînes de montagnes qu’on suppose générale-
» ment traverser l'Asie de l’ouest à l'est, sous des noms différents,
» ou plutôt il nous ramène aux idées que nous ont léguées les
» anciens. Îlest hors de doute que les Grecs ét les Romains avaient
» plus de notions sur la géographie spéciale de la Perse que les
» Européens modernes, quoique nous soyons à même d'orienter
» avec une plus grande précision géométrique les parties de ce
» pays qui nous sont connues, Cette chaîne que les anciens appe-
» laient Taurus, sortant de l'Asie Mineure, traverse l'Arménie
» dans une direction orientale ; de là, s’inclinant vers le sud-est,
» et ayant circonscrit la côte méridionale de la mer Caspienne,
» elle a été continuée par Ptolémée, sous les noms de Coronus, de
» Sariphi et de Paropamisus, comme servant de limite entre lHyr-
» canie, la Tapurie et la Parthie, ensuite entre la Margiane, l’Arie,
» la Bactriane et la province Paropamisiane. Ce qui voudrait dire
» en termes géographiques modernes qu’elle séparait le Mazan-
» deran du Taberistan, de Cumis, du pays Dahistan, du Corcan,
» du Korasm et du Khorassan, de même quelle servait de limite
» aux provinces de Balkh, de Gour et du Sigistan ou Séistan.
» Enfin, Ptolémée la fait aboutir à la chaîne qui, sous le nom de
» Caucase indien, servait de limite entre l'Inde et la Bactriane, et
» puis sous le nom d’Imaüs ou d’Emodus séparait l'Inde de la SCy-
» thie. Les modernes ne savent rien sur la direction de cette chaîne
» au delà de la mer Caspienne; ils ignorent même si elle aboutit
» réellement au Caucase indien, ce qui est très probable, quoique
» cela ne soit pas de la manière dont l’a supposé M. d’Anville, qui
» donne à cette chaîne, au delà de la mer Caspienne, une direction
» est-sud-est, et la fait passer au sud de Hérat. Or, s’il en était
» ainsi, M. Forster aurait dû la franchir en venant de Kandahar,
» tandis qu'il ne rencontra aucune chaîne de montagnes avant
» d'être à cent milles de la Caspienne. De manière qu’il a dû laisser
» à sa droite la continuation du Caucase indien (si pareille chaîne
» existe), c'est-à-dire il la jaissa au nord; et je crois qu’en effet
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 247
» une pareille chaîne existe à peu près comme l’a décrite Ptolé-
» mée, car les rivières traversées par M. Forster se dirigeaient
» toutes vers le sud, ce qui prouve que le terrain élevé est au nord,
» quoique situé hors de vue. Par conséquent, la liaison entre les
» monts Caspiens et le Caucase indien, si elle existe dans la nature,
» doit être au nord du Khorassan. » :
J'ai cité ce long passage, parce qu'il prouve d’une manière évi-
dente comment une suite d'erreurs qui se détruisent mutuellement
peut conduire à un résultat exact. Rennell a raison de croire que la
grande chaîne latitudinale de l'Asie centrale ne passe pas au sud
de Hérat, mais il base son raisonnement sur deux erreurs de For-
ster : 1° sur ce que ce voyageur a oublié de mentionner qu'il a
franchi une chaîne de montagnes entre Kandahar et Hérat, car
celte chaîne existe, et, 2 sur ce fait qu'il fait couler toutes les
eaux qu'il a rencontrées sur sa roule vers le sud, ce qui est inexact,
car le Heriroud, par exemple, coule au nord-ouest. Cette dernière
erreur a longtemps régné sur les cartes de l'Asie. Mac Donald
Kinneir la répète comme les autres, car M. Christie n'est pas plus
correct à ce sujet.que ne l’a été Forster, et elle n’a disparu de nos
cartes que quand Arrowsmith a publié celle qu'il a dressée pour
le voyage de M. Burnes. Après le passage que nous venons de rap-
porter, M. Rennell se livre à une discussion, des latitudes et des
longitudes de Samarcande, Kachghar etc., examen minutieux,
mais manquant de base, et où entre autres il croit pouvoir adop-
ter comme valeur moyenne de la longueur d'une marche de cara-
vane par jour le chiffre énorme de 14 milles géographiques,
de 15 au degré de l'équateur ! Il termine son mémoire par des
conclusions très judicieuses sur la synonymie des noms anciens
et.modernes de quelques localités de l'Asie centrale. Ainsi,
d’après lui, Boukhara est la Sogdiane et non la Bactriane, cette
dernière proyince devant être assimilée à Balkh et à Gour. Enfin,
il donne un aperçu succinct, mais assez exact, de l'histoire du
royaume des Parthes, et conclut (page 201 ), que cet empire
2h68 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
n’était dans son ensemble que celui des Perses, sous un autre nom.
Sur la carte qui accompagne son mémoire, le géographe anglais
a indiqué la route suivie par Alexandre le Grand, par Tamer-
lan, par Clavijo et par Forster; mais on voit qu'il n’avait à sa
disposition que des matériaux topographiques assez inexacts, car
il place, par exemple, Méched sous le même méridien que Nicha-
pour, à 4° 25’ au nord de cette dernière ville.
Dans le siècle passé, M. Forster n’a pas eu d’imitateurs. Lies
grands événements qui ont signalé la fin du xvin° siècle détour-
nérent lPattention des gouvernements européens de la politique
orientale; mais dès le commencement du xix° siècle, ce sujet
fut repris avec une nouvelle ardeur. Les succès obtenus par les
Anglais dans l'Inde, à la fin du siècle dernier et dans les premières
années du siècle actuel, et Le retentissement que leur nom a eu
en Asie par suite de leurs conquêtes, établirent leur prépondé-
rance en Turquie et en Perse, au point qu’elle ne pouvait être
contre-balancée que par la gloire du nom deNapoléon, dont la car-
rière brillante et presque fabuleuse était si propre à frapper l’ima-
gination des Orientaux. Aussi, nous savons que la diplomatie
française, en dépit de l'or et du talent des diplomates anglais,
sut devenir très influente à Constantinople comme à Téhéran.
La mission militaire du général Gardanne a eu de grands succès
diplomatiques ; maïs les services rendus à la science par quelques-
uns des membres de cette mission les surpassent de beaucoup,
car ils témoigneront toujours de la part considérable qu'ont eue les
explorateurs français dans l’agrandissement de nos connaissances
géographiques sur l'Asie.
Quatre compagnons du général Gardanne ont publié, avec plus
ou moins de détails, les résultats de leur exploration en Perse,
MM. Dupré, Jaubert, Trézel et Truilhier ; mais nous ne mention-
nerons ici que les travaux du premier et du dernier, car les déux
autres ont exploré des parties de la Perse dont je ne parle pas
dans ce mémoire.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 249
Ce n’est seulement qu’en 1819 que M. Dupré publia chez
Dentu, sous le titre de Voyage en Perse, fait dans les années 1807,
1808 et 1809, etc., en deux volumes in-8°, l’ensemble de ses inté-
ressantes explorations. Parti de Constantinople le 8 septembre de
l’année 1807, il traversa en quarante-trois jours toute l’Asie Mi-
neure jusque Baghdad, et de là, par Kirman-Chah et Hamadan, il se
rendit à Ispahan où il arriva le 16 décembre. Sans s'arrêter long-
temps dans cette ville qu’il se proposait de visiter encore une fois,
il se rendit le 8 janvier 1808 à Chiraz,”par la route de Yezed-Kahs,
Méchedi-Maderi-Souleiman et les ruines de Persépolis. De Chiraz,
par Darab et Taroun, il arriva en vingt jours, le 5 février, à Ben-
der-Abbassi, d’où il fit, entre le 8 et le 12 février, une excursion
dans les îles du golfe Persique, Ormouz et Kichmich, et revint par
Lar et Djaroun, le 2 mars, à Chiraz. Décidé à compléter son ex-
ploration de la côte persane du golfe par un voyage à Bender
Abouchir, M. Dupré quitta Chiraz le 6 mars, et arriva le 13 du
même mois à Bouchir par la route de Kazroun, puis il revint pour
la troisième fois à Chiraz, en douze jours, en passant par Firouz-
abad. Sa dernière halte à Chiraz ne dura que cinq jours, et il
quitta cette ville le 6 avril, pour se rendre à lezd. Cette dernière
partie de son itinéraire est d'autant plus intéressante, que jusqu’à
nos jours il est le seul voyageur qui ait décrit cette route directe
entre ces deux villes. Je me permetirai d'indiquer quelques résul-
tats auxquels nous conduisent les observations de M. Dupré. Le
premier résultat important est que le 11 avril, à peu près à 36 far-
sangues de Chiraz, vers le nord-est, le voyageur a rencontré la
chaîne de montagnes qui, comme nous le verrons plus loin, coupe
le méridien sous un angle de 36°, et, traversant toute la Perse,
depuis l’Océan indien jusqu’au parallèle de Demavend, constitue
une véritable limite naturelle des pays qui appartiennent à l’Asie
centrale proprement dite. M. Dupré n’ayant vu cette chaîne que
sur une petite étendue, n’a pas pu relever sa signification dans
la géographie physique du continent asiatique; mais, chose très
250 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
remarquable, il a été frappé de la différence extérieure des plai-
nes qui s'étendent des deux côtés de cette chaîne, et après avoir
mentionné que la chaîne de montagnes se dirigeait, d’un côté, vers
le sud, et de l’autre vers le nord-ouest, il ajoute que la plaine
s'étendait à l’est « à perte de vue, et qu’on peut en dire qu’elle est
» entièrement aride, n'offre à l’œil que des ronces et des sables
» brülants, » expression qu’on ne trouve chez lui nulle part quand
il décrit les plaines du versant occidental de cette chaîne. Sur la
carte de M. l'apie, qui accompagne l'ouvrage de M. Dupré, le
caractère de cette chaîne est assez bien rendu ; mais comme il ne
distingue par rien les chaînes secondaires des chaînes principales,
l’ensemble de ces représentations graphiques du réseau des mon-
tagnes de la Perse n’est pas aussi instructif qu’il pourrait l’être,
avec la légère modification que nous venons d'indiquer. La dis-
tance entre Chiraz et lezd est évaluée par M. Dupré à 68 farsan
gues, ce qui fait à peu près 300 kilomètres, car dans le sud de la
Perse cette unité de mesure itinéraire n’a guère plus de 4 kilo-
mètres. Le versant occidental de la chaîne sus-mentionnée est
beaucoup plus riche en eau que le versant oriental, et il donne
naissance au Pelvart, que le voyageur a suivi pendant plusieurs
jours, tandis que dans les plaines du versant oriental l’eau doit
être amenée de très loin, par des canaux souterrains, pour éviter
son évaporalion, Arrivé le 16 avril à lezd, M. Dupré n’y resta que
quatre jours, et se rendit de là à Ispahan par la route directe pas-
sant par Aghda, Koupa et Gulnabat. Arrivé à Ispahan le 27 avril,
il y resta jusqu’au 9 mai, puis par Kouhroud, Kachan et Koum, il
se rendit le 18 mai à Téhéran, qu'il ne quitta que le 13 février de
l’année 1809, avec toute la légation française, pour retourner en
Europe par Tébriz, Khoï, Nakhitchevan et Erivan. L'ouvrage de
M. Dupré contient des données précieuses sur la géographie de la
Perse méridionale, presque inconnue jusqu’à son voyage, sur les
tribus nomades de cette partie de l’empire persan et sur les poids
et mesures, Ses observations sur les mœurs et Le caractère du
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 2541
peuple gagneraient beaucoup si la langue du pays lui eût été plus
familière. Il nous dit dans sa préface, d’une manière générale,
qu'il avait « l'intelligence de la langue ; » maïs tout porte à croire
qu'il ne savait que le turc, car partout où il cite quelques phrases
orientales, il les cite en ture, et certes un homme qui entendrait
le persan n'aurait jamais dit, comme il le fait (tome 4, page 280),
«on nous avait donné pour nous servir, trois Persans; si nous
» demandions du bois ou des vivres, ils nous répondaient : Baclun,
» quezun, ustundé (sur notre tête, sur nos yeux). » À la page 363,
en parlant de l’'aumône pour le voyage, il la nomme selamet pa-
rassi au lieu de pouli selamet. Tome If, page 3, il appelle les portes
de Chiraz des Capoussi, au lieu de Dervazëh. Mais tout cela
ne l'empêche pas d’être exact dans les détails qu'il donne sur l’his-
toire et les mœurs du pays. M. Dupré a rendu un véritable service
à la géographie, en publiant les latitudes déterminées par son
compagnon de voyage, M. Trézel, qui, d’après ce que je crois,
sont exactes; et comme elles ne sont qu’au nombre de sept, on me
saura gré de les consigner ici dans une petite table.
Chiraz. . . . 29° 33 7° Soultaniéh. . 36° 45° 50”
Lezd. . . . . 32° 14 00” Kazvin.... 36°13’15"
Ispahan. . . 32° 24 34" Mianèh.. .. 37° 39° 56"
(4) Téhéran. . . 35° 40° 47"
La carte de M. Lapie dont nous avons déjà dit quelques mots,
est sans contredit un document scientifique très important. Non-
seulement l'orientation des différentes localités qui y sont repré-
sentées y est beaucoup plus parfaite que sur toutes les cartes
anciennes, sans en excepter celle de Mac-Donald Kinneir; mais ce
qui, selon moi, constitue le plus grand mérite de ce cartographe
distingué, c’est d’avoir compris et exprimé par son tracé l’isole-
(1) La latitude de ces quatre dernières villes d’après M. Lemm est : Téhéran (35° 40’ 44"),
Kazvin (36° 15'2/), Soultaniëh (36° 25’ 52”) et Mianéh (37° 25' 8"). Les différences entre
les latitudes des deux dernières villes, d’après MM. Trézel et Lemm s’explique en partie
par l'éloignement arbitraire des endroits où s’arrétent les voyageurs du centre des con-
structions urbaines.
252 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
ment des différents bassins intérieurs de cette partie de l'Asie,
caractère physique du terrain que tous ses successeurs ont négligé
de reproduire, au grand détriment de l'intelligence exacte du
relief d'une vaste portion du vieux continent.
Le second voyageur francais, le capitaine du génie Truilhier,
n’a pas eu l’avantage de publier lui-même les résultats de ses ex-
plorations. Appelé, bientôt après son retour en France, par les
devoirs de son service en Espagne, il n’en est pas revenu. Le jour-
nal de son voyage dans le Khorassan, confié par lui à M. Burck-
hardt, resta inédit, probablement à cause des nombreux travaux as-
tronomiques de cetillustre savant, et ce n’est qu'en 1841, c’est-à-dire
trente-quatre ans après le voyage, que feu M. Daussy s’est acquitté
de cette tâche. Mais pour dédommager les personnes qui s’intéres-
sent à la géographie d’une aussi longue attente, le savant éditeur
publia les données recueillies par M. Truilhier avec plus de profit
pour ia science que ne l’aurait pu faire peut-être le voyageur
lui-même, trop distrait par son service d’occupations purement
scientifiques. Non-seulement M. Daussy s’est donné la peine de
représenter graphiquement les itinéraires décrits par M.Truilhier,
mais il a calculé de nouveau toutes les observations astronomiques
faites par cet officier, et en a publié les résultats accompagnés
d’un commentaire savant et instructif, qui nous permet d’appré-
cier le degré de précision qu’on peut accorder à ces résultats.
M. Truilhier à décrit avec une grande exactitude la route suivie
par les caravanes entre Téhéran et Méched, et entre cette der-
nière ville et lezd en passant par Tébès. Cette dernière partie de
son itinéraire intéresse surtout la géographie, car elle dévoile la
nature d’un vaste pays inexploré jusqu'alors, et où M. Truilhier
n’a pas eu de successeurs pendant plus d’un demi-siècle. C’est par
son journal de voyage que nous avons appris à connaître pour la
première fois le caractère des déserts de l’intérieur du Khorassan,
et la confirmation d’un fait intéressant de la physique du
globe remarqué déja par les Arabes, à savoir, l’irruption de la
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 253
limite de croissance des palmiers dans l’intérieur de cette pro-
vince, ce qui permet de déterminer le point le plus avancé,
vers le nord, de la limite septentrionale des régions asiatiques
jouissant d'un climat tropical. À une description très exacte des
localités qu'il a visitées lui-même, M. Truilhier a eu la bonne idée
de joindre des renseignements, basés sur les témoignages des
indigènes, sur les routes qui relient les endroits situés à gauche et
à droite de celle qu'il suivait. Le principal mérite du voyageur
francais dans cette circonstance est, selon moi, d'avoir fait ce
dernier travail avec une sobriété très judicieuse. S’abstenant de
recueillir des ouï-dires, comme l’ont fait plus tard Fraser et tant
d’autres, sur des distances immenses séparant des localités très
éloignées les unes des autres, il s’est borné à consigner dans son
journal ie témoignage des habitants sur les districts voisins des
endroits de leur résidence habituelle, qu’ils avaient l’occasion
de visiter souvent, et où, par conséquent, leurs souvenirs avaient
toute chance d’être exacts.
Ainsi, nous voyons que dans deux ans et quelques mois, le
gouvernement français a pu, grâce au zèle des explorateurs na-
tionaux habilement dirigés, recueillir des données sur la Perse
presque tout enlière, beaucoup plus exactes qu'aucun autre
gouvernement européen contemporain, et que ce résultat, obtenu
sur une surface immense, embrassant 12 decrés de longitude
sur 14 degrés de l’équateur, est dû à l’activité réunie de quatre
individus seulement. La partie publiée de ces travaux géographi-
ques, et surtout le délai qu’on a mis à les communiquer au pu-
blic, permettent de croire qu’encore à présent les Archives de
l'État possèdent des matériaux précieux mais inédits, et je prends
la liberté d'émettre un vœu, c'est que toutes ces explorations soient
enfin livrées à la publicité, ce qui serait véritablement digne de
la haute position que la France occupe dans la science européenne.
L’attention du gouvernement français s'étant portée vers ces
pays lointains, son exemple fut bien vile suivi par le gouverne-
vu. 33
25h PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
ment anglais, et je n’ai qu’à transcrire les mots par lesquels Pot-
tinger commence la relation de son voyage dans le Beloudchistan,
pour indiquer la cause qui produisit cette série de voyageurs
anglais que j'aurai l’occasion de citer dans ce mémoire, Voilà
ce qu'il y dit (traduction de J.-B.-B. Eyriès, Paris, 1818, page
9 et 10): « Depuis longtemps Bonaparte annonçait hautement ses
» projets hostiles contre les établissements anglais dans l'Inde ;
» mais en 4807 et 1808 il les poursuivit si ouvertement et avec
» tant d'activité et de résolution, que le gouvernement anglais,
» tant en Europe qu'en Asie, jugea qu’il était absolument néces-
» saire de prendre des mesures pour combattre ces efforts. »
Poltinger et Christie ouvrent la liste des voyageurs anglais dans
la partie méridionale de l’Asie centrale. Tous deux, officiers
au service de la Compagnie, furent expédiés par le brigadier
général Malcolm, en 1809, de Bombay dans le Beloudchistan,
d’où, en se séparant, ils devaient rejoindre le général, soit à
Téhéran, soit à Tébriz. Jusqu'à Kélat et de Ià à Nouchky, ils ont
fait route ensemble, Plus loin, Christie devait se rendre par le
Séistan à Hérat, d’où il se proposait d’aller à Kirman, comptant
rejoindre M. Pottinger auquel il prescrivit d’essayer d'y pénétrer,
soit par la route du nord à travers le désert, soit en longeant le lit-
toral de la mer, soit enfin par Benpoux. Christie qui, après son
voyage est resté en Perse comme officier instructeur au service
d’Abbas Mirza, et qui a été tué à Aslandouz dans une rencontre
avec les troupes russes en 1819, n’a pas laissé de description dé-
taillée de son voyage, et ce n’est que cinq ans après sa mort que
Pottinger publia lesnotes de son chef, sur les pays qu’il avait visités.
Il traversa le désert du Beloudchistan qui s’étend jusqu’au Hil-
mend, atteignit ce fleuve à Pelatek, et l'ayant passé à Roudbar,
il se rendit par Poulky à Mendar, puis il arriva à Djélalabad.
H est remarquable qu'ayant passé, plus loin, par Pichaveran
et Djouvein, il ne dit nulle part avoir vu le lac de Hamoum, ce
qui fait que sur la carte qui accompagne le voyage de Pottinger
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 255
ce lac est représenté d'une manière très incorrecte ; il est placé à
une trop grande distance de la route suivie par Christie, à moins,
toutefois, qu’à l’époque de son voyage cette nappe d'eau peu
profonde n’ait été desséchée au point d'occuper une surface beau-
coup moindre que celle qu’elle occupe maintenant. De Djouvein,
par Férah, Anardereh et Okel, Christie vint à Hérat. Il resta un
mois dans cette ville qui alors était encore dans toute sa splendeur,
mais néanmoins, il en donne peu de détails, et ce qu'il en dit
n’est pas toujours exact. Ainsi, nous lisons chez lui, à propos du
Moussallah de Hérat : « Tout auprès, l’on voit quatre minarets
» d’une mosquée qui était destinée pour le tombeau de l’Imam
» Mouca Ali-Riza, mais il ne put, comme il s’en était flatté, venir
» à Hérat; il mourut à Méched. » Je n’ai pas besoin d'insister
auprès des lecteurs français pour démontrer qu’il y a plus d’er-
reurs dans cette courte notice que de mots, car Christie semblait
admettre comme une chose toute simple que l'édifice en question
avait été construit du temps de l'Imam contemporain de Ma-
moun, fils de Haroun-al-Rachid, ce qui ferait de ce monument
l'une des plus anciennes bâtisses musulmanes, tandis qu'en réalité
il n’a été achevé qu’en 860 de l'hégire, à peu près 600 ans
plus tard. Le voyageur anglais pouvait facilement découvrir la
date approximative de la construction de cette fondalion picuse
de la femme de Chah Roukh, tant par le style que par l’'admira-
ble état de conservation de ce beau spécimen de l'architecture de
l'époque des Timourides, beaucoup plus respecté par le temps
que par les soldats persans, qui y campèrent depuis à deux re-
prises. Il est vrai que jusqu’à présent, on raconte à Hérat que
Chah Roukh avait l'intention de transférer dans le Moussal-
lah les restes de l'Imam; mais voyant les minarets de la mos-
quée pencher vers l’ouest dans la direction de Méched peu de
temps après leur construction, il prit ce tassement pour une ma-
nifestation de la volonté du saint de ne pas être troublé dans
sa dernière demeure, et abandonna son projet. De Hérat, le capi-
256 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
taine Christie se rendit directement à Ispahan par Khaf et Tchar-
dèh, ayant laissé Tébès au sud-est à 8 milles, d’après ce qu’on lui
a dit, De Tchardèh, sa route coïncide avec celle du capitaine
Truilhier. Ces deux voyageurs ne nous ont laissé que des notes
très courtes, mais les observation de M. Truilhier sont bien au-
trement instruclives que celles de M. Christie; et, pour n’en
citer qu’un exemple, le voyageur français décrit ainsi la route
de Pouchti-Badam au caravensérail d’Ila-Abad : « De Pouchti-
» Badoun au caravensérail d’Ila-Abad, on compte 9 farcakhs
» (27 kilomètres à peu près) (1). La route est toute déserte et sans
» eau, la direction au sud-ouest, comme la précédente. On fran-
» chit à un farcakh de Pouchti-Badoun des montagnes basses.
» Le chemin est rocailleux ; on descend par une pente insensible
» jusqu’à Ila-Abad. Ce caravensérail est assez grand; quelques
» cabanes sont auprès. On cultive quelques misérables pièces de
» terre; l’eau du ruisseau est saumâtre, il y en a d’assez bonne
» dans un puits. » M. Christie décrit la même route ainsi : « Au-
» jourd'hui, nous avons marché au sud en montant doucement.
» À 5 milles de distance, nous avons rencontré un ruisseau. Le
» soir nous avons fait halte à Ila-Abad, à 44 milles de Pouchté-
» Badam (21 kilomètres à peu près). Ce village, quoique situé dans
» le désert, a un sérail neuf et bien fourni de provisions. »
Sur la route de Nouchki à Kirman, Pottinger commenca par
côtoyer le grand désert qui s’étend entre le Beloudchistan, le Séis-
tan et Kirman. Ses observations sont beaucoup plus complètes et
ont beaucoup plus de valeur scientifique que celles de son chef, et
quoique la géographie ait été souvent négligée dans son livre
pour faire place au récit de ses aventures personnelles et à la men-
tion des réponses plus ou moins ingénieuses qu'il donnait aux
musulmans, aux yeux desquels il se faisait passer pour un de
leurs séides, la relation de son voyage exprime assez bien la
(4) Le Farçakh du sud de la Perse est presque de moitié moins long qu'au nord ; je
Pévalue à 4 kilomètres, tandis que celui du Khorassan en a plus de 7.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 257
triste impression que produit sur l'explorateur l’aridité du sol
dans cette partie de l'Asie. La description qu’il donne de
quelques phénomènes météorologiques fréquents dans ces pays,
gagnerait beaucoup à ne pas être accompagnée d'explications
qui dénoncent le peu d’habitude que l’auteur avait de pareilles
matières. Ainsi, voulant rendre compte (tome Ï, page 250) des
causes de la formation du brouillard sec, si commun dans ces
pays, il dit : « Les particules les plus grossières de sable, empor-
» tées par le vent dans l'air, tombent entièrement ; mais les plus
» ténues sont raréfiées (sic) à un tel degré par la chaleur que le soleil
» ardent excite sur le sol rougeâtre, qu’elles restent en quelque sorte
» suspendues et flottantes, jusqu’à ce que le retour de la température
» ordinaire leur rende leur pesanteur naturelle. Elles tombent
» alors selon la loi immuable de la nature (sic) ». Pottinger n’est
entré dans le grand désert proprement dit qu'entre Kharan et les
ruines du village de Righan ; mais comme il est jusqu’à présent le
seul européen qui ait fourni des notions sur le pays situé entre le
Beloudchistan et Bampour, ou Benpour comme il l'écrit, la partie
de son ouvrage consacrée à la description de cette région présente
beaucoup d'intérêt, de même que les renseignements qu’il a re-
cueillis sur les Beloudj. Malheureusement il gâte souvent l’im-
pression favorable produite sur le lecteur par une série de faits
positifs eL vrais, en les faisant suivre d’apercus généraux d’un
vague véritablement désolant. Ainsi, à la page 42 du tome IE, on
lit «que l’affinité du Beloutchiki et du Persan donne un témoi-
» gnage bien fort en faveur de l’origine occidentale de ce peuple; »
puis à la page suivante il dit que son ignorance des dialectes turcs
et tatars le prive d’un moyen excellent pour résoudre la question
de leur origine; et, enfin, dans les pages suivantes il tâche de prou-
ver que ce sont probablement des Turcomans seldjoukides ou des
Monghols, et tout cela en citant de temps à autre des ouvrages
orientaux, et en donnant dans le même instant des preuves éviden-
tes de son peu de famiharité avec l’histoire musulmane de l'Asie;
258 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
car il parle des khalifs de Bagdad an 90 de l’hégire, saute
brusquement de l’an 92 de l’hégire à Mahmoud de Ghizni, parle,
après Tchengizkhan, de l’inimitié implacable des rois kharas-
miens qui oblige de nombreuses hordes de Monghols à fuir de la
Perse; bref, il ajoute à chaque digression historique tant de con-
fusion sur un sujet qui n’est déjà pas très clair par lui-même,
qu’on ne se rend pas compte des causes qui l’ont engagé à agir
ainsi.
La tournure prise bientôt après ces deux voyages par les événe-
ments politiques de l'Europe, ôta à l'Angleterre toute crainte sur
les projets de la France en Asie. Le gouvernement anglais se crut
suffisamment renseigné sur ces pays lointains par les rapports
d’Elphinstone, de Christie, de Pottinger et de Malcolm, qui, à eux
quatre, ont coûté plus qu’une expédition de toute une compagnie
de savants du continent voyageant dans ces pays dix ans de suite.
Jusqu’à l’année 1821, nous n’avons à citer aucun voyageur qui
ait entrepris une exploration soit dans le Khorassan, soit dans
la partie orientale de la Perse méridionale; néanmoins, l'intérêt
du public anglais pour ces pays était vivement soutenu par
trois publications littéraires d’un grand mérite : le poëme de
Moore, Lallu Rookh, qui commence, comme l’on sait, par The veiled
prophet of Khorassan; le roman de Morier, Hadyi-Baba, et l'Histoire de
la Perse de Malcolm. Bien qu'aucun de ces ouvrages ne soit un livre
de géographie, on m'’excusera si je leur consacre ici quelques
mots, car ils ont plus fait pour populariser les connaissances sur
cette partie de l'Asie, que les traités exclusivement destinés à les
faire connaître.
Il serait étrange de faire un crime à un poëte d’avoir embelli
le pays où il place l’action de son drame ou de son épopée ; mais
je ne crois pas que, pour cela seul, Moore puisse être compléte-
ment exempté du reproche d’avoir si peu compris la nature du
pays et le caractère des habitants au milieu desquels il place
les personnages de son poëme. Certes, ce n’est pas l’érudition qui
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 259
lui a fait défaut : son ouvrage est hérissé de citations savantes.
D’Herbelot, Chardin, le Koran, Abulféda, ibn-Haukal, Niebuhr,
Gibbon et d’autres, se trouvent cilés au bas de chaque page. Ce
qui lui a manqué, c’est l'inspiration, c’est la force que les poëtes
puisent dans cette espèce de seconde vue dont ils sont doués
parfois, et qui leur permet d'évoquer un passé glorieux avec
toutes ses splendeurs évanouies. Voilà pourquoi ses paysages ne
sont que des tirades bien versifiées ; mais elles n’ont rien de plas-
tique, rien de vrai. Lisez par exemple (p. 185, édit. de Leipzig) la
description de l'Oxus : c’est le Mémoire de M. Jaubert sur l’ancien
cours de cette rivière, mis en vers, et on y chercherait en vain un
tableau saisissant des montagnes neigeuses où ce fleuve majes-
tueux prend sa source, et une description des mornes solitudes
où il termine son cours; au lieu de tout cela, on n’y trouve
qu’une quantité de termes géographiques arrangés d’après les
règles de la prosodie anglaise. Son Mokaanna, sa Zelica, sont des
abstractions très éloquentes et très passionnées quelquefois, mais
qui n’ont d'oriental que le costume, et je crois fort que l'histo-
rien anglais des Indes qui exprima à M. Mackintosh son éton-
nement, en apprenant que Thomas Moore n'avait Jamais élé en
Orient, a simplement voulu faire un compliment peu sincère au
poëte. Mais comme ce poëme a eu une grande vogue, il a puis-
samment contribué à répandre des idées fausses sur la Perse
orientale, et a préparé involontairement l’esprit public en Angle-
terre à être saisi par un autre fantôme dont nous allons parler
bientôt, et qui a exercé aussi, comme la crainte de l'invasion de
l'Inde par Napoléon I‘, une influence utile à la géographie des
pays qui nous occupent.
L'ouvrage de M. Morier à une tout autre valeur, C'est sans
contredit le meilleur livre qui ait jamais été écrit sur la Perse;
c’est un tableau exact et vigoureusement peint de la haute classe
de la société persane, telle qu’elle était au commencement de ce
siècle. Chose très remarquable, les descriptions de la nature sont
260 - PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
beaucoup plus exactes dans le roman que dans la relation des
voyages de l’auteur. Même les pays qu'il n’a jamais visités sont
décrits dans le roman avec une vérité de coloris qu’il ne retrouve
plus en parlant des contrées qu’il explore. L’inspiration le guide
plus sûrement que l'examen personnel, et je n’hésite pas à dire
que les romans de ce mérite font plus de bien à la science que
beaucoup d’ouvrages volumineux el spéciaux.
1 Histoire de la Perse de Malcolm n’est pas un ouvrage sérieux.
L'auteur ne connaissait les langues orientales que par pratique.
I parlait plus ou moins bien le persan, comprenait quand on lui
lisait les historiens qui se sont servis de cette langue; mais il n’était
pas orientaliste, et se bornait à prendre des notes pendant que son
mirza lui faisait la lecture de Mirkhond, de Khondemir et d’autres
auteurs qu'il cite dans le cours de son ouvrage. De manière que le
livre du général Malcolm ne doit el ne peut être considéré, pour
ainsi dire, que comme le canevas d’un ouvrage à faire, surtout à
présent que les sources de l'Histoire de Perse nous sont mieux con-
nues. Mais, pour son temps, il a eu le grand mérite d'avoir com-
blé une lacune fàcheuse dans les connaissances historiques de la
majorité du public éclairé. Il a donné le moyen, aux gens qui ne
sont pas orientalistes de profession, de remplir un vide existant
dans leurs connaissances du passé de l’Asie pour toute l’époque qui
sépare Alexandre le Grand des temps modernes, par une série de
faits basés sur des données chronologiques assez exactes; en un
mot, il a frayé le premier une route dans un terrain qui n’avait
rien d’inabordable, mais qui en avait toute LAS E à cause des
ténèbres qui l'enveloppaient.
Héritiers de l'influence française en Perse, les Anglais avaient
fondé à la cour d’Abbas Mirza, et dans plusieurs autres endroits du
nord de la Perse, des noyaux d’européens qui ont beaucoup con-
tribué à rectifier les idées sur la nature du pays. Cette compagnie
se recrutait, presque exclusivement, parmi les officiers des Indes;
ainsi s’explique cette grande uniformité dans les moyens d’explo-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 261
ration de la Perse, uniformité qui, en présentant quelques avan-
tages, avait aussi beaucoup de côtés faibles et ne produisit que
très peu de résultats solides. Les officiers de l’armée des Indes
quittaient, à cette époque, l'Europe à un âge très peu avancé ;
des bancs de quelques écoles primaires, ils passaient à un cercle
d'activité très varié, où ils devaient souvent appliquer le peu de
connaissances qu'ils avaient acquises chez eux à une série de
queslions ardues et compliquées ; ils devaient lever des plans, faire
des observations astronomiques et météorologiques, se livrer à
des recherches d'histoire naturelle, d'archéologie, de linguis-
tique, etc. ; car tout cela attirait sur eux l'attention de leurs chefs
et facilitait leur carrière. Mais, sans bases solides, ces travaux
scientifiques ne pouvaient évidemment fournir que des à peu
près, bons faute de mieux, mais ayant une très faible valeur intrin-
sèque. Enfin, ils étaient tous sous l'influence des caprices de la
mode scientifique qui gouverne en Angleterre si despotiquement.
Jusqu'à présent elle admet, par exemple, qu’en se trompant sur
un fait de peu de valeur de l'histoire romaine ou grecque de l’an-
tiquité, on commet quelque chose d'impardonnable ; tandis qu'en
avançant un fait capital de l’histoire orientale avec peu d’exacti-
tude, on ne commet qu’une simple erreur. On considère comme
un crime de lèse-science, de ne pas parler avec plus ou moins de
connaissance de cause de la formation des terrains d'une chaîne
de montagnes que l'on dit avoir franchie; mais parler légère-
ment de la végétation d’un pays en confondant les plantes de
différentes espèces, même ne pas en dire un seul mot, citer des
théories météorologiques hasardées, ne nuit en rien à la réputa-
tion d’un livre.
Toutes ces observations vont être corroborées par quelques
mots que je crois devoir consacrer à l’ouvrage de M. Mac Donald
Kinneir, publié en 1813 sous le titre de geographical Memoir of the
Persian Empire, accompanied by a map, où il: déclare avoir résumé
tous les travaux géographiques exécutés par ses compatriotes, en
vi. 34
262 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Perse. Cet ouvrage n’est pas une brochure servant d’explication à la
carte, c’estun volume in-/° de 486 pages, contenant la description
de 23 provinces, dont 15 appartiennent à la Perse; les autres
sont le Kaboul, le Sinde, le pachalik de Baghdad et d'Orfa, l'Ar-
ménie, la Géorgie, la Mingrélie, le Daghestan caucasien et le
Chirvan, c’est-à-dire tons les pays voisins de l'empire persan. En
sus, ce mémoire contient soixante itinéraires relevés par les mem-
bres des différentes missions britanniques qui se sont succédé en
Perse pendant les treize premières années de ce siècle, ou recueillis
par eux de la bouche d’indigènes dignes de foi. De cette manière
l'on serait en droit de s'attendre à trouver dans ce livre beaucoup
de renseignements nouveaux et utiies sur les pays dont il parle;
mais malheureusement il n’est riche qu’en généralités qu’on au-
rait pu écrire sur la Perse presque sans l’avoir vue. Ainsi, dans le
chapitre consacré à la description du climat de la Perse, l’auteur se
borne à nous dire que ce climat, loin d’être chaud, varie avec les
hauteurs, et que sur les montagnes, en été même, il fait très
froid. Ses aperçus purement géographiques ne sont guère plus
instructifs. À la page 148, par exemple, il veut établir la diffé-
rence entre le caractère du sol de l’Aderbeidjan et celui du
Fars, et voilà comment il s’exprime ; je citerai ce passage textuel-
lement, car j'avoue mon impuissance à le traduire d’une manière
intelligible : « The character of the country, in this province, differs
» materially from that of Fars and Irak. Here we have a regular succes-
» sion of modulating eminences partially cultivated and opening into plains,
» such as those of Oujan, Tlabreez and Urumea. To the south, the moun-
»itains of Sahund raise, in an accumulated mass, their towering heads to
» the clouds ; and, on the north, the black rocks of the Karabaug disappear
» in the luxuriant vegetation of Chowal Mogan. » Cette tirade ron-
flante ne vaut certes pas une description moins sonore, mais plus
claire ; car, avec la meilleure volonté du monde, il serait difficile
de comprendre comment les montagnes du Karabagh peuvent
disparaître dans la végétation luxuriante du Tchowal Mogan, qui
PARTIE MÉRIDIONALE DE LAASIE CENTRALE, 263
n'est autre que le Tchouli Moughan, ou plaine du Moughan, une des
steppes herbacées les plus fertiles de la Transcaucasie. Nous avons
d'autant plus le droit d'être surpris de cette description con-
fuse, qu’elle se rapporte à un pays spécialement étudié par
les voyageurs anglais, et très facile à décrire en peu de mots;
car, à l’est et à l’ouest, cette province est limitée par deux chaînes
longitudinales, dont la première la sépare du Ghilan et la seconde
de la Mésopotamie. Au nord, ces deux chaînes sont liées par un
soulèvement de terrain latitudinal, qui, commencant à l’est au
mont Savalan (4572), va aboutir dans le Kourdistan à la chaîne
du Kandilan, et, vers le sud, cette liaison a lieu au moyen d’une
chaîne parallèle à celle du nord, portant le nom de chaîne de
Bouzgouch et aboutissant au Séhend (3505"). L'espace qui reste
entre le Savalan et la chaîne du Ghilan est occupé par la plaine
du Moughan, tandis que l’espace qui sépare Séhend de la chaîne
des monts Kandilan est rempli par le lac d'Ourmiah ; enfin l’espace
entre toutes ces montagnes est occupé par une série de plaines
disposées en terrasses, et dont le sol est plus on moins fertile ou
imprégné de sel. La carte qui accompagne l'ouvrage de M. Kin-
neir est beaucoup meilleure que le mémoire; sa partie occiden-
tale surtout mérite d’être étudiée, car elle nous présente un résumé
consciencieux de tous les levés exécutés en Perse par les An-
glais jusqu'en 1813. Sa partie orientale laisse beaucoup à désirer;
car, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, tout en
apportant quelques corrections au tracé des itinéraires dans le
nord du Khorassan admis dans la carte de Rennell, elle reproduit
toutes les erreurs hydrographiques de cette carte. Évidemment
celle dernière imperfection ne peut être mise sur le compte de
M. Kinneïr; elle résulte directement du manque d’exactitude des
matériaux mis à sa disposition.
Le but spécial du présent mémoire, qui ne traite que de Ja partie
méridionale de l'Asie centrale, m'empêche d'analyser l’admirable
voyage de M. Ouseley, qui, par la richesse et la solidité de ses
264 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
renseignements, laisse bien loin derrière lui tous ses prédéces-
seurs anglais, et fait vivement regretter qu’il n'ait pas eu l’occa-
sion de visiter la Perse orientale.
Passons à l'analyse du voyage de M. Fraser :
Fraser vint aux Indes, non comme employé de la Compagnie,
mais comme voyageur, et, après avoir parcouru les provinces
occidentales de ce vaste pays, il concut l’idée de visiter la Perse.
Ne voulant pas retomber dans les redites, il entreprit d'explorer
ce pays dans des directions nouvelles où aucun de ses compatriotes
n’eût pénétré avant lui. Notamment, il se proposa de visiter les
provinces orientales de la Perse, et même de pousser son voyage jus-
qu’à Boukhara. À Bombay, il rencontra le docteur Andrew Jukes,
nommé bientôt après envoyé extraordinaire de la Compagnie des
Indes à la cour de Téhéran, et s’embarqua avec lui pour Bouchir.
Nous ne nous arrêterons pas à l'examen de la partie de son
voyage qui traite des pays situés entre le littoral du golfe Persan
et la capitale, et nous n’analyserons que très succinctement aussi
les explorations de M. Fraser dans le Khorassan.
Fraser quitta la capitale de la Perse le 419 décembre 1821, et
s’étant joint à une caravane de pélerins qui allait à Méched, il se
rendit avec elle à Nichapour par la route connue, décrite déjà par
Truilhier, qui passe par Kéboud Goumbez, Eivani-Keif que Fraser
écrit inexactement Eiwanee Key, Gerdenei Serdereh, Dihi Nemek
(Pinnamuk chez Fraser), Lazguird, Semnan et Damghan. De Ni-
chapour, il visita les mines de turquoises, revint encore une fois
à Nichapour, d’où, par la route des montagnes, il se rendit à
Méched où il arriva le 2 février 1822. Étant resté dans cette ville
jusqu’au 41 mars, il renoncça à son voyage de Boukhara et revint
à Astrabad par Kabouchan ou Koutchan, qu'il écrit Cochoon, puis
par Chirvan, Boudjnourd, Sirvan, Kallahkhan et Robati Achik.
Pour rendre son voyage aussi utile que possible à la géographie,
il emporta avec lui un sextant qui pouvait se visser sur un pied
fixe, deux chronomètres, un télescope, une petite boussole de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 265
Smalcalder et quelques thermomètres, dont l’un portait une divi-
sion assez fine pour pouvoir être employé comme hypsomètre.
Le voyageur ne se donne pourtant pas la peine d'indiquer en com-
bien de parties chaque degré était subdivisé, ni comment il se
servait de l'instrument pendant les expériences, de manière qu'il
est impossible de savoir jusqu'à quel degré ses déterminations
des points d’ébullition sont exactes. Il mit beaucoup d’assiduité à
faire des observations astronomiques; mais comme il ne Îles a
jamais publiées en détail, nous ne pouvons les juger que par les
résultats qu’il a donnés. Il détermina en tout, depuis bouchir,
h2 Jongitudes, dont 34 au moyen du transport du temps par
le chronomètre, et 8 par l'observation des éclipses des satel-
lites de Jupiter. En outre, il contrôla six fois ses déterminations
chronométriques par des observations d’éclipses des satellites de
Jupiter, et douze fois, tantôt les unes et tantôt les autres, par la
mesure des distances lunaires; mais il n’y a que deux points où
nous avons les résultats obtenus par ces trois méthodes à la fois.
Ces points sont :
Long. chronom. Par les éclipses. Distances lunaires.
Damghan. . . . 54° 33 50” b4° 48’ 45" 54° 92! 00"
Nichapour . . . 8° 46 38” 58° 48° 15" 58° 56’ 30”
La différence de 16 minutes pour le premier point et de 40 mi-
nutes pour le second, ne donne pas une très haute idée de l’exac-
titude des observations elles-mêmes, et dans tous les cas cette
discordance justifie la prudence avec laquelle M. Arrowsmith
a modifié pius ou moins les coordonnées géographiques de
quelques points déterminés astronomiquement par M. Fraser,
d’après l'indication des distances évaluées par le voyageur et
les angles qu'il a mesurés à l’aide de la boussole, Nous profitons
de cette occasion pour faire observer que, tout extraordinaire que
puisse paraître l’assertion que les longitudes fournies par une
simple opération topographique puissent surpasser en exactitude
266 PARTIE MÉRIDIONALE DE, L'ASIE CENTRALE,
celles qu’on obtient par: des méthodes astronomiques, cette asser-
tion n’en est pas moins vraie si l'observateur n’est pas un astro-
nome consommé, et s'il n’a pas à sa disposition tous les instru-
ments de précision indispensables pour obtenir des résultats d’une
grande exactitude. M. Fraser a rendu un véritable service à la
géographie, en rapportant, beaucoup d'observations topogra-
phiques dont nous venons de parier; et le bonheur qu'il a eu de
irouver un interprète aussi habile que M. Arrowsmith pour repré-
senter graphiquement ses observations, fait qu’il est le premier qui
nous ait donné une idée exacte de l'orientation de différentes loca-
lités du Khorassan septentrional, et de la configuration du sol
entre la mer Caspienne et Méched. Outre une ample narration de
ses aventures personnelles, interrompue par des descriptionsplus
ou moins détaillées des villes qu'ila rencontrées sur son chemin, il
y à deux parties dans le voyage de M. Fraser, le chapitre XLet
l’'appendice B, qu’il consacre exclusivement à une description
géographique du Khorassan, Comme premier essai de description
d’un pays presque entièrement inconnu, ce travail mérite quelque
attention ; mais comme l’auteur n’a vu lui-même qu’une très petite
partie de la contrée dont il parle, et que pour tout le reste il ne fait
que reproduire les témoignages d’autrui, plusieurs traits du carac-
ière du sol sont inexactement interprétés. Ainsi, par exemple, il
applique le nom de table land, plateau, au grand désert salé qui
s’étend au sud de la chaîne latitudinaledu Khorassan septentrional,
tandis que s’il en avait fait le tour, ou s’il s'était seulement donméla
peine de consulter la carte de Lapie dont nous venons de parler,
il se serait aisément convaincu que les bords de ce désert sont
plus élevés que son centre, et que par conséquent le terme de
bassin, ou de dépression, lui conviendrait mieux. Presquepartout
où il veut généraliser ses impressions topographiques et orogra-
phiques, cela lui réussit mal, Dans le chapitre XII, il donne des
détails curieux sur les tribus turcomanes qu'ila eu occasion:d’étu-
dier de visu, de même que sur celles qu’il n’a connues que par des
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 267
oui-dires, et il ajoute par ce travail quelques faits ethnographiques
nouveaux à ce que son prédécessèur en Turcomanie, le capitaine
Mouravief, a publié dans son Voyage, Pour les détails archéologi-
ques et historiques, le voyageur anglais n’est exact qu’en lant qu'il
reproduit le témoignage-pur et simple de ses informateurs per-
sans; à où il fait de l'histoire de son cru, il est généralement peu
exact. Ainsi, par exemple, en parlant de Tous, il dit avecune grande
assurance que cette ville célèbre fut détruite par Tchinghiz-Khan
et n’a jamais pu se relever depuis, tandis que nous savons qu'Ibn-
Batouta, qui y a été plus de cent ans après Tchinghiz, en parle
comme d’une « des plus illustres villes du Khorassan » (Voyez la
traduction de ce voyage par MM. Defrémery et Sanguinetti,
tome III, page 77). Mirkhond nous donne des détails sur une
visite qu'y fit Chah Roukh en 822 de l'hégire; moi-même j'y ai
trouvé une dalle sépulcrale placée en 983 de l'hégire, et j'ai con-
staté de plus que le nom de cette ville disparaît des listes des
positions géographiques gravées sur les tablettes des astrolabes
persans après l’an 1100 de l'hégire. Or, comme Tous n’a jamais
été un lieu réputé saint, il est impossible d'admettre que quelqu'un
ait eu l’idée de s'y faire enterrer après la destruction de la ville;
de même, les listes des positions géographiques qu'on gravaït
sur les astrolabes servaient à faciliter les calculs astrologiques
tels que nativités et autres, évidemment applicables seulement à
des points habités, Il résulte de tout cela que, bien loin d’être com-
plétement détruite par Tchinghiz, cette ville ne s’est entièrement
dépeuplée que dans le commencement du siècle dernier, Malgré
ces petites imperfections, le voyage de M. Fraser a été très utile
à la science, et il faut lui en savoir d'autant plus de gré que tout
ce qu'il à fait, il l’a accompli seul, avec une assiduité digne de
tout éloge, et avec un zèle qui ne lui a fait défaut ni an com-
mencement ni à la fin de ses longues et laborieuses explorations.
Ses descriptions de certaines localités, comme, par exemple, celle
du passage des montagnes entre Nichapour et Méched, sont très
exacies, et reproduisent avec beaucoup de vérité la nature du
268 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
paysage. Souvent même, le voyageur anglais décrit avec bonheur
différentes scènes de la vie privée des Persans; mais souvent
aussi sa connaissance imparfaite de la langue persane l'empêchait
de bien saisir le véritable sens des scènes auxquelles il assistait.
Sous ce dernier rapport il a été surpassé par son compatriote
et son successeur dans ces pays, le capitaine Conolly, dont le
voyage va nous occuper tout à l’heure; mais nous croyons devoir
faire précéder nos remarques sur son livre par quelques mots
sur la tendance de l'opinion publique en Angleterre quant à la
politique orientale contemporaine, à l’époque de son voyage.
Ayant succédé aux Français en Perse, les Anglais, forts des
subsides qu’ils versaient annuellement dans le trésor du Chah,
forts du corps d'officiers instructeurs qu'ils surent amicalement
imposer au gouvernement persan, et surtout forts de la prédilec-
tion et de l'engouement qu'avait pour eux Abbas Mirza, étaient
omnipotents à la cour du prince régent entre les années 1815 et
1825. Les succès obtenus par la Russie pendant les années 1897 et
1829 en Perse et en Turquie, les pertes que les Persans avaient
essuyées en se conformant aux conseils des Anglais, portèrent
un coup sensible à leur influence dans ce pays et firent douter
en Angleterre même de l'utilité d'entretenir une influence aussi
coûteuse. Il fallait donc trouver aux yeux du peuple anglais quel-
que prétexte nouveau, afin qu’il consentit à se prêter avec la même
complaisance que par le passé à des sacrifices d'argent considéra-
bles sans aucun profit matériel. Ce fut alors que le fantôme de
l'invasion russe dans l'Inde surgit de l’imagination des diplomates
anglais en Orient, et cette fantasmagorie eut un grand succès. La
masse du public anglais s’y est laissé prendre. Il était, dès lors,
tout naturel de s'attendre à une nouvelle série de voyageurs étu-
diant spécialement la question de l'invasion russe et de sa possi-
bilité, eomme on les avait vus étudier les chances probables de
l'invasion francaise. Par ordre chronologique, le capitaine Arthur
Conolly ouvre cette nouvelle liste d’explorateurs anglais dans la
Perse orientale.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 269
Parti de Londres à la fin de l'été de 1899, il se rendit à Saint-
Pétersbourg, traversa la Russie, le Caucase, et passa l'hiver de 1829
à 1830 à Tébriz. La capitale de l’Aderbeidjan était alors la ré-
sidence du prince royal Abbas Mirza, héritier présomptif du trône
de Perse et véritable régent de l'empire, car son père, entouré à
Téhéran d’une cour somptueuse, n’avait gardé du pouvoir que le
droit de jouir des plaisirs et de veiller à la conservation du trésor
de l’État. Le prince royal, toujours encore dominé par les Anglais,
accorda à Conolly toutes sortes de facilités officielles pour son
voyage, et, de plus, il eut le bonheur de trouver un fidèle compa-
gnon musulman qui s'était engagé à le suivre jusqu’aux Indes, et
auquel revient la plus grande part dans la réussite de ce voyage
périlleux. Seïd-Keramet-Ali, c'était le nom de ce compagnon,
était Chiüte indien venu en Perse pour affaires de commerce.
S’étant trouvé souvent en contact avec des Européens, il avait
en partie dépouillé ce fanatisme farouche qui rend impossible au
voyageur chrétien en Orient de lier des rapports de franche
amitié avec les indigènes musulmans, et lui entrave l'étude et
la juste appréciation de l'état social des pays asiatiques, où
tout est différent de ce qu’il a vu chez lui, et où un guide expé-
rimenté et sincère ne peut être remplacé que par un très long
séjour, une connaissance parfaite de la langue, et une puissante
volonté de pénétrer, coûte que coûte, les mystères de la société
musulmane. Seïd-Keramet-Ali a été utile au capitaine Conolly,
non-seulement à cause de ce que très souvent il a su le tirer de
situations périlleuses ou désagréables, mais surtout par ses con-
seils et ses conversations, qui permirent au voyageur anglais de
juger les hommes et les choses des pays qu’il visitait, avec beau-
coup plus de justesse qu'aucun de ces prédécesseurs ou de ses suc-
cesseurs anglais n’avait pu le faire. Aussi, le voyage de Conolly
doit être considéré surtout comme un tableau fidèle de l’état
social de la Perse orientale, tableau où le mérite de la manière et
du coloris appartient évidemment à l’auteur anglais, mais dont le
VII. 35
270 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
trait, les clairs et les ombres sont en grande partie dus à l’expé-
rience de son compagnon indien, Malgré la qualité précieuse
de cet ouvrage qui est unique en son genre, il a été compara-
tivement peu apprécié en Europe. On y cherchait de la géogra-
phie, et c’est justement son côté faible. N’ayant entrepris ce
voyage que dans le but spécial d’étudier la possibilité de l'invasion
de l'Inde à travers la Perse, le capitaine ne décrit les localités qu’il
visite que sous le point de vue stratégique, et il développe avec
beaucoup de talent les résultats de son examen dans un appendice
qui me paraît être la discussion la plus lucide de cette question,
si souvent entamée par les voyageurs et les publicistes anglais.
Conolly quitta Tébriz, le 6 mars de l’année 1830, et arriva le 44
du même mois à Téhéran. Ayant consacré trois semaines à l’étude
de la capitale et à Fachèvement des apprêts définitifs d’un long
voyage, il partit le 6 avril de Téhéran, et, par la vallée de Djadje-
roud, Sari et Achref, il se rendit à Astrabad où il espérait pouvoir
trouver les moyens de se rendre à Khiva. Confiant dans les pro-
messes des Turcomans, il s’aventura parmi eux; et non-seulement
il dut renoncer à son plan primitif, mais après avoir été pillé et
maltraité par les nomades, il s’estima fort heureux d’être revenu
sain et sauf à Astrabad, après un séjour de quelques semaines sous
les tentes turcomanes, Cette excursion périlleuse lui a donné le
moyen d'ajouter quelques détails curieux à ce qui était déjà connu
par le voyage du capitaine Mouravief sur la partie méridionale
de la côte orientale de la mer Caspienne. D’Astrabad, qu'il quitta
le 12 juin, il se rendit à Chah Roud par une route qui n’a pas été
décrite avant lui, nommément par Ziaret, le col de Djilin bilin et
Hefstchechmé. De là, jusqu’à Méched, il suivit la route ordinaire
des caravanes et des pèlerins, et cette partie de son voyage ne
présente d'intérêt que comme description fidèle et animée de
ces pèlerinages ex-voto, qui sont tellement dans les mœurs des
orientaux musulmans, qu'il m'est arrivé de rencontrer à Tébriz
un vieillard, père de famille, établi à Marghilan, entre Khokand
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 271
et Yarkand, sur la frontière de la Chine, qui se décida en vingt-
quatre heures à aller à la Mecque avec toute sa nombreuse famille,
séduit par la description de ce voyage faite par son fils à peine
retourné de là, et qu’il recommenca après avoir couché une nuit
seulement sous le toit paternel pour se reposer d’une absence qui
avait duré trois ans.
Le manque d’argent et la difficulté de s’en procurer retinrent Co-
nolly à Méched plus longtemps qu’il ne l’aurait voulu, etil est bien
à regretter que, craignant de tomber dans les redites, il renvoie
le lecteur pour la description de cette ville au voyage de Fraser,
car j'ai l’intime persuasion que, guidé par son seïd, il nous aurait
communiqué des détails beaucoup plus exacts sur cette localité peu
connue, que ceux fournis par son prédécesseur. En effet, malgré
cette modestie, le peu qu'il nous en dit nous donne une idée beau-
coup plus correcte sur la manière d’être des habitants de cette
capitale du Khorassan, que les longues descriptions de Fraser.
Ayant enfin obtenu les moyens de continuer sa route, il profita
du départ de Méched d'un petit corps de cavaliers Afghans que
le chef de Hérat avait envoyé au secours des Persans contre la
Russie, seulement après la conclusion de la paix, et qui ne signala
sa présence dans les États du Chah que par une série de pillages
et de désordres, si bien qu’on leur sut gré de les voir enfin se déci-
der à rentrer dans leurs foyers. La route parcourue par ce corps
d'arméen’était pas la route ordinairement suivie par lescaravanes,
et Conolly aurait rendu un véritable service à la géographie en
la décrivant sur toute son étendue entre Méched et Tourbeti
Cheïkhi Djam, avec plus de détails qu’il ne le fait; mais, soit
qu’il ait dû se conformer aux habitudes des mœurs orientales et
voyager seulement pendant la nuit, soit par suite du manque de
loisir de prendre sur place des notes précises, il est très difficile
d'orienter cette route au moyen du peu de renseignements confus
qu’ilnous en donne. De Tourbeti Cheikhi Djam, par Touman Agha
et Tirpoul, il arriva, le 22 septembre de grand matin, à Hérai, le
7172) PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
dixième jour, après avoir quitté Méched. Les détails topographi-
ques et archéologiques que M. Conolly donne sur Hérat, ne sont
pas très nombreux, mais tout ce qu’il en dit est exact, et les por-
traits de Yar Mouhammed Khan et d’autres personnages mar-
quants qu’il a eu l’occasion d’approcher, sont esquissés par lui
avec beaucoup de bonheur. Il quitta Hérat le 19 octobre 1830. Sa
route jusqu’à Kandahar, par le caravansérail de Mir Oullah, Roudi
Ghez, Ziareti Khodjeh Oureh, Koullah, Kouchki Djambouran,
Sebzar, Guirichk et Kandahar, est décrite avec beaucoup d’exac-
titude. Les détails que M. Conolly a recueillis sur l’histoire mo-
derne des Afghans, ont un très grand mérite. J'ai eu moi-même
l'occasion de vérifier quelques parties de sa narration par des
conversations avec les témoins oculaires et même les acteurs des
drames qu’il relate, et j'ai acquis la conviction qu'il était très bien
renseigné, et qu'il a puisé les faits qu’il nous communique aux
sources les plus certaines. Il termine son ouvrage, comme nous
l'avons déjà dit, par un mémoire consacré à l'examen de la ques-
tion de la possibilité de l'invasion de l’Inde par une armée russe,
Il conclut qu’une expédition de cette nature ne présente aucun
obstacle matériel absolument insurmontable, surtout si elle est
dirigée non, au travers du Khorassan, mais en descendant l’Oxus,
et si elle est calculée de manière à pouvoir être exécutée en deux
ans; la première année, depuis la frontière dela Russie jusqu'aux
confins del’Afghanistan, et la seconde à travers l'Afghanistan Jus-
qu'à l'Inde. Ce qui affaiblit considérablement l'autorité de ses
déductions, c’est qu’au moment où Conolly écrivait ce mé-
moire, il ne connaissait les pays qu'il croit être le théâtre le plus
approprié à la réussite de l’entreprise que par des ouï-dire, et ce
n’est que douze ans après qu'il lui a été donné de l’explorer en per-
sonne. Victime du fanatisme musulman, il a été assassiné le
25mai1842, par ordre de l’émir de Boukhara, quarante jours après
. mon départ de cette ville, mais d’après ce qu’il m’a dit lui-même,
l'examen personnel de ces contrées n’a modifié que très peu ses
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 273
premières convictions à ce sujet. Quoique Conolly ne croie guère
à la possibilité de la réussite d’une entreprise militaire russe
dans l'Inde, il le dit avec si peu d’assurance, que son travail sur ce
sujet n’a en rien contribué à tranquilliser l'esprit public en An-
gleterre. D’autant plus que, sans le vouloir, peut-être, il aida à
asseoir le fantôme de l'invasion sur une base qui avait toute l’ap-
parence de la solidité, car il dit à la page 322 du tome II de son
ouvrage : « But in our endeavours to crush the power of Napoleon, we
» gave strength to Russia, who now commans from her adjoining frontiers,
» the influence over Persia for wich France iNrmiGuE» from a distance. »
Avant que M. Conolly ait eu le temps d’arriver à Calcutta, le
gouverneur général des Indes songeait à faire examiner la
même route du sud au nord, el cette tâche a été dévolue au capi-
taine Alexandre Burnes.
Le voyage de M. Burnes, publié par lui, à Londres, en trois
volumes, a eu une grande vogue, il a été traduit en français, en
allemand et en russe, de manière qu’il est trop connu pour que
j'aie besoin de l’analyser en détail. Le capitaine Burnes a été
envoyé en 1830 sur l’Indus, pour décider la question de savoir
si ce beau fleuve est navigable par des bateaux à vapeur; s’étant
acquitté de cette mission à la satisfaction du gouverneurgé-
néral, il lui suggéra l’idée de l'envoyer de Delhi, à Caboul et à
Boukhara, pour reconnaître cette route et pour donner au gou-
vernement et au public anglais quelques notions sur un pays
dont l’exploration semblait être devenue un monopole russe. Au
commencement de décembre de l’année 4831, il obtint la per-
mission sollicitée, et quitta Delhi le 28 du même mois. Très
bien recu à Kaboul par Dost Mouhammed Khan et surtout par
son frère le Nawab Djabbar Khan, il séjourna assez longtemps
dans cette ville. Les détails qu'il donne sur l'Afghanistan sont
peut-être ce qu'il y a de mieux dans son ouvrage. Par la route de
Koundouz, Balkh et Karchi, il arriva à Boukhara le 21 juillet. Y
étant resté une couple de semaines, il continua son voyage avec une
274 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
caravane qui se rendait à Méched. Il visita chemin faisant et très
à Ja hâte les ruines de Beikend, la plus ancienne ville de la Sogh-
diane, et ayant passé le 16 août l’Oxus à Bétik, il traversa le désert
des Turcomans, la province de Merv, et arriva le 14 septembre
à Méched. Après un très court séjour dans cette ville, il alla re-
joindre à Kabouchan quelques-uns de ses compatriotes qui s’y
étaient rendus avec le prince royal Abbas Mirza pour l’aider à
soumettre cette province rebelle. Profitant du départ de Hamza
Khan pour Astrabad, où il devait résider comme gouverneur des
Turcomans, Burnes quitta le 23 septembre le camp persan, et se
rendit au Mazandéran par la route déjà décrite par Fraser et qui
traverse Boudjnourd, Sarrivan, Kila Khan et Chahbaz. Ayant visité
Achref, il arriva le 21 octobre à Téhéran, par la route d’Ali Abad,
et revint enfin aux Indes par Chiraz et Bouchir.
L'ouvrage de Burnes est agréablement écrit et se lit presque
comme un roman, mais on l’oublie tout aussi vite. Les sujets
traités dans son voyage sont très variés ; il y donne des apercus
sur le climat, sur la direction des chaînes de montagnes, sur le
cours des rivières, sur l’éthnographie, sur la statistique, sur les
questions d'archéologie de l'antiquité et d’archéologie musul-
mane, ebc., etc.; mais toutes ces questions n’y sont qu’efileurées.
il est évident qu’un fond d’études solides fait défaut an voyageur
intelligent et zélé, et c’est pour cela que dans les cas mêmes où
il cite des observations intéressantes, il les gâte en les énonçant
d’une manière peu exacte et manquant de toute précision scien-
tifique. Ainsi, par exemple, il a constaté dans le désert une diffé-
rence de 50° F. entre la température du sable et celle de Pair,
mais malheureusement cette observation n’a aucune valeur, car
le voyageur a oublié de dire si la température de l'air était prise
au soleil ou à l'ombre et comment il a fait pour obtenir la tempé-
rature du sable. Il a oublié même de mentionner à quelle époque
de la journée se rapporte cette curieuse donnée météorologique.
À la page 404 du H° volume (2° édition), il parle d’un fait de géo-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 279
graphie physique très important, notamment de la variation
éprouvée par le niveau de la mer Caspienne et dit : « There is
» prevalent belief, that the waters on the south side of the Caspian
» have been receding and during this 12 years they have retired abous
» 300 yards, of which I have ocular proofs ; » mais il ne se donne
même pas la peine de nommer l’endroit où il a constaté ce fait,
ni si la pente y était douce ou rapide, ce qui fait une grande diffé-
rence, car il est aisé de comprendre que le long d’une surface
peu inclinée, la mer pouvait facilement parcourir dans sa retraite
300 yards, sans changer notablement de niveau, tandis que si
ces 300 yards se rapportaient à une pente rapide, le phénomène
prenait, par cela seul, un tout autre caractère. Le peu de connais-
sances du voyageur dans les langues, l’histoire et la littérature
de l'Orient, l’expose à des erreurs encore plus regrettables; ainsi,
pour ne citer que ce qui nous tombe sous la main, je signalerai
quelques-unes de ces assertions extraordinaires, page 70, tome II.
I fait de Geuher Chad Agha, femme si influente de Chah Roukh,
un homme Gahur shah, « a descendant of the illustrous Timour ; » à la
page 101, il fait d’un Laanet-nameh, c’est-à-dire défense écrite
pour empêcher de faire quelque chose sous peine de damnation,
un « Lanut-Nooma » et le traduit par «Curse shower (sie)! Ces
citations pourraient être multiphées à l'infini, et voilà pourquoi,
tout en rendant justice au désir louable du voyageur anglais,
d’être aussi utile à la science qu’il le pouvait, il m’est impossible
même de souscrire à la louange légèrement ironique de M. de
Humboldt, qui, en appréciant à la page 35 du premier volume de
l'Asie centrale, le voyage de M. Burnes, dit : « L’ouvrage du lieu-
» tenant Burnes réunit à la richesse des notions précieuses, le
» charme de la candeur et d’une noble simplicité de narration. »
M. Burnes a racheté en partie ses péchés scientifiques en con-
fiant ses observations topographiques, à M. John Arrowsmith,
qui, les ayant jointes à d’autres matériaux qu’il possédait déjà sur
ces pays, a publié la carte très connue, immédiatement traduite
276 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
en français et qui pendant très longtemps a été le document le plus
authentique et le mieux fait qu’on ait eu sur l’Asie centrale. Même
à présent où il y a des travaux plus récents et plus exacts, c’est
une pièce utile à consulter. Comme Conolly, Burnes s'occupe
aussi de la question de l'invasion de l’Inde, et sans consacrer à
ce sujet une digression spéciale, il y revient dans beaucoup d’en-
droits de son livre; mais ses déductions sont tout aussi peu con-
cluantes que celles de son prédécesseur. Ainsi, dans le passage où
il s'exprime plus catégoriquement qu'ailleurs, après avoir décrit
les difficultés que présente au voyageur le désert qui entoure
Merv, il dit (page 22, tome III) : « Wäth such an enumeration of petty
» vexations and physical obstacles ît is dubious, if an army could cross
»the desert at this point. »
La publication de la belle carte de M. Arrowsmith a mis en
évidence, plus que tout autre travail géographique, l'insuffisance
des bases sur lesquelles reposaient nos connaissances de la confi-
guration du terrain dans la partie méridionale de l'Asie centrale.
Sur l'énorme étendue de la surface terrestre, projetée sur cette
carte, il n’y avait que sur les côtes de la Caspienne et sur celles
du golfe Persique, quelques points dont les coordonnées géogra-
phiques aient été déterminées rigoureusement. Tout le reste, et sur-
tout le tracé de l’intérieur du pays, reposaient sur des évaluations
vagues, telles que les pas des chevaux ou des chameaux et les azi-
muths mesurés au moyen de la boussole, dont la déviation même
du méridien vrai n’était pas connue. La même incertitude régnait
par rapport à la direction des chaïnes de montagnes, le cours des
rares rivières de ces contrées arides, la configuration de ses mers
intérieures et de ses lacs, la limite de ses déserts, bref presque tout
y était hypothétique. Nulle part, cette vérité n’a été si profondé-
ment reconnue que dans le bureau des cartes de l'état-major de
l’armée russe. Obligé souvent de reproduire dans ses publications,
telle ou telle autre partie de l'Asie centrale adjacente aux fron-
tières de l'empire de Russie, cet établissement se voyait dans la
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 277
nécessité de reproduire, sans aucun changement, un tracé évi-
demment faux, et de propager ainsi des données erronées, en
garantissant, en quelque sorte, leur exactitude par l'usage officiel
qu’on en faisait. Voilà pourquoi ce bureau profita de la première
occasion de remédier à cet état de choses. En 1838, le gouverne-
ment russe se proposa d’envoyer quelques cadeaux aux Chah de
Perse, de même qu’au gouverneur général du Khorassan, comme
marque spéciale de la bienveillance de l'empereur envers ce der-
nier, pour le remercier de la protection qu’il accordait aux pèle-
rins sujets russes, qui se rendent chaque année, en nombre consi-
dérable, des provinces caucasiennes à Méched. Le transport de ces
cadeaux fut confié au capitaine Lemm.M. Lemm, ancien élève du
célèbre astronome W. Struve, avait déjà fait ses preuves; en 1824
et1895, ilaccompagnait le colonel Berg dans une expédition d'hiver
dirigée vers la côte occidentale de la mer d’Aral, où, malgré le froid
intense qui régnait alors dans ces contrées inhospitalières, il dé-
termina avec une grande précision les latitudes et les longitudes
de beaucoup de localités visitées par l'expédition, et contribua,
plus qu'aucun autre, à asseoir les cartes des régions septentrio-
nales de l'Asie centrale sur des bases solides et vraiment scienti-
fiques. Bientôt après, il fut envoyé dans le pays des Cosaques du
Don, d’où il rapporta une nombreuse série de déterminations
géographiques d’une grande exactitude. Passionné pour cette
application délicate de l’astronomie à la géographie, M. Lemm
suivait attentivement tous les perfectionnements apportés dans
les derniers temps par Struve, Bessel et d’autres, dans les mé-
ihodes d'observation applicables à la détermination des coor-
données géographiques. Se livrant constamment, à l'observatoire
de l'état-major, à la comparaison des différents instruments pro-
posés pour ce but, M. Lemm réunissait toutes les qualités voulues
pour ce genre de travaux ; aussi les résultats qu'il a rapportés de
son voyage ne sont-ils guère restés au-dessous des espérances que
sa nomination avait inspirées à tous les amis de la géographie.
Vite 36
278 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Dans le voyage qu'il devait entreprendre, il ne pouvait plus compter
sur l’avantage, qui l'avait beaucoup aïdé dans ses excursions
antérieures, de rester toujours à proximité d’endroits dont la posi-
tion füt déjà rigoureusement déterminée, et où il püt facilement
vérifier la marche de ses chronomètres. Il avaït à explorer une
immense contrée où aucune longitude n’était connue avec préci-
sion, et où il était obligé de déterminer des longitudes absolues.
Dans ce but, il fut muni d’un instrument des passages d’Ertel,
d’un cercle prismatique de Steïnheil, et de quatre chronomètres
de Brockbanks, Barraud et Arnold. On lui avait donné en outre
deux baromètres, deux thermomètres libres, un horizon artificiel
et un odomètre. Les observations de M. Lemm, calculées par lui-
même au retour de son voyage et déposées aux archives de l’état-
major, ont été revues à l’observatoire de Poulkova, et comme
M. O. Struve a publié une savante analyse de ces importants
travaux dans le tome V des Mémoires de l'Académie des sciences de
Saint-Pétersbourg, je m’abstiendrai de tout détail sur les méthodes
d'observations employées. Je n’emprunterai au travail du savant
académicien que quelques faits relatifs au voyage du capitaine
Lemm. Ayant quitté Pétersbourg le 22 août 1838, M. Lemm se
dirigea sur Astrakhan, où il arriva le 11 septembre. En route, il
détermina la position géographique de sept points, et comme la
latitude de trois d’entre eux, Koslov, Novokhopersk et la colonie
allemande de Sarepta, était déjà connue avec une grande préci-
sion, les nouvelles valeurs des mêmes coordonnées ont servi à
donner la mesure de l'exactitude des observations de M. Lemm.
S’étant embarqué à Astrakhan le 2 octobre sur un navire à voiles,
il n’arriva à Recht que le 4 novembre, après une traversée extrè-
mement tourmentée, ayant déterminé, durant ce trajet, la posi-
tion de quatre ports de la mer Caspienne où son navire s’arrêta
pour quelque temps. À Recht, lastronome voyageur resta trois
semainés; néanmoins, comme pendant ce temps la position de
la lune, par rapport au soleil, ne permettait pas d'observer favo-
[OS]
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 279
rablement à la lunette méridienne les passages de ses bords, la
longitude de la capitale du Ghilan n’a pu être déterminée que par
le transport du temps, à l’aide des chronomètres ; elle n’en mérite
pas moins uneentière confiance, tant par l’accord parfait des résul-
tats fournis par les observations partielles, que par le peu d’éloigne-
ment où Recht se trouve des endroits dont la longitude est connue,
et où M. Lemm a eu occasion de vérifier la marche de ses montres.
Ayant quitté le Ghilan le 25 novembre, le voyageur arriva le 8 dé-
cembre à Téhéran, par la route de Kazbin. Il a déterminé sur ce
trajet la position de huit points nouveaux. Décidé à passer l’hiver
dans la capitale de la Perse, M. Lemm établit son instrument d’Er-
tel sur une base solide, dans l’une des cours de l'hôtel de l’ambas-
sade de Russie, et détermina, par une nombreuse série d’observa-
tions des passages des deux bords de la lune, la longitude de
Téhéran avec une grande précision. Le 15 février de l’année 1839,
il se mit en route pour Méched. Les instruments destinés à Ja
mesure des angles étaient chargés sur un cheval, les chronomètres
étaient portés par un piéton persan, allant toujours à côté de
M. Lemm, qui lui-même portait son baromètre en bandoulière.
Chaque soir, il s’arrêtait pour faire des observations, et c’est grâce
aux précautions que nous venons d'indiquer, jointes à la grande
expérience de l'observateur, qu'il a pu déterminer en vingt-neuf
jours, sur la route décrite par MM. Truilhier et Fraser, la longi-
tude et la latitude de vingt et un points. Arrivé le 16 mars à Méched,
M. Lemm n’y resta que douze jours ; mais ce temps lui suffit pour
déterminer la longitude absolue de cette ville, ainsi que sa latitude,
etpour relier, par une petite triangulation, la position de son obser-
vatoire au centre de la coupole de la mosquée d’Imam Riza. Dési-
rant rapporter autant que possible desrésultats nouveaux, M. Lemm
n'hésita pas à prendre à son retour la route septentrionale, malgré
les dangers qu’elle présentait alors, par suite des incursions
des Turcomans ; c’est la même route qu'avaient suivie avant Jui
Fraser et Burnes. Il mit à la parcourir, entre Méched et Téhéran,
280 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
quarante-cinq jours, et détermina dans cet espace de temps la
position de trente stations, parmi lesquelles se trouvent les villes
de Kabouchan ou Koutchan, Boudjnourd, Chirvan et Astrabad.
Or, comme pendant tout ce temps, il devait se reposer, pour ses
longitudes, uniquement sur ses chronomètres, il s’agissait ayant
tout d’en déterminer la marche aussi exactement que possible.
Arrivé à Téhéran le 12 mai, M. Lemm consacra à cette vérifi-
cation vingt-huit jours. Il profita de ce temps pour fixer la position
d’Argouvani et pour mesurer trigonométriquement la hauteur du
mont Démavend, qui, d’après ses mesures, a 6375 mètres ou
20085 pieds anglais d’élévation au-dessus du niveau de la mer.
Pour retourner en Russie, M. Lemm prit la route de l’Aderbeidjan,
et, étant resté quinze jours à Tébriz, quatre en quarantaine à
Djoulfa, sur le bord de l’Araxe, et quinze à Tiflis, il quitta cette
ville le 19 août, et revint à Pétersbourg le 22 septembre par la
route militaire du Caucase, qui passe par Vladikavkaz et
Novotcherkask. Son journal de route témoigne qu'il observa
chaque nuit; c’est ainsi qu’il parvint à déterminer trente points
entre Téhéran et Tiflis, et entre cette ville et Pétersbourg dix-
sept points en longitude et en latitude. Le résultat astronomique
total de son voyage, qui dura treize mois, fut la détermina-
tion exacte, à 10° près en latitude et à 15! en longitude, de
cent vingt-neuf points, dont vingt-deux appartiennent à la
Russie d'Europe, vingt-quatre aux provinces caucasiennes et
quatre-vingt-trois à la Perse. Nous avons mentionné plus haut
que M. Lemm avait emporté deux baromètres; quoiqu'il ne les
eût pris que pour déterminer un élément indispensable au
calcul des réfractions astronomiques, néanmoins, ayant trouvé
à Téhéran dans le colonel Blaremberg un observateur exact, et
qui s’est obligeamment offert à noter régulièrement à des heures
convenues les indications de cet instrument pendant toute la
durée de l’absence de M. Lemm de Téhéran, il lui laissa l’un de
ses baromètres, et c’est en comparant ses observations baromé-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 281
triques à celles du colonel Blaremberg que M. O. Struve a pu
calculer la liste des hauteurs absolues d’une série de points situés
sur la route parcourue par M. Lemm dans le Khorassan. Tout en
méritant beaucoup plus de confiance que les valeurs hypsomé-
triques obtenues par M. Fraser, sans observations correspondantes
et au moyen d'un simple thermomètre, dont il se servait, comme
nous l’avons vu, pour déterminer les points d’ébullition, nous nous
empressons de dire que les hauteurs publiées par M. O. Struve ne
doivent être considérées que comme des valeurs approximatives,
car, tout étant persuadé que les instruments qui ont servi à ces
observations étaient dans un excellent état, et que les observations
elles-mêmes étaient faites avec toute l'exactitude voulue, l’éloi-
gnement de Téhéran était trop considérable pour qu’on püt
rigoureusement considérer les observations de M. Blaremberg
comme correspondant aux observations de M. Lemm. Néanmoins,
ilest le premier voyageur qui ait porté un baromètre à Méched.
Ainsi, pendant que presque toutes les nations de l'Europe con-
tribuaïent à doter la science de faits isolés, il est vrai, mais beau-
coup plus corrects que ceux que l’on possédait jusqu'alors sur ces
régions asiatiques, des esprits profonds, tels que Carl Ritter
et le baron de Humboldt, essayaient de grouper ces observations
détachées dans des aperçus généraux, pour tirer de leur ensemble
quelques-unes des lois de la physique du globe ct de la haute
géographie.
Le huitième volume de la Description de l'Asie de C. Ritter,
qui traite des parties méridionales de l'Asie intérieure, a paru en
1838; et comme cet ouvrage doit être considéré, à juste titre,
comme donnant, à cette date, le dernier mot de la science géogra-
phique, comme son savant auteur a su lirer profit pour ses investi-
gations de tout ce que les voyageurs, les historiens, les philologues,
les archéologues et les naturalistes ont fait pour élucider le présent
et le passé de ces pays, il est indispensable que nous présentions
un exposé succinct des opinions qu'y développe Carl Ritter.
282 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Ce n’est pas seulement par sa vaste érudition que le grand
géographe de Berlin a mérité la place qu'il occupe parmi les géo-
graphes modernes; c’est surtout par la méthode qu'il a introduite
dans la science. D’autres avant lui se sont illustrés par de grands
et beaux travaux, Guillaume Delisle, d’Anville, Malte-Brun; À
Carl Ritter appartient l'honneur d’avoir créé, on peut dire, la
géographie descriptive. Avant lui, les descriptions géographiques
n'étaient fondées sur aucune méthode fixe; la théorie de la science
n’existait pas, on n’avait aucune raison de préférer une méthode à
une autre. Ritter, le premier, fut frappé de l’idée si naturelle que
la surface solide du globe terrestre devait nécessairement et natu-
rellement se subdiviser en parties distinctes les unes des autres, et
que chacune de ces parties devait offrir des propriétés spéciales,
dont l’énoncé seul suffisait pour la distinguer de toutes les autres;
qu’il était inutile de chercher cette propriété caractéristique dans
la végétation, la constitution du sol, les limites des races, les limites
politiques, tous indices qui dépendent d’une seule et unique pro-
priété, la configuration extérieure du terrain ; et, conséquemment,
que si l'étude orographique d’une région quelconque de la surface
terrestre nous amène à la considérer comme ayantun caractère
propre, individuel, sui generis, on peut être sûr qu'elle se distin-
guera des autres par ses propriétés météorologiques, géologiques,
botaniques et zoologiques. L'application de ce principe à la des-
cription de l’Afrique et de l’Asie a rempli la vie laborieuse de ce
savant éminent, Les recherches modernes permettront de simpli-
fier ce travail, de le rendre plus exact et plus complet; mais le
principe fondamental de la méthode géographique, le principe
inauguré par Ritter, restera toujours comme un beau monument
de sa perspicacité et de son profond talent d'observation. Dans la
partie de l’ouvrage que nous nous proposons d'analyser, lillustre
géographe de Berlin commence par grouper toutes les mesures
hypsométriques faites en Perse; et comme pour la partie orien-
tale de cet empire il n’avait à sa disposition que les valeurs obte-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 283
nues par Fraser, qui embrassent, comme nous le savons, une
partie des limites occidentale et septentrionale du Khorassan,
il lui manquait beaucoup de données pour se faire une idée
exacte de la configuration du sol dans cette partie de l’Asiecen-
trale. Voilà pourquoi ses conclusions sur le profil de l’intérieur
du Khorassan et sur les limites orientale et méridionale de ce
pays ne sont que très vaguement indiquées. Néanmoins, la grande
habitude qu'avait Ritter d’arriver à des conclusions exactes par la
comparaison seule des caractères distinetifs de différentes localités
qui n’ont que certains points de ressemblance, lui permit de recon-
naître à priori qu'il y avait une grande probabilité de retrouver
dans le Séistan une conformation du sol analogue à celle que
MM. Fuss et Bunge avaient constatée dans le Gobi, c’est-à-dire d'y
réncontrer une grande dépression du plateau iranien, sans pour-
tant que cette dépression puisse égaler celle du bassin aralo-caspien.
Nos mesures ont prouvé que cette déduction était rigoureusement
exacte. Mais lorsque Ritter dit que le sol iranien ne s’abaisse nulle
part au-dessous de 2000 pieds (t. VIE, p. 8), il formule une con-
clusion hasardée, que nos observations ont contredite (1).
Le chapitre Il porte le titre d’Aperçu historique. lei Ritter
chercheà donner plus de précision aux noms assez vagues d’Ariens,
d’Aria, d’'Iraniens et d'Iran, en se basant sur les recherches
(4)Nous eroyons devoir'signaler ici à l'attention du lecteurla phrase de Ritter qui termime
cette conclusion. Selon moi c’est un lapsus, que Ritter lui-même aurait certainement fait
disparaître à une nouvelle révision. Appréciant les mesures de Fraser, il dit : «Les mesures
» du voyageur britannique, qui ne sont pas très rigoureuses, étant basées sur l’observation
» des points d’ébullition et non sur des-observations barométriques, ont acquis, grâce aux
» méthodes de caleuls plus rigoureux quileur ont été appliqués par MM. Oltmans et Knorr,
» un plus grand degré de précision, etc. » Si l'observation est inexacte, aucune méthode
de calcul ne peut lui donner l'exactitude. Le résultat calculé par une certaine méthode peut
étre plus rigoureusement déduit de l'observation que par une méthode différente, rien de
plus ; et comme nous avons vu que Fraser n’indiquemême pas comment il se servait de son
thermomètre pour obtenir.les points d’ébullition, aucun géomètre ne pourra le deviner et
par conséquent ne pourra corriger cette méthode inconnue, sans parler d’autres sources d’er-
reurs, telles que le déplacement du pointizéro, les érreurs de l’échelle thermométrique, etc.
28h PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
de Silv. de Sacy, de Burnouf et de Chr. Lassen; maïs après une
savante discussion, il ne parvient à circonscrire le pays auquel le
nom d’Arie peut être appliqué que par deux limites bien distantes
l’une de l’autre, l’Indus à l’orient et le Kourdistan à l'occident.
Dans la seconde partie du même chapitre, il tâche de préciser le
sens du terme géographique Iran proprement dit, dans les
limites qu'on lui peut assigner d’après le poëme de Firdoussi,
basé, comme on sait, sur d’antiques traditions, et même sur
d'anciennes relations écrites. Le résultat le plus intéressant de
cette dernière investigation est la constatation de l’antiquité et
de la ténacité de l’antagonisme existant entre les races sémiti-
ques arabes, la race iranienne et les races turques, antagonisme
qui n’a pas encore complétement cessé de nos jours, car nous
voyons la Perse actuelle sous la domination d’une dynastie d’ori-
gine turque. Le chapitre III est intitulé : Aperçus archéolo-
giques. L’Iran d'après sa tradition primitive; sens religieux de ce
mot. Pays d'Ormuzd, Eeriéné Véedjo, patrie des pères primitifs ;
Eeriéné Véedjo, pays d'immigration des peuples sous la conduite
de Djemchid, pays saint, d’après les sources zendes. Cela nous con-
duirait trop loin d'exposer en détail les recherches auxquelles
le savant géographe a été amené pour résoudre les difé-
rentes questions qu'il a énoncées dans le titre que nous venons
de transcrire. Pour nous rendre compte du résultat définitif
de toutes ses investigations, il suffit de citer le peu de mots
par lesquels il les formule : « Aïnsi, l'analyse grammaticale du
» plus ancien texte du Zend Avesta, de même que le sens naturel
» de ce qui est rapporté sur les plus anciennes migrations des
» peuples, nous conduit [à placer le berceau de la race iranienne]
» près du grand nœud de la chaîne du Caucase indien. » Le cha-
pitre IV rapporte les fragments de l’ancienne géographie de
Plran, qu'on retrouve dans les sources zendes et les inscriptions
cunéiformes. Ici encore ce sont presque exclusivement les travaux
d’Eugène Burnouf et de Christian Lassen qui fournissent à Ritter
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 285
les données nécessaires pour retrouver l'application des onze loca-
lités iraniennes mentionnées dans le Zend Avesta, à savoir, par
ordre d'ancienneté de leur occupation par les représentants de
celte race, la Soghdiane, ou khanat de Boukhara; la Marghiane,
ou territoire de Merv; la Bactriane, ou territoire de Balkh; Nicàya,
le territoire de Nichapour; l’Ariane, ou territoire de Hérat; le
Vaëekereta, pays que M. Ritter ne se décide pas à identifier avec
aucune des provinces connues actuellement (1); l'Hyrcanie, le
Djordjan des Arabes ; l’Arachosie, l’Arokhadj actuel ; l'Haëtumat,
ou bassin du Hilmend ; Ragæ, le territoire de l’ancienne Rei, non
loin de Téhéran; et enfin le Hapta-Hendou (2).
La seconde partie du même chapitre est consacrée à une
dissertation sur les noms et la position géographique des localités
habitées par des nations d'origine iranienne, tributaires de
Darius d’après l'inscription cunéiforme de Persépolis. Elles sont,
comme on sait, au nombre de vingt-six, dont dix appartiennent
à la Perse occidentale, deux à la Perse moyenne, et quatorze à la
Perse orientale. Ces recherches purement géographiques sont in-
terrompues par deux digressions très étendues sur l’état du
déchiffrement des inscriptions cunéiformes, et sur les résultats
généraux obtenus par les recherches dont les anciennes langues
de l’iran et l’origine de la race iranienne ont été l’objet, Quel-
que intéressants que puissent être ces deux savants mémoires,
il faut avouer que l’habitude de Ritter d’intercaler dans sa géo-
graphie des traités complets sur toutes sortes de questions qui
n’ont qu’un rapport très éloigné au but principal de son ouvrage,
en rendent parfois l'étude assez fatigante. Le chapitre V expose
la division de la Perse d’après les auteurs grecs, hébreux et latins,
Hérodote, Arrien, Platon, le prophète Daniel, le livre d’Esther,
(4) M. Lassen, M. Haug et M. Kiepert s'accordent à reconnaître dans le Vaékereta de
VA vesta le Séistan actuel.
(2) Nom qu’il ne faut pas traduire par les Sept-Indes, mais par les Sept-Rivières. C’est
le Sapta-Sindhou de la géographie védique, région qui répond à notre Pendjab.
vit, 37
286 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Strabon, Pline, Ammien Marcellin et Isidore de Charax. loi
Ritter se trouve sur un terrain cultivé par beaucoup de ses pré-
décesseurs; mais il donne en maître un extrait succinct de leurs
travaux, et il n’y omet rien d’essentiel relativement aux nom-
breuses recherches, aux conjectures ou aux résultats définitifs
auxquels on est arrivé sur ce sujet,
Le chapitre VI traite des mêmes questions que le précédent
d’après les sources musulmanes, ét comme dans cette partie de
son ouvrage il se borne à donner, en extrait, un travail publié par
M. de Hammer dans les Annales de Vienne, il est bien loin de
paraître complet actuellement, où un grand nombre de sources
arabes et persanes sont devenues accessibles, même à ceux qui ne
sont pas orientalistes.
Toutes ces recherches, que nous venons d'indiquer sommaire-
ment, ne forment qu’une introduction à la géographie de la Perse,
laquelle commence, à la page 129, par la description de la limite
orientale de ce pays, c’est-à-dire du plateau de l'Afghanistan. Pourle
géographe de Berlin, PAfghanistan présente un système de quatre
plateaux : celui de Kaboul, celui des Hézarèhs, celui de Ghizmi et
enfin celui de Kandahar. Cette réunion de plateaux est bordée au
nord par le Hindoukouch et au sud par la chaîne des monts Soli-
man ; à l’ouest, les montagnes qui lui servent de limite étendent
leurs ramifications dans le désert du Seistan. Cette manière lucide
d’esquisser en peu de traits une vaste région d’une nature orogra-
phique très compliquée, est en général le plus grand mérite de
Ritter; mais la description de l'Afghanistan mérite d'autant plus
d’éloges, qu’il l’a faite bien avant la publication des levés topo-
graphiques exécutés dans ce pays par les Anglais, et qu’il a su
déduire un résumé aussi clair de trois ouvrages très incomplets
sous le rapport de l’orographie exacte : à savoir, la traduction des
mémoires du sultan Baber, par Erskine ; l'ouvrage de M. Eiphin-
stone, et le voyage de M. Burnes. Les descriptions détaillées de
chacune de ces grandes subdivisions se ressentent un peu de la
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE! 287
stérilité des sources auxquelles il à dû puiser ses renseigne-
ments; néanmoins, il ne s’est pas borné seulement à en extraire
tout ce qu’elles contenaient de véritablement instractif, mais il a
su relever quelques faits importants d’ethnographie et de géo-
graphie physique, insuffisamment appréciés avant lui. Ainsi il me
paraît être le premier qui ait remarqué que les auteurs orientaux
qualifient les Hézarèhs de Turcs, et que probablement ce n’est pas
un peuple de race distincte, mais uné branche de la race mongole.
Néanmoins, tout en proclamant ce fait, qui est parfaitement exact,
Ritter ne peut abandonner complétement l'idée de l’origine ira-
nienne de ce peuple; car, à la page 436, nous trouvons cetie asser-
tion singulière que ies Hézarèhs sont probablement les Hazvarèh
d’Ardéchir, nom qui signifie en zend guerrier, héros. Le second
chapitre de cette description est consacré à l'étude ethnographique
du pays et au rapport mutuel des peuples qui lhabitent, d’après
les relations historiques. L’effort que fait Ritter, dans cette partie
de son ouvrage, pour éclaircir les ténèbres et débrouiller la con-
fusion qui enveloppent l’origine des Tadjiks et des Afghans, n'est
pas couronné de succès; mais il me semble qu'il caractérise les
Afghans d'une manière pius satisfaisante que le Tadjiks. Ces re-
cherches se terminent par une digression intitulée : Revue des
contrastes entre lorient et l'occident de l'Asie centrale. Ce titre,
un peu vaste, promet plus qu'il ne tient, car il ne s’agit ici que
d'une comparaison des races indiennes et des Afghans. Un sujet
de cette nature, traité par Ritter, doit nécessairement le con-
duire à des remarques originales et instruclives ; mais il est bon
de se rappeler, en le lisant, qu’il arrive parfois, quoïque rarement,
à l’illustre géographe d’être entraîné, par son penchant à la géné-
ralisation, au-delà d’une probabilité rigoureuse, et que la richesse
des faits sur lesquels il base ses déductions est telle, que quelque-
fois même il oublie ce qu'il a dit, ou ce qu'il va dire ensuite.
Ainsi, aux p. 207 et 208 nous lisons que « l’Hindou comme
» guerrier est un être ridicule aux yeux des Afghans, » ce qui gé-
288 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
néralement n’est pas exact, car si le paisible marchand qui tremble
pour son argent laborieusement acquis, et supporte patiemment
les avanies auxquelles il est exposé par la brutalité des Afghans,
n’est pas précisement l'idéal du guerrier, le Sikh énergique qui,
dans une série de conflits sanglants, a prouvé sa force aux
Afghans et a fini par leur enlever la province de Péchaour, ne
provoque guère leur bhilarité. Plus loin, p. 208, il observe que
«le dattier ne dépasse pas le plateau de l’Afghanistan, et que cet
»arbre royal disparaît de l’fran près de Péchaour, ainsi qu'un
» grand nombre de plantes qui vivent dans les mêmes conditions
» que le palmier, » oubliant qu’il va dire un peu plus loin que le
palmier est cultivé en Perse jusqu’à Tébès inclusivement. À la p.211
nous lisons : « Le tigre royal ne se trouve que dans le Bengale et
» dans les pays indo-chinois ; dans les contrées indo-persanes il est
» complétement étranger. » Oui, mais il reparaît plus au nord sur
la côte méridionale de la mer Caspienne, et même il est assez fré-
quent dans les forêts de Lenkoran.
La seconde section de ce volume est intitulée : « Limites septen-
trionales de l'Iran. » Le peu de faits généraux qui étaient à la dis-
position de Ritter pour caractériser la conformation du sol de
cette partie de l'Asie se traduit par l'extrême sobriété des détails
consignés dans le $ 6, où il tâche d’esquisser à grands traits la
nature du pays qu’il va décrire. Tout ce qu’il en sait est contenu
dans la première phrase de ce chapitre, phrase qui n’a pas moins de
onze lignes, et qui nous apprend que le plateau élevé de lIran
est linité au nord par une chaîne de montagnes, qui, se détachant
de l’Hindoukouch et du Paropamise , se prolonge sans inter-
ruption jusqu’à la côte escarpée qui borde au sud la mer Caspienne;
qu’à partir des méridiens de Balkh et de Hérat, les montagnes
qui forment cette chaîne perdent subitement leur caractère de
grande élévation, et conservent partout une hauteur moyenne ét
peu considérable jusqu’à l'endroit où elles atteignent le Demavend
et les sources du Kizyl-Ouzen, mais que néanmoins les plaines qui
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 289
s'étendent au nord-est de cette chaîne ne s’abaissent nulle part au-
dessous de 4500 pieds; qu’à l’est, la pente septentrionale de cette
chaînenese creuse nulle part en larges vallées fluviales, mais plutôt
en rigoles étroites servant de conduits à de rapides et minces filets
d’eau, tels que la rivière de Balkh, le Hériroud, le Mourghab et le
Tedjen, qui tous se dirigent vers l'Oxus; et qu'à l'extrémité occi-
dentale seulement de cette pente nous trouvons deux rivières consi-
dérables, l’Atrek et le Gourgan, qui coulent vers l’ouest.
Le premier chapitre de cette section, auquel l'auteur a donné
pour titre : Partie orientale de la limite septentrionale, Khorassan, se
subdivise en un apercu et trois explications. Dans l'aperçu, l’auteur
entre dans quelques détails sur les changements éprouvés à diffé-
rentes époques par les limites du Khorassan, et après une analyse
rapide des causes de ces variations, il en déduit très judicieusement
la valeur stratégique de cette province pour l'empire de Perse, au-
quelie Khorassan sert maintenant, comme jadis, de boulevard con-
tre les attaques des races turques. L’explication première contient
la description de Balkh et de son territoire, région à laquelle Ritter
applique le nom de premier gradin ou première terrasse du Kho-
rassan. La seconde explication est consacrée à la description de
la vallée du Mourghab, Margus et Epardus des anciens, et à celle
de l’oasis de Merv, l’Antiocheia des anciens. Enfin la troisième
donne des détails sur Hérat, depuis l’époque d'Alexandre le Grand
jusqu’à notre siècle. Je ne m’arrêlerai pas à l'analyse détaillée de
ces trois chapitres, car cela dépasserait le cadre qui m’est im-
posé par la nature même de ce mémoire; je me bornerai à ob-
server que Ritter excelle dang ces sortes de monographies. A
laide de sa vaste érudition il épuise son sujet, et présente sous
une forme concise absolument tout ce que les voyageurs et
les géographes ses prédécesseurs en ont dit d’essentiel. Voilà
pourquoi l'ouvrage de Ritter devrait être entre les mains de tout
voyageur qui se propose de visiter un pays décrit par l’éminent
géographe de Berlin, dont le traité remplace toute une biblio-
290 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
thèque et indique clairement les lacunes qui doivent être comblées.
Le chapitre II de cette section sert de continuation au premier;
mais avant de procéder à la description de la partie occidentale
de la limite du Khorassan au nord, Ritter tâche de donner
quelques détails sur la configuration du terrain qui borne cette
province au sud. Après avoir décrit, dans une introduction à ce
chapitre, Tourbeti cheikhi-djam, Tourchiz et Tébès, d’après
Fraser et les géographes arabes, de mème que lezd, d’après
le voyageur anglais et M. Dupré, il avoue franchement l’exiguïté
de nos connaissances sur cetle vaste partie de la Perse, et ajoute
«qu'il a cru devoir réunir dans un tableau succinct tout ce que
» l'on savait sar cette matière, afin qu’un voyageur hardi qui s’y
» risquerait par amour de la science puisse facilement voir ce
» qui reste à y faire. » Cette introduction se termine par une
note détaillée sur l’oasis de lezd et sur jes ignicoles persans, em-
pruntée en grande partie à l'excellente dissertation de M. W.
Ouseley. Dans la première explication , il décrit le district de
Serakhs et ja vallée du Tedjen. La description de la vallée de cette
rivière est assez confuse, et la faute en est plutôt à Fraser et à
Burnes qu’à Ritter, car ces voyageurs ne disent pas que cette
rivière ne commence à porter ce nom que depuis l'endroit dit Pouli-
Khatoun, où le Hériroud, rivière de Hérat, se joint à l’Abi-Méched,
rivière de la capitale du Khorassan, et qu’elle conserve depuis lors
le nom de T'edjen, jusqu’à l'endroit où elle se perd dans les sables
du désert des Turcomans. La deuxième explicaüon est consacrée à
ladescription de Méched et deses alentours. {auteur y indique les
routes de caravanes qui conduisent à cette ville, donne des détails
sur Tous, ancienne capitale du Khorassan, et sur Méched dont il tra-
duit à tort le nom par «tombeau», car chacun sait que ce mot veut
dire « lieu de martyr ». Ce chapitre est clos par la description
du mausolée de l’Imam Riza. Dansla troisième explication, Rätter
parle de Nichapour et de son territoire et y intercale une note assez
étendue sur les mines de T'urquoises. La quatrième explication est
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 294
consacrée 1° à la description de la région montagneuse (d’Hyreania)
qui donne naissance aux fleuves Gourgan et Atrek, et 2° à celle des
plaines à traverslesquelles ces deux rivières parallèles coulent vers
la Caspienne. Enfin la cinquième explication, la plus étendue de
toutes, contient une digression ethnographique très intéressante
sur les tribus nomades de la Perse. Si je ne l'analyse pas ici en
détail, c'est que je compte y revenir très incessamment dans un
mémoire spécial sur l'éthnographie de la race iranienne, qui for-
mera la seconde partie du présent travail. Dans les chapitres !}
et suivants, Ritter décrit le Mazandéran et d’autres provinces qui
n’enirent pas dans notre sujet.
L'ouvrage que M. de Humboldt publia en 1841 à Paris (Gide,
en 2 vol. in-8°) sous le titre d’Asie centrale, a contribué d’une
manière encore plus puissante à attirer l’attention des savants
sur les explorations faites dans cette partie du globe, qui venait
alors d’acquérir une triste célébrité en Europe par le désasire
des Anglais dans l'Afghanistan Ecrit en français, par un savant
aussi justement célèbre que l'était le baron A. de Humboldt,
el riche en détails scientifiques de tout genre, ce livre a acquis
une grande popularité; mais, quant à nos connaissances sur la
partie méridionale de l'Asie centrale, il ne les a pas fait avancer
d'un pas. Ayant exploré en personne les régions septentrionales
de l’Asie centrale, s'étant livré dans sa jeunesse à une étude pro-
fonde de tout ce que l’on savait sur la nature de la limite orientale
de cette partie du continent asiatique, l’illustre explorateur de
l'Amérique du Sud semble avoir complétement perdu de vue la
partie méridionale de cette vaste portion du vieux monde. Dans
deux ou trois endroits de son ouvrage, il mentionne en passant
le plateau de l'Iran ; il croit même avoir démontré rigoureusement
que la chaîne latitudinale qui traverse la Perse doit être considérée
comme une continuation du Kouen-loun et non de l’'Himälaya,
mais il ne va pas au delà. Et telle est la puissance de son génie, telle
est la richesse de son érudition, tel est surtout son talent de
292 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
poser, plus tôt que de les résoudre, une masse de questions, qu’en
étudiant son ouvrage on n’est pas choqué du silence qu’il garde
sur une partie essentielle de l’ensemble qu'il examine. On n’a pas,
pour ainsi dire, le temps de remarquer cette solution de continuité
dans ses recherches. La carte qui accompagne l’ouvrage de M. de
Humboldt n’ajoute rien non plus à ce qui était déjà connu sur la
Perse orientale; c’est une reproduction assez exacte, pour cette
partie de l’Asie, de la carte de M. Arrowsmith, mais sur une
échelle beaucoup plus restreinte. Même les résultats scientifiques
obtenus par les Anglais dans l'Afghanistan et communiqués au
baron de Humboldt n’ont été que médiocrement appliqués par
lui à la rectification de sa carte, comme il le dit lui-même dans
une nole qui y est gravée.
Les événements politiques contemporains de ces travaux ont
largement contribué à agrandir nos connaissances sur l'Asie
centrale en général, et, en particulier, sur le sud de cette
région. l'expédition du Chah de Perse à Hérat, l'expédition russe
à Khiva et l'expédition anglaise à Kaboul, toutes trois entreprises
sans beaucoup de succès au point de vue militaire, ont donné lieu
à quelques recherches scientifiques dont la géographie a profité.
Quoique toutes les missions européennes résidantes à la cour
de Perse aient accompagné le Chah dans sa campagne d'Hérat, ce
voyage d’une vingtaine d’'Européens à travers le Khorassan n’arap-
porté à la géographie qu'une description des mines de Turquoises
de Nichapour, faite par M. Chodzko, et un ouvrage statistique et
géographique sur la Perse publié en langue russe par le général
Blaremberg. Mais après la levée du siége de Hérat, l'Angleterre a
cru devoir envoyer dans cette ville une mission nombreuse sous
les ordres du major Todt qui y est resté treize mois, et c’est aux
membres de cette mission que nous devons quelques renseigne-
ments utiles. Le chef de la mission lui-même n'a publié que je
sache, en fait de recherches géographiques, que l'itinéraire de son
voyage de Hératà Simla ; mais il envoya à Khiva le capitaine 4bbott,
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 293
el ensuite le capitaine Shakespeare, qui ont publié, le premier un
voyage en deux volumes, et le second un article dans le Journal de
la Societé géographique de Londres. Ces publications ont beaucoup
contribué à rectifier les idées erronées qui existaient encore sur
le cours des rivières au nord de Hérat et de Merv, et elles nous ont
donné une idée beaucoup plus-exacte de la configuration du ter-
rain entre cette dernière ville et la rive gauche de l'Oxus, que les
renseignements recueillis à ce sujet par M. Burnes. Il est bien à
regrelter qu'aucun membre de cette mission, qui avait beaucoup de
temps et d'argent à sa disposition, n'ait songé à faire une des-
cription détaillée de Hérat et de son territoire; car les compa-
gnons de M. Todt étaient placés sous ce rapport dans des condi-
tions exceptionnellement favorables. Beaucoup dé monuments de
Hérat étaient à cetle époque infiniment mieux conservés qu'ils ne
le sont à présent, car depuis le départ de la mission anglaise plu-
sieurs révolutions sanglantes ont désolé cette malheureuse contrée.
Quand j'ai visité Hérat, cette ville venait à peine d’être délivrée
d’un long siége et portait des traces récentes d'un bombardement,
d'une prise d'assaut et d’une occupation militaire par les troupes
du Chah de Perse. En outre, comme le major Todt distribuait aux
habitants de la province des sommes considérables à titre de prêt,
dont le payement était garanti par des hypothèques grévant les
immeubles affectés à l'acquittement de ces obligations, une masse
de documents écrits, anciens et modernes, concernant les pro-
priétés foncières, a passé sous les yeux des employés de la mis-
sion, et il était facile d’en extraire de véritables trésors pour la
topographie, l’histoire et l'administration de ce pays.
L'expédition de l'Afghanistan a fourni à la science de bons
levés, quelques déterminations astronomiques et quelques don-
nées hypsométriques , publiées en 1841 par le major W. Hough
dans son Narrative of the march and operations of the army of the
Indus, in the expedition to Afghanistan, in the years 1838 et 1839 ; et
quoique les mesures barométriques sur lesquelles reposent ces
vil. 38
29h PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
résultats aient été faites par M. Griffith avec un baromètre sans
thermomètre attaché, elles méritent une certaine attention comme
les premières mesures fournissant une base plus solide pour le
tracé du profil du terrain de ce pays que les estimations arbitraires
faites jusqu'alors par tous les voyageurs. Maïs un résultat intime-
ment lié à cette guerre, et touchant de plus près à l’objet principal
du présent mémoire, est levoyage de M. Edward Conollÿ dans le
Séistan. Les données qu’il a rapportées de ce pays sur le lac
Hamoun ont fait subir à la carte de ce lac la même transformation
que la carte envoyée par Pierre le Grand à l’Académie des sciences
de Paris au tracé de la Caspienne; elles ont prouvé que le grand
axe de ce bassin allongé n’allait pas de l’est à l’ouest, mais bien du
nord au sud. De plus, le delta du Hilmend fut relevé avec beaucoup
de précision, les îles du lac furent visitées, et une série de localités
intéressantes pour l’histoire du pays parurent sur la carte de
M. Conolly publiée par la Société asiatique du Bengale. La même
Société publia en 1844, dans le n°146 du XHÏ° vol. de son journal,
la description du Séistan par le lieutenant R. Leech; ce petit tra-
vail, qui fournit quelques indications curieuses sur la population
du pays et sur les chefs de ses tribus, contient aussi quelques
assertions philologiques inexactes que je crois devoir signaler.
Notamment il dit : « La langue parlée dans le Séistan est un mau-
» vais persan {broken persian). Dans un vocabulaire de 250 mots,
» j'ai pu restituer au persan presque tous les mots, excepté les
» suivants : goché, garçon; kenjé, fille; meké, mère ; kharrou, coq;
»ikeré, genre, espèce; meges, veau; tour mourgh, œuf cuit; khayé,
» œuf frais ; dokh, brique non cuite ; keng, dos ; kel, poitrine ; lambas,
»joue; demagh, nez; gelov, melon; katic, mets préparé; koudh,
» sourd ; kël, courbe, bossu; bepir, grand-père; tonin tabere, là, dans
» cela; gereng, pesant; pez, cuits (impératif) ; leeghan, unis, polis
» (impératif); tertereté, neuf (9); ziade ; treize (13). » Si M. Leech
s'était donné la peine de consulter le Dictionnaire de Richardson,
il aurait vu que tous les mots dont la traduction est ici en
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 296
italique sont aussi parfaitement persans, quoique quelques-uns
d’entre eux soient employés dans la langue écrite avec un sens un
peu différent. Ainsi kenj veut dire petit et joli; goch, petit, délicat,etc.
D’autres, comme le mot coq, kherousse en persan, gereng qui est évi-
demment guiran, etc., sont mal transcrits; quant aux motsmeges qui
veut dire en persan mouche, et touri mourgh qui veut dire filet pour
attraper les oiseaux, il est à supposer que l’auteur s’est simplement
trompé en donnant leur traduction. Je ferai remarquer aussi que
ziad, qui veut dire en persan « plus, au delà d’un certain nombre »,
appliqué au mot treize prouverait que les anciens Persans em-
ployaient pour compter le système, duodécimal, ou peut-être ne
savaient même pas compter au delà de treize. Ainsi, loin d’être un
patois, la langue parlée dans le Séistan est peut-être le reste le
plus pur de l’ancien persan qui se soit conservé jusqu’à nos jours.
Mais le renseignement le plus intéressant, selon moi, que l’on
trouve dans l’article de M, Leech, est que les Keïnaïdes, que j'ai
constaté être les vrais descendants des anciens rois, formaient
encore en 1840 une tribu à part.
La publication de l’ouvrage de Ritter exigeait nécessairement
la confection de cartes spéciales des pays qu’il avait décrits, et,
pour ainsi dire, une représentation graphique des nombreux ren-
seignements qu'il a admis dans sa description de l’Asie. Pour
V'Asie centrale, cette tâche fut acceptée par le lieutenant Zimmer-
mann. En 1840, au mois de février, à l’époque où l'attention de
l'Europe était attirée vers les froides steppes du nord de cette
partie de PAsie par suite de l'expédition russe contre Khiva,
M. Zimmermann publia sa première carte sous le titre d’Entwurf
des Kriegstheaters Russlands gegen Chiwa ; bientôt après, en 18/4, il
fit paraître sa Karte Inner-Asiens, qui embrassait la partie de
l'Asie située entre les longitudes 59 et 77 du méridien de Paris,
et les latitudes 32° 30' et 43° 30’, accompagnée d’une brochure
in-/° intitulée Analyse der Karte von Inner-Asien. En 18/2, il publia
un: mémoire in-8°, avec une carte, intitulé Uebersichts-Blaté von
296 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
Afghanistan und der Landern an der Nord-West-Granze von Indien ;
enfin, en 1843, parut sa carte de la Perse occidentale et de la Méso-
potamie. Elève de Ritter, homme éminemment laborieux, il pré-
sente dans $es travaux tous les défauts de son illustre maître sans
les racheter par les belles qualités de son génie. Ayant pris au
pied de la lettre les exigences de sa tâche d’exprimer graphique-
ment tout ce que Ritter a consigné dans plusieurs gros volumes,
il a admis dans ses cartes non seulement des profils de terrain,
mais des détails minutieux de climatologie, de paléontologie, de
botanique, de zoologie, de statistique, d'archéologie, etc., de ma-
nière que ses cartes resteront à jamais un monument curieux de
Pabus d’une vaste érudition et d’une ardeur immodérée de travail.
De tous les systèmes de projection connus, il a eu le malheur de
se décider en faveur de celui de Mercator, le plus facile à calculer
et présentant des avantages réels pour les cartes marines , mais
que l’on évite soigneusement pour la représentation graphique
des intérieurs des continents, tant à cause de la variabilité de son
échelle que de l’altération qu’il fait subir à la forme des terres.
Non content de marquer sur ces cartes, en chiffres, les hau-
teurs des différents endroits dont l’élévation au-dessus de l’océan
a été mesurée , il embrouille son tracé par des profils imaginaires
qu’ilappelle profils hypothétiques, et qui ne sont basés sur rien de
sérieux. Abandonnant la méthode vraiment instructive introduite,
je crois, dans le tracé des cartes par M. Berghaus, de marquer par
des lignes spéciales les limites de la distribution sur la surface
terrestre de certains phénomènes de la vie organique du globe,
il écrit en toutes lettres les noms des plantes, des animaux et
mêmes des fossiles qu’un voyageur a trouvés dans tel ou :tel
endroit. Se basant dans son tracé des parties septentrionales de
V’Asie centrale sur les cartes russes, il ne se donne même pas la
peine d’étudier la signification des mots les plus usités dans ces
sortes de documents, tels que mont, vallée, puits, source, etc., et,
au lieu de les traduire, il les transcriten les estropiant, et les amal-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 297
gamant à des noms indiens, persans, tartares et chinois auxquels
ils se rapportent, il ajoute ainsi un nouvel élément de confusion
à l'obscurité qui déjà règne assez sans cela dans la nomencla-
ture géographique de ces pays. Prenons au hasard une partie
quelconque de sa carte de l'Asie centrale, par exemple le quadri-
latère formé par l'intersection des méridiens 62 et 63, et des paral-
lèles {1 et A2. Presqu'au centre nous ylisons : Teploikliutsh Karaata,
ce qui veut dire en russe « source thermale de Karaata »; au-dessus
est écrit scorpion; en travers, despotien der Turk; à côté, Geten; plus
au nord, Lonicera tatarica, Holeus sorghum; plus au sud, Euphorbia
helioscopia, à côté de laquelle figure un! Russischer Kaufmann, c'est-
à-diremarchand russe; et plus à l’ouest Blatta orientalis, tarantel, et
d’autres insectes venimeux.
Un pareil excès est bien fait pour ridiculiser la science. Les signes
adoptés par M. Zimmermann pour exprimer les différents accidents
du sol sont tout aussi confus que le reste; plateaux et chaînes de
montagnes, pics élevés et mamelons, tout est répresenté unifor-
mément par une série de hachures peu accentuées qui ne disent
rien ni à l’œil ni à l'esprit. Il croit remédier à ce dernier incon-
vénient en joignant à ses cartes une feuille séparée, où 1l se borne
à représenter uniquement l’ensemble des données orographiques,
en indiquant par des lignes droites la direction moyÿenne des
chaînes de montagnes, et par des bandes différemment coloriées la
suite successive des terrasses classées d’après l'élévation respective
de leur base. Un pareil tracé est instructif sans doute; mais ne
serait-il pas beaucoup plus simple d’épargner au lecteur la peine
de chercher dans deux cartes différentes ce qu’on peut lui mon:
trer plus clairement dans une seule?
Dans les mémoires qui accompagnent les cartes du lieutenant
Zimmermann, on retrouve la même confusion et le même fatras
d’érudition. Leur plus grand mérite , selon moi, est de donner
un aperçu assez complet de tout ce qui a été publié sur les ma.
tières qu'il y traite; et encore, quoique généralement assez exact
298 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
dans ses indications, il lui arrive parfois de parler d’un livre sans
l'avoir Ju. C’est ainsi qu’à la page 11 de son mémoire sur l’Afgha-
nistan, il fait voyager Schildperger et même Truilhier dans
ce pays.
IL serait à regretter que l’école de Ritter n’eût produit que
des travailleurs aussi peu utiles à la géographie; mais elle a
formé aussi M. Kiepert, dont l’atlas est sans contredit une des
publications cartographiques des plus remarquables de notre
temps, Non-seulement il soumet à une critique judicieuse les
sources auxquelles il puise les matériaux nécessaires à la confec-
ticn de ses cartes ; non-seulemenit il choisit des signes simples et
précis pour exprimer les accidents du terrain, ce qui rend ses
tracés très clairs et d’un emploi facile : mais étant beaucoup plus
philologue que Ritter lui-même, il transcrit avec une grande pré-
cision les noms des localités, des rivières, des montagnes et des
pays, c’est-à-dire qu’il remplit une des conditions les plus essen-
tielles d'une bonne carte, et malheureusement assez souvent né-
gligée, car elle exige la connaissance de beaucoup de langues, de
beaucoup d’alphabets, et demande un recours constant aux docu-
ments originaux pour corriger les transcriptions des noms de
localités rarement exacts dans les journaux des voyageurs, qui
les notent la plupart du temps seulement d’après l’audition.
Maintenant il me reste à signaler les résultats des voyages
de MM. James Abbott et Ferrier. Le premier a parcouru la
limite sud-ouest de la région méridionale de l'Asie centrale, et
le second sa limite septentrionale et orientale, Quant aux voyages
de MM. Westergaard et Petermann, qui tous les deux ont visité
Kirman et lezd, à mon grand regret je ne puis que mentionner
leurs noms, car, de ces deux philologues distingués, M. Wester-
gaard n’a, queje sache, rien publié sur son voyage, et M. Petermann
a donné seulement une courte notice sur les Guebres!dans les
Mittheilumgen de Gotha, bien qu'il travaille maintenant à une rela-
tion détaillée, dont le premier volume, contenant des détails très
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 299
curieux sur là Syrie et une partie de l'Asie Mineure, vient seule-
ment de paraître. Enfin le seul Européen qui soit allé directe-
ment de Damghan à lezd par le grand désert salé est un voyageur
russe, M. Buhsé. Exclusivement occupé de botanique et de géo-
logie, il n’a publié rien de géographique, et le peu que nous savons
sur la route qu'il a suivie est dû à M. Grewinck, qui en a donné
quelques détails dans sa Description géologique du nord de la Perse.
M. Ferrier a voyagé en 1845 et 1846, et M. Abbott en 1819 et
1850; néanmoins nous comméncerons par analyser les travaux
du voyageur anglais, car il a publié ses recherches avant M. Fer-
rier, en 1855, dans le tome XX V du Journal de la Société géogra-
phique de Londres, pages 1-78,
M. Abbott n’a donné qu’un simple itinéraire, dans lequel on
trouve peu de détails sur ses aventures personnelles, peu d’ob-
servations sur les mœurs des habitants, absolument rien de pit-
toresque, et, nonobstant, son travail est un document géogra-
phique précieux, car l’auteur y a consigné des descriptions
exactes de la configuration du terrain, et des détails circon-
stanciés sur les directions prises plusieurs fois par jour à l’aide de
la boussole, sur les distances parcourues par lui, et évaluées d’après
la montre, de même que sur l’éloigmement approximatif des
points dont il a mesuré les azimuts. Il a noté exacternent la direc-
tion des chaînes de montagnes et des courants d’eau; bref, il
nous donne un recueil de faits, assez arides si l’on veut, mais
extrèmement utiles. M. Abbott n’a pas fait de levé proprement
dit, la carte qui accompagne-son mémoire 4 été dressée à Lon-
dres, d’après lesindications de son journal de voyage; mais, grâce
à la précision de ses observations, les parties de sa route les plus
difficiles à être rélevées, comme par exemple le chemin monta-
gneux et brisé en mille zigzags qui conduit de Kirman à Khébis,
ont pu être dessinées à Londres avec une exactitude qui a fait
mon admiration sur les lieux mêmes. Les soins apportés par
M. Abbott à son travail lai permirent de rectifier la position de
300 PARTIE: MÉRIDIONALE DE L'ASIE: CENTRALE.
Kirman et de [ezd, si arbitrairement placées sur toutes nos cartes
d’après les indications de l'itinéraire de M. Pottinger. Le long
séjour de M. Abbott en Perse, en qualité de consul d'Angleterre à
Tébriz, et sa connaissance pratique de la langue persane l'ont
aidé à transcrire très exactement les noms des nombreuses Joca-
lités qu'il mentionne dans son itinéraire,
Ayant quitté Téhéran le 2 octobre 1849, M. Abbott se rendit
en six jours à Koum, par la route de Bahram-Abad, Feiz-Abad
et Savé. De Koum, M. Abbott se dirigea sur Ispahan. Comme
cette route a été décrite par presque tous les voyageurs euro-
péens qui ont visité la Perse, il n’en dit rien, et il reprend son
journal le 11 novembre, jour de son départ d’Ispahan pour se
rendre à lezd, où il arriva en neuf jours en suivant la route déjà
décrite par M. Dupré, et en ajoutant à la description de ce der-
nier quelques détails sur Naïn, que le voyageur français n’a pas
visité. À lezd, M. Abbott est resté depuis le 19 novembre jus-
qu'au 11 décembre, et nous apprenons par une note de son
journal qu'il a présenté un rapport au foreign Office contenant
une description détaillée de cette ville. Il est fort regrettable que
lord Clarendon n’ait pas jugé opportun de la communiquer à
la Société, car je suis sûr qu’on y trouve des renseignements
instructifs sur cette ville peu connue. De lezd, M. Abbott fit une
excursion à Taft, d’où il se rendit à Bafk, localité qui n’a jamais
été visitée avant lui par des Européens, et qui est remarquable par
la culture du dattier, qui y donne de bonnes récoltes. De là, par
Gudaran (14 décembre), Sérez (15), lezdan-Abad (16), Togra-
jèh (47), Koumabad (18), Zenghiabad (19), il arriva le 20 dé-
cembre à Kirman, ayant exploré une véritable terre inconnue, la
lisière du grand désert de Lout. Étant resté jusqu’au 6 janvier
1850 à Kirman, M. Abbott se rendit de là, en trois jours, à
Khébis, par la route de Derekhtandjan et Feiz-Abad. D’après
l'itinéraire de M. Pottinger, engapaginait que Khébis était une
oasis située au milieu du déserb et considérablement éloignée de
PARIIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 301
Kirman. M. Abbott a fait disparaître cette grave erreur, admise
jusqu'alors dans toutes les cartes de la Perse. Par Gowk et
Tebroud, il se rendit à Bam; puis, ayant visité les ruines de
Kalaï-Daghianous, qu'aucun Européen n’avait examinées avant
lui, il arriva à Chiraz, en passant par Douséri, Kehnou, Ahmedi
et Koum. M. Abbott à fait aussi quelques observations thermo-
métriques, d'autant plus intéressantes qu’il n’y en a pas d’autres,
relevées en hiver, sur la lisière méridionale des déserts inté-
rieurs de la Perse. Il est à regretter qu'il n’ait publié que les
températures notées pendant les jours de marche, observées, le
plus souvent, au moment de monter à cheval, et que les obser-
valions faites dans les endroits où il resta plus longtemps,
comme lezd et Kirman, n’aient pas été communiquées au public.
Voici les chiffres donnés par M. Abbott, extraites de son mémoire,
en remplaçant les divisions de l'échelle de Farenheït par celles du
thermomètre centigrade :
Toudichk. . 14% décembre 1849, à 8 heures avant midi, . . . 4° 44
_ — à 9 après midi. . .. 41° 67
Banviz. . . . 15 décembre 1849, à 7 1/2 avant midi. ,.. 10° bb
— — à 10 1/2 = 12 23
Aghda.. .. 17 décembre 1849, à 8 _ 6° b5
Meiboud . . 18 décembre 1849, à 8 1/9 _— 9° 99
lezd.. ... 19 décembre 1849, à 7 3/4 — 3° 61
_ 20 décembre 1849, à 9 — 10° 55
Khebis.. . . 9 janvier... 1850, à 4 après midi. . .. 44° 16
— 10 janvier... 1850, à 8 avant midi, . .. 8° 89
Tebroud., . 14 janvier. , 1850, à 8 — 4° 67
Le mémoire de M. Abbott contient aussi quelques estimations
hypsométriques; mais, comme tous les chiffres de ce genre, ils
sont plus ou moins arbitraires. Ainsi il croit que Khébis se trouve
à 2500 p. a. (761",99) au-dessus de la mer; et nous verrons plus
tard que nos observations barométriques ne lui donnent que 1398
pieds anglais, ou 420 mètres d’élévation absolue. Dans la plaine de
_éref el à Bam, M. Abbott a observé les points d’ébullition de
vit. 39
802 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
Veau; ils étaient de 98°33 dans le premier et 95°41 dans le second.
Le voyage de M. Ferrier n’a été publié qu’en 1857, en anglais,
par les soins de M. Danby Seymour, qui a rendu par là un service
signalé à la géographie. Cet ouvrage vient de paraître il y a
quelques mois en français, et il a été l’objet de plusieurs analyses
plus ou moins étendues, si bien qu'il serait superflu de l’exa-
minerencore une fois en détail, I suffit de dire que M. Ferrier,
ayant quitté le service de Mohammed-Chah, avait formé le
projet de se rendre à travers la Perse dans l’Inde, pour y chercher
fortune dans l’armée de quelque prince indépendant. Après avoir
vainement tenté de pénétrer soit au Pendjab, soit dans le Beloud-
jistan, par la route du nord, c’est-à-dire par Balkh et Bamian,
puis par Kandahar, et enfin par le Séistan, il abandonna son
projet, rebroussa chemin, et rédigea, de mémoire, la relation de
ses aventureuses pérégrinations.
Il faut distinguer dans le livre de M. Ferrier trois parties d’un
mérite très différent : la relation de ses aventures personnelles,
les compilations et les emprunts faits à ses prédécesseurs, et enfin
les détails géographiques fruit de ses propres observations. Il
s'entend de soi-même que nous n’avons pas à nous occuper des
deux premières. La route suivie par M. Ferrier jusqu'à Hérat
coïncide, avec les routes décrites par ses devanciers; mais les
détails topographiques qu’il mentionne dans son itinéraire de
Méched à Hérat sont bien plus complets et plus instructifs que
ceux recueillis par Conolly, ce qui ne l'empêche pas de con-
fondre le saint cheikh de Djam avec le célèbre poëte Djami. La
partie véritablement curieuse et originale de son voyage com-
mence à Hérat. La description qu'il donne de cette ville est plus
circonstanciée et plus exacte que toutes celles qui ont paru avant
la sienne. Il serait peut-être à désirer que l'histoire de l'Orient lui
fût un peu plus familière; mais il faut lui savoir gré d’avoir décrit
les monuments de Hérat avec beaucoup de soin. Les détails qu’il
donne sur Yar - Mohammed-khan et sur son entourage sont
PARTIE MÉRIDIONALE, DE L'ASIE’ CENTRALE, 303
pleins d'intérêt et de vérité. La relation de sa première tentative
pour pénétrer dans l'Inde par la route du Turkestan est très
curieuse. Ce voyageur francais est le premier qui depuis le sultan
Baber ait décrit les contrées situées près des sources du Héri-
roud ; et quoïque les circonstances dans lesquelles il se trouvait
en parcourant cette contrée ne fussent pas très favorables à une
étude sérieuse du pays, le peu qu’il en dit est neuf, et doit être
considéré comme une véritable acquisition pour la géographie. La
relation de son voyage de Hérat à Kandahar, notamment sa des-
cription de Sebzar, est exacte sous le rapport topographique, et
très instructive. M. Ferrier a justement apprécié la valeur stra-
tégique de cette ville afshane. La mention qu'il fait des briques
à inscriptions cunéiformes trouvées près de Férah serait impor-
tante, si la légèreté avec laquelle il traite parfois les questions
d'archéologie orientale ne nous inspirait quelque doute sur
lexactitude de ses souvenirs à cet égard. Sa description du Séistan
est trop souvent interrompue par des coups de fusil et des
coups de sabre, pour être bien profitable à la science; néan-
moins, ses observations sur le Hamoun ne sont pas dépourvues
d'intérêt géographique, et l'aspect général du pays est assez
bien rendu. Seulement il se donne une peine inutile en insis-
tant sur le manque d’exactitude du contour de ce lac sur nos
cartes, car c’est un de ces bassins qui n’ont pas de contour fixe.
C’est une mare d’eaw peu profonde, s'étendant sur une surface
presque plane et soumise à une évaporation puissante, ce qui
fait qu’elle change continuellement, de périmètre ; et si l’on mar-
quait exactement sur une carte la ligne qui lui sert de limite après
une hausse d'eau dans le Hilmend, le Ferarhoud et l’Adrescand,
et qu'on comparât cette courbe à celle qui circonserit le lac à la fin
de l'été, on pourrait croire qu’on a sous les yeux le tracé de
deux bassins différents. Ce n’est qu'à l’ouest qu’il a des bords
presque invariables, car c’est de ce eôté seulement que les mon-
tagnes mettent un frein constant à ses empiétements sur la
30/4 PARTIE MÉRIDIONALE: DE L'ASIE! CENTRALE:
plaine; donc tout ce que l’on peut dire de positif concernant la
forme de ce bassin, c’est qu'il s’étend en longueur du nord au
sud, et que pour la plupart du temps il y a une presqu'île qui
s’avance dans le lac jusque vers son bord septentrional.
Je ne prétends pas avoir donné dans cette analyse succincte
une histoire complète des voyages entrepris dans la partie méri-
dionale de l'Asie centrale; j'ai tâché seulement d’énumérer, dans
l'ordre chronologique, les résultats des explorations qui ont, selon
moi, le plus contribué à éclaircir et à rectifier nos idées sur la
géographie de ce pays, et qui constatent les faits suivants :
1° Que c’est aux voyageurs francais que nous devons les pre-
mières notions sur les limites occidentale et septentrionale de
cette partie de l’Asie, de même que des détails intéressants sur
son intérieur ;
2° Que les voyageurs anglais nous ont donné les premiers
quelques renseignements utiles sur les limites de cette région à
lorient et au sud, et qu'ils nous ont fourni deux itinéraires,
passant par son intérieur ;
8° Que M. Lemm est le premier qui ait fourni des bases so-
lides à nos cartes de la Perse orientale.
Mais, malgré tout cela, nous n’avions pas assez de faits pour
nous forme* une idée correcte de l’ensemble des dispositions
physiques de cette contrée. La nature des terrasses qui servent
de base à ses chaînes de montagnes, la direction et la structure
de ces chaînes, l’hydrographie du pays, le caractère de sa végé-
tation, sa faune et son ethnographie, les lois que suit la distribu-
tion de la chaleur et du magnétisme sur sa vaste surface, en un
mot presque tous les éléments qui constituent la science exacte
d’une province, nous manquaient, ou ne pouvait être raisonna-
blement assis sur le:peu de renseignenients que nous possédions
à cet égard. Il n’y avait qu'un moyen de combler cette lacune
fâcheuse dans nos connaissances de l’Asie, c'était d'envoyer dans
le Khorassan une compagnie d’explorateurs, et de leur donner
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 305
les moyens nécessaires pour visiter cette province dans toutes ses
directions principales.
J’eus l'honneur d’exposer à mon retour en Europe, en octo-
bre 1857, ces considérations devant la Société de géographie
de Saint-Pétersbourg, et elles ont mérité l'attention de cette
compagnie savanie: L’auguste président de la Société voulut
bien s'intéresser au succès de cette exploration scientifique, dont
on me fit l'honneur de me confier la direction. Le personnel de
l'expédition était composé de MM. Ristori, capitaine lieutenant
de la marine impériale; Bunge, professeur de botanique à l’uni-
versité de Dorpat, célèbre par son voyage en Chine et par la
description des plantes recueillies par feu Lehmann, lors du
voyage que nous avions fait ensemble à Boukhara et à Samar-
cande; Gœbel, géologue et chimiste de Dorpat, avantageusement
connu par des analyses d’aérolithes et des eaux minérales de
V'Aderbeidjan; Lenz, fils du célèbre physicien, membre de l’Aca-
démie des sciences de Saint-Pétersbourg, chargé des observations
astronomiques et physiques. Le comte Keiserling, zoologiste dis-
tingué, accompagnail l'expédition à ses propres frais, et M. Binert,
élève de M. Bunge, était chargé des recherches entomologiques.
L'armée du Caucase nous a fourni deux topographes, les sous-
officiers Jarinof et Pétrof, qui m'ont accompagné dans presque
tous mes voyages en Perse, et qui furent chargés du levé de notre
long itinéraire.
Tiflis était désigné comme le point de rendez-vous pour tous les
membres de l'expédition ; ils s’y trouvèrent réunis vers la fin de
janvier 1858. Au commencement de mars, nous nous rendimes à
Bakou, où la compagnie d’Astracan pour Ja navigation de la mer
Caspienne mit obligeamment à notre disposition son excellent
bateau à vapeur le Swiataïia Rouss, qui nous transporla en moins
de trois jours au golfe d’Astrabad. Le 4 avril, dans la nuit
du dimanche de Pâques, nous jetâmes l’ancre près de l’île Achou-
radeh, par un clair de lune presque éblouissant, en vue de la belle
306 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
côte montagneuse et boisée du Mazanderan, où tout déjà était en
fieur. Le 8 et le 9 furent employés à visiter les ruines d’Achref,
ce petit paradis de citronniers et d’orangers tant aimé par Chah
Abbas, et si dangereux en été à cause de ses fièvres.pernicieuses.
Malgré l'état de ruine dans lequel se trouve cette splendide créa:
tion d’un des plus grands monarques de la Perse, malgré que ses
beaux kiosques et ses fontaines en albâtre oriental soient presque
démolis et envahis par des lierres, et que ses eaux limpides, ame-
nées à grands frais des montagnes voisines, au lieu de s’éparcher,
comme jadis, dans des bassins de marbre, se creusent des lits
naturels entre! les bosquets de cyprès et de citronniers, Achref
est toujours l’un des plus beaux jardins que l’on puisse voir. Le
jardin de l’État et ceux des villageois produisent encore aujour-
d’hui une telle quantité d’oranges, qu’au warché de l'endroit on
en donne un mille pour 4 fr. 20 ce. De tous les somptueux édifices
qu'on voyait jadis dans ce lieu, il n’y a que le palais supérieur
et l'Aïvan qui puissent abriter le voyageur; encore n’en reste-t-il
du dernier que les murs et le toit, car ses portes, ses fenêtres et
les belles dalles de marbre qui l’ornaient jadis, ont disparu
depuis longtemps. C’est seulement sur cette ruine que j'ai pu
recueillir une icscription concernant la date de la fondation
d'Achref; elle porte que la constructionide l'Aïvan a été terminée
à l’heure du midi, le 12ramazan de l’année 1143 de l’hégire.
Au moment de notre arrivée en Perse, la province d’Astrabad
se trouvait, dans un état complet d’anarchie, Son gouverneur,
Djafar Kouli Khan de Boudjnourd, était à peine de retour d’une
expédition malheureuse contre les Turcomans. Il venait de perdre
deux canonset beaucoup de monde, et les nomades, enhardis par
ce succès, s'étaient répandus dans les bois épais qui entourent
Astrabad, pillant etbrülant les nombreux villages de cette province,
Les murs mêmes de la ville ne protégeaient pas ses, malheureux
habitants contre les attaques des Turcomans; le15avril, pendant
notre séjour à Astrabad, lesnomades attaquèrent une caravane aux
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIÉ CENTRALE, 307
portes mêmeside la ville, tuèrent quinze individus, en emmenèrent
beaucoup d'autres en captivité, et pillèrent le bazar. Cét état de
choses nous obligeait de marcher avec précaution : nous par-
times d’Achouradeh escortés par soixante matelots appartenant
à notre station navale, Nous mîmes deux jours, le 11 et
le 12 avril, à traverser la plaine boisée qui s’étend entre Astrabad
et la plage. Lia chaussée de Chah Abbas que nous suivions semble
navoir été jamais réparée depuis la mort de ce grand roi; elle
était dans un état déplorable. En nombre d’endroits, les grosses
pierres de taille, dont elle était pavée, avaïent été enlevées
par les villageois, et les places qu'elles occupaient présentaient
uné suite de trous profonds remplis d'eau bourbeuse, où les che-
vaux enfoncaient souvent jusqu’au ventre. Notre petite cara-
vane devait s’arrêter à chaque instant. Cependant la beauté de
la forêt était telle, qu’en admirant ses arbres gigantesques on
oubliait le mauvais état de la route, Les énormes troncs de
Parrotia persica, Pterocarya caucasica, Zelkowa Richardi, Quercus
castaneafohia, étaient tapissés de plantes grimpantes, Les vignes
sauvages, semblables à des serpents d’une dimension monstrueuse,
enlacaient ces géants de la forêt, et étalaient d'un arbre à l’autre
leurs festons verdoyants sous lesquels le jasmin, le grenadier, les
pruniers et surtout le crategus, formaient des bosquets souvent
impénétrables. Si l’on compare l’aridité et la triste uniformité des
plaines salines de la côte septentrionale dé la Caspienne avec la
végétation luxuriante, et presquetropicale, de sa côte méridionale,
on ést frappé des contrastes que présente le développement de la
nature organique sur les deux bords de la même mer intérieure.
Au nord, l'âne peut à peine supporter la riguéur du climat; au sud,
le tigre du Bengale est une bêté commune. Près d’Astracan, c’est
à peine si le raïsin a le temps de müûrir ; dans lé golfe d’Astrabad,
sur la presqu'île de Potemkine, le palmiér croît en plein champ, et
la canne à sucre et le coton sont cultivés avec succès. Enfin, chaque
année, des glaces épaisses énchaînent les flots de la partie épten-
308 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
trionale de la mer, et avant qu’elles n’aient eu le temps de fondre
tout fleurit déja sur les côtes du Ghilan et du Mazanderan, La dif-
férence de latitude ne peut être regardée comme la cause unique,
ni même comme la cause principale de ce phénomène ; la différence
entre les latitudes de Montpellier et d'Alexandrie est presque
aussi grande que celle des parallèles d’Astracan et d’Achoura-
deh, sans que pourtant les contrastes des flores et des faunes de
la côte provençale et africaine soient aussi marqués qu'ici. Je
crois devoir chercher cette cause ailleurs, et je ne manquerai pas
d’y revenir à la fin de ce mémoire.
Ayant appris à Astrabad que S. M. le Chah avait témoigné le
désir de me voir avant mon départ pour le Khorassan, je m’em-
pressai de partir pour Téhéran, ayant laissé mes compagnons de
voyage dans le Mazanderan afin d’explorer cette province si peu
connue. Je quittai Astrabad le 20 avril, accompagné d’un de mes
topographes, Trois chaînes de montagnes séparent les plaines du
Khorassan de la plage maritime, et quelque route que l’on prenne
pour aller d’Astrabad à Chahroud, ou à Damghan, il faut
franchir trois cols. J'ai pris la route suivie par M. Conolly, avec
cette différence que, laissant Ziaret à ma droite, j'ai couché la pre-
mière nuit, à la belle étoile, dans les ruines du village de Kouzlouk,
remarquable par la quantité de léopards qui habitent les cavernes
des profonds ravins boisés qui bornent au nord les champs du
village. Les cris aigus de ces animaux nous arrivaient très distincte-
ment depuis le coucher du soleil jusqu’à 11 heures ou minuit. Le
21 avril, je franchis facilement le premier des trois cols sus-men-
tionnés, dit col d’Ali-Abad; il n’a que 2007 mètres d’élévation
absolue. Après une marche de deux heures à travers un bois Louffu,
on parvient au col de Djilin-Bilin, Les Mazanderaniens prétendent
que ce nom imite le sifflement du vent qui règne presque toujours
à cette hauteur de 2,281 mètres, et qui en rend le passage si dan-
gereux en hiver. Les caravanes, surprises dans cette localité par
un chasse-neige, y périssent souvent. Le versant méridional de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 309
cette montagne est beaucoup moins boïsé que celui du nord; ce-
pendant jusqu’ dernier col, celui de Vidj-Minou, qu’on atteint
après une heure de marche, on rencontre encore quelques arbres.
L’ayant franchi à une hauteur de 28/45 mètres, on se trouve tout
d’un coup sur un sol complétement déboisé, et l’on descend par
une pente très rapide, bordée de profondes crevasses, dans les
plaines arides du Khorassan. Jusqu'au village de Tach, à deux
heures et demie de marche de Vidj-Minou, on ne se fait pas
encore une idée bien exacte de la nature de cesimmenses plaines,
car on marche dans un défilé assez étroit, bordé de hautes monta-
gnes, Un peu au delà de ce village, où je passai la nuit, le défilé
s’élargit, et débouche dans une vaste plaine qui s'étend à perte
de vue vers le sud. Les Ombellifères, les Astragales et les Cruci-
fères communes aux steppes septentrionales de l’Asie centrale,
les rappellent vivement à ceux qui en connaissent les larges et
tristes paysages. L’horizon méridional est borné par une ligne
d’un blanc éclatant légèrement teinté de bleu; c’est le grand
désert salé, cette première dépression du plateau khorassanien.
D'ici jusqu’à Téhéran, le pays conserve un caractère de monoto-
nie désolante. A droite, on a une chaîne continue de montagnes,
et à gauche une plaine stérile et sans fin. Les villes et les villages,
très clair-semés, apparaissent sur ce fond brulé par un soleil
ardent déjà en avril, comme des oasis pleines de charme, car pres-
que Lous possèdent de vastes jardins fruiliers et sont entourés de
champs bien cultivés. à
La route entre Chahroud et Téhéran ayant été souvent et bien
décrite, je me bornerai à mentionner quelques détails omis par
mes prédécesseurs, ou exposés d’une manière peu exacte. Ayant
visité Damghan à deux reprises, en allant à Téhéran le 25 avril, et
en revenant de la capitale le 9 juin, j'ai eu le temps d’examiner
ses monuments, assez imparfaitement décrits par Fraser, et je me
permettrai de dire quelques mots sur cette ville.
Damghan, jusqu’à l'invasion des Afghans, en 1136 de l’hégire,
vi. 40
310 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
était une des villes les plus florissantes du Khorassan. Ses vastes
ruines, assez bien conservées jusqu’à nos jours, @émoignent de sa
prospérité passée. Il est assez difficile de se rendre compte pour-
quoi cette ville ne s’est point relevée depuis. Son district est fertile,
arrosé par-une rivière considérable. Elle débouche dans la plaine
par le défilé de ‘Fchechmé-Ali. Là, après avoir été amplement
appliquée aux besoins d'irrigation des champs voisins, elle va
se perdre dans les marais salins du grand désert. De plus, située
sur la grande route du Khorassan, Damghan abrite chaque jour
dans ses nombreux caravansérails ruinés une quantité de pélerins
qui se rendent à Méched ou qui reviennent de Ja ville sainte, et le
peu de denrées qu’on y apporte des villages voisins est vite enlevé
à des prix très avantageux; quoi qu'il en soit, la population de
la ville non-seulement n’augmente pas, mais diminue à vue
d'œil, et maintenant son district peut à peine mettre sur pied
un bataillon de 500 hommes. Les plaintes des habitants sur le
peu de sécurité de cette province, souvent pillée par les Turco-
mans, ne peuvent être considérées comme une explication suffi-
sante de ce phénomène; car, après tout, ils ne sont pas plus
exposés aux déprédations des nomades que ne le sont les habitants
du district de Chahroud, qui jouissent comparativement de beau-
coup plus de prospérité, Dans l’intérieur de la ville, il n’y a que
trois monuments dignes d’être mentionnés : la mosquée cathé-
drale avec un minaret, un autre minaret entouré de ruines, et le
tombeau d’un saint, dit Imam Zadeh Piri Alemdar, A en juger par
le style de l’architecture de ces monuments, ils doivent être tous
de la même époque, c’est-à-dire du v° siècle de l'hégire. Toutes
ces constructions portent des traces d'inscriptions plus ou moins
bien conservées en caractères coufiques de l'époque nommée. Je
n’ai pu découvrir la date de la construction de la mosquée; mais
le haut de son minaret porte une inscription qui est une invoca-
tion pieuse composée d'expressions employées dans le Koran, et
qu’on peut facilement prendre pour un verset de ce livre, Le mina-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 311
ret isolé porte trois lignes d'inscriptions, mais elles sont placées
si haut, et sont si mal conservées, qu’il ne m’a été possible d'en
rien déchiffrer. La chapelle qu’on désigne par le nom de Piri-
Alemdar, est ornée de deux inscriptions en caractères coufiques ;
l’une d’elles est placée au-dessus de la porte d’entrée, l’autre fait
le tour du fronton, et toutes deux répètent avec peu de variantes
que cet édifice a été élevé sur le tombeau d’un saint personnage
appelé Mouhammed fils d'ibrahim, et que la construction de ce
monument a été achevée en 417 de l’hégire, par les soins de l’ar-
chitecte Ali fils de Mouhammed, fils de Hussein, fils de Chah.
L’invocation « Que Dieu sanctifie son âme » placée auprès du nom
du défunt, indique que c'était nn mollah, et pour le moment c’est
tout ce que je puis dire de ce personnage. Aux portes de la ville,
au nord-ouest, se trouve le mausolée de limam-zadeh Djafar. Les
restes du saint reposent dans une mosquée, sous une caisse de
bois ornée d’arabesques richement sculptées, mais sans date ; à
côté on montreune dalle tumulaire placée sur le tombeau de l’émir
Seïd Tabhir, fils de Seïd chah Mourad, en 907 de l’hégire. A droite
de la porte d'entrée de la mosquée, on à fixé dans le mur une
dalle sur laquelle est gravé un firman de Chah-Roukb, fils de
Tamerlan, de l'an 851 de l’hégire, Ce document promulgue une
réduction à 5 pour 100 du droit de 7 pour 100 prélevé jusqu'alors
sur les savons fabriqués à Damghan et daus son district. Sur les
murs d’une aile dela mosquée on lit : « Cet édifice a été construit
»par ordre de Chah-Roukh Bahadour, que Dieu protége son
»règne.» Dans un jardin potager, attenant à la mosquée, se trouve
une petite tour d’une construction simple, mais de bon goût, et
l'inscription placée au-dessus de sa porte ogivale indique que ce
monument a été achevé en 446 de l'hégire, par ordre de l’émi
Abou Choudja Askar Bek, fils d’Isfahan, roi de ..... Le reste
est masqué par un replätrage postérieur à la construction de
l'édifice.
Le 28 avril, je suis arrivé à Semnan, chef-lieu d’un district du
342 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Khorassan, limitrophe de l’Iraq, et célèbre pour ses grenades qui
ne le cèdent en bonté qu’aux grenades de Savèh. Le commerce de
cetle ville est assez actif et elle semble avoir de l'avenir. En fait
d’édifices remarquables, cette ville possède une ancienne mosquée
cathédrale qu’on néglige et qu’on laisse tomber en ruines, parce
que Fetkh Ali Chah en a fait construire une plus grande et sur-
tout mieux dotée. Elle est ornée de briques émaillées, dont les
couleurs pâles présentent un ensemble assez agréable à l'œil, mais
témoignent une décadence dans l’art de fabriquer ces faïences,
encore si belles dans les constructions de l’époque des Séfévides.
Le dialecte de Semnan présente des différences notables avec le
persan moderne; et, comme c’est à Lazghird qu’il s’est conservé
dans toute sa pureté, c’est là aussi que j'ai tâché de m’en faire une
idée approximative. Lazghird, que MM. Truilhier et Hommaire
de Hell écrivent Laskiert, a été exactement décrit par le premier
de ces voyageurs, qui dit : « Le village est bâti d'une manière
»très bizarre. Les maisons, toutes à deux étages, forment une
» enceinte circulaire continue, élevée sur un escarpement de terre
» d’une vingtaine de pieds de hauteur. Cet escarpement, sans doute
» revêtu primitivement d’une chemise, maintenant taillée à pic,
»n’est soutenu que par l'extrême compacité des terres. » J’ajou-
terai à cela que toute la vie des habitants de Lazghird se passe
dans des espèces de trous d’une saleté repoussante, qui commu-
niquent entre eux par des balcons sans garde-fou ni balustrades,
d’où, très souvent, les enfants en bas âge tombent et se tuent.
Les habitants ne permettent pas aux étrangers de s'établir chez
eux; ils prennent même assez rarement des femmes en dehors de
leur village, et c’est à cela principalement qu'il faut attribuer,
chose remarquable, la conservalion d’un idiome ancien qui, très
probablement, a gardé toute sa pureté primitive. J’ai trouvé beau-
coup de difficulté à apprendre quelque chose sur leur langue;
après une ou deux heures de questions grammaticales, les
vieillards, ou « barbes blanches », qu’on avait choisis pour répondre
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 313
à mes questions, avaient l'air harassés de fatigue et d’ennui. Il
m'a été impossible de les amener à conjuguer un verbe ou à réciter
une chanson ou un conte. Ces deux derniers échantillons de leur
langue étaient surtout difficiles à obtenir d’eux ; quand je les priai
sérieusement de me communiquer quelques couplets, ils rougis-
saient, baissaient timidement les yeux, et me répondaient que
c'était bon pour les Djahils ou jeunes écervelés, mais que c'était
au-dessous de leur dignité de répéter en public des paroles aussi
frivoles. Je n’avais pas assez de temps à ma disposition pour
vaincre leurs scrupules à cet égard, maïs à la longue on en vien-
drait à bout, et la chose en vaut la peine, Lazghird n’est pas
très Join de Téhéran, et peut-être l’un des nombreux Européens
établis dans la capitale voudra-t-il entreprendre cette tâche et
consacrer quelques jours à l’examen de cette question. Mes
propres observations me permettent de croire que le dialecte de
Lazghird est un patois Mazanderanien, maïs encore plus riche que
ce dernier en voyelles. À ce qu’il me semble l’h aspiré est exclu de la
fin comme du milieu des mots; ainsi le mot douhter, fille, devient
dout; hâher, sœur, devient houak ; giah, herbe, gia; dérakht, arbre,
dar ; mahi, poisson, maï; etc. Le b final est presque toujours rem-
placé par l’u bref, comme dans le mot allemand auf. Ainsi, ab, eau,
est aôu; aftab, soleil, aftaôu, etc. Le son j se rencontre beaucoup
plus souvent qu’en persan. Les pronoms personnels, moi, toi, il,
nous, vous, ils, sont : a, tou, jou, em, jouâm, joun. Les noms de
nombre ressemblent beaucoup à ceux du persan moderne, avec
les abréviations exigées par la nature du dialecte; ainsi, un, au
lieu d’être iak, comme en persan, est i; neuf n’est pas nouh,
comme en persan, mais na; quatre-vingt-dix, naved en persan, est
navé en dialecte de Lazghird, et ainsi de suite. Mais trois, au
lieu de ssé, devient heiré; et dix, au lieu de deh, devient das. La
terminaison en d doit être très rare; elle ne s’est rencontrée
dans aucun des mots prononcés devant moi. Ainsi, sad, cent, est
ssei; ou midi, il viendra, jou andi; boud, füt, bo; mikounend, ils font
314 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
devient makaron. Très souvent cette consonne est omise dans le
milieu des mots ; ainsi, pader, père, est pa; mader, mère, est ma;
pour fils ils emploient le vieux mot persan pour, Plusieurs mots
m'ont semblé différer complétement du persan moderne; ainsi :
frère est moubera; coq, tela; bœuf, vertèh; bouche, zoundji; femme,
jiki, etc.
J'arrivai à Téhéran le 2 mai, jour correspondant au 12 ou
au 13 du mois de Ramazan; et comme le chah ne recoit personne
pendant le mois sacré, je dus nécessairement patienter jusqu’à la
fin du carême, c’est-à-dire jusqu’au 19 ou 20 mai, pour lui être
présenté. Mais, en attendant j’eus l’occasion de voir plusieurs
fois Mirza Agha Khan, alors premier ministre, et Mirza Saïd Khan,
ministre des affaires étrangères, et, grâce au puissant appui de
notre chargé d’affaires, M. Lagofski, j’obtins toutes les faci-
lités voulues pour explorer le Khorassan in extenso. Je me plais à
dire que si j'ai pu visiter en toute sécurité, avec six Européens
dont aucun n'avait jamais voyagé jusqu'alors parmi les musul-
mans, un pays où tous mes prédécesseurs ont été pillés, empri-
sonnés ou autrement molestés, je le dois principalement à la haute
protection que S. M. le chah a daigné accorder à notre entreprise.
En me congédiant, après une longue et gracieuse audience, le roi
eut la bonté de me dire : « Vous partez pour le Khorassan dans la
» meilleure saison, et je vous promets que vous y voyagerez aussi
»tranquillement que chez vous. » Je suis heureux de pouvoir
attester que cette parole royale n’a pas été seulement un gracieux
compliment d'adieu, mais une bienveïllante vérité.
De retour à Charoud, le 12 juin, jy trouvai réunis tous mes
compagnons de voyage, assez impatients de partir ; mais comme
le gouverneur de Bastam, petite ville à 7 kilomètres à l’est, était
venu le jour de mon arrivée pour me souhaiter la bienvenue, je
dus remettre mon départ au surlendemain pour avoir le temps de
lui rendre sa visite. Je profitai de cette occasion pour examiner en
détail l’ancienne ville de Bastam, qui fut la résidence, le théâtre
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 315
des miracles, et l'endroit de la sépulture du fameux cheikh
Bayazid Bastami, mort en 261 de l’hégire. Son tombeau se trouve
dans Ia cour d’une belle mosquée très ruinée, mais ayant conservé
encore en beaucoup d’endraoits les riches ornements exécutés
en plâtre qu’on retrouve sur toutes les constructions arabes des
dernières années du khalifat, La coupole portait jadis une inscri-
ption coufique en cinq lignes qui en faisaient le tour; il n’en
reste que quelques mots sans suite. Immédiatement au-dessous
de cette coupole, on voit une inscription en beaux caractères cou-
fiques enchevêtrés, assez bien conservée; elle reproduit le verset
du Koran connu sous le nom de verset du Trône. Le Mihrab, ou
la chaire, est aussi recouvert de riches arabesques en plâtre qui
encadrent un cartouche où on lit : « GEuvre de Mouhammed fils
» d'Ahmed...660...» le reste est illisible. Les portes, en bois sculpté,
sont ornées de carrés encadrés d’arabesques artistement agencées,
Tous ces carrés portent une légende uniforme : « Gloire éternelle
» soit à Lui » tracée en caractères coufiques semblables à ceux des
inscriptions de la mosquée. Le tombeau du cheikh est un parallé-
lipipède informe, construit en partie en pierres de taille, en partie
en blocs de grès grossièrement cimentés avec de l'argile com-
mune, Ce monument a une longueur considérable, car chaque
pèlerin zélé y ajoute un ou plusieurs pavés; les desservants
de la mosquée m’assurèrent gravement que la longueur de ce
mausolée correspondait à la hauteur prodigieuse de la taille du
cheikh. Au sud-est de cette mosquée se trouve une tour d’une
construction bizarre, et le stuc qui recouvre les faces de ses
cannelures porte, immédiatement sous le fronton, une série de
carrés qui contournent l’édifice et dans lesquels on lit de courtes
légendes coufiques. Ces inscriptions se trouvant à une dizaine
de mètres au-dessus du sol, n’étaient pas très distinctes ; j’en ai
fait estamper quelques-unes par le procédé Millin, et j'ai acquis
la certitude que ce n’était qu’une invocation pieuse, composée
d'autant de mots qu'il y avait de médaillons, mais ne contenant
316 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
aucune date chronologique. Au nord-ouest de la grande mosquée
se trouve le Minari djoumbau, ou « minaret tremblant ». On le fait
vaciller, comme les deux minarets d’Ispahan, en le secouant par le
haut. J'ai fait faire cette expérience sous mes yeux; dès que le
minaret fut ébranlé, une pierre, placée sur le rebord de la cor-
niche, roula en bas, et l’ombre du minaret, projetée sur le sol,
dévia de sa position primitive d’un et demi ou de deux degrés, Les
habitants de Bastam assurent sérieusement que cette expérience
ne réussit qu'à condition de secouer le minaret en récitant le
Ziar et Namëh, prière d’adoration du saint Cheïkh. Actuellement
Bastam est une ville de peu d'importance. Elle peut avoir de 8 à
10 000 habitants, presque tous petits propriétaires vivant des
revenus de leurs jardins ; quant aux ouvriers et aux commerçants,
ils sont établis à Chahroud, ville située sur la grande ronte de
Méched, dont Bastam est un peu à l'écart.
Depuis la malheureuse issue de l'expédition du gouverneur
d’Astrabad contre les Turcomans, la sécurité avait disparu des
environs de Bastam. Chaque jour quelques villages du district
étaient pillés, et les caravanes ne se décidaient à passer les quatre
premières stations de la route de Méched, toujours assez dange-
reuses, qu’étant assez fortes pour ne pas craindre les attaques des
brigands, Les pèlerins ayant appris, bien avant mon arrivée à
Chahroud, que le roi avait ordonné de me donner une escorte
de quarante cavaliers et un canon, attendaient le départ de l’ex-
pédition pour se joindre à nous; en sorte que, arrivé le soir du
A4 juin au village Bedecht, rendez-vous habituel des caravanes
allant à Méched, et situé à 2 farsangs à l’est de Chahroud, j'y ai
trouvé un immense campement de pèlerins et plus de 4000 bêtes
de somme, chevaux, chameaux, mulets et ânes. La caravane
avait l'aspect d’un musée ethnographique vivant. il y avait des
Arabes du désert de Bassorah et de Bagdad, des personnes de toutes
les provinces de l'empire persan, des Turcs de Derbend, du
Chirvan et de l’Aderbeïdjan, des Afghans, des Musulmans de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 347
l'Inde, des Berberis, race d’origine monghole établie depuis
très longtemps à Bendi-Ali, au nord-est de Kaboul, et par-
lant le persan, des habitants de Khokand, de Kachghar, de Tach-
kend, de Boukhara et de Hérat; bref, presque toutes les contrées
de l'Asie centrale y étaient représentées. Beaucoup de pèlerins
étaient à pied, plusieurs familles n’avaient qu’un âne en commun,
monté à tour de rôle par les femmes avec des enfants à la mamelle.
Un vieillard aveugle, possesseur d’un âne, mais n’ayant personne
pour guider sa monture, avait obtenu, moyennant 1 fr. 20 c., la
permission de tenir, pendant tout le voyage, le bout d’une corde
attachée à la queue d’un chameau chargé de marchandises. Notre
escorte n’étant pas prête le 15, nous fümes obligés de rester ce
jour-là à Bédecht; mais le 16, au lever du soleil, nous nous
mêîmes en route. Nos quarante cavaliers armés ouvraient la
marche, puis venait une partie des pèlerins, suivie du canon
avec une quinzaine d’artilleurs à cheval, et enfin l’arrière-garde
de la caravane; le tout présentant une masse mouvante d'hommes
et de bêtes de somme qui n’occupait pas moins de 3 kilomètres de
longueur. La peur des Turcomans était telle, que pendant la
pénible traversée de 9 farsangs, dont les 8 premières sans eau
et parcourues sous un soleil brûlant, cette cohue hétérogène
se mouvait dans un ordre parfait, et les pèlerins, généralement
peu habitués à se soumettre à une discipline quelconque, se con-
formaient strictement aux ordres du chef de l’escorte, s’arrêtant
à son signal pour donner le temps aux traînards de rejoindre la
caravane, et se remettant en marche sans perdre leur temps,
comme d'habitude, à réciter des salavats, louanges en l’honneur
d’Ali et du prophète, à famer et même à faire paîtreleurs montures
dans les endroits où se trouvent quelques touffes d'herbe verte.
Pendant tout le trajet, nous marchions dans une plaine ondulée
très favorable pour les attaques subites, vaste solitude qui, par
la conformation du sol, et surtout par sa végétation, ressemble
beaucoup au Kizyl-Koum, désert sans eau situé au nord de Bou-
FIL. #1
3 8 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
khara. Ce n’est qu’à une farsang avant d'arriver à Meïamei qu’on
rencontre de l’eau, et c’est là aussi qu’on trouveles premiersvillages,
Djoudana, Sireich et Kelata, presque contigus lun à l’autre.
Nous mîmes dix heures à parcourir cette station de 9 grandes far-
sangs, sans compter une halte d’un peu plus d’une heure que nous
fûmes obligés defaire pour donner la provende aux chevaux; maïs
telle est l'habitude des Orientaux en général, et des villageois per-
sans en particulier, de marcher longtemps sans se fatiguer, que
non-seulement aucun des piétons ne resta en arrière, mais qu’en
parcourant, le soir, les différents quartiers de notre camp, je ne
vis personne exténué par une étape de 70 kilomètres. Tous avaient
Vair dispos, et chacun vaquait à sa besogne comme s’il n’avait pas
bougé. L’aridité du pays que nous venions de parcourir ne tient
pas tant à la nature du sol qu’au manque de sécurité. Jadis il y
avait de nombreux ct florissants villages qui ne manquaient pas
d’eau pour l'irrigation de leurs champs; mais les incursions des
Turcomans, qui ne discontinuèrent jamais pendant cinquante ou .
soixante années consécutives, ont transformé ces plaines ondulées,
d’ailleurs très susceptibles de culture, en un triste désert. Le 17,
nous passämes à Miandecht, petit village à 6 farsangs de Meïameï.
Ses habitants se retranchent, pendant la nuit, dans une forteresse,
comme c’est l'usage dans tout le Khorassan. Après le coucher
du soleil, les portes de ces enceintes fortifiées se ferment, et
l'étranger n’y est admis sous aucun prétexte. Jadis Miandecht
était célèbre pour ses usines de cuivre; on y trouve en quan-
tité des scories à une assez grande distance des habitations
actuelles. Cette circonstance et l'aspect vitreux de ces produits
artificiels ont induit Fraser en erreur; il les a prises pour des obsi-
dianes, roches volcaniques inconnues dans ces contrées. Le 18,
Vaspect du pays que nous parcourûmes avait beaucoup d’analogie
avec celui que nous avions traversé les jours précédents, avec cette
seule différence, toutefois, que les mamelons qui bordaient la
route étaient plus souvent couronnés de rochers d'origine volca-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 319
nique, au milieu desquels, semblables à des îlots, surgissaient des
roches avec des restes de nummulites très bien conservés. Les
montagnes voisines, d'après le témoignage des habitants, sont
riches en mines de cuivre. Presque à moitié chemin entre Mian-
decht et Abbas Abad, on trouve un caravansérail ruiné nommé
Alhak ; sa citerne était assez bien conservée, et remplie d’une eau
fraîche très potable. Nous passämes la nuit, du 48 au 19, x Abbas
Abad, petit village à 6 farsangs de Miandecht, peuplé par des
Géorgiens établis ici par chah Abbas au nombre de quarante
familles. On leur confia la garde de la frontière en les exemptant
de tout impôt; et quoique, depuis ce temps, les chahs de Perse y
aient transféré à plusieurs reprises de nouveaux colons de la même
race (nous avons trouvé nous-même une vieille femme qui se
rappelait avoir été ramenée en bas àge de Tiflis), personne parmi
les villageois ne parle le géorgien, et ce qui est plus surprenant
encore, rien dans leurs habitudes, comme dans la conformation de
leurs traits, ne trahit leur origine. Ils ont des figures parfaitement
persanes, mais leurs femmes n’ont pas adopté l'habitude de se
voiler.
À Astrabad, j'avais engagé un vieux mazandéranien, connu
sous le nom de Hadji Babr Kouch, ou pèlerin tueur de tigres,
à nous accompagner jusqu'à Méched, car il avait la réputa-
tion de connaitre à fond les richesses minérales du pays que
nous devions parcourir, et d'être un chasseur expérimenté et
intrépide. Mais aucune de ses qualités ne résista à l’examen. Sa
science se réduisit alors à la connaissance de quelques contes sur
des soi-disant mines d’or et de pierres précieuses; ses chasses
étaient toujours malheureuses, par suite de quelques obstacles
imprévus ; quant à sa bravoure, elle était destinée à subir, le 19,
un rude échec. Depuis notre départ de Chahroud,. chaque soir,
après le coucher du soleil, nos serviteurs persans disparaissaient ;
el quand on allait à leur recherche, on était sûr de les trouver
accroupis autour du vieux hadji qui murmurait des paroles inin-
*
320 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
telligibles, et, de temps à autre, frappait dans ses mains, en
ordonnant à son auditoire d’en faire autant. Pour ces séances
clandestines, il se dépouillait de son costume habituel, qui consis-
tait en un casque de fer damasquiné, en une cotte de mailles serrée
par une ceinture ornée de plaques de cuivre, à laquelle était accro-
ché tout un arsenal d'armes à fen ; cet attirail guerrier était rem-
placé par une collection de tablettes de cuivre percées de petits :
trous, et couvertes de différentes figures cabalistiques qu'il consul-
tait souvent et avait l'air d'y puiser le contenu de ses discours.
Dès que quelqu'un de nous s’approchait de ce groupe, les tablettes
étaient mises de côté, et la compagnie faisait semblant de s’entre-
tenir de choses indifférentes. À force de questions, je parvine à
apprendre que, parmi ses précieuses qualités, le lueur detigres pos-
sédait celle d’être-un très fort rammal, homme versé en géomancie,
et que chaque soir on venait se renseigner auprès de lui pour sa-
voir si le jour suivant se passerait heureusement, ou si nous cou-
rions je risque d’être attaqués par les Turcomans. Dans la soirée
du 18 au 19, le hadji se livra, comme de coutume, à ses pratiques
magiques, et nos domestiques persans le quittèrent très satisfaits
de l'avenir heureux et paisible qu’il leur avait prédit. Le 19, nous
nous mimes en marche à 5 heures 20 minutes du matin. Ici la
route s'éloigne des montagnes, et se rapproche du grand désert
salé ; le sol est uni, et l'horizon serait très étendu, si le mirage,
qui ne manque jamais d’apparaître avec la chaleur du jour, n’en
rétrécissait le cercle. La surface du désert est souvent coupée
par des ravins plus ou moins profonds, creusés par les eaux tor-
rentielles qui se déversent sur la plaine chaque fois qu'une pluie
d'orage éclate dans les montagnes. I/un de ces ravins garde
presque toujours une eau salée, ce qui en rend le passage très
difficile, ‘et chah Abbas fit construire, à l'endroit où la route tra-
verse ce marais salin, un pont de pierres connu sous le nom de
Pouli Abrichim, localité souvent mentionnée dans l'histoire du
Khorassan depuis le règne de ce grand roi. Près de ce pont, on
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 321
trouve un caravansérail ruiné et quelques collines derrière les-
quelles les brigands turcomans se mettent souvent en embuscade,
guettent le passage des caravanes et les attaquent dans cettelocalité,
très favorable à une charge de cavalerie et très désavantageuse pour
la caravane, qui ne peut passer le pont qu’assez lentement.
A peine avions-nous franchi ce pont, à 7 heures 20 minutes,
que notre escorte signala sur une élévation voisine trois cava-
liers qui disparurent dès qu’ils se virent découverts. Il était évi-
dent que c’étaient des Turcomans qui épiaient notre marche,
et il était assez probable qu'ils faisaient partie d’un détache-
ment plus fort, caché dans le voisinage. C'était assez pour
mettre la caravane en émoi. Les chameaux furent arrêtés, notre
unique canon et tous les hommes montés sur des chevaux furent
placés à l'avant-garde, et le pauvre tueur de tigres, médiocrement
enchanté déjà d’avoir une occasion de prouver sa bravoure, dut
essuyer une bordée d’imprécations de ses dupes de la veille. Ce-
pendant l’hésitation que l'ennemi invisible mettait à se montrer
ranima peu à peu le courage des plus hardis parmi les pèlerins ;
quelques Turcs du Chirvan partirent au grand galop dans la direc-
tion des montagnes, et revinrent bientôt n’ayant rencontré ni
même vu personne. La caravane se remit en route, mais le hadji
perdit sa réputation de brave et de devin. Les conférences noc-
turnes cessèrent, et il lui fallut dix jours d'efforts pour reconqué-
rir une partie de la confiance qu’il inspirait auparavant.
Le sadriazam, ci-devant premier ministre du chah, a fait con-
struire, à une portée de fusil du pont, une petite fortüfication, et y
a fait placer une vingtaine de fantassins, soi-disant pour défendre
les caravanes contre les attaques des brigands ; mais, comme cette
poignée d'hommes suffisait à peine pour empêcher lesTurcomans de
les emmener eux-mêmes en captivité, les caravanes étaient pillées
comme par le passé, et la garnison n’était là que pour donner un
témoignage officiel du pillage accompli. Après avoir traversé le
petit village de Kahé, et les vastes ruines d’une localité qui por-
222 PARTIE MÉRIDIONALE: DE L'ASIE CENTRALE.
tait jadis lenom de Behmen-Abad, et qui, du temps de Truilhier,
avait encore trente maisons, nous arrivames, à l-heure 20 minuies,
à Mézinan. Cet endroit comptait jadis, dit-on, 900 maisons, dont
il ne reste maintenant que 140, 40 de plus qu'à l’époque où
il a été visité par Truilhier. Dans les temps passés, son marché
était très animé, mais ce n’est plus le cas actuellement. Son vaste
caravansérail tombe en ruines et peut à peme abriter les pèlerins.
L'industrie principale des habitants du village consiste en sérici-
culture; ils récoltent jusqu’à 50 batmans (147 kil. à peu près) de
soie par an; en outre, ils fondent une quantité insignifiante demine-
rai de cuivre, et äls vendent les gâteanx de cuivre rouge à Sébzé-
var, à raison de 8 sahibkrans (9 fr. 60.) le batman. Nadir chah
porta le premier coup à la prospérité de ce bourg, dont il dévasta
le district en punition d'une révolte ? mais, profitant des troubles
qui suivirent son règne, Allah far, khan de Djouvein, s’y établit et
ne voulut pas reconnaître l’autorité de Feth Ah chah. Le roi
J’attaqua en personne, mais, ayant vainement assiégé sa résidence
pendant huit mois, il conclut avec lui une trève, l’assura de sa
protection, et l’engagea à se rendre à Téhéran, où:il le fit saisir et
étrangler. Sa forteresse fut rasée, et les habitants, accablés d’im-
pôts, abandonnèrent peu à peu leur village, qui depuis ne se
releva jamais.
L'industrie séricicole que j'ai eu l’occasion d’étudier en Orient,
depuis Samarcande jusque dans les provinces transcaucasiennes,
est introduite depuis longtemps dans la Transoxiane, dans le
Khorassan, dans le Mazandéran, dans le Ghilan, le Talich, et
dans la province de Cheki ou Noukha. Sans entrer ici dans la dis-
cussion de la question savamment traitée par M. Latreille dans
son Cours d'entomologie (t. 1, p. 114 et 115), et après lui par
Ch. Ritter, dans sa Géographie de l'Asie, à savoir, si cette mdustrie
date, en Perse, des premières années du règne des Sassanides ou
d’une époque antérieure, je ferai observer qu’elle y est très an-
cienne, et qu’il me paraît impossible d'admettre que du temps de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 323
Justinien on ait ignoré à Constantinople que le ver à soïe était élevé
avec succès au sud de la mer Caspienne. En sorte que, si les
moines qui ont rapporté la première graine de ce ver en Europe
ont préféré aller la chercher au Serhind, très probablement Tur-
fan, d’après M. Latreille, au lieu de la tirer des proyinces per-
sanes, beaucoup plus rapprochées de Byzance, il faut attribuer,
selon moi, ce long détour à la mauvaise réputation que la soie
persane avait dans le commerce alors comme de nos jours, et à
l'espoir d’en produire une meilleure en allant recueillir des graines
dans des contrées plus rapprochées de la Chine.
Passé Mézinan, la route devient moins dangereuse, et je profi-
tai de la halte du 20 juin pour congédier l’escorte qui nous avait
accompagnés depuis Bédecht ; mais les arlilleurs tenaient à nous
suivre jusqu’à Soutkar, village situé à A farsangs à l’est de Mézi-
nan, où nous arrivames, par une très belle route, le 21. Nous
nous y arrêtämes pour déjeuner, et la meilleure preuve que le
danger d’être attaqué par les Turcomans avait entièrement dis-
paru, c'est que les pèlerins se décidèrent à partir seuls pour
Sébzévar. Nous couchâmes cette nuit-là à Mihr, carayansérail et
petit village du même nom, où l’on récolte une trentaine de bat-
mrans de soie par an. Le 22, nous passämes à Rived, caravansé-
rail semblable au précédent, à 3 farsangs de distance de Mibr,
et à L de Sébzévar. Plus on s'approche de, cette ville, plus les vil-
lages deviennent fréquents; mais, quoique ce district soit un des
plus anciens centres de population du Khorassan, on y trouve peu
de monuments anciens. Le minaret du village de Khosrouguird, fait
une exception à cette règle, Cette bâtisse a la forme d’un cône
tronqué, peu différent d’un cylindre; sa hauteur est de 29°,91
(98 pieds anglais 13 centièmes), et sa circonférence au sommet est
de8",12 (26 p. a. 63). Une inscription coufique fait le tour du fron-
ton ; c’est une invocation pieuse, sans nom de constructeur, et qui
se termine par les mots : « Ceci a été construit l’an 505 de l’hégire. »
Donc, c’est un monument contemporain du règne du sultan Mou-
32/ PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
hammed, fils de Melik chah le Seldjoukide, et de l’époque du
gouvernement du Khorassan par le sultan Sindjar. Mais le texte
de l'inscription n’indique pas que cet édifice ait été construit par
ordre supérieur, ce qu'on ne manque jamais de dire, et l’absence
de ruines autour du minaret ne permet pas de penser que ce vil-
lage ait jamais été beaucoup plus important qu’il ne l’est actuelle-
ment. Sébzévar est à une couple de farsangs de ce village. La
ville à un aspect agréable; sa population n’est pas nombreuse,
(12 à 45 000 âmes), mais elle paraît être prospère et laborieuse. Les
vicissitudes éprouvées par cette ville, dans le courant des siècles,
éxpliquent pourquoi elle a si peu de monuments anciens ; à peine y
trouve t-on deux constructions dignes d’être mentionnées, un
minaret dans la partie septentrionale de la ville, et un imam-zadèh
au centre du bazar. L'inscription qui ornait jadis le haut du pre-
mier de ces monuments, paraît avoir été tracée en caractères cou-
fiques, mais elle est trop détériorée pour qu’on puisse la déchiffrer.
L’imam-zadèh est probablement une construction contemporaine
de l’époque des premiers Séfévides ou des dernières années de la
dynastie de Tamerlan. Elle porte une inscription en caractères
rouk’a peu lisible, et le coufique n’y est employé que comme orne-
ment, dans une seule sentence : « Dieu le miséricordieux », répétée
plusieurs fois. Le district de Sébzévar est assez riche en minéraux ;
il y a des mines de cuivre, et, dans les monts Kouhmich, des
mines de borax. Dans la ville même, on fabrique de l’ammoniaque
qu’on extrait de l’eau sale des bains. On cultive beaucoup le mürier
dans les faubourgs de la ville, et l’on y produit une quantité con-
sidérable de soie.
Le 26, nous quittâmes Sébzévar, et par une route large et unie,
passant entre de nombreux villages, nous arrivämes au caravansé-
rail de Zafranlou, ou Zafrani, à 6 farsangs de la ville. Ce caravan-
sérail, qui mérite bien les louanges que lui donne Fraser, se trouve
dans un état de ruine presque complet ; mais on peut encore juger
par ce qui en reste combien cette construction devait être belle
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 325
jadis. À droite de la porte d'entrée, regardant le sud, il y a une
mosquée dans l'intérieur de laquelle, sous la coupole, on voit une
belle inscription coufique assez bien conservée. Elle reproduit le
verset 285 en entier, et le verset 286 du chapitre Il du Coran
jusqu'aux mots cuuxslls. La forme des caractères de cette
inscription me paraît être identique avec celle des légendes tra:
cées sur les monuments du 1v° siècle de l’hégire. Dans une vaste
niche qui se trouve dans la première cour, tout un mur est bâti
avec des briques disposées de manière à reproduire les noms des
quatre premiers khalifes Oman À . Cela prouve d’une manière
évidente, non-seulement que le constructeur de cet édifice
était un sunnite, mais aussi que la construction a été faite à une
époque où ce rite était toléré dans le Khorassan, donc bien avant
l'époque des Séfévides, et non pas sous chah Abbas comme on
Pavait dit à M. Truilhier. Sur les murs d’un bain attenant au
caravansérail, mais presque entièrement délruil, j'ai pu déchiffrer
dans un fragment d'inscription : « l'architecte Mouhammed..…...
fils de Kassim. » Enfin sur la face extérieure du mur oriental du
caravansérail, on voit le commencement d’une inscription en
beaux caractères coufiques, dont il ne reste que ce peu de mots :
« Au nom de Dieu clément et miséricordieux...….. la construction
pendant le règne du grand sultan... » Le style d'architecture de
ce beau monument et le caractère de ses inscriptions permettent,
à ce qu'il me semble, d’assigner avec beaucoup de probabilité le
règne du Seldjoukide Mélik chah comme l’époque de sa construc-
tion.
M'étant décidé à entreprendre directement de Zafraniuneexcur-
sion aux mines de turquoises, j’expédiai un des topographes, avec
les plus lourds bagages, à Nichapouryet le 27 je me dirigeai, avec
tous mes autres compagnons de voyage, vers les montagnes. Pen-
dant une heure et demie, on marche dans la plaine, puis on entre
dans un défilé qui conduit par une pente assez douce au sommet
L Q .
d’un col dont on ne put me dire le nom, mais près duquel se trouve
vit. 42
F
326 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
un très beau jardin dont la verdure avait conservé sa fraîcheur
printanière, tandis que dans la plaine, depuis quelques semaines
déjà, tout était brülé par le soleil. Ce col est assez élevé ; le baro-
mètre y marquait 510%® par une température extérieure de 20 de-
grés centigrades. La descente du col ne présentait aucune difi-
culté; elle conduit à un assez large défilé qui débouche dans une
vallée entourée de montagnes et contenant trois villages : Nou-
rabad, Zarghé et Roukghé. Auprès de ce dernier, on voit une
source dont l’eau, en s’écoulant, forme un dépôt calcaire qui
durcit très vite à l'air. Après avoir traversé cette vallée, on fait
lascension du col dit Hezar-Tchil; la montée est pierreuse et peu
commode. De cette hauteur, on découvre une vaste plaine bornée
au nord par les montagnes de Djouvein, où sont situées les mines
de turquoïses. Cette plaine n’est cultivée que dans le voisinage des
montagnes, où les sources souterraines sont plus fréquentes.
Nous nous arrêtâmes au village de Chourab, donné par Mou-
hammed chah à des khans de Hérat du rite chiite, qui, étant passés
auxPersans pendant le siége de cette ville en 1838, ont dû quitter
leur patrie après la retraite des troupes du chah. Nous rencon-
trâmes dans cette plaine, pour la première fois, un: campement
de Beloudjs; il y a vingt ou vingt-cinq ans, ils furent transférés
“de force dans ce district du Khorassan, des alentours de Bam et
de Nourmanchir, au nombre de 4000 familles, en punition des
“brigandages qu'ils commettaient dans le Kirman. Ils sont très
basanés, ont des figures plates et des nez peu proéminents, mais
leurs yeux sont assez bien fendus ; leurs femmes ne se voilent pas,
etils vivent sous des tentes faites en tissus de laine noire très
grossiers, Ils commencent déjà, d'après ce qu'ils m’ont assuré, à
oublier leur langue, et tous, “hommes et femmes, parlent le persan.
En nous approchant des En où se trouvent le village de
Maadan et les mines qui en ee nous vimes une quantité
d’excavations peu profondes qu’on nomme Maadani Hakki,ouce les
mines dubon Dieu». Les mines principales sont affermées par
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 327
l'État, et ne peuvent être exploitées que par les individus munis
d’une permission spéciale du fermier général ; mais il n’est défendu
à personne de faire à ses risques et périls des recherches dans
le voisinage d’anciens puits, et les excavations que nous avons vues
provenaient de ces essais d’exploitations. Généralement, la tur-
quoise forme des strates, ou plutôt des feuilles plus ou moïns
épaisses dans une pierre calcaire ferrugineuse, quelquefois de cou-
leur blanche, et quelquefois de couleur rouge de brique. On trouve
rarement près de la surface du sol des veines de belles couleurs,
mais la présence de veines d’un coloris päle, qui n’ont aucune va-
leur, sert souvent d'indice sur la proximité d’une couche plus for-
tement colorée, qu'ilest avantageux d'exploiter, La description des
mines, faite par M. Fraser, est assez exacte ; elle l’est encore plus
dans la notice de M. Chodzko. À l’époque où je les aï visitées, elles
étaient données par lechah en apanage au gouverneur du Kho-
rassan, qui les avait affermées à raison de 800 ou 1200 ducats par
an. Le fermier général vend en détail aux habitants du village de
Maadan Le droit d’exploiter tel ou tel puits,
La profondeur à laquelle on est parvenu dans les mines an-
ciennes est le plus grand obstacle à leur exploitation lucrative. La
plupart des puits sont à moilié envahis par l’eau, dontles mineurs
ne savent pas se débarrasser ; de plus, le manque de boïs de con-
struction ne permet pas de soutenir par des contre-forts les parois
des forages, et la nature friable et spongieuse de la roche fait que
les éboulements sont fréquents, ce qui rend le travail dans les gale-
ries très dangereux, et arrête même tout à fait l’exploitation ulté-
rieure, car 1l serait impossible de déblayer les galeries fermées
par ces éboulements, sans une mise de fonds considérable qui
surpasse les moyens des villageois. Quelquefois ces éboulements
sont produits par des tremblements de terre; les deux plus
récentes secousses, très nuisibles aux mines, ont eu lieu le jour
de l'équinoxe du printemps de l’an 4271 del’hégire, eLau mois
de ramazan de l’an 1278. Il n’est pas rare qu'une quinzaine de
228 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
malheureux ouvriers restent ensevelis sous ces décombres, sans
parler de ceux qui se cassent bras et jambes par l’incurie des entre-
preneurs, et le mauvais état des cordes et des poulies au moyen
desquelles on fait descendre les mineurs dans les puits.
Nous arrivämes à Maadan vers le coucher du soleil, et la pre-
mière chose qui me frappa fut un tas d'herbes sèches, de forme peu
commune, placé près des maisons; un examen attentif de cette
herbe, par M. Bunge, fit voir que c'était la gundelia tournefortia,
qu'on nomme cholpa, et qu'on conserve pour la donner en hiver
aux ânes et aux moutons. Ceci prouve que l’hiver est ici plus
rigoureux que dans d’autres endroits de la Perse, car généralement
ailleurs on n’use pas de tant de précautions. Le goût amer de cette
plante semble convenir aux animaux, qui l’aiment beaucoup, et se
trouvent très bien de cette pâture. Nous restämes le 28 à Maadan,
pour donnér le temps à notre géologue d'examiner les mines en
détail. Par les raisons que j'ai indiquées, on attaque rarementleroc
vif dans les anciennes galeries; on se contente detrier les déblais
amoncelés, pendant des siècles, en quantité prodigieuse à l’en-
trée des puits."On met de côté ke morceaux de roche sur lesquels
on remarque quelques traces de turquoise bien colorée; à l’aide
du marteau on enlève les parties communes de la roche, puis on
transporte le résultat de ce triage au village de Maadan, où ces
débris sont lavés à la fontaine, opération nécessaire pour mettre
en évidence la pureté de leur couleur. Ayant définitivement
choïsi ce qu’il y a de plus parfait, on polit.ces pièces à l’aide d’une
roue en boïs, quelquefois même on tâche de leur donner par la taille
une forme ovoïdale presque conique, qui est la plus estimée pour
les turquoises. Mais comme lascouche de cette espèce d'émail bleu
de ciel, qüi, en se déposant sur la pere calcaire, en fait une tur-
quoise, est rarement épaisse, et qu'iln’y a aucun moyen de recon-
naître son épaisseur à la vue, l'opération de la taille est très
chanceuse et gâte souvent des pierres qui, restant plates, pour-
raient être assez bien vendues. Jusqu'à présent, on ne connaît que
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 329
quatre points en Asie où l'existence du gisement de turquoise ait été
positivement reconnue, dont deux par notre géologue M. Goebel,
près de lezd, dans les montagnes de Taft, et à Kalei-Zéri, dans les
montagnes qui forment la limite du désert Lont au nord; enfin
ceux de Nichapour et de Nourata en Boukharie. Personnellement,
je n’ai visité en détail que la mine connue sous le nom de mine
d’Adbourrezak,
Nous quittâmes le 29e village de Maadan pour examiner les mines
de sel gemme. Elles sont situées à une heure et demie de distance de
Maadan, dans les derniers contre-forts de la chaîne principale. La
couche desel gemme, mise à nu et exploitée lors de notre visite, a
une épaisseur de 150 mètres. Elle se trouve assez près dela surface
du sol, et est assez homogène, n’étant traversée que par de minces
couches d'argile commune. Le sel de cette mine présente un amas
compact de très petits cristaux, ce qui fait que les morceaux d’une
épaisseur d’un décimètre sont déjà presque opaques. Les tra-
vailleurs attaquent cette mine à coups de marteau, en s’aidant d’un
chanttrès monotone. Le sel est transporté à Nichapour, en petits
blocs ou en sacs, à l’état de poudre; un mince filet d’eau saline
s'échappe dans cet endroit de la montagne et se perd dans la plaine.
Ses bords sont recouverts d’une couche assez épaisse de cristaux
salins. En suivant le cours de ce ruisseau, nous atteignimes un
petit village très pauvre, nommé Kurgatchoulou, non loin duquel
il y avait un campement de Beloudjs. À deux heures de laprès-
midi, après une marche totale de quatre heures et demie, nous
atteignimes un grand et beau village, Khanlouk, situé sur la rive
droite d’une rivière assez considérable nommée Bora. Ce village
est remarquable par son vaste jardin, où nous fimes placer nos
tentes. Une route unie et large nous conduisit le 30 à Nichapour,
à travers une plaine richement cultivée. Nous renconträmes ici les
premiers Kurdes de la tribu Almaly. Ces nomades ne sont pas
aborigènes du Khorassan; les Séfévides, Nadir chah et les
Kadjars les ont souvent transférés de la frontière occidentale de
330 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
l'empire de Perse dans les districts de Nichapour et de Kabouchan.
On évalue leur nombre, dans ces deux districts, à quarante mille
familles. Ils passent l'hiver dans des villages situés dans la plaine;
mais au printemps il les quittent pour aller camper avec leurs trou-
peaux dans les montagnes, ne laissant dans leur résidence d’hiver
que trois où quatre individus pour surveiller l'irrigation de leurs
champs assez mal cultivés.
Nous restämes à Nichapour le 1” et Le 2 juillet ; c’est une ville com-
plétement déchue de sa prospérité passée. Elle est assez vaste, mais
l'enceinte circonscrite par ses murs, tombant en ruine, est remplie
de maisons écroulées et de boutiques fermées faute decommerçants.
Je n’ai pas besoin de rappeler que Nichapour est une des plus an-
ciennes et des plus célèbres cités de cette partie de l'Asie; les désas-
tres de son passé orageux expliquent sa pauvreté en monuments
anciens. Elle n’a à offrir aux voyageurs que quelques tombeaux de
ses habitants plus ou moins célèbres. Près du bastion de l’angle
nord-est de la citadelle de Nichapour, on montre unedalle sépulerale
gravée en 4094 de l’hégire, et placée dans une chapelle érigée en
honneur d’un saint local, dit Nourouz, Plus loin, on montre le tom-
beau de l’imam Zadèh Mahrouk, parent de l’imam Djafar et amant
d’une parente de [ézid qu'il sut convertir à sa foi. Lekhalife, ennemi
juré des chiites, ayant appris cette abjuration, qui était une véritable
apostasie à ses yeux, ordonna de brüler les deux amants à petit feu.
Dernièrement, le clergé de Nichapour, guidé par le rêve d’un habi-
tant du village d’Imam Zadèh, découvrit les soi-disant tombeaux
des enfants d’Abou Mouslim, célèbre chef du soulèvement khoras-
sanien contre les Oméïades ; mais les grandes plaques de briques
émaillées qu’on dit avoir extraites de ces tombeaux, et dont les in-
scriptions devaient établir l’authenticité de cette découverte, n’ont
été pour moi rien moins que probantes. Elles contiennent quelques
mots sans suite, en caractère neskhi de la fin du vus siècle del’hé-
gire, et avaient servi, sans aucun doute, à l’ornement de quelques
mosquées qui s’élevaient jadis à l'endroit où on les a trouvées.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 231
Le tombeau du célèbre mathématicien Omar Kheïami ne porte
aucune inscription ; au-dessus de celui du fameux poëte Ferid-
Eddin-Attar, on a fixé une belle dalle sépulcrale en marbre noir,
avec une longue inscription en vers; et quoique le monument soit
bien postérieur à la mort de cet homme célèbre, l'inscription n’est
pas dénuée d'intérêt. J’en fis prendre une copie que j'ai communi-
quée à M. Garcin de Tassy. Le 3, nous allâmes camper dans les jar-
dins de la mosquée Kadam-Gih, construite en 1091 par ordre du
chah Souleiman ; on y conserve une plaque d’ardoise trouvée dans
cet endroit, et portant l'empreinte en creux du pied de limam Aly
Riza.
Ici la route se bifurque. La voie postale reste dans la plaine, et
par Chérif-Abad (8 farsangs), va à Méched (6 farsangs). L'autre
branche, un peu plus courte, est plus agréable à cette époque
de l’année, car elle coupe les montagnes. Ayant expédié pres-
que tous nos bagages par la grande route, nous primes nous-
mêmes le chemin de la montagne, exactement décrit par Fraser;
mais la saison où le voyageur anglais l'a vu n’était guère propice
à montrer cette voie sous son meilleur aspect. Du reste, comme
moyen de communication, elle est toujours fort mauvaise. Tra-
versée et minée dans tous les sens par des torrents impétueux,
rétrécie par des arbres et des broussailles, présentant à chaque pas
des montées et des descentes abruptes et rocailleuses, cette route
est peu commode; mais en été c’est un des endroits les plus pit-
toresques qu’on puisse voir en Perse. Les montagnes qu'on fran-
chit ici sont an embranchement sud-est de la grande chaîne
latitudinale qui traverse le Khorassan. A l'occident et au sud,
elle borne la vallée de Méched, et se termine, près de Tour-
beti-Cheikhi-Djam ,'par un promontoire escarpé. Dans l’endroit
où nous avons passé cette chaîne, elle présente une série de
vallées profondes dirigées presque toutes du nord-ouest au sud-
est et entourées de hautes montagnes. Cette dernière circon-
+
stance Contribue à conserver l’humidité dans ces vallées plus
392 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
longtemps que dans les endroits ouverts et accessibles à l’in-
fluence de l’air sec de la plaine; et, tandis que partout ailleurs Tr d
végétation était brülée par un soleil ardent, ici elle conservait sa
fraîcheur printanière.
Pour avoir le temps de prévenir les autorités de Méched de
notre prochaine arrivée dans cette ville, nous restâmes le 5 juillet
à Djigar, charmant village situé dans les montagnes où les habi-
tants de Méched vont chercher un abri contre les chaleurs de la
canicule. Le 6, nous traversämes une série de riches villages dis-
posés le long d’un ruisseau formant un affluent de la rive droite de
la rivière de Méched. Ils se distinguent des autres villages de la
Perse par la présence de nombreux cafés, sur la devanture des-
quels sont invariablement étalés, d’un côté de la porie d’entrée
une rangée de kalians (pipes à eau) en argile, enjolivés de toutes
sortes d’arabesques, de l’autre, des samovars ou bouilloirs russes
-en cuivre jaune, bien polissés, resplendissant au soleil, et entourés
de services à thé fabriqués en Allemagne ou en Angleterre.
Mais, dès qu’on s’éloigne de la vallée de ce ruisseau, on retombe
dans le désert. Le sol aride et argileux se crevasse sous l'influence
de la chaleur et de la sécheresse. De grands espaces sont couverts
de débris de pierres détachés des montagnes voisines par les eaux
pluviales; la végétation n’a que de rares représentants brülés par
le soleil; en un mot, rien ne rappelle qu’on se trouve dans le voi-
sinage des terres cultivées. Une longue et pénible montée con-
duit au sommet du dernier col, d’où l’on descend dans la piaine
de Méched. Ce col porte le nom de Selam-Tepessi, ou montagne
du Salut; quand Pair n’est pas obscurci par le brouillard sec,
on découvre de cette hauteur les coupoles dorées des mosquées
de Méched, s’élevant au dessus de la vaste ceinture des jardins de
la ville. Les pèlerins ont l'habitude de s’arrêter ici pour réciter
une courte prière, et y marquent leur passage en ajoutant quelques
pierres aux nombreuses pyramides en plaques d’ardoises entas-
sées par leurs pieux prédécesseurs, et servant d’abri à uñe quan-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 333
tité de rats de terre. À 7 kilomètres de la ville, des délégués
du prince sultan Mourad-Mirza, oncle du chah et gouverneur
du Khorassan, vinrent à notre rencontre. Ce pichvase, ou escorte
d'honneur, se composait du grand-maître des cérémonies de
la cour du prince, du frère de Sami-Khan, gouverneur de Kabou-
chan, et du colonel Mouhammed Baghyr-Khan, accompagné d’une
nombreuse suite de cavaliers très bien montés. Un oficier napo-
litain, M. Djanuzzi, instructeur dans l’armée du chah, avait
bien voulu se joindre à ces fonctionnaires persans. C’est avec ce
pompeux cortége que nous entrâmes dans l’enceinte de la ville
sacrée aux yeux des Chites, où l’on avait eu l'attention de nous
préparer une vaste maison, celle du khan-naïb, adjoint du gou-
verneur, lequel se trouvait à cette époque à Téhéran.
Les limites de ce travail ne me permettent pas de donner une
description détaillée de Méched, mais je crois pourtant devoir
indiquer sommairement les principales curiosités de cette ville,
qui, comme le dit très exactement M. Conolly, frappe par son
originalité même le voyageur européen, accoutumé à la vue des
grandes capitales, et qui, aux yeux des naïfs Orientaux qui n’ont
jamais quitté l’Asie, passe pour une merveille.
Située au fond du Khorassan, à 950 kilomètres de Téhéran, à
1150 de Boukhara, à 540 de Khiva, à 850 de Kandahar et à 430 de
Hérat, cette ville est entourée de tous côtés par d’arides el tristes
solitudes. L'été, le soleil ardent élève la température de ces plaines
à celle des contrées tropicales ; en hiver, les terribles bourrasques
venant du nord les couvrent d’un linceul de neige. Le printemps
et l’automne sont très beaux, mais de trop courte durée. En sorte
que, quelle que soit la saison, et quelle que soit la direction que
prenne le pèlerin musulman pour s’y rendre, il doit passer par
une série de privations, d'ennuis et de dangers qui rehaussent à ses
yeuxles charmes de Méched, oasis entourée de beaux jardins, riche
en souvenirs sacrés, à cause même des convictions les plus intimes
de sa foi, et où, à chaque pas, il rencontre les monuments des pre-
vu. 43
334 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
mières luttes et des premiers martyrs du rite chiite. Après une
longue suite de jours passés dans le désert, ilse retrouve dans une
ville populeuse, au milieu de vastes marchés et de caravansérails
remplis d'objets de nécessité et de luxe. Un corps imposant du
clergé, de derviches et de marsiakhans, fait vibrer à tout instant les
cordes les plus sensibles de son âme, en lui retraçant en paroles
chaleureuses et imagées les intérêts de sa religion, qui lui est si
chère. Enfin, une nombreuse population de femmes jeunes et belles,
qui, d’après les règles accommodantes du rite chiite, ne demandent
pas mieux que de conclure des mariages parfaitement légitimes
pour un mois, pour quelques semaines et même pour vingt-quatre
heures, présente au pèlerin musulman un moyen facile d'oublier
qu’il est loin du foyer domestique. Chaque soir, dès que le soleil
cesse de darder ses feux sur la ville, les minarets dorés qui flan-
quent les portes du tombeau d’imam Ali-Riza sont richement illu-
minés avec des lanternes. Les Muezzins, par une invocation lon-
gue et sonore qui n’est en usage que dans le Khorassan, invitent.
les musulmans à la prière du soir, et les Kaliantchis, qui rempla-
cent ici les cafedjis de Constantinople, éclairent en même temps
leurs boutiques, où la foule, après avoir savouré les émotions
d’un culte fanatique, vient en chercher d’autres moins salutaires
pour l’âme, maïs assaisonnées de beng et d’opium.
Méched à une forme oblongue, et son grand axe est dirigé de
l’ouest à l’est. Un canal assez large traverse toute la ville dans la
même direction ; ses bords sont plantés d'arbres, et ses quais for-
ment les deux plus belles rues de la ville. Sur les deux tiers de sa
longueur, à partir de la porte occidentale, commence le quartier
saint, entouré de palissades et occupant une surface de forme
presque carrée, de 406 à 500 mètres de côtés. Cette partie de Ja
_ ville est tellement révérée, que les musulmans eux-mêmes n’osent
pas y circuler à cheval ; quant aux chrétiens, aux juifs et aux Hin-
dous, il leur est défendu même de s’y montrer. Les plus riches
bazars, les caravansérails et les baïns les plus en vogue, enfin les
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 335
médressehs ou écoles les mieux dotés, se trouvent dans cette parlie
de la ville. Le centre du quartier saint est occupé par la mosquée
où reposent l’imam Ali-Riza et le khalife Haroun-Ar-Rachid, au
sud de laquelle se trouve la mosquée de Geuherchad-Agha ; le reste
est occupé par les maisons des particuliers et les établissements
publics, tels que hospices, logements des desservants de la mos-
quée de l’imam, écoles, etc. Le quartier saint est une espèce d'État
dans l’État; il possède son administration spéciale, sa police et
ses tribunaux, en sorte que l’action du pouvoir laïque s'arrête
aux palissades qui en marquent les limites. Les criminels mêmes,
voleurs ou assassins, une fois dans cette enceinte sacrée, n’ont en
principe rien à craindre des poursuites de la justice. Mais, comme
le chef de cette administration, ou le moutawalli-bachi, est un em-
ployé séculier nommé et révoqué par le chah, «il y a avec leciel des
accommodements ». Le criminel est gardé trois jours ; puis, s’il n’a
pas des moyens très puissants d’intéresser en sa faveur ses protec-
teurs du clergé, ou s’il n’a pas le bon esprit de s'évader sans bruit,
il est livré au gouverneur. La chose la plus extraordinaire est que
l'imam lui-même, mort il y a plus de mille ans, est censé prendre
une part très active aux choses de ce monde; il accepte des sup-
pliques que les crédules déposent sur son tombeau, et donne des
réponses par écrit, légalisées par l’apposition de son cachet,
énorme plaque carrée d’une fabrication moderne. Une quantité
de membres du petit clergé vivent de la paye qu’ils reçoivent
pour rédiger ces actes.
Il est impossible de préciser le nombre des pèlerins qui se ren-
dent annuellement à Méched, tant à cause de la variabilité de
ce chiffre, que de l’extrême liberté avec laquelle on entre et on
sort de la ville sans y laisser de, traces officielles ; mais si ce que
l’on m'a dit est vrai, que chaque jour les cuisines, entretenues
aux frais de la mosquée de limam, distribuent aux pèlerins
indigents 150 batemans de Méched, à peu près 750 kilos de riz
cuit, il est permis de supposer que le chiffre de la population flot-
336 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
tante est supérieur à 50 000 par an. Quant à la population stable,
elle ne va pas au delà de 60 000 âmes.
Sans entrer dans beaucoup de détails sur la mosquée de l'imam
Riza, sur laquelle j'ai recueilli de nombreux renseignements que
je publieraï peut-être dans un article spécial, je me bornerai
à communiquer ici quelques observations qui manquent dans
toutes les relations de mes prédécesseurs , notamment sur la
bibliothèque de l’imam, et sur les dates chronologiques que nous
fournissent les inscriptions des murs de son mausolée.
La bibliothèque de l’imam ne peut guère être plus ancienne que
l'époque du règne de chah Roukb, encore n’y a-t-il qu’un koran
qui ait été déposé dans cet établissement littéraire pendant le règne
de ce roi. Ce manuscrit a été copié par le petit fils de Tamerlan, Baï-
songour Mirza, célèbre calligraphe et gouverneur de Méched.Après
cela, les plus anciennes donations authentiques sont celles de chah
Abbas et de chah Hussein. Ce n’est que le dernier Moutawalli-
bachi, le Sadri divan Khanèh, homme très remarquable par son
érudition et qui a visité la bibliothèque impériale à Saint-Péters-
bourg lors de son ambassade en Russie, qui ait songé à faire
dresser un catalogue de cette riche collection de manuscrits. Il a
eu la complaisance de mettre à ma disposition ce curieux docu-
ment, et même il a bien voulu me permettre d’examiner les ou-
vrages qui pouvaient m’intéresser particulièrement. Voici en peu
de mots le résultat de mon examen,
La bibliothèque possède en tout 2997 ouvrages en 3654 vo-
lumes, et 64 titres en 100 rouleaux, tels que legs pieux, dona-
tions , etc. Au nombre des livres, 10/41 sont des korans, dont
189 imprimés et 852 manuscrits; {2 de ce dernier nombre sont
réputés être copiés par des imams, et il n’y a que 5 korans qui
soient écrits en caractères coufiques : le reste est en caractères
naskh etreikhani. Quelques-uns de ces manuscrits sont d’une rare
beauté et de dimensions colossales. Nadir-Chah et un certain
Assad-Oullah-il-Khatouni sont ceux qui ont le plus contribué à
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 337
enrichir la bibliothèque; chacun d’eux a fait don de 400 manu-
scrits. Après eux viennent l’eunuque Safi Ahmed-Touni, dit
Ahen (232 manuscrits); Agha Zein-el-Abeddin, serviteur de l’éta -
blissement (174), etc. D’après l’ordre des matières, ces ouvrages
sont classés ainsi :
Korans te NU en ee 4 0H To.
Livres de prières et Guides des pélerins. . 299
Traités de jurisprudence de tous les rites. 246
— du rite chiite. . 221
Autres ouvrages, tels que : Traités sur les
devoirs extérieurs, l’ablution, le na-
maz, elc., traditions, décisions judi-
ciaires dans des cas singuliers, etc... . 931
Ouvrages concernant ladoctrine des Soufis. 47
Traités de logique. - . .......... 50
Philosophie et métaphysique. . ..... 189
Mathématiques. . ......... +... 49
Médecine ns ile Street denete ile 81
Dictionnaires, rhétorique, et art de lire le
Koran: le tel ele ele ele ele latels 4166
HStO ER ER El A Mt 39
Poésie arabe, persane et turque. . . . . . 43
PÉOEOdICS RD Reles le elec letelole te etais 406
Encyclopédies. .............. 9
Collections de différentes pièces littéraires
et scientifiques (Medjmoué). , . . . .. 138
Toraz. . . . . .. 3,654 vol.
Le peu de temps que je pouvais consacrer à l'examen de cette
immense collection de manuscrits m'avait obligé de me borner à
trois classes d'ouvrages : aux traités de mathématiques, à l’his-
toire, qui comprend aussi la géographie, et à la poésie. Parmi les
premiers, 1l y a deux traductions arabes de traités anciens, de la
Spherica de Theodosius et des sections coniques d’Apollonius ; le
reste ne m'a pas semblé avoir une grande valeur. En fait d’ouvra-
ges historiques, je ferai remarquer un assez bon exemplaire de
Fetoukhi-Cham; le premier volume de Tabari, en arabe; le
Tarikhi Mikrazi; le premier volume du grand dictionnaire de
338 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
Yacout muni d’ihrabs, mais avec une préface incomplète; les
Merveilles de la création, par Cheikh Mouhammed Chafeï; une
histoire détaillée de la campagne de chah Abbas à Balkh, etc.
Dans le département de la poésie arabe, on peut mentionner les
Divans de Moutannabi, d’Abdoul-Ali-Maazi, d'Ibrahim Owk-
sous, etc., el quelques commentaires de ces poëtes qui me pa-
raissent assez rares. La collection des manuscrits de Méched
est importante; mais beaucoup de bibliothèques européennes,
comme celles de Paris, de Londres, d'Oxford, de Saint-Péters-
bourg, etc., n’ont presque rien à lui envier. La section de juris-
prudence et les Wedjmouë doivent contenir des choses curieuses et
inédites ; mais pour les découvrir, il faudrait rester à Méched quel-
ques mois. Les titres conservés dans le Sehn, mot collectif par le-
quel on désigne la mosquée d’imam Ali-Riza et toutes ses dépen-
dances, ne sont remarquables ni par leur ancienneté, ni par la
variété de leur contenu, La plus ancienne charte est de l’année 938
de l’hégire : c’est une donation faite à la mosquée de l’imam, d’un
village, Ahmed-Abad, par un pèlerin, Hissam-Eddin. Ces docu-
ments peuvent être ainsi classés d’après les règnes auxquels ils
appartiennent : 2 sont contemporains du xègne de chah Tah-
masib (930-984); 3 du règne de chah Abbas le Grand (990-1037);
1 du règne de chah Séfi (1037-1051); 1 du règne de chah Abbas II
(1051-1077); 44 du règne de chah Souleiman (1077-1106); 8 du
règne de chah sultan Hussein (1106-1135); À de l’époque de la
domination des Afshans en Perse; 3 du règne de Nadir-Chah
(1145-1160), et tous les trois antérieurs à l’année 1154, où Nadir
déclara Méched capitale de l'empire; 1 contemporain du règne de
chah Adil (1160-1162) ; 1 du règne de chah Roukh (1162-116k),
9 du règne de Kérim-Khan-Zend (1164-1198) ; 4 du règne d’Agha
Mouhammed-Khan.. Enfin les 40 années de Fetkh-Ali-Chah ne
. fournissent que 7 documents; les 14 années du règne de Mou-
hammed- Chah, 10, et les 12 années de Nassr-Eddin-Chah, 6 : en
tout 64 pièces.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 339
Les murs du Sehn nous ont conservé des indications chrono-
logiques qui établissent en quelque sorte l’histoire de ce célèbre
édifice. Ces dates ne remontent guère au delà de l’époque des
Séfévides, quoique nous sachions par le voyage d’Ibn-Batoutah
que de son temps déjà cette mosquée existait et était révérée ;
mais comme la dynastie fondée par Chah Ismaïl fat la première
famille royale en Perse qui donna au rite chiite un caractère officiel,
elle tint aussi à associer le nom de ses représentants avec tous les
monuments révérés par cette secte. Une inscription qui fait Je tour
de la coupole élevée au-dessus du tombeau de l’imam, dit que ce
dôme a pu être achevé par la munificence de chah Abbas; mais la
date de sa construction est effacée. Le haut de l’aivan doré est orné
d’une inscription qui rapporte son achèvement au règne de chah
Hussein, en l’année 1085; les vers qui occupent le milieu de cet aivan
nous informent que Nadir-Chah l’a fait dorer en 1145, avec de l’or
enlevé par lui « aux Indes, au Kaisar et au Khakan. » Les aivans
oriental et occidental du Schn ne portent que des inscriptions
religieuses, et celles de l’aivan méridional disent que cette porte
a été construite par ordre de chah Abbas IF, en 1059; enfin le
bas de tous ces aivans fut orné, en 1262, d'inscriptions qui
reproduisent en briques émaillées différents chapitres du koran.
Au sud du mausolée de limam se trouve une belle et vaste mos-
quée construite par la femme favorite de Chah Roukh, Geuher-
Chad-Agha. Au-dessus de la façade principale de ce temple, on
hit qu'il a été élevé à l’époque du règne de Chah Roukh, fils de
Timour Gourekan, en 821 de l’hégire (1). Sur le bord oriental du
mur de face on a tracé un hadis du prophète : « Le croyant ést
dans ia mosquée comme le poisson dans l’eau; » à hauteur égale
du sol, on lit sur le côté occidental du même mur cet autre
hadis : « L’athée est dans la mosquée comme un aigle dans sa
(4) Ainsi, Mirkhond est assez exact'en rapportant, dans son Rouzet-Ussafa, la construc-
tien de cette mosquée à l’an 822.
340 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
cage, » L’aivan méridional de cette mosquée a été reconstruit par
chah Hussein en 1087; des vers placés au bas de cet aivan nous
informent qu’un tremblement de terre « fit une blessure à cette
mosquée », et que « le chah ordonna de la panser en 1088 ». La
différence entre les dates du haut et celles du bas du même mur
ne doit pas surprendre, car la beauté et la variété des ornements
dont il est recouvert témoignent assez qu'il ;n’a pu être achevé
en un an.
La citadelle de Méched se trouve dans la partie sud-ouest de la
ville; une vaste place, où il est défendu aux particuliers de bätir,
s'étend devant elle, et depuis la dernière révolte du Khorassan
cette fortification a été mise en assez bon état. Les maisons de la
ville, généralement parlant, ne sont pas spacieuses, Rarement elles
ont plus de deux cours; et comme, presque partout, le niveau de
la rue est plus élevé que celui des cours intérieures, les entrées des
maisons forment des couloirs longs et sombres, disposés en
pente, Méched est bâtie dans une plaine, et l'enceinte de la ville
ne contient pas d’élévation, sauf un mamelon situé dans sa partie
nord-est, que je crois être artificiel. La montagne la plus rappro-
chée de la ville est le chaînon de roches quartzeuses situé à 2 ou
3 kilomètres de la ville-à l’ouest-sud-ouest. On trouve dans cette
roche de minces filons d’or, qu’on a souvent essayé d’exploiter;
mais les frais d'exploitation en ont toujours dépassé le rapport.
Dans le quartier saint, presque toutes les rues sont payées;
ailleurs elles ne le sont que rarement, ce qui est fort heureux, car
ce pavé n'étant jamais réparé, entrave, dans beaucoup d’endroits,
les communications au lieu de les faciliter, Depuis Le dernier sou-
lèvement du Khorassan, on a établi dans toute la ville, mais sur-
tout dans le voisinage du quartier saint, des corps-de-garde.
Deux régiments de troupes régulières sont constamment en gar-
nison à Méched, et l’on y envoie de préférence des Turcs de l’A-
derbeidjan, car les soldats de cette race ne fraternisent jamais avec
les Khorassaniens. Au nord du quartier saint s'étend un vaste cime-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 341
tière nommé Katle-Gâäh; son terrain, vendu au profit de la mos-
quée de l'imam, constitue un des principaux revenus de cet établis-
sement, car le nombre de cadavres transportés annuellement à
Méched de toutes les contrées où le rite chiite est en vigueur, est
très considérable. Chaque caravane arrivant de Derbend, de l’inde,
de Bagdad, comme de l'Afghanistan, apporte quelques dépôts de ce
genre. Le clergé ne permet pas qu'on marque l'endroit de la sépul-
ture d’un défunt par un monument solide, car, dès que le temps
et l’intempérie de l'air détruisent le modeste parallélipipède en
pisé qui remplace ici les mausolées et les dalles sépulcrales, le
terrain est considéré comme vierge, et l’on y enterre, moyennant
finances, le premier mort qui est présenté, sans trop sinquié-
ter des restes de son prédécesseur. L'intérieur de la ville n’est pas
riche en jardins. Au centre il n’y en a qu’un seul un peu considé-
rable, celui du khan Naïb; au nord de la citadelle il y en a aussi
quelques-uns, parmi lesquels celui de l’imam Djoumé est le plus
vaste. Mais chaque cour intérieure est ombragée par quelques
arbres, et dans les faubourgs, surtout au nord de la ville, il y a
beaucoup de plantations. L'eau de Méched n'est pas bonne; en été,
pendant les fortes chaleurs, de petits vers apparaissent dans
tous les bassins. Mais on remarque à peine cet inconvénient, car
la glace est à bon marché, et les fruits sont excellents, très abon-
dants et coûtent fort peu de chose.
Malgré les nombreuses invasions et les révolutions sanglantes
dont le passé de Méched est si riche, la ville a quelques monu-
menis anciens en dehors du quartier saint. Dans le vieux bazar,
an centre de là ville, se trouve une mosquée dite mosquée du
Chah. Au-dessus de son aivan, on voit les restes assez bien con-
servés du 39° verset du chapitre II du Koran, à la fin duquel on
a tracé « année 1119 ». Les bordures de ce mur, à droite et à
gauche, étaient jadis ornées d’une inscription, dont il ne reste
que peu de traces. Dans celle du côté droit on peut déchiffrer :
« Ouvrage d’Ahmed, fils de Chems Eddin Mouhammed, archi-
VII. 44
342 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
»tecte de Tébriz. » À gauche, on voit quelques mots qui termi-
naïent une phrase effacée après lesquels onlit : «Dans l’année 853. »
Dans une ville comme Méched, qui a un sanctuaire aussi révéré
que la mosquée de l’imam Ali-Riza, on ne s’atténdrait guère à ren-
contrer des chapelles consacrées à d’autres saints; néanmoins la
piété des pèlerins a trouvé le moyen d’en élever quelques-unes.
Ainsi, au nord du quartier saint, on voit une chapelle assez pauvre,
connue sous le nom de Piri-Palandouz, c’est-à-dire «du vieillard qui
fabriquait des selles de chameaux »; l'inscription dit que cet édifice
fut construit par ordre du sultan Mouhammed Khodabendèh en
985. Comme dans les titres qui précèdent le nom de ce prince il est
nommé le « grand sultan et le khakan élevé, gardien des pays de
Dieu, conservateur du culte divin », etc., épithètes qu’on ne donne
d'habitude qu’au roi régnant, je crois qu’il s’agit ici du prédéces-
seur de chah Abbas le Grand, Mouhammed-Mirza, qui monta surle
trône en cette même année 985, Assez près de là, presque au bout
de la rue qui conduit du Sehn au cimetière Katle-Gäh, on voit à
droite une belle dalle sépulcrale placée près d’une petite chapelle, et
on y lit l'inscription suivante : «Conformément au verset du Ko-
«ran que fous les vivants sont sujets à mourdr, le pèlerin des deux
» temples Taki de Kirman, mourut et fut enterré ici sous le règne
» de chah Souleiman, en 4078. » Vis-à-vis de la forteresse, à l’est
de la grande place, il y a une chapelle dite Goumbezi Cheikh Mou-
min, très fréquentée par les derviches ; iln’y a pas d'inscription,
mais un des derviches qui y était présent quand je l'ai visitée
m'a dit qu'il savait par la biographie du cheikh qu'il est mort en
904 de l'hégire. Enfin, au bord du canal de Méched, près de la
porte occidentale, s’élève la mosquée de Chah Abbas, construite
en 1032. Presque vis-à-vis de cet édifice se trouvait jadis le
tombeau de Nadir Chah, qu'il fit construire à grand fraïs de
son vivant; mais l’'eunuque Âgha Mouhammed Khan détruisit
ce monument de fond en comble, fit déterrer les ossements
de son illustre prédécesseur et les plaça sous le seuil de la porte
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 343
d'entrée du palais de Téhéran, pour avoir la satisfaction de
fouler aux pieds chaque jour ces trophées de sa tardive vengeance.
Méched a quatorze écoles universitaires. La plus ancienne est
celle qui porte le nom de Douder (deux portes); son inscription
indique qu’elle a été fondée sous le règne de Chah Roukh, en
893 de l'hégire. La seconde est celle de Khairat Khan, fondée sous
chah Abbas Il, en 1058; la troisième, celle de Mirza Djafar, se
trouve dans le quartier saint et a été construite en 1059; la qua-
trième, dite Medressèh de Nawab, fut construite sous le règne
de chah Souleiman en 1076. Six autres écoles furent fondées sous
le règne de ce monarque : celles d’Abbas Koulikhan et Painpa,
en 4078 ; celle de Moullah Mouhammed Baghir, en 1083; celles
d’Irnazar ei Boléser, fondées par Mirza Saad-Eddin en 1091,
et enfin celle de Hadji Hassan, sans indication précise de date.
Les trois dernières, celles de Souleiman Khan, de Mirza Tad)
el d’Ali Naki Mirza, ne portent pas d'indication de dates de leur
construction et sont dans un état peu florissant, Le nombre des
élèves dans ces écoles n’est pas considérable, et parmi les pro-
fesseurs il n’en est aucun qui jouisse d’une grande réputation. La
seule différence que j'aie pu remarquer dans l’enseignement pra-
tiqué à Méched, est que l’on s’y occupe beaucoup plus d’astro-
logic que dans les autres centres d’études en Perse; l’akhound
Moullah Abdurrahman, le principal représentant de cette
science dans le Khorassan, est un homme doué de beaucoup
de perspicacité, et qui, s'ileût été bien dirigé dans sa jeunesse,
pourrait, sans le moindre doute, rendre des services à la science,
Méched a seize caravansérails ; ce sont : les caravansérails des ha-
bitants de Kachan, de Déroud et de Kazvin; ceux de Salar, de Riza
Kouli Mirza, Koumouk, Zembourektchi, Badalkhan, de limam
Djoumé, Guendoum-Abad et Zougal, c’est-à-dire caravansérail des
Charbonmiers. Quatre sont dans le quartier saint : celui du sultan,
construit sous le règne de chah Tahmasib, fils de chah Ismail;
celui deMir-Mouin Riaz; le Dar-ouz-Zawar, construit à l'époque du
34h PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
règne de chah Souleiman, en 1091, comme le dit une inscription
en vers où la date est exprimée par un chronogramme contenu
dans la phrase bb; enfin celui de chah Virdi Khan,
construit en £091, aussi sous le règne de chah Souleiman. Ce der-
nier caravansérail est remarquable par une longue inscription
gravée sur une dalle où les fondateurs ont consigné leurs vo-
lontés concernant la répartition des revenus de cet établissement
cuire Les desservants de la mosquée de l'imam etles pèlerins pau-
vres. Le dernier et le plus ancien des caravansérails est celui du
sultan.
Les environs de Méched ne sont pas riches en monuments
anciens. Nous n’aurons à signaler que les ruines du Moussallah,
imposant édifice construit sous le règne de chah Souleiman, en
1087. I est remarquable par l'élégance de son arcade et par l’har-
monie sévère des couleurs des briques émaillées qui forment les
nombreuses arabesques de sa façade. Ce monument, destiné à
l'office divin célébré les jours des deux grandes fêtes de lisla-
misme, la fête de Kourban et celle du Fitr, a été construit sur le
modèle du Moussallah de Tourouk, achevé en 837 de l’hégire. La
mosquée de Khodja Rebbi, lieu de sépulture de l’instituteur
de l’imam Ali Riza, se trouve à une heure de marche au nord
de Méched. Cette mosquée, a été construite en 1031 par chah
Abbas, sur les ruines d’une chapelle plus ancienne. Une belle
caisse de bois sculpté apportée de l'Inde occupe l'intérieur de
ce temple, et indique l'endroit de la sépulture du cheikh. Non
lein de là, on voit une dalle en marbre qui marque la place où
l’on a enterré Fetkh Ali Khan Kadjar, père d’Agha Mouhammed
Khan, décapité par Nadir-Chah à Méched, en punition d’une ré-
volte qu'il avait fomentée parmi les tribus nomades du nord du
Mazandéran. La mosquée et le jardin qui l'entoure ressemblent
beaucoup à ceux de Kadamgäh; mais ici les arbres ne sont pas
aussi vieux, car les plantations anciennes ont été rasées pendant
l’un des nombreux soulèvements récents de Méched, et n’ont été
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 345
remplacées qu'en 1254, par les soins du ci-devant gouverneur
de Méched, Moussa Khan.
Au commencement d'août, je fis une excursion aux ruines. de
Touss, ou plutôt à l’endroit où ces ruines ont jadis existé. Sortis
de Méched par la porte occidentale, nous tournâmes vers le
nord, et après avoir marché à peu près une demi-heure entre les
jardins des faubourgs, nous entrâmes sans aucune transition dans
une plaine des plus arides. Les trombes de poussière, si communes
dans le Khorassan, se forment avec une grande facilité sur le sol
argileux de ce petit désert, et prennent des dimensions immenses.
La hauteur à laquelle elle s'élèvent (40 à 60 mètres), la couleur noire
des parties terreuses soulevées par ces courants d'air ascendants,
et la forme de cône renversé qu’elles prennent le plus souvent, font
qu’elles ressemblent de loin à des colonnes de famée s’élevant au-
dessus des cratères de volcans. A 7 kilomètres de Méched, on passe
à travers un village considérable, riche en vignobles et en champs
ensemencés de melons. À 7 kilomètres plus loin, en marchant tou-
jours versle nord avec une petite déviation à l’ouest, on rencontre
la rivière de Méched, sur Le bord gauche de laquelle se trouvait Ja-
dis Touss. Nous n’avons pas besoin de dire que c’était une des villes
les plus célèbres de l'Orient. Le khalife Haroun-ar-Rachid y vint
mourir seul, monté sur un chameau, etrongé par les soucis que lui
inspirait l’état précaire de ses vastes domaines. Deux siècles après,
le plus grand poëte de la Perse, Firdoussi, fuyant la‘colère du puis-
sant Mahmoud de Ghizni qu’il venait de stigmatiser pour l’éter-
nité par les vers brûlants de sa satire, expirait là aussi dans la plus
erande misère, sans qu'aucun habitant de son ingrate patrie eût
le courage de lui venir en aide. Saccagée par les troupes de Tchin-
guiz Khan, cette ville se releva bientôt, et l’un de ses enfants, le
célèbre astronome Nassir-Eddin, acquit une si grande influence
sur l'esprit de Halakou Khan, que non-seulement il le poussa à
extcrminer les Assassins, sectateurs de Hassan-Sabbah, mais
aussi à consacrer une grande partie du riche butin de Bagdad
346 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
à la fondation de l'observatoire de Maragha, établissement qui
rendit de véritables services à l'astronomie pratique. Mainte-
nant, sur le vaste emplacement qu’oceupait la ville, indiqué par
les traces d’un mur, on cultive le blé, et il n’y a que deux ruines,
celle d’une tour qui servait probablement d’abri aux sentinelles,
et d’une mosquée qui jadis devait être considérale. Même l’endroit
de la sépulture de Firdoussi n’est connu que par tradition; la
petite chapelle qui, du temps de Fraser, marquait l'emplacement
de son tombeau, a disparu, et le grand poëte repose sous un champ
de blé. À une farsang et demie au nord-ouest de Touss, se
trouvent les sources de la rivière de Méched; elles s’échappent
d’un rocher assez pittoresque, et forment un bassin considé-
rable d’eau limpide et fraiche, riche en poissons et en crabes. Ce
bassin est appelé Tchéchmé-Ghilas, et dans ce pays aride, ses
bords toujours verdoyants ont beaucoup de charme. Pendant que
J'explorais les monuments de Méched, mes compagnons de
voyage faisaient des excursions dans les montagnes, à l’ouest et au
nord-est de la ville; et l’un d’eux, M. Gœbel, accompagné d’un
topographe, sans crainte de la grande chaleur qui régnait alors
dans le Khorassan , exécuta un assez long voyage. Par Tourbeti,
Heidari et Tourchiz, il se rendit au mont Kouhmich d’où il des-
cendit à Sébzévar. Puis, ayant franchi la grande chaîne latitudi-
nale du Khorassan, il visita Kabouchan, d’où il revint à Méched
deux jours avant notre départ de cette ville pour Hérat.
Après maintes difficultés, je parvins à louer les chevaux, les mu-
lets et les chameaux dont j'avais besoin pour continuer le voyage.
Généralement il n’est rien de plus facile que de trouver des bêtes
de somme à Méched, mais, dès que les muletiers apprenaïent que
nous avions l'intention de nous rendre dans l'Afghanistan, ils me
restituaient les arrhes et se refusaient de me fournir des chevaux,
tellement ils craignaient les Afghans. Enfin, le 26 août, j'ai pu
faire ce qu’on appelle en Perse le nakli-mekan, c’est-à-dire me
transporter hors de la ville et camper dans les alentours, Jai
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 347
choisi pour ma première station la vaste enceinte du Mous-
sallah. Cette station préliminaire est rendue presque indispen-
sable par l’incurie des domestiques persans, qui ne peuvent jamais
terminer d’un seul coup les apprêts de route : ce n’est qu’au pre-
mier campement qu'ils s’aperçoivent qu'ils ont oublié mille
choses indispensables. Ayant pris congé du prince sultan Mourad
Mirza, gouverneur du Khorassan, l'un des enfants d’Abbas Mirza
qui ressemble le plus à son illustre père par les charmes de son
esprit et par son sincère désir de s’instruire, et ayant remercié le
savant Moutavalli Bachi et le Kawam-ud-Doulet de leurs nom-
breuses attentions et des soins qu’ils avaient pris pour me rendre le
séjour de Méched aussi agréable qu'il dépendait d’eux, je fis, le 27,
une courte marche de deux farsangs jusqu’aux ruines de Mous-
sallah de Tourouk ; et comme le seid Aboul Hassan-Chah, bomme
de confiance du chef de Hérat, qui devait m'accompagner, était
retenu à Méched jusqu’an 29, je passai le 98 à Tourouk. Cette
localité déserte, mais entourée de villages, sert habituellement de
station aux caravanes qui se rendent à Hérat; elle n’est éloignée
que de 3 kilomètres de la chaîne peu élevée qui borne au sud
la vallée de Méched. Une montagne de cette chaîne porte le nom
de Kouhi Yakout, montagne de Rubis, et l’on y trouve en effet
de petites grenades. Le 29, ayant laissé à notre gauche une cha-
pelle érigée par le sadri Azam en mémoire d’un saint qu'il comp-
tait au nombre deses ancêtres, nous entrames dans les montagnes.
La montée n’est pas difficile, et le col qu’on franchit est peu
élevé; mais le pays porte un cachet d’aridité et de stérilité com-
plètes. Les profondes déchirures des pentes méridionales de cette
chaîne ne contenaient pas une goutte d’eau, et le petit caravan-
sérail Khakister, situé au bas de la descente, n’a qu'une pauvre
citerne remplie d’eau saumâtre, laquelle néanmoins sert de ren-
dez-vous aux ânes sauvages qui viennent en masse s'y désaltérer,
au risque de se faire tuer par les chasseurs. Presque pendant
tout le trajet, le terrain avait gardé son triste caractère d’absolue
348 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
stérilité; ce n’est qu'à Kehrizdémé, petit village situé à cinq far-
sangs de Tourouk, que nous retrouvâmes un peu de verdure.
Quoique la route que nous venions de parcourir füt assez bonne,
et même carrossable, nos chameaux ne nous rejoignirent que deux
ou trois heures après notre arrivée.
Le 30, pour éviter un long détour, nous franchimes de nouveau
la chaine par un col si peu élevé qu’on le remarque à peine. Nous
descendimes dans la plaine près du village Faraghird. Cet en-
droit, appelé plaine de Bendi-Feridoun (ou Ferimoun, d’après la
prononciation de villageois), est renommé pour ses pâturages; il
doit son nom à une digue munie d’écluses, construite à une
époque reculée dans une des gorges de la chaîne, pour y arréter
l'eau pluviale et celle d’un petit ruisseau qui y coule. On emplit
ainsi un vaste bassin, dont l’eau suffit à l'irrigation des champs
voisins. À l'entrée du village Ferimoun, je fus recu par le fils du
chef des tribus Hezarèhs forcées de suivre l’armée persane lors de
l'évacuation du territoire de Hérat par les troupes du chah. Toutes
les plaines entre Tourbeti Cheikhi Djam et Méched furent alors
livrées par le gouvernement persan à ces nomades, nouveaux
sujets du chah, au grand mécontentement des anciens proprié-
taires de ces terres fertiles, et sans satisfaire les transportés qui re-
grettaient hautement leurs beaux pâturages de la plaine de Badghis.
L’extérieur monghol de ces nomades, qui occupent presque tout le
pays situé entre le Khorassan oriental et Kaboul, et la pureté de
la langue persane dont ils se servent, ont été pour moi une véri-
table énigme ethnographique; mais elle s'explique tout naturelle-
went. Les Hezarèhs de Badghis sont d'origine ouzbek; jadis ils fai-
saient partie de la tribu Berlas qui campe encore aujourd'hui dans
le voisinage de Chehri-Sebz, ville située au sud-est de Boukhara
el connue comme le lieu de naissance de Tamerlan. Quand ce con-
quérant nomma, en 799 de l'hégire, son fils Chah Roukh gouver-
neur du Khorassan, il envoya avec lui à Hérat mille familles, un
hezarëh, de ces nomades, en qualité de gardes de corps, et comme
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 3149
des gens sûrsjet attachés à sa dynastie. Entourés de populations
d’origine persane, ils oublièrent bientôt leur langue; mais, comme
en général ils ne se mariaient qu'entre eux, ils conservèrent leur
extérieur monghol. Un autre groupe de mille familles de la même
tribu fut bientôt après transféré à Badakhs-chan, où il estencore,
et, où d’après ce que l'on m'a dit, il a conservé sa langue et
porte le nom de Hezarèh-Berlas. Ces migrations forcées devaient
âtre-très usitées sous la domination monghole, car on rencontre
déjà le terme de hezaredjat, collectif de hezarèh, en 694 de l’hé-
gire, mentionné dans un firman de Ghazan-khan, par lequel ce
kaan confie à Mouzaffer la mission de veiller à la sécurité des
routes entre Hérat et Merv, de même qu’à celles de tout le Kho-
rassan. C’est la plus ancienne mention de ce peuple qu'il m'est
arrivé de rencontrer dans les auteurs orientaux. Il est probable
que ces déplacements administratifs de peuplades entières ont eu
des précédents antérieurs au règne de Ghazan-Khan; toutefois
les Hezarèhs nous présentent un phénomène assez rare, s’il
n’est pas unique, dans l’ethnographie des races turques, à savoir,
l'abandon de leur propre langue en faveur de l’idiome usité avant
leur arrivée dans le pays où ils se sont établis. Partout ailleurs,
dans le nord de la Perse, dans les proyinces situées au sud du
Caucase, comme dans l'Asie Mineure et dans la Russie méridio-
nale, les races d’origine turque ont éliminé presque complétement
les idiomes des aborigènes, ou, si elles ne pouvaient le faire,
elles ont conservé du moins, avec une ténacité remarquable,
leur propre langue. Dans cette lutte des idiomes, c’est surtout le
persan qui à perdu beaucoup de terrain ; le Chirvan, l’'Arran
et l’Aderbeidjan jusqu'à Hamadan inclusivement, où l’on parlait
encore.le persan au vi siècle de l’hégire, ont adopté sans ré-
serve le turc. Cette révolution s’accomplit avec lenteur ; la
domination des Seldjoukides n’a pas pu la consommer entière-
ment, car Yakout, contemporain de Tchinghiz khan, a trouvé
qu'on parlait dans l’Aderbeidjan une langue qu'il nomme Azeri,
vil. 45
350 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
et presque cent ans plus tard, le cheikh Sef-ed-in, comme nous
V'apprend Pauteur du Suffetisafa, s’amusait à composer à Ardebil
des vers en pehlevi, que tout le monde comprenait encore au com-
mencement du vin siècle de l'hégire.
Le 31 août et le 1° septembre, nous restâmes à Kalendarabad,
village situé dans la même plaine et au pied des mêmes mon-
tagnes, qui commencent ici à se revêtir de quelques broussailles
composées en grande partie de Juniperus eæcelsa. Le 2 septembre,
nous traversâmes une contrée dont le sol est accidenté par des
embranchements de la même chaîne. Le terrain reste mame-
lonné jusqu’au village de Bourdou, distant de 4 farsangs de Kalen-
darabad; au delà, la plaine s’élargit, mais elle est coupée par de
nombreux ravins plus ou moins profonds qui servent de lit aux
torrents d’eau pluviale. Les villages sont ici beaucoup plus fré-
quents que dans le voisinage et à l’est de Méched. Nous laissâmes
à notre droite, à 1 farsang de Bourdou et à 3 kilomètres de la
route, le village Khassanek ; à un demi-farsang plus loin, on tra-
verse celui de Douzanek, à 3 kilomètres et demi duquel on par-
vient à un bourg considérable appelé Abdalabad. On fit quel-
ques difficultés à nous y admettre; mais, après avoir compris que
nous n'avions pas l’intention d'être logés et nourris gratis, l’on
finit, comme toujours, par assigner pour notre campement le
meilleur jardin de l’endroit. Les habitants poussèrent même l’at-
tention jusqu’à démolir, dans cet accès de réaction hospitalière,
une partie du mur qui entourait ce jardin, pour que nos chevaux
et nos chameaux chargés pussent y entrer plus facilement. Le 3,
nous marchâmes tout le temps dans la plaine, et par une route
large et unie, nous atteignîmes le village Lenguer à 3 farsangs de
votre dernière station. Cette localité est très ancienne; son nom
veut dire port, station de navires. D’après une tradition-du pays;
jadis une grande partie ide la plaine se trouvait sous l’eau, et
Lenguer servait d’abri aux bateaux. Actuellement, ce village
est connu comme lieu de sépulture du cheikh Kassim Anvari, en
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 351
mémoire duquel on y a construit une assez belle mosquée. À l’un
des murs de cet édifice est fixée une dalle sur laquelle on a gravé
un firman de l’an 1046, d’après lequel les habitants de ce district
sont exemplés de quelques impôts ; le nom du roi n’est pas men-
tionné dans ce document, mais il n’y a pas de doute qu’il n’ait élé
promulqué sous le règne de chah Sefi. Presque tous les villageois
sont des Nakchbendis, secte fondée dans le vm° siècle de l’hégire
par le célèbre cheikh Beha-ed-din Nakchbend, né en 718, mort
et enterré près de Boukhara en 791. Le 4, de grand matin, les
plus fervents d’entre les sectaires vinrent dans la mosquée, près
de laquelle étaient placées nos tentes, pour se livrer à l’exercice
pieux dit zikr, qui leur a été imposé par leur mourchid ou chef
spirituel, Khalifèh Mahmoud Khodja, fils de Pavend Khodja, éta-
bli dans un village voisin nommé Amghan. Cet exercice, qui n’a
pas duré moins de cingheures, consistait en un chant exécuté en
chœur, et en une espèce de danse qui se terminait par de pro-
fondes génuflexions après lesquelles tout le monde se mettait à vo-
ciférer de toute la force des poumons, et pendant un temps assez
long, toujours la même invocation äa hou (oh ! Dieu).
L’éloignement de ce pays de Khiva et de la steppe des Turco-
mans ne le met pas à l'abri des incursions des hordes de ces deux
pays; il y a tente ans, Allah Kouli khan de Khiva vint deux ans
de suite dévaster ce disirict. La première année, il se borna à
emmener en captivité tous les habitants du village Amghan que
je viens de mentionner ; l’année suivante il en fit autant pour les
habitants des villages voisins Ravend et Simourghab, et plusieurs
de ces malheureux villageois n’ont été délivrés de leur captivité
que cette année même par les soins de l’envoyé russe à Khiva, le
colonel Ignatief. Tourbeti Cheikhidjam n’est éloigné de ce village
que de 4 farsangs; la route qui y mène est large et bien tracée.
Nous avions à notre droite toujours la chaîne de Méched; les
montagnes de la gauche n'étaient pas visibles, tant à cause de leur
éloignement qu’en raison du brouillard sec qui nous accompa-
#
302 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
gnait depuis notre départ de Méched, et qui entravait beaucoup
notre levé topographique. J’observerai, en passant, que l’asser-
tion de Conolly que la chaîne latitudinale du Khorassan éprouve
ici une rupture, n’est pas très exacte, quoique les apparences
sont telles qu’il n’est pas difficile de se tromper à cet égard.
Obligé d'attendre à Tourbeti Cheikhidjam la nouvelle de l'ar-
rivée de l’escorte afghane, que le chef de Hérat avait promis d’en-
voyer à ma rencontre à la frontière de ses États, je suis resté
quatre jours dans cette petite ville, et j'ai eu tout le loisir d’exa-
miner en détail le seul monument qu'elle possède, le tombeau du
santon dont elle porte le nom ; et comme souvent ce cheikh à été
confondu avec le poëte Djami, comme nous l’avons vu dernière-
ment encore par M. Ferrier, je me permettrai de dire quelques
mots sur ce personnage très révéré jusqu’à présent dans celte par-
tie du Khorassan, où ses descendants ont joué un grand role, et
où ils constituent toujours la famille la plus influente du pays.
J'ai eu entre les mains deux biographies du cheikh; la première
est extraite du Æhoulaçat oul moukamat d'Aboul Mekorim, fils
d'Ala el-Moulk de Djam, et dédiée à Chah Roukh en 810 der
l'hégire. La seconde est d’un certain dervich Ah de Bouzdjand;
cette notice biographique fut terminée au mois de Redjeb de
l’an 929 de l’hégire. Ces deux ouvrages se complètent l’un l’autre,
et rectifient en partie les renseignements qui nous sont fournis
sur le cheikh par Ibn Batoutah. La première de ces biographies est
beaucoup plus riche en dates chronologiques, et la seconde en
détails sur la vie privée du cheikh. Comme toujours, ses biogra=
phes lui attribuent une origine arabe; d'après eux le cheikh était
le 7° descendant de Djoureir Abdoullah Badjelli, qui était lui-même
le 31° descendant d'Abraham. Le cheikh naquit en 40 de lhégire
à Namik, village du district de Tourchiz, et fut appelé Ahmed. Jus-
qu’à l’âge de vingt-deux ans il mena une vie assez dissipée, mais à
cette époque il se repentit, et l'histoire de sa conversion, à quelques
variantes près, est la même que cellé racontée par Ibn Batoutahr
#
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 353
Ayant abjuré son passé, il se retira dans une caverne de la mon-
tagne Kouhi-nemek, où il resta douze ans à mortifier sa chair
par le jeûne, par les flagellations et par d’autres pratiques reli-
gieuses. Sa renommée s’étant répandue dans le pays, sa retraite de-
vint le rendez-vous des croyants qui venaient implorer ses saintes
intercessions auprès de Dieu. Dérangé par ces importunités dans
ses occupations contemplatives , il abandonna son hermitage et
alla se réfugier dans la montagne dite Kouhi-iazdi Djam, oùil resta
encore six ans. À cette époque un ordre du ciel lui ordonna de re-
tourner parmi les hommes, et de veiller à cequ'ils ne s’écartassent
point de laroute prescrite par Dieu dans son Koran. On prétend que
déjà du temps de \Melik chah Seldjoukide, le cheikh, ayant appris
par une voie indirecte les inclinations secrètes de Berkiarouk en
faveur des Assassins, et prévoyant que cette prédilection Jui nui-
vait dans l'opinion du peuple, prédit que le trône serait occupé par
Sandjar. Ces prédictions aident toujours en Orient les prétendants
à s'emparer du pouvoir suprême. Sandjar n’oublia pas ce service ;
il honora le cheikh de sa confiance, et venait parfois le consulter.
Entre les années 510 et 533, le cheikh, qui, d’après ses biographes,
n’a jamais rien étudié, composa, par inspiration divine, quatorze
volumes d'ouvrages sur le Chariat, le Tarikat et le Hakikat; mais
l'auteur de la dernière des deux biographies que nous avons citées
n'a vu que neuf de ces traités, et il prétend que les cinq autres
ont péri pendant l'invasion de Fchinghiz-khan. Après avoir
accompli le pélerinage de la Mecque, le cheikh mourut à Djam le”
10 du mois de Mouharrem de l’an 536 de l'hégire. De 42 enfants
qu'il eut durant sa vie, dont 39 fils et 3 filles, 14 enfants mâles
lui survécurent, et son biographe du 1x° siècle de l’hégire prétend
qu’à l’époque où il écrivait, lon comptait 1000 individus appar-
tenant à la descendance du cheikh.
Les établissements pieux consacrés à la mémoire du cheikh sont
en état de ruine, comme presque tous les monuments dela Perse,
où chaque souverain et gouverneur dépense volontiers des sommes
854 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
considérables en bâtisses nouvelles, mais considèrecomme au-des-
sous de sa dignité de réparer un monument ancien. Une belle
porte surmontée d’une tour carrée très élevée et flanquée de deux
mosquées, l’une dite Goumbezi Sefid, et l’autre Mesjidi Kirmani,
conduit à une longue cour allant du nord au sud, où sont en-
terrés le cheikh lui-même, plusieurs membres de sa famille, et
quelques personnes, qui, par des dons pieux en faveur de cet éta-
blissement, ont acquis le droit de reposer après leur mort à côté
du saint patron de Djam. Vis-à-vis de la porte d’entrée se trouve
une mosquée, près de laquelle, à l'ombre d’un immense pistachier,
reposent les restes du cheikh; son tombeau est entouré de ceux
de ses enfants, et chacun de ces monuments funéraires est enfermé
par une balustrade. Une vaste mosquée cathédrale, adossée au
mur septentrional de la cour, la sépare d'une enceinte non moins
spacieuse entouréc jadis de toutes sortes d'établissements pieux,
hospices, logements des pèlerins, eic.; mais maintenant ce n’est
qu’un monceau de ruines. En dehors de la première cour, près du
mur méridional, on voit les ruines d’une petite Khanaka, ou
couvent de derviches, seul édifice construit du vivant du cheikh,
deux fois réparé et agrandi depuis par son petit-fils le Cheikh
Oul-Islam Koutb-ed-din, et par le Timouride sultan Hussein
Mirza, mort en 911 de l’hégire. La mosquée qui fait face au tom-
beau du cheikh a été construite par un descendant du sultan
Sandjar en 633 de l’hégire, mais elle fut agrandie et embellie par -
Meiik Guiath-ed-din Mouhammed fils de Mouhammed, fils de
Mouhammed, fils d’Abi Bekr Kert, en 730 de l’hégire. Une grande
médresseh, faisant face à la mosquée cathédrale, à été construite
en 846 de l’hégire, sous le règne de Chah Roukh, par un certain
Amir chah Mélik. Enfin, à l'occident et en dehors de ces édifices,
on montre les restes d’un couvent de Derviches construit par
Tamerlan. À l’époque où Ibn Batoutah visita ce monument, il
élait encore dans un état florissant; mais quand chah Abbas passa
par jam pour aller assiéger Kaiher, il commençait à tomber
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRAIE. 355
en ruines, et peu s’en fallut que le chah ne le fit détruire comme
un établissement consacré à la mémoire d’un saint sunnite. Maïs
lorsqu'on défonça la voûte sépulcrale du caveau où était enterré
le cheikh, on y trouva un rouleau de papier qu’on fit voir au
chah, qui, ayant pris connaissance de ce qui y était tracé, acquit
la certitude que le cheikh était pur de toute hérésie, Alors, non-
seulement il révoqua son premier ordre, mais promit solennelle-
ment de reconstruire tous les édifices qui entouraient le tombeau
du cheikh, si Dieu lui accordait la victoire. À son retour de Kan-
dahar, le roi tint parole, en sorte que presque toutes les construc-
tions qu’on y voit actuellement ont été retouchées à l’époque du
règne de chah Abbas, Un vaste et beau jardin s'étend à l’est de la
cour principale; le centre de ce jardin est occupé par un bassin
abrité par une large coupole et rempli d’eau limpide très pois-
sonneuse,
Le, 8, je fus enfin informé qu’une escorte afghane, forte de
400 cavaliers, m’attendait à la frontière, et comme nous avions
devant nous une longue étape de 12 farsangs sans eau, j'expédiai
nos chameaux à 11 heures du soir, et je me mis en route à 4 heure
après minuit. Les Hezarèhs qui faisaient partie de mon escorte
persane vinrent me prier de leur permettre de rester à Djam, par-
ce qu’ils avaient appris que parmi les gens envoyés à ma rencontre
devait se trouver Rahim DadBek, chefdes tribus hezarèhs établies
près de la frontière, qui, il y avait à peine une dizaine de jours, avait
attaqué leur campement, enlevé une quantité de bétail et tué quel-
ques hommes; en sorte qu'étant en délicatesse avec les Hezarèhs
de Hérat, ils craignaient qu’une collision ne s’en suivit. Nous mar-
châmes toute la nuit dans une plaine aride et brûlée par le soleil;
à 3 heures du matin, nous laissâmes à gauche un embranchement
de la route qui conduit à une citerne appelée Houzi-Séfid, où il y a
de l’eau, et à 6 heures 30 minutes nous arrivâmes à Abbas Abad,
ruines d’un grand caravansérail construit, comme l’indique son
nom, par ordre de chah Abbas, et muni jadis d’un vasteacqueduc
256 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
souterain dont il reste maintenant à peine quelques traces, et per-
sonne ne songe à rétablir un établissement aussi utile pour les
voyageurs et les commerçants, Nous lrouvämes dans ces ruines
denx cavaliers placés en védette par le chef de l’escorte afghane
pour le prévenir de notre approche, et à un kilomètre plus loin,
le sartib (major général) Nasfr Oullah et Rahim dad Bek vinrent
nous complimenter sur le territoire de Hérat, au nom de leur
maître sultan Ahmed khan. Le sartib, qui portait le costume pit-
toresque des Afghans, avec un pardessus tout chamaré d’or, était
très beau, et l'expression pleine de douceur de ses grands yeux
noirs ne permettait guère de soupçonner Ja cruauté dont il était
capable; tout en m’adressant une série de compliments, il fit
quelques observations à voix basse à un homme de sa suite, et
j'étais bien loin de prévoir le résultat tragique de cette commu-
nicalion secrèle faite avec le plus grand calme. Ce ne fut que deux
jours après, que j’appris qu'il avait fait tuer, sans autre forme de
procès, un pauvre cavalier tadjik qui l’avait impatienté par sa
mauvaise tenue.
Après une marche non interrompue de 40 h. 30 min., par une
chaleur qui commençait à devenir suffocante, nous arrivames à
Kehriz, village considérable, mais ayant une eau amère et sau-
mâtre presque impotable. Nos chameaux avaient mis 13 heures à
parcourir les 12 farsangs de notre trajet, exactement comme cela
est noté chez M. Ferrier. La farsang de Hérat, comme celle du
Khorassan, n’a pas moins de 7 kilomètres de longueur, en sorte
que d’après ce calcul, nos chameaux auraient fait ce jour-là, en
moyenne, 6 kilomètres et demi par heure, ce qui me paraît
être le maximum de vitesse pour le dromadaire ordinaire; quant
aux chameaux bactriens, ou chameaux à deux bosses, ils ne font
en moyenne que A kilomèires par heure, mais ils portent une
charge d’à peu près un üers plus pesante que le dromadaire,
lequel n’est jamais chargé de plus de 52 kilos et demi, tandis
que le chameau bactrien porte souvent 72 kilos. Les chameliers
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 357
du Khorassan, qui sont bien loin encore de considérer le temps
comme de l'argent, préfèrent le chameau bactrien au dromadaire,
et, bien que je me trouvasse précisément sur la limite de Yhabita-
tion ordinaire des deux espèces, je n’ai jamais entendu dire qu’on
les accouplâät pour obtenir une espèce nouvelle, féconde et supé-
rieure à chacune des espèces génératrices.
L’extrèême sécheresse de l'air, un vent très fort, et surtout la
mauvaise qualité de l’eau, nous rendaient le séjour de Kébriz fort
désagréable, et, quoique le soir on nous apportät de très loin
de l’eau potable, nous fümes très contents, le 10, de quitter, de
grand matin, cette station. À 2 farsangs de Kéhriz, nous passämes
près d’un caravansérail assez bien conservé, et que M. Ferrier
ne mentionne pas. À 3 farsangs plus loin, nous nous arrêtâmes
auprès d’un caravansérail dont le profond bassin, soigneusement
construit en pierre de taille, était abrité par une belle coupole et
rempli d’une eau excellente. La plaine qui s'étend devant cet
édifice fut, sous le règne de Fetkh Ali chah, le théâtre d’une
rencontre sanglante entre les troupes afghanes et les Persans.
Ce combat est peut-être unique dans son genre dans les fastes
militaires, car, après un début assez énergique, les deux armées
s’enfuirent du champ de bataille pleinement convaincues que cha-
cune d'elles était défaite, De l'endroit de notre halte, on voyait
déja poindre à l'horizon les iamaris qui croissent au bord du
Heriroud, et bientôt, en effet, nous atteignimes la lisière de ce
petit bois ; ce fut là aussi que nous rencontrames les premiers
sables mouvants, sol qui, dans l’Asie centrale, comme on ie sait
par les recherches de M. Bunge, possède une flore qui lui est
particulière. Nous passâmes le Heri-roud à gué ; il était assez large
dans cet endroit, mais il avait peu d’eau, et encore disparaissait-
elle souvent sous des bancs de sable. La végétation de la rive
droite est encore plus vigoureuse que celle de la rive gauche. Les
tamaris, les ifs et les platanes atteignent ici des dimensions consi-
dérables, et le plaisirde rencontrer un bois après en avoir été privé
YL. 46
358 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
pendant si longtemps nous faisait vivement désirer de camper au
bord de l’eau; mais l'endroit n’était pas assez sûr, et l’on nous
conseilla de pousser un peu plus avant jusqu’à Kussan, ou Kussa-
vièh, comme on désigne cette localité dans les actes publics.
Actuellement, c’est un amas de ruines; mais elles occupent un
espace immense ; il n'y a pas trente ans, ce bourg comptait plus
d'habitants que Hérat, et son nom était souvent mentionné dans
l'histoire de la Perse orientale. Contemporain pour l’origine de la
ville de Fouchendj, Kussan a prospéré sous la dynastie des Kerts.
Tamerlan le donna en apanage à sa sixième femme, Touman
Agha, fille de l’émir Moussa, qu'il épousa en 779, Après la mort
de ce conquérant que Touman avait accompagné dans presque
toutes ses campagnes, elle se retira à Kussan et y vécut fort long-
temps, car en 84h de lhégire elle y construisit une belle
médresseh, avec une mosquée où elle a été enterrée. Je n’ai pas
besoin d'ajouter que la médresseh et la mosquée tombent en
ruines. Sous les Séfévides ce village était florissant, mais n’a
pas mérité, à ce qu'il me paraît, une mention spéciale dans l’'his-
toire. Sous les Kadjars, il fut souvent le théâtre de luttes san-
glantes entre les Persans et les Afghans. Feu Mouhammed chah,
encore héritier présomptif, y a été complétement défait, et le sou-
venir amer qu’il a conservé de cel échec militaire explique l’éner-
gie si peu commune qu'il a déployée pour entreprendre l’expé-
dition de 1839 contre Hérat, en, dépit de la vive opposition de
la mission anglaise. C’est surtout pendant cette campagne si
funeste pour le territoire de Hérat, que Kussan a été dévasté de
fond en comble, et sa destruction a été si complète que depuis
cette époque ce bourg n’a jamais pu se relever. .
Comme je tenais à voir Ghourian, forteresse si souvent meñ-e
tionnée dans les ouvrages imprimés et manuscrits sur le siége de
Hérat, nous quittàmes, le 11 septembre, la route ordinaire des
caravanes, et nous nous dirigeämes en amont du Héri-roud, le
long des collines sablonnenses qui en forment la rive droite. À
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 359
1 farsang de Kussan, nous laissämes à notre droite un grand etflo-
rissant village nommé Tirpoul, et nous descendimes dans le Hit de la
rivière de flérat, à sec dans cet endroit. Une quantité prodigieuse
de tamaris croissait au fond de ce ravin, et d’après ce que l’on m'a
dit, ce petit bois était très giboyeux. On prétend qu'on y ren-
contre même des léopards, maïs nous n’y avons vu que des lièvres
qui partaient à chaque instant sous les pieds de nos chevaux.
En face de l'endroit où nous avons traversé le lit desséché de la
rivière, se trouve un grand village dit Chemsièh, au delà duquel
on marche à travers une plaine unie, limitée au sud par les mon-
tagnes de Ghourian, ville qui est à 5 farsangs de cettelocalité. La
plaine quenous parcourions élait assez bien cultivée. À droite et à
gauche on voyait beaucoup de villages et de châteaux isolés; mais
sur la route même nous ne renconträmes qu'une seule ferme et
un assez grand village nommé Eistivan. Près de ce village, l’un des
plus grands dignitaires de Hérat, ami du chef de cette province,
Mansour khan, vint nous complimenter de la part de son maître.
Ayant échangé à pied les compliments d’usage, nous remontimes
à cheval, et dans moins d’une heure nous arrivàmes à Ghourian,
où l’on avait dressé, pour notre réception, dans un vaste jardin,
de très belles tentes dont les tapis étaient couverts d’une masse
de plateaux sur lesquels on avait empilé les différentes sucreries
qu'ilest d'usage, dans ceite partie de l'Orient, d'offrir aux voya-
geurs, Le 12, nous restämes à Ghourian, qui est un très grand
village, ou plutôt uneriche bourgade, quoique moins considérable
que ne l'était jadis Kussan; ses rues sont étroites, tortueuses et
coupées par de profonds canaux. L'ancienne forteresse, démantelée
et presque entièrement rasée par les Persans, était abandonnée,
ct Von travaillait à la construction d’un nouveau fort au nord-
est du village, Le 13, nous repassâmes encore une fois le Héri-
roud, et, par une plaine argileuse, couverte en partie d’efilores-
cences salines et en partie de gras pâturages, nous arrivames à
Chekiban, village situé à 4 farsangs de Ghourian et à 2 et demi
360 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
de Hérat. Un peu au delà de cette localité, par un temps serein,
on découvre les minarets du moussallah de Hérat.
Le 1h, nous fimes notre entrée à Hérat, accompagnés de plu-
sieurs compagnies de troupes régulières, de palanquins d'honneur
couverts de brocards d’or, et d’une foule d'employés hératiens à
cheval, envoyés à notre rencontre à 2 kilomètres de la ville avec
Pun des fils du chef de cette province. Je ne ferai pas de description
détaillée de cette ville célèbre. J'ai eu le désavantage de la voir
très peu de temps après une guerre qui a duré plus d'un an, et
après la destruction volontaire de leurs propres maisons par les
riches Chiïites de la ville, qui, s’étant décidés, an moment de son
évacuation par les troupes persanes, à suivre ces dernières, ne vou-
laient pas que les Afghans profitassent de leurs biens; en sus, la
description de Hérat faite par M. Ferrier est si détaillée et si exacte
sous beaucoup de rapports, que je puis me borner à tracer un
tableau succinct de la ville et de son territoire.
Hérat a joui de tous temps en Orient de la réputation d'une
place forte de premier ordre, La difliculté que trouvèrent les
conquérants monghols à la réduire, l'échec qu'éprouva sous ses
murs louhammed chah, et enfin le long siége que la ville a sou-
tenu pendant la dernière guerre, tout cela a confirmé les Orien-
taux dans l’idée qu'ils se sont faite de la valeur des fortifications
de Hérat; mais cette idée n’en est pas plus exacte. Les murs de
la ville forment un périmètre carré d’un kilomètre de côté. Ils sont
orientés presque exactement d’après les points cardinaux; en
sorte, comme l’a très bien observé M. Ferrier, que Hérat n’est à
proprement parler qu'une redoute , d'autant plus difficile à défen-
dre que près de son angle nord-est elle est dominée par une élé-
vation à cime spacieuse, couverte de constructions solides dont
chacune peut servir à l’étabiissement d’une batterie formidable, et
que ce mamelon n’est éloigné du mur septentrional de la ville et
de son bastion nord-est que de 6 à 700 mètres. Le mur de Ja
ville, à sa base, est, ilest vrai, très épais, mais l’assaillant n’aurait
PARTIE MÉRIDIONALE .DE L'ASIE CENTRALE. 861
pas besoin de le battre en brèche pour réduire la place, car, sauf
une partie du château situé au nord de l’enceinte fortifiée près de sa
porte nord-ouest, et sauf quelques maisons collées contre le mur,
tous les quartiers de Hérat sont exposés à une destruction rapide
par quelques centaines de bombes lancées de l'élévation sus-men-
tionnée. Le mur et le château fort sont entourés de larges
fossés remplis d’eau; mais comme cette eau est tirée des canaux
qui passent en dehors de la ville, elle peut facilement être coupée,
et alors les habitants seront réduits à ne se servir que de l’eau
d’un énorme bassin qui se trouve au centre de la ville, et de celle
d’une source très peu abondante située dans le quartier nord-est.
On prétend que ce bassin contient assez d’eau pour suffire pen-
dant quatorze mois aux besoins des habitants; en admettant
même que le fait soit exact, au bout de huit mois, surtout en été,
l’eau, n’étant pas renouvelée, pullulera de vers et deviendra im-
potable, outre que ce réservoir, abrité par une immense coupole
distinciement visible de l'élévation nord-est, n’en est éloignée
que d’une moyenne portée de canon, et peut être abattue par deux
ou trois coups bien dirigés : en ce cas ses ruines sufliraient pour
combler le bassin et priver les habitants de son secours.
Le mur septentrional est percé de deux portes; les trois
autres murs n’en ont qu'une chacun, Hérat est située dans une
plaine qui s'étend au sud à une dizaine de farsangs, mais au nord
et à l’est elle est bornée par des montagnes à la distance d’une
demi-farsang à une farsang. Cette plaine est arrosée par un réseau
de neuf grands canaux etune multitude de petits, et nulle part en
Orient je n'ai vu des aqueducs creusés avec autant d’art, entre-
tenus avec autant de soins, et munis de ponts aussi solides;
même les canaux de Boukhara, de Samarcande et d'Ispahan,
célèbres dans tout l'Orient par leur construction, ne peuvent leur
être comparés sous le rapport de la beauté du travail. La fertilité
de la vallée de Hérat est proverbiale, et même actuellement où
les neuf dixièmes des villages qui la couvraient jadis, et qui la cou-
362 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
vriront encore sile pays reste tranquille pendant vingt-cinq ans,
ont disparu, cette plaine produit beaucoup plus de céréales que
la ville et ses faubourgs ne peuvent en consommer. Je ne crois
pas que la iradition d’après laquelle, sous le régime des Monghols,
un chien pouvait courir par les toits de Hérat à Gazirgäh, à une far-
sang de la ville, soit très exagérée. Le Héri-roud coule à 4 farsang
au sud des murs de Hérat; un magnifique pont en pierres de
taille, dit Poulimalan, construit sur vingt-trois arches, réunissait
jadis les deux bords du fleuve. Maintenant il commence à tomber
en ruines et Veau de la rivière a changé de lit, en sorte qu’une
partie du pont est à sec, ce qui entrave beaucoup le commerce ; car
pendant la crue des eaux, au printemps et en automne, la rivière
cesse d’être guéable, et les caravanes venant de Kandahar, de
même que celles qui s’y rendent, doivent camper sur la rive gauche
du fleuve, en épiant le moment de pouvoir le passer sans danger.
Üne grande rue traverse la ville de la porte nord-ouest à celle
du sud ; elle n’est interrompue que par une place qui se trouve
devant le château. À l’époque de mon séjour à Hérat, toute l’ac-
tivité de la ville était pour ainsi dire concentrée dans cette seule
rue, qui contenait tous les bazars et tous les caravansérails;
mais à droite et à gauche, derrière les boutiques, on ne voyait
que ruines et décombres. Le quartier sud-ouest surtout était
bouleversé, au point qu'il était presque impossible d’y distin-
guer la direction des rues. Le jour, cette grande artère de Hérat
présentait un aspect très animé; on y renconirait des représen-
tants de toutes les peuplades de l’Asie centrale, et d’une grande
partie de l’inde et de la Perse. Nonobstant cette bigarrure de
population, quoique même que le vin et le beng se vendent ouver-
tement, et que les courtisanes exercent leur mélier d’une manière
ostensible, il s’y commettait moins de crimes qu’à Méched; pen-
dant les cinq mois que nous sommes restés à Hérat, il n’y a eu
qu'un seul cas de vol avec efraction, et quelques cas de rixes et
de coups de poignards plus ou moins graves. On doit attribuer
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 363
cette sécurité, peu commune aux villes orientales en général,
et aux villes afghanes en particulier, à l’absence d’un asile invio-
lable, mais surtout à la vigilance de la police et à la sévérité
déployée par les patrouilles qui parcourent la ville pendant la nuit.
Le chef actuel de Hérat, sultan Ahmed Khan, a fait preuve
d’une grande énergie et d’un talent administratif peu commun,
ayant su asseoir son pouvoir sur des bases assez solides, en dépit
des nombreuses diflicultés dont il était entouré au commencement
de son administration. Tout homme que la police rencontre dans
les rues après le coucher du soleil, et qui ne peut justifier, en pro-
nonçant le mot d’ordre, son droit de circuler dans la ville à cette
heure indue, est saisi el détenu comme malfaiteur. En Europe,
une pareille sévérité serait intolérable, mais dans VAfghanistan,
elle suffit à peine pour protéger avec efficacité la vie et les biens
des habitants.
Le climat de Hérat est renommé pour sa salubrité. En été, la
chaleur est tempérée par un vent d'est, soufflant presque sans dis-
continuer pendant quarante jours; en hiver, le thermomètre des-
cend quelquefois à 19 degrés centigrades, mais ce froid ne dure
que quelques heures. La neige couvre rarement le sol pendant
deux semaines entières. Quant au printemps et à l’automne, ce sont
ici Les deux meilleures saisons. Nous n’y avons vu que la dernière,
mais je puis certifier que la transparence de l'air y est admirable.
La nébuleuse de la constellation d’Andromède était distinctement
visible à l'œil nu; la comète qu’on a remarquée à Hérat le 14 sep-
tembre brillait avec un éclatextraordinaire, et même la voie lactée
ayait parfois une intensité de lumière telle que je ne me rappelle
pas lui en avoir vu dans d’autres endroits. Le brouillard sec est
très rare, et le grand réseau de canaux qui entoure la ville con-
tribue à rendre la sécheresse moïns grande que dans d’autres par-
ties de l'Asie centrale,
* Le type de la population masculine de Hérat est bien loin d'é-
galer en beauté celui des Persans ou des Afghans de Kaboul et de
36 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Kandahar; les hommes sont généralement petits de taille, grèles,
et présentent des signes évidents du long séjour des Monghols
parmi eux. Les visages sont larges et plats ; la bouche et les oreilles
sont grandes, mais les yeux le sont aussi, et ils sont taïllés en
amande comme chez les Persans ; le nez est beaucoup plus large à
sa base que chez ces derniers, mais généralement beaucoup plus
proéminent que chez les individus de race turque ou monghole.
Le peu de femmes que jai eu l’occasion d’entrevoir ne m'ont
paru différer en rien des Persanes.
Sous le rapport du commerce, Hérat se trouve, vis-à-vis de la
Perse, dans la même position que Boukhara vis-à-vis de la Russie ;
c’est-à-dire qu’elle sert de station obligée à toutes les caravanes
qui vienneni de l’est ou du sud-est en Perse. Elle forme un centre
où aboutissent toutes les routes principales de VAsie centrale dans
leur direction de l’est à l’ouest ; et depuis que les déprédations des
Turcomans établis à Merv ont fermé au commerce la voie directe
entre la Transoxiane et le Khorassan, même les marchandises de
Boukhara sont obligées de faire un long détour par Hérat pour
arriver à Méched, en payant trois fois les impôts : aux Afghans à
Baikh, au chef de Meimanèh dans la ville de ce nom, et enfinà
Hérat. Malgré les rapports commerciaux assez actifs établis entre
Hérat et l'Inde, les manufactures européennes parviennent Jjus-
qu'ici presque exclusivement par la voie de Téhéran; les cara-
yanes indiennes n’apportent que des mousselines, des mouchoirs
en soie, mais surtout de l'argent pour alimenter l'usure, prati-
quée sur une large échelle par les Hindous établis à férat, et
aussi pour acheter les pistaches, les noix de gaïle et la manne,
il en résulte que le commerce européeu qui ne se fait avec Hérat
qu'à travers la Perse est très languissant, et ici commeàa Tébriz
et à Téhéran j'ai été frappé de la disparition presque complète
de manufactures anglaises des marchés de l'Asie centrale, où
leurs draps et leurs indiennes, encore très répandus il y a quinze
ans, sont expulsés complétement par les draps allemands et par
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 365
les indiennes suisses. Les produits francais, tels que les velours,
les brocards, les taffetas, les bijouteries communes, etc., pénè-
trent en petite quantité, ce qui est d'autant plus surprenant
qu'étant même décuplés dans tous les centres commerciaux de la
Perse et de l'Asie centrale, ils trouveraient un débit facile et
avantageux. Les produits russes sont représentés à Hérat, comme
dans presque tout l'Orient, par le fer en barre, le cuivre rouge,
la fonte de fer, l'acier, le cuivre jaune en ustensiles, etc.; et la
facilité que la mer Caspienne offre à la Russie pour le transport
de ces marchandises la met à l'abri de toute concurrence nuisible,
même en admeltant l’achèvement définitif du réseau des chemins
de fer indiens.
Le 13 octobre, je pus enfin expédier mes compagnons de
voyage, sous la direction de M. le professeur Bunge, à Tebès, et
moi-même j'entrepris, le 7 novembre, une excursion beaucoup
plus courte, mais dans une direction qui n’a jamais été explorée
avant moi, à Obèh et à Kourroukb, les deux villes les plus orien-
tales de la province de HéraL.
Le voyage de M. Bunge, si riche en résultats utiles pour la bota-
nique, la physique du globe et la topographie, vient d’être publié,
d'après la relation de ce savant, dans le cahier VI des Mitheilun-
gen du docteur À. Petermann pour l'année 1860, journal géogra-
phique si justement célèbre; quant aux données topographiques
de ce voyage, elles sont consignées dans la carte qui accompagne
le présent mémoire. En la comparant aux cartes du Khorassan
intérieur publiées avant cette exploration, on s’apercevra faci-
lement des rectifications importantes qu’elle introduit dans le
tracé de la configuration du sol de ces pays; je me bornerai à
donner quelques détails sur mon excursion à l’est de Hérat.
Ma première station, le 7 novembre, fut à Rouzèh Bagh, à 2 far-
sangs aû sud-est de Hérat. Ahmed chah, le fondateur de la dynas-
tie des Dourranis, y fit planter un vaste jardin, au fond duquel
Mahmoud chah fit construire une chapelle destinée à contenir les
vu. 47
366 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
tombeaux de ses descendants; maisle sorten a décidé autrement, et
il n’y a que lui et son fils Kamran qui y aient été enterrés, La dalle
qui recouvre les restes de Mahmoud chah, homme célèbre par
ses revers de fortune, porte une inscription qui mentionne du
moins son nom; quant au tombeau de chah Kamran, il est sim-
plement marqué par une élévation en pisé, que son fils, Séid
Mouhammed Khan, se proposait, dit-on, de remplacer par un
monument plus convenable, Mais, plongé dans l'ivresse et la dé-
bauche, il se laissa égorger par son tout-puissant ministre Var
Mouhammed Khan avant d'avoir exécuté son projet. Autour de
ce jardin, est bâti le village du même nom, peuplé, en majeure
partie, par les Afghans de la tribu Alikouzeï; ils se plaignaient
amèrement de ce que le chef de Hérat, appartenant à la tribu
Borikzeï, les laissait sans emplois et distribuait, d’après la cou-
tume afghane, sans le moindre scrupule, leurs terres aux gens de
sa tribu.
Le 8, ayant passé à gué deux canaux assez profonds, nous
arrivâmes, après une heure et demie de marche, à deux grands
villages contigus, Siaouchan et Kundjidjihan, séparés par un con-
duit d’eau qui sert à arroser les champs. Ici, pour la première
fois, je rencontrai des Afghans nomades, de la tribu Guildjeï; la
vie de ces voyageurs éternels se passe à parcourir la région située
entre Dihi-Zenghi, dans les montagnes de Ghour, où ils restenten
été, et les plaines argileuses et salines qui s'étendent aux pieds
des montagnes de Kaïn, leur campement d’hiver. Le village de
Kundjidjihan a une chapelle et un tombeau d’un saint où l'on va
en pèlerinage; le cimetière de cet établissement contient quelques
dalles d'apparence ancienne, mais, les ayant examinées avec soin, je
n’y ai vu que des noms obscurs et des dates récentes, En suivant en
amont le canal des deux villages susmentionnés, nous passämes de-
vant sept grands villages, Kourisse, trois villages portantle même
nom de Nichin, Koul, Bitchighan et Salmati, et nous arrivàmes
à deux heures et demie après midi à Menzil, après une marche de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 367
cinq heures vingt-six minutes, À mon grand contentement, les ha-
bitants du village s’opposèrent à notre installation dans l’enceinte
fortifiée du lieu, craignant, à ce qu’il paraît, d’exposer l’intérieur
de leurs maisons à la curiosité rapace de mon escorte afghane de
Hérat. On nous assigna pour logement la spacieuse mosquée du
village, 3’y fis placer ma tente, et je m'y trouvai beaucoup mieux
que dans les sombres, froides et sales demeuresdes villageois, Nulle
part en Orient je n'ai vu de cabanes aussi peu confortables que
celles de ce pays; la seule chose que l’on semble avoir eue en vue,
en les construisant, est de se mettre à l'abri de la chaleur estivale,
d’où il résulte que les chambres, ou plutôt la chambre unique dont
se composent ces maisons, est Loujours assez vaste, mais sans fenê-
tres, sans cheminée et avec une porte très basse. Le feu est allumé
au milieu de cette espèce de hangar, et la fumée, après avoir fait
plusieurs fois le tour des murs, sort comme elle peut par une petite
ouverlure pratiquée dans le toit plat, et que l’on bouche, quand
on ne s’en sert plus, par un gros pavé. Les murs de ces maisons,
bâus en pisé, sont couverts d’une couche épaisse de noir de fumée,
et les niches qui y sont pratiquées pour y placer différents usten-
siles de ménage, n'étant jamais nettoyées, sont remplies de pous-
sière, de toiles d'araignées, de Larentules, et surtout de puces qui
quittent ces recoins pour Lourmenter les malheureux voyageurs dès
qu’on se met à leur portée. Le 9, nous quittâmes ce village à huit
heures et demie du matin; la plaine où nous marchions était bien
cultivée, Ayant dépassé à neuf heures un petit château, Sérimäst,
nous aperçümes le Hériroud que nous avions perdu de vue depuis
Rouzehbagh ; il coulait à 4 kilomètres à notre gauche sous les mon-
tagnes, À droite aussi, une chaine de montagnes se rapprochait de
notre route, et au pied de ces hauteurs on voyait une suite de vil-
lages considérables, À neuf heures quinze minutes, nous passàmes
près d’une grande bourgade, Mäamourth; et laissant à notre droite
les villages de Chahabad et de Derkaraz, nous nousdirigeämes vers
Balkhian, et nous dépassâmes à dix heures quinze minutes cette
368 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
vaste colonie d'habitants de Balkh, qui se sont expatriés depuis
longtemps. Ayant devancé mon escorte, accompagné seulement de
deux domestiques, jem’arrêtai près d’un petit château, Doustabad,
le propriétaire vint poliment à ma rencontre, et fit apporter des
tapis où nous primes place; mais après les compliments d'usage,
il me demanda d’un ton bourru, et avec la brusquerie si commune
aux Afghans, si je voyageais pour décrire tout ce que je verrais,
selon la coutume des Anglais. Je ne pus m'empêcher de sourire
à cette question naïve, et je m’empressai de tranquilliser ses
appréhensions en lui faisant observer que je n'avais en main
ni papier ni plume. Nous causämes alors très amicalement jus-
qu'à l’arrivée de mon escorte, dont le chef expliqua à ce brave
châtelain que je voyageris pour mon plaisir, du consentement du
chef de Hérat dont j'étais l'hôte et l’ami ; ces deux derniers titres
changèrent l'opinion de l’Afghan sur mon compte, et il m’adressa
d’un air assez gauche quelques excuses sur sa curiosité indiscrète.
Ce petit incident me confirma dans l’opinion que j’ai toujours eue
sur l'inconvénient d'exposer aux yeux des Orientaux, dans les
pays où l’on voit rarement les Européens, une collection d’objets
inusités dans le pays, tels que carnets, albums, crayons, bous-
soles, montres, thermomètres, etc., comme le font beaucoup de
voyageurs, et surtout les Anglais ; on peut facilement porter tout
cet attirail du voyageur civilisé sans en faire parade et sans soule-
ver des appréhensions des naïfs habitants de ces régions, où ils sont
isolés de tout contact avec d’autres coutumes que les leurs, et qui,
par cela seul, sont tout naturellement portés à interpréter en
mauvaise part une activité qu'ils ne peuvent pas comprendre.
L’impatience que mettent les voyageurs anglais à s’enquérir, dès
leur arrivée dans une localité quelconque, des ressources du pays,
ne leur procure ni des notions plus exactes, ni même des rensei-
gnements plus étendus qu'aux autres qui y mettent moins d’em-
pressement; mais cela les expose à des dangers gratuits, et explique
en parlie pourquoi les voyageurs de sue nation comptent en
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 369
Asie tant de victimes de leur zèle, louable, mais intempestif. Ainsi
mon malheureux ami, le colonel Stoddart, a certainement hâté
son emprisonnement à Boukhara en se mettant en quête, lejour
même de son arrivée dans cette ville, du nombre des prisonniers
que les Turcomans y amenaient pour la vente, sur la manière
dont on traitait ces malheureux, etc.
Une marche de trente minutes nous conduisit dans un grand
village, Chahpoulani, situé sur les bords d’un large canal que
nous dûmes remonter pendant une heure quinze minutes jusqu’au
village de Tchaharbourdje, pour pouvoir le passer sur un pont en
pierre presque ruiné. À une heure de cet endroit, nous nous arré-
tâmes pour passer la nuit dans Le grand village de Pouchtikouh, où
malheureusement on nous fit la politesse de nous loger dans l’en-
ceinte fortifiée, et où nous dûmes nous nicher dans üne des habi-
talions que je viens de décrire. À partir d'ici la vallée du Héri-
roud se rétrécit visiblement. Le :0, nous nous dirigeàämes à huit
heures trente minutes vers un escarpement du mont Davandar,
dont la cime se trouvait exactement au nord-est du village. A
mesure que nous nous éloignions de Hérat, le pays portait moins
de traces des guerres et des commotions qui ont si souvent désolé
cette ville dans le courant des vingt ou trente dernières années. Les
villages devenaient de plus en plus nombreux, les ruines de plus
en plus rares, et le bien-être des habitants plus manifeste; auprès
de Ja plupart des châteaux et des villages, on voyait les tentes
noires des Guildjeis, que le froid commençait à chasser des campe-
ments d’été. Dans cette partie de la vallée de Héri-roud, la popu-
lation est très mêlée. La nationalité afghane est dominante; les
tribus Alikouzeï, Guildjei, Populzei, Dourrani et Borikzeï comp-
tent parmi les villageois et les nomades de nombreux représen-
tants. Conjointement avec eux, sont établis les Tadjiks et les Zou-
ris, deux branches de la race iranienne parlant un persan très
pur, mais beaucoup plus riche en loculions anciennes que la
langue parlée actuellement en Perse.
6,
370 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Après deux heures cinquante-six minutes de marche, nous
traversämes nn large affluent de da droite du Héri-roud, à l’em-
bouchure duquel est situé le riche village de Taghandouab. L’élé-
vation de da vallée fait que les gelées précoces nuisent ici souvent
à lawmaturitédes fruits, et lesfroidesnuits du printemps, arrivant
après l’époque de la floraison des arbres fruiliers, tuent les ré-
coites en germe. Non loïn de ce village, l’antiqueminaret de Sirvan
semontre à l'horizon, et l’on y arrive après une heure 55 min. de
marche, Ge minaret est le seul monument portant une inscription
coufique que j'aie eu l’occasion de voir sur le territoire de Hérat;
c'est une tour cannelée haute de 29 mètres (94 p. a.), assise sur une
base prismatique octogonale, Une inscription coufique, en deux
lignes, faisait jadis le tour de l'édifice; les caractères sont très in-
géniensement modelés au moyen de briques placées de champ, et
un peu en relief sur la surface du mur, comme à Khosrouguird
près de Sebzevar. Le temps et les replâtrages ont détruit beau-
coup de mots de cette légende, et précisément les parties les
plus intéressantes ont le plus souffert; ainsi la date de sa con-
struction et le nom du souverain sous le règne duquel ce mi-
naret a été construit, manquent, Mais comme la forme des lettres
de cette inscription est en tout semblable à celle que jai eu l’oc-
casion de constater sur les monuments de la seconde moitié du
v siècle de Fhégire, je n'hésite pas à rapporter le minaret de
Sirvan à celte même époque. L'inscription de ce monument, au-
taot que j'ai pu la déchiffrer, dit : qu'il a été élevé par ordre de
l'émir du grand Sipehsalar ..... Aboul Hassan Al, fils d’Ahmed
3 $! (mot que lon peut lire de plusieurs manières différentes), par
un architecte de Nichapour, Ali, fils d'Osman, fils d'Ahmed, sous
le règne du sultan fils des sultans..…. Je suppose que cette itour
est contemporaine du sultan gaznevide Mahmoud, ou de son fils.
Les carrières de marbre blanc qui fournissent depuis plusieurs
siècles desrnatériaux inépuisables pour la construction ge monu-
ments funéraires de Loutes les sépultures de la province e de Hérat,
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 374
étant à peu de distance de Sirvan, j'ai pris le parti de les visiter
avant d’aller à Obèh. Le 10, nous nous dirigeimes vers les monta-
gnes de la rive gauche du Héri-roud, et aprèsune marche de trente
minutes vers le sud-sud-est nous parvinmes à l’entrée d'un défilé
peu profond qui s’enfonçait dans cette chaîne. La route le coupe
en biais, puis franchit un embranchement, peu élevé de la chaîne
principale et descend dans un autre défilé, qui, plus haut, s’unit
au premier, et conduit vers un joli petit village, Naristan, dont
les peupliers avaient encore conservé leurs feuilles, tandis que dans
la plaine ils les avaient perdues déjà depuis une dizaine de jours.
En remontant le défilé, on arrive, après vingt minutes de marche,
à la chapelle de Pir Mouhammed Karaouli, entourée d'arbres et
ayant un bassin rempli d’eau thermale de 20 à 22 degrés centigr.
de température (1); il était rempli de poissons. D’après ce que
les gardiens de la chapelle m’ont dit, son eau gèle rarement et
la neige ne s’y maintient pas, mais chaque fois que le froid est
assez intense pour couvrir le bassin de glace, les poissons péris-
sent; puis, après un ou deux ans, il en apparait de nouveaux
qui se propagent très rapidement. Le tombeau du saint se trouve à
une quarantaine de pas au nord du bassin; à la mode des sépnl-
tures sunnites, une colonne de marbre surmontée d’un {urban
sculpté, et haute d’à peu près un mètre et demi, marque l'endroit
où le santon est enterré. On lit sur la colonne « qu’elle fut érigée
_»en 1140 de l’hégire par les soins du pèlerin des deux temples
» Muhi-ed-din el Husseini, pour constater que d’après les firmans
» autographes d'Ahmed chah, de Timour chah et d’autres princes
» dourranis, le village de Naristan est donné en vakf à la chapelle
» de Mouhammed Karaouli »,
” Les carrières sont à une dizaine de minutes de cette localité.
Jusqu'à présent on n’a attaqué la couche de marbre que dans un
endroit; depuis trois siècles à peu près qu’on exploite la carrière,
AU LR LA EEE ME :
()N’ayant pas mon thermomètre avec moi, jai estimé Ja température de l’eau approxi-
mativement.
372 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
la quantité de marbre qu'on en a extraite peut représenter un cube
de 60 à 80 mètres de hauteur, sur une largeur de 30 à 40 mètres
et une profondeur de 20 à 30 mètres; donc en tout de 40 à
100 mille mètres cubes. Le marbre esl très beau; on en extrait
des morceaux énormes d’une blancheur parfaite et d’un grain
très fin, Quant au marbre plus ou moins gris, on le trouve par-
tout dans la chaîne, et d’après ce que m'ont dit les villageois qui
m’accompagnaient, elle contient en outre des mines de fer, de
plomb, de vitriol et de soufre, tandis que les montagnes de la rive
droite du Héri-roud ne sont riches qu’en mines de cuivre. Nous
retournämes de Ià à la chapelle, et après une marche fatigante
d'une heure trente minutes, pendant laquelle nous franchimes
quatre chaïînons latéraux de la chaîne principale, nous descendimes
dans la plaine par une pente très rapide et couverte de galbaunm
‘ desséché, ayant rencontré sur notre route deux ou trois trou-
peaux de gazelles. Après une halte de quelques instants dans
un grand village nommé Gunabad peuplé d'Afghans Ali Kouzeïs,
nous nous rapprochâmes de plus en plus du lit du Hériroud, où
l'on descend en passant entre le village de Moussafiran, colonie de
Khodjas de Boukhara émigrés depuis longtemps, mais n’ayant pas
abdiqué leur costume, et un château appartenant à Chirali Khan,
lieutenant du gouverneur du district d'Obèh. On passe la rivière à
gué ; elle est assez large en cet endroit, mais peu profonde à cette
époque de l’année, Son eau, qui coule sur une couche de cailloux,
avait la limpidité du cristal. Obèh n’est qu'a vingt minutes de
marche de ce gué; nous mimes dix minutes pour traverser le
bourg, qui finit par une vaste enceinte fortifiée assez bien con-
servée extérieurement, mais pleine de ruines à l'intérieur. Le 14,
après avoir rendu la visite aux autorités du pays qui étaient ve-
nues Ja veille à ma rencontre, et après avoir reconnu l’horrible
dénüment des logements dont ils se contentent, je quittai Obèh
pour visiter ses sources thermales, qui jouissent d’une grande ré-
putation de salubrité.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 373
Les montagnes sont à deux ou trois kilomètres de la forteresse,
et Pon y entre par un défilé profond et étroit, servant de lit à un
ruisseau impétueux qui serpente entre des touffes de broussailles
et de joncs; souvent même il disparait complétement sous les
branches entrelacées des cratægus, et l’on ne devine son cours que
par le murmure de son eau. Après une heure de marche en amont
de ce ruisseau bordé de rochers très piltoresques, nous arri-
vâmes aux bains construits en pierre de taille sur la première
source thermale, qui a 45°,6 centigr. de température; la seconde
se trouve à vingt-cinq minutes de marche en amont de la vallée, et
elle a 45°,8 centigrades de température : toutes les deux sont alca-
lines. Les bains que je viens de mentionner, comme tous les éia-
blissements de ce genre en Perse, consistent en une antichambre
et en une grande salle voütée, dont le milieu est occupé par le
bassin d’eau chaude entouré de larges bancs de pierre, où les
baigneurs déposent leurs vêtements. Cet édifice ne porte pas d’in-
scription; mais nous savons par la chronique d’'Hérat, de Mouyined-
din, traduite par M. Barbier de Meynard (Journ. 4s., décembre
1860), qu'il a été construit par le sultan timouride Abou-Saïd, et
agrandi par le sultan Hussein, né en 842 de l’hégire et mort
en 911. Tout à côlé, on voit les ruines d’un tombeau assez révéré
par les habitants des environs; mais les pâtres que j'ai rencontrés
près de ce monument funéraire n’ont pu me donner aucun rensci-
gnement sur le saint personnage qui y est enterré, et qui est adoré
malgré son incognito. Il y a bien une dalle de marbre, mais son
inscription est si fruste, que je n'ai pu y déchiffrer que quelques
mots sans suile, parmi lesquels se trouvaient les titres de « sultan
guère
qu'aux princes de sang royal. Le défilé où sont situées ces sources
thermales aboutit ; dans sapartiesupérieure, aunentonnoir entouré
de rochers immenses de lave blanchâtre tachetée de points bruns;
cette localité ressemble beaucoup à une vallée du mont Bouzgouch
dans l’Aderbeïdjan, où se trouvent les sources chaudes de Sérab.
et de refuge du monde », qualifications qu’on n’applique
VI. 48
37h PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
Nous retournâmes dans la vallée du Hériroud par la gorge que je
viens de décrire, et nous nous arrêtàmes pour la nuit à Gunabad.
Le 19, ayant encore une fois traversé le village de Sirvan, nous
aîteignimes, en quinze minutes de marche, un bourg considérable
nommé Dihidiraz, dont les habitants sont des Ouzheks de Koun-
grad, au voisinage des bouches de l’Oxus, émigrés ici au nombre
de 100 familles, sous le règne de Mouhammed-Rahim Khan
de Khiva. Ces pauvres gens se plaignaient amèrement des exac-
tions du gouverneur actuel d’Obèh, qui, non content d’avoir
élevé à 80 harvars de blé la redevance de 50 harvars qu'ils
payaient autrefois, les molestait de toutes les manières. À quinze
minutes de marche de ce village, nous passâmes encore une fois
le Hériroud, et pendant quatre heures nous en longeames la rive
droite.
Ici le pays est peu cultivé; çà et là on apercevait au loin quel-
ques hameaux, mais la route était complétement déserte. Nous
arrivämes enfin dans un village considérable qu'en parlant on
appelle Marva, maïs qui s'écrit Marabad; ses habitants sont des
Zouris, des Tadjiks et des Afghans Borikzeis, J'y reçus la visite
d’un chef d’une tribu des Guildjeis nomades, revenu depuis peu
de Meimanèh, où il s'était enfui pendant l’occupation de Hérat
parles troupes persanes. Il venait de traverser le pays des Tchahar
Aimaks, qui était livré à une complète anarchie. Les quatre tribus
qui composent la horde,les Kiptchaks (100,000 familles), les Djem-
chidis (12,000 familles), les Téimounis (60,000 familles), et les
Firouzkouhis {de 40 à 12,000 familles), étaient en guerre, et les
caravanes restaient des semaines entières à Méimanèh, n’osant
pas s’aventurer parmi ces peuplades rapaces et turbulentes. Le13,
pendant deux heures vingt minules, nous longeñmes encore
la rive droite du fleuve; mais au delà du village Gouriabad la
route commence h s’en éloigner et à se rapprocher des montagnes
que nous avions à notre droite, et qui, prenant une direction
nord-nord-est, forment la limite orientale de la plaine de Hérat.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 375
Peu à peu le pays prend un aspect tout à fait désert, les villages
disparaissent entièrement, et le sol, creusé par de larges lits de
torrents, ne porte aucune trace de culture. Les nomades évitent,
même, cette route solitaire, qui ne s’anime parfois que par le
passage des troupeaux considérables de moutons qu'on mène
paître dans les montagnes qui bordent l’horizon à l’est.
Après une marche d’une heure vingt-cinq minutes, nous pas-
sûmes près de Zémanabad, grand village que ses habitants ont
abandonné lors de l'invasion persane. Grâce au climat doux et sec
de cette contrée, ce village désert semblait avoir été évacué de la
veille ; mais ses bazars vides et ses rues muettes faisaient un effet
d’auiant plus triste, que pendant tout le trajet de Zémanabad
à Tounian, c’est-à-dire pendant trois heures de marche, on ne
rencontre que le seul village de Toouran Tounian, où nous nous
arrêlâmes pour la nuit. Il est peuplé par des Tadjiks et par des
Afghans Nourzeïs, Alizeis et Dourranis. Le 14, nous marchâmes
pendant cinquante minutes dans la plaine, en nous dirigeant vers
le nord-est, puis ayant traversé un ravin assez profond, nous par-
vinmes, après quarante-cinq minutes de marche, à une chapelle
dite Abi-Ghermek, dont le bassin, rempli d’eau thermale, de 14 à
45 degrés centigrades de température, est entouré de vingt-quatre
pins orientaux d’une grande beauté : jadis il y en avait trente-
huit, mais on a eu la barbarie d’abatire quatorze de ces arbres
majestueux. Passé cet endroi', on entre dans un défilé pierreux au
fond duquel coule un mince filet d'eau saumâtre, bordé d’efflo-
rescences salines. Cette gorge nous conduisit, après cinquante mi-
nutes de marche, au sommet d’un col peu élevé, dont la pente
septentrionale est creusée en long par un assez large ravin que
nous suivimes pour entrer dans la vallée de la rivière de Kerroukh.
Laissant à notre droite le village deMadjendoch, nousremontämes
cette vallée dont la rive gauche est limitée par une chaîne de
montagnes rocheuses d’un aspect aride, et qui porte des traces
évidentes de puissantes commotions volcaniques. Nous rencon-
376 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
trèmes pendant ce trajet d’une heure beaucoup de Djemchidis no-
mades ; leurs tentes diffèrent de celles des Afghans et des Béloudjs
en ce que, semblables aux tentes des Kurdes, elles sont faites
de treillis de joncs entourés de laine, et non de drap grossier dit
palas. Leur langue est le persan pur; mais par la forme du visage
ils se distinguent, à leur désavantage, des Persans occidentaux.
Le nez est relroussé, la bouche grande, les lèvres épaisses et
dissracieuses. D’après leurs traditions, ils ont quilté le Séistan
sous les Keïanides, avant l’émigration des Zouris, mais ils gardent
néanmoins le souvenir de leur commune origine. Quant aux
Tadjiks, les Djemchidis les considèrent comme des autochthones,
propriétaires du sol qu'ils occupent actuellement eux-mêmes et
qu'ils leur ont ôté par la force. En 1845 ou 1846, Aliah Kouli,
khan de Khiva, forca les Djemchidis à suivre son armée, et les
installa près de Kouhné-Ourgendj ; mais après sa mort, profitant
des désordres qui désolèrent le Khanat, ils s’enfuirent, et la plu-
part des familles revenues de Khiva s’établirent à Maroutchak.
À une distance de trente minutes de marche avant d'arriver à
Kerroukh, on passe par un petit village assez propre appelé
Dehani-Kar, habité par des Tadjiks qui avaient l'air opprimé et
malheureux. Le nom de ce village signifie « bouche de neige» ;
il lui a été donné parce que la neige qui tombe très abondamment
et reste longtemps dans toute la vallée supérieure de Kerroukh,
dépasse rarement cet endroit et disparaît promptement.
Kerroukh est une ville très ancienne; elle est mentionnée par
Istakhri, auteur du x‘siècle (voy. Das Buch der Lænder, trad. par
Mordtmann, p. 147). C’est le centre de la population des Djem-
chidis ; et d’après ce que l’on n’a dit, c'était aussi la capitale du
royaume de Ghour. Le bourg est assez vaste; sa population se com-
pose de Djemchidis, d'Afchans, de Juifs et de Hindous. C’est le
lieu de sépulture de deux saints musulmass : cheikh Maarouf
Karroukhi, portier de l’Imam Riza et de Souf Islam. La chapelle
construite au-dessus du tombeau du premier tombe en ruines;
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 377
mais elle est encore très révérée par les Chiites. Il est très pro-
bable que ce mausolée est une création du clergé du temps des
Séfévides, car Mouyined-din n’en dit pas un mot dans sa courte
description de Kerroukh. Le second saint est beaucoup plus mo-
derne: c’est le fameux Soufi Islam, dont Conolly a donné une
biographie courte, mais exacte. Il fut tué en 1292, dans nne
rencontre avec les Persans, qu'il allait combattre à la tête de
ses nombreux sectateurs. Son fils Aboul Kassim érigea un beau
mausolée sur son tombeau, et planta autour du monument un
jardin spacieux, remarquable par ses deux allées de pins orien-
taux longues chacune de deux cents pas. Dans la ville même,
il y à une quantité de sources thermales, dix-sept ou dix-
huit; j'ai mesuré la température de deux d’entre elles, qu'on
m’avail désignées comme étant les plus chaudes: l’une avait
15°,8 centigrades, lautre 4/4°,5. Les habitants de la vilie se
livrent à l’horticulture et à l’élève des moutons; ces derniers sont
envoyés aux marchés de Hérat, et leur laine est achetée sur place
par les Juifs et les Hindous. Kerroukh est à six farsangs de
Hérat, et nous les fimes d’une traite le 16, en suivant en aval le
cours de la rivière de cette ville qui débouche dans la plaine de
Hérat, non loin de Gazirghah; l’eau de cette rivière, ou plutôt
celle de son unique affluent du côté droit, est conduite dans le-
bassin de ce pieux établissement par un long canal, en partie
taillé dans le roc, et en partie creusé dans le sol. Je n'avais eu
qu’un seul prédécesseur européen à Kerroukh, le malheureux co-
louel Stoddart, qui resta un jour dans cette ville, d’où il alla à Mei-
manèh; les habitants ont gardé de lui un bon souvenir.
Mes compagnons de voyage revinrent le 21 décembre de
leur longue et pénible exploration du Khorassan central. La
saison était trop avancée pour songer à continuer nôtre route
dans un pays où même un voyageur seul trouve à peine la
possibilité de se mettre chaque nuit à l'abri de l’intempérie de
l'air, et où par conséquent un voyage en compagnie aussi nom-
878 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
breuse que l’était la nôtre devenait presque impraticable. En
outre, nous avions une quantité de levés et d'observations à
coordonner, liravail qu'il était avantageux et même urgent de
faire aussitôt que possible, pour profiter de tous les petits détails
du voyage dont on se souvient immédiatement après l'avoir fait,
et que plus tard on oublie facilement. Je me décidai donc
à passer l'hiver à Hérat, et je n’ai eu qu'à me féliciter de cette réso-
lution; car l'hiver, qui au commencement était très doux, sec et
agréable sous tous les rapports, changea brusquement le 15 ou
le 16 janvier 1859, et prit tout à coup un caractère de rigueur
extraordinaire. La neige tomba très abondamment, et, même
dans la plaine, elle resta plus de dix jours sans fondre. Enfin,
vers le commencement de février, les beaux jours revinrent, la
neige disparaissait à vue d'œil, et quoique les montagnes en
fussent encore couvertes jusqu’à leur base, nous résolûmes de
quitter Hérat, dont nous emportions tous un souvenir agréable.
Pendant tout le temps de notre séjour, nous n’avions eu qu à nous
louer des bons et aimables procédés à notre égard du sultan
Ahmed Khan, chef de cette province; et souvent, en causant ami-
calement avec lui, et surtout en répondant à ses intelligentes
questions faites avec une lucidité, un tact et une urbanité par-
faites, je me demandai si véritablement j'avais devant moi ce
farouche gardien des prisonniers anglais à Kaboul, ce sultan
Djan si souvent et si désavantageusement mentionné dans les
mémoires de lady Sale. Son entourage imitait à notre égard la
conduite du maître; le sardar Akrem Khan, Mansour Khan, Chah
Navaz Khan, fils aîné du sultan, etc., tous tâchaient de nous être
utiles ou. agréabies. Mais j'avais eu à me louer surtout des bons
procédés de mon compagnon de voyage, entre Méched et Hérat,
du Seid Mir Aboul Hassan Chah. Homme d’une instruction orientale
solide, il m’a été d’une très grande utilité dans mes recherches,
et j'ai trouvé dans ses conversations savantes maint éclaircis-
sement-.qu'il m’eûüt été impossible de découvrir dans les livres.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 379
Le 10 février 1860, nos apprêts étant terminés, nous
primes congé du sultan Ahmed Khan, qui avait désigné, pour
nous escorter jusqu'aux limites du Séistan, un certain Mouham-
med Azim Khan de Kalékah, avec une quarantaine de cavaliers.
Un jour le sultan me l’amena lui-même, et m’ayant présenté,
avec toutes les cérémonies d'usage, ce géant doué d’une force
herculéenne, il le congédia et me dit après son départ : « J’au-
» Fais pu facilement vous donner une plus nombreuse escorte,
» mais dans le pays où vous allez, elle ne vous aurait pas servi à
» grand’chose. La présence seule de cet homme dans votre cara-
»vane vous sera plus utile que l’escorte d’un bataillon; car
» ilne se commet aucun brigandage sur la frontière sud-est du
» Khorassan qu'avec sa permission et même avec son aide.
» Pour être plus sûr de sa bonne conduite à votre égard, je
» garderai, pendant tout le temps qu’il restera auprès de vous,
» sa femme et ses enfants pour otages. » Et véritablement
pendant le voyage j’eus occasion de me persuader que le sultan
avait raison. L'influence dans le pays et les connaissances topo-
graphiques.de mon guide étaient incontestables, mais il usait
d’une singulière méthode mnémonique pour se souvenir des
localités; chaque place remarquable était gravée dans sa mé-
moire, non à cause de sa position et de ses propriétés r'aturelles,
mais par suite de quelque incident de sa vie de brigand, dont il
parlait tout à fait à son aise : Jà il avait dévalisé tonte une cara-
vane, dans tel autre endroit il était resté deux jours et deux nuits
à guetter le passage d’un convoi de marchandises, ete. Bref, sa
géographie était en même temps l'histoire de sa vie vagabonde.
Le 11, nous quittâmes enfin Hérat, et nous aliämes, par la route
que j'ai déjà décrite, à Rouzèhbagh où nous restâmes le 12 pour
compléter définitivement nos préparatifs de voyage dans un pays
où il était impossible de rien trouver, sauf quelques, provisions
de bouche. La grande quantité de neige qui était tombée à la fin
de janvier rendait très difficile le passage du col Madéri, qu'on
380 PARDIE MÉRIDIONALE IDE L'ASIE CENTRALE.
franchit en suivant la grande route de Khandahar, dite chaussée
du Chah, parce qu’elle aété faite par ordre de Chah AbbasleGrand;
notre guide nous proposa de prendre la route du col appelé
Senguakissiah. Le 13, nous commencâmes par suivre la grande
route pour traverser la plaine qui s’étend entre Rouzèhbagh et
les montagnes; mais près dumamelon dit Kouhi-Ziaret nous lais-
sämesà notre gauche cettelarge voie jadis pavée, et nous entrâmes
dans une gorge peu profonde qui nous conduisit dans la vallée
d’un petit affluent de la rivière de Hérat, près des sources duquel
est bâti un château de Rahman Khan Ali Kouzei, nommé Pouch-
tikouh. Nous nous y arrêtâmes pour la nuit. Le 14, une suite de
terrasses nous conduisit au-sommet du col. La route.était bonne,
malgré la pluie qui tomba toute la nuit sans discontinuer; seule-
ment, au fur et à mesure que nous approchions du col les champs
de neige devenaient plus fréquents. Vers midi, nous entrâmes
dans une gorge assez large où coulait un filet d’eau entouré de
joncs très touflus, repaire de sangliers dont nous vimes partout
des traces. Celte gorge, qui se rétrécit peu à peu, nous amena
au col: La descente est encore moins rapide que la montée; les
terrasses sont beaucoup plus étendues sur la pente méridionale
de la chaîne que sur celie du nord, mais aussi la neige y était plus
profonde; et nous ne pouvions avancer que lentement. Néan-
moins, une demi-heure avant le coucher du soleil nous arri-
vâmesaux rochers appelés Sengui-ssiah (pierres noires), à cause de
leur couleur. Ce nom est appliqué également au col, car sen-
guaki est le mont du mot sengue, pierre. Nous y passämes
une nuit très froide, à la belle étoile. Le 15, après avoir
traversé un rain légèrement ondulé, nous entrâmes dans
une Sorge longue de 2 farsangs, et qui, se prolongeant en ligne
droite, nous conduisit à la vallée de l'Adreskand richement boi-
sée de. saules, de tamaris el de zygophyllum. Là nous passämes
la nuit sous des tentes d’Afghans nomades dela tribu des Borikzei:
Une pluié torrentielie tomba pendant toute la nuit avec une abon-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 381
dance extrême; vers le matin, la crue de l’Adreskand était telle,
que jusqu'à onze heures nous ne savions pas si nous pourrions
le traverser ou si nous serions obligés de prendre la route
d'Oukal, endroit visité par Forster en 1784. Enfin, on vint
nous dire qu’on avait trouvé un gué. Néanmoins le passage
n’était pas facile; nous faillimes perdre trois chevaux chargés
de nos effets, et qui n’échappèrent qu'à grand’peine à l'impé-
tuosité du torrent qui les emportait avec une extrême rapidité.
Nous mîmes trois heures à traverser le courant.
Un défilé tortueux et très escarpé, taillé dans des rochers formés
d’ardoises, nous conduisit de la rive gauche de l’Adreskand au
col Mihminaz. La descente en est beaucoup plus facile que l’ascen-
sion ; la gorge par laquelle nous débouchämes dans la plaine est
assez large, et la route est bonne. Le sol argileux et uni de cette
spacieuse vallée avait un aspect riant, car dans beaucoup d’en-
droits elle commençait déjà à verdir. À son centre, on voit une
chapelle érigée en l'honneur d'un saint peu connu, dont le tom-
beau était ombragé par un gigantesque biotia orientalis. Après
avoir encore franchi une série de petites collines, nous arri-
vâmes en vue de Sebzar, ville située sur une élévation et entourée
de champs richement cultivés, couverts de pousses de blé d’un
vert éclatant.
Les chevaux et les hommes étaient tellement faligués par les
trois dernières marches, et le mauvais temps était si peu favo-
rable à nos occupations scientifiques, que nous nous décidämes à
attendre à Sebzar que la disposition de l'air changeät. Nous res-
tâmes dans celte petite ville le 17, le 18 et Le 19 février; on nous
logea dans le château, qui domine complétement les autres quar-
tiers. De la terrasse supérieure de notre habitation on Jouissait
d’une vue immense, remarquable par sa beauté. La forteresse,
avec son château, occupe le centre de la ville; l'enceinte
fortifiée a une forme presque carrée, la face septentrionale
ayant 260 pas de longueur et la face orientale 211. Le mur tourné
vin 49
382 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
vers le nord est flanqué de deux tours à ses deux extrémités, et
de cinq demi-tours espacées à intervalles égaux entre les deux
premières. Le même genre de fortifications se retrouve sur les-
faces occidentale et orientale dela forteresse ; quant à celle du sud,
elle n’a que quatre demi-tours, etau milieu une tour massive percée
par k porte d’entrée. La ville est divisée en deux quartiers; celui du
nord est moins peuplé que celui du sud, et les deux ensemble n’ont
en tout que quatre cents maisons. La population est mélangée; elle
consiste en Afghans des tribus Borikzeis, Alikouzeis et Alizeis,
en Tadjiks, en Zouris, en Teimouris, en Juifs et en Hindous. En
été, la ville est presque déserte ; tous les habitants vont camper
dans les montagnes, plutôt par un reste d'habitude nomade
que par nécessité, car, d’après ce que l’on m'a dit, la chaleurici
n’est jamais très intense. L'observation de M. Ferrier, que Sebzar
est un point stratégique de premier ordre, est très exacte;
non-seulement le district est salubre et fort riche en céréales,
mais la plaine est admirablement défendue par la nature.
Elle a la forme d’un plan elliptique, dont le grand axe est dirigé
de l’est à l’ouest; les trois quarts de son circuit sont bornés par
PAdreskand. Si l’on examine cette plaine du haut du château
de Sebzar, on apercoit au sud, à 4 kilomètres de la ville, une
chaîne de montagnes rocheuses qui se termine brusquement par
un promontoire élevé, que couronnent les ruines d’une forteresse
dite Senghi-Doukhter. Immédiatement derrière, s’élève à l'horizon
une haute montagne ayant l'aspect d’une pyramide tronquée; ses
strates forment comme de gigantesques gradins, et sur la cime
est le-tombeau d’un saint, Mouhammed Serbourideh (Mou-
hammed le décapité), qui a donné son nom à la localité.
L’horizon oriental de la plaine est limité par trois chaînes de
montagnes qui s'élèvent en amphithéâtre l’une au-dessus de
Pautre. Au nord, comme nous l'avons vu, cette plaine est bornée
par la chaîne rocheuse du bord gauche de l’'Adreskand ; à l’ouest,
son horizon est plus ouvert, car la chaîne qui lui sert de limite de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 383
ce côté est à 14 ou 15 kilomètres de la ville. Tout l’espace contenu
dans ce circuit est richement arrosé par des canaux tirés du fleuve,
et présente une suite ininterrompue de gras pâturages et de
champs cultivés. La ville, dans son état actuel, n’est pas très an-
cienne; elle ne possède aucune curiosité digne d’être mentionnée,
si ce n’est un vaste jardin planté devant la forteresse par Djelal-
ed-din Mirza, lun des enfants de chah Kamran. Mais il ne faut
pas oublier qu’elle est bâtie sur les ruines d’Jsfézar, ou plus cor-
rectement d'Aspzar (päturage des chevaux) comme l'écrit le poëte
Djami. Ainsi elle a remplacé une des plus anciennes villes du Sed-
jestan, non-seulement mentionnée par Istakhri, mais fondée ayant
Hérat, d’après l'opinion de ses habitants rapportée par Muyin-ed-
din: Ce chroniqueur, qui termina son ouvrage en 897 de l’hégire,
était natif d'Isfézar, et il dit y avoir vu dans son enfance plus de
douze cents boutiques. De son temps déjà, la forteresse connue
maintenant sous le nom de Senghi-Doukhter, et appelée alors chà-
teau de Mouzaffer-kouh, était abandonnée à cause du tarissement
d’une source d’eau douce quijaillissait autrefois dans l’intérieur de
cette place forte, construite par le sultan Seldjoukide Alp-Arslan.
Le 20, enfin, le baromètre remonta, et tout faisait présumer
un changement de temps favorable; vers neuf heures nous
quittâmes Sebzar, et ayant passé cette fois sans difficultés l’Adres-
kand rentré dans son lit, nous nous dirigeämes vers les
montagnes à travers une prairie fertile, arrosée par de nombreuses
sources qu’on appelle Tchechmé-keissar. Les montagnes au sud-
ouest de la plaine sont coupées par une gorge bordée du côté
. gauche par le mont Keissar, et à droite par les monts Roubah,
Ziba et Milkouh. La première de ces trois montagnes est percée
de nombreuses cavernes où les habitants de la ville, au moment
d’une invasion, cachent ce qu'ils ont de plus précieux et vont se
réfugier eux-mêmes. Les deux autres montagnes sont remarqua-
bles par la forme originale de leurs cimes, effilées comme des ar-
guilles. Cette gorge conduit au sommet d’un col assez large, sem-
38h PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
blable à un petit plateau, d’où l’on descend dans une vaste plaine ;
deux farsangs et demie plus loin on rencontre une source saumâtre
qui sort de terre dans un endroit désert actuellement, mais proba-
blement habité autrefois, car il porte le nom de Dihi-Bola, c’est-à-
dire « village supérieur ». Nous y restâmes la nuit du 20 au 21.
Le 2, nous marchâmes dans la plaine jusqu’à Hami-Govin, en-
droit situé au pied des montagnes qui bornent cette vallée au sud,
et arrosé par une pauvre source d’eau saumâtre entourée de touffes
dejoncs. Nous y trouvâmes un grand campement d’Afghans Nour-
zeïs, qui accoururent en foule pour voir un singe que j'avais acheté
à Hérat, et dont les gambades les amusaient comme des enfants.
Ils se mirent à le caresser; mais ces bons rapports avec le qua-
druniane ne pouvaient durer longtemps, Un grand gaillard mé-
contenta l’animal par un geste. un peu rude, et fut égratigné, ce qui
affecta tellement cet enfant de la nature qu’il adressa à la pauvre bête
une série d’invectives, et s’en plaignit les larmes aux yeux à ses com-
patriotes comme s’il s’agissait d’une offense faite par un homme.
Après avoir franchi la chaîne que je viens de mentionner par
un col pierreux mais peu escarpé, nous descendimes dans une
vaste vallée bornée au sud par les montagnes d’Anarderèh, riche
village peuplé de Tadjiks et caché dans une gorge étroite et pitto-
resque, à l'entrée de laquelle jaillit une source thermale de 22,5
centigrades. Un ruisseau assez large coule le long de cette, gorge.
Sur larive gauche, dans une ansebordée de rochers et célèbre pour
ses échos multiples, s’entassent les maisons des villageois; la
rive droite est occupée par de beaux et vastes jardins fruitiers
dans lesquels il y a même deux palmiers qui portent des fruits et
qui ont été transplantés ici, il y a seize ans, du village de Zighin,
situé à 14 kilomètres plus au sud. La montagne qui domine les der-
niers jardins du village est fendue depuis la base jusqu’à la cime.
La distance entre les deux parois de cette crevasse très régulière
ne dépasse nulle part un demi-mètre, ce qui fait supposer aux
habitants d’Anarderèh qu'elle doit son origine à un coup d’épée
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 385
d’Ali. Ici, pour la première fois, depuis le Mazanderan, nous ren-
contrâmes le myrte, qui croît partoutlelong des murs des jardins, el
s’appelle mourt comme au nord de la Perse. Le soir, nous observä-
mes une belle lumière zodiacale, qui avait comme toujours la forme
d’une ellipse très allongée, et s’élevait au moins de 55 degrés au-
dessus de l'horizon. Nous n’avions pasles moyens nécessaires pour
mesurer exactement l'intensité de sa lumière; maisen lacomparant,
à l’œil nu, à celle dela voie lactée, il m’a semblé que la clarté de la
lumière zodiacale était plus intense. Le 22, nous restimes à Anarde-
rèh, et nous eûmes le plaisir d’y voir ce jour-là les premières hi-
rondelles.
Le 23, après être sortis des montagnes, nous marchâmes dans
une plaine argileuse couverte d’une mince couche de sable à gros
grains ; les plantes que nous avions rencontrées jusque-là depuis
Hérat, et parmi lesquelles dominaient la Seratula et la Sapindiacea,
commencaient à disparaître et à faire place à l’amandier sauvage
prêt à fleurir. Mais en général la végétation était très en retard, et
il n’y avait que la merendera qui fleurît. Ayant visité les palmiers
du village de Zighïn, où nous nous arrèêtämes pour quelques ins-
tants, nous nous dirigeämes entre l’Adreskand et le Haroud à
travers une masse de tamaris et de cygophylum, et nous nous arré-
tâmes, pour passer la nuit à la belle étoile, près d’un canal qui réu-
nit les deux rivières, et qu’on nomme Mianeh-roud. Comme nous
étions campés au milieu d’un bois, nos serviteurs persans , malgré
leur peur des voleurs, ne purent se refuser le plaisir d’al-
lumer de nombreux et immenses bûchers; mais leur reflet ne
nous empêcha pas d'observer la lumière zodiacale qui semblait
ici, où l'horizon était plus découvert qu’à Anarderèh, briller avec
plus d’éclat encore qu’hier et avant-hier. Le 24, nous commen-
câmes par traverser un bois de broussailles qui devenait plus épais
à mesure qu'on s’approchait du Haroud; passé cette rivière, il dis-
parut immédiatement, et le sol s’imprégnait de sel à vue d’œil.
Ayant laissé à notre droite le petit village de Kahrizek, au-
886 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
près duquel campait une forte tribu d’Afghans Nourzeis, nous
nous arrêtâmes, pour observer le baromètre, dans un village aban-
donné par ses habitants trop exposés aux pillages des Afshans de
Ferrah. Ici nous nous trouvions déjà dans la partie du district de
Kalékah qui, d’aprèsle dernier traité anglo-persan, a été restituée
au chef de Lach et de Djouveïn, et les villageois ne voulaient plus
nourrir gratis notre escorte de Hérat. Enfin à Khouchkek, village
considérable peuplé d’Afghans Alizeis, Borikzeis ét Nourzeis, de
même que de malheureux Tadjiks qui souffraient cruellement des
exactions de leurs sauvages vainqueurs, on fit droit aux réclama-
tions de nos cavaliers, el nous nous y arrêtämes pour passer la
nuit dans un vaste jardin fruitier. Le propriétaire de ce jardin
était l’ancien de l'endroit, petit vieillard sec et rusé qui prétendait
être un Tahiride, descendant en droite ligne de Tahir-Zoul-lamin,
et qui meditavoir possédé il n’yavait pas longtemps un document
portant l’empreinte du cachet de Tamerlan ; mais il l'avait égaré
en quittant précipitamment son village lors de la dernière inva-
sion des Persans. Comme il était convenable de prévenir le chef
de Lach de ma prochaine arrivée dans cette forteresse, jy
expédiai un de mes domestiques, et je dus rester à Khouchkek
le 25 pour attendre une réponse à ma lettre. Je constatai ici un
phénomène bien singulier, et selon moi assez difficile à expli-
quer, Le jour, la chaleur s'élevait, à lombre, à 22,5 centi-
grades et la nuit elle ne descendait jamais au-dessous de 42°;
une grande quantité de mille-pieds avaient quitté leurs retraites
hivernales; des essaims de papillons de nuit voltigeaient dans
l'air au coucher du soleil; les hirondelles étaient arrivées de-
puis plus d’une semaine : or, malgré tous ces indices certains
du réveil de la nature, les arbres ne donnaient aucun signe de
vie, et n'étaient pas plus avancés qu'en hiver. L'état chétif
des jardins du village m'avait frappé, et j'en demandai la raison
à quelques habitants; ils me dirent que les arbres chez eux
ne vieillissaient guère et devaient souvent être plantés de nou-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 387
veau, attendu qu’à des époques variables, mais séparées par d'assez
courts intervalles l’eau souterraine montait à la surface, et non-
seulement nuisait au rapport des arbres fruitiers, mais finissait par
les étouffer entièrement. Le brouillard sec nous accompagnait de-
puis notre passage des montagnes; Le 95 il devint tellement épais,
que bien avant le coucher du soleil on pouvait regarder cet astre
à l’œil nu, et à 5 ou A degrés au-dessus de l'horizon il disparut
complétement dans la couche d’atmosphère poudreuse qui nous
enveloppait. L'étoile polaire elle-même n’avait pas son éclat habi-
tuel, mais au zénith les astres brillaient comme toujours.
Le 26, l’attente du retour de l’exprès que j'avais envoyé à Lach
me retint jusqu’à midi à Khouchkek; de lanous marchâmes dans
la plaine jusqu’au village de Lenghèr, localité révérée comme
sépulture du cheik Mahmoud Loughani, près du tombeau duquel,
d’après la tradition populaire, un miracle révéla à chah Ahmed,
fondateur de la dynastie afghane des Dourranis, son brillant
avenir. On rapporte qu'après une fervente prière au tombeau du
cheik il supplia mentalement Le saint de lui faire voir, par un signe
extérieur, si les plans qu'il roulait dans sa tête avaient quelque
chance de réussite ; un moment après, il sentit que son sabre se dé-
gaînait de lui-même. L’ayant fait rentrer dans le fourreau, Ahmed
Chah vit ce même phénomène se répéter trois fois, et forcé derecon-
naître dans ce miracle une manifestation d’un pouvoir surnaturel, il
sortit de la chapelle fermement résolu de donner suite à ses pro-
jets, et sûr de son triomphe. Le village est situé à l'entrée d’une
large et courte gorge qui coupe le dernier chaïînon séparant les
plaines du Séistan de la province de Hérat. À peine y étions-nous
entrés, que nous y rencontrâmes Ata Mouhammed Khan, frère
du chef de Lach et de Djouvein, et Chams-ed-din Khan, son fils
âgé de douze ans, qu’il envoyait à ma rencontre avec une lettre
très polie, où il m’invitait à me rendre à sa résidence.
Au sortir de la gorge, une immense plaine, semblable à une
mer en repos, se déroula devant nous : c'était l’antique Dran-
388 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
giane, Nous passâmes devant le petit village de Chouchkeh, et nous
nous arrêtämes dansune bourgade considérable nommée Kaléïnou,
où l’on nous avait préparé un bon logement, la première chambre
un peu confortable qui m’abrität depuis mon départ de Hérat.
Bientôt après le coucher du soleil, une pluie torrentielle com-
mença à tomber, et dura presque toute la nuit; j'étais loin de
m'imaginer ce que cette pluie pouvait produire dans une plaine
aussi étendue que celle où nous nous trouvions. Le 27, de grand
matin, étant passé de ma chambre sur la terrasse, je vis, à
mon grand étonnement, que nous étions comme au milieu d’une
île. D'énormes flaques d’eau semblables à de vastes lacs cou-
vraient la plaine; et dans quelques endroits elles étaient si pro-
fondes, que les chameaux s’y enfonçaient jusqu’aux genoux. On
ne pouvait pas songer à se mettre en route; nous restames le
27 dans la bourgade, en attendant que l’eau s’écoulät et s’éva-
porât. D’après ce que l’on m'a dit, ce phénomène, que je n’ai ja-
mais vu nulle part ailleurs, est assez fréquent ici, et se répète
chaque année au printemps, où des averses pareilles à celles de
la nuit précédente ne sont guère exceptionnelles. La pente de la
plaine étant insensible, la moindre dépression du terrain suffit
pour arrêter l’eau pluviale, et ce n’est que l’évaporation qui peut
la faire disparaître, car le sol argileux de cet aride désert en
absorbe une très faible quantité.
Le 28, nous pûmes enfin nous remettre en route. Les premiers
22 ou 23 kilomètres qui nous séparaient du ravin profond où
coule le Khouchkéroud, se trouvèrent très difficiles à franchir. A
deux reprises différentes il nous fallut marcher durant plus
d’une heure au milieu de l’eau; mais au delà de cette rivière
la route devint meiïlleure, et la plaine, parfaitement unie, n’était
coupée que dans un seul endroit par un profond ravin sec,
à mi-chemin entre le Khouchkéroud et le Ferrahroud : ce dernier
coule à une vingtaine de kilomètres du premier, dans une vallée
boisée. Pendant ce long trajet, nous ne vimes aucun village, ni de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 389
près ni de loin, ce qui s'explique en partie par l’aridité du sol,
mais beaucoup plus par le peu de sécurité de ce district. Le
soleil était déjà couché quand nous entrâmes dans la vallée du
Ferrabroud ; grossi par les pluies, il roulait impétueusement ses
eaux jaunâtres entre des bords argileux et escarpés, et rappelait
vivement le Kour (Cyrus) dans les environs de Tiflis. L’obscurité
nous empêcha dapoursuivre notre route jusqu'à Lach, et nous
nous arrêtämes dans le village de Pendjdih, situé sur la rive droite
du fleuve. Le 1° mars, on vint m’avertir de grand matin qu’il était
urgent de partir aussi vite que possible, car l’eau du fleuve mon-
tait avec tant de rapidité qu'on risquait d’un moment à l’autre
d’être arrêté pour quelques jours. Les deux ou trois kilomètres
qui nous séparaient de Lach furent parcourus en toute hâte; et
à un demi-kilomètre de la porte de la forteresse, son gouver-
neur, le sardar Ahmed Khan Isakzei, vint à pied à notre rencontre,
ce qui nous força aussi de descendre de nos montures, et grand
bien nous en prit; car l’ean avait envahi la route qui conduit à la
forteresse, en laissant à sec un sentier étroit à peine suflisant pour
le passage d’un piéton.
La forteresse de Lach, semblable aux autres châteaux afghans,
consiste en un donjon qui s'élève au milieu d’un amas de maisons
disposées en terrasses le long de la pente très rapide d'un ma-
melon argileux. Tous ces bâtiments sont entourés d’un mur
assez élevé construit en pisé, muni de meurtrières et de demi-
tours. La faiblesse des moyens d'attaque, dont disposent
les voisins de cette place forte, la rend presque inexpugnable.
Elle n’est pas très ancienne, et Djouvein, situé vis-à-vis de Lach
sur le bord gauche du Ferrahroud, au milieu de vastes ruines, est
beaucoup plus connu en Orient; mais aucune de ces localités n’est
mentionnée ni chez Istakhri, ni même chez Yaqgout. La famille du
sardar actuel, de la tribu afghane Isakzei, s’est établie dans cette
contrée depuis la fin du siècle passé; son bisaïeul Kémal Khan ne
voulant passe soumettre à l'autorité d’un autre chef de cettetribu
Yi 50
390 PARTIE MÉRIDIONALE IDE L'ASIE CENTRALE,
appelé Madad Khan, devenu plus puissant que lui, s’expatria de
Kandahar et vint à Hérat sous le règne de Timour chah Dourrani.
Le fils de Kémal Khan, Rahim dil Khan, n’eut aucune influence
sur les affaires publiques; mais son fils, chah Pessend Khan,
attaché dès sa plus tendre jeunesse à Mahmoud chah, devint
le grand écuyer et le favori de ce prince. Il partagea toutes Les
vicissitudes de sa carrière orageuse, l’accompagna dans sa fuite à
Boukhara et en Perse; etenfin, quand Mahmoud chah s’empara
de Hérat, Pessend Khan recut de lui, à titre de cadeau et en récom-
pense de sa fidélité, les territoires de Lach, de Djouvein et du
Kalékah méridional. Ayant relevé Lach de l’état de ruine où ce
bourg était resté depuis l’époque des Timourides, il s’y maintint
presque indépendant durant 70 ans, et mourut très âgé en 1850,
Son fils Abdourressoul Khan se brouilla avec le chef de Hérat
Yar Mouhammed Khan, qui marcha contre lui et le contraignit
à chercher un refuge auprès du chef de Ferrah, le Mirakhour
Ahmed Khan. 11 mourut en exil; mais son fils, le gouverneur
actuel, profitant de la mort de Yar Mouhammed Khan, revint
à Lach, qu'il ne garda que peu de temps; car, ayant essayé de
défendre son patrimoine contre les Persans, lors de leur dernière
expédition contre Hérat, il fut défait par eux et fait prisonnier.
Envoyé à Téhéran, il a su plaire au chah et à son premier mi-
nistre, et le roi lui donna l'investiture de gouverneur indépen-
dant de Lach, de Djouvein et de Kalékab, en conformité du traité
anglo-persan qui stipulait le rétablissement de la province de
Hérat dans le statu quo qu’elle avait avant la guerre. Parmi les
serviteurs du sardar Ahmed Khan, j'ai trouvé un homme qui a
assisté à l'assassinat du malheureux docteur anglais Forbes par
le chef Beloudj de Tchékhansour, Ibrahim Khan. D’après ce qu'il
m'a dit, le docteur s'était rendu de Hératau Séistan à Sékouhé, sur
l'invitation du chef de cette ville Al Khan, pour soigner un de ses
parents malade. Ayant terminé le traitement, il témoigna le désir
de visiter Tchékhansour. Ali Khan fit tout son possible pour de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 391
dissuader de cette périlleuse entreprise. Il lui dit franchement
qu'Ibrahim Khan s’enivrait chaque soir de beng, et qu’une fois
dans cet état, son caractère toujours violent ne connaissait plus
de bornes; mais d’après ce qu’Ali Khan me raconta à Méched,
peu de semaines avant d’être assassiné lui-même, Forbes lui
répondit « qu’il était Anglais et que, comme tel, il craignait Dieu
et n’avait pas d’autre crainte. » Arrivé à Tchékhansour, il fut très
bien recu par Ibrahim Khan; et après un séjour de courte durée
dans sa résidence, il accepta l'invitation de ce chef Beloudj de
l'accompagner à une chasse de sanglier dans les joncs des bords
du Hilmend. La nuit qui précéda cette chasse, Ibrahim Khan prit
du beng à très fortes doses, en sorte que le matin suivant il était
encore complétement sous l'influence excitante de ce violent nar-
cotique. Arrivé au bord du fleuve, il engagea Forbes à le traver-
ser sur un bac, en promettant de le suivre immédiatement après ;
mais à peine le radeau monté par le docteur s’était-il éloigné
de quelques mètres du rivage, le Khan saisit son fusil, le mit en
joue, et cria en riant à Forbes de prendre garde à lui, car il allait
tirer. L'homme qui me racontait ces détails se trouvait derrière
Ibrahim Khan, et prétendait que le conducteur du bac fit des
signes à Forbes de se jeter à plat ventre pour éviter le coup;
mais le docteur répondit que le khan plaisantait et n’avait nul-
lement l'intention de le tuer. Il resta debout et cria en souriant
« bézénid, bézénid, » ürez, tirez; le coup partit et il tomba roide
mort. Ibrahim Khan s'étant informé s’il avait frappé juste,
ordonna qu’on lui montrât le cadavre pour juger du coup; mais
il voulut que le corps du malheureux docteur füt préalablement
plongé à plusieurs reprises dans l’eau, observant avec une gaieté
féroce que, même après leur mort, c'était une bonne précaution
à prendre contre ces chiens de frenguis, qui portaient toujours
sur eux quelque substance infernale et fulminante facile à
s’enflammer. Puis, ayant constaté que la balle avait traversé
le cœur de sa victime, il ft enterrer le défunt. Ainsi, l’histoire
!
392 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
de la suspension de son cadavre, et toutes les autres particularités
rapportées à cette occasion par M. Ferrier, sont, à cequ’il paraît,
une pure invention de l'individu qui les a contées au voyageur
français. J'ai cru d'autant plus utile de communiquer cette version
assez simple, qu’elle diffère un peu de celle qui est insérée dans
le vol. XIV (p. 479-183) du Journal de la Société géographique de
Londres, à la suite de l’intéressant itinéraire du malheureux
docteur.
Le 3 mars, l’eau était considérablement baissée, et notre escorte
étant prête, nous pümes nous remettre en route, et:faire une
petite marche jusqu’à Samour, village fondé par chah Pessend
Khan, et où il a planté un vaste jardin fruitier. La partie méri-
dionale du territoire de Lach embrasse presque toute la côte
septentrionale du lac Hamoun. Depuis l'embouchure du Ferrah-
roud jusqu’à celle du Haroud, elle présente une suite de terrasses
plus ou moins étendues, bordées par des ravins profonds creusés
dans un sol argileux et salin par les eaux pluviales et les rivières.
Les parties élevées de ces terrasses, ou, plus exactement, de ces
petits plateaux, sont abondamment couvertes de plantes salines,
excellent pâturage pour les chameaux et les moutons. On y ren-
contre aussi le kerté, herbe grasse très commune dans les plaines
des deux Kalékahs, du Séistan et de Kandahar, et que les chevaux
mangent volontiers. L’embouchure du Haroud forme un véritable
delta. À une distance de 40 kilomètres du lac, ce fleuve se divise
en une quinzaine de branches, et l'humidité communiquée à la
terre par cette irrigation naturelle contribue à la croissance de
nombreux tamaris, de peupliers, de saules et de broussailles de
cygophyllum, mais elle rend aussi le terrain marécageux et d’un
passage très difficile ; en sorte que le A, quand nous approchämes
du lac, nous eûmes beaucoup de peine à traverser le sol détrempé
de ce delta, Le lac, de ce côté, a l'aspect d’une grande lagune. L'eau
en est douce, bourbeuse, très peu profonde; aussi le lac change-t-il
souvent de contour, comme Pont déjà remarqué Istakhri dans le
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 298
x° siècle, et Yakout, entre 612 et 617 de l'hégire (Vey. Diction.
géogr. de la Perse, trad. par Barbier de Meynard, p. 86, et das
Buch der Länder, p. 110). Je crois qu'il est impossible de voir
ailleurs une plus grande réunion d’oiseaux aquatiques; les oies,
les cygnes, les canards, etc., formaient une bande flottante et
compacte de plus d’un kilomètre de largeur. Leurs cris plaintifs,
presque lugubres, produisaient un bruit tout à fait extraordinaire
qui ne ressemblait à rien de connu. Les Séistanis m'ont dit qu'ils
savaient d'avance si la crue des eaux serait grande, en obser-
vant l’élévation à laquelle ces oiseaux faisaient leurs nids dans les
joncs du lac au-dessus du niveau hivernal de son eau. L’hypso-
mètre de M. Regnault observé dans cet endroit a donné, pourile
point d’ébullition, 361°,0 correspondant à une pression baromé-
trique de 718"",10, et le baromètre indiqua 564!",60 à44°,8 cen-
tigrades de température du mercure (717°",03, ou bien, réduit à
zéro de température, 715"",32) ; la moyenne arithmétique de ces
deux observations, calculée au-dessus du niveau moyen de
l'Océan sous cette latitude, donne pour la hauteur absolue du lac,
K71 mètres.
: Nous passâmes la nuit au milieu d’un grand campement de Séis-
tanis, habitants du village de Kougha, qui venaient à peine de
quitter leurs résidences d’hiver. Ils restent l’été aux embouchures
du Haroud dans des souterrains obscurs et humides, torturés par
des essaims de moustiques, raison priucipale de l'absence complète
de chevaux et de mulets dans le Séistan. La naïveté des populations
de cette province n’est égalée que par leur superstition et leur fana-
tisme. L’usage de l'argent leur est inconnu; un ghez de toile est
l'unité d'échange la plus généralement adoptée, mais on la rem-
place souvent par des aiguilles, du fil, et d’autres objets dont ils se
servent dans leur ménage. À cause de notre escorte afghane et sun-
nite ils nous reçurent assez froidement; mais quand üls apprirent
que tous nos serviteurs étaient Persans et Chiites, ils se com-
portèrent très amicalement à notre égard. Un de nos gens obtint
894 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
en échange contre une seule aiguille une grande jatte de lait caillé ;
mais le vendeur, craignant de ne pas être assez bien payé, observa,
après avoir livré sa marchandise, que l'aiguille lai paraissait un
objet bien petit comparativement à la jatte, et ne se tranquillisa
que lorsque le Persan lui répondit, avec un sérieux imperturbable,
qu'il avait parfaitement raison quant à l'aiguille seule, mais qu’il
le priait de faire bien attention à un petit bout de fil passé dans
cet instrument. Le brave Séistani, après avoir débattu inté-
rieurement la valeur de cette objection, finit par admettre qu’au
fond l’acheteur avait raison, et s’en alla très satisfait.
Le Séistan doit être considéré sinon comme le berceau de la
nation persane, du moins comme le théâtre où se déroula toute
la période héroïque de son histoire, Même bien après cette époque
reculée, notamment sous les Arsacides, l’élément nalional, malgré
l’émigration de deux tribus considérables, les Djemchidis et les
Zouris, y était encore si puissant, que le mouvement patriotique
qui porta les Sassanides au trône de la Perse y naquit et s’y
développa. Sous la domination arabe, c’est encore dans le Séistan,
berceau des Soffarides, que s’organisa la première tentativé
sérieuse des Persans pour secouer le joug des khalifes. Sous les
Monghols et sous les Timourides, le Séistan, de plus en plus
affaibli, protesta néanmoins, assez souvent les armes à la main,
contre l’autorité souveraine des étrangers ; et ce n’est que sous les
Séfévides, dynastie éminemment nationale, que cette partie de
l'empire persan resta constamment fidèle au trône des chahs.
Les limites de cette province, telles qu’on les trouve décrites
chez Istakhry, sont ses confins naturels, car ils embrassent toute
la région de la dépression du sol khorassanien, dont le lac
Hamoun est le point le plus bas. Actuellement, le district de
Lach et Djouvein a été érigé en canton indépendant; le Zamin-
Daver, le Roudbar et Ferrah font depuis longtemps partie de
l'Afghanistan ; enfin, sa partie occidentale forme un territoire
presque neutre qu’on désigne par le nom de Seritchillei-Kain, ou
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 395
de district de Bendan. Ainsi le Séistan proprement dit, c’est-à-dire
le district appelé ainsi par les Persans modernes et les Afghans,
est réduit à un petit canton situé à l'embouchure du Hilmend,
dans le lac Hamoun ou Ziréh, et a tout au plus 200 milles géo-
graphiques carrés de superficie, avec une population de 10 à
45,000 familles, dont la moitié sont nomades,
Quoique peu nombreuse, cette population est assez bigarrée;
elle se compose de Persans autochthones, de Serbendis transférés
de Chiraz par ordre de Nadir Chah, de Beloudjs établis sur les
bords du Hilmend depuis le commencement de ce siècle, et enfin
de quelques familles d’Afghans dispersées dans les villages du
Séistan. Les anciens habitants se divisent à présent, comme dans
les premiers temps de l’histoire persane, en dihkans, ou villageois,
et en keïanides, haute noblesse, descendants des anciens rois de
la Perse. Cette dernière tribu a constamment fourni des gouver-
neurs au Séistan, sous la dynastie des Séfévides comme sous le
règne des Kadjars, jusqu’au temps de Mouhammed chab inclusi-
vement. Ainsi j'ai eu l’occasion de copier des firmans royaux qui
constatent que sous Chah Abbas I, cette charge était occupée
par Hamzèh bek Keïani; sous Chah Séf, par Mélik Djélal-eddin,
de la mème famille ; sous Chah Abbas 1l, par Mélik Noussret khan ;
sous chah Souleiman, par Mélik Fazl Ali bek; enfin sous le règne
du faible Chah Hussein, le Séistan a changé trois fois de gouver-
neurs : le premier était Fetkh Ali khan, qui fut remplacé, en
1121 de l’hégire, par son frère Mélik Djafar bek, et, en 1124,
par Assad Oullah khan, témoin de l'invasion des Afghans. Nadir
Chah conserva à la famille des Keïanides son ancienne préroga-
tüve, respectée même par les Dourranis lors de la seconde domi-
nation des Afghans dans la Perse orientale. Conformément à
lusage, l'aîné de la famille, à la mort de son prédécesseur, se ren-
dait à la cour du roi pour solliciter en personne son diplôme d’in-
vestiture, avec lequel il recevait habituellement une robe d’hon-
neur et un harnais d'or; quelquefois on joignait à ces cadeaux un
396 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
“bouclier et un sabre, objets toujours spécialement mentionnés
dans le firman. Après les Séfévides, les gouverneurs kéianides du
Séistan furent Hussein khan, fils d’Assad Oullah khan susmen-
tionné, qui transmit sa charge à son fils Souleiman khan. A la
mort de ce dernier, contrairement à l’usage, le poste de souver-
neur fut accordé à son second fils Behram khan, et après lui à son
frère aîné Nassir khan, dont le fils Khan-Hjan khan, nommé chef
du Séistan par Fetkh Ali Chah, mourut sous le règne de Mou-
hamed Chah en 1837 ou 1838, et fut le dernier gouverneur keïanide
de cette province. Pendant l'administration de Behram khan, une
section de la tribu Beloudj des Narouis quitta sa patrie, et vint
camper, sous les ordres d’Alem khan, sur les bords du Hilmend.
Reçu à titre de tributaire, ce chef de clan sut peu à peu se rendre
complétement indépendant de ses voisins, et légua en mourant son
pouvoir fermement établi à son fils Dost Mouhammed khan, mort
récémment, en 1857, regretté de tous ses compatriotes. Il laissa un
fils unique Dervich khan, mais c’est son frère Chérif khan qui fut
nommé chef de la tribu et, à l’époque de mon voyage, on le con-
sidérait comme l’homme le plus influent du pays. L’exemple
donné par les Narouis fut bientôt suivi par les Toukis, tribu
Beloudj du Haroun. Leur chef Khan Djan, fils de Djan bek et petit-
fils de Rouchan, errait depuis quelque temps sur le bord gauche
du Hilmend, lorsque Djélal-eddin khan, fils aîné de Behram
khan, devint amoureux de la fille de ce chef beloudj, et l'ayant
obtenue en mariage, fit cadeau à son beau-père d’une petite forte-
resse appelée Baringhuissiah, remplacée actuellement parla ville
de Djéhanabad. Khan-Djan, occupé avant tout du soin de se créer
une position indépendante, invita ses compatriotes à venir s'éta-
blir dans les environs de sa forteresse, organisa des bandes de
brigands et accumula des richesses considérables, en pillant les
villages frontières de la Perse et de l’Afghanistan.:En même temps
il réussit à agrandir ses domaines, soit en achetant aux Kéïanides
appauvris les terres-qui leur appartenaient, soit en les leur enle-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 397
vant par violence. Les dihkans établis sur ces terres se soumet-
taient difficilement au nouveau propriétaire, abandonnaïient leurs
habitations ét étaient remplacés par des colons béloudjs du Ha-
roun. Khan Djan avait six fils : Meïn Khan, Djan Bek, Ali Khan,
Ibrahim Khan, Chahpecend Khan et Chirdil Khan; mais à sa mort
il ne lui en restait que cinq, car le second de ses enfants mourut
avant lui. D’après la coutume du pays, le pouvoir de chef de
famille devait passer à Meïn Khan; mais son frère Ali Khan l'invita
à Tchekhansour, sa résidence habituelle, et l'ayant traîtreusement
assassiné, il s'empara de ses biens. Adonné à tous les vices éner-
vants de l'Orient, il jouit très peu de temps des résultats de son
crime ;'il mourut, en 18/40, d’une maladie de poitrine. Son succes-
seur Ibrahim Khan, tristement connu en Europe comme l’assassin
du docteur Forbes, est un homme entreprenant et énergique;
mais son fanatisme, et surtout sa malheureuse passion pour
l’opium, de même que sa férocité dans ses moments d'ivresse, en
font une espèce d’épouvantail pour les membres de sa famille, pour
ses sujets et pour les étrangers. Ainsi, son frère Chahpecend Khan,
inquiet pour sa vie, a du s’expatrier, et vit à Méched, recevant
une faible pension du gouvernement persan, Ibrahim Khan reste
rarement à Tchekhansour. Il chasse presque toute l’année le
sanglier dans les joncs du delta du Hilmend ; et comme il s'y rend
accompagné d’une nombreuse suite de gens armés, il lui est facile
de lancer à l’improviste des bandes de brigands partout où il
espère pouvoir faire un riche butin, Aussi il a la réputation d’être
fort riche,
Nadir Chah, voulant peupler en peu de tempsle Séistan, eut re-
cours à la colonisation forcée ; il ordonna d'y envoyer quelques cen-
taines de familles de Serbendis, tribu nomade persane de la pro-
vince de Chiraz. Leur chef Mir Kamber s'établit sous le titre de
kalentar à Sékouhè, et depuis lorsises descendants conservèrent l’hé-
rédité du pouvoir. Il eut pour successeurs son fils Mir Koutchik,
puis son petit-fils Mouhammed Riza Khan, et le fils de ce dernier,
vi, 51
398 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Mirkhan. Profitant du peu d'attention que le gouvernement de
Fetkh Ali Chah accordait à ce lointain apanage de la couronne de
Perse, Mirkhan devint presque indépendant, et, à l'exemple de ses
voisins béloudjs, empiéta de plus en plus sur les terres appartenant
aux Kéianides. Il laissa après sa mort cinq enfants : Mouhammed
Riza Khan, Ali Khan, Chah Navaz, Sardar et Mouhammed. Mou-
hammed Riza était de droit et de fait chef de la famille, aussi il hé-
rita sans aucune contestation du patrimoine paternel; mais ayant
une prédilection particulière pour Lutf Ali Khan, l’ainé de ses sept
fils, il le nomma son successeur, contrairement à l'usage du pays et
au détriment de son frère Ali Khan. Justementoffensé par ce passe-
droit, ce dernier se rendit à Téhéran dans l'espoir d’intéresserà
son sort le tout-puissant premier ministre de Mouhammed Chabh,
Hadji Mirza Aghassi. Mais cet excentrique moullah ne rêvait en ce
moment que réformes à introduire dans l'artillerie persane, et
il ne fit rien en faveur d’Ali Khan, qui se décida à aller chercher
fortune à la cour du chef de Kandabar, Kohendil Khan, frère du
célèbre Dost Mouhammed Khan de Kaboul. Entré au service de
ce sardar afghan en qualité de djéloudar ou palefrenier, il fnit par
être assez influent auprès de son maître, et lui inspira le désir de
faire la conquête d’une partie du Séistan. Kohendil entra dans
cette province à la tête d’une nombreuse armée, et le fort de
Sékouhé, vaillamment défendu par les Serbendis, fut enfin pris
par les troupes afghanes. Lutf Ali Khan, fait prisonnier, fut livré
à son oncle, qui ordonna de lui crever les yeux. Tant que le sardar
de Kandahar vivait, Ali Khan, malgré sa prédilection pour. les
chiites, n’osait pas le trahir ; maïs immédiatement après sa mort,
il s'empressa de nouer des relations avec la cour de Téhéran et
s’y rendit en personne. Le Chah l’accueillit avec bienveillance, lui
donna en mariage sa cousine, la fille du prince Behram Mirza,
et le congédia en lui promettant de l’aider à former un ba-
taillon de troupes régulières. Revenu à Sékouhé, Ali Khan
froissa imprudemment l’amour-propre des anciens de sa tribu,
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 399
s’obstinant à forcer ces gens naïfs d'adopter dans leurs rapports
avec lui les formes cérémonieuses usitées à la cour du Chah; il
finit ainsi par s'aliéner tellement son entourage, que Tadj Mou-
hammed Khan, frère cadet de Lutf Ali Khan, réussit à s'emparer
du pouvoir suprême, après avoir tué son oncle dans son propre
palais.
Je me suis permis d’entrer dans quelques détails sur l'histoire
ancienne et moderne du Séistan, presque aussi riche en crimes.
et en faits révoltants que celle de l'Afghanistan et du Beloudyjistan,
en partie pour suppléer aux données peu exactes et embrouillées
publiées par M. Leech dans le vol. XIII, n° 146, du Journal of the
Asiatic Society of Bengal (p. 146-118), et en partie pour montrer que
dans l’état actuel de nos connaissances sur la Perse, il n’y a peut-
être pas de province de ce vaste empire où l’on puisse espérer avec
plus de fondement de trouver autant de faits précieux et inconnus
de son passé. J'ai l'intime persuasion qu’un voyageur bien préparé
découvrira dans les archives religieusement conservées jusqu’à
nos jours par quelques membres de la race des Kéianides, des
documents de la plus grande importance pour l’histoire ancienne
de la Perse. En même temps, l’étude des mœurs et des coutumes des
Séistanis lui fournira la solution de plusieurs problèmes litté-
raires, ethnographiques et archéologiques, qui, sans ce secours,
ne pourront jamais être éclaircis. Cette entreprise présente quel-
ques dangers, il est vrai; mais avec de la prudence et avec le sou-
tien du gouvernement persan, je réponds de la possibilité de la
mener à bonne fin, surtout en prenant la route de Méched, Bird-
jand, Nih et Lach. Le chef actuel de cette dernière ville a déjà
accompagné et protégé un voyageur européen, M. Conolly, dans
sa tournée malheureusement trop rapide, et certes il ne se
refusera pas de répéter le même service, s’il peut compter sur
une bonne récompense.
Le 5 mars, après avoir cheminé avec beaucoup de peine pen-
dant quatre à cinq heures, dans les boues du Séistan, devenues à
400 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
juste titre proverbiale dans la Perse orientale, comme celles du
Ghilan le sont dans le nord, nous sortimes enfin du delta du Haroud.
Nous longeàmes pendant quelque temps la côte septentrionale du
lac, puis nous entrâmes dans une gorge qui coupe les montagnes
formant la limite naturelle du Khorassan et du Séistan, et nous
couchâmes à la belle étoile, dans un endroit nommé Oudjghan, à
2 kilomètres à peu près du campement de la veille. Dans les val-
lées de ces montagnes, le sol est fertile, l’eau assez abondante, et
même le bois de chauffage n’y manque pas; néanmoins per-
sonne n’ose s’y établir, par crainte des atiaques des Béloudjs. La
route que nous suivions est la plus courte voie de communication
avec le Khorassan; c’est celle que Nadir a choisie pour aller aux
Indes. Elle est soigneusement évitée par les caravanes, qui font
un long et pénible détour par Bendan et Dihi-Salm pour ne
pas trop s'éloigner des endroits habités, sans toutefois que cela
les garantisse beaucoup du pillage. Le 6, nous remontâmes la
même gorge jusqu’au col rocailleux appelé Teberkend, c’est-à-
dire «taillé par la hache », nommé ainsi parce que Nadir Chah le
fit élargir pour faciliter le transport des canons. Malgré cela,
la route y est étroite et tortueuse; et non-seulement ma litière
dut y être portée à bras, mais nous fûmes obligés de faire trans-
porter de la même manière la plupart de nos bagages. La descente
dans la plaine qui s’étend à l’ouest au pied des montagnes est
assez abrupte; mais comme la route est bien tracée et travaillée
en zigzag, elle ne présente aucune difficulté sérieuse. La plaine
où nous entrâmes n’est accidentée que par des monticules isolés;
et à une vingtaine de kilomètres du bassin d’eau doucedit Houzi
Djanbek Béloud), où nous campâmes le 6 au soir, le terrain devient
complétement uni. Au delà de ce bassin, creusé et abrité par
une construction de briques, due aux soins d’un riche pâtre bé-
loudj, la route commence à monter presque insensiblement sur
la seconde chaîne de montagnes, limite politique du Khorassan
persan à l’est, Son point culminant est le col de Bourdji-Ghourab,
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. A01
appelé ainsi à cause d’une tour construite, dit-on, par Nadir
Chah, pour abriter une petite garnison qu’il ÿ installa pendant
queses troupes franchissaient cette gorge. La descente de ce col
est encore moins abrupte que la montée, car la ville de Nih se
trouve au milieu d’une plaine très élevée, qui était couverte, à
l’époque où nous la traversimes, d’une quantité surprenante
de merendera en fleur. : À
Nih, mentionnée déjà par Isidore de ‘Charax, puis par Istakhri
et par tous les géographes musulmans, tout en étant le chef-lieu de
deux districts et la résidence d’un gouverneur, n’est, à propre-
ment parler, qu'un grand village. Cependant, je dois ayouer, avec
Christie etPottinger, que, revenu en Perse après un séjour prolongé
parmi les Afghans, il m’a semblé que j’entrais dans un pays très
bien administré. Quoique le chef actuel de Hérat soit; par son ca-
ractère et ses talents, un homme tout à fait hors ligne parmi les sar-
dars afghans, je suis convaincu qu’on a agi contre les intérêts de
l'humanité en forçant le Chah de Perse à restituer Hérat à ses sau-
vages voisins, et sans aucun doute cette belle province aurait
beaucoup gagné en restant sous la domination persane. Lie génie
afghan, jusqu’à présent du moins, n’a encore rien créé, mais il a
beaucoup détruit; et il n’y a aucune raison de croire qu’il modifie
de sitôt sa nature. Nih à peu de curiosités dignes de fixer l’atten-
tion du voyageur; mais parmi celles-ci, je n'hésite pas à donner la
place d'honneur à ses moulins à vent. Dans les parties de l'Asie que
J'ai visitées, depuis Samarcande jusqu’a Angora, ce n’est que dans
le district de Kaïn, Hmitrophe du Séistan, et faisant jadis partie de
celte province, que j'ai rencontré des moulins de ce genre. Cette
particularité mérite d’autant plus d’être signalée, que nous savons
par M. Reinaud que Massoudi et Istakhri en ont vu dans leSéistan
au x° siècle de notre ère, c’est-à-dire bien avant l’introduction de
ces moulins en Europe (voyez Géographie d’Aboulféda, trad. par
M. Reinaud, t. I, introd., SIL, p. ccen, et Das Buch der Länder, trad.
par 4, D. Mordtmann, p.110); ensorte qu’il est très probable que
402 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE: CENTRALE,
ce. fut ici qu'on a songé, pour la première fois, à utiliser la
force du vent. Ces moulins sont faits différemment des nôtres.
Comme on ne s'en sert que pendant quelques jours de l’année,
nolamment en aulomne après la récolte, on les a disposés de
façon à profiter exclusivement du vent du nord-est qui paraît être
dominant pendant cette saison de l’année. On fixe la meule à
l'extrémité d’un cylindre de bois, large d'un demi-mètre et haut
de 3 1/2 à 4 mètres, placé verticalement dans une tour ouverte du
côté du nord-est, afin d'intercepter le vent qui souffle dans cette di-
rection. Ce cylindre est muni d’ailes faites de bottes de jone ou de
feuilles de palmier, et ajustées le long de l’arbre mobile autour de
son axe. Le vent, s’engouffrant dans la tour, exerce une forte pres-
sion sur les ailes, et fait ainsi tourner l’arbre et la meule. Parmi
les ustensiles propres à cette partie du Khorassan, le/khabiëh
mérite d’être mentionné spécialement : c’est une espèce de cle-
psydre que je n’ai vue que là. IL consiste en un vase de cuivre de
forme hémisphérique, perforé dans sa partie basse et divisé en
8 compartiments d'égale capacité, marqués par 7 traits gravés
‘intérieurement sur ses parois. La capacité totale de ce vase doit
être telle, que rempli d’eau jusqu'aux bords, il puisse se vider par
l’onifice du fond 50 fois en 24 heures, c’est-à-dire une fois en 28° 48’;
chacun des 8 compartiments devrait ainsi se vider en 3° 36°. On
se sert de cette horloge à eau pour mesurer le temps pendant
lequelchaquepropriétaire d'un jardin ou d’unchamp cultivé a droit
de profiter de l’eau communale pour arroser son lot de terrain.
Cet instrament est conservé par le mirab, employé nommé par la
commune pour veiller à l’exacte répartition de l’eau. Comme
les habitants de Nih avaientquelques doutes sur la précision. de
la clepsydre dont se servait leur mirab, ils s’adressèrent à nous
pour nous prier de vérifier l'instrument. M. Lentz voulut
se charger de ce travail, et voici le résultat de son observation
sur le temps que l’eau met. à s’écouler du vase :
EU à
* # uibiih É
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, #03
Le vase, étant plein d’eau, s’est vidé jusqu’au 1°" trait en 328:
_ du 4° au 2° 3 46
— du 2° au 3° 3 36 ‘
_ du 3° au 4° 4 42
— du 4° au B° 4 102
— du 5° au 6° 3 36
— du 6° au 7° 3 22
+ du 7° à l’orifice 7 32
Les 8 compartiments se sont vidés en . . . 34m 04°
Donc, en moyenne, chaque compartiment se vidait en 4" 419:,
c'est-à-dire avec un retard de 43° sur # des 24 heures, et ce n’est
que le 3° et le 6° trait qui étaient exactement gravés. La plus petite
valeur de la différence avec cette moyenne était de 8° en moins,
et le maximum de à" 56° en plus. Comparativement à nos moyens
de mesurer le temps, cet instrument paraît extrêmement grossier;
mais quand on songe qu'il n’a été réglé que par le déplacement de
l’ombre du mur de la mosquée sur le sol mal nivelé de la place
publique, et qu’il n’est employé que dans une opération où une
dizaine de minutes de plus ou de moins me font rien, on doit
convenir qu'il atteint son but, et que son application à la distri-
bution de l’eau d'irrigation est préférable à l'arbitraire qui régit
ce partage dans les autres provinces de la Perse. La plaine de
Nih, bordée au nord-ouest par une petite chaîne de montagnes
éloignée de 7 à 10 kilomètres de la ville, est riche en sources ther-
males, dont presque toutes sont dirigées par des aqueducs sou-
terrains vers la ville. Au pied de ces montagnes, les puits parles-
quels on descend jusqu’à l’eau sont très profonds; dans la ville
même ils n’ont pas moins de 48 à 20 mètres de profondeur.
Il était intéressant de connaître leur température. M. Gæbel,
s'étant chargé de cette recherche, a constaté que l'eau d’un
de ces puits, à une profondeur de 33",527"" (111 p. a.), avait
26°,25 centigrades (21° R.) de température, tandis que dans la
ville j'ai trouvé, pour la température de l’eau d’un puits qui
avait 16° ,459"° (5h p. a.) de profondeur, 14°,5 centigrades. Toutes
L0û PARTIE: MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE;
les montagnes des environs de Nih sont riches en quartz, sur-
tout l’une d’elles, située au sud-est de la ville, nommée Kou-
higouli ou Goulinas; on y trouve même de grands morceaux d’amé-
thyste de la plus belle eau.
Notre intention première était de traverser le grand désert
de Lout par la route de Dihisalm, village considérable renommé
pour ses dattes et situé à six farsangs au sud de Nih; mais per-
sonne ne consentait à nous louer les chameaux indis plonsahie
pour letransport de l’eau et du fourrage. Le refus des chameliers
était basé sur le manque de force des chameaux, lesquels, à cause
du développement tardif de la végétation, n’avaient pas encore
eu le temps de se refaire assez pour supporter les fatigues d’un
pareil trajet. Après sept jours de halte à Nih, écoulés en
pourparlers inutiles avec les habitants, force nous fnt donc d’al-
ler chercher plus à l’ouest les moyens de traverser le désert.
Le 16, nous couchâmes à Tchaharfarsakh, village situé, comme
l'indique son nom, à quatre farsangs de la ville. Non loin de là,
on entre dans une gorge qui conduit à un col assez élevé appelé
Serdérèh. Malgré son élévation, on l’atteint facilement en suivant
une vallée bien arrosée, très pittoresque, et même légèrement
boisée de zygophyllum, de pteropyrum, de pistachiers à mastic et
d’amandiers. On descend de ce col par unc gorge assez étroite
au commencement, mais qui s’élargit bientôt, et quoique son sol
soit fortement imprégné de sel, le pistachier y réussit bien et”
prend un développement considérable. Cette gorge débouche dans
la plaine du village de Méigoun, entouré de champs cultivés avecun
soin dont on ne rencontre pas souvent d'exemples en Perse, sauf
dans cette partie du Khorassan et dans les environs &’Ispahan.
Le 18, nous nous rendîimes à Bassiran, après avoir franchi une
petite chaîne de montagnes peu élevées. Nous restämes le 19 dans
ce village, en attendant une réponse ‘de Séritchah, où nous expé-
diâmes un piéton pour avoir des nouvelles de la grande caravane
du Khorassan qui devait, nous disait-on, s’y réunir pour traverser
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 05
le désert. Profitant de cette halte, notre géologue, M. Gæœbel, alla
visiter d'anciennes mines de cuivre et de plomb situées dans un
endroit nommé Kaléhzéri, à une vingtaine de kilomètres au sud-
ouest de Bassiran. Actuellement cette localité est inhabitée; mais
jadis c’était un centre d’exploitation métallurgique très renommé,
et mon compagnon de voyage y a constaté des restes d’anciens
puits, des chambres de mine, des galeries spacieuses de di-
mensions colossales, taillées dans le roc vif, travaux qui par la
grandeur de leur style prouvaient qu’il y eut une époque où les
arts mécaniques et le génie d’entreprises étaient bien autrement
développés dans ce pays qu’ils ne le sont maintenant. Les indi-
gènes n’ont rien pu me dire de précis sur l’âge où ces construc-
tions souterraines ont été exécutées; ils les rapportent à l’époque de
Cheddad, expression indéterminée par laquelle, autant que j'ai pu le
comprendre, on désigne en Perse la période du premier triomphe
des nations sémitiques sur les races iraniennes, événement dont le
souvenir s’est vaguement conservé dans jes traditions populaires.
Ces mines contiennent du cuivre, du plomb, du manganèse et
des turquoises. À ce qu’il paraît, aucune des dynasties musul-
manes qui ont régi ce pays pendant douze cents ans n’a eu l’intel-
ligence et les moyens pécuniaires de reprendre ces travaux.
Les géographes des premiers temps de l'islamisme n’en parlent
pas; et dans un document contemporain des Séfévides j'ai eu l'oc-
casion de voir que, même à cette époque où le Khorassan jouissait
d’une prospérité comparativement assez grande, ces mines étaient
délaissées par peur des attaques des Béloudjs. Entre Bassiran et
Séritchah, la route ne quitte pas la plaine. Rarement accidenté
par des soulèvements rocheux peu considérables, le sol est
argileux et salin; à droite et à gauche de la route, on voit des
chaînons de montagnes : celles du sud forment la limite du
grand désert. Sur tout ce trajet, long d’une cinquantaine de
kilomètres, il n’y a qu’un seul puits d’eau assez potable. Des deux
chaînes que nous venons de mentionner, celle du nord est la
VI 52
06 PARTIE MÉRIDIONALE DE! L'ASIE: CENTRALE,
plus élevée; elle forme le bord méridional-de la vallée de la rivière
de Birdjand et de Khousse. Au nord, le bassin de cette rivière est
limité par la chaîne qui passe entre Birdjand et Toun, et dont la
hauteur absolue: dépasse considérablement celle; des deux pre-
mières. Ainsi nous-voyons que la parlie orientale du Khorassan
moyenest protégée par une triple barrière de montagnes contre
les influences climatériques du grand désert. Larivière de Khousse
a peu d’eau, et ce peu d’eau est complétement absorbé par l'ir-
rigation des champs du district; mais son lit desséché traverse
en long tout le grand désert. Jamais de mémoire d'homme on ne
Va vu rempli d’eau dans le Lout;, même dans les années plu-
vieuses, son eau ne dépasse guère les limites des pays habités,
et pourtant cette tranchée est trop profondément creusée dans le
sol du désert pour qu’on puisse en attribuer l’origine à un simple
accident météorologique, tel, par exemple, que le passage d'un
torrent d'orage, Évidemment ce lit doit son origine à une action
longue et constante de l’eau coulante, et cela permet de croire
qu'ici, comme dans le nord de VAsie, centrale, où Lehmann l'a
constaté pour le Zerafchan, le niveau des eaux fluviales a consi-
dérablement baissé depuis une époque très reculée; par consé-
quent, la quantité totale d’eau douce de cette partie du vieux
monde a dû diminuer, et le désert y a élargi ses limites.
La réponse que nous attendions était arrivée; une caravane
allait partir en effet de Séritchah pour traverser le désert, et l’on
m'informait que Mouhammed Riza-Bek, chef de cette bourgade,
avait recu l’ordre du gouverneur de Kaïn d’escorter en personne,
avec un détachement de vingt-cinq cavaliers, les négociants et les
voyageurs jusqu'aux limites du Kirman. Comme cette caravane
était la dernière de l’année, je ne voulus pas laisser passer une
aussi bonne occasion d'explorer le désert. Nous nous mîmes
en routele-20, vers les sept heures et demie du matin, et nous
arrivames à! Séritchah vers les trois heures de l’après-midi, la
veille de la fête du Nourouz, le nouvel an persan, qui correspond.
PARTIE MÉRIDIONALE: DEUL'ASIE (CENTRALE. &07
à l’équinoxe du printemps. La plaine-entre Bassiran et Séxitchah
ést argileuse et saline; elle est enclavée entre deux rangées dé
montagnes, et présente, dans beaucoup d’endroits, de bons pâtu-
rages pour-les moutonset les chameaux. Souvent-aussi le sol re-
couvre des roches ferrugineuses, surtout dans les environs de Bas-
siran, et il faut se garder de placer dans ces endroits la boussole
sur-la terre;:si l’on veut obteniriles angles mesurés exactement.
Le départ de la caravane n'étmit encore qu’à l'état de projet ;
mais comme nous nous proposions de traverser le désert avec
vingt-cinq hommes et quarante-deux chevaux, et que nous avions
devant nous une marche de trois jours et de quatre nuits sans
eau dans un pays isolé de toute habitation humaine , il fallait
songer à nous munir d'outres, à les éprouver pendant quelques
Jours pour être sûrs qu’elles tiendraient bien l’eau, à acheter les
provisions de ‘bouche pour nous et du fourrage pot nos che-
vaux, enfin à louer des chameaux en nombre suffisant pour irans-
porter ce surcroît de‘bagages. Ces préparatifs nous retinrent à
Séritchah jusqu’à Ja fin de mars; mais cette halte ennuyeuse n’a
pas été complétement perdue pour le but principal de notre
voyage. Mes collègues faisaient des excursions dans les environs
du bourg, et j'expédiai M. le topographe Jarinof à Birdjand,
afin qu’il pût relier, par une triangulation exacte et un lever
détaillé, notre itinéraire aux travaux topographiques exécutés
lors du voyage de M: Bunge à Tebès. L'influence calorifique du
grand désert se manifestait ici d’une manière très évidente. À Nih
encore, lemmcercure du thermomètre s’abaissait quelquefois, pen-
dant la nuit, à zéro et au-dessous, et le jour il ne montait guère
au delà de 18°,5 centigr.; ici la température de l'air, à l'ombre,
variait dans les vingt-quatre heures entre 20 et 29 degrés centigr.,
l'eau du ruisseau, où nous allions nous baigner, avait, vers les
deux heures de l'après-midi, 22 degrés C., et sur le versant méri-
dional des montagnes, dans les: endroits inaccessibles aux vents
du nord, croissaient des: palmiers isolés.
108 PARTIE ‘MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
Enfin, après de longs et ennuyeux délais, après une foule
de bruits mensongers sur de soi- disant détachements de
Béloudjs qu’on; prétendait avoir vus errer sur la lisière du
désert, guettant notre passage, on nous amena, le 1* avril,
nos chameaux, et l’on nous annonca que l'escorte était prête, et
même qu’elle était portée en notre honneur, par ordre du gou-
verneur de Kaïn, à cinquante hommes. Vers les deux heures de
l'après-midi, la distribution des bagages entre les chameliers
et le chargement des chameaux étant terminés, nous quittämes
Séritchah. Ayant traversé Aliabad, petit village attenant au
bourg, nous entrames dans une plaine couverte d’efflorescences
salines et brillant au soleil comme un champ de neige. Le terrain
plat ne s’étend que jusqu’au village de Salmi ; plus loin il devient
onduleux. Le sol argileux, salin, et en partie sablonneux du pays
que nous traversions, couvert de broussailles dispersées, de
haloxæylon, de caligonum et de cygophyllum(nommé en persan guidje),
rappelle le triste et monotone aspect de la lisière septentrionale
du Kizilkoum, grand désert situé au nord de Boukhara et de
Samarcande. Après avoir franchi une petite chaîne de mame-
lons, nous descendîmes dans une vallée étroite entourée de mon-
tagnes rocheuses , ne présentant d'autre issue qu'une gorge du
côté sud-ouest. Un puits d’eau saumâtre et amère, nommé Zer-
dek, est creusé au fond de cette vallée, et nous nous y arré-
tâmes pour passer la nuit. Le chef de notre caravane nous avait
déclaré, le soir, que sun intention était d’aller prendre sa der-
nière provision d’eau, non à Ambar, comme cela se fait toujours,
mais à un puits dit Mahiguir, d’où il se proposait d'entrer immé-
diatement dans le désert, Pendant la nuit, il abandonna son projet;
on l'avait informé que ce puits avait trop peu d’eau pour abreuver
nos chameaux à satiété. Je ne mentionne ce fait, insignifiant par
lui-même, que pour montrer l’inconcevable ignorance deshabitants
sur l’état des localités les plus rapprochées de leurs villages, et
qu'ils sont intéressés à connaître exactement.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 109
Le 2, à une heure après midi, nous gravimes, par la gorge que
je viens de mentionner, la montagne qui borde au sud-est le
vallon de Zerdek. La montée est rocailleuse et le chemin assez
étroit, mais sans difficulté sérieuse pour le passage des bêtes de
somme. Cette route conduit à un large plateau, qu'on traverse
pour descendre dans une vaste plaine d’où l’on voit distinctement
trois points de l'horizon faciles à reconnaître : à gauche, le Chah-
kouh; au sud-ouest, lamontagne deMihiambar, au pied de laquelle
se trouvele puits dumêmenom; et directement au sud,un mamelon
à trois cimes près duquel est situé le puits d’Atech-Kerdèh, creusé
dans un endroit couvert de broussailles. Ce puits n’est alimenté que
par des torrents qui descendent, en hiver et au printemps, des
montagnes voisines, en marquant leur passage sur le sol argileux
de la plaine par de larges sillons. Peu de temps avant le coucher du
soleil, notre conducteur découvrit trois chameaux quierraïent seuls
parmi les broussaiiles : cet incident, sans importance partout ail-
leurs, était d’une nature très inquiétante dans cette solitude; ces
bêtes furent immédiatement capturées, et tous les cavaliers de la
caravanese mirent à battre les alentours pour savoir si ces chameaux
n’appartenaient pas à quelque bande de Béloudjs en embuscade.
L’alertesetrouva fausseet fut de courte durée ; nos chameliersrecon-
nurent ces animaux comme appartenantaux villageois de Séritchah,
d’où ils s'étaient probablement échappés, et de pâturage en pâturage
avaient gagné la lisière du désert. Le nom Atech-Kerdèh signifie
« fait par le feu », et l’on pouvait s'attendre à trouver dans le
voisinage du puits quelques traces d’éruptions de gaz ou de lave,
mais nous ne vimes rien de pareil. L'eau était assez bonne, et
se trouvait à une profondeur de 4 mètre et quart ou 1 mètre trois
quarts; mais pour que le réservoir soit autant que possible à l’abri
de l’évaporation, on l’a muni d’une ouverture très étroite, ce
qui fait qu’on ne peut puiser l’eau qu’au moyen d’un seul seau
à la fois, en sorte que jamais cet endroit ne pourra servir de
station pour une caravane considérable.
10 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
Voulant atteindre de grand matin la source d’Ambar, où nous de-
vions abreuver nos chameaux pour la dernière fois, nous pliâmes
nos tentes au petit jour et traversàämes en uneheure 15 m. les 8 ki-
lomètres qui nous séparaient de cette localité importante. Elle est
entourée de collines sablonneuses couvertes de tamaris qui commen-
çaïent à fleurir : ces arbres, et des jones touflus, croissent abon-
damment dans le large ravin où se déverse l’eau de cette source,
qui, du reste, n’est potable qu'à son origine; car un peu plus loin,
son contact avec le sol salin la rend tellement saturée de sel, que
même les chameaux, si peu exigeants pour la qualité de leur breu-
vage, s’en détournent avec dégoût. Notre halte à Ambar se prolon-
gea plus de trois heures; ce ne fut que vers les onze heures du
matin que nous pûmes nous remettre en marche. Un pays triste
et nu s’étendait devant nous; une série de mamelons sablonneux
dénués de toute végétation s'élevait au-dessus d’une plaine argi-
leuse, dont le sol résonnait sourdement sous les pieds des che-
vaux, comme s’il recouvrait un gouffre, L'air était chaud, et un
vent d'ouest extrêmement violent nous lançait au visage des
nuées de poussière fine composée d’argile, de sable et de sel :
ce dernier surtout la rendait insupportable pour les yeux. Heureu-
sement cette bourrasque cessa bientôt, et nous débouchâmes
dans une vallée elliptique, entourée de monticules, et couverte de
broussailles de tamaris et de haloxylon. Elle était sillonnée de
traces laissées par le passage des torrents, et quelques-uns de ces
sillons étaient encore humides, chose assez extraordinaire; car
depuis trois semaines il n’était pas tombé d’eau dans les envi-
rons. Cette vallée nous conduisit à une gorge étroite bordée des
deux côtés par des rochers élevés; on l'appelle Gueloui-Saon-
dagher, c’est-à-dire «gosier de marchand », en souvenir d’un mal-
heureux négociant qui fut assassiné ici par les Béloudjs, au
moment où 1l croyait être hors de tout péril après avoir heureu-
sement traversé le désert.
En sortant de cette gorge, qui n’est pas longue, on voit devant
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 14
soi le désert. dans toute son immense uniformité, mais non encore
dans toute l'horreur de son aridité. Quoiqu’ici déjà le sol prenne
le caractère uniforme qu’il conserve sur toute l’étendue du Lout,
‘ c’est-à-dire qu'il consiste en un sable grisätre à gros grains,
étendu sur une couche sablonneuse cimentée en matière rendue
compacte par une solution de sel, la terre n’est pas encore
entièrement dénuée de végétalion. Toute chétive qu'était cette
végétation, nos botanistes constaièrent avec étonnement que les
plantes des déserts de la Transoxiane que nous avons constamment
rencontrées jusqu'alors, avaient brusquement disparu, et qu’elles
étaient remplacées par des plantes spéciales aux flores de l'Arabie et
de l'Egypte. La seule chose qui rende l'aspect du Lout un peu moins
désolant que celui des déserts de la Transoxiane, c’est que dans
aucune de ses parties l’horizon ne prend la forme monotone d’un
immense cercle absolument régulier, comme c’est le cas dans
beaucoup d’endroits de la steppe kirghise. Loi, soit au sud, soit à
l’ouest, on voit poindre dans le lointain quelques montagnes, qui,
semblables à des nuages bleuâtres, rompent la régularité fatigante
de la limite visible de laplaïine, et inspirent au voyageur l’assu-
rance consolante qu’il ne risque pas de s’égarer dans l'immensité
d'une solitude dont tous les points se ressemblent, Une heure
avant le coucher du soleil, nous tournämes un monticule appelé
Mihibakhtou, couronné de rochers, et nous nous arrêtämes dans
un endroit situé à un demi-farsang d’une chaîne de montagnes
rocheuses. Trois bassins naturels creusés dans les rochers de cette
chaîve conservent quelquefois assez longtemps l’eau pluviale qui
s'y accumule. Nous y envoyâmes nos chevaux dans l’espoir de
pouvoir les y abreuver sans toucher à la provision d’eau que nous
portions avec nous, mais celte attente fut déçue ; à peine y trouva-
t-on assez d'eau pour remplir les bouteilles et les cruches que
nous avions eu le temps de vider depuis notre départ déSéritchah,
et pour désaltérer deux chevaux de notre caravane. Dans l’endroit
où nous campämes, on découvrait encore quelques vestiges de vie
h12 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
animale. Au moment où l’on déchargeait les chameaux, une ger-
boise traversa le camp en quelques sauts; des coléoptères bour-
donnaient dans l'air, et d'énormes tarentules accouraient de tous
côtés, attirées par la lueur des feux qu’on avait allumés pour
préparer le maigre souper de la caravane. Les hirondelles avaient
disparu, et je n’ai pas remarqué non plus de chauves-souris.
Nous nous remîmes en marche à onze heures du scir. La
nuit était sombre, et nous errâmes pendant quelque temps;
enfin, fort heureusement, notre conducteur réussit à s'orienter,
et nous avancämes sans déviation notable vers le but de notre
seconde halte, qui était un endroit dit Balahouz. Au fur et à me-
sure que nous nous enfoncions dans le désert, le sol devenait de
plus-en plus aride; au petit jour je distinguai encore quelques
caligonum et quelques salsola desséchés, et non loin de là
J'aperçus une alouette et un oiseau blanchâtre, derniers êtres vi-
vants que nous vimes dans cette triste solitude. Avec les premiers
rayons du soleil, la chaleur commença à se faire sentir et
s’accrut très rapidement. Les mamelons au-dessous desquels se
trouvait Balahouz semblaient être à une portée de fusil; mais
nous marchàmes des heures entières sans pouvoir les atteindre:
Enfin, le matin du 4 avril, vers les onze heures, nous nous
arrêtâmes à Balahouz par une chaleur suffocante. On voyait
dans cette localité quelques traces d’une citerne ruinée, privée
d’eau depuis longtemps. Ici le désert avait pris complétement son
caractère de terre maudite, comme l’appellent les indigènes’ Pas
le moindre brin d'herbe, aucun signe de vie animale n’égayait
la vue; aucun bruit autre que celui qu'engendrait la présence de
la caravane ne venait rompre ce morne silence du néant. Le
calme profond et solennel qui régnait autour de nous me rappe-
lait vivement un phénomène semblable que j'avais observé en 1850
sur la cime du grand Ararat, où, à unt hauteur de 1500 mètres
au-dessus de la ligne des neiges éternelles, aucun bruit de la terre
habitée ne pouvait plus arriver.
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, h43
Grâce à lailenteur dela marche des chameaux, et à la perte de
temps que nous éprouvämes pendant que nous perdîmes la route,
l'étape nocturne ne fat que de 25 kilomètres. Après une halte de
quatre heures, nous nous remimes en marche, et nous nous diri-
geàames vers des mamelons dits Kellehper, éloignés de Balahouz
de 20 kilomètres, mamelons qu'on voyait distinctement et qui
semblaient positivement fuir devant nous. Ayant devancé la cara-
vane, je m’assis au pied de cette élévation sablonneuse , et jamais
je ne pourrai rendre le sentiment de tristesse et d’abattement dont
je ne pus me garder à la vue de la lugubre solitude qui m’entou-
rait. Des nuages dispersés voilaient les rayons du soleil, mais l'air
était chaud et lourd; la lumière diffuse éclairait avec une unifor-
mité désolante le sol grisätre du désert fortement échauffé, et ne
présentait presque aucune variation de teinte sur la surface im-
mense que l'œil embrassait. L’immobilité absolue de tous les points
de ce morne paysage, jointe à une absence complète de sons, pro-
duisait une impression accablante; on sentait que l'on se trouvait
dans une partie du globe frappée d’une stérilité éternelle, où la vie
organique ne peut reparaître que par suite de quelque boule-
versement terrible. On assistait pour ainsi dire au commencement
de l’agonie de notre planète. Les musulmans, qui aiment tant à
rattacher le nom de leur prophète à tous les incidents de leur
passé, racontent qu'avant la naissance de Mahomet ce désert
était couvert d’eau salée, mais qu’elle s’est évaporée subitement
au moment où l’envoyé de Dieu vint au monde, et ils croient le
prouver par la présence des coquilles dans le Lout : fait que
nous n'avons pu y découvrir, mais qui, n’a rien d’improbable.
Quelque absurde que soit cette légende, rapportée au vi‘ siècle de
notre ère, elle peut facilement être l'écho d'un phénomène réel
arrivé-bien antérieurement, toutefois de mémoire d'homme.
La seule chose qui nous consolait dans le désert, était la
conscience d'avoir marehé; les monts Mourghab, qui, la veille
encore, nou$äppardissaient à l'horizon comme un brouillard sans
VII, 53
L'un PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
forme déterminée, se dessinaient nettement sur un ciel de plomb,
et derrière eux s’élevait le mont Derbend, qu'on disait être rap-
proché de la limite du désert du côté de lezd. Bientôt aprèsavoir
dépassé Kellehper, nous descendimes dans le lit desséché :de la
rivière de Khousse, où nos chameliers enfouirent-dans la terre, à
peu de profondeur de la surface, quelques provisions qu'ils se
proposaient de reprendre à leur retour, étant sûrs que personne,
pas même une bête fauve, ne viendrait les déterrer. Le coucher
du soleil nous surprit dans cet endroit, etce fut seulement à lamuit
tombante que nous atteignimes un ravinsablonneux, appelé Goudi-
Nimeh, « la dépression du milieu », après avoir parcouru dans
l'après-midi 24 kilomètres. Cette localité est considérée par lesin-
digènes comme le point exactement central du désert, quoique par
le fait il ne se tronve qu'aux deux cinquièmes de la distance qui
sépare Ambar de Dihiseif, points extrêmes du terrain privé
d’eau. Ici quelques gouttes de pluie rafraîchirent un peu l'air, qui
jusqu'alors, malgré la nuit, était chaud et même étouffant. À l’ho-
rizon occidental on voyait des nuages d'orage, illuminés parfois
par des éclairs; mais le bruit du tonnerren’arriva pas jusqu’à nous.
Nous quittämes cet endroit avant minuit, et parcourümes jusqu’à
Vaube du jour 20 kilomètres. Au dela du mamelon de sable dit
Badriz, mot qui signifie « amoncelé parle vent » et qui, très pro-
bablement, explique l’origine de cette colline, le désert change de
caractère ; la plaine unie est remplacée par une suite de terrasses
sablonneuses et descendantes. Non loin de cet endroit, nous trou-
vâmes le cadavre complétement desséché d’un renard, qui sans
donte avait succombé à la soif en voulant traverser le désert.
Vers les onze heures du matin, le 5 avril, l'extrême chaleur
nous obligea de nous arrêter dans un endroit dit Telli-Kalendar,
« la terrasse des derviches »; et comme chaque point remar-
quable de cette solitude à une légende dramatique qui explique
son nom spécial, on raconte ,*au sujet de la localité où nous
nous ‘rouvions, Phistoire ‘suivanté. Par ‘üne claire matinée
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 415
d'été, trente derviches qui allaient à Kirman avaient distingué à
Lhorizon, dans les environs de Mihibakhtou, les cimes neigeuses
des montagnes de Khabis. Trompés sur la distance de cette chaîne,
ils se hasardèrent à traverser le Lont à pied et avec une faible
provision d’eau; mais, arrivés dans cet endroit, ils se sentirent
défaillir et moururent tous de fatigue, de chaleur et de soif. De
l'emplacement où nous campions, on voyait une vaste dépres-
sion dont le: fond était hérissé de rochers isolés, et limitée à
l'ouest par un plateau nommé Ghendoum-Birian, ou «blé rôti»,
surnom rattaché à une autre histoire. Des brigands Béloudjs
avaient atiaqué et pillé dans cet endroit une caravane venant du
Khorassan. Les moyens leur manquaient pour emporter tout le
butin, et entre autre ils répandirent sur le sol une grande quan-
tité de blé, se proposant de venir le reprendre quelques jours plus
tard; mais quand ils retournèrent, ils virent que ce blé était brülé
par le soleil. Ce fait n’a rien d’improbable, car à midi trente mi-
nutes la température de l'air à l'ombre et à trois quarts de mètreau-
dessus. du sol, était de 39°,52 centigrades ; le thermomètre mouillé .
marquail 20°,10 centigrades, et Le baromètre se tenait à 729"°,48;
la température du mercure étant, 39°,25 centigr. Ces chiffres étant
substitués dans la formule de M. Régnault, pe h, don-
nent pour la tension des vapeurs 6"",045, et pour l'humidité re-
lative, 11,2 p. 100 de saturation complète à la température de l'air
à l'ombre; ce résultat est de 0,8 p.100 moindre que la sécheresse
observée par le baron de Humboldt dans la steppe Barabins-
kaya, et qu’il regardait comme la plus grande sécheresse constatée
sur la surface de la terre. Quant à la température du sol, elle
était si forte, que même le pied chaussé la supportait difficilement.
Nous étant mis en marche vers les deux heures de l'après-midi,
nous descendimes par une pente assez rapide dans la dépression
que je viens de mentionner. Les rochers ,calcaires qui percent la
surface dé celte plaine basse, ont des formes bizarres; quelques-
16 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
uns ressemblent à des maisons surmontées de coupoles, d’autres
à des minarets, à des mosquées et à des murs crénelés, etc.; aussi
nomme-t-on cet endroit Nagorëh khanëh, « le pavilion des timba-
liers », chambre ouverte de tous les côtés ct placée au-dessus de
la porte principale du palais. Peu d’instants avant le coucher du
soleil, nous atteignimes le bord méridional de cette dépression;
il a la forme d’un mur vertical très élevé, large d’une vingtaine
de mètres. Un sentier étroit, très escarpé et travaillé en zigzag,
conduit au faîte de ce rempart naturel. L'ayant franchi à la lueur
d’une lune de deux jours, nous descendimes dans la vallée d’un
large cours d’eau salée et amère dit Chour-roud, qui se déverse
dans une seconde dépression située au sud de Baghi-Assad, où le
selse dépose en couches épaisses, et où il est recueilli par les habi-
tants du bourg de Khabis et du village de Dihi-Seif. Le passage de
ce ruisseau bourbeux présenta quelque difficulté pour les cha-
meaux, en sorte que nous fûmes obligés de faire une halte un peu
au delà de cet endroit, à 20 kilomètres de Telli-Kalendar et à 55
-de Goudi-Nimeh. D’après le témoignage de nos conducteurs, nous
avions une étape de 13 farsangs pour sortir complétement du dé-
sert, et nous nous décidàmes à la parcourir d’une traite, et non
en deux marches comme on le fait habituellement. Ayant donné
aux chevaux le reste de nos provisions d’eau, nous quittimes
notre dernier campement dans le désert, non sans éprouver quel-
que inquiétude sur l'issue de notre résolution chanceuse. Heureu-
sement [a nuit du 6 avril était claire et assez fraîche, en sorte
que nous traversàmes avant l'aube matinale, les endroits les
-plus difficiles à franchir par la chaleur qui y règne pendant le
jour, tels que Koutché, «la rue», surnommé ainsi à cause de deux
rangées de mamelons régulièrement alignés des deux côtés de la
route, et qui ont quelque ressemblance avec des maisons; Baghi-
Assad, endroit où la rôute de Dihi-Salm s’unit à celle de SÉricheh
et enfin Righi-Pendj- -Angoucht, partie du désert nee par
son caractère mamelonné. Au petit jour, nous passämes près du
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. h17
mamelon dit Dou-Douvanek, c’est-à-dire « cours petit coureur »,
nommé ainsi à cause d’une ancienne coutume des voyageurs de
caravane de se livrer dans cet endroit à un jeu qui consiste à
monter cette élévation en courant et en tâchant de se devancer
mutuellement. Celui qui se laisse dépasser paye une petite somme
d’argent à son vainqueur; et même ceux qui s’excusent à cause de
leur âge ou par d’autres considérations, sont passibles d’une légère
amende.
La litière où J'étais couché, à moitié endormi, avait devancé la
caravane; le jour commencait à poindre, et déjà à l’horizon on
voyait une raie noirâtre qui indiquait la lisière des tamaris et la
fin du désert, lorsque tout à coup mon muletier s'arrêta brusque-
ment et se jeta à bas du cheval qu’il montait, avec des vociféra-
tions de mauvais augure où je ne pouvais discerner que le nom de
Beloudj. Étant descendu de la litière, je vis en effet une masse
obscure qui s’approchait de nous du côté de l'Orient ; mais la clarté
du jour était encore trop faible et la distance qui nous séparait
trop grande pour que je pusse distinguer ce que c'était. La seule
chose qui me parut tranquillisante, était l’extrème lenteur et
même une certaine indécision dans le mouvement de cette masse.
En effet, quand elle s’approcha un peu plus, nous vimes que
c’était une caravane d’ânes chargés de sel et accompagnés d’une
quinzaine d'habitants de Khabis, venus de ce bourg dans le désert
pour s’approvisionner de cet unique produit utile du Lout. Eux
aussi nous avaient pris pour des Beloudjs, et ne s’avançaient
que très timidement jusqu’au moment où ils purent discerner la
litière.
Les attaques de ces nomades sont assez fréquentes dans cette
partie dela Perse; généralement ils entreprennent ces expéditions
au nombre de 80 à 100 hommes montés deux à deux sur un cha-
meau. L’extrême sobriété de ces sauvages leur permet de se con-
tenter de peu de provisions, et ils supportent des privations
inouïes en güettänt le passage des caravanes. Arrivés près de l’en-
48 PARTIE MÉRIDIONALE, DE, L'ASIE CENTRALE.
droit où ils comptent faire un coup de main, ils laissent leurs
montures à la garde de cinq ou six hommes et souvent même
à celle des femmes, et se rendent eux-mêmes au lieu choisi
pour l’embuscade, n’emportant que leurs armes, une petite outre
remplie d'eau et deux petits sacs, dont l’un contient de la farine,
et l’autre du fromage de brebis sec. Les Persans les craignent
beaucoup et racontent des histoires eflrayantes sur la cruauté
avec laquelle ils tuent les prisonniers, ayant pour principe de ne
jamais faire de quartier à un ennemi. L'énergie sauvage de leur
attaque est aussi un sujet d’étonnement et d’effroi pour ies paisi-
bles Kirmaniens. La plupart du temps, les Béloudjs ne sont
armés que de piques et de sabres: sur dix il y en a à peine un qui
ait.un fusil à mèche ; mais cela ne les empêche pas d’être presque
toujours victorieux dans leurs rencontres avec les gardes-fron-
ières, assez bien montés et beaucoup mieux armés qu'eux. La
tactique de ces nomades est celle des anciens Parthes ; ils conimen-
cent toujours par fuir, attirent les assaillants aussi Loin que possible
dans l’intérieur du désert, où la fatigue des chevaux et la soif des
montures et des cavaliers leur viennent en aide, et alors ils les atta-
quent vigoureusement, se servant, pour les combattre et les exter-
miner, de leurs dents et de 1 ongles, à défaut d’autres armes
plus efficaces. Récemment, le Souvernement du chah à eu l’heu-
reuse idée d'envoyer à lezd et à Kirman des compagnies de Dja-
zairtchis, artilleurs montés sur des chameaux, et c’est, selon moi, le
seul moyen de protéger sérieusement la tranquillité de ces pays;
car ce fh’est que monté sur un chameau qu’on peut, avec quelque
chance de succès, poursuivre ces brigands dans le désert.
Nous atteignimes enfin le bois de tamaris, et à 2 ou 3 kilo-
mètres plus loin nous traversàmes. un courant d’eau salée nommé
Djoui-Roumi, au bord duquel était campée une caravane de
Bauder Sie, qui, après avoir attendu longtemps l’arrivée de
celle du Khorassan, Ê ’était décidée à traverser toute seule le désert.
La joie des, marchands fut. grande quand ils apprirent que non-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE: A19
seulement nous leur amenions une escorte, mais qu’elle était com-
mandée par Mouhammed-Riza-Bek, personnage qui semblait jouir
d’une grande popularité dans ce pays. À 2 kilomètres plus loin, on
parvient au village de Dihiseif. Malgré l'attrait que présentaient
quelques bouquets de palmiers pittoresquement disséminés autour
de l’enceinte fortifiée du village, nous préférämes l’ombre beau-
coup plus fraîche de leurs murs en pisé aux ombrages des jardins
où la chaleur était étouffante.
Nous avions marché pendant onge heures de suite, et nous
avions parcouru, depuis notre halte de la veille, 61 kilomètres ; les
hommes et les bêtes de somme étaient exténués de fatigue, et l’on
comprendra facilement le bonheur que nous éprouvions à nous
trouver sains et saufs sous le toit d’une habitation humaine, après
avoir traversé un désert qui n’a pas d’égal en aridité sur toute la
surface du continent asiatique, car le Gobi et le Kizil-Koum,
comparés au Lout, sont des prairies fertiles. Déjà au x° siècle,
Istakhri déclarait que le Sahara persan, qu'il ne connaissait pas
sous son nom actuel, était « le désert le plus inhabité de tous les
pays soumis à l’Islam ». J'ai vu depuis les mornes paysages de
l'isthme de Suez : dans beaucoup d’endroits cette région aride
semble être frappée de la même stérilité que le Lout, mais elle ne
garde pas ce caractère désolant sur une étendue aussi immense.
On y rencontre parfois des sillons creusés par les pluies hiver-
nales, où les graines des plantes herbacées parviennent à s’établir
et à fructifier, et ce seul phénomène de la vie organique en évoque
beaucoup d'autres du même genre et contribue à animer cette
contrée déserte.
Dihiseif est un endroit trop pauvre pour qu'on puisse y séjour-
ner longtemps ; aussi, malgré notre fatigue, nous nous remimes
en marche le jour suivant. "Ayant fait 20 kilomètres dans-un
pays mamelonné «et riche en plantations de tdmaris, nous arri-
vâämes à Khabis-où l'on’ nous avait préparé un spacieux logement
dans un vaste jardin de palmiers, d'orangers, de citronniers et de
420 ‘PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
grenadiers; la même maison avait été occupée par mon unique
prédécesseur européen, M. Abbott. Arrivés le 7 avril à Khabis,
nous y restâmes jusqu’au 12, pour avoir le temps de prévenir les
autorités de Kirman de notre prochaine arrivée dans cette ville,
et pour donner un peu de repos à nos chevaux qui se soutenaient
à peine.
Les habitations de Khabis ne sont ni riches ni commodes. Les
portes sont considérées comme un luxe qu'on se permel rare-
ment; les fenêtres sont remplacées par un grillage modelé en
pisé, presque toujours d’un dessin original et quelquefois stuqué
d’albâtre, treillage qui n’empêche ni les hirondelles, ni les chauves-
souris, ni même les chacals d'entrer dans la maison de l’homme
comme chez eux. Mais pour la plupart du temps ces modestes
cabanes sont perdues dans de vastes jardins, et l’on n’a qu'à
monter sur leurs toits, toujours très élevés, pour jouir d’un coup
d’œil qui fait oublier le manque de confort des logements. Sous un
ciel bleu foncé, d’un éclat insoutenable en plein midi, on voit à
ses pieds un immense tapis mouvant d’aigrettes de palmiers, dont
le vert jaunâtre se marietrès bien à la sombre verdure des citron-
niers et des orangers plantés à leurs pieds. A l'horizon méridional
se dresse un majestueux amphithéâtre de montagnes verdoyantes
à leurs bases, et couronnées par des cimes neigeuses, tandis qu’à
l'est et au nord, le Lout s’étend à perte de vue, semblable à une
masse de métal incandescent d’un rouge pâle, inondé, depuis le
lever jusqu’au coucher du soleil, d’une lumière intense sans la
moindre trace d'ombre. L’eau qui circule abondamment dans les
jardins du bourg y entrelient une végétation vigoureuse, et
presque partout les ruisseaux et les bassins sont bordés d'oléan-
dres, nommées quiche en persan, qui, à celle époque de l’année,
commencaient à fleurir et embaumaient l'air d'un doux parfum
qui ne permettait guère de soupconnerde caractère éminemment
vénéneux de cette plante. Le dattier prospèreà Khabis; on y compte
plus de 60 000 arbres, et ici ils ne sontjamais détruits comme dans
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. h21
le district de Lezd par des froids précoces en automne ou des abaisse-
menis de température subits au printemps. Cet arbre atteint ici une
élévation considérable; j'ai mesuré trigonométriquement la hau-
teur de trois troncs renommés pour leur dimension, et j'ai trouvé
les chiffres suivants : 16",7 (54,8 p. a.); 16,5 (54,2 p. a.); et 16",1
(52,9 p. a.), mais comme ce dernier palmier étaitrecourbé, la lon-
gueur totale de son tronc ne sera pas moindre de16",8 (55 p: a.).
Le henneh (Lawsonia alba) de Khabis est à juste titre renommé dans
toute la Perse; on le vend sur place 1 fr. 20 cent., le batman et un
quart, et la quantité de matière colorante contenue dans cette
plante est cinq ou six fois plus grande que celle de tout autre henneh.
Pendant notre séjour à Khabis, mes compagnons de voyage firent
une excursion dans les montagnes de Sirtch, et M. Gæbel visita les
sources chaudes situées dans cette chaîne; elles ont, d’après son
observation, de 33 à 37 degrés cent. de température.
Le 19, nousnous mîmes en route et ne fimes qu’une pelite étape
de 16 kilomètres jusqu'au village nommé Tchahar-Farsang,
près duquel, au-dessus d’une source thermale, croît le dernier
palmier des environs de Khabis. De là jusqu’à Kirman, notre route
coïncide avec celle de M. Abbott, et comme j'ai eu déjà l’occasion
de le remarquer; mon prédécesseur a très exactement décrit son
itinéraire, en sorte que je puis me borner à quelques observations
générales sur le caractère orographique du pays situé entre
Khabis et Kirman. Cette région est très montagneuse; l'art y a
très peu fait pour rendre les communications praticables. Ainsi
des trois cols qu’on a à franchir en suivant cette direction,
la montée du premier, nommé Goudar, est un peu travaillée
par ordre du sardar Khan Baba Khan; mais la descente de
ce col, et la route qui franchit les deux autres, sont restées pres-
que telles que la nature les a faites. Non-seulement cette voie
n’est pas carrossable, mais une modeste litière ne peut y passer
sans être portée en beaucoup d’endroits à bras d'hommes. Cette
partie alpestre du district de Kirman est de tous côtés cernée
vi 54
122 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
de montagnes formant un circuit elliptique, dont le grand axe,
long de 60 kilomètres, est dirigé presque exactement du nord au
sud et sert de ligne de faîte à la chaîne des montagnes de Sirtch.
En même temps elle partage les eaux qui coulent à l’est vers le
Lout de celles qui se dirigent à l’ouest vers la plaine de Kirman.
Dans un des défilés de ces montagnes, à l’endroit dit Derrei-
Sakht, remarquable par la quantité d’oléandres qui y croissent,
les chevaux de la caravane broutèrent quelques feuilles de cette
plante vénéneuse, et lun d’eux succomba avant d'arriver à
Dangh-ou-Nim, notre station du 43 avril. Cmq autres périrent
dans ce village. Chez toutes les bêtes empoisonnées, action du
toxique se manifestait en premier lieu par une grande faiblesse
dans les jambes, puis la pupille et même tout le globe de l’æœil se
dilataient d’un cinquième ou d’un sixième de leur grandeur nor-
male; une bave mousseuse apparaissait au coin de la bouche, les
mâchoires se serraient convulsivement, et l'animal expirait. Les
indigènes prétendent qu’on peut sauver le cheval en lui versant
dans le gosier, immédiatement après l’empoisonnement, une forte
décoction de dattes. Ce remède peut être bon, mais tout ce que je
sais, c’est que, appliqué deux ou trois heures après Pempoisonne-
ment, il ne produisit aucun effet, en sorte que le seul moyen effi-
cace d'empêcher un accident aussi fàächeux dans un pays où les
chevaux de bât sont introuvables, c’est de leur mettre des sacs
sur le museau pendant tout le temps qu’on traverse le taillis
d'oléandres où serpente la route dans le défilé que nous venons
de nommer. C’est évidemment la même plante que celle que Stra-.
bon décrit comme ressemblant aux lauriers dans le $ 7 du chap. 51
du livre XV de sa Géographie.
Nous arrivâmes le 44 avril à Kirman, et la difficulté d’y trouver
des chevaux et des mulets nous força d’y rester jusqu’au 5 mai.
Cette ville est peut-être la moins connue de toutes les cités de la
Perse; très peu d'Européens y ont été. Après Marco-Polo, c’est
Pottinger qui le premier y a passé quelques jours; puis elle a été
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. A23
visitée par M. Westergaard, qui n’a rien publié jusqu’à présent
sur son voyage dans cette partie de la Perse; enfin, notre dernier
prédécesseur est M. Abbott. Mais son itinéraire ne nous conduit
que jusqu'aux portes de la ville, et sa description de Kirman, pro-
bablement très circonstanciée, d’après ce qu’il dit dans une note
placée au bas de son mémoire. n’a jamais été publiée.
Kirman est située dans une plaine, ou plutôt dans une vallée de
forme oblongue dirigée de N.-N.-0. au S.-S.E, d'une trentaine de
kilomètres de longueur; sa largeur, à la hauteur de la ville, n’est
guère que de 20 kilomètres, maïs elle-devient plus grande au nord
et s’unit aux plaines élevées traversées par la route de lezd. En
venant de l’est, on n’apercoitla ville qu’à une distance de 5 à 6 kilo-
mètres, et vu le grand nombre de ruines assez bien conservées qui
l'entourent, elle paraît de loin assez considérable; mais cette illu-
sion cesse aussitôt que l’on entre dans les tristes décombres du
Mahalei-Gebrié (1), faubourg jadis florissant, habité exclusive-
ment, comme l'indique son nom, par les ignicoles. Il fut pillé par
les Afghans, mais c’est Agha Mouhammed Khan, en 1208 et 1209
de l'hégire, qui l’a définitivement saccagé et démoli. Des ruines
plus vastes encore s'étendent du côté méridional de la ville ; mais
comme leur origine est plus reculée (car cette destruction date
de la seconde invasion des Afshans en Perse après l'assassinat de
Nadir Chah), il y a beaucoup moins d’édifices sur pied, et l’œuvre
de dévastation porte un cachet de vétusté qui en atténue un peu
l'effet désagréable. À l’ouest aussi, une bande de ruines, large de
00 à 500 mètres, défend les abords du mur de la ville nouvelle.
Ce mur a la forme d’un hexagone irrégulier, dont le côté nord
a, en chiffres ronds, 500 mètres de longueur, celui du nord-ouest,
600, celui du sud-ouest, 1195, le côté sud, 500, celui du sud-est, 750
et celui du nord-est, 600 ; mais la longueur exacte de l’enceinte
est de 4625 mètres. La citadelle, adossée à la partie moyenne du
mur sud-ouest, a une forme presque carrée de 300 à 350 mètres
(1) Voyez le plan annexé.
24 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
de côtés. Les murs de la ville et de la citadelle sont en pisé, et dans
beaucoup d’endroits ils demanderaient de sérieuses réparations :
cette enceinte est munie de cinq portes : Soultani, Gebrié, Bagh,
Mesdjid et Rigabad. Deux ruisseaux passant au nord et au sud de la
ville y amènent l’eau potable, Kirman ne possède que trois mos-
quées considérables, Djouma, Mélik et Kalentar ; une école supé-
rieure dite Médressei-Ibrahim Khan, et sept caravansérails :
Gendj-Ali-Khan, Hindoué, Gebrié, Gulchan, Mirza-Hussein Khan,
Salehi-Nazir et Khorassanié. Il n’y a que deux jardins dans la
ville, et tous les deux sontidans la citadelle. Le premier, nommé
Gulchan, occupe l’intérieur de la grande cour du palais du gouver-
neur. C’est plutôt un parterre de fleurs qu’un jardin, car, saufun
hêtre remarquable par sa dimension, et deux cyprès assez chétifs,
iln’y a pas d’autres arbres ; mais on y trouve une quantité de rosiers
et d’églantiers. Les roses se distinguent par leur beauté et leur
variété; deux espèces surtout méritent une mention particulière,
car je ne les ai rencontrées que là : c’est une rose jaune à cent
feuilles, et une très petite, mais très bien garnie, d’une teinte
rouge pâle. Les interstices entre les rosiers sont occupés par des
jasmins qui fleurissent immédiatement aprèslesroses,ensorte que
jusqu’au mois de juin, il y a toujours dans ce parterre une grande
quantité de fleurs odoriférantes qui saturent l'air de leurs par-
fums. f/autre jardin n’est pas loin du palais; il s’appelle Baghi-
Nazar, et ne contient que des peupliers et des arbres fruitiers, À
3 kilomètres à l'est de Kirman, une chaîne de montagnes ro-
cheuses, dite Kouhi Seri-Assiab, s’élève au-dessus de la plaine; un
embranchement de ces montagnes, série de collines peu élevée,
mais très escarpée et hérissée de rochers, se dirige vers le nord-
. ouest. Elle finit près de la ville d’une manière abrupte, non loin
d’un monument funéraire dit Mazari-Hussein Khan, érigé en face
de la porte Mesdjit sur le tombeau d’un dervich, chef d’une secte
religieuse, Sur la cime des rochers qui couronnent cette crête, on
voit les restes d’une ancienne forteresse, dite Kalei-Doukhter,
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 425
qu'on prétend être une construction contemporaine de la fon-
dation de la ville, et l'on y montre encore un puits profond et
large, creusé dans le roc, au moyen duquel on descendait dans
une galerie souterraine qui conduisait la garnison de la forteresse,
pendant qu’elle était assiégée, vers l’eau qui coule dans un ravin
qui sépare ce chaïnon des jardins de Monhammed Ismaïl Khan,
vézir actuel de Kirman et de celui d’Agha-Khan, les deux plus
beaux jardins qui soient dans les environs de la ville.
L'air de Kirman serait très salubre s’il n’était pas aussi sec,
Pendant le mois d'avril, la saturation variait de 18 à 23 pour 100,
et ne dépassait jamais ce chiffre, même après de légères pluies. A
en juger par les températures que nous avons eu l’occasion d’ob-
server à Kirman, surtout si l’on tient compte de l’augmentation
de la chaleur de jour en jour, elle doit être très forte en été; et
quoique chaque hiver le mercure du thermomètre descende au-
dessous de zéro, cet abaissement de température n’est jamais
considérable et ne dure que très peu de temps. Ainsi la chaleur
moyenne de l’année à Kirman sera comprise entre 16 et 17 degrés
centigrades. La pression de l'air varie très peu, et la quantité de
pluie et de neige est tellement insignifiante, que je n’ai jamais
entendu parler, dans la province de Kirman, de deimi, c’est-à-dire
de terre cultivable sans une abondante irrigation.
D'après une tradition répandue jusqu'a présent parmi le
peuple de Kirman, et consignée même dans quelques écrits histo-
riques, cette ville a été fondée du temps d’Ardéchir Babeghan,
qui régna entre 226 ct 238 de l’ère chrétienne. Le Tarikhi Mu’djam
a conservé une légende très connue dans le pays, d’après laquelle,
non loin du rocher où est bâtie la forteresse de Kalei-Doukhter,
se trouvait un petit village dont un des habitants les plus notables
portait le nom de fleft-Abad. Il avait sept fils et une fille. Un
jour que les villageoises s’établirent comme de coutume devant
leurs maisons pour filer du coton, et que, conformément à un
ancien usage, on fixa une certaine récompense en faveur de celle
126 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
d’entre elles qui terminerait sa besogne avant les autres, la fille
de Heft-Abad, assise à l'ombre d’un pommier, ramassa une
pomme récemment tombée de l'arbre. L’ayant coupée en deux,
elle remarqua qu’une moitié du fruit était piquée de vers dont un
seul était encore vivant. Elle fit vœu de conserver ce ver intact
et même de le nourrir si elle-parvenait à obtenir le prix de tra-
yail; en cas contraire, elle se promettait de l’écraser. S’étant
mise à l’œuvre, elle épuisa avant toutes ses compagnes sa pro-
vision de coton, et alla en demander une nouvelle à sa mère qui
en fut très étonnée. Pressée d'expliquer cette activité extraordi-
naire, elle répondit qu’elle n’en savait rien, mais que le travail se
faisait presque tout seul; enfin elle avoua le vœu qu’elle avait fait,
et sa mère l’engagea à s’en acquitter sur-le-champ et de prendre
bien soin de cet animal bienfaisant. Le ver élevé dans la famille
de Heft-Abad lui porta bonheur; les brigandages auxquels se
livraient le père et les fils et dont ils vivaient, réussirent, dès ce
jour, à merveille. Le ver grandissait à vue d’œil et l'influence et
la richesse de la famille de Heft-Abad croissaient en proportion ;
enfin, ce villageois devint le roi de cette province, et le ver fut
l'objet de l’adoration de ses sujets. On construisit pour lui une
somptueuse demeure taillée dans le roc, où on lui servait jour-
nellement des quantités énormes de riz et de beurre, immédiate-
ment dévorées par ce dieu glouton. La fille de Heft-Abad était
gardienne et prêtresse de son temple. Ardéchir, ayant secoué
le joug des Arsacides, songea à s'emparer de Kirman ; mais les
astrologues qu’il consulta, lui déclarèrent que, tant que le ver
resterait dans la forteresse de Heft-Abad, il n’avait aucune
chance de la réduire. Le Sassanide eut alors recours à une ruse.
Ï prit le costume d’un marchand et habilla de même l'élite de ses
guerriers ; puis, ayant chargé sur des mulets quelques coffres vides
et une forte provision de riz et de plomb, il se rendit dans le voi-
sinage de la forteresse et s’y établit sous des tentes. Etant allé au
marché du village, il fut apercu par la fille de Heft-Abbad qui en
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 427
devint éperdûment amoureuse. Après de vains essais pour com-
battre sa flamme, elle l’avoua dans une lettre, qu’elle lança, au
moyen d’une flèche, dans la direction de la tente d’Ardéchir,
‘lui promettant, dans cette épitre, d’exaucer tons ses vœux s’il
consentait à l’épouser. Ardéchir lui répondit qu'il n’était qu’un
modeste négociant, et qu'ayant manqué de périr dans une
tempête qu’il essuya dans la mer des Indes, il fit vœu de rassasier
une fois à ses frais le ver de Kirman, si, par son influence, il par-
venait à êlre sauvé. Étant heureusement arrivé à bon port, il
désirait, avant tout, s’acquitter de son engagement; après quoi
il pourrait songer à d’autres projets. La fille de Heft-Abad lui
accorda la permission d’entrer dans l’intérieur de la forteresse.
Il plaça ses guerriers dans les coffres vides et les ayant chargés
sur ses mulets, les introduisit dans la forteresse avec ses pro-
visions de riz et de plomb. Sous prétexte de préparer le sacri-
fice, il alluma un grand feu et fondit le plomb qu'il avait
apporté avec lui, et après avoir stimulé l'appétit du ver, en lui
présentant une-petite portion de riz bien cuit, il lui versa dans la
gueule du plomb liquéfié que le dieu vorace avala sans défiance.
Mais, après avoir goûté une seconde fois du même plat, il quitta
brusquement sa demeure et s’envola du côté de Bam, où il éclata
avec un bruit tellement intense, qu’à Kirman, à 240 kilomètres,
la terre en trembla. Ardéchir profita de la confusion que cet
événement répandit dans la forteresse pour s’en emparer, et pour
mettre à mort Heft-Abad et ses fils. Sa fille parjure ne fut pas
épargnée non plus, en punition de la facilité avec laquelle elle
sacrifia à un caprice du cœur le sort de sa famille. Kirman devint
ainsi la capitale de la nouvelle dynastie persane, mais la tradition
rapporte que bientôt Ardéchir s’en dégoûta. Allant un jour à la
chasse, il commanda à son chef de cuisine son repas pour l'heure
du coucher du soleil, en l’'engageant de n’en rien donner avant son
retour à qui que ce füt et sous aucun prétexte. Peu d’instants
avant le coucher du soleil, un pèlerin, exténué de fatigue, s'arrêta
128 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
devant les portes du palais, et supplia les serviteurs du roi de lui
donner un peu de nourriture. À force de prières il obtint quel-
ques bouchées de pilau qu’il mangea, et il disparut. Ardéchir re-
vint bientôt après, et ayant appris que, contrairement à son
ordre et avant son retour, on avait nourri à sa Cuisine un pauvre
voyageur, il s’écria : Ce pèlerin a emporté la prospérité du pays, et
dorénavant cette province restera éternellement pauvre. Par suite
de cette conviction, il transporta sa capitale à Istakhr.
Ces traditions n’ont certainement rien de sérieux dans les
détails, mais le fond peut être vrai, c’est-à-dire que Kirman peut
avoir été la première capitale des Sassanides, el que ces rois, ayant
acquis la conviction que cette province n’était pas assez fertile
pour nourrir une population considérable, l’abandonnèrent. Ce
défaut de forces productives dans le district de Kirman est telle-
ment vrai, que dans le siècle passé Nadir chah étant obligé de
puiser trois ans de suite dans ce pays une quantité notable des
approvisionnements de son armée, y produisit une famine dont la
population souffrit beaucoup, et qui dura sept à huit années con-
sécutives. La numismatique sassanide corrobore en quelque sorte
ces indications fournies par la tradition, car, d’après M. Mordt-
mann, c’est sur les monnaies de Chapour IIL, en 383 et 388, que
l’on rencontre pour la première fois deux caractères pehlévis
qu'il transcrit par kr, et qui, selon lui, doivent être les initiales
du mot Kirman. On rencontre le même sigle sur les monnaies
de Bahram V, entre 420 et 410 de l’ère chrétienne; depuis lors,
il apparaît jusqu’à la trente etunième année durègne deKhosroull,
qui correspond à l’an 622 de J.-C., et ce n’est que sur les mon-
naies frappées sous le Khalifes, qu’on trouve le nom de cette
ville figuré en toutes lettres. Sans accorder à ces faits une trop
grande valeur, j'observerai qu'il me semble incontestable que
Kirman a existé comme ville sous les Sassanides, et que les
Arabes musulmans y trouvèrent établi un des principaux foyers
de la doctrine de Zoroastre, et que leur propagande armée et
À
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, 429
violente n’a pu extirper cette ancienne croyance, remarquable
par sa vitalité tenace qui l’a soutenue en dépit de tout, pendant
4977 ans. Mais l’islamisme finira bientôt par absorber compléte-
ment les faibles restes des ignicoles, car, de 12600 familles guèbres
qui résidaient à Kirman à la fin du siècle passé, au moment
où Agha-Mouhammed Khan assiégea cette ville, il n’y en reste
que 70 à Kirman et 2 à 300 dans les villages voisins, tels que
Firouzan, Djoufar et Mahan (qu’on prononce Mahoun). Le nombre
de Guèbres qui abjurent leur religion chaque année est considé-
rable. Non-seulement ils se mettent ainsi à l’abri d’injures con-
tinuelles et de persécutions incessantes, mais rien n’a été négligé
pour leur rendre ce changement de religion aussi attrayant que
possible. Ainsi un membre mineur d’une famille guèbre qui se fait
musulman devient, par le fait seul de son apostasie, chef de sa
famille, et propriétaire exclusif des biens meubles et immeubles de
ses parents. Le sexe n’y fait aucune différence, car une fille guèbre
qui épouse un musulman en changeant de religion, donne par cela
même à son mari le droit de s’approprier tout ce que possèdent
son père et sa mère. J'ai vu moi-même à lezd un seïde qui com-
mandait en maître dans la maison d’un riche ignicole; el quend
je lui en exprimai mon étonnement, il me répondit très tranquil-
lement qu'ayant épousé la fille du chef de cette famille, il avait
“acquis le droit d’agir comme il le faisait. Le clergé guèbre de Kir-
man ne peul opposer à cette oppression que des obstacles tout à
fait insignifiants, tant à cause de la peur des musulmans, que
de sa profonde ignorance de toute chose, même des dogmes
de sa religion. Dans tout le Kirman, je n’ai trouvé qu'un seul
Destour, Behrouz, fils de Moullah Iskender, qui eût quelques con-
naissances ; il déchiffrait l'alphabet zend et houzvarech, mais il
ne pouvait traduire un mot ni de l’Avesta, ni même du Vendidad.
Les Guèbres de Kirman parlent entre eux une langue particulière,
très différente de celle que M. Spiegel nomme la langue des
Parsis. Je leur ai montré quelques spécimens de cet idiome, publiés
A0 , 55
80 PARTIE MÉRIDIONALE :DE L'ASIE CENTRALE.
dans la Grammatik dèr Parsis-Sprache.de ce savant distingué, et üls
m'avouèrent qu'ils ne comprenaient les textes rapportés dans cet
ouvrage que très difficilement. Ils nomment leur langue Déri, et
prétendent : 1° qu’elle n’est qu'un travestissement artificiel de la
langue persane pure, dans le genre du balaibalan des Arabes ;
2° qu’elle ne date que du temps où les musulmans envahirent leur
contrée ; et 3°’ que les Guèbres n’eurent recours à cet artifice que
pour cacher le sens de leurs paroles à leurs compatriotes qui
embrassèrent la foi nouvelle. Ils disent que dans l’origine, cette
langue n’était comprise que par ceux d’entre eux qui l'avaient
étudiée dans les écoles, mais que peu à peu elle devint familière
à tons. Quoiqu'il n’y ait rien d’absolument impossible dans cette
tradition, il faut néanmoins se défier des hypothèses philologiques
formulées par des gens aussi ignorants que les Guèbres actuels.
D’aprèsle peu d'échantillons de cette langue placés sous mes yeux,
il m'a semblé que ce n'est pas un argot, mais bien un dialecte du
persan pur; et sans vouloir rien identifier, je crois devoirrappeler
que Strabon, citant l'opinion de Néarque, dit que la plupart des
Mages, et les Karamaniens surtout, parlaient persan et mède :,ce
qui permet de supposer que déjà, à l’époque d'Alexandre le Grand,
deux langues assez différentes existaient dans le pays.
Le zèle fanatique que les musulmans apportent à détruire dans
les contrées placées sous leur domination toute trace des temps
antérieurs à l’islamisme, explique pourquoi les monuments de
l'époque sassanide ont complétement disparu. Le plus ancien
monument de la ville est la mosquée dite de Mélik ; elle se trouve
dans un bas-fond quadrangulaire où l'on descend par un long
escalier. Elle était très ruinée et on la reconstruisait quand jella
visita, Je n’ai pu y trouver qu’un débris d'un verset du Koran,
tracé en caractères qu’on ne rencontre pas avant le vm° siècle, de
l'hégire. La tradition, cependant, en rapporte la construction au
seldjoukide Mélik Chah, qui régna entre 466.et 485 del’hégire. Le
second monument, dans l’ordre chronologique, est la mosqnée de
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 134
Djoum’a ; elle porte une inscription qui dit qu’elle a été con-
struite par ordre de Mouhammed: Motizaffer, le premier du mois
de’chawal de lan 750 de l’hégire. Ce personnage n’est autre,
évidemment, que Moubariz-ed-din-Mouhammed , fils de Mou-
zaffer, né Van 700 de l'hégireiet mort l’an 765 (voy. Defrémery,
Mémoire sur la dynastie des Mozaffériens, Journ. asiatique, août 1844
et juin 1845). Le monument le mieux conservé, mais aussi le
plus moderne, est le medresseh d’Ibrahim Khan, construit par
ce gouverneur de Kirman qui administra cetle province presque
enXsouverain indépendant, au commencement du règne de
Feikh-Ali-Chah. En dehors des murs de la ville, il n'y a que
les deux monuments que j'ai déjà mentionnés : le mausolée du
dervich Hussein-Khan, surmonté d’une coupole en briques émail-
lées: de couleur bleu foncé, et la forteresse de Kalei-Doukhter.
Les maisons particulières de Kirman se distinguent des habita-
tions persanes en général par une haute tour ou cheminée carrée
appelée Badghir, «ventilateur», placée sur le toit au-dessus d’une
découpure dans le plafond. Ce tuyau est percé en haut de larges
ouvertures faisant face aux quatre points cardinaux. Le besoin
d’avoir ici de la glace pendant l’étéfait que nulle part en Perse on
ne trouve autant de glacières aussi bien construites qu’à Kirman.
Le plus habituellement on donne à ces édifices la forme de cônes
élevés, abrités au sud, à l'est et à l'ouest par de hautes murailles
qui les préservent de la réverbération des parties du sol les plus
éclairées par le soleil. En hiver, dès que la température de l'air
s'abaisse au-dessousde zéro, on introduit de l’eau dans des bassins
larges et peu profonds, puis on recueille la glace qui s’y forme, et
on l’empile dans ces glacières où ellesse conserve pendant tout l’été.
Le grand nombre de ces établissements prouve que celte industrie
est profitable, et permet de livrer Ja glace à un prix très modique.
L'industrie principale de Kirman est la confection des chäles.
Ils le cèdent beaucoup en finesse aux étoffes du même genre
fabriquées dans le Kachemir; mais ils coûtent moins cher, leurs
132 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE: CENTRALE.
dessins sont plus variés, et leurs couleurs tont aussi belles et aussi
durables. Malgré la protection spéciale que le chah actuel accorde
à cetle industrie, elle dépérit néanmoins de jour en jour; au lieu
de 1200 ateliers qu'il y avait là jadis, on en compte aujourd'hui à
peine 200. Il faut en chercher la cause dans la quantité et le bon
marché des contrefacons européennes, qui coûtent beaucoup
moins cher, à la vérité, que les étoffes orientales, maïs qui durent
infiniment moins et qui restent fort en arrière de leurs modèles
pour la variété et le bon'goût des dessins, pour la beauté et
‘éclat des couleurs. S'il est vrai que l’art oriental na su s’éle-
ver que jusqu’à l’arabesque, il faut convenir que les artistes asia-
tiques l’appliquent en maîtres partout où ils en font usage.
La position avantageuse de Kirman sur la grande route conti-
nentale des Indes versl'Occident, donnerait le droitdes’attendreà
irouver dans cette ville un commerce beaucoup plus florissant
qu'il ne l'est en réalité; mais la proximité de lezd, centre émi-
nemment industriel et commerçant, lui porte préjudice. Les
baliots de marchandises venant de Bender Abbassi ne sont pres-
que pas ouverts à Kirman, en sorte que les nombreuses caravanes
qui y arrivent traversent la ville sans y laisser de traces. Du
reste, le musulman de Kirman est trop homme de plaisir pour
songer sérieusement au commerce; et les Guèbres, qui ont beau-
coup de dispositions pour ce genre d'occupation, obtiennent
très difficilement la permission de sortir du pays, même pour
aller à Téhéran. On les empêche surtout de visiter l'Inde, où
l'état florissant de la communauté ignicole leur montrerait avec
trop d’évidence la différence qni existe entre l'intolérance du
régime musulman et la conduite éclairée d’un gouvernement
chrétien, fort et grand, qui respecte ja liberté de conscience,
Il ny a pas trop à s’étonner de l'indifférence avec laquelle les
habitants de Kirman supportent l’état de médiocrité de fortune
qui est général parmi eux; car la vie est à bon marché, le climat
agréable, le vin capiteux et abondant, les femmes. belles et faciles,
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 133
et le clergé très tolérant sur l’article de la boisson prohibée par
le Koran. Le despotisme gouvernemental ne pèse même que sur
les sommités sociales, en sorte que toutes les conditions d’une
existence matériellement heureuse se trouvent ici à la portée de
la majorité. Aussi Kirman a une réputation de pays de Cocagne
bien établie en Orient; pour s’en convaincre, on n’a qu'à par-
courir les inscriptions dont les voyageurs musulmans ont la manie
de couvrir les murs des stations de postes. Dans toutes les autres
parties de la Perse, ce sont des sentences philosophiques, des
versets du Koran, des imprécations contre le premier ministre
ou'contre le gouverneur de la ville voisine, etc., tandis que sur la
route de Kirman alezd, Valbâtre des murs des stations ne repro-
duit que des rimes louangeuses sur la beauté des dames du pays
etisur la qualité de son vin. Il ne faut cependant pas croire que le
Kirmanien ne songe uniquement qu'aux plaisirs matériels de cette
vie; il est très enclin aux extravagances théologiques, et sur-
tout aux recherches, salchimiques. Cette dernière faiblesse est si
grande, que sur dix Habitants de Kirman trois dépensent certai-
nement tout ce qu'ils ont en recherches laborieuses et patientes
pour découvrir la pierre philosophale, Leur croyance dans la
. transmutabilité des métaux est inébranlable, J'ai beaucoup disserté
avec eux sur ce sujet, et j'ai acquis la conviction que c’est plutôt
à leur complète ignorance de la physique qu’à celle de la chimie
qu'il faut attribuer leurs folles espérances de réussite par les
moyens qu'ils appliquent à ce genre de recherches. Ils nessorti-
ront jamais du cercle vicieux où ils tournent, tant qu’ils ne renon-
ceront pas aux idées erronées qu'ils se font des propriétés géné-
rales des corps, telles que leur couleur, leur poids, leur densité,
leur malléabilité, etc. Ainsi pour eux, le problème de la confection
de l'argent consiste uniquement dans l’invention d’un moyen de
solidifier le mercure sans altérer sa couleur et son éclat, et ils ne
voulaient pas croire qu'il y a des températures auxquelles le mer-
cure devient solide, sans passer pour cela à l’état d’argent. La
h8B PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
nécessité d’avoir beaucoup d’alambics pour la distillation de l’eau
de rose, qui est très bonne à Kirman, facilite ce genre de recher-
ches. Cette industrie donne même un semblant de raison aux
folles dépenses auxquelles ces manipulations alchimiques entrai-
nent les crédules qui s’y livrent. Malheureusement, s'ils ga-
gnent 1 fr. sur l'eau de rose, ils en dépensent 100 dans la pour-
suite d’un but imaginaire.
J’ai profité de mon séjour forcé à Kirman pour visiter le village
de Mahan, célèbre par ses fabriques d'opiumet par le tombeau du
cheikh Nimet-Oullah, le Nostradamus de la Perse. Il naquit le
22redjeb de l’an 730 de l'hégire, et mourut à Mahan à la même date
en 834, à l'age de 104 ans. Il laissa une séfie de prédictions
rimées, dont une est surtout très connue en Perse. C’est un
tableau de l'avenir de ce pays où l’on croit reconnaître une prévi-
sion exacte des règues de Fetkh-Ali-Chah, de celui de Mouhammed-
Chah, et enfin de celui du chah PA. Selon lui, ce monarque
portera le nom de Nassr-ed-din, règneraide quatre à cinq ans, et
sera le dernier roi dela Perse. Comme preuve del’exactitude de ses
prédictions, évidemment fausses quant à la durée du règne du
chah actuel, les gens qui croient à ces prophéties ne manquent ja-
mais d'observer : 1° que le chah porte un nom prédit par le cheikh.
el très peu commun en Perse; 2 que dans la quatrième année de
son règne, il a manqué d’être assassiné par les Babis ; et 3° que
Mouhammed-Chah et son prédécesseur ont régné exactement le
nombre d'années prédit par le saint. Maïs on oublie toujours.
dans ces sortes d’appréciations de prophéties, que la foi même
aux rêves creux d'un vieillard ascète a pu contribuer à leur
réalisation. Ainsi, Mouliammed-Chah lui-même avait une vénré-
ration sans bornes pour la mémoire du cheikh. Étant encore très
Jeune, et presque sans aucune chance de devenir roi, puisque son
père Abbas Mirza était dans la force de l’âge et avait beaucoup.
plus d’inclination pour ses autres enfants, ce prince fit élever à
grands frais un beau mausolée à l'endroit de la sépulture du cheikh:
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. h35
Il y fit construire aussi un acqueduc coûteux et un grand caravansé-
rail, où les pèlerins qui viennent honorer les mânes du saint sont
logés et hébergés gratis. Jadis la mosquée du cheikh possédait une
riche bibliothèque, mais à présent les manuscrits sont tous enfer-
més dans une chambre humide où ils sont détruits par les rats.
J'ai acquis, par l’entremise d’un seïd, membre de l'administration
du Vakf de cette mosquée, quelques feuillets d'un Koran coufique,
et J'ai beaucoup regretté de ne pas avoir connu l'existence de cette
collection de manuscrits au commencement de mon séjour à Kir-
man ; j'aurais pu consacrer plusieurs jours à leur examen, car il
n’est pas impossible que cette bibliothèque contienne quelques
ouvrages rares. Mahan n’est éloigné que de 26 kilomètres de Kir-
man, mais le pays qu’on traverse pour y aller est un désert pres-
que aussi aride que le Lout. Amoitié chemin, on a creusé un puits,
où l’on a trouvé une bonne source d’eau à une profondeur assez
considérable. Ce puits est confiée à la garde d’un pauvre vieillard
qui distribue l’eau aux passants, et qui vit d’aumônes.
L'arrivée du nouveau gouverneur de Kirman, fils aîné du
défunt prince Kahraman Mirza, me donna enfin le moyen de quit-
ter celte ville, car je pus louer les chevaux qui avaient amené ses
femmes et ses bagages. Nous partimes de Kirman le 5 mai 1859, le
jour de la fête de Ramazan, au moment même où le jeune Emir-
Zadeh faisait son entrée dans le palais d’où nous sortions.
La route de Kirman à lezd est tellement uniforme que je n’ai
presque rien à ajouter aux détails consignés à ce sujet sur la carte
de mon itinéraire. Elle ne quitte pas une plaine élevée, dont le
sol argileux et salin est souvent couvert de sable mouvant. A droite,
pendant tout le trajet, on a une série de collines qui séparent
cette plaine du grand désert de Lout, à gauche, s'étend la
chaine principale, qui, sous différents noms, tels queKouhi-Paris,
K. Méched et d’autres marqués sur la carte, s'élève comme un
mur entre la province de Chiraz et celles de Kirman et de lezd,
et conserve une direction constante N. 60° O. jusqu'au mord
L36 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
d'ispahan. Son élévation absolue doit être assez considérable, car
jusqu’à la fin de mai beaucoup de ses cimes étaient couvertes de
neige. Les villages sont très rares dans la plaine que nous par-
courions, en partie à cause des incursions des Beloudjs, mais prin-
cipalement à cause du manque d’eau. Dans les quinze endroîts habi-
tés que j'ai marqués sur la carte, dont deux sont des caravansérails
isolés, l’eauaété amenée detrès loin à frais considérables, au moyen
de galeries souterraines où l’on descend par des puits larges et pro-
fonds. Quoique cette eau coule à une certaine profondeur, sa direc-
tion est marquée sur le sol par une végétation plus abondante qui
indique le cours souterrain. D’après notre levé, la distance
entre iezd et Kirman est de 31/4 kilom. ; les Persans l’évaluent à
72 fars., ce qui donne pour la longueur du farsang un peu plus
de 4 kilom. 1/3. Les stations de poste sont à Baghin (7 fars.),
Robat (4 fars.), Kaboutarkhan (4 fars.), Bahram abad (8 fars.),
Kouch Kouh (8 fars.), Baïaz (5 fars.), Anar (5 fars.), Chimch
(7 fars.), Kirman Chahan (5 fars.), Seri-lezd (11 fars.), et lezd
(8 fars.).
Le plan de [ezd, joint à ce mémoire, me dispense d’entrer dans
de trop grands détails topographiques sur cette ville; mais je
dirai quelques mots sur son passé et sur son état actuel, d'autant
plus que même M. Petermann, si exact et si circonstancié dans
la description des endroits qu'il a visités, n’en dit que peu de
mots.
lezd est une ville d’une haute antiquité. Déjà d’Anville, avec sa
lucidité habituelle, disait, page 277, vol. II de sa Géogr. ancienne
abrégée, « qu’on peut reconnaître dans le nom lezd sur la frontière
» de Kirman, celui d’Isatichae, quoique placée en Caramanie par
» Ptolémée. » Istakhri rapporte cette localité au district de sa
ville natale; d’autres, et avec eux d’Herbelot, la comptent parmi
les cités du Khorassan. Cette indécision des géographes anciens
et modernes au sujet du classement de lezd dans telle ou telle
autre partie de l’empire persan, doit être exclusivement attribuée
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 137
à sa position géographique, cette ville se trouvant située au
point d'intersection des frontières des trois provinces de Kir-
man, du Khorassan et de Fars. Jusqu'à nos jours encore les
chahs de Perse confient indistinctement l’administration de lezd;
tantôt aux gouverneurs de Chiraz, tantôt à ceux de Kirman
quelquefois même ils y envoient des fonctionnaires qui ne dé-
pendent que de Téhéran. Sous le règne des Halakouïdes, cette
ville était souvent placée sous la juridiction des hieutenants des
souverains monghols dans le Khorassan. Istakhri, et presque
tous les géographes orientaux (voyez Barbier de Meynard, Dict.
géogr. de la Perse, pag. 611) disent que le district de lezd avait
pour chcf-lieu Ketéh; or, actuellement aucune des localités des
environs de lezd ne porte ce nom. Aussi je crois que, d’après la
description qu’istakhri donne de Ketha ou de Hauma-Tezd (voy. Buch
der Länder, pag. 68), il est permis de croire qu'il nommait ainsi
la ville même de Iezd actuelle. Îl rapporte que la citadelle
de Ketha ou Kelèh n’avait que deux portes, dont l’une était
appelée porte d’Aberd et l’autre porte de la Mosquée. Cette
dernière se trouvait dans le voisinage de la mosquée cathé-
drale, située dans l'intérieur de l'enceinte fortifiée, et tout cect
est encore parfaitement exact de nos jours, comme on peut le
voir sur le plan annexé, où la mosquée en question est indiquée
sous le n° 4. Il s'entend de soi-même que depuis le temps
d’Istakhri ce temple a été plusieurs fois reconstruit; les
inscriptions tracées jadis sur ses murs sont tellement frustes,
qu’il m'a été impossible d’y déchiffrer aucune date. Le plus ancien
monument portant une indication chronologique, est la mosquée
dite Mesdjiti Emiri Tchakmak. Dans la légende qui orne ses
murs, on lit que cet édifice a été construit en 699 de l’hégire par
ordre de l’émir Sounghour, fils d’Abdoullah Roumi. Voilà à peu
près tout ce que l’on peut dire sur les monuments de lezd qui
présentent quelque intérêt archéologique; car ni la coupole
des Zenguain, ni le Bourdji Afghani, n’ont conservé aucune
VIL. 56
L38S PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
inscription. Le nom du premier de ces monuments rappelle Ja
dynastie qui a régné à Chiraz, et dont le pouvoir s’étendait
jusqu’au delà de lezd; le second est une fortification élevée lors
de la première ou de la seconde invasion des Afshans, dont les
troupes campèrent près de ce bastion. La partie de la ville qui
offre actuellement le plus d'intérêt aux voyageurs est, sans
contredit, le riche bazar voûté, autour duquel sont groupées les
nombreuses manufactures d'étoffes, les teintureries et les fabriques
de sucre candi, établissements qui constituent la base de la richesse
et de l'importance commerciale de Iezd.
Avant l'islamisme, cette ville était un des principaux centresdu
culte du Feu. Ses habitants ont gardé leur ferveur religieuse, même
après avoir abjuré l’ancienne croyance de leurs pères, et dès les
“premiers temps de la conquête arabe lezd a été surnommé Dar-
el-é badet « cité de l'Adoration. » Les habitants sont très fiers de
cette épithète et tâchent de la jusüfier par une intolérance ex-
trême. M. Petermann a eu le désagrément de constater person-
nellement l’impudence du fanatisme de la population de lezd; et
quoique j'aie été plus heureux que lui sous ce rapport, je n’a
aucun doute sur la réalité et l'intensité des sentiments hostiles
des lezdis à l'égard de tous ceux qui ne sont pas musulmans, Aussi
leur rapport avec les ignicoles sont très cruels. Le meurtre d’un
Guèbre par un musulman reste toujours impuni. Les parents de la
victime ne poursuivent même pas l’assassin devant les tribunaux;
car ils savent qu’une pareille démarche les exposerait à de fortes
dépenses pécuniaires et à la vengeance certaine du meurtrier.
Ils achètent bien cher le droit de garder leur ancienne croyance,
ei leurs prêtres évitent autant que possible de se montrer dans
les quartiers habités par les musulmans, étant sûrs d'y. être
conspués et outragés de la manière la plus brutale. D’après ce-
que m'a dit le Ketkhouda des Guèbres, on comptait, en 1859,
850 familles ignicoles à lezd et dans une quinzaine de villages
de son district; mais leur nombre diminue rapidement, et je crois
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 139
qu'on verra même avant la fin de ce siècle l'extinction complète
de leur communauté en Perse. Empêchés nar la concurrence des
musulmans de prendre une part active dans le commerce et
dans l’mdustrie manufactnrière, les Guèbres se livrent presque
exclusivement au jardinage, et surtout à la culture du coton blanc
et du coton brun. Je n’ai rencontré que dans cette partie de la
Perse cette espèce de coton que les musulmans ne cultivent pres-
que pas, d'autant plus que les étoffes tissues avec les fils de cette
plante servent à la confection des habits dont le port est obli-
gatoire pour les ignicoles. La crainte qu'a le clergé musulman
de voir l’hérésie de Zoroastre infecter la foi des vrais croyants,
est telle qu'ils ne permettent pas aux Guèbres d’avoir un temple
de Feu à Tezd ; à peine tolèrent-ils qu’ils en aient un à Taft.
Ce village considérable est situé à A farsangs au sud-ouest de la
ville, et il est renommé pour ses fabriques de feutres et pour ses
mines de plomb. M. Grewinck a publié, dans son ouvrage sur la
géologie de la Perse septentrionale, une description de la route qui
conduit de Iezd à Taft, d’après les renseignements qui lui ont été
fournis par le docteur Buhse. MM. Abbott et Petermann ont aussi
donné quelques détails sur ce village, en sorte queje me bornerai à
observer qu'il a servi pendant longtemps de résidence au fameux
cheikh Nimet Oullah de Mahan, et que l’on y voit encore les ruines
de l'immense palais où le cheikh enseignait la religion et les prin-
cipes du soufisme à ses nombreux disciples, Je terminerai cette
digression par quelques mots sur la fameuse caverne de Taft,
connue en Perse comme une des plus riches mines de plomb.
M. Gœbel a visité cettelocalité curieuse, et il y a découvert des
gisements de turquoises, À Taft, on m’a montré un petit ouvrage
persan intitulé Toouhidi mufassal, où il est rapporté que pendant
la domination des Monghols un vizir du Khakan, amateur de
minéralogie, chargea un homme connu par sa véracité de visiter
cette caverne pour l’informer de ce qu'il y verrait. Cet individu
s'y rendit avec deux habitants de Taft, ét ayant ordonné à l’un
40 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE,
d'eux de l’attendre jusqu’au soir à l'entrée de la grotte, il y
pénétra avec l’autre villageois. Une galerie qui s’enfoncait rapi-
dement sous la montagne les conduisit dans un vaste assemblage
de cavités spacieuses rayonnant à perte de vue dans toutes les
directions. Un conduit semblable à la première galerie aboutis-
sait à l'une de ces cavités et débouchait dans une caverne étendue,
où une abondante veine d’eau jaillissait d’une fissure latérale.
Un vaste bassin formait le fond de cette caverne, et son eau,
s’écoulait par un des bords de ce réservoir qui tombait avec un
bruit sourd dans un gouffre qui semblait être très profond. Un
étroit sentier, où à peine on pouvait placer le pied, permit aux
explorateurs de faire le tour d’une partie du bassin et de continuer
Jeurs recherches. Après avoir parcouru une suite de cavernes
plus ou moins spacieuses où l’on risquait de s’égarer à chaque
pas, 1ls entrèrent dans une grotte où ils apercurent des squelettes
humains et quelques lambeaux de vêtements à demi pourris, tristes
dépouilles de quelques-uns de leurs hardis prédécesseurs qui y
avaient perdu ja vie. Bientôt après, l’un des explorateurs, celui qui
portaitlatorche allumée, fitune chute et la torche s’éteignit. Restés
dans une profonde obscurité, ils firent de vains efforts pourrallu-
mer leur flambeau; ne pouvant y réussir, ils résolurent néan-
moins de continuer leur exploration en s’avançant à tàtons. Ils
par vinrent ainsi dans une cayité à base carrée, faiblement éclairée
par une fissure latérale. Un immense bloc détaché de la voûte
de cette caverne gisait sur le sol, et bouchait, à ce qu'il parut aux
explorateurs, l’enirée d’un passage qui conduisait probablement
à d’autres cavités souterraines. Ayant fait plusieurs fois le tour
de ce rocher sans avoir pu trouver aucune issue nouvelle, ils
résolurent de revenir sur leurs pas, d’autant plus que leur
montre, qu'ils n'avaient pas eu le loisir de consulter jusque-là
leur indiquait qu'il était une heure de la nuit, et qu'ainsi ils
avaient marché pendant plus de douze heures. Les spécimens de
roches qu'ils apportèrent avec eux permirent d'établir que les
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. &AA
cavernes qu'ils avaient visitées, contenaient des gisements de
lapislazuli et du minerai d'argent.
Je ne sais à quel point cette relation écrite est authentique
quant à ses détails historiques, du reste assez vagues ; mais elle
me semble porter un certain cachet de vérité, et j'ai cru utile de
la rapporter en extrait, dans l'espoir qu'elle pourra servir à
quelqu'un des voyageurs qui viendront après moi dans cette partie
de la Perse.
La route entre lezd, Ispahan et Téhéran a été trop souvent
examinée pour qu'il soit utile d'en parler de nouveau. Dernière-
ment encore, elle a été très bien décrite par M. Petermann, le
savant explorateur de Damas et du pays des Druzes (1). Je termi-
_nerai donc ce mémoire par un tableau succinct des propriétés
physiques de la partie méridionale de l’Asie centrale, et je com-
mencerai par préciser le sens qu’il faut, selon moi, attacher à ce
terme géographique.
Cette dénomination est assez moderne ; les pays que nous dési-
gnons actuellement par ce nom étaient appelés autrefois Asie su-
périeure, haute Asie, Tartarie indépendante, etc. C’est seulement
depuis qu’Alex. de Humboldt, MM. Murchison, de Verneuil,
Ehrenberg, Rose, etc., ont exploré quelques parties de cette vaste
région, qu'on a senti le besoin de créer un mot spécial pour
la désigner dans son ensemble, et que l’on a adopté l'expression
d'Asie centrale. Il semblerait au premier abord qu’en introdui-
sant dans ce terme l'idée géométrique si précise de centre, on
excluait toute possibilité de confusion; il n’en est pas ainsi.
Le centre d’une figure est un point qu'on conçoit aisément et
(1) Voy. Reisen im Orient, Leipzig, 1861, 1. IL, p. 210 à 220.
Je profite de cette occasion pour faire remarquer que la page 249 de ce Mémoire, où je
dis que «Dupré est le seul voyageur européen qui ait décrit la route de Chiraz à Tezd » était
imprimée avant la publication du t. II de l'ouvrage cité du savant professeur de Berlin, qui
donne aussi des détails très intéressants sur la nature des pays situés entre ces deux villes.
(Voy. p. 185-210, chap. 11 et 12.)
42 PARTIE: MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
avec une grande netteté ; mais une région centrale, c’est-à-dire
une surface qui comprend ce point central et l’entoure, ne se pré-
sente clairement à l'esprit qu'a condition de bien préciser ses
limites, Là était toute la difficulté. On sentait bien qu'il était
impossible de se contenter d’une délimitation arbitraire basée sur
un éloignement constant et purement conventionnel d’un péri-
mètre quelconque de ce point central; car il ne s’agissait pas ici
d’une surface géométrique, dont tous les points qui satisfont à une
condition donnée sont égaux entre eux: mais on avait affaire à une
surface dont les diverses parties jouissaient de propriétés phy-
siques différentes, 1l était évident, dès lors, qu’il fallait trouver
dans les régions du continent asiatique, disposées autour du
milieu de cette partie du globe, quelques points de ressemblance
qui permettraient de les réunir sous un seul nom générique. Or,
en examinant la carte de l'Asie, on voit qu'il y a d'énormes terri-
toires dont les fleuves se déversent dans l’océan Glacial, d’autres
où ils se dirigent vers l’océan Pacifique ou vers l’océan Indien, et
enfin une région intérieure contenant des bassins isolés. Si l’on
réunit par des lignes droites les sources des petites rivières qui
se déversent dans le golfe Persique, à celles de l’Euphrate, du
Kour, du Voiga, de l'Obi, de la Léna, de l'Amour, du fleuve
faune, du Brahampoutra, du Gange et de l’Indus, on obtient
uniimmense périmètre qui comprend cette région de bassins médi-
terranéens, ne communiquant ni entre eux, ni avec aucun des
océans qui baignent les côtes de l'Asie. Je crois donc qu'il serait
plus rationnel d'appliquer le terme géographique d'Asie centrale à
l'ensemble de la région comprise dans ce vaste périmètre, où se
trouvent les lacs de Van, d'Ourmiah, la Caspienne, le lac d’A-
ral, elc., comme J'ai eu l'honneur de l’exposer dans une com-
munication présentée à l'Académie des sciences le 9 avril 1860.
Cette manière. de voir jusbife la dénomination de partie méridio-
nale de l'Asie centrale que j'ai appliquée au Khorassan.
Chez les gcographes arabes, les limites de cette province n’a-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. Lh8
vaicnt rien de bien déterminé; quelques-uns d’entre eux compre-
naient dans le Khorassan toute la Transoxiane et l'Afghanistan,
c'est-à-dire confondaient sous un seul nom des pays très distincts
par leurs propriétés physiques et par leur caractère orographique.
Cette confusion provenait en partie du manque de données exactes
surlaconfiguration de ces pays, et en partie aussi du peu de valeur
qu'on attachait alors, et même tout récemment, aux particulari-
tés orographiques de la surface du globe. En effet, si l'on jette un
regard sur la carte annexée à ce mémoire, on verra qu’au sud-
ouest le Khorassan est complétement séparé des autres provinces
dela Perse, Cettelimite est formée par la chaîne de montagnes que
nous avons relevée entre Kirman et lezd, laquelle, dépassant sou-
vent la ligne des neiges éternelles, suit avec une constance remar-
quable, ren l'océan Indien jusqu’à sa rencontre avec le petit
Caucase, une direction qui coupe le méridien sous un angle de 30
à 40 degrés. Au nord, cette province est limitée par le rad sou-
lèvement latitudinal qui va de l'Hindou-Kouch au Démavend, et
à l'orient, par les embranchements de l'Hindou-Kouch qui bor-
nent à l’ouest les terrasses de l'Afghanistan; enfin, au sud, par
les monts du Béloudjistan, dont la direction et la constitution sont
assez peu étudiées. Ce trapèze, qui n'a pas moins de 350000 kilo-
mètres carrés, se subdivise naturellement en quatre terrasses pré-
sentant chacune une dépression. Celle du nord-ouest, qui com-
prend le grand désert salé situé entre les villes de Kachan, Koum,
Damghan, Tourchiz et Tébès, est la plus vaste. Le point le plus
bas de ce plateau, point que nous n'avons pas visilé nous-même,
est indiqué par la direction des cours d’eau qui, des confins de
la terrasse se portent vers l'intérieur, et il doit se trouver
sur la ligne droite qui joint les villes de Bastam et de Tébès, Ses
limites au nord et à l’occident ne s’abaissent nulle part au-des-
sous de 900 mètres d'altitude absolue, tandis que la hauteur
de ses limites au sud et à l’estest d'à peu près 600 mètres; consé-
quemment sa pente moyenne est dirigée du nord-ouest au sud-est.
44 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
La seconde terrasse comprend le désert de Lout; elle s’étend,
comme nous avons vu, entre les villes de Nih, Bendan, Tébès, lezd
et Kirman. Son point le plus bas se trouve sur la droite qui joint
Khabis et Nih. C’est, sans le moindre doute, la dépression la plus
profonde de tout le Khorassan, car la hauteur absolue de sa limite
septentrionale varie de 900 à 1200 mètres; sa limite du sud-est,
à Dihi-Seif, n’a que 380 mètres, et son point le plus bas n’a très
probablement que 120 ou 150 mètres d’élévation absolue. Sa
pente moyenne est dirigée du nord-nord-ouest au sud-sud-est,
La troisième terrasse est celle du Séistan, limitée au nord par
la ligne de partage entre les pentes du nord et celles du sud,
crête qui s'étend entre Sebzar et Birdjand. Cette dépression atteint
son point le plus bas dans le lac de Hamoun (471 mètres); sa
pente, extrêmement douce, est dirigée du nord au sud, et elle se
distingue de toutes ies autres par son extrême richesse en eau.
Enfin, la dernière terrasse, la plus petite de toutes, qu’on peut
même considérer comme une espèce de vallée, est située entre les
villes de Khaf, de Toun, de Birdjand, le village de Tezdoun etHérat.
Sa limite méridionale a une élévation moyenne de 760 mètres, et
celle du sud de 518; sa pente est dirigée du sud-ouest au
nord-est.
il ne faudrait pas croire cependant, d’après ce que nous venons
de dire, que ces divisions naturelles du sol khorassanien soient
partout séparées par des limites très marquées; bien au contraire,
il arrive souvent que le voyageur passe de l’une à l’autre sans
s’en douter. Ce n’est que le changement dans la direction de la
pente des ravins et celui des courants d’eau, qui l'avertissent du
passage d'une terrasse à une autre. Toute naturelle qu'est cette
division, elle n’a pu être constatée qu'après que tous les levés que
nous avons faits dans cette partie de l’Asie ont été discutés et -
orientés, d'après le réseau de plus de 1200 triangles qui ont servi
de base à nos travaux topographiques.
La chaîne latitudinale qui traverse le nord du Khorassan n’est
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. A5
pas’seulement une limite orographique, elle coïncide avec la ligne
isotherme! de 12 degrés centigrades, qui, passant dans l’isthme
caucasien par Tiflis et Bakou, entre le 42° et le {1° degré de lati-
tude septentrionale, s’infléchit brusquement près de cette dernière
ville vers le sud, comme l’a déjà observé M. Abich, et, en suivant
la côte occidentale de la Caspienne, n'entre dans cette mer qu’à
la hauteur de Lenkoran, sous le 38° degré de latitude septentrio-
nale. À Méched, elle touche le 36° degré, et à Hérat le 34°,
etce n’est qu'à Boukhara et à Pékin que nous la retrouvons de
nouveau sous le 39° degré de latitude boréale. Cette coïncidence
de la limite septentrionale du Khorassan avec cette isotherme,
mérite, sous beaucoup de rapports, l'attention des physiciens et
des géographes, car elle constate un fait assez singulier dans la
distribution de la chaleur sur la surface du continent asiatique.
Si l'on accepte la latitude d'Orembourg, ou plutôt le 52° degré
de latitude comme une limite septentrionale des plaines de l'Asie
centrale, et que l’on remarque que la température annuelle des
contrées situées dans le voisinage de ce parallèle et du méridien
de la ville susmentionnée est de 5 à 6 degrés centigrades, on
voit que dans toute la zone des steppes des Kirghiz et des Tur-
comans, large de 16 degrés d’équateur, la température de l’année
varie en tout de 6 à 7 degrés centigrades. Ceci peut assez bien
s’expliquer par la différence des latitudes et de l'élévation ab-
solue de ces deux limites, Méched étant de 823 mètres au-dessus
d'Orembourg. Mais il est beaucoup plus difficile de se rendre
* compte pourquoi, au sud de Méched, l'indice des lignes isothermes
augmente si rapidement, et comment à Tébès, par exemple, et
sur toute Ja limite septentrionale du bout, il atteint le chiffre con-
sidérable de 18 à 20 degrés centigrades, c’est-à-dire qu’il varie,
dans cette bande large seulement de 2 degrés, un peu plus que dans
la zone de 16 degrés de largeur dont il vient d’être question.
Même, en prenant en considération la différence d’élévation des
villes de Tébès et de Méched, dont la première est à 300 mètres
vit. 87
LG: PARTIE, MÉRIDIONALEYDE, L'ASIE: GENTRAEE.
au-dessous de laseconde, il ne sera pas:facile d’assigner:une raison:
à cette anomalie météorologique, et certes je ne le tenterai- même:
pas'avant que toûtes les observations physiques, faites pendant
notre expédition, ne: soient convenablement réduites et. publiées.
Mais dès à présent je n’hésite pas à avancer, que l'absence: com-
plète de végétation et d’ean dans le bout, son grand échaufle-
ment pendant le jour, la profondeur àalaquellela.chaleur solaire!
y pénètre dans le sol, et peut-être même la configuration de: sa
surface, joueront un grand rôle dans l'explication decephénomène
climatologique. Partout où l'influence, thermique de cette chaude
terrasse se fait sentir, nous voyons la température annuelle s’éle-
ver bien au-dessus de la valeur qu’elle.a dans les endroits, voisins;
mais abritée contre son influence immédiate par quelques: acei-
dents de terrain. Cette action est encore très manifeste! dansile:
Mazanderan, où les courants. d'air chauds et secs, qui s’écoulent
du isout vers le nord-ouest, produisent une: évaporation rapide
sur toute la surface méridionale de la mer Caspienne. Tra-
versés par les vents froids du nord, ces couches d'air saturés de:
vapeurs produiseut des pluies abondantes et chaudes, qui entre-
tiennent une végétation presque tropicale sur la côte du Talich,
du Ghilan et du Mazandéran. Nous pouvons pourstivre la marche
de ces courants atmosphériques engendrés dansle Lout jusqu’à
Bakou et Derbend, où Pon a constaté le passage périodique d’une
espèce de sirocco soufflant deux fois par an du sud-sud-est au. nord-
nord-ouest. Au delà, l'influence frigorifique du nord est trop:pré-
pondérante, et la côte septentrionale de la Caspienne, à partir de
Derbend, prend complétement le: caractère du climat excessif de
V’Asie septentrionale. Mais si, pour les contrées assez éloignées du
Lout, l'action de ia chaleur qui s'y développe est bienfaisantesil
n’en est pas ainsi pour les localités situées dans son voisinage
immédiat. Ainsi, à Khabis, personnene peut impunémenL s'exposer
en été au vent qui soufile du désert, car aussitôt que, ce courant
d’air, presque absolument sec, atteint. les organes: respiratoires
\
.PARTIE MÉRIDIONALE DE LASIE IGENTRALE, A7
de d'homme, l'individu éprouve un vertige, et au bout de:quel-
ques «instants ilperdeonnaïssanceiet meurt, s'il n’est pas immé-
diatement soustrait à d'influence destuuctive de ce vent pestilen-
tiel. ) °
Sanseentrer dans trop de détails météorologiques, incompatibles
avec-le but purement-géographique dece mémoire, je me borne-
rai à observer, pour-caractériser la chaleurexcessive:quirègne en
été-dans cette partie de l'Asie centrale, que près de 'Méched nos
provisions :de stéarineet de sulfate! de soude ont été liquéfiées
par l’action della chaleur delair, ce qui suppose que la tempéra-
ture des coffresioiellestétaient conservées avait dépassé 65°,5 cen-
tigrades. Dans leLout, au moïs d'avril, à midi, lattempérature
dela surface du sol au soleil avait 38 degrés centigrades, et à
‘50 centimètres au-dessous de-cette surface 36 degrés centigrades,
En hiver, à Méched et à Hérat, le thermomètre descend souvent
jusqu’à 1875 icentigrades au-dessous de zéro ; mais, comme j'ai
eu l’occasion de l’observer, ce froïd ne dure pas longtemps. Près
de Kirman, ainsi que nous l'avons vu, M. Abbott a constaté le
Myyanvier une: température de —4°,67centigrades, mais comme
toutes les glacières ‘de la villeisont :approvisionnées par la glace
qui se forme dans desbassins creusés dansileur voisinage, on peut
dire positivement que chaque hiver Peau y gèle à plusieurs
æeprises.
La. distribution dela sécheresse présente beaucoup:plus d'uni-
formité. Sur.la côte méridionale dela mer Caspienne, la satura-
tion de l'air estitrès grande; elle varie entre 80.et 90 °/,. Mais dès
qu'on entre dans les montagnes.elle devient moindre et ne dé-
passe guère 60 !/,; à peine les a-t-on franchies pour descendre
dans.les plaines du Khorassan, à-Chahroud, cette saturation est
comprise entre les’ limites de 20.et 22 °/,.-Une fois seulement”
après une pluie abondante , élie est montée à 35 °/ ; mais par
contre, M.lienz y.a consigné dans son journal 44 °/,. À Méched,
ioù. nous avons séjourné pendant des mois les plrehends de
dE
L18 PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE.
l’année, la saturation de J’air n’était jamais descendue au-dessous
de 20°/,, mais aussi n’a-t-elle jamais dépassé 25 °/,. Dans le désert,
au mois d'avril, nous avons trouvé seulement 11,2 °/;: À Kirman,
la saturation de l’air variait de 16 à 20°}.
La particularité la plus frappañte du climat de ces contrées est
la constance de la pression atmosphérique; le baromètre oscille
très peu dans le courant des vingt-quatre heures et même durant
presqué toute l’année, car j'ai trouvé à Méched; en été, presque
les mêmes valeurs pour lesthauteurs de;la colonne barométrique,
que celles qu’on obtient en réduisant au bäromètre les points
d’ébullition qui y ont'élé observés par Fraser envhiver.
Ces propriétés, pour ainsi dire exceptionnelles, du climat de
cette partie de l’Asie centrale, produisent beaucoup de phéné-
mènes météorologiques peu fréquents dans d’autres parties du
continent asiatique. Nous mentionnerons icien peu de mots,
quelques-uns des plus frappants tels que les trombes de pous-
sière, le brouillard sec, les pluies qui n’arrivent pas à la surface
de la terre, et les nuages de poussière.
Le premier de ces phénomènes n’est rare nulle part; mais
comme je ne l’ai jamais vu se produire ailleurs avec autant de ré-
gularité qu'ici et se développer avec-autant de puissance, j'en
dirai quelques mots. Entre 9 et 11 heures du matin, selon la cha-
leur du jour, on voit se former à la surface de la plaine de É
tourbillons de poussière, qui augmentent fapidement en hauteur
et en volume jusqu’à 2 heures de l'après-midi. Presque toujours
doués d’un faible mouvement de translation, ils s'élèvent à'de
grandes hauteurs et ont la forme de cônes renversés, à base plus
ou moins large. La force ascensionnelle qui enlève la poussière du
sol et lui fait parcourir un chemin contournant en hélice la sur-
* face du cône du tourbillon, n’est jamais très grande ici; dams les
déserts de la Transoxiane, où ce phénomène est beaucoup moins
fréquent, les courants d’air qui le produisent ont infiniment plus
de É me souviens que dans le Kizyl-koum, m’étant trouvé
É :
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE, L49
dans une de ces trombes, j'ai eu mon turban arraché de ma tête
et porté à une assez grande hauteur, tandis que jamais chose
pareille ne m’est arrivée dans le Khorassan, où je me suis trouvé
une centaine de fois au centre de ces typhons. Étant au milicu
d’un pareil tourbillon, on éprouve toujours une différence sensible
entire la température à l'extérieur du cône de poussière et celle de
son intérieur. La même chose a été observée par M. Masson à
Kaboul, où il dit avoir remarqué constamment un abaïssement de
température notable quelques instants avant qu’une trombe de
poussière passât par cette ville. Or, en rapprochant ces deux faits,
4° l'apparition de ces trombes toujours après que la température
des 24 heures a passé par sa valeur moyenne, et 2° la différence
de la température à l'intérieur et à l’extérieur de la trombe tou-
jours plus grande en dedans qu’en dehors de son enveloppe, on
est porté à croire que ce phénomène est produit par les courants
ascendants qui sont engendrés dans les différentes parties de la
plaine par l’échauffement inégal du sol. Si un courant de cette
nature en rencontrequn autre qui se meuve en rasant le sol, avec
une vitesse égale ou peu différente de la sienne le choc des molé-
cules d’air déplacées par ces deux courants ne peut leur communi-
quer qu'un mouvement rotatoire. Ces tourbillons portent souvent
les parcelles les plus ténues de la poussière à des hauteurs consi-
dérables, et ces particules, à cause de l’exiguité de leur masse,
retombent très lentement sur la terre. Leur accumulation dans
l'air produit cet affaiblissement de transparence qu’on nomme
brouillard sec, et qui disparaît toujours après une forte pluie.
Pour m'en convaincre, j'ai profité de la seule averse que nous
ayons eue à Méched; l'on me permettra de rapporter ici mon
expérience en détail,
Après une longue série de jours chauds et secs, pendant les-
quels le ciel restait parfaitement serein, le brouillard sec devenait
de plus en plus épais; le 22 juillet, des nuages commencèrent à
se former au-dessus de Méched, et à 2 heures de l’après-midi
“60 PARTIE MÉRIDIONALE DE, L'ASIE \CENTRALE.
une ‘pluie ‘torrentielle vint rafraîchir l’air. Ayant laissé passer
les premières 45 minutes de pluie, pour lui donner le temps
d’abattre les couches de poussière qui recouvraient les toitsides
maisons voisines, je iplaçai sur le sol de la cour où j’observais,
et loin de:tout mur, un bol de faïence parfaitement propre, où
Je ‘trouvai, après que la pluie-eut cessé, une couche d’eau de 7 à
8 millimètres au fond ide laquelle on voyait un dépôt terreux
d’un millimètre d'épaisseur à peu près. Cette poussière n'ayait
pu pénétrer dans le vase qu'avec les gouttes de pluie qui
tombaient presque verticalement. J'ai à peine besoin d’ajou-
ter iqu'immédiatement après cette averse, d'air devint ;parfaite-
‘ment'transparent.
La grande sécheresse de l'air explique un autre phénomène
météorologique que je n’ai observé que dans le Khorassan. JL
arrive qu'on se trouve sous un nuage pluvieux qui se dis-
sout en pluie sans que le sol en soit humecté, car presque
toutes les gouttes s'évaporent savant de parvenir à terre, et à
peine si deux ou trois d'entre elles, évidemment les ‘plus grosses,
tombent à derares intervalles, comme pour prouver qu’il ne s’agit
pas ici d'une illusion d’optique, mais bien d’une pluie véritable
qui se wvaporise dans d'air.
Les nuages de poussière, d'après ce.que l’on m'a dit, sont assez
fréquents dans la'Perse méridionale, mais je n’en ai vu que deux,
d'un près de Tébriz, au mois d'août ou de septembre de l'année
4856, et l’autre le 42 avril de l’année 1858 à Séri-lezd. Comme
cerphémomène n'a élé constaté en Asie, à ma connaissance, que
par quelques voyageurs dans l'Inde, je crois utile de donner la
description du dernier dont j'ai élé témoin. Toutefois je préviens
que ce phénomène me paraît très difficile à expliquer, et je ne
me permettrai même de formuler aucune hypothèse à ce sujet.
Vers les quatre heuresfde l'après-midi du jour mentionné plus-
haut, ‘une masse de poussière de couleur brune apparut à l'horizon
mord-est, et, semblable à une muraille élevée et compacte, :s’ap-
PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE. 451
procha lentement du village de Seri-lezd sans que le baromètre
eût éprouvé aucune variation notable. Ce mur mouvant se proje-
tait sur le bleu du ciel comme un long parallélogramme dont on
ne voyait que l’un des angles, et au fur et à mesure qu'il s’appro-
chait de nous on pouvait apercevoir sur sa surface des trombes
effilées qui semblaient précéder ia masse principale de la pous-
sière. Quand ce nuage ne fut qu’à un kilomètre du village, l’air
commença à s'obscurcir, et l'affaiblissement de la lumière croissait
très vite, en sorte que quand la partie centrale de cette onde
poudreuse traversa Séri-lezd, l'obscurité fut plus complète que
pendant une éclipse totale de soleil, Ce ne fut qu'avec la plus
grande difficulté que je pus distinguer l'heure sur le cadran de
ma montre. Le passage de ce nuage de poussière dura à peu près
cinq minutes, et le baromètre ne vagia pas plus pendant le phéno-
mène qu'auparavant. La force du vent était assez grande, mais
n’avaitrien d'extraordinaire, et pas un arbre des jardins du village
ne fut brisé ; enfin le thermomètre descendit comme ïlle fait d'or-
dinaire quand les nuages interceptent les rayons du soleil. La fin
du phénomène fut suivie des mêmes indices; seulement l’ordre
dans lequel ils se produisaient était renversé. Les champs et les
maisons du village étaient recouverts d’une épaisse couche de
poussière argileuse très ténue.
Ayant exposé dans ce mémoire les principaux résultats géogra-
phiques obtenus pendant mon voyage dans le Khorassan, je me
propose de traiter dans un second travail la question ethnogra-
phique de cette contrée, qu'on peut considérer, en quelque sorte,
comme le berceau de la race iranienne.
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tab ren. r y JE
Re 8e
RECHERCHES
SUR
TYR ET PALÆTYR
PAR
P. A. POULAIN DE BOSSAY,
Ancien Professeur d'histoire et de géographie, ancien Proviseur du lycée Saint-Louis,
Recteur honoraire, membre de la Commission centrale de la Société de gévgraphie de Paris.
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RECHERCHES
SUR
TYR ET PALÆTYR
CHAPITRE PREMIER.
EXPOSÉ DE LA QUESTION.
Par sa haute antiquité, par le nombre et l’importance de ses
colonies, par l’immensité de son commerce et par ses prodi-
gieuses richesses, enfin par la durée des siéges qu’elle a soutenus,
Tyr est célèbre entre toutes les autres villes de la Phénicie.
Nul ne le conteste.
Mais, dit-on, il a existé deux villes de ce nom: Tyr insulaire
et Tyr continentale ou Palætyr. Quelle a été l’origine de ces deux
. villes? L’une a-t-elle donné naissance à l’autre? Ont-elles fleuri
simultanément ? Laquelle a été tant vantée par Les prophètes, les
historiens et les poëtes ? Si la célébrité de ces deux villes a été
successive, à quelle époque l’une d’elles a-t-elle commencé à dé-
choir et l'importance de l’autre s’est-elle accrue? ou bien enfin,
dans l'antiquité, lorsqu'il est question de Tyr, s’agit-il constam-
ment de la même ville ?
Ici le dissentiment commence.
Il faut le reconnaître, pour la majorité des auteurs français,
toutes ces questions semblent avoir été résolues d’une manière
péremptoire ; et depuis Rollin, dans les ouvrages qui traitent de
456 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
l'histoire ancienne, le plus souvent on trouve exprimé, sans au—
cune forme de doute, que Nabuchodonosor, roi de Babylone,
s'étant emparé de la ville de Tyr, située sur le continent et jadis.
fondée par les Sidoniens, les habitants se sauvèrent dans une île
voisine. Après le départ des Babyloniens, les Tyriens restèrent
dans l'île, la ville qu'ils avaient bâtie devint florissante, et la ville
abandonnée, déchue de sa grandeur première, ne fut plus connue
que sous le nom de Palætyr, c'est-à-dire vieux Tyr.
Les auteurs modernes étant presque unanimes à ce sujet, il ne
peut venir quelque doute à l'esprit sur la vérité de ce récit qu’en
lisant certains écrits peu connus et rarement consultés, et mieux
encore en prenant connaissance des sources historiques; mais
alors, si l’on apporte un peu d'attention à l'étude et à la compa-
raison des auteurs anciens qui ont parlé de Tyr, on ne tarde
pas à se convaincxe que les historiens modernes ont accepté et
propagé une erreur.
Cependant, après avoir lu les textes des auteurs qui se sont oc-
cupés de Tyr, après avoir acquis la conviction que Tyr insulaire
existait avant Nabuchodonosor, et que c’est de cette ville et d’elle
seule qu’ils ont parlé quand ils ont célébré, à toutes les époques,
la richesse et la puissance de la métropole de la Phénicie, il me
restait encore un scrupule; l'unanimité des historiens modernes
était pour moi chose imposante, et il me semblait que, sans une
excessive présomption de ma part, je ne pouvais dire que seul
j'eusse raison contre tous.
Ce scrupule m’a amené à rechercher par qui l'erreur a été intro-
duite, comment elle a été propagée et s’est perpétuée jusqu’à pré-
sent ; je crois l’avoir trouvé. Le’ voici.
Dans un ouvrage de controverse religieuse, publié en 1598,
Althamer, connu sous le nom de Brentius, est le premier, je crois,
qui ait émis l'opinion que Tyr insulaire fut fondée après la ruine
de Tyr continentale. Un siècle plus tard, Coccéjus reproduisit
vaguement cette opinion qui passa inapercue, noyée qu’elle était
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 97
dans de volumineux écrits d’une théologie mystique (1). Elle
reparut dans le Canon chronologique que Marsham fit paraître en
1672 (2). Probablement le savant anglais connaissait imparfaite-
ment les travaux de Brentius et même ceux de Coccéjus, son con-
temporain, puisqu’après avoir discuté les textes des prophètes et
le commentaire de saint Jerôme, il s’étonne de ce que, avant lui,
il n’est venu dans l'esprit de personne que c’est Tyr continentale
ou Palætyr qui fut assiégée par le roi de Babylone. Toute sa dis-
cussion a pour but de prouver que les Tyriens, chassés de leur
ville continentale, passèrent dans une île voisine, et qu’ainsi la
ruine de l’ancienne Tyr fut l’origine de la nouvelle : « Tyrii an-
» tiqua sede pulsi transmigraverunt in insulam ; destructio veteris
» Tyri fuit origo novæ.»
Hardi novateur, Marsham avait attaqué bien des croyances
admises, avait émis bien des idées nouvelles; quelques-unes de
ses conjectures furent acceptées avec faveur; sur d’autres points,
il fut combattu avec violence. Quoi qu’il en soit, son travail, plein
d’un savoir incontesté eut beaucoup de retentissement parmi les
savants; et quant à son opinion sur Tyr, Vitringa nous ap-
prend (3) qu’elle fut embrassée avidement par quelques érudits ;
(1) André Althamer, connu sous le nom de Brentius : Ataæyr, sive concilialio
locorum Scripturæ qui prima facie inter se pugnare videntur.Nuremb., 1528.— Ezechiel,
cap. xxvin, vers. 18 : « Nam vetus Tyrus, postquam Nabuchadnazar eam expugnavit,
» nunquam sic restituta est ut antea fuerat ; sed post 70 annos vastationis ejus instau-
» rata fuit alia nova Tyrus in alio loco, quatuor stadiis a con{inenti, de bujus igitur Fvri
» instauratione [saias prophetat. » Cap. xx, vers. 17.— Johannis Cocceji, Opera anec-
dota, theologica et philologica. Amstelodami, 4706, 2 vol. in-fol. Meditationes in pro-
phetiam Isaiæw, cap. xxur, p. 819 : « De qua.(urbe) hîc sermo, ambiguum doctis,» Coc-
céjus pose la question plutôt qu’il ne la résout. Au reste, il entend la prophétie dans un
sens mystique et non historique. Pour lui, Tyr est la métropole du royaume de l’Anté-
christ; c'est Rome!
(2) Chronicus canon Ægyptiacus Ebraïcus, et disquisitiones D. Johannis Marsham.
Londini, 1672, ad sæculum xvmr, p. 537-539, alias. 576-578. ;
(3) Vitringa, Commentarius in librum propheliarum Isaiæ.…., elc. Leowardiæ, 1724.
2 vol. in-fol., t. I, cap. xx, p. 664.
158 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
que de son temps on taxait d’une excessive présomption qui-
conque osait essayer de manifester du doute sur cette opinion ou
cherchait à la renverser. Au nombre de ceux qui l’adoptèrent, fut
le docteur Prideaux (1), et c’est par lui qu’elle s’est propagée en
France; car on sait que, dans son Histoire ancienne, Rollin a fait
des emprunts à Prideaux pour tout ce qui regarde l'Orient. Rollin
reproduit presque littéralement et sans examen les expressions
de Marsham, dont l’opinion, comme on vient de le voir, était de-
venue celle de Prideaux (2).
Jusqu’à ces derniers temps, je veux dire jusqu’à la création de
l’enseignement historique dans les colléges, presque toutes les
histoires anciennes ont été des abrégés plus ou moins étendus,
plus ou moins fidèles de l’ouvrage de Rollin. La forme changeait,
le fond restait le même. Les mêmes assertions, les mêmes er-
reurs, s’il s’en trouvait, devaient être reproduites ; elles lont
été. Ceci étant connu, lunanimité des historiens modernes n’a
plus rien d’imposant. Il devient évident que, pour atteindre la
vérité, il n’y a plus à combattre qu'un seul sentiment, celui de
Marsham. Je dois m’empresser d’ajouter (ce que j'ai déjà fait
pressentir) que cette unanimité ne regarde que les histoires imi-
tées de Rollin, et les extraits qui en ont été faits, car, antériew=
rement au xvu° siècle, la seule opinion que je crois raisonnable,
n’était pas seulement dominante, c’étail lopinion commune, selon
l'expression de Vitringa ; et depuis la publication du Canon chro-
nologique, il a paru en France et hors de France, des mémoires,
et des ouvrages plus étendus où la vérité a cherché à sefaire jour.
Dans la lutte, l’opinion commune n’a pas seule été défendue;
d'autres systèmes après celui de Marsham ont été produits. Je
les ferai connaître pour les discuter etles réfuter. .
(1) Prideaux, Histoire des Juifs el des peuples voisins. Paris, 4782, t. I‘, liv. u,
p. 193.
(2) Rollin, Histoire ancienne, liv. an, chap. 2.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. A59
Mais, afin de pouvoir entrer, d'une manière utile, dans la
discussion des faits qui concernent la ville de Tyr, il est
indispensable d’avoir une idée exacte de la topographie des lieux
dont nous aurons à nous occuper.
CHAPITRE II.
TOPOGRAPHIE DE TYR.
Avant le siége qu’elle soutint contre Alexandre, la wille de Tyr
était renfermée dans une île. La largeur du détroit, qui séparait
l'île du continent, était de A stades, selon Scylax, Diodore de Sicile
et Quinte-Curce ; de 700 pas d’après Pline; suivant Guillaume de
Tyr, elle était celle que peut parcourir une flèche lancée par un
arc; de 700 à 800 pas: d’après le P. Roger. Maundrel évalue à
vingt minutes de marche, la longueur de la chaussée d'Alexandre,
par conséquent la largeur du détroit, et Buckingham lui donne
environ un demi-mille (4). '
Ces assertions, à l'exception de celles de Pline et de Guillaume
de Tyr, ne présentent pas de différences notables. 700 pas ro-
mains valent 5 stades ;% ou 1036 mètres, tandis que stades ne
valent pas 500 pas romains ou 740 mètres. La largeur donnée
au détroit par Pline, dépasse donc d’un quart la largeur indiquée
par Scylax, Diodore de Sicile et Quinte-Curce. Comme elle dé-
passe également toutes les indications qui se trouvent dans les
(4) Poulain de Bossay, Æssais de restitution et d'interprétation d’un passage. de
Scylax. — Diodore de Sicile, liy: xvnr, chap. 40. — Quinte-Curce, liv. 1v, chap. 2.—
Pline, liv. v, chap. 17. — Guillaume de Tyr, Hist. des Croisades, trad. de M. Guizot,
vol. LE, iv. xx, p. 257, — Le R. P. Roger, La Terre sainte, p. 49. — Maundrell,
Voyage d'Alep à Jérusalem, en 4697 ; Paris, 1706, in-12, p. 82. — Buckingham, Tra-
vels in Palestine, p. 47.
\
A60 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
auteurs anciens et modernes, on doit en conclure que le chiffre
donné par Pline est erroné et exagéré ; et d’un autre côté, comme
500 pas romains sont exactement l’équivalent de 4 stades, je pense
que, dans le texte de Pline, au lieu de (DCC) 700, il faut lire (D)
500 pas (1).
Les mesures indiquées approximativement par le P. Roger
et par Buckingham s’éloignent peu de celle que nous fournis-
sent les trois auteurs anciens que j'ai cités. Dans un plan qui
accompagne l’Examen critique des historiens d'Alexandre, de M. de
Sainte-Croix, M. Barbié du Bocage a adopté, avec raison, je crois,
la mesure de 4 stades (2).
Quant à Guillaume de Tyr, son estimation est très vague et ne
vaut que ce que vaudrait aujourd’hui l'indication fort peu pré-
cise d’une portée de fusil (3).
On le concoit, la distance que peut franchir une flèche dépend
de la longueur et de la bonté de l'arc, de la force et de l'adresse
de l’archer; elle varie entre 91 et 219 mètres. Ce dernier chiffre
indique la plus grande distance que puisse atteindre la flèche
lancée par un archer robuste et expérimenté (4).
Des paroles de Guillaume de Tyr, un voyageur moderne,
M, dé Bertou, tire la conclusion que le détroit ne devait pas
(1) Je ne dissimulerai pas cependant que, dans tous les manuscrits, on lit le chiffre
DCC.
(2) Barbié du Bocage, Plan de Tyr et de ses environs.
(3) Certains détails donnés par l'archevêque Guillaume sur le siége de Tyr, per-
meltent de supposer que la porte flanquée de tours, le large fossé et deux des murs qui
défendaient l'entrée de la ville, étaient situés sur la chaussée. S'il en était ainsi, la dis-
tance de la ville au contisent pouvait n'être pas considérable, et par là s'expliquerait
en partie ce que l'historien dit de cette distance. (Guili. de Tyr, liv. xur, p. 259 et264.)
— Jbn-Alatir (Reinaud, Extraits des historiens arabes, p. 220), et Aboulféda (éd. de
Koehler, p. 93), font mention également du fossé creusé par les croisés et par lequel Tyr
redevint uneîle.
(£) Manual of rural sports, by Store Henge, 3° éd. London, 4857, p. ae et 509.
— Encyclopédie brilannique, éd. de 1790, vol. I, p. 212. Je dois ces renseignemenis
à l’obligeance de M. Ant. d’Abbadie.
RECHERCHES SUR. TYR ET PALÆTYR. B61
avoir plus de 50 à 60 mètres de largeur (1). L'erreur est manifeste.
Cinquante mètres! c’est à peu près la largeur du petit bras de
la Seine derrière l'Hôtel-Dieu de Paris. L’exécution d'un remblai
d’une si petite étendue dans des eaux peu profondes, n'aurait pas
nécessité les grands travaux imposés aux soldats de Nabuchodo-
nosor et plus tard à ceux d'Alexandre; les Tyriens n’auraient pas
eu besoin de monter sur de légers bateaux, de s'éloigner de l'ile
et de s’avancer vers le rivage continental pour adresser des rail-
leries aux Macédoniens (2); du haut du mur d'enceinte, ils se
seraient facilement fait entendre des soldats qui construisaient la
chaussée, car un intervalle de 50 à 60 mètres permet d’établir
une conversation sans trop élever la voix. Enfin, que dirai-Je ?
L'opinion de M, de Bertou est réfutée d'avance par Arrien, dans
lequel nous lisons que l'exécution de la chaussée ne présenta
d'abord aucune difficulté, parce que la mer était peu profonde et |
parce que l'éloignement ne permettait pas aux Tyriens de trou-
bler le travail des Macédoniens; mais lorsqu'on se fut rapproché
de la ville, les soldats d'Alexandre furent très inéommodés des
flèches de leurs ennemis. Quinte-Curce dit aussi qu'après de
grands travaux, la chaussée fut assez avancée pour que les Macé-
doniens se trouvassent à la portée du trait (3).
Pourquoi prolonger cette discussion? Depuis l'époque d’Alexan-
dre, il est vrai, le détroit n'existe plus; mais la différence du sol
et les ruines encore subsistantes des murs et de quelques monu-
ments rendent faciles à indiquer les anciennes limites de l’île du
côté de l’isthme, et pendant longtemps il a été également possible
de reconnaître sur le continent où commençait la chaussée
d'Alexandre. D’après les plans exécutés avec le plus de soin, entre
(1) M. de Bertou, Essai sur lalopographie de Tyr. Paris, 1843, p. 64.
(2) Quinte-Curce, li. 1v, chap. 2.
(3) Arriani De expeditione Alexandri magni historiarum libri vu, ed. Nico. Blan-
cardus, Amstelodami, 4660, lib. n, p. 431. — Quinte-Curce, liv. 1v, chap. 3.
VIT. 59
162 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
ces deux points, la distance est d'environ 750 mètres ; ce sont les
quatre stades des historiens anciens (1).
Quant à la largeur de la chaussée, aucun géographe de l’anti-
quité n’en parle, et je ne l’ai trouvée indiquée que dans un seul
historien, dans Diodore de Sicile, qui lui donne deux plèthres ow
200 pieds grecs (61",64) (2).
Arrien dit bien que la première chaussée entreprise par
Alexandre ayant été reconnue trop étroite, le roi la fit élargir
afin qu’elle püt contenir un plus grand nombre de tours destinées
à protéger les traväilleurs (3) ; mais cet historien, qui donne tant
de détails précieux, ne s’explique pas sur la largeur du travail
d'Alexandre. S'il faut en croire le P. Roger, de son temps, c’est-
à-dire vers 1630, la largeur de l’isthme était de cinquante pas;
mais le P. Roger n’a rien mesuré; toutes ses indications ne sont
qu’approximatives et ne peuvent inspirer qu’une médiocre con-
fiance (4). Néanmoins dans un périple inédit, qui remonte à une
époque que j'ignore, je trouve une phrase qui atteste que, pen-
dant bien des siècles, l'étendue de la chaussée est restée peu con-
sidérable. Voici cette phrase : « (Civitas Tyri) quæ sita est in cor
» maris ferè hinc indè in Eurum præsia (præcisa). » Si, comme
aujourd’hui, la chaussée eût formé un isthme dont la largeur
varie entre 500 et 700 mètres, l’auteur inconnu du périple n’au-
rait pas dit que « vers l’esl, la ville de Tyr était de chaque côté
» presque entièrement coupée par la mer » , c’est-à-dire séparée
du continent (5).
x (4) Barbié du Bocage, Plan de Tyr, — Mouillage de Sour, levé en 4834 par Ormsby.
— M. de Bertou, Plan de la péninsule de Tyr, dans le Bulletin de la Sociélé de géogra-
phie de Paris, 2€ série, t. XI. «
(2) Liv. xvn, chap. 40, à la fin.
(3) Lib. n, p.433.
(4) Je possède deux très anciens plans de Tyr d’après lesquels il me pa évident
que l'évaluation du P. Roger est beaucoup trop faible.
(5) Mon savant et excellent collègue, M. d'Avezac, a fait copier à Londres une partie
1
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 163
Maundrell, qui visitait Tyr,en 1697, avait remarqué que l’isthme
était encore plus bas que l'île et le continent; la largeur delPisthme,
disait Buckingham (eu 1816), forme à peu près le tiers de sa lon-
gueur (environ 300 mètres). Ainsi, d'aprèsles témoignages des voya-
geurs quejeviens de citer, la chaussée à laquelle Alexandre avait
donné environ 60 mètres, n’était pas beaucoup plus large au com-
mencement du xvi siècle, et de plus, à la fin de ce mêmexvn'siècle,
ellem’avait pas encore atteint le niveau dela terre ferme et de l’île,
tandis qu'aujourd'hui cette chaussée, devenue un isthme, a une
largeur moyenne de 600 mètres, et les sables qui s’y amoncellent
forment des monticules dont quelques-uns sont plus élevés que la
ville ; bientôt J'en dirai la cause.
L’isthme et l'ile, suivant la remarque de Volney (1), affectent
la forme d’un marteau à tête ovale. À trois exceptions près, par-
tout où Tyr ‘est encore baignée par la mer, les côtes sont héris-
sées d’écueils, de bancs de rochers et de débris de construc-
tions (2). Ces constructions submergées mais encore debout, et
qu'on ne peut confondre avec des colonnes ou des pans de mu-
railles renversées et précipitées dans la mer, ont été remarquées
par quelques-uns des voyageurs qui ont visité la Syrie (3); ces
voyageurs ont été particulièrement frappés de la quantité de co-
lonnes qui se trouvent sur un rocher à fleur d’eau, au nord-ouest
de la presqu'île. Alors, ils se sont demandé si les rivages de la
péninsule actuelle sont bien ceux de l’ancienne Tyr; si depuis les
de ce périple qui a pour titre : Liber de Existentia Riveriarum et formà maris nosri Me-
diterranei.
(1) Volney, Voyage en Syrie et en Égypte, t. 1L, chap. 29, p. 194.
(2) Lettre de M. de Bertou, insérée dans le Bulletin de lu Société de géographie de
Paris, 2° série,t. XI, p.150 (mars 1839). — Autre lettre (restée inédite) adressée
par M. de Bertou à M. Roux de Rochelle, président de la Commission centrale de la
Société de géographie, le 14 octobre 1838.
(3) Maundrell, p. 82. — Buckingham, p. 47. — Le général Vial, dans le Mémoire
sur la construction de la carte d'Egypte, par le colonel Jacotin, p. 97. — M. de Bertou
Essai sur la topographie de Tyr, p. 51 et suiv.
164 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
temps où cette ville était puissante et prospère, la mer n’aurait
pas miné les côtes, enlevé tout ce qui n’a pas pu lui résister,
dénudé ou plutôt raclé le roc, suivant l'expression du prophète (1),
et par conséquent diminué l'étendue du sol habitable.
Cette opinion sur la submersion d’une partie de la ville cesse
d'être conjecturale et acquiert un grand degré de certitude, si
nous invoquons le témoignage de Benjamin de Tudèle. Ce juif:
espagnol, qui dit avoir visité l'Orient en 1173, s’exprime ainsi :
« Que si l’on monte sur les murailies de la nouvelle Tyr, on voit
» l’ancienne Tyr ensevelie sous les eaux de la mer quia couvre,
» à un jet de pierre de la nouvelle. Et pour en découvrir les tours,
» les places publiques et les palais qui sont au fond, on n’a qu'à
» s'y transporter dans une chaloupe (2). » Il n’est pas besoin de
faire remarquer que l’ancienne Tyr de Benjamin de Tudèle
n'étaitpoint le lieu situé sur le continent, que les Tyriens dési-
gnaient sous le nom de vieux Tyr (à réa Tüpos, vetus T'yrus), eë
que quelques géographes anciens ont appelé Palætyr (Harairu-
psc); c'était la partie occidentale dès lors submergée de la grande
métropole phénicienne, et le souvenir de son étendue primi-
tive était, à cette époque, parfaitement conservé. En effet, au
temps de sa prospérité, Tyr devait s'étendre bien au delà des
limites de la péninsule actuelle. Tout'en admettant que l’île était
entièrement couverte de bâtiments jusque sur le bord de la mer,
et que les maisons y avaient un nombre d’étages plus grand
encore qu'à Rome, c’est-à-dire au moins cinq ou six (3), jamais
cette puissante cité n'aurait pu être contenue dans la petite pres-
qu'ile de Tsour qui n’a que 576 508 mètres carrés, superficie qui
suffirait à peine à une ville de vingt et quelques mille âmes. Ce-
pendant il ne faut rien exagérer ; même dans le temps de sa plus
(1) Ezéchiel, chap. xxvr, v. 4. :
(2) Voyages de Benjamin de Tudèle, etc. Paris, 4830,14 vol. in-8, p. 32.
(3) Quinte-Curce, livre 1v, chap. 2. — Strabon, liv. xvr, p. 757.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 165
grande splendeur, Tyr, je crois, ne couvrait pas entièrement le
banc de rochers qui s'étend à l’ouest fort loin sous les eaux. J’en
trouve la preuve dans les détails du siége soutenu par cette ville
contre Alexandre. Pendant toute la durée de ce siége, les efforts
. du conquérant macédonien se dirigèrent constamment et unique-
ment vers la partie orientale de la ville. Ce ne fut pas seulement
parce que ce côté de Tyr était en face du continent et dès lors
était plus exposé aux machines de guerre établies sûr la chaussée ;
ce fut surtout parce que là seulement la mer avait quelque pro-
fondeur, ne présentait aucun danger à la navigation, et permet-
tait aux navires qui portaient les guerriers et les machines de
s’approcher de la ville; tandis qu'à l’ouest, le banc de rochers
rendait la navigation impossible et tenait les vaisseaux à une
grande distance.
Les Tyriens qui savaient fort bien qu’on ne pouvait pas aborder
dans leur île vers l’ouest, s'étaient attachés, principalement de-
puis les guerres contre les Assyriens et les Babyloniens, à fortifier
le côté qui faisait face à la terre ferme, le seui qui fût d'un accès
facile. De ce côté uniquement, le mur flanqué de tours qui entou-
rait la ville ne reposait pas sur le roc s’élevant au-dessus des
eaux ; ses fondations étaient battues par les flots de la mer; aussi
les Tyriens avaient-ils cru devoir donner à cette partie du mur
d'enceinte une hauteur de 150 pieds et une largeur propor-
tionnée (1). C’est du haut de cette tour qu'ils jetèrent une grande
quantité de grosses pierres pour gêner la navigation et tenir éloi-
gnés les bâtiments ennemis chargés de machines de guerre, et de
cette manière pour remplacer, autant que possible, la protection
(1) Quinte-Curce, 1v, 2. Præceps in salum murus. — Arriani De expeditione…, lib. 11,
p:138. 150 pieds grecs, c'est-à-dire 135 pieds de roi on 45 mètres. Aucune ouverture
n'avait été ménagée dans le mur d'enceinte, car la villede Tyr n'avait pas de portes ; on
ne pouvait y pénétrer que par lun des-ports ; et depuis que l'ile a été réunie au conti-
nent par un isthme, elle n'a jamaisieu qu'une seule porte.
Chäriton, vn, 2. ù }
166 RECHERCHES SUR :TYR ET PALÆTYR:
que la ville tirait à l’ouest de la présence des écneils, protection
que rend bien évidente le rétit d’Arrien; car il résulte des détails
donnés par cet historien que la partie occidentale de Tyr ne fat
jamais attaquée, même au moment suprême, lorsque Alexandre
dirigea à la fois ses assauts sur tous les points vulnérables (1).
De la pointe sud-ouest de l'ile s’étendait un mur de 8 mètres
de largeur dont les assises, en quelques endroits, dépassent en-
core un peu le niveau de la mer; il suivait d’abord la direction du
sud-ouest, puis à 200 mètres il formait un angle aigu, se dirigeait
vers l’est-nord-est, et enfermait un vaste emplacement de figure à
peu près triangulaire, dont le rivage méridional de l’île actuelle
faisait un des côtés. Aujourd'hui, cet emplacement, qui peut
avoir 720 mètres de longueur sur une largeur moyenne de 75 mè-
tres, est couvert des eaux de la mer. Qu'’était-ce autrefois? Le
peu de profondeur de la mer et la grande quantité de colonnes et
de matériaux divers qu’on y voit sous l’eau, ont pu faire supposer
qu'anciennement ce bassin faisait partie de la ville, et qu'il était
couvert d'édifices avant d’être envahi par la mer (2).
Quant à moi, Je tronve cette supposition peu probable. Les nom-
breuses colonnes, les matériaux qu’on aperçoit sous l’eau me pa-
raissent êtreles débris des constructions considérables qui, autre-
fois, existaient sur Ja côte méridionale de l'ile, et entre autres du
palais du roi, auquel appartenait peut-être une colonne de granit
gris encore debout aujourd’hui. De plus, le mur dont il:wient
d’être question ne semble pas avoir été établi sur le rivage méri-
diona! de l'ile; on n’y remarque aucune sinuosité, et il forme au
contraire deux lignes droites qui se coupent à angle aigu ; enfin
(1) Classis mœnia circumibat.… rex classem cireumire muros jubet. … Par ces phrases
qu'on trouve dans Quinte-Curce, 1v, 3, il faut entendre que les vaisseaux macédoniens
s'approchèrent des murs,et enveloppèrent la partie de la ville qui était attaquée ;°elles
n'on! pas d'autre signification. Dans le même sens, Quinte-Curce, parlant des Tyriens ;
qui, sur depetits bateaux, allèrent reconnaître les progrès du travail d'Alexandre, se
sert de ces mots : Circumire opus, 1v, 2.
(2) M. de Bertou, Lettre inédite.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. - 67
son épaisseur montre qu'il ne servait pas seulement de clô-
ture et qu’il était destiné à lutter contre les efforts des vagues.
Ces circonstances me portent à croire quefla muraille couronnait
un grand travail entièrement dû au génie persévérant des Ty-
riens; que tout ce travail était destiné à enclore un port mar-
chand et peut-être aussi un bassin de construction. D’après son
étendue, ce port aurait pu facilement recevoir deux cents bâti-
ments de commerce (1).
J'ignore si une exploration minutieuse, mais diflicile, du banc
de rochers, aurait pour résultat de faire connaître exactement
quelle était, dans les temps anciens, l’étendue de la puissante cité
où se trouvaient tant de monuments et qui renfermait une popu-
lation si nombreuse; j'en doute; mais il serait facile d'apprécier
les envahissements de la mer depuis le premier siècle de notre
ère, si l'on pouvait s’en rapporter complétement à l’assertion de
Pline, d’après laquelle Pile avait 22 stades de circuit, c’est-à-dire ,
h074 mètres (2); elle n’a plus aujourd’hui que 3300 mètres ; il
faut conclure, non pas à une diminution précise de 774 mètres,
ce serait probablement un calcul trop rigoureux ; mais certaine-
ment, de cette différence, on peut conclure que le sol a subi une
notable diminution.
Ainsi, nul doute, autrefois l’île occupée par la ville de Tyr était
beaucoup plus étendue que la péninsule ne l’est aujourd’hui. À
(1) Les navires des anciens pouvaient avoir 6 mètres de largeur sur 18 mètres de
longueur, c'est-à-dire 108 mètres carrés. Le bassin présentant “une superficie de
720 mètres sur 75, ou 54 100 mètres carrés, aurait pu contenir 500 navires serrés les
uns contre les autres; en réservant pour la manœuvre plus de la moitié de l'espace, il
restera la place pour 200 navires de toute grandeur.
(2) Pline, liv. v, chap. 47. — Je suis d'autant plus porté à regarder comme exacte
la mesure de Pline, qu'ici il la donne en stades et qu'il n'a pas eu à faire la conversion
en pas romains, ce qui est toujours pour lui une cause d'erreur, attendu que, négligeant
les fractions, il exprime ses mesures en nombres entiers, et de cette manière il aug-
mente ou diminue les chiffres réels, — La périmétrie donnée par Pline ne renfermait pas
le bassin méridional dont il vient d’être questio:.
168 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
quelle cause attribuer ces envahissements de la mer? Les anciens
documents historiques nous fournissent les moyens de répondre
à cette question.
Justin, Quinte-Curce, Josèphe, Sénèque, Strabon, principale-
ment ce dernier, racontent où au moins mentionnent de fréquents
bouleversements causés par des tremblements de terre, non-seule-
ment sur la côte de Phénicie, mais aussi sur presque toutes les
côtes de l'Asie occidentale (1). Dans les temps plus modernes jus-
qu’à nos jours, les auteurs ont eu à constater de semblables catas-
trophes laissant partout des ruines. C’est à des événements de ce
genre, qu'indépendamment de l’action incessante des flots de la
mer sur les côtes, on doit rapporter la submersion ou les submer-
sions successives de la partie occidentale de: l’île, de la muraille
dont il vient d’être question et des digues ou grands môles dont il
me reste à parler.
Quant à l’époque où ces immersions ont dû avoir lieu, il ne me
paraît pas possible d’assigner de dates certaines ; je me borneraiï à
rappeler qu’au temps où Tyr fut assiégée par les Macédoniens, la
ville, très florissante alors et fort peuplée, couvrait une superficie
dont l'étendue dépassait de beaucoup la presqu'ile actuelle. Du
temps de Pline, nous le savons, la ville n’avait plus que 22%stades
de circuit. Dans l’intervalle, une partie de la ville avait été engloutie
par la mer, et la muraille qui environuait le bassin méridional
avait été submergée, peut-être par le tremblement deterre del’an
143 av. J. €., peut-être par celui dont parle Josèphe, sous Au-
guste (2). Depuis lors, de nouveaux envahissements de la mer ont
(4) Justin, liv. xvur, chap. 3. —Quinte-Curce, liv. 1v, chap. 4, 20.— Strabon,
p: 638, 757 et passim. — Entre toutes les villes de Phénicie, Tyr était-célèbre par les
désastres que causèrent soit les tremblements denterre, soit les envahissements de la
mer : Tyros aliquando infamis ruinis fuit. — Tyros et ipsa tam movetur quam diluitur.
Sénèque, Nat. quest., wi, 1, 26. — Et Tyros instabilis, pretiosaque murice Sidon,
Lucain, Phars.,1r, 247. — To is Tüpw xxx. Pseudo-Callisth., 1, 35.
(2) Athénée, liv. win, chap. 2, p. 333. — Strabon, liv. xw, chap. 2, p. 758. —
Josèphe, Ant. Jud., liv. xv, chap. 7.
RECHÉRCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 169
réduit l'ile à ses limites actuelles, en pénétrant encore plus avant
dans la partie occidentale de Tyr. Ceci étani admis, il devient évi-
dent que le mur qui a environné la presqu’ile et dont on trouve
encore des restes assez considérables, appartenait en grande
partie à des âges postérieurs à Pline.
Au nord, une série d’écueils et de rochers s’étendait, presque
parallèlement à la côte, sur une longueur d'environ 1000 mè-
tres, et ne laissait entre elle et la partie septentrionale de l’île
qu'un passage assez étroit par lequel les bâtiments pénétraient
dans cette espèce de rade pour entrer ensuite dans le port inté-
rieur. Des traces de conslructionsse trouvent encore sur ces ro-
chers stériles où l’on vit, pendant longtemps, un monument
connu sous le nom de tombeau de Rhodope (1).
Si ces rochers ont autrefois été réunis par un mur continu (ce
qui est fort probable), les vaisseaux, avant d’entrer dans le port,
trouvaient là un abri contre les vents d'ouest qui rendaient la
navigation fort dangereuse dans ces parages (2).
Au sud, et s'appuyant sur un îlot inhabité, commencait une
digue, partout aujourd’hui couverte d’une couche d’eau qui varie
de 1",70 à 5 mètres; elle se dirigeait en ligne droite du nord au
sud vers le cap Blanc, sur une longueur de deux milles (3700 mè-
tres). Cette digue, d'environ 12 mètres de largeur, et qu’on peut
suivre très distinctement, était-elle naturelle ou exécutée de main
d'homme, ou bien encore le fond seul étant naturel, a-t-il servi
de base à une jetée? Je ne sais. Personne ne l’a explorée de ma-
nière à pouvoir fournir des renseignements exacts à cet égard (3).
Maundrell l’a vue lorsqu'elle s’élevait encore au-dessus de l’eau;
(1) De Bertou, Lettre inédite. — Hérodote, 1, 134.— Achille Tatius, 1…1, 47.
(2) Procellosum se habet mare, latentibus scopulis et nimia inæqualitate periculosum ;
ila ut peregrinis etignaris locorum, ad urbem navigantibus, periculosum fit accedere,
et nisi ducem habeant, qui adjacentis maris habent nolitiam, non nisi cum naufragio
urbi possunt appropinquare.— Guill. Tyr. Historia belli satri.…, lib. xur, cap. 5,p. 836.
(3) M. de Berton, Lettre inédite.
VIL. 60
L70 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
mais il ne s’en est pas approché de facon à pouvoir vérifier si
_ c'était un effet de Vart'ou de la nature. À eause de la ligne parfaite-
ment droite qu'elle suit dans toute sa longueur, je suis disposé
à croire que tout, dans ce mêle, provient du travail des Tyriens.
Dans tous les cas, l’espace compris entre la digue et la plage for-
mait une immense rade, capable de contenir tous les navires
qu’attiraient le commerce et les richesses de Tyr.
Si la digue est artificielle, à quelle époque a-t-elle été cons-
truite ? Je ne pourrais le dire, les historiens et les géographesn’en
ayant jamais parlé. Cependant, du silence même des historiens
d'Alexandre, on peut inférer que le môle n'existait pas encore
l'an 332 avant J.-C. Quelle que soit l'époque de sa construction,
ce travail gigantesque est, plus qu'aucun autre, de nature à don-
ner ‘une haute idée de la puissance des Tyriens.
Ces deux jetées, qui s’étendaïent au loïn à droiteet à gauche de
la ville, ont inspiré à un poëte grec l’image gracieuse d’une jeune
fille qui, se baignant dans la mer, étend les deux bras sur l'onde,
pendant que ses pieds restent appuyés contre le rivage (1). L'an-
teur du T'élémaque reproduit cette image, en la modifiant, quand
il dit: « Tyr semble nager au-dessus des eaux... Elle à deux
grands môles semblables à deux bras qui s’avancent dans la mer,
et qui embrassent un vaste port où les vents ne peuvent, en-
trer (2). »
Tyr a deux ports, dit Strabon, l'un fermé et l’autre ouvert; ce
dernier s’appelle le port Égyptien (3). Strabon n’ajoute absolu-
ment rien sur l’étendue ni sur l'orientation de ces deux ports.
Pour l’un d’eux, aucune hésitation n’est possible; il subsiste encore
quoique ayant subi de bien grands changements. Une partie est
aujourd’hui entièrement comblée et occupée.par quelques mai-
(1) Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques ou Bacchus, poème rétabli, traduit et
commenté par M. le comtesde Marcellus. Paris, Firmin Didot, liv. x, vers 319-323.
(2) Fénelon, Télémagne, liv. ur.
(3) Liv. sw, p. 757.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 74
sons de la petite ville de Tsour ; ce qui reste et qui forme le port
actuel, est tellement rempli de sable, qu'en 1784, lorsque Volney
visitait Ta Syrie, les petits enfants [e traversaient déjà sans se
mouiller les reins ; suivant M. de Berton, la plus grande profon-
.deur, en 1838, était à peine de 0",85, et en beaucoup d’endroits,
il n’y avait pas plus de 0",15 d’eau. Tous les jours l’ensablement
augmente, et dans peu d’années on aura peine à reconnaître les
traces d’un port qu’au xu° siècle Benjamain de Tudèle proclamait
le plus beau de l'univers, et que cinq siècles plus tard le P. Roger
regardait encore comme le plus beau et le plus sûr du Levant (1).
À une époque que je ne saurais préciser, une double jetée, que
séparait un intervalle de 30 mètres, avait été construite pour
mettre les navires à l'abri du vent du nord. La jetée intérieure,
après s’être prolongée pendant environ 260 mètres de l’ouest à
l’est, faisait un angle presque droit, et se dirigeait au sud, ne
laissant entre elle et la côte de lité, à la pointe orientale du port,
qu’un espace de 45 mètres pour l'entrée des bâtiments. Cette
entrée était défendue par deux tours correspondantes, où jadis
on attachait une chaîne d’airain pour fermer entièrement le port.
Il avait 350 mètres de longueur sur 290 mètres de largeur, ce
qui lui permettait de recevoir au moins 300 navires de différentes
grandeurs.
Quant au port Égyptien, l’hésitation est permise. Et d’abord je
dois faireremarquer, en insistant sur cette remarque, que Strabon
est le seul géographe et Arrien le seul historien qui disent claire-
ment que Tyr avait deux ports (2). Sur ce point nous ne pouvons
relirer aucuns renseignements de la lecture des prophètes qui
cependant ont tant et si longuement parlé de Tyr, qui ont tant
célébré ses alliances, ses richesses et sa puissance maritime ; ils
ne disent absolument rien du port ou des ports de la ville.
(1) Volney, Voyaye en Syrie, t. Il, chap. 29, p. 1494. — M. de Bertou, Lettre
inédite. — Benjamin de Tudèle, p. 31. — Le R. P. Roger, p. 49.
(2) Arriani De expedilione…, p. 137.
472 RECHERCHES SUR. TYR, ET PALÆTYR.
D'après Scylax, Tyr n'avait qu'un port qui était dans l'enceinte
des murs (1). Le témoignage de Scylax est important, car on sait
que, dans son énumération des villes maritimes, il ajoute tou-
jours les particularités qui concernent les ports, et quand cer-
taines villes en ont plusieurs, il ne manque pas de le faire con-
naître (2). Le récit du siége de Tyr par Alexandre est fort obscur
dans Diodore de Sicile et dans Quinte-Curce; le port Égyptien
n’y est pas mentionné. Pline nomme Tyr et Palætyr, et se tait sur
le port. Dans la Vie d'Alexandre, Plutarque ne dit qu’un mot sur
Tyr. Au moyen âge, l’archeyêque Guillaume, Benjamin de Tu-
dèle, Edrisi, parlent du port de Tyr (le port intérieur ou septen-
trional), et ne paraissent pas même soupconner qu'il y en ait eu
un autre vers la partie méridionale de la ville (3).
Strabon et Arrien se sont-ils donc trompés? Je ne le pense pas.
Alors qu’ont-ils voulu dire ? — Cherchons.
M. Barbié du Bocage plaçait le port Égyptien sur la côte occi-
(1) Scylax.… $ 104.
(2) Ainsi il n’omet pas de faire remarquer que Syracuse a deux ports, dont l’un est
en dedans et l’autre en dehors des murs; que Thoricus a deux ports; que la ville du
Pirée en a trois. Il n’en donne qu'un à Carthage, et avec raison, car s'il y avait deux
bassins bien distincts, l’un pour la marine militaire, l’autre pour la marine marchande,
il fallait indispensablement passer par le dernier pour arriver au Côthôn; il n'y avait
donc qu'un port, puisqu'il n’y avait qu'une seule entrée.
(3) Diodore de Sicile, liv. xvir, chap. 7. — Quinte-Curce, livre 1v, chap. 2, à, 4 et
5.— Pline, liv. v, chap. 47. — Plutarque, Vie d'Alexandre, $ 25. — Guillaume de
Tyr, loco citato. — Benjamin de Tudèle, p. 31. — Géographie d'Édrisi. Paris, 1836,
t. I, 3 climat, 5° section, p. 349.
Quand le P. Roger dit que Tyr a les deux plus beaux et plus assurés ports du Levant,
il parle du port septentrional ou intérieur, et de la grande rade qui le précède ; de même
Guillaume de Tyr donne à cette rade le nom de port extérieur, tandis que, pour l’auteur
du périple inédit que j'ai cité, le port et la rade ne forment qu'un seul port : «{Tyrus)
habens in angulo septentrionali juxta muros ejus insulas quibus ipsa in oriente habet
portum bonum quod etiam intra civitatem infra muros extenditur. »
A l'imitation du P. Roger, M. de Bertou reconnaît deux ports au nord : le bassin sep-
tentrional et le port du nord; il en trouve également deux au sud : le Côthôn et le port
Égyptien; il donne ainsi quatre ports à Tyr!
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 473
dentale de l'ile, dans une partie de cette côte où se remarque une
sinuosité assez profonde; il ignorait que, sur ce rivage, il règne
une ligne de rochers qui s'élèvent jusqu’à 12 mètres au-déssus du
niveau de la mer, ce qui aurait rendu impraticable tout embarque-
ment ou débarquement, et ce qui, indépendamment de plusieurs
autres motifs, doit éloigner l’idée qu'un port ait existé en ce lieu.
A la vérité, un peu plus au sud; se trouve une anse plusypetite
que la précédente; la côte s’est beaucoup abaissée, et sur le bord
de la mer, elle forme une plage de sable (1). Cette anse aurait
suffi à peine pour recevoir quelques navires; elle était ouverte à la
pleine mer et exposée à la violence des vents d’ouest ; enfin pour
yarriver, il aurait fallu passer sur un banc de rochers qui rendent
la mer impraticable de ce côté; et d’ailleurs, ce qui est plus con-
cluant que tout le reste, avant Ta submersion d’une partie de l’île,
l'anse n’existait pas, puisque la ville.s’étendait beaucoup plus vers
l’ouest; tous ces motifs me font croire que M. Barbié du Bocage
était dans l'erreur.
En cet endroit cependant il y a eu des travaux dont on trouve
lés vestiges; peut-être était-ce là que, depuis la submersion, se
réunissaient les barques de pêcheurs, mais il n’y faut pas cher-
cher l’un des ports de Tyr; et d’ailleurs ce second port était
situé du côté de l'Égypte; c’est donc au sud et non à l’ouest de la.
ville qu'on doit le retrouver. En effet, dans la partie méridionale
de Pile, la côte, partout ailleurs abrupte, s’abaisse tout à coup,
et la ligne de roches dures s’interrompt dans la longueur de
100 mètres au moins pour faire place à un rivage bas et unique-
ment formé de terres rapportées. Dans cette partie du rivage, les
Tyriens avaient fait des constructions dont les ruines n’ont pas
entièrement disparu (2).
(1) Cette plage de sable, ainsi qu'une autre interruption des rochers, située dans la
partie méridionale de l'ile, n’a point été remarquée par Buckingham ni par la plupart
des voyageurs,
(2) M. de Bertou, Lettre inédite et plan de Tyr.
74 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
C’est de ce côté, je n’en doute pas, qu'était le port que nous
cherchons. Consultons Arrien, il n’est pas de guide meilleur. À
plusieurs reprises, il parle des deux ports dont l'un était au nord
de la ville, du côté de Sidon, et l’autre au sud, du côté de l'Égypte.
Is étaient fermés, et l’on ne pouvait pénétrer dans chacun d’eux
que par une entrée étroite (1); Arrien le dit formellement (Apévov
rà crôwarz). Le port septentrional était de beaucoup le plus consi-
dérable et contenait la marine militaire des Tyriens ; c’est devant
ce port qu'après avoir réuni ses forces navales, le jeune conqué-
rant offrit la bataille aux Tyriens qui ne l’acceptèrent pas ; mais
pour empêcher que les Macédoniens ne pussent pénétrer dans la
ville par l’un ou l’autre port, ils s’empressèrent de fermer les
deux entrées en y plaçant des galères serrées les unes contre les
autres, et en aussi grand nombre que la largeur de chaque entrée
l'exigeait. Alexandre fit assiéger la ville par les Cypriotes du côté
du port Sidonien, et par les Phéniciens du côté du port Égyptien;
lui-même dirigea divers assauts pour pénétrer dans Tyr soit en
face de la chaussée, soit du côté qui regarde Sidon, entre le port
intérieur et la chaussée; n’ayant pas réussi, tous ses efforts se
portèrent au sud-est, entre la chaussée et le port Egyptien. Là
des machines de guerre parvinrent à pratiquer dans la muraïlle
des brèches par lesquelles ses troupes se précipitèrent dans la
ville. En même temps, les Phéniciens et les Macédoniens brisèrent
tous les obstacles, pénétrèrent dans le port Égyptien et détrui- :
sirent les vaisseaux tyriens qui s’y trouvaient. Du côté opposé,
les Cypriotes entrèrent dans le port Sidonien sans rencontrer de
grandes difficultés. Par ces détails, il demeure bien établi que,
d’après Arrien, Tyr, au temps d'Alexandre, avait deux ports,
que ces deux ports étaient fermés et que chacun d’eux avait une
entrée qui lui était spéciale. Nous connaissons le premier ; quant
au secend, je le retrouve dans le bassin triangulaire situé au sud
(1) Arriani De expeditione.…, p. 125-148. — Chariton, vu, 2.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 75
de l’île. Une entrée avait été ménagée à l'extrémité orientale de
l’épaisse muraille qui protégeait les navires contre les vents du
sud-ouest, eten même temps qui mettait le port à l’abri de toute
agression extérieure; cette entrée se trouvait, je n’en doute pas,
à l'endroit où, près du rivage, la muraille paraît se perdre sous
les sables qui ont beaucoup élargi la plage (1). Les navires ne pou-
vaient débarquer leurs marchandises que dans le lieu où la côte
est basse et où les Tyriens avaient fait des travaux, d'abord pour
garantir contre les vagues de la mer cet endroit de la côte qui
m'était formé que de terres rapportées, puis pour faciliter le
débarquement et l’embarquement ; les bâtiments devaient y abor-
der non simultanément, mais successivement (2).
Tel était l’état du port Égyptien du temps d'Alexandre. Par
l’affaissement de la grande muraille, il cessa d’être fermé et de-
vint le port ouvert dont parle Strabon (3). Alors ce port ne
serait autre chose que la partie septentrionale de la rade immense
comprise entre le rivage méridional de l'île et la chaussée
d'Alexandre au nord, la grande digue à l’ouest, et la plage phé-
nicienne à l’est. En attendant qu'ils pussent à leur tour appro-
cher du débarcadère, les bâtiments étaient garantis contre les
vents d'ouest par la longue digue qui se dirigeait du nord au
(1) D’après M. Movers, les sables poussés par les vents et arrêtés par la chaussée
d'Alexandre; auraient comblé non-seulement l'entrée du port Égyptien, mais le port
lui-même, qui était à l’est et au sud-est de la ville. Das phünizische Allerthum. erster
Teil, Buch 1, cap. 7.
(2) Sur le quai, des deux côtés du lieu que je viens de décrire, on voit encore les
ruines d’une longue suite de magasins voûlés. Ces magasins ne remontent pas à une
haute antiquité, car les voûtes sont en ogives, et elles remplacent probablement des
constructions plus anciennes qui avaient été renversées à une époque antérieure. (M. de
Bertou, Essai..…., p. 14-16.)
(3) Après avoir passé quelques jours à Tyr, saint Paul s'embarqua hors de la ville,
ayant été suivi jusqu'au rivage par les chrétiens récemment convertis. Saint Paul allait
à Ptolémaïs, et ce doit être au port Égyptien qu'ils s’embarqua. (Actes des apôtres,
chap. xxr.)
‘h76 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
sud (1), et contre Les vents du nord par la ville et par la chaussée
d'Alexandre; car, ne l’oublions pas, l’indication donnée par
Strabon se rapporte au temps où il écrivait, et à cette époque la
chaussée existait depuis plusieurs siècles.
De l'étude et de la comparaison des monuments historiques, il
me semble donc résulter qu’au temps où a été écrit le périple,
connu sous Le nom de Scylax, Tyr n'avait qu’un port; qu’elle en
avait deux à l’époque d'Alexandre, et que tous deux étaient en-
tourés de travaux importants dans lesquels on avait réservé des
espaces libres pour laisser pénétrer les bâtiments; qu’au temps de
Strabon, par l'immersion de la muraille méridionale, le port
Égyptien avait éprouvé un grand changement, et n’était plus
fermé. Dans les siècles postérieurs, Tyr, quoique puissante et
riche, ayant cessé d’être la reine des mers et l’entrepôt général
du commerce de l'Orient, Le port Sidonien plus grand, plus com-
mode et plus sûr que l’autre, parut assez spacieux pour toutes les
transactions, et fut fréquenté à peu près exclusivement par la
marine que la guerre, la curiosité ou les affaires commerciales
attiraient dans ces parages. Cette circonstance explique le silence
des auteurs du moyen âge sur le second port de la ville. Néan-
moins, les ruines observées au midi de l’île, font supposer que
quelques arrivages continuèrent à avoir lieu-de ce côté ; ils étaient
peu considérables, et les auteurs n’en ont pas tenu compte.
Sur le continent, en face de la ville et à environ 2000 mètres
de la plage, se trouve un rocher aujourd’hui appelé Maschouk ; il
(1) L'existence de cette immense jetée explique comment la chaussée était restée si
longtemps étroite et moins élevée que le niveau du continent. Depuis qu'il y a eu affais-
sement, par suite d'un de ces bouleversements si fréquents dans ces contrées, et toujours
si terribles, la mer, poussée par le vent du sud-ouest, ne rencontrant plus cet utile et
gigantesque travail, jelte sans cesse du sable sur la chaussée qui lui fait obstacle, de
telle sorte qu'en deux cents ans, comme je l'ai dit, la chaussée de 60 mètres est devenue
un isthme de 600 mètres de largeur, et que cet isthme en beaucoup d’endroits dépasse
aujourd'hui le niveau de l'île. f
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 177
peut avoir 200 mètres de circuit sur 45 mètres d’élévation (1).
Plus au sud, à 4 kilomètres 500 mètres du rocher, sont des bas-
sins ou fontaines que les voyageurs du moyen âge ont appelés
étangs ou puits de Salomon, et dont trois avaient recu, chez les
Grecs, les noms de fontaines Callirhoé, Abarbarée et Drosère.
Dans le pays, on les connaît sous le nom de Raz-al-Aïn, c'est-à-
dire, tête de la source (2).
On compte un puits principal, deux moins grands et plusieurs
petits. Tous forment un massif qui n’est point en pierre taillée
ou brute, mais en ciment mêlé de cailloux de mer. Du côté du
sud, ce massif s’élève d'environ 6 mètres au-dessus du sol, et de
5 mètres du côté du nord. De ce dernier côté s’offre une rampe
large et assez douce pour qu’un chariot puisse monter jusqu’au
haut du massif. La colonne d’eau qui remplit les puits se main-
üent toujours au niveau des bords, et, par conséquent, elle est
constamment élevée de 5 mètres au-dessus du sol. Cette eau n’est
point calme, mais elle ressemble à un torrent qui bouillonne et
elle se répand à flots par des canaux pratiqués aux bords des
bassins.
Le grand bassin, autrefois entouré de portiques, est aujour-
d'hui entièrement dégagé de construction, Son orifice est un
hexagone dont chaque côté a 8,40, ce qui suppose 16",80 de dia-
mètre. L’eau s'échappe par des ouvertures pratiquées à trois des
angles de ce grand bassin, et forme un petit ruisseau qui fait
mouvoir plusieurs moulins, et va se jeter dans la mer après un par-
cours de 400 mètres (3). Les deux bassins moins grands sont de
(4) Volney, Voyage en Syrie... t. IL, p. 197.
(2) Nonnos, Dionysiaques, liv.-xz, vers 363-65. Quand ils en parlent, les voyageurs
modernes, se servent indifféremment des expressions puits, fontaines, bassins, sources
et réservoirs. ;
(3) M. de Marcellus dit que les trois ouvertures donnent naissance à trois rivières,
dont deux portent bateau dès leur origine. Elles descendent toutes à la mer. (Souvenirs
de l'Orient, t. I, p. 407.)
VII, 61
178 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
cent vingt pas plus éloignés de la mer; ils sont de forme carrée,
Ils sont en communication entre eux, et autrefois ils communi-
quaient également avec le grand bassin par un canal porté sur
des arches aujourd’hui détruites. Le plus grand de ces puits passe
pour n’avoir pas de fond, c’est une erreur : il a de 8 à 10 mètres
de profondeur. Il est donc probable que M. de Lamartine se
trompe quand il dit que ces réservoirs sont de vastes puits arté-
siens inventés avant leur réinvention par les modernes. Il est
également probable que l’eau de ces réservoirs provient de fon-
taines jaillissantes, de même que la source du Loiret, et qu’elle
descend du mont Liban par des conduits souterrains, mais peu
profonds, puisque la température de cette eau est froide et moins
élevée que celle de l'air (1).
L’eau qui s’échappe des deux bassins moins grands est reçue
par un aqueduc dont il reste des ruines imposantes. Elle s’écoule
dans un canal qui, pendant une partie de son parcours, s'élève
peu au-dessus du sol, et qui, ailleurs, est porté sur des arches. Les
piles des arches ont 3 mètres de largeur et jusqu’à 6 mètres de
hauteur.
Le canal a environ 1 mètre de largeur sur 80 centimètres de
profondeur; il est formé d’un ciment plus dur que les pierres
mêmes, et recouvert de larges dalles qui portent sur les bords.
L’aqueduc se dirige d’abord vers le nord, puis, arrivé au pied
du monticule ou rocher de. Maschouk, il tourne tout à coup par
un angle droit à l’ouest, et se dirige vers Tyr. IL versait l’eau
dans un grand réservoir situé près du rivage; c'était là que les
Tyriens allaient la chercher, tant que leur ville fut entièrement
(4) Volney, Voyage en Syrie, 1. II, p. 198 et suiv. — Maundrell, Voyage d'Alep.…,
p. 84. — Guill. Tyr, Historia bell..., lib. n, cap. 30, p. 815, et lib. nr, cap. 3,
p. 840. — Sanuto, Géographie Plolémaïque, t. II, Liv. m, vr, p.157 b. — De Lamar-
tine, Voyage en Orient, t. A, p. 9. —M. de Bertou, Essai sur la topographie de Tyr,
p. 16 et suiv. — Robinson, Voyage en Palestine, p. 282. — Mgr Mislin, Les lieu
saints, 2° édit., Paris, 4859, t. IT, chap. xvur, p. 3 et suiv. <
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 179
entourée par la mer; mais l’aqueduc fut continué jusqu’à Tyr
lorsque cette ville eut été réunie au continent par la chaussée
d'Alexandre. C’est ainsi que l’aqueduc fait connaître de la ma-
nière la plus précise la direction de la chaussée dont il suivait,
à une petite distance de la mer, le côté septentrional (1).
Après avoir traversé cette chaussée, l’aqueduc amenait l’eau
des fontaines dans une citerne située sur l’ancienne côte orien- ‘
tale de l’île et renfermée dans une tour carrée aujourd’hui à peu
près en ruines.
Au sud de la tour carrée dont je viens de parler, toujours sur
l’ancienne côte orientale de l'île, existe encore une autre tour
carrée, avec une citerne qui recevait l'eau venant de l’aqueduc
principal (2).
Plusieurs arches étant écroulées, et, par conséquent, le canal
étant interrompu entre le rocher de Maschouk et la ville, l’eau ne
devrait plus arriver aux citernes dont je viens de parler. Volney
suppose que l’on avait ménagé, dans les fondations des arches,
des conduits secrets qui continuent toujours d'amener l’eau des
(1) Volney, Voyage en Syrie..., t. II, chap. xxx. Jean Coppin dit aussi : « L'aqueduc
conduisait ces eaux dans un grand bassin, proche de Tyr. » — M. d'Egmont, cité par
Desvignoles (Chr., p. 78), témoigne que, dans les sables pure de l’isthme, on trouve
les fondements de l'ancien aqueduc.
Diodore de Sicile et Quinte-Curce rapportent que les vagues de la mer, poussées par
un vent violent, rompirent la digue d'Alexandre, et Quinte-Curce ajoute : « Rex novi
» operis molem orsus, in adversum ventum non latere, sed recto fronte direxit ; ea cætera
» opera velut sub ipsa latentia, tuebatur. » (Liv. 1v, 8 3.) Cette phrase, d'ailleurs très diver-
sement interprétée, signifie, je crois, que pour reconstruire la chaussée, le roi com-
mença par faire établir, sur une certaine longueur, un travail préparatoire qui arrêtait
la fureur des vagues, et derrière lequel s’exécutaient les véritables travaux de la digue,
et quand ces travaux étaient achevés, on recommençait plus loin de la même manière.
De nos jours, c’est ainsi qu'on procède sur les grands fleuves et dans les ports de mer.
Je pense donc qu'on s’est trompé en trouvant dans la phrase de Quinte-Curce la preuve
que la seconde chaussée était dirigée du nord-est au sud-ouest, et qu'elle aboutissait
à l'angle sud-est de l'île. Le récit d'Arrien, et surtout la direction de l’aqueduc, donnent
à cette opinion le démenti le plus formel.
(2) M. de Bertou, Plan de Tyr, n° 47.
180 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
fontaines. Ce qui pourrait venir à l’appui de cette opinion; c’est
que, dans une fouille qui a été faite à Raz-al-Aïn, on a découvert
un aqueduc souterrain fort bien construit en petites briques, et
se dirigeant vers Maschouk, à peu près parallèlement à celui qui,
encore aujourd’hui, y conduit l'eau des puits (1).
Quelle qu’ait été la destination de cet aqueduc souterrain, ce
‘ que j'ignore, il est difficile d'admettre qu'il ait été construit,
comme l’aqueduc apparent, pour conduire l’eau des puits jusqu’à
Tyr, et qu'il se soit prolongéjusqu’à cette ville, En effet, des puits
au rocher, le canal, avons-nous dit, est peu élevé au-dessus du
sol ; en plusieurs endroits le terrain a été abaïssé et des arcades
ont été élevées sous le canal pour laisser passer les eaux pluviales
qui tombent dans la plaine. Si le conduit souterrain existait, il
serait interrompu par ces arcades bâties sous le canal; il l'aurait
été également par une vaste citerne qui fut construite au moyen
âge et qui passe précisément sous l’aqueduc. Il est donc probable
que les citernes ne reçoivent plus l’eau des fontaines Raz-al-Aïn,
que leur construction est antérieure à la prolongation de l’aque-
duc passant sur l’isthme, et qu’elles étaient destinées à contenir
l’eau venant des sources qui les alimentent encore actuellement.
À un kilomètre au nord des fontaines Raz-al-Aïn, entre la mer
et laqueduc, on rencontre trois antres bassins dans lesquels se
réunit l’eau douce et abondante de plusieurs sources voisines.
Aujourd’hui ce lieu se nomme Tul habeïst.
Le rocher de Maschouk, les fontaines et l’aqueduc étaient situés
dans la plaine de Tyr. Cette plaine était bornée à l’ouest par la
mer, au nord par le fleuve de laSéparation (Nahr-al-Kasmyié), à
l'est par une chaîne de collines (Gebel-al-Sour), qui, au sud, ve-
naient aboutir au cap Blanc.
A l'exception des immersions causées par des tremblements de
terre, il a été question jusqu'ici de l’île de Tyr telle qu’elle était
4) Volney, Voyage en Syrie…., t. II, chap. xxix, p. 203.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 81
à l’époque d'Alexandre et dans les temps postérieurs; mais plu-
sieurs siècles avant le conquérant macédonien, le sol que couvrait
la ville avait subi un notable changement qui n’a rien de com-
mun avec ceux qu'à diverses époques ont amenés les révolutions
physiques du globe.
Ce changement était le résultat des grands travaux que fit exé-
cuter le roi Hiram, contemporain de Salomon, et le souvenir en a
été transmis par deux historiens grecs, Dius et Ménandre d'É-
phèse, dont quelques phrases se trouvent reproduites dans les
œuvres de Josèphe.
Ménandre dit brièvement :
Oûros (Eipwuos) Éjuce rdv eboÜywpov, 421 rûv Te ypucobv xiova rdv êv vois
Toù Audc dyvébnxey.
Dius s’exprime d’une manière un peu plus explicite :
Oûrog Tù mods dvurolc pépn Tic TOO TpocÉyUGE, za weïlov +0 actu
moine * xaù roù Olupmiou Audç ro iepov af” Éaurd, dy év vicw, Gas Tv
peratd rômov, GuVAVE TA FUEL, xaù xpvcois dvabipacuw éxdouncev (1).
Aïnsi rapprochés l’un de l’autre, que signifient positivement
ces deux textes ? Dans quel lieu précis le roi Hiram fit-il exécuter
les travaux dont il est ici question? et d’abord, que veut dire le
mot Euyrchore ? 2k
Ne le demandons pas aux traducteurs ni aux commentate del i
Josèphe; malgré tous leurs efforts pour le découvrir, ils l'igno-
rent, et nous n’obtiendrions d’eux que des réponses vagues et
(4) Flavius Josephus, traduit en latin par Hudson, édit. d'Havercamp, 1726, 2 vol.
in-fol. Les deux passages sont rapportés deux fois par Josèphe; d'abord : Antiquités
judaïques, t. 1°’, Liv. van, chap. 5, $ 3, p. 434; puis Contre Apion, L. IE, liv. 1°", $ 47,
p. 448.
Les deux textes de Dius, ainsi que ceux de Ménandre, sont identiques, à l'exception
des mots # ycw qui ne se trouvent plus dans les Antiquités judaïques ; mais George le
Syncelle, qui a transcrit les passages de Dius, avait lu ces deux mots aussi bien dans les
Antiquités judaïques que dans la Réponse à Apion. Cependant, dans son texte, on lit: èv
cw, parce que les copistes, trompés par la prononciation, ont écrit év w, au lieu de &»
sic. (George le Syncelle, Chronographie, p. 183 b.)
482 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
pleines d'hésitation, hésitation qui se manifeste surtout par la
manière si diverse dont ces deux passages sont entendus et rendus.
On rencontre en effet des discordances frappantes non-seulement
entre les versions des différents traducteurs, ce qui peut se con-
cevoir; mais, ce qui est beaucoup moins concevable, entre les ver-
sions d’un même traducteur qui, rencontrant un texte déjà traduit
par lui, ne se copie pas, et fait de nouveaux efforts pour rendre
le sens de mots qu’il craint de n'avoir pas suffisamment compris
la première fois. Pourquoi ces variantes ? Pourquoi tant d'efforts
inutiles? C’est que, si l’on cherche uniquement dans la significa-
tion des mots le sens des passages cités par Josèphe, ils ne peu-
vent être parfaitement entendus; car ils rappellent avec une
grande précision, mais en même temps avec une concision ex-
trême, des faits qui ne deviennent clairs que pour quiconque a
pris une connaissance exacte de l'histoire de Tyr dans les temps
anciens, et est parvenu à cette connaissance par la recherche, le
rapprochement et la comparaison de tout ce qui était propre à
l'éclairer. J’ajoute que celui-là seul peut saisir le véritable sens
des mots et arriver à une interprétation exacte, qui cherche avant
tout à découvrir quelle a été la pensée de l’auteur, et se garde bien
leJaisser fausser son jugement par l’idée que semble présenter
Ê LL. de phrase pris séparément, bien moins encore par
importance excessive attribuée à un mot isolé.
-Des principes passons à l'application, Hudson traduit :
Ménandre, Antiquités judaïques : «Hic aggeravit amplum qui di-
» citur locum etauream columnam posuit quæ in Jovis est templo. »
Ménandre, Contre Apion : « Hic aggere vastum qui dicitur locum
» exæquavit, prætereaque auream columnam in Jovis templo col-
» locavit. »
Dans ces deux versions les mots sont différents, mais le sens
reste à peu près le même; il n’en est pas ainsi dans les deux ver-
sions du passage de Dius.
Dius, Antiquités judaïques : « Hic ad orientalem urbis plagam
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 483
» aggeres comportavit, urbemque ampliorem reddidit, atque Jovis
» Olympii templum, seorsum positum, spatio quod intercedebat
»terra repleto, urbi annexuit, ornavitque aureis donariis. »
Dius, Contre Apion : « Hic partes urbis orientales aggere cinxit,
» et ampliorem eam reddidit; et Olympii Jovis templum, ab omni
» vicinarum ædium strue sejunctum, et in insula positum, aggere
» interjecto copulavit urbi, et aureis donariis exornavit. »
Arnauld d’Andilly traduit d’abord la citation de Ménandre :
« Ce prince agrandit l’île de Tyr, par le moyen de quantité de terre
qu'il y fit porter, et cette augmentation fut nommée le grand
champ. Il consacra aussi une colonne d’or dans le temple de
Jupiter. »
Puis il traduit une seconde fois :
« Il joignit à la ville de Tyr, par une grande chaussée, l’île
d'Erycore, et y consacra une colonne d’or à l’honneur de Ju-
piter. »
Les deux sens ne sont pas seulement différents; ils sont pres-
que contradictoires. Les traductions du passage de Dius offrent
également des différences qu’on a peine à concevoir.
Antiqg. : « Hiram fortifia la ville de Tyr du côté de l’orient, et
pour la joindre au temple de Jupiter Olympien, fit remplir l’es-
pace de terre qui l’en séparait. 11 donna une fort grande somme
d’or à ce temple. »
C. Apion : « Hiram accrut les villes de son royaume qui étaient
du côté de l'orient, augmenta beaucoup celle de Tyr, et par le
moyen des grandes chaussées qu'il fit, y joignit le temple de
Jupiter Olympien, et l’enrichit de plusieurs ouvrages d’or (1). »
(4) Les premiers mots du texte de Ménandre sont ainsi traduits par Rufin : « Hic effo-
» dit amplom terræ spatium, » — Gelenius (Sigismond de Gélénis) traduit d'abord : « Hic
> aggessit ad insulam agrum qui dicitur amplum » ; puis : « Hic aggere conjunxit Eurycho-
» rum. »— Le père Goar (édit. de George le Syncelle, 1652, note, p. 52) : « Aggere com-
» posito, vastissimum exæquavit locum. » — Vitringa (p. 671): « Hicagrum latum, qui
» dicitur, humo aggessit. »—Whiston : « He raised a bank in the large place »: puis: « He
>» raised a bank on that called the Broad place. » —M. Letronne (dans l'Essai sur la topo-
L8h RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Les explications et interprétations sont-elles plus heureuses ?
Nous allons en juger. |
Joseph Scaliger, cherchant ce qu’il faut entendre par le mot
Eurychore, rapporte le passage suivant de Strabon :
« Carthage est située sur une presqu'île entourée d’un mur qui
a 360 stades de circonférence et 60 stades dans la partie qui, d’une
mer à l’autre, traverse le col de l’isthme; là se trouvaient les loges
des éléphants et une vaste place. » Ürou rois Kapyndoviou Zoav ai Tôv
Sheodvrov oréceis ai Toros edouyowpc (1).
P PUxX@P
graphie de Tyr, par M. de Bertou) : « Hiram éleva, par des terrassements, l'esplanade, xd
edpoywpoy. » — Rufn traduit ainsi le passage de Dius : « Hic partem civitatis positam ad
» orientem diruit, et majorem urbem effecit; et Olympii Jovis templum destruens, medium
» locum civitati conjunxif, et aureis anathematibus exornavit. » —Vitringa : « Hicorienta-
» lem orbis partem aggeribus auxit, afque eo urbem ampliavit ; et Jovis Olympiüi templum,
» quod ante separatum erat, spatio medio aggeribus repleto, cum urbe conjunxit: » —
Whiston, Antiquités : « He raised the eastern parts ofthe city higher, and made the city
» itself larger. He also joined the temple of Jupiter, wich before stood byitself, tothe city,
» by raising a bank in the middle between them, and he adorned it with donations
» of gold. »
Contre Apion : « This king raised banks at the eastern parts of the city, and enlarged
»it; he also joined the temple of Jupiter Olympus, wich stood before in an island by
» itself, Lo the city, by raising a causeway between them, and adorned that temple with
» donations of gold. »
M. Letronne : « Hiram exhaussa le sol de la ville du côté de l’ouest (lisez : est), aug-
menta la ville propre de Tyr; le temple de Jupiter Olympien, qui était isolé dans une
île, il le joignit à la ville par une chaussée et l’enrichit de plusieurs offrandes en or. »
(1) La savant M. Coray a été d'avis de supprimer le mot xœi (et) à la fin du passage
cité de Strabon; et M. Letronne, adoptant cette version, a traduit : « là se trouvaient les
loges des éléphants établies dans un lieu vaste. »
Tous deux ont commis une étrange erreur. En effet, on sait par Appien, qui avait
puisé ses renseignements dans Polybe, que du côté de l'isthme, Carthage avait une
triple défense, et que les loges des éléphants avaient été pratiquées dans l'épaisseur des
murs; on sait aussi, que dans la partie méridionale de la ville, et du côté de la langue
de terre appelée Tænfa, il y avait une grande place, celle que le consul Censorinus
trouva remplie de soldats carthaginois lorsqu'il espérait pouvoir pénétrer dans la ville
par la brèche que deux énormes béliers avaient faite et que les assiégés n'avaient pu
réparer pendant la nuit.
Les Carthaginoïs, je pense, n'avaient pas ménagé le Téros Edpoywpñs dont parle
RECHERCIIES SÛR TYR EMMPALÆTYR. 185
Scaliger ajoute que Carthage étant une colonie des Tyriens, on
y aYait ménagé un grand champ à l'instar de celui qui était à Tyr.
Desvignoles, adoptant l’idée de Scaliger, pense que le grand
champ ou la grande plaine dont il est ici question est la plaine
Située sur le continent en face de l’île, celle que l'archevêque
Guillaume a si bien décrite, que Maundrell a traversée en sortant
de la ville, et dont ‘tous les voyageurs ont parlé après lui. Cette
opinion n’est point admissible, la plaine de Tyr sur le continent
n’est point l'Eurychore de Ménandre; et en effect, dans la Bible
ainsi que dans les écrits de Strabon, je Josèphe, de saint Jérôme,
d'Eusèbe,…., il est fréquemment question de la grande plaine
d'Esdrelon, de Sidon, de Dothaïm, de Saron et de plusieurs au-
tres encore. Pour désigner ces plaines, souvent fort étendues,
come la vallée entre le Liban et l’anti- Liban, presque toujours
le mot redioy est employé, quelquefois ävhôv, pour désigner une
Vallée profonde et encaissée, jamais Les ou y6pz. Or la plaine par-
‘courue par Maundrell, indiquée par Desvignoles, décrite autre-
fois par Guiliaume de Tyr et récemment par M. de Bertou, a
48 kilomètres de longueur sur 8 kilomètres de largeur dans sa
partie la plus étendue. Le mot y&p0s, même le mot Eÿsiywpos, ne lui
conviennent pas; c’est bien là péyz rediov (1).
Strabon, c'est-à-dire la grande place, uniquement pour imiter les Tyriens, chez lesquels,
du reste, l’île d'Eurychore était couverte d'édifices depuis le temps de Hiram, et par
conséquent n'existait plus comme place un siècle et demi avant le départ de la colonie
qui fonda Carthage ; mais les Carthaginois avaient réservé ce vaste emplacement, parce
qu'ils avaient voulu une place d'armes dans l’intérieur de leurs murs; et pour la dési-
* gner, Appien n'emploie pas le mot Ed:vywpos, il se sert des expressions Ti xedéov
&yroç (une espèce de plaine intérieure), expressions qui donnent bien une idée de ce vaste
champ de Mars, capable de contenir un grand corps d'armée.
Joseph Scaliger, Ad fragmenta emendationi temporum addita, p. 26. — Géographie
de Strabon, traduite par MM. Laporte-Dutheil, Gosselin et Letronne, in-4°, t. Y,
liv. xwr, p. 472, de la traduction, p. 832 du texte. — Appien, Guerres puniques,
Jiv. var, 86 95 et 98.
(1) Reland, Palæslina ex monumentis veleribus illustrata, 2 vol, in-4, lib. r, cap. 55,
p. 359 ct seq. —To péya medioy Zudéuos… (Joseph, Antig. jud., liv. v, chap. 2,
VII, 62
186 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Ce n’est pas tout; ayant dit que la grande plaine de Tyr était
Eurychore, Desvignoles est amené à placer également sur le con-
tinent, dans une partie de cette plaine, la ville où résidait le roi
Hiram. D’après lui, les Tyriens insulaires avaient, depuis long-
temps, fondé cette ville continentale dont Hiram fortifia le quar-
tier oriental. Un autre travail de ce prince, ce fut de joindre le
temple de Jupiter Olympien, qui était dans l’île, à la ville conti-
nentale, et il exécuta cette réunion au moyen d’une chaussée qui,
plus tard, fut emportée par Les flots de la mer, avec ou sans l’aide
des Tyriens. Telle est l'interprétation donnée par Desvignoles
aux passages de Dius et de Ménandre cités par Josèphe @).
Avant Desvignoles, dom Calmet avait dit aussi que Hiram fit
une chaussée pour réunir Tyr continentale à l'ile où se trouvait
le temple d'Hercule (2). 1e.
M. Movers place ailleurs la chaussée de Hiram. Voici son opi-
nion sur cette chaussée et sur l'Eurychore. Tyr insulaire étaith
bâtie sur deux îles, une grande et une beaucoup plus petite. Par
des travaux considérables et en empiétant sur la mer, Hiramaug-
menta au sud-est ei à l’est l'étendue de la grande île, Cette con-
quête sur la mer formait une partie de l’Eurychore, qui s’éten-
dait également sur l'ile jusqu'au port intérieur. L’Eurychore
n’était point entièrement couvert de maisons; on y avait réservé
une grande place publique où s’assemblaient les Tyriens, et qui
conserva le nom d’Eurychore. Là se trouvaient aussi les divers
p. 450 a.— Guerres des Juifs, liv. 1v, chap. 3.) — Iedoy xothoy, plaine profonde,
vallée du Jourdain. (Strabon, liv. xvr, p. 755.) — To peyéha media, magni campi, les
grandes plaines. (Polybe, éd. de Schrveighæuser, 1770, fragments du livre x1v, chap. 7,
t. IT, p. 478.)— Guill. Tyr, lib. xun, cap. 3, p. 834 : « Licet inipso mari (Tyrus) sita
» sit, et in modum insulæ tota fluctibus ambietur,'habet tamen pro foribus latifundium
» per Omnia commendabile, et planitiem sibi continuam divitis glebæ et opium soli. » —
Maundrell, Voyage d'Alep..., p. 83.
(4) Desvignoles, Chronologie de l'histoire sainte et des histoires étrangères. Berlin,
4738, in-4°, €. I, Liv. 1v, chap. 1, $ 2, p. 66 et suivantes.
(2) Dom Calmet, Commentaires sur Josué, chap. x1x, vers. 29.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR, 187.
établissements de commerce ; il y avait encore des citernes, des
jardins ; enfin on y cultivait de la vigne et des oliviers. À cette
époque, l’Eurychore n’était encore qu’un faubourg de la ville. La
petite île était D | l’ouest-nord-ouest de la précédente. C'était
dans cette.seconde île que se trouvait le temple d'Hercule, que Dius
appelle Jupiter Olympien. Par une chaussée, Hiram la réunit à la
grande ile. Elle a entièrement disparu par suite de tremblements
de terre (1).
M. de Bertou assigne une tout autre position aux travaux exé-
cutés par Hiram (2). Entre l’île où généralement on place Tyr, et
dont une partie est encore occupée par la moderne Tsour et la
terre ferme, il a existé une autre île qui reçut la colonie venue de
Palætyr et fut la première demeure des Tyriens. À l’ouest de cette
île, voisine du continent et qui occupait la plus grande partie de
l’espace qu’on attribue communément au détroit, il y avait un
terrain bas et marécageux appelé Eurychore. Hiram le fit exhaus-
ser par des terrassements, afin de pouvoir y étendre la ville, Le
temple de Jupiter était dans l’île la plus occidentale, mais Hiram
jeta une chaussée entre les rives des deux îles que séparait nn
détroit de 50 à 60 mètres. Cette chaussée subsista jusqu’au jour
où Nabuchodonosor ayant comblé un premier détroit de 150 mè-
tres, qui existait entre le continent et l'ile alors habitée par les
Tyriens, ces derniers se réfugièrent dans la seconde île, celle que
plus tard assiégèrent les Macédoniens. Furieux de la trouver
presque déserte, il passa au fil de l’épée ce qui restait d’habitants
(1) Movers, Das phün., erster Theil, Buch I, cap. 7.— Chariton dit qu’il y avait un
Eurychore (Edpuywpix) dans l’île d'Arados, et, d'après Achille Tatius, on trouvait dans
l'Eurychore de Tyr des oliviers, de la vigne et des jardins de plaisance. M. Movers
invoque le témoignage des deux romanciers auxquels on doit accorder le degré de con-
fiance que mériterait l’auteur de Pharamond pour la description d'une ville de France
au y° siècle; ou, si on l'aime mieux, Fénelon pour la description de Salente.
Avant de rechercher si l'Eurychore est le magnus campus de Justin, il faudrait dé-
cider si le massacre des Tyriens par leurs esclaves est une histoire véritable.
(2) De Bertou, Essai. , p. 75.
188 RECIIERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
et fit raser ensuite la ville jusqu'aux fondements. Une fois réfugiés
dans cette seconde île, les assiégés durent, pour éviter d'y être
poursuivis par Nabuchodonosor, couper la chaussée qui les réu-
nissait à la ville qu'ils venaient d’abandonnef, et ce fut de cette
‘manière qu'environ 572 ans avant J.-C., les Tyriens s’établirent
dans l'île qu'Alexandre joignit plus tard au continent.
Si les choses se fussent passées ainsi que le dit M. desBertouil
y aurait lieu de s'étonner, en effet, que les Babyloniebs n’eussent
pas poursuivi les Tyriens dans la seconde île. Ils étaient parvenus
à combler un détroit de 450 mètres de largeur; il était beaucoup
moins difficile de faire une chaussée de 50 mètres, surtout lorsque
la ville prise fournissait de si nombreux matériaux.
M. de Bertou s’est trompé en traduisant le passage de Dius ; il
a remplacé le mot est (rpds dvaro\xc) par le mot ouest; de là une
suile d'erreurs.
Quant à M. Movers, dont le travail, au reste, est si remarqua-
ble, il a exagéré, je crois, l'importance des travaux de Hiram vers
l’est de la ville, et il me semble n'avoir pas compris les travaux
de terrassemeut qui furent exécutés pour joindre à Tyr l'ile où
se trouvait le temple de Jupiter.
À mon avis, Hiram n’agrandit pas l'ile en comblant une partie
du détroit ; il ne bâtit pas sur pilotis le mur qui servait à enclore
la ville de ce côté (1); il exhaussa et nivela seulement le sol; c'était
déjà un assez grand travail, puisqu'on y trouve jusqu'a 3 mè-
tres de terre el qu'on a pu y pratiquer des puits ou citernes ; mais
je suis persuadé que, sous cette terre rapportée, on doit rencon-
trer Île roc qui sert de base à l'île entière. à
Enfin l'historien grec dit positivement que le travail de Hiram
fut exécuté à lorient de la ville ; si donc, la ville royale était sur le
continent, comme le veut Desvignoles, c’est à l'occident de cette
(1) Récemment M. Robinson a vu quelques restes du double mur qui entourait l'ile
du côté de l'isthme.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 189
ville qu'étaitd'île, et que, par conséquent, la chaussée fut exécutée.
Ou bien, pour admettre le sens de Desvignoles, il faut supposer
qu'il n'y a aucune connexité entre les deux phrases de Dius;
squ'aprèseavoir parlé de la partie orientale que Hiram fortifia et
.étendit, il nous reporte vers l'occident où a dû être faite la jetée;
tandis que par la lecture du passage entier, il reste évident qu'il
n’est question que d’un seul et même travail de terrassement ;
F + il faut supposer que, dans la même phrase, les deux mots T006-
éywe el éyyécas, qui, avec certaines nuances, représentent bien la
même idée, sr 4 employés, la première fois pour exprimer la
construction d’uñ mur d'enceinte, et la seconde fois pour signifier
l'exécution d’une chaussée. Ce qui est une explication fort arbi-
traire et tout à fait inadmissible. J’ajoute que la construction de
la chaussée n’a été attribuée à Hiram par aucun historien ancien;
elle n’existait pas avant Nabuchodonosor, et, dans les prophéties
sur le siége de Tyr par le grand roi, il est parlé des fatigues que
supportèrent les Babyloniens pour pénétrer jusqu’à la ville.
Laissons là toutes ces interprétations que je crois erronées et
que j'ai dû néanmoins faire connaître, afin de prévenir les objec-
tions qui pourraient m'être faites. Il est temps que je dise com-
ment je pense que doivent être traduits et entendus les deux textes
qui nous occupent, car il est bien évident que le passage de Dius
et celui de Ménandre ont rapport aux mêmes travaux exécutés
par le même roi de Tyr.
Je traduis ainsi :
« Hiram éleva par des remblais lé sol de l'Eurychore, et con-
sacra la colonne d’or dans le temple de Jupiter (1). »
« Hiram fit un remblai pour étendre la partie orientale de la
ville et agrandit la ville proprement dite (&rv); ayant comblé l'es-
pace qui la séparait d’une île où se trouvait, isolé, le temple de
L:
,
(1)° Ou plutôt : le temple du Grand Dieu, c'est-à-dire d'Hercule, principale divinité
des Tyriens.
L
190 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Jupiter Olympien, il joignit ce temple à la ville (ri), et l’orna
d’offrandes en or.» ai
Voici maintenant comment je comprends ces deux passages:
À L stades du continent, il y avait deux îles d'inégalé en
séparées par un canal quise dirigeait du sud au nord. Parles.
poëtes et par les monnaies tyriennes, nous savons qu’elles ont
été appelées îles Ambrosiennes ou rochers Ambrosiens (Ap6pocte
méres, Ambrosiæ petræ). Dans l'ile la plus grande et la plus occi-
dentale était bâtie la ville de Tyr, la résidence du roi Hiram (doru)se
le temple d'Hercule se trouvait dans l'ile la plus petite et la plus
orientale, située ainsi entre Tyr et la terre fe. mais beau-
coup plus près de la ville que du continent. Cette île, où était le
temple d'Hercule, n’était alors qu’un rocher stérile, ne contenait
aucun autre édifice, et, par cette raison, les Tyriens lui don-
naient un nom que l'historien grec traduit par Eurychore, ou la
grande place.
L’Eurychore avait deux pentes : l’une à l’ouest, du côté de la
ville, et l’autre à l’est, du côté du continent. La première était
plus rapide, la seconde était beaucoup plus étendue, et nécessita,
pour obtenir un nivellement, de grands travaux de terrasse-
ment (rpocéywce) que protégea un mur de soutenement. Le mur,
de ce côté, remplaca les rochers qui, partout aïlleurs, arrêtaient
les flots de la mer.
Le canal qui était à l’orient de la ville et qui séparait les deux
îles, ayant peu de largeur et peut-être peu de profondeur, Hiram
le fit combler (£yx6oac), nivela le sol du rocher, et par là il agran-
dit la ville (ré) dans sa partie orientale. En effet, elle s’accrut
et de la largeur du canal comblé et de toute l’étendue de la petite
île réunie. Le roi de Tyr combla non pas la totalité, mais seule-
ment la plus grande partie du canal, réservant au nord un espace
étendu qui devint le port intérieur.
Par l'étude et la comparaison, non pas de quelques phrases
isolées, mais de tout ce qui a été écrit sur Tyr, j'étais arrivé à ne
RECHERCHES SÛR TYR ET PALÆTYR. 491
plus rien trouver d’obscur dans les textes cités plus haut et si di-
versement interprétés ; il me semblait bien. que mon opinion sur
l'état ancien de Tyr était l'expression de la vérité; mais pour ar-
river à une certitude à cet égard, il fallait que la péninsule actuelle
fût soigneusement explorée. L’exploration a eu lieu; elle a été
faite avec autant-de zèle que d'intelligence par M. de Bertou, qui,
pendant plusieurs années, a résidé et voyagé en Orient.
Au nom de la Société de géographie de Paris, je lui adressai une
série de questions ; je lui demandai :
» 1° De relever les côtes de la péninsule, depuis A jusqu’à B, et
indiquer les points où la côte est abrupte et ceux où la côte est
basse.
2° D'examiner et de faire connaître sila presqu'île offre quelque
accident de terrain, et si le point E, que je supposais être le milieu
de l’ancien canal, n’était pas moins élevé que les points C et D,
#4 placés à peu près au centre des deux îles.
3° De rechercher si, au fond du port septentrional ou intérieur
F, on trouve dela pierre dure, ou au moins des terrains qui ressem-
blent aux autres rives du port et aux côtes voisines a, a, a, ou si
l’on trouve uniquement de la terre rapportée.
4° De suivre par quelques fouilles la direction du canal vers la
partie méridionale de la presqu’ile actuelle G.
5° De s’assurer autant que possible s’il a existé un canal partant
du point H, appelé port Égyptien par M. Barbié du Bocage, et
venant se réunir au grand canal qui se dirigeait du sud au nord.
6° Enfin, pour être sûr de retrouver le canal autrefois comblé,
de creuser, de distance en distance, et à une certaine profondeur,
dans la direction de l’ouest à l’est I et J, et de dire si la pierre
dure n’a pas été trouvée en certains endroits, tels que 4,1, 2,9,
et si au contraire on n’a pas rencontré des terres évidemment
rapportées entre ces deux points (1).
(1) Bulletin de la Société de géographie, 2° série, t. IX, p. 48.
L 4
492 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Les réponses de M. de Bertou ne s€ firent pas longtemps atten-
dre. Elles étaient accompagnées d’un plan de Tyr exécuté avec un
soin bien digne d’éloges, et sur lequel toutes les fouilles, tous
les relevés ont été indiqués avec la plus grande Lo
Que contenaient ces réponses ? Le voici :
1°« Sur le plan j'ai indiqué par des hachures en As du
trait, les endroits où la côle est abrupte, et par des numéros de
référence l'escarpement des rochers.
2% » Les points C et D ne sont pas les points culoinante Les
a 61 et 62 de mon plan indiquent les points qui m'ont P°
s en au-dessus du niveau général.de la presquäile ; mais je d
faire observer que les ensablements et les amas d décombress
ont dû changer les anciens niveaux (1).
3° » En creusant au fond du port septentrional, on ne trouve
que des terres rapportées mêlées avec le sable que la mer ne
cesse d'y amener depuis que le mur qui le fermait au nord a éte
presque entièrement renversé. Dans les tranchées 56 j'ai trouvé
l’eau salée à 2 mètres de profondeur. Les côtes a, a, a sont des ro-
chers, tandis que le fond du port est de terre rapportée. L'espace
compris entre la limite actuelle et l’ancienne limite du port est
maintenant couvert de maisons. Les limites de l’ancien port sont
marquées par des restes de quais bâtis de grosses pierres et par
des fûts de colonnes qui servaient à amarrer les bateaux.
L° » Après avoir reconnu par des fouilles qu’il n’y avait que des
terres rapportées au fond du port septentrional, j'ai pu suivre la
direction du canal qui séparait les deux îles, soit par les rensei-
gnements que m'ont fournis les habitants et les maçons, soit en
visitant moi-même les citernes. J’ai trouvé qu'entre les lignes 71
(1) Ilimporte peu, on le comprend, que les points C et D ne soient pas des points
culminants. Je voulais m'assurer si, par Ja simple inspection du terrain, on pouvait
encore suivre la direction de l’ancien canal; les ensablements et les amas de décombres
ont tout nivelé, cela se conçoit. Du reste, les réponses suivantes ne laissent pas le
moindre doute sur cette direction.
à
! RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 193
on rencontre invariablement l’eau salée après une couche de dé-
combres et de terres rapportées de 2 mètres à 2°,50, et qu'en
dehors de ces lignes on rencontre le roc à 1,50 ou 2 mètres.
Ayant ainsi établi la direction du canal dans l’intérieur de la ville
actuelle, il me restait à chercher à quel point de la côte méridio-
nale il avait pu aboutir. Les fouilles que j'ai fait exécuter parais-
sent démontrer que le canal aboutissait à l’endroit où j'ai indiqué
un débarcadère sous les n°* 11,41, puisque en effet j’ai trouvé
l'eau salée à 3,40 dans la tranchée 67, et le rocher à 3 mètres
dans les tranchées 68, 68. »
Sur son plan de Tyr M. de Bertou donne, en outre, des indica-
tions sur trois autres fouilles :
« 27. Jusqu'à 4",50 de profondeur, rien que des décombres.
29, 29. Deux enfoncements dans lesquels on a fait des tranchées
de 3 mètres sansitrouver autre chose que des décombres. »
5° «ILn’y, a rien sur la côte occidentale qui puisse être appelé
un port: Les golfes formés par les sinuosités de la côte sont si
petits, qu'à peine pourrait-on y abriter quelques barques de pé-
cheurs.…. s'ils n'étaient encombrés d’écueils. Il n’y en a qu'un
seul, et c’est le plus petit de tous, dont l'accès soit libre; il est
indiqué sur le plan sous le n° 23. Celui-là pourrait bien être l'ou-
verture d’un autre canal..Les tranchées que j'ai fait exécuter sem-
blent être en faveur de cette supposition; mais, pour arriver ?
une certitude, il faudrait de longs et dispendieux travaux. »
Au fond de cette anse et à, 3 mètres de profondeur, M. de Ber-
tou a trouvé un dallage en très grandes pierres; à gauche, n° 24,
la roche vive sous une couche de 3 mètres de décombres, et à
droite, n° 26, à 1",10, un mur de 1 mètre d'épaisseur. Ces deux
points, 24 et 26) ne sont distants l’un de l’autre que d'environ
80 mètres. Dans quel but avaient été faits ces travaux? Nul ne
peut le dire positivement. Peut-être les barques de pêcheurs se réu-
nissaient-elles sur ce lieu. Était-ce l'entrée d’un étroit canal allant
rejoindre celui qui séparait les deux îles? C’est possible; mais
VII. 63
L9/4 : RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
jusqu'ici rien ne le prouve. Sans frais dispendieux et au moyen
de-deux outtrois fouilles, il serait facile de s’en assurer.
On le voit, les renseignements si nombreuxetisiprécis donnés
par M. de Bertou confirmaient de tous points mes conjectures.
Les fouilles avaient été exécutées comme je l'avais désiré, dans
les lieux que j'avais indiqués et dans d’autres encore, et partout
on avait trouvé, comme je l'avais prévu, ici le roc dur, là des
terres rapportées. Même résultat pour l'exploration des côtes. Si
quelque chose pouvait encore donner plus d'importance et d'auto-
rité aux réponses de M. de Bertou, c'était cette circonstance digne
de remarque, qu'il ignorait dans quel but les questions lui avaient
été adressées. « Peut-être, écrivait-il le 4 octobre 1838, mes re-
cherches auraient-elles été plus fructueuses si j'avais été instruit
des motifs qui avaient fait dicter les questions. » Je m'étais bien
gardé de lui donner connaissance de ces motifs. L’ignorance
même dans laquelle je l'ai laissé, et qui lui a permis de n’avoir
point à se préoccuper de la solution des difficultés, accroît encore
la confiance qu'à si juste titre inspiraient déjà son instruction et
son zèle.
Le doute n’était plus possible; après vingt-huit siècles, il deve-
nait facile de dire ce qu'était, avant Hiram, le sol occupé par la
ville de Tyr, et d'indiquer avec précision les changements et les
agrandissements dus à l'intelligence eu à la persévérance de ce
prince. Mes questions sur Tyr avaient vivement préoccupé M. de
bertou. Il a publié sur la topographie de cette ville, un mémoire
dans lequel il arrive à des conclusions que je ne crois pas exactes
ei qui ne peuvent en rien modifier mon opinion (1).
Trompé par l’assertion de Volney, frappé du grand nombre de
celonnes renversées qui se voient encore dans l'intérieur et au-
iour du bassin triangulaire situé au midi de l’île ; enfin, inter-
(1) Ce mémoire est accompagné de deux plans. Le premier est la reproduction un
peu modifiée de celui qui a paru dans le Bulletin de la Sociélé de géographie, et qui avait
été dressé d’après les fouilles et les relevés exécutés pour répondre à mes quéstions.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 495
prétant mal la phrase citée plus haut et extraite du liber Riveria-
rum, M. de Bertou a cru que le canal avait été creusé pour établir
une communication entre le port septentrional et le bassin mé-
ridional, qui, suivant lui, ne communiquait pas immédiatement
avec la mer, et auquel il donne le nom de Côthôn, regardant le
Côthôn de Carthage comme une imitation de celui de Tyr.
Je ne discuterai pas ; ce que j'ai dit du siége de Tyr par Alexan-
dre et des travaux de Hiram montre assez que mon opinion dif-
fère beaucoup de celle de M. de Bertou ; il m’est impossible cepen-
dant de ne pas faire remarquer que, dans Arrien, on lit claire-
ment et positivement exprimé que le port méridional avait son
entrée du côté de l'Égypte; que dans aucun auteur on ne trouve
un seul mot qui laisse soupconner l’existence d’un canal traver-
Sant la ville pour faire commaniquer entre eux deux ports éloi-
gnés l'un de l’autre de toute la longueur de Tyr.
Dans un document fourni par le général Vial au Ma Jaco-
tin pour la construction de la carte d'Égypte, nous lisons que les
deux tours situées à l'entrée du port sont bâties sur des lits de
colonnes renversées, et que la mer, qui en ronge le pied, en a mis
une partie à découvert. M. de Bertou nous apprend que les deux
murs s'étendant au nord et au sud des deux tours reposent sur la
roche dure qui, peut-être, sert également de base aux lits de co-
lonnes dont parle le général Vial; de même, à son extrémité
occidentale, la jetée du nord est appuyée sur un rocher. Volney
l'avait remarqué et en avait conclu, un peu légèrement, que le
port de Tyr avait été creusé de main d'homme. M. Düreau de la
Malle crut devoir admettre, comme parfaitement exact, un fait
énoncé ‘par un voyageur qui, généralement, à très bien vu
et bien décrit les lieux parcourus par lui. M. de Bertou à suivi
l'éxemple de M. Dureau dela Malle (1). Contrarrement à l’asser-
(1) Volney, Voyage en Syrie.…, t. M, p: 106. — Dureau de la Malle, Recherches sur
la topographie de Carthage, p. A4. — De Bertou, Essai sur lu topographie de Tyr, p.12.
196 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
tion de Volney, si facilement acceptée, je suis persuadé que si
une exploration sérieuse était faite, on ne tarderait pas à recon-
naître que les rochers qui se trouvent à l’est et à l’ouest du port
sont les deux extrémités des deux îles sur lesquelles la ville a été
bâtie; et que les Tyriens, loin d’avoir eu à creuser leur port,
avaient eu à exécuter un travail de remblai pour restreindre l’es-
pace occupé primitivement par la mer.
Ce remblai, je n’en doute pas, a fait disparaître l’ancien port,
celui où abordèrent les diverses colonies qui ont contribué! à la
fondation deT yr, et d'où sortaient les navires de cette ville, qui, dès
son origine, établit des relations commerciales avec les contrées
lointaines, Le port, antérieur aux travaux exécutés par Hiram, ne
doit pas être cherché sur les côtes de l’Eurychore, puisque alors
cette île n’était pas habitée ; et la grande île étant partout hérissée
de récifs et de rochers, excepté du côté du bras de mer par le-
quel elle LAS séparée de l’Eurychore, c'est sur le bras de mer
qu’a dû exister le port des premiers Tyriens. Exposé aux vents
du nord et du midi qui agitaient la mer dans le canal entre les
deux îles, le port était peu sûr et peut-être insuffisant, eu
égard à l’activité du commerce; par ses immenses travaux de ter-
rassement, le roi Hiram, tout en agrandissant la ville, fit un port
plus vaste et plus sûr.
Nulle part, dans les auteurs anciens, on ne trouve de rensei-
gnements positifs sur, l'emplacement qu’occupait, l'arsenal mari-
time des Tyriens. M. Movers, pense qu'il était au sud-ouest de
l'ile; je ne puis partager cet avis, qui cependant a été accepté par
M. Ritter (1). Il me semble que la lecture attentive des anciens
historiens, d’Arrien particulièrement, ne permet pas de douter
que les chantiers de construction ne fussent situés au fond du
port intérieur créé par Hiram, et sur l'emplacement de l’ancien:
* (4) Movers, Das Phœn.…., Th. I, B. I, cap. vu, S. 214. — Ritter, Die Erdkunde,
XVII, 340.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 197
port. Le quai était le résultat d’un remblaï; il avait-été facile de
ménager des loges pour les navires en construction, Dans le reste
du port septentrional et dans tout le bassin méridional, les flots
de la mer étant arrêtés par la roche dure ; les cales, si elles y
eussent existé, auraient dû être creusées de main d'homme: on
n’en trouve aucune irace.
Par induction, on peut donc arriver à savoir où placer l'arsenal
maritime ; il n’en est pas ainsi de la nécropole de Tyr. À ce sujet,
le silence des anciens auteurs est absolu. L'opinion émise par
M. de Bertou, et trop facilement acceptée par MM. Movers et
Ritter, me paraît manquer complétement de vraisemblance (1).
À 9 kilomètres de Tyr, dans la direction de Sidon, près d’un
lieu appelé aujourd’hui Ædloun ou Adnoun (2), il existe de nom-
breux et vastes hypogées. Ils ont dû servir à la sépulture des ha-
bitants d’une grande ville, c’est incontestable; mais que, dans les
cavernes d’'Adloun, il faille voir la nécropole de Tyr, je ne‘puis
l’admettre. Ces excavations, voisines de Sarepta et peu éloignées
de Sidon, me semblent avoir été pratiquées dans la montagne
pour y déposer les morts de ces deux villes, dont la première était
une dépendance de la seconde (Sarepta quæ Sidonis est). Sur
toute la côte de Phénicie ‘on trouvait de semblables cavernes dans
le voisinage des villes (3). Celles dont il s’agit ici étaient connues
dans la plus haute antiquité ; on les désignait sous le nom de ca-
vernes de Sidoniens (Maara Sidoniorum). Ce nom leur convenait
parfaitement, parce qu’elles étaient dans le pays des Sidoniens,
qui s’étendait au sud jusqu’àla rivière connue aujourd'hui sous le
nom de Nahr-al-Kasmyié, et parce qu’elles étaient la nécropole de
la grande et opulente ville de Sidon. Il me paraît donc tout à fait
imyraisemblable que les Tyriens aient jamais déposé leurs morts
loin de Tyr, dans le pays des Sidoniens. La nécropole des Tyriens,
(1) De Bertou, Essai, p. 84. — Movers, cap. vu, S. 242, —Ritter.…., XVII, 360:
(2) Mutatio ad nonum du Pèlerin de Bordeaux.
(3) Strabon, liv. xvi, p. 765.
198 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
inconnue jusqu'ici, doit être cherchée beaucoup plus près de la
ville. Au temps où les rochers situés au nord de l’île étaient bien
plus étendus, n’ayant pas encore été en partie submergés, ils ont
dû recevoir lesmorts d’une ville dont ils étaient séparés par une
si petite distance. Uu monument célèbre dans l'antiquité, le tom-
beau de la courtisane Rhodope, semble justifier cette opinion, car
il n’est pas probable que ce füt le seul monument de ce genre
érigé dans ces îles ou plutôt sur ces rochers. Il y a eu des tom-
beaux dans l'ile même (4). Le monticule de Maschouk a servi aussi
de lieu de sépulture ; et dans la plaine, près de l’aquedue, sur
toute la route de Sour au monticule, il y a eu des sépulcres ty-
riens. Enfin la ville de Tyr étant devenue plus puissante, plus
étendue: et plus peuplée, des hypogées semblables à ceux des Sido-
niens ont été pratiqués dans la chaîne de montagnes qui borne à
l’est la plaine de Tyr, surtout dans l'endroit nommé aujourd’hui
El-Awwatin (2).
CHAPITRE TT.
FONDATION DE,TYR. — PALÆTYR.
Dans un fragment de l’histoire ou plutôt de la théologie des
Phéniciens, fragment conservé par Eusèbe (3), et attribué à San-
choniathon, il est dit que Hypsuranius, descendant de Colpia (le
(1), M: de Bertou en a remarqué deux sur la côte sud-ouest de la' presqu'île actuelle.
(2) Ce ne.sont plus. là des, conjectures ; d’après le témoignage: de Mgr. Mislin, dans
le voisinage du rocher ,de Maschouk, il y a plusieurs sarcophages, et un peu au delà
commence une vaste nécropole... En suivant le pied de la montagne, le voyageur a
trouvé ‘des ‘ruines éparses sur plusieurs autres monticules (Les lieux saints, t. IE,
ch. x, p. 6.de la!2® édit.): Excepté sur (lesirochersau nord'de Tyr, rochers qu'il n'a
pas explorés, M. Renan a vu des sarcophages phéniciens dans tous les autres lieux que
je viens d'indiquer. (Rapport à l'Empereur sur les explorations en Phénicie, juillet 4 862).
(3) Eusèbe, Préparation évangélique, liv. E°, chap. 1x et x, et liv. X, On a dit que
Sanchoniathon était contemporain de Sémiramis et de Gédéon, et que, par conséquent,
RECHERCHES SUR! TYR ET PALÆTYR. 199
vent primitif, le souffle de Pesprit), habita Tyr, et imagina l’art de
construire des cabanes avec dés jonts, des roseaux et du papyrus.
Son frère Usoüs fut le premier qui se fit des habits’ de peaux! de
bêtes; il coupa les branches d’un des arbres qui étaïent dans
Tyr, et, se servant du tronc comme d’une nacelle, il n’hésita pas
à se confier à la mer, n’en ayant recu l'exemple de personne (#).
Il érigea deux cippes, l'un au feu (2), l'autre au vent, et les arrosa
du sang des bêtes qu'il avait prises à la chasse. Après la mort
d'Hypsuränius et d’Usoüs, ceux qui restèrent dans File adorèrent
les cippes consacrés en leur honneur.
En traduisant ce qui se rapÿorte à Hypsuranius, le père Viger,
dans sa version latine d'Eusèbe (3), ajoute au nom de Tyr le mot
insula, île, quoique le mot! vicoc ne se trouve pas dans la lecon
grecque déPhilon de Byblos. Il s’y croit autorisé par le passage
qui suit : « Comme Astarté (la lune, et plus tard la Vénus des
Phéniciens) parcouraitla terre, elle trouva un aïgle tombé du
ciel, qu’elle consacra dans la sainte-île de Tyr, & Tip TA dyia vicw
dpiepwce ({).1»
Au contraire, Bochart ne peut pas admettre que ce soit l’île de
Tyr qui ait été la demeure des deux frères; en effet, quelques-uns
vivait dans ie xin° siècle avant notre ère; mais l'authenticité des fragments de Sancho-
niathon peut ètre contestée.
(1) Ge qui fait dire à Tibulle :
Prima ratem ventis credere ducta Tyros.
(Elégie VI, vers 20.)
(2) À Gadès (Cadix), colonie tyrienne, une flamme perpétuelle brülait dans le temple
d'Hercule.
(3)t4 Jam vero Hypsuräniumin insula Tyro domicilium collocasse..…, tradit. »
(4)" Dans letexte d'Eusèbe, aü lieu de &oreptawi lun aiglé, on lit éorépa, une étoile.
La correction est de Bochart (Samuelis Bocharti Geographia sacra, seu Phaleg et Cha-
naan, Lugduni Batavorum, 4707: —Chanaan, lib. II, cap. n, p. 709) : « Asteriam
« inter aquilarum genera accenset Ælianus tanquam ex Aristotele. » Cela s'accorde avec
ce que dit Cicéron, que lHerculettyrientétaitné deJupiter et d'Astérie, sœur de Latone.
Tous les ans, à Tyr, onallumait en l'honneur d'Hercule un inmense bûcher d'où s'éle-
vait un aigle, symbole du soleil qui renaît de ses cendres.
500 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
des détails contenus dans le récit de Sanchoniathon excluent posi-
tivement l’idée d’une île peu étendue. Mais du récit même il res- M
sort que c’est dans l’île de Tyr qu'Usoüs aborda sur sa nacelle;
qu'il y vécut et y mourut ; et ce récit constate que, d’après la tra-
dition, la plus haute antiquité était attribuée à Tyr, située dans
l’île. Il ne faut pas, je crois, y chercher autre chose. ©
Mainténant que doit-on entendre par ces mots « la sainte île de
Tyr?» À mon sens, ils rappellent l'antiquité du culte fervent rendu
dans Fyr à la principale divinité des Tyriens, à Hercule, qu'il ne
faut pas confondre avec l’Hercule grec, le fils d’Alemène. L'Her-
cule tyrien, c’est le soleil, le fort roi, le maître des dieux, le Jupi-
ter des Grecs; aussi l'historien Dius, en) parlant du temple que
fit, construire le roi Hiram, donne:t-il au dieu tyrien le nom de .
Jupiter Olympien (4). L’Hercule tyrien est aussi le dieu de Ja
mer (2), le Poséidon des Grecs; ce qui se comprend lorsqu'il s’agit :
de la divinité d’une ville,puissante par son commerce maritime,
Hérodote et Arrien attestent qu'Hercule était en grande véné-
ration, et depuis fort longtemps, dans la ville de Tyr (3). Arrien
(1) Joseph, Antiquités judaïques, liv. VIII, chap. v, $ 3.
(2) Hercule phénicien est représenté comme un vieux pilote, demi-chauve et tout brûlé
du soleil. Une médaille reproduit Hercule avec une tour sur la tête, une robe longue et
serrée d'une ceinture; il porte de la barbe et tient de la main gauche un trident. (Vail-
lant, Hist. reg, Syr., p. 332.)
(3) Arrien, De expeditione.… lib. II, cap. xvr. — Hérodote, liv. II, chap. xuv.
Ajoutons le témoignage d'Eusèbe qui, sur l’an vm° avant l’Exode, dit : « Hercules
« cognomento Desanaüs in Phœnice clarus habetur.»(Chron., n°478.) Selden et Vossius
pensent avec raison qu'il s’agit de l'Hercule tyrien dont le temple était dans l'île, celui
que Cicéron (De natura deorum) dit être fils d’Astérie et qu'il désigne ainsi : « Quartus
(Hercules) quem Tyrii maxime colunt.» — Selden, De dits Syris, liv. vr, p. 187. —
Vossius, Deidol., liv. xxu, p.168.
= Dans Macrobe, Saturne, liv. I, cap. xx : « Deus Hercules religiose quidem apud Tyros
colilur. » |
« Les Tyriens rendent! un culte très fervent à Hercule. » (Strabon, liv. xvi, p. 757.)
Hercule est'appelé, dans l’Écriture sainte, Baal, maître; dans Sanchoniathon, Baal-
-sames, de Baal Schamaïm, maître des cieux, et Melicarth, de Melech Cartha, roi de la
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 501
dit brièvement que Le temple d'Hercule, à Tyr, était l'un des plus
anciens qu’il y eût parmi les hommes, et qu'Hercule y était révéré
plusieurs générations avant que Cadmus vint en Grèce. Quant à
Hérodote, voici ce qu'il raconte : «Un jour que je m’entretenais
avec les prêtres de ce dieu, je leur demandai combien il y avait
de temps que le temple était bâti... Ils me dirent qu'il avait été
bâti en même temps que la ville, et qu’il y avait 2300 ans qu'elle
était habitée. » Or c'était vers l’an 460 avant J.-C. qu'Hérodote
voyageait en Phénicie ; doncies prêtres tyriens faisaient remonter
la fondation de la ville à l'an 2760 avant notre ère, c’est-à-dire
hSL ans avant le déluge universel, selon la chronologie du P. Pe-
tau (1).
On adit que les prêtres avaient exagéré de 1000 ans, ou que les
nombres avaient été altérés pay les copistes; qu'il faudrait lire
x, mille, au lieu de duoyüux, deux mille; on n’aurait plus que
1760 ans avant J.-C., c’est-à-dire qu'on arriverait à une époque
plus rapprochée des temps purement historiques (2). Je rejette
également et la suppression etla correction. Ne sait-on pas queles
plus antiques légendes de presque tous les peuples asiatiques com-
mencent par raconter les alliances entre les dieux et les mortels,
et assignent au monde une antiquité exagérée, qui est loin de s’ac-
corder avec la chronologie du Pentateuque et, par conséquent,
avec toute histoire sérieuse ? Car, M. Champollion jeune l’a dit et
démoniré, en adoptant la chronologie et la succession des rois
égyptiens données par les monuments, l’histoire d'Égypte con-
ville ou fort roi. Dans la Chronique d'Eusèbe, il est surnommé Dibdas (Syncelle) ou
Diodas (Scaliger), le dieu de l'hymen, ou le chéri, ou le voyageur; idée qui se retrouve
dans Dido, l’errante. Comme on vient de le voir, la traduction latine porte Desanuüs, le
puissant (Vossius), Desenaüs paraît être la meilleure leçon. — Voyez M. Guigniault,
Relig. de l'antiq., t. XI, A'° partie, p. 174 et suiv. ?
(1) Petavii Rationarium lemporum. Paris, 4703, t. II. « Canonium epocharum cele-
briarum. init., p. 3.
(2) Desvignoles, Chronologie de!l'Histoire sainte, elc. Berlin, 4738, t. Il, liv.1v,
ch. 1, $14, p. 33.
YI. 61
p02 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
corde admirablement. avec les livres saints; M. le vicomte de
Rougé-partage l'avis de M. Champollion ; M: de Saulcy s'exprime
dans les mêmes termes pour tout ce qui regarde: l'histoire des
anciens empires dela haute Asie (1). C’est donc avec raison qu'on
cherche à établir la concordance des faits véritablement histori-
ques avec la chronologie de Moïse; maïs il n’en peut être ainsi
pour les traditions populaires, pour ces récits fabuleux qu’on ren-
contre le plus souvent à l’origine des peuples, récits fabuleux dont
Hérodote nous fournit des exemples lorsqu'il dit qu'Hercule est
un des douze dieux nés 17000 ans avant le règne d’Amasis (2), et
lorsqu'il rapporte que, d’après les prêtres égyptiens, depuis le
premier roi d'Égypte, Menès, jusqu’à Séthos, il s'était écoulé
11340 ans (3), pendant lesquels les dieux avaient vécu parmi les
hommes et régné en Égypte (4).
Avec ces idées sur l'ancienneté du monde, avec une semblable
chronologie, qu'y a-t-il d'étonnant qu'au dire des prêtres tyriens,
Fercule ait eu un temple à Tyr depuis 2300 ans avant le voyage
de l'historien grec ? Ne cherchons donc pas à expliquer ce qui ne
peut l’être d’une manière satisfaisante, puisque nous manquons
des éléments exacts de calcul et de comparaison; tout ce qu'on doit
inférer du passage d'Hérodote, c'est que les Tyriens assignaient
une haute antiquité à la fondation de leur temple, et qu'ils fai-
saient remonter à la même époque la fondation de Tyr insulaire,
celle que visitait l'historien voyageur. Ainsi entendu, le langage
des prêtres d'Hercule était vrai.
(4) Lettre de M. Champollion jeune à M. Wisemann. — Note de M. de Rougé sur
les résulluts des fouilles exécutées en Égypte, lue dans la séance des cinq académies,
44 août 4861, — Lettre de M. Saulcy à M. Nicolas, 15 avril 1850.
(2) 17570 avant 3. C. — Hérodote, liv. n, ch. 43.
(3) 12 053 ans avant J. C. ou 12 356 ans, d’après les calculs de Larcher.
(4) Chez les Égyptiens, il y avait une vieille chronique d’après laquelle trente dynasties
avaient régné 36525 ans. Syncelli chronologia, p. 51. — Les Égyptiens étaient de
eaucoup dépassés par les Chaldéens, qui, d’après Berose, assignaient à leurs dix pre-
wiers rois un règne de 432 000 ans. Syncelli chron., p. 178.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 503
Objectera-t-on la phrase que Justin suppose avoir été pronon-
cée par les ambassadeurs tyriens, s'adressant à Alexandre,
phrase dans laquelle il est question du vieux Tyr et d’un temple
plus ancien que celui de Tyr insulaire (1)? Qui ne sait que Justin,
trompé par la sigmification des mots vetus Tyrus, a été amené à
conclure que le temple qu'il dit avoir existé dans ce lieu était plus
ancien que celui qui était dans l'île! Diodore de Sicile, Arrien et
Plutarque ne font aucune mention d’un temple d’Hercule sur le
continent.
Quinte-Curce seul, avec Justin, en parle; mais il omet l’impor-
tante particularité de l'ancienneté qui ne se rencontre que dans
Justin. M, de Sainte-Croix n’a pas même cru que ce que disent
ces deux auteurs à ce sujet méritât d’être examiné et réfuté, et il
n'en parle pas. Quand même il n’y aurait aucun doute sur le lan-
gage des ambassadeurs Lyriens, ne devrait-on pas penser qu’ils
s'exprimèrent ainsi afin de détourner Alexandre de son projet
d'entrer dans leur ville; et serait-ce un motifsuffisant pour croire
que, sur le continent, en face de l'ile, il y eût un temple plus an-
cien que celui de Tyr, surtout lorsque le grave et judicieux Arrien
dit précisément le contraire ?
l’assertion d’Arrien s'accorde parfaitement avec le récit d'Hé-
rodote. Cet historien vient à Tyr, attiré principalement par le
désir de s’instruire de ce qui regarde le culte d’'Hercule; il entre
dans le temple de ce dieu; les prêtres lui disent que le temple est
fort ancien, et que sa construction remonte à La fondation de la
ville. Quoi de plus clair ? C’est bien l’opulente cité qu’Alexandre
assiégea plus tard, c’est bien Tyr insulaire que visite Hérodote ;
on ne le nie pas. C’est bien dans le temple de cette ville qu'a lieu
* l'entretien entre les prêtres et l'historien ; c'est bien dans cemême
temple qu'Hérodote admire deux magnifiques colonnes. Celle
d’émeraude y était encore du temps de Théophraste, au rapport
(1) Justin, liv. 11, chap. 40.
50h RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
de Pline {1}; la colonne d’or était celle dont le ‘roi Hiron avait
enrichi le temple d’Hercule, situé dans l'Eurycore. Or, n’est-
il pas de toute évidence qu'il ne peut être ici question que de la
fondaticen de Tyr insulaire et du temple qui s’y trouve ? Dire que,
dans le récit d’Hérodote, il s’agit d'une ville et d’un temple qui
avaient existé sur le continent avant d’être transportés däns une
ile, c’est faire injure au bon sens. Il y a donc erreur manifeste
dans cette supposition.
D'après Apollodore, Agénor s'était rendu dans le pays qui, plus
tard, reçut le nom de Phénicie, y régna et y fut chef d’une nom-
breuse postérité (2). Apollodore ne s'explique pas sur le lieu précis
où régna Agénor; mais on trouve dans la Chronique d'Eusèbe que
Phénix et Cadmus, partis de Thèbes en Égypte, régnèrent à Tyr
et à Sidon. Or, Phénix et Cadmus étaient fils d’Agénor et étaient
venus d'Égypte avec lui (3).
Quinte-Curce va plus loin; il dit positivement que Tyr fut bâtie
par Agénor (4); Cedrenns dit également que cette ville fut fondée
par Agénor, qui la nomma ainsi de sa femme Tyro (5).
Virgile ne parle pas de la fondation de Tyr, mais il appelle ville
d’Agénor Carthage, qui était une colonie de Tyr (6). Hérodote
donne à la fille d'Agénor, à Europe, le surnom de T'yrienne, et dit
qu'elle fut enlevée à Tyr par des gens qui, de Crète, étaient venus
en Phénicie (7). Le lieu le mieux fortifié de la ville s’appelait Age-
norium, au rapport d’Arrien, ce qui prouve que les Tyriens
avaient conservé le souvenir du séjour d’Agénor dans leur ville (8).
(1) Pliñe, xxvir, 5. — « ..... Pilam smaragdo. » Pline ajoute : « Nisi potius pseudo-
sharagdus sit.» 4
(2) Apollodori.Bibliotheca, Kb. 1, cap. 4, 8 4.
(3) Eusèbe, Chronique. Scol., n° 562.
(4) Quinte-Curce, liv. 1v, ch. 49.
(5) Cedrenus, Ed. reg., p. 21 et seq.
(6) Virgile, Enéide, chant I, v. 342.
(7) Hérodote, Liv. r, ch. 2 et Liv. 1v, ch. 48.
(8) Arriani De expedit., lib. u, p. 447. L’Agenorium ou palais d'Agénor, bâti peut-
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 505
Lucien, en parlant de Cadmus, l'appelle vrswrne, habitant de
l'île (1). Enfin un psëme très précieux, parce qu’il contient sur les
traditions mythologiques et historiques d’une foule de villes des
renseignements qu'on chercherait vainement ailleurs, les Diony-
siaques de Nonnos de Panopolis, viennent confirmer les récits légen-
daires que j'ai rapportés et y ajouter de nouveaux et curieux dé-
tails (2). Comme on va le voir, Nonnos ne dit pas que Tyr fut
fondée par Agénor; elle pouvait exister avant ce prince; mais
il dit positivement qu'Agénor et Cadmus y ont régné.
« Bacchus veut visiter la terre des Tyriens, patrie de Cadmus,-
il y dirige ses pas. ; il s’applaudit de voir cette ville qui n’a pas
reçu en entier de Neptune l’humide écharpe de la mer. Un double
étonnement le saisit; car Tyr, reposant sur les flots, divisée par
la terre et reliée par les mers, attache sous ses trois flancs une seule
ceinture. Dans sou immobilité, elle est semblable à une vierge
qui flotte, livrant aux ondes sa tête, son cou, ses épaules, et qui,
être où était le château qui subsistait du temps des croisades, et qu'un historien de ces
guerres à décrit ainsi : « Est autem Tyrus supra mare muro et ante muraliac turribus
eminentibus munita..…. arx civitatis in rupe, in corde maris, et ipsa Lurribus et palatiis
distincla. » Marinus Sanuto, lib. mr, vr, cap. 42, p. 159.
(4) Lucianus, /n judicio vocalium, ed. Amstelod., p. 46.
A l'objection tirée de Lucien, Ducker répond que cet auteur a bien pu appeler
Cadmus wowrns, ayant eu égard au temps où, après Cadmus, {a ville de Tyr fut bâtie
dans une île; ou bien encore parce que, de son temps, Tyr était dans une presqu'ile, et
il cite Thucydide qui appelle wcwTas les habitants de Scione, et qui donne à la Cher-
sonèse de Thrace le nom de v%o0s (liv. 1v, ch. 420 et 121). Arrien en fait autant, liv.r,
chap. 9.
Que le mot »%s0s ait quelquefois été employé pour désigner une péninsule, ceci ne
peut pas être contesté, et le mot Péloponèse (île de Pélops) en est une preuve que tout
le monde connaît; mais île ou presqu'île, qu'importe! il est évident que Lucien fait
venir Cadrnus de Tyr que les eaux de la mer environnaient, et non de Palætyr, située
sur le continent. Dire que Lucien a confondu les temps, ce n’est qu’une conjecture que
rien ne vient justifier; c’est attribuer trop d’ignorance ou trop de légèreté à cet auteur
dont, au reste, l'opinion est appuyée par un grand nombre de passages des auteurs
anciens.
(Z) Nonnos, Les Dionysiaques ou Bacchus, poème rétabli, traduit et commenté par le
comte de Marcellus. Paris, Firmin Didot. — Liv. xz, vers 300 et suivants.
506 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
étendant ses mains sur deux mers dont elle voit blanchir l'écume
autour d’elle, appnie ses deux pieds sur la terre qui la fit naître.
Bacchus considère la maison d’Agénor, son ancêtre, le palais et
les appartements de Cadmus ; il pénètre dans le gynécée mal gardé
d'Europe. Il admire surtout les sources primitives où une eau
profonde, après avoir coulé dans les flancs de la terre, revient à
chaque heure à la lumière et fait jaillir les flots tournoyants nés
d'elle-même. IL observe le courant fécond d'Abarbarée, la char-
mante fontaine qui s’épanche sous le nom de Callirhoë, et les
ondes abondantes et virginales de la douce Drosère. Surpris de
tant de beautés et souhaitant d'en connaître l'origine, Bacchus
s'adresse à Hercule Astrochiton, et lui dit :
« Quel dieu construisit cette cité? quelle main divine l'a dessi-
née? qui nivela ses écueils et lenracina dans les flots ? quel est
l'auteur de ces merveilles ? » Il dit, et Hercule le satisfait en ses
termes : … « Les hommes qui habitent ici sont la race sacrée de
cette terre immaculée dont un jour le limon créa spontanément
leur forme et leur beauté; lesquels... ont élevé une ville iné-
branlable sur les rochers qui la fondent ;.. et moi qui nourrissais
dans mon cœur un tendre intérêt pour leur ville... j'empruntai
l'image vaporeuse d’uu visage humain et leur fis entendre ainsi
l'oracle de ma voix prophétique. »
Après leur avoir enseigné à construire un navire, il ajoute :
« Fendez alors la surface des mers dans ces flancs de boïs jusqu'à
ce que vous ayez atteint le lieu que les destins vous indiquent,
là où deux roches errantes nagent incertaines sur les flots. La
nature les rendit célèbres sous le nom d’'Ambrosies. Là fieurit,
au centre de la roche voyageuse, la souche enracinée d’un olivier.
vous verrez à son plus haut sommet un aigle arrêté et une coupe
élégante, une flamme aux merveilleuses étincelles y jaillit d’elle-
même de l'arbuste embrasé; son éclat nourrit l'arbuste incom-
bustible ; et un serpent qui balance ses anneaux autour des plus
hauts branchages accroît la surprise des yeux... Emparez-vous
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 507
du sublime oïseau, contemporain de l'olivier, et sacrifiez l'aigle
au dieu Neptune. Faites de son sang des libations à ces collines
voyageuses de la mer, à Jupiter et aux dieux. La roche mobile
cessera d’errer sur les ondes et, s’arrêtant d’elle-même, s’unira,
par d’inébranlables fondements, à la roche qu’elle a quittée.
Construisez alors sur ces deux collines une ville qui, des deux
côtés, verra le rivage des deux mers (1)... »
«Penché sur les eaux, le poisson Nautile, parfaite image d’une
nef toute pareille, exécutait alors un trajet qu’il doit à son seul
instinct ; les enfants de la Terre le virent, et, instruits sans péril de
son habile manœuvre, semblable au vaisseau des mers, ils con-
struisirent un navire sur le modèle du poisson de l'Océan, et le
reproduisirent sur ses flancs. Dès lors la navigation exista.…. »
« Enfin ils ont vu ce lieu où les collines nageaient d’elles-mêmes
au gré des tempêtes; ils arrêtent alors leur navire près d’une île
que couronne la mer, et montent sur les écueils où est l’arbuste
de Minerve. Dans leur recherche empressée de l’oiseau compa-
gnon de l'olivier, l’aigle, habitant des airs, s’offre à son trépas
volontaire. Les fils de la Terre saisissent aussitôt cette proie di-
vine aux ailes superbes ; puis ils immolent l’aigle sans résistance
en l'honneur de Jupiter et de Neptune. Tout à coup, du gosier
de l'oiseau fatidique que le fer vient de déchirer jaillit le sang des
oracles. Sous ces libations sacrées, les collines errantes prennent
racine dans les flots de la mer qui baigne Tyr; et sur leurs rochers
inébranlables, les fils de la Terre éièvent la cité au large sein qui
les nourrit. »
Ce fragment du poëme de Nonnos nous a fourni la preuve que,
d’après les plus anciennes traditions, Agénor et Cadmus ont ha-
bité la ville de Tyr ; nous y avons trouvé bien d’autres renseigne-
ments. Ces rochers flottants, c'est-à-dire changeant de place et de
forme, ce sont les deux îles constamment bouleversées par les
(1) « Extruite in mediis fundatam rupibus urbem. »
508 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
trembtements de terre; c’est le Tyros instabilis de Lucain. — La
flamme aux merveilleuses étincelles, si elle ne fait pas allusion à
la flamme perpétuelle entretenue sur l’autel d’'Hercule, qui est le
soleil, pourrait faire supposer qu’à une époque antérieure aux
temps historiques, les bouleversements avaient pour cause un
volcan, ce qui donne l'explication du Cippe consacré au feu par
Usoüs. — Comme Sanchoniaton, Nonnos attribue aux Tyriens
l'invention de la navigation. — Les premiers habitan tsde Tyr
furent des pasteurs qui, primitivement, demeuraient près des
fontaines fiaz el-Aïn, et toujours ces fontaines, ainsi que la plaine,
qui s’étendait à l'est et au sud-est de Pile, ont été regardées
comme faisant partie de Tyr.
Presque tous les détails contenus dans le poëme de Nonnos se
retrouvent sur les médailles de Tyr; preuve évidente que le poëte
n’a rien inventé, qu’il a simplement recueilli, puis reproduit d’an-
ciennes traditions qui, traversant les âges, s'étaient conservées
jusqu'à lui.
Une médaille de l’époque d'autonomie représente Hercule cou-
ronné de lauriers et un aigle posé sur un gouvernail. Sur plu-
sieurs médailles de l’époque des empereurs on voit Europe, les
deux rochers ambrosiens, au milieu desquels s'élève un arbre
(Gallien); un arbre près de deux pierres énormes, avec ces mots :
AMBPOBIE IETPE (Gordien); un arbre entouré d’un serpent, entre
deux très grosses pierres (Gordien); Cadmus tuant le serpent (Gor-
dien et Gallien); l’océan et les deux rochers ambrosiens (Valé-
rien); Hercule nu et deux rochers (Caracalla et Valérien) (1).
Pourquoi insister davantage ? N'est-il pas évident que les deux
rochers ambrosiens, sans cesse reproduits sur les monnaies, rap-
pellent le souvenir traditionnel et permanent des deux rochers
sur lesquels la ville fut bâtie ? Et ne doit-on pas regarder comme
(1) Vaillant, Numismata œrea imperatorum, augustorum et cæsarum in coloniüs, etc.
Paris, 14697. — Eckhel, De doctrina numorum, 1792-1798. — Suidas, au mot
“Hpardñs.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 509
destinées à perpétuer le même souvenir les deux colonnes qu'on
voit reparaître à toutes les époques de l’histoire de Tyr, depuis
les deux cippes d'Hypsuranius et d'Usoüs jusqu'aux deux magni-
fiques colonnes admirées par Hérodote ; et même jusqu'aux deux
grandes et belles colonnes à triple füt dont parlent Volney et
M. de Bertou, et qui, encore aujourd’hui, sont couchées à l'angle
sud-est de Tyr, au milieu de monceaux de pierres (1). Ces deux
colonnes se retrouvent également dans les établissements lointains
fondés par les Tyriens ou dans les régions qu'ils ont fréquentées,
comme le prouvent les deux cippes qui étaient dans le tempie
d’Hercule, à Cadix, et les colonnes d’'Hercule, à l’entrée de la mer
Méditerranée.
Nous l'avons vu, aussi loin qu’on fasse remonter les souvenirs
historiques ou légendaires, la ville dont nous recherchons les ori-
gines porte le nom sous lequel elle a été connue dans les âges pos-
térieurs; preuve évidente que, dès les premiers temps, elle fut
établie, non dans une plaine sur le continent, mais dans l’île for-
mée de rochers. En effet, le mot zor, sor ou tsor, dont on a fait
Tyr, signifie rocher (2). C’est ainsi que les Chananéens, premiers
habitants de la contrée (3), désignaient le lieu où Tyr fat bâtie,
(1) Ces colonnes sont de granit rouge d'une espèce inconnue en Syrie. Pour orner la
mosquée d'Acre, Djezzar a voulu les enlever ; mais ses ingénieurs n’ont pas même pu
les remuer. (Volney, Voyage en Syrie... vol. II, p. 196.)
(2) «Namque antequam ulla in ea esset urbs, insulæ primum nomen erat Tyrus.
» Neque id immerito, quippe {sor, id est Tyrus, Phœnicum sermone est rupes. » (Bo-
chart, Chanaan, liv. 1, ch. 47, p. 777.)—Noyez mes Essais de restitution et d’inter-
Prétalion d'un passage de Scylax.
(3) Encore du temps de saint Augustin, si l'on demandait à un habitant des environs
d’Hippone ou de Carthage qui il était, il répondait : Chanani. (Saint Augustin, Epit.
aux Romains.)
Dans sa Chronique (liv. 1°, p. 11), Eusèbe dit que les Chananéens conduisirent des
colonies à Tripoli d'Afrique.
Du temps de Procope (Vand., liv. x), on voyait encore deux colonnes dans l'Afrique
Tingitane, et une inscription avertissait qu’elles avaient été élevées par les Chananéens
qui avaient fui Josué.
VII, 65
510 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
et ce nom lui resta quand le rocher fut habité, car. il n’avait pas
cessé de lui convenir (1).
Une date, même approximative, peut-elle être assignée à l’ar-
rivée d’Agénor en Phénicie, ou, si on l'aime mieux, à l’occupation
des îles de Tyr par la colonie venue d'Égypte? Oui, répondent
quelques chronologistes modernes. Selon la Chronologie du père
Pétau, ce fut vers l'an 1734 avant J. C. ; ce fut l’an 1600, suivant
Desvignoles et M. Petit-Radel, et l'an 1590, selon ie Canon chrono-
logique de Larcher (2).
Je ne voudrais pas, quant à moi, donner ainsi une date précise
à l’arrivée d’Agénor en Phénicie. Je me bornerai à faire remar-
quer que si Agénor et son contemporain Cécrops arrivent, l’un à
Tyr, l’autre à Athènes (1583); si, vers la même époque, mais un
peu plus tard, les Hébreux entrent dans la terre de Chanaan, ve-
nant tous du même pays, de l'Égypte, c’est que leurs émigrations
avaient une cause commune, l'expulsion des rois pasteurs et des
Impurs par les Égyptiens, sous les princes de la dynastie des
Diospolitains.
Mais ici la difficulté se représente; les chronologistes sont loin
d’être d’accord sur l’époque où se passaient, en Égypte, ces évé-
nements qui eurent des conséquences si importantes pour la civi-
lisation en Occident. Je ne m’imposerai pas la tâche de chercher
ici à les concilier; je dirai seulement que les recherches auxquelles
je me suis livré me portent à croire que la colonie égyptienne
d’Agénor dut s'établir en Phénicie vers l’an 1600 avant J. C. Cette
date concorde assez bien avec ce que dit Arrien sur la fondation
du temple d’Hercule. Le culte d’Hercule ayant été établi à Tyr
(4) Aujourd'hui encore, la petite ville qui occupe en partie la place de l'antique Sor
ou Tsor, se nomme Sour ou Tsour.
(2) Petau, Rationarium temporum, t. T, pars I, lib. 1, cap. 9, p. 37.— Desvignoles,
Chronologie, t. II, p. 28-33.
Petit-Radel, Examen analytique et tableau comparatif des synchronismes des temps
héroïques de la Grèce. Impr. roy., 1827.
Larcher, Traduction d'Hérodote. Paris, 1802, in-12,— Chronologie, t, VIE, p. 133.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 511
plusieurs générations avant l’arrivée de Cadmus en Grèce, et Cad-
mus étant venu à Thèbes en 1519, il en résulterait que la fonda-
tion du temple devrait être placée à la fin du xvi° ou au commen-
cement du xvu‘ siècle avant notre ère (1).
Justin et Josèphe diminuent beaucoup l’antiquité de Tyr. Sidon,
dit Justin, ayant été prise par le roi d’Ascalon (c’est-à-dire par les
Philistins dont Ascalon était une des cinq principales villes), les
Sidoniens montèrent sur leurs vaisseaux et ailèrent fonder Tyr
l’année qui précéda la ruine de Troie (2). Où Trogue-Pompée,
dont Justin est l’abréviateur, a-t-il puisé ce renseignement sur
l'origine de Tyr ? Il ne le dit pas; mais il n’y a rien d’improbable
à ce que Tyr, déjà habitée, ait donné asile aux Sidoniens fugitifs.
On peut conjecturer qu’après le départ des Philistins, qui ne con-
servèrent pas Sidon, tous les anciens habitants ne revinrent pas
dans leur ville, et qu'il en résulta un accroissement de population
pour Tyr. C’est ainsi, je pense, qu'il faut entendre Justin, dont les
paroles sont confirmées par Isaïe, qui nomme Tyr fille de Sidon (3).
A la vérité, Réland veut que par ces mots : « fille de Sidon », Isaïe
désigne Sidon même; comme, dans le même prophète, fille de Sion
signifie Jérusalem. Réland se trompe ici. Sans nier que fille de
Sion signifie Jérusalem (4), il faut reconnaître que le plus souvent,
dans l’Écriture sainte, le nom de fille est donné aux villes qui ont
été fondées par une autre ou qui sont dans sa dépendance. Et
d’ailleurs, dans le passage dont il s’agit, la prédiction n’est pas
dirigée contre Sidon, mais bien contre Tyr.
Quoique Justin soit le seul historien qui mentionne ce fait, il
(1) Eusèbe fixe l’arrivée de Cadmus à Tyr à la dix-septième année de Josué (1436
av. J. C.), et Ussérius à la trente-septième année de la demeure dans le désert (1455
av.J. C.). Tous deux me paraissent s'être trompés, et avoir placé longtemps après la sortie
d'Égypte un événement qui probablement l'a précédée. — Eusèbe, scol, n° 562. —
Ussérius, Annales V. et N. Testamenti. Genève, 1720, in-fol. p. 31, alin. 18.
(2) Justin, liv. xvrr, ch. 3.
(3) Isaïe, ch. xx, v. 12.
(4) Sion était le quartier le plus ancien de Jérusalem.
512 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
est donc fort probable que Tyr ait recu une colonie de Sidon,
qui existait dans la plus haute antiquité, car il est dit dans la
Genèse (1) que Chanaan, petit-fils de Noé, engendraSidon, c’est-à-
dire le fondateur de Sidon, selon l'explication de Bochart (2).
Dans son testament, Jacob prédit (3) que Zabulon habitera du
côté de Sidon, on plutôt du côté des Sidoniens, et du temps de
Josué (4) Sidon est surnommée la Grande. Que l’on prenne les
paroles de la Genèse au pied de la lettre, ou que l’on adopte l’in-
terprétation de Bochart, toujours est-il que Sidon était une ville
fort ancienne qui existait longtemps avant l’entrée des Israélites
dans la Terre promise. Elle était incontestablement la ville la plus
considérable de la côte de Phénicie (5).
(1) Genèse, ch. x, v. 15 et 29.
(2) Phaleg., lib. 1v, 25 init., p. 342.
(3) Genèse, chap. xuix, v, 13.— En 1730 av. J. C. (Larcher).— En 1789 av. J. C,
{Pétau). — Josèphe dit aussi qu'un fils de Chanaan, nommé Sidon, fonda en Phénicie
une ville de son nom (Antiq. jud., liv. 1, ch. 7).
(4) Josué, ch. xx, v. 28. — En 1489 (Pétau).
(5) Sidon fut fondée par les Phéniciens, suivant Justin (xvur, 3, 2).
Phéniciens, Sidoniens, Tyriens, sont trois appellations auxquelles les auteurs an-
ciens donnent un sens plus ou moins étendu. Ainsi le mot Sidoniens signifie, tantôt les
habitants de la ville de Sidon (Juges, 1, 31; — Ezéchiel, xxvu, 8; — Scylax, S 104);
tantôt les habitants de la plaine de Sidon, c’est-à-dire du pays plus spécialement soumis
aux Sidoniens, et qui, du nord au sud, s’étendait depuis le Tamyras jusqu'au fleuve
dont le nom ancien est inconnu, et qui est appelé aujourd’hui Nabr-al-Kasmyié (Josué,
x, 6; — Juges, nr, 5; — Homère, Odyssée, XIIL, 285); tantôt enfin le mot Sidoniens
s'applique aux habitants de toute la côte phénicienne (Denys le Périégète, v. 447).
Alors les auteurs grecs ne font pas difficulté de traduire le mot Sidoniens par Dotyrxes
(Septante, Deuteron., nr, 9; — Isaïe, xxnr, 2 ; — Suidas, Zedéyros, BotnË ; — Esychius,
Zudovior, Dotuxec).
De même, le mot Tyriens se prend pour habitants de la ville de Tyr; il se prend
aussi pour habitants du pays de Tyr qui, sur la côte, s’étendait depuis le Nahr-al-Kas-
myié jusqu'aux environs d’Ace. Sous la forme Syriens, il avait une signification bien
plus étendue et qui a beaucoup varié suivant les temps.
Quelquefois le mot Phéniciens est pris exclusivement pour Tyriens (Salluste, Guerre
de Jugurtha, ch. 22 ; — Homère, Odyssée, XV, &14). Il s'emploie aussi pour Curtha-
ginois (Scylax, $ 144). De Doivos, pour Sorvixros, Phénicien, les Latins ont fait Pœnus,
un habitant de Carthage, colonie des Tyriens.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 513
D'un autre côté, il est indubitable que, dans la Phénicie, les
lieux où la pêche était facile et offrait une nourriture abon-
dante (1); les plaines où les troupeaux trouvaient des pâturages,
et surtout les lieux voisins des sources et des courants d’eau, ont
dû être peuplés avant qu’il y eût des habitants sur les rochers de
Tyr. Quand donc Justin ne le dirait pas, il est très probable que
les habitants de Sidon, ou de quelqu'un des lieux dépendants de
Sidon, et à cause de cela appelés Sidoniens, ont dû contribuer,
dans une proportion quelconque, à peupler la ville de Tyr.
La parenté entre Tyr et Sidon est attestée par un passage de
Quinte-Curce. Les Sidoniens qui entrèrent dans Tyr avec les Ma-
cédoniens, dit-il, sauvèrent beaucoup de Tyriens, se souvenant
de l’affinité de leur origine... Ily en eut jusqu'à 15000 qui furent
ainsi sauvés et menés à Sidon (2).
Cette affinité était si grande et tellement connue, que souvent
les poëtes ont confondu les deux noms. Ils ont cru pouvoir em-
ployer les deux noms de ville l’un pour l’autre, sans cesser d’être
compris. Ainsi, dans l’Anéide, on trouve fréquemment ces mots :
Sidonia Dido (3). La reine de Carthage voulant retenir Énée,
Sidoniasque ostentat opes, urbemque paratam (4);
elle sort pour une partie de chasse,
Sidoniam picto chlamydem circumdata limbo (5).
Virgile donne à Carthage l’épithète de Sidonienne; bien plus,
Salomon, s’adressant au roi de Tyr lui-même, à Hiram, et lui
(4) Sidon signifie poisson (Justin, xvr, 3, 2).
(2) Quinte-Curce, liv. 1v, chap. 18.
(3) Enéide, chant 1, vers 446 et 643; IX, v. 266; XI, v. 74. — « Sidonia Elisa »
(Statius, Sylv., IV, 2, 1).
(4) Chant IV, v. 75.
(5) Chant IV, v. 437, Les exemples abondent, Cadmus est Tyrien (Euripide, Phé-
niciennes, V. 205 : Tüproy otdue Auroda” 6ay Pouvicous amd vasou; et Vers 647 : Kadys
Topos. — Ovide, Fast., I, v. 489: « Tyriis qui quondam pulsus ab oris. » —Statius,
Theb., II, v. 613 : « Ecce Chromis Tyrii demissus origine Cadmi »). — Cadmus est
514 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
demandant des ouvriers tyriens, les appelle Sidoniens ; il est vrai
qu'à cette époque les Tyriens étaient maîtres d’une partie de la
Phénicie (1).
Je ne puis passer outre sans appeler l'attention sur cette cir-
constance remarquable du récit de Justin, que les Sidoniens
montèrent sur leurs vaisseaux pour aller fonder la ville de Tyr. S'ils
s’embarquèrent pour atteindre l'asile qu’ils cherchaient, c’est
évidemment que la mer les séparait de ce lieu de refuge. Donc la
ville fondée par les Sidoniens, selon Justin, c’est Tyr insulaire, et
nullement une ville du même nom située sur le continent.
C’est un an avant la prise de Troie que les Sidoniens s’établi-
rent à Tyr (Tyron urbem ante annum Trojanæ cladis condide-
runt); mais cette manière de fixer la date de la fondation peut
donner naiss ance à de grandes difficultés, car il y a peu d’événe-
ments dans l'antiquité dont l’époque soit aussi controversée. D’a-
Sidonien (Euripide, Bacchantes, vers 471 : Ayvopos moid” 65 mél Etdoviay Amy. —
Aristophane, Grenouilles, v. 1256 : Zedéveay mor” doru Kéduos txero, ‘Ayfvopoc
mais. — Ovid., Epist. in Ponto, 1. 1, v. 77 : « Liquit Agenoridos Sidonia mœnia
Cadmus »). — Europe est Tyrienne (Ovid., Fast, V, v. 603: « Præbuit et taurus
Tyriæ sua terga puellæ, »— Met., II, v. 845 : « Ludere, virginibus Tyriis comitata,
solebat. » — Met., LIT, v. 35 et 539). — Europe est Sidonienne (Ovid., Met, II,
v. 840 : « (tellus) ….. Indigenæ Sidonida nomine dicunt »). — Dans cette phrase :
« Castalium nemus umbram Sidonio præbuit hospiti, lavitque Dirce tyrios colonos »,
Cadmus est Sidonien et ses compagnons sont Tyriens (Sénèque, OEdip., v. 710).
«Tyrius mures » (Hor., Ep., xn, 24; — Virg., Eneid., IV, 262; — Ovid., Lib.
amat., 11, 10). — « Sidonius murex » (Hor., £pod., 1, 10; — Tibull., m, 3, 18;
— Sid. Apoll., carm. XV, 127). — « Tyria vestis » (Tibull., 1, 7, 44). — « Sidonia
vestis » (Propert., II, 43, 35).
(4) Rois, liv. nr, ch. 5, v. 1. — A la même époque, Esdras distingue parfaitement
les Sidoniens des Tyriens : « Les Israélites donnèrent du froment..… aux Sidoniens et
aux Tyriens » (ch. ur, v. 7). — Dans la Bible, Ethbaal (Ithobal) est appelé roi des Sido-
niens (Rois, 1, 16, 34). Josèphe dit qu'il était roi de Tyr (Antiq. jud., vur, 7, 4), et
ailleurs il l'appelle roi des Tyriens et des Sidoniens (Antig. jud., vu, 7, 3, et1x, 6, 6).
Cet historien établit la même distinction entre les deux peuples, lorsqu'il dit, en parlant
de Salomon : Iolge dE xot tx roy SNatptoy 201 ynuas Etdwvtas xot Tupias (Ant. jud.,
vin, 2, 6).'
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 515
près différents chronologistes, la date varie entre 1284 et 1022
av. J. C.; cependantil convient d'adopter ici, pour la prise de Troie,
la date de 1184, suivant la Chronologie de Justin, d’où il suit que,
d’après cet historien, Tyr fut fondée en 1185 avant notre ère (1).
Marsham et D. Calmet pensent que le nombre des années
manque dans le texte de Justin qu’ils lisent de cette manière :
« Tyron urbem ante annum……. Trojanæ cladis condiderunt. » En
admettant cette lacune, on ne peut rien conclure du texte de Jus-
tin, si ce n’est que Tyr fut fondée avant la prise de Troie, ce qui
est incontestable (2),
(4) Justin, liv. xvur, ch. 3.
Bochart adopte le calcul de Cappel (Hist. judaïque), qui fixe la fondation de Tyr à l’an
65 ayant la ruine de Troie. Ce dernier événement eut lieu :
Suivant Volney, en. . . . 1... . . 1022
— Sosibius, Bossuet. . . . . . . 1171
— Ctésias, Eratosthène, Apollo-
dore, Denys d’Halicarnasse,
Justin, Desvignoles. . . . 1190
Ml Dimée nue MC MULAS 1173
— Saint Martin, . . . . . . .. 1499
— Marbres de Paros, Marsham. 1208
AE TC CHMCNEENS RENÉE . 1212
— Hérodote (selon Larcher). . . 1270
1 NFrérett in tehmNEMen 28e
Ce que dit Volney (Rech. sur l'hist. anc., t. I, p. 445-461) mérite d’être rapporté :
« Theodotus, Hypsicrates et Mochus, historiens phéniciens, traduits en grec par Lætus
et cités par Tatien (Tatian., Orat. ad Græcos, p. 273, n° 37), disent que Ménélas était
contemporain de Hiram. » — Clément d'Alexandrie (Clement. Alex. Strom. , 1, p. 525; —
Chron. Alex., p. 214) dit la même chose, d’après le témoignage de Ménandre d'Éphèse
et de Lætus. Selon les Assyriens, Teutamus envoya des secours à Troie vers 1023, —
Volney conclut de cette coïncidence des récits des Phéniciens et des Assyriens que
Troie fut prise vers 1022. Si l’on admettait cette date, il faudrait rejeter la correction
de Marsham dans le texte de Justin, et dire que cet historien a voulu parler, non de la
fondation de Tyr, mais des travaux du roi Hiram et d’ure colonie de Sidoniens que ce
prince admit dans la ville agrandie.
(2) Marsham, p. 290, alin. 304.— D, Calmet, Josué, ch. xx, v. 29. — Le docteur
Oti fixe au temps du roi Saül l’émigration des Sidoniens et la fondation de Tyr (Manuel
d'hist. universelle, liv. x, 2° partie, ch. 3).
516 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Nous arrivons à Josèphe. Cet historien ne nomme pas les
fondateurs de Tyr; il dit seulement que cette ville fut bâtie
240 ans avant la construction du temple de Jérusalem (1). Or,
Salomon ayant commencé la construction du temple la quatrième
année de son règne, l’an 1012 avant J. C., suivant la Chronologie
de Larcher, il s'ensuit que, selon Josèphe, Tyr fut fondée l’an
1252 avant l’ère chrétienne.
Eusèbe donne son assentiment à l’opinion de Josèphe, et dit
comme lui, que Tyr fut fondée l’an 236 avant l’avénement du fils
de David; seulement, d’après sa Chronologie, ce fut l’an 1237
avant J. C. (2). Bossuet adopte cette date, tandis que Marsham la
reporte à l’an 1948, Volney à l’an 1254, et Scaliger à l'an 258 (3).
Newton conjecture que Tyr a été bâtie du temps de David,
l'an 1049 (4). C’est confondre les travaux d’agrandissement exé-
cutés par Hiram avec la fondation de la ville. La réfutation de
l'opinion de Newton, reproduite par M. de Sainte-Croix, se trouve
dans ce passage du Livre des Rois, où il est dit que les commis-
saires envoyés par le roi David pour faire le dénombremeni du
peuple passèrent près des murailles de Tyr. Cette ville existait
donc déjà et était même entourée de murailles au temps de David.
Comme on peut le voir, sur l’époque de la fondation de Tyr, il
y a à peu près concordance entre Justin et Josèphe.
Larcher trouve l'opinion de Josèphe inadmissible, parce qu’elle
est contredite par l’Écriture sainte (5). En effet, on lit dans Josué,
que le pays occupé par la tribu d’Aser devait s'étendre jusqu’à Si-
don la Grande, et retourner jusqu’à la ville très forte de Tyr (6).
(1) Josèphe, Antig. jud., liv. vin, ch. 2, $ 7.
(2) Eusèbe, Chron., n° 744.
(3) Marsham, p. 290.— Scaliger, Frag., p. 28 f. —Cappel, À 27492, p. 109 f.
(4) La chronologie des anciens royaumes, corrigée et réformée par Is. Newton, tra-
duite de l’anglais en français par Granet. Paris, 1728, in-4°. — Rois, ur, ch. 2, v. 7.
(5) Larcher, Chronologie d'Hérodote, t. VII, ch. 2, p. 434.
(6) Ou: « .…. Jusqu'à la ville forteresse de Tyr. » — « ..…. Vegnad gnir miblsar tsor.»
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 517
Larcher rejette donc l'opinion de Josèphe par la raison fort simple
que le partage des tribus est du xv° siècle avant J. C (1486); que
la ville de Tyr existant depuis longtemps, puisqu’elie était déjà
puissante, elle n’a pas pu être fondée au milieu du xm° siecle (1252);
c’est de toute évidence, si l’on attache à ce que dit Josèphe l'idée
de première fondation. De même, et par le même motif. Larcher
n’admet pas l’opinion de Cedrenus (1), quiplace la fondation de
la ville 351 ans avant la construction du temple de Jérusalem,
c’est-à-dire vers le milieu du xiv° siècle avant notre ère (1363).
Âu contraire, Marsham, ainsi que l'avait déjà fait Eusèbe,
adopte ce que dit Josèphe sur la fondation de Tyr, qu’il place sur
le continent (2). Et, pour répondre à l’objection tirée du livre de
Josué, il rappelle que ce livre a été écrit longtemps après Josué,
et que c’est par prolepse qu’on y trouve le nom de Tyr très forte.
À appui de son sentiment, il fait remarquer, après Strabon (3),
que les poëtes ont célébré Sidan beaucoup plus que Tyr, et
qu'Homère ne nomme même pas cette dernière ville. Cette re-
marque avait déjà été faite par Bochart et reproduite par Périzo-
nius;, D. Calmet, et récemment par M. de Sainte-Croix (4).On vou-
drait en tirer la conséquence que Tyr n’est pas une ville très
(Hebr.). — ...…. tws Tohtws oyocouarns Toy Tupiwy (Septante). -—- ..... « Usque ad ci-
» vitatem munilissimam Tyrum. » (Vulgate.) Je crois plus exact de traduire : « Usque
» ad civitatem munimentum Tyri. » (Josué, chap. xix, v. 24-29.) x
L’authenticité du livre de Josué n'est pas généralement reconnue, je le sais. D. Calmet
ne soutient même pas que le livre, dans l'état où nous l'avons, ait été entièrement écrit
par Josué; il croit au moins qu'il aété composé sur des mémoires du temps de Josué.—
Nolrey pense que le livre date du temps de Samuel; même en adoptant cette opinion,
ce serait, encore accorder une assez haute antiquité, et un semblable monument doit être
d'une grande autorité en histoire. (Volney, Rech., t. LL, chap. 14, p.252.)
(1) Cedreni, Compendium historiarum, t. 1, p. 58 b, ed. reg.
(2) Marsham, p. 537-539.
(3) Strabon, liv. xvr, p. 756.
(4) Bochart, Phaleg., 1v, 35, p. 302: — Perizonius, Babyl., p. 83. — D. Calmet,
Josué, xix, 39. — Sainte-Croix, Examen crit., p. 277.
IL. j 66
518 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
ancienne et qu’elle n'existait pas au temps de la guerre de Troie,
Ainsi, à l’aide de quelques mots extraits de Strabon, séparés de
tout ce qui précède et mal interprétés, on renverserait tout ce qui se
trouve dans une foule d'auteurs: et dans Strabon lui-même sur l’an-
cienneté de Tyr. Pour juger, il vaut mieux citer ; voici le passage
de Strabon : « La ville de Tyr est la plus considérable et la plus
ancienne de la Phénicie (1). Elle le dispute à Sidon en grandeur,
en célébrité, en ancienneté, ainsi que l’attestent de nombreuses
traditions mythologiques. Car si, d’un côté, les poëtes ont ré-
pandu davantage le nom de cette dernière ville (Homère, en effet,
ne parle pas de Tyr); de l'autre, la fondation de ses colonies tant
en Libye qu’en Ibérie, jusqu’au delà des colonnes, élève bien plus
haut la gloire de Tyr. Toutes deux ont donc été et sont encore
maintenant très célèbres; quant au titre de métropole des Phéni-
ciens, chacune d’elles croit avoir le droit d’y prétendre. » Dans ce
passage, il faut l’avouer, les paroles de Strabon sont bien loin de
tendre à diminuer ancienneté et la célébrité de Tyr; au con-
traire, le géographe énumère ce qui élève la gloire de cette ville
au-dessus de celle de Sidon (2); il fait seulement remarquer qu'Ho-
mère, qui a parlé de Sidon, ne nomme pas Tyr.
Homère nomme Sidon, c’est vrai ; il ne la nomme qu’une seule
fois, mais enfin le mot Sidon se trouve dans l'Odyssée (3), tan-
dis que ni dans POdyssée aï dans l’Ihade il n’est question de
(} (Tyrus) Serie sæculorum antiquissima. Ulpien, liv. 1, De censibus.
—(2) Tyr et Sidon.. .. C'est dans ce rang que ces deux villes sont nommées communé-
ment par ceux qui ont voulu parler en même temps de l’une et de l'autre. Jérémie reçoit
l'ordre d'envoyer des chaînes aux rois de Tyr et de Sidon (xxvir, 3) ; il prédit ensuite
que Tyret Sidon seront ‘ravagées (xivn, 4), et Zacharie menace Tyr et Sidon (1x, 2).
Dans le Nouveau Testament, N.S. Jésus-Christ déclare que Tyr et Sidon seront traitées
plus doucement que les Juifs incrédules (Math., , 21, 22. — Marc, x, 43). Les évan-
gélistes rapportent que J.-C. alla dans le pays de Tyr et de Sidon (Math., xv, 21. —
Marc, vu, 24, 31); que des gens de Tyr et de Sidon venaient pour l'entendre (Marc,
an, 8.— Luc, vi, 17). — Desvignoles, liv. rv, ch. 4, p. 47.
(3) Odyssée, xv, 424.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 519
Tyr. Plusieurs fois Homère parle des Sidoniens et des Sidoniennes
et vante leur habileté dans les arts (1); mais il fait également men-
tion des Tyriens qu'il appelle Phéniciens (nom générique sous le-
quel ils sont très souvent désignés) et qu’il représente comme se
livrant au commerce et naviguant dans toutes les mers. Il établit
la distinction la plus positive entre les Sidoniens artistes et les
Phéniciens navigateurs, donnant à ce dernier nom un sens fort
étendu, tandis que, chez le poëte, Sidonien et région sidonnienne
ont un sens plus restreint.
Pour se convaincre que les Phéniciens nommés dans Homère
sont les Tyriens, il suflit de lire ces vers (2) :
é
x
Éo0c de Doivixes vauctxhuror nAuOoy Gvdpes
Teatro, pupt éyovres aOépparo vnt pehaivn.
» Illuc autem Phœnices navibus inelyti venerunt viri-
» Vafri, infinita agentes ludicra nave nigra. »
S’il y avait des Tyriens qui dominaient sur la plus grande par-
tie de la Phénicie et que leur puissance avait fait exclusivement
appeler Phéniciens, il y avait donc une ville de Tyr, quoique le
poëte ne la nomme pas. S'il avait décrit la côte de Phénicie, s’il
avait fait l’'énumération des peuples et des villes qui s’y trouvent,
comme il décrit, dans le second chant de l{liade, les peuples qui
prirent part à la guerre de Troie; si, dans cette énumération, il
avait oublié Tyr et nommé Sidon, ce serait sans doute un très
grand motif de douter de l'existence de Tyr à cette époque; c’est
ainsi que Pausanias(3)conclut que Messène n'existait pas au temps
du siége de Troie, parce qu'Homèré ne la comprend pas dans
l'énumération des villes qui- envoyèrent des soldats à ce siége ;
mais ilesi évident qu’une conclusion semblabie ne doit pas être
tirée du silence d'Homère par rapport à Tyr:; qu’il ne parle des
(4) Iliade, vr, 289-292. — xxur, 743. — Odyssée, 1v, 84. — xiu, 285. —xv,118.
(2) Odyssée, xx, 414-415.
(3) Pausanias, liv. 1v, premières lignes.
320 RECHERCHES SUR TYR ET FALÆTYR.
Sidoniens que par accident, principalement comme habiles ou-
vriers; et qu'on ne peut pas plus arguer de son silence contre
l'existence de Tyr que contre l’existence de toute autre ville de Sy-
rie, de Phénicie ou de Palestine dont on ne trouve pas le nom dans
ses poëmes. Le silence d’Homère n’est donc pas mêmeune pro-
babilité contre l'ancienneté de Tyr.
D'après tout ce qui vient d’être exposé sur la fondation de Tyr,
ilest évident qu’on trouve dans les auteurs anciens des opinions
bien différentes, mais elles ne sont pas contradictoires. Ne sait-on
pas, en effet, que souvent la fondation d’une ville a été attribuée à
un prince qui l'a seulement embellie ou fortifiée, ou à une colonie
qui en a augmenté la population et accru par là son importance ?
Ainsi Zéthus et Amphion sont dits, par Homère, Diodore et Pausa-
nias, avoir été les fondateurs de Thèbes, parce qu'ils joignirent la
ville basse à la Cadmée ({); ainsi la ville de Cius, sur la Propontide,
les villes de Sésamus, de Tium etde Cytorus, sur le Pont-Euxin, pas-
saient pour avoir été fondées par les Milésiens, quoiqu’elles exis-
tassent bien longtemps avant qu’elles recussent des colonies mi-
lésiennes : «N'est-ce pas ici Babylone la Grande que j’ai bâtie pour
être ma demeure royale (2)? » disait Nabuchodonosor, quoique
cette ville subsistât depuis plusieurs siècles. Ces exemples abon-
dent. Sans doute, nous pouvons dire l’année et souvent même le
jour où les premières fondations de telle ville moderne ont été
posées; nous savons par qui la ville de Lyon fut fondée, à quelle
époque la Roche-sur-Yon cessa d’être un bourg pour devenir la
ville de Napoléon-Vendée; mais qui pourrait dire d’une manière
précise quelles furent les origines d'Orléans, de Bourges, d'Autun ?
Par une circonstance quelconque, souvent fortuite, quelques fa-
milles se réunissent sur un point; avec le temps l’agglomération
augmente, la ville se forme.et n’est connue que quand elle compte
déjà un grand nombre d'années d'existence. Telle a dû être l’ori-
(1) Odyss., x1, 261. — Diod., liv. xix, ch. 53. — Pausanias, liv. 1x.
(2) Daniel, 1v, 30.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 21
gine de la plupart des villes; dans les premiers temps et pendant
bien des années ne cherchons ni date ni nom propre, nous ne les
trouverions pas ; presque toujours, dans les temps les plus reculés,
on est réduit à des conjectures, et le plus sage est de savoir
ignorer.
Que conclure de tout ce qui précède sur les origines de Tyr? À
mon sens, le voici : |
Le lieu où cette ville fut bâtie formait autrefois deux îles dis-
tincies; sur l’île la plus occidentale et de beaucoup la plus grande,
vinrent se fixer successivement des hommes appartenant à quel-
ques peuplades établies sur le continent, dans le voisinage de la
mer. Ces arrivées successives eurent lieu à diverses reprises, toutes
antérieures au xvi° siècle avant J. C. L'ile n’était plus déserte,
mais il n’y avait point encore de ville; une colonie venue d'É-
gypte y ayant abordé et s'y étant établie vers la fin du xvi siècle
avant notre ère, la population fut beaucoup augmentée, et dès
lors Tyr devint une ville importante. Son importance s’accrut
encore lorsqu’au milieu du xui° sièele avant 3. C., des Sidoniens
furent venus s’y fixer. La ville de Tyr n'occupait toujours que la
plus grande des deux îles; dans l’autre, il ne se trouvait que le
temple d’'Hercule, objet de la vénération des Tyriens,
Comme on le voit, je n'hésite pas à trancher la question. Je
dis nettement et positivement que tous les récits historiques, ainsi
que les traditions mythologiques, que j'ai recueillis et rapportés ne
voncernent qu'une seule et même ville de Tyr bâtie sur les rochers
ambrosiens ; que cette ville a reçu des accroissements considéra-
bles, mais qu’elle n'a pas changé d'emplacement depuis les temps
les plus reculés jusqu’au milieu du xin° siècle, époque à laquelle
nous sommes arrivés.
Alors qu'était-ce donc que l’ancienne Tyr ou Palætyr ? N’a-t-elie
donc pas précédé Tyr, comme son nom le ferait croire? Où était-
elle située? quels ont été ses rapports avec Tyr insulaire?
Sans nuire le moins du monde au résultat de: recherches que je
522 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
poursuis, à toutes ces questions et à toutes celles qu’il convien-
drait de faire sur Palætyr, je pourrais me dispenser de répondre.
Palætyr tient, dans l'histoire, une place si petite et tellement
insignifiante, les auteurs qui ont écrit ce nom sont si peu nom-
breux et si laconiques, qu’il serait permis d’imiter ces auteurs et
de n’attacher aucune importance à un lieu dont on n’a jamais
parlé qu’accidentellement, et sur lequel il n’a été donné aucun
détail historique quelque petit qu’il soit. Mais s’il est à peine ques-
tion de Palætyr dans les auteurs anciens, il n'en est pas ainsi dans
les travaux des érudits modernes ; Palætyr y joue un rôle exagéré
qui m'a jamais été le sien. Des hommes du plus vaste savoir aux-
quels je voudrais, en toutes circonstances, pouvoir témoigner une
respectueuse déférence, ont, à ce sujet, émis et soutenu avec
vivacité les opinions les plus étranges et les moins admissibles,
Ils se sont trompés, sans doute, mais il ne suffit pas de l’affirmer ;
leurs opinions doivent être sérieusement discutées ; c’est une obli-
gation qu'impose la haute position qu’ils occupent dans la science,
et dès lors il devient indispensable de donner une réponse aux
questions que j’ai posées.
Et d’abord que trouve-t-on sur Palætyr dans les auteurs anciens ?
Voici ce qu'on lit dans Quinte-Curce : Alexandre ayant dit aux
ambassadeurs tyriens qu’il voulait aller à Tyr offrir un sacrifice à
Hercule, les ambassadeurs lui répondirent qu’il y avait un temple
d’Hercule hors de la ville, dans ce lieu appelé par eux Palætyr, et
qu'il pouvait y faire son sacrifice : « Legati respondent esse tem-
».plum Herculis extra urbem in e« sede quam Palætyron ipsi
» vocant. » On lit encore que pour faire la chaussée qui devait
relier Tyr au continent, Alexandre ne manquait pas de pierres,
qu’on en tirait facilement des ruines du vieux Tyr : « Magna vis
« saxorum ad manum erat, Tyro vetere præbente (1). »
Comme Quinte-Curce, Justin fait dire à Alexandre, par les
(1) Quinte-Curce, liv. 1v, ch, 2.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 593
ambassadeurs tyrieus, que le prince ferait mieux d'offrir son
sacrifice dans le vieux Tyr où se trouvait un temple plus ancien :
« Quum legati rectius id eum in Tyro vetere, antiquiore templo,
« facturum dicerent (1). »
Arrien qui à donné les plus grands détails sur le siége de Tyr,
ne parle pas de Palætyr ; il en est de même de Plutarqne.
Josèphe ne dit que quelques mots sur le siége de Tyr par
Alexandre, et ne nomme pas Palætyr ; mais dans un autre endroit
des Antiquités judaïques, ce nom se trouve au nombre des villes
qui firent leur soumission au roi d’Assyrie Salmanasar, alors en
| guerre contre les Tyriens (2). Sidon, Arcé, l’ancienne Tyr et plu-
sieurs autres villes se séparèrent des Tyriens, et se soumirent au
roi des Assyriens : « Âtéorn ve Tupiov Ed dv, xai Ace, A À TédG
Tôpos, Haù moNat GNU mode, di TD Ty Âcovpiuv éaurac Buciei TApé-
docay. »
D'après Diodore de Sicile, Alexandre commença par démolir
Tyr appelée l'ancienne : « xaagëv ri ram Asyouévny Tgoy » dont
les masures inhabitées lui fournirent des pierres qui, transportées
continuellement par des milliers d'hommes, lui servirent à faire
une large chaussée (3).
Des historiens passons aux géographes. Strabon, Piolémée,
Pline et Étienne de Byzance nomment Palætyr ; mais de même que
chez les historiens, on ne trouve chez eux absolument aucuns ren-
seignements sur les différentes vicissitudes qui ont marqué son exis-
tence antérieurement à sa décadence, Cependant plusieurs d’entre
eux indiquent sa position et sa dépendance par rapport à Tyr.
-Strabon dit positivement que Palætyr était à 30 stades de Tyr,
c’est-à-dire à 5 kilomètres 555 mètres : Mer vav Tüpoy à Halairupog êv
Tpuxoveu crudioue (4) A
(1) Justin, liv. sr, ch. 40.
(2) Josèphe, Antig. jud., liv. 1x, 44.
(3) Diodore de Sicile, liv. xvu, ch. 7.
(£) Strabon, liv. xvr, p. 758.
524 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Ptolémée donne la même longitude à Tyr et à Palætyr : « How
rugos ; » mais il place ce dernier lieu sous le 35° degré 10 minutes de
latitude, tandis que selon son estimation la latitude de Tyr est de
33,20". Cette différence de 10 minutes équivaut à 100 stades ou
18 kil. 518 mètres. Évidemment la distance donnée par Ptolémée
est exagérée, si-elle se rapporte à la localité désignée par Stra-
bon ; mais elle prouve surabondamment que ce géographe plaçait
Palætyr au sud de Tyr (1).
Pline n'indique pas où était située Palætyr ; il dit seulement
que le circuit de Tyr et Palætyr est de 19 mille pas : « Circuitus
» xx millibus passuum est, intra Palætyro inclusa (2). »
Le passage de Scylax sur toute la Phénicie et sur Tyr en parti-
culier est très corrompu et jusqu'ici a paru fort peu clair aux
commentateurs qui se sont efforcés de le compléter et de l'inter-
préter. D’après la restauration que j’ai tentée, Scylax ne fait pas
mention de Palætyr, il dit tout simplement que la partie de Tyr
située sur le continent était traversée par un cours d’eau, que cette
partie de la ville et le cours d’eau dépendaient de Tyr. Téxv Tips
ROM, KA TOTAU.UG du uéonç et, za To Tüpou Écrt 4ai Tooauoc (3).
Palætyr n’est pas mentionnée dans Pomponius Mela, ni dans
:
1
(4) Ptolémée, Géogr., 5° édit. Paris, 1546, p. 278-284, ou éd. Bat., 4648, p. 158-
164. (12 500 pas. rom.),
(2) Pline, liv. v, ch. 47. — Du texte de Pline, M. Barbié du Bocage a conclu que
Tyr et Palætyr étaient enfermées dans une enceinte de 49 000 pas; sur son plan de
Tyr il a tracé cette enceinte près de laquelle il a écrit : murs de Palætyr. M. Barbié du
Bocage s'est trompé, je crois. Lorsque Pline veut faire connaître qu'une ville est envi-
ronnée de murailles, il le dit clairement ; c'est ainsi qu'il parle des murs (mænia) de
Rome. Le mot circuitus est fréquemment employé par le géographe quand il fait mention
de la circonférence d'une ville, d’une plaine... Ces mots : « Circuitus xx millibus pas-
suum, » servent donc simplement à constater que, du temps de Pline, l'emplacement
occupé par Tyr et Palætyr avait 49 000 pas de tour, c'est-à-dire 152 stades olympi-
ques, ou 28 kilomètres 148 mètres.
(3) Scylax, $ 104. — Poulain de Bossay, Essais de restitution et d'interprétation d’un
passage de Scylax.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 525
Denys le Périégète (1). Étienne de Byzance ne consacre pas d'ar-
ticle spécial à Palætyr ; il nomme Tyr ville située dans une île, sur
les côtes de Phénicie, et il ajoute qu'elle a aussi été appeiée Pa-
lætyr. Tigos vñcos év Douvixn . .… éANUN de xaù TaXairupos.
* Voilà tout ce que, dans les historiens, et dans les géographes, on
peut recueillir sur Palætyr, ou plutôt sur le lieu désigné sous le nom
de vieux Tyr. C’est peu, mais si nous examinons de près les Lextes
que j’ai cités, nous reconnaîtrons qu'on peut y trouver d’utiles
‘énseïgnements. Pour Quinte-Curce, justin, Diodore de Sicile et
Pline, le vieux Tyr (remarquons-le bien) n'est point une ville qui
soit ou qui ait été distincte de Tyr; c’est un lieu dépendant de
cette ville, et qui est compris dans le même circuit. Des paroles de
Strabon, l’on peut également tirer cette conséquence. Les expres-
sions dont se sert Diodore de Sicile signifient : la ville de Tyr
appelée l’ancienne, ou plutôt la partie de Tyr appelée le vieux Tyr.
Quinte-Curce et Justin disent toujours le vieux Tyr (Tyrus vetus),
et non Palætyr. Quinte-Curce est on ne peut plus positif; il dit
qu'un temple d'Hercule est dans cet endroit (in ea sede) situé
hors de la ville que les Tyriens nomment Palætyr. Il est de toute
évidence que, dans la pensée de Quinte-Curce, le vicux Tyr n’était
autre chose qu’un faubourg de Tyr insulaire. Pour les étrangers,
ce lieu n’avait pas de nom particulier, mais pour les Tyriens (ipsi),
c'était le vieux Tyr.
D’ nm Étienne de Byzance, Tyr et Palætyr seraient les noms
de la même ville, probablement à des époques différentes.
Ptolémée re fournit aucun renseignement sur les rapports de
Palætyr avec Tyr insulaire; mais ce géographe, ainsi que Strabon,
nous fait connaître la position que, de leur temps, ce lieu occupait
sur le continent.
A l'exception de Josèphe, aucun des auteurs cités ne fait men-
(1) Denys le Périégète n'a dit qu'on mot sur Tyr et c'est pour vanter son ancien-
. nelé : xat Tupoy oyoyénr..…, vers 914.
VII, 67
,
526 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
tion de l'existence simultanée des deux villes de Tyr et Palætyr.
En réalité, ce passage de Josèphe ne contient rien qui ne puisse
s’accorder avec les paroles des autres historiens. Plus loin je dirai
comment il doit être compris.
C’est donc entendu; les historiens et les géographes anciens
nous apprennent seulement qu'au milieu du dernier siècle avant
notre ère et plus tard, Palætyr était sur le continent à 30 stades
au sud de l'ile, et que le lieu ainsi désigné faisait partie de Tyr.
Pour tout le reste, nous en sommes réduits à des conjectures. Le
champ était vaste; il a été parcouru avec une merveilleuse richesse
d'imagination. ‘
À cette question : Palætyr est-elle plus ancienne que Tyr, et lui
a-t-elle donné naissance ? Sans aucun doute, répondent à la fois
des voix nombreuses. Puis, lorsqu'on vient à s'expliquer sur
l’époque de la fondation de la ville insulaire et sur le rôle qu’elle
a Joué, l'accord cesse aussitôt pour faire place à la plus grande
divergence d'opinions; le désaccord n’est pas moins grand lors-
qu’il s’agit de répondre à cette autre question : Où était située
Palætyr? Marsham, et après lui Prideaux, Rollin, Voiney, M. Pou-
joulat, le docteur Ott (1), et bien d’autres, veulent que tous les
événements qui ont rendu fameux le nom de Tyr, se soient ac-
complis à Palætyr; qu'après le siége de cette ville par Nabucho-
donosor, l’île ait été occupée par les Tyriens fugitifs; qu’à partir
de cette époque, Palætyr ait cessé d’être florissante pour devenir
plus tard un vaste amas de ruines. Telle est l’opiniôn des écri-
vains qui, aujourd’hui et depuis longtemps, copient sans examen
ce qu’ils ont lu ; le nombre en est considérable.
Ceci ne suffit pas à Périzonius (2); d'accord avec Marsham sur
(1) Poujoulat, Correspondance d'Orient, t. N, p. 498-500.
Ott. Manuel d'histoire universelle, liv. n, 2° partie, ch. 3.
(2) Perizonius, Origines babylonicæ et ægyptiacæ, édit. de Duker., Utrecht, 4736,
2 vol. petit in-8°,t. II, chap. 6, p. 100-130. — Ou Leyde, 1744, 2 vol in-8°, p. 82.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 527
l’époque de la fondation de la ville insulaire (1), il veut de plus
qu'après la retraite des Babyloniens, Palætyr soit restée la demeure
des rois ou juges des Tyriens. Pour lui, la ville de Tyr insulaire,
jusqu’au temps d'Alexandre, n’a été qu’une sorte d’annexe de Pa-
læetyr.
Au contraire, l’opinion de Marsham sur l’époque de la fonda-
tion de Tyr insulaire est repoussée comme inadmissible par un
grand nombre de partisans de l’antériorité de Palætyr. Vitringa,
Duker et Cellarius (2) croient que l’île de Tyr était peuplée avant
le temps de Nabuchodonosor ; que là se trouvait le navale, l’en-
trepôt de Palætyr.
D'accord jusque-là, ils ne le sont plus lorsqu'il s’agit de décider
laquelle des deux villes fut prise par le roi de Babylone. D’après
Vitringa, ce fut Tyr insulaire (3), et sous ce point il combat à
outrance l'opinion du savant anglais. Ce fut Palætyr, d’après
Duker, dont l'avis est partagé par Cellarius, qui fait remonter la
fondation de Tyr insulaire à une époque antérieure à Salmanasar.
Cette fondation, suivant D. Calmet, est due aux Sidoniens avec
le concours des habitants de Palætyr. Elle eut une population peu
nombreuse jusqu'à Hiram, qui habitait Palætyr, et qui, par une
chaussée, réunit l’île au continent. Nabuchodonosor assiégea Pa-
lætyr; pendant le siége, les Tyriens coupèrent la chaussée et se
retirèrent dans l’île; pour les atteindre, le roi de Babylone réta-
blit la chaussée ; Palætyr, prise de vive force, fut détruite et ne se
releva pas de ses ruines ; mais Tyr insulaire s’étant rendue par
(1) 1 ne nie pas cependant que l’île ait eu quelques habitants avant l'époque de Nabu-
chodonosor.
(2) Vitringa, Comment. in prophet. Isaiæ.
Duker, Note sur Perizonius, t. 11, p. 430.
Cellarius, Geographiæ antiquæ, lib. tertius, cap. 12, $ 95 et 96, p. 381.
(3) Rooke, commentateur d’Arrien, partage l'avis de Vitringa. T. I, liv.sr, chap. 24,
p.114. — David Kimchi (Commentaire sur Isaïe) pense que ce fut Tyr insulaire que
prit Nabuchodonosor, et qu'après 70 ans, le rétablissement eut lieu sur le continent.
528 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
composition, subsista encore avec éclat (1). C’est alors, dit
M. Poujoulat, que les Tyriens brisèrent la chaussée du roi de Ba-
bylone, et se firent de nouveau un rempart des flots de la mer (2).
M. de Sainte-Croix veut que Palætyr ait seule existé jusqu’au
temps de Hiram ; mais d'après ce savant, ce ne fut pas elle, ce fut
Tyr insulaire qui soutint un siége contre Nabuchodonosor (3).
Bochart va plus loin. Quoiqu'il admette que l’existence de Pa-
lætyr soit antérieure à celle de Tyr insulaire, c’est cependant dans
cette dernière ville qu’il place tous les événements qui con-
cernent Tyr; par conséquent, il fait remonter la fondation de cette
ville à une antiquité fort reculée (4).
Le voyageur Buckingham dit aussi qu’il est évident que les écri-
vains de l'antiquité n’ont eu en vue qu’une seule et même ville,
Tyr insulaire ; malgré cet aveu, il lui semble probable que, dans
les éloquentes paroles d’Ezéchiel, il s’agit d’une ville plus an-
cienne, située soit dans une île, soit sur le continent ; que ce fut
Palætyr (Tyr continentale) qui fut assiégée par Nabuchodonosor,
tandis que la ville prise par Alexandre a été Tyr insulaire (5).
M. Movers, ainsi que Bochart, pense que Tyr est fort ancienne,
mais que Palætyr l’est encore davantage. Toutes deux, quoique
séparées par le détroit, ne formaient qu’une seule ville. Avant les
guerres contre les Assyriens, Palætyr ou la ville continentale’était
Ja plus importante; mais du vii° au vi: siècle avant notre ère, à la
suite de guerres soutenués contre les Assyriens et autres peuples
d'Asie, Palætyr perdit toute importance, et Tyr, au contraire, de-
vint de plus en plus florissante (6).
“
(1) D. Calmet, Commentuire sur Josué, ch. x1x, v. 29.
(2) Poujoulat, Correspondance d'Orient, t. V, p. 500.
(3) Sainte-Croix, Examen critique, p. 269.
(4) Bochart, Phaleg., Liv. 1v, ch. 35. — Chanaan, liv. u, ch. 17.
« Ea quippe vetustiorem esse Palætyrum, vel ipso nomine constat. »
(5) Buckingham, Travels in Palestine, p. 47.
(6) Movers, Das phœnisische Alterthum. Erster Theil. Buch. I, cap. 6.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 529
M. de Bertou est également d'avis que la fondation de Palætyr a
précédé celle de Tyr; mais il n’accorde une très haute antiquité
ni à l’une ni à l’autre, Snivant Jui, Palætyr, fondée par les Sido-
miens, envoya des habitants dans une des îles tyriennes. lille con-
tinua à exister en même temps que sa colonie dont elle devint
tributaire. Tous les grands événements qui ont fait de Tyr une
ville célèbre ne la regardent pas (t).
Par ce qui précède, il devient évident qu'à l'exception de Mars-
ham et de Périzonius, tous les auteurs qui, ayant étudié la ques-
tion avant de se prononcer, ont cru devoir admettre l’antériorité
de Palætyr, ont cependant rejeté formellement l'étrange opinion
de Marsham sur l’époque de la fondation de Tvr insulaire. « Des-
tmuctio veleris Tyri fuitorigo novæ. » Maïs ce n'est pas tout. Des voix
très nombreuses et fort imposantes se sont élevées pour défendre
l'antériorité de Tyr insulaire.
Suivant Desvignoles, qui a étudié cette question avec lant de
soin, Tyr fut d’abord bâtie dans l’île; c’est la que vécurent Hypsu-
ranius, Agénor et Cadmus. C’est là qu'aborda la colonie des Sido-
niens. Puis au temps des juges, les Tyriens, devenus riches et
puissants, fondèrent une seconde ville sur la terre ferme, en face
de ja première et fort près du bord de la mer. Les rois conti-
nuèrent à faire leur résidence dans l’Agenorium jusqu’au règne de
Hiram ; ce prince transporta le siége du gouvernement dans la
ville continentale qu'il augmenta et embellit. A partir de cette
époque, l'insulaire perdit de son importance et fut appelée ja
vieille Tyr. Puis la ville continentale ayant été assiégée par Salma-
nasar et ruinée par Nabuchodonosor, les Tyriens se retirèrent
presque tous dans l'ile. La ville insulaire devint florissante de
nouveau et cessa d’être nommée Palætyr; la ville continentale
n'ayant pas été rebâtie, les Tyriens s’habituèrent à l’appeler la
vieille Tyr (Palætyr), et c'est par ce nom qu’on l’a toujours dé-
(1) De Bertou, Essai... p. 46.
530 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
signée depuis sa ruine. Ainsi, d’après Desvignoles, Palætyr c’est
Tyrinsulaire depuis Hiram jusqu’à Nabuchodonosor, et Tyr con-
tinentale dans les temps postérieurs (1).
Suivant Reland, le P: Romain Joly, l'abbé de Fontenu, Tyr
insulaire existait dès les temps les plus reculés, ou du moins dès
le xm° siècle avant J. C. ; c’est de Tyr et non de Palætyr que les
prophètes et les écrivains profanes ont parlé dans leurs ouvrages ;
quant à Palætyr, c'était un lieu peu important (?)
L’Anglais Whiston, traducteur de Josèphe, à fait de grands
efforts pour approfondir la question, et voici le résultat de ses re-
cherches et de ses réflexions : Palætyr était la petite ville fortifiée,
appelée Tyr, située sur le continent près des sources de Salomon,
celle dont il est fait mention dans le livre de Josué. Lies habitants
de cette ville, chassés par les Hébreux, se retirèrent dans une
grande île unie au continent par une étroite langue de terre; à
proprement parler, c'était une péninsule ayant des villages dans
ses champs. La nouvelle Tyr se procurait de l’eau, qu’elle faisait
venir des puits de Salomon, au moyen de canaux placés sur la
langue de terre. Elle fut attaquée par Salmanasar, prise et détruite
par Nabuchodonosor, rebâtie 70 ans après, puis entièrement dé-
truite ainsi que l’isthme, par la mer qui avait franchi ses limites
habituelles. Les Tyriens qui ne périrent pas, habitèrent une petite
île adjacente, que Hiram avait réunie à la grande par une chaussée.
C’est cette nouvelle ville qui fut prise par Alexandre. Ainsi trois
villes de Tyr : la première, Palætyr, sur le continent; une seconde,
la plus célèbre, dans une grande île aujourd’hui submergée ; une
troisième, dans une petite île où se trouve la moderne Tsour (3).
Une autre opinion s’est produite. C’est une opinion de conci-
(1) Desvignoles,!£. IL, liv. 1v, Ch. 4.
(2) Reland, Palæstina…, lib. mx, p. 4050. — Le P. Romain Joly, Géogruphie sacrée,
lettre xv, p. 178. — Abbé de Fontenu, Académie des inscriplions et belles-lettres,
t. XVII, p. 17. !
(3) Whiston's Josephus, Autig. jud., liv. vu, ch, 2, 8 8.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 531
liation qui écarte la question d’antériorité. Mannert et Heeren
pensent que, dès les temps fort anciens, les deux villes ont existé,
l’'insulaire très peu habitée, la continentale beaucoup plus consi-
dérable. Après la prise de cette dernière, l’insulaire devint le
siége du gouvernement; elle fut agrandie, embellie, et devint
plus peuplée; sa puissance et ses richesses s’accrurent, tandis que
la continentale tombant en ruines ne fut plus connue que sous le
nom de Palætyr (4).
M. Hengstenberg adopte cette opinion, en y ajoutant toutefois
une circonstance fort importante et nullement probable. Suivant
lui, le détroit n’existait pas dans les siècles reculés; la ville de
Tyr occupait le sol qui, plus tard, fut une île, et une partie de la
plage située en face ; les deux parties de la ville étaient réunies par
unisthme, et ne formant qu’une seule cité, elles portaient le même
nom. Ce fut la partie continentale et la moins importante que prit
Nabuchodonosor; l’isthme fut détruit pendant ou avant ce siége
soit par la main des hommes; soit par un événement fortuit. Dès
lors Tyr insulaire prospéra et Tyr continentale devint de moins
en moins considérable et reçut le nom de Palætyr (2).
Au milieu de, ce conflit d'opinions diverses et souvent contra-
dictoires on se demande quel était l'avis de d’Anville sur cette
question. Malheureusement l’éminent géographe ne l’a pas élu-
cidée. Il se borne à dire qu’il y a eu deux villes de Tyr, Palætyr et
Tyr dans l'ile et que le temps de la transmigration n'est pas trop
connu (3). Hésitant comme d’Anville, Coccéjus avait déja dit avant
lui : de qua (urbe) hic sermo, dubium doeclis.
La même divergence d’opinion se manifeste si l’on vient à cher-
(1) Mannert, Géogr. des Gr; et des Rom, VE, p. 363.
Heeren, De la polilique et du commerce des peuples de l'antiquité, t. II, ch. 41®.
Dans une note, Heeren avoue que le récit de Josèphe ferait présumer que, du temps de
Salmanasar, Tyr insulaire était déjà la capitale de la Phénicie.
(2) Hengstenberg, De rebus Tyriorum, p. 3 et &.
(3) D’Anville, Géographie ancienne abrégée, t. IL, p. 48.
552 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
cher l'emplacement qu'occupait autrefois Palætyr: Deux grandes
autorités, Reland et Celiarius, guidés par lesindications de Strabon
et de Ptolémée, ont placé Palætyr près! des puits de Salomon.
Effectivement, du temps des deux géographes grecs, c’étaitilà que
se trouvaient les ruines principales et les mieux conservées de
Tyr continentale, ruines qui portaient le nom de-Palætyr; mais
si, comme le veut Marsham, cette ville a seule existé jusqu’au
vi‘ siècle avant l'ère chrétienne, si elle n’occupaitique l’emplace-
ment indiqué avec précision par Strabon, si enfin Tyr insulaire
n’a été fondée qu'après Nabuchodonôsor, à quoi bon l’aqueduc ?
à quoi bon ce gigantesque travail qui a exigé tant de peine et de
dépenses ? travail dont on ne peut placer l'exécution après les
guerres contre les Assyriens; puisqu'il en est déjà question au
temps de Salmanasar. Les puits se trouvaient au milieu de la cité
qu'on dit avoir été l'unique ville de Tyr à cette époque; dès lors
l’aqueduc n'était d'aucune utilité pour y conduire les eaux qui
s'en échappent. Aurait-il donc été exécuté pour diriger l’eau des
fontaines hors de la ville? Quelle nécessité, : lorsque le ruisseau
qui en conduit une grande partie à la mer, pouvait parfaitement
y conduire la totalité ? et d’ailleurs, dans cette hypothèse, la direc-
tion donnée à l’aqueduc-ne saurait être expliquée.
Cette considération avait amené Volney à placer la première
Tyr sur le rocher de Maschouk, où va aboutir l’aqueduc. Il se
trompait, mais son erreur s'explique puisque, lui aussi, croyait que
l'île de Tyr n’était habitée que depuis Nabuchodonosor. Il semble
même ne pas savoir qu'il y ait eu le moindre doute à cet égard (i).
indépendant des récits historiques que j’ai rapportés et de ceux
qui me restent à faire connaître, l’étude des lieux ne permet pas
d'admettre l'hypothèse de Volney. Les Tyriens choisirent cette
position, dit-il, parce qu'ils y trouvèrent l'avantage d’un lieu
propre à la défense, et celui d’une rade très voisine qui, sans la
1) Volney, Recherches sur l'histoire ancienne, t. II, p. 247.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 533
protection de l’île, pouvait couvrir beaucoup de vaisseaux. Volney
oublie que, d’accord avec tous les historiens anciens et mo-
dernes, il a dit ailleurs que la rade de Tyr est très mauvaise ;
elle l'était bien plus encore avant la construction de la chaussée
et de la grande digue méridionale. Ne pouvant se contenter
d'une rade si peu sûre, les Tyriens auraient-ils creusé un port
sur le rivage? Aucun auteur n’en a parlé, et il ne faut pas oublier
que Quinte-Curce et Arrien, qui ont donné des renseignements
détaillés sur le siége de Tyr, n’ont rien dit qui puisse faire
soupconner qu'il y ait jamais eu un port sur le continent vis-à-vis
de l'île,
Encore aujourd’hui il est facile de distinguer l’ancien rivage et
les ensablements successifs ; et si un port eût existé, soit en face du
monticule, soit plus au sud du côté des puits (1), les anciens
auteurs ne l’auraient pas laissé ignorer, et l’on pourrait en recon-
naître les traces. Le rocher a 200 mètres de circuit. Comment
croire qu'une ville si puissante ait pu n’occuper qu’un si petit
espace qui conviendrait tout au plus à un village? Le commerce
de Tyr étant principalement un commerce maritime, cette ville ne
pouvait être éloignée de 2000 mètres de la mer. On peut répondre
sans doute {et c’est l'opinion de Volney) que le rocher, d’abord
siége principal de la ville, n’est plus resté que la citadelle, et que
la ville s’est étendue dans la plaine jusqu’au rivage. Ceci n'est
qu’une supposition que rien, dans les écrivains de l'antiquité, ne
peut justifier. Entre le rocher et la mer, il a existé de nombreuses
constructions, ce n’est pas douteux, on en trouve encore des ves-
tiges ; mais ces vestiges de constructions ne prouvent pas le moins
du monde que d'abord Tyr ait été bâtie sur le rocher de Mas-
chouck.
L'opinion erronée de Volney a cependant été adoptée par plu-
(4) M. Barbié du Bocage suppose qu'il existait un port à l'embouchure du ruisseau ;
rien n’aulorise cette supposition.
VIL. 68
GET RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR,
sieurs voyageurs et géographes, entre autres par le savant colonel
Jacotin, par Burckhardt et Berghaus (1).
Ne tenant nul compte de l'indication donnée par les deux géo-
graphes grecs, Adrichomius dans ses Tables (2), D. Calmet dans sa
Carte de la Terre promise qui accompagne ses Commentaires sur le
livre de Josué, et les cartographes qui ont suivi leurs errements (3),
placent à tort Palætyr sur le bord de la mer, vis-à-vis de Pile,
faisant de ce lieu une ville parfaitement distincte de Tyr. Moi-
même j'ai commis cette erreur que je n’ai plus besoin de démon-
trer ; elle ressort évidemment de tout ce que je viens de dire.
Une autre erreur plus grave encore consisterait à donner en
étendue à Palætyr tout l’espace compris dans le circuit de 19 000
pas dont parle Pline. Il s'y trouvait des jardins, des plants d’oli-
viers, des vignes et même des champs, toutes choses que M. Mo-
vers pense avoir existé dans Tyr insulaire; il se trompe, je
crois (4). Après les travaux de nivellement et d’agrandissement
exécutés par Héram, il a pu, il a dû même y avoir dans l’île des
jardins, peut-être aussi des vignes et des oliviers; mais plus tard,
au temps de la prospérité de Tyr, rien de semblable n’existait;
quelque étendue qu’on puisse donner à la partie occidentale de la
ville, aujourd’hui engloutie sous les eaux, l’espace était trop res-
treint, et à l'exception de la place publique, partout le sol était
couvert d’édifices. Tous les auteurs sérieux ne nous laissent aucum
doute à cet égard. Au contraire, la superficie continentale indiquée
(1) Le colonel Jacotin, dans la 47° feuille dela carte d'Égypte. — Berghaus, Karte,
von Syrien den -manen Jacotin’s und Burckard’s. Gotha, 1835.
(2) Adrichomius, Theatrum terræ sanciæ. Tab. Aser.
(3) Nic. Samson, Phil. de la Rue, Lighsfoot, Hérisson, Toussaint, van de Cotte.
Ont placé Palætyr d’après les indications de Strabon et de Ptolémée : d'Anville,
Lapie, Brué, Reichart, Barbié du Bocage, Grimm, Schinck, Krause, Creighton, An-
driveau, van de Velde,
N’ont pas cru devoir placer Palætyr sur leurs cartes : Zimmermann, Kiepert, Ar-
rowsmith, Dufour, Adlard, Mayr, Callier, de Bruyn, Robert, Robinson.
(4) Voyez plus haut, chap. n, p. 487.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 535
par Pline était trop considérable pour qu’on puisse supposer un
seul instant que tout le terrain était occupé par des monuments
et des habitations.
Si l’on retranche l’île et la chaussée, dont le circuit total était
de 30 stades ou 5 kil. 555 mètres, il restera pour Palætyr 129 stades
ou 22 kil. 592 mètres. Une aussi vaste superficie, égale et même
un peu supérieure à celle de Paris avant son dernier accroisse-
ment, si partout elle eût été couverte de constructions habitées,
aurait pu contenir plus de 890,000 habitants ; ajoutez-y la popu-
lation si compacte de Tyr insulaire, et vous arriverez à créer
une ville hors de proportion avec ce qui a été "dit de Tyr, de sa
population et de celle de toutes les autres villes de Phénicie.
Eette supposition est formellement démentie par tout ce que
nous savons de Tyr qui, ne trouvant pas chez elle les matelots,
les soldats et les ouvriers de toute nature dont elle avait besoin,
les recrutait dans les divers pays qu’elle parcourait pour son
commerce.
Et cependant cette immense étendue donnée à Palætyr ne sa-
tisfait pas encore M. Movers; il veut que la ville se soit prolongée
au nord jusqu’au fleuve appelé aujourd’hui Nahr-al-Kasmyié ;
c’est-à-dire qu'il fait de Palætyr une ville à peu près aussi vaste
que Paris actuel; c'est une bien grande exagération (1).
Il me reste à faire connaître une dernière opinion qui a été
émise par M. de Bertou et qui s'éloigne plus que toute autre de ce
qui a été écrit sur Palætyr.
M. de Bertou croit que les hypogées d’Adloun ont servi de lieu
de sépulture à la fois aux habitants de Palætyr et de Tyr, sa co-
lonie ; et, contrairement à l'assertion positive de Strabon, et à
(:) Movers, Das Phœnizische… Buch. I, cap. 7. — L'exagération serait bien plus
grande encore si l’on prétendait que la ville de Palætyr ait couvert autrefois toute la
plaine de Tyr. Usserius pense que Tyr agrandit ses limites, hors de l’île, après la
guerre contre Alexandre (Ælas mundi, VI); il est loin de prétendre que l'agrandisse-
ment embrassât une superficie d'environ 30 kilomètres de circuit.
536 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
tous les renseignements fournis par Ptolomée, Quinte-Curce,
Justin, Diodore de Sicile... dont aucun n’a dit ou laissé com-
prendre que Palætyr füt au nord de Tyr, contrairement à l’opi-
nion de tous les auteurs modernes, il place Palætyr à Adloun,
près de cette nécropole (1).
Jai reproduit ce que les anciens ont dit de Palætyr ; j'ai rap-
porté les conjectures des auteurs modernes ; voici les miennes :
À une époque fort reculée, nous le savons, les premiers fon-
dements de la ville de Tyr avaient été jetés sur la plus grande
des îles ambrosignnes; les colonies qui vinrent s’y établir contri-
buèrent puissamment à accroître sa prospérité, en même temps
qu’elles augmentèrent beaucoup sa population. L’eau recueillie
dans des citernes devenant insuffisante pour tous les besoins des
habitants, les Tyriens éprouvèrent la nécessité de s’en procurer
hors de l’île. Les sources, appelées plus tard puits de Salomon,
en fournissaient avec abondance; elles étaient à environ 5 kilo-
mètres du point de la côte le plus rapproché de Tyr. On amena
l'eau de ces puits non pas directement vers la ville, mais on la fit
arriver dans un réservoir situé au pied du rocher de Maschouck
qui n’est qu’à 2 kilomètres dela mer. C’est à, pendant longtemps,
que les Tyriens allèrent chercher l’eau qui leur était nécessaire ;
puis, plus tard, l’aqueduc fut continué jusqu’à un autre réservoir
bâti sur le rivage, en face de l'île. Je crois inutile de rechercher
sile grand travail, dont il subsiste encore des ruines dans un par-
cours considérable, date des premiers temps de l'existence de
Tyr; il a pu être restauré, reconstruit en partie; je n’en sais rien
et ne conteste pas; mais ce qui me paraît incontestable, c’est que
la construction de l’aqueduc remonte à un temps très ancien,
puisque l’eau a eu Le temps de former, par ses infiltrations, des
stalactites considérables. Et quand bien même cette preuve maté-
rielle n’existerait pas, je dirais encore que l’aqueduc date des pre-
(1) De Bertou, Essai.…, p. 72 et suiv.
KECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 537
miers âges de Tyr, parce qu’il était destiné à procurer une chose
d’une urgente nécessité.
Il fallait protéger l’aqueduc contre toute tentative hostile; on
établit des corps de garde près des fontaines, sur le rocher de
Maschouck, et ensuite près du réservoir situé sur la côte. Ce que
je viens de dire explique pourquoi l’aqueduc ne suivait pas la
ligne la plus courte à travers la plaine de Tyr, pourquoi il abou-
tissait d’abord au rocher avant de porter à la ville l’eau des puits
de Salomon.
Le rocher dominait la plaine; les Tyriens n'avaient pas tardé à
sentir la nécessité de l’occuper ; il fut environné de fortifications,
et je pense que c’est du rocher devenu forteresse tyrienne et non
de Tyr elle-même qu’il est question dans le livre de Josué et dans
le Il livre des Rois (1). Ces fortifications, toujours bien gardées,
mettaient à l’abri de toute insulte et le réservoir et les tombeaux
des premiers Tyriens; les établissements dont je vais parler y
trouvaient également une protection.
Les Tyriens faisaient un immense commerce, et leursnombreux
vaisseaux, parcourant tous les pays, pénétraient jusque dans
l’océan Atlantique. Cette marine exigeait une grande quantité de
bois de construction qu'ils allaient chercher principalement sur
le mont Liban. Les navires étaient construits dans le port de
Tyr, mais l’île étant trop petite pour qu’on püt y établir‘ de vastes
chantiers destinés aux approvisionnements, ainsi que tous les
magasins nécessaires aux constructions navales, les Tyriens durent
les placer sur le continent; sous la protection des corps armés
(1) Scaliger, Fragmenta Emendat., p. 19.—Bochart, Phaleg., rv, 35, et Chanuan,
11, 17. —Vossius, Ad Scylacem, p. 104.—Noris, Annus et epochæ syro-macedonum, etc.,
1V, 2. — Huet, Demonst. evang., 1v, 13. — Leclerc, Livres historiques, sont d'avis
qu'il s’agit, dans Josué, de Tyr continentale.
Quant au passage des Rois (liv. II, ch. xxiv, vers. 7), on lit dans la Vulgate : « Trans-
» ierunt prope mœnia Tyri ; » dans la Bible des Septante, le texte hébreu est tout autre-
ment traduit : es Modao Tüpou, ils vinrent dans Mapsar de Tyr, c'est-à-dire vers le lieu
fortifié de Tyr.
538 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
chargés de surveiller et de défendre l’aqueduc. Quoique la ville
füt d’abord plus étendue vers l’ouest qu’elle ne l’a été plus tard,
le manque d'espace se fit surtout sentir avant le x° siècle, lorsque
l’'Eurychore n’était point encore nivelé et réuni à la ville.
Tyr ne faisait pas uniquement un commerce maritime ; avec les
peuples voisins, habitant le continent, il s'établit nécessairement
un commerce d'échanges, il s’établit un commerce d'importation
ét d'exportation: Pour la commodité des relations avec ces peu-
ples, il fallait un entrepôt sur ia terre ferme; le contraire ne se
concevrait pas ; cet entrepôt fut naturellement placé près des éta-
blissements que nous connaissons déjà. Là aussi s’élevèrent des
habitations pour les ouvriers et pour les marchands que les tra-
vaux êt les affaires commerciales amenaïent on retenaient sur le
continent. Un temple, je n’en doute pas, dut être érigé sur le
rocher de Maschouck ou près des fontaines, les deux endroits où
je suppose que la population était le plus agglomérée.
Ce n’est pas tout. L'activité laborieuse des Tyriens n’était pas
entièrement absorbée par les transactions commerciales. L’agri-
culture n’était pas négligée parmi eux, et encore aujourd’hui, à
une certaine distance de la côte, principalement près des collines
à l’est de la plaine, on trouve fréquemment des vestiges d’établis-
sements agricoles, avec un outillage complet d'exploitation (auges,
pressoirs, meules) (1).
Tout ceci ne constituait pas une ville; comme je l’ai déjà fait
remarquer, ce n’était qu'un immense bribeues de Tyr, par con-
séquent, ce lieu n'avait pas de mom particulier; et quand les
peuples voisins y venaient attirés par leurs affaires, ils disaient
venir à Tyr.
Mais remontons plus loin. Antérienrement à la fondation de
Tyr, ce lieu a pu être habité; avant que Tyr eût atteint un cer-
tain degré de prospérité, il a pu être habité et ne pas dépendre
(4) M. Renan, Rapport à l Empereur.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 539
de la ville insulaire. Ce n’est point impossible, et je suis même
porté à le croire.
Atürés par l'abondance des eaux, les pasteurs, premiers habi-
tanis de ces contrées, ont dû souvent se grouper auiour des puits
et près du ruisseau qui en découle. Peut-être même quelques-uns
d’entre eux ont-ils franchi le détroit et sont-ils venus contribuer
à peupler l’île. Qui peut le nier ou l’affirmer d'ane maniôre posi-
tive? Sur ce point nous ne pouvons invoquer que le témoignage
de Sanchoniaton et de Nonnos; mais voici ce qu'il est facile d’af:
firmer : si, avant l'occupation de la plaine par les Tyriens, les
pasteurs ont formé autour des puits un établissement permanent,
cé qui est douteux , cet établissement n’a pas laissé de nom, et
assurément ce n’est pas celui de Jyr qui ne convient qu’à un lieu
élevé. Ce n’est donc pas la station près des fontaines qui à donné
son nom à Tyr insulaire, c’est au contraire de cette dernière
qu’elle l'a reçu, parce qu’elle n’en était qu’une dépendance. Que
si l’on place le premier établissement sur le monticule de Mas-
chouck, comme le veut Volney, alors la construction et la direc-
tion de l’aqueduc sont justifiées, alors aussi le nom de Tyr
conviendra à la ville, ce nom aura pu passer du rocher à l'île;
c'est vrai, mais cela seul est vrai, et tous les faits que j’ai rapportés
ainsi que ceux qu'il me reste à faire connaître, donnent à cette
opinion un démenti perpétuel.
Du x” au vin’ siècle, avant mais surtout pendant et après
le règne d'Hiram, Tyr atteignit un haut degré de prospérité et
de puissance, et les établissements situés sur le continent tre-
çurent d'immenses augmentations. Plusieurs d’entre eux, prin-
cipalement ceux où l’on se livrait à la culture des terres, étaient
fort éloignés des puits et du rocher; pour les mettre à cou-
vert de toute attaque subite, et pour défendre de toute profa-
nation les nombreuses sépultures des Tyriens, un mur d’enceinte
fut peut-être construit sur les collines qui bornent la plaine. Je
dois l'avouer cependant; l'existence de ce long mur est peu pro-
540 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
bable, et jusqu'ici nulle trace n’en a été retrouvée. Dans Ézéchiel,
il est question des murs de Tyr qui seront attaqués et détruits-par
les Babyloniens, mais il me semble que la menace du prophète
regarde uniquement les murs de la ville insulaire (1); et rien
n'autorise à croire qu’une muraille défensive existät lorsque le roi
de Babylone, vainqueur de Jérusalem, résolut d'anéantir la seule
ville qui bravât sa puissance. Les Tyriens lui résistèrent pendant
_ treize ans ; mais longtemps avant la prise de Tyr insulaire, tous
les établissements situés sur le continent étaient tombés au pou-
voir de Nabuchodonosor qui, durant ce long siége, les saccagea
et les démolit en grande partie.
Déjà, plus d'un siècle avant Nabuchodonosor, Salmanasar avait
été maître de cette partie continentale de Tyr à laquelle on donne
communément le nom de Palætyr (2). Ses soldats y avaient sé-
journé pendant cinq ans ; on pourrait dire que la ruine de Palætyr
_ serait due à ce long séjour des Assyriens ; ou bien encore on pour-
rait l’attribuer aux Tyriens eux-mêmes qui n'auraient pas voulu
qu’elle fût restaurée et auraient même contribué à sa destruction,
afin de n'avoir pas de nouveau, si près d’eux, une ville qui pût les
abandonner et prendre parti pour leurs ennemis. Je ne puis être
de cet avis, puisque je ne crois pas que le lieu appelé Palætyr ait
jamais été une ville distincte de Tyr, et que, d’ailleurs, je pense
que cette importante dépendance de la ville insulaire n’était point
détruite lorsque Nabuchodonosor fit son expédition en Phénicie.
Après la retraite du grand roi, les établissements tyriens, saccagés
par les Babyloniens, ne furent pas rétablis dans leur premier état,
ce que je m'explique ainsi : la plus grande partie des Tyriens fu-
gitifs revinrent dans leur île, mais quelques-uns furent emmenés
par le vainqueur, et Tyr, comme les autres villes de la Phénicie,
(1) Voyez plus loin, chap. v.
(2) Il n’est pas certain que, du temps de Salmanasar, la partie continentale de Tyr
portât déjà le nom de Palætyr, et que dans le texte de Josèphe, cité plus haut, il faille
lire n æalœ Tupos:
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 541
reconnut l'autorité des rois de Babylone et ensuite celle des rois
de Perse. Or, ces princes purent mettre obstacle au rétablissement
complet d’un lieu fortifié qui pouvait opposer une grande résis-
tance.
Pendant un siége de treize.ans, Tyr n'avait pas entièrement
interrompu ses relations commerciales. Pour s'y livrer, pour en-
tretenir sa marine, elle avail en partie remplacé les établissements
et les magasins dont elle était privée, et c'était dans différentes
villes de la côte phénicienne, depuis Aradus jusqu'a Ascalon qu'elle
les avait placés ; elle les maintint dans ces villes sur lesquelles elle
avait autorité, et les augmenta depuis le départ des soldats de Na-
buchodonosor. Enfin, quoique Tyr continuät à être très floris-
sante par ses-richesses, son industrie et son commerce, néanmoins
elle ne régnait plus sans partage, ou du moius sans rivale, sur
toutes les mers; elle trouvait une concurrence redoutable dans
plusieurs colonies grecques établies sur les côtes de l'Asie et dans
des îles voisines de ces côtes. Les vastes établissements créés par
Tyr sur le continent ne lui étaient plus aussi nécessaires, ou bien
elle sut s’en passer; elle ne releva pas ceux qui étaient détruits,
et laissa tomber en ruines ceux qui subsistaient encore.
Tout ne fut pas détruit. Au temps de Strabon, la principale
agglomération d’édifices encore debout était située près des fon-
taines et du ruisseau; voilà pourquoi ce géographe place Palætyr
à 30 stades de Tyr (1). Mais à l’époque d'Alexandre, un grand
(4) La mesure de 30 stades ne permet pas de douter que Strabon ait appelé Palætyr [a
ville formée des anciens établissements tyriens qui, de son temps, subsistaient encore
près des fontaines. Si donc Ptolémée a voulu donner la latitude de ce même lieu, lor:-
qu'il fait mention de Palætyr, il est évident que le texte du géographe égyptien, tel que
nous l'avons, contient une erreur. Les 10 minutes de différence entre les latitudes de
Tyr et de Palætyr équivalent à 400 stades olympiques (12 500 pas romains, 48 kilom,
548 m.). Or, à 100 stades de Tyr, divers voyageurs, parmi lesquels je nommerai M. de
Saulcy et M. Renan, ont vu et décrit des ruines imposantes, connues aujourd'hui sous
le nom de Oum-al-Avwamid (la mer des colonnes). Ce lieu est « le point où l'antiquité
phénicienne est le mieux conser-ée; c'élail une dépendance de Tyr, et l'appellation
F VII 69
s
512 RÉCHERCHES SUR TYR ET PALÆETYR.
nombre d’édifices plus voisins de l'île n’avaient pas encore dis-
paru ; les matériaux qu'on en tira servirent à la construction de
la chaussée. La confirmation de ce que j'avance se trouve dans ces
paroles de Quinte-Curce : Magna vis saxorum ad manum erat.
Quelles qu’aient été les causes de sa ruine, comme ce lieu
n'avait jamais été qu'un faubourg de Tyr, ce qui en restait
fut appelé vieux Tyr, par l'habitude fort naturelle de consi-
dérer comme vieux ce qui n’a plus l'apparence de la wie. Le
nom de Palætyr a donc été donné d’abord au vaste emplacement
qui, en partie du moins, avait été jadis occupé par des établisse-
ments tyriens; puis ce nom n’a plus été appliqué qu’aux habi-
tations groupées autour des puits ; alors le reste ne fut plus qu'un
lieu dont on ne s'occupe pas, dont on wa plus besoin, dont on
hâte peut-être la destruction pour convertir en champs cultivés le
terrain qui fut autrefois couvert d’édifices. Par le nom de Palætyr,
il ne faut donc pas entendre une ville plus ancienne que Tyr, et
qui lui a donné naissance ; ïl ne faut pas davantage entendre un
quartier dela ville de Tyr, plus ancien que les autres, mais un peu
moderne de Oum-al-Awamid n'a pas fait disparaître tout à fait un nom plus ancien :
Medinet-al-Touran, où l'on doit voir la traduction de cles Tugiows. » — Il est possible,
je dirai même il est probable, que Ptolémée, sous le nom de Palætyr, n'a pas désigné le
même lieu que Strabon. Tloæirupos de Ptolémée, c'est bien le vieux Tyr, c'est-à-dire
une des anciennes dépendances de Tyr, mais ce n'est pas la partie du vieux Tyr indiquée
par Strabon et par Pline. Je suis très frappé de cette considération que les 40 minutes
ou 400 stades de Ptolémée nous portent précisément sur les grandes et belles ruines
tyriennes décrites récemment par M. Renan. D'autres circonstances m'engagent encore
à croire que le texte du géographe est exact et qu'il exprime une chose wraie de son
temps. 4° Ptolémée ne fait pas mention de Palætyr au nombre des localités situées sur
le bord dé la mer; il le place parmi les villes de l’intérieur des terres, ceiqui convient
mieux à Oùm-al-Awamid qu'à Raz al-Aïn; 2°à Oum-al-Awamid, l'antiquitéphénicienne
apparaît dans toute sa pureté, sans aucun mélange de l'époque romaine; 3°%enfin,
aucun géographe ne fait connaître le mom de la localité qui a laissé de telles ruines.
Borrama, Gigarton, Trierès, Calamos, Sycaminôn, la ville des Crocodiles, ont trouvé
place dans les écrits des géographes, malgré leur peu d'importance;sile lieu dontnous
nous occupons n'est pas mentionné, c'estqu'il n'avait pas denomvparticulier ; c'était un
quartier éloigné de Tyr. .
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 543
délaissé, un quartier qui n’est plus restauré, embelli ; ainsi Pa-
lætyr n’était pas même Le vieux Tyr, comme nous disions le vieux
Paris, lorsqu'il y avait un vieux Paris (1).
Ce ne sont là que des conjectures, je le confesse ; mais elles ac-
quièrent un grand degré de probabilité lorsqu'on étudie avec soin,
dans l’histoire de Tyr, tous les événements qui sont propres
à éclairer la question.
CHAPITRE IV.
RENSEIGNEMENTS HISTORIQUES SUR TYR, DU XI° AU VIII SIÈCLE AVANT J. C.
Tyr n’a pas d’historien. Les œuvres qui contenaient ses annales
ont péri, et les événements historiques dans lesquels joue un rôle
la reine des mers se trouvent mentionnés, sans liaison entre eux,
dans les annales des peuples avec-qui elle fut en contact. Ce n’est
même que depuis le x1° siècle avant notre ère, que son histoire
intérieure cesse de nous être complétement inconnue; c’est
seulement depuis le règne d’Hiram, fils d’Abibal, que, malgré
d'énormes lacunes, nous possédons, sur cette puissante cité,
d'assez nombreux renseignements par suite de ses relations et de
ses guerres avec les peuples voisins.
(1) Dans les auteurs anciens, en rencontre fréquemment des difficultés analogues
à celles que présentent Tyr et Palætyr. Quelquefois les deux noms sont ceux de deux
parties de la même ville, comme Palæpclis et Neapolis, Naples (Tite-Live, liv. vi,
ch. 22). Le plus souvent ils désignent deux localités voisines l'une de l'autre, ainsi
Scepsis et Palæoscepsis (Strabon, x, p. 614. — Pline, v, 30. — Ptolémée, v, 2),
Pharsalus et Palæpharsalus (Strabon, xvir, p. 796 et Tite-Live, Liv. xuv, ch. 4);
Myrdus et Palæmyndus (Pline, v, 29), Gambrion et Palægambrion (Kénophon, Hist,
gr., p. 481). Ajoutez Scamander et Palæscamander, Anapos et Anapos palaios, et
d'autres encore. Quelquefois aussi les deux noms désignent deux villes séparées par une
distance assez considérable, comme Byblos et Palæbyblos (Pline, v; 31), et surtout
comme Paphos et Palæpaphos (Strabon, x1v, p. 683.-— Homère, Odys., vu, v. 362.—
Pausanias, vi, 5, etc.) que séparait un intervalle de 60 stades.
Ce qui rend ces difficultés presque insurmontables, c'est que les auteurs ne prennent
54! RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Les princes de Tyr étaient unis aux Philistins qui furent dé-
faits par Samuel (1); les Fyriens sont nommés parmi les ennemis
que David eut à combattre (2).
Si l’on peut ajouter foi à un passage d'Eupolème) cité par Eu-
sèbe (3), Hiram fut vaincu au commencement de son règne par
les Israélites, et assujetli à payer un tribut. Ce quiest plus certain,
c'est que David, dès qu’il eut été reconnu roi par tout Israël, reçut
une ambassade d'Hiram, qui lui envoya en même temps des ou-
vriers que le roi prophète employa à la construction de son pa-
lais (4).
Pendant tout son règne, qui fut long, Hiram continua à entre-
tenir des relations amicales avec David et ensuite avec Salomon.
Ayant adressé des félicitations à ce dernier prince sur son avè-
nement au trône, le nouveau roi de Jérusalem remit:aux ambas-
sadeurs tyriens, pour être transmise à leur maître, une lettre par
laquelle il le priait d'envoyer quelques ouvriers pour diriger les
siens qu'il avait chargés de couper des cèdres sur le mont Liban;
car, ajoule Salomon, il n’y a personne parmi nous qui sache
couper le bois comme les Sidoniens; et je donnerai à vos ouvriers
telle rémunération que vous me demanderez (5).
nul soin de nous informer de laquelle des deux villes ils entendent parler ; ainsi Meur-
sius, après avoir étudié longtemps et minutieusement tout ce qui regarde les deux
Paphos, finit par avouer qu'on ne saurait dire dans laquelle des deux se sont passés les
événements qu'il rapporte; les auteurs anciens se contentent d'écrire le nom de Paphos
sans ajouter aucune désignation. .
Palæa Lazica (Arrien), Palæmaria (Ptolémée), Beudos palaios (Ptolémée), ont existé,
quoiqu'il n'ait jamais été fait mention de Lazica, de Maria, de Beudos.
Enfin quelques localités sont désignées par le mot Palæa, sans être accompagnées
d'un nom propre. Palæa, village de Mysie, ville de Chypre (Strabon, liv. xnx, p. 618, et
liv. iv, p. 683), village de Laconie (Pausanias, liv. ur, ch. 22).
(1) Ecclésiastique, xui, 21,
(2) Psaum. exsxn, 7.
(3) Eusebius, De præparationé evangelica, lib. 1x, cap. 30, p. #47.
(4) Rois, liv. LT, v, 14. — Paralipomènes, liv. I, xiv, 1.
(5) Rois, liv. II, v, 4,6 et 9. — Plusieurs auteurs croient que, par reconnais-
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 545
La réponse du roi de Tyr appelle l'attention. Il donne, dit-il,
des ouvriers et du bois qu'il fera conduire par mer dans tel lieu
qui lui sera désigné, et selon Josèphe, il termine ainsi sa lettre :
Éruwc JE ko GÛ Tapacy As AU dyri ToUTUV Girôv, où du T0 vAGOy oixeiy dep.cbæ,
gedvricov. « Mais, en échange, veuillez vous occuper de nous fournir-
du blé dont nous manquons, parce que nous habitons dans une
ile (1).»
Le texte de Josèphe est formel. Il dit très nettement qu'autemps
de Salomon, Hiram, roi de Tyr, demcurait dans une île, ou, en
d’autres termes que T'yr insulaire existait déjà et qu’elle était la
principale demeure des Tyriens ; aussi que de peine ceux qui sou-
tiennent que la fondation de Fyr insulaire est postérieure de plu-
sieurs siècles né se donnent-ils pas pour détruire la confiance
qu’on pourrait accorder à une assertion si clairement formulée.
« Il y a beaucoup d’apparence, dit l’un (2), que les lettres ont
été fabriquées ou au moins embellies par Josèphe; et ce qui favo-
rise ce soupçon, c’est qu'on trouve dans Eupolème, cité par Eu-
sèbe, les mêmes lettres dans un style assez différent, et où cette
circonstance (l’île de Tyr) ne se lit pas. »
« Josèphe est dans l'erreur, dit l’autre (3), lorsqu'il parle de
Tyr au temps d’Hiram, comme étant bâtie dans l’île. Il confond,
à son ordinaire, l’état ancien avec l’état postérieur, »
Josèphe serait donc un narrateur infidèle ! L’accusation est bien
grave, et si elie pouvait être soutenue, il mériterait la sévérité
sance, Salomon fit construire le puits qui a porté son nom, et que c'est le puits qu'il
désigne par ces mots : « Puteus aquarum viventium quæ fluunt impelu de Libano, »
Cant.1v, 15.
(1) Josèphe, Anc. jud., liv. vi, ch. 2,8 7, p. 420, et Contre Apion, liv. 1, ch. 5.
(2) Dom Calmet, Commentaires sur Josué, ch, xx, vers. 29.
(3) Volney, Voyage en Syrie et en Egypte, t. IT, chap. 29, p. 203, note a.
En examinant les opinions contradictoires de Périzonius et de Reland, Ducker ne nie
pas l'authenticité de la lettre d’Hiram, citée par Josèphe ; mais il prétend qu’elle prouve
seulement que l'ile était habitée, et non qu’elle était plus puissante que Tyr continen-
tale, ni qu'elle était la demeure des rois. (Note sur Périzonius, t. IF, p. 430.)
546 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
dédaigneuse des écrivains que je viens de citer. Je ne me bornerai
point à répondre qu’un grand nombre de critiques anciens et mo-
dernes louent, dans Josèphe, son amour pour la vérité. J’écarterai
ces généralités qui ne prouvent rien. Mais je dirai : tâchons de
nous éclairer sur le fait particulier dont il est ici question, et avant
de nous prononcer, examinons.
Josèphe demande lui-même à être cru. Après avoir terminé la
lettre d'Hiram, il ajoute que de son temps on pouvait encore voir
les originaux de ces deux lettres non-seulement dans les archives
des Juifs, mais aussi dans celles des Tyriens. «Que siquelqu'ün s’en
veut éclaircir, dit-il, il n'a qu’à prier ceux qui en ont la garde deles
lui montrer, etil trouvera que jeles ai rapportées très fidèlement. »
L'historien aurait-il osé indiquer un moyen si simple de le
convaincre de mensonge, s’il n’eût pas été sûr de ce qu'il avançaïit?
On a objecté qu'il était impossible que les archives eussent pu se
censerver intactes dans une ville plus d'une fois prise et ravagée,
Cette objection est sans force. On n’a pas fait attention que quand
Nabucliodonosor y pénétra, il trouva la ville déserte; les habitants
s'étaient sauvés avec ce qu'ils avaient de plus précieux; ils purent
emporter leurs archives. Au commencement du siége de Tyr par
Alexandre, les Tyriens envoyèrent à Carthage les femmes, les en-
fants et les objets précieux. De plus, au moment de la prise de
Tyr, tous les monuments ne périrent pas. Le temple d'Hercule, le
plus vénéré de tous, fut respecté avec ceux qu’il contenait. Et
d’ailleurs, malgré les expressions énergiques de quelques auteurs
qui ne parlent que de massacre et d'incendie, la ville ue souffrit
pas de dommages aussi grands qu'on pourrait le croire d’après
leurs récits, puisque dix-huit ans après la prise de cette ville par
Alexandre, elle arrêta les armes du plus puissant des successeurs
du conquérant macédonien, d’Antigone, qui l’assiégea pendant
quinze mois (1).
(1) Diodore de Sicile, liv. xx, 2° année de la 116° olympiade.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 547
Cette subite restauration de la puissance de Tyr serait de na-
ture à donner quelque poids à l'opinion de Polyen (1) et de
quelques auteurs d’après laqnelle, pour éviter la ruine de leur
ville, les Tyriens se livrèrent, eux et leurs armes, aux Macédo-
niens (2).
Quel intérêt Josèphe aurait-il eu à ajouter cette circonstance
qu'Hiram habitait dans l’île de Tyr, sielle ne se trouvait pas dans
la lettre originale? je concevrais que dans sa discussion contre
Apion (en admettant qu’il soit un historien peu censciencieux), il
eût ajouté à ses récits quelques circonstances tendant à prouver
l'antiquité et la célébrité de sa nation; mais ici, qu'importe
à son récit que Tyr ait été ou n’ait pas été alors bâtie dans
une île ?
Serait-ce donc par ignorance ou légèreté? Comme le lui re-
proche Volney, aurait-il confondu les temps ; c’est à-dire qu’au
temps d’Hiram il aurait placé Tyr dans le lieu que cette ville
n’aurait occupé que plusieurs siècles plus tard ? Ceci n’est pas sou-
tenable.
Josèphe savait très bien que sur le continent, en face de l’île, il
avait existé un lieu habité par les Tyriens; il ne confond donc
point Tyr insulaire avec Tyr continentale ; et en plaçant dans l’île
la ville qu’habitait Hiram, il ne fait que reproduire une circon-
stance dont il a déjà été question lorsqu'il a parlé des travaux de ce
prince, en citant des fragments des historiens Dins et Ménandre
d'Éphèse. circonstance qu'en un autre endroit (3) il rappelle lui-
même de la manière la plus affirmative. « Salomon, dit-il, témoigna
sa reconnaissance à Hiram en lui faisant de grands présents ; tous
(4) Polyæn, Stratagemata, lib. 1v, cap. 3, $ 4.
(2) Ussérius conclut des paroles d'Ézéchiel, xux, 48 et 49, que Tyr se rendit à Na-
buchodonosor, et qu'elle ne fut pas prise de vive force (œtas mundi m1; annus mundi,
3422). — Grotius adopte cet avis (Œuvres théologiques, Commentaire sur Exéchiel,
ch. xxvi, v. 4).
(3) Josèphe, Ant. jud., liv. vmr, ch. 5, $ 3.
548 RECHERCIIES SUR TYR ET PALÆTYR.
les ans il lui envoyait du blé, du vin et de l'huile dontil manquait,
parce qu’il habitait une fle, comme je l'ai déjà dit. »
À Josèphe on a opposé Eupolème. Examinons donc leslettresde
Salomon et d’Hiram, extraites de l’ouvrage de ce dernier sur la
prophétie d’Élie (1).
Elles sont précédées de lettres de Salomon et de Vaphra, roi
d'Égypte, lettres dont Josèphe ne parle pas et dont il n’est pas non
plus question dans ieIIl° livre des Rois.
Selon Eupolème, Salomon écrit d'abord à Vaphra, roi d'Égypte,
puis à Suron, roi de Tyr et de Phénicie. Ces deux lettres sont iden-
tiquement les mêmes, comme une circulaire administrative. Seu-
lement dans celle qui est adressée à Suron, Salomon dit qu'il a
donné des ordres pour que les ouvriers tyriens qui lui seront en-
voyés ne manquent de rien, et il entre dans le détail de ce qu'il
leur donnera.
Vaphra répond qu’il envoie 80 000 hommes, et nomme les pro-
vinces d'où il les a tirés, et il engage Salomon à leur fournir tout
ce dont ils auront besoin, afin qu'ils ne se révoltent pas, et afin
qu’ils reviennent en bonne santé.
Suron écrit aussi qu'il envoie 80 000 hommes et un architecte
habile qu’il vante beaucoup ; il finit en disant qu’il n’a pas besoin
d’insister pour que Salomon fournisse exactement et abondam-
ment tout ce qui est nécessaire à une si grande multitude.
Ce ne sont pas seulement les deux lettres de Salomon qui se res-
semblent, ce qu'on peut concevoir, puisque c’est la même per-
sonne qui les a écrites ; ce sont aussi les deux réponses, ce qui doit
paraître plus étonnant. Il est surtout singulier que Vaphra et
Suron s’accordent pour envoyer chacun 80 000 hommes, nombre
prodigieux, particulièrement pour le roi de Tyr.
De ce que les lettres d’Eupolème ne s'accordent pas en tous
points avec celle de Josèphe, on a cependant conclu qu'il ne fallait
(1) Eusebius, De præparatione evangelica, liv. 1x, cap. 31, 32, 33, 34.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 549
pas regarder comme authentiques celles qui sont rapportées par
ce dernier. Et pourquoi donc accorder moins de confiance à Jo-
sèphe qu’à Eupolème, dont il ne reste qu’un fragment qui, comme
nous venons de le voir, ne possède pas tous les caractères pro-
pres à justifier cette confiance; surtout lorsque les lettres de Jo-
sèphe s’accordent parfaitement avec le IIl° livre des Rois qui con-
tient absolument les mêmes détails, sauf les derniers mots de la
lettre d’'Hiram ?
Selon Josèphe, Hiram demande que Salomon lui fournisse du
blé dont il manque, parce qu'il habite une île; dans la Bible, le
roi de Tyr demande des vivres pour sa maison. Præbebisque neces-
saria mil, ut delur cibus domui meæ; et comme le fait observer
Grotius, le mot domus est employé ici, more hebræo, pour le mot
ville (4). Ainsi, la Bible et Josèphe parlent également des denrées
que Salomon fournira, mais ils ne disent pas que ce sera pour la
nourriture des ouvriers ; ils disent, au contraire, que ces denrées
seront envoyées à Iliram (2).
Depuis Hiram jusqu’à Elulée, dans un espace d’environ deux
cents ans, l'histoire ne fournit presque aucun document sur Tyr;
d’après Ménandre, Josèphe a conservé, ilest vrai, un catalogue de
dix rois (3) qui succèdent à Hiram ; mais il ne fait que les nommer
(1) Grotius, Commentaire sur Isaïe, ch. xxnr, v. 4.
(2) En parlant de Tyr, Josèphe dit le plus souvent que cette ville était située dans
une île; mais quelquefois il omet cette circonstance, et alors ses traducteurs et commen-
tateurs, s’autorisant de ce qu'ils ont lu dans d’autres passages, se croient obligés de
réparer ce qu'ils regardent comme une omission involontaire. À mon avis, ce soin est
superflu. Josèphe rappelle la position insulaire de Tyr lorsqu'il s'y croit obligé pour
apporter plus de précision dans son récit; il ne le fait pas toujours, d'autres écrivains
ne le font jamais, par une raison fort simple : dans l’antiquité il n’était jamais venu à
l'esprit de personne d'avoir un doute sur la position de la métropole de la Phénicie.
Tout le monde savait qu'elle était située et avait toujours élé:siluée dans une le. Nous
disons : « Je vais à Malte, à Corfou, à Jersey,» nous omeltons le mot ile; les anciens
faisaient de même. L'opinion d'après laquelle la fondation de Tyr dans l'ile ne date que
du temps de Nabuchodonosor, est une opinion toute moderne,
(3) Josèphe, Contre Apion, liv. 1°", chap. 5.
VIE, . 70
550 RECIHIERCIIES SUR TYR ET PALÆTYR.
sans donner aucuns détails sur leurs personnes ni sur la ville.
L'un de ces rois, Ithobal, maria sa fille Jezabel à Achaz, roi
d'Israël. L'Écriture l’appelle Eth-Baal(avec Dieu), et il est désigné
par elle comme roi des Sidoniens (1).
Déja, nous l'avons vu, Salomon s’adressant à Hiram, lui de-
mande des ouvriers sidoniens, et Hiram lui envoie des charpen-
tiers de Byblos. Ces faits et d’autres semblables pronvent que Tyr
avait autorité sur la côte de Phénicie, et qu’à certaines époques,
Tyr et Sidon étaient gouvernées par le même chef.
Pygmalion est le dernier nom porté sur le catalogue de Josèphe.
C’est sous le règne de Pygmalion que Carthage fut fondée par
une colonie de Tyriens sous la conduite d’Elissa, sœur de ce
prince (2).
Toujours d’après Ménandre, Josèphe nomme encore un autre
roi de Tyr, Elulée, qui commenca à régner en 786 avant J. C., et
qui eut à soutenir la guerre contre Salmanasar (3). Les détails de
cette guerre prouvent que Tyr était alors bâtie dans une île, et
fort distincte du lieu désigné sous le nom d'ancienne Tyr.
« Le roi d'Assyrie, dit l’historien juif, envoya une armée contre
les Tyriens, se rendit maître de toute la Phénicie, et ayant fait la
paix s’en retourna dans son pays. Peu de temps après, Sidon,
Arce, l’ancienne Tyr et plusieurs autres villes se séparèrent des
Tyriens et se soumirent au roi des Assyriens. »
(4) Rois, LIL, xv1, 31 : e Duxit uxorem Jezabel filiam Ethbaal regis Sidoniorum. »
Voyez plus haut, chap. 1, p. 514, note 5.
(2) Tyr étabiit de nombreuses colonies sur les côles de la mer Méditerranée et même
jusque sur les côtes de l'Océan. Je n’ai point à m'occuper ici de tout ce qui serapporte
à ces établissements lointaine ; je me bornerai à faire remarquer que toutes les colonies
fondées par les Tyriens, même dans les temps les plus reculés, partirent de Tyr insu-
laire, comme l'attestent Strabon, liv. xwi, p. 756, el Pline, liv. v, ch. 48.
(3) Josèphe, Antiquités judaïques, liv. 1x, chap. 14.
Le nom de Salmarasar nese trouve pas dans Josèphe, il se trouve dans la version
latine de Ruffin, et, sous l'autorité de ce dernier, Scaliger l'a ajouté au texte de l’histo-
rien juif. (Scaliger, Zn fragm., p. 46.)
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 551
Les Tyriensétant ainsi demeurés les seuls qui ne voulussent pas
se soumettre à lui, il envoya contre eux soixante navires que les
Phéniciens avaient équipés. Les Tyriens allèrent, avec douze
vaisseaux, au-devant de cette flotte, la détruisirent el acquirent
beaucoup de réputation par cette victoire.
Le roi d’Assyrie s’en retourna, mais il laissa de nombreuses
troupes le long du ruisseau et des aqueducs pour empêcher les
Tyriens d’en pouvoir tirer de l'eau; ce qui ayant continué pen-
dant cinq ans, ils furent contraints de faire des citernes (1).
Un mot d'explication avant d’aller plus loin.
Le mot rorauès est toujours et exclusivement traduit par le mot
fleuve; c’est à tort. IL signifie cours d’eau, grand ou petit, par
conséquent il peut désigner un fleuve, une rivière, ou un simple
courant d’eau, un ruisseau; dans le passage de Josèphe, il n’est
pas question, comme on l’a cru généralement, du Nahr-al-Kas-
myié (que les géographes modernes ont tort d'appeler Léontès),
ou de tout autre fleuve de Phénicie ; il s’agit du ruisseau formé
par les eaux qui s’échappent des fontaines Raz-al-Aïn et dont
parle Scylax, lorsque, après avoir nommé la ville de Tyr continen-
tale, il ajoute : xai morauèc dix uéons be, « et le courant d’eau qui ia
traverse (2). »
Ceci entendu, faisons remarquer qu’en admettant l'exactitude
du texte de Josèphe, il est impossible de trouver un récit qui éta-
blisse d’une manière plus positive et plus précise l’existence
simultanée de Tyr insulaire et de l’ancienne Tyr.
Salmanasar fait la guerre aux Tyriens, et parmi les villes qui se
joignent à lui se trouve l’ancienne Tyr. Il y avait donc deux
villes de Tyr à cette époque; mais où étaient-elles situées? Tout
le récit de Josèphe fait voir que la ville assiégée était dans une
(1) Volney parle de ces citernes dont on trouve encore des restes, en forme de caves
voûlées, pavées et murées avec le plus grand soin (Voyage en Syrie et en Égypte,
t. LI, chap. 29).
(2) Scylax, $ 104.
552 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
île (1), tandis que l’ancienne Tyr était sur le continent, ainsi que
_Sidon, Arce et les autres villes qui, de gré ou de force, prirent
parti pour le roi d’Assyrie.
Dans la première expédition, le roi s’empare des villes situées
sur les côtes de la Phénicie, et ne peut pas prendre Tyr. Et pour-
quoi ? Cette ville eût-elle été mieux fortifiée et mieux défendue que
toutes les autres, elle n’aurait pas pu néanmoins échapper aux
armes du roi, si des troupes nombreuses eussent pu en approcher.
Si donc, seule, elle se soustrait à l’autorité de Salmanasar, c'est
que la mer l’environne et que, seule, elle est hors des atteintes des
Assyriens qui manquent de vaisseaux.
Dans la deuxième expédition, Salmanasar fait attaquer Tyr par
soixante navires, circonstance à remarquer, car dans le récit de la
prise de toutes les autres villes maritimes, il n’est nullement
question de forces navales; puis, quand cette floite de soixante
navires est détruite, il renonce à attaquer de nouveau la ville, ct,
perdant tout espoir de pouvoir s’en emparer de vive force, il se
borne à laisser des soldats sur la côte pour empêcher les Tyriens
d’aller chercher de l’eau douce, soit au ruisseau alimenté par les
fontaines, soit aux réservoirs, situés en face de Tyr, et dans les-
quels une partie de l’eau des mêmes fontaines était amenée par
l’aqueduc. Ne pouvant prendre la ville d'assaut, il veut la con-
traindre à se rendre par la soif. Je ne crois pas que le passage de
Josèphe puisse être entendu autrement ; la conséquence est forcée :
il y avait deux villes de Tyr, et celle qui ne put être prise était
dans une île.
Aussi ce passage embarrassait-il beaucoup ceux qui prétendent
que jusqu’au temps de Nabuchodonosor il n’y eut qu’une ville de
Tyr, et que cette ville était située sur le continent. Un moyen s’of-
frait de se tirer d’embarras; il a été employé; il consistait à ne
tenir aucun compte de ce passage; c’élait taire la difficulté, ce
(4) Les treize années de siége prouvent que c'est Tyr insulaire qui était attaquée
(Reland, Palest. illustr.).
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 553
n’était pas la résoudre. Marsham a donné l'exemple. «Ce mot
Palætyr (ancienne: Tyr) me paraît suspect, » dit-il, et il le sup-
prime (1). C’est donc avec raison que Périzonius, tout en parta-
geant l'avis de Marsham sur la fondation de Tyr après Nabucho-
donosor, témoigne son étonnement de ce qu'aucun de ceux qu’il
a consultés sur cette question n’ait fait une suffisante attention à
cette difficulté grave résultant de l'existence simultanée de deux
villes de Tyr attestée par Josèphe (2).
Quant à lui, il la résout en disant qu'il y a une faute dans le
texte de l'historien; qu’au lieu de Palætyr, il faut lire Béryte. « De
Bnevrès, dit-il, les copistes auront fait % Tips, d’autres auront
ajouté r/ku, et c’est ainsi que 4 raXairupos a été substitué à Pnguros. »
Cette correction est au moins très conjecturale, et de celte ma-
nière il est toujours facile de faire dire à un auteur ce qu’on veut
trouver dans le texte que l’on corrige si arbitrairement.
Périzonius se montre plus judicieux quand il dit que le fleuve
dont les Assyriens devaient défendre les approches aux Tyriens,
était le fleuve dont parle Scylax; mais ce qu'on a peine à com-
prendre, c’est qu'il en conclut qu'il ne peut être ici question que
de Tyr continentale, la seule, à son avis, qui existât à cette
époque. « Cette ville, dit-il, est simplement appelée Tyr, parce
qu’alors la ville insulaire n’était pas encore fondée, et qu’il n’y
avait pas d’ancienne Tyr, attendu que, dans Josèphe, au lieu de
Palætyr, il faut lire Béryte. » Étrange conclusion ! Eh quoi! vous
placez Tyr justement où se trouvent les fontaines et le fleuve dont
les Assyriens devaient éloigner les Tyriens; ou plutôt vous en-
fermez les fontaines et le-fleuve dans la ville même, car Scylax
Va dit, et cela n’est pas contesté, le fleuve traversait la ville! Com-
ment les soldats, restés en dehors, pouvaient-ils donc remplir leur
mission ? On est surpris que Périzonius ne se soit pas fait cette
(4) Marsham, Chron., p. 480.
(2) Périzonius, Origines babylonice et ægyptiace, t. II, cap. 6, p. 400-130, Édition
de Ducker.
554 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
objection, et n’ait pas senti la faiblesse de son argumentation,
Marsham avait déjà dit : Salmanasar ayant coupé aux Tyriens
toute communication avec le fleuve et les aqueduecs, il est clair
qu’il s’agit de Palætyr !
En ce genre, Ducker va encore plus loin. Contre ceux qui veu-
lent que, dès cette époque, Tyr fût dans une île, il fait observer
que dans un aussi petit espace il ne pouvait y avoir un fleuve.
Raisonnement misérable! non, sans doute, dans une petite île
formée de deux rochers à peine recouverts d’un peu de terre, il
ne pouvait pas y avoir de fleuve, et c’est précisément parce qu’on
manquait d’eau que les habitants allaient en chercher où il y en
avait, c’est-à-dire sur le cuntinent, ce que les Assyriens devaient
empêcher. Ducker ajoute que si Tyr eût.été dans l’île, et s’il y eût
eu un fleuve dans l'intérieur de la ville, les Assyriens n'auraient
pas pu empêcher les habitants d’aller puiser de l’eau. Non certaine-
ment, pas plus qu'ils ne pouvaient s'opposer à ce que les Tyriens
n’allassent puiser de l’eau dans le fleuve, si Tyr était sur le conti
nent, et si elle était traversée par le fleuve. De plus, personne
n'a jamais dit que, dans l'ile, il y eût.un cours d’eau quelconque.
Desvignoles croit aussi que ce fut Tyr continentale qu'assiégea
Salmanasar; mais son opinion n'offre point les contradictions que
je viens de relever. Par les motifs que j'ai fait connaître ailleurs,
il pense que la ville de Palætyr dont il s’agit ici, c’est Tyr insu-
laire. « Ménandre, dit-il, n'étant que le traducteur ou le copiste
des annales des Tyriens, n’a pas dû parler autrement que ces an-
nales. Comme elles, il appelle Palætyr celle qui était véritablement
la plus ancienne, c’est-à-dire Tyr insulaire dont l’origine remon-
tait aux temps les plus reculés. » Là n’est pas la vérité, mais du
moins dans cette opinion il n’y a rien de contradictoire ni d'im-
possible.
Ducker n’ose pas dire qu’on doive adopter la correction de Pé-
rizonius qui substitue Beryte à Palætyr; mais il trouve incohérent,
äoücrura, ce qu'on lit dans Josèphe d’après Ménandre. L’expres-
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 555
sion dont se sert Ducker est trop forte, mais la phrase de Josèphe
me semble en effet exiger quelques explications.
Je lai déjà fait remarquer, fosèphe ne parle pas de Palætyr,
Haairveos, appellation qui ne fut employée que plus tard, alors
qu’elle semblait désigner une localité différente quoique toujours
dépendante de Tyr ; il parie du vieux Tyr à ra Tipos, de cette
partie de la ville située sur le continent.
Si c’est Nabuchodonosor qui a détruit une grande partie des
établissements tyriens sur le continent, si c’est surtout depuis ce
temps que le lieu occupé par ces établissements a pris le nom de
vieux Tyr, comment Josèphe a-t-il pu dire que 129 ans avant Na-
buchodonosor le vieux Tyr prit parti pour Salmanasar ? De toute
nécessité, il faut ou que la ruine soit antérieure à Nabucho-
donosor et même antérieure à Salmanasar, ou que Josèphe ait
donné à ce lieu une appellation qui ne fut la sienne que fort long-
temps plus tard, ou bien enfin qu’une erreur se soit glissée dans
le texte de l’historien. J’écarte la première supposition; la seconde
est fort possible ; la troisième n’a rien d’improbable ; je vais le
montrer. L
Sans croire, comm Pézigonius, que de Beryte, les copistes aient
fait Palætyr, on peut penser que ce dernier mot ne se lit pas dans
le texte de Ménandre cité par Josèphe; et voici sur quoi cette opi-
nion peut être appuyée : dans le texte en question, la ville d’Ace
est placée entre Sidon et le vieux Tyr, tandis que le vieux Tyr se
trouvait entre Sidon et Ace, Ceci n’est point une objection puérile
et de peu de valeur, car on sait qu'en énumérant les villes mari-
times, les géographes suivent ordinairement l’ordre dans lequel
elles sont situées sur la côte. En cela, les historiens imitent le
plus souvent les géographes; mais puisqu'ils s’écartent quelque-
fois de cet ordre géographique, il est possible que Ace et le vieux
Tyr ne soient pas, dans le texte, à la place qu'ils devraient occuper
sans qu’on puisse voir, dans cette interversion, une preuve d’une
interpolation maladroite.
556 RECHERCHES SUR TYR ET PFALÆTYR.
Au lieu d’une interpolation, n'y aurait-il pas lune substitution
de mot? Au lieu de 4 réa (pour: ra) Tügos, ne, devrait-on pas
lire : à tapés Tépov, le rivage de Tyr, c'est-à-dire la partie de la
terre ferme, située en face de l’île et occupée par des localités dé-
pendantes de cette ville ? Strabon nous en offre un exemple remar-
quable à propos d’Arados. P’après les manuscrits, Le texte portait:
ir H0n à Toy Apadovy ralud; Casauboniet Bochart ont cru qu'il
fallait lire rapéue; Tzschukke et M. Letronne n'ont pas hésité à
adoptericet avis (1); l’ancien texte n'avait pas de sens; le texte
habilement restitué signifie : à partir de là commence le rivage
des Aradiens, ce qui est exact. Mais pourquoi emprunter un
exemple à Strabon, lorsque Josèphe lui-même m'en fournit un qui
me semble concluant ? Salomon avait divisé son royaume en plu-
sieurs provinces ; chacune d'elles avait un gouverneur. « Bana-
cates, dit Josèphe, commandait dans le pays maritime qui est à
l’entour d’Arché (Ace). Tv dÈ Tept Apyns rapdliay elye Bavaxarnç (2). »
Dans,un autreendroit, Josèphe s’explique sur l’étendue de ce pays
maritime, rapélie : « La tribu d’Aser eut cette plaine environnée
de montagnes qui est entre le mont Carmel et Sidon, dans laquelle
se rencontre la ville d’Arce, autrement nommée Atipüus (3): »
Si donc, dans la phrase de Ménandre, l’on remplace le mot
mu, par le mot rapélu l’on aura cesens : « Sidon, Ace, les villes
du rivage de Tyr et plusieurs autres se séparèrent des Tyriens,
el se soumirent au roi des Assyriens. ».
Ceci suggère une réflexion et demande une explication. Dans
cette phrase de Josèphe, on ne voit jamais qu’une révolte des villes
contre la métropole; on se trompe fort. Le mot axéorn n’exige pas
rigoureusement cette interprétation, et ce qu’on sait de l'histoire
des villes de Phénicie ne permet pas de l’adopter. Du petit nom-
bre de faits. qu’on peut, recueillir dans l’histoire sacrée et dans
(4) Strabon, liv. x, p.753. — M. Letronne semble préférer Ifs:ata.
(2) Josèphe, Antiqg. jud., vu, 2.
1(8) Id., v, 1. — Voyez également Rois, III, 1v, 46:
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR, 557
l'histoire profane, rien ne permet de conclure que Tyr et Sidon
aient jamais été en hostilité ; mais, au contraire, on y trouve la
preuve de la bonne intelligence qui régna entre elles ; leurs rap-
ports étaient ceux de la colonie vis-à-vis de la mère patrie; Tyr
était vis-à-vis de Sidon ce qu'était Carthage par rapport à Tyr.
Ces relations bienveillantes n’étaient point troublées par la riva-
lité et la concurrence; Sidon se livrait particulièrement aux arts
et a l'industrie, tandis que Tyr, industriense sans doute, surtout
dans la teinture des étoffes, faisait principalement le commerce
d'échange. C'était la source de sa richesse et de sa puissance, car
ce commerce qui s’étendait dans tout le monde connu, exigeait
une marine nombreuse et imposante.
Sur les côtes de Phénicie, Sidon et Tyr avaient sous leur dépen-
dance un grand nombre de villes ; Scylax nomme les principales ;
quelques-unes excrçaient elles-mêmes une certaine autorité sur
d’autres villes moins importantes. Ainsi Aradus, dont le roi était
tributaire des Tyriens, dominait depuis Paltos jusqu'à Smyra,
c’est-à-dire sur le rivage situé en face de l’île.
Malgré les liens qui unissaient Tyr et Sidon, leurs territoires
étaient distincts. La rivière appelée aujourd’hui Nahr-al-Kasmyié
les séparait. Au sud, le rivage de Tyr se prolongeail jusqu’aux en-
virons d’Ace. On doit le conclure, et du passage de Josèphe et des
expressions de Scylax : Âxn Éo mà oh Tupiuv, Ace, ville à peu près
à l'extrémité du pays des Tyriens.
Entre Tyr et Ace il se trouvait, je n’en doute pas, un grand
nombre de localités moins considérables, mais on ne connaît
qu'une ville importante, c'était Ecdippa ou Achzib qui resta tou-
jours Phénicienne et qui ne fut jamais au pouvoir des Israëlites de
la tribu d'Aser. En admettant que dans le texte, il faille lire à ra-
ph Tip, au lieu de à réa Tépos, je ne pense pas qu’on doive
élendre la ‘signification de ces mots à toute la côte jusqu’à Ace,
Josèphe a voulu, je crois, désigner le rivage situé en face de l’île, et
rien de plus. Ila pu encore employer le mot r:p2{x, qui signific la
Vis. 71
558 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
partie du continent opposée à une île et qui convient ici à mer-
veille. Il se prenait même substantivement, comme nous dirions
la perée de Tyr (4).
Au reste, que le texte à réa Tégoç soit maintenu ou qu’on lise
à mapéhux Tügou, ou bien encore à zeçaia Tip, ces trois leçons con-
viennent pour désigner le lieu où étaient les établissements tyriens
sur le continent; le sens restera le même; seulement avecla pre-
mière lecon, Josèphe a commis, je crois, un anachronisme qui dis-
paraît, s’il s'est servi de l’une des deux autres. Ce motif m'avait
fait incliner à rejeter à réa Tüpos; mais je suis arrêté par cette
considération bien forte, que tous les manuscrits (j'en aï consulté
un grandnombre)portentces mots, que Rufin a traduit par Antiqua
Tyrus. Je n’hésiterais pas cependant, dussé-je encourir le reproche
d’une excessive présomption, à proposer la correction à rapéux
Tip s’il était possible de prouver d’une manière incontestable
qu'avant Nabuchodonosor, le quartier de Tyr, situé sur le con-
tinent, n'était pas déjà désigné sous le nom de vieux Tyr, mæiæ
Tüpos.
CHAPITRE V.
SIÉGE DE TYR PAR NABUCHODONOSOR.
Depuis Elulée, l'histoire reste muette sur Tyr jusqu’au temps
de Nabuchodonosor, qui assiégea cette ville pendant treize ans,
comme l'atteste Philostrate cité par Josèphe (2).
L’'historien juif rapporte le fait sans donner aucun détail; mais
on trouve ces détails dans les Prophètes, dans les commentateurs
des Prophètes et particulièrement dans saint Jérôme. J'en extrai-
rai ce qui a rapport à la question qui nous occupe.
(4) Strabon en fournit des exemples : liv. x, p. 604; iv. xwv, p. 673; liv. av,
p. 754.
(2) Josèphe, Antig. jud., liv. X, ch. 1, & 4, à la fin.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYE. - 559
Voici comment s’exprime Isaïe :
Chap. xxut, vers. 1 : Hurlez vaisseaux de Tharsis (de la mer), parce que la
ville d’où les navires avaient coutume de faire voile a été détruite. La nouvelle
de sa ruine leur est venue «le la terre de Céthim (1). —2. Demeurez en silence,
habitants de l’ile ; les marchands de Sidon passaient la mer pour venir remplir
vos magasins. — 3. Les semences que le Nil fait croître par le débordement de
ses eaux, les moissons que l'Égypte doit à ce fleuve, étaient la nourriture de
Tyr; et elle était devenue comme la ville de commerce de toutes les nations.
(1) Au lieu de : « vaisseaux de Tharsis », l'abbé de Vence traduit : « vaisseaux de la
mer », Il s'y est cru autorisé par la version de saint Jérôme : naves maris. Les Septante
traduisent : Mia Kapynd5vos, « vaisseaux de Carthage ».Ces expressions : « vaisseaux
de la mer » se retrouvent également dans Eschyle : c
EépËns De mévr'èmécos d'ucppovos
Baoid'ecot moyriers,
« Xerxès imprudemment a tout confié aux vaisseaux de la mer ». (Les Perses, v. 552
- et 553.)
Tharsis, pour Huet, c'est Tartessus en Espagne; pour D. Calmet, c'est Tarse en Gi-
licie; cette dernière opinion était aussi celle de Josèphe.— Voyez Gosselin, Recherches sur
la géographie des anciens, t. I, p.126, et Malte-Brun, Précis de géogr. univ. t. 1°, p.17,
4e édit. — Je n'entrerai pas dans une discussion approfondie; je dirai seulement que
presque toujours, dans les livres sacrés, les contrées et les peuples sont désignés d'après
la généalogie des fils de Noë, et d’après leur dispersion que nous fait connaître la Genèse,
ch. x et xr. Nous voyons ainsi qu'Élisa, Tharsis, Céthim et Dodanim étaient fils de Javan
et descendants de Japhet. Pour un très grand nombre de cas, vouloir établir l'identité
complète des noms contenus dans la Genèse avec les noms de peuples selon la géographie
des Grecs, c'est peine inutile. La plupart des essais qui ont été tentés ne méritent ni
réfulation ni examen sérieux, Pour n'en citer qu'un exemple, on veut que la terre de
Céthim (ou mieux Kitthim) soit toujours la Macédoine, parce qu'au I‘ livre des Ha-
chabées (ch. 1, v. 4), le roi de Macédoine est appelé roi de Céthim ou des Cithéens; or,
nous savons qu'au temps d'Isaïe, c'est-à-dire au vu siècle avant J. C., l'Emathie, la
partie de la Péonie (Macédoine) la plus voisine de la mer, n’entretenait pas de relations
commerciales avec Tyr, et que d’ailleurs l'Emathie n'était pas sur la route que suivait la
marine tyrienne pour son commerce lointain. Je ne dirai donc pas qu'Elisa, Tharsis,
Céthim et Dodanim représentent l'Élide , Tartessus, la Macédoine et Dodone; pour moi,
les vaisseaux de Tharsis sont les vaisseaux qui parcourent les mers lointaines, les navires
au long courset d’un fort tonnage, comme nous dirions aujourd'hui; et la terre ou les
îles de Céthim sont les pays éloignés, baignés par la mer Méditerranée, à l'occident de
Tyr. Dès lors je comprends comment, dans le I® livre des Machabées, le roi de Macé-
doine a pu être appelé roi de Céthim ou des Cithéens. }
560 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
— 6. Traversez les mers (1); poussez des cris et des hurlements, habitants
de l'ile (2). — 7. N'est-ce pas là cette ville que vous vantiez tant; quise vantait
de son antiquité depuis tant de siècles? Ses enfans sont allés à pied bien loin
dans les terres étrangères. — 40. Précipitez-vous hors de votre terre comme un
fleuve, Ô fille de la mer, vous n’avez plus de ceinture. — 11. Le Seigneur a
étendu sa main sur la mer... — 12. Et il a dit : 6 Tyr, fille de Sidon, vierge
qui allez être déshonorée, vous ne vous vous glorifierez plus à l'avenir avec
tant de faste. Levez-vous, faites voile en Céthim, et vous n’y trouverez pas
même du repos. —15. En ce temps-là, Tyr, vous demeurerez en oubli pen-
dant soixante-dix ans, comme durant les jours d’un roi (3)... — 46. Prenez
le luth, faites le tour de la ville, courtisane mise en oubli..…...—17. Et soixante-
dix ans après, le Seigneur visitera Tyr; il la remettra en élat de recommencer
son trafic, et elle se prostituera comme autrefois à tous les royaumes qui sont
sur la terre.
Pour tout esprit libre de systèmes, cette prophétie est fort
claire et n’a pas besoin d'interprétation ; deux fois le prophète
dit positivement que Tyr, qui se vantait de son antiquité et qui
était la ville de commerce de toutes les nations, était bâtie dans
une tle. Toute la prophétie vient à l'appui de cette assertion.
Ézéchiel contient des expressions qui ne permettent pas davan-
tage le doute sur la situation de Tyr. Il ne dit pas, comme Isaïe,
que la ville était bâtie dans une île, mais il répète souvent, très
souvent qu’elle était située au milieu, au cœur de la mer.
Chap. xxvi, vers. 3 : Voici ce que dit le Seigneur : Je viens contre vous, 6
Tyr, et je ferai monter contre vous plusieurs peuples comme la mer fait monter
les flots. — 4. Ils détruiront les murs de Tyr, et ils abattront ses tours. J'en
râclerai jusqu’à la poussière et je la rendrai comme une pierre luisante et toute
nue (4). — 5. Elle deviendra au milieu de la mer un lieu pour servir à sécher
(4) Pour chercher quelque lieu de retraite.
(2)see où Tyr élail bâlie, » ajoute le père Carrière.
(3) Faut-il entendre la vie de David ou la vie commune d’un homme? Saint Cyriile,
Procope, le juif Kimchi sent de ce dernier avis, et se fondent sur la version grecque :
ds ye6v05 Paci\twc, ds yp6vos é&v@pérov, mais il est possible que le second membre de
phrase soit une interpolation.
(£) Allusion au nom de Tyr, bâtie sur un rocher.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 561
les filets (1)... — 6. Ses filles qui sont dans la plaine seront aussi passées au
fil de l'épée... — 7. Car voici ce que dit le Seigneur : Je vais faire venir des
pays septentrionaux à Tyr Nabuchodonosor, roi de Babylone; il viendra avec
des chevaux, des chariots de guerre, des cavaliers et de grandes troupes com-
posées de divers peuples. — 8. 11 fera tomber par le fer vos filles qui sont
dans la plaine; il vous environnera de forts et de terrasses, et il lèvera le bou-
clier contre vous. — 9. Il dressera contre vos murs ses mantelets et ses béliers,
et il détruira vos tours par ses armes. — 10. La multitude de ses chevaux
vous couvrira d’an nuage de poussière, et le bruit de sa cavalerie, des roues
et des chariots fera trembler vos murailles, lorsqu'il entrera dans vos ouver-
tures comme par la brèche d’une ville prise (2). — 11. Le pavé de toutes vos
rues sera foulé par les pieds des chevaux. Il fera passer votre peuple par le
tranchant de l'épée, et il renversera par terre vos belles statues (3). — 12. Ils
feront leur butin de vos richesses... et ils jetteront au milieu des eaux les
pierres, le bois, et la poussière même de vos bâtiments. — 14. Je vous rendrai
comme une pierre luisante (4); vous deviendrez un lieu à sécher les rêts, et
(1) Robinson, Voyage en Palestine. t. I°', p. 281 et suiv.
(2) « Cum ingressus fuerit portas tuas quasi per introitum urbis dissipatæ. » Dans
toutes les traductions françaises on lit : « Lorsqu'il entrera dans vos portes. » ; prises
au pied de la lettre, ces paroles contiennent une erreur, Tÿr n’avait pas de portes; on ne
pouvait y pénétrer que par l'un des ports. Le mot hébreu a bien la signification de
porte, mais son premier sens est ouverlure, entrée, fissure, passage. C'est, je pense, le
sens que lui donneici le prophète Ézéchiel. Les Septante ont traduit rs müas onv;
mais le mot grec, comme le mot hébreu, outre la signification de « porte de ville », en
a plusieurs autres ; il est également employé avec l'acception de passage, d'ouverture.
C'est ainsi que l'on a dit: les Pyles ou portes amaniques, —caspiennes, — caucasiennes… ,
et au figuré : les portes du ciel, — de l'enfer, — de la mort. C’est encore dans le sens
de large ouverture que Nahum, prédisant à Ninive les malheurs qui doivent fondre sur
elle, se sert du même mot qu'Ézéchiel pour indiquer les endroits par lesquels les inon-
dations des fleuves auront lieu : aperlæ sunt porlæ fluminum, u, 17, et pour signifier
les parties de l'empire par où entreront les ennemis : inémicis Luis pandentur portæ lerræ
tue, 1, 13. A la fin du verset, les Septante disent : es méhey ëx medéou. Ils ont modifié le
texte hébreu, mais leur version rend exactement l'idée du prophète qui est celle-ci :
a lorsqu'il entrera par les ouvertures pratiquées dans vos murs comme on entre dans
une ville en venant de la plaine. »
(3) On peut traduire : « et les colonnes de votre force tomberont par terre »; ou :
« ils renverseront par terre les statues de votre force », c'est-à-dire les statues de vos
dieux.
(4) Ou : « Je vous égalerai à la terre, » Par cetto version, la chaussée est prédite.
562 RÊCHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
vous ne serez plus rebâtie. — 15. ..…..Les iles ne trembleront-élles pas au
bruit de votre chute, et aux cris lugubres de ceux qui seront tués dans lecar-
page qui se fera au milieu de vous? — 16. Tousles princes de la mer... se-
ront vêtus d'épouvante; ils s’assiéront sur la terre; et frappés d’un profond
étonnement de votre chute soudaine, — 17. Ils feront sur vous des plaintes
mêlées de pleurs, et vous diront : « Comment êtes-vous tombée simalheureuse-
ment, vous qui kabitiez dans la mer, 6 ville superbe, vous qui étiez si forte
dans la mer, avec vos habitants qui s’élaient rendus redoutables à tout le
monde? — 18. Les vaisseaux maintenant trembleront, en vous voyant vous-
même saisie de frayeur, et les îles au milieu de la mer seront épouvantées en
voyant que personne ne sort plus de chez vous (1). — 19. Car voici ce que dit -
le Seigneur Dieu : « Lorsque je vous aurai rendue déserte.….., que j'aurai fait
fondre sur vous un abîme (2), et que je vous aurai couverte d’un déluge d’eau,
— 21. Je vous réduirai à rien ; vous ne serez plus; on vous cherchera, on ne
vous trouvera plus jamais.
Chap. xxvn, vers. 3. Vous direz à cette ville qui est située à l'entrée de La
mer, qui est le siége du commerce des peuples de tant d'îles différentes... Ô
Tyr, vous avez dit : Je suis d’une beauté parfaite; — 4. Et je suis placée au
cœur de la mer. Nos voisins qui vous ont bâtie n’ont rien oublié pour vous em-
bellir (3). — 8. Les habitants de Sidon et d'Arad ont été vos rameurs. …. —
9. Les vieillards de Gebal (4) ont donné leurs mariniers pour vous servir dans.
tout l'équipage de votre vaisseau; tous les navires de la mer ont été engagés
dans votre commerce. — 10. Les Perses, les Lydiens, et les Libyens étaient vos
gens de guerre dans votre armée... — #1. Les Aradiens avec leurs troupes,
étaient tout autour de vos murailles. — 25. Les vaisseaux de la mer ontentre-
tenu votre principal commerce; vous avez été comblée de biens et élevée dans
la plus haute gloire au cœur de la mer. — 26. Vos rameurs vous ont conduite
sur les grandes eaux; mais le vent brülant vous a brisée au cœur de la mer. —
27. Vos richesses, vos trésors, vos mariniers et vos pilotes... vos gens de
guerre... tomberont tous ensemble au cœur de la mer au jour de votre ruine.
—28. Les cris et les plaintes de vos pilotes épouvanteront les flottes entières (5).
(1) Dans la version des Septante, ce verset est ainsi rendu : « Au jour de votre
ruine, les îles trembleront et les îles seront épouvantées dans la mer par votre sortie. »
(2) Ou une mer, c’est-à-dire une grande armée, un grand peuple, les Babyloniens.
(3) Ou : « Vos confins sont au milieu de la mer; ceux qui vous ont bâlie ont achevé
votre beauté. »
(£) Gebal est appelée Byblos par les Grecs.
(5) Ou : « épouvanteront les bourgades. »
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 563
— 29. Tous ceux qui tenaient la rame descendront de leurs vaisseaux ; lesma-
riniers avec leurs pilotes se tiendront sur la terre. — 32. Ils feront sur vous
des plaintes lugubres ; ils déploreront votre malheur en disant : où trouvera-t-
on une ville semblable à Tyr, qui est devenue muette au milieu de la mer ? —
33. O Tyr qui par votre grand commerce... avez enrichi les rois de la terre,
— 3h. La mer vous a brisée, vos richesses sont au fond des eaux. — 35. Vous
êtes devenue un sujet de surprise et d’étonnement pour tous les habitants des
îles. — 36. Les marchands de tous les peuples vous ont considérée comme
l’objet de leurs insultantes railleries; vous êtes réduite dans le néant, et vous
ne serez jamais rétablie.
Chap. xxvin, vers. 2 : Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Parce que votre
cœur s’est élevé et que vous avez dit: Je suis Dieu (1) et je suis assis sur la chaire
de Dieu au cœur de la mer, —7. Je ferai venir contre vous des étrarigérs….. —
8. Ils vous tueront et ils vous précipiteront du trône, et vous mourrez dans le
carnage de ceux qui seront tués au cœur de la mer. — 19. Tous ceux qui vous
considèreront parmi les peuples en seront frappés d’étonnement; vous avez été
anéanti, et vous ne serez plus pour jamais (2).
Chap. xxx, vers. 18 : Nabuchodonosor, roi de Babylone, m'a rendu avec
son armée un grand service au siége de Tyr; toutes les têtes en ont perdu les
cheveux, et toutes les épaules en sont écorchées ; et néanmoins ni lui ni son
armée n’ont eu de récompense pour le service qu'il m'a rendu à la prise de Tyr.
Lorsque les textes des prophètes sont si positifs, lorsque les in-
terprétalions des premiers commentateurs sont si claires, et si
précises, comme nous allons le montrer; lorsque, parmi ces com-
mentateurs qui possédaient sur Tyr et la Phénicie plusieurs ou-
vrages que nous n’avons plus, il n’en est pas un seul qui ne parle
de l'existence de Tyr insulaire comme fori antérieure à Nabucho-
donosor, et qui ne dise que ce fut cette ville et nulle autre du
même nom qui fut assiégée par le roi de Babylone; on a peine à
comprendre que l'opinion contraire ait pu naître, s'accréditer et
étouffer aujourd’hui la vérilé; on est étonné de voir des érudits
du xvu' siècle concevoir cette opinion erronée, ou contribuer à la
propager par des raisonnements qui me semblent prouver peu de
(1) Allusion au nom du roi Ithobal (Eth-Baal, avec Baal, c'est-à-dire : je suis avec Dieu.
(2) Vous ne recouvrerez jamais votre premier état de splendeur.
564 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
bonne foi ou peu de jugement, ou bien encore qui attestent des
préoccupations fort étranges qu’on ne peut juslifier; et, ce qui
n'est pas moins étonnant, c’est que leurs principaux arguments
sont puisés dans les textes mêmes des prophètes, et particulière-
ment dans Ezéchiel.
C’est en tronquant les phrases, en détournant le sens des textes
les moins équivoques que Marsham et autres sont parvenus à
former leur système ; ces auteurs peuvent donc, à mon sens, être
accusés de mauvaise foi, surtout Périzonius qui, en traitant fort
longuement la question qui nous occupe, n’a cherché dans les
prophètes que quelques mots qui peuvent être favorables à son
système, ct a passé sous silence les passages si nombreux qui au-
raient détruit entièrement ses conclusions. Cependant des érudits
tels que Marsham et Périzorius avaient assez de science pour se
faire un nom dans la république des lettres sans avoir besoin
de courir après l'originalité ; sans chercher à obtenir l'attention
par des opinions extraordinaires; et quelque amateurs d’hypo-
thèses qu’on puisse les supposer, encore faut-il qu'ils aient cru
pouvoir soutenir leurs sentiments par des raisons plausibles,
sinon en réalité, du moins en apparence. Je les ai cherchées, je
les ai groupées, les voici :
4. Ézéchiel dit que Tyr ne sera pas rebâtie. Or Tyr a été floris-
sante longtemps après Nabuchodonosor, tandis que depuis ce
prince, les historiens ne parlent de Palætyr que comme d’une ville
en ruines; donc il est question de Palæiyr dans la prophétie
d'Ézéchiel et non de Tyr insulaire (1).
2. Dans l'attaque contre Tyr, Ézéchiel parle de chariots, de
cavalerie; il ne dit pas un mot de vaisseaux ni de troupes de dé-
barquement ; il ne fait mention que de ce qui est nécessaire pour
prendre une ville continentale ; donc il s’agit de Palætyr et non
de Tyr insulaire,
(4) Ce motif a déterminé Cellarius à adopter l'opinion de Marsham (Geogr'aphiæ anti-
que, liber lerlius, cap. xu, $ 95, p. 384).
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 565
3. Le mot hébreu »x, 7, que la Vulgate traduit par insula, île,
peut également signifier ora maritima, côte de la mer; donc, de
ce que dit Îsaïe, il ne faut pas conclure que Tyr fut bâtie dans
une île.
Voila donc les motifs puissants qui ont déterminé les savants
du xvur° siècle à rejeter comme erronée l'opinion qui, jusqu’à eux,
avait seule passé pour vraie. Vainement leur a-t-on dit : Prenez
garde ; l'examen topographique des lieux, les traditions les plus
anciennes, les poëtes, les historiens, les prophètes et leurs com-
mentateurs, tout combat votre sentiment. — Qu'importe? ont-ils
répondu, Tyr a été rebâtie après Nabuchodonosor. Ézéchiel parle
de chariots et de cavalerie, et de plus le mot que vous traduisez
par {le peut avoir une autre signification. Notre opinion n’est-
elle pas justifiée ?—Ils disaient une nouveauté; ils ont parlé haut,
ils ont affecté pour leurs contradicteurs un superbe dédain ; ils
ont été cru et devaient l'être.
Nous connaissons les motifs allégués par eux; discutons main-
tenant.
Le premier argument est tiré d'Ézéchiel prédisant la ruine com-
plète et permanente de Tyr. On pourrait opposer aux paroles
d’Ezéchiel celles d’fsaïe, qui dit que Tyr sera seulement en oubli
pendant soixante-dix ans, c’est-à-dire pendant les jours d’un
roi, contradiction qui n’est qu'apparente, comme il sera facile de
le prouver. Pris au pied de la lettre et dans le sens absolu que
leur donnent les traductions françaises, non-seulement ces deux
passages se contredisent, mais encore Isaïe détruit le raisonnement
de Marsham; car si la ville de Tyr ne fut en oubli que pendant
soixante-dix ans, si elle redevint florissante après ces soixante-
dix années révolues, évidemment ce fut Tyr insulaire qui fut prise
par le grand roi; ce ne fut point Palætyr, puisque cette dernière
localité ne s’est pas relevée de ses ruines.
Nabuchodonosor est le grand roi dont parlent les prophètes,
Son nom se trouve dans Ezéchiel, et dès lors il ne peut y avoir de
vi. 72
566 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
doute pour ce qui regarde sa prophétie; quant à Isaïe, il ne
nomme pas le grand roi; aussi tous les interprètes ne sont-ils pas
d'accord à ce sujet? Quelques-uns ont pensé que, dans ce pro-
phète, il était question d'Alexandre (1); Grotius croit qu’il s’agit
de Salmanasar (2); qu'au lieu de soixante-dix ans, il faut lire sept
ans, et que les jours d’un roi signifient la vie de Salmanasar qui
assiégea la ville pendant deux ans, laissa des soldats pour la
bloquer, et mourut cinq ans après. Si le sentiment de Grotius
était adopté, il ne pourrait y avoir entre les prophètes aucune
contradiction réelle ou apparente. La prophétie d'Isaïe aurait
été accomplie par Salmanasar, et Nabuchodonosor serait le nouvel
instrument dont Dieu se serait servi pour infliger aux Tyriens
le châtiment prédit par Ézéchiel; mais, avec presque tous les
interprètes de l'Écriture sainte, je pense que, dans les deux pro-
phéties, il est question du même siége, el je raisonne d’après cette
croyance.
Néanmoins je ne puis passer outre sans faire remarquer qu’en
admettant le sentiment de Grotius, si la ville de Tyr était déjà
située dans l’île du temps de Salmanasar, elle l'était à plus forte
raison du temps de Nabuchodonosor, et qu’ainsi elle ne peut avoir
été fondée par les fugitifs d’une ville continentale prise par le roi
de Babylone.
Saint Jérôme nous apprend comment on doit interpréter les
paroles d'Ézéchiel : «Il ne faut pas, dit-il, s’arrêter toujours au
sens littéral et hyberbolique des livres sacrés. Les prophètes en-
tremêlent souvent leurs prédictions de menaces dans la vue de
faire sentir à ceux qu’elles regardent quels châtiments ils mérite-
raient si Dieu ne modérait, à leur égard, la rigueur de sa justice » (3).
(4) Cette opinion a été adoptée par l'abbé de Vence.
(2) Grotius, Commentaire sur Isaïe, chap. xxx, vers. 4 et 15.
Le Juif Abarbanel veut qu'il s'agisse de Sennachérib.
(3) Jonas, chap. ur. — Isaïe, chap. xx, xx1 et xx. — Ézéchiel, chap. xxvr, xxvu,
xxvIn, xxix et xxx. — Jérémie, chap. £ et ur.
- RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 567
« Quelquefois, dit aussi saint Jérôme, les prophètes ne s’ar-
rêtent pas au temps présent; ils envisagent encore les temps
éloignés où leurs prédictions doivent être entièrement accom-
plies (1). Les siècles ne sont rien aux yeux de l'Éternel pour qui
mille ans sont comme un jour » (2).
J’ajouterai que les prophètes se servent fréquemment d’un lan-
gage figuré et énigmatique pour désigner les villes, les pays, les
peuples et même les choses dont ils veulent parler.
Ainsi Joël appelle nation puissante ou peuple fort et innombrable
les sauterelles qui désolèrent la Judée; Isaïe, parlant aux princes
et au peuple de Jérusalem, dit :
Écoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome; prétez l'oreille à
la voix de votre Dieu, peuple de Gomorrhe; il désigne Jérusalem
sous Le nom de vallée de vision, et Babylone sous le nom de désert
de la mer; dans Jérémie, cette dernière ville est appelée montagne
pestilentielle (3).
a Il y a des prophéties qui ne regardent pas le dogme, mais l'édification ; comme sont
les prophéties qui regardent Ninive, Babylone, Tyr et autres. L'explicalion de es pro-
phéties dépend de l'histoire, et autant de la lecture des auteurs profanes, que de celle
des livres saints. » (Bossuet, Préface sur i'explication de l'Apocalypse, art. 47.)
(1) Saint Jérôme, Commentaire sur Ezéchiel, ch. xxvi.
(2) « Mille anni ante oculos tuos sicut dies hesterna quæ præteriit. » (Psaumezxxux,
v. 4. —- « Unus dies apud Dominum sicul mille anni, et mille anni sicut dies unus. »
(1T° Épit. de saint Pierre, ch. m, v. 8.)
(3) Joël, chap. 1, 6. — Tsaïe, r, 10 ; xxut, À ; xx, 1. — Jérémie, ur, 25.
De même Jérémie (xcvir, 2), prophétisant la dévastation du pays des Philistins par
l'armée de Nabuchodonosor, s'écrie : « De grandes eaux s'élèvent de l’aquilon ; elles
seront comme un torrent qui inondera les campagnes. »
Isaïe dit aussi (vur, 6 et 7) : « Parce que les Israélites ont rejeté es eaux de Siloë
(c’est-à-dire la maison de David), le Seigneur fera fondre sur eux les grandes ct violentes
eaux d'un fleuve (c’est-à-dire le roi d'Assyrie). J'ébranlerai le ciel même et la terre sor-
tira de sa place » (xur, 43). Il s’agit de la colère du Seigneur contre Babylone.
« Les enfants d'Israël diront aux montagnes : Couvrez-nous; et aux collines : Tombez
sur nous » (Osée, x, 8). — « Que les montagnes reçoivent la paix pour les peuples, et
les collines la justice » (Psaume zxxt, 3). — « En ce jour la douceur du miel coulera
des montagnes et lo lait des collines » (Joël, m1, 48).
568 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR,
Ce langage hyperbolique et figuré ne se trouve pas seulement
dans les prophètes; il était familier aux orientaux; on ne doit pas
l'oublier quand on lit leurs écrits.
Si donc nous adoptons le sens ordinairement attribué à la pro-
phétie d'Ézéchiel, ce n’était pas immédiatement après le siége de
Tyr par les Babyloniens que celte prophétie devait s’accomplir;
c’est dans un temps plus éloigné que la ville devait être réduite à
rien ; mais il est fort contestable qu'Ézéchiel ait prédit la ruine
absolue et permanente de Tyr.
Le terme hébreu ñ32 bana, qui veut dire bdlir, dans le sens
figuré, suivant Grotius, signifie s'enrichir, devenir puissant (1);
l’autre expression de l'hébreu oh» holam, que les Septante ont
traduit par aiév (2), ne signifie point, ainsi que le font observer
saint Jérôme et Théodoret (3) une durée éternelle et sans borne;
mais simplement un temps limité quoique fort long, souvent l'es-
pace d’un siècle (4), c’est-à. dire la durée de la vie d’un homme
qui est de soixante-dix ans; car les jours de nos ans ne dépassent pas
ordinairement soixante-dix années (5). L'Écriture sainte fournit une
foule de passages dans lesquels les expressions que nous rendons
par les mots foujours et jamais doivent être pris dans un sens assez
restreint, comme dans celui-ci : J’éléverai sur le trône un prince
de votre race. Je consoliderai son trône pour jamais... Son trône
(1) Grotius, Commentaire sur Exzéchiel, chap. xxvr : « Sobolescere, ditescere. » Ce
sens est très contestable. Les Septante ont traduit littéralement : où ph oixodunOns Ere.
(2) Kai oùxért Een etc Tdv ave.
(3) Saint Jérôme et Théodoret, Commentaire sur Ezéchiel, chap. xxvi.
. (%) Le mot siècle qui, aujourd'hui et depuis longtemps, désigne une période de cent
ans, a eu d'abord la mème signification que le mot œiw, d'où il est dérivé. Aïwy avec le
digamma éolique F, est devenu «Foy, œvum en latin, par le changement habituel de la
diphthongue « en æ, du digamma éolique F en v, et de la désinence wy en um. D'ævum,
primilivement æum, on a fait le diminulif œculum, puis sæculum, par l'addition de la
lettre s, qui remplace l’esprit grec comme dans #, sex, six; œiy:ora, Ségeste, ville de
Sicile; furavs, semi, à moitié : semianimis, semicircularis.
(5) « Dies annorum nostrorum in ipsis, septuaginta anni. » {Psaume zxxxix,
v. 40).
\
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 569
sera stable pour toujours... Il vivra à jamais... (1). (Il s’agit de
Salomon, fils de David.)
Ainsi interprété, Ézéchiel s’accorderait avec Isaïe.
Etre en oubli pendant soixante-dix ans n’emporte pas l’idée d’une
désolation complète, pas plus que n’étre jamais rebdlie, ou plutôt
cesser pendant longtemps d'être puissante ; cela signifie seulement que
tous les dommages éprouvés ne seront pas réparés, et que, pen-
dant le temps marqué, la ville de Tyr ne sera plus la reine des
mers, et qu’elle sera assujettie aux Babyloniens qui emmenèrent
en captivité une grande partie des habitants, ne laissant dans l’île
qu'une population fortement diminuée sous l'autorité des rois ou
des juges soumis aux rois de Babylone (2).
Le temps fort long, le siècle ou les soixante-dix ans de la vie
d’un roi sont les soixante-dix ans de captivité, depuis Nabucho-
donosor jusqu’au commencement de Cyrus, qui rendit la liberté
à tous les peuples emmenés captifs sous les règnes précédents (3).
Selon la prophétie d’Isaïe, la gloire de Tyr sera éclipsée pendant
soixante-dix ans, et, après ce terme, cette ville reprendra son
éclat; or, comme c’est bien Tyr insulaire qui fut florissante de-
puis Cyrus, il suit de là que ce fut également Tyr insulaire qui
fut menacée par le prophète ; et puisqu'il la menace des armes de
(1) Paralipomènes, liv. [, chap. xvn, v. 14, 12, 14. — Psaume xx, 15. — Au
figuré, il s'agit de N, S. J.C., je ne l’ignore pas.— « Le Seigneur a fail avec Aaron une
alliance éternelle... qui durera autant que les jours du ciel (testamentum æternum.……
sicut dies cœli....). Dieu a fait avec Phinéas une alliance de paix, et l'a établi chef de
son peuple, afin qu'il possédât à jamais (in œlernum) la dignité du sacerdoce. » (Ecclé-
siuslique, xLv, 8, 19 et 30.) — « Je chanterai éternellement (in æternum) les miséri-
cordes du Seigneur. » (Psaume Laxxvin, 1.) — « Je lui conserverai ma miséricorde à
jamais (in ælernum), et mon alliance avec lui sera inviolable. » (Ps. cxxxvin, 28.) —
a Je ferai fleurir votre race éternellement. » (Ps. Lxxxvu, 4.) — « J'écablirai sa race
pour toujours (sicut dies cæli). » (v. 29.) — « Sa race demeurera éternellement. » (y. 36).
(2) Tyr ne recouvra pas son indépendance complète; successivement elle reconnut
l'autorité des Babyloniens, des Perses, des Macédoniens, des Ptolémées d'Égypte et des
Romains.
(3) D. Calmet, Commentaire sur Isaïe, ch.xxm, vers. 45.—Josèphe, Antig.jud., liv. X,
570 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆITYR.
Nabuchodonosor, ilest évident qu’elle existait avant ce prince.
Périzonius n’est pas frappé de cette évidence, ou plutôt, pour y
échapper, il dit que les menaces furent adressées à Palætyr, que
ce fut cette ville que les Babyloniens détruisirent; mais que ce fut
Tyr insulaire qui redevint célèbre par son commerce ct par ses ri-
chesses ; interprétation inadmissible que je ne cesse de com-
battre (4). Au contraire, l'abbé de Fontenu pense qu'Ézéchiel
distingue deux Tyrs; que la prédiction est dirigée contre l’insu-
laire; qu'à l'égard de Palætyr, ce n’est qu'une place située dans
le territoire de la ville de Tyr, et dont les habitants, selon le pro-
et seront passés au fil.de l'épée (2). Quelque attention que
j'aie apportée à la lecture d'Ézéchiel, je n’ai trouvé aucune trace
de cette disunction.
Quant à moi, je pense que les deux prophètes ont parlé du même
événement, le siége de Tyr insulaire par Nabuchodonosor; que
dans Isaïe, il n’est question que des malheurs qui suivront le siége,
de l’affaiblissement de la puissance de Tyr; tandis qu'Ézéchiel ne
menace pas seulement celle ville des malheurs qu’elle éprouvera de
la part des Babyloniens; portant ses regards plusloin dans l'avenir,
il prédit comment elle finira, comment elle cessera non plus d'être
puissante, mais d'exister; comment elle deviendra un lieu inha-
bité où les pêcheurs viendront faire sécher leurs filets.
« Les révolutions du sort, dit Volney, ou plutôt la barbarie des
Grecs du Bas-Empire et des Musulmans ont accompli cet oracle.
Au lieu de cette ancienne circulation si active et si vaste, Sour,
réduit à l’état d’un misérable village, n’a plus pour tout commerce
qu'une exportation de quelques sacs de grains et de coton de
laine, et pour tout négociant qu’un facteur grec au service des
ch. x: Contre Apion, liv. t, cb. vñ. — Brentius, voyez ch. r, p, 457, note 1. — Ussé-
rius, Aunal. ad A. P. J. 4107. — Vitringa, p.692.
(1) Périzonius, t. LE, cap. vi, p. 400, ed. Duker.
(2) L'abbé de Fontenu, Mémoires. de l'Académie des inscriptions et belles-leltres,
&. XVIII, in-4,p. 17 etsuiv.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆ!YN, 571
Français de Saïde, qui gagne à peine de quoi soutenir sa fa-
mille » (4).
Poursuivons. Ézéchiel décrit poétiquement {quelle était la puis-
sance de Tyr, et de quelle manière le grand roi se rendra maître
de cette ville.
Ici, nouvelles objections :
1° «A quoi bon des chariots, de la cavalerie pour attaquer une
ville située dans une île?
2 Ézéchiel parle de Perses, de Lydiens, de Libyens qui étaient
dans l’armée des Tyriens ; Tyr continentale pouvait en avoir be-
soin pour défendre ses murs; ils auraient été inutiles pour pro-
téger une ville insulaire.
8° Est-ce que les Babyloniens ont pu faire une chaussée assez
large pour que la multitude des chevaux couvrît les Tyriens d’un
nuage de poussière? Alexandre a construit une chaussée; celle-ci
n’est pas contestée ; or, les historiens d'Alexandre ne rapportent
rien de semblable; ils ne disent même pas qu’on ait trouvé les
traces de l'ouvrage de Nabuchodonosor; et si la chaussée eût été
faite par le roi de Babylone, elle n’aurait pas plus été détruite
que ue l’a été celle d'Alexandre.
h° Dans Ézéchiel, il n’est pas question de vaisseaux dont l'usage
aurait été nécessaire pour prendre Tyr insulaire. Alexandre eut
besoin de vaisseaux, comme on le voit dans les récits du siége, et
il n'aurait pas pu prendre la ville uniquement par la chaussée. »
Loin de moi la pensée de laisser dégénérer cette discussion en
une simple question d’arithmétique ! Je ne puis cependant me dis-
penser de faire remarquer que les prophéties d’Isaïe et d'Ézéchiel
contre Tyr sent contenues dans quatre-vingt quatorze versets,
parmi lesquels trois seulement renferment les expressions ob-
jectées par Marsham ; dans tous les autres, on ne rencontre pas
une expression qui pe puisse convenir à une ville insulaire, et
(4) Volney, Voyage en Syrie et en Égypee, chan xxx, p. 208,
572 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
l’on en trouve plusieurs, fréquemment répétées, qui ne peuvent
s'appliquer qu'à une ville située dans une île.
Puisqu’il en est ainsi, comment ne pas s’étouner de voir atta-
cher une importance exagérée et exclusive à trois versets, d’ail-
leurs fort mal compris, tandis qu'aucune attenlion n’est accordée
à tout le reste des prophéties? Si l’on y trouve une contradiction,
pourquoi chercher le véritable sens dans quelques mots isolés,
plutôt que dans d’autres expressions, souvent reproduites, plutôt
que dans l'ensemble même des prophéties ?
Mais il n’y a pas de contradiction, et tout s'explique.
Si le prophète parle de cavalerie, de chariots..., c'est que Tyr
ne fut pas prise seule ; l’armée de Nabuchodonosor s’empara aussi,
s’'empara même d’abord, de la partie de Tyr située sur le conti-
nent, et des autres villes de Phénicie qui appartenaient à Tyr.
Berose vient à l'appui de cette opinion, lorsqu'il dit que Nabucho-
donosor fit la guerre aux villes de Cœlé-Syrie et de Phénicie (1);
il ne nomme aucune ville en particulier, pas plus Tyr que les
autres; mais il mentionne la guerre du grand roi contre les villes
de Phénicie; et pour réussir dans cette guerre, la cavalerie, les
chariots... élaient évidemment nécessaires. IL n’est donc pas
étonnant qu'il en soit question dans Ézéchiel, qui ne prédit pas
seulement la destruction de Tvr insulaire, mais aussi la ruine des
villes qui dépendaient de cette métropole, et particulièrement la
ruine des établissements tyriens, que le prophète appelle les filles
de Tyr qui sont dans la plaine.
Jérémie, prophétisant les ravages qui seront exercés par les
Babyloniens chez les peuples qui habitent les côtes de la mer Mé-
diterranée, se sert à peu près, en décrivant leur armée, des
mêmes expressions que nous trouvons dans Ézéchiel; il y est
question de la corne des chevaux, du mouvement des chariots, du
bruits des roues... (2). C’est tout simple ; l’énumération de ce qui
1) Berose, lib. IL, Zerum chaldaïcarum, ajud Joseph., lib. X, c. x.
) Ù Ê
(2) Jérémie, chap. xzvn, v. 3. — Voyez aussi Deuteronome, ch. xx, v. 1.
RECHERCIES SUR TYR ET PALÆTYR. 573
compose une armée à la même époque ne peut pas être varié à
l'infini; les mêmes termes doivent être amenés par la description
des mêmes choses.
D'ailleurs, l'interprétation que j'ai donnée n’est pas la seule
que suggèrent les paroles d'Ézéchiel; la pensée du prophète est
encore celle-ci: à Tyr, il ne te servira de rien d’être entourée
d’eau ; le roi de Babylone te fera sentir le poids de la colère de
Dieu ; il comblera le bras de mer qui te sépare de la terre-ferme ;
il entrera avec son armée dans tes murs, comme si tu étais sur le
continent, et tes habitants entendront dans leurs rues le bruit des
chevaux et des chariots, bruit auquel ils ne sont pas accoutumés.
Comme je l'ai dit, par ces mots: les filles de Tyr qui sont dans
la plaine, il faut entendre les établissements tyriens situés sur le
continent, en face de l’île, et qui faisaient partie de la ville. Plu-
sieurs commentateurs anciens et modernes (1) ont pensé que ces
mots désignent les villes et villages qui dépendaient de Tyr;
c'était approcher de la vérité; mais les novateurs ne sont point
de cet avis. Ils veulent que les filles de Tyr soient les villes et les
villages non fortifiés qui étaient sous l’autorité de Paiætyr pro-
tégée par une enceinte de murailles. Ils le veulent, mais à tort.
En effet, on trouve fréquemment dans la Bible le mot filia, pour
signifier colonie, ville dépendante; mais on ne trouve les mots
filiæ quæ sunt in agro que quand il s’agit de la partie continentale
de Tyr; et cette circonstance ne peut s’expliquer que par la po-
sition insulaire de la partie principale de la ville et la position
continentale des établissements fondés par les Tyriens.
Dans sa prophétie, à la fois si terrible et si poétique, Ézéchiel
compare Tyr à un vaisseau ; il énumère les peuples avec lesquels
cette ville entretenait des relations et qui contribuaient à sa gloire
et à sa puissance ; de sorte que ce chapitre, déjà si remarquable à
tout autre point de vue, est aussi un document historique fort pré-
(1) Saint Jérôme, Grotius, D. Calmet, Commentaires sur Ezéchiel, chap. xxvr.
IL, 73
574 KECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
cieux. Dans l’énumération des peuples nombreux avec lesquels
Tyr avait des rapports el qui étaient ses tributaires, le texte hé-
breu nomme Paras, Lud et Phut ; ces mots que l’on traduit ordi-
nairement par les Perses, les Lydiens et les Libyens, indiquent
plutôt, je crois, d’une manière générale les peuples de l'Asie
orientale, de l'Asie occidentale et de l'Afrique septentrionale. Re-
marquons-le bien ; Ézéchiel ne dit pas que ces peuples fussent
venus pour porter secours aux Tyriens spécialement dans la
guerre contre Nabuchodonosor. L'objection n’a donc aucune va-
leur et tomhe d’elle-même, car il n’est pas possible d'expliquer
dans la prophétie ce que le prophète ne dit pas.
Quant à l’inutilité des secours que pouvaient fournir ces peuples
si Tyr était située dans une île, l'objection n’est pas mieux fondéc;
en eff:t, Tyr exerçait une domination, qu’on ne peut nier, sur les
côtes dela Phénicie et sur des pays éloignés ; et, comme Carthage,
elle avait besoin de mercenaires. ù
Les historiens ne disent pas que Nabuchodonosor ait pris la
ville de Tyr au moyen d’une chaussée; c’est très vrai (1). Maisil
ne nous reste que quelques fragments des ouvrages écrits sur
l'histoire de l'Asie avant Cyrus, et le silence de l’histoire sur la
construction de la chaussée de Nabuchodonosor ne prouve rien.
Josèphe et Justin n’ont pas parlé de la chaussée d'Alexandre; si
tous les autres historiens, grecs et latins étaient perdus, fau-
drait-1l donc regarder ic silence de ces deux écrivains comme une
preuve que celte chaussée n'ait pas existé? Evidemment non. Du
reste, l'existence de la chaussée que firent les soldats babyloniens
est attestée par les auteurs qui, dans l'antiquité, ont le mieux
étudié cette question.
Écoutons saint Jérôme :
« Nabuchodonosor voyant qu’il ne pouvait assiéger la ville de
Tyr dans les formes, ni en faire approcher ses machines de guerre
(1) Strabon nomme Nafoz59p590p0ç au nombre des conquérants de l'Asie, mais il ne
dit pas que ce roi prit la ville de Tyr. Liv. xv, p. 687.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 975
pour en ruiner les fortifications, employa ses troupes nombreuses
à combler le canal étroit qui séparait l’île de la terre-ferme. IL
dressa sur cette jetée toutes ses batteries, ruina toutes les défenses
de la ville, et l’emporta comme l'avait prédit Ézéchiel (1). »
Saint Jérôme ne confond point Nabuchodonosor avec Alexandre,
comme le lui reproche Marsham (2), car il dit dans un autre en-
droit : « On lit dans les histoires des Grecs, des Latins et des
Barbares que Tyr avait été une île, qu’elle ne tenait point autre-
fois au continent; mais qu’ensuite, des amas de matériaux jetés
dans la mer par Nabuchodonosor, ou comme d’autres l’affirment,
par Alexandre, roi de Macédoine, d’une île qu’elle était en firent
une presqu'ile » (3).
Dans ce passage, le nom d’Alexandre se trouve à côté de celui
de Nabuchodoncsor; saint Jérôme ne confond donc pas ces deux
princes, seulement il hésite ; son langage est moins affirmatif que
dans le passage précédent; il l’est moins que dans un autre en-
‘droit où il explique le verset contenant cel aveu que, ni Nabucho-
donosor, ni son armée n’ont recu de récompense pour le service
qu'il a rendu au Seigneur à la prise de Tyr... (4) « parce que,
ajoute saint Jérôme, les assiégés s’embarquèrent avec leurs effets
précieux, et le pillage ne dédommagea pas les soldats de Nabu-
chodonosor » (5). Expliquant pourquoi l’armée babylonienne es-
suya tant de fatigues, il dit : « Pour prendre Tyr, qui était une île,
l’armée de Nabuchodonosor transporta les matériaux nécessaires
(1) Saint Jérôme, Comment. sur Ezéchiel, chap. xxx.
(2) Marsham, Sæculum, xvin, p. 539.
(3) Saint Jérôme, Comment. sur Ezéchiel, chap. xxvi, v. 6.
(4) Æzéchiel, chap. xxx, v. 18. :
(5) Saint Jérôme, Comment. sur Amos, cap. 1, v. 40. — Abarbanel, Adrichomius,
Cotovinus, adoptent l'avis de saint Jérâme eur la fuile des Tyriens après la prise de
l'Île par Nabuchodonosor. Ussérius et Grotius pensent que Tyr ne fut ni prise d'assaut
ni détruite par les Chaldéens, mais qu'elle se rendit à certaines conditions. Expliquant
ailleurs avec plus de précision son sentiment, saint Jérôme dit qu'une partie du peuple
s'enfuit en Céthir, et que l’autre resta dans la ville. (sur Isdie, xxn1, 7 et 10.)
576 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
pour faire une chaussée, et l’histoire rapporte qu’Alexandre, Ma-
cédonien, en fit autant pour faire de l’île une péninsule ».
Saint Jérôme ne nomme pas les auteurs où il a puisé les ren-
seignements précieux qu'il nous fournit sur le siége de Tyr;
comme on l’a vu, il se borne à dire qu'ils se trouvaient dans un
grand nombre d'ouvrages qui subsistaient de son temps, et que
nous n'avons plus. Et quand même ce que dit le commentateur
d'Ézéchiel ne serait qu’une conjecture émise par lui, l’opinion de
saint Jérôme en cette matière serait encore d’un grand poids.
D'ailleurs , le texte que la vulgate rend par cürcumdabit te munitio-
nibus el comporlabit aggerem in gyro, et que de Sacy traduit par :
il vous environnera de forts et de terrasses, signifie aussi : | élèvera
contre vous un fort (ou une tour), et il élendra contre vous une
jetée (1). Le texte hébreu ainsi traduit, ce que dit saint Jérôme ne
serait plus une conjecture; il dirait seulement er plus de mots et
plus positivement ce qu'Ézéchiel exprime avec une extrême
brièveté.
Au reste, saint Cyrille dit absolument la même chose, quoiqu’en
d’autres termes : « Nabuchodonosor voulant prendre la ville des
Tyriens, qui alors était une ile, comme il n'avait pas de vaisseaux
pour transporter son armée, se fiant à la multitude de ses troupes,
il ordonna à ses soldats de faire des travaux qui lui permissent de
passer le bras de mer et d’atteindre Tyr; il fit jeter dans la mer
une grande quantité de matériaux, et se fit ainsi un large chemin
pour parvenir de la terre-ferme à la ville de Tyr. Les Tyriens crai-
gnant que les efforts des Babyloniens ne fussent couronnés de
succès, rassemblèrent un grand nombre de vaisseaux, se reti-
rèrent de l’île et abandonnèrent au roi la ville déserte. Aussitôt
que Nabuchodonosor en fut instruit, il entra sans difficulté dans
la ville (2). »
(1) Grotius traduit ainsi : castrensi vallo Le cingel.
(2) « Beati Cyrilli archiepiscopi Alexandrini commentarius in Esaïam. » (T. IT,
lib. n, p. 273.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 577
Il n’est pas vrai qu’au temps d'Alexandre, il n’existât aucune
trace de la chaussée construite par l’armée babylonienne.
Consultons Arrien et Quinte-Curce : ils nous apprennent
qu'Alexandre ayant résolu de faire une chaussée pour prendre la
ville de Tyr, son armée se mit à l’œuvre. En face de l'ile, le fond
de la mer, près du rivage, était vaseux; l’eau le recouvrait à
peine ; mais à mesure qu’on s’éloignait, la mer devenait plus pro-
fonde, et du côté de la ville elle atteignait trois orgyes (5",54) (1).
Personne n’ignore que, sur les côtes de Phénicie, le fond de la
mer est formé de sable fin qu’autrefois les Sidoniens employaient
pour exécuter leurs ouvrages en verre, et qui, aujourd'hui, a
presque comblé le port de Tyr en même temps qu'il a prodigieu-
sement augmenté la largeur du travail d'Alexandre. La plus petite
profondeur de la mer, près de la côté phénicienne au N. et aus.
de l'île, est de 3 mètres (2). Il est évident que ce fond limoneux,
presqu'’à fleur d’eau, qui existait près du rivage (3), en face de l'île,
et n'existait que là, était un reste de l’œuvre des Babyloniens.
Les Tyriens, rentrés dans leur île, avaient détruit entièrement
la chaussée près de la ville, afin de rétablir la ceinture dont parle
Ézéchiel, et que Nabuchodonosor avait en partie fait disparaître ;
mais la difficulté du travail leur avait laissé subsister la partie de
la chaussée la plus éloignée de la ville, et, par conséquent, la plus
voisine de la côte (4).
Reste cette question : la chaussée de Nabuchodonosor a-t-elle pu
être assez large pour que la multitude des chevaux couvrit les
Tyriens d’un nuage de poussière? — Je n'en sais rien. Je ne sais
pas lire les prophètes un mètre à la main.
(1) Arrien, liv. VIII. — Quinte-Curce, liv. IV, chap. x.
(2) Mouillago de Sour par Ormsby.
(3) L'expression dont se sert Arrien peu signifier guéable.
(4) Les Tyriens avaient détruit la chaussée comme firent les Rochellois après le siége
de leur ville en 1628 ; et il était resté des vestiges de la chaussée, comme il y en a en-
core de la digue qui barre le port de la Rochelle. — Ce n'est pas le seul point de res-
semblance : Tyr signifie rocher, et la Rochelle (rupella) petite roche.
578 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
Pour ce qui regarde la marine, je dirai que vouloir trouver dans
une prophétie ce qu’on serait en droit de chercher dans un récit
de siége écrit par un général d'armée, c’est étrangement outre-
passer el méconnaître les limites de la critique et de l’interpré-
tation. Non, sans doute, il n’est pas question dans Ézéchiel du
nombre de vaisseaux dont pouvait disposer le roi de Babylone,
puisqu'il n'en avait pas; ce qu'on y trouve, admirablement ex-
primée, c’est l'annonce d’une destruction complète de Tyr, et
d’abord l'annonce de la prise de cette ville par des moyens im-
prévus, inaccortumés ; de telle sorte, que les rues d’une ville in-
sulaire retentiront du bruit d'une nombreuse cavalerie; puis
viennent ces autres circonstances qui ne sont pas moins signi-
ficatives : les Tyriens iront à pied dans les pays lointains, eux qui
ne parcouraient le monde que sur leurs navires; les pilotes et
les mariniers, privés de leurs vaisseaux, se tiendront sur la terre,
comme en exil,
Quoi de plus? chaque parole du prophète montre que la ville
dont il parle et qu'il menace était dans une île, Qu'importe après
cela qu'il ait gardé le silence sur les vaisseaux de Tyr et de Nabu-
chodonosor? ou plutôt, ce silence, s’il en était besoin, prouverait
que Tyr, reine des mers, dominatrice des principales villes mari-
ümes de la lhénicie, n’avait d’abord rien à craindre des Babylo-
niens privés de marine; ce qui explique encore et la longueur du
siége, et la nécessité de la chaussée.
Tel n’est pas l’avis de Marsham. Dans son étrange préoccupa-
tion, il va jusqu’à dire que la longueur du siége, qui dura treize
ans, convient bien mieux à Palætyr qu’à Tyr ; comme si, au con-
traire, les Babyloniens n'ayant pas de vaisseaux, la position insu-
laire de Fyr, et par suite la difficulté de l’atteindre, n’augmentait
pas la difliculté de l’aitaque, et, par conséquent, ne devait pas
rendre le siége plus long.
Arrivons enfin à l’interprétation du mot »*.
On dit : ce mot que la vulgate traduit par insula, n’a pas exclu-
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 079
sivement le sens du mot français fle; il signifie aussi côte de Ja
mer (1). Qui le nie? Ce n’est pas assez; dites donc que ce mot
a également le sens de province, de contrée ; qu'il est encore em-
ployé pour désigner les pays éloignés auxquels, de la Palestine et
de la Phénicie, on ne pouvait arriver qu’en traversant la mer, ou
simplement un fleuve.
Vous faut-il des exemples? en voici :
« Et dicet habitator insulæ hujus in die illa. » L’habitant de
cette île dira alors... Il s’agit de la terre d'Israël. — « Ab his di-
» visæ sunt insulæ gentium in regionibus suis. » Ils partagèrent
entre eux les îles des nations s’établissant en diverses régions.
Il est question des enfants de Japhet. — « Hyacinthus et purpura
» de insulis Elisa facta sunt operimentum tuum. » L'hyacinthe et
la pourpre des îles d’Élisa ont fait votre pavillon. — « Taceant ad
» me insulæ. » Que les îles se taisent et qu’elles m'écoutent. —
« Viderunt insulæ et timuerunt.» Les îles ont vu et elles ont été
saisies de crainte. — « Et legem ejus insulæ expectabunt. » Et les
îles attendront sa loi. — « Et adorabunt eum viri de loco suo,
» omnes insulæ gentium. » Et les hommes ladoreront dans le
lieu qu’ils habitent (moab, ammon, etc.), et toutes les îles des
nations Jui rendront leurs hommages (2).
D’après ces textes qu'il serait facile de multiplier, et malgré
l’imposante autorité de Reland (3), admettons que le mot hébreu
puisse signifier quelquefois lieu voisin de la mer, s’ensuit-il
(1) Grotius est de cet avis, Comment. sur Ezéchiel, chap. xx, v. 2 et 15.
(2) Isaïe, xx, 6. — Genèse, x, 3. — Ézéchiel, xxvir, 7. — Isaïe, 11, 1. — Isaïe,
Li, ©. — Isaïie, xzu, 4. — Sophonie, 1, 44.
(3) Reland, si versé dans la connaissance de la langue hébraïque, fait observer que,
dans tous les endroits de la Bible où se trouve l'expression dont il s’agit, on peut la tra-
duire par le mot ile, et qu'il n'y en a pas un seul où elle ne puisse signifier que lieu mari-
time ou côle de lu mer. (Reland, Palæstina ex monumentis veteribus illustrata, lib. m,
Deurbibus et vicis, p. 1050.) L’affirmation de Reland détruisant l’objection de Marsham,
la discussion pourrait en rester là; mais ce serait trop rigoureux ; d'ailleurs l’assertion
de Reland, si favorable à l'opinion que je soutiens, me semble trop absolue.
580 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
nécessairement qu’il ait cette signification dans Isaïe? Pourquoi
dans les deux versets du prophète, lui donner plutôt le sens dé-
tourné que le sens propre? Tout au plus il pourrait y avoir doute;
or, le moyen de lever ce doute semblerait être de rechercher
d’abord dans toutes les prophéties d’Isaïe, puis dans les autres
prophètes, comment doit être interprété le mot en litige ; de re-
chercher et comparer, sans aucun esprit de système, ce qu'ont
écrit sur Tyr el sur sa situation, les auteurs sacrés et profanes.
Marsham ne procède pas ainsi; il connaît les auteurs qui pouvaient
être consultés, mais il recuse les uns, il corrige et interprète les
autres, d’après une opinion préconcue, et ne leur fait dire que ce
qu'il veut trouver dans leurs écrits.
ILw’a pas aperçu ou n’a pas voulu voir les rapports si frappants
qui existent entre toutes les paroles des prophètes : « Tacete qui
habilatis in insula. » Demeurez en silence (c’est-à-dire soyez
couverts de confusion), habitants de l’île. — « Ululate qui habi-
» tatis in insula. » Poussez des hurlements, habitants de l’île, —
« Filia maris, non est cingulum ulti tibi. » O fille de la mer, vous
n’avez plus de ceinture. — « Siccatio saganarum erit in medio
» maris. » Elle deviendra au milieu de la mer un lieu pour servir à
sécher les filets. — « Quomodo pertisti, quæ habitas in mari? »
Comment êtes-vous tombée si malheureusement, vous qui habitiez
dans la mer? — « Urbs inclyta, quæ fuisti valida in mari. » O ville
superbe, vous qui étiez si forte dans la mer. — « Et dices Tyro,
» quæ habitat in introïtu maris. » Et vous direz à Tyr, qui est
siluée à l'entrée de la mer. — « Et in corde maris sita. » Et je suis
placée au cœur de la mer.—« Quæ estsicut Tyrus, quæ obmutuit in
» medio maris. » Où trouvera-t-on une ville semblable à Tyr qui
est devenue muette au milieu de la mer ? —« Et lapides tuos, et
» ligna tua, et pulverem tuum in medio aquarum ponent. » Et ils
jetteront au milieu des eaux les pierres, les bois et la poussière
même de vos bâtiments.
Tous ces textes semblent concluants; cependant à chacun d’eux
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 581
on a trouvé une objection. Afin de prouver que, dans Isaïe, le mot
traduit par insula doit l'être par ora maritima , on cite la prophétie
de Jérémie contre les Philistins, qu'il appelle reste de l'île de
Caphtor, ce que les Seplante traduisent par rois xuraloiron rüv
vice, et la vulgate par reliquias insulæ Cappadociæ (1). Qu'est-ce
à dire? Veut-on faire entendre que les Philistins qui (cela n’est
pas contesté) habitaient les côtes de la mer, sont désignés par Jé-
rémie comme habitant une île? Évidemment tel n’est pas le sens
des expressions du prophète. Elles signifient que les Philistins
étaient les restes ou les descendants des anciens habitants de l’île
de Caphtor, ce qui est exact d’après la Genèse (2). Les Philistins
étaient venus de la Basse-Égypte; insula Caphtor désigne donc
une des îles formées par les bras du Nil entre Tanis et Peluse. La
version des Septante est d’accord avec cette explication, et fait
disparaître toute difficulté sur le nom de Caphtor, puisqu'elle
énonce seulement un fait, à savoir : que les ancêtres des Philistins
habitaient les îles. Quant à la traduction de la vulgate, elle ne
prouve ni pour ni contre, car la Cappadoce proprement dite
n'était pas plus une province maritime qu'elle n’était une île (3).
Ün mot encore sur cette interprétation. On veut que dans le
passage de Jérémie, le mot »k n'ait pas la signification d’ile, Soit,
e
(1) Jérémie, chap. xzvir, v. &.
« L'île, dit Coccéjus, c’est la Palestine qui est baignée par la mer, et que la mer sé-
pare des régions opposées. » (Medilationes in propheliam Isaiæ, ch. xx, p. 517.)
Avec une interprétation aussi large el aussi facile, comment a-t-il pu dire d’un fait
quelconque : « ambiguum doctis? »
(2) Genèse, x, 14.
(3) « Numquid non Israël ascendere feci de terra Ægypti, et Palæstinos de Caphtor? »
« N’ai-je pas tiré Israël de l'Égypte et les Philistins de Caphtor? » (Amos, 1x, 7.)
— Ici le mot ilenese trouve pas. — L'abbé de Vence pense que par ile de Caphtor il faut
entendre l'île de Crète, parce qu'Ézéchiel et Sophonie appellent les Philistins Créthim
ou Cerethim. — « Ecce ego extendam manum meam super Palæstinos, et interficiam
» interfectores (Cretbim), et perdam reliquias maritimæ regionis. » — « J'étendrai ma
main sur les peuples de la Palestine, je ferai un carnage de ces meurtriers (ou j'extermi-
nerai les Céréthéens), et je perdrai les restes de la côte de la mer. » (Ézéchiel, xxv, 46.)
vil 74
582 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
je ne contesterai pas; mais on n'en saurait conclure qu’il n’ait pas
ce sens dans la prophétie d’Isaïe, surtout lorsque ce sens est éga-
lement celui qu'avaient adopté les Septante : oi évoroïvres év +3
vise. Et comment n’a-l-on pas vu ce qui est évident; comment
n'a-t-on pas remarqué que les prophètes ne donnent cette quali-
fication d’ile à aucune viile maritune de la l’alestine ou de la Phé-
nicie ? ils ne s’en servent qu’en parlant de Tyr; la conclusion ne
saurait être douteuse. Ainsi, les derniers versets du chapitre xxu°
d'Ézéchiel contiennent une prophétie contre Sidon. C’était bien
une ville maritime, bien plus sur le bord de la mer que Palætyr,
car elle avait un port, et Palætyr n’en avait pas. Eh bien, le pro-
phète n'emploie pas une seule fois les expressions si énergiques
et si claires par lesquelles il indique la position insulaire de Tyr.
Mais, dit-on, ces expressions ont été mal rendues, mal com-
prises! Au lieu de « quæ habitas in mari », il faut traduire : « ha-
» bitata ex maribus », et entendre par là que Tyr est la ville dans
laquelle se rendent des étrangers venant de toutes les mers. Sens
forcé auquel on ne peut songer que pour justifier une idée pré-
conçue.
« Quæ habitat in introitu maris » indique une ville située, non
dans une île, mais sur le rivage de la mer. — Ces mots, je pense,
signifient tout simplement que Tyr était à l’entrée de la mer, c’est-
à-dire dans la mer, mais à peu de distance de la terre-ferme (1).
Ces mots : «in corde maris sitæ » doivent être remplacés par
ceux-ci : «in corde marum sunt termini tui », ce qui veut dire
— 4 Væ qui habitatis faniculum maris, gens perditorum (Crethim ou Cerethim); verbum
» Domini supervos, Chanaan, terra Philistinorum. » — « Malheur à vous qui habitez sur
la côte de la mer, peuple d'hommes perdus (ou ‘peuple Céréthéen), Chanaan, terre des
Philistins. » (Sophorie, 11, 5.) — Qu’on en fasse la remarque, Sophonie n'emploie pas le
mot nr pour désigner le pays des Philistins, étroite bande de terre baignée par la mer;
il se sert du mot bn, chevel. — + ayoirioua (Sept.); funiculus (Vulg.).
(1) Par ces mots : in introilu muris, saint Jérôme pense qu'il faut entendre que Tyr
avait un port très sûr dans lequel étaient reçus les vaisseaux qui arrivaient de la pleine
mer, et Grotius traduit : ad porlum maris egregium.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 583
que l'empire des mers appartient à Tyr (1). Non, «tes limites
sont au cœur de la mer » ne peut point avoir ce sens; cetle tra-
duction, que je ne repousse pas, signifierait que Tyr était tout
entourée des eaux de la mer.
D'ailleurs, « in corde maris, in medio maris, in medio aquarum »
doivent toujours êlre entendus allégoriquement, puisque Ézéchiel
compare Tyr à un vaisseau, il fallait bien qu'il la placât au milieu
de la mer, — On convient donc qu'Ezéchiel place Tyr au milieu
de la mer ; c’est déjà beaucoup. Quant à l'objection en elle-même,
elle est spécieuse, mais elle manque de vérité. Il est vrai, dans le
- chapitre xxvi, Ézéchiel compare Tyr à un vaisseau; mais dans le
chapitre précédent et dans le suivant, il n’y a ni comparaison, ni
allégorie; c'estbien à Tyr, ville riche, puissante et coupable, qu'il
adresse des menaces de la part de Dieu. Or, ainsi qu’on a pu le
remarquer, c'est précisément dans ces deux chapitres que ces ex-
pressions in corde ou èn medio maris se trouvent le plus souvent ré-
pétées.
Si Tyr n’eût pas été bâtie dans une île, si elle eût existé sur
le continent à peu de distance de Sidon, Isaïe aurait-il pu dire
que les marchands de Sidon passaient la mer pour aller remplir
les magasins de Tyr? Enfin, comme le fait remarquer l'abbé de
F'ontenu (2), si la ville dont Ézéchiel annonce la destruction n’eût
pas été située dans une île, son roi se serait-il vanté d'être assis
sur la chaire de Dieu, au cœur de la mer? Saint Jérôme, qu'il faut
toujours consulter, paraphrasant ce verset du prophète dit.
s'adressant à Tyr : « Quoique vous soyez au milieu de la mer, et
que vous soyez protégée par les difficultés d'une île! O Tyr,
dit-il ailleurs, vous qui étiez autrefois la plus puissante de toutes
les îles, comment avez-vous été renversée ? (3)» En toutes circon-
(4) Grotius entend : « Imperium taum non terra continetur, sed late per mare se
» Spargit. »
(2) L'abbé de Fontenu, Académie des inscriptions et belles-lettres, t. XNAIY, p.17.
(3) Saint Jérôme, Comment. sur Ezéchiel, Chap. xxvir, v. 2; chap. xxvi, v. 47.
584 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
stances, saint Jérôme montre ainsi qu’il croyait que Tyr était dans
une île avant Nabuchodonosor. ‘Théodoret, dans ses commen-
taires sur Ézéchiel, n’est pas moins explicite (4). Que si, cependant,
ne tenant nul compte du sens exact des mots, ni des commentaires
des auteurs les plus compétents, on veut que les expressions in
corde ou in medio maris ne fournissent pas lapreuve que Tyr était
dans une île, au moins indiquent-ils, on doit l’avouer, que la ville
était en grande partie environnée d’eau. Dès lors, comme le fait
observer Vitringa (2), ceci amène à l’une des suppositions sui-
vantes : ou Palætyr, avant Nabuchodonosor, avait un port s’avan-
çcant beaucoup dans la mer, ce qui n’est pas, aucun auteur n’ayant
jamais parlé des vestiges de ce port ; ou, antérieurement au roi de
Babylone, l'île de Tyr était habitée, était le navale de Palætyr;
elle a été regardée par les prophètes comme constituant un quar-
tier de Palætyr, et ils ont pu donner à Tyr la qualification d'iie,
prenant la partie pour ie tout. Cette dernière opinion a récem-
ment été adoptée par le docteur Hengstenberg. À
Ce n’est pas tout. On dit encore : Éséchiel fait un éloge magni-
fique de la puissance de Tyr; cet éloge ne peut s'appliquer à une
ville qui n’avait que vingt-deux stades de circuit. Dans Osée (3),
comme dans Ézéchiel, on vante la beauté de Tyr; ces paroles ne
peuvent pas convenir à une île stérile entourée de rochers.
À cela je réponds : Tyr n’avait que vingt-deux stades de circuit
du temps de Pline, mais au temps de Nabuchodonosor, clle avait
beaucoup plus d’étendue, ainsi que je crois l'avoir démontré.
Puis, les prophètes ne vantent pas les frais ombrages de Tyr; ils
célèbrent ses palais, ses temples, ses richesses, sa puissance, toutes
choses qui peuvent se trouver et qui se trouvaient, en effet, dans
un étroit espace, et même sur un rocher incapable de porter de
(1) Thecdoret, Questions choisies sur les endroits difficiles de l'Ecriture sainte. Sur Exé-
ehiel, Ch. xxvr.
(2) Vitringa, p. 667.
(3) Osée, chap. 1x, v. 13.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 585
riches moissons. Évidemment, lorsque les prophètes célébraient
ainsi la puissance et la beauté de Tyr, le rocher qui a contenu
cette ville fameuse, était déjà habité et n'était plus stérile; c’est
ce même rocher dont Alexandre se rendit maître, et personne, à
cette époque, n’a nié la richesse, la beauté des temples et la mul-
titude des habitants de Tyr.
Il faut donc le reconnüître;-en dénaturant les textes, en don-
nant aux mots une interprétation forcée ou erronée, les novateurs
ont pu soutenir que, dans Isaïe et dans Ézéchiel, on ne trouve
aucune expression qui puisse donner à entendre que, du temps de
Nabuchodonosor, Tyr fût dans uneîle ; mais leur erreur est mani-
feste, car dans les prophètes, il n’y a pas un seul mot quine puisse
convenir à Tyr insulaire, et il s’en trouve un grand nombre qui
ne peuvent convenir qu’à elle.
CHAPITRE VI.
SIÉGE DE TYR PAR ALEXANDRE. — RÉSUMÉ ET CONCLUSION.
C’est principalement dans les détails du siége de Tyr par Na-
buchodonosor, que les novateurs ont trouyé les motifs regardés
par eux comme suffisants pour abandonner l’opinion commune,
et pour émettre, soutenir et propager une opinion nouvelle dont
j'espère avoir démontré la fausseté. J'ai réfuté leurs arguments, je
pourrais donc terminer ici mon travail. Je ne m'arrêterai pas
cependant; car, dans les auteurs anciens, je rencontre encore
quelques foits qui viennent à l'appui de tout ce que j'ai dit sur
V'antiquité de Tyr insulaire; je ne puis me ‘dispenser d’en
parler.
L’historien Josèphe fournit un catalogue de neuf juges de Tyr
depuis la guerre contre les Babyloniens jusqu'à Iron, qui gouver-
586 RECHERCHES SUR TYR ET FALÆ!YR:
nait les Tyriens, restés dans leur ville, lorsque Cyrus rendit Ja
liberté aux Juifs et aux Tyriens emmenés en captivité (1).
C’est probablement après le retour de la captivité qu'il faudrait
placer un grave événement dont Justin seul fait mention; je veux
parler du massacre des Tyriens parlenss esclaves (2).
Qu’à une époque quelconque, il y ait eu une révolte momen-
tanée parmi les mercenaires des Tyriens, c’est possible, maïs le
massacre général dont parle Justin et sur lequel setaisent Héro-
dote et les zutres écrivains (de l'antiquité, est un conte ridicule
et absurde. Tous les Tyriens, à l'exception de Straton et de son
fils, périrent le même jour! et les jeunes garcons également, car
on ne voit pas qu'ils aient cherché à tirer vengeance de la mort
de leurs pères; les Tyriens, absents de la ville au moment du
massacre, acceptèrent, en rentrant,, le nouvel ordre de choses;
c'était un fait accompli contre lequelils n’élevèrent aucune réela-
malion ; il en fut de même des Carthaginois qui, loin de venger
ceux doni ils descendaient, continuèrent à venir chaque année,
comme par ie passé, faire des sacrifices et offrir des présents;
les Sidoniens regardèrent comme Tyriens, issus de la colonie sido-
nienne, les fils de ces esclaves, parce qu'ils habitaient la viile de
Tyr, et en sauvèrent quinze mille dans une circonstance critique ;
enfin, rien ne fut changé dans Tyr, si ce n’est que les anciens
maitres n’existèrent plus et que leurs femmes eurent d’autres
maris; les esclaves meurtriers se substituèrent sans difficulté à
leurs maîtres, exercèrent la même autorité sur les villes tribu-
taires, entretinrent les mêmes relations politiques et cemmer-
ciales, et furent loin de laisser déchoir la splendeur de la ville,
puisque les auteurs s'accordent à vanter son opulence, sa célé-
brité, sa grandeur, sa force et sa puissance sur mer au tempsoù
elle fut attaquée par Alexandre (3). Le conquérant macédonien
(1) Josèphe, Contre Apion, liv. [, p. 4046.
(2) Justin, liv. XVII, chap. nr.
(3) Arrien,liv. IL, p.129.—Quinte-Curce, liv.IV,cb. vi, —Zacharie, ch.1x,v.3,4et5.
RECTIERCHES SUR 'TYR LT PALÆTYR. 587
punir le crime des pères en faisant mettre en croix tous leurs des-
cendants qui n'étaient pas morts les armes à la main, et repeupla
l'île de personnes libres ! (1)
Tout cela est absurde, ne mérite pas d’être discuté, et d’ailleurs
importe peu à la question que je poursuis ; passons.
Il me reste peu de choses à dire sur le siége de Tyr par
Alexandre; déja, J'ai rapporté les faits principaux; je m’en suis
servi pour combattre l'opinion de Marsham et pour justifier mes
assertions ; il en est un cependant qui m’est fourni par Arrien,
que je n’ai fait qu'indiquer et qui ne doit point être passé sous
silence (2).
Maître de Tyr, Alexandre trouva des Carthaginois qui étaient
venus dans la métropole pour consulter l’oracle d’Hercule, selon
leur ancienne coutume. Qu’on le remarque bien, Arrien ne parle
pas du temple d'Hercule que Quinte-Curce et Justin disent avoir
existé sur le continent, et que ce dernier prétend avoir été plus
ancien que tout autre; c’est bien dans le temple, situé dans l'île,
que les Carthaginoïs étaient venus consulter l’oracle, et ils y
étaient venus suivant leur ancienne coutume. Au reste, l'antiquité
de ce temple n’est pas contestée.
Les ambassadeurs s'étaient rendus dans la métropole, c’est-à-
dire dans la ville d’où était partie la colonie qui fonda Carthage (3).
Si la ville de T'yr insulaire n’eût été bâtie qu'après la prise d’une
Fyr continentale par les Babyloniens, les Carthaginois n'auraient
pas pu appeler métropole cette ville construite après la leur,
quand même elle eût été peuplée par les descendants des Tyriens
qui habitaient l’ancienne Tyr.
(1) Jusün, liv. XVIIL, ch. 1m.
Justin dit aussi (et il est seul à le dire) que la trahison livra la ville de Tyr au roi de
Macédoine. « Non magno post tempore, per lradilionem capiuntur. » (Liv. XI, ch. x.)
(2) Arrien, liv. HF, p. 448. — Quinte-Curce, liv. IV, ch. vur.
(3) Les Tyriens se fiaient aux Carthaginoïs : &royévers avr@v. (Diodore, liv. xvit). —
Annibal fut reçu à Tyr par les fondateurs de Carthage, ut alia patria. (Tite-Live,
Ji. xxxiv.)
383 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR.
D’après Diodore de Sicile, les Carthaginoïis étaient venus à Tyr
pour s’acquitter du tribut annuel que leur ville s'était soumisé vo-
lontairement à payer à Hercule, et ce tribut consistait en Ja dime
du butin que les Carthaginois faisaient dans leurs guerres. C’est
ainsi qu'ils avaient placé dans le temple d’Hercule une statue
d’Apolion, prise à Gela, en Sicile (1). Il fallait bien que ce fût de
Tyr insulaire que les Carthäginois tirassent leur origine pour
qu’ils eussent ainsi conservé cette affectueuse déférence; et si Tyr
insulaire n’eût été, comme Carthage, qu'une colonie d’une Tyr
continentale, les Carthaginois auraient pu aller sacrifier dans le
temple d’Hercule, mais ils n'auraient point embelli et enrichi, au
détriment de leur propre ville, la ville nouvelle de Tyr où se
trouvait le temple, et ne se seraient pas crus obligés d’y envoyer
tous les ans des présents. Au reste, Strabon, Pline et tous les au-
teurs qui ont parlé des colonies de Tyr, ont constamment dit
qu'elles partirent de Tyr insulaire, et par à, ont reconnu que ceïte
ville existait avant Nabuchodonosor; car les principales colonies,
celles d'Utique, de Carthage, de Gadès, sont de beaucoup anté-
rieures à la guerre contre les Babyloniens (2).
Encore une explication.
Lorsque les Macédoniens construisaient la chaussée, les Ty-
riens, s’avançant sur des chaloupes, se moquaient d’eux, repro-
chant à ces hommes, si célèbres par leurs exploits, de porter des
fardeaux sur leur dos, comme des bêtes de somme, et ils leur de-
mandaient si Alexandre était plus grand que Neptune.
D'abord on a quelque peine à s’expliquer les railleries des Ty-
riens. En effet, Nabuchodonosor s’était déjà rendu maître de Tyr
au moyen d’une chaussée ; les auteurs l’attestent, et les vestiges
(1) Diodore de Sicile, liv. xnr, $ 408. Peu de temps avant la ruine de Carthage, le
roi Démétrius passa d'Italie en Phénicie sur le vaisseau carthaginois..…. qui portait les
prémices de Carthage à Tyr, prémices envoyées par les Carthaginois diis patriis. (Polybe,
In excerplis legat. 114.) Ù
(2) Strabon, xvi, p. 756. — Pline, v, 18.
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 589
de ce travail, trouvés par les Macédoniens, le prouvent. Or, c’était
l'an 332 avant J. C. qu'Alexandre assiégeait Tyr, et c'était en
572 qu’elle avait été prise par les Babyloniens. Il n’y avait donc
que 210 ans d'intervalle entre ces deux événements. On se de-
mande comment les Tyriens avaient si promptement perdu le
souvenir de la prise de leur ville, et paraïssaient se croire à l'abri
d’une semblable catastrophe. Peut-être voulaient-ils par des raille-
ries, en faisant croire l’entreprise impossible, en détourner les
Macédoniens; peut-être encore ceux d’entre les Tyriens, qui se
moquaient des Macédoniens, ignoraient-ils un événement arrivé
depuis 246 ans, de même qu'il y a beaucoup d'habitants de Paris
qui ne savent pas que cette ville a été assiégée par Henri IV, et que
leurs ancêtres y ont beaucoup souffert de la famine. Lors même
que tous les Tyriens auraient conservé le souvenir de la prise de
leur ville par Nabuchodonosor, ils auraient encore pu adresser
des railleries à leurs eunemis, non pas sur l’entreprise elle-même,
mais sur ce que des soldats illustres se pliaient à des travaux de
bêtes de somme.
C'est assez discuter Résumons tout ce travail et concluons.
Près des côtes de Phénicie, dans une île de pen d’étendue, sou-
vent bouleversée par des tremblements de terre , des Chananéens
jetèrent les fondements d’une ville à laquelle sa position sur un
rocher fit donner le nom de Tyr.
Fondée à une époque incertaine, mais certainement très re-
culée, elle reçut une colonie égyptienne au xvie siècle avant J. C.
Des Sidoniens vinrent s’y établir beaucoup plus tard, et, dès lors,
Tyr devint une ville fort importante.
Un bras de mer la séparait d’une île plus petite que celle sur la-
quelle elle était bâtie. Au xi° siècle avant notre ère, ce bras de
mer fut presque entièrement comblé. Par ce travail, la ville fut
beaucoup agrandie, et en même temps la partie septentrionale
VIL. 75
590 RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTVYR.
du bras de mer, qui n’avait pas été comblé, forma un vaste port.
Sur le continent et dans une plaine en vue de Tyr, les Tyriens
avaient créé de nombreux établissements pour leur marine et leur
commerce, et aussi pour la culture des céréales, de la vigne et des
oliviers. La réunion de ces établissements ne formait point une
ville ayant un nom particulier ; c'était un accroissement de Tyr, et
cet accroissement faisait partie de la ville.
Salmanasar, roi d’Assyrie, s’'empara de la partie de Tyr située
sur le continent, mais il ne put se rendre maître de Tyr insulaire.
Nabuchodonosor prit également la partie continentale de Tyr, et,
ayant jeté une chaussée sur le détroit, il put pénétrer dans Tyr
insulaire, dont il emmena en captivité une partie des habitants,
Après, le départ du roi de Babylone, la chaussée fut détruite et
Tyr redevint une île ; mais la chaussée fut construite de nouveau
par Alexandre, et elle n’a pas cessé de subsister depuis cette
époque.
Presque tous les matériaux employés par Alexandre pour l'exé-
cution de son travail avaient été tirés des établissements tyriens
dont Nabuchodonosor s'était déjà servi. Après le siége par les
Babyÿloniens, bien mieux encore après le siége par les Macédo-
niens, ce qui restait du quartier continental de Tyr fut connu sous
le nom de vieux Tyr, à makad Tôpos, velus Tyrus.
Au 1° siècle avant J. C., de toutes les constructions autrefois
disséminées sur une vaste étendue, il ne restait plus que quelques
établissements agricoles et des bâtiments formant une petite ville
groupée autour des puits de Salomon. C’est cette petite localité
que Strabon appelle, non plus vieux Tyr, mais Palætyr, à Hañat-
TUpOG.
Les auteurs anciens de toutes les époques sont unanimes;
quand ils parlent de Tyr, ils entendent toujours et uniquement
la ville de Tyr, située dans une île. Il n’en est pas un seul, non pas
qui dise clairement, mais même qui laisse comprendre que Tyr
ait d’abord été fondée sur le continent. Il n’a donc jamais existé
RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR. 591
qu'une seule ville de Tyr; par conséquent, il n’y a jamais eu de
migration d'une Tyr plus ancienne dans une Tyr plus moderne.
Quant à Palætyr, dont le nom apparaît pour la première fois dans
la géographie de Strabon, ce n’était point une ville plus ancienne
que Tyr insulaire; c'était une petite ville formée des derniers
- vestiges agglomérés des importantes dépendances que les Tyriens
possédaient autrefois sur le continent. Palætyr n’a jamais été
autre chose.
FIN.
471, ligne
4,
25,
ERRATA.
M. de Berton,
recto fronte,
Euyrchore,
Appooie,
TÉTRE,
celebriarum
qui ne sait,
AMBPOSIE,
aÂÂaTtpiwy,
To0apÈ,
dyoyinv,
Héram,
lisez
M. de Bertou.
recta fronte.
Eurychore.
Ap6poctar.
TÉTEOL.
celebriorum..
qui ne voit.
AMBPOCIE.
&AoTpiwy.
TOTapÜs.
dyvyinv-
Hiram.
ESSAIS
DE
RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
PASSAGE DE SCYLAX
PAR
P. À. POULAIN DE BOSSAY,
Ancien professeur d'histoire et de géographie, ancien proviseur du lycée Saint-Louis,
Recteur honoraire, membre de la Commission centrale de la Société de géographie de Paris.
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ESSAIS
DE
RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
D'UN
PASSAGE DE SCYLAX
AVANT-PROPOS
En lisant le périple de Scylax, même dans les éditions les meil-
leures et les plus estimées, il est impossible de n’être pas frappé
des incohérences et des erreurs grossières contenues dans le
passage relatif à la Phénicie. Ces incohérences, ces erreurs ne
doivent pas être toutes attribuées à l'ignorance des copistes du
géographe grec; la science philologique des commentateurs était
grande sans doute, mais, chez la plupart d’entre eux, une critique
saine, Judicieuse et prudente faisait souvent défaut, et plus fré-
quemment encore les connaissances historiques et géographiques
étaient insuffisantes.
Qu'on se trompe dans l'interprétation de quelques phrases où
les difiicultés abondent, je le concois ; et qui peut se dire à l'abri
de semblable faute? Mais qu'on maintienne et quelquefois même
qu’on introduise dans le texte d’un auteur ancien des choses en-
596 AVANT-PROPOS.
tièrement fausses, en opposition avec tout ce qu’on lit dans les
autres auteurs de l'antiquité ; bien plus, des choses manifestement
contraires au bon sens, alors j'ai beaucoup plus de peine à com-
prendre.
Une étude sérieuse du passage en question ne tarda pas à me
convaincre que, malgré les fautes des copistes, et ne tenant nul
compte de certaines reslitutions erronées, toujours reproduites et
maintenant acceptées, il était possible de retrouver le véritable
texte de Scylax. Pour atteindre plus sûrement ce but, j’eus recours
au texte manuscrit, et dès lors, pour moi, la lumière se fit.
J'avais à réfuter le travail successif d’érudits justement estimés.
Je ne pouvais, sans la justifier, émettre une opinion contraire à la
leur. Pour expliquer les motifs de mon dissentiment et pour sou-
tenir mion avis, il m'a fallu entrer dans quelques détails histo-
riques, produire et comparer de nombreux témoignages puisés à
toutes les sources de l'antiquité, et surtout dégager la géographie
de la f’hénicie de toutes les erreurs émises ou propagées par les
géographes modernes... Et alors, je me suis apercu que la res-
tauration d’un passage de Scylax m'avait entraîné, non pas pré-
cisément à faire un traité complet sur la géographie de la Phé-
nicie, mais à donner, avec d’assez grands développements, des
notions sur tous les lieux géographiques de ce pays dont il est
question dans le périple de Scylax.
Je ne jusufie pas la longueur de mon travail, je l'explique.
Ce travail semble en appeler un autre, à savoir, l’examen cri-
tique des lieux géographiques de la Phénicie dont Scylax n’a pas
parlé. 1 me sera donné, je l'espère, de terminer celte suite aux
présents Essais de restitution, et de pouvoir ainsi compléter mon
œuvre.
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Après avoir décrit les côtes méridionales de l’Asie Mineure jus-
qu’à la Cilicie, qu'il étend bien au delà du mont Amanus, Scylax
nomme les villes de l’île de Chypre; puis, revenant au continent,
il reprend la description des côtes de l’Asie en réunissant dans un
même paragraphe la Syrie et la Phénicie.
Ce paragraphe 104 a toujours paru fort peu clair, et il a exercé
la sagacité d’un grand nombre d’érudits, depuis Isaac Vossius
jusqu'a M. Charles Müller, l’éditeur de la collection encore in-
achevée des petits géographes grecs que publie M. Firmin Didot.
Les difficultés déjà si grandes qui, dans le manuscrit (1), ré-
sultent d’une rédaction peu soignée, de l’incurie et de l'ignorance
des copistes, et quelquefois même d’interpolations évidentes, ces
difficultés, dis je, ont encore été beaucoup augmentées, en ce qui
regarde le paragraphe 104, par la perte d'une partie de la page 93,
qui a été coupée diagonalement, et dont nous ne possédons qu’un
tiers à peu près.
A l’aide de renseignements puisés dans d’autres géographes, on
est parvenu à compléter les membres de phrases et les parties de
mots qui subsistent encore dans la portion conservée du feuillet,
et l’on a ainsi eflectué une restitution du passage de Scylax qui
contenait la fin de la Phénicie et le commencement de l'Arabie (2);
, mais, malgré tout ce qui a été tenté pour porter la lumière dans
les obscurités du texte, on est loin d’y avoir entièrement réussi,
(1) I s’agit ici du manuscrit unique dont on avait pris quelques copies d’après les-
quelles ont été faites toutes les éditions de Scylax, antérieurement au travail de M. Miller,
intitulé : Supplément aux éditions des petits géographes grecs, 1839. — Pendant long-
temps on a ignoré ce qu était devenu ce manuscrit qui avait appartenu à P. Pithou; en
4837 il a reparu dans une vente et il a été acheté par la Bibliothèque impériale. Il y
est classé sous le n° 443 du Supplément.
(2) Au verso, le feuillet lacéré contenait la fin de l'Arabie et une partie de l'Égypte.
— C'est à M. Miller que l'on est redevable de la restitution du verso et d'une grande
partie du recto. (Suppl., p. 230-234.)
Vi. 76
598 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
(du moins je le crois), et je viens, à mon tour, faire connaître le
résultat de mes efforts pour expliquer ce qui me semble n’avoir
pas encore été compris.
Afin de donner toutes les facilités pour suivre la discussion,
j'ai mis sous les yeux du lecteur un fac-simile des pages 92 et 93
du texte manuscrit de Scylax (1). Ce texte a été ainsi amendé et
restauré :
SYPIA KAI DOINIKH. ËÉoxt era Kuuxiuv Edvos Süpor. Év Oë T Svpix
axodce rà mapa Odharray Doivixes Élvos, mi orevdv Eharroy À èmi rerrapi-
xovra (2) crudious drd Oaérrne, Emayn De oùdE êmi cradiouc 1 rù rAdros. Amd
dë Oubäxov rorauod êcrt Toiroks Poivixwv, Apadoc vos za Av, Puoiherx
Tügov, Gov oTAdix dr Th Vhs nai êv T7 yeppovdow érépu môds Toimokis”
duen Ecriv Apddou xai Tüpou xui Eid@vos” êv T& adré roeïç oder «a mepi6o)ov
éxdown vob velyous WOiov Éyeu* xal dpos Oeod mpocwmov, Touons (de) ai
Xuuav, Brourôç OMS Hat Auhv, Bopuvs, Tloppupéoy mode, Zddv méde xai
Rpv #kecrés, Ooviluv rôkMs Edoviwv, (dr Acdvrev rôkews péy ot Opyilev
TOME, ) Tupiov . ro SdparTa, an Hô Tüpos Auéva Éyouca évrôc
reiyous" durn de à vioos Buoileux Tupiov, xai dréyer crddia dmd Guhérrnc y.
Tahairupos mél vai morapès (üc) du Wèonc Bet, Lai TOME T (üv Éxdirruv
mai morapès, x Âun Ole, ÉÉw mA TôMe Tu (péwv’ Kappnhos
üpos Lepôv Atdç' Apxdoc roc Sudovioy..
rai morapios Tupiwv' Abpos TA Ed ovtov" (imrn Trou duTE=
Oivai oucuwv évradlu Tv Avdoou. ( édav T® ire AGxd-
Aov rôks Tupioy nai Buoiheux. Évrad (dx ôpog éori rhc Koinç
Svpius. Iapérhovs Koilne Supiaus (drd Oubéxou mor. (LÉypt
Acxdhovos cradiu Ed. ‘
(1) La ligne d'encadrement indique la dimension de la feuille de parchemin. A la
page 92, les six lignes indiquées par des points sont remplies, dans le périple, par la
fin de la description de l’île de Chypre. — Sous le fragment de la page 93, les lignes
pointillées représentent, non pas la partie de cette page qui a été enlevée, mais elles
représentent toute la portion de la page 95 qui n’est pas recouverte par ce fragment.
Elles sont destinées à faire connaître la justification des pages du manuscrit, et par con=
séquent la longueur probable des lignes qui manquent.
(2) Au lieu de rérrepas ras. La correction est de Palmerius (Le Paulmier de Grente-
mesnil).
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 599
Traduction latine. Édit. Müller (1).
104. SYRIA ET PHOENTICIA. Post Ciliciam est Syriorum gens. In Syria au-
tem regionem litoralem Phœnices habitant tractu angusto minusque quam per
quadraginta stadia à mari versus mediterranea patente; interdum vero ne de-
cem quidem stadiorum latitudo est. Post Thapsacum fluvium est (Tripolis
Phœnicum), Aradus insula eum portu, regia Tyri, octo cireitter stadia a conti-
nente distans; sequitur in Cherroneso sita (altera) Tripolis urbs, quæ. est Aradi
et Tyri et Sidonis; in eodem loco tres urbes suis quamque, mœnibus separatim
circumseptas habet; tum mons Theuprosopon sive Dei facies, Trieres urbs cum
portu, Berytus urbs cum portu, Borinus (?) (Zeontopolis), Porphyreon urbs,
Sidon urbs cum portu clauso, Ornithopolis s. Avium urbs Sidoniorum. A Leon-
topoli ad Ornithopolin (séadia*) ; deinde Tyriorum urbs Sarepta et ipsa Tyrus
urbs cum portu intra muros; hæc insula est regia Tyriorum a (continente) dis-
tans stadia tria.
Palætyrus urbs, quam mediam fluvius perlabitur, et urbs (.. Æcdippa)
et fluvius et Ace urbs * urbs Ty... (riorum, Carmelus)
mons Jovi sacer, Aradus (?) urbs Sidoniorum.….
etfluvius Tyriorum, Dorus urbs Sidonia, (Joppe urbs expo-)
sitam ibi ferunt Androm (.…. edam belluæ marinæ; tum Asca-)
lon urbs Tyriorum et regia. Ib...(2 terminus est cavæ)
Syrie. Præternavigatio cavæ Syriæ (a Thapsaco fluvio ad)
Ascalonem stadia 2700,
D’après Scylax, la Syrie était séparée de la Gilicie par le Thap-
saque. Quel était ce fleuve dont le rom ne se trouve chez aucun
autre géographe? Le doute n’est guère possible, Le Thapsaque
de Scylax doit être l'Oronte, qui d’abord fut appelé Typhon, parce
que, selon la Fable, le dragon Typhon, frappé de la foudre et cher-
chant un refuge, forma le lit du fleuve en sillonnant profondé-
ment le sol dans sa fuite; et, s’étant enfoncé sous terre, il fitjaillir
(4) Geoyraphi grœæci minores, edit. Carol. Mullerus, t. I. — Scylax, $ 404.
600 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
la source du fleuve auquel il donna son nom (1). Strabon, qui
fournit ces détails, dit encore que, pendant quelque temps,
VOronte se cache sous terre, puis se montre de nouveau avant de
traverser le territoire d’Apamée. Le mot Thapsaque réveille l’idée
d'enfouissement, d'enterrement (2). Ne sommes-nous pas autorisé à
chercher dans ce récit fabuleux l’origine du nom ou surnom qui
peut-être était donné au fleuve par les gens du pays, et qui aura
été recueilli et transmis par Scylax?
Sur la rive droite de l’Euphrate, il existait une ville que les
Hébreux appelaient nosn, Thiphsach ou Thipsach, c’est-à-dire
passage. C’était en effet par cette ville que s’établissaient princi-
palement les communications des peuples qui habitaient à l’occi-
dent du fleuve avec les peuples plus orientaux. Le nom hébreu se
prononcait aussi T'hapsa, d’où les Grecs ont fait OéVaxos, Thapsaque.
Entre la ville sur l’Euphrate et le fleuve nommé par Scylax, il y
a identité dans l’appellation grecque; mais, on vient de le voir,
l’étymologie est fort différente; que cetie identité ne nous égare
pas (3).
Dans les géographes et les historiens de l’antiquité, on trouve
encore Thapsa en Palestine, Thapsa et Thapsus en Afrique, Thapsus
en Sicile, le fleuve Thapsus en Afrique, et le fleuve Thapsis près
(1) Strabon, liv. XVI, p. 750. — Polybe, liv. V, chap. Lix, — Pomponius-Mela,
liv. I, ch. x. — Pline, liv. V, ch. xxr.
(2) Odérrw, Saw, enterrer. ,
(3) Rois, liv. III, ch. 1v, vers. 24. — Les Septante traduisent OcVe, la Vulgate
Thaphsa. — Pline, V, xx: « Thapsacum, quondam, nunc Amphipolis. » —Xénophon,
Arrien, Étienne de Byzance : Odaxoc.
D'après ce dernier, Amphipolis fut fondée par Seleucus; c’est une erreur. Ce prince
agrandit la ville et changea son nom ; mais c'est à tort que, suivant l'habitude à peu près
constante des Grecs, il en est appelé le fondateur.
Étienne de Byzance dit encore que les Syriens appelaient celte ville Tovpuedæ, Tur-
meda, aujourd'hui Al-Der.
Pour la vérification des textes hébreux, M. Dubeux, professeur à l'École impériale
des langues orientales, a eu la bonté de me prêter son concours, aussi bienveillant
qu'éclairé.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 601
du Palus-Méotide (1); ce ne peut être par hasard que ce nom se
rencontre sûr presque tous les points du monde connu des an-
ciens; il me semble qu’on doit y reconnaître une filiation dans
l’origine, ou une analogie dans les circonstances qui ont imposé
ce nom. Ainsi la ville de Thapsus, en Afrique, est située sur une
langue de lerre basse, et Thapsus en Sicile est bâtie sur une pres-
qu'ile si basse et si enfoncée dans la mer qu’on la croirait £ENSEVELIE
dans les flots (2).
Cette observation, qui n’est pas de moi, vient à l'appui de ce
que j'ai dit sur l’origine des mots Thapsus et Thapsaque (3).
Typhon, immense géant ou dragon à cent têtes, est la personni-
fication des difficultés qu'éprouvèrent les hommes à s'établir
dans des pays souvent dévastés et bouleversés par des volcans et
des tremblements de terre; c’est ainsi, ce me semble, qu'il faut
interpréter la lutte terrible et longtemps prolongée des Arimes ou
(4) Rois, IV, xv, 16. — Josèphe, Antig. jud., IX, x1. — Strabon, liv. XVI{,
p. 83%. — Tite-Live, XXXIII, 48. — Pline, liv. V, 4. — Thucydide, VI, p. 478. —
Étienne de Byzance. — Vibius Sequester. — Diodore de Sicile, XX, 22. — Scylax,
$$ 140 et 114. — Dans tous ces noms de villes et de fleuves, M. Movers et, d’après
lui, M. Ritter n'ont pas soupçonné l'étymologie que je crois la seule vraie; ils n'ont
aperçu que l’idée de passage qu'on retrouve, il est vrai, dans Dan, Odd«, Thapsa, en
Palestine. — D’après le dictionnaire d'Étienne de Byzance, à la liste que j'ai donnée,
il faudrait ajouter Thapsipolis, située près de Chalcédoine. 11 y a là une erreur qui tient à la
substitution d'une seule lettre. Au lieu de Kakyndov, dont le nom s'écrit plus généralement
Kalxdwv, Calcédoine, il faut lire Ka:pyndv, Carthage. Il s'agit uniquement de Thapsus,
en Afrique, et les deux articles du Dictionnaire ne doivent en former qu’un seul. Dans
Pline, liv. XXX VII, on retrouve la même confusion entre Carchedon et Chalcedon.
(2) Bruzen de la Martinière, au mot Tapsus. — « Tapsumque jacentem. » (Virgile,
Enëide, III, v. 689.)
(3) Strabon raconte avec détails les bouleversements causés par les tremblements de
terre en Phrygie (pays grillé), en Lydie, en Carie, ete. « C'est dans la Catacecaumène
{pays brûlé) quela Fable place les aventures de Typhon et des Arimes » (liv. XII, p. 579),
— D'autres placent cette fable en Cilicie; quelques-uns en Syrie; d'autres encore aux îles
Pithécusses (liv. XIII, p. 626). — Callisthène prétend que c'est près de Calycadne
et du cap Sarpédon, en Cilicie, que l’on doit placer les Arimes (p. 627). «Ilyena qui
entendent par Arimes les Syriens, que l’on nomme Arames ou Araméens. »
602 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Araméens contre Typhon (1). Sur les côtes occidentales de l’Asie,
puis en Sicile près de l'Etna, partout enfin où les efforts persévé-
rants de la race humaine rencontrèrent des obstacles de cette na-
ture, la Fable y transporta le théâtre de la lutte à laquelle Jupiter
mit fin en foudroyant le Géant ou le Dragon; ce qui veut dire que
la lutte cessa lorsque les tremblements de terre, devenant moins
fréquents, permirent aux hommes de former des établissements
durables. Il ne resta plus de cette lutte qu'un souvenir vague et
confus dont s’emparèrent les poëtes ; et ces chantres des temps
héroïques, sans cesse mêlant ensemble, dans leurs vers, la Cilicie
et la Sicile, répandirent sur les faits des notions plus confuses
encore (2).
Le nom d'Oronte est attribué au fleuve par presque tous les
auteurs et à toutes les époques de l’histoire, Quelle est lorigme
de ce nom?
L’Oronte était un grand cours d’eau d’une navigation souvent
dangereuse, quelquefois impossible, et qui causait de fréquents
désastres dans les pays qu'il traversait. Strabon dit qu’il prit « le
(1) Togos, fumée. Junon frappa la terre et en fit sortir des vapeurs qui formèrent le
redoutable Typhon.
Tuyaioya tua Bporoïai,
by mot” ë&p Hon Étuxte, yolwsauén Aù Tati.
(Homère, Hymne à Apollon, vers 306.)
Toys, Typhon, trombe, tourbillon de vent mêlé d’éclairs, vent impétueux et brûlant,
tourbillon de feu. Vaniteux, arrogant. Plutarque, édit, Reiske, vol. IX, p. 540; vol. VI,
p.142, 247 et 647. — Pline, liv. II, £8.
(2) Ets ’Apiuors, 60e wast Tugwéos Eupeyo ebvds.
« Chez les Arimes, où l'on dit que Typhon gft renversé. »
(Homère, Jliade, chant IT, v. 783.)
rdv yryeyn Te Koexloy oxnrope
&Tpwy Ido Gxrtétpa, Jaioy tépas
ExaToyrdpavoy, tps (Pia yersobuevoy
Tupüva Ooüpoy, mao 66 dyréatn Qeoïc,
opspdvaise yaupnhaîar aupiGwy -W6Yoy.
« Non, je n'aurai point vu sans troubleet sans colère,
Le plus grand des géants qu’ait enfanté la terre,
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 603
mom de celui qui, par des digues, sut régulariser et améliorer
son cours. »
Ce n’est pas ainsi, je le sais, que sont ordinairement inter-
prétées les paroles de Strabon : Tè à’ évoux rod yegupécavros abrèy
Opévrou perélabe, xwAduevos mpôrecov Tuov. Jusqu'ici la phrase a été
ainsi traduite : « Ce fleuve appelé Oronte, du nom de celui qui y
construisit un pont, porta d’abord le nom de Typhon (1). »
L'erreur est générale; ce n’en est pas moins une erreur évi-
dente. La nature du fleuve explique et exige l'interprétation que
Le terrible habitant des monts Ciliciens,
Typhon aux Dieux vaincus préparant des liens, »
(Eschyle, Prométhée ench., v. 354 et suiv.,trad. de M. Fr. Robin.)
ë5 TE co Taprdpe xeïro, Ocüy mohéutos,
Tupbg Éxaroyroxdpuvos" rôy roTE
Koéxoy Opébey molvoyupos Gytpor.
« Tel frémit étendu au fond de l'horrible Tartare, cet ennemi des Dieux, Typhon aux
cent têtes, qui eut pour berceau l’antre fameux de Cilicie..… »
(Pindare, Pyth., I, v. 34 et suiv.)
’A, © Kpoyoy mot, 66 ? Airyav GA
Éroy dyeusescos Exuroyrepahx Tuvsyos oupiuov,
ouprtoyixæy déxeu. 7
« Mais, fils de Saturne, toi qui règnes sur l'Etna battu par les vents, dont le poids
écrase l'énorme géant Typhon aux cent têtes, accueille cet hymne triomphal. »
(Pindare, Olymp., IV, v. 10-13.)
(1) Strabon, liv. XVI, p. 750, traduction de M. Letronne, Sans doute le mot l'épupa
signifie pont ; mais avant d’avoir ce sens, il avait celui de levée de terre, de chaussée,
de digue. C’est celte acception que lui donne Homère (Jliade, V, v. 87, 88 et 89):
Oùve yap duredioy moraué mAnOovtt Eorxos
XEuGgGS, 6or” wxa Péwv Exédoace yepupus,
rùy d’ oÙr” Gp yépupos Étpypévar ioyavéwaty.
« Furebat enim j'er campum fluvio abundanti similis
Torrenti, qui velociter fluens dissipavit aggeres,
Quem neque jam aggeres muniti coercent.
De même dans Plutarque, Tepupocas rov morausy n’a pas le sens d'un pont construit
sur une rivière; « Marius ne jeta pas un pont sur le Tibre pour empêcher que les Ro-
mains ne pussent tirer par eau aucunes provisions »; il fit exécuter un barrage, afin de
mettre obstacle à la navigation du fleuve. (Vie de Marius, t. 11, p. 884, édit. de Reiske.)
604 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
j'ai donnée. Et d’ailleurs de quel pont serait-il question? où
aurait-il été construit ? À Antioche, à Apamée? Mais ces villes ont
été fondées par les Séleucides, et le fleuve portait le nom d’Oronte
à une époque antérieure à la conquête macédonienne; nul ne le
conteste. Lors même que l’histoire et la mythologie ne fourni-
raient aucun argument contre l'interprétation donnée à la phrase
de Strabon, je la rejetterais encore, ne pouvant croire qu’un archi-
tecte, ou qui l'on voudra, ayant construit un pont sur le Typhon,
le fleuve ait pris le nom de ce personnage, et surtout qu'il l'ait
conservé, le nom nouveau faisant disparaître une appellation qui
remontait à des traditions populaires.
Le mot Oronte n’appartient pas à la langue grecque ; il n’appar-
tient même pas à l’une des langues sémitiques; il a dû être im-
posé au fleuve à l’époque où les Perses devinrent maîtres de la
contrée; car dans l’histoire comme dans la mythologie de la Perse.
et de l'Inde, on trouve fréquemment ce nom qui prend aussi les
formes : Oroandes, Orouandes, Aryandes, Aryades. Si l’on admet
l'explication donnée par Strabon, avec le sens que je crois être le
seul qui rende la pensée du géographe, il faut admettre égale-
ment qu’un satrape, appelé Oronte, fit exécuter de grands tra-
vaux pour contenir dans son lit le cours du fleuve, et qu’ensuite,
par reconnaissance ou par flatterie, son nom fut imposé au fleuve
qu'il avait su diriger et maîtriser. Il n’y a là rien d'impossible ;
cependant je trouve ailleurs une autre explication que je crois
plus vraisembleble.
Oronte, géant persan, indien ou éthiopien, combattit contre
Bacchus (1). La lutte dura longtemps et se renouvela dans plu-
(1) Les anciens auteurs grecs et latins n'avaient pas de notions bien nettes sur la
Perse, l'Inde et l’Éthiopie, ce que prouvent leurs écrits : « Persarum statuit. Babylona
» Semiramis urbem. » (Properce, UE, 1x, 21.)— « Ex Æthiopià profectus Sandan (Sarda-
» napal) quidam nomine. » (Amm. Marcellin, XIV, vin, 3.) — « Æthiopes ab Indis ve-
» nientes...….. sapientissimi mortalium Indi sunt; coloni autem eorum Æïthiopes. » (Phi-
lostrate, Vie d’Apollonius, k, 6.) — « Usque coloratis amnis devectus ab Indis. » (Vir-
gile, parlant du Nil, Géorg., IV, vers 293.) — « L'Indien Oronte, aux cent coudées,
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 605
sieurs contrées; vaincu enfin, le géant fut précipité dans le lit du
fleuve qui depuis fut connu sous le nom d’Oronte.
Kai véxus dpLerépe BeboXnp.évos dÉér Übecw
Leduc Acovpioucr xakimrerar vd Oodvrns,
cicére deuaivoy xt év Hdaoiv uvoux Béxyou.
« L’Indien Oronte renversé par ton thyrse aigu, se cache dans les flots Assy-
» riens, et squs ces abîmes, il tremble encore au nom de Bacchus (1). »
Nonnos, qui montre ainsi combien sont frappants les rapports
entre les légendes grecques et indiennes, fait plus encore, puis-
qu'iltransporte Typhon dans l'Inde, et établit une parenté entre les
géants indiens et le géant célébré par les Grecs. « Morrhée, dit:il,
n’était pas semblable à la race des hommes de nos jours; par sa
stature et ses membres de géant, il reproduisait la vigueur des
Indiens fils de la Terre. Ilest de la tribu autochtone de l'immense
Typhon (2).
Typhon ou Oronte, en Orient comme dans la Grèce, c’est tou-
jours aux traditions mythologiques et populaires que, si je ne me
trompe, il faut demander l'origine du vom du fleuve; il en est de
même des surnoms qu'il reçut. Thapsacos, l’enfoui, me semble
être un de ces surnoms ; je regarde comme tels AI, al-makloub,
le renversé, et peut-être aussi Lgetai, al-assy, le rebelle.
Aboul-féda, qui fait connaître ces deux noms ou surnoms de
l’'Oronte, prétend que le fleuve fut appelé al-Makloub, parce
qu’au lieu de prendre son cours du nord au sud, comme le Tigre
et l’Euphrate, pendant longtemps il coule du sud au nord; et,
plus redoutable qu'un monstre marin. » (Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques,
liv. XXVI, v. 78; XXV, v. 252; XVIII, v. 300) — « Oronte, géant indien. » (Pau-
sanias, VIII, 29, 3.) — « Oronte et Orouandes, Éthiopiens. » (Étienne de Byzance, au
mot Bleuves.) — Aryades, Philostr, heroïc., p. 669. — « Ninus est civitas Syriæ quam
» fecit Ninus..….. rex Indorum. » (Scol. s. Lucain, Phars., III, v. 215.) — Movers,
Das Phoën. Alterthum, t. 1, p. 289 et suiv. — Ritter, Die Erdkunde, xvu.
(1) C'est la Lune qui parle ainsi à Bacchus, (Nonnos, liv. XLIV, v. 241 et suiv.
(2) Nonnos, XXXIV, v. 177 et suiv.
vit. 77
606 ESSAIS DE RESTITUTION. ET. D'INTERPRÉTATION
suivant le même gécgraphe, il a été appelé al-Assy, parce qu'il se
prête difficilement à l'irrigation des terres, et qu'on ne peui l'y
contraindre qu’à l’aide de machines hydrauliques (1). L'explica-
tion peut être ingénieuse, mais j'ai peine à croire qu’elle soit
vraie. Dans ces deux expressions, le renversé et le rebelle, je suis
tenté de ne voir que deux surnoms, se rapportant à la légende
du Géant terrassé après sa révolle contre une divinité.
La littérature arabe ne m'est pas familière (2); je ne purs affirmer
que. dans aueun auteur on ne trouve les mots nahr-al-Makloub
pris substantivement, et, devenus un nom propre, employés seuls
pour désigner lOronte. Aboul-féda lui-même ne le dit pas; et
jusqu'à preuve du contraire, je croïrai qu'avant ces mots, celui
d'Oronte était toujours exprimé ou sous-entendu.
Pour al-Assy, j'éprouve de l’hésitation, et voici ce qui la fait
naître. Il existe une monnaie à l’effigie d'Alexandre Balas, avec
cette inscription : Âmépeuv Tüv mpûùc Tù Afw, « des habitants
d’Apamée sur l’Axios ». Apamée était située sur l’Oronte, et Vail-
Jant, qui a fait connaîlre la médailie, tire cette conséquence que
le fleuve a été connu sous le nom d’Axios (3). Cellarius adoptant
cette idée, la complète en disant que probablement sous la domi-
nation des Séleucides, les Macédoniens, maîtres du pays, donnè-
(4) Abovl-féda, Tabula Syrie, ed. de Koehler, p. 104 et 449. Traduct. de M. Rei-
naud, Prolégomènes, t. II, p. 64.
Aboul - féda dit encore que l’Oronte fut appelé al nabr-Hamah. Près de l'importante
ville d'Hamat (Epiphanie), l'Oronte a pu être désigné par les mots rivière d'Hamalt,
comme on a pu dire également rivière d'Apamée, rivière d’Antioche ; mais je donte que
le nom indiqué par le géographe arabe se soit jamais étendu à une grande partie du
cours du. fleuve.
C’est ainsi que; le nabr-al-Aoualy porte le nom de nabr-Barouk entre les montagnes,
près de la ville de Barouk.. — Il serait facile de multiplier les exemples.
(2) Tous les renseignements qui se rapportent à la languearabe, je les dois. à la bien-
veillance du savant traducteur de la Géographie d'Aboul-féda, M. Reinaud, membre.de
l'Institut. s ;
‘ (3) Vaillant, Hist. regum Syrie, p.261. — Alexandre Balas vivait au milieu du
n° siècle av. J. C.
SONT
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 607
rent au plus grand cours d’eau de la Syrie, le nom de Pune des
principales rivières de la contrée aw’ils avaient quittée, et qu'ainsi
l'Oronte devint l'Axios (1). Si cette opinion est admise, on peut
croire que le dernier nom subsistait encore, maïs ne subsistait
pas seul, lors de l'invasion musulmane. Les Arabes entendant pro-
noncer un nom qui avait une grande analogie avec un mot de leur
langue, gceeptèrent le mot, y ajoutèrent l'article et ÀËx devint
al-Assy (2).
D'Anville a donné sen assentiment à l'opinion de Cellarius, et
d’autres, après lui, l’ont trouvée très-vraisemblable. Cependant
qu'on y réfléchisse; dans les auteurs qui ont écrit l’histoire de
Syrie, il est très-souvent fait mention du fleuve dont nous nous
occupons, et toujours il est appelé Oronte, jamais Axios.
Polybequi, écrivant spécialement l’histoire des Séleucides, parle
d'Alexandre Balas et d’Apamée, nomme plusieurs fois l'Oronte, le
suit dans ‘tout son cours, etsemble ignorer qu'il ait porté un autre
nom (3). Strabon donne beaucoup de détails sur l’Oronte et sur
Apamée; il nous apprend que cette ville, appelée 1quelquefois
Chersonèse parce que le fleuve l’environnait presque entièrement,
recut des premiers Macédoniens le nom de Pella, en mémoire de
la ville macédonienne patrie de Philippe ; mais il nefaït pas men-
tion de l'Axios. Etienne de Byzance et Eustathe répètent tout ce
qu'on lit dans Strabon, et, comme lui, ne disent pas que l’Oronte
ait jamais été appelé Axios (4). |
(1) Cellarius, Orbis antiquus, t. II, p. 354.
(2) Les Arabes n’ont pas toujours procédé de cette manière. Quelquefois ils ont traduit
littéralement, et Atdomo5awmoy est devenu Ouadÿh al-hdajar face de pierre ; ou bien ils
ont traduit en modifiant un peu le sens, et de Axe, le loup, ils ont fait al -Kelb, le
Chien ; ou bien enfin ils ont reproduit le nom sans aucune modification ét sans y atta-
cher aucun sens; c'est ainsi que l’Oronte est resté al-Oronth.
(3) Polybe, édit. de Schweighæuser : Alexandre Balas, xxxnr, 14, 1 et 16, 9. —
Apamée, v, 45, 7 et 50, 1.—Oronte, v, 59, 10.
(4) Strabon, liv. XVI, p. 752. — Étien. de Byz., au mot ’Arœuels. — Eustaihe,
Comment sde Denys le Périégète, v. 918 et'919, Lepère Hardouin pense que l’Axios
608 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Le nom d'Axios attribué à l’Oronte ne paraît qu’une fois et
ans un seul auteur, dans Sozomène, écrivain du v° siècle de
notre ère ; il me semble assez facile d'expliquer l'indication donnée
par la monnaie des Apaméens et reproduite évidemment par Sozo-
mène (1). f
Par une pratique que l’on voit se renouveler partout et dans
tous les temps, les Macédoniens transportèrent en Syrie une mul-
ütude de noms propres qui appartenaient aux lieux qu’ils avaient
abandonnés (2). Quandils bâtissaient Apamée, quandils donnaient
d'abord à la nouvelle ville le nom de Pella, il est probable que le
fleuve qui baignail et entourait la ville était appelé par eux Axios,
en souvenir du fleuve qui coule près de la capitale de la Macé-
doine; mais il était l’Axios pour les Apaméens, pour eux seule-
ment, et jamais ce nom ne s’étendit à tout le cours du fleuve ; le
nom de Peila n’a duré que quelques années ; le nom d’Axios,
même dans les limites circonscrites du pays des Apaméens, n’a
probablement pas eu beaucoup plus de durée. Ceci explique ce fait
sur lequel je ne saurais trop insister, que, dans l'antiquité, abso-
lument aucun auteur n’a fait mention de l'Axios en Syrie. Schul-
tens, rejetant l’opinion de Cellarius, est porté à croire que le mot
al-Assy (sous une forme araméenne), loin de venir d'Afio, l’a
précédé chez les Syriens (3). Dans cette hypothèse, je n'admettrais
pas que le mot araméen ait donné naissance au mot grec qui n'a
été usilé qu'aux environs d’Apamée, lors de l'occupation macé-
donienne. Dans l'hypothèse contraire, si al-Assy ne date que de la
était le Marsyas, qui se jetait dans l’Oronte près d'Apamée; celle explication me paraî
inadmissible. (Comment. sur Pline, V, 23.)
De grands changements ont eu lieu dans le cours de l'Oronte, qui n'environne plus
Apamée; les cartes modernes ne donnent pas le moyen de comprendre ce que les anciens
auteurs nous ont transmis sur le fleuve et sur la ville.
(4) Sozomène, Chron., liv. VII, 15: ..... 'Arapelas, TS POS TO AËiw TOTAUO.
(2) Berrhœa, Edessa, Larissa, Ægæ, Heraclea, Chalcis, Europos, Dium, Pella, Pieria,
Cyrestica
(3) Schultens, Vie de Saladin, ludex, aux mots : Orontes, fluvius Orontes et Phamia.
en er DE
D'UN PASSAGE DE SOYLAX. 609
conquête musulmane, je conçois qu'on ait voulu le faire venir
d’Axios dont il ne serait qu’une reproduction altérée; mais je l’ai
déjà dit, je pense que cette appellation n'est qu’un surnom se
rapportant à une légende ancienne et populaire.
D'une phrase de Malala on a conclu que l'Oronte avait autrefois
porté le nom d'Ovirnç. Ce nom, pas plus que celui d’Afx, ne se
trouve dans aucun auteur ancien; et Pomponius Lætus qui Pa
reproduit, n’a fait que copier Malala. Voici cette phrase que je ne
puis me dispenser de mettre en entier sous les yeux du lecteur :
Tic Où Âciuc étéburo Loureiv «a Pacrheve Âvrtjovoy Tûv Reyoevov Tlo-
AopknTAv, Ews Ts Kiuxiac xai T0) Apgxovroç morzpod rod vÜvL Aeyopévou
Opévrou Toù duopilovrog Tay Kouxias yOpuv xai Tav Suolav, Goris Tupüv xai
Oqirnc aketrar.
« Asiæ vero Dominum constituerat Alexander Autigonum Poliorcetem dic-
» tum, usque ad Ciliciam et Draconem fluvium, qui Syriam à Cilicià dirimens,
» Orontes hodiè, olim vero Typhon et Ophites, dictus est. »
Voici maintenant comment je comprends ce passage de Malala:
Alexandre avait donné à Antigone surnommé Poliorcète le gou-
vernement de l'Asie jusqu'a la Cilicie et au fleuve qui sépare la
Cilicie de la Syrie, fleuve qui porte aujourd hui le nom du dragon
Oronte, et qui, autrefois, portait celui du serpent Typhon.
Je ne traduis pas litiéralement la fin de la phrase, je le sais par-
faitement ; mais je crois lui donner le véritable sens que l’auteur
a dû lui attribuer. Qu'on le remarque bien ; Malala ne dit pas, et
n’a pas pu dire, que le mot Apéywy élait le nom du fleuve ; il dit
au contraire que, de son temps, le fleuve du Dragon s'appelait
Oronte, et qu'autrefois il était connu sous le nom de Typhon.
Dragon n’est donc pas un nom propre ; c'est tout simplement une
appellation dont l’auteur se sert pour rappeler l’origine du nom
de l’Oronte. J’interprète de même le mot vins par rapport à
Tuoéy.
L’explication qui précède est également applicable à cette autre
610 ESSAIS DE (RESTITUMION ET D'INTERPRÉTATION
phrase où il est dit que Séleucus Nicanor fit la guerre à Antigone
parce que ce dernier avait construit une ville près du lac et du
fleuve du Dragon : dur Éxrice rdv mhnoiov #%ç Nipyne xaù ro morauon
roù Apéxovros (1). 1
Dans une foule de mythes ‘indiens «et persans, le Dragon ou
Serpent est le symbole des eaux :qui s’écoulent ; ce qu’explique
facilement la comparaison entre les sinuosités formées par le
cours d’un fleuve et les sinuosités du corps d’un serpent qui
fuit (2).
Eustathe rapporte une opinion d'après laquelle ce serait l’em-
pereur Tibère qui aurait enlevé au fleuve le nom qu'il tirait du
Dragon, pour lui imposer celui d'Oronte qui, chez les Romains,
signifie Oriental ! ! Ados dé oucw ürt Kaïcao Tubépus x pdxoyros aérov
Opdvrny LeTuvOAGEY, cnmaiver Pouaiort rôv dvuroluxov (3).
Indépendamment de l'erreur sur la signification attribuée au
mot Ooivrne, Eustathe en commet encore une autre sur l'époque
où le fleuve perdit le nom de Typhon. La dernière provient d’une
fausse interprétation d’un passage de Pausanias. Cet auteur ra-
conte qu’un empereur romain voulant faire remonter ses vais-
seaux jusqu’à Antioche et ne pouvant serservir du lit du fleuve qui
offrait trop de difficultés, fit creuser un canal par lequel désormais
l'Oronte se rendit à la mer. Dans Îe lit desséché on trouva un
tombeau long de onze coudées, qui renfermait un cadavre de pa-
reille longueur et de figure humaine. L’oracle d’Apollon fit con-
naître que ce corps étaït celui de lIndien Oronte (4).
Pausanias ne dit pas le moins du monde que, jusqu’au moment
(1) Malala, Chronographie, liv. VIII, p. 495 et 198, édit, de Bonne, 1831.
(2) M. Maury, Recherches sur la religion ét le culte des populalions primilives de la
Grèce, p.142.
Nousdisons aussi qu'une rivière serpente lorsque, la pente étant peu rapide, elle forme
eaucoup de détours.
(3) Eustathe, Commentaire sur Denys le Périégète, v. 919,
(4) Pausanias, Liv. VIIL, ch. 29.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 614
où le tombeau fut découvert, le fleuve ait continué à s'appeler
Typhon. À son tour, Eustathe a été mal compris par Ortelius qui,
dans la phrase que j’ai citée, a cru voir la preuve que l'Oronte
avait recu de Tibère le nom de Draco (4).
Philostrate rapporte que les Assyriens avaient transporté sur
les bords de l’Oronte la fable arcadienne de Daphné, fille de Ladon,
changée en laurier, et que chez eux, le fleuve qui coule à Antioche
portait le nom de Ladon (2); Philostrate est seul à le dire.
Encore un nom attribué à l’Oronte ; ce sera le dernier. Antioche,
dit Benjamin de Tudèle, est située sur le fleuve 5, Pin. Telest du
moins le sens donné à la phrase de Benjamin par Arias-Montanus,
et par plusieurs autres traducteurs. Si cette phrase ne passait pas
pour avoir été fort maltraitée par les copistes, ne pourrait-on pas
y trouver un motif de croire qu’au xn° siècle, l'Oronte recevait
des peuples vivant sur ses bords un nom qui rappelait, dans sa
forme primitive, le mot toujours joint, au moins par la pensée, au
nom de Typhon, le mot sanscrit Pis, serpent, dont les Grecs ont
fait ôxuç, puis dns (3).
Par le mot hébreu Pir qui signifie excavation, fosse, sillon,
canal, peut-être Benjamin de Fudèle a-t-il rendu l'appellation
sous laquelle l’Oronte était connu à Antioche ; alors, dans cette
appellation on peut retrouver un souvenir toujours persistant de
Typhon creusant le lit du fleuve en sillonnant profondément le
sol dans sa fuite ; ou bien encore on peut voir une allusion au
travail de canalisation exécuté pour faire remonter les galères jus-
que dans l’ancienne capitale des Séleucides. Benjamin n’a pas
(1) Ortelius, Thesaurus..…, au mot Ononres.
Anne Comnène (liv. II, p. 97, édit. de Bonne). fait mention d'une rivière du Dragon;
mais celte rivière était en Bithynie et n'avait rien de commun avec l'Oronte. Procope
(De ædificüis, t. IN, p. 343, édit. Dindorf) dit positivement que le Apéxwy de, Bithynie
devait son nom aux nombreuses sinuosités de son cours.
(2) Philostrate, Vied! Apollonius, I, 46. «
(3) Voyages de: Benjamin de Tudèle. Paris, 4830, 4 vol. in-8°, p. 8.
Constantin l'Empereur, autre traducteur de Benjamin, écrit Phir au lieu de Pir.
612 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
fait connaître un nouveau nom de l’Oronte ; il a dit tout simple-
ment, ce qui est vrai, que la ville était située sur un fleuve-canal :
c’est là l'explication que je préfère.
Dans la récente traduction de Benjamin par Ascher, on lit
qu’Antioche est située sur les bords du Makloub : « It stands onthe
banks of the Makloub ». Le savant traducteur et commentateur
n’a pas cru devoir examiner la question ; il s’est contenté de donner
au fleuve un nom connu; c'est un moyen toujours facile de ré-
soudre les difficultés (4).
Enfin que dirai-je? De mes recherches minutieuses on peut
tirer les conséquences suivantes : Le Thapsacos de Scylax est
lOronie des autres géographes (2) ; dans l'antiquité, aucun auteur,
excepté Scylax, n’a jamais désigné ce fleuve que sous le nom
d’Oronte; ceux mêmes qui nous ont fait connaître qu’à une époque
antérieure aux temps historiques, le fleuve avait été appelé Ty-
(1) Dans ses notes, Ascher dit encore : « Antioch stands on the Makloob, the an-
» cient Orontes, which is generally understood to be the 3 of halmudic writers. »
Sur deux de ses cartes, un géographe moderne, M. le colonel Lapie, donne à l'Oronte,
vers son embouchure, le nom de Charadrus ; je.ne connais rien qui puisse justifier cette
innovation. Soit en Asie, soit en Grèce, six rivières ont été appelées Charadrus (yœpa-
dpæ, ravin, Lorrenl), mais aucune de ces rivières n’était en Syrie. Pline et le Sradiasme
de la mer Méditerranée placent une ville de Charadrus sur la-côte de Syrie; M. Lapie
aurait-il transformé ce nom de ville en un nom de fleuve, puis attribué ce nom à l'Oronte?
(Orbis romanus ad illush'anda itineraria delinealus a Lapie, 1834. — Carte de l'Asie
Mineure, par Lapie, 1838. — Pline, liv. V, ch. 20. — Stadiasme..…, $ 148)
(2) M. Lapie n’a pas admis cette identité, et sur sa carte du monde romain, il a donné
le nom de Thapsaque à une petite rivière qui se jette dans la mer à environ 220 stades
au sud de l’Oronte. Il s'est trompé, el il me paraît être sorti d'une difficulté par une
erreur. Indépendamment des preuves que j'ai accumulées pour montrer que les noms de
‘Thapsaque et d'Oronte désignent un même fleuve, il est encore une considération à la-
quelle le géographe français n'a pas réfléchi et qui ne doit pas étre négiigée : à moins de
circonstances exceptionnelles et qui ne sont jamais durables, les chaînes de montagnes
et les grands cours d’eau ont toujours servi et serviront toujours de limites aux divers
États, surtout lorsqu'ils appartiennent à.des races, ou seulement à des nationalités diffé-
rentes. La pelite rivière inconnue que M. Lapie décore du nom de Thapsaque n'était
donc pas le fleuve qui servait de limites entre la Gilicie et la Syrie.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 615
phon, disent en même temps qu’au moment où ils écrivaient, il
senommäit Oronte. Pendant quelques années le fleuve a été appelé
Axios par les Apaméens, mais ce nom n’a pas franchi les limites
du territoire d’Apamée et ne s’est jamais étendu à tout le cours du
fleuve ; le nom d’Oronte s'est perpétué, sans interruption, jusqu’à
nos jours ; Thapsacos l’enterré, ‘ainsi qu’al-Makloub le renversé et
al-Assy le rebelle, sont des surnoms, et nullement des noms pro-
pres ; tous trois paraissent se rapporter aux tradilions mythologi-
ques qui avaient successivement imposé au fleuve les noms de
Typhon et d'Oronte.
Depuis quelque temps le surnom d’al-Assy a prévalu sur le nom
d'Oronte, et c’est l’appellation le plus souvent employée par les
habitants du pays.
De cette discussion il est facile de conclure qu’en lisant, dans le
texte de Scylax, le mot Géexos, il ne faut pas se hâter d’accuser le
géographe d’inadvertance ni les copistes d'ignorance et d’erreur.
L'Oronte a pu être désigné à Scylax sous le surnom de Thap-
saque.
Arrivons enfin à ces mots : êcri roimolus bowixov. 1ls complètent
une phrase qui, je le crois, n’a pas encore été comprise. Telle
qu’elle est constamment reproduite, la phrase présente un sens
tout à fait inadmissible, car Scylax n’a pas pu dire : « à partir du
fleuve Thapsaque est Tripolis des Phéniciens. »
Dans l’'énumération des villes de la côte phénicienne, le géo-
graphe nomme Tripolis en rapportant les circonstances qui se rat-
tachent à la fondation de cette ville et lui assigne sa véritable
place au sud d’Arados ; il n’est pas permis de supposer qu'il com-
mence son énumération par une première Tripolis dont’ aucun
géographe ni aucun historien n’a jamais fait mention, dont il ne
reste aucune trace parce qu’en effet elle n’a jamais existé. Il y a
donc là une erreur. Puis, pourquoi ces mots : Tripolis des Phéni-
ciens? « Est-ce que Tripolis appartenait aux Phéniciens plus spécia-
lement que toute autre ville de Phénicie ? Nullement. Quand jelis -
VI. 78
64h ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Av Mupiuv dos DouwixoV,—Adrnboe Pouvixwv (4),je comprends à mer-
veille. Scylax avertit ainsi que Myriandos et Lapèthos, quoique si-
tuées, la première en Cilicie et la seconde dans l’île de Chypre,
étaient des villes phéniciennes ; de même: Zioagos mue EXmvis,
Toumelods rôle EXhnvis, Edko médis EXMnvis (2), signifient que Sezame,
Trapezunte et Soles.étaient des villes grecques, bien qu’elles exis-
tassent loin-de la Grèce; sur les:côtes de l'Asie Mineure ; mais
dans! la description de la Phénicie, lorsque, sans exception, toutes
les villes nommées sont fondées ou occupées parles Phéniciens,
faire dire au géographe que Tripolis dépendait des Phéniciens,
cela m’a pas de sens; ou plutôt ce serait une naïveté puérile qui ne
doit point être attribuée à Scylax. : à
Que si la Phénicie ne contenait .que trois villes, alors, mais.alors
seulement, la phrase telle qu’elle se lit dans le texte, aurait un sens
parfaitement.clair et fort acceptable; le mot rpimûx pourrait être
rendu par Jripole, on réunion de trois villes, comme dans cette
autre phrase: PdÔoc vhcacixed HOME, 4 rpémods dolce Eviadri, Ode
aide" idhusos, Aivdoc, Kapreupos : « Rhodes île et ville, et une antique
tripole dont voici les villes : Jalysos, Lindos, Camiros » (3).
Évidemment, tellene peut: êlrerici la signification de Tpiroke,
puisqu'il est incontestable que la Phénicie contenait nonpas trois
villes seulement; mais un grand nombre de.villes dont la nomen-
clature va se trouver dans Scylax.
Rentcontrant audébut de la description de la Phénicie trois
mots qu’ils ne comprennent pas, lescommentateurs s'étonnent,. et
quelques-uns proposent la suppression de ces mots. Supprimer
ce que l’on a de la peire à comprendre est un moyen facile de
(1) $$ 102 et 103. Le plus sonvent les auteurs grecs écrivent : Muptæyôpos:
(2) $$ 90, 85 et 102.
(3) 8 99: Ici rgéroks est pris substantivement; Scylax. l'emploie également comme
adjectif : Ierdpn@oc abrn Tpimokee xeu hwry : « Péparèthe qui est tripole, ou bien, qui a
trois villes, dont une possède un port ». Dans le même sens il dit aussi: démohe, vetpo—
née" Éxoç) abrn démoke ; Kéos, aürn rerpérohe (S/58).
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 615
résoudre, ou plutôt d’éluder une difficulté; mais c’est un moyen
dont on ne peut user que bien rarement et avec une grande cir-
conspection. Ici la suppression est impossible, puisque les mots
dont il est question servent à expliquer ce qui suit. Scylax me
fournira lui-même le moyen de les corriger et de leur rendre leur
véritable signification.
Quand il passe d’une description à une autre, il se sert d’une
transition qui est presque constamment la même : « Après tel
pays vient tel autre pays, et voici les villes qui s'y trouvent, » Il
n'apporte quelque changement à cette phrase perpétuellement re-
produite, que quand il a besoin de faire précéder l'énumération
des villes de quelque explication, comme dans le paragraphe qui
nous occupe; alors l’explication étant finie, il dit : sici de môker
Ev durÿ. — eloi dù AA mNeuc. — elo} dù xaù SAR édMetc Axapvdve (A).
Scylax qui avait réuni sous un même titre la Syrie et La Phénicie,
ne dit absolument rien dés Syriens et ne parle que des Phéniciens.
Il commence par entrer dans quelques détails sur l'étendue de
leur pays'; puis; suivant son habitude, il ajoute : eisi dà môkex
Dotvxwy (2), comme il avait dit : ici dE môdeis Axsovévov.
Ce mot powixoy qui n’avait pas de sens lorsqu'on voulait qu'il
se rapportt à la seule ville de Tripolis, est ici la désignation géné-
rique de toutes les villes dont l’'énumération va suivre. Dans cette
énumération Scylax fait connaître que telle ville dépend des Ty-
riens, que telle autre est sous l’autorité de Sidon, mais toutes sont
phéniciennes, et le mot œowixov est placé en tête pour bien établir
qu’il ne parlera pas des villes syriennes, ou plutôt que toutes les
villes maritimes don il parlera sont phéniciennes (3).
Je propose donc de lire : émd OEuÿérou morauoÿ ist Që médeis Doivi-
(1) 88 98, 103, 34.
(2) Par-l'erreur des copistes, les! mots & xélas étant devenus Tpéroks, toi a dù
nécessairement être changé en écrt.
(3) Ainsi se trouve expliqué le motif pour lequel Seylax n'a pas fait mention d'ure
seule des villes situées sur la-côte’entre l'Oronte et Arados. '
616 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
xwv (1) : « à partir du fleuve Thapsaque, les villes des Phéniciens
sont...» Après ces mots vient l’énumération des lieux les plus
remarquables de la Phénicie, en commencant par l’île d’Arados,
Ruad.
La phrase qui concerne cette île a donné lieu à une étrange er-
reur, erreur tellement générale, que je déclare l'avoir retrouvée
dans les meilleurs commentaires de Scylax et dans presque tous
les auteurs qui ont écrit sur Tyr. Elle consiste à croire que les
mots : Bacikez Tipou sont synonymes de Tüpos mois, et que, par
conséquent, c’est à Tyr et non à Arados que se rapporte la dis-
tance de huit stades de l’île au continent. Aussitôt se présente une
grave difficulté ; comment concilier Scylax avec Diodore de Sicile
et avec Quinte-Curce qui , l’un et l’autre , ne donnent que quatre
stades au détroit qui séparait Tyr de la terre ferme (2)? En outre,
comment a-t-on pu s'arrêter un seul instant à cette opinion que les
mots Bucéheux Tipou, n’ayant d'autre signification que celle de palais
du roi de Tyr, devaient être regardés comme signifiant la même
chose que Tüpos mous, la ville de Tyr, lorsque, pour arriver à cette
conclusion, il faut admettre que Scylax, interrompant pour Tyr
seule l’ordre dans lequel il nomme les villes phéniciennes, la
placée immédiatement après Arados et avant Tripolis (et ce qui
est encore plus étrange), lorsque ce qui regarde la véritable Tyr,
située dans une île, se lit quelques lignes plus bas, à la place
que cette ville doit occuper ? Aussi le savant Bochart, qui parta-
geait l'erreur que je viens de relever, ne pouvant rien com-
prendre à ce passage de Scylax, en était-il venu à conclure qu'il
(1) Puisque je lis : Eco dè môdete Botsixwy, j'ai dû supprimer le mot dt au commence-
ment de la phrase, après &xo, ce mot ne pouvant se trouver deux fois dans la même
proposition. Il pourrait fort bien être maintenu, dans le texte, au commencement de la
phrase, comme il est placé dans le manuscrit; on n’aurait qu'à remplacer.ècri Tpémohts
par test nées méders, fout aussi bien que dt xélas, a pu devenir Tpéxohts par l'erreur
des copistes. Alors on lirait : Axo dE Oubéxou morapod état médets Porsixw
(2) Diodore de Sicile, liv. XVHI,8 40. — Quinte-Qurce, liv. IV, ch. 44.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 617
avait existé quatre villes de Tyr, deux dans des îles, et deux sur
le continent. C'était pousser l'erreur jusqu’à la dernière limite du
possible (1).
Non, il n’y avait pas quatre villes de ‘Tyr en Phénicie ; non, les
mots fucikeuz Tipou, que nous reverrons encore accompagnant le
nom de la véritable Tyr et celui de la ville d’Ascalon, ne sont pas
synonymes de Tips rés; mais ils nous apprennent un fait que je
n’ai trouvé exprimé nulle part ailleurs, à savoir que la puissante
dominatrice des mers avait à chaque extrémité de la Phénicie une
ville où son autorité était plus spécialement concentrée.
Les autres villes phéniciennes qui dépendaient de Sidon ou de
Tyr étaient des comptoirs (comme nous dirions aujourd’hui), des
entrepôts du commerce avec les villes éloignées de la mer et avec
les peuples habitant l’intérieur du continent ; Tyr, Arados et As-
calon étaient plus particulièrement le siége de l'autorité des
Tyriens ; elles étaient chefs-lieux de trois préfectures, de trois gou-
(4) Vossius, Commentaire sur Scylax, édit. Hudson. p. 42. — Dodwell, Dissert. in
Scylac. $ 12, édit. de Scylax par M. Gail fils, t. L°, p. 485. — De Sainte-Croix,
Examen crilique des historiens d'Alexandre, p.269 et 270, 2° édit. — Bochart, Geogra-
phia sacru, Canaan, lib. II, cap, 17. — M. Miller, Recueil des Ilinéraires.
Vossius lit ainsi : Aoadcs v%00$ xai hupv" Basthere Tüpou xai Any, ooy créa ad
y%5 : Arados île et port ; « la demeure royale de Tyr avec un port, à environ huit stades
du continent ».
Dodwell ne doute pas non plus que Bacisrx Tpou ne signifie Tyr, et il l’explique de
celte manière : « Forsan regales ædes erant, forsan celeberrimas duas urbes (Tyros et
» Sidon) ex persico sinu in mediterranei maris littora quasi translatas, honorifico basi-
> Jeias nomine exornabant. »
Quant à M. de Sainte-Croix, ne pouvant comprendre cette phrase, il pense qu'il faut
Ja supprimer comme étant transposée et n’appartenant pas à ce paragraphe.
Bochart trouve ainsi quatre villes de Tyr : Baoiheux rôpou, roc (rupoc) xat Aiy, &km
mode Tüpoc, œaäitueos. Puis il s’écrie : « En tibi lector, in una Phœnicia quatuor urbes
» Tyri nomine, nempe duas in continente, et insulares duas. » Les deux continentales
sont tps (rûpos) et tœahœirupos. Bochart a mal compté, il a oublié Basiheex Tüpou qui
suit Ascalon; il aurait dû trouver cinq villes de Tyr. — Vossius, qui admoettait deux
villes de Tyr avant d'arriver à la véritable, faisait aussi cette remarque : « Crebrum
» est enim Tyri nomen his in locis! » F
> 2
618 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
vernements (faste) auxquelsressortissaientles autres villes ; elles
étaient pour la puissance tyrienne ce qu'Alger, Oran et Constan-
tine sont pour l'Algérie, ou encore ce que sont Calcutta, Bombay
et Madras pour le gouvernement de l'Inde anglaise (1). .
Ceci est en partie confirmé par Arrien et par Strabon qui nous
apprennent que les villes phéniciennes situées sur la côte, en face
d’Arados, étaient dans la dépendance des Aradiens, tributaires
eux-mêmes des Tyriens (2).
Dans le manuscrit, on lit : xx luwiv entre 1 oradia et drd rie
vâs; C'est évidemment une faute de copiste. Vossius avait proposé
de placer x Auiv après Bacieu Tépou, et pour lui la fin de la phrase
ainsi modifiée avait ce sens : la ville de Tyr avec un port ; elle est
éloignée d'environ huit stades de la terre ferme. Reland avait
adopté la transposition (à) ; mais Fabricius a été d’avis de suppri-
mer xai Auyhv, el cette suppression a été approuvée par les der-
niers éditeurs de Scylax. Je ne la crois pas indispensable, et, pla-
çant za uv comme le demandait Vossius, mais ne faisant pas
rapporter ces deux mots à Baie Tépou, on peut lire ainsi la fin
de la phrase : 4ai Auñv 6cov À ordi md Tic vhs : cet le port (d’'Ara-
dos) est éloigné à peu près de huit stades du continent. »
(1) Ce mot Boot) etc Ou BaatAeroy se retrouve fréquemment dans Scylax, etsignifie tantôt
demeure du roi, comme Ta mods xot Paciheroy &y adc% ; tantôt chef-lieu de division
territoriale, comme dans le paragraphe mutilé sur l'Égypte; à la suîte d'Arados et d’As-
calon, il a encore une autre signification, puisqu'il exprime l'autorité exercée sur ces
villes par une autre ville plus puissante.
(2) A l'époque de la conquête macédonienne, Gérostrate était roi d° nids son fils
Straton alla au-devant d'Alexandre, lui offrit une couronne d'or et remit en son pouvoir
les villes qui dépendaient des Aradiens, et dont les principales étaient Marathos et Ma-
riame (Arrien, Expédilion d'Alexandre, iv. II).
Aux villes nommées par Arrien, Strabon ajoute Paltos, Balanæa, Caranos, Enhydra
et Simyra (Strabon, lib. XVI, p. 753). f
Les Tyriens tiraient d'Arados des rameurs pour SE vaisseaux et des soldats pour
leurs armées.
(3) Reland, tout en adoptant la leçon de Vossius, ne peut s'empêcher d'ajouter :
e sed mox Scylax notat regiam Tyri tres stadia abesse à continente! »
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 619
Expliquons-nous sur cette distance qui est inexacte.
Le texte fait dire à Scylax que l'ile d’Arados était éloignée du
continent d’enviren 8 stades (un mille romain ou 1 kil. 480 mè-
tres) ; Pline dit 200 pas (1 stade 3/4, ou 296 mèt.); et la mesure
donnée par Strabon est de 20 stades (2500 pas ou 3 kil. 700 m.).
Certes voilà des chiffres bien différents (1), et aucun d’eux ne
serait exact s'il s’agissait simplement d'indiquer la largeur du
détroit qui sépare l’île du continent. En effet, la distance entre
l'extrémité S. O. d’Arados et le point de la terre ferme le moins
éloigné est d’un mille marin anglais et 2/10, c’est-à-dire 12 stades
(1500 pas ou 2 kil, 220 m.) ; mais la côte qui fait face à l'île est en-
tièrement hérissée de récifs ; on n’y abordait pas ; et ce n’est pas
à cette partie du continent que se rapportent les mesures données
par les trois géographes.
Scylax rie désigne aucun point particulier de Ia côte ; il en est
de même de Pline ; mais Strabon indique la partie du rivage située
entre Marathos et Carnos. L'indication est encore un peu vague,
jen convieñs; cependant si, comme je le crois, Carnos, l’arsenal
maritime d’Arados, est représenté par la ville actuelle de Tortose,
la mesure fournie par Strabon ne peut pas être contestée, car le
géographe aurait eu en vue un point voisin de Carnos, le lieu le plus
fréquenté par les Aradiens ; et Tortose est effectivement à 21 stades
(3 kil. 885 m.) de Ruad, l’ancienne Arados.
Partant de cette donnée, nous trouverons facilement les véri-
tables chiffres qui ont disparu des textes de Scylax et de Pline. Dans
Scylax, je vois l’omission la plus facile à commettre, lomission de
la lettre { qui vaut 10 ; placez cette lettre avant n orédux, 8 stades,
vous aurez vi crédu, 18 stades (3 kil. 330 m.); de même, dans Pline
faites précéder 200, qui est une grossière erreur, du chiffre ijM.
2000, vous obtiendrez 2200 pas ou 48 stades. Scylax et Pline s’ac-
cordent donc parfaitement et se rapprochent beaucoup de Strabon.
(1) Pline, V, 18. — Strabon, XVI, p. 753. Il écrit Kdpavs.
620 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
La différence de 2? stades peut provenir de ce que les deux pre-
miers géographes ont indiqué un endroit accessible, un peu plus
au sud, par conséquent moins éloigné d’Arados. Je suis convaincu
que Scylax et Pline n’ont pas commis les erreurs que je viens de
relever, et que les textes autrefois portaient les chiffres que je
propose de rétablir, en m’appuyant sur le bon sens d’abord, puis
sur la réalité des mesures qu’il m’a été facile de vérifier.
Revenons à Tripolis dont il a déjà été question et qui subsiste
encore sous le nom de Tarabolous. Ainsi que l’expliquent fort bien
les géographes et les historiens de l’antiquité, c'était, dans l’ori-
gine, une vraie tripole comme l'entend Scylax ; elle était vérita-
blement composée de trois villes, non juxtaposées comme les dif-
férents quartiers de Syracuse ou d’Antioche qui n'étaient séparés
que par un mur ; c'était réellement la réunion, sur un même lieu,
de trois villes, d’origine diverse, dont chacune était environnée
d’une enceinte continue avec un intervalle d’un stade entre chaque
ville (1). Le nom de Tripolis convenait à une pareille localilé qui
se trouvait dans des conditions tout à fait exceptionnelles, et il n’y
avait pas deux villes ainsi constituées en Phénicie. Le mot érépz,
autre, est donc mis indûment avant le nom de Tripolis; il doit
être effacé. Comme le soupçonne M. Müller, il aura été placé là
par un copiste qui, quelques lignes plus haut, ayant écrit une pre-
mière fois le mot Tripolis, aura cru bien faire en ajoutant éréox
devant le même nom de ville se présentant une seconde fois.
Ainsi la seconde faute est la conséquence de la première.
Poursuivons : ai 0p0ç Oeod mpdcwrov, Thpoc, 2a Av : « Puis le mont
Face de Dieu, Téros et un port ».
J’apercois d’abord une erreur que, jusqu'ici, personne n'a re-
levée et qui, je le crois, n’en est pas moins manifeste. Ce que les
auteurs grecs appelaient rù @c0ù tpicwrov, la face de Dieu, était un
promontoire et n’était pas une montagne. Le mot ôpos ne doit donc
(1) Diodore de Sicile, XVI, $ 41. — Strabon, XVI, p. 519. — Pline, V, 20. —
Pomponius Mela, I, 12, — Étienne de Byzance.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 621
pas être maintenu dans le texte. Le promontoire pouvait être en
même temps une montagne, dira-t-on (1), d'accord ; mais il n’en
était pas ainsi. Par Ptolémés et par Pomponius Mela (2) nous
savons positivement qu’autrefois comme aujourd’hui, la Face de
Dieu n'était autre chose qu’un promontoire actuellement appelé
Ras-al-Schakkak ( 3).
Polybe et Strabon, sans s'expliquer à ce sujet (4), nomment
seulement +ù @e0 rodcwrov; mais si c’eût été une montagne, ils
n'auraient pas manqué d’ajouter les mots +ù co (le mont), ces mots
étant indispensables et ne pouvant dans aucun cas être supprimés. ‘
Mais alors, ce n’est pas avant, c’est après + Oeoù roécuroy que,
selon l’habitude à peu près constante des auteurs anciens, ils au-
raient placé les mots +ù 60; (5). C’est un motif de plus pour re-
jeter du texte le mot 60 qui, de toutes manières, s’y trouve dé-
placé. Le manuscrit de Scylax porte @ù roécwrov; avec raison on
a rétabli le mot 6c05 qui avait été altéré. Je dois faire remarquer
que tous les auteurs grecs qui ont parlé de ce cap l'ont appelé rù
@ecoÿ rpécomov, en plusieurs mots, comme nous disons le cap de
(1) Mons el promontorium, Index de Strabon, édit. de MM. Müller et Dubner, au
mot THEuPprosopox.
(2) Ptolémée, V, 15 : Oc05 mpogwmov, &xpoy. — Pomponius Mela, liv. I, ch. x1r,
Promontorium Euprosopon.
(3) Er) Qlr ras-al-schakkak, ras-al-Schakak, ras-asch-schukak, est lemême mot
prononcé et écrit différemment; il signifie cap de la fissure. Cap Pardja (ès. p) fardja) a
le même sens. On l'appelle aussi cape Madonna, cap Madore?, cap Pandico, Belmonte,
Carouge ou plutôt Capouge. C'est le nom donné à un lieu habité situé sur le promon-
toire (cap ouege pour ouudjh, cap de la face).
(4) Polybe, V, 68 : xara to xaloupevoy Oeod mpôcwmor. — Strabon, XVI, p. 754.
Dans la phrase de Strabon se trouvent à la fois la Face de Dieu et le Liban ; 5 Af6avos
est accompagné des mols rù #06, qui ne suivent point ro Ocoÿ mpécwmoy; preuve évi-
cente que, pour Strabon, la Face de Dieu n'était pas une montagne. (Voyez la note 4 de
la page 624.) Trois fois encore Strabon nomme xd Oeoù mpécwmoy (XVI, p. 755).
(5) Képpwdos td 6ços (Strabon, XVI, 758). — Josèphe, Bell. jud., II, 2. — Pto-
lémée, V, 45. — To Kécroy pos (Strabon et Ptolémée). — 5 AyreiBavos To Gpnç, 0
Érroç ro ëpoz (Ptolémée).
VIL. : 79
622 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Bonne-Espérance, et qu'aucun d’eux n’a fait le substantif @copé-
guy; cependant, de même que de 6ec dupov on a fait le nom pro-
pre @cédopos (Théodore), les traducteurs français disent le Theu-
prosopon ou le Théoprosopon. Je le*veux bien ; mais alors il est
indispensable qu'ils fassent précéder le nom du mot promontoire;
car, d’après les usages admis dans le langage français, nous nedi-
sons pas le Saint-Vincent, le Finistère, le Horn, le Bonne-Espé-
rance; et quand nous disons le Saint-Gothard, le Simplon, on
comprend tout aussitôt qu’il est question d’une montagne; cette
expression : le Théoprosopon, serait donc de nature à induire en
erreur.
Dans les meilleures éditions de Pomponius Mela, on lit : Eupro-
sopon. Le savant Tzchucke pense que dans'ce mot, tiré du grec,
la première lettre grecque (le @) a été oubliée; qu'il vaudrait
mieux la rétablir et lire Theuprosopon; c’est aussi mon avis.
Par une coïncidence singulière, dans le manuscrit de Seylax,
cetie première letire est mal faite et ressemble à un E; d'où il ré-
sulte qu’on pourrait lire Evrgicoroy, comme dans le géographe
latin. Je fais remarquer cette particularité sans y attacher une
grande importance, el surtout sans conclure que Pomponius Mela
ait trouvé Euprosopon dans Aou et que le nom, ainsi écrit, soit
la bonne lecon.
Dans des temps postérieurs, le cap a reçu quelquefois le nom
de Auorpécorov (1), nom qu’on retrouve dans une des appellations
modernes : #12, OQuadjh-al-hadjar, face de pierre (2).
Nous savons que, par suite d’un tremblement de terre, le port
de Botrus fut agrandi et une partie du promontoire de la Face de
Dieu disparut sous les eaux (3); si, avant cet affaissement, le pro-
(1) :Cedrenus, Chronique.
(2) Edrisi |’ dppêlle Ras-al-hadjur, le cap LS la pierre. Par corruption, on trouve
écrit + Ouege-el-hiar.
(3) L'an 2%. du règne de Justinien, en 868: — Cedrenus, it. I, p. 689. — Malala,
Chronographie, p. 485.— Theophanes, p. 192, en décrivant ce tremblement de terre,
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 623
montoire s'élevait assez au-dessus du niveau de la mer pour méri-
ter le nom de montagne, que lui donne le manuscrit de Scylax, le
mot rñços pourrait être formé des deux mots = 60 qui devaient se
trouver après @c0ù rofcwrov; alors il serait facile de comprendre
l'erreur d’un copiste qui des deüx mots n’en aurait fait qu’un seul ;
mais celte explication, parfaitement admissible si la Face de Dieu
était une montagne, ne reposant que sur une hypothèse que rien
ne justifie, je ne crois pas devoir m'y arrêter.
Au lieu de rico, on pourrait être tenté de lire 6no@v ou ér:
bouc; c'était le surnom d’une ville où les rois d'Égypte se rendaient
pour se livrer au plaisir de la chasse aux éléphants (4). Malgré l’ana-
logie entre le mot ro et bnoüv ou éribñpse, un pareil surnom n’a
pu être donné à la Face de Dieu, car ce n’était qu'un promontoire
de peu d’étendue, et il ne pouvait servir de retraite à un grand
nombre de bêtes sauvages.
Vossius voulait que Täpos füt reinplacé par Tisoc. Déjà les expres-
sions Bucikeu Tioou étaient regardées par lui comme représentant
le mot Tips ; c'était placer deux villes de Tyr au nord de Bérvte!
Je ne m’arrêterai pas à l'opinion de Vossius, que Bochart avait
acceptée ; elle est abandonnée depuis longtemps. Gronovius a été
d'avis de lire : Towfons, Triérès ; et cette lecon a été généralement
adoptée. Elle ne choque pas le bon sens comme celle de Vossius ;
néanmoins je la crois erronée, et voicimes motifs : Triérès n’était
qu'un bourg (ywptoy ri, selon l'expression de Strabon); ce nom se
trouve dans les listes détaillées de Strabon et de Pline; il figure
une fois dans l’histoire, puisque Polyhe nous apprend que le bourg
de Triérès fut brûlé par Antiochus le Grand; plus tard, le pèle-
rin de Bordeaux nomme Mutatio Tridis, qui était, je n’en doute
désigne Botrus par son ancien nom, Bostra ; et donne au promontoire le nom de Litho-
prosopus. (Assemani, t. I, ch. xuur, et t. II, ch. x1, année 868).
(4) Ptolémaïs, fondée par Ptolémée Philadelphe : ëx! Spas roy tkeudyrur. — Pline,
VI, 34.
62} ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
pas, la même localité que le bourg dont il s’agit. Voilà tout ce
qu'on trouve sur Triérès. L’opinion de Gronovius, si facilement
et si universellement adoptée, est-elle donc justifiée par ce qu’on
sait sur Triérès ? Ce n’est pas mon avis.
J'admets tout ce qu’on peut dire du périple de Scylax; je sais
que dans ce périple « le caprice et l’inconséquence semblent avoir
présidé bien souvent au choix des noms de villes et de lieux ».
Néanmoins, c’est étrangement abuser des concessions qui doivent
être faites à ce sujet que de se croire autorisé, par les erreurs fré-
quentes de Scylax, à placer sur la liste des principales villes mari-
times de la Phénicie une localité sans importance, à peine con-
nue, et qui n'avait pas de port; car, ni dans l’antiquité , ni au
moyen âge, lorsque les guerres religieuses jetaient incessamment
sur les côtes d’Asie des flots d'Européens, jamais personne n’a
parlé du port de Triérès.
Ce n’est pas tout : Têros devenu Triérès est au sud du cap Théo -
prosopon dans le texte; Gronovius et les autres commentateurs
l'y laissent, ce qui est une erreur. Le bourg de Triérès était au nord
du promontoire; Strabon le dit formellement. Voici sa phrase :
« Tout près de Tripolis est la Face de Dieu, à laquelle se termine le
mont Liban; dans l'intervalle on rencontre un petit lieu appelé
Triérès (1). »
L’itinéraire de Bordeaux à Jérusalem place Mutatio Tridis à
moilié chemin de Tripolis à Bruttosalia, qui est Botrus, à
12 milles de l’une et de l’autre ville; cette distance s'accorde
parfaitement avec la position donnée par Strabon et indiquée par
Pline. Quant à Polybe, on ne peut rien conclure de son récit sur
Ja position de Triérès par rapport au promontoire. « Antiochus,
dit-il, ayant fait, du côté de la Face de Dieu, une invasion sur les
terres du roi d'Égypte, il vint à Beryte; sur son chemin il prit
(1) Strabon, XVI, p. 754 : 7% Tpemoder ouveyte êare vo Ocod mocwmev, cie d Teheut&
d AGayog td üpoç' petoËd de Tpripne, ywpios tu.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 625
Botrus et brüla Triérès et Calamos (1). » Reichard, rejetant le mot
Friérès, veut qu’on lise Botrus (2). Les deux mots se ressemblent
peu, jen conviens, et iln’y a pas d'apparence qu'ils aient été pris
l’un pour l’autre par les copistes; mais probablement le géogra-
phe allemand aura pensé que Botrus, située au sud du cap Théo-
prosopon, étant l’une des principales villes maritimes de la Phé-
nicie, c'était le nom de cette ville qu'il fallait substituer au mot
Täpos qu'on ne trouve nulle part, et préférer à Tovigns qui était le
nom d’une petite localité sans importance. Cette correction peut
être contestée; elle peut même être rejetée; mais elle est très-ac-
ceptable, puisque, loin de choquer le bon sens comme tant d'au-
tres, elle remplit les conditions qui pourraient la faire admettre,
attendu que Botrus était une ville considérable, qu'elle avait un
port (3), et qu’elle était située au sud du cap Théoprosopon; néan-
moins je propose une autre solution de la difficulté.
Tägoç n’est pas suivi du mot ri; je pense que ce n’est pas là
Voubli d’un copiste; je crois plutôt que Täpos n’est pas le nom cor-
rompu de Tigoc, de Teens, de Borpus ou de toute autre ville ; mais
qu’il doit être remplacé parle mot écorfouv, promontoire, expres-
sion constamment employée par Scylax dans les circonstances
analogues (4). Dans le manuscrit, les deux premières syllabes de
ce mot ont disparu; les deux dernières ont seules été conservées
avec un léger changement. Ce sens peut être adopté, quoique Tigo
soit suivi de xa Xurv, car le mot Au qui, le plus souvent, est
joint à un nom de ville pour indiquer qu’elle a un port, est quel-
(4) Polybe, V, 68. — Antiochus III, le Grand, et Ptolémée-Philopator, en 220 av.
J. C. — Merà À raïra momoduevos Thy elcboX ns xota To xakoÿu:voy Oeod TPÉGOTOY,
ke mpos Bnevrôvy” Bôtpuy pèv èy T9 rapide xarolaËgueroc , Teuion Où xat Koékopuoy
éumpnouc.
(2) Reichard, Orbis terrarum antiquus, ad voc. Borays.
(3) « Batroun (Botrus) n'a pasde port naturel, mais un bassin artificiel creusé dans le
roc ». (Robinson, Voyage en Palestine.)
(4) Péyoy Gxporfpuoy xat mél (Scylax, 8 12). — oxporpros xot un Sudneods
(& 100).
826 ESSAIS DE RESTITUTION ET. D'INTERPRÉTATION
quefois employé seul avec la signification de port ou même de
rade ouverte ne dépendant d'aucune ville : xoù Muñv Agoodiouoc oi
Apay Erepos, « et le port Aphrodisien ou de Vénus, et un autre
port » (1); Yocou Av, Yocos moraude, xai ki, « le port situé à l’em-
bouchure de l'Hyssos, le fleuve Hyssos et une rade » (2). Mais
dans la phrase de Seylax, ce n’est pas la signification qui doit être
donnée au mot ku#v, ce que j'expliquerai plus loin. |
Je pense donc qu’il faut écarter Tipos comme une lecon qui ne se
discute pas ; que Towipns doit être rejeté par les motifs que j'ai dé-
veloppés; que si, cependant, cette correction était maintenue, il
faudrait la compléter en plaçant Triérès avant le cap Théoproso-
pon; que Botrus est fort admissible quoique peu probable ; mais
je préfère drpwripu, et je suis d’avis de lire : #0ù @eoÿ rpücurov dxow—
réguov, ai uziv.… « puis le promontoire Face de Dieu et le port... »
Dans les phases qui suivent, l'interprétation de plusieurs mots
soulève d'assez grandes difficultés ; afin d'éviter les répétitions, et
afin d'apporter plus de clarté dans la discussion, je crois devoir
commencer par donner des notions exactes sur les lieux dont nous.
aurons à nous occuper.
En parlant des diverses manières d'interpréter le mot +ñg:, j'ai
prononcé le nom de Botrus, et j'ai dit que c'était une des princi-
cipales villes phéniciennes. Elie avait été fondée ou agrandie sous
le nom de Bosra ou mieux Botsra, par un roi de Tyr, Eth Baal,
que Josèphe appelle Ithobal, et dont le nom signifie : je suis avec
Baal. Pour nous le sens est : je suis avec Dieu. C’est probablement
par lui ou à cause de lui que le promontoire voisin avait été appelé
face de Dieu (Wnw, Phanuel, chez les Hébreux). sy, Botsra, s1-
(4) Scylax, $ 102.
12) Ptolémée, V, 6.— Arrien, Périple du Pont-Euxin. À ces exemples, ajoutons
les suivants : za Tuyirns um xheorés (Scylax, $ 88). — Erspcun hrphv (S 90). —
où Posüy Mis ($ 85). — Erad0S Eore heuro © Gvoua Eloi (S 30). — Troñrne hp
za morauès (Étienne de Byzance). — De même que Aupv, le mot xfhmos, golfe, est
quelquefois employé d'une manière indéterminée par Scylax : Wopo@os vücoc, nées xat
Jun" xoù x6mos S 111).
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 627
gnifie lieu fortifié ou vendange; par un changement de pronon-
cialion bien fréquent, de Botsra ou Bosra on a fait Bicro, Bostra,
et c’est sous cette forme archaïque que le nom de la ville apparaît
dans Strabon (1). Deux autres villes ont également porté le même
nom que l’on trouve quelquefois modifié en Bostrah, Bosram,
Bosor, Bozra, Besethera, Beesra (2). Isaïe a parlé d’une ville de
Bosra, et les expressions dont il se sert prouvent qu’on s’y occu-
pait de la teinture en pourpre (3). L'habitant de Bostra ou tout ce
qui en dépendait, était appelé par les Grecs GBosrpnvès, Bocroiva,
Bocroxios (h), ce que nous traduirions en latin par Bostrensis,
ét en français par Bostréen ou Bostrinien. La ressemblance dans
le son comme dans la signification (5) amena à changer Bostra en
un mot bien connu: les Grecs l’appelèrent Bérouc, Botrus (6) ou Bo-
irys, grappe de raisin.
Le mot Bosrenvès désignant une rivière ne se trouve que dans un
seul auteur qui ne l'emploie qu'une seule fois ; 1l est dans Denys le
Périégète, à la fin du vers 915 :
# 2 > 9 NW ® Cu
NŒOUEVNV YApLEVTOS ED 00 act Bocronvoto.
« (La riante Sidon) située sur les eaux du gracieux Bostrênos. »
Ce vers suit immédiatement le nom de Sidon ; par conséquent il
n’est pas possible de ne pas reconnaitre qu’il se rapporte à cette
ville et nullement à Bostra (7). Il désigne la rivière (Wahr-al-4oualy)
(1) Dans la plupart des manuscrits de Strabon, on lit B55tpæ, qui est la bonne leçon ;
dans trois manuscrits on lit Bocrpus, mot fabriqué par les copistes et qui tient à la fois
du/nom phénicien et du nom grec; nulle part on ne trouve Bstpvs qu'on a bien tort,
dans les éditions modernes, de substituer à Béctpa.
- (2) Josué, xxr, 27. — Paralipomènes, I, 1.
(3) Isaïe, cxur, 4.
(4) Étienne de Byzance, au mol Biorso.
(3) L'identité dans la signification est bien loin d'être complète. Le mot hébreu
exprime l'idée de couper la grappe de raisin ; le mot grec a un tout autre sens.
(6) A peu de distance de Botrus (grappe de raisin) était la ville de Téyoproy, Gigarton
dont le nom signifie pepin de raisin.
(7) S'il était moins évident qu'il est ici question de Sidon, on pourrait prendre GBos-
628 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
qui coule au nord de Sidon, et ne doit point être confondu avec
le Tamyras, comme l'ont voulu Ortélius et plusieurs autres après
lui. Il ne faut rien conclure sur la fraîcheur et les ombrages du
pays arrosé par le Bostrènos ; le vers cité, moins le dernier mot,
est d'Homère, et plus d’une fois Denys l’a reproduit en le modi-
fiant par la substitution d’un nom propre qui seul varie (1); je Vai
dit, excepté Denys, personne dans l'antiquité n’a nommé cette
rivière, pas plus que la plupart des cours d’eau qui, descendant
du Liban, se jettent dans la mer phénicienne ; et encore, je doule
fort que Bostrênos ait été le nom de la rivière. Ce mot me semble
n'être qu’une appellation poétique et nullement un nom propre;
ce qui s'explique ainsi : Sidon et Sarepla étaient célèbres dans
l'antiquité par leurs vins excellents (2); Bostra signifiant ven-
dange, Bostrênos a été employé avec la signification de vineux,
ou plutôt de vinifère, et le vers de Denys offre ce sens : la riante
Sidon, située sur les eaux de la gracieuse rivière dont les bords
sont plantés de vigne. Ceci expliquerait comment le mot Bostrênos
désignant une riviète, ne se trouve absolument que dans le vers
cité de Denys.
Le coquillage qui donne la couleur pourpre (ropgiez, Murex
brandaris) (3) se pêchait sur les côtes de Phénicie,| principalement
depuis le cap Théoprosopon jusqu’au mont Carmel; c'était aussi
sur ce rivage, mais dans des limites plus restreintes, que se trou-
vait le sable fin qui servait à fabriquer le verre que les Sidoniens
particulièrement travaillaient avec tant d’habileté. Les étoffes
renvoïo pour Béorgns morapsd; alors le vers signifierait : « La ville située sur les eaux
du gracieux fleuve de Bostra. » — « Le Nahr-al-Aoualy fournit des eaux abondantes à
Sidon et à ses jardins.» (Mgr Mislin.) — « Le Nabr-al-Aoualy a peu de profondeur. »
(M. de Saulcy.) “
(1) Vers 370 : varôpevoy yapievros et” Atcagou mpoyoñow.
{2) Sidonius Apollinaris, Carm. 47. — Fulgentius, lib. IL, Mytholog., cap. xv. —
Fortunatus, De vita S. Martini.
(3) Murex trunculus (Linné), Helix janthina (Lamarck), ou Janthina fragilis.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 629
pourpres et le verre étaient deux grands objets d'exportation pour
les Tyriens et les Sidoniens, qui avaient formé des établissements
de commerce sur toute la côte de Phénicie. L'un de ces établisse-
ments, celui en même temps où le coquillage se pêchait en plus
grande abondance, avait recu le nom de ropoupv rôle, la ville des
pourpres. ropouw&y fut changé en rooqupéuv, porphyréôn, et devint
ainsi un nom propre; les Latins en firent Porphyrion ou Porphy-
rium. Cette ville, dont quelques ruines subsistent encore, est au-
jourd’hui remplacée par la localité appelée Naby-Younès (1).
Elle était située au nord de Sidon, à peu de distance au sud
d’une rivière qui est nommée Damouras par Polybe, et Tamyras
par Strabon; ce sont deux formes grecques du mot ,..L, Tâmour,
ou $,.-L5, Tdmoura, auquel le dictionnaire de Freytag donne, entre
autres significations, celle derepaire, caverne du lion (2); sens qu'on
retrouve dans le mot arabe 5, dzamara, il rugit comme un lion.
Cette rivière, dont le cours est peu étendu, prend sa source dans
le mont Liban, en descend avec impétuosité, et le bruit qu'elle fait
dans sa course, au milieu des obstacles qu’elle franchit, a été com-
paré au rugissement du lion, d’où lui vient son nom. Peut-être
aussi avail-elle recu ce nom parce que les gorges du Liban, d’où
elle descend, étaient alors fréquentées par un grand nombre de
lions (3).
(1) Mgr Mislin a vu lès ruines de Porphyreôn, près d'un monument au fond d’une
petite baie dont un des côtés forme le ras-naby-Younès (cap du prophète Jonas).
(2) Tämour, lustrum leonis, loculus. Tâmoura aqua, vinum, turris templi, latibubu-
lum leonis.
(3) « Le Tamyras est dangereux à l'époque de la fonte des neiges, ou après des pluies
subites. » (Robinson, Palestine.)
Plusieurs faits historiques attéstent qu’autrefois les lions étaient nombreux dans ces
contrées. (Deuteronom., xxx, 22. — Juges, xiv, 5. — Rois, I, xvir, 37.—II, xx, 20.
— II, mu, 24. — LI, xx, 30. — IV, xvn, 25.)
« Le lion, tout aussi bien que l'aigle, était consacré à Melkarth, principale divinité des
Tyriens ». (Religions de l’antiquité, par Creuzer, trad. par M. Guigniaut, t. II, 4"° partie,
p. 241.) je
VIL. 80
630 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Pline donne au Tamyras le nom de Magoras (1). On s’est étonné
de cette différence, qui cependant n’est qu’apparente. Magoras ou
Magaras est formé du mot hébreu et phénicien my» Maara, qui
signifie caverne, comme le mot arabe Blé, Magara, qui en vient
également. L’appellation de Pline est donc la traduction du nom
araméen que cette rivière n’a jamais cessé de porter et qu’elle con-
serve encore aujourd'hui (nahr-al-Damour).
Dans Ptolémée le nom est traduit en grec (2); mais la langue
grecque n’a pas, comme la langue syriaque, d'expression qui rende
l'idée complexe de caverne du lion; dans la traduction, l’idée de
caverne a disparu, il n’est resté que l’idée de lion, et le Tamyras
est appelé Aéuv, le Lion. Au contraire, dans le mot Magoras, on
ne retrouve plus l'idée de lion; l’idée seule de caverne subsiste.
MM. Movers et Ritter demandent à un autre ordre d'idées l’ori-
gine du nom sous lequel le fleuve était le plus connu (3).
D'après Sanchoniaton, les premiers rois phéniciens furent ho-
norés comme les dieux du pays. L’un des plus anciens, Zeus De-
marus, le dieu Demarus, eut un fleuve qui lui était particulière-
ment consacré, le Tamyras , auquel il donna son nom, et qui,
pour ce motif, a quelquefois été appelé fleuve sacré (A). La mytho-
logie phénicienne raconte la guerre de Zeus Demarus contre Nep-
tune, c’est-à-dire la lutte de la rivière descendant des montagnes
(1) Pline, V, 47.
M. Ritter hésite sur l'identité. « Le Magoras, dit-il, est le fleuve de Beryte, le Makar
ou Saturne des Phéniciens, s'il n’est pas le Tamyras. » (Vol. XVII, p. 460.)
Pline ne donne ici que l’une des appellations du Tamyras; ailleurs, en parlant du
Pelus, il fait connaître les deux noms sous lesquels ce dernier fleuve était désigné.
(2) Ptolémée, V, 15.
(3) Movers, Les Phéniciens (religions), p. 64, 262, 664 et 666.— Ritter, Géogr.,
vol. XVII, p. 43.
(&) Aujourd'hui le nahr-al-Damour est souvent appelé nabr-al-Kadhy, fleuve du
juge; peut-être a-t-on dit autrefois Kadasch ou Kadassa, fleuve sacré.
Sur le culte des fleuves, voyez M. Maury, Recherches sur la religion et leculle des popu-
lations primilives de la Grèce, p. 139.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 631
contre la mer. Ce dieu, sous le nom de Baal-Tamyras, et aussi sous
celui de Bacchus, était spécialement vénéré dans un bois voisin
du Tamyras. Strabon dit que ce bois était consacré à Asclépios ou
Esculape. C'était la divinité que les Phéniciens adoraient sous le
nom d’Aschmoun (1).
Il me siérait mal d’entrer en discussion avec les deux savants
allemands sur les religions de l'antiquité; tout ce que je veux dire,
c’est qu'à mon sens, le dieu du Tamyras (Zeus Demarus ou Baal-
Tamyras) n’a point imposé son nom au fleuve; mais, au contraire,
il a recu du fleuve un surnom qni le distinguait du dieu (Baal)
adoré en tout autre endroit. En Phénicie on disait : Baal-Tamyras,
comme on disait Baal-Hermon (2) ou Baalermon (3); comme on
disait chez les Moabites Baal-Phéor ou Béelphégor; comme on
disait ailleurs : Jupiter Capitolin, Jupiter Casius, Jupiter Cli-
tumne (4), Apollon Pythien, Apollon Téménite.
Ptolémée place la rivière du Lion entre Sidon et Béryte, posi-
tion qui est également assignée au Damouras par Polybe, au Ta-
myras par Strabon et au Magoras par Pline. L'identité de position
et de nom ne permet pas de douter que le Tamyras ne soit le
fleuve du Lion.
Presque tous les géographes modernes n’admettent pas, je le
confesse, cette identité, ou plutôt ne l’ont pas remarquée, et, par
suite d’une erreur que je ne puis partager, ils reconnaissent pour
le fleuve du Lion, et appellent Léontès, une rivière beaucoup plus
considérable que le Tamyras, qui se jette dans la mer au nord de
Tyr, et qui, dans la partie supérieure de son cours, est souvent dé-
(1) Voyez plus loin cequiest dit en parlant du mont Carmel; voyez également la dis-
sertation deM. Maury sur le dieu Aschmoun, dans la Revue archéologique, t. III, p. 763.
— Nous savons, par M. de Saulcy, que le bois d'Esculape existe encore.
(2) Juges, 111, 3.
(3) Eusèbe, Onomast. : Baahepudy 6poç mopa rèy Aibayoy.
(4) Vibius Sequester, De fluminibus : « Clitumnus Umbriæ; ubi Jupiter eodem no-
mine est. »
632 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
signée sous le nom de al), Lythah. C’est ainsi qu’elle est appelée
dans Aboulféda; Edrisi la nomme äL:), Lanta (1).
L'erreur est manifeste, comme je l’ai montré. Ptolémée, le seul
géographe qui parle du fleuve du Lion, place ce fleuve précisé-
ment où se trouvait le Tamyras, le Damouras, le Magoras des au-
tres géographes. Devant cet accord bien constaté, viendra tou-
iours échouer une opinion de date assez récente, maintenant ac-
ceptée de tous, reproduite sans examen, et qui ne repose que sur
la ressemblance qu’on croit remarquer entre le mot grec Aéovra et
le nom qu'Edrisi, le premier, nous a fait connaître (2).
Quoique cette rivière fût une des plus grandes de la Phénicie,
le nom qu’elle portait dans l’antiquité ne nous a pas été transmis.
Strabon en parle, dit où elle était située, maïs il ne la nomme
pas. Scylax, Pomponius Mela, Pline et Ptolémée, non-seulement
ne donnent pas son nom, mais ils ne disent même pas qu'il exis—
tât une rivière entre Tyr et Sidon. Ainsi personne, personne ab-
solument, ne nous a fait connaître le nom de ce fleuve qui, après
l’Oronte, était le plus considérable de toute la côte phénicienne.
Cet oubli ou ce silence est fort extraordinaire assurément; il
était facile de le constater ; il est beaucoup moins facile d'en don-
ner une explication satisfaisante. Aboulféda fournit, à ce sujet,
un renseignement peu connu qui offre quelque intérêt, mais au-
quel cependant il ne convient pas d’attacher trop d'importance. Il
parle du lac de Becäa ou de Cœlé-Syrie, qui était situé sur le ver-
sant oriental du Liban, au S. O. de Baalbek (Héliopolis), et qui
était alimenté par les eaux descendant de la partie du Liban et de
l'Anti-Liban la plus éloignée de la mer. Depuis longtemps ce grand
(1) Géogr. d'Edrisi, t. °°, 3° climat; 5° sect., p. 349.
(2) Aujourd'hui, dans la plus grande partie de son cours, le fleave reçoit des Arabes
le nom de à; LL | Je nahr al-Leythäneh. (Souvent ce nom est écrit Leitaneh, Lythany,
Liethany ou Litäni.)
(3) Voici ce qu’en dit Aboulféda : « Le lac de Becaa consiste en dépôts d’eau cou-
verts de roseaux et de joncs, à l'ouest de Baalbek, à la distance d’une journée, »
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 633
lac n’existe plus, et par une note marginale trouvée sur l’un des
exemplaires manuscrits du texte arabe d’Aboulféda, on sait qu’a-
vant la mort de ce géographe, un gouverneur de Syrie (1) fit dessé-
cher le lac, dont les eaux furent dirigées dans le fleuve Lythah.
Après le desséchement complet, plus de vingt villages furent con-
struits sur l'emplacement où autrefois il ne croissait que des ro-
seaux et des joncs. Depuis ce desséchement, les eaux qui descen-
dent des lieux élevés, au N. E. de Baalbek, ne sont plus arrêtées
et viennent directement grossir le fleuve.
De ce fait, est-on autorisé à conclure qu'au temps où le lac de
Becäa existait, le I,ythah n’était qu’une rivière sans importance,
et que par là se trouve expliqué le silence de tous les géographes?
Je ne le pense pas. Le Lythah parcourt presque toute la vallée
entre le Liban et l'Anti-Liban, vallée qui la première a porté le
nom de Cæœlé-Syrie; il est possible qu'avant le desséchement du lac
de Becàa, il versât dans la mer un volume d’eau moins considé-
rable qu’aujourd’hui ; maïs la longueur du cours de ce fleuve et la
nature du pays qu'il traverse ne permettent pas de croire qu'il ait
jamais pu n’être qu’une pelite rivière inférieure à l'Adonis, au Ly-
cos et à tant d’autres dont les noms nous ont été transmis.
Pendant longtemps les voyageurs et les géographes (2), parti-
culièrement en France, ont cru que ce fleuve était l’Éleuthéros
dont il est fait mention dans Strabon, Pline et Ptolémée, Cepen-
(1) L’émir Sayf-eddin Dongouz, qui gouvernait la Syrie entre les années 1320 et
4339. — Le lac de Becäa était situé entre Karak au nord et Ayn-aldjerr au sud, à l'est
de la ville de Zahlé. (Note de M. Reinaud, dans sa traduction de la Géographie d'Aboul-
féda, t. II, 1"° partie, p. 49.) Malgré certaines analogies, il ne faut chercher à éta-
blir aucune identité entre le lac de Becäa et cet autre lac plus méridional, dont parle
Théophraste, et qui était situé entre le Liban et une petite montagne qui ne doit pas étre
confondue avec l'Anti-Liban. « Là croissaient en abondance des roseaux et des jones qui,
lorsqu'ils étaient secs, répandaient une odeur agréable. Ce lac avait 30 stades de lon-
gueur, et sa distance de la mer était de 150 stades. » (Théophraste, Histoire des plantes,
liv. IX, ch. 7.— Pline, liv. XII, ch. 42.)
(2) Delaroque, Paul Lucas, Adrichomius, Bochart, Klæden, Homan, Corneille, etc.
63/4 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
dant la situation de l’Éleuthéros, aujourd’hui le Nabr-al-Kébir, est
parfaitement indiquée par ces géographes anciens qui, avec raison,
placent son embouchure non loin d’Orthosia. On invoquait la
Bible, Pline, Josèphe et Guillaume de Tyr; j'ai cherché et n’ai
rien trouvé qui püt appuyer cette opinion.
Dans le premier livre des Machabées, on lit que Jonathas accom-
pagna le roi d'Égypte Ptolémée Philométor depuis Joppé jusqu’au
fleuve Éleuthéros, et qu'ensuite il retourna à Jérusalem. Le même
fait est reproduit par Josèphe (1). Pline, parlant des tortues, dit
qu’il s’en trouve une multitude dans l’Éleuthéros (2). On ne voit
rien là qui tranche la question sur la position du fleuve et qui
donne lieu de croire qu’il fût près de Tyr.
Au livre premier des Machabées, on lit encore que Jonathas
alla au-devant des Syriens jusqu’au pays d’Hamath; les ennemis
prirent la fuite et échappèrent à Jonathas en passant l'Éleuthé-
ros (3). Dans Josèphe, nous voyons qu'Antoine donna à la reine
Cléopâtre toutes les villes depuis l'Éleuthéros jusqu’à l'Egypte,
excepté Tyr et Sidon (4). De ces deux passages, on doit inférer que
l'Éleuthéros était le fleuve appelé actuellement Nahr-al-Kébir.
Comme Strabon, Guillaume de Tyr (5) fait mention de la rivière
qui se jette dans la mer au nord de Tyr; il en parle même trois
fois, mais il ne lui donne pas de nom; dans Guillaume de Tyr, il
est question de l’Éleuthéros, il est vrai; mais l'historien place
cette rivière entre Joppé et Lydda; c'est une grosse erreur, et l’on
ne peut trouver là une preuve que le Lanta ait été appelé Éleu-
théros.
Mieux éclairés, les géographes ont fini par reconnaître l'identité
entre l’Éleuthéros de Strabon, de Pline et de Ptolémée et le Nahr-
(1) ) Machabées, I, x1, 7. — Josèphe, Antig. jud., XIII, 8.
(2) Pline, IX, 40.
(3) Mach., I, xn, 30.
(4) Josèphe, Antig. jud., XV, 4 ; Guerre des Juifs, 1, 13
(3) Guill. de Tyr, t, Le, liv. vu, 22, p. 392; t. IL, liv. xur, 9, p. 267 et 274.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 635
al-Kébir ; et alors le fleuve voisin de Tyr a été appelé par eux : faux
Éleuthéros. Singulière dénomination! S'il est bien reconnu que ce
fleuve n’est pas l’Éleuthéros, il n’est ni le vrai ni le faux; il n’a
rien de commun avec lui, pas plus qu'avec le Tigre ou le Nil. Ces
mots faux Éleuthéros ont pu être employés à l’époque où l’on s’est
aperçu d’une erreur commise, mais ils ne peuvent pas devenir un
nom propre.
Voyant dans Lanta une forme altérée du mot grec qui signifie
lion, les géographes modernes (1) ont pensé que le Aéwy de Ptolé-
mée n’était autre que le Lanta d'Edrisi, et, comme je l’ai déjà dit,
ils ont créé le mot Léoniès qui a été accueilli avec faveur et qui a
cours encore aujourd’hui. Cette création leur appartient exclusi-
vement, car le nom de Léontès est complétement inconnu des géo-
graphes anciens.
S'il est admis, ce qui est possible mais non constaté, que Lanta
représente Aéovre, et si la rivière ainsi appelée n'est pas le
éov, il y avait donc deux fleuves du Lion assez près l’un de l’autre ?
Pourquoi non? Aujourd'hui n’y a-t-il pas sur la côte de Syrie deux
Nahr-al-Kébir séparés par une petite distance ? Pourquoi n’aurait-
on pas reconnu deux fleuves du Lion, si les circonstances qui
avaient imposé le nom à l’un se reproduisaient pour l’autre?
Est-ce bien en Phénicie qu'on peut être étonné de trouver deux
fleuves du même nom, lorsqu'un fait analogue se représente sur
toute la côte, lorsqu'on rencontre deux Platanos, deux Calamos,
deux Porphyrion, deux Byblos, plusieurs Arcé, etc, ?
Dans tous les temps, dans tous les pays et à toutes les époques
de l’histoire, on trouve ainsi des noms portés à la fois par plu-
sieurs villes ou plusieurs fleuves? Faut-il citer l’Isara, qui est
l'Isère, l'Oise et l’Isar, sans compter l’Adige, dont un des noms a
été Isarus? S'il était bien constaté que le fleuve qui se jette dans la
mer près de Tyr a été appelé le Lion, il serait possible que ce
(1) « Nomen Lante videtur ortum ex £eontes. » (Reland, Palæstina...., p. 290.)
636 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
fleuve, comme le Tamyras, ait été ainsi nommé, soit à cause du
rugissement de ses eaux se précipitant à travers les obstacles dans
les gorges du Liban, soit à'cause de la présence des lions (1); res-
terait à savoir s’il a porté ce nom dans l'antiquité, ce dont on ne
trouve nulle trace, ou s’il l’a reçu à une époque moins reculée,
par une erreur semblable à celle qui a été commise au siècle der-
nier lorsqu'on a nommé Léontès le Lanta d’Edrisi, confondant
ainsi deux rivières parfaitement distinctes, celle dont nous nous
occupons et le fleuve du Lion ou Tamyras.
L'indication fournie par Edrisi peut laisser croire que de son
temps le fleuve, dans toute son étendue, était connu sous une
seule appellation ; aujourd’hui, vers sa source, il est appelé Lei-
taneh (Lythah), et, dans la partie inférieure de son cours, il se
nomme àel5, Kasmyié. Ce nom dérive du mot k=5, Kassam, qui
signifie séparer, et il rappelle, je n’en doute pas, le nom le plus
ancien sous lequel le fleuve ait été désigné. Il le devait à cette par-
ticularité qu’il servait de limite entre le pays des Tyriens et le pays
des Sidoniens. Même en connaissant la signification du nom qu'il
a dû porter autrefois, il est impossible de dire au juste quel était
ce nem; mais quel qu'il ait été, les Arabes, retrouvant un mot dé-
rivé de l’araméen, se sont empressés de l’accepter ; je suis donc
persuadé que, dans les temps les plus reculés comme aujourd’hui,
le nahr-al-Kasmyié a été le fleuve de la Séparation {2).
(1) « La rivière est profonde et rapide. » (Robinson, Palestine, p. 294.) — « Elle
coule dans des lieux âpres et déserts, où se retirent des lions et des tigres. » (LeR. P.
Roger, La Terre sainte, p. 47.) — Voy. Cantique des cant., ch. 1v, v. 8.
(2) A l'appui de ce que je viens de dire, j'ai été heureux de trouver dans M. Ritter
que le Kasmyié n’est pas l’Eleuthéros, et qu'on ignore comment ce fleuve était appelé
dans l'antiquité.
Josèphe (Guerres des Juifs, VII, 3) fait mention d'une rivière que les Juifs nom-
maient Sabbatique, parce qu'après avoir coulé avec abondance pendant six jours, elle
restait à sec pendant vingt-quatre heures, ce qui se renouvelait lous les septièmes jours.
En supposant que ce phénomène, qui était connu de Pline (XXXI, 2), ne soit pas rejeté
comme invraisemblable, depuis longtemps il a cessé d'exister, les indications de Pline
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 637
Scylax, Polybe, la Notice des provinces, le Pèlerin de Bordeaux (1),
font mention de Porphyreôn ou de Porphyrium; mais ce nom ne
se lit ni dans Strabon ni dans Pline. Justement où nous avons
montré qu'était cette ville, c’est-à-dire entre le Tamyras et Sidon,
Strabon plaee Acyrwy role, la ville des lions; Pline l'appelle Leontos
oppidum, la ville du lion (2); certainement les deux géographes
ont bien voulu désigner la même ville; seulement, par uneerreur
évidente, elle semble, dans Pline, être située au nord de Béryte,
au lieu d'occuper sa véritable position (3).
Qu'on le remarque bien, et cette remarque est très-importante
dans la question, pas un seul auteur ne nomme en même temps
Leontôn polis et Porphyreôn. Géographes et historiens, tous nom-
ment l'une ou l’autre ville, à laquelle (à l'exception de Pline) ils
attribuent la même position. J’y vois la preuve que la même loca-
lité a porté, à diverses époques, des noms différents; ou, en
d’autres termes, que Leontôn polis et Porphyreôn sont deux noms
de la même ville (4). J’appelle l'attention sur cette circonstance
‘sont très-vagues et ne permettent pas d'affirmer, comme quelques-uns l'ont fait, que
celte rivière était le Lanta ou Lythah actuel. De plus, Josèphe seul parle du fleuve
Sabbatique, et ce nom n’était employé que par les Juifs. Je ne vois là rien qui puisse
fournir le moyen de connaître l'ancien nom donné par les Phéniciens et par les Grecs
au fleuve dont nous nous occupons. Par ces motifs, je crois inutile de rapporter et de
discuter les diverses opinions sur le Sabbatique de Josèphe.
(1) Procope parle aussi de Porphyrion ; mais l'identité n’existe pas, et les deux loca-
lités ne doivent pas être confondues.
(2) Dansun manuscrit de la Bibliothèque impériale (n° 6797), on lit : Leonis oppidum.
(3) Je m'explique ainsi l’erreur de Pline. On lit dans le texte: « At in ora etiamnum
> subjecta Libano, fluvius Magoras, Berytus colonia, quæ Felix Julia appellatur. Leontos
» oppidum, flumen Lycos, Palæbyblos, flumen Adonis. Oppida Byblos..…… » Les mots
Leontos oppidum commencent une énumération et sont suivis de flumen Lycos, au lieu
d'être suivis de fluvius Magoras et de commencer l’énumération qui précède immédiate-
ment ;il y a simplement transposition. Il faut lire : « At in ora eliamnum subjecta
» Libano, Leontôn oppidum, fluvius Magoras, Berytus colonia, quæ Felix Julia appel-
» latur. Flumen Lycos, Palæbyblos, etc... » (Pline, V, 20.)
(4) Mannert (Géographie des Grecs et des Romains, VI, 1, p. 377) laisse comprendre
que cette opinion pourrait être vraie.
vil, 81
638 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
que Strabon et Pline vivaient à peu près dans le même temps, et
qu’ils sont les seuls qui donnent à la ville le nom de Leoniôn
polis. Ce nom était donc celui que la ville portait à la fin dela
république et au commencement de l'empire; avant et.après cette
époque, elle était connue sous le nom de Porphyreôn: Deux noms
portés successivement par la même ville, c’est chose fréquente
dans la géographie ancienne (1) ; le retour àun ancien nom aban-
donné est plus rare; néanmoins, il yen a plus d’un exemple :
ainsi An, Acé, ou Apyn, Arcé, après avoir été longtemps Hrokeuie,
Ptolémaïs, est redevenue Akko ou Akka, Acre; et chez nous, en
cinquante ans, Pontivy a perdu, repris et perdu de nouveau son
ancien nom, et pour la seconde fois, s'appelle aujourd’hui Napo-
léonville.
Je l'ai dit, je crois fermement que Damouras, Tamyras, Ma-
goras et Leôn sont quatre noms qui désignent le même fleuve ; la
ressemblance, disons mieux, l'identité complète entre le nom du
fleuve et Leontôn polis est pour moi une preuve non moins évi-
dente que la ville appelée ainsi par Strabon et par Pline était peu
éloignée du fleuve dont, pendant quelquetemps, ellea pris le nom,
et enfin que cette ville n’est autre que celle qui est appelée Por-
phyreôn par les autres géographes.
J'ajouterai qu'il Re me paraît point impossible que, simultané-
ment, la ville ait porté le nom de Porphyreôn et de Leontôn
polis (2). Dans l’appellation, les uns avaient égard au coquillage,
les autres au voisinage du fleuve et à la présence des lions que
(4) Et même plus de deux noms, exemples : Diospolis, puis Rhoas, ensuite Laodicée,
sur le Lycos, en Phrygie. — Tour de Strabon, Césarée, Césarée de Straton, Colonia
flavia, Césarée, en Phénicie. É
(2) «Bambycen, quæ alio nomine Hierapolis vocatur, Syris vero Magog. » (Pline,
V, 23.)
« Sardiniam, ut imaginem humani vestigii referentem, Ichnusam veteres, itemque
» Sandaliotin dixerunt. » Tite-Live, XVII, 43 : fysoc, trace d'un pied. — Sandalium,
pantoufle.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 639
renfermait le Liban, et qui venaient par la vallée du Tamyras
jusqu’à la mer phénicienne.
Une foule d’auteurs ont parlé de Léontopolis en Égypte; sous
les empereurs grecs, Callinique, en Mésopotamie, a également
été appelée Léontopolis; mais personne, dans Vantiquité, n’a placé
une ville de ce nom en Phénicie. Strabon et Pline disent Aéovroy
ok où Leontos oppidum; les géographes modernes ont donc eu
tort d'écrire Leontopolis en parlant delaville dontilestici question.
Ceci n’est pas une dispute de mots; on doit toujours écrire les
noms de ville tels que les auteurs anciens nous lés ont transmis,
sous peine d'établir souvent de la confusion ou même de n'être
pas compris. Il existe en France une localité appelée /a F’ille-aux-
clercs; si vous dites Clercs-ville, vous ne serez pas compris, pas
plus que si vous disiez la ville de Napoléon au lieu de Napoléon-
ville. Le changement n’a pas même besoin d’être aussi considé-
rable. Vous ne pouvez pas dire la Ville des clercs ; vous ne direz
pas davantage Plessis près de Tours; il faut conserver le nomhis-
torique : Plessis-lez-Tours.
Ne sachant où placer cette prétendue ville de Leontopolis, les
géographes modernes ont donné carrière à leur imagination, et
dans leurs cartes, on la voit apparaître sur divers points de la côte
dela Phénicie, depuis le promontoire au sud de Béryte, sur lequel
Berghaus la pose, jusqu’à l'embouchure du fleuve de la Séparation
(nahr-al-Kasmyié), où elle est placée par M. de Sauley (1).
Sarepta, que les Hébreux appelaient n°, Tsarphat, et les Grecs
Zdperre Ou Xéoeohx, est connue par le séjour qu’y fit le prophète
Élie chez une veuve dont ilressuscita le fils. Ce fait, qu’on lit dans
le livre des Rois, est rappelé par saint Luc et reproduit par
Josèphe. Depuis Élie, aucun événement important ne nous a été
(1) A l'embouchure du nahr-al-Kasmyié, presque tous les voyageurs ont vu desruines
qui sont celles d'un château ou d’un fort du moyen âge, M. Robinson et Mgr Mislin
avertissent qu'il faut bien se garder de les prendre pour des ruines antiques. (M. de
Saulcy, Voyage autour de la mer Morte, t. 1°, p. 65.)
610 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
transmis sur Sarepta, dont l’existence postérieure’ne peut cepen-
dant pas être contestée. Cette ville est nommée par Pline, saint
Jérôme, Antonin Martyr, Phocas, Guillaume de Tyr, Edrisi.… (1).
Le géographe arabe l'appelle :5,, Sarfand. Sarfand, à 5 milles
romains (7 kilom. 400 mèt.) de Saïda, l’ancienne Sidon, est en-
core aujourd’hui le nom du village situé sur une partie de l’em-
placement occupé autrefois par Sarepta.
npxd sun no, «Tsarphat qui est de Sidon », telles sont les expres-
sions du texte hébreu, comme on lit aïlleurs : Abel Beth Maacha,
Taanath Schilo, c’est-à-dire Abel près de Beth Maacha, Taanath
près de Silo (2). Les Septante ont traduit : Sapeohx vis 20w-
via, Sarephtha de la Sidonie ou des environs de Sidon. Saint
Luc dit aussi : Séperta tüç Sidovix, Sarepta de la Sidonie. La Ful-
gate traduit littéralement les expressions de saint Luc : Sarepta
Sidoniæ ; mais en traduisant le passage des Rois par Sarephta Sido-
niorum, Sarephta, ville des Sidoniens, elle me paraît n’avoir pas
rendu exactement le texte hébreu. Que Doros soit appelée, par
Scylax, ville des Sidoniens, c’est fort bien; cela signifie simple-
ment que cette ville, quelle que fût sa position géographique, re-
connaissait l'autorité de Sidon; mais dans Sarepta de Sidon, il y
a, en outre, l’idée de proximité et d’une dépendance plus directe.
En effet, la distance qui sépare aujourd'hui Sarfand de Saïda est
d'environ 7 kilomètres et demi; mais au temps de la prospérité
de Sidon, lorsque cette ville contenait une nombreuse population
(4) Rois, liv. TI, chap. xvu, 9 et 40.— Saint Luc, ch. 1v, 26 : Ségenta.— Josèphe,
Ant. jud., liv. VIIL, ch. 7 : Zapep0a mods oùx &roBe rüs ZidGivos at Tüôpou. — Pline,
liv. V. chap. 47: « Sarepta oppidum. » — Saint Jérôme, Épitaphe de Paule : « Sidone
» derelicta in Sareptæ littore Eliæ est ingressa turriculum..…. » — Antonin Martyr,
Itinéraire : Deinde venimus Sareptam quæ civitas modica est. » —J. Phocas, Descrip-
tion des lieux saints : Meta thy Sidéva ro Sapawla xéotpor. — Edrisi, Géographie, t. I,
3° clim., 5° sect., p. 349. — Étienne de Byzance : Sparte méte Dorvixns. — Dans le
poëme énigmatique de Lycophron, on trouve Xépærtæ, Sarapia, qui est probablement
Sarepta.
(2) Rois, I, xv, 20. — Rois, II, xx, 14 et 49, — Josué, xvr, 6.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 641
et couvrait une vaste superficie dont la ville actuelle ne donne
aucune idée (1), lorsque Sarepta était également une localité im-
portante, la distance devait être nulle ou à peu près nulle. Cette -
grande proximité avait une cause qu'il faut connaître.
Sidon était une ville extrêmement industrieuse : indépendam-
ment du verre, tous les métaux y étaient travaillés avec infiniment
d’art, comme Homère nous l’apprend (2); et Sarepta, ainsi que
son nom nous l'indique (3), était la fonderie qui fournissait les
métaux aux artistes sidoniens. C'était en quelque sorte un vaste
atelier annexé à Sidon. On comprend dès lors comment Sarepta
est accompagnée du nom de Sidon, la première étant, avec raison,
considérée comme une dépendance de la seconde.
Ceci explique comment Sarepta joue un rôle si peu important
dans l’histoire; quand on avait parlé de Sidon, on se taisait sur
Sarepta, son annexe; ceci explique encore pourquoi la décadence
de Sarepta est si intimement liée à celle de Sidon ; enfin, c'est pour
cela sans doute que Scylax et Strabon, qui nomment la toute petite
ville de Opviluy rés « la ville des Oiseaux», ne nomment pas Sa-
repta. La première, quoique sous l'autorité des Sidoniens, avait
une existence propre que celle-ci ne possédait pas au même point.
D’après les” explications qui précèdent, le texte hébreu me
semble avoir été bien compris par les juifs portugais d’Amster-
dam et par Sante Pagnino; ils traduisent, les premiers, par : « Zar-
» phatque a Zidon », et le dernier par : « Zarphat quæ est ipsa
» Sidon » (4). Des voyageurs, parmi lesquels je désignerai M. Callier
(4) « Sidon était la plus grande ville de la Phénicie. » (Diodore de Sicile, liv. XVI,
et Pomponius Mela, liv. I, ch. 12.) « Elle était comparable à Tyr. » (Strabon, liv. XVI,
p. 756.)
(2) Odyssée, XV, vers 424.
(3) Tsarphat, de l'hébreu NY, Tsaraph, fondre les métaux.
(4) Traduction de la Bible par les juifs portugais d'Amsterdam. — Sante Pagnino,
Veleris et novi teslamenti nova translalio. — M. Movers (Anlig. phén., 1° vol., p. 88,
note 24) fait dire à saint Luc : Zépemta ris Sidovos; la leçon est meilleure assurément,
mais enfin le texte de saint Luc porte: Zéperra rüç Zidwvtas. Je ne connais qu'un seul
642 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
et Mgr Mislin, ont vu des ruines près des écueils qu’on rencontre
entre Saïda et Sarfand. Ces ruines, sur lesquelles se sont élevés
les deux villages Aïn-al-Barok et Burge-al-Urby, ont appartenu à
Sidon ; elles font connaître jusqu'où, de ce côté, s'étendait la
grande métropole des Sidoniens.
Plusieurs géographes modernes, s'appuyant sur le texte erroné
de Pline, ont pensé, bien à tort, que les restes de constructions,
remarquées à Burge-al-Urby, indiquaient l'emplacement d’Orni-
thôn polis, « la ville des Oiseaux »; c'était vouloir placer une ville
entre Paris et Vincennes. La ville des Oiseaux était située au sud
de Sarepta; on en trouve encore des vestiges à quelque distance
d’Adloun. Le temps, la main des hommes, et surtout les tremble-
ments de terre ont fait disparaître presque complétement cette
petite ville, tandis que ce qui lui avait donné son nom n’a pas
cessé d'exister; et aujourd’hui, comme il y a vingt siècles, les
rochers voisins sont peuplés d’une multitude de colombes que
l'Écriture appelle Jonâh (1).
Dans la phrase de Pline où il est question d'Ornithôn, unetrans-
position me paraît évidente ; Ornithôn, je crois, doit être placé,
non pas après, mais avant Sarepta. Âu lieu de : « Inde Sarepta et
» Ornithôn oppida », je serais d'avis de lire : « Inde Ornithôn et
» Sarepta oppida », ou mieux encore : « Inde Ornithôn oppidum
» et Sarepta » (2).
Strabon ne s’explique pas positivement sur l'emplacement
occupé par Ornithôn polis; ilse borne à dire que Tyr est à 200 stades
de Sidon, et que, dans l'intervalle, on rencontre la petite ville
auteur qui dise que Sarepta était un bourg des Tyriens : Zéparra xoun Tupluy (Achille
Tatius, L1, 47); mais les paroles d’un romancier qui vivait probablement vers la fin
du 1° siècle de notre ère, sont sans autorité en présence des textes que j'ai cités. Je ne
crois même pas nécessaire de faire remarquer, pour expliquer l'assertion de Tatius, qu'à f
plusieurs époques les rois -de Tyr ont gouverné Sidon et le pays de Sidon.
(1) Mgr Mislin, Les lieux saints, &. 1°, p. 296 de la 1'e édit., 334 de la 2° édit, —:
M. de Saulcy n'a pas vu ces ruines.
(2) Pline, V, 49.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 643
appelée la ville des Oiseaux : £v d Tÿ peTdEd TON VLOV Opvilov
rôks (1). D’après ce texte, Mgr Mislin dit que la ville des Oiseaux
était à égale distance de Sidon et de Tyr. L'interprétation est juste,
mais la phrase de Strabon n’a pas ce sens rigoureux.
Tout ceci étant bien établi, revenons maintenant au texte de
Scylax :
Bnpurds éd ai Any, Bopwvde, Tlosquoéwy Tous, Edèv Tdi nai Apav
XetGTOS, Opviloy To Edoviov (drd Acôyroy Tékews éxL Ooviloy Tô-
co...)
« Béryte ville et port, Borinos, la ville de Porphyreôn, Sidon ville et port
fermé, la ville des Oiseaux dépendant des Sidoniens (depuis la ville des Lions
jusqu’à la ville des Oiseaux...) »,
Point de difficultés en ce qui regarde Béryte. Bopwvs ! Que doit-
on entendre par ce mot? Est-ce le nom d’une ville, d’un fleuve?
ou bien encore sert-il simplement à spécifier une circonstance
relative à une ville précédemment nommée ?
Si nous le recherchons dans les travaux des commentateurs,
nous y verrons que Saumaise, Reland, et une foule d'autres après
eux, ont pensé que, par la seule addition d’une lettre, de Bopwvèc on
faisait Bépeivos, pour Bésetos « septentrional », et que dès lors le mot
Bopewvos devait se rapporter au mot Ah «port», qui précède, et
indiquer que le port de Béryte était au nord de la ville, M. de
Saulcy, qui a visité Béryte et s’est convaincu de ses propres yeux
que celte circonstance est exacte, n’hésite pas à se ranger de l'avis
de Saumaise, et à déclarer que la correction ne saurait être un
instant douteuse (2). M. Isambert, qu'il serait difficile d’accuser
de trop d’indulgence pour les opinions de M. de Saulcy, abonde
complétement ici dans son sentiment (3).
Plusieurs considérations militent en faveur de cette opinion,
qui a trouvé tant de partisans : La correction est très-simple; le
(1) Strabon, liv, XVI, p. 758.
(2) M. de Saulcy, Voyage aulour de la mer Morte, t. I‘, p. 58.
(3) Bulletin de la Société de géographie, 4° série, t. VI, n° 34 (octobre 1858), p. 202.
Gal ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
sens de la phrase ainsi achevée est parfaitement acceptable; elie
exprime une chose vraie; enfin, dans le texte, Bopivès est un mot
isolé ; il n’est point, comme les noms des autres villes de la Phé-
nicie, accompagné de rôue ou de ré x Mwhv, ce qui peut donner |
à penser que Boptvès dépend ou de la phrase qui précède ou de la
phrase qui suit.
Cependant des objections peuvent être faites, et elles ont de
la valeur.
Dans le manuscrit, le mot Bopivèç est marqué d'une ligne tracée
à l’encre rouge; on doit donc en conclure que c’est un nom propre
et non un adjectif se rapportant au port de Béryte. Ajoutons
qu'il est contraire aux habitudes de Scylax de donner de sembla-
bles indications sur l'orientation des villes. Je ne connais d’excep-
tion que pour l’île de Crète, où l'on trouve des détails inusités
sur la position géographique des villes ; mais alors, pour indiquer
la position septentrionale, l’auteur inconnu d’où est tirée cette
partie du périple, se sert des mots xpèc Bopéxv « vers le nord », et
jamais de Bperos « septentrional ». De plus, cette indication se rap-
porte à la ville et nonàune partie de la ville, Ainsi, en lisant : Kudoviæ
a Av #eucrès mods Bopéav, « Cydonie avec un port fermé vers le
nord », on pourrait croire que toù Bopéay se rapporte à Auv; il
n’en est rien. Un examen plus attentif de tout le paragraphe
montre que les derniers mots se rapportent à Cydonie et non
uniquement à la position du port. D’après ces explications, il me
semble qu’il est permis de douter qu’une seule fois, en parlant
d’une ville qui n'offre rien de remarquable, il ait été employé une
expression dont le sens ni la lettre ne se retrouvent nulle part ail-
leurs, soit dans les parties du périple écrites par Scylax, soit dans
les parties rédigées par les compilateurs qui ont continué son
œuvre.
Sidon, Acé, et d’autres encore, étaient des villes aussi impor-
tantes que Béryte, et Scylax ne dit rien de semblable sur le port
de ces villes. Déterminés par quelques-unes de ces considérations,
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 645
M. Gail fils, et après lui M. Miller, ont rétabli, dans le texte, le
mot Gopivèc, le considérant comme un nom propre de ville, et l'ont
isolé en plaçant une virgule entre ce mot et le mot y « le
port » (de Béryte). Se conformant à l'avis de M. Miller, M. Lapie a
écrit sur sa carte le nom de Borinos, et a placé cette ville in-
connue à la tour al-Berujem que Zimmermann appelle Bourjel-
Bradjiny.
Pour conserver, dans le texte de Scylax, le mot fopivèc, je ne vois
qu’un moyen, il consiste à admettre que du temps de ce géographe
on disait : Bogivèç mogqupüv môk, « Borinos la ville des pourpres ».
Plus tard, mpppûv rés fut changé en rospée, et devint un nom
propre, ce qui esl vrai; dès lors le mot Bogsvèc disparut dans un
temps postérieur à Scylax, et la ville ne fut plus connue que sous
le nom de Ioseupéev, Porphyréon. En retrouvant Boouwèc dans Scylax,
on a continué à écrire Ilopoupéwy au lieu de rosoupüv; d’où il est
résulté l'apparence de deux villes, quoiqu’en réalité une seule
existàt sous ces deux appellations.
Tout cela ne repose que sur une hypothèse à laquelle il est difi-
cile de s’arrêter; passons.
M. Müller reconnaît que la correction de Saumaise est fort
acceptable; cependant il hésite, les objections de M. Gail fils lui
semblent très-graves. D’abord il avait pensé que Borinos pourrait
bien être Leontôn polis, qu’on voit apparaître dans une interpo-
lation dont nous allons parler; puis, après la publication des
travaux de MM. de Saulcy et Isambert, il a cru devoir adopter la
lecon suivante : Bnpuros mo xat AV, AeoyTOv TOME, Iogoupéoy Tôds,
Borpivèç rorauès, Eudüv (1)... « Béryte, ville ayant un port, £eontôn
polis, la ville de Porphyréon, la rivière Bostrinos, Sidon.… » Ainsi
il déplace Gopivès pour y mettre Acdyrov mé, et il transforme fo-
ervôs en Bocrpwès rorauèç, qu'il place avant Sidon. Je ne puis accepter
cette correction, mais je m’empresse de dire que je la préfère
(1) Prolegomena, addenda et corrigenda, p. 138.
LATE 82
6.6 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
de beaucoup au maintien de fonvè, mot étrange qu’on ne re-
trouve dans aucun géographe d'aucun temps, et qui, par consé-
quent, doit disparaître d’une édition soignée.
Voici sur quoi je me fonde pour rejeter la lecon de M. Müller :
je ne crois pas que, dans le texte de Scylax, focrptvès morauès puis-
sent être substitués à Bopwèc; le géographe n’a pas pu employer
une appellation poétique qu’on ne retrouve nulle part, qui était
inconnue, et qui, dans Denys le Périégète, n’est pas un nom
propre, comme je crois l'avoir démontré; et j'ajoute que, malgré
toute l'incohérence qu’on peut reprocher à Scylax, il est peu pro-
bable que ce géographe qui, depuis le Thapsaque, ne nomme
aucune rivière; qui passe sous silence le Lycos, l’Adonis, l'Éleu-
théros, le Tamyras; il est peu probable, dis-je, qu’il lui ait plu de
mentionner la petite rivière qui coule au nord de Sidon.
Quant à moi, je pense que fopwès, transformé en focrouwèc, peut
garder la place qu'il occupait dans le texte, et servir à indiquer la
position du port de Béryte par rapport à Bostra, ou bien être
placé avant Béryte et par conséquent après les deux mots 20 XV,
dont on ne voit plus l’utilité après +390 devenu gwriprov. Dans
le premier cas, on aurait : Bnovrèç mûME za av Pocrouvde, « Béryte
ville avec un port bostrinien »; et dans le second cas, on aurait:
aa Ju Boorpivée , Bnpurès roc z2ù uv, « et le port bostrinien,
Béryte ville et port »; Av Bocrawvds tiendrait lieu de Piorpx rüki
xai AULAv. »
Ceci est justifié par l'importance de Bostra ou Botrus, qui était
bien phénicienne; puis je trouve dans Scylax des exemples de
cette manière de désigner des villes. Au paragraphe de la Sicile,
je lis : Süpauos morapèc 20 rôle Meyapis xai Av Étpoveros (4). Doit-on
traduire : «le fleuve Symèthe et la ville de Mégare avec un port
appelé Xiphonien », ou bien : « le fleuve Symèthe et la ville de Mé-
gare et le port Xiphonien », les deux derniers mots ayant la
(1) Scylax, $ 43.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 647
même signification que Xiphonia ville ayant un port. La première
traduction peut être soutenue, quoique rés soit avant Meyase,
contrairement aux habitudes de Scylax; mais ce n’est pas la seule
fois qu’il y déroge ; ainsi za roue Acraxde vai Xuhv (1) signifie bien :
« et la ville d’Astacos ayant un port». La seconde traduction est,
je crois, la meilleure. Au nord de Mégare hybléenne il existait
une ville de Xiphonia, près du cap Xiphonien (2). Scylax s’est
donc servi des expressions Aphv Epéveuc, au lieu de Etpovéx ris nai
uv. Et malgré l’assertion de Strabon et d’Étienne de Byzance, si
l’on mettait en doute l’existence de Xiphonia, dont on a peu parlé,
toujours est-il que xuiv avec un adjectif dérivé d’un nom de ville
ou d'un nom de personne, est une tournure familière à Scylax
pour remplacer le nom de la ville et indiquer qu'elle avait un
port. En voici des exemples : x Ayv Aocodiws, «et le port aphro-
disien », pour za réduc Âooodirns ua Xuuhv, «et la ville de Vénus et
un port »; xz kyiv Mupievdooc, « et le port Myriandros», pour #41
môMe Mugiavdooc xt Av, « et la ville de Myriandros et un port »;
Aoivn, Mebévn, Ayillewc Av, 42 dvrimuyos rofrou Wauafoÿc Mu (3),
« Asine, Méthone, le port Achillée et le port Psamathus qui lui est
adossé ». Il s’agit de deux ports de Laconie que séparait le cap
Ténare. De même que Scylax, Pausanias ne parle que du port de
Psamathus; mais, indépendamment du port, il y avait une ville, si
nous en croyons Strabon, Pline et Étienne de Byzance.
Par cette longue discussion, j'ai désiré démontrer qu’on peut
lire : Bnourôs tôMs xt Auwnv Posroivés, et alors ce dernier mot indique
simplement que le port de Béryte était situé du côté de Bostra ou
(1} Scylax, $ 34.
(2) Strabon, liv. VI, p. 267 : xd r6s EÆypwyios axpwrnpuoy, «le cap de Xéphonie »
(capo della S. Croce). M. Delaporte du Theil traduit : « le promontoire Xiphonia ».
— Diodore de Sicile, liv. XXIII, 5 : Annibal était venu à la tête d’une floite jusqu'à
Xiphonie (Æipusts) pour donner du secours à Hiéron. — Étienne de Byzance : Epuytæ
méic Suxelias. — Un cap et un port, c'est certain; une ville, c’est moins sûr.
(3) Scylax, $ 46. .
618 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Botrus, ce qui est vrai; ou bien : xx Auñy Bootpivés, #ai Bnpurès TOM
aa lv, et, dans ce cas, kuñv Bosrpwès sont là pour Bécrp môlis xai
Ah, de même que Auñv Epoveoc tiennent lieu de Etpovia TÜMS Hat
Av.
C'est là ce que je préfère, ne pouvant pas admettre Büpervos, qui
est contraire aux habitudes de Scylax.
Je n’ai point compris la polémique engagée sur le mot qui, dans
le texte de Scylax, vient après le port de Sidon. Faut-il x\eurdc
«illustre », ou xeuorés « fermé »? Pourquoi ce doute? Le manuscrit
porte xeuorèe, et ce mot est un de ceux que Scylax emploie le plus’
fréquemment, toutes les fois que la ville qu'il nomme a un port
fermé. On le retrouve après Ambracie, Paros, Samos, Priène,
Halicarnasse, Salamine dans l'île de Chypre, Cydonia et Phala-
sarna en Crète, et dans maints autres endroits ; xesrù doit donc
être conservé.
M. Müller suppose que Acéyruv tél et Tlopquoéwv étaient deux
localités distinctes, ‘et je crois avoir montré que c’étaient deux
appellations désignant la même ville. Maïs, dira-t-on, Acivrwy
ré se trouve dans le texte de Scylax, qui contient aussi le nom
de Topquoéuv; dès lors il n’est plus possible d'affirmer qu'aucun
auteur ne nomme à la fois ces deux villes.
À cela je réponds catégoriquement : non, Acôvroy ré n’est pas
dans le texte de Scylax; non, la phrase tronquée à laquelle on fait
allusion n’est pas de Scylax.
Est-ce bien sérieusement qu’on peut ranger Asévrwv tél parmi
les villes phéniciennes énumérées par le géographe grec? Rappe-
lons les quelques mots qui donnent lieu au débat : dmd Acivruv
rôkeo éyot Opvilwy réewc (1)... « depuis la ville des Lions jusqu’à la
ville des Oiseaux... » Comment ne pas reconnaître là une inter-
polation, ainsi que l'ont pensé presque tous les commentateurs?
Dans un temps postérieur à Scylax, alors que Topqupéwv était appelé
(4) mélews au lieu de æécw) ; la correction est de Vossius.
‘
.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 649
Acdvruy rôMç, la note a été écrite à la marge par quelqu'un qui
voulait indiquer ou chercher la distance entre Porphyréon et la
ville des Oiseaux, et de la marge elle a passé dans le texte qu’elle
coupe d’une manière élrange, n'ayant aucune liaison ni avec ce
qui précède ni avec ce qui suit (4).
Fréquemment Scylax interrompt l’énumération des villes pour
donner la distance entre deux lieux éloignés, le plus générale-
ment entre les lieux par où commence et finit un paragraphe;
c’est ainsi que, quelques lignes plus loin, se trouve mentionnée la
distance du fleuve Thapsaque à Ascalon ; mais ii n'indique pas la
distance de deux villes séparées seulement par un intervalle de
quelques stades.
Que si cependant cette note était de Scylax, ce que je n’admets
pas, il ne faudrait pas le moins du monde en conclure que la ville
des Lions était située au sud de la ville des Oiseaux, comme on
l’a prétendu; elle ferait supposer, au contraire, que le nom de
la ville des Lions, écrit autrefois par Scylax et placé par lui
je ne sais où, mais assurément au nord de la ville des Oiseaux,
aurait disparu du manuscrit. J’ai longuement exposé les motifs
qui me font croire qu'il n’en est pas ainsi, et que Scylax n’a
pas connu le nom de Acéyrwy 7614 donné postérieurement à
Togoupécv.
Pour supposer que Aciyroy rôle se trouve dans l’énumération du
géographe grec, à la place qu’elle occupe dans le manuscrit, 1l
faut nécessairement retrancher les mots drè-uéyo, « depuis-jus-
qu'à,»et je ne sais par quoi l’on justifierait cette suppression;
mais aussitôt surgit une difficulté. Après Aséyrwy tél on rencon-
trera Opvilowy roc, dont il a déja été question après Sidon, c’est-à-
dire à sa véritable place; il y avait donc deux villes appelées Opvitov
(4) Reland s'étonne de la structure de cette phrase, el ajoute la note suivante,
page 431 ; a [llud or et péygs videtur secum postulare æhovç vel simile quid, uti oré&dta ;
> at nec antea meminit Leontopolis. » L'interpolation a été indiquée particulièrement
par M. Gail fils.
650 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
rôle, l’une au nord, l’autre au sud de Acivroy rôliç? C’est tomber
dans l’absurde. Afin de tourner cette difficulté si grave, on dit que
les deux noms d'Opvibey ré, quelle que soit la place qu’ils occu-
pent, désignent la même ville, et que le géographe a voulu donner
la distance de cette localité à Acéyroy 76, qui était plus au sud,
vers l'embouchure du nahr-al-Kasmyié. Ceci n’est pas plus admis-
sible que tout le reste; car, dans l’énumération des villes, Scylax
procède toujours du nord au sud, et, dans le cas supposé, il au-
rait dit : &rû Opvitwv TÜkews péyor AedvTuv TOEwe...… « depuis la ville
des Oiseaux jusqu'à la ville des Lions... »
Au temps où la note marginale a été écrite, Asdyrov tôkie subsli-
tuée à Topqupéwy ne pouvait laisser dans l'esprit ni doute ni con-
fusion ; si l’auteur de cette note eût voulu également indiquer la
distance de Tyr à Acé, il eüt appelé cette dernière ville Ptolé-
maïs, el nous ne devrions pas plus chercher Ptolémaïs à côté
d'Acé que nous ne devons chercher la ville des Lions à côté de
Porphyréon.
Ma conclusion est celle-ci : la phrase incomplète dont il s’agit
n’est pas de Scylax ; dès lors elle doit être retranchée du texte de
ce géographe. Que si l’on est encore arrêté par quelques doutes,
ou si l’on hésite à faire disparaître une phrase du texte, même en
avouant qu'elle y est déplacée, elle doit être mise entre paren-
thèses, après avoir été complétée par oréduz a! « 200 stades »; c’est
le nombre de stades que l’ou comptait entre Porphyréon et la ville
des Oiseaux.
Quelques mots sur Tyr; ils sont nécessaires pour comprendre
ce qui suit.
Tyr se diten hébreu x, Zor, T'sor, ou Sor, que d’autres pronon-
çaient Sar, Sur; puis, suivant l'habitude des Araméens, par le
changement si fréquent de s en {, Tor, Tur, d’où les Grecs ont fait
Tigos et les Latins T'yrus, et ensuite Tupios et T'yrius, «un Tyrien».
Quoique les Grecs aient connu les diverses formes du nom de Tyr,
ils ont invariablement écrit Tipos et Tutos; 1l n’en est pas de même
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 6541
des Romains ; leurs poëtes ont fait revivre la forme archaïque Sar,
d’où ils ont fait Sarranus, employé pour Tyrius :
« Ut gemma bibat, et Sarrano indormiat ostro (4). »
Ccenr Sarrano murice fulgens (2). »
a Sarra, Tyros insula (3). »
CHE ad id purpuram ex Sara tibi
» Attuli.… (4). »
On savait si bien que Tyr avait autrefois été appelée Sar ou Sarra,
qu'Aulu-Geile cite cet exemple dans une énumération de pays et
de villes qui ont changé de nom : « Tyrus ante Sarra dicta est(5). »
Servius, le commentateur de Virgile, le dit aussi de la manière
la plus brève, et en même temps la plus claire: « (urbs) quæ nune
» Tyros dicitur, olim Sarra vocabatur (6). »
Les expressions de Servius sont remarquables; elles traduisent
presque littéralement le commencement de la phrase que nous
allons examiner. Après tous ces exemples, que dire de Reichard,
qui prétend que Servius se moque lorsqu'il veut établir l'identité
entre Sarra et Tyr (7)?
La ville de Tyr était bâtie dans uneïle; elle avait un port
fermé ; à 30 stades au sud de Tyr, sur le continent, se trouvaient
des sources abondantes qui ont été connues sous le nom de puits
de Salomon. L’eau qui en sortait prenait deux directions diffé-
rentes ; une partie était conduite par un acqueduc vis-à-vis de Tyr,
et était recue dans un grand réservoir ; ce qui n'allait pas à Tyr
suivait la pente du terrain, se dirigeait vers l’ouest, et formait un
ruisseau qui se Jelait dans la mer (8).
(1) Virgile, Géorg., IX, vers 506.
(2) Silius Ital., liv, XV, vers 205.
(3) Festus.
(4) Plaute, Truculentus, acte Il, scène vi, vers 58.
(5) Aulu-Gelle, liv. XIV, chap. 6.
(6) Servius, note sur le vers 506.
(7) Reichard, Orbis terrarum antiquus, au mot Sarepra.
(8) « Saladin vint pour assiéger Tyr et campa près d'un ruisseau dans le voisinage
de la ville. (Ibn-al-Atir. — Extraits de M. Reinaud, p. 221.)
652 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Dans la grande plaine de Tyr, c’est-à-dire sur le vaste espace
compris entre la mer ct des collines qui bornaient cette plaine
vers l’est, on avait élevé des habitations, des magasins et des chan-
tiers pour les approvisionnements de la marine. C'était une dépen-
dance de Tyr, ou plutôt c'était la partie continentale de la ville
de Tyr, dont elle portait le nom; elle n’en avait point d’autre. Les
Babyloniens avaient commencé la ruine de ce faubourg ; les maté-
riaux les plus voisins de la mer servirent plus tard à Alexandre
pour l'établissement de sa chaussée. Il ne resta à peu près intactes
que les habitations les plus éloignées de Tyr, les plus rapprochées
des puits de Salomon. À l’époque où nous reporte le périple de
Scylax, la destruction opérée par Alexandre n’avait pas eu lieu,
et les constructions étaient encore nombreuses; au temps de
Strabon et de Ptolémée, le quartier encore habité du faubourg con-
tinental deTyr fut appelé Palætyr; non pas qu’il fat plus ancien
que la ville insulaire, maïs son nom indiquait que le lieu qui le
portait avait fait partie de Tyr, et en même temps qu’il avaii beau-
coup perdu de son ancienne prospérité (1).
Cela dit, prenons le texte de Scylax, non pas celui qui a subi
les prétendues corrections des commentateurs, mais le texte du
manuscrit. Nous y verrons qu'avec le changement d’un mot et le
rétablissement d’une lettre oubliée, il est parfaitement clair et que
tout s'explique facilement. Scylax continue l'énumération des
villes phéniciennes, et dit : Tupiwv ms Séox, etre dAAn mode Tüpos,
Rpéva Eqovca évrds relyouc * durn Où à vücos Bacikeuz Tupiov (2), ai dréyer
rédue md Gakérrne y. It Tüpog TOM HU TOTAL du éonç pet, ai
md Tuplov éori xai ToTaL66.
Je traduis littéralement : « La ville des Tyriens Sara, appelée
ensuite autrement la ville de Tyr, ayant un port dans l'intérieur
des murs. Cette ville, siége de la puissance des Tyriens, est une
(4) Tout ce que je viens de dire est prouvé, au moins jele crois, dans mes Recherches
sur Tyr et Palætyr.
(2} Togiowy au lieu de Tupéous la correction est de Vossius,
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 653
île, et elle est éloignée de trois stades de la mer. De nouveau la ville
de Tyr etun ruisseau qui la traverse ; la ville et le ruisseau dépen-
dent des Tyriens. »
Sauf l'erreur évidente sur la distance de l’île au continent, cette
description est fort exacte, et dès lors le texte doit être respecté.
N'ayant pas vu, ou plutôt n’ayant pas admis l'identité entre 34ox
et Tips, Vossius de Séoa cire a fait Séoumre (1); il n’a donc pas
donné aux premiers mots de la phrase le sens qu’ils doivent avoir,
et j'en suis d'autant plus étonné qu'il aurait dû s’apercevoir que
cette construction de phrase : Tuploy mél Yéparru, est contraire
aux habitudes conslanies de Scylax, qui aurait dit : Séoarre ou
mieux S49e00> rôle Tupiov. Ici il fallait bien que Scylax commencât
par Togioy rés, afin que 34px fût près de tout ce qui suit ce mot
et sert à l'expliquer. Mais ce qui est bien plus concluant, ce qui,
sans hésitation possible, doit faire rejeter la correction de Vossius,
c’est qu’elle énonce un fait complétement faux. Sarepta n’était
point sous l’autorité des Tyriens; cette ville était sous la dépen-
dance immédiate de Sidon, comme je l'ai démontré. Je ne crois
pas qu’il y aît de fait mieux constaté que la dépendance de Sarepta
par rapport à Sidon, par conséquent, d'erreur plus évidente que
celle qui a été commise par Vossius, et sans ‘cesse reproduite
d’après l'autorité de ce savant.
Le mot &\n n’a pas le sens de éréou, et n’a pas été placé là
mal à propos par un copiste. Dans le manuscrit il est écrit avec
l'iota souscrit ; il signifie la même chose que &Mos, et doit être
conservé tel qu'il est écrit; sans lui la phrase cesserait d’être
aussi claire.
Puisque Tyr était dans une île qu’elle occupait tout entière, elle
ne pouvait pas être éloignée de trois stades de la mer, c’est évi-
dent ; aussi quelques commentateurs ont-ils proposé de remplacer
ämd Dakérens y par érd rä yñc y. Cette correction, dictée par lebon
*
(4) Reland attribue cette erreur à Saumaise.
NII. 83
654 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
sens, faisait disparaître une absurdité, tout en laissant subsister
une erreur dans la dernière lettre de la phrase (À).
La nécessité d’un changement quelconque dans le texte n’a pas
paru évidente à M. de Sainte-Croix, et à bien d’autres avant lui. Ils
ont pensé que la distance de trois stades se rapportait à Palætyr,
et que, par conséquent, falérrnç devait être maintenu. Ils terminent
à faciheux Tuglwy ce qui concerne Tyr, et, joignent à Palætyr ce qui
suit ; ils lisent donc ainsi : za URÉYEL ordi drd buhdrrnc y! Tunzirugos
Fo, «el la ville de Palætyr est éloignée de trois stades de la mer.»
Tel est Le sens, il faut l'avouer, que j'ai trouvé adopté à peu près
par tous ceux qui se sont occupés de Tyr. Le moindre examen
suffit pour faire rejeter cette lecon. Ainsi que je l'ai déjà fait
observer, la construction toujours adoptée par Scylax n’admet pas
d’inversions; le géographe aurait dit : xoù Tadaruoos môds dméye
orddix y! dd Üahérrn. De plus, en jetant les yeux sur le manuscrit,
il est impossible de ne pas reconnaître que les mots érd onérrne y
qui terminent la page 92, finissent en même temps la phrase et
l'alinéa, et que dès lors on ne peut pas y joindre les premiers mots
de la page suivante. Enfin, ce qui est plus grave, dans Scylax il
n’est pas question de Palætyr; telle est au moins mon opinion. La
première ligne de la page 93 commence par les mots : Héluwv Tôpos
rôle; Vossius a proposé de lire : Isdairupos #6; la correction a
paru si heureuse, qu’elle a été immédiatement acceptée, et depuis
lors elle n’a pas été contestée, Et cependant il s’élève contre elle
de sérieuses objections. Comme je lai expliqué plus haut, ce qui
existait vis-à-vis de Tyr n’était qu’un faubourg de Tyr portant le
même nom que la ville insulaire. Lorsque cette partie de Tyr
apparaît sous le nom de Palætyr, elle n’était pas sur le bord de la
(1) Reland, ne comprenant pas la phrase sur Tyr, la termine àyñ0ç et en commence
une autre par les mots Bacherx Tüpsu xat améyer, et il ajoute : « Puto sequentia a prio-
»ribus esse divellenda, ut sensus sit regiam Tyriorum tribus stadiis a mari esse
» remotam. Quis enim dixerit insulam esse tribus stadiis a mari remotam? dici debuisset
» a conlinente. » (Paleslina..…., p. 431.)
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 655
mer; Ptolémée ne l’y place pas. Même en admettant l'existence
de Palætyr du temps de Scylax comme ville distincte de Tyr, ce
géographe n’en aurait pas parlé, puisqu'il ne fait mention que
des villes phéniciennes baignées par la mer, et surtout il n’auraît
pas parlé d’une distance de trois stades (555 mètres), distance
tout à fait insignifiante lorsqu'il s’agit de l'intervalle qui sépare
une vilie des côtes de la mer; tandis qu'il est naturel qu'il ait
indiqué la largeur du détroit qui existait entre Tyr insulaire et
le continent, comme il l'avait déjà fait pour Arados.
C’est dans le chiffre donnant la largeur du détroit que gît l'er-
reur dont j'ai parlé, erreur qui, comme presque toujours, provient
de l'emploi fréquent des abréviations et des ligatures. La syllabe
ora, surmontée d’un Ÿ, représentait le mot orédux. Le détroit ayant
L stades de largeur, et les Grecs se servant de Ô' pour exprimer le
nombre quatre, il fallait donc qu’on écrivit deux À de suite; car le
chiffre se trouvait quelquefois avant, mais le plus souvent après
le mot stades, quelle que fût la place que ce mot occupât dans la
phrase. Le passage que nous examinons, à lui seul, en offre quatre
exemples. J’ai cherché avec une scrupuleuse attention et n’ai pas
trouvé une seule fois dans Scylax le chiffre séparé du mot stades,
qu’il suit presque toujours. Or, un copiste a omis un 9; de là
toute l'erreur. Le y qui termine la page et qui, surmonté d’un ç
et d’une ligne courbe, signifiait terre, est devenu le chiffre trois
en prenant un signe particulier qui tient la place de l'accent aigu,
et on lui a donné cette signification, bien qu'il occupât une place
qui n’est pas la sienne, puisqu'il est séparé de 742; enfin, pour
que la phrase eût un sens, même un sens faux, le mot y%:, changé
en y’, a nécessité le mot baérrns au lieu de +%, qui subsistait pri-
mitivement. D’après ces applications, je crois qu’il faut lire :
améyer orddix d' dnd ris Vis.
Le passage étant ainsi restauré, Scylax s'accorde parfaite-
ment avec Quinte-Curce et Diodore de Sicile, et, ce qui vaut
mieux encore, avec la réalité; car il est bien constant que le
656 ESSAIS DE RESTITUTION, ET D'INTERPRÉTATION
détroit qui séparait Tyr du continent avait 4 stades de largeur.
Lorsque, après avoir quitté les côtes du continent pour nommer
les villes qui se trouvent dansvwune île voisine, Scylax revient à la
terre ferme, il commence toujours sa phrase par ces mots : éréveque
dE rdv rt Thv Hreuoy, «je reviens de nouveau au continent. »
Quelquefois, mais bien rarement, les trois derniers mots sont
omis (1), et je pense que c’est un oubli du copiste. Quant à réw
seul ct non précédé de éréveux, je ne l’ai trouvé que dans le pas-
sage qui nous occupe.
La formule dont j’ai parlé est constamment employée par Scylax
lorsqu'il a donné quelque développement à la description d’une
ou de plusieurs îles; quand il s’est borné à nommer une ile et la
ville qu’elle contenait, le plus souvent il commence encore la
phrase suivante par érdvequ d mélw éri vav fmepov (2); quelquefois
cependant il supprime cette transition (3).
Cela posé, voici les inductions qu'on peut en ürer. La ville de
Tyr avait ceci de particulier qu’elle était bâtie dans une île avec
une partie d'elle-même sur Je continent. Il n’y avait pas deux villes
du même nom, mais deux parties de Tyr, et Scylax les décrit
l’une après l’autre. Dans la phrase qui précède, remarquons ces
mots : durn Ôà à vñoos, « et celle-ci est une île. » En parlant d’Arades,
Scylax a dit simplement : Apados vñcos; ici, pourquoi évrn? C’est
que la ville de Tyr, qui a un port intérieur, qui est le siége du
gouvernement des Tyriens (ärn, celle dont il parle en ce moment),
est située dans une île; mais l’île ne contient pas toute la grande
métropole phénicienne; quand le géographe revient au continent,
il ne rencontre pas une ville nouvelle, il trouve de nouveau (ré)
la ville de Tyr (Tüpos ré); et la ligne rouge, indiquant un nom
propre de ville, est placée, avec raison, sur Le mot ripoc.
Tout cela me semble très-clairement exprimé, Pourquoi doncne
(4) Thasos, $ 67.
(2) Égine, 8:63.
(3) Belbina, $ 54.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 657
pas voir ce qui ést, et se donner tant de peine pour chercher ce qui
n’est pas! Dans une circonstance analogue, Pline dit (1) : « hinc
rursus (Syria) ; » c’est la traduction et l'interprétation de rw.
La phrase de Pline n’a jamais paru obscure; celle de Scylax, dont
elle est une reproduction, me semble tout aussi claire.
La première ligne du feuillet lacéré finit par un +. C'était par
cette lettre que commencait un mot disparu et qu'il s’agit de res-
tituer. Vossius a rempli la lacune par üv Éxdirr&y; il termine donc
la première ligne par ces trois mots : roux rüv Éxdimm&v. Ecdippa
était bien une ville phénicienne, et elle était située au sud de
Tyr; c’est vrai, mais cela seul est vrai, et il n’en est pas moins
certain que la restitution est la moins heureuse qu’ait faite Vos-
sius, auquel on en doit tant d'excellentes. Gronovius avait été
frappé de l’invraisemblance de cette restitution.
En effet, qu’on cherche bien, on ne trouvera pas dans Scylax
un seul exemple analogue à rôks rüv Éxdirrüv. Et d’abord l'emploi
de l’article serait un motif de rejet, n’y en eüût-il pas d’autre (2).
Puis, suivant sa coutume constante, Scylax aurait dû dire : roc
Éxdirra, ou Exdirre môl. Cependant on trouve épviloy és, c’est
très-vrai; mais ces mots signifient : « la ville des Oiseaux », et épvi-
boy n’est pas un nom propre.
Doit-on supposer que, dans l'intention de Vossius, la restitu-
tion adoptée par lui avait le sens de « ville des Ecdippiens? »Je ne
le pense pas. Dans cette hypothèse, le géographe aurait dit : rôke
rüy Éxdmmiruv; et ici la faute grammaticale ne serait pas la plus
grave; car lorsque Scylax, après avoir nommé une ville, ajoute : rés
Tupiov, rôle Edoviwv, cela signifie’: « ville dans la dépendance des
Tyriens, ville dans la dépendance des Sidoniens. » Chez Scylax, rôls
(1) Pline, V, 18.
(2) Scylax proscrit d'une manière presque absolue l’article devant les noms de villes,
de peuples, et devant le mot ville. Les exceptions à cette règle générale que l’auteur
s'est imposée sont tellement rares, que, quand par hasard on trouye un article, on est
tenté de croire qu'il s’est glissé par erreur dans le texte.
658 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
rôv Éxdureréruv, ne voudrait pas dire Ecdippa, maïs signifieraïît :
«ville dans la dépendance d’Ecdippa. » Les commentateurs, de-
puis Gronovius, ont compris comme lui qu’il était difficile d’ac-
cepter la restitution de Vossius; cependant, faute de mieux, ils
l'ont maintenue dans les éditions successivement publiées; et,
comme s’il ny avait pas de doute à cet égard, dans l’énumération
des villes maritimes de la Phénicie, on ne manque pas de placer
Ecdippa, en s'appuyant sur l'autorité de Scylax. Je proteste.
La lecture attentive du texte, et des études antérieures sur la
topographie deTyr, m’avaient fait croire, avant d’avoir consulté le
manuscrit, que le 7 était la première lettre du mot Tip. Îl me
semblait que le sens de la phrase exigeait ce mot et n’en pouvait
pas admettre d’autre. Une chose m'avait frappé : Au verso du
feuillet lacéré, il ne manquait au commencement de la première
ligne qu’une seule lettre, À, par laquelle commençait le mot Aps-
Bias; j'en concluais qu’au recto le mot qui terminait la ligne de-
vait être fort court, comme le mot Tépo, que j'y plaçais, et qui
seul, à mon sens, devait s’y trouver. Je me trompais sur l’espace;
sur tout le reste ma conjecture était vraie; seulement ce n’est pas
Tipou qui terminait la ligne, c’était Tv. Il me semble qu'il ne
peut pas y avoir de doute pour quiconque a le manuscrit sous les
yeux. Le mot Tuguy se trouve répélé bien des fois dans ce para-
graphe; il est toujours écrit de la même manière : rugf surmonté
d’une ligne courbe qui remplace les deux dernières lettres et em-
brasse tout le mot à partir du milieu du +. Or, au-dessus du r et
des lettres qui manquent, on voit une grande partie de la ligne
courbe qui tenait lieu des lettres üv, absolument comme on le
remarque au-dessus de la syllabe #0... qui termine la seconde
ligne lacérée, et qui commençait bien le mot rpiuv, ce que per-
sonne n’a jamais contesté (1).
(A) Vossius est le premier qui ait émis cet avis. C'est également lui qui a proposé de
terminer la ligne par le mot Képurhos. .
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 659
Ne voulant rien négliger de ce qui peut confirmer ma conjec-
ture, j'ajouterai que dans l’article +&v la tête du + est beaucoup
plus longue ; la ligne courbe embrasse toute cette lettre, au lieu de
commencer seulement au milieu ou à la fin, comme sur le r de
ugiuy; enfin, à sa partie droite, cette ligne prend une inflexion
particulière et bien marquée qu’on ne remarque pas dans les
noms au génitif pluriel (1).
Comme à moi, l'évidence apparaïtra, je n’en doute pas, à toute
personne qui apportera quelqueattention à l'examen du manuscrit.
Le mot Tupiov, à lui seul, ne remplissait pas la place ; la ligne, je
pense, était terminée par ëcri. Je lis donc : xa mous Tuplov êart ai
morapès, « eb la ville et le ruisseau dépendent des Tyriens, » Il ne
me reste plus absolument aucun doute sur la restitution de Tupiov,
mais je crois qu’autrefois Scylax avait dû écrire Tépo; alors la
phrase signifiait : « la ville et le ruisseau font partie de Tyr. » Le
sens est meilleur et convient mieux à la description de Tyr.
É£o rà rôle, autre difficulté. Vossius a proposé, bien à tort, de
lire : és Bios ro, «ensuite vient la ville de Bélus. » Une ville
de ce nom n’a jamais existé, et pour restaurer un auteur il n’est
pas permis d'inventer. Mais il existait un fleuve Bélus, qui se jetait
dans le golfe au sud d’Ace, après avoir traversé des marais fan-
geux, d’où lui venait son nom : Bÿkos, pour nés, « bonrbe, limon. »
Josèphe le nomme Bfeoc, de ao, « fangeux », et Pline l’appelle
à la fois Bélus et Pagida, de rry1, « source » (2).
On à encore proposé de lire é£ñc Hox, « ensuite vient Hèpha. »
J y à là une grave erreur de chronologie. Au sud du Bélus, au
(1) Voyez particulièrement les paragraphes 55, Corinthie ; 57, Attique; 59, Béotie;
102, Cilicie. 2
(2) D'après une opinion souvent reproduite, le fleuve Belos devrait son nom à Baal.
(Mgr Mislin, t, I, ch. xvunr, p. 35.) Le Bélus sort du marais Cendevia.
Les deux appellations conservées par Pline se trouvent réunies dans l’un des noms
(Hnyé6rdoc) d'un autre fleuve Bélus, près de l'Euphrate. Il est appelé Bÿlos, BñÀ, Bn-
AGos, Béheovs, [nyébnhos, et Za6d6ndoc.
660 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
pied du mont Carmel et vis-à-vis d’Ace, dont elle était séparée
par toute la largeur du golfe, il existait, il est vrai, une ville que,
dans certains écrivains postérieurs à l’ère chrétienne, on trouve
appelée Hpé; mais dans les siècles antérieurs, et par conséquent à
l’époque où nous reporte le périple de Scylax, elle était connue
sous un autre nom. Puis, pourquoi ££%ç, qui ne présente pas le même
son que ékw, ce qui n’explique pas la cause de l’erreur du copiste ?
Pourquoi ££% seulement avant Hoé, lorsqu'il ne se trouve nulle
part dans le reste de l’énumération ? Enfin, lorsque Scylax a
besoin d'exprimer l’idée que représente &ï%c, il se sert plutôt du
mot eira.
J'aimerais mieux £cw Bou rois Tupiov, « ville des Tyriens en deçà
du Bélus. » L'erreur du copiste, trompé par la similitude des sons,
se comprend à merveille, et le sens est parfaitement exact; Ace
était bien dans les environs du Bélus et en decà par rapport à
Tyr, en suivant l’ordre de description adopté par le géographe.
Mais ici se présente cette question souvent reproduite : pourquoi
Scylax aurait-il fait mention du Bélus lorsqu'il a négligé de parler
de plusieurs fleuves plus importants? On peut répondre que le
Bélus, à l'embouchure duquel se tirait le sable qui servait à la
fabrication du verre (1), était plus digne d'attention qu’une foule
d’autres rivières plus considérables peut-être par l'étendue de
leurs cours. Si l’on admettait cette lecon, il faudrait lire : xa Âxn
mo, cu Bou morauoÿ me Tupiuy, « et la ville d’Ace, ville des
Tyriens, en decà du fleuve Bélus. »
Mais quoi! ne serait-il donc pas possible de conserver le texte
tel qu’il se trouve dans le manuscrit? Je le crois, et j'interprète
ainsi les mots que nous examinons : « la ville d’Ace, ville jusqu’à un
certain point en dehors des Tyriens, » c’est-à-dire en dehors de leur
autorité, ou bien : « ville des Tyriens à peu près en dehors, » c’est-
à-dire en dehors du pays qui leur était plus spécialement soumis.
(4) « Belus amnis judaïco mari illabitur; circa ejus os lectæ arenæ admixto nitro in
» vitrum ex coquuntur. » (Tacite, Hist., liv. V.)
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 661
Ce dernier sens, que je crois le meilleur, énonce une chose
vraie, puisque Âce était sur les limites du pays des Tyriens. De
plus, le mot, éo, prend, dans cette phrase, une acception que
Scylax lui donne souvent ; il signifie evtérieur, comme dans cette
autre phrase : Éyouéyn déMeyapidoe ms Éori Supéxoucar, ai Auéves Ëv
duTi dUo* ToÏ TOME Étepos évrès Tel yous, Ô d° ados Ew (1). « Post Mega-
» ridem sequitur urbs Syracusæ cum duobus portubus, quorum
» unus intra murum, alter extra est. »
La phrase suivante rendra encore plus frappante l'explication
que jexdonne des Mots Tuploy : TOM Xadendbv Elo Opéxns (2).
« La ville de Chalcédoine en dehors de la Thrace», c’est-à-dire
au dela du Bosphore de Thrace. |
La‘seconde ligne de la page 93 était terminée pardle mot Kép-
penlog nt Carmel», comme le prouve le mot ôçoç, « montagne », qui
commence la troisième ligne. Je ne pense pas que le doute soit
possible; mais les deux mots qui suivent, les mots iesùv Aude,
exigent quelques explications.
Lorsque les Hébreux prirent possession de la terre promise, le
mont Carmel échut à la tribu d’Aser, qu'il séparait de la tribu
d'Issachar @). Pendant la captivité, il revint aux Phéniciens, ses
anciens possesseurs, qui, après le retour des Israélites, n’en furent
pas chassés. D’après Josèphe, il était en Galilée ; il était en Samarie
asuivant Théodoret (4); Suétone et Tacite le placent en Judée, ce
qui ne veut pas dire qu'il dépendit des Juifs; nous savons au con-
traire, par Josèphe, qu’au temps de Vespa il appartenait aux
Tyriens, dont l'autorité s’étendait sur une partie de la Galilée.
Cette indication est confirmée par Jamblique qui, en parlant du
Carmel, l'appelle montagne phénicienne(Kéop-nos rù Dowvixdv Gps) (5).
(1) Scylax, $ 13.
(2) Scylax, $ 92.
(3) Josué, xx, 26. — Josèphe, Antig., V, 1, et VIII, 2. — Rois, a, 4, 6.
(4) Théodoret, Comment. sur Isaïe, xxix et xxxr.
(3) Josèphe, Guerre des Juifs, liv. II, ch. 1v. — Jamblique, Vie de Pythagore, ch, 1
VIT, 84
662 ‘ ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Lorsque Scylax écrivait son périple, le mont Carmel n’était
donc pas aux Juifs; ce n’était plus Jehova qui y était adoré; dès
lors jl n’y a pas lieu de s'étonner qu’on ÿ fit des saërifices pour
connaître l’avenir par l'inspection des entrailles des victimes. Il
était dans la dépendance des Phé énicieñSÿet tresprobablement du
temps de Scylax, comme à l’époque de Vespasieniilés pee
qui le possédaient n’étaient autres que les Tyriens.
Maintenant que faut-il entendre par tepèv ? Était-ce un temple, ou
bien était-ce un lieu découvert consacré au culte de quelqüe divi-
nité, ou bien enfin, dans le mot iv, ne fautal voir qu'un'adjectif
donnant un sens fout particulier à Gps? — Que signifie Atiç?
Faut-il traduire par Jupiter, de s'agit-il plutôt d’un dieu phé-
nicien ? Qubsi l’on joint issv à den, la phrase signifier : Carmel,
mont sacré. Dans l’histoire, on connaît plusieursmontagnesidési-
gnées de cette manière; ainsi le mont Thêchès, chez les Chalybes,
est appelé ioùv 6pos par Xénophon (1); et Denys d'Halycarnasse
nomme ôpos ispèv, le mont sacré célèbre ‘par les deux retraites qu'y
fit le peuple de Rome (2). ° ra.
Telle, je crois, n’a point été l'intention de Scylax; il a voulu
rappeler que, sur le mont Carmel, était un lieu consacré à une
divinité. Dès lors il faut lire : KépunAos Gpoç, xoi iepov Aude.
Cherchons de quelle nature était ce lieu révéré.
Les anciens appelaient templum un lieu qui pouvait être vu dei
toutes parts et n pouvait regarder de tous côtés (3).
D'abord le lieu ré ne contenait aucune construction; plus
tard on y construisit un édifice, et ce ne fut plus à ciel ouvert
que le culte fut rendu à la divinité; enfin on donna le nom de
temple à un édifice religieux dans quelque lieu qu'il fût placé.
On appelait fanum un temple très-vénéré où l’on allait con-
(1) Retraite des Dix-Mille, liv. 1v, 8 40.
(2) Antiquités, liv. VI. à
(3) P. Festus, au mot Contempranr.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 663
sulter pour connaître l'avenir (4). C'était un autel au milieu d'une
enceinte sacrée; quelquefois c’étaient des terrasses demi-circu-
laires environnées d’ünsmur ; et toujours le fanum était découvert,
puisqu'on pouvait interroger l'avenir par les auspices (2). Avec
le temps, cette distinction entre templum et fanum cessa d'exister,
et les deux mots furent souvent pris l’un pour l'autre (3). Néan-
moins, pendant que la confusion s'établissait dans les mots, le
templum et le fant restèrent toujours deux choses parfaitement
distinctes. L'établissement du christianisme a mis fin aux sacri-
cs sanglants, a fait taire les augures et les auspices, mais p’a
pas étruit toutesttraces des fana ; encoresaujourdihui on en re
rouve un grand nombre dans diverses contrées; 1l en existe
plusieurs dans la Sabine, aux environs de Rieti (4); il en existe
en Sardaigne, et l’un d'eux à donné son nom à un village voisin
que les habitants appellent Hiérone (isoùv) (5).
Cela ditfrevenons aux mots ispov Au dont nous cherchons la
_ signification.
Tacite contient, à ce sujet, un passage quimérite de fixer l’at-
tention : « Est Judæam inter Syriamque Carmelus; ita vocant
» montem deumque; nec"simulacrum deo aut templum ; sic tra-
» didere majores; ara tantum et reyerentia. Illic sacrificantiWVes-
» pasiano Basilides sacerdos, inspecti$ identidem extis: quidquid_
» est, inquit, Vespasiane..….. »ax Entre la Judée et la Syrie est le
‘Carmel; c’est le nom qu’on donne à la montagne et au dieu qui y
æréside. Ce dieu, suivant les récits transmis par l'antiquité,
ë (1) 2Fanum est religiosissimum templumiunde.fata petuntur. » ( Asconius Pedianus,
In Verrem, de prætura urbanañch. xx.)
(2) Sur les mots templum, fanum et delubrum, consulter une lettre de Marc-Aurèle
à Fronton; M. Cæsar M. Frontoni, liv. IV, epist. 4, edit. rom., 4823.
(3) « Pugnare pro templis atque delubris deorum ». (Cicero, De nat. deor., I, 95.
— « Pro fanis atque delubris propagnare. » (Cic., Pro Rab., 30.)
(4) Journal itinéraire de M. Simelli, 1810.
(5) Lettre adressée à M. Petit-Radel, le 2 septembre 1826, par M. Ferrero della
Marmora.
664 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
n’a ni statue ni temple, mais seulement un autel et un culte (A).»
Suétone dit aussi que Vespasien monta su le Carmel et offrit
un sacrifice au dieu qui y était vénéré et qui portait le nom de
la montagne ; mais il omet le renseignement bien important con-
tenu dans ces mots : « Nec simulacrum deo aut templum. »
« Apud Judæam Carmeli dei oraculum consulentem ita confirma-
» vere sortes, ut, quidquid cogitaret, UE. animo, quam-
» libet magnum, id esse proventurum, pollicerentur (2) ».
Dans une phrase de Jamblique où il est question du Carmel, on
trouve le mot issùv, sans aucune explication ; mais il a le "he
sens que fandih : Evüx éuévabe rx roNE 6 Tubayépus aura vd iepoy. Me Là
(sur le Carmel) Pythagore resta seul le plus souvent près du lieu
consacré (3). »
Tacite écrivant à Rome, loin de la Judée, a cru nécessaire de
dire que le lieu où Vespasien consulta l’oracle, sur le Carmel,
était un fanum et non un templum ; tandis que Jambliqt, qui était
Syrien, en parlant du Carmel, n’a pas pensé devoir expliquer ce
que, dans son pays, personne n’ignorait. De ce qui précède, on
doit inférer, ce me semble, que, dans Scylax, le mot iscoy ne peut
pas être traduit par le mot temple, mais qu’il signifie lieu consacré
au culte d’un dieu; ce que lesfiomains nommaient fanum.
Quant à l'interprétation du mot At, je pense que le dieu que
veut désigner Scylax était le même, que celui qui était révéré sur
le mont Carmel du temps de Vespasien; dès lors il devient évi-”
dent qu'il n’est pas question du Jupiter des Grecs. Il ne s’agite®
pas davantage d’un dieu appelé Carmel, quoique les paroles de
Tacite et de Suétone, interprétées littére alement, puissent le”
(1) Tacite, Hist., Il, 78.
(2) Suélone, Vie de Vespasien, ch. v, p. 386 de l’édit. de Lemaire.
(3) Jamblique, Vie de Pythagore, ch. ui.
Au xn° siècle on voyait encore, sur le sommet du mont Carmel, :les restes de cet,
autel. « Estque aræ illius locus circularis quatuor fere cubitorum diametro. » (Ben
jamin de Tudèle, trad. d’Arias Montanus, 1575, p. 33.)
&
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 665
laisser croire; dansla mythologie syrienne ou phénicienne, pas
plus que dans la mythologie grecque, on ne connaît une divinité
de ce nom; mais un dieu de la Phénicie étant révéré sur le Carmel,
a recu le surnom de la montagne, suivant un usage qu’on trouve
pratiqué partout, comme la remarque en a déjà été faite (1).
Denys d’'Halycarnasse dit quelque part que le roi Tatius érigea
des temples à une foule de dieux dont il n’est pas facile d’exprimer
les noms en grec (2). En effet, les Grecs éprouvaient souvent de
l'embarras lorsqu'ils avaient à parler des divinités des peuples
étrangers #S’ils se bornaïent à traduire, si, par exemple, de Baal
ils faisaient Bloc, le motptraduit exactement, ne présentait aucun
sens à leurs lecteurs, je veux dire qu’il ne donnait aucune idée
de la nature et de la puissance de cette divinité; aussi, le plus
souvent, rendaient-ils le nom étranger par le nom de la divinité
grecque dont les attributs étaient les mêmes, ou du moins s’en
rapprochaient le plus. C’est ainsi qu'Hercule, le grand dieu des
Tyriens, l’objet tout particulier du culte chez eux, est appelé
Jupiter Olympien par Dius (+05 Ohupriou Aude rù iegèv); Ménandre le
nomme simplement Jupiter (roÿ Auds rù lepév); ou, ce qui est plus
probable, Ménandre se sert du mot Ze, pour faire comprendre
que le dieu dont il parle est le maître des dieux, la divinité à
laquelle les Grecs donnent le nom de Jupiter. Le grand dieu des
Syriens et des Phéniciens, celui auquel on offrait partout des sacri-
fices sur les hauts lieux, c’était Baal, le maître du ciel, le Soleil, le
même qu'à Tyr on appelait Melkarth ou Hercule; et quoique le
Carmel appartint aux Tyriens, je pense que le dieu révéré sur la
montagne y portait le nom sous lequel il était adoré partout
(1) Voyez plus haut, p. 631. Voyez aussi mes Recherches sur Tyr et Palælyr, ch. 1,
p.. 500. Aux exemples déjà connus ajoutons celui que fournit Pline, liv. xxxr, ch. 2:
«Amnis Olachas in Bithynia, Briazum alluit (hoc et templo et deo nomen)...…. » Cer-
tainement Briazus n'est point le nom d'un dieu.
(2) Antig. rom., liv. IT, ch. xur.
(3) Dius et Ménandre, dans Josèphe, Antig. jud., liv. VII, ch. v, $ 3.
666 ESSAIS DE RESTITUTION ET, D'INTERPRÉTATION
ailleurs qu’à Tyr, et que, dans Scylax, iepè As signifie lieu con.
sacré au culte de Baal. ”
Puis vient le mot Âp«do, qu'on est surpris de trouver à celte
place. L'ile par laquelle Scylax a commencé la description de la
Phénicie s'appelait Arados, et contenait une villetdu même nom;
mais dans aucun autre géographe on ne trouve, près du mont
Carmel, une ville ainsi appelée. Pour ce motif, faut-il donc sup-
primer Apadog mél Sudoviuv? Si, au contraire, la phrase est main-
tenue, quel était le nom connu de la ville que Scylax appelle
Arados ? ee”
Supprimer la phrase, c'est éluder la dificuhé, Ce n’est pas la
résoudre; je suis donc d’avis dela maintenir, tout en avouant
qu'ancun autre auteur ancien n’a jamais dit d’une manière pré-
cise qu’une ville d’Arados füt située sur celte plage. ÿ
Gronovius a proposé de lire Gadaris ou Gadara ; mais cette ville
n’était pas baignée par la mer ; elle était située Join du Carmel,
au S. E. de Joppé. Arados dont il est ici question n’était donc pas
Gadaris ; elle n’était pas et ne pouvait pas être le monttAngaris,
comme d’autres l’ont pensé; il s’agit d'une ville près du Carmel,
et non d’une montagne près de Gaza. Mais avant de chercher,
dans l'analogie plus ou moins éloignée des sons, le nom dont
Arados pourrait être l’altération, une question se présente et doit
être examinée : n'est-il pas possible qu’au temps de Scylax la ville
des Sidoniens, dont nous parlons, ait porté le nom d’Arados ?
Le silence absolu de tous les géographes et de tous les autres
écrivains de l'antiquité paraît rendre la chose peu vraisemblable;
cependant elle n’est pas impossible ; elle est même fort probable;
je vais le montrer.
Arad est un nom que l’on retrouve fréquemment dans la géo-
graphie ancienne; ainsi était appelée une, ville située à 20 milles
de Hébron, dans la partie méridionale de la tribu de Juda (4):
(1) Nombres, xx. — Josué, xu, 14. — Hered (Vulgate), Apa3 ou Apéd (Septante),
Arath (saint Jérôme), Agau& (Eusèbe).
+ D'UN PASSAGELDE SCYEAX. 667
Dans cette même contrée, l'Écriture sainte fait mention du mont
Carmel avec une ville dérmême nom (1), d'Achzib, de Gabaa (7:
or, tou non$ sewélrouvent sur les côtes dé Phénicie, et les
lieux qu'ils désignent étaient sitüés à des distances peu considé-
rables les unes des autres. Scylax y ajoute Arad, et le fait que je
viens d’énoncer donne à NO un degré de probabilité
qu’on ne sauräit méconnaître; car ce ne peut être par hasard
que Lous ces noms detlieux se trouvent deux fois groupés dans
Ja même région; j'y vois la preuve que la tribu chananéenne
des Aradien$, chassée du midi de la terre de Chanaan, séjourna
quelque temps dans les environs du golfe d'Ace, avant d’émi-
grer de Dig se diriger vers le nord, où elle occupa l’île
d'Aratos (3). L
Pendant bien des siècles, l'histoire sé tait sur la ville des Sido-
niens que Scylax appelle Arados; elle a cela de commun avec tant
autres villes qui ont existé, et qui, pendant longtemps, sont
restées inconnues jusqu à ce qu'un événement fortuit ait attiré
sur elles l’attention de l'histoire; de ce silence néanmoins il ne me
semble pas résulter l'impossibilité d’assigner une place à Arados,
et de dire sous quels noms elle a été connue des historiens et des
géographes. ;
J'ai déjà parlé d’une ville située au pied du mont Carmel; cette
ville est nommée Jebba dans Pline (4); ré6x, Gaba dans Josèphe (5);
rH, Khaïpha dans la plupart des écrivains hébreux (6); Hoë,
(A) Rois, Liv. xxvr, 2 et 15; xxvu, 3; xxx, 5.
(2) Josué, xv, 44. De l'hébreu Achzib, les Syriens ont fait Acdibba, et les Grecs
Ecdippa.
(3) Dans le mot Arad se trouve l'idée de fuite, d'émigration.
(4) Pline, V, 17.— Dans les manuscrits, on lit : Jeba, Geba, Gebbe, Jebba. Une
ville de la Décapole se nommait aussi Gabe, Gaba, Gabba et Gabala.
(5) Josèphe, Guerre des Juifs, liv. IL, ch. x1x, et liv. III, ch. ir. Josèphe nomme
aussi cette ville Téuælo.
(6) On à souvent traduit ce nom par Hépha ou Képha. (Reland, Palæstina, p. 699
et 819.)
>
: D
668 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Hèpha dans Eusèbe (1); Niphas dans Benjamin de Tudèle (2);
ä&, Haïfa, dans Édrisi (3) et dans Boha-Eddyn (4); son nom
moderne est Haïfa, que l’on écrit quelquéfois Kaïfa. |. “ee
le même nom avec des altérations faciles à expliquer et à com-
prendre.
Je pense donc que, dans des tips reculés, la ville aujourd’hui
appelée Haïfa a porté le nom d’Arad, en souvenird’une autre ville
dont les habitants, chassés de cette premièfe demeure, l’avaient
fondée ou simplement occupée; qu’à une époque et par des motifs
qu’on ignore, elle a pris le nom de Gaba, qui étâit aussi celui
d’une autre localité voisine de la première ville d’Arad; qu’au
temps de Scylax le changement de nom n'avait pas encore eu lieu;
que, par conséquent, il y a identité entre pe du gédéraphe
grec et Gaba de l'historien Josèphe. | .
J'arrive à cette conclusion, non pas d’après l’analogie des noms,
elle n’existe pas le moins du monde; mais en ayant égard au rl
que cette ville a joué, particulièrement dans les temps anciens.
Gaba était une ville importante ; sa population s’accrut au temps
d'Hérode par des colonies de cavaliers qu'y envoya: ce prince,
et c’est pour cela que Josèphe la désigne sous le nom de ville des
cavaliers (ré irréov); elle occupait l’extrémité méridionale du
golfe où se jetait le Bélus, et dans lequel les Sidoniens venaient
faire provision de ce sable fin qui leur servait à fabriquer le verre.
Leurs navires trouvaient toujours un refuge et une protection
dans le port de Gaba qui était excellent, et qui, encore aujourd’hui,
est un des meilleurs de cette côte (5). Dans ces parages, Gaba
(1) Eusèbe, Onomasticon, au mot opte.
(2) Le passage de Benjamin de Tudèle est fort corrompu; au mot Miphas Reland
substitue le mot Caïphas; Ascher dit Khaïpha.
(3) Hipha, suivant Reland, et Kaïfa, selon M. Jaubert.
(4) Schultens, Vie de Saladin, Index : Fuvius Haïpha.
(8) Robinson, Palæstina : Khaïpha, bon mouillage.
Mgr Mislin, t. IL, ch. xviu, p. 41, dit aussi : « La rade de Caïpha est plus sûre que
toutes celles de la côte de Syrie.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 669
(Arados) était l’entrepôt du commerce des Sidoniens, comme
Acé était celui des Tyriens.
J'ai dit mes motifs, tous empruntés à l’histoire ; je n'en ai pas
d’autres. Une objection peut être faite; je dois la prévenir. Scylax
procède toujours du nord au sud, et en suivant exactement la côte,
on trouve Haïfa avant d'arriver au mont Carmel; il y aurait donc
lieu de faire un changement dans le texte et de placer Apados avant
Képunhos ; mais Scylax décrit un périple, et en quittant Ace et en navi-
guant vers le sud, on aperçoit le mont Carmel, longtemps avant de
se douter qu'au pied de la montagne, il existe une ville. Cette circon-
stance, je n’en doute pas, explique l’interversion des deux phrases.
Vossius a proposé de terminer la troisième ligne par Svxayivoy
rôle, « la ville de Sycaminôn (des Sycomores) (1) ». Par sa position,
cette ville, dont tous les géographes ont parlé, convenait parfaite-
ment pour remplir la nouvelle lacune du texte; cependant Vossius
s’est trompé, et ce n’est pas Sycaminôn qui entrait dans l’énumé-
ration des villes phéniciennes. L’examen attentif du manuscrit
montre que le nom de la ville que nous voulons retrouver ne
commencait pas par un >. En effet, on remarque un trait qui était
la partie supérieure d’un K ; et, pour apporter plus de précision,
je ferai remarquer que ce K avait la forme peu usitée de celui qui
commence le mot Koïknç, à la septième ligne.
D’après cela, le nom qui manque devait être Kgoxdeilwv rôke,
« la ville des Crocodiles ». C'était une localité bien peu importante,
qui, à la vérité, est nommée dans Strabon et dans Pline, mais qui
n’a jamais joué aucun rôle dans l’histoire (2). Berghaus la place
à l'embouchure du Chorseus (nahr-al-Koradj); il a tort, je crois.
La ville des Crocodiles était située sur un cours d’eau appelé aussi
rivière des Crocodiles (nahr-Zerka), à peu de distance et au nord
de Césarée.
Sur la rive gauche de cette rivière, près de son embouchure,
(1) C'est encore Vossius qui a rempli les lacunes des 4° et 5° lignes.
(2) Crocodilopolis était peut-être une colonie égyptienne. (Ritter, XVE, p. 644.)
vil. 85
670 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
Mgr Mislin a vu un tertre et des débris qu'il pense, avec raison,
être les ruines fort modestes de la petite ville des Crocodiles (4).
Depuis le mont Carmel ou plutôt depuis Doros jusqu’à Joppé,
la côte n’offrait -aucun port de refuge. Pour leur commerce et
pour les besoins de la navigation, les Fyriens avaient probable-
ment créé une stalion maritime qui était devenue la ville des
Crocodiles; du temps de Strabon, cette station, moins florissante
qu’autrefois, était encore une petite ville; du temps de Pline, elle
avait cessé d’exister. C’est que, dans l’intervalle de soixante ans,
il s'était passé un fait important : Hérode avait fondé ou plutôt
rebâti, agrandi et embelli le Hieu appelé Tour de Straton, auquel
il avait donné le nom de Césarée (2). Sur cette partie de la côte,
la nouvelle viile était devenue le rendez-vous de la marine et le
centre du commerce. Sa prospérité s'était accrue aux dépens de
quelques autres localités moins favorisées on même délaissées.
Qu’on joigne à cela des guerres perpétuelles, et lon comprendra
comment plusieurs villes perdirent toute importance, ou dispa-
rurent complétement.
Quand même le manuscrit ne préserterait pas un moyen maté-
riel de reconnaître que Kpoxodethoy ré était le nom de la ville qui
manque dans le texte, cette circonstance qu'elle était située sur
une rivière, comme lindique la phrase de Scylax, devrait lever
tous les doutes, puisque seule de toutes les villes maritimes, sur
cette côte, elle avait cet avantage.
Enfin, que dirai-je? Malgré son obscurité, on ne peut hésiter à
croire qu’il s’agisse ici de la ville des Crocodiles et de la rivière
qui la baïgnait, lorsqu'on lit dans Pline : « Fuit oppidum Croco-
» dilon, est (ou et) flumen; » ajoutez Tyriorum, et vous aurez la
traduction littérale et complète de la phrase de Scylax (3).
(4) Tome I, ch. xvur, p. 94,
(2) Josèphe, Guerre des Juifs, 1, 46.
(3) Pline, V, 49. — Est se trouve dans tous les manuscrits, à l'exception d'un seul
où et a été préféré, -
s
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 671
En acceptant cette lecon, il devient nécessaire de déplacer les
mots Aüpos mél Eudoviuwy, « Doros, ville des Sidoniens », et de les
mettre avant Kpoxodeilwv ré, afin de suivre exactement l’ordre
adopté par le géographe. Il ne peut exister aucune difficulté sur
Doros; c’est Dorôn ou Dorum de Pline, AGpz de Ptolémée, Thora
de la Table de Peutinger; d’où lon a fait Tantourab, qui est son
nom moderne (1).
Ainsi que Doros, Joppé et Ascalon n’offrent aucune difficulté ;
j'ai dit ce qu’à mon sens il faut entendre par Bacikeuw, que l'on
rencontre ici pour la troisième fois.
Le mot évrailx, « là », peut également dépendre de la phrase qui
précède ou appartenir à la phrase qui suit. Je préfère Le réunir à
Bacikeux, et ces deux mots signiferont que la ville d’Ascalon était
le siége de l’autorité des Tyriens sur cette partie de la Phénicie.
Dans le manuscrit, Scylax termine la description de la Syrie et
de la Phénicie par le chiffre #Ÿ' (1700), indiquant le nombre de
stades qui séparait Ascalon d'un lieu dont le nom a disparu dans
la partie lacérée de la page 93. Fabricius et après lui M. Müller,
ont pensé, avec beaucoup de raison, qu'il fallait lire f4' (2700).
Effectivement, entre le fleuve Thapsaque, limite septentrionale de
la Syrie, et Ascalon, dernière ville de cette contrée du côté de
l'Arabie, on comptait 2700 stades. Ce chiffre indiquait donc
l'étendue des côtes de la Syrie, qu'ici le géographe appelle Cœlé-
Syrie, parce que tel était le nom de la partie de la Syrie qui, dans
toute sa longueur, bornait la Phénicie à l’est.
Arrivé au terme de la tâche que je m'étais imposée, je résumerai
tout mon travail en donnant le texte de Scylax tel qu’il était (du
moins je le crois) avant d’avoir subi les altérations des copisles.
(1) Aôpos mél Bouwixne. Meta 0 mélat Aüpos, vüv de Aüpa xwhetrote (Étienne de
Byzance.) — « Mirata ruinas Dor urbis quondam potentissimæ. » (Saint Jérôme, Epith.
de Paule, IV, p. 673.) À Doros on‘péchait le coquillage pourpre. Doros est probable-
ment la ville que Strabon appelle Bouxohwy moe.
672 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION «
ZYPIA KAI ŒOINIKH.
Ecru per Kuuxiav vos Züpou. Ev Ô rfi Supix oixoDor
Tù mapa Odharrav Pouvixes Élvos, ri orevov ÉAurrov
À ÊTi TeTTaodxovra orudous dd faXdrrnc, Eva
dE oùdè Emi oradious 1 rù mhéroc. Amd Oubéxou Torapod
etot Oë modes Pouvixwy" Apadoc vAGos xat AULV,
Bactlerx Tupiwv, 6c0v un! cTadux dd TAc yis°
Xal y TA Jebboyvicw, TÜS Toirokis"
durn Ecriv À pddou zut TÜpou, xai Ed vos" év
T& dr Tpeïç RME 20 mepiéohov
ëxdorn (1) où vetyous Vduov Eyeu” xai Oeod
TPÜGHTOY ÉHPWTAEUOV, za An v BocTpivG,
Bnpurdç md Hat Auhy, lopquoéwy
TOM, Eddy TOME ko Auhy
HAELGTOS, Opvilwv rédic doyiwy" Tupioy rôMs
Zdpa, eira an md TÜpos, Muuéva Éyouou Evrdc
Telyovç" dur dE à voos Pacikeux Tupioy, Où GTÉYEL orédux d!
amd TÂc Vic.
élu Tüpos rôMS, mai morapès du énç pet, Lai TOM Tupioy ÉoTt
XAi TOTAULOG* HA Âun rdc Lo œà rôle Tupiov: Képpndoc
Gpoç ak iep0v Auds Apadoc mé Eudoviov, AGpos TOM EudoviV,
Kpox0d etlwv md Hal rorauèc Tuplov, Iômrn tés,
éxrebñvai ouoiv érable rhv ÂvOpouéday r& wire
Acxdlov éd Tupioy Hal Baciheux evradta. Opos éort Koïdnç
Svpiac. Tapérhoue Koiknç Evoixs dmd Oudéxou Torauod uéyo
Âcxd\wvog orddix Bl/,
Syrie et Phénicie.
» Après la Cilicie vient le pays des Syriens. En Syrie, les Phéniciens occupent
sur les côtes de la mer une étroite bande de terre qui atteint à peine 40 stades
de largeur; quelquefois la largeur n’est pas même de 10 stades. A partir du
fleuve Thapsaque, les villes des Phéniciens sont : Arados, île et port, chef-
(1) éxaorn au lieu de txdarn; leçon proposée par Huet, et que je crois la meilleure.
D'UN PASSAGE DE SCYLAX. 673
lieu de gouvernement des Tyriens, à environ 48 stades du continent. Puis,
dans une presqu'’ile, la ville de Tripolis composée de villes fondées par Arados,
Tyr et Sidon; ce sont trois villes dans un seul lieu, et chacune d'elles a une
enceinte qui lui est propre. Ensuite le promontoire Face de Dieu, le port Bos-
trinien, la ville de Béryte qui a un port, la ville de Porphyréôn, la ville de
Sidon qui a un port fermé, la ville des Oiseaux qui dépend des Sidoniens; la ville
des Tyriens Sara, ensuite appelée autrement la ville de Tyr, ayant un port
dans l'intérieur des murs; cette ville, siége de la puissance des Tyriens, est
située dans une île, et sa distance du continent est de 4 stades.
» On retrouve sur le continent la ville de Tyr et un ruisseau qui la traverse ;
la ville et le ruisseau font partie de Tyr. Ensuite la ville d’Acé, à peu près à
l'extrémité du pays des Tyriens ; le mont Carmel et le lieu consacré au culte
de Baal; Arados, ville des Sidoniens; Doros, également ville des Sidoniens;
la ville des Crocodiles et une rivière, qui dépendent des Tyriens; la ville de
Joppé, où l’on dit qu'Andromède fut exposée à un monstre marin; Ascalon,
ville sous l’autorité des Tyriens et chef-lieu de gouvernement dans ces parages.
Elle est la dernière ville de la Cœlé-Syrie. Le trajet par mer de la Cœlé-Syrie
depuis le fleuve Thapsaque jusqu’à Ascalon est de 2700 stades. »
Si l’on compare le texte que je propose avec le texte adopté par
M. Müller, on y trouvera de notables changements.
Une seule ville de Tripolis et une seule ville de Tyr sont con-
servées; Triérès, Sarepta, Palætyr, Ecdippa disparaissent; Bo-
rinos devient Botrus; la ville des Crocodiles remplit une lacune (1);
la distance de l’île d’Arados et celle de Tyr au continent sont indi-
quées ou rectifiées ; le mont Théoprosopon n’est-plus qu’un pro-
montoire; le mot Bacikew, qu'on trouve trois fois répété, est
expliqué; enfin, une interpolation évidente est entièrement sup-
primée.
Dans l’examen de chaque phrase, de chaque mot, jai d’abord
cherché si le texte, tel qu’on le lit dans le manuscrit, pouvait être
maintenu ; et le plus souvent j'ai reconnu que les commentateurs
s'étaient trop hâtés de le modifier d’une manière arbitraire et peu
(4) Au lieu de Sycaminôn, adopté par M, Miller.
674 ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
réfléchie. Dans les modifications que moi-même j'ai jugées indis-
pensables, je me suis, avant toutes choses, laissé guider par cette
considération qu’on doit supposer exacts les renseignements pri-
mitivement fournis par Scylax ; et que, par conséquent, rien de ce
qui est faux et, à plus forte raison, rien de ce qui choque le bon
sens, ne doit être admis.
Après toute discussion, j'ai formulé mon avis, commeil convient
toujours de le faire; je ne sais pas me réduire au rôle de simple
rapporteur,
Sur la plupart des opinions nouvelles émises dans ce travail, il
ne me reste aucun doute; sur quelques-unes seulement ma con-
viction est moins ferme ; et, tout en faisant connaître mon avis,
je n’ai pas dissimulé que l’hésitation me paraissait encore possible.
Je me plais à nourrir l'espérance qu'après moi, un autre plus heu-
reux que moi viendra porter la lumière partout où il m’a seule-
ment été donné de soulever le voile qui cachait la vérité.
675
SCYLAX.
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APPENDICE.
Je crois utile de joindre à ces Essais une carte dressée d’après
le texte restauré de Scylax, et de l'accompagner de quelques éclair-
cissements sur l’étendue attribuée à la Syrie et à la Phénicie par
l’auteur du périple, en comparant son opinion avec celles des
géographes et autres écrivains anciens (1).
D’après Xénophon, Strabon, Pomponius Méla, Pline, Ptolémée
et Denys le Périégète, les Pyles amaniques formaient les limites
de la Cilicie et de la Syrie ; selon Hérodote, l'Oronte séparait ces
deux contrées ; Scylax a adopté cette dernière opinion.
Au sud, Pomponius Méla, Pline et Denys le Périégète étendent
la Syrie jusqu’à l'Arabie pétrée qui la séparait de l'Égypte. Ostra-
cine, d’après Pline, était la ville d'Arabie la plus voisine de la
Syrie; elle était située entre le mont Casius et Rhinocorura, à
65 000 pas de Péluse; on en voit encore quelques ruines près du
cap Strati.
(4) Xénophon, Expédit. de Cyrus, liv. I, ch. 1v, $ 4. — Strabon, liv. XVI, p. 749-
760. — Pomponius Méla, liv. I, ch. xr et x. — Pline, liv. V, 42-48. — Denys le
Périégète, vers 877-925. — Hérodote, liv. II, 894; liv. VII, $ 89. — Ptolémée,
liv. V, ch. xv. — Scylax, $ 404, 106. — Procope, De Bello vand., II, x, p. 449. —
Eustathe, Comment. de Denys le Périégète, vers 905. — Polybe, liv. V, $ 59.
APPENDICE. 677
Scylax dit avec beaucoup de précision que les frontières de la
Syrie étaient placées à 1300 stades de Péluse, et que tout le pays
compris entre cette ville et la Syrie était occupé par les Arabes.
Les 1300 stades désignent Ascalon pour dernière ville de la Syrie.
Pline, comme on vient de le voir, diminue beaucoup la largeur
de l'Arabie du côté de la mer Méditerranée; Strabon fait plus
encore, il enlève aux Arabes le pays baigné par la mer au sud de
la Syrie, et l’attribue aux Égyptiens; et c’est ainsi qu'il peut dire
que Ja Syrie s'étend au delà de Rhinocorura jusqu'à l'Arabie et à
l'Égypte.
Toute la Syrie, suivant Strabon, était partagée entre les Syriens
proprement dits, les Cœlé-Syriens et les Phéniciens; et parmi eux
vivaient les Juifs, les Iduméens, les Gazéens et les Azotiens.
Pline, prenant pour guide Pomponius Méla, fait une énuméra-
tion détaillée des provinces de la Syrie, parmi lesquelles il nomme
la Palestine, la Judée, la Cœlé-Syrie et la Phénicie. Ici, on le com-
prend, la Palestine qui se Lrouve mentionnée en même temps que
la Judée, est le pays des Palestins ou Philistins, qu'Hérodote
appelle la Syrie de Palestine ; c’est la contrée habitée par les Ga-
zéens et les Azotiens de Strabon.
Le nom de Cœlé-Syrie ou Syrie-Creuse avait d’abord été donné
à l'immense vallée comprise entre le Liban et l’Anti-Liban; puis,
par extension, d’autres provinces, dont quelques-unes étaient fort
éloignées, ont été considérées comme faisant partie de la Cœlé-
Syrie.
Pline comprend sous cette dénomination toutes les provinces
depuis Apamée jusqu’à l'Euphrate; Ptolémée les en exclut et
étend la Cœlé-Syrie vers le sud jusqu'à la Décapole, au delà du
lac de Génézareth; enfin Strabon veut que toute la Syrie entre le
fleuve Éleuthéros au nord, l'Arabie et l'Égypte au sud, ait été
appelée Cœlé-Syrie.
S'il fallait en croire Denys le Périégète, ce nom aurait d'abord
été donné, non pas à la vallée entre le Liban et l'Anti-Liban, mais
VIT: 86
678 APPENDICE.
au pays plus étendu situé entre le mont Casius et le mont 1avan.
De cette grande divergence d’opinion, il résulte évidemment qu’à
diverses époques, le nom de Cœlé-Syrie a été donné à des contrées
fort différentes, et qu’à l’exception de la Judée et des pays voisins
du Jourdain, toute la Syrie a successivement porté ce nom.
La Phénicie occupait une lisière étroite sur les côtes de la Mé-
diterranée. Polyhbe et Denys le Périégète lui assignent pour limites
septentrionales le fleuve Oronte; Strabon et Ptolémée le fleuve
Éleuthéros ; Pline l’île d'Arados. Scylax commence la description
de la Phénicie par l’île d’Arados, d’où l’on peut inférer que l'opi-
nion émise par Pline avait été celle de Scylax.
Strabon porte les limites méridionales de la Phénicie jusqu’à
Rhinocorura; cependant les Juifs avaient possédé les villes de la
côte depuis le mont Carmel jusqu’à Jamnia.
Suivant Pline et Ptolémée, la Phénicie était bornée au sud par
la Palestine (pays des anciens Philistins), dont la première ville
était la Tour de Straton, et qui s’étendait jusqu’au lac Sirbon.
Selon Pomponius Méla, ce n’était pas la Tour de Straton, c'était
Joppe qui était la ville la plus septentrionale de la Palestine.
Procope assigne pour limites à la Phénicie, au nord, Sidon; au
sud, les frontières de l'Égypte; et, suivant Eustathe, la Phénicie
s’étendait d’Orthosia à Péluse.
Quoique Pomponius Méla et Pline fassent mention de la Pales-
tine comme d’un pays distinct de la Phénicie, il est certain que,
depuis la captivité de Babylone, le nom des Philistins ne se re-
trouve plus dans l'histoire;-et les villes maritimes de la contrée
où ils avaient joué un si grand rôle dans leurs rapports avec les
Hébreux, furent regardées comme phéniciennes. C’est ce que
disent les auteurs que J'ai déjà mentionnés, excepté Pomponius
Méla et Pline; c’est aussi le sentiment de Scylax, qui nomme
Ascalon comme appartenant à la Phénicie, dont elle était, suivant
lui, la dernière ville du côté de l'Arabie.
Comme Strabon, Pomponius Méla et Pline, maïs avant eux,
APPENDICE. 679
Scylax dit positivement que la Phénicie était comprise dans la
Syrie; suivant Strabon, les villes maritimes depuis l'Oronte jus-
qu'a l'Éleuthéros, dépendaient de la Séleucide (partie de la Syrie) ;
Pline attribue également à la Syrie toutes les villes depuis l’Oronte
jusqu’à l'Éleuthéros, excepté Laodicée, qui était libre; quoique
Scylax ne le dise pas, il est évident que, dansle paragraphe n°104,
qui a pour titre : Syrie el Phénicie, faisant l'énumération des villes
phéniciennes, et ne nommant aucune des localités situées entre
l'Oronte et l’île d’Arados, il regardait comme appartenant à la
Syrie tout le pays dont il ne parle pas.
Pour Scylax, la partie de la Syrie qui bornaït ainsi la Phénicie
au nord, c'était la Cœlé-Syrie; c’était également la Cœlé-Syrie qui
resserrait la Phénicie dans toute son étendue vers l’est.
La Phénicie se trouvait donc enclavée dans la Cœlé-Syrie, dont
elle était une dépendance géographique. Dès lors on comprend
comment Scylax, arrivé à la fin de sa description des villes des
Phéniciens, et donnant la longueur du périple de toute la côte
depuis le fleuve Thapsaque jusqu’à Ascalon, au lieu de se servir
du mot : Phénicie, dit : Caœlé-Syrie; ce qui doit paraître une
erreur quand on ne se rend pas bien compte des rapports de la
Cælé-Syrie et de la Phénicie.
Je l'ai montré; ainsi que pour la Cœlé-Syrie, les opinions sur
l'étendue de la Phénicie sont fort divergentes. C’est donc une
grande erreur de dire d'un ton magistral, ce qu’on peut lire par-
tout : « la Phénicie commence ici et finit là. »
Comme il est arrivé à tous les pays du monde, les limites de la
Phénicie ne sont pas restées constamment les mêmes. Il faut ton-
jours distinguer les temps lorsqu'on en parle. Même en dehors des
limites indiquées par les géographes, il existait des villes fondées
ou occupées par les lhéniciens; de sorte qu’on peut dire avec
vérité que, du golfe d’issus aux frontières de l'Égypte, presque
toutes les villes importantes situées sur la côte étaient phéni-
ciennes : mais, à différentes époques, quelques-unes d’entre elles
680 APPENDICE.
ont fait partie de la Cilicie ou de la Syrie, ou bien encore elles ont
appartenu soit aux Philistins, soit aux Hébreux. C’est un des
principaux motifs pour lesquels les listes données par les divers
auteurs anciens ne portent pas toujours les mêmes noms.
Pour plusieurs auteurs modernes, une cause de graves erreurs
est celle-ci : sous Pempereur Théodose, la Phénicie, accrue d’une
partic de la Syrie, fut partagée en deux provinces : la Phénicie
maritime, métropole T'yr, et la Phénicie du Liban, métropole
Damas. Cette dernière province n'était phénicienne que de nom;
il est nécessaire de se rappeler cette division pour comprendre
Étienne de Byzance, qui désigne comme villes de Phénicie Hélio-
polis, Emèse et bien d’autres, qui certainement étient villes
syriennes,
Résumons les renseignements fournis par Scylax ; nous trouve-
rons ce qui suit :
La Phénicie occupe, sur le bord de la mer, une bande de terre
dont la largeur varie entre 1 kilomètre 850 mètres et 7 kilomètres
L00 mètres. Elle est comprise dans la Cœlé-Syrie, qui elle-même
fait partie de la Syrie; elle commence à l’île d’Arados et finit à
la ville d’Ascalon. Cette ville sert également de limite à la Cœlé-
Syric et à la Syrie; au sud d’Ascalon, est l’Arabie. La Syrie et la
Cœlé-Syrie sont bornées au nord par le fleuve Thapsaque qui les
sépare de la Cilicie; les villes maritimes situées entre le fleuve
Thapsaque et l'ile d’Arados ne font pas partie de la Phénicie ; elles
dépendent de la Cœlé-Syrie.
Les lieux mentionnés dans le Périple sont écrits, sur la carte, en caractères romains,
les noms modernes sont en ilaliques ; pour lesnoms dont il est question dans la discus-
sion, mais qui ne se trouvent pas dans Scylax, on s’est servi d'un caractère MAIGRE.
FIN,
TABLE DES MATIÈRES
GRAMMAIRE ET DICTIONNAIRE DE LA LANGUE BERBÈRE
COMPOSÉS PAR FEU VENTURE DE PARADIS
ET REVUS PAR P. AMÉDÉE JAUBERT
Avertissement de M. Amédée Jaubert. . ,. . .. ....,. ..........
Notice biographique sur Venture de Paradis, par M. Jomard. . . . . . . . ..
Préfacerderlau feutre Tente AP AECr ANNE ER RER BRENT je
Grammaire berbère 222720 AU AUS AN RE MEME AT LE RQ :
Conjugaisons, p. 3.— Des lettres, p. 10.— De la déclinaison, p. 14. — Ma-
nière de compter en berbère, p. 44.
Dictronnate)HéTbEre er SARA ARE UNE INR, UE eq NAT
Explication des signes, p. 48. — Index alphabétique des mots berbères et ara-
bico-berbères contenus dans le dictionnaire de Venture, par Amédée Jaubert,
p. 185.
Itinéraire de l'Afrique septentrionale, avec des notions sur l'Atlas et le Sahara, par
Menture/de Paradis SE ALT RME R OMR 200 SE QE
I. Route de Tafilet à Tounbouctou, p. 247. — II. Route de Tounbouctou au Sé-
négal, par le Sahara, p.227. — Route de Tounbouctou à Ouad-Noun, p. 229.
— IV: Route de Ouad-Noun à Aghadir, ou Sainte-Croix, p. 230. — V. Route
d'Aghadir à Moghador, p.232. — VI. Route de Moghador à Assañi, p. 232.
— VII, Route d'Assefñ à Salé et Ribath, p. 233. — VIII. Route de Salé et
Ribath à Fès, p. 23$.— IX. Route de Maroc à Telmesan, p. 235.
MÉMOIRE
SUR LA PARTIE MÉRIDIONALE DE L'ASIE CENTRALE
PAR M. NICOLAS DE KHANIKOFF
Rôle historique de la partie méridionale de l'Asie centrale. . ...… , .…....,
Raisons géographiques de ce rôle . . ...: ................
17
247
682 TABLE DES MATIÈRES.
CONNAISSANCES DES GÉOGRAPHES DE ch ANTIQUITÉ, DES GÉOGRAPHES ARABES ET DES GÉOGRAPHES DU
MOYEN AGE SUR CETTE PARTIE DE L'ASIE.
La véritable connaissance de-la géographie ancienne de ces contrées ne remonte
guère qu'à 1200" ans, époque de l'établissement de l’islamisme. . . . . . . .
Parallèle sommaire entre les géographes anciens et les géographes "arabes ;
défauts communs à {ous . . . . . . . . . . . . .. ce EE
GÉOGRAPHES ET VOYAGEURS DES XVII° ET XVIIL° SIÈCLES.
Les géographes du xvn° et ceux de la première moitié du xvim° siècle ajoutent peu
à la connaissance précise de ces contrées . . . . . . . . seb lle lTa le
Forster (1783) et son itinéraire de l'Inde en Europe par la Perse, appréciation
des données qu'il nous fournit. . . . . . . . . . .. a tir ct EN LU
J. Rennel (4792) utilise les travaux de Forsler; citation, . . . ... . . . . .
GÉOGRAPHES ET VOYAGEURS DU XIX° SIÈCLE,
Mission militaire du général français Gardanne en Orient. . . . . . . . Ale
Examen résumé du voyage et des renseignements de Dupré (4807-1809),
membre de la commission . . . . . . . . . . …. CSC Mr 11 CL OUCA IIS .
Latitudes de sept points déterminées par Frezel, compagnon de route de Dupré .
Examen résumé du voyage et des renseignements du capitaine du génie fran-
çais, Truilhier, membre de la mission. . . . . . ,. .. . . . .. . PRET
Exsplorations anglaises. Pottinger et Christie (1809). . . . . . . . . ds:
Différence entre la longueur du « Farçakh » (mesure itinéraire) au nord et au sud
dela Perse{(note) eee. mec a Me Ce MIRE ee =
Poëme de Moore (Lallah-Rokh). Roman de Morier (Hadji-Baba). Histoire de la
Perse, de Malcolm. . . ... . . . . . . . . . .. DT EN
Le Mémoire gécgraphique sur l'empire persan, par Mac-Donald Kinneir (i 813).
Appréciation du voyage de Fraser dans le Khorahsem (4821) . .. : . . . . .
Eongitudes de Damgham et de Nichapour, par Fraser. . . . . . . . . _. ..
Appréciation du voyage d'Arthur Conolly (1829). : . . . . . . . . . . . ..
Appréciation du voyage de Burnes (1834). . . . . . . . . Hd OTÉRONRRE sie
Mission et déterminations astronomiques du capitaine russe Lemm (1838) . . .
Hauteur du Demavend d'après Lemm . .. . .. . . . . . . . . . . . . ..
Résumé critique de la «description de l'Asie centrale» de Carl Ritter (1838),
en ce qui touche à la partie méridionale de cette région. . . . . . . . . . .
Résumé critique de « l'Asie centrale » de Humboldt (4841). . . . . . . . ..
Renseignements dus aux événements politiques contemporains des ouvrages ci-
dessus; mission anglaise de Todt, travaux du major Hough. . . . . . . . .
Le voyage d’Abbott (1849-1850). . . .: . . . .. FOSSES TE EME
TABLE DES MATIÈRES. 683
Loivoyage debEprrier. 00 2 SC COUOMt EU 4 RNCS 02
On doit aux voyageurs français les premières notions sur les limites sodetitales
et septentrionales du sud de l'Asie centrale. . . . . .. ni A LA 3 detA 304
Ce sont les voyageurs anglais qui ont fourni les premières notions utiles sur les
limites de ces régions à l'est et au sud. . . .. . . . .... ...... . 304
Lemm est le premier qui ait fourni des bases solides à nos cartes de la Perse
Oriental ERA ET NAT EN ONE ISRAEL JE CHAOS LE CII (OR EAST 304
EXAMEN RAPIDE DES CARTES DIVERSES DE LA RÉGION DONT TRAITE LE MÉMOIRE DE M. DE KHANIKOFF.
Carte de Lapie, p. 2514 ; — d’Arrowsmith, p. 276 ; — de Humboldt, p. 292;
— de Zimmermann (pour accompagner l'ouvrage de C. Ritter). . . . . . . . 305
MISSION RUSSE DIRIGÉE PAR N. DE KHANIKOFF,
Personnel de la mission, p. 305. — De la mer Caspienne à Astrabad, p. 307. — Paral-
lèle entre les contrées au nord et les contrées au sud de la mer Caspienne, p. 307. —
D’Astrabad à Téhéran, p. 308-314. — Altitudes des trois cols de la chaîne de monta-
gnes qui sépare la mer Caspienne du Khorassan, p. 308-309.—Damghan, p. 309.—
Ville de Semnan et village de Lazghird, p. 312. — Le dialecte de ces deux localités
diffère du persan moderne, p. 312. — Exemple de mots en ce dialecte et en persan,
p. 313.— Bastam, p. 315. — Caravane qui accompagne la mission au commence-
ment de son voyage, p. 346.— Miandecht et son passé, p. 318. — Colonie de Géor-
giens transportés à Abbas-Abad comme gardes-frontière et particularités à ce sujet,
p. 319.— Mezinan et son passé, p. 322. — Production de la soie en Perse, p. 323.
— Sebzévar, p. 324. — Inscription de Zafrani, p. 324.— Colonie de Beloudjis
transportées dans le Khorassan, p. 326.— Mines de turquoises de Maadan, p. 327.
— Mines de sel gemme, p. 329.— Détails sur Nichapour, p. 330.—Description som-
maire de Méched, p. 333.— Bibliothèque de l'iman Riza, p. 336.— Résumé du con-
tenu de cette bibliothèque, p. 337.— Trombes ascendantes de poussière fréquentes
entre les ruines de Méched et celles de Touss, p. 345. — Anes sauvages, p. 347. —
Nomades originaires des environs de Boukhara transportés aux environs d'Hérat,
p. 348. — Considérations sur les déplacements administratifs, p. 349. — Tra-
dition intéressante sur le village de Lenguer, p. 350. — Secte des Nakchbendis
p. 351. — Biographie de Tourbeti Cheikhidjam, p. 352. — Observations sur la
rapidité de marche et la charge du chameau bactrien et du dromadaire, p. 357. —
Historique de Æussan, p. 358. — Ghouriun, p. 359. — Hérat, p. 360. — Son
climat, p. 363. — Son commerce, p. 364, — Tribus nomades (Afghans) des Guildjeï,
p-. 366. — Visite aux carrières de marbre de Sirvan, p. 374.— Sources thermales
de Obèh, p. 373. — Noms des tribus de la horde des Tchahar Aimaks, p. 374. —
Les Djemchidis comparés aux Afgbans et aux Beloudjs, p. 376. — Tadjickhs consi-
dérés comme autochtones par les Djemchidis, p. 376.— Kerroukh, p. 376. — Hiver
passé à Hérat, p. 378. — Passage du col Sengui-ssia, p. 380.—Sebzar, p, 381.
684 TABLE DES MATIÈRES.
Roule de Sebzar au lac Hamoun, p. 383-389. — Inondation de la plaine de Kaleï=
nou, p. 388. — Lach, p. 389. — Récit de la mort du docteur Forbes, p. 391. —
Lac Hamoun, p. 392. — Le Scistan, berceau de la nation persane, p. 394. —Ses
habitants, p. 395. — Son histoire, p. 396. — Importance des archives conservées
par quelques familles Keïanides (nobles) du Seistan, p. 399.— Importance de l'étude
des mœurs des Seistanis, p. 399. — Route du lac Hamoun à Nih, p. 400. — Nih;
p. 401. — Moulins à vent et remarque à ce Sujet, p. 401. — « Khabièh» [cleps-
bydre du Chorassan), p. 402. — Sources thermales, puits, p. 403. — Constructions
souterraines de kalebzeri, p. 405. — Indice que le niveau de la rivière Æhousse'a
considérablement baissé depuis un temps reculé, p. 406. — Même observation faite
par Lehmann au sujet du Zerafchan (nord de l'Asie centrale) ; hypothèse à ce sujet,
p. 406. — Plaine ferrugineuse entre Bassirun et Serilchach, p. 407. — Traversée
äu désert de Lout, p. 410-419. — Données thermométriques, hygrométriques et
barométriques sur le Lout, p. 415, — Beloudjs, leur manière d'allaquer les cara+
vanes, leurs mœurs, leur façon de combattre, p, 418. — Opinion d'Istarkhi sur le
« Sahara persan» (le Lout), p. 419. — Khabis, p. 420. — Le dattier y prospère,
p: #21. — « Henneh» renommé, p. 421. — Caractère orographique du pays entre
Khabis et Kirman, p. 421. — Caractères de l'empoisonnement par les feuilles
d'oléandre, p. 422. — Strabon a décrit l'oléandre, p. 422. — Kirman, p. 422. —
Données atmosphériques sur celte ville, p.425. — Histoire de celte ville, tradilions,
p.426. — Le nombre des Guèbres qui abjurant est considérable, p. 429. — Leurs
mœurs, leur langue, p. 429. — Industrie de Kirman, p. 431. — Motifs pour les-
quels le commerce n’y est pas très-actif, p. 432. — Village de Mahan, sa biblio-
thèque, p. 434. — Distance de Sedsz à Kirman et longueur du « farsang », p. 436.
© .— Stations de poste de Kirman à Iedz avec leur éloignement, p. 436. — Histoire de
Kirman, p. 436. — Détails sur les Guëbres, p. 438. — Taft, p. £39. — Légende
à ce sujet, p. 439.
CONSIDÉBATIONS GÉNÉRALES.
Essai de délimitation de ce qu'on appelle « Asie centrale », p. 442, — Limites du
Khorassan chez les géographes arabes, p. #43. — Limites du Khorassan, p. #43.
— Superficie du Khorassan el sa subdivision en terrasses, p. 443. — 1"° terrasse :
désert salé ; 2° terrasse: désert de Lout; 3° lerrasse : le Scistan ; 4° terrasse : pays
entre Khaf, Toun, Pirdjoud, Tezdoun, Herat-Ke, p. 4#3. — Conditions hypsomé-
triques et pente générale de chacune de ces terrasses, p. #43 et 444. — La chaîne
montagneuse qui borne le Khorassan au nord coïncide avec la ligne isotherme de
12 degrés centigrades, p. 445.— Conséquences de cette remarque, anomalie isother-
mique, p. 445. — Influence du Lout sur le climat des régions situées au nord-ouest
de ce désert, p. 446.—Température, hydrologie, barométrie du Khorassan, p. #48.
_— Phénomènes physiques et météorologiques, trombes de poussière, brouillar deec,
nuages de poussière, p. 449, 450, 451. :
TABLE DES MATIÈRES. 685
:RECHERCHES SUR TYR ET PALÆTYR
PAR M. POULAIN DE BOSSAY
CHAPITRE PREMIER.
EXPOSÉ DE LA QUESTION.
Erreur des historiens modernes sur Palætvr et sur l'époque de la fondation de Tyr. —
Source de cette erreur. — Comment elle s'est propagée. . . . . . . . . . . 455
CHAPITRE II.
TOPOGRAPHIE DE TYR.
Tyr dans une Île. — Détroit, sa largeur; chaussée d'Alexandre qui est devenue un
isthme, — Bancs de rochers autour de l’île de Tyr. — Submersion d'une partie de
l'tle. — Bassin méridional environné d’une épaisse muraille. — Étendue de la ville
de Tyr. — Grande digue au sud.— Port intérieur, septentrional ou sinodien. —
Port méridional ou égyptien. — Deux rades. — Rocher de Maschouk, — Fontaines
Raz-al-Aïn.— Aqueducs. — Réservoirs. —— Plaine de Tyr. — Les deux îles Ambro-
siennes. — L'Eurychore. — Canal qui séparait les deux îles. —I1 a été en partie
comblé. — Sa direction indiquée d’après l'étude des auteurs anciens et vérifiée par
des fouilles. — Le port intérieur n’a pas été creusé de main d'homme. — Arsenal
maritime des Tyriens. — Nécropole de Tyr. . . . . . . . . . . . . .. . 459
CHAPITRE III.
FONDATION DE TYR. — PALÆTYR.
Premiers habitants de Tyr d'après Sanchoniathon.— Que faut-il entendre par ces mots :
La sainte Île de Tyr ? — Ancienneté du culte rendu à Hercule dans la ville de Tyr.
Témoignage d'Hérodote, discussion de ce témoignage. — Colonie égyptienne
d'Agénor. — Preuve tirée de Nonnos de Panopolis. — Les deux rochers Ambrosiens
figurés sur les médailles. — Pourquoi la ville de Tyr a-t-elle reçu ce nom? — Époque
de l'arrivée d'Agénor. — Tyr reçoit une colonie de Sidon.— Parenté entre Tyr et
Sidon attestée par les auteurs anciens. — C’est dans l'ile que les Sidoniens viennent
s'établir. — A quelle époque ?— Opinions émises par Josèphe, par Eusèbe et par
divers auteurs modernes.— Homère fait-il mention des Tyriens ?— On confond sou-
vent l'agrandissement avec la fondation d’une ville.—Mon opinion sur la fondation de
Tyr.— Qu'était-ce que Palætyr ? — Elle tient dans l'histoire une place insignifiante.
— Textes extraits de Quinte-Curce, Justin, Josèphe, Diodore de Sicile, Strabon,
Ptolémée, Pline, Scylax, Étienne de Byzance.— Ce que ces textes nous apprennent.
- — Palætyr est-elle plus ancienne que Tyr? — A-t-elle fondé Tyr ? — Où était-elle
vIL 87
…
686 TABLE DES MATIÈRES.
située ? — Opinions diverses et souvent contradictoires de Marsham, Prideaux, Rollin,
Volney, M. Poujoulat, le D’ Ott, Périzonius, Vitringa, Duker, Cellarius, D. Calmet,
Sainte-Croix, Buckingham, Bochart, M. Movers, M. de Bertob, Désvignoles, Reland,
le P. Romain Joly, l'abbé de Fontenu, Whiston, Mannert, Heeren, Hengstenberg.—
Emplacement occupé par Palætyr d'après les géographes modernes. — Ce qu'il faut
entendre par cette appellation : Palætyr..—,Grands et nombreux établissements
créés par les Tyriens dans la plaine de Tyr. — Ils sont en partie détruits par Sal-
manasar, par Nabuchodonosor et principalement par Alexandre. — Strabon et les
auteurs postérieurs à ce géographe désignent, sous le nom de Palætyr les restes
encore agglomérés des vastes dépendances de Tyr sur le continent, — Palætyr n'est
pas une ville plus ancienne que Tyr; elle ne lui a pas donné naissance ; elle n'a
même jamais été une ville distincte de! Tyr:! 12). . . . Ad An EN UEME Vo 198
CHAPITRE IV.
RENSEIGNEMENTS HISTORIQUES SUR TYR DU XI° AU VIII. SIÈCLE AVANT J. C.
Tyr n'a pas d’historien. — Le roi Hiram vaincu par les Israéïites.— Il envoie une am—
bassade à David: — Salomon lui envoie demander desouvriers tyriens. — Réponse de
Hiram. — Elle prouve que Tyr insulaire était la demeure du roi. —Doit-on'accorder
pleine confiance à l'assertion de Josèphe ? -— Examen des lettres extraites d'Eupo-
lème, citées par Eusèbe. — Les anciens auteurs disent rarement que Tyr était dans
une île ; il ne pouvait y avoir de doute pour personne puisqu'il n'existait qu’uneseule
ville de Tyr. — Fondation de Carthage. — Elulée. — Résistance de Tyr contre
Salmanasar.— Tous les détails de cette guerré, rapportés par Josèphe, prouvent que
Tyr était bâtie dans une île. — L'ancienne Tyr est nommée parmi les villes qui se
séparèrent des Tyriens insulaires. — Tyr insulaire n’a donc pas été fondée après la
guerre contre Nabuchodonosor. — Le: texte de’Josèphe: est diversement interprété
et modifié par Marsham, Périzonius, Duker et Desvignoles. — Dans Josèphe, il n'est
pas question de Palælyr ; celte appellation n'existait pas au temps dont parle l'histo=
rien. — Si c'est Nabuchodonosor qui a ruiné Tyr continentale, si c’est après cette
dévastation que la ville ruinée a été appelée vieux Tyr et ensuite Palætyr, Josèphe n’a
pas pu dire que le vieux Tyr se sépara de Tyr du temps de Salmanasar.— Dans le
texte de Josèphe, au lieu de à zala: Topos faut-il lire % Tapalix Tupou ?— Comment
doit être entendu le mot amor. — 11 n'a pas existé de rivalitéentre Tyr et Sidon.
— Étendue du pays des Tyriens. — Le vieux Tyr ou Palætyr ne s'est pas révolté
contre les Tyriens, mais la côte phénicienne en face de Tyr, ainsi que Sidon et Ace,
a été contrainte à reconnaîlre l'autorité du roi d'Assyrie . . . . . . . . . . 543
CHAPITRE V.
SIÉGE DE TYR PAR NABUCIIODONOSOR.
Prophéties d'Isaïe et d'Ézéchiel contre Tyr.— Tous les anciens commentateurs des pro—
TABLE DES MATIÈRES. 687
phètes disent que la ville de Tyr, assiégée par les Babyloniens, était bâtie dans une
île ; ils n’en connaissent pas d'autre. — Motifs sur lesquels se fondent quelques érudits
du xvué siècle pour prétendre que la fondation de Tyr insulaire eut lieu après la
prise d’une ville de Tyr-continentale, — 1° « Ézéchiel dit que Tyr ne sera pas re-
bâtie. » — D'après la prophétie d’Isaïe, elle sera seulement en oubli pendant
soixante et dix aus. — Opinion de saint Jérôme sur l'interprétation des prophètes
— Langage hyperbolique des peuples orientaux. ,— Le mot hébreu Aolam signif
“ un temps fort long. — Les mots toujours et jamais doivent quelquefois être pris
dans un sens assez restreint. — Le texte d'Isaïe n’est point en désaccord avec
celui d'Ézéchiel. — Accomplissement de leurs prophélies. — 2° « Dans l'attaque
* contre Tyr, Ézéchiel parle de cavalérie et de’ CHariots®* ils étaient inutiles pour
prendre une ville insulaire ; il n'est pas question de vaisseaux qui eussent été néces-
“ saires ; les Babyloniens n'ont pas fait de chaussée pour pénétrer dans l'île. » — La
cavalerie et les chariots n'étaient pas inutiles pour combattre les Tyriens établis sur
le continent. — Ce qu’il faut entendre par les filles qui sont dans la plaine. — Inter-
prétation des mots Paras, Lud et Phut. — Saint Jérôme est d'avis que, pour prendre
* Tyr, üne chaussée fut faite par Nabuchodonosor qu'il ne confond pas avec Alexandre.
* — Saint Cyrille partäge cette opinion. =— Au temps d'Alexandre, il existait des ves-
tiges de’la chaussée de Nabuchodonosor. — Les Babyloniens n'avaient pas de vais-
°feaux, cause de la longueur du siége. — 3° « Le mot hébreu que la Vulgate traduit
” par insula, peut également signifier oa maritima. » — Il a encore plusieurs autres
significations. — Mais dans la prophétie d'Isaïe il a le sens d'ile; ce qui est prouvé
par toutes les autres expressions de la prophétie. — Les prophètes donnent la qua-
?Mification d'île à Tyr! ils né la donnent à aucune ville maritime de Phénicie. —— Ces
expressions quæ habilas in mari, in corde maris sila, in‘medio aquarum, prouvent
M'que Tyr élait dans une île. =—Tyr insulaire ést bien la ville dont Ézéchiel vante la
* ‘richesse et la puissance. — Tout ce que disent les prophètes ne peut convenir qu'à
cette ville. : : . . . . . : . . RTS SPAS ES RR I EE PUS ee Ge MEL SE 558
CHAPITRE VI.
SIÉGE DE TYR PAR ALEXANDRE. — RÉSUMÉ ET CONCLUSION.
Liberté rendue aux Tyriens par Cyrus. — Massacre des Tyriens par leurs esclaves ;
_ conte ridicule. — Les Carthaginoïs étaient venus dans la métropole pour offrir des
présents selon leur ancienne coutume. — Comment doivent être expliquées les raille-
ries que les Tyriens adressaient aux Macédoniens qui construisaient la chaussée. —
Conclusion : Il-n'a jamais existé qu'une seule ville de Tyr, celle qui était bâtie dans
une île. — Palætyr n’a point été une ville plus ancienne que Tyr. — C'est le nom
par lequel quelques géographes ont désigné les restes des établissements tyriens sur
le continent. ... . + . .. . . . . PP, ne +. 060
688 TABLE DES MATIÈRES,
ESSAIS DE RESTITUTION ET D'INTERPRÉTATION
D'UN PASSAGE DE SCYLAX
PAR M POULAIN DE BOSSAY
Avant-Propos. « + . - + «+ «+ -.. HRRNETE PV EN ME TS Do RENE rare 595
Fac-simile des pages 92 et 93 du texte manuscrit de Scylax. |
Introductions liée ut ce En En NE Vel dE GRR :597
Texte de Scylax, édit. de M, Müller. . ...,.. . 4... 5, 2... .. 598
Traduction latine. . : . . . . . «. . A ONU = hellet cHÉF-LS LEE 599
Lorfleuve Thapsaque. 2.2. ce fee cle ice orennlelate ce 599
£e nom réveille l’idée d' enfouissement RS NES CNE NT UE CRC LEU SRE 600
Le nom de la ville de Thapsaque a une autre origine . . ... . . . . . . . . . 600
Interprétation de la fable du Géant jou Dragon Typhon .;. . .. . ... . .. 604
Le Thapsaque de Scylax est l’Oronte. . . . .,. . « . . . . . HSE 602
Le mot Oronte n'appartient ni à la langue grecque ni à l’une des langues sémitiques. 604
L'Oronte désigné sous les noms deal-Makloub et al-Assy.. . . . . . . .. . . 605
L'Oronte a-t-il reçu des Grecs le nom d'AËtos?. AR ER AE EC RES 606
Discussion sur un passage de Malala. . . . . . . . . . . . soi -cec 00
Erreur d'Eustathe sur la signification du mot Oronte. .. . . . ... . . . . .. 610
Tombeau du Géant Oronte trouvé dans le lit du fleuve. . . . . . . . . . . . . 610
L'Oronte est nommé Pir. Que faut-il entendre par ce mot? . . .. . . . . . , 641
Erreur contenue dans cette phrase : tort tpémohts gotyixwv. . « . « . . « . « . 6413
Véritable sens des mols Basile:æ Tüpou, qui accompagnent le nom d’Arados. . . 646
Distance de l'ile d'Arados au continent. . . . . . . . . . PS PEN et à 649
Tripolis.helli Meuse) teste NE RARES ee LS . «+ 620
Le promontoire Face de Dieu; ses différents noms. . . . . . . . . . . . . . . 620
Explication du mot Tñpos. . . . . « « . ST5 ES Be ss... - . 623
De Botsra, les Grecs ont fait Botrus. . . . . . . . . . . He EUietelciceell020
Rivière Boorpnvoç. + - - + . - + - . . SOPARALE AERN MORCRGI IPIS Le . 627
Porphyréôn. D'où lui vient ce nom?, . . . . . . . . . . . DRASS à ET
Le Tamyras est aussi appelé Damouras, Magoras, Léôn. . . . . . . . . . . . . 629
Aucun fleuve de Phénicie n'a porté le nom de Léontès. Le fleuve auquel les géogra-
phes modernes donnent ce nom est Lis par les Arabes du moyen âge Lanta
ou Lythah. . . . . . . . . . .. S'RMIGIS nioraatiols . ... 631
Son nom ancien est inconnu; ce n’est “a r Éleuthéros; dans la partie inférieure
de son cours, il se nomme aujourd'hui nahr-al-Kasmyié. . . . . . . Mocanste
Leontônpolis est la même ville que Porphyréôn . . . . . . . . . . . : . ... 637
Le nom de Sarepta est toujours accompagné de celui de Sidon. La première de ces
villes était une dépendance de l'autre, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639
f
ae me 7
TABLE DES MATIÈRES.
Explication du mot Bopeos. . . .
ss. CECI ROMEO AE LEE)
Cette phraso : arû Arôytu tékews péypt Opv du mékew; est une interpolation. . .
Tyr. Le nom de cette ville a pris diverses formes chez les Phéniciens et chez les
Latins. . DÉS E A UBTTONNS
Topographie de Tyr, dans l’ile et sur le continent. ... . . . . . . ....
Le texte de Scylax sur Tyr n'est pas incorrect autant qu'on l’a cru. . . . . ..
Eäpa era ne doivent point être transformés en Zépartæ. . . . . .,
&ln ne doit EE être remplacé par &1n. . . mL IA
&no Odarrns y ne so rapportent pas à Palætyr, dont il n’est pas question dans
SCVIAX, cu. PES rER RO TER TAN
La lettre y, qui termine la phrase et la page 92, est l’abréviation de yñs et ne re-
présente pas la lettre +’, ayant la valeur de 3
nn
Largeur du détroit. La lettre 9’, qui a la valeur du chiffre £, a été omise dans le
MANUSCRITE ES Let Pelle eue le de MRC ae Lo Le Co eee lente Hein
Les mots æœle Topos doivent être maintenus. Ils sont cahanes etre leeéelle
La première ligne du feuillet lacéré était terminée par les mots Tuploy écrit .
Explication des mots #£w mn mél. . . . . . . . . . .
La deuxième ligne était terminée par Tuptwy® Kapumhog. . + . .
Que faut-il entendre par : tepoy Auôs ? D DO OO DE
Quelle était la ville que Scylax désigne par ces mots : Apados médte Zidoyfwy 2e .
Les mots KooxcdeiAwy œéÂç remplissaient la lacune de la troisième ligne.
Le chiffre BJ” (2700) doit être substitué au chiffre œl/ (41700).
Texte de Scylax rétabli et amendé d'après tout ce qui précède.
Traduction du texte ainsi restitué. Bent
Résultat des essais d'interprétation et de restitution, 5 © D NS Vo QUE
Tableau synoptique et comparatif des lieux géographiques de la Phénicie men-
tionnés par Scylax. . . . MO clio
Arrenpice contenant des éclaircissements sur l'étendue attribuée à la Syrie et à la
Phénicie par les différents géographes de l'antiquité. . .
mialiealallel oasis. e aus eus et se
ses
PLANCHES.
676
Carte sommaire des levées faites en 1858 et 4859 dans le Khorassan, l'Afghanistan
occidental, le Séistan et le midi de la Perse, sous la direction de M. N. Æ hanikoff.
Plan de la ville de Kirman,
Plan de la ville de Iezd.
Plan de Tyr, par M. Poulain de Bossay.
Carte de la Syrie et de la Phénicie d'après Scylax, par M. Poulain de Bossay.
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Coupole dite Chadzadéh Fansikh | Multakie
Takie'ouw Theatre pour les faubourg Nasstr abad
représentations du Mouharrem | ___ Âekrnow
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