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Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur en 1903
L'EUROPE
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A ÉTÉ ATTRlBUÉ EN i906, PAR L'mSTI'1'UT, A L'OEUVRE DE 1\1. ALBERT SOREL
Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur en 1903
L'EUROPE
ET LA
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LE
BLOCUS
CONTINENTAII
LE GRAND EMPIRE
LIVRE PREl\IIER
I..E BLOCUS CONTINENTA.L
CHAPITRE PRE
IIER
D
AUSTERLITZ A IÉNA
1805-1806
I
Les Russes, séparés des Autrichiens, battaient en retraite J.
Les Autrichien
n'avaient engagé å Austerlitz qu'une partie
de leurs forces; Ie reste demeurait sur pied, menaçant. Les
Prussiens restaienl intacts. Pour rompre la coalition
entamée, Napoléon dut reprendre les choses au point OÙ illes
avait laissées, au mois de j uillet, quand il essayait de la pré-
venir : bâcler Ia paix avec l' Autriehe, Beheter les Prussiens.
I Pour I'ensemble de ce volume: ,A,'chives odes Affaires itrange,'es J Corre,-
pondance de Napoli01I, supplément par LECESTRE; Publications de la Sociité
d'itistoire de Russie; HA
sARD. Parbamell.tary Hiçtory; Correspondancea publiée.
par Ducas!'e, Bertrand, Railleu, Hassel, les Archive. \Voronzof, Albert Vandal.
Ouvra{{eø de : LEFEBVRE, ßIG
ON, THIERS; Alben VANDAL, NapoLéon et
Alexandre; TATISTCIIEF, Alexalld,'e et Napo/éon ; MARTENS, T,'aitis de la Russitt;
I{ANKE, J1arclellúel'g; OISCKf-;fII, Zeita1ter del' Rt'vo/ulion; FOUI\:SIEJ\, Napoleon pr;
Jh.t1h, Zelm Jahre; CAVAIG
AC, O,-igincs de La Prus.ve cOlltemporainej D'HAUSSOft-
VILLI::; SrJ'ANHOI"E, Pitt; GREEN, AlIglete/'[e; RAM ßAUD
Ru.fsie; Affaire! d'Orienf
Élllil
DOURGEOlS, DRUUJ.'J', ZllSKIUSHN, ELIADt:, XÉl'(OPOL, PISAtlil, GUIKA.
nl.
I
I
'AUSTERLITZ À IÉNA. =- tft05.
Sans se trouver maître de I'Autriche, ill'estimait assez abattue
pour n'avoir plus, comme en 1797 et en 1801, à Jui accorder
des compensations : il serait seul å prendre, elle serait seule å
payer. Quant à )a Prusse, toute illusion avait disparu. Napo-
Jéon n'oublia jamais Ie péril qu'elle lui avait fait courir I.
Avant tout, il Iui iInportait de rassurer la France et de
frapper l'opinion. Le 3 décembre, il dicte la fameuse procla-
mation à l'armée : (( Soldats, je suis content de vous, IJ et Ie
X
,(Xe Bulletin, récit grandiose et familier des négociations et
de la bataille; il y expose au peuple ses desseins afin d'y
donner Ie carnctère de la destinée. La plaisanterie énorme,
:l'invective démesurée s'y mêlent à la chanson de geste. II verse
Ie Inépris sur les vaincus : chefs stupides, soldats fuyards, fanfa-
ronnades et déroute; illes insulte, après les avoir jetés bas et
traînés à terre, à In manière des héros homériques, å la façoD
du peuple aussi. " Je suis soldat, enfant de Ia Révolution,
disait-il å Ræderer, sorti du sein du peuple. Je ne souffrirai
pas qu'on m'insulte com me un roi. " II les traitait en rois.
Enfin cette Grande bataille est sa bataille. En Italie, it n'a
affronté que les seuls Au
richiens. Cette fois, il a réduit cette
redoutable infanterie russe, l'infanterie de Souvorof, riva]e et
victorieuse des Français. l\larengo, jusqu'à la moitié de là.
journée, tournait au désastre ; Desaix en partaffeait la gloire et
l\foreau, avec I-Iohenlinden, l'effaçait en partie. Austerlitz est
à lui seuI. Ii Les bons soldats, la superbe bataille! " disait-il
plus tarde Et cette Iégende d'imagerie populaire : . Grands
résultats acquis, en présence de trois empereurs I! "
Dans Ie brouillard lumineux où il se complait à représenter
sa victoire, Austerlitz semble une journée décisive. En cette
I Pour ce chapitre, particulièrement, ouvrages et études : Ie grand-due NICOLAS
DE RUSSJE, Strogollof; Frederic
1Assù", Napvléon et sa famille, t. III; HÜFFER,
Lombard; MADELlN, f'OlLChé; Henri \VELSCHUIGER, Divorce de Napoléon; GROS.
.JEAN, Orient; LJ::GRAND, Hollande; COQUELLE; ARTHUR-LÉvy, Napoléoll et la paiAj
LANG, Reinhard; .ðlimoires de Uæderer, Pasquier, Méneval, Ie rúi Joseph, Met..
ternich, TalJeyrand, Ie prmee Adam Clartoryskp, Barante. Gourtjanù, :\Jarmont,
Ségur, ThiéLault, Joseph de Maistre, Vitrolles t Montgaillard, Pepe, d'llauto-.
i"OCh6 I P .-L. Courier, }loriolles, de Bray.
· bOURGAUD, t. II, p. 111.
LA PAIX AVEC L'AUTRICHE. - t801.
a
rencontre, comme en tant d'autres, Napoléon, pour éblùuir
les Fr
nçais et fasciner les étrangers, se pose en maitre des
affaires. II produit cette illusion qu'il ne dépend que de lui de
donner la paix, immédiate et durable.
Iais, pour y décevoir
les autres, il ne s'y méprend pas. II Iui faut agir vite, pro6ter
de l'étourdissement, sans quoi la coalition se reconnait et se
resserre. I11ui faut négocier comme il a combattu par grandes
con1binaisons d'ensemble, à coups de masses, portés å fond.
II forn1e ses plans sur les desseins qu'il attribue, et très juste-
ment, aux coalisés. L'Autriche voulait lui ravir I'Italie, il ren
chassera; la Prusse prétendait lui disputer I'AllemHgne, ill'en
évincera. l\Iais il ne peut les entreprendre que tour à tour, les
divisant comn1e à la guerre. II ignore Ie désastre des Busses,
leur découragement. Il estime à 100,000 hoolmes les troupes
autrichiennes qu'aInènent les deux archiducs; ajoutez les
Prussiens et les Suédois, 250,000 hommes peut-être J : en
tout 350,000 hommes qui lui restent sur les bras, sans
compter les Russes. Le pren1ier point est donc de séparer la
Bussie de l'Autriche. Les alliés lui en offrent I'occasion.
François II demanda une conférence å Napoléon. Elle eut
lieu aux avant-postes Ie 4 décembre, première entrevue de
ces deux hommes destinés å si extraordinaires rencontres.
François II, très borné, très myope d'esprit et comme rétro-
grade en sa pensée, la niaiserie en grande tenue, ne montra
pas même de la curiosité à connaître son vainqueur; roide,
pompeux et minutieux à la foist Napoléon, dur d'abord, puis
accommodant, soldat heureux, savourant l'hommage, fier de
traiter d'égal à égal avec ce Habsbourg i. François demanda
précisément ce que Napoléon désirait accorder : un armistice.
(I L'armée russe est cernée, dit Napoléon; pas un homme ne
peut s'échapper;... mais, reprit-iI, je désire faire une chose
agréable å l'empereur Alexandre. Je laisserai passer l'armée
russe;. .. mais V otre Majesté me promet que cette armée
retournera en Russie et évacuera l' Allemagne et la Pologne
I C'eøt Ie chiffre de Hardenberg. RANKE, t. V, p.
26.
· Voir Bulleti'J da 5 décembre ;
apoléoD à Talleyrand, 1;. décembre 1805"
i
D'AUSTERLITZ . IÉNÂ. - 1105.
autrichienne eL prussiellne... - C'est l'intention de I'empe-
reur Alexandre. )) Ils parlèrent de la paix. Napoléon tenta Ie
grand coup: l'offre magnanime qu'on Iui a tant reproché de
n'avoir su ni présenter ni ilnposer. II n'exigerait, dit-il, aucune
cession territoriale de I'Autriche, si la Russie était comprise
dans Ia paix et s' ennageait à fermer ses frontières au com-
merce aUfflais; sinon, il réclamerai t la V énétie pour Ie
royaume d'Italie et Ie Tyrol pour la Bavière. François discuta,
se doutant qu'Alexandre ne consentirait point. II supplia
Napoléon de renoncer au Tyrol, et l'obtint; mais il dut s'en-
gager à repousser les Prussiens de ses États, s'ils enlraient en
campagne, d'accord avec la Russie. " Je pouvais démembrer
I'Autriche, dit plus tard Napoléon. J'ai cru aux promesses de
I'Empereur, et à l'ef6cacilé de la leçon qu'il avait reçue I. Ð
L'entretien finit sur ces mots de NapoIéon : cc Ainsi Votre
Iajesté me promet de ne plus recommencer Ia guerre? >>
"'rallçois II Ie jura, et ils s'embrassèrent. En remontant å
cheval, NapoIéon dit å ses of6ciers : " Nous allons revenir à
Paris, la paix est faite. JJ II se BaUait de gagner Alexandre: it
devançait les temps. Alexandre était trop nouveau dans la
guerre, et trop près eniore de la présomption, pour que la
terrible aventure du 2 décembre Ie portât à résipiscence. II
ne reconnut la supé.riorité de Napoléon que pour ressentir
avec plus d'alnertume l'insulte de sa victoire.
II passa la nuit du 2 au 3, abattu, fìévreux, errant 8utour
du Challlp de bataille, cherchant ses troupes dispersées, dans
l'horreur du vide; du vide de son armée éparse en cadavres,
en blessés râlants; du vide de son âIne où I
coup de grâce
attendu n'avait point opéré, OÙ Ie génie iInpérial ne s'était
révélé ni par un mot, ni par un ffeste, ni par un de ces ordres
souver.1ins où se découvre l'intuition du grand capitaine. II avait
traversé la bataillc, il 1-uyait Ie spectacle de la défaite, cons-
terné sur lui-même, éploré sur ses morts, surpris jusqu'å
l'angoisse de se voir si peu de chose dans cette grande affaire
A Caulaincourt, 6 man !809. Rétroapective. LECES'l'
EJ t. I, p. !9
_.
LA PAIX AVEC L'AUTRICHE. - 1805.
.
de son règne, ballotté par Ie remous comme Ie dernier de ses
soldats, attendant l'impulsion d'ailleurs, alors que tout Ie
nlonde l'attendait de lui. Quand il se retrouva parmi les siens
.il ne 5e reprit que pour vouloir s'échapper, et Ie plus vile pos-
sible, de ce cimetière de lVloravie; humilié sans doute, mais
ni convaincu, ni soumis; trop poJitique d'instinct, même en
cette affreuse dépression morale, pour abandonner la partie
sans avoir rassemblé ses forces et s'être assuré des disposi-
tions des Prussiens; enfìn, à défaut d'énergie, la pudeur dans
Ie naufrage et l'inaltérable élégance de la tenue, du geste et
de la parole. Le 5 décembre, au matin, Savary de la part de
Napolé'on, et Ie général Stuttenheim de la part de François II,
5e présentèrent à son quartier général. II reçut d' abord Stut-
tenheim qui l'entretint des propositions d'arlnistice et de
paix débattues entre les deux empereurs. Alexandre écarta
l'idée de la paix. Quant à l'armistice : (( J'ai, dit-il non
sans hauteur, amené mon armée au secours de I'Autriche;
je la remmènerai si l'Autriche ne réclame plus mon sec
urs. ø
Puis, il fit appeler Savary; en admirable comédien qu'il
était de naissance, trouvant naturellement la phrase et la
pose dès qu'il se sentait sur son théâtre et dans son per-
sonnage de séducteur: " Dites à votre maitre qu'il a fait
des merveilles. - Sire, c'est I'art de la guerre... c'est la
quarantième bataille de l'empereur. - Cela est vrai; c'est
un grand homme de guerre. Pour moi, c'est la première
fois que je vois Ie feu. - Sire, quand vous aurez de l'expé-
rience, vous Ie surpasserez peut-être... J'ai ordre de l'empe-
reur de donner des ordres pour protéger votre retraite,
l'empereur voulant respecter l'ami du premier Consul. -
QueUe garantie faut-il pour cela? - Sire, votI.:e parole. - Je
la lui donne. t)
C'est déjà Ie ton de Tilsit. Les dialogues à la russe, d'une
effusion si ca valière et d 'un si décevant effet de confiance.
L'armistice avec I'Autriche fut signé Ie 6 I. Alexandre partit
D. CLBRCQ, t. II, p. i3
.
ð
D'AU5TERLITZ A IÉNA. - t805.
en poste et son armée se retira péniblement, ayant perdu ses
voitures, ses bÐgages, ses canons. Napoléon épargnait aux
Russes une capitulation; il fit mieux : se rappelant les avan-
tages que lui avait procurés la restitution des prisonniers,
sous Pauller, il renvoya au tsar les hommes de la Garde impé-
riale qu'il avait pris et dont il ne savait que faire. L'acte passa
pour gloriole ou duperie aux yeux des militaires français.
. Leur faire grâce aujourd'hui, dit Ie rude soldat Vandamme,
très étranger å cette chevalerie de cour, c" est vouloir qu'ils
soient dans six ans à Paris! n
François II déclarait (I qu'aucune armée étrangère ne pour-
rait entrer sur Ie terri toire de la maison d' Au triche )). Les
Russesle quittaient; les Prussiens n'y viendraient pas. Du coup
Napoléon rompait leur médiation. II comptait les détourner
de son chemin et les réduire å composition avant qu'ils eus-
sent Ie temps de se concerter avec les Russes. II arrête ses
desseins sur eux : les exclure de la grande politique, leur
enlp,ver toute considération, les forcer à trahir leurs engage-
ments, les assujettir, les stipendier s'ils tendent la main, puis
les avilir devant I'Europe et les tenir å discrétion. Haugwitz
attend dans Ie vesti
ule, arbitre de la paix hier, désormais
intermédiaire off cieux. Napoléon Ie tiendra en suspens Ie
temps de traiter avec l'Autriche et de renverser les rôles; au
lieu de recevoir de ce Prussien des uhimatums, il en exi-
cera, et de très haut, des explications; puis, I'intervention
ainsi déconcertée, ille congédiera, trop heureux de se trouver
encore en vie, roulant vers Berlin, un traité de pourboire
dans son portefeuille.
Haugwitz apprend coup sur coup à Vienne la défaite des
alliés., I'entrevue des empereurs, I'armistice dicté, la négocia-
tion de la paix séparée avec I'Autriche, la retraite des Russes.
u J'ai vu à sa contenance, écrit Talleyrand, que Ie sentiment
dominant de sa cour est la peur. u Talleyrand ignorait Ie
traité de Potsdam et ne croyait pas aux armements de la
Prusse; il part de lå pour prêcher la modération et développer
Ion thèIne fayori
l'entente avec l'Autriche : - Ce n'est plui
LA P,AIX AVEC LtAUTRICHE. - t80S.
- J
la monarchie de Charles-Quint. Elle n' est plus redoutable et
elle est nécessaire pour servir de barrière à la barbarie russe.
"Elle est indispensable au salut futur des nations civilisées.
L'empereur peut la briser; mais brisée, il ne la rétablira
plus. Qu'il la conserve, qu'il lui tende une main généreuse,
qu 'illui offre I 'alliance, et la rende possible et sincère en la
rendant profitable. La France est assez Grande I. IJ Talleyrand
en dessine à son aise, dans sa chancellerie close et confor-
table de Vienne. Napoléon ressent encore la courbature du
rude assaut d'Austerlitz. S'il respire mieux du côté des Russes,
l'autre flanc, celui que pressent les Prussiens, n'est pas dégagé,
et I'Autriche n'a point mis bas les armes. Si eUe se ravise, si
la Prusse avance, si les Russes reviellnent, et, la paix signée,
si I'Autriche, après s'être fait payer la trêve, profite des ména-
gements mêmes du vainqueur pour recommencer la partie? II
se rappelle les trois invasions de l'ltalie et, après Marengo
même, la nécessité de Hohenlinden. Peut-il se fier à Fran-
çois II, et n'est-ce pas Ie Inême empereur qui n'a signé å
Campo-Formio que pour rompre à Rastadt, traité à Lunéville
que pour se coaliser à - Pétersbourg et à Londres? Campo-
FormÍo, pacte d'échange et non de conquête, a duré dix-huit
mois; Lunéville, traité de compensation, n'a pas duré cinq ans,
et pour obtenir l'un et I' autre, aussi bien que pour les
garantir, la France avait la Prusse.
Or la neutralité prussienne, pivot de toutes les combinai-
sons du Comité de Salut public, du Directoire, du Consulat,
ne sera plus qu'un simulacre, quand eUe ne cachera pas un
piège. La France ne s'y peut fier désormais. On ne pent plus
négocier avec eux que comme on manæuvre à la guerre, S6
gardant, les tenant en respect, les enveloppant et toujours.
prêt à les écraser. Napoléon, aux mouvements de leurs armées,
devine Ie secret de leur diplomatie. II lit, à cette lumièl'e, les
rapports clairvoyants et véridiques de Laforest!i, l'ascendant
pris par la faction belliqueuse, Ia reine entrainée par cette
1 Talleyrand à Napoléon, :s décembre 1.805. BERTRAðD.
apport. d.. 1! .t 2.Q novembre, 5, décembre 1
05.
.
D'AUSTERLlTZ A lENA. - i8()3.
faction, Hardenberg acquis; A.Iexandre travaillant par ses
émissaires, par ses lettres l'esprit vacillant de Frédéric-Guil-
laume. Avec la connaissance plus précise du péril couru s'éle-
vait en Napoléon Ie désir de Ia vengeance, " tout vivant, tout
envenime )), et qui ne devait plus s'évanonir 1. Le contre-coup
va en retentir à Berlin. Avant de savoir comment NapoléolL
avail reçu Haugwitz, on y lira, dans Ie XXXIV e Bulletin, l'ex
communication de I-Iardenberg, ce ministre " qui, né en
Hanovre, n'a pa
été inaccessible à la pluie d'or J); puis cette
menace et celte insinuation plus inquiétantes encore : (( Au
reste, 150,000 ennemis de plus n'auraient faitaulre chose que
rendre la guerre plus longue... La Prusse peut-elle avoir un
ami plus solide et plus désintéressé que la France? 1)
Ah! si Austerlilz avait produit ces (( effets incalculables )J ,
que Napoléon a espérés un instant, que Joseph et ses amis se
figurent à Paris 2, que Talleyrand se figure à Vienne.
lais il
n'en est rieo : c'est une paix partielle et provisoire qu'il s'agit
encore une fois d'expédier avec I'Autriche, pour se donneI' les
mains libres avec les Prussiens d'abord, avec les Russes
ensuite, et revenir en6.n au point de départ, Ie camp de Bou-
logne contre l' Angleterre. Paris croit la paix facile, Ia paix
faite; ilia réclame, il l'acclame. n Ce n'est pas en criant :
Paix! qu'on 1'0btient)J , écrit Napoléon à Joseph, trucheman
de l'illusion publique. (& La paix est un mot vide de sens;
c'est une paix glorieuse qu'il nous faul s. )J En ces mèmes
termes, et pour les mêmes motifs, répondaient depuis dix ans
Ie Comité, les Directeurs, les Consuls, à la réclamation con-
tinue des Français : Ia fin de Ia Révolution et Ia fin de la
guerre, la sécurité dans la limite du Rhin.
Napoléon ne se sent point en mesure de réduire I'Autriche
à l'impuissance ; il essaiera seulement de la paralyser pour un
temps, de l'affaiblir en hommes,
e l'affaiblir en argent, de
I Lucchesini, 16 janvier. !7 msrs, !2 juillet 1806, rétro8pectif. : impre..ion.
de JOlpphine, confidences de Joseph.
· Rapport de Lucchesini. 21 marl 1806.
· Â Jo..pJ., ia dtc8mbre ti05.
LA PAIX AVEC L'ÄUTRICHE. - 180S.
sa
I'environner d'États rivaux, avant-postes de l'empire français,
et de lui enlever aussi les alliances, les ressources de I'Alle-
maane. L'AlIemaffne l'y sollicite. Les plénipotentiaires autri-
chiens arrivent Ie 10 déccmbre. Us rencontrent les clients
du nouvel empereur; les diplomates du Saint-Empire, qui se
disloque et gravite vers I'empire d'Occident. Ces Allemands
se prosternent; ils attestent Ie ciel de la sincérité de leurs
serments, et de I'impatience OÙ ils sont de témoigner leur
reconnaissance. Tels à Rastadt lors des premières enchères,
à Paris lors de Ia liquidation, en 1803. Napoléon les satisfait.
Le 10 décpmbre, l'électeur de Bavière est fait roi; Ie II, c'est
Ie tour de l' électeur de W urtemberg; Ie 12, Ie duc de Bade
est promu grand-due, tous avec des promesses d'arrondisse-
ments considérables aux dépens de I'Autriche. C& Quant à la
Prusse, que veut-eIle? Je n'en sais rien. II parait qu'elle
envoie une armée en Silésie I. " Napoléon tient
en juger
par lui-même; mais il se Garde d'appeler Haugwitz à Brünn et
de l'aboucher ainsi avec les Autrichiens. II laisse Talleyrand
tenir Ie protocole avec eux et se rend à Schænbrünn. C' est là
que, Ie 14 décembre, dans Ie cabinet de l\larie- Thérèse, it
reçoi t l' envoyé prussien.
Hauff,vitz I'aborda très troublé'. II avait eu Ie temps de
cuver Ia défaite, plus baUu par Ie choc en retour d'A llslerlitz
que les Autrichicns n' éprouvaient Ie sentiment de l' être par
la bataille même; persuadé qu'un mot inconsidéré de sa part
amènerait la guerre; que cette guerre serait désastreuse; que
Napoléon précipiterait sa paix à Brünn afin de se jeter sur la
Prusse; qu'i] marquait déjà ses étapes sur la route de Silésie.
Enfin, que savait-il, qu'avait-il pu discerner des engagements
de Potsdam? Napoléon, vainqueur el en armes, ne se laisse-
rait point prendre aux formes faiIacieuses des (I déclarations It '.
La duplicité apparaitrait toute crue, et rien ne contribuait
I
apoléon à Talleyr:md, 13 décembre {805.
I RANKE, t. V, p. 225 : rapport do Hauiwitz j t. I, p. 5/4.7. ee.a..tail'. tie
Harden berg.
· Voir t. VI, p. 4-83.
to
D'AUSTERLITZ A lENA. - i805.
davantage à décontenancer Haug,vitz. Napoléon soupçonnait
seulement; il ne savait pas, et son jeu tendit à démasquer
ce Prussien. II avait devant lui une carte d' Autriche étaIée;
du ton d'un homme sûr de son fait et qui se contient à
peine : "
fonsieur Ie comte, je vous ai accueilli à Brünn
avec les égards dus au ministre d'un grand souverain qui,
toutefois, m'avait fait croire que je pouvais compter sur son
amitié... l\lais, aujourd'hui, je connais Ie traité que vous avez
conclu avec les ennemis de Ia France; je sais que vous êtes
convenu avec eux que si je me refuse aux propositions que
vous êtes chargé de me dieter, vos 180,000 hommes et au
delà, s'il Ie fallait, allaient me tomber sur Ie corps... Et c' est
vous, comte Haugwitz, qui avez signé ce traité! J) Haugwitz
avait réussi à se tenir en apparence n impassible " ; illaissa
passer l'orage. Napoléon raconta son entretien avec Dolgo-
rouki 1. Loin de terrifìer Haugwitz, il Ie rassura. Haugwitz
s'aperçut que Napoléon ignorait Ie secret de Potsdaln. Aucun
traité, en forme et en nom, n'avait été signé Ie 3 novem-
bre 1805; on avait signé deux actes : une convention, osten-
sible, par laquelle la Prusse s'engageait à présenter, en qualité
de médiatrice, à Napoléon, des bases de négociation, consti-
tuant un minÙnum de conditions de paix, et une déclaration
par laquelle eUe promettait, si Napoléon refusait de négocier
sur ces bases, de faire cause commune avec l' Angleterre, Ia
Russie et I'Autriche afìn d'imposer à la France les conditions
dll II avril 1805 , qui constituaient les véritables conditions de
paix des alliés. C'étaient ces conditions-Ià que, dans sa for-
fanterie, Dolgorouki avait découvertes à Napoléon; mais elles
n'étaient pas encore celles de la Prusse, puisque la Prusse
ne les avait pas encore posées à Napoléon, et que Napoléon
ne les avait pu repousser; Ie casus fæde7'is de la déclaration de
Potsdam n'existait pas; l'adhésion de la Prusse à la coali-
tion demeurait latente, conditionnelle, et Haugwitz pouvait
impunément la uier. II se croyait bloqué dans une impasse:
I Voir t. VI, p. 601.
LA PA-IX AVEC L'AUTRICHE. - i805. It
il ,pit se rouvrir I'astucieuse échappatoire si prudemment dis-
posée à Berlin pour abuser Napoléon.
Haugwitz retrouve, avec la possibilité de l'équivoque, la
confiance en son habileté. Etjouant adroitement sur les mots,
comme Napoléon lui répétait encore: n
lais vous, vous l'avez
signé, et vous aussi, vous avez signé ce traité! JJ II répond :
" - Et s'il était encore à signer aujourd'hui, sire, je Ie si
ne-
rais, sûr que jamais la Prusse n'a pu donner un témoi
nage
plus éclatant de son amour de la paix et de son amitié pour
la France, que par cette même convention de Potsdam. IJ
Na poléon l'interrogeait sur Ie traité, c' est-à-dire sur la décla..
ration secrète qui impliquait les conditions russes, celles de
Dolgorouki, les anciennes limites; llaugwitz, se dérobant par
la tangente, réplique avec les limites de Lunéville et la
convention qui ne contenait que les bases minimum de négo-
ciation. II poursuit : " Puisque V otre l\fajesté impériale
connatt les propositions de la Russie et celles que j'étais
charffé de lui présenter, il suffit d'un simple rapprochement
des unes et des autres pour prouver jusqu'à l'évidence à quel
point, dans la querelle qui s'élève et pour laquelle vous com-
battez avec tant de gloire, la Prusse s'est faite l'avocat de Ia
France. " Napoléon reprend : n - Le roi, par son accession å
la coalition, m'a déclaré Ia guerre. C'est une chance, il faut
la courir... " II marcha de long en large; puis revenant :
"Comte Haugwitz, mon cæur me d1t que la Prusse, en se
joignant à mes ennemis, m'a jeté Ie gant, il faut bien que je
Ie relève; la conduite qu' on a tenue envers mes ambassadeurs
m'a avili aux yeux de ma nation; j'ai Ie cæur ulcéré, mail
ma tête y répond et me demande à quoi conduirait cette
Guerre avec Ia !?russe, pourquoi deux nations failes pour
s'aimer et s'estimer réciproquement iraient se combattre et
travailleraicnt ainsi dans leurs propres entrailles?>> II rappela
que Ie roi de Prusse avait été Ie premier à reconnaître sa
d
Tnastie; puis estimant qu'il avait suffisamn1ent secoué Haug-
witz, il Ie congédia sur ses mots : C( Au moment où nous
parloni, M. de TaUeyrand a peut-être déjà signé la paix avec
it
D'ÂU5TERl.ITZ A I:tNA. - i80S.
J'Autriche, et j'ignore queUes seront nos relations futures:
i
Au plaisir de vous revoir! 'J
L'entretien l'avait relativement rassuré sur les intentions
de la Prusse. Un courrier de Talleyrand lui apporta Ie récit
de la première conférence avec les Autrichiens 1, Ie 13 dé-
cembre. I1s abandonnent Venise et la Terre ferme; ils cèdent
Ie Tyrol au grand-due éIecteur de Salzbourg; ils consentent à
ajourner à la paix générale la question de la séparation des
deux eouronnes en Italie; mais ils refusent les 50 Inillions de
francs de contribution I; ils refusent l'Istrie, la Dalmatie; ils
ne veulent point de Français en Albanie, et ils demandent
des compensations, Raguse et l' électorat de Salzbourg; enfin
I'électorat de Hanovre pour un archiduc
Cette demande
a surpris Talleyrand : il y aperçoit un moyen de brouiller
l'Autriche avec l'Angleterre, la Russie, la Prusse; mais aussi
cette conséquence de détacher Ia Prusse de Ia France, et
d'établir I'Autriche dans I'Allemagne du Nord.
Napoléon y découvre une manæuvre à tenter. Ses rancunes
ne tenaient point contre un intérêt évident. II négociait
comme il cOlnbattait, pour les résultats : encore une fois, il
allait tenter de I'alliance prussienne, et, cette fois, il croyait
Ia tenir. II fit aussitôt rappeler l-laugwitz par Duroc. A la
fin du jour, l'envoyé prussien rentrait à Schænbrünn. L'ac-
cueiI fut bien différent de celui de la matinée. " La paix
n'est pas signée, dit Napoléon; c'est un tort, c'est peut-être Ie
génie de la France et de la Prusse qui a arrêté la plume de
I
I. les négociateurs... lIs sont eauteleux, ces Autrichiens;
et, cette fois-ci, ils pourraient s'en repentir... Ce matin encore
j'ai eru que la guerre avec la Prusse était inévitable, et main-
tenant, si vous Ie voulez, si vous pouvez signer avec moi Ie
traité que je vous proposerai, '''ous aurez ce qui, au bout du
compte, doit vous intéresser prodigieusement, et moi, j'aurai
un gage de l'amitié du roi, l'union entre la France et la
Prusse sera établie à jamais... "Alors, pour eonvaincre Hauff"
· Rapport de Talleyrand, Brünn, 13 décembre t80
. CE. BK&a, p. !02-!OI.
· V.ir t. VI, p. iO
.
L.A. PAIX AYEC L'ÂUTRIC.J:. - {S05.. il
witz, it lui montra 18. lettre de Talleyrand. Elle était auto-
<<raphe; Haugwitz connaissait l'écriture, il ne douta point de
l'authenticité du document. II lut que I'Autriche delnandait
Ie Hanovre pour un archiduc. Les chances se renversent.
Par extraordinaire, ce diplomate fuyant iut s'arrêter. II
accepta Ie propos.
Napoléon s'explique, séduisant par ses offres, plus encore
par sa singulière ouverture d'esprit, sa façon de disposer
de l'avenir et de composer l'histoire : "Point d'alternative,
dit-il. Je veux la paix du continent; je In veux pour en 6nir
avec I'Angleterre. J'ai Ie choix entre l'alliance de I'Autriche,
de la Prusse ou de la Russie... Vous pensez bien qu'il ne m'en
coùterait pas d'avoir celle de l'Autriche. Mais iI me répugne
de m'allier à une puissance que je viens d'abattre... Du reste,
cette alliance n'est pas du goût de ma nation, et, quant å
celui-Ià, je Ie consulte plus qu'on ne pense. La Russie, je
l'aurai, non pas aujourd'hui, mais dans un an, dans deux,
dans trois ans d'ici. Le temps passe l'éponge sur tous les sou-
venirs, et ce serait peut-être, de toutes les alliances, celIe qui
me conviendrait Ie plus... " II continua : " Le moment
n'est-il pas venu pour la Prusse de compléter l'æuvre de Fré-
déric? II vous manque un morceau de SiIésie. " Haugwitz,
dès qu'il put placer un mot, lança son idée favorite : une
triple alliance entre la France, la Prusse et Ia Russie.
" Eh bien, dit Napoléon, je ne de man de pas mieux... C'est au
roi de rendre ce service au monde... Mais it exige une longue
et pénibIe négociation. Maintenant, Ie temps presse; nos
armées se trouveront bientôt en présence l'une de l'autre. >>
II veut obtenir de Ia Prusse une garantie complète : n Croyez
VOliS que sans cette garantie je puisse me déterminer à recon..
duire mes troupes aux bords de I'Océan ?.. Dans I'hypothèse
même que Ia guerre entre la France et Ia Prusse ne vienne pas
à éclater sur-Ie-champ, qu'en arrivera-t-il? Je reprendrai ma
conquête; je me replacerai dans Ie pays de Hanovre.
fes
armées resteront dans I'Empire et en Hollande, et Ie roi se
tro4vera dans Ie cas de prendre également une attitude mena-
1-'
D'AUITEftLITZ A Itl'(Ae - i80S.
çante contre moi, ne fût-ce que pour couvrir sea propres
États. >> Un traité, signé à propos, Ie pouvait éviter; Napoléon
l'offrait, Haugwitz l'accepta. Duroc, qui assistait à l'entretien,
prit la plume. Les articles furent minutés séance tenante I :
- Alliance offensive et défensive. Le roi de Prusse prendra
possession, en toute souveraineté, des États du roi d'Angle-
terre en Allemagne -Ie Hflnovre. II cède au roi de Bavière
Anspach, à Napoléon la principauté de Neufchâtel, et il met
Clèves à la disposition d'un prince que désignera Napoléon.
Le roi de Prusse garantit Ie royaume de Bavière, les États
de W urtemberg et de Bade avec leurs accroissements spéci-
fiés dans Ie traité, (( les États de la France avec tous les
agrandissements qu'elle pourrait obtenir en Italie 1) ; l'indé-
pendance et l'intégrité de l'empire ottoman. Les ratifications
seront échangées dans un délai de trois semaines.
Ces .conditions convenues en principe, Napoléon écrivit å
Talleyrand: (, Je vois que la paix ne sera pas encore signée la
semaine prochaine; je n' en suis point fâché; la question se
complique, comme vous allez l'apprendre, par ma conférence
d'aujourd'hui avec 1\1. de I-laugwitz... Sûr de la Prusse, I'Au-
triche en passera par OÙ je voudrai. Je ferai également pro-
Doncer la Prusse contre l'Angleterre. " Dne fois tranquille sur
Ie compte de la Prusse, il se sent maitre des affaires à Naples:
. Je ne veux point que I'Empereur s'en mêle, et je veux
enfin châtier cette coquine... 1)
Le traité fut signé à Schænbrunn, Ie 15 décembre. Haug-
witz partit pour Ie porter à Berlin, convaincu qu'il avait sauvé
la monarchie. Napoléon ne doutait pas de Ia ratification du
roi de Prusse. Mais à Ia réÐexion il j ugea utile de Ie serrer
davantage, et il fit écrire å Laforest par Talleyrand, Ie 20 dé-
cembre: u L'article du traité qui concerne l'Italie comprend
I'Italie entière tJ, c'est-à-dire non seulement Ie royaume,
8ccru de Venise, mais Naples dont Ie traité ne disait rien et
dont la Prusse ne se devait point mêler; puis Ie renvoi de
· D. CLEI\CQ, t, II, p.
%3.
LA PAIX Â.YEC L'AUTI\ICftJ:. - 1805.
II
iIardenberg : r&
L de Hardenberg a insulté la France... Ni
vaus ni personne ne devez avoir communication avec ce
ministre. " Laforest insinuera, en outre, Ie rappel de Lucche-
Sini. Ce commentaire étendait singulièrement Ie traité.
A Chez Napoléon, disait Talleyrand, l'appétit vient en man..
geant-. "
Cela fait, Napoléon fit venir Talleyrand å Vienne et lui
ordonna de transporter à Presbourg les négociations avec les
Autrichiens. Puis, sans révéler ses espérances, it écrivit à
Joseph 2 : " Je n'ai point pour coutume de régler ma politique
sur les rurneurs de Paris... V ous verrez que la paix, tout
avantngeuse que je pourrai la faire, sera jugée désavantageuse
par les mêmes personnes qui Ia .demandent tant a. I)
Cette paix fut conclue Ie 26 décembrc, å Presbourg.. L'Au-
triche rend tout ce qu'elle avait acquis en Italie, à Campo-
Formio : Venise, I'lstrie, la Dalmatie, Cattaro; eIle ne Garde
qu'un débouché sur I'Adriatique, Trieste. Elle reconnait les
réunions opérées par Ia France en Italie. Elle cède à la Bavière
Ie Tyrol, Ie Vorarlberg, Brixen, Trente, Passau, Lindau; au
Wurtemberg, einq villes sur Ie Danube, une partie du Brisgau;
à Bade, I'Ortenau, la viIle de Constance. Par eontre, la
Bavière eède Würzbourg au grand-due électeur de Salzbourg
et Salzbourff passe à l'Autriche. En résumé, I'Autriche perd
65,000 kilomètres carrés, 3,000,000 d'habitants, 13 mil-
lions et demi de florins de revenUe Politiquement, bien davan-
tage : elle reconnait Napoléon eomme roi d'Italie, sauf à
:Napoléon, lars de la paix générale, de séparer les eouronnes, å
I Rapport de Giulay, i5 décembre {805. BEER, p. !03.
· A Joseph, 15 décf'mbre 1805.
a VOil' t. \', p. 256, les critiques de La ReveIlière et de øee ami. sur Campo-
Formio. Michelet s'est approprié cette thèse : IJistoÜ'e d'l dix-neuvieme siècle,
t. II, liv. II, chap. v : Bonaparte clupé par l'Autriche; et chap. XIII. - T lIl,
Ii... III, chap. v : Austerlitz: "II étaIt bien disposé à recevoir Ie conseil que lui
apportait Talleyrand : ménar,er I'Autriche. Le boiteu:I. ne disait rien au maître
qu'il n'eût dans l'esprit on qu'iI n'eût fait déjà à Léoben, à Campo-Forrmo...
L'Autriche resta ce qn'elle élait, prèle à Ie rétablir, peu à peu, e\ à nonl faire I.
8u
rre de 1809. ,
6 Ratifié Ie {Ir janvier 1803. DE CLERCO, t. II, p. 14-5.
tð
D'AUSTI:RLITZ Â l.iNA. - 1806.
r
rpétuité. Exclue de l'Italie, eUe est entamée en Allemagne.
Elle y reconnaît deux rois, en toute souveraineté; elle aban-
donne Ia noblesse imlnédiate; elle voit la dignité impériale
réduite à néant. Pour la France, c'est Campo-Formio com-
plété ; I'Ilalie so us Ia suprémalie française, cette suprématie
ételldue sur I'AlIemagne par la concentration des territoires
entre les mains des alliés et clients de la France. Rapproché
du traité avec la Prusse, ce traité avec I'Autriche préparait
l'accolnplisselnent du grand ouvrage conçu dès Ie commen-
cement de la Révolution, poursuivi par 1e Comité de Salut
public et par Ie Directoire : la ruine du Saint-Enlpire et Ia
refonte de I'AIIemagne en une confédération sous la tutelle
française I .
Mais Ie traité valait encore davantage par ce qu'il ne disait
pas. Rien de Naples, ainsi que l'avait exigé Napoléon. II se
mit aussitôt en mesure de (t châtier la coquine )). Le 26 dé-
cembre, à l'heure où Talleyrand signait à Presbourg, Napo-
léon dicta son XXX VIle Bulletin : "Le général Saint-Cyr
ma.rche à gran des journées sur Naples pour punir la trahison
de la reine et précipiter du trône cette femme criminelle qui,
avec tant d'impudcllce, a violé tout ce qui est sacré parmi les
hommes... On a voulu intercéder pour elle auprès de l'em-
pereur; il a répondu : (t La
eine de Naples a cessé de régner:
. ce dernier crime a rempli sa destinée; qu' elle aille à
. Londres... former un comité d'encre sympathique avec
. Drake, Sydney-Smith, Wickham... 1\11\1. de Fersen, d'An-
. traigues... IJ Le Directoire avait voulu faire de Naples ulle
république tributaire, Napoléon en fera un royaume inféodé.
Joseph a dédaigné la couronne des rois 10lnbards, il ceindra,
de gré ou de force, celle des Bourbons: (t Je veux que mon
sang règne à Naples aussi longlemps qu'en France. Le
royaume de Naples m'est nécessaire. IJ Le 27 décen1bre, if
dicte, d'avance, à Schænbrünn, dans l'appartement de la
mère de l\laric-Caroline, dan
Ie palais de relnpereur, neveu
! ef. t. IV, p.
O, :225, :;l96.299, 357; &. V, p. 261 i t. VI, 19, 229.
LA PAIX AVEC L'AUTRICHE. - 1805. if
et ß'cndre de cette reine, une proclamation qui ne sera publiée
qu' après l' exécution de l'arrêt : n Soldats! la dynastie de
Naples a cessé de régner; son existence est incompatible avec
Ie repos de rEurope et l'honneur de ma couronne... Mar-
chez! Précipitez dans les flats, si tant est qu'ils vous attendent,
ces débiles bataillons des tyrans des mers. . Ne tardez pas å
m'apprendre que I'Italie entière est soumise å mes lois et å
celles de mes al1iés... Mon frère marchera à votre tête. It Le
31 déceInbre, il expédie ses instructions à Joseph : " Mon
intention est de m'elnparer du royaume de Naples... Je vous
ai nommé mon lieutenant commandant en chef... II
II partit pour
Iunich, recevoir l'hommage des rois feuda-
taires de son empire et se donner à lui-même Ie spectacle de
sa propre grandeur. Son prestige parut immense; la servilité
des princes et des peuples en donna la lllesure. Acclamations,
accolades, entrées triomphales, galas, spectacles, revues, cor-
tèges, tous les signes de l'adulation se multiplièrent autour de
lui dans cette cour repue et prosternée. Mais Napoléon exi-
geait des gages, des filles de rois pour mélanger Ie nouveau
sang de France à celui des anciens dieux. Joséphine l'avait pré-
cédé à :\1 unich; elle y mena, en femrne experte et insinuante,
un petit rOll1an de cour, assez compliqué, qui se dénoua
})ar une Iettre écrite par Napoléon à
laximilien-Joseph :
u J'envoie mOIl grand nlaréchal du palais, Ie général Duroc,
pour delnander à V otrc Altesse sa fille, la princesse Auguste,
pour mon fils, Ie prince Eugène. " - (( J'ai également, écri-
vait-il à Joseph, arrallgé Ull projet de mariage de votre fille
avec un petit prince qui deviendra un jour un grand prince...
J'ai demandé une autre princesse pour J érôme 1. It II pense å
ériger pour Louis la Hollande en royaume et à placer Caroline,
en grande-duchesse, dans Ie pays de Clèves que cédera la
Prusse. Cependant les fiançailles d'Eugène réunissent un roi
et un prince qui se peuvent exactement qualifier de frère et
cousin car ils sortent de la nlênle mère, la Révolution fran-
A I'Électeur de Havière, 21 décembre; à Eugène, à Joseph, 31 décembre
1805, Voir Fl'édl:l'ic
1Assol"l, t. III, chap. XVII.
Tl
I
fl
D'ÂUSTEBLITZ A fiNA. - 1805.
çajse, et proviennent de la même promotion impériale.
NapoIéon attendait avec quelque impatience les ratifica-
tions de ses traités. Celles du traité de Presbourg furent
échangées Ie 1 er janvier 1806; celles du traité avec Ia Prusse
ne s'annonçaient point; or, ce traité formait une pièce
essentielle dans ses combinaisons; sans la Prusse, it ne pou-
vait tourner la paix de Presbourg contre l'Angleterre.
II
A Berlin, on armait, on s'agitait sans s'arrêter Ii rien I. La
reine, Ie prince Louis-Ferdinand, Hardenberg, Stein, pous-
saient à l'exécution rapide, totale du traité du 3 novembre
contre NapoIéon. Lord Harrowby pressait la signature de I'al-
liance avec I'Angleterre, promettant des subsides, des com-
pensations, la Hollande, la Belgique. CI La marche des
troupes, rapporte l\letternich, n'était plus problématique, les
avant-postes s'avançaient partout en Franconie. On entrait
enfin en Bohêule! " Le 10, Ie roi écrivit à Alexandre :
Ct Rien ne suspend Ie mouvement de mes troupes vers Ia
Bohême JJ , et il envoie Ie major Phull pour concerter les opé-
rations. Laforest se voit en quarantaine. On n'ose plus
I'aborder. II est réduit aux intermédiaires, Lombard, et Ie
juif éterneI, Éphraïm. Le II, on apprend la catastrophe, 18
retraite des Russes, I'armistice, la paix imminente avec i'Au-
triche, Ia médiation bouleversée, Ie Prusse réduite aux expli-
cations. Toutes les têtes chavirent. I-Iardenberg parait fou-
droyé. " Tout Ie monde, écrit l\letternich, regarde M. de
Haugwitz comme perdu. n Le 17, arrive une lettre d'Alexandre,
portée par Dolgorouki : (( La manière dont on s'est conduit
avec nous : il faut l'avoir vu pour en avoir une idée! - Dans
1 Rapportl de Laforest, 23 novembre-9 décambre {805. - Rapportl de Met-
ternich, 7 décembre 1805-16 janvier 1806.
DOUBLES ALLIANCES DE LA PRUS!E. - i805. tl
tous les cas, à tout jtauais, jc suis prêt à soutenir V otrß
Iajesté de toutes mes forces et fila personne même est à sel
ordres. " - n La Jettre de V otre
Iajesté caractérise com-
pIètement votre belle ânle ", répond Frédéric-Guillaume I.
?\Iais il voit l'armée prussienne, au lieu de touroer et eove-
lopper
,apoì
ùn, dûns Ie péril d'être coupée par Iui. II semble
sorlir d'un rêve. Sa médiation s'évanouit; il oe retrouve son
equilibre que dans la neutralité. (( A moins d'y être iovité par
la France même, écrit Laforest, it ne veut plus s'immiscer
entre eUe et I'Autricnc; Inais il désire traiter de ses intérêts
particuliers, et obtcnir quelques avant3ffes en retour des
garanties qu'il se montre disposé à donner 2 J); II particulière-
ment sur l'occupation du Hanovre et la tranquiUité du Nord" t
ajoute Ie roi lui-même dans une lettre qu'il envoie à Napoléon
par ce mênle Inajor Phull qui, la veille, concertait les moyens
de surprendre et de détruire l'armée française.
Le traité du 15 déceInbrc déras
ait les désirs de Frédéric-
Guillaume: point de guerre, la tranquillité du Nord assurée,
et Ie Hanovre! Haugwitz Ie lui présente, Ie 26, Ie commente,
y montre Ie salut, avec (& une acquisition brillante JJ. Mais Ie
roi lit dans Ie traité un mot qu'il ne se peut décider à pro-
nonceI'; que, Jepnis 1795, Ia Prusse écarle de tous ses arran-
gelnenls, même les plus avantageux avec la France raI-
Iiance, cette alliance que 50n père a refusée au Comité de
Salut public, qu'il a lui-mêrne refusée au Directoire, au pre-
nlier Consul et qu'il a, Ie 3 novelnbre, promise à Alexandre.
Alex3I).dre offre son armée, sa personne; Frédéric-Guillaume
tenJrait la Inain à Napoléon, accepterait Ie salaire de sa
félonie! Et ceIa, en présence d'un 1\ietternich qui représente
rEmpire en détresse; d'Harro,vby qui représente I'Angleterre
prête à siß"ner et que rOIl dépouillcrait cyniquement; en pré-
sence d Alopeus, de Dol{jorouki, de Strogonof, du grand-due
I Alexandre à Frrdéric-Guillaume, 6 décemhre. - Frédéric-Guillaume à
Aicxandre, 17 dpcelllbre lSn5 BAILLEU.
t H,Jpport de Lafore.t, is décembre. - Frédéric-Guil1aume à Napoléon,
19 décembre 180ã.
to
D'AU!IEllLITZ Â lÉ
A. - iS05
Constantin enfin confìé pur Alexandre à SOIl ailli, à l'armée, å
1a noblesse, à la relne de Pl'lI
se! " Cetie pau Vl'e reine est
néaumoins bien sincèrc111ent notre antie, écrit Stl'ogonof I.
f.lle et toules Ies jolies felDInes nous veulent un bien in1ìni, et
ß'il ne dépelldait que d' élles tout irait hien. La reine lllêloe en
est hien à plaiudrc... Faites-vous dire par OuLril tOüt('
lcs
scènes qu 'elle a eues avec lui, toute
Ie:; lhl'lnes <.{ue nous lui
coÙtons!... Qu 'elle est jolie, cette reine ! 1) Frédéric-Guillaume
sc sent pris de houte : une recu.lade en armes, une défection
sallS l' excuse de la défaite, une violation de la parole royale,
une trahison de I'amitié : Iu Prusse de Frédéric Ie Grand
tomberait au-dessous de la Ba\-ière de Napoléon! II s'emporte
contre llaug,vitz; il déclare à Dolgorouki que jamais il ne
séparera son
orl de celui J'Alexanòre.
Dès que ron SOup<;oIlua Ie traité, ce fut uue clalnellr autour
du roi : Bonaparte ne Ie llléuaHe tjue
ollr Ie dé::Þa.l'111er ct pour
Ie perdre. " Le Cor
e veul do(niuer Ie continent et trailer tous
les souverains COInme ses va:s:w.ux )) , disaienl Ie
Busses. L'in-
dig"nation générale rend du tou à I-IardenLerg. II se sent
relevé de tout l'abaisseulelll de l-Iaug\viLL., Pui.:;que Napoléon
Ie proscrit et que touL est perJu d
Ce côté, il se jette de
l'autrc, tête baÎssée. .sapoléoIl eðL SUl'idit; Ia J)russe fera
céder Ie Corse. II suffil òe parler haut, COl111Ue il cOllvient
quanti on est à la tête de IS'), JOO
oIdat
dre.:;sés à l' école de
f"'rédéric et que ron dispo::,e, pour réserves, Je toute:; les
armées de la Bussie! D'ailleurs, il exisle, à Paris, un parti de
1a paix, un parti pru
sieH bur le<.{uci ùn peut COlnpter 2. Mais
ce diplolnate était de ceu:x. qui out r.til(l
iJïlatiou verLale et la
réf1exion Íntércssée. 1l1'éHéchit : - Peut-
u JésornHlÍs ö.rrêter
Ie torrent-! se dil-iI. 11 est trop tard. c( Ce u 'e
t qu'en le,délour-
llant à nous et en gaf.uant cOlJ.;::;idél'aLleulcllt tIu terrain aban-
dOIlné, qu'oll pourra s'ägrandil'. La Prlì
se doit
'aßTanòir
1 .A r.zartoryski, 22 cl
cembre 1805. - Grand-due NICOl AS DE RUSSIE, 81"0-
!jouof.
, Rapports dE' no1r.orouki, 1.8, 2
, 27 décembre 1805, 29 janvier 1806. -
RANln:, Récit de lJardellber.q, t. II, p. =1ii7 el 6uiv., t. V, pièces: Notes de IIar';
dellb
r6 IUC Ie capporL d' Uau"witz, r.,léuloirel rewiB au roi.
"()U
TJFf! ALJ,JANr:
OE I.A pntT
. - 1805. it
pour ne !,R
rrtrogrH(1er. I/Angleterre, par Ie Monopo}e de
son COml-:ler('P... psi rennen1ic la plus dangereuse clu conti-
nent, Ò
S0Tl inònf;trie, de son bien-être. II fant donc facilifer
p)ufõt it la France Ie moyen de l'écraser que de la ffarantir.
l\Jais comment mêmp ju
tifier un système pareil p1.r la raison
d'Ét
t pt rlevant la conscience royale: à moins que les avan-
tag(,f; réf;nltant rl'nbord de l'alliance ne soient en effet tels
que la Prllsse {F
ffne assez en force et en opinion pour êlre et
rflster véritablement indép
ndante et pour pouvoir s'opposer
efficacemcnt anx denx ('{)]osses qui la pressent?.. II faudrait
au moin
'assllrer de tl'è
({rands 3vantagcs )) . II les
uppute :
en éch
H}ffe de Clèves. Neufchàtel, Anspach, soÏl375,OOO âmes
et ],556.977 écns de rcvenu - et, pour con
olpr Ie roi de la
FC'ine qu'j 1 éprouve à (I sRcrifi er d' D nciennes provinces ", il
récJamera )p Hanovre, Of;Df} hrück
des terres en Franconie,
Hambourg. Brême, Lubeck, 8ãR,ono âlnes, 3,967,000 écus.
Et ce ne sera qn'un commencement, Ie moyen de se procurer
des avantag('s plus étcndu!=:. " La Pr1J
se ne peut encore s'ar-
rêter dans ses agrandissements sans tomber en décadence...
Si la Pruss(' poursuit la marche des quatre derniers siècles,
ce n'est pas à l'ouest vraisemblablement OÙ eIIe pourra
s'étcndre; c'est an midi, et peut-être sur les bords de la Vis-
tule. Qui sait quel sort la force de
circonstances prépare à la
Hesse, à la Saxe, à Ia Bohêlne
? )) En6n I'AlIcmagne : " L'an-
cien édifìce de la constitution {Jflrn1anique n'offre plus que
quelques ruines... J) Dne réforme s'impose. n C'est à Ia Prusse
à se charger de cette besogne ; eUe ne souffrira pas qu' elle se
fasse sans sa concurrence. JJ Qu' en échange de ses bODS offices
et de sa tolérance, Nap01éon la Iaisse (( s'agrandir, augmenter
sans cesse sa puissance dans Ie norc], dominer sur celui-ci,
romme la France domine sur l'occident et les parties méridio-
nales de I'Enrope... Que tout Ie nord de I'Allemagne, depuis
la mer jusqu'au Mein, soit soumis à Ia souveraineté de la
Prusse ou à son influence décisive )) . On diviserait l' Allemagne
en troi
confédér:1tions : I'Autriche, Ie midi de l'Allemagne
.' avec Ie roi d
ßa vière pour chef, Ie nord avec Ie roi de Prusse i
it
n'AUST
RLITZ A tÊNA. - i8CJ5.
les terres de ]a noblesse immédiúte seraiellt placées sous la
souverain('té des princes dans Ie territoire dcsquels cUes sont
enclavées. Au-dessus des trois confédérations il y aurait une
diète d'empire et un empereur, élu pour régler Ies intérêts
communs, Ia défense; pourvoir à la sûreté, à la garalltie de
I'empire. Voilà ce que Hardenberg se f1aunit d'obtenir de
Napoléon, vainqueur à Austerlitz, ponr Ie service que Ia
Prusse lui rendrait en ne s'exposant point à ses coups. II con-
cluait: ne pas ratifier Ie lraité de Vicnne, en rédiffer un autre
qui serait la
ontrc-partic des conventions de Potsdam; des
articles patents qui stipuleraiellt la neutralité avec son prix,
Ie Hanovre, et que I' on pourrait cOll1mluJÏquer à la nllssie; des
articles secrets qui stipul{\raient I'alliance et son énorme salaire.
Frédéric-Guillanme Il'étail pas mûr pour (
es vastcs desseins.
II consulta ses habituels conselllers d'incertitude, Schulen-
burg, Brunswiek. lis ne conseillèrent que la perplexité, ne
proposèrent que réquivoque I. Puis, à la suite d'un conseil
où il réunit tous les irrésolus de son ministère et de son
cabinet, il s'arrêta sur une combinaison l11ixte qui tenait à la
fois de la ratification si'nple cooseillée par Haug\\Titz et du
remaniement .total conscillé par IIardenberg. II ne ,.onlait
s'enffager ni contre la Russie, oi contre I'AnS'lcterre, ni
contre Naples, ce qui excluait ralliance offensive
toutefois il
jugeait imprudent de refuser, en fornlc, la ratification du
traité de Vienne : il signa donc des ratifications, Inais il les
nccompaffna d'amendeluents qui modi6aient totalelnrl1t la
teneur et la portée de l'acte.
L'alliance est purement défcnsive; la garantie des Rgran-
dissementð de la France en Italie ne porte que sur les affrnn-
dissemellts connus par la Prusse, c'est-à-dire la V énétie : rien
sur Nv.ples; et cette garall tie ne produira ses effets qu' après
la sanction, par l'Augleterre, de I'act.luisition dll Hanovre par
la Prusse : jusqu'à la paix générale, Ie roi de Prusse se COIl-
tentera d'occuper eet électorat.
I
Iémojref! de Hnrdenherr,. 30 JpcClnhrc iS05, i er janvier, 5 février 1806.
Mémoirel de Schu)
nLourg et de Brunswick. RAIXKE, t. II.
DOUBLES ALLIANCES DE LA "RUSSE. - 180ft. 23
a Le traité du 15 décembre, dit Haugwitz å Laforest, est
un acte de premier jet, tracé à grands coups de plume sous
les yeux de l'empereur, ou plutôt dicté par lui; on s'y est
moins occupé des mots que des choses, et il faut Ie considérer
comme Ie sommaire d'un traité plus étendu, à faire plus à
Ioisir et à discuter sur un pied égal entre les deux parties 1. D
Pour sauvèr sa dignité, colorer Ie retrait de sa médiation,
amalgamer ses traités avec la Russie et ceux qu'il signerait
avec la France, Frédéric-Guillaume imagina de réunir ses
deux alIiés entre eux et avec Iui par une triple garantie de
leurs possessions respectives g. ce Votre l\fajesté, écrivit-il à
Napoléon Ie 4 janvier, connàtt ma double relation avec la
Russie et avec rempereur, I'alliance de 1800 et ramitié
d'Alexandre. Je VOl
S ravoue, ma satisfaction ne sera com-
plète que quand j'aurai réussi à rétablir entre vous deux Ie
rapport qui convient à vos deux empires. u
l\lais il n'existait point, pour ce malheureux roi, de lettre
sans contre-Iettre, et sa politique s'en allait, comme ses cour-
riers, à rest et à rouest, en se tournant Ie dose Le 7 jan-
vier 1806, il écrivit à Alexandre une lettre qu'il con6a au due
de Brunswick : ce Les malheurs publics ne me laissent plus
maître de mon choix. " Le duc de Bruns,vick {( mettra sous
les yeux de Votre Majesté ce qu'il m'importe qu'elle ne con-
naisse pas å moitié I) : c' est ce la durée inviolable des liaisons
qui les unissent >> ; c'est la résolution {( de poursuivre avec lui
Ie concert Ie plus intime I) ;. to que {( ses relations avec la
France ne rempêcheront point d'entretenir avec I'empereur
Alexandre ses relati
ns de con6ance sur tout ce qui concerne
les affaires générales de I'Europe I JJ . Par cet enchevêtrement
d'assurances, réassurances et contre-assurances, Ie roi de
Prusse croyait se réserver toutes les échappatoires, etjusqu'au
moyen de demeurer loyal en trompant tout Ie monde. Mais
I Rapport de Laforest, 4- janvier; dépêche à Lucchesini, 9 janvier i806.
I Â Lucchelini, 9 janvier 1806.
· Dépêche au comte Goltz, à Pétersbourg, 8 janvier; inltrucLioD au duo
ð. Brunswick, i 7 janvier 1806. RjJCJlE.
......... -.... -
t
D'AUSTERLITZ A IÉNA. -- t806.
S01.lS la duplicité inutile et compliquée des formes, Ia pensée
de derrière la lête perçait, et Haugwitz ne disait que la vérité
quand iI faisait, quelques mois plus tard, ceLte confession à
Gentz: C& S'il a jamais existé une puissance que nous ayons eu
I'intention de tron1per, c'est la France. La nécessité nous en
avait fait la loi. Nous avons vouiu constamment Ie bien de
toutes les autres Depuis Ionßtemps nons .étions convaincus
que la paix et Napoléon étaient deux objets contradictoires.
Un simulacre de paix, voilà tout ce que nous pouvions main-
tenir I. 1J C'est dans cet état d'esprit que l-lauffvdtz partit pour
Paris, Ie 14 janvier, avec Ie nouveau traité; Laforest avait
déjà expédié à Nal)oléon les alnende111ents.
III
Napoléon était encore à
Innich en pleine jouissance, en
pleine exploitation aussi de sa victoire. Le mariage d'EuGène
Beauharnais avec ]a princesse Auguste de Bavière {\ut lieu Ie
15 janvier. Eugène, adopté par l'empereur, est nonllné vice-
roi d'ItaIie. NapoIéon s'occupe de régier les liaisons n qui
doivent exister entre tous ]es États fédératifs de fempire
français 2 1J. C'est un plus grand empire autour de l'empire,
un rempart au deIà des IiInites naturclles de Ia France, un
système d'alliances où Ie lien fédéral se fortifie par des liens
de famille. En réaIité, l'adaptation nux formes iInpériales des
desseins de suprématie de la République. C'est I'Empire d'Oc-
cident prédit en 1802 comine la conséquence de la rupture
du traité d'Amiens s; Austerlitz ra rendu possible, et Napo-
léon Ie juge nécessaire pour consolider Austerlitz. II dé('ouvre
sa pensée dans ses Iettl
es å Pie VII. II est en conf1it avec Ie
I Mémoires et lettres inéditeg du chevalier d. Gentr., p. 237.
· Menage au Sénat, 12 janvier 1806.
! Joir t. VI, p. 259.
MORT DE PITT. - 1806.
15
Pape, conflit de famille et conflit de poIitiquc : destinant tons
ses frères à la couronne, il veut rOlnpre Ie mariage inconsi-
déré que Ie cadet, Jérôme, a contracté aux États-Unis, et Ie
Pape ne s'y prête point; il vent appliquer en Italie Ie Con-
cordat et Ie mariage civil comlne en France, et Ie Pape s'y
refuse; il a besoin d'Ancône et ill'occnpe, SOllS prétexte que
Ie Pape ne renlplit point ses obligations. II lui écritle 7 jan-
vier: (( ,Ie protégerai constammeut Ie Saint-Siège malgré les
fansses démarches, l'ingratitude et les mauvaises dispositions
des hommes qui se sont démasqués pendant ces trois mois.
lIs me croyaient perdu: Dieu a fait éclater, par Ie succès dont
il a favorisé mes armes, la protectjon qu'il a accordée à ma
cause. J'ai occupé Ancône à ce titre de protecteur. Je me suis
considéré, ainsi que mes prédécesseurs de la deuxième et de
la troisième races, comlne Ie fils aîné de I'Église, comine ayant
seul J'épée ponr la protéffer et la mettre à l'abri d'être souillée
par les Grecs et les
lusuln1ans... V otre Sainteté est libre d'ac-
cueillir de préférence et les Anglais et Ie Calife de Constanti-
nople! " Pie VII ne veut plus de Fesch pour représentant de
]a France; Consalvi refuse de négocier avec lui; l' empereur
rappellera FC8Ch; mais, auparavant, illui adresse, 7 janvier,
une lJ)issive qui sen1ble être un cOIDlnentaire de l'Essai sur les
ntæU7'S : (( Je sllis reliaieux, mnis je ne suis point cagot. Cons-
tantin a séparé Ie civil du n1ilitaire; je puis aussi nommer un
sénateur pour commander en mon nOln à Rome. Pour Ie Pape,
je suis Charleulagne, puisque, comme Charlemagne, je réunis
]a couronne de France à celIe des Lombards et que mon
empire confine à I'Orient... Je ne veux point à Rome de
ministre de Russie ni de Sardaigne... Diles à Consalvi que s'it
Bime sa patrie, il faut qu'il quitte Ie ministère ou qu'il fasse ce
que je deulande. 1J
Consalvi sera congédié comme l'a été Acton à Naples, com me
l'est Cobenzl à Vienne où Stadion Ie remplace, comme Ie doit
être Hardenbcrg à Berlin. Là-dessus, Napoléon reçoit Ie cour-
ricr de Laforest, les incertitudes, les amendements, les chi-
canes, les équivoques. u Cette cour de PrUise eit bien fausle
!8
D'AUSTERLITZ A IÉNA. - 1806.
et bien bête. Toute mon armée est encore en Allemagne ! . . . .
Et il mande å Berthier: (( La Grande Armée existe toujours ;
VOllS aurez done soin que Ie maréchal Augereau continue de
correspondre avec vous, et que chacun vous envoie son état
de situation, personne ne devant préjuger quels sont mes
projets ultérieurs. Mes affaires avec la Prusse ne sont pas
entièrement terminées 1. >>
II arriva à Paris Ie 24 janvier. Ilavait hàte d'y reprendre Ie
gOllvernement. Le commerce du Levant supprimé par la
guerre maritime, les colonies perdues ou bloquées, I'Angle-
gleterre fermée aux vins de France, Ie crédit miné, des fail-
lites, la disette de numéraire, l'intérêt de l'argent élevé å
24 pour 100, toute spéculation arrêtée, l'industrie paralysée,
voilà ce que lui peignaient les rapports de police, les lettres
de ses proches et ce que les ministres étrangers décrivaient à
leurs gouvernements 2.
Iais les bulletins de l' armée, les tro-
phées, la paix produisirent leurs effets habituels. La France
ne demandait qu'à y croire. Napoléon rentrait à Paris allègre,
bien portant, d'un entrain merveilleux aux affaires. Tout de
même que chaque bataille remettait en question toutes les
conquêtes, Ia Révolution même, et réveillait sourdement dans
les âmes les terriblei angoisses de Ia Patrie en danger et du
Salut public, chaque campagne qui .6nissait paraissait la der-
nlère et la dernière victoire semblait avoir tout résolu. Chacun
de ces couchers de soleil derrière les arcs de triomphe promet-
tail des lendemains lumineux et ron s'abandonnait de nouveau
à l' espérance de la paix complète, définitive et magnifique'.
Les opposants se soumirent. La correspondance des amis
de r Angleterre reprit-elle avec Londres et 1\1. Hammond? Avec
Ia Russie, celIe des amis d'Antraigues s'arrêta.&. Dalberg qui
J.vait gardé Ie secret et Ie chiffre de Markof se rallia. (( Les
1 A Berthier, de Carhrube et de Slrasbour{J, !1, 2ft janvier; à Jo.eph, 7 f6vriør
t 806, rétrospectif.
t Rapport de Lucchesini, i6 janvier 1806.
· CUAPTAL, P ASQUIER, BARANTE.
& · L'ami et I'amie de Paris, converti. à leur tour par Ie IUCC.', faitaieDt
partie de l'entourace impérial. . P!r;ç1UD, 2' éditioD, p. 4Ui J 84-1:, -".
MORT DE PITT. - t806.
17'
succès de Napoléon, qui avaient fini par briser toutes les
résistances, changèrent ses idées ou plutôt ses calculs, raconte
Vitrolles, son ami. II était plus facile de chercher la fortune
en Ie servant qu'en l'attaquant. " - n On demande, écrit å
la mên1e époque celui qui lonfftemps avait reçu les lettres d'An-
traigues, Czartoryski, quel fut Ie parti de Napoléon; l'on pour-
rait répondre qu'il n'existait nulle part. II ne fut composé
.que de ceux -chez qui la peur I' emporta sur toute autre con-
sidération... Ce parti s'auffmenta quand on crut que toute
opposition serait inutile et ne mènerait qu'à de plus grands
désordres; Inais il ne fut soutenu que par la peur I. " Tout ce
Inonde, plus ou moins, n se rapprocha de Tal1eyrand ". Les
autreß, qui se rattachaient davantage à la Révolution, 5e" rap-
prochèrent)) de Fouché.
fais, pour s'enfouir, Ie courant ne continua pas moin
.
"J'ai, racontait l\letternich deux ans après, depuis lonfftenlps
marqué l'existence d'un parti opposé aux vues d'envah
sse-
ment de Napoléon. Ce parti médita, se rapproch
, gr05sit
dans Ie silence. Deux hommes tiennent en France Ie premier
rang dans l'opinion et dans l'influence. to
I
1. de Talleyrand
et FOllChé. " Talleyrand se vante de s'être " opposé, par toute
l'inÐuence à sa portée, aux projets destrucleurs de Napo-
léon )) . Cette influence demeure " subalterne quant au point
de vue politique de l'elnpereur, mais puissante dans les
moyens journaliers d'exécution. NOliS lui devons positivement
des nuances pIllS ou moins favorables dans la négociation de
Presbourff:i >>. Fouché ne se montre pas moins pacifique. II
fait parler l'opinion dans les bulletins de police qu'il adresse
å reInpereur, et cette opinion il la sUffgère, l'excite par sea
émissaires. TOllS les deux entretiennent, en France, cette illu-
sion que I'Europe veut la paix, qu'il ne dépend que de l'em-
pereur de la conserver, et, en Europe, cette conviction qu'il
existe en France un parti de l' Angleterre, disent les Anglais;
de la Prusse, dit Hardenberg; de la Bussie, dit Alexandra; de
I CZARTORY8KI, t.'émoires, t. I, p. 381. - VITROLLKS, t. I, p. 36.
· ltlémoi,.e de lUetlern,ich, 4 décembre 1808. BEER.
s
D'AUSTERLltz A IÊ:NA. - iSOt}
la paix, dit l\lellcrnich, qui, (, aus
Ú éJoigné que tout autre
d'être allié de l'étranffer " , peut être amené (( à opposer de \
moills en moins de résistance aux efforts que pourraient
tenter des hommes tirés de son sein et animés d'un esprit
régénérateur " .
apoléon se rendait compte que Ie væu général pour Ia paix
formait Ie fond des acclamations du peuple sur son passage.
" De là, écrit un diplomate, s'est aecru en lui l'ardent désir
de parvenir à forcer I' Angleterre à la paix par tous les moyens
qu'il pourra imaginer. Ses peu pIes rassasiés de ffloire lui
demandent du repos et de l'aisance I. n Or, cette paix pour-
suivie par de si prodigiellx détouJ's, il semble soudain q u' eUe
va devellir possible:
laren30, Ilohenlindcn, Ie traité de Luné-
ville avaient entraîné la chute de Pitt, en 1801) et la négoeia-
tion d'Anliens. Austerlitz et Presbourg fÌrent davantage : ils
tuèrent Pitt. Le désastre de la coalition l'avait surpris en
pleine joie du triolnphe de Trafalgar. II croyait toucher Ie
but: Napoléon attiré au fond de I'AlIemagne pris en son propre
filet; enveloppé, écrasé par l'Autrichc et la llussie; lourné,
coupé de la :France par la Prusse; renié, abandonné par Ie
peuple français pour avoir, par sa seule ambition, amené
cette catastrophe de la République; la France envahie,
réduite à demander la pa1x et à la recevoir, à merei de I'An-
gleterrc. C'était Ie destin : Pitt entrevit ee qui fut, huit ans
après, Leipziff. Les courriers annoncèrent la victoire : peu
d'henl'e:-; après, ce fut la retraite des Russes que I'on apprit,
et la rupture de la coalition. Pitt était à Bath, malade de la
Gontte : la Goulle remonta au cæur. On Ie rapporta dans une
faiblcssc d
plorable à sa villa de Putney. On raconte qu'en y
rcntr<
ut, il apel'çu
, dans Ie corridor, une carte d'Europe
élalée snr Ie Jn
lr. Se tournant alors ver
sa Dlèce qui l'accom-
pagnait: (, Roulez cette carte, dit-il, on n'en aura pas besoin
dïci à dix nn
. ')I -"
Ia patrie! Inurlll, ura-t-il dans quel état
je lait'se nHl patrie! " II expira Ie 23 janvier
I Rapport de TJUrc1u a sini, t6 j
Dyi.r 1806.
10ftT DE PITT. - i.a06.
!9
L'Ullion intime de tous les partis parut seule capable d'atlé-
DUel' cctte perte. Les whigs démocrates, favorables à la paix,
e groupèrent autour de lord Grenville. Un remaniement du
ministère s'ensuivit : Grenville premier lord de Ia TI
ésorcrie,
Fox aux Affaires étrangères, Erskine chancelier. Ce cabinet
demeurait tout aussi résolu que Ie précédent à arracher I'Eu-
rope à la suprématie de Ia France; mais Fox et ses amis se
flattaient d'elnbarrasser NapoIéon en jouant habilement du
parti de la paix, des antis de L'Angleten'e en France: s'ils ne
réussissaient pas, du premier coup, à Ie faire reculer, jIs lui
rendraient au moins la guerre plus diffìcile et manifesteraient
un antaßonisme de plus en plus profond entre sa politique,
les væux et les instincts de Ia France. Cette vue les menait å
amorcer queIque négociation, au moins de forme.
Napoléon connut en arrivant à Paris I l'état désespéré de
Pitt, et il en raisonna tout à l'inverse des Anglais, mais d'une
fd<.'on aussi illusoire. II voyait Pitt disparaître au moment OÙ
sur ses injon
tions Cobenzl, ConsaIvi, Hardenberg s'éva-
Douissaienl devant lui. II se crut décidément Ie maître. II se
6gura que l' opinion en Angleterre allait changer. Attribuant
la guerre achnrnée à la seule obstination de Pitt; s'abusant
sur les rapports qui lui lllontraient, en Angleterre, un parti
de Ia paix et un parti des réformes tout disposés à s'entendre
avec Ia France, à capituler dans ses mains, même à l'accla-
mer à son entrée dans Londres, il jugea la paix facile désor-
Blais et imminente même. L'Angieterre Ia demanderait
comme en 1801, mais avec plus de découragement et de
détresse. II prètait ainsi à Fox et à ses amis les dispositions
que les Ang'Iais prêtaient, dans Ie même temps, aUK alnis de
L' Angleterl'e en France, à Talleyrand, à Fouché, å leurs affìdés.
II attendait de Fox et de ses amis ce que les alIiés, les Anglais
en parliculier, obtinrent, en effet, de Talleyrand, de Fouché
et de leurs amis, en 1814 et en 1815. II se mit immédiate-
1 L'état, très grave, de Pitt est signalé dans Ie lUoniteur du 25 janvier; la
mort est annonc{'(' Ie 4 février 1.806 : Ie même jour on annonce I'arrivée trè. pro-
ehaine de Fox. a, pouvoir.
80
D'AU8TERLITZ A IÉ
Â. - 1806.
ment en ßle8ure de les enfermer dans celte paix dès qu'ils
avanceraicnt la main vers Iui. Avant tout, et comme ill'avait
fait, en 180 I et en 1802, occuper toutes les positions qu'il
prétendait gardeI', toutes celles aussi d'où il pourrait imposer
a ux Anglais.
Il écrit à Joseph: " Mon intention est que, dans les pre-
nlÌers jours de février, vous entrJez dans Ie royaume de
Naples...
Ion intention est que les Bourbons aient cessé de
règner à Naples; et je veux sU,r ce trône asseoir un prince de
roa maison; vous d'abord, si cela vous convient; un autre, si
cela ne vous convient point. 1) - " Je veux que mon sang
règne à Naples aussi Jongtemps qu'en France, Le royaume de
Naples m'est nécessaire. 1) - 1& Ce sera, ainsi que I'Italie, Ia
Suisse, la Hollande et les trois royaumes d'Allemagne, mes
États fédératifs, ou véritablement I'Empire français I. )J II
Dotifìe à I'Europe la déchéance des Bourbons. II publie dans
Ie MonileU7. du ler février la proclamation rédigée à Schæn-
hrünn : " Les Bourbons ont cessé de régner; ce qui est dit
dans ma proclamation est immuable t. 1) II dépêche
1iot å
Joseph: << V ous lui direz que je Ie fais roi de Naples... mais
que la moindre hésitation, Ia moindre incertitude Ie perd
entièremcnt. J'ai dans Ie secret de man sein un autre tout
nommé pour Ie remplacer, s'il refuse. Je I'appellerai Napo-
Iéon; il 8era man fils. C' est la conduite de mon frère à Saint-
Cloud [à propos du couronnenlent]; c'est son refus d'accepter
la couronne d'Italie, qui m'ont fait nommer Eugène mon fils.
Je suis résolu à donneI' Ie mê(ne titre à un autre, s'il m'y force
encore. Tous les sentiments d'affectioll cèdent actueIIelnent à
la raison d'État. Je ne reconnais pour parents que ceux qui
me servent... C' est avec files doigts et ma plume que je fais
des enfants... Je ne puis plus avoir de parents dans I'obscu-
rité. Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne seronl plus de
I A Joseph, 19, 27, 31 janvier. - Conversation avec Miot, 30 janvier 1806.
},'émoir
s de t.liot, t. II, p. 279. - Leø trois royaumeø d' AUem;lßne . Dav;p.:e,
Wurtemberg, et un nouvel État à créer, dont I. ca!)itale serait Düsseldorf.
ote
du 30 janvier f.806, à Talleyrand.
 JOleph, .. février 1806.
MORT DE PITT. - 1808.
.t
ma fan1Îlle. J'en fais une famille de rois, ou plut6t de vice-
rois. Le roi d'Italie, Ie roi de Naples et d'autres encore que je
ne nomnle pas seront to\1S rattachés å un système fédé-
ratif. JJ Ce système s' étendra à toute I'ItaIie. . Toute I'ItaIie
sera soulnise sous ma Ioi 1. tJ
Et de mên1e I'AlJemagne. II s'y considère comme Ie souve-
rain universel, Ie dispensateur des dignités et des terres. II y
négocie de nouveaux mariages. II reprend et coordonne Ies
vues de Sieyès et du COlnité de Salut public, Ia tradition de
l\lazarin et de la Ligue du Rhin. Ce que l\Iazarin avait établi
pour assurer la conquête royale, I'Alsace, il l'étend pour
assurer la conquête plus vaste de la République, la rive
gauche du nhin. S'il pouvait, il concentrerait l'Allemagne en
neuf monarchies: Autriche déchue de I'Empire, Prusse, Saxe,
Bavière, Wurtemberg, IIesse-Cassel, Bade, Darlnstadt et un
nouvel État formé des duchés de Berg et Clèves qui serait
placé dans Ie système de la France !II. - (C J e ne désire pas
que Ia Prusse prenne un accroissemcnt considérable de terri-
toire. Cet accroissement Ia rendrait plus redoutable à Ia Russie,
ll1ais Ia rendrait aussi plus redoutable à Ia France. JJ Elle 8
laissé passer l'occasion. II fera comme eUe, il marchandera.
La Prusse n'acceptait Ie Hanovre que sous Ia réserve de ne
se pas brouiller avec I'Angleterre, Napoléon ne l'offrira plus
que sous Ia réserve de la restituer aux Anß"lais, à titre d'arrhea
de Ia paix future. II écrit à Berthier Ie 30 janvier, Ie jour OÙ
il exprime ses vnes sur I'Allemagne: . M. Haugwitz n'étant
pas encore arrivé, veillez à ce que mon arlnée reste en mesure
de faire la guerre et d'agir avec Ia rapidité de Ia pensée, a6n
que, si Ie cas arrivait, roes projets ne fussent pas démasqués. "
Haug,vitz trouvait habile de voyager avec lenteur I. II
arriva Ie I er février. TaI1eyrand Ie laissa se reposeI' jusqu'au 3
el ne Ie rcçut que pour prendre de ses mains, très froidement,
I Au Pape, à Fesch, 13 février 1806.
t Note dicrée à
lénevalt pour Talleyrand, 30 jan'Yier t806, - PrécÜ des
9'J.{'lTes de Turenne, chap. v, Hl1itième observation. Corr., t. XXXII, p. 104.
- Cf. t. V, p. 229.
, l1apport de Hau{;wiu, 8 février i806. RANKB.
at
D'AO!1'EI\LITZ A IÊr4A. - t.806.
Ie .traité amendé. Le 4, Napoléon connait Ie changement du
ministère aus'lais. II charge aussitôt Talleyrand de passer à
lIaug\vitz une note (& sincère et nette t) qu'il adoucira, au
besoin dans les conversations, de façon que Ia Prusse CL atlribue
]a roideur à une suite de mon caractère ,). - CL VOllS com-
prenez que ceci a deux buts : de Ine laisser Ie maitre de
faire ma paix avec I'Angleterre si, d'ici à quelques jours, les
nouvelles que je reçois se confiflnent, - et de conclure
avec la Prusse un traité sur une base plus large... Dans les
circonstances actuelles... nous ne pOUYOIl8 céder Ie Hanovre
à la Prusse que par suite d'un grand systèlne, tel qu'il puisse
nOllS B'arantir de la crainte d'UIlC continuation d'hostilités. Jt
La note fut ren1ise à Haugwitz par TaI1eyrand Ie 5 février :
" Le traité de Vienne n'ayant point été ratifié dans Ie temps
prescrit, Sa l\Iajesté ne saurait Ie reG
rder con1IIle existant. 11
Napoléon reçut Haug\vitz Ie 6. II récrimine : CL Je m'atten-
dais à la reconnaissance du roi... 1\1. de flardellberg conserve
toujours la direction des affaires... " II a, dit-il, percé leur
jeu; iI sait tout. II ne pcrmet pas à Hauff\\-itz de s'expliqllcr; il
Ie renvoie à Talleyrand, et un nouveau traité se débat entre
eUK. Haugwitz se rend compte que, plus que jan1ais, il
importe de fixer la volonté de l'elnpereur. Le traité est à
prendr
ou à laisser : ille prend et Ie sifflle Ie I:> févrÌer 1 : -
La Prusse occupera et possédera. en toute souveraÍneté les
États du roi d'Angleterre en Allernarrne. Elle cède à la France
Neufchâlel, à la Baviè
e Anspach; à Ull prince qui sera
désigné par Napoléon Ie duché de Clèves. La prise de pos-
session du Hanovre et des territoires cédés par la Prusse
aura lieu cinq jours après r échange des ratifications. Le rúí
de Prusse ferme aux Anglais ses ports, l'ernbollchure de5
f1euves qui se jetlent dans la mer du
ord et Ie port de
Lubeck. Napoléon garantit l'intéGTité de la Prusse et de scs
accroissements spécifiés au lraité. La Prusse garantit l'intégrité
dp, l' empire français et notalfilnen t., en Italie, r élat Ùé choscs
, "Rapport de Haugwitz, 15 février 1.806. furìKE. - DE CLERCQ) t. 11,..
p. i5
.
j)IORT DE PITT. - 1806.
al
introduit par Ie traité de Presbourff, " et les changements qui
seront la suite de 1a ffuerre, que Ie roi de Naples vient d.
déclarer J) . Les deux siffl1ataires se garantissent l'intégrité de
l'en1pire ottoInan, des royauIncs de Bavière et de '\Vurtem-
berg, de I'Électorat de Bade. II y aùra alliance entre les deux
cont.ractants n qui feront cause comn1une dans toute guerre J)
où ils se trouveraient engaffés II pour l'un quelconque des
objets cOlnpris dans les garanties stipuIées u .
Hauff,vitz conclut en expédiant 'ces articles à Frédéric-Guil.
13Ull1e : n Je serais traître à la vérité et à roa patrie si je dissi-
mulais à Votre 1\Iajesté un instantqu'il ne lui reste que Ie choix
des deux partis suivants : la guerre on la ratification du traité,
et que, si eUe se déternlÏne à ratifier Ie traité, il importe
qu'elle Ie fasse promptement de manière à convaincre Napo-
léon de la sincérité de ses sentiments... Pour Ie cas de la
gnerre, Votre l\Iajesté doit s'attendre que tout y est préparé.
Bernadotte et Augereau sont en avant. On s'est préparé une
querelle avec I'ÉIecteur de Hesse: Ie séjour prolongé du sieur
Taylor [envoyé anglais] en fournit Ie motif. "
Talleyrand écrit dans Ie même sens à Laforest, Napoléon å
Berlhier. Bernadotte et Augereau ne reviendront en France
" que quand Ie traité sera exécuté et qu'il n 'y aura plus en
Allernas-ne ni Anß')ais, ni Busses, ni Prussiens " . L'objet de
Napoléon était, par fa fermeture des ports d'AlIemagne, de
peser sur l'Anrrleterre; si elle se SOlunet, la Bussie la suivra,
et Napoléon tiendra Ia Prusse à discrétion, se réservant
d'ailleurs, s'il lui reprend Ie Hanovre pour Ie restituer
aux AngIais, de lui donner, en compensation, tel autre ter-
ritoire d'AIlemngne, la Hesse-Cassel, par exemple. Sur ces
entreraites, il apprcnd que la Prusse s'est mise, Ie 29 janvier,
en possession du I-Ianovre, exécutant Ie traité de Vienne,
cornrne si Ie traité avait été réeHement ratifìé. II se décide
aussÌtôt à prendre possession d'Anspach sans attendre les
ratifications du traité nouveau. "Ces messieurs prétendaient
occuper Ie HanO\TC et ne nous Ii vrer Anspach que 10rsque
les AngIais conseatiraient sans doute à la perte du Hanovre,
VII. 3
84
D'AU5TERLITZ A IÉNA. - 1806.
c' est-à-dire jaluais I. u II tienl Ie gOllvernelnent de Berlin
p(,ur faux, Lête, pusillanilne. II en pense, il en projette ce
qu'il accolnplira, deux ans après, en Espagne, ce qui sera
desofruais sa Inéthode : enchalner l'advel'saire par des traité8,
l'eu\"clopper par les armées, Ie contraindre, l'hurnilier, Ie
desal"ruer, l'asservir, et s'il bouge" s'il ose seulement intri-
ffuer ou conspirer conlre lui, s'il se révolte, l'anéantir.
Le 23 fé\ riel', Lucchesini arrive à Berlin avec les rapports
de Haufpvitz et Ie traité du 15. cc Les cheveux VOllS dresseront
sur la tête )J , écrit L0111Lard à IIardenberg. " II n'y a pas,
déclare Hardenberg, de terme lTIoyen qui puisse nous sauveI' de
l'une ou de l'autre de ces alternatives: Ie tr.aité du 15 février
sans aucune modification, au la guerre. J) Le roi ratifie Ie 26,
et un courrier part en hâte pour Paris, portant une lettre à
I'empereur 2. Puis, Ie jour même et de Ia n1ême main qui vient
de ratifier l'aIliance avec la France contre tous ceux qui
combattront l'état de choses garanti par Ie traité, c'est-à-dire
contre la Russie alors en guerre avec Napoléon, Frédéric-
Guillaume écrit à Alexandre : n Je ne rec<:>nnais que deux
juges, c'est ma conscience et c'est vOUS. La première me dit
que je dois conlpter sur vous, et celte conviction me suffit. t,
Cependant pour donneI' à Napoléon un gage de leur bonne
foi, en même tC111pS qu'ils se nalltissaient en Hanovre, ils con1-
mencent à rappeler leurs troupes. Napoléon en est venu à ses
fins : la Prusse capitule sur Ie terrain avant même d'avoir
essuyé Ie feu. I3crnadotte occupe Anspach Ie 21 février,
Gudinot occupe Neufchâtel et
lurat Ia place de "Tesel, ainsi
que Ie duché de Clèves. Les choses vont du Inêule pas en
Italie. Joseph entre à Naples Ie 15 : les Bourbons ccssent
ùe régner, Ie décret s'cxécute, et Ie sang de Bonaparte com-
mence à rem placer en Europe celui de IIenri IV. Tout pliera;
en premier lieu, Ie Pape: (( V otre Sainteté est souveraine de
I{ome, fen suis l'empereur... TOllS Illes ennemis doivent être
les sicns. J) II exirre l'expubion des Anglais, la fermeture des
I A n..rthier, au roi de Bavipre, 14 février 1806.
· lAe l'oi à Haugwitz, à Napoléún, 26 févricr 1806. nA
K&.
IOf\T DE PITT. - i806.
8S
ports. II entend que Ie Pape l'aide å dominer rItalie et l'AIle-
n1ògne par tous les moyens d'inf1uence dont dispose I'Église I.
Et si les populations se révoltent, la terreur: <<Faites cOlnme
j'ai fail à Binasco... J) - " Tous les abus, les excès ou la
tyrannie même de mes agents seraient-ils aussi nombreux
que ceux de Carrier, sout excusés à mes yeux Ie jour OÙ les
rebellès courent aux armes et se font justice à eux-mêmes...
Quand on a de grands États, on ne les maintient que par des
actes de sévéri té s. JJ
l\Iais, de toutes les extrémités de la politique, il fallait en
revenir au point initial : l' Analeterre. " Elle me forcera, avait
dit Napoléon, à don1Íner I'Europe et å former I'Empire d'Oc-
cident. " C' était fait. La question demeurait de savoir si
I'Anffleterre s'y résignerait, avec queUe sincérité et pour
con1bien de temps.
Fox avait en ses heures d'admiration pour Bonaparte,
comme ses heures d'admiration pour la Révolution. Peut-
être s'attribuail-il quelque prestige aux yeux de l'empereur,
ou bien voulait-il simplemeut nlettre ses preluiers actes de
ministre d'accord avec ses discours d'opposant. II jugea
opportun de faire quelques démonstrations paci6ques. Le
20 février il écrivit à Talleyrand pour l'informer d'un projet
d'assassinat contre la personne du chef des Français I. Talley-
rand fut autorisé à lui répondre Ie 5 mars; mais, en même
temps qu'il annonçait ainsi des pourparlers de paix, Napoléon
prit soin de déclarer publiquemcnt à queUes conditions il
entendait traiter. "Je désire Ia paix avec I'AngIeterre, dit-il
en ouvrant la session du Corps léGislatif, Ie 2 mars, je serai
toujours prêt à la conclure en prenant pour base les stipula-
tions du traité d'Amiens. u Le 5 mars, l'exposé de Ia situation
de I'Enlpire commenta, en ces termes, cetta déclaration
I A Fesch, 13 février 1806.
I Voir t. V, p. 88; à J unot, i9 janvier, 4, 7, i8, t9 Eévrier; 1 Talleyrand,
2r,., 28 février 1806. LECESTRE.
3 Journal of the house of commonf, vol. 62. session 1806-1807; appendice :
papiers relatifs à la néGociation avec la France, 22 décembre 1806. - HA!lSARD,
PQrliamental:Y history.
86
D'AUSTEULITZ A IÉlSA. - 1806.
Ci L'Italie est une conquête faite sur l'Angleterre... La rén-
Dion du Piémont rendait indispensable Ia réunion de Gênes,
qui en est Ie port... L'Angleterre prend pen d'intérêt à
I'Italie : la Belgique, voilà Ie véritable motif de la haine
qu'elle nons porte. l\lais Ia Hollande, les cent dix départe-
ments de la France, Ie royaume d'Italie, Venise, la Dal-
matie, 1'lstrie, Naples sont désormais sous la protection de
l'aigle impériale. J) La Bavière, Ie Wurtemberg, Bade, }'Es-
pagne sont nos alliés. "Que l' Angleterre soit done enfin con-
vaincue de son impuissance, qu'elle n'essaye pas une qua-
trième coalition! J) C' est précisément ce qui se tramait alors.
II fallait COlnpter avec la Russie; on n'y avait pas désarmé
et on y pensait toujours å tirer Ia Prusse des mains de Napo,:
léoll et å rcssel'l'er les liens avec l'Al1ßleterre.
IV
Austerlitz avait atteint Alexandre dans scs illusions, Ie nom
russe dans son prestige, l' empire dans ses intérêts. C' était
pour la suprématie de la Pologne et de l'empire ottoman que
la Russie avait combattu en 1\lòravie; c'étaient ses avant-
postes qu'elle défendait sur Ie Danube et à Naples. Et voilà Ia
France Inaîtresse de I'Adriatique, établie sur les deux rives,
maitresse de Naples, et désorInais prétendant plus redou-
table que tous les autres å la succession du sultan. Alexandre
revint à Pétersbourg dans un état de dépression profollde. La
crainte et la faiblesse au plus haut point, disait Czartoryski.
a L'empereur, rapporte de l\Iaistre, se croit inutile à son
peuple parce qu'il n'est pas en état de commander une
armée I. u
lais l'indignation générale contre Napoléon, sa
victoire, son traité de Presbourg relèvent Ie tsar dans l'opi-
I Czartoryeki à Stroganof, 6 février. - DE MAISTRE, ltfémoire' et cO/"'espoll.-
dance, 6 février 1806. - Cf. l\IORIOLLES, lUémoires, p. 253.
ßAUCHE D'UNE COALITION. - 1.806. 31
nion. On l'admire, on Ie plaint, on attend de lui la revanche,
et il fait comme tout Ie monde. A force de protester contre
la fortune injuste, la lenteur des Autrichiens, la trahison des
uns, l'inc3pacité des autres, on en arrive, à Pétersbourg et à
l\loscou, à considérer Austerlitz comme un malentendu mili-
taire, une erreur historique 1. - La Russie la corrigera. II y va
de son avenir dans Ie monde. cc Qu'était Louis XIV compa-
. rativement à ce maudit Corse qui a exécuté ce que l'aulre
'projetait seulement? 1J écrivait un u vieux Busse... )) . - n Notre
empereur ne s'est pas découragé et ne veut pas de paix avec
eet infâme Corse, sorti de la fange, couvert du sang qu'il
répandit pour plaire å Robespicrre; qui, en Égypte... mas-
sacrait les prisonniers et empoisonnait ses propres soldats...
étrangle Pichegru et assassine Ie due d'Enghien...
" l\'Iarkof
prêchait la guerre à mort. CI Bonaparte, écrivait-il à d'Antrai-
gues, ne peut être Ie contemporain d'aucun roi légitime; il
faut qu 'illes tue on qu' on Ie tue '. "
Czartoryski résume toutes les récriminations contre Ia
PrUSie et ses fausses manæuvres; iI dresse de nouveaux plans.
Bes notes sont, en cette crise, comme les calders de la diplo-
matie russe 4. La digue que Ia Russie avait tenté d' élever
contre Ie torrent est rompue. (I La Russie, qui était Ie soutien
de cette masse... et qui jusqu'ici était réputéehors de l'atteinte
ne la France, se voit elle-même directement menacée. " Par
la Dalmatie, Bonaparte confine à la Turquie; il confine à la
Pologne par la Prusse qu'il assujettit. (( La Pologne, touchant
à la Prusse et à la Turquie, deviendra pour la politique entre-
prenante et habile de Bonaparte une mine à enflammer, un
brandon de discorde et d'anarchie... Tous les agents russes en
Italie mandent les projets de Bonaparte sur la Turquie,
détaillent la grandeur des moyens qu'il a acquis. u La France
I Lire dans fa Guel're et la Pai\:, 4 e partie, chap. II, les conversations de
Moscou. Comparez Joseph de l\Iaistre, janvier-mars 1806.
I Lettres de S. \Voronzof à Son fils, décembre 1805-janvier 1806. - Cf. Leure
datée diAgram; TnATCHEWSKY, t. III, janvier 1806.
· PINCAUD, 2 e édition, p. 214.
, }'lémoires pow- l'Empereur , janvier-avril 1806. - TniTcHEwSKT, t. III.
as
D'AUSTERLITZ A ItNA.. - 1806.
va dominer toute la 1\léditerranéë. La Russie ne peut lui
abandonner ø ees peuples chrétiens " dont la elientèle (I fait
une partie de ses forces effectives 1). Si Bonaparte l'atteint
ainsi II par son côté vulnérable ", elle doit, eUe saura lui
opposer II des difficuItés insurmontables >> qui l' obliGeront à
reeuler, au moins " à devenir plus raisonnable " . II sera sage
de se préparer . (C å prendre une offensive vigoureuse au midi" ,
enfin u de prévenir partout Bonaparte, au premier avis que
l'on aura qu'il va procéder à l'exécution de ses projcts ". On
prendra des mesures formidables, avec ostentation: une
flotte dans Ia l\léditerranée, une autre dans la mer Noire, une
armée à Corfou, 100,000 hOlnmes sur les frontières de
lol-
davie; mais, tout en montrant à Bonaparte qu'on est prêt à
s'opposer å ses envahissements, on profitera des occasions qui
s' offriront de "l' engager à s' expliquer, afin de connaître ses
vues et quel parti on pourrait tireI' de son amitié >>. Czarto-
ryski y pensait avant Austerli tz I; il Y pense toujours. On y
pense autour de Iui. Stroffonof Iui écrivait naguère de Berlin:
a Soyez sûr qu'il n'y a qu'un moyen d'arranger tout cela, et
ce moyen serait peut-être taxé chez nous d'improbité et d'im-
moralité; mais il est bien pardonnable dans la bonne compa-
gqie qui gouverne I'Europe i. Cela serait de s'allier brusque-
ment avec Bonaparte et de manger les Gâteaux ensemble. J'ai
trouvé Piattoli imbu de celte idée... "
A tout événement, on se nantira, ee qui rendra Bonaparte
plus coulant. Done, préparer la guerre, faire 1a paix si Bona-
parte Ia donne avee des avantaffes; sinon, la lutte. Ccs avan-
tages, Czartoryski les cherche, naturellement, dans une res-
ta.lration de )a Poloffne; mais il prend la question de haut et
dans l'ensemble. II II est impossible, écrira-t-il quelques
mo;s après, que je ne désire pas que les Polonais ne rede-
viennent une nation. Je serais un être méprisable si je sentais
I Voir t. VI, p. 1;.Jí.
, 477, '..98. - Strononof à Czartoryski, 22 décembre
1805. - Grand-duc r\lCOLAS. - Sur Piattoli, ltlémoires de Cz.a,-toryski, t. I,
p. 392.
· . L. pourriture du continent." Strogonof à Czartory.ki, ii janvier :1806.
tBAUCHE D'UNE COALITION. - t806. 30
autrement... Je voudrais que leur cause soit celIe de tous les
pellples slaves dont ils ne doivent pas se séparer. - Un sys-
ti-me fédéral des nations slaves est Ie grand et unique but
auquel la Russie doit nécessairement tendre... I n Cet
ouvrage-là vaudrait la paix avec Bonaparte et, à défaut de la
paix, il récompenserait la guerre. En vue de cet objet, il Ia
dessine.
L'essentiel est de s'entendre avec I'Anffleterre sur les
mesnres comminatoires. Les Anglais débarqueront des troupes
en Í
gypte dans Ie même temps que Ia Russie occupera les
IJrincipautés; qu'clle les garderait, en cas de partage de
l'empirc ottoman. Des autres pays chrétiens et (C d'origine
s]ave ", y compris la Bosnie, I'HerzéG"ovine, Ie
IonténéGro,
la
lacédoine, l' Albanie, Ia Grèce et ses tIes, eUe forme-
rait des États (I sous la suzeraineté et l'égide de sa protec-
tion n. - (, Depuis Ie règne de Pierre Ie Grand, la cour
inlpériale n'a cegsé de cultiver les dispositions favorables de
ces différents peuples. tJ Le moment est venu de recueiIIir Ie
fruit de tous ces soins. Cattaro est un débouché sur I'Adria-
tique, une station maritime et militaire qui commande toutes
les routes. NapoIéon se l'est fait attribuer, mais Ia Russie
l'occupe. " On ne doit pas Ie rendre sous aucune con-
dition quelconque. .Dans Ies circonstances d'å présellt,
100,000 homInes occupés ailleurs ne pourraient causer
autant d'embarras et de terreur aux ennemis de la Russie.
Si nous gardons Caltaro, la Turquie nous devient dépen-
dante... Dans une campagne, Ia Turquie ferait une pro-
vince russe... Tous les projets de Bonaparte sur Ie Levant
disparaissent à jamais... Cattaro serait Ie boulevard des répu-
bliques des sept ties et de Raguse... La conquête de I'Italie
par les Français n'est que précaire... Si nous rendons Cattaro,
DOUS perdons immensément dans I' esprit des Grecs, dans
celui des I taliens... Bonaparte sait bien l'importance de Cat-
taro. JJ Cattaro devient dans Ia lutte qui commence, pour la
I Å Strogonof, 23 mai t807. Grand-duc NICOLA'.
40
D'AUSTERLITZ A lÉNA. - fSOd.
suprématie de I'Orient et de I'Adriatique, entre la Bussie ct
la France, ce qu'est
IalLe, dans la lutle pour la suprénlatif' de
la l\Iéditerranée, entre la France et l' Annlelerre, la clef, la
positIon dominante, Ie symbole de la rivalité.
En toutes ces entreprises, la Prusse est indispensahle : son
armée est l'avant-Garde nécessaire de l'armée russe contr
Napoléon. Czartoryski ne se console point qu'Alex3ndre ail
perdu, en l'automne de 1805, l'occasion d'arracher la Prusse
à Napoléon, Posen et Varsovie aux Prussiens I. La Prusse,
écrit-iI au tsar, (( a dépassé presque l'aUente de ceux qui
avaient Ie moins de conf-iance en elle... Elle s'est servie des
forces des alIiés pour transiffer avec NapoIéon... Nous devons
désirer d'avoir Ie cours du Niémen el de Ia Vistule " . Si ello
n'est pas démembrée par Ia Russie, eUe Ie sera par Napoléon.
Ces vues
e retrouveront en 1813 et 1814..
Iais ce n'est pas
Ie temps de spéculer ni de récrin1iner: (( Quelque peu d' espoir
que nous dussions avoir d'attacher la Prusse sincèremclll à la
Russie, il n'cn est pas moins vrai que c'est leur union seule
qui, dans ce mOlnent, peut sauver r Europe. " Ces conseiIs
permettent à Alexandre de concilier Ie cæur avec la poIitique.
II reçoit Bruns\vick Ie 21 février i; il se montre confiant,
affectueux. II écoute, il paraH adnlettre Ies explications, les
doléances de Frédéric-Guillaume sur ses traités avec Napo-
léon, celui du 15 décclnbre, et les alllcndcments qu'iI y a
proposés; puis il envoie Brunswick conférer avec Czarto-
ryski. Le Hanovre ne soulève point d'objcction. cc Toute
augmentation de puissance de Ia Prusse nous convient,
déclarc Czartoryski; nous y donnons la main de grand cæur
dès qu'elle Ie fait dans un sens opposé au système dévastateur
de la France. " Ce n'est point à vrai dire Ie sens du traité du
15 décenlbre, ni même cclui des nmendements prussiens.
ltlais si Ia Prusse retourne contre Napoléon Ie fIanovre que
I Voir t. VI, p. 414-3. 465.
· Rapports de BruDswic1<, 21 février, 1.6 mars. - Note d' Alexandre. - Rap.
port cIa Goltz, 1.7 man 1806. RA'NKK. - Alexanrlre au roi, 10 mare 1806. -
SAILL.V. .
ÉBAUCHE D'UNE COALITION. - 1808. '1
NnpoIéon Iui concède pour défendre Ie système français, eIle
a besoin que la Russie la ffarantisse contre des représailles
de l'elnpereur. l& On est disposé à nous soutenir, écrit Goltz,
l'envoyé ordinaire prussien, et de tous ses moyens... C'est
l'opinion de tûute la nation. " Toutefois Alexandre exiffe une
garantie contre de nouvelles capitulations de son ami et allié
de Berlin. Il rcmet à Brunswick un mémoire pour Ie roi. Ce
mémoire, écrit Bruns,vick, (1 prouve que Ie mot alliance avec la
France ne choque pas, qu'on prolliet de soutenir la Prusse
avec toutes ses forces, qu'on veut une union aussi intime
que secrète avec Votre
fajesté" ; mais Ie tsar demande au
roi de déclarer, n de la manière la plus solennclle, qu'il n'en-
vis3gera jamais son traité d'alliance avec la f"rance comme
obligatoire si eIle attaque la Russie "; que la Prusse s'enffuge
à faire évacueI I'AlIemagne par les tronpes françaises dans un
délai de trois mois ; moyennant quoi, Ia Russie promettra de
défendre Ia Prusse en cas d'attaque de 13. France etde manæu-
vrer de façon à (1 conserver à la France l'idé"e que la Prusse
s'envis3ge comme son alliée sans réserve J) . Les engagements
seront pris (1 dans Ie plus profond secret J) , sous la forme de
declarations et, pour les masqueI', cc la Russie se prêterait
à une négociation avec la France pour Ie rétablissement de
la paix généraIe". (( Celte entren}ise, écrivait Brunswick,
offrira à la Prusse Ie prétexte Ie plus plausible pour faire
ill usion à la France sur ce qui, en secret, fait Ie væu de l' enl-
pereur et In base de In sécurité du roi de Prusse. JJ Brunswick
quilta Pétel'sbourff Ie II mars.
Pendant qu'il s'acheminait vers Berlin, la nouvelle yarriva,
Ie 17, que les ratifications du traité du 15 février avaient été
échangées à Paris. Le 18 au soir 1, Hardenberg reçut un cour-
riel' de Bruns,vick et de Goltz, avec Ie mémoire remis par
Alexandre elle projet de déclaration qui devait être I'instru-
ment de l'alliance russe. Surveillé comme il I'était, sachant
que Napoléon exigeait sa retraite en gage de la sincérité de
· Pièce. et récit do Hardenbers. RANKS.
4t
D'AUSTERLITZ A IÉNA. - {80G.
18 Prusse dans l'alliance française, Hardenberg n'osait plus
se rendre ostensibleInent chez Ie roi. Cette cour en était
réduite à ffouverner comrne on complote, à négocier comIne
on conspire. Hardenberg s'adresse à la reine, demande une
entrevue u sans témoins JJ avec Ie foi. u Le secret est de toute
nécessité. J) La reine l'invite à se rendre dans ses apparte-
ments, où il trouve Frédéric-Guillaume. Rassuré par la
garanlie russe et la prornesse d'Alexandre, "au premier appel,
de voler au secours de la Prusse I J), ce prince n 'hésite pas,
cette fois, à se prononcer : u II considère, dit-il, son alliance
avec Napoléon cornmc rompue ; il ne peut se fier en aucune
façon à cette alliance; il est décidé à s' en tenir à la Russie; à
ne point briser toutefois avec Napoléon ct à ne Ie point irriterj
å relnplir ses obligations envers lui, Inais à se préparer, d'ac-
cord avec la Russie, à lui résister si ses Inesures tournaient,
comme il était présunlable, au préjudice de la Prusse. J) Har-
denberg ne pouvait désÏrcr davantarre. II offre au roi de
prendre sa retraite; Ie
oi lui accorde un congé illimité;
ostel1sibfement, ille sacri6e à NapoIéon; mais, en lui enlevant
Ie ministère officiel, if lui confie Ie département secret, qui
sera désornlais Ie ministère réel, la correspondance avec Ia
Russie. Puis il écrit à Alexandre: " La n'ote écrite de votre
main est d'une sagesse parfaite... Le mal est fait... L'avenir
peut guérir bien des pIaies I. 1) Quant à la déclaration de ne
point combatlre la Bussie : << Avec queI plaisir je VOllS la
donne, sire, et queI besoin pour mon cæur de vous répéter
sans cesse qne mes premiers devoirs sont envers vous!...
Les fruits de mes sacrifices commencent à se faire sentir,
les Français ayant dû évacuer Hameln Ie 18... je considère
Ie nord de I'Empire sauvé... Je ne voudrai jamais que ce
que je VOllS aurai confié. )) Et, bien entendu, parmi les
u fruits de ses sacrifices", il compte Ie Hanovre que ses
troupes occupent, qui est Ie prix de l'alliance française et qu'il
conserve afin de mieux combaLtre la France et servir la Russie.
I Alexandre à Frédéric-Guill<mme, 10 man i806.
I L. roi a.u t.ar, 19 mars 1806. BAILLEU.
tBAUCIIE D'UNE COALITION. - !806. is
Hardenberg inauGura son ministère occulte en éIaborant
la déclara/ion secrèle I. Le roi déclare (I que son traité d'al..
liance avec Ia France ne doit jamais déroger å son alliance
avec Ia nussie; qu'il s'occupera de... meltre son armée sur
un pied formidable et d'un plan d' opérations détaillé, mais
éventuel, pour la défense commune; que, sans revenir sur la
peine qu'il ressent de la manière dont iI n'a pu se dispenser
de prendre possession [du Hanovre]... il se flatte que l' em..
percur de Russie voudra bien faire promptement... tout son
possible pour adoncir près de Sa Majesté Britannique Ie
sacrifice... et lui faire considérer qu 'elle aimerait pourlant
mieux voir Ie Hanovre entre les mains du roi que soumis
à un parent de Napoléon " . Ce mén10ire fut envoyé à Goltz
Ie 31 mars'. Ainsi, les ratifications du traité du 15 février
étaient à peine échanaées à Paris qU3 la Prusse avait ron1pu
ce traité et contracté, avec la Russie, une alliance de fait
contre Napoléon.
II Enlluit prévenir les indiscrétions, déconcerter l' espion-
nage et entretenir Napoléon dans I'illusion (I que la Prusse
s' envisage comme son aJIiée sans aucune réserve ,.. I-Iaugwitz
pouvait être mis en demeure d'en témoigner; le plus s1Îr
serail qu'iI en témoiffnât de bonne foi, et, pour l'abuser tout
Ie premier, on lui constitua un dossier qu'au besoin il pour-
rait communlquer å Laforest. Bruns,vick, arrivé Ie 23 mars,
recopia, de Ia mêlne luain qui avait siffué Ie célèbre mani-
feste de 1792 - sa propre correspondance de Pétersbourßt
en suppriUlant tous les passages relatifs à Ia déclaration secrète
et n'y laissant subsisler que l'expression d'un vague désir
d'enlente avec Ia Prusse; Ie ,né'tllOire d'AIexandre, aCCOffi-
moùé de la Inême façon, fut recopié par
Ime d'Alopeus,
femme du ministre de Bussie à Berlin, et Hardenberg remit
Ie tout au roi qui Ie con6erait, Ie cas écbéant, à flaugwitz.
La Prusse désormais était engagée dans deux alliances
opposées, suivait deux politiques contradictoires, possédait
I Instruction secrète à Goltz, 20 man 1806. RANKE.
I :\-lémoiro Ju au l"oi Ie 2
mar.; inøtruction à Golu, 11 aar. 11". SA....
4
D'AUSTERLITZ A IÉNA. - 1806.
deux ministres des affaires étrangères, chargés run de tromper
officiclIement Napoléon, et l'autre de Ie combattre en secret.
EIle falsi6ait elle-même ses propres archives, et, abiInés dans
cette duplicité, enchevêtrés dans ce doublc réseau de traités,
ballottés entre les défections, Hardenberg et son maitre se
flattaient que Napoléon se préterait à leurs prestiges, serait
Ia dupe de leurs manæuvres, se laisserait prendre à leurs dis-
cours obséquieux, leur donnerait Ie loisir de s'installer en
Hanovre, d'ar1ner contre lui, de l'assaillir quand it aurait
évacué ses positions offensives en Allemagne et restitué ses
gages.
Napoléon ne perça point Ie mystère de la mission de
Bruns\vick à Pétersbourff; mais quelques signes parurent qui
suffirent à Ie n1ettre en méfiance. Les ministres anglais, irrités
de l'occupation du Hanovre par la I.Jrusse, publièrent les
pièces de la négociation entulnée entre I-Iarro\vby et Har-
denberg en novelnbre ] 805, et à laquelle n'avait manqué
qùe a la signature I. Le 20 111ars, ces documents furent connus
à Paris. Napoléon s'emporta, C0l11me s'il avait pu soupçonner
que, la veille, Frédéric-Guillaume écri,rait à Alexandre une
lettre où il se livrait à la Bussie el déclarait feinte et falla-
cieuse son alliance avec Napoléon. Le 21, une note parut au
ßloniteur, rappelant les terribles invectives du XXXIV e Bul-
letin. Hardenberg est accusé l& d'avoir trahi sa conscience
et son souverain pour servir I'Angleterre 1J. (( Voilà
1. de
Hardenberg bien récompensé de s'être prostitué aux éternels
ennemis du continent... II ne peut pas y avoir en Europe un
homme plus complètement déshonoré que
1. de Harden-
berg.)) Sur cette sommation injurieuse, Frédéric-Guillaume
se décida à ordonner, Ie 29 mars, la retraite ostensible et
feinte de Hardenberg, décidée en réalité depuis Ie 19 : elle
passa, en Prusse, pour un sDcrifice à l'alJiance française et
eUe en consacra l'humiliation dans Ie public. En même temps, -
on en ressentit les charges et Ie danger. Le 1 er avril, la Prusse
I 'Voir t. VI, p. %gg, .t ci-deuu8, p. i8.
É.8AUCHE D'U:NE COALITION. - 1800. 41
ferma ses ports aUK Anff]ais; Ie 4, l'Angleterre n1it l'embargo
sur les navires prussiens; Ie 8, eUe déclara Ie blocus de
l'Ems, de '\Veser et de l' Elbe.
Le 21, Ie roi George, par un message, annonça la guerre
maritime avec la Prusse; Ie 23, aux Communes, sauf Fox, qui
garda Ia mesure, ce ne fut que mépris et pitié pour cette
cour qui mêIait, disait.on, ce qu'il y a de plus honteux dans la
sujétion à ce qu'il y a de plus odieux dans Ie brigandage.
Le bruit court que Napoléon va la démembrer. Le fait est
que
lurat, à peine installé dans Ie grand-duché de Berg et
Clèves, l'esprit déjà tout feudiste et plein de mouvances,
réclame les abbaycs d 'Essen et Verden, qui sont à la Prusse,
et préventivement les occupe, sauf à s'en expliquer après 1.
I.Ae 5 avril, Napoléon reçoit Lucchesini qui Iui présente sea
lettres de créance près du roi d'ltaIie. Napoléon récrimine
contre Ie mauvais esprit de la cour de Berlin, I'entourage de
la reine, les commérages des femmes. II Les traités, dit-il,
n'obligent qu'autant qu'ils sont exécutés de part et d'autre;
de simples mots ne prouvent rien. II me fallt un allié en AIle-
magne pour épargner 100,000 hommes de troupes de terre et
employer l'araent qu'ils me coûtent à rétablir ma marine...
J e peux à peine lire dans Ie cæur de ma femme; j e ne sais
pas ce qui se passe dans Ie cæur des rois, et je dois m' en tenir
à examiner la' direction qu'ils donnent à leur polilique et å
l'opinion publique de leur nation et de leur armée... u
Voilà dans queUe crise Haufl',vitz, qui a quitté Paris Ie
30 n1ars, rentre à Berlin pour occuper son ministère de
paravent. Retour piteux: tout Ie monde condamne sa con-
descendance envers Napoléon, réprouve son traité. On lui
reproche et la guerre des Anglais, et la fermeture des fleuves,
et les entreprises de Napoléon sur l'Allcmagne, ces envahis-
sements renouvelés de Louis XIV. La domination française
s'étend en tache d'buile. 11 faut céder, reculer, s'humilier par-
tout, même devant Murat, grand-due d'aventure. Tout cela
· .Murat, ßl'and..duc de !Jere. i5 man 1806. - LucchesÎni, 9 avril,
"0
.'AU5TEftLITZ Å I Él'tA.. - t80G.
pour Ie Hanovre! Et qui sait si Napoléon, pour avoir la paix,
ne va pas céder cet électorat à r Angleterre? On est, à Berlin,
familier avec les déchirelnents et rétractations de traités, et,
pour en avoir usé plus d'une foist on redoute, de la part
d'autrui, Ie retour du procédé.
II se forme, autour de quelques hommes d' élite, du régéné-
rateur futur, qui, dès lors, entre en scène, Stein, un parti
patriotique, un parti de réformes et d'action; Ie roi ne Ie con-
sidère pas sans inquiétude ni quelque jalousie; la reine l' en-
courage sans I'aimer. Hau{pvitz se sent traité en suspect par.
ce monde, qui est tout Ie beau monde de Berlin. Relégué
dans son propre ministère, considéré comme une sorte
d' émissaire in partibus de Napoléon, il se voit réduit aux con-
férences cc académiques" avec Laforest, aux confidences de
Lombard; à la société compromise des Bavarois, des Wur-
tembergeois; aux hérétiques; aUK suspects du parti français,
chaque jour plus discrédité. Toute la faveur passe à I-Iarden-
berg. Ce diplomate devient Ie représentant du parti de l'hon-
neur et de la guerre. Les événements lui prêtent ce rôle, Ie
public Ie lui attribue; il Ie prend, il Ie garde; de ce geste de
théâtre it se fait un caractère et, posé en victime, il passe
héros.
Napoléon, cependant, ne parIait plus de retirer ses troupes
d'AlIemagne. II n'évacuerait, disait-il, Braunau, en Autriche,
et les pays de Franconie que lorsque la Russie aurait évacué
Cattaro et que ce port Iui aurait été remis I. Plus résoIus
que jamais à ne la point livrer, préoccupés d'ailleurs de cer-
taines manæuvres de Napoléon du côté de la Pologne 2, de
renvoi de Sébastiani à Constantinople, des velIéités d'action
plus marquées de la France en Orient, les Russes reprirent Ie
propos avec les Anglais sur un remaniement (( total)) de I' em-
pire ottoman. Sans entrer, jusqu'au fond, dans Ie (( plan
I Ãperçu des transactions. - Société d'IJÏstoi,oe de Russie, t. XXXI, p. 257.
- Napolpon à Eugène, 17 mai; à Joseph, 21 mai 1806.
, A Foucllé, 5 mars 1806. Faire des articles qui Illontrent . avec queUe verge
de fer les Russes gouvernent 13 Pologne. Chaque maison cst inondée de tloupee;
O,Q . délarmé tous lea citoyenl, et lei arrestation. .ont nombreuse. ..
.ÉBAUCHE D'UME COALITIOM. - {SOG. .f
grandiose" du tsar, Fox déclare à Stroffonof - successeur
de S. 'Voronzof - que,_ Ie cas échéant, I'Anffleterre trou-
verait ses con '"enances à Candie et occuperait Alcxandrie.
<< Toul bon Anglais, répétait-il à l'irnitation du roi George,
doit être bon Busse, et tout bon Russe bon Anglais I. J)
II avait continué la correspondance de courtoisie avec Tal-
leyrand. Le 26 mars, illui écrivit: "L'Augleterre se trouve
unie à la Russie par des liens si étroits qu'elle ne voudrait
rien traiter que de concert avec l'empereur Alexandre... .
Et, Ie 20 ayril, après une réplique dilatoire de TaHeyrand :
II Veut-on traiter conjointelnent avec la Russie? Oui. Veut-on
que nous traitions séparément? Non. " Napoléoll céda. l\lais
en renouvelant l'expérience de Paris et de Lille, en 1796 et
1797, les Anglais étaient persuadés qu'ils n'arriveraient pas å
la paix désirée par eux. "Amiens n'était point cette paix-Ià,
écrit l\lalemsbury; c'était à peine une trêve armée ou nne
suspension des hostilités i. II
Tout de même, à Pétersbourg: 1& Un essai, dit une note
russe, pour en venir à un accommodement, à un arrangenlent
provisoire" , afin de marcher de pair avec l'Angleterre, a6n
de gagner du temps, ann surtout de gardeI' Caltaro s. La négo-
ciation fut confiée à ThI. d'Oubril, et Talleyrand en fut inforlné
par une lcttre du 12 mai 1806. Cet agent n'avait pas d'autre
caractère ostensible que celui d 'un commissaire pour des
affaires de prisonniers. (& L'objet principal qu'il s'agissait
d'obtenir, c'était l'évacuation de la Dalmatie 11 et, en seconde
ligue, Hne indemnité au roi de Naples. Oubril emportait
des pouvoirs qui lui permettraient de signer (& une transac-
tion forlnelle ", mais seulement sub spe 7'ati et d'accord avec
l' Angleterre. Toutefois il pourrait (& se prêter à un arrangement
séparé ", si cet. arrangement (& présentait des avantages in6.-
niment marquants pour la Russie IJ t s'il acheminait la paix
J Ra
)ports de Stror,onof, février-mars 1806. -
1ARTENS, t. XI, p. i!6.
t Talleyrand à Fox, 2 juin; Fox à Talleyrand, ift juin 1806. - Journal de
Itta/ mC.'ibwJ', été 1806.
a Aperçu, p. 258. - Notee de Czartoryski, i1 ayril-i mai i806. - Tan..
CllEWSllY, t. III.
'I
D'AUST
RLITZ Å tÉNA. - 1806.
imluédi3tc entre les trois puissances. Quant à ces . avantages
infiniment marquants u qui décideraient la Russie à traiter
séparément, c'étaient : n la tranquille possession de la Sicile
par Ie roi de Naples; l'évacuation, en tout ou en partie, de la
Da.lmatie ('t l'établissement d'un ou de plusieurs États indé-
pendants entre l'empire ottoman et l'Italie 1 JJ . A ces condi-
tions seulement, Oubril consentirait iC à souscrire à Ia recon-
naissance du titre d'empereur que Bonaparte avait pris IJ.
Oubril passait pour adroit (i à se faufiler partout " , capable de
Ci voir très juste et avec tact", Ci bonne tête et bons senti-
ments I ". II avait séjourné à Paris au temps de f\larkof; it
connaissait les morens secrets de cet ambassadeur, ses entrées
souterraines au ministère de la guerre notamlnent I; peut-
être une partie du secret des amis de d'Antraigues. S'il ne
traitait pas, il renseignerait 4. Cependant qu'Oubril négociait
à Pari:;, Rasoumowsky, à Vienne, tirerait en longueur la
remise de Cattaro I. Cette combinaison fut Ie testament poli-
tique d'Adam Czartoryski : Ie tsar ne l'écoutait plus. Czarto-
ryski demanda son congé, l'obtint et Eut remplacß aux affaires
étrangères par Budberg, à Ia fin de juin 1806.
La négociation anglo-russe à Paris s'accommodait Ie mieux
du monde avec la feÌnte entremise prussienne destinée à
. assoupir les vues ultérieures de cet homlne extraordinaire
- Napoléon - en lui inspirant de la sécurité JJ . Le point,
écrivait Frédéric-GuillallIne à Alexandre, Ie 23 juiu, est de
"lui inspirer la persuasion que l'état des choses, tel qu'il se
trouve actuellement, serait reconnu par toutes les puissances
et mutuellement garanti. En attendant, on reprendrait
haleine, on songerait... à un rapport bien intime, on rétabli-
rait ses finances ct ses moyens de défense, on cOllsoliderait
1 Cf. les notel de Czartoryøki, ci-des8u8, p. 39.
! Stror.onof à Czartoryski, 22 décembre 1805; CzartorY5ki à StrogonoF,
6 février 1806. Grand-due NICOLAS.
3 . Les bureaux de la guerre, les speculateur8 dans les fonds, m
s ømis, Ie.
ennemis de Napoléon. " Lucehesini, 22 juillet 1806. BAILLEU.
, PINGAUD, 2 e éditinn, p..231, 281.
· Nimoire de C1.artol'yski. 29 j
in 1806.
ÉBAUCHE D'UNE COALITION. - t80ft. 49
Bes frontières, on aviserait à tous les moyens pour
e mettre
sur Ie pied Ie plus respectable... Quant à moi, j'y ai songé
sans relàche, j'ai tout préparé pour cela et je n'attends que Ie
premier moment favorable pour mettre mes projets à exécu-
lion.. . J) .
Alexand re pensait de même, et les déclarations qui consta-
taient l'accol'd furent signées par Ie roi de Prusse Ie 1 er juil-
let, par Ie tsar Ie 12 du même mois, telJes qu'elles avaient
été projetées en mars, sauf toutefois la garantie du Hanovre,
que Ie tsar ne voulait point consentir; elJe ne cadrait point
en effet avec la négociation qu'il allait entamer à Paris, con-
jointement avec I'Angieterre. Si la guerre en devait sortir,
comIne on Ie supposait, Alexandre entendait se ménager les
moyens d'obtenir de nouveaux subsides anglais I.
II n'est point jusqu
à I'Autriche qui, à peine remise de S8
défaite, les signatures du traité de Presbourg à peine séchées,
ne couve aussi, sournoisement, de nouveaux desseins de
coalition. Les plans que Napoléon déjoua en 1808 et rompít
en 1809 {ferment déjà en cet été de 1806. Metternich, qui va
de plus en plus transformer 'les ambassades en une sorte de
ministère du dehors, avait rédigé, en janvier, un plan de
triple alliance entre l'A
triche, Ia Russie et la Prusse, une
Confédération de I'Orient à opposer à la Confédération de
1'0ccident : roccident de I'Europe serait (( pour Ie moment>>
abandonné à Napoléon. On (c l'assoupirait >>assez pour attendre
l'heure favorable et former une grande armée, dont la Prusse
serait I'aile droite, l'Autriche Ie centre et l'aile gauche, la
Russie la réserve, se rasseinblant par échelons en Pologne,
de façon à se porler rapiden"lent où il faudrait. C'est dans ces
dispositions que Metternich fut désigné pour l'ambassade de
Paris, où Napoléon I'accepta, après avoir refusé Cobenzl'.
(( Napoléon, écrit
Ietternich, m'apparaÌssait comme la Révo-
lution incarnée... Je ne crois pas qu'il ait eu une bonne inspi..
ration en me faisant appeler à des fonctions qui me mettaient
I MARTENS, t. VI, p. 380, 38lt. - Voir ci.de88us, p. lt2.
J Jui1l1806. - lUémoires, ,. I, p. 50; t. II, p. t01. - BEER, p. !17-i3!.
VII. '"
Ii
.'.AUt4TJtl\LITZ
llil'iA.. - 180....
A m
me d'npprécier ses grandes qualités, mais en même
t.eIIjpS d'apprendre å connaitre ses défauts qui 6nirent pnr
l' entraîner à sa perte;... de m' éclairer sur la manière dont
parti de si bas il avait pu s'élever si haut. "
Napoléon, pour deviner les desseins des alliés, n'avait qu'à
Ie meltre en leur place et A combiner contre lui-même. La
paix qu'il rêvait encore lui présentait trop d'avnntages pour
qu
jl ne In désirât point passionnément.
lais il connaissait
assez I'Europe pour savoir que I'Europe ne la négocierait
que par ruse de guerre et ne la conclurait que pour se pro-
curer les moyens de la rompre. II se mit donc en mesure
de rendre 8.ussi formidable que possible Ie statu quo dont il
entendait exiger la reconnaissance et qui, seul, lui paraissait
de nature à prévenir une coalition nouvelle ou, au moins, à
la contenir. La paix ne sera imposée à I'Angleterre et garantie
à la France que s'il transforme Ie continent en une Jnachine
immense d 'in vestissement.
v
Le 30 mars, Nap01éon annonce au Sénat, par un messnge,
une série de décrcts I : V eni
e incorporée au royaume d'Italie;
Joseph roi de Naples, et, ù
partibus, de la Sicile; Murat, grand-
duc de Berg et de Clèves j Élisa Bonaparte, mariée à I'Italien
Bacciochi, princes:;e de Lucques, Massa et Carrara; Pauline,
remariée à I'Italien BorJhèse, duchesse de Guastalla. C( La
Iìollande, écrit l' elnpereur à Talleyrand, est sans pouvoir
exécutif; illui en faut un : je lui donnerai Ie prince Louis...
II faut qu'avant vingt jours Ie prince Louis fasse son entrée
dans Amstel'daln i . Ce sont les apanages de l'empire d'Occi.
I IMcret5 du 30 man; .énatua-col1sulte du t
août 1806, reJatif à Guastalla,
articles 5 et 6; majorats. - Frédéric :\1ASSON, t. III, chap. XVII, Ie Grand Empire.
! A Talleyrand, 14 Dlars. - Sénatu.-coDlulte élevant Louia au trODe d.
Hollande, 5 juin 1303.
CONTRE"CO.ÅLITIO
, LE
RÅ
D E:\f PI'ftJ:. - tS06. 51
dent; suivront les grands fiefs : Neufchâtel érigé en princi..
pauté pour Berthier; Ponte-Corvo pour Bernadotte; Bénévent
pour Talleyrand I. Napoléon réserve en Vénétie, dans rItalie
centrale, dans Ie royaurne de Naples, des terres qu'il dis-
tribuera aUK maréchaux et aux principaux serviteurs de
l'empire dont il fera des ducs. Le tout formera Ie Grand
Empire.
L'Allemagne en constitue une pièce essenbelle, et comme
Ie bouclier contre l'éternelle coalition, I'Autriche, la Prusse,
la Russie, les trois copartageants de 1772, 1793, 1795, iné-
vitablement alliés cOlltre qui partage sans eux, surtout à leurs
dépens. Le Conseil exécutif de 1792, Ie Comité de Salut public
de ran III I, Ie Directoire avaient compté pour attacher
les priuces allelnands à In France sur la con6scation des
terres d'Église, les sécularisations : I'ouvrage est accompli
depuis 1803. Napoléon Ie complétera. II reste à leur livreI' lea
cinquante et une villes libres et les territoires de Ia noblesse
di te irnlnédiate, celle qui ne relevait que de I'Empire et en
portait Ie nOlnbre des Dlen1bres à 360, 1800 à 1900 avec leurs
6efs et dépendallces : iIs ne seront ni con6squés ni expro-
priés; ils passeront de r état de seigneuries quasi souve-
raines à celui de simple
sujets des princes dans Ie territoire
desquels iIs se trouvent enclavés I.
Les départements français de la rive gauche du Rhin four-
niront aux princes alleluands de la rive droite Ie type d'un
gouvernement supérieur, OÙ Ie peuple, moins pressuré, se
sournet plus aisément, OÙ I'ilnpôt rend davantage à mesure
que la prospérité augmente. Le grand-duché de Berg mon-
trera comment ce syslènlc de ffouvcrnement peut s'appliqucr
sur la rive droite pour Ie plus grand avantage des princes: ce
sera, avcc In concentration des territoires, la centralisalion
ßlonarchique, Ie despotisDle intelligent, c'est-à-dire, pour lea
princes d'AlIemagne, Ie gouvernement éclairé selon Ie modèle
I ßénévenl et Ponte-Cor
o, 5 juin t806. - Cf. ci-aprè., p. 65.
i Voir t. IV, p. 298 ..t suiv., 358, 389 et Buiv.
BUlLY, C. I, 297, 30
. CE. ['Europe d la Bivolution, t. I, p. 402.
ðS
D'AU8TERLITZ A IgNA. - 180ð.
du dix..huitième siècle I. Napoléon leur facilitera cette sorte
de révolution, que Montgelas a déjà entamée en Bavière, et
que tous auront intérêt à entreprendre, puisqu'elle les rendra
plus puissants et plus riches.
(( Je vais, disait Napoléon å Lucchesini, jouer Ie rôle que Ie
cardinal de Richelieu avait assigné de son vivant à Ia
France 2. J) II s'en entretint à
fayence avec I'archevêque
Dalberg et Talleyrand : c' était la suppression du Saint-Empire,
Ia Prusse hors de I'Allen1agne, la suprématie passant de I'Au-
triche à la France; l'Autriche reléguée en ses royaumes de
Bohême et Hongrie, repoussée vers les Slaves et les Turcs.
Depuis, il n'avait cessé d'en méditer, d'en écrire à Talleyrand,
et ce ministre, av
c ses (( faiseurs 1) habituels, disposait Ia
besogne qui prorrlettait d'être presque aussi féconde en (( cour-
tages" que l'incomparable recès de 1803 8. L'avidité, dans les
cours d'Europe, demeurait toujours en éveil et toujours inas-
souvie. Les combinaisons de Napoléon, d'ailleurs, flottaient
dans l'air. Hardenberg en spi culait, au profit de la Prusse 4.
Les négociations se poursuivirent à Paris dans Ie plus grand
secret: les arrangements furent arrêtés à la fin de juin; mais
Napoléon ajourna la siGnalure des traités, désirant mener à
fin sa paix avec la Russie, avant de publier la nouvelle con-
fédération de I'AIlem3ffne ð.
Cette confédération, dite Confédération du Rhin, ne com-
preud qu'une partie de l'ancienne Allemagne, celIe qui con-
fine à l' empire français : eUe exclut, outre l' Autriche et la
Prusse, Ie Hanovre, I'Électorat de Cassel, Ie Brunswick, la
Saxe électoralc, les cin(! duchés de Saxe, I'Électorat de
I Voir t. It p. tlf4. et stliv., f4.37.
I Voir FAGNIEZ, Ie Père Josep/l et Ricllelieu.
a Voir ci-des8us, p. 31, h Dole òu 30 janvier; notes à Talleyrand, 21 avril,
3J mai 1S0B. - Curro in., t, VII. p. 3ül. - FOURNIER, t. II, p. 111. - fAL"
I EYI\A
D, ]t1ém,o;,oes, t. I, p. 30
. - Rapport à I'empereur, 10 mai 1806.
· Voir ci-dessus, p. 21.
I DI
CLERCQ, t. II, p. 171. - ONCKE
, t. II, p. 2
f4.. - TREITSCBKJ-:, t. It
P !30. - fh(js
!ER, t. I, p. 657 - FOCr.NIER, t. II, p. 113. - Hl'\fLV, t. I,
p. 328. -- LEFEDVRE, t. II, chap. XiX. - Ih
IBAcD, Napoliull, pr it [' Å llellw!i'lîe,
cLap. ,
CO!\TR E-COALITION, LE GRAND EMPIRE. - i806. 53
"rürzbourg, Sa]zbourg et quelques principautés I. NapoIéoo
réserve ces territoires Ù d'autres transactions. Dans In Conté-
dération, seize États : deux rois
Bavière et \Vurtemberg;
Ie prince primat, Ðalberg, qui règne à Francfort-sur-le-
fein, trois grands-dues: Bade, Darmstadt, Berg, formant Ie
(I Col1èlje des rois )) , et dix principautés qui ont échappé à la
ulédiatisation : deu"\: Nassau, deux J-JohenzoIJern, deux Salm-
8alm, Ie prince d'Isenbourff, Ie due d'Arenberg, les princes de
Lichtenstein et de LeYí'n, form3nt Ie n CoIlège des princes n .
1,(1 Diète fédérale se tient à Francfort. Les mernbres de la
Confédération sont investis de la pleinc souvcraineté, sauE å
r
ffard de Ia France. Napoléon se dérlare Protecleu1" de la
Confédération du Rldn; les princes con féd érés sont ses alIiés et
lui fournissent nn contin
ent de 63,000 hOlTImes. SauE leurs
devoirs d'aIliés, ils gouvernent leurs États selon leur bon
plair. Napoléon ne s'en mêle point. " La considération, écri.
vait-il à àlurat, se base, en Allemagne, parmi les princes, sur
Ie nombre de bonnes troupes qu'ils peuvent fournir t. w
Voilà I' ernpire et ses dépendances poussés à I'Elbe, à
I'Adriatique, aux extrémités de l'Italie : la rurquie devient
un élément de ]a politique françaÍse, comme l'était naguère
I'Allemagne; comme l' était, avant 1795, la Pologne pour
I'Autriche, la Prusse et la Russie. Napoléon fait occuper
Raguse 8, en voie Reinhard en mission dans les principautés et
ranime les négociations avec Ia Porte. Sébastiani, qui connatt
ce théâtre, fera sentir aux Turcs les conséquences d'Auster-
Iitz 4. " Le but de ma politique est de faire une triple aHiance
de moi, de la Porte et de la Perse, dirigée indirectement
contre la Bussie... L'étude constante de mon ambassadeur doit
être de jetcr de la défiance sur la Bussie... Le but de toutes
I Lee trois ducs d' A nhalt, lea deux princes de Schwarzhourg, Waldeck, r
deux Lippe, les deux Reuse, Ie. deux l\leklpmbourg, I'Oldenhourg.
t A Murat, 15 août lS06.
a A Euaène, 6 mai 1806. - PISANI, la Dalmatie de {789 à 1815, p. t45 et.
811ivRntel.
· Instructions à Sébastiani, 9 juin; à Talleyrand, 1. t, 29 juin; à Sélim. 20 ju.in
1806. - DRIAÐLT, La Politi'llu! orientale de Napoléon fer. ch. I.
I
..
f)'AUSTERLTTZ A IÉNA. - {80G.
ccs n
gociations doit être la fermetnre du Bosphore aux
Busses... Je ne veux point partager l'empire de Constanti-
nùple, voulùt-on m 'en offrir les trois quarts... " II ne sou-
tJendra pas les populations chrétiennes insurgées. II prendra,
sur cet article, Ie contl'e-pied de Ia politique russet II s'en-
tf\ndra avec Ali, pacha de Janina. (t II faut s'étudier à dompter
les Serviens et å contenir les Grecs... 1) - It Une fois maître
des bouches de Cattal'o , écrit-il à Eugène Ie 28 juin, mon
intention est de m'eJnparer des
Ionténéffl'ins. L'inlportance
que j'attache à avoir une contenance respectable en Albanie
t . b . I d d r- I ' ,
a mOlns pour 0
et e pays que e onner aux urcs et a tout
Ie continent une haute idée de ce que je puis... IJ Sébastiani,
qui pratiquait volontiers la diplomatie par indiscrétiollS, con-
6ait, quelques semaines avant, à Lucchesini un entretien
qu'il venait d'avoir avec l'empcreur : . La conclusion de cet
entretien a été qu'il fal1drait tirer une barl'ière de la mer
Noire à la Baltique, derrière laquelle on devrait rcfouler les
Busses débordés en Pologne et que les Français, d'accord
avec les Prussiens et de concert avec les Turcs, y parvien-
draient aisément I. ø
La r,léditerranée lac français, la France étendue au Rhin,
18 suprématie de l'Allem
ffne, ce sont les dessf'ins marrni!iques
de l'ancienne nlonarchie; les conventionnels y. voyaiellt la
splendeur de la République. lIs sont acco111plis; mais pour y
réduire I'Angleterre, il n'est que deux moyens, discernés dès
1795 : I'invasion, tentée vainelnent en 1796, 1797, 1803, ou
I'exclusion du continent, Ie bIocus. Napoléon s'y vait ramené
par la force des choses, et COlnnle il se trouvait, en 1792, des
publicistes pour recomlnander la concentration de l'AlIe-
rnuffue, il s'en trouve, en 1806, pour soufÐer à I'ernpercur Ie
blocus continental'. C& Le gouvernClnent aUGlais, écrit run
I C.elt 1':ancip.nnp barrièr
(1
13 Polor,ne, qui était une .lei pièces .Ie I'ancien
IJ8lème français. Voir t. I, p. 502.
t 1& E,clure les Anl
lai8 llu continent et Ip leur fermer,.. d
ruis Gihrdtar jus-
qu nu Texel. . Le ComiLé à UaJ,thélemy, 27 aoùt,
seplcmLrc 1795. T. IV,
p. 889.
CO:NTRE-COAI
ITION, LE GRAND EMPIRE. - tSOß. 55
d'eux I, se trouve dans une situation éminemment critique; il
conserve bien encore une force navale formidable, mais
I'affaiblissement de celte force est inévitable... si sa richesse
cOlnmcrc.iale continue à être menacée, poursuivie, atteinte
dans les débouchés les plus importants; ses finances et son
crédit public s'altèrent. JJ - " L'Angleterre est perdue si on
pnrvicnt å combattre et å réduire sa puissance territoriale en
Asic, si on réussit à établir en Europe l'interdiction de ses
marchandises, si on peut fermer ses débouchés et si on prend
1('3 mesures nécessaires pou
affaiblir sa puissance navaIe...
C' (1st par Ie commerce qu'i) faut attaquer I'AnffIeterre...
D'2traire Ie commerce britannique, c'est frapper I'Angleterre
au cæur; c'est l'attaquer en même temps dans ses alliances et
Sf'S intrigues continentales I. "
Ainsi Ie Grand Empire, comme la plus Grande République
du Directoire, dérive de cette nécessité de contraindre I'An-
gIctcrre à la paix française. Napoléon l'entoure de rois de son
sang, créés et investis par Iui, comme Ie Dircctoire s'entou-
rait de Républiques suscitées par fa RépubJique française, et
à son image. Le syslème continental s'nnnonce sous Ie Direc-
toire, masqué de propagande répuhlicaine; il se réalise, sous
l'Empire, doublé de pactes de farnille. L'esprit de clan, si impé-
.-ieux chez Napoléon, se confond ainsi dans Ia conception du
Grand Empire et du blocus de l'Angleterre. Aussi peu cosmopo-
lite, d'ailleurs, que Ie Comité de Salut public de ran III et que
Ie Directoire, Napoléon considère Ie Grand Empire comme les
Directeurs considéraient Ia Grande Nation, qu'il concentre en
Iui et représente. II n'existe pas plus à ses yeux de rois contre
Ie Grand Empire qu'il n'existait aux yeux de ses prédécesseurs
de Nations contre la Grande Nation. II entend, à I'étranger,
le mot national comme Ie Directoire entendait Ie mot patriote,
de l'homme qui est un citoyen raisonnable, serviteur de la
1 M;moire de Montgaillard du 25 juillet i805-25 février 180ð. - Clémea'
DE J....A CnolX, 01'. cit., p. 56 et .uiv., i61 et luiv.
t Cf. t. Ill, p. 278, 476; t. IV, p. 359, 388-9, 464.; I. Y, p. 283, 330. _
JrllfPðl't J. Tall(Jyulud, to juill.t 1798, PALU,IN.
sa
b t At1STERLJTZ A IÉNA. - 1806.
Grande Nation, de la patrie supérieure, la France: (c Le parti
patriole est celui qui a toujours montré Ie plus d' énergie pour
la France et pour Ie trône. " - (( L'esprit nationaL.. JJ est
. une soumission d'altachement raisonnée et d'intérêt I IJ . Les
peuples n'ont pas ù'autre droit que d'être gouvernés, mais de
ce gouvernement ils ne sont pas juges. (I Je trouve ridicule
que vous m'opposiez l'opinion du peuple de WestphaJie; que
fait l'opinion des paysalls aux questions politiques? JJ - (I Si
vous écoutez l'opinion du peuple, qui ne sait ce qu'il veut...
vous ne ferez rien du tout i. JJ Si Ie peuple se refuse à son
propre honheur, décrété par Ie mailre s, ou à sa propre
voIonté décIarée en son nom par Ie souverain, Ie peuple est
anarchiste, il est coupable, et les châtiments sont à la fois Ie
premier devoir du prince et Ie premier chapitre du gouverne-
mente (I Traitez bien vos peuples, car les souverains ne sont
faits que pour leur bonheur. IJ Mais se faire aimer, c'est se
faire craindre. " II faut être roi el parler en roi. IJ La con-
6ance se cOlnmande par autorité et ne s
gagne point par
amour. (I La première chose à fnire est de se prO(.lirer de
l'argent et de faire des exemples sévères des assassins. Dans
un pays conquis, la bonté n' est pas de rhumanité
. JJ - (I Ce
n'est pas en cajolant les peuples qu'on les gag-nee JJ En6n, se
m
fier de tout et de tout Ie monde : (I Que ceux qui viennent
vous réveiller pendant la nuit pour vous remf ltre les dépêches
soient Français. Personne ne doit jamais entrer chez vous la
nuit que votre aide de camp, qui doit coucher dans la pièce
qui précède votre chambre à coucher; votre porte doit être
fermée en dedans, et vous ne devez ouvrir à votre aide de
camp que lorsque vous avez bien reconnu sa voix, et lui-
même ne doit frapper à votre porte qu'après avoir eu Ie soin
de fermer la porte de Ia chambre OÙ il se trouve, de manière
à être sûr qu'il y est seul et que personne ne peut Ie suivre...
I A Eur.ène, 30 juillet; à Joseph, 2 juin 1806.
· A M
urat 10 avril; à Joscph, 30 juillet 1806.
· Cf. t. III, p. 201, 237.
, A Joseph, 8, 21 mars; 31 mai, 3 juin, 3 juiIlet, i- aoðt; à Stéphanio
d. Bade, is juiHet j à MUI'at, 30 juillet 1806. - CE. t. VI, p.
36-437.
CONTRE-COAI,ITION, LE GRAND EMPIRE. - 1808.
1
Ces précautions peuvent vaus sauver la vie. " . C'est son
Traité du prince qu'il développe ainsi dans ses mandcments à
Joseph, à
Iurat, à Eugène, en ces débuts de leur règne : if
l' écrit en homme qui a vécu sons la Terreur; gouverné, en
Italie, au milieu des insurrections; en France, au milieu des
complols, et médité sérieusement sur la mort de Paull er .
Iais pIns encore qu'il ne se trompe sur les peuples, il se
trompe sur les rois qu'illeur donne, et davantage si c'est pos-
sible, sur sa propre faiblesse en\.ers ces rois de sa plume et de
son sanG. IJ n'eût pas suffi, pour expliquer les mécomptes du
Grand EInpire, de I'insubordination des Bonaparte, de leur
foi impertinente en une sorte de prédesnnatIon monarchique
de leur personne, si Napoléon, si Ie frère n'eût été, par tem-
pérament, un donateur prodigieux et inépuisable. Cet
homme né pour l'empire, qui entra de plain-pied dans Is
souveraineté et se trouva, sans effort, non senlement l'égal
mais Ie supérieur, et SOliS tous les rapports, des rois et des
empereurs vaincus par lui, demeura toujours, dans sa famille,
un parvenu et un cadet. Là, il ne fut jamais empereur que
pour donner. II ne parvint jamais à se faire obéir ni respecter.
II Garda pour les siens celte étrange complaisance qu'il
étendit à tous ceux qui l'avaient aidé dans les temps difficiles,
servi dans les années de crise. Ce guerrier, cet autocrate,
violent, généreux, débonnaire, fut, de tous les maitres et
menenrs d'hommes, Ie plus notablement trol1Jpé et trahi par
ses femmes, par ses frères, par ses sæurs, par ses ministres,
par ses lieutenants, par ses scrviteurs.
D'ailleurs, 1a tâche qu'il leur impose est contradictoire :
rois nationaux à l'égard de leurs peuples, lieutenants de l'em-
pire français au dehors à I' éffard de l' empereur 1. II leur
arrive, et dès les commencements, ce qui advint aux gouver-
nements républicains étabIis par Ie Directoire. Ce sont lei
mêmes doléances de leur part, les mêmes injonctions de la
I . Vous êtes Français, VO! enfant! Ie .eront; tout autre .entiment .erait.1
d(:shonorant que je vous prie de ne jamai. m'en parler. " A Murat. 30 juillet
1806.
SA
D'AU5TERLITZ A IÊNA. - iS06.
part de l'elnpereur. les mêmes conflits irréductibles. Ajoutez
Ie caractère des hommes. Joseph reste sur Ie trône de Naples
ce qu'il était à Paris et à
Iortefontaine : un opposant à la
politique de l'empire, un candidat à la succession de l'empe
reur. Sa correspoltdance avec Napoléon prend, dès mars 1806,
Ie ton qu'elle gardera jusqu'èn 1813, et cet apprentiss3ffe
royal contient, en raccourci, I'histoire des deux règnes de
Joseph, à Naples et à l\ladrid.
Ræderer qui vient congratuler Joseph, au nom du Sénat
et de la part de l'empereur, invoque Charlemagne, Louis XII,
Louis XIV; il peint, en Joseph, Ie prince désiré par les
modérés de France'. IIle loue, moins en roi de Naples qu'en
héritier présomptif å Paris : It sa modération, en particulier;
cette douceur fìère, compagne naturelle de Ia vraie dignité >>
qui assureron t à son règne (( cette obéissanee passionnée, si
préférnble à Ia soumission aveugle et muette" . Puis il exprime
les regrets du Senat : " C'en est done fait, il est perdu pour
nous! )J se disaient tristemcllt les sénateurs à I'audition du
décrel du 20 mars. Joseph les console : "l\les nouveaux
devoirs me laissent rnes anciennes obligations. J) En attendant
il est tout à ses peuples, Ie passionnés pour la régénération de
leur pays )' . - n Je trouve dans les Napolitains les sentiments
que notre empereur a trouvés en France. J) rtlais Ie crédit est
nul, l'argent se cache; les impôts sont impopulaires, Ie fisc
odieux. Si Joseph gouverne, il désaffeclionne ses sujets; s'il
perçoit, il les révolte; s'il les arme, ils tirent sur lui. Les
insurrections, fomentées par les Bourbons, sévissent dans la
mont3gne: royalisme et brigandage, la tête de Joseph mise å
prix, Fra Diavolo fait due. Les colonnes mobiles pendent,
fusillent, brùlent pour n'être pas torturées et tuées. On ne
paie pas Ie soldat, it pille. Les généraux agissent comme en
pays conquis '. Si Joseph et ses ministres français, Mathieu
Dumas, Miot, Ræderer, essaient de gouverner à la française,
. · RæDß1\EI\, t. III, p. 523-525. - Cf. ide 511 et luiv., rapport aur I'hérédité.
t . Tenez In main à ce que lee gén
r;tux ne volent pas. . Napol4oa à Jo
eph,
I .an. à D.jea., t. v .yr.I, I jui. i80.. - .M1!1'e.
C01STRE-COALITION. LE GRAND E
fPIRE. - 1808. 19
cette nléthode exigeante, n1ais bienfaisante, acceptée par une
nation dre!ìsée au gOllvernement centralisé, importune Ie
pel1pIe insouciant des lazzaroni, les nobles habitués aux abus
dont iis profitent, les populations anarchi8tes et fanatiques
des campagnes. Dne grande insurrection popnlaire autour
d'une ville en fête, c'est encore, cornIne au t.emps de Cham-
pionnet, Ie spectacle que donne ce royaume naissant. Ajoutez
les bandes de Français, émigrés rentrés et faméliques, filili-
tnires ou fonctionnaires déclassés qui s'abattent sur ce pays,
cherchanl héritières, fortune, emplois. Au bout de très peu
de ternps ces étranffers, les uns parce qu'ils font rudement
leur besoffne de conquérants; les autres, les intrus, parce
qu'ils accourent à la curée; tous, parce qu'ils dépouillent,
usurpent, comn1andent et vivent sur Ie pays, deviennent
odieux. Joseph crie I!lisère, appelle å l'aide; réclame des mil-
lions, des ffenda rmes, des soIdats. "Je ne réussirais pas, dans
ce monlent, à envoyer en France un réffiment napolitain; ils
désertcraient tous. " - " Les branches principales de mes
revenus sont sans vie; les douanes ne rendent presque rien...
Le bIocl1s rend la vente des blés et des laines très dif6cile...
Je n'ai pas aujourd'hui plus de 30,000 hommes en état de
marcher. 1J Tout manque pour l'expédition de Sicile, les
homines, les bate3ux, raruent I. Ainsi ce royaume tributaire,
loin de payer tribut, sollicite des subsides; cet allié, loin de
fourn ir des auxiliaires, demande des secours.
.Napoléon, COlnn1e il fera jusqu'à la fin, refuse de croire
nux faits qui dérangent se8 calculs. 1& Je ne puis vOus envoyer
aucuu rent'ort Je ne puis engageI' toutes mes troupes à Naples.
Je n'ai que très peu de troupes en Italie... Vous avez le fonds
de 60,000 homrnes... V ous avez une armée immense I. .
Naples est une mine d'or: ft Qu'on la pressure avec art, elle
rendra nne centaine de millions. H Et que surtout Joseph ne
ße pipe point aux acclamations des peuples, nux génnflexions
des nobles: a Les sentiments qui vous naissent à volre entrée
I Joseph à Napoléon, 8, 30 mai 18Oð.
I Â Josoph. 3, 6, 7 juin 1806.
80
D.AUSTEnLITZ A IÉNA. - 180ft
à Naples, naissent t.olljours å la prelnière entrée en pays con-
quI5.... n - cc C' est ainsi que se présentent tous Ies peuples
conquis, déguisant leurs sentilnents et leurs nHPurs et se pros-
ternant avec respect devant qui tient leurs biens et leurs vies
dans les mains I. 1) Naples peut et doit héberger 40,000 Fran-
çais, les refaire, les relnont
r, les putretenir dans l'abon-
dance. cc .A,ttendez-vous à uue insurrection et préparez-vol1s,
en Ia réprimant, à donneI' des exemples. L'occasion sera
bonne. GOllvernez! supprimez l'ancien régime, ses privi-
lèges, ses abus; organisez Ie fisc à In française; faites rendre
gorGe aux voleurs, aux concussionn3ires... Enfin, et avant
tout, confisquez les marchandises anglaises, délogez les
Anglais de Ia Sicile! )J Naples est un poste avancé contre I'.A.n-
gleterre, une station vel'S I'Orient, une des clefs de la
fédi-
terranée, et voilà toute 13 raison d'être de Joseph sur ce trône
et de ce trÔne dans l'elnpire !
C'est ce dont Joseph est Ie plus incapable. II rêve de gag-ner
son peuple, de rallier les nobles, de se faire une cour, de régé-
nérer la nation, d'en dcvenir ridole; de donneI' à I'Italie, et
surtout à la France, l'exelllple d'un prince éclairé, bienfai-
sant, pacifique, lllodérateur, réformateur, tel naguère, en
Toscane, Ie grand-duc Léopold 2. II n'en aura jamais Ie temps.
En juilIet, 6,000 AnGlais et 3,000 Bourbonniens débarquent
en Cnlabre, 4,000 insurgés les rejoigllent. C' est Ia Sicile qui
envahit Ie continent, et Ie Bourbon qui menace d'expulser
Ie Bonaparte. Reynier recule. L'armée française, qui soutient
tout, se décourage. Sur 45,000 hommes, on compte 14,000
malades, et pour commander cette troupe décimée it faut
deux maréchaux, dix généraux de division, dix-sept généraux
de brirrade ! Ségur, envoyé en mission près de Joseph, revient
à Paris, rapportant les lanlentations du roi, celles des géné-
raux. Napoléon récrimine, tempête : " lIs ne savent done
plus la gu erre ? .. Des révoltes! Qu' est-ce que des révoltes de
paysans contre des colonnes mobiles et de Ia décision ? Avec
I A Jose-ph, 28 fé"ricr; 2, 3, 6, 20 war.; 11, 21,22 avrillS06j t.\ mai 1806.
· Yoir t. I, p. 114, îVO.
CO
TItE-COALITION, Lit GRA
D EMPInE. - i
06. ði
quelques exéculions, ils n'}' revÎennent plus. Ne vous en ai-je
pas donné l' exernple? A-t-on oublié Jaffa?.. J'ai fait fusiller
là, tout à la fois, plus de trois mille hommes! Cela est affreux,
mais sans cela mon armée était perdue... Les Napolitains,
c'est cornn1e les Corses, il faut, pour les dompter, une volonté
de fer et de feu! Sans quoi mOD frère périra" ou sera chassé
de son royaume. J) Les letLres fulminantes partent, courrier
sur courrier, Ie 31 juilIet, Ie 5, Ie 9, Ie I 7 août: "J e désire-
rais bien que fa canailJe de Naples se révoltât... A tout peuple
conquis il fa ut une révolte... Tant que vous n' en aurez pas
fait un exemplc vous n'en serez pas maître. Je regarderais
une révolte à Naples comme un pêre de famiIle voit une petite
vérole à ses enfants. I' - " Pl1isque Ia Calabre s' est révoltée,
pourquoi ne prendriez-vous pas la moitié des propriétés de ce
pays pour distribuer à l'armée? 1J Ainsi naguère Ie milliard
promis aux soIdats de la République. Spoliations, exécutions,
confiscations, c'est Ie programme et Ie vocabulaire de la Ter-
reur. Napoléon oublie qu'å traiter ces pays à la vendéenne il
risque d'y susciter une autre Vendée.
La tâche confiée à Louis, en HolIDnde, est plus difficile
encore que celIe de Joseph. La Hollallde est un poste de
douane contr
I'Angleterre : pour accolnplir sa mission Louis
est contraint de refouler, de renverser toute l'histoire de son
peuple, toutes ses traditions, tous ses Întérêts. C'esl une
royauté contre nature. La Convention a posé ceUc politique
par ]a conquête; Ie Directoire l'a continuée à coups de révolu-
tions 1. Le 24 mai, les députés bataves appelés à Paris signent
un traité qui constitue leur république en royaume' Louis
Bonaparte est roi, avec une lisle civile de 1,500,000 florins.
des domaines rapportant 500,000 florins, un douaire del
250,000 florins pour la reine. D'ailleurs, ce royaume reste à 13.
discrétion de l' empire français, comme la Répuhlique batave
l'était à l'égard de Ia République française. Le 5 juin, Napo-
léon, dans un message au Sénat, définit Ie caractère de cette
I Voir les p,.écédents de la COllvention d du Direc:toi,.e. t. IV. p. 24:1, 313"
332; t. Y, p. 35, 225, 31S.
6.1
:g' A tTSTEnLITZ A It
A.. - i88ð.
monarchie, intern1édiaire entre la conquête de 1795 et ran.
nexion de I8lO : u Située à rembouchure de grandes rivières
qui arrosent une partie considérable de notre territoire, 18
I]ollande est Ull prolongement des limites naturelles. Elle
est nécessaire au COffilnerce français, à la défense de l'em..
pire. Enfìn, elle est Ie premier intérêt de la France. " La
Hollande, déclare-t-il aux Balaves, n'existe que par Ia France;
elle ne doit exister que pour elle. Et à Louis: (( Qu'elle VOUi
QOlve des rois qui protèaent ses liberlés, ses 101S et sa reli.
gion; mais ne cessez jamais d'être Français. "
Louis Bonaparte sera, sur Ie trône, un hypocondriaque du
pouvoir, comme il l'a été de rarnonr dans son lnénage, de
Ion corps dans toute sa vie I : sa moJestie apparente, sa sau-
vagerie affectée cachent " un an10ur-propre inquiet, jaloux,
souffrant COlnme sa personne ,,; amour-propre d 'hon1me de
lettres manqué, de César collaléral que ronGent son génie
méconnu, son orgueil aigri jusqu'à la DU1Die des perséclItions.
Son fonds d'hoDnêteté, de bonté naturelIe; son sentilnent
du devoir, quand Ie soupç()ß ne Ie trouble point, forti6ent
chez lui cette prévention personnelle : régner pour lui-
même, par Iui-Inême" sera régner pour son peuple, par son
peuple. II se fera une vertu de sa vanité. II était dans Ie carac-
tère de son personnage de jouer Ie sacrifì
, motif à se
plaindre sans cesse et à sans cesse réclarner. II ßccepte, par
contrainte, ce que les HolJandais sont contraints de lui offrir.
et il se forme spontanément entre eux comme un lien d'hos-
tilité commune contre Ie maître, l'empereur, qui les rap-
proche et, pour un moment, les réunit.
Ce faux modeste monte sa cour sur un pied fastueux. Le
Bonaparte sont comme tourmentés, de naissance, par la n()
-
talgie du chambellan, de l'écuyer, de la livrée. Louis fait, 1<..
23 juin, à La Haye, une entrée de Gala. IJ cOJ1s'édie l'escor{f'
française aux portes de la ville. II harangue du haut de SOil
trône leurs Hautes Puissances: e'est Louis XVI au milic
]
· Frêdéric
Iuso
, t. I, p. 365. t. II, p. 35%; 431.
C.
Tl\I"COÅLITIQ
, L:& CiI\.11.'1D El\IPlfLI. - ilel. as
de
notables) c'est Ie Po sa de Schiller couronné. (& J'ai accepté
ce trône OÙ je monte, par lEi conviction que c' était Ie væu de
la nation entière... J'ai mesuré sans crainte toute In profon-
deur des maux de Ia nation. >> L'espoir de rendre la Hollande
heureuse " a étouffé les sentiments qui avaient été jusque-
là Ie but et Ie bonheur de sa vie u . Le nom de 1a France n'est
même pas prononcé dans cette harangue. Le voilà done
tout Hollandais, et, å ce titre, son premier so in est de pro-
tester contre les exiffences de l'alliance française. Le conflit
COlnmence dès Ie jour de son avènement. II a Iu son budget:
35 millions de florins en revenus, 78 millions en dépenses; Ie
service de la dette absorbe, å soi seul, toutes les recettes de
l'État. C' est Ie détìcit proffressif pour loi. fìnancière et les
finances bataves ne sont que Ia banqueroute Inasquée. L'ex..
trême limite des impôts est atteinte, la limite OÙ Ie contri..
buable ne paye plus. " Les arsenaux et magasins de la marine
sont vides. - Ce pays-ci a été ruiné depuis quinze ans sans
aucune retenue. " Louis est forcé u de désarmer la moitié des
vaisseaux, d'arrêter les constructions, de réduire les troupcs
de terre, ce qui va porter la désolation partout " . II demande
un aIlégement aux charges de I'occupation; encore faudra-t-i1
des subsides : " Je supplie Votre
Iajesté de lire les notes
ci-jointes; elle se persuadera de l' élat affreux où ce pays se
trouve. Si Votre
Iajesté ne vient à mon secours, j'ignore
comment on pourra faire I. 11
C' est Ie refrain douloureux de toutes les IeUres de Batavie,
depuis ODze ans. Louis reprend les choses au point OÙ Cochon
de Lapparent les avait vues et loyalenlcnt décrites en I 795 ..
Napoléon répond et recommence les dépêches du Comité, de
Sieyès et de ReubelI : " V ous m' écri vez tous les jours pour me
chanter misère. Je ne suis pas char{Jé de payer les dettes de la
Hollande et fen serais chargé que jc n'en ai pas Ie moyen. >>
Louis meI
ace de désarmer la flotte : soit; la France signera
10 paix sans restituer à la Hollande ses colonies! Napo-
I Loui. à Napoléon, 2ft, 27 juin; lþ 7, i5 juillet 1806. ROLQUJ.llf.
I YQir &. IV. p. 2
7.
ðft
D'AUSTERLITZ A IÉNA. - 1806.
léon exiffe des levées, Ia conscription, une armée de
30,000 hommes. Si les Hollandais ne veulent pas servir,
qu'ils payent. lis sont riches et cachent leur argent. Louis
peut enrôler des Suisses : c' est ce qu'il y a de mieux sur ie
continent; au besoin, quelques régiments badois, wurtemher-
geois, hessois I.
II n'est point jusqu'à Murat qui, intronisé en AIIemagne, ne
se sente pris de la fìèvre germanique, la fìèvre d'arrondisse-
menl, et ne veuille aussi régner à sa guise, tout prêt, par grâce
d'État, à en user avec l'empire français comme les princes
dont it occupe les territoires en usaient avec Ie Saint-Empire I.
I) se fait dresser des annoiries; se compose un drapeau, une
cocarde, une livrée; nomme des ministres, rassemble une
cour et comlnence à se plaindre. Nous sommes réduits (( au
petit lot JJ, écrit Caroline; jetés en (I sentinelle perdue JJ . A
peine arrivé, Ie voilà en conflil avec la Prl1sse pour des ques-
tions de Ii mites et de suzcrainetés. II occupe les territoires liti-
gieux et se nantit des abbayes d'Essen et de Verden, et c'est
un procès ouvert avec la Prusse. (( C'est une vérita.hle folie,
lui écrit
apoléon. .. Ce serait vous qui insulteriez Ia Pr usse,
et cela est très contraire à mes intentions... Je veux m'en-
tendre à l'anliable avec elle... Votre rôle est d'être coneiliant,
très conciliant avec les Prussiens... Vous êtes d'une pl'écipita-
tion désespérante. Vous ne savez pas ce que je fais. Restez
donc tranquille I. )) Et à Louis : CI Le prince
I urat, qui n'en
veut faire qu'à s
tête, ne fait que des bêtises. )) - Qui 1'a fait
roi? C'est l'éternclle réponse à l'éternelle antiennc de leurs
réclamations. COlnme si prenant Ie titre de roi ils s'étaient, du
coup, imprégnés de la prodigieuse niaiserie des dynasties qui
s'éteignent, ils se croient, puérilement, appelés par la Provi-
dence à gouverner les hommes : la Révolntion ne s'est faite
que pour les conduire Ià, I'Europe n'a été conquise que pour
1 Napoléon à Louis, 1.1 et 21 juillet; 1, 4, 5, 8, 13 août 1806.
I Fi"édéric MASSON, t. III, ch. XVIII, Caroline. - cr. ci-de
5118, p. 45.
8 Rapport. de l..uccl1Psini; notes de Talleyrand, 13, 14.juin 1806. - Napo-
léon à MuraL, t aOI'1t 1
06. -
8poléon à Louis, 15 septembre 1806.
CONTRE-COALITION. LE GH.AND E
I PIRE. - 1806.
5
leur payer des listes civiles, leur découper des principautés P.t
des I'oyaurnes. Napoléon les appelle an service et leur con6e
Ies JJarches de r ElllJ-1Ïrp,. ils ne veulent servir qu' eux-mêmes et
ne 'Toicnt dans Ics ßlarcltes que des auberges joyeuses et
SOll1ptueu8es. lIes théÙtres à seCOl1cr son panache, pour
Murat; à distiller son hypocondrie et à la dissoudre en huma-
nité, pOUI" Louis; à déployer ses vertus de philanthropie et
étaler sa modestie de roi philosophe, courollné malgré lui,
pour Joseph.
Avec Ie Pape, dont Napoléon voudrait faire Ie grand aumð-
Dier de l'empire, Inais aussi Ie premier des fonctionnaires,
préposé aux consciences et auxiliaire auguste de la police,
gouvernant Ie clergé, SOUIuettant les peuples, prêchant à tous
obé-issance à l'empereur, les conflits vont s'affgravant. Napo-
léon exige la guerre aux Anr:;-Iais, Ia guerre et Ie blocus. ø Ce
D'est pas nolre volonté, répond Ie Pape; c'est celIe de Dieu
qui nous prescrit Ie devoir de la paix entre tous, sans distinc-
tion I. J) Pie VII refuse de reconnaitre en Napoléon " l'empe-
reuc de Rome J) . Ajoutez les difficultés traditionnelles pour
la reconnai;;sance du nouveau régime å Naples. Pie VII ne
se montre pas plus ex.igeant que ses prédécesseurs lors des
changelnents de dynastie; -mais il réclame, comme cux, la
garantie de ses droits de suzeraineté sur Bénévent et Ponte-
Corvo '. Napoléon dicte, Ie 16 mai, une note å remettre au
nonce, Caprara : n Le soussigné est chargé de demander la
reconnaissance pure et simple du royaume de Naples. A
défaut de celte reconnaissance, Sa Majesté ne reconnaitra
plus Ie Pape comme prince temporeI, n1ais seulement comma
chef spiritueL.. )) II profite de l' occasion pour occuper Civita,
puis Bénévent et Ponte-Corvo qu'il emploie en muni6cences I.
Consalvi se retire; Alquier remplace Fesch; Napoléon lui
Dldnde, Ie 19 juin: u Comme prince teinporel, 'e Pape fait
partie de ma Confédération, qu'ille veuille ou noo. S'il fait
· Lettre du 21 mars i806.
I Note de COllsalvi, 26 avril 1806. - Cf. t. I, p. 388.
· A Joseph, 5 juin i au Sénat, 5 juin 1806.
f. ci-dellu8, p. 51.
VII.
I
86
l)'AUSTEftLtn A lÉNÂ. - 110ft
des arrangements avec moi, je lui laisserai Ia souveraineté de
les États actuels; s'H n'en fait pas, jé rn'ernparerai de toutes
les côtes... Pour la partie spirituelle, si I'on n'aplanit point
les difficultés qui existent à l'occasion du royaurne d'Italie,
r établirai dans ce royaurne Ie Concordat français; notre reli-
Gion étant Loute vraie et non de convention, tout ce qui peut
sauver en France sauve en Italie... )) Et à Caprara I : n Si
dans Ie déIai Ie plus court je ne reçois pas Ia décIaration que
je dcnlande - la fermeture des ports aux Anglais - je ferai
occuper tout Ie reste de I'État pontifical; je ferai apposer les
8Jfl'Ies sur les portes de chacune de ses villes, de chacun de ses
domaines, et je partagerai la totaIité des provinces possédées
par Ie Pape, comme j'ai fait pour ßénévent et Ponte-Corvo,
en aulant de duchés et de principautés que je donnerai å
qui me pIaira... l\lon parti est prist "
Tel est, au moment OÙ NapoIéoll Ie dressc devant l'Europe,
eet épouvantail du Grand Empire. Au lieu de forlner à 18
France Ies pièces formidabIes ll' nne armure, ce Grand Elnpire
la disperse, l'écartelle, Ia saigne aux quatre membres, et,
loin de la protéger, de peupIer ses annécs, d'alin1cnter SOl1
trésor, iI eAige, au conlrüire, des années ùe sccours et òes
convois de subsides. Rien n'est assis, rien n'est fixé, tout
braille, comlne sur une tour en trenlblcll1ellt; rie
l ne se sou-
tient, ricn ne luarche que par l'irnpuIsion de I' elnpereur,
l'arffent ellcs troupes de France. Ð'où la hâte de
apoléon
de frapper ce coup ùe prestiGe et de fixer l'histoire par un
traité de paix. Et après avoir surpris la paix de I'Europe par
l'aspect menaçant de ce simulacre d'eml)ire, il transformera,.
crâce à la paix, Ie simulacre en réali
I Rapport de Caprara, 3 juillet 1806.
Ot)ßRIL Err y AR
10U 18 A PARIS. - t806. 61:
VI
Entre Fox et TaHeyrand la procédure menaçait de ,'éter-
niser. Fox ne dén10rdait pas d'une llégociation commune avec
la Russie et Talleyrand d'une négociation séparée. L'essentiel t
aux yeux de Napoléon, était d'engager les .Anglais isolément
et de leur mettre la main dans l'engrenage avant l'arrivée des
Russes. Talleyrand trouva rhomrne qu'illui fallait pour cette
opération assez scahreuse. II y avait alors, en France, parmi
les Anglais internés lors de la rupture de la paix, un seigneur
de haute marque et de réputation mêlée, lord Seymour,
comte de Yarmouth. Grand buveur, grand joueur, grand ami
de
{ontrond en compagnie de qui it se débauchait volontiers,
ce lord possédait, disait-on, ses entrées dans tous les mondes,
surtout dans Ie militaire, passant de sa personne pour l'alnant
heureux de la belle l\;lrne Visconti, maitresse attitrée de
Berthier ministre de la guerre, et Inarié lui-mêlne à une
femme qui passait pour ]a favorite de Junot, gouverneur de
Paris. Au commencement de juin, Talleyrand manda ceL
Anglais chez lui et lui offrit des sauf-conduits pour Londres
.'il se chargeait de faire connaître à son gouvernement le
conditions auxquelles l'emper
ur serait disposé à conciure la
paix. Talleyrand la désirait, il se figurait que Fox la désirait
aussi et qu'ils s'entendraient aisément; il se Hatta que, t!
négocialion une fois amorcée, Napoléon, emb.lfrassp de Ii.!
rOlnpre, se laisserait engug'cr aux concessions. Pour dmorccr
la néGociation, iliaissa entrevoir, par d'adroites équivoquc
,
la paix infÌniment plus facile qu'elle ne l'était en réalité.
Yarmouth Ie prit d'abord avec toute l'arrogance d'ulJ
Anglais de race, Inêrne Ie plus borné du moude 1 : <<II lui
I Correspondance lÌe Yarmouth. avec Fox. HANSARD. - LEFEBVRE, t, 11,
Qhap. SIK. - TUlERS) t. VI, p. 4..j7 et .wv. - forres!londaace \1'OUbl.il. TfiA'I"
D'-\.USTERLIl'Z Å IÉNA. - 1806.
serait impossible d'accepter la comlnission, si honorable
qu'elle fùt pour lui, si Ie gouvernement français ne s'expli-
quait d'abord sur les possessions germaniques du roi d'Angle-
terre. En sa qualité de pair, il voterait contre tout traité qui
stipulerait la restitution du Hanovre à titre de compensa-
tion. )) Talleyrand ne s'en elnbarrassa point : Ie I-Ianovre
n'était uaranti qu'å la Prusse et n'était garanti que par un
traité! "La restitufion pure et simple du IIanovre ne ferait
point de difficulté " , dit-il. Ce détroit franchI, ils arrivèrent
à
ialte où Ia passe sembialt plus difficile. L'empel'eur, dit
Talleyrand, pour donner un témoignage éclatant de ses senti-
Inents consentirait à ce que l'Angleterre restât en possession
de
Ialte. Encouragé de Ia sorte, lord Yarmouth parla de la
Sicile : " V ous l'avez, répondit Talleyrand, nous ne vous Ia
demandons pas. JI Après cette réplique ambiguë Talleyrand
réclama la reconnaissance des royaumes et principautés
attribués å la famille impériaIe ; Yarmouth répliqua par la
garantie de l'empire ottoman. - Soit, dit Talleyrand. " II
faut se presser; beaucoup se prépare, mais rien n'est fait. ";
Et, reconduisant Ie lord: " Les sentiments de la France sont
entièrement changés... Ce que nous désirons Ie plus, c'est de
pouvoir vivre en bonne intelligence avec une aussi Grande
puissance que la Grande-Bretaffne I. "
Yarinouth conclut de cet entretien que NapoIéon traiterait
sur Ie pied de ruti possidetis et il s'en alIa faire, Ie 13 juin, son
rapport à Londres. II en revint, avec une lettl'e de Fox å TaI-
leyrand, datée du 14. Fox acceptait Ies formes proposées par
Talleyrand; eUes permettaient d'engager les néffociations
entre la France et I'Angleterre et d'y introduire ultérieure-
ment la Russie. II ajoutait que lord Yarmouth possédait toutc
sa con6allce. II eut soin de s'en ouvrir à Strogonof; cet
envoyé en écrivit peu de jours après à Czartoryski, en lui
transmettallt une copie de la correspondance entre TaIley-
(JßEWSKY, t. Ill. - COOUELLE, les Négociatioru de 1806. Revue d'histoÜ'e diplo-
matique, janvier 190:3.
I Rarport
.e Yar
?th, Londre!,
3 juåD i8
6.
OURRIL ET YARMOUTH A PARIS. - 1806. 69
rand et Fox I : cc Je ne doute pas que Sa
{ajesté impériale
n'ait entièrement lieu d'en être satisfaite... Je ne crois pas
qu'on puisse pousser plus loin l'attachement religieux à ses
alliances...
1. Fox croit que, dans. l' état actuel des choses, il
serait intéressant pour les alliés de frapper un grand coup...
qu'nne torpeur générale s'est emparée de tout Ie continent...
Pourquoi, disait-il, n'imiterions-nous pas Bonaparte qui
s'attache à un point, y réunit ses forces et par Ia réaction
du grand coup qu'il frappe dans un seul endroit rétablit les
pal-ties qu'il avait semblé abandonner? "
Les personnes qui se rcpréscnteraicnt Fox comme une sorte
de Girondin bt'itannique, grandiloquent et ingénu, ébloui de
cosmopolitisme, engoué de la France et de sa révolution,
ainsi que Ies répubJicains français l'étaient de la Prusse et de
Frédéric; fêru, enfÌn, de l'idée de garantir à Ia France, pour
peu que Napoléon y apportât quelque modestie, Anvers et la
limite du Rhin, s'étonneraient qu'il ait choisi, pour une telle
négociation, toute de chalcur d'âme et de générosité, un
négociateur du caractère de Yarmouth.
Iais Fox n'avait rien
d'un gobe-mouche de la sorte. Cet orateur libéral se dou-
blait d'ull gcnlilhomnle de haute vie, ronlpu au manège du
monde. S'il entretenait chez les badauds de France la répu-
tation de badauderie supérieure dont ils Ie décoraient, c'est
qu'il se réservait d'en jouer à l'occasion. L'affaire, pour lui,
était bien moins de négocier que de paraHre, très ostensible-
ment, disposé à 1a néffociation; de gHgner ainsi la galerie,
à Paris et à Londres; de forcer Napoléon à se découvrir; de
l'enchevêtrer dans Ie filet OÙ il prétendait prendre à Ia fois
la Russie, I'Angieterre et Ia Prusse; d'empêcher une récon-
ciliation entre Ia France et la Russie; de maintenir Alexandre
dans la coalition et de rejeter sur Ie senl Napoléon l'odieux dt
la guerre prolongée. Yarmouth parut propre à cette partie
qui exigeait de l'aplomb et en même temps assez d'inconsé-
quence pour motiver, Ie cas échéant, un désaveu. Elle deman-
I i8 juin i806, Ie srand-due NICOLAI DE BUSSIE) Strogonoj.
1'0
))'AUSTEBLITZ A IÊNA. .,..- 1806.
dait surtout Ia dextérité de main d'un manieur de cartes
consommé et rart subtil de se faire passer pour dupe. Tal-
leyrand l'avait choisi pour partenaire; Fox n'eut ßarde de
refuser l'invite.
Napoléon crut avoir partie gagnée I. !\Iais, pour attirer Fox,
TaIleyrand s'était siugulièrement avancé. Les vues de Napo-
léon s'éloignaient fort de celles qu'avait Iaissé percer son
ministre. (( Être maitre de la l\léditerranée ", ce dessein constant
de sa politique en devenait Ie dessein dominant. C' est Ie lien
entre tontes les négociations qu'il engage alors, l'idée de der-
.-ière la tête par laquelle il convient de juger Ie reste : d'où
l'importance c3pitale, dans ses combinaisons, de Cattaro, de
lalte. de )a Sicile. II voudrait arracher àlalte à I'Angleterre,
Ia remettre à I'Ordre. (I Je ne m'étendrai pas trop sur la ques.
tion du Hanovre... ce serait une question à arranger avec la
Prusse... Jamais je ne pourrai m 'enaarrer à autre chose qu'à
interposer mon influence... La remise de
:1alte devrait avoir
lieu Ie même jour que ceJle du Hanovre. JJ La Prusse se
dédommngerait avec rÉlectorat de Cassel. Quant à la SiciIe,
il se persuadait encore que Joseph s'en emparerait en temps
utile. Alors, en tirant adroitement 1a Prusse, on fermerait Ie
Sund aux ;.\na1ais; on contraindrait Ie Portugal à leur fermer
ses ports, &I coup de vigueur qui terrifierait I'Angleterre 2 " ; et
il faudrait bien que Fox capitulãt. Le point était de Ie tenir
cn haleine et d'an1user Ie tapis jl1squ'à la conquête de In Sicilc.
Cependant, Oubril attcndait à Strasbourff ses sauf-t'onduits
pour Paris. Napoléon donna ordre de traîner l'cnvoi de ccs
papiers Ie plus longtemps possible, Rfin d'évitcr une rencontre
prématurée entre Yarmouth et l'agellt russe. Ce fut J'affaire de
Fouché et des malenlendus de sa police I. Tal1eyrand se
I A Dejean, 22 juin 1806, lur I'éva('u:ttion de I' Allemar.ne et Ie rrtour en
France de la Grande Armée. - A Joseph, 21 jilin 1806 :" Les affaires du con-
tinent parais
ent arrangéel. " - 1& Lord Yarmouth est arrivé avec les pouvoira
1Iu roi d' Ancleterre pour signer la paix. .Nous serions assez d'accord sanl la
icile... It
I Napol
on \ r n
eph 21 juin; note pour Talleyrand, 4 juillet i806.
Napoléon à Fouché, .7 juin 1806.
OUBRIL ET YARMOUTH A PARIS. - 1808. 7t
réservait, avec Yarmouth, les malentendus de sa diplomatie.
Mais Ie lord se montra de moins docile composition et de
plus sûre mémoire que Talleyrand ne l'attendait d'un mon-
dain de cette espèce, jeté sans préparation dans les affaires.
lIs conférèrent Ie 16 juin. Talleyrand annonça que, ]a Russie
s'étant réservé la question de
aples, celte question serait
retirée de la négociation d'Angleterre. Comme Oubril, livré
aux empêchements de Fouché, ne menaçait pas d'arriver, Ie
terrain se trouvait débarrassé d'un gros obstacle. TaIIeyralld
ajouta que, quant à la Sicile, il était impossible de garder Ie
royaume de Naples si cette He n'y était réunie; qu'en consé-
quence on se disposait à la conquérir. Yarmouth se récria :
c' était une rétractation de l'uti possidetis! Talleyrand se défendit
lant bien que mal. Comprenant qu'à s'obstiner sur l'article
de
Ialte il ne parviendrait à rien : - L'empereur, dit-il,
"croyait donneI' assez de preuves de son esprit de conciliation
en offrant à l'.Angleterre Ie Hanovre pour l'honneur de la cou-
ronne britallnique,
Ialte pour l'hollneur de la marine, et Ie
cap de Bonne-Espérance pour rhonneur du commerce I " . Si
TalJeyrand ne Ie dit point en propres termes, Yarmouth I'en-
tendit de la sorte, et c'était une étrange méprise sur les inten-
tions de l'empereur. Même atténuécs ainsi ces intentions
s'éloignaient siuGulièrement de celles de Fox. Ce ministre
envoya, Ie 26 juin, à Yarmouth des pouvoirs en règle; mais iI
lui interdit d' en user si Napoléon persistait à prétendre sur la
Sicile et si Talleyrand ne revenait pas à ses premières décla-
rations. Talleyrand s'échappa en fantaisies : l'elnpereur
indemnisera Ie roi de Naples avec les villes hanséatiques!
fais Fox réplique: 1& L'abandon de la Sicile est un point sur
lequeI il est impossible de transiger I. "
C'est Ie temps OÙ Joseph, loin de songer à conquérir cette
tIe, va se trouver contraint de défendre son royaume contre
les Anglais et les Bourbonniens débarqués I. L' événement que
1 Yarmouth à Fox, i9 juin i8Of'-
I
'ox à Yarmouth, 5 juillet 180ft
I Voir ci-dellul, p. 60.
,.,
b AUSTEnl
ITZ A I
NA. - 1806.
Napoléon se f1attait d'imposer aux Anglais ne s'accomp1ira
pas. Pour attendre celie conquête et tireI' Yarmouth en lon-
gueur, on s'eo1barrasse avec la Prusse. Napoléon est forcé de
retarder la signature définitive des traités de la Conféd
ration
du Rhin. II ne peut porter ce coup à la Prusse que s'il est sùr
de Ia paix avec I'Angleterre, et si la néffociation avec l' An-
gleterre manque, il faut qu'il s'assure Ie consentement de la
Prusse à la Confédél'ation et son alliance contre I'Angleterre
en lui procurant de nouveaux avantaGes : non seulement Ie
Hanovre, mais la suprématie de I'Allemagne du Nord. Enfin
les Russes n'ont point évacué Cattaro, et Oubril s'impatiente
à Strasbourg. Napoléon lève la quarantaine. Le 3 juillct,
Oubril reçoit ses sauf-conduits; Ie 6, il est à Paris.
II y arrive en pleine crise d'une négociation très enche-
vêtrée. Comme sa mission consiste précisément à elnpêcher
ceUe négociation d'aboutir, il ne pent souhaiter des con-
jonctures plus fayorables. !\Iais ses instructions ie doublaient
d'une contre-Iettre : eUes l'autorisaient à se prêter à un arran-
gement séparé avec Ia France, (( si cet arrangement préRentait
des avantages in6niment marquants pour la Russie : )J . Napo-
léon pressentit et prépara dix-huit Inois à l'avance Ie fameux
coup de partie de Tilsit. Ill'avait tenté Ia veille d'Austerlitz i;
it Ie tenta de nouveau, et c'est par où Talleyrand trouva
moyen de déconcerter Oubril et de tourner sa mission,
anglaise dans Ie fond., en machine contre I'AnGlclcfl:e.
A peine descendu de sa voiture de poste, Oubril court aux
Affaires étrangères; mais il n'obtient de Talleyrand un
rendez-vous que pour Ie soir I. II rentre à son hôtel rue Cérl1ti.
II y rencontre Lucchesini qui devance sa visite, lui offre ses
services, Iui expose "Ia carte du pays ". Le soil', à huit
heures, il est chez TaUeyrand qui Ie comble de prévenances,
muitiplie les insinuations flatteuses et recommence avec ce
I Voir ci-deuus, p. 4.7.
I Voir ci-des5us, p. 38.
a Rapport d'Oubril, 10 juillet t.806 et luiv. TRATCB&WSKY. - Bulletin. de Luo-
.be,ini. t.l-t6 juillet. ÐAILLln"
OUBRIL ET YAn
IOUTH A PARIS. - 180ft '8
nll
se Ie jen joué, après
Iarengo, avec Saint-.Julien. M. d'Ou-
Lril e
l certaÍnenlcnt venu pour parler d'autre chose que des
prisonniers de guerre I! Et Talleyrand ne parle que de ces
autres choses, de son désir d'en traiter, des moyens de
s'elltendre.
1. d'Oubril est muni de pouvoirs, Talleyrand
n'en doute pas, et il s'exprime en conséquence. Le fait est
que ces pouvoirs se déploieraient à propos, car avec Yarmouth
les choses ne nlarchent plus. Ce lord communique les réponses
de Fox, Ie refus péremptoire de la Sicile et, Talleyrand s'obsti-
nant à réclamer celte ile, Yarmouth demande ses passeports I.
Oubri] en est informé. II reçoit, Ie 7, Yarmouth qui se pré-
sente avec une Iettre de Fox. lIle revoit encore Ie lendemain.
Yarmouth Ie met au courant de sa négociation : on a retenu
Oubril à Strasbourg afin d'éviter qu'ils se concertassent; mais
Yarmouth n'a pas encore produit ses pouvoirs; la Sicile est la
pierre d'achoppement; Talleyrand menace: si la paixne se fait
pas, I'Empire rrermanique sera détruit, la Suisse transformée
en royaume, les villes hanséatiques données à la Prusse qui les
réclame à cor et à cri! Oubril conseille à Yarmouth d'ac-
cepter la restitution du Hanovre, mais de Ie laisser en Garde
à la Prusse, ce qui brouillera la Prusse et la France. La liaison
entre Ie Russe et l'..Anglais va devenir intime. Désormais
il8 se rencontrent tous les .iours et concertent leur langaffe.
Stylé de Ia sorte, Oubril retourne, Ie 8, chez Talleyrand qui
I'a invité à diner. Avant Ie repas iIs confèrent. C& Pernleftez-
moi, lllonsieur d'Oubril, de vous faire une question, dit Tal-
lCYl'and. Est-ce avec Ie ministre britannique que je traite, en
traitant avec vous? JJ Oubril se découvre; il a pour mission,
répond-il, de maintenir les bons rapports entre I'Angleterre
el la Russie; mai
si Talleyrand lui confie queIque chose pour
lui seuI, il donne sa parole d'honneur de ne point Ie révéler å
I Voir t. VI, p. i58.
t Yarmouth à }'ox, 9 juillet i806. - Oubril érait descendu dans un hðtel de la
roe Céruli où Jogeait une dame
ajnt..Amand qui pas8ait pour bienveillante à Yar-
month, ct motivait ainsi ses visites fréCJuenteø dans la maison. Notes de rolice.
COf)T'EI.LE : les Né9ociations de iR06. Revue d' histoire diplomatique, jan..
vie. 1903.
"
D'AUSTE'Rl.ITZ A ttNA. - 180ft
Londres. C'est où l'attcndait Talleyrand : "Je désire sincère-
roent trouver un moyen de nous entendre; signons uue trêve
de huit à dix ans, penòant laquellc nous travaillerons à la
paix.. . I" Oubril n' en écarte point l'idée, que Czartoryski
8vait déjà insil1uée à Pétcrsbonrg; mais, observe-t-il, l' exé-
cution en est impossible tant que l'empire français confine å
I'empire ottolnan. cc La raison est que Bonaparte - il affec-
tait de ne dire: ni l'ell1pel'eur, ni Napoléon - a été voisin de
la Hollande et l'a subjuguée; qn'il a été voisin de I'Italie et
qu' eUe est tonte dans sa dépendallce; nous craignons qu'it
n'en soit de même, à la suite de son voisinage, de l'empire
ottoman. " El 1'0n discute ce jour-Ià, Ie Iendemain, sur
I'Adriatique. TalJeyrand recule pen à peu. Est-ce une feinte '!
Oubril écrit à Strorronof, à Londres, Ie 9 juillet : (( Depuis
trois jours que je suis ici, j'ai vu trois fois Ie moment OÙ
M. de Talleyrand voudrait me faire signer dans vingt-quatre
heures un acte et me présenterait l'alternative d'y souscrire
ou de quitter Paris. J'ai détourné ce plan et je suis parvenu
à rattacher ma négociation à celIe de lord Yarmouth... L'An-
gleterre consent-elle que je fasse un arrangement pour Ie
continent? Voici ce que j'espère obtenir : pour la Sicile,'
Raguse, I'Albanie et la Dalmatie; l'abandon du plan de boule-
versement de l'AlIeID3ffne... la garantie de la Poméranie
suédoise, et peut-être de 13 Suisse... une station russe à
Lorfou. )) II ajoute que pour forcer I'Angleterre Napoléon
menace de s'emparer de l'Espngne et du Portugal. II joint å
son courrier cette Jettre ostensible, destinée aux Anfflais:
I( Si l'on laisse échapper cette occasion de faire Ia paix, jamais
on n'obtiendra la restitution du Hanovre, et, toutes les Fnis
qu'on voudra Ie prendre de force, on aura contre soi la
France avec la Prusse, tandis qu'en signant ce traité S11' ce
bases on brouillera à jamais In France et la Prusse... on
détruit son influence à Constàntinople. "
Napoléon Ie pressent; il se retourne vers la Prusse. II fait
I Voir ei-dellu" p. SI.
OUBR IL ET YARMOUTH A PARI
. - i806 'S'
écrire, l
10 juillet, à Laforest: (c Les néaociatJons qUI parais-
saiellt devoir conduire à la paix seront très probablement
rom pues, pl1isque j llSqU 'ici I'Angleterre propose cOlnme con-
dition sine qllâ non la restitution du Hanovre, chose à laquelle
l' eIn pereur ne consentira jamais. " D' où l'invitation II à un
concert, Ie plus pal-fait" , entre la Prusse et la France, contre
l'Anuleterre. Puis, ann de les rassurer, il évacuera Essen et
Verden que
Iurat avait occupés inconsidérément.
Oubril paraissait plus accommodant que Yarmouth. Talley-
rand discernait en lui quelque penchant secret à la grande
potitique, un certain faiLle à jouer Ie plénipotentiaire. II crut
avoir plus aisément raison de ce Busse, insinuant et fuyant,
que du bouledo{jue sournois et obstiné qui se révèle en tout
Anrrlais quanti les intérêts de I'Anß'leterre soot en jeu. II
l'enauirlanda, de sa personne, et chargea s
s "af6dés" de Ie
circollvpnir I. Oubril s'anlllsait aux comlnérages, recher-
chait les informntellrs, épiait, écoutait partout. II montra la
curiosité de savoir ce qui portait si fort Talleyrand et son
maître à trailer avec Ie tsar, et les anidés de Talleyraod lui
en soun1èrenlle molif : "
1. de Talleyrand
lui dit-on, désire
faire la paix parce qu'il attend ce mOlnent comlne celui de
son repos. 11 est mécontent de Ia manière de traiter de
1\1. Fox, parce qu'il ne Ie trouve ni assez inventif ni assez
expédilif... Bonaparte désire aussi la paix... sans restitutions
importantes. II donne heaucoup dans les femmes, et c'est Ie
prince el Ia princesse de Clèves qui sont ses procurcurs... i II
faut au moins une couronne royale pour payer de senlblables
services, et c'est I'AlIemagne probablement qui Ia fournira. .
C'est un concours de révélations commandées et de renseigne-
ments dérobés, tous menaçants, tous faits pour étourdir
Oubril : Ie plan de Ia Confédération du Bhin qu'un agent lui
procure, mnis qu'il croit encore à l'état de projet évitable;
la menace de passer l'Inn et d'envahir les États héréditaires
I Rapports d'Oubril, 11 juillet 180ft Lettre du 7 août, rétrolpective.
I La prince'se de Clèves! Sur cette aventure. Frédéric MAllON, Na,.'ion " I.
',mm.J, p. 168; - id., t. 111, p. 272.
76
D'AUSTERLITZ A ItNA. - i
06.
de rAutriche si Cattaro n'est pas livré. Oubril se voit ncculé
soit à dépJoyer ses pouvoirs, soit à encourir pour son gouver-
nement Ie reproche d'avoir exposé ses alliés à de C& graves
dangers)). n En rompant, a-t-il dit, je fnisais éclater une nou-
velle guerre, qui, de In part de la France, serait poussée avec
une grande énergie contre des Élats nullement préparés à
s'opposer à eUe. En signant au contraire, je fournissais à ces
États Ie temps de se mettre en me!;ure. n Ajoutez qu'il com-
mence à se méfìer de Yarmouth et de son commerce de
débauche avec
Iontrond. (C
Iontrond, l'âme damnée de
1. de Talleyrand, boit depuis Ie m3tin jusqu'au soil' avec
lord Yarmouth 1. Je sais bien que ce dernier qui envisage Ie
premier com me un espion a une tête plus forte et, par con-
séquent, metlra son antagoniste sons tabl
, avant d'y être
Ini-mêmc; mais qui pent empêchcr que lorsqu'ils seront
bien en train tons deux, un tiers n 'arrive et ne fasse rafle de
ce qui échappera à lord Yarmouth 51 ? "
L'nffairc de ia Confédération du Rhin s'ébruitait. Au point
où en étaient les choses avec les princes allemands, Ia conclu-
sion ne pouvait être différée davantage. Tous la pressaient,:
impatients de leur souveraineté, de leurs nlédiatisations, I
redoutant quelque déconvenue. L'acte fut signé Ie 12 juillet,
mais tenu encore secret. II importait, avant de Ie mettre à'
exécution, que la Bussie fût enaagée. C'esl pourquoi, Ie même
jour, Tnlle)Tand écrivit à Oubril que l'empereur avait désigné
Ie uénéral Clarke pour trailer avec lui. II af6rma ce qu'iI
ne
avait pas, afin d'en surprendre Ia preuve : "J'ai fait
connnHre à S. 1\1. l'eInpcreur et roi que vous étiez arrivé
à Paris, muni de pouvoirs pour traiter du rétablissement de
la p::áx... " Oubril éluda la réponse, mais il n'en consentit
pas moins à se rendre Ie lendemain, 13 juiUet, chez Clarke I.
Ce ßénéralle reçut très cérémonieusement, en plénipoten-
J Tr(.ø emprelsé, d'aillenrø, ftuprès de lady Yarmouth. Notes de polic. citée.
Far Coqurlle.
I Ouhril à Czartory
ki, il juil1et 1806. TRATCHE\V8KT, t. III.
· Rupport d'Oubril, 7 août t.806.
OUBRIL ET YARMOUTft J.. PA.I\II. - 1800. '11
tiaire, et l'invitn, non sans solennité, à procéder à l'échange
de leurs pouvoirs. Oubril fit Ie modeste : il n'était n qu'un
agent subalterne,,; mais Clarke l'enjôIa de telle façon, Ie
flaUa si adroitelnent (( de l'inquiétude qu'éprouverait I'empe-
reur par l'idée qu'il n'était point muni de pleins pouvoirs " t
qu 'Oubril consentit à emmener Clarke å son domicile et à Iui
exhiber, confidentiellcInent, Ie papier offìciel. Clarke n'y
regarda pes de trop près, et Ie fait est que tout en se refusant
à cOllférer d'office Oubril s'entretint avec lui, de huit heures
et òemie du soil' à D1inuit, des affaires qu'ils auraient débat-
tues, officiellemeI!t, s'ils avaient procédé dans les fornles. II
en alIa de rnême, Ie 14 juillet : Clarke se dit autorisé å traiter
sans procéder å un échange formel de pouvoirs. II insista sur
la peine que ressentirait la Russie si, faute de livreI' Cattaro,
l' Autriche éprouvait "un changement total de l' ordre des
choses dans ses États hérédi taires " . Oubril apprit n de bonne
source,. que l\Iarmont avaiteu l'ordre de jcter 15,000 hommes
en Dalmatie, qu'il était destiné au commandement d'une
arnlée de Servie, que Berthier avait été averti de se tenir prêt
à partir pour Vienne avec son état-major...
Le 18, Oubril dîna en tête à tête avec Clarke qui déploya
un projet de traité, et ils en discutèrent jusqu'à trois heures
et demie du matin. Convaincu que, s'il ne signait pas, Napo-
léon (( entreprendrait quelque chose de dé6nitif sur les États
héréditaires de I'Autriche JJ, Oubril redoutait n que Ie reste
de I'Europe n'eût pas dans Ie moment actuel de forces suffi-
santes à opposer à ce torrent JJ . La discussion reprit Ie lende-
main, de dix heures du matin à cinq heures du soir. Oubril
se débattit. II ne consentait å signer que sub spe 1'atl.
" Croyez-vous, répétait Clarke, que l'empereur arrêterait la
marche de ses armées pour un pa pier qui pourrai tn' être
qu'un leurre? JJ Oubril attendait un courrier de Londres; il tint
bon toute la journée; excédé de fatigue il allait se meUre
au lit quand on vint, à deux heures du matin, Ie chercher
de la part de Talleyrand. Au ministère, Talleyrand rin-
vita à signer. Oubril persista å ne Ie vouloir faire que sub spa
78
D'AUSTERLITZ Â IÉN.À. - 1.806.
rat;; il rentra chez lui, à quatre heures du matin, persuadé
que In néffociation était rompue.
Le 20, au matin, arriva Ie courrier de LOlldres, avec des
lettres de Stroffonof pour Oubril et de Fox pour Yarmouth.
Fox ne faisait plus de la Sicile une condition sine quâ non. II
consentait à discuter les coo1pensations : et il indiquait l'Istrie,
la Dalmatie, 'Tenise !... Oubril vit Yarmouth qui l'engaffea
à renouer avec Clarke. II se lrouva justemcnt que Clarke vint
Ie quérir pour Ie mener chez Talleyrand. Ce n1Ïnistre annonça
que Napoléon évacuerait rAl1ernagne dès que CaUaro lui
serait renlis; pour prix de cetle corn plaisance, il attendait
qu'Oubril siffnerait, et sur-Ie-champ, les autres articles, ajou-
tanl que "Ie lendemain OuLril n'aurait plus les mêmes con-
ditions " . II signa Ie 20 juillet I.
Le traité était un traité de paix. II enlportait la reconnais-
sance de NapoIéon empereur des Français et roi d'ltalie; la
remise de Caltaro; la possession de la Oahnatie, reconnuc à
la France; la France, par réciprocité, renonçait à Raguse
qui restait indépendante; eUe reconnaissait I'indépendance
des Sept-lies; eUe s' enrrageait à évacuer l' Allemagne aussi lôt
que l'ordre d'évacuer Cattaro serait donné aux troupes russes ;
cette évactlation sera accolnplie dans les trois nlois de la
signature du présent traité; les deux puissances ménaaeront
la paix entre la Prusse et la Suède; eUes s'emploieront à
obtellir de l'Espagne la cession des iles Baléares au fils aÎné
du roi de Naples, moyennant quoi Ie tsar reconnaitra Ie nou-
veau roi des Deux-Siciles,. l'empereur Napoléon accepte les
Lons offices de l'empereur de Russie pour Ie rétablissclnent
de la paix maritime; les deux puissances se garantissent l'in-
dépendance et l'intégrité de l'empire ture. Les ratifications
devaient être échanffées dans Ie délai de vingt-cinq jours.
Avec Ie papier qui portait la signature d'Oubril, NapoIéon
croyait tenir quelque chose. II eut jusqu 'à la fin cette illusion
d'attacher une valeur propre à des écrits qui ne signifiaient
Da CLERCO,
. II, p. 180.
OUBRIL ET YARMOUTH A PARIS. - 1808. 70
rien a'ils n'exprimaient des voIontés sincères; si, au moins,
ils ne repondaient à la réalité des faits; et qu'iI ne consi-
ùérait lui-mème que COlnme des feuilles volantes lorsqu'iIs
gènaient ses calculs. II se persuade que Ie traité d'Oubril sera
J'atifìé par Ie tsar; que Cattaro lui sera remis. II écrit å
Eugène, à Berlhier I. Et il se retourne sur les Anglais. II
compte que Ie traité russe va leur forcer la n1ain, et, s'il par-
vient à enlever la signature d'Yarmouth, Ie contre-coup, å
PéLE
rsbourg, en1portera la ratification d'Alexandre, qui, par
ricochel, décidera celle de Fox.
TalIe)Tand pique Yarillouth au jeu. Ce lord se décide, Ie
21 juillet, à exhiber ses pouvoirs, et Clarke est aussitôt désigné
pour négocier avec lui. Oubril se disposait à partir pour
Pétersbourg; il se senlait fort cOlnpromis et avait hâte de
,
porler à SOIl maître, avec son traité, ses explications. Yar-
mouth essaie de Ie retenir. (( V ous serez porleur de mes préli-
minaires )) ,lui dit-il. Oubril ne l'altend point et part Ie 22.
Yarmouth et Clarke confèrent Ie 23, Ie 24 2 . Napoléon est
toujours disposé à reslituer Ie l]anovre, à reconnaÎlre aux
Anglais
IalLe et Ie Cap; mais il donnera une indemnité à la
Prusse. Yarmouth croit qu'il s'aGit des villes hanséaliques, et
se récrie. Clarke répond que l'empereur ne pense qu'à Fulda
et quelques territoire-s sans ilnportance. (( La Sicile, écrit
Napoléon à Joseph, est toujours la pierre d'achoppemcnt; "
nlais l' abandon de la cause du roi de Naples par la Russie
donne à réf1échir aUK AnGlais. "lIs ne sont pas éloignés de
lãcher la Sicile... V ous aurez Ie plus beau royaume du
monde... et vous m'aiderez puissamlnent à êlre maître de fa
JlIédiLerranée, but pl o incipal el constant de ma politique. II Yar-
Illouth se relâche peu à peu de ses prétentions, Clarke de
Inêlne, et ils esquissent un projet d'articles : Joseph reconnu
roi des Deux-Siciles,. la famille royale t& ci..devant régnante à
Naples " sera inden1nisée; reconnaissance de Louis, des roia
· A Eugène, 20, 21 juillet; à Berthier, 21 juillet; à Joseph, 21 juillet 1806.
I Yarmuuth à Fox, i9 et 20 juillet, sur Ie traité rusle; lur leI nécociatioDI I
21, 2ft juillet. -
apoléoD à JOleph, 21 juillet 18Q6.
80
D'AUSTERLITZ
1
l(Â. - t.80ð.
d'Éturie, de Bavière, de Wurtemberg, des grands-dues de
Bade, Darnlstadt, Clèves (
Iurat), dll prince de Neufchâtel et
des arrangements faits en Italie; reconnaissance ÙU l'oi d' Allgle-
lerre corame souverain du Hanovre,. indemnité de 400,000 âmes
au roi de Prusse; I'Angleterre garde l\lalte et Ie Cap, restitue
les autres colonies conquises sur la France et sur la IIollande;
interdiction de l'Angleterre aux Bourbons; internemenl des
chouans, réfurriés, au Canada I. Yarmouth, sur plus d'un
article, avait singulièrement dépassé ses instructions. Fox, à
la vérité, cédait sur la Sicile, mais il réclamait à titre d'in-
demnité la Dahnatie, l'Istrie, et, s'il était possible, la ville de
Venise '. Le projet de traité ne faisait allusion qu 'aux iles
Baléares... à obtenir de I'Espagne. Le lord, toutefois, espérait
aboutir. Napoléon espère, de son côté, faire prévaloir ses
amendements, et il écrit à Joseph, Ie 26 : "La Sicile est
aecordée et n'est plus un obstacle. 'I II croit possible de con-
clure dans dix jours. Alors, jugeant les affaires assez avan-
cées, il va publier la Confédel'atzon du Rhin : la paix, signée
avec la Russie - c'est en ces termes qu'on en parle - quasi
signée avec l' Angleterre I, oblirrera l' Autriche à reconnaitre
cette Confédération et, J'Autriche I'ayant reconnue, il faudra
bien que la Ilussie et I'Angleterre y consentent, d'autant plus
que, dans leurs négociations et dans leurs traités, il n'en aura
pas été dit un Inot.
Oubril à peine hors de Paris, Napoléon fait venir Vincent,
l'envoyé a 1 1trichien, et lui annonce la Confédération 4. II
ajoute que} Ie traité de Presbourg n'étant pas exécuté, puis-
I Voir Ie texte dansla Correspolldance de Napoléon, nO to,604. Ce texte fut
transmis à l'empereur par Champaf;ny, Ie 31 juillt>t : COQUELLE, Ope cit. -
Sur ce teIte dont I'incorrection marque Ie caractère provisoire, voir leslléflexìolls
de Napoléon : lettre à Talleyrand, 6 août 1806... CI Pas be80in de m'emharr-a8ser
du roi d'Étrnrie. Effacer. Ridicule de parler du prince de Neufehàtel...
lettre
I'E8pagne... Ne parler en rien d'Auspach, ni de Clèves, ni de Neufchâtel...; .
Ie passage relatif à I'indemnité de la Pru8se, etc.
J Fox à Yarmouth, 18 juilIet 1806.
I . J'ai conclu ma paix avec la RU81ie ., à Joseph, à ßerthier; 21 juiitet :
. Vous pouvez laissp.r entrevoir que la paix avec la RU8sie est faite. . .- . La
paix avec la Russie est faite. II Lucchesini, 22 juillet 1806.
Bulletin de Lucchesini, 25-28 juillet 1806. - BEEl\.
OUBRIL ET Y AR:\IOUTH A PARIS. - 1806. It.
que Cattaro ne lui a pas été relnis, il ne rappellera pas ses
troupes et n'évacuera pas Braunau, avant que l'Autriche n'ait
reconnu la Confédéralion, et que François lIne se soit ainsi
délnis, en fait, de la qualité d'Empereur d'Allemagne. Deux
notes sont envoyées à Vienne pour être remises à Stadion:
rune exige I'abdication du titre impérial; l'autre la reconnais-
sance de Joseph, comme roi des Deux-Siciles I. Ordre est
donné à I'envoyé français à Ratisbonne de noti6er å la Diète,
Ie 1 er août, l' existence de la Confédération du Hhin et la disso-
lution du Saint-Elnpire.
Napoléon y avait mis des formes plus engageantes avec la
Prusse. Dès Ie 15 juillet, Talleyrand avait cOll6é à Lucche-
sini Ie traité de la Confédération et mandé à Laforest d'en
inforIner Ie gouvernement prussien I. (( L'Autriche, écrivait-il,
perd à jamais toute influence sur rAllemagne. L'influence de
la Prusse sur les États placés dans sa circonscription géogra-
phique devient illilnitée et absolue. La Prusse acquiert une
gaI'antie nouvelle pour la possession du Hanovre... La France
sera toujours disposée à s'entendre avec la Prusse sur Ies
moyens de s' ételldre et de con solider sa puissance dans Ie
nord de I'Allemagne; or, Ie concert sur cet article sera plus
facile et plus libre qualld I'Empire germanique ne sera plus...
L'empereur n'a pas voulu que la Prusse n'apprit qu'avec
tout Ie monde l'existence d'ull plan dont elle sera la première
à recueillir Ie fruit... )J Et, Ie 22 j uillet : c( La Prusse peut
réunir so us une nouvelle loi fédérale les États qui appar-
tiennent encore à I'Ernpire germanique, et faire entrer la
couronne impériale dans la roaison de Brandebourg... u _
Le Hanovre, la' Confédération du Nord, la Couronne impé-
riale! Depuis 1795, tous les gouvernements français en ontfait
l'offre à Ia Prusse. II est temps qu'elle se décide. Lucchesini
ne Ie dissimule pas I. (I L'esprit du grand homme devient tOllS
1 ElJes furent remises Ie 30 juillet 1806.
· ltapport et hulletins de Lucchesini, 15, i8, 22 juilIet; 1'alleyrand A Lafo-
rea!, 15, 22 juillet 1806.
· Â Hau6witz, 22juillet 1806.
tll.
.
8t
D'AU5TEHLITZ A IÉ:NA. - 1806.
les jours moins doux... Les succès Ie rClldent presque intrai ·
table... Le souvenir du mal que les arrnées prussienncs Of1t
voulu et pu lui faire, l'hiver passé, est encore tout vivant,
tout envenimé, tout respirant Ie désir de la vengeance... A
chaque petite conlrariété... on parle de faire la guerre à la
Prusse... Les úénéraux qui habnent Saint-Cloud, les bureanx
de la GUCl'fC, les
peclilalellrs dans les fonds, Ines Qlnis et les
nnclnis de Napoléon sont tous persuadés que si relnpereur
'NapoIéon trouvait un prétexte de dégainer contre nous, ille
saisirait à l'instant... ...Yon affidé m' écrivait hier du bureau de
la Guerre : (( Depuis ce matin à cinq heures, on a été occupé
a à faire des ordres... II y a un grand mOUVément de troupes
. pour se rendre å \VeseI et ses environs I." Le renseignement
était exact. Napoléon, toutcfois, donnait aux Pl'ussiens Ie
temps de capituler et leur offrait une capitulation lucrative.
II réitérait les assurances au sujet du Hanovre. " Vous répé-
terez, écrit TaIle)Tand à Laforest, Ie 2 août,- que la paix avec
I'Anglelerrc serait faile si Sa i\Iajesté l'empereur avait pu
consentir à priver la Prllsse du IIanovre. J) Le même jour,
Napoléon nlande à 11u1'at qui prétend expulser par force les
Prussieus de Verden ' : " C'est une véritable folie; ce serait
alors vous qui illsullcriez Ia Prusse, et cela est très .colltraire
à mes intentions. Je suis en bonne amitié avec cette puis-
sance, je ccsse ùe faire la paix avec l'AllíJ1eterre pour Iui con-
server Ie llano\ re; j ugez après ccla si je veux me brouiller
avec eUe pour des btllSC:;. Je veux In' entendre à l'aluiable
avec eUe... ,r os propos doi \-enl être très rassurants... \r olre
rôle est d'être très cOllciliant, ct très conciliant avec les Prus-
siens... V ous ne savez pas ce que je fais. Restez done tran-
quine. Avec une puissance COInine Ia Prus5e, on ne saurait
aller trop doucement... )) II endort leurs soupçons; mais, en
n1ême tClllpS, il leur. prépare des compensations : il cherche
des territoil.cs à leur convenancc. lIs apprendront du mêlne
coup que la paix est Faile axec I'Angleterre, que Ie Hauovre
1 Rapport de Lucchplini, 22 juillet i806.
I cr. ci-dcsSUi, p. 48.
OUBRIL E'f Y AR:MOUTH A PARIS. - 1806. 88
lenr est repris, et qu'ils acquerront quelque autre terre, un
f:lectorat peut-ètrc I. Mais il pense que la nouvelle ne leur
en viendra qu'après l'offre de la Confédération du Nord et
du titre impériaI. II cornptait sans ses hôtes.
Yarmouth vivait en demi-confidence et demi-mé6ance avec
Lucchesini. Si ce lord.n'était point un diplomate de carrière,
il d('meurait un roué de profession. II devina Ie jeu de l'em-
pereur. Dès Ie début de sa négociation, il y avait discerné un
objet capital, brouilJer 18 Prusse et la France: soil que l'An-
glelerre traità t, soit qu' elle rornpit, eIIe y avait un égal intérêt.
Dans Ie premier cas, au monlent où eIIe céderait, en appa-
rence, à Napoléon, eUe lui créerait de fâcheux embarras; dans
Ie second, eUe lui enlevait un allié et se Ie gagnait. A la suite
d'un diner où rOIl but, à l'allelnande et à l'anglaise, et au
milieu d'effusions qui lenaienl à la fois des propos de table et
de la confidence diplomatique, Yarmouth apprit à Lucchesini
que ce Hanovre, dont
apoléon leurrait la Prusse, il l'avait
offert, puis abandonné, en principe, à l'Angleterre, et que la
paix se négociait sur cet article. Lucchesini en écrivit aussitôt
à Berlin. C& La vérité Il'étant pas toujours dans Ie vin, disait-il,
iI est possible que lord Yarluouth n 'ait voulu que semer la
méfìance entre Berlin et Paris. J) La leUre partit de Paris
Ie "29 juillet. D'ailleurs, Ie bruit de la restitution du Hanovre
cOffilnençai t à se répandre.
Yarmouth aUenJaÍl encore la réponse de Fox à ses rapports
SUI les premières conférences, et la négociation demeurait
suspendue. Napoléon considérait ses filets comIne si adroite-
filent jetés et si saVUlumellt tendus que tous ses adversaires s'y
devaient trouver enveloppés en même temps, et qu'il n'aurait
plus qu'à tirer la corJe.
Iais Ie telnps lui pesait. On parlait
trop; on écrivait trop aussi. A Londres les gazettes, en AIle-
magne des pamphlets dénonçaient ses ambitions nouvelles, la
catastrophe imminente du Saint-Empire, l'asservissement, Ia
ø profonde humiliation de I'Allemagne II . Impuissant contre
I
ote de Tallc) rand, 4 août 1806. BBI\TI\
D.
84.
D'AUSTERI
ITZ A lÉ
A. - 1806.
les ß"azetiers de Londres, it se vengca sur les libellistes d'AlIc-
Inagne, misérables croquants, dont un conseil de guerre c1
la menace du peloton d'exécution auraient aisément raison.
Les rapports signalaient queIque agitation en Franconie, en
Souabe, dans les pays à médiatiser. S'ils bougeaient, il ferait
un excinple. Quant au
écrivains et à leurs imprilneurs, iJ
leur rappellcrait que, pour n'être point nés de sang royal, ih
ne devaient point se croire plus invulnérables qu 'un due
d'Enghien. II écrit à Berthier, Ie 5 août : " J'imagine que von
avez fait arrêter les Iibraires d'Augsbourg et de Nuremberg.
Ion intention est qu'ils soient traduits devant une commis-
sion mili taire et fusillés dans les vingt-quatre heures..,
Répandre des libelles dans les lieux où se troüvent les armée
françaises pour exciter les habitants contre cUes... c'est un
crime de haute trahison... V ous ferez répandre la sentence
dans toute l'Allemagne. . Les Allemands seront frappés de
terreur
t se courberont.
II croit toucher au but. (( La paix avec la Russie et Ia négo-
ciation que j'ai avec l'Ang'leterre me font croire que tout va SE
call1Ier. .. )) L' Autriche va . adhérer à l'ultimatum qu'il lui B
envoyé. Sinon, c' est Ia guerre: (( II vaut mieux en fÌnir tout
d'un coup, que de poser Ie glaive et d'être toujours à recom-
mencer. I)
Iais, au fond, il a plus de raisons de croire à Ia pai"
qu'à Ia guerre 1. C'est qu'un second plénipotentiaire anglais,
lord Lauderdale, vient d'arriver à Paris et que les négociations
voni s' ouvrir en forme; Ie ministère angIais connait les condi-
tions posées par l'empereur, il envoie un second ministre, c'es1
done qu'il veut réelIement la paix. Ainsi spéculait Napoléon,
et il se trompait entièrement sur les intentions des Anglais.
Le trailé Oubril avait été connu à Londres Ie 25 juillet.
" Accord mortifiant 2 " : dit Fox. Ce fut un coup de foudre
pour Ie Ininistère; une indignation générale contre Oubril,
1 A Soult, 6 août; à JosC'ph, au roi d'E8poffne, 5 août 1806.
, Fox à Yarmouth, 2û, 2
juillet; 2, 3 aotÎt 1806. - Rapports de StroGo'Qof,
dans :\lARl'ENS, t. Xl. - Lettre de Strogonof à l'empereur, 27 juil1e& 1806.
Grand-due NICOLAS.
OUBRIL ET Y AR
10UTH A PARIS. - 1806. 85
d'avoir traité séparélnent et à de telles conditions. II a voulu,
disait-on, u sauver quelque chose,
auf l'honneur )) . La situa-
tion de l'alnbassadeur russe, Strogonof, devint intolérable. 11
n'osait plus se moulrer, tant qu'il ne serait pas Iavé de cette
(I souillure J) . II éCl'ivit au tsar un rapport pathétique, Ie sup-
pliant de refuser les ratifications. II se porta fort près de Gren-
ville que Ie tsar ne ratifierait point. Ajoutez la Confédération
du Rhin, dont Onbril avait envoyé nne notice: cette nouvelle
extension de l'empire enlevait une partie de I'Allelnagne au
cOlnmerce anglais. Fox jugca qu'Yarmouth avait trop tôt pro-
dui! ses pouvoirs. Toutefois, il ne voulait point aSSUlner la
responsabillité d'une rupture sur celte équivoque de l'uti pos-
sidetis insinué verbalen1ent, puis retiré, de propos en propos,
par Talleyrand. II fallail qu'un protocole constatât l'impossi-
bilité de s'entendre. Jugeant Yarmouth insuffisant pour cette
besogne de procédure, et trop sous les prises de 'falleyrand, Ie
cabinet lui adjoignit lord Lauderdale, un ami de Fox, un
whig, adversaire notoire de Pitt, qui avait traversé Paris
en 1792, connu Brissot, fleureté d'enthousiasme avec la
Gironde; présenté, aux COlnmunes, Ie 5 juin 1795, unð
motion en faveur de la paix avec la France; violent de carac-
tère, excentrique) formaliste, difficultueux, fin avec cela, qui
ne se Iaisserait point cajoler; un homnle capable de trainer
seion la procédure, de rompre avec à propos et de laisser
l'impression que la paix, désirée par l'Angleterre, n'avait
dépendu que du seul Napoléon. L'llti possidetis demeura Ie
fond de ses instructions ; done, plus de Sicile, sauf, à l' ex-
trêlnc rigueur, contre unc cornpensation. Quant au IIanovre,
l'Ang-leterre n'admettait que la restitution pure et simple.
Ni troc, ni échange. C'était revenir en arrière, et très loin
des prélilninaires esquissés par Yarmouth et Clarke, et remis
à l'en1pereur par Chalnpagny, Ie 31 juillet.
Le 5 aoüt, Laudel'dale était à Paris; 11 fut aussitôt reçu
par Talleyrand 1. Napoléon désigna, pour second plénipo-
I Rapport. de Lauderdale, 6, 9, i1 août i806. - LEFEBVRB, t. 11, p. 320 e'
luivaDtos.
86
DtAt STERLITZ A lENA. - {806.
tentiaire, Cham pagny. Les con férences s' ou vrirent Ie '7 : ce
fut pour constater la profondeur des dissentilnents. Lauder-
dale réclamait l'uti possidetis absolu. Napoléon voulait la
Sicile. << II ne faut pas plus "que les Anglais se mêlent des
affaires d'Italie que moi des affaires de I'Inde. Le traité est
bien loin de me paraitre mûr " , écrit-il à Talleyrand I. Le 8,
Clarke refuse ruti possidetis et réclame la restitution des
colonies hollandaises. Le 9, Lauderdale déclare les proposi-
tions françaises incompatibles avec l'honneur de la couronne
et les illtérêts du peuple anglais, et il demnnde ses pas
eports.
Talleyrand ne les envoie point; Lauderdale insiste Ie 10 et
delnande à envoyer un courrier. Point de réponse. II pro-
teste Ie 11. Champagny et Clarke lui adressent notes sur noles,
s'efforçant de Ie retenir comme, en 1803, lord 'Vithworth '.
C'esl que Napoléon veut trainer jusqu'au retour du courrier
de Bussie qui rapportera la ratification et forcera l'Analeterre
à trailer. C'esl que l'Autriche cède sur tOllS les points et que
Ie nouvel 81nbassadeur,
IeUernich, arrivé Ie 5, apporte la
cJpitulation. L'événement déjoua ces calculs, et ce fut du
côté .où Napoléon Ie redoutait Ie moins que se brusqua Ie
clélloucInent. II se croyait maître de In Prusse II en attendait
tout, duplicité, perfidie, défection souterraine, Inanæl1Vrc
sourdes, mais en lenteurs, en faux-fuyants, a "cc sonmission
finale - tout exccpté un réveil de l'honncur mon::.rchique
dans celte cour avide et pllsil1anjm
) et, dans cc pays en
décadence, un réveil en sursaut de la dignité et de la cons-
cience nationaIes.
I A Talleyrand, 6 août; note du 7 août :1800.
· Voir c. V I, p. 237. 292.
RUPTURE A \ EC LA PRUSSE. - 1806
87
VII
Le 25 juiIlet, Laforest apprit å I-Iangvvitz Ia formation df'
la Confédération du Rhin I. Peu après arrivèrent les rapports
de Lucchesini sur les négociations entre la.France et la Russie,
entre Ia France et l'Angleterre. La première pcnsée des Prus-
siens fut, pour Ie Hanovre, la crainte que NapoIéon n'en payât
les .A.nffIais. Quant à la Confédération du Rhin, loin de s'en
offusquer, IIaugwitz s'en félicita. II ne regrettait ni Ie vieil
Empire avec ses coalitions d'évêques et de barons, ni la supré-
matie impériale de I'Autriche. La Confédération du Rhin
appelait la Confédération du
ord, et Napoléon lui-même en
sUffgérait la pensée. (( Cette belle association, disait Haug-
witz j, demeurera toujours Ie boulevard du nord de I'Alle-
magne et des États qui la composent. )J Sans plus attendre,
Frédéric-Guillaume entame les pourparlers avec les co-États,
la Saxe, la Hesse-Cassel, les
Iecklembourff, les villes hanséa-
tiques 3. II fait écrire à Gærtz, son envoyé près de la Diète; it
lui annonce la Confédération du Rhin et ajoute : (I L'empereur
Napoléon m'a invité de la manière Ia plus prévenante et la
plus amicale à me mettre de même à la tête d'une association
semblable pour Ie nord de I'AlIemagne... en Ine réitérant
l'assurance positive de, ne jamais se départir des engagements
qui attribuent Ie pays de Hanovre à la PI us ;e. Je suis done
occupé dans ce filoment à jeter en silence les fondements de
cet ouvrage important, auquel, puisqu'enfin l'ancien édifice
germanique ne pouvait plus se soutenir, Ie nord de l'Alle-
magne devra, je l'espère, sa régénération, Ie maintien de
I Correspondance de juillet et août. BAILLEU, t. II.
t Troiøième mémoil"e. Juillet 1806. RANKE.
I ltlémoires de Harden berg, RANKE, t. III, p. 150. - Piìcel t. V.
p. 383, 388.
11\
D'AUSTERLITZ A IË'NA. - 1806.
I'ordre et de la tranquillité. ø Laforest écrìt, après une conver-
sation intime avec Haugwitz: (( La modestie naturelle de Sa
Majesté fait qu'il n'est pas encore bien certain s'il prontera de
I'occasion de faire entreI' la couronne impériale dans la
maison de Brandebourg 1. "
1\Iais accepter de tels présents, c'est con6rmer l'alliance avec
In :France, et s'engager à fond avec Napoléon contre rAnffle-
terre, contre la H.ussie, et Frédéric-Guillaume s'en désespère.
Autour de lui, à la seule pensée, on s'en indigne, et, plus que
personne, Ia reine, toujours éblouie de Ia magnanin1Ïté
d'Alexandre; qui fait de cet empereur Ie confident senti-
mental de ses inquiétudes domestiques; qui voit en lui Ie bon
esprit de son époux, Ie protecteur de ses enfants, (( range de
consolation n de sa vie, et Ie chevalier de l'Europe. Elle lui
écrit des Iettres analogues, pour l'effusÌon du cæur, à celles
de Marie-Antoinette à Fersen : (I J e crois bien que Ie 4 de
Dovembre, Ie pèlerinage nocturne au tombeau de Frédéric et
les serments d'éternelle amitié, sera pour toujours Ie dernier
jour de bonheur ! t" Puis Ie prince Louis-Ferdinand, Ie héros
désigné; Hardenberg, Stein, tout ce qui se révolte contre n la
tyrannie " du Corse; tout ce qui rêve de venger I 'humiliation
de I'AlIemagne, et commence à discerner Ie rôle d'une Prusse
étendue dans nne Allemagne affranchie. Enfin, chez les gen-
tilshommes, chez les militaires, la honte de reculer toujours;
la fierté des armes, plus susceptible à mesure que les affronts
se multiplient. lis se demandent si Napoléon ne les traînera
pas de promesse en promesse jusqu'au moment où, brouillés
avec tout Ie monde, ils tomberont à sa merci. Des propos
menaçants circulent, venus de partout. Et, brusquement,
les révélations. Le 6 août, Ie courrier de Lucchesini, du
29 juiIIet, apporte les confidences d'Ynrmouth : Ie Hanovre
offert, promis aux Anglais dans Ie temps même OÙ Talleyrand
à Paris, Laforest à Berlin Ie garantissaient à la Prusse. Ces
ministres ont done menti, et par ordre de leur maître, quand
· Le roi
Gærtz, 1'" août; rapport de Laforest, 3 août 1806.
B1ILLBl1. Voir lealettrea des 21 mai, 13 août 1806. Cf. 20 juillet 1.803.
RUPTURE AVEC LA PRUSSE. - :1806.
89
ils assuraient que sans sa volonté de conserver Ie I-Ianovre à
Ia Prusse il aurait fait Ia paix avec l' Angleterre I. Hlücher,
qui comlnande à
Iunster, annonce des mouvements offensifs,
les renforts envoyés à \\"'eseI, Ie dessein évident de s'ernparer
du comté de In ì\Iarck: il y a 40,000 Français sur la Lippe,
un corps se rassemble à Düsseldorf.
chIaden écrit de
Iunich :
<< On ne saurait croire que Ie but des armcments français se
dirige contl'e Cattaro. JJ A Francfort, Al1gcreau a porté publi-
ql1ement un toast au succès de Ia prochaine guerre avec la
Prl1sse. De Cas
eI, de Dresde, on mande que, loin de favoriser
l'entrée de ces États dans une ConléJération du Nord, les
aaents francais les en détol1rncnt 2.
u ·
IIauff\vitz est atterré. II se sent bafoué. Persister en cct
avenglement é(luivalldrait désorrnnis à lrühison. Frédéric-
G-l1illaulne avait toujours décIaré qu'il ne fcrail Ia gnerre que
pour une question de vie ou de mort, où l'honneur serait
enJ:l[Jé. Cctte question est posée. Ni Ie roi, ni Ilauff\vitz ne
sc dernandent si Yarrnouth a dit \Tai et si, au ens oÙ il ren-
drait Ie nanovre à l'A_ngIetcrre, NapoIéon n'a pas songé à
fourui.. des cornpensations à la Prusse - cc qu'il complait
faire en réalité. lis se voicnt débordés. Dans Ie club de fa
noblesse, dans les clubs milit:1ires, d
ns les casernes, dans
Ics bureaux des Gazelles ce n 'est qu 'effervescence patriotique,
indignations, cris de guerre, fanfaronnadcs. Le roi perd
Ia létp, étourdi par Ia crise, trol1blé par l'cxaltatioll de son
pClJplc. II pense à pal'lir pour PélCl'sbonqj, à se jeter dans
les bras d'Alexandre. II lui écrit, Ie 8 aoüt: n n n'y a pas
de doute quc si Napoléon transiGe Ù Londres sur Ie projct de
Ilanovre, il vent ll1e penlre. Le ycrrcz-vous avcc indiffé-
rence, sirc? V ous a vez fait votre paix...
Iais cette paix,
fen snis COIl"raincu, ne VOtIS ôtcra jnm
\is Ie droit et la résolu-
tion d'elD pèchcr qu 'un derninr boule\rard de Ia sûreté publique
soit ren versé avec la puissance prussicnne !... Ditcs-Inoi, sire,
I Talleyrand I"
crit encore à L:.fore"t Ie 3 a01lt iSOfi.
I nappurts pru:iei n. del 2;)-2.U ju,llet lßU6, dans BULLEU. - Rapportl de
Lafun:st, 1_. 16 aOllt 1\;03,
gO
D'AU5TERLITZ A IÉNA. - 1806.
je vous en conjure, si je puis espérer que, os troupes resteront
å Ia portée de IDe secourir... En attendant, je vais prendre
roes mesures pour n'être pas pris au dépourvu... " Le D aoùt,
la mise sur Ie pied de guerre de l'armée est décidée, et, Ie 10,
quatorze courriers partent bruyaIDment de Berlin pour en
porter l'ordre dans toute la monarchie.
Laforetìt se rend Ie 11 chez I-Iau{pvitz, muni des déprches
du 3 OÙ TalJeyrand réitère les assurances au sujet dl1
I-Ianovre I. Le lendemain, c'est Hau{pvitz, au nom du roi de
Prusse, qui demande å Napoléon des explications. Laforest se
débat de
on mieux, s'en réfère å ses dépêches; mais la con-
versation 6nie, il dit au comte de Bray, ministre de Bavière :
" J'expédie un courrier, je demande mon rappel; ou I'on me
trompe ici, ou l'on me trompe là-bas. Je ne veux pas être
mêlé plus longtcmps å des affaires qui compromettent mOll
caractère. Ces gens-là - les Prussiens - m'ont mystifié;
vingt fois je me suis sacrifié pour les mettre à couvert; mais,
à la fin, cela m'ennuie. Au moment même où on me donnait
les assurances les plus amicales, on faisait armer '. Les lettres
de créance qui devaient être adressées à M. de I-Iumboldt
pour Ie roi de Naples ne sont pas parties... )) II revoit encore
Haugwitz Ie 15, et il écrit: <<Le gouvernement prussien peut
n 'être pas Ie maître du premier mouvement d'un public tel
que celui de Berlin qui a été si travaillé du commencement
d'octobre au mois d'avril dernier. " Les journaux ont l'ordre
de se taire; les ministres démentent les intentions belli-
queuses; mais les jeunes officiers, très insubordonnés, n se
livrent aUK espérances les plus folIes... Cette fois, répètent-ils,
la Prusse ne sera pas prise au dépourvu..." . lis annoncent une
coalition formée avec I'Angleterre, I'Autriche, la Russie, la
Suède.
Cependant Ie roi, ses ministres qui ont repris un peu de
sang-froid, doutent que la paix soit réellement signée avec
J H;:tpport de Laforest, i! août; du comte de Bray, miDi.tre de Bayière,
ii août 18C6.
I
ovembre-décembre 1805. Voir t. VI, p. 487, 506
nUPTunE AVEC LA PRtrfSE - f
Oß. tH
Alexandre. lIs voudraient attendre des notices plus silres de
Paris, des avis de Pétersbourg. l\lais l'opinion se déchaîne.
A quoi bon vérifier? C'est une insulte, et il suffit, ponr la
croire vraie, qu'on la ressente. Après s'être ravalé tant de
fois, avoir reeulé et abdiqné en silence, on n'est plus capable
d
lnesurer la portée réelle des paroles et des faits. L'explo-
sion fait erever un oraae qui pesait depuis dix mois stir Berlin.
A Paris, Lucehesini s 'agite dans les alarmes. Ses amis des
bureaux de la Gllerre lui déIloncent les arrnen1cnts de Napo-
léon; les affidés de Talleyrand arritent autour de lui la
machine aux fantômes. Le 6 aoÙt, il éerit à Hauffwitz que Ie
traité Ollbril du 20 juillet eomprendrait des articles secrets:
n II ne s'aaissait de rien moins que de s'engarrer réciproque-
ment à mettrc Ie grand-due Constantin à la tête de Ia partie
de l'ancien royallrne de Polorrne que possèdent actucllement
la Prusse et I'Autriche et de donneI' à Ia Suède tout ou une
GTande partie de la POlnéranie prl1s
ienne. >> II conseille au
roi de se jeteI' dans une voiture et de partir incontinent pour
Pétersbourg, avec bcaucoup d'argent. (( N'est-il pas conve-
nahle d'elTIployer pour réus
ir les mêmes armes que la partiE:'
adverse? C'est par surprise que
apoléon captive les cabi-
nets...
u] autre que Sa )I;1jesté ne peut rapreter à son illustre
ami ce mallLCurel.lx 3 nnvernbre où Frédéric-Guillaume fit å
Alpxandre Ie sacrifice de ses prineipes et de
on système... "
Lucchcsini, n'ayant point de courrier disponible ou craignant
d'appeler I'attention, confia cette lettre à l'envoyé hessois å
Paris,
L de
Iöbbourg, en Ie priant de la faire expérlier à
Berlin, par la voie de Ca
sel. Lucehesini fut-iI, comme Fouché
s'en est v3nté, trahi par un de ses agent
qui recevait des
deux mains?
fy eut-il silnplelnent qu'un paquet ouvert à la
poste et porté au cabinet noir? Ce qui est sûr, c'est que la
dépêche fut interceptée et qu'elle ne prit la route sur Cassel
qu 'nprès avoir été copiée å Paris.
Napoléoll entra dans une furieuse colère: .. Cette lettre,
éerivit-il à Talleyrand Ie 8 août, enfin VOllS fera connaitre
e
coquin de Lucchesini... Rien n'est plus facile que de VOUI
91
D'AUSTERLITZ A ItNÀ. - 1806.
tromper... Ce Pantalon, parce qu'il est faux et bús, il n'y a
pas de bassesse ni de fausseté dont il ne me suppose
capable... JJ II Y avait, dans cette malencontreuse dépê-
che, une ligne qui donna à penseI' à l'empereur : CI Ce
mallteul'eux 3 noverllbre" OÙ Ie roi avait sacrifìé à Alexandre
ses principes et son système. Ce traité, Napoléon n'en avait
pas pu découvrir Ie secret. Talleyrand en écrivit aussitôt à
Laforest : (C NOlls n'avons jamais connu cette déclaration,
DOUS avons seulement su qu'elle existait. Veuillez faire tout
ce qui sera en votre pouvoir pour vous en procurer une
copie I... JJ Toutefois Napoléon ne tourna point cet incident à
Ia guerre. II y vit, au contraire, un moyen de pousser les
Prussiens à Ia panique, de les obliger à désarmer, de les
atterrer et de les subjuffuer sans avoir besoin de les com-
baUre : << II faut sonß'er sérieusement au retour de la Grande
Armée, écrit-il à Berthier Ie 17 août, puisqu'il me parait
que tons les doutes sur l'AIle-rnagne sont levés. n En erfet, Ie
6 août, François II avait déposé la couronne impériale et
reconnu Ia Confédération du nhin. II semblait qu'il Il'y eÚt
plus qu'à filer la tléffociation avec la Prusse en une seconde
retraite de Charnpagne. Le fait est qu'au premier abord, et à
ne s'en tenir qu'aux signes exlérieurs, les Prussiens selublent
venir à résipiscence.
lIs cherchent, au moins, à rrngner du temps. Us se bercent
de l'espoir qu'Alcxandre ne ratifiera pas Ie traité d'Onh..iI. lIs
spéculcnt sur Ie travail souterrain des partisans de l'alliance
prllssienlle à Paris: l'opinion, supposent-ils, e
t hostile à la
gucrre. Lucchesini est sacrifìé et rcmplacé par Knobelsdorf,
qui passe pour aßTéable à Napoléoll et qui réussira peut-être à
l'apaiser, à l'endormir. Cette mission voilcra leurs préparatifs
qui se poursuivent. I{nobelsdorf quitte Berlin Ie 22 août dans
Ia nuit i; Ie 25, Bruns\vick est nOffilné général en chef de
l'année prussienne.
Les voyant effarés, Napoléon les prend en mépris. ß C'est
I N.lpotéon à Tallevrand, 8 80tlt; Tallcyrand à I.laforest, 9 80ût 1806.
· Rapport. de Laforest, 19, 22 août 1806. RANKE, t. IV, p. t1.
RUPTURE AVEC LA PRU!SE. - ißOð.
..
un excès de peur à faire pitié tJ, écrit-il à TalJeyrand; et
à llerlhier : Ie Le cabinet de Berlin est pris d'une peur
panique... C'est à cela qu'il faut attribuer les ridicules arme-
ments qu'il fait, et auxquels il ne faut donner aucune atten-
tion, mon intention étaut, effectivemcnt, de faire rentrer mes
troupes en France. 1)
lais puisqu'ils se met.tent en cette
posture, il les y laissera, son dessein étant de les humilier.
lIne daißl1cra ni s'expliquer avec eux ni surtout les BTati6er.
" N e di les rien à
I. Lucch
sini... S'iI vous parle de la Saxe et
de la Hesse, vous lui direz que vous ne connaissez pas nles
intentions; s'il vous parle de Hambourg, Brême et Lubeck,
vous lui direz que ma résolulion est qu'elles restent viBes
hanséatiques. 1) A Berlin, Laforest devra n battre froid.
Si on lui parle de la Confédération du Nord, il dira qu'il n'a
pas d'instructions I )J. Illes laissera ainsi aigrir leur colère
honteuse; elle suffira pour les livrer, tellement désarmés,
abhnés, qu'ils ne compleront plus. C'est qu'il espère encore
la ratification du trai{é russe et qu'il ignore les engagements
siffués entre la Prusse et la Russie.
YarlIlouth s'est retiré. Talleyrand traîne les négociations,
délaie des notes. Tout dépend de la décision d'Alexal1dre I.
., Si la Russie ne ratifie pas, écrit Tal1eyrand à Napoléon, la
l}aix sera extrên1cment difficile. si elle ralifie, Ia paix est iné-
vitable I. tJ
Elle ne ratifia point. Oubril avait été reçu à Pétersbourff,
comrne, en 1800, Saint-Julien à Vienne. Ce ne fut qu'un cri
de réprobation contre (( l'infamie d'Oubril)), la duplicité de
Bonaparte, les supercheries de TalIeyrand 6. Napoléon
promet d' évacuer I' Allemagne, et, Ie trai té à peine signé,
on apprcnd qu'iI s'établit sur Ia rive droite, supprime Ie Saint-
I A Talleyrand, 22 août; à Berthier, 26 aOltt. - Rapport de Lucc11esini,
26 août. - Talley..and à Laforest, 23 août. - Rapport de I...aforeet, 3 septembre
i806.
Notes du 1.4 au 27 août; rapl1ort8 de Lauderdale et notes, t6, t7, i9 août
1806.
a TaJleyrand à Napoléon, 27,31 août 1806.
,
ote rusee, août 18U6. TRATCHEWSKY, t. III, p.
51, ,.56.
,...
D'
USTERLITZ A IÉNÄ. - 1808.
Empire et forme une avant-garde d'A!Ienlands, conféJérés
sous SOil protectoral. Alex3ndre rassemble son conseil d'État,
communique à ses conscillers les pouvoirg donnés å Ollbril,
Ie traité signé par cel anent, et cOIHpare : l'ablls de pOllvoir
est manif('sle. Oubril est exilé dans ses terrcs. Bndberg en
informe officiellelnellt Ie corps dipJomatique et, Ie 14 Doùt,
il écrit à TaJIcyrand, notific le refus des ratifications et ajoute
que la paix n'est possible que si la France rcnonce à l'Albanie
ct à Ia Dalmatie, garantit la Sicile au roi Ferdinand et pro-
cure une indclnnité au roi de Sardaigne.
La nouvelle du refns des ratifications est connue å Berlin
Ie 26 août. C'esl la guerre. Le 30 et Ie 31 août, la garnison
de Bcrlin reçoit l'ordre de nlarcher sur la Saxe. Napoléon
reçoit Ie courrier de Pélersbourg le 3 septclnbre. En Inême
temps, il apprend que Fox est ßTa,'crnent nlalade : s'il Ineurt,
il sera remplacé par Grenville, hostile à la paix.
apoléon cst
convaincu que la partie est liée entre Ia Prusse, la Rassie,
I'AngIeterre. R Je ne puis, écrit-il à Talleyrand, avoir d'alliance
réelle avec aucune des grandes puissances de l'Europe. JJ II ne
peut que les réduire par la force, les tenir par la crainte I. II
mande aussitôt à Berthier de suspendre les ordres déjà pré-
parés pour Ie retour de la Grande Arlnée, et de tout dispo
er
pour que, sur un signe, tous les corps soient concentrés
autour de Bamberg, d'où I'on est, en dix jours, å Berlin 2. II
se prémunit contre une descente des Anrrlais, en Hollande,
d3DS l'Ouest; car il en est Ià, un an après la Ievée du camp
de Boulogne. II ne craint rien du côté de Vienne : n L'Au-
triche est hors d'état de rien elltreprendre I. " II estime qu'un
II corps considérable russe ne viendra pas de sitôt... Je ne
pense pas qu'ils se hasardent à envoyer 100,000 hOlnlnes en
Allemagne... >>. La Prusse est à lui. II est en mesure de la
briser; il préfère l'avilir. "Ce cabinet est telIenlcnt méprisabJe,
I Å TaUeyrand, 3 septemhre 1806. LECESTRE.
t A Berthier, 3, 5, 10
eptembre. - A Dejean, 23 aoùt 1806.
· :Note à Talleyrand, 12 septernbre 1806. IÆCEs'I'RB; cf. lettre à Joseph.
I_
.eptembre i à Eugène, 15 aeptemLre 1806.
R U }lTU BE A "J!C LA pÏ\ t1
3E. - 186ft. \15
SOT,80uverain lellement sans caractèrc... Ene agira constam-
ßlent comnle elle a 8ffi : elle arlnera et désarmeIa; eUe armera,
restera en panne pendant qu 'on se battra, et s 'arrangera avec
Ie vainqueur. " -
J'ai Ù. faire deux choses : d'abord rassurer
la Prusse et chercher Ie moyen de la replacer tranquille
comme elle était, Ie plus faciIen1ent possible. 1) - n Il faut
qu'it entre un peu de peur dans Ie désarmement de la Prusse;
c'est Ie fond de la langue du pays, Ie seul véhicule qui Ie
remue véritahlement. 1) - u Au lieu de dire: - Désarmez ou
la guerre! - qui est encore une chose trop effrayante pour
la Prusse) je dirai : - Désarmez si vous voulez que je n'arme
pas davantage. - Cette manière a quelque chose de plus
rassurant. 1) Sous cette forme c& nlitoyenne JJ , Talleyrand exi-
gera une note déclarant IC que la Prusse n'a pas d'autre
liens
que ceux qui l'attachent à la France,,; sinon l'empcreur
sera forcé, par les armements prussiens, de faire partir Ia
Garde inlpériale et d'en donner publiquement les raisons au
Sénat. Si la Prusse obéit, Napoléon aura obtenu, sans guerre,
les effets de Ia guerre. n Toutefois, écrit-il à Joseph, elle
désarmera bientôt, ou elle Ie pa)Tera chèrement. " II a
] 50,000 hommes avec lesquels Ie if peut soumettre Vienne,
Derlin et Saint-Pétersbourg " . II sera en mesure avant que les
Anglais aienl pu envoyer de l'arrrent en Prusse, que I'Au-
triche n'ait même l'idée de bouger, que les Russcs ne soient
même en route. Knobelsdorf est arrivé à Paris; il a présenté
ses lettres de cré3.nce et Lucchesini ses lettres de rappel Ie
7 septembre. "II ne reste plus à la Prusse qu'à désarmer
et à faire oublier à la France une erreur clont elle serait en
droit de s'offenser JJ, leur déclare Napoléon. Que la Prusse
désarme, et Ct aucune troupe française ne passera Ie Rhin JJ .
TalleYl'and commande à Laforest: Ct Si la Prusse veut rOlnpre
l'alliance, l'elnpereur est prêt à y renoncer... II recon-
naîtra vòlolltiers tout ce que les Élats du Nord auronl fait
librement et volontairemcnt, cn exceptant toutefois les
villes hanséatiques... "
fais si la Prusse envahit Ia Saxe,
Laforest quiltera aussitôt Berlin, et Ie fait sera regardé par la
06
D'AU8TERLITZ Å IÉNA.. - 1806.
France comrne une déclaration de gl1erre I. C'est un ultimatum.
Les mesures militaires sont prises. All premier bruit d'inva-
sion de la Saxe, la grande armée se concentrera à Würz...
bourg. La Bavière, Ie \Vurtemberg, Darmstadt amèneront
leurs continß"ents. Le plan de Napoléon " est de se jeteI' au
milieu de la Prusse et de marcher tout droit sur Berlin n .
l\lais il croit qu'elle cédera. nl\Ion idée, écrit-il å Joseph Ie 13,
est qu'avant deux jours la paix du continent sera plus conso-
lidée que jamais. J) II sera maitre de la l\léditerr'anée! Et à
Louis, Ie 15 : (I J'imaffíne que cette crise sera bientôt passée
et que la Prusse désannera et ne voudra pas se faire écraser.
Le succès est certain. J) Le 18, la garde se met en mouve-
ment. Le 19, Talle)Tand envoie à Laforest une sommation
en forme I.
Napoléon avait trop préjugé de la faiblesse des Prussiens.
Ce n'étaient ni les Bourbons de Naples ni Ie peuple des lazza-
roni. II leur restait la pré
omption d'être les premiers mili-
taires du monde et, à défaut de l' éperon frédéricien, la
révolte de la fierté nationale, l'honneur de la couronne.
Devant ce manifeste à la Brunswick, ceUe cour traitée conime
Brunswick traitait, en 1792, Ia nation française et ses repré-
sentants, se redresse, s'eInporte lnême. 11 se passe à Berlin
des scènes qui font penseI' aux derniel's tenlps des Tuileries,
sous Louis XVI et l\laric-Antoinctte. La fìèvre qui 1110nte
envenilne les plaies secrètes et découvre Ie mal caché.
L'armée, qui n'a plus qu'une façade de revue et de défiIé,
indisciplinée, désorganisée, cabale, crie, menace, remplit )a
ville de ses forfanteries: les Français n' onl pas encore rCIl-
contré leur maître. Autour du roi, il y a désonnais un partI
de la guerre, un parti des réformes, un parti de polilique
nationale en Prusse et en Allelnagne; toute une révolu tion :
Blücher à l'armée, Stein au gOt1vernement; des miIitaires,
J Talleyrand å I..aforest, 12 septembre; rapport de Lucchesini, 8 septf"mbre
i806. - Napoléon à Berthier, 13 sf:'ptembre. - Napoléon au roi de Pruue.
i2 ,eptembre 1806.
! VOir, pour la guerre : général BOllNAL, la
lallæuvre ti'léna.
1\UPTtJRE AVEC J
Å P
USi:i. - 18Q6.
92'
ROche1, PhuIl; des savants, Jean de
IüIler, Humboldt. C'est
une véritable fronde. lIs remettent au roi des mémoires qui
sont des programmes, dénonçant Ie Cabinet, réclamant Ie
renvoi de ces conseilllers funestes, favoris de l'indécision et
de la vanité royale
: Lombard, Beyme 1. Frédéric-Guillaume
aussi orgueilleux de son pouvoir qu'héiitant à en user, inca-
pable de vouloir, ßlais n'admettant point une autre volonté
que la sienne, les écoute avec impatience; il se rappelle lei
con)mencements de la Révolution française, les premièrea
insurrections de Cour et d'État avant les insurrections de la
rue, la guerre déclarée en 17Ð2 et ruinant la dynastie. II n'a
conhnl1ce ni dans ses généraux ni dans son armée. ni surtout
en lui-Inême. II redoute la défaite: il se voit entrainé å la
gllerre par des passions qu'il ne partage pas, mais qu'il ne peut
plus domineI'. Régncr sans honneur ou risquer sa couronne I
il fermera les yeux. " Berlin n' est plus maitrisable... I u , écrit
La forest. On a pprend que Ie libraire Palm ft. été enlevé
par' les Français, à Nurernberg, jugé et fusiIlé. Le peuple
cOlnprend qu'à se courber sous la menace et SOUi Ie joug il
n'y aura plus d'Allclnaffne, comme Ie roi a compris qu'il n'y
aura plus de Prusse. Tous se jettent tête baissée sur l'épou-
vanlail
Le 6 septembre, Frédéric-Guillaume écrit å Alexandre:
c( Je n'ai plus de choix que la guerre... Bonaparte m'a mis å
mon ai
e... C' est done moi, à ce qu'il paraît, qui devrai
prendre rinitiative des ouvertures décisives.
{es troupes
marchent de tOU8 côtés pour en hâter Ie moment. u II envoie
Ie ßénéral Krusemarck à Pétersbourg réclamer un secours de
60,000 hOlnmes. II s'adresse à I'Autriche : iI Iui laissera
prendre Ia Bavière; au besoin ils se partafferont l'Allemagne.
II renoue avec les Anrrlais : c( II ne prétend pas conserver Ie
IIanovre conlre Ie gré de Sa l\lajesté Britannique, et il consLnt å
ajourner la question du sort futur de ce pays jusqu'à l'issue
des événelnents qui se préparent. u II tåche d'elltl'aUler la
1 Mémoires au roi, :> août et 2 leptemhre. Run"..
I Rapport. de Laforest, 1.3-15 eeptembre 1806.
TII.
,
..
D'AU
T
RLITZ A IÉNA. - 1806.
Suècle et Ie Danelnark I. Le 7 et Ie 8 septembre, Ie plan de
ßUérre est élaboré : on y voit percer cette arrièrc-pensée,
s"assurer la I-Iesse et la Saxe, les occuper pour y prévenir
Napoléon, puis enrôler leurs armées et les incorporer à la
COllfédération du Rord 2. La Prufse en appelle à l'Allcn13gne,
it rEurope. Elle combat, déclar
Haugwitz, cc pour Ia plus
justc des causes, I'existence, la sûreté, l'indépendance com-
111unes. II Elle a pour eUe, non pas seulement l'opinion de
]a nation... mnis l'opinion de tout ce qu'il y a, même en
France, en Italie, en Hollande, dans I'Europe entière,
d'hoffilues que l'injustice révolle et qui sentent Ie prix de l'in-
dépendance. .. Partout OÙ eUe portera ses armées en AIle....
magne, la Prusse trouvera autant de défenseurs qu'elle voudra
rassembler d'habitants sous son drapeau a. 1) Désespérant
désorn1ais d'être utile, Laforest delnande ses passeports,
Ie 21. Le Inême jour, Frédéric-Guillaume quitte Berlin pour
se rendre à l'armée, et, Ie 26, il adresse, de Naumbourff, à
:Napoléon une longue lcttre, qui est Ie manifeste de ses récri-
minations
. Haugwitz y joint un ultimatum que l{nobelsdorE
rèlnettra à Talleyrand : la Prusse exige l'évacuation immé-
diate de l'Allemagne, Ia retraite des Français au delà du
Rhi 1; l'acceptation en principe d'une Conféùération du
Nord u qui enlbrassera, sallS aucune exception, tous les États
non nommés dans l'acte fondamental de la Confédération du
Ithin tJ . Napoléon aura jusqu'au 8 octobre pour répondre.
Ces Inessages sout remis à Talleyra:p.d Ie 2 oclohre, Napo-
léon était déjà à la tête de ses troupes. II reçut Ie courrier de
TaIIeyralld à Bamberg. II y apprit aussi la rupture avec
r Angleterre &. Un n1cssage au Sénat ct une proclamation à
l' aI'lllée annoncèren t la ffuerre 6. L' em pereur évoque les sou-
· í-fal1gwitz à Brunswick, 9 septcmbre I
06. BAILLEU. - BEER, p. 24.6. -
COl'rC';.;poD,lance de Ilanlenbcrß avec Adair. RANKE.
i HA
KE, t. IV, p. 11-17.
IIdugwHL au roi, 10 spptembre.-Rapport8 de Laforeat,21-27 eeptcmbre 1806.
.a RANhE, t. III, p. 179. néJi
ée par Lomhanl.
I Lauderdale qnitta P<Jri
ad f) octobre 1806.
· 6 octobrc 1&06.
RUPTURE A VEC LA PRUSSE. - t806.
ge
venirs de 1792 : c'est Ie même Brunswick, ce sont les mèmes
Prussiens. u lis trouvèrent dans les plaines de la Champagne
Ia défaite, In fi10rt et la honte ! )J Le même sorties attend. 11
parcourt à peine la longue leltre de Frédéric-Guillaume :
" C'est un mauvais Iibelle I." II Y répond par un autre qui,
dans son genre, ne vaut pas mieux : Ie Ier Bulletin, daté
du 8 octobre, terme assiffné par Ia Prusse à la retraite des
Français. C'est un pamphlet, pamphlet Ie sabre à la main, et
de ce ton révolutiollnaire dolit, en 1792, les Camille, les
Brissot, les Barère dénonçaient I'Alitric/uenne et ses forEaits.
II frappe Ia reine du pire des outrages; ilIa compare à
?\Iarie-Caroline de Naples, la Caroline d'En1ma IIamilton et
des sanglantes bacchanales des lazzaroni. Après
Iédée,
Arn1ide 2. n La reine de Prusse est à l'armée, habillée en
amazone, portant l'uniforme de son réffiment de dragons,
écrivant vingt lettres par jour pour exciter de toules parts
l'incendie. II stmble voir Armide, dans son égarement, met-
tant Ie feu à son propre palais. "
Égarement est juste. Ni plan, ni chefs. Tout s'en va en
désarroi, à la débâcIe. lIs ont mis en demeure Napoléon
pour Ie 8 octobre. Et Ie publiciste Gentz, qui suit Ie quartier
généraI, témoin troublé, narrateur émouvant de ce drame,
note dans son journal : "Ce que j'entendis de plus satisfai-
sant, c'est que rien n'était encore perdu 8. )J Les signes
funestes se succèdent. Le premier engagement, Ie 10 octobre,
à Saalfeld, est une déroute, et Ie prince Louis-Ferdinand,
Ie paladin de l'avant-gurde, y est tué. Le 12, Augereau fait
prisonnier Ie régiment oÙ il avait servi autrefois et appris la
manæuvre à la prussienne.
Encore une fois, Napoléon engage une partie décisive et
joue Ie tout pour Ie tout. La coalition est reformée entre la
I A Tal1eyrand, au roi de Bavipre, 7 octobre 1806.
I Ie Cette )Iédée. " A Joseph, 9 août 1806.
I Rien de plus 5icnificatif, de plus dramatique que ce récit de GENTZ, Journal de
ce qui m.'e,l;t arrivé de plus marquant... pendant Ie voyage que j'ai faIt au f(uar-
tier gélléral de S. lU. le 1'01. de PrlLsse, Ie 2 octobre 1806 et iou1" ,ndvants.:
Mémoires et le_t
:e8 inédilea de Genu..,!
100
D'AÜiTJ:ALITZ .A. IÉNA. - 1lift
Prusse, la Russie et l'Angleterre. C'est done la guerre de 1805
qui recommence. L'Autriche, neutre, tenant lieu de Ia
Prusse, et la Prusse, ennelnie, occupant la place de l'Autriche.
Si Napoléon est baUu, les Russes arrivent; les Anglais débar-
quent en Ilollande, insurgent la Belgique, toujours agitée ;
François II, qui attend son heure, se tournera contre Ie vaincu
el fera sentir lourdement au Corse Ie poids de la rancune
autrichienne : il prendra Ie rôle que la Prusse se ménageait
en 1805, si Austerlitz avait été une défaite de la France. Rien
à attendre des alliés, en cas d'échec grave. Les Allemands
sont nantis : ils ne songeraient qu'à obtenir du vainqueur la
garantie de leurs couronnes et de leurs terres. Le Portugal
est tout anglais. L'Espagne est une autre Prusse : depuis
Trafalgar, les Espagnols couvent la défection, prêts à recevoir
Ie Portugal des mains de Napoléon, si Napoléon l'emporte;
prêts, s'il est baUu, å passer aux coalisés. Godoy croit Napo-
léon en péril, il négocie avec les Anglais; Ie 5 octobre, illance
un manifeste au peuple espagnol, l'invite à Ja guerre et il
n'attend pour se prononcer que la nouvelle d'une défaite.
Rome cherche å rompre. Eugène aura fort å faire avec lei
Autrichiens qui déborderont sur I'Italie, OÙ sont leurs conve-
nances et leurs convoitises. La Dalmatie disperse et absorbs
une partie de l'armée d'Italie : en cas de malheur, iJ faudra
évacuer ce pays, précipitamment I. Rien å attendre des roia
frères. Louis, qui forme r aile gauche de la gran de armée,
demande de l'argent et des hommes. " Ce n'est pas Ie temps
des jérémiades, lui écrit Napoléon; c'est de l'énergie qu'il
f
ut. at I u , et c'est ce qui manque Ie plus. Quant à Joseph, son
royaume est un des enjeux de la partie. Si Napoléon est
"
8incu sur l'Elbe, e'est sur l'Isonzo que Joseph défendra sa
couronne ct s'il y est battu, ßlédée rentre å Naples, comme en
1799. "A la nouvelle d'une bataille perdue sur I'Isonzo ou
sur l'Adige, les Napolitains tourneront contre vous... Un seul
· Sur le
précautions qu'y prend Napoléon: instructions à Marmont, 1 juillet5
à Dejean, 3 seplembre 1
06. - MAR:\fONT, t. II, p. 375; t. III, p. i Qt suiv.
.t RQCQUAIN, p. XXVII. -
Loui., 15, 20 septembre 1806.
I\UPTURE AVEC LA P nUSSE. - 1806. 101
cri italien de chasser les Français au delà des Alpes vous
arrachera toute votre armée I. 1)
ft Une grande bataille est toujours une chose grave, disait
Napoléon å Sainte-HéIène. Si j'avais été vaincu à Iéna Ii!... 1)
Iajs il fut deux fois vainqueur, Ie 14 octobre : par lui-même
à Iéna, par Davout à Auerstuedt.
I A JOlepb, tv, 9 août i806; cE. 24- mai 1806.
G01JJ\G4UD, i. I, p, 504-.
CI-lAPl THE 11
LE DÉCRET DE BERLiN
i806-1807
I
Le 14 octobre 1806, il n'y avait rIns d'armée prussienne I.
Napoléon entendait que la débâclc politiqne suiyît et dépassât
la déroute JDilitaire. II frappa la Prusse d'une contribution de
guerre de cent millions, plus soixante environ sur ses alliés,
Ie Hanovre, Cassel, Bruns\vick. II conrrédia les prisonniers
saxons et leur annonça que leur pays passait dans la Confédé-
ration du Rhin. II voulait isoler la Prusse et Ia désarmer.
ø Notre métier, dit Soult au vieux I{alkreuth, est de vous
faire Ie plus de mal possible. Posez les armes! g" Point d'ar-
mistice. Napoléon en avait accorùé un aux Russes après Auster-
litz; ils s'étaient sauvés, et ils revenaient. II l'écrit à Frédéric-
Guillaume, Ie 19 octobre : cc Toute suspension d'armes, qui
donnerait Ie temps d'arrivcr aux armées russes que V otre
I Outre les document8 et les ouvrar,es indiqués pour I'ensemble du volume, fal
consulté, pour ce chapitre, en particulier : Frédéric
1ASSON, Napoléoll et sa
famille, t. IV; Napoléoll et les femmes; HA\JBAUD, l'Allema,'lne SOlL.
Napoléon..
Runes et Pntssiell.s j SAl
TE-I3ImvE, Articles Rulltière, Jomilli j RON
EFOrïS,
Frédéric-Auguste; Ernest ÐAUDE'l', La Police et les Clwuans j LE
ÔTRE, Tour-
n
but; ßoPP
, Jl.lériage j BIKÈLAS; RA
KE, Serbien; BEER, OrielltaLische Po!itih
OE
terreichs; HÜFFER, Lombard; PERTZ, Stein; LANG, Re;Il/'.a,.d; GOECKE, Bel'gj
LUMBROSO, BLocus continental j Henri \V ELCHIISGER, la Censure; GAU'Iu:n,
}'Iadame de Staid j lUém.oires de Pasquic.', Montholon, ßarante, Fe
ensac, Par-
quin, Chaptal, Talleyrand,
'lontr.aillard, Gonneville, Fantin des Odoards, ('om.
telle Potocka, Caslellane, d'Andigné,
léneval, Thiébauh, ()aulin, Sain..-
hawan.,
orvin8. '
X' Bulletin, t 8 octobre 1806.
NAPOLÈON A BERLIN. - t806.
\03
Majesté paraît avoir appelées dans l'hive , serait trop con-
traire à mes intérêts. JJ II se hâte vers Berlin. En route, il fait
abattre et envoie à Paris la coionne élevée sur Ie champ de
bataille de Rosbach. n La bataille d'Iéna a lavé l'affront de
Rosbach. JJ II décide que I'Électeur de Cassel cesscra de régner
et il mande à Louis de s'elnparer de ceUe mo
archie; it y tail-
lera un royaume pour Jérôme qui épousera une princesse de
,V urtemberg I.
A Wittenberg, Ie 22 octobre, it trouve Lucchesini envoyé
par Ie roi de Prusse, qui demande la paix. Napoléon savait la
guerre impopulaire en France: donner la paix, à cette heure-
là, doublerait l'effet de la victoire ; mais il fallait que la Prusse
désarmât, qu'elle se séparâl de la Bussie, qu'elle se fermât å
l'Angleterre et payât la guerre : il exige, outre les cent mil-
lions, les territoires prussiens sur la rive gauche de I'Elbe;
une promesse d'ulliance contre la Russie, si la Russie envahit
la
Ioldavie et la Valachie; de plus, la libre disposition du
Hanovre et des villes hanséatiques, et l'occupation de l\lagde-
bourg jusqu 'au payement de la contribution. Le lendemain,
23 octobre, il organise Ie gouvernement des pays conquis.
II décrète que Ie duc de Bruns\vick, blessé à mort à Iéna, a
cessé de régner 2. L'outrage du manifeste de 1792 est vengé.
Dans les territoires prussiens entre Ie nhin et l'Elbe, cc les
aigles prussiennes seront ôtées partout.)J. L 'Ost Frise est
réunie à Ia I-Iollande. Les États du prince d'Orange, Ie Hanovre
sont occupés. Napoléon explique à la France la raison de ses
mesures. Comme après la conquête de Ia Hollande, en 1795,
et, à la veille de la paix de Bâle, Ie Comité de Salut public:
" ... Notre objet immuable : guerre à mort à I'Angleterre ! · .
1 A Louis, 1.7 octobre; et XI' Bulletin, 15-19 octobre 1806.
I Napol{:on dit à un envoyé de ce prince qui recommandait ses peuples à la
clémence de .Napoléon : "Si je faisais démo1ir la ville de Brunswick et si je r/y
lais8ais pas pierre sur pierre, que dirait volre prince? La loi du talion ne me
permet-elle pas de faire à Brunswick ce qu'il voulait faire dans ma capitale? "
XV P Bulletin, 23 octobre 1806.
· Plan de eOllduite de Dubois-Crancé, pour arriver aux moyens dtassurer 14
prospirité de La Répub1irlue, t. IV, p. 221. - Discow's de La Revelliere,
in novembre 1796, t. V, p. 256.
104
LB DËC:aET :DE BE1\LIN. - 110ft.
Comme au lendemain de Campo- Formio Ie Directoire :.
a Avant dè te livrer au repos, tourne tes regards vers I'An-
gleterre! 1) Comn1e au lendemain de àlarengo et de Lunéville,
d'Austerlitz et de Presbourg, c'est Ie cri de la guerre sans
merci, de la guerre par l'investissement, å coups de banque-
routes. Les temps sont révolus; la mesure formidable conçue
préparée par Ie Comité de l'an III va s'accomplir : u Exclure
les Anßlais du continent... fermer à nos ennemis les portes
du continent européen depuis Gibraltar jusqu 'au Texel...
Privée de ces immenses débouchés, travaillée de révoltes et de
mouvements intérieuri qui en seraient la suite, I'Angleterre
devient fort embarrassée de ses armées coloniales et asia-
tiques. Les denrées invendues tombent å bas prix, et les
Anglais se trouvent vaincus par l'abondance, comme ils ont
'Youlo vaincre les Français par la disette 1. >>
Le Çomité de Salut public se f]attait d'obtenir ces grands
résuItats par l'aJliance prussienne. La Prusse s'y est refusée.
Napoléon les obtiendra contre eIle. n L'Angleterre a voulu
exciter la Prusse contre la France, pousser l'empereur et la
France å bout. Eh bien, eIle a conduit la Prusse à sa ruine,
procuré à l' empereur une plus grande gloire, à la France une
plus grande puissance et Ie temps approche OÙ !'on ponrra
déclarer l' Angleterre en état de blocus continental
. u Et voilà
Ie grand mot prononcé qui, résumant les conditions de la
guerre de la république, va rester jusqu'en 1813 la suprême
raison d'État de !' empire.
La Prusse s'effondre. Les prophéties qui annonçaient sa
chute se réalisent et les pires semblent dépassées I. La monar-
chie en fuite, Ie gouvernement atterré, la nation consternée.
L'Europe se reput de ce spectacle sinistre, jouissant de voir
cette arrogance à bas; fatiguée d' entendre depuis cinquante ans
tous les meneurs de renommée, et notamment les philo-
·
Noël, 1 la Haye, i7 avril;
Barthélemy, 1 Bâle,27 août, 4. .eptemltr.
1795. - T. :V t p. 389. - Cf. p. !4-
, 46"., 478.
· .x
Bulletin, !3 octobre 180&.
f. t. I, p.
6a et suiv -
NAPOLËO)T Å ÐERLIN. ""'" 1806.
105
sophes français, déifier Frédéric et son chef-d'æuvre. . Cet
édifice fameux, construit avec du sang et de la boue, de la
fausse monnaie et des feuilles de brochures, a croulé en un
clin d'æil, et e'en est fait pour toujours I. v Tout Ie rnonde
s'y trompa, et plus que personne Napoléon; son admiration
pour Ie génie de Frédéric n'en fut point altérée; rhomme
lui parut plus grand, qui de ce néant avait tiré ce je ne sais
quoi de si prestigieuse apparence. l\Iais que désormais on ne
lui parle plus de rAllemagne. Des Allemands il ne considérait
que les Prussiens, et la Prusse n'est plus. II avait jugé I'Alle-
magne officielle, princière et diplomatique, sur son passage à
Rastadt en 1797, sur Ie spectacle qu'elle donnait à Paris en
1803, lors du recès, et, tout récemment, lors des médiatisa-
tions t; il jug-ea la nation alJemande sur sa marche d'Iéna à
Berlin; sur les relations des généraux qui poussalent leurs
pointes et s'enfonçaient à droite et à gauche dans cette terre
molle et grasse, terre aux bons fourraGes, aux gites sûrs, aux
boyrffeois nés aubergistes et contribuables, aux payaana
timides et obséquieux.
Le 25 octobre, Ie vainqueur d'Auerstædt, Davout, occup.
Berlin '. Le peuple se montra curieux, troublé d'abord, mais
rassuré très vite, surpris, immensément badaud. La taille, les
épaulettes d'or, les panaches, les cannes énormes des tam-
bours-majors, la sonorité mâle et rude des tambours pro-
fonds, au lieu du roulement grêle des tambourins plats de
Prusse; les sapeurs colossaux avec leurs tablieri blancs, leurs
haches et leurs formidables bonnets à poil; puis, par con-
traste, derrière cette tête de colonne majestueuse et théàtrale,
ces petits bouts d'homrnes si maigres, qui avaient battu lea
u fiers guerriers 1J du Nord; mal vêtus, les habits en désordre,
marchant à la diable, Ie chapeau sur l'oreille, en fantaisie,
les chaussures bâillantes, les pantalons déchiquetés, des paint
I JOlepb d. M.i,tr. au comt. d'Avaray, juillet tS07. - L.ttr.," .'Uleul.,
L I.
I Cf. t. "Y, p. !6M-!70; t. VI, !!9; tit ci-de
sul, p. 5!.
I Souvenir de }Jarquin, publié. par Frédéric MUlo". - Souv,nir, "'va A.'..
", _."ei , témoia oc_ula
":... Þ--'- - ...
10ð
LE DÉCRET DE BERLIN. - 1806.
plantés aUK baïonnettes, et çà et là quelques oies en sautoir.
La halte faite sur les places, très vite on se familiarisa, on entra
en lnarché de victuailles et de butin, on vécut en camarades.
Napoléon s'arrête à Potsdam 1.11 y passe en revue sa garde,
y forme son n camp impérial ", et notifìe au monde, par la
voie des Bulletins, sa visite au tombeau de Frédéric, (& un
des premiers capitaines dont l'histoire gardera Ie souvenir u .
Alexandre y avait prêté Ie serment d'exterminer Ie Corse;
Napoléon y prélève ses trophées de soldat vainqueur. R L'em-
pereur a fait présent à I'hôtel des Invalides de Paris de l'épée
de Frédéric, de son cordon de I' Aigle noir, de sa ceinture de
général ainsi que des drapeaux que portait sa garde dans la
guerre de Sept Ans." Le 26, il couche à Charlottenburg, châ-
teau royal auprès de Berlin. II y médite sur les destinées de
la Prusse. II en dispose. Tous ses plans se ramènent à cet
objet : la séparer de la Bussie. u Deux partis s'offrirent à
ma pensée... Achèverais-je l'anéantissement de la Prusse,
ou profitcrais-je des regrets de son roi, homme vénérable et
d'honneur, pour me l'attacher par les liens d'une reconnais-
sance qui, de sa part, serait sincère? J'avais besoin du
Hanovre et des provinces prussiennes de Saxe, de 'Vest-
phalie et de Franconie. II me fallait aussi l\Iagdebourg. l\lais
si je posais la couronne de Pologne sur la tête du roi de
Prusse, l'indelnnÍté effacerait Ie regret des pertes. Frédéric-
Guillaurne, roi de Prusse et de Poloffne, serait un plus puis-
sant monarque qu'avant la bataille d'Iéna. L'Autriche n'était
pas en mesure de me refuser l' écbange de la Gallicie contre
une partie des provinces illyriennes. 1J La Prusse affrontée à
la Russie, expuIsée de I'Allemtlgne, noyée parmi ]es Slaves,
formerait une barrière conlre les Russes; c'était une idée déjà
ancienne, une idée du Comité de Salut public et de Sieyès de
placer un roi de Prusse sur Ie trône de la Poloßne réaénérée
de la payer ainsi de ses cession
en Allemagne et de rasso.
cier aux destinées de la France I.
, I'u 2
au
6 octobre 1806.
· V-oir t. IV, p. 227-228,359; t. V. p. 835,
APOLÉON A BERLIN. - 1806.
f01
C' est avec ces arrière-pensées que Ie matin du 27 octobre,
au Inoment de monter à cheval pour faire son entrée solen-
nelle dans Berlin, NapoIéon reçut Ie général Zastrow qui
venait de la part de Frédéric-Guillaume. - (( Les Russes,_ dit
NH poléon, sout-ils déjà sur Ie territoire prussien? - Aux der-
nières nouvelles, répondit Zastro\v, ils étaient à Grodno; il se
peut que leurs têtes de eolonne, en ce moment, franchissent
Ia frontièrc. Le roi n'attend, pour leur faire rebrousserchemin,
qu'une parole rassurante. - Oh! s'écria Napoléon, si les
Husses viennent, je marche contre eux et je veux les battre. 1J
NéantHOins il autorisa Duroc à entrer en pourparlers avec
Zastro,v el Lucchesini I, et il se rendit à Berlin. Lefebvre
ouvrait la Inarche, en tête de la gardc impériale å pied. Lea
cuirassiers de Nansouty, disposés en bataille, occupaient Ia
1arue avenue qui tnène à In porte de Brl1udebourg. Les musi..
qnes Jouaient la J..Jlarseillaise et Ie Ça ira. Hulin, celui de Vin-
CCl1nes, nOlIlIné cOlnnlandant de Ia place, attendait l'empereur
à la porte; illui présente Ie 11lagistrat, qui Iui offrit les clefs
de la ville. Au palais, Napoléon reçut les ministres des États
alIiés et r-mis : Ba\-ière, EspaGne, PortuGal, Turquie. II chassa
de sa préscllce Ie prince de H.atzfeld, qui lui amenait la muni-
cipalité de Berlin. II l'accusait d'avoir renseigné Ie roi, cc l'en..
Detni" , sur l' état de l'afInéc française. lile décréta d'accusation
cornme trailre et espion. Hulin jugerait et exécuterait, sans
désemparer, C0t11me en 1804.
!tne de IIatzfeld se jeta aux
picds de l' empereUf; Ia princesse Ferdinand implora sa clé-
Illence. II lui pInt de moutrer qu'il distinguait entre les
fcmn1es : les politiques, les muses ou les amazones, la reine
Louise, l\lme de StaëI, " les femmes intriGantes que je hais
au delà de tout, JJ et... les ault'es "bonnes, douces et conci..
liantes, celles que j'aime. 1J II se montra magnanime, et s'en
fit honneur avec l'art d'un publicisle passé maître en effets
de gazettes '.
J RANKE, t. IV, p, 3!1-36.
I Voir lJullpti,u XXI, XXII; décret du !8 oetobre; lettre.
I. princell8 Per-
dinand, 28 octobre, à }!me de Hatzfeld, 31 octobre, à J08éphine, I nO"fembre 1800.
108
LE DECR ET DE BEJ\LIN. - i806.
C'est un motif de plus, et par contraste, de s'acharner
contre la reine. II tient la Prusse sous ses pieds, ilIa pié-
tine, il la déchire, de la botte et de l'éperon. R La Prusse
ne compte plus pour rien! " ... II la personnifie dans la
reine qu'il invective, sans plus de chevalerie, ni de respect de
la femme que n'en connaissaient les héros antiques. II rejette
sur ses enchantements toute la catastrophe, et sur les philtres
d'Alexandre toutes les aberrations de la reine. R Les Prus-
siens accusent Ie voyage de l' empereur Alexandre des mal..
heurs de la Prusse. Le changement qui s'est dès lors opéré
dans l'esprit de la reine qui, de femme timide et modeste,
" occupant de son intérieur, est devenue turbulente et guer-
rière, a été une révolution subite. Elle a voulu tout à coup
avoir un régiment, aIleI' au conseil 1 ... On a trouvé dans l' appar-
tement qu'occupait la reine à Potsdam Ie portrait de l'empe-
reur de Russie dont ce prince lui avait fait présent... Les
notes, les papiers d'État étaient musqués et se trouvaient
mêlés avec des chiffons et d'autres objets de toilette de la
reine... Nous avons cent cinquante drapeaux, parmi lesquels
sont ceux brodés des mains de la reine, beauté aussi funeste
aux peuples de la Prusse que Ie fut Hélène aux Troyens 2. "
Littérature détestable, indigne de l'empereur des Français; ou
n'y retrouve plus rien des Bulletins Iapidaires de l'armée
d'Italie. A barbouiller sur Ie bureau de Frédéric, César s'est
fait gendelettre, et à parler des femmes il perd, comme Fré-
déric, l' esprit et la mesure ; non seulement Ie goftt, mais Ie tact
politique. II
e figure que par ces pamphlets impériaux it va
détacher Ie peuple de sa souveraine et que par l'impopularitè
de la reine if rendra impopulaire l'alliance de I. Russie. II en
ßpécule COlnme eftt pu faire, s'lI eót été vainqueur en 1792,
un lieutenant de Frédéric, dénonçant l\farie-Antoinette comme
l'auteur de la guerre et combinant du même coup l'abaisse-
I . Elle voulait du ',,-nr.... Le lan
Ie plul précieux a eeulé. . Å Talleyrand.
t.5 nctobre; VII P et IX. Bulletin, t.6-i9 octobre iSOB.
t Rulletins XIII, XVIII, XIX, XXII, XXIII, XXV: 19,20, 26, !7, !O, 30,
81 ectelne; t ..ye.hra i
J o8epl2, 25 eet.br.; à C..bac6r.., 3t .et.ltre Ii".
NÅ.POLtQ
J.. .EIlLIN. - 1106.
lot
ment de la monarchie française, la rupture de l'alliance autri-
chienne et l'abdication, entre lei mains de la Prusie, du gou-
vernement nouveau. II se trompe. Les insultes à une reine
charmante et adorée, épouie de leur roi, mère du roi futur,
blessa lei P"russÌens au cæur, dans ce qu'illeur restait de meil-
leur, leur foi monarchique. En outrageant la reine, il6t d'elle,
à leurs yeux, l'image héroïque et touchante de leur patrie.
Zastrow et Lucchesilli conféraient avec Duroc. Lei condi-
tions de Napoléon sont les mêmes qu'à Wittenberg. Duroc I.
leur déclare nettelnent : l'intention de l'empereur est de
mettre la Prusse hors d'état de reprendre les armes contre lui.
Les négociateurs prussiens comprennent aisément que visant,
par-dessus tout, la coalition de la Russie et de I'Angleterre,
son intérêt est de se débarrasser de la Prusse, de la garder A
sa disposition comn1e ilIa lient à sa merci : Ie seul moyen d.
snlut pour 15. Prusse est désormais dans la sujétion française.
lIs en réfèrent au roi réfugié à Graudenz, sur la Vistule, 0\\
les nouvelles des dernières capitulations de ses armées sont
venues l'accab]cr. Le 6 novembre, il tient un grand conseil d.
généraux et de ministres. IIaugwitz parle pour la paix et
l'elnporte. lis se soulnettront donc; ils entreront même, s'il
Ie faut, dans la Confédération du nhin; ils espèrent échapper
ainsi à l'opération d'énervement dont Napoléon les menace,
&& à ce terrible principe de la destruction de la Prusse pour
servir de garantie au repos de la France" . - << Avec un cæur
tel que celui dl1 roi, écrit Hauff"vitz à Lucchesini, Napoléon
peut compter sur sa reconnaissance! " Cependant Frédéric-
Guillaume expédie Phull en Russie pour expliquer au tsar Ci les
motifs souv
rainement urgents u qui nécessitent la paix:
u Ah! sire, que de désastres! La capitulation du prince de
IIohenlohc; la coupabJe reddition de Stettin; celIe de Cüs-
trin, pI us criminelle encore... avec une célérité étonnante... >>
lais Napoléon donnera-t-il la paix? Ne voudra-t-il pas, au
contraire, u pousser les choses à outrance " ?
Ces craintes sont justifìées. Napoléon a changé d'avis, et par
l'effet des mêmes nouvelles qui ont réduit les Pruiiieus ,
ito
LE DÉCRET DE BEl\LIN. - i80ð.
8ubir ses volontés : les capitulations; Stettin, devant un régÎ-
ment de cavalerie, et tout récemment Blücher, à Lubeck,
avec les derniers débris de l'armée;
lagdebourg, ellfin, qui
se rend sous une menace de bonlbardement. La garnison a
défilé devant Ney; Ie vieux Kleist lui nomme les régiments
qui passent insultant leurs officiers, au son de la musique
française. lIs sont 18,000. Comme il en sortait toujours de la
place: CI Nous voilà bientôt à la fin, dit Ney. - Pas encore å
la moitié tJ , réeond Ie lieutenant de Frédéric. Alors Ney, à
l' oreille de son aide de camp : (& Qu' on prenne bien Garde de
leur faire jeteI' leurs fusils; ils sont Ie double de nous. IJ
Napoléon compte 100,000 prisonniers. La Prusse est tombée si
bas, vaut-illa peine de la ramasser? La raison d'Étal ne com-
mande-t-elle point d'achever ce moribond? L'aider à sur-
vivre, n'est-ce pas soigneI' un ennemi qui, remis sur pied, ne
rêvera que vengeance? Le bruit court que les Russes se
préparent à envahir les Principautés : c'est 80,000 hommes
de moins surles bras de Napoléon, et cette opportune diversion
des Turcs qu'il souhaitait, les Russes la provoquent. (& Les des-
tins ont promis la durée de votre empire, écrit-il à Sélim 1 ;
j'ai la mission de Ie sauver, et je mets en commun avec vous
toutes mes victoires. 1) II marche aux Russes sur la Vistule;
que Sélim marche à eux sur Ie Dniester! 11 tient d'ailleurs,
depuis Austerlitz, pour peu de chose leur armée et leur elnpe-
reur : CI Le prince qui a capitulé et s'est soumis à évacuer
l'AlIemagne par journées d'étapes... Plus la guerre durera,
plus la chimère de la Russie s'effacera, et eUe fìniIa par être
anéantie ! 2 "
Puis, en même temps que les Turcs s 'arment, la Pologne se
soulève. A l'approche de l'armée française, tous les cæurs
s'émeuvent, toutes les têtes s'exaltent à Posen, à Varsovie.
Ceux de Posen ne sont réunis à la Prusse que depuis treize
ans, ceux de Varsovie depuis onze ans Les souvenirs de la
République survivent, idéalisés par la haine de I'Allemand.
I Ii Dovembre 1806.
XXIV. Bulletin, 31 octobre i806.
NAPOLÉON A. BERI..IN. - 1808l
tti
l
a Pologne a payé pour la France, en 1793, en 1795. La
France, victorieuse, accomplit ce prodige de paraître sur Ia
.Vistule, passant sur Ie corps de I'Allemagne soumise, de la
Prusse aba ttue; cUe n' a qu' à lever la main pour rétablir son
antique alIiée et co III pléter l' æuvre de la Révolution fran-
çaise en effaçant Ie plus inique des attentats de I'ancienne
Europe. Les agents français, depuis 1792, entretiennent
cette espérance. De nouveaux émissaires Ia propagent. II
suffit à Napoléon, pour gaGneI' les PoIonais, de les aban-
donneI' à leurs illusions, à leur enthousiasme. II y pense.
Ce n'est pas qu'il s'émeuve sur leurs misères, s'exalte sur
la beauté de leur cause et déplore les injustices qu'iIs ont
souffertcs. Comme pour les gouvernements qui I'ont précédé,
en 1795, en 1798, la Pologne reste un al1point dans ses combi-
naisons; ilIa croira
uffìsalnlnent indemnisée d'une phrase
en quelque mani feste 1. l\Iais la Pologne se trouve maintenant
sur les confins du Grand Empire; eUe en forme une marclle
à l'orient : alliéc pour la ffuerre ou ffaß'e de Ia paix, nation à
déhvrer ou à dépecer selon les circonstances, ilIa considère
comme Ie Conseil exée
tif, Ie COlnité de Salut public et Ie
Dlrectoire consiòéraient les terrcs d'Allemagne et d'Italie; it
en spécule COlnlne Delacroix a fait de Venise I. II laissera
done les Polonais se soulever; il les armera, au besoin, s'iIs
paraissent assez forts pour de,'enir utiIes; illes constituera en
royaume pour quelqu 'un de ses feudataires - comme on y
songeait en 1795, en 1798, comme il y songeait naguère en
faveur de Ia Prusse; sinon iI les livrera sans scrupules ni re-
mords, en prix de Ia paix et de ralliance, à Ia Russie. Le point
est qu'ils contribuent à finir Ia Guerre, à assurer Ia suprématie
du Grand Empire, par leur démembrement ou par leur résur-
rection : les intérêts français en décideront.
Des Polonais, à leur tête Dombro,vski, se présentent å lui,
Voir t. IV, p, 50, 67, Comitê de "an II; 227, 249, 359, Comité de
ran III; t. V, p. 330, Ie Directoire.
! Voir t. III, p. 21-24-; t. IV, p. 2:2J, 227, 291, 299, 357, 362; 1. V,
p. 24., 26, 70, 93, 125, 143, 239.
til
,
......
:LE DtCPtJl'r >>11' lE
Ll
. .... iW
i Berlin. II les écoute, les encourage : " Je verrai si YOUS
méritez d'être une nation. " II ne leur promet rien; il leur
pern1et de tout espérer. Sous cette impulsion, ils lancent un
appel aux armes. Le même jour, 3 novembre, Napoléon écrit à
Fouché: (& Faites venir Kosciusko; dites-Iui de partir en dili-
gence pour venir me joindre, mais secrètement et sous un
autre nom que Ie sien. Faites partir aussi tous les Polonais qu'it
aurait avec lui. u L'insurrection s'étend. Les Français entrent
à Posen; ils y sont acclamés. "Le peuple de Pologne demande
à grands cris des armes; je Iui en ai envoyé 1J , écrit Napoléon à
Ney, Ie 7 novembre. lis recevront 40,000 fusils pris à Custrin.
Mais en même temps il mande à Davout, à Posen, de lei
laisser faire, ,'ils venlent chasser les Prussiens de Varsovie;
d'observer, de parler au besoin, de n'écrire jamais : " Ne
prenez part å cela que par vos conseils et par des engage-
ments verbaux, et faites connaitre que je ne puis me déclarer
que lor
que je verrai les Poionais organisés et armés I. " Le
D1inistre de Bavière, Bray, note dans son journal: (& Les pro-
jets sur Ia Pologne ne sont pas irrévocables... Le plan de
l'empereur est de s'assurer une puissante garantie contre la
Russie par Ie rétablissement du royaume de Pologne. II la
tiendra ainsi en échec... " Et il agite l' opinion. A Paris où it
désire justifier des mesures inquiétantes comme l'organisation
des gardes nationales " atténuer la menace d'une guerre pro-
longée au delà du printemps, à si longue distance, dans des
régions où les Français n'avaient encore jamais paru et qui
transporte tout d'un coup Ie terme de la Illtte du Rhin à la
Vistule, il se f1atte d' échauffer les imaginations par ce grand
spectacle de la résurrection de la Pologne, cette évocation
des fanlômes de 1792. II commande un (& précis qui peigne
toule l'indignité du partage et son influence sur l'abais-
sement de la Suède et de la Porte, et, dès lors, sur J'équilibre
de I'Europe... II II se fait envoyer Ie précis cOlnposé par
I A Ða"out, is, i" novembre ISOft.
C
!1b.C!érè..t 3!. octobre i
.
NAPOLÊON A BERLIN. - 180ft.
i13
Rulhière et qui est en manuscrit aux archives de l'empire I
Ainsi, Iorsque Zastrow et Lucchesini reçoivent les ordres
de leur roi, en date des 6 et 7 novembre, Napoléon a modi6é
ses vues. II consent un armistice, mais il ne se contente plus
de la ligne de rElbe; il occufera Thorn, Graudenz, Danzig,
Kolberg; en SiIésie, Glogau, Breslau et toutes les provinces
sur la rive droite de l'Oder. Les P_.ussiens jugent que s'ils
refusent, la négociation est rompue et que Napoléon fera de
la vieille Prusse son champ de bataille avec la Russie; autre-
ment, il poussera en Pologne. Et ils signent, Ie 16 novembre w.
Le 19, NapoIéon reçoit et harangue des Polonais de Posen.
La France a toujours désavoué Ie partage de la Pologne; il
désire Ie rétablissemenl de cette République, mais.(& sea
malheurs avaient été Ie résultat de ses divisions intestines ;...
Ie défaut d'union ne peut être rétabli que par I'union ;... que
les prêtres, les nobles, les bourgeois fassent cause commune
et prennent la ferme résolution de triompher ou de mourir v .
II leur présage qu'ils triompheront... mais il ne peut leur
prornettre Ie rétablissernent de leur indépendance, puisqu'il
ne doit dépendre que d' eux... Sous ces réserves, cc les Polo-
nais pourronl COlnpter sur sa haute protection 1J. Paroles
équivoques, qui valent les garanties de l'intégrité de l'empire
ture. Intégrité de la Turquie, indépendance de la Pologne,
moyens de guerre, instruments de diplomatie : ces COlllbinai-
sons, sans donte, ont les préférences secrètes de Napoléon,
car l'indépendance de la Pologne est une garantie de I'inté-
grité de l'empire ture, et l'intégrité de cet empire est une
garantie de la suprématie française dans la l\léditerranée;
mais ces desseins d' avenir et leurs conditions demeurent
subordonnés, dans Ie présent, à ee dessein supérieur : séparer
la Russie de I'Angleterre, par Ia guerre ou par la paix, et
isoler l'Angleterre par la coalition du continent.
I A Cambacérès, 13 novemLre; à Fouché, 30 novcmbre 1806. - Histoire d.
,t AIl{Il'chie de J1ologne, publiée par DAUNOU, Paris, 1807 et
819. - Voir SAl
T
.
BEUV:", Causel.ies du Lundi, t. IV, article Rulhière. - -
I DE CLERCQ, t. II, p. 193.
JII.
.
ii.
LE DÉCRET DE BERLI
.
1800.
II
La combinaison colossale qui désormais se substitue ,
I l'immense projet " maritime de 1804 et de 1805 est éla-
)orée dans l'esprit de l'empereur.
fachine à double détente, qui doit, d'un côté, ruiner I'An-
,Ieterre, fernIer à son industrie et à son commerce les marchés
du continent; lui enlever les matières premières qui ali..
men tent son industrie, la clientèle des vêtements, des sucres,
des cafés, sa richesse, et, du même coup, protéger les manu..
factures françaises renaissantes et leur ouvrir tous les débou..
chés, toute la cOllsommation de I'AlIemaffne, de la Hollande,
de la Prusse, de I'Italie. Cette mesure consacrera la supré-
matie de la France; eUe sera Ie point de départ de sa rénovation
économique, dernier mot de la Révolution conquérante et
du système protecteur. Le coup porté, les effets en demeu-
reront, c' est-å-dire I'industrie française développée et Ie marché
de l'Europe assuré par contrainte d'abord, puis par habitude,
aux produits français 1.
C' est à Berlin seulement qne Napoléon . sentit Ie pouvoir
qui lui avait été donné par la victoire d'léna, de répondre à
un blocus de mer par un bIocus de terre I >>. II étudie avec sa
minutie habituelle cette prodigieuse affaire; il y prépare l'opi-
Dion; il corrige, remanie Ie texte de son décret, sentant bien
que c'est l'acle décisif, plus que la charte, la raison d'être
de son Grand Empire '. Le 19 novembre, il Ie notifie å Ia
France, par voie de message au Sénat. II n' évacuera ni Berlin
1 CUAPTAL, Souvenirs, 2' part., chap. UI. Suivre lee progrè. de ce denein dan.
Ie. Ipttre.; par exemple à Lebrun, 21 février; à Lacépède, 22 février; exposé de
I. situation, 5 mars 1806.
J Note à Champagny, 10 janvier, '1 octobre 1810: rétrolpective.
I Bulletin XV, XVIII, X
J(JV : 23, 26, 31 octobre; à JOieph, i6 Dovembr.
i806.
LE BLOC1JS DE L' A:NGLETERRE. - 180ft liG
ni Varsovie que Ia p8ix générale ne soit cODclue, et, pour y
contraindre l' AngJeterre, Ii Nous avons mis les lIes Britan-
niques en état de blocus... II nous en a coûté de revenir,
après tant d'années de civilisation, aUK principes qui caracté-
risent Ia barbarie des premiers âges des nations I u .
Le décret est dalé de Berlin, 22 novembre 1806 :
" Considérant que l' Angleterre n'àdmet point Ie droit des gen.
suivi universellement par tous les peuples civilisés... "; qu'elle
étend aux bâtiments de commerce et aux biens des particuliers Ie
droit de conquête qui ne se peut app1iquer qu'aux biens de l'État
ennemi; qu'elle déclare bloqul.es des places devant lesquelles eUe n'a
pas même un seul bãtirnent, des côtes entières, tout un empire, et
qu'elle part de cette déclaration pour saisir, partout, tout ce qui en
sort ou tout ce qui tente d'y entrer; If que cet abus monstrueux du
droit de blocus n'a d'autre but que d'empêcher les communication.
entre les peuples et d'élcver Ie conlmerce et l'industrie de l'Angle-
terre sur la ruine de l'industrie et du commerce du continent,,; que
quicon(lue trafique avec l'Angleterre se fait son complice, et qu'il est
de droit naturel d'user de représailles, l'empereur décrète, CI comme
principe fondamental de l'empire, jusqu'à ce que I'Angleterre ait
reconnu que Ie droit de la guerre est un et Ie même sur terre que
sur mer J), qu'il ne s 'étend pas à la propriété privée, et que Ie blocu8
n'est de droit qu'autant qu'il est réel :
" Le:, lles Br;tanniques sont déclarées en état de blocus. Tout com-
mm'ce et toute correspondance avec les lies Britanniques sont interdils. J)
Les sujets anglais seront faits prisonniers de ffuerre; toutes
Ies propriétés anglaises, les marchandises anglaises confÌs-
quées. Il y aura un tribunal des prises à Paris et un à Milan
pour en juger. Le décret sera communiqué aux rois d'Espagne,
de Naples, de Hollande, d'Étrurie et aUK autres alliés de la
France. " J' ai tout lieu d' espérer, déclarait NapoIéon, que
cette mcsure frappera au cæur I'Angleterre I. JJ
C& Je veux conquérir la Iner par la puissance de terre I .,
voilà désorln
is sa rnaxime et sa raison d'État. Mais, pour
I Voir, SUI' les Ult
ðUl'CS maritimes de I' Angleterre en 1793, t. III, p. 4840 e&
luivantes. -
tesl1res du Cornité de Salut public, p. 476.
I A. CambacrrèiJ, 22 novemhre 1806.
· A Louis; 3 décelllbre 1806.
I
Ø
LE DËCRET DE BERLIN. - i80ð.
conserver c
ette puissance de terre, il Jui faut condamner
indéfìniment la France à cet état de tension hyperbolique OÙ
elle s'est élevée de 1793 à 1795; or, cet état ne saurait durer
sans rompre le
nerfs des Fral:
ais, et les Français cesseront
de s'y efforcer dès que leur indépendance ne leur paraîlra
plus menacée. Et comment la croiraient-iIs rnenacée, com-
me:}{ les ran1ener :lUX sacrifices de la défense nationale,
quand la frontière est rcportée au Rhin, les têtes de pont à
I'Elbe, et que les ennemis sout repoussés au delà de la Vis-
tule? Le Français Inesure Ie péril à Ja distance: en 1793, en
] 798, la Provence, la Comté, l'Alsace, la Flandre même, se
trouvaient sous l'invasion; c'est maintenant la France qui
envahit la Prusse et la Poloffne. Or, å mesure que les succès
sc prolongent, que Ie chaInp de bataille s' étend, la paix
.'éloiGne, comme les armées, et Napoléon exiffe plus d'hommes.
(& Je dernande 80,000 hommes, écrivait-il à Cambacérès, Ie
27 novembre; e'est pour assurer la paix. Faites mettre dans
les journaux des articles qui expliquent Ie blocus continental,
la nécessité de garder 110S conquêles jusqu'à ce que I'Ana1e-
terre et la Russie rendc nt les leurs... Parlez en ce sens au
Sénat et au Conseil d'Étut afÌn que ees idées se propagent
dnns ï empire. u
La France ne comprend plus ce langaffe, tant il contrarie
son rêve, scs illusions, ses goûts, ses besoins; taut il semble
en contradiction avec les splendeurs de l'elnrire: 1SC
tant de
victoires, tant de traités, tant de conquètes! Pea (r!lommes
possédaicnt une mémoire 3ssez sùre, nne raison 33sez ferme,
une eounaissance assez réeIle des affaircs europé
nncs pour
dis:;ipel' l'éblouissement, regarder en face les réalit: s de rem..
pire, remollter Ie cours det; années, revivre Ies tern ps que roo
,oulait oublier à jamais, de la Terreur et du Sa1ut paLlic, et
enchainer les événements de ces causes qui selnblaient d'Ull
autre Inonde, à ces effets si proIoIl{jé:;. u Soyez sûr, écrivait
à Tallc)'Tand un vieux rontier de la diplomatie, un des rares
contemporains qui aient eu Ie courùge de ,"oir clair, Ie
aoureilleux d'Hauterive, soycz sûr qu'il faut rétrograder
l,E B l.OCUS DE I'" A NGI,ETER R E. - ,1806. 117
bien en arrière pour trouver Ie principe de l'impulsion de tout
ce qui se fait aujourd'hui contre nous. La Prusse est arrivée
la dernière; mais elle a naturellement comme I'Angleterre,
avant 1793, et áu même degré, la volonté de nous détruire...
J'ai bien étudié la valeur du mot coalition et celIe du mot
empire français. Ces deux choses... ne peuvent exister de
longues années ensemble. II faut que I'une tue l'autre... II faut
au que la France périsse ou qu' elle détrône assez de rois pour
que ce qui en reste ne puisse composer une coalition... La coa-
lition aura détruit l'empire français Ie jour OÙ elle l'aura fait
rétrograder; car, dans cette marche, on ne s'arrête pas. Si
nous reculons, ce sera pour revenir à l'ancienne monarchie
par toute
les ruines et toutes les horreurs du temps que no us
avons une fois traversé I... "
Le principal embarras de Napoléon provient des prison-
niers: 140,000 peut-être. cc Que faire de tant d'hommes?
II ne faut pai qu 'jIs me ruinent. " II en envoie la moitié en
France, à disperser dans les campagnes, chez les cultiva-
teurs. c& Cela aura l'avantage qu'il en restera beaucoup en
France. 'J Des antres, it songe å recruter des régiments pour
Joseph. II en offre à la Hollande, à I'Espagne '. Des colcnies,
des mercenaires : c'est Ie système romain qui reparaît avec
Ie Grand Empire et la conquête à la romaine. II établit un
étrange et formidable jeu de pompe, aspiration et refoule-
ment d'hommes, de toutes les extrémités à toutes les extré-
mités de l'empire. II a dû disperser les Français aux avant-
postes, en Hollande, à Naples, en Dalmatie; par contre, il
appelle des reerues de toute provenance, de tout langage,
de toutes passions nationales à la Grande Al'mée, noyant lea
Français dans ces (& impériaux )). Ainsi s'insinuent dans les
rangs de cette armée, ainsi vont bientôt la déborder sur les
ailes, des régiments, puis des corps entiers formés de non-
Français. Des Espagnols iront garder Ie blocus aux bouches de
I i9 octobre 1806. BAiLLEU.
I A Dejean, 12 novembre; à Jo!eph, i6 novembre; Camhacérèl, i6 Dovembre5
à J,oøeph, Talleyrand, Clarke, 5, 13, tr,.. i5 deeembre-180G.
118
LE DtCRET DE BEl\LIN. - 1806.
I'EIbe; des Prussiens iront Ie garder en Espagne. Napoléon
n'imagine pas d'ailleurs que ces Espaffnols portés en Alle-
magne puissent y faire cause commune avec des Allemands
révoltés, ni que des Prussiens portés en Espagne s'y puissent
joindre à quelque insurrection des Espagnols. Telle était sa
confiance dans Ie prestiJje de sa force, dans la valeur du ser-
ment et l'honneur des armes chez les nffieiers, la sujétion
militaire et l'abrutissement chez les soldats. Chez auenn it
ne sonpçonna une âlne capable de comprendre l'exemple
d'indépendance et de fierté que leur ont donné ees Français
dans les rangs desqllels ils combattent, de se pénétrer ni de
cette Révolution, ni de cet honneur national que l'armée
frallçaise promène avec ses aiffles et propose en modèle aUK
peuples, les subjuguant par sa force et les conviant, par ses
leçons, à se révolter contre Ie joug
tranger.
C'est à Berlin qu'il cocnut la proclamation de Godoy, du
14 octobre; des lettres de l' envoyé prussien à
Iadrid, Ínter-
ceptées, ne lui laissèrent au CUll doute sur la défection de rEs-
pagne 1. Au moment oÙ iI poussait ses diffues à rOder, à la
Vistule, Ie barrage craquait à l'autre extrémité. II contint sa
colère, et décida de fermer les yeux jusqu 'au moment où, la
paix étant faite avec la R ussie, il pourrait se retollrner contre
les EspagnoIs. D'ici là, illes materait de loin et les plierait au
blocus. l\Iais, dès lors, " il jura de détruire à tout prix Ia
branche espagnole de la roaison de Bourbon
". Un Bona-
parte sur Ie trône d'Espagne compléterait l'ouvrage de la
Hollande, celui de Naples et la double cOlnbinaison du sys-
tème continental et des pactes de famiJle.
Il plut å Napoléon de recevoir, impassible, les palinodies
de Godoy; mais il crut prudent de désarmer les Espagnols,
it en appela 15,000 aux bouches de l'Elbe a; il força leur
Botte à se rendre à Toulon et leur donna 25,000 prisonniers
· Voir ci-de88uø, p. 100.
I . Toule8 Ie! raisons politiqueø exigent que la race roya1e éteinte en France et
en Italie cease d'eIiner en Espagne. " }'lérnoire de 1Uolltgaillal-d Ò l'empereur,
I Dovembre 1806.
. ·
'8.t Ie corp' d. La Romana qui fit défectioD eD 1808.
....
LE BLOCUS DE L'ANGJ
ETERRE. - i80ð. 119
prussiens å nourrir. Ainsi dépouilIés de leurs meilleures
troupes et forcés d'entretenir ces hôtes onéreux, NapoIéon
les jugea suf6samment affaiblis pour se donner Ie temps de
régler leur sort.
Ainsi une expédition en Espaffne s'annonce déjà et suivra
Ia guerre de Pologne qui commence. L' alliance de I'Espagne
est nécessaire pour assurer Ie blocus, c'est-à-dire pour réduire
I'AngIeterre à la paix, et il faudra conquérir I'Espagne pour
luÌ Ìlnposer cette alliance effective contre I'Angleterre. L'une
et l'autre, guerre de Poloffne et guerre d'Espagne, exigent la
neutralité de I'A.utriche. Au point OÙ se trouve Napoléon, une
intervention de) )Autriche peutle couper'de ses communications
avec la France et provoquer en Italie une de ces défaites, sur
I'Isonzo, dont Ie seuI retentissement ferait cronler toute la
domination françai
e, de Naples à la Dalmatie, Les rapports
lui signalent un rassemblement de 60 à 80,000 hommes en
Bohême, sur les flancs de la Grande Armée. N apoléon dépêche
à Vienne, en ambassade, Ie général Andréossy qui surveillera
et, au besoin, saura mettre en demeure. II arrivera en com-
missaire de désarmement, en porteur d'ultilnatum, presque
en avant-garde. II II expliquera que j'entends par être en paix
D'être point menacé et ne pas voir I'Autriche profiter de tous
les événements Inilitaires pour être prête à me tomber
dessus I. II
Iéna avait affecté les Autrichiens, comme Austerlitz la
Prusse. (& Le sort de la Prusse menace tonte rEurope, écrivait
Stadion Ie 25 octobre. Si Napoléon se propose de reconstituer
la Pologne, il voudra la Gallicie, et, en échange, il offrira
peut-être la Silésie à I'Autriche, c'est-à-dire qu'ill'associera
au démembrement de la Prusse. Qui sait, d'autre part, si les
Russes ne vont pas s'arrêter tout à coup, faire leur paix avec
Napoléon, lui abandonner l' Allemagne et prendre leurs con-
venances en l\loldavie et en Valachie?" Stadion comprit qu'il
fallait filer doux. Les corps qui se concentrai
nt en Bohême,
· A Talleyrand, 9 novembre i806.
f!O
LE DÉCRET DE BERLIN. - 1806.
s'en retirèrent com me ils s'y étaient acheminés, et I'Autricne
dévora ce nouvel affront, plus convaincue que jamais de la
nécessité de recommencer Ia partie, de s'y préparer sourde-
ment et de négocier sous Ie tapis, en attendant les événe-
ments.
Frédéric-Guillaume s'était retiré à Osterode, dans la vieille
Prusse, Ie 21 novembre. La proposition d'armistice de Napo-
léon Ie convainquit que l' empereur des Français ne tolére-
rait plus une Prusse indépendante. Insulté, bafoué, chassé
aux extrémités de ses États, sans arlnée, dépouiIlé de son
trésor, exclu de son gouvernement, il ne lui restait plus à
Iivrer que son honneur pour un lambeau de terre prussienne,
et, l'honneur livré, NapoIéon Ie balaierait de ce refuge,
annonçant qu'il avait cessé de régner, Ie vonant au mépris
du monde. Dne Iettre d'Alexandre, du 3 novembre, Ie ranima.
<< Doublement lié à Volre i\lajesté en ma qualité d'allié et par
les næuds de la plus tendre amitié, il n'y a pas de sacri-
fices ni d'efforts que je ne sois prêt à faire pour lui prouvcr
toute l'étendue de mon attachement aUK devoirs élevés que
ees titres m'imposen
. )) Deux armées russes arrivaient,
140,000 hommes. Frédérie-Guillaume se ressaisit, décida de
lutter à mort, et partit pour Ie quartier général de Bennigsen,
å Pultusk I.
Done la Prusse repoussait Ie .ioug. Napoléon fit préparer
une déclaration de déehéance, comme ill'avait fait à Vienne,
Ie 27 déeembre 1805, pour les Bourbons de Naples. (& La
maison de Brandebourg s' est dévouée et eomme asservie à la
Russie;... "il est, pour I'Europe, d'une indispensable néces-
sité (& qu' entre Ie Rhin et la Vistule it existe une puissance
inséparablement unie d'intérêts avec l'empire ottoman, qui
fasse constamment cause commune avec lui et coniribue dans
Ie nord à sa défense pendant que la France ira l'embrasser au
sein même des provinces ottomanes 2... t) C' étaient les consi.
dérants du décret. Le dispositif restait en blanc. Napoléon
I Lettre à Alexandre, 23 uovembre 1806. BAILLEU.
SiILU:tJ, t. II, p. 581. - Cf.lettres à Talleyrand,!1 et i8 Dovembre 1806.
LA QUESTION DE PÖLOGNE. - 1808. Itl
se réservait d'y déclarer, selon les occurrences, que Ia maison
de Brandebourg avait cessé de régner et que la Pologne avait
cessé de mourir. Cela posé, il quitta Berlin et, Ie 27, écrivit å
Talleyrand, de l\leseritz, dans la Pologne prussienne : (& Je
serai ce soir à Posen; vous pouvez vous préparer à venir m'y
rejoindre incessamment avec 1\1. l,laret. Berlin se trouve
aujourd'hui trop loin du gros de mon armée. )) Et, Ie nlême
jour, å Joséphine : (c 1\Ies affaires vont bien. Les Busses
fuient. JJ II se trompait, les Busses ne fuyaient pas, et s'iJs
s' étaient repliés, altirant Napoléon sur leurs pas, c'eût élé
ponr Iui Ie pire des périls. lis avançaient, au contraire, à sa
rencontre, décidés à risquer la bataiUe, el c'étail J pour Napo-
léon, la plus favorable occurrence.
III
La nouvelle d'Iéna, rapidement connne de la cour, ntavait
éle publiée en Bussie que Ie 15 novembre. La première
inlpression des flusses fut de se réjouir du désastre des Prus-
siens : iIs les détestaient, las depuis longtemps de la gloire
de Fréderic et des manæuvres à Ia prussienne. Puis, vint Ie
second mouvement : " lIs ne méritent aucune pitié; mais
c' est I'Europe qui est perdue avec eux 1. )) L' opinion se
retourna contre Napoléon. Le 28 novembre, un oukase
ordonna Ie départ de Lesseps, consul de France; l'expulsion
des Français qui ne se feraient point sujets russes ou ne
5' eng3fferaient pas à cesser toutes relations avec la France
Le 8aint-Synode lança contre NapoIéon une sorte d'ana-
t þème qui provoqua, dans Ie peuple, une explosion de patrio-
tisme. Un général, après boire, déclara qu'il avait dépensé
200,000 roubles pour organiser un corps d'hommes résolul
a Lettre de W oronzof, décembre 1806. Archiv." t. VII, p. {!to.
itt
LE DÉCRET DE RERLIN. - t80ð.
qui mettraÎent tout en æuvre pour tuer Napoléon. Coups de
fanatisme, fureur de barbares! disait Talleyrand en transmet-
tant ces détails à l'empereur: il oubliait Georges, ses chouans,
ses gentilshommes et ses princes affìdés; il oubliait la légion
des tyrannicides de 1792, alors que Jean de Bry, qui la pro-
posait, n'était encore ni plénipotentiaire de la République ni
préfet de I' em pire I.
Ajoutez les affaires des Principautés. Sébastiani s'était si
bien démené à Constantinople; il avait si habilement joué de
cet épouvantail,
Iarmont et l'armée en Dalmatie, que Sélim
avait révoqué, en Valachie et Moldavie, les hospodars de la
faction russe, et les avait remplacés par Callimaki et Soutzo
qui passaient pour "Français " . Mais l' envoyé russe Italinski
menaça de quitter Constantinople et annonça une invasion
des Principautés; les Anßlais firent une démonstration navale,
déclarèrent qu'ils 8ß-issaient de concert avec Ia Russie, et
Sélim, basculant d'une peur à l'autre, révoqua les hospodars
qualifìés de Français pour rétablir les Busses. Dans l'inter-
valle, Alexandre avait donné au général 1\Iichelson l'ordre
<roccuper la l\loldavie et la Valachie. Michelson entra Ie
14 novembre å Yassy, arrêta l'envoyé français Reinhard,
et I'envoya, prisonnier de guerre, en Russie I.
Alexandre est décidé à reprendre la guerre et å la pousser
à fond. II s' efforce de remonter Frédéric-Guillaume I : n Tous
les moyens à ma portée seront consacrés å la défense de la
bonne cause. 11 II envoie Pozzo di Borgo å Vienne, avec des
pouvoirs pour traiter d'une alliance aEn ft d'arrêter la ruine
totale du monde menacé d'une manière effrayante de disso-
lution et d'esclavage <I u .
Napoléon pressent ces mouvements, se garde. et riposte,
1 Talleyrand à Napoléon, 9 Cévrier t807, d'aprè. Ie. r.lation.
.rbal.. d.
Lessepø arrivé, Ie jour même, à Var.ovie. BERTP.ll'fD.
t Révocation del hospodara du parti rune, 28 août; rétabli..ement d. eel
bospodarl" 13 octohre; ordre à Michelson, 16 octobre 180ð.
S Lettrel del it, 28,30 novembre 1806. BULLKU.
6 Alexandre à Françoi. et à I'arehiduc Chari.., 11 .."....re; rapp.n d.
Coltz, 6 aðv.m.bre t
06.
LA QUESTION DE I'OLOGNE. - 1806. t!ß
au jugé, désarmant I'Autriche, exhortant Ie Turc. II fait tra..
duire les Bulletins de la Grande Arrnée et les envoie, en pro-
fusion, à Constantinople, avec une brochure: Un VieilOu{)1nan
à ses fl'ères I. II écrit à Sélim : II La Prusse... a disparu...
Varsovie est en mon pouvoir. La Pologne prussienne et russe
se lève et forme des armées pour reconquérir son indépen-
dance. C'est Ie mOlnent de reconql1érir la tienne. Chasse les
hospodars rebelles... " Et à Sébastiani : (C V ous êtes autorisé
å siGner un trnité secret, offensif et défensit, par lequel. je
ffarantirai à la POl'te I'intégrité de ses provinces de l\foldavie et
Valachie. "
Les nobles - la PoJogne politique - toujours batailleurs,
accouraient, enrôlant autour d'eux cavaliers et fantassins:
une Grande levée tumultl1cuse qui rappelait à la fois lei
milices I-éodales de Philippe-Auguste et les insurrections jaco-
bites de I'ßcosse. De tout telnps la Poloffne, impuissante å
se sauver elle-mêlne de son anarchie, avait espéré dans la
France; attendu, appele un chef français pour la régé-
nérer, lui insuffler cette âme d'État qui lui manquait. Sous
Charles IX, so us Louis XIV, SOliS Louis XV, des cadets de la
l\Iaison de France étaient venus chercher une couronne à
Varsovie : petits princes, petites intrigues et petites aven-
tures! Aujourd'hui, c'est une arméc victorieuse de toutes lea
armées, c'est une nation devenue conquérante après s'être
affranchie, c' est une ilnmense insurrection populaire s' ordon-
nant dans Ie plus puissant ell1pire du monde, et, pour la con..
duire, Ie plus presligieux des maîtres. Alexandre, César,
Cha..Iem:1gne en un seul homme, et, autour de lui, des héros
de quoi doter toute I'Europe de dynasties nouvelles. La Prusse
a.néantie, I'Autriche enchainée, la Turquie en armes : la
Russie a donné sa mesure à Austerlitz! Tant et de si
éblollissantes réalités après tant de chimères et de si tongues
désespérances, en voilà plus qu'il ne falIaìt pour enflamlner
les ilnaginations polonaises et réyeiller en ces âmes mobile.,
! i" décelllbre; lettre à Cambacérè., ii décembre i80ð.
it'
LE DÉCRET DE BERLIN. - 1806.
.héroïques et frivoles, cette puissance d'ilJusion qui n'est
égalée, en elles, que par la puissance du sacrifice.
Ce n'étaient dans les villes, évacuées par les Prussiens, que
cavaliers empanachés et retentissants ; sur les routes dégelées.
aux ornières fangeuses et profondes, que troupes allèrrrcs
saluant au passage les Français embourbés. Les jeunes gens
remplissaient les tavernes, choquant les verres, chantant des
hymnes nationaux. ceJe trouvai, raconte Gonneville, Ie colonel
d'Avaray installé dans un beau château habité par sept ou
huit felnmes, presque tontes jeunes et dont. deux étaient
rernarquablement jolies; eUes étaient élégantes et parJaient
français comme nous... II n'y avait, au milicu de toutes ces
femmes, qu'un vieillard... Tous les hOlnmes valides s'occu-
paient à lever des soldats et à les dresser pour venir se
joindre à nous... 1) C'est une autre France qu'ils décou-
vrent et qui les enchante : leur lanßue parlée avec un accent
argentin et langoureux qui, dans la bouche de f
nlmes exal-
tées, leur paraît exquis; Ie charlne des Gites d'ltalie dans un
décor de fleurs de serre chaude. Dans les villes, réceptions
et fêtes. La guerre s'ouvre, comme les bals, par la Polo-I
naise, la promenade cadencée, aux rythmes lents et elnportés
tour à tour, OÙ les mains frémissent en attendant Ie coup
d'archet qui déchaînera les tourbillons rapidcs, avec les
grands coups de talon sonores des bottes éperonnées, sur Ie I
parquet verni I .
Le 28 novcmbre, Ney entra dans Varsovie. Le lendemain, I
ce fut l\Iurat. A l'aspect de ce cavalier superbe, martial,
canlbré dans sa tunique à la chevalière, toute chamarrée, sa
toque de martre, à calotte rouge, surchargée de plumes d'au-
truchc noires, son glaive à l'antique étincelanl sous Ia pelisse
velolltée) multicolore, Ie panache qui appelait la couronne,
illcur selnbla que Ie roi désigné de Pologne leur arrivait du
pays du soleil; ils se reCOllnurent en lui, et ce grand-duc de
I Lei Polonaige$ de Chopin, la Grande Polonaise, avec Ie, appel. de claironl,
.el accords tragi que. qui rompeDt Ie ry\hme .t terrninent en betaine cette
prodigieu,e in,'itation à I.
al...
L
QUESTION DE POLOC
J:. - t806. iSI
In Révolution française leur parut né pour relever la Répu-
blique de Poloflne et symboliser l'alliance des deux nations.
"La Pologne, écrit Napoléon I, aura bientôt 60,000 hommes
60US les armes. Les grands nobles du pays sont tous des gens
de 100 å 500, 000 franc
de rente. Les plus chauds sont les
plus riches. " Toutefois ces magnats, très politiques sous
leur exubérance, et toujours partagés entre les cabales et les
charfles de cavalerie, réfléchissent, ainsi que Napoléon lui-
même, po sent leurs conditions, cherchent leurs sûretés. lis se
rappellellt les cataslrophes qui ont suivi la Confédération de
Targo,vitz, les vengeances de Catherine victorjeuse, les
massacres épouvantablcs de Praga, Souvorof et la dévastatIon
des châteaux par les cosaques. Un désastre de l'armée fran-
çaise, un reviremellt de Napoléon, et ils se voient aban-
donnés, perdus. lis sont prêts à se donner : iIs demandent
que Napoléon fasse de leur République une marche de son
Erupire et s'y attache comme à la Hollande, à la Dalmatie,
à Catlaro! Napoléon entend qu'ils Ie servent d'abord et se
donnent, à l'aveugle, à titre de premier gage. II se mé6e de
leur génie chanfleant. Les maréchaux, Lannes, Augereau, les
lui décrivent toujours les mêmes, grands cliquetis de sabres
et splendides caracolades; au fond, une aristocratie jalouse,
anarchique, inconsistante. A Posen, où if est depuis Ie 28 no-
vembre, illes harangue, comme, dix ans auparavant, les Ita-
liens lors de son entrée à
{ilan I : "J e refroidis les têtes
chaudes et f échauffe les têtes froides " , écrivait-il alors au
Directoire. - " l\1:essieurs, dit-il aux délégués de tous les
Palatinats qui affluent autour de lui, ceci est une grande
affaire; c'est la guerre avec ses hasards, ses dangers, ses
misères... Je suis surpris de cette ardeur patriotique qui
survit encore si longtemps après la conquêle; je vois qll'il
. n'est pas si aisé de détruire une nat.ion. Ce que je fais est
moitié pour vous, moitié pour moi...
fais il faut se battre, il
I A Camba.r.érèø, l lr décembre 1806. - Voir BARANTE, FEZENSAC, Siam_, TA-l.-
LEVRAND.
CE. &. V, p. 82, 95, 97, t9
.:.
iJ6
LE D.b:CRE1' DE BER.LIN. - 1&OG.
fant que tous les nobles montent å chevaL.. 'J Puis aussitðt :
(, Peut-être vos malheurs se lournerollt à bien... Ce sera la
résurrection d' un mort... u Et à des femmes, qn 'il
e prenait
jamais au sérieux que quand cUes intriguaient contre lui :
u Le foyaurne de Pologne s'en est allé en poste, il reviendra
peut-être de ßlênle. u Ainsi, Ie n1ême peut-êlre jusque dans lei
ailnples propos de galanterie. II y entrait une part de scru-
pule: " Si je les laisse lA, il faut qu'il y en ait Ie moins pos-
sible de pendus. JJ II Y entrait surtout l'inconnu de la force
des choscs, de sa propre volonté : n Votre l\lajesté a pris Ie
cornet et joué DUX dés, les dés déciderollt... tJ - (, Les des-
tins feronl Ie reste... JJ - n Le tròne de Pologlle se réta-
blira.t-il? Dieu seul est l'arbitre de ce grand problème poli-
tique I. 1)
Les gages qu'il attend des magnats polonais, les princes
allemands, rois et dues de promotion nouvelle les lui
avancent å sa guise: la soumission absolue ct des régilnenls
auxiliaires. Les Polonais voudraienl l'indépendance et l'hon-
neur : redevenir une nation. Les Al1emands ont des préten-
tions moills élevées et sont plus faciles à contcllter : iIs ne
réclament que de la terre et des sujets, ils ne sont qu'avides.
lIs ne rêvent que d'être rois. Napoléon en crée un nouveau:
l'ÉIecteur de Saxe qui entre, à ce titre, dans la Confédéra-
tion du Rhin. II promet 20,000 Saxons et Napoléon Iui fait
espérer des palatinats de Pologne 2. Les cinq ùues de Saxe
suivent. L'éIecteur de 'Vürzburg, ci-devant grand-due de Tos-
cane, s'était déjà confédéré 3. La \Vestphalie était oecupée,
l'enlpereur la dressait en royaurne. Les ministres, conscillers
d'Étal et administrateurs du duché de Berg cornpal'aient
Napoléon à Henri IV, saluaient en son rèß"nc Ct Ie siècle des
idées libérales II , l'æuvre u d'une providencc divine et satis-
faÍsante It . - u Sire, lorsque I'Allemagne tout entière cède à
1 Au roi de Prune, 6 décembre; à Andréoløy, 5 décembre; XXXVP Bulletin,
t er décembre 1806.
t .rraité de POlen, 11 décembre lt506. DE CLERCQ, t. II, p. 196.
I !rai!!, du 15 dtcembre et du 21 8eptembre ! 806.
LA. QUESTION DE POLQGNJ:. - flOG. J.27
la puissance de vos armes et à fascendant de votre génie.
permettez que, SOllS les auspices de leur souverain, les magis-
trats du premier peuple allemand qui a été soumis à vos loil
s'empressent de déposer aux pieds de Votre Majesté l'hom-
mage de leur admiration, de leurs félicitations et de leur.
væux... Jusqu'ici toutes vas paroles ant été des oracles infail..
libles. V ous avez annoncé à des rois la chute de leurs trônes,
et leurs trônes sont tombés. V ous avez promis à d'autrea
princes un accroissement de puissance, et ils gouvernent,
élevés par vous au rang des rois, des États nouveaux que
vous leur avez donnés. V ous avez dit aUK peuples que votre
siècle serait Ie siècle des idées libérales, et, depuis I' extrémité
du golfe Adriatique jusqu'à la mer d'AlIemagne, les peuplea
gouvernés par V otre l\Iajesté se félicitrnt de jouir des bien-
faits d'une administration paternelle I. u
Les mêmes séductions de haute politique, les mêmea
arrière-pel1sées de prudence et de calcul réaliste qui agitent
Napoléon, assiègent l'esprit d'Alexandre. Au mOlnent où leur.
armées envahissent la Pologlle, on voit les Russes spéculer A
l'envi sur Ia destinée des Polonais, appoint de leurs troupes
et enjeu de leurs batailles. C'était pour Ie prince Adam Czar-
toryski, écarlé du pouvoir, mais encore écouté, Ie moment
de repl'endre Ie thème de toute sa vie et de réveiller les
belJes chimères de la jeunesse d'Alexandre. II adresse au
tsar, Ie 5 décembre, un Ménzoire sur la nécessité de rétablÙ. la
Pologne pour prévenir Bonaparte. - Ii II faut que les bien-
faits de l'empereur surpassent les offres el les séductions
de Bonaparte... Proclamer la Pologne et s'en déclarer rol. u
La Bussie élèverait sur ses frontières un bastion inaccessible.
. Elle commencerait ce lien heureux qui doil rattacher un
jour autour d'elle toutes les branches éparses de l'antIque
famille des Slaves. J) Alexandre n'y incline pas. II sent, autùllr
de lui, chez les plus fìdèles de ses Russes, une résislallce
sourde, mais intense, à la recon
titutJon de la Pologne.
I
drelle de Dü..eldorf, 11 décembl'e i8Q6.
tt!
Lit DÊCRET DE BERLIN. - tS06.
Faudra-t-il done que Ia Russie rapporte à eette sueces
ion
polonaise les provinces acquises par elle dans les trois par-
tages t dépouille Ie tsar de la Lithuanie pour Ie roi de
Pologne; traite avec les magnats poionais sur Ie pied d'éga-
lité; erée, dans cette cour nouvelle, un foyer de rivalité dans
les grades, dans les emplois, dans les richesses et nourrisse un
irréconciliable ennemi de l'orthodoxie autant que de la gran-
deur russeY Alexandre ajourna Ia réparation des injures
subies par la Pologne au temps OÙ seraient abolies les autres
iniquités de I'Europe; il se ferait alors assez d'évictions et
d'expropriations, par justice, pour indemniser l'Autriche de
la Gallicie, la Prusse de Posen et de Varsovie et apaiser l'hu-
meur des Russes. En attendant, la Pologne prussienne offrait
des homines à enrôler, toute une cavalerie d'élite, des res-
sources d'enthousiaslne et de courage, à dériver vel's la
R bonne cause )). Illes y attira, tout COfilme Napoléon en
attirait du côté de Ia " Révolution " ; ce fut la mêlne partie,
avec des différences de jeu, de physionomie, de gesle, mais
avec les mêmes équivoques dans Ie langage et Ie nlêIne fonds
d' arrière-pensées.
Alexandre semble tout à la croisade pour délivrer l'infor-
tunée reine de Prusse, venger ses outrage
, cueillir ses belles
Iarmes, restituer en son honneur Ie C( bon AlIen1alld 1) , Ie roi
de Prusse, son frère d'armes, qui se (( reconlmande " à lui,
deviendra son frère et son lieutenant dans I'Europe réGé-
nérée. Un beau roman de chevalerie à la Fersen : " Attache-
ment sans bornes au principe d'une union parfaite et inùÌs-
soluble entre la Prusse et la Russie I ! JJ
Iais pour délivrcr
Magdebourg et Berlin, il faut passer par Varsovie et par
Posen, et ii la Providence veut que ce noble dessein soit con-
fondu, si elle a décidé d'ouvrir à la Bussie des voies nouvelles,
qui sait si ces mêmes provinces de Pologne, si la
Ioldavie et
la Yalachie ne deviendront pas Ie gage de la paix avec Naro-
léon et du partage de la suptématie européenne entre les deux
_
Frédéri
-Gui1laume, 13 décembrE" 1806.
- ... - .-...- - - .. -- - -
LÃ Gt1ERRE D'HIVER. - 180ft
129
empires, Orient et Occident? Alexandre se montrait fataliste
tant par politique que par nonchalance de pensée, a6n de ie
donner des prétextes ou de se di
penser d'en chercher; maia
il rusait et néffociait avec Ie dcstin; il traitait ce dieu en roi
de ce lllonde et s'acconnllodait de façon, quelque arrêt qu'il
rendit, pour y trouver ses convenallces. II s' en relnil done an
jUGelllent de Dieu qui prolloncerait par la voie du alaive, orc
gladii, et il recoIDlnença la guerre.
IV
Dure et sombre gnerre, guerre d'hiver, OÙ Ie dégel et Ie
Lrou tlard, } ires que Ie froid, la fange de neige, la terre qui
fond
ous les canous, embourbent les attelages; où les chevaux
fataugent., enlizé
; où les hOlnmes, transpercés, imbibés d:hu-
midité ßlacée, s 'enaourdissent et se désespèrentj OÙ les étapel
laissent plus de malades que les combats ne laissent de
hlessés; où les traînards affaiblissent plus l'armée que les
morts à rennelni.
Ianque de vivres, manque de fourrages,
nlanque de gites, toutcs les Inisères. La nuit, au bivouac, si
les Français somnolent pélliblement autour d'un bûcher
fumeux, les cosaques les hal'cèlent. Les habitants, misé-
rabIes, sont hostiles; rien à prendre dans les chaumières
nues, que la verluine. II n'y a de repos ni de bien-être nulle
part. Les soldats se trouvent déroutés, trop loin de la patrie,
hors des voies consacrées de la victoire. Les généraux ne
peuvent plus se renseigner; les reconnaissances de cavalerie
s'égarent; les courriet's se perdent, s'attardent, chevaux
fourbus, tra1neaux brisés, chelnins perdus, cartes indéchif.
frables, habitants Inuets ou stupides : ils n'arrivent qu'å force
d'audace, presque par aventure. Napoléon voulait battre
)es têtes de colonne de l'armée russe ou, tout au moins,
élo
gner cette arlllée de ses quartiers d 'hiver. Le premier
m. Ð
13i
l.E D!:CUET DI BERLI
. - 1801..
gr3nd choc eut lieu Ie 26 décembre, à Pultusk, pou8séø
acharnée de deux masses, dans Ie demi-jour, sur la terre
illconsistante; faute de Inanæuvrer, on se Eusille, on s'us-
SOß)nle. Les Français éprouvèrent cette terrible nouveauté :
iIs ne fircnt point de prisonnicrs. Les Busses échappèrellt
dans 10. nuit, glissant à travers la brume. Napoléon ne Ics
}1ol.ifsuiyit pas. II n'avait plus de prise, ses coups s'émous-
saicnt; so. stratéffie s'abimait dans ces fondrières mouvantes.
dans ccs plDines délnesurées. Son génie, tout de llctteté, de
Iumièrc, de proportions, se trouvait dépaysé. " Les Frallçais
furenl enfoncés, écrit Joseph de
Iaistre, et, pour la prenÚère
fois depuis Saint-Jean-d'Acl'e J Bonaparte s'est vu rcpoussé de
sa personne. "
Nrpoléon s'éta'blit à Varsovie Ie I" janvier 1807 pour
quelques sCluaines. Les palais des magllats, abanùonnés,
démeublés depuis les partages, s'ouvrirent aUK ministres,
aux intendants, aUK maréchaux. Tout se para, s'illumina.
Polonais et Français rivalisèrent de luxe et de fêtes, contraste
avec I'arnlée qui rentrait en troupes éreiutées, décilnées, II les
visages hâves et tirés, les uniforules salis)) . Napoléon éblouit,
fascine; il est charmé lui-nlêlne. Ie L'lInpression qu'on res-
sentait en l'apcrcevant pour la première fois était profonde
et inattendue, rapporte une I}olonaise jeune, belle et eXült
e.
J'éprouvai une sorte de stupeur, une surprise muette. II lue
semblait qu'il avait une auréole. La seule idée qui me "iut
fut qu'il n'était pas possible qu'un tel être pùt mourir. 1) Son
regard II qui prenait une douceur infinie quand il parlait aux
ft'mlnes n, son sourire qui était plus qu'une caresse, une
flatterie, enchantaient. " Que de jolies femlnes! " dit-il à Tal-
leyrand en se relirant d'un bal où ce ministre avait convié
toute la haute noblesse de Varsovie. II y en eut une qui lui
parut plus belle que les autres, dont il fut plus ainlé que
par aucune autre, et qui lui donna, avec la joie d'un fils,
une iluage vivanle de ses traits.
II s'y laissa charmer, mais non surprendre et distraire. II
orGatlitsu pour Ia Pologne un gouvernement provisoire, com-
LA QUERRE D'IIIVEI\. - 1101.
tal
posé de Polonais 1. Talleyrand devient une sorte de procureur
général de l'empire auprès de ce gouvernement; iI s'occupe
autant d'administration et d'approvisionnements que de poli-
tique. Par Ie (( portefeuille 1J que les auditeurs apportent de
Paris et remportent en poste, Napoléon gouverne l'empire,
la France, Paris surtout. Le commérage des bulletins de
Fouché Ie divertit, I'impatiente, l'occupe, en tout cas, autant
que les rapports des maréchaux. C'est qu'il tient à paraître au
courant de tout, dans Ie loisir, la liberté d'esprit de tout voir,
de tout faire, de tout décider par lui-même, présent partout.
. Le gigantesque entrait ainsi dans les habitudes -. " II mul-
tiplie les lettres confiantes, commande des balsa II veut que
tout Ie monde Ie croie heureux, paraisse heureux. II faut
détourner les esprits et jouer de prestige, car les mesures
rigoureuses se multiplient : appel des troisièmes bataillons
laissés en France, appel des contingents laissés dans Ies
foyers. II discerne des agitations sourdes: les Chouans repa-
raissent; les attaques de diligences, les pillages de caisse.
publiques recommencent dans rOuest, jusque dans Ie Cal-
vados, Ie pays riche et apaisé, comme aux premiers jours du
Consulat. Des prisons d'où ron s'échappe, des gendarmes qui
n'arrêtent personne, des enqllêtes qui n'aboutissent pas, et
l'éternel com plot des royalistes et des Anglais, en Bretagne,
en basse NorInandie, à Bordeaux. On répand, comme en
1805, de faux bulletins de l'armée I. ?\Iais Ie pire est l'indiffé-
rence qui gagne, effet de la sécurité relative dont on jouit
à l'intérieur; de l' étouffement de toute pensée, de toute
parole; l'habitude et la nécessité de s'en remettre de tout å
l' empereur, et dans l'inconnu OÙ l' on s' enfonce, cette question
ohsédante: Où nous mène-t-il? En 1805, il ne demandait que
quarante-huit heures et .une bonne brise pour en 6nir, et
désormais la paix est ajournée à la banqueroute de I'Angle-
terre, à la coalition du continent conjuré pour sa propre
I Décret du 1.4- janvier i807.
· PASQUlE1\, t. I, p. !99.
· Â Fouché, 8 décembre i806.
-- --- --
13
Lit DJtCI\ET DE BERLIN. - 1807.
ruine. << II n'y a, rapporte un eontemporain attaehé à l'in-
ten dance de l
Grande Armée I, aucune comparaison à établir
entre l'effet produit par la bataille d'Iéna et l'enthousiasme
cxcité par les vietoires de Marengo et d'Austerlitz. 1\Iurengo
nvait sauvé la France, Austerlitz consacré I'établisscluent de
l'empire el glorifié la nation. La guerre contre la Prusse
était, au vu et au su de tout Ie monde, entreprise sans néees-
sité, par clésir de gloire et de eonquête. "
Aussi 1'0n raisonne et l'on Fronde autour même de l'empe-
reur, dans la chancellerie de Talleyrand, dans les bureaux de
Daru, dans l' état-lnajor de Berthier. Ce maréchal ase, un
jour, s'en exprimer à cæur ouvert avec lSapoléon : "VOUS
seriez done bien content d'aller pi sseI' dans la Seine? IJ lui
répond l'empereur, et illui tourne Ie dos. A l'incertitude des
ordres, à l'incohérence des rIlouvelnents, il devine la fatigue,
Ie détaehement. II a mené les soldats par cette illusion: Ie
dernier coup à frappeI' et la fin de la guerre; les officiers par
IC5 promesses, les ßTades, les titres. les dotations. L'Europè
conquise ne suffira plus bientôt à leur avidité, et, satisfaits,
iIs voudront jouir. l\Iurat se trouve comme dépouillé, en SOD
ßrand-duché de Berg, et se découvre la complexion d'un roi
de PoIògne. NapoIéon Ie rappelle crûment à l'ordre: It Faites
bien sentiI' que je ne \ iens pas ßlcndier un trône pour un des
n1Ìcns; je ne manque pas de trônes à donner à ma familIe I. "
A insi après les frères, viendra Ie beau-frère, puis Ie beau-
frère du frère; après J érôme, encore stagiaire,
Iurat, puis
Bernadolte. Tous ces anciens sous-of6eiers, en réforme il y
a quinze ans, ne rêvent plus que de couronnes royales, å
l'envi des princes d'Allemagne; et, COIn me la convoitise est
infinie, Napoléon crée d'autnnt plus de mécontents qu'il
ré})and plus de largesses a. lis se demandent OÙ l' on les mène,
I IttnANTE, t. I, p. 187, 189, 190, f.98. - PASQUIK8, t. I, p. 393.
I A )lurat t 2 décemhre 1806.
· VO
Tez. par exemple, Ie frondenr et m
content perpétuel Thiébault, en Ion
gou.vernement de Fulda : Ie palais, la livrée, l'écurãe, 212,500 france en quatre
I _11::1. T. IV, p. 8, Ð.
LA GUERRE D'HIVER. - iSOf.
1
3
ntayant plus guère qu'à perdre à ce jell OÙ jusqu'alors ils
ont tant gaffné. Le temps est venu d'épargner sa vie et de
('uver ses dotations. (i L'étoile de Napoléon commence å pâlir.
l.le moment des demi-succès, des triomphes incomplets est
arrivé... >> - n Est-ce que l'empereur sait ce qu'il fera
demain?" - n Nous ne reverrons pas Paris, å moins que ce
ne soit au retour de la Chine. " Voilà les propos courants.
Les jeunes se parent encore de mots: (C Le génie de I'empe-
reur nous tirera de là. " Son génie! Des mots amers, inquié-
tants échappcnt aux plus prudents, à ceux qui font Ie plua
étalage de leurs services, et servent réeIlement avec Ie plus
de zèle. On raconte que l'empereur s'est trompé de route,
et qu'il aurait pu tomber dans un poste russe. (( C'est en par-
tant de Berlin qu'il s'est trompé ,), dit Daru. Les habiles,
ceux qui ne se sont jamais donnés entièrement, filent, en
dessous, leur défection, creusent leur chemin de sortie.
Talleyrand, qui, en apparence, jouit de toute la confiance
du maitre, se dérobe tout en obéissant : il est trop bien né,
iI a trop d'esprit pour se piquer de couronne royale comIne
Bernadotte ou
Iurat; mais il prépare son lendemain. Jus-
qu'alors, il a craint Ie hasard des batailles ou celui des com..
plots, et douté de la vie de l' empereur; l' empereur survivant,
il doutc désorlnais du succès de l' aventure et de la durée de
l'empire; il pense au jour, peut-être proche, où, de régent
de I 'Europe, il faudra se faire n bon Européen >>. II fiaire Ie
J rflux.
Napoléon lui con6e Ia tàche, fort délicate, de ménager anx
\.utrichiens les menaces et les caresses, de façou à les tenir å
Jiscrétion. L'Autriche garda toujours les préférences secrètes
de TaIIcyrand. Même lorsqu'il travaille avec la Russie, ses
goûts restent à Vienne; il s accommode de façon qu 'à Vienne
on s'en persuade. Lorsqu'illes invite tantôt à désarmer, tantôt
å partager, il sait mettre dans ses réticences, dans les silences
dont il coupe ses insinuations ou ses récriminations, un je ne
sais quoi dont Ie sens est toujours : - Conservez-voul et
attendez; conservons-nous et attendons I
t3ú
J..E DtCRET DE BERLI
- t80T.
. Je veux la paix avec I'Autriche, dit l'empereur 1... Je n'ai
jamais reconnu Ie partage de la Poloffne; mais, 6dè)c ob
er-
vateur des traités, en fav{>risant l'insurrection des Polognes
prussienne et russe, je ne me mêlerai en ricn de la Poloffne
autrichienne... " Toutefois, si l' Autriche s' en élneut, si elle
désire entrer en accommodenlcnt pour la Gallicie et si la
Silésie prussienne est dans ses COllvenances, Andréossy pcut
enlrer en pourparlers. u Je suis prêt à faire ce qu'elle vent. "
Iais dans Ie doute OÙ ron est à Vienne, comme partout, sur
la fin de la guerre, on évite de répondre. Sons prétexte de
rendre hommaffe à Napoléon, on lui envoie un ambassadeur,
et e'est, comme Andréossy, un observateur militaire au moins
8utant qu'un dipJomate, Ie général de Vincent. " II me fant
gagner du temps, dit François II à Pozzo di Borgo... Je
manque de beaucoup de choses... Si jf' me déclare, il fant
m'attendre å avoir tontes Ies forces de Bonaparte sur les bras;
je risque d'être écrasé, et alors ce serail pire pour votre
maitre... Je suis franc; je me battrai Ie plus tard possible. .
Stadion atermoie avec Andréossy, à Vienne; Vincent,
arrivé Ie 8 janvier, atermoie avec Talleyrand à Varsovie. Vin-
cent écarte, en principe, les combinai
ons de partage; it
8ccepte néanmoins d'en spéculer, dans Ie rlomaine des con-
tingences, et ces contingences, pour sa cour, sont Ok'sova et
Belgrade: en aucun cas, I'Autriche ne permettrait que ces
deux places tombassent aux mains des l1usses; si eUe était
stire des Français, elle les occuperait. D'ailleurs, eUe est tout
à Ia paix.
Napoléon ntest pas dupe de ces déclarations paci6ques;
mais eUes lni suffisent pour Ie moment. II se réserve d'en-
trainer les Autrichiens à sa suite ou de leur passer sur Ie
corps, et c'est au delà de leurs frontières qu'il cherche la
diversion qu'ils Iui refusent. II se muitiplie à Constantinople;
combinHisons à deux fins com me celie de la Pologne : sou-
tenir et régénérer eet empire si Ie Turc &'''1 prête et sÎ r em-
I' A AndréollY. 8 d6eembre t807.
LA GUERRE D'H IVER. - 180'.
125
pÌre en est capable; Ie démemhrer et réffler Ies enchères si
Ie Turc se refuse à son propre salut. Or eet empire palait terri-
blcn1cnt travaillé, brunlant. eI1tanH
de toutes parts; partout
des éruptions décelant un volcan souterrain. Les peuples
chrétiens se réveillent. L'indépendance, c'esl pour eux, avant
tont, Ia liberté rcligieuse; les nations se retrouvent autour
des Égiises; cUes reC0l111nellcent à espérer de vivre. C'est Ie
contre-coup de la Révolution française dans ces pays primitifs
encore. En France, la Révolution avail décroché les cloches,
et c'est des clochers que part dans I'Orient chrétien rappel
à Ia révolution Vartout OÙ Ie peuple s' agite, des chefs sur-
gissent, au besoin des pachas tures, avides d'autonolnie, prêts
à exploiter Ie InOll\'emellt, COfillue en Allenlagne les princes
onl exploité la Réforrne. II se fait une de ces levées confuses
de peupIes, de prêtres, de chefs de clans, de gouverneurs de
provinces, comIne en Occident, lors de la chute de l'empire
de Charlemagne. En Bulgarie, Ie Bosniaque musulman,
Pasvan-Oglou, entreprend de relever l'ancien empire bulgare,
et se fait, en attendant, donner l'investiture de la Bulgarie.
Les l\Ionténégrins, sous Ie vladika Pierre Ier, s'allient aux
Busses et bataillent victorieusement contre Ie Tu
c. Des parti-
sans les imitent en Grèce. En Albanie, AIi, pacha de Janina,
vise à restaurer Ie royaume de I'Épire. C'est un Pyrrhus
musulman;
Iéhémet Ali s'annonce comme Ie rénovateur de
I'Égypte. La Serbie se souIève, bat les Turcs et se déchire
aussitôt; ses libérateurs, porchers, comme les héros d'Ho-
mère, Kara Georges et l\Iiloch Obrenovitch, se la disputent,
espérant de l'alliance rUS$e Ie rétablissement de la Grande
Serbie.
NapoIéon s'efforce d'intéresser l'opinion å ses nouveaux
desseins, d'en distraire au moins les esprits parisiens, durant
les inquiétudes de l'hiver et Ie silence des bulletins, COlnme il
s'en distrait lui-même, par ses spéculations, dans les espaces
de la PoIogne. II adresse. Ie 29 janvier 1807 u du camp impé-
rial de Varsovie " , un message au Sénat : it y dénonce Ie péril
de r extension de la Russie, du "panslavi
l!le u, dirai,-"on
13ð
LE D
CRET DE BERJJIN. - 180'1.
8ujourd'hui. Ce n'est, en réalité, qu'un article auguste de
gazette. Talleyrand Ie commente en un mémoire qui paraH au
Jloniteur Ie 18 février, Ie lendemain de Ia lecture du message
au Sénat, et d'Hauterive entame une campagne de presse I.
Puis les mesures effectives. Napoléon apprend que Sélim
a déclaré la guerre à Ia Russie, qu'illui dépêche un ambassa...
deur, qu 'un Persan arrive du même pas I; il se voit arbitre de
I'Orient : it Í'agite et l'arme. II envoie des officiers du génie
et des officiers d'artillerie å Constantinople, en Bosnie, à
Scutari, en Bulgarie, à tous les pachas belliqueux; il leur
promet des carlouches, de la poudre, des canons, tout ce
qu'ils demanderont. II se représente 60,000 Turcs, soutenus
par 25,000 Français, qu'il enverrait à Widdin, barrant Ie
chemin aux Russes et les obIigeant à renforcer Michelson,
à s'affaiblir en Pologne... f( Alors, écrit-il à
Iarmont, VOllS
entreriez dans Ie système de la Grande Armée, vous en
feriez I'extrême rlroite. " Et Ie shah de Perse, renforcé de
40,000 Turcs, portés å Ispahan, en formerait l'extrême
avant-garde : (( Nos relations sont telles avec la Perse que
nous nous porterions sur 1'lndus; ce qui était chimérique
autrefois devient assez simple en ce moment..." II fait armer
deux frégates qui se rendront dans Ie golfe Persique, et por-
teront un envoyé spécial avec une lettre pour Ie sh
h. L'en...
voyé est un officier général, Gardane 3, qui saura voir, orga-
niser; commander au besoin; la lettre est en style oriental:
II J'ai tout soumis å mes armes... La fortune a mis un ban-
deau sur les yeux de tes ennemis... Concertons-nous - avec
la Porte - et formons une éternelle alliance. .T'attends ton
ambassadeur pour la conclllre, et c'est au milieu de mes
victoires que je te renouvelle les assurances de mon affec-
tion .. " L'idée d'une diversion maritime Ie hantait tou-
· TRlIeyrand ò. d'Hauterive, 31 janvier 1.807 . VANDAL.
· A S ' I . . 0 . . ,
elm,;r. Janvier; a Talleyrand, à
Iarmont, 29 janvier 1.807.
· Ce n'el!t pal Ie . gro8 Gardanne ", " Gardanne Ie moustaehu " de Brumairel
,
. ..t un autre, petit, maißre, cf1étif, mail! aetif. THIÉBAULT, t. IV, p. 429,
Âu Shah, i8 janvier; à Talleyrand, !9 janvier tS07.
LA GUER'RE D'Ð,VER: - ISO,..
I
T
jours I. ((Je désirerais, écrit-iI à Decrès, donner de l'occupation
aux AIIGlais dans des points imprévus; une flotte de Cadix
irait bloquer Ie Cap, pousserait à rile de France, aUK iles
1\lanilles; les Anfflais les rechercheraient à Rio de la Plata,
à Buenos-Ayres; deux autres flottes sortiraient de Rochefort,
de Toulon. Les Anglais, effrayés, voudraient couvrir toutes
leurs colonies. On se porterait en force sur I'Amérique espa-
gnole, on y serait supérieur en nombre, on les battrait... "
II avait hàte de prendre sa revanche de Pultusk. Le 29 jan-
vier, il écrit à Cambacérès : u J'ai levé mes cantonnements
pour pr06ter d'une belle gelée et du beau temps qu'il fait pour
jeter les Russes au delà du Niémen... Le thermomètre se
maintient depuis quelques jours entre deux ou trois degrés. "
(( Dans l'hiver, pensait-il, les Français sont susceptibles de
toutes sortes de marches... I JJ II Ie pensait des hivers d'Italie,
des beaux hivers de France, la terre sèche, Ie ciel léger, un
air vif qui réconforte, un dOtlx soleil bas qui égaie la natur
.
(( Toute l'Europe a Ie même climat', , disait-il à
falachowski,
un jour que Ie temps semblait au beau. 1& Sire, nous Ie vou-
drions bien" ! répondi t Ie Polonais I.
C'était encore Ie cas Ie 5 février; puis une saute de vent, et
ce fut de nouveau l'hiver de PoIogne : la neige, en flocons
lourds, balayée par la tempête, s'amoncelant en vagues
molles snr la plaine sans fin; puis, Ie déffel brusque, la liqué-
faction du ciel, l'effondrement de tout, Ie déluge de boue.
Le 8 février, les deux armées se rencontrèrent å Eylau,
bouscuIade effroyabIe dans In bourrasque aveuglante. Lei
masses d'hommes se heurtent, se poussent, s'exterminent,
sombrent comme des navires qui ne gouvernent plus. . Tout
d'un coup ]a neiffe cessa... L'empereur, entouré de sa garde à
cheval, ne détachait pas ses yeux d'une masse- noire, com...,
pacte, qui s'avançait. (I Ce sont les Russes! " cria-t-on autour
· A Decrèø, 10 décembre 1806; 6 j,tDvier 1807, déveJoppeme.'; . Leui., ii,
15 décemhre 1806.
i A Joseph, 5 décembre 1806.
· BAIIAl'TB, t. I, p. 211. - Å Fouché, 8 jsnvi8r i801.
188
LE DÉCRET DE BERLIN. - i801.
de lui. ct Ce n'est pa.s possible, iIs n'oseraient pas! "lis osèrí'nt.
" Ramassez tout ce qu'il y a de la cavalerie de la garde, cria
Napoléon; faites-Ies tuer jusqu'au dernier plutôt que de céder.
J e D
les ai pas dorés pour les faire vivre! " La nuit tomba
sur la terre, hérissée de morts, gelant les blessés, insensibili-
ant les agonies. Napoléon, " fatigué, inquiet, abattu " , atten-
dait Ie jour pour savoir s'il était ou vaincu ou vainqueur. AUK
avant-postes, on ne distinffuait rien. Ce nlessage arriva de par-
tout: (I Les masses ennemies s'éloignent dans la brume... II
Alors il respira; mais ce fut pour con1prendre qu'à son tour,
comme les Russes, il devait battre en retraite. II parcourut
l'horrible et navrant ch3.mp de bataille I. Les survivants hur-
laient de froid, de faim, d'horreur dans l'abandon. Au lieu
de : "Vive l'empereur! " NapoIéo
entendit crier: n Vivent la
paix et la France! " et surtout : n Du pain! " On estimait la
perte des Russes à 30,000 hOlnmes hors de contbal; mais
Napoléon en compait 20,000, dont 3,000 morts. L'armée
était affaiblie de 60,000 trainards ou maraudeurs '. Quels
seraient les contre-coups de cet énonne coup manqué aox
extrémités de l' empire, toujours prêtes à se disloquer? sur les
ambassadeurs de Turquie et de Perse? Enfìn au point Ie plus
proche et Ie plus menaçant, en Autriche? On entendit Ie soir,
au bivouac, Napoléon murmurer ces mots: " Ah! si j'étais l'ar-
chiduc Charles! "
II dormait à peine, tout habillé, sans même ôter ses bottes.
Le 9, if écrit à Talleyrand : (I J'accepte les ouvertures failes
pour mettre un terme à la ffuerre... 10in d'élever aucune dif..
6cuhé sur Ie lieu, je propgse l\leInel : j'y enverrai des pléni-
potentiaires aussitôt qu'on me fera connaître que la Prusse et
la Russie en ont envoyé. JJ Le 13, il adresse un billet aussi
I Voir Ie tab1eau de GroB. C& II n'en peut donner qu'une faible idée. .
FEZF.l'ìSAC.
I THIEHS, t. VII, p. 397, not.. - Foummm, t. II, p. i5ð, note, trouve cell
chiffre8 très réduite. " Pas même un colonel qui pût dire ce qu'il avait de com-
baUant8. · 6AIIAl"TE, t. I, p. 222. -
apoléon à Joseph, ier mars i807 : 1& San.
yio, B3ns e
u-de
vie, .ana pain. . - . J'SI, moi-même, øté quinz. jour. .aBI ðt.r
me. botte, I .
l,A GUER1\E D'HIVEB. - 180T.
180
obli{}cant que possible, en son Iaconisme, à FrédérÌc-Guil-
laulne. Bertrand Ie portera. II offre Ia paix, avec Ia restitution
de la monarchie prussienne jusqu'à I'Elbe, moyennant que Ia
Prusse se sépare de Ia Bussie et de I'Angleterre. Bertrand
donnera à ses discours un ton u aigre et doux I u . II fera sentir
Ia püissance de Ia main qui s' est appcsantie sur Ia Prusse et
qui ne se lèvera qu'après l'avoir enchaînée. " I11aissera entre-
voir que, quant à Ia Polou"ne, depuis que l'empereur Ia con-
nait, iI n'y attache aucun prix. u II dira que u dans la néces-
sité oÙ I'ernpereur croil être de rétablir une barrière entre la
Fra
ce et la llussie il faut que Ie trône de Prusse soit occupé
par Ia maison de Brandebourg ou par toute autre" ; Innis il
insinuera que si c'est la maison de Prusse, (& l'empereur seul,
de plein gré, l'aura remise sur Ie trôlle... Le trône de Berlin
ne doit plus rester vacant... .,
La retraite COffilnença Ie 17 février; Napoléon s'arrêta.
Ie :>2, à Osterode, petite viIle
(:ns ressources, ravagée, OÙ il
étabJit son ql1artier général
, plus Inisérablement, en sa vi
toire prétendue et en son olfensive, que Ie roi de Prusse å
l\Ietl1cl, en sa fuite et son désastre. II avait appris que battre
les Russes n'était pas" Ie jeu d'enfanl " dont il parlait naguère
à Cambacérès s. La Prusse allait Iui donner une autre leçon.
IlIa jl1ffeait rédl1ite à néant. "Les homInes supportent Ie mal
lorsqu 'on n'y joint point l'insulte, ct lorsque Ies ennemis de
I'État ne se montrcnt pas avoir porté Ie coup .I! J) II Ie ressen-
tait en lui-Inênle; il Ie voyait ailleurs; il ne consentit jamais
à Ie rcconnaHre là; et l' erreur fut de conséquence.
1 In8tructionø pour Ie Eénéral ÐerLrand, f3 féV1.ier 1807.
I II y rcstera jnsqu'au t.el' avril.
· lü nm;clUbre 18\'6.
· A JO$eph, 1
avril 1807.
litO
LE DtCRET DE BERl.IN. - 1801.
v
L'oCC11pation était dure, rapace, violente parfois mnlgré la
savante 6scalité de Daru; l'hulniliation extrêlne engendrait
des résistances sourdes; puis, çà et là, des révol tes. Des corps
de partisans s'organisèrent; des fonctionnaires rcfusèrent Ie
serlnent; les contributions rentrèrcnt plu
difficilclnent.
Malgré la censure fran.çaise et ses procédés sOffilnaires d'exé-
cution, des écrits patrioliques se répandaient, évcillant I'inrli-
gnation populaire, l'idée d'un part.. ....e à la polonai
e, ({'nn
changcment de dynastie, COInme à Naples. Le sentilnent
national se confonclait chez les Prussiens avec l'attachement
dynastique. lis aperçurent qu'ils aimaicnt leuJ' pays; ils en
connurent Ie d:1nger par )a représentation vivnntc qu' en don-
naient la fuite et l'infortune de la fa mille royale. Le roi
pousse Ie cri d'angoisse, Ie cri suprême des monaJ'qnes aux
abois. II en appelle au peuple. Le 1 er décembre, Frédéric-
Guillaume lance SOil premier Inessage à la nation: c'est pour
l'independance de la nation qu'il cOlnbat, et iI évoque Ie sou-
venir de la ffuerre de Trente Ails. II ose un acte plus coura-
geux, d'un mérite plus rare, mais plus efficace aussi. II
dénonce les plaies de l'armée; il étale cette série honteuse de
capitulations: chefs indignes livrés à l'exécration publique,
révocations inlpitoyables, conseils de guerre; nécessité de
vaincre ou de périr, rle tuer ou d'être tué; l'avancement ouvert
à tous, appel aux sOlls-officiers; ces discours et ces mesures
sentaient leur Comité de Salut public.
C'est que, comme en France au mois d'avril 1793, 101'5 des
grands désastres, Ie premier point était de vivre; avant de
réformer I'État, avant d'accomplir la révolution sociale pro-
fonde dont la dislocation et Ie détraquement ffénéral démon-
traient la ni'cessité. il importait de maintenir debout ce qui
:E
SÂlS DE RELÈVE:\lJtNT Jt
fRU8SE. - i3Q7. 141
lubsistait, de galvaniser ce corps pnraI)"tique; enfÌn d'établir
un gouvernelnent provisoire qui fùt fort puisque Ie Gouverne-
ment traditionnel ne se tenait plus. Le roi subsistait, figure
de I'État; c'est autour du roi, entre ses lnnins lnêlnes, que lea
rénovateurs de I'État prussien cherchèrent à élever Ie pouvoir
nouveau. L'État, en Prusse, était esscllticllcment royal: la
royauté devait sortir de la crise régénérée, plus active,
plus puissante. Les vues développées par l\Iirabeau, en
France, en 1790 1, et dont ni Louis XVI ni personne autour
de lui n'avaient su discerner l'étendue, se découvrirent, par
une sorte d'intuition, aux hOlnmes d'État prussiens, Stein,
Struensée, llardenberff, dans Ie ffouvernen1ent; Schal'llhðr..t,
Gneisenau dans rarmée, et ils s'accordèrent à penser que Ie
premier article etle pri!lcipe de toute réforme étaíentd'établir
å la 'tête de I'État un roi qui gouvernât, avec des lninistres
COlllpétents et responsables, au lieu de cOllfidents subaiternes,
ians connais
ances et sails responsabilité. lIs se mirent à
I' æuvre, altaquant Ie mal dans son foyer, Ie cabinet du roi.
Peu connu encore dans Ie public, méconnu à la cour, Stein
avait ses croyants, et, dans Ie parti des réformes, il se trou-
vait en possession d'état, Ie réformateur désiGné. A ce titre,
importun au roi. II se jonn, dès la pre'nière rencontre entre
ccs deux hOlnlnes, Ie Ininistre qui devait faire de Frédéric-
Guillaume Ie roi d'un grand rèffne, et Frédéric-Guillaume
qui devait faire de Stein Ie disgracié d'un grand ministère,
une partie assez étrangc OÙ se trahirent des caractères si
opposés qu'ils demeurèrent toujours comme impénétrables et
insupportables l'un à l'autre. Frédéric-Guillaume connaissait
les vues de Stein
; il ffardait, très présente en sa mémoire, la
note de septelubre 1806, Ie programme d'opposition dont la
suppression du cabinet formait Ie premier article. De tant de
capitulations subies par ses armes, cclle-Ià lui semblait la plus
pénible, étant la capitulation de son amour-propre. Les con-
seillers du cabinet, Beyme, Lombard, c' était sou &ecret
I Voir t. II : lea plans de :\lirabeau, p. 35 et ,uiY.
· Voir ci-dcSIUS, p. '.û, 88, 96.
i41
LB DBCRET DB BERLI
. - i80'1.
d'État, lei con6dents de les in6rmités cachées, qui lui souf.
flaient ses propres veIléités, pressentaient ses répugnances
inavouées, flattaient son incertitude, caressaient son orffueil
timide, Ie persuadaient que de lui seul dépendait Ie salut et
que, pour sauver la Prusse, it lui suffisait de laisser opérer en
lui la grAce prussienne. Frédéric-Guillaume n'aimait à se
donner qu'å demi afìn de pouvoir se reprendre toujours. Tel
il s' était montré avec ses alIiés, de main droite et de main
gauche, tel il parut avec ses ministres. L'opinion lui impo-
sait Stein; il prendrait Stein, mais il ne prendrait que la per-
lonne, il mettrait Ie réformateur dans Ie conseil et laisserait
les réformes dans la salle d'attente.
Iloffrit à Stein les affaires étranffères. Stein s'y userait å
lutter contre NapoIéon; å I' égard de la Russie, de l' Autriche,
de l'Anglelerre, il servirait de ma
que à Hardenberg. Stein
l'entendait tout å rinverse du roi. Le poste n'était rien pour
lui, la réforme était tout. II était homme d'État dans l'àme.
II attachait une importance capitale à cette réforme pré-
judicielle d'où procéderaient les autres : un conseil des
ministres avec lequel et par lequel Ie roi ffouvernerait, direc-
tement, sans rentremise du cabinet. II refusa les affaires
étrangères. Beyme sUfftiera un expéùient: les ministres des
affaires étrangères, de la ffuerre, de l'intérieur COffiIIlullique-
raient directement avec Ie roi, et, pour les grandes affaires,
formeraient un conseil; un conseiller ou ministre du cabinet
assisterait aux séances et tiendrait Ie protocole. Sur quoi
Stein fut nommé å l'intérieur, Ie ffénéral Rüchel à la guerre
et Hardenberg aux affaires étrangères. Le 14 décembre, Har-
denberg fit signer å ses collègues dn mémoire où iis repous-
saient l'adjonction d'uD D1inistre du cabinet à leur conseil.
C'était tirer Ie roi hors de son tabernacle. Beyme n'était rien
par Iui-même; il devint tout dans cette crise, parce qu'il per-
sonni6.ait l'amour-propre du roi. Stein osa écrire I : C& La per-
sonne de M. Beyme est suspecte et désagréable à Ia cour de
! 18 dtc.ruhr. lSQ6, à
c
ulenbur&, qui .:é&ait entremil.
ESSAIS DE I\ELÈ'VE.MENT :11:4 Pl\USSJt. - 1.80'1. 1'3
Péten,Dourg; 11 est odieux au supr
me degré à une Grande
partie du public; Sa
Iajesté regagnerait par son renvoi la
conf.iance de ses sujets en Grande partie. u " l\Ie prend-on pour
un bellêt? s'écria Frédéric-Guillaun1c. Croit-on que, si je prends
un parti par conviction, je me ferais influer pour rendre nul
mon propre ouvl'age?" II décida Ie conseil - qu'il voulait
" par conviction" , affirInait-il - el donna Ie secrétariat de
ce cOllseil à Beyrnc, qu'il exigeait par entêtement.
Ilardenberg élanl exclu par Napoléoll, Zastrow reçut lea
affaires étral1ffères. Stein, ayant à conférer avec ce ministre,
refusa sous Ie prétexte que Ie conseil des ministres n'était
pas encore constitué. Stein était un baron de I'Elnpire, un
nlcnlbre de la ci-devanl noblesse immédiate : il en avait la
dignité, l'illdépendance, l'orgueil, mais aussi la susceptibi-
lité. Cetle susceptibi
ité, très allelnande, se doublait chez Ie
roi de sa méfìance naturelle qui lui faisait partout soupçonner
des offenses à la rnajesté royale. II s'emporta et écrivit à
Stein, Ie 3 janvier 1807 : "J'avais depuis long-temps des pré-
jugés contre VOllS; je vous considérais COlnme un hOIrune
plein de talents, capable, réf1échi... mais je dois reconnaîlre,
à mon grand regret, que vous étiez surtout un fonctionllaire
récalcitrant, obstiné, arrogant, insubordonné, entêté de son
ß"énie et de ses talents; qui, loin de se guider sur Ie bien de
I'État, ne suit que ses caprices, n'obéit qu'à ses passions, ses
hailles pel'sonnelles el l'aigreur dont il est plein... " Stein
répolldil: "C01111ne je pense avec V otre Majesté que de sem-
blables fonctionnaires peuvent exercer sur la direction des
affaires une action funesle et dangereuse, je la prie d'accepter
Ilia dérnission. " Frédéric-Guillaume mil 6.n au conflit par ces
deux lirrnes : n Puisque 1\1. Ie baron de Stein s'est jugé lui-
mênle, je n'ai rien à ajouter. >> Stein se retira dans son pays
natal, à Nassau, dès que la guerre Ie Iui permit.
La Prusse se vit réduite, pour la conduire en cette redou-
table crise, à deux homInes aussi insuffisants run que l'autre :
Beyrne qui prit l'intérieur, et Zastrow qui Garda Ies affaires
étrüD(}t:I'CS. Frédéric-Guillaulne se rendit ! Mem
IJ sur la
11
4
LE D
Cl\ET DE BERLIN. - iSOTo
frontière de Russie. II y arriva Ie 8 janvier 1807, et il signa,
Ie 28, ]a paix avec l' Angleterre.
C' est là que Bertrand se présenta, Ie 16 février. La hataille
d'Eylau avait rendu quelque espoir aux Prussiens. NapoIéon
n 'était donc pas invincible? Frédéric-Guillaume savait, par
Ilardenberg, que Bertrand bffurait, au 10 août, parnlÎ les
dêfenseurs de Louis XVI, qu'il était hOlnme de comn1erce
sûr et de bonne cornpagnie 1. II l'accueillit sans prévention.
Bertrand lui relnit la Iettre de Napoléon, et Iui adressa un
petit discours, dicté par l'empereur, qu'il développa avec
plus d'ingénuité peut-être que ne Ie conlportaient ses instruc-
tions, notamment sur l'article de la Pologne : "L'enlpereur,
dit-il, s'est convaincu que ce pays ne dcvait pas avoir une
existence indépendante. II Inettrait sa gloire à faire rentrer Ie
roi dans ses États et dans ses dl'oits... u Le roi répondit que,
lié illdissolubIement à Ia Russie, il devait, tout d'abord, con-
sulter son allié, et congédia Bertrand, Ie soil' mêIne, sur ce
propos, avec une lettre banale en réponse à celIe de l'empe-
reur. Cependant, Bennigsen ayant exprimé Ie désir de Gagner
du telnps, Ie colonel de I{leist fut envoyé au quartier général
de Napoléon, Ie 17, sous prétexte d'échanger des prisollniers
et sans aucun autre pouvoir. Puis Ie roi tint conseil.
Hardenberg qui, dans la réaIité, menait sous main toules
les affaires, conclut à Ia guerre acharnée
: La paix séparée avec
la France, dit-iI, c( ne serait qu 'une trêve de très courte durée.
Elle nous détacherait irrévocablement de Ia Russie, et détrui-
rait toutes Ies espérances que nous pouvons placer dans les
secours de J'Angleterre... La Prusse, rayée àjamais du nombre
des puissances indépendantes, deviendrait l'esclave de Napo-
léon. 1J Dussent Ies arlnées abandollner même Ies dernières
provinces de la monarchie, ce Inalheur " ne serait nullemcnt
décisif pour Ie grand but... qu'il ne faudrait pas perdre de
vue: ruiner les forces de Napoléon, les n1ettre hors d'état de
I Précil relntif aUI ouverturel du général 'Bertrand. RANKE, t. V, p.
31. -'
Frédéric-Guillaume à Napoléon, 16 février 1807. T. III, p. 308.
I MtlQoire de Hardenherß, 19 février 1807. HANKE, t. V, p.
3i.
ESSAIS DE .RELÈVEMENT EN PRUSSE. - 1107. 14.5
se refairc et prépnrer sur ses derrières des diversions qui lui
enlpêch. n! Ia retraite ou la rendent du moins tellement diffi-
cile qu'il soil forcé à souscrire à une palx solide et équi-
l3bIe... IJ - 1& Dne paix qui non seulement rétablisse Ie roi
dans Ia pleine possession de tous ses États, mais qui, en
affl'anchissant l'AlleI]lagne du joug des Français, les repous-
serait au delà du Rhin... " Au tsar d'en décider. Le roi lui
en écrivit Ie 19, et, Ie Iendemain, Iui expédia Ie colonel de
SchöIer avec Ie précis des ouvertures de Bertrand I. La reine
assistait au conseil où ces graves résolutions furent arrêtées.
EIle soutenait Hardenberg du geste, du regard, de ce mot, å
I' oreille : COllstance / Hardenberg joirrnit au courrier une Iettre
pour Alexandre. II était en correspondance directe avec co
prince, autan! ministre du tsar près du roi de Prusse que du
roi de Prusse près du tsar.
Les renseiffnements que rapporta Kleist de son excursion
au quartier général français ne pouvaient que con6rmer lei
Prussiens dans leur résolution de guerre å outrance. Napoléon,
Jécidément, était elnbarrassé. II avait donné à Kleist une
Ieltre pour Ie roi, datée d'Osterode, Ie 26 février : (& Je désire
Inettre un terme aux malheurs de volre maison et de vos
peupies et réorganiser prompteInent la monarchie prus-
sienne... Je clésire la paix avec Ia Bussie... La paix avec I'An-
gleterre n' est pas Jr.oins nécessaire. J) II serait disposé å un
conffrès, mais Ie congrès pouvait trainer dix-huit ans! Et it
pressait la Prusse de commencer l' ouvraffe en siffnant S8 paix
séparée... Les commentaires de Kleist étaient plus significa-
tifs encore i.
Kleist avait observé les soldats, causé avec les of6ciers,
entendu leurs récrimillations, recueilli d
s propos singuliers.
ey récrimine contre i'emper-eur, blâme sa conduite à Eylau
II C' est sa viva
ité qui est cause que cette bataille ne prit pas
une issue bl'illante... II a poussé trop en avant... par petits
1 I.le Roi au Tiar, 1.9 f
vrier 1.807. ÐAILLE11. - Hardenberg au Tlar, i9 f6mer
1.807 RANKE.
t Rapport de Kleiat J 2 mara1807.
AILLEU, 1.. 11, en frauçail.
'fll.
II
tIe
LB DienET DE BERLINoF - tS01.
paquets... . etc. Le 24 février, Kleist a été reçu par Napo.
léon, qui l'a gardé plus de deux heures, et a parlé presque
tout Ie temps. A travers " tout ce bavardage JJ , il donne à
Kleist I'impress!on d'un homme "dont l' esprit était inquiété
furieusement, ce qui, en Ie rendant distrait, lui faisait sou-
vent répéter la même chose )) . II insiste sur la paix, propose
un armistice: il se retirerait sur Ia rive gauche de la Vistule,
les Russes sur la rive droite du Niémen. Puis iI menace, se
répand en njactances )J : si la Prusse refuse de traiter, illivrera
aux Russes une bataille qui décidera du sort de l'Europe; il
organisera Ia Prusse à sa guise... C& J e suis décidé à faire
encore pendant dix ans la guerre.... Je n'ai que trente-sept
aDS... J'ai vieilli so us les armes et dans les affaires... 1)
Hardenberff reprit du ton. Frédéric-Guillaume commençait
à entrevoir Ie salut. II fallait Ie forcer å en vouIoir les moyens.
Ce fut Ie nlérite de Hardenberg de I'y amener, mais il ne l'y
amena que par Ie contre-coup des affaires extérieures. Le peu
de réformes que Ie roi accepta tendait à fortifier I'action de
son gouvernement au dehors, et il ne cédait en cela qu'à la
nécessité urgente. Hardenberg lui remit, Ie 3 mars, un grand
mémoire d'ensemble. Pour Ie dehors, c'est Ie fond de toutes
les combinaisons que la force des choses devait suecessive-
ment imposer à Ia Prusse : entente avec I'Angleterre, la
Suède, l' Autriche; réaction antifrançaise en Allemagne; con-
fiance entière en la Russie; accord entre les autorités mili-
taires russes et les autorités civiles prussiennes. Pour que ce
plan s'exécute, il faut que la Prusse se réßénère å l'intérieur,
par une cure' sociale : exciter à fond l'enthousiasme patrio-
tique, réformer les finances, réformer l'administration,
réformer l'armée, et, avant tout, de I'unité dans Ie pouvoir.
L'intérieur et l'extérieur doivent être menés de pair. Jusqu'à
ce que Stein soil rentré en grâee ou que Ie roi ait fait un autre
choix, I-Iardenberg offre de prendre les affaires étrangères,
en titre, et, par intériln, l'intérieur. II conelut, comme con-
cluaient toutes les notes précédentes: supprimer Ie cabinet et
congédier Beyme.
ESSAII DE RELEVEMENT EN PRUiSJ:. - 1&01. 1.41
Le roi ne se rendit point. Accepter ce système, c!était se
mettre en tutelle, à l'anglaise, comine George III au temps
de Pitt. II se rabattit sur une cornbinaison mixte : un gouver-
nelnent provisoire, où iI cOllfondrait les hommes les plus
opposés, Ie partisan de la paix et de l' entente avec la
France, Zastrow, et Ie partisan de la guerre à outrance et de
I'alliance russe, Hardenberg, mais sans portefeuille. Beyme
contilluait de venir au rapport. Tant que Beyme rapporterait
au conseil, il n'y aurait point, å vrai dire, de conseil, et Fré-
déric-Guillaume se sentirait encore roi. C' est ce qui advint.
Ie On se rassemblait Ie matin chez Ie roi, rapporte Harden-
berg... On lisait les pièces à signer le
plus importantes pour
les affaires extérieures; mais aucune délibération générale...
Le roi se promenail de long en large; on causait, puis chacun
rentrait chez soi et agissait dans son département com me bon
lui semblait. Pour moi, n'ayant point d'attributions spéciales,
je n'ava.is rien à faire... u
II patientait, con1ptant sur les circonstances, sur Ie temps,
et par-dessus tout sur l'inf1uenc(
d'Alexandre pour triompher
des répuffnances du roi et rassurer son amour-propre.
Alexandre avait annoncé, en effet, sa visite prochaine et
envoyé au roi une IeUre reconfortante. Datée de Pétersbourg,
Ie 4 mars, cette lettre, très secrète, reproduisait les termes
mêmes de la lettre du roi, sur Ie grand but. Alexandre
ajoutait: n Je conviens avec VOllS, sire, que pour consolider
Ie grand ouvrage d'une paix générale il faut que non seule-
ment V otre 1\fajesté soit rétablie dans In pleine possession de
ses États, mais que I'Allemagne soit affranchie du joug des
Français et qu'ils soient repoussés au delà du Rhin. " II ache-
mine ses armées; il recommencera la guerre avec des forces
cc plus imposantes que jamais ". Bonaparte, par la D1ission de
Bertrand, a trahi " Ia position bien critique" où il se trouve...
n Nous SOlnmes parvenus à arrêter Ie torrent auquel rien ne
paraissait devoir résister. " II va I'attaquer de front; ce qui sub-
siste de Prussiens Ie menacera sur ses flancs, ainsi qu'en 1805;
on songe, en outre, å relnonter la machine des diversions et
148
LB DtCl\ET DE BJ:I\LIN. - 1801.
des compIots en France. Strogonof en entretient Alexandre;
on ne réussira à f;e débarrasser de Napoléo
qu'en portant un
coup au cæur de la France : " Le succès Ie plus insignifiant
Ii-bas aurait une réaction cOI1õi
eraDle. >> II conseille (( d'en-
voyer sur-Ie-champ proposer au général Moreau de venir en
Europe assister aux opérations militaires d'un corps destiné à
rétablir Ie roi u , de porter sur Ies côtes de France une expé-
dition de 50,000 hommes que cOlnmanderait Ie tsar en per
sonne '.
VI
Napoléon fut toujour5 obsédé de ee péril; les exemples de
1793 et de 1799 pesèrent toujours sur sa pensée, et c'est par
lå qu'il faut s' expliquer ses combiuftisons mouvantes et illi-
mitées comme l'inondation qui Ie menaçait. II avait tourné
toutes ses machines contre la Russie. La Russie avançait. II
avait songé, une fois encore, à séparer la Prusse de son alliée,
et cette Prusse déchirée, traînée à terre, se cramponnait aUI
Russes. L'Autriche continuait d'armer, équivoque, menaçant
de couper la retraite, de rompre les cOffilnunications, d'ar-
rêter les recrues, d' empêcher les approvisionnements. II avait
compté sur Ia diversion des Tures : Sébastiani mettait Ie
Dar-
danelles en état de défense, construisait des batteries; Dlais
les 326,000 hommes de l'armée turque ne sont que des chiffres
d . I
sur u pnpler ...
Napoléon déroulait des plans, dans son imagination; puis,
.ila réflexion, les fermait aussilðt. Le 6 mars, iI songeait å
cnvoyer
Iasséna en
Ioldavie avec 30,000 hommes qui se
réuniraicnt aux 40,000 hommes de
Iarffiont; il y joindrait
15,000 Polonaise II cc couvrirait Constantinople)), ou bien
I Strogonof à Alexandre, 25 marl iSOT. Grand-due NICOLA'.
t Talleyrand à I'empereur, T" mart 1807. lSouvclle. do CODlt8ntinopie jUlqu'au
30 jal1vier. ß!l:RTI\AND. -
LA QUESTIOJi D'ORIENT - IStr.
.'-9
il " balayerait Ie Danube "; Inais DC risquait -i1 point de
s'affaiblir et, pour crécr des embarras aux Russes, de se dis-
perser lui-même, faisant Ie jeu des ennemis? II écrit à Talley-
rand t : " Laissez l'ambassadeur ottoman à Varsovie encore
quclque temps... qu'il m'attende à Varsovie... u
Peu à peu cette pensée s'insinue et ger,me dans son esprit :
8U lieu de s'obstiner sur ce cadavre de la Prusse et de s'entêter
it Ia détacher de la Russie, pousser droitauxRusses et, leur ten-
dant la main, les amener à se détacher des Prussicns; au lieu
de s'user avec I'Autriche en alternatives de coquetterie et de
menaces, la gagner à Ia nouvelle alliance, å Ia contre-coali-
tion; et si eUe se refuse, la Russie étant gagnée et la Prusse
anéantie, se retourller sur I'Autriche et la briser '. Ou bien
encore t si la Russie se montre récalcitrante, faire Ie pont d'or
à I'Autriche. Car il faut une alIiée. Le Comité de Salut
public, Ie Directoire se sont leurrés de l'alliance prussienne.
Cette chimère s'est évanouie. Autriche ou Russie, il choisira
la plus complaisante à l'alliance, la moins rétive å la victoire.
ø La fin de tout ceci, écrit-il à Talleyrand Ie 9 mars, sera un
système entre la France et l' Autriche ou entre la France et la
Russie
car il n'y aura de repos pour les peuples qui en ont
tous besoin que par cette union... J e l'ai proposé plusieurs
Eois à l'Autriche; je Ie lui propose encore. " Que veulent-ils?
Que Talleyrand en écrive à Andréossy, en parle å Vincent.
Dans ce dernier système, la conservation de la Turquie
serait. un élément principal. l\lais Napoléon reçoit un bul-
letin de Talleyrand, de Varsovie, 7 et 8 mars, donnant les
nouvelles de Constantinople jusqu'au 10 février. Le divan
fléchit. La Hotte anglaise approche, formidable, soutenue
peut-être par quatorze vaisseaux russes. Le sultan tremble
pour son palais, son harem, ses vaisseaux qui ont coûté si
chert Napoléon est loin, les Anglais sont là; la peur l'emporte,
les esprits tournent à la paix. L'ambassadeur à Varsovie a des
pouvoirs pour conclure une alliance; mais iI n'acceple de
· A Talleyrand, 6 mar. 1807.
A
'allc1'l'alld, 9 man. - :Üøll'SO au SéD8t, 20 lOaft tS07.
150
LE DÊ:CRET DE BERLIN. - iSOT.
secours que si les troupes françaises viennent de Pologne et
s'arrêtent en Valachie et en l\loldavie; si eUes entrent en
Dalmatie, il ne garantit point la sûreté du pays. En un
mot (C des troupes étraugères, même françaises, pour cou-
vrir Constantinople, causeraient plus d'effroi que de satisfac-
tion>> . - <<II n'en sera plus question" , écrit aussitôt l'em-
pereur I .
Ce refus des Turcs Ie rejette vers la Russie. Le moribond
n'accepte ni les remèdes ni les médecins : qu'il meure à sa
guise; on s 'accommodera mieux de son héritage que de sa
maladie. (C Tout en désirant la paix avec l'Autriche, je suis
d'opinion qu'une alliance avec la Russie serait très avanta-
geuse, si ce n'était pas une chose fantasque et qu'il y eût
quelque fond à faire sur cette court )) II trompait ainsi son
impatience. Et revenant aux propos interrompus, en 1801,
par la mort de Paul, aux combinaisolls tentées en 1806 avec
Oubril, it se déclare publiquement, cette fois, et s' engage :
n Nous sommes prêts, écrit-il au Sénat Ie 20 mars, à con-
clure avec Ia Russie aux mêmcs conditions que son négocia-
teur avait signées, et que les intrigues de I' A.ngleterre l' ont
contrainte à repousser. N ous somn1es prêts à rendre à ces huit
millions d'habitants conquis })ar nos arInes la trallquillité et
au roi de Prusse sa capitale. .. "
Mais qu'attendre d'alJiances de Ia sorte, alliances enffagées
à coups d'ultimatum, enlevées à coups de victoire, notifiées
avant la guerre, dictées après la bataille; des alliances qui res-
selnblent à des capitulations; soutiens politiques du Grand
Empire qui valent ces soutiens Inilitaires, les prisonniers
enrôlés de force I et qui transforment en défenseurs de l' em-
pire des princes armés la veille pour son alléantiss3ment? Que
valent ces traités? Pas même Ie parchemin qui les porte, la
cire dont ils sont scellés ! La force les impose, ils durent tant
que cette force demeure accablante; ils en procèdent, ils ne
l'augmentent pas et à la jalousie d'avant la bataille s'ajoute
I A Talleyraud, il. man 1801.
LA QUESTION D'ORIENT. - 1801.
151
pour ronger ces alliances fictives la rancune de 1a défaite
6ubie et de l'humiliation.
Napoléon, en effet, ne pouvait attendre l'alliance russe que
de la défaite de la Russie. Avant de contraindre Alexandre
à combattre sa propre politique, il fallait Ie contraindre à
y renoncer. (C II est probable, écrit Napoléon au moment
même où il arrête ces desseins, que dans un mois j'aurai
défait les Russes... Nous marchons vers Ie beau temps. tI
Pour disposer cette victoire illui fallait, jusque-Ià, s'assurer
de I'Autriche. Or it escomptait déjà la victoire pour do miner
cette même Autriche. L'armée de
larmont et celle que
naguère il pensait à envoyer, sous Masséna, en 1\Ioldavie,
reflueraient contre Vienne. "J'ai en Italie 80,000 hommes...
J'en aurai 50,000 d'ici au ler mai. Ces forces ne laisseront
pas d'en imposer à I'Autriche. Illui faut au moins 120,000
hommes pour s'opposer à celles-Ià, ce qui exige des préparatifs
et des dépenses immenses. D II affitait des chiffres énormes;
passait, sur Ie papier, des revues formidables : 140,000 hom-
roes dans les dépôts de France, 80,000 hommes levés sur la
conscription de 1808, dix légions de réserve formées avec les
conscrits pour la défense des côtes; les armées (1) de Bre-
tagne et de Normandie disponibles et portées en Bavière,
40,000 hommes, en un mois; plus de 100,000 hommes en
Italie et en Dalmatie, et, ainsi soutenue, renforcée, la Grande
Armée cantonnée en Pologne : << I'Autriche serait bien folie
d'attirer chez eUe Ie théâtre de la guerre... Les Russes Ia lais-
seront détruire comme ils ont laissé détruire la Prusse 1. u
L'Autriche n'avait qu'un dessein, et très politique : c'était
de vivre, de se garder intacte, de se préparer à l'événement;
de laisser Français et Russes se dévorer les uns les autres;
d'empêcher Napoléon de révolutionner la Gallicie; d'empê-
cher les Russes de conquérir les Principautés; de proposer,
Iorsque viendrait la paix, une médiation qui ren rE'Ddrait
l'arbitre, et relèverait d'un coup la maison impériale et
! I.Ueyrand, U marl t80
.
is!
LE DÉCRET DE BERToIIN. - i801.
I'empire abaissés en 1806. Le 18 mars, Vincent confie å Ta}-
leyrand que sa cour est disposée à négocier, que
Ierveldt
fait la même ouverlure à Pétersbourg. Le 7 avril, Vincent
offrit of6ciellement la médiation. Napoléon perça ce manège
et n'en fut pas plus Ia dupe qu'il ne Ie devait l'être, six ans
plus tard, en 1813. Si l'Autriche est sincère, qu'elle Ie prouve
en désarmant. Bons offices, soit; mais désarmement. u Comme
je suis très soupçonneux, de mOD naturel, je ne puis voir dans
tout ce que fait la Russie qu'une première amorce pour
entrainer l'Autriche dans une coalition I; c'est pourquoi je
tiens à ce que I'Autriche n'arme pas. JJ - (I II faudrait que la
maison d'Autriche nons aimât... prit une grande part à nos
succès. Aimer, je ne sais trop ce que cela veut dire en poli-
tique. Et même comment exiger qu'on se r6jouisse de l'ac-
croissement d'une grande puissance qui, l'année passée, était
maitresse de Vienne? 1) II accepte une intervention ol'nicale.,
redoutant la médiation pacifique trop susceptible de se trans-
former en u médiation armée 1), ce qui légitime les arme-
ments. Mais il ne Ie fait que pour la galerie. "Je regarde l'in-
tervention de I'Autriche dans cette affaire comme un malheur;
jt y ai répondu parce que je n'ai voulu fournir aucun prétexte
dans les moments actuels. II faut être circonspect... voir
venir, De s'engager à rien .... u An fond, fort inquiet de rAu-
triche qui l'aurait mis dans Ie pire danger si, au lieu d'at-
tendre, pour intervenir par les armes, une défaite de Napo-
léon par les Russes, elle eftt, en intervenant, contribué
puissamment à cette défaite.
Ainsi. il est venu jusqu'au Niémen, il a passé sur Ie corps
de la Prusse a6.n d'atteindre la Russie, et it en est réduit à
offrir de relever la Prusse; il a poussé à ces extrémités ann
d'atteindre la Russie et de Ia dompter, il en est réduit à lui
offrir l'alliance, et illui faut filer doux, par les menagements,
I Ce qui advint en efEet, en iSiB, dans Ie. pourparlers qui précédèl'en& I.
eonvention de Reichenbach, 27 juin. - A Talleyrand, 20 et 26 mar. iSOl.
· A Talleyrand, 1ft avril. - Note du 1.6 avril 1801,
· Å Talleyrand, !3 avril: 24- juin, rétrospective.
LA QUESTIO!l D'OI\IENT. - tBOT.
1&8
avec l'Autriche. Done, six mois après Iéna, it se retrouve dans
Ie péril OÙ il se voyait la veille d' Austerlitz, dix-huit mois
auparavant; péril plus menaçant encore, car il a, dans I'inter-
valle, éprouvé pour la première fois deux échecs, livré une
bataille sans lendemain, une autre suivie d'une retraite; son
prestige- est entamé, ce prestige qui a contenu la Prusse
en 1805, consterné l'Autriche, mis les Busses en fuite. La
coalition! ilIa pressent dans la constance de la Prusse, dans
la résistance de la Russie, dans les ambages de l'Autriche.
Tous refusen! la paix et sourdelnent se rapprochent; ils se
coaliseront s'il ne rompt, en fonçant sur les Russes, cette coa-
lItion renaissante. Le printemps va déblayer la terre, rouvrir
les chemins aux armées; mais la saison est tardive, printemps
mouilIé après cet hiver de boue.
Napoléon a quiUé les masures d'Osterode. II a trouvé au
château de Finckenstein, château moderne, somptueux et
commode, Ie luxe et de tous les luxes Ie plus précieux pour
lui, des cheminées à la française, OÙ I'on voit scintiller, OÙ
l'on entend crépiter Ie feu I. II s'y installe Ie l.r avril. Pour
tromper Ie temps son esprit, qui combinait toujours, ouvrait
d'étranffes avenues sur I'Orient, comme en hiver, les chasses
étant closes, Ie châtelain dessine des allées, plante des jalons,
exécute les grands abattis d'arbres, opère les grandes percées
sur I'horizon et se prépare pour les beaux jours, les vas tel
perspectives.
De Constantinople, il apprend la défense des châteaux de.
Dardanelles organisée par Sébastiani, Ie départ de la flotte
anglaise I. Les Anglais ont voulu faire peur : ils D'ont pas
réussi. Us vont chercher en Égypte des consolations à ce
déboire. Napoléon renouvelle ses exhortations à Sélim, lui
promet une diversion; il expédie des of6ciers; il éperonne les
pachas; il envoie un of6cier du génie à Mustapha-Pacha, å
Roustchouk; Mériage est à Widdin où il travaille contre la
Bussie; l'empereur mande à Cambacérès de faire grand éta-
I A rImpératrice, à Daru, 23Tril 1.807. DauuLT, ch. III et IT.
· Lettre à Talleyrand, 29 mar., tN, It avril; nouvelle. jUlqu'au I aar. i'
.
ia'
LE DÉCRET DE BERLIN. - 180'1.
lage, à Paris, de toute cette turquerie : (( Je pars à franc étrier
pour Varsovie où je serai demain. J'y resterai deux jours pour
donner audience aUK ambassadeurs de Perse et de Turquie 1. II'
Mais cette Perse dont il discerne l'utilité future, il n'en sait
presque rien. " Quel traité faire avec la Perse? Comment
voulez-vous que je réponde à cette question, quand vous ne
m'avez pas encore fait remettre Ie mémoire de M. Jaubert qui
me fasse connaitre ce que c'est que Ia Perse? tJ II presse Ie
départ de Gardane. Cet agent étudiera c( la nature des obstacles
qu'aurait à franchir une armée française de 40,000 hommes
qui se rendrait aux Grandes Indes et qui serait favorisée par
la Perse et par la Porte; il travaillera partout contre les
Anglais; il correspondra avec l'ile de France... " En attendant
l'expédition sur les Indes, il pense à une diversion contre les
Russes; il enverrait 4,000 hommes qui se joindraient aux
80,000 cavaliers qu'iI prête, très gratuitement, aux Per-
sans'...
En6n, il traite. Talleyrand, mandé à Finckenstein, yamène
l'ambassadeur persan, et Ie traité est signé Ie 4 mail: Napo-
léon garantit l'intégrité du territoire persan; il fera tous ses
efforts pour contraindre les Russes à restituer la Géorgie à la
Perse; il procurera des canons, des officiers instructeurs; Ie
shah rompra avec I'Angleterre, confisquera les marchandises
anglaises, travaillera à insurger contre les Anglais les Afghans
et les autres peuples du Candahar. c( S'il était dans l'intention
de Sa l\lajesté l'empereur des Français d'envoyer par terre
une armée pour attaquer les possessions anglaises dans I'lnde,
Sa
Iajesté l'empereur de Perse lui donnerait passage sur son
territoire... tJ Des instructions nouvelles sont données en
conséquence à Gardane : il communiquera avec les }{ahrattes,
ménagera des alliances" .. . Decrès reçoi t l' ordre d' armer,
I A TaHeYI'and, 3, 5 avril; à Camhacérès, 4 avril; à Sélim, 3, '1 avril 1807.
I A Ta1Ie"fl'and, 3, t.3, 14. mars; 8U shah, 11,. man; à Talleyrand, 12 avril; à
DecrèR, 22 avril; lettres de Talleyrand, 28 Eévrier 1807. - l\IÉftEVAL, t. II, p. 940.
I DE CLERCQ, t. II, p. 20i.
& Instructions pour Ie cénéral Gardane, to mai tSOl - MÉßVAL, t. II,
p. g
, t33. - A Decrà., 12 avril 1807.
LA QUESTION D'ORIENT - i801.
{55
pour prendre la mer, en vinß't-quatre heures, en vue n des
missions les plus éloißnées >> , vingt neuf vaisseaux qui parti-
ront de tous les ports de France. La Hollande en fournira
sept. lIs doivent être prêts, en septembre, pour toute espèce
d'entreprise, même d'aller aux hIdes... " ComLinaisons
ilnmenses et chimériques que l' on verra reparaître dans l'hiver
de 1808; c'est non seulement l'entente avec Alexandre qUI
couve, c'est l'alliance russe qui fermenle avec son roman et
toutes ses déceptions.
En France, il faut escompter les levées futures, devancer
les appels, con1me si la coalition prcssait déjà la frontière.
n L'année prochaine In paix sera faite, et si eUe ne l'est pas,
la conscription de 1808 recrutera Illes armées et celIe de 1809
recrutera mes réserves. ,) - Des conscrits de dix-huit ans! La
nouvelle d'un échec, voilà toutes les têtes perdues en France.
EL Ie contre-coup au dehors: (I Rien que J'opinion quej'éprou-
verais en France, la moindrc contrariété ferait déclarer plu-
sicurs puissances contre nous I. " Tout est combiné pour que
chaque piècc soutienne l'autre; mais aucune pièce, par soi-
mêJne, ne se lient - luole suå sial. - Tout branle au con-
traire; tout se penche, tout craque au coup de vent et, en cas
d'alerte, la pire des préoccupations, les gardiens à garder, Ie
con1plot latent de l\Jarenffo, d'Austerlitz prêt à se reformer:
Talleyrand, iI est vrai, néffocie à Varsovie; mais Fouché reste
à Paris, et il suffit à lui seul à agiter l'eInpire qu'il est chargé
de tenir en ordre.
Entre temp8, ayant l'arlnée à ravitailler; la Prusse à terri-
fier 2; la Poloffne à exploiter; l'Autriche à surveiller; Ie
Grand Elnpire à gouverner; la France à distraire; I'opinion à
soutcnir; les brouillons à refréner; les polices à contrôler;
dts renforts de Francais à envoyer dans tous les pays conquis
nun de servir de rClnparts à la France et auxquels la France
I A Cambacél'ès. 10 avril 1807. - CEo message au Sénat,
o man 1807.
t Voir la teUre à Clarke, 21 février 1807. Dans LECRSTRE et daDs NORVllI'8, t. II,
p. {83t 320, l' extrnordinaire histoire de la léßioD de pirates, reDOl\".lée de. pro-
jetl du Dinctoin aur Ie pay. de GaU... Voir t. V, p. 4i. -
{56
LED É C "R 1': T DEB E
I.. 1 N. - t 801.
doit servir d' étai ; Joseph à ranimer, qui crie : (I La paix à tout
prix! " qui sollicite de l'argent et des soldats I; Louis à rai-
sonner qui joue au foi, rétablit une noblesse, crée un ordre
de chevalerie, ménage Ie blocus et fait de son hypocondrie
matrimoniale une question européenne I; Ie Pape à sou-
mettre; l'Espagne à brider et à déffarnir d'EspagnoIs; des
affaires dans toute I'Europe, d.es desseins sur I'univers. Napo-
léon trouve moyen de s' oècuper de comméragcs et de régler
les déplacements de
Ime de Staël. (( Cette fenllne est un vrai
corbeau ; elle croyait la tempête déjà arrivée et se repaissait
d'intriffues et de folies. Qu'elle s'en aille dans son Léman 8. JJ
Une force d'âme, une audace que rien n'éhranle à la veille
de risquer une partie d'è vie ou de mort; une verve d'imagi-
nation qui s'emporte vers l'avenir en desseins prodiffieux;
une susceptibilité mesquine qui se trouble aux propos d'llne
femme; nne revue passée en Polorrne, avec un ambassadcur
de Perse qui s'essouffle à suivre Ie pas saccadé de l'empereur,
patauge dans les terres moUes, y traÎne sa robe brochée, y
colle ses babouches; mélange de grandeur et de charlata-
nisme, de précision dans les mesnres, de chilnères dans les
projets, d'inquiétudes ct de volonté, de vacillation sur les
moyens, de constance sur I'objet à atteindre : voilà cette
saison trouble, ce printemps 6évreux de Finckenstein, d'avril
à juiu 1807.
VII
Dnn
'e cnmp des Busses, Ie nombre des prisonniers qu'ih
délÏ{,lIl1ent, les déserteurs - surtout parmi les non Français
I Jo
pph à Napo!;:on, !9 men: If Votre :Maje8t
doit faire la pl'1lX à tout prix..
-- NH.polrnn à Jo,wrh, 1 er mars 1801 : refus d'argent, envoi rte 6,000 hommes...
I A CambacP;'èf, t 8,
3, 25 m3r8; à Louis, 23, 31 marl 1807
· A. Call)barérè,.
6 man; à FOllChé, i8 avril i807.
BÂRTE
!TEI
ET rl\IEI)LA
>>. - 1181. 1.'1
d'origine - la fronde des maréchaux contre Napoléon, lee
bruits persistants de complots auxquels les informateurs con-
tinuent de mêler des noms comme ceux de Bernadotte et dð
l\Iasséna I, fortifient ce sentiment qu'en harcelant Napoléon
aux extrémités de son empire, de Naples å Flessingue, en
8ffitant I'Italie et I'Allemagne, en fonçant sur la Grande
Armée, iIs 6niraient par Ia rompre; ils lasseraient, au moins,
et useraient les Français qui, à leur tour, deviendront pour
:Napoléon un embarras, un danger, et que la France, en
quclque sorte, Ie prendrait à revers I.
Alexandre se rendit å Memel Ie 2 avril, et fut reçu par Ie
couple royal en ami du foyer et en sauveur de rEtat. Entre I.
salon intime où la reine Louise lui verse Ie thé préparé de sea
mains et Ie cabinet OÙ il discute avec Hardenberg les secrets
de l'alliance, avec Phullies mouvements militaires, avec I'An-
glais Hutchinson les subsides; entre les promenades à cheval,
les coquetteries sentimentales, et les revues des bataillona
prussiens disIoqués, éreintés, Alexandre, sur ce fond aride et
funèbre de MeineI, apparaît, dans son auréole, Ie personnaffe
qu'iI s'est dessiné, mêIé du roi des rois de I'épopée homérique
et du chevalier au cygne de la légende, évanß'élique et diplo-
mate, restaurateur du droit, civilisateur des peuples, consola-
teur des victinles éplorées, protecteur des princes en deuil
de leur couronne, en fuite de leur royauIne.
I-Ial'denbcrg, alors, est tout à lui. Alexandre recherchera
toujours ces ministres d'à côté, ministres de l'alliance chez ses
amis et alliés; il se flattera,. un instant, de Talleyrand, en
I Quand un deB accusél de l'affaire d' Aché, Lefebvre, Ie. dPligna,
la fin do I
1807, la police jugea bon d'arrêter leg délation.. LENðTßE, TOUTllebut.
t " On trouve dan
la lettre - interccptée - d'un del généraux, que Ie. Boldat.
français en eont réduits d manger du cheval, écrit RoumÎantsof. L'étoile de
Bonaparte est devenue Itationnaire, au lieu ùe conserver Ie cours de re(loutable
comète et d
vastatrice qu'elle était auparavant... Cettf' ßuerre va devenir la guerre,
e'ut-à-dire unt' guerre ordiuaire qui, à chance égale, sera cent foii plu8 ruineuse
et plus dime ile à faire pour les Français que pour nous; ils tiniront, je me Oattl',
par fie ùér,rieer sur Ie compte dl1 moderne Charlemagne auqucl, trè. positivernent,
il manque un PPl1 de la s<1gesse qui di.tinxuait son prédéceeseur. ø Roumiant.oE à
llichelieu, avril 1807. Société d' h.ist()
l'e de Russie, papiers d, Richoliou.
lða
LE DÉCREt DE BERLIt(. - 11 Of.
France, et, plus tard, de Richelieu. Hardenberg lui remet
mémoires sur rnélnoires. Les plans qu'il élabore sont ceux
qui seront repris à Paris et à Vienne en 1814, la reconstruc-
tion de l'Europe par la quadruple alliance: Russie, Prusse,
Autriche, Angleterre. (( II faut que les quatre puissances s'en-
visagent comme les tuteurs de I'Europe, parce qu'il serait
impossible de consulter tOlltes les parties intéressées ou d'at-
tendre leur consenten1ent sans voir tout échouer I... 1) - " Ce
qui peut assurer un état de choses stable et la sûreté future
des possessions. " Un des articles très intéressants de ces
propos de 1807, c'est l'ahandon dé6.nitif du Saint-Empire et
l'idée de reprendre, en la tournant contre la France, la Confé-
dération du Rhin de Napoléon. "La Constitution germanique,
écrit Hardenberg, De peut être rétablie telle qu'elle fut. Ce
serait la plus imprudente des mesures et une nouvelle source
de malheurs. II faut une fédération forte I et capable de
résister en première ligne à la puissance française. Que l'Au-
triche et Ia Prusse en soient les chefs... que la fédération soit
mise sous la garantie de la Russie et de I'Angleterre '. 1) -
"Guerre avec la France. But général... La possession du
Rhin jointe à la jalousie qui sépal'a lTlalheureusement les inté-
rêts de la Prusse de ceux de l'Autriche donnèrent à la France
une supériorité décidée sur les deux États... Le moindre but
qu' on puisse se proposer est de forcer les Français à se retirer
derrière Ie Rhin, à ne plus se mêler des affaires de I'Alle-
magne... 1) Le moindre but : il eût été, en effet, d'une
arrogance et d'une présomption peu diplomatiques, quand il
n'y avait plus ni Prusse, ni armée prussienne, de stipuler à
Memel, comme on l'avait fait à Potsdam avant Austerlitz, Ie
refoulement de la France dans ses anciennes limites 4.
Iais il
est clair que si, à Memel, Napoléon occupant Varsovie, tenant
I C'est "esprit même du congrès de Vienne. Protocole du 23 septemhre f81f4..
IARTEl'iS, t. III.
· · Donner à cet empire une constitution militaire. II Note clu f 1 avril 1801.
· Mémoire du 7 avril 1801. Compare.. lee Dotes et projets de I-lardenbel'g 8ur la
reconstitution de J' Allemaflne en 1813 et 181ft. Û:SCKEN.
& Voir t. VI, p. 483, les traités de novembre 1805.
.ÂI\TE:NSTEIN ET F!\IEDLAND. - 11M. tit
la Vistule, marchant au Niémen, on se proposait, au moins, Ie
refoulelnent au delà du Rhin, on élèverait les exigences
lorsque l'on stipulerait sur l'Oder, sur l'Elbe, sur Ie Rhin
même. C'est pour s'opposer à ce dessein constant des coalisés
que, d'étape en étape, Napoléon s'était porté sur la Vistule, et
c'est dans ce dessein que les aIIiés prétendaient ren déloger
d'étape en étape 1. L'Autriche "mettrait les armées combi.
nées russes et prussiennes en état de s' élancer au delà de la
rivière de I'Oder... )J . L'Angleterre formerait la haute banque
et Ie département des subsides !i.
Le 14 avril, Hutchinson reçut la nouvelle d'un ehan<<ement
de ministère a - un ministère de Pitt, sans Pitt lui-même,
mais ses collaborateurs, ses passions, sa politique sur Ie conti-
nent : autour du vieux due de Portland: Ha\vkesbury, Cas-
tlereagh, Canning aux affaires étrangères; des noms qui don-
naient espérance. L'alliance était mûre, noyau de la future
coalition. Les plénipotentiaires russes et prussiens se réuni-
rent à Bartenstein, quartier général de Bennigsen, et Ie
traité fut signé Ie 26 avril 6.
En soi-même, ce traité n'est qu'une feuille volante. La
guerre I' emporla en quelques semaines; mais il prend une
gravité singulière si ron Ie rapproche du traité de 1805' et
si l'on Ie rattache à ceux de 1813 : on y voit se dessiner, en
leur enchaînement, les vues permanentes de I'Europe, qui
font que toutes les coalitions, depuis celles de 1793 jusqu'à
I "Que font leø Autrichienø'l
crivait Bennigeen, Ie 13,juin 1807. Pourvu qu'ill
Ie veuillent, eet homme - J'aventureux Bonaparte - doit être achevé eOU8 peu,
..t I'archiduc Charlee, ce r.rand homme, peut lui donner Ie coup de grâceY .
t Socielé d' hi.ftoire de Runie, t. 89 : correepondance. de 1807 et 1808.
B Hutchinson à llardenberg, 1!t avril 1807 .
.. Tpxte et commentaire dans MARTENS, t. VI, p. 406. - Comparez lei traité.
de Kali8ch, RWlsie ct Pruese. 28 février 1813; Reichenbacb, Ruølie, Autriche,
Prus8e, 27 juin 1813.
hRTENs, t. VII et L. II.
i Voir t. VI, p. !t15.
En fR05, la Ru
-sie, l'Autriche, I'Anglpterre øont Iiéeø; c'est la PrU88e qu'il
s'agit d'entraÎner pour lier les '1uatre, et elle Ie lie, en øpcret, par la déclaration
de Potsùam, 3 novembre 1805; en 1807 et en 1813, la RU8øie el la Prul8e øont
liéeø, eIle8 8e lient à l' Anr.leterre et c'eøt I' Autriche qu'i1 I'sgit de Ie rattacber :
elle Ie fait par la convention lecrète du 27 juin.
tGO
LE DÉCR.!.T DE :aXRLll(. - t.107.
celles de 1813, ne sont qu'une même combinaison, en vue
d'un même ouvrage, projeté en I 792 I, accompli en 1814.
" Une des bases les plus essentielles de l'indépendance de
I'Europe étant l'indépendance de I'Allemagne, il est de la plus
haute importance de la bien assurer et d'aviser d'autant plul
soigneusement aux moyens d 'y parvenir qu'ils sont infiniment
difficiles depuis que la France est maîtresse du Rhin et des
point offensifs sur ce fleuve. L'on ne peut ni laisser subsiste
la ligue du Rhin so us l'influence ou plutðt sous la souverai-
neté de Ia France ni permettre que des troupes françaises
continuent d'occuper I'Allemagne. IJ Les alliés créeront, å cet
effet, en Allemagne, une fédération constitutionnelle. lIs
inviteront I'Autriche et l'Angleterre å adhérer à l'alliance. lis
réclameront une indemnité pour Ie prince d'Orange" à moins
que de grands succès ne permettent Ie rétablissement de ce
prince dans Ie stathoudérat des Provinces unies IJ . - u A r égard
de I'Italie, on consultera I'opinion et les désirs de I'Autriche
et de I'Angleterre... " On fera Ie possible pour les rois de
Sardaigne et de Naples; en tout cas, la couronne d'Italie sera
séparée de celIe de Ia France. Le roi de Prusse et I' empereur
de Russie. s' engagent å ne faire pendant la durée de la guerre
aucune conquête sur Ie continent pour leur propre compte 1) .
Cette déclaration utopique formait, pour la Sainte-Alliance
naissante, Ie pendant des fameux articles de l'Assemblée cons-
tituante, Ie væu de n'entreprendre aucune ffuerre en vue de
faire des conquêtes
. De même, la résolution de ne point faire
des conquêtes pendant la guerre n'impliquait point la renon-
ciation à de justes indemnités après la ffuerre, au moyen des
territoires " délivrés 1). Le fait est qu'en avril 1807 il suffi-
sait aux (lésirs de la,Prusse de se reconquérir soi-même. Har-
enberg aurait désiré -spécifier que ce désintéressement uni-
vp.rsel s'étcndrait å "empire turc, Alexandre refusa; la guerre
qu'il poursuivait avec les Turcs était une autre ffuerre que
celIe qu'il s'agissait d'entreprendre contre Napoléon, et, par
I Voir t. II, p. 239, 279, 4.98.
Voir &. II, p.
6, !O O. -=
. I!. p.
3
,
BAR TENSTEIN ET FRIEDLAND. - 1801. 161
,
'-
conséquent, eUe ne tombait point sous Ie coup de la renonClS-
tion aux conquêtes.
Le roi. et la reil1e de Prusse s'en retournèrent å Kænigs-
berg. Alexandre se rendit à Tilsit. II laissait la Prusse
enchaîllée, Ie roi sous Ie prestige, la reine sous Ie charme I.
II Iaissait - et c' était l'affaire politique - I-Iardenberß
investi d 'une sorte de dictature t. Les sou verains s' embras-
saient, mais les peuples ne fraternisaient point. Dans Ie mor-
eeau de Prusse, où ils calltonnaient, les Busses réveillaient les
souvenirs des redoutables visites d'autrefois, plus craints
comme alliés que les Français comme ennelnis. Hardenberg
se plaignait à Bennigsen qui n'écoutait rieo; il en appelait
au tsar a. . On se demande partout comment il est possible
qu'un prince qui est un modèle d'humanité... puisse per-
mettre des excès sans nombre qui, en ruinant Ie pays de son
alIié... compromettent I'existence et l'honoeur de I'armée
A .&
meme ... D
Alexandre fit presser r Autriche qui ne bougea pas. Kruse-
mark fut envoyé à Londres pour négocier les subsides. Har-
denberg Ie recommanda au due d'Y ork par une letlre qu' on
pourrait croire écrite en 1813 1 : cc
{onseigneur... V ous contri-
buerez à sauver Ie monde civilisé de l'esclavage... C'est Ie der-
nicr acte du grand drame... Faire disparaitre de la politique
I Voir 18 leUre à Alexandre, 1.4 mai f807, d'une exaltation naïve et touchante,
qui serait naturelle en allemand, mais qui, tl'aduite en françaiø, devient empha-
tique.... Pardonnez, bon, cher, incomparable cousin... 8urtout, surtout soyez
bien indulgent... QueUe divine lettre vous venez de m'écrire!... II faut VOUI con-
naître pour croire à la pel'fection... Tou t ce que je VOUI prie eøt de ne pas brûIer
cette leure, eUe vous marque si bien comment je vous 8ime! AU88i Iongtemps que
je serai bonne moi-même, que j'aimerai Ia vertu, je vous .erai aussi attachée par
tous les 8entiments qui m'atti'tchent à la Providence même. " Dans une autre
lettre, 10 juin, à propos de Napoléon : . Ce monstre a trouvé Ie moyen de
òésunir, de déchirer les relations les plus innocentel; iI exerce lur moi ausøi bien
que sur bien d'autres victime8 Ie pouvoir de lIa m
in de fer... " BULLEU.
I Hardenherg au roi, Ie roi à Hardenberg, Beyme à Hardenberg, 27 avril,
2 mai; Uardenbprg à Schrærter, 31 mai 1807. RANKE.
· Au Tsar, 17 rnai 1807. RA
KE, t. V, p. 506.
, Dépêches à Rasoumowsky, 25 avril, 5 mai 1807. MARTENS, t. IV, p. 507. ....,
Alexandre à François II, 4mai 1807. BEER
6 Hardenberg à Jacobi, 23 mai; au due d'York, 24 mai 1807. fuNKB.
!u.
II
tðt
LJ; })tCRJ.:T DE lJlì:l\LIN. - 1.101.
la défiance avec l'art de tromper, établir une confÌance enlière
et réciproq ue... hâter un concert parfait.. .
lettre à la place des
lenteurs, des irrésolutions, de l'incohérence... Ia célérité,
l'énel'gie, la persévéral1ce et des plans sagen1ent combiné
... .,
L 'Anßlelerre avait répollJu au décret de Berlin par l' O,.dre
du 7 janviet 1807 qui mettait en blocu8 tous les ports de la
F ranee el de ses colollies I. l\Iais, au lieu d'envoyer des secoura
lIlarilimes, des troupes de débarquemcnt en Allcmagne, Ie
long de la Baltique, OÙ ron en réclamait, en Hollande OÙ
Napoléon les redoutait, les ministres ang1ais en expédièrent å
Buel1os-A yres où il y avait une belle colonie à confisquer sur
les Espaß'lìoIs i, et en Égypte, OÙ ils se flattaient d'étouffer
dans l'æuf l\Iéhémel-Ali. lIs y échouèrent et en revinrent assez
pitcusen1ent. Ccpendant, ils écartaient les propositions d'em-
pruut t!'Alexaudrc. Leur confiance en 1a Ilu.;sie étail fort
éLra111ée; luaIgré tout Ie Inouvement que se donnait d'An-
traigues, désornlais réfugié à LOl1dres, la coalition les trouvait
incrédules, avares surtout de livres
terling. Ce n'est pas que
les passions se fusselll altél1uées dans Ie public ni que Ie nou-
veau cabinct y delueuråL plus sourd que Ie précédent. Tout
nu contraire. Les élcctiollS se firent au vieux cri de guerre : A
bas Ie ]'apisuw! l'Anglelcrre est en danyer! II n'y eut jamais au
pouvoir de nlÌnistrcs pluð r
sohBnent bel1iqueux, et plus anti-
français que CanniuG et Ca
lIel'e38h; mais ils étaient de ces
AUfflais qui cOllsidéraicnl la guerre nlaritime COlume une
bonne affaire et la paix prénlaturée comme une Inauvaise
opération. Quand iIs la sitillcraient, ce serait la paix profi-
table: Ja France refoulée aux anciennes Iimites. lIs n'enten-
daient travailler ni pour la Russie, ni pour la Prusse; ils ne
voulaient aider ni la Russie à s'emparer des Principautés, ni la
Prusse à se rétablir en Allclnagne. Tandis qu'en poussant Ie
blocus, iis supprilnaient les nculres, ils anéantissaient loute
concurrence commerciale, it; s'assuraient la souyeraincté des
I LUMRROSO, p. ti7, 1.25 et 8uiv.
. · Marquis DE SASSE
lY, Napoléon 1,r d la fOlldation de la Républi9ue a"ge
111U
.
:BARTENSTEIN ET FRtEDL
ND. - fSOf. tGa
mers. Lorsque I'on parla å Canning d'adhérer au traité de
Bartenstein, if répondit que Ie projet de réorganiser l'AlIee
IlHl{:Jne et de confédérer Ie Nord sous Ie roi de Prusse n don-
Derail à ce prince une suprématie militaire qui ne ressemble-
r
it pas mal à ce despotisme qu'exerce Napoléon sur les fédérés
<Iu llhin, et ferait des princes et États fédérés autant de vas-
saux de Sa l\iajesté prussienne... JJ . lIs refusèrent leur adhé-
sion. lis n'avaient de <<oût à entrainer que I'Autriche, et I'Au-
triche refusait de bouger I. lis traînèrent les elnprunts,
IDarchandèrent les subsides; ne consenlirent qu'en juin une
sonlme à peine suf6sante pour subvenir aux besoins de la
Prusse seuIe, et renvoi d'un corps de 5 à 6,000 hommes en
Poméranie, c, secours aussi tardif qu'Însuffisant )t , déclara plus
tard Alexandre. lis se méfìaient et des revirements de eet
empereur, et des surprises de la guerre et de la rapidité del
coups de Napoléon.
Napoléon, encore une fois, en pro6ta pour tuer la coalition
dans son germe et se sauver comme la France l'avait fait à
quatre reprises en 1792, en 1794, en 1799, en 1800, en 1805.
II travaillait d'instinct à
éparer tout ce qui cherchait à se
réunir, les tenant divisés au IDoins pour Ie temps qu'illui fal-
lait pour frapper eeux qui étaient en armes et atterrer les
Rutres. II reçut, Ie 28 mai, l'arnbassadeur ture. C'était un per-
sonnage essentiellement formaliste et méticuleux. Napoléon
déclara ct que lui et l'empereur Sélim étaient désormais insé-
parables comme la main droite et la main <<auche JJ; mais il
sjouta que si la Turquie ne se prononçait point en temps utile,
il arriverait infailliblement que la paix se ferait avec la Russie
sans la Porte 2. De même avec les Polonais : "Ne pas parler de
l'indépendance de Ia Pologne, notait-il en vue d'un exposé de
la situation; supprimer tout ce qui tend à montrer l' empereur
eomme Ie libérateur, attendu qu'il ne s'est jamais expliqué
sur ce sujet s. )) Ainsi s'arrêtait en lui la pensée de traiter avec
· Instructions à Paget, milieu de mai 1801. - Notes d
falmesbu'7.
· MÉNEVAL, t. II. - Bulletin LXXVII, 29 mai i807.
·
otes sur un projet d'esposé, 18 man; ordre c1u 2
avril 1801.
16T,.
LE DtCllET DE ðEftLIN. - lS07.
la Russie, et de lui offrÌr llulß'nifiquement l'alliance, aprèi
l'avoir réJuite à delnauder la paix. Les Russes avaient été
contraints de lever Ie sièGe d'Isnlaïl et d'évacuer la Valachie ;
Danzig avait capitule 1; Ie prinlelnps revel1ait, c'était Ie
ll1011U'ut. de rcprelldre Ia canlpag'ue et d'en 6nir, en une
joufuée.
Ce sera Ia victoire, il n'en doute pas, et il sait ce qu'il faut
falre pour l'obtcllir. !\Iais que déciJcra cette victoire qui doit
tout décider? Voilà ce qu'iI COlnmence à demander en vain à
l'histoire, à l'e
périence dans l'inJéfini OÙ son génie, fait de
clarté, avide de clarté, s'égare. II perd Ie point de vue,
comme un marin qui vait la ligne de l'horizon s' enfuir devant
lui et d'autant plus vite et d'autant plus loin que sa vue est
plus longue et que Ie temps est plus clair. Camme il se trouve
loin de la guerre d'Italie, de sa guerre de jeunesse; la guerre
aux manæuvres hardies et précises, aux inspirations subites
et efficaees, aux champs de bataille lilnités, aux petites actions
suivies de grands résultats. La B'uerre semble lui livreI' l'Eu-
rope, la paix Ia lui enlève. C'est la destil1ée : I'Europe dure,
encore que foulée et vaincue. Napoléon bat les armées, sup-
prirne les États; il n'anéantit pas les peuples qui delneurent :
ses traités ne sont que des traces d'encre sur des cartes de
géographie; ni la nature des chases ni la nature des hommes
n'en sont altérées; lès cartes d'hier sont seules changées, et
les cartes d'aujourd'hui seront changées delnain.
Ainsi, il avance, à pas de géant, sur cette route hyperbo-
lique OÙ la France est engagée, en dessein depuis 1792, en
fait depuis 1 795, pour imposer par Ia victoire une paix dont Ia
seuIe conséquence est une guerre nouvelle, une paix telle
qu'à force de vaincre on ne saura plus hientôt comment la
dieter. Je ne sais quai de solennel qui se répand, en ces jours,
dans sa correspondance, décèle, chez Napoléon, l'éveil, çà et
là:- de ce souci importun, I 'interrog-ation des nuages qui passent
el se transfonnent, sans cesse, ne s'effaçant que pour décou-
I Bulletin du 29 mai 1807.
DARTENSTEIN ET FR IEDLAND. - 1801. i65
vrir des étoilf'
i mmohìI('
et ml1eUe
. Au moment de jeter les
dés, il s'HssQrnhrit. II npprend la mort du petit Napoléon, fils
de Louis et d'Hortense, très airn
, dont il pensait <Ì faire l'hé-
ritier de l'empire : Ie froid Ie rr3ffne. II étonffe Ie chagrin du
cæur, c'est pour retomber dans l'inqniétnde de l'esprit. (( Ils
sont plus jeunes, dit-il de Louis et d'Hortense, ils vont moins
réfléchir sur la frnffili té des ('hoses d'ici-bas I! " II l' écrit en
empereur de traffédie, en emrcrcur (1e Corncille qt1'il veutêtre;
mais ('instinct se révoIte, revanche de l'être humain sur ces
hommes qui se ffuindent an-rlesslls de l'humanité. Napoléon en
ses crises d'anffoisses se retrouve penple tout à coup, peuple
de ses montngnes natives, et la superstition fermente en lui,
à défaut de ]a foi chrétienne déponillée ou du stoïciðme
païen insuf6sant I. Ce n' est pas seulerncnt par politiquc. car
un tel aveu de préoccupation est Ie contraire de sa politique
systématiqucment, témérairement optjmi
te, qu'il écrit 8UX
évêques cette étrangc leUre du 28 mai, véritable Bulletin
à lire au prõne : lléunir (( mes peuples ", afin d'adresser
des actions de grâces au cc Dieu des armées J) pour la victoire
d 'Eylau; demander à ce Dieu (( qu'il daigne continuer à favo-
riser nos armes J) ; et cette prescription finale: (& Qu'ils prient
aussi pour que Ie cabinet persécuteur de notre sainte religion,
tout autant qu'ennemi éternel de notre nation, cesse d'avoir
de l'influence dans les cabinets du continent, afÌn qu 'une
pai
solide et glorieuse, digne de nOllS et de notre grand
peuple, console I'hull1anité... J) Le Inême jour, à un roi
régnant sur des hérétiques, tout aussi ennemi de la (( sainte
religion J) des évêques de France que les Castlereagh et les
Canning, à Louis, roi de Hollande : cc Vous ferez faire des
prières dans tOllS les temples pour Ie sllccès de nos armes... .}
Le 6 juin, les hostilités ont recommencé. II écrit à Fouché :.:
I Â Fou(
hé, to mai 1807.
· Je promenais partout ma peine var.abondeJ
J'avais rèvé l'empire, et la boule du monde
En ma. main 80nnait creux!
Théophile GAUTIER, la. Comédie de lø me"'.
166
I"E DtCR
T DE BERLIN. - 180T.
. Voyez souvent l'impératrice pour empêcher les mauvaises
nouvelles d'arriver jusqu'å elle. Huit jours apr.ès que VOllS
aurez reçu cette lettre, tout sera fìni. )) II se donnait plus de
temps qu'il ne lui en fallut. J.luit jours après qu'il avait écrit
Is lettre, à Friedland, Ie 14 juin, jour anniversaire de
Iarengo, il avait écrasé l'armée russe et IOllt élaÏt fini avec
cette armée, comme après
Iarengo avec l'armée autri-
chienne, comme après Austerlitz avec les Austro-Russes,
com me après léna avec les Prussiens I!... Pour un temps,
en réalité, l'armée russe ne comptait plus. Combien faudrait-il
à la Russie de mois ou de semaines pour se refaire, rallier
'Autriche, relever la Prusse, re-gagner les Anglais? to
te la
question était là; il n'y en avait pas d'autre, et tout ce qui
slIait se passer d'autre ne devait être que fantaslnagorie
d'avant-scène et spectacle d'interlnède.
1 A Joøéphine, 15 juin; à J oleph, !O juiu 1807 : . CeUe hataille e.t aU8Ii
déci.ive qu' Au.tel'litz, Marengo et Iélla. .
CHAPITRE III
L' ALLIANCE RUSSB
i807
I
Napoléon sonna sa victoire aux quatre vents de I'Europe t.
Ct L'armée russe cst plus écrasée ct battue que ne I'a jamais
été l'armée autrichienne... La jactance des Russes est à bas,
ils s 'avouent vaincus; ils ont été furieusement maltraités...
fes aigles sont arborécs sur Ie Niémen... )) Dans Ie succès,
l'ironie voltairienne relnonte; il écrit à Cambacérès : (( V ous
avez chanté Te DeU1U... au même moment OÙ je gagnais la
bataille. " Et å Fouché: (( V ous avez vu que vos prières ont
été exaucées I. "
{ais il savait bien qu'après
{arengo il avait
faUu Hohenlinden; après Austerlitz, la guerre de Prusse;
après Iéna, Eylau et Friedland. II savait bien que les Russes
n'étaient pas détruits, qu'ils se reconnaitraient, qu'il en vien-
drait d'autres. " J'ai toujours présent à l'esprit, rapporte un
témoin', l'énorme puissance qui restait encore, après ces
combats acharnés, à ces masses sombres des Russes s'éloi-
ßnant dans Ie demi-jour, sous Ie feu tonnant de notre artil..
I Ouvrages: ONCKEff, OEsterreichund Preussen; BI!:RNH,lIml, Russit!; BOTTA,
ltalie; BAUMGARTEl", Espaglle; comte l\-'IvR
T, .J.1Iu,.at; GR.lNDM.lISON, EJpaglle;
Fréd
ric MASSON, Josép/'ille répudiée; TREI'lSCHKE; H
FFER, Lombard; LÉvy-
BRüBL, Allemagne; BONNEFONS, F,.édé,.ic-Auguste; Ernest DAUDET, Bou.rbonJ et
Russie; PING.lUD, Français en Bussie. - ]jfémoires de Gourgaud, Paulin, comt.
df- Bray, comte5le de V OSS,
Ioriolle5, Barante, CasteHane, Talleyrand, Palquier,
Ræderer, Mme de Rémusat, Méneval.
· A Cambacérès, t
, 22 juin; à Fouché, 19 et 26 juin 1807.
a MélllOil"es du Sé,té)-al Paulin, p. 7Q-75.
IG8
L'ALLIANCE RUSSE. - 1801.
lerie.., Cette destruction au milieu des teintes rouges du
crépuscule, cette nouveauté pour no us de nous baUre et de
vaincre si tal.d ! JJ Vaincre, c'est avancer, disait-on comllluné-
ment. Napoléon touchait à ce passage OÙ pousser la victoire
c'était la perdre I. II avait besoin de la paix, l'armée la récla-
mait. II redoutait la médiation de I'Autriche; un conffrès OÙ
se dissiperaient les impressions de Friedland, qui donnerait
aux ennemis Ie temps de se rassembler. II résolut de la pré-
venir, et il s'arrêta au parti médité par lui dans les dernières
semaines : abandonner la Turquie et la Pologne, tendre la
main à Alexandre.
Alexandre vint au devant de lui. II fut rejoint å Tilsit par
un courrier de Bennigsen qui présentait lui-même Ia défaite
comme une déroute : " Les troupes ne tinrent plus, Iâchèrent
pied, se débandèrent. I) Autour d'Alexandre, ce ne sont que
récriminations contre la Prusse, ennemie cachée, puissance
méprisable qui n'a su que les compromettre : les intérêts
russes ne se trouvent ni en Hollande, oi à Naples; ils sont
sur Ie Danube, et ils périclitent. II II était impossible, écrit
un Russe, de faire la ffuerre comme nous la faisions... Rien
n'était prévu, rien n'était préparé, pénurie de généraux,
aucun ensemble dans les mesures. JJ Et un témoin qui
recueille les propos : <<Les officiers de tout grade... mau-
dissent hautement cette guerre, se déclarent complètement
battus, désespèrellt de la possibilité de faire un pas en avant,
et disenl à qui veut l'entendre que, coûte que coûte, il faut
faire la paix. " Ajoutez les cabales toujours menaçantes. Les
mécontents blâment l'empereur et lui opposent l'héritier
présomptif, Ie grand-due Constantin, cc son patriotisme, sa
noblesse. .. JJ On colporte un mot étrange de ce prince à sûn
frère : u Que l'armée voulait la paix et qu'il devait se rap-
peler Ie sort de son père I,.. s, Quelques vieux Busses seuls
I Voir la lettre de Joseph de Maistre à Saint-Réal, 1.0 juillet 1807. Lettre. eC
opuaeule., t. I.
I Le comte Kottlchoubey au due de Richelicu, !2 juillet; rapport de Harden-
berg, 23 juin 1807. R
&B, tV. - MA.RTE
S, t. XIII.
TILSIT. - 180'1.
169
évoquaient l' expérience du pa
é, Ie génie de leur nation, on
ponrrait dire de leur terre, et pressentaient ravenir :
II Qu'est-ce qui peut engageI' l'empereur de vouloir la paix1
Est-ce la crainte que Bona parte n' entre en Russie? Ce serait
précisélnent ce qu'il fallait désirer. Bonaparte se serait
trouvé comme Charles XII... Sans forteresses, sans points
d'appui, entouré en flancs et en dos par une nuée de nos
troupes Iégères, lui et son armée seraient morts de taim et
obligés de se rendre à discrétion... Si Pierre Ie Grand eût
fail la paix après la perte de la batail1e de Narva, où la senle
armée qu'il eût alors fut complètelnent anéantie, la Russie
aurait-elle fait ce qu'il fit d'elle I? J)
Alexandre n'était pas spontanément l'homme de ces inspi-
rations désespérées. Son génie n'avait rien de populaire;
mais si. effaré qu'il parût l'instant d'après la défaite, la poli-
tique reprcn3it toujours chez lui, et promptement, Ie dessus;
il se relcvait aux ßTands partis, aussi pÞ.nétrant diplomate.
de telnpérament et d'instinct, qu'il était peu militaire. Son
armée réclamait la paix; il jugea que la paix pourrait non
seulement Ie sauveI' dans Ie pré
ent, mais lui ménager, dans
I'avenir, de singuliers rctours. Sa conscience, d'ailleurs,
aussi ingénieuse que son imagination, Ie rassurait sur ses
engagements: n J'ai fait tout ce qui était humainement pos-
sible i. " II se rappelait, à propos, la casuistique et les
doléances de Frédéric-Guillaume après Austerlitz, et il se
trouva pleinernent en droit de profiter CI des propositions
que, pendant cette guerre, rempereur des Français lui avait
fait parvenir à diverses reprises" .
II décida, Ie 16 juin, de se retireI' à Tauroggen où il invite-
rait Ie roj de Prusse à Ie rejoindre: It II m' est cruel de perdre
jusqu'à l'espoir de vous êt.re utile autant que mon cæur l'avait
désiré. " Et il envoya Ie prince Lobanof à Bennigsen qui
devait n l'envoyer chez Bonaparte", avec cette instruction :,
I Lettre de 'V oronzof, 14 juillet 1807.
· tnstructions à Tolstoy, septcmhre 1807. - Voir cí-dcs8uI, p. 32, 4t. _
Lettre au roi de Prusse. 16 juin 1807. RAILLEU.
If 0
L'A,LLIANCE RUSSE. - 180"/
. Tåcher de conclurc un armistice d'un mois; ne pas proposer
de négociations sur la paix; mais si les Français venaient à
exprimer les premiers Ie désir de mettre fin à In guerre, leur .
répondre que I'empereur Alexandre désire aussi la pacifica-
tion. Ð Lobanof trouva Ie vieux reitre relnis de son alerte. II
avait arrêté les fuyards. II estimait sa perte à 10,000 hommes
seulement. L'armée se remonterait vite: (( Demain, elle se bat-
trait avec Ie même courage... Nos renforts nous mettront
sous peu en état de devenir plus redoutables que jamais à
Bonaparte 1... " II s'aperçut vite, à Ia eourbature qu'iIs en
ressentaient, que les Français en avaient gardé bonne opi-
nion. Lobanof se rendit au camp français et vit Berthier,
øprès quoi Napoléon dépêcha Duroe près de Bennigsen t. lis
traitèrent de l'armistiee, eherehant à s'éblouir I'un l'autre.
. V otre rnaitre, dit Bennigsen, désire traiter non seulement
de l'armistiee, mais encore de Ia paix. Soit! Néffoeions-Ia et
battons-nous en attendant. Nous sommes prêts à tout, plutôt
que de eonsentir à des conditions humiliantes. " Duroe insi-
nua, soulignant son insinuation, Ie désir qu'avait Napoléon
d'un rapprochement personnel avec I'empereur Alexandre. Ben-
nigsen en profita pour améIiorer l'armistiee. Le grand-due
Constantin partit aussitôt pour en informer son frère. (( Pour
Dieu! éerivait-on du quartier général au ministre des affaires
étrangères, Budberg, ne perdez pas de temps. La preuve que
Bonapnrte veut la paix, e'est l'envoi même de Duroe, à minuit. 1)
Le ffrand-due trouva Ie tsar, Ie 20 juin, à SehaweI.
Alexandre ne perdit pas une heure. Le grand-due repartit
aussitôt avec des pouvoirs pour Lobanof. C'étaient Ies mêmes
que eeux qui avaient été donnés à Oubril, en 1806; ils per-
mettaient au négociateur de tout entendre, de tout entamer,
et au souverain. de désavouer tout. Comme Ie grand-due par-
tait, arrivèrent Frédéric-Guillaume et Hardenberg'. Con-
I Rapport du !1 juin t807.
t TATISTCH
F, d'après le
rnémoire. de Bennig5eD.
· Mémoire.-: de Hm-dcnher!/t t. III, p.
58
t .uiv. - BardeRh." 1 etei8.
to juillet j rapportl de Hardt'nberc, !1-28 juin. Runt..
TILSI1. -- 180'1.
111
vaincu de l'imminellce de la paix, obsédé de la pensée
qu 'Alexandre cc de protecteur de I'Europe, va dcvenir l'ins-
trument passif des vues de Napoléon " , Hardenberg élaborait,
durant la route, un beau plan de pacification dont Ia Prusse
se donnerait Ie;; honneurs avec quelques bénéfìces, pour son
honnête courtage ; ce serait tout bOlluement un partage de Ia
Turquie, qui conte.nterait tout Ie monde : la France prendrait
la Thessalie, Néffrepont, Ia l\lorée, Candie, l'Archipel; rAn-
gleterre aurait l'Égypte; Ia Russie, la Moldavie et un mor-
ceau de la Valachie; I'.Autriche, la Dalmatie, Ia Bosnie, la
Serbie, la Valachie jusqu'à l'Aluta; Ie roi de Naples, Ies Sept
lies; Ie roi de Sardaigne, la l\lacédoine; Ia Prusse abandonne-
rait son lot dans Ie troisièlne partage de Ia Pologne et l'on en
ferait un royaume pour Ie roi de Saxe; elle céderait à Napo-
léon ses provinces de Weslphalie, ct s'inoenlniserait avec la
Saxe, Bamberg, "'"'íirzburrr, Brême, Lubeck, Hambourg et la
6uzeraineté d'une Confédération du nord de I'Allemagne.
A peine descendu de voiture et les elnbrassades des souve-
rains achevécs, Hardenberg épancha sa cc médiation II dans Ie
sein des Busses, qui l' écoutèrent sans sourciller et l' engagèrent
à coucher ses idées sur Ie papier. Au moment de se remettre
en route pour Tauroggen, Ie 22 juin, Alexandre reçut un
courrier de Lobanof : l'armistice avait été signé Ia veille à
Tilsit; Napoléon s'y enffageait à négocier In paix u dans Ie plus
court déIai) J). II avait invité Lobanof à diner, et lui mon-
trant sur la carte Ie cours de la Vistule : u V oici la limite
entre les deux empires. D'un côté doit régner votre souve-
rain, moi de l'autre. J) - cc Napoléon était très gai et très
causant; iI me répéta à plusieurs reprises qu'il a toujours été
dévoué à Votre
lajesté et qu'il la tenait en haute estime,
que l'alliance était commandée par l'intérêt des deux puis-
sance s I... 1J
Sur ce propos, l'imagination d'Alexandre s'emporte dan.
les espaces, et du désintéressemellt dont naguère il tirait
I 21 juin 1.807. DE CLEncQ, t. II.
t Rapport d. Lob.nof. )!iUTßfi..
171
I..'AT-4LIANCE RU
SE. - 180T.
tant de yanité, de l'
uvre de restauration qu'il tenait à si
grand honneur, il dérive, sans transition, vel'S les dérncmbre-
ments, indemnités et partagcs. Parti en guerre pour reconsti-
tuer I'Enrope sons la suprématie russe, il s'arrête sur l'idée
de constituer cette suprématie aux dépens de l'Europe. Et Ie
yoilà, Ie crayon à la main, qui projette dans Ie grand, à la
Napoléon. II accorde à Napoléon la reconnaissance et la
garantie du Grand Empire et de ses annexes 1, il rompt la
coalition; en réciprocité, il demnnde Ia restitution du l\lecl<-
Iembourg, CI quelques inden1nités pour les rois d
Naples ct
de Sardairrne " , la re
tauration de la Prusse au moins jusqn'à
I'Elbe. II prendrait volonlÌers la rive droite de la Vistule, mais
il entendrait la compenser au roi de Pru
se. (( Con1ment?
La Bohême. " Et pour prétexte : (( Duplicité av
c laquel1e
I'Autriche a RffÌ envers Ja Russie comme cnvers la France. II
II s'accommoclera volonticrs ayec Ies Turcs, SOlIS la Inl
dÌation
de la France. II ne fermerait pas ses ports nux Anglais; mais
il reprendrait, avec la Suède et le Danemark, la Ligue des
neutres. Quant à une alliance, il en ajournera l'idée. n Tâcher,
de cette manière, que Bonaparte s'explique plus clairement
sur la Turquie. Ceci pour aDlener Ia conversation sur Ie réta-
blissement des empires d'Orient et d'Occident. QueUes
seraient, dans ce cas, les Iimites des deux empires? >>
Arrêtons- nous à cette première esquisse des vues
d'Alexandre. En cette méditation, Ie long de la route mono-
tone de ScÌlaweI à TauroßGcn
c'est Ie prohlèIne de l'aUiance
russe et de ses mécomptes qui se pose: - avant de con-
cJure l'allinnce, s'expliquer sur les limites de l'empire
d'Orient, du côté russe; c'est ici Constantinople sous-entendu,
c' est Varsovie et Ia rive droite de Ia Vistule hautement
récJarnées; c'est Ia Prusse indemnisée, c'est...à-dire demeu-
rant sons la suzeraineté russe; c'est enfin, au lieu du bloCU8
qui ruinerait la Russie, la Ligue des neutres qui relèverait son
prestige maritilne. On verra que ces prétentions furent préci.-
· J.lemorantlum. - Sgeiiti tl' lai$foire Jø lI.ussie, t. LXXXIX.
TILSIT. - t807.
111
sément celles qui, l'alliance cODcIue en principe, en iuspen-
dirent les effets et, prolnptement, y substituèrent la rivalité,
puislaguerre. Telleétait, avantmêmel'entrevue, telledemeura
]a pensée de derrière la tête chez Alexandre, un des hommei
les plus suivis qu'il y ait eus, malgré tous les méandres de sa
politique, les échappelnents de sa fantaisie, les surprises de
ses effusions, Ie miroitement fallacieux de ses beaux regards
hUInides, et l'exquise fourberie de son sourire.
Ses ministres ne délnêlèrent jamais ce jeu très subtil qu'il
menait, d'intuition plutôt que de conseil, et sans peut-être
l'analyser lui-même; ils Ie retenaient sur la pente, iIs Ie pres-
saient de précautions 1. l\Iais Alexandre ne les écoutait point.
Ce jeune homnle perplexe dans la guerre et qui semblait,
dans les affaires, marcher ainsi que dans un rêve, avançait
avec une étrange assurance vel's une rencontre faite pour
troubler, semblait-il, les politiques les plus expérimentés et
les plus résolus. C'est qu'il se sentait porté sur,son théâtre; la
pensée de tout régler avec Napoléon, sans ministres, sanl
témoins, entre n1aÎtres du monde, exaltait son immense
ambition, jusque-Ià contenue; il s'y ajoutait cette curiosité,
cette caresse d'anlour-propre, cette vocation d'artiste qui
tient enfin son rôle de charmeur; ce fonds de coquetterie
féminine, voilée de timidité, et qui Ie rendait si attrayant
et si dangereux. 1:Tn seuI scrupule l'arrêtait, qui l'arrêta
plus d'une fois, mais qu'il sut toujours écarter, convaincu
de l'approbation finale : la pensée de sa mère, redoutée,
vénérée 2, clont il connaissait l'horreur pour la France, sa
révolution el son en1pereuf corse. 11 avait près de lui un des
confidcnts de cette princesse, I{ourakine; il lui fit écrire 3 :
" Au n1Ïlicu des aU{Joisses, nous voilà transporté dans la plus
grande joie... Le sang ne conIera plus... Le ciel nous accorde
sa bénédictioll et cette faveur dans l' époque la plus critique
I BUDBERC, Quelques idée.f qui nourraient t,.ouver place dalls les in.
lructi01I$
du ntfqociateur rus.!Ie. - Société d'hi!tloire de Russie, t. 89. - TATISTClfEF. _
M.AOTENS.
I Voir t. VI. p. 137.
S Kourakine à l'impératrice-mère, 22 j1.lin. TATISTCBEF.
1'14
L'ÂLLIA
CE RUSSE. - 1107.
où se so it jamais trouvée la Russie... Qu'aviolls-nou8 å lui
opposer? Les débris d'une grande arlnée découraffée par
tout ce que les ffénéraux Iui ont fait souffrir; une désorgani-
salion parfaite dans nos rnoyens; aucun espoir de succès... "
En 1807, à l'instant de tenter l'aventure, il n'aurait pas osé
s'en expliquer; mais l'affaire menée à ses fins, il Ie 6.t et en
des termes qui se passent de commentaires. On en peut
éclairer la suite de cette histoire, car ce fut désormais Ie
grand secret d'Alexandre : (( Après Ia malheureusc lutte que
nous aVOIlS soutenue contre la France, elle est restée Ia plus
forte entre Ies trois pui;;sances du continent encore existantes,
et telle par sa position, par ses moycns, å pouvoir trioInpher
non seulement de chacune d'eUes séparélTICnt, mais de toutes
les deux réunies ensemble. N' était-il pas de l'intérêt de Ia
Russie d'être bien avec ce colosse redoutable, avec ce senl
ennemi vraiment danffereux que Ia Russie peut avoir. Il faut
que la France puisse crolre que son inté7"êt peut s' allier alJec celui
de La Russie... dès qu'elle n'aura plus cette cro)Tance, eUe ne
verra plus dans la Russie qu 'un ennemi qu'il sera de son
intérêt de tâcher de détruire 1. .. >>
Le 23 juin, à Tauroffgen, il reçut Lobanòf, qui lui apportait
I'armistice et lui donna Ie détail de ses conversations avec
Berlhier, Duroc, Napoléon. Alexandre n'hésita pas à prendre
les devants. II ratifia l'armisticc et remit à Lobanof une
instruction, minutée au cra)Ton, de sa main. Ilia faut rappro-
cher des instructions à Novossiltsof, du traité d'avril 1805,
des lettres au roi de Prusse, des serments d-e Pots(lam, tont
récelnmenl renouvelés à Bnrtenstcin, rour apprécier Ia flui.
dité de ces sern1cnts d'AJexandrc et sa mervcilleasc souplesse
à se démentir lui-:nême et sans transition, par de nouveaux
engagelnents. Depuis son avènement, il ne sonrrcait qu'à
exterminer Ie monslre,. depuis trois jours il ne sonffe pIlls qu'à
ramadouer, et il présente cette pensée qui l'ahsorbe, conIIne
celIe 'de toute sa vie passée. "Vous exprin1erez à relnpereur
I A l'impératrice m;'re, été 1803. :r\,T4RTF."-S, - Voir ci-aprèa, Erfurt, p. 51f.
TILSIT. - iS07.
111
Napoléon>> - ces sel1ls mots étaient toute une révolution dans
la politique russe 1 - (( combien je suis sensible à tout ce qu 11
ro'a fait Jire par volre organe. VOUS Iui direz que cette union
entre la France et la Bussie a été constanlnlent r objet de mes
désirs i et que je porte la conviction qu'elle seuIe peut assurer
Ie bonheur et la tranquillité du globe. Un système entière-
ment nouveau doit remplaeer celui qui a exislé jusqu'ici, et
je me flatte que nous nous entendrons facilement avec rem...
pereur .8apoléon pourvu que nous traitions sans intermé...
diaires. Vne paix durable peut être conelue entre nous, en peu
de jours... JJ
Napoléon aurail dicté celte Iettre qu'il ne l'eût point
conçue autrerncnl. II désirait cette entrevue, mais il hésitait
à la proposer directcment et il n'y pensait point sans quelque
appréhension. Qu'était cel Alexandre qu'on disait insaisis-
sable? Le connaîtrait-il tel qu'il r avait représenté dans ses
Bulletins, "jcune prince que tant de vcrtus appelaicnt à êtr
Ie consolateur de rEurope a )), mais préSolnptueux, mais
ingénu, mais infatué, circonvenu par une (( trentaine de frelu-
qucts 1) soldés par I'Anß"lcterre, exalté par Ia belle reine de
Prusse, endoctriné par Ie Suisse La Harpe, ballotté entre
l'anlazone et l'idéologue, un adolescent à fascillcr? Une âme
molle, flexible; une vanité à flatter; une fClnme à séduire par
des paroles, des caresses, des joyaux? Un homme, peut-être
un énlule, un associé, l'allié, jusque-Ià introuvable et néces-
saire contre l'Anglais? QueUe partie à engaffer, quel person-
nage, sur quel théàtre et dans queUe perspcctive : I'Orient,
I'Occidenl, I'Asie, l'immensité des océans! II en spéculait en
bomme habitué à (I jouer Ia traffédie sur Ie trône.& " ; mais it
se préparait à la rencontre, l' esprit tout plein de Corneille,
de ses ralsonnements coneluants, de ses répliques péremp-
1 Voir ci-delsu8, p. 7
. - Cf. t. VI, p. 503.
! II avait écrit cJ'abord : . V ous lui direz que je me livre avec charme å ('es-
poir que mOD systeme favori, celui que j'ai désiré depuis Ii longtemp.... _ I
TAlISTr.UEF, p. 149.
· XXX" Bulletin, 8 décembre t 805.
e Convenation avec Talma. DAMAS-HnuI\D.
17.
LtA.LLIA:NCE RUSSE. - t 80'1.
toires, et iI allait frôIer une âme qui Iui devait toUjOUl"ti
demeurer impénétrable, l'âme d'un monde qu'il ne soupçonna
jalnais, une àme de Shakespeare.
II disposa Ie matériel et Ie décor de l'entrevue avec cet art
de mise en scène où il excellait. Tout s'y succéda en actes de
drame, s'y groupa en tableaux d'histoire. Un radeau avait
été lancé sur Ie Niémen, arrêté sur Ie courant des eaux, fortes
et lentes, entre les rives aplaties. On y avait dressé une tente.
Le 25 juin, vers onze heures du matin, les empereurs arri..
vèrent chacun sur la rive qu'occupaient leurs arn1ées; ils
s'embnrquèrent en même temps. Napoléon s'aCCOlTIlnoda de
façon à débarquer Ie premier et vint recevoir Alexandre.
lis s'embrassèrent et entrèrent sous la tente. On raconte que
les premières paroles d 'Alexandre furent: "J e hais les Anglais
autant que vous, et je serai votre second contre eux. " Napo-
léon aurait répondu: (c Dans ce cas tout peut s'arranger, la
paix est faite. "Et après s'être emporté contre les Anglais, les
Prussiens, les Autrichiens: R La France et la Russie, une fois
d'accord, eUes pourront maitriser Ie monde. " Alexandre
plaid a la cause du roi de Prusse; tout ce qu'il put obtcnir, ce
fut que Napoléon Ie recevrait et consentirait un armistice,
sans exiger la remise des places. L'entretien dura près de
deux heures. Napoléon parla de I'Orient, mais sans rien pro-
mettre, sans rien préciser. lis se charlnèrent l'un I'autre.
Alexandre, caressant, se plut à paraitre ébloui du génie,
de la magnanimité de l'elnpereur, transporté sur Ia mon-
tagne et pris de quelque vertige.
Les préventions se dissipèrent : Ie monstre rentrait ses
griffes, Ie monstre voulait séduire. Ie monstre voulait qu'on
l'admirât. Alexandre ne Iui ménagea point l'admiration, l'ex-
primant en lermes exaltés, auxquels son air de jeunesse, la
douceur de sa voix ajoutaient je ne sais quoi de touchant : il
paraissait comme illuminé par sa propre défaite. II sentit que
Ie charme agissait, et il ne laissa pas d'en éprouver quelque
fierté qui Ie releva devant Iui-même. lis sortirent dU bras run
de l'
ut
e; A lexandre reconduisit Napoléon à son canot; ils sa
TILSIT. - 1807.
Irt
dirent au revoir, et rentrèrent chez eux, ravis I'un de I'autre.
Us s'étaient illusionnés à l'envi; mais Ie plus illusionné des
deux ne fut pas Ie tsar de Russie. " Heureusement, écrivit
Alexandre à sa mère, que Donaparte avec tout son génie a Ull
côté vulnérable : c'est la vanité, et je me suis décidé de faire
Ie sacrifice de mon amour-propre pour Ie salut de l'empil'c. ).
Napoléon qui se méfìait, et avec tant de raison, des felnrnes
politiques, des Cléopâtre et des Armide, s'était laissé sur..
prendre à la plus enfantille des coquetteries : l'ingénuité, la
confusion, la fascination de...ant sa personne. lC C'est un héros
de roman, dit-il... II a toutes Ies manières d'un des hommes
ailnables de Paris. " --- " C'est un fort beau, bon et jeune
empereur; iI a de I'esprit plus que l'OD ne pense communé-
ment 1... w
II se trompa moins sur Ie roi de Prusse, mais iI Ie jugea
trop sur la détresse où ill'avait réduit et avec trop de mépris,
pour l'avoir atterré à ses pieds. Ce pauvre roi à la suite avait
8ccompaffné Ie tsar et il attendait, à cheval, sur la rive, au
milieu de l' e
corte. II vit de loin les accolades; il put, au
retour de la barque, observer la joie sur les visages, Ia con-
trainte avec lui, et deviner son dernier désastre : Ie refroi-
dissement de l'amitié, l"abandon, la gène et l'amertume du
convive, admis par pitié, au banquet des noces nouvelles. La
soirmême i1 eut son armistice. Le 26, Alexandre l'emmena
sur Ie radeau du Niémen, et tâcha de Ie réconcilier avec Napo..
léon. Napoléon récrilnina, hautain, d'un silence redoutabIe sur
les articles de la paix, menaçant pour Hardenberg dont il ne
voulait plus entendre parler : " II m'a offensé, moi et Ia
nation française... J'avoue que je suis vindicatif! n Le roi de
!)russe ne savait quel ministre appeler. Napoléon prononça
les noms de Zastrow, Schulenburg, Stein qu'il croyait un
bon ALlernand, un employé laborieux et discipliné, à la façon
de ses prop res rninistres, en France, un Mollien, un Gaudin,
un Daru qui épargnerait et ferait rentrer )es contributions,
I Letlre du comte de Bray, 20 juillet 1807; à Joséphine, 25 juin 1807. -
GOURGAUD.
VII.
l
ty.
L'ALLIANCE RUSSE. -. 1801.
Puis it invita Alexandre à diner, devant Frédéric-Guillaume,
sans inviter ce prInce. II Ie trouvait piteux. "Tout jusqu 'au
80slume bizarre qu'avait adopLé Ie roi de Prusse, une espèce
d 'habit ilIa housarde avec Ull shako et des moustaches poin-
tues, son maintien, tout enfin I'a prévenu contre ce malheu-
reux prince" , écrit un diplomate. (c C' est un homme entière-
ment borné, clisait-il, saIl8 caractère et sans Inoyens, un vrai
benêl... un balourd... un ennuyeux... I 11
Alexandre s'installa dans Tilsit qui fut neutralisé. II y eut
deux vilIes, Ia frallçaise et la russe. Dès lors les deux empe-
reurs ne se quittèrcnt plus, paradant devant leurs tcoupes, se
donllant en spectacle à leurs armées, se donnant Ie spectacle
de leurs armées; puis, Ie soir, se retrouvant et s'isolant en de
longues conversations où Napoléon déployait toute sa magie
et Alexandre tout son enchantement. lIs s'accordèrent, à
l'envi, pour ne parl
r qu'au futur de ce qui les pourrait
diviser, la Pologne, et en parler Ie moins possible. lIs ne
pouvaient s'entendre que sur une hypothèse : Ie partage de
l'empire turc. Napoléon y aurait trouvé quelques embarras
Ii Ie courrier de Constantinople n'eût annoncé, fort à propos,
Ie renvcrsement de Sélim, une révolution de palais, les symp-
tômes d'une dissolution prochaine. II en prit acte pour
déclarer rompues toutes les attaches; il déploya la carte, il
ouvrit Ie cOlnpas, mais sans rien dessiner. II se flattait encore
de brouiller à jamais la Prusse et la Russie. II offrit au tsar des
indemnités aux dépens de la Prusse, la ligne de la Vistule.
1l1ais Alexandre refusa, bien qu 'autour de lui plus d'un 1(\
Jésirât. II aimait Ie roi, it souffrait de la peine qu'il Iui cau-
sait; il voulait conserver en Jui un ami parivre dans Ia dépen-
dance, un allié disponible pour l'avenir, et cette vue, comme
les autres, était juste, cOllciliant la politique avec Ie cæur et
ménaß'eant les lendelnains. II entendait tirer de l'entente
avec Napoléon des sûretés contre Napoléon, en attendant les
I IjeUre du comte de Bray, !O juit1et 1807. - GOURCAUD, t. II, p. fOl, !OS,
402,42'... - Cf. TUIÉÐAULT, t. IV, p. 90 : Ie roi de Pru8se, à la promenade, avec
lei deu1 em,pcl CUrl.
TILSIT. - tS07.
t7t
occasions de Ie renverser, bien décidé å ne rendre les grand.
services qu 'après avoir obtenu les grands profits.
Napoléoll attendait les grands services pour procurer les
grands profits. Au fond, une seule pensée commune: abaisser
I'Angleterre; mais cette pensée, fondamentale chez Napoléon,
n'était chez Alexandre qu'une impression fugitive, une sus-
ceptibilité personnelle, que tout, autour de lui, tendait à
atténuer et principalement les passions et les intérêts de son
peuple. On ne saurait reprocher à Napoléon d'avoir manqué de
magnanimité en cette rencontre; on lui reprocherait, à plus
juste titre, d'avoir manqué de prévoyance s'il eût livré I'Orient
à Alexandre sans obtenir de lui l' essentiel en Occident, c' est-
à-dire l'accession au blocus. II n'en eut garde et prit ses pré-
cautions. C'est par l'Orient qu'il tenait Alexandre; s'il ne l'eût
tenu par là, il ne l'eilt point tenu du tout, et tant de milliers
d'hommes sacri6és, Pultusk, Eylau, Friedland n'eussent servi
de rien. Dne carte de Turquie était déployée devant eux.
Alexandre indiquait Constantinople : " Non! se serait écrié
Napoléon! NOll, Constantinople, jamais, car c'est l'empire du
monde! " Et la question fut réservée à l'avenir de l'alliance.
II n'y eut du reste, à Tilsit, ni engagements Jormels, ni
plan détcrm;né de partage, comme, par exemple, en 1782
entre Catherine et I'Empereur Joseph I; tout au plus des vel-
léités, des allusions, dont il ne subsista que des réminis-
cences. ftfais i! se form
durant ces quelques jours une
atmosphère, une optique, un esprit, unst)'le, ou, pour dire plus
vrai, une fantasmagorie et un ja,.gon de Tilsit : des images
fugitives, des mots vagues et flatteurs, mais imprécis, OÙ l' on
mettait et d'où ron ôtait, å sa guise, ce que l'on voulait, pro-
noncés à la corse par l'un, à la russe par l'autre, et, sous ces
accents discordants, les malentendus. Napoléon et Alexandrp,
devaientsouvent, I'heure venue du désenchantement, rappeler
ce style de Tilsit, Ie regretter, Ie réclamer, sans parvenir jamais
à Ie retrouver chez eux-mêmes, à Ie reconnaitre chez autruì..
I Voir t. I,
51J 519.
180
L' A.LLIANCE RUSS!:. - i801.
Fu t-iI, en ces propos d' un abandon si concerté et de Ii
savantes réticences, question de choses plus in times; Napo-
léon laissa-t-il percer quelque impatience de son mariage
stérile, quelque inquiétude sur la succession au Grand Elnpire,'
quelque aspiration ou rêverie dynastique? II se peut, mais ce
fut à mots très couverts, très fuyants, s'il y eut même des
mots; à propos peut-être de Jérôme, fiancé en Wurtemberg,
ce qui permit à Alexandre de soupçonner une allusion à l'une
de ses sæurs? Si Napoléon en insinua, de loin, la pensée,
Alexandre ne la releva point; mais par caresse ou jeu de
fourherie, par prudence autant que par amour de plaire, il
permit, sans rien promettre, de tout espérer de sa reconnais-
sance. Pas une parole, toutefois; rien qu'un sourire impéné-
trablement optimiste, un regard noyé de langueur, qui sem..
blait suivre des nuages d'or. Suhordonner, d'ailleurs, ces
projets à sa reconnaissance, c'était les ajourner à l'infini.
Alexandre n'osait, ni ne voulait, ni ne pouvait disposer de
la main d'une de ses sæurs sans l'aveu de l'impératrice mère,
et cette princesse avait, tout récemment encore, déclaré son
intention u de ne cQnsentir à aucun pro jet de mariage pour
une de ses fiUes que s'il était con6rmé par Ie libre choix de sa
fille... I J) . Napoléon se f1atta gratuitemenfde ce qu'il Iui plut
de croire, et ne s'ell expliqua pas davantaffe, jugeant l'ex-
plicatIon préluaturée et se croyant désormais Ie maître
d'Alexandre.
De I' esprit et du style de Tilsit il ne perça, naturellement,
rien dans les traités. Les deux empereurs en arrêtèrent eux-
mêmes les principales dispositions, dans une note que les pléni-
potentiaires n'eurent qu'à découper en articles. La Prusse y
était cOD1prise. Napoleon disposait d
elle sans l'elltendre, et
Alexandre consentait sans la consulter. Tout étallt arrêté de la
sorte, et Ie roi de Prusse n'ayant plus qu'à recevoir notification
de son sort, Napoléon daigna l'admettre à lui faire sa cour.
I L'impératrice mpre à Alexandre. - AIexandl"e à la reine Louise d-e Prusøe,
15 juillet 1806, à propos d'un projet de mariagc entre fa princcsøc
atherine etle
clue de Ðl'unswi<'k, ménaßé pal' la rcine de
I'us.e. B
lLLEY.
TIJ.JSIT. - 1807.
181
Frédéric-Guillaume s'était installé dans un moulin situé dans
un faubourg de la 'Ville, neutralisé pour la circonstancc.
Une sorte de morgue, avec un
ir de honte et de souffrance,
s'ajoutait à Ia gaucherie naturelle de sa personne longue,
mince et sans grâce. II vivait dans l'angoisse et se sentait
importune Ses conseiHers Ie poussaient à payer de mine, à se
montrer courtisan. fC On s'afflige profondément, lui écrivait
J{alkreuth, de Ia dangereuse froideur de V otre Majesté envers
lui. On s'imagine que V otre Majesté Ie boude... " Et Alexandre
aux confidents de Frédéric-Guillaume : CI Flattez sa vanité;
c' e,st mon loyal intérêt pour votre roi qui me fait vous donneI'
ce cOllseil. I) On ne peut expliquer autrement que par ces
suggestions équivoqlles l' étrange pensée qui vint aUK diplo-
mates prussiens d'appeler la reine Louise à Tilsit. Le roi
plus sensé, plus délicat aussi - il respectait Ia reine - s'y
refusa d'abord. II scntait l'inutilité de la démarche; il en
éprouvait I'humiIiation. II céda cependant.
CelIe qu' on appelait naguère "r enchanteresse J) , celle que
Napoléon s'étajt plu à caricaturer en costume de Bradamante,
était demeurée à !\1:emeI, terro..;sée, malade, dans les tarmes,
dans l'horreur de l'abandon, pire que Ie désastre. Le 25 juin,
Ie jour de l' embrassade sur Ie Niérnen, elle écrivait encore à
. Alexandre : CI Je serais sans espoir si vous n'étiez l'arbitre
de nos destinées. Sans vous, que deviendraient Ie roi, mes
enfants? Je serais l'épouse, la mère la plus infortunée si
j'avais donné Ie jour à ces pauvres créatures pour ne con-
naitre que Ie malheur. Ah! mOD cher cousin, ne nous aban-
donnez pas. Thla santé est un peu dérangée de toutes les inquié-
tudes, ceci est éGal, pourvu que vous et Ie roi résistiez å
tout; je suis un être si peu intéressant, si je succombe
pourvu que Ie roi soit sauvé, que mes enfants aient un sort.. un
avenir... ! 1 JJ Elle se révolta d' abord à l' ordre qu' elle reçut de
I Soixante-trois ans aprps, 100 fils, Guillaume, recevait l'épée d'uo N8pO-
léon, la capitulation de deux armées f.'ançaiøes et se faisait, à VersailJes, courl)l\oe
!mpereur d' AlIemaßne, singulièrement aidé par son neveu Alexand.'e II, ne"GQ
a' Alexandre {er. Mernel et Tilslt étaient loin!
18!
L'ALLIANCE RUSSE. - iS07.
"'
parattre devant Ie vainqueur qui l'avait publiquement insuItée.
Mais elle était femme de grand cæur, ayant, si l'on peut dire,
la coquetterie héroïque. Elle entendait ne se présenter ni en
reine éperdue ni en solliciteuse, ainsi que naguère Ia prin-
cesse de Hatzfcld; éblouir, si elle pouvait s'en flatter encore,
séduire et charmer, mais non apitoyer.
Napoléon en était venu å ses 6ns. II tenait son traité;'
Alexandre avait sacri6é ses amis. II alJait savourer son triom-
phe et l'étaler devant l'univers. II nageait en pleine gloire
classique, "avec cette confÌance qui Iui faisait sentir au fond
de son cæur que tout Iui devait céder, comme à un homme
que sa destinée rendait supérieur aux autres; confiance qu'il
inspirait non seulement å ses chefs, mais encore au moindre
de ses soldats... 1 " II eut un sursant d'orgueil, se rappela Ie
gentillâtre corse, Ie départ pour l'aventure d'Italie. C'élait
peu de chose d'entrer dans les capitales conquises; it allait
recevoir à sa table impériale les monarques vaincus, les reioes
assujetties. Ainsi, trois ans après, son émoi, au moment de
recevoir dans son lit une archiduchesse d'Autriche! II écrivit,
Ie 5 juillet, åJoséphine, la seule capable peut-être de mesurer
les distances et de tout comprendre : cc La be]]e reine de
Prusse doit venir diner avec moi demain. " On lui demandait
à Sainte-llélène à queUe époque de sa vie il s'était senti Ie plus
heureux: n Peut-être que c'est à TiIsit... Je me trouvais victo-
rieux, dictant des lois, ayant des empercurs, des rois pour me
faire la COUf... I "
La reine de Prusse fit une entrée et se rendit à son moulin
en carrosse de gala : parée, en diadème, environnée de
vOiles flottants, avec une toilette de crêpe vaporeuse qui
convenait à S8 grâce languissante I. A peine dcscendue de
voiture, dans l'humble loß'is du roi, on annonça l'cmpereur
des Françnis. Napoléon 1ui rendait, Ie rrcruier, visite. II
affecta, non de déconcerter, ainii que dans sa rencontre
J Dist"ou,.
sur I' histoil'e universelle, part. Ill, chap_ 1'.
! GOU1\CAUD, t. II, p. 55.
· Albert V
D
L, t. I, p. 95.
TILSIT. - 1801.
18
avec
Ime de Staël, mais d'apprivoiser, au contraire, de se
montrer gentilhomme, ne considérRnt en la reine que la jolie
femme pour qui Ia royauté ne devrait être qu'un spectacle de
gala et Ia couronne qu 'un joyau de parure. Ce fut cUe qui
l'étonna. (C Elle me reçut sur un ton tragique, comme Chi-
mène: - Sire! justice! justice!
Iagdebourg! -Elle continua
sur ce ton qui m' embarrassai t fort; eutin, pour la faire
changer, je la priai de s'asseoir; rien ne coupe IDieux uue
scène tragique, car, quand on est assis, on devient comédic I.
Elle portait un superbe collier de perles, je l' en féIicitai :
. Oh! les belles perles! IJ Et de SOIl co:;tume : " Est-ce du
a crêpe on de Ia gaze d'ItaIie? - Parierons-nous de chiffolls t
. sire, dans un moment aussi solenneI? II II la laissa parler
de Magdebourg, de Ia 'Vestphalie : u V ous demandez beau-
coup; mais je vous promets d'y songer. JJ Le soil', après Ie
dîner, Ie tsar et Ie roi s' écartèrent, la laissant seule avec
Napoléon. Elle Ie pressa encore sur Magdebourg, et il se
déroba en galanteries. Sur la cheminée un vase avec des roses;
il en prit une et I'offrit à la reine. Elle retira sa main: "A
condition que ce sera avec
,Iagdebourg. IJ II reprit aussitôt,
sévèrement cette fois : - " Ah ! madame, e'est moi qui offre
la rose, et non pas vous... Magdebourg est une garantie. Je la
garde afin de punir ceux qui pourraient encore deveuir inso-
lents... JJ Elle emportait cependant queIque espérance de I'avoir
adouci. Elle n'avait gagné que son estime. "La reine de
Prusse a dîné R\"eC moi hier, écrit-il Ie 7 juillet à Joséphine.
J'ai eu à IDe défendre de ce qu'elle voulait m'obliger å faire
encore quelques concessions à son mari; mais j'ai été Galant,
et me suis tenu à ma politique. Elle est fort aimable... )) - cc Dne
femme de tête, disait-il plus tard... Elle m'illterrompait sou-
vent... C'est une femme qui a de l'esprit, de la tenue; eHe est
cent fois au-dessus de son mari; eIle ne peut ni l'aimer pi
l'e5timer. L'empereur Alexandre l'a perdue en \805
11 p
U..
- Prend. un siège, Cinna.....
· Une 8cène à la Duchesnoi.... Elle prit la poeitioD d' Agrippi..... _ G0t3Re4tTD,
&. I, p. 203; II, p. 401.
t8
L'ALLIANCE RUSSE. - ISOf.
tiquement, veut-il dire, car il ne )a croyait plus frivole. n Je
crois bien qu'Alexandre n'avait avec la reine qu'une douce
intimité, en tout bien tout honneur... JJ
Le même jour, il avait donné à Talleyrand l' ordre de signer
avec la Russie. La Prusse était démembrée : de dix millions
d'habitants, réduite à cinq. Le soil', la reine de Prusse, en
grande toilette de cour, rouge et or, coiffée d'un turban de
mousseline, se préparait à monter en voiture pour se
rendre å Tilsit OÙ Napoléon l'avait, de nouveau, invitée à
diner. Un billet du roi lui apprit que Ie désastre était con-
sommé : C& Les conditions sont effrayantes. 1J II fallut essuyer
les larmes et venir au diner, déçue, désespérée, abandonnée
par l'allié dont elle avait tant atlendu, traitée en poupée
de cour par l'ennemi qui se jouait de ses supplications. Napo-
léon reprit son badinage. Elle répondit avec esprit. {I Com-
ment, la reine de Prusse porte un turban? Ce n' est pas pour
faire la cour à l' empereur de RU8sie qui est en guerre avec les
Turcs? JJ Le namelouck de Napoléon était derrière eux.
'.C'est plutôt, je crois, répondit la reine, pour faire ma cour à
Roustan. JJ Elle tint son personnage jusqu'à la fin, en artiste
vaillante; eUe Ie joua avec son cæur, avec ses nerfs. Mais ce
qui dut Ia transpercer et la bri
er plus encore que cet effort
perpétuel de repartie, ce fut de voir à cette table de supplice,
en ce salon d'humiliation, l'ami tant adn1Ïré et si méconnais-
sable à ses yeux, un Alexandre qu' elle ne soupçonnait pas,
envers et caricature de l'autre, un sourire libertin épanoui
sur sa 6gure poupine d'archange en bonne fortune, saint
lichel au banquet de Pharaon. n La reine de Prusse est réel-
lelnent charmante, écrivit, Ie lendernain, Napoléon à José-
phine: mais n'en sois point jalouse; je suis une toile cirée sur
laquelle tout cela ne fait que glisser. II m'en coûterait trop
cher pour falre Ie gal ant I. >>
La reine Louise partit de Tilsit, frappée au cæur. Au
moment de monter en voiture elle dit å Duroc qu'elle estimait
I
o.éphino, 8 juillet i8
.r.
TIL
IT. - i80'7.
t85
8ssez: ß Ah! on ro'a cruellement trompée dans cette maison. t'
On a d'elle cette annotation d'une lettre écrite à Alexandre et
qu'elle n'envoya point: "J'ai versé des Iarmes amères en l'écri-
vant; je ne la Iui ai point envoyée. II ne mérite plus de lettres
de ma part, ayant pu me négliger dans un moment... où il
n'y avait pas de souffrances qui me soient restées inconnues... tJ
- u II peut parler de religion, raconte Napoléon; mais il est
bien matérialiste! A Tilsit, fai eu bien des conversations avec
lui là-dessus I ! J)
Le traité entre la France et la Russie, signé Ie " était
double: traité de paix, traité d'alliance
. Le traité de paix
réglaitle sort de la Prusse : cette monarchie entaillée et défì..
gurée réduite à un petit corps en Allemagne, Ie Brandebourg
et la Poméranie, avec deux pinces aIIongées et ouvertes, la
vieille Prusse et 13 Silésie, séparées par la Pologne prussienne,
érigée en duché de Varsovie pour Ie roi de Saxe. La Russie,
toutefois, en prenait un morceau : il fallait qu'elle trempât
dans Ie démembrernent. Elle reconnaissait les royauInes de
Hollande, de Naples, de \Vestphalie, la Confédération du
Rhin, et, d'avance, les- adjonctions qui y seraient faites. Elle
abandonnait Cattaro et les iles Ioniennes et s'engageait à
reconnaître Joseph comme roi de Sicile aussitôt que Ferdi-
nand IV serait indenlnisé de la perle de cette He, par les
Baléares ou Candie. Dans Ie traité d'alliance, rigoureusement
secret, Alexandre prolnit de déclarer la guerre à l' Angleterre
et d'observer Ie blocus continental si I'Angleterre n'acceptait
point sa médiation; en ce cas, Ie Danenlarl<, la Suède etle Por-
tugal seraient, par les deux alliés, sommés de fermer leurs ports
aux AI1fflais et de déclarer la guerre à I'Angleterre. Napoléon
promit sa médiation auprès de la Turquie, et, si cette média-
lion n'aboutissait pas, son alliance contre les Turcs : alors
C( les deux hautes parties contractantes s'entendront pour
soustraire toutes les provinces ottomanes en Europe, la yille
· Lettre de la Reine de Prueae, derniera jour. de juin 1807. BAlLLE
. - COUÞ
OiUD, t. I, p. 529.
· V.um.u, t. I, p. 505. - MAI\TJUiS, t. XIII, p. 309, 3!!.
186
J
A.LLIANCE RUSSE. - i801.
de Constantinople et Ia province de Roumélie exccptées, au
joug et aUK vexations des Turcs 1) .
Les Prussiens n'avaient plus qu'à signer leur capitulation,
ce qu'ils firent Ie 9 juillet I. Dne convention, conelue Ie 12,
stipula que les États prussiens, restitués au roi u par égard
pour Sa l\lajesté l'empereur de Russie I) , sera
nt évacués, Ie
30 août jusqu'à la Vistule, Ie 5 septembre jusqu'à rOder, Ie
ler octobre jusqu'à l'Elbe. La Silésie serait évaeuée à la même
époque; mais cette évacuation était subordonnée C( au cas où
les contributions frappées seraient acquittées 1) , et Ie montant
total de ces contributions restait à évaluer, ce qui relldait
Napoléon maître de rançonner Ia Prusse et d'y faire vivre son
armée aussi lonfftemps qu'ille jugerait utile.
Le deux elllpereur.s se -quittèrent Ie 9 juillet, après force
embrassades et grandes parades d'alliance. De tout ce grand
spectacle de Tilsit, il ne restait qne des bâtons flottants sur Ie
:Niélnen. Toute l'alliance eonsistait en la feuille de véIin,
seellée et páraphée, que chaeun elnportait dans son porte-
feuille. Contre ce simulaere, toutes les réalités de Ia terre,
des mæurs, des instincts, des passions de leurs peuples, la
géographie, l'histoire, tout ce qui avait fait Alexandre empe-
reur de Bussie et Napoléon empereur des Français. Par ce
traité même, ils créent entre eux un obstacle nouveau : Ia
Pologne, qui, ralliée par son souverain nouveau à la Confé-
dération du Rhirì, se transforme en frontière du Grand
EInpire. La Russie et la France se touchellt désormais, et en
se touchant deviennent rivales. Le blocus continental, raison
d'être de l'alliance, la doit rom pre; l'attrait de l'allianee, Ie
partage de l'empire ottoman, Ia doit user.
En apparence, Napoléon touche à l'apogée. Le grand objet
sem ble atteint. Le continent est soumis et Napoléon possède
un allié qui garanti
Ie Grand Empire. lIs ne sont plus que
deux à gouverner Ie continent. Lequel des deux gouvernera
l'autre? Tilsit qui parait tout fixer, au fond, n'arrête rien
! DB CLEaco, t. II, p. !OT, 211.
APRÈS L'ALLIANCE, NAPOLÊON. - i801.
181
C'est un traité pareil à tous les précédents, depuis Campo-
Formio; il pose plus de questions qu'il n' en résout. Comme au
lenden1ain de Campo-Formio, Napoléon peut dire: u De tant
d'ennemis coalisés contre la République naissante, il n'en reste
qu'un. JJ
fais voilà tout ce que la France a gagné à ces dlJ...
ans de guerre et il faut lui répéter comnle en 1797 : "Avant ùe
te livrer au repos, France, tourne tes regards vers I'Angle...
terre! JJ Guerre à mort à I'Angleterre! voilà tout TiIsit, et
pour payer cette guerre, guerre à Ia Turquie; et pour 6nir
cette guerre, guerre contre Ie Portugal réfractaire au blocus;
guerre contre l'Espagne si elle se refuse à contraindre Ie Por-
tugal; guerre contre l' Autriche en6n, car si ron guerroie en
Portugal et en Espagne, l'Autriche, allégée du poids qui
l' écrase, se remettra en armes. Et voilà pourquoi du Rhin au
Danube, à l'Elbe, :1 rOder, Napoléon avait poussé jusqu'å In
Vistule et traité sur Ie Niémen 1
II
Napoléon donne à son retour les apparences d 9 une rentréc
triomphale dans son empire, à travers les royaumes de b3.U-
lieue et les capitales des provinces. En réalité, ce ne sont (IC
propos et mesures de guerre, revues soucieuses des alliés c:t
des cantonnements. A Dresde, Ie 18 juillct, il s'occupe de
constituer Ie d uché de Varsovie et de couronner Ie roi duc 1.
Les Allemands sont à ses pieds. lis entonnent leur Magni-
ficat diplornatique : cc II est venu, écrit run d'eux, ponr
pulvériser les faibIes et susciter la force '. u Aces signes
on reconnait l'élu du SeiGneur: voilà, pour Ie moment, les
vêpres gennaniques. Les Autrichiens en sont aux palinodies.
L de Vincent vient rendre hommage à l' empereur qui I' en-
I Statut dn duché de Varlovie, !2juillet1807. DE CL&i\CO.
I Alvensleben à Schren, 5 juillet 1807. RANKE.
188
L'ÂLLIANCE RUSSE. - 1807.
treprend ausÛtôt sur Ie partage de 18 Turquie. "La nécE:'ssité
m'en fait une loi... mnis ma raison s'y refuse. " Juste ce qu'il
faut pour éveillerà Vienne les soupçons eties convoitises, c'est-
à-dire les éIoigner de la Russie, les rapprocher de Ia France
et les jeteI' à la traverse des projets prématurés d' Alexandre I.
Puis, il entreprend Ie Portugal. Ce royaume sera sommé de
fermer ses ports aux Anglais; it refusera, it sera délnen1bré.
u U ne armée de 20,000 Français se rendra å Bayonne, Ie
}8f septeInbre, pour se réunir à l'armée espagnole et conquérir
Ie Portugal i. )J C'est une expédition projetée par Ie Comité de
Salut public comme une des conditions de la conquête des
limites et Ie moyen d'y soumettre l'Angleterre. II a faUu
pousser jusqu'au Niémen pour refIuer, de là, sur Ie Taß'e et
rendre possible ce qui avait été tenté vainement en 180], ce
qui, dès 1795, paraissait déjà nécessaire I. Le 12 août, l'ulti-
matufil est déclaré à Lisbonne. Le 8 septen1bre, Napoléon
met Ie régent en demeure "de choisir entre Ie continent et
les insulaires" ; il invite Charles IV à Ie seconder dans l'entre-
prise: (( avant tout ar
acher Ie Portugal à l'influence anglaise" .
Le blocus ainsi établi dans la péninsule espagnole, iI l'ins-
talle dans l'italienne. Là, c'est Ie Pape qui mène la résistance.
Napoléon l'avait ajourné jusqu'à sa victoire nouvelle: L'heure
est venue. Depuis qu'il a conféré avec Ie tsar, l'autocrate et Ie
chef de rÉglise orthodoxe, Napoléon ne connaît plus de frein
à sa superbe impériale. II mélallge Dioc)étien et Ivan Ie Ter-
rible, Charlemagne et Pierre Ie Grand; mais c'est un Charle-
magne qui a Iu Voltaire, c' est un Dioclétien inspiré de Danton,
et, par d'étranges retours, il remonte de son chef-d'æuvre de
jeunesse et de s8gesse, Ie Concordat, vers Ia plus abusive des
aberrations révolutionnaires : la constitution civile du clergé'l
avec tous les conflits, toutes les rigueurs qui s' ensuivirent.f..
I Rapport de Vincent, p. 93. BEER.
· A Talleyrand, 19 juillet 1807.
· Voir t. IV,p. 266,310; 1. V, p. 28; t. VI, p. i12, 150,175, t77.
.& Je relève dans la Correspondallce eel notes contemporaineø : " Je VOUI
reeommande qu'iJ D'r ait point de réaction dans I'opinion. Parle7. dA Mirabeau
avec éloge.. A Fouché, 20 mai 18
1. Et l'année luivante : "OD doit peindro
.APRÈS L'.A.LLIÂ.MCE, NAPOL:BOl.'Q. - 1807. lSI
II veut en 6nir : comme prince temporel, Ie Pape doit fermer
ses ports aUK Anglais et entrer dans Ie système continental;
comme chef de i'Église, il doit nommer des cardinaux obéis-
sants, sanctionner Ie catéchisme iInpériaI; procurer aux
peuples Ie repos et Ie silence, sinon Ie contentement I. II
adresse à Eugène cette missive pour être, par lui, transmise
à Pie VII: ,,11 Y avait des rois avant qu'il y eftt des papes...
La cour de ROlne prêche la rébellion depuis deux ans... Que
veut faire Pie VII en me dénonçant à ]a chrétienté?
I'excom-
munier? Pense-t-il que les armes tomberont des mains de mea
soldats?.. II en appellera à mes sujets. Que diront-ils? 111
diront comrne moi qu'ils veulent la religion, mais qu'ils fie
veulent rien souffrir d'une puissance étrangère... Le Pape
actuel est trop puissant... Les prêtres ne sont pas faits pour
gouverner... Si l'on vent continuer à troubleI' les affaires de
mes États, je ne reconnaitrai Ie Pape que comme évêque de
Rome... Je ne craindrai pas de réunir les Églises gallicane.
italienl1e, allemande, polonaise, dans un concile pour faire
mes affaires sans pape... C'est la première fois que j'entre en
discussion avec cette prêtraiJle romaine... Ce qui peut sauver
dans un pays peut 8auver dans un autre... J e tiens ma cou-
ronne de Dieu et de la volonté de mes peuples... Je serai tou-
jours Charlemagne pour la cour de Rome, et jarnais Louis Ie
Débonnaire... Si quelqu'un se permet de prêcher Ie trouble
ou l'insurrection, il en sera puni par la justice des lois dont Ie
pouvoir émane aussi de la divinite... >>
Son mépris pour les Prussiens perce par tous les pores. II
dit au comte de Bray, envoyé de Bavière: "C' est une nation
lâche et vaniteuse... sans caractère ni vigueur. Toujours
lea manacrel de Septembre et Jell horreurs de Ja Révolution du même pinceau quo
1'Inquisition et lcs massacres des Seize. II faut avoir loin d'éviter toute réaction
en parlant de la Révolution. Aucun homme ne pouvait s'y oppoler. Le hlâme
n'appartient ni à ceUI (lui ont péri, ni à ceUI qui ont lIurvécu. II o'était pal de
force individuelle capable de c'hanfle.' les éléments et de prévenir leI événement.
qui naissaient de la nature des choses et de. circonetancee. . A Cretet, 12 avril
{80S.
J Sur les cOllflits d'alors, voile D'H.A.USSO
VILLE, t. II, chap. XXVIII. Pril' eM
Rome. -
KFEBVRK. t. IV, chap. X
V
I. -
190
L'ALLIANCE BUSSE.
1801.
b1ttue et toujours insolente. C'est une mauvaise nation. lIs
cOlnmencent déjà à Berlin à faire des sottises; mais je s
is
décidé à ne plus leur en passer I. >> Rentré Ie 27 juillet à
Saint-Cloud, il reçoit les grands corps Ie 2 ao1it. S'arrêlant
devaut Sieyès I : (& Que dites-vous de la Prusse et de votre
Haugwitz? Je n'ai pas trouvé de Prussiens. Quel peuple, quel
rays, quel gouvernement! J'ai tóujours admiré Frédéric II ;
jc l'admire doublement, depuis que j'ai vu à l'æuvre les
hommes avec lesquel:s il a résisté auxAutrichiens, aUK Français,
aux Russes. Cela me fait croire aux miracles. JJ Puis au nonce,
en italien : " On me forcera à vous mettre à l' ordre, el alors
je vous serrerai tellement que je vous réduirai à la besace. >>
Quant à I'Autriche, il compte sur Alexandre pour la con-
traindre à entrer dans Ie système. II écrit à Savary qu'il a
envoyé, dès Ie 13 juillet, à Pétersbourg: "II faut fermer aux
Anglais tous les ports, même ceux de l' Autriche. faire chasser
tous les ministres anglais et même faire arrêter ces individus.
Si l' empereur est de eet avis, nous ferons ensemble une décla-
ration à I'Autriche, qui sera bien obligée de s'y conformer 8. "
Il juge tout possible pour peu qu'Alexandre s'y prête, et
Alexandre doit s'y prêter.
" II parait eroire, écrit !\fetternich, avoir atteint Ie point OÙ
toute mesure ne lui offrirait plus qu'une gêne inutile. JJ Tout
Ie monde Ie trouva changé : engraissé, ramassé, non alourdi,
mais lC Ie buste court et épais, les petites jambes charnues, Ie
teint plolnbé, Ie front chauve, la figure affectant la Inédaille
romaine
JJ . II ne reste plus rien du Corse aux eheveux plats;
du jeune homme énergique, pâle et svelte qui s'élançait, dix
ans avant, à la conquête du monde. Tout en lui, alors, annon-
çait Ie héros; tout en Iui, désormais, dénonce l'empercur. La
métalTIOrphose s' opérait depuis 1804; après eette longue
absence, eUe frappa et parut se révéler. Dès lors, comrnença
1 Lettreø de Bray, Drcsde, !O juillet 1807.
Relation de \1ettprnieh. Mémoi,'e,r;, t. I, p. !95. - ONCKEN.
I A Savary, 26 août, 16 leptembre 1807. - A ChampaBny, 12, !8 août 180T..
, D'ap_l'è! u
eroquie du due D
BROG
E
Souvenir-s, t. I, p. 57.
APRES L' ÂLLIA:NCE, N.A.POLÉON. - i887. i9t
la légende d'un Napoléon différent de Bonaparte, comme
l'elnpire du consulat. Les choses allaient si vite. qu'on se per-
dait à les suivre. On ne tenait plus Ie 61 et l'on trouvait plus
simple de se dire que les choses étaient changées, alors
qu'elles se continuaient, mais en progression toujours plus
rapide. L'immensité de l'empire, jointe å la passion, à Ia
manie du détail, forçait Napoléon å se disperser. Son esprit
parut plus alerte que jamais; rnais il n 'avait plus Ie temps de
contrôIer, à peine se donnait-il celui d'entendre : la précision
du détaillui tenait lieu de contrôle; on Ie trompa désormais
avec précision. II a reçu les empereurs à sa table, défait et
fait des rois. II a mêlé leur sang au sien. II a marié Eugène à
une Bavaroise; il va marier Jérôrne å une princesse de Wur-
temberg. L'idée de fonder une dynastie, personnelle, de sa
descendance directE, gagne dans son esprit. Le petit Napoléon,
Ie fils de Louis, est mort; il a eu lui-même un fils naturel ;
il peut done être père. La pensée du divorce, écartée plus
d'une fois, travaille son esprit et s'y mêle aux combinaisons
politiques, à celIe d'un grand mariage qui consacrerait la
grande alliance.
II vent effacer toutes les cours par Ia splendeur de Ia sienne.
Les Tuileries prennent à Ia fois plus d' éclat et plus d' étiquette.
Les ci-devant nobles y affluent, et de tous les pays réunis, les
AUemands en particulier. Napoléon s'occupe de créer une
noblesse nouvelle; des dues militaires, Ies maréchaux; des
dues civils, les ministres; des majorats, des dotations magni-
6ques I. Nul ne se plaint d'avoir la main forcée, ni de la sentir
trop pleine.
Iais les habiles, ceux qui se piquent (& d'avenir
dans l'esprit ", ménagent à tout événenlent leur évolution.
Talleyrand, qui a été Ie coryphée et Ie chef de 61e du cor-
lège, Ie premier à entendre l'herbe pousser, se montre Ie pre-
Inier à suivre Ie vent contraire '. Au moment OÙ il songe å se
1 I.ettre à Cambacérè., 12 août 1807. - Me8sage au Sénat sur la nécessité de
créer une noblesse,
8 mai 1807. - Décrets du fer mars 1808, concernant Ie.
titres. Voir r:
mond BUlliC : Napo/ion ler, ses institutions, ch. IX.
I Y oir Lectures histerÏtjues 1 Talleyrand e& Ie. mémoire..
lit
L'ÀLLIÂ
CE RUSSE. - 1
07.
détacher de l'empereur, l'empereur se détache de lui. Le
juge-t-il trop indolent, trop clairvoyant, trop répandu, avec
trop d'af6dés partout, patron de trop de clients en France,
client de trop de souverains à r étranger, trop c( Européen II
non de l'Europe d'hier, mais de celle de demain?
II Ie remplace aux relations extérieures et Ie nomme,
par consolation, vice-grand-électeur. II plut à Talleyrand de
voir en celle fructueuse sinécure une disgrâce qui autorisait
l'in6délité. La faute de NapoIéon fut de lui fournir les occasions
de se montrer infidèle. Napoléon, en effet, continua de l'ap-
peler en consultation dans les grandes affaires, par habitude
de son service, goût de son jugemenl; pour Ie compromettre
aussi devant cetle Europe dont Talleyrand affectail de se faire
Ie minislre in parlibus. Talleyrand trouva son intérêl à cette
con.6ance apparente du maître, moyen de conserver son pres-
tige en France, son crédit à l' étranger. II lenait à passer pour
Ie modérateur de Napoléon, c'est-à-dire pour Ie courtier de
la paix future. Mais, en attendant, il demeurait, bon gré mal
gré, I'officieux de Ia conquêle. (I
{. de Talleyrand, écrivait
un diplomate russe, après avoir encouragé toules les entre-
prises de son nlaitre, tant qu'elles lui fournissaient les moyens
d'augmenter sa fortune 1, désirerait maintenant en jouir en
repos; il évite, depuis Ie retour de Tilsit, toutes les vues de
Napoléon qui tendent à troubler la tranquillité de l'Europe I..
Mais ce mécontentement n'éclate que dans son interieur et
vis-à-vis de ses amis, sans pouvoir jamais produire aucun autre
effet. II n'a point assez d'ÎnÐuence pour faire revenir l'elnpe..
reur de ses projets; il a trop d'ambilion et pas assez de carac-
tère pour se refuser à en être l'instrument toutes les fois
, 1 , . ·
qu on eXlge . 1)
Napoléon Iui donna pour successeur Champagny, -qu'il fit
comte, puis duc de Cadore et qu'il jUffea plus complaisant,
J Et tout récemment encore, avec lee Polonais. S!llIiTE-B.EUVE, ,NoutrøQUZ
Lundi$, t. XI. Article Talleynllld.
I Vues de Talleyrand Sur la paix en 1807. Mémoil'es, t. II, p. 13.1.
· Lettre de TI)lstoï, _17 mai t80S.
APRÈS L'ALLIANCE, NAPOLÉON. - 1807. 193
'moins faiseur de plans, plus rédacteur à la consignee Cham-
pagny n'avait point les talents de Talleyrand, ni son imperti-
nence superbe, ni son esprit, ni surtout sa naiðsance qui lui
permettait de se tenir toujours en dehors et au-dessus de son
emploi, quel qu'il fût 1. Mais Champagny appartenait, au
fond, à la même école politique, et, pour autant qu'il sa
permit de penser, on peut croire qu'il pensa comme Talley-
rand et ses an1is, comme les amis de Joseph, comme tant
d'autres, presque tout Ie monde, que Napoléon allait trop
loin, les éreinterait tous, les ruinerait, s'ils. ne prévenaient
Ie désastre au moyen d'une paix modérée. II mourut pair de
France de la monarchie de Juillet. On peut dire qu'ill'était
né : dans l'intervallc, serviteur docile, muet, du maître; mais
inquiet et ne pouvant oublier certains propos plus que com-
prolnettants tenus, cinq ans auparavant, à d'Antraigues, ami
de sa jeunesse, et qui, répétés à l'empereur, eussent singu-
lièrement compromis sa fortune'.
Alexandre devait poser sa médiation å Londres. Napoléon
ne doute pas que cette médiation ne sera écartée. Tandis qu'il
pre
se Ie tsar 3, il met tout en branle pour que Ie refus de Ia
médiation déchaîne aussitôt la lulte formidable et décisive.
Alexandre 3gira dans la Baltique, sur Ie Danemark, sur la
Suècle. Si la Suède décline l'alliance, eUe en portera les con-
séquences, et la Finlande paiera la Bussie de son zèle 4. La
llollande se dérobe toujours : nature molle, Louis ne sait pas
se faire obéir. II J'enverrai, lui écrit Napoléon, des coionnes
mobiles pour confisquer les marchandises anglaises et arrêter
les propriétaires. " Champagny réitère Ia redoutable menace
de Sieyès, en 1795 : u Si les fonctionnaires hollandais conti-
1 Libertin parmi les évêqueø, évêque parmi lea constituants, en mission pendant
la Terreur, constituant sous Ie Directoire, ci-devant homme de cour Bousle Con8ulat
et ci-devant. noMe 80U8 l'empire, prince de l'empire sous Ia Rcstauration, pair
de France en 1814, SOUl Louis-Philippe: toujours chez øoi, tOUjOUfS grand sei-
gneur, tel It etz dans la F.'oude, au Parlement, à Rome, à l'archevêché de Paris,
,et jusque dans sa retraite.
I PIl
GAUD, p. 20r,.. Conversation à Vienne, 21 amit 1802. Cf. tV, p. 362,
· Let.t.'es de septembre 1807. En particulier; 28 øcptembre.
"
A Alexandre, 28 aoûtj à Çchampacny, 7 leptelllbre 1807. LECESTRK.
u. II
iUlt
L'.A.LLI.A
CE R USSE. - 1801.
nualent à agir de la sorte, l'elnpereur, usant du droit de con..
quête, sera contraint de faire régir la Hollallde par une adlni-
nistration française I. tJ
Eu .A.ll('rnagne, il conslitue Ie royaunle de Westphalie, celui
d{. Jérôulc; ce sera une marche de l'empire " modèle aux
nÚnistres ùans rart de gouverner les peaples, exenlple aux
roi8 dans l'obéi8sance aUK lois de l'empire, et à la première
de toutes, Ie blocus.
Ni son goùt, ni sa politique ne sont de hâter la crise en Orient.
II ne se hàte point d'appliquer l'alliance de Tilsit. Conduite å
deux fills : jouer des apparences, ct s'il faut en venir aux
réalités se relldre Ie nlaHre du marché. nien à opérer, en
aucun cas, tant que Ia Uussie n'aura pas déclaré la guerre aux
Anglais et ne les forcera point, par srs Jiver8ions, à évacuer
la
Iéditerranee : autrement, au prernier bruit d'un partage,
les AI1ß'lais, déjà maîtres ùe Gibraltar, òe
Illlte, de Ia Sicile,
oceuperaient I'ÉG)'pte, et Ie lot préféré ùe la France lui échap.
perait. Done, il observe, survciHe, exhoI'te le Turc : Friedland
l'a sauvé d'uue destruction ccrtainc; la nlédiation de l'empe-
reur, << un trait de pluule a fait ce q'be Ie grand vizÎr et tontes
les forces ottolnanes n'auraient pu opérer pendant dix ans de
guerre... Si la Porte accepte la médiation, si elle continue de
se con6er à l'amitié de la France, l'empereur la soutiendra
encore : celte puis
ance aura encore quelques moments de
vl'gélation... l\iais si la Porte fait la paix avec I'Angleterre,
regal'dez-Ia COll1me Ijerdue. L'empereur ne se refusera pas
au projet préseuté depuis Tilsit de partager ses provi
lces, et
son existence politique aura pris fin avec l'année 3... 1J Les
'furcs acceptent. Un armistice est signé Ie 24 août, à Siobodzé,
nléllagé par Ie g-él1éral français Guilleminot et sinffulièrement
fa \'ora.ble aux Tures : les llusses s' enffagent à se retirer au
deià du Dniester, à restituer les vaisseaux conquis par eux;
I I
ttl'e8 à Louis, août-septembre 1807. ROCQUAU'. - Lettre du 29 septem
re.
Dt1CASSE. Cf. t. IV, p. 270, 313.
t Décrete d'invcstiture, 18-19 août {SOl.
·
ßml)aßny à SéLa
liani, 'Z septemvre i8 Q7. - DRIAULT, ch
!I
APRÈS L'ALLIANCE. NAPOL
ON. - 1807. 1
les Principautés vont être évacuées. Cet armistice vaut tine
victoire telle que, depuis longtemps, l
s Turcs n'en connais-
sent plus. Le Divan exulte, i,I bascule du côté des Français :
ltlustapha mande à Napoléon qu'il ferme ses ports å I'Ang'le-
terre.
Conservateur å Constantinople, Napoléon doit jouer Ie
copartageant å Pétersbourg. Ce ne sont que coquetteries J
guirlandes, prévenances et séductions de toutes sortes. Savary
révèle au tsar un com plot contre sa personne : les mauvaises
langues du parti anglais insinuent qu'en policier d'élite
l'holnme de Vincennes a suscité ce complot afìn de Ie mieux
prévenir. Après avoir sauvé la vie d'Alexandre, Savary s'oc-
cupe de Ia distraire. Napoléon a toute fraiche la Inémoire
des soirées de Tilsit : (( II est bien matérialiste! " Les vertus
d'Alcxandre sentaient leur idéologue : vertus tout idéales et
de Iittérature, parfaitement compatibles avec Ie libertinage;
sa sensibilité s'accomlnodait de tous les divertissements des
sens; Ie mysticisme et Ie plaisir se partag-eaient sa vie sans se
contrarier, et si I'abus paraissait quelque part, ce n'était point
du côté de la contelnplation 1. II Les modes pour vos belles
Russes vont être expédiées, écrit l'empereur à Savary..Je veux
me charger des frais... Talleyrand enverra des acteurs et des
actrices i... 1.1 II presse l'action à Londres, ne se pouvant
défendre de quelque inquiétude sur 18 versalité d'Alexandre:
cet enlpereur peut s'échappcr de l'alliance comme il s'y est
jeté s. u Quant à Ia Turquie, mande-t-il à Savary, c'est une
chose qui delnande bien des cOInbinaisons, sur lesquelles il
faut marcher bien doucement. Elle est trop compliquée pour
que vous puissiez connaÎtre lnes intentions... Au reste, it
paraît que cet empire tombe tous les jours. "
1 :\fORIOLLES,
lémoi"es, p. 265. - Le romantÎsme peupla Ie monde de (\eS
archangel! en quête de chutes. "IIi virent que les flUes des hommes étaient belle.
et prircnt pour leurs femmes celles qui leur avaient plu. It
!I 28 septemhre, 9 octobre 1807.
· Lcttres à Alexandre, à Saval'Y, 26 et 28 aoûtj à Champacny, 30 ao'Ût,
7,29 scplembre, t4 octobre IS07.
lU6
LtÅLLIÂ
C& J\UISE. - t101.
III
Alexandre, rentré à Pétersbourg Ie 20 juillet, y avait
été rejoint Ie 23 par Savary. :Napoléon n'avait pas voulu aban-
donneI' SOIl ilnprcssionnabIe allié aux influences du retour. II
avait eu raison. L'hostilité à l'alliance se déclara, infiniment
plus forte et plus active qu'il n'aurait pu Ie soupçonner. Les
pacifiques, Czartoryski, Strogonof, NovossiItsof répudient Ia
paix. Les vieux Russes la qualifient de honteuse. Le grand-
due Constantin, qui la réclamaìt naguère, parce que c'était,
8.utour de Iui, l'opinion des militaires, la réprouve mainte-
nant parce que I' opinion contraire règne à Pétersbourg et å
Moscou. (( J'ai d'abord refusé d'y croire, écrit, de Londres,
s. Woronzof... Je me sens tout à fait avili... Je n'ose pas me
monlrer dans Ie monde... II m'est impossible de supporter
avec fermeté Ie malheur, I'opprobre, l'avilissement et la
chute inévitable de ma malheureuse patrie tombée tout d'un
coup du plus haut de sa gloire et d'une puissance réelIe telle
qu'aucun peuple n' en a jamais possédé... " lIs maud
ðsent la
ø trahisoll exécrable des scélérats qui ont conseillé l'empe-
reur u. L' Angleterre conserve un puissant parti à la cour, Ie
parti des intérêts de l'aristocratie et Ie parti de forgueil russe.
L'ilnpératrice mère en est l'ânle. La France demeure, aux
yeux de ces vieux Russes, I'instrulIlent de la Révolution. lIs
redoutent, non de la voir propager chez les moujiks les Droils
de [' honlme, mais ce qui leur semble infiniment plus
ffroyable,
de la voir rclever les Polonais, en refaire des citoyens, refaire
de la PoloGne une puissance, et enfÌn "réunir les israélites,
dispersés par Ia volonté de Dieu, pour les lancer à l'al-
taque de I'Église chrétienne I 1). La guerre avec l'Angleterre
1 Sur cettc crainte qui put être un instant fondpe, et Bur Ie grand deøsein
aonçn alon par r\apoléoD sur Israël, voir Ie.
lémoires de PaslJuier, t. I, p. 278.
APRÈS L'ALLIANCE, ALEXANDRE. - 1801. 197
ne romprait pas seuJement une alliance traditionneIle; elle
tarirait tes revcnus des nobles, les priverait des objets de
luxe auxqnels ils soot habitués, de thé, de sucre; elle affame-
rait Ie peuplc, elle opprimerait la nation entièrc.
On reproche à Alexandre de s' êlre laissé battre - ce qui
est peu, la Bussie se croyant invincible å Ia longue et Fried-
land passant pour une surprise; - on lui reproche surtout de
s' être laissé abuser. 11 parait amoindri, toujours l'instrumel1t
de quelqu'un ou Ie jouet de quelque chose. II s'est inféodé å
Napoléon. II a humilié la Sainte-Russie devant l'iconoclaste
des rois, Ie briseur de couronnes, l'usurpateur de royaumes.
II a oublié Ie meurtre d'Enghien; il va consommer son assu-
jettissement en expulsant les Bourbons, ses hôtes, réfugiés
sur ses terres 1. Et pourquoi tant de sacrifices? Rien pour la
noblesse. . Je ne donne rien å ces gens-Ià " ,disait Alexandre
à Savary. "Tout ce monde était accoutumé, sous Catherine,
å se battre uniquement pour dépouiller les vaincus. " Or ils
reviennent - ceux qui survivent - éclopés, ruinés, ayant
perdu leurs équipages, leurs chevaux, pour rentrer dans
des domaines hypothéqués. Le noble est déçu; Ie militaire,
humilié. Ajoutez Ia jeunesse, toujours mécontente, agitée en
tous senSe Tout ce moude fronde, cabale, conspire même. C'est
une opposition sourde, mais plus dangereuse que Ie Parlement
hritannique tout enlier. n Nous n'avons, disait plus tard Novos-
siltsof, ni constitution, ni tribune, ni journaux; cependant
it y a une certaine force d
opinion... Si Ie souverain est d'un
tel caractère qu'il ne puisse écouter ni les raisons, ni Ie senti.
ment général, ni les conseils - aIors iI faut bien s'arranger. tJ
Et ron s'était arrangé avec Pierre III, avec son fils. Pour les
mêmes causes, mais avec des prétextes plus apparents, les
propos qui avaient précédé Ie meurtre de Paul recommencent
à circuler. (( N'avez-vous plus chez vous des Pahlen, des
Zoubof, des Bennigsen? JJ Les gens de bonne volonté, les
exaltés, å la main lourde, ne manquaient pas. n Non seule-
I Août 1807. Ernest DÄIJD&T, leI Bourbons et la Bussie. - Sociéti d'Histoi,..
d. Bussie I t. LXXXIX.
198
L' ALLIAlSCE RUSSE. - 1801.
ment dans les conversations particulièl
es, nlais encore dans
les réunions publiques, on parle d'un changemenl de règne 1) ,
écrivait un agent suédois. Et Savary: n Cette classe d'hommes
donnera beaucoup d'occupation à l'en1pereur Alexandre, et les
révolutions de palais sont si faciles ici qu'on ne saurait être
trop sur ses Gardes." Les moines, les popes, récitent, pour Ie
bon peuple, des prières conlre Napoléon. Parmi les lettrés,
des pamphlets anti-français circulent sous Ie rnanteau I.
Dès lors, il y a deux Russies à Pétersbourg et à l\loscou :
In vieille Russie, anti-française, archi-anglaise; celIe des
intérêts, des passions, des traditions, de I'orthodoxie, et c'est
presque tout Ie monde; l'autre, la Bussie oHìcielle et artifi-
cielle, et c'est Ie tsar à peu près seul. Encore cette Bussie
offìcielle est-eUe à double face : l'une souriante, tournée
vers Napoléon; l'autre grave, protectrice, tournée vers sea
ennemls.
A NapoJéon, Alexandre semble dire : II J'attends ! SJ nux
autres : n Attendez! >> II éprouve sans doute quelque décep-
tion, quelque inquiétude à se voir méconnu et menacé dans
son elnpire. II fait bonne contenance, convaincu que son
peuple, quand il connaitra son secret, approuvera toute sa
conduite et admirera rart de ses mesures. Cependant Ie milieu
agit; peu à peu Tilsit se tourne en lui, et it tourne Tilsit depuis
qu'il a remis Ie pied en Bussie 51.
Savary ne s'y trompe point. Alexandre, dès les premiers
jours, commence son jeu de coquetteries, I'invitant à diner,
Ie retenant en de longues causeries, seul à seul, à la prome-
nade; lui con6ant ses embarras, les sacrifices que Iui coûte
l'alliance; protestant de son cæur, de son admiration, de
sa 6délité, mais inclinant aussitôt l'entretien vers les réalités,
c'est-à-dire vers I'Orient. (( L'elnpereur m'a donné, à Tilsit,
I Archives Wororu:
f. Lettres de øeptembl'e 1801. - Joseph de Maistre 1
d' A va ray , 24 juillet 1807.
I II en lera de même de seø séjoure aux connl'èø, en 1818-1823 : Européen à
Aix-la-Chapelle, Troppau, Laybach, V érone, et contre-révolutionnaire partout,
meme en Grèce; à peine échappé à Metternich et rentré à Pétersbourg, anti-turc,
ortbodoxe, philhel1ène.
APRÈS L' ALLI ÃN'CE. ALEXANDRE.
iSOT.
99
des marques d'atte.chement que je n'oublierai jamais.. PIns
j'y pense, plus je suis content de l'avoir vu... C'est un homme
extraordinaire... II a ma parole et je la tiendrai. Avez-vous
quelques instructions? - Non, sire; je n'ai pour com mission
que de faire mes efforts pour êtr
agréahIe à V otre 1\Inj esté. . . -
, ... - ..
L empereur, qUI Juge mlCux que personne, a paru VOIr aussl
que I'empire de Constantinople ne pouvait long-temps encore
occuper une plRce parmi les puissances de I'Europe. Nous
Rvons beaucoup parlé de cela... J'avoue... que lfi position de
la Russie lui fait espérer d'hériter d'une partie de Ia dépouille..
L'empereur a eu Ia bonté de me comprendre là-dessus... Je
m'en rapporte entièrement à lui quand iI croira ce moment
arrivé... Je compte beaucoup sur l'attachement qu'il m'a
témoigné. .. S'iI vous donne des instructions Ià-dessus, noul
en reparJerons... I "
Sorti du palais, Savary n'éprouve que des déboires, presque
des avanies. L'impératrice Inère, forcée de Ie recevoir, Ie
salue froidement, et l'audience dure une minute à peine. II
falJut un ordre exprès du tsar pour faire cesser Ia quarantaine.
I( J 'ni remarqué partout un silence sur les affaires poIitiques
qui tenait de la stupeur. Personne n'osait parler de Tilsit, ni
de Ia paix, ni de la France, ni de I' empereur. " Au con-
traire, les Anglais sont entourés, choyés. Le marquis Douglas
continue de se présenter å Ia Cour, bien qu'il soit remplacé
à l'ambassape par lord Gower. (( lIs sont tous les deux en
commerce d'amitié, fort ouvertement, avec l\ierveldt, l'en-
voyé d'Autriche.. " - II L'ambassadeur d'AnffIeterre est Ie
plus puissant particulier de la Russie après Ie ffrand.duc... Les
Angtais donnent Ie ton ici... Leur ambassadeur est un
potentat... Son départ fera sensation. '_' "
On ne se hâte point de Ie faire partir. CI L'empereur, dit
Budberg à Gower, est bien éIoigné de vouloir se brouiller
avec I'Angleterre. II continue de considérer cette puissance
com me son meilleur allié, et tout ce qui vient de se conclure
I CODver.ationl del 23 et 24 juillet tSOT. V UD1L.
100
L' AL LIA
CE R USSE. - 1801.
avec la France est un ouvrage de nécessité, qui n'aura point
de durée.... Et ce sera Ie cas de toute paix aussi longlernps
que dure. a Ie systètne révolutionnaire en France; les choses
reprendront leur ancienne figure; Ia Russie, l'AngIeterre et
1'Autriche seront de nouveau des alliées. 1) Les mêmes ména-
gements se pratiquent à Londres entre Canning et l'ambas-
sa de russet C'est, en réalité, la contre-partie du jeu de :Napo-
léon å Constantinople; les deux alliés ont la même façon de
comprendre la médiation, qui consiste à ménager, run dans
Ie Turc, l'autre dans l'l\nfflais, un allié d'hier, un alIié de
demain, contre l'allié de Tilsit.
Alexandre avait, dès son retour, notifìé ceUe médiation å
Londres. Conservait-ill'illusion d'éviter la guerre? La réponse
des Anglais lui parvint en double forme, un écrit et un acte :
I'écrit tendait à retarder la rupture, l'acte la précipita.
Les ministres anglais ne croyaient pas à une alliance com-
plète entre Alexandre et Napoléon, et ils comptaient, pour
atténuer les obligations qu 'avait pu contracter Alexandre ou
même pour les annuler, sur Ie puissant parti qu'ils possé-
daient à Pétersbourg. lIs y dépêchèrent, afÌn de renforcer
l'ambassade, un agent officieux, Wilson, qui avait su!vi les
opérations de la guerre à l'
tat-major russe et s'y était placé
en Grande faveur. Le 5 août, Canning répondit à l' ouverture
de médiation. II demandait communication des articles secrets
de Tilsit et des conditions de la paix. Jusque-Ià, il ne pou-
vait donner une réponse plus précise.
Iais les Ininistres
anglais n'attendirent point pour se prémunir contre la consé-
quence la plus redoutable pour eux d'un revirement de la
Russie, c'est-å-dire Ie retour à la ligue de 1780, la Suède et
Ie Danemark coalisés, la Baltique fermée à la suprématie
britannique, cette mer ouverte au comlnerce des neutres et
une flotte de quarallte vaisseaux soutenant Ie principe con-
damné par l'Angleterre que Ie pavillon couvre la marchandise.
lIs résolurent, comme en 1793, de proférer l'anathème, et
de l'appuyer, comme en 1801, d'un exemple terrible. Castle-
rauh annonça au Parlem@nt Ie départ d'une flotte de 23 vais..
APRÈS L'.ALLIANCE, AI..EXANDRE. - iSOT. to!
seaux de 1igne et 500 transports: ceux qu'ils menacent sau-
ront qu'il:; sont menacés quand Ie coup sera porté.
Le 27 août, Alexandre apprit que cette f10tte anglaise s'était
présentée Jevant Elseneur et que Ie plénipotentiaire anglais,
t.L Jakson, avail son1Iné Ie Danemark de rompre avec la
France, de s'allier à l'....\.ngleterre, de placer la Botte danoise
sous Ie cornmandement de l'amiral anglais; sinon Copenhague
serait bOIubardé et brûlé I. Loin de s'émouvoir de cette (( jac-
tance )), Alexandre releva comme une insulte personneIIe
cette c)' llique violation de la neutralité : Ii C' est pour moi,
dit-il à
avary, une occasion de prouver à I' empereur com-
bien je tiens à tout ce que je lui ai promis, et je désire sincè-
rement entrer en communication avec lui sur les mesures
qu'il compte prendre pour réduire cette puissance. tI La
. réponse de Canning arriva Ie 9 septen1bre : Ie mécontente-
ment qu'en ressentit Alexandre permit à Savary de reprendre
du ton. Le tsar annonça Ie prochain départ pour Paris de
Tolstoï, qu'il avait déjà désigné pour cette ambassade. II
changea ses ministres, congédia Budberg et Kotschoubey,
anti-français déclarés, et les rempIaça, aux affaires étrangères
par Roumiantsof. à I'intérieur par Spéranski, lesquels pas-
saient pour favorables à l'al1iance de Tilsit et aux idées fran-
çaises. Sur ces entrefaites, Alexandre reçut l'armistice
Inénagé par Guilleminot t. II se montra fort offensé de l'article
sur Ia restitution des vaisseaux et des trophées. II s'en plaignit
vivement à Savary. (C J e ne puis souscrire à ces articles... J 'ai
d'abord f.1Ïllaver la tête à mOll général... II s'agirait de me
donner une lettre pour ce Guillelninot... afÌn qu'il fasse
revenir les Turcs sur ces deux articles... II a voulu montrer
du zèle... Je ne me soucie pas que ce soit à mes dépens. .
Savary ne put refuser d'écrire à Gui]]eminot. La violence
insolente des Anglais fit à propos diversion à cette colère.
Le 20 septen1bre, Alexandre manda Savary. II avait reçu
I Uapports tle Saint-.4ignan; de Savary, 28 août 1807. - Rapporta d. l..;ilU6-
vitch, Copenhaßue, 11-13 août 1807.
I Voir ci-des;ius, p 194-.
!O!
L'AJ.J..IANCE RUSSE. - 1801.
la nouvelle du bombD.rdement Ie 2 sepf
mbre T
8 ville,
menacée d'une destruction complète, avait capi tulé Ie 7 : ta
flotte était livrée aux Anglais qui s'emparaient ainsi de
18 vaisseaux de ligne, 1 7 frégates et de 43 petits bâtiments.
Jamais Alexandre n'avait paru si décidé : "Si vous croyez
nécessaire aux projets de l' emperèur... que j' éclate sur-Ie-
champ avec I'Angleterre, je suis tout prêt et dès de main je Ie
puis faire... J'ai chargé Ie comte Roumiantsof de faire venir
lord Gower... et j 'ai ordonné qu' on Ie mit au pied du mur...
en lui demandant s'il acceptait aui on non D1a médiation. Uou-
miantsof I'a fortement pressé et it a effectivenlent répondu ct
assez sèchement qu'an ne l'acceptait pas. Je reßarde donc tout
comme 6ni avec cette puissance... Aussitôt la réponse de lord
Gower à la note, il reprendra Ie chemin de Londres... 1. Si
I'empereur voulait en revenir à son expédition de Boulogne,
it aurait Séniavine et mes vinat-deux vaisseaux å sa disposi-
t.ion. Que I'Espagne et la flollande joignent leurs efforts et
hien des choses seront possibles. " La prcmière conséquence
en eût été l'évacuation de la Poloffne, de Ia Prusse, de l'Alle-
magne, un retour au statu quo avant la campagne d'Austerlitz ;
cependant qu'il lancerait Napoléon dans cette aventure,
Alexandre entreprendrnit, å sa guise, In conquête facile de Ia
Finlande et se chargerait des Turcs : c'était, à coup sür, la
façon la plus avantageuse pour lui d'accomplir les ùbligatioIlS
de Tilsit, et de la IO)Tauté placée à gros intérêts.
Tolstoï partit pour Paris, emportant une lettre pour Napo4
léon, du 27 septembre. Ses instructions, en date du 26, for-
ment un véritable traité de politique russe : la justification
et l'interprétation de I'alliance. Deux articles principaux :
l'évacuation de la Prusse par l"armée française et I'extension
de la frontière rusge jusqll '3U Danube. Alexandre ajouta uue
demande de fusils français. "J'ai, dit Roumiantsof å Savary
Ie 4 octobre i, Ie désir de bien servir la Russie et l' emper('ur
1 Roumiant8of à Gower, 23 øeptembre; Gower à Roumiant8of, !4- septembre
{807 : il insiøte POUl' avoir communication de. articles secrete de Tileit
· Rapport de Savary, 9octobre 1807.
APRÈS L'ALLIANCE, ALEXANDRE.
1807.
JOB
Napoléon... .J'ai Ie désir Russi d'aller vite, et je regrette tou-
jours Ie telnps perdu. - Qu'entendez-vous par aller vile? -
C' est au sujet du grand ouvrage que vous connaissez... Entre
nous soit dit, il serait d'un grand intérêt pour nous qu'on
l'entreprît bientôt. Non pas que l'empereur Alexandre veuille
faire aucune conquête, mais parce que l'empire ottoman s'en
va tellement que, même sans aucun secours quelconque, nons
allons être obligés de nous présenter pour recueillir sel
dépouilles... 11 ne peut y avoir de circonstance plus favo-
rable... " L'AngIeterre est occupée : eUe va, dit-on, démenl-
brer Ie Danemark en faveur de la Suède ; l' Autriche n' est pas
en me sure : II ..A.ujourd'hui, eUe n'est rien. "Ce seraitle moyen
de rendre I'alliance populaire. 1& NapoIéon nous a fait changer
de religion en huit jours, nprès une guerre malheureuse qui
ne nous laisse aucun beau côté pour l'histoire, L'on se dit :
mais pourquoi ne prend-on pas aussi quand tout Ie monde
prend? Nous aurions fait au moins une paix honorable.
Croyez bien, général, que si votre empereur aide Ie nôtre et
montre un beau côté à la nation, Ie revirement des esprits se
fera en un instant, et il ne peut qu'y gagner... Pour peu qu'i1
DOUS aide, ses désirs seront devancés ici. >>
Commentaire significatif de ces discours : lord Gower atten-
dait toujours ses passeports. \Vilson arriva Ie 16 octobre,
admirablement reçu par toute la cour, admis dans la famiIia-
rité de l'empereur. II travaille à fond contre la France. "Le
parti anß'lais se cramponne ", écrit Savary. II reçoit lettre
SUI lettre de Napoléon pour Ie tsar. " Quand enverrez-vous un
courrier? " demande Alexandre Ie 25 octobre I. (& Uoe heure
après Ie départ de I'ambassadeur d'Angleterre ", répond
Savary. Alexandre s'exécute, mais if y met Ie prix. Le 31
octobre, sur l'invitation d'Alexandre, Savary confère avec
Roumiantsofl. Wilson, lui dit ce ministre, a fait des insinua-
tions verbales : (& II n'y a rien, aurait-il dit, que Ie Cabinet de
I Napolpon à Alexandre, 26 août, reçue Ie 15 aeptembre: t6 leptembre. reçu.
Ie 10 octohre; 27 septembre, reçue Ie 24octobre t807.
I Rapport de Savary, 4 novembre 1807.
to
L'ALLIANCE RU55E. - 180'1.
Londres ne fasse pour conserver l'amitié de Ia Russie... Nous
sommes résolus de continuer la guerre... Nous soromes décidés
à ne point faire la paix avant d'avoir obtenu en Allemagne
une certaine quantité de pays, comme barrière formidable
entre la France et les autres puissances... Cette barrière,
nous ne voulons la faire reconnaitre que comme agrandis-
sement de la Prusse et de la Bussie... Le bruit public annonce
que vous seriez mis en possession de la Valachie et de la
l\Ioldavie; I'Angleterre Ie verra avec plaisir... Seulement
eUe désire que ce résultat ne soit pas la suite d 'un partage
avec d'autres puissances... " Le tsar, poursuit Roumiantsof,
a écarté ces propositious d'un geste magnanime: cc Voilà une
belle occasion de prouver à l' empereur la sincérité de roes
sentiments... J'attaehe beau coup d'importance à leur (auK
Anglais) ôter tout espoir d'intrigues. Préparez la note et les
passeports de lord Go,ver, de même que la communication au
Sénat... " Napoléon saura ce que I'Angleterre offre au tsar
pour rompre Tilsit; à Napoléon de montrer ce qu'il donnera
pour seeller l'aJIiance. Le 1 er novembre, Alexandre vit Savary:
. Si rempereur veut nous conquérir, lui dit-il - non pas
moi, ma reliß'ion est tout éclairée, mais toute celte im-
mense nation - c'est en nous donnant l'apparence d'un
avantage sur les Turcs... >> Le 4 novembre, Savary put
annone'er la déclaration de la guerre aUK Anglais, la remise
des pa
ep()rts à lord Gower, l' envoi de lettres de rappel à
Alopeus I. Les actes étaient publiés, solcnnellement, dans les
formes; mai:; de eette guerre, que l'hiver rendait peu redou-
table aux Anfflais et peu onéreuse aux Busses, å la cessation
de toutes relutions commerciales et å l'observation riffoureuse
du blocus, il y avait plus d'un degré à franchiI'. Alexandre
s'était n1is en rèa1e avec la lettre du traité de Tilsit; illaissait
à Napoléon Ie soin d'en manifester l'esprit aux yeux des
Russes. En attendant, loin d'exercer sur la Prusse et sur
l'Autriche la pression que réelamait N
poléon, Alexandre
I Roumiantsof à A lopeu8, 7 novembre; décluation ru
.e, 7 novembr.; Dote
pour C.. niDi' Ii D.OVemhr8; ROUiniantiof à Gower, g nov...br. tSOl.
APRÈI L'ALLIANCE, L'AUTRICftJ:. - 1807. 105
ranimait Ie courage défaillant des Prussiena, les exhortait
à vivre, et prêchait aux Autrichiens la patience. " L'amitié et
l'alliance de l'Autriche, écrivait Kourakine, ambassadeur å
Vienne, sont deux poids que la poIitique ne doit jamais
détacher de notre balance, et nos arrangements avec la
France ne nous empêchent pas de noua livrer à ce iyitème. .
IV
Les vues de la Bussie concordaient parfaitement avec celie.
de I'Autriche. 11 suffit à Kourakine d' entr'ouvrir les lèvres pour
que Stadion l'entendît à demi-mot. Vivre et attend,'e devint
In maxime de ce ministre. C'était aussi Ie conseil que, de son
observatoire de Paris, l\leUernich envoyait à François II : sa
réffler sur l'exemple de la cour impériale, de Talleyrand, de
f"ouché, de tant de maréchaux et de grands dignitaires;
courber Ia tête, tendre Ia main, recevoir les largesses, et se
préparer pour I'événement inévitable. AIors I'Autriche aurait
son heure et trouverait sa revanche. "Notre position a in6ni-
n1cnt empiré par Ie traité de Tilsit; mais la monarchie est
intacte; elle est arrondie; l'état actuel de l'Europe porte ses
gcrmes de destruction en lui-même, et Ia sagesse de notre gou-
verl1ement doit nous faire arriver au jour où 300,000 hOlnmes
réunis, régis par une rnême volonté et dirigés vel's un but
commun, joueront Ie premier rôle en Europe... époque dont
nul ne saurait prévoir la date, mais que rien n'éloigne, sanE
la vie d'un seul homme, et que tout Ie génie de ce même
hOlnine peut d'autant n10ins retarder qu'il n'a pas encore
prIS la moindre mesure pour en prévenir les immanquables
cffets I. 1)
llébÌgnée en apparence, obséquieuse en sa soumission,
1 Rapport à l'empereur, 24 octobre 1807. B.luu,. - Rapport de Me&ternicb,
I(S juillet.
lOG
L'ALLIANCE RUSSE. - i807.
prête d'ailleurs å réclamer sa part dans les dépouilles, si
Napoléon continuait å dépouiller, à se contenter même d'un
pourboire sur les excès, l'Autriche méditait Ia surprise de 1809
et Ie grand mouvement tournant de 1813. La Prusse couvait
la révolte et l'explosion. Napoléon les croyait énervées. Illes
laisserait se pourrir, tomber par morceaux qu'il distribuerait
au duché de Varsovie, à la Saxe, à I'Autriche, å la Russie
même. II hâterait Ia catastrophe par l' épuisement continu des
contributions. Le traité lui pcrmettrait d'occuper, rançonner
Ie pays tant que Ie chiffre total de la contribution de guerre
ne serail pas fÌxé; il ne Ie Ie 6xerait que quand l'occupation
en aurail rendu Ie pa
7emcnt impossible. Dans les insurrec-
tions qui éclatent çà et Ià, il ne voit que des impertinences à
réprimer par des fusillades : n lis sont insolents et sans
moyens. J) - (I Ce sont des gens dont on ne peu t rien faire,
aussi bêtes qu'ils l'aient jalnais été I. >> Méprise fondamentale
qui lui ferma les yeux sur la révolution qui commencait
dès Iors à transformer ce pays.
Elle échappe à Napoléon parce queUe diffère essentielle-
ment, dans ses moyens et dans ses formes, de la Révolution
française. Ainsi les politiques de l'ancien réß'ime, jugeant cctte
révolution d'après les précédents, s'y étaient mépris et avaient
eru, Pitt aussi bien que la Grande Catherine, qu'elle ruinerait
la France, y briserait I'État, y romprait la nation
. Napoléon
redoutait I-Iardenberg, parce que ce diplomate l'avait joué
et parce qu'il se piquait de réformes à la française. II exig-ca
que Ie ..oi Ie congédiât; il prit pour des lourdauds ses succes-
seurs, et quand il commença à les juger dangereux, ce fut à
titre de conspirateurs et de brouillons, et non d'hommes
d'État, rénovateurs d'une monarchie: des émules de Georges
Cadoudal, de Frotté, là OÙ l'on s'armait; des idéologues, des
émules de Benjamin Constant et de MIne de Staël, là ou l'on
parlait.
11 J avait cependant quelque chose de très changé en
I A Champagny, 7 leptembre; à Savary, 16, 28 septembre 1807.
.Y
ir t. I, p. 9.!3; t. 11, p, !!
APnÈS L'ALLIA
CE, LA PRUSSE. - iS07. J07
Prusse. L'État démembré, l'arnlée dispersée, la monarchie
en fuite, relérruée aux frontières, quelques hommes pensèrent
à chercher Ie peuple, à demander à la terre son secret de
fécondation I. C'est Ie premier signe, dans I'Europe centrale,
àu véritable et profond effet de In Révolution française: en
Italie, en Suisse, sur Ie Rhin, aux Pays-nas, en HoJIande, la
France avait exercé la propaffande d'ÉtaL, et imposé sa supré-
DH1tie au mojns autant que ses principes; elle opérait des
rl'volutions subalternes, commandées, administrées., exploi-
tÞC8. lei, la rêvolution sort du pays même. A la révolution
c\Jsrnopolite, la révolution dans les Inots, la révolution dans
les maximes qui lend à niveler Ie sol, à identifier tous les peu-
pies, à effacer tout caraclère national, à proscrire toute ori-
ginalité pour établir l'enlpire d'un seul peuple et d'une seule
conception de l'État, unc foi, une loi, un roi! va succéder la
révolution dans les choses, dans les âmes; celIe qui tend à
régénérer chaque nation seIon son génie, selon son cæur, son
tempéralnent séculaire, et loin d' engendrer la similitude
impersonnelIe, 13 servitude morne, accentuera jusqu'à l'hos-
tilité et à la guerre, la différence des caraclèreg, l'originalité,
l'esprit d'indépendance de chaque peuple; au lieu de la supré..
mntie politique et de 1a maaistrature intellectuelle d'une
D
,tion sur les autres, Ie réveil de la dignité humaine, du nloi
n"tional dans chacune, l'cxhortalion à devenir soi-même,
à r' élever au-dessus de soi-mêrrle, à opérer soi-même et pour
soi-même la vraie révolution, la révolution selon sa chair et
son (35prit, pour la vraie liberté, la liberté telle qu'on la conçoit
et qu'on l'aime, pour l'exaltation du génie et de la puissance
n
tionaJc, comme la Révolution française a é
é l'exaltation des
Français.
La Prusse se retrouve, ou plutôl se découvre. Sa reconsti-
tution est contelnporaine de son pire abaissement.
Iais dans
(.J'H:lIes ténèbres, à travers quels tâtonnelnents, queUes pen-
Øé(,8 nhf:cures et aussitôt rompues va s'accomplir cette æuvre,
I PO'..\f 11 suite et "ensemble de cette révolution ()l'u81iienne, toit liv. II..
c\lap. u, p.
91.
208
L'ÃLLIA
CÊ RUiSE. - t107.
inconsciente dani Ie peuple qui en est l'élément essentiel,
incomprise ou même contrariée par Ie roi qui en est Ie pro-
moteur apparent!
Ce sont les vrais calders de la régénération de la Prusse
qu'en ces mois d'août et de septembre 1807 les conseillers
du roi Frédéric-Guillaume lu'i adressent sous forme de
MémOlres à consulter 1. C'est)a révolution d'en haut, mais
portée partont, à tous les degrés, depuis la condition des per-
sonnes et celIe des biens jusqu 'au consei) du roi; depuis
l'armée jusqu'à l'administration des communes et des pro-
vinces. Tout est à reprendre, tout sera reprise L'idée domi-
nante est développée par Hardenberg 51 :
ø La Révolution française, dont les guerres actuelles ne
lont que Ie prolongement, a donné à la France, au milieu
d'orages et de scènes sanglantes, un essor imprévu. Les forces
qui sommeillaient ont été éveillées... La force des principes
nouveaux est telle que I'État qui refusera de les accepter sera
condamné à les subir ou à périr. Napoléon lui-même et ses
8uxiliaires sont subordonnés à cette puissance nouvelle...
Ainsi une révolution, dans Ie bon sens du mot, conduisant
à ce grand but de l'anoblissement de l'humanité, réalisée par
1a sagesse du gouvernement et non par une impulsion vio-
lente du de dans ou du dehors, tel doit être notre objet, notre
principe dirigeant. Des principes délnocratiques dans un gou-
vernement monarchique, telle me paraît être la formule
appropriée à l' esprit du temps I. >>
Ainsi Ie Consulat de Bonaparte offre un type d'État; l'armée
française de 1793 à 1795 offre un type d'armée 4.
Iais il ne
suffìt point de décréter; qui décréterait, en Prusse, les
mesures de la Convention et les lois du Consulat n'obtiendrait
ni les armées républicaines ni les institutions consulaires, car
I 20 juillet, rapport de Schrætter; 17 août, mémoire de Schoen; 22 août,
plan d' Ahenstein RA1."ìKE.
I Mémoire du 12 seplembre 1807. RAl"CKR, t. IV, anneJ:e.
· Comparez lei ,lotes de
liraheau à Louis XVI en i790, t. II, p. 35,
démocratie royale ; MJ, extension de la pui8lance de l'État.
, Çf. t. 'YI, p. 239.
APRÈS L'ALLIANCE, LA PRUSSE. - i807. 209
les unes et les autres sont essentiellelnent françaises, et c'est
ce qui en a fait la puissance. II ne s'agit donc point de tra-
duire en alleluand et de proInulguer en Prusse ces décrets
fameux; il s'agit d'en prendre l'esprit et de les adapter au
caractère du peuple, aux institutions et traditions de I'État.
Ce fut la partie originale et ingénieuse de l'æuvre des réfor-
mateurs prussiens.
Le 23 août 1807, Ie roi, sur les rapports de Schæn et de
Schrætter, décida en principe l'abolition du servage; Ie
19 juillet et Ie 6 août, iI avait approuvé les projets de Scharn-
horst et de Gneisenau organisant les mílices et aboli&sant Ies
privilèges dans Ie choix des officiers. Tel fut Ie point de
départ, fort modeste, de cette transformation qui devait
aboutir à la Iiberté civile et au service militaire universel. It
fallait coordonner les mesures, les insinuer au roi, les com-
mander aux privilégiés, aux gradés, aux fonctionnaires
évincés. (( Notre misère est extrême, écrivait Altenstein; dans
Ie marécage OÙ nous nous débattons, nous ne pouvons trouver
de point d'appui. II y faut un pilier solide. Ce sera Stein. "Le
roi se soumit. Stein arriva à Memel Ie 30 septembre, et, Ie
5 octobre, il était investi d'une quasi-dictature. Avec lui, la
France va trouver en Allemagne Ie plus redoutable de ies
adversaires; Stein va dériver Ie courant qui, depuis deux
siècles, tournait I'AIlemagne à la clientèle française; d'un
peuple démembré il va faire une nation, et, dans cette nation,
préparer l'avènement d'un État dirigeant, la Prusse. II est Ie
vrai fondateur de l'unité alleluande. En Westphalie, NapoIéou
avait constitué, seIon Ie type français destiné à devenir Ie type
de I'État, un État allemand inféodé selon Ie génie, la poli-
tique et les intérêts de la France; Stein se propose de consti-
tuer, en Prusse, un modèle d'État national allemand, seIon
Ie géuie, les traditions, les intérêts de I'AIlemagne. L' édit
du 9 octobre 1806 sur ]'abolition du servage fut son prem
er
acte de gOli vernemen t et Ie premier son de cloche de la
réforme, Du coup, les âOles s'éveillent, et, à côté du travail
d'Ét
t, l'apostolat intclIectuel commence. Fichte entame dan
YII. - - - . - .. I
210
L'ALLIA:NCE RUSSE. - 1807
I'hiver de 1807-1808 sa fameuse prédication, qui d'un méta..
physicien stérile et offusqué fait Ie plus persuasif, Ie plus
entrainant des apôtres. II a touché Ia terre, dépouillé Ie cos-
mopolitisn1e; il est devenu citoyen d'une seule patrie, 1a
sienne; c' est désormais un homme qui va susciter de.
hommes.
l\lais, dans Ie présent, la Prusse demeure sous la conquête,
saiffnée à blanc par Ie fisc habile et impitoyable de Daru. II
s'agit d'exercer Ie plus d'hon1mes possible, en les tenant Ie
moins de temps possible à la caserne; il s'agit de faire rendre
à la terre et au travail national plus d'argent et à moins de
frais : réforme dans l'instruction militaire et l'organisation de
l'armée, réforme de l'impôt et, par suite, refonte de l'éco-
nomie sociaIe. Napoléon par sa surveillance et ses exigences
en fit à la Prusse une nécessité.
" II faut que la Prusse donne 150 millions t) ,avait dit Napo-
léon à Daru. ,,!\Ion intention est d'être inflexible. u Frédéric-
Guillaume envoya I{nobelsdorf à Paris, solliciter, porter ses
doléallces : il n'obtint rien. n J'ai donné tous mes pouvoirs å
M. Daru>> ,répondait Napoléon I. Frédéric-Guillaume en appela
au tsar et lui dépêcha Ie major de Schæler. Alexandre con-
seilla de céder, de s'allier même avec Napoléon, de tout
sacrifier à la nécessité de vivre I. " Je ne crois avoir rien å
redouter de la France d'ici à un an ou deux, dit-il à Schæler;
tnais, Ie cas échéant, qu'ai-je à faire, sinon à me préparer
n silence el à yendre Ie plus chèrelnent possible mon exis-
tence et mOD indépendance? Sûrement, je ferai tout, sauf Ia
Guerre, pour conserver, dans Ia mesure du possible, l'in-
dépendance de Ia Prusse et je n'aurai Garde d'aninler la
France contre I'Autriche; au contraire, Je tâcherai que l'Au-
triche demeure intacte I. II Alexandre plaida lui-mêIne la
cause du roi de Prusse auprès de Savary; il commanda
1 KnoheltJorf, à Paris, 4 août; Napoléon à Tal1eyrand, 9 août i807.
s. Alex.anJre 3U roi, 22 leptembre, 4 octobre i801. BAJLLEU. - Corre.pon..
dance de Scllleler. HASSEL.
I Rapport de Schæler.
onverlatioD du i! octobre 1807.
APRÈS L'ALLIAl'iCE. LA PRUSiE. - i807. ttl
à son ambassadeur, Tolstoï, de Ia plaider auprès de Napoléon.
Cependant, Ie désastre aUffJnente à
Iemel. Les domaines
royaux sont hypothéqués; les services en or de Frédéric sont
envoyés à la
Ionnaie. A peine un aCOll)pte! Le 19 octobre,
Daru notifìe que s'il n'est pas payé à l'échéance, il percevra
directement les revenus de I'État prussien dans les territoires
laissés à Ia I)russe. n Notre arrêt de mort est prononcé! .
s'écrie la reine. ToIstoï, en route pour Paris, arrive à propol
pour les réconforter. lis décident Ie dernier sacrifice. Le prince
Guillaulne, frère du roi, est envoyé à Paris: il offrira l'aIIiance.
II protestera ce de la résolution du roi de s'attacher désor-
mais étroitement à Ia France,,; il offrira un corps de troupes
de 30 à 40,000 hOITIInes. Si Napoléon refuse, Ie prince offrira
l'accession à la Confédération du Hhin I. Frédéric-Guillaume
rappelle son ministre à Londres, Jacobi; mais en même
temps, à titre de tempérament au bIocus et de commentaire
aux protestations de bOllne foi portées à Paris par Ie prince
Guillaume, Jacobi joindra à la déclaration officielle de rup-
ture
" une ouverture verbale qui devait proprement faire
l'essentiel II : c'est que la Prusse cède à Ia nécessité senle;
que Ie roi Ie dépIore et que dès qu'il verra jour à la paix
générale, il enverra à Londres, (( comnle silnple voyageur, un
homme affidé qui sera charffé de rel10uer discrètement... u .
Sur quoi, Frédéric-Guillaun1e déclara ses ports fermés å rAn-
ßleterre.
I
es Prussiens en venaient å solliciter du service, å offrir Ie
lermellt d'allégeance. lIs apportaient leur propre chair en
payement de leur dette. La conception de l'an III s'accom-
plissait: Ia Hollande vassale, Ia Prusse alliée, I'Autriche
abattue, I'Allemaß'ne reconstituée ; restait Ie Portugal å assn-
jettir, et rEspagne à soumettre. N apoléon l' avaitajournée a; elle
allait subir Ie sort dont Napoléon l'avait déjà menacée, et qu'il
1 Corrft9pondance du prince Guillaume. In
truction!J, 5 novembre 1807. HUSEL.
- Frédéric-GuiHaume à Alexandre, 15 octobre 1807. B.uLLKU.
I Le roi à Jacobi, 29 novembre, :18 décembre 1807. HUSEI..
· CE. t, VI, p. 153, 177, 325.
--
211
L'ALLIAl'4CE RUSSE. - 1807.
regretta plus tard de n'avoir pas imposé à la monarchie de.
Hohenzollern 1.
v
Depuis la défection publique d'aoòt 1806, Napoléon son-
geait à déclarer les Bourbons de Madrid déchus, comme iI
avail fait ceux de Naples, et, revenant à une idée de
Louis XIV, à placer son frère Joseph sur Ie trÔne d 'Espagne i.
La première Inonarchie alliée de la République éprouverait
ainsi la même Jestinée que la preInière fiépublique alliée et
que la llépublique françnise même. II y aurait quatre Bona-
parte: en France, ell Batavie, en Westphalie, en Espagne.
Le Portugal serait l'appât clont il allécherait ces Bourbons,
pour les attireI' au piège et les prendre en son filet. En Por-
tugal régnait la propre fiIle du roi d'Espaglle 8.
Iais, en cette
famìlle que son chef avait élevée si haut par les liens du sang,
Ie sang ne nourrissait plus que la haine, la rivalité, les com
plots, et, pour les perdre, Napoléon n'aurait eu qu'à les
aballdonner à leurs propres artifices 6.
Charles IV hésitait à détrôner sa fille et son petit-fils; Inais
Napoléon disposait de la reille et de Godoy: la reine, par la
préférence qu'elle portait à sa fille
larie-Louise, la reine
d'Étl'urie, que Napoléon exproprierait et indemniserait en
Portugal; Godoy, par Ie désir de se découper une principauté
dans ce royalune. L'affaire se tr\pota à Paris entre Izquierdo,
l'officieux de Godoy, et Lacépède, grand chancclier de la
Légion d'honneur, que Ie zèle politique et la manie de jouer
I GOUl\GUJD, t. II, p. 112.
I Voir ei-dessus, p. 118, 188.
I Charloue, épouse du prince r
ffent, Jean VI, la reinp., Marie, étant CoUe.
\" oir les précédentl du Gomité de l'an III et du Di,'ectoire, t. I V, p. 265,
. 321, ii90, 433; t. V, p. 35, 104. Pour l' enlemLle de eel affaires : Ðaump,arten,
Lefebvre, Frédéric Mal8on, t. IV, Ie comte l\'lurat, Grandmai
OD; ltlemoires do
Talleyrand, t.astellane.
APRÈS L'ALLIANCE, L'ESPAGNE. - 1801. !i8
au diplomate entrainèrent dans cette intrigue fort peu diffne
d'un savant. Godoy avait reconquis tout son ascendant sur Ie
ménage royal. : Charles IV, âgé alors de soixante-dix ans,
engraissé, entêté de ses habitudes, dévot, chaste, chassant
quand iI ne menuisait pas les manches retroussées, visitant
les écuries quand il ne chassait pas, plus passif que jamais,
mais capable de colère autant que d'aveuglement. " La raide
petite reine l\larie-Louise, droite, crêtée)), toujours à ses
côtés ou dcbout derrière luj, anti-dévote plutôt qu' esprit
fort, supergt,tieu
e, crairrnnnt Ie tonnerre, craignant la mort,
couverte de reliques, f( n 'aimant rien, pas même ses amants...
battue par Godoy, vo]ée par les autres )) , et détestant son fils
Ferdinand, l'héritier présomptif, qui faisait Ie populaire,
visait Ie rôle de prince national; caressait les prêtres, les
courtisans mécontents, les prôneurs de réformes, surtout
les envieux du favori.
Amonr-propre, ambition, haine et mépris de ses parents,
de sa mère en particl1lier ct surtout de Godoy, il se laissa cir-
convenir par les (( patriotes ", c' est-à-dire par Ie parti qui
méditait un changement de rèffne, les uns pour régénérer
I'Espaffne, la plupart ann de l'exploiter. Sournois, eafard,
lâchc dDns les moeBes, Ferdinand savait être aimable, avec
un faux éclat de loyauté snr une ph
7sionomie þêle et ingrate;
il se décorait très yolontiers de toutes les vertus que
lui prêtaient ses partisans. Au fond, un eonspirateur de
l'étoffe et du caraetère de Gaston d'Orléans; ses relations
avec les (I patriotes " rappeJIent trop ceJIes de son cousin, Ie
comte d'Artois, avec les Vendéens. Prêt d'ailleurs à s'asseoir
sur Ie trône, si Ie trône était vide, si Ie roi et la reine avaient
abdiqué, si Godoy était en prison et l\iadrid au pouvoir des
(I patriotes ". Un chanoine, ancien précepteur du prince,
Escoïqniz, menait Ie complot qui devait sans doute Ie faire
cardinal et premier mil1istre.
Ferdinand écrivit à son père une lettre OÙ illui dénonçait
I Voir t. VI, p. 823.
li-'
L'ALLIANCE RUSSE. - 1801.
Godoy. La lettre était dure; Escoïquiz Ia trouva dangerense,
et Ie prince Ia renferma dans son cabinet. Puis iI slß'na, túu-
jours sur Ie conscil du chanoine, un décret, non daté, qui, en
cas de mort de Chflrles IV, investirait Ie due de I'Infantado
de pIeins pouvoirs et lui pcrmettra1t d'arrêter Godoy.
{ais,
pour (t enlever" l'affaire, Escoïquiz et les grands d'Espagne,
ses conjurés, avaient besoin d'un protccteur puissant; ils pen-
sèrent à Napoléon : Ie prince, ann de Ie flatter et de Ie gagner,
demanderait la main d'une princesse de Ia famiIle impérialc.
Beauharnais, l'ambassadeur de France, remuant, {'ourtisan,
brouillon, fut tâté et entra dans I'intriffue. Sur son con
eil,
Ferdinand écrivit à l'empereur. La leUre est flu 11 octo-
bre 1807 I ;
n II n'y a que Ie respect de Votfe
fajesté qui puisse
déjouer les compJots, ouvrir les yeux à mes bons, à roes bien-
aimés parents... J'implore donc... In protection paternelJe de
Votre Majesté impériaIe, et V otre
Iajesté impériaIe... aura
toujours en moi un fils Ie plus fPconnaissant et Ie plus
d ' ,
evoue. .. "
Godoy ignorait eette démarche; mais instruit, par ses
espions, des projets d'Escoïquiz, du due de I'Infantado et de
leurs amis, les dénonça au roi, lui montra Ferdinnnd ;tbusé
par des traitres qui voulaient détrôner leur maître II per-
Buada la reine, en cas de mort de Charles IV, de déclarer
Ferdinand incapable de réffner et d'assumer Ia régence. Puis
éprouvant, eomme les conjurés, Ie besoin d'un Inédiateur, il
conseilla au roi et à Ia reine de recourir à Napoléon, de
demander au tout-puissant elnpereur son arbi traGe dans une
affaire de famille qui devenait une affaire d'État. l,a lettre
de Charles IV, portée en toute hâte, parvint à Paris avant
celIe de Ferdinand.
Ainsi ces deux complots, du fils contre Ie père, de' In mère
contre Ie fils, conduisant tous les deux à livrer la dvnnstie à
oJ
I Le texte publié par Ie cornte MUR4T, Murat en. E,
pa9ne, n'est pa8 Ie même
que celui de. mémoire. de Talleyrand, t. I, p. t44. Je lui. Ie text. du comte
Mur.t.
APRÈS L'ALLIANCE, L'ESPAGNE. - 1807. ti5
Napoléon, fermentaient en même temps, naissant de In pour-
riture même du palais. Napoléon n'avaitqu'à laisser croître Ie
mal. Son armée allait, sous peu de jours, pénétrer en
Espagne; l'heure venue, il se trouverait en force, il posséde-
rait les prétextes, il disposerait en maître de ce pays.
II séjournait alors à Fontainebleau depuis Ie 21 sep-
ternbre. II y donnait des fêtes, ce qui lui permettait de s'en-
tretenir avec Talleyrand saDS attirer particulièrement l'atten-
tion. II s'ouvrit avec Iui, et ß plus d'une fois 'J , de ses vues
sur I'Espagne. Comme en mars 1804, il s'agissait d'un gage
à obtenir, d'un Bourbon à supprimer, et d'un nouvel obstacle
à éIever entre cette famille, Talleyrand, et, derrière lui, sa
clientèle de royalistes, en Iivrée. Talleyrand, dans I'une et
l'autre affaire, tint Ia même conduite et pour les mêmes
motifs I. En 1807, à Fontainebleau, comine en 1804 aux
Tuileries, dans Ie tête-à-tête avec Napoléon, son intérêt immé-
diat, impérieux, lui commandait de ne point défendre un
Bourbon. ß Ce sont roes ennelnis personnels, disait l' empe-
reur; eux et moi ne pouvons occuper en même temps des
trônes en Europe I. "
Talleyrand ne strpposait pas, même de loin, un retour de
Louis XVIII, encore moins une réconciliation. Dans Ie for-
midable remous qui suivrait In mort ou la catastrophe de
l' empereur, il entrevoyait vaguement Joseph t il évoquait
peut-être Ie fantôme d'un Orléans.
II avoue que, n pousé å bout par les argumentations artI-
fÌcieuses de l'ambition de I'empereur... il lui conseilla de
faire occuper la Catalogne jusqu'à ce qu'il parvint à obtenir la
paix maritime avec I'Angleterre. - Par là, vous tiendrez Ie
gouvernement espagnol en bride. Si la paix tarde, il est pos-
sible que la Catalogne, qui est la moins espagnole des pro-
vinces de l'Espagne, s'attache å la France!.... D II Die avoir
I Voir t. VI, p. 8
6, 352. - Lectures hi$toriques : TalleyramJ<< ...
tnémoi,'es; Une Agence d' esp:onnage, p. 53, i4.5.
I Rapport de lHetternich, 26 août i80S, rétroapectif"
· Mémoi,"es, t, I, p. 32
.
ti6
L'ALLIANCE RUSSE. - iSOT.
a approuvé les projets de l'empereur". II équivoqne : iI ne
conseilla, ni n'opprouva une expédition miJitaire de J'emre-
reur en Espagne; il approuva Ie reste, s'il ne Ie conseilla
pas. Ses lettre
ne laissent à ce sujet aucun clonte I. II donna
son gage, mais il s'accommoda <!e façon à introduire dans
les post-scriptum les restrictions mentales. En sa qualité de
grand chambeHan, il se contentait d'ouvrir Ia porte. L'empe-
reur voulait Ie trône de ce Bourbon. TaUeyrand lui en fit sa
cour, et, du même geste d'éIérrance dédaiffneuse, il fit de
même, sept ans après, sa cour à Louis XVIII de la restaura-
tion de cc même Bourbon d'Espagne.
Pour justifier l'entréc des Français en Esparrne et compro-
mettre les Espagnols dans l' entreprise sur Ie Portugal, il fal-
lait un simulacre de traité. Godoy, enivré à l'idée de passer
roi comme un Bonaparte, grand-due comme l\lurat ou tout
au moins prince comme Talleyrand à Bénévent et Berna-
dotte à Ponte-Corvo, se porta forl du consentement du roi,
et l'on s'occupa, très secrètement, de dresser les articles.
Mais cette guerre de Portugal, avec son double fond de con-
quête de I'EspR{jne, ne se pouvait séparer des affaires de
I'Europe. Les choses, so it à Lisbonne, soit à
Iadrid, soit sur
les routes, pouvaient tourner de sorte que Napoléon, du jour
au lendemain, fût forcé d'y intervenir, de sa personne et de
ses armes ; iI lui fallait être sûr, au Inoins pour un temps, du
reste du continent. Dès qn'elle fut posée, la question d'Es-
pagne se compliqua d'unc question d'Autriche. Le seul envoi
de cette reconnaissance :H
née souleva les difficultés et
nécessita les meSl1res que Napoléon prit, un an plus tard,
avant de pousser à fond. Comme Alexandre ne lui pro-
eurait point, du côté de Vienne, les sûretés qu'il voulait
, il
les exigea directelnent. Par 18 menace d'occuper Trieste, il
I Voir ci-après, p. !75, des extraitø de ses lett..es. Cellcs que lui écrit I'ern-
pereur sont écrites comme sÍ Talleyrand savait tout; il réponrl sur Ie même ton,
et, non seulement approuve, mais lone impudernment. Ce fut 80n intérèt de tout
Ðier dans ses Itlémoires en i8I8, comme de tout approuver dan. aa con'e8!JOIl-'
dance en i80S. A,.chives nationales.
·
apotéoD à Alexandre, 28 août 1807.
APRÊS L'ALLIANCE, L'ESPAGNE. - iSOT. tIT
imposa, Ie 10 octobre, å :!\Ietternich.une convention qui, sans
lui assurer pour longtemps la sou mission de l'Autriche, en
donnait au moins, dans Ie présent, une garantie súffisante I.
Le 12 octobre, il donne l'ordre à Junot de partir dans les
vingt-quatre heures et, Ie 14, Cpampagny en informe Ie
ministre de Portugal : (C L'empereur, lui dit-il, est décidé å
ne plus rien ménager envers I'Angleterre; cette puissance
étant la souveraine des mers, Ie mOinent est venu OÙ I'elnpe-
reur veut être Ie dOlninateur du continent... D'accord avec la
Russie, il ne craint plus personne; Ie sort en est en6n jeté. .
Le lendemain, 15 octobre, Napoléon reçut Ie corps diploma-
tique à Fontainebleau. Le Portugais, M. de Lima, eut l'im-
prudence de s'y rendre, ce qui lui valut cette apostrophe de
l'empereur: n Je ne souffrirai pas qu'il y ail un envoyé
anglais en Europe. Je déclarerai la guerre å telle puissance
que ce soit qui dans deux mois d'Íci en aura encore un
chez eHe. J'ai 300,000 Busses à roa disposition et, avec
ce puissant allié, je puis tout... Si Ie Portugal ne fail pas ce
que je veux, la roaison de Bragance ne régnera plus en Europe
dans deux mois.)) Puis se tournant vers Ie ministre de Dane-
mark: (( Les événements de Copenhague sont une horreur,
mais Ia déclaration du roi est une infamie. >> Aux ministres
hanséatiques : (( Comment va-t-on chez vous? - Mal, sire.
- Eh bien! VOllS irez plus mal encore. Brême et fIambourg
sont des villes anglaises ; je saurai les traiter en conséquence. "
Metternich avait reçu sa part de n rincartade)) . Champagny
se chargea de Ia commenter, dans une conférence entièrement
confidentielle qu'ils eurent une heure après : ft V ous voyez,
dit Champagny, OÙ tendent les vues de I'Anffleterre... Elle
refuse la paix quand on la lui offre; il faut done la forcer å
la faire. II ne reste que trois puissances en Europe: Ia France,
Ia Bussie, et I'Autriche. II est diffne de VOllS de contribuer
directement à l'æuvre salntaire que se propose l'empereur...
La Russie va faire cause COlnmune avec nous. L'ltalie enbère
· D.
LERCO, t.. II, p. 228.
tiS
L' ALLIANCE RUSSE. - i80'1.
obéit A I'impulsion de l'empereur; iI ne reste done que vous
pour fermer tout accès au continent. )) II demanda une
démarche comminatoire de I'Autriche å Londres et, si I'An-
gleterre ne restituait pas la flotte danoise, ne révoquait pas
ses maximes sur Ia guerre maritime, l'expuIsion du ministre
anglais de Vienne a,\rant Ie l.r décembre. cc Je dois vous pré-
venir, ajouta Champagny, que si la réponse de votre cour
était négative, l'empereur vous ferait faire Ia même déclara-
tion d'une manière of6cielle. "
Ietterních traduif,it Cf!tte
phrase polie par ces mots très clairs : c& Dne déclaration de
guerre en cas de refus. >> II conclut à tout céder, afìn de
préparer roccasion de tout reprendre. ft A quoi bon une
résistance prématurée qui consacrerait sa domination?
Alexandre reviendra de son état d'ivresse quand Napoléon
ne lui laissera plus que des regrets à partager avec Ie reste de
I'Europe I. "
Le 17, Napoléon apprit que, sur ses sommations, Ie régent
de Portugal avait déclaré Ia ßuerre à I'Angleterre et renvoyé
l'ambassadeur anglais. cr Cela ne me satisfait pas, écrivit-il à
Junot. Continuez votre marche " , et il ajoute ces instructions
qui trahissent ses arrière-pensées sur I'Espagne : << Faites-
moi faire Ia description de to utes les provinces par OÙ vous
passez, des routes, de la nature du terrain; envoyez-moi des
croquis... " - "
Iaintenez-vous dans la meilleure harmonie
avec Ie prince de Ia Paix... " Le 20, ]a déclaration de Guerre
fut notifìée à I'envoyé l)ortugais qui dut quitter Paris dans Jes
viofft-quRtre heures. Sur ces entrefaites, arriva la leUre de
Ferdinand: ces misérables Bourbons se livraient à Napoléon
et lui tombaient d' eux-mêmes à ses pieds. Mais dans l'appel
du prince des Asturies il considéra moins la démarche d'un
héritier impatient que l'acte d'un parti puissant dont Ie
prince pnssait pour Ie porte-drapeau; il pensa à se servir de
ce Darti, comme jadis des démocrates à Venise, Ie jour OÙ
it lui conviendrait de rompre avec Charles IV et Godoy.
I Rapports de Metternich, it et i8 octobre 1807. - Rapport de Stadion,
14oetobre 1801. BEEa.
APRÈ5 L'ALLIANCE, L'1!:5PÀGNE. - i801. tiD
Le 27, Ie traité fut gigné à Fontainebleau 1; Ie Portugal, côn-
quis en commun, formerait trois lots : un, les provinces de
Beira, Tra-los-l\lontes, rEstramadure, resterait en dépôt entre
les mains de Napoléon, pour en être disposé, å la paix géné-
rale, selon les circonstances; un autre formerait Ie royaume
de Lusitanie, pour Ie roi d'Étrurie; un troisième, la princi...
paulé des Algarves, pour Ie prince de la Paix. L'Étrurie, en
compensation, était cédée à Ia France. Dne convent.ion secrète
portait que 28,000 Françals traverseraient I'Espagne, que
I'Espaffne y joindrait 11,000 hommes, de plus un corps d'oc-
cupation de 16,000. Napoléon se réservait de réunir å
Bayonne (( un nouveau corps de 40,000 hommes, au plus
tard Ie 20 novembre 1807, pour être prêt å entrer en Ebpagne
et se porter en Portugal, dans Ie cas où les Anglais enver-
raient des renforts et menaceraient de I'attaquer " . Le ) 3 no-
vembre, Ie .'Ioniteur publia cette note: (C Le prince régent de
Portugal perd son trône; il Ie perd Influencé par les intriBues
des Auglais, pour n'avoir pas voulu saisir les marchandise&
anslaises... La chute de la maison de Bragance restera une
nouvelIe preuve que la perte de quiconque s'attache å rAn-
ßleterre est inévitable. )) .
Cependant les événe
l1ents se précipitent à
Iadrid. Le
complot du prince Ferdinand est découvert; on saisit ses
papiers; on l'arrête. Ferdinand se montra dans cette prernière
épreuve ce qu'il devait paraitre reynetlo : traître à ses amis,
cruel Ù ses victimes ei viI de toute sa personne. II Iivra ses
comp1ices. Chnrles IV écrivit å NapoIéon, Ie 29 octobre, Iui
dénon<:ant (( cet attentat si affreux et Ie priant de vouloir bien
'aider de ses IUfilières et de ses conseiIs ". Le procès était
ouvert entre les princes, Ie pays menaçait de tomber en anar-
chie. Napoléon demande à Champagny une notice de la cons..
piration de Ferdinand u pour en faire usage, scIon les cir-
constances 2 ". Puis il presse Ie rassembJement du corps
d'armée de Bayonne. Le bruit d'une expédition Ie répand
J DE CLl
RCQ, t. II, p. 235.
Å Cb.mpa
nYJ 12 janvier 1808.
t!O
L'ALLIANCE RUSSE. - i807.
partout tous les équipases de l'empereur, plu8 de
100,000 hommes en marche, de tous les points de la
France I. Napoléon voulait frapper Ies Espagnols de terreur
et il y réussi t.
II en conférait avec Talleyrand qui, pour bien marquer la
faveur dont il restait l'objet, se fit confier, par intérim: les
fonctions d'archichancelier d'État. II conseiHa n de profiter
des mésinteIJigenccs qui divisaient la dynastie, qui ne serait
jamais une alliée utile contre l'Angleterre... Un prince de la
maison impériale occupant Ie trône d'Espagne, Ie système de
l'empire sera complet... ". II aura sans doute, rapporte un
témoin grave, articulé (( nne phrase qu'il aTfectionnait beau-
coup, car je la lui ai (\utcndu répétcr maintes et maintes fois :
- La couronne d'Egpaffne a appartenu depuis Louis XIV à la
famille qui réanait sur In Fl>
nce, ct on n'a pas dû regretter ce
que l'établissemcnt de Philippe V a coûté de trésors et de
sang, car il a senl assu ré la pr{tpondérance de la France en
Europe. C'cst done une de8 plus belles portions de l'héritaùe
du grand roi, et eel héritarre, I'crnpereur doit Ie recueillir
tout en tier, it n'en do it et n'en peut abanclonner aucune
partie i " .
Napoléon s'appropria ce discours, qui devint une de ses
maximes d'Étal. II consommerait l'æuvre de Louis XIV en
Espagne, comme il l'avait reprise et accomplie en France,
porté par toute la puissance de la Révolution. II se représen-
tait les grands effets de cet ollvrage : il l'estimait facile.
Charles IV usé, les Bourbons avilis, I'Espagne accourrait å
lui, lui demandant, comme à Louis XIV, l'infusion d'un sang
nOllVeau. II réaénérerait cette noble nation qui l'admirail,
l'appelait ainsi que naguère les Italiens. II la jUffeait un peu
) Leltre d'lzquierdo, 8 décembre 1807. Comte MURAT.
s
lÉNEvAL, t. I, p. l35. "J'ai été témoin de pluaieun de eea entretienø qui
B,'aient lieu, assez souvenl, dana Ie caLinet de ('empereur. . - l\Iémoire que
TaHeyrand auralt remis à l'empcreUl'. OEuvres, t. XXXII, p. 361. - :\'lo;s--
THOLON, t. H, p. 437 et auiv. - ROEDERER, t. III, p. 540 : "II aoutenait qu.il
De me faudrait quc> 20,000 hommes: it fi'a donné vingt mp.IDoireø pour me 10
prouve.'." - PA.SQUJf:R, IUémoi,-es, t II, p. 328-330.
APRÈS L'ALLIANCE, L'ESPAGNE. - :1801. 121
sur la France, beaucoup sur I'Italie. "Quand j'apporterai sur
ma bannière les mots liberté, affranchissement de la supersti-
tion, destruction de La noblesse, je serai reçu comme je Ie fus en
Italie, et toutes les classes vraiment nationales seront avec
moi. Je tirerai de leur inertie des peuples autrefois généreux;
je leur développerai les pl'ogrès d'une industrie qui accroîlra
leurs richesses, et vous verrez qu 'on me regardera comme Ie
libérateur de I'Espaffue. ,,- Ii Quand j'ai voulu I'Espagne, ç'a
été pour y abolir la féodnlité ell'lnquisitioll... Je distribuerai
les bien::; entre HIl'::; génél'tiux, jc lllcllrai Lal1l1cs dans les biens
de l'Infantado I. "
II en spéculait conUDe un Joseph II de la Bohême, de la
IIongrie et des provinces beIgiqucs, où ses réfornles faillirent
elnporler la monarchie g, grosses de ré volutiolls. II paraitra
en César, pacifieateur et législateur; iI a p portera Ie Code
civil, dispersera les moines; appellcra au pouvoir des citoyens
éclairés, des n1Ïni
lres intelliß'ents et inlègres, élèves et
émules des grands n1Ïnistres de Charles III. L'ilnluense majo.
rité des peuplcs dont il relèvcrait l'honnellr par l'alliance de
ses anncs, dont il relèverait la Jignité par son gouverne-
Inent, acchunerait Ie prince désigllé par lui; du même coup,
il enlèvcrait à jamais l'Espagllc à 1'.Anglelerre et l'attachcrait
au systèlne français. II les enréffimentcrait comme les Alle-
mands, les constituerait COllune les Italiens, les échaufferait
comlne les Polonais, et il n'y aurait plus de Pyrénées.
Toujours pénétré de cette illusion, émincmment française
et classique, renouvelée par lcs idéologues 3, que tous les
hommes sont les mêmes, que les nations se font et se défont
par les institutions et que les ll1êmes institutions conviennent
à tous les hommes, il se figure que les Espagnols seront trop
heureux de recevoir Ie bienfait des constitutions de l'empire.
II oubliait que si la France avait accepté ou subi ces constitu-
I Mme DE RÉl\J
S.\T, t. III, p. 266. - ROEDERER, t. III, p. 539.
S Voir t. I, p. 1;37; t. II, 17,49 et luiv.
· Voyez la lettre de Carat à Bonaparte, 30juin 1798. COI'r. in., Egypte, t.l,
p. 184.; d. t. V, p. 136. - II Le8 Espa{jllols lont comme lee autre. peuples. .
1SapoléoD à BC8sières, 6 mai 1808.
Stt
L'ÂJ.LIANCE BUSSE.
1801.
tions, c'est que Napoléon se proclamait empereur d'une
République qui avait concentré toutes les passions nationales
dans la guerre, la conquête et la suprématie; que la Grande
Nation se glorifiait du Grand Empire au point d'en oublier la
liberté; qu'elle ne pensait plus à sa propre indépendance
parce qu'elle se sentait maîtresse du monde; tandis que pour
les Espagnols ces institutions importées et imposées, symbole
de Ia suprématie étrangère, fardeau de la conquête, seront
l'humiliation au lieu de la gloire, la destruction de leur passé
au lieu d'en être la consécration. Ce sera pour Napoléon Ie
procédé contraire à celui qui a pacifié la Vendée, conquis les
Italiens en Lombardie, affectiollné les Allemands de la rive
gauche du Rhin, c' est-à-dire Ie respect de leurs croyances, de
leurs traditions, l'intelligence de leur caractèrc, un gouverne-
ment selon leurs væux, non d'après un type abstrait, non sur-
tout d'après les besoins et convenances d'un gouvernement
étranger. Mais si quelques-uns résistel1t, Napoléon n'y verra
que des " fanatiques ", des " rebelles u, et il les trai-
tera en conséquence, à l'égyptienne ou à I'italienne : des
exécutions, des exemples, el la populace sera soulnise aussi
aisément que les Bourbons auront été supprimés I. "S'il Y
avait des mouvements parmi les Espagllols, ils ressemble-
raient à eeux que nous avons vus en Égypte. 1J - " Le peuple
d'Espagne est viI et lãche, à peu près comme j'ai connu
les Arabes t... Au moindre mouvement de retraite, ils tireront
aur VOUi. 1J Done, frapper vite et impitoyablement.
I Â Junot, !9 février; If. Murat, 15 avril; à Joseph, 9 septembre, 7 décembre
1808.
S . Lei Eøpagnoll lont dea Arabe. chrétien.. - Ç;HA.TEÂUBRUND, Con9,-è, d.
Virone, chap. I!.
'J\EMIÈI\B tpÐ.EUVB DB L'ALLIANCB. - t107. Itl
VI
Napoléon possède ce qui manquait A Louis XIV, un alIié,
Ie plus puissant de tous, et c'est là-dessus qu'il spécule quand
il se croit ala veille de reprendre et d'aeeolnplir les desseins
du grand roi.
{ais eet allié, nécessaire, se montrait impa-
tient de récompcnscs. (& Quant à nos affaires, écrit Napoléon
à Savary Ie I er novembre, elles sont de trois espèces : 1 0 faire
la guerre à I'Angleterre; 2- obliger I'Autriche et la Suède à
se déclarer eontre I'Anrrleterre; 3 0 arranger les affaires avec
la Porte... Je sens Ia nécessité de terminer quelque chose...
ltlais eette affaire est bien intéressante pour moi. Je remets
à vous en écrire après avoir vu Tolstoi. J'aurais besoin même
d'avoir une entrevue pour cela avec l'empereur. après que la
guerre aura été déclarée par Ia Russie à I'AngIeterre. u C'est
que, l'heure de s'exécuter approchant, Napoléon répugne de
plus en plus à livrer In Turquie aux Busses, avant que, par
les Russes mêmes, les Anglais ne soient bloqués et minés dans
leur He, avant que la
Iéditerranée ne soit devenue un lac
français; autrement, il risque de voir les Russes et les Anglau;
s' entendre tout d 'un coup à ses dépens : les Russes, salisfaits
de leur lot, ayant désormais tout intérêt à se Ie faire garantir
par l'Angleterre et à refonler la France. II s'arrête à une
cOlubinaison subtile: il offrira, si Alexandre Ie presse trop,
de lui donner les Principautés; mais, en compensation, il
annexera la Silésie, et, par la eomplieité russe en cette spo-
liation, il ronl pra défìnitivement tout accord entre la Prusse et
Ia Russie; la Prusse ne comptera plus. Si Alexandre refuse et
conserve néannloins ses troupes sur Ie Danube, NapoIéon, par
réciprocilé, gardera les siennes en Allemagne et se posera, à
Constantinople, en prolecteur de l'empire ture, sauf å laisser
Alexandre prendre ses eonvenanees en Finlande, aux dépens
de la Suède.
St
L'ALLIANCE RUSSE. - i807.
TolstoY arriva Ie ler novembre, et, en même temps que lui,
la nouvelle qu'Alexandre était décidé à la guerre contI'e les
Anglais. Tolstoi était de ces Busses d'ancienne souche, sans
considération pour les Français de l'ancien régime, qu'ils
ju<<eaient sur les émi<<rés - les Polonais de I'Occident - et
sans admiration pour les Français du monde nouveau, par-
venus de cette aventure odieuse : la Révolution ! II avait
accepté l'ambassade par obéissance; mais l' obéissance lui
répu<<nait. Cette répugnance redoubla, dès son arrivée,
malgré la magnificence de la réception, et Ie faste des céré-
monies. C'était un militaire, assez horn me d'esprit pour
flairer les piè<<es. II se mit dès l'abord en posture de méfìance,
très concertée, avec Champagny et Talleyrand; il ne s'ouvrit
qu'avec Metternich. Ni éblouissement, ni vertiffe; il ne se
sentit point confondu; il se trouva seulement dépaysé, en
mauvaise compagnie, en compagnie dangereuse surtout: il
se renfrogna, se raidit, glacial, précis, correct, insaisissable;
toujours en garde, toujours en alerte, rampant par méthode,
mais ne se découvrant jamais.
Napoléon Ie reçut en audience solennelle à Fontainebleau,
Ie 6 novembre I. II était de la plus belle humeur :
Ietternich
venait de Iui nolifier que l'Autriche offrait sa médiation å
Londres pour la paix, el déclarait qu' en cas de refus les ports
autrichiens seraient fermés et la guerre déclarée. <<AinsI,
disait Napoléon, voilà I'Angleterre en guerre avec tout Ie
monde. )J
Le 7 novembre, TolstoY eut une audience particulière 51. Le
dialogue, dépouiIlé des digressions habituelles de l'empereur,
résume en quelques traits significatifs Ie conflit de l'alliance.
<< Les affaires, dit l' empereur, se réduisent à trois princi-
pales: la Prusse, la Turquie, Ia guerre à I'Angleterre. - Les
væux de mon souverain, répliqua Tolstoï, se bornent à I' exé-
1 Rapports de Toløtoï, 6, 7, 8 novembre; Champagny à Savary, 8 novembre;
Napoléon à Alexandre, 7 novembre; à Savary, 7 novembre 1807.
I TolstoÏ dit que 80n langage a été ferme; à lire BOD rapport, iI est plu. que
forme, sec.
PRE
IIÊnE ÉPREUVE DE L'ALLIANCE. - f807. '225
eution du traité de Tilsit; l'ayant rempli scrupuleusernent, il
De peut voir qu'avec peine Ie pen d'empressement de la part
de la France à faire jouir Ie roi de Prusse des avantages que
lui assure Ie traité; je suis chargé de demander à V otre
l\Iajesté, de Ia nlanière la plus pressante, l'évacuation des
États prussiens. - Le traité ne renferme Bucune stipulation
sur eeL article. La Prus
e dispute sur Ie montant des contribu-
tions et ne paye pas. Les limites du duehé de Varsovie n'ont
pas élé réglées. Bien n'est faiL.. D'ailleurs les troupe-s rn
ses
occl1pent encore la t\foldavie et la Valachie. " Tolstoï maln-
tint que Ie traité stipulait I'évacuation de Ia PI
usse. II
peianit u sous les couleurs les plus vives IJ la position lamen-
table du roi, l'impossibilité OÙ ii était de u satisfaire aUK pré-
tentions exorbitantes de la France". - (( Vous avez tort,
repHrtit Napoléon, de vous intéresser tant à lui; VOllS verrez
qu'll vous jouera encore de mauvais tours. " Néanmoins,
TolstOl déclarant que si la Prusse n'élait point rendue au roi,
C& la Bussie ne pourrait se reffarder en paix IJ J Napoléon
s'adoucit, promil vaguement : ß J'évacue. . mais... on ne
déplace pas une armée comme on prend une prise de tabac. IJ
Et il passa au second chapitre, celui de Ia Turquie. - L'em-
pereur Alexandre a fait au général Savary C& quelques ouver-
tures n au sujet des Principalltés; (I je ne vois aucun avantage
pour la France au démernbren1ent de l'empire ottoman; je ne
me soucie 6uère de I'Albanie et de la l\lorée; je ne deman-
derais pas mieux que de galoantir l'intégrité de cet empire.
Cependant, si vous tenez ahsolument aux Principalltés, je
vous offre Ie thahveg du Danube, à condition que je me
dédomn13gerai ailleurs. " Comme Tolstoï Ie pressait très vive-
ment d'expliquer où il prendrait ce dédommagement, il finit
par répondre: (( Eh bien! c'est en Prusse N , et laissa entendre
Ia lirrne de rOder, Ia Silésie. Puis, pour lâter Ie Russe;
pour détourner aussi Ie propos des combinaisons prochaines,
trop précises, et l'elnporter vers l'avenir et les espaces, il
laissa entendre qu'il consentirait, si la chose entrait dans
les vues de la Itussie, 1& å un plus grand parlage .. I]
VII. II
226
L'ALLIANCE RU
SE. - 15Q7.
aurait mêlne uutorisé Tolstoï à parler de Constantinople..
Iais la France y devait trouvel
ses intérêts, et il ne pou-
vait (( s'expliquer d'avance sur les vues qu'ils C0111111allde-
raicnt J1. Tolstoï soupçonne 1a Pologne, l'extensioll tlu duché
de Varsovie. Napoléon s'échappe de nouveau: "Après avoir
épuisé tontes les nlcsures indirectes contre l'Angleterre, il a
proposé de reyeuir à ses projets de descellte et vent que nous
menacions alors la puissance britannique dans les Indes
orientales. II me demanda n1ême mon opinion sur une expé.
dition cOlnbinée de troupes russes, frallçaises et persanes...
Je crus de\yoir lui en prouver l'impossibilité; mais il se flatte,
par toutes les mesures, de venir à bout de l'Angleterre... -
(( Pourrez-vous soutenir lonetemps la stagnation du com-
lnerce? la Russie en souffre-t-elle beaucoup? - Au moins
autant que la France. - La France perd beaucoup, sans
doute; mais si je pouvais obtenir cinq années de paix, j'aurais
cent vaisseaux dails mes ports... Lorsqu'une fois nous serOllS
parvenus à tout asseoir sur des bases précises et claires, alors
nous pourrons songer à désarlnel' et å dimilluer nos forces df'
terre. .
En sortant du cabinet de l'elnpereur, Tolstoï se rendit chez
Champagny, et donna à ce ministre, aussi formaliste avec les
étranß'ers que déférent envers son maitre, l'impression qu'il en
prenait " fort à son aise 1) avec lui. La conversation, assez
raide, porta sur la Prusse : (( Je ne suis pas Prussien, mon-
Sleur, dit Tolstoï; on les ailne chez nous encore moins que les
Français; mais la Russie ne saurait avoir la nloindre con-
fiance dans votre gouvernement, tant que -les conditions de Ia
paix de 'filsit à l' égard de Ia Prusse ne seront pas reInplies. "
Sur quoi.... Chan1pagny, après avoir pris les ordres de Napo-
léon, écrivit à Savary, Ie 8 novembre : (( L'elnpereur donne
l'orJre d'évacuer la rive droite de la Vistule, et la reine
I To1stol Ie dit en termes formeJø; et, pen favorable à I'alliance, il n'a pas dû
prendre sur Ini une offre, aussi séùuisante, si Napoléon ne I'a pas faite. MaÎII
Nttpoléon était trop prudent pour l'pcrire. Le mot de Constantinople n'est pal
l11'.n, lee dépêche. françailel eur l'entl'etien.
PREMIÈRE ÉPR
UVE DE L'ALLIANCE. - 1807. I!f
pourra faire ses couches à Kænigsberg sans être inquiétée par
Ie voisinage des troupes françaises. J) Cette concession, bien
entendu, restait subordonnée à la signature des conventions
avec la Prusse, car c'était précisément sur ces conventions et
sur Ie chiffre de la contribution å payer que ron ne s'enten-
dait point I.
Tolstoï revint de Fontainebleau, persuadé de son insuffi-
sance à luller (( contre des gens si habiles " , et å se contenir
en leur présence. Jl ne se reconnaissait aucune des qua-
lilés du né{jociateur. <<Je suis fpY'mement résolu à ne point
rester ici, écrivait..il Ie jour même à Roumiantsof. Je me
rendrai plutôt malade... IJes vues de Bonaparte å uotre
égard sont évidentes... II veut faire de nous une puissance
asiatique, nous refouJer dans nos anciennes frontières et
porter ainsi la domi
ation jusque dans Ie cæur de nos pro-
vinces. " Constantinople? (( II cherche å en éloigner nOI
troupes pour y avoir beau jeu, en nous proposant d'en jeter
une partie contre la Suède, d'employer l'autre å des expédi-
tions lointaines en Perse el dans les Indes orientales... " II se
rassérénait, reIativement, dans ses entretiens avec Metternich.
II avait, dans son ambassade, unjeune diplomate destiné à se
rencontrer plus d'une fois avec l'ambassadeur autrichien,
Nesselrode. l\ietternich Ie chargea de dire à ToIstoï, très con-
fidentiellemcnt, que l'empereur d'Autriche se souvenait de
I'avoir connu (( dans des moments OÙ de grands espoirs avaient
lié les deux empires "; que ses instructions (( lui prescri-
vaient de s'en tenir entièrement à lui >>. Peu de temps après :
" NQus n'avons et ne pouvons avoir qu'un but, lui dit-il l ;
celui de conserver notre intégrité au milieu du bouleverse-
ment général... L'empereur Napoléon vous caressera aujour-
d'hui pour tomber sur vous demain; it en fera autant de
no us ; nous aurons tous deux éternellement å Iulter contre ses
I Napoléon à Soult, 7 novembre 1807. . Du moment que nos conventions
leront sir.nées avec les Pru8siens, mOD intention eat que yOU' évacuiez la rive
droite de la Vistu)e... "
I Metternich à Stadion,
2 Dove mb re 1807_.
228
L'ALLIANCE RUSSE. - i801.
projets subversifs... Nous avons deux écueiIs également dan..
gereux à évite
: celui d'une brouillerie et celui de ses fausses
caresses. . . N ous nagerons entre les deux écueils si nous
sommes sages et amis. - Je suis parfaitement de votre
avis, répondit ToIstoï; croyez que ma cour voit absolument
de même, Inalgré des apparences tout à fait trompeuses. Je ne
sais ce que ces gens veuIent faire de moi; mais iIs sont fous
s'ils croient que je serai leur dupe. - Ayez l'air de I'être et
ne Ie soyez pas; soyons amis. Nous avons, concIuait
Iet-
ternich, plus de chances qu 'aucune autre puissance de rEu-
rope d' arriver intacts au grand jour qui mettra fin à un état
essentiellement précaire, parce qu'il cst hors de la nature et
de la civilisation. tJ
En attendant, les prétentions de Napoléon montaient sans
cesse, et Ia principaIe, désormais, qui n"était certes point
II bors de la nature J) , était de fonder une dynastie. Depuis Ie
retour de Tilsit, on recommençait à parler de divorce et de
second mariage. II se forma dans Ie monde de Ia cour deux
coteries, rune pour Ie divorce, que Fouché menait avec indis-
crétion; l'autre contre, que soufflait Talleyrand, soit qu'il
prévît les obstacles au second mariage souhaité secrètement
depuis Tilsit, et qu'il voulût épargner à l'empereur l'humilia-
tion, au tsar relnbarras d'un refus; soit qu'il songeât å
tramer quelque chose du côté de rAutriche et que, dans ses
entretiens avec
Ietternich, Ie rusé compère eût l1airé de
ce côté queIque disposition secrète. L'affaire s'ébruita. Napo-
léon démentit Ie projet par lettres ostensibles, et très rude-
moot. II s'en expliqua avec Joséphine. Eugène prêcha à sa
mèr
Ia soumission; tout Ie monde désormais en parIa
dans Paris, et l' on désigna tout bas Ia grande-duchesse Cathe-
rine pour la future impératrice des Français I.
Tolstoï en avait eu vent, dès son arrivée à Paris, par Ie duc
de
Iecklembourff' IcqueI Ie tenait de 13 jeune reine de 'Vest.-
J11û.tI:t:, u qui 11' oublie pas encore ce qu' elle doit à ses augustes
I A FOl1rhp, 5 novembre tS07, de Fontainebleau; 30 novembre, de Veoilej 1
}laret, 6 décembre, de Venise.
PRE
{IÈRE ÉPREUVE DE L'ALLIANGE. - 1807. !29
parents I ". Tolsto'i reçoit la confidence avec f& stupeur 1) t
qualifie la nouvelle n d'extravaffante J) , mais ne manque point
d'cn avertir son maître. Dès lors, il se tient aUK affuets. Si
l'alliance semble à ce vieux Busse une duperie, Ie mariage
lui apparait comme un monstre. Le 4 décembre, il résume
toute la chronique : Ie bruit se confirme; c'est la police, c'est.
à-dire Fouché, qui Ie fait répandre. ct C'est Ie général Cau-
laincourt que r on dit charffé de demander madame la grande-
duchesse Catherine.>> On attendra les nouvelles de Péters-
bourg pour entamer la procédure du divorce.
Ietternich, mis
à l'affût, mande, en grand détail, les mêmes nouvelles å
Vienne : n L'affaire du mariage semble malheureusement
tous les jours prendre plus de consistance ", écrit-il Ie 6 dé-
cembre. On prétend que
Iurat sera chargé de porter la
demande. IC Cette affaire doit, d'une manière ou I'autre, avoir
d'immenses suites... Si Alexandre refuse sa sæur, nous ver-
rons sur-Ie-champ nattre des complications dont I' étendue
est impossible à déterminer 2. " Felix Auslra nube !
Ietternich
entendit-il des cc voix " ? Vit-il passer l' étoile fìlante? Si quel-
qu'un fut surpris, deux ans après, par I'événement, ce ne fut
certes point cet Allemand patient, ondoyant et subtile
Savary n'avait reçu qu'une mission toute personnelle :
Napoléon Ie rappela et choisit pour ambassadeur Caulaincourt,
homme du grand monde, qu'il croyait compromis å jamais
par l'affaire de Vincennes et par suite indissolublement lié à
l' empire. Ses instructions portaient de tout faire espérer,
mais de ne rien promettre; toutes les plus belles paroles du
monde, point d'écrits. "II ne faut pas se refuser à ce partage
- celui de Ia Turquie - mais déclarer qu'il faut s'en
entendre verbalement. >>
Tandis que les carrosses d u nouvel ambassadeur s' achemi-
naient par I'AlIemagne et Ia Pologne, les conversations, à
Pétersbourg. entre Ie tsar et Sa vary, Savary et Roumiantsof,
· Le rol de'Vurtemberg, père de la reiDe de'Vestphalie, était Ie frère de l'im-
pératrÎ"e mère, Maria-Féodorovna.
I Rapports du 20 Dovembre et du 6 décembre
807.
,
130
L' ALLIANCE I\USSE. - 1807.
présentaient la contre-partie de celles de Fontainebleau La
guerre s'annonçait plus ilnpopulaire encore que ne Ie redon-
tait Savary 1. Le tsar et son ministre en prenaient thème
pour multiplier, presser les insinuations. (t Tenez, généraJ,
disait Roumiantsof qui connaissait ses auteurs, les béati-
tudes du prince - beau possidenles ! - tenez, il vaut mieux
que vous nous donniez cela - les Principautés - aujour-
d'hui, que de nous l'abandonner quand cela ne sera plus
pour nous d'un double prix... L'Europe ne dira rien. Qu'est
l'Europe? Où est-elle, si ce n'est entre vous et nous... 'it.
V otre empereur a accordé ces provinces dans les conversa-
tions.
Iaintenant, dites-lui de nous laisser faire Ie reste et de
nous dire seulement où il veut que nous no us arrêtions. Je
vous certifie qu'il sera content de nous. Diles que c'est moi,
Ie fils du maréchal Roumiantsof, qui VOltS l'ai assuré. J) Napo-
léon sera content! Qu'il se garde toutefois de chercher ses
contenternents en Pologne ou dans ce qui subsiste de Prusse.
.Alexandre Ie déclarc neUernent à Savary S : (t Si je devais
posséder ces provinces - les Principautés - aux dépens de
la Prusse... j'aime mieux y renoncer. Je ne voudrais pas de
tout l' empire ottolnan å ce prix; je fais de cela une affaire
d'honneur... J) Alexandre Ie prenait en genlilhomme, mais
ussi en politique avisé qu'il fut toujours..
VII
Junot traversait I'Espagne. II put se croire rajeuni de dix
ans, et retrouva dans les premières villes, Vittoria, Sala-
manque, les acclamations, les fleurs, les fêtes de I'Italie.
I Rapports de Savary, 16, 18 novembre, 6 d
cemLre. - Dépêche à Tolstoï,
!6 novembre. - Alexandre à Napoléon, 15 novemLre 1.81)7.
I " Les convenances de l'Europe sont Ie droit>>, dira Alexandre, à Vienne,
en i814.
· ConversatioD' du i" 0\ du 5 déc811lbr8 1807.
- .
LE D
CRET DE MILAN. - 1807.
!!}1
'IC Les rues De suffisaient plus aux hommes et les crois
ei
aux femmes. " l\Iais I'enthousiasme fomba vite. Le passage
tournait à l'occupation, ve
atoire, on
reuse, fiscn]c, comme
en Italie. Puis l'aspect de l'armée ne répondait point aux
imaain3tions des Espagnols. lIs s'empre
snient pour voir les
vainqueurs de l\{arengo, d'Austerlitz, d'Iéna : ils aperce-
vaient n de chétifs conscrits pouvant à peine porter leurs sacs
et leurs arines " ; dont la troupe n ressernhlait plutôt à l'éva-
cuation d'un hôpital qu'à une nrmée Inarchant à Ia conquête
d'nn rOYf!.ume". - <<
larche de famine, d'épuisemcnt et de
déIuGe; marchc sans routes et sans abris, au nlilieu des
rochers. I) U ne di \Tision d' al1xiliaires espaffnols perdit
1,800 hommes, noyés dans les torrents on abhnés dans lea
précipiccs. Les équipnges dcnlcuraient enehevêtrés, arrêtés
faute de chevaux. Les officiers rédnits à leurs hardes déchi-
rées, sans forme ni couleur, privés de ]jnge, entrainaient une
horde décimée : 2,000 hommes les auraient réduits à
capituler ou les auraient 311éallti::,. J unot paya d'audace. II
atteignit Lisbonne sans canon, sans cavalerie, sans cartouches
avec 1,500 grenadiers qui subsistaient sur ql1atre bataillons,
It éreintés, délavés, faisant horreuI', n 'ayant plus la force de
marcher même au son de la caisse 1) . L'armée suivit, t.riom-
phant en débandade, des comp3ffuies de 150 hon1mes tombées
à 15, des aigles avec 200 hommes; des soIdats sur des ânes,
sans armes, en haillons, sans chaussures, presque moribonds,
escortés de paysans qui pour les étouffer n'avaient qu'à se
serrer autour d' eux I.
Ce spectacle aurait rendu courage à des gens moins effarés
que Ie régent du Portugal, sa cour, son gouvernement et ses
soIdats. lis prirentla fuite devant ce fantðme. Le 24 novembre
à Abrantès, Junot reçut Ie 111onitell1
du 13 novembre, prédi-
sant la chute de la maison de Bragance. Le 26 et Ie 27, la pro-
phétie s'accomplit. Les Bragance s'embarquèrent pour Ie
Brésil. lis avaient - de fait et de consentement - cessé de
, TIIIÉUULD, Mj,RBOT.
!3t
L'ALLIANCE RUSSE. - i80T.
régner en Portugal. Le 13 décembre, Junot prit possession
à Lis!Jo()l1c du ci-devant ro)'aume, fit enJever les ecussons de
Bragance et les remplaça par les airrles impérinles.
Napoléon en reçut la nouvelle en Italie. Parti Ie 15 novem-
bre, il entra dans l\Iilan Ie 23 et poussa sur Venise, parfaite-
ment satisfait d'Eugène. Le vice-roi, seul de' tous les princes
qu'iI avait créés, lui rendait en affection, en dévouenlent, en
services ce qu'iJ en attendait : un fils pour Ie cæur, un lieute-
nant pour I'obéissance. Chernin faisant et avant même de
tenir la Lusitanie OÙ ilIa transpo,'terait, eUe, son enfant, sa
COUf', ses favoris et tous ses accessoires d'opéra-bonffe,
Napoléon notifia, Ie 23 novembre, à
Iarie-Loui
e qu'efle
avait cessé de régner en Étrurie. Reille prit possession du
royaume réuni dès lors en fait à l'empire 1. Livol1rne désor-
mais se fermerait aux Anrrlais. II en irait de même d'An-
cône. Le Pape résistait encore : à son tour, il cesserait de
régner. Si Napoléon attendit pour Ie décréter d'expropriation
son retour en France, la résolulion en fut prise en Italie, irré-
vocablement '. .
II revit les lieux témoins de ses premie
triomphes, les
montagnes, les rivages d'où s'étaient envolés ses premiers
rêves vers la l\lacédoine, vel'S l'Éßypte. L'ÉßJpte, ill'avait con-
quise et ill'avait perdue. La
Iacédoine, il s'en approchait,
maitre désormais sur les deux rives de rAdriatique, de la
Dalmatie
de Cattaro, de Corfou, des iles. A quoi bon s'être
rendu l'arbitre de I'Europe s'iJ ne I'éalisait pas Ie dessein
conçu dans sa jeunesse, à vin8t-six ans, quand il ne comman-
dait que 30,000 hommes? C& II vent, Inandait pen après un
ambassadeur, fonder des colonies mi I i In ires et les étend J'e
dans cette partie du monde, Ie lonff de In côte, pousser ses
projets jusqu'en Éffypte et chercher à fermer la l\Iéditer-
ranée aux Anglais et dédommager de queIque manière sa
I
fA1\l\IOTAN, p. !
O et luiv. - 10 décf>rnhre 1801 : abdication de Charl M
Louis. - 30 mai 1808, 8énatus-ronsuhe de I'éunion.
I 2 décernbre 1807. l..e Pape au c
ròinal df> Hayonne : il repou8se Ie traité
dicté par
apoléoD. - Napoléon à EUßène, 22 octohre 1807.
LE DÉCRET DE l\IILAN. - t80T.
133
u(]t10n de 13 perte de son commerce et de ses colonies I. "
GiL,albll reconquis et rendu à J'Espagne tiendrait les clefs
de ce nouvel enlpire, et rallierait les peuples à I-alliance fran-
çalse.
Cette I,ensée de I'E
pngne ne Ie quittait plus, confondue
désormais avec la pen5ée du blocus. Napoléon la voulait assu-
jettir, rnais comrllent 1 Un roi de son sang, une révolution de
pnlais, line nbdication de Charles IV, Ie mariage de Ferdi-
nand avec LIne Uonapar(e"? II balançail enlre ces combinaisonso
Une enl revue qu'il se mén
geail avec ses frères, Joseph et
Lucien; la conduite des Bourbons enfin Ie décideraient
II reçllt, à
{iI3n, une leUre de Charles IV : ce roi pardon-
nail; Ferdinand échappait au
ort du fils de Pierre Ie Grand!
fais Ie roi, averli que Ferdinand sollicitait une épouse
française, ne voulut pas lui laisser Ie privilège et les avantages
de la faveur irnpériaJe, et il demal1da lui-rnëme la main d'une
princesse de la famille irnpériale 2. Une seule paraissait en
condi tion, la fille de Lucien. Lucien consentirail-il? A défaut
de la 6l1e de Lucien, Joseph réGnerait.
NapoJéon vit ce roi à Venise où il séjourna du 2 au 10 dé-
cembre. La façon dont Joseph rérrnait à Naples n'était point
faite pour I'illllsionner. Na pies restait un gouffre sans fond,
d'hömmes et d'arffent. Joseph cornblait de ses faveurs des
opposants à I'empire, qui se piquaient, à sa façon, de " vertus
rét tAL 1;('Hines " , s'ébattaient à sa cour et cabalaient les mains
rlpine
. (jIlt" gran de maison, un cuisinier fameux, des chasses
fil
tlleuse5, rrlnis Ie briffandétffe dans les Calabres, les Annlais à
R
:n;io, dan
lïmpunité. Iffuominie! s'écriait Napoléon. II ne
song'ea i I pa
moi ns à eI)() rITer d'une tâche i nfi niInent plus
nwlaisée l'ilJcapacité InécOllllue de cet insatiable Inécontent 8.
Illui en touclla quelques nlots et Joseph, loujours préoccupé
de l' Europe, toujours ménaaer de l'avenir, s'empressa de
I Rappr.rt8 ,Ie To'
toï. 6, 20 fpvrit>r 180R Snivrt' dans les lettres à Marmont,
(i Janvit'r 18()
el tiuiv., l'illlpOl"lanCe (IU Oil donlle à Corfou. - URUULT, p. 267.
, COllllc \I'"RAT, p. I ();).
a
al>uleon à JUðt'ph, 13 uovemLre 1807.
!34
LtALLIANC
RUSSE. - 1801.
dépêcher un émissaire à Pétersbourg ann, Ie cas éch
ant t
de s'assnrer ragrément de l'empereur de Russie I.
Quant à Lucien, Napoléon Ie reçut à
Iantoue, dans 18
nnit du 12 au 13 décembre. II était disposé à adopter Ies
fìlles du premicr mariage de Lucien, mais à condition que
Lucien divorcerait avec sa seconde felnme 2. Lucien, à la
rigueur, la pourrait C9nserver auprès de lui, épouse Inorgana-
tique, mais hors de la famille impériale, hors de la royauté,
car il n 'avait qu'un mot à dire: il serait roi, roi de Portugal.
a Prenez votre part! n lui dit Napoléori. Lucicn clemeura
inflexible, et ils se quittèrent pour ne plus se revoir qu'après
In catastrophe de l'elnpire.
Dans l'incertitude OÙ restait Napoléon sur ses propres
desseins et ses propres désirs au sujet de I'Espagne, iI s'en
remit aux circoustanccs, aux discordes des Bourbons, à la
deslÏnée fatale qu'its se tissaient cux-mêmcs. C'était sa
maxime lorsqne la route tournait trop court ou que Ie
Lrouillard Iui voilait Ie chemin : It tenter entièrement Ie
sort des événements et les suites des destinées qui ont donné
un cours irrésistible à chaque chose... assigné à chaque État sa
d ' s
uree. .. . n
II revint à l\lilan, Ie 16 décembre, environné d'une sorte
de majesté sacrée, qui inclinait les hommes sur son passage,
entouré d'acclamations folIes, d'adulntions hyperholique8 par
lesquelles les Italiens s' étourdissaient eux-mêmes sur leur ser-
vitude. {( Vous avez sauvé la France, mais vous avez fait
I'Italieu, lui òisait llagnère Ie patriarche deVenise, Gamboni.
Napoléon les exhorta å denleurer unis et soumis: 1'inclépen-
dance italicnne étaitattachée à l'affcrmisselnent de la couronne
de fer sur sa tête.
C'est alors qu'il connut les dernières mesures des Anglais,
J l\hOT, t. II, p. 330. - DUC4.SSE, ltlémoires du roi Jo.çeph, t. IV, p. 7.
, Napolpon 3,'ait peut-être jeté les yeux sur une des filles de l
ucien pour eD
f:1ire une illlp
ratrice, la mère de lei enfants, à lui. - Frédé,'ic MAS
O
, t. IV.
chap. XXI. luciell. - Napoléon à Joseph, i7 décembre, 20 décembre {S01.
LECESTRE.
I A Talleyrand, à Françoii II, i7, 23 Dovembre {805.
LE DÉCRET DE MILAN. - 1807'
135
les ordres du Conseil du ) 8 et du 26 novembre I : I'AnGleterre
ne reconnaissait plus de neutres; tous les ports fermés à
I'Angleterre seraient déclarés, par I'Angleterre, en état de
blocus; tous les navires qui s'y rendraient, que) que ffit leur
pavilIon, seraient visités par les croiseurs anglais et emmenés
en Angleterre. Napoléon répondil par Ie décret du 17 décem-
bre, Ie décret de lJlilan, com plément du décrel de Berlin, du
21 novembre 1806 : "Les lIes Britanniques sont déclarées
en état de bJocus sur mer comme sur terre. tJ Tout nnvire
quelque pavilIon qu'il porte, qui subit les conditions de rAn..
gIeterre, est considéré comme dénalionalisé, et, devenu
propriété anglaise, sera déclaré de bonne prise. De même,
tout navire expédié de l'Angleterre et des colonies anglaises,
all ant en Angleterre ou dans les colonies anglaises; il sera
capturé par nos vaisseaux et nos corsaires et adjugé au cap-
teur.
Puis il dénonça au monde Ia tyrannie de J'Angleterre. . Ce
serait une tache ineffaçable aux yeux de Ia postérité JJ de
tolérer (( l'infârne principe, que Ie pavilIon ne couvre pas la
marchandise
. )) II se flatt3it, au besoin par Ie désespoir OÙ il
jetterait I'Europe, de la coaliser loute entière. CI Certes, disait.
iI, la France n'est pas plus bloquée par I'Angleterre que
I'Angleterre ne l'est par la France. Certes la France recon-
nait que ces mesures sont injustes, il1égales et attentatoircn à
la souveraineté des peuples; mais c' est aux peuples à recourir
à la force et à se prononcer contre des choses qui les dét;ho-
norent et flétrissent leur indépendance s. JJ Ici se découvre
l'erreur fondamentale du système. Par la force, par l'avidité,
Napoléon pouvait contraindre les princes : il renverserait, il
remplacerait ceux qui se refuseraient; il ne prévoyait pas Ie
. grand refus " des peup1es. C' étaÌent précisément les peuples
qui allaient contraindre leurs mailres à repousser, puis à violer
1 ONCKF.RS, t. II, p. 352.
· Préambule du décret du 17 décemhre i807. - Comparez "aete de navigatioD
de 8eptembre 1793 et lei déclaratioDI du Comité de Salut public, t. III,
p. 473,476.
· ,..
hampagny, i5 novemhre iS07.
!36
L'ALLIANCE RUSSE. - f.807.
Ie blocus, parce que Ie blocus n'entratnait pas seulement leur
ruine par ses effets; mais il impliquait par ses moyens Ia
contrainte, la conquête, l' occupation étrangère, la sujétion
aux étrant:ers. C' était cela, bien plus que Ie droit de visite des
Anglais, qui II déshonoraitetf1étrissaitleur indépendance" . Les
Anglais insultaient les navires et les pavillons ; mais plusieurs
des peuples conquis n'avaient point de marine, et pour toua
l'insulte se faisait loin, dans Ie brouillard des océans: la
tyrannie anglaise sévissait hors de vue; la domination fran-
çaise imlnédiate, urgente, poIicière, les vexait et les écrasait
sur Ia terre même de leur patrie par ses généraux, ses pré-
fets, ses soldats, ses gendarmes, ses douaniers, ses confisca-
tions, ses visites domiciliaires et l'immensité de ses procé-
dures 6scales. Napoléon eut beau bouleverser la superficie du
continent, découper les royaumes, exproprier les dynasties,
créer des rois, réunir des départements, la terre ne changeait
point de place ni les hommes de caractère : Ie fond de l'Eu-
rope, âmes et choses, Ie sol même, la nature productive, qui
façonne les hommes et les nourrit, se soulevaient contre lui,
inévi tablement.
II venait de signer son décret quand il apprit Ia chute des
Bragance et l'occupation du Portugal. Cette facilité å exécuter
ses ordres, à rompre les liens séculaires des peuples et des
rois; les manifestations des Espagnols, leur empressement sur
Ies pas des Français, leurs appels à César, Ie confirmèrent dans
son illusion flu'il deviendrait, å sa convenance et à son heure, en
Espagne, Ie maitre des affaires. Ainsi, les destins se pronon-
çaient. Le
3 décembre, il écrivit à Clarke: "Donnez ordre
au général Dupont, d'avoir Ie 10 janvier son quartier généraI
à Valladolid; au maréchal ltloncey... d' entrer en Espagne
sans délai de manière que la première division soit à Vittoria
Ie 5 janvier, la seconde Ie 10, avec son quartier général...
Donnez des ordres sans délai pour former Ia division d' obser-
vation des Pyrénées à 1,000 hommes par bataiIlon... Si eUe
était forte de 4,000 hommes et qu'elle eût .six pièces de
canon, vous donneriez ordre au générall\!,outon de se diriger
L'ORIENT, LES INDES. - 1808.
137
Bur Pampelune et d'entrer dans cette place Ie 8 janvier. p
L'invasion commençait.
VIII
L'Espagne e'est, dans Ie présent, I'exécution du blocus;
dans I'avenir, la domination de la 1\léditerranée. l\lais que
servira-t-il à Napoléon de chasser les Anglais de cetle mer,
s'il y introduit les Russes? (I La Bussie, ayant les débouchét
des Dardanelles, serait aux portes de Toulon, de Naples, de
Corfou. " II eonclut done à (I différer Ie partage jusqu'à In
paix avec I'Angleterre ou au moins jusqu'au moment où l'on
aurait pu lui arracher I'empire de la l\féditerranée J), qui la
met en état òe recueillir, dès ce moment, les plus précieuses
dépouilles de l'en1pire ottoman I. "
Iais pour (I arracher I'em-
pire de la l\léditerranée flUX Anfflais)J et les contraindre à la
paix, Ie blocus est nécessaire ; pour Ie blocus, il faut rEspagne
et Ie Portugal; pour assujettir Ie Portugal, pour contraindre
ensuite I'Espagne, iI faut s'assurer de I'Allemagne, de la
Prusse, de I'Autriche, ce qui ne se peut que par Ie concours
de la Bussie. II faut done que Ie décret de
{iIan devienne un
oukase du tsar; que la Russie engage résolument la guerre
eontre les Anglais, qu'elle presse I'Autriche, qu'elle renonce
à libérer la Prusse, qu'elle abandonne rEspagne à Napoléon.
Il faut I'y intéresser; il faut done revenir à ce partage que I' on
veut éviter, en parler sans cesse et l'ajourner toujours. Napo-
léon croit possible de dérouter les imaginations russes et de
dériver les forces de la Russie au moyen de deux diversions,
rune réclle, très proche, Ia ffuerre à Ia Suède et Ia mainmise
sur la Finlande, qui les obhffera à rappeler, en tout ou en
partie, leurs troupes du Danube; l'autre, giffanlesque et
clllrnérique, qui les entraînera vers I'Asie, vers Ia Perse et
I I :bamp<fr,ny à Caulaincourt, 29 janvier 1808. - CE. à Caulaincourt, 31 mai
1808. Ljj;C
STRK.
181
L'ALLIA:NCE RUSSE. - 1808.
lea Indea : Ie retentissement en sera tel qu'il décidera peut-
être les Anglais à évacuer la
Iéditerranée, à conclure la
paix; s'ils s'entêtent en leur hostiIité, ce sera Ie coup de
massue qui les jettera étourdis à terre et les réduira à merci.
Ce dessein exigeait que la Prusse restat sous la conquête,
l'occupation militaire et Ie fisc. n Je la crains encore, disait
Napoléon. Je lui ai fait trop de mal pour espérer qu'elle
puisse l' oublier; je ne saurais lui accorder Ie moyen de se
refaire une armée... " II reçut, Ie 8 janvier, Ie prince Guil-
laume. II vit un grand jeune Allemand, indifférent à tout,
aux marques d'amabilité comme aux menaces. Taciturne,
mélancolique; rail' recueiIIi, attentif, il inspirait de l'intérêt
à la galerie; il n'inspira que du dédain à Napoléon, et il n'en
obtint rien. II réclama la restitution des forteresses de Silésie :
. Si je ne suis pas nanti de ce dépôt, dit Napoléon, je ne
pourrai plus marcher sur Berlin, lorsque je m'apercevrai que
vous pourriez vouloir manqueI' aux obligations que vous con-
tracterez. - Comment, sire, vous voulcz nous enlever Berlin!
-Je ne dis pas cela; mais je ne suis pas suffisamment rassuré
lur la sincérité des dispositions de votre gouvernement. >>
Tolstoi ne fut pas plus heureux I. n Évacuez la Valachie et la
Moldavie, lui disait Napoléon, et j'évacuerai Ia Prusse ;... Ie
traité de Tilsit stipule I' évacuation de la
Ioldavie et de la
Valachie: il ne fixe pas celIe de Ia Prusse... 1J A quoi Tolstoi
de répIiquer :<< Comment voulez-vous, sire, que no us ne
soyons pas olarmés? Rien n'est fini, rien n'est stable, tant que
les troupes de V otre Majesté occuperont la Prusse et Ie duché
de Varsovie. 1J - "II Y laisse un corps de troupes considé-
rable... conclut Tolstoi; nourrir les espérances les plus exa-
gérées des Polonais, se ménager des intelligences dans nos
provinces polonaises, pour, en cas de besoin, y avoir une
insurrection prête à éclater, nous tenir continuellement en
échec, tel est évidemment Ie but... " La question de Pologne
se greffait ainsi sur la question d'Orient, greffée à son tour
I napport du prince GuiUaume, 9 janvier; lettr
de Humboldt, t2 Eévrißr.
H
.8BL. - Rapport. de Totøtoì, 12, 26 janvier :1808.
L'ORIENT. LE
INDES. - 1881.
IßU
sur la question de Prusse, et partout opposition d'intérêts, dis-
cordances de vues entre les deux alliés. n Je ne saurais com-
prendre ce qui motive la confiance que V otre ExcelJence -Rou-
miantsof - continue à placer dans ses sentiments envers la
Russie... · J)
Cette con6ance, Caulaincourt employait tout son art à la
ranimer. II avait ren1is ses lettres de créance Ie 20 décembre.
Dès Ie prernier abord, il fut enguirlandé, sous Ie charme et
Ie prestige, comn1e naguère Ie roi et la reine de Prusse. Ce ne
furcnl qne fêtes ct confidences: Napoléon avec TolstoY multi-
pliäit les invitations d'étiquette, les chasses et les bals;
Alexandre affectait les réunions intimes, les tête-à-tête. Au
fond, Ie même jeu, sauf que Canlaincourt en était dupe et
que Tolstoï ne l'était pas I.
Faute de compter 3ur la Russie pour contel1ir I'Autriche,
Napoléon crut habile de tenter les Autrichiens, de les mettre
en méfìance à l'égard de la Russie et de les placer, du même
coup, sur le chen1Ïn des Russes. Talleyrand rentra en scène.
L'Autriche s' était exécutée : eUe avait, par des notes des 5 et
10 janvier, consomIné dans les forn1es sa rupture avec I'Angle-
terre. Talleyrand, en grand appareil de confidences avec Met-
ternich, l'en félicita 8. n II ne faut pas vous endormir, Iui
dit-il Ie 16 janvier; au contraire, il faut vous imn1iscer dans
les affaires qui se préparent... L' empereur nourrit deux pro-
jets
l'un est fondé sur des bases réelles; Ie second est celui
d'une expéditions aux Indes orientales. II fant que vous soyez
des deux. .. II faut que Ie même jour des Français, des Autri-
chiens et des Busses entrent dans Constantinople tJ. Le
17 janvier, il reprit Ie propos, et l'on prononça des noms.
n La
Iorée, les iles adjacentes et I'Égypte no us conviennent,
dit Talleyrand. II vous faut Ie cours du Danube, la Bosnie et
)a Bulgarie... L'Égypte est pour l'empereur une ancienne
thèse à défendre. J) II conclut: A II faut que nous devenions
J Ttapports de ToløtoÏ, 10, ii, 14, !6 janvier {808.
I Rapports des 23, 26 décembre 1807. VANmL. - T!TI8TCBBP
J Rapports de l\'JetterDich, i
, 26 janvier 1808.
D.
!40
L'ALLIANCE RUSSE. - 1808.
aHiés... Tilsit n'est qu'un expédient qu 'on vent faire passer
pour un système. " IIlaissa d'ailleurs l\letternich persnaclé que
jamais
apoléon n'abandonnerait Constantinople à la llussie.
Quelques jours après, l\leUernich eut une audience,
a6n de notifier à I'empereur les troisièmes noces de son
maitre avec l'archiduchesse l\farie-Louise d'Este I. L 'empe-
reur parla du partage. n Les Anglais peuvent m'y contraindre
malgré moi ; il faut que je les cherche OÙ je les trotJve. Je n 'ai
besoin de rien... L'Égypte et quelques colonies ßle seraient
avantageuses, mais ne sauraient compenser l'aGrnndigsenlellt
prodigieux de la Bussie... Quand on sera étabIi à Constant.i-
nople, vous aurez besoin de la France pour vous prêter secours
contre la Bussie, et la France aura besoin de vous pour la
contre-balancer. II n'est pas question de parlage; mais, quand
il en sera question, je vous Ie dirai, et il faut que vous en
soyez. It
Ietternich fit la réponse que tous les Aut.richiens
faisaient, depuis Kaunitz et Marie-Thérèse, qu'i1 s'affît de
l'empire turc on de la république de Pologne, du chrÉtlen
ou du musulman : I'Autriche tient à la conservation de 1 em-
pire ture; mais si la France abandonnai teet ancien aIhé,
DOUS n'aurions pas la force de Ie soutenir seuls, et, s'il
tombait en lambeaux, Ii nous ne saurions être indifférents ni
sur Ie choix des acquisitions que feront les puissances
eopartageantes, ni sur la part qui nous reviendrait..." . Si l' on
50nge à la confidence établie entre Metternich et Tolstoï, on
jugera que ces entretiens n'étaient point de nature à per-
suader Alexandre de la sincérité de Napoléon et à enff3ffer Ie
tsar dans la périlleuse aventure des Indes.
Sur ces entrefaites, Ie 28 et Ie 29 janvier, Savary revint de
Bussie. Napoléon l'interrogea et tira de lui, en mots précis,
en traits significatifs ee que Savary n 'avait pas su trud uire
peut-être, aussi expressivemen t, dans ses lettres, ce flu'il avait
observé ou entendu sans en soupçonner l'importanre. L'opi-
Dion de Napoléon sur Alexandre se modifìa dès lor
seH
ible-
I StadioD à Metternicb. 14 janvier, {er février 1808. BEER, Or. Politilc.
L'ORIEÑ"r, LES INDES, - 1808.
14.1
mente II soupçonna, puis découvrit en lui Ie politique. et la
confiance disparut, non se
lement dans la sincérité du tti81.,
mais dans la possibilité de Ie fasciner I.
En même temps, il put lire dans les gazettes Ie discours de
la couronne, tenu å Londres, å l' ouverture du Parlernent, Ie
21 janvier. C' était, rnalgré l'abandon de la Russie, de la Prusse
et de I'Autriche, la résolution indomptable de Intter jusqu'à
l'extermination: II Nous avons, disaient les ministres, l'ordre
de vous assurer que, dans cette Iutte irnposante el si terrible,
vous pouvez compter sur la ferrneté de Sa
Iajesté, qui n'a
d'autre intérêt que celui de son peuple. " Le Parlernent sou-
tenait les ministres. L'Angleterre menace de tenir tête par-
tout; d'attaquer partout; elle s'allie à la Suède; elle se porte
à toutcs les extrémités vulnérables : Corfou, Ia Sicile; elle
prépare un débarquement à Walcheren! Napoléon ne pou-
vait laisser passer ce manifeste de guerre à outrance sans J
répondre. II Ie fit par une note du
loniteur, Ie 2 février:
. La paix arrivera unjour; mais alors des événements de telle
nature auront eu lieu, que l'
.\.ngleterre se trouvera sans bar-
rière dans ses possessions les plus lointaines, principale source
de sa richesse. " L'épouvantail ílui devait atterrer les Anglais
tourne au monstre, au gigantesque. Réalisant des chimères.
mêlant les spéculations du rêve å la réalité, il fixe, dans ces
jours et ces nuits, du 30 janvier au 2 février, tout ce qui cou-
vait en lui d'inventions et de projets. Sur cette énorme toile
d'araignée, flottanle et diaphane, il brode une tapisserie
magnifique, aux lignes nettes, aUK couleurs éclatantes, å la
Véronèse, où s'élèvent, blanches et saillantes, les architec-
tures colossales, découvrant entre les colonnades å jour
l'infini des perspectives.
II écrit à Caulaincourt I : a Dites bien å I'enlpereur que je
veux tout ce qu'il veut. J'ai fait donner l'ordre à Bernadotte
de faire passer en Scanie 14,000 Français et Hollandais... Je
I . Napoléon disait de lui qu'i1le connai8sait pour Ie plus fin de. souverainl d.
l'Europe et qu'it Eìnirait par leø tromper tous. " MORIOLLES, p. 254.
A Caulaincourt, à Alexandre, 2 février 18
8.
rD.
JI
J
I
L'ALLIÅ
CE BUSSE. - 1803.
verrais sans difficulté que l'empereur Alexandre i'emparåt de
Is Suède, même de Stockhohn... " II écrit au tsar: u Votre
Majeslé a besoin d'téloigner les Suédois de sa capitale; qu'elle
étende de ce côté ses frontière:; aus
i loin qu'elle voudra ; je
suis prêt å l'y aider de tous files moyens. J) La Finlande est
livréc; ce ntest qu'un passage et une étape: C& Dites à rem-
pereur que je ne suis pas loin de penser à une expédition dans
les Indes, au partage de l'empire ottoman, et à faire In8r-
cher, å cet effet, une armée de 20 à 25,000 Russcs, de 8 à
10,000 Aulrichiens et de 35 à 40,000 Français, en Asie et de
là aux lndes. J) - " Rien n' est facile comme cette opéra-
tion JJ , ajoute-t-il. II entre en quelques détails avec Alexandre:
n Une arlnée de 50,000 hommes, russe, frallçaise, et peut-
être un peu autrichiennc, qui se dirigerait par Constantinople
sur I'Asie, ne serait pas arrivée sur l'Euphrate qu'elle ferait
trembler l'Allgleterre et la mettrait aux genoux du continent.
Je suis en Inesure en Dalmatie; Sa Majesté rest sur Ie Danube.
Un mois après que nous serions convenus, l'armée pourrait
être sur Ie Bosphore. Le coup en retentirait aux Indes, et
l'Angleterre serait soumise... Tout peut être signé et décidé
avant Ie 15 mars. Au I sr Inai, mes troupes peuveut être en
Asie et, à la même époque, les troupes de Sa rtfajesté .
Stockholm. Alors, les Anglais Inenacés dans les Indes, chassés
du IJevant, seront éCl'asés so us Ie poids des événCInents dont
l'atmoð}Þhère sera chargée." - " II n'y a pas, disait-il
pen après à TolstoY, de raison pour ne pas réussir, parce
qu'Alexandrc et Tamerlan y ont échoué : il faut faire Inieux
qu'eux. II ne s'agit que d'atteindre I'Euphrate; une fois par-
venu sur les bords de ce flcuve, il nty a pas de raison pour ne
pas arri\"er aux Indes. IJ
Iais il fallait, auparavant, " que l'intérêt des'deux Étals fûl
conlhiné et balancé " . Or, Napoléon ne voulait ni de néßocia-
lion par les ambassadeurs, paree qu'il se lnéfiait, jUðtemenl,
de Tolstoï, ni surtout d'écrits. II prétendait tout arran6cl'
ft verbalement n , et dans 10 tête-à-t
te. tc Pour Rrriver à C{l
résu]tat, mandait-il à Caulaincourt, il faut partager l' clnpire
ROME, LA MÉDITERRANJ1E. - i80S. t
1
ture: mais ceia demande que j'aie une entrevue avec l' empe-
reur. u IlIa proposait å Paris, ou, tout au moins, å moitié
cheluin. II s'éblouissait à son propre feu d'artifice, et it écri.
vait II en style de Tilsit n, au tsar slave, comme naguère il se
6ffurait, au temps de Finkenstein, écrire en style oriental à
Sélim ou au shah de Perse.
Alexandre était trop expert en prestiffes pour se laisser
décevoir par ces fantasffiügories colossales. Tout trahissait, A
ses yeux, un double jeu de Napoléon avec les Turcs, qu'i1
soutenait secrètement, avec les Suédois qu'il ne menaçait
qu'en paroles I. n Rien n'égale l'activité des courriers entre
Paris el Constantinople" , écrill'agent prussien i. Tolstoï veille.
Pour la Suède, du bruit et peu de besogne : des rodomontades
à lagasconne dont Bernadotte occupera la galerie. (& Vous com-
prenez bien, avoue Napoléon, que, dans Ie fait, je ne pouvais
pas ausgi légèrement porter mes soldats cùntre la Suède, et
que ce n test pas là que son t mes affaires I. .
IX
Bes affaires, c'est I'Espagne et I'Italie, et s'iI annonce que
"son armèe va'se réunir à l'armée russe 'Sous les Inurs de Stoc-
kholm ,) , c'est pour détourner Alexandre du midi de I'Europe.
ø Je puis avoir des démêlés avec Rome et avec I'Espagne,
ela ne regarde pas la Russie; c'est, pour moi, les frontières
le la Chine 4. " II se borne å en informer, au courant de la
?Iume, Caulaincourt: cc II est nécessaire que je remue cette
)uissance - I'Esparrne - qui n'est d'aucune utilité pour
'intérêt général... L'anarchie qui règne dans cette COllr et
1 N8poléon 11 Champagny, 1.2 janvier; à Caulaincourt, 6 mars t80S.
I IJettre de Hrocl<hausen, 25 février 1808. HASSEL.
I A Herthier, !3, 24. mars; à
lurat, 23 mar.; à Talleyrand, i5 avril 1808.
A Talleyrand J 2
avril 1808.
t
"
L'ALLLlNCE RUSSE. - 1808.
dans Ie gouvernement exige que je me mêle de ses affaires. ...
Les corps français s'infiltrent en Espagne, Duhesme à Bar-
ceIone, Ie 9 février;
lol1cey à Burgos, Ie 10;
Iouton à Pam...
pelune, Ie 9. Napoléon forme une caisse, décide qu'il y aura
un payeur généJ!al des corps d' armée en Espagne, Ie 18 février;
il nomme
Iurat son lieutenant auprès de l'armée française
en Espagne, Ie 20. Izquierdo tombe (I dans un état de vio-
lence et de désespoir II. II promène ses doIéances dans les
ambassades. Tolstoï Iui en demande Ie motif: il ne peut, il
n'ose Ie dire; mais " tout est perdu .1 et, Ie 28 février, it
part pour Madrid I.
En même temps que Ie Bourbon de Madrid, Ie Pape. Le
13 janvier, Napoléon écrit å Eugène: ,,
Ies troupes entre-
ront Ie 2 février à Rome. t)
fiollis qui les commande
prendra Ie titre de commandant de La division d' obsel
vation de
I'Ad,'iatique; il occupera Ie château Saint.:Ange et mettra les
troupes du Pape sous ses ordres I. "L'intention de l'emp
reur,
mande Champnffny à Alquier, est d'accoutumer Ie peuple de
Rome et les troupes françaises å vivre ensemble, a6n que, si
Rome continue à se montrer aussi insensée qu'elle rest, elle
ait cessé insensiblement d'exister comme puissance tempo-
relle sans qu'on s'en soit aperçu. )) L'opération s'exécuta au
jour dit. (I l\{es troupes sout entrées à Rome, écrit Napoléon
à Caulaincourt, Ie 6 Jnars. II est inutile d'en parler; mais si
ron vous en parle dites que, Ie Pape étanlle chef Ù\.; 1:1 religion
de mon pays, iI est convenable que je m'assure de la direc-
tion du spirituel. Ce n'est pas là un 8grandissement de terri-
toire; c'est de la prudence. ))
A cette prise de possession des États romains, å ce com-
mandement général de I'Adriatique, se ratlachent les vues
ßur Corfou. " Envoyez-y tout rargent que vous pourrez,
écrit-il à Joseph;... qu'il y ait 6,000 hOlnmes... De Reggio à
Corfou, it n'y a qu'un pas I... JJ l\lais Joseph n'a oi argent n
troupes, il en den1ande; finis Reggio est occupé par Ie:
I Rapport de Tolstoï, 28 févrÎer 1808. LEFEBVRE, t. III, chap. XXI.
I A Champaflnr, 22 janvier; à Eugène 7 février 1808
ROME, LA M
Dl TERRA
ÉE. - 1808. 24-5
AngIais: que Joseph les en chasse! Reggio pris, u vous serez
maitre de la Sicile I " ! Et la Sicile prise, c'est I'Égyte en vue:
. J'aurai à Corfon, å Tarente, à Naples des prépar:alifs pour
une expédition de Sicile ou d 'Éß'Ypte " , écri t
a poléon à Decrès.
Avoir la Sicile! (I C'est changer la face de In l\léditerranée.
Et Ie délTIOn des expéditions maritimes, Ie dénlon des nuits
d'hiver, trouble de nouveau son sommeiI. En rêve, iI arme
les vaisseaux, lève les ancres, souffle Ie vent dans les voiles,
réunit les flottes, les manæuvre sur les océans, comme les
bimulacres sur une carte: 15,000 hommes s'en1barqueront au
Texel, 20,000 å Flessingue, 80,000 au camp de Boulogne,
36 vaisseaux dans la l\léditcrr:Jn?e! iI en viendra de par-
tout: de Lorient, de Brest, de Carthaffène, de Lisbonne,
<<flottille contre flottilIe, escadre contre escadre I ". -
1& Annoncez des expédi Lions en Irlande et de grandes opé-
rations combinées I. " Les Anglais seront obliffés de lancer
tant de vaisseaux à la suite des escadres françaises, qu'à la .6.n
ils s'épuiseront. (& L'lrlande n'a jamais été plus exaspérée; j'y
ai de fortes intelligences. L'Angleterre, inquiète en lrlande,
menacée dans les Indes par une armée française et russe, sera
amenée enfìn à des principes de raison
. I' Ce qu'il souhaite,
ille suppose créé; ce qu'il ordonne, il Ie suppose accompli.
CI
Ies escadres de Toulon, Rochefort, Lorient et Brest sont
parties" , écrit-ille 17 février... -" Nous pouvons, mande-t-il
à Decrès, avoir 27 à 28 vaisseaux dans la rade de Flessingue,
en 1810; accroiisement progressif, effrayant pour I'Angle-
terre... J'aurai de plus 25 vaisseaux espagnoli, 12 russes et
10 hollandais-en 1809 -total: III vaisseaux de guerre...
L'Irlande, les possessions d'Amérique, Surin
m, Ie Brésil,
Alger, Tunis, I'Égypte, la Sicile sont des points vulnérable...._ 4
I A JosepL, 24 janvier; 7, 8, i5, 17 février;
Champagny, f!janvier; 1 Ma
mont, 24 janvier 1.808. - Mémoir., dø Jo.eph, t. IV. - Note. pour Decrèl,
T février et marl 1808.
I A Decrès, 6, 7 février; 8, II avril; A Laco.te t 't féyrierJ 1 Bertrand,
i8 février 1808.
· A Louis, 7, i8 février 1808.
· ! Loui., 17, !
f8vrier; à
ecrè., i
a.ril i
8..
146
L'ALLIANCE RTISSE. - 1808.
Reggio est pris, SC)711a est pris I, voilà les A.nglais rejetés
en Sicile. Mais l'expédition ne part point. Ce sont toujours les
mêmes vaisseaux désemparés, les mêmes amiraux perclus,
les mêmes vents contraires et les mêmes fantômes anglais qu' en
1805. (I Je ne puis que déplorer l'inlbécillilé de nos marins...
de pauvres malheureux qui meurcnt de peur et d'indéci-
sion... '}. JJ Et voilà Ie dernier mot de toutes les expéditions
maritin1es de 1808 en Sicile, en Irlande, à la Guyane å
Surinam, dans les deux Indes, tel l'immense projet en 1805!
Après
farengo, Austerlitz, léna, Friedland, Tilsit et
I'alliance russe, les décrets de Berlin et de
lilnn, Ie blocus
continental, Ia France en e
t 1oujours à se payer des rhra
es
dont Talleyrand payait en 1798, Ie Directoire, rêveur des
mêmes chimères, constructeur des mêmes plans dans l'in6ni
Napoléon a exécuté tous les projets des Directeurs, rempli
toutes les conditions, et c'est pour aboutir au même para-
doxe, au même néant des choses, au même vide des mots.
. Toute la force de I'Angleterre est dans son commerce et sa
marine. Son commerce, nous Ie poursuivons sans cesse par
nos corsaires, par nos lois et par nos traités. Sa marine, no us
la bravons... Sourdement épuisée par les efforts qu'elle est
forcée de faire... attaquée dans l'lnde, menacée sur ses côtes,
frappée au eæur de sa puissance par l'insurrection d'lrlande...
bientôt peut-être poursuivie jusque dans 1'lnde; de quelque
éclat qutelle paraisse environnée, sa position est effrayante,
et sa chute peut être instantanée et t
rribIe... Us doivent
6nir par abandonner la station qu'ils ont établie au fond de
la Méditerranée, et dès lors nous pouvons marcher sur Cons-
. I ' ·
tanbnop e.... U
Un instant, Ie bruit courut que les Anglais, émus ou
êtourdis du fracas, allaient se départir de leur acharnement;
qu'en Angleterre on voulait la paix générale, qu'on sentait
18 folie de la lutte actuelle, et que la Russie ménageait un
I Joseph It
apoléoD, 8, 23 février {808.
· A JOleph, t2, 29 mar. 1808.
Mém<>.ire de Talleyrand au
irect.ire. to juiU.t 1108. CI. t. y, p. as3
.
no
f E, L.\
fÉDITER RANÉE. - 1808. 241
aCCOffilnodenJent. )1. d'Alopeus, avant de q:1ÌtterLondrcs, en
conféra avec Canning: C& Si la Frallce, dit ce Ininistre, admet-
tail l'uli possidetis et une parfaite égulité cornIne base de la
négociation, elle ponrrait s'ouvrir. J) Alopeus se rendit å
Paris et Tolstoï Ie mena chez l'empereur Ie 3 mars. Alopeus
Ie trouva surpris de I' ouverture, mais désireux de la paix : à
ces conditions, elle pouvait se concInre ilnmédi3tcment.
Tontefois, il importait de s'entendre sur Ies mots. Que signi-
6ai t cet uti possidetis?
Champagny dressa une note qu'un conseillcr d'amhassade
russe, Simirof, devait porter à Londres. l\fais Simirof He partit
point, et ce fut Alopeus qui continua son voyage sans autre
explication. line comprenait pas, dit-il dans son rapport, ce
revirement. II oubliait ses propres confidences et ce qu'écri..
vait de lui l'agent prussien en une lettre vraise]nblablement
interceptée, au cabinet noir : (e Le sieur Alopeus m'a dit
qu'iI avait trouvé que son désir de la paix - de r empereur
- étail assez prononcé. Le sieur Alopeus ajoutait: " Ce.n'est
. pas de mênle à Londres, où non seulement Ie sieur Canning,
" mais tout Ie ministère, est décidé à 13 continuation de la
" guerrc et trou ve que la paix est moins à désirer que la con-
. tinuation de la guerre I. "
Pur interrnède de saison. La seule affaire sérieuse demeu-
rait l'entrevue proposée à Alexandre. NapoIéon s'impatientait
des Ienteurs de la réponse et du retard qu'en éprouvait son
départ pour Bayonne, OÙ l'attiraient les affaires d'Espagne '. 11
ne reçut Ie courrier attendu que Ie 6 mars; mais quelle décep-
tion ! Toute sa fantasmagorie était percée à jour par Ie Russe,
perspicace et insaisissable : Napoléon ne consentait l'nnnexion
des Principautés qu'après accord sur Ie partage; Alexandre
les voulait en nantissement et par provision. NapoIéon, avant
d'engager Ia négociation de partage, proposait une entrevue;
t l\IARTEl"'S, t. IX, p. 149-151. - Brockhaueen à F rédéric-Guillaume, 8 maf..
HU5EL. - N apoléon
Caulainc01trt, 6 mar.. V ANDÄL. - Rapport d. Tol.toi,
18 marl 1808.
I A Caulaincourt, 6 man 1801.
1
8
L'ALLIANCE RUS8E. - 1808.
Alexandre ajournait l'entrevue jusqu'à ce que Ie partage föt
réglé en principe. II ne prenait pas l'expédition de l'lnde plus
au sérieux que ne la prenait Napoléon lui-même, et, en atten-
dant, il s'elnparait de la Finlande
- .-
x
Caulaincourt avait remis au tsar, Ie 26 février, la lettre de
NapoIéon du 2 I. Lorsque Alexandre ouvrit la lettre, son visage
était sérieux; peu à peu il s'anima, sourit, interrompit sa
lecture et s'écria: a Voilà de srandes choses... Voilà Ie style
de Tilsit.>> Arrivé à cette phrase : n 1l faut être plus grands
maIgré DOUS... AIors cette nuée de pygmées, qui ne veulenl pas
voir que les événements actuels sont leis qu'iI faut en chercher
la comparaison dans l'histoire et non dans les gazettes, fIé-
chiront et suivront Ie mouvement que V otre
Iajesté et moi
aurons ordonné; et les peuples russe et français seront con-
tents de la gloire, des richesses, et de la fortune qui seront Ie
ré
ultat de ces grands événements. L'ouvrage de Tilsit réglera
les destins du monde..." II s' écria : (( Voilà Ie grand homme! .
II désigna imméùiatement Roumiantsof pour négocier avec
Caulaincourt sur Ie '}rand objet, et les conférences comlnen-
cèrent Ie 28 février, coupées par les entretiens de Caulain-
court avec Ie tsar qui adoucissait, par la caresse de ses paroles
ailées et dorées, l'âpreté toute réalisle du langage de son
ministre. RouD1iantsof désirait, disait-il, l'entrevue, autant
qu'homme du monde. n Je ne vois pas d'homme capable de
traiter d'aussi grands intérêts... Mais Ie prix même que j"at-
tache à cette grande alliance, à tout ce qui doit en résulter,
D1e fait òésirer qu'on jette au préalable quelques bases sur
J V A
nAL, t. 1, chap. VIII : lea entretiens de Pétershourg. - TA.TISTCHEfI',
chap. \'11 :
í' partaße du monde. - Rapports de Caulaincourt, à par'ir du
26 lé.rier 1.808.
MÂ.RIAGE ET PART AGE. - 1808.
!4.9
lesquelles on traiterait. II faut s'expliquer avant, a6n d'être
stIr de s'entendre après. D
On s'expliqua donc et ce fut pour constater qn'on ne s'en-
tendrait point 1. Roumiantsof montrait pour Ie dessein sur
l'lnde un intérêt étrange. (( C'est l'endroit vulnérable pour
I'Angleterre. Je vous confesse que je serais enchanté de voir
Ie projet réussir, car, malgré ses grands talents, l'empe-
reur Napoléon n'a pas encore porté de coups terribles
aux Anglais. II faudrait aussi une Grande expédition chez eux
dans leur He. JJ Cette allusion au camp de Boulogne et à
I'immense avortement des projets maritimes jetait sur l'en-
tretien un vernis d'ironie. II fallait en venir aux affaires. On
déploya la carte et on ouvrit Ie compas. Roumiantsof indiqua
pour la France: la !\Iorée, I'Archipel, I'Albanie, I'Égypte,
même la Syrie; pour la Bussie: la .Moldavie, la Valachie, la
Bulgarie et peut-être la Serbie; I'Autriche aurait une partie de
la Bosnie et la Croatie turque. Caulaincourt se récria sur l'ar-
ticle de la SerLie. n Soit, dit Boumiantsof, donnez-Ia à un cadet
d'Autriche, à un Cobourg qui épouscra une de nos grandes-
duchesses JJ. Quant à la Bulgarie, il n'en démordit point:
" II faut quell]ue chose qui parle à la nation et qui prouve que
l'empereur n'a pas donné son armée sans qu'il en soit résulté
des avantages. " Ce propos les ramena à Constantinople, d' OÙ
partirait J'expédition sur I'Inde. Pourrait-on, au moment de
'enffaffer si loin, laisser derrière soi un gouvernement aussi
précaire, aussi incertain? Bourniantsof conclut tout crûment :
" Notre lot est de I'avoir, notre position nous y mène comme
au Bosphore et aux Dardanelles. D
Les rnots irrévocables étaient prononcés et dès lors, 4 mars,
Ie propos tourna aux contestations, puis à l'aigreur, puis au
dissent iJnellt con1plet. n Les Échelles du Levant, dit Alexandre
lorsque Caulaincourt les réclama, savez-vous que c'est cc
qu'il y-a de plus riche, de plus populeux. Smyrne, queUe
richesse !... V otre position est superbe... vous êtes mattrcs
I Comparez t. IV, p. i89, lei conférenc88 de i794-, eDtre MarkoE .t Cobenzl,
pour Ie p lrtage d. la Poloßne.
S50
L' ALLI 1NCE RUSSE - i808.
partout. La possession de Varr.oyie, les troupes que vous y
avez vous donnent toujours une position menaçante pour
nous, si on se brouillait un jour, ce qui n'arri"era j:1mais par
nous, je vous assure... " Les Russes ne pouvaient pas plus
laisser Varsovie aux Français que les FrançaÎg mettre les
Busses à Constantinople.
On rédigea un résumé des pourparlers que Cau 1aincourt
ferait porter à Paris par M. de Saint-Aignan, venu en courrier
de l'empereur t. Alexandre écrivit deux lettres pour Nnpo-
léon : rune du 13, envoyant des préscnts; l'autre dlJ 16, 1'li
annonçant la conquête de la Finlande : "Si les idées 'IUf' je
propose à V otre
{ajesté sont d'accord avec les siennes, je
suis prêt à me rendre à l'entrevue qu'elle dé
ire avoir de
moi... II ne me faut que quinze jours pour arriver à Erfurt,
lieu qui me semble Ie plus propre pour nous réunir. 1t
On ne s'était alIié, à Tilsit, que sur des sous-entenrlus; Ie
dis
entiment désormais était complet, et il portait plus
encore sur ce qu'on ne se disüit point que sur ce qu'on s.était
dit. Pas un mot du secret, Ie secret de I'empereur, sur lequel
Nnpoléon
si jaloux pourtant aiIIeurs de ses desseins, désirait
tant se voir deviné, pressenti, devancé par ,...\.lexandre. Depuis
Ie voyage d'Italie et les refus ohstinés de Lucien, l'idée d'un
rnarinffe princier, d'un grand mariage, digne du Grand
Elnpire, ne Ie quittait plus. II se faisait présenter des listes
de princesses: deux russes, deux autrichiennes, deux saxonnes
une bavaroise, une espngnole, une portuffaise. Sur cel inven-
taire de bazar aux impératrices, il s'arrêtait de préférence aux
russes, comrne à l'arrangement Ie plus politique, Ie moins
difficile aussi. Lui qui n 'avait pu, même avec la promesse
d'une couronne, décider son frère Lucien à se sépnrer de sa
femme, n'imaginait point qu'AlexanJre ne pût disposer, à sa
-convenance, d'une de ses sæurs et s'arrêtãt au refus de rim-
pérahice mère. On en parlait dans Paris, et c'est Ie gros com-
mérage dans la correspondance des diplomates. " On prétend,
· T,xt" daD' TiTUIYCl1Sr, p. :i1.3
1, að
.
MARIAGE ET PARTAGE. - 1808.
251
écrit un agent prussien Ie 31 janvier, que I' on n 'a pas trouvé
å Pétel'sbùurg Ie terrain favorable; Ia grande-duchesse n'a pas
voulu donner son consentement. JJ Le 21 février, tout est
chauß'é. Si Ia grande-duchesse Catherine refuse, Alexandre
offrira une autre de ses sæurs, plus jeune encore. Le divorce
serait j,nlninellt. Eugène vient chercher sa mère pour I' em-
mener en Italie. Le 26 février, Ie prince Guillaume écrit au
loi de Prusse : u On parle tOlljours beallcoup du mariage de
Napoléon avec la GTande-duchesse Catherine; on dit même
que Ie prince de Bénévent est destiné à se rendre å Péters-
bourg pour en ramener ceUe princesse en France I. I'
A Pétersboufß', on se montre anxieux, nerveux. "Ces nou-
velles, écrit ßOHlni3ntsof, avaient fait ici une jU8le et pro-
fonde impression. " Le silence de TolstoY (( sur un sujet qu'il
sait être d'un inf{
rèt si majeur n siffuifiait-il que I'affaire
" n'a pas nne base bien solide n ? On prend ses précautions.
L'ilnpéralrice lnèrc s'occupe de placer sa fille en lieu sûr.
Elle aurait sonrré à l'elnpereur Frnnçois, mais ce souverain a
déjà fait choix de sa troisièlne femlne; restent les archiducs,
Jean et I'archiduc palatill, un prince de Bavière, un prince de
Prusse. Houlnianbof écrit à Tolstoï: " Ne montrez aucune
inquiétude, aucune curiosité de rien savoir; mais tâchez de
tout pénétrer... ne VOllS épar{jnez, je vous conjure, ni soins,
ni peines pour me salisfaire sur cet objet. Je n'ai pas besoin
de faire à V olr'e Excellence I'apologie de ce désir extrême que
fai d'être éclairé sur ce fait. Je serais Ie plus lJeureux des
hOlnmes si je pouvais éparßl1er à la plus tendre comme la
plus aUß'uste des mères les inquiétudes OÙ ces bruits l'ont
jetée. J)
C'estavec ce commentaire qu'iI faut lire les Iettres d'Alexan-
dre à Napoli-on et les rapports de Caulaincourt sur ft Ie grand
projet IJ . - u L'em/Jerellr est de cæur et d'opinion à Votre
l\lajesté, écrit Caulaincourt; c'est Ia nation et Ie ministère
qu'il faut conquérir.. II Que Votre Alajesté reconnaÎsse
· HAII&L.
t51
L'ALLIANCE BUSSE. - 1808.
I'Italie à la France, peut-être même l'Espagne; qu'elle change
les dynasties, fonde des royaumes; qu' elle exige Ia coopéra-
tion de la fIotte de la mer Noire et d'une armée de terre pour
conquérir I'Égypte... en un mot, que Ie monde change de
place: si la Russie obtient Constantinople et les Dardanelles,
on pourra, je crois, obtenir d'elle tout ce qu'elle pourra offrir,
et lui faire tout envisager sans inquiétude I. "
Tout? Jusqu'au mariage? Caulaincourt D'en dit rien, et
Napoléon, désormais en éveil, se mé6.e des déffagements de
son allié. Constantinople, il ne Ie cédera jamais. l\lais Varsovie
peut-ètre. Varsovie vaut une grande-duchesse. La question
demeure qui livrera Ie premier son gage : Napoléon qui tient
la Pologne, Alexandre qui dispose de la princesse. " II Y a lA,
écrit Napoléon à Caulaincourt, un cercle vicieux que vous
n'avez pas assez senti ni fait sentir. 1J II Ie dit de Constanti-
nople; it Ie pense du mariage et du royaume de Pologne I.
C'es! Ie 31 mars, à midi, que Saint-Aignan arrive à Paris.
A six heures, Napoléon a pris son partie Pour juger de cette
résolution, une des plus lourdes de conséquences qu'il ait
prises en sa vie, il faut connaitre en qnelles perplexités it
se débattait alors et queUe crise traversaient les affaires
d'Espague,
i étrangement enchevêtrées dans celles de I'al-
liance russe.
1 CaulainC'ourt à Napoléon, t6 mar. 1808 V AJlDAL.
I A Caulaincour&, 31 mai 1808.
CBAPITRE IV
.
YONNE ET ERFUBT
1808-iSOG
I
Le Portugal conquis, Napoléon ne songe plus å Ie livrer ..
I'Espagne I. A ses yeux, Ie traité de Fontainebleau I a cessé
d'exister dans Ie temps même OÙ la dynastie de Bragance a
cessé de régner. Comment d'ailleurs confier å des mains Ii
douteuses et si débiles la Garde de cette marche du bIoeu,?
La reine d'Étrurie n'a pas su fermer Livourne, c'est pour Ie
lui reprendre que Napoléon I'a détrônée, et illui donnerait
Oporto; it donnerait les côtes du sud å Godoy, plus suspect
encore, comme souverain que comme ministre, de pactiser
avec I'Angleterre. Ce que Louis n'exécute pas en Hollande,
Godoy l'accomplira-t-il dans les Algarves? Napoléon voyant la
8oumission facile des Portugais médite de les gU6'ner : ille.
I LEFE1InE, liv. III, cb. xxx; Frédéric MASSOð, t. IV, Joséphine rlpudii.;
cornte
URAT, Murat; B
UMG
RTEN, Espagne; BALAGlIfT, Campagne tie Nafoléon
en Espagne; GUlLLOl."f, Guerre d' Espagne; GEftVIl'fUS; MICBELET, Dix-neuvieme
,iècle; SAS
ENA y, NapoLéon d La République argentine; Ernest DAUDET; MADELlllf;
GUILLO
, Complots; BOl."fNKFOl'fS, Saxe; RAMBAUD, Allemagne; GAUTIER, Staé"l;
ARNETH, Wes.çenbel'g; ONCKBN, OEsterreich und Preussen; PEftTZ, Stein;
HÜFFER, Lombal-d; Lett1'e$ de LJapoléon à Caulaincourt, publiée. par Alber'
V.U'WAL; STERl."f
Lettres de Gentz à Londres; ROCQUAIN, Napolion t!t Ie roi Louis j
It'lémoires du roi Jo
epb, de Miot, de Ræderer, Talleyrand, Méneval, duc de
Broglie, Pasquier, J08eph de Maiatre, Malrnesbury, d'une inconnue, dtAbrantès,
Rarante, Desvernois. - Pour la guerre d'Espagne : Gonneville, Ferenaac,
Ségur, Thiébault, Marbot, Buge
ud, Lejeune, Bigarré, Pepe, Paulin, FaDtin.
!locca. Casrellane, Jourdan. - ROUSSEAU, Suchet.
· 'fraité de Fontainebleau, 27 octobre 18 07
!5'-
BÅYO
NE ET ERFURT. - 1808.
gouvernera directement, par un lieutenant. Déchirant Ies
articles qu'il a dictés lui -même, il écrit à J unot, Ie 7 mars:
ø
les différends avec I'Espagne viennenl de ce que je ne veux
pas diviser Ie Portugal, dont elle veut donner la moitié au
prince de la P.aix et l'autre moitié à la reine d'Étrurie I. "
Quant nux Espagnols, s'ils tiennent à celte conquête, ils la
paieront très cher et illeur faudra passer un nouveau rnarché :
alliance permanente, cOlnmerciale el politique; cession à la
France, en compensation de la part du Portugal qu'elle s'était
réservée à Fontainebleau, des territoires espagnols sur la rive
gauche de I'Ebre : Ie Guipuzeoa, la Navarre, la Catalogne
avec Ie port de Barcelone 51. Encore ce traité signé ne tien-
dront-ils rien, car NapoléoIl occl1pe Ie Portugal et va, par
provision, occuper la rive gauche de rEbre et au delà. II écrit
encore Ie 7 mars à J unot: n J e serai probablemcnl Ie 20 mars
à Burgos... Ne parlez haut contre les Espagnols que quand
les événements auront éclaté. )) Quant à ces événelnenls, on
les devine d'après ses instructions du 9 mars à Ch
Hnpagny :
. Écrivez à Beauharnais qu'une armée de 50,000 hOllllnes
entrera dans l\ladrid Ie 22 ou Ie 23. Vous lui recomman-
derez de rassurer les partisans du prince des Asturies, de
répandre que mon projet est de me rentIre à Cadix pour
8ssiéger Gibraltar et me rendre en Afriq ue, et de voir en
passant à régler les affaires d'EspDgne, de manière qu'il n'y
ait poiut de doute sur la succession de ce royaume. Si Ie
prince des Asturies on Ie prince de la Paix laisse cntrevoir Ie
désir de venil' à Burgos, cela Inc sera très 3ffréalJlc; n'importe
qui viendra, il faut Ie recevoir. " Et à !\-Iurat, Ie 14 lTIafS:
. QueUes que soient les intentions de la cour de
ladrid, VOl1
devez comprendre que ce qui est surtout utile, c'est d'arrivcr
à Madrid sans hostilités, d'y faire camper les corps par divi .
sion pour les faire paraitre plus nombreux... Pendant c
1 LECB8TRB. - Voir ci-des8u8, p. 119, Ie traitP
e FOlltuil1cbleau t !7 0('.
hre 1807.
I Traité dicté 1 hquierdo, !O-24 marl 1808. - Rapport de Tolstoï, 28 Eévricf
i808.
INTRIGUES ET COMPLO'fS E
ESPÂO
R. - 1801. 255
temps mes différends s'arrangeront avec la cour d'Espagne.
J'e8p
rc que la guerre n'aura pas lieu, ce que j'ai fort å cæur.
Si je prends tant de précautions, c'est que IDon habitude est
de ne rien donner au hasard... J e veux rester ami de I 'Es-
pagne et renlplir mOll but sans hostilités; mais j'ai dû me
mettre en mesure pour que, s'ille fallait, je pusse surmonter
la résistance par la force. JJ
A mesure que les régiments avancent, les illusions du
peuple esp3gnol sur Napoléon s'évanouissent; la méfiance,
puis l'hostilité succédent à l'aveugle con6ance. Un libéra-
teur n'an1ène pOlllt tant d'armées si exigeantes, une invasion
si dure au peuple : il ne se fait point remettre les vilIes, ne
les occupe point en vainqueur. Hostile aux nouveautés, ce
vieux peuple, u recroquevilIé >> sur ses ruines, mettait son
honneur à fermer au:x. étrangers son esprit, son cæur, ses
frontières, ses églises, ses couvents à murs de prison, ses
palais indigents, ses rnisérables chaumières. Les soldats fran-
çais éprouvent la dure résislance de la terre et des hommes.
lis se sentent dépaysés et déroutés. Ce n 'est plus I'Ilalie en
fête; ni l' Allernagne u aux blonds cheveux JJ, aux bons can-
tonnemellts, Ie petit vin blanc, la bière, les logis hospitaliers.
u Ricn de plus triste ni d'un aspect plus sombre que Irun, la
prelnière ville que l' on trouve à un quart de lieue de la fron-
tit>re : des maisons en granit foncé, des fenêtres grjllées jus-
qu'au troisième étage, des rues sales et étroites... Partout des
fjp.-ure
haineuses... )J Dne langue à cris gutturaux; un peuple
Li7.arre, sauvaGe, féroce: n Le teint basané; l'æil arabe, noir,
couvert d'un épais sourcil; Ie front rasé; les cheveux abon-
daub" rele,"és en un énorme paquet qui pend sur la nuque,
un mouchoir de couleur noué autour de la tête... Un COll
llU, rouGe et noirci; des dents blanches aiffuës conlme celles
des loups en colère... " Des mendianls fourmillant de ver-
Inine; des hidalgos dépcnail!és, rouIés majestueuselnent dans
les IO(IUCS de leurs mantcaux Lleus, Ie sombrero rabattu sur
es yeux, se chauffant au soleil, Jouant de la ffuitare, avec des
reGards inquiets) toujour
ê
à jouer du couteau. Et cett
t56
.ATO
M! HT ERFURT. - 1808.
nouveauté : point d'espions! Cette gêne : point de Juifs! Une
armée de moines, cadre d'un peuple en armes. Les femmes,
curieuses, l'æil ardent, s'approchent, regardent, se font voir
et s'enfuient, appât à l'embuscade. " Nous riions, dit un
officier, du côté sinistre de la situation et nous cherchions
ces folies d'Espagne dont nous avions été bercés dans notre
enfance. " lIs ne reconnaîh'ont ni I'Espaffne d'opéra-comique,
Ie don Quichotte accommodé par Florian, ni les figures joli-
ment mondaines de Coypel, ni I'Espaffne picaresque de Gil
Bias, ni I'Espagne égrillarde de Pigault-Lebrun 1, la seule,
au fond, qui leur soit familière. Le peuple qu'ils affrontent
Ie prépare à défeudre ses foyers par les mêmes moyeos qu'il
8 conquis Ie Pérou et Ie
Iexique. C' est Bernal Diaz qu'il a urait
faUu lire avant d'envahir ce pays. Ce sont toujours les mênles
Espagnols, cc mélangés du Catalan, du Carlhaginois, du
Romain, du Vandale et du l\laure, qui ne distinffuent jamais
In chose de la personne, qui rédnisent toute dissidence d'opi-
nion à ce dilemme : Tue ou meurs 2... 1) . On ne marche qu'au
milieu des alertes, bientôt des guet-apens : les courriers
arrêtés la nuit aux auLerges répugnantes et traitresses, aux
tournants des chemins; les étapes harassantes; la soif, en
attendant les supplices.
Iurat s 'avançait dans une entrcprise dont il ne possédait
point Ie secret. lilui semblait que ces peuples cherchaient un
sauveur, que Napoléon leur destinait un roi : il se sentait de
taille à les gouverner et d'humeur à ceindre la couronne.
D'ailleurs rusé, sous son panache, autant qu'un lieutenant
de Cortez, aussi vaillant et plus humain, de culture et de
cæur, conquérant meilleur et de meilleure volonté; arces-
sible aUK caresses, aux flatteries, jusqu 'aux extrémités de la
conslgne.
Godoy et la reine voient Ie cercle se serrer. lIs se débauent
dans un enchevêtrement fantasque de complots et de contre-
complots. ,9odoy pense à se retirer à Cadix, à enlbarquer la
· La Foli
spagnole. Paris, 1800.
CBATKAUBBu:ND f Co..n9':.e. d
Y.,'one.
INTRIGUES ET COMPLOTS EN ESPAGNE. - t80S. 251
dynastie pour Ie
Iexique, à la façon des Bragance. A l\Iadrid
se représentent, en traduction et mise en scène espaß'noles, les
scènes de Paris, en juin 1791, lors du départ de Louis XVI.
Le peuple réclame son roi, son otage et son fétiche. Les
ennemis de Godoy profitent de cette effervescence. Talleyrand,
quand il s'y reporte, reconnait les temps du comtc de Pro-
vence et de Philippe-Égalité, de Favras et de Cboderlos de
Laclos, compagnons de ses premiers jeux d'État. "Les mou-
vements populaires sont bien commodes pour les intrigants " t
dit-il dans un récit qui semble .délaché des mémnires de son
compère et confrère, Ie cardinal de Retz; cc les fils s'y rom-
pent et les recherches deviennent impossibles I u. Dans Ia
nuit du 1 7 au 18 mars, l' émeute éclate dans Aranjuez OÙ se
trouve la famille royale, Le palais de Godoy est envahi, pillé.'
On cherche Ie cc pripce ", avec des cris de mort; il s' était
disposé une cachette, il s'y réfugie; mais Ie lendemain, il se l
fait prendre, comme it lâchait de gagner Ie large. Les insurgés
Ie conduisent à la caserne des gardes et l' enferment dans la
chambre qu'il occupait, simple garde du corps, et pas même
candidat à l'alcôve royale. Sans Godoy, il ne reste de
Charles IV qu 'un vieillard apeuré. Beauharnais se rend près
du roi, Ie trouve bouleversé. II l'exhorte å se confìer à l'em-
pereur, à ne plus avoir d'autre illtermédiaire que Iui, Beau-
harnais. 1&
Ionsieur l' ambassadeur, dit Charles IV, je ne ferai
plus aucune délnarche sans en parler à l'empereur... J'ap-
prouve votre idée... Qui, eUe D1e convient; je consulterai
désormais mon intime allié... Communiquez-moi vos idées,
l\lonsieur l'ambassaàeur; mais grâce, dans ce moment, je suis
tout troublé cette nuit. 1) Persuadé que s'il n'abdique sur-Ie-
champ les partisans de son fils Ie feront assassiner dans Ia
nuit, il abdique. " V otre
Iajesté peut commander, tout
obéira u, écrit Beauharnais à Napoléon i. Le 20 marß, Fer-
dinand écrit à
f urat pour lui noti6er que " la divine Provi..
denca l'ayant appelé au gouvernement de ses peuples D. il
....
t lUémoire$, t. IV. Affaires d'
8paßno
· i8 marl 1808.
tll.
)'1.
138
BAYON
E ET IlRFUI\T. - 1808.
s'empresse de télDoig'Der au grand-duc de Berg (i ion estime
particulière pour sa personne et son désir ardent de main-
tenir et de resserrer les liens qui unissent les deux États 11 .
Dans Ie même telnps, Charles IV et la reine implorent ia
protection pour leurs personnes; pour Godoy, plus cher au
roi que la reine, plus cher à la reine que Ie roi, et å tous
deux que loutes les Espagnes.
!\lurat devenait ain
i l'arbitre d'une révolution qu'il médi-
}ait de détourner à son profit et Ie protecteu.r d'un trône OÙ il
songeait à s'asseoir. Charles IV lui fait :;avoir qu'il n'a abdiqué
que sous Ie couleau; it sollicite un refuge en France, (I une
métairie où il pût tranquillcment finir ses jours J). 1\lurat
aperçoil iei Ie moyen de se débarrasser de Ferdinand et de
faire table rase des Bourbons en Espagne I. . II Voyant, ëcrit-il
à Napoléon, les heureuses dispositions de ces malheureux
personnaffes de s'abandonner entièrement à la généreuse pro-
tection de Votre 1\Iajesté, j'irnaß'inai de faire protester Ie roi
contre les événenlents d'Aranjuez et de lui faire abdiquer Ie
trône en faveur de V otre
Iajesté pour en disposer co mIne cUe
voudrai t. 1) Ce que fì t Charles IV, Ie 21 mars I. II révoquait
l'ahdication consentie en faveur de Ferdinand; ce fils, "qui
venait d'outrager à la fois la nation et la ffiajcsté du trôJle, ne
saurait porter dignement ma couronne... Cette couronne si
brillante ne peut êlre soutenue que par un génie extraordi-
naire... Plein de con6ance dans Ie génie et la Inagnanimité
d'un grand hOIllme, j'ai pris la résolution de me remettre en
tout ce qu'il voudra disposer de nous... " .
Le 23 mars, Murat enlra dans l\ladrid et reçut les cOlnpli-
ments des granòs d'Espagne. Le 24, il fut rejoint par Ferdi-
nand; luais il n'eut Harde de Ie recevoir ou de raIler visiter,
ce qui eût présumé la reconnaissance. Ce refus "refroidit bien
du n10nde, éCl'it !\Iurat. Chacull se dernande : - Sera-t-il
reconnu? S'il ne rélail pas, qu'arriverait-il?... " II s'en
uivit
une étrdnge inquiétude et Ull COll1111encement d'agitation
I
furat à Napoléon, 19, 2/4. mars 1808. Comte MUl\iT.
t Lettre à Nal)oléon, It;u.'e à )lurat. dédaratioll, 21 mar. t80S.
INTRIGUES ET COMPLOTS EN KSPAGNE. - 1808. !5G
dans Ie peuple de 1\:Iadrid. Pour l'
paiser, Murat déploya sea
troupes et répandit Ie bruit de l'arrivée prochaine de rempe-
reur.
Napoléon apprit, Ie 26 mars, la révolution d'Aranjuez et
But qu'il pouvait tout en Espagne. Son parti est pris. II écarte
Joseph qui fait trop Ie délicat, et il propose la couronne à Louis,
gênant en Hollande OÙ les affaires du blocus ne marchent
point. II lui écrit Ie jour même : n J'ai résolu de mettre un
prince français sur Ie trône d'Espagne. Le climat de la Hollande
ne vous convient pas. D'ailleurs, la Hollande ne saurait sortir
de ses J'uines. Dans ce tourbillon du monde, que Ia paix soit
faite ou non, il n'y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne.
Répondez-moi catégoriquement. Si je vous nomme roi d'Es-
paglle, l'agréez-vous? Puis-je compteI' sur vous? J) Du même
coup que les Bourbons cesseraient de régner, Ia République
batave aurait vécu. Et il mande à àlurat, Ie 30 : (C J'approuve
fort la conduite que vous avez tenue. Je suppose que VOUI
n'avez pas laissé périr Ie prince de la Paix... Je n'ai paa
reconnu Ie prince des Asturies; Ie roi Charles IV est toujoura
roi... Je vais partir pour Bayonne. II II avait son plan qu'il ne
confia point à 1\lurat, et qu'elnporta Savary 1 : c'était de les
amener tous, Ie père, la mère et Ie fils à solliciter son arbi-
trage et à se rendre à Bayonne, où il réglerait leurs destinées.
II en était là quand survint Ie courrier de Pétersbourg qui
leva les dernières hésitations. Si Alexandre eût accepté immé-
diateinent l'enlrevue, Napoléon se serait mis en route pour
Erfurt; lnais Alexandre r éloigne indé6niment; alors, Napo-
léon va au plus urgent. II écrit à Caulaincourt : " L'entrevue
est ajouruée. Cela étant, je pars après diner pour Bordeaux,
pour être au centre des affaires. Charles IV a imploré ma pro-
tection. Je vais Ine rapprocher des Pyrénées. )) II commen..
cera par où les Busses l'engagent à 6nir. II était disposé å
leur pa) cr' leur concours. II s'en passera et il leur opposera
Ie fait accoJnpli. L'Espagne assujettie, c'est la i\léditerranée å
I Savary par Ie 30 . Savary CODnaÎ1. tOUI DOl projet... A Murat, 9 &Yl'll
808.
260
!AYONNE ET ERFURT. - 1808.
la France, c'est I'Égypte sous ses prises. L'Angleterre capi-
tulera peut-être; et qui sait si Canning, sous Ie coup, ne se
résignera pas à l'llti possidetis dont il parlait à Alopeus et qui
désormais s'étendrait jusqu'aux cataractes du Nil? En tout
cas, maitre de r E:;pagne et du Portugal, Napoléon se sentirait
plus luenaçant en Po]ogne, plus maitre des choses en Tur-
quiet Encore une foÌs les circonstances en décidaient. (( II est,
disait-il, de la sagcsse et de la politique de faire ce que Ie
destin ordonne et d'nUer où la marche irrésistible des événe-
ments nous conduit. >, Un étranger, intéressé à Ie suivre de
près, constate qu'à cette époque il s'habituait à parler de
sa politique conune d'ul1 fait historique, quasi indépendant
de sa volont
, "des événelnents qu'il pourrait maitriser seul,
comme s'ils avaient lieu sans sa concurrence". - Peu de
jours avant son départ, il dit: "Je dois suivre mon étoile et
je vais la suivre J. J)
Avant de se Inettre en route, il décida une mesure depui.
longtemps méditée et préparée par lui : Ie séquestre sur lea
États et la personne du Pape. Le Saint-Siège serait sécularisé
en même temps que I'Espagne sernit médiatisée '.
liollis
occupait ROine et, en réalité, tenait Ie gouvernement, expul-
sant des cardinaux, faisant la police, incorporant les soldats
du Pape, s'emparant de tous les services publics, organisant
Ie pays en départements, interdisant aux agents du Pape
la levée des impôts; bref, affainant, isolant, poussant à bout
Pie VII ct Ie Sacré-ColIège, les acheminant à quelques folies
a6n de donner à Napoléon Ie prétexte de les supprimer.
Napoléon force alors Lucien de quitter Rome où cc il conjure
avec la prêtraille )); il refuse de reconnaître Caprara comine
légat; ille fait relnplacer par Pacca; puis il lance son ultÙna-
turn I : a Si Ie Pape ne consent pas à entreI' dans une ligue
I Broc1tl1aueen au roi de PruIse, S avril f.80S. H"'SSEL. - Voir OEuvrøl á.
Napoléoll, t. XXXII, p. 272-214-.
t SOU8 Ie Directoire, on eût fl'uctidorisi Rome et véllétianist!
Iadrid. Voir
I. V, P 294-.
I Lettres à Eugène, 20, 23 mars; à Joseph, i1 mar.. IluCASSE, løs ROZllr
!u.
-
Ghampagny, 1 er , 2 avril; à Eugène, 2 avril 1808. -
BA YONNE. - 1808.
261
.
offensive et défensive avec les royaurnes d'Italie et de Naples
ponr In défense de la presqu'ile italienne" , ce sera la rupture.
Illui donne jusqu'au 20 avril pour se décidcr. De to ute façon
Eugène, Ie 30 avril, promulguera Ie décret (du 2 avril) qui
transforme les États romains en départements, "de manière
que tout cela se fasse comme un coup de théâlre ". De sorte
que si Ie Pape repousse l' ultimatuln, il paraisse puni, et s'il
l'accepte il se sente perdu. Le destin l'aura condamné: C& II
est impossible de perdre plus bêtement ces États temporels
que Ie génie et la politique de tant de Papes aV3ient formés.
Quel triste effet produit Ie placement d'un sot sur Ie trône 1. .'
L'exécution se fit à l'heure dite. J..,je 7 avril, des soldats de
Miollis occupèrent Ie Quirinal. Le Pape protcsta et repoussa
l'ultimatum. Le chargé d'affaires de France réclalna ses passe-
ports Ie 19 avril. Le monde allait apprendre coup sur coup Ie
châtiment de Pie VII et Ie détrônen1ent de Charles IV : Napo-
léon maître de Rome et de Madrid, arbitre de I'Italie et de
I'Espagne.
II
Le jour même OÙ Miollis séquestrait Ie saint-père, 'I avril,
Savary prenait à son piège Ferdinand de Bourbon. II per-
suada ce prince de se rendre, en sa con1pagnie, à Burgos, où.
it rencontrerait l'empereur. Ferdinand se mit en route Ie 10.
A BurGos, il ne trouva personne. Savary I'endoclrina si bien
qu'il se décida à pousser jusqu'à Vittoria, Ot1 il se vit envi...
ronné par les troupes françaises. II refnsa d'n.Yancer davan-
tage, et Savary ne put tirer de lui qu'une lettre à l'empereur
qu'il se chargea de porter. Ferdinand priait
apoléon de
mettre fin à une situation très pénible; en d'autres termes, it
lui demandai t de Ie reconnattre.
I .A. Bua èD8 , 6 anil
.8
8.
!6t
BAYONNE ET ERFURT. - t80S.
Napoléon reçut cette Iettre à Bayonne, où il était arrivé, Ie
15 avril. II y répondit, Ie 16, en termes très pathétiques, en
elnpereur, juge des rois, de leur honneur et de leurs que-
reIJes: il détournait Ferdinand du procès qu'il voulait faire au
prince de Ia Paix: n Le résultat en sera funeste pour votre
couronne. V otre Altesse royale n'y a de droits que ceux que
lui a transmis sa mère; si Ie proc-ès Ia déshonore, V otre
Altesse déchire par Jà ses droits. Elle n'a pas Ie droit de juger
Ie prince de la Paix; ses crimes, si on lui en reproche, se
perdent dans les droits du trône. >> - (& Je De crois pas, écri-
vait de
{aistre quand illut cette Iettre, que Louis XIV eût pu
écrire mieux... Le passage sur Ia reine est écrit... avec la
griffe de Satan. "
NapoIéon c( flottant tJ , diRait-il, entre divers partis, désirait
s'entretenir avec Ie prince, et craignant que Ferdinand se
dérobât if manda, Ie 17 avril, à Bessières : n S'il refuse ren-
trevue que je lui propose, c'est qu'il est du parti des Angfais,
et alors il n 'y a pI us rien à ménager... V ous Ie ferez arrêter
et conduire à Bayonne... " Cependant
Iurat préparera les
Espagnols aUK << événelnel1ts " , il les rassurera sur l'intégrité
de la monarchie, il annoncera (( un gouvernement libéral et
la régénération de l'Espagne ". NapoIéon fait rédiger par
Champagny un rapport sur Ie changen1ent de dynastie. Louis
ne répond point. II faut un candidat à ce poste de réß-énéra-
teur. Napoléon se repJie sur Joseph: ø II fie serait pas impos-
sible que je vous écrivisse dans cinq ou six jours de vous
rendre à Bayonne. >> Et, de même qu'en 1797, découvrant
l' Adriatique et perçant dans les sui tes : cc Monsieur Decrès,
méditez l'expédition d'A1ger... Un pied sur cette Afrique
donnera à penser à l'Angleterre... Après avoir étudié l' expé-
dition d'Alger, étudiez bien celIe de Tunis... 1 >>
Les fils se nouent et se tendent dans ses mains. Les con..
seillers aveugles de Ferdinand se flattaient d'acheter Ia reCOIl-
naissance de leur roi par quelques lambeaux de territoire.
I A Murat, 10 e& i 7 avril 1808; à Jo.epb, 18 avril 1808 ; à Decrè., 18 avra
1808.
ÐA YONNE. - 1808.
!63
Ferdinand eùt donné la Catalogne et la Navarre, et E.(fI, hon-
neur, et son salut éternel peul-ètre, sauf recours à son confes-
seUf, pour que Napoléon l'intronisât en détr0llant. SOH père. II
partit pour Bayonne, prêt à s'inféoder au Grand Ernpire.
Charles IV et
farie-Loui8e étaient décidés it livreI' I'Espagne
entière et tous leurs pellples, pourvu que Napoléon prononçât
la déchéance de leur fils. Ils partircnt à leur tour.
Ferdinand arriva Ie 20, en compagnie du chaDoine Escoï-
quiz. Charles IV et
Iaric-Louise Ie suivaicnt en compagnie
de Godoy. Le 24, Ie rapport de Chalupagn)' est entre les mains
de l' empereur. (( C' est I' ouvrage de Louis XIV qu'il faut
recommencer... La polltique Ie conseille, la justice I'autorise,
les troubles de l'Esparroe en imposent la nécessité. Votre
{ajesté doit pourvoir à la sÚrcté de son elnpire et sauver
l'Europe de I'influence de I'Angleterre. )J Napoléon écrivit å
i\furat, Ie 26 : cc .J'cspère que vous n'éparffllcrez pas la canaille
de l\ladrid, si eUe remue, " et, Ie 30 : (( Le roi Charles est
arrivé à Irun. Je l'attends dans deux heures. II n'y a aucun
ménagement à gardeI' J. >> S'il conservait quelques scrupules,
par révérence royale, illes perd à la prelnière vue de ce cha-
riot de Thespis monarchique, de ce f( roman comique " en
carrosse de gala que lui représentent les EspaffnoIs. Ce sont,
croit-on, les voitures qui ont conduit Philippe V en Espagne,
telles qu'on n'en voyait plus guère que dans les tableaux du
temps de Louis XIV: (( Énormes caisscs dorées, garnies de
glaces en avant, en arrière et sur les portières, suspendues
par des courroies de cuir blanc dans un cadre d' énormes
madriers dorés... I-Iuit domestiques deb out derrière lea
cais;,
s comme s'il se tût agl de flure un tour au Prado en
équipage de gala... " Les voyageurs guindés, sur leurs sièges
de banquette, empêchés, par les glaces, de s'appuyer d'aucun
côté. C& Tout cet attirail, mélange moitié somptueux, moitié
grotesque, qui sentait l'imprévoyance et la précipitation i
I Lettre à Caulaincourt, 18 avril 1808. - Sur I'avantage d'une séditioD qui'
permet des exemples, comparez Ie conøeils à Joseph, arrivant à Naples, 28 f'vlier,
I, 6 mar.; 31 juillet; 5, 9, 17 août 1806. - Cf. ci-dellul p. 60-61.
Ie.
BAYONNE ET ERFURT. - 1808.
antiquité sans prestige, faste sans éléffance, dorure et mÎsère."
Le roi descend Ie prcnlier. C'est (( un hornme grand, see,
chauve, nlais nerveux et vert ". La reine vient ensuite :
"une petite vieille, une petite fée, proprette, tirée à quatre
épingles, diffne et réser\'ée J1 . Puis Ie prince de la Paix, (( sorte
d'interlnédiaire entre Ic rnaHre d'hôtel et Ie chasseur 1. ))
Des victimcs, ces fantoches effarés? Des dupes, tout au
plus! Et le dedans est pire; non pas même pitoyable, mais
hideux, en son inconscience, en sa mesquinerie féroce. (( Le
prince des Asturies est lrès bête, très méchant, très ennemi
de Ia France, écrit Napoléon. Je lui ai fait notifier que, Ie roi
Charles étant sur mes frontièrcs, je ne devais plus avoir de
rapports avec lui... Le roi Charlcs est un brave hornnle; il a
l'air d'un patriarche- franc et bon. La reine a son cæur et son
histoire sur sa physionomie... Cela passe tout ce qu'il est
permis d'imaginer... Le prince de Ia Paix a l'air d'un tau-
reau; il a quelque chose de Daru... 1 J) Le roi chassa son fils
de sa présence. A toutes les questions, Ferdinand demeurait
inerte. (( II est bêtc an point que je n'ai pu en tirer un mot. u
II n'avait compris qu'une chose: par Napoléon il supplante-
rait son père et serait roi d'Espaffne . n lJlol, Ie 7'0;1 " Son intel-
ligence et sa conscience s'arrêtaient là. Quand Napoléon lui
intima qu'il n' était pas même assez roi pour abdiquer, la pro-
testation de son père annulant son avènement, iI ne comprit
plus rien.
DCt; journées passèrent en débats puérils de protocole et de
cérémonial. Le 5 mai, Napoléon s'iJnpatientait loisqu'un
courrier de l\lurat lui apprit qne l'insurrection opportune et
souhaitée avait éclaté à
{adrid : depuis plusieurs jours, on
assassinait les Français isolés; Ie 2 mai, à fa nou'
elIe que
Napoléon mandait à Bayonne la reine d'Étrurie, l'infant don
Antonio et ce qui restait du sang d'Espagne, Ie peupJe prit
les armes; des soIdats français furent massacrés, les malades
I D'aprèl le8 notes du due Victor de Broglie qui lei vit sur fa route de Fon-
tainebleau. Souvt!nirs, t. I. - CE. Mémoires d'wze il1connue.
I Å Talleyrand, f.er mai 1880.
BAYONNE. - 1808.
!65
fforffés dans les hôpitaux. La répression fut prompte, impi-
tuyable.
Napoléon mande à Talleyrand, qu'il tenait å af6cher dans
son emploi de confident: (( Celte tragédie est au cinquième
Rcte; Ie dénouement va paraître 1. II Ce dénouement, suivant
les règles classiques, sera fait par Ie destin, c'est-à-dire par
l'implacable Iogique des passions et l'aveuglement des per-
sonuages qui se pousseront eux-mêmes à la catastrophe OÙ
ils s'abîmeront tous ensemble. II était fatal, mais Ia fatalité
en fut ignominieuse. Les Bourbons s'avilirent; Napoléon
s'abaissa. II préparait" un immense, un éclatant coup d'État" t
à la CorneiHe; þlus peut-être, une lieutenance de Dieu même,
à la Bossuet: u Je voulus agir comme Ia Providence qui
remédie aux maux des mortels par des moyens à son gré. " Ce
ne fut qu 'une misérable représentation de province : un
théâtre de sous-préfecture, une troupe d'opéra-bouffe, piteuse
SOliS les oripeaux. Napoléon demeura Ie dieu de la machine,
sans doute; luais de I'OIympe eschylien, d'où il se flattait de
lancer la foudre, il tomba dans les dessous de Beaumarchais.
Et il se fit lui-nlême, pour l'ironie de l'histoire, Ie chroni-
quður et Ie crilique iInplacable de sa pièce et de sa troupe.
u Je 111C suis rendu chez Ie roi Charles, écrit-iI; j'y ai fait
venir les deux princes. Le roi et la reine leur ont parIé avec
la plus grande indignation. Quant à moi, je leur ai dit :
(\ Si d'ici à n1Înuit, VOllS n'avez pas reconnu votre père
(( pour ,"otro roi iégi lilne et ne Ie mandez à Madrid, VOU8
(I serez trai tés comme rebelles i. JJ Le jour même, Charles IV I
ar une convention en fOflne, céda tous ses droits à Napoléon;
NapoIéon ffaranlit l'intéffrité du royaume et Ie maintien
exclusif de la reliGion catholique s. Ferdinand écrivit å
ftIadrid : It La junte suivra les ordres et commandements de
Ulon bien-aimé père... II En qualité de prince des Asturies, il
1 Lettres des 25, 27 aVI.il, 6 mai, en répon.e aux I.ure. de TallcyrlDd, d..
!i et 27 avril 1800.
A Murat, 5 mai 1808.
I DB CL1!.1\CQ, t. II, p. 246
!ð6
BAYO
E ET ERFURT. - 180S.
adhéra å la cession faite par
on père à NapoIéon : it reçut, en
récompense, Ie château et Ie domaine de Navarre, avec un
million de revenue Le roi, la reine Marie-Louise, la reine
d 'Étrurie et l'infant don Francisco partirent, Ie 10, pour
Compiègne. Quant à Ferdinand et aux infants don Carlos et
don Antonio, Napoléon les confÌa aux soins de TaIIeyralld qu'il
chargea de les recevoir en son magnifÌque château de
Valençay. C'était Ie seul trait d'esprit de cette répugnante et
burlesque tragédie; mais Ie sarcasme portait loin et Frédéric
reftt savouré. (& Les princes seront à Valençay mardi; quant à
VOllS, soyez-y Iundi au soir... Si vous avez à Valençay un
théâtre et que VOllS fassiez venir quelques comédiens, il n'y
aura pas de maL.. V ous pourriez y faire venir l\lme de Tal-
leyrand avec quatre ou cinq femmes. Si Ie prince des Asturies
s'attachait à quelque jolie femme, et qu'on en fût sûr, cela
n'aurait aucun inconvénient... Vous causerez avec Fouché
qui enverra des agents dans les environs et parmi les domes-
tiques... Quant à vous, votre mission est assez honorable:
recevoir trois iIIustres personnages pour les amuser est tout
à fait dans Ie caractère de Ia nation et dans celui de votre
rang I JJ .
u Cela finit toutes les afEaires I! IJ Les affaires étaient finies
avec les princes et Napoléon, une fois de plus, par la
use,
par la force, par son art à jouer de Ia sottise et de Ia corrup-
tion des hommes, en avait eu raison; si bas qu'il eôt jeté cel
Bourbons, ils avaient tendu vers Iui leurs mains ouvertes, et
s'étaient prosternés, plus serviles devant lui qu'il n'avait
été fourbe envers eux. Restait à réaliser Ia révolution en
Espagne, et c'était une autre affaire, aussi différente de ceUe-
là que la nation espagnole l'était de ses rois. Napoléon avait
commandé à Murat de réunir Ie Conseil de Castille; it comp-
tait que ce Conseil Iui voterait une adresse et lui demande-
rait un roil . Cela finira tout'. . Du reste, tous les ména-
J A Talleyrand, 9 mai 1808.
· A Murat, 5 mai 1808Þ
· A Murat, 9, 10 mai i80S.
BA YONNE. - 1808.
187
gements possibles : II Je vons recommande de pousser la
délicatesse jusqu 'au scrupule; il ne faut rien distraire de ce
pays-Ià. " Par des écrits répandus, par des émissaires, par
les conversations des généranx, il appelle å Iui toutes les
bonnes volontés; il promet la liberté, la régénération; il
garantit I'honneur de la monarchie. Mais les Espagnois ne
mettaient point leur honneur à se courber. Le Conseil de
Castille resta muet. Napoléon, cependant, avait prévenu la
réponse et écrit à Joseph, Ie 10 mai : "La nation, par l'organe
du Conseil suprême de Castille, me demande un roi. C'est å
vous que je destine celte couronne. I)
Le Conseil de Castille se refusant å son rôle, Napoléon con-
voqua les députés des trois ordres à Bayonne Ie 15 juin. Ces
Cortès devaient comprendre cent à cent cinquante personnes.
II en vint une quaranlaine. Elles adressèrent une déclaration
å Ia junte de l\Iadrid;
apoléon proclama Joseph roi d'Es-
pag-ne ). CI II est nécessaire, manda-t-il à Murat, que Ie Con-
seiI de Castille en fasse la publication dans toutes les règles et
remplisse en tout les formalités qui ont été suivies lors de
l'avènement de Philippe V. IJ II eut soin d'ajouter - ce qui
était plus qu'une clause de style dans toutes les révolu-
tions, aussi bien sous Louis XIV que sous Ia République,
depuis 1795, que ce fût pour créer une république, pour la
défaire, pour créer une monarchie ou pour la supprimer,
qu'il s'agit des Helvètes, des Bataves, des Cisa]pins, des
'Vestphaliens ou des Napolitains: && Je suppose "que vous avez
fait marcher des troupes... II fa ut que cela soit vigoureuse-
ment mené. >>
Joseph avait quitté Naples Ie 22 mai, toujours froissé, bou-
deur, morose. II prit d'ailleurs pour de la reconnaissance les
compliments de congé des Napolitains : de leur reconnais-
sance, il conclut å sen génie et à de grands services rendus.
II voyait d'aiIleurs assez clair dans l'avenir qui l'attendait.
"En Espagne, dit-il à l'évêque de Grenoble -:-_son ancien pr
juin 1808. Comte
UB!'J', chap. XII.
!ð8
BAYONNE ET ERFURT. - 1808.
fesseur d'Autun - en Espagne, j'aurai beau faire, je ne me
dépouillerai pas si complètement de mon titre d'étranger qu'il
ne In 'en reste assez pour me faire haïr d'un peuple fier et
chatouilleux sur Ie point d'honneur; d'un peuple qui n'a
connu d'autres guerres que des guerres d'indépendance ct
qui abhorre avant tout Ie nom français... Je vois un horizon
chargé de nuages bien sombres... L'étoile de mon frère 5cin-
tilIera-t-elIe t
ujours aussi lumineuse et brillante dans les
cieux? J, Dne seule chance pour lui de s'affectionner les Espn-
gools : se faire leur roi, réellement, de cæur et d'âlne, et
s'identifier cette æuvre de régénération annoncée par l'elnpe-
reur; mais c'était, inévitablelnent, se faire anti-français. JSapo-
léon voulait un roi qui lui livrât I'Espagne, et, pour posséder
I'Esp3ffne, Ie roi devait commencer par s'affranchir de Napo-
léon. Contradiction fonclamentale qui déjà s' était produite au
temps de Louis XIV entre Ie roi de France et son petit-fih,
Philippe V I. Napoléon etJoseph allaient en recommencerl'ex-
périence, òestinés à se méconnaitre, à se calomnier et à se
contrarier l'un l'autre, Joseph reprochant à Napoléon de lui
rendre la tâche impossible; Napoléon reprochant à Joseph de
ne point accomplir la tâche pour laquelle, seulement, il
l'avait fait roi. Entre les deux, les Espagnols se reprirent,
échappant à Joseph, en révolte contre Napoléon. lIs ne
s'étaient, un instant, tournés vers l'empereur, ainsi que,
jaùis 1 vers Louis XIV, que pour assurer I'illdépendancc,
relever la dignité et la puissance de leur patrie. Napoléon nc
pensai t à les CI régénérer" que pour rendre la suprématie de
la France sur eux plus effìcace. Les Espagnols entendaicnt
qu'il y eût une Espagne ressuscitée, vivant de sa vie propre en
sa pf\ninsule, et Napoléon entendait qu'il y eût une Espagne
inféodée, excroissance du Grand Empire.
Joseph arriva, Ie 8 juin, à Bayonne. II se trouva, dit un de
es con6dents, environné de toutes les séductions et de tontes
les grandeurs de Ia royauté. II y reçut les hommages
I Voir BAUDI\ILL4RT, rhilipp
V 61 I. cour d. FI'IJnce, t. I.t 11.
ßAYONN1t - 1801.
t09
empressés des grands d 'Espagne, des députéi qui avaient
suivi l'ancienne cour et composé les maisons de Charles IV et
des infants. Ajoutez l'inquisition, aussi inséparable de toute
reconstitution de I'Espagne, que l'autodafé, jadis, des fêtes
de mariage d'un roi, et Ie combat de taureaux de toute réjouis-
sance popuIaire.
Iais, dès Ie lendemain, coïncidence signi6-
cative, Napoléon écrivait à Talleyrand : II Le roi de Naples
est reconnu roi d'Espagne... II y a eu des mouvements dans
plusieurs provinces d'Esparrne. Le général Dupont, avec
15,000 hommes, est entré dans SévilIe, OÙ l'étend::trd de la
révolte a été arboré... Sarragosse a levé aussi I'éten(lard de la
ré\ToIte; mais une colonne de 10,000 hommes a pa
)sé I'Ebre
pour marcher sur cette ville... 1)
Le 15 juin, les Cortès convoquées par NapoIéon s'assem-
b!èrent et édictèrent une constitution, calquée sur u la cons-
titution de l'empire )) , sauf l'article qui reconnaissait la reIi-
{}ion catholique pour religion dominante, religion de I'État et
Ju roi. II La constitution est très libérale " , mandait Napo-
léon I. EIle fut proclamée Ie 6 juillet. La veille, NapoIéon
avait solcnnellement cédé à son frère, sur les sollicitations
officielles des Espagnols, les droits qu'il tenait de Charles IV.
Dans l'intervalle, un statut constitutionnel fut dressé, Ie
20 juin 1808, pour Ie royaurne de Naples, sur Ie même patron
que celui d'Espagne, mais plus resserré, car il était destiné å
Iurat, roi de scconde classe, roi par les femmes, et il impor-
tait de Ie tenir en lisières. Joseph, encore fictivement roi de
Naples, Ie promulgua, NapoIéon l'approuva et Murat reçut
l'investiture par décret du 15 juillet
. Un sénatus-consulte du
30 mai avait réuni la Toscane à l'empire. C'était Ie corol-
laire des événements d'Espagne.
Joseph entra en Espagne Ie 9 juillet, avec un cortège de
Grands, de chambellans, de dignitaires et d'inquisiteurs;
mais surtout bien et dûment escorté de soldats françaÎs. II
gagna sa capitale au milieu des insurrections. Napoléoo u'en
I A Caulaincourt t 15 juin i808. V AJ(DAL.
t M.\8S0N, t. IV J p. 24-8. - Comte MU
T, chap. .II
118
BAYOM
R ET ERFUI\T. - i801.
était plus aux ménagemel1ti et 8.UX icrupules. II mettait
désormais la nouvelle monarchie au régime des garnisaires.
réquisitions, contributions et dragonnades. Les Espagllols
refusent de croire à la défection de leurs rois : les rois sont
eaptifs, leur consentement est vicié, et, Ie roi étant empêché t
Ie peuple recouvre mOlnentanément sa souveraineté primi-
tive. Les prêtres, la plupart des nobles prennent les armes.
Des juntes insurrectionnelles s'organisent, Ie patriotisme se
fait révolutionnaire, l'anarchie se fait monacale et patriote.
Les paysnns s'embusquent à tous les détours des chemins._ Les
contrebandiers, les brigands de profession, toute la picaresque
tribu des (( gentilshommes de grand chemin JJ ; les chevaliers
errants détrousseurs de carrosses, coupeurs de bourses,
découvreurs de trésors cachés par moyen de pendaison ou de
ehauffage, accourent à la reSCOl1sse et forJnent des cadres al1X
bandes insurgées. Le pays est toujours prêt aux aventures san-
glantes, aux coups de fanatisme. C' est une immense V endée,
toute une nation en chouannerie, ]a guerre des Abruzzes cl
des Calabres étendue partout OÙ pénétreront les Français.
Les Anglais guettaient l'événelnenl. Dès Ie 7 juin, les
juntes députent en Angleterre, sollicitant ùe l'argent, des
armes, un corps auxiliaire. l\'1ais ici cette alliance n'est plus,
comme en Vendée, Ie désordre contre nature, Ie nlonslre de
la révolution renversée; c' est au Dorn mêlne de la nation que
les Espagnols appellent les Anglais, comlne autrefois IAs
gueux de Hollande appelaienlla France. VuillClneut .Napoléon
a-t-il reconnu et Joseph déclare-t-il professcr la religion
eatholique; la religion de I'étrangcr envah
,:;
eur ne peut pas
être celIe de l'Espagnol; étranges catholi,p.lcs !rii dépouillent
Ie pape comme ils Òllt dépouiHé Ie ro!! Des hérétiql1e :
brûler, des blasphémateurs! On voit parailre ici l'extrême
vanité des mots et des fornlules : reliGion d'État, intégrité de
la mODnfchie, moi Ie roi. Ql1and I'âme de la nalion renlplit ce
mots et les vivifie, Ie roi fût-il délncnt et Ie prêtre prévarica..
teur, ils valent et ils opèrent; quand I'âme de la nation
.:en échappe et les réprouve, ils tournent à la tyrannie et
BJ. YOl'4NE. - 1801.
If..
proyoquent Ie crl de Guerre. L 'Espagne Ie réveilla de S8.
léthargie, comme en sursaut, et se retrouva telle qu'au
temps de l'expulsion des Maures et des J uifs. C& L'insurrection,
a dit un historien, semblait Ie retour à la vie naturelle de
I'Espagne. .
Voilà ce que, malgré les rapports de ses généraux, Napo-
léon s' obstinait à méconnaitre. II disposait de 1a force,
80,000 hommes! II comptait les chiffres, prenant les addi-
tions pour une revue, oubliant de" quoi se composaient ces
:1( J'éGÌInents de marche It, improvisés, bourrés de réserves
rnppelées, de conscrits anticipés, de réfractaireø ernpoignés,
d'étrangers embrigadés. S'abusant à ce jeu de fantômes, il se
flattait que Ie l'arrivée du roi achèverait de dissiper Ies troubles,
éclairerait les esprits, rétablirait partout la tranquillité I u,
imaginant que ce roi de néant opérerait en Espagne Ie
miracle de la royauté, comme naguère les généraux répubIi-
cnins commandaient à Naples Ie miracle de saint Janvier. Le
miracle royal, c'était l'auréole qui, avec l'éloignement, entou-
rait les imag
s de Charles IV et de Ferdinand, et de eel
figures ineptes et falotes faisait des saints, presque des dieux
pour lesquels on tue et l'on meurt. L'âme populaire, la nation,
demeurait l'instrument essentiel du droit divine Tout pouvoir
vient de Dieu! mais Ie peuple ne connait de Dieu que celui
qu'il adore, et des décrets divins que ceux que dicte sa foi.
L'Espagne faisait son Dieu de sa monarchie, comme la
France l'avait fait llaguère de sa Révolution.
Tandis que Ie sol se creuse et se mine ainsi SOllS son inva-
sion, Napoléon se croit, un instant, vainqueur et s'abandonne
une fois encore à l'illusion de la mer. N'est-iI pas maitre, par
l'armée de J unot, des côtes du Portugal? maitre de serrer Ie
blocus jusqu'à étouffer Ie continent? Mais I'Angleterre suffo-
quera aupara,'ant et demandera grâce '. Suppression des
recette
par Ie bloc us , extension indéfinie des dépenses par la
guerre ; c'est pour eUe la ruine inévitable. A Je pense, écrit-il
, Å Talleyrand, 9 juin.
it A Junot, to mai t80S,
S'1i
mÅYO
NE BT ERFURT. - 1808.
i Decrès Ie 12 mai, que vous comprenez mon système de
guerre. L'Angleterre a, cette année, emprunté un milliard. II
faut Ia harasser de dépenses et de fatigues 1. >> II prescrit des
8rmements dans tous les ports d'Espagne, de France, de Hol-
lande, d'Italie; partout des chantiers, des appareillages et
pour Ie monde entier. II appelle à Tonlon les escadres
espagnoles de Carthagène et de
Iahon. II a déjà dall&
la Méditerranée seize vaisseaux, français et fusses. Les
Anglais seront forcés d'y tenir vingt-cinq vaisseaux, plus
douze à Cadix. (C J'en ai huit à Flessingue, à Brest; fen ai
partout I. " II veut une flottilIe à Boulogne, prête à embar-
quer 30,000 hommes. II envoie une expédition à Buenos-
Ayres pour noli6er l'avènemenl de Joseph I. n Je veux frapper
un grand coup avant la fin de la
aison. 1) Et il demande à
Junot, Ie 29 mai, si Ie port de Lisbonne peut contenir, en
sÛI'eté, cinquante vaisseaux de guerre et cent transports 4.
L'Espagne est Ie prolongement de la France, Ie
Iaroc est une
tête de pont de l'Espagne. (C II faut faire passer 6,000 hommes
à Ceuta pour en imposer aux l\tlarocains. La perte de cette
place serait immense pour I'Espagne et pour Ia France. J'ai
fail connaîlre au roi de Maroc que s'il faisait la moindre chose
contre la France,je passerais en Afrique avec 200,000 hornmes,
Français et Espagnols... 1) Et après Ie Maroc, Alger et Tunis!
II compte que les affaires d 'Espagne seront finies en sep-
tembre, au plus tard en novembre i. Mais il faut les 6nir, et
de Bayonne même, tandis qu'il crée un roi a6n d'en imposer
à I'Angleterre et à I'Europe, Ie voilà obligé de combiner, en
Europe, les moyens d'imposer ce roi å I'Espaffne. Ce n'est
pas seulement I'Espagne qui se révolte
I'Angleterre qui
menace d'intervenir 6, c'est Ie reste de I'Europe, Ia Bussie,
I A Decrè.. ii, i3, 28 IDai; à Murat, t 9 IDaÍ; à Champacny, 29 mai 1808.
I II en comptera eoixante-dix-eept en 1809.
· IDetructionl à M. de Sa8
enay, 29 mai 1808.
· A Murat, 19, !8 mai 1808.
· A Junot, 2 juin; à Caulaincourt, i5 juin 1808. VANDAL.
I . Lei Anglais Ie lont prélentés devant Cadix ayec une forte expédition,
.,
J.>!! l
c
... de. .ff
e. d'E.pagne. '!..! Caul
illcourt, 31 mai. LECEa!
A
BA YLEN ET CI.NTRA. - 1808.
I'll
la Prusse, l' Autriche surtout, qui découvrent lå une diversion,
qui se rapprochent et qu'il faut déconcerter. Enfin e'est la
France qui s'inquiète et où les cab ales s'aßitent, avec lesqueHe>>
il faut compter.
III
Dans les derniers jours de mai, Napoléon fut averti que
I'Autriche armait. n Ce n'est que contre moi qu'ils peuveut
être dirigés )), écrit-il à Chanlpag'ny, Ie 28 mail " Si 1a
levée des milices se faisait, je convoquerais imnlédiatcment
les troupes de la Cpnfédération à Passau; je ferais de nou-
velles levées en France; il faudra bien que que]qu'un pare
les frais de ces armemcnts... ce sera I'Autriche. )) Andréossy
va Ie notifier à Vienne, et, si la répollse n'est pas satisfaisante,
il demandera ses passeports, ne laissant qu'un chargé d'at
.
faires. l\lais Napoléon ne pourrait prévenir les Autrichiens et
se jeter sur eux qu'en abandonnant l'Espagne. II préfère en
finir d'abord avec les Espögnols et ajourner les Autrichiens;
il préférerait surtout les réduire, par la contrainte morale, à
désarmer. Pour l'une et l'autre entreprises, pour les contenir
ou pour les contraindre, l'intervention d'Alexandre est néces-
saire. II mande à Caulaincourt de presser r entrevue I.
Désormais Ie ßTand dessein sur l'lnde est reléffué au musée
des utopies illustres, et Ie partöge de la Túrquie ajourné à la
paix générale, c'est-à-dire quand il n'aura plus de raison
d'être. Les projets maritimes s'éloiffnent, ainsi que chaque
année à l'approche de l'été, au moment de l'exécution. Toute
la pensée de l'empereur se concentre sur ces deux points
Autriche et EspHgne.
A Paris,
Ietternich flaire Ie péril. II s'efforce de gaffner du
temps, de parer les coups de NapoIéon en 1808, afin d'être prêt
I Â Caulaincourt, 31 mai 1808. V A
Djr..
VII
II
27
BAYONNE ET ERFURT. - 1.808.
à l'offensive en 1809. Son jeu est de rassurer l'empereur, de
Ie pous
er où ses désirs Ie portent, OÙ son orgueil I' engaJe,
en Espagne. II travaille l'opinion par Talleyrand, par Fouché.
Fouché se montre plus autrichien que l\letternich même :
. Je trouve que la Guerre avec vous ne serait pas seulement,
comme toute guerre, un malheur; elle jetterait l'univers dans
Ie vague... Quand on vons aura fait la guerre, il restera la
Russie, puis la Chine I. >> II fait insérer dans les journaux des
articles où l'on dément les intentions prêtées à I'Autriche.
Pour Talleyrand, la conservation de I'Autriche est une
question de salut public européen. En toutes ces affaires,
Metternich et Tolstoï marchent la main dans la main. Us
écrivent les mêmes bulletins; iis donnent les mêmes conseils
à leurs gouvernements; ils pratiquent, à l'envi, et Fouché et
Talleyrand, Fouché surtout, qui se croira sans rival et ne
craindra plus rien de I' " évêque " quand il aura tâté de Ia
dir\omatie i.
II se forme autour d'eux un véritable foyer d'opposition.
Ce ne sont plus, comme en 1803, en 1805, les seuls cc amis
de I'Angleterre ", dissimulés, réduits aUK correspondances
occultes, aux Inanæuvres qui confinent à l'espionnage. e'est
maintenant tout Ie monde, Ie tout Paris de l' empire. Ces
gens-Ià se rencontrent partout, parlent partout; il ne se peut
donner un diner, un bal, un spectacle OÙ ils ne se retrouvent,
ne se Chll!choten t à l' oreilIe, ne s' entendent à demi-mot. Par
eux. les diplomates étrangcrs connaissent, et sûrement, à
quel poinll'affairé de Bayonne est blâmée à Paris; la procé-
dure insidieuse de Napoléon, In mission de Savary, tournent
à la vel'fidie cynique, au guet-apens. On donne des détails.
" F
rdinHnd ne se décida à partir que lorsque Savary lui eut
donné sa parole d'honneur qu'il serait reconnu roi... On Ie
p01J.Sf
de force jusqu'à Bayonne. J) Tolstoï signale "l'indi-
I CODversation avec Fouch
, rapport du 23 juin 1808.
, Rapports de Tolstoï, 9, 23 juin, 13 juillet 1808. - ONCKEN, O. und P., t. II
- Rapport de 'Iettc.'uich, 23 juin e
fer juillet; de Brockbaulen, 24 juillet
J ö08, H
saEL.
BA YLEN ET CI
TRA. - 1808.
275
gnation que l'affaire d'Espagne a excitée dans tous les cæurs I ø .
De tons les renseignements qu'il se procure, il compose un
bulletin spécial. Parmi les plus indignés, naturellement, Tal-
leyrand, avide de se dégaffer, à la fois, de ses relations équi-
voques a vec Godoy, et
urtout de la part, trop grande, que
maJgré lui il a prise à l'opération et d'autant plus qu'i1 a plus
impudemment trompé l'empereur '. II recommence, mail
plus savamment encore et directement avec les ambassa-
deurs, Ia manæuvre qu'il avait employée, après l'affaire de
Vincennes, avec les correspondants d'Antraigues I. A ren-
tendre, il a tout déconseillé, il condamne tout. ø II conçut,
écrit un ambassadeur, dès la campagne de 1805 Ie plan de
s'opposer, par toute l'influence à sa portée, aux projets des-
tructeurs de Napoléon. J)
A sa suite, (( tous ceux qui ont des fortunes à conserver,
qui n'entrevoient aucune stabilité dans des institutions basées
sur des ruines JJ . L'entreprise sur I'Espagne après les guerres
ß impopulaires>> de 1806 et de 1807 fournit à ces frondeurs
des arffuments nouveaux. lIs la représentent comme impoli-
tique en son principe, (( ridicule et criminelle dans ses
moyens JJ, fruit de l'ambition insatiable de NapoIéon, de sa
I Rapports de Tolstoï, 13, 17 mai 1808.
I . De quelque lieu que V otre :\lajesté manifeste sa volonté, Ie résultat doit en
être ér,alement infaillihle. " Tal/eyrand à NapoLéon, 30 avril 1808. - . La
lettre que V olre .Majesté a ùai{
né m' écrire Ie 25 ùe ce mois a été pour moi un
nouveau motif d'esp,"rance et ùe joie. En m'annonçant que Ie dénouement est
trèll proche, Votre
Iajesté semhle me permetlre d'el!pérer que tout s'arranr,era à
Bayonne, et qu'Elle ne sera point oLligpe de sortir deB frontières de France, ce
que je dt.sire de toute mOD âme. " 30 avril 1808. - . Leg affaires d'Espagne
8ttachent tout Ie monde et n'agilent personne. On attend avec confiance et
intérèt, comme Ii I'on assistait à quelque Grande représentation. . - M Tout Ie
monde a admiré la marche que les év
neml
nts ont naturelleruent prise, marche
Ii heureu8e qu'a était impossihle d'espérf>f davantage. ,. 2 et 8 mai 1808. -
· V otre .Majesté voudra-t-eUe bien me permettre de lui faire mon compliment
aur les affaires d'Espar,ne qui lont, <Juant au fond, complètement finies, et qui Ie
lont à Rayonne, comme je Ie désirais si vivement? L'espérance que j'ai toujour.
ue que Votfe Majesté ne quitterait pas la terre françaiøe me semble g'accorder
mieux que jamai8 avec les circonstances; lee scènes de Burgos et de Madrid
peuvent convenir à la politiquc, mais ne ,'arrangent paa avec Ie voyage de Votre
Majesté. " 10 mai 1808.
I Lectures histori9ues, p. 145 : Talleyralld et leI ami
d' Antl'aigues.
176
BAY01S!SE ET EltFUl\T. - 1808.
complaisance illouïe pour l'avidité de sa famille : ce ne lont
plus, diselll-ils, des guerres de la France, plus même des
guerres de l'arlnée; ce sont Ie::; guerres du seul Napoléon.
La grande masse de la nation, celle qui a permis Brumaire et
I'a ratifié, " masse illertc et sallS Inalléabilité, comme lei
restes d'un volcan éteint )) , vaciìIe ct s'ébranle peu à peu.
Ce sout des signcs graves.
IeUcrllich les discerne et lea
relève. II voil se former en France deux partis : Ie parti de
l'ernpcreur et des purs nlÍlitaires, qui out encore à tragner; Ie
parti de ceux qui n'onl plus qu'à perdre, (I Russi opposés les
uns aux autre:-; que les intérêts de I'Europe Ie sout aux idées
parlicnlières de rClnpereur )) . D'où Ie rapprochenlent entre les
représcntants des pui
sallces opposées à la France et de ces
Français oppùsés à Napoléon : Talleyraud, pour s'ouvrir lea
cours;
{etternich, Tolstoï, pour s'ouvrir Ie 11londe des oppo-
sants d'aujourd'hui qui serout, la crise '"enuc, les mini::;tres
de demain. (& Talleyrand, écrit 1\Ietternich, peut être utile ou
dangereux ; il est utile dans ce n10111ent. .. Ce qui était danger
au
si longtemps qu'il marchait dans Ie sens destructeur
devicnt profit dans Ie chef de l'opposition I. I) Talleyrand,
par Valellçay, se lnéllage )1. de Labrador, futur ministre de
Ferdinand, qui travaille sous main avec Ie parti royaliste en
EspaGne. II fréquenle fort Ie baron de Dalberg, neveu du
prince Primat, bien en cour à Paris et, COlnme on Ie sait,
très In à Pélersbourg i.
Cependant, par Ie contre-coup de l'inquiétude, de l'insécu-
rité géllérale, les complots recommencent. C\est une fermenta.
tion diffuse dans rOuest. Les royalistes et les agents anB'Iais
s'agitent dans Ie l\lorbihan; on en signale à Paris même. On
dénonce une conspiration " anarchique u, lisons : républi-
caine, où seraient compromis " Malet, Guidal et d'autres
générauxl) .-" Ce n'est plus de l'idéologie, mais unevéritable
I Rapport de l\tetternich, 2
eeptemhre 1808 et. tome II. - Mémoire du
décemln'e lS()$. }
EEA. - Rapports de Tolstoï, 17 mai 1808. - ltlémoirel d.
Pasquier, de l\lme de llémusat, de Mme de Chastenay.
, VlTROLLES J t. II, p. 25, - AnNETu, Wess
mber9, t. I, p. 95-96.
BAYLEN ET CINTHA. - 1808.
J77
conspiration 1.>>
falet cst arrêté. (( Les nrrestations se sont
multipliées ici d'une manière très fi1arquante u , écrit ToIstoï.
Les Anglais, voyant la plaie ouverte, s'y Incttent. Napo-
léon a conquis Ie Portugal et réyolutionné rEsparrne afìn de
chusser les AngIais du continent; par Ie Porlug:Jl, par I'Es-
pagne révoltée, iIs yont y prendre pled. II n'avait pas encore
quitté Bayonne que les corps français battaicnt en retraite et
que Ie plus redoutable de ses ennemis, celui que la ffuerre
d'Espagne allait susciter sur ses chemins et qui Iui dcvait
porter Ie coup fatal, sir Arthur ,V ellesley, Ie futur "'Tel..
ling-ton, s'embarquait pour Ia péninsule, Ie 12 juillet.
Les déJégués de la junte insurrectjonncHe,
Iatarosa et don
Diego de Vega, avaienl été reçus à Londres "à bras ouverts>> .
L'insurrection fut accueillie en Angletcrre par dei transports
d'enthousiasme. n Jusqu'à présent,
'écria Sheridan, un des
chefs de l'opposition whig, Bonaparte ne s'est mesuré
qu'avec des princes sans diGuité, des soldnts sans bravoure,
des peuples sans patriotisme. II aura Inainlenant å apprendre
ce que c'est que de combattre une nation animée tout entière
de la même haine contre lui. u Canning renonça à toutes
les autres diversions, a6.n de concentrer tous ses efforts sur
celIe-là. L'Angleterre envoya des armes, de l'argent; en promit
davantage. Le comte de l\lünster écrivait de Londres après
une conversation avec Canning I : " L'Anfft('
nrre croil... que
la chance que présententles affaires d'Espagne est peut-être
runique espoir qui reste à I'Europe... JJ Elle Ie fait savoir,
secrètement, à Vienne et à Pétersbourg. Ie L'Angleterre a
proclamé la paix avec I'Espagne... Elle a expédié une armée
qui se monte déjà au delà de 30,000 homrnes, et qui sera
portée sous peu à 50,000 combattants. Le Portugal ayant suivi
I'exemple de I'Espagne... je me flatte de pouvoir vous dire
que sous peu rarmée de l\lurat aura dû céder à l'expédition
de sir Arthur "rellesley... On s'est engagé de part et d'autre
1 A Fourhé, 11, IS, 1.5, 16juin fS08.-ErnestDAuDET; GUILLoN.-Rapporc
de ToI8tOÏ, 13 juillet 1808.
I Âu comte Erne6t Hal.dcnberg, A Víenne. 5 août 1808. HAlSEI.,
t78
nAYONNE ET ERFURT. - 1808.
de façon å ne pouvoir plus reculer... Les petits corps fran-
çais ne sauront tenir contre la multitude des masses qui les
entourent, et une Grande armée réunie ne pourra se nourrir
au milieu d'un peuple in
urgé... )J
L'Espagne est en feu. L'insurrection s'étend avec une rapl-
dité, une véhémence qui dépassent tontes les prévisions 1.
A Saragosse, Palafox, à la tête de la population insurgée,
force les Français à se retirer. II jette Ie défi à Napoléon,
à toute sa fameuse armée. A Valence 300 Français, réfugiés
dans la citadelle
sont massacrés. A Valladolid, un Espagnol
est tué par Ia populace, sa tête portée sur une pique, et son
corps trainé dans les rue
, pour s'être opposé à une réFir4ance
inutile. A Badajoz, faute de Français à massacreI', la popu-
lace massacre Ie gouverneur espagnol l .
Joseph dut se Frayer Ie chemin vel'S sa pseudo-capita Ie ; if
ne trouve guère pour Ie saluer que quelques bourgeois éman-
cipés, des propriétaires (( éclairés tJ et pusillanimes que Ie
brigãndage patriotique épouvante. II entre dans Madrid Ie
20 juillet : on lui a disposé un cortège solennel; Ie peuple est
silencieux, presque hostile. Aux premières nouvelles qu'il en
reçoit, Napoléon sent la nécessité de frapper un coup de pres-
tige. Bessières a dispersé des Espagnols : qu' on lui donne la
Toison d'or! II va disposer de 21,000 hommes, (( de quoi
conquérir toutes les Asturies et la Galice tJ ! - u Le seul point
qui menace, OÙ il fant promptement avoir un succès, c'est du
côté du généraI Dupont. Avec 25,000 hommes il a beaucouf
plus qu'il ne faut pour avoir de grands résultats 3. tJ Au
moment où Napoléon écrivait ces lignes, Dupont avait capilulé
à Baylen, Ie 23 juiHet La foudre avail frappé, mais en rico-
chant, sur les Franl(als Celte capitulation, nouveauté scan-
daleuse depuis les guerres de la République, devint par ses
effets pire qu'un massacre: l'armép. française traquée, posant
I Voir, dans la correspondance de TolstoÏ, Ie. bulletins d'Espacne 4 juiD,
11 juin et .uiv.
I Souveni,'s du général Paulin, chap. K
.
· A Joseph, t7, 21 juillet 1808
ßA VI/EN ET CINTRA. - 1.808.
!7Q
les armeg, passant sous les fourches caudines. La nouvelle
porta en Portugal l'esprit d'insurrection, exalta jusqu'å la
folie l' orgueil espagnol.
Joseph ne se crut plus en sûreté à
Iadrid, et du 29 au
31 juiUet son gouvernement évacua la capitale. L'armée,
coupée en Portugal, se replia au delà de rlthre. cc L'anÎm1:>-
sité de la populace est telle que no us ne trouvons pas un
espion" , écrit-il à l' empereur. Du reste, it se rend honlmage :
u Je me porte très bien... Je suis bien tranquille sur ce qui
m'est personnel... Jamais je n'ai plus senti corn bien une âme
noble et irréprochable est au.dessus des événenlents I .,
Iais
il voit l'avel1ir très noire La fraailité de son étaLlissernent
lui apparait. Le II août, Ie COllseil de Castille, qui un mois
auparavant lui prêtait serment, déclare que ce serment, forcé,
est nul et nulle aussi l'abdication de Charles IV et de Ferdi-
nand. -" Devenu Ie conquéral1t de ce pa1's par les horreurs de
la guerre à I:!quelle lOllS les individus espngnols prendront part,
je serai long-temps un objet de terreur et d
exécration... Votre
fajcsté ne peut se faire une idée à quel point Ie nom de
Votre
Iajesté est ici haï. ,,- ,c II faut 200,000 Français pour
conquérir I'Espagne et 100,000 échafauds pour y maintenir
Ie prince qui sera condamné à régner sur eux... II ne se con-
servera sur Ie trône qu' en traitant les Espaanols comme
ceux-ci ont traité les sujets de
fontézuma... u II demande
. son changement " , Ie retour à Naples 2 !
Nnpoléon connut, Ie 3 août, it. Rordeaux Ie I'horrible catas-
trophe arrivée au général Dupont" . - " Quand vous appren-
drez ccla, un jour, les cheveux vous dresseront sur la tête 8 ! "
II ne s'arrêtc point aux causes probables de l'événement : une
entrcprise mal conçue, I'insuffisance des préparatifs, la con-
fusion des ordres, IÏnfirlnité des troupes débilitée
, sous un
solcil torride, un clin1at africain. Dupont, fait nag!H\re grand..
aigle à Friedland, est condålnné COlnme Villeneuve en
I Joseph à N:-epoléon, 5, 8
oût 1808.
t A Napoléon, 9, 1
ao1Ît 1808.
· A Davout, 23 août 1808 : rétrospective.
!80
ÐA YONNE ET ERFURT. - 1808.
1805 I Napoléon se sent touché, tel un homme qui se croyait
fort et éprouve tout à coup la première atleinte de la para-
Iysie : n l' avertissement. J) II prévoit " l' pffet immense J) en
Espagne, la tournure II très grave J) qu'allaient y prendre les
affaires. II ordonne aussitôt de ramener 80,000 hommes de
la Grande Armée. (( Dupont a f1étri nos drapeaux, écrit-il à
Joseph, Des événements d'une telle nature exigent ma pré-
sence à Paris. L.Allemagne, la Pologne, I'Italie, tout se lie...
Vous aurez 100,000 homInes, et I'Espagne sera reconquise
dans l'automne i. " Tandis qu'il s'acheminait vel'S Paris,
Baylen opérait son choc en retour en Portugal. Arthur Wel-
1esIey et ses Anglais avaient débarqué Ie 6 aoùt. Le pays
les acclalne. Devant eux, J unot avec sa troupe, réduite à
9,000 hommes, est forcé d'évacuer Lisbonne, de battre en
retraite à travers un pays insurgé, vel'S rEspagne hostile,
poursuivi par 16,000 ennemis. II s'achcmine fatalement au
désastre. Battu à Vimeiro Ie 21 aoftt, il pose les armes Ie 30
à Cintra. En un mois, deux corps français, deux généraux de
l'elnpirc avaient capituIé! L'émoi dans I'Europe en fut
énorme. Petites affaires, sans doute; mais les combats d'Ar-
cole ll'en étaient point de plus grosses, et il sembla que
Napoléon recoll1mençait, à rebours, la campagne d'Italie.
IV
Des vaincus impatients de revanche, des opprimés impa-
tients de secouer Ie joug, des dynasties pour lesquelles Ie
triomphe de Napoléon eslla Inort et pour lesquelles sa chute
sera la vie, des alliés en1pressés de se détacher dès que les
liens qui les tiennent se detendront, des princes tirés du
I Cf. t. VI, p. 459. - Pour la dHen86 et même I'apologie de Dupont.
lieutenant-colonel TITEUJ: t Ie Géllél'ol PllP()I<t, 3 vol. in-4- o .
t  J06eph, à Caubin<,'ourt, 3,5 août 1808.
LA RÉSISTANCE DES PEUPLE5. - 1808. 1St
néant, des royaumes créés par la seuIe force des armes; des
ptuples qui convent la révolte, assoiffés d'indépendance, sons
sa forme la plus élémentaire, mais la plus pressante aussi,
Ie départ des étrangers qui vivent sur eux, à leurs dépens;
tous guettant les signes avant-conreurs de la catastrophe pré-
dile et attendue; voilà I'Europe OÙ vont se répandre avec
nue rapidité surprenante les nouvelles d'Espagne et du Por-
tugal, grossies, envenimées : un drame hideux à Bayonne,
une couronne con6squée, une noble nation qui donne un
grand exemple; des Français arrêtés par des barricades et
des paysans insurgés, assiégeant des villes ouvertes et recu-
lant devant des bandes à peine conduites, à peine arméesj
I'Espagne engouffrant déjà 100,000 Français; la Pologne,
I'Italie se vidant; l' Allemagne évacuée en partie 1.
C'est cornme une lumière nouvelle qui transforme lei
choses, métamorphose les hommes. Les peuples, les cours
mêmes, indifférentes aux infortunes des Bourbons de France,
négligentes des mésaventures du prétendant et de sa tribu
errante de neveux et de gentilshornmes, se prennent de pitié
pour les Bourbons d'Espagne parce que Napoléon les enlève
à leurs peuples qui les réclament. La ha
te dignité de l'exil
les réhabilite de leur chute; ils continuent de représenter la
Grande idée, la nation, encore que Ie pêre, la mère, I'amant et
Ie fils, ils se soient livrés eux-mêmes en livrant cette nation
å l'elnpereur. L'odyssée de ces autres fantoches, l'embarque-
ment des Bragance, se peint comme (( Ie tableau héroïque
d'un peuple qui préfère å tout Ia Iiberté; qui, pour fuir Ie
tyran, laisse Ià ses tombeaux, ses temples, tous ses souve-
nirs'2 IJ. Napoléon, à force d'usurpations, rend les rois inté-
ressants. Quant à l'insurrection d'Espagne, eUe tourne du
preluier coup à l'épopée. Si haut que s'élèvent en se ßonflant
I'emphase et la grandiloquence castillanes, l'EUi"Ope croit et
admire, tant les imaginations sont ell quête Je héros en qui
1 Voir, dans Ie t. LXXXIX de fa Sociéti d'Histoire de Bussie, I.. buUcti.. ...
Tol.toï.
MU
a&L&'r, Dix-l
eulli.m. siècle, t. III, p_ !4-8-241.
!8!
BAYONNE ET ERFURT. - {80S.
réaliser Ie rêve d'héroïsme qui les tourmente I. Palafox å
peine debou t, sur ses barricades de Saragosse, entre ses
Inoines et ses brigands, au milieu de ses proce5sions et de ses
bandes forcenées, évoque l'image des illustres guerriers de la
RenaIssance, effaçant les Charette, les Cathelinean, les Bon-
champ que les peuples, désintéressés de la lutte, ne connais-
saient point, et que les princes de l'Europe ne prenaient pas
au sérieux parce que ces Vendéens turbulents et i mpolitiques
dérangeaient leurs calculs.
A Naples, Joseph fut regretté : il n'était point méchant; il
se montrait libéral de ]a main, et libéral en pronlesses.
Enfìn, il s'en allait. Quand on sut qu'il ne reviendrait pas, il
passa tout à coup pour un grand prince, un prince de l'élite
fameuse du dix-huitième siècle, " la philosophie sur Ie
trône ,,! disait Ie général Lamarque. D 'ailleurs, Ia guerre
règne à I'état endémique dans les CaJabres, gagnant dès que
la répression mollit ou 5'éloigne. " Une colonne en marche
De pou\"ait laisser un soldat à cinquante pas en arrière sans
danger pour sa vie. " Un prêtre est accusé d'avoir tiré sur un
Français : i] répond qu'ill'a tué pour s'assurer de Ia justesse
de son arme. Si ron se retire, on est forcé d'achever les
blessés pour leur épargner Ie dépeçage et Ie bûcher. Entre
ReGGio où se tiennent les Français, et la Sicile occupée pat
les Anglais, ce sont des escarmonches et des surprises féroces.
Les AngJais se cramponnent menaçants dans cette He, comme
désormais en PortuGal, en Espagne, maitres de la mer et des
côtes; guettant les occasions de débarquer, prêts à s'enfoncer
dans les terres, ils accomplissent Ie dessein toujours formé,
toujours avorté, en France, au temps des guerres de rOuest:
des Quiberon qui recommencent sans cesse et réussissent
presque toujours. l\lurat aura fort à faire pour protéger ce
royaume qui ne se défend pas. l\tlais, pour cette æuvre, il
\'aut mieux que Joseph, tout intellifjent que Joseph se croie,
tout éclairé qu "il se dise, tout entouré qu'il soit de a constitu-
I BAUIIOAJ\TEl'{, &. I, D. !90, Dot..
LA R
SISTANCE DES PEUPLES. - 1808. 283
tionnels" déclassés el mécontents. cc Le roi, disait Napoléon
en parlant de Joseph, parle toujours de la charlatanerie au
commandement... Sans doute, il y en a; mais il y a aussi des
talents qui y sont nécessaires et qui manquent au roi : Ie
coup d'æil, la décision... l\lurat est une bête; mais il a un
éIan, une audace! II n'a fait que la guerre toute sa vie. l\lurat
est une bête, mais il est un héros! "
Or à Naples c'est la guerre, un royaume å reconquérir, å
chaqne jour de rèffne. Napoléon a réuni la Toscane; c'est
une occupation militaire å entretenir, encore Ia guerre, bien
que Ia soumission des peuples la rende moins difficile I. A
Rorne, il marche aux mêmes expédients, la fin inévitable de
tous les royaullles qu'illaisse subsister aussi bien que de ceux
qu'il crée : l'annexion. Ici, il se trompe désormais constam-
menL, et sur les forces de ses armes qui sont limitées, et
sur les reSSOUfces de son ennemi désarmé qui sont infinies.
Pie VII, un sol sur Ie trône, mais l'âme d'un martyr, un de
ces pauvres d'esprit qui perdent les royaumes de ce monde,
et qui se relèvent tout à coup au-dessus des plus puissants
quand Ie désaslre des affaires les monte à leur vocation vraie
qui est la politique du ciel. Il avait dignement supporté Ie
choc. Réduit aux armes spirituelles, il en use. Le 22 mai,
il adresse cette instruction aux évêques des pays réunis à
l'erí1pire : " II n'est pas permis de prêter un serment de 6dé-
lité et d'obéissance au gouvernement intrust Un tel serment
serait une félonie et une trahison à l'égard du souverain Iégi-
time. IJ Point de fonctionnaires sans prévarication; point de
Te ÐeUln sans sacrilège. Le Pape déclare Ie Code civil incom-
patible avec les canons de I'Église. C'est Ia guerre, mais ce
n'est plus Ia lutte inégale conlre un prince débonnaire par
tcmpérament et inerte par principe. Le Pape, sous Ia con-
qnête, investi dans son palais, n'est plus Ie souverain, impuis-
sant, d'un État sans ressort. II est exclusivement Ie chef de Ja
catholici té; et, détaché de la terre qui I' enchainait aux capi-
I Sénatns-consulte du 30
4.808.
!8i
ßA YONNE ET ERFURT. - t808.
tulations, Ie voilà désormais inaccessible, inviolable. II ne
transigera plus, n'ayant plus rien à conserver ni rien à
mÞ.nager. II en appelle au peuple immense des catholiques,
dans Ie propre empire de Napoléon, dans I'Europe entière. Ce
n'est point Ià une résistance négligeable, dans Ie temps OÙ Ies
peuples s'agitent et OÙ les peuples qui s'agitent Ie plus sont
précisément les plus catholiques, ceux d'Espagne, de Por-
tugal, des Calabres, des Abruzzes, du Tyrol par où l'insur-
rection populaire gagnera l'Allemagne. Napoléon sera forcé,
par les affaires d'Espagne, d'accorder à Rome une sorte de
rémission; mais l'insurrection des Espagnols, cette guerre de
crucifix, 'Va rendre couraue au Pape et Iui donner conscience
de la force nouvelle dont il dispose. Le dernier des souveralns
de I'Europe et Ie plus méprisé, étant Ie plus faible, it va se
révéIer au monde et à lui-même Ie plus redoutable des tribuns
des peupIes, celui qui dispose de leur salut éternel.
Napoléon arrive à rendre Ie gouvernement aussi impossible
à son frère Louis qu'au pape Pie VII, et à faire de ce prince
un roi de IIollande presque populaire, dans Ie temps OÙ il
songe à Ie détrôner pour les n1êmes motifs que Pie VII, parce
que Louis refuse de régner selon ses exigences et ses conve-
nances. Louis ne peut être roi qu'en se faisant peuple. II
résiste, avec la Hollande qui Ie pousse, au Code Napoléon,
intégralement appliqué, sans les adaptations nécessaires; à la
réunion de Flessingue, aux levées d'hommes, aux construc-
tions de vaisseaux, au blocus enfìn et aux intrusions inces-
santes des douaniers impériaux I. NapoIéon ferme aux Hol-
laudais Ie commerce de la France après leur avoir interrlit
celui de I' Analeterre. (( Les souffrances du pa)rs, écrit Louis,
loin de l'attacher à la France, font des prosélytes flUX AngJais...
COllll11e au temp::; des persécutions des protestants, on verra
les négocian ts fuir de leur pays... . I" Napoléon leur ferlne
1'4\ Helll:l{Jfie : gêne inutile; Ie commerce, en pareil cas, fraude
1 Champaftny à La Rochefou(
auld, 19 juillet; La Rochefoucauld à Champagny,
it a01Ît 18US; Napoléon à Louie, 17 aOth 1808. ROCQUAlN, DUCAS8E,
I Décrd
tie
el'tf'mLre j ïOS . Louis à Napoléon, 2M ,eptemhre 1808.
LA RÉSISTANCE DEi PEUPLES. - 1808. ISI
comme la peau du corps transpire SOUi les vêtements hermé-
tiques et Iourds. Le blocus se détruit par l'impossibilite me me
de l'appliquer; il y faut Ia domination de l'empereur, directe
et dure, avec la gêne et la contrainte. Le blocus ébranle par-
tout cette domination.
Les rois préfets! comme on les nomme malicieusement A
Paris, dans les an1bassades. Napoléon a, près de chacun d'eux,
en la personne de son représentant diplomatique, un tuteuf,
un surveillant, un policier, au besoin un contre-gouverne-
mente Celui qui réside à La flaye est condamné aux corres-
pondances tristes : les doléances des commerçants ruinés, Ies
lamentations d'un roi hypocondriaque. Celui qui écrit de
Cassel a la besogne plus gaie, sinon plus facile. C'est une COUf
en liesse, tenue par un prodigue. La Westphalie, entre les
mains de Jérôme, offre l'image de I'AlIemagne que peignait
Voltaire: f& de vieux châteaux OÙ l'on s'amuse 1), mais de
vieux châteaux remis à neuf, remeublés, dorés sur tranches,
enrichis d'accessoires fastueux et OÙ l'on se divertit sur un
ton qui rappelle les grâces du Versailles de Louis XV, comme
Pigault-Lebrun, digne chroniqueur de ces fêtes, rappelle
Candide. Jérôme abuse, les peuples se plaignent, les impôts
tarissent; I' argent intercepté par la cour, les caisses du gou-
vernement et celles de l'armée res tent à sec. "Les Hessois et
les Brunswickois, race militaire, supportent mal d'être traités
en vaincus... L'avènement du roi n'a rien chanßé aux habi-
tudes prises : exactions chez les bourgeois, batteries chez Ies
paysans; coups de fusil tirés aux postilIons, douaniers insul..
tants qui passent; des corps de Garde westphaliens forcés par
des gendarmes français; des combats OÙ Ie sang coulee )) Napo-
léon gourmande, gronde, menace. Les émissaires autrichiens
ont beau jeu en ce pays, que l' empereur voulait proposer à
I'Allemagne, en exemple des bienfaits de son système. Les
mécontents de la Prusse, les organisateurs de corps francs,
les con
pirateurs y trouvent des refuges, de l'argent, des
recrues. Ce sont les mêmes conf1its qu'à La Haye,
a:lf que
Ie blocus est moins urgent, et que Napoléon conserve pou r
28ð
ÐAYONNE ET ERFURT. - 1808.
Jérôme un fonds inépuisable d'indulgence, que Jérôme I'im-
patiente moins des gémissements de ses sujets, et que, de sa
personne, il n'en tient compte: Jérôme règne pour lui, e_t n'a
pas In prétention de régner pour eux. Peut-on être \Vestpha-
lien? L'idée de se faire AlleInand n'entrajamais dans la pensée
de ce jeune homme aimable, Ie plus Parisien des Bonaparte.
Toutefois Napoléon l'avertit de se tenir en Garde : n II ne faut
point vous imaginer que la Westphalie soit une terre. J'aurai
des guerres pour vous soutenir etje vois que, dans la balance,
au lieu que vous mettiez un avantage, j'aurai un déficit dans
mes forces 1. It
Une hostilité sourde monte dans la Confédération du Rhin.
Un agent écrit en juin 1808 : n II existe, en ce moment, une
chaine d'intrigues dangereuses, qui s'étend de Tæplitz, en
Bohême, å Vienne, et de Vienne à Londres '. >> Gentz en est
Ie lien, et I'agitation se propage en Bavière, en WurleInberg,
en Saxe même. A Vienne, où eUe a séjourné durant l'hiver et
Ie printemps, l\lme de Staël promène sa tournée de dénigre-
ment contre la France de l'empire et d'illusions pour l'An-
gleterre. Accueillie et fêtée con1me une princesse de l'intelli-
gence, une viclime de l'enthousiasme, une interprète inspirée
et railleuse des haines de toute I'Europe, elle groupe autour
d'elle tout ce qui détesle Napoléon, et c'est tout ce qui compte
å Vienne, dans la société où il n'est point de bon ton en dehors
<< de la haine inextinguible 1) pour la France.
Ime de Staël
sépare, dans sa pensée, Napoléon, Ie Corse, de sa France à
eHe, celIe de Necker et de Benjamin Constant; mais ce qu'elle
profère contre l'empereur et I'empire, les auditeurs l'enten-
dent de la France même, celIe de tous les temps, de Riche-
lieu, de Louis XIV, de Louis XVI et de la République, el ils
font leur profit de ce pamphlet vivant, éloquent, épigramma-
tique. Ainsi Adair pour I'Angleterre, I{ourakine, Pozzo di
Borgo, pour Ia Russie, et Ie malentendu redoutable qui
depui5 1796 s'est établi å _ Paris, faussant les idées sur Ia paix
I A Jérðme, ,. janvier 1.808. LECESTRS.
· Corr. in., &. yU.
LA RÉSIST ANCE DES PEUPLES. - 1808. 187
et Ia guerre, se nourrit de ces commérages exaltés, fappro-
chant, dans un travail commun d'opinion, les n amis de I'An-
glcterre " et les n amis de la Bussie" à Paris, des (( ennemis
de la France" à Vienne, Pétersbourg et Londres. Schleffel,
sigisbéc intellectuel de Corinne et son trucheman ès écritures
et langues d'AlJemague, double les propos de salon d'une
série de conférences où se presse la (( société " . l\lme de StaëI
s'en preud à la politiquc du seul
apoléon. Schlegel pousse
à fond : c'est Ia littérature, c'est Ie génie français qu'il
attaque, Ia n IIlDrrislrature " de l'esprit, Ie grand siècle tout
entier, et il assaille Ie chef-d'æuvre : Ia Phèdre de Racine.
nCe fut, dit-il, pour moi, une minute sublime... C'estdans
Ie domaine de l'intcIlirrence inaccessible à la force brutale, sur
Ie terrain de la pensée et de la poésie, que les Allemands,
séparés de tant de Inanières, prennent conscience de leur
unité... " lIs la prennent, natureJlement, par la haine de l'en-
vahisseur héréditaire, dans Ie domaine de l'esprit comme
dans celui de la terre. Napoléon qui n'écouta ni ne comprit
les voix qui partaient de Ia misérahle Prusse, Ie De profundis
patriotique de Fichte, se sentit touché ici : Ie coup partait de
son ennelnie et visait sa littératurc, son théâtre classique, une
des colonnes llloraies de son empire. II se fâcha: ,,
Ilne de
Staël a une correspondance suivie avec Ie nOlnmé Gentz, et
s'est laissé engageI' avec Ia clique et les tripoteurs de
Londres... 1. J usqu'à cette heure on ne l'avait regardée que
C01l1Ine une folIe; mais aujour(Fhui eUe commence à entrer
dans une coterie contraire à Ia tranquillité publique '. ))
1 (CElie avail rencontré Gentz à Tæplitz et fondé avec lui une Grande amitié.t-
GAUTIER.
I A Fouché, 28 juin 1803. LECKSTRE.
sae
BAYO
N.E &T ERFURT. - iSG..
v
Du côté de I'Autriche, les sou r,çons et les inquiétudes de
Napoléon n'étaient que trop fondés. ß C'est en 1809, écri-
vait l\Ietternich I, que les grandes questions seront mises à
exécution, 'ct ßlalheur aux senles puissances qui méritent
encore ce nom en Europe, si eUes ne s'elltelldellt pas d'ici à
cette époque sur des mOYèHs de coup
ration ou de défense...
i Napoléon était tout-pui
sant, il ne nons laisserait pas Ie
temps de renforcer nos moyens; il nous dé,"oile un l'cste de
faiblesse par la conduite calculée qu'il tient vis-à-,'is de la
Ilussie et de nous, dans un mornellt où un autre coin de rEu-
Tope absorbe une Grande partie de ses forces. JJ Le 12 mai,
r ernpcreur François décide que tous les hon1Illcs valides seront
cxercés quelques semaines, de façon à cOInLlcr les vides de
l'arnlée; Ie 9 juin, il crée une lalld,ueltr oÙ sont incorporés
tous les homrlJes de dix-huit à vinG'L-cinq ans qui ne SCf\'ent
point dans I'anuée active. Et qucllanß'HG'c incollllu j usqu 'alors,
surtout en Autriche! La vicille Europe, qui dé-.;apprend de
parler fnlnçais, se met à parler espHgHol.
Iettcrnich érrit
Ie 12 juin 1808 : " Tout Ie Gouverncnlent trouvera toujours,
cItinS les n10ments de crises; de rrrandes reSSOllrce
dans Ia
nation; c'est à lui à les exciter et surtout à les clnployer; un
sClll cxemple de vigucur, bien dirigé par un son\'eruin ct SOIl-
tcnu par son pcuplc, eût peut-être a.rrêlé In. Inarchc dévasta-
trice de Napoléon. 1J
La pren1Ïère nécessité pour X:1poléon est de Ies ohliGer :ì
désarmer, a6n de se donneI' Ie tCllìp
d'écra
cr Ics E
pa
'noI3
et, par contrí'-eoup, d' étou ffET l' cffclTcsccnce des An\?-
mands. (, L'Autl'iche ar
e., écrit-il à Jér-:rne 2; cIle lllC scs
1 30 mars t80S; cf, ra:)port flu 27 avril. ON'iKEN, O. unci P., t. 11.
I
5 juillet; à CJl:ttDpasny, 25 juin; à Caulaincourt, 9 juillct 18J8.
ÂRML:
lENTS DE L'AUTRICHE. - 1808. 180
flrInements; eUe arme donc contre nOUi... II faul done
anller... Nos troupes se réunissent à Strasbourg, Mayence,
,y csel. J' engage V otre Majcsté à tenir SOil contingent prêt.
S'il est un moyen d'éviter la guerre, c'est de nlolltrer à J'Au-
triche que nous ramassons Ie Gant et que nous sornmes prêts. II
Chalnpãgny adresse de Toulouse Ie 27 juillet, de Bordeaux
Ie 30, à
Ietternich deux Iettres très pressantes I : Ct Ou l'Au-
triche veut la {Juerre : alors ses arInen1ents s'expliquf:'nt, et
DOUS ferons la guerre: ou elle est égarée par Ie
('OIH
('il
des
ennenlis du continent... Toutes les assurances que VOllS
pouvez désirer vous seront données... Des déclarations pubIi..
ques vous seront dOllnées, si vous Ie désirez; cUes seront telles
que Ia
uppo
ition d'une aUaque de Ia France sera évidem-
ment absurde. Mais, de votre côté, arrêtez, révoquez ces
mesures évideUllnent menaçantes... Je désire une prompte
réponse à cette lettre... J)
Napoléoll avail annoncé qu'il traverserait la Vendée; iI ne
voulut point se détourner de lïtinéraire prescrit.
Iais dans Ie
double souci de la {Juerre à porter en Espagne et du mouve-
ment tournant de l'Autriehe à parer, il éprouva Ie besoin de
recourir à un conseiHer; ma.l{rré des soupçons trop motivéi
déjà, il appela près de lui, à Nantes, Talleyrand, l'homme de
ressources et aussi l'holnine de n1ain néeessaire dans une passe
qui exigeait tal!t de dextérité et tant de Inénaffenlents.
Talleyrand, pour rej oindre l' em pereur, s' arracha flUX
a douees émotions u de V alençay, où se mêlaient en uu assai-
sonnement subtil les (( distractions 1J du siècle et les n conso-
lations de la religion; des Inadones et des gr1Ìtares dans tous
les coins dujardin)) ; de petites danses pasto."aJes auxquelles lei
princes pouvaient prendre part, el des prières publiques aux-
queUes assistait, par ordre de Talleyrand, tout Ie personnel du
château, y cOlnpl'is IC's offìcier
de la Garde départementale et
les homnles de la ßendanrlcric '. La n1issive de Napoléon l' em-
· CommUni(p1;;e
à 1
l1u5sie. et jointf's au rf!pport de ToIRtoi du 7 août 1808.
, Mémoires, t. I, p. 383. - << Je leur donnerai la meSle tOUI lei jours... 11
.erait p1uI que djffìri!e de sc rl'Ucul'er '!CI il,ctt.Ufi. 11 y aura d'ailleun allez d..
TIJ. 11
110
ßAYO
R ET EI
FURT. - 1888.
barrassa peut-être; mai
il s'acconlmoda de façon à tirer dd
ce voyage à Nantes un v{ rnis de confiance. C& II acquit, dit Met-
ternich, par cette nouvelle marque de faveur une nouvelle
sphère d'activité. IJ L'entrevue eut lieu å Nantes Ie 9 août, et
Napoléon continua sa route sur Paris, OÙ il voulait arriver
pour les fêtes du 15.
Champagnr l'avait devancé, et Ie 7 it eut avec Metternich
nne entre vue significative. Ce ministre, (( timoré au point de ne
pas soùrire à l'individu qui se trouve sur une Jigne différente
de ceHe indiquée par les Iubics mOlnentanées de son maitre II ,
reçut l' envoyé autriehien avec cordialité, chaleur même; il
8ssura que Ia France devait s'entendre avec I'Autriche, dési-
rant 'I Ia vair rester puissance de prelnier ordre " .
Iettcrnich
en conelut que Napoléon voulait " leur i'nposer IJ ellnasquer
par là ses préparatifs eontre I'Espagne; que l'Autriche devait
donneI' toutes les satisfactions ùe fonne, et l'etirer les troupes
des frontières, ce qui permettrait de les eoncentrer en deçà I.
II raconta Ie tout à ToIstoï, qui écrivil, aussitôt, à son maître:
a II en résulte un grand bien pour la conr de Vieune; on
lui laisse Ie temps de tirer tout Ie parti possible des Inesures
sages qu'elle a ordonnées... Les détails de cette affaire, les
apparenees de modération auxquelles l'enlpereur Napoléon
la traite jusqu'à présent, prouvent toujours qu'il n'y a qu'une
conduite simple et franche, mais fern1e et résolue, appuyée
sur une force militaire importante, qui fasse quelquc effet
auprès de ce souverain. Tonte conce
sion fait naitre chez lui
Ie désir de nouveaux sacrifices. Que Votre l\Iajeslé impériale
daigne se con vaincre de la néeessité de mettre des bornes à
ceux qu' eUe lui porte avec si peu de fruit. JJ
Les
\.utrichicns hasardent de nouvelles ouvertures à Berlil
.
Les A.nglais les y devancenL !..cs relations entre I'Anßleterrc
ct la Prusse se renouent secrèteInent par l'envoyé du I-Ianovrc
lemmes pour que Ice princes puissent lanser si cela lee amut'f' . A Napa/Ion,
31 mai 1808.
I Metterni{ h ;. Champar.ny, 3 août; rapport du 17 août; rapport de Tùlsl(lí
du 'I août 1808.
ÅRME
IENTS DB L)AUTRICIlE. - 1808. 291
à Londres, l\Iünster. Lord Gower écrit 1 Stadion une lettre
qui, ùit. Canning, "renfcrme tout ce qu'on peut dire sur la
position respective des deux gouvernements n. Un agent
secroet, Johnson, part pour Viennc avec, dit-on (( des pleins
pouvoirs les plus illimités pour accorder à I'Autriche, aussitôt
qu'elle aura pris un parti vigoureux, tout ce qu'elle pourra
demander n. La Prusse est au courant de tout et, dès Ie
12 mai, Ie charrré d'affaires autrichien s'entretient avec Ie
ministre des affaires étr:1DGères, Goltz, à I{ænigsberg. Le
major Gætzen est envoyé Ù Vicnne, à la fin de juillet I. Et,
de Paris, BrocklJausen, mandant les accidents survcnus en
Espagne, ajoute : "Nous 8vons done espérance de nous voir
eutin clélivrés... Napoléon sera forcé de rappeler des troupes
d'AlIelnagne i. J)
Scharnhorst écrit à Stein, Ie 8 août : il juge nécessaire de
continuer les négociations avec Napoléon, et même, s'il Ie
faut, de cOllclure une alliance, " aGn de voileI' les pensées
intilues, de telle façon qu' elles deviennent impénétrables,
même à ces maitres en duplicité)J . Le II août, Stein et Scharn-
horst adressenl un mémoire au roi : ils vont jusqu'à lui con-
seiHer de livreI' à Napoléon un corps d'armée; mais (( l'alliance
ne doit être qu'un voile destiné à dissimuler les mesures que
I'on prendra pour la rompre " . Le corps d'armée sera dirigé
de façoIl qu'il Pllisse, Ie moment venu, s'unir aux Autrichiens.
II formera Ie noyau d'une insurrection nationale, qui s'ap-
puiera sur les armées alliées. (( II faut répandre, susciter les
idées insurrectionnelIes, apprendre à chacun comment on
peut faire naître ou diriger un soulèvement. JJ C'est la défec-
tion consomrnée en 1812 et 1813 qui se déclare ici à l' état de
dessein concerté et comlne l'article secret, la contre-Iettre de
l'aLliance que la Prusse songe à conclure.
Le roi entra dans ces vues el écrivit en conséquence,
, .
I I..e rni à Gætzpn, 23 jui1let; Münster à Hardenberg, 5 août; Finken
tein au
roi, 17 øeptembre 1808, de Vienne. HASS
L. - ß!3:ER, live 11, chap. IT : ellai. d.
coalition.
_Rapport du 2/f juillet 1808. BASSIU..
291
:BATO:NNE ET EHFURT. - 1808.
Ie 12 aoÚt, å son frère Guillaulne : K L'état critique des
affaires d'Espagne et les planâ contre l'Aulriche disposent
l'elnpereur à se rapprocher sérieusement de nous. II Dans tous
les cas, l'occasion s'irnpose R d'ainener une décision sur notre
SJrt" . Le prince offrira done une alliance offensive et défen-
fii\"e; en échanúc de l'évacuation du territoire, il })romettra
un corp:; auxiliaire, qui ne pourrait êLre cmployé qu' en i\lle..
ffiagne; Napoléoll ferail remise d'une partie des contribulions
ct accorderait des termes pour Ie reste I. Si l' offrc est
DccueilIic, les Prussiens en concluront que Napoléon a bcsoin
ùe fnppeler ses troupes, qu'i1 se trouve dans l't
lnbarras ct
qu' en cas de guerre contre l' Autriche la défeclioll se prati-
quera sans péril;. si au contraire Napoléon refuse, Ie roi
n'ayant plus de recours qu'en un coup de désespoir pourra
convaincre Alexandre, (( qui ne cessait de conseiller la plus
étroite union avec la France, que, dans tous les cas, il ne lui
rcstait plus rien à faire 1) . Stein écrit, Ie 15 août, au prince
de \Yittacllstein, grand maître de Ia conr de la reine : ø Si
l'en1percur n'accepte pas nos offres... il prouve qu'il est
décidé à nous anéanlir et que DOUS devons tout attelldrc.
L'acharnen1ent, en .A.llenlagne, augrnente tous les jours, et il
est à conseiUer de Ie soulenir et répandre parmi Ie peuple; je
désire beaucoup que les liaisons en Hesse el en \Vestphalie
soient conservécs... Les événements d'Espagne font nue
s-rande spnsatÍon et prouvent d'une manière palpable cc qu 'on
aurait de. croirc dcpuis longtcmps... lIs démontrent à quel
point penvcnt uller la fìnesse et Ie désir de dominer, ainsi que
('C que pent f()
rc une nation qui a de la force ct du court1
c...
On considère chez nous la ffuerre avec l'Autriche comIne iué-
vitablc : ce combat décidcra du sort de l'Europe et, IJar consé-
quent, du nÒlrc... "
Les militaires. Scharnhorst, Gu('i5enan, Boyen conscill:li
nt,
Ie cas éch,éant, de risquer Ie tout pour Ie tout. Scharnhorst
élabore Ie plan d'une insurrection ß'énérale en Allenlagnc I f:1
I Le roi au prince Guillaume, 12 août. HUIi:L. -- GoJz au prince Guil1alJwe,
II août 1808.
AnMR
ENT5 DE L'AUTRIr.HE. -- 1808. 2J:}
21 août, Stein propose d'entrer en négociations a,,-rc I'_\ntri-
che ct J'Angleterre. II cOllclut p
:r ccttc phrase, qui de,'int Ie
progralnrne de 1813 : "L' oLjet de 13 guerre doi l être Ja déli-
vrance de I'AlleInagne par les AlIen13nds. " Le roi ajournn J
attendant Ie retour du courrier de Paris et In réponst' aux
offres de palx de GuilIan.me. D'aiHeurs, Jisa.it Stein, "it n'a
que de la dé6ance pour son peuple et poor l'AutrichE'; iI n'a
confiance que pour la Bussie n . Voilà OÙ en éh
ient les chos{'
à Berlin quand on y apprit Ie retour à Paris de Napoléon, 1a
capitulation de Baylen et Ia défection du corps esp3ßnoi de 11
ROll1ana. que Napoléon avait porté en Dancrnark et qui pass a
aux Anßlais.
VI
Napoléon rcçut Ie corps diplomatique, Ie 15 août, à Saint-
Cloud I. Metternich s'éfait pJacé auprès de Tolstoï, gracienx,
souriant, d'un air fat qu'il savait tout à coup rendre digne :
. avec sa poudre mise sur une chevelure blonde... pour se
donner I'air un peu plus respectable; avec son habit de che-
valier de l\falte, rouge à revers noirs, et ses façons courtoises,
ses manières noblement aisées, Ie grönd seigneur dans sa
plus extrêrne élégance I )J. Après quclques propos de conr-
toisie, Napoléon, d'uD ton (C qui d'habitude n'annonçait pas
l'approche de l'orage u : nEh bien, I'Autriche arme beaucoup! >>
Metternich Ie contesta : I'Autriche exécutait des mesures
décidées depuis longtemps, purernent défcnsives. (C l\lais qui
vous attaque pour songer ainsi à vous défcndre...? L'Autriche
veut nous faire la guerre ou eIIe veut nous faire peur...
Vous me forcez å srmer la Confédération.' Vous m'empêchez
de retirer mes troupes de la Prusse et de les faire rentrer en
1 Rapport de 1\1f'tterni.ch, 17 801\t. O
CKEN, O. und P., t. II, annexes. - Rap-
port de TolstoÏ, 18 août, et pièces joint('s. - Rapport elf> Broc1:hausen, fS aoû!;
lettre du prince Guillaume, 18 amtt 1808. HASSEJH - Champasny à AndréollJI,
17 août 1808. - Le récit de )letternich, ftJémoi,.es, t. I, p. 63, elt arrao&é.
· Nimoir
s de La 4uchesse Ii' Âbr4nles, t. VIII, chap. X'II.
!9i
BA VONNE :ET ERFURT. - 1808.
France... Je n'en retire pas IDoins 100,000 hommE's ,fAt..
lelnagne pour les envoyer en Espaffne. Je suis franc, .Ie ne
cache pas ma politique; mais vons lne forcez à In'adresser au
Sénat et à lui deInander deux conscriptions; vous vous ruinez,
vous me ruinez... Cet état peut-iI durer? II doit nous lllener à
1a guerre, sans que nous Ie voutions. Qu' espérez-vous done?
tes-vous d'accord avec la Russie"! I) - Et, ce disant, il se
tourna vers Tolstoï qui fit mine de ne pointentendre, deIneura
imperturhaLle, sans n1ême un signe de tête. Napoléon reprit:
n Mais, dans la supposition contI'aire, que pouvez-vous contre
Ia France et la Russie réunies? La pren1ière guerre avec I'Au-
triche sera une gnerre à Inort; il faudra que vous veniez å
Paris ou qne je fasse la conq uête de volre lnonarchie... Savez-
vons comment cela fìnira? L\'lnpereur Alexandre vous fera
déclarer qu'il veut que vous ccs:Úcz vos arlnrInenls, et vous Ie
fcrez. Alors, ce ne sera pas à VOllS seut, ce sera à In Russie que
je eroirai de,'oir Ie maintien tIc la tran luillité de rEurope...
Je ne YOUS admettrai plus à J'arranrr0ffi('nL fntur de tant de
questions auxqnelJes VOllS êtes illtére:;sés... vons n 'en serez
que les speetateurs... " Et sans paraHre s'apcrcevoir que
l'ambassadenr ture se tenait nux 3Guets, à qLlalrc pas de là :
" Les vrais motif
de votre conI' Ble sont connus. Je sais bien
qu'elIe ne songe point encore à Iu'aUaquer; mais vous vOl1lez
vous mettre à mênlC de pouvoir vous inßérer dans Ies affRires
de la Tnrquie, ahn de contrarÎcr m(
s ,'ues et celles de Ia
Russie. flier eneol'
, je von
:ì 11 :'ais compris dans ccs affaires;
aujourd'hui, vous devez y rcnO!1cer..." II concIut: (I Si vos
dispositions sont aussi pacifi'Iues que vous Ie dites, il faut
contremandcr \'OS meSiJr<::; .. " II s'étcndit sur les inlérêts de
I'Autriche; puis, COHane
Iettcn)ich faisait ohserver, en sou-
riant : (I Bien ne r
:;s
Inh!c Bloins it une dispute entre deux
puiss3nces que notre présen te discussion", l' em pereur sourit
à son tour. - (I Vous voycz al1ssi carnIne je suis calnle. JJ
L'entretien avait duré plus (rUne heurC', (I d'nhord en terme
assez forts, mais ensui te d 'un lOB plus adouci " .
. Un mot de votre sOllveraiu, dit ChalUpaffl1Y à Tolstoï Ie
AUTRICHE ET RUSSIE. - 1808.
.
!95
soir, et Ia guerre n'aura point lieu. JJ Tolstoï répliqna fine ment:
n Un mot que nous dirions, vons et moi, en COlIHf)Un à
I'Autriche me semblerait devoir snffirp... Je ne puis supposer
qu'elle veuille jamais faire la gllerre aux deux puissanccs à la
fois... II ne s
agit que de s'entendre à I'amiable. Rien ne
saurait rassurer davantage l'Autriche que l'évacuation de fa
Prusse. .. "
Cette réception de Saint-Cloud fit Grande impression sur Ie
public, et particulièrement les propos sur Ie partage de la
Turquie, en face de l'ambnsgadeur. La Bourse baissa et Ie
public ernt la g
erre décidée. " J e ne saurais partager ce sen-
timent, écrivit Tolstoï... Tonte la marche que J' empereur
Napoléon adopte vis-à-yis de l'Autriche dénote Ie dessein d'ob-
tenir par des menaces ce que les circonstances ne lui per-
mettent pas encore d'emporter à la pointe de l'épée. II leur a
donné de la publicité parce qu'il lui faIJait un prétexte autre
que celui des troubles de I'Espagne, qui en sont Ie véritable,
pour couvrir les grands armements qu'il projette. JJ - CI II
n'est point à espérer, toutefois, ajouta-t-il dans une lettre à
son collègue de Vienne, 1{0t11 akine, qu'il pardonne jamais å
I'Autriche; si, pour Ie moment, les troubles de l'Espagne sus-
pendent l'effet de son ressentiment, il n'est que trop à
craindre que, d3n
s la suite, il ne saisisse la première chance
favorable pour Ie faire éclater. "Tolstoï, en toute l'affaire,
s'était montré bon Autrichien. " Je ne laisse pas échapper une
occasion de servir les causes ponr lesquelles nous nous sommes
intimement liés 1. " I\Ietternich était convaincu que l'empe..
reur ne voulait pas en ce moment la guerre. II s'agissait de
parer Ie coup avec aisance, de rompre avec dignité et de pro-
fiter de la nécessité OÙ se trouvait Napoléon de se contenter
de déclarations publiques et de mesures apparentes, pour
demeurer en garde, guettant les premiers embarras de Ia
France. II jugeait bien.
Napoléon se flattant, à la façon des orateurs, d'avoir fait
I 16 ao,Ît :1808. BEER, liv, II, chap. III. - Rapport de Finkenstein, d4\.
!ienne, 3 aeptembre 1808. HASSEL.
t96
ÐAYONN
ET ERFUI\T. - i808.
quelque chose parce qu'il avait fait un discours, n'attendit
point Ie désarmement effectif de I' Autriche. II baUit Ie rappel
de toute
parts, rappel de vieux soIdats, car son armée d'Es-
pagne cOlnptait trop de conscrits. II fit venir des grognards
d'ItaIie, de Hollande, de Westphalie. II ramena une partie de
la Grande Arlnée. n Les affaires d'E
paffne deviennent
sérieusec;, écrit-ille 17 août; les Anglais ont débarqué plus de
40,000 hOlnmes... J'ai besoin de grands moyens en Espagne.
Je veux y frapper de grands coups... J'y marcherai bientôt
moi-même. ,) Puis i1 écrit à CauJaincourt, Ie 23 août I : n J'ai
mis sur pied toutes les troupes de Ia Confédération du
Rhin, de sorte que je puis marcher contre l' Autriche avec
200,000 hOlnmes... Cependanl je désirerais fort que l'empe-
reur fit parler à I'Autriche avec laqnelle je n'ai du reste aucun
sujet de discussion... II faut que Ie prince Kour
kine... soit
8utorisé à dire que In Bussie joindra 100,000 hOInmes à mes
troupes, si les Autrichiens fonlle ITIOilldre mouvement intem-
pestif, " II ajoute : (& J'ai conclu ma convention avec la
Prusse I, et si, comme je Ie crois, je n 'ai rien à démêler avec
l'Autriche, la Silésie et Berlin seront dans les mains de la
Prusse avant J'hiver... " Le jour Inêlne, i1 mande à Davont
à qui il confÌe la surveillance de l' Allemagne et la Garde de la
Pologne : <<Je snis sûr de la Bussie, ce qui m'empêche de
rien craindre de l' Autriche; cependant il faut se tenir en règle
et avoir les yeux ouverts.
fon intention est d'évacuer 13
Prusse et d'exécuter Ie traité dJ Tilsit. Je crois que la conven-
tion sera signée demain ou après, et, avant Ie mois d'octobre,
je vais rapprocher mes troupes du Rhin... " II tenait ainsi ses
lieutenants en haleine, les rassurant Ies uns par les autres, au
moment où il les désarlnait tous, payant de connance, payant
de prestige partout avant que I'Europe y vit clair et perçât cr
long rideau de troupes tcndu sur les frontières du Grand
Empire. II en 6nirait, en janvier, avec rEspagne
alors maitre
I Note pour Ie miniøtre de la guprre; à Eugène, à J érôme, à Louie, 17 aoû&; A
Davout, 23 août; à Sault, 23 août 180S.
· Elle De Eut ,iinée que 1. 8 øeptembre. Voir p. i98.
AUTHICH:!
T RUSSIE. - 1808.
197
de ce pays, il Ie redevient1rait de I'AlIemagne, et réduirait
I' A utriche à capitulation, ce qui Ie dispenserait de trop
attendre de la Bussie. II suffirait qu'il en obtînt, jusque-Iå,
assez de démonstrations et de menaces pour contenir les
Autrichiens. " Avant Ie mois de janvier, il n'y aura pas un
senl village en insurrection " , écrit-iI à Joseph, et å Louis:
. J'espère avoir la paix générale avant Ie mois de janvier I. .
letternich déclara, Ie 25 août, qu 'avant Ie Jer septembre
tout serait ren1is sur Ie pied antérieur; il promit même Ia
reconnaissance des nouveaux rois d'Espagne et de Naples. Sur
quoi, Napoléon Iui dit : (( Je regarde tout comme fini... · .
Quatre jours après, Ie 29 août, il écrivait à ses frères Jérôme
et Louis: (I II est incalculable ce qui peut se passer d'ici au
mois d'avril... II est de mon devoir, comme du Tôtre, de sup-
poser que la guerre générale aura lieu au printelnps... · .
Ietternich I'ajournait à l'été de 1809 : il estimait que d'ici Ià
Napoléon hésiterait à reporter sur l'Inn les troupes qu'il por-
tait, en ce mon}cnt, aux Pyrénées. Fouchë, Talleyrand, et,
plus qu'eux, la lassitude générale, l'alarme des conscriptions
anticipées travaillaient à Ia paix. (I L'Autriche a atteint un
immense but. Elle a mis à profit Ie seul moment que lui
offl'aient les derniers temps pour panser ses plaies, pour
ren}onter sur In scène de l'Europe plus forte et plus puissante
que jamais. l' C'était aussi l'avis de Tolstoï
.
l..e prince Guillaume discutait encore Ia convention d'al-
lianee et d'évacuation de la Prusse '. II espérait y introduire
quelques adoucissements, lorsqu'un incident remit tout en
question. La lettre de Stein å Wittgenstein e, saisie sur un
I A Loui
, 17 août: à Joseph, 27 août 1808.
t Rapport de Metternich, 26 août; Napoléon à Caulaincourt,!ð .oAt {808.-
Rapports de Tolsto'., 1 fir et 8 septembre 1808.
a Cf. IpUrf' à .Jérôme, 7 tJeptembre 1808. K C'''lt I. conduite de I'Autriche qui
nous Guidera. Elle a un langage trèa pacifique, mail lea armementl Ie démea-
tent. "
, .Mettprnich à
tadion, 26 avril; rapport de Tolstoï, 8 leptembre {80S.
· Voir ci-delaus, p. 238,292. -Rappurt. du p1Ïnce Guillaum., is a.,.\, t8OS.
HASSEL.
I Voir ei-deuus, p. 2gl.
298
BAYONNE ET ERFORT. - 1808.
agent prussien, l'assesseur Koppe, arrêté sur Ie soupçon d'es-
pionnage, fut envoyée par Soult à Napoléon. (\ Ces Prussiens
sont de pauvres et misérables gens I! JJ Mais, tout irrité qu'il
est du langage de Stein et inquiet de l' état d' esprit qui s'y mani-
fesle, il s'empresse d'en lirer parli pour serrer Ies liens de la
Prusse. L'humilier, d'abord. n J'ai demandé qu'il - Stein-
fûtchassé du ministère, sans quoi Ie roi de Prusse ne rentrera pas
chez lui. JJ II menaça de déchirer Ie traité de Tilsit, et Ie prince
Guillaume s'exécuta. La convention fut signée Ie 8 septembre '.
Les contributions de la Prusse sont arrêtées à 140 mil-
lions de francs. La France occupera les places de Glogau,
Custrin et Stettin jusqu'à l'entier acquittement de ceUe deUe.
Les États prussiens seront évacués, sauf ces places, quarante
jours après l'échange des ratifications. Le roi de Prusse s'en-
gage à n'entretenir, durant dix années, que 42,000 hommes
de troupes, et à ne faire, durant ces dix années, aucune Ievée
extraordinaire de milices ou de gardes bourgeoises ou aucun
rassemhlenlent de nature à augmenter cette force. Napoléon
garantit Ie territoire prussien moyennant que Ie roi de Prusse
demeure l'allié de la France; la Prusse fournira 12,000 hommes
en 1809, en cas de guerre entre l'Autriche et la France; dans
les années suivantes, ce chiffre sera porté à 16,000. II reCOIl-
naît les rois d'Espagne et de Naples. II s'engage à ne con-
server à son service aucun sujel appartenant aUK territoires
cédés à la France.
Le 4 septernbre, NapoIéon demandait au Sénat un appet
anticipé de cons
rits. Pour corriger l'effet de celte mesure, it
déploie un immense simulacre de puissance: 200,000 hommes
en Allemagne et en Pologne, 100,000 dans la Confédération
du Rhin, 100,000 sur I'Isonzo, 200,000 en Espagne. (C Je suis
sûr des sentiments de la Russie... la guerre avec l'Autriche
n'aura pas lieu; parce que je ne la veux pas I.. aJe suis résolu
I A Soult, 4. IIeptemhre f80S.
I Napolpon à Soult, 10 øeptembre; rapport du prince Gui1t8.ume, 9 .eptembre;;
rapport de Tol
toJ, 9 øeptembre 1808; DR CLKRCQ,1:. II, p.
70.
Boult, à Steuil1, 10 .eptewbre i8Q8.
AUTß {CUE ET RUSSIE. - 1808.
199
A pousser les affaircs d'Espaane avec la plus grnnde t:éléritê,
et à détruire les arIl1ées que I'Angleterre a débarquées dans
ce pays I. n
Quelques jours après, on connut la capitulation de Junot à
Cintra 2. Dans Ie même temps, on annonce une nouvelle révo-
lution à Constantinople, 13 troisième depuis un an, des exécu-
tions d3ns ]a capitale, tout I'empire en feu, tous les peuples
I en insurrection. (( Cette catastrophe m 'a été sensible", dit
NapoIéon dnns son messaffe an Sénat; rien de plus, et rieo ne
trahit pIns cIajrement lïnquiétude des affaires OÙ il est engagé.
II s'interdil de parler de rOrient : rnalffré lui, il revient tou-
jours â parler de l'Aulriche.
tais de quel ton, désormais, on
se permet de Iui répondre, et comme ccs misérables incidents,
Baylen ct Cintra, ont tout chê1ngé : un bolide qui détraquerait
Ie
ystème dll monde! (( Comprcnf'z-yOUS quclque chose aux
arrncments de I'Autriche! dil-il à ToIstoï... Si elle est d'accord
avec VOllS ou avec moi, elle n' en a pas bcsoin; si elle ne rest
pas, à quoi peuycnt-ils lui sCl'vir? - A llli éviter Ie sort du
général Dupont, répondit Tolstoï. V ous prétendez qu'il faut
Ie faire fusiller pour ne pas avoir succombé avec honneur. II
en est de même des nations. "
L'entrevne, tant de fois demandée, tant de fois ajournée,
devenait indi
pcn"abl
. Alexandre l'accepta, pour la hU du
rnois, à Erfurt. Napoli-on nnnonça son départ pour Ie 20. II
avait hâte de retrouyer Ie tsar, mais dans queUes conrlit1ons
et flue de tcrr[lin perdu, fJueUe retraite depuis Tilsit! 11 n' of-
frait plus l'aIIiance, en v3inqnenr marrnanime; ilia réclamait,
en allié dans I'embarras. Napoléon cOJl1ptait sur la con'1Hête
tIe l'Espaanc pour lOlil finir, en Europe, Ie bloclls, les arme-
ments de I'Alltriche, la question de Polorrne, celie de Tur-
'-{uie et celie de Prusse; voilà que pour entamer seulement
cette affaire d'Espnrrne, iI faut lout suspendre en Europe et, au
1 Message 8U Sénat, ,. lepternbre t80S.
t Voir ci-dp.sSUii, p 28(). La C'3pitHbfion fut connue Ie 16 leplemhre du corp_
ðip1omatique; bulletins de TolswÏ; rapport du 19 8p.ptembre; Ie prince
G\\ill nme au roi, 15 leptembre; rapport de Brockhausen, 16 ,cptembre -1808.
oo
ßAYONNE ET ERFURT - i80R.
J
eu de tirer à Iui Tilsit, làcher les brides à Alexanc1re. L'ar--
bitrage lie I'Europe passe au tsar.
Na poléon dispose cette entrevue avec un art subtil et con-
ommé. D'abord Ie décor, la mise en scène, les divertisse-
Inents. Tilsit, avec son radeau de poutres, improvisé par les
pontonniers de l'armée, n's montré que l'elnbrnssade de deux
héros, au lendemain de la batnlJIe : c'est un tableau de
Guerre. II faul qu'Erfurt présentc à rnnivcrs les deux ß1attres
du monde, la main dans la main, dans une apothéose d'opéra,
consécration de la paix. Tous les vassaux d'Allemaglle y sont
convoqué
, et rien n'est négligé pour l'éblouissement des
yenx, In Ðatterie des sens. Napoléon emmène son théàtre
français, sa tronpe de traffédie, seul spectacle qni lui paraisse
au ton et dans les proportions de son elnpire. "
{ais, écrit
Ietternich, excepté les deux ou trois premiers personnages,
on a eu plus d' égard à la figure des actrices qu'à leur talent...
Cette levée en Illasse de la tragédie est une galanterie très
coûteuse I. " I.., , escad"OIl vnlant, pour Ie foyer, et, pour la
tfalerie, Corneille avec les raisons d'État :
Tous ces crimes d'
:tat qu'on fait pour Is couronne,
I..e del no us en absout, alors qu'il nous la donne.
ft C'est excellent, disait l'empereur à Talleyrand, et surtout
pour les AUernands qui restent tOl
ours sur Jes mêmes idées
cl qui parJent encore de la mort du duc d'Enghien : il faut
usraudir lenr morale. " Pour cette morale en action, pour
eette réhahilitation d'Ettenheilfi et de Vinccnnes, pour la
consécration de Bayonne et de Valençay, Talleyrand devait
être du voyage, et Napoléon lui réservait un rôle plus actif
encore. II Ie fit appeler et lui con6a son secret. Talleyrand en
avait un aussi, mais il ne Ie con6a pas à l'elnpereur. " Nous
allons à Erfurt, dit Napoléon; je veux en revenir libre de faire
en Espögne ce que je voudrai; je veux être
ûr que I'Autriche
sera inquiè
e et contenue, et je ne veux pas être engagé d'une
J\
.uerBieJ. à Stadioa, 23 ,flptem],r. i801.
A1JTI\ICftB ET IlUiIIE. - 1aOfs.
301
manlêre précise avec la RUiiie pour ce qui regarde les affaires
du Levant. JJ Demi-traités, nuances fugitives, engagements å
næuds coulants, échappatoires et portes dérobées derrière
tous lei para vents, Talleyrand y excellait et I'ouvrage était
pour tenter un artiste de ia qualité. Napoléon lui fit lire la
correspondance de Russie. TaJleyrand en tira cette conclu.
aion : " Les projets de ffuerre dans l'Inde, les projets de par-
tage de I'empire ottoman semblent des fantômes produiti sur
la scène pour occuper l'attention de la Russie... II n'y avait
pas un pas de fait... II Ce pas, il s'agit de Ie franchil': en 6nir
avec I'Espagne; PUii se retourner contre I'Autriche et en 6nir
encore, la réduire à l'état de la Prusse, et, dès lors, I'alliance
russe ayant accompli son office, Napoléon en 6nirait avec la
Russie et]a contraindrait à I'obéissance. Mais, pour Ie point
de départ et la première campagne, la coopération de la Russie
était indispensable. << Cette coopération pleine d'entraves,
raconte Talleyrand, ne I'aurait que trop mis en état de par-
venir à son but. Ayant une très petite idée de l'empereur
Alexandre... il se proposait d'abord de l'intimider, et ensuite
d'attaquer à la fois sa vanité et
on ambition... IJ
Talleyrand jugea que l'intérêt de la France, I'intérêt de
l'Europe, son intérêt propre, qu'i1 confondait avec l'intérêt
général, voulaient qu'i1 se mît en trav.-ers de ce dessein que
Napoléon Ie chRrgeait d'exécuter. Ses vues sur cet article
étaient anciennes et Ie temps les fortifiait. II avaiL Ie senti-
ment de la marche å l'impossible, du terrible paradoxe de la
politique française, depuis qu'il la servaiL, depuis 1797; il en
avait observé pas à pas Ie développement. Soumis, inté-
ressé, effrayé sous Ie Directoire; fasciné un instant, puis épou-
vanté sons Ie Consulat; s'efforçant d'arrêter les gouvernants
d'UIl mot, de les retenir d'un conseil, multi pliant les notes et
les mémoires, et, depuis, toujours débordé par la victoire,
réduit à en atténuer les effets, à coucher en traités, en
dépêches, en instructions, les effets et les apologies d'une
politique dont il jugeait l'enchatnement inévitable et la (.atas-
trophe fatale; iuivant de ion pied bot, P!de claudl!, mais ell6n
lOt
BAfO
E .KT RRFURr. - 1808.
.uivant toujours. II ne voulait pas a
ler plus loin; il renonçait
à arrêter son maitre; il décida de solliciter, å
a façon, Ia
force des choses qui, t6t ou tard, devai t ren verser Ie colosse,
tâchant que la France n'en fût pas trop disloquée, ni lui-n1êlne
trop écrasé. L'Europc triompherait et, pour que ce triolnphe
n'emportât point cette double ruine, il ferail Ia France curo-
péenne et Iui nlinislre européen de la France en Europe, de
I'Europe en France. II va s'acherniner ainsi, sans discerner
encore p
H' quels chern ins, vers Ie Congrès de Vienne qui fut Ie
couronnement de sa carrière, son triomphe d'homule d'État;
mais aussi la ruine de r empire français, de la politique répu-
blicaine, de la polit.ique des limites et de la suprématie. 11 y
arriva pour avoir su discerner la force des choses et parce
qu'il possédait, sui,pant l'expression de son précepteur, GOlldi,
. Ie génie propre å se faire honneur de la nécessité, qui est
une des qualités Ies plus nécessaires à un millistre >> . C' est ce
qu'il appelait "avoir de l'avenir dans I' esprit" .
Mais cette manière de servir en détestant Ie maître et en Ie
trompant; cette façon de des&ervir Ie gouverneIllenl d'aujour-
d'hui pour préparer celui de demain; de dé{fager et soi et Ie
pays de l'un, pour assurer sous l'autre Ie bien du pays et son
propre bien; de travailler à l'échec de la polilique que ron
est censé défendre pour disposer Ie succès de la politiquc d'ar-
rière-pensée qu 'on y oppose; cette désinvolture à s'affl'anchiI
des devoirs directs et simples sous Ie prétexte d'une utilité
lupérieure j celie de ménaffer I'Europe, de faire rentrer l
France dans la société européenne, de la détourner de l'hyper-
bole pour Ia remettre dans Ie sens con1ffiun; cette justification
des moyens où I'on s'attribue toute licence, par une fin dou!
on se fait seul jUffe; cel aplolub superbe et cette assurance i
se faire son État à soi-même, en dehors du gouvernement qu;
vous paye et de la politique que ron feint d'appliquer; ce
doctrines que Talleyrand déduit en ses mémoires avec Hnt
inlpertInence seigneuriale, ne sauraient, malgré les grand:
services rendus plus tard, effacer, dans Ie passage scabreux oì
il s' enga,e alors,! la couleur de fourberie et de trahisODe
AUTRICHK I:T RUSSIE. - t.80S.
loa
Le premier chapitre à aes yeux, dans cette politique que
Talleyrand opposera désormais å celIe de I' empereur, est
d'empêcher une alliance plus intime entre la France et la
Russie; Ie second, d'avertir I'Autriche et de la sauver : déta-
cher l'aIIié et conserver I'ennemi. II trouva un collaborateur,
d'aulant plus efficace qu'il parait avoir été plus sincère, en Ia
personne de Caulaincourt; enguirlandé par Alexandre, endoc-
triné par Talleyrand, gêné avec l'un et avec I'autre par I' ob-
session d'Ettenheim; empressé de s'en justifier devant
Alexandre, de s'en délier avec Talleyrand, cet ambassadeur
en vint, par la séduction du tsar et l'influence de l'ancien
évêque, à juger des rapports de la France et de la Bussie par
Ie seul jugement d' Alexandre et de la politique française
d'après celui de Talleyrand; convaincu d'ailleurs et jusqu'à la
fin, jusqu'au sacrifice de sa carrière, de la bonne foi du tsar
et de l'intention arrêtée de I'Europe de respecter la paix de la
France dans les Iin1Ïtes du Rhin aussitôt que la France vou-
drait s'en contenter et que I'empereur consentirait à s'ar-
rêter, å rassurer I'Europe. (i La fortune de I'Autriche, dit
Talleyrand, voulut que
L de Caulaincourt eftt inspiré à l'em-
pereur Alexandre de la con6ance et lui en eût fait prendre en
moi. - Ma liaison personnelle avec
I. de Caulaincourt, aux
qualités duquel il faudra bien que l'on rende un jour jus-
tice I... IJ Caulaincourt lui faciliterait l'accès d'Alexandre, prèa
duquel, en justifiant Talleyrand, il se dégagerait lui-même de
l'affaire de Vincennes.
Talleyrand aurait voulu emmener 1\letternich : Napoléon
ne l'agréa point. Talleyrand n'en insista que davantage sur
(& l'exlrême utilité de la présence de l'empereur François IJ .
Napoléon s'y prêta : il placerait I'Autriche dans Ie cortège des
vassaux! Talleyrand tâcha de persuader Metternich que la
dirninution du personnage se rachèterait par l'importance du
rôle. (( Rien, lui disait-il, ne peut se faire en Furope sans que
l'empereur d'Autriche offre une gêne ou une facilité; moi, je
J Mémoires, t. I, p. 320, 401!
'0'
B.A. YONNE ET EBPURT. - 1808.
désirerais, dans l'occurrence, y voir arriver l'empereur
r8n-
çois comn1e une gênc. 1J Et cette g
ne serait bienfaisante; d'où
ce conseil de Talleyrand à
Ietternich : Ci Faire beaucoup d'ou-
verturei insidieuses et VD.gues, tâcher d'obtenir en échange
des promesses formelles; caresser l'amour-propre d'Alexandre,
flatter la présomption de son ministre; porter la Bussie à nous
tenir en échec, lui promettre Ie partage et Ie gros lot de la
Turquie, lui garantir la Finlande... 1J
Ietternich prend Ie con-
ieil à son compte et dessine, à son tour, son plan, Ie fatneux
plan qu'il caresse et qu'il accomplira, en 1813, au Congrès de
Prague. CI Un empereur qui paraîtrait en personne au milieu
du congrès d'Erfurt et qui dirait : II Je mets 400,000 hommes
. de troupes et tout mon peuple armé dans la balance de la
. justice... Je ne veux que la paix, mais dans la paix un état
. de choses conforme à Ia dignité de ma couronne " , embar-
rasserait beaucoup la force de Napoléon et la faiblesse
d'Alexandre... I " Avant tout, on concerterait la paix de I'An-
gleterre. Tolstoi, plus que jamais en confidence avec Metter-
nich, l'écrivait à Pétersbourg : . Les væux de tous les gens
éclairés de ce pays sont les mêmes à cet égard. Tous désirent
et conseillent la paix générale. Parmi eux se trouve aussi
M. de Talleyrand; sa manière de voir est très pronol1cée. .
C'est de profiter des souffrances qu'entraîne Ie blocus pour
offrir des compensations à l'Angleterre, car n on ne peut plus
longer à la forcer à la paix IJ . La cOlnpensation, on Ie devine
entre les ligncs, c'cst de c& se tirer d' embarras " soi-mêlne, de
" renoncer à une entreprise mal calculée ,,- I'Espagne - et
d' en trouver Ie prétexte très plausible dans la paix géné-
ral e I .
Ainsi se dispose dans les ambassades, à Paris, dans Ie propre
cabinet de Napoléon, une négociation qui, dans sa pensée, doit
produire des effet
tout contraires. <<Préparez-moi, dit-il à Tal..
leyrand, une convention qui contente l' emperf'ur Alexandre;
qui soit surtout diriffée contre I'Angleterre, et dan
laque]]e je
· Rapport. de Meuernich, 14-, !!, 23 8eptembre 1808.
· Rapport. et lettre particulière de Tohtoï, 8 8cl)tcmbre 1808.
ALEXA
DRE EN PRUSSE. - 1808.
sos
sots bz'en à mon aise sur Ie reste; je vous aiderai : Ie prestige
ne manquera pas. JJ Êlre à mon aise, commande l'empereur;
Ie geller, pense TaIIeyrand. Et Napoléon continue: " !Ion cher
Talleyrand... il faut que vous soyez à Erfurt un jour ou deux
avant moi... Vous connaissez Lien l'empereur Alexandre;
vons Iui parlerez Ie Iangage qui (ui convient. V ous lui direz
qu'à l'utilité dont notre alliance peut être pour les hommes,
on reconnait une des ffrandes vues de la Providence... Noua
sommes jeunes tous les deux, iI ne faut pas nous presser...
L'intérêt bien cntendu du continent,
ept millions de Grecs
rendus à la liberté... voilà un bean chalnp pour faire de la
philanthropic; je vous donne sur cela carte blanche; je veux
seulement que ce soit de la philanthropie Iointaine. u Cel
nuages dorés pour Ie Slave et Ie mystique, I'escadron volant
pour Ie rnaterialisle I. IIomo duplex! Talleyrand pourvoierait å
rune et à I'autre besogne. II partit Ie 16. Le 18, Napoléon
nllt à l'ordre de I'armée une proclamation OÙ l'on lisait: 1& 801-
dats, j'ai besoin de vous... Portons nos aigles triomphante.
j usqu 'aux colonnes d'Hercule; là aussi, nous avons des
outrages à venger... " Il monta en voiture Ie 23 septembre.
V oyons dans queUes dispositions il allait trouver Alexandre.
VII
TolstoY, dans ses rapports, représentait les affaires de fa
France sons I'aspect Ie plus alarmant. Ses bulletins d'Espagne
n'exagéraicnt rien; mais, à lire scs rapports, la France, dans
l'intérieur, reculait aUK temps équivoq 1 1es de 1803 et 1804 :
Inêlne opposition sourde, désapprobation des entreprises,
désir de la paix, croyance que I'Europe la souhaite, que I'An-
ßleterrc même s'y prêterait; bref, des dispositions, des faci-
I GOURGAUD t. I, p. 529.
VII.
to
'06
ßA YONNE RT ERFURT. - 180S:
lité
å la politique de I'Europe, et si I'Europe trionlphe, à
l'hégérnonie russe. En même temps, l'immense péril où
marche la Bussie si eUe ne se met point en mesure, si eUe se
prête docilement au blocus, si elle abandonne I'Autriche : Ie
sort de I'Espagne menacerait la Russie! Done, que la Russie,
que Ie peuple russe se préparent. Hostilité à l'alliance, hosti-
lilé au projet de mariage, hoslilité à la France: voilà Ie fond
de la correspondance de cet ambassadeur dégoûté de sa
mission. Ce dégoût, toutefois, n'allait point jusqu'à négliger
les moyens cl'observer et de c_onnaître. Tolstoï avait renoué
les 61s de Markof, les intelligences au ministère de la guerre.
Ni dans la période d'intimité au temps d'Alexandre aussi
bien qu 'au temps de Paul, ni dans Ia période de méfìance et
d'hostilités, cet espionnage ne chôma I.
Le danger immédiat, pour les Busses, I'inquiétude domi-
nante, c'était que Napoléon n'achevât d'anéantir la Prusse et
n'écrasât l'Autriche 2. Les conseillers d'Alexandre Ie lui répé-
taient sans cesse. Czartoryski se joiguit à eux et adressa au
tsar une " note très confidentielle tJ, où, dès les premiers
mots, il perçait au fond a : (( Je pense que vos rapports actuels
avec Ie gouvernement français 6niront pour V olre
Iajesté
impériale de la manière la plus fllneste. tJ NapoJéon ne vise
qu'à établir sa suprélnatie; la Prusse I'a servi, il l'a détruite ;
I'Espagne I'a servi, il va l'envahir, après avoir détrôné Ie roi,
son allié. II n'oubliera pas que I'Autriche pouvait Ie perdre,
en 1807; quand il en aura hni avec I'Espagne, ill'attaquera,
Ia démembrera en royaumes de Hongrie, d'Autriche, de
Bohême, de Pologne qu'iI inféodera : alors la Russie restant
seule debout, il lui cherchera querelIe, réclamant Ie passage
I Voir rapports des 7, 1.3, 17 mai; 9, 21, 23 juin, 25 juillct, 7 août 1808. Le
23 juin, TolstoÏ annonce qu'un officier d'état-major, Goo., offre de passrr en
Bussie. II II emportera avec lui des cartcs, plans, mémoircs et tout ce que Ie
bureau de In r,ucrre ue Paris possèdc de ce gcnre sur la presqu'ile de l'It<1Jie, Ja
Dalmatie, I' A Ihanie et le8 pays adj<1cents. .
i MARTE
S, t. VI, p. 4-26.
I 1;ociété d'lIistoire de Russie, t. VI, p. 372. La pièce est datée du 26 juin;
mais si, comme il est proba!Jle, cctte date est 1a date russet elle doit être rcportée
au 8 juiUr.t.
ALEXANDRE EN PRUSSE. - 1808.
807
pour une armée française allant aUK Indes, comme il a envahi
I'Espagne sous Ie prétexte de s'emparer de Gibraltar. Puis il
If,cllera sur elle les Turcs tenus en laisse jusque-Ià. La Russie
euvuhie, I'uinée d'ailleurs par Ie bJocus, il réclamera les pro-
vinces polonaises, rétablira la Pologne, procIamera la liberté
des paysans, morcellera l'eInpire en royaumes séparés. (& Que
deviendra alors la Russie? Quel sera Ie sort de V otre
Iajesté
el celui de toute sa familIe? Rappelez-vous ce qui s'est passé
en Espagne. " Un seul moyen de salut: " S'entendre secrè-
tement avec l'Angleterre, I'Autriche, la Suède; envoyer des
agents secrets partout OÙ ils pourront contrecarrer les projets
de Napoléon n ; armer, et, cependant, "De rieo changer dans
nos rapports avec la France et mettre tout en æuvre pour
qu'elle ne s'aperçoive pas de nos craintes et de DOS véritables
dispositions" .
Caulaincourt, éperonné par NapoIéon, pressait Alexandre
d'agir å Vienne. Le tsar éluda Ia question par des promesses
vagues, des caresses à l' ambassadeur. II fit écrire à VienDe, å
Kourakine, non pour menacer, mais pour demander presque
comme un service qu' on ne' Ie mit point dans Ia nécessité
d'agir. (& La paix de Tilsit que j'ai contraclée De peut-elle
avoir ses engagements? Le parti Ie plus sage pour l' Autriche
Ine paraît done de rester spectatrice tranquille de la lutte...
L'Autriche m'éviterait la pénible nécessité de prendre fait et
cause contre elle, car je n'y suis tenu qu'autant qu'elle atta-
qU(
r8 1. .
Jême jeu å Berlin OÙ les ministres de Frédéric-Guillaume
s'etforcent d'engaß'cr leur maître avec l'Autriche i, où Ie roi se
refuse à ce coup de désespoir, et sollicite d'Alexandre l'avis
de se montrer patient et l'injonction d'ajourner l'héroïsme'.
Alexandre Ie retient et l'encourage : a S'imaginer que l'em-
harras des affaires d'Espagne donne une chance favorable à
J A If>x;tndre à Koural<ine, juiHet et 5 septembre 1.808. HASSEL.
I Rapports du major Lucey, envoyé à Vienne; en particulier, 30 aodt 1808.
HASSEL.
I Frédéric-Guillaume à Alexandre, 28 août; Alexandre à Frédéric-Guillaume,
12 septembre 1808. BULLEU.
808
BAYONME ET 2RFURT.. - 1808.
l'Autriche me parait mal calculé. Veuillez vou. rappeIer,
sire, que la France s' est trouvée, sous un gouvernement révo-
lutionnaire très faible, assez redoutable pour se défendre
contre tontes les puissances réunies contre eUe... " Qu'est-ce
donc, quand "ses forces se sont accrues si énormément et OÙ
elles sont conduites par des talents dont iI serait difficile de
contester la réalité... " '!
Tout Ie fond de sa politiqne est là, politique à la fois très
simple et å très longue portée, å la russe; conserver intacte,
avec ses ressources d'hommes et ses armements, I'Autriche,
aile gauche de I'armée russe future, contre I'Occident, et ce
qui reste de Prusse, aile droite de cette armée; les tenir dis-
ponibles jusqu'au jour marqué par Ia Providence, amené par
les fautes de Napoléon, et, tout en les exhortant å se soumettre
à l'empereur des Français et à subir Ia loi de Tilsit, se pré-
parer les moyens, avec leur appui, de rompre cette même
Joi, I'aIIiance de 1807. En attendant, il en tirera tout Ie parti
possible: après la Finlande, les Principautés. Pour arracher;\
apoléon la licence de s'en emparer, pour juger de l'étendue
de ses embarras, il accepte I' entrevue différée å tant de
reprises. Mais il ne peut déclarer hautement ses motifs, et
if est obligé de ruser aussi subtilement avec sa famiIle et sa
cour qu'avec Napoléon; d'exhorter à Ia patience les Busses,
aussi bien que les Autrichiens et les Prussiens.
L'impératrice mère, qui Ie voit toujours enfant, toujours
dans la dépression, les tremblements, l'obéissance fatale de la
terrible nuit de mars 1801 I, n'a pas encore pénétré ce génie
en même temps impulsif et réfléchi, cette suite, sous les appa-
rences de l'hésitation; cet art à s'échapper, å enlacer l'adver-
saire en paraissant fasciné par lui; eUe redoute Ia mobilité
d'âme, Ie goût de plaire quand même, et sinon une pro..
messe, au moins une adhésion tacite å ce projet de mariage
qui l'obsède toujours. Enfin, Erfurt l'épouvante. Connait-elle
l'histoire de France et I' entrevue fameuse de Péronnc, Louis XI
Voir ci-de..u., I. VI, p. t3
.
ALEXANDRE EN PRUSSE. - {80S.
309
emprisonné par Charles Ie Téméraire? Elle connatt å coup
silr des épisodes plus récents. Elle adresse à son fils, Ie 6 sep-
tembre, une longue épître, solennelle, Ie inquiète et triste ) " :
- (( Cher Alexandre, ces lignes vous jugeront et me jugeront
au tribunal de I'Être suprême. 11 Arrêtez-vous sur Ie bord de
I'abime; vous nous quittez pour une entrevue avec Bonaparte
et (( cela dans une forteresse qui se trou ve encore sous sa
domination et gardée par ses troupes ". Elle lui montre
" l'Europe sou mise aux décrets du tyran sanguinaire qui la
gouverne avec un sceptre de fer" ; Ie commerce russe anéanti,
l'enchérissement des denrées, Ie peuple réduit à In famine;
plus de sel, la banqueroute menaçante, l'indignation contre
les Français. L'Espagne résiste; il faut que Bonaparte Ia sou..
mette (( ou qu'il y périsse ". - Ie L'idole chancelle JJ; il a
besoin d'Alexandre, il va Ie séduire: il ne vous donnerajamais
la
{oldavie et la Valachie. Cette entrevue n ternit votfe répu-
tation et lui laisse une tache ineffaçable JJ . La nation croira vos
ordres arrachés par la force. Napoléon est homme à risquer
Ie tout pour Ie tout, un autre Bayonne, un autre Vincennes ! ...
Un tsar, et filoins que tout autre Ie fils de Paul, ne pouvait
demeurer SOlIS Ie coup de teis soupçons. A ce douloureux
aveu de sa mère, il mesure Ie péril qui Ie menace, Ie mécon-
tentement redoutable des boyards et de l'armée I. II est décidé
à les braver, car découvrir publiquelnent son secret serait
ruiner toute sa politique; mais s'iI expose sa vie aux com-
-plots, s'il encourt Ie sort de son père - et il ne peut se faire
d'illusions sur cet article - il veut au moins, devant l'impé-
1 Le texte des leUrel a été publié danl la Rourkaia Starine, avril i899.
De
Idistré écrit, quel(lues 6emaines aprèø, rétrospectivement : .l,'empereur
fjait qu'il d:'p1aÎt universf'lIement, et il a à ties cðtés des con.eillers qui lui disent
qu'on I'accuse de manque!' de caractère... Ajoutez à cela Ie mépriø de sa propre
nation qui e:it enfoilC'é dans Ie cc:eur de Sa Majesté impériale, f't vous verrez qu'il
n'est euère ros:;;ihle d'imaginer un état de choses pluø pfrilleux. Pour en 8ortir,
heaucoup de r.{'ns ne voyaient que Ie remede asiatique. J' en ai parlé plus d'une
foil; j'ai cru yue nous y touchioni; de. personneø qui avaient été encore plus ins-
truites Ie cro)"aient 8l1ssi. " TC'hic-agof, I'amiral, n'y croit pas. Leø Busses, croit-
iI. . ne lont pas capable. de commettre un crime pour l'État, maiø .eulement
pour leurs intérêts individuels.. !'Jlémoires et cOl'respondallce, 8 décemhre 1808.
.
i-de6luøt p. 191.
8iO
BAYONNE ET ERFURT. - 1808.
ratrice, sauver l'honneur de son génie et se montrer empe-
reur. II lui écrivit une lettre où, par une exception rare en
sa carrière, il révè]e toute sa pensée. Par reflet, cette lettre
éclaire Ie passé; elle projelte directement sa Iumière sur
l'avenir 1. S'il a traité à Tilsit, c'est par nécessité. Traitant,
iI était nécessaire à la Russie de se mettre bien avec Ie colosse.
R II faut que la France puisse croire que son intérêt politique
peut s'allier avec celui de la Bussie; dès qu'elle n'aura pas
cette croyance, elle ne verra plus dans la Russie qu'un ennemi
qu'iI sera de son intérêt de chercher à détruire. Quel autre
moyen pouvait done avoir la Russie pour conserver son union
avec la France que celui d'enlrer pour quelque ten1ps dan
ses
vues et Iui prouver qu'elle peut rester sans mé6ance sur ses
intentions et ses plans? C'est à ce résultat que devaient tendre
tous nos efforts pour pouvoir respirer pendant quelque temps
librement et augmenter pendant ce telnps précieux nos
moyens, nos forces. l\lais ce n' est que dans Ie plus profond
silence que nous devions y travailler... Sauver I'Autriche et
conserver les moyens pour Ie vrai moment OÙ elle pourra les
employer pour Ie bien ffénéral... " Se hâter serait risquer de
tout perdre. " Faut-il pour un instant de revers qu'éprouve
Napoléon gâter tout notre ouvrage et donner des doutes sur
nos vraies intentions?.. Si ses revers doivent continuer,
nous Ie verrons tranquillement tomber. "
Iais I'heure ne
semble pas proche; la France n'est point à bas; elle a résisté
à des crises plus redoutables. Et à sa sæur Ca therine : cc Bona-
parte prélend que je ne Buis qu'un sot. Rira bien qui rira le
dernier, et moi je mels tout mon espoir en Dieu I. "
11 reçoit de la reine de Prusse les mêmes adjurations; c'est
la même anxiété du monstre a : << V ous aIIez done revoir
Napoléon; cet homme qui,je Ie sais, vous faithorreur, comlne
å moÎ... Je vous conjure... soyez sur vos gardes avec cel
habile menteur... Ne vous laissez pas entrainer à rien enlre-
1 Voir ci-dellus, p. 173. Tiløit.
t MAI\TE!(S, t. XIII, p. 306.
· L. reine de Pru8te à Alexandre, 8 leptembre 1808. BAILLBV.
ALEXANDRE EN PRUSSE. - 1808.
'"
811
prendre contre I'Autriche... Au nom de Dieu, ne Ie faÌtes
pas!... Soyez grand, pardonnez J et songez à sauver I'Eu-
rope... " Alexandre dut sourire, encore que flatté en son
amour-propre d'homme et peut-être ému Iégèrement dans
son cæur. II s'arrêta, Ie 8 septembre, chez ses amis, en se
rendant à Erfurt. Illes rencontra à I{ænigsberg; iIs visitèrent
ensemble Ie chaInp de bataille d'Eylau. II les rassura sur ses
intentions; mais il les adjura de se tenir en obéissance et
résignation. Ses conseiIs furent une déception pour Ie parti
national, pour les patriotes ardents qui ne jugeaient que clu
dehors, avec leurs passions. Stein comprit : 1& L'empereur
voit Ie danger qui menace I'Europe, écrivait-il à un ami Ie
23 septembre, et je crois qu'il n'aura accepté l'entrevue que
pour conserver encore quelque temps Ie repos extérieur. Je
ne crois pas qu'il attaque l'Autriche quand eUe sera en guerre
avec fa France. "
Alexandre quitta Kænigsberg Ie 20 septembre; Ie 21, on
connut la convention de Paris et, aussi, les déplorables effets
de la Iettre interceptée de Stein 51. Frédéric-Guillaume fit courir
.après Ie tsar: 1& Je n'ai point encore Sigllé Ie funeste traité...
Si Votre l\Iajesté... ne nous soutient pas, e'en est fait de la
Prusse, car ce qui vient de se passer est plus que suf6sant
pour lui cassel" Ie co!... " Alexandre était consterné. Les
Russes, ROluniantsof, peu tendres pour la Prusse, la condam-
naient : 1& C'est de l'esprit de vertige! )) lIs n'avaient plus qu'à
subir la loi du vainqueur, eJ: à ratifier les yeux fermés la con-
vention. C'est ce qu'ils firent Ie 29 septembre; mais, en même
temps, Ie roi laissait les patriotes pousser leurs préparatifs
de guerre, leurs appeis à la nation, et Stein écrivait Ie 22 sep-
tembre à Gætzen, qui négociait secrètement å Vienne : (C Con-
servez vos liaisons avec les Autrichiens; assurez-Ies dans
toutes les occasions que nous sommes disposés à concourir å
sauver I' Allemagne et que les bruits que les Français répan-
dent d'une réunion avec eux sont faux. .J
I Allusion au traité de Schænbrünn, p. 1
, 23.
I Voir ci.delsu8, p. 297 -!QS.
JH.i
ÐA YONNE ET ERFURT. - 1808.
Frédéric-Guillaume n'élait point du gala d'Erfurt. Fran-
çois II s'abstint de s'y montrer. La Prl1sse clevait être repré-
sentée par Ie comte de Goltz, l'Autriche par Ie baron de
Vincent. La Prusse yarrive, alliée de Napoléon contre I'Au-
triche, Ie couteau sur la gorge, en négociation secrète avec
l'Autriche contre Napoléon. L'Autriche a désarmé, pour la
forme; elle est en négociation secrète avec un agent anglais,
et elle se prépare à entreI' en guerre au pren1ier embarras
sérieux où se trouvera Napoléon cn Espagne. La Russie n'a
d'autre penséc que de se dégager des promesses de Ti]sit,
de n 'avoir point å soutenir Napoléon contre l'Autriche ou
contre la Prusse, de se faire au cOlltraire de Ia Prusse une
cliente et de l'Autriche une alIiée éventuelle contre Ia France.
En6n, Ie propre confident de Nnpoléon, Talleyrand, se pré-
I)ente avec Ie dessein concerté de trahir son maître, de délier
la Russie, de protéger l'Autrich
et de les rapI)rocher rune de
l'autre.
VIII
Les deux empereurs firent leur entrée so1enne1le dans
Erfurt Ie 28 septembre. La ville était encoJllbrée d'altesses,
de courtisans, de rnilitaires. Rois, grands-dues, ducs, princes,
l'Allemaglle officielle, I'Allelnaßne inféodée, protégée, enré-
gimentée, gratifiée, prosternée. Dans Ie cadre de cette vieille
Europe héraldique aux cimiers dépIumés, aux émaux ternis,
aUK lions caducs, passants, couchanls et rampants, la nou-
velle promotion des seigIlcurs de la terre, sianifiant par Ia
disparate même leurs noms exoliques de Ri voli à Auerstaedt,
de Valmy à Raguse, l'universelle victoire' de 1a République
et l'universelle domination de l'empire français : les uns
ensei<<nant aux autres l'éternclle antienne de l'histoire, com-
ERFURT. - 1808.
8i3
ment 6nissenl les dynasties et comment elles recommencent t.
Loges de
Iajestés, parquet d'Altesses, galerie de sérénissimes,
parterre d'excellences, ces Allemands applaudissent au théâtre,
Ièvent leurs verres dans les banquets: au fond, beau coup de
gens, fort peu de chose et qui ne méritent, quand ils enfrei-
gnent la consigne du silence, que l'étonnant : " Taisez-vous,
roi de Bavière ! tJ de Napoléon å l\lax-Joseph I. Ce n'eût été
rieo si I' Allemagne intellectuelle, celle qui formait alors de
cette lld.tiun htuniliée, de cette patrie assujettie, comme une
matrice nouvelle de la pensée et de la poésie humaines, n'avait
été représentée aussi au triomphe de NapoJéon. Le plus grand
génie de I'AlIemagne et l'un
des plus grands génies parmi les
hOlnmes, Gæthe, y apporta son hommage. Gæthe et les esprits
larges et apaisés qui pensaient comme lui estimaient 18
Révolution dénaturée par ses auteurs, rétrécie en son mouIe
trop frunçais; ils considéraient Napoléon comme la Révolu-
tion conson1mée dans ce qu' elle avail de raisonnable, de léffi-
time, d'européen. Ces sages ]aissaient à César ce qui était à
César. lIs admiraient dans la force organisée la manifestation
du génie humain dans I'État. lIs se démontraient à eux-mêmes,
comme on explique Ie cours des astres, la nécessité historique
de Ia victoire, concilian,t In soumission, qui était dans leur
caractère, et la fierté qui était dans leur pensée. Gæthe ne
figure à Erfurl qu'à litre de conseiller intÙne; mais Ie con-
seiHer intime n 'en est pas moins Gæthe; Ia figure de Gæthe
domine les assemblées, au-dessus des princes, à côté de l'empe-
renr. Le poète de la nature rencontre I'honlme de la destinée.
On raconte qu'au temps de la conquête romaine un Germain,
1& vieiUard de haute taille et d'un extérieur qui décelait un
rang élevé dans sa nation ", franchit Ie Rhin dans un petit
bateau, delnanda Ia permission de contempIer Ie général
romain; il considéra Tibère et s'écria qu'illui semblait avoir
VII la divinité et qu'il n'avait pas eu de plus beau jour dans
1 Voir t. I, p. 44, Ie diner de. roil 8a .xil d. Ca"rlitle.
I
limol1'øs de ltloriolløs, p. li6.
3i'
BAYONNE ET ERFURT. - i80S.
sa vie I. u Sa vie a été celle d'un demi-dieu qui marchait de
bataille en bataille et de victoire en victoire 1) , dit plus tard
Gæthe de N a poléon I.
ft Je veux, avant de commencer, que l'empereur Alexandre
soit ébloui par Ie spectacle de ma puissance! 1) dit Napoléon à
Talleyrand. Le soleil n'éblouit point Ie courant d'eau qui passe
et où il miroite sur les flots qui s'enfuient. Ainsi des yeul
slaves. Talleyrand commença Ie soir même de l'arrivée. Un
billet de la princesse de Tour et Taxis l'invitait au thé II Y
rencontra l' empereur Alexandre. I1l'y retrouva tous les soirs
après Ie spectacle, s'attachant à ne Ie point effaroucher, å
rendre la conversation aussi frivole que possible, rnoyen Ie
plus adroit de passer au sérieux lejour OÙ Alexandre en éprou-
verait Ie désir, et à son prelnier signe. Talleyrand fréquentait
aussi
I. de Vincent, qu'il connaissait depuis longtemps e
avec lequel il s'était mis en grande confiance à Varsovie.
Les deux empereurs s' entretinrent senl à seul, comme Ie dési.
rail Napoléon. II rassura Ie tsar sur l'article de la Pologne, se
montra facile sur celui des Principautés : ils convinrent
d'ajourner n Ie grand objet 1), Ie partage, et de faire en
commun une démarche à Lo
dres. l\Iais, dit NapoIéon, on ne
réduira jamais J'Angleterre tant qu'elle espérera trouver à
Vienne Ie pivot d'une cinquième coalition. Or, malgré Ies
I FUSTEL DE COULANGES, l'lnvasion germanigue.
I E"tretiell.s avec Eckermalln. Gæthe, Jugpant à distance Ie grand homme
dpchu 7 reetait en cela aussi fidèle à lui-même qu'en l'admirant à Erfurt. u Je ne
haï8sai
pas les Français, quoique je remercie Dieu de nous en avoir délivréø.
COlllmpnt
moi pour qui la civilisation et la barbarie sont des choses d'impor-
tance, aurais-je pu haÏr une nation qui est une des plu
civilisées de la terre, et
à qui je dois une si grande part de mon propre développement ?... La haine natio-
naleest une haine particulière... " - II Napoléon, voilà un homme... Jeune, et
tam que sa force grandis
ait, il a joui de ceUe perp(:tuelle illumination intérieure :
alors une protection divine semblait veiJler sur lui... Toujour. clair, toujours
11IUlineux 7 décidé.... Knebel, littérateur, qui vivait à \Veimar, un des amis et
des suivants de Gcethe, écrivait à Heßel, Ie 7 octobre 1808, après avoir vu Napa-
léon : &I Son visé1ße où est empreinte cette vague mélancolie qui, selon Aristote,
est la marque de tous les ß,'ands caractèrell, révèle non lIeulement la puissance de
l'esprit 7 mais une vraie bonté de cæur... Bref, on est enthousiaste du ßrand
homme." - CBERBVLIEZ, Profil, étranger8. -LÉVy-ßI\ÚUL, l'Allemagne depuÍJ
LeiblLitr.
ERFUR T. - 1808.
315
déctarations de Metternich å Paris, l'Autriche ajourne la
reconnaissance des rois d'Espagne et de Naples. II réclame
d'Alexandre une démarche commune à Vienne, quÏmettrait
I'Autriche en demeure de déclarer la guerre aux Anglais et de
reconnailre publiquement les nouveaux rois. II rédigea, en
partie de sa main, un projet de traité qu'il remit à Alexandre
dans Ie plus grand secret. l\lais les Russes s'accommodèrent
de façon que I'Autrichien, 1\1. de Vincent, en fûl averti, et
celni-ci en prévint Talleyrand. Talleyrand, dès lors, se tint å
l'affùt, et l'occasion qu'il attendait ne tarda guère å se pré-
sen ter.
Le 3 octobre, après Ie spectacle chez la princesse,
Alexandre parut moins épanoui que d'habitude : ,c - L'em-
pereur vous a-t-il parlé ces jours-ci? demanda-t-il. - Non,
sire! J) Et Talleyrand hasarda ces mots: ø - Si je n'avais
pas vu 1\1. de Vincent, je croirais que l'entrevue d'Erfurt était
uniquernent nne partie de plaisir. - Qu'est-ce que dit
L de Vincent? - Sire, des choses fort raisonnables, car a
espère que V otre l\Iajesté ne se laissera pas entrainer par
l'elnper
ur Napoléon dans des mesures menaçantes ou au
moins offensantes pour l' Autriche; et si V otre
Iajesté me
perInet de Ie lui dire, je forme les mêmes væux. - Je Ie vou-
drais aussi; c'est fort difficile, car l'enlpereur Napoléon me
paraît bien monté. - l\lais, sire, vous avez des observations
à faire. J) Et il les insinne : elles tendent tout simplement à
mettre I'Autriche hors du traité d'alliance entre la Russie et la
France, et à rassurer l'empereur François au lieu de l'ef-
frayer.
La conversation reprit Ie lendemain, Alexandre se laissant
doucement pousser du côté OÙ il penchait; Talleyrand y mêla
du pathétique qui n'était pas dans son personnage, mais qui
ne dut point déplaire. Ct Sire, que venez-vons faire ici? C'est
à vous de .,auver I'Europe, et vous n'y parviendrez qu'en
tenant tête à N apo 1éon. Le peuple français est civilisé. son
50uverain ne l' est pas; Ie souverain de la Russie est civilisé,
5011 peuple ne l' est pas: c' est done au souverain de la Russie
116
EAYONNE ET ERFURT. - 1808.
d'être l'alIié du peuple français I. Le Rhin, les Alpes, lea
Pyrénées sont les conquêtes de la France. Le reste eslla con-
quête de l'empereur; la France n'y tient pas. " Le reste était
précisément l'essentiel pour A1exand:'e, car ce reste pris les
alliés seraient sur Ie Rhin; ils Ie passeraient, dès lors, impu-
nément et, la limite naturelle entamée, ils refouleraient la
France vaincue, abusée, désorganisée, décapitée, jusqu'å
l'ancienne limite.
Alexandre hésitait encore. "Ce fut Caulaincourt qui, parson
crl-dit personnel, emporta sa déterminatioll "; preuve nou-
velle, dit Metternich, "de l'influellce sallS borne que Talley-
rand exerce sur l' esprit de
I. de Caulaincourlt) . - "Sa conduite
à Erfurt, rapporte Tolstoï, ne peut laisser aucun doute sur
l'étendue de son dévouement au vice-grand-électeur. J)
Le 5 octobre, Alexandre, suffisalnlnenl monté, se sentant
suffisamment soutenu, cut une longue conférence avec Napo-
léon. " Je n'ai rien fait, raconta l'empereur à Talleyrand...
Je l'ai retourné dans tous les sens; mais il a I'esprit court;
je n'ai pas avancé d'un pas. - Sire, je crois que Volre
Iajesté en a fait beaucoup dcpuis qu' elle est ici, car l' ern-
pereur Alexandre est complètement sous Ie charme. - II vous
Ie montre, vous êtes sa dupe. S'il m'aime tant, pourquoi ne
signe-t-il pas?" Napoléon voynit juste, et cepenJant, il céda:
c'est qu'il était dupe aussi, ayant son côté de passion et de fai-
blesse par où Alexandre Ie tennit amorcé. C'était Ie mariage.
Au théâtre, lors de la représentation d'OEdipe, Alexandre
avail serré la main de Napoléon, à ce vel's:
L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux ,
Et Napoléon avait pu prendre ce geste pour un encourage-
ment à ses væux. II y risqua une allusion, au retour d'une
promenade, en commun, à Weimar. Alexandre accueillit la
confidence avec SOIl ineffable et perpétuel sourire, OÙ Napo-
I Comparez leø diøcourø de Mme de Staël à Alexandre: Dix années d"exil,
!II partie, chap. XVII. - COllsidératiQIIS, t. II, p. 6, 32, 108. - GAUTIER,
chap. xx, - Lettrø à Alexanùre, 8 juin i815. Røvue de Paril, I'r janvier 1891,
EI\FUl\T. - 1801.
31f
I
on lut un acquiescement. Alors iI charges. Talleyrand de
pousser plus clairement les insinuations. _ << Ma dostinée
l'exige et la tranquillité de la France Ie demande.. 8ouvenez.
vous bien que ce n'est pas de ma part qu'il faut lui parler;
c' est comme Français que vous vous adressez à lui... Com me
Français, vous pourrez dire tout ce que vous voudrez. Joseph,
Lucien, toute ma famille vous offrent un beau champ... lis
ne sont rien pour la France. u Puis, une de ces boutades
comme illui en échappait souvent et qui perçaient au fond de
l'avenir: "Mon 61s même - mais cela est inutile à dire -
aurait souvent besoin d'être mOD fils pour me auccéder tran-
quillement. u
C' était pour Talleyrand l'heure de consommer sa défec-
tion. II en fit sa conI' à Alexandre, Ie plus galamment du
monde. "J'avoue, raeonte-t-il, que j'étais effrayé pour rEu-
rope d'une alliance de plus entre la France et la Russie. A
mon sens, il fallait arriver å ce que l'idée de cette alliance ft1t
assez admise pour satisfaire Napoléon, et à ce qu'il y et1t
cependant des réserves qui Ia rendissent difficile. Tout rart
dont je croyais avoir besoin me fut inutile avec I'empereur
Alexandre. Au premier mot, il me comprit, et me comprit
précisément comme je voulais l' être. " - ø S'il ne s'agissait
que de moi, dit-il, je donnerais volontiers mon consentement;
mais il n'est pas Ie seul qu'il faille obtenir." Et il parla de sa
mère : il essaierait; il ne pouvait répondre de rien. II savait
hien que l'impératrice ne consentirait jamais; il savait aussi
qu'il trouverait à Paris des alliés qui travailleraient à écarter
de Iui ce cauchemar. Talleyrand avait encore une fois devancé
ses désirs.
Quant à M. de Vincent, rassuré, exhorté par Talleyrand, il
avait obtenu une audience d'Alexandre. II en était sorti
u épanoui autant qu'on peut l'être IJ . Pour toute allusion au
désarmement exigé par Napoléon et que Napoléon prétendait
faire exiffer par la Russie, Alexandre lui avait dit: . Nul n'a
Ie droit de s'immiscer dans les mesures que prend un souve-
rain étranger. . - . L'Autriche, ajout
-t-il, n'a point de
118
BA YONNB ET ERFUR T. - 1808.
meilleur ami que moi, et je me sens engagé d'honneur å la
prÉ'berver de toute atteinte. If
Alexandre obtint la réduchon de la dette prussienne à
120 millions, au lieu de 140, et quelques délais pour Ie paye.
mente
{ais Napoléon exigea Ie renvoi de Stein. Goltz écrivit
à ce ministre: "Résigner, pour Ie moment, votre poste...
vous vouer pour quelque temps å la vie solitaire en appa-
rence, et influer en secret du lieu de votre séjour... .Nos
affaires ne vont pas bien... Nous devons, au fond, tout à la
Bussie... QuelIe conduite... tenir... sinon celle d'être bien
avec la France, pour ne pas être engloutis ?... "
Les arrangements arrêtés entre les empereurs, les ministres
les couchèrent en articles qui furent signés Ie 12 octobre.
L'alliance dirigée contre I'Angleterre "ennemie commune et
ennelnie du continent" est confirmée. La paix avec I'Angle-
terre se fera sur la base de l' " uti possidetis" , en ce qui concerne
la France; la réunion de la Finlande, de la l\loldavie et de la
Valachie, en ce qui concerne la Russie. Napoléon retire
sa médiation entre la Russie et la Porte : il reconnaît Ie
Danube comme frontière de la Russie; l'intégrité du reste de
l'empire ottoman est maintenue, et aucune atteinte n'y sera
portée ni tolérée que d'un commun accord. Nöpoléon proß1et
de faire cause commune avec la Russie, contre rAutriche, si
l' Autriche soutient la Porte, et la Bussie promet de faire
cause commune avec la France si I'Autriche lui déclare la
güerre. La convention devait être tenue secrète au moins
pendant dix ans. On décida que Roumiantsof se rendrait à
Paris pour y suivre la négociation avec I'Angleterre. Son
objet était, en réalité, de délivrer la Russie du blocus, de la
décharger de l'alliance et de lui procurer de nouveaux béné-
6ces.
Le même jour, les deux empereurs adressèrent au roi
d'Angleterre une lettre ostensible, l'invitant à la paix.
Alexandre écrivit à François : il ne presc'ivait, ni même
ne recommandait rien; tout au contraire: (( l'éprouve beau-
coup de satisfaction à voir la justice que vous rendez å
ERFURT. - 1808.
119
roes sentiments pour vous; je vous prie d'être bien persuadé
de l'intérêt que je prends å Votre Majesté et å l'intégrité de
son elnpire I. J) Napoléon, mécontent de Tolstoï, demanda
qu'iI fût remplacé; Alexandre y consentit et désigna Koura-
kine, qui était à Vienne où il travaillait au rapprochement de
la Russie et de I'Autriche.
(( On a Sigllé, dit un témoin, en fermant les yeux, pour ne
pas voir dans l'avenir. J) Les empereurs partirent Ie 14 oe-
tobre. Alexandre repassa par Kænigsberg, et convia ses amis
à se rendre en Russie, vers la fin de l'année. Talleyrand
revint, ellgagé avec Alexandre, et correspondant secret de
la Russie : eet ami du tsar valait, et au centuple, les mysté-
rieux amis d'Antraigues, qui, depuis janvier 1806, n'écri-
vaient plus. Le tsar l'avait d'aiIIeurs, et par provision, impé-
rialement récompellsé. Talleyralld reçut, pour son neveu,
la princesse Dorothée de Courlande, l'incomparable duchesse
de Dino, qui fut Ie joyau de sa maison, l'enchantement de
Ion âge mÚr et les délices de sa vieillesse.
Pour Napoléon, il ne rapportait d'Erfurt que la licence de
reconquérir en Espagne Ie prestige perdu et, par ricochet,
d'imposer à I'Europe sa suprématie ébranlée. . Les Russes
vous détesteñt, disait un Polollais à Davout; les Allemands ne
vous aiment pas; les fanatiques espagnols se révoltent contre
les bienfaits mêmes; les Polonais seuls vous restent et reste-
ront par pellchall t et par raison I. J)
Napoléon espérait frapper vite et à fond. (( La guerre
pourrait être terminée d'un seul coup, par une manæuvre
habile s. )J Alors, par une conversion brusque, plus hardie et
plus terrifìallte que celIe de 1805, il se retournerait contre
I'Autriche, et de ce formidable coup de revers l'atterrerait. Ell
attendant, il désarme et se replie. (( Votre Majesté est mat-
tresse de lever ses camps et de remettre ses troupes dans leurs
qllartiers JJ , écrivit-il à ses confédérés du Rhin. "Mon inten-
I 12 octobre 1808. BEER.
· Davout à Napoléon. 22 septembre 1808. Corr., t. II.
I A Joseph, 13 octobre 1808.
,o
IJAYONNE ET ERFURT. - 1808.
lion est de retirer insensiblement lilCS (roupes sur la ß'auche
de I'Elbe. 11 n'y a rien à craindre pour la Pologne. Jr suis au
mieux avec la Bussie; je n'ai rien à craindre des Autrichiens I
mai8, en tout état de cause, mon intention est de concentrer
de plus en plus mes troupes I )J
Dès son retour å Paris, Talleyrand con6rme à
Ietternich
ce qu'iI avait dit à Vincent, ce que Vincent avait recueilIi de
la bouche même d'Alexandre. II ajoute : (( Depuis la blltailJe
d'Auslerlitz, les rapports d'Alexandre à I'Autriche n'ont point
été plus favorables; il ne dépendra que de vous et de votre
an)bassadeur à Pétersbourg de renouer avec la Russie des rela-
tions aussi intimes que celles qui existèrent avant celte
époque. C'est cette réunion seule qui peut causer l'indépen-
dance de I'Europe; Caulaincourt, entiêrement dévoué à mon
point de vue politique, est instruit de manière à seconder
toules les démarches que fera :\L Ie prince de Sch\varzen-
berg... L'intérêt de la France elIe-même exiGe que les puis-
sances en état de tenir lête à Napoléon se réunissent pour
opposer une digue à son insatiable ambition. La cause de
Napoléon n'est plus celIe de la France; I'Europe ennn ne
peut être sauvée que par la plus intime réunion entre l'Au-
triche et la Russie oj. JJ
L 'Autriche, ainsi rassurée, continue à se préparer pour
I'occasion que fournira vraisemblablement I'Espagne. La
correspondance se renoue avec Londres. Le COlTI(t Ernest
Hardenberg, cousin du millistre prussien, et qui réside à
Vienne pour Ie Hanovre, suit l'affaire avec
IÜnster ({l1Ï_ réside
à Londres, nlinistre in pa1 0 Libus du roi Georges pour ce même
Hanovre. n Dans la ferme persuasion OÙ est la cour de Vienne.
écrit Ernest I-Iardenberg, Ie 11 octobre, que ]a guerre est
inévitab]e, et peut-être aussi dans l'intention préméditée
de saisir Ie premier prétexte pour proSter des circonstance
favorables du moment pour la commencer, eUe recherche Ie
· A. J
rðme, etc., it octobre; ð. Davout, 25 octobre 1808.
· l\Ietternicb, mémoire du ,. décembre 1808. BEEB.
ERFURT. - 180S.
8it
rapprochement avec rAngleterre et ion assistance... I} Sta..
dion Ie lui dit en propres mots : a II désirerait éloigner
encore ce terlne jusqu'au printemps I} ; mais il s'estime déjà
en mesure : 300,000 hommcs de rarmée active, 60,000 de
réscrve, 20,000 Hongrois de renfort. Stadion propose de
renonsreler les arrangements de 1805 pour les subsides :
un million et demi de livres comme entrée en campagne, et
4 Inillions par an; l'AutrÎche voudrait commencer avec
400,000 hommes. II compte, en outre, sur 200,000 homme
de milice. Ct J'eus en oetobre, par Ie duc de Portland, Ie pre-
mier avis des dispositions d
I'Autriehe, d-entrer en guerre
avec la France. , note l\lalmesbury, dans son Journal'.
En Prusse, les patriotes se tiennent aux aguets, I'arme au
pied. n II s'est fait, écrivait Ernest Hardenberg, une asso-
ciation de quelques personnes des plus distinguées et des
plus marquantes... qui se sont partagé les différentes pro-
VInces, pour y diriger toutes les mesures... J) Leur objet est
de n se soustraire au joug et au payement tJ . - ft Le plan est
connu et approuvé en entier par Ie souverain IJ ; mais, par
prudence, il s'est accommodé de façon à Ie paraitre ignorer.
Les Anglais sont prévenus; la négociation secrète s'annonce
ainsi à Londres, tandis qu 'à Vienne Ie comte de Gætzen,
aide de camp du roi, chargé de l' organisation de la Silésie,
confère mystérieusement avec Ie généraJ autrichien Bubna -.
" L'associatioIl, écrit E. J-Iardenberg Ie 26 novembre, se Hatte
qu'en ne différant pas l'exécution de ses projets agressifs
contre ce qui reste de tr
upes françaises en Allemagne, eUe
ferait une diversion d'autant plus utile à Ja bonne cause et
aux affaires de I'Espagne qu'elle forcerait peut-être rAu-
triche à prendre promptement part å Ia guerre... Le roi de
Prusse, moins gêné à présent par l'évacuation de son pays,
est décidé de se mettre lui-mêlne en avant Jors de r exécubon
de ces plans... u Le plan des Autrichiens consistait d'une
· Erneøt Hardenberg tenait déjà lei fils avec Berlin. Voir ci-dc88U9, p. 190.
orre6pondance avec Münr;ter. HASSEL. - _MALl\lESDURY, Joul.nal.
I Correspondance de Gætzen. HASSEL.
VII.
11
82t
DA YONNE ET En FUR T. - 1808.
part å el1v8hir la Ba\'ièrc, d'autre part ù altaquer Davout en
Saxe, et de là, concertvnt leurs opérations avec Ie due de
13runswick et Ie land-grave de IIesse, ils entraineraient lea
peuples de I'AlIcrnagne du Nord. (( II faut, écrivait Stein à
Gætzen Ie 27 octobre, continuer à entrelenir l'esprit public,
préparer tout dans l'intérieur, par acheter des armes, des for-
Inations rnr..squées du n1Ílitaire, pour qu 'en temps de guerre
contre 1'.\.utriche on puisse parvcnir à briser les chaines. IJ II
. avait ell un style ct un esprit de Tih:.it : its s' étaient dissipés
en un rOITHHl poIitiqae. n )1 a dé50rnlais un style et un esprit
d.Erfurt, loul en réù.lités : c'cst.la coalition.
CHAPITRE V
A GUERRE D'ESPAGNB
1808-1809
I
Napoléon rentra à Paris Ie 19 octobre. II y trouva de I'in-
quiétude dont illui convint de ne pas approfondir les causes.
II observa des signes menaçants dont il lui plut de ne pal
tenir compte. II avait appelé 80,000 conscrits des années
1806 et 1807, et les levées ne s'opéraient point. ß Sur 741
conscrits de I'Aube, 485 ont déserté I. J) Partont, et å
toutes les questions les mêmes réponses : la soumission de
I'Espagne rétablira toutes les affaires; eUe rendra l'affection
aux Français et les remettra dans la discipline; eUe désarmera
les Autrichiens; elle tranchera Ie confli t avec I 'ÉGI.ise; elle
assurera Ie blocus et par Ie blocus la capitulation de I'Angle-
terre; la Russie retombera <.lans les sollicitations, I'Europe
dans l'obéissance, et la paix française, la paix du Grand
Empire, régnera sur Ie monde. Ainsi, depuis 1792, la fin de la
Révolution, Ie bonheur des hommes et l'avènement de In
justice toujours renvoyés au lendemain d 'une journée qui résou-
drait tous les conflits, et la journée ne découvrant qu'un nou-
vel obstacle, une barricade å emporter, une bastille à prendre
qui serait la dernière. Pendant quatorze ans, de 1794 à 1808,
on a espéré la fin de la guerre; il reste toujours une citadelle
à enlever d'assaut, un pays å envahir, une frontière å pro-
A Çlarke, 28 octobre. - Rappor\ de Hrockhaulen, 31 octobre !808 HAJ'&!i
3!4.
LA GUE1\I\.E D'ESPAGrcK. - 1801.
téger. La France pour compléter, assurer, garantir la conquåte
des Iimit
s) avait été obligée de conquérirsans fin; elle se débor-
dait sur I'Europc, dans l'illusion que chaque conquête nou-
velle affcrmirait les autres; que, les fondements assis sur dcs
\
bascs si étcndues, il ne s'agissait plus que d'édifìer Ie comble,
qui de sa masse tasserait toute la båtisse. Désormais, if faut
changer d'illusion, les piliers s' enfouissent dans la terre et se
dérobent, les murs se crevassent, les charpentes craquent; Ie
comble, si ron Ie place, écrasera l'ouvrage et précipitera la
chute; on est contraint de reprendre les soubassements mêmcs
et jusqu'aux contreforts.
La grande armée opérait sa conversion vers I'Espagne, tra-
versant la France sons des arcs de triomphe, au milieu des
chants et des fêtes. Cette armée, qui portait à plus de 200,000
hommes les forces françaises, entra en Espagne, commandée
par l' enlpereur avec la plupart de ses plus fameux lieutenants I :
Lannes, Soult, Bessières, NeJ", Lefebvre, Moncey, Victor. Bien
encore n'y avait résisté. Les Espagnols cependant ne s'en émeu-
vent pas, et plus la supériorité des armcs se déploie du côté
des Français, pIns éclatent dans leurs rangs la jactance, la
présomption, la foi, Ie fanatisme. Les rôles sont renversés
depuis 1792. La Grande Armée envahit I'Espagne comme
l'armée du grand Frédéric, tonte fameuse encore et réputée
irrésistible, envahissait la Champagne. l\Iais ce n'est past
comme avec Brunswick, en 1 792, un Valmy que les Français
sont exposés à rencontrcr, c'est une terreur effervescente,
un 93 monacaI, surpassant en frénésie Ie 93 jacobin. Avec
$es juntes locales, communes insurrectionnelles qui tiennent
à la foÍs du Saint-Office et des tribunaux révolutionnaires,
I'Espagne, en quelques semaines, s'est hérissée de corps francs,
de guél'z1las, de bourreaux. Les EspagnoIs sans artillerie, avec
des chefs de bande pour généraux, ajoutent à la passion de
l'indépendance la jalousie de )a race, l'horreur du sacrilège;
les moines prêchent l'assassinat des soIdats de Napoléon,
J :NapoléoD e.t à BayoDne du ! au
Dovembre
808; Ie
t au loir, A Vital'is
NAPOLÊON A MADRID. - 1808.
225
impies et républicains, de la mêlne ardenr qu'ils ptêcllèrent
Ie Inassacre des soldats tie Louis XIV, roi très chrétien et fils
aîné de I'Église I : c'est rétranger, et s'iI se prétend eroyant
du Inême Dieu, it ment et Ie blasphème. La gucrre nationale
tourne à I'autodafé, culte national. Les palriotcs espaffIloIs,
pas plus que les patriotes français de 1793, ne doutent pas un
Instant de leur victoire 6nale : l'Espagne boira Ie sang de
I'envahisseur, eng-Ioutira ses chars et se'.) canons, Iivrera aUK
vautours la chair de ses pendus et de ses écorchés. lIs se
flattent même d'envahir Ia France, d'y porler leurs ven-
geances atroces; d'y opérer la grande purification, par les
sacrifices humains. C'est å peine s'ils subissent Ie secours des
Anglais, alliés gênants et suspects aUK bandes de Palafox et de
Castagnos, COlnme naguère à celles de Charette.
NapoIéon était à Vitoria Ie 5 novembre : tout ce qui se
trouva à la portée de son bras, il l'anéantit ou Ie dispersa;
mais que sert de vaincre un ennemi qui ne se soumet point?
Tout Ie déroute dans sa victoire. II avance, et il ne se sent pas
vainqueur : l'ennemi I'inonde de tous côtés. Les bandes se
reforment jusque dans son sillage. Toute bicoque se crénèle
en forteresse. II faut s'user en assauts, sièges meurtriers,
énervants et inutiles, car on ne peut investir et bombarder
toutes les masures de l'Espagne. II faut occuper tous les sen-
tiers, établir des postes à tous les carrefours, escorter tous les
courriers, protéger tous les convois. Victorieuse, mais épar-
pillée pour conserver ses conquêtes et (( maîtresse seulement
de la terre que foulent les pieds de ses soldats u, I'armée
française s' épuise en cette besogne sans fin; Ie génie de
I'empereur s'use en cette guerre sans stratégie; tel Ie vent,
rasant la terre aride, bousculant Ie sable, gIissant sur Ie
roeher, sans fOl'êts OÙ mugir, sans flots à soulever. Les
soldats regrettent les cantonnements d'AlIemagne; l'empe-
reur cherche vainement les bons généraux à l' Allemande,
les généraux du conseil aulique, présentant la bataille, tou-
J !.I.'l-SIJ
10M, t. XIV, p.430.
atG
LA GUERRE D'ESPAGNE. - 180S.
jours g8gnée, sur Ie chemin de la capitale, toujours ouverte.
II s'était monté pour assommer Ie taureau d'un coup de
massue; il marche sur des nids de vipères qui fuient, mordant
les hommes aux pieds. II voit exterminer en détail son armée
géante, harcelée, harassée et impuissante. Cette insurrection,
de tout un peuple opérait comme la fièvre qui ronge, dissout
homme par homme, étape par étape, Ie long de tous les sen-
tiers, dans les hôpitaux de toutes les villes, plus meurtrière
et plus destructive que Ie canon: ni eau, ni gites, ni sommeil.
A cette rébellion de I'Espagne, sol, climat, habitants,
ajoutez la résistance molle du roi même que cette guerre a
pour objet d'introniser. Napoléon a rencontré Joseph à Vitoria
et, dès l'abord, ils ne se cOlnprennent pas. Joseph se présente
en égaI, encore que roi errant, Jacques II au camp de
Louis XIV. Mais Napoléon ne l'entend pas de la sorte. La
guerre a tout remis en question; tout, y compris les décrets,
les serments et les traités de Bayonne. Napoléon est forcé de
conquérir I'Espagne, I'Espagne sera sa conquête. II en pourra
disposer ãsaguise, etJoseph qu'il emlnène en son escorte n'est
plus qu'un prétendant; moins encore, un candidat à la suite,
un 6gurant de cortège. ø Je l'ai trouvé mal, disait Napoléon.
II veut être militaire, il est devenu tout à fait roi 1 ! 11 De plus
il prétend être roi å l'espagnole, reynelto, surtout å l'égard
de la France. Napoléon en décide tout au contraire : A II faut
que I'Espagne soit française. C'est pour la France que j'ai
conquis l'Espagne... Je suis Français de toutes mes affections
com me je Ie suis par devoir... Je n'ai en vue que Ia gloire et
la force de la France... line s'agit pas de recommencer
ici Philippe V... >> C' est précisément parce qu'il vent une
Espagne française que I'Espagne se tord sons l' étreinte, résiste,
conspire, assassine, voulant rester espagnole avec autant
de fanatisme que Ia France de la Révollltion avait mis
d'enthousiasme à rester française. Napoléon se Hatte do no
vainement de la soumettre en la ré6énél.an
onvenation avec Ræd.r.r
APOLÊO:S A MADRID. - 1808.
32-1
Les E
PD{; nols fiC veulcnt ni se soumettrc à l' étri..hGer ni sa
laisser réGénérer par Ia conquête. Illes jUHe à la fl'ant;aise; il
croit les {;3gner en séparallt la cause du peuple de celIe des
Bourbons, des nobles et <.les prêtres. II supprirIlc les droits
seigneuriaux, il décrète l' égalité et l' unité de la justice, il
réduit Ie nOlnbrc des couvents, il abolit les dOlHlIiCS provin-
ciales. (I Tout ce qui s'opposait à votre prospérilé et å votre
grandeur, jc l'ai détruit; les entraves qui pesaicnt sur Ie
peuple, je le-s ai brisées; une constitution liLéralc vous donne,
au lieu d'une monarchie ab
olue, une monarchie tempérée et
constitutionnelle I. J) Les Espagnols accucillcnt ces réformes
comme vingt ans aupara vant les Belges avaienl accucilli celles
de Joseph II et son gOllvernClllent éclairé. :Napoléon confisque,
emprisonne, frappe, pour l'exeluple, les dix principå K cou-
pables de défection. Le pardon cst enticr pour les autres.
l\Iais l'anlnistie ne gagne pas plus les Espagnols que la ven-
geance ne les effraie. L'Espagne se rebellc contre les remèdes
de ce terriLle médccill à Inesure qu'il s'obstine davantage à Ia
soigner de maux dont eUe ne veut pas guérir, ou, tout au
moins) guérir de ses mains. Alors il menace. (C Si tOllS roes
efforts sont inutiles et si vous ne répondez pas à ma confiance,
il ne me restera plus qu'å vous traiter en province conquise et
à placer Ulon frère sur un autre trône. Je Inettrai alors la
couronne d'Espagne sur ma tête. JJ Ce n'est point, à vrai dire,
qu'il y pense en ce moment; mais il veut faire .,entil" å
Joseph qu'il Ie couronne pour la secondo fois, it veut Ie
tenir en dépendance et présenter aux Esparrr..ols Ie règne de
son frère comme une récompense de leur soulnission. << Je
serais obligé de gouverner I'Espagne en y établissant autant
de vice-rois qu'il y a de p
ovinces. Cependant je ne me refuse
point à céder mes droits de conquête au roi... " II y met pour
condition Ie serment des habitants de
Iadrid, sernlent (( non
seulement de la bouche, mais de cæur " . Que les prêtres au
confessionnal, les commerçants å leurs comptoirs, les homme.
I
é.ret. d. Madrid, 4 décembre; proclamatioa,7 dece.bre 1801!
ats
LA GUERRE D'ESPAGNE. - 1808.
de Iois en leurs offices endoctrinent Ie peuple. (( Alors je me
dessaisirai du droit de conquête, je placerai Ie roi sur Ie
trône I. "
Joseph proteste contre ce personnage de roi en suspension,
dont les droits dépendení à la fois de la bonne volonté de ses
sujets à Iui obéir et des convenances de son frère à Ie remettre
nne place. " Sire, la honte couvre mon front devant mes
prétendus sujets. Je supplie V otre l\Iajesté de recevoir ma
renonciation à tous les droits qu'elle nl'avait donnés au trðne
d'Espagne. Je préférerai toujours l'honneur et la probité au
pouvoir acheté si chèrelnent.. . J e redeviens votre iuj et I. "
Iais
ni Napoléon ne désirait prendre I'Espasne en régie, ni Joseph
renoncer à gouverner les Espaß"llols. II leur suffit d'avoir,
run devant l'autre, proclamé et revendiqué leurs droits :
Napoléon, celui de la conquête, Joseph, celui de la royauté;
la royauté qui est indélébile, la conquête qui abolit
tour à tour et crée tous les droits. (( La crainte de montrer
en aþandonnant Ie trône plus de faiblese que de philosophie, dit
un ami de Joseph a; Ie désir de ne pas compromettre Ie sort du
petit nombre d' Espagnols qui s' étaient attachés à lui; peut-être
enfin ce titre de roi auquel il est difficile de renoncer qlland
on l'a porté " , Joseph tenait à ses (( droits royaux" à l\ladrid,
comme å Paris å (C ses principes républicains ". Les deux
frères s'expliquèrent et s'abusèrent run et l'autre, une fois de
plus, de la même illusion, que Joseph était né pour régner.
Napoléon avait besoin de Joseph, Joseph voulait la couronne :
il consentitalors recevoir une nouvelle investiture; il se soumit
et Napoléon lui concéda tous les honneurs qu'il voulut. <<La
majesté, disait ce prince philosophe, pour briller en Espagne
de tout son éclat doit être tout espagnole... La fierté castillane
ne peut consentir à dépendre de l' empereur; les Espagnols ne
80nt pas gens à supporter la dépendance..." Et Ie voilà roi catho-
líque, avec un ordre, une cour, des aumônÎers. des grands, et
· Allocution du 9 décembre t 807.
· A Napol
ollt 8 décembre 1808. DUell...
fIOT. &. Il, ebap. II.
NAPOL
ON Â MADRID. - 1808.
ail
un maréchal de France, soIdat de la Révolution, Ie vainqueur
de Fleurus.. Jourdan, frondeur de l'empire, général républicain
sou
Ie harnais doré, comme son maitre demeure citoyen
sous Ie dais; d'ailleurs point d'armée. C'est à celIe de Napo-
I
on de Gagner les batailIes, de soutenir Ie lrône, et Napoléon
ne laisse la disposition de cette armée ni à Joseph ni 1\
Jourdan.
Au milieu des soucis que lui donne cette 1& inexplicable.
Espagne, qui ne se laisse ni garrotter, ni séduire, arrivent de
l'extrémité de I'Europe des nou,'elles alarmantes. La Prusse,
rendue à elle-même, encore que saignée et estropiée, s'agite.
S'il ne la méprisait tant, Napoléon soupçonnerait qu'une
autre Espagne est en train de se former là, et que Ie mal
ffagne qui décomposera Ie Grand Empire 1. Ce qu'il discerne
suffit d'ailleurs à l'inquiéter. On arme, on agite Ie peuple;
il se forme une association secrète, mal défìnie, encore mal
connue, mais dénoncée dès l'abord COlnme dangereuse, laLigue
de la verlu : Ie Tugendbund; cUe a ses affidés partout, dans
les uni\ersités, dans ce qui reste d'armée, chez les vétérans,
dans la petite noblesse des campagnes, dans la jeunesse tur-
bulente des villes. 1& M. de Stein est toujours en place; il doit
être soutenu par des puissances étrangères 1) , écrit Davout, et
il insinue Ie nom d'Alexandre '. Saint-!\Iarsan, Savoisien
d'origine au service de France, un des affidés de Talleyrand,
ministre à Berlin et fort répand u dans Ia 1& société" de la
ville, t1énonce de son côté Stein comme un redoutable révo-
lutionnaire; quelque chose comme
Iirabeau, en 1790, dans
la correspondance d'un agcnt de Sardaigne. 1& Tête de fou,
nid de vipères " , lui dit un Prussien, ultrapatriote å sa façon,
exécrant les Français, mais ne connaissant que les machine.
d'État, les défections en forme, tout pour I'État, rien pour Ie
peuple, Ie général York a. NapoIéon tire au jugé et, de Madrid
I . Ce cIIancre de l'Espaßne . .1'tfimorial. OEuvres, t. XXXII, p. !78.
I Davout, 23 novembre; comparez I.. lettr.. d. Hard..her, tI.
ï.....
16 Dovembre i80S.
C"V
I(;.ÅC, t. I, chap. Son.
330
LA GUERRE D'ESPÂGNE. - 18ù8.
Ie 16 décembre, il met Stein au ban de l'cn)pire. II Qù.e cet
individu soit livré comme traître et employé par les Anglais...,
Si nos troupes prennent Stein, il sera passé par les armes J. >>,
Cependant John Moore et son armée, venant du Portugal,
s'avancent jusqu'à Salamanque. Napoléon, dans cette guerre,
ne prend au sérieux que les Anglais. II tient les Esp3Gnols
pour rien, des fcllahs, des Arabes, bons tout au plus à tenir
derrière des nlaisons. Les Anglais repoussés, I'Espagne sera
soumise. Et il compte repousser les- Anglais. "Je les chasserai
de la péninsule j. u II croit r occasion bonne à les cllvelopper
et à les délruire. 11 quitte l\ladrid Ie 22 ùécemhre et rcprend
la campaGne; mais il faut traverser des montagnes : il y
trouve Ie froid" la neige, la glace; puis, la température
se relevant tout à coup, Ie dégel, les torrents débordés, la
boue après Ie verglas, l'enlizenlent après la chute. "Nous nous
trol1vâmes à quelques pas en arrière de I' enlpereuf qui mar-
chait à pied comme nous... Les soldats nlanifestaient tout
haut les plus sinistres dispositions contre la personne de
l'eInpercur, s'excilant llluluellement à lui tirer un coup de
fusil et s'accusanl de lâcheté de ne Ie pas faire. Lui entell-
dail cela tout aussi bien que nous. IJ - " Un Fusilier de Ia
garde, homme robuste, dit à ses camarades : (( Je suis un brave
"homme, vous m'avez vu au feu! Je ne veux pas déserlel.
" mais ceci est lrop pour moi. )) Et il se 6 t sauter la cervellc I.
Un gîte passable, une bonne distribution de vin et de vivres,
la marche en avant, une manæuvre qu'ils comprennent, les
Analais repoussés, les voilà recollquis, et les mêmes qui
poussaient des cris de mort acclament l'empereur.
Des nuarres qui passent, mais chargés d' orages ! Au cours de
sa marche, se flattant de jeter les AI1glais à la côte, Napoléon
rêve, pour réduire leur gouvernement, des combinaisons
immenses, on plutôt se berce du même rêve d'Ímmenses
1 A Champagny. - Note à la Prusse et aUI confédéréø du Rhin. - Cham-
pÐnny à Saint-.\laraan, à Herlin; à CléremLault, à Kænigsberg, 26 décembre 1808.
STEJ\
.
I Allocution du 9 décembre 1808. Bulletin., MonitBuT, d'cembre 1808.
a GO"..TlLL..
INTRIGUES ET D
FECTIONS. - 1808. 831
combinaisons maritimes: 75 navires, portant 32,000 hommes,
seront prêts, à Toulon, sous Ganteaune, à prendre la mer Ie
ler mars 1809. Trois camps se formeront, à Boulogne, à Brest,
à Toulon qui porteront " l' épouvante en Anrrleterre, parce
qu'ils menaceront toutes ses colonies>> .30,000 hommes à Bou-
logne, 30,000 à Flessingue, 30,000 å Brest, 30,000 à Toulon.
Une expédition partirait pour les Indes ou pour la Jamarque;
une autre dans la
léditerranée, vers l'Égypte ou la Syrie 1...
Iais il en arrive de ce dessein cOlnme de celui de 1805 :
John l\Ioore s'échappe et I'Autriche arme å outrance.
. L'Autriche devient tous les jours de plus en plus hête, et je
suis persuadé qu'il y aura impossibilité de faire du mal à
l'Angleterresans obligerd'abordcettepuissance à désarmer ' ..
Com me en 1805, l'Autriche va rompre les destinées et, pour
que Napoléon la désarme, cUe va l'obligcr d'abord à désarmer
lui-même et contre les P Dglais et contre les Espagnols, à sus-
pendre la ffuerre d'Espague COllllne il a levé Ie calnp de Bou-
lorrne; mais, cette fois, sans la Grande Armée, désormai.
détendue à se rompre, disloquée de rElbe å I'Èbre.
II
J etternich jouait å Paris son double jeu, recueillant Ie.
confidences de Talleyrand et de Fouché, suivant leurs
machines, sondant les murs qu'il sentait s'ébranler, flairant
récroulement. Quand il fut bien sûr du détachement des
principaux; de leur conviction que l'Autriche, menacée par
NapoIéon était nécessaire au salut de la France; que par suite
rien ne serait plus aisé que de rejeter la responsabilité de la
ßuerre sur l'empereur seul et de Ie dépopulariser davantage.
I Projet de lertre à Alexandre, 11;. janvier; d
cret de Valladolid'l to jn.nTÏer; .
CauJaincourt, 6 février, 23 février; à Frédéric-Augult.e d. SaxI, 21 feyril' iSOU.
I Å Caulaincourt.. 6 féV1.ier 1809. A Iber& V.I-IDJJ.. ---
.
13'
LA GUERRE DtE
P.ÂGNE. - i80S.
il partit pour Vienne I. II y trouva Stadion résolu à Ia guerre,
et it Ie forlifia dans ce dessein de toute la vivacité des impres-
sions qu'il apportait de Paris. II composa deux memoires,
datés du 4 décembre, pour décider l'empereur. n Les rnoyens
de la France contre nous se sont réduits de moitié; nos
moyens disponibles en cas d'attaque de sa part se sont dou-
blés... La guerre contre I'Espagne nous divulgue un grand
secret: celui que Napoléon n'a qu'une armée. Sa Grandø
Armée... II peut nous combattre maintenant avec 206,000 hom-
mes, dont 107,000 Francais et 59,000 confédérés et alliés...
. .
Les forces de I'Autriche, si inférieures à celles de Ia France
avant l'insurrection d'Espaffne, lui seront, pendant la pre-
mière époque, au moins égales... 1) La guerre d'Espagne
absorbe la garde impériale. En Espagne, n honneur, senti.
ment national, religion, intérêt pécuniaire et commercial,
tous ces puissants n10tifs réunissent di:í millions d'holnmes
ßénéreux, hardis, sobres, endurants... )) En France, on ne
recrute plus qne par anticipation; les conscrits de ran 18 I 0 ont
dix-sept ans. "Ce n'est plus la nation qui combat; la guerre
actuelle est Ia guerre de Napoléon, ce n'est mêJne plus Ia guerre
de son armée. " Enfin, des alliés semblent s'offrir dans l'inté.
rieur de I'empire Ie qui peuvent représenter Ia nation, qui
réclarnent notre appui... 'J .
Stadion conclut à Ia guerre popularisée, nationaIisée comme
en Espagne, par un appel aux volontaires, aux corps francs
dau=:; J A1Jemagne du Nord, en Tyrol, en Italie. C'était la
guerre que
lallet-du-Pan avait prêchée de 1793 à 1799 t : il
était mort trop tôt. L 'Europe comprenait enfin la CDuse des
&C victoires inouïes JJ des Français, et se rendait compte que
pour les vaincre il fallait leur opposer leurs moyens : l'offen-
tiive, l'entrainement des peuples. Les plans de la guerre
furent alori ébauchés;
Ietternich revint à Paris travailler
I GentÆ écrit dans 80n journal, fin 1809: 8 II ya certainement dans la conduite
du comte de
Ictternich, à Pal'i8, des parties loucheø et scabreuøes.. ,. II y en enC
touJours : son jeu commence ici t"t Ie comintle jusqu'en i813 où; enfin, iI ga
a.
la partie. Instruction. à Metternich, 23 décembre i808.
· CE. t. IV, p. 4.
INTRIGUEi ET DÉFBCTIO
S. - iags. au
Ips alliés de l'intérieur. Ses instructions lui preicrivnient
de tirer au clair les intentions de Talleyrand et celles du
It parti" clout iJ passait pour Ie chef. Elles donnaient "une
grande certitude sur des vues de soutien qu 'aurnit à attendre
Ie parti qui, en France se prononcerait contre Ie système de
la marche de Napoléon u . Si Talleyrand laissait percer des vues
a sur nne succession future ", Metternlch lui permettrait de
croire que I'Autriche, It invariable dans Ie principe de ne point
iC mêler d'objets intéricurs, ne pouvait que soutenir lea
causes de rétablissement de la tranquillité généraIe u . Protester
du désir de la paix; mais, la guerre devenant imlninentc,
i'accommoder de façon å (( établir Napoléon agresseur, position
pénible pour lui dans un moment OÙ il s' est surtout aliéné
l' opinion publique. Si La guerre n' entre pas dans ses calculi.
elle doit essentiellclnent entrer dans Les nôlres " .
Stadion se remit en quête des alliés du dehors. La correa-
pondance se renoua avec Victor-Emmanuel; on s'efforça de
l'éblouir de la vision d'une (( formidable ligue européenne .
qui lui restituerait ses États, lui procurerait même de beaux
accroissements en Italie; on l'encouragea à en appeler ausai
aux peuples d'Italie; å réveiller en eux les sentiments de
liberté, de nationalité. "'.,. essenberg fut chargé d'une mission
analogue en Prusse; iJ portera en Allemagne I' évangile nou-
veau : l'insurrection des peuples pour défendre leur indépen..
dance, les libertés de I'Allemagne, les libertés de I'Europe!
Stein se savait condamné. II passait pour Ie chef du Tugend-
bundle II précipita ses mesures : Ie 9 octobre, l'édit sur I'abo-
lition du servage; Ie 19 novembre, l'édit sur l'administration
des viBes. Le 24 novembre, devançant Ie décret de Napoléon
il donna sa démission et signa la circulaire fameuse qui devint
son testament politique et annonçait les grandes réformes :
la création d'une représentation nationale, Ie rachat des
corvées, l'abolition des juridictions seigneuriales, tout ce qui
devait être en Prusse,la révolution, et par..dessus tout, rappel
I Sur Ie TUgelidbund e& la part. qu.il J . pri.e. STERJ.'(. - FOUIUUD, SiLi:.zen.
p.325.
ßI6
LA 8UJU\RE D'ESPAGMB. - ISOI
nux Amea, l'éducation, l'exaltation du peuple; Ie sérieux, Ie
dévouement à l'État chez les administrateurs; l'identi6cation
de tout citoyen å la chose publique; Ie sentiment du devoir
partout, å tous les degrés; l'amour pour Dieu, pour Ie roi,
pour la patrie! II quitta la Prusse Ie 5 décembre; Ie rnême
jours les États prussiens étaient évacués, sauE les trois forte-
resses réservées par Napoléon. La Prusse respirait, et c' était
pour s 'insurger. Les temps approchaient OÙ l'un des ministres
Prussiens écrirait å la reine : (( Si Ie roi tarde plus longtemps
å présenter une solution conforme aux væux de l' opinion
publique qui se déclare hautement pour la guerre contre la
France, la révolution éclatera infaiIliblement.)J i\lais Ie roi
10US Ie coup des menaces de Davout, peu confiant dans l' Au-
triche, ajourna toute résoIution après l'entrevue qu'il allait
avoir avec Alexandre. II partit en compagnie de la reine, Ie 27
décembre, pour Pétersbourg.
Metternich, de retour à Paris Ie ler janvier, y retrouva
Roumiantsof plus pacifique que jamais en son langaffe offi-
cíel : avec un homme tel que Napoléon, nil ne faut lui donner
aucun sujet de mécontentement et borner à ce soin toute sa
politique n. Metternich laissa dire et comprit Roumiantsof
comme il convenait de Ie comprendre. 11 s'attacha surtout å
observer la société parisienne, Ie monde des dignitaires. II
vit tous les intérêts en alerte, "Ia crainte, I' espoir, l'inquié-
tude. n Un mois auparavant, on plaiffnait l'Autriche : " De la
morgue chez les uns, de Ia compassion chez les autres : la
morgue l fait place à l'inquiétude, la compassion à l'espoir."
Les bulletins d'Espagne deviennent sinistres. CI Talleyrand,
écrit Metternich, est d' accord qu'il ne faut pas se laisser pré-
venir par Napoléon, s'il est décidé à nous faire la guerre. )) Et
Metternich Ie croit décidé; il conclut : " TO.l
e démonstration
de sa part dOl' donner lieu à des explications très caté{J(}-'
riques... Nous donnons de cette manière l'initiative des
mesures belliqueuses à la ]:.'rance I. .
·
.pporta de. 20 janvier e& i lf févrÎer 1809. BEEB.
INTRIGUES ET DtFECTIO
i. - t801. S35
II trouve la défection couvant, la conspiration pointant
parlout. Autour de Fouché, dans les .alons des rallié., chez
ce qui subsiste des constitutionnels, à l'ambassade de l'allié
russe, au Sénat, au Corps légisIatif, dans Ie clergé. Talley-
rand se démasque peu å peu. II blâme violemment la conduite
tenue par Napoléon à Bayonne; on colporte ses mots, ceux
qll'ìl prétend avoir jetés à la face de l'empereur : cc Dne tri.
cherie au jeu! JJ Et, prévenant les récriminations de NapoIéon,
il dislingue : n Qu'on ait voulu chasser la maison de Bourbon,
ricn de pIns simple, rien de plus commandé peut-être pour Ie
soli de établissement de la dynastie napoléonienne; mais å
quoi bon tant de ruses, d'arti6ces, de perfidies? L'Espagne
- serait passée avec joie sous Ie sceptre d'une maison qui déjå
ren1plaçait si glorieusement, en France, celle qui avait dOllné
Philippe V à l'Espagn
... " II discourt de la sorte en un salon
d' opposition sourde et de servitude étalée, chez Mme de
Rémusat, devant des dignitaircs, des courtisans, des agents
de l'empereur. Puis il multiplie les flatteries au souverain
qu'il déchire; il Ie félicite de ses victoires, du succès prochain
de ses vues sur l'Espagne, qu'il condamne et, il lui dénonce
Ie mauvais esprit du Corps législatif I.
C'est alors qu'il se rapproche plus ouvertement de Fouché.
I./ancien oratorien d'Haulerive, esprit fumeux à ses heures,
dessinant volontiers dans les nuages, plus enclin à l'intrirrue
qu'il n')" était expert, qui vivait dans la confÌance de Talley-
rand el dans Ia fanlÍliarité de Fouché, leur servit d'intermé-
dìaire. Ils se rcncontrèrcnt à dîner chez Mme de llémusat,
chez Ia priIlce
se de 'T audémont; enfìn, un soir, Fouché se
1l10nll'a chez TaJleyrand et se promena, dans les salons, à son
bra;; j. II ne rut bruit que de ce rapprochelnent. lIs étaicnt
run et l'autre de ces politiques à Grande surface qui font
bzaacoup, mais auxqueIs on prête toujours plus qu'ils ne
font: tou3Ies sous-entendus de l'histoire remontaient à ces
artisans classiques de "journées " el de complots. II Je vois
J A Napoléun, 8 décembre 1.808. BERTRAND. - PASQUlEI\, t. I, p. 352, no
.
I Tela on leI! verra entl'cr chu Loui5 XV HI à Saint..OueD, In 1815.
.Ie
LA. QVEI\Í\B D'ESP.1GME. - 1808.
M. de Talleyrand et ion ami Fouché toujours de même, écri-
vait Metternich Ie 17 janvier; très décidés à saisir l' occasiun
Ii cette occasion se présente, mais n'ayant pas assez de cou-
rage pour la provoquer... lIs sont dans la position de passa-
gers qui, Toyant Ie timon entre les mains d'un pilote extrava-
gant... lont prêts à s'emparer du gouvernail... dans Ie moment
où Ie premier choc du vaisseau renverserait Ie pilote lui-
même 1..
On se demanda ce qu'ils se pouvaient dire en une confi-
dence Russi affichée, et, comme run et l'autre ils parlaient à
leurs affidés avec indiscrétion, on ne se trompa guère en
pensant qu'ils raisonnaient sur l'hypothèse dont tout Ie monde,
chaque fois que l'empereur était en guerre, raisonnait å Paris:
qu'adviendrait-il s'il était tué? L'Espagne prêtait à toutes les
inventions d'assassinat; ailleurs, on parlait d'eInpoisonne-
. ment I. Comme au temps de Marengo, ils cherchaient Ie
remplaçant, celui qui garantirait les situations acquises et
les dotations : cette fois, iI fallait un roi, mais un roi de leurs
mains, ayant trempé comme eux dans tOlltes les "affaires" t
y compris Brumaire et Vincennes. lIs pensèrent à
furat, Ie
jugeant prêt à tout prendre, bon à tout faire, roi à (( capitu-
lations, n comme les rois de Pologne, aisé à compronlettre et
de débarras facile quand il deviendrait gênant. (e M. Fouché,
raconte Pasquier, avait toujollrs été dans une liaison fort
intime avec
furat et se faisait fort de Ie gouverner.
L de
TaHeyrand Ie tenait pour plus facile encore à renverser qu'à
élever et était, dans tous les cas, parfaitement sûr que sa
présence ne Ie gênerait pas longtemps. Quant à l\fme l\furat,
elle avait une ambition si démesurée qu'on pouvait tout lui
faire accepter. On n'hésita pas à faire savoir au nouveau roi
de Naples qu'il devait se tenir prêt à venir au premier signal. u
Mais Savary se tenait aux affuets. La Valette surveiUait les
postes. Le prince Eugène fit, dit-on, arrêter un courrier en
I Rapport du 11 janvier {809. RXCftr
t Lettro du roi de Prune It Brockhaueen, 3 décembre {80S. HAiShL.
RETOUR DE NAPOLÈON. - i809.
aar
Itnlie et intercepta la correspondance; l\ladame mère fut
avertie et fit prév
nir son 61s.
III
Voilà ce que Napotéon apprit ou soupçonna, sans se doutèr
néanmoins du double jeu d'Alexandre et comptant toujours
sur les engagements d'Erfurt. C'est å Astorga, Ie 6 janvier,
qu'il reçut les avis confÌrmant les armements de r Autriche et
la révélation de la trame ourdie contre lui. II s' occupa aussitðt
de se mettre en mesure avec les Autrichiens 1 ; mais il se flatta
encore de les désarmcr. de les réduire à une sorte de capitu-
lation d'Ulm, de tout l'empire. Le 7 janvier il mande, de
Valladolid, à Caulaincourt : " Dites å l'empereur que j'ai
150,000 hommcs à opposer å rAutriche, non compris l'armée
de Naples; que j'ai 150,000 hommes sur Ie Rhin, et, en
outre, 100,000 hommes de la Confédéralion; qu'en6n, au
prelnier siGnal, je puis eotrer avec 400,000 hommes en
Autriche... 1) - ft L'empereur d'Autriche, s'il fait Ie moindre
mouvement hostile, aura bientôt cessé de régner ' " . Voilà
l'épouvantail, c'est à Ia Bussie de l'agiter. ft Je désire que
DOUS prenions enfÌn Ie ton convenable avec I'Autriche. Je
l'ai proposé à Erfurt. Autrement nous ne pourrions rien
terminer de bon sur les affaires de Turquie. u a La paix
8,rec I'Angleterre sera impossible tant qu'il y aura Ia plus
lérrère probabilité d'exciter des troubles sur Ie continent...
Je préviens que la ffuerre est inévitable si V otre l\lajesté
et moi ne tenons envers I'Autriche un langage ferme et
décidé... " - " L'Autriche tombera à nos genoux si nOllS
faisons une démarche ferme de concert... Le désarmement
de l'Autriche, voilà Ie principaL.." - (& Si cela est impossible, iI
I A Champagny, 8, 9 janvier i809. LECESTRE.
· A Jérôme, i6 janvier i809.
1'11.
II
338'
LA GUERRE D'ESPAGNE. - 1809.
fautIa contraindre par les armes : c'est Ie chen1in de la paix... 2 .
II ne veut point qu'å Pétersbourg et à Vienne on Ie croîe
retenu par les affaires d'Espagne. II décrète que I'Espagne a
cessé de résister, que les áffaires y sont terminées, queJoseph
règne en paix : u Les Anglais fuient dans Ie plus épouvan-
table désord're. "-,, Les affaires d'Espagne n'étant plus dignes
de m'occuper après Ie relnbarquement des Anglais..." -" Les
affaires d'Espagne sont terminées... ,,- " Je suis prêt à me
porter sur l'Autriche .. ))
Le 16 janvier il reçoit, à ValladoIid, les députations qui
lui apportent les serments prêtés à Madrid Ie 23 décembre, en
grnnd appareil religieux et civique. II en prend acte et
annonce la prochaine rentrée de Joseph à
Iadrid. Illui laisse
Ie comlnandement de l'armée française. II lui écrit : " J'ai
assez de forces, même sans toucher å nlon armée d'Espagne,
pour aller à Vienne dans un mois... D'ailleurs, ma seule pré-
sence à Paris Eera rentrer dans Ie néant l'Autriche, et alors,
avant la fin d'octobre,je serai de retour. " Car il sait bien qu'il
laisse tout en suspens et que rien ne 6nira sans lui. Puis iI
ajoute : " En quelque nombre que soient les Espagnols, il faut
marcher droit sur eux et d'une résolution ferme. lIs sont inca-
pables de tenir. II ne faut ni les biaiser, ni les manæuvrer,
mais courir dessus... a " Cependant? il leur tournait Ie
dos, après avoir, de 18 formidable autorité de son exemple,
démontré que ses propres instructions étaient, pour lui-même
et pour sa garde, inexécutables. II part Ie 16 janvier c& à franc
étrier, nuit et jour J) , pour Paris. Le voilà sur Ie versant de sa
carrière. Le temps est venu OÙ it aurait dil se répondre å lui-
même, comme il faisait douze ans auparavant au Directoire :
R Ce que vous désireriez que je fisse, ce sont des miracles, et
je n' en sais pas faire 6. 1)
I Projet de lettre à Alexandre envoyé, 1 titre d'inøtruction, A Caulaincourt,
14- janvier 1809. VANDAL.
CaulaincoUJ.t, 7, 1% janvier; à Champagny, 8 janvier;à Jo.eph, 9 janvier
à Champagny, 14 janvier 1809.
" A Joseph, 16 janvier 1809.
A Talleyrand, 7 octobre 1!
7
- Cf. c. y, p. 258.
RETOUR DE NAPOLtON. - 1809.
33S)
Joseph rentre Ie 22 dans
Iadrid, roi sans gouvernement,
sans sujets, en tuteIIe de diplomates, en surveiJIance de con-
seiIlers. Sur son passage un peuple inerte; autour de lui, des
fonctionllaires découragés; pour Ie gardeI', des maréchaux
indociles, n'obéissant qu'à l'empereur qui ne les cornman de
plus, et, dès lors, tirant chacun à soi, à ses rivalités, à ses inlé-
rêts, se rnénaBeant, ne ména{;eünt jamais autrui. Le soldat se
démonte. " Ce qu'il y a de plus affreux, écrit Bugeaud, c'est
de penseI' que nos travaux et notre sang ne serviront point
au bien de notre patrie. " Joseph écrit à NapoIéon : " Sans
capitaux, sans contributions, sans argent, que puis-je faire?...
Si je dois être insuIté dans ma capitale, si les commandants
qui sont toujours SOliS nlCS yeux me font rougir aUK yeux des
Espagnols et rn' ôlent tous mo
rens de faire Ie bien... je n'ai
pas deux parlis à prendre: je ne suis roi d'Espagne que par
la force de vos armes; je pourrais Ie devenir par l'amour des
Espagnols; nlais pour cela, iI faut que je gouverne à ma
manière... J e scrai roi comme doit l' être Ie frère et l' ami de
Votre
Iaje8lé, ou je retourllerai à
Iortefontaine... '. )) Con-
clusion : que
DpoIéon lui fournisse les instruments de règne
et Ie laisse ré{Iner à sa guise : il fera les gestes, Napoléon les
traduira en actes; Napoléon percevra, Joseph dépensera
l'argent; sinon, iI démissionne et NapoIéon reste en échec,
devant toute I'Europe, désavoué par cette abdication d'un roi
de sa main, d'un roi tout neuf!
Arrivé à Paris Ie 23 janvier, Napoléon n'y trouve que des
nouvelles irritanles. Partout des ennenlis personnels complo-
tant contre lui, attisant Ie feu; les royaIistes en Vendée, Pozzo
à Vienne, Stein enAIIemagne, et à Paris, Fouché et Talleyrand.
II sent la trahison, devine les liens occultes entre Paris et
Vienne, entre Paris et
apIes. II dédaigne de sévir contre
Iurat. C'est la seconde fois pourtant que son beau-frère se
jette dans sa poIitique.
Iais il a des indulgences infinÌes pour
ses sæurs. II ferme les yeuK et les oreilles; il laisse les Murat
a Å Napoléon, 19 février 1809.
a
o
LA GUER RE D'ESP AGNE. - 1809.
å leurs convoitises e
Joseph à ses lamentations. Toute S8
colère tombe sur Talleyrand : malgré Ie soin qu'il a pris de Ie
cOlnpromettre par ses conseils ostensiblement réclamés, par
les notes qu'il lui a commandées, par les lettres qu'il lui
a écrites, l'informant de tout, en confident, presque en
complice; malgré la visite à Nantes et l'hospitalité de
Valençay, Talleyrand s'échappe, se dégage; qui plus est, il ose
accuser!
Le 28 janvier, ille reçoit en compagnie de Cambacérès et
de Decrès. II l'apostro1)he; il lui reproche ses palinodies sur
l'expédition d'Espagne, il lui reproche la paix de Presbourg :
u Traité infàme, æuvre de corruption! n II s'emporte avec
les expressions les plus violentes : "V ous êtcs un voleur, un
lâche, un hOlnme sans foi; vous ne croyez pas en Dieu! Ð
Talleyrand supporta, impassible, duranl une delni-heure, ce
torrent d'inyectives. Deux jours après, il était relnpJacé dans
sa charge de grand chambellan I. Tontefois, Napoléon ne
poussa pas plus loin: ni Vincennes, ni même l'exil à Valençay.
C' était son tempéralnent : sa colère se dissipait en paroles
orageuses, en écIats de théâtre. II en usa avec Talleyrand
comme avec Ie roi de Prusse, Ie roi d'Espagne, Ie Pape,
comme il se disDosait à en user avec I'Alllriche : Ie confondre,
1.
l'atterrer, II Ie faire rentrer dans Ie néant )'. II se trompait :
" J'ai fait une ffrosse faute, disait-il plus lard; l'ayant con-
duit au point de mécontcntemcnt OÙ il était arrivé, je devais
ou l' enferlner, ou Ie tenir toujours à 11l
S côtés. II de\pait êtrc
tenté de se vengcr; un esprit aussi délié que Ie sien Of' pou-
vait manquer de reconnaître que les Bourhons
"appro-
chaient, qn' eux seuls pouvaient assurer sa venß'eHllcc. ,.
Talleyrand paya J'impassibilité et nourrit sa ranCl1ne, "ob3er-
vant tout, s'appliquant à !out. 5avoir, travaillant, sans trop se
compromeltre, à aggraver les elub:).rras et se tenant prêt à
porter les derniers coups ". II Y avait du ll1épris dans IC3
ménagelnents de Kapoléon; il y entrait un exc
s de con-
I Rapport de l\letternich, 2 févrie.' 1809. - PASQUlEft,
IE
E'ul..
RETOUR DE NAPOI..EON. - 1809.
341
fiance en Iui-nlême, ITlaÌs surtout un fonds étrange de com-
plaisance pour ceux qui avaient, aux débuts, servi sa fortune
et contribué à l'élever au trône. D'ailleurs Tallcyrand pou-
vait encore être utile. Napoléon Ie gardait å sa disposition.
Talleyrand ne lui en sut aucun gré. II continua ses con seils
aUK Autrichiens et aux Busses.
Quant à Fouché, Napoléon l'ajourna. II ne lui convenait
point de porter, à la suite, deux coups retentissants sur deux
de ses plus notables serviteurs, et de notifier, ainsi à l'Europe,
la défection de l'empire. L'opinion s'alarmerait, Fouché sem-
blerait atteint par ricochet; ce serait lier sa disgrâce à celIe de
Talleyrand et nouer Ie complot, en Ie déclarant publiquement.
Enfin, il y aura-it de l'imprudence à chângcr, à la veille d'une
entree en canlpat{IJ.e, Ie ministre de la police. L'elnpereur se
réserva de cOl1gedier 'Fouché quand il n'aurait plus lieu de Ie
craindre. II ne frappa ni assez fort ni assez vite, et il en eut
bientôt la preuve.
II avait entamé contre I'Autriche llne guerre d'opinion,
une "campagne de presse " ; it Y joint une guerre de crédit :
l'argent qu'on prêterait à l',A.utriche ne sera pas remboursé;
avis en est donné aux capitalistes de la Hollande et de la Con-
fédération du Rhin I. II se Ðattait encore qu'à l'aspect u des
armées françaiscs et russes prêles à envahir son territoire,
I'Autriche désarmerait )J, et qu'il pourrait se retourner vers
I'Espagne, resserrer Ie blocus, reprendre les grands desseins
contrc I'Anglelerre '. II endoctrine Roumiantsof qui quitte
Paris, Kourakine qui y arrive et présente ses lettres, Ie 23 jan-
vier. II écrit à Caulaincourt I : . Pour marcher avec la Russie,
j'ai laissé hausser Ie ton à I'Autriche. II est temps que cela
6nisse. Notre alliance devient méprisable aux yeux de I'Eu-
rope... Les résultats que nous essuyons à Constantinople sont
aussi deshonorants que contraires aux intérêts de nos peu-
1 Rapport de Metternich, !5 janvier; à Champagny, 11 février; it Louis,
21 février t809.
· A Frédéric-A ur,u
te, roi de Saxe, !1 février; à Caulaincourt, 6 février t80g
· 23 février 1809. LECESTRB. -
8142
IA GUERRE D':gSPAGNE - i809.
pIes... 1. II faut que l'Autriche rappclIe son internonce de
Constantinople et cesse ce commerce scandaleux qu'elle entre-
tient avec I'Angleteïre... A ces conditions, je ne demande pas
mieux que de garantir l'intérrrité de l'.Autriche conlre la
Bussie et que la Russie la garantisse contre moi.
Iais si ces
lTIoYf'nS sont inutiles, il faut alors marcher contre eUe, la
Jésaflner, ou en séparer les trois couronnes sur la tête de trois
princes de celte maison, ou ]a laisser entière, mais de manière
qu' elle ne puisse mettre sur pied que 100,000 homInes, et,
réJ.uite à eet état, l'obliger à faire cause commune avec nous
con lre la Porte et contre l' ...'\ngleterre. 1)
l\Ietternich, soufflé par Talley.'and, a pénétré ce jCfJ :
II Napoléon compte que Ie bruit qu'il fait en Europe nous
effrayera et que nous filerons doux" sans coup férir; ou bien it
n'est pas en 111csure, et il vent, en nous inquiélant, nous faire
perdre Ie moment favorable; il compte sur notre incapacité à
Inallier les moyens moraux - l'appel aux peupIes. :\1:lÍs it
méconnait l' élat des espri ts en Allemagne et les contre-coups
qu'1 r porterait un cléb
lt de camp:igne malheureux pour lui; it
méconnait I' état des esprits en France: on oppose au ridicule
qu'il prétcnd jeter sur I'Autriche cette simple réf1exion : com-
ment une puissance aussi dt'labrée peut-eJle inquiéter à ce
point un si puissant potentat? EnRn it vent, en nous aaitant,
nous pousser à des mesures qu'il qualifiera d'hostilps et qui
forceront la Russie à remplir les enaarrelDcnts qu'elle a pris
contre nous '.
IV
Ces engagements, Alexandre inctinnit de pIlls en pIns à s'en
dégaffer. II avait liré de l'alliance les avantages immédiats
qu'il en lUendait : it tenait la 14'inlande, il allait occuper les
1 Allusion à une nouvf'IIe révoJution de palaie, qui Ie fait au profit du parti
anti-français. DRIAULT, chap. IX, p. 358.
appo!.tt dCI fer, i, 9, 17, 23 févrÎcr 1809.
1\IANOEUVRES DE COALITIO
. - 1809. Blt3
Principautés. L'intérêt de la Russie était désormais de se
recueilIir, d'user Ie blocus, d'user Tilsit, de conserver I'Au-
triche et la Prusse; et, ce faisant, Ie tsar se consacrerait aux
réforInes de son empire, s' occuperait de son peuple, cher-
cherait, en se l'attachant par des bienfaits, une ffrandeur qui
valait celIe des batailles et aussi un ressort de puissance qui
lui permettrait, à son heure, de prononcer en Europe la
parole décisive. Son nlÏnistre, Spéranski, alors en Grande
faveur, Ie soutenait dans ses vues qui s' accordaient aisément,
dans les apparences et pour Ie teInps présent, avec l'alliance
ostensible de la France, l'admiration officielle pour Napo-
léon et l'ilnitation sinon de ses procédés, du moins de sa
méthode de gouvernement. Tous ces dcsseins commandaient
la paix.
Alexandre y exhorta les Prussiens qui arrivèrent à Saint-
Pétersbourg Ie 7 janvier, et y séjournèrent jusqu 'au 21. Ce fut
une série de fêtes splendides, coupées çà et là par les cour\6
repos des réunions intimes I. II s'y joiffnit des témoignages
d'alnitié, de tendresse même, de la part des impératrices;
une estime, une affection publiquement manifestée, et, sans
qu'il s'y mêlat la moindre dissonance de pitié ou de protec-
tion. Tant de splendeur dans les honneurs de gala, tant de
délicatesse dans l'intimité étaient bien faits pour relever et
réconforter ces malheureux princes.
Caulaincourt n' en prit point ombrage : Ie roi de Prusse
n'était-il pas, comIne Ie tsar, l'allié de I'empereur? Toutes
ces prévenances s'expliquaient par Ie prétendu commerce de
galanterie entre Alexandre et Ia reine, commérage consacré
dans toute la "sociélé J) de I'Europe. II donna, en l'honneur
de cette princesse, un bal : " Superbe, élégant, rapporte-
t-elle; charmant l'hôte, d'une politesse à tout égale, attentions
de tout genre. J) - " Le roi et moi, dit Alexandre à Caulain-
court, nous n'avons parlé politique que deux foist " Ce fut,
Alexandre pour recommander la soumissioll à Ia France,
· Journal de 1a reine de Prueee. .ÐAILLBt1.
3
'
LA GUERRE D'ESPAGNE. - 1809.
Frédéric-Guillaume pour la promettre. Le tsar et ses a.mis se
quittèrent les lannes aux yeux : les attaches étaient renouées;
les souvenirs de Tilsit effacés, ceux de Potsdam rafraiehis.
Tout se concertail ponr que d'une alliance commune avec
Napoléon ils pussent passer, insensiblement, à une alliance
commune contre lui.
Peu de jours après leur départ, Caulaincourt reçut Ie cour-
rier de Valladolid du 14 janvier 1, récl:unant une action éner-
gique contre I'Autriche. Alexandre ne pouvait refuser de
tenter" quelque cho8e " : C( Une note, écrivit-il à Roulniantsof
Ie 10 février, la mieux faite, la plus forle en raisonnements,
la plus rassurante pour l'Autriche - riche en assurances
tranquillisantes... " , sous menace de rappel d'ambassadeur...
u II est de tout notre intérêt d'elnpèchel' la rupture entre la
France et I'Autriche... Si I'Autriche attaque, nous sommes
tenus par nos enffagpments de tirer répée. Si c'est la France,
nos engagements n' on t alors rien d' obliffatoire pour nous; mais
notre position reste à peu près aussi elnbarrassante et l'écrou-
lement de I'Autriche sera un malheur réel dont nous ne pou-
vons pas ne pas DOUS repentir. " C'est une passe scabreuse à
franchir. II y faut des ffens habiles "qui possèdent, qui justi-
6cnt toute notre confiance, comme vous et Ie prince de Héné-
ven t I " .
François II avait envoyé à Pétershourff Ie prince Schwarzen-
berg, diplomate et mililaire, grand personnaffe à la cour,
dans l'État, à l'armée et qui convenait à ces n1tssions corn-
plexes : I'ho1I1me de la défection autrichienne de 1812, de
rarmistice de 1813, Ie généralissinle de l'illv3sion en 1814.
Ainsi se rapprochent, au mOlnent où les fils semblent près de
s'
noucr, les hOlnlnes de la future coalition. Alexandre Ie
t
çut Ie 12 février. II s'étonne, lui dil-il, de voir I'Autriche se
.i ..;ter dans cette tutte inérr3le, alors qu 'elle avait laissé échapper
des occasions bien plus favorahlcs 3. II avait pesé scrupnleu-
i V nil t'i-rtetlsu!II, p. 337.
· AlLert V AKDAL, t. II, p. 89.
·
llu8ioD à 180:?'. au moment d'Eylau. Voir ci-d
8IU8, p. t33, 138.
MANOEUVRES DE COALITION. - 1800. 314-5
.
ement ses obligations, il les rempJirait et joindrait ses
troupes à celles de Ia France si I'Autriche attaquait. Napoléon
et son armée, ajouta-t-il, sont invincibles; il faut temporiser,
ne rien précipiter: rheure favorable sonnera pour la ven-
geance. Si rAutriche attaque, tout est perdu. II se montra
enclin à conlracter une triple ffürantie : Russie, Autriche,
France. L'irnpératrice mère conseillait aux Autrichiens de
pousser hardiment: (& Une marche combinée avec calme et
san-esse, mais exécutée avec rapidité et la plus Grande énergie
dans tous ses détails, ferait bicntôt ici l'effet Ie plus salu-
tai I e j . .
11 ll'était que d'oser et d'être vainqueur; pour peu
qu'ils y missent des formes, on leur permettrait d'oser;
pour peu qu'ils vainquisscnt, on les aiderait à couronner la
vicloire. Pour oser, il fallait à I'Autriche des alliés et de l'ar-
gent. Des alliés, elle cOPlptait en trouver en Prusse. n L'opi-
nioI) du puhIic, et cn particulier celie de l'armée, est tout à
fait à la guerrC', écrivait l'envoyé autrichien \Vessenberg i . La
misère et la nécessi té sont telles que I' on espère avec impa-
tience l'heure de la vengeance.
lais ici encore règne l'ap-
préhension que r Autriche n'entame pas réellement les hosti-
lités; cetlc incertitude et celie où ils sont des dispositions du
roi les met dans un état qui n'est pas loin du désespoir. "
C'e
t, écrivaÏl Saint-
{arsan 3, parmi les militaires et Ia petite
noblesse, n Ie Inême esprit de vertiffe qui a régné en 1806... " .
De rargent, I'Autriche en cherche au seullieu où ron en
puisse trouver, à Londres. C'est fobjet de la mission du
omte de \Valhnoden. C'est pour Ie cabinet de Vienne une
)cc3sion de préciser ses vues sur la paix å venir : réorffaniser
:'Autriche, Iui rendre la consistance et la force qu'elle possé-
lail avant Ie traité de Presbourg; briser Ie système des États
,ributaires de Napoléon en Allemagne, c'est-à-dire supprimer
a Confédération du Rhin; rétablir Ie roi d'Espagne, Ie roi
J Rapports de Schwarzenberg. BEEIt.
· ltapports de \Vc8l\enberc arrivé à Kænijlberg Ie !8 f'vrier 1809. A....,8.
· Rapport! de mars 1809.
8-"8
LA GUERRE D'ESPAGNE. - 1809.
de Naples, Ie Pape, Ie roi de Sardaigne, I'Électeur de Hesse,
Ie duc de Bruns\vick, en6n restaurer la puissance prussienne :
" Tout pays, province ou territoire, doit retonrner à son
ancien possesseur et l'on n'enlèvera à aucnn d'eux les
anciennes possessions. tJ La Bavière, Ie 'Vurtell1berg seraient
d'abord traités en ennemis; on leur donnerait à entendre que
Ie rétablissement de leur ancien état de possession dépelldait
de la conduite qu'ils tiendraient dans la guerre 1.
Napoléon armait, mais avec plus de peine qu'iJ ne l'avait
eru. Le recrutement s' opérait mal. II fallait recourir à la
presse des jeunes ci-devant nobles, pour en faire des officiers
malgré eux : c'est déjà l'expédient de 1813; on en lève
jusque dans les lycées 2. L'armée paraH encore formidable
sur Ie papier; mais eUe est neuve, presque improvisée; des
régiments cntiers sont cOlnposés de conscrits; 80,000 hommes
:;tlf la classe 1809, il y en a 10,000 dans la garde! Les gros
effectifs, qui font iIlusion dans les leUres aux confédérés,
dans les discours mcnaçanls à l'Autriche, sont obtenus par
ùes étranGers, Ilaliens, Bataves, Allemands, saIlS entrain,
sans valeur patriotique, dégoûtés de servir une cause étran-
gère, las de la sujétion. Au Inilieu de ces préoccupations,
Napoléon reçoit la Iettre de Joseph du 19 février 3. Joseph
renonce à régner, s'il ne rèffne par lui-même et pour Iui-
mêlne. Napoléon maude Ilædercr qu'il avait, peu auparavallt,
autorisé à se rendre en E
pagne, et lui fait Ia leçon, en un de
ces fOflniJables monologues, comIlle il en adressait aUK
an1bassadeurs, où il semble déchirer la nue, projeter des
éclairs .& : " Joseph veut être aimé des Espagnols. .. Les amours
des rois ne sont pas des tendresses de nourrice... L'amour des
peupies n'est que de l'estime... II veut aller à
Iortefontaine.
Qu'esl-ce donc que l\lortefontaine? C'est Ie prix du sang que
j'ai versé en Italie... Veut-iI faire comine Talleyrand?... Est-
I Inslructions de W allmoden, 2
janvier 1809. ONCKEN.
I A FOIIChé, 31 décernbre 1803. LECESTRE. - A Clarke, 8 mars i809.
· Voir ci-dcssus, p. 339.
· Conversatiun du 6 mars 1809.
fA
OEU\"RES DE COALITION. - iSOD. 314.7
ce à Iui de m' écrire con1me pa rlen ties Anglais... Et qu'il ne
croie pas qu'il vînt jusqu'à
Iortefontaine; je Ie ferais arrêter
à la frontière et conduire dans un château fort... Je n'ai
point de famille, si elle n'8 l'âme française... J'adopterai, s'it
Ie faut, un général, pour l'envoyer en Espagne... Je me ferai
Hne famille au défaut de la ìnicnne... Je mourrai bien jeune,
si je n'ai pas un fils de mon sang ou si je n'en adopte un.
J'aJopterai un enfant, un généraI, Bernadolte. J'ai bien
adopté :\Iurat. nicn n'arrêtera mes destinées... 1)
Chalnpagny en tame la querelle classique des armements
avec
Ielternich; il envoie à Pétersbourg les pièces de la pro-
cédure I. Ce n'est que pour occuper Ie tapis, donner à l'armée
Ie telllpS de se conccntrer, aux Busses Ie temps d'arriver.
" Je ne crois pas les A utrichiens assez insensés pour com-
n1encer les opérations ayant l'arlnée russe sur les flancs t. u
Car les Busses sont en marche, il l'annonce : Ie croit-iI? Le
21 HUll'S, il écrit à Caulaincourt : (C Je crois qu'il est impor-
tant de prendre des mesures pour que les troupes russes
fassent un mouyement... 1J - " Le ministère autrichien est
persuadé que In Russie ne fera rien et qu'elle restera neutre
dans cctte gHerre, quand même eUe la déclarerait... Je ne
veux point attaquer que je n'aie des nouveJIes de vous...
Fauclra-t-il que Ie résultat de notre alliance Soil que j'az"e seul
tou:e l' Autriche à COln!Jallre P... Que l' Autriche désarlne, et je
suis content... On est à Londres dans la joie... Vous pensez
bien que je n'ai penr de rien... Si l'empereur veut agir, il en
3 les moyens... V ous êtes autorisé à signer toute espèce de
.l'aité on convention qu'on voudra vous proposer. Si Ia Gallicie
st conquise, l'empcreur peut en garder la moitié et l'autre
110itié peut être donnép au duché de Varsovie. . Suit une
cUre autographe à Alexandre.
Ainsi, neuf ans après :rtIarengo et Hohenlinden, quatre ans
l:,eine apr
s Austerlitz, il en vient à redouter la Iutte
I ConvcBation du 2 mare; Nanolpon à Champar.ny, 4. marl; Champaøn", ,
.Jetternich, 10 mars; conversation L du 13; I'apport de
letternich, 16 mars 18
9s
· A Otto, à Munich, ,.. man; à Jérôme, 6 mara 1809.
3iS
LA GUERRE D'ESPAGNE. - 1809.
de 1796, celIe de 1800, avoir seul LOllie I'Aulriche à cornball1.!!,
et dans queUes cond.itions, l'Autriche isolée, la France, au
contraire, environnée de vassaux et d'auxiliaires. Voilà let
aveux où il est réduit à la fin de mars 1809, lorsqu'un mois
auparavant il menaçait de rejeter I'Autriche dans Ie néant et
quali6ait ses armements de l'idicules 1. "Je me moque d'elJeI.
:N' avoir poussé si loin la victoire que pour se rendre la guerre
1)lus pénible et, en cas d'échec, les conséq
ences plus redou-
tables! Ainsi, en 1793, la situation plus difficiJe et Ie péril
pire après la conquête de la Belgique, de la IIolIande et de
la rive gauche du Rhin, qu'au lenùcmain de 'Talmy; ainsi
en 1799 quand la République s'étendit jusqu'à Naples; ainsi
en 1805, au fond de la
Ioravie, en 1807, au fond de la
Pologne !
Alexandre n'avait rien promis quand, Ie 30 nlars,
apoléon
mit son armée en mouvement i.
letternich écrit de Paris, Ie
3 avril: (I II entalne pour la prelnière fois une Iutte immense
avec des moycns infél'icurs... Les mo)'ens Inilitaires sont
égaux; les dispositions des peuples sont pour DOUS... 1) Que
les peuples de la monarchie autrichienoe soient avertis du
sort qui les attend s'ils faiblissent : la Bohên1e réduite å l'état
de tributaire, un maréchal de France à Vienne, la Hongrie
démembrée. Combattons la France par ses propres armes et
sans relâche : point de parlementaires! ils ne vienncnt que
pour espionner; point de négocialions! eUes n' oot pour but
que d'ébranler les courages. Le temps est pour DOUS.
Ie QueUes eussent été les suites du retard de la bataiUe d'Aus-
terlitz '? >> - (& La guerre de 1805 était peu populaire en
Frauce ; celIe de 1809 I' est encore moins. Le trésor est vide
eD gran de partie" , et Napoléon, qui disposait alors de toutes
ses forces, n'en dispose plus que de Ia moitié. (( La cause de
l'Autriche est celle de tous les peuples d'Allemagne... I) IJes
défaites sapellt l'existence de Napoléon : u La France ne fait
I A Louis, 2J février; à Caulaincourt, 23 février 1809.
, A Berthier, 30 man 1809.
· Yoir t. VI, p. 505, 51
.
MÃNORUVRES DE COALITION. - 1809. 349
plus la guerre depuis la paix de Lllnéville. C'est Napoléon qui
la fai t. . . J. >>
Les rôles sont renversés. De Vienne, dans Ie même temps,
un agent écrit: "En 1805, la guerre était dans Ie gouverne-
ment, non dans l'arn1ée ni Ie peuple. En 1809, elle est voulue
par Ie gouvernement, par l'armée et par Ie peuple. tJ L'Au-
triche met 300,000 hommes sur pied; ils partent au milieu
des acclamations. L'irnpératrice distribue des drapeaux.
Cette monarchie ne se reconnaît plus : il y a une nation, nne
patrie! C'est toute r.A,utriche qui proclame Ie Jlorianlll1. pro
rege nostro ! des rnagnats de I-Iongrie, au temps de la guerre
de succession. Les populations du Tyrol s'insurgent contre
les Bavarois. Le 6 avril, un arpe1 est lancé å fa nation alle-
mande; l'archiduc CharJes adresse cette proclamation å ses
soldats: n Sur vous sont fixés les yeux de tous ceux qui ont
encore Ie sentiment de I'honneur et de I'indépendance natio-
nale... La libert
de I'Europe s'est réfngiée SOllS vos éten-
dards. Vos victoircs briseront les chaines de vos frères aIle-
mands 2. " Le 14 avril. l'al1iance fut signée avec I'AngIeterre.
Le 12 avril, les Antrichiens avaient frflDchis 1'lnn. NapoIéon
en est inforrné Ie soil' même par Ie téléffraphe. II part dans la
nuit. Le 14, Ie Sénat entend un rapport de Champa{jny, qui
forlne Ie Inani resie de la guerre; il vote la levée de
4U,000 conscrits, dont 20,000 sur 1810; on parle de mobi-
liser les Uardcs nationates. Lc ffouvernement est orffanisé
comme il I'était lors des guerres précédentes : Cambacérès en
sera Ie réffent constitutionnel, Fouché Ie maire du palais.
I c i5, NapoIéon est à Strasbourg; Ie 17, à Donauwerlh : les
opérations sont. commencées.
La nouveJ)e s'el1 répand, en tr3inée de feu, dans tonte
J'AJlcma,'ne. Les sociptés sccrètes sont en effervescence. (( La
u
:plerre ch
r{,h
ra V otre
Iajesté, si eUe ne la cherche p3
IJ ,
écrit à F'rédéric-Guil1aun1c un de ses conseillers, Ie 5 avril.
\Vessenherg confère avec Goltz secrètelnellt. Le I'oi. aUK
J Rapports dn 3 et du 11. avril 1809.
t ONCKEX, t. II, liv VII, chap. rr
850
LA GUERRE DIESPAG
E. - 1809.
aboÎs, se lourne désespérément vers la Russie : laisser
échapper l'.()cca
ion ou risqllcr sa couronn.e; perdre l'amour
de son peuple ou sacrifier ce peuple en une aventure dése8-
pérée? II attenù la sauvegarde d'Alexandre I.
Le ] 2 avril, recevau t Schæler, r envoyé de Frédéric-Guil-
laume, Alexanùre lui dit : (( Je suis lié par mes traités; je
rernplirai Ines engagelneuts; je ne puis pas lancer la Russie
dans unc ffuerre parce que Ia Prusse se sera attiré de3 désa-
gréments; Inais si elle est atlaqu
e 8ans motif, je souticndrai
Ie roi de toutes roes forces. J) II 3.pprend, coup sur coup,
qu'une révolution a éclaté en Suède : Gustave IV a ét
détrôné; Ie pouvoir est con6é à l'oncle de cc prince, Ie due de
Sudermanie; les néffociations, elltamées à Y assy, sout rom-
pues avec les Turcs, et la guerre va recommenceI' pour la
conquête des Principautés. Autant de défaites à donneI' å
Caulaincourt pour ne se point engnger à fond. TOL1tcfois,
sachant la guerre déclarée et enff3.ffée par l'Autriche, it t.lnLC
un manifeste; puis il écrit à
apoléon, lui conGe sea
embarras : tant d'affaires qui l'appcllellt et de tant de cÔLés
en Finlande, sur Ie Danube!
Iais il ajoute : (( Votre
fajesté
peut cOlnpter sur moi....
Ies moyens ne sont pas bien cOllsi..
dérables, ayant deux guerres déjà sur les bras. 1J Alors, il pro-
digue les belles paroles: u QueUes fanfaroIlllades, cet arpel à
I'Allemagne! Et l'archiduc qui veut se mesurer avec l'empe..
reur Napoléon. C'est de la frénésie. )J - (I Si je pouvais sans
inconvénient quitter Pétersbourg pour deux IDOis, queUe plus
belle occasion pour un nÚlitaire!... Je ne ferai rien à dCJni...
Au reste, je m'en suis expliqué avec les Aulrichiens I. 1J
Étranffe explication. II ne peut, dit-il à Schwarzenbp.rg,
éviter de prendre parti co.ntre l'Autriche puisque I'Autr;.che
attaque la France. II a promis à Napoléon de concelltrer ses
troupes sur la frontière de Gallicie : ille fera; mais ce n'est
point pour conquérir cette province à
apoléon, tout au COll-
I Frédéric-Guillaume à Alexandre, 2
mars 1809. BAULEU.
I Alexandre à Napoléon, 22 avril 1809. TATJ8TCD.EF. - Rapport. de Caulain..
urt, 22, 28 avril 1809. -
MANOEUVRES DE COALITION. - 1800. 351
traire. (l II m'assura, écrit Schwarzenberg, que rien ne serait
oublié de ce qui serait humainement possible d'imaginer pour
éviter de nous porter des coups... II ne pouvait s'empêcher de
faire des væux pour notre succès... Ses troupes auraient
l' ordre d' évi ter, autan t que possible, toute collision;... leur
entrée en campagne serait soigneusement retardée... I. " II 6t
mieux. L'alliance l' obligeait à rappeler son agent de Vienne
et à congédier Schwarzenberg; mais Schwarzenberg était
militairc et, à ce titre, ille conserva près de lui, malgré l'état
de guerre. Alors ille chargea d'écrire à SOIl maître une lettre
qu'il revit et approuva : il y déclarait que (I supposé même
que la Russie fût forcée à des démonstrations, eUes seraient
dirigées contre la Gallicie et ne devaient pas effrayer, quand
même les troupes russes entreraient dans ce royaume'>> Et
11 envoya au quartier général de Napoléon Ie plus rusé de
ses observateurs politiques et nlilitaires, Tchernichef, qui
connaissait Paris, les dessous du gouvernement et de l' armée
de N apoléon, expert en espionnage, ennemi très insidieux
de la France; sachant voir, sachant entendre, sachant faire
parler; insinuant, aimable, louangeur des Français, moqueur
des Allenl(lnds, passé maître aux jeux d'élégance mondaine
ft de frivolité militaire. Ainsi se consomma l'alliance russe
et voilà ce qui subsistait, en 1809, de l'esprit de Tilsit et du
style d 'Erfurt.
I Rapports de Scbwarzenberg, 15 et 20 avril 1809.
! Rapport de l'elH'oyé prl1ssien Srhlac1en, 2 mai 1809, après une confidence de
Schwar,ænberß. H.A.ISKE, t. I V, p. 182. Note.
CHAPITRE VI
CRISE DE L' ALLIANCB BUSSE
1809
I
Le l'i avril, Napoléon était en A1tpmngne, sur Ie territoire
d'Allemands vassaux; commandant une année regorgeant
d'Allemands auxiliaires; avançant, non plus à la tête de Fran-
çais victorieux et conquérants, mais trainant à sa suite une
troupe immense de vaincus enréffimentés I. Comment vont se
battre, pour une cause qui n' est pas la leur, contre des com..
patriotes, ces soldats par force? Comment les diriffcront des
chefs, ennemis hier et maintenant alliés? En Bavière, où le
continGent est Ie plus nombreux, Ie prince royal est hostile.
Les Français s'interrogeaient anxieusemcnt. Qui retenait,
qui mouvait ces gens, sinon la penr? Et si la peur changeait
de cöté? Au moindre échec, la moitié de I'armée pouvait
tourner sur place. On Ie verra, en 1813, à Leipzig; on Ie cra
..
gnait en 1809. La victoire seule les enchaÎne; Inais ceUe vie-
toire dépend, en partie, de leur obéissance. II C'était, dit un
témoin, une occasion immanquable d'en 6nir avec Napoléon,
I Frédéric MASSON, t. IV; DE M1BTEL, WalcheJ'en; H ÜFFER, Lomhal'd; BEER;
STERN; ARNETU,
Vessenher9 j KI.Ell'IISCDMIDT, WC$tplwlie j GOECKE, Hlestp/wlie;
Berg; TREIT8CHKE; TBIM-ME, Hallovre; PEnTZ; I...ANZAC DE LAROBIE, Belgique;
GUILLO!", Complotl, Gue7're d'Espagne; DELACOt1R, Sarrazin. - Corr. publiée.
par DucaBse. KlinckowBtræm, Bailleu. - lUe"moÚ'es de Pas(Juier, Méneval, Nor..
"ins, Villemain, Broglie, Ræuerer, Stendhal, Barante, Chapta', J1'Ietternich, Tal-
leyrand, Mme de Cba'tenay, Sécur, Jourdan, Tbiebault, l\larbot, Lejeune,
Marmont, Saint-Cbamans, Desvernois, Læwenstern, Sérurier,
lacdonald, Gall-
.il1e, Bi6arré. WItLSCUUIGKR, Protocoles d,s cOllfé7'ellces d' J1ltellbourg.
ESSLING ET ,V AG1\AM. - t80g.
8S1
si nn fusiI était dans la main d'un traître et d'un fanatique. .1
II fallait pour triompher, avec de telles troupes, de I'Au-
triche transformée pour un moment en un peuple en armes,
plus de génie qu'il n'en avait faIlu en Italie et en l\loravie
en 1796, en 1800, en 1805, quand les rôles étaientrenversés;
quand une armée de Français exaltés de leur Révolution,
transporlés de leur gloire, se croyant invincibles, dispersaient
ces régiments d'AlIemands, de Slaves, de Hongrois combat-
tant par discipline pour une politique qu'ils ne comprenaient
pas.
Dès les premières approches Napoléon ne reconnut ni les
généraux autrichiens ni leurs soldats. Les 21, 22, 23, 24 avril,
des combats acharnés se livrèrent à Eckmühl, à Ratisbonne :
affaires brillantes, mais du('es, épouvantablement sanglantes.
It II nous fallait, rapporte un officier, repousser par un cruel
amour de la victoire Ie besoin de pleurer Ie malheur de ne
ravoir obtenue qu'en la payant si cher. 1) On ne ramassait plua
des troupeaux de prisonniers d'un coup de filet magistral;
l'Autriche ne capitulait plus.
Napoléon enfle sa voix, boursoufle son style: ce ne sont
plus les bulletins à la César, ce sont des réclames retentis-
santes de gazettes. Les Autrichiens s'obstinent; il les traite de
a canaille 1), "les cohues armées de Xerxès 1) . - " Puisque
t'ennelni est têtu, il faut I' exterminer I' 1. l\lais, vainqueur
le 24, il doit, dès Ie 27, disposer une plus Grande bataille.
a l\lasséna a des talents militaires devant lesquels il fant se
1rosterner i; 1) il bat les Autrichiens Ie 3 mai, à Ebelsberg. A
oups de mine, pour ainsi dire, et, parmi les charniers
lurnains, Napoléon pousse sur Vienne, impatient de la bataille
lécisive, inlpatient de la paix, car la paix se dérobe, la
)ataille finale s'échappe; tandis que sur les ailes de l'armée
es lieutenants se font battre et que, sur les flancs, les peuples
, .
InsurGent.
1 Bulleti1l.fde l'armée d' Allema.qne; p"oc1am
tion ðu !4 avril; au roi de Sau,
Otto.2J avril l
n\-j; à Lanne
. 22 avril
à hU6ène, 26 avril.
51 A EUtiène, 30 aVl"il180
.
.11.
.
3:'
CRISE DE L'ALLIANCB BUSSE. - 1809.
I! faut cOlnpter Ie Tyrol pour une Vendée. La IIonrrrie, (IUè
Napoléon se flattait de soulever, se refuse à ses émissaire
;
Jusqu'en Dalmatie et en Istrie, les populations s'agitent et
tourllcut à I'Autriche. Dans Ie nord de I'Allemagne, JérÔlne,
qui en a la Garde, joue au général comme il jouait au roi; 8C
fait ath!quer par les corps francs prussiens, bloqucr par Ie::>
paysans révolléi. Le 2.i avril, COlnme il vienl d'adresser au",
'Yestphalicns cctte proclamation : II Soidats, je serai toujours
à votfe tèle >>, , il voit sa capi lale menacée, et I' alerte est si
chaude que la reine s'enfuit en hâte, court jusqu'à Francforl
et ne s'arrête qu'à Strasbourg : un colonel, Dörnberg, passé à
Ja coalition, avait desscin, dans Ie tumulte, de I' enleV'cr et de
]a livrer aux A nslais! Devant Ie péril instant, Jérôme montre
UD courage personnel qui ne lui mnnqua jamais; mais c' est
Ie courage du sous-lieutenant surpris dans son paste, et qui
se débat; ce n'est point Ie sang-froid du chef d'État, du chef
d'armée. Dörnberg est anéanti. Katt, qui a tâché d'insurger
Ie pays de Stendal et de
Iagdebourg, échoue. !\Iais, écrit la
reine à Napoléon, Ct I'insurrection s'augn1ente de mOlnent en
moment; elle est générale dans tout Ie royaume I) . Le 29 avril,
Ie major prussien Schill, sorti de Berlin, entre en carnpö:;ßC,
å la tête d'un corps de partisans qui se grossit sur la route, cl
menace .les frontières. Cependant les Autrichiens se soot
portés sur Varsovie, où ils sont entrés Ie 20 avril, et les
llusses, qui devaient leur barrel' la route et couvrir la
Pologne, ne paraissent pas.
Partout, Napoléon comlnande de menacer les viUaß"ei
d'exécution militaire, de prendre des otages 1. II continue sa
marche : Ie It mai) il est à Schænbrünn; il entre dans Vienne
Ie 13. Le 15, illance une proclamation aux Hongrois, espé-
rant les entraîner, à la polonaise: mais ils restent sourds. Les
illusions se sont retournées contre la France. Faute de séduire
les peuples, Napoléon va terrifier les rois. Comme il a sirrné å
Berlin Ie décret du blocus, il va dater, Ie 17 mai, de Schæn..
I A Lefebvre, pou.- Ie paye ùe SalzLourg et Ie Tyrol, 29 avril; à EUfÈ>1l1)
80 avril: fUliller l'évêque d'Cdine.
_ 4
ESSLING ET WAG RAM. - i80g.
155
brOnn, du paIais même du plus cathoIique des souverains, au
miliéu des populations les plus catholiques de I'Europe, Ie
décret, médité depuis des mois et qui va, par Ie plus écla-
tant des exemples, montrer aux princes la nécessité d'obéir.
II révoque la donation de Charlemagne; Ie Pape a cessé de
régner I. "Les États du Pape sont réunis å I'empire français " ;
ils seront transformés en départen1ents; Ie Code civil y sera
établi; l' empereur aura un palais à Rome. Le 10 juin, ces
ordres sont exécutés. ConsummalUln est! murlnure Pie VII, et
il lance la bulle d'excommunication qu'il avait préparée. Les
ordres de Napoléon sont combinés de sorte que Ie Pape devra
chercher à fuir, qu'on I'arrêtera et que l'attentat paraîtra
résuIter de la force des choses; d'un malentendu, tout au
moins, comme à Rastadt; mais, une fois pris, la police impé-
riale ne Ie lâchera plus. Des temps de Charlemagne, ressuscités
n l'an VIII, Ia papauté retombe à ceux de Nogaret et de
Philippe Ie Bel.
Napoléon croit en6n tenir la bata.iIIe qui sera I'Austerlitz,
l'Iéna, Ie Friedland ae Ia campagne; jettera I'Autriche å bas,
ourbera I'Allelnagne, accablera la Prusse, soumeltra I'Italie,
rattachera les Russes. Ce ne fut ni Austerlitz ni Iéna, même
)3S Rylau : les journées d'Essling et d'Aspern, 20-22 mai,
:roubles et sanglantes, se finirent en défaite, la première
rande défaite de Napoléon. Elle Ie laissa, avec son armée
:atiffuée, diminnée, enfermé dans une He du Danube, sous Ie
.riple péril de l'offensive de l'armée enllernie, de l'insurrec-
.ion des peuples, sur ses derrières, et autour de lui, autour
Iu morceau de terre plate et détrempée OÙ il campait, la crue
les eaux. Napoléon, alIié de la Russie, trouvait plus de peine.
n 1809, à battre les seuls Autrichiens qu'il n'en avait
.rouvé, en 1805, à battre les Autrichiells et les Russes coa-
isés. .Plus il avait naguère af6ché son Inépris pour Ies "ridi-
ules armeInents JJ, p
ur la " canaille tI autrichienne; plus
laut il s'était vanté de la désarmer, de Ia rejeter dans u la
t Note à Cbampar.ny, en vue d'nne communication au Sénat. - Décret de
tch<cnhrünn; à Gaudiu. 17 uld.i 1809.
8:>6 CRISE DE L'ALLIANCE RUSSE. - 1.809.
honte de 1805 )) , de la faire rentrer dans Ie néant; de décréter.
en moins d'un mois, que ses empereurs avaient cessé de
régner et que leur héritage serait distribué à ses lieutenants,
plua profond et désastreux parut dans toute I'Europe Ie reten-
tisf'ement de ia déconvenue, de son échec, de son péril. Aprèa
Baylen et Cintra, Aspern. En Espagne, ses lieutenants capi-
tulent comme
íack en 1805; en Allemagne, l'empereur est
battu comme un feld-maréchal d'Autriche ou un duc de
Brunswick! Voilà, pour un moment, Ie mot d'ordre.
Nulle part Ie craquement ne fut plus ressenti qu'à Berlin.
Le soulèvement du Tyrol, l'insurrection de la Westphalie,
l'aventure de Dörnberg, celIe de Schill surtout emportèrent
les imaginations. Stein, de son exil en Autriche, animait ses
amis, dépêchait des émissaires. Les conseil1ers du roi le pres-
saient de se déclarer : il n'obtiendrait jamais, lui disaient-ils,
la paix avec Napoléon. Goltz conjuraitla reine de ramener Ie
roi à Berlin, où il se mettrait à la tête du parti national,
. pour relever les espérances par des préparatifs annonçant
un parti déterminé JJ ; pour tendre aussi u les ressorts relâchés
du gouvernement, comprimer les factions et surtout la fougue
des jeunes officiers>>. Ce qui subsistait d'armée menaçait
de s'échapper dans la guerre; de se débander, régiment par
régiment, pour courir sus aux Français, comme les soldats de
Schill : " Si, déclare Goltz, Ie roi hésite plus longtemps å
prendre la résolution que 1'opinion publique réclame, et à se
déclarer contre la France, une révolution éclatera infaillible-
ment I.. L'agitation devint telle que Saint-l\tlarsan fut sur Ie
point de quitter Berlin. Dans la Prusse orientale, la noblesse
refuse de payer les contributions destinées à la France. Le roi
ne reconnaît plus la Prusse. II condamne l'acte de Schill, it
condamne les li'gues de la vertu. Et, cependant, il se sent
entraîné par Ie mouvement de son peuple; par les exhor-
tations de la reine, des princes, des généraux : il a du cæur,
et sa prudence est ébranlée. l\lais que fera Ie tsar '? Rien. Vne
I Goltz à la reine, 5 mat - J
e roi à Goltz. 14- mai 1809; ci-deslul, p. 33i.
· Frédéric-Guillaume à .Alexandre, i! mai 1809. Ð.uLLE1.1.
ES
LING ET ,V AGRAM. - i809.
55f
Jettre d'AIexandre, datée du 19 mai, que Frédél'ic-GuiJlaume
reçut Ie 26, Ie refroidit singulièrelnent : C& Sire, j'ai la con-
viction que vous décidez votre propre perle; vous m'ôtez
même tout moyen de l'empêcher... tJ
Alexandre, quand il traçait ces Iignes, en était encore å la
bataiUe de Ratisbonne. L" entrée des Autrichiens à Varsovie
Ie rassura.
{ais tout å coup il apprit que Poniato\vski et
les Polonais,- laissant les Autrichiens camper dans leur con-
quête, s'étaient hardimentjetés en Gallicie; qu'à leur approche
to ute la noblesse courait aux armes, enrégimentait les
paysans. La Gallicie annonçait les spectacles de la Posnanie,
en 1806, à l'arrivée de
lurat. Ce n'étaient qu'ovations à
l'approche de I' armée polonaise, bals et revues : la Pologne
allait renaitre et, cette fois, délivréc par des mains polo-
naises. L'agitation gagnait les districts russes. A Pétersbourg,
on ressentit plus que de la surprise: de l'indignation, de
l'effroi. La " société ", qui déjà blâmait l'inaction du tsar,
l'abandon de l'Autriche, accusait Alexandre de trahir la cause
nalionale. Alexandre comn1ença de récrilniner conlre la poli..
tique révolutionnaire de Napoléon en Pologne. Caulaincourt,
de son côté, récrimina contre les lenteurs, l'hostilité même
de la Russie. Alors Roumiantsof se déconvrit : la France avait
à choisir entre l'alliance russe et la reconstitution de la
Pologne. "Je croirais de mOD devoir de dire à l'empereur
mon maître: Soil! renonçons à notre système; sacrifions jus-
qu'au dernier homme plutôt que de souffrir qu'on augmente
ce domaine polonais, car c'est attenter à notre existence I..
Dès lors ils se disposèrent à agir, mais tout å l'inverse de
l'alliance, non pour chasser les Autrichiens de Varsovie, mais
pòur chasser de la Gallicie les Polonais alliés de Napoléon,
occuper cette province, la garder pour Ie compte de l' Au-
triche et rendre disponibles de la sorte contre Napoléon lea
forces autrichiennes en Pologne. A yan t ainsi paré au danger
Ie plus proche, la reconstitution de la Pologne, Alexandre
apport d, Ç,aulaiacourt, is aai !iQ
.
858 CRJSE DE L'ALLIANCR RUSSE. - i809
laissera I'Autriche et la France aux prises, s'user rune rautre,
et préparera une belle médiation qui Ie rendra maître des
affaires : un Erfurt retourné.
Vint le courrier d'Essling. Danf; la c& société", un cri de
trioD1 phe que l' on ne chercha point à étouffer. Alexandre
cOlllmanda la réserve offìcielle à la caul', à ses ministres. II
redoubla lui-même de caresses avec Caulaincourt, nlélanGe
de condoléances et de congraffulations. II pleura sur la mort
de Lannes : Ie Ba)Tard de I'Empire! II laissa complaisamment
vibrer ses nerfs au récit des combats héroïques des Français :
ø Tous ces hommes ont de l'âlne, de l'amour-propre, de l'hon-
neur; j'ainle cela !" C' étaient, sous une forme larmoyante et
mystique, les discours de la Grande Catherine aux émig.'és,
au temps de la Terreur : des guirlandes de lauriers el de
cyprès mêlés; rnais de cosaques, point!
On Ie s3-vait å Vienne, et I'on comprenait qu'après les avoir
aidés à vaincre, Alexandre viendrait à eux, s'ils étaient vain-
queurs. Les R
sses qui s'acheminaient en Gallicie seraient
prêts, comme Ie seronl en 1813 les Autrichiens, å passer du
rôle d'auxiliaires inoffensifs de Napoléon contre l'ennemi, à
celui d'auxiliaires effeclifs de l'ennemÎ contre Napoléon.
Iais pour frappeI' Ie coup qui déciderait tous ces mouve-
ments Je concours de la Prusse était nécessaire. Les Autri-
chiens se crurent assez puissants de leur succès d'Essling et
de l'inaction russe pour forcer la main au roi de Prusse sans
lui rien garantir. II céderait aux mouvements de son peuple
et I'Autriche n'assumerait pas Ia tâche onéreuse de recons-
tituer la monarchie prussienne. Ce fut Ie fond de la mission
d.onnée au colonel Steigentesch qui arriva å I\.ænigsberg Ie
15 juin et y séjourna jusqu'au 18. (( Brusquez Ie roi, et s'il ne
vent pas se décider, compromettez-Ie! ", avait dit l'archiduc
Charles. Frédéric-Guillaunle ne fut pas la dupe de ce jeu, très
classique, entre alliés allemands. "Nous serons bientôt alliés,
dit-il à Steigenlesch. Gagnez encore une bataille, et I'alliance
est faite! II Les esprits se montaient au dernier degré de
l'exaltation : u J'irai porter ailleurs, au service de la patrie
ESSl,JNG ET \V AG R A
- 1809.
3
f)
allemande opprimée, ce qui me reste de forces, écrit Blo-
cher, Ie 14 juin. l\Iais subir ces chaines, jalnnis! tJ N'ayant
pas réussi å bl'usquer Ie roi, Steigentesch Ie comprontit. En
passant à Berlin, il con6a, en partie, Ie secret de sa mission å
l'envoyé de \Yestphalie, M. de Linden, Icquel n'eut rien de plus
pressé que de Ie communiquer à Saint-
Iarsan et d'en écrire å
Cassel, au COlnte de FÜrstenstein. Napoléon en serait inévita-
blement instruit; il faudrait bien alors que la Prusse marchât
ou qu' elle périt sans comba Ure; que Ie rot se mil à la tête de
son peuple ou que son peuple Ie déclarât déchu, si, aupara-
vant,
apo]éon ne décrétait pas qu'il avait cessé de régner I.
Tout se r3Incnait donc à vaincre. Si I'Autriche emportûit
la bataille òécisive, tout s'écroulait, et raIJiance russe, et Ia
suprématie sur In Prusse, et la Confédération du Rhin, et Ie
royaume d'Italie, et Ie royaume d'Espagne. Schill avait été
tué, Ie 31 mai, dans Stralsund, dont il s'était emparé et dont
jl voulait faire un Saragosse aIJemand; mais les insurgés
du T)"roI avaient rcpoussé les Français el les Bavarois, Ie
29 maio Tout vacillait, tout tremblait dans la Confédération
elu Rhin. JérÔlne craignait les corps francs prussiens, les
insurgés de \Vestphalie, Ie due de Brunswick, et il demeurait
chez lui, mettant sa gloire à garder ses peuples de l'invasion
et sa personne de la déchéance. II continuait de régner. Ainsi
Louis en Hollande, OÙ I'on redoutait un débarquement des
Anglais. En Belgique, la soumission disparaissait avec la
crainte.
A Paris, l'aventure de Schill fit plus d' effet peut-être que
l'écho d'Essling : I'AlIemagne se levait et pour sa propre
cause; il existait des Allemands qui se battaient pour I'AlIe-
magne! C' était Ie monde renversé; je ne sais quoi contre
nature, un signe de temps nouveaux et redoutables! (& On
répandit Ie bruit que l'empereur étail fou, et, sans Ie croire
précisément, personne ne témoigna de surprise... II y avait
· Copie del dépêchel du baron de Linden. Corr. in., t. VII, p. 395 et .uiv.-
Rapport du cODsul de France à Kæni,:sberg, du 30 mai lS0
t auI' lei arwe-
ment., I'csprit public, fa landwehr, la Sociiti del Ãmis de la vertll. STEM.
860 CRISE DE L' ALLIANCE RUSSE. - {SOO.
déjà queIque temps que Ie docteur Pinel préparait une con-
sultation sur cet événenent infaillible, et, par avance, it
étudiait les historiens d'Alexandre. " Les agents anrrlais flai-
raient Ie retour des grandes occasionsperdues en 1793,1799,
et que Ie complot de Georffes aurait fait renaître. L'empereur
8vait été blessé à Ratisbonne : Ie hasard, distrait ce jour-Ià,
serait peut-étre plus avisé un autre jour; au besoin, Ie conp
de fusil d'un fanatique, parlni les auxiliaires allemands!
Napoléon n'était pas plus invulnérable qu'il n'était désor-
mais invincible. Un traître, Ie général Sarrazin, envoyait
cet avis au ministère anGlais: (C Toutes les meilleures troupes
sont disséminées en Espagne, en Italie et en Allemagne. A
Boulogne et en Belgique, les postes les plus importants sont
gardés par des recrues qui ne savent pas charger leur fusil.
II faut débarquer à Boulogne. On arriverait à Paris par ALbe-
ville, Amiens et Beauvais sans brûler une amorce 1. >>
En Portugal, Soult, après s'être emparé d'Oporto, Ie
29 mars, avec un terrible effort, s'était déclaré gouverneur
général du Portugal. Les Portugais, riches et p3ci6ques, las
de servir de théâtre à la guerre et d'enjeu à la paix; des
officiers français, fatigués de se battre et désireux de s' enri-
chir; toutes sortes de personnages louches, avides, intrigants,
des spéculateurs, des banquiers, des juifs conçurent l'idée de
pr06ter des embarras de Napoléon pour s'affranchir, et,
comme il faisait des rois, de s'en donner un parmi ses
maréchaux. 115 songèrent à Soult, qui se laissa faire : on
aurait provoqué les væux des habitants, puis ceux de l'armée,
et ron aurait soumis Ie tout à l'empereur, comme en France,
en ran VIII et en ran IX, les constitutions de Brumaire et
celles de l'empire; l'empereur, ne voyant plus que ce moyen
de garder Ie Portugal en sa dépendance, s'y fût résigné. Dans
les dessous, un autre complot, de haute trahison, avec les
Anglais, mené par un offìcier, d'Argenton, et qui tend à leur
livrer l'armée française. Ébranlée par ces agitations, cette
I
,. t. TI. '0 lli, I' . I. pl..
. aareJi. .ur Pari. .. taO
ESSLING ET 'VAGRÄM. - {800.
881
armée se désòrff3nise. Soult laisse arriver l'événement et
l' événement, ce sont les Anglais qui débarquent Ie 22 avril.
'Vellesley dispose de 30,000 hOI
}mes, Soult å peine de
20,000. II est contraint de battre en retraite, Ie 12 nlai,
et cette retraite, comme toutes celles de cette guerre, tourne
au désastre.
En Espagne la division rèß'lle entre tous les pouvoirs : entre
Ie roi Joseph et les maréchaux de Napoléon; entre Jourdan
qui prétend commander au nom du roi, Ney et Soult qui pré-
tendent n'obéir qu'à I'empereur, et, en attendant les ordres,
rivalisent, se contrarient, s'abandonnent à I'envi. Deux
armées hostiles I'une à I'autre et toutes les deux hostiles au
roi qu'elles sont censées déFendre I. Et Wellesley marche
sur
{adrid. Ainsi, dans ce mêlne temps, deux batailles sont
imminentes, en Espagne et en Allemagne : I'une décidera,
sans doute, de la monarchie espagnole; l'autre peut-être de
l'existence de l'empire.
Cette bataille,
apoléon consacre å la préparer tout
on art de stratèffe et d'orffanisateur. Jamais il n'apporta plus
de génie, de ténacité, de méthode, dïl1vention à disposer la
partie, et å tout suspendre, à rentour, de façon que s'il
gaffne, et il est persuadé qu'il gaffnera, la victoire produise
., , -, .. ,
Jusqu aux extrelfil tes ses extremes consequence
; que tout
étant engagé à la fois, tout se dégaffe par les contre-coups
du grand coup qu'i1 va frapper. Tandis qu'il laisse l'armée se
divertir et se reposer à Vienne; qu'il y multiplie les fêtes et
les ballets, voulan t donneI' à ses sold a ts et à ses alliés Ie spec-
tacle de la sécurité i, il se concentre pour l'action. En même
temps il signale, au loin, qu'il n'a perdu ni l'énergie,
I Sur I'état de. e
prits en E!lpar.ne, ROEDERER, t. IV, p. ft4 et luiv.; t. III,
p. 5;)6 et suiv. : les conversations entre 1<<::8 cénéraux. CE. TUIÉBAULT, t. IV,
p.333.
i . Le séjour de Vienne me charme... une jolie femme 11 chaque pal... On
entend d'excellente musique... ballets à I'italienne. . STEl'fDBAL Lettres du
8 mai 1809. . Beaucoup des nôtres allaient porter de. consolations à un grand
DOOibre de jeunes femmes abandollnées dans la fuite précipitée de. prince. etde.
grands .eigneurs de la cour .t d. l'armé.... . LalEÐ.., t. I, p. 311. - ef. Sou..
l1,nirl é, L..-w.nste,'n. -
80! CRISE DE L' A LLI.! NCE R USSE. - 1809.
ni les ressentiments. La bulle d'exeomrllunÍcation afl
ive å
Sch
nbrünn. n Plus de n1énaffement; c'est un fon furieux qu'il
faut renfermer! Faites arrêter Ie cardinal Pacea el autfes
adhérents du Pare.. Faites pa
ser par les armes tontes les
personnes qui s'opposeraient à Ia réunion 1. n Cette fureur ne
procède pas de la seule excommunication, oÙ Nnpoléon ,rerrait
tout au plus l'insolcnce d'un prêtre fanatique. La vraie cause
de ses emportements, c'est la déception, l'inquiétude surtout
qui viennenl de Pétersbourg.
MaJgré les guirlandes d'Alexandre et les fleurs épistolaires
de Caulaincourt, Napoléon voit clair. Trop de rnots! "Des
compliments et des phrases ne sont pas des nrmées et ce sont
des arnlées qll'exigenl lcs circonstancc:-;.)) II dicte å Cham-
pagny une lettre pour Caulaincourt, que Champagny signe et
que Caulaincourt hrùlera i. Lc ch(:H
lne s'é,anouit; l'allianee
n 'est pas rompue encore, mnis la fêlure est faite : Ie crista} ne
sonne plus. Toutefois
apoléon a trop besoin de paraître J'aIIié
(1".Alexandre pour briser de ses Inains Ie nlil'oir aux prestiges :
(I L'enlI)ereur ne peut pas témoirrner à l'empereur Alexandre
une confiance qu'il n 'éprouve plus... II ne dit rien ;... mais il
n'apprécie plus l'alliance de la nussie. Quarantc mille hommes
que la Russie aurait fait entrcr dans Ie BTand-duché, auraient
rendu un véritablc ser,pice, et 3urnicnt au moins entrctenu
queique illusion sur un fanlôlne d'alliance... L'empereur
vcut que VOUE regard.iez comIne annuIées vos anciennes in
tructiol1s... Aycz l'altitude con, puahle, pnrRissez satisfait;
mnis ne prenez aueu:n engaGement el ne vous mêlez en aucune
manière des affaires de la Bussie avec la Suède et In Turquie...
Que la cour de Russie soit toujours contente de vous autant
que vous pal'aisscz l'êlre d'elle; par eel a IIlême que l'empe-
reur ne croil plus à l'alIiance de la Bussie, il lui importe
davant3ß'e que ceUe cro
rance, dont il est désabusé, soit par-
taffée par toute l'Europe. u
Un aide de calnp de confiance - c'était Ie troisième-
I A
luratt 17, 20 juin 1809. LECESTRE. - l"IElIiBH,L, t. II, p. !7i.
· ! juÎu 1800. Y Al'\DAL.
ESSLI
G ET WAGRAM. - {SOD.
3ð3.
vint assurer Napoléon des intentIons du tsar, témoiffner de sa
loyauté. Napoléon n'eut pas un instant de doute sur Ia mis-
sion que ces con6dents de son alIié venaient remplir à son
quarlier ffénéraI. Tchernichef y mit un art raffiné qui voila
sinon sa mission mêrne, au moins sa capaeilé à Ia remplir.
" Beau, galant, aimable, fort dissimulé et d'une politesse des
plus recherchées " , il ne parlait jamais de polilique ; les che-
vaux, Ia B'alanterie, les femmes, ses succès dont il paraissait
nssez fat, scmblaient seuls l'occuper; it poussait la discrétion
j usqu'à éviter de trop près, Ie spectacle des batailles, et Ia
feillte j llsqu'à se faire railler par l'empereur sur l'article du
cournGe. Jeu très fin, dont, par la suite, il tira plus grand
parti encore. Ses camarades et lui, très répandus dans ce qui
restait de sociélé à Vienne, soupaient, buvaient avec les of6-
ciers français, les faisaient parler, affectant l'indifférence au
rnêtier, l'aUitude de jeunes ffenlilshommes en voyage, de
'I frelnquets ,,! lis reffardaient, notaienl, rapportaient, seru-
tant les infirmités, les tares morales de l'arnlée. lIs venaient
voir comment Napoléon pouvait être vaincu. Napoléon leur
mOlllra qu'il savait encore relourner et forcer la victoire.
Le 4 et Ie 5 juilIct, à \VaGram, il baUit les Aulrichiens;
lnais pour les baltre, il suLit des perles énormes, sans faire
de prisonniers. Ce n'était qu' u une bataille gaffnée et qui en
pronlettait plllsieurs autres à livrer JJ . Napoléon avait connn
à Eylau la victoire douteuse, il avait essuyé la défaite à
Esslinrr, il connut à 'Vagram la victoire inutile. L'Autriche
n'en sorlait ni écrasée, ni épuisée ; I'Anffleterre restaitdebout,
c.'arTì pOlluée au Portugal, entamant rEspagne; la Russie,
inutile, menaçait de devenir hostile. La Pólogne, appelée aux
armes et à l'indépendance, s'offrait eomme Ie seul moyen de
réduire l'Autriche à merci et de contenir la Bussie; mais
en1plo)'er les Polonais et ressusciter la Pologne, c'était préci-
piler la rupture avec Alexandre; l'abnndonner, c'était livrer
aux flusses les avant-postes de la Grande Armée, les marches
du Grand Empire. La victoire, plus que jamais nécessaire la
veille, devenait ainsi en ses suites comme redoutable å
II" e1\I
E DE L'.1LLIANCE 1\U58E. - 1800.
Napoléon. II arriv8.it à ce détour décevant de son histoire oð
Ie succès même des moyens qu'il employait allait démontrer
Ie paradoxe de la fin qu'il prétendait atteindre. On s' explique
trop aisément que, tout intéressé qu'il fût à Ia paix, il y pré-
férât la guerre et s'y jelât, si l' on peut dire, comme pour se
reposer de Ia paix. La guerre suspendait un moment la
marche naturelle des choses ; elle semblait arrêter la destinée;
elle cachait l'avenir; elle obligeait cette imaginati
n toujours
exaltée et en éruption à rentrer en soi-même; ce génie tou-
jours impatient de l'inconnu et affamé de l'impossible, å
i'arrêter sur des objets proches, précis et certains; elle avait
une nécessité : vaincre; elle avait un terme : la victoire.
La paix, au contraire, échappe toujours et partout à Ia foist
C'est l'incertitude incessante et indéfìnie; un horizon vague,
voilé et toujours fuyant; pour tout repos, dans les rêves, Ie
mirage d'une monarchie univer
elle.
La journée de \Vaffram avait remis en question tout l'em-
pire, toutes les conquêtes, toute la suprématie depuis 1795;
\Vagram fut une victoire; mais Ie Iendemain tout l' empire se
trouva à reprendre en sous-æuvre, et les générations de sol-
dats fauch
s ne se retrouvaient plus.
Voilà la grande différence des temps, depuis Austerlitz.
Après Iéna, Napoléon avait dû poursuivre huit mois Ia paix,
comme il avait poursuivi les débris de l'armée prussienne;
après Friedland, il avait dû l'offrir, d'un geste magnanime;
après Wagram, il fut heureux de Ia saisir. II mesurait Iui-
même, non sans mélancolie, ce déclin des affaires. " Lors de
la paix de Presbourß', mandait-il quelques semaines après, on
a suivi une autre marche. L'empereur est venu me trouver à
mon camp de ltloravie, s'est mis à ma discrétion, a renvoyé
sur-le-chanlP l'armée russe, a renoncé à son alliance... II n'y
8 pas eu de négociation, puisque par l'entrevue tout fut réglé,
hormis Ies détails... I .
. Å Champagny, 22 ao6t 1809.
L'.ÄFP AI!\:I .. W ÂLCIIEI\I
, - t.IOg. 365
II
II "/ ftvait à Vienne un parti du découragement et de la
paix; quelques-uns avaient déjà parlé de négocier après Batis-
bonnet Le prince Jean de Lichtenstein, qui reflétait les opi-
nions de l'archiduc Charles, offrit de se rendre au quartier
général de Napoléon. Stadion comprit que s'il s'agissait de
négocier, soit pour traiter sincèrement, soit pour tromper
Napoléon, sa présence serait un obstacle, comme naguère en
Prusse celIe de Hardenberg. II avait ostensiblement poussé å
la guerre; il donna sa démission. L'empereur ajourna de
l'accepter; toutefois, Stadion prit un congé et
Ietternich fut
appelé å remplir l'inlérim des affaires étrangères. C'est son
entrée aux grandes affaires : il passe du conseil et du rensei-
gnement å l'action; it y reste Ie même homme et, dès ce
débul, dès ces premiers conseils au château de Ernstbrünn,
où s'était réfugié François II, il montre ce mélange de sou-
plesse dans les moyens, de ténacité dans Ie dessein, qui sera son
caractère. II ne considérait pas la partie comme entièrement
perdue; dans tous les cas, elle serait à reprendre, et il s'agis-
sait de filer les négociations, d'attendre la Prusse, la Russie,
les progrès de Welle
ley en Espagne, Ie débarquement des
Anglais en Hollande et dans la basse Allemagne, I'insurrec-
tion des Allemands du Nord, en6n une diversion possible des
Turcs. A voir l'immobiJité inattendue de Napoléon, la mollesse
des poursuites; à recueillir les sentiments de I'armée autri-
chicnne qui s'était sentie victorieuse à Essling et ne se jugeait
point anéantie à \Vagram, malgré les lamentations des paci-
6ques, Ie petit esprit, I'irrésolution de presque tous, l'espoir
revenait: c' était encore une défaite à l'autrichienne, et il s 'a Ris..
sait de négocier comme en 1797, entre Leoben et Campo-For
mio, comme en ] 800 après l'armistice de Marengo. Metternich
366 CRISE DE L'ALLIANCE RUSSE. - 1809.
écrivit à sa mère : " Le monde tient à un fil; la position de
l'homme qui en tient Ie bout est affreuse, et elle serait insou-
tenable si nos moycns n'étaient pas aussi immenses qu'ils Ie
soot. Je vous parle de négociations; je ne vous parlerai pas
de capitulation - car tout autre pourrait s'en charger - si
DOUS n'avions pas ces moyens. Vous verrez incessamment une
armée de 250,000 hommes, troupes de ligne, soutenir llla
négociation... Si HOllS avions Ie quart de moyens moraux! Eh!
bon Dieu! où irions-nous? I "
Le prince Lichtenstein partit pour Ie quartier général fran-
çais. II Sa mission, écrit l\Ietternich t, se borne aux deux
questions: Napoléon veut-il Ia paix? et qu'entend-il par la
paix? II n'8 nul plein pouvoir autre que celui de signer la
parfaite intéffrité de la Inonarchie dans Ie statu quo antd
bellum '. )t Lichtenstein trouva Napoléon à Znaïm, Ie 12 juillet.
L'empereur Ie reçut avec beaucoup d'humeur: (& II ne ferait
plus la paix avec I'Autriche! II ne parla que de partuffer la
monarchie; de l'établissement de plusieurs États Ílldépell-
dants, formés de ces débris; enfin de l'abdication de l'elnpe-
reur François, comme de la seule condition préalable qui
l'eng3gerait à eotrer en néffociations. ,. Cependant sa con-
duite délnentait ses lerribles rodomontades. L'archiduc
Charles, à la suite d'un dernier conlbat très rude, propo:;a
un armistice, et, dans Ie temps nlêlne OÙ
apoléon Ie prenait
de si haut avec Lichtenstein, il J'accepta. Cel afllli
lice,
conelu à Znaïnl 4, lui aballdonnait une large bande de lei'-
ritoire; mais il peflnettait à l' A,utriche de se rcfaire, de cher-
cher des alIiés. Napoléon sis'on parce qu'if se scntait ilnpui:)-
sant à pousser sa victoirc, qu'il avail besoin de renforts, qu'il
lui fallait soutenir ses ailes et réparer les sottises de ses
frères. Le jour même, if écrit à Decrès, Ie ministrc de Ja
marine 6 : n J'ai besoin de beaucoup d'artillerie. u II appelle
· A sa mère, 25 juillet 1809.
· A H udelist, 13 juillet 1809. AßNETD.
· Précis sur la mal che des npgociations. KLI
CKOWSTRÖ
I.
ote..
, Armistice de ZnaÏm, 12 juiUet 1809"
A
ecrè., 12 juillet 1809.
L'AFFAIRE DE \VALCHEREN. - 180t. 367
les canol1uiers des eôtes, qu 'on remplacera pa.r des CRnon...
niers de lTIarine. (I Au besoin, faites désarmer quelques vais-
seaux. II cst indispensable que eet ordre soit ex.éeuté sans
dt
lal et que ces canonnicrs m 'arrivent. " C' est la ressourec
des temps calamiteux, et pour Napoléon une ressource
exlrêlne : désarn1cr les vaisseallx qu'il avait mis tant d'ar-
deur à armer, sur lc
quc1s il purtait de si vasles espérances
pour Ie IcndcHlain de 13 ,'ictoire; eOlployer à la défense des
côles de Fré1 nee ces artiJleul's de marine destinés à jeter, dans
toulcs les contrées du monde, ]'alarrne sur les côtes anglaises!
Et trois jours après, à Clarke, ces orJres qui sont un pressenti-
Jnent de 1813, au tenlps de l'arnIÏstice de Pleiss.witz, entre
llaulzen et Dresdc: ee II est ilnporlant que pendant l'armis-
tice les routes se couvrent de troupes françaiscs, et que l'ac-
croissernent de l'armée soit supérieur å tout ce que pourra
recevoir l'ennemi I. JJ
II rentra à Schænbri1nn où il reçut, une seconde fois,
I.ichtenstein. (I A son grand étonnement, Napoléon chaIlGea
luhilenlent de laDt;affe et lui dit que, malgré Ie peu de con-
fjance que lUI inspirait la conduite de l'Autriche, il voulait,
encore une fois, se prêter à la paix. " II ne dernanderait pas
plus de sacrifices ql1'il n'en avait dcrnandé à Presbourg, et
mêlne, si l'crnpereur François se résirrnait à abdiquer en
faveur de l'archiduc, duc de \\Tiirzburff, n il restituerait la
monarchie dans son intégrité " . François II n'accepta point
celle discussion. II se contenta de faire connaitre, par une
leUre dll 18 juiIlet, qu'il avait désigné Ie comte
Ietternich et
1\1. de N llffent pour ses plénipotentiaires. Napoléon désigna
Charnparrny, qui passa une note à l\Ietternich, articulant les
conditions préalablcs de Napoléon : 1 0 suppression de la land-
wehr; 2 0 réd uction de l'armée de liffne à la moitié de ses
cadres actuels; 3 0 expulsion de tous les Français au service de
I' Autriche I. C' élait ce désarmelnent que naguère Napoléon
I i 5 juiHet 1809.
I ;\apoleon à Champ 'Cny t 24- juillet, avec UDe note qui Eut datée du 2! juillet
{SOU.
888 CRISE DE L'ALLIANCE RU8SE. - iSOD.
avait prétendu imposefsans coup t'érir. Le mêmejour, 22 juil-
let, il écrivit à François II : <<Si Ie quatrième traité de paix qui
succédera à ceux de Campo-Formio, de Lunéville et de Pr
s-
bourg peut en6n être Ie dernier, rétablir d'une manière
durable la tranquiJhté sur Ie continent et se trouver à l'abri
des clameurs et de
intrigues de l'Angleterre, je regarderai ce
moment comme fort heurcux; car, des quatre guerres que
Vou>e :\IaJeslé a faites à la France, les trois dernières étaient
superflues, et n'ont été utiles et avantageuses qu'à I'Angle-
terre. u
II y a dans cett.e lettre un accent de mélancolie, un ressen-
timellt de Ja vanité de la guerre, comme une satiété de la
victoire. On l'avait entendu dire, quand Davout proposait une
poursuite à outrance: n Non, c'est assez de sang versé! u II
rapprochait Essling de Saint-Jean-d'Acre; des prelniers enga-
gements, si douteux, à Arcole. Lannes était mort; les géné-
raux tombaient. Napoléon trouvait la lassitude autour de lui,
en lui-même. Après Essling, comme quelques-uns conseIl-
laient d'évacuer Vienne et de repasser Ie Danube : n C'est
transporter la guerre sur la rive droite, dit-il; je serai done
en retraite, et sur la route de Strasbourg, où ils me mène-
ront peut-être I. " Si I'Autriche persistait, si elle refusait la
paix, si tout ce bruit de peuples en révolution, dont on
l'obsédait, annoncait une tempète? On l'avait .vu un instant
radieux après Ie combat de Znaïrn; puis, rentré à Schænbrünn,
iI s'enferrna, travailJant avec Berthier, avec Maret, disait-on;
en réalité, séquestré de son armée, en proie à un mallnyslé-
rieux, dont iJ avait subi déjà plusieurs atteilltes et qui Ie
reprit, en 1812, au temps de la
Ioskova : fatigue, contension
cérébrale, excitation nerveuse, anxiété, réaction de tant de
dépense de pensée, de volonté, de force physique? toujours
est-il que l'alarme se répandit autour de lui. Les lettres qu'il
date de ces jours-Ià ne montrent nl affaibJissement, ni dis-
traction même; mais elles trahissent la soulfrallce illtirne,
t Ð1IUNTE, t. I, p. i9S.
L'AI"F AIRÈ- DE. W ÄLCHEREN. - 180t. 869
I'impatience, l'irritation, Ia courbature des gestes démesurés,
des coups frappés de trop loin et qui ne portent plus. Faut-il
croire à l'insuffisance des hommes? mais qui les suppléera?
Faut-il croire à Ia résistance des choses? mais qui la dominera
si tant de victoires sont demeurées vaines et si cette résistanca
augmente avec Ie succès même?
Ses frères Iui mangent de I'argent, lui prennent des
hommes, et ne font rien. II renonce à écrire à Joseph, ne
recevant plus de courriers d'Espagne : CI Je vois que j'ai là
200,000 hommes sous les armes; c'est beaucoup plus qu'il
ne faut pour 6nir les affaires d'Espagne... Je tremble que lea
Anglais, déboucbant du Portugal par Abrantès, ne surprennent
Ie roi à Madrid. at Je vois bien peu de têtes pour mener tout
ceIa... On ne sait pas commander en ce royaume ! I u Louis,
très peu militaire, s'immobilise å Aix-Ia-Chapelle, signe des
décrets sur Ie commerce, c'est-à-dire contre Ie blocus, ménaße
ses Hollandais, et rend Napoléon ft la risée de l' Europe ø.
Napoléon Ie lui écrit, et de même à Jérôme, plus guerrier,
sinon plus soldat? mais mou, tout à ses plaisirs, faisant Ie
Louis XV en sa Westphalie, et laissant à son grand frère Ie
rôle du maréchal de Saxe: a J'ai vu de vous un ordre du jour
qui vous rend la risée de l'AlJemagne, de I'Autriche et de Ia
France... II faut être nuit et jour à cheval... ou bien rester
dans son sérail... V ous faites la guerre comme un satrape.
Est-ce de moi, bon Dieu! que vous avez appris cela ?... Vous
avez été constamment, dans cette campagne, OÙ r ennemi
" . s
n etalt pas.... 1}
II tâche (I d'en fìnir ø avec Ie Tyrol. II écrit à Lefebvre :'
(t Lorsque j'ai fait mon armistice, ç'a été principalement pour
;oumettre Ie Tyr<?l. Je crains... que vous ne vous laissiez duper
)ür celte canaiile... " II faut brûler, fusiller. ft Soyez terrible
t agissez de manière qu' on puisse tirer du Tyrol une partie
Ie vos troupes a. 1) Illui faudrait être partont, at partout avec
1 A Clarke, 8, 18 juillet. ConE. 12 juin {809.
A Louis, 1.7 juillet; à Jérðme, 17, 25 juillet 1809. Rocoa.ul', Lacuna..
.A. Lef"bvre, 26, 30 juillet 1809. LEC
STI\B:,
m
"
8'10 CRISE DE L'ALLIAl'iCE BUSSE. - i80
.
sa garde! Or, il est réduit à combler par des conscrits les
vides de cctte garde; it a dispersé, dans tout Ie nord, des
troupes qui Sf' font battre, ou qui se retirent, ou qui n'ar-
rivcnt pas. "Vingl mille hommes plus ou moins bien employés
peuvent changer Ie destin de l'Europe! " écrit-il à Jérôme I.
En6n, à Paris, I' opinion est perplexe, la presse mauvaise :
Fouché ne la dirige pas i. Fouché laisse la Gazette de France
insinuer que la Prusse va nous déclarer la guerre, que la
Uussie est contre nous. Fouché travaille pour la paix, selon
son calcul, qui est d'effarer l'opinion, et, par l'écho qu'il en
donne dans ses bulletins, d'amener l'empereur à traiter. Ce
n'est point sa consigne, et Napoléon Ie lui rappelle rude-
ment. II affccte les ménagclnents, les si{j"nes d'intimité avec
Alexandre, au point de faire effacer des monuments Ie nOln
d' Austerlitz. Puis il flnire Ie con1plot, tant de fois soupçonné
par lui, et jalnais découvcrt : (( II n 'y a pas de doute que lea
nglai
n 'aient une machine oruanisée pour toule I'Europe.
Lc hasard ue fait rien. " Les rnêmes nouvelles se colporlent
en Allemagne, en Italie, à Paris. Elles fìItrent à travers les
lignes de poste et les cabinets noirs comme les marchandises
anfflaises à travers les entrepôts et les lignes de douane 8.
L'effet de vragram s'épuise par la durée même de l'armiò-
tice. Napoléon se renforce en hommes, en chevaux; mais s<}n
coup de main se ralentit. On devine qu'il désire Ia paix, qu'il
en a besoin, et on rcprenJ courage à la guerre. L'Autriche se
trouve plus vaillan
e el puissante qu'eJIe ne croyait I'élre;
après a, oir entamé les uégociations pour respirer, eUe va les
poursuivre pour se reIlleUre sur pied. Elle a 260,000 hommes,
el ils ont failli vaincre; si Napoléon 8ccepte Ie statu quo
antè, }',A.utriche y souscrira sans hésitation; nlais toute ces-
sion de territoire COIn prornettrait l' existence de l'État, et
mieux vaudrait continuer la lutte. En tout cas, que Napa-
I 25 juil1et 1809. LECE8TR
.
t A Clarke, 19 mai;
Cambacprès, A Fouché, 20 mai, 27 juin, 2
jU1ner 1
r9
I A liouché, 14, 1.6,
jui!lct; 17 aoât 1809. LI::CESTRE. - Voir, sur fa nl Jc\i s.
del ...lnßlaís, t. VI, p. 22:2, 370.
L'AFFAIRE DE 'VALCHEREN. - t809. 81!
léon consente au statu quo antè, OU que I'Autriche soit con-
trainte, encore une fois, de céder, Ia paix ne sera qu'une
trêve, et I'Autriche n'y cherchera que Ie moyen de vivre,
en se pliant au système français. << De cette manière seule-
ment nous prolongerons peut-être notre existence jusqu'au
jour de la délivrance commune. Sans l'assistance de la Russie,
il ne faudra plus jamais songer à secouer Ie joug qui pèse
sur toute rEurope... Nous n'avons donc qu'un parti å
prendre : il faut que nous réservions nos forces pour de.
teo1ps meilleurs, et que nous travaillions à notre salut par
des moyens plus doux. v Ainsi médite 1\{etternich et sur
les cOllférences qui allaient s'ouvrir et sur Ie lendemain de
la paix I. L' elnpereur François ne veut entendre qu'à une
paix sans cession de territoire ni désarmement; it conclut å
trainer les négociations pour tirer au clair les vues de Napa-
léon, sonder la Bussie et se mettre en état de recommencer.,
Il écrit au tsar Ie 20 juillet.
Frédéric-Guillaume s 'adresse dans Ie même temps a.
Alexandre, demandant secours et conseil : la Prusse est à
bout de ressources, à bout de patience. Si I'Autriche est
anéantie, la ruine entière de la Prusse est inévitable. "Que
l'état des choses serait différent, si vous jugiez de l'intérêt de
votre empire, sire, de renoncer à votre système politique
actue] en vous déclarant contre la France! D La Russie y
gaanerait la possession plus sûre de ses conquêtes récentes,
- et Frécléric-GuilIaume allait, dans son désespoir, jusqu'à
'Y joindre (& Ie duché de Varsovie déjà tout préparé å cette
réunion" ; mais il se ravisa et effaça des mots qui l'eng8geaient
prématurément. Le major Schæler, qui portait la lettre, était
en mesure, ajoutait Ie roi, de renseigner l'empereur sur lea
forces de Ia Prusse et n sur tout ce qui a rapport à cet objet I..
SchæIer partit Ie 24 juillet pour Pétersbourg; Ie même jour,
un autre officier, Knesebeck, partit pour Vienne avec une
I
Iémoire du 25 jnillet sur la continuation de la guerre; du to août, lur Ia
paix; résolution impél'iale du 10 août 1809. l\'lETTERNlcB, t. II.
AlexaLùre, 24 juillet 1809. BAILLBV.
872 CRISE DE L' ALLIANCE RU5SE. - 180ft
mission analogue : la Prusse était disposée à entrer en earn..
pagne si I'Autriche lui garantissait sa reconstitution territo-
riale en puissance de premier rang.
Les Ininistres prussiens comptaient fort, pour soulever
r Allemagne du Nord, sur une diversion des Anglais. Les
ministres anglais en jugeaient l'heure venue. Renseignés par
leurs espions, se sentant soutenus par leurs amis de Paris,
estimant qu'ils avaient un parti de la paix anglaise jusquc
dans Ie gouvernement même de NapoIéon; qu 'au preln
er
signal une insurrection éclaterait en Vendée, une autre en
Belgique; comptant sur la Turquie pour prendre à revers les
Français obligés d' évacuer la Dalmatie; sûrs d'un parti aClif,
puissant en Russie; sa chant la faiblesse de Louis en Hollande
et la disposition des Hollandais en sa faveur, l'irritation des
Hanovriens, des Brunswickois, des Westphaliens contre les
Français et contre Jérôme, ils combinaient un contre-blocus,
un système d'expéditions, de débarquements, d'insurrections
sur toutes les côtes, la contre-partie en6n de I'immense dessein
maritime conçu par Napoléon en 1805, tant de fois repris par
lui et qui devait, dans Ie vertige des agressioc5 à toutes les
extrémités du monde, et terrasser I'Angleterre.
Au mois de mai, un armement de trente-sept vaisseaux de
ligne, deux cents navires de guerre, quatre cents transports,
avait été disposé. II pouvait porter 40,000 hommes. Cetle
armée débarquant en Allemagne, où elle aurait été soutenue,
au dire de Stein, par une armée de près de 50,00'0 Prussiens
et Brunswickois I, aurait pu y produire de redoutabJes effets,
car cUe aurait vraisemblablement décidé l'insurrection géné-
rale. l\Iais Ie cabinet anglais chercha son intérêt plus direct
et porta sa diversion au point d'où il tenait, par-dessus tout,
à chasser les Français, Anvers. Le 30 juillet, les Anglais
débarquèrent dans l'ile de Walcheren et mirent Ie siège devant
Flessingue. Louis en reçut la nouvelle, Ie ler août, à Aix-Ia-
Chapelle. II mo
tra plus de sang-froid qu'on n'en attendait de
I Lettres de Stein, en particulier, 27 juillet, 23 80\\& {SOD. PJU\ft.
L'AFFAIRE DE WALCHEREN. - iSOD. 31.3
lui; if courut à Amsterdam, 6t transporter 6,000 hommes en
voiture, et rappela toutes les troupes en marche pour la Grande
Armée. Mais å Anvers même, aux alentours, rien n'était prêt.
1& J'ai été effrayé de Ja faibIesse et de la nullité des moyens
employés pour défendre l'Escaut I. " Et ron annonçait que
Ie duc de Brunswick menaçait la frontière de Hollande avec
8,000 hommes.
Les coups .de surprises se frappaient maintenant contre
Napoléon. L' effet de celui..lã fut immense à Paris, et les amis
de la paix, les amis mêmes de l' Ang'leterre en furent boule-
versés. Les Anglais investissant Flessingue, menaçant Anvers,
ce n' était point leur Angleterre! Les Anglais en I-Iollande et
en Belgique tandis que la Grande Armée demeurait comme
un vaisseau en panne, au delà de Vienne, c'était retomber aux
temps périlleux du Directoire! Fouehé seul ne perdit point
la tête; mais il jugea de son intérêt de la faire perdre à tout
Ie monde, " d' organiser l'angoisse I, " com me il avait autre-
fois organisé la Terreur, et de s'imposer à Napoléon, à la
France, à I'Europe, en sauveur nécessaire de la République.
Napoléon avait été battu, il pouvait l'être encore; I'Europe se
coaliserait alors contre lui, et, avant qu'il pût se replier sur
la France avec les débris de son armée, la Hollande serait
conquise, la Belgique envahie, Paris menacé. Qui gouver-
nerait en cette crise? Qui traiterait avec l'ennemi si Napoléon
était tué, s'il était renversé, si l'ennemi refusait de traiter
avec lui? L'homme qui tiendrait ce jour-Ià Ie pouvoir, qùi
rassurerait l'opinion, rendrait la paix aux Français, garan-
tirait les propriétés acquises et les lois de la Révolution,
serait Ie maitre du lendemain; non seulelnent il sauverait et
sa personne, et ses biens, et ses places, mais it se pousse-
rait au premier rang dans l'État : tout parli, tout prétendant
devrait compter avec Iui. Talleyrand fut eet homme en 1814;
Fouché en 1815; dès 1809 iI en conçut Ie rôle. Le premier
point
pour cet ancien commissaire de la Convention, fut,
I Louis à N8poléon
2 et 9 août 1809. ROCQl1üB.
I Mot de Balzac : Unll Tél1ébrewø Ill/air..
a7
cn ISE DE L' ALLIANCE RUSSE. - i809.
comme pour tous ses pareils, de réunir une force armée et de
se procurer un ffénér'al à sa discrélion, assez ambilieux pour
hasarder l'entreprise, assez (I républic3in )J de réputation pour
ne point effaroucher les modérés et pour ff3gner les révolu-
. . .,., ,
tIonnalres, assez peu conslstant neanmOlns pour qu on s en
débarrassât aisément après s'en êlre servi.
II crut avoir cet homme-Ià sous la main, Bernadotte, tou-
jours prêt à conspireI' la chute du maître et à prendre sa
place: consul ou empereur. II vennit de rentrer à Paris, en
disgrâce très méri tée pour sa cond ui le pI us qu' équivoque à
Waffram; mais popularisé par sa disffrâce même, si dorée
qu'elle demeurât. Quant à la force arlnée, Fouché ne la pou-
vait trouver que dans Ie vieil instrument révolutionnaire, les
gardes nationales. Et il se met à Ia besogne, homme des jours
sinistres, brouillon, mais brouillon forn1Ídable des hautes et
basses æuvres du saIut public I.
Le 29 juillet 1809, on apprit, Ie soir, par Ie téléffraphe,
l'arrivée d'une fIotte anglaise devant Walcheren et les prépa-
ratifs de débarquement d'un corps évalué à 40,000 homInes
On en eut la certitude Ie 30. Panique dans Ie ffouvernement,
surexcitalion dans Ie public, agiotaffc effréné : Ia rente tombe
de 83 francs å 79. Les ministres et les grands dignitaires de
l'empire se réunissent en conseil. Decrès, Ie ministre de la
marine, très troublé et fort exalté, presse ses coHèffues de
déployer de l'énergie. "Je parlai avec une véhérnence et un
alarmisme qui, sans doute, parurent étranffcs... J' osai dire ..
Faisons ce que l'empereur lui-même ferait s'il était ici. A
défaut de troupes, il porterait la masse des citoyens sur les
bords du fIeuve. Je de mandai une proclamation soudaine
qui appelàt et portât en poste sous les murs d' Anvers tout ce
que les départements ont d'anciens militaires qu'on pourrait
armer. Je demandai qu 'jls partissent au fur et à Inesure qu'iis
compléteraient une voiture... Je dernandai qu'on levåt sans
délai dix mille ouvriers de Paris, qu'onles tìt partir en poste...
.
omparea Ie. DirecteuI"$ en 17\19. '1'. V. p. 366, 436,!
L'AFFAIRE DE WAJ.CHrRE
. - 1809. 375
Je 80nnaÎ Ie tocsin sur l'imminC'nce de nos daIl8"er
... Je
demandai qu'on fit partir dans la soirée Ie prince de Ponte-
Corvo avec Ie commandement de terre et de mef. .,
Bernadotte
tait tout botté et tout éperonné. II arrive, Ie
S aoÚt, chez Ie ministre de la guerre, Clarke, offrant ses ser-
vices et se déclarant prêt à monter à cheval. Déjà, et p3r
l'ordre de Clarke, les gardes nationaux des départelnenls dn
Nord étaient mobilisés. Fouché, qui sans cloute aVl'it averti
Bernadotte, remplaçait alors Ie ministre de J'intérieur, Cretet,
empêché par une maladie. II dispose ainsi des préfets, à un
double titre, cumulant I'intérieur et la police. II approuve
fort les mesures proposées par Decrès; mnis JI n1et plus d'éta-
18ffe à en ordonner les préparatifs que d'activité à les exé-
cuter. II adresse aux maires de Paris une circulaire où on lit
cette phrase: It Prouyons à I'Europe que, si Ie génie de Napo-
léon peut donner de l'éclat à la France, sa présence n'est pas
llé('e
aire pour repousser les ennelnis. n II se pose en procu-
reUf ffénéral de la défense nationale, il souffle la 6èvre dans
Ie pays. II agite jusqu'aux extrémités de l'empire OÙ Ie dangcr
était nul, Ia Provence, Ie Danphiné, Ie P.iémont.
Iais c'esl de
Paris surtout qu'il s'occupe, et c'est là qu'il déploie son
audace.
LOfsque la ffal'nison de la capitale avait rejoint la Grande
Armée, Naroléon avait confìé Ie service de police à une garde
nationale recrutée parmi les houf3'eois aisés et composéc
d'environ 6,000 hommes. Fouché, in\7oquant de prétendus
ordres de l'empereur, dont iJ ayait Ie secret, propose au con-
seil de la porter à.12,000 hornmes. Le conseil ne s'y oppose
point. Sans s'assurer mème l'aveu de Cambacérès, Ie \"éri-
t
ble vice-empereur, Fouché élève l' effecti f à 24, puis à
3(\ ,000 h01l1!IleS, orffanise les cadres et nomme les officiers.
II les choisit dans Ia bourgeoisie riche, hostile à l'empereur.
II s'y trouvait, dit un contemporaiu qui vit ces choses de près,
" rle
ommes arclrnts, agressifs, fort maJf[fÌsaD ts, pleins
d'amour-propre ". lIs s'équipent à leurs frais et très rapide-
mente n('('rè
SP pl
i0nait qnc Ie départ des Parisiens pour Ie
878 CRISE DE L'ALLIA:NCE RUSSB - 1809
Nord se fit avec lenteur. Fouché détourna Ia conversation.
"Nous ne savons pas improviser ces grandes dispositions" ,
écrivait Decrès à l' empereur. Fouché Ie savait encore,
mais il ne connait point son secret à ses collègues.
Clarke, qui Ie dét
stait, fut un des premiers à Ie soupçonner.
ce Voyez, dit-il à Ségur dans les premiers jours de septembre,
Fouché arme Ie peuple, des domestiques même. C'est une
levée de 93 qu'il veut avoir sous la main. II se prépare å
jouer un grand rôle... Trente mille hommes arlnés dans
Paris! l\Iais il y faudrait une armée pour nous garder de cette
garde... Et il en a nommé les officiers... Son but est évident,
c'est une trahison! l\lais je Ie surveille... )) Dans Ie conseil, il
'Y eut, entre les ministres, des dialogues qui rappelaient ceux
du Comité de Salut public et du Directoire, à la veiIle de
Fructidor. cc II n'y a qu'un 5... jacobin, dit Clarke, qui ail pu
avoir l'idée de lever et d'armer dans Paris une garde natio-
nale! - II n'y a, répliqua Fouché, qu'un étranger vendu nux
Anglais qui puisse s'opposer à la fornlation de cette garde ! JJ
Hulin, promu au commandement de Ia place de Paris, déclara
qu'il ne pouvait plus répondre de rien : II l\les patrouilles
rencontrent inopinément des postes et des patrouiJles inconnus.
On ne sait si ce sont des cítoyens ou d
s malfaiteurs. Je les
ferai désarmer, je ferai tirer dessus. Ð
Napoléon reçut, Ie 6 aoilt, par un courrier de Clarke la
nouvelle de l'arrivée de la flotte angIaise. Illui convenait de
ne pas croire à une expédition sérieuse sur les côtes d'AlIe-
mag-ne 1; il savait mieux que personne combien étaient insuf-
6sants les moyens de défense de Flessingue et d'Anvers I; tout
en déclarant Flessingue imprenable, Anvers à l'abri de tout
danger, bien que Clarke ne Iui révélât qu'en partie les inquié-
tudes de Paris, les mesures d'alarme qu'on avait prises, it
I . lie ont bien allez à faire en Portugal... Je D'en croi. pas un mot .; A
érðme, !5 juillet 1809.
I . L'ile de \Yalcheren doit avoir 6,000 Lommes... Je 8uppme que... Je ne
lai. pal ce que leø Anclaia peu\'ent faire... its ne prendront pal FJessingl1e...
Anvert et Ion port 80111 à l'abri de Coute attaque. . A Clarke, 6 août 1809.
at
O,?u
, p. Lxxxvet .uiv.
ote.,
L'AFFAIRE DE 'VALCHEREN. - 180D. 81T
devina Ie péril, se figura Ie trouble des esprits. On voit,
aux ordres qu'il expédie, à la fois ses préoccupations et la
nécessité oÙ il se trouve de recourir aux expéclients des jours
de détresse, ceux précisément que Fouché mettait en æuvre.
II envoie à Cambacérès un décret pour lever 30,000 gardes
uationaux; il ordonne de former en légion (( les anciens 801-
dats qui voudront faire eette campagne pour battre les
Anglais " ; il appelle à la re8eousse des généraux de la Répu-
blique, absorbés au Sénat, Latour-
Iaubourg, Soulès, d'Abo-
vine, BeurnonviIle, Rampon; il envoie sur I'Escaut Kel-
lermann, qui eommande la réserve à Strasbourg I. II ordonne
une adresse que lui enverra Ie Sénat et " qui sera une espèce
de proclamation... Les ministres donneront l'impulsion. II
faut avoir sur-Ie-champ, en preInière et en seconde ligne,
80,000 hOlnrnes, et iUlprimer un mouvement à la nation, pour
qu'elle se montre, d'abord pour dégoûter les Anglais de ees
expéditions et ]enr faire voir ]a nation toujours prête à prendre
les armes; ensuite pour reprelldre l'île de Walcheren, si elle est
prise... " . II approuve Ie choix de Bernadotte pour commander
cette u arrnée du Nord" , improvisée, formée de conscrits, de
gardes nationaux, de vétérans : à défaut de BernaJotte, ou so us
ses ordres, l\loncey ou Sérurier. IJ veut que cette armée se
montre, et très vite, autant pour chasser les Anß'lais que
pour " favoriser les négocia tions ... II se f]a Lte que, si
les Anglais u prennent 'Valcheren et continuent la c
nn-
pagne, soit en France, soit en Hol1ande )) , on aura un mois
pour se préparer, et qu'il se pourra produire queJque contre-
coup favorable du côté de I'Espagne : " IJ parait que lord
'\Vellesley est entré avec 25,000 hommes à Talavera. Si eel a
est vrai, les Anglais, qui ont besoin de troupes pour soutenir
cette expédition d'Espögne, ne peuvent avoir Ie monde néees-
suire pour prendre \Valcheren et faire une puissante diversion
òe ce côté... . D'autant plus que si Joseph a pris position, si
Soult l'a rejoint, il aura 100,000 homines. . Ce serait une belle
I A Clarke, à Cambacérs8, 7, 8 aodt; à KellermlDD, 7 ao6t t.aOg.
78 CRISE DE L'ALLIAl'\CE RUSSE. - 18C9.
occasion de donner une leçon aux Anglais, de finir la
f,'uerre... I " Napoléon en était réduit à Inéditer de la sorte, à
hãtir des hypothèses faute de pouvoir agir, à imaginer de loin
la victoire raute de pouvoir la consomlner de près; à tourner,
par supposition, en embarras pour l'ennen1i des diversions
qui l'atteiS'naient de tous les côtés '. C' est dire que désornlais,
par lïmn1ensité du champ tle bataille, la multiplication indé-
finie des points de contact, la guerre contincntale, jusque-Ià
si precise, si directe, si concellLrée dans sa pensée, s'échappe
dans Ie rêve, la spéculation, les projets chimériques, COlnme
de tout temps la guerre maritime s'est échappée dans la
dispersion des colonies et I'imnlensité des océans : signes
nouveaux des grands changements qui s' étaient insensible-
ment opérés dans les conditions de la paix et de la guerre du
Grand En1pire.
A bien lire Ie courrier de Joseph, l'espoir garde peu de
prise. Joseph écrit : (L Le maréchal Soult va se mettre en route
sur Plasenisa; s'il exécule ce mouvement, et que je batte les
Anûlais, il ne s'en échappera pas un. >> Si... mais
ey refuse
dc nlarcher aux ordres de Joseph et d'obéir à Soult; Jourdan,
en conHit continuel avec Clar.ke qui, de Paris, prétend Ie com-
mander, demande son rappel. " Les maréchaux se parLagent
les provinces... Tout cela finira mal et très mal" , conclut
Joseph 3. Les bulletins de Naples sont un peu rneilleurs : les
Anglais ont essayé de débarquer, et leur expédition a dû
relourner en Sicile; Inais il faut renoncer à s' elnparer de cclte
ile c, jusqu'à ce que la paix avec l'Autriche soit entièrenleut
Faile ". De plus,
Iurat doit se mettre en Inesure d'occl1pcr
ROlne. Des mouvements y sont à craindre, si la guerre dure 4.
(;' est que Ie Pö pe a été arrêté Ie 6 j uillel, enlevé, dirigé sur
Grenoble où il est arrivé, Ie 23, au milieu des témoignagcs dll
rc
pect et de la pilié des peuples. Napoléon s'était arrangé pour
. A Clarke, 7 août 1809.
I Voil" la conversation avec Jomini. SAINTE-BEUVE. Nouveaux Lundis, t XIU.
Article Jomilli, p. 103.
· Josf'ph à :N.\poléon, 2, 18, 21, 23 juillet 1809.
, A .Murat, 10, 13, 23 août 1809,
L'AFF AIRE DE \V ALCHEREN. - 1809. 379
que cet enlèvement s'opérât ct pour qu'il pOt Ie désavouer I.
1& Je suis fâché qu'on ait arrêté Ie Pape; c'est une grande
folie ", écrit-il à Fouché, a6n que ce ministre Ie répète à
Paris. " l\Iais ellEn, il n 'y a point de remède ; ce qui est fait est
fait '. )) II pense aussitôt à en profi ler. II placera Pie VII (c dans
les appartenlents de Fontainebleau II . II fera venir à Paris les
cardinaux de France et d'Ilalie qui sout ses sujets. &I Le fana-
tisme du Pape insensiblelTIcnt aura là une fin. II En attendant,
il rinterne à Savone. L'événelTIent n'étonna point. (& La réu-
nion de nome à l'empire français, I'emprisonnement du Pape
parurent chose sirnple et sans conséqllence à tous les servi-
tcurs de l'ernpire. II leur paraissail éffalement simple et sans
conséquence d'être excommuniés, et de prendre en main l'ad-
ministration du patrimoine de saint Pierre I. " Ce n'en était
pas moins l'antipod
du Concordat, la destruction de la paix
relirrieuse, et, de ce côté aussi, la retraite au delà des temps
prospères; tout reculé, tout remis en question.
Antant de motifs pour désirer la paix. Les nouvelles de
PétersbollrG en fìrent une nécessité. En Gallicie, Poniato,vski
et Ie COI'PS russc avaient failli en venir aux mains; les Russes,
alliés de Nnpo100n, di
putaient aux Polonais, auxiliaires de
Napoléon, les villes qu'ils occupaient, au nom de l'empe-
reur des Français. Leur collusion avec les Autrichiens se
décelait. A Pétersbourff, on parlait de déposer Alexandre. Les
ministres, emportés par Ie mouVClnent, élevaient Ie ton.
Alexandre déclare à Caulaincourt que, sur la question de
Polorrne, il ne transiaera jamais : 1& Le monde n'est pas
asgez grand pour que nous puissions nous arranger sur les
afraires de Poloßne, s'il est question de la restauralion d'une
mnnière qUf'lconque... II -<< Je veux à tout prix être tranquil-
lisé. >> nO,umiantsof rédige une note signalant les écarts des
I Y oir ci-dessus, p. 35
.
! A Fuuché, 18 juillet, 6 août; 1 Miollis, 10 août; 6, 10, fS août t809.
LECESTRE.
" .)uLtvellirl du due de Broglie, t. I, p. 76. - VULEMAlN, Souvt!nir
, t. I,
p. '21. Ain8i le8 80ldats et lea légi
te8 de rAJIemand Henri IV e& de Philippe
I. Bel.
380 CRISB DE L'ALLIANCE RUSSE. - i80D.
gens It qui arborent Ie nom de Polonais ", et demandant,
officiellement, des garanties 1.
Plus l'alliance russe devient précaire, plus Napoléon s'at-
tache au duché de Varsovie. II voudrait Ie fortifier. II avait
pensé à y adjoindre Ia Gallicie, qui s'insurgeait d'un si bel
élan à l'appel de Poniatowski. II comprit que ce serait pousser
trop vi te, trop loin; que les Russes ne Ie toléreraient pas;
qu'ils se jetteraient du côté de I'Autriche, et que, I'Autriche
n'étant point paci6ée, it fallait, à tout prix, soutenir Ie man-
teau de {'alliance. II écrivit à Caulaincourt, Ie 12 août, d'offl'ir
un partage de la Gallicie : les quatre cinquièmes au duché; Ie
reste, un million d'âmes environ, aux Russes. La négociation
avec I'Autriche se trouva, naturellement, suspendue à la
réponse d'Alexandre. Napoléon élèverait ou abaisserait ses
exigences selon qu'il verrait Alexandre favorable ou hostile
au dépouillement de I'Autriche. En attendant, il n'y avait
qu'à anluser Ie tapis. (t Évitez de paraitre pressé ", dit-il å
Champagny en l'envoyant aux conférences.
Puis it revint aux affaires de Hollande, affaires de prestige,
s'il y en eut jamais, et dOl1t Ie contre-coup se ferait nécessai-
rement ressentir en Autriche et en Bussie. Les détails lui arri-
vaient par bribes, et peu à peu l'affaire se révélait dans toute sa
gravité. D 'abord Ie désarroi du gouvernement: tout est perdu,
parce que des Anglais ont débarqué sur les côtes de Hol-
lande! "Je ne vois que M. Fouché qui ait fait ce qu'il a pu...
La couleur donnée à Ia France dans ces circonstances est un
déshonneur perpétuel... JJ lIs ont oublié les leçons de la Révo-
lution : 11 fallait publier des bulletins tous les jours. << On ne
dil rien au public! U - It II devrait y avoir déjà 20,000 Gardes
nationaux à Anvers! 51 u Mais il se ravise aussitôt : Talleyrand
es1 à Paris, Fouché est la seule tête du ministère, voilà Ber-
nadotte en Belgique avec une arnlée; les conjurés se sont ren-
contrés, il y a complot! " C'est un homme auquel il ne pent
se fier, dit-il de Bernadotte; it correspond avec lea intrigants
I :Note du 26 juillet 1809.
· A Clarke, 10 août; à Cambacérèa. it. août iSOIt
J
'Ârr AlAE DE WA.LCHEREN. - 1101. .11
de Paris! >> II envoie Bessières commander les gardes natio-
nales. II apprend que Cambacérès a donné Ie commandement
à Louis, en sa qualilé de connétable. n Je puis seul donner Ie
coullnandement, mande-t-il å l'archichancelier. II me tarde
d'apprendre que cette anarchie a eu son heure I. .
A mefure que les courriers arrivent, il discerne les fautes
cOlnmises, les occasions manquées; il corrige, il morigène,
lnais trop tarde II dicte des articles de gazette. II enlève Ie
commandement effectif à Jérôme; il mu]tiplie les ordres å
Clarke sur la défense de Flessingue, dont il imagine l'attaque,
sur les lambeaux de nouvelles qu'il reçoit I. En vue de la
reprise de la guerre, il prépare des diversions: la ruine finan-
cière et même politique de l'Autriche. II fait fabriquer de faux
papier-monnaie, il fomente des insurrections en IIongrie.
C'est une complication des ressorts, un enchevêtrement, une
trépidation de tonte la machine qui n'a pas encore eu sa
pareille, qui n'aura d'analogue qu'en 1813, au temps du
Congrès de Prague. On voit, en 1809, comment tout put se
rnjuster encore une fois, Ia coalition n' étant pas mûre; on
verra, en 1813, comment tout se rompit, la coalition étant
Faile. Or, en 1809, Ie prestige peut seul la prévenir, et c'est
à coups de prestige que Napoléon opère alors, sa victoire n'y
uyant pas suffi. II déploya dans celle crise, la plus redoutable
qu'il eÍ1t traversée, une fécondité de combinaisons, une pers-
picacité, une adresse qui l'égalent, dans les négociations, à ce
qu'il avait été, dans la guerre, aux jours qui précédèrent Aus-
terlitz et \Vagram.
J A Clarke, it août; ef. iløeptembre 1809; A Cambacérèl, i6 &04t; 1 Low.,
t3 août 1809. ROCQUAIII.
· 4 t'ouché. 16 août 1809. - Lettre. à Clarke, 13 août e'.uiy.
II' CRISE DE L'ALLIANCE RU8SE. - lS01..
III
Les conférences s'ouvrirent å Altenbourff, Ie 18 août, entre
Champagny,
letternich et Ie général NUGent. Napoléon était
à Schænbrünn, l' empereur François au château de Dotis.
.Nombre de personnages de marque aJlaient, venaient, entre
les résidences impériales et Ia petite ville où négociaient les
diplomates. Tout ce monde paraissait fort affairé et ne l'était,
réellement, qúe de la prétention de paraître faire quelque
chose; or, on ne faisait rien que délayer des notes, dresser
des protocoles et échanger des politesses. Napoléon observait,
ballotté par les nouvelles contraires : des journaux annonçant
un échec en Espagne, Flessingue pris, Anvers menacé; puis
les Anglais et les Espagnols, ] 20,000 hommes, battus en
Espagne J. II reçut une Iettre d'A]exandre, qui lui parIait de
II la ci-devant Pologne )); Ie même courrier, Tchernichef,
apportait une leUre du tsar pour l'empereur François i.
Celle lettre était décourageante. L'entente n'avait pu s'éta-
blir entre I'Autriche et la Prusse. La mission de Knesebeck
avait échoué. l\letternich devina Ie refroidissement croissant
entre Napoléon et Alexandre; it entrevit Ie moyen de prend re,
8uprès de Napoléon, pour l'apaiser, Ie surveiller etle tromper
6nalement, la place d'Alexandre. La nécessité de céder å
Napoléon tout ou partie de la Gallicie s'atténue par la pensée
que cette Gallicie serait un dissolvant de l'alliance entre la
France et la Russie, et fournirait, tôt ou tard, à I'Autriche
l'occasion de se rapprocher d'AJexandre. Ajoutez qu'une épi-
démie s' élait déclarée dans I' arlnée autrichienne; que ni r Es-
pagne, ni la Ilollande ne donnaient ce qu'on en espérait. Les
I JOleph li NapotéoD, 7,9 août {809.
I Alexandre à Napol';OD, 21 aoùt; A Françoil, 21 aodt; Napoléon à Cham-
pa6ny. i septembre 1809.
LA P AIX DE VIENNE. - 1809.
8SB
Anglais ne débarquaient pas en Allemagne. François décida
d'envoyer à Napoléon Ie général Bubna, avec une lettre.
)jubna, qui remplit plus d'une mission de ce genre, avait
séjourné à Paris"; il y était répandu; il pariait et écrivait aisé-
ment Ie français. "C'était, sous l'aspect extérieur d'un mili-
taire franc, ouvert, voire même un peu brutal, un esprit sin-
ßuIièrement fin, délié, rusé et plcin de malice. I "
Napoléon Ie reçut Ie 9 septembre i, et, dans une des con-
versations les plus extraordinaires qu'il ait tenues, mélange de
saillies soldatesques et d'insinuations subtiles, de menaces et
de séductions, il laissa enlrevoir un dessein, que
Ielternich
avait eu la s3rracité de pressentir, Ie besoin pour lui d'un allié
el )e désir que rAutriche pût, au lieu et place de la Russie,
devenir eel allié-Ià. II répéta, et plusieur$ fois, Ie propos qu'i1
avait tenu à Lichtenstein: " S'il Y avait un empereur à la
honne foi duquel je pusse me fier, comme Ie grand-due de
\Vürzburg ou I'archiduc Charles, je rendrais toute la monar-
chie autrichienne... Je veux avoir affaire à un homme qui ait
assez de reconnaissance pour me laisser tranquille ma vie
durant. Les lions et les éléphants ont souvent montré, dit-on,
des preuves frappantes de la puissance de ce sentiment SUI
leur cæur. II n'y a que volre maître flui n'en soit pas suscep-
tible. JJ Bubna proteste; Napoléon rappelle la paix de Pres-
bourg. Bubna parle du Tyro] que son elnpcreur désire recou-
vrer : eL
f ême si les Autrichiens étaient à
fetz, maitres de
l'ouvrage Sainte-Croix, celte proposition ne serait pas accep-
table; Ie T)Tl'ol ne sera jamais à Ia maison d'Autriche parce
qu'il sépare I'Italie et I'Allemagne... JJ Bubna insinua un mot
d'une alliance possible: ee - La maison d'Autriche n'en a
jamais voulu. Nous sommes deux taureaux qui veulent cou-
cher avec I'Italie et la Germanie; tant que la maison d'Au-
triche usera de discours pareils, it n'y aura pas moyen de nous
entendre... D Puis, iI se reprend: "Je ne dirai rien de I'Au-
I Souvenir$ du due de Broglie, t. I, p. 82.
t Napoléon à Çhampaßny, 10 et i5 septembre 1809; rapportl de Bubn..
BBEII..
8ß" CRISE DE L'ALLIANCE RUSSE. - 1809.
triche; je sens que tout lui est utile; que la Gallicie est hora
de ma position; que Trieste n' est bien pour moi que pour
I'unéantir; qu'il m'est indifférent que la Bavière ait un mil-
lion de population de pl1:2s ou de moins; que mon véritable
1nlérêt est de séparer ces trois couronnes (de la maison d'Au-
triche) ou de faire une alliance avec la maison régnante...
fHis la séparation des trois couronnes exige une guerre;
I'alliance est impossible avec l'empereur François. )) NapoIéon
veut la paix, dit-il. II prendra quatre millions d'hommes; il
e
t en mesure de les prendre; il fait grand état de la retraite
des AnrrJais en HollanJe : cette expédition lui a perln!S de
lever 200,000 hommes, qui vont s'ajouter à son armée d'AIle-
magne I...
Un courrier de Caulaincourt, qui arriva Ie 12 septembre,
montra Ie tsar disposé à un partage de la Gallicie; il ne
s'expliquait point sur les parts. Napoléon en tira cette consé-
quence qu'il pouvait restreindre à sa guise celie du duché
aussi bien que celIe de la Russie, et chercher ses avantages
ailleurs, où ils étaient plus clairs. II écrivit aussitôl à Cham-
pagny I :" La communication de la Dalmatie avec Ie royaume
d"Italie est Ie premier intérêt de Ia France; I'Innviertel, Ie
Salzburg, la haute Autriche, la Bohême, la Gallicie' ne sont
rien en comparaison de ce premier intérêt; nous n'avolls
aucnn intérêt sur la Baltique, aucun en PoloBne; mais nous
avons l'ambition de la }'léditerranée, nous avons I'alubition de
maintenir l'indépendance de Ia Turquie. t) II disait : I'lndépen-
dance et non I'intégrité, puisque la Russie allait dépouiller cet
empire, de concert avec Napoléon, de la l\loldavie et de 13
Valachie. Le 15 septembre, il renvoya Bubna avec une lettre
pour l'empereur François : if y laissait percer des vues d'aI-
liance; puis il dicta, pour Champagny, qui l'inséra, Ie 16, au
protocole, cet ultimatum: 1,680,000 âmes à prendre en Car-
niole, Carinthie, Croatie, Istrie, Trieste et tout ce qui restait
à l'Autriche des côtes de I'Adriatique, ce qui assurait å Napa..
18 .eptembr, t80
.
LA PAtX DE TIENN.. - 1800.
381S
Jéon ses pass3ges vers la péninsule des Balkans: it y prendrait
décidément pied en même temps que la Russie se poussait au
Danube; il exigeait 400,000 âmes en Allemagne, dans Ie quar-
tier de rIno; 2
û,OOO en Gallicie, C& à partager entre Ie roi
de Saxe et la Russie 1) . La Iettre cOlnmençaÎt par ces mots : ø II
faut presser les négociations tant que vous pourrez. ))
Entre temps, rassuré du côté des Anglais à Walcheren, lea
voyant travaillés par les maladie
; jugeant qu'à Paris Ie seul
ministre qui eût gardé du sang-froid, Fouché, avait trop vite
relevé son panache et ceint son sabre de proconsul et que, Ie
péril ajourné, la mise en scène révolutionnaire devenait com-
promettante, il oublia ses propres inquiétudes, ses ordres ner-
veux, ....es appels à l'opinion, ses levées de gardes nationales; it
reprit l'affaire en main et déclara que tout devait rentrer dans
l' ordre accoutumé. Illui convenait dès lors que cctte alerte
parût sans objet et sans portée. Bernadotte avait lancé un
ordre du jour d'où l'on pouvait inférer que Napoléon ne dis-
posait que de 15,000 hommes en IIollande. "J'ai intérêt de
persuader que j' en ai 100,000! u II pri t prétexte de cette
incartade pour se débarrasser de Bernadotte qui, après avoir
signalé l'impéritie de l'empereur, allait, sans doute, se poser
en sauveur de l'État. << II a des calculs médiocres. Je ne me
fie d'aucune manière à lui. II a toujours l'oreille aux intri-
gants. A la guerre, il est de même : il a Inanqué de me faire
perdre la bataille d'Iéna; il s'est médiocrement conduit å
'Vagram. " II l'écrivit à Fouché, et l'avertissemclll était à
doubles intentions, pour Ie dictateur civil ct pour son bras, Ie
dictateur militaire t. Comme si celte lettre ne lui semblait
point assez formelle, il en écrivit une autre, Ie lendernain,
ì la même adresse: a II est crin1Ïnel à un général de donner
e secret de ses forces à l'ennemi et à I'Europe. Je suis fati-
rué des intrirranls, et je suis scandalisé qu'un homme
[ue fai comblé de bienfaits prête l'oreiIIe à des misérables
lu'il connait et qu'il apprécie. Vous lui direz qu'il n'a
1 A Fouché, 11 .eptembre 1809.
!1I.
II
886 CI\T
E DE L'AI.lLIANCE RUSS!:. - tSOg.
pas vu un homme et reçu une lettre que je ne l'aie su... .
Bubna revint chez son maitre, persuadé que Napoléon dési-
rait la paix, rapportant que tout le monde 18 désirait autouf
de lui; peignant l'armée fatiguée, découragée, impatiente
d'en finir. II parut décidément aux Autrichiens qu'ils avaient
mieux à faire que de risquer leur existence pour rindépen-
dance d'une Europe qui n'existait plus. La continuation de Ia
ßuerre était I'affaire de I'Europe : la paix était leur affaire
propre. lIs s'y résiffnèrcnt; mais iis se débattirent sur les
conditions, en particulier sur I'Adriatique. lis préféraient ren-
voyer Napoléon en Gallicie, où chaque masure qu Ojl prendrait,
chaque Polonais qu'il annexerait, produirait une difficulté de
plus entre lui et la Russie. A tout événement, ils se mirent à
rédiger des manifestes et tout donna les apparences de la
ßuerre 1. Jeu de contenance fort inutile. Napoléon avait pris
la même attitude.
Bubna arriva à Schænbrünn Ie 20 au soir t. L'accueil, qui
8yait été quelques jours avant courtois, prévenant même, fut
hautain. ,,- Qu'apportez-vous, )a paixou la guerre?-C'est
à vous, sire, d'en décider. " II remit à Napoléon la lettre de
François. Nnpoléon la prit; avant Iuême de l'avoir lue, iI se
répandit en récriminations contre les ministres autrichiens
qui trompaient leur maitre; il insista sur Ie démembrement
de la monarchie, la nécessi té OÙ il serni t de séparer les trois
couronlles, l'intérêt capital qu'iJ avait à assurer la jonction de
la Dalmatie avec ses États d'Italie. (t Que s'il n'y avait pas de
ffuerre sur pied, ilia ferait pour cet objet. " Bubna, quand il
put placer un mot, déclara que son maître ne céderait point
sur cet article: {C Alors la gucrre est inévitable ! JJ Et, par un
geste qui lui etait familier, Napoléon jeta son chapeau å terre,
se retira, silencieux, dans ('emhrasure d'une fenêtre, et,
comme rêvant : " J'ai voulu mettre un terme aux victoires de
I Proto('ole dn
t lepteml-rr 1 '09 ""'r.LSCBINGEJt. - Françoi. II A NapoIéoD,
20 aeptembre 1809. KLlNl:KOWSTROJ<:M.
I Rapports de llubna, 21 leptembre i899! Baa. - Projet de lettre de-Napo.
léoD à Françoi. II.
LA PAIX DE VIENNB. - 1809.
88'
Ja France... Je serais obligé de reconnattre les décrets irresis-
tibles d'une destinée qui entraînerait la monarchie autri-
chienne å sa destruction. Que I'empereur François consulte
ses maréchaux, ses généraux; qu'il leur demande s'il est pos-
sible de me déloger d'ici... Quatre campaffnes n'y suffiraient
pas... Vous allez tirer en lonGueur, perdre quinze jours et,
finalemcnt, vous en viendrez à mes conditions... Vous ne vous
doutcz pas du danger qui vous menace. J'ai fait fabriquer
pour deux cents millions de billets de banque que je meUrai
en cirrulation I. Si la ffuerre reprend, je transporte ici la
fabrique... )) Finalement, il propose à l'empereur d'Autriche
de signer un armistice de six mois et de s'en rapporter à rar-
bitrage de l'empereur Alexandre.
L'audience avait duré trois heures. Napoléon lut la lettre
de François et y prépara une longue réponse qui n'était que
Ia transcription de son discours à Bubna '. II écrivit à Cham-
paffny I: ß Vous pouvez dire à M. de
Ietternich que si rem-
pereur veut abdiquer en faveur du grand-duc de Würzburg,
je livrerai Ie pays tel qu'il est, avec son indépendance actuelle,
ct je ferai une alliance avec lui qui permettra de 6.xer les
affaires du continent. u II revit Bubna, déclara qu'il ne se
relàcherait point de ses conditions, qu'illaisserait à l'empe-
reur " l'honneur de dénoncer l'armistice et de donner Ie spec-
tacle de démence inouïe, avant-coureur de la ruine totale.& " .
A moins, toutefois, que l'empereur n'abdiquât et ne sauvât
ainsi I'intégrité de la monarchie.
C'était Ie moyen Ie plus sûr de Ie réduire à la paix. Fran-
çois tenait à régner, par principe, par goût, par médiocrité
d'âm
, par subordination conjugale. II y eut un conseil de
famille au château de Dotis, Ie 24 septembre. L'impératrice
y assista et parla pour la paix. L'argument 6.nal de Napoléon
avait porté. Le lendemain, l'empereur François réunit Ie
J Cf. à Fouché, 6 septembre t809. I.ÆCESTRE.
I A
lart>t, 23 sepu'Lnbre t809 : minute jointe.
a 21septembre 1809.
A
hampa&ny. 22 septembre; à FrançoÎ8 II, A Maret, !3 leptembre 1809:
IS8 C RISE DE L' ALL I KNCB BUSSE. - iS09.
maréchal Bellegarde, Ie prince Jean d'e Lichtenstein et Ie comt.
Stadion. Bellegarde et Lichtenstein reproduisirenlleurs argu-
Inents conlre la guerre impossible à soutenir. II y fau-
drait, dit Stadion, une volonté de fer, une résignation et un
courage à toute épreuve. II demal1da définitivement son
congé. Lichtenstein partit pour Scllfcnbrünn, en compagnie
de Buhna.
Napoléon Ie reçut Ie 27 septemhre, et lui 6.t Ie meilleur
aecueil. II déclara que Ie COD3rès d'AItenbourg << n'était
qu'une farce imaßinée pour se jouer de lui, et
{eUernich un
jongleur diplomatique)); - "que ce cOllGrès devait détl1iti-
veInent cesser )} . It Les diplomates ne savent pas en 6.nir avec
une affaire comme celle..ci; nous autres soldats, nous nous y
entendons nlÎeux. >> II demanda que l' empereur Françoia
accréditât près de lui Ie prince Lichtenstein et ø en vingt-
quatre heures tout sera arrangé )) . François y consentit. Napo-
léon désigna
{aret pour Ie représenter, c'est-à-dire un simple
porte-parole. Quant à Lichtenstein, hon gentilhomme, mili-
taire vaillant, admirateur convaincu du génie stratégique de
:Napoléon, il n'imaginait pas qu'un si Grand homme de guerre,
un si grand soldat, püt être un diplomate redoutahle.
Les confél'cnces comJnencèrent aussitôt å Schænbrünn, et
Napoléon, dès la troisième, appcla Champagny. Tenant désor..
mais les Autrichiens, il y mil de la rigueur. C'est qu'il éprou-
vail une hâle croissúnte d'en finir avant que Ie secret de ses
embarras ne se trahit, se méfiant toujours que quelque aven-
ture, COHllne celIe de \Valcheren, que]que défaite en Espasne,
ne révélãt les discordes de ses généraux, ses conflits avec ses
frères et Ie vide qui se faisait dans la Grande Armée, partout
où il n'élait pas.
II ne connul qu'en ces jours-Ià mêmes I'excès des alarmes å
Paris, jusqu' où aussi Fouché avait poussé ses mesures, Illui
écri vit Ie 24! : (& V ous n1e rendez compte que partout les
cadres des gardes natiou[11es sont formés. Je Ie sais et n'en
I Cf. la lettre du 14 septembre 1809, à Fouché, lur lei levée. de iarde natio-
Dale en Piémont.
LA P A IX PE '.IEN
E. - iSOD.
389
Buis pas content.
Iettez tOllS vos soins à tranquilJiser Ies
citoyens et à ce que Ie peuple [Ie soit pas dérangé de ses occu-
11ations bahituelles. )) Le 26, il apprend que Ie peuple monte
Ja g-arde, aux environs de Paris, comme au temps de la Révo-
Julion. " tJne espèce de vertige tourne les têtes en France,
maude-t-il aussitôt à Fouché. Occupez-vous de tout calmer...
J'attache Ia plus grande importance å effacer ces fausses
mesures de manière qu'il n'en reste pas de traces. " Après
Fouché, Bcrnadotle : (( Si Ie prince de Ponte-Corvo est en
bonIle santé, écrit l' empereur à Clarke, et s'il veut servir,
cnvoye7-le en Catalogne... " Le 30 septen1bre, la colère
éclata et I'ordre pél'emptoire partit de cesser II tout ce mouve-
Inent u .
En Tyrol, la guerre des paysans continue; iI ordonne de
continuer la guerre de terreur contre <<ces brouillons I IJ. En
Italie, ce sont les moines qui se démènent depuis que Ie Pape
est interné à Savone. Napoléon, dès qu'il sera en force, les
supprimcra tous, I( S3.ns distinction I )J . Le ministre de Prusse
intrigue à Paris. I( Vous verrez, mande Napoléon à Fouché,
queUe can
1ÏIlz c' est que ces gens-Ià. Expulsez donc de ParIs
. 1 I : I
eel anima - a... ".
En IIollande, l'alerte anglaise écartée, toutcs les difficultés
du blocus rennisscnt. Au moment, Ia paix faite, de forcer
I'Anffleterre, Napoléon retrouve les résistances qu'il avail dû
négliffer pendant Ia guerre. (( Vous n'êtes pas roi, et ne savez
I)oillt l'être, écrit-il à Louis 4. II faut quatre choses pour être
indépendant en Hollande : des finances, une armée, une
Oottille et une fiotte, et une prohibition absolue de commu-
l.J.ication avec I'Angleterre. Sans cela, je n'aurai jamais fa
L :1ix... Je regrette de vous avoir donné un roraume OÙ vous
L'avez pr06té du palladium de mon nom que pour être utile à
r os ennemis et faire tout Ie mal possible au système et à la
I A Champagny, 28 leptembre 1809. LECJ:ITU.
I A Gaudin, 26 lIeptembre 1809.
· 26 lIeptembre 1809. tECESTRB.
6 211cptembre 1809. LItC
STRE.
390 CRISE DE L'ALLIANCE RUSSE. - 1809.
France. " II ne voit plus de ressource à tirer de ce pays que
pnr son annexion à l'empire. II s'y décide dès lors, sauf à
ajourner l' exécution : par les intrusions continues de ses
agents, de ses généraux, de ses douaniers dans les affaires du
royaume, iI a poussé Louis à bout de patience; il va l'entraîner
à quelque manifestation scandaleuse d'ingratitude, si aupa-
ravant il ne Ie réduit pas à abdiquer. II écrit à Champagny :
<< La HolJande trahit la cause commune... Le sieur de 1.13
Rochefoucauld fera bien comprendre aux ministres hollan-
dais que Ie résultat de leurs gralldes et adroites mesures sera
de perdre leur existence I. "
De même les villes hanséatiques. (( II n'y a rien de plus
avantageux pour la France que de laisser ces villes impé-
riales... 1) II ne Ies donncra ni à la I-Iollande ni à la \Vestphalie.
(( Je serai bien plus Ie maître de ces viIles lorsque je les aurai
sons mon autorité immédiate. u II en sera Ie p1 4 otecteur. De
là à s' en faire Ie souverain ct à les transformer en départc-
n1ents il n'y aura qu'un pas, vite franchi, si cUes résistent au
blocus I.
En6n, I'Espagne : les maréchaux abusent; iIs exaspèrent
les populations qui se révoltent. Le roi est sans gouvernemcnt
et sans prestige: i1 ne peut protéger ses propres peuples. Ncy
n'obéit ni à SouIt ni à Jourdan, c'est-à-dire ni au roi ni à
I'empereur. Joseph écrit à son frère, Ie 27 août : CI Lorsqu'un
maréchal ne m'obéit pas, que Votre Majesté Ie sait ct
qu'elle permet qu'il continue de commander son corps, il He
me reste d'aùtre parli à prendre que de marcher sur lui avec
les troupes qui voudront obéir, on à souffrir l'ignominie et la
désorganisatlon de l'armée; ou å supplier Votre
lajesté de
donner Ie commandement de ses troupes à un hOffilne autre
que moi; et comme la royauté tout entière de l'Espagne est
aujourd'hni dans Ie commandement de l'armée française, je
lupplie alors Votre l\lajesté d'accepler ma renonciation for-
melle au trône d'Espagne. u - (( On n'entend rien aUK granda
· if. octob.e 18?9.
A 9hampogny, i6 8cptembre
109.
LA PAIX DE VIE
E. - 1809.
S91
mouvements de la guerre å !Iadrid ", écrit Napoléon. II se
plaint que ses troupes c< manquent de tout, parce que ses
généraux n'ont aucuo pouvoir sur les provinces et... qu'il
faut que les commandants des provinces aient l'administra-
tion du pays... JJ II ne compte guère que sur Soult, encore
qu'il voie dans I'affaire de Lisbonne un vrai complot: "C'eùt
été un crilne, qui fi' eût obligé, quelque attachement que je
vous porte, å vous coosiJérer conlme criminel de lèse-ma-
jeslé. )I 1Iais il pardonne au souvenir d'Auslerlitz, de tant de
services relldus, de tant d'autres qu'il attend. tC J'oublie Ie
passé. Le roi n'ayant pas l'expérience de la guerre, mon inten-
tion est que jusqu'à mOll arrivée vous me répondiez des
événements... )) II le nomme Inajor général de l'armée
d'Espagne. C'est sa réponse aux doléances de Joseph; pour ce
qui est de la démission, il avisera, jugera de ses yeux. (C J e
veux moi-mêlne entrer Ie plus tôt possible à Lisbonne. " II
rèßle la formation de cette nouvelle al'mée d 'Es pagne. Dès
que la paix sera signée, et il compte qu'elle va l'être d'un
jour à l'autre, il suspenJra les mouvements vers l'Allemagne
et fera refluer les troupes sur Paris. c< Mon intention est de
faire 6.ler tout cela du côté de l'Espagne, pour en 6nir promp-
tenIcnt 1. JJ Peut-être, en route, poussera-t-il une pointe en
Hollande, a6.n de reprendre Walcheren, si ce n'est chose
accomplie: "J' espère y être moi-même alors... u
V oilà le
dessous des conférences de Schænbrünn et r on
s'ell expliquc les péripélies. Napoléon ne voulait plus consentir
aUCUll adoucissernent. Champagny dicte ou notitie les clauses
que les Autrichiens transmettent à Dotis. L'article des contri-
butions faillit tout remettre en question. Champagny réclame
134 IuiIlions d 'arriéré qu'il prétend faire payer par I 'État; il se
rabat sur 100 millions, mais n'en démord plus. Lichtenstein
parle de se rendrc auprès de l'eInpereur François. Champagny
déclare que l'empereur Napoléoll " reuarderait ce départ
COlliIne la rupture des négociations et que, cela fait, rien ne Ie
I Å Clarke, 15 août, 3 octoLre; à Soul t,
û scptembre j à Clarke, 20, 17 .ep-
'.mbl'c 1
C9. A Decrès a lit eeptembre 180S,
aD! CRISE DE L'ALLIANCE RUSSE. - 1809.
déciderait plus å en entamer d'autres; que, Ie jour même, it
preudralt possession de toutes les provinces occupées, les
distribuerait d'après sa convennnce, ferait planter ses aiß'les,
introduire Ie Code Napoléon, abolir les droits féodaux et
attendrait tranquillement les mesures qu 'adopterait Ie ci-devant
maitre de ces pays pour les arracher derechef à sa domina-
tion. " - C( Parlez clair, mande Napoléon à Champagny...
C'est se moquer de vous et de Dl0i. Je ne puis attendre plus
longtemps... Au fond la négociation devient ridicule. .
L'hiver approchait. Napoléon s'adoucit un peu : 100 à
200,000 Allemands de moins dans Ie quartier d'Inn; 900,000
Galliciens au lieu de 1,500,000 I.
François, en désespoir de cause, envoya Bubna chez Ie vieux
Thugut. Bubna trouva Ie ci-devant (( baron de la guerre 11 , Ie
contempteur de Campo-Formio et de Lunéville, devenu Ie
plus pacifique des hommes 2.
letternjch fut appelé définitive-
ment au ministère; l' eInpereur réunit un grand conseil. C( II
consent à payer 30 millions et si, pour Ie surplus, il n' obtient
.
ou remise absolue ou des modifications acccptables, il donne
l'ordre de rompre. Bubna revient à Vienne avec cette instruc-
tion. Du 8 au 13 octobre, les conférences se multiplient, ora-
geuses, coupées de menaces de départ. ChanJpagny fìnit par
réduire les contributions à 85 n1Ïllions, avec des payements
échelonnés.
Tandis que Ies Autrichiens se débattent, Napoléon prépare
son départ, ayant hâte de revoir Paris, d'y rétablir I'obéis-
sance, la con6ance et de partir pour I'Espa{}ne. 11 a hâte aussi
de quitter Vienne, OÙ il ne se sent plus en sûreté. De tous
côtés on lui dénonce la haine croissante des peupIes, Ie danger
d'une révolte générale, Ie fanatisme de la jeunesse : il inclinait
peu à y croire, n'y voyant que discours d'idéologues, agita-
tion de brouillons. L'événement Ie détrompa. Le 10 octobre,
pendant qu'il passait une revue, un jeune homme, presque
un enfant, s'approche de lui; on l'arrêle, on Ie trouve armé
· Â Champagny, 6 octobre, {809.
Rapport de Bubna, 2 octobr. 1809. BEEBe
LA PAIX DE VIENNE. - i809.
80a
d'un coutenu. II déclare se nornmer Fréàéric Staps, 61s d'un
pasleur de N uremberff' â{Jé de dix-hl1it ans; il n 'a' point de
complice, iJ a solitai.'ement couvé son dessein : il voulait
délivrer sa patrie et l'Europe du tyran qÙi les opprime. Napo-
léon I'interroge : " Que vouliez-vous faire avec ce couteau '/
- VOllS tuer. - VOliS êtes un fou ou un illuminé. - Je ne
suis pas fOll; je ne sais pas ce que c'est qu'un illuminé. -
Alors, vous êtes malade. - Non; je nle trouve parfaitement
bien porlant. - Pourquoi vouliez-vous me tuer? - Parce
que vous êlcs Ie malheur de ma patrie. - VOUS êtes une tête
exallée; je vais VOliS pardonner, VOliS faire grâce de la vie. -
Je ne veux point de pardon. - Si je vous accorde la vie, m'en
saurez-vous gré? - J e ne vous en tuerüi pas moins... JJ Ainsi
autrefois les Chouans, en Frnnce, et maintenant, en Esp::tffne,
les patriotes. L& Je n'ai démêJé en lui oi fanatisnle relirrieux, oi
fanatisme politique. II ne m'a pas paru bien savoir ce que
c'était que Brutus... écrivait Né1poléon à Fouché... II serait
possible que ce ne fùt rien... GLirdez cela pour VOUS, secrète-
tement, si l'on n 'en parle pas... V ous com prenez bien qu'il
fant qu'il ne soit aucunement question de ce fait I... II Ce fana-
tisme national déroutail Napoléon; SOliS cette fi{Jure nouvelle,
il ne rcconnaissait point la Révolulion. Depuis quand exter-
minait-on des n tyrans " en Allpmagne? De quoi se mêlait cet
Allemand, de qnclle patrie entendait..il parler, et d' où sortait
eet assa::;sin qui ne eonnaissait point Brutus? Slaps demeura
trois jours au secret, inlperturbable. On Ie mena au supplice ;
it mourut en criant : " Yive I'Alletnague! !\lort à son tyran ! .
C'en était fail des " bons Allemands ", comme des " bons
Gites d'Aliemarrne II .
Le traité fut signé, sous ces funestes auspices, dans la nuit
du 13 au 14 octob.'e 2. L'Autriche perdait 110,000 kilomètres
carrés et 3,500,000 ånles : Ie quartier de I'Inn' et Salzburg
étaient cédés à la Bavière; une partie de la Gallicie passait
au duebé de Varsovie : 400,000 âmes étaient réunies å la
I t2 octohre 1809.
I Traitå tit: ViennG. DB CLE1\CO, t. II. ë. 293, 2gS. - HIHLY. I. I.
395. CRISE DE L'ALLIAlSCE RUSSE. - 1809
Bussie J. Toutes les provinces ll1arÍtin:c5 sont livrées ù ld France:
'frieste, la Carniole, une partie de la Carinthie, de )a Croatie,
Fiume, l'lstric autri
hienne. Ccs tCl'l'itoil'es, joints à I'Islrie déjà
française, à la Dalmatie, à Raguse formeront les sept provinces
du (I gOllvernen1ent d'Illyrie " . Le Grand Empire s'étend à la.
péninsule des Balkans. François II reconnaît la conquête du
PortuGal, la royauté de Joseph, celIe de l\Iurat, la réunion de
nome, tous les changements faits ou à faire en Italie. II s'oblige
à rom pre avec l'Angleter.re et à entrer dans Ie système conti-
nental. II s'engage à réduire ses effectifs à 150,000 hommes;
sa monarchie tombe à 21 millions d'habitants.
N[lpoléon quitta Schænbrünn Ie 15 octobre, après avoir
ratifìé Ie traité. François Ie ratifia quelques jours après, avec
un dernier haut-le-cæur sur l'article des millions. " II ne se
fâche et it ne crie que lorsqu'il doit donner de l'argent J) , écri-
vait Gentz. l\Jellernich n 'acceptait Ie traité que pour Ie tourner
et la paix que pour se refaire : rompre en apparence avec I'An-
ffleterre, se rapprocher de la Russie tout en la supplantant å
Paris, se courber devant Napoléon pour qu'il leur permit de
vivre, et, vivant, d'attendre les occasions de.le détruire, telle
fu t sa politique, conçue dès lors, et patiemment suivie, avec
la souplesse d'un courtisan et la ténacité d'un conspirateur.
(( L'empire, serré comme dans un étau, n'élait plus libre de
faire un mouvement... !\Iais Napoléon avait dépassé les liJnites
du possible... J e prévoyais que lui et ses entreprises n' échap-
peraient pas à une ruine soudaine... Le quand et Ie comlnent
étaient pour moi des énigmes... 51 "
En chen1in, Napoléon trouva des nouvelles favoraLles : Ie
Tyrol cédait so us la répressioll impitoyable I; l'enncIni avait
élé refoulé en Portugal et en AlldaIousie ; la Prussc se trou vait
réduite à discrétion; les .Anclais évacuaient la IIoIlande. Le
blocus nllai t-il, enRn, devcnir une réalité et produire ses
elfets? II y suffisait, croyait Napoléon, de quelques mois de
>> Tr8it
de Lemberg, f9 mars 1810.
t !llémoires, t. I, p. 03-9
.
·
léJuo!lc
ùt. D..:t."drnoi3, p. :368.
LA PAIX DE VIENNE. - 1809.
395
persévérance et de tenue. NapoIéon en avait cherché les
moyens en Espagne, puis en Autriche; il va retourner en
Espagne : en finira-t-il, eetle fois, et l'immense comblnaison
va-t-elle Ie rendre maître souverain du continent? Les Anglais
tiennent encore en Portugal, et I'Espagne ne se sou met pas:
toute ceUe terrible guerre de 1809 ne fait que Ie ramener aux
conditions de 1808, au lendemain du coup d'Étal de Bayonne.
S'il rentre en Espaffue, la même bascule, de l'autre extrémité
de rEurope, menace de Ie rappeler encore, de
fadrid en
Poloffneo L'alliance russe n'cst plus qu'un simulaere : Napo-
léon l'a mise à l'épreuve et il n'y a trouvé que déception,
menaèe n1ême. II rétroßTade, là aussi, au delà de Friedland. II
discerne, dans Ie brouillard, je ne sais quoi d'inconnu, d'in-
compréhensible; un monslre politique aux yeux de l'ancienne
France, la Russie ella France voisines, en rivalité de limites.
Toute la théorie de ralliance russe, comrne naguère celIe de
l'alliance prussicnne, reposait sur l'éloißnement, la sépara-
tion, l'absenee de prétentions communes, et voici que pour
gaffner l'alliance russe, pour ilnposer à la Russie Ie système
continental, Napoléon a poussé jusqu'au ereur de la Pologne;
que pour s'assurer la domination de la
féditerranée et se
rendre l'arbitre des affnires d'Orient, il s'est poussé dans Ie
pays des Balkans : la France devienl, par ces annexes, une
puissance slave, une puissance orientale. Entre la II us8Íe et
elle s'élèveut toules les complications, toutes les jaluusies de
la question d Orient : la Pologne partagée, l'empi.oe ture å
dénlernbrer. Tant de ,rictoires n' ont done servi qu'à multiplier
les dilficllltés, el taut de victoires n'ont été possibles qu'à ce
prix! lnsensi blement, comme les montaffnes qui glissent, la
France s'affaisse sur I'Allemngne, sur rItalie; s'éboule vers
les
Iaves, les l\lusulmans, les Grecs. Loin de la soutenir, la
Rus
ie la rnine dðsol'lnais sourdement.
A Paris, cepelJdant, tout rentre, en apparence, dans la police
habituelle. L'Instilut délibère s'il déecrnera à Napoléon Ie titre
d'Auguste ou celui de Germanicus. Avec un bon sens égal à
I'immense orgueil qui l'anime, Napoléon répond A eel eour-
SO. CRISE DE L'ALLIANC! RttSSE. - 1.809.
tisans érudits et malnvisés : " Auguste n'a en que la bataille
d'Actium, Germanicus a pu intéresser les Romains par ses
malheurs .. " S'il était un titre que l'elnpereur pût désirer, ce
serait celui de César! Mais trop de petits princes l'ont désho-
noré. "Le titre de l'elnpereur est celui de l' Empereur des
Français. "
Iais est-ce encore un empereur de
Français, Ie
souverain de cet immense Empire OÙ la France ne semble
qu 'une province enserrée entre les énormes marches; où
l'armée française, in61trée d'auxiliaires, se délaie dans I
s
peuples étrangers? Napoléon pellt-il gouverner ponr la
France e,t par la France, sans ruiner la France par rem pire
ou l'empire par la France? Problème nouveau, Ie plus redou-
table de tous désormais, que soulève la paix de Vienne et que
posera décidén1ent la paix générale, si janlais elle est conclue.
Napoléon reparut encore une fois en France, victorieux I.
Paris lui ménagea encore un triomphe, se flattant que c'étaÍt
Ie dernier. Le Plablic ne connaissait que très incolnpJètement
la crise d'Essling; '\Vagram paraissait une glorieuse bataiJIe ;
la paix semblait avantageuse. On applaudit. n Quoique, dit un
contemporain I, la France payât ses conquêtes de son sang et
de ses trésors, eUe était loin d'être insensible à ces succès.
L' orgueil national était flatté; la nouvelle de chaque victoire
étail reçue avec enthousiasme. On oubliait ce qu'elle coûtait
pour ne voir qu'un résultat favorable à l'honneur français. Et
Napoléon, au retour des calnps, se trouvait réconcilié avec
l'opinion publique. " Toutefois, on commençait à répéter un
peu partout ce qui se disait nutour des meneurs, de Talleyrand,
de Fouché : que ce n'était plus la guerre de la France, que
c'était la guerre de l'empereur. On ne comprenait point cette
nécessité, où il se disait entraîné, de soumettre Ie continent:
on réclamait la paix avec J'Angleterre, toujours promis,-
depuis 1797, que chaque guerre, entreprise pour la gagner,
obJîgeait å poursuivre plus loin, comme si la victoire même
n'eût en d'autre effet que d'en dénlontrer l'impossibilité.
I A Fontainebleau, Ie 26 octohre 1809.
· "'
API'AL. M..s S.uvenirs SUI' No.po'ion.
LIVRE II
LE GRAND EMPIRE
CHAPITRE PREMIER
LB IfABIAGE A UTIUCBIElI
809-iliO
I
NapoIéon å peine nrrivé, tout I'empire lui retomba sur Ie.
bras I. Son histoire, épique dans les épisodes, est étrange-
nlent monotone en ses phases. Chaque traité reproduit Ie
spectacle des traités précédents; il faut bien cependant que
I'historien se répète, comme les événements : sinon l'enchai-
nement et Ia concordance des faits échapperaient; pour éviter
de redire les mêmes choses, il induirait Ie lecteur à supposer
que les choses ne sont plus les mêmes, et toute l'histoire en
serait faussée.
Le plus pressé pour I'empereur, comme en 179'7, comme
en 1801, cornme en 1805 et 1807, c'était de tirer les effets
immédiats de son traité, c'est-à-dire de contraindre lei
AnG"lais; de ne point laisser Wagram et Ie trai té de Vienne
tomber en caducilé comme les victoires et les traités précé-
dents et ne produire qu'une nouvelle guerre. Or, I'Anffleterre
n'était pas plus vain cue en 1809 qu'elle ne l'avait été en 1807,
1 Ouvragea de Frédéric Musolf, t. IV, Josi phi71t! ripudiit!., Marit!- Loui$t!;
Henri 'VELSCBI
GEft, Divorce de J.'Vapo/éo,.l.; ERlfOUF, J.l1an:t;
h.DItLIl'f, Fouchi;
TRILlTSCHKE; STERlf. - Corr. pubiiée. par Oscar ALIX; PIL"GAUD, Christian
SCHEFIì.l\, Bernadotte. - ltlémoires de Paaquier, Miot, l\leuerDicb, Sw-emaiD.-
ROCOUÃ1
1 NapQ!éoll d lø TO; Louis.
391 LE MARl AGE ÂUTRICHIEN. - 1809.
1805, 1800 : elle l'était moins. Pitt est mort du choc en
retour d'Austerlitz; mais I'Angleterre n'en a point été
ébranlée. Elle a même avancé, tenant toutes les lners; envahis-
sant toutes les colonies d'Esp
G
e, de France et de Hollande;
tournant ainsi Ie blocus continental en dél;>ouchés pour ses
produits dans I'Amérique et dans l'lnde; opprimant et rui-
nant les neutres; établie en Sicile, inexpugnable à
Ialte,
sillonnant cette l\iéditerranée dont Napoléon annonçait inces-
samrnellt la domination aux Français, barricadée en Portugal,
disputant I'Espagne; se retirant lorsque les Français avan-
cent, mais. avançant sur leurs pas dès qu'une diversion les
oblige à se porter ailleurs. Le blocus, s'il durait, pouvait Ia
ruiner; mais auparavant il ll1enaçait de ruiner les alliés de
:NapoIéon, de désespérer les peuples, de mettre les rois en
révolte, d'aliéner Ie continent à Ia France.
Toutefois, Ie cabinet, déjà divisé, se disloquait. Canning
et
astlere8gh ne s' entendaient pas sur la façon de mener la
guerre. Canning comptait sur I'E
pagne, ulcère aux pieds de
l'empire qui I'empoisonnerait. Castlereagh inclinait au sys-
tème qu'il préconisa en 1813 et qui devait faire de Iui un des
directeurs de I'Europe : Ia grande guerre continentaI
, par la
coalition irrésistible, la coalition des quaI7
e, Angleferre,
Russie, Autriche, Prusse. L'affaire de Walcheren, mal con-
duite, tourna contre ce système. II s'ensuivit une crise et un
nouveau cabinet. Perceval forma, à grand'peine, en sep-
tembre 1809, un ministère fort médiocre qui parut provisoire,
qui dura pourtantt. mais trouva, dans Ie Parlement, une vie
très difficile. Ce furent des années pénibles à traverser. Les
affaires étrangères échurent au marquis de Wellesley, frère
du général en chef de l'armée d'Espaffne, Arthur 'VellcsJey,
élevé à la pairie et créé vicomte de \Vellingtol1 après Talavera.
Ce fut ce soldat imperturbable qui en réalité fit subsister Ie
ministère et soutint Ia fortune de I'Angleterre dtll ant cette
longue crise. Les Anglais trou\ (
!cnt Ie temps Iourd et I'attente
coûteuse. Les ministres étaient résolus à continuer Ia gucrre;
mais, par moments, une lassitude extrême s'emparait du pays,
I3LOCUS :IT L:lS .LLIANCES. - tSOO. 39r1
se trahissait par des récriminntions, des découragenlents, des
enquêtes contre les généraux trop timides et trop lents. (C Le
désespoir, dit un historien anglais, a succédé dans la masse
de la nation à l'enthousiasme du premier moment; la Cité fit
même une pétition pour dClnander I'évacuation de la Pénin-
sule. Napoléon semblait invincible. I) Wellington s'entêta,
8ssuma la responsabilité entière. - " Je suis persuadé, dit-il,
que I'honneur et l'intérêt de mon pays exigent que nous
tenions ferme ici aussi longtemp5 que possible, et, s'il plüît Ù
Dieu, j'y resterai. I " AillsÍ plus tard à 'Vaterloo. Ce caraclère
valait, à la longue, du génie.
Tout se ramenait ainsi au blocus. II s'arrissait pour I'Angle-
terre de durer; il s'agissait pour Napoléon d'en 6nir, de
frapper un coup de hélier et de donner I'assaut, car la France
s'usait à eet investissement hyperbolique. A mesure qu'il
étendait les bras, il les sentait s'enffourdir. Le système con-
tinental n'était qu'un immense paradoxe économique et poli-
tique, institué par prodirre et qui, par sa duréc même, se
détruisait. La contrehande s'in6ltrait dans l'empire comme
dans l'Amérique du Sud. Elle pénétrait partout, dans la l\lédi-
terranée par les Grecs, dans I' Atlantique par les États-Ullis.
Le goût, Ie hesoin des produits anrrlais demeurait si impé-
rieux, 8iGuisé par la défense; Ie bénéfìce, avec les prix suré-
levés, devenait si gros qu'il se trouvait toujours des aventu-
riers pour Ie risquer. Napoléon lui-même ne pouvait se
défendre de rompre ses proprcs barrières, de distribuer des
licences qui étaient des privilèges temporaires de commerce,
un moyen d'enrichir des favoris, d'apaiser un moment les
clameurs. Comme lui, Ie roi de IIollallJe et I'cIDpcreur de
Russie en concédaient à leurs sujets. Or, Ie bJocus ne pouvait
produire ses effets que par une rigueur constante, univer-
selle.
L'Autriche y adhère par contrainte. Elle en souffre assez
pour que ses peuples Sf en exaspèrent contre Napoléon;
I GBBBN, t. II, p. 411.
"01 L. M.A.I\IAQ.E ÂUTI\ICHIE
. - 1800.
elle l'applique assez mollement pour que les elfets en soient
comme annulés. Elle n'a rompu que pour la forme avec I'An-
gleterre : Stahrenberg est rappelé de Londres; Bathurst a
quitté Vienne, mais, avant de prendre congé de cet Anglais,
fetternich a soin de lui dire que rien n'est fini, que la partie
recommencera, que la paix ne s'est faite que pour préparer
la guerre, et que I' Autriche recouvrera les peuples qu' elle a
perdus. Dans l'intervalle et dans l'attente, les deux gouverne-
rnents resteront en relations secrètes par Ie cornte Ernest
Hardenberg, ministre de Hanovre à Vienne. La Russie se
trouve en état de guerre déclarée avec l'Angleterre; guerre
étrange, comme celIe qu'elle vient de mener contrel'Autriche :
une guerre où r on ne se bat point, OÙ I' on cherche tous lei
tempéraments, où I'on se rend tous les services que I'on
peut. En Gallicie, les Russes ont occupé les places pour les
remettre aux Autrichiens. En Angleterre, on garde la flotte
russe en séquestre apparent, réellement en réserve, pour lea
temps meilleurs, et Ie béné6ce demeure double : la Russie
économise ses vaisseaux et ses marins; I'Angleterre ne s'en
voit point contrariée.
II faut bien que Napoléon ferme les yeux, ainsi qu'il
('a fait au
jours d'Essling. Si la Russie n'observe pas Ie
.
Jlocus, clIe contribue au moins pour un temps à Ie main..
tenir à I'état d'épouvantail; Napoléon est contraint de
lnénac'er Alexandre, et en Orient et en pologne., pour
flu'Alcxandre ne se jette ni sur les Turcs, ni sur les Polonais.
L'allinnce, toute néffative qu'elle est devenue, reste néces-
s3Ìre. Mais eUe devient d'autant plus exiffeante, qu'Alexandre
se sent davant3ge Ie maitre de ses affaires.
II a signé Ia paix avec Ia Suède, Ie 19 septembre : ce trailé
lui assure la Finlande. Le traité de Vienne, dont il affectait
.Je se dégintéresser, s'en remettant à la loyauté de Napoléon,
:1 I'esprit de ['alliance, lui cause une déception profonde : il
; ttendait plus. II se j uffe mal récompensé de sa 1\ IO)'3nté D.
!1 Ie dit à Canlaincourt. Une lettre de Challipaffny à Rou-
miantsof. qui arrive dans Ie courant de novembre J Ie rassé-
LE BLOCUS ET LES ALLIANCES, - i809. 4001
rène quelque peu. Chao1pagny écrit : " Sa l\lajesté appro1lve
que les mots de Pologne et de PoJonais disparaissent non
seulement de toutes les transactions poli tiques, I11ais même de
rhistoire. 1J Voilà, dit Alexandre, cc quelque chose dans l'es-
prit de ['alliance)).
Iais aussitôt il réclame davantage : un
enGagement écrit, un acte en bonne forme, moyennant quoi
it oubliera ce qu'it appelle ses 9,'iefs. C' est, déclare-t-il à
Caulaincourt, I'ultimaturn de son amitié. Roumiantsof accentue
ce langage. La Finlande étant annexée, il ne pense plus qu'à
la Poloß'ne. c& Les Polonais sont ivres, disait-il; il fant les
dégriser. )) Puis, revenant à un thème qui lui était familier:
cc L'empereur Napoléon, et en général tout Ie monde chez
vous, se tr
nlpe sur ce pays-ci... On croit que l'empereur
ffouverne despotiquement, qu 'un simple oukase 5uffit pour
changer l' opinion ou du Illoins pour décider de tout... L'im-
pératrice Catherine connaissait si bien ce pays qu'elle cajo-
lait toutes les opinions:.. JJ II conclut à quelque bon traité,
très prochain, bien large et hien clair, afin de cc nationaliser
l'alliance It I.
La disparition du nom de la Pologne? Roumiantsof et les
vieux nusses I'entendaient purement et simplement, dans
l'esprit des partaffes. Us redoutent, pour Ie repos des pro..
vinces fusses de Lithuanie, Ie voisinaffc de ce duché de Napo..
léon, OÙ l' on parle polonais, OÙ sc forrne une armée polonaise,
un monle d'institutions Ilationales. Us Ie redouteraiellt luême
si Ie duché passait aux Inaius de leur elnpereur. Les desdeina
d'Alexandre trouvaienl toujours, de ce côté, critique et con-
tradictions. Alexandre n 'avait point abandonné ces desseins,
et quand il demandait à Napoléon de lui garantir que la
Poloffne disparaitrait de l'histoire, ill'entendait de I'histoire
de Napoléon et de l'histoire de France. Pour lui-même, ille
comprenait tout à l'inverse : ou la PolOffne s'absorberait dans
la Rnssie, ou s'il la ressuscitô.it, ce serait so us son règne, à
rétat d'eK(
roissance parasite, aux flancs de son empire.
I Rappor
de Caulaincourt, 22, 30 octobre 1809, Albert V Aft'DAL.
VII.
18
40J LE MARIAGE AUTRICHIEN. - 1
09.
II ne se dissimulait pas qu'å la façon dont il concevait
I'alliance et dont il I'avait menée, elle tirait å sa fin; il ne
désirait pas la soutenir au point de ruiner I' Angleterre, et
surtout, par provision, de ruiner la Russie. Or, c'est à quai
r on Inarchait. Quand Napoléon répétait à Alexandre: que Ia
Russie tienne Ie blocus pendant quelques semaines et l' Angle-
terre saute! il ne savait pas ou ne voulait pas savoir que fa
Bussie sauterait peut-être la première, que les banquiers russes
fermaient leurs caisses, que Ie commerce criait à Ia détresse I.
Alexandre considérait que la rupture se ferait auparavant, et
il cornIIlençait à la souhaiter en son Arne, à la préparer subrep-
ticement. II remontait ainsi Ie cours des années, rev
nait aux
ambitions étouffé
à Tilsit : restituer I'Europe en son équi-
libre, les rois en leurs titres, les peuples en leurs droits sous
I'hégémonie russe.
Ces dispositions I'amenèrent à renouer avec Ie prince Adam
Czartoryski I. Les deux arnis de jeunesse se croyaient plus
loin l'un de I'autre qu'ils ne l'étaient en réalité. Aux approches
enveloppantes de Czartoryski, Alexandre se déroba d'abord,
insaisissable; puis, tout à coup iI parut se laisser arracher sa
pensée. Czartoryski se plaignait de l'abandon où Ie tsar laissait
ses compatriotes ; il avait lu la lettre de Champagny : <<C'est
pour plaire uniquement au tsar que la Pologne a été déçue de
toute espérance; Ie tsar pousse même l'anil110sité au point
d'exiger que Ie nom de la Pologne soit effacé de l'histoire 1... II
Alexandre s'en défend : n Ses sentiments personnels n'ont
pas changé ; mats les devoirs de sa position "obligent, et tout
chef de l'empire russe agirait de même." Czartoryski revient
à son thème de prédilection : I 'union personnelle du royaume
de Polorrne et de I'empire de Russle, les deux couronnes sur
la tête d'Alcxandre. Alors, Ie tsar baissant les yeux et sans
6.nir la phrase : CI Si, au moins, on pouvait s'attendre à
I Voir Ie rapport du cornte de Bray, 1.5 avril is!2, rétrospectif: .ituatioD eD
1810 et 181t.
I Conver:satioDø avec l'ernpereur, 12 novembrc, 26décemhre 1809. - Mémoirel,
I. 1111
LE BLOCUS ET LES ALLIANCES. - 1809. 408
quelque retour de la part des Polonais?.. " II revient sur
I'odleux des partages, origine de tous les maux de l'Europe.
" II ne voit de possible qu'une organisation séparée... " Mais
Napoléon n'y cOllsentirail jamais : u Son idée unique est
d'avoir toujours une influence sur les Polonais, de les dominer
et de les faire servir à ses r1esseins. " Dans Ie temps OÙ il
annonce à Pétersbourg qu'il effacera Ie nom de la Pologne, il
les fialte, par ses émissaires, de Ie rétablir. "Que Ie tsar n'en
fait-iI de même? inSlnue Czartoryski; que ne combat-il
Napoléon par ses propres armes? JJ Alexandre 6nit par mur-
murer: (( Que, sûrement, en cas d'une guerre avec la France,
il serait à propos qu'il se déclarât roi de Pologne, a.6n de
gagner les esprits à sa cause. u Et il Y sonffcra désormais avec
com plaisance.
De ce duché de Varsovie, marche et poste avancés du
Grand Empire aux confins slaves, il formerait une tête de
pont de la Bussie aux confins de I'Allemagne. II retournera
contre Napoléon la politique dont Napoléon a usé en 1807
et 1808 à l'égard des Polonaise Après avoir obligé Napoléon à
les abandonncr, à les livrer, å les décourager entièrement, iI
profitera de leurs déceptions; il leur laissera entrevoir, s'ils
viennent à lui, la reconstitution de leur patrie opposant sa
magnanimité au machiavélisme du Corse. En même temps
qu'il dispose cet appât aux Polonais pour les arracher à la
France, il aide les Prussiens å vivre sous les griffes de Napo-
léon, en attendant l'heure OÙ il les aidera à s 'y soustraire.
Les Prussiens, internés, en surveillance de haute police
et tutelle judiciaire, dans leur propre pays, sont comme Ie
condamné à mort, qui végète, sous un sursis. Au moindre
mouvemcnt de leur part, l' arrêt s' exécute : ils seront anéantis.
Or, les contributions les épuisent; s'ils ne payent pas, Napo-
léon gardera son gage, les forteresses; s'ils payent, ils seront
hors d'état de sustenter leur petite armée, d'acheter des
armes pour leurs réservistes, pour la landwehr. Voilà Ie
secret de leurs lamentations et celui des exigences de Napo-
léon, lIs refusent de payer, parce qu'ils ant besoin de leur
O
LE MARIAGE AUTRICHIEN. - 1809.
argent pour se preparer à la revanche, et Napoléon exige Ie
payement parce que c'est Ie moyen de prévenir de leur part
Ie complot dans Ia paix, Ie coup de désespoir dans la guerre.
Depuis Ie départ de Stein, Ie gouvernen1ent est comnle vacant j
tout est arrêté Le roi et ses perplexes conseillers n.aper-
çoivent qu 'nne issue., horriblement dangereuse: rassurer
Napoléon en Ie trompant et obtenir des délais de payement;
grâcc à ces délais, ménager une triple alliance de garantie
avec la Russie et Ia France, de telle façon que cette alliance,
nouée par Napoléon lui-même, se tourne en double alliance
contre lui; on Ia négociera sous Ie couvert de ses ambassa-
deurs : on Ie jouera en s 'alliant avec lui, afìn de se pro-
curer les moyens de Iui faire défection. Frédéric-Guillanme
lui dépêche Ie baron Kruselnark, avec une Iettre datée du
18 octobre. Deux jours après, Alexandre arrive à Kænigs-
berg. II foI'ti6e Ie roi dans cette politique; illui conseille
d'affeeler en tontes choses la déféI'ence cOInplète au système
f .
..rançals.
Napoléon n'en sera pas dupe. Les rapports que lui fait
Champaffny lui montrent, autour du roi de Prusse, un parti
nomLreux, actif, soutenu par la majorité du pays, poussant
à la ßuerre et qui, malffré son opposition patente å la poli-
tique officielJe, conserve la con6ance du prince. Le roi crie
misère; nlais iI porte son armée à 42,000 hommes, et, " sans
éclat ct sans bruit 1) , dispose des cadres pour nne autre
armée; c'est pour couvrir ces dépenses qu'il suspend Ie paye-
ment des contributions dues à la France; sur 26 Inillions exigi-
bles de mai å novelubre, il ne verse que 1,515,000 francs.
II proteste de sa bonne vclor:té; iJ se fait bonneur de sa résis-
tance aux sollicitations de rAutricbe: mais i] r'a rejeté ces
offres que pa1'ce qu.e les CirC()flSlaaCes 11e lui pa7'aissaienl pas
favol"nbles, et Ie mérite "en pJ'ovenait n10ins ùe la fern1eté (t
de ]a Ioyauté du roi fIne des événelnents de la guerre, qui
ne lui laissaient pas Ie choix d'un parti, ef 8ussi de l'influence
de la Russie 1J. :Napoléon Ie fait rudemel)t sentiI' à Kruse-
mark, qui al rive à Paris Ie 1 er novembre: A Pourquoi ces
LE BLOCUS ET LES ALLIANCES. - 1809. '05
40 J OOO hommes '! 6,000 hommes de Garde
vous suf6sent. Si
Ie roi ne peut pas me payer, qu'il me cède une province; si
cela ne lui convient pas, qu'il me donne ses dornaines I. "
II Ie tien t par sa créance, par son gage; il Ie menace de gar-
nisaires, de séqueslres, de confiscatiol1s. Les Prussiens finl-
ront par obéir! S'ils s'obstinent, iI ne lui restera qu'une
ressource : démembrer, réunir; et il en arrive là, fatale-
me
t, avec les ennemis comme avec les alliés, avec les rois
qu'il a abaissés et avec ceux qu'il a élevés de ses mains.
A Rome, iI 5'y résout sans effort, satisfait dans une de ses
conceptions favorites. II reçoit, Ie 16 novembre, les députés
des départements de Rome : u
Ion esprit est plein des sou-
venirs de vos ancêtres. Les empereurs français, IIles prédéccs-
seurs, VOllS avaient détachés du territoire de I' empire et YOUS
avaient donnes COIIlme .fiefs à vos évêques.
tlais Ie bien de
rnes peuples n'adtnet plus aucun morcel1ement. La France el
l'ItaJie tout entière doi vent être dans Ie fllêrne système. l\Iais je
n'entcnds pas qu'il soit porlé aucun chanßement à la religion
de nos pères : fils ainé de I'Église, je ne veux point sortir de
son sein... V otre évêque est Ie chef spirituel de I 'Église comnle
fen suis I'empereur. Je rends à Dieu ce qui est à Dieu, et à
César ce qui est å César. " II visitera Rome, it y établira une
cour II plus brillante et dépensant plus d'argcnt que celie du
Pape )). En attendant, il mande à Paris les cardinaux qu'iI
veut avoir S011S la main aCin, par eux, de peser sur Pie VII.
Le Pape, réduit à néant dans les choses de l'État, se refuse à
toute concession dans celles de I'Éalise, et, dans sa captivite,
selnble plus inaccessible qu'au Vatican. II faut lui rendre au
moins une ombre de gouvernement pour qu'il redevienne un
prince, un homme tanffible, vulnérable. Les cardinaux n'au-
ront ni sa vertu, ni sa mansnétude, ni surtout son désintéres-
scment. Si Ie Pape décline les accommodements, Napoléon
traitera avec les cardinaux et imposera Ie traité au Pape : il
Ie rétablira, en Avignon, COlnme aUK temps de Ia dépendance,
I Napoléon à Frédéric-Guiltaume.. 6 Dovembre 1810. - Fréd<<Íric-Guillaam. -.
Alexandre. 29 Doveulbre :1809. - .
'08 LE MARIAGE AUTRICHIEN. - 1.809.
sons les rois de France; illui donnera Ie palais, deux miUion8,
sa protection; il Ie tiendra dans sa main, et, par lui, tontc
l'Église qui deviendra, à la fois, sa haute police et sa diplo-
matie oceulte dans toute la catholieité 1.
n entendait que la Suède fit sa soumission entière : " Je
n'admettrai aueun arrangement qu'au préalable elle ne sous-
crive aux mesures de blocus. JJ Ainsi pour IIambourg et les
villes hanséatiques. II y envoie Reinhard, qui les admones-
tera : eUes se soumettront, on elles seront réunies. C' est une vue
arrêtée dès octobre 1809 s.
II
La crise des alliances s' étend, plus aiguë encore et pIus
inextricable, dans les royaumes inféodés. Comme Ie Direc-
toire avait vu se tourner contre la République française les
républiques sreurs suscitées par ses agents, et OÙ les peuples
émancipés prétendaient s 'apparlenir à eux-mêmes s, Napoléon
'Voit les royautés de son sang se tourner contre son empire.
Les peuples, en 1798, se eroyaient souverains en vertu des
Droits de rhomme proclamés par la Répuhlique française;
les rois se croient souverains par la grâce de Dieu, en vertu
même des décretsqui les ont créés. Les pactes de famille n'ont
pas produit les effets que Napoléon en attendait. Loin de'
cimenter Ie système continental, iis Ie minent; au lieu de for-
tifier Ie blocus, ils Ie paralysent. Étant rois, les frères veulent
régner, et il leur faut compter avec leurs peuples. lIs tentent
de nationaliser leur couronne et de populariser leur gouver-
nement, et ils travaillent contre Ie bloeus qui ruine leurs
peuples, qui rend leur royauté insupportable. lIs prétendent
I EXp08é del motifs do lénatue-consulte avec Je. réunione des clubs romain.,
17 février 1810.
I A d'Hauterive, !8 octobre 1.809. - LANG, Reinhal.J, p. 364.
· Voir tome V, Ii". II, chap. I : lei république. tributaires.
LE BLOCUS ET LES PACTE
DE FA
IILLE. - 1809. 401
devenir rois, ils COlTIffiPncent par cesser d'être frères. En
créant ces rois, Napoléon s'est créé nutant de riV'aux, ménagé
autant de factions hostiles dans Ie grand enlpire. (c Ce n'était
plus, disait-il plus tard, un lieutenant sur lequel je pouvais
me reposer; c'était un ennemi de plus dont je devais m'oc-
cuper... C'était moi qui, désormais, les gênais, les mettais en
péril... " II ne peut plus s'illusionner, malgré l'entêtement du
préjugé de {( son sang)) , de SOil clan. n Je ne clevais, disait-il
quelques mois nprès, non1mer que des gouvcrncurs généraux
et des vice-rois I. 1) II s'en trouve bien, en Italic, 3yee EUffène.
II y incline de plus en plus ailleurs, et la transformation,
annoncée dès 1808, semble imminente en HoJlande
. C' est
que ce pays se trouve plus directement sons ses prises ; qu'il
constitue son premier poste de douaDe, hors de ses frontières,
et qne l'exécution implacable du blocns devient la clef de
tout son système. Louis, par sa prétention de régner et de
gagneI' (( se::; reuples J), comme illes nommc, fait de son palais
royal Ie centre de la résistance nationale des Bataves, de la
coalition de tous les intérêts hollandais contre Ie Grand
Empire. (( La HoIJande est une province anglaise, lui écrivait
naguère Napoléon... Vous avez, par des mcsures fausses et
petites, perdu la IIolIande... Ce n'est pas en se plaignant
qu'on fait Ie métier de roi I." Son parti est pris : il va en user
avec ce frère comme il en a usé avec les vrais rois, les rois de
naissance ou d'éleclion, Ie Portugais, I'Espagnol, Ie Prussien,
Je Pape. La maison des ßonaparte cessera de réffner en Hol-
lande; Ia ci-devant république batave sera transformée en
départements français.
En conséquence, il réclame une augmentation des troupes
auxiliaires, 16,000 hommes, 200 chaloupes canonnières, la
répression de la contrebande, sinon il fera occuper les passes
· Rélpport de )fetternicb, 8 septembre :1.810.
I Voi,' ci-dessl1s, p 389, Napoléon à Loui!, 27 mars :1.808.
· A Lonig, 17 jnillet, 13 aOlÎt 1809. ROCQ,[,AH'. - DUCASSE, les Rois fr
res;
rapport3 de La Uochefoucal1ld, minilitre à la [-laye. - Cowparez t. V : la
H?llanùe f't Ie Dirèctoi,'c. &I La HoilandI' redevenait ce qu'eUe était jadi8 par 1.
faIt, UDe province antjlaise! . LA. HEVELLIÈRK, JU$lificatiQlls
t. III, p. 135.
,,"08 LE
IARIAGE AUTRICHIEN. - J.809.
par ses soIdats, il saisira les marchandises anglaises. La Roche.
fOUC
lld parle au roi Louis comme Delacroix parlait aux
républicains bataves, comme Saint-
larsan parlerait au roi de
Prusse : c, Je passai au systèrne général, à l'inexécution des
décrets de Sa àlajesté, à la Inanière extrêulement opposée à la
France dont toutes les affaires se traitent à la Haye; j'observai
au roi Ia nécessité de revenir à des principes qui seuls pou-
vaient sauveI' la Hollande. " Le roi réplique que s'il cédait sur
Ie principe de la souveraineté de la terre et des eaux, nil serait
perdu aux yeux de son peuple; que ses ministres ne faisaient
que ce qu'il voulait; que c'était l'attaquer directement que de
parler d'eux; que si l'elnpereUl' veut réunir la I-IolJande, il n'a
qu'å Ie dire sur-Ie-champ, parce qu'il voil. parfaitement bien
que c'est là Ie but de toutes les deolandes qui Ini sont faites... "
II ne cache pas que << sa crainte est qu'en Hollande on Ie
croie Français et qu' on Ie regarde COInine un affent de I' em-
pereur J) . II écrit à l'empereur: c, Céder, c'est abdiquer... Je
préférerais mille fois que Votre
Iajesté mit la couronne sur
la tête du prince royal 1. n
En'Vestphalie, Ie blocus n'es! pas même observé. Jérôme
Ie divertit, dépense, den1ande de l'arßent, rèffne et gou-
verne en prodigue. Naroléon Iui orßanise, sous Ie titre de
ministres, un conscil judiciaire, des censeurs et des surveil-
lants. Jérôme se plaint, s'emporte. II demande Ie rappel des
agents français. Leur présence est un scandale que sa dignité
ne peut souffrir! Ses Iettres restent sans réponse de l'elnpe-
reur. Sa situation est fausse. Est-it souverain, est-il sujct 1 II
finit par Ie refrain de tous les frères, mais avec plus de fran-
chise que Joseph et plus de bonhomie que Louis : " J'ai
désiré, sans doute, d'ayoir un peuple à gouverner; je l'avoue
å Votre Majesté, je préférerais vivre en particulier dans son
empire à être, comme je suis, souyerain sans nation... Votre
nom, seul, sire, me donne l'apparence du pouvoir... ..
apo-
léon l'autorise, à venir à Paris.
] Rapport de L. Rochefoucauld. 28 octobre. - Loui. à NapoléoD, !7 octohro
!809.
LE BLOCUS ET LES P ACTES DE F A1tIILLE. - tSOO. 409
Les affaires, momentanément, se relèvent en Espagne.
Joseph a pu rentrer: à
fadrid en août, et y célébrer sa rentrée
par des fètes somptueuses, au milieu de l'indifférence des
Esparrnols.
lais l'insurrection, étouf(ée sons les pipds des Fran-
çais, se rallume dès qu'ils soul passés. Les Français ne sont,
cornme les ruarins en rner, sûrs que de l'espace occupé par leurs
vaisseaux, et les vaisse
ux, séparés par les vents contraires,
manquent de direction commune. "Toutes les personnes que
j"ai entendues discourir sur la conquête, écrit Ræderer à I' em-
rereur I, s' accordent à dire qu'if est difficile qu' elle s 'achève
tant que Ie commandement ffénéral des différents CO) ps
d'armée ne sera pas exercé avec plus de vigueur. Elles désire-
raient que V oire
{ajesté se trouvål prochainemenl en posi-
tion de Ie reprendre d'une manière iUH11édiate; et, tout en lui
disant que Ie roi pent très bien gouverner rEspagne, eUes pen-
sent que V otre l\lajesté senle peut la conquérir. "
C'esl l'avis de Napoléon, et il s'y prépare. Dès Ie 7 octobre t
de Schænbrünn, il écrivait à Clarke. "l\.Jon intentiòn est de
réunir pour Ie commeneClnent de décembre 80,000 hommes
d'Íllfanlerie et 15 à 16,000. chevaux, pour entrer en Espagne
avec ces renforts. If Et it envoie à nayonne ses équipages de
earn paffue 2.
Cependant il ajourne son départ, retenu à Paris par cette
crise des affaires, ci'ise de vie privée, crise de famille, crise
de gouverllement, crise d'alliances qui, par son retenlisse-
ment en Europe et les conséqnences de toule sorte qu'elle
entraÎne, équivaut à une révolution dans Ie système de
l' empire.
1 JuilIet 1809. Tome III, p. 5
8.
I Qllar.rf'-vinn l cin(t mille hommel. A ClarJ{f>, 3f) octohre t809. JU'It'Jn'en j:m-
.ier 181H, il parlcra encore de
'y rerHlre. A ClarL.e, 21. 28 novewLro, 15 dé
cemLre 1
09; à BC1't.hier, au janvier 1810.
110 LE MARI-\GE AUTRICHIEN. - 1809.
III
Ainsi, pour tirer d u systpme continental I' effet qu'it en
attend, NapoIéon est pOllssé à prendre I'Europc conquise
en réffie après en avoir fait Ie clan immense d'une tribu
corse.
Iais ce n'est encore qu'un expédient viaffer. II
s'alarme pour l'avenir. Que deviendra l'empire, après lui,
entre ces mains débiles, avides et rivales? La rnême néces-
sité qui s'impose à lui s'il veut que l'empire soit une puis-
sance s'impose davanta{re s'il veut que cette puissance dure.
Le problème, tant de fois ajourné, de la succ'(,!'slon à I' em-
pire, ne comporte plus, après cet échec et cette déception des
royaun1es inléodés, qu'une
ollition : un hériticr direct. Dès
qu'il s'y arrête, .NapoIéon en découvre toutes les consé-
quences, en veut tOlH; les moyens : il entend que cet héri.
tiel' soit Ie seul maitre de l'empire; il entend Ie débar-
rasser de ces appendices gênants et dangereux dont il l'a
iln prudenlInent ffarni; qui menacent, s'ils croissent, de
l'éloulfer de leurs végétations parasites; s'iIs dégénèrent, de
relnpoisonner. Du nlêlne coup surffit en son. esprit Ie des-
sein de reprendre, pour I'hériticr de son sanG, ce qu'iI a trop
Iargement disLribué entre les compétiteurs de sa succession;
de sl1bstituer, après lui, à Ia désastreuse division de l'empire
de CharlemaGne l'unité de I'empire romain; au morcellement
de Ia France entre les apanagés de saint Louis et des Valois,
la centralisalion politique de Louis XIV. R Je me suis fait un
empire, je veux Ie conserver", disait-il à un émissaire de
Lucien, Les nécessités du blocus l'obligeaient å la tutelle des
royaumes de ses frères; la création d'une dynastie va
l'amener à réunir ces rOYHumes à sa couronne. Le sySlème
(onLÏnenlal combiné, en 1806, avec un système de pactea
Ln SYSTÈME DYNASTIQUE. - 1809.
'Ii
de fauliIIe se combinera désormais avec un système dyna,.
tiqlle 1.
Toutefois, il n'en forma point Ie projet d'une conception
6ubite; il ne s'y poussa point d'un conseil arrêté, par des
mouvements suivis et concertés. Sa conduite, en cette crise,
de novembre 1809 à mars 1810, paraît flottante, contradic-
toire. Les 615 s'emmêlent et se rompent; il faut renoncer å
enchaîner les paroles et les actes, se borner à les classer dans
I'ordre des dates; à les aligner, pour ainsi dire, par rang de
taille et par compagnies. C' est que la pensée de derrière la tête,
la pensée régente de toute la machine, Ie mariage, demeure
imprécise et incertaine jusqu'en mars, comme l'article
essentiel, Ie choix et Ie consentement de Ia femme. Or, jus-
que-Ià Ie reste demeure en suspens; Napoléon ne veut ni ne
peut rien trancher: il craint de découvrir prématurément ses
vues; de s' exposer à un mécom pte en cas de refus de la prin-
cesse recherchée; à des scandales nuisibles au mariage, en
cas de révolte de ses frères : il ne dessine donc que des
esquisses et ne prend que des demi-mesures, par allées et
venues. En6n, et cette considération est ici essentielle : c'est
affaire de famille, et, pour vouloir rornpre avec la politique de
clan, il ne s'est pas affranchi, il ne s'affranchira jamais ni
des illusions, ni des complaisances fraternelles, ni surtout
de cette pusillanimité, indigne d'un tel homme d'État, si elle
ne révélait pas en lui rho mIne -Ia crainte du qu'en dira-t-on
de sa tribu, des remontrances de madame mère, des accès de
démence de Louis, des crises de nerfs de ses sæurs, des gami-
neries et der, chatteries de J érôme, des censures de Lucien,
et des lnécontenlements de Joseph, l'aîné !
II trouvaiL dans sa cour, dans son gouvernement, dans Ie
pays, la même résistance des choses qu'il rencontrait en
I La substitution du I'!yst(.me dyn
tique au système des pacte. de (;:tmile 00
du clan f.t la coi'nciden('e des projets de mariar.e avec la politique de. repri8e
et
ahJic;:ttions, de dé,'elllbre 18m) à mars 1810, ont p.té mise8 en lum';'r
par
M. Fr,
Jél'ic Mauon av"c une force rpmarqu;:tble de ()émonstration : Napoleon
et sa famille, t. V et VI. - Convenation avec Campi, 3 février 1810, t. V,
p. 61.
412 LÈ MARIAGE AUTRICHIEN. - 1809.
Europe. Diffnitaires et Eonctionnaires Ise tenaient entre eux
quand ils osaient, en leur particulier et les portes closes, les
discours que les conseillers de Joseph murmuraient à son
oreiIle, aux temps périlleux et incertains d'Essling et de
\Vagram I : (C Le roi est estimé en France et très Rimé dans Ie
Sénat auquel on se rallierait. Son esprit éminemment pacifique
lui offl"irait la plus belle des chances. La France est lasse de la
guerre et mêtne de la plupart des conquêtes. On proclamerait
la paix et l'affranchissement de plusieurs pays réunis à contre-
ereur; par Ià on se concilierait Ie dedans et Ie dehors, I'AngIe-
terre elIe-même. I' De cetle résignation complaisante au désir
secret de ce len.demain paisible de jours trop précaires, it n 'y
ßyait qu'un pas, et la plupart Ie franchissaient. Les propos de
Talleyrand, de Fouch<\ de leurs af6dés, des ci-devant " amis de
l'Anglelerre JJ , des nouveaux" an1is de la Bussie" , trouvaient
d'étranffes et lointains échos. On se disait en soi-mên1e, on
chuchotait à scs intilues qu'Il marchait à l'abime et les y
enlraînait, en cortège, avec couronnes, coffres-forts, joyaux
et bulin. Les plus hardi
, les plus avisés; ceux qui se piquaient
de connaissances, fréquentaient les Inédecins, lisaient des
livres techniques, prononçaient tout bas Ie mot de folie;
citaient des cas; raisollnaient sur les analogies, Ie délire des
grandeurs. n '1 culcz-vous, disait Ie ministre de la marine JJ , Ie
lllinÌslrc des utopies et des déceptions, Decrès, (( voulez-
vous que je vous dise la vérité, et que je vous dévoile
l'aveni..? L'empereur est fou, tout à fait fou, et nous jettera
tous autant que nous SOIIJmeS, cuI par-dessus tête, et lout
cela finira par une épouvantable catastrophe '. JJ S'Il ne s 'ar-
rêtait pas, illes perdrait tous; par suite, ce væu secret que
quelque chose l'arrêlât : I'Europe, les hasards de la vie et Ie
pIlls naturel de tous à un homme qui se prodiguait et s'aven-
turait à ce dearé, la mort. Bref, se voir débarrassé de sa per-
sonne et conserver les bénéfìces de son règne. C& J' estimai
dès 101'5, écrivait l'un d'eux, qu'il n'y avait plus d'accommo-
t Frédéric
IASSOtl(, t. VI. Le royaume d'Espar,ne, p. 73.
I )hRMO
T, t. III, p. 336. - Ci-deslue, p. 359-360.
LJ: SYSTÈMJ: DYNASTIQUE. - 1109. 418
dement avec Napoléon. l\fes services lui demeurèrent .fidèles,
mais non mes væux I. "
Depuis l' enlèvement du Pape, Ie clergé devenait hostile.
Pour soumettre Ie Pape au blocus, Napoléon révoltait les
catholiques; pour faire du Pape son auxiliaire en Europe,
il s'aliénait des Français. Rien ne marchait là OÙ il ne donnait
pas de sa personne. Les hommes disparaissaient, dans l'ar-
mée; la Garde se bourrait de conscrits, et ce n'était plus la
garde si les conscrits partaient trop tôt. Puis la conscription
même se tarissait; les gendarmes se dispersaient à pour-
suivre les réfractaires. Les gén
ations nouvelles, servant par
contrainte et trouvant les grades occupés, ne s'enrôlaient
plus. Le matériel s'usait. C& II en a été consommé depuis
quatre ans pour cent millions; on n'en a remplacé que pour
quatre millions I. JJ Napoléon songe å des économies; à des
désarmements en Allemagne, en Italie, en Illyrie, Ci vu l'im-
puissance OÙ ses finances se trouvent de subvenir à tant de
dépenses I JJ . ßref, l'empire est incertain : il branle, il faut
Ie eonsolider, dé6nitivement et pourvoir au lendemain.
Aces complots tacites, å ce détachement des personnes, à
eet éhranlement des choses, Napoléon ne voit qu'un remède :
associer bon gré mal gré les hommes à Ia durée de l'elnpire,
par Ie même intérêt qui les avait associés à son établisse-
ment. Les lllotifs qui l'avaient conduit, en 1802, à se faire
décerner Ie consulat å vie, en 1804 à se faire décerner reln-
pire, Ie décident au divorce et au second mariage. On I'y
poussait autour de lui. Les frères et les sæurs par anitno-
sité incurable contre Joséphine et les Beauharnais; aussi
parce qu'un mariage impérialles ferait entrer dans Ia famille
des empereurs et des rois, où ils n'éfaient encore que des
intrus, arrivés par accident, tolérés par peur. lis se flattaient
que Ie mari3ge paci6erait Napoléon, Ie détournerait de nou-
velles entreprises et que, désireu.x de fonder sa dynastie,
I Reinhard â Gæthe, novemhre 1809.
· A Clarke, 20 novembre 1809.
· Aux ministrell de la cucrre, 18 décemLro 1809.
:;;
4i.. LR l\IARIAGE AUTRICHIEN. - t809.
il les laisserait tranquiUement fonder chacun Ia sienne. Les
tp'tUIJS diffnitaires, les maréchaux, les ministres pensai
nt
d
mêrne. Napoléon voulait les lier à son système; ils vou-
laient se lier à leurs cmplois et lier l'empereur à la paix,
c' est-à-dire associer la survivance de leurs places à la survi-
vance de son empire, et se préparer doucement à se passer
de lui. Paris aime les fèles, la France était avide de repose
Le mariage sernit populaire. Napoléon se persuada que,
dans cette occurrence nouvelle, il marchait encore avec l'opi-
Dion et continuait de gouverner la France comme elle vou-
lait être gouvernée.. .
II se persuada aussi que I'Europe y trouverait sa garantie.
Et il s'abusait, en cela, étranffement.
Après s'être fait empereur par la Révolution, après avoir
employé les forces révolutionnaires à conquérir un tiers du
continent el à dominer Ie reste, Napoléon, pour conserver sa
suprématie, croit possible d'y intéresser rEurope en se fai-
sant, à son tour, conscrvateur de l'ordre monarchique. II
est conduit de la sorte à sl1bstiluer à une. Europe vaincue
par la Révolution française une Europe confédérée, autour
de l'empire - français, en vue de réprir.ner les révolutions
issues, comme cet empire même, de la Révolution française.
Après avoir renversé tant de rois, menacé de déchéance ceux
qu'il daignait tolérer, il se flatte de les rassurer assez pour
faire d' eux les garants de leur hurniliation et de leur chute.
Erreur plus profonde et plus funeste que celie qui l'avait con-
duit à introniser ses frères. Les révolutions nationales, susci-
tées, proclamées, propagécs par la France continuent, malffré
toutes les apparences, de mener les peuples et les rois. II
en devait être des alliances dynastiqucs sous l'empire comme
des alliances républicaines sous Ie Directoire. Loin de
renoncer à leur væux de revanche par crainte de la llévolu-
tion, les princes étaient prêts à profiter des révolutions natio-
nales pour recouvrer les territoire
et la puissance perdue.
L'intérêt que trouvait Napoléon, arrivé à l'apogée, à enchatner
cette force natiúnale qui l'y avait élevé, portait ces princes å
LK S YSTÈ:\lE DYl'1ASTIQUE. - lS09. 41i
déchatner, pour Ie détruire, cette même force nationale et
populaire.
Napoléon parut vieiIli, alourdi, engraissé. II se trahit dans
tout son être un je ne s3is quoi d'arrêté, de dégénéré presque.
La magnifique croissance de son génie sembla désormais sus-
pendue : il n'inventait plus, il se continua. Au lieu de s'iden-
tifier aux événements, d'adapter ses desseins à la force des
choses, il se fit une méthode, un systè1ne, dans sa pensée
comine dans sa politiqlle. Au lieu de projeter, et d'agir selon
les circonstances réelles de I'Europe, il con1mença de se forger
une Europe selon ses désirs et scion ses besoins. La facilité
avec laquelle il s'abusa sur les complaisances de tout Ie monde
à ses vues; l'immense illusion qu'en prenant une femme de
naissance impériale ou royale il changeraii Ie cours des
affaires, les destinées de la Révolution en Europe, sa propre
destinée entin, décèlent en lui une altération profonde de ce
sens commun dans la pratique des affaires qu'il poussait jus.
qu'å la grandeur, et qui avait été, en politique, son plus
puissant moyen d'action. II croyait parvenir à ses fins en
s'engagcant sur les anciennes routes royales; il s'entravait
tout silnplement dans les ornières de la vieille Europe. II a
triomphé de tous, parce qu'il est différent de tous el supé-
rieur. II se ravale désormais au niveau du vulgaire des sou-
verains et devicnt un monarque comme les autres. Ainsi, au
Bonaparte maigre, inquiétant, prestigieux, que Ie monde
proclamait incomparable, I'lzolnlne que nul n'avait connu et
que Ie monde ne devait plus revoir, avait succédé Ie masque
du César classique; une médaille frappée par un coin tiré du
grand médaillier romain, au lieu du camée unique, chef-
d'æuvre d'un artiste sans pareil.
L'opération qu'iI médite est double: rompre Ie premier
Inariage et préparer Ie second. II importait de mener de
front les deux affaires et que les peuples apprissent à la fois
Ia répudiation de Joséphine et les fiançailles de NapoIéon
avec une illustre princesse. Rupture du mariage civil, annu-
lation plus compliquée du mariage religieux -Ie mariage par
'i8 LE MARIAGE AUTRICHIEN. - 1809.
surprise de 1804 I - c' étaient affaires d'intéripur, nffaÌreR de
famille, de chancellerie, d'officialité; affaire de cæur allssi,
ct qui n'allait point sans déchirements. Tandis qu'il se déltat-
tait et avec les souvenirs de sa jeunesse et avec les subtjlités
du droit canon - secondé dans la partie juridique de I 'ou-
vrage par l' archichancelier Cambacérès - fécond en res-
sources, sinon en artifices de .tout genre; aidé dans la crise
intime par Eugène qui éleva, en cette circonstance, son
dévouement filial à l'empereur jusqu'à Ia magnanimité, il
s'occupait de circonvenir Alexandre et de l'oblirrer de sortir
du nuage: ce serait l'épreuve définilive de l'alliance entre
les empires et de ralnitié entre les empereurso
II mulliplie les séductions autour du nouvel alnbassadeur
du tsar, I{ourakine, vieux, infatué, entêté de son génie,
entêté de noblesse et de grand monde, lent d'esprit, lonrd de
corps, ridicule par son embonpoint, rétalage de ses bijoux,
ses broderies, ses habits raides et pesants de brocart; aussi
susceptible que CI édule å qui savait flatter ses faiblesses;
d'une << insignifiance solennelle", dont il n'y avait rien à
attendre en politique, mais qui écrivait, et dont Napoléon
attendait qu'il écrivit en faveur du mariag-e. Le 22 novenlbre,
Napoléon fit adresser par Champagny une lettre particulière à O
Caulaincourt. ChampaGny lui prescri\rait d'aborder Alexandre
par ces mots: (( J'ai lieu de penseI' que l'empereur, pressé
par toute Ia France, se dispose au divorce. Puis-je n13uder
que ron peut compteI' sur voLre sæur? I n La lettre n'était pas
encore parlie lorsque arriya un courner de- Pétersbourgo
Alexandre subordonnait l'alIinnce à la pronlesse, écrite, de
Napoléon, de ne jamais rétablir la Polognc : il ne se contentait
pas de la déclaration verbale : "Sa
1;lJeste approuve que les n10ts
de Pologne et de Polonais disparaissent non seulerr1ent de
toutes les transactions politiques, mais Inê!ne de I'hisloire. IJ
II voulait un écrit. C' élait, disait-il, l'ullÙnaltan de son amilié
I Voir t. VI, p. 402.
I Lettre de Champanny; rapportl de C. ulaincourt, 22, 30 octobre 1.809..
VUIDAL. Voir ci-deuu8, p. 401.
LE SYSTÌt)IE DYNÄSTIQUE. - 1809. 41)
Napoléon délnêla du premier coup l'hostilité, Alexandre
entendait séparer les deux affaires que Napoléon avait intérêt
à lier: la suppression définitive de Ia Pologne et la main de la
grandc-duchesse. II possédait, par l'affaire de Po)ogne, un
moyen de contraindre Ie tsar; mais par contre, it s'exposait,
s'il ne jo.uait pas très serré, à se fairc joue r par Iui : en trat-
nant l'affaire du mariage, Alexandre I'amènerait à céder sur
l'article de la Pologne, sans rien promettre lui-même, et, nanti
de sa garantie, il saurait ensuite, sous un prétexte de reli-
gion ou sous un prétexte de famille, éluder Ia delnand(:o en
mariage. Napoléon joignit aussitôt à Ia lettre de Champagny à
Caulaincourt ce post-scriptum : (( V ous ne vous refuserez à rien
de ce qui aurait pour but d'éloigner toute idée du rétablisse-
ment de la Pologne. u
Iais it est sous-entendu que d'une main
Caulaincourt présentei'a Ie projet de contrat de mariage, et
de l'autre Ie projet de traité de garantie.
Toutefois,
apoléon se tint pour averti. II songeait å se
prémunir contre un refus. En politique, comme tin guerre, it
concevait toujours ses plans en double hypothèse, et, pour
Ie cas où Ia Russie sc déroberait, il avait déjà pensé à se
retourner vers rAutriche. Champagny, dans une conversation
avec Ie chargé d'affaires autrichien, M. de Floret, insinua sur
la personne de ]'archiduchesse
Iarie-Louise des propos assez
significatifs pour qu'à Vitnne, si ron avait quelques disposi-
tions, on engagcât des pourparlers. II se trouva qu'å Vienne
on était disposé. Mctternich, désormais maître des affaires, y
apportait sa merveilleuse souplesse diplomatique, S8 fourbcrie
supérie1.1re, sa dextérité mondaine, son D.i
ance dans les insi-
nuations, sa belle tenue dans Ia mauvaise fortune; son art,
enfin, presque impertinent à tourner un échec mililaire en un
succès politique. Illui fallait, à tout prix, Bagner Ie temps de
miner l'empire de Napoléon ou de laisscr cet empire s'écrouler
par son propre poids : si Ie sacrifice d'une archiùur.hesse
était nécessaire, l'archiduchesse serait sacrifìée.
Le 29 novembre, il eut avec
1. de Laborde, demeuré å
Vienne pour y achever les affaires de la guerre, une conver-
"fIt. 2'7
4f' LE MARIAGE AUTRICHIEN. - 1800.
satiou où iJ tint ce propos: cc Croyez-vous que l'empereu1' ait
jamais eu r envie réelle de divorcer avee l'impératrice? "
Puis il insinua, comme de lui seul, l'idée d'un mariage : <<Je
rCßarderais eet événement comme un véritable bonheur pour
vous et une ßIoire pour Ie temps de mon ministère. 1) Laborde
s'empressa de rendre compte à Champagny, et, peu après,
tout donne lieu de croire que Floret fut avisé de parler dans
Ie même sens, s'il y était sollicité.
IV
Napoléon n'avait point encore proc1amé la paix ni annoncé
les réunions nouveIles à l'empire. II a décidé, en principe,
celie de la HoIlande; il pense encore à se rendre en Espagne I,
bien qu'il diffère tous les jours son départ; mais son intérêt est
que I'Angleterre soit informée de son expédition et que I'Es-
pagne en ressente la menace. En6n, au moment OÙ il expédie
la demande en mariage à æétersbourg, illui importe de mani-
fester publiquement ses sentilnents cnvers Ie tsar. L'ou-
verture du Corps législatif, fixée au 3 décelnbre, lui donnera
l'occasion de s'expliquer sur toutes ses affaires.
II prescrit à Champagny Ie langarre à tenir å Louis : ø La
IIollallde ne peut plus exister dans la situation OÙ elIe sa
trouve. " Elle n'a ni armée, ni marine, ni finances. c' La
IIollande est Ie débouché de la l\leuse, de I'Escaut et du Rhin,
c'est-à-dire des grandcs artères de l'empire... La Hollande
cst Ie complément de l'empire... On ne peut forcer rAn-
t}'lelerre à la paix que par un blocus rigoureux; il faut que
la pol
ce soit faite ..sur les côtes de Hollande comme elle se
faIt sur les côles de Normandie...
.>> La lettre ne partit
point: Napoléon la ßarda en réserve. II préférait traiter l'af-
I A Clarke, 21, 28 novembre; 5 décembre 1809;
Bertbier, 30 janvier iSfO.
t Cf. t. IV, p. 269, Ie Comité de Salut public et la Hollande. Ce .ont Ie.
ll1êmes arguments.
PROJETS DE RÉUNIONS. HOLLAlSDE. - f809. ....19
f'aire de vive voix. II 6t insinuer à Louis de demander l'auto-
risation de se rendre àParis, ce que Louis fit aussitôt. Puis, de
la même plume qui autorisait Louis à quitter La Haye, il
é
rivit à Bessières, commandant en chef de l'armée du
Nord: C( Vous ne Inarchez pas avec la fermeté convenable...
Si Ie roi vous ffêne, ne l' écoutez pas I. " Louis partit pour
Paris Ie 27 novcmbre. En fait, il avait cessé de régner.
II arrive à Paris Ie 1 t'r décembre et descend chez sa mère.
I.e 2) Napoléon lui signi6e ses desseins : " La Hollande est
entièrement une colonie anfflaise, et plus ennemie de la
France que I'Angleterre elle-même... Je veux manger la Hol-
lande. " Louis choisira entre ces compensations : vivre eD
France, en prince français, ou avec un royaume en Allemaffne
.
Le 3 décelnbre, la décision de l'empereur est annoncée solen-
nelleinent. C'est un des articles du vaste programme qu'il
développe dans son discours au Corps législatif.
En premier lieu, les réunions accomplies: "J'ai réuni Ia Tos-
cane à l'empire. . L'hisloire m'a indiqué la conduite que je
devais tcnir envers Home... Les Élats romains sont réunis à
la France. Les provinces illyriennes portent sur la Save Ies
fronlières de mon Grand Empire. Contiffu avec I'empire de
Constantinople, je me trouverai en situation naturelle de sur-
veiller les premiers intérêts de n13 couronne dans la
féditer-
ranée, I'Adriatique et Ie Levant...
Ion allié et aIni, I'empe-
reur de Russie, a réuni à son vaste elnpire la Finlande, la
Valachie et un district de la Galicie. Je ne suis jaloux de rien
de ce qui peut arriveI' de bien à cet empire.
les sentÍrnenls
pour son illustre souverain sont ,1'accord avec ma politique."
Le pnssaffe sur la IIollande n 'était qu'une transcription de la
lettre à Champasny: (\ La IIollande est Ie débouché des prin-
cipales artères de mon empire. Des changements deviendroßt
nécessaires.... 3 I) II concl ut par celle menace emphatique
I A 1,{\uis. 21 novernbre: à He.'
si(
t"f>s,
O no\"emhrp 180!). !.ECE!\TRE.
I Fréd";ric
I\sso:s, p. V L'ahdic'ation de I.ouis. - HOCQL'AI:S, Dl1t:ASJiIt.
I t:omparez fE.xros é de La situlÁtio1l. de tempÙ'e. lUuuiteul' du 14 décembre
1809.
4-20 L
MAPdA{Þ:! AUTIlICI1IEN. - 1809.
à J'adresse des Espagnols et des Anglais: CL Lorsque je me
montrerai au delà des Pyrénées, Ie Léopard épouvanté
cherchera l'Océan pour éviter la honte, la défaite et la mort.
Le lriomphe de mes armes sera Ie triomphe du génie du
bien sur ceIui du mal; de la modération, de I'ordre, de Ia
morale sur la guerre civile, l'anarchie et les pasiions malfai-
santes. "
Restait à traduire les averti5sements en mesures effectives.
Napoléon reçut Louis Ie 5 et lui signifìa qu'il eÍ1t å abdiquer
s'il ne voulait voir une armée de 40,000 hommes enlrer dans
la Hollande et en opérer la réunion au Grand Empire. Le 6
au matin, Louis manda Champagny I. II "paraissait dans un
abattement voisin du désespoir. Ce n'était point son propre
sort qu'il déplorait" . II plaignait la Hollande, ilIa plaignait
&6 de tomber en ces mains redoutables u! Pour la sauver,
en partie, it offrit de céder à la France les pays situés sur la
rive gauche de Ia Meuse. La Hollande serait démembrée,
mais elle conserverait son roi; quant à lui, NapoIéon l'indem-
niserait avec Ie grand-duché de Berg. Du même coup, à
l'image de son grand frère, il se débarrasserait de sa femme;
il divorcerait avec Hortense. Napoléon ne voulut rien
entendre. II renvoya l'affaire du divorce å un conseil de
famille qui refusa l'autorisation '. Quant à la Hollande,
I'Exposé de la situation réitéra, Ie 12 décembre, la déclaration
du discours du 3 a. "La IIolIande n'est réellement qu'une
partie de la France; ce pays peut se dé6nir en disant qu'iI
est l'alluvion du Rhin, de Ia
Ieuse et de I'Escaut... II est
temps que tout rentre dans l'ordre nature!. " Et Ie 15, Napo-
léon commentant ce texte : " Je veux la réunion... J'ai besoin
d' une grande côte pour faire Ia guerre à l' Ang-Ieterre; je Ia
veux, par conséquent, jusqu'au \Veser. ))
Aux doléances de Louis, il répondit du ton et du
tyle de
J Rapport de Champagny, 6 décemhre :1809.
I A Cambacérès, 22 décembre f809. LECEITRE. - Con.eil de lamme,
décembre. MASSO
.
I }'loniteur du 1
décembre j .éance du Corp' léßi:31atif du i
.
PROJETS DE R ÉUNIONS HOI.LANDE. - i809.
!t
Sieyès aux députés bataves, en 1795. II fit Inieux, iI invoqua
ce précédent I : (I J'ai la douIeur de voir en llollande, sous un
print:e de mon sang, Ie non\ français exrosé à la honte... De
quoi se plalgnent les Hollandais? N'Qnt-ils pas été conquis par
nos armes? Ne doivent-ils pas leur indépcndance à In Généro-
sité de roes peuples?.. Vous devez comprendre que je ne me
sépare pas de roes prédécesseurs, et que, depllis Clovis
jusqu' au Comité de Salut public, je me licns solidaire de lout... "
- Le 24 mars 1795, Ie Comilé de SaInt public exigeait des
républicainf; bataves, appelés par la République française à
l'indépendance, ß1ais provisoirement, sous la conquête, (C la
limite portée au Rhin et au Waha1,jußqn'à Ia mer" . Le Comité
était lié, disaient les conventionnels, (I par les décisions de
I'Assemblée " ; faute d'y consentir, fa I-Iollande serait traitée
" comme pays conqais ,,'. La Ilollande était indispensable
pour réduire I'Angleterre. (( Prenons la Hollande, avait dit
Danton, et Carthage est à nous ! J) II la fall:lÏt assujettir 00
annexer: " L'en1boucbure du Rhin et celIe de]a Meuse doivent
m'appartenir, poursuivait NapoIéon. Le principe que Ie
thalweg du Rhin est notre limite est un principe fonda-
mental. J'avoue que je n'ai pas plus d'intérêt à réunir à la
France les pays de la rive droite du Rhin que je n'en ai å
réunir Ie grand-duché de Berg et les villes hanséatiques. Je
puis done laisser à la Hollande fa rive <.lroite du Rhin... n 11
exiffeait Ie blocus rigoureux, quatorze vaisseaux, sept frégates,
25.000 hommes; plus de maréchanx hollandais, suppression
de 18 l10blesse créée par Louis : ces derniers articles étaient
ceux de l'amour-propre, les plus sensibles à l'âme "royale" de
Louis! II voulait partir, se porter au milieu de n son peuple " ,
organiser la résistance. Comme Joseph, en 1808, it cherche
un souticn en Europe et s'adresse directement au tsar, ne
sentant pas à quel point ces sollicitations trahissent, dans Ie
présent, Ie désordre, et, pour l'avenir, Ie doute sur les desti-
I A. Loui!, 21 décembre 1800. RocQuulf. - Cf. t. IV, p. !40, 218, !TI.
819; et t. V, p. 225, 313-314..
I Inltructionø à Renbell et Sieyès, 4 mai 1795
4t! LE MARIAGE AUTHICHIEN. - 1.809.
nées de I'elnpire. II se met en relations avec Ie colonel russe
Gor
olj, aide de camp d'Alexandre, venu avec des ùépêt:hes.
Illui remet une lettre pour I
tsar, demandant (I la bienveil-
lance, l'amitié el l'nppui tout puissant ùe Sa Majesté impé-
riale J). II lui représenle que l'annexion de la Hollande
"achèverait l'indépendnnce de I'Anffleterre... " .- " La llol..
lande est l'entrepôt naturel pour Ie conlmerce du Nord et
intéresse directement V otre
Iajeslé I. J) Napoléon ianore ceUe
cdémarche, mais il interdit à Louis de regRaner la Hollande.
I( Sans doute, lui dit-il Ie 23 déccnlbre, pour y lever contre
rnoi r étendard de la révolte. Ccla ne se fera pas. J) II Garde Ie
prince royal en olaITe et, si Louis s'enfuit, (C la réunion sera
aussitôt irrévocr..blement décrétée. - Que ne me placez-vous
vous-mêrr1C sous la survcillance de votre police? - Vons Ie
serez comme tout autre quand je l' ordonnerai, " réplique
IS a poléon.
Louis se soumit, momentanément, et
apoléon se radoucit.
,(Jne nécociation en forme s'engaffca entre les ministres.
Napoléon rccu1a devant ce scandale de famille au mOlnent où
se né80ciait son mariaffe; il craignit I'inquiétude que la réu-
r ion de la IIollande jetterait parmi les princes inféod6s.
Puis cette arrière-pensée : avec l'alliance russe, il se f]attait
encore de " détruire Carthage ., ; mais si la Russie se derohait
à I'alliance, il faudrait chanffer Ie jeu, se retourner vers I'Au..
triche, renoncer à la grande contrainte contre I'Analeterre et
thcher de revenir, con1n1e au lendemain de LunévilIe, à nne
autre paix d'Amiens j; pour négocier avec I'Anrrleterre, la
I-Iollnnde offrait un interlnédiaire utile. La menace publique
d'annexer ce pays effraierait peut-être les An&lais et les enga-
gerait à traiter; s'ils s'y refu-saient, Napoléon aurait tout dis-
posé pour une réunion dont il rejetterait sur eux la respon-
sabilité et qui lui serait indispensable pour reprendre la lutte:
ainsi pour Ie Piémont, cntre Lunéville et Amiens,
I' Je ne puis, écrit-il å Chalnpagny Ie 6 janvier 1810.1aisser
. 19 ,1{.c('m1,re 18J9.
h
so
.
· Voir P'SQUIER, l'tlémoires, tt I, p. 3S9.
PROJETS DE RÉUNIONS J HOLLA
DE. - 1810. 423
.
cette nation l'auxiliaire de I' Angleterre... Insistez sur la néces.
sité de recourir à toute la puissance que Dieu ro'a dOllnée.
pour faire du mal à l'Ansleterre... J) - << II faut que Ie conseil
des ministres - de Hollande - écrive une lettre au secré-
taire d 'État des affaires etrangères d' Angleterre, qui sera
portée par un agent secret. Cette lettre fera connaÎtre Ie tort
qui résulterait pour l'Angleterre de la réunion, et que si l'An-
gleterre voulait éviter la confusion en Hollande, elle pourrait
Ie faire en entamant des négociations... )) Louis composa une
Iettre pour ses ministres; Napoléon la trouva trop faible; ilIa
renforça, et la leltre partit Ie 12 janvier 1810'. Puis, afind'Îm-
poser aux Anglai5, et surtout a6n de se mettre en mesure
d' étouffer les velléités de résistance qui se manifestaient en
Hol1ande, il mande à Oudinot d'occuper Berg-op-Zoom et
Bréda. Oudinot notí6e cet ordre aux Hollandais, Ie 14 jan-
vier : ils résistent. Napoléon menace Louis de marcher sur
Amsterdam, de décréter la réunion : C& S'il s'en allait, je réu-
nirais Ie pays 1 J). Le 20, il décrète la formation d'une arméø
du Brabant. cc Tous les pays situés entre la Meuse, l'Escaut et
I'Océan, formeront Ie territoire de cette armée. Þ Enfin, Ie
24 janvier, part pour La Haye une note destinée à amorcer
les négociations avec l' Angleterre ou à rejeler sur elle la
responsabilité de l'annexion. " Sa
{ajesté impériale se pro-
pose de rappeIer auprès d'elle Ie prince de son sang qu'elle a
placé sur Ie trône de Hollande, de faire occuper tous les
débouchés de la Hollande et tous ses ports par les troupes
françaises.)) Le 25, en transmettant celte note å se:; ll1inis-
tres, Louis ajoute : u Le sort de la Hollande dépend du Ininis-
tère anglais. " Oudinot exécute ses ordres et prend possession
des pays entre Ia
Ieuse et I'Escaut. Le 30 janvier, Ie l11vniteur
publie cette note à l'adresse de l'Angleterre : u Conlme un
des résultats de la première et de la seconde coalition a été
d'étendre les côtes de la France jusqu'å I'Escaut, Ie résultat
I A Clarke, i8 janvier; à Champagny, 19 janvier; Louis
Clarke, i8 janvier.
RocQuult. - Clarke à Oudinot, 2!.. janvier. DUCASSE. - .Note du 24 janvier
SlO:t-.. - .Napoléon à Champagny, .27 janvier 1810. LECESTßE.
t" LE MARIAGE AUTRICHIEN. - 1809.
de vos ordres du conseil de 1807 sera d'étendre les côtes de
la Franc: jusqu'à I'Elbe. "
Tout agité qu'il est par sa triple hypocondrie, morbide,
conjugale et royale; forcé de restituer par morcenux Ie
royaume qu'il voudrait garder, et de garder la femme dont il
voudrait se séparer, Louis comprend, à la fin, qu'il faut se
soumettre et chercher une transaction.
Tandis qu'il travaillait ainsi à se faire traiter en roi de nais-
sance, c'est-à-dire dépouiller et détrôner selon les formes,
Jérôme, plus aimé, plus adroit aussi à jouer des faiblesses de
Napoléon, continue à se faire traiter en frère, c'est-à-dire
combler d'argent, de terres et d'AlIemands. Napoléon l'avait,
comme Louis, fait venir å Paris; ill'admoneste sur ses deucs
et lui demande une note sur les conditions où se trouve 1a
Westphalie. Jérôme lui répond, Ie 6 décembre 1809 : (( Le
royaume de Westphalie ne peut se soutenir si, avec Ie IIallovre,
FuIda, Nassau et tous les petits princes enclavés dans son tcr--
ritoire, r en1pcreur ne lui donne point un débouché quel-
conque pour son comn1crce. " Napoléon y consent, en partie,
mais de façon à tenir JérÔlne et sa \tVestphalie plus étroitc-
ment liés qu' auparavan t; à lui rendre la vie pénible, l' obéis-
sance nécessaire; et, Caute d'obéissance, à se rendre, à lui, la
confiscation facile. Illui concèòe Ie I!anovre, moins 15,000 ha-
bitants et 4 millions 500,000 francs de revenu qu'il Garde à sa
disposition : it fixe l'arriéré des contributions à 1 G millions,
Ie contingent Inilitaire å 26,000 hornmes ; plus, jusqu'à la fin
d
la guerre, I'entretien de 18,500 hommes de troupes fran-
çaises, ce qui s' cntend , COfi1rne en Hollande, depuis Ie
traité de 1795 : (I Solder, nourrir, habiller ces troupes et
pourvoir à tous leurs besoins quelconques. J' Jérôme signe, les
yeux ferrnés, comme tous les prodigues, et s'en va annonccr
la bonne nouvelle aux États de Westphalie. La \VestFhalie,
dorénavant, était u une puissance u, et Ie carnaval continua
dans Ie royaume I!
I Traité tiu ilt j.nyi.r 1118. DJ: CLJ:I\t:t.
PROJETS DE RÉUNIO.NS, HOLLAlSDE. - 1810.
25
Quant à Joseph, Napoléon ne lui écrivait même plus. (& Le
métier que je fais est intolérable, fi1andait Ie roi... Si la con-
duite de l' empereur a eu pour objet de me dégoûter de l'Es-
pagne, son but est rempli. >> Et ce philosophe ajoutait, son-
geant sans doute å Marc-Aurèle : n J en' ai pas besoin de
couronne pour être homme, et je me sens assez grand par
moi-même pour ne pas vouloir monter sur des échasses 1. 1t
Marc-Aurèle commandait les armées, il succomba à la peine.
Sans rnême pousser jusqu'à ce degré Ie stoïcisme royal,
Joseph décida de partir à la conquête de I'Andalousie. Le véri-
table motif de cette expédition, c' était de se dérober à une
rencontre humiliante avec Napoléon. Mais Napoléon, en ce
temps-là même, renonçait dé6nitivement à retourner en
Espagne. II n'y prenait au sérieux que les AngIais, et il s Ïma-
ginait qu'en y envoyant
fasséna, suivi par Ney, appuyé par
Soult, il en aurait promptement raison. II s 'aveuglait sur
l'importance capitale de cette guerre d'où iI dégageaIt sa per-
sonne, où il engageait ses ressources. (I Si la guerre 'd
Espagne
dure, disait Wellington, I'Europe est sauvée. JJ Comme Napo-
léon prétendait diriger les opérations de Paris, et que Joseph,
incapable, se refusait au rôle de vice-roi, Napoléon se rejeta
snr un dessein conçu depuis queIque temps et qui était de
délnenlLrer Ie royaume, d'en réunir une partie å la France
et de gouverner Ie reste par ses maréchaux. C' était Ie seu)
moyen, pensait-il, d' en 6.nir promptement avec la guerre
et d'amener, au besoin, Joseph à abdiquer la couronne. Bref,
il inclinait à préparer, en Espagne, ce qu'il était en train d'a<>
complir en Hollande.
I Joseph à la reine Julie, 8 novembre 1809..
· Å Champagny, 28 janvier 1810.
.26 LE
IARIAGE ÂUTRICHIE
. - iSOg
T
Ces graves afEaires se débattaient au milieu des fêtes don-
nées en l'honneur des rois de Saxe et de Wurtenlberg. Ces
fêtes occupaient la galerie, et la présence des souveraius
détournait les propos qui cireulaient sur Ie mariage. On
parlait de 6ançailles avec une princesse de Saxe. En réalité,
les préférenees de Napoléon restaient à Ia Russie. II fit envoyer
au tsar son discours du 3 décembre; il y ajouta eet avis, dicté
par lui à Champaffny, qui Ie transmit à Caulaincourt 1 : (( Que
l' on ca1cule les moments, parce que, tout cela étant une affaire
de polilique, l'empereur a hâte d'assurer ses grands intérêts
par des enfants. " Point de grande-duchesse à Napoléon, point
de ff3rantie au tsar contre Ie rétablissement de la Poloffne.
C'est à prendre on à laisser, sur-Ie-champ, sans détours.
L'empereur "désire savoir absolument avant la fin de janvier
à qnoi s 'en tenir J). Les courriers de Caulaincourt motivent
celte e
pèce d'ultimaturn conjugal: ils ne contiennent pas un
mot du mariage; en revanche, des récriminations, des diffì-
cuJtés, des susceptibilités mesquines dans les affaircs de
Gallicie et dans celles des Principautés i. Napoléon pousse
l'esprit de conciliation, dans' les formes, jusqu'où il faut
pour montrer Ia vivacité de son désir. II fait tenir à Péters..
bOl1rg l'erposé de la situation, lu, Ie 12 décembre par Monta-
livet au Corps JégisJatif. Alexandre y pourra voir cette phrase:
cc Sa l\fajesté n'a jamais eu en vue Ie rétablissement de la
Pologne. ),
Iais la méfìance croit.
Le divorce a été prononcé Ie 15 décembre, aux Tuileries;
avec ceUe diffnité pompeuse que Napoléon apportait å tous ses
actes officiels. Le proeès est entamé devant l'officialité. La
I 12 décembre 1809. Alhert VANDAL, t, II, p. i9
.
I Note à Champacny, 17 dicembre. LXCESTRE. - A Caulaincourt, f7 décemb...
1809.
METTER
ICH - 1810.
'!7'
période d'incertitude ne peut se protonùer. Napoléon souge lIe
plus en plus à se ménager une retraite et un en-cas. L\)cca.
sion &'en offre. L'anlbassadeur d'A.utriche, Ie prince Scll\var-
zenberg, est arrivé à Paris; Floret a reçu ses directions. n
s'en ouvre adroitement à Sén1onviHe, entremetteur quaIifié en
poIilique et référendaire par tempérarncnt. lis se rencontrent,
pour Ie piquant de !'affaire, à un cercle de Joséphine, l'un
des derniers qu'elle ail tenus aux 'Ituileries. II Eh bien, dit
Floret, insinuant, à voix basse, voilà donc qui est décidé?..
- 1l paraît, répond Séll10nville : l'affaire est fnile parce que
VOllS n'avez pas youIu la faire vous-même. - Qui YOUS
I'a dit? - !Ia foi, on Ie croit ainsi, Est-ce f{u'il en serait
811trcment? - Pourquoi pas"? - Serait-il vrai que vous fus-
siez disfJosés à donner' une de vos archiduche:5ses? - Qui. -
J.
Qui? V ous, à la bonl1e henre; mais volre ambassadeur? -
J'en réponds. - Et
I, de ;\Ietternich? - SnIlS difficulté. -
Et ren1pereur? - Pas davantarre. - Et la belle-mère qui
nOlls déteste? - Vous De Ia connaissez pa-s; c'est nne femme
alnhitieuse, on la déterIninera quancl et comment on
YOHdra. " Laborde, de retour à Paris, vit Sch"T3rzenberff, lui
soufHa de se (( teoir prêt à tout événcment ". Les Beauhar-
nals, Joséphine toute la premlère, sont antirusses : Joséphine
cède la place, mais que ce soit au moins à nile autre
J1r1
"
Antoin('Ue; ses préjugés d'ancienne cour ct .-I'anciell ré
IilJ1e
se retrouvent jusque dans cette catastrophe de sa de
linée.
La corr.:.tesse
Ielternich passait à Paris. Le 2 ja Ilvier,
elle est mandée à
I ahnaison, et la reine de Honande 1'1
accueille par ces mots : "v ous savez que nous sommes tous
Autrichi
ns dans l'âme; mais VOllS ne devineriez jamais que
mon frère a eu Ie couraGe de conseiller à l'empereur de
demander votre archiduchesse. u Joséphine inlervieut et.
insiste: "II fant que nous tâchions d'arranger ceIa; " c'est Ie
seul moyen de sauver I'Autriche et d'éviter un schis.lne! La
comtesse Ie Inallde aussitôt à son mari I.
I
a comtease Metternich 1& Ion mari. 3 janvier 1810.
28 LE
ARIÅGE AUTRICBIEN. - 1810.
Metternich a déjà entrepris son maitre. Le 25 décembre, it
éCl'it d Schwarzenberg: n Si Ie divorce a lieu, il serait pos-
sible que l'on vous sond
t st1r une alliance avec la maison
d'Autflche... Je connais un parti qui, à Paris, s'emploiera
très directement en faveur de cette idée : c'est celui qui,
depuis longtemps, vise à rncttre des hornes aux bouleverse-
ments de I'Europe. "Si Napoléon fait une avance à l'Autriche,
c'est qu'il ne songe pas, pour l'instant, à la détruire. " L'em-
pereur, notre auguste maître, a, dans toutes les occasions,
prouvé que Ie salut de I'État est la première de ses lois. 1J II
autorise Sch,varzenberg à recevoir les ouvertures qui lui
seraient faites, sous la réserve que rien, dans Ie mariage, ne
sernit contraire aux préceptes de la reliö.ion. Ce mariage, qui
garantirait l'existcnce de I'Autriche, rODlprait l'a
iance russe.
C& Je regnrdc cette affaire comme Ia plus Grande qui puisse,
en ce moment, occuper I'Europe " , écrit
leUernich à Ia com-
tesse 1.
Cependant Napoléon, ne recevant aucun avis de Péters-
bourg, s'inquiète sérieusement de difficultés dont il avait
affecté de tenir peu de compte: l'âffe de la grande-duchesse,
sa religion. Le 9 janvier, l' officialité diocésaine déclare nul Ie
mariage religicux avec Joséphine. Cette sentence enlève tout
obstacle de principe à un nlariage autrichien. Toutefois,
Napoléon s'psl trop avuncé avec la Russie pour l'eculer. II
lai
se à Alexandre Ie soin d' en décider.
VI
Alexandre se f1.atte de jouer Napoléon. II persi
te å séparer
les deux at-faires que Napoléon tenait à Her: la Pologne et Ie
ßlal'Îage. Roumiantsof, qui ne considère que la Pologne, pro-
I Cf. rapport d'ensemble à Fr3nçoil II, i 7 janvier i8i1, r'trolptc\if. - Met-
teroieh , sa fouami; à _ Schwarnl1berc, 21 janvier ii!G.
- - It<.
L
POLOGNE ET LE M
ftl
aE RUSS!:. - i810. 429
fite des dispositions OÙ il voit Caulaincourt pour lui présenter
un erojet de convention OÙ on lit cette phrase : n Le
royaume de Pologne ne sera jamais rétabli. u Caulaincourt
avait pour instructions a de ne se refuser à rien u sur cet
article, et il consentit; mais il avait reçu, dans Ie même
courrier, l'ordre de demander l'archiduchesse I. II saisit la
première occasion d'adresser sa demande au tsar. II dînait, Ie
28 décembre, au palais.- L'empereur, au sortir de table, ren-
. tretint longuement, avec toutes les marques de la confiance.
Caulaincourt prononça les paroles signi6catives. Alexandre,
tout en souriant, éluda la réponse, alléguant la nécesstte où il
était de consulter sa mère, alors absente de Pélersbourg. II
connaissait la répugnance de cette princesse; il prévoyait Ie
scandale de sa famille et de sa cour. II Ie prévint. u Que
pensez-vous, dit-il au grand-duc Constantin, de ce fat de Cau-
laincourt qui s'avise de me parler ici d'un mariage entre solf
maitre et ma sæur? - Ce que fen pense? répondit Ie grand-
due. Je ne crois pas qu'il y ait de j...-f... dans notre famille,
voilà mon avis I. II L'éloignement de l'impératrice mère se
trouvait fort à propos. Alexandre entra en correspondance
avec elIe et les courriers mettaient du temps entre Tver
et Pétersbourg. II consentit, sans résistance, à lirer en lon-
gueur, sous prétexte de sentiment, de religion. II prépare
un refus, mais ille traînera de telle façon que Caulaincourt
finira par signer Ie traité de la Pologne, et que Napoléon,
impatient, Ie rati6era. S'il réussit dans cette manæuvre sub-
tile, Alexandre remporte un double succès qui Ie relèvera
devant sa cour, devant I'Europe. Les rôles seront changés.
Napoléon sera réduit au personnage assez peu flalleur de
prétendant évincé, de parvenu éconduit : la Russic rccevra
sa garantie de Pologne et ne livrera point la grande-d uchesse.
La convention fut signée Ie 4 janvier 1810.
C' était compter sans la clairvoyance de Napoléon et
ans
l'adresse de Metternich. Napoléon reçut les rapports de Cau-
I Voir ci-delsu8, p. r,.16-
17. Instructions d u 12 nOVi"
)l'e 1809.
I Mém.i,'cs du comte de Moriollel, p. 255.
480 LE l\IAfiIAGE AUTRICH lEN. - i81.0.
laincourt Ie 27 janvier, perça Ie jeu d'Alexandre et retourna
Ie siena Alexandre cherche à u filer son refus )) du mariaae ;
Napoléon va" filer son refus J) de ratification, et, dans I'inter-
valle, il se sera nanti d'une princesse qui, sur l'article de la
naissance Be Ie cédera point - tout au contraire - à la
ßrande-duchesse et offrira cet avantaae de ne soulever aucune
difficulté de reliffion. Dès lors, disait-il, it importe de ne
point paraHre essuyer un refus en Russie et de préscn
er Ie
rua rÜ\ff
autrichien, non comme un pis-aller, mais comme un
succès politique.
Le 28 janvier, les plus augustes personnages de l'empire
se réunirent aux Tuileries, et l' empereur mit son mariage
en délibération, tout comme si ricn n'eût été entamé et qu'il
s'agÎt de choisir, pour hautes raisons d'ÉtaL, la future impéra-
trice des Français Les donneurs d'avis, sauf Talleyrand,
ignoraient Ie dessous du jeu; leurs opinions, toutes spécula-
tives ou intéressées, sont de peu de conséquence. Personne
ne s'avisa de proposer une Française : trop peu de naissance!
lais, au delà des fronlÏères, ainsi qu
en la consultation clas-
lique d'Assuérus :
Chacune avait sa briffue et de puissants suffrages.
Lebrun, duc de Plaisance, demeuré reJativeluent moJeste,
opina pour une Saxonne et reunit, dil-on, jusqu'à trois voix,
dontla sienne. Le concours s'établit entre la Bussie et l'Au-
triche. )lurat, en sa qualité de roi révolutionnaire de Naples,
en conflit avec Ie roi de SiciJe et sa femme, Ia terrible
Iarie-
Caroline, sæur de
Iarie-Antoinette
grand'mère dc l'archi-
duchesse f\larie-Louise, se prononça contre l'Autrichienne. II
redoutait un retour à l'ancien régilne, à l'ancienne étiquette,
une réaction de cour et d 'État contre les << nouveaux rois ".
Les CI nouveaux grands ", au contraire, inclinaient vcrs
l'A.utriche, convaincus que ce mari:1ffe consoliJerait la 'paix;
que Ie renouvellement de I'alliance de 1756 avec une Autr iche
trop abattue pour devenir redoutable, mais assez forte pour
être utile, détournerait l'empereur des expéditions lointaines
LA POLOGNE ET LE MARl AGE RUSSE. - 1810. 481.
vl;"rs I'Orient, vers I'Inde où l'entrainerait l'alliance _ rU8se.
En ce sens opinèrent Ie prince EUffène et
faret. Fouché
gardait, en son particulier, peu de goût pour les souvenirs du
21 janvier et du 16 octobre 1793; il ilnaginait qu'une archi-
duehesse, nièce de
Iarie-Antoinette, ne les goûterait pas plus
que lui-même. Otrante et son duché n'avaient rien effacé.
Peut-être ce roué croyait-il au libéralisme d'AJexandre, å
),influence du (& vertueux " La Harpe; au penchant du tsar
POUI les ci-devant jacobins et terroristes, devenus libéraux,
à t;U manière de haute police? Le grave Cambacérès agitait
probablement quelques arrière-pensées du même genre. Ce
judicieux personnage opina que la guerre serait inévitable
avec la monarchie à Iaquelle I'empereur n'aurait point
demandé son iInpératrice, et il conclut qu'il valait mieux
affronter, en ce cas, I'Autr
che que la Bussie. Quelqu'un
hasarda cette observation: " L'Autriche n'est plus une Grande
puissance. )) - c; On voit bien, interrolnpit l'elnpereur qui
,jusque-Ià avait tout laissé dire, que vous n'étiez pas à Wa-
gram. " Talleyrand se confondit en circonlocutions : il était,
par excellence, Ie chef de ce "parti " autrichien sur Iequel
con1ptait
Ietternich, et sa politique Ie portait de ce côté;
mais il était engagé, depuis Erfurt, au service d' Alexand re; il
écrivait à eet empereur, les besoills d'arrrent Ie travaillaient
sans cesse; il en recevait, il en demandait davantaffe 1. II
ménageait I'Autriche, it ménageait la Russie, it ménaffeait
son propre avenir. Napoléol1 inclinait évidemment à I'Au-
triche. Talleyrand jUGea imprudent de Ie contrarier; peut-
être d' ailleurs, en favorisant cette alliance, oblifferait-il
Alexandre, qu'il débarrasserait d'une demande importune, et
1Ietternich dont il seconderait les desseins. Le bruit se répandit
que l'Autriche l'avaif emporté dans Ie conseil.
Le 6 février, l' emperc3f ne douta plus des intentions
d'Alexandre. II lut, ce jour-Ià, les rapports de Caulaincourt
en date des 15 et 21 janvier : la Russie n 61ait le refus IJ
I Voir 88 Jettre du 251eptembre 1810, pubJiée dans leI Débats du 28 mai 1898,
par M. Boudreau.
3' LE r,IÁRIAGE AUTRICftIEN. - 1110.
òe la grande-duehesse et se flattait d'enlever, sons main, Ie
traité sur la Poloß'ne! II avait disposé sa eontre-manæuyre,
et ne perdit pas une heure. Schwarzenberg reçut, Ie jour
même, la demande officielle de l'archichesse; eet ambassa-
deur se trouvait en mesure; il se déclara prêt, sauf ratifica-
tion de son maitre, à signer sans désemparer. Et du même
coup Napoléon se retourna vers la Russie. On I'avait écon-
duit, en offìcier de fortune; on lui faisait sentir Ie déplacé de
In prétention et l'excès de la mésalliance. II répondit, soIda-
tesquement, en César qui avait destiné les honneurs de sa
couche à la fille de quelque Scythe barbare ou de qUl\1que
vague Sarmate, et qui, trouvant une princesse de marque
lupérieure, répudie la 6ancée d'expédient. c& Vous ferez con-
naitre, écrit-il à Champagny, que les opinions ont été parta-
gées entre les princesses russes et autrichiennes... que l'em-
pereur a remarqué que la princesse Anne n'était pas encore
réßlée; que quelquefois les fiUes restent deux années entre
les premiers signes de nubilité et la maturité; que rester
trois aDS sans espérance d'avoir des enfants contrarierait les
intentions de l'empereur; que, d'un autre eôté, Ie terme des
dix jours I était expiré Ie 16, et que Ie 21 il n'y avait aucune
réponse ; qu'il avait été question à Erfurt de Ia princesse
Anne, mais que Sa Majesté se croit suffisamment libre d'en-
gagement, puisqu'il y en a jamais eu... " Voilà pour la
grande-duchesse; voici pour la Pologne et Ie traité signé par
Caulaincourt. Visant droit au dessein caressé par Alexandre
de se déclarer roi de Pologne: " J e ne puis pas dire que
Ie royaume de Pologne ne sera jamais l'établi, car ce serait dire
que si un jour les Lithuaniens, ou toute autre circonstance,
allaient Ie rétablir, je serais obligé d'envoyer des troupes pour
m'yopposer. )) II commande de rédiger une nouvelle conven
tion par laquelle il s'engagerait à ne donner (( aucnn secours
ni assistance à quelque puissance ou à quelque souJèvement
interieur que ce puisse être qui tendraient à rétablir Ie royaume
I pemandé par Alexandre pour donner une réponse pOliti"..
LA POLOG
E ET LX MARIAG-E RUSSE - 1810. ill
de Pologne... I IJ Ces notes dictées, il y ajouta ce billet: C& Je
vous prie, ayant de vous coucher, d'expédier Ie courrier en
Bussie... Demain au soir, quand vous aurez signé avec Ie
prince Scll\\'arzenberg, vou
en expédierez un second pour
faire connailre que je me SUIS décidé pour l' Autrichienne.
V ous viendrcz denlain à mon lever. Portez-moi Ie contrat
de Louis XVI et l'historique. Écriv
z ce soir au prince
8chwarzenberg pour lui donner rendez-vous demain å midi I. JJ
(& Tout cela est une affaire polilique I. I) II menait l'affaire
comme une opération de guerre, l'investissement d'une capi-
tale, un autre Auslerlitz : séparer les Austro-Russes, forcer
Alexandre à la retraite, bâcler avec J'Autriche et d'un revers
déconcerter et atterrer les Prussiens. Dans cette même
journée du 6 février, iI leur envoie cel ultilllatum : payer
quatre millions par mois å partir du I'r janvier 1810, ou ces-
sion de Glogau et d'une partie de la Silésie". Ului importe,
en effet, de les placer SOliS Ie joug ou de les dépouiller
avant qu 'AIexandre ait Ie tenlps de leur conseiller la résis-
tance et de leur offrir son appui.
Le 7, Ie contrat de mariage fut signé. NapoIéon régla Iui-
même, relais par relais, la marche des courriers de Paris à
Vienne et de Vienne à Paris : arri vée du contrat Ie 13, ratifi-
cation Ie 14, retour du courrier à Paris Ie 21 ; déparl de Ber-
thier, Ie 22; Ie 28 ou Ie 29, delnande offìcielle de l' archidu-
chesse; Ie 2 mars, mal iage par procuration; C& la princesse
achè\'-era Ie carnaval à Vienne et ell partira Ie 7, jour des
Cendres Ii. JJ EUe sera à Paris vers Ie 26.
I A Champagny, 6 février; Corr., t. XX, nO t6,178. Voir, en note, lea te'l.tel
de. deux conventions, 4 janvier et 9 février 1810.
t A ChampaGny, 6 fevr:er 1310.
I Champagl1Y à Cau!aincourl, 13 décembre 1809. Voir ci-denuø, p. 4-26.
, A Champaf,ny, 6 février 1810.
A Champaßny, 7 féVl,ier 1810.
\U.
28
3'"
LE MA'RIÄGE AUTRICIIIE
.
181.0.
VII
COHuue en lontes les grandes affaires, Napoléon poussa Je.
conséquenccs. Ce nlariage commandnit toute la po1itique, et
toute la politique s'en ressentit. Des ménagements d'un côté,
en Hollande; des exigenccs, de I'autre, en Espagne. C'est
qu' en vue de la paix possible avec l' Angleterre it convenait
de ne point supprimer immédiatement la Hollande, et qu'en
vue de la même paix il fallait s'assurer les positions domi-
nantes en Espagne et en Allemagne ; lier l'Autriche par avance ;
établir puissamment Ie statu quo sur lequel on traiterait, ou
que, à défaut de traité de paix générale, on obligerait rAu-
triche à garantir.
Ainsi, Ie 8 février, I'Espagne est divisée en grands com-
mandements entre les maréchaux; eIle sera traitée, partout OÙ
les maréchaux s' établissent, en pays conquis; Ie 21 février, la
Catalogne est quasi réunie : on arborera, cc au lieu de l'éten-
dard espagnol, I' étendard français et catalan 1J , on ne cc souf-
frira aucune communication entre les habitants et Ie roi; ni Ie
roi ni ses ministres n'ont rien à voir en Catalogne... II est des
parties de l'Aragon qui sont indispensables à la sûreté de la
France .. II est done possible que mon intérêt et celui de Ia
France ne soient pas d'accord avec celui des ministres de
1\Iadrid I 1J . La nonchalance de ce gouvernement est (( incon-
cevable 1J . L 'Espagne est décidément trop onéreuse. U ne seuIe
compensation, et il y a songé au temps de Charles IV : se faire
céder les territoires jusqu'à l'Èbre. II en prépare l'annexion
Comment y contraindre Joseph? II n'en voit pas d'autres
moyens que ceux qu'il emploie en Hollande : Ie dégoûter du
règne, l'acculeràl'abdication, car, pas plus que Louis, Joseph
) j Berthier, 8, 21 février; à Clarke, 10 février 1810.
LES
OCES ET LA POLITIQUE. - t8tO. 4.85
ne con
cntira de bonne grâce å démembrer n son royaume II .
Napoléon en vient alors å regretter la comédie de Bayonne:
Iei' Bourbons dégénérés se montraient plus complaisants que
ces Bonaparte exaltés de leur royauté récente. II songe å
renouer avec Ie prince des Asturies, Ie captif ennuyé de
V alençay. Que ne consentirait pas ce prince pour recouvrer
Ia couronne? La combinaison, esquissée à Madrid I, d'un
mariage entre Ferdinand et la fille de Lucien revient å la
pensée de l' empereur. 11 fait venir à Paris cette Charlotte
qu'il avait été question, un moment, de donner à Ferdinand.
L'opération présenterait encore cet avantage, c'est que,
débarrassé de I'Espagne, il pourrait, en cas d'une guerre
avec Ia Russie - qu'il faut prévoir désormais - rappeler
son armée. L'Espagne a coûté 300 millions, eUe absorbe
200,000 hommes, et voilà Joseph sur Ie même pied que
Louis.
Louis se débat, détraqué tour à tour et rusé; obstiné dans
tous les ca. et répugnant irrésistiblement à l'idée de (( cesser
de régner )) comme un Bourbon, un Bragance, un simple
Brunswick. Illui échappe des mots d'une lucidité surprenante
en son hypocondrie: ,c II n'y a point eu d'empire d'Occident
jusqu'ici. II va y en avoir un bientôt vraisemblablement i. .
Champagny était à bout de procédures et de patience. Napo-
léon recourut à Fouché. Fouché se tenait aux affuets, dési-
reux de faire oublier a. l' empereur Ie mécontentement OÙ
l'avait jeté son excès de zèle, et aussi son retour d'énergie
onventionnelle dans l'été de 1809. II lui fallait, à tout
?rix, se rendre de nouveau nécessaire, se rendre populaire,
t Ie moyen, c'était, aux approches du mariage, de procurer A
a France la paix et à l' empereur Ie loisir de donner une
Iynastie å l'empire. Talleyrand passait pour Autrichien.
ouché avait, depuis longtemps, jeté son dévolu sur I'Angle-
erre. Ce policier, très délié, grand machiniste de complots,
:onnaissant toutes les intrigues, pour y avoir mis la main,
1 Voir ci-des8ul, p. 21
, 233.
I A Napoléon, 4 février i81.. ROCQ1T
Il'(;
436 LE MARIAGE AUTRICHIEN. - 1810.
toutes les factions pour yavoir manæuvré; il se piqua toujours
de haute diplomatie, et rêva, toute sa vie, les Affaires étran-
gères, convaincu d'y réussir par ses moyens de cabale, et
persuadé que, s'il réussissait, il évincerait à jamais l' éternel
rival, devenu I'alIié d'occasion, Talleyrand. La diplomatie
n'était, pensait-il, qu'un préjugé de coterie. II s'y trompa et,
chaque fois qu'il en tâta, il se laissa jouer, com me il jouait
les émigrés et les jacobins, en les leurrant de leurs propres
illusions. La sienne consistait à croire à l'esprit pacifique des
Anglais, gouvernement et nation; il se les imaginait désinté-
ressés; il se persuadait que Napoléon seul les avait contraints
de rompre la paix d'Amiens; il se figurait qu'en les rassu-
rant, en renonçant au blocu's, on les conduirait à céder sur
l'article du Rhin, sur I'Allemagne, sur l'Italie peut-être. Ses
agents en Angleterre Ie Iui mandaient, parce qu'il désirait Ie
lire, et, à son tour, ill'insinuait dans ses bulletins de police,
pour en persuader Napoléon. Depuis Ie mois de janvier 1810
il entretenait, à Londres, pour émissaire auprès du marquis
de Wellesley, un ancien émigré, Fagan, chargé de tâter Ie
ministère anglais. Puis il avait tenté d'autres démarches par
Ie maître intrigant et spéculateur, Ouvrard, et des banquiers
de Londres.
II vit Louis Ie 4 janvier et Ie confessa en partie. II n'eut pas
de peine à pénétrer Ie secret des négociations qui allaient s'en-
tamer par l'entremise de ce prince et de ses ministres hollan-
dais. Son imagination l' emporta : il se vit médiateur de la
paix de la famille impériale entre Napoléon et Louis, média-
teur de 1a paix du monde entre I' Angleterre et Ie Grand
Empire.
Sur ces entrefaites, Louis tomba malade, ou feignit de
l'être. Champagny continuait de négocier avec les ministres
hollandais; il semblait que I'on revînt au temps de la Répu-
blique batave. C'était Ie même ton, presque les mêmes
phrases. n Si I'on veut prendre un arrangement, il faut Ie fairè
sans déJai, parce que d'un moment à l'autre je prendrai Ie
décret de réunion. )J Une note, en ce sens, parut au M.l!...niteur,
LES NOCES ET LA POLITIQUE
- 1810.
37
Ie 22 février I. Louis capitula. t& Je viens de voir Ja note... Je
.supplie Votre l\lajesté de terminer ces affaires de Hollande en
faisant rédiger par son ministre des affaires étrangères les
stipulations que V otre l\fajesté désire. ), Napoléon lui avait
écrit, au début de la négociation: t& Mon opinion est que
Votre Majesté prend des engagements qu'elle ne peut pas
tenir et que la réunion de la Hollande n'est que différée I. ))
Ille pensait toujours; mais il avait ses motifs pour ajourner.
I Je traité fut, dès lors, convenu sur Ie principe du thalweg du
\Vahal, et Louis resta roi provisoire d'un royaume amputé I.
Ne doutant plus du mariage et comme s'il était sÍir désor-
mais d'une postérité, Napoléon en règle les titres, qualités et
domaines. Le 30 janvier, paraît un sénatus-consulte relallf à la
dotation de La couronne. n faut Ie con)parer au sénatus-consulte
du 18 mai 1804, organique de l'empire, pour mesurer la dif-
férence des temps. En J 804, l'hérédité directe n'est qu'une
hypothèse; Ie texte sur }'adoption et Ia succession indirecte au
trõne, Ie titre VII: De La famille Í1npériaLe, est Ie titre prin-
cipal. En 1810, c'est Ie titre IV : Du douaire des impératrices
et des apanages des princes fl'ancais. . Les apanages sont dus :
1 8 aux princes fils puînés de l'empereur régnant ou de I'em-
pereur ou du prince impérial décédés; 2 0 aux descendants
mâIes de ces princes. " II n'est plus question de collatéraux.
Quant au prince iInpérial, un sénatus-consulte du 17 février
décide : u II porte Ie titre et reçoit les honneurs de roi de
Rome. J)
Ce sénatus-consulte arrête défìnitivement la réunion des
États romains, et du même coup la subordination, å l'em-
pire, du Pape et des cardinaux. L'exposé des motifs déclare
la réunioll nécessaire : (& L'histoire l'indique, la politique Ie
conseille, Ie génie Ie décide... L'empereur rassemblera Ies
parties trop Iongtemps séparées de l' empire d'Occident; il
t A Champagny, 17, 22 févrierl Loui. à Napoléon, !! février 1810. Roo-
QUAh...
I 21 décemhre 1810.
I
e trait' fut lign' 11 16 man 18
O. DE CLBRCQ, t. II, p.
28
438 LE r.IARIAGE AUTRICHIEN. - 1810.
régnera sur Ie Tibre comme sur la Seine. II fera de Rome une
des capitales du Grand Empire. " Napoléon prétend imposer
à Pie VII Ie serment n comme les papes Ie prêtaient à Charle-
magne et à ses prédécesseurs I ". II veut la papauté en
France; il y fait transporter tous les objets nécessaires au
cérémonies; il veut concelltrer à Paris la direction des affaires
spirituelles de la catholicité. En même temps qu'il prétendait
réduire Ie Pape au rang de grand dignitaire, quelque chose
comme rarchi-évêque, Ie-grand inquisiteur, Ie grand official
et directeur général des consciences catholiques clan;, I'em-
pire, illui signifie les articles organiques de ce nouveau Con-
cordat; Ie décret qui déclare " l' édit de Louis XIV sur la
déclaration du clergé de France de mars 1682... loi générale
de l' empire i 1J . En6n, et rien ne trahit plus clairement les
vues d'avenir de Napoléon; rien ne marque d'une manière
plus significative Ie lien entre la réullion accornplie de Rome,
18 réunion stipulée des pays entre I'Escaut et la J\feuse, Ia
réunion projetée de la Hollande et celIe de I'Espagne jusqu'à
I'Èbre, un traité, signé à Paris Ie I G février, crée, au bénéfice
viager du prince primal de la Confédération du Rhin, un
grand-duché de Francfort qui, après la mort du titulaire, Dal-
berg, passera au prince Eugène. Dans la pensée de Napoléon,
Ie royaurne d'Italie serait dévolu au second fi]s de son futur
mariage. En attendant la venue de cel héritier, (I nos peuples
d'ItaJie ne seront pas privés des soins et de l'adlninistration)
du prince Eugène 8.
Teis étaient Ies soins dont NapoIéon distrayait l'attente de
ses fiançailies. Le courrier de Vienne revint à point nommé :
arrivé å Vienne Ie 15 - au lieu du 13 - il était de retour à
Paris Ie 23 février. Napoléon écrivit aussitôt à
Iadame mère,
au roi Joseph, à Frallçois II et å l'archiduches
e : n Ma cou-
sine, les brillantes qualités qui distinguent votr
personne
DOUS ont inspiré Ie désir de Ia servir et honorer... u Berthicr
I
ote, Corr., t. XX, p. 169.
· Décret du 25 fé,'rier 1.810,
h:.5a1Je,
SíQat, iC
are
810.
LES NOCES ET LA POLITIQUE. - 1810. 439
parlit pour Vienne, et l'eInpereur s'occupa de la maisoa de
I'impératrice; il se fit une grande poussée de ci-dtyant
nobles, une grande émission de cordons avec plaques et
diamants pour de ci-devant Jacobins : OIl vit dans la lJlaison
autour d'un Rohan, premier aumônier -- souvenir fâcheu"'í
pour une nièce de
larie-.A.ntojnette - un prince Aldobran-
dini, une l\lortemart, une Talhouët, une Bouillé, une Brigode,
et, dans ce cadre, la nouvelle noblesse: fiassano, l\fontebello,
Rovigo, Duchâtel. Les prisonniers d'Olmütz, ambassadeurs
de Danton en 1793, l\laret, Sémonville et Beufnonville, reçu-
rent Saint-Étienne ou Léopold avec plaque de 300,000 livres,
(& ganse et épaulette )), "afin, écrivait un confident, de faire
marque d'oubli et marque de bons souvenirs au parti raison-
nable des Jacobins ou des constitutionnels " . Puis Chanlpagny
rédigea une circulaire aUK envoyés français : u V ous y direz,
nlalldait l'empereur I, qu'un des principaux moyens dont se
servaient les Anglais pour rallumer la ffuerre du continent,
c'était de supposer qu'il était dans mon intention de détruire
les dynasties. Rien ne m'a paru plus propre à calmer les
inquiétudes que de demander en mariage une archiduchesse
d' Au triche... J)
A Vienne, on mena d'abord grand éclat de scandale dans
les salons de la vieille noblesse, dans Ie monde où fréquen-
taient et cabalaient les Russes. On s'indigna, comme d'une
suprême brutalilé révolutionnaire, de cette violation du
gYllécée; on se lamenta sur Ie sacrifice de cette Iphigéllie de
Cour et d'État. C' est (( une stupeur muette), quand on apprend la
nouvelle; c'est un cri d'horreur quand on ose en parler
. Et Ie
fait est que, depuis 1792, la vieille Europe n'avait point vu de
pareil prodige, ni quelque chose de mieux fait pour donner Ie
vertige aux têtes sans cervelle. (& On se récrie, rap porte une
femme d'esprit alors en passage å cette cour, sur .J'inconve-
nance et Ia lâcheté d'une alliance qui nlet au pouvoir du plus-
infålnc llsurpateur la première princesse du monde. Ce ne 80nt
I A Champagny, 26 février 1810. LECESTRE.
· Z.fémoircs de la comteJSe Potocka. - Cf. t. I, p. It.
iO tE MARIAGE AUTRICHIEN. - i8iO.
qu'imprécations et sanglots étouffés. Les uns affirment que
Ie monst1'e est poltron ; que bientôt il deviendra imbécile, vu
qu'il tombe du mal eadnc. 1) La jPune princesse succombera
au désespoir! Napoléon deviendra fou d'orgueil! Le cieI, cer-
tainement, va réveiller ses foudres et l'abime engloutira ce
moderne Nabuchodonogor. L'arrière-petite-fille de Marie-Thé-
rèse rempIaçant, au lit du soldat de fortune, la petite créole
Joséphine, l'ex-favorite de Barras! Dne arehiduehesse, belle-
fiUe de la demi-paysanne corse, Lætitia; belle-sæur de la
bourgeoise Mme Joseph, de Mme Louis, de I' ex-veuve Leclerc
et de Ia (C femme
Iurat ,,! A la réflexion, on en prit son parti,
l'empereur d'abord, écoutant, par Ia voix de Metternich,
parler Ie sage Ulysse :
S'illa voit tarder,
Lui-même à haute voix viendra la demander.
Nous sommes senls encor : hãtez.vous de répandre
Les pleurs que vous arrache un intérêt si tendre;
Pleurez ce sang, pleurez; ou plutôt, sans pâlir,
Considérez... l'honneur qui do it en rejaillir...
Voyez tout rHellespont blanchissant so us nos rame....
François vit Ia confusion de Ia Russie, I'Autriche assurée
de vivre, Ia question d'Orient rouverte à son profit, et ses
pleurs cessèrent de couler. La société fit comme Ie maitre.
Ainsi qu'il convenait au pays OÙ Mozart avait composé Ia Flùte
enchantée, la tragédie fìnit avec des danses. (I L'...t\.utriche,
disait Ie vieux prince de Ligne, fit au minotaure Ie sacrifice
d'une belle génisse. 1) Et tout Ie monde en raisonna comme
cette aimable Polonaise, la comtesse Potocka: ,& qu'il serait
amusant d'aller maintenant à Paris assister à cette brillante
mésalliance. " Et l'on s'y empressa. Ce qui ne put s'y rendrc
se contenta de faire Ia haie sur Ie passage du carrosse impé-
rial OÙ Berthier voiturait Ia (I prise J) de NapoIéon, et de
se donner Ie spectacle symbolique de eet enIèvement d'Eu-
rope par Ie nouveau Jupiter.
Pendant que Ia fiancée impériale s'acheminait å petites
journées vers la France, Napoléon rompait Ia veillée par Ie
LES NOCES E'l LA POLITIQUE. - {8l0. ",t.
plus extravagant des intermèdes de vaudeville I. Un agent
anglais, qui se faisait fort d'enlever Ferdinand de Valençay,
est arrêté par la police. Napoléon et Fouché imaginent de lui
prendre son nom et ses papier
, et de dépêcher, sous ce
masque, un espion qui fera "parler I) Ferdinand et s'assurera
de ses sentiments envers l' empereur. Ces sentiments sont tels
que Napoléon les peut souhaiter. Le prince Ie complimente
au 5ujet de son mariage et lui écrit : (( Mon premier désir est
de devenir Ie fils adoptif de Sa Majesté " , et, pour Ie devenir,
d'épouser une princesse du sangimpérial. Si Joseph se montre
trop récalcitrant, Napoléon a désormais de quoi Ie remplacer :
Ferdinand, å V alençay, aspirant aux 6ançaiIIes, et, å Paris,
chez
Iadame mère, la 6.ancée disponible, Charlotte Bonaparte,
la fìlle de Lucien.
Le 28 mars, l\larie-Louise fit son entrée dans Compiègne,
et Ie lendelnain toute la cour se dit à l'oreille que, sans
attendre même la consécration du mariage provisoire de
Vienne, eIIe était tombée... aux bras de son époux. Napoléon,
qui s'était fait tracer par
{aret l'historique des mariages
royaux, put se réclamer des précédents illustres d'Henri IV et
de Philippe V, de l\larie de Médicis saisie au passage, et
d'Élisabeth Farnèse empoignée en une auberge, au relais de
Ia poste. Les gens du monde peu renseignés sur ces façons,
ignorants l'histoire de ces rois empressés et de ces prin-
cesses dociles, trouvèrent que Napoléon en usait trop å la
housarde, comme en Égypte, et qu'il confolldait l'archidu-
chesse avec
Ime Fournès I;
Iarie-Louise, pure Viennoise de
tempérament, et bonne enfant sous Ie diadème, prit à cæur
de rassurer les âmes sensibles. ElIe ne les laissa pas gémir
Ion{}temps sur son prétendu sacrifice. Elle milIa mêm('
conlplaisance à rccevoir, des mains de son auguste père et
par I'entremise offìcielle de Metternich, Ie général de 1a
[lppublique Bonaparte pour époux Iégitime, que cinq ans
1 L:;nn GRASSILI1!:n, Aventurier$ politiquel lOW I. Con$ultl.t ., rEml'i,-e, Ie
fi'4J on de Koli.
I SÉOU8, t. I. p. 4-25.
-"4J LE !tIARIAGE AUTRICHIEN. - iSiO.
après, eel époux vivant encore, à recevoir pour " chevalier
d'honneur )) et lieutenant conjugal, Ie général autrichien
Neipperg, aussi amoureusement docile à la mésalliance qu'å
l'adultère.
Napoléon, dans les fêtes qui furent somptueuses et spIen-
dides, parut rayonnant. Se rappelant peut-
tre un peu trop
d'où il était parti, et oubliant par quels chemins de gloire it
avait amené dans son palais cette insouciante, Grasse et insi...
gnifiante Autrichienne, ses délices d'alors : " 1\100 maringe
avec Joséphine était dans Ie temps pour moi ce qu'e
t 1110n
mariage avec une archiduchesse N, dit-il en un moment d'effu-
sion I. Paris, illuminé, l'acclalnait; les væux affluaient de
toute la France; les adulations de toute I'Europe J sauf de
Pétersbourg et de Londres. Les Anglais enrage9.ient. Le
courrier, qui apportait à Paris Ie refns dé6nitif de la grande-
duchesse, s'était croisé en chemin avec cclui qui portait en
Russie l'annonce du mariage autrichien. IJ ne serait plus,
pensait-il, joué par Alexandre! II Ie devait être et plus cruelle-
ment, par son nouveau partenaire au jeu des alliancts, l'entre-
metteur des fiançailles, Ie tuteur du mariage, Ie souffleur de
la polilique nouvelle,
Ietternich, venu à Paris pour assister
8UX fêtes; Ie plus empressé, Ie plus flatteur des courtisans de
haute marque; obséquieux avec insolence; tenant à prouver 8
Napoléon que, s'il n'existait rien de supérieur à l'ancienne
noblesse française pour Ie service de cour, rien ne surpas-
sa it Ia vieille noblesse du Saint-Empire dans Ie cynisme de la
servitude politique et l'hyperbole des adulations. Le jour du
IDariage, aux Tuilerics, un repas fut offert au corps diploma-
tique. Le public se pressait sous les fenêtres. l\letternich,
prenant désormais Ie personnage d'ambassadeur de famille,
se leva, au moment des santés et, laissant å ses coIJèGues
empesés les hommages d'étiquette, ouvrit la fenêtre, leva son
verre devant la foule et cria: n Au roi de Rome! )J Et c'est
ainsi que, Rome confisquée, Ie Saint-Siège en séquestre, Ie
· Å Campi, 10 avril iSl0. MusolI.
ABDICATION DE LOUIS. .:.. 1810.
"It 3
Pape en prison, cet Allemand, ambassadeur d'un souverain
quali6é d'ap05tolique, qui se posaît en défenseur de la foi
et restaurateur des (I principes tJ , porla, aux acclamations de
la foule qui avait vu, moins de vin{jt ans -avant, se dresser
l' échafaud de Louis XVI et passer la charrette de
{arie-Antoi-
neUe, ce toast au sacrilège au nom des croyants, à la lèse-
majesté au nOlU des monarchistes. II y avait en lui du faquin,
a dil Guizot.
VIII
Mais iI Y avait surtout du diplomate et de l'espèce 1a plus
rare en ce jeune Allemand romane
que, aux nonchalances de
dandy, raffiné de boudoir, alnoureux ùe cour, qui tourne la
tête des r
ines et porte des bracelets de cheveux " qui calcule
quand il seillble tout au plaisir, qui médite quand il paraît
écouter, sans un doute sur I' excellence de ses u principes tJ ,
sans un scrupule à abuser de I'amour des femmes et de la
vanité des honlmes pour les mener à ses fins, sans un remords,
que dis-je '/ sans un sentiment même du mensonge quand il est
Ie menteur, et pour toute conscience, la fatuité raffinée,
imperturbable et souveraine. (I L'attitude de I'ambassadeur de
Votre ì\IaJesté à Paris, écrit Napoléon à François, trois jours
après Ie Inariage 2, est Inaintenant celIe de l'ambassadeur de
Uussie avant la dernière Gllerre. J) II est de tontes les fêtes, au
prelnier rana, et dans l'illliinité. Napoléon s'abandonnait avec
Iui, abandon d'homme heureux, qnelque trace aussi d'une
léa èrc ivressc des sens, d'un épanouissement voisin de la
fatigue, que l'on constale dès lors chez lui, et qui se traduit
par une loq1l3cité moins surveillée et dirigée que d'habitude,
I . Je l'ai vu en 1810 à Saint-Cloud, I'3conte Stendhal, qu:md il porta.t un
bracelet de chevcux de C... )1..., si helle alors. " (Caroline ),lurat). VCJÙ', daus
Essais d'lti.'ltoire et de critique, l'étucle intitulée
lelte"ll.ich, - Frédéric MUSON,
t. V, p. 8.
t 4 avril i810.
44% LE
fARIAGE AUTRICHIEN. - 1810.
une facilité à Iivrer ses projets, une confÌance en son génie,
en sa fortune qui dégénère en eonfianee dans la soumission,
discrétion el infériorité d'autrui 1.
letternich savait s'insinuer et plaire, et NapoIéon avait
besoin de I'Autriche. Les Russes avaient été consternés,
écrivait-on de Pétersbourg, par la brillante et redoutabIe
riposte dont NapoIéon avait déjoué leur escrime. lIs compre-
llaient que, l'appâl du mariage supprimé par leur fait,
Napoléon alIait se retireI', par échelons, dans I'affaire de
Pologne. u Je trouve ridicules les plaintes que fait Ia Russie,
avait-t-il dil
. Je n'ai pu ratifier un acte qui a été fait sans
observer aucuns égards et qui avait Ie but, non d'avoir des
sûretés, mnis de triolnpher de moi en IDe faisant dire des
choses absurdes. )) l\lalgré les atténuations qu'y apporte Cham-
pagny, e'est Ie ton, désormais, de la correspolldance : la
méfiance, les récrilninations, Ie confIit sur Ia Pologne, la rup-
ture, la guerre, inévitablement, tôt ou tarde
Alexandre en a la conviction aussi vÏve et aussi nette que
NapoIéon. II fait belle contenance à Ia déconvenue profonde
qu'il éprouve; mais, dès lors, it change toutes ses batteries,
se tourne à l'hostilité; il n'observe d'égards pour NapoIéon,
il n'a de guirlandes pour l'ambassadeur de France, qu'a6n de
dissimuler ses desseins et ses actes. D'ailleurs, aucune menace
contre I'Autriche. L'Autriche Ie dé]ivre d'un embarras; e'est
un motif de plus de la ménager et, en renouant avec Vienne,
il montrera à Napoléon Ie peu que pèsent dans la politique ces
mariaffes dont, en parvenu qu'il est, il fait si grand état et
tire tant de vanité. Alopeus, un c& des plus déliés)) parmi les
agents d'Alexandre, est ehargé d'une mission ostensible à
Naples; cette rnission consaere, en apparenee, l'entente avec
Napoléon s.
Iais .A.lopeus prendra sa route par Vienne, e'est
la route naturelle; il s'y arrêtera, il y trouvera Pozzo qui y
machine contre Napoléon avec l'ardeur de sa haine corse; il
J Rapports de Metternich, avril et mai i8l0.
t A Challlpagny, 16 mars 1810.
· Iustructiona d' AJopeu., 31 wars, 1! ayri11810. Albort'y Al!ÐAL.
AIDICATION DE LOUIS. - i810.
4.5
y verra les amis de la Russle, qui sont nombreur lans lea
salons, à la cour, å la chancellerie; il vel'ra les
...tnistres :
C& Si votre J:1olitique, leur dira-t-il, a pour objet de faire récu-
pérer à votre monarchie, par les négociations, une partie des
forces qu'elle a perdues... Sa l\'lajesté n'y trouvera rien qui
ne convienne à ses intérêts.. . Au nombre des provinces
perdues dont I'Autriche peut désirer la récupération, la
presque totalité peut retourner sous sa domination sans
blesser l'intérêt direct de Sa Majesté. En effet, qu'importe å
la Russie si les Pays-Bas ou Ie Milanais, ou bien I'État de
Venise, Ie Tyrol, SaIzbourg, la partie de I'Autriche qu'elle
vient de céder; si Trieste, Fiume, Ie littoral étaient convoités
et même de nouveau successivement acquis par l'empereur
François et ses successeurs? La seule règle qu'aurait å suivre
en pareil cas Ie cabinet de Pétersbourg, ce serait de rester
6dèle au sage principe de l' équilibre et de ne pas permettre
d'accroissement qui n'en procure à la Russie..." Ce n'était pas
la paix de Vienne seule qui était mise là en question, ni même
1a paix de Pres
ourg, c'était LunéviIle, c'étaitCampo-Formio.
Alopeus ramenait les choses où son prédécesseur, Anstett, les
avait placées en octobre 1803 I.
Ainsi, Ie premier effet de ce mariage qui, pour les spéculatifs,
devait brouiller I'Autriche et la Russie, fut au contraire de
les rapprocher. Metternich avait vu juste et les événements
j
stifiaient son cacul plus vite qu'il ne l'avait pu espérer.
Alexandre recherche les Autrichiens; Napoléon les attire. II
Ie croit pas la rupture prochaine entre Alexandre et Iui;
il se flatte même de la prévenir; mais, pour se gardeI'
contre la Russie aussi bien que pour la combattre, il lui
faut I' Autriche : c' est ainsi que, fatalement, il va renouveler
avec l' Autriche, contre la Bussie, la politique qu'il avait
pratiquée depuis 1807 avec la Russie contre I'Autriche.
C'est toujours en vue du même objet, qui s'imposait depuis
Campo-Formio : forcer I'Angleterre å la paix, et par Ie
I
f. t. VI, p. 333.
-'48 LE MARIAGE AUTRICHIEN. - i8iO.
même moyen coaliser Ie continent contre I'Angleterre:
Les ouvertures faites à Londres par I' émissaire des ministres
hollandais, Labouchère, n'ont point abouti 1. Le gouverne-
ment anglais, a répondu \V ellesley, ne met point de différence
entre la réunion de Ia Hollande à l'empire et l'assujettisse-
ment de ce royaume à Ia France. On en demeurait donc à
J'éterne] antagonisme '. n Pour n'avoir pas fait la paix plus tôt,
I'Angleterre a perdu Naplcs, l'Espagne, Ie Portugal et Ie
débouché de Trieste. II est évident que, si elle tarde à la faire,
elle perdra la Hollande, les vilIes hanséatiques et qu'elle sou-
tiendra malaisément la Sicile. )) La menace hyberbolique de
1803 s'était accomplie : l'obstination des Anglais a suseité
l'empire d'Occident. !\Iais les Anglais sont eonvaincus que leur
constance détruira eet empire, et, l'ébranlant par les extré-
mités, de bastion en bastion, en fera sauter les défenses.
" Si nous demandions à Napoléon sa première forteresse de
France, qu'en dirait-il? u répondit Wellesley à Fagan, lorsque
eet agent de Fouehé lui parla de I'Espagne. 'VelIesley con-
sentit toutefois à rédiger une note, que Fagan copia, OÙ il se
déclarait disposé à écouter tonte proposition OÙ seraient
compris les alliés, notamment l'Espagne B. Fouché, continuant
de négocier, suggéra par Ouvrard une alliance avec les
États-Unis et la constitution d'un empire dans I'Amérique du
Sud poar Ferdinand VII".
Napoléon ne soupçonllait point cette intrigue et s'il l'eût
soupçonnée, il y eût coupé court. "II est très important,
avait-il écrit å Louis Ie 20 lnars, que Labouchère n' ait...
aueun caractère of.6ciel et que dans aucuo cas il ne puisse
montrer aucune pièce signée ni d'une écriture connue. JJ Cette
mission, Labouchère suffisait à l' éclairer sur deux articles
essentiels : I'Angleterre ne sODg-eait pas plus sérieusement å
la paix qu'en 1803 et en 1806; l'annexion de la Hollande
, ROCQUAlN, correspondance de mars-avril i810.
t Voir tome VI, p. 210, 255-258.
· to mars i810. MADELlN, chap. xx.
I Not
. du 15 avri118iO. remises par J
abouchère et Baring. MADELIN
chap. xx.
ABDICA '{'ION DE LOUIS. - 1810.
.\.47
néce
saire au blocus, ne rendrait point, dans l' état nctuet d
s
choses, la paix plus difficile, et, par la guerre, elle permet-
trait de l'imposer plus facilement. Le traité du 16 mars 1 avait
ajourné celte annexionjusqu'à plus ample informé. Napoléon,
inforlné désormais, considéra ce trai té comme non a venu et
décida rannexion. Comme on lui signalait de l'inquiétude,
des dispositions à la révolte en Hollande, il voulut s'en assurer
par lui-même; juger aussi des mesure à prendre pour rendre
Ie blocus plus pressant, plus efficace; visiter les chantiers,
conlrôler les armements maritimes qu'il avait prescrits et qui
devaient produire leurs effets en 181251; enfin, amener Louis
soit à abdiquer, soit à se faire détrôner. II désirait, en outre,
présenter Ia nouvelle impératrice dans les ci-devant Pays-
Bas autrichiens et consacrer ainsi la réunion défìnitive de
ces pays à Ia France.
II partit Ie 29 avril. Le 5 mai, il rencontre Louis qui était
venu Ie saluer å Anvers, et Louis lui révèle, très incidemment,
l'intrigue de Fouché et la mission de Fagan et d'Ouvrard dont
it Ie croyait instruit. L'agent de Fouché et celui de Louis
s'étaient croisés à Londres, en Belgique, en Hollande; ils
s'étaient rencontrés dans Ies Inêmes antichambres, les mêmes
couloirs; tout tendait à lord Wellesley, tout passait par Ia
banque Baring et Hope. Ouvrard avait arraché à Labouchère
son secret en Jui confìant une partie du sien. Napoléon, qui
avait tant insisté sur Ie secret de Ia mission de Labouchère, se
trouve engagé beaucoup plus loin qu'il ne lui convenait,
exposé à voir rej eter insolemment par I' Angleterre des ouver-
lures auxquelles on ne pouvait Ie croire étranger puisqu'elles
émanaient d'une part de son frère, Ie roi de Hollande, et de
I'autre d'un homme qui passait, plus que personne, pour pos-
sédcr la connance et Ie secret du lnaitre, chargé de veiller sur
sa vie et de machiner, dans les dessous, les mécaniqucs à
longue porlée, Ie ministre de la police et du machiavélisn}e
I Voir ci-des8us, p. 437.
ICE. lettres à Clarke, (Ie BruHcs, !O mai; A Murat, 10 mai i à Decrè" 20 IDaj
t810.
4%1 L:I M.A.I\I..lGE AUTI\ICftIEN. - 1810.
impérial, Ie due
'Otrante. Cette négociation de Londrei se
présentait comme un \Valcheren diplomatique et Napoléon
qui n 'était pas loin de tourner Walcheren à la haute trahison
vit, ici, du premier coup un crime de lèse-majesté. Fouché
prétendait gouverner par lui-même, faire la guerre et faire In
paix, à sa fantaisie, et certainement à son avantage. Était-il
isolé dans cette intrigue, dans ce complot peut-être? Fallait-il
y reconnaitre une suite du complot de 1808? Celui-là avait
entrainé la disgrâce de Talleyrand. Le tour de Fouché était
venu.
Napoléon s'emporta d'une furieuse colère. Mais il attendit,
pour sévir, que sa colère se fût apaisée, qu'il eût rassemblé
ses preuves, qu'il pût en écraser Ie coupable. II prescrivit de
rechercher la correspondance de Fouché avec Ouvrard, et de
mettre ce financier en surveillance. "v ous devez, écri vi t-il à
Louis Ie 12 mai, témoigner mon extrême mécontentement
au sieur Labouchère. " La mission fut rompue, l'agent
désavoué et Napoléon compta un grief de plus contre Louis.
Dès lors, ille harcèle. II met la main sur toutes ses douanes;
il D1ande à Oudinot de ne rendre " aucun cOlnpte ni au roi
ni aux ministres hollandais I I) . II réclame les neuf vaisseaux
promis par Ie traité du 16 mars, sinon ce traité devient caduc.
Et comIne Louis proteste, il Iui répond : " Tout Ie monde sait
que hors de moi... vous n'êtes rien... Louis, vous ne voulez
pas régner longtemps... C'est avec la raison et la politique
que l'on gouverne les États, non avec une Iymphe âcre et
viciée I. >> Le 23, sous prétexte que l' on a vait manqué au
cocher de l' ambassade, il rappelle I' ambassadeur; Verhuel,
l'ambassadeur hollandais å Paris, reçoit l'ordre d'en sortir
dani les vingt-quatre heures. Ces rigueurs devaient pousser
Louis à quelque folie; les exigences des troupes françaises,
l:invasion du pays, r occupation de toutes les côtes, de tous
I A Oudinot, 12 mai 1810.
t Louis à Napoléon, 16 mai; Napoléon à Louis, 20 mai 1810. ROCQUAIN. -
Sur la .anté de Louie, ainlli brutalement jetée par Napoléon daD' la politique.
Frédëric MASSO!!, i. V, p. 218, 329.
Lit MARIAGE AUTRICHIEN. - 1810. 440
les points stratégiques devaicnt exciter Ie peuple å qnelque
sédition : Napoléon en prendrait acle; Louis aurait voulu sa
pro pre déchéance et la nation hollandaise sa propre confis-
cation. L'une et I'autre se machinaient par les mêmes moyens
que, deux ans auparavant, à Bayonne, la catastrophe des
Bourbons et l'invasion de I'Espagne.
La coIèrc de Napoléon redoubla lorsque, de retour à Saint-
Cloud, Ie 2 juin, un jour soudainement ouvert. sur les négo-
ciations souterraines de Londres y fit entrevoir la main de
TalIeyrand, II interpella Fouché : n V ous vous croyez bien fin,
et vous ne l'êtes guère cependant; c'est Talleyrand qui est
fin, et, dans cette occasion, il vous a joué comme un enfant;
il a fait de vous son instrument. )) Fouché ne supporta point
cette ironic. Attaqué dans son amour-propre de machiavé-
liste, il se découvrit. I.oin de nicr Ia correspondance engagée
par Ouvrard, iI s'en vanta commp d'un service rendu à la
patrie et à l'eo1pereur. Napoléon invita Fouché à lui remettre
les correspondances d'Ouvrard, fit arrêter par Rovigo ce Tur-
caret politique dans l'appartemellt d'une femme aimable,
chez Iaquelle ils fréquentaient tous les deux, Us s'y rencon-
trèrent sous prétexte d'y régler des affaires de famille. Ce
règlement conduisit Ouvrard à I' Abbaye et Rovigo au minis-
tère de la police, Ie 3 juin 1810. Fouché, destitué de cette
place, reçut, en compensation, Ie gouvernement de Rome,
avec des pouvoirs extraordinaircs. II écrivit aussitôt å Maret,
chargé de l'exécution de ces décrets : " Sa Majesté a loué
quelquefois mon esprit: elle a été trop induIgente; chez moi,
resprit est peu de chose, c'est l'éneqjie de mon âme qui Ie
fait valoir. L' elnperellr nl1 sail pas ce qu' elle vallt, it l' a jugée
selon les règles, et il s'est trompé; les évenements la llli dévoileront
un jour. J)
Sur quoi, il s'enferma dans son château de Ferrières.
Napoléon récIama les papiers, Fouché prétendit les avoir
hrûlés; Ie fait est que Ie préfet de police, Dubois, doublé de
Réal, perquisitionna et ne trouva rien. NapoIéon était à bout
de patience. II destitua Fouché du gouvernement de Rome.
VII. 29
450 J..E
f AnlAGE A UTurCHIEN. - 1810
Les papiers de Labouchère, ceux qu'on avait pu saisir de
côtés et d'autres, les propos d'Ouvrard, les aveux de FaGan
révélaient l'étendue du complot, et Ie mystère qui Ie voilait
encore Ie faisait paraître plus ténébreux. Ouvrard trompait
Fouché, Fouché trompait Ouvrard. Deux faiseurs attitrés de
TaHeyrand, Laborie, soupçonné, depuis 1801, d'être Glni de
l'Allglelerl'e,. l\lonlrond, aussi connu par ses bons mots que par
ses bonnes fortunes, convive agréable, roué de marque,
politique plus qu 'équivoque, grand courtier de toutes affaires
louches, entrainé dans la disgrâce de son patron et exilé à
Anvers, machinaient dans les dessous, et tout ce monde, A
,
l'envi, jouait et trahissait Napoléon.
Iontrond, enlevé d'An-
vers, fut interné dans une forteresse.
Fouché prit peur. II g'ellfuit en Italie avec sa familIe, sea
titres de rente et... les papiers C& anéantis 1J. Se rappelant
qu'il avait été, en sa jeunesse, disciple de Jean-Jacques et,
comme tout Ie monde, sensible... au temps de la Terreur, it
écrivit à Maret, de Milan, Ie II juiIlet: t, VOllS qui êtes père,
n' oubliez pas un père malheureux !... Faites-moi dire un mot
de consolation... Croyez å la reconnaissance d'un cæur qui
n'a jamais été fermé au malheur." II connaissait trop les
mæurs de la police impériale pour ne pas redouter quelques
rencontres fâcheuses ou quelque embarras sur sa route; ni
les chemins ne lui paraissaient sÍlrs en Italie, ni les auberges,
fussent-elles grand-ducales ou royales, suffisamment protec-
trices.
II songea à passer en Angleterre et affréta un brick, I'Élisa,
qui devait l'y porter. Le mal de mer opéra ce que n'avaient
pu faire ni les menaces de Napoléon, ni les adjurations de
Iaret, ni les instances de Rovigo, ni les perquisitions de Ber-
thier, de Réal et de Dubois. Fouché se fit débarquer avec les
papiers "anéantis" et rellvoya la cassette à l'empereur. II
oblint de 13 sorte un armistice et se retira dans sa sénatorerie
d
Aix, où il attendit les événelnents I. Et, de Ia même encre
& Napoléon à Champaßuy, 29 juin; â Fouché, à Savary, i. r juillet i810.
LIt.GESTRg
ABDICATION DE LOUIS. - i8iO.
45t
treD) pée de Iarmes qui aurait écrit la palinodie à Robespierre
si Ie 9 therlnidor eût tourné à I'Être suprênl.e, il écrivit à Élisa
qui a vait faeilité son séjour en Toscane et son départ J : (& La
force de nlon âme a succombé quand je me suis vu traiter par
I'enlpereur eomme un ministre infidèle... Quoi! me disais-je t
I' e
:;ence des choses est-elle changée? La vertu et Ie dévoue-
ment sont done des crimes? Mieux vaudrait m'ôter Ia vie que
de me la rendre insupportable. "
Fouché, révoqué, s'était enfui; Louis, poussé dans ses deI'-
niers retranchements, abdique, Ie I'r juilIet, et disparait;
Lucien, Ie plus intelligent et Ie plus désintéressé des frères,
est réduit, pour refuser les présents de Napoléon, au même
sort que les autres pour les avoir sollicités; il s'obstine noble-
ment à ne se point séparer de sa fenlme; ne se jugcant plus
en sûreté à Rome, il s'elnbarque Ie 7 août et s'exile. I..es
tanis de Joseph,
Iiot, l'engagent à se démettre: (& Saisissez
l'occasion de séparer, aux yeux de I'Europe, ,"otre cause... "
Le Grand :empire devient inhabitable aux plus proches de
Napoléün, à ses plus renol1ullés seryiteurs! Les nouveaux
roi
, les nouveaux dues émigrent! Ce fut dans toute I'Europe
un craqucrncnt sourd, et COlnme si, au lendemain des noecs,
l'échafaud
18e des fêtes s' écroulait. Pour ajouter au tapage,
la saisie du livre de l\Ime de Staël, I'Allel1lagne et la dépor-
tation, de rclais en relais de poste, de l'héroïne littéraire, à
Cop pet 2!
Cepelldant, Ie 9 j uiIlct, l' cmpereur a décrété la réunion de
la IIollande à l'enlpire.
Ainsi se COnS01l1rne l'ouvrage comlnencé, par Ie Comité de
Salut puLlic, et Ies r
i
ons qu'en présenle Champagny à l'elll-
perrur dans l' e:rposé des motifs, sout précisément celles que
Ie COII1ité avait déduitcs, en 1'311 III, pour Ia Convention :
t, La I-Iollande est comn1C une émanation clu territoire de la
:France, cUe eslle cOlnpléInent de l'empire; pour posséder Ie
RhÏll tout entier, V otre rtlajcsté doit aller jusqu 'au Zu
-derzée.
I De Lyou, :2.& aOtlt 1810. 1hssoa.
· Aoùt-bc!,k,nbrc H
10.
1.5! LE MABIAGE AUTRICHIEN. - iSIO.
Ainsi tous les cours d'eau qui naissent dans la France, ou qui
baignent la frontière, lui appartiendront jusqu'à la mer I. D
NapoIéon fit occuper Lubeck, Ie Lauenbourg, Hambourg,
toute la rive gauche de I'Elbe jusqu'à Brêrne, et I'OIdenbourg,
préface de la réunion 2. Puis il cornman de d'iulmenses coni-
tructions et armements de vaisseaux : il en veut de 110 à 115
-, ...-
pour l'année 1812 I.
IX
C'est la date qu'il stassigne, pour Ie dernler effort, contre
I'AngIeterre, si, d'icÍ là, comme il y compte, Ie blocus ne I'a
pas réduite å merci. II n'imagine pas qu'Alexandre l'attaque,
surtout avant cette époque. II en est, avec cette guerre russe
en perspective, OÙ il en était avec la guerre d'Autriche dans
l'été de 1808, infiniment plus prochaine et menaçante qu'il
ne Ie voulait croire. II ménage cet intervalle de paix avec
Alexandre; Inais il se préoccupe des alliances possibles contre
lui, I'Autriche, la Prusse, la Suède. II en parle à
Ietternich,
qui écoute et. se dérobe, profitant du besoin que Napoléon a
de l'Autriche pour oblenir de lui les moyens de la refaire.
Hardenberg conseille à son roi Ia même politique : se rap-
procher de Napoléon, faire les obséquieux, les officieux, se
prosterner tant qu'il Ie faudra; négocier à genoux, Ie front
dans la poussière; l'endormir, obtenir qu'iI se relâche sur
l'article des contributions, et moyennant rargent qu'on ne
lui payera plus, rétablir l'armée, s'apprêter pour Ie jour de
la revanche, une main dans la main de la Russie, l'autre
tendue å I'Autriche.
I Rapportcle Cambacérè8; Plan de Sieyè., marl 1795, t. IV, p. 261,270.
I Ordre du i8 août 1.810.
I A Decrès, i6 juilJet; à Eugène, i9 juillet; à Decrè., 22 juillet; à LebruD,
lieutenant ßénéral en Hollaude, 22 juillet i810.
ANTAGONISME AVEC LA RUSSIE. - i8iO. 453
Frédéric-Guillaume, se rendant aux conseils d'Alexandre,
est rentré à Berlin Ie 22 décembre 1809, reçu par son peuple
comme un père exilé qui revient dans sa famille. II y eut
plus de larmes que d'acclamations sur son passage, et la
manifestation n'en fut que plus significative. L'émotion gagna
l'envoyé de Napoléon, Saint-Marsan. Le roi de Prusse trouva
en Iui un confident crédule, un avocat convaincu I. Frédéric-
Guillaume protestait, la main sur Ie cæur, de ses sentiments
pour Napoléon, et Saint-
{arsan, doucement incliné, I'æil
humide à la vue de tant d'infortune, de tant de dignité, de
tant de candeur, en prenait acte avec componction et st en
portait garant. Le roi Ie reçut, Ie 24 décembre : "Ctest, lui
dit-il, å la générosité de l' empereur que je dois Ie bonheur
que me procure la journée d'aujourd'hui; car après Ia guerre
désastreuse de 1806 il ne tenait qu'à Sa Majesté de ne me
rendre Bucune partie de mes États. J'espère lui avoir donné
une preuve de fait de ma reconnaissance et de mon atta
chement en résistant à toutes les démarches quta faites la
maison d'Autriche pour m'entrainer dans sa cause.
Saint-
Marsan Ie peignait C& franc et loyal", indigné des petites
intrigues des têtes exaltées; il montrait aussi Hardenberø
très désireux de rentrer en gràce : (( II ferait, insinuent ses
amis, tous ses efforts pour obtenir de Sa Majesté l'empe-
reur et roi d'admettre la Prusse dans la ConfédératioD du
Rhin I. II
En témoignage de cette conversion, Saint-Marsan transmit
à Champagny une lettre de Hardenberg å Scharnhorst :
n QueUes que fussent les opinions qui prévalurent jadis... lea
conjonctures les ont totalement changées. Celles-ci nous por-
tent à adhérer sans restriction au système de la France....
C'est de Napoléon seul que dépend notre salut I. . Harden-
I Ce roi en exprimait encore sa reconnaissance dans une lettre au roi d.
Sardaicne, Victor-Emmanuel, en i821. TI\EITSCBKE, t. I, p. 352, note.
I Rapport. de Saint-}Iar6an, Ii novembre, 214- décemhre 1809.
· Rapports de Saint-Marean, 17 avril, i er , 8, 9 maij Hardenberg à Saint-
Marøan, 5 roai 1810. STERN; HÜFFER, p.
37 et .uiv.; 05CKEJ!(, t. II, p.470 8t.
.uiv. j RiNKE, t. IV, p. !16 et suiv.
54 LE
IÅ RIAG E A UI filC H lE
. - 1810.
berg l'attesta de sa parole dans un entretien avec I'envoyé
français. tC Où peut-on, lui dit-il, espérer un appui solide et
véritable hors de la France?.. Si jaluais une guerre venait à
éclater entre Ia Russie et la France et que la Prusse s'attachât
à la première, Ie résultat serait la perte de la Prusse et d.e
l'armée que la Russie aurait pu envoyer pour la soutenir. JJ
II convint à Napoléon, sinon de Ie croire, du moins de l'ad-
mettre. II ne s'opposa point à la rentrée aux affaires de lIar-
denberg qui fut nommé chancelier Ie 4 juin 1810.
leUernich
à Vienne, Hardenberg à Berlin, voilà, en cet été de 1810,
appelés à gouverner l'Autriche et In Prusse, les deux impla-
cables adversaires de NapoIéon, les deux alliés de 1813. Celte-
alliance entre eux et avec la Russie, ils la ménagent dès lors;t
ne cherchant, run comme rautre, dans l'entente apparente
avec Napoléon, que Ie moyen de l'abuser et de Ie détruire Ie
jour où Ie perlnettront les événeInents qu'ils attendent, qu'ils
susciteront, qu'ils prépareront souterrainement de toute 13,
force de leùrs passions.
Des considérations analogues, la même force des choses,
obligèrent l'empereur d'accepter, bien malgré lui, une com-
biuuison qui, pour affecter moins directenlent sa politique,
ll'en contribua pas moins à sa chute. Le roi de Suède Gus-
tave IV avait abd.iqué en 1809; son oncle et successeur
Charle3 XIII, infirme de corps et d'esprit, n'avait pas d'en-
fants; l'héritier présolnptif, Ie prince d' Augustenbourg, mourut
Ie 18 mai 1810. Les Suédois se mirent en quêle d'un roi. lis
chercha,ient un sang nouveau, de l'énergie, du prestige, et ils
s'adressèrent où iI_yen avait par surabondance. A défaut d'un
prince de In famille Bonaparte, ils songèrent à un maréchal :
ainsi les Portugais avec Soult, Ies Polonais avec Murat. Ber-
nadotte offrait cet avantage d'être aIlié à la famille impé-
riale. Us Ie choisirent parce qu'il avait In renommée d'un
militaire brillant, d'un poIitique habile et qu'il passait, sous
Ie manteau, pour avoir été, plus d'une fois, Ie candidat d'un
parti puissant à la succes5ion du Consulat, émule de NapoIéon;
que Napoléon avait fait prince quand it se faisait empereur.
ANTAGONIS
fE AVE() J-IA RUSSIE. - 1810. 455
II leur parut, sur ses portraits, glorieux, imposant, enlpa-
naché; sa chronique était une des plus riches en hauts faits
dans l'histoire de la république et de r empire. Us lui dépê-
chèrent un émissaire. Bernadotte ne s'en étonna point.
Républicain en 1792, jacobin en 1793, fructidorien en 1797,
républicain cOlnblé sons Ie Consulat, républicain meconlent
et frondeur sous l'eInpire, Ie prince de Ponte-Corvo se sentait
à In hauteur de toutes les tâches, mûr pour toutes les for-
tunes et tout disposé à recevoir Ie coup de grâce monar-
chique. Conspirateur pour devenir consul, opposant pour
n'avoir pas été empereur, passer roi Iui parut la plus spiri-
tuelle des revanches, et quel roi! roi sans Napoléon, roi sans
suzeraineté, roi sans lisières, plus roi que les rois frères, roi
par élection, d'une vieille lnonarchie, comme les Saxons en
Pologne, et, du coup, dominant de sa tête couronnée ses
anciens compagnons d'arrnes. Ce n'étaÍt point, à la façon de
lurat, une tête héroïque et sans cervelle que la couronne faisait
tourner, et à laquelle les marches du trône donnaient des ver-
tiges. II ne fut jamais dupe de lui-même ni de sa bonne for-
tune. En cela, il se montra supérieur, et, e.n cela aussi, it
demeura ce qu'il était essentiellement, un pur Gascon de Gas-
cogne, né dans Ie voisinage du château de Henri IV et mis en
nourrice non loin du manoir de d'Artagnan.
On raconte que ce mot, prononcé aux Tuileries: << II
n'osera JJ, aurait déterminé son acceptation. L'offre y suffi-
sait, du moment qu' elle lui sembla sérieuse. l\lais il tint à se
mettre
n règle avec l' empereur; à se payer aussi l'ironique
jouissance de lui parler, une dernière fois, en subordonné.
Napoléon avait peu de goût à voir surgir d.es rois nouveaux
qu'il ne suscitait point. Ceux qui sortaicnt de son encrier,
qu'il avait engend.rés de sa plume, lui échappaient, se rebel-
laient, impatients de réffner p3.r eux-Inêmes et pour eux-
Inêmes : que serait-ce de celui-Ià, qu'il n'avait pas même
désigné? Le rival, de tout temr
, en France deviendrait trop
aisément un adversaire en Europe. II ménageait Talleyrand,
il tolérait Fouché, parce qu'illes ain1ait mieux dedans, sous,.
456 LE MARIAG
AUTRtCHIEN. - i810
ses griffes et sa police, que dehors: Bernadotte allait s'échap-
per, non en émigré, mais en altesse inviolable et sacrée? Les
cabales, de sa part, ne seraient plus que de la n politique u
et les agents de ses complots se couvriraient de l'immunité
des diplomates, accrédités dans toutes les cours. II songea un
instant à donner aux Suédoi
Eugène, dont il était sûr. Mais
Eugène refusa pour cause de religion. Alors, il laissa faire,
considérant qu'à s'opposer il risquait de s'aliéner la Suède,
qu'à consentir it avait chance de la gagner au blocus et'd'atta-
cher Bernadotte à l'alliance française. Pour Ie monde, ce
serait un marechal français sur Ie trône, c' est-à-dire un
royaume de plus illféodé au Grand Empire I. La Diète de
Suède nomma Bernadotte prince héri tier Ie 21 août 1810.
Napoléon autorisa Ie maréchal à accepter. II voulait ajouter
aux lettres patentes cette phrase: (C Ces lettres vous autorisent
à devenir Suédois... Personnellen1ent vous ne pouvez porter
les armes contre la France. JJ II la biffa, et les lettres par-
tirent sans aucune réserve j. 1) Bernadotte, comme les rois
frères, mais plus librement - car Napoleon ne peut Ie
destituer par décret - plus justement aussi, car NapoIéon ne
I'a point investi, n'aura qu'une vue: hériter de la couronne
de Suède, Ia garder, régner et faire souche de rois; pour
cela, se rendre utile, bienfaisant, populaire : Ie premier
article sera d'adoucir, puis de supprilnei' Ie blocus; en un
mot, de s'affranchir de la tutelle et de l'alliance françaises':
run et l'autre dessein Ie tournent vers la Russie.
Alexandre est désormais l'ennemi, insidieux d'abord et
souterrain, puis décIaré, puis acharné, Ie grand mécontent,
Ie grand opposant, Ie chef futur de la coalition continentale
contre Napoléon. L.alIiance d.e Tilsit n'a point été une époque,
encore moins un arrêt et un détour de cette histoire; eUe n'a
été qu'un internlède. Sous Ie couvert de cette feinte union,
I Rapports de Metternicb, 9 juillet, 5 leptembre 1.810. - Rapports de Lan..
øerhielke. Oscar ALIX. - Sur I'affaire d'Eugène, Frédéric MA.sso:s, t, V, p. 2
.
i A Charnpagny, 9 lIeptemhre; à Charles XIII, 6 lIeptembre; à Bernadoue,
i
"ptembre 1810. LJ=:C.E11'I\E.
ANTA.GO
IS)IE AVEC LA RUSSIE. - iStO. 457
Napoléon et Alexandre ont continué de poursuivre I'objet
qu'ils poursuivaient auparavant, qui les avait mis en guerre en
]805, qui les y remit en 1812. Le système de Tilsit croule
par sa cause même, Ie blocus. Napoléon a vonlu Ie pou5ser
å terme, Alexandre le détourner. En théorie, l'alliance repo-
sait sur ces trois propositions : la Russie et la France ont
des intérêts identiques, un même ennemi, et point de fron-
tières communes. Or, par l'effet même de I'alliance, Ie blocu$
continental a mis leurs intérêts en antagonisme, confondu
les intérêts économiques de la Russie avec ceux de l' Angle-
terre; l'extension continue de I'empire français rapproche
leurs frontières. En 1810, ces conséquences se sont pro-
duites. La Russie est forcée de choisir entre Napoléon qui
subjugue sa politique et rlllne son commerce, et I'Angleterre
qui l'enrichit. et Iui procurera la suprématie du continent :
Alexandre choislra naturellernent I'Angleterre. Napoléon
8. réuni, conquis, enrôlé ou confédéré I'.Allemagne; it tient
la Prusse a
scr\Tic et l'..A.utriche dépendante; mais pour y
8.rriver, en leur passant sur Ie corps, it atteint la Vistule et
se bute aux frontières de la Bussie. Et, de même qu'iI a été
conduit à enchainer, puis à prendre la IIollande pour garder
Ia Belgique; à bouleverser, reconstituer et assujettir I'Alle-
magne pour gardeI' la rive gauche
u Rhin; à démembrer et
refouler la Prusse, puis l'Autriche, pour conserver la domina-
tion de I'Al1elnagne, il en vient à cette conclusion insensée,
mais effroyablement logique, non seulement du blocus con-
tinental, qui n'est qu'un moyen, mais de la conception poli-
tique initiale, dont l'empire d'Occident est la fin: Ii L'empire
français, qu
il avait créé par tant de victoires, serait infaiIIi-
blement d.émenlbré à sa mort, et Ie sceptre de I'Europe pas-
serait dans les mains d'un tsar, s'il ne rejetait les Busses au
delà du Borysthène et ne relevait Ie trône de Pologne, bar-
rière natlll.elle de l' empire/ I J)
Alexandre prend, naturellement, Ie contre-pied, at 18. même
· Dictéee de Sainte-Hélène.
458 LE l\IARIAGE A UTRICHIEN. - iSIO.
logique Ie pousse à déloger Napoléon de ce poste avancé, å
gagner les sentinelles, les Polonais, puis à s'associer I'Alle-
maß'ne, par Stein et les patriotes; à s'assurer de la Prusse, à
caresser la Suède, à pactiser avec I'Autriche; bref, å renouer
la coalition: et Ie premier point est de se mettre en mesure,
cOlnme I'Autriche en 1800, de prévenir l'attaque de Napoléon.
Dès Ie 1110is d'août 1810, ses plans se dessinent, ses prépara-
tifs commencent. II compte qu'avant de s'occuper de la
Russie Napoléon voudra en finir avec I'Espagne. II y portera
la Grande Armée, il s'y portera lui-n1ême. L' Allemagne se
videra de Fran<:ais; les ayant.postes, peu à peu, se dégarni-
ront d'honllnes : les exlréInités s'aminciront comine les mains
d'un infirme, dont Ie sang circulant mal affluera au viscère
lésé. Lorsque Davout n'nura plus qu'un état.m<<!jor derrière
un rideau de vedettes, Ie moment sera venu d'entrer en
Pologne, de soul ever l'AlleITlagne, d'enjôler la Prusse, d'en-
trainer I'Au[riche, et de ponsscr sur I'Odcr, sur l'Elbe avant
que
1apoléon ail eu Ie telnps d'accourir, avant surtout qu'il
ait Ie n10ycn de réunir uue nouvelle armée I.
Ainsi, falalelnent, les deux aIliés d 'hier dérivent vers la
guerre, par toule la Gravitation de leur politique. Pour chacun,
c'est la suprélnatie à en]cverà l'autre. Chez Alexandre, c'est la
conviction que l'alliance ruine son empire " amoindrit son
prestige, cOlnprolnet son avenir, menace sa sécurité, sa
vie nlêIne peut-être, par l'exaspération OÙ un excès de
complaisance de leur maitre contre Ie Tyran de l'Europe
pent porter les nusscs; c'est son antipathie croisante, son
" horreur " contre un syslème qui l'enchaîne, l'humilie, et
dont il ne vent plus voir que les violences depuis qu'il en a
épuisé les avantagcs; c'est en6.n son dessein de concilier avec
sa rancune personneIIe, avec ses ambitions de souverain russe,
Ie vague retour des hautes et magnanimes conceptions de sa
jeunesse, la dignité rendue aux peuples, Ia restauration du
I Alhert VANDAL, t. II, chap. x et XI, p. 1,.;J!4.-438. - FOURNIER, t. II, p. 34.
t Sur 1... détresse financière et industrielle de la Bussie en 1810-1811 par luite
do la ijuerre à l' .AuGlctcrrc, rappo.rt de Bray, i5 août 1811.
ANT.!GONISHE AVEC LA BUSSIE. - 1810. 450
tr6ne, Ie droit rétabli en Europe, Ia Bussie
}arante de ce droit
et, pour Ie COll5acrer, " Ie grand plan de Ia réunion des
Slaves I IJ . Pour Napoléon, c' est I' obsession de cette pensée que
I'Angleterre est à bout de ressources et à bout de constance;
que Ie colossal mouvement tournant, entrevu par Kersaint
en janvier 1793 quand In guerre éclata, dessiné par Sieyès
en 1 795 après la conquête des Flandres, de la Hollande et du
Rhin, touche å son ternle. Ce n'est plus qu'une question de
semaines 2! Que la Russie, pendant ces quelques semaines,
ferme strictement ses ports aux marehandises anglaises; que
Ia Prusse, que la Suède, se ferment à son exemple, Ie blocus
est une réalité; il suffìt de Ie réaliser un instant pour que
l'Angleterre chancelante tombe, et que son poids l' étouffe.
Elle sombrera dans la b_anqueroute et la révolution sociale.
ltfais, au moment OÙ toutes les conditions, sauf une, ceUe-lå
même qui consomme I'opération des autres, semblent accom-
plies, Ie paradoxe fondamental du système va paraitre par
l'impossibilité d'accomplir cette condition dernière et de
frapper ce dernier coup, sans lequel rien n'aura été fait et
pour lequel tout a été disposé. II fallait que I'Europe fût sou-
mise: eUe l' est, å l' exception de quelques roehers en Espagne,
d'une falaise en Portugal. II fallait que la Russie fût complice :
eUe ne peut l'être sans s'anéantir, et eUe s'y refuse. II
fallait qu'il n'y eût plus de neutres. Napoléon décrète qu'il
n 'yen a pI us; mais Ia Russie se révolte contre eet ordre qui
est pour eUe un ordre de suicide, ayant Grandi 'en Europe par
la protection de sa neutralité Inaritime et se souvenant, après
un obscurcissement momentané de mémoire, que la Liglle des
nell/res de 1780 a été la première expression et demeure l'ar-
ticle fondamentale de sa politique européenne.
Dans celte guerre donl l'Europe sera Ie champ de bataille;
oÙ tous les peuples de l'Enrope, armés les uns contre les
autres, donneront Ie combat, les forces, les conditions morales
de ces peuples surtout sont un facteur essentiel dans la crise
J Note autographe d' .àlcxandre, avril 1812. )IARTEN8, t. XI, p. 159.
I A Champa
ny, 13 octolJre J ,. novembre 1810. -
tðO LE MARIAGE AUTRICHIEN. - {SIO.
qui
e prépare, et restent, dans I'histoire, l'explication prin-
cipale de eet événement. Observons done de plus près, en
eette Europe de 1810, la prodigieuse réeolte que l'empire
avait fait lever sur Ie lollabouré p
r leI armées de la Répu-
blique
r
CHAPITRE II
U !:
A
CB E! L'IÐaO'.
t810
I
Napoléon est . au falte des choses humainel . ; la France'
l'apogée de sa puissan
e dans Ie monde. C'est ici qu'il con-
vient de s 'arrêter pour prendre son point de vue, considérer
dans sa perspective Ie Grand Empire, rappeler d' OÙ il vient,
montrer où il a conduit, c' est-å-dire les causes et les efEets
des événements relatés en cet ouvrage. Dans cet immense flux
et reflux des affaires, 1810 marque I 'heure de la pleine mer, de
la mer étale et par unjour radieux. C'estle temps où, saufl'An-
gleterre, I'Europe entière étant vaincue, sinon so
mise, Napo-
léon crut pouvoir s' arrêter. II demeure en France; il y fait Ie
plus long séjour qu'il y ait fait dans son règne. Tout se règle
dans son gouvernement, dans sa cour, dans son intimité,
minutieusement et magnifìquement I. Les contemporains
peuvent s'imaginer que Ie cours des choses est suspendu et
que la France a lié les destinées. Mais (& il n'y a, dit Ie sage,
aucune constante existence, ni de notre être ni de celui des
objets; et nous, et notre jugement, et toutes choses mortelles,
vont coulant et roulant sans cesse.... .
La poussée vient de loin, de toute l'histoire de France,
décuplée par la poussée de la Révolution française; et tout s'y
enchaîne, les limites de César dans la Constitution de ran III,
I Frédéric :\h,8S0l'f, Napoléon chez.lui.
MQIIIT1!G!E, livre II, chap. xu, Apolosie p'ou.r
i'!}ontl 8,&o
.\62
I..A FRA.NCE ET L'EUROPR. - 1810.
l'enlpereur dans la République, Ie serment de 1804: (& Je jure
de maintenir l'intégrité du territoire de la République. " Pour
conserver ce territoire, Nnpoléon érige en système ce que Ie
Comité, Ie Directoire f'
lui-n1ên1e ont fait pour Ie conquérir.
La France demeure à l'état d'arlnée conquérante, campée
sur I'Europe; l'Europe demeure SOl]
la conquête, occl1pée,
divisée en commandements Inílitaires. Le Grand Empire n'est
que l'immense effort pour imprimer à cet immense expédient
une figure définitive et régulière, fixer Ia carte de l'Europe
comnle nous fixons, dans l'histoire morte, Ia carte de l'Eln-
. .
pIre romaIn, pax rOlnana.
La conception dû Grand Empire est to ute romaine, comme
]a république d'où il sort. II rappelle l'empire romain parce
que Ies conditions en sont analogues, que Ie théâtre en est Ie
mêlne et que les conlbinaisons du gouvernement des hommes
sontlimitées; mais il procède de Rome à travers Charlemagne I.
C'est I'empire de Charlemagne pour l'étendue, les limites, les
marches, Ia disparate des é]élnenfs, l' étrange chaos des nat.ions
et des tribus, la suzcraineté suprême de l'empereur, la dis-
tribution des territoires à une hiérarchie de vassaux, les lieu-
tenants promus rois, les ancicns rois devenus lieutenants, Ia
confusion des grandes dianités de cour et des Grands offices
de I'État, et, dans le fond, l'imlnense réscrvoir d'hommcs,
l'elupire d'Orient, la Bussie, Ie monde gréco-slave qui
menace de s'écouler sur rEurope ct de l'jnonder. C'est l'em-
pire de Dioclétien pour I'administration, les codes, toute Ia
mécanique du gouvernement, des au-xiliaires étran{}crs, des
barbares enrégimentés, des confins miJitaires, et encore, au
delà, pour l'inconnu des forêts et des plaines sans fin, des
Scythes, des Sarmates et des Slaves. Charlemagne donne
l'idéal léaendaire; Dioclétien les réalités, les instruments
d'État. Après Brulnall'c, NapoIéon disait: "Jc suis César. .
J Voir, Jans mon étud(> Rur Monteøquieu, la conception que I'on se fai
ait de
Charlemagne au dix-hu:tiè'11c siècle, p. 157 -160. -
UI7.0T, Hi.
tnire de
F,'ance, t. I : Ch;11"!pm:l
ne et son flonvernement. - FU
TPr, nE
OULANGE
,
t. VI : de la continuité de l'Empire romain en Ocrident. - Cf. ci-ÙC8IU8 p. 5,..
ÂPOGÉE DU G RAND EM P IRE. - 1810. 463
Lors du sacre :<< J e suis Charlemagne I. 1J Après 1810: (( J e
suis un eñ\pereur romain... Vous qui savez l'bistoire, est-ce
que vous n' êtes pas frappé des ressemblances de mon gouver-
nement avec celui de Diocléticn; de ce réseau serré que
j'étends si loin, de ces yeux de l'empereur qui sont partout,
de celle autorité civile que j'ai su maintenir toute puissante
dans un empire tout Guerrier '. "
Ce gouvernement semble fait å son image, selon les calculs
de son ambition, selon Ie caractère de son génie. II s'y adapte
en effet à merveille; mais il s'adapte encore mieux avec les
conditions du gouvernement dans la France d'alors. On n'en
peut dire, so us ce rapport, ce qu'on a dit de celui de Charle-
magne, qu'il fut (C fait pour lui seul et tant qu'iI fut là J) ; ni de
celui de Frédéric Ie Grand, qui, construit de ses mains, ne pou-
vait être manié que par ses mains de grand homme, et devint,
quand il cessa de monter I'horloge, une cause de détraquement
généraI pour l'État 8. Le gouvernement de Napoléon se rat-
tache par des liens si intimes à toutes les fondations de l'an-
cien État français; il satisfait si directement aux besoins
de I'État nouveau, que les pou\roirs les plus divers se Ie sont
identifìé 4. II a servi tour à tour sous les Bourbons de la
branche atnée à Ia contre-révolution, et sous ceux de la
branche cadett.e å la révolution parlelnentaire, sous un nou-
veau Bonaparte å un retour à Ia démocratie impériaIe, sous la
République à établir la domination, de la démocratie républi-
caine sur les anciens partis dynastiques. Cette puissante
machine a marché près de cent ans avec les moteurs et les
mécaniciens les plus divers, remise à neuf, repeinte, rhabillée
àchaque révolution, appropriée aux découvertes nouvelles, pas-
I Et encore, en 1810. Expo.ê du .énatul-coniulte du i7 féyrier .ur la réunion
de Rome.
I VILLEl\IAIN, Souvenirs, chap. XIV: conversation avec Narbonne. - Duruy .
donné, dans son Histoire des Romains, un tableau admirahle de cet empire. -
Tj.INE, Régime moderne, t. I, live II, chap. III, paragraphe
: comparaison
ent.re Ie ßouvernement de Dioclétien et celui de
apoléon. CE. t. VI, 227, 363.
I Voir t. I, p. 470 et suiv.
Voir t. I, Iiv. II, chap. I Ie. traditioDs, la France, la nation et Ie ßouver-
Il(:w
nt.
484 LA rRA
CE :!T L'EUROPE. - 18tO.
iant de Is force de l' eau qui tombe à Ia force de l' ean VBPO-
rlsée, de Ia houille au pétrole et à l'électricité, mais toujours
identique dans ses rouages, ses ressorts et ses transmissions.
Si l'on considère dans cet éloignement et si l'on juge, à 18
durée, l'æuvre de Napoléon, I'homme d'État en lui, Ie civil,
comme il aimait à dire, apparait singulièrement supérieur å
I'homme de guerre. Le guerrier a fait des prodiges, mais il en
a éprouvé lui-même toute la vanité; si grande qu 'ait été sa
fortune, il en a vu la catastrophe, et cette catastrophe s'est
opérée sur les champs de bataille. Ce vainqueur a été vaincu,
et sur vingt-deux ans de carrière militaire les défaites des
trois dernières années ont anéanti les victoires des dix-neuf
autres. Au contraire, l'æuvre du Iégislateur et de I'adminis-
trateur a duré. Napoléon a créé plus de commis que de lieu-
tenants; les lieutenants se sont fait battre souvent quand
il ne les commandait pas. Les commis ont gouverné la France
après lui, durant toute une génération. lIs ont traversé trois
révolutions et, sous trois régimes, peuplé la magistrature, les
Conseils d'État, les Assemblées législatives. lIs ont fait école
et, de loin, par les règlements et les archives, ils adminis-
trent encore.
La France, certes, n' est pas libre en 1810; mais qui regrette
Ia liberté, sauf quelques-uns de ceux qui en ont abusé; qui
I'ont éreintée à leur profit, estropiée à leur service, ou qui
n'ont su ni l'établir dans les lois, ni la respecter en eux-
mêmes, ni la respecter en leurs adversaires, ni en faire rins-
titution de I'État, ni en faire Ie bien de la nation? Qui se sou-
\Tient d' avoir été libre et en quel temps? Pour ceux qui en
professent la religion, eUe est une espérance bien plutôt qu 'un
regret. La masse se contente de ce qu'elle a voulu avec une
passion constante de I 792 à 1800: la liberté civile et la
splendeur de la République. ElIe y a tout sacrifìé, elle n'est
pas encore lasse d'en jouir. Orgueil national et servitude
politique! La Convention et ses comités y ont dressé Ie
peuple français. Le peuple français fier de sa Révolution,
plus heureux d'en être sorti, s'estime toujours Ie plus éclairé
APOGÉE DU GRAND E
IPIRE. - UHO. 465
de runivers, flambeau des peuples, maître du monde, et
c'est encore une conception, très romaine, de la liberté
De plus, il se sent prospzre. Le blocus continental n'est
pns impopulaire en France. La rivalité traditionnelle avec
l'Angleterre, la haine sécnlaire de l'Anglais ont fail endurer
les pires sonffrances aux temps du blocus révolutionnaire;
maintenant la France souffre peu et profite beaucoup. Les
inconvénients pèsellt sur les penples annexés et sur les
alliés. La France ne reclleille que les avantages. Les licences
sont une source d'agio, de spéculations, de grosses affaires I.
Les denrées dont on est privé, Ie peuple en a rarement joui,
n'ayant encore l'habitude ni du sucre ni du café à bon
marché. Les riches payent plus cher, mais ils sont plus
riches. L'industrie se fonde et prOlnet pour l'avenir tout un
renouveau de richesse. L'agriculture, protégée, se relève. Le
système, même prohibitionniste, n'est pas une nouveauté. La
République n'en a j:unais connu d'autre. II sen1ble à la plu-
part des consommateurs un mal nécessaire, aux producteuri
un bienfait j.
On s'est fait de l'état de guerre avec les Anglais une habi-
tude. II faudra bien que les Anglais cèdent à la fin, et l' on s'y
acharne. II entre autant d'aveuffl
ment populaire en cette
rivalité que l'histoire y apporte de fatalités politiques. Ð'ail.
leurs, depuis Iéna, rien ne pnrait inlpossible; depuis Tilsit, la
coalition semble rõmpue; depuis Ie mariage, Ia paix continen-
tale assurée à jamais. La guerre a perdu son caractère formi-
dable d'autrefois, qui faisait de la France, hérissée contre
r étranger, un pays en proie, de Ia part de son propre gou-
verneUlent, à toutes les horreurs de l'invasion. Le gouver-
nement donne l
écurité; l' étranger ne passe plus la fro
-
I A l\lonta1ivet, 16 juillet, LECESfRE; décret du 5 août; à Lebrun, !O août
1810. Cf LUl\lßROSO, chap. IX.
'j Y oir CUAPTAL, SOUVI nil's, 2 e part., chap. II. - PASQUlER,
lémoire$, t. It
chap. XI. - I.ul\IBROSO, Napa/eone 1 0 e l'lughiltera : I'indu!trie française et Ie
blocU'ì continental; chap. IX : jugement8 sur I!" système continental: favorables,
p. 322-3
; défavorables, p. 335 et 8uiv. - TUIERS, t. VIII, p. 130; t. XII"
t. 55 et luiv. ; 188.
YII.
H
466 LA FRANCE ET L'EUROPE. - 1810.
tière, et Ia frontière n'est plus à vingt jours de marche de
Paris; c'est par semaines, presque par mois, qu'il faut compter
les étapes, de I'Oder ou de la Vi&tule, pour atteindre Ie Rhin.
L'invasion paraH aussi loin, et désorn1ais aussi impossible que
Ja Terreur. La guerre qui dure est une guerre de con6ns ou
de police, guerre d'État, guerre d'armée de profession, limitée
ct comme rcJéguée aUK extrémités, en Portugal, en Espagne,
dans les Calabres. La conscription continue de décimer Ie
peuple; mais les ci-devant nobles s'engagent, c'est une car-
rière; les bourgeois ont Ie remplacement et les places dans
l'administration; Ie paysan, Ie petit peuple des villes, portent
Ie sac, fornlant l'infanterie ; mais ce n'est point, aux yeux de
ces gens élevés à la dure, une charge nouvelle; ils la subissent
en silence : pour ceux qui ne sont pas tués c'est souvent
encore Ie grade et l' aven.ir; pour ceux qui sont restés dans
leurs foyers, l'enchérissement de Ia main-d'æuvre et les filles
dotées à épouser. Les fourrages se vendent cher; la remonte
est une industrie nationale et Ia vente des bêtes tempère,
pour Ie pa)
san, la réquisition des hommes. Les draperies,
les cuirs gagnent; les fournitures d'armées sont Ie plus lucratif
des comInerces; les banquiers du ministère de la guerre et
leurs commanditaires font des fortunes.
(C La période cOlllprise entre la fin de 1810 et Ie milieu de
l'année 1812 est Ia plus calme que nOllS ayons traversée
depuis Ie ConsuIat", rapporte Ie plus judicieux et Ie mieux
Ìnformé des contemporains. Et Ie peintre incomparable des
mæurs du siè.cle, Ie Saint-Simon de la France nouvelle :
uJamais, aux plus grands jours de la monarchie, l'aristocratie
française ne fut ni aussi riche ni aussi brillante I. "
II faut, si 1'011 vent comprendre Ie genre de popularité dont
jouissaient alors Napoléon et son gouvernemen t dans les
masses du peuple, se rappeler deux faits: run, que cette
popularité, un instant ébranlée par les désastres, s'est réveillée
aussitôt après et est demcurée, plus d'Ull demi-siècle, la tra-
I PASQuum, t. I, chap.
J:. - ßAJ.ZAC, la Paix du ménage. - L'aler&e dt
février 1811 n'acita pas Ie peuple; voir ci-après p. 521,..
APOGÉE DU GRAND EMPIRE. - i810. 4.67
dition nationale, et précisément dans cette partie de la nation
sur laquelle Ie poids de la guerre pesait Ie plus lourdement,
Ie paysan; l'autre, que les partisans de l'empire ont renoué,
après 1815, l'alliance avec les républicains et les libéraux et
se sont unis avec eux dans la révolution de Juillet. L'empire
a ainsi survécu dans ses causes et dans ses effets. Qui s' en
".eut rendre compte n'a qu'à. lire les conteufS et les poètes
qui reflètent et traduisent l'âme populaire et ne deviennent
grands eux-mêmes et populaires à leur tour que par ce reflet
et celte traduction : ainsi BaJzac, pour les passions des puis-
sants, les illusions des dévoués, les instincts de la masse et
Ie cnlte naïf des campagnes; Béranger, pour Ie souvenir du
peuple, la haine de la noblesse, la haine du prêtre, Ie goût de
l'impiété, Ie mélange de générosité libératrice des nations et
d'impérialisme ingénu; en6n, pour l'épopée guerrière et la
magnificence nationale, Victor Hugo I.
L'opposition, car il y en a une et redoutable à sa façon,
encore que latente et sournoise, n'est pas dans ceux qui S8
pourraient plaindre de l'empire; elle est dans ceux qui en
profitent, que l' empire à comblés : les hauts gradés de
l'armée, les dignitaires de la cour, les sénateurs, la tribu des
fonctionnaires, et, en particulier, les plus élevés dans la hié-
rarchie. Elle trahit une disposition commune non à provoquer
un changement de règne ; mais, prévoyant ce changement, à s'y
préparer, å s'y prêter au besoin pour conserver leurs grades,
leurs dotations, leurs emplois. C' est ici que parait Ie point
vulnérable du système, son vice caché qui n'est que l'envers
de sa puissance,
L'adlninistration est impersonneIle, elle est anonyme, elle
est athée en matière de gouvernement. L' ouvrier d 'État est si
étroitement lié à la machine qu'il continue sa besogne
comme la machine son mouvement, quel que soit Ie chef et
quel que nom que porte l'enseigne. Napoléon a par les places
1 Le Médecin de campagne, Ie Colonel Chabert, La Cousin
Bdte, Une TéntÍ-
brØtlfe Affail'e, Un lIIinage de gal'çon : les foul'nisseurs, If's intendants, Ie.
mi'J l'admiuistré, caractère de Bridau Ie
ère, etc.
468 LÄ. FRANCE
T L'EUllOPE. - i810.
satisfait les républicains de gouvernement, devenus les plua
fermes soutiens de son règne, ses conseillers d'État, ses pré-
fets d'élite, Ie fond de sa magistrature I. Mais à partir du
sacre, et de plus en plus, à mesure qu'il cesse d'être l'empe-
reur de la llépublique pour tourner au souverain, comrne les
autres, NapoIéon, soit pour les rallier, soit qu'ilies juge peu
dociles, appelle de préférence aux emplois de préfectures, de
finances, de douanes, au Corps législatif, dans ce qui sub-
siste d'assemblées locales qui sont à sa discrétioll, d'anciens
rOJalistes ou d' anciens agents de la Inonarchie. La lnagis-
trature seule, malgré Ia suspension temporaire de l'inamovi-
bilité en 1807, demeure une place de sûreté pour les bru-
. .
malrlens.
II en agit à peu près, avec ces royalistes, comme Henri IV,
sprès la messe, ayec les anciens ligueurs et les jésuites; il ne
s'en trouva guère mieux. Ce personnel, introduit dans les
cadres, fit glisser Ie gOllvernement in1périal vel'S l'ancien
régime, par les mæurs et par les habitudes, bien plus que
par les lois, et, de la même poussée, il l'ébranla insensible-
ment. II manque à ces agents l'éperon cOllycntionncl, Ie rude
ressorl républicain de ran II à l'an I V; rien ne les lie à la
République, encore Inoins à la Ré\'olution et, par suite, å
l'empereur qui en émane : leur intérêt, au contrnirc, est de se
D1aintenir en contact avec les rcpréscntants des régimes
déchus, d'où ils sortenl; de lnéllager les retours, les conver-
sions opportunes, par des rapprochements de personnes, des
complaisances qui préparent la défcclion. C& Décorés et riches,
ils tenteront de m'échapper, disait Xapoléon... Us ne courront
pas 5i ,pite que je ne sache bien les rattraper. JJ Le danger
pour lui n'était pas qu'ils s'échûppassent. Leur politique fut,
au contraire, de rester en place, de solliciter à extinction, de
recevoir H salÏété. Tant que N3poléon sera Ie plus fort et Ie
plus magnifique, ils ne Longe-ront point; qu'il tOInbe, ils Ie
laisseront ('romener, changeant seulement les couleurs de la
a Th,bauJeau, Jeam1Jon Saint-
ndré, :Merlin. Cf. liv. IV, p. 168-170.
APOGÊE DU GRAND EMPIUE. - 1810. .r.ß
livrée, tout rangés, déjà pour faire Ia haie au flotivenu rnaHre.
Ayant tiré du régime impérial tout ce qu'ils en pO"\lvaient
tirer, leur préoccupation sera de conserver sous Ie réffime
nouveau les titres et les biens acquis. lIs ticnnent ainsi les
emplois n en Garde noble" , en vue de l'inconnu et clu lende-
main. Ces anciens monarchistes vonl, d'un pas natureI, à la
royauté. Vers 1810, Ie fond de l'aùln
11istra(ion sc déplace
en ce sens-Ià, de sorte que la catastrophe de l'cmpire venue,
en 1814, il suf6ra de destituer les préfets fidèles à l'empire,
de donner aux nouveaux ou aux réinvestis des ordres péremp-
toires, pour que, sous l'iInpulsion de Paris, Ie changelnent
de régime dont les éléments sont disposés s'acconlplisse sans
effort et COIn me sans transition. J usqu 'en 1806, une restaura-
tion royaliste aurait soulevé contre eUe tous les intérêts du
pays, toutes les passions des hommes qui, dans ce pays cen-
tralisé, exerçaient Ie pouvoir : elle ll'aurait rencontré que des
obstacles. A partir?e 1810, eUe ne rencontrera plus que des
facilités. On ne connaîl point les Bourbons, on ne sait même
pas Ie nom de ces princes; mais que la défaite ait apIani la
route à leur chaise de post(', et qu'ils paraissent, tous les
relais, tontes les auberges et tontes les remises de l'État s'ou-
vriront à eux, et iis s'installeront COfilITle à l'insu de tout Ie
monde, par Ie concours de tout Ie monde. Napoléon s'est
couché dans Ie lit de Louis XIV; Louis XVIII trouvera sa cou-
verlure faite au lit de Napoléon.
, Ce n'était point la désobéissance, pas même l'insubordina-
tion; c'était nne disposition insidieuse à se passer de l'empe-
reur, à souhaiter tacilemf'nt qu'il disparÚt, à s'accommoder
de sa disparition. Au surplus, disait-on, lui seuI, par sea
ffuerres, par ses pré
enLjons à Ja monarchie uni,.erseIle, son
acharnement contre I' A.nglcterre, menaçai tson propre ouvrage:
il était Iui-mêlne Ie seul invincible des ennemis; il serait seul
responsabIe de sa propre chute, et il importait que ni Ie pays,
ni surtout ccux qui avaient charge de Ie ffouverner, n'en souf-
frissent. Ð'où une tendance sio(p.dière qui depuis Iongtemps
s' était insinuée dans l' esprit des rois frères, des maréchaux,
i7'8 LA FRANCE ET L'EUROPE. - 1810.
des grands dignitaire5, d'un Talleyrand, d'un Joseph, d'un
1\lurat, d'un BernadoUe, d'un Fouché; qui gagnait de proche
en proche, des hauts grades et des hauts emplois, aux sous-
préfets, aux contrôleurs des contributions, de la cour au nsc,
des banquiers aux propriétaires, des amis de l'Angleterre et
des amis de la Russie aux simples alnis de l'ordre et des fonds
publics : considérer les biens reçus, les libéralités impériales
comme leur propre héritage, Ie prix - souvent excessif -
de leurs services, comme un bien qu'ils tenaient du simple
hasard de leur naissance; qui n'emportait, en conséquence,
ni obligation ni gratitude. Le souci dominant de garder ce qui
leur appartenait et de jouir, à la fin, des munifìcences ou
des bénéfices de rempire, COlnlne en 1800, la masse des pro-
priétaires nouveaux et des nouveaux riches entendait jouir de
la Révolution et des biens nationaux. Bref : la paix dans l'em-
pire restreint et I' empire sans i' empereur.
On va voir, en parcourant Ie Grand Empire, ses annexes,
ses feudataires, ses alliés, des dispositions analogues dans les
nations de I'Europe, non seulement celles que I'empire
opprime, mai
encore et surtout celles qu'il suscite et qui bri-
ent, en surgissant, Ie moule où illes a formées.
De tons les peuples annexés, alliés ou assujettis, les Suisses
sont les plus patients et les plus neutres; les Belges, les plus
récalcitrants; les Hollandais, les plus obstinés; les Italiens, Jes
plus détachés; les Espagnols, les plus irréconciliables; les
Polonai.s, les seuIs chaleureux; les AlJemands de la rive gauche,
les plus affectionnés; les Allelnands de la rive droite, les plus
soumis, mais foncièrement hostiles; les Prussiens, les plus
haineux. Au delà, l'influence est peu perceptible alors, indi-
reete, ou nulle ou négative.
SUISSE, BELGIQUE. BðLtANDE. - 1810. 4071
11
La Suisse était un passage å occuper et å garder. Elle était
tranquille et, jusqu'au blocus, prospère. L'esprit national,
violenté par Ie Directoire en 1798, s'y conservait intact, assèz
fort pour rendre périlleuse une annexion que la fìdélité du
pays rendait inutile. Cette république affermit son corps
d'État SOllS la tnédiation de l'empereur. Elle demeurait en
paix; la France garantissait son indépendance et sa sûreté I.
Elle fournissait 20,000 hommes en quatre régiments et un
dépôt, à la soIde de la France; mais, SOlIS l'ancien régime,
elle en tenait 12,000 au service du roi, et ce service, dans
plusieurs cantons, formait une carrière. On ne peut dire que les
Suisses souhailassent l'affermissement du Grand Empire; on
ne peut dire davantage qu'iIs en désiraient passionnément la
chute. Ill'attendaient sans révolte; ils st en réjouirent, et Ie
bloCllS, qui contrariait leur industrie, en fut la principale
cause; mais iIs n'y mirent point d'excès, étant de tous lei
Européens so us la suprématie française les plus ménagés, les
moins tirés hors d'eux-mêmes. II en allait tout autrement des
pays réunis à l'empire, comme Genève ou Ie Valais, où sévis-
sait la conscription; Genève
urtout qui avait perdu son auto-
nomie. Cette petite république, calviniste et individualiste,
De parlait français que pour manifester son hostilité å la
France: elle avait conquis intelJectuellcment la République
française avec Rousseau; Ia revanche, toute matérielle, de
Napoléon, lui semblait insupportable
Le Consulat avait paru bienfaisant nux Belges I : il les
débarrassait du Directoire, de l'arrière-garde pillarde, des
trainards de la Révolution. lIs surent gré à Napoléon de tout
I Traité. et convention du 27 septembre 1803.
I Cf. t. I. p. 137 : JOlcph II.
412 LA FRANCE ET L'EUROPE. - ISl0.
Ie mal qu'il ne faisait pas; iis lui surent gré de l'ordre rétabli,
de la religion restituée, de la propriété garantie. Les lois
nouvelles, Ie Code civil, satisfaisaient l'ancien parti des
réformes, la bourgeoisie. Les ci-devant nobles demeuraient
hostiles; les paysans, rétifs. Ce qui rendait l'empire populaire
en France leur était indifférent, lorsqu'il ne leur était pas
odieux. La gloire ne tenlpérait pas pour eux Ie fardeau de la
conscription. Ils n'avaient goût ni à se battre ni à payer
l'impôt pour Ie compte des Français. lIs reslaient très belges,
attachés à leurs traditions, se souvenant de leurs coutumes;
desireux de recouvrer leur indépendance, leurs fJ'anchises
provinciales. L'unité les vexait. La rupture de Napoléon et
du })ape ne fut nulle part plus ressentie que dans ces pays
où Ie catholicisme avait gardé toute sa vigueur, Iié à la vie du
peuple par les innombrables confréries. C'étaient les mêmes
Belges qui s'étaient révoltés contre Joseph II parce que cet
empereur prétendait les cOlltraindre au régime des C( lu-
mières JJ. Le régime d.e Joseph n'était qu'une ébauche d
celui de Napoléon. Napoléon accomplit ce que Joseph avait
confusément projeté. Les Belges profitaient ccpcndant de son
administration vigilante, de ses ponts et chaussées; mais Ie
blocus contrariait leur activité. Anvers, destillé à devenir Ie
premier port sur la Manche, restait un port inerte, encombré
de bateaux vides, destinés à l'invasion de l' Angleterre. Ces
peuples souhaitaient la fin d'une crise qui les rendrait à eux-
mêmes. Très peu songeaient à l'Autriche; presque tous à une
Belgique indépendante, Ie rêve de 1789 à 1792, au temps de
Dumouriez : Ies États-Unis de Belgique. lIs étaient mùrs pour
l'invasion; ils y verraient la délivrance.
De même, et à plus forte raison, en Hollande. Et cepen-
dant, en ce pays même, les lois de l' empire, empreintes
d'égalité, encore qu'elles soient moins nouvelles et paraissent
moins nécessaires qu'ailleurs, ne laissent point d'aInéliorer la
condition des homn1es, La France sème un germe de progrès
qui se fécondera dès que ses armées cesseront de piétiner Ie
101. En attendant, Ie plus clair effet de la suzerainelé directo-
tTALIE, ESPAGNE - 1810.
478
riale et de la don1ination napoléonienne est de rompre les
traditions d'amitié qui avaient longternps subsisté entre les Hol-
landrris et les Français, d'effacer la mémoire de H
nri IV, de
réveiller les souvenirs de Louis XIV, et de confondre la Grande
nation dans I'hostilité autrefois portée au grand roi. II y en
eut d'autres. La suppression du régime fédératif, la distribu-
tion du pays en départements, Ie ffouvernement unitaire et
centraIisé imposé par les coups d'État du Directoire et poussé
à son terme par Napoléon, ont brisé l'ancien moule de I'État
néerIandais et dressé au gouvernement monarchique des
peuple
si longtemps fidèles à leur oligarchie républicaine et
à leurs libertés provinciales. Rcndre possible en Hollande
l'établissement d'une monarchie hostile à la France, et trans-
former tout I'État hollandais en la barrière autrefois imaginée
contre Louis XIV, voilà ce qui se prépare depuis 1795, ce qui
s'annonce en 1810, ce qui se fera sans effort et du consente-
ment des I-Iollandais eux-mêmes en 1814. La force des
choses incline à la suprérnatie anglaise cette nation que la
France en chaine et ruine en la coalisant de force contre
I'Angleterre. Les .A.nglais, dont ils ont tant souffert par Ie
fait de la France, leur apparaîtront des libérateurs quand ill
chasseront les Français.
III
II existe en Italie trois dominations : les départements
français, Ie royaunle d'Italie, Ie royaume de Naples; plus les
enclaves, la principauté d'Élisa, Bénévent, Ponte-Corvo. En
réalité, la France domine partont : elle règne, par des prête-
norns, lå OÙ elle ne gouverne pas directement. La grande IlOU-
veauté, c'est que l'Italie Il'est plus une expression géogra-
phique : il y a un (& royaume d'Italie ": ce royaume a sel
frontières ouvcrtes aux Italiens.
Les Ita]iens, encore que sous la police étr
ngère et au service
...71 LA FRANCE ET L'EUROPE. - 1810.
étranger, circulent en Italie, s'y sentent chez eux; ils ont une
patrie, non plus seulement dans les livres et dans les mots;
ils n'en sont pas les libres citoyens et les maîtres, mais ils la
connaissellt, ils Ia touchent par Ia terre que foulent leurs pieds,
par l'air qu'ils respirent. Les départements français- Rome,
la Toscane, Ie Piémont - sont administrés à la française,
avec les lois françaises, par des préfets et des agents français.
Dans Ie royaume dont Eugène est Ie vice-roi, c'est Ie même
gouvernement, par des mains italiennes; et, à peu de chose
près, il en va de même chez Murat, à Naples. II y a donc, en
ce pays, naguère morcelé et coupé de murs, unité de lois, unité
de conception sociale, unité de conception politique, idenlité
de régime, silnilitude d'administration. Napoléon les dresse à
l'unité nationale; il en forme les cadres; il en crée les
organes; il y intéresse Ie peuple entier par son Code civil. II
accomplit Ie dessein qu'il avait esquissé en 1797 : supprimer
peu à peu les rivalité locales; créer, dégager, élever une âme
nationale. CI
lon intention, disait-il à Sainte-Hélène, était
qu'après ma mort toute l'ItaIie fût réunie en un seul
royaume ayant sa capi tale à Rome, et dont mon deuxième fils
eût été Ie souverain. "
L'Italie est à Napoléo
tout entière, et par ce fait, en réa-
lité, l'Italie est une. Rapprochelnent des hommes par Ie ser-
vice 111ilitaire dans une même armée, la grande, dont ils sont
les auxiliaires, qualld iis n'y sont pas conscrits, et dont ils
forment une des ailes; rapprochelnent des classes par les lois
d'égalité; les monuments antiques restaurés; la tradition
romaine réveillée, lllasnifìée; routes ouvertes, sécurité de la
vie civile, justice meilleure, administration éclairée; moins
d'abus et d'exactions; de I'ordre, des travaux publics
immenses, les instruments de la prospérité : voilà ce qu'on
observe en passant des départements au royaume, et à un
nloindre degré, à un degré très intéressant encore å Naples.
'I L'esclavage s'embellissait " , dit Botta. J'interroge un
contemporain, disgracié de l'empire, qui n'est suspect ni
de complaisance napoléonienne, ni de superstition révolu-
ITALIE, ESPAGNE. - 1810.
-'15
tionnaire, ni d'hostilité aux monarchies déchues; mais qui
avait Ie sens de la grande histoire ct, au plus haul degré,
l'instinct des magnificences de l'histoire de France, Chateau-
briand : u Ces royautés nouvelles d'une dynastie militaire,
dit-il à propos de Naples, avaient fait renaitre la vie dans des
pays où se ll1anifestait auparavant la moribonde langueur
d'une vieille race. Robert Guiscard, Guillaume Bras-de-Fer,
ROffeI' et Tancrède semblaient être reyenus... I Nous avons
porté à Rome Ie germe d'une adlninistration qui n'existait
pas. Rome, devenue Ie chef-lieu du département du Tibre, fut
supérieurement réglée... Les Français, en traversant Rome, y
ont laissé leurs principes : c' est ce qui arrive toujours quand
la conquête est accomplie par un peuple plus avancé en civi-
lisation que Ie peuple qui subit cette conquête... Napoléon est
grand pour avoir ressuscité, éclairé et géré supérieurement
I'Italie. "
1\Iais, naturellement; l'idée du risorgimento sort de cette
transformation; elle fermente dans les sociétés secrètes, les
charbonneries, les loges; dès 1797, tout ce qui, en Italie,
procédait directement de la Révolution française, s'en iden-
tifiait l'esprit, s'enflammait pour l'unité de I'Italie. Cette
passion prend corps. L'Italie existe; aux Italiens de s'en
emparer. L'idée vient de France, les Français l'ont réalisée;
mais elle tourne contre eux et leur domination, et cette
faction, toute nationale, tend å expuIser les Français d'Italie,
COITlme naffuère les Allemands.
L'Italie aux Italiens! L'empire sans l'empereur des oppo-
sants français. C'est conserver les bienfaits de la domination
napoléonienne en secouant la suprématie étrangère. Comme
il se trouve en France nombre de parvenus, béné6ciaires et
donataires de Napoléon pour souhaiter en secret ce dénoue-
ment et, l'heure venue, Ie faciliter à leur profit, il se trouve
en Italie, en contraste avec Ie loyal Eugène et l'avisée
I II ajoute : "Moins la chevalerie ., ce qui est un mot d'auteur. Murat ay.it
au moina Rutant de chevalerie dans l'âme que ccs fameux Normand., et qu.lque
chose d. plua, qui venait de la Révolution.
7ß LA FRANCE ET L'EUROP'E. - 1810.
Élisa, un beau-frère de l'empereur, un soldat de Ia Rép
-
blique, devenu roi par la grâce impériale, pour rêver une
défection à laquelle son étendue et ses motifs superbes don-
neraient quelque apparence d'aventure conquérante : réunir
les morceaux de I'État, rassembler les forces de la nation et
consommeI' l'unité en se faisant roi d'Italie.
Iurat, jaloux d'indépendance, au moins pour son panache,
prend au sérieux son règne et sa couronne, se croit pré-
destiné à la régénération de I'Italie et croit I'ItaIie nécessaire
à sa gloire. Le Génois Maghella, créature de Salicetti, et qui
Ie remplace au ministèrc de Ia police, conspirateur au pouvoir,
comme en France Fouché, dont il semble l'émule, flatte cette ·
passion inavouée, gonfle de ses utopies nationales cette cer-
velIe romanesque et creus
, et 1\lurat, désormais, marche
dans son rêve qui fera de lui un traitre à sa patrie de nais-
sance, la victime héroïque et dupée de sa patrie d'adoption.
Préoccupé, très prématurément, depuis Ie mariage, de l'hos-
tilité qu'il attribue à la maison d'Autriche, pour sa maison, it
cherche à se rassurer lui-même, et pour obtenir des garanties,
offre des gaffes. II s'aventure en des intrigues louches.
William Bentinck, proconsul anglais en Sicile, l'abuse et, pour
Ie perdre, l'entretiendra dans l'illusion que I'Angleterre, en
reconnaissance de sa défection, reconnaîtra sa royauté, lui
facilitera l'hégémonie de I'Italie; tels, en France, les amis de
l'Angleterre qui s'imaginaientgagner, par cette n1ême défection
la monarchie constitutionnelle et les Iimites de la République :
l' empÙ'e sans l' elnpereur /
Ce serait Ie væu de Joseph si son ambition intime ne Ie
poussait plus loin: devenir l'empereur de cet empire-Ià. Des
amis habiles Ie poussent à abandonner rEspagne qui Ie rejette :
il laissera toute la responsabilité de la catastrophe à l'empe..
reur; il passera pour Ie conseiller méconnu, la victirne poIi.
tique; il attendra, dans sa fastueu'se retraite, sa revanche qui
sera celie de Ia philosophie, son heure qui serR celIe de la
paix; Ie présent sera doux, l'avenir intéressant. M,\is Joseph
ne se peut déprendre de sa royauté ; les Espagnols sont pour
ITALIE, E5PAGNE. - 1810.
471
Illi des 5ujets égarés dont
apoléon et ses maréchaux entre-
tiennent seuls 1 'hostilité. La grossesse de
Iarie-Louise
dilninue ses chances de succession à l'empire. Enfin, il est
rivé au trône par sa vanité fondamentale. II menace J'abdi-
quer, s'il imagine que sa menace désarmera Napoléon ; s'il se
figure que Napoléon Ie veut, à la façon de Louis, réduire à
l'abdication, il s'ernporte et se cramponne. (( Je ne puis rester
ici qu'autant que je pourrai faire Ie bonheur de Ia nation
espagnole en servant la politique de l'empereur IJ , et il reste,
contrariant Ia politique de l'empereur, haY ou dédaigné des
EspagnoIs I.
L'Espagne, pauvre et forcenée, en loques d'idées comme
d'uniformes, sans penseurs, sans poètes, continue à défendre
son isolement farouche, ses rochers, son inquisition, dans une
ffuerre dont la gloire reste anonyme comme ses féroces héros.
Pour les Français, épopée inouïe de brigandage et de chevalerie.
Des courses, dans la nuit, au milieu des embuscades; si l' on
est pris, les supplices, l'écorcheinent, la mort dans l'ordure.
Si ron arrive, de "ieux châteaux sOInbres, aux intérieurs
rehaussés d'or, des d
ners somptueux, des bals; au sortir, des
déserts semés d' osscments, des oasis, des caux jaillissantes,
en gerbes gaies, dans les Lassins oInbragés de citronniers et
de cyprès : des treilles, des orangers qui portent, en toute
saison, des fleurs et des fruits; les femmes aux fenêtres pour
savourer la !lonie du Français s'il est vaincu, l'attirer d'un
sourire s'il est vainqueur; les aventures de Roland chez les
Sarrasins de ],Arioste, les délices de la Sicile musulmane
et de la Palestine galante; de Ia religion et du fanatisme
partout, jusque dans Ie libertinage; des moines sangui-
naires ; des prêtres bourreaux; des femmes qui se Iivrent
par sensualité et qui,par patriotisme, livrent leurs amants ; des
populaces terrifìées et terroristes; des mégères tortionnaires,
des tortures obscènes; une truculence de viols, de boucheries,
de pendaisons, d'incendies; une combinaison horrifìque de
· Mhnoires de }'liot. - Joseph A Napoléon, 7 .epterabre 1800. DUCd8B.
478
LA FRANCE ET L'EUBOPE. - i810.
Don Quichotte et de
IontIuc, du romancero du Cid et des
tragiques d'Agrippa d'Aubigné 1.
Les Espagnols luttaient afìn de rester eux-mêmcs; Ia
guerre ne les changea point. lIs donnent un grand exemple,
mais ils n'en profitent pas. lIs ne surent pas trouver Ie chemin
qui de l'indépendance reconquise ramène à la grandeur
nationale. Leur haine du Français fut stérile comme leurs
rochers, Inortelle comme leurs marécages.
Ce n'est point que Ie souffle qui passait sur eux ne les ait tou-
chés. II se forme au cours de la luite une nlinorité de patriotes
Iibéraux, à la manière des Girondins de 1792.
Iais ce parti
qui n'était destiné, durant des années, qu'à fournir des vic-
times, ne suscite d'abord que des illusionnés. Tels les oratellrs
des Cortès qui se rassemblent à Cadix en 1810 et élnhorcnt la
constitution promulguée en 1812; I.eur ouvrage s'inspire de
la constitution de la France en 1791, adaptation timide d'ail-
leurs, et très espagnole, sur l'article de la religion: la liberté de
conscience est exclue. Cette constitution, qui présentait tous
les défauts de celie qui lui avait servi de modèle, est restée
célèbre dans les pays méditerranéens : eUe a gardé, des temps
héroïques où elle est née, un prestige d'utopie.
D'ailleurs une machine de guerre contre les étrangers.
Rien n'apaisa les Espagnols, rien ne les pouvait gagneI'. Les
bons gouverneurs, humains, intègres, éclairés, comnlC Suchel
en Aragon, purent commander Ie respect pour l'homme; ils
n'adoucirent point l'avel
sion pour Ie peuple conquérant.
Dne seule passion les obsède, les meut, les rassemble :
expulser les Français, les maréchaux prévaricateurs aussi bien
que la cour onéreuse de Joseph, Ie I'oi piteux et les soldats
exécrés, confondant dans la même réprobation l'empereur,
son frère et la nation française. Le flux de la Révolution opère
cornme celui de I'Océan contre les grandes fa]aises, quand Ie
vent d' ouest Ie pousse : il se gonfle en v8gues énormes, il se
lance à l'assaut, il se brise contre Ie mur de pierre; il relombe
I Souvenirs d'Espincba], Parquin, nocca, Gonnevil1l', Lrjcune, Thiébault,
Marbot, Pepe; leltrc8 de RUGeaud; propol de Lasalle, dans ROEDEilER
POLOGNE, ILLYßIE. - 1810.
Ao7ta
en écume, s'écrasant soi-même, et il engloutit Ies malheu-
reux marins qu'il emportait dans sa course, à l'assaut du roc
inaccessible.
II fant se porter à l'autre extrémité de l'empire pour trouver
un pays OÙ l'action de la France se soit exercée simple, directe,
bienfaisante,libérale, telle que la France la devait concevoir:
la Pologne, ou plutôt Ie duché de Varsovie 1. C'est que Napo-
léon y a repris l'æuvre de régénération nationale rompue en
1791 '. Le statut constitutionnel du 22 juillet 1807, complété
par Ie Code civil, mai 1808, c'est la constitution du 3 mai
1791 adaptée aux nécessités nouvelles et remaniée dans I'es-
prit des cc constitutions J) de l'empire. Dans I'ordre social, un
pas immense = I'abolition du servage et, pour élever par
degrés Ie peuple des affranchis à la condition de propriétaire
libre et de citoyen, l'éealité des classes, la publicité de la jus-
tice. Dans I'ordre politique : un duc, héréditaire, assisté de
ministres responsables et formant un conseil d'État; un Corps
législatif élu par la noblesse et par les villes; un Sénat
nommé par Ie duc; Ie vote de I'impôt et la discussion des lois.
Dans I'armée, l'avancement ouvert, et la croix d'honneur
accessible à tous. Mais s'iI essaie de ressusciter la PoIogne,
Napoléon ne la peut tirer du tombeau que dans I'état OÙ elle
8 été ensevelie. Le duché de Varsovie n'est qu'un fragment
de la Pologne démembrée en 1793, dépecée en 1795. EUe
revient à soi avec toute la vaillance et les nobles chimères
qui l' ont aidée si longtemps à défendre sa vie, mais aussi
avec les factions, les rivalités qui I'ont perdue et livrée à ses
ennemis. C' est toujours la Iutte des législateurs patriotes de
1791, héros civiques, de la grande diète de quatre ans, main-
tenant partisans de la France et de la réforme à la française,
contre les confédérés de Targo\vitz, de 1792, aristocrates du
parti de la Russie. Ces magnats, écrit Davout, ne vouIaient
c( nolre assistance que pour recouvrer leur influence despo-
l1que; jamais ils ne nous ont aimés J) . Les réformes les attei-
J B:mWN, RAMBAUD; BO
NEFONS, Saxe; Cor,.. de Davout.
I Voirt. II, p. 1:12 et suiv; 457 et suiv.
48i LA. FRANCE :ltT L'EUROPE. - lS10.
nent dans lenr richesse et dans leur orß'ueil. "La petite noblesse
qui n'a rien :ì perdre aux changements et qui ne peut qu'y
gaffner de In considération et des biens, Ie bourgeois qui
attend tout des principes français et rien de la générosité des
patriciens forment la masse de I'autre parti : il ne D1anqne
pas d'hommes entreprenants et éclairés. On n 'aurait à se
mé6er que de son exaltalion. Cette classe est Ie selll instru-
ment qui puisse servir aux desseins de la France. Elle tend å
former un peuple. Ses intérêts sont d'accord avec les nôtres I. "
Les hommes abondent, I'argent fait défaut ; Ie blocus stérilise
I'agriculture, anéantit Ie commerce des blés, seules sources
de la richesse. II y a 20 millions d'arriéré, 20 rnillions de
déficit par année. Puis Ie temps manque. Le duché n' est
qu'une pièce dans I'armure de I'eInpire; c' est une pièce pesante,
aux extrémités OÙ elle est placée, Ie premier coup de bascule
la fera chavirer. Napoléon n'a fait qu'y passer. ComIne Ie
Comité de Salut public, com me Ie Directoire; son intérêt pour
la Pologne s'est toujours subordonné aux intérêts de sa poIi-
tique en Russie, en Autriche, en Prusse. Toutefois il a fait
plus que les deux gouvernements précédents et il a fait assez
pour que son influence ait été profonde et que son interven-
tion ait laissé des traces durables. N ulle part In Iéflende napo-
léonienne n'est demeurée plus populaire et plus vivace. C'est
la nation, rare entre tontes celles que les armées françaises
ont occupées de 1792 à 1813, où elles u'ont laissé que de
grands souvenirs sans amerlunle et semé que la reconnais-
sance;celleaussi oùl'on ne souhaitait, en 1810, ni Ia chute
de la France, ni Ie recul de sa puissance et oÙ, dans la n1émoire
des hommes, la France n'a point été séparée de Napoléon ni
I'empire de I'empereur.
Ce serait la seule sans I'Illyrie, cette autre marche en pays
slave. En Pologne, la snprématie française réveillait un grand
peuple gisant à terre, mutilé, aSSOffilné. Ici, elle appelle à la
vie Je
peuples qui n'avaient d'histoiY>e que pour se souvenir
I Oavout, 9 octobre fSOB.
LES ALLEMA:NDS. - 1810,.
4-8t.
des maîtres qui les exploitaient sans inteIlig'ence et sans ju
tice.
Des lois - Ie Code civil - des juges équitables, des adminis-
trateurs vigiIants; des routes ouvertes, des torrents endigués,
les fleuves rectifìés en leur cours; les écoles, la tolérance
religieuse; tout l'inconnu, tout Ie bienfait du gouvernement
éclairé, voilà ce que leur apporte, sous I'impulsion de rem-
pereur, Ie gouvernement français de Marmont. Aussi, dit un
explorateur récent de ces contrées, son nom se retrouve par-
tout. II n'est ni vilIe ni village qui n'ait la rue ou fa place
Iarmont. u II est rnonté à chev'al, racontent les paysans, et iI a
dit : " Que I'on fasse des routes! 11 Et quand il est descendu de
cheval, les routes étaient faites I I .
III
Nullc part la révolution dans la société civile ne fut plus
efficace, plus durable; n'entraîna une révolution plus COffi-
plète dans Ie gouvernement des hommes que sur Ja rive
gauche du Rhin : elle faillit même entrainer une transfor-
mation nationale, et ce fut essentiellement I'æuvre du con-
sulat et de l' empire i. La Convention avait conquis et réuni
la terre; Napoléon assimila et affectionna les hommes. Illes
fit entrer non seulement dans la paix romaine, Ja paix de
l'empire, mais dans la patrie française. Ce qui a subsisté
d'attaches françaises en ces pays est dû à une administration
supérieure, å des préfets impériaux sortis de la Révolution,
comme J eambon Saint-André à Mayence I; å une justice équi.
table, à l'ordre dans la perception des impôts, à la suppres--
I PI8AlU, La Dalmatit!. - René l\hLLET, It!s Balkans. - CharJol DIEHL.
I Ernest ÐEl'{IS, l' Allema:JllP. - RAMBAUD, l' Allemagnt! SOILS Napol/on. -
PEI\THES, HÙFFER, HAÜSSER. - BOCKENUEIMER, Mainz. - HESSE, Bonn. - Com-
parez t. I, p. 431; t. IV, p. 1.5S; t. V, p. i66; t. VI, p. 31.6.
I
AINTE-BEUVR, lVouveaux LU1l.dis, t. VIII. - PUYlUIGRE, Souvenir.. _
ÐEUGNOT, ltfimoirl8.
'II,
11
482 LA F I\ANCE ET L'
UI\OPJ:. - i
10.
sion du régime seigneurial, à la propriété ouverte à tous, au
Coùe civil en un mot; à la tolérance reIigieuse; à I'industric
encouragée, à la prospérité de l'agricuIture par les fournitures
militaires; à tant de débouchés ouverts au travail, à l'ambition,
dans l'armée, dans la magistrature, dans les douanes; à tous
les avantages que procurait à des hommes parlant les deux lan-
gues I' extension continue du Grand Elnpire en terre allemande;
enfìn 1 'honneur et les bénéfìces de I'union avec un grand peuple
prospère, maître des affaires, possédant Ie gouvernelnent Ie
plus éclairé du continent, l'arn1ée la plus glorieuse, la fierté de
servir un grand homme et de participer à Ia gloire de la pre-
mière nation du moude. << Le régime, écrit un Allemand I,
était sé\-ère et viril; pourtant les Rhénans vivaient unis dans
un heureux enselnble, et grâce à la grandeur de leur pays, à
l'activité mutuelle, ils se procuraient faciIement leurs besoins;
ils avaient une constitution libérale et une condition égale å
celIe des autres; ils trouvaiellt les lnanières, à Ia fois aimables
et libres, des Français plus agréabIes que Ie ton rude et pédan-
tesque de leur race allemande; ils ne sentaient rien ou bien
peu des misères dont Napoléon remplissait I'Europe, puisque
leur territoire servait de lieu d elltrepôt OÙ la France déposait
son butin; ils voyaient emplo)Tés ct dépensés dans leurs
propre pays, non seulement Ie montant de leurs propres
impôts, nlais des sommes considérables venues de tout I'em-
plre. J)
Les départements de la rive gauche du Rhin sont, dans l' em-
pire de :NapoléoIl; ce qu'était I'.A.lsace sous l'ancien régilue,
en face de la liguc ùu Rhin, DHtÌS une Alsace plus étendue en
face d'uuc ligue du nhin lrès anlpli6ée. Les Rhénans sont, å
es' yeux, des Français, et il les traite comme tels; les Alle-
mallds de la rive droitc sout des étranuers. Jl gouverne en
vue d'idenlifier les prenliers à la France, et d'assujettir les
secolld8 à la politique française. Encore qu'il dOluine sur les
deux. rives du nhin, Ie Rhin est une barrière politique, bar-
BOOST; JTTa, waren die Rheilllâllder. (Revue cr:Jti'Jue.)
LES ÂLLEMAND5. - 1810.
4sa
rière de douanes, de police et de censure. La circulation
d'une rive à I;autre est difficile. Napoléon ne rêve point, ici,
comme en Italie, la fusion des populations. Son Allemagne
demeurera morcelée et confédérée. Sa politique n'est que Ie
prolongement et l'extension de celIe des anciens rois et de celIe
du COlnilé de Salul public. Si, COlume ce comité, dont il con..
tinuait en Allemagne ainsi que partout en Europe l'ouvrage,
il silnplifìe la carte et prép:lre l'unité, ille fait sans en con-
naitre les conséquences : il n'y voil qu'un instrulnent de règne
elle InoJen de COlllpléter les erfets de la paix de 'Veslphalie I.
Dans I'Allemagne ainsi réorganisée, selon les " lU1l1ières du
siècle JJ, les nlonarchies Ilapoléoniennes sout destinées å
devenir des foyers de l'iuflucnce frallçaise, des Inodèles pour
les princes, des centres de rallielnent pour les peuples, l'état-
Iuajor de la Confédération du Rhin. lIs forment la transition
entre l'annexion et Ie vasselage, et Napoléon y a mis tout ce
qu'il a eru pouvoir introduire de Révolution française dans les
lois, d'elnpire français dans les gouvernements. "II faut,
écrivait-il à JérÔlne, que vos peuples jouissent d'une liberlé,
d'une égalité, d'un bien-être inconnus aux peuples de la
Germanie, et que ce gouvernemellt libél'al produise, d'une
manière ou d'autre, les changernents les plus salutaires au
système de la Conféùération et à la puissance de votre monar-
cls.ie.)) - t, Ce que désirent avec impatience les peuple3
d'Allelnagne, c'est que les iildividus qui ne sont point nobles
et qui ont des talents aient UIl érral droit à [Ia] cOIlsidératiou
[du gouvernement] et aux enlplois; c'est que toute espèce de
servage et de liens internlédiaires entre Ie souverain et Ia
dernière cIa sse des peuples soit entièrement abolie... Cette
conduite ira au cæur de la Gern1anie 2. IJ
Ce fut, en effet, la plus belle des nouveautés pour les Alle.
ICE. t. I. p. 281, 400; t. IV, p. 225, 227, 299; t. V, p. 261-
I NapoMon à Jérôme, 15 novembre 1807 : constitution du royaume. _
DUCA.5SE, les Rois freres. - KLEINSCHMID1', Westfalen. - GOECKE, Westph..
len, Berg. - THUUIJ
, Ilannover. - DARMSTÆD1'ER, Erall.kfw't, - PKRTBBI,
Ihí'.i.:iER. - J.
lemoin
s de Thiébauh, de .Nol'vin:i, du roi Jérðme, do Bo..
ßllot. -
G, lieillhart. --
"8
LA FRANCE ET J/EUI\OPB. - 1810.
mands de la 'Vestphalie et de la Hesse, d'entendre pnhlier et
de voir se réaliser, à leur avantage, des articles teis que
ceux-ci : C& L'égalité de tous les sujets devant la loi et Ie libre
exercice des cultes; tout servage, de quelque nature et sons
quelque domination qu'il puisse être, est supprimé. Le sys-
tème d'impositions sera Ie n1êlne pour toutes les parties du
royaume La noblesse subsiste... dans ses qualifications, matS
sans donner ni droit exc1usif à aUCl1ne fonction ou diffnité, ni
exelnption d'aucune charge pnblique. Le Code Napoléon for-
mera la loi civile du royaume... I.Ja procédure sern pubIique
et Ie jUß'ement par juré aura lieu en matière criminclIí'. " La
conscription même parut un adoucissement matériel et moral
à l' enrôlement à coups de bâton; les conscrits entraient aux
régiments westphaliens, au service de leur propre roi; ils
trouvaient plus d'honneur et de profit à cOlnbattre avec la
n Grande Armée " qu' à se faire tuer pour procurer å
leurs princes quelques sacs de livres sterling. (C Rarement, dit
un historien allemand, un pays a reçu de si bonnes lois que
eet 'éphémère royaun1e." En outre, de bons ministres, intel-
liffents et intègres; des Français sortis de Ia Révolution, des
Allemands élevés à I' écoIe du despotisme éclai ré. Mais que)
que fût Ie réel bienfait de ce régime, queUes que fus!;ent - et
eJles se]nhlaient infìnies -la docilité des peuples, la serviJitÉ
des nobles et des bourgeois, tout s'effaça, tout se gâta parce5
deux vices, tnhér
nts non au régime, mais aux circonstances :
Napoléon qui exiffe
it trop d 'hommes, de chevaux t't dE
canons; Ie roi Jérôme, qui exigeait trop d'argent, prodi{r ne
libertin et qui épuisait I'État en bâtiments, chalnbcllans
mattresses, astragaIes et mascarades. En faisant de cet aimablc
et joyeux officier de marine un roi allemand, Napoléon II
livra à tous les excès de la vieille Allemagne princière. Ce ro I
devint Ie principal obstacle au succès de son gouverneInent e
å la durée de son royatune.
D'où, chez les peuples, l'instinct d'aborcl ; puis, peu, it. peu
Ie dégir raisonné de se soustraire à l'exploitation de l'étrange
tout en conservanl les avantaßes du gouvernerncnt de
LES ALLE
lA:N DS. - 1810.
48a
étrangel's. Le royaume de Westphalic cOlnbiné pour con, ertir
1 Allelnatllle à la suprématie franç
ise travaille en réalité à
relever l'âme allemande et à y jeteI' l' espoir ou I'illusion
d'aue mcilleure AlIemaHne qui réunirait les bienfaits de la
conquêle avec la dignité et la douceur d'une patrie.
Le grand-duché de Berg, créé pour
Iurat, aUribué au fils
de Louis et d'Horlense, est une simple réduction du royaume
de \Vestphalie. Les anciens nobles, encore que serviles, sout
ceux qui s'en louent Ie IDoins; les juifs, ceux qui s'en loueHt
Ie plus. Henri Heine, alors à l'école, à Düsseldorf, a laissé
dans ses souvenirs, dans ses poèmes I'ilnpression ineffaçable
de ccs années J: "La fille d'un marchalld de fer des environs
devenue duchesse avait raconlé à ma mère que son mari
avait gagné beaucoup de batailIes, qu'il aurait bientôt de
l'avanccmenl et parvicndrait au grade de roi... V oici que ma
Inèrc rêvaÏl pour Inoi les épaulettes les plus dorées, voulait
me consacrer au service de l' empereur. " Quand Ie Hanovre
fut réuni en partie à la \Vestphalie, il passa sous Ie même
régilne. -Ce régilne y fut plus dur, parce que Ie bloclls Y
tlevait êlre plus rigoureux. II en fut de Inême dans les dépar-
tements forInés dans la basse Alleinagne et sur l' Elbe en dé-
ccmLre 1810 : postes de douane el de combat; la dOlninatioll
! parut insupportable au peuple. Napoléon ne songeait qu'å
les soumetlre; il ne songeait point à les gagneI'.
Dans les Étals confédérés, demeurés aux dynasties alle-
Inandes, on observe les Inêmes signes qne dans la 'Vestphalie
ct Ie pays de Berg oJ. Les rois vassaux font, et plus à raise
encore, les mêmes calculs que les rois frères : gardeI' la cou-
..oune el les terres en s'affranchissant du joug impérial.
2,apoléon sc mêle peu de leur gouvernement, pourvu qu'ils
fouruissenlleurs contingents d'arJllées. Toutefois, il leur vou-
JJ'ait voir appliquer, peu à peu, Ie régime qu'il organise en
'AT eSLphalic; faire du Code Napoléon, la loi civile de toute
fAllclnagne. Peu à peu ses idées s'infìltrent en Bavière,
J HOLZBA.UZEN, Heine und Napoleon.
I EOl'f
I'O
I, Saxe. - ECK.ART, Jfonselas. - PDT....
486
LA FRANCE ET I/EUROPE. - i810.
notamment, sous l'administratioll de
fontgelas. L'AIl1:'mt\ õ f'tt(\
est mieux ou, si I'on veut, moins mal gouvernée, ell'exemple
de la France y inf1ue. C'est l'intérêt même des princes
d'amender leur gouvernement, comme on amende ses terres,
ann d'en tirer plus de récolte I.
D'ailleurs il leur faut compter avec leurs peuples. II y a
désormais des Allernands en AUemagne, et ce n'est pas la
moindre étrangeté de la suprématie française que d'en avoil'
fait, aux Allemands mêmes, Ia découverle, très certainement
à l'insu de Napoléon et contre tous ses calcuI
. Son erreur, à
leur sujet, ne lui était point personnelle, et s'illes ajugés avec
moins de pénétration qu'il ne jugeait les Italiens, c' est qu'il
ne les connaissait p"oint par lui-n1ême, el qu'il s'en tenait
nux rapports des diplomates, à l'opinion courante en France.
Dalberg, Ie plus a{}enonillé de tons, CI prince priolat" et Ie
dernier survivant des princes ecclésiastiques, aùrait souhaité
que la ConfédérRtion du Rhin devînt uoe nouvelle Allemagne.
- Balivernes ! disait Napoléon. CI J'ai coupé court à ces diva-
Gations : -
Ionsieur I'abbé, je m'en vais VOllS confier un
secret. Les petits, en AlIen1affne, youdraient être protégés
contre les grands; les grands "euIent ffouvcrner seion leur
fantaisie; or, com me je ne veux de la Fédération que des
hommes et de l'argent, et que ce sont les grands et non les
petits qui pelivent me fournir les uns et I'autre, je laisse en
repos les premiers, et le
seconds n'ont qu'à s'arranger
comme ils pourront I. J) - n La Confédération du Rhin " : érr;1
Chateaubriand, qui vit de plus haut et de plus loin, (( 0St un
grand ouvrage innchevé, qui ..Ielnanduit bcancoup de temps.,.
Il dégénéra subitement dans l'esprit de ce}ni qui l'ayait
conçu... D'une cOlnbinaison profonde, il nc resta qu'unc
ßlachine fÌscale et militaire... l' exacteur et Ie recruteur pre-
nait la place du grand homme s. JJ
I A Champagny, 31 octoLrp 1807. - Cf. t. I, p. 431.
I METTERNICH, ftTém(lil"es, t. J, p. 58.
I JJlémoires d' oub e-tombe. - Comparez Ie jUflcment, Ii étroit et .i peu poli-
ti(lue, de Thien, t. VI, p. 4-80,
LES ALLE
l.A:\DS. - 1810.
481
l'flais si matériel que delneure l'ouvrage, it sub3h
te et porte
loin ses conséquences.
apoléon travaille la mati
re "impo-
sable J} et la chair à canon, mais c'est de la chair humaine,
c'est du travail humain, et l'eifort produit de la conscience et
de l'âme. L'hornme sortit du limon de la terre remuée, pio-
chée, bouleversép, labourée.
apoléon agglomère, façonne
rargile du Saint-Elnpire. II réunit ell groupes compacts les
Allemands parqués entre tant de comtés, baronnies, abbaye
et seigneuries équestres. II n'existait entre ces êtres, nés du
rnême sang, aucun lien d'affectioll et d'intelligence. Par Ie
service militaire commun, illeur apprend à se connaître; iIs
discernent entre eux les membres épars d'une Grande nation.
Par son heurt formidable, par ses éclatantes sonneries de
clairon et le rappel de ses tambours, il oblige ces Allemands
tapis en leurs gites å sortir des rueHes de leurs viBes et å se
réunir sur Ia place, à s'échapper des Inasures, des hameaux
et' à courir vel's la route. II croyait, en supprilnant tant de
frontières, en dressant ces voies stratégiques, n'ouvrir que Ie
chelnin des casernes : il ouvre les routes d'une patrie. A cet
être éllol'lne, indécis et amorphe, il crée des organes rudi-
n1entaires qui tirent à eux Ia vie, la concentrent et Ia pré-
cisent. c, Ce pays, disait
Ime de Staël, resselnLle au séjour
d'un grand peuple qui depuis lonatemps I'a quitté. )) NdpO-
léon tire ces peuples de I'exil où seg maîtres les ense\'e-
lissaient, en leur propre pays. Et sur ce corp,) arraché à la
lélhargie passe Ie souffle de l'ânlc : celte âlne flouait sur
I'Allemagne 1.
L' AIleroagne intellectuelle et I'Allemagne artiste; la géné4/
ration qui rassemble I{ant, Gæthe et Beethoven, cette tri..
nité du génie alleinand, et auprès d' eux Schiller, Herder,
Fichte, apportent à ce peuple une parole et des chants qui
pénètrent les cæurs. I{ant lui révèle la dignité de rhomme i
Fitche, la dignité du citoyen. L'un lui crie : (( Tu penses, dona
tu es !>> L'autre: "Tu es un grand peuple, et tu pleures. .
I ,Çf. t. I, p. 1.20 et auiv. j t. V, p. 329,
188 LA FRANCE ET L'EUROl)E. - 1810.
Tous I' exhortent à être: (( Au commencement, écrit Gæthe
en Ie prologue de son Fallst, au commencement était la
parole; je dirais plutôt : au comlnencement était la pensée...
Non... il faudrait dire: au commencement était la force...
Mais l' esprit m' éclaire et j' écris, rasséréné : au commence-
ment était l'action. "
Droits et dignité de l'homme, Rousseau les a prêchés å
I'univers; puissance irrésistible de Ia volonté, nécessité de
l'action, c'est Ie grand exemple de la Révolution française.
Grande nation, parce qu'avaIit tout nation. Voilà ce que les
Allemands discernent enfin, SOliS l' éperon de la conquête, Ie
fouet du conquérant et Ie fer des chevaux de I' étranger.
Comme les Français ont confondu les droits de I'homme avec
ceux du Français, leurs propres conquêtes avec celles de I'hu-
manité et s' en sont fait doublement gloire; ainsi les AIle..
mands pas sent sans transition du cosmopolitisme OÙ ils se
dissolvaient à l'égoïsme patriotique OÙ ils vont se concentrer.
(I Unissons-nous, enseigne Fichte. Un patriote veut que la fin
suprême de l'humanité soit d'abord atteinte par la nation
dont il fait partie... Dans notre siècle ce but ne peut être
fttteint qu'au moyen de la science... Soyons Allemands et
nous ne cesserons pas pour cela d'être cosmopolites, car aux
yeux du philosophe I'AIIemagne représente I'huffianité. n Et
Arndt, plus simple et plus intelligible, sans fl'elaterie d'absolu :
ft La cause première de tous nos maux est Ie défaut d'unité.
L'unité se fait par contre-coup de la conquête. Les
Iaures
ont fait ceUe de rEspagne, les AngIais celle de Ia France. Les
Français feront celie de l' Allemagne I ! "
Tout en Ie maudissant, ils ne méconnaissent point ce ter-
rible architecte qui rassemble, croyant travailler pour Iui-
même, les pierres de leur foyer. CI Le rOIaume de "Test-
phalie, dit Gæthe, hien que son créateur n'y ait guère sonffé,
fut Ie premier essai d'une reconstruction de I'AlIelnngne
échappée à I'Empire germanique. >> - u Celui, disait l'histo-
I l.zvy-B1\VBL. - PdcÍø tlan. OlS'CKEl'f, t. II, Ii.. VII, chap. I.
LES ALLE
IANDS. - t8tO.
489
rien-ministre Jean de 1\lüIler, aux États de Westphalie I; celui
Rutour duquelle monde a fait silence parce que Dieu a mis Ie
monde dans ses mains, voit dans la Germanie la protection
du l\1idi et de l'Ouest, la sauvegarde de la civilisation euro-
péenne. Pour la confondre dans sa poIitique, il a donné à la
Germanie une force nouvelle; iI lui a donné ses lois,
l'exempIe de ses armes, les plus nobles modèles, et, au lieu
de soldats mercenaires, des citoyens armés pour la défense du
sol. De vingt pays divisés, it a formé un empire. Pouvait-i1
faire davantage?" Hegel qui devait découvrir dans la Prusse
ffermanisée Ie dernier terme de l'évolution de l'idee dans
I'État, saIue en Napoléon "notre grand professeur de droit
public". Chassé de sa maison par les soldats français, ce
penseur s'arrête à considérer au passage "l'homme extraor-
dinaire, qu'il n' est pas possible de ne pas admirer"...
" l'âme du monde ,,! cc Dans ses traits, écrit Heine, on Iisait :
- Tu n'auras d'anfre diell que moi... - et Ie peuple criait
de ses mille voix : - Vive l'elnpereur! >>
lis attpndaient de Iui qu'il serait leur Charlemagne, et c'est
pourquoi iIs l'acclamaient; ils reconnaissent qu'iI n'est que Ie
CharIenH'gne des Francs, et ils Ie réprouvent.
lais ce qu'il
a suscité chez eux. ils y tiennent désormais, ils Ie lui repren-
dront, ils Ie défcndront contre lui. Les droits de rhomme
sont les droits de I' AIIemand : voilà I' enseignement, pour eux,
de fa Révolution française. L'AIIemagne débarrassée de ses
entraves, app::trtirnt flUX A]]emands, voilà I'effet, pour eux,
de la Révolution napoIéonienne. lIs prennent Ie sentiment de
leur force. '1e pouvant en user en plein jour, ils travaiIIent
dans les minr
, iIs conspirent. Carbonarisme en Italie, ligues
de la vertn en Allemagne i, franc-maçonnerie dans run et
l'autre pays, ce sont et pour Iongtemps les formes de r esprit
révolutionnair
propagé par la France et qui se retourne vio-
1E'Tnlnent contre 1a France. On reconnait I'impulsion de In
Révolution frnnçaise jusqu'en ce ricochet paradoxal, en ce
I 22 août 1808.
, Sur ees lignes : FOURNIER, Studien;
TERI', Âb/ao,ndlu1I9.n.
100 LA FRANCE ET L'EUROPE. - 18tf).
soulèvement de I'Al1emagne, né de rindépendanc
nal1"ri .-Ie
I'hostilité å la domination étrangère, exalté par ridée de
glorifier la ,patrie.
Ainsi pour les princes d' Allcmagne Ie désir de secouer Ie
joug et de se partager les dépouilIes de Napoléon; ponr les
peuples, Ie désir de chasser les étrangers et de conserver les
droits acquis, de consommer I'unité nationale; pour les uns
et pour les autres, ce qui peu à peu va les rapprocher et
réunir, pour un moment, I'avidité des princes au dévouement
patriotique du peuple: ['empire sans l'empereul. ! Ajoutez les
passions, qui mêlent I' enthousiasme à la haine; la misère crois-
sante, la dureté du service qui aiguillonnent incessamment
les hommes. Une levée en masse de I'AlIeInagne sur les der..
rières de l'armée française, en cas de défaite, sera dénoncée,
à la fin de 1811, ,comme un danger quasi certain pour tout
observateur qui sait voir et qui ose parler. Jérôme lui-même
ouvre les yeux, et il écrit à son frère, presque dans les termes
où, dans les premiers temps de la grande guerre, à la fin de
1792, Dumouriez écrivait au Conseil exécutif I : (( La fermen-
tation est extrême; on nourrit les espérances les plus hardies
et on les entretientavec enthousiasme, on se propose I'exemple
de l'Espagne, et si la guerre éclate, toute la région du Rhin à
l'Oder sera Ie foyer d'une insurrection générale. La cause...
n'est pas seulement dans la haine contre la France; elle est
bien plutôl dans Ie malheur des temps, la ruine complète de
toutes les classes... II faut craindre les explosions .de déses-
poir des peuples qui n'ont plus rien å perdre, parce qu'on
leur a tout pris. "
I Jérðme à Napoléon, 5 décembre 1811. - DENIS, p. 297. - DUCASSE, p. 381
et luiv. CE. T. III, p. 287, 338; t. IV
p. 24.5.
LA PRUSS E. - 18\0,4
491
.
IV
Napoléon, par Ie choc épouvantabIe qu'il imprima å la
Prusse, fit crouler tout ce qui craquait ou
e lézardait au para-
vant I. n força la Prusse à se régénérer 8i eIIe voulait sur-
vivre. La Révolution française' lui montra comment une
nation se concentre cn soi-même, sc défend et se reconstitue.
Elle lui fournit moins un moule qu'elle ne lui donna un
exemple. L'inspiration vint de la France, Ie moule fut tiré du
sol même de la Prusse. Les réformateurs prussiens comprirent
très vite - et ce fut peut-être leur vue la plus profonde -
comment l'esprit de la Révolution française pouvait produire,
selon les pays, des æuvres très différenles de celles qu'avait
accomplies la Révolution en France, et comment en se pro-
paßcant en Europe eet esprit devait naturellement soulever
contre la domination française les nations vaincues et con-
fluises par les armcs de Ia France.
(I La Révolution françai$e, avait dit Hardenberg, a donné å
la France, au milieu d'orages et de scènes sanglantes, un
essor imprévu... On s'est fait l'illusion que ron résisterRit
plus sûrement à la llévolution en s'atlachant plus étroitement
à I'organisation ancienne, en poursuivant sans pitié les prin..
cipcs nouveaux... La force de ces principes est telle en effet,
ils sùnt si généralement reconnus et répandus, que I'État qui
refusera de les accepter sera condamné à les subir ou å
rérir... Des prillcipes démocratiques dans un gouvernement
Inonarchique, telle me paraH être Ia formule appropriée å
l' esprit du temps. >> C' est la formule de I'État prussien que lei
réfonnateurs étabIirent en 1808. lis ont, d'aiIIeurs, ce carac..
tère singulier que les plus grands d'entre eux sont étrangerl
I Comparez t. I, live III, chap. VII. - CAVAIGNAC, Formation de la. Prw/e
contemporaill.e. - RunrE, HÜFFER, Ûl'{CKEN, TRKIT8CUKIì:, Liv1'-
J\Ü.L.
491 LA FRANCE ET L'EUllOI.E. - 1810.
à la Pru:;se : Stein, pur Allemand, du cæur de la vieillc
\ne..
Inagne; llardenberg et Scharnhorst, l-:Ianovriens; Gneiscnau,
axon. Ce fait suffit à montrer cornnlent toutes les forces
vives ùe I'Allenu\gne se tournent alors vcrs la Prusse et com-
ment la réforme de la Prusse tend à faire de celte monarchie
I'État Inaître de l'Allemagne. Stein a relevé la nation et l'a
inclinée vel'S I'Allemagne; Scharnhorst, de cette nation forme
une arnlée, avant-garde et cadre de l'armée allemande; Har-
denberg a reconstitué I'État et la politique, I'Étal type de
l'État allemand moderne, la politique directrice de I'AlIe-
magne émanci pée.
Toute l' æuvre de Scharnhorst et de Gneisenau est dans ces
mots : la levée en masse d 'un peuple transfornlé en soldats ;
rappel aux Brmes de toute la jeunesse, et, s'il était possible,
I'appel aux grades de toutes les intelligences et de tOllS les
dévouemellts.
Dans les réformes intérieures de la nation et de I'État, å
travers tant de retours et de détours, on discerne deux
périodes : celie de Stein, qui se termine en décelnbre 1808
par la retraite de ce rninistre; celIe de Hardellherg qui, de
conseiller occulte qu'iI demeura toujours, redevient chance-
lier et quasi dictateur en 1810 1.
L'æuvre de Stein est surtout une æuvre de régénération
Inorale. II a plus agi par ses desseius que par ses mesure:5;
Inais ses desseins sont ceux d' où est sortie I 'AIIemagllè
ntotI
l'ne. II posa Ie principe et donna Ie premier exelnplc,
dans les don1aines du roi, òe l'abolition du régime seigneu-
rial: l'homme libre, travaillant la terre libre, et, par ce
labeur même, la terre devenant une patrie, I'homme Ull
citoyen, rallaché à I'État et au roi. II tàche de développer
dans fadministration la responsabilité en mêIne temps que
l'énergie; dans les COlnmunes, Ie self gQvernment. Mais son
affranchissement de la terre et de I'homme est incomplet,
timide, incohérent; si Ie paysan, citoyen et patriote, est en
I V.ir ci-d..lu'8, p. t07,
Q2.-3, 2Q7, Sit., Big, 338, 40"', 451-454.
LA PIlUSS!:. - 1810.
49,.1
bas de son échcl1c, en hant demeure Ie genlilholnrne avec son
bien noble, les prl'J'oJn ti yes poli tiq nes, ad miniötrati ,res, mili-
taires qui 1 9 sont 3ttachées, juge de palx, lieutenant, premier
serviteur du roi. OEuvre ilnhue de décentralisation arLstocra-
tiqne, æuvre tonte de tradition et d' évolulion; si Stein Ia
découpe dans la nation allemande, il prend son modèle vivant
en .Anrrleterre. .
Très rlifférente est 1'æuvre et surtout la conception sociale
de 1Iardenb('rg. Par son f1.meux édit du 27 octobrc 1810, sur
Ia réforme fiscaJe, dvec toutt'S ses annexes et règlements d'exé-
cution; par son édit du 14 septclilbre 1811 sur la. réforme
agTaire; enfìn, par son gr:-tnd. pro jet de réforlne administra-
tive du 20 juin 1812, Hardenber8 entre dans Ie vif de la révo-
lution socia1e par l'Étal, telle que Turaot l'avait projetée sous
la monarchie, telle que Bonaparte l'a conçue et accomplie
sous son consul at. CcttC' réforme est économique aulant que
civile; eUe doit affranchir Ie travail individuel de toute
entrave, surprimer les privilèges du bien noble, organiser la
petite propriété indépendante; suhstituer, dans l'administra-
tion à l'oliGarchic des hoberenux el dC5 bourgeois un système
d'autorit.é cenlralisée Bn6n, pour couronner l'ouvrage, de
concert avec Humholdt, un savant appelé à la politique,
J'Université de Berlin, corps privilégié, institué par I'État,
pensant, a[;issant pour I'État, mais, libre de sa rensée, indé-
pendant en son Jabeur, rasselnb1allt et disciplinant les intelli-
gences COl1l1nC Ie seryice militaire les hommes, organe de
l'âme nationale, ne séparant pas la recherche de la science de
ceUe du bien public, mêlant Ie cu1te de la vérité à celui de fa
pa1 rie, incarnant I'absolll dans I'État, de sorte que Ia raison
d'Étal réalise la raison pure, que Ie droit idéal se confond avec
Ie droit ffcrlllanÍ({1!e, que l'histoire conclut à la précelJence
des droits de I'AIIcmaane sur les pays voisins; enfin un grand
Discours de la null/lode prêché à tous les Allemands par des
savants, en même temps que les phiJosophes leur prêl:herollt
Ie Discours à la nation.
H:irdenberg était homme d'État de carrière, courtisan,
491. LA FRÀ
CE ET L'ltUROPE. - 1810.
d'un esprit souple, intelligent, bon publicistc, mais avec plus
d'étenclue que de profondeur dans l'esprit, de Ia surface sur-
tout; les séductions, l'habileté, l'adresse d'un diplomate
d'éducation et dont rart consiste, en ses divers personnages,
à parler, dans chaque rencontrc, Ie lanff3ge du moment. II
parlait, en 1806 et 1807, celui de Ia Révolutioll) tel que
Napoléon l'avait aecommodé dans son eatéchisme consulaire;
il était alors démocrate et césarien, comme il avait été philo-
sophe et humain sous l'ancien régilne, et II vertueux IJ au
besoin du temps de la République; il devint, de mêlne, légi-
tÍlniste et réactionnaire en 1814; il resta au fond, toute sa
vie, homme du monde accompli et copartageant dans l'âme.
II devint ehancelier du royaume et Ie resta. Premier plénipo-
tentiaire au eongrès de Vienne, il ne eessa de Illonter dans les
honneurs à mesure que Stein s'enfonçait dans la retraite et
tombait dans l'oubli. II mourut prince. l\Iais, à Inesure que la
Prusse a Grandi en Allemagne et que l' Allemarrne a granùi
dans Ie monde, les proportions se sont renversées; la figure
de Stein s'est élevée : aujourd'hui, eUe domine tontes les
autres.
Stein n'a fait que traverser Ie gouvernement : une dicta-
ture de quelques mois en 1808, un rôle épisodiql1e de diplo-
mate à la suite, en 18J 4. Le due Victor de BroGlie Ie vit å
Coppet en 1816. II C' était, di t-il, un Allelnand de Grande
tallIe, de forte et robuste corpulence, haut en couleur, l'æil
vif, la parole clure et saccadée. Son regard, son lang-age res-
piraient l'indignation contre les souverains allelnands, petits
et grands, qui prétendaient rétablir, après la victoire, Ie pou-
voir absolu, manquer à leur parole, trahir les promesses faites
à leur peuple et recueillir seuls les fruits d'une lutte qu'ils
n'avaient ni eommeneée ni suivie. II s'exprimait avec Ie der..
nier mépris sur son profrc souverain, sur la cour de Prusse.
la bureaucratie allemande. )) C'est, rapporte
f me de Staël,
qui Ie rencontra à Pétersbourff en 1812, (( un homme d 'un
caractère antique qui ne vit que dans l'espoir de voir sa patrie
délivrée .. II fut de tous les hommes d'État de la Grande
LÄ PI\USSE. - 1819.
4.5
crise de 1807-1813 celui qui eut dans l'esprit Ie plus d'avenir
a1Íelnand. Bismarck, pour se faire Allemand, attendit que la
})russe fût maitresse de I'Allemagne. Stein fut toujours AIle-
Inand, mêlne au service de la Prusse. Que dis-je? il ne se lia à
la Prusse que pour la rattacher à I'Allemagne, faire d'elle
ragent de la libération, puis de réffénération de I'AlIemagne :
la libérer de la suprématie étrangère, d'abord, ensuite des
discordes intérieures; l'affranchir de Napoléon, d'abord, du
particularisme ensuite, et ce fut la pensée dominante, la vraie
unité de sa vie.
\] fut un précurseur. II conçut les grands desseins, il les
prépara; il porta les coups décisifs et donna les impulsions
durables. II fonda, dès 1808 J tout son espoir sur les senti.
ments populaires, et il les suscita. IJ rêva de reconstituer
I'Allemagne en un puissant empire. II eût, pour y parvenir,
t" broyé princes et rois sous sa botte 1) . II prédit l' écroulement
de l'empire napoléonien, et il prédit que eet empire serait
renversé par la marée montante des nations. II chercha Ie
remède suprême OÙ ron voyait Ie périI principal; il comprit
que des révolutions nationales seraient, pour sauveI' l'indé-
pendance des peuples, Ie seul spécifique contre la Révolution
française, et que les grands États de l'avenir seraient, comme
la France consulaire et impériale, ceux qui sortiraient d'une
révolution nationale et se feraient nationaux. C'était remonter
aux causes profondes. Ajoutez qu'il fut mal compris de ses
collaborateurs et méconnu de son maître; qu'il finit dans
l'anlértume de la disGrâce, presque aussi exilé dans I'Europe
monarchique de 1815 que dans I'Europe impériale de 18] O.
L'admiration des peuples ne s'arrête point aux ouvriers
laborieux, souvent incertains et hésitants, qui, dans l'ombre,
en tâtonnant, ont élaboré les réformes pratiques et rédigé les
lois bienfaisantes; eUe se porte et se fixe sur les hommes qui
ont, au
heures critiques, prononcé la parole historique, fait
Ie p.-este sculptural, et dans lesquels se peuvent, par la poésie,
par Ie drame, par Ia peinture, par Ia statuaire, personni6.er
le'i grandcs choses, telles que Ie peuple 'en sa conception ßim-
496 LA !':nA.NCE ET L'EUROPE. - 1810.
pliste se platt à se figurer qu'elles se sont accomplies. C'est Ie
cas de Stein et l'explication de sa gIoire rétrospective
après 1870.
Ma'is si la Prusse de 1810 était Grosse de l' Allemagne å
venir, elle était, essentiellement, ranti-France en Europe.
Nulle part on ne souhaitait avec plus d'ardeur la chute de
Napoléon, sauf à profiter de son ouvrage d'unification en
Allemagne pour fortifier ce pays et en faire une barrière for-
midable contre la France refoulée au delà du Rhin, peut-être
au delà des Vosges!",
"'
Cel étrnnges contre-coups de la Révolution en Frnnce
,'observent jusqu'en Russie. La guerre et la diplomatic
avaient détourné Alexandre de ses premières spéculations
politiques. II aimait la Iiberté comme Napoléon la tragédie et
d'autres la musique; virtuose d'humanité, il se déIectait à en
disserter devant les professeurs officiels d'harmonie muets et
confondus, les chanteurs prosternés, et la galerie des grandei
coquettes d'art et d'intelligence pâmées en admiration. II se
plaisait aUK conférences sur Ie ffouvernement constitutionnel
comme les dilettantes aux concerts ipirituels. l\fais, Ie con-
cert fini, il revenait, sans gêne ni transition, aux affaires de
rÉtat, et au fond, dans la mélancolie des rêves inillter-
rompus, des espérances caressées, il jouait son jeu, qui fut
de séduire tour à tour Napoléon, les émancipés de I'Allc-
magne, les royalistes et les constitutionnels de France.
Après Tilsit, la paix régnant et l'ère des grandeurs sus-
pendue pour un temps, c'était l'heure' de rcvcnir 3UX arts
libéraux. Czartor)Tski avait été Ie confident des premières
rêveries : Ia restauration de Ia Pologne et la reconstitution de
l'Europe; Spé.r,
fut Ie confident de eet intermède, la
RUSSIE. - t8iO.
4.91
réforme de la société russe et de I'État. Dans cette llouveJle
fantaisie d'Alexulldre, iI tint Ie rôle d'organiste du grand
orgue.
Iais, si Alexaùdre ne paraH guère en avoir fait plus de
cas qu'un illustre amateur n'en fait du sévère et ennuyeux
maitre de contre-point et de fugue, qui occupe et encombre
hientôt ses loisirs, Spéranski se prit, en son ouvrage, profon-
dément au sérieux. Ce fils de pope, élevé aux premiers rangs
de la hiérarchie bureaucratique, à la force de sa poigne, n'était
ni un spéculatif ni un révolutionnaire; il ne jouait point de
la politique en gentilhomme revenu d'AngIeterre et qui se
pique de
Iontesquieu. II avait bien lu' ['Esprit des lois, et,
dans ses propositions de réforme, on discerne plus d'influence
française que d'anglomanie théorique. Rien en lui du sen-
sible et littéraire Comité de Salut public de 180 II. Spéranski
apportait aUK affaires la pratique, la ténacité, les vues d'un
grand commis sorti Jes intendances de Turgot. II prétendait
u trancheI' dans Ie vif, tailler en plein drap JJ , reprendre l'au-
tocratie en sous-æuvre. II avait Ie sentiment des réformes
sociales; il rêvait de liherté civile, d' égalité devant Ia justice;
il voulait substituer un système de codes au chaos des oukases
incohérents; la propriété plus accessible, un règIement des
privilèges de la noblesse, la constitution d'une classe moyenne
formé des marchands des villes et des pa
Tsans libres; enfin,
dans l'avenir ct progressivement, l'abolition du servage
.
Toutes ces réformes devaient tomber d'en haut. Le tsar en
serait l'initiateur et Ie tuteur. Quant à une constitution, car
Spéranski n'eût pu être ni de son temps, ni de son emploi de
dessinateur d'État s'il n'en eût élaboré quelqu'une, il s'Íns-
pirait beaucoup plus de la Constitution de l'an VIII, avec son
Consul et son Conseil d'État, que de I'Angleterre avec ses
Lords, ses Comn1unes et ses précédents pariementaires.
La faveur et l'influence de Spéranski atteignirent leur
a.pogée dans l' été de 1809. Pétersbourg se remplissait de
comités et de commissions. Tout annonçait CI une formidable
I Voir t. V, p. 312.
I Voirci.dessul, p. 479 : les Réfol'mes dans ie duché d
Y4!'Ovie.
I
YlI,
as
1,98 LA FRANCE KT L')tUROPJ!:. - 1810
batailIe civile, dont Ie général en chef était Spéranski, qui
avait pour lui tout l'attrait et tout rinconnu du génie... " Les
,.ieux Russes se lamentaient : Alexandre tombait dans l'idéo-
logie! Après la fascination du Corse, la suggestion du Ie fils
du prêtre, ce qui constitue ici la dernière classe des hommes
lihres IJ . NapoIéon l'avait embarqué dans Ie blocus qui ruinait
la Russie; Spéranski Ie compromettait dans les sectes qui I'em-
poisonneraient I. Sous une forme ou SOlIS une autre, toujours
Ie mal français. Purs fantômes, craintes chimériques. C'étai t
méconnaitre en Alexandre l'artiste politique que son merveil-
leux instinct ramenait toujours, après les engouements, au
juste sentiment des intérêts de son empire, des nécessités du
gouvernement russet
Les mêmes motifs, les mêmes ménagements pour les boyards,
pour les gens riches, pour ses officiers et sa cour qui l'incli-
naient à rOlnpre Ie blocus et l'alliance française, l'amenèrent
à briser les desseins de Spéranski et à traiter l'auteur en cri-
minel d'État. Ce (t gueux de séminariste " dérangeait cl
inquiétait tout Ie monde. Le bloclls tarissait leurs revenus; les
réformes de Spéranski menaçaient leurs privilèges, leurs dota-
tions, leurs honneurs et tous les profits des abus traditionneI
.
Paul n'avait que des accès, Alexandre menaçait de tourner U.J
système. Alexandre allait tout droit à faire exécuter contre
lui, dans Ie présent, l'arrêt que les vieux Russes ont, rétros-
pectivement, porté contre sa mémoire: "Étranger à la nature
nationale, ... it rêvait Ia parité de toutes les confessions, l'éga-
lité des É{j'lises; il rêvait Ie rétablissement de la Pologne sans
connattre l'histoire qui lui eût dit que Ie royaume de Polognc
équivaudrait à l'assujettissement et å l'esclavage du jeune
peuple russe 2. " Prétendu gouvernement cc d'intelligence et
d'équité! J) II n'en avait pas fallu tant pour mener l'infortuné
Paul à I'apoplexie officielle. Celte leçon ne sortit jamais de
l'esprit d'Alexandre. " l\faIgré les indignes ministres dont it
était entouré, écrit Simon W oronzof, il n'a suivi que ce que
1 TOLSTOi. - Joseph DE MAISTRE. - WORO
ZO".
· POBfEDONOTZEF, Panégy,.il/uø d'Älexandre Ill.
ORIENT. - tSIO.
Ol
lui dictaient rhonne
r et les vrais intérêts du peuple russe. .'
L' effervescence qui se manifeste en Russie contre Ie blocus
et la suprén1atie napoléonienne, par révolte des intérêts et par
révolte d'orgueil national, se trahit par des cris de proscrip-
tion contre les idées et les partisans de la France. Spéranski
y succombe, moins encore parce qu'il passe pour s'inspirer
de l' esprit français - on Ie dit en correspondance avec
Talleyrand! - que parce que ses réformes impliqueraient la
durée de la paix et la sincérité de l'alliance avec Napoléon.
Tel fut, en Bussie, Ie très incertain et fugitif retentissement
de la Révolution française : une recrudescence de r esprit
national, étroitement russe, et dans Ie sens Ie plus opposé A
fesprit de I'Occident.
On observe tout Ie contraire dans les pays chrétiens de
domination turque; c'est que la France n'y prétendait point
et qu'en suscitant, comme partout, I'esprit national, l'in-
f1uence française ne Ie tournait point contre la France. En
Moldavie, en Valachie, Ie souvenir du grand empereur rest.
lié au réveil de la conscience nationale I. cc Napoléon, écrit un
historien roumain, est Ie premier étranger dont lea chroni-
queurs du pays aient parlé lonffuement... Dans la société,
son nom dominait partout et Ie propos de ses hauts faits
détournait tout autre sujet de conversation. Sans s'en douter,
11 agit ici, par sa seuIe présence dans Ie monde, sur l'imagi-
nation, sur la pensée et sur Ia conduite des boyards, et iI fut
Ie premier qui, sans Ie vouloir et sans rien en savoir, purifia
leur esprit pour un instant en plaçant devant leurs yeux cet
idéal qui les éclaira duranl une seconde : la patrie, l'indé-
pendance. " Napoléon leur donna l'idée d'un gouvernement
:-tational; la France leur apprit à lire, à écrire, à célébrer
cette pa trie qu'iIs aimaient d'instinct, sans la défìnir, sana
savoir parler d' elle.
Plus profonde et plus immédiate aussi fut l'influence exercée
en Grèce -- ou 7 It utôt dans les pays asservis à Ia Turquie et
J ÉLlADE, De l'lnfluence fra1t(>a;'u! sur ['esprit public en .Roumønie. _
T.-D. GlilkA, XÉSOPOL, Hisloire des .Roumains.
500 LA FI\AM C1t ET L'ltUROPE. - i810.
qui avaient autrefois porté ce grand nom 1. L'admiration des
peupIes confond, en ces palpitations premières, Is RévoIu-
tion, Napoléon, la France n Jusque-là, dit un Grec, Ies
:",puples n 'avaient pas conscience d'eux-mêmes. JJ La ffuerre
d'indépendance montre que cette conscience se réveilla et à
1!1eI point l'exemple et Ie renom des Francs l'avaient insensi-
blernent pénétrée.
II n'est point jusque chez les musulmans où Napoléon ins-
pirât des imitateurs. Là, ce n'est point une nation qu'il
anime; c'est un homme qu'il suscite; l'illustre parvenu, qui
s' est mesuré avec Ie Corse à Aboukir, se donne pour ambition
suprême de devenir Ie Napoléon de l'Islam : Mohammed-
Ali I.
II resterait à parler de I'Autriche et de l'Angleterre.
Mais, en Autriche, il ne se passe rien. C'est Ie pays du monde
iur lequeI, en ce temps, l'influence de la Révolution française
fut la moindre. Une insurrection nationale, insurrection de
fidélité plus encore que d'illdépendance, en Tyrol, contre la
Bavière; quelques mouvements sourds en Hongrie. La Bohême
se réveille à peine de la torpeur OÙ l' ont plongée les coups de
massu
du siècle précédent et Ie narcotique des jésuites; la
police de Vienne inlpose Ie silence; les jésuites commandaient
r oubli de Ia patrie, opérant Ie vide dans les consciences. Les
Tchèques n'entendent parler de Napoléon que pour se savoir
menacés de quelque annexion à Ia Bavière qui leur répugne
plus encore que la fusion dans l'empire d'AutricLe, car ils y
conservent leur coaronne, un titre d'indépendance, sinon une
charte, et la Bavière est encore plus allemande.
Quant à I'Angleterre, la mer bat ses côtes, s'y étale ou s'y
brise
rile n' en est point ébranlée en ses fondements ni InênlC'
dérangée en sa superficie. L'Angleterre se crée, avec Ies
dépouilles des alIiés de la France, un domaine colonial, les
habiles successeurs de lord Clive, Corn\vallis, Wellesley, lord
l\lìnto lui taiIIent un empire dans les Indes; Ie blocus lui
I BIKÉLAS, GEI\VU
U8, RODOCONACBI.
I
é en 1769 comme Napoléo n .
AUTRICHE. ANGLETERRE. - 1810.
50}
8ssure Ie monopole de ce qui subsiste de commerce maritilnc ;
ses flottes portent partout la terreur du despotisme brita11-
nique, et, là OÙ I' Angleterre ne règne pas par la force, elle
règne par la contrebande. EIle accuDlule dans ses banques des
capitaux immenses; I'agriculture prospère; l'industrie pro-
gresse toujours; les grands propriétaires étendcnt leur:;
dOIl13ines; les riches s' enrichissel1t; les pauvres s' appauvri;:;-
sent; les salaires di[l1inuent; Ie blocus, en une année de mau-
vaise r écolte, engendre la disette; mais Ie petit peuple cst
seul it en souffrir et Ie peti t peuple ne compte pas plus en
Angleterre que Ie peuple des lrlandais. Plus aristocratiquc,
plus arrogante que jamais, et plus entêtée en sa jalousie cons-
titutionnelle, en la fÌerté de ses institutions inimitabIes, I'An-
gletcrre se IDontre plus rebelle aUK réformes qu'elle ne I'a
jamais été. II ne faul plus parler ni de réforme parlementaire,
ni d'émancipation des catholiques, ni d'amélioration du sort
des pauvres gens: tout est rompu et par la guerre qui néces-
site Ja tension des rcssorts et par Ie refus des priviIégiés qui
héné6eient de cette même guerre. Sous l'empire comme SOllS
la République, la Iutte contre la Révolution française a pour
conséquence l'arrêt de tout progrès social. Le sentiment
national seul se renforce, domine, impérieux, âpre, impla-
cable, se rétréeissant ehaque jour. A mesure que I'Al)gleterre sc
fait, en apparenee, Ie champion de l'Europe, il semble qu' elle
s'isole davantage en soi-même. Elle reste l'âme des coalitions,
mais c'est une ånlC renferllléc, intéressée, calculatrice, n'ayant
souci que d'une grandeur au monde - la sienne; en un mot,
plus iusolemment et puissalnment insulaire qu'à aucune autre
époque de son histoire.
Loin que la France, ses idées, se
principes agissent sur
eUe, c'est elle qui depuis Ie commencement de la Révolution
3ß"it sur la France. Elle y a eu des disciples, eUe y a possédé
un partie Elle est, par sa résistance obstinée, Ie ferment qui,
du C()n
ulat, a fait lever Ie Grand Empire; elle sera, de même,
Ie ferment qui anéantira eet empire. La paix faite, la paix
anGlaise, la France refoulée, Ie but atteint, c'est encore elle
50! LA FRANCE ET L'EUROPE. - 1810.
qui, par ses institutions parlementaires, ses modes, sa littéra-
tlIre, sa philosophie, gouvernera l'esprit français, servira de
modèle au gouvernement et de type idéal å l'opposition. La
u guerre de délivrance JJ , de I'Espagne à la Prusse, de I'Italie å
I' Allcnlagne, sera pour r Angleterre la plus sûre des spécula-
tions politiques et Ie plus fécond des placements financiers.
En fournissant aux peuples de I'Europe les moyens de
défendre leur propre cause, eUe les emploie à son service, eUe
détourne au profit de sa supré;natie commerciale et de son
influence politique cette immense insurrection nationale. ElIe
s'en assure les honneurs et les profits. Combinaison à la foÍs
grandiose et pratique qui transformc les subsides cn nn
em prunt colossal d 'hommes et fait des mcrcenaires avec des
affranchis. Tandis que la France, en coalisant les peuples
pour la ruine de I'Angleterre par Ie blocus continental, les
révolte contre soi et ne travaille, en réalité qu'à leur indé--
pendance, I'Angleterre, en les enrôlant pour la ruine de
l'empire français, parait travailler à leur indépendance et De
travaille que pour elle-même.
VI
La France compte cent trente départements I; jamais eUe
n'avait atteint cette extension de territoire ;jamais eUe n'avait
porté si loin les prises de ses alliances; jamais, non plus, son
action sur Ie monde n' a été si vaste et si profonde, non seule-
ment par la suprélnatie de sa politique mais par la propaga-
tion de ses lois et de son esprit: lois civiles d'égalité entre les
hommes, c' est-à-dire les conditions fondamentales de la démo-
cratie; esprit d'indépendance des peuples qui tendent à se
srouper selon leurs traditions et leurs inspirations comnlunes,
I Ce chiffre fut atteint en décembre 1810 par l'annexion de. territoiree d.
I' AU.maßDe du .Nord, la 3;2- division militaire, ci-aprè., p.
2
LES NATIONS. - 1810.
503
c'est-à-dirc la condition fondamentale de Ia nationalité. Toute
I Europe dn dix-neuvième siècIe en procède, et tout Ie dix--
ueuvième siècle a été rempli de ce laborieux accouchement
{]es peupJes. La France n'a rien gardé pour elle-mêlne. A ne
considél'er que Ia lig-ne des frol1tières, cette æuvre des natio-
llalités, hostile en sa croissance, est devenue funeste en son
développement. Les mênles forces ont fait reeuIer la Fr,ance
en 1814, qui I'ont entamée en 1870. Et cependant, si tout
s'est accompli contre eUe, tout est sorti d'elle.
u L'hofilme de Ia destinée s'empare des nation
vftcantes,
les réunit dans sa main de fer et les fait marcher vers son
but n , écrÌvait de }laistre en 1808. Vers son but, c' est là toute
l'illusion d'optique. Vers leur but, fallait-il dire. En les con-
centrant, il les a poussées sur leurs propres voies et i1 les a
fait relltrer dans leur pt"opre histoire. II avait prononcé cette
parole profonde, en ses jours de grande IUInière et de décou-
vertes lointaines : (I La puissance d'un peuple se compose de
son histoirc." II s' était donné ces préceptes: " Le principe
du ffouvernement français est de gouverner les peuples par
leurs habitudes et leurs usages... u (I Gou verner les hommes
comme Ie grand nombre veut I' être I. "
II Ie comprit pour les Français; iI en fit, ce fut son coup de
génie, Ie ressort de toute sa puissance. II ne confprit point
que les autres nations de I'Europe voulaient, comme les Fran-
çais, être gouvernées pour elles-mêmes, selon leurs mæurs,
leurs traditions, leurs intérêts propres,
Napoléon ne groupe pas et ne gouverne pas tous ces peuples
pour en fornler un système nouveau du vieux monde : il n'en
a eu l'ambition qu 'après coup, et la conception ne lui en est
venue que plus tard, à Sainte-Hélène, dans Ie recul de I'exil.
En réalité, il a continué la guerre commencée en 1792, et sa
guerre, encore que traversée de trêves étrangement fécon--
des, a opéré les effets naturels de la guerre. Elle a éreinté,
ruiné, saigné, exaspéré les peuples. Elle a levé contre Nap o 4
I Aux Sui88el, 1803. - ROEDERBB, I. III, p. 83'í, 4,.6. - Con-., a.5,i93,
I.
janvier 1801.
50
LA FRANCE ET L'RUROPE. - 1810.
léon et contre la France tous les intérêts, tous les hesoins et les
plus nobles des passions humaines : l'amour du foyer, l'amour
des enfants, l'amour de la patrie, celles qui font la société des
hommes et, dans cette société, les nations.
Le Grand Empire, dans la pensée de l'empereur, n'est
qu'une coalition contre I'Angleterre; Ie bLocus contz"nentaLn'en
est que la machine de guerre. La machine est dressée en
1810; mais elle craque et se détraque: chaque coupqu'elle
porte l' ébranle en ses fondements; son propre poids l' en-
fonce dans Ie sol et en compromet l'équilibre. Or, si elle
menace de crouler, ce n'est ni par un vice de construction
dans ses rouages, ni même par un accident dans ses opéra-
tions; c' est par sa structure même : elle dépasse la propor-
tion du travail humain. Napoléon excède sur ce qu 'un homme
peut conduire, sur ce qu'une nation peut endurer. Le Grand
Empire ne peut être gouverné que par des délégués; la guerre
démesurément étendue ne peut être menée que par des lieu-
tenants; l'armée, démesurément distendue dans ses cadres,
mais vidée dans ses rangs, ne peut être recrutée que par des
8uxiliaires; Ie ressort s'use. Tout ce qui a fait Ie succès
de l'æuvre s'épuise et disparait, savoir la concentration de
tous les pouvoirs, de I'État et de l'armée, entre les mains d'un
homme qui a Ie génie du gouvernement et Ie génie de la
guerre ;-1' élan d'un peuple qui en envahissant croit encore se
défendre et en conquérant affranchir les humains. La France
de la Révolution, âme des armées impériales, se dis"sout dans
ces armées cosmopolites; la France se noie dans sa conquête.
Les causes de l'élévation posen! les causes de la chute. Napo-
léon, par Ie jeu même de son génie, devient l'instrument de
la catastrophe comme ill'a été de la grandeur. En cela, véri-
þblement, il est l'homme du destine
.t --
Ainsi Ie Grand Empire, s'il devint réelIement comme une
-ppoqlle de La nature dans l'histoire moderne, Ie devint malgré
"empereur et contre Ia France. Dans ces tribus d 'hommes,
tdispersées ou enclavées, réduites à l'état de chiffres, cxpres-
.ions de statistique, machines à labourer et à tirer, chair å
LES NATIONS. - 1810.
S05
reproduction et chair à canon, la Révolution française avait
insufflé des â.mes d'hommes, individuelles d'abord. Pour
les rendre nationales, il suffit de rassembler les hommes, ce
que fit NapoIéon, par les royaumes, les confédérations, Ies
casernes. II vint un jour OÙ il les enrégimenta tous dans une
seule armée : ce fut la vraie, la Grande rnigration des peuples;
mais, en réalité, Ie contraire de l'invasion des barbares, car
les barbares envahirent l'empire romain, et ici ce fut I'Eu-
rope qui s'envahit soi-même et se reconquit, en balayant
l'empire I.
Napoléon n'avait-il donc point d'autre ressource que ce
formidable expédient, que de conquérir toujours et de chaque
conquête tirer les moyens d 'une conquête nouvelle? Peut-
être, et I'on Ie soupçonne si l'on cherche Ies raisons com-
munes de la haine contemporaine et de l'admiration rétros-
pective des peuples pour sa personne et pour son æuvre. lis
lui savent gré, ils lui font gloire d'avoir malgré lui et malgré
eux - invitus Ùl1.JÏtos - suscité leur indépendance, ouvert la
voie å leur grandeur; ils lui reprochent de les avoir assujettis
et exploités au prQfÌl d'une nation étrangère. Ainsi leur
enthousiasme pour la révolution de France, en 1789, et leur
révolte contre les républicains français propagateurs, par la
conquête française, au bénéfìce et à la gloire de la France, de
cette révolution; leur révolte prolongée contre l' empire orga-
nisateur de cette révolution et de ses conquêtes, et leur hom-
mage d'après coup à Napoléon, se concilient dans une pensée
unique: leur aspiration à l'indépendance et à la révolution
nationale, l'hostilité à la suprématie d'un peuple étranger, la
haine et jalousie héréditaires pour Ie peuple français. Ainsi sa
forment et se serrent ces næuds que l' on appelle la destinée et
qui firent Napoléon, comme ille disait, solidaire de Louis XIV
et du Comité de Salut public '.
Ne nous payons pas de vanités et de paroles vides. Ce n'est
I FUSTEL DE COULA
GES, la Cité antique, t. V, chap. II, part. IV.
I C& Depuis Clovis jutlC}u'au Comité de Salut public, je me tien. loIidair. d.
,out.. A Louie, 21 décembre 1809. RocQuulI.
508 LA FRANCE ET l/EUROPE. - 1810.
pas Napoléon en se faisant empereur, qui a soulcyé les
peuples contre la Révolution française et contre la France;
c'est parce qu'empereur des Français il a accompli, poussé å
I'hyperbole et consacré, en sa personne, les conquêtes de ]a
Révolution et la suprématie de la France sur ]es peupl
s
d'Europe.
En eut-il l'impression? Méditant sur son immense aventure
et se jugeant å son tour, dans Ie perspective de l'histoire, it
disait à Sainte-Ilélène : n L'agglomération _ des Allemands
demandait plus de lenteur [que celIe des Italiens]; aussi n'ai-
je fait que simplifier leur monstrueuse complication.... Assu-
rément, si Ie ciel m' eût fait naitre prince allemand..., feu sse
gouverné infailliblement les trente millions d'AlIemands
réunis; et, si une fois ils m'eussent élu et procIamé, ils ne
m'auraient jamais abandonné... Le premier souverain qui
embrassera de bonne foi Ia cause des peuples se trouvera à la
tête de toute I'Europe et pourra tenter ce qu'il voudra I. " S'il
avail été I'elIlpereur des Allemands et Ie roi des Italiens, s'il
avait ressuscité Charlemagne et Barberousse, reconquis å
I'AlIemagne ses limites anciennes et restitué Ie prestige du
Saint-Empire; s'il avait fait I'Italie une, de la Sicile aux
Alpes, et puissance maritime, reine de l' Adriatique, suzeraine
de la l\léditerranée, avec ROine pour capitale; s'il avait relllué
Ie chaos de I'Orient, expulsé les Turcs, rétabli en sa per-
sonne Constantin à Constantinople, en Inême temps que
Dioclétien à Borne; s'il avait labouré les terres slaves et res-
lauré la Grande PoIogne du temps OÙ les Polonais S'eITlpa-
raient de
Joscou et touchaient la mer Noire!... Je vois Lien
alors l'empire d'Allemagne, Ie royaume d'Italie, l'empire
rl'Orient, I'crnpire des Slaves, mais la France et sa RévoIu-
tion, ses traditions, ses intérêts, ses væux, et toute Ia suite
de son histoire?
Partout où Ia Réyolution française passa, sous queJque
chef que ce fût, de novembre 1792 à octobre 1812, son
I E&tro.its du ,'t.'bnorial. - Corr., t. XXXIJ. p, 304-306.
LE
NATrONS. - 18iO.
S01
esprit, son âme, son génie dressèrcnt les peupIes envahis
contre les armées envahissantes, et le
principes propagés
pnr Ia France ne prévalurent qu'à mesure que se retiraient Sf'S
armées. La raison en est que les révolutions accomplies par
ses armées, les gouvernemellts de la France prétendaient en
faire Ia chose des Français, les tourner à Ia puissance et à la
splendeur de Ia République française dans Ie monde. Napo-
léon, mêrne en se débord1.nt, comn1e iJ fit en 1810, resta
foncièrement I' empereur des Français; Ie Grand Empire resta
I'instrument énorme, écrasant et étouffant pour la France
même, de la suprématie politique, économique, nationale d("
la France sur I'Europe, et c'est pourquoi Ie Grand Empire,
exaltation et magnificence de Ia puissance française, parnt.
aux peuples Ie monstre et Ie Léviathan; c'est pourquoi if
devint insupportable aux nations européennes d'autant plus
qu' el1es priren t plus conscience de leurs intérêts, de leurs
traditions. de leurs passions héréòitaires, et que, tour å tour
affrRnchies par la France et affranchies de la France, eUes en
ont fait honneur à Napoléon, et ne I'ont pas encore pardonné
aux Français. Napoléon était mort, òn De Ie craiffnait plus; Ja
France restait vi,.ante et pouvait revenir. D' où ces cODsé-
quences étranges, à première vue contradictoires, et si inti-
mement Jiées dans les profondeurs : la haine de Ia France
succédant à la chute de l'empire; l'admiration, Ia reconnais-
sance même pour NapoIéon, exécré, révéré, évoqué tour à
tour, et grandissant dans l'imngination des peuples à mesure
qu'ils Ie considèrent de plus loin, envahissant leur histoire
dans Ie temps même OÙ ils se gIorifient de I'avoir chassé de
leur patrie; tel, à la fin d'un jour d'été, dans les splendeurs
de l'horizon, Ie soleil qui accable les hommes et fait mûrir lea
htés.
CI-IAPITRE III
I.A GUERRE DE BUSSIE
t8iO-i8tl
I
Depuis Ie mois d'août 1810, Alexandre, dans Ie plus grand
ecret, se préparait à l'offensive I. Les corps russes se rap-
prochent insensiblement de In frontlère et se conccntrent; Au
mois de février 1811, au plug taI'd, il sera en rnesure : iI aura
230,000 hOlnmes prêts à entrer en campagne, et, du choc, il
renversera les 50 à 60,000 hommes que Napoléon conserve
au delà du Rhin, les 95,000 Allemands de Ia Confédération
qui ne tiendront pas. D'ici Ià, il bercera NapoIéon de négo-
ciations lentes, coupées de disputes byzantines. II est déjà, en
partie, il sera définitivement n1aitre des Principautés du
Danube: eUes lui serviront d'appoint dans ses combinaisons.
Alors, it surprendra Napoléon par un ultimatuln et, brusque-
ment, l'assaillira. II projelte d'entraÎner les Polonais, d'ap-
peler l' Europe a ux armes et de reprendre Ie grand dessein de
refoulement de la France, de la reconstitution des monarchies
I Alexandre
CzartOl'yøki 6 janvier, 12 février 181t.; :nfémo;res, liv. II.
Cf. ci-des6us, p. 458. -ALBI<::RT V -'ND.!L, EmmuF, l}faret; J"rédéric
IA!';soÑ, t. VI,
"lurie-Luuise: D'":SCKFß; BEßNB-'RDI, ZINKEISE:'4', ONCKEN, O. ulld P.; STEfI
,
ßHnm:.'i. BOTTA, HELFEßT, ]'.Jurat, l\fal.ip-Cw'oline: GUILLON, Complots mili-
taire,ç; commandant
hRGCEROl"i, Campagne de Bussie; GIROD DE L' AIN, f;illÙal
Foy; PI;,I,CAl"II; St;Hfo:FER, Bel.uadolte; D'loEVILLE, Bllgeaud. - ]'.lémoires de
Joseph, de )J euernich, JounJan, l\liot, Deøvernoi" Pasquier, - Corr. de
Davo!Jt, de ] .8ßerbielke, par Oscar ALIX.
PL..lM n' AGI\ES!ION D'ALJl:XANDRE. - 11i. 10'
et de la suprématie russe sur Ie continent, conçu par lui dès
1804 et rompu par les rudes coups d'épée d'Austerlitz et de
Friedland. II conlpte, pour se Gagner les Polonais, sur leurs
divisions, leur illépuisable complaisance à l'illusion politique,
la chimère de la résurrection de leur patrie, la séduction
des promesses d'indèpendance qu'il leur prodiguera. S'ils se
livrent à la Russie, les avant-postes de l'empire napoléonien
sonl enle\"és.
En Allemagne, il trouve, dès I'entrée, un allié ardent
à la vengeance; c' est la Prusse que Napoléon n'a conservée
que pour la mettre à la geôle et à la gêne, pour la ruiner et
I' asservir. Le roi tremble à la pensée d 'une explosion préma-
turée qui découvrirait 1a Grande conspiration de sa politique
et briserait l'ouvrage de régénération, l'armement national
secrètement préparé par ses ministres; mais l'armée, refaite,
bride d'entrer en campagne; la nation a ses chefs, sea
meneurs; eUe est mûre pour la révolte; eUe est passionnée;
elle forcera, s'ille faut, la main à son roi. Alexandre Ie sait.
!u Les garnisons françaises de I'Oder, bloquées par l'insurrec-
tion, ne pourront empêcher les troupes régulières prussiennes
de s'unir aux masses moseovites. 1)
Sur les flanes, Bernadotte, maître de la Poméranie, assure
la séeurité de ees mouvements. Le premier article de l'art de
régner, selon l'ancienne méthode, est d'étendre les limites de
son royaume. Bernadotte, å peine désigné par la Suède, pen-
sait déjà à 8Tossir de Ia Norvège Sft monarchic future. II n'y
avait alors pour distribuer des royaumes et des hommes que
deux potentats en Europe : Napoléon et Alexandre. La Nor-
vège appartenait au Danemark, et Ie Danemark était allié de
la France; it ne fallait rien attendre de Napoléon, qui tenait
à la conservation de ce petit État et de cet allié fìdèle.
Alexandre, grâee à Napoléon, venait de prendre la Finlande
aux Suédois et il cherchait une occasion de les réconcilier. II
Ie préparait à rompre avec Napoléon. Embaucher Bernadotte
et s'assurer de son concours fut sa première pensée. Napo-
léon lui en fournit l'oeeasion : il lui demanda de l'aider à
510
J.,A GUEunJ: DE RUSSIE. - i810.
Gdgner Ia Suède au bloc us I. La lettre apportée par Tcherni-
chef, Alexandre y minuta une répollse, en belle forme, ct
charffea Tcherllichef de la porter à Paris, en passant par
Stockhohn. II y arri va dans les premiers jours de décembre K.
II n' eut qu' à sourire pour êlre compris. Bernadotle donna sa
parole d'hol1ueur - Hon plus de nlaréchal de France, mais
de prince royal de Suède - Ct de ne jamais se déclarer contre
la Bussie ". Alexandre estime que Bernaùotte ne Ie gênera
point: neutre au début de la gucrre, alIié si la Russie rcnl-
porte, loin de seconder Ie blocus continental, il ne fera que
Ie paraI)?ser. IC M. de Tcherllichef, dit un document russe,
rempJit Ie but - de sa mission - avec un complet succès...
Le rapport qu'il adressa à Sa
'fajcsté impériale... atteste que
déjà alors la résolution de Bernadolte était fortement arrêtée;
que dès lors il s'était décidé à ron1pre tous ses liens avec Ia
France et de s'en remettre avec une pleine confiance à la
loyauté et à la protection d
l' elTI pereur Alexandre 3. "
Ainsi gardé sur sa droite, Alexandre pourra Iibrement
manæuvrer sur sa gauche. Le terrain y est plus glissaut, plus
coupé; mais Alexandre Ie connait à Inerveille et il s'est pré-
paré des chemins. L'Autriche sera une complice tacite taut
que Ia Russie s'en tiendra aux promesses; une complicc
décIarée, Ie jour où la Russie sera en mesure de concéder de:;
terres en Orient ou en Italie. Déjã, en 1809, quand Alexandre
élait, en apparence, tout à l'alliance française et François II
tout à Ia guerre, Ies deux eIll pereurs avaient travaillé de con-
cert contre Napoléon. La partie se renoue de soi-mêrrH
au
point où eUe s'est arrêtée. Schouvalof, l'ambassadeur à
Vienne, a repris Ia conversation cngnffée par Alopeus 4. II
offre (C une partie de Ia Turquie, à l' exception des Princi..
pautés danubiennes u . A la fin de l'année, Alexandre parni;;-
sait disposé à leur livreI' la Valachie et Ia
Ioldavie, jusqu'au
I Nap(,léon à Alexandre, 23 octobre 1810.
t Rapport de Tchernichef, Stockholm, 7 décembre f8tO.
· Aperçu des transactiolls.- Société d' /,isloÏ',.e de Bussie, t. XXI.
· Voir ci-des8u8, p. "4. - Uap!Jürts de Schouvaluf.
,l
BTE
s.
PLAN Ð'ÂGHESSION D'ALEXÄND1\E. - tit.. 111
S
rcth, elluêlne la Serbie, moyennant que les Autrichiens Ie
tli::ìseraient
e faire roi de Pologne et lui abandonneraien'l Is
Gallicie I. Les Autrichiens écoutèrent, comprirent et se
turent; leur silence, qui rassurerait Napoléon dans Ie préseut,
cxcitaielll Ale
andre à élever ses offres. Alexandre était sûr
que I'Autriche ne Ie cOlltraricrait point : tout au moins tui
l'endrait-elIe, en attendant qu'iI vainquit, Ie service qu'il lui
ayait rendu en 1809.
C'est qu'à Vienne tout Ie monde, tout Ie parti de Ia cour,
tout l'État,
Ietternich, Ie premier, qui avait conçu Ie dessein
et Sigllé Ie contrat, ne cOllsidéraiellt Ie mariage de 1810 que
COIDnle Ull iU1posant trolnpc-l'æil. lIs rêvellt d'en effacer Ie
scandale devant I'Europe; non seulement ils en attendent
('occasion, mais ils la disposent. L'empereur a (I des entrailles
d'État JJ ; it a sacrifìé sa fille une prenlière Eois, au saInt de sa
monarchie conquise et menacée de démembrement; ilIa
sacrifiera, une seconde fois, à la gloire et à l'accroissemellt
de cette même monarchie, redevenue conquérante. L'II)hi-
génie de cour ou d'État, de 1810, est prête à changer de cos-
tume et de théâtre, à passer des ingénues aux veuves ou
demi-veuves et à prendre Ie personnage d'Andromaque dans
I'opéra-ballet de Vienne. L'cmpereur François - c'est un des
agents de NapoIéon qui l'écrit - n'a rien oublié : "II n'a
perdu de vue ni les,Pays-Bas, ni Ie :\Iilanais, ni l'empire
d'AlleInaSfic, ni Ie titre fastucux d'Elnpereur romain " , ni la
Vénélie, ni les provinces "de I'...\driatique. L'arméc réclame la
guerre et se croit, encore une fois, de taille à affronter lcs
Français. A entendre certains officicrs, écrit l'ambassadcur
français Otto, Ci l'archiduc Charles a Inanqué d'étabIir son
quartier général à Saillt-Cloud, d'ajouter à la monarchic la
Lonlbardie, l'...\J
acc el la Lorrdine u . Ils optcront inévitablc-
menl pour l'alliance russe qui natlera leurs passions ct lcur
lnénaGera, aux Pays-Eas ou cn Italic, taut de beaux béll
fìcc
,
Le tsar ne Joute pa
tIu soulèvclllent des peuples (1' _\..Ue-
I Ale
andre à Fl'ançois 11, 8-20 février 1811. - A Czartory.ki, 12 févrie.
1811.
1t
I..A ßUERl\.E DE RUSSI!:. - 1810.
1118gne. II suffira d'arriver en armes, de paraitre Ie plus fort,
de leur prolnettre rindépendance et de leur laisser entrevoir
la résurrection de l'Empire. Les diplomates russes travaillent
les petites cours; ils Ie font en secret, sans in&tructions offi-
cielles, de façoIl que leur gouvernement puisse, en toute occa-
sion, les désavouer.
La Hollande n'attend qu'un signe et une crise. Quant å
r Anuleterre, eUe est toujours debout, prête à payer la guerre
dès que I'Europe sera décidée à la recommencer. Alexandre
avait toujours eu soin de les tenir en. haleine, de leur pré-
senter ses ullÍ1nalums, sa déclaration de guerre comme une
nécessité du temps, Ie moyen d'attendre des conjonctures
meilleures. Des pourparlers s'engagèrent dans Ie plus profond
secret. Alexandre tint à rassurer effectivement les Anglais et
à leur donneI' un gage. Le 31 décembre 1810, en consé-
quence des desseins arrêtés et des mesures prises par lui
contre Napoléon, il rendit un oukase par lequel il frappait
les produits français venant par terre et admettait librement
les marchandises de mer transportées par vaisseaux neutres.
C'était la rupture du blocus et la main tendue à I'Angle-
terre 1.
L'aimable Caulaincourt, préoccupé d'effacer les impressions
du mariage, ne découvre partout que loyauté, désir de plaire,
amour de Ia paix. Ille croit, ill'écrit à Paris. Talleyrand, en
relations avec Ie jeune Nesselrode qui constitue tonte ram
bassade dont Kourakine est Ie prête-nom fastueux, proparre les
mêmes illusions. Alexandre peut conlpter sur la résistance de
I'Espagne. sur les difficultés croissantes du gouvernement dll
Grand Empire, Ia dispersion des forces de Napoléon, Ies
diversions d'un parti influent å Paris, dans les entours, dans
les conseils même de l' empereur. II est bien servi; il est mer..
veilleusement renseigné.
Le prince Alexandre Tcherllichef passait sa vie à courir sur
les routes de Péters
ourg à Paris et de Paris à Pétersbourg.
I Sur la situation économique de la Russie, rapport de Bray, i5 août 181J I
rétrolpectif.
PLAN D'AGRESSION D'ALEXANDRE. - 1810. 5i8
courrier très intime de cour et d'État, portant à l'empereur
les Iettres autographes du tsar et ses paroles dorées. Ce jeune
Slave de vingt-cinq ans possédait toute Ia confiance de son
maitre et ilia méritait, sachant dissimuler et voir, fa1re parler
et se taire; il gagna, sinon la confìance, au moins Ia faveur
de Napoléon qui Ie trouva souple, discret, écoutant avec
attention, rapportant avec exactitude, un aide de camp à
conversations; mais, en dehors de eet office, il Ie jugea sans
conséquence, un de ces freluquets d'état-major, un de ces
muguets de chancelJerie qui, de tout temps, avaient su flatter
les caprices d'Alexandre. Tchernichef cachait sous les _appa-
rences les plus évaporées une ambition sans mesure, une
vanité sans bornes. Sa mère, née Lanskoy, demoiselle d'hon-
neur de la Grande Catherine, l'avait modelé à la Potemkine;
avait fait de lui un courtisan parfait, un homme de salon
accompli, avec ce raffinement qu'iI prétendait ne se piquer
de rien si ce n'es! de plaire. Nulle affectation de politique
en son manège; très habile manæuvrier dans Ie monde,
c'est pour Ie monde qu'il opérait et dans Ie monde aussi qu'il
se dérobait aux curieux. Illes déroutait par ses façons de
petit maître, son bavardage, la frivolité de ses propos, sa
fatuité de Iibertin et I' extrême importance qu'il paraissait
donner à ses affaires de galanterie I. A peine descendu de
berline, on ne Ie voyait préoccupé que de s'ébrouer, de se
parer, de dissiper Ia courbature du voyage et de courir les
boudoirs. Un front couvert de cheveux frisés, bouclés, des
sourciIs très marqués, des yeux en amande, des yeux chinois,
enfoncés, regardant en caresse, Ie nez un tantinet kalmouk;
une jolie bouche, avec des Ièvres arquées;
es favoris Iégers;
un joli homme absorbé en soi, distrait de tout par Ie seut
souci de sa séduction. Serré dans son habit, à la taiIle guépée,
it portait un chapeau à plumet, avec cette tournure (I étran-
gère JJ que
Ietternich avait mise à la mode. Les femmes en
étaient entêtées : UDe ovation I écrit rune d'elles. Personne
I Voir ni-dessus) p. 363, TchernicheE à Vienne, en {809.
VII.
33
51'
LA GUERRE DE BUSgIE. - 1810.
ne déploya autant d'art et d'artifices à se faire passer pour
insigni6.ant. Sa voiture stationnait aux portes d'une 3ctrice
connue pour "sa Iégèreté et, pendant ce temps, il travailIait
à ses affaires, qui n'étaient point seulement de tourner les
têtes. II y employait très adroitement ses succès de salon.
(I On sait, dit une contemporaine, qu'il était aux pieds
d'une femme dont Ie mari connaissait les secrets les plus
intimes de l'empereur I. ,J Mais l'empereur ne Ie prenait au
érieux.
Ni l'alliance, ni .Ies effusions et les embrassades n'avaient
interrompu les relations de rambassad.e de Russie avec les
ß bureaux de la guerre 2 1) . Tchernichef ménage et perfec-
tionne Ia machine, et parvient à se procurer les renseigne-
ments les plus secrets: les états de situation, dont Napoléon
fait son bréviaire chaque jour, (I Ie livre de chevet des rois " ,
disait-il, et que TchernicheE a trouvé moyen d'intercepter
entre les bureaux de Ia guerre et Ie cabinet impérial. C'est,
au jour Ie jour, Ie bulletin du mal qui ronge l'empire, I'Es-
pagne. Ce sont les confidences des mécontents; les paroles
imprudentes qui éehappent aux uns devant Ie confident du
tsar, admis à la confidence de r empereur; les avances pré-
maturées des autres, la trahison qui s'insinue sous forme de
conseils. "Le mécontentement est universel et fort prononcé;
mais on ne peut en attendre aucun effet direct, parce que la
crainte et l'effroi, qu'imprime la force dont Napoléon peut
disposer, couvrent tous ses actes d'injustice... Dans cet état de
choses, tous les yeux sont tournés vers la Russie, c'est Ia seule
puissance qui soit en état. .. de seJ;vir de barrière à ce torrent
J Est-ce la personne que Tchernichef désicne par Mme D. dans lee rapports
du t7 juin et du i7 juillet i8it, (Sociéti d'Ristoire de Bussie, t. XXI, p. i75,
(90). Femme politique et militaire, qui donnait des renseignementø et des con-
leils, entre autrel de ee rader, agir avec b(';mcoup de fermeté ", et qu'iI était
.8ouvent dane Ie cas de voir.. Sur Tchernicbef, Mémoire$ de Pasquier, de
lvlarbot, de Ia duchesse d' Abrantès. Son portrait dans la collection del trent&'
Deuf portr<titø de Louis de Saint-A ubin, pubIiée par grand-due Nicolas de RUBsie.
I (I Lee renseignement8 que se procure Ie eomte de Nesselrode dan.leabureaux
de la guerre. >> Tchernichef, 10 mai 1811.. - Cf. P(NGAUD, d' Ålltraigues, p !3i.
- Albert V Al'fDAL, t. III, chap. IX et XI. - Sur 1'alleyrand, id., chap.
.
SUPRÊME EFFORT DU BLOCUS. - iSIO. 5tG
dévastateur.., " J on1Ïni - qui passera aux aIIiés en 1813 -
pensait déjà à la défection; l'affaire Inanque, Napoléon ayant
prévenu Ie coup, nommé Jomini général de brigade et l'ayant
appelé à Paris, so us sa main, en surveillance. "Un concours
de circonstances et d'événements inattendus, écrit Tcherni-
chef, nous prive de cet homlne de mérite qui plus que jamais
aurait pu nous être utile I. )) II voit Talleyrand qui" s'explique
généralemel1t en vrai ami de la Russie JJ , et conseille de faire
la paix avec les Turcs. Tchernichef conclut à se débarrasser
de cette guerre incommode " à quelques conditions que ce
soit )) , afin de pouvoir " frapper Ie coup Ie plus funeste aux
intérêts de Napoléon JJ, " entreI' inopinément dans Ie duché
de Varsovie 2, se déclarer roi de Pologne et faire tourner contrQ
I'empereur Napoléon lui-même tous les moyens préparés dans
ce pays pour no us faÎ"re la guerre >> .
Tels sont les vues, les mesures, les instruments d'Alexandre
dans les derniers mois de 1810 et les premiers de 181 I.
Jamais dans leurs projets les plus insidieux d'agression, ni
Frédéric, ni Napoléon n'ont ourdi, de si loin) en un tel
secret, et mené si machiavéliquement à terme un plan d'at-
taque plus redoutable. Celui-Ià échoue néanmoins, au, plutôt,
se diffère. C' est que les Polonais, sur lesquels Alexandre
conlpte pour livrer la première porte, refusent Ie rôle qu'il
leur destine et que, par ces mêmes Polonais, Napoléon est
prévenu. II suffit de l'avertir pour rompre la grande manæu-
vre, la march
soudaine et l'effet de surprise.
II
Napoléon ne soupçonna rien jusqu'aux premiers jours de
décelnbre. On Ie voit, dans les mois de septembre à novembre,
I Cf avec toute8 lei atténuations, SAINTE-ÐauvE, Nouveaux Lundil, t. XIII.
article Jomini, p. 113-114.
Rapport du 9-21 aTlil i8i!.
5i6
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1810.
tout au blocus. It Ce système si compliqué, dont je retire les
plus heureux résultats par l'occupation d'une immense
étendue de côtes, du l\lecklembourg, des villeshanséatiques et
des principaux ports de I'Allemagne. L'Angleterre est réelIe-
ment aux abois, et moi, je me dégorge des marchandises dont
l'exportation m'est nécessaire. " Les marchandises anglaises
(( seront attaquées et chassées du continent... 1 )J. Tout s'y
doit plier, jusqu'à la Suisse. La force Inilitaire y contraindra
toutle monde, et Davout qui la commande deviendra l'archi-
douanier de l'empire. Dans cette immense opération, la
Russie forme une des ailes de l'armée, celIe qui à Ia Eois com-
plète l'investissement sur un large espace, et, par sa masse en
seconde ligne, Ie soutient, en quelque sorte, sur toutes les
côtes de 1a Baltique, sur toutes les frontières de Pologne et
d'Allemagne. Qu'elle tienne, et Ia Prusse tiendra; qu'elle
presse la Suède, et Ia Suède ohéira; avec elle tout va se con-
lommer.
C' est, pour la Prusse, une question de vie ou de mort.'
<< Le mal que font ces mesures à I' AlJgIeterre est immense si
ces mesures sont prises sérieusement; je demande que Ie
transit ne soit permis dans les États prussiens pour aucune
marchandise anglaise ou coloniale, aux trois barrières de la
Vistule, de rOdeI' et de I'Elbe...; s'il en est autrement, j' entre
en Prusse; je n'ai pas d'autre moyen de faire Ia guerre à
I'Angleterre; celui-là est efficace... )) Six cents bâtiments qui
n'ont pu entrer dans Ie
{ecklembourg ont débarqué plus
loin; il faut que la Prusse arrête ces marchandises : (I Si Ie
chargement de ces six cents bâtiments, venant à entrer en
Prusse, n'est pas confisqué, j'enverrai Ie confisquer. J) Mais
si les hãtiments, refusés en Prusse, poussentjusqu'en Rusiie?
Napoléon en écrit aussitôt à Alexandre: " Si V otre Majestó
les admet, Ia guerre dure encore; si eUe les séquestre... Ie
coup qui frappera l' AngIeterre sera terrible... II dépend dB
Votre Majesté d'avoir la paix ou de faire durer 18 guerre. ,,-
J A Eugène, 19 septembre j it. J érðme, 3 octobre; it Clarke, " octobre; 1
EUßène, 6 octobre t810.
SUPRÊ
IE EFFO RT DU BLOCUS. - i810
. L'Angleterre sera forcee de demander la paix si la Bussie
lui ouvre ses ports 1. "
II adresse des exhortations de plus en plus pressantes à
Tchernichef, dans ses passages à Paris; notes sur notes de
Champagny à Kourakine, courriers sur courriers å Caulain-
court. II s'agit de serrer.In gorge à l'adversaire qui râIe, de
porter Ie coup de grâce!
'Iais tout est lié. Napoléon ne Ie sait
que trope Dne brèche et tout Ie système y passe. Ce sont les
Anglais å chasser de la Sicile et du Portugal; Corfou å
défendre. (( Si les Anglais étaient un jour maitres de Corfou,
l'Adriatique serait perdue pour toujours... " Napoléon se rend
compte à quel point Ic blocus pèse sur les peuples I: C& En6n!
disait-il å l'envoyé suédois, croyez-vous que je ne souffre pas,
moi? Que la France, que Bordeaux, que I'Allemagne ne
souffrent pas? Mais
?oiIå précisément pourquoi il faut 6nir la
paix maritime à tout prix. .. Qui... Ia Suède est seule cause
de la crise que j'éprouve. La Suède m'a fait plus de mal que
les cinq coalitions ensemble. Mais aujourd'hui, rendue à Ia
communication avec Ie reste de I'Europe, elle en profite pour
faire Ie commerce avec I'Angleterre... Ah! monsieur, du
temps, toujours du temps, fen ai trop perdu... Choisissez!
des coups de canon aux Anglais qui s'approchent de vos côtes,
ou la confiscation de leurs marchandises en Suède, ou la
guerre avec la France... Je puis vous faire attaquer par les
Russes, par les Danois; je puis con6squer tous vos bâtiments
sur Ie continent, et je Ie ferai, si dans quinz.e jours vous
n' êtes pas en état de guerre avec l' Angleterre... "
Donc qu'Alexandre agisse, qu'il menace, qu'il bloque, et
Ie Nord se sou met. Le Nord soumis, l'AngIeterre croule.
Napoléon l'espère encore et, l'espérant, il sten donne l'image,
il suppute les conséquences. C'est Ie retour au rêve du len-
demain de la paix d'Amiens. C'est l'immense Arnlada, tou..
jours commandée, toujours en chantier ou bloquée dans les
1 A Champagny, 13, 19 octobre; A Alexandre, 23 octobre i810.
t A EUßène, 6 octobre; à 'Iurat, 4- novembre 1810. - Rapport de I'envoyé
lIuédoi. Lagerhielke, 26 octobre 1810. Oscar ALII:.
!H8
LA GUERRE DE BUSSIE. - 1810.
ports, qui sortira enfin, ran 1812 on I-an 1813, car chaqne
mois qui s'écoule éloigne l'événement au lieu de Ie rappro-
chert NapoIéon envoie, en octobre, un agent en Égypte et Cll
Syrie : une mission d'un an, tout voir, tout étudier 1. Le
l' septembre, il écrivait à Decrès : n Quand aurai-je les
moyens de porter en Égypte, par exemple, cioq divisions de
troupes de ligne... 40,000 homn1es, 500 voitures, 2,000 che-
vaux ?.. Je vous prie de me faire un rapport sur Ia situation
où ron peut espérer que' no us nous trouverons en 1812. Je
pense qu'au mois d'aoÚt 1812 j'aurai... 104 vaisseaux de
ligne. Si ces 104 vaisseaux sont soutenus par une flotte de
transport dans I'Escaut, portant 42,000 hommes... ; par une
ftotte de transport dans la
Iéditerranéc, portant 40,000 hom-
mes; par la flottille de Boulogne, capable de porter 60,000
hommes; par une fIottille vis-à-vis Ia Sicile, capable de porter
20,000 hommes; par nue flotte de transport à Cherbourg,
capable de porter 20,000 hommes; en6n par des bâtiments
de transport pris en Hollande, escortés par les escadres du
Texel et de la
{euse, ce qui ferait 200,000 hommes, les
Analais se trouveraient dans une position bien différente de
ceJIe où iis sont aujourd'hui. C'est là mon plan de campagne
pour 1812 !... "
Mais, présentement, les AngJais tiennen t en Portugal.
NapoIéon leur a envoyé MBsséna. Ce m.aréchal n'a été en
mesure (J'attaquer que Ie 19 septembre; Ie 27, à Busaco, il
oblige Wellington à se replier derrière ses lignes de Torres-
Vedras, où il s'est mép:\ffé un formidable réduit: 168 ouvrages,
383 pièces de canon, et la mer Jibre pour se ravitailler. Mas-
séna demeure en échec et demande des renforts que NapoIéon
ne peut plus lui envoyer : s'il ne les reçoit, ce sera Ia retraite,
et dans des conditions détestables, la retraite sur I'Espagne
dévastée, insurgée, exaspérée
. Tout y va de mal en pire.
Joseph démissionne toujours, gémit toujours, reste toujours,
menace de se retirer à
{ortefontainet et conclut à demander
· A Champagny, 13, 14 octoLre 1810.
Cette retraite commença Ie 13 novembre.
SUPRÊ
lE EFFORT DU BLOCUS. - i810. 5i9
ses passeports pour Naples, OÙ il s'installerait volontiers à la
place de Murat et de sa sæur Caroline I. Napoléoll pense,
pour s'indemniser, pour les garder aussi, à annexer les pays
jusqu'à I'Èbre, et il s'ensuit une négociation qui n'aboutit å
rien qu'à pousser à l'aigu la crise entre les deux gouverne,
menls, l'antagonisme entre les deux frères. En désespoir de
cause, Napoléon en vient à jeteI' Joseph dans les bras des
Cortès. Puisque Joseph croit pouvoir affectionner les Espa-
gnols, qu'il règne sur eux, de leur propre consentelnent,
" La lutte n'est favorable qu'aux Anglais! II L'empereur alors
renoncerait même à la ligne de I'Èbre; il garantirait l'inté-
grité de l'Espagne; il trouverait cet intérêt" de rendre dispo-
nible la meilleure partie de ses troupes et de 6nir une guerre
qui pourrait coûter encore beaucoup de sang I. 1) Si Joseph
accepte et que les
ortès Ie proclament, voilà Napoléon hors
d'embarras; si Joseph refuse, Napoléon est dégagé; si les
Cortès Ie repoussent, Napoléon l'abandonne et traite avec
Ferdinand.
Iais c'est mal connaître Joseph. Ce libéral
n'admettait point Ie contrôle d'une assemblée nationale; il se
déclarait l'élu de creur des EspaBnols, mais sa qualité de
prince de droit divin ne Iui permettait pas de les consulter.
II éluda la proposition et continua de solliciter son. change-
ment>> pour Naples.
D'autres soucis et plus pressants détournèrent Napoléon de
cette Espagne désormais insupportable. II reçut, Ie 11 Jno-
vembre, un courrier de Caulaincourt : Alexandre refusait de
contraindre les neutres au blocus. Napoléon ne se jugeait
point en mesure de rompre avec Alexandre; il tenait à con-
server les dehors de l'alliance, et, sous ce couvert, à se pro-
curer les moyens de s'en passer. Les moyens, il les avait
concertés déjà : forcer la Prusse, forcer la Suède, feriner aux
Anglais les côtes de la Baltique et puisqu'Alexandre ne se se
prêtait point à y empêcher Ie commerce des neutres, sup-
· A Cbampagny, 9 septembre i810.
I A Champagny, 3 novembre; à Laforest, ambal.adeur à Madrid, 7 Dov...ba:o
t!iO. - Frédéric MA
SOl'f, t. VI, p. t
9 et luiv.
ð!O
LA GUERRE DE BUSSIE. - 1810.
primer ee COffilnerce, par ses propres forces. Les villes
hanséatiques sont occupées, en fait, depuis Ie printemps;
Napoléon les déclarera partie intégrante de l'empire : il y ins-
tallera ses préfets, ses douaniers, et, à titre de sanction, les cours
prévôtales, les potences, la terri6ante gendarmerie de Davout I.
Sur ces entrefaites, dans les premiers jours de décembre, il
apprend, par des Polonais 6dèles, que la Russie arme très
sérieusement; qu'elle travaille à se créer un parti en Pologne;
qu'elle y fomente l'agitation, la défection à la France. Le 5, il
mande à Champagny; "Écrivez au duc de Vicence - Cau-
laincourt - que les Russes font bejlucoup de travaux sur Ia
Dwina et même sur Ie Dniester; il est nécessaire qu'il se
tienne éveillé là-deisus... Après avoir fait la paix avec la
Porte, voudraient-ils la faire avec I'Angleterre et violer ainsi
Ie traité de Tilsit?.. Ce serait incontinent la cause de la
guerre... II II demande, Ie même jour, des états des troupes
russes, des troupes autrichiennes, des troupes de la Confédé-
ration du Rhin. Puis, il précipite les mesures, et, selon sa
méthode de tous les temps, occupe les positions. Champagny
lui adresse un rapport, qu'il revoit et corrige de ga main, sur
I'annexion des villes hanséatiques. Le 10, ill'annonce au
Sénat : "De nouvelles garanties m'étant devenues néces-
saires, la réunion des embouchures de I'Escaut, de la l\leuse,
du Rhin, de I'Ems, du Weser et de I'Elbe à l'empire J) , a paru
rune des plus importantes. Le 13 décembre, un sénatus-
consulte prononce la réunion de la Hollande, du département
de I'Ems dans Ie grand-duché de Berg, des trois départe-
ments du W eser, de la Basse-Elbe et du Nord dans la West-
phalie, du Lauenbourg, de I'Oldenbourg, de Brênle, Lubeck
et Hambourg. Un autre sénatus-consulte réunit Ie Valais, route
de I'Italie. Un troisième ordonne la levée de 120,000 cons-
erits. L'Oldenbourg a pour due un oncle d'Alexandre : Napo-
léon lui procurera une indemnité; il fait écrire, en ce sens å
Pétersbourg, Ie 14. Le 17, il rompt Ie traité avec Jérôme,
Davout à Friant.. 10 novembre 1810.
SUPRÊME EFFORT DU BLOCUS. - 1810. 5!i
sous prétexte que Jérôme ne I'a pas exécuté. Le 24, pour
compléter la réunio
du Valais, il décide la réunion du
Tessin. Ces exécutions confondent les alliés et confédérés, la
Suisse et les confédérés du Rhin, avec les rois frères : la Hol-
lande enlevée à Louis, Ie duché de Berg donné au fils de ce
roi et démembré, Ie Hanovre donné à Jérôme et reprise
Ce ne sont encore que des précautions à longue portée,
contre des menaces lointaines. Napoléon ne connait pas toute
l'étendue du péril.
Le 24 décembre, il dit au général Foy, arrivé avec un mes-
sage de Masséna: "Je viens d'appeler 120,000 conscrits; je
pouvais m'en passer: c'est pure précaution. II n'y a en ce
moment aucune apparence de guerre continentale. L'em-
pereur Alexandre veut la paix; la nation russe, quoiqu'il y ait
parmi elle beaucoup de nos ennemis, veut 1a paix, mais il est
possible qu' elle se donne la guerre sans la désirer; c' est Ie
propre des nations de faire des sottises. Si, par exemple, la
Russie se rapprochait de I'Angleterre, å l'instant mêrne je lui
déclarerais la guerre. "
Ce rapprochement, l'oukase du 31 décembre 1810 lui en
fournit la preuve. II s'assura, et il n'y eut point peine, que cette
mesure n'était et ne pouvait pas être une réponse à la levée
des conscrits du 13 déeembre et aux réunions opérées à la
même date : c'était done une mesure préméditée; la suite,
très vraisemblablement, d'autres mesures qu'il ignorait, et Ie
gage d'une réeonciliation qui s'opérait sous Ie manteau. Alors
il jugea néeessaire de se mettre à son tour, sous les armes.
II leva la conscription autorisée par Ie sénatus-consulte et,
ostensiblement, il se mil à "parler Pologne'1) , à favoriser les
Polonais nombreux, remuants, agités, qui se trouvaient à
Paris; ils se groupaient autour de
Ime Walewska : ,& Elle
a amené avec elle un petit enfant, que ron disait être provenu
des fréquents voyages qu'elle fa,isait de Vienne å Schænbrünn;
aussi en preud-on un soin infini. "
Le 3 janvier 1811, avant de connaitre l'oukase, il s'était fait
dresser c& un livret de la Grande Armée " , et il en esquissa la
52!
LA GUERRE DE RUSSIE. - i8!t.
réorganisation. IlIa décida Ie 10 : l'état-major général devait
êlre réuni à l\layence Ie 15 février. Davout, qui avait fait un
long séjour à Paris, partit pour I'Allemagne. II emportait un
règlement sur l'organisation des pays réunis, et peu à peu,
par infiltrations, Napoléon commença de renforcer cette
I1rmée d'Allemagne, gardienne du blocus, avant-garde de Ia
Grande Armée t. " Le départ du maréchal Davout, écrit Tcher-
nichef Ie 21 février, a produit aussi une très Grande sensa-
tion; on I'a considéré ici comme avant-coureur de la guerre;
on sait positivement que 200 pièces de canon ont passé Ie
Rhin, à Wesel. J) - "Si j'eusse voulu attaquer, qui eftt pu
m'empêcher, disait Alexandre en mai, à Lauriston. Je suis
prêt de puis deux mois. " Ce qui l'empêcha, ce fut la rapidité
des mesures de Napoléon prévenu par les Polonais qu'Alexan-
dre méditait un coup de surprise. Le coup était manqué.
Tchernichefécrivait: (( 1\Ialgré qu'il soit reconnu qu'une guerre
avec nous dans ce mOlnent-ci n'est pas de l'intérêt de Napo-
léon, néanmoins, tout ce qui Iui est revenu sur nos arme-
ments I'a engagé à effectuer sérieusement les siens
. J)
L'alerte fut vive, Ie péril était grand s. Qu'on y regarde de
près, c'est toute l'histoire de 1813 qu'Alexandre disposait
ainsi, par anticipation. l\fais c'était un 1813 prématuré, sans
Ie désastre de 1\loscou, sans ,Ia neige et l'anéantissement de Ia
Grande Armée. Napoléon eut Ie temps de se retourner. II était
de ces hommes auxquels iI ne faut jamais laisser ce temps-Ià.
L'Espaffne l'avait forcé à déaarnir I'Allemagne. Pour arrêter
Alexandre, Ie refonler ensuite et Ie contraindre å l'alliance
docile, iI fant que Napoléon rassembIe, de toutes les extré-
mités de J'Europe occidentale, ses Français dispersés et
encadre dans leurs rangs ses auxiliaires cosmopolites.
1 A Clarke, 3 janvier; à Lacuée, it janvier; à Davout, 2i janvier; Davout 1
Clarke, 11 janvier 181!.
I Rapport du 10 mai 1811.
I II II a senti combien Ie moment actuel est critique pour lui, si nOllS noUI
décidons promptement à I'attaquer et que ø'il n'en cagne paa Ie temps, iI sera
forcé J'abandonner la comluête de l'E'pa{{ne, ou, pris au dépourvu, if aura à sou'
tenir contre noul une ßuerre désBvautaGcuse. . Tchernichef, to mai 1811.
SUPRÊME EFFORT DU BLOCUS. - 1811. 5!3
L'opération exige des mois, des préparabfs immenses et
minl1tieux, des combinaisolls politiques subtiIes. II va employer
pendant ces mois autant d'habileté à tenir Alexandre en sus-
pens qu'Alexandre en a employé à le surprendre dans les
derniers mois de 1810. II tâchera de se masquer à lui-même,
en s'absorbant dans les délails de cette guerre co)ossale,
son impuissance à fa prévenir, et de s'aveugler sur l'inanité
finale d'un si prodigieux effort.
Ainsi tout reste toujours å recommencer. Napoléon en
est toujours au lendemain d'Austerlitz, au lendemain de
Friedland. Qu'il ailIe à Pétersbourg, qu'il aille à
Ioscou, iI
faudra refaire Tilsit, et Tilsit n'a rien achevé. II a échoué
dans son dessein de coaliser l'Europe contre I'A,ngleterre;
réussira-t-iI mieux à bloquer I'AngJeterre quand il sera seul
maitre de I'Europe? La Belgique est-elle plus soumise au
blocus que la IIollande? La Hollande l'est-elIe davantage
depuis qu' eUe est transformée en départeme
ts français?
Et de même sur toutes les côtes, de I'Adriatique à Ia Bal-
tique. A I'intérieur de la France, il lui faut forcer partout Ie
ressort.
II n' était pas homme à se payer des hypothèses dont se sout
leurrés et se leurrent communément encore les historiens qui
refont les bataiIles, recommencent les négociations, arrêtent
les révolutions, règlent les passions des peuples, mènent les
rois, d'l1n trait de leur plume, sur un feuillet de leur papier
blanc. II opérait sur une Europe très vivante, et il ne pouvait
se faíre entendre qu'à coups de canon. II savait très bien que
la France tenait à la suprématie du vieux monde et que cepen-
dant eUe ne voulait ni en reconnaitre les conditions ni en sou-
tenir les conséqucnces, c'est-à-dire la conquête universelle des
peuples et Ie blocus continental. II sayait que cette supré-
matie, I'Europe ne l'avait jalnais acceptée, qu'elle conspirait
toujours à la secouer; qu'un{\ foi
rompue sur un point, la
digue craquerait partout et que ce serait un déluffe; que, s'il
reculait quelque part, I'Europe avancerait aussitôt; que pour
l'arrêter, it n'y aurait pas d'autre moyen í{ue celui par lequel
524
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1810.
on l'avait repoussée, puis contenue : la battre, et que, s'il ne
Ia battait pas, s'il était vaincu, la France ne lui pardonnerait
pas la chute de sa grandeur et la perte de ses frontièrea
de 1801.
III
II traversa des jours diffìciles, les plus dif6ciJes peut-être de
sa vie. Autour de lui n les visages cons,ternés, allongés, les
cæurs comprimés par la douleur et par la crainte, attendant
dans un morne silence la fin de leurs maux 1J après la ter-
rible saignée de Wagram, les guérillas, les supplices, Ie cau-
chemar, de la guerre d'Espagne, et maintenant, peut-être,
Eylau et Friedland à renouvcler! n Au prestige, à la recon-
naissance pour l' ordre établi, pour la gloire nationale portée
si haut, avaient succédé une obéissance fatig!lée, un hesoin
de repos, une muette rancune de tant de sacrifices... II
n'ignorait pas les sentiments de la France... Ces pensées
l'assiégeaient: de Jongues insomnies tourmentaient ses nuits;
il passait des heures entières sur un canapé, livré à ses
réf1exions. Elles 6nissaient par l'accabler et il s' endormait
d'un mauvais sommeil. Sans qu'il fût mala de, sa santé n'était
point bonnet Ses jambes enflaient parfois; il éprouvait Ie
besoin de se lasser par la chasse ou par des courses å
cheval' J). 11 s'abandona un jour jusqu'à dire, murmurer
plutôt, devant Tchernichef (( que si les Anglais tenaient encore
quelql1e temps, il ne savait plus ce que cela deviendrait, ni
que faire 1J. Le poids de l'en'pire! dit Ségur. II en sentait
l'accablement. C'étaient les temps de la grossesse de
larje-
Louise, et toute son espérance d'avoir un héritier en était
troublée. L'empire écraserait-il l'enfant impérial? (( Oui,
1 BARAl'(TE, t. I, P 331. - SÉCUR, t. III, p. 455. - Tchernichef, 21 avril,
10 lIlai i811.
'MENA.CES ET MÉNAGEMENTS EN ESPÀGNE. - i8!t. 525
disait-il plus tard, j'ai été heureux à la venue du roi de Rome;
mais alors je n'étais pas d'aplomb I. ))
Encore une fois, comnle l'Autriche et Ia Russie en 1805,
conlme l'Autriche seule en 1809, Ie continent l'arrache à la
ßrande illusion des expéditions maritimes. Illes relègue à
l'arrière-plan; mais, dès qu'il recouvre un instant de loisir,
c' est sllr cet arrière-plan que se reporte son imagination. Il
ajourne à 1812, puis à 1813, puis à 1814; mais alors: n La
puissance de mes peuples est telle que dans quatre ans j' au..
rai plus de cent vaisseaux de haut bord et deux cents fré-
eates.>> Les flottes ne sortiront pas; mais elles seront toujours
prêtes à sortir, n d'un aspect Inenaçant" . - " II est néces-
iaire de fatiguer les Anßlais. " - u J'ai la destination de la
Sicile pour la flotte de la
{éditerranée et l'lrlande pour celle
de I'Escaut" ,des expéditions aux Indes... uSi, en 1812, les
circonstances sont favorables, ayant une partie de roes troupes
d'Espagne disponible, je conlpte faire l'expédition de Sicile
ou celIe d'Égypte... i ,,- u Faites-nloi un rapport sur l'espècC'
de bâtiment la plus convenable pour remonter Ie Nil, pour
entreI' dans les lacs à côté d' Aboukir. "
Une partie des troupes de I'Espagne disponible!
Iais com-
ment? II. pense parfois encore à frappeI' un grand coup, à se
débarrasser des Anglais; à se débarrasser de Joseph en Ie
poussant aux abois, en Ie forçant à abdiquer; à se débar-
rasser de I'Espagne en l'abandonnant aux Cortès; en la rendanl
à Ferdinand qui, à titre de garantie, Iui Iivrera les provinces
jusqu'à I'Èbre. Ces desseins, qu'il a agités déjà a, l'obsèdent
de nouveau, et, par.dessus tout, cette nécessité Ie presse :
rappeler les troupes, les reporter à la Grande Armée. La triple
expédition de Suchet en Aragon et Catalogne, de Masséna en
Portugal, de Soult en Andalousie, a échoué.
{asséna bat en
· GOUJ\GAUD, t. I,.p. 55.
· Allocution aux électeul'8 du Finistère, 3 mars; à Decrès, 8, iO man iSH...
I Voir ci-dessus, p. 43
435, 44.1, 519. - Frédéric MASSON, t. VI; ÐAUK-
6A"TE
; GIROD DE L' AIN, Gélléral Foy; ROUSSE.1U, Suchet; }'fémoires du roi
Joseph, de
fiot, Jourdan, Marmont, Relations de Tchernichef; Bulletins de
K.oUl'Qkine; GUILLON, Guerre d'Espa9ne.
826
LÂ GUERRE DE RUSSIE. - t811.
retraite depuis Ie 13 novembre, "mourant de faim " ; n 80ult
diminué de plus de moitié, criant au secours... réduit à la
défensive. " Napoléon commande, de Paris, à des lieutenants
qui n'obéissent pas et se contrarient entre eux, jaloux les uns
des aulres; s'accusant les uns les autres de leur impuissance,
de leur négligence; s'exaspérant dans Ie sentiment de l'absur-
dité de l' entreprise, de l'inutilité de tout; se jugeant sacrifìés.
Suchet, seul, en Catalogne, n y donne, rapporte un ténloin,
Ie plus mémorable des exemples, mais malheureuseluent Ie
plus mal suivi. Son habileté guerrière et administrative savait
conquérir å la fois les plus fortes villes et les cæurs les plus
ulcérés de ses adversaires ". On ne parle, à Paris, de cette
affaire qu' n avec désespoir" , désespoir surtout de n'en pas
voir Ia fin.
I...'empereur partageait cette gêne, ce dégoût universel. R II
lui arrivait de laisser s'entasser sur sa table, pendant deux ou
trois jours, les dépêches, certain d'avance de n'y trouver que
des nouvelles contrariantes 1. " Puis, il les faisait lire et
résumer par un secrétaire. II avait formé un nouveau plan
qu'il avait confÌé au général Foy. II en attendait la déroute
des Anglais, Ie seul obstacle qu'il prît au sérieux. Les Anglais
partis, I'Espagne se soumettrait. Mais il ne s'acharnerait plus
à imposer aux Espagnols une constitution dont ils ne vou-
laient pas, un prince qui ne savait point les gouverner. Le
succès qu'il s'attribuait en Hollande, l' expérience heureuse
de Suchet en Catalogne, l'inclillent à l'annexiOll au 11l0ins
d'une partie de I'Espagne. c& Je ne veux plus de roi dans ce
pays, dit-i1 å Tchernichef; j'entends être maitre à Cadix, ainsi
qu'à Bordeaux. " Dès Ie 9 novembre 1810, Cbampagny écrit
à Laforest: C& L'Espagne appartient à l'empereur. J) Toulefois
Napoléon hésite à décréter que Joseph a cessé de régner.
II semble que, par des propos comme celui-Ià, des avertisse-
ments répétés, il voulût Ie mettre dans son tort, Ie réduire
comme Louis à quelque coup de désespoir qui justi6.crait, Ie
I B
AN,!B, t. I, p. 333
MENACES ET MÉNAGEME
TS EN ESPAGNE. - tStl. 517
roi en fuite, Ie décret de réunion partieIIe, et Ie pacte avec
Ferdinand. Champagny déclare à la reine Julie que, si Ie roi
quitte son commandement et abandonne son trône n sans
autorisation )), il sera arrêté à Bayonne : il peut abdiquer,
ais dans les formes. (( V oici, écrit Champagny à Laforest
Ie 18 janvier, les instructions secrètes de l'empereur. L'em-
pereur prendra de I'Espagne ce qui lui conviendra; soit qu'il
prenne tout Ie cours de I'Èbre, soit qu'il s'assure Ie port de
Ferrol, Ie seul intérêt de la France et ce que les circonstances
permettront décideront dans ce grand événement. Le peuple
espagnol, par sa conduite, ne mérite aucune considération...
Le roi de 'Vestphalie, comme Ie roi d'Esp3gne, n'a longtemps
traité avec Ie cabinet qu'en Ie menaçant de s'en aller. Cela
u'a fini qu'avec la réponse qu'on lui a faite qu'il eût à envoyer
les pouvoirs pour traiter de la reprise de possession du
royaume. Cette réponse a fait pâlir Ie roi et a mis pour tou-
jours un terme à ses menaces ridicules... Le roi de Hollande,
à )a moindre contrariété, ne parlait que de quitter Ie trône.
Depuis qu' on l' a pris au mot, iI est au désespoir. JJ
A l'appui, toute sorte d'insinuations, de presse et de police.
C'est une prétendue correspondance d'Aragon, insérée au
Moniteur Ie 18 janvier : n Les dispositions des esprits chan-
gent tous les jours, l'influence &ngJaise s'éteint; les peuples
de celte province, ainsi que ceux des arrondissements du
Centre, du
Iidi et du Nord delnandent å grands cris leur
réunion à l'empire. tJ Le 26 février: (( L'Espagne est la con-
quête de l'empereur; il est décidé à la traiter comme telle. "
C'est un ßtél1lorial polilique de l'armee de la gauche, paraissant
à Badajoz, et qui publie, Ie 25, Ie 28 décen1bre et Ie I er jan-
vier 1811, de prétendues dépêches saisies sur un courrier
français: on y trouve une note de Champagny, du lflr octobre.
réclalnant l'abdication de Joseph; une conversation de TaJ
leyrand avec l'envo)9é de l'Espagne, OÙ il déyoile à ce repré
sentant de Joseph les desseins d'annexion de I'empereur
Ccs pièccs, OÙ maint siane trahit In fabrique, circulent en
Espagne,,- et il n'est plus question d'autre chose. L'ambassB-
!5!8
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1811
deur de France, Laforest, semble dans la confidence. On
parle d'ériger
Iadrid en capitale de seconde classe du Grand
Empire, comme Rome, comme Amsterdam, comme Milan;
" on fait briBer aUK yeux des Espagnols des places de séna-
teurs, de conseillers d'État, de préfets J) , que l'empereur leur
distribuerait, ainsi qu 'aux Italiens, aux Allemands, aux Hol-
landais. Joseph écrit lettres sur lettres à son frère, à sa
femme; multiplie les émissaires. Laforest lui communique,
en mars, les décrets relatifs à la réunion de la Catalogne :
cette province formera quatre départements; déjà les préfets
et les sous-préfets sont en route!
Tout à coup, il se fait une accalmie I. Le 29 mars au soir,
un courrier annonce la naissance du roi de Rome; Ie 8 avril,
un général survient avec une lettre de l'empereur: "Je vous
prie d'être un des parrains de votre neveu. J) C' était un ordre
et aussi un motif honorable de quitter
{adrid. Joseph, arrivé
à Paris Ie 15 mai, se retire à Mortefontaine. Ce voyage res-
semblait fort à celui qu'avait fait Louis, au temps du mariage
autrichien, un an auparavant. Napoléon fit offrir à Joseph,
par Berthier, Ie ler juin, un subside de 100,000 francs par
mois, Ie commandement nominal de l'armée qui demeure-
rait sous la direction exclusive de l'empereur, I'Espagne res-
tant divisée en grands cornman dements militaires et la rive
gauche de I'Èbre, quasi annexée. Napoléon en attendait-il
l'abdication? Hésita-t-il: capitula-t-il à la dernière heure et
comme toujours devant Ie prestige de son ainé? Pensa-t-il
qu'à la suite d'une guerre très redoutable, fa plus vaste qu'iI
eftt entreprise, ce serait une trop Grosse complication que
celIe d'un changernent de règne en Espagne, el, au moment
de coaliser l'Europe, un mauvais son de cloche que l'abandon
du royaume créé par lui; qu' en restaurant Ferdinand il abdi-
querait au moins autant que Joseph lui-même, et que cet
Rete qui, de la part d'un triomphateur, passerait pour sage et
magnallime, trahirait alors l'elnbarras, presque la crainte?
· MIOT, t. HI, p. 2%0.
MENACES ET
IÊNAGEMENTS EN PRUS8B. - i811. ISID
Toujours est-il que Joseph n'abdiqua point et que Napoléon
renonça à l'y forcer. (( Le désir d'écbapper à la contrainte,
écrit un des confidents de Joseph; Ie charme que, maJgré les
plus pénibles expériences, l'ombre seule du pouvoir suprême
exerçait encore sur lui et, peut-être plus que eela, une liaison
d'affection qu'il avait contractée à Madrid, Ie déterminèrent
à reprendre Ie chemin de la Péninsule. I)
Napoléon ajourne les affaires d'Espagne pour marcher à Ia
Russie, comme illes avait ajournées en 1809 pour marcher à
I'Autriche; il laissait dans la Péninsule un roi précaire, une
armée en échec, rien que des incertitudes et tout en suspens,
Ie gouverllement aussi bien que la Guerra.
IV
Les ménagemenls; pour être plus exact, les faihIesses de
famille, entraient pour une large part dans cette demi-mesure;
mais les nécessités de la politique y concouraient aussi, et la
preuve en est qu'en Prusse, où ni les attaches du cæur, ni les
pl'éjugés du rang ne Ie cOlltenaient, il en agit de même,
accordant de sa main les moyens de vivre à une monal'chie
qu'il menaçait la veille d'extermination. Le hlocus on la
mort! II Ie notifìe au
Iecklembourg: à ce prix, n il conser-
vera son indépendance; s'il agit autrement, il ne la conservera
pas 1) . II Ie notifie à la Suède, pour sa possession allemande,
la Poméranie: "l\Ies troupes entrcront aussitôt dans la pro.
vince, ainsi que mes douanes. "Et il ajoute : n II en doit être
à peu près de même de la Prusse... Le décret de Berlin doit
être exécuté... IJa paix est à cette condition I. IJ II ne Iui
importait pas moins d'empêcher la Prusse de lieI' partie avec
la Russie. Un traité, avec Davout pour tenir les gages et sur-
· A Champaçny, 2
man 181
.
JU,
1.&
530
LA GUERllE DE BUSSIE. - it!\.
veiller I' exécntion, parut à Napoléon un expédient suffisant,
et il s'occupa d'y contraindre les Prussiens.
Les artifices employés ressemblent tellement à ceux qui,
dans Ie même temp3, devaient réduire Joseph å la fuite ou å
l'abdication, qn'il n'est guère possible de douter qu'iIs sor-
tissent de 1a mf-mf' officine. II y avait alors parlni les af6dés
de Savary un gendelellre à tout faire et en réaIité faisant de
tout, sauf de bons vers et son métier ostensible' de poète, Ie
sieur Esménard, mernbre de la classe de littérature à I'Institut,
Iaquelle tenait alors lieu de l' Académie franç
ise. "Bier,
M. Esménnrd est venn chez moi, écrivait Ie ministre de
Suède I. II est censeur littéraire, attaché au ministère de la
police générale et jonit de la confiance du due de Rovigo... ·
II fabriqun par ordre, soufflé par les commis de Champagny,
et sur comrnunjcation de pièces qui donnaient Ie ton et far..
daient l'apocryphc, nn préte-=)r1u rapport de Champagny å
l' empereur et de prétendues instructions å Saint-Marsan. On
'Y diseutait In possibi1ité d'un accord entre la Prusse et Ja
Bussie: "Les propos;tions d'un absolu dévouement, l'offre
même d'une alli:1.llce offensive doivent détourner la méfìance
de Votre
Iajesté r, disait Ie feint Champagny. Mais, Ie au pre-
mier signal d'une nouvelle gucrre contre Ia Russie, les armées
de V otre l\fajesté p3sseront l'Elbe et marcheront sur Berlin,
ami ou ennemi. .comme ami, que peut nous offrir Ie roi de
Prusse? Trente å quarante mille hOIDlnei mal affectionnés...
Comme ennemi?.. V otre
Iajesté, maîtresse de Glogau, de
Custrin, de Stcttill, n'aura même pas besoin de quitter Paris
pour que la terreur chasse la cour de Berlin au delà de Ia
Vistule. )) Le royaulne sera traité en pays conquis; Ia Silésie,
Ie Brandebourg serviront d'appât et de récompense aux
alliés de l' empereur. ,,11 résulte de cet exposé que l'alliance
offerte par la cour de Berlin, inutile avec la paix, devient
onéreuse dans fa supposition de la guerre avec la Russie. 'J
Or, In Prusse e!-\t C& entièrement enveloppée par Ie territoire on
I to juiIlet 1810. - Oicar ALlX, STERl'f, Henri 'VKLCHINGlm, BARANTE, RAl'IK&.
C!.VAIGNAC, DCNCK.rl\
MENACES ET
fËNAGEMENTS EN PRUSSE. - 181t. 53t
les alIiés de Votre
Iajesté... 70 millions de contributions
arriérées absorberont l'emploi de ses ressources... Ses ports
scront ferInés par nos douanie'rs... J) . Bien de surprenant en
ce plan, au lendemain de la réunion de la Hollande, et rien
que de vraisemblable en ces me
ures qui, en réalité, n'anti-
cípaient que de quelques mois sur celles qui furent prescrites
à Davout, Ie 14 novembre 1811 1. Tout était donc combiné
pour jeter les Prussicns dans l'anxiété, dans I'épouvante; leur
enlever leur dernière illusion, l'offre de l'alliance; leur
nlontrer Napoléon plus intéressé à leur perte qu 'à leur conser-
vation; les pousser å quelque acte de désespoir qui les livre-
rait à sa vengeance, ou, plutôt, à les précipite
à ses pieds,
demandant merci. Toutefois l'apocryphe, si bien truqué pour
abuser Ie lecteur, pouvait faire scandale : une précaution,
très élémentaire, suffit à parer Ie coup. La pièce fut antidatée,
du 16 novembre 1810, aIors qu'elle mentionnait des faits
postérieurs à cette date, ce qui permettrait de la désavouer.
Ainsi machinée, on la livra aux courtiers ordinaires d'am-
bassade qui la mirent en vente. L'agent prussien I{rusemark
l'acheta 6,000 francs, la copia de sa main et l'envoya A
Berlin dans les derniers jours de février ou dans les premiers
jours de mars .. En rnême telnps, partait pour Berlin l'espèce
d'ullimalufn dicté par Napoléon à Champagny, et, à l'appui,
I' ordre de prépal'er, n sans confìer à personne Ie secret 1), un
projet d'équipage de siège sufnsant pour assiéger Spandau,
pour prendre I{olberg, faire Ie siège de Neisse; l'ordre å
Davout d'établir une place forte sur l'Elbe, Harnbourg, de
préférence, " car un point d'appui est nécessaire contre rAn-
gleterre, Ie Danemark, la Prusse I tJ .
Hardenberg reçut Ie document Ie ; mars. II y trouva a tant
de circonstallces vraies et probo.bles JJ qu'il en fut effrayé;
" quelques donuées fausses " , qui Ie mirent en méfìance sur
l'authenticité, ne Ie rassurèrcnt qu'à demi. Au fond, Ia pièce
· Napoléon à Davout, 1ft novembre i8H, ci-aprèø, p. 553.
! Une autre copie fut vendue à Tchernichef; rapport du 15 juillet 1.81.i.
3 A Lariboi5ièl'e, 11 man, à D,avout) 13 man; à Champacny, 25 man 1811.
53!
LA GUERRE DE RU3SIE. - 18it..
fit son effet, au moins à titre d'avis et d'avertissement. La
Prusse était engagée dans une série de réformes d'où devaient
80rtir sa régénération et son salut. II importait par-dessus
tout de ne pas les rompre. Saint-Marsan les représentait
comn1e inoffensi ves pour la France. I-Iardenberff l'aUa trouver :
ø M. Ie chancelier d'État, baron de Hardenberff, et consé..
quenlment tout Ie ministère, est très prononcé dans Ie sens
de l'union avec la France, écrivit Saint-Marsan. II m'en-
tretient souvent de son vif désir de voir renaitre une entière
confiance de Ia part de Ia France vis-à-vis de la Prusse et de
la nécessité pour la restauration du pays que tonte 1.'Europe
en soit convaincue...
JJ Hardenberg insinuait l'idée d'une
alliance positive, même d'une entrée dans Ia Confédération
du Rhin. - (& Le roi, dit ce chancelier, est fermement
décidé à ne jamais séparer sa cause de celle de la France et à
rester entièrement et fidèlement attaché à l' empereur. .. Ce
n'est pas seulement pour Ie cas d'une rupture avec Ia Russie
que Ie roi désire s'unir à la France, mais bien par principe
et sous un point de vue général l . " Hatzfeld partit pour
Paris, chargé de complimenter l'empereur sur la naissance
du roi de Rome. Hardenberg sut Ie persuader qu'ils étaient
d'accord; I-Iatzfeld, qui devait la vie à Napoléon, était loyal
quand il faisait appel à sa magnanimité et ce ne serait point
seulement des lèvresqu'iI répéteraitcette phrase de ses instruc-
tions: n Qu'il oublie nos torts; qu'il se plaise à s'attacher fa
Prusse, d'une manière digne de sa grandeur, par la recon-
naissance .. "
Scharnhorst, Ie parti militaire et patriote conseillaient
I'alliance russe, sincère et exclusive I. C'était Ie væu secret du
roi et Ie fond de ]a polilique de Hardenberg. Mais iI se dessi-
nait alors, entre la Russie et la Prusse, un point de dissenti-
ment : la Pologne qui les avait séparés en 1794, qui menaça
de les séparer en 1813. Les bruits d' annexion russe inqui
I ßapports de SRÎnt-Maflan, ig-2
mars 181!.
· I1ardenherg à Hatzfeld, 30 mars iSi!. RAl'KK.
· Mémoire du 13 rnai 181t.
MEN \CES ET M
NAGEMENTS EN PRUSSE. - 1811. 533
taient Berlin. Si Alexandre reconstituait la Po}osne; s'i} pre-
nait Ie duché de Varsovie, formé des dépouilIcs de la Prusse,
en 1807, où la Prusse trouverait-elle sa compensation? Le
très subtil Hardenberg se flaUa d'amencr les Rùsses à renoncer
à la Pologne par Ia double crainte de voir les Prussiens passer
aux Français et d'amener Napoléon à leur garantir l'inté-
grité de leur territoire par Ia craÎntc de les voir passer aUK
Russes. L'alliance française leur perinettrait de vivre et
d'attendre l'occasion de se donner à la Russie : la restitution
de l'ancienne Po]ogne prussienne serait alors Ie gage d
leur
défection à la France. Ces calculs ne justifiaient en rien les
propos de Saint-
Iarsan : n Ie roi franc ct loyal )J , Ie chancelier
C& très ferme dans Ie système français tJ ; Inais ils étaient parfai-
tement conformes aux précédents, au caractèl'e du roi, à Is
manière de Hardenberß; enfÌn l'événerrlent montra qu'ils
étaient politiques et qu'ils étaient fondés, car ils se réalisèrent
deux aIlS plus tard et que la reconstitution de Ia Prusse en
procéda. Avec ceUe arrière-pensée, I-Iardenberg conseillait
l'alliance française. Le roi, selon ses goûts et les habitudes de
sa diplomatie, se prononça pour les deux alliances à Ia fois :
se livreI' en apparence à Napoléon, se réserver pour la Russie ;
Ie mariage forcé aveccontre-Iettre d'enlèvement et de divorce.
Hardenberg disposa Ie projet de convention avec Napoléon.
Le 12 mai, Ie roi Ie cOIDlnlu1Ïqua au tsar avec force lamenta-
tions sur la tristesse des temps qui Ie contraignait à de si
pénihles engagements. l\Iais, disait-il : II les articles sur lesquels
je vais entreI' en négociation-avec la France ne porteront pas
contre la Russie; je n'ai pas besoin de dire qu'elle ne sera pas
nommée... " .- (\ Si Votre l\lajesté avait I'Autriche pour elle,
si eIle se désintéressait de Varsovie, si ses arßlées se trou-
vaient rapprochées de nos États et à portée de me soutenir,
je n'hésiterais pas sur Ie parti à prendre; eIle ne me verrait
certainclnent combattre qu'à côté d'elle... .,
Le projet de convention fut expédié deux jours après, 10
14 mai, à Paris. Hardenberg l'avait combiné avec une remar-
quable prévoyance. La Prusse offrait un corps auxiliaire SOUl
:J3-'
LA GUÈRRE DE RUSSIE. - 1811.
Ies ordres d'un cOlnmandant en chef prussien; it serait
employé de préférence à la défense de la Prusse et de ses
frontières, mais sous les ordres immédiats de l'empereur;
moyennant quoi, l'empereur daignerait renoncer - dans
I'intérêt même de l'alliance - à la clause de Ia convention
du 8 septembre 1808, qui limitait les forces armées prus-
siennes; rendre Glogau, accorder remise entière des contri-
butions de guerre, garantir l'intégrité de Ia Prusse et, en cas
de guerre, neutraliser la Silésie. C'était pour la Prusse la
liberté de fortifier son armée et, de raveu même de Napoléon,
réellement avec ses subsides puisqu'il renoncerait à sea
créances; c' étai t ménager à cette armée les conditions où eUe
se trouva en décembre 1812 quand Ie commandant du corps
auxiliaire prussien passa aux Russes. NapoIéon n'avaitqu'à sa
souvenir de 1805 pour deviner Ie jeu de ses éternels antis du
Nord, éternellement conju
és contre lui. IIo'y fut pas pris ::
" Écrivez à M. de Saint-Marsan qu'il se laisse duper par Ia
Prusse " , mande-t-il à Champagny Ie 8, Ie 11 avril. Mais it
avait obtenu de Ia Prusse ce qu'il en voulait obtenir. II con-
naissait les moyens de la réduire à merci; it laiss
Ie projet
de traité dans les cartons, attendant que les conjonctures
l' obligeassent à l' en faire sortir.
v
C'est qu'Alexandre, bon gré, mal gré, revient å la paix
méfiante, à la paix aigre-douce) et de l'ultimatum qu'iI avait
préparé il se rejette sur les récriminations. 11 adressa, Ie
25 mars, à Napoléon une Iettre qui en était i'emplie. Napoléon
la reçut, Ie 10 avril, des mains de Tchernichef. Ilia lut, la com-
luenta, la discuta, phrase par phrase I. " Voilà une belle
I Relation de Tchernichef, 17 juin 181t.
CO
FLIT AVEC ALEXA
DRE. - i811. 535
alliance! V ous confisquez tout ce qui vicnt de nloi, ct moi j' ell
fais de IDême de mon côté. Elle ressemble bien plus à un
véritable état de guerre... IJ Alexandre a rapp
lé des troupes
du Danube pour les porter sur la fronlièrc du duché de Var-
sovie. (( Qu'auriez-vous dit si je retirais dans ce moment- ci
mes troupes de I 'Espagne pour les envo
er dans Ie nord de
I'AlIenH.lGne ?.. IJ Alexandre insinue un nouvel accord OÙ
serait cODlpris un traité de COfi1merce et où se ferail une
sorte de balance de I'OIdenbourg et du duché de Varsovie :
que désire-t-il done? Danziff? " Con1ment voulez-vous que je
vous livre l'unique place sur laqnelle je puisse, dans Ie cas
d'une guerre contre vous, appuyer toutes mes opérations
sur la Vistule?.. Le duché de Varsovie pour l'Oldenbourg
seraitde Iadémence... Quel effet produ:rait surles Polonais
la cession d'un pouce de leur territoire au filoment où la
Russie nous menace; tous les jours, 1'on me répète de toutes
parts que votre projet est d' envahir Ie duché... " ... (I Je désire
la paix, il est de roes intérêts de la youIoir; je donne ma parole
d'honneur, à moins que VOllS ne commencicz vous-n1ême, de
ne pas vous attaquer de quatre ans; attendre pour moi, c't!st
gagner, j'ai man caleuI fait; cela arrêtera mes projels pour la
marine et me coûtera de l'argent. "Alors il déploie son épou-
van tail :,300,000 Français en octobre, plus 95,000 confédérés;
600,000 hommes en 1812; au bout de quatre ans, 8 å
900,000 hommes. " Je vais porter Ie corps de Davout à
100,000 hommes... IJ Je composerai 1& une armée immense,
gigantesque, qui sera munie en surplus de 800 pièces d'artil-
lerie... >> .
" Je ne me plains en rien de la Russie, je ne veux rien JJl
fait-il écrire à Caulaincourt. Mais Cau]aincourt est enguir-
landé, ébloui, comme Saint-Marsan est aveuglé à Berlin.
Napoléon a décidé de Ie remplacer par Lauriston qui d'ail-
leurs ne montrera ni plus de fermeté dans Ie regard, ni plus
de pénétration. Champagny" ministre du système rUl)se,
n'apporte pas plus d'énergie à secouer Ie charme. Napoléon
appelle aux Affaires étrangères Maret, due de ßassano, qui
ISSð
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1.81.1.
sera tout å lui, rien qu'à lui, ne regardera qu'avec la longue
vue de l'empereur, n'écrira que sous sa dictée, n'entendra
que par ses oreilles 1. Ce ministre confidentiel de Napoléon
professait pour son maître un culte prosterné. Les ordres
de l' empereur étaient pour lui des oracles. II n 'admettait pas
que Napoléon pût se tromper dans ses calculs, échouer dans
ses entreprises. Sa préoccupation, dans ses entretiens avec
I'empereur, était bien moins de I'éclairer de ses conseils que
de retenir ses expressions et de les reproduire textuellement,
en ses dictées, lorsqu'il rentrait aux Affaires étrangères I.
D'ailleurs le plus sincèrement dévoué des serviteurs et fort
capable de bon sens, Iorsqu'il ne se sentait pas fasciné I.
II offrait, dans les conjonctures, un avantage notable. II pas-
sait pour favorable aux Polonais :- les Polonais l' écoutaient;
leur imagination
leur confiance, leur bonne volonté don-
naient aux propos de
laret une consistance qui leur manquait
et effaçaient les réticences. C'est une contre-partie des avances
faites à Varsovie par les agents d'Alexandre. Le tsar leurrait
les Polonais d 'un royaume de Pologne dont il seraIt Ie rOÌ;
Napoléon les leurre d'une Pologne aux Polonais, dont it serait
Ie protecteur et Ie Garant. Davout sera en mesure, å partir
du Ilr juin, de faire face à une agression : à la première
attaque, il se retirera sur rOder, emmenant avec lui l'armée
polonaise, ralliant l'armée saxonnc, ] 50,000 homInes avec
lesquels il recevra Ie premier choc; cependant qu'il tiendra
les Russes en respect, le
corps de la Grande ,A.rmée arriveront
du Rhin et de l'Italie, et Napoléon, poussant les Russes
devant lui, leur inf1igera la même leçon qu'aux Autrichiens
en 1809. Mais Ie seul bruit qll'il en fait suffit à contenir
Alexandre: Ie mois de juin passa, I'attaque ne se produisit
pas. La partie était remise.
Tchernichef ne In croyait pas perdue. II ne s'était point
I Ordre A Lauriston de partir, t. er avril; Maret aux affaire. étranßèrel, 17 avril
tSU..
I VlltL-C18TEL, SouvenÏ1's. (Le CorreJpoltdant.)
· IbtNOUF, Maret, due dB Bassa11o.
..
CONFLIT AVEC ALEXANDRE. - i8if. 53.,
laissé terrifier par Napoléon. Ses espions el ses an1is Iui révé-
laient trop fidèlemellt les elnbarras de l' empereur. II persis-
tait dans son opinion: ne pas donner à Napoléon Ie temps de
sortir de ces embarras, et I'attaquer; sinon, u l'endormir,
l' engaffer à diriffer de nouveaux efforts sur I'Espagne, ce qui,
en Ie rendant moins redoutable, nous permettrait d'attendre
qu'il fùt complètement enffagé dans cette nouvelle lutte pour
prof Her de la diversion I ". Bref, recommencer Ie jeu de
I'Autriche dans l'été de 1808, en comptant bien que, cette
fois, les Russes ne lui donneraient pas Ie Ioisir de revenir
assez vite de Madrid à l'Oder ou å la Vistule, et sachant
bien aussi qu'il n'y retrouverait pas les 200,000 hommes
enffloutis en Espagne.
Si poIitiques que fussent ces conscils, Alexandre ne les suivit
point. Se dit-il que les événements ne se reproduisent point
deux fois idcntiquement et que Napoléon était payé pour ne
se pas laisser reprendre à ce jeu de 1808? II ne renonça point
à la guerre; mais il COlllmença de la concevoir selon un nou-
veau plan, infiniment plus profond et plus redoutable pour
Napoléon. Sous l'influence de l' Allernand Phull et de quel-
ques vieux Russes auxquels l'instinct national tenait lieu de
génie, il écrit au roi de Prusse Ie 26 et Ie 28 mai : u Ne
voyant aucun moyen, des bords du Niémen, d'accourir sur
I'Oder avant que les Français... y arrivent... les circonstances
m'imposent un nouveau système de guerre. Que Votre
Iajesté jette un coup d'æil sur l'Espagne!... Le système
qui a rendu victorieux 'Vellington, en épuisant les armées
françaises, est celui que je suis résolu de suivre... Éviter les
grandes batailles en organisant de très longues lignes d'opéra-
tions pour des mouvelllcnts rétroffrades, aboutissant à des
camps retranchés 2.1) II cherche à y gagner Frédéric-GuilJaume.
"L'idée de combattre contre VOllS m'est affreuse!... Quant
l Rapport du 17 juin iNti.
t 11 écrira à Phull Ie 12 dpcembre 1813: . C'eøt vons qui avez conçu Ie plan
qui, avec l'aide de In Providence, a ell pour tiuite Ie salut de la nus5ie et celui do
l'Euro
." phun était passé, en 1806, du senice prusøien au lirvice rUlia.
538
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1811.
à l'Autriche, je trouve que c'est déjà beancoup de ne pas
I'avoir contre soi, et, si les choses vont bien, on a tout lieu
d'espérer qu'elle entrera elle-même en lice. ),
Forcé de renoncer aux avantages de la surprise, aux béné-
flces de l'offensive et de l'irruption, Alexandre va, tout en
nouant sa coalition, se donner les apparences du bon droit,
se poser en victime de l'amhition napoléonienne, en défen-
seur de l' Europe, de la paix et de la justice. Grâce au
secret de l'hiver russe, ses préparatifs ont passé inaperçus; il
aura beau jeu à brouiller les dates, à soutenir que Napoléon a
conunencé; car Napoléon ne peut se renforcer en Allemagnc
que très ostensiblcment et, d'ailleurs, il en fait étaIage.
Ale
ndre ne désespère pas d'abuser Napoléon lui-même. A
coup stir il abusera r opinion en Europe, en France surtout, OÙ
ilIa sait hostile à une nouvelle guerre, OÙ ilIa sait docile aUK
fantasmaffories fusses et où il dispose, pour en faire jouer Ia
nlécanique, d'un préparateur sincère comme Caulaincourt,
d'un prcstidiaitateur de la force de Talleyrand. Caulaincourt
est rappclé : Alexandre lui fait la leçon, que Caulaincourt
répétera à tout Ie monde à Paris et qui, répondant au væu et
aux raisonnements de tout Ie monde, passera. de la légende à
l'histoire. Le comte de Bray, ministre de Bavière en Russie et
très ouvertement dévoué au système français, a déjà disposé
Ie terrain. II eRt de passage à Paris et, parfaitement endoc-
riné en Bussie, if se porte garant de la bonne foi d'Alexandre 1.
Le tsar persuadcra ainsi et les contemporains et les historiens
que Napoléon seul a voulu et prép-aré la guerre.
Cette anerre, Napoléon la considérait comme fatale; ille
pensait, ille disait, mais personne ne Ie croyait plus. C'était
contre sa propre destinée qu'iJ bataillait, contre la postérité
C}u'il se débattait, dans la conversation dramatique qu'il eut
..\vec Caulaincourt, lorsque cet ambassadeur revint à Paris
dans les premiers jO\lrs de j uin 1811.
Caulaincourt voit son maître entrainé dans une aventure
I RApport du 5 juillet 1811, rétroøpectif. Conversation Bvee Maret en U1&i.
CONFLIT AVEC AI..EXA
DRE. - i811. SI'
hyperbolique où il affrontera les passions des hommes et les
éléluents de la nature; il refuse de reconnaître la nécessité de
cette aventure; il ne peut admettre que tant de gloire fran-
çaise, tant de génie doivent inévitabhunent aboutir à cette
impasse, à cet abîme; enfin, il croit à la vertu, à la bonne foit
aux intentions pacifiques, au désintéressement d'Alexandre.
- "Alexandre est faux, s'écrie Napoléon; il arme pour me
faire la guerre. " Et il dit vrai. Caulaincourt plaide l'inno-
cence d'Alexandre et la loyauté de ses intentions: CI Vons êtes
dupe d'Alexandre et des Busses, réplique Napoléon. Davout
et Rapp me tenaient Inieux au courant. Les Russes croient-iIs
me faire la loi? -
on. - Cependant, c'est me la dieter que
d'exiß"er quej'évacue Danzig, pour Ie bon plaisir d'Alcxandre...
Bientôt il faudra que je lui demande la permission de faire
défìler la parade à
Iayence? - Non, mais celIe qui défile à
Danzig l'offusque. - Les Russes sont devenus bien fiers : on
veut me faire la guerre? - Non, ni la guerre, ni la loi; mais
on ne veut pas la recevoir. -Les Russes croient-ils me mener
con1me ils menaient, sous Catherine, leur roi de Pologne? Je
ne snis pas Louis XV; Ie peuple français ne souffrirail pas
cette humiliation. " Caulaincourt expose un plan : il faut
choisir entre la Russie et la Pologne; en sacrifìant la Pologne,
011 gagnerait la Russie. n Quel parti prendriez-vous? dit l'em-
pereur. - Alliance, prudence et paix. - La paix! il faut
qu'elle soit durable et honorable. Je ne veux pas d'une paix
qui ruine mon commerce, comme celIe d'...t\..miens. Pour que
la paix soit possible et durable, iJ faut que I'Angleterre soit
convaincue qu'elle ne retrouvera plus d'auxiliaire sur Ie conti-
nenti. "
Ceci les amène å parler de la guerre. Caulaincourt objecte
la résolution d'Alexandre, Ie patriotisme des Russes, Ie climat.
" En
ussie, dit-il, on ne se fait aucune illusion sur Ie génie
de I' adversairc et ses prodigieuscs ressources; on sai t que I' on
aura affaire au grand gagneur de batailIes, mais on sait aussi
I Albert VAI.'{DAL, t. Ill, chap. v, d'aprè8 Ie. note. de Caulaincourt, t. VI,
p.. 272.
S4-0
LA GUERRE DE RUSSIE. - iSi!.
que Ie pays est vaste, qu'il offre de la marge pour se rptirer et
céder Ie terrain; on sait, sire, que ce sera déjà vous com-
battre avec avantage que de vous attirer dans I'intérieur et de
vons éIoigner de la France et de vos moyens. V otre l\lajesté
ne peut être partout; on ne frappera que là où elle ne sera
pas. . Ce sera Ie conseil de Bernadotte en 1812 et de Moreau
en 1813. "Ce ne sera point une guerre d'un jour. Votre ?tlajesté
sera obligée, au bout de quelque temps, de revenir en France,
et tous les avantages passeront alors de l'autre côté. II faut
compteI', de plus, avec l'hiver, avec un climat de fer; par-
dessus tout avec Ie parti pris de ne jamais céder... " C' est à
quoi Napoléon ne consent point. II énumère ses forces; il fBtit
l'appel des peuples enrégilnentés par lui, de tous les coins de
l'horizon : -les Lombards d'Euffène, les N3politains de
iurat,
les Espagnols et les Portugais, Mannont avec ses Croates, les
dix-huit contingents de I'Allemagne confédérée, Davout et les
I-Ianovriens, Poniato\vski et les Polonais; illes passe en revue,
les dénolnbre, les achelnine, ordonne l'attGquc et it se voit
vainqueur. "Bah! une bataille fera raison des belles détermi-
nations de votre ami Alexandre et de ses 'fortifications de
sable... II est faux et faible. - II est opiniâtre, reprend Cau-
laincourt; il cède facilement sur certaines choses, mais il se
trace en même temps un plan qu'il ne dépasse point. - II est
faux, répète l'empereur; il a Ie caractère grec... II est ambi-
tieux : il a un but dissimulé en vOlliant la guerre. t) NapoIéon
rappeIJe les promesses qu'il lui a faites : Ia Moldavie, la VaIa-
chie, Ie partage de Ia Turquie ; il rappelle la Finlande annexée,
trois cent mille Polonais pris à I'Autriche. n Oui, répond Cau-
laincourt, mais ces appâts ne ront pas empêché de voir que
V otre 1\Jajesté a placé, depuis lors, des jalons pour des chan-
gements en PoJogne, ce qui est chez lui. - Vous rêvez comme
lui. Je n'ai fait de changements que loin de ses frontières.
Quels sont done ees changements en Europe qui l' effra)rent
tant? Que faut-il à la Bussie qui est au bout du monde? Ce
sonl ces mesures que vous blâmez qui ôteront tout espoir aux
Anglais et les forceront à la paix. .
CONFLIT A TEC AI..EX...\NDRE. - 1811. 141
C'était ramener les choses au lendemain de la paix d'Amiens
et à la veille d'Austerlitz. Alors il s'agissait de la Hollande et
de I'Italie, dont la Russie exigeait l'évacuation. Tout l'effel de
six ans de guerrc, d'Iéna, de Friedland, de Wagram, a été de
reporter Ie litige en Pologne; mais Ia question demeure la
mên1e. II a faIlu prendre la Hollande pour garder la Belgique;
bouleverser et assujettir I'AlIemagne pour garder la rive
gauche du Rhin; dOIniner Naples, réunir Rome pour gardeI'
Ie Piélnont, la Lombardie, Venise; conquérir I'Espagne pour
être libre de vaincre l'Aulriche, et la Pologne pour être libre
de soumettre I'Espagne; écraser la Prusse pour assurer un des
flanes de l'elnpire, subjuguer I'Autriche pour assurer I'autre.
Napoléon se di
que, la Pologne abandonnée par lui, les
Russes avanceront en Allemagne; que, la Prusse Ie voyant
reculer, les Espagnols, Ie jugeant en péril, reprendront l'offen-
sive ; que I'Autriche se dérohera d'abord, qu'elle se prononcera
ensuite, qu'il faudra appeler les troupes d'Italie et que, I'Italie
évacuée, la Méditerranée appartiendra aux Anglais : la coali-
tion se renouera d'elle-même, l'histoire remontera son cours;
après l'évacuation de la Pologne, on réclamera celIe de I'AIle-
magne; après l'AIIemagne, l'Italie et la Hollande; après
l'Italie, I'AlIemagne et la I-Iollande, la Belgique et la rive
gauche du Rhin, e'est-à-dire les desseins secrets d'Alexandre
en 1804 qui seront, en réalité, les aetes de Ia coalition en 1813
et 1814.
Le 16 juin, ouvrant la session du Corps légisIatif, Napoléon
prononça ees paroles : n Cette lutte eontre Carthage, qui
paraissait devoir se déeider sur les champs de bataille de
I'Oeéan ou au delà des mers, Ie sera désormais dans les plaines
des Espagnes. Lorsque I'AngIeterre sera épuisée, qu'elle aura
en6n ressellti les maux qu'avec tant de cruauté eUe verse
depuis vingt ans sur Ie continent, que Ia moitié de ses familIes
seront couvertes du voile funèbre, un coup de tonnerre mettra
tin aux affaires de la Péninsule, aux destins de ses armées, et
vengera l'Europe et l'Asie en terminant cette seconde guerre
(>unique. 1) Cette haranB"ue, qui rappelait les manifestes de la
54-!
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1811.
Convention, semblnit annoncer que les tenlps prédits par les
prophètes approchaient; mais en même temps elle en reculait
dans Ie vague du lendelnain l'accolnplissement. Que signifiait
cette métaphore, très usée, du coup de tonnerre qui termi-
nerait tout? Le reflux de la Grande Armée en Espagne, après
avoir désarmé la Russie? L'invasion de l'Ang-Ieterre, devenue
possible par la dispersion des Ðoltes angluises, l'absorption des
armées anglaises en Espagne el la soumission de la Russie?
L'un et rautre peut-être. Le 19 juin, l'eIllpereur écrit å
Decrès : " Je vous ai entretcnu depuis long-temps du plan de
guerre que j'avais arrêté cOlltre les Ans'lais. Les circonstances
de la guerre d'Espagne rendent la r
alisation de ces projets
encore plus nécessaire. " - Suit l'éternel el toujours chim
-
rique dessein de l'Armada ; 54,000 hommes et 3,000 che-
vaux à embarquer en septeInbre 1811; 70,000 hommes et
5,000 chevaux en 1812; 100,000 homines et 7,000 che,'aux
à Anvers, à Boulogne, à Cherbourg en 1813 1 .l\lais ce n'est
que la manæuvre du second plan; au prelnier, la Russie. Les
propos tournent à l'aÌnre. Lauriston, dès son arrivée, est
enßuirlandé COfilnle Caulaincourt. Napoléon Iui fait écrire, le
5 juin : CI L'ell1pereur Alexandre ayant dit qu'il élait prêt
dcpuis deux mois, il était tout simpìe de lui répondre :
- Si YOUS êtes prêt depuis deux IllOis, ce qui dans un si vastc
empire suppose que ces mouvements sout ordonnés depuis
quatre mois, ne trouvez done pas mauvais qu'actuellement
que vous êtes prêt, on s'apprête. "
L'orarre s'annonçait. Le 15 août, à la réception du corps
diplomatique, Napoléon adresse à Kourakine une de ces apos-
trophes dont il a coutuD1e de faire précéder ses quos ego, ses
ultimatums de désarD1ement ou ses déclarations de guerre. II
prend thème des mouvelnents de recul des Russes sur Ie
Danube, et, familièrement, d'abord : ((
Ion cher arrlÌ, si
vous avez été battus, vous l'avez été parce que VOliS manquicz
de troupes, et VOliS en manquicz parce que "ous avie
envo),é
· A Decrès, 25 juilìet, 9 août 1811,
CONFLIT AVEC AL EXANDRE. - 181.1. 5ltS
cinq divisions de l'armée du Danube å celIe de PoIogne .. Je
ne suis pas assez bête pour croire que ce soit l'OIdenbourg qui
vous occupe... On ne se bat pas pour I'Oldenbourg. Ð'ailleurs,
fai offer! une indemnité entière et complête... J e vois claire-
ment qu'il s'agit de la Pologne; je commence å croire que
c'est vous qui voulez vous en emparer... Ne vous flattez pas
que je dédon1magerai jamais Ie tsar du côté de Varsovie. Non,
quand n1ême vos armées camperaient sur les hauteurs de
Iontmartre, je ne vous céderais pas un pouce du territoire
varsovien : fen ai garanti l'intégrité... Je ne sais pas si je
vous battrai, mais no us nous battrons. Vous comptez sur
des aIIiés; où sout-ils? L'...L\.utriche à qui vous avez ravi
200,000 âmes en Gallicie, Ia Prusse à qui vous avez enlevé Ie
district de Bialystock, la Suède que vous avez à lTIoitié détruite
en Jui prenant la Finlande? Tous ces griefs ne sauraient
,'oublier, toutes ces inJures se payent : vous avez Ie continent
contre YOUSe J)
Ces Inenaces se relevaient d'un étalage formidable de cons-
crits et de bataiIIons. Chacun les rapprocJ13 des discours
tenus, en 1803, à lord \Vhit\vorth; puis, dans une occasion
analogue, Ie 15 août 1808, à Metternich I. II s'agissait de savoir
queUe était, dans cette tempête, Ia part de Ja mise en scène de
tragédie, et surtout de quel côté se porterait I'Europe. Tcher-
nichef, grâce à l'impunité dont iljouit, redouble ses manæuvres
et met en branle tOllS ses agents. Com rne I' anti de Paris, comr.o.e
Ie fils de l'and d'Antraigues, à la veille de la bataille d'Auster-
litz, il a des cl
fs des tiroirs seerets, des regards sur les
papiers qui trainent sur les tables. II démonte, pièce par
pièce, la (( machine" de Xppoléon. II montre la nation fati-
{;uée de suer tant de sang humain : la R
publique avait usé la
l-lanche aux assig'nats; Né\poléon a tari In ffénération même des
hommes. II avoue 40,000 réfractaires, tout un corps d'armée!
La guerre consterne tout Ie monde; Napoléon a poussé à bout
l
clergé et réuni un coucile dont it ne sait comnlent se
, Relation de Tchernichef, 17 aOl.1t 1811.
f. ci-de88uI, p. 2
ð.
IS
\.
I. A aUERRE DE RUSSIE. - i811.
t
rer... I. II parle de coaliser Ie continent, mais ses propres
royaumes lui échappent : il est en froid, presque en brouille
avec 1\1urat et Caroline, et des bruits courentde séquestre, sur
ce royaume, comme sur I'Espagne; de confiscation, comme en
Hollande. Avec BernadoUe, il en est aux explications qui pré-
cèdent la rupture. II se flatte de frappeI' un grand coup en
Espagne, pendant l'hiver; mais l'arlnée, harcelée par les gllé-
rillas, est forcée de se disperser pour se ravilailler, et, se dis-
persant, multiplie les points d'attaque. N'est-ce pas un moyen
de détourner l'attention de la Russie et de la surprendre au
printemps? Mais (( il appréhende beaucoup une longue
absence, n'ayant plus, depuis la retraite de Fouché, de tête
assez forte pour prévenir et soutenir un orage... " . Le fait est
que Fouché est autorisé à se rapprocher de Paris.
Napoléon se plaint de Talleyrand, et Ie garde toujours :
. Vous êtes un diable d'homnle, Iui dit-iI, je ne puis m'em-
pêcher de vous aimer. u Et iIl'entretient de ses affaires. Tal-
leyrand, qui souffle Nesselrode, lui insinue les conseils que,
sous la même inspiration peut-être, les al1lÏs d'Antraigues
envoyaient en 1804 et 1805 : l'entente entre Pétersbourg et
Vienne, pour sauver I'Europe 2. Les alllÍs de Tchcrnichef lui
affirmcllt qu'il n'y a plus à négocier avec Napoléon; que In
Bussie doit bâcler la paix avec les Turcs : (( Ces personnes la
considèrent comme l'unique mO)Tcn qui, en nous procurant
nne attitude plus formidable que jalnais, pourra peut-être
mettre un Frein à l'ambition de Napoléon... J) Joignant
ses propres conjectures aux avis de ces personnes éclairées,
Tchernichef conclut à prendre partout, en toute chose, I
contre-pied de Napoléon : (( Étudier constammcnt ses espé-
ranees et ses desseins... Ie mettre en défaut dans tous ses
calculs. u II désire une guerre prochaine : la recnler ùésor-
mais; ilIa désire courte et se prépare à frappcr un coup for-
midable : se dérober aUK coups, Ie laisser frappeI' dans te
vide, et tireI' la guerre en longueur, " avoir toujours à
· Sur ce concile, D'H.AUiS01WII,LE. PASQUlEB, Henri '\VELCHINGFB.
Y oir t. VI. 1), 381.
rrIURAT ET L'ITÂLIE.
14.5
portée des armées de réserve c(\nsidérablcs >>; obliger Nap.
-
léon à renoncer.à ses plans préconçus; (I Ie réduire à se con-
sumer faute de subsistances et par la difficuIté de recevoir des
renforts, ou à entreprendre quelques fausses opérations qui Ie
conduisent éßalement à sa ruille 1 .:
VI
Tchernichef n'est que trop exactement renseigné, et sur la
Suèdc OÙ l' on en est aux échanges de notes et demandes de
passeports, et sur
3ples où sans Caroline tout irait à un scan-
dale. Bernadotte, devenu prince royal, se querelle avec
Alquier, renvoyé de Napoléon, sur Ie ton d'un commandant
de corps d'arnlée disputant avec un préfel: Alquier Ie prenant
de haut, parce qu'il représente l'empereur, el Bernadotte, de
plus haul, parce qu'il est prin'Ce suédois; préséances, suscep-
tibihtés, commérages, propos injurieux colportés de run å
I'autl'e, ce ne serait que ridicule, si ce n'était la préface de la
défection.
A Naples, elle se prépare sourdement. Murat n'observe
pas Ie blocus. II distribue des emplois aux Napolitains;
quan! à la colonie civile et militaire que Napoléon a déversée
sur ce pays,
lurat prétend qu'elle s'y (I naturalise II, en
d'autres termes que, vivant des ressources de son royaulne,
eUe soit à son service. II Ie décrète Ie 1 7 juin et, Ie même
jour, rempIace, sur les vaisscaux et les forteresses, Ie pavilIon
français par Ie pavilIon napolitain. NapoIéon Iui répond
comrne il répondait à Louis, comme il n'ose pas répondre å
JObeph I: "Vu notre décret du 30 mars 1806, porlant que Ie
rO)Taume de Naples fait partie du Grand Empire; considérant
I Rapports de Tchernichef, 17 jnin; à l'empercur et à Roumiant8of, 17 juille&,
17 août, 19 øeptembre, 22 octohre 1811-
i Frédéric
lA.ssoN, t. VI : )lurat.
VII.
36
546
LA GUEHHE DE RUSSI!:. - i81t.
que Ie prince qui Ie ffouverne est Français et grand dignitaire
tie l'cmpire et qu\iI n'a été placé et rnaintenu sur Ie trône que
par les efforts de nos peuples... Tous les citoyens français
sont citoyens du royaume des Deux-SiciIe
; Ie décret du roi,
en d3te du 14 juin, ne leur est pas appliqué. >> Grenier, qui
cornmande Ie C07]JS d' observation de I'Ilalie méridionale, est
invité à (( donner des ordres à tous les Français, queUe que
soil I'opposition du roi de Naples" ; il prendra possession de
Gaëte. cc Le roi de Naples paraît se livrer aux suggestions des
ennemis de la France; je lui ai déjà fait témoigner combien
sa conduite était.folle. "Grenier se concertera avec Ie rninistre
de Napoléon, Durant, pour (( faire sortir Ie roi de la fausse
position où il est. S'il continuait à s'éloigner de ce que lui
prescrivent la reconnaissance ct ses devoirs, il y sern.it sévère-
ment rappelé ". Maret écrit å Durant: tc Si Ie roi persiste A
écarler Irs Français des ernplois, å les remplacer par des Napo-
litains, å exiger qu'iIs se naturalisent : V ous ne devez paa
hésiter å décIarer que, dans ce cas, vous avez ordre de vous
retirer sans prendre congé I. 1)
Les (I suggestions des ennemis de Ia France>> que
Jurat
fcoute trop compIaisan1Ißcnt, on les connait t : e'est Ia chi-
mère d'être roi de I'Italie émancipée, fa7
da sè, comme les
Italiens eux-mêmes; c' est une conjuration brouiUonne et
ténébreuse que mène Ie ministre de la police et des com-
plots, l\IagheIla, et OÙ if rassemhle les ca1.bo71ari auxquels il
promet la république, les papalins nuxquels iI fait entrevoir
Ie rétablissement du pape, Les loges et les congrégations y
travaillent de concert,
Ietternich et I'Anglais Bentinck s'y
coudoient, tous les deux travaillant à des ohjets opposés mais
par Ie mêrne moyen, la ruine de la domination française :
l
letternich afÌn d'y substituer la domination autrichienne,
Bentinck I'hégémonie 3nglaise et Ie monopole commercial de
l' AnGleterre sur les ruines du blocus. Bentinck entreprend lea
patriotes italiens, les unitaires, les leurrant de cette illusion
I A Clarke, 6 juillet 1811; Maret à Durant. MUSOlIf.
· Voir ci-des
u&, p. 476.
MURAT ET L'ITALIE.
5
7
que l'AnffIeterre les verrait avec joie constituer une nation
indépendante, voire révolutionnaire. Metternich se réserve lei
partisans et clients des anciennes dynasties, et, tout en médi-
tant de dépouiller Ie Saint-Siège des Légations, il persuade Ie
clergé de ses væux pour Ie rétablissement de la Papauté dans
Rome. Les menées bourboniennes confinent au brigandage,
toujours sévissant dans les Calabres, comme les menées ita-
liennes de Bentinck confinentà Ia révoIution nationale, presque
à l'anarchie.
lurat, dans la vanité de son rèGoe, se fait l'ins-
trument des uns et des autres; 11 croit Inachiner pour lui-
même, il machine, en réalité, pour ramener en Italie lea
sbires autrichiens et les courtiers de commerce anglais. Dans
son infatuation, il se flatte de gagner la (( reconnaissance J) de
son titre par I'Autriche et sa consécration monarchique; il
tripote avec Bentinck, espérant s'assurer Ie concours des
AnùIais, des loges, et de la réyolution. II n' est point j usqu' aux
Russes qu'il ne cherche å s'acquérir, sollicitant, comme
naguère Louis, les compliinents, les promesses et, ,'ille faut,
I'alliance d'Alexandre.
Caroline " s' était faite l'ân1e de la résistance française ou
napoléonienne contre Ie parti napolitain " ; jalousie du rèGne,
jalousie de tirer à elle ce pouvoir qui était sa dot et que
Iurat
ne tenait que d'elle seule, de sa faveur
éminine. Elle était
Bonaparte dans Ie sang, eUe aimait la souveraineté, et elle se
plaisait à exercer,'" par les amants qu' eUe se choisissait, une
action sur Ie gou vernement " . Elle cabalait contre Ie roi, eUe
écrivait å Napoléon ou Iui faisait écrire. l\laghella trouva
moyen de la réduire au silence, puis à Ia complicité : un
moyen à la Fouché. IlIa prit par sa faiblesse, ses amants, se
procura des lettrcs d'amour et Ia ITlenaça de scandale à Naples
d'abord, puis à Paris, ce qui serait pire I. Dès lors, eUe se
tut; mais, cOlnme eUe ne changera ni de goûls ni de carac-
tère, elle en viendra fatalement à tomber dans Ie compJot,
après être torn bée dans les ma ins des conspirateurs : eUe
I Napoléon disait d'elle à Gourgand : . Ah! la <<ueule! I'amour I'a toujoar.
c:onnuite. .
548
LA GUERRE DE RU51IE. - i81t..
veut Ie pouvoir, elle Ie cherchera, avec Murat, par l'Italie, par
I'Autrichc, par I'Anffleterre. Elle se croit des droits à la com-
plaisance politique de
fetternich, alors qu'elle n' en possède
qu'à sa discrétion mondaine. On la verra, Ie moment venu,
plus âpre et plus résolue que son mari, dans la trahison.
C'est que
{urat ne possède point la grâce royale; il n'est
point né, conune les Bonaparte; il est promu, il est pa
sé roi,
et il reste sQldat dans l'âme. II proteste de ses intentions, et
quand il en proteste, il y croit, comn1e à tous les serments
qu'il a prêtés, depuis 1791. n Jusqu'à mon dernicr soupir,
je serai ce que j'ai toujours été, yotre plus fidèle ami, écrit-il
å l'empereur... I. Un seul n10t suffit, et Ie roi de Naples cesse
d'être un obstacle... 1) II Ie répète autour de Iui : n Roi de
Naples, j'ai été, je suls et serai toujours Ie premier grenadier
de l'empereur, mon beau-frère, et toujours mon souve-
rain... I >> Au premiel' coup de clairon, cc feudataire, demi-
rebelIe, se réveillera rrénéral de cavalerie. Napoléon Ie sait;
il aura besoin de lui dans la grande guerre qui se prépare, et
après avoir grondé terriblement et assez menacé, non pour
faire peur, mais ;pour porter à l' orgueil des blessures qui ne
se fermeront pas, il s'apaise, il ménage, il ferme les )reux,
et, en attendant la guerre, illaisse
Iurat régner, c'est-à-dire
intriguer et conspirer.
Napoléon prépare avec une activité qui rappelle les temps
du camp de Boulogne celte guerre qui, pense-t-il, sera la
dernière I. II dispose une armée tellement formidable que
son seuI apparcil devrait forcer la Russie à capituler, l'arme
dU pied, en rase campagne; ce serait sa solution préférée,
welle qu'il a tâché d'imposer à la Prusse en 1806, à l'Autriche
en 1809, car, dès 10rs, iI n'existerait plus d'armée ni de poli-
lique russes. Sinon, et c'est Ie plus probable, il sera en mesure
d'anéalltir les Russes en quelques semaines. Les négociatious
de rété et de l'automne de IS11, entre Paris et Pétersbourß'
I 20 juillet 18i1. MAS80l'.
· Mémoil'es de Desvernoi8.
· Commandant l\'1A
C1JE
R
l'fJ Campagne de llulSi_.
ALLIANCE AVEC LA PRUSSE ET L'AUTRICHE. - 1811. 5
9
ne furent qu'un jeu d'ombres dipIolnatiques; personne ne lea
prit au sérieux, ni les souverains qui commandaient ce spec-
tacle, ni les ministres qui remuaient les fantoches, ni Ie public
qui regardait passer les silhouettes, sans geste et sans voix,
derrière l' écran. Des Inilliers d'hommes s 'acheminaient, de
I'ouest à rest, du sud au nord dans Ie Grand Empire, de
I' est à l' ouest dans I' empire russe, vers la Vistule et Ie Nié-
men, devenus les lignes litiffieuses, comme Ie Rhin et Ie
Danube, de César à Charlemagne, à Louis XIV et à la Répu-
blique.
Ietternicb, depuis des mois, prévoyait ces conjonctures,
désormais imminentes, et il avait ll1Ûri son plan. II s'agissait
d'abord de conserver I'Autricbe, et de reprendre l'ancien jeu
de mines, de paralyser Ie desseln n monstrueux de Napo-
léon" , l'asservissement du continent. L'Autriche ne pouvant
empêcher la guerre entre la France et la Russie, toutes les
questions se ramenaient pour elle (C å l'impossibilité eJe figurer
dans la future guerre com me aIliée de la Russie, au désir
de ne devenir les auxiliaires de la France que dans Ie cas
d'absolue nécessité" . C'est ainsi que les Autrichiens traînèrent
les choses avec Napoléon qui ne les pressait point, avec
Alexandre qui les pressait fort, avec la Prusse en6n qui les
sollicitait I.
VII
La Prusse continuait å louvoyer dans la bourrasque, entre
les vents contraires et les courants périlleux, redoutant égale-
ment de sombrer dans la haute mer et de se briser å la côte,
en essayant d'atterrir. Que ron se reporte aux négociations
de 1805, on aura la clef de celles de 1811 : ce sont les mêmes
péripéties qui recommencent, plus graves, entre une Prusse
1 Rapporla de Metternich, 17 levrier, 26 mars, 25 avril, 21 novembre 181t, et
résolutiona impérialeø, 25 avril et i8 novembre 1811.
&50
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1811.
démembrée, aux abois; une Franceomnipotente, Iui l'investit;
une Bussie, en laquelle' réside tout l'espoir du salut et de la
réparation, mais qui vient de trop loin, trop lentement,
comine les armées de secours qui n'arrivent que Ie lendemain
du désastre, quand la famine a contraint la place à capituler.
Scharnhorst part en mission à Pétersbourg I, sous un nom
lupposé, par des chemins détournés. Le roi écrit au tsar: ß Ce
qu'il y a de plus essentiel, c'est de se bien concerter sur Jes
préparatifs et sur Ie plan d'opérations... Du reste, je conti-
nuerai de paraitre décidénlent attaché au système de Napo-
léon; toutes mes démarches patentes et Ie langage de mon
département seront dans ce sens... 11 serait bon même qu'iI y
eùt une teinte de dé6ance et de froideur entre nos agents...
Je m'engage à ne prendre d'autre parti que Ie vótre au cas
que la guerre entre la Russie et la France ait lieu j. )) IIarden-
berg prodigue les assurances contraires à Saint-Marsan: (I Le
roi désire la paix avant tout. Si malhel1reusement la guerre
doit avoir lieu, il désire alors de lnettre tous ses moyens à la
disposition de Sa
lajesté r empereur et faire cause commune
avec lui '. " En mêlne temps, ils renonent, par Ie comte Har-
denberg de Vienne, par Ie IIanovrien Ompteda, avec les
Anglais qui offrent des subsides.
Napoléon a percé leur jeu .&, instruit de l'arlifice par où ils
tournent la convention mi]itaire . Ie passage continue} des
recrues dans les caserne8, l'instruction intensive, enfÌn par
leur propre aveu qu'iIs disj:oi1eraient de 1 ØO,OOO hommes en
quatorze jours. lIs Ie disent nfin de renchérir leur alliance
et de se rendre respectablcs.
lanæuvre imprudente. Napo-
léon fait savoir à Paris, par
{;H
et, à Krusemarck Ie 13 sep-
tembre, à Berlin par Saint-:\fart
an, que si les armenlents ne
ce8sent pas, dans les caserlles, dans les places, il en conclura
que la Prusse est liée à la Russie. Alors
,iat-
farsan se
I Instruction du 29 juillet 1811. DC:'fCK.EII.
I Frédéric-Guillaume à Alexandre, 1.6 juillet 1811. BAILLEU.
I Rapport de Saint-)Iarsan, 27 août 1311.
":,r ICI rappurte du CODIUI Lefebvre et la police de Davout.
ALLIA
CE AVEC LA PRUSSE ET L'AUTRICHE. - 1811. 551
retirera et Davout entrera à Berlin avec l50,OOO hommes '.
ft Si l'anéantissement de Ia Prusse en est l'effet imhlédiat,
c'est à elle seule qu'elle pourra s'en prendre... La Prusse sera
victime d'une invincible fatalité, et elle subira son sort. "
Puis, estimant les avoir assez épouvantés, il se déclare prêt à
traiter de l'alliance, et il autorise Saint-Marsan à eutrer en
conférences I.
II Y met cette double condition : Ie blocus rigoureux
et la réduction de l'armée prussiennc. (& Si Sa
{ajc8té est
dans I, lécessi té de faire la guerre, elle y suffira d' elle-même
et elI(; n'a pas besoin de l'armée pru5sienne... II faut donc
parvenir à désabuser Ie cabinet prussien de cette manie mili..
taire qui porterait Ie roi à transformer tous ses sujets en 501-
dats. " Les conférences cOlumencèrent Ie 29 octobre; Napo-
Iéon n'entendait signer qu'à la veille de la guerre, et il les
laissa trainer. II lui suffisait de tenir les Prussiens sous Ia
menace el de les cOlnpronlctlre du côté de la Russie.
Sur ces entrefaites, ils reçurent, Ie 4 novembre, l'a,ris du
retour de Scharnhorst, et Ie texte d'une convention signée par
Jui à Pétersbourg, Ie 17 octobre. Elle prévoyait Ie cas où la
Prusse serait forcée de s'aUier à Ia France et elle avait pour
objet d' éviter les hostilités effectives entre Ia Prusse et la
Russie, c'est-à-dire de stipuler par écrit ce qui, en fait, se
produisit en 1812 I. Dans ce même temps, l'envoyé russe å
Berlin soumit à Hardenberg un projet de traité que Ie tsar
avait rédigé de sa main. C'était une alliance secrétissime,
offensive et défensive : Ies deux aUiés se porteraient au seconrs
l'un de l'autre avec toutes leurs forces; toute marche en avant
des Français à travers la Prusse serait considérée COInme une
déclaration de guerre; Ia paix ne scrait faite qu'en commun.
Hardenberg se prononça pour l'alliance russe et les subside,;
anglais 4. Frédéric-Guillaume n' osa rien décider. Ce prince
I Napoléon à Davout, 14. !eptembre 1811.
t InstructioDS à Saint-
I
rsan, 22 octobre 1811.
I ){ARTESS, t. VII, p. 23 et suiv.
· Mémoire au roi j résolutioD royale, 4 novembri iSlA.
&52
LA GUEHRE DE RU8SIE. - 181!.
" vertueux)J avait la duplicité dans l'âme. n II faut vraiment,
écrivait un Anglais, posséùer une patience à toute épreuve
pour vouloir sauveI' un homrne qui a si peu envie d'être tiré
de la mauvaise situation où il se trouve. J) Ballotté entre les
alliances elles paroles d'honneur, il jouait des traités avec la
France, comme Louis XVI avait joué des serments entre les
factions de Paris, les factions de l' émiffration, les royaIistes, les
constitutionneIs, ses ministres officiels, ses ministres secrets
et les rois de l'Europe. II ajourl1a l'alliance russe et ordonna
de poursuivre les pourparlers avec Saint-
{arsan. .A.Iexandre
ne l'envahirait certainement point; la convention militnire,
signée par Scharnhorst Ie 17 octobre, réduisait la ffuerre entre
eux à de sitnples parades, COlnme celles des Russes et des
Autrichiens en 1809. II tâcha done de se garantir contre une
irruption des Français, en se réservant une porte ouverte sur
la défection.
Toutefois, avant de conclure avec Napoléon, if tâcha d'ob-
tenir quelques lumières, quelques encouragements au moins
du côté de Vienne. II y ell\Toya Scharnhorst qui vit
Ictternich,
en grand secret. l\Iais
Ietternich, qui tenait en suspens les
émissaires russes, refusa de s'enGager en quoi que ce fûl ayec
les Prussiens. II se contenta de leur donneI' un con-
seil, Ie plus perfide du mondc : se rapprochpr de la Russie.
C'était les li\Ter à Napoléon, si Napoléon était vainqueur;
c'était, d'autre part, fortifier Ia coalition, rcndre pIns égale,
par suite plus doutcuse une lutte OÙ I'Autriche tâcherait de
rester neutre afin de dieter la paix, de recevoir des deux
partis ou de se danner au plus offrant et au plus vraisem-
blablement vainqueur.
Napoléon ét3it parti, Ie 22 septembre, pour une tournée sur
les côtes, à Boulogne, à Anvers
en Hollande. Les courriers
de Berlin Ie suivaicnt. Les lettres de Davout, qui faisait bonne
police, achevèrent de Ie convaincre ct de l'aveuglement,
plus ou Inoins complaisant de Saint-
larsan, et de la dupIicité
prussienne. lC II faut, écrit-il å
faret Ie 21 octobre, que la
sincérité -- du roi de Prusse - soil entière et que Sa
Iajesté
ALLIANCE AVEC LA PRUSSE ET L'AUTRICHE. -1811. 5
3
puisse être aussi tranquille sur la Prusse qu 'elle l'est sur la
\Vestphalie et la Bavière, et elle ne peut rêtre que si la Prusse
renonce å ses vieilles illusions, si elle prend sa véritable
place... I " II demande que Blücher soit congédié du service;
il ordonne de remplacer Saint-
larsan par un IniIitaire; puis,
à peine de retour à Saint-Cloud - Ie 14 novembre - iI
écrit à Davout : (e l\fon cousin, il -serait convenable que vous
me soun1Ïssiez un projet de mouyement sur les bases sui
vantes, à exécuter dans Ie cas où la Prusse serait de mauvaise
foi... II sera facile... d'envelopper toutes leurs garnisons
entre l'Oder et la Vistule avant qu'ils s'en Hperçoivent... 'J
Davou.t compose son plan qui n'est pas autre chose que Ie des-
sein dont l'officieux' Esménard avait, comroe on dit, esqnissé
Ie "monstre IJ. cc On peut espérer, écrivit Ie maréchal, que Ie
résultat sera une désorganisation parfaite et que personne,
en Prusse, ne saura ce qu'il a à faire ni l'état des choses,
puisque tous les courriers seront interceptés i. "
Napoléon nc se pressait point, yu Ia saison. Les nouvelles
d'Orient lui donllèrent å réfléchir. cc Les Russes ont en de
grands succès sur les Turcs qui se sont conduits comme des
bêtes brutes. Je vois la paix sur Ie point de se conclure s. " II
activa, aussitôt, la négociation à Berlin, cette fois avec la
volonté d'en finir. Le 24 décembre, Saint-
Iarsan présenta
son projet de traité, ultilnatum déguisé. Les Prussiens se
débattirent encore, se dérobèrent tout un mois, espérant
quelque courrier de Vienne, quelque révélation de Péters-
bourg; Inais Scharnhorst revenait de Vienne, les mains
vides; Alexandre, dépité du refus opposé à son traité,
n' écrivait plus Saint-l\Iarsan fit jouer l'épouvantail de Davout.
Le roi prit son parti, sur Ie conseil d'Ancillon, Ie 15 jan-
vier 1812. L'aversion et la crainte que lui inspiraient les
allures des patriotes, leurs Iigues, leurs soclétés secrètes, leur
insubordination, pesèrent sur sa décision autant peut-être que
I A 'Maret, !, 5 novembre 1811.
I Napoléon à Davout, 1.f;. novembre; Davout à I'empereur, 25 novembre 1811.
I 2. Davout, 1.4 novembre; rappol.t de Tchernichef, 18 décembre 1811.
fi5
LA GUERRE DE RU8SIE. - 1812.
les menaces de Napoléon Toutefois, au moment de se Iivrer,
it voulut accrocher quelques cordes de sauvetage : iI fit pré-
venir les Autrichiens, et, le 31 janvier 1812, il écrivit à
Alexandre: " J'envoie Ie colonel Knesebeck à_ Votre l\fajesté
impériaIe... II vous exposera, avec un abandon de connance,
mes idées et mes væux... " II se sacrifiait à Ia paix, néces-
salre, disait-il, " pour ne point compromettre Ie grand but
- Ie salut de I'Europe - que Votre l\iajesté s'est toujours
proposé... ". Et pour finir, ces mots qui renfermaient toute
l'instruction de Knesebeck : " Rien n' égale la tendre amitié
et la haute estime avec lesquelles je ne cèsserai d'être, quels
que soient les événements, sire... 1 "
II était temps. Napoléon s'impatientait. Le 6 février 1812,
il manda à Lariboi.sière, commandant l'artillerie de la Grande
Arlnée, de disposer des équipages de slège pour Spandau ou
Kolberg, dans Ie plus grand ffiJFstère : (& Le major généraI n'en
est pas instruit; vous êtes senI dans Ie secret... Que cette
Iettre ne soil lue par pcrsonne... " Et à Da vout, Ie 8 : u Du 20
au 30 février, votre corps doil faire un grand mouvenlent...;.
Ie 21, à Berthier : " Mon cousin, donnez l' ordre au prince
d'Eckmohl de conlmencer son mouvement sans délai... "
L'exécution de la Prusse serait la première opération de la
ffuerre; mais la ffrande guerre s'ensuivrait al1ssitôt que com-
mencerait Ie dégel. Le 22,
Iaret donna à I{rusemarck vingt-
quatre heures pour signer. Le 24, les traités étaient conclus l ;
un traité patent : alliance défensive et bIocus, garantie de
l'intégrilé des territoires respectifs; traité secret : alliance
offensive et défensive dans Louie guerre, en Europe; conven-
tion secrète en cas de guerre en tre la France et la Russie : la
Prusse fournira 20,000 hommes, corps auxiliaire, empIoyé, de
préférence, à la défense des provinces prussiennes.
Le jour même, Napoléon en donna connaissance å Tcherni-
chef. La police de Savary a vait filli par entr' ouvrir les yeux sur
les manæuvres de ce parfait aide de camp. Tchernichef
I Comparez ci-des8ul lea néßociationa d'alliance en 1806, p. 23, 43, 49.
· Da Ct.ERCQ, t. II, p. 354. et. 'WY.
ALLIANCE AVEC LA PRUSSE ET L'AUTRICHE. - 1812. ð55
s'aperçut, pour employer Ie jargon des gens de sa Ie méca-
nique t) , sinon de son monde, qu'iI était filé et qu'il allait être
bJ'Ûlé. II partit en hâte après avoir mis au feu tous les papiers
compromettants. lIne se doutait point que Ie vent, en rabat-
tant dans Ia cheminée, avait fait glisser sous Ie tapis de la
chambre quelques lambeaux, à demi consumés, qui découvrÍ-
raient sa fourbe et dénonceraient ses complices.
Le 2 mars, Ie traité arriva å Berlin; Ie 3, TchernicheE y
passa, en route pour Pétersbourg; Ie 5, les ratifications furent
données, et Hardenberg con6a toute l'affaire à l'envoyé russe
Lieven. Les manæuvres des Russes sont conjurées, manda
Saint-:aI8rsan; Ie Ia contenance du roi et du ministère a été
parfaite I. " Des Ínesures furent prises ostensibIement contra
les "patriotes". Gneisenau fut congédié du ministère de Ia
guerre. Tout paru
s'apJatir pour l'obéissance; en réaIité,
tout rampait vers la défection. Gneisenau quittait Berlin,
mais avec une mission secrète pour I'Autriche, Ia Russie, Ia
Suède, Ie Danemark, l'.Anffleterre : préparer les voies å une
poIitique entièrement destructive de l'alliance que l'on venait
de signer; missionnaire de I'insurrection allemande pour I'in-
dépendance, autant que de la diplomatie de Hardenberg pour
la reconstitution de Ia Prusse. Du même coup, Ie roi appela
au commandement du corps auxiliaire, avec u sa pleine con-
nance" et de pleins pouvoirs, l'homme qui devait moins d 'un
an après rompre Ie traité en passant à Ia Russie, Ie général
York. Le 31 mars, Frédéric-Guillaume écrivit à l'empereur
Alexandre: cc Si Ia guerre éclate, nous ne nous ferons de mal
que ce qui sera d'une nécessité stricte; nous nous rappellerons
toujours que nous 30mmes unis, que nous devons un jour rede-
venir allies, et, tout en cédant à une fatalité irrésistible, DOUS
conserverons Ia liberté et Ia sincérité de nos sentiInents.
ui,
sire, soyez sûr des miens; ils resteront les mêrnes. .. me faisant
gloire d'être, pour la vie, sire, de Votre Majesté, Ie bon frere,
ami et allié de cæur et d' âfne. .. tJ
, Rapport de Saint-:\Ianan, 3 marl t81!.
ð56
I
A GUERRE DE RUSSIE. - iS1!.
La Prusse avait signé la tête basse, sous Ie canon de Davout;
eUe déchirera Ie traité, brutalement, sons Ie canon russe. La
défection de l'Autriche devait être plus lente, plus tortueuse;
c'est que son alliance avait été plus insidieuse et plus insi-
nuante aussi; que :Napoléon avait intérêt à croire les Autri-
chiens, qu'il avait besoin de se les attaeher, qu'il se f]attait de
posséder un gage en la personne de Marie:-Louise, un talisman
en celIe du roi de Rome: (C JOe suis assuré de l'Autriche tJ , écri-
vait-iI, Ie 14 novembre, à Davout. Schwarzenberg venait de
rentrer à son ambassade, avec les instructions de Metternich :
l'alliance sans engagements et avec bénéfìces. Le 17 décembre,
Napoléon Ie reçut, et Ie Iangage qu'it Iui tint avait de quoi
satisfaire l\Ietternich. Illui déclara, d'abord, comme naguère
aux Prussiens, que l'alliance ne lui serait d'aucune utilité;
puis il demanda un corps auxiliaire de 40 à 50,000 hommes.
qui serait, à sa droite, Ie pendant des 20,000 Prussiens qu'il
réclamait alors à Berlin. II s'ouvrit sur (C les conséquences de
Ia guerre )) . - .1 II regarde, rapporte Sch,varzenberg, Ja 1\101-
davie et Ja Valachie, ainsi que la Serbie, comme provinces
autrichiennes; Ie Danube comme notre eau... L'Autriche
pourra, si elle veut, gardeI' la Gallicie en entier. L'Illyrie do it
revenir tôt ou tard à I'Autriche; Ie port de Trieste lui est
nécessaire... " Toutefois ce seraient des affaires d'échanges,
c' est-à-dire de prises de guerre. II y en a une qui s' offre, tout
naturellement, à I'Autriche : ct La question de la Silésie
serait décidée à la moindre faute que ferait la Prusse... La
Silésie est Ja seule province qui puisse arrondir I'Autriche >>t
et même si la Prusse ne commet point d'infraction, l'empe-
reur, sauf å la payer d'un autre morceau, donnerait encore la
Silésie à I'Autriche.
Les choses se tournaient d'elles-mêmes au succès du plan,
subtilement combiné, du ministre de François II : dès Ie
début, les enchères marchaient å souhait. Peu après que ces
propos se tenaient à Paris, Alexandre abordait I'envoyé de
Vienne par ces étranges confidences : II Écoutez, général,
mais que ceci reste bien entre nous. II faut diviser la Prusse
ALLIÂNCE A VKC LA PRUS8E ET L'ÂUTI\ICHE. - 1&11. 5D1
en trois parties: celIe entre la Russie et la Vistule; puis celie
entre la VistuIe et rOder... enfin la Silésie... Si Ie roi et son
ministère persistent dans leurs intentions amicaIes pour moi,
je ne demande pas Inieux; je suis rami personnel du roi;
cependant la situation critique - vous savez que les Français
ne sont qu'å trois marches de Berlin - ne me rassure pas sur
la persévérance de son 11linistère... u Cette SiIésie, toujoura
regrettée depuis la conquête de Frédéric, devait leur revenir
de toutes mains, et l\Ietternich eroyait jouer à coup sÍ1r. Son
intention, rapporte un de ses confidents, (( était de se con-
server pour, dans la suite, pouvoir s'opposer avec efEet aux
plans de la France et servir de ralliement à cellI qui vou-
draient coopérer à ce but)) . Si, en attendantet paravancement
d'hoirie, Napoléon leur concédait I'Illyrie, ce serait autant
d'acquis pour Ie succès du grand ouvrage; et si ce grand
ouvrage manquait, l'Autriche, pour Ie seul mérite d'avoir
laissé NapoIéon refouler les Russes et balayer les Prussiens,
gagnerait la
Ioldavie, la Valachie, la Serbie et la Silésie.
Tant de terres et de si belles chances à courir valaient bien
l'enjeu d'un corps d'armée, bon à aider Napoléon, au besoin
à Ie combattre, et qui occuperait précisément cette a position
de flane J} dessinée depuis si longtemps par 1\Ietternich pour
I'Autriche.
Letraité Eut signé å Paris Ie 14 mars 1812, donnant moins
que Napoléon n'avait fait espérer, mais permettant encore de
beaucoup attendre 1 : union, alliance, garantie des territoires
respectifs; garantie de I'intégrité de l'empire ottoman; corps
auxiliaire de 30,000 hommes. Si Ie royaume de Pologne était
rétabli, Napoléon garantissait å I'Autriehe Ia Gallicie; mais il
consentirait, si I'Autriche Ia lui cédait, å la payer de l'IlIyrie,
et, si la guerre était heureuse, il y ajouterait d'autres avan-
tages, ce qui s'entendait de la Silésie et des Principautés
danubiennes.
. Le comte M etternich, écrivait, Ie 28 mars, Ernest Har-
.
1 DB CLEJ\CO. t. II, p. 869 ot .ai..
55&
LA GUERnE DE nUSSIE. - i81t.
denberg, de Vienlle, peut encore êlre pur, et alors ce qu'il
fait dans ce mOlllent serait Ie comb Ie d
une politique pro-
fonde... Tons les dangers, dit-il, n'ont pu être prévenus que
par un traité d'alliance à l'abri duquell'Autriche pourra porter
son armée au nOlnbre qu'elle voudra... Positivement, cette
augnlentation se ferae .. L' on forme 120,000 hommes sur pied
vel'S Ie théâtre de la guerre...; mais on ne s 'arrêtera pas là
pour pouvoir, dans la suite, avoir voix au chapitre et, à Ia fin
de Ia lutte, être préparé à tout événeInent... " Ces confi-
dences étaient à l'adresse de I'Angleterre. Quant à la Russie,
l\letternich cOInmunique Ie traité à Stackelberg. La nécessité,
lui dit-il, a dicté l'alliance, mais, nonobstant, (( la Russie ct
I'Autriche peuvent continuer å s'entendre, en secret, relativc-
ment à leurs vues politiques... J) . Le corps auxiliaire n 'agira
que du côté de l
Bukovine; en aucun cas, il ne sera augu1euté.
CI QueUes garanties nous donnez-vous que cette promesse sera
effeclivrment remplie? dpn1anda Stackelbcrg. - Ces garan-
ties, répondill' Autrichien, seraient dans rintérêt mêlne de la
monarchie autrichienne, si eUes n'étaient pas dans la loyauté
du souverain au nom duquel je parle en ce mOJnent I. u
VIII
Telles étaient les alliances conclues par Napoléon au prin-
teInps de 1812. II en aurait désiré d'autres : la Pologne, Ia
Suède, la Turquie, la fan1euse barrière de rEurope, de la
Baltique à la Dler Noire, car la nécessité de la guerre contrc Ia
Russie Ie ramenait aux vieilles combinaisons, à celles qu'avait
nécessairernent conçues et vaiuement poutsuivies Ie Comité de
SaInt public s. Avec les Turcs, il S')" prit trop lard: ils étnicnt
en pourparlers avec .A.lexandre el leur constance allait les
I Rapport de StacIielberg, 28 avril 1812. )fARTE
8.
Voir t. IV, p. 24-7 et luiv.
POLOG
E ET ESPAGlSE. - 1812.
5"
lébarrasser des Busses I. II s'y prit trop tard aussi et de trop
laut avec Ia Suède. Comme sa politique exigcait qu'il contrai-
rnit toute I'AIlelnagne du Nord au blocus rigoureux, il donna,
e 19 janvier 1812, à Davout I'ordre d'occuper la Pomé-
'anie : c' était rOlnpre tous pourparlers avec Bernadotte et lui
ournir Ie prétexte qu'il désirait de se jeter dans les bras de
a Bussie. En pologne, il avait pour lui les illusions d'une
lristocratie crédule, aventureuse, belliqueuse, prodigue de sa
onfìance et de son sang. 11 pense à rerouer à foud ce pays et
ì .l'agiter de telle façon que la fìèvre gagne la Pologne russe.
n prépare les circonstances propres à cc procurer )J , au moins
1 annoncer " à la Pologne son rélablissement comme nation JJ ;
une diète réunie à Varsovie y provoquera une cOTlféderalion
sur Ie patron et seIon les précédcnts de la fameuse confédéra-
lion de Bar. Un cOlnité se formera pour cc donner une forte
impulsion à la nation>> ; reconstituer, remettre en mouvement
toutes les machines des révolutions polollaises, pétitions,
émisiaires, Ie jeu des parlements en armes et des conjura-
tions '. II pensait conner cette besogne délicate à Talleyrand,
qui avail, en 1807, montré de rCInarquables aptitudes dana
Ie gouvernement de Varsovie. l\fais Talleyrand, qui voyait
monter l'orage, ne désirait pas quitter Paris, où tout se
dénouerait un jour, pour se porter aux avant-postes et s'ex-
poser à être noyé par Ie premier Hot. PUii dans les relations
où il était avec Alexandre, dans ses ménagements avec Vienne,
c'étaitun emploi trop con
prolnettant. Napoléon se rabattit sur
un Talleyrand de seconde classe, l'archevêque de
Ialines, de
Pradt, l'aumônier du dieu
{ars, comme on l'appelait, qu'il
croyait propre à faire tourner les girouettes polonaises et quïl
jugeait plus sÍ)r que Talleyrand, en quoi il se trompait.
Restait l'Espagne. l\lasséna, chassé du Portugal, sty était
réfugié. Son armée acheva, Ie 8 avril, de pas'iter la fronlière.
Les A nglais étaient Inaitres du Portugal. R II n'y a que SucÌ1et
I II, traitèrent Ie !8 mai ISlt. Le. RUliel évaeuèren& I.. Principauté., lauf
I. Bessarabie. Voir ci-aprèe, p. 570.
· Instructions à d. Pradt, i8 mai i81i.
5ð'o
LA GUERRE DE RUSSIE. - i8I!.
qui soit bien à son affaire, disait Napoléon... Chacun veul faire
ses affaires et non les n1Ìennes... )) II rappela
Iasséna et Ie
remplaça, Ie 10 mai, par
Iarmont.
CepenJant les Cortès nationales de Cadix, c'est-å-dire les
Cortès de rEspagne en révolte contre Joseph et en ffuerra
contre Napoléon 1, achevaient leur æuvre; eUes votèrent, Ie
18 rnars, l'ensemble de la constitution élaborée depuis plus
d'un an.
apoléon revint à la cOlnbinaison à laquelle il avait
pensé en 1811 : un accoInmodement entre Jose"ph et les Jibé-
raux espagnols. u L 'Espagnc est... très fatiguée. .. écri '"ail l\Iaret
à Laforest, Ie J 5 mars. Les Cortès pensent COInme toute la
nation. .. Leur haine pour la France est balancée par leur haille
pour I'Angleterre... II parait done que si le l'oi a des IDoyens...
soit de
olDmuniquer avec la régence, soit de faire des propo-
sitions aux Cortès, un arranselnent pourrait avoil' lieu... Les
Cortès pourronl elles-Inêmes proposer au roi I'acceptation
de la constitution qu'eUes ont rédigée et reconllaitre la nou-
velle dynastie... Si un arrangernent avait lieu, Sa
lajesté
ne ferait pas de diffìculté de reconnaitre l'intégrité de l' Es-
pagne et de retireI' ses troupes en totalité, du n10ment où la
tranquillité serait rétablie. !, Le roi pourrail aussi convoquer
des Cortès napoléonicnnes; Ie résultat serait Ie lnèlne et Ie
moyen préférable.
1\Iais Joseph, sur cet article, demeurait inébranlablc; son
droit ne comportait point de capitulation; son génie ne s'ac-
c0l11IDodait ni des relnontrances d'un ambassadeur, ni du
contrôle d'une assemblée. (( C'est risquer de Inettre Ie
désordre constitutionnel à la place de l'anarchie insurrec-
tionnelle, que d' endosser la robe faite .pour 3ccabler la royauté
dans la person ne et sous Ie nom de Ferdinand VII tJ , répondi t-
it. II estima que Napoléon, par celte fcinte, ne yisait qu'à
occuper les Espagnols jusqu'à ce que la situation de l' Europe
tU1 p
rmit (( de couper Ie næud gordien " . Or, il entendait fe
réserver Ie pouvoir de donner tous les ordres, parce qu
il vou-
Voir ci-deslus, p. 519, 525, 528. - BAUMGÀI\'fE
, Gf.RfJìSU..
POLOGNE ET ESPAGNE. - 181t.
561
fait être roi; mais, en réalité, de n'en donner aucun, parce
que son génie de gouvernement consistait å tout différer, å se
plaindre de tout Ie monde et å se lamenter sur les événements.
Napoléon était forcé de détourner les yeux; illes détourna.
En désespoir de cause, il confia å Joseph Ie commande-
ment en chef de toutes ses armées en Espagne, avec Jourdan
pour chef d'état-major J, et laissa C& carte blanche" å Mar-
mont, ce qui revenait å décréter Ie gâchis, faute de Ie pou-
voir détruire. " Le roi n'agit pas, écrit Maret I; il gêne et
n'aide pas. Un vice-roi aurait une action bien plus décidée et
Lien plus utile... L'entreprise actuelle terminée au nord, si Ie
roi, par indolence ou par inertie, ne gâte pas trop lesaffaires,
Sa l\1:ajesté aura
ientôt fait raison de I'Espagne et des
AnB-Iais... " Le II coup de tonnerre " se ferait pa
choc en
retour, de Pétersbourg ou de Moscou, et Napoléon en venait å
escolnpter les contre-coups de ce grand coup pour lequel il
prétendait réunir toutes les forces du Grand Empire. C'est en
Espagne, disaient les Anglais, que l' Angleterre délivrera
I'Europe; e'est en Russie que Napoléon se préparait å vain ere
rEs pagne.
Cette eXpédition, qui devait tout accomplir, paraissait tout
remcttre en question. A Paris, OÙ l'on avait été menacé de
disette, où la crise alimcntaire se doublait d'une crise sur
l'argent, on voyait avec une inquiétude croissante arriver Ie
printemps d'une anllée si Grosse de basards. Napoléon prodi-
g-uait les fêtes; mjis les sigues siniðtres apparaissaient, quoi
qu'il fit. La découverte des cspions de Tchernichef donna
l'alarme, révélant une plaie secrète, que ron croyait cica-
trisée depuis longtemps. Ajoutcz les luttes ouvertes avecle clergé
qui, en Belgique, produisaient l'insubordination du peuple.
Les prisons se relnplirent. Au mécontentement des nouvelles
lcvées, à ranxiété générale d'une expédition dont les propor-
tions dépassaient tout ce que la France avait encore connu,
et qui, rnaIgré l'infaillibilité prêtée å l'empereur, semblaient
I Rapport de Laforest, 11 avril. -Napoléon à Berthier, 16 marl, 3 avril 181!.
· 23 mai 1812.
TII.
36
56!
LA GUEI\RE DE BUSSIE. - 1812.
démesurées, s'ajoutaient, å la Cour, dans Ie gouvernement, d
s
craintes plus raisonnées, des hypothèses plus effrayantes.
ø Napoléon, écrivait un agent, trop bien informé I, e
t devenu
plus Inéfiant et ombrageux que jamais; personne n' ose plus
lui parler franchement, ni ne connaît au juste Ie fond de sa
pensée; tout Ie Inonde Ie redoute ; personne ne l'airne; tous å
peu près s'accordellt à dire que, tant qu'il vivra, il n'y aura
ni paix ni bonheur å espérer... J) II se reforme des compIots
.dans l'armée; on observe surtout une facilité à l'abandon, lIne
crédulité au désastre, que l' on avait pu discerner en 180910rs
de l'affaire de 'Valcheren, et qui se déclara d'une si surpre-
nante façon lors de ]a conspiralion de rtlalet. L'empereur
laissera derrière lui sinon des gens intéressés à sa perte, au
mains des Gens intéressés å s'en accolnmoder. Quel lende-
n1ain? << C'étaient là, rapporte Ie principal d'entre eux, Ie
chef de file, Talleyrand, de graves sujets de méditation pour
taus les bons Français; s'y livrer était un devoir pour ceux que
les circonslances ou, si I'on v'eut, leur ambition, avaient déjà
appelés, à d'aulres époques, à exercer de l'influence sur Ie
sort du pays. C'est ce que je me croyais Ie droit de faire
depuis pIusieurs années ; et à mesure que je voyais approcher
Ie reùoutable dénouenlent, j' examinais et je combinais avec
plus d'attention et ùe soin les ressources qui nous resteraient.
Ce n'était ni trahir Napoléon ni conspirer contre luÏ... II n'y a
jamais eu de conspirateurs dangereux contre Iui que Iui-
même... Je n'ai conspiré de ma vie qu'aux époques OÙ j'avais
la majorité de Ia France pour complice... I ".
Iais il prépa-
rait cette complicité.
Tandis que Napol60n, pour expliquer son entreprise, pour
y gagner l'opinion, dénonçait les prétentions de Ia Bussie à la
domination universelle, effrayait la France d'une invasion
cosaque, et que ses publicistes alléguaient, à l'appui, Ie pré-
tendu Testanlent de Pierre Ie Grand, Talleyrand et ses affìdés,
rouvrant les souterrains creusés jadis par les anzis d'Antraignes
· Tchernichef, 18 décembre 1811.
J }'limoires, t. II, P 32-34-, 13
,-i35.
POLOGNE ET ESPAGNE. - 18ft.
563
et les arnis de l'Anßleterre, montraient à une France trop dis-
posée à Ie croire une Europe prête à Iui con6rmer la paix de
Lunéville et d'Amiens; Napoléon refusant, par démence d'or-
gueil, ceUe paix qu'il n'avait qu'à cueillir; séparant ainsi sa
polilique de celIe de la France; ne songeant plus å conserver,
ne songeant qu'A s'étenclre; en Iutte avec Ie sens commun,
avec Ia nature des choses, à tel point que eet aveuglement
d'une aussi haute intelligence ne se pouvait expliquer que par
la fataIité qui pesait sur Iui et, par lui, sur Ie monde. Ainsi la
pacifique ct libérale AngIeterre forcée par lui à la ffuerre
de 1803, la douce et pacifique Autriche en 1805, la malheu-
reuse Prusse en 1806, perséculée dcpuis, exemple déplorable
des abus de la force, qui d'amie classique, d'alliée naturelle
de la France en 17Ð2, en 1795, en était devenue Ia victime;
ainsi les infortunés Bourbons d'Espaffue et la noble Dation
espagnole ; ainsi et surtout Ie loyal et chevaleresque Alexandre
ébloui à Tilsit, joué à Erfurt, trainé å la guerre malgré lui I.
D'où ceUe Iégcnde que Ia France, s'il est vainqueur, n'aura
qu'à se jeteI' dans scs bras pour se trouver heureuse, pros-
père, délivrée du Illonstre, libre, en sa limite du Rhin, et
que, pour connaitre la fin de tant de maux, Ie repos désiré,
elle n'aurait qu'à laisser faire tout Ie monde, y compris lea
Anglais; tout Ie monde sauf, bien entendu, Ie seul Napoléon I.
Suivant sa tactique habituelle, et ainsi qu'il avait fait,
en 1803 avec \Vhitworth, en 1806 avec Oubril, Napoléoll
truina la rupture ostensible autant qu'il put, retenant I{oura-
kine par des notes, conlre-notes, ajourncments de passe-
ports et autre
expéditnts diplomatiques. Le ler mai, l\lichel,
l'agent de Tchernichef, celui qui lui livrait les états de situa-
I On tetrouve, dans les hi!ltoriena, I'écho pt>rsietant de eel bruits si habilemeat
répandu8 alorl. Comparez les aveux d' A lexandre, Ie. lettres de février 1811, ae.
2'..0,000 hommes prèts à attaquer et les 1& quelque. travaux définitif. . que lui
prère }.Ianfrey, Ie. préparatif. de Nlipoléon u dans Ie plus r.rand 'f"cret . pour.u....
prenùre Ie tsar qui I avait acc
pté loyalc>ment Ie! coneéquenceø de la guerre à
l'An
leterre". (LA
FP.EY. t. IV, p. 277,330.) Et l'AlexandredeThiera qui, crai-
cnant que Illes forme! même lee plus douces ne puissent pas prévenir une brouille,
rp8o)ut de prendre quclques prfcautionø militaires, point menaçantel, mail effi.
caeca,,; t. XII, p.
:J1. - Cf. ci-denus p.
08.
37.
56
LA GUERRE DE RUSSIE. - 18t2.
tion de rarmée, fut guillotiné. Le 8, Napoléon reçut Ie préfct
de police, Pasquier. Ce magistrat l' entretint de ses craintes
d'élneutes alin1entaires. Napoléon serrlbl,ait en considérer Ie
péril comIne écarté. n On touche à ]a récolte; dans quinze
jours VOliS serez hors d'affaÍre. )) Puis, après s'être promené t
un temps, en silence, les mains derrière Ie dos, iI revint
brusquclllent à Pasquier : (( Qui, sans doute, il y a du vrai
dans ce que vous dites; c'est nne diffìculté de plus, ajoutée à
toutes celles que je dois rencontrer dans l'entreprise la plus
grande et la plus difficiIe que j'aie encore tentée; mais il faut
bien ac/wver ce qui est cOlnmcncé. Adieu, monsieur Ie préfet. " :
I
Le 9 mai, il partit pour Dresde, et jeté, dès lors, dans l'en-
I
treprise, it ne vit plus, dans Ie travail quotidien, que Ie pre-
mier plan, la marche des arlnées, tra,.ail précis, minutieux,
méthodique, à base solide, à but déterminé, qui I'apais8.it.:
La marche à l'ahtme, avec chevaux et équipages; sur la'
chaùssée, à perte de vue, les cavaleries, les artilleries, l'im-'
lnensité du train, les colonnes
ans fin des fantassins, absor-
baient sa pensée; elle se fÌxait aux étapes, et, comme les
ürbres cmpêchent de voir la forêt, Ie déroulemcnt continu des
hommes, des bêtes et des machines cachait Ie gouffre OÙ
ils s'enfonceraient. Puis dans les heures de détente, dans l'in-
tervalle des caIculs positifs, les percées sur l'horizon OÙ SOIl
imagination l'avait toujours entrainé, Ie devançant toujours,
si loin qu'iI se portât.
II comptait bousculer l'armée russe sur Ie Niémen; puis iI
s'occuperait de Ia Pologne. En une, ell deux campagnes? il
l'ignorait encore. De
{oscou, it dominerait la mer Noire et
résoudrait la question d'Oricnt. "Le jour OÙ je rencontrai
Bossuet, disait-il à Narbonne, et OÙ je Ius dans son Discours
sur fhistoire univel'selle ce qu'il dit magni6quement des con-
quêtes d'Alexandre, et ce qu'il dit de César qui, victorieux å
P harsale, parut en un monlent par tout l' univers, il me selIlblrt
que Ie voile du temple se déchirait du haut en bas et que je
voyais les dieux marcher: cette vision ne m'a plus quitté...'
Nous vous mènerons plus loin que Marc-Aurèle n'est aIlé
J..A GRANDE J
JGUE D'AJ..EXANDRE. - 1.8f2. 565
ous jetteron
nos têtes de ponts non pas
ur Ie Danube sen-
Iernent, mais sur Ie Niélnen, Ie V ol3'a, In
Ioskova, et nous
refoulerons pour deux cents ans la fatalité des invasions du
Nord... " - II Après tout, cette route est la route de I'Inde.
Alexandre était parti d'aussi loin ql1e Moscou pour atteindre
Ie Gange... C'est d'une extrémité de l'Europe qu'il me faut
reprendre å revers I'Asie, pour y atteindre l' Ang'leterre...
Vous savez la mission du général Gardane et celIe de Jaubert
en Perse.,. I. Supposez Moscou pris, In Rus
ie abattne, Ie tsar
réconcilié ou mort de queIque complot de palais; dites-moi sit
pour une armée de Frnnçais et d'auxiIiaires parti
de Tlflis, iI
n'ya pas accès possible jusqu'au Gange, qu'il suffìt de tou-
cher d'une épée frnnçaise pour faire tomber dans toute l'Inde
eet échafaudage de grandeur mercantile. Ce serait I' expédi-
tion gigantesque du dix-neuvième siècJe. Par lA, du même
coup, In France aurBit conquis I'indépcndance de I'Occident
et Ia liberté des mers... et je tiendrais Ie concile de Nicée
dans les Gaules 11 ..
-"
IX
Dans cette lutte du Latin et du Slave, du rénovatenr dß
I'empire de Dioclétien et de l'héritier présomptif du trône de
Byzance, la chimère, la ch
nson de ac<:te, I
GT:ìnnp f!venfqre
sont du côté du Latin, précig et po
itif en SCg mCt:;;llrt'S, démC'-
suré dans sei spéculations; In poJitique sniyie, tcnace, In poli-
tique aux effets posilifs et durahles pst 8YCC Ie Gree
ux
paroles dorées, au regard fuyant, qui semble perdu dans des
rêverÏes d'humanité, et qui, dans Ie fait, va transformer en
I Voir ci-rt<,stms, p. t36, 15ft.
I VILLE
IAIN, Souvenirs contemporains. - Voir SUl'{TE-ÐauvB, Causerips Ju
LUlldi, t. XI, 185R, notes et pièc P 8, p. 4
2. - ConverøatioD avec Caula1ncourt.
VA
Ð.L, t.. III, p. 34-0.
566
LA GUERRE DE RUSSIE. - 1812.
une réalité russe cette hégémonie du ",ieux monde dont :Napo-
léon n'a fait qu'une utopie française.
Alex.andre garda devant l'ambassadeur de F
rance, ilIu-
sionné jusqu'à la fin, Ie gcste, Ie langage qui, à Paris, deux
ans plus tard, devaient séduire tant de Français. II invita,
encore une fois, Lauriston à un diner intime. II allait, lui dit-il,
entreprendrc u une tournée JJ, inspecter scs troupes, et il
revielldrait bicntôt, toujours prêt å l'alliance, si l'alliance
n'exigeait rien contre l'honneur : il partait (( avec Ie désir
sincère de ne pns faire la Huerre ". Le prince qui avail pré-
paré 18 redoutable surprise, en décembrc 1810, se proclamait
encore R rami í't l'alIié Ie plus fidèle de Napoléon )); mais
il ne pouvait plus Ie croirc, disait-iI, et de cette perte de la
foi son cæur était transpercé : (( Des larlnes lui roulaient dans
les yeux JJ, écrit I'ingénu militaire Lauriston. C'était Ie
10 avril et, Ie 13, Alexandre mandait à Czartoryski qu'il espé-
rait pousser jusqu'à la Vistule et entrcr dans Varsovie. cc La
rupture avec Ia France paraH inévitable... Si la guerre com-
mence, on est résolu ici à ne plus poser les armes... II II partit
Ie 21 avril pour Vilna I.
(( La Suède, disait-il peu de jours auparavant, a conclu une
alliance offensive et defensive avec nous. Le prince royal
brûle du désir de devenir l'aataffoniste de Napoléon, contre
lequel il a une anciennc inimitié personneIle, et, allant sur
les traces 3e Gustave-Adolphe, il ne désirc que d'être utile à
une Cd.u.òe qui est celIe de rEurope oppriInée. IJ ßernadotte
avait f'ris son parti, et c'était celui où Ie portaient ses calcuIs
(1'ð.mbition, ses rancl1J1cs, les intérêts de sa future couronne.
Napoléon avail cnvahi Ia Pon1éranie; Na})oléon exigeait Ie
blocus, c'est-à-dire Ia ruiI:1c ct la ffuerrc aux Anglais; Napo-
léon ne procurcrait jalnais la Nor\'èac: Napoléon viclorieux
prétendrait assl1jellir Bcrnadottc, 'il DC Ie traitait en frère et
ne Ie détrônait pas! Alexandre donnerait Ia Norvège, facilite-
rait )a réconciliation avec I'Anfflet.erre, consacrerait I'':1éritage
I Laurirton à l\Iaret, 11 avril 1812.. Albert V A.DAL. - Alexandre à Czarto-
ry.ki, 13 avril 181!. ltfémoi,.es.
LA GR >\NDE LIGUE D'ALEXANDfiE. - i812. 561
de la couronne de Suède ; plus, peut-être, s'iI fallait à l'Eu-
rope un h<?mme d'csprit, un grand sabre, un heau panache et
une faconde gasconne pour rendre Ia liberLé aUK Français
après l'avoir rendue à I'Europe. II envoya Ie comte L
"\venth..
jelm å Pétersbourg avec une leUre, datée du 6 février :
II Les c6tes de la
Iéditerranée, de la Hollande et de In Bal-
tique, successivement réunies, rintérieur de I'AIIclnagne
cerné... les monarques tributaires effrayés... Au milieu de
ce deuil universel, Ie regard des hommes se tourne vel'S Votre
Majesté; déjå il s'élève et vous contemple, sire, avec Ia foi de
l'espérance. " C'était parler congrûment; dans Ie style de la
nouyelle alliance. Læwenthjelm fit merveille à Pétersbourg
où il devint un des prosélytes du système russet A Stockholm,
Bernadotte endoctrina l'envoyé russe, Suchtelen, et s'enlendit
du premier coup av
c Tchernichef, qui savait parler aux
Français mécontents de l'empire I.
Le traité fut signé Ie 5 avril: alliance offensive et défen..
live; concert intime pour I'indépendance du IVord menncée
" par les vues ambitieuses et envahissantes de la France u ;
garantie des territoires respectifs; corps d'armée combiné de
30,000 Suédois et de 20,000 Russes; puis, Bernadotte ne
" pouvant opérer de diversion - pour troubler les opéra-
tions de l'armée française en Allemagne - tant qu'il con-
serverait à dos la Norvège u, la réunion de la Norvège à la
Suède, par négociation ou action miIitaire de la Russie, préed-
dera In diversion.
Bernadotte voyait déjà . trois ou quatre trônes J) dispo-
nibles, vacants ou å créer, et, dans Ie nombre, Ie plus illustre
de tous. L'Italie pouvait convenir å l'archiduc Charles, ce qUI
gagnerait I'Autriche å une combinaison Ponte-Corvo en
France! II se vantait (c de monter >>Alexandre. Illui dénonçait
les desseins crimiaels de Napoléon, ceux des illuminés de
Paris (?) qui envoyaient des assassins en Russie; d'après ses
lettres de Paris, trop courtes, à .son goût, les projets sur I'Asie.
I .Aperçu des transactions, eke - Sucbtelen, 30 man, iO avril is!!. M..u.-
'IE<<S.
568
LA GUERRE DE RUSSIE. - i8f!.
la marche sur Ie Gange et DeIhy, par la Perse et I
pahnn;
Napoléon (( faisant trainer en Allemagne I'appareil du couron-
nement " . Puis ces conseils, plus per6des et plus redoutahles
que l'alliance même, conseils d'un compagnon d'armes, d'un
quasi parent, vivant dans l'intimité familière de la guerre :
Napoléon est malade; d'ailleurs, IC il n'y a qu'un cas où l'oo
puisse Ie tt-ouver en défaut, c' est quand il est bien battu;
alors, il perd la tête et, si I' on sait en pro6ter, il serait capable
de tout abandonner ou de se faire tuer " . Pour Ie battre, éviter
de l'attaquer en ligne, mais attaquer ses lieutenants. (( Dans Ie
cas où se trouve la Russie contre la France, son intérêt est de
tirer la guerre en longueur, puisqu'elle Ie peut et Napoléon
pas; il faut éviter les grandes batailles... travailler les fIancs
de l'ennemi, l'obliger par Ià à faire des détachements et Ie
harasser par des marches et contremarches, qui est tout ce
qu'il y a de plus fâcheux pour Ie soldat trançais et OÙ il donne
sur lui Ie plus de prise. Qu'il y ait beaucoup de Cosaques et
partout... Qu'au moindre succès, ne fût-ce qu'une bonne
affaire d'avant-postes, il soit fait. une proclamation qucI-
conque qui frappe l'opinion publique... Qu'en cas de revers,
il faut de la persévérance... Que dût-on se retireI' derrière la
:Néva, pourvu qu'on persiste, tout se redresserait, et Napo-
léon 6nira avec Alexandre comme Charles XII avec Pierre Ilr. If
II Y ayait à Stockholm un diplomate anglais, Thorntou,
sous Ie pseudonyme de capitaine Thomson: il s 'aboucha avec
Suchtelen. II était ravi de Bernadotte : on se mé6ait de lui å
Londres, disait-il, IC mais je vois bien maintenant qu'il n'est
pas Français comme les autres ". Alexandre goûta fort ces
ouvertures de I'agent anglais. II y répondit par une instruc-
tion à Suchtelen, écrite de sa main, en français, et OÙ I'on voit
bien comment il entendait Ia grande guerre pour la liberté de
l'Europe : (( Le grand plan sur la réunion des Slaves pour faire
une diversion contre I'Autriche et les possessions françaises de
I'Adriatique I If ; armer les déserteurs allemands, les déser-
Dépêcb. à Sucbtelen, 24. avril 1812. MARTEl'C'8.
LA GTL\
DE LIGUE D'ALEXl,r\DnE. - fSit. 569
tcurs s1a"7es; de Grands armements maritimes dans I' Ad riatique
et Ia Haltique; une attaque à fond en Portugal et en
spaffne,
tandis que Nnpoléon sera en[j3ß'é entre Ia VistuJe et Ie Niémen;
diver
ion à Naples; blocus de Corfon; inquiéter toutes les
côtes; des expéditions en Zélande et en Danemark. (( La
guerre qui va éclater en est une ponr I'indépendance des
nations.. Le rôle de I'Angletcrre cst d'y contribuer par les
armements maritimes et en faisant Ie caissie,". " II serait prêt,
disait-il, à signer dès que sera it conclu Ie traité de paix entre
la Suède et I'Angleterre. Cette double néGo,'iation se pour-
suivit en Suède et elle aboutit aux traités d'OErebro I.
Du côté de la Prusse, Alexandre attendait les événements.
Ialgré toutes les cont
e-Iettres de Frédéric-Guillaume, it
avait pris en fort mauvaise part Ie traité d'alliance avec Napo-
léon, et Kneseheck était revenu de Pétersbourg sans lei
contre-asgurances qu'il était venu y chercher. Ces mots seu-
lement dans une du tsar, Ie 13 mars: " Nous voilà ennemis,
sire!".. Pouvez-vous croire que la Russie, une fois abattue,
votre existence soit conservée?.. Persuadez-vous que mon
amitié ne 6nira qu'avec ma vie. "La lettre du roi, du 31 mars,
Ie rassura : {C Nous ne nous ferons de mal que ce quì sera d'une
nécessité stricte... ami et allié de cæur et d'åme. " Alexandre
comptait sur l'esprit public en Prusse, l'esprit de l'armée et,
en particulier, sur Ie général York '.
II fondait, et à de meilleurs titres encore, Ie même espoir
sur Ie corps autrichien que commandait Schwarzenberg.
fetternich avait garanti à Stackelberg que ce corps ne dépas-
serait jamais 30,000 hommes, et que la Russie n'aurait rien à
en redouter. Lebzeltern, envoyé autrichien à Pétersbourg,
reçut une instruction, datée du 25 avril, secrétissime et qu'iI
eut ordre de brûler après en avoir fait usage; il devait dire et
it dit à l'empereur Alexandre: C& Notre complète passivité
dépendra de l' attitude de la Russie à notre égard... La Rus8ie
J Angleterre et Suède, paix. - Angleterre et RUllie, alliance, OIrebro,
i8 juillet 1812. Voir ci-après, p. 581.
Voir ci-deøsus p. 555.
5
O
LA GUERRE DE RUSSIE. - i81!.
n'a rien à craindre, si elle ne nous donne point de motif d'en
sortir. u Le 22 Juin, l\:Ietternich proposa à son.maître de régler
dans Ie plus profond mystèrc les manæuvres d 'une guerre de
pure apparence : des instructions en ce sens seraient données
au corps auxiliaire qui opérerait en Gallicie et en Transyl-
vanie. L'empereur François approuva, et il cn fut fait ainsi.
Pour In forme, Stackelberg quittn Vienne et Lebzeltcrn
Pétersbourff; mais les deux armées opérèrent comme si elles
s'entendaient, et les communications secrètes ne cessèrent
jamais...entre les deux cours.
Enfin, après bien des pourparlers, à la turque, la paix
d'Orient se conclutà Bucharest, Ie 28 mai : Alexandre gardait]a
Bessal'abie, évacuait la
foldavie et la Valachie et retirait ses
troupes. II fut tenté de les employer à un " armelnent général
des tI'ibus de race .çlave, de réagir par là sur les populations de
Ia HonfJTie, de contenir ainsi Ie cabinet de Vienne en Ie pla-
çanl dan
l'iu.lpossihilité de faire cause commune avec Napo-
léon; en un rHol, d'effectuer, à l'est de la monarchic autri-
chienue, une grunde cornn1otion poIitique et militaire qui
étendrait ses cffets sur les provinces illyriennes, Ie nord de
l'Italie, Ie Tyrol, et mêlne sur la Suisse; cette conception
allait jusqu'à adrneltre la possibilité de la création d'un
royaurue slave... n. C'était, pour contrecarrer les immenses
desseills de NapoJéon, un dessein aussi vaste et d'aussi longue
portéc.
{ais il y fallait l'alliance des Turcs, etil parut peu pro-
bable que Ia paix de Bucharest les satisferait assez pour qu'ils
s'elnployassent eux-nlêmes à soulever les Serbes, les Albanais
et les
Ionténégrins. Leur neutralité seInbla de plus de profit
et de moilldre difficulté. Alexandre s'y rallia et d'autaut plus
aisément que l'Autriche Ie rassurait. Dès lors, à qùol bon
cette vaste diversion, aux conséquences infìnies? De sages
Russes - les mêmes sans doute qui redoutaient la création
d 'un royaume de Pologne et la reconstitution de la nation
polonaise - représentèrent Ie péril " de jeteI' au milieu des
races slaves des idées d'indépendance et de fédération poli-
tique qui finil'aient, tôt ou tard, par créer des embarrai
LA GRANDE LIGUE D'ALEXANDRE. - i8i!. 57!
sérieux pour la Russie eIle-mêlne. tJ l\lieux vaut les tenir
dépendantes, protégées et désunies. Enfìn I armée du Danube
était nécessaire pour combattre la Grande Armée et Ie grand
plan slave d'AIexandre s'en alIa rejoindre l'immense dessein
maritime de Napoléon 1.
Le 18 mai, Alexandre reçut Narbonne, envoyé par Napo-
léon, et lui dit: cc Je ne tirerai pas l'épée Ie premier... Je
reste obstinément sur ma frontière... La nation russe n' est
pas de celles qui reculent devant Ie danger It , et, lllontrant
sur une carte les extrémités de son ernpire, en Asie, vel's Ie
détroit de BehrinG: n Si l'empereur Napoléon est décidé à la
guerre et que la fortune ne favorise point la cause juste, if
Iui faudra aller jusque-là pour chercher la paix. " 11 Ie dit
doucement, fièrement, el, autour de lui, Narbonne constata
n de la dignité sans jactance J), une résolution ferme, pro-
fonde, rien de Ia forfanterie de la v
i)]e d'Austerlitz. Le tsar
rcfusa de reccvoir Lauriston; nlais, Ie 24 juin, apprenant que
NapoJéon avait passé Ie Niémen, il Iui dépêcha Ie général
Dalachof avec une lettre, dalée du 25. On y lisait ces mots:
(t Que Votre Majesté consente à retirer ses forces du territoire
russe, je resarderai ce qui s'est passé comme non avenu; IJ et
cette instruction verba Ie que Ie tsar reprodllit dans un mani-
festc à son peupic : - II s'engage sur I'honneur à ne plus traiter
de la paix jusqu'au jour où Ie sol de la Russie sera entière-
rement purgé de la présence de l'ennen1i.
II y cut à Pétersbourg, Ie bâillon levé et Ie masque jeté à
terre, une explosion de haine, de jalousie, de mépris contre
Ia France. Tout ce qui, en Europe, travaiHait contre Napoléon
accourut, appclé à cette cour ou silnp!ement attiré par l'éclat.
NapoIéon avait enrôlé les rois, Alexandre enrôlera les pcuples.
II négocie une alliance 3vec José Bermudez, déJégué des
Cortès nationaies d'EspRgue I. II se fait un état-major, une chan-
cellerie secrète d'anti-français, une 3gence de prosélytis!ne, à
1 Sociétéd' llistoirede RU$sie, t. VI. - Correlpondance de Trhernich.r; t. XXI.
- Aperçu de$ t,.ansactions.
I Le trait' fut .igné Ie 20 j uillet i8il.
5'7!
I A GUERRE DE RUSSIE. - i81'.
seconer les peuples de I'Europe, aussi redoutabJe, mais plus
fallacieux encore que Ie prosélytisme des J acobins. Autour
du Suédois Armfeldt, favori de I'heure, dénonciateur et des-
tructeur de Spéranski, on voit se grouper Ie grand proscrit
Stein, des agents anglais, des agents des Bourbons de
Naples; puis les correspondants, les ennemis acharnés de
N apoléon, de Ia Grande Nation et de la Révolution fran-
çaise confondus, tels qu'hier d'Antraigues et désormais
Pozzo; on mande à la rescousse les invalides mêmes de la
défcction et du com plot, Dumouriez, et, avant tout, ce
DUlTIOuriez heureux, ce Dumouriez quasi couronné, Berna-
dotte, à qui, en 1797, les alliés auraient infligé la prison
de Beurnonville et å qui maintenant ils dressent un trône.
Soulever la Pologne par Ie leurre de l'indépendance, I'AlIe-
magne par celui de la grandeur, Ia France par celui de la
liberté dans ]es (I limites naturelles ", I'Espagne par celni
de l'affranchissement de l'étrnnger et d'un gouvernement
libre, tous y travaillent du même élan, les uns avec per-
fì.die, d'autre
avec naïveté, pour Ie compte d'Alexandre.
lis sollicitent rappui de son bras, iIs l'exhortent å la croi-
sade, comme, en 1791, les émigrés français à Pilnitz exhor-
taient Ie roi de Bohême et de Hongrie et Ie roi de Prusse à
écraser l'infârne, la Révolution française.
Iais Ie cours des
choses était renversé : l'émigration française, en 1791, remon-
tait Ie courant du siècJe : aristocratique, élllißTation de caste,
üntinationa1e, armant les étrangers contre I'indépendallce du
peuple français, clle fut noyée dans Ie remous; l'émigration
qui entollrait Alexandre était essentiellelnentnationaJe; chacun
de ces érnigrés prêchait pour son peuple, et tons réunis fon1cn-
taicnl 3utant de révolutions nationales, pour l'indépendance
et 13 lib
rté, qu'ils reprégelltaient de peuples différents;
leur :1ction devait être formidable : Ie courant et Ie vent les
poriaient. COlnme la Révolution de France, celIe que prê-
chaienl ces élniarés présentait ce double caractère qui ayait
fait Ie prestige et Ia puissance de Is Révolution française :
pour Ie presti{ife, un programme cosmopolite, tout idéaJ, qui
r(APOLËON EN LITHUANIE. - iSi!. 173
permettrait de coaliser les peuples divers dans une même
guerre ; pour la puissan
e, un dessein patriotique et national,
chez chacun des alliés.
x
Tandis qu'Alexandre, transformé en libérateur des peuplei t
tenail à 'Vilna ce singulier congrès des nations assujetties,
Napoléon, l'empereur de la République, par une transfOflna-
tion plus étrange encore, tenail à Dresde cour plénière de
monarques et renouveIait Ie spectacle pompeux qui s'était
donné à Francfort et à
iayence, en 1792, à la veille de I'in-
vasion de la France par ces rnêmes Allemands qui alors ame-
naient de toutes les contrées de la Germanie leurs contingenta
de mercenaires au nouveau Charlemagne. Arrivé Ie 17 mai,
il reçut l'empereur son beau-père, allié sur Ie vélin, la défec-
tion dans I'âme, et Ie roi de Prusse, féal dans les paroles,
félon danß Ie cæur. Leurs ministres, Metternich et Harden-
berg, encore que mé6ants l'un de I'autre, rapprochés cepen-
dant par I' évolution qu'ils préparent, se voient, se concertent
et demeureront, dès lors, en correspondance continue. Les
confédérés du Rhin, Ie Bavarois et Ie 'Vurtembergeois, en
particulier, prennent leurs précautions iu côté de la Russie I.
lIs sont obséquieux, iIs sont serviIes ; mais Napoléon devine la
trahison dans Ie cæur des rois, pressent la révolte chez les
peuples. Certes, å ses yeux, Allemagne n'est point Espagne :
Ie S'il Y avait un mouvement en Allemagne, il 6nirait par être
pour nous et contre les petits princes I" ; mais it sent qu'il y a
je ne sais quoi de pourri dans cette Allemagne napoléonienne
et qu'illa faudra reprendre en sous-æuvre I. L'infirmité de
Ion système lui apparaît, par échappées. Les contradictions
I MAaTENS, t. VII, p. 48-51, 123, 125.
I A Davout, 2 décembre i811.
574
LA GUERRE DE I\USSIE. - i812.
où il s'engage déconcertent alors sa pensée, directe et Iogique.
II lui revient COlnme un vague ressouvenir des guerres d'au-
trefois, un réveil des forces perdues, un frémissement de l'an-
cien iouffle. II a des velIéités <Ie relnettre en branle Ia formi-
dable machine révolutionnaire qu'Alexandre est en train de
retourner contre Iui. Dans l'instruction qu'il dicte pour de
Pradt, Ie' 28 mai, et où il esquisse Ie plan d'une reconstitution
de la Pologne, on trouve ce passage : (C Les Russes ne
peuvent occuper l'immensité du pays. II faut créer des intelli-
gences sur leurs derrières, établir des foyers d'insurrection
partout où iis ne seront pas en force, enfin les placer dans
une situation semblable à celIe où s'est trouvéc l'arInée fran-
çaise en Espagne et l'armée républicaine dans Ie telnps de Ia
Vendée et de la chouannerie... II faut que toute la Pologne se
trouve remuée et qu' elle entre tout entière en insurrec-
tion... >> Pui
, aussitôt, Ie boulet qu'il s'est mis au pied l'ar-
rête : (C Les seuls ménagelnents å garder sont relatifs aux pro-
vinces encore autrichiennes. On do it éviter d'indisposer un
aIlié qui va au-devant de ces opérations..." Ce que Napoléon
prescrivait pour la Pologne, Alexandre et ses affidés l'orßani.
aaient dans toute I'Allemagne, en Ilollande, en Italie et jus-
qu'en Illyrie.
Narbonne 6t son rapport Ie 26 maio Napoléon se mit en
route Ie 28. Le coIlège des rois fut diiipersé, chacun retourna
en sa capitale attendre l'événement qui Ie délierait de l'allié
insupportable ou I.e soumettrait à toutes les volontés du des-
pote. II lança de '\Tillko,vyski, Ie 22 juin, sa proclanlation å
la Grande Armée : << La Russie est entraînée par Ia fatalité; ses
destins doivent s'accomplir... La paix que no us conclurons
portera avec elle sa garantie et mettra un terme à la funeste
influence que la Russie a exercée depuis cinquante ans sur les
affaires de I'Europe... . Les destins s'accomplissaient, non
I Ces impressions, alors a.sez confuse., se retrouvcront dans les con..
\'er!ation! de Sainte-Hélène, et, en particulier, dans Ie. fauJses instructions
1 d. Pradt, fabriquéeø aprè. coup et datéel du is avril 1812. - J.Uémorial,
I. VII.
NAPOLÊON EN LITHUÂNIE. - IS1!. 511
Ff1S seuIement ceux de la Bussie, mais ceux de la RévoJution
fr::nçaise.,
IalGré tant d'efforts de diploma tie et de ffuerres
pour en détourner Ie couri, gagner la Prusse PUii l'abattre,
vaincre la Russie puis la rragner; pour acheter I'Autriche, puis
l'enchaîner, Napoléon en était venu où Ie Comité de Salut
public de l'an III prévoyait qu'il faudrait inévitablement
aller, la coalition du continent entre l'Angleterre et la
Bussie : cc Que l' AnßIeterre et la Russie s'allient, écrivait
ce Comité en 1795, eUes seront signalées comme ennemies
des nations; une résistance COlnmune triomphera de leur.
projets I. >>
Le 24 juin, 400,000 hommes passèrent Ie Niélnen. Sur ce
nombre, 160,000 Français. La Grande Armée, avec ses
réserves et ses ailes, comptait 1,187,000 hommes, parmi les-
qV-els 337,000 étrangers, Allemands et Italiens; 850,000 Fran-
çais de tout l' empire, des Rhénans, des Belges, des HolIan-
dais, 10,000 Suisses, des Esgagnols, des Portugais, des
Illyriens et des Croates. Cette armée partait superbe et pleine
de confiance I. Ce n'était pas la guerre d'Espagne; ce seul mot
suffìsait å rendre l'aplomb aux hommes, la verve aux of6-
ciers. La Russie leur apparaissail comme un prolongement
des Allemagnes, une Grande Pologne et, la belle saison
aidant, ils croyaient marcher à un autre Friedland. Les sol-
dats russes se montreront récalcitrants, mais on en aura
raison, et, l'armée battue, on dictera la paix à Saint-Péters-
bourg ou à
loscou. Tout leur semble possible avec Napo-
léon. cc SOIl but, dit un officier, était toujours de conclure
prornptement une paix gIorieuse... Le hasard, la fortune
n'enlraient pour rien dans nos réussites miraculeuses; ]e
ff
Ilie de Napoléon, sa sagesse, sa prévoyance laborieusc et
active préparaient tout, combinaient tout... if - " Pauvre
Alexandre! écrit un autre. L'armée russe n'est pas à mépriser
I Cf. t. IV, p. 359. Le Comit6 à Barthélemy, 26 juin 1795.
I ,l
fémo
'res de Sf:gur, Lejeune, Fantin des Odoards, Fezens3c, }Iarhot, Cae-
teH.we. Planat, Poug( t, Lahure, Rochechouart, Suremain, Læ\1'e n stcrn, com-
tesse l"otoeké1, Faber tin Faur, etc. - TßF.RY, Napo/ion en Rllssie (Revue de
PariJ). - VERESTCUAGliXK, 4.Vapo!éon 1-.. .n Russie.
576
LA GUERRE DË nuS-SIE. - 1812.
sans doute; un peuple nombreux attaqué dans ses foyers n ie
t
pas aisément subjugué, I'Espagne nous Ie prouve; mais df.
quoi ne viendrait pas à bout Ie grand Napoléon? " Les jeune&
croyaient pousser en Asie. (& - Que désirez-vous que je vou
rapporte des Indes? " disait un Français à une Polonaise.
" - De l\Ioscou Oú de Pétersbourg? " répliqua-t-elle. n - Ah !
il eit possible que nous passions par Ià, mais je pense que
TOUS préFérerez un plus rare butin. Nous aVOIlS salué les Pyra-
mides, iI serait juste maintenant d'aller voir un peu ce que
font nos rivaux d'outre-mer. " - " Ayant mené joyeuse vie,
raconte Castellane, je In'attendais à être incessamment la
proie d'un boulet ou possesseur d'une épaulette à torsades... "
Aucun n'imaginait ce qu'ils trouvèrent : la solitude; une
Espagne indéfìnie, plate, morne, déserte, plus sinistre et plus
désastreuse encore que l'autre. Napoléon avait armé tout Ie
continent contre la Russie; mais cet armement n' était qu'un
épouvantail immense. La machine lllilitaire, colossaIe et sub-
le, se détraqua dès qu' elle toucha Ie sol russe. Cette splen-
dide armée portait avec elle Ia falnine et la fiè'Te; eUe ne lais-
sail derrière elle, en réserve, que la défection.
Rien n 'avait été préparé, au Jépart contre I' élé, au retour
contre l'hiver. Rien ne tint contre Ie soleil inattendu, Ie soleil
6ubit du Nord, écrasant I'homn1e sur la terre lliolle el chaude;
contre la pluie qui délayait Ie sol, noyail les routes OÙ les
roues s'enrayaicnt dans les herbes détrempées, OÙ s'embour-
baient les voitures. Les chevaux crèvellt à Ia peine, Ie bétail
périt faule de nourriture fraîche; les hommes preunellt Iö
dysenteric. Napoléon avait calculé sans Ie climat exces.;if de
la Hus:5ic, surtout sans Ie ßénie national du pcuple russe. CC
qu'il en attendait Ie moins se pI'oduisit : il conlptail battre, Cll
ligne, des années organisécs et vivre sur Ie pays; les arluéc:;
disparurcnt, refusant la balaille, et, pour les retrOu\rer, ii
faUut, à leur suite, s'enfoncer dans Ie pays qui refusaitia vie I.
La déception fut ilnlnédiate. Ils avaicnt Franchi Ie Niémen
Voir ci-des8u8, p. 537, lei
on.eil, de Phull.
NAPOLÉON EN LITHUANIE, - 1812. 577
Ie 24 juin; dès le 30, un officier écrit å un anli : << Depuis deux
jours, nous somnles sans pain. Dne pluie continue achève
d 'abat
re nos troupes et nos chevaux... La quantité de che-
vaux qui meurent de fatigue et d'épuÍsement passe tout ce
qu 'on peut imaginer, en sorte qu' on a à craindre de laisser
en arrière In moitié de l'artillerie. La confiance qu'inspire
l'empereur soutient seule Ie courage des troupes... JJ Le
26 juin, Castellane, qui fait partie de la maison impériale :
{I J'ai dîné dans un cimetière avec Mortemart et ChabrilIan;
nous avons eu à grand 'peine du pain, grâce à un maitre
d'hôtel de l'empereur. Beaucoup de régiments n'en ont pas
depuis cinq jours... JJ L'ennemi se dérobant toujours, la
pIaine s'étendant démesurément, les Français se lassent et
5'inqui
tellt de celte invasion contre nature, invasion dans Ie
vide. Les vieux générallx murmurent, rapporte Planat; ils
voudraient qu'on s'arrêtât; ils craignent de voir Napoléon
entrainé par Ie désir d'entrer à
Io
cou. On manque de tout,
mêllle de juifs. Un of6.cier, qui ne les aime pas, Fantin, trouve
qu'en ces régions, il y a une chose pire que d'en être enCOffi-
bré, c'est de n'en pas rencontrer du tout. (( Les Juifs, si avides,
si souples, si Ìntelligents, avaient disparu, et, avec eux, nos
plus précieuses ressources. n Le pillage sévit, ent.rainant l'in-
discipline. Les soldats volent les provisions des officiers. Si
l'offìcier se plaint, Ie so]dat lui répond, comme ce lancier
entendu par CasteEanc, "que cela lui est bien aisé à dire,
qll'il mange à la tahle Ju général; que lui, Iancier, n'a pas
{fcÙté de pain depuis huiL jours )J ! Les voitures embarrassent
les cheln1h L'ernpercur ordonne de mettre Ie feu à la calèche
rle
1. d
N( rbollne qu'il arerçoit sur sa route. L'empereur
passé. N[u.bollne donne dix louis aUK soldats, et ils éteignent
'(1 feu qn'ils 'lvaient allumé.
Napoléon crf)Y
lt trouver la Lithuanie en armes, la Pologne
russe en insurrect.ion. II la voit avide d'espérances, rêvant la
Ilberlé, ma:s prudente, mais hésitante : les mag-nats tenaient
à leurs bIens et n'attachaient que peu de confiance aux pro-
messes des Français. II aurait fallu, pour les entratner,
Tn. 17
&'(8
LA GUEURE DE RUSSIE. - 1812.
quelque grand et significatif exemple. Napoléon ne donnait
que celui de l'incertitude; il n'avait pas osé faire du duché de
Varsovie le foyer qui aurait enflammé la Pologne. II se réser-
vail de disroser des terres polonaises à la paix, après avoir
usé rlu sang polon
i
pour la victoÍre. La Polo8'oe se réservait
de mên1e. El1e fête les Français, mals les lumières sont à peine
éteintes des fêtes offertes à Alexandre, la veille encore à
'Vilna. " Ces Polonais-ci sont bien différents de ceux de
Posen! " dit Nnpoléon. Ce
onl surtout les temps qui diffè..
rent; Ie lTIonde a vieilIi depuis 1806 et après Tilsit, après
Erfurt, trap d'illusions se sont é,,'anouies.
C'est dans 'Vilna morne et désertée que l'empereur reçut,
Ie l'r juilIel, Balachof, rC:lì\'oyé d'Alexanclre. L'entretien est
tragique. II
emblc que :N:lj)oléon argumente contre Iui-même
el chcl'che à s'ébIouir de
a propre fantasmagorie I. . J'ai trois
fois plus de f':H'CCS que "ous. Je sais autant que vous cOll1bien
de troupes YOllS avez, et peut-être mieux que vous. " Après
cette fanfaronnade, à l'italienne, les injures à l'antique :
. L'empereur Alexandrc est très IDal conseillé. Comment n'a-
t-il pas houte de rapprochcr de sa personne des gens viIs: un
.Armfeldt, h0l1H11e dé 1 H'ayé, intrigant, scélérat et perdu de
débauches, qui n'est C0I111U que par ses crimes, qui est l'en-
nen1Ï de la Russie; un Stein, chassé de sa patrie comme un
vaurien, un malveillant LiGut la tête est proscrite, mise à prix;
un Benningsen, qui a, <lit-on, quelques talents militaires que
je ne lui connais pas, mais qui a tr'elnpé ses mains dans Ie san6
de .son souveraill. . Des gens qui sont prêts à tireI' Ia cordE
qui peut trancher sa vie et qui cntrcnt librement dans SOT
cabinet, qu'il reçoit tête à tête... lIs Ie conduiront à I'abîme..
N'avez-vous pas honte? Depuis Pierre Ier, depuis que Ia Russi(
est une puissance européenue, jamais l' ellncmi n' a pénétfc
dans vos frontières, et nle voilà à "'Tilna! J'ai conquis une pro
vince enlière sans coup férir... " II juge, it disserte, il invec
tive, il provoque. lIs 111i refusent sa bataille, son Austcrlitz
I Relation de Balachof. TATUITOBEP.
NAPOLÊON EN LITHUANIE. - 18i2. 379
lottise, impéritie, làcheté! II ne les comprend pas. Armfedt
propose, Bennigsen délibère, Phull s'oppose et tous perdenl
leur telnps. - (& Sire, répond Balachof quand il peut placer
une parole, j'oserai prédire formellement que c'est une ter-
rible guerre que vous entreprenez. Ce sera une guerre de Ia
nation entière, qui fait une rnasse redoutabJe. Le soIdat russe
est franc, et Ie peuple attaché à sa patrie, et dévoué à son sou-
verain. - Non, Inonsieur! la Bussie ne veut pas la guerre...
Je ne peux pas ne pas avoir Ie dessus... J'irai jusqu'à vos
déserts. Je suis prêt à faire deux ou trois calnpagnes. -
Et nous quatre, cinq, peut-être davantage. J'ai
550,000 hOlnlnes au delà de la Vistule... J'annexerai la
Prusse... J) II conclut en proposant une négociation, un autre
Tilsit, sans doute. A diner, il harcèle Ie Russe de questions
auxquelles Balachof répond avec retenue et feflneté d'abord;
puis, touché en son honneur, il riposte et Ie coup porte -
cc Qu'est-ce que Moscou? Un grand village... COlnbien
d'églises? - Plus de deux cent quarante. - Pourquoi tant?
- Notre peuple est devot. - Bah! on n'est plus dévot de nos
jours. - Je vous delnande pardon, sire. On n'es! peut-être
plus dévot en A.lleluaffne et en Italic, mais on est encore dévot
en Espagne et en Bussie. tJ Au nom de I'Espagne, il se fait un
silence. Napoléon reprend : (& Quel est Ie chemin de
loscou?
- Sire, les Russes discnt, com me les Français, que tout chemin
mène à Ronle. On prend Ie chemin de
Ioscou à volonté :
Charles XII l'a vait pris par 'pultava... "
Napoléon relnit à Balachof une lettre pour Alexandre,
datée du I er juillet. II attendit quinze jours une réponse qui
ne vint point. II apprÍt alors la réunion de la diète de PoIogne
à 'T arsovie, Ie 1 er juillet, et Ies transports d' enthousiaslne qui
avaiellt 3ccueilli la proclalnation, par Ie vieux Czartoryski,
du rélablissernel1t de la P%gne.
Iais de Pradt, sans doute
pour faire sa caur à l'elnpereur et par souvenir de Brumaire,
jugea que les meilleurs parlements sont Ies plus silencieux
et que les sessions les pIns fécondes sont les plus courte&.
II cou!)a court a lX ovations dei PoIonais et déclara, après
580
LA GUERRE DE RUSSIE. - i81!.
deux séances, Ja diète close. Lorsque Ia députation de Ia diète
parut à \Vilna, attendant de la bouche de l'empereur la con..,
firluation du mot de CzartorYiki, Napoléon se rappela qu'il
était allié à I'Autriche, et que depuis cinquante ans toute
paix du Nord se cOllcluait aux dépens de la Pologne. Le
IUOt : la Po[ogne existe, ne fut pas prononcé. (I II faut, écri-
vait-il à de Pradt, qu'elle prouve qu'elle est restée vivante et
entière, qu' eUe peut exister COffilne nation indépcndante...
que ses forces réunies peuvent suffire à sa conservation... que
si elle reprend son existence, eUe saurait la conserver... que
ces pensées soient celles de Ia Confédération et de toutes les
provinces polonaises... 1) Rien n' était mieux fait pour para-
Iyser Ie zèle des Polonais de Russie, pour ralentir celui des
Varsoviens. Au découragement inévitable que provoquait ce
langase s'ajoutèrent les maladresses, Ies ridicules, la pré-
8omption de Pradt, faiseur, hâbleur, cabaleur d'église et de
chancellerie; brochurier, publiciste, grand semeur de bons
mots, politique de génie au dessert ou devant la chelninée,
qui montra jusqu'où peut aller, dans les affaires, Ia sottise
d'un homme d'esprit et queUe badauderie se cache sous les
facettes d'un caußeur.
Napoléon quitta 'Vilna Ie 16 juillet, y laissant
faret pour
recueillir les courriers et diriger les affaires étrangères du
Grand Empire, en ce déplacen1ent énorme de son centre de
gra
ité. (I Aucun agent diplomatique étranger ne doit rester
à Wilna JJ, lui manda Napoléon quelques jours après, Ie
29 juillet.
Iais Ie plus intéressé à transgresser cet ordre, Ie
Prussien, trouva moyen de surprendre Berthier et de tourner
la consignee II vint, on dut Ie recevoir; c'était un allié! .A.près
lui les autres, sans compter les aides de camp de Sch\varzen-
berg. C'est ainsi qu'à son grand regret et pour Ie plus grand
détriment de l'empereur, 1\{aret qui avait mission d'agiter et
d'arrner la Lithuanie, et d'entretenir un grand cabinet noir
pour les correspondances de tout pays, se vit environné de
i. de Krusemack et n autres espions moins honorables.,
pour parler comme Voltaire rar1e des ambassadeurs.
LA MARCHE SUR MOSCOU. - iSi!. 6g1
XI
Alexandre a concIu son alliance avec l' Angleterre Ie
18 juillet à OErebro- II s'épanouit en son nouveau person-
nage, cc son meilleur moi 11 , comine diraient ses nouveaux
thuriféraires, les philosophes d'Allenlagne ou les idéolog-ues
germanisants de I'Europe entière. Napoléon l'avait emporté
sur la montagne et lui avait montré les royaumes de la terre :
Alexandre avait détourné les yeux, mais non les mains; il
disait à Napoléon : (( Retire-toi, tentateur! )J mais il gardaitla
tentation, qui était J'elnpire de I'Europe et l'amour des Euro-
péens délivrés par lui. II envahira, mais par m1gnanimité
pure : il réprouve les u Ieçons à la
1achiavel)J du Corse saDS
principes. II a f( démasqué " Ie charlatanisme du vice.
Napoléon a rencontré <<'ia conscience )J et ses calculs ont été
confondus! Alexandre Ie croit, iI en triomphe, iI en rayonne;
il épanche sa foi dans Ie creur des Anglais, des AHemands,
des quelques Français qui échouent en Russie, chassés par
Napoléon, séduits par Ie charme de son vainquer de demain.
Et par eux cette nouvelle image d'Àlexandre, auréolé de génie,
aUK yeux mouilIés de larmes d'humanité,' brouilIard lumi-
neux où se dérobe sa pensée intime, va se répandre en
Europe, et préparer la grande illusion de 1814, que suivra
la grande déception de 1820. Tel il apparait à Mme de Staël
qui traverse la Russie, se rendant en Suède : a La porte s'ou-
vrit et l'empereur Alexandre me fit l'honneur de venir me
parler. Ce qui me frappa d'abord en lui, c'est une impres-
sion de bonté et de dignité telle que ces deux qualités parais-
sent inséparables. Je fus aussi très touchée de la simplicité
noble avec laquelle il aborda les grands intérêts de I'Europe"
dès les premières phrases qu'il voulut bien m'adresser..:
11 J' a du génie dans La vertu.... L'empereur me parla 8Tec
st
LA GUERRE DE nUSSIE. - i8tl.
enthousiasme de sa nation... 11m' exprÌ1na Ie désir... d'amé.
liorer Ie sort des paysans... - Sire, lui dis-je, votre carac-
lère est une constitution pour votre empire, et votre conscience
en est la garantie I. >>
Ces mots dans la bouche de la fille de Necker, de l'an1Íe
de Benjamin Constant, Ia cc CO.llstituante 1) de 179 I et de
l'al1 III, toujours en émoi de liberté, cela, au lendemain de
l'exil de Spéranski, trahissent à quel point Ie chanß"ement des
impressions est Iié au chaußen1ent de décor et Ie peu que
pèsent les principes chez ceux qui s'en piquent Ie plus,
lorsque l'amour-propre est en jeu. Alexandre la flatta par OÙ
Napoléon l'avait blessée : il parut l'associer à sa gloire, et
eUe l'aclmira de tonte la force de la haine qui l'aveuglait sur
Napoleon. Bonaparte l'avait déconcertée, Alexandre I' exaIte.
De ses belles mains d'cmpereur, de ces mains caressées par
Catherine la Grande, augustes Oet blanches, ilIa consacre
muse de la coalition. Corinne au palais d 'hi ver! II aborde
avec eUe IC le
grands intérêts de I'Enrope ". II lui parle
IC comlne auraient pu fa
re les hommes d'État de l'Angle-
terre " . Et sur son exemple, toute sa cour. Si Ie libéralisme
est de cOlnmande, l'hospitalité est sincère, et c'est la plus
large du monde. Ils acclament en elle r ennerrue de Napo-
léon, la dépréciatrice implacable de son enlpire. Elle ren-
contre Stein et lui lit un chapitre de son livre de L'Allernoglle
proscrit comille eux. Dans cet éblouissement d'elle-rnème, en
cette galerie des glaces OÙ iis se prornènent, cUe en vient à
placer Pierre Ie Grand au-dessus de Richelicu (( qui n'a f::\Ït
que gouverner tyranniqucIucnt au dedans et astucielì
Cn}ent
au dehors ". Elle lone Bernadotte, elle vanle
lorenu, c
s
héros de la liberté, seuls capaLles de crever l' épouvanlail et
de découvrir à l'univers Ie vide de Napoléon!
Conlme les rôles se renversaicnl, les paroles se faussèrent.
On n'entendit plus parler, dans les palais ct dans les chancel-
leries, que d'indépcndance de I'Europe ?l de liberté del
1 Di
.nn!e, d'e:dl, chap. X.III. - Cf. t. VI, p. 23
.
I. A
I ARC II E SUR
I 0 S C 0 U. - 181!. 583
peuptes. C'était la musique à la Inode : tout Ie monde courut
it rOpéra. Des boyards plcurèrent d'enthousia:-;lllc comlne à la
p rise d' lIne nouvelle Bastille I. Tout s' écl:lÏra de la Illmière
uou,'cllc qui se levait sur Ie Inonde. Les alnis de I'Angleterre
!o\e réveilIèrent amis du genre humain; les lllnis de l'hu-
lnanité se sentircnt transformés en an1is de l'....\..nGletcrre." Je
vis, rapporte
Ime de Slaël, Botter sur la Néva Ie pavilIon
anglais, signal de la libCl'té... Après dix alHlées, pendant
IcsqucIles les succès et. les revers avaient toujours trouvé Ies
Allglais fidèles à In. boussole de leur polilique, la conscience,
ils revenaicllt en fin dans Ie pays qui, Ie pren1Ïer, s'affr
lnchis-
sait de la mon3n..:hic lHÚ \-erselle. Leur accent, leur silnplicité,
leur fierlé, tout réveillnit dans l'âlue I
scnlinlt3n t <.J u vrai de
to utes choses que Napoléon a trouvé raft J.'oLscurcir... La
Inusique du COlnte Grlof no us 6t cntendre rail' anglais God
save the king,. nous applaudîmcs à eel air natinllal pOllr lOI.'S
les Européens, car il n'y a plus qí1C deux esp
'ccg d110mn1c8
en Europe, ceux qui servent la tyrannic ct ceux qui
avent
la haïr. )) Les Tchèques restaient dcs incollnus, les J r1andais
n'avaient jamais COlllpté, les PoloD3is ne comptaient déjà plus
aux yeux de ces lihérateurs. Rhétorique de la coalition,
aussi mente use que celie du coslnopolilisrne révoIutionnairc;
délournement des idées, détorquement des IDots, fantasma-
fforie à duper les éternels illusionnés d'idçal et d'humanifé,
å servir les éternels dupeurs d'hommes et les constructeurs
d'empil'es.
Mme de Staël enguirlandée de la sorte, la lyre rnontée å ce
diapason, c'étail ponr Alexandre Ie prestige assuré sur tout
un grand parti en France, les mécontents, les disgraciés et
les cOD1blés, tons intéressés désonnais à la chute du maitre: ce
parti ayait TalleYl'and pour nlÏnistre secret; il lui fallait une
épée et un panache. Alexandre les lrouvait dans Bernaùotte.
bne de Slaël l'avait souhaité au Conslllat; ses anlis
t eUe
comrnençaient à penseI' à lui pour la couronne, Ce Gascon
\ Cfo a. II. p. to, !6.
ðSf4.
LA GUEURE DE RUSSIE. - 1812.
majestueux, vaillant et retors leur imposait sans les effarou-
cher.
Alexandre Ie reçut à Abo, en Finlande, dans les derniers
jours d'aoüt : leurs arrière-pensées se rencontraient; ils s'ac-
cordèrent aisément sur les prétextes. Dans la Iutte qu'il entre-
prenait contre Napoléon et qui était, de sa part, une lutte
sans merci, Alexandre se reportait tout naturellement à ses
projets de 1804, qui avaient été la première pensée et qui
demeuraient la pensée maitresse de son règne : anéantir en
Europe l'æuvre de la Révolution française, substituer à l'hé-
gémonie française I'hégén1onie de la Russie, détrôner Napo-
léon, refouler la France et se faire, par un coup d'adresse
prodigieux, mais qui ne dépassait pas son art, Ie charn1eur,
que dis-je? ridole de cette France dilninuée, rétrécie; y placer
un prince de sa façon qui demeurerait son lieutenant, éviter
les Bourbons qui Ie prenaient de trop haut dans l'histoire
avec les empereurs de promotion récente; rom pre Ia prescrip-
tion de Ia légitimiLé en mêIne temps qu'il ruinerait la Révolution,
Ie tout sous Ie Inasque du libéralisme I . Dans Ie partage du Grand
Empire, il se serait ainsi taiIlé, pour sa part, deux Polognes,
I'une dont il serait Ie roi; l'autre en France, dont il eot été Ie
protecteur; ajoutez une Prusse sauvée par lui et dont Ie roi
eût été réduit au rôle d'adjudant russe et de gardien auguste
des portes de I'empire, ce n'était pas une combinaison
médiocre. Bernadotte y trouvait son personnage qui n'était
pas mince, c'était celui de roi de France par I'acclamation du
peuple français et la grâce de Sa
iajesté l' empereur de toutes
les Russies. lIs signèrent un second traité, Ie 30 août, qui
portait à 35,000 hommes Ie corps russe promis å la Suède:
à défaut de la Norvège, si Ie Danemark 8'y refusait, Berna-
dotte aurait la Zélande. En réciprocité, il reconn
issait à la
Russie Ie droit de s'étendre jusqu'à Ia Vistule. Puis, par un
article secret, ils se promettaient, en cas d'attaque de qui-
conque, un seconrs de 12 à 15,000 hommes. Cela fait,
I !oir t. VI, p. 305, 388-390,
1
.
LA MARCHE SUR MOSCOU. - i8l!. 585
.Alexandre revient à Pétersbourg, et expédie en Suède Mme de
Staël, convaincue que l'alliance est son æuvre et décidée à
pousser conlre Napoléon la guerre d'éloquence et à tenir
Bernadotte en humeur de coalition, ce qui ne sera point inu-
tile, car NapoIéon avance, et l'on peut croirè, un moment,
qu' encore une fois il restera vainqueur I.
Cependant Ie salut de la Bussie s'opère ; mais, phénomène
étrange, ni la cour, ni Ie gouvernement, ni l'empereur, ni les
généraux, ni les armées n'en sont Ie véritable instrulnent. La
Russie est sauvée par Ie peuple russe, elle ne s'en doute pas,
et elle ne Ie comprend point. Ce peuple était né å la cons-
cience nationale par I'invasion des Tartares musulmans et des
PoIonais catholiques, marchant l'un et I'autre sur l\Ioscou, la
viIJe sainte de l'orthodoxie. Les siècles avaient passé : la
légende se réaliserait-eIle, reverrait-on la délivrance? Les
Busses ne se connaissaicnt point; on ne les connaissait pas;
Mme de Staël en eut l'intuition, et ce fut un trait de génie :
. Ce peuple possède des réserves de vertu nationale à étonner
Ie monde. ), - (I QueUe nation, écrivait un vieux Russe
après révénement, comme eUe a été peu connue, non seu-
lement des étrangers, mais mêlne de son propre gouverne-
ment, qui croit que nous avons besoin des AUemands, et que
sallS les Finnois, les Esthoniells, les Livoniens, les Courlan-
dais, les Prussiens et les Wurtembergeois, qui rempJissent la
cour et tOllS les départements, la Russie serait perdue i ! J)
Lorsque l'on vit partir l'armée pour affronter Napoléol1 et
les Français, iI se fit un grand vide dans les âmes : il sembla
que Ie cæur de I'État s'en allait; on se rappela 1805 et 1807 1 .
Et pour couvrir cette armée, pour l'abriter en cas de désastre
ni refuges, ni forteresses, ni barrages: des villes de bois, des
chaumières disséminées, de pauvres gens ignorants, désarmés,
éparpillés, effarés. Et ce furent précisément ces pauvres gens
· GAUTIER, chap. xn.
I Lettre de W oronzof. Londres, novemhre 1812. Arch. Woronzof, t. VIII.
I Cel battements du cæur rusee, ces perplexité. d'imaßination, ce fonds de
croyance instinctive dans l'inconnu et de révolte contre Ie doute raisonné et l'e
-
périence, lont admirablement exprimés par TvLSTOï, la Guerre et la Paix.
68ft
LA GUEIiUE DE RUSSIE. - is!!.
qui préservèrent l'arlllée, la conservèrent à In Bussie ef mireï: t
entre elle et l'envahisseur Ie bùcher de leurs chaun1Îères, la
harrière de flalnlnes de ]eurs villes de bois. Guerrc SaUYHge,
guerre d'incendie, ffuerre de destruction d'eux-Inêlnes et par
eux-mêmes : brûler leurs denlcures, leurs Dlaff3.siIlS, leurs
récoItes; anéantir leur bélail, énlÏgrer dans la détresse; fûir
devant l'ennemi en lui livrant Ia terre, Ies cités, Ie pauvre
héritage des ancêtres, les églises, sauvant à peine les saintes
icones! Guerre de désespoir OÙ ron n'oppose à un hOIJlme qui
est tout, peut tout, triolIlphe de tout, que Ie vide d'un pays
imrnense, Ie néant d'un peuple en dispersion. Elle se person-
nifìe en ces deux lypes étrangcs ct inattendus de héros, au
pays de Souvorof et au siècle de l'offcllsive : un fanatiqllc qui
incendie la capitale; Uostopchine, un nlystique qui se retire
devant Ie flot, attendant que Ia main de Dieu rabatte sur Ie
Pharaon les eaux é{:arlées de la tIler Houge, I{outousof. On a
épouvanté Ies Russes de Napoléon et de son armée, cet autre
AttiIa, cet autre TilnOi1r, Inonstrueux, féroce, satanique,
entraînanL des hordes, d'impies iconoclastes, viola leurs de
cOlnent.s, profanateurs d'éalises. lIs voient " des troupeaux
de bétail conduits par des soldats, de longues files de voitures
chargées de vivres u, suivant les colonnes de troupes déban-
dées, pillardes, semnnt les cadavres, (( annonçant plutôt l'émi-
ßration d'un peuple de nomades que Ia marche de Ia première
armée du lnonde conduite par Ie plus grand capitaine de son
siècle I " . - n Je m'attachai, écrit Rostopchine, à prémunir Ie
peuple contre les insinuations perfides et l'accoutumer à
n1épriser les Frallçais, en lui promettant une victoire facile
par la persévérance et Ie courage... J'ai réussi parfaitement
à inspirer du mépris au pays an pour Ie soldat frllnçais...
Vous Iouez Ulon patriotisme! mai
combien de gens m'ont
lurpassé! Les paysans qui brûIaien t eux-mêmes leurs mai-
SOilS... " lIs brûlent aussi
es châteaux, Ia guerre nationale
se double d'une jacquerie, et Ie patriotisme déchaine la bête
F..la I)" F.ua. - Sur la ri"e droite de I. Duna, !5 juiUI& i
il..
LA MARCIfE SUR
IOSCOU. - 18it. 887
f'éroce. a Les partisans, les Cosaques massacraient tout ce
qu'ils trouvaient, tantôt en attaquant de vive force, tantôt par
la ruse et par la trahison. t) Fanatisme patriotique attisé par
Ie fanatisme religieux. C& Mahomet était moins aimé et obéi
que nIoi, et tout ce]a avec des paroles, beaucoup de charla-
tanisme et point de sévérité 1... t) J usqu 'au massacre y com-
pris, la victirne jetée à la foule, et l'affreuse catastrophe de
Verestchagine. La Bussie renouvelle, à la fois, en son costume
à eUe et en son laußage, la guerre de Cent Ans et la guerre de
la République en France. Tout Ie ffénie des guerriers fran-
çais 5'y dérouta, et pourtant c'était Ie lnêlne génie qui mou-
vait les hOlnmes : l'attache de l'homme au sol, Ia con6.ance
en Ie ciel natal oÙ s' exhaleront les ånles des héros morts,
plus encore que la piété envers la terre OÙ dormiront leurs
corps; la croyance en Ie Dieu qu'ils porlent dans leur cæur;
pour les Français, naGuère, la patrie eL la Révolution; ici,
Ie tsar qui personni6e ce dieu : Ie grand mystère des rédemp-
tions populaircs.
Le cycle avait commencé par Ia rési
tance nationale des
Français; il 6.nit par celIe des Russes. L'esprit national con-
tinua de tout conduire et de tout anin1er : il avait mené les
Fran
ais à i\{oscou; it allait mener, sur leurs pas, les Russes å
Paris. L'an1iral Tchilchagof écrivait à Alexandre, au commen-
cement d'août : " L'expérience a constaté que Napoléon, qui
a triomphé successivement de toutes les guerres du cabinet et
des conseils, a succombé infail1iblement à tontes celles qui
ant été nationales... Or, par la manière dont Votre l\Ia.jesté
'y preud, en éleclrisRllt les esprits des sujets qui ne désirent
que de l'adol'er el en les faisant participer volontairement à
ce but, elle nationalise la guerre, et par conséquent oppose
une force invincible à son ennemi... Napoléon reucontre à
chaque pas Ie contraire de ce qu'il attend. II doiL craindre de
s'enfoncer dans lÏnlérieur el cependant, it y est entraîné,
pour aiDsi dire, maIgré lui.
I Leure de ROltopchine, 28 avril 1813. Ãrch. WOI'onlo/, t. VIII.
8B
LA GUERRE DE RUSSIE. - i8it.
Cette stratégie renversée n'était comprise aIors ni de
I'armée russe, oi du peuple des villes, ni du monde de la
court Alexandre dut se résigner à Iivrer une bataille, pour
I'honneur des armes, et Koutousof I'offrit, sur la route de
Moscou, comprenant que si la n marche inévitable des faits"
voulait que l' arnlée française pérît dans son triomphe, it ne
pouv8.it cependant, après tant de sacrifices, livrer Moscou å
l' ennemi, sans l' avoir défendue; Ie peuple se croirait trahi et
toute son exaltation tomberait.
Enfìn! Napoléon allait avoir sa bataille. Le l.r septelnbre, iJ
Tit que les Busses la présentaient. II apprit, Ie 2, que
laT-
mont s'était fail fait battre, Ie 22 juillet, aux Arapiles; que
Madrid était perdu, Joseph en retraite. Un grand succès
aux portes de
{oscou a!lait tout rétablir! La bataille eut lieu
Ie 6 septembre, la plus acharnée, la plus sanglante qu'on eftt
livrée depuis Ie commencement de 18. B"uerre; un E
l'lau dans
la poussière et Ie soleil, plus meurtrier que l'autre et tout
aussi incertain. La journée ne passa pour victoire française
que par la retraite des Russes, et les Russes, en partant,
tiraient les Français å l'abhne. Koutousof, par sa re, traite
conserva son armée; Napoléon, en avançant, perdit la sienne.
Le 14 septenlbre, I{outousof évacua
Ioscou; aussitôt, Bostop-
chine y mit Ie feu.
Les Français avancent, impatients d'atteindre Ia ville où ils
trouveront l'abondance et les plaisirs, une halte orientale sur
la'route des Indes, à l'entrée du pays des voluptés et des mer-
veilles. II J'eusse préféré Pétersbourg, écrit un officier, parce
que là est Ie trône des tsars et que Napoléon a consacré l'usage
de dieter la paix dans Ie palais de son ennemi; mais on m' ob-
jecte que
foscou est la vraie capitaIe de Ia Bussie, la vilIe la
plus riche.:. Je erois, d 'ailleurs, qu'il convient de ne pas trop
DOUS éloigner des provinces turques, car il faut qu 'après un
bon traité d'alliance avec Alexandre qui, bon gré, mal gré,
sera entrainé, COlnme les autres, à notre suite, nous aIlions
å Constantinople l'an prochain, et, de lA, dans I'Inde. Ce
n'est que chargée des diamants de Golconde et des tissus
LA 1\IARCHE SUR MOSCOU. - i81t. 588
de Cachemire que la Grande Armée reverra la France! II
lis marchent à l\Ioscou comme à la terre promise. "Toutes
les fois que nous atteignions Ie sommet d'une hauteur, nos
yeux se lassaient à chercher ce but dans les tourbillons de
fumée et de poussière qui, devant nous, obscurcissaient I'ho-
rizon. Voilà, que tout à coup, un cri, poussé par les colonnes
qui nous devancent, révèle l'apparition tant désirée. On se
serre, on se hâte, et bientôt des voix inn0111brabies se mettent
à crier: u
loscou!
{oscou! " comme notre armée d'Égypte
avait crié : "Thèbes! Thèbes! 1J en apercevant les ruines soli-
taires de la cité aux cent portes, comme les croisés avaient
jadis crié : " Jérusalem! J érusalem! If à l'aspect de la cité
sainte... 1J l\Ioscou, en effet, est une cité sainte, mais eUe ne
rest que pour les Busses; nos gens n'ont rien des croisés, au
moins de ceux qui songeaient à purifier les sanctuaires et à
chasser l'infidèle. Castellane Ie note ingénument : n Le lundi
14 septenlbre, nous sommes entrés à l\foscou. Notre joie d'être
dans cette capitale est excessive... - 15 septembre: l'incendie
de
Ioscou fait de grands progrès... " lIs se 6guraient une
Capoue asiatique, iis trouvent de longs monceaux de ruines et
de cendres. 1J I-Ierculanum et Pompéi encore chaudes du
volcano mais déjà désertées. " Quand on atteillt certains quar-
tiers que les flammes ont épargnés, on est frappé du silence
funèbre qui y règne. Personne dans les rues, personne dans
les temples. Tout est mort. Ces palais, vides de meubles
comme d'habitants, ne retentissent que du bruit de vos pas. "
II n'y a de peuplées que les rues où 1'0n pille. Tout abonde et
l' on manque de tout.
Cependant, l' empereur passe des revues, signe des décrets,
8'occupe des comédiens de Paris, se donne Ie spectacle du
gouvernenlent. Les généraux se plaignent. t, lis allaient
jus0u'à Ie traiter de fou et disaient qu'il voulait nous faire tous
périr, jusqu'au dernier. " Dès qu'on parle du départ, fa con-
fiance renait. n Le temps est maintenant superbe, écrit un
militaire; l'automne ne montre pas, en France, un ciel plus
bleu, un soleil plus chaud, un air plus' doux; mais l'hivcr,
590
LA GUERRE DE RUSSIE. - i8i!.
<lit-on, se manifeste ici très brusquement. Au reste, no.
rét1exions ne no us laissent pas la plus légère inquiétude :
Napoléon est là, II Et un autre: " On cornpte sur un départ
très prochain. On parle d' aller dans I' Inde. N ous avons une
telle connance que nous ne raisonnons pas sur la possibilité
du succès d'une telle entreprise, mais sur Ie nombre de mois
de marche nécessaires, sur Ie temps que les lettres mettraient
à venir en France. Nous sommes accoutumés à l'infaillibilité
de l'empereur... "
lais Napoléon sentait cette infaillibilité en défaut. II atten-
dait la négociation, comme il avait attendu la bataille. L'usage
était qu'après une Grande victoire - et il estimait telle la
journée de la Moskova - les négociateurs parussent aux
avant-postes. Or, personne ne venait. II se décida, Ie 20 sep-
tembre, à écrire au tsar une lettre qui, mieux que tout autre
témoignage, montre Ie désarroi profond OÙ cette guerre
anormale l'avait jeté. Naguère, iI se plaignait à l'envoyé
d'Alexandre que les Busses, contre toutes les règles, ne lui
offrissent point la bataille rangée où il les détruirait. Celle
fois, il se plaint à Alexandre luÍ-mêIne du ravage qui lui rend
impossible Ie séjour dans sa conquête. (I La belle et superbe
ville de Moscou n' existe plus. Rostopchine l'a fait brùler...
C'est la conduite que l'on a tenue depuis SmoIensk, co qui
a mis cent mille familIes à la mendicité... L'humanité, les
intérêts de Votre
Iajesté et de celte grande ville voulaient
qu'elle me fût confìée en dépôt, puisque l'arlnée russe la
découvrait : on de
ait y laisser des administrations, des
magistrats et des ffardes civils. C'est ainsi que l'on a fait à
Vienne, deux Eois, à Berlin, à
Iadrid... Je fais la guerre à
Votre
Iajesté sans anilnosité : un billet d'eIle, avant ou après
la dernière bataille, eût arrêté ma marche, et j'eusse voulu
être à mêJße de lui sacrifier l'avantage d'enLrer
an&
Moscou. .. ....
Là RETILiITE. - i8il.
IØi
XII
" Plus de paix avec Napoléon! s'écria Alexandre en appre-
nant I'cntl'éc des Fl'ançais au Kremlin. Lui ou moi, moi ou
I ui! (\OUS ne pou\'ons plus régner ensemble! II II tint 18 lettre
<.Iu 20 scptenlbrc pour pure" fanfaronnade)) . -. C'est
{oscou
"ide qui est tombée aux mains de l'ennemi, écrit-il à Berna-
dotte Ie ler octobre. Celte perte est cruelle, j'en conviens.
r,!ais t du ßloins, Ine donnera-t-elle l'occasion de présenter à
I'Europe entière Ia plus grande preuve que je puisse offrir de
ma persévérance à soutenir la Iutte contre son oppresseur,
car, après cette pIaie, toutes les autres ne sont que des égra-
tigoures... Moi el La nation à la têle de laquellc j' ai l'!tonlleur de
rne u'ouver, sommes déci(
és à persévérer et à nous ensevelir
pIutôt dans les ruines de I'empire que de composer avec I'At-
tila moderne. II Ce furent pour Alexandre ses grands jonrs,
ses jours de magnanilnité. II fut peuple: la grande et simple
inspiration qui animait alors la Bussie, Ie transfigure, å son
tour. " Ce qu'il y a de mieux, écrit'Voronzof, est que l'empe-
renr paraît partager les sentiments de sa brave et généreusc
nation... Quand un emp
rcur de Bussie seconde Ie sentiment
national dans une cause nationale. .., cet empereur est Ie
plus puissant souverain de l'univers... "
C'est done la guerre å outrance; iI y sacri6era tout, même
Pétersbourff; mais, s'il réussit à détruire NapoIéon, à Ie
chasser, iI ne s'arrêtera point à la frontière du Grand Empire.
II retournera contre Napoléon la coalition et il s'occupe déjà de
resserrer les liens. 11 dépêche à Londres Ie prince de Lieven :
" Je ne ferai pas la paix, lui dit-il, tant que je n'aurai pas
refoulé l'ennemi hors de nos frontières, dussé-je, avant d'y
parvenir, me retirer au delà de Kasan. Tant que j'aurai à
défendre Ie territoire russe, je ne réclame de l'Angleterre que
SQ!
LA GUERRE DE RUSSIE. - 'Sf!.
des Inunition
et des armes. Lorsque, avec l'aide de la Provi.
dence, j'aurai repoussé l"ennemi hors de nos frontières, je
ne m'arrêterai pas là, et ce n'est qu'alors que je m'entendrai
avec I'Angleterre sur l'assistance la plus effieace que j'aurai à
réclamer d'eJIe, pour parvenir à Iibérer l'Europe du joug
français. )) Lieven fit route par Stockholm, OÙ il trouva Berna-
dotte rassuré par l'incendie, supputant Ie désastre des Fran-
çais, endoctriné par Mn1e de Staël; illuminé, par avance, de
l'esprit de la coalition, vraiment touché de la grâce royale
puisqu'il pensait à dépouiller des rois I. Alexandre lui avait
promis la Norvège; mais lui, non plus, ne voulait pas s'arrêter
là; il lui fallait Copenhague. Le roi de Danemark méritait
ce chãtiment pour sa félonie envers I'Europe, sa 6délité
coupable à Napoléon. cc L'histoire, dit-iI avec son emphase
gasconne nourrie de rhétorique directoriale, aura des pages
pour Napoléon et des volumes pour Alexandre. Dites à l'em-
pereur que je suis et que je serai toujours Ie même qu'il
m'a vu à Abo... II
A I'Autriche et à la Prusse, Alexandre fit rendre compte et
de ses résolutions inébranlables et des forces que lui procurait
Ie dévouement de son peuple 2. (I L'eInpereur, écrivait, en son
nom, Lieven aux Autrichiens, veut assurer sur des bases
solides l'indépendance et la prospérité de son empire, et iI ne
croirait point y avoir réussi si In Prusse et I'Autriche n'étaient
point replacées au rang d'États indépelldants. Ses intérêls à
eet égard sont les vôtres. JJ Et à la Prusse: "Unissez-vous å
l'Autriche pour concourir à ce grand but... Le parti qu'a pris
Ie roi de Prusse de se joindre aux cnnemis de la Russie est
excusé dans Ie creur de l'empereur; il ne demande P
1g mieu:\.
que d'en effacer Ie souvenir, et si un des royaumes élevés par
la main de Napoléon pouvait être détruit, ce ne sera point à
elle, mais à ses alliés que la Rllssie déclare en procurer la
dépouille. Présentez à I'Autricne nos illtérêts communs;
1 R;tpport de Lieven, 17 novernbre 1.81.2.
51 Rapports de Schæler, fin septembre. - Lettre de Lievcn à Vienne el \
Berlin, 2 octobre 1.tH2. - ONCKEN, O. ulld p
LA RETRAITE. - 1812.
593
montrez-Iui la chute de l'clnpereur Napoléon et 10. liberté de
J'Europe conlnH
résultat iuunédiat de volre défection à Ia
cause ùe la France... " On ::;avait lire à Berlin comIne à
Vienne : les royaumes à dépouiller, c'étaientla Saxe au profit
de Ia Prut:;se, Ie royaulue d "Italie au profit de 1'.A..utriche. Alo-
peus l'avait dit en propres tcrlne8 à .Yicnue. Alexandre le dit
bieulôl très clail'Clnent au colonel prussiell Doyen, réfugié en
UUb0ie : h SïI Y acc
Je - le roi de Prusse - je lui garüntis
non sculClucut toulcs se::; possessions actuelles; mnis je III
en-
Gúue d ne poser lcs anncs que IOl'squ'il sera rentré dans la
po
s
)sion d8 toutcs les pro' illCCS qu'il a pcrJues en Allemagne,
ou HUffA. él
ÎnJcrúnisé d'unc autre rnanièl'c, nommément par
la Saxe qui lIte parait convenable pour cela. " Quànt à Ia
défection Ju corps auxiliaire prussien, des élnissaires la pré-
parüicnt. Dès Ie 22 septenlLre, Ie g-énéral russe Essen, qui
com.mandaÌt à nit;a, avail écrit à York, et la correðPondance,
enhunée, sc continua.
IlardcaLcrg rcçut, à peu de distance, la Icttre de Lieven et
Ulle letlre de
leUernich du 5 octobre : "Jc ne sépare et ne
séparerai jumai
les intérèts de llO.;; ùeux pays. n Hien de pos-
sible ðans I'.Autriche, dit Frédéric-Guillaunlc, Inais (& si l'Au-
triche nous assiste, je n'hesiterais pas à chaugcr de système et
à rassembler tons nos llloyens pour faire une tentative de
récupércr Botre inJépeudance et secouer le jouff étranger 1. ",
Tandis que se détachaient ai 113i, 61 par fil, les trames
im[uenses et subtilcs ùe Napoléoll, que rien ne se soutenait
plus que par Ie preðlig-e de sa force, ct par la force réeIle de
son armée, cette afluée se dissoh ait à
foscou et ce prestige
subissait la plus ina.tlendue, l
plus ridicule et, en même
tell1pS, la plus fuueste des atleiHtes. .A.leÀandre voyait son
pouvoir) sorti de5 complot:; et de l'assassinat, se consacrer et
se retren1 per dans l'affcction l1ationule; 011 "it la puissance de
Napoléon, fOlldée sur la cOIl;-,écration populaire, péricliter
un matin, duns nne de ces avent\.lres de caserne où plus d'un
I Rapport de Zichy, 29 oclobre 1812.
VII.
a.
5 Or,.
LA. GUEUUE DE RUSSIE. - 181!.
souverain russe avait péri : épisode de mélodrame, discordant,
en cette immense tragédie I.
Toutes les campagnes précédentes avaient laissé à Paris una
trainée d'inquiétude : celle-ci laissait de l'anxiété. II Je you.
dis que c' est un hon1me perdu" , déclarait Decrès, Ie ministre
de la marine, au préfet de police Pasquier. Beaucoup crai.
gnaient une catastrophe; d'aulres, comme Talleyrand et sea
affidés, se flattaient que Napoléon n'en reviendrait pas et
que, la place nettoyée, la table rase, I'Europe opérerait,
pour Ie plus grand repos du peuple français et la plus grande
prospérité des béné6.ciaires de I'empire.. II 'Y eut, en juillet,
une sorle. de complot milítaire, mêlé d'espionDage anglais, 4
Toulon : un comité forIné pour soulever Ie Midi, comme
en 1793, et livrer l'arsenal. Le coup fait à Toulon, r"IarseiIIe se
livrero.it; puis Bernadotte arriverait e.vec une armée, et tout
Ie Midi se mettrait en marche sur la capitale! II y avait alors,
enfermé dans une maison de santé de Paris, un détenu poli-
tique, Malet, ancien général, rayé de I'armée en 1807, relå-
ché, puis repris en 1809, voué aux cOlnplots, et portant dans
ses machines cette audace et cette simplicité qui font les cons-
pirateurs redoutables. En 1809, au temps d'Essling, iI pro-
jetait de s'échapper, un jour de Te Deum; de courir à Notre-
Dame en uniforme, précédé de tambou.rs, et de crier :
. Bonaparte est mort, vive la liberté! II II comptait sur Ie
désarroi, Ie gåchis, la lâcheté de tous. L'affaire fut éventée.
En octobre 1812, l'occasion lui parutbonne à Ia reprendre:
peu de complices; de pauvres diables, fascinés, qui travail-
laient à recruter, -parmi les mécontents de l'armée, les baa
grades; des fanatiques on seulcment des agités. Un secret pro-
fond: les hommes qui devaient servir Ie plus Malet ne soup-
çonnaient même pas ses desseins. Avec une pénétration vrai.
ment remarquable du personnage joué par chacun et de sea
pensées secrètes,
Ial1ct rédigea un sénatus-consulte annonçant
la mort de Napoléon, survenue Ie 7 oClobre, et organisant un
· J',lémoire8 de Pa.quier, de Miot. - GUiLLON, ,., Complotl militairel.
- LJl:NÔTRE.
LA RETRAITE. - 1812.
595
gouvernernent provigoire : Moreau en était Ie président,
Carnot Ie vice-présidellt. On y voyait réunis les mécontents,
les frondeurs, les prélendus disgraciés : AUffereau t Destutt
de Tracy, Frochot, Garat, I
ambrecht,
Iathieu de
Iontmo-
reuey, Alexis de :8oailles, Truguet, Volney,
[3Iet, en6n, qui
se nommait, par son premier décret, cOInmandant de la
I" division militaire, avec Lecourbe, pour gouverneur de
Paris. Puis cette proclamation au peuple : " Citoyens, Ie tyran
est tombé sous les coups des vengeurs de l'humanité. " Des
ordres, minutieusement et adroitement disposés, devaient
mettre sur pied la Garde ftationale. Les chefs, choisis par
!\IaIet, recevraient leur pli cacheté : iIs avaient été dresséi å
ne s'étonner de rien; i1s obéiraient parce qu'ils étaient mili-
taires, comme en Fructidor, comme en Brumaire. Les gou-
vernants seraient arrêtés, les ministères occupés, Ie télé-
graphe et la poste séquestrés; Paris se réveillerait avec un gou-
vernement et annoncerait å la France une révolution de plus.
Dansla nuit du 22 au 23 octobre,
Ialet sortit de Ia maison
de santé, se rendit dans une maison silre, revêtit son uni.
forme; it avalt deux affidés : il costuma I 'un en aide de camp,
l'autre en commissaire de police; entra dans la caserne voi-
sine, Popincourt, exhiba Ie sénatus-consulte, se fit donner un
détachement de Garde nationale, emmena des soldats de Id
garde, occupa la Banque et Ie Trésor, délivra les généraux
républicains Lahorie et Guidal, qui De se doutaient de rien,
mais qui se prêtèrent à tout. Lahorie arrêta Ie ministre de la
police, Savary, et l'envoya à la Force avec Desmarets, Ie chef
de la police politique.
Ialet arrêta Ie préfet de police Pas-
quier, et s'en alIa prendre Hulin, dont it usurpait les fonc-
tions, et qu'il lallait déloger du gouvernement militaire de
Paris. Hulin résista : ce ci-devant vainqueur de la Bastille et
terroriste ne pouvait pas croire à la mort de l' empereur. Le
commandant Laborde se défendit également. Malet tira sur
Hulin; il tenta de tirer sur Laborde. II s' ensuivit une bagarre.
Cependant, Lahorie et Guidal étaient allés déjeuner au
cabaret. Laborde eut Ie temps de saisir Malet, de r enfermer i
596
LA GUERRE D:È: RUSSIE. - 1812.
après quoi, iI se présenta aux troupes et dévoila lïmposture.
Le coup était manqué.
{ais il avail failli réussir. Fouché n'était pas à Paris pour
retourner Ie jeu; Clarke perdit Ia tête; Cambacérès se lamen-
tait; les gens d'esprit se réservaient; les timides attendaient
l'événement. Les lneneurs sous les verrous, Ie gouvernemellt
se ressaisit. Ce n'en était pas moins un terrible coup de sonde
et qui révé)ait l' abcès caché. Si Ie fait s' était vérifié, si Napo-
léon réellen1ent était mort, qu'en serait-il advenu et comment
Ie serait dénouée l'aventure? A quoi tenait done cette formi-
dable machine de l'empire; qu'il était done aisé d'en ôter la
clef de voûte et de tout faire crouler! Un \Valcheren poli-
tique, infÌninlent plus grave que l'autre, par les symptômes
qu'il découvrait.
Cependant, Napoléon s'avouait déconcerté, sinon vaincu.
Dans Ie temps même OÙ se faisait à Paris ce léger trenlble-
ment de terre et OÙ s'ouvrait cette inquiétante crevasse, la
Grande Armée commençait sa navigation å la dérive et s' en
aIlait au naufrage. Ni batailIe, ni négociations; Alexandre
n'avait pas répondu à la missive du 20 septembre; Koutousof
ne répondit pas davantage à Ul1e ouverture que lui 6t Lau-
riston, Ie 5 octobre.
{oscou n'était plus tenable; l'hiver allait
venir et séparer Napoléon du reste de I'Europe. L 'armée se
débandait, se débauchait dans Ie pillage. Le 16 octobre, Napo-
léon réclama à Ia Prusse un 5upplément de troupes 1. n II sera
facile de lui faire comprendre qu'il n'y a qu'une bonne
manière de finir cette lutte, c'est de faire voir å la Russie l'im-
possibilité qu'il y a de ruiner l'arrnée, cornrne eUe l'espère,
par les grands moyens de recrutement que l' empereur a, non
seulement dans ses États, mais aussi par Ie secours de ses
alliés. Le même raisonnement doit être fait en Autriche, en
Bavière, à StuttG'ard et partout. " Si quelque langage pouvait
aggraver l'eÍfet de la retraite, et soutenir les arguments que
les agents russes déveIoppaient partout à la méme heuret.!
· A Marett 16 octobre i812.
LA RETRAITE. - 181!.
597
c'était ce commentaire. Déclarer que Ia se
lle manière d'en
fÌnir était Ie secours des alliés, e'était annoncer à ce
aIliés,
défectionnaires dans l'âme, que l'heure de la défection, pru..
dente et lucrative, allait sonDe I .
La retraite con1menca Ie 18 octobre. Le 22, les derniers
. .
Français quittèr:
pt Yo ,cou. Le 21, Ne,po1é o l' avait, de I{ras-
noié, signé cet ordre à Berthier : " l\Ion cousin, faites con-
na
tre au due d'Elchingen quïl doit forn1er l'arrière-garde de
l'arInée." Le temps était beau; NapoIéon llC voulait pas pré-
voir Ie Inalheur; maif, par un pressentirl1ent heureux, il dési-
gna Ie héros qui devait
auver, dans Ie déf;a
tre, sinon rarmée,
au Inoins l'holllleur du nom français.
C'est un instant soIcIir-el en ('eUe his
oire que cette sortie
de
loscou. Nulle part, J'enchainement des choses ne se
décèle en un spectac 1 e plus saisissant; nr lle part ne se mani-
feste avec plus de puissance la force latente et permanente
qui a tout conduit. La Grande Armée est encore debout;
ma1S, dcvant elle, nulle arnlée à vai
}cre : oi rrénéraux ã
ha HI e, ni diplomates à surprelldre. La force delneure inerte,
faute de corps où frapper. La eonquête, poussée à cet excès,
échoue et chavire. Le génie de la guerre s'évanouit dans Ie
vide. Napoléon est arrivé jusque-Ià, porté par la crue formi-
dable du flot qui est venu battre Ie's murs du Kremlin; mais
Ie Hot, cornme épuisé, s'esf arrêté lå, et, emporté par son
prùpre poi{ls, par Ie rellversemenl qui s'opère dans les masses
profondes, il reflue sur soi-nlêlne et se retire. C'est toute
l'ænvre conquérante de la Révolution française qui s'écroule,
avec la Grande .A.rlnée, et, du Inême coup, Ia Révolution
française mênle qui recule EUe ne disparait pas. p]le se
trrnsforlne, cUe se répand sur d'autres rives et, de nationale
qu'elle étail dans la bcule Frallce, elle Ie dcvit:nt clan:; tùutes
le
nations de rEurope; nlais, du reflux, la Grflnde AfInée
fut engloutie et la France même sabnle
.:c : Re)'crsæ sunt
Q,guæ et operllerurll currus el equite6.
'IN.
TABLE DES MATIERES
LIVRE PREMIER
LE BLOCUS CONTINENTAL
CHAPITRE PREMIER
. ,
Ð .A.USTERLITZ .& fEN.&.
ÐÉCEMBRB i805-oCTOBRB 1806.
I. LA PÅI
AYEC L AUTRICHE. - Le ]endemain d' .\usterJitz : Napoléon, I. -
L' Autriche, armistice, 3. - Alexandre, retraite, 4. - La Pl"usae, désanoi, 6.
- L'AlIemagne, nouveaux roil, 9. - Tl"aité du 15 décembre 1805 avec la
Pru6se, 12. - Traité de Presbourg avec l' Autriche, 26 décemhre, 15. - Lei
DourhùnB de r\ spies, les royaumes de famille, 17.
II. DOUBLES ALLIllCES DE LA PnUSSE.- Amendement au traité du 15 décembre, 20.
- Contre-Iettre et contre-alliance en Russie, 23.
III. MORT DE PITr. - Napoléon à Munich, première vue de la Confédération du
Rhin et du Grand Empire, 2\. - Menacel au Pape, 25. - Retour à Pari.,
illusions lur la paix et lur I'Angleterre, 27. - Mort de Pitt, Fox au minis-
tère, 28. - Déchéance del Bourbons de Naples, 29. - Traité du 25 février
i806 aye\: 121. Prusse, 31. - Correspondance entre Fox et Talleyrand, 36.
IV. ÉDAUCBB Ð'UNE COALITIOl'f. - Retour d'Alexandre en RUBsie; question
d'Orient et question de Pologne, 36. - Le Iystème fédéral des nations slaves
en opposition A I'Empire d'Occident, 39. - La Méditerranée et l' Adriatique,
que'tion de Cattaro, 39. - Négociation. Becrètes avec la Prusse, 40. -
Entente avec Fox,
7. - :aiillion d'Oubril A Paris, 47. - Alliance avec la
Prutlse, i er_12 juillet 1806, 48. - V ues d' avenir 11 Vienne; mislion de Metter-
oich A Pari., 49.
V. CONTRE-COALITION, LE G'I.UfD EMPIU.- Comment Napotéon devine .t prévient
ce. deB8ein8, 50. - Message du 30 marl f.806; Joseph à Naple8, Murat àBerg,
Louie en Hollande, Élisa et Pauline en ltalie; les grandl fiefs, 50. - Le
Grand Empire : l' Allemagne, médiatisations et protectorat, 121. Confédération du
Rhin, juin 1806, 51. - Vue. de protectorat en Orient, Sébastiani 11 Conl-
tantinople, 53. - Le blocus de l' Angleterre : Ie ,ystè'l116 continental et I
pactes de famillø, 540. - Premiers conflit8 avec Joseph, 58. - Avec Louis,
61 6 - Avec Murat, 6
- Suiu dCl conflitl avec Ie Pape, 65.
GOO
TABLE DES
IA TIÈRES.
VI. OUBRIL ET YARl\IOUTH A PARIS. - Ouvf'rtures de Talleyrand à Fox par lord
Yarmouth, difticultés : I'uti possiåetis, la Sicile, la Prusse et Ie Hanovre, 67.
- Oubril à Paris; entente avec Yarmouth, 72. - Traité du 20 juillet 1806, 78.
- :Négociation ayec Yarmonth, Ie Hano''fe à }' Anßleterre, 79. - Révélation
de la Confédération du Hhin; offres à la Prussc : la
ouronne impériale, une
Confédération du Nord et Ie Hanovre, 81. - Mission de lord Landerdale à
Paris, 84. - Soumission de I' Autriche, 86.
VII. RUPTURE AVEC LA PRUSSIt. - Crise à Berlin, préparatifs de guerre, 89. -
Reful de ratification du traité d'Oubril, conséquences à Berlin, "alliance russe
et la guerre, 94. - Sommation à Napoléon d'évacuer la l'ive droite du Rhin,
98. - Rupture des négociationl entre la France et I' Angleterre, 98. - Défec-
tiOD de I'Espagae, 99. - Danger de Napoléon; léna, 1.4 octobre 1806, 1.01.
.
CHAPITRE II
La DÉCRST DR BERLlft
OCTOBRB 1806-JUllif 1807.
I. NAPOLÉON
BERLIN. - Catash'ophe de la Prusse, 102. - L'ohjet immuable I
guerre à mort à l'Angleterre, 103. - Vues de Napoléon sur la Prusse, I.
Pologne, la Méditerranée, la Turquie, 106.
11. LE BLoeus DE L'ANGLE1.'ERRE. - Décret du 21 novembre 1806, 11.4. - Ajour-
nement del affairel d'Espagne, 118. - Danger d'une intervention de l'Au.
triche, 119.
III. L
QUESTION DE POLOGNE. - Alexandre: guerre à fond, invasion dCI Prin-
cipautés, appel à I' .Autriche, 1.21. - Riposte de Napoléon, désarmement do
r Autriche, appel aux Turcs, i22. - Les Polonais et Napoléon, 123. - La
Saxe en royaume, i26.
IV. L
GUERRE D'HlVER. - NapoléOD en Pologne, 129. - Inquiétude en France,
131. - Talleyrand et l' Autriche, i33. - Manæuvres à deux fins en Turquie,
en Perse, 1.35. - Eylau, 8 février 1807. - Ouverturel de pais: à la
Prusse, 138.
V. ESSAlS DE RELÈVEl\I.ENT EN PRrISE. - Réveil du lentirnent national, let! réfo....
mateure de I'État, dit!:{râce de Stein, f.40. - La guerre à outrance, Ie grand
but, 1
f;.. - Hardenberg, mérnoire du 3 marl 1807, 146. - Alexandre, Ie
grand but, VU
I de diversions en France, 141.
VI. LA QUESTION D'OnIF
T. - Sébastiani et Ie. Anglai8 à Constanticople, 148.
- Napoléon IODfle
une entente avec la Russie, 149. -
Iédiation de l'A.u-
triche, 151. - Traité de Finkensteill avec In Perse, /4. Dlai 180;, 153. - Lei
emharras du Grand Empire, 155.
VII. BAJ\TENSTliIN ET FIUEDL....ND. - Alexandl'e en Prusse: vuet! de coalitiou Béné-
rale, 156. - Traité de Fartem
tein, 26 avril {807, leI ,"uet! perDJ3nentes, 1.59.
- L' A Dgleterre, Guerre à outrance pour Ie commerce et les colonies, contre leø
neutreø, 161. - Néces8Ïlé et difficulté croiasantes de I. paix, Friedland,
l' juin 1801, i6.&..
TABLE DES MATIÈRES.
eo!
CHAPITRE III
L'ALLIANCE BUilE.
roll.. i807 - M
RS 1808.
I. TruIIT. - Comment Napoléon et Alexandre 18 décident 11. paix, t67. .-;
Armistice, 169. - Plan de Hardenberg, partage de la Turquie, 171. - Plan
d' Alexandre, les deux empires, Orient et Occident, penlPe de derrière la tête,
172. - L'en1.revue, 25 juin 1801, 174.. - Les entretiens de Tilsit, 178. -La
reine Louise et Napoléon, 180. - Traité entre la France et la RUlsie,
7 juillet, Hs5. - Entre la France e& la Prusse, 9 juillet 1801, 186.
II. APRÈS L'ALLUNCE : NAPOLÉON. - Le Iyltème continental, 187. - La cour 1
Paris, la noblesse impériaJe, 191. - Champar.ny aux Affaires étrangèrel, 192.
- Hollande et "T estph,lie J 193. - Vues lur "alliance ru.se, ajourner Ie P'"
tage de la Turquie, 194-.
111. APRÈS L'ALLUNCE : ALEXANDRE. - lIostilité à ralliance en Rustie, 196. -
Bombardement de Copenbague. ! leptembre 1801, 199. - Toletoì, ambalea-
deur à Paris, 202. - Uéclaration de guerre A I' Anßletcrre, 4 novembr.
1807; demande des Principautés, 204.
IV. APRÈS L'ULUNCE : L'AuTRICBB ET LA PI\USSE. - L' Autricbe, vivre eI
attendr(', 203. - La Prune, vivre et .e venGer, 206. - La révolutiol1 prus-
sienne,
06. - Caracrèrc national et contre-coup de la Révolution française,
208. - Rappel de Stein, 209. - Question dei contributions de guerre, con-
seill d'Alexandre, offre d'alliance it
apoléon, 211.
V. APRÈ8 L'ALLlANCB : L'EsPACNE. - Vue de Napoléon; un Bonaparte roi d'EI-
pagne, 212. -l\foyen : les discordes de Ia famil1e royale, arbitrage; conseil.
de Talleyrand, 214.. - Déclaration de guerre au Portugal; traité de Fontaine-
bleau, 27 octobre, 217. - Appel de Charles IV à l'empereur, Ji9. - Illu-
sion Eondamentale sur l'Eepaøue, 220.
VI. PREMIÈRE ÉPREUVE DE L'ALLlA
CE. - Nécessité du concour. de la Russie et
répugnance à Ie payer en Orient, 223. - Tolatoi à Paris, i er novemhre 1801;
les confJitl, 224.. - La question du ruariage et celIe des Principautéa, !28.
VII. LE DÉCRET DR MILAl'f. - Junot en Portugal, déchéance del Bragance,
13 décembre 1801, 230. - Nnpoléon en Italie; la
léditerranée et Ie blocu!,
233. - Entrevuee avec Joseph pt Lucien, 233. - Ordres du Conseil à Londrel,
is et 26 novembre 1807; répliqucl, décl'et du 17 décembre, 2340. - L'arm6e
française en Espagne, janvier f808.
VIII. L'ORlE!(T, LES I
DES. - Plan de Napoléon : ajourner Ie partage, gagner
et di8traire la Russie : la Finlande, une t'!xpédition dans leI Inde!, 237. -
Ouverture. À l' Autriche, janvier 180S,
39. - Discourl de la couronne i
Londrel, 26 janvier 180S, 2lt1. - Lcttre de Napoléon à Alexandr,
I février 1808, 241.
IX. ROME, LA. !tIÉDITEI\I\ANÉB. - Invasion de l'E8pagne, !
3. - Ordre d'occuper
Romp, 214-4-. - CorEou, I' Adriatique, la Sicile, l'Égypte, !4.1;.. - R
vel d.
diversions maritime., !4.5. - Velléit@. de paix avee Loadre., ......
1808, 247.
8M
TAÐLE DES MÃTI
RES.
x. M11UACB ET PA"TACE. - Caulaincourt A Pétersbourg, 24.8. - Conférencel 8U1'
Ie partage, 28 février-iB mars i808, 248. - Conquête de la Finlande, 250.
- Le mariage et la PologDe, !5L - Napoléon ajourne .t part pour Bayonne,
II mars 1808, 151.
CHAPITRE IV
.AYONN& aT SRPuaT.
liARS t808"oc'fOBRK 1808.
I. 11'TI\I0t1BS ET COMPLOTS Eð ESPAONB. - Hoetilité des Espagnoll, !53. - Révo-
lution d' A ranjuez, i8 mars; Murat It !\'Iadrid, 256. - Le pape léqueatré, Rome
10UI la conquête, 7 avril, 261.
II. BATOi"NB. - Napoléon arbitre de. Bourbon. d'Ellpacne, 261. - Us cèdent
leur. droit. à Napoléon, 5 mai 1808, 265. - JOleph roi d'Espagne, 266. -
Réliltance de. Espagnols, 268.
Appel à I' Angleterre, 270.
III. BATL&N &T CINTRA. - Politique de I' Autriche, armer, endormir et dérouter
Napoléon, !73. - !tletternich et lei opposantl à Parill, !14-. - Lei intérêtl
de la France et I'ambition de I'empereur, 276. - Lei Anglais en Espagne,
Wellesley, !78. - Capitulation de Dupont à Baylen, 21 juillct; évacuation de
Madrid, 31 juiUet, 278. - Le Port,ugal
vacué, capitulation de Junot à Cintra,
30 amit 1808.
IV. I..
ftESISTAlfCE DES PEUPLES. - EfEet de ces événements en Europe,
81. -
Mllrat à Naples, lei Anglail en Sicile, lei Calabre8, 282. - Résistance du
pape, appel aux catholiques. 283. - Rési,tance de la Hollande, 284. - En
Wellphalie, conspiration. et corps francs, 28;). - L' Allemagne; Mme de Staël
et Schlegel à Vienne, 286.
V. Aß:\fE:\fEl'fTS DR L' AUTRICHJ!:. - L' Autriche !e prépare pour 1809, 288. -
Napoléon la .omme (Ie désarmer, 290. - Eløais d'entente entre l'Autriche, I.
Pru8se, I' Angleterre, 290. - Offre. d'Alliance et projetl de défection de la
Pru88e, 291.
VI. AUTRICHE ET RUSSIE. - Apostrophe à Metternich, 15 août 1808, l'Autrich.
Ie 60umet en apparence, 293. - Convention d'évacuatioD et d'alliance avec
la Pru8se, 8 tleptel.llbre 1808, 297. - Entrevue avec AI8xandre décidée,
99.
- Talleyrand et Napoléon, 300.
f'I1. ALEX!
DRE EN PAUSS!!:. - Danl quel esprit Ale
andre accepte I'entrevue,
306. - Visite à Kænigeberg, 31t.
VIII. ERPUI\T. - Lei Allemand., 312. - Alexandre et Talleyrand, Ie mariac.
.t l'Autriehe, 314.. - Alexandre ra.sure leI Autrichien., 317. - Traité
\ d'ErEurt, 12octobre 180S. - Delleintl de Napoléon, 3i9. - Talleyrand tra-
vaillc à r
unir l' Autriche et 1. RUIlie, 320. - On 10 préF.&r. à 1& Guerr. pour
Ie printempl de 1809, 3!i.
CHAPITRE V
LA .8
... D".'.A..E.
ð.TOI"
1808 -!"VßIL 1809.
I. NA"OJ.\
ON ...
fADRlÐ. - Guerre nationale et terreur en EøpaBne, 323. - Décep-
tion de Napoléon, 325. - Stein au han de I'empire, 3!9. - Campagne
contre les Anglais, 332.
TABLE DES MATIÈRES
803
II. INTRIGUES ET DÉFECTIONS. - La guerre d
cidée à Vienne, d
cemtJre 1808; leI
alliés de l'intérieur à Paril, 331. - Lei alliés du dehors, rinsurrection del
peuple8, 333. - Talleyrand et Fouché, 334.
III. R:iTOUJ\ DB NAPOLÉOlf. - Napoléon Ie retourne contre I'Autriche, 337. -
Joseph 'Madrid, 22 janvier
809; menaces de démil8ion, 839. -Napoléon .
Paris, 23 janvier-; di.grAce de Talleyrand, 339. - Alexandre mi. eD
demeure, 341.
IV. MilIOEUVBEI DE COALITION. - Alexandre Ie dérobe; Ie roi de Prolse .
Pétersbourg, 3/4.2. - Autriche et Angleterre, 3'..5. - La moitiá de la Gallici.
offerte aux Russeø, 346. - La guerre nationale en Autriche, dynastique 6n
France, 3/4.8. - Départ de Napoléon, 3
9. - Entente lecrète d'A.lexandre
avec I' Autriche, 350. .
CHAPITRE VI
Cnlla DB L' ALLU.ftCB RUSIIZ.
AVJ\IL-OCTOBRK i809
I. ESSLINO ET WA.GI\AM. - Caractère nouveau de la guerre,35!. - Insurrection.
en Tyrol, dans Ie Nord de l' Allemagne, 354. - Réunion de Rome à la France,
mai 1809, 35
. - Essling, 355. - Contre-coup en Prulle, la RUllie auxi-
liaire de I'Autriche, 356. - Agitation en Allemagne, en France, 360. - Cons-
piration à l'armée de Portugal, 361. - Wagram,
5 juiUet 1.809; nécellit6
et embarras de la victoire, 363.
II. L'AFFURE DE W.A.LCHEREN. -
fetternich aux Affairel étrangère., négociation.
dilatoires, 365. - Armistice de ZnaÏm, 1.t juillet 1809, 366. - Inquiétudo
de Napoléon, 367.- Le. Anglais à Walcheren, 372. - Effet 1 Paril, melurel
révolutionnaires, Fouché et Bernadotte, 373. - Enlèvement du pape, 377. -
La question de Polocne, 379. - Crise g
nérale de. aftaire., 380.
III. LA. PAIX DE VIENNK. - Conférencel d'Altenbourg, 18 août 1.809, 382.-
li8sion de Bubna près de Napoléon, premières vues d'alliance avec l' Autriche,
la
léditerranée, 382. - L'Autriche se résigne, conférences de Schænbrünn,
38r,.. - Le dessou8 de8 conférences, 388. - Traité de Vienne,
4 octobre
t809, 393. - Ce qu' CD eapêre Metternich, 39ft. - Fin du .y.tème de
Tileit, 39ft,
LIVRE II
LE GRAND EMPIRE
CIIAPITRE PRE
IIER
LK KARIAO. AUT
IC.l&ð.
OCTOR
. i80Q..A.OUT {8l0.
I LE ÐLOCUØ ET LES A.LLlANCES. - Crise de. alliance
: la Ruuie et I'Autriche, 30Y.
- La queltion de Pologne, I'ultimatum de ramitié,400. - L. Prulte, 4.03.
- Rome 8t Ie pape, 405.
&O
TABLE DES MATIÈRES.
II. LE "BJ.OCU! ET LE8 PACT!:! DE FAl\ltLLE. - Crise des alliance! : Ie, roil frèrel, la
Hollande,406. - La \\ estphalie, 408. - L'Espagne, 409.
III. LB SYSTÈMB DYNA8TIQ1JE. - Comment Ie projet de mariage Ie mêle à la poli-
tique du blocu., 410. - En France, 4-12. - En Europe, 414. - Demande
directe à Alexandre, 415. - Retraitc ména3ée sur I'Autriche, 41.7.
IV. PI\OJET8 DB RÉmnOl
S, HOLLANDE. - Déclaration au Corps législatif,
3 décembre 1809, 419. - Confli1 avec Louia, r,.20. - Velléité d'nmorcer une
néflociation avec Londree, 422. - Concessions à JérOme, dilsidencea avec
Joseph, 42
.
V. METTERNICH. - Le divorce, 426 - Comment l'affaire du mariage Ie noue
avec l' Autriche, 427. - Annulation du mariage religieux, 428.
VI. I,! POLOGNE ET LB MARU.GE I\U!SE. - Tra.ité du 4 janvier 1810 lur la Pologne,
429. - Réplique de Napoléon. - Demande de I'archiduchesse, 430.
VII. LES NOCES KT LA POLITIQUB. - Conséquencee du mariage autrichien, I'E..
pagne et la Hollande, 1;.35. - Sénatus-consulte aur la couronne : les fils de
l'empereur, 437. - Les fiançailleø à Vienne, 439. - Marie-Louise eD
France, 4-41.
VIII. ABD1CATIOIf DB LoUIs. - Metternich à Parla, 443. - Rapprochement de
la Bussie et de I' Autriche, 4olj,Ji.. - IntriGues et disgrâce de Fouché,
4-6. -
Réunion de la Hollande, 9 juillet 1810, 451-
IX. A NT,"GO
IS
IE AVEC LA. Rm;SIE. - Le dernier effort contre r Anp,leterre ajourné
à 1812; vuee d'alliances contre la Russie, 452. - La Suède, Bernadotte
prince royal et béritie.' pré&omptif, 454-. - Desseinl Ilt Alexanllre contre Napo-
léon. 455. - Rôle que VOllt jouer les peuples daDI la criso qui Ie pré-
pare, 4-59.
CHAPITRE II
A PB
CE ET L'EURO...
i810.
I. ApOCÉE DU GRA'.IfD EMPIRE. - La conception du Grand Empire, 461. -
L'æuvre civi1e òe Napoléon, lj,64. - Popularité de NapoléoD en France, 466.
- Lea opposants, 4.67. - L'empire sa 1 lS l'empereur, 469.
II. SUISSE, BELGIQUE, HOtLANDE. - La Suiese neutre, 4.71. - La Belgique
récalcitrantc, 1;.71. - La Hollande obstinée, 472.
III. ITAL1E, ESPAGNE, POLOONE. - L'ltalie aUK Italiens, 473. -
furat, 4.76. -
Joseph, 477. - L'Espar,ne irréconciliahle, 477. - Le& Cortès de Cadix. 478.
- La Pologne, affectionnée, 479. - L'Illyrie, gagnée, 480.
III. LES ALLEMANDS. - Les départements de la rive gauche du Rhin, 481. - La
Conf
dpration, les monarchie! napo!éoniennes, 482. - Les anciennes monar-
chies,
85. - Dé"eloppement du ientiment national, 487.
IV. LA PRVSSE. - Stein et Hardenberg, 49!.
V . RU
SIE, ORIENT, A UTRICUE, ANGLETER1\E. - La Russie, les réfor
.,
Spéranslá,496. - Les pays d'Orient, 499. - L'Autriche, 500. - L'AnSI...
terre, acharnement à la guerre, avantages Qu'eUe y trouve, 500.
T ABLE DES MATliRES.
6011
VI. FRA.
CE. - LeI! çent trente d
partements, SOt. - Le blocua contír...ental et
Ie Ejouvernement des peuples, 503. - Que Napoléon, en leI gouvernant pour
J'intérêt françai5, le5 aiiène à la France, 505. - Comment, lSapol
on tomb.,
Ie jucement deB peuples sur lui Ie modifie, 506.
CHAPITRE III
LA GUERRK DE RU,SIB.
AOUT f810.0CTOBRE 1812.
I. PUl'f D'AGßESSION D' ALEXA
DRE. - Mouvements militairel et alliancel, ouka..
du 31 décembre, 512. - Tchernichef et sea amis de Paris, 512.
II. SUPRÊ
IE EFFORT DU BLOCUS. - Napoléon presse Alexandre d'agir contre l' An-
gteterre,515. - Lea .Anr.lais en Sici1e, en Portugal, en Espagne, 518. - Napo-
léon averti des préparatifl d' Alexandre, 520. - Réunion de la Hollande, del
villca hanséatiques, de l'Oldenbourg, du Valais, 520. - l\-leiurel de guerre
jan-;ier 1811, 521.
III.
:IE
ACES ET MÉNAGEMEl'fT8 EN ESPAGNE. - Inquiétude. de Napoléon, 5!.r,.. -
II longe à Ie débarral8er de I'Espagne, 525. - .Nai.sance du roi de Rome,
Joseph à Paris, 528.
IV. l\'IE
!CES ET MÉNAGEI\fENTS Elf Pf\US8&. - Le blocus dans la Baltique, 520. -
Épo\1vantail aux Pru58ien8, Ie rapport apocryphe de Charnpagny, 530. - Le.
Prussiens offrent l'alliance et méditent la défection, 532.
V. CO
FLIT AVEC ALEXA::.'iDRE. - L'agression déjouée, Alexandre revient à I.
paix et aux. conflits, 53ft. - 1\Iaret aux. Affaires étrangères, 535. - Nouveau
plan d'Alexandre, 531. - :NapoIéon et CauIaincourt, 538. - Algarade
Kourakine, 15 août 1811, 54.2.
VI. MURAT ET L'ITAJ.lE. - La déCection lie prépare, 5,.5. - Murat roi d'ltalie,
rôle des ADglais, 5
6. - La reine Caroline, 547. -
Ietternich, 549.
VII. ALLIANCE .AVEC LA PRU
SE ET L' A UTRICHE. - Plan d'an p anti8lemcnt de la
Prusse, 54.
. - Ultimatum de Napoléon, 551. - Le traité du 2". février 1812,
Ie général York, 552. - Négociation avec I'Autl'iche, traité du 1
mar.
1812, 556. - Contre-assurances à Péteribourg, 558.
VIII. POLOGNE E'r ESPAGNF.. - Vellpité d'iDøurr,er la Pologne, mission de Prgdt,
558. - Le Portu
al évacu p , 559. - LeI! Cortèa de Cadix et Joseph, 560. -
Leg espions de Tchernichef, 561. - Manæuvrel de Talleyrand et de 8e.
affidés, 562. - Dépnrt de :Napoléon, 9 mai 1812, 56
.
IX. LA GRANDE LIGl!E D ' ALE1C.UmRE. - AIIiaÐce aveC la Snède, avril 1812, 565.
- Vues de Bern3clotte, con seils à .Alexandre, 567. - Pai.x et alliance entre
I' Anflleterre et la Russie, entente secrète avec la Prus8e et I' Autriche, 569. -
Paix avec 1a Turquip, 570. - UltiTr'atum à Napoléon, 57i. - Lee ennemi.
du Grand Empire autour d ' Alexandre, 572.
X. NAPOLÉO"\ EN LITHUANIE. - La cour plénière de Dl'eade, 573. - Pass8He du
Niémen, 24 jilin 1812. - Déceptions et désorganisation, 576. - La Lithuania
iC résen,e, 571. - Napoléon et Balacbof, 578. - La Diète de Vanovie"
19.
IGI
TABLE DEi MÂTIJ1:RES.
XI. LA WRCDE IUB MOICOt1. - Alexandre, po1itique et magnanimit6, 581. -
Mme de Staël, 581. - Entrevue d' Alexandre et de Bernadotte, traité d.
80 ao11t 1812, 5840. - Comment .'opère Ie .aIut de la Russie, I'âme natia-
Dale, ROitopchine, 585. - Bataille de la M08koV8, incendie de Moscou, 589.
XII. LA RRTRAITK. - Guerre 11 outrance, résolution d' Alexandre, Ie tsar et Ie
peuple, 591. - Alliance. de la Russie : la Norvège à Bernadotte, la Saxe aux
Pruiiiens, 1"ltalie à I'Autriche, 592. - Pourparlen secret. avec York, 18 defec-
tion du corps prussien Ie pr
parc, 593. - Les alliance, de Napoléon se dis-
.olvent; conspiratiol1 de Malet, 593. - NapoléoD Ie décido à I. retraitc,
is octobrc 1812. - Le "rand refl
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la revolution française
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